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Full text of "Encyclopédie des sciences religieuses"

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\   \  xO 


ENCYCLOPEDIE 


DES 


SCIENCES    RELIGIEUSES 


PARIS.  -  TYPOGRAPHIE  TOLMER  ET  ISIDOR  JOSEPH 
me  du  Four-Saint-Germain,  43. 


ENCYCLOPÉDIE 


DES 


SCIENCES  RELIGIEUSES 


PUBLIEE     SOUS     LA     DIRECTION 


F.   LICHTENBEEGER 


ANCIEN  PROFESSEUR  A  LA  FACULTE  DE  THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 


TOME  I 


PREFACE 


AARON-AZYMITES 


u  Ottawa 


PARIS 

LIBRAIRIE    SANDOZ     ET    FISCHBACHER 

33,     RUE    DE    SEINE,     33 


1877 


S»r\ 


If  77 


PREFACE 


L'Encyclopédie  des  sciences  religieuses  se  propose  d'offrir  à 
tous  ceux  qui  s'intéressent  à  cet  ordre  de  questions  un  moyen 
facile  de  s'orienter  et  de  connaître  les  résultats  des  travaux 
contemporains.  Elle  désire  présenter  à  ses  lecteurs,  sur  chaque 
sujet  de  quelque  importance,  un  ensemble  de  faits  aussi  exact, 
aussi  complet  et  aussi  succinct  que  possible. 

Nous  avons  préféré  le  titre  d'Encyclopédie  à  celui  de  Diction- 
naire, bien  que  l'un  et  l'autre  conviennent  également  à 
l'œuvre  telle  que  nous  l'avons  conçue.  Elle  renferme,  en  effet, 
un  grand  nombre  de  courts  articles  qui  définissent  un  sujet,  le 
délimitent,  en  esquissent  les  traits  essentiels  et  en  indiquent 
les  sources;  ou  bien  encore  elle  renvoie  le  lecteur  aux  articles 
plus  étendus  dans  le  cadre  desquels  le  sujet  désigné  rentre 
naturellement.  Ce  sont  ces  études  de  fond,  embrassant  l'en- 
semble des  sciences  religieuses,  qui  assurent  à  notre  recueil 
son  caractère  encyclopédique. 


it  PRÉFACE 

Nous  disons  sciences  religieuses  et  non  pas  théologiques  : 
d'abord  parce  que  notre  entreprise  s'adresse  essentiellement  au 
public,  plus  nombreux  parmi  nous  de  jour  en  jour  même  en 
dehors  des  cadres  ecclésiastiques,  qui  demande  à  être  initié  et 
associé  aux  recherches  dont  les  théologiens  de  profession 
avaient  jadis  le  monopole  ;  et,  ensuite,  parce  que  le  domaine 
que  nous  embrassons  est  en  réalité  beaucoup  plus  étendu 
que  celui  de  la  théologie  proprement  dite.  Depuis  que, 
par  une  plus  juste  appréciation  des  termes,  l'on  commence 
à  distinguer,  même  dans  le  langage  commun,  entre  la 
religion  et  la  théologie,  cette  dernière  n'est  plus  considérée 
comme  la  seule  forme  que  revête  le  sentiment  religieux, 
et  l'on  s'occupe  avec  un  intérêt  croissant  à  en  saisir  et 
à  en  étudier  les  manifestations  partout  où  elles  se  pro- 
duisent. Par  une  suite  naturelle  de  cette  évolution,  la  théo- 
logie elle-même  s'est  entièrement  renouvelée  depuis  cinquante 
ans;  s'inspirant  du  principe  de  la  méthode  historique,  appli- 
quée au  domaine  qui  lui  est  propre,  elle  a  pu,  en  utili- 
sant largement  les  travaux  des  sciences  auxiliaires  et  paral- 
lèles et  sans  rien  perdre  de  son  originalité,  agrandir  beaucoup 
son  cadre. 

On  jugera  de  l'étendue  considérable  du  champ  que  l'Ency- 
clopédie embrasse  par  le  nombre  des  articles  qui  y  figurent.  Ces 
articles  comprennent  d'abord  les  diverses  branches  de  la  théo- 
logie systématique,  telles  que  la  dogmatique,  la  morale,  l'apo- 
logétique, et  la  philosophie  de  la  religion  qui  y  confine  :  elles 
jious  présentent  une  ample  moisson  de  termes  à  définir,  de 
notions  à  analyser  et  à  préciser,  de  théories  et  de  systèmes  à 
exposer,  ce  que  nous  ferons  en  restant  autant  que  possible  sur 
le  terrain  de  l'objectivité.  Notre  recueil  a  dû  s'ouvrir  également 
aux  articles  qui  concernent  la  théologie  pratique,  bien  que  la 
place  que  nous  avons  pu  leur  offrir  soit  forcément  plus  res- 
treinte :  nous  avons  tenu  à  esquisser,  du  moins  en  traits  rapides, 
les  principes  et  l'histoire  du  culte,  de  l'homilétique,  de  la  caté- 


PRÉFACE  m 

chétique  et  de  tous  les  sujets  qui  rentrent  dans  le  cadre  de  la 
science  pastorale.  Mais  c'est  le  vaste  domaine  de  l'histoire  qui 
a  fourni  les  matériaux  les  plus  nombreux  à  Y  Encyclopédie. 
L'histoire  des  religions,  d'origine  toute  récente,  y  trouvera 
une  large  place.  Grâce  aux  travaux  remarquables  que  les  der- 
nières découvertes  ont  provoqués  sur  l'Egypte,  la  Phénicie, 
l'Assyrie,  la  Perse,  l'Inde,  la  Chine,  venant  succéder  aux  re- 
cherches plus  anciennes  sur  la  Grèce,  la  Scandinavie  et  la  Gaule, 
il  est  possible,  dès  aujourd'hui,  de  tracer  un  tableau  complet 
du  paganisme.  Nous  demanderons  aux  documents  originaux  de 
nous  faire  connaître  l'expression  si  variée  et  souvent  si  ingé- 
nieuse que  le  sentiment  religieux  a  trouvée  chez  les  peuples  qui 
vivaient  avant  l'ère  chrétienne  ou  qui  sont  placés  en  dehors  de 
l'action  de  l'Evangile.  Toutefois,  nous  prévenons  nos  lecteurs 
qu'ils  devront  chercher  dans  les  études  d'ensemble  les  noms 
des  divinités,  des  symboles  et  des  usages  religieux  des  diverses 
mythologies  païennes  :  notre  table  de  matières,  déjà  si  chargée, 
eût  été  trop  encombrée  par  les  innombrables  articles  ou  les 
incessants  renvois  qu'une  pareille  nomenclature  eût  entraînés. 
L'histoire  des  religions  bibliques  occupe  naturellement,  dans 
Y Encyclopédie,  la  place  d'honneur.  On  y  trouvera  l'explication 
de  tous  les  noms  géographiques  et  historiques  de  l'Ancien  et  du 
Nouveau  Testament  de  quelque  importance,  l'analyse  des  prin- 
cipales idées  religieuses,  une  introduction  critique  détaillée  de 
chacun  des  livres  canoniques  et  apocryphes,  ainsi  que  des  études 
d'ensemble  sur  le  canon,  le  texte,  les  versions,  l'exégèse,  la 
propagation  des  saintes  Ecritures  et  l'archéologie  sacrée.  Nous 
n'avons  pas  négligé,  cela  va  sans  dire,  l'histoire  de  l'Eglise  :  les 
Pères,  les  docteurs  scolastiques  et  mystiques,  les  ordres  reli- 
gieux, les  missions,  les  sectes  anciennes  et  modernes,  l'époque 
de  la  Renaissance  et  celle  de  la  Réforme,  la  statistique  religieuse 
contemporaine,  tant  matérielle  que  morale,  de  chaque  pays, 
l'organisation  particulière  de  chaque  Eglise,  seront  l'objet  d'ar- 
ticles spéciaux.  Il  a,  de  même,  été  tenu  grand  compte  de  tout 


n  PRÉFACE 

ce  qui,  dans  le  domaine  du  droit  comme  dans  celui  des  lettres 
et  des  arts,  touche  au  développement  des  institutions  ou  des 
idées  religieuses. 

L' Encyclopédie  ne  saurait  avoir  la  prétention  de  ne  présenter 
aucune  lacune.  Tous  ceux  qui  se  sont  occupés  de  travaux  de  ce 
genre  savent  qu'il  n'est  pas  possible,  en  ces  matières,  d'être 
absolument  complet.  Le  nombre  de  volumes  fixé  par  les  édi- 
teurs pour  cette  publication  nous  imposait,  à  lui  seul,  la  néces- 
sité de  nous  restreindre  et  de  faire  un  choix.  Il  existe  d'ailleurs 
sur  diverses  branches  des  sciences  religieuses  des  dictionnaires 
spéciaux  que  nos  lecteurs  consulteront  avec  fruit.  Nous  ne  vou- 
lons citer  ici  que  la  France  protestante,  cette  œuvre  monumen- 
tale des  frères  Haag  que  M.  Henri  Bordier  réédite  et  complète 
en  ce  moment  même  d'une  manière  si  heureuse.  Nous  osons 
espérer  toutefois  n'avoir  point  d'omissions  graves  à  nous  repro- 
cher, et  nous  nous  engageons  à  réparer  de  notre  mieux  celles 
que  l'on  voudra  bien  nous  signaler. 

La  plus  grande  difficulté  contre  laquelle  nous  ayons  eu  à 
lutter  n'a  pas  été  de  tracer  le  cadre,  mais  de  déterminer 
l'étendue  des  articles,  et  surtout  de  contenir,  dans  les  limites 
prescrites,  la  bonne  volonté  et  le  zèle  de  nos  collaborateurs. 
On  ne  manquera  pas  de  relever  une  certaine  disproportion 
entre  les  articles  de  notre  recueil.  Que  l'on  veuille  bien  ob- 
server toutefois  que,  dans  notre  détermination,  nous  avons 
dû  nous  laisser  guider  non-seulement  par  la  nature  du  sujet, 
mais  aussi  par  la  nouveauté  des  découvertes  ou  l'origina- 
lité des  appréciations.  Tel  personnage,  telle  localité,  telle 
notion,  tel  événement  moins  important  ou  moins  connu 
occupera  peut-être  plus  de  place  que  tel  autre  dont  on 
peut  trouver  partout  la  biographie,  la  description  ou  l'ana- 
lyse. Une  remarque  analogue  s'applique  à  la  signature  des 
articles,  que  nous  n'avons  pas  cru  devoir  inutilement  pro- 
diguer. 


PRÉFACE  v 

Un  écueil  que  nous  nous  sommes  principalement  appliqué  à 
éviter  en  embrassant  une  matière  si  étendue,  c'est  de  n'être 
jamais  ni  superficiel  ni  vague,  et  de  ne  remplacer  nulle  part 
par  des  développements  de  rhétorique  l'exposé  sobre,  précis  et 
substantiel  des  faits.  Nous  nous  sommes  interdit  avec  soin 
la  pompe  banale  des  considérations  oratoires.  A  cet  effet, 
nous  nous  sommes  invariablement  adressé  aux  hommes  spé- 
ciaux, faisant  appel  à  tous  ceux  qui  se  sont  occupés  des 
sciences  religieuses  et  dont  les  travaux  font  autorité.  La  liste 
complète  des  collaborateurs  figurera,  dans  le  dernier  volume, 
à  côté  de  la  table  générale  des  matières. 

L'Encyclopédie  des  sciences  religieuses  n'est  pas  destinée  à 
servir  les  intérêts  d'un  parti  ou  dune  coterie;  elle  est  l'œuvre 
collective  des  diverses  fractions  du  protestantisme  de  langue 
française  et  des  quelques  hommes  de  bonne  volonté  qui,  en 
dehors  de  nos  cadres,  ont  bien  voulu  se  joindre  à  nous.  Tout 
en  nous  plaçant  sur  la  base  positive  du  christianisme  et  sans 
compromettre  en  rien  l'unité  de  notre  œuvre,  nous  n'avons, 
dans  le  choix  de  nos  collaborateurs  et  dans  la  distribution  des 
matières,  considéré  que  la  valeur  scientifique  des  articles. 
Nous  avons  demandé  à  chacun  l'impartialité  et  le  respect  des 
convictions  d'autrui,  et  nous  avons  prévenu  que  toute  contro- 
verse blessante  serait  sévèrement  bannie  de  ce  recueil. 

Pour  l'orthographe  des  noms  propres,  nous  nous  sommes 
conformé  à  celle  que  l'usage  a  consacrée  en  France,  nous 
réservant  d'indiquer,  dans  le  courant  des  articles,  celle  qui 
nous  paraît  préférable.  A  cet  égard  encore,  de  nombreux 
renvois  faciliteront  les  recherches  du  lecteur.  Sauf  en  ce  qui 
concerne  le  latin,  les  citations  de  textes  étrangers  ont  été,  de 
parti  pris,  évitées.  Nous  avons  adopté  pour  les  caractères 
hébraïques  un  système  de  transcription  simple  et  facile  dont 
nous  avons  recommandé  l'emploi  à  tous  nos  collaborateurs. 
Les  indications  bibliographiques  ont  été  l'objet  d'un  soin  spé- 


vi  PRÉFACE 

cial  :  nous  avons  tenu  à  les  donner  aussi  complètes  et  aussi 
exactes  que  possible,  en  nous  permettant  d'ailleurs  l'emploi  des 
abréviations  en  usage. 

Pour  la  répartition  et  le  classement  des  matières,  nous  avons 
utilisé  un  grand  nombre  de  dictionnaires  et  d'ouvrages  spé- 
ciaux. Nous  mentionnerons  tout  particulièrement  la  Real-Ency- 
clopœdie  fur  protestantische  Théologie  und  Kirche  de  M.  Herzog 
(Hamb.  et  Gotha-,  1854-1868,  22  vol.),  qui  nous  a  inspiré  l'idée 
même  de  cette  entreprise.  Nous  avons  mis  à  profit,  en  maintes 
circonstances,  les  travaux  de  nos  devanciers;  mais  il  va  sans 
dire  que  tous  nos  articles  de  fond  sont  des  études  absolument 
originales,  faites  sur  les  sources  elles-mêmes. 

Unir  l'ardeur  du  sentiment  religieux,  reconnu  dans  sa  légi- 
time et  puissante  influence  tant  individuelle  que  sociale,  à 
l'indépendance  de  la  pensée,  soumise  aux  lois  inflexibles 
de  la  science  :  tel  est  l'idéal  qui  s'impose  aux  hommes  de 
notre  génération.  Nous  serions  -heureux  de  leur  aider  à  le 
réaliser. 

Parmi  les  lecteurs  de  ce  recueil,  les  uns  seront  frappés 
des  conceptions  tout  à  la  fois  grossières  et  subtiles,  des 
usages  bizarres,  des  pratiques  puériles  et  mesquines  que 
l'ignorance  et  la  superstition  des  âges  passés  ont  placés  sous 
le  couvert  de  la  religion  •  les  autres  reculeront  effrayés  devant 
les  hardiesses  de  la  philosophie  et  de  la  critique  historique 
contemporaines  :  nous  osons  espérer  toutefois  que  les  uns  et  les 
autres  emporteront  la  conviction  qu'il  existe,  au  sein  de  l'huma- 
nité, un  fonds  solide  et  persistant  de  vérité  religieuse,  qui  seul 
donne  à  la  vie  sa  signification  et  son  prix. 

Plus  ce  siècle  penche  vers  son  déclin,  moins  nous  sommes 
inquiet  sur  i'issue  de  la  crise  qu'il  traverse.  Là  où  les  esprits  à 
courte  vue  croient  découvrir  la  tombe  de  la  religion ,  nous 
discernons  les  signes  manifestes  de  son  éternelle  jeunesse.  L'é- 
tude critique  des  vieux  documents  et  l'analyse  sévère  de  la 


.     PRÉFACE  vu 

nature  humaine  nous  la  montrent  plus  belle  dans  son  essence, 
plus  riche  et  plus  variée  dans  ses  manifestations,  plus  puissante 
dans  son  action  sur  le  monde.  Que  ses  adversaires,  comme  aussi 
certains  de  ses  défenseurs,  mieux  informés  les  uns  et  les  autres, 
cessent  donc  de  la  confondre  avec  les  formes  et  les  systèmes 
parasites  qui,  trop  longtemps,  ont  voilé  sa  splendeur  !  Ce  sont 
ces  enveloppes  poétiques  et  pittoresques  parfois  dans  leur  grâce 
naïve,  mais  devenues  gênantes  à  la  longue,  que  le  travail  du 
temps  emporte;  ce  sont  ces  scories  que  le  minerai  en  fusion 
dépose  au  fond  du  creuset.  L'or  pur  s'en  est  dégagé,  et  il  n'y 
a  pas  de  risque  qu'il  se  perde. 

Dirons-nous  toute  notre  pensée  ?  Notre  pays  nous  paraît  plus 
particulièrement  bien  placé  pour  opérer  ce  triage,  devenu  né- 
cessaire, entre  ce  qui  dans  la  religion  est  destiné  à  périr  et  ce 
qui  doit  demeurer.  L'Angleterre,  conservatrice  par  tempéra- 
ment et  par  tradition,  a  compris  le  christianisme  surtout  par 
son  côté  pratique  :  elle  réalise  d'une  manière  merveilleuse  l'ac- 
tivité charitable  et  missionnaire  à  laquelle  l'Evangile  nous 
convie.  Moins  ferme  et  moins  libre  sur  le  terrain  ecclésiastique, 
mais  plus  hardie  dans  le  domaine  de  la  pensée,  l'Allemagne, 
avec  son  génie  spéculatif  et  critique,  a  porté  plus  avant  le  flam- 
beau des  recherches  en  ce  qui  concerne  les  origines  des  religions, 
les  documents  authentiques  et  la  physionomie  propre  du  chris- 
tianisme. Mieux  équilibrée  et  admirablement  pondérée  dans  les 
dons  qu'elle  a  reçus  en  partage,  la  France,  lorsqu'elle  suit  ses 
meilleures  inspirations,  semble  destinée  à  veiller  sur  le  foyer 
religieux  où  s'embrase  et  se  réchauffe  la  foi  de  l'humanité. 
Unissant  la  vaillance  à  la  douceur,  l'amour  de  la  règle  à  la  pas- 
sion généreuse,  elle  a  produit  quelques-uns  des  plus  beaux 
types  de  la  piété  chrétienne. 

C'est  en  vain,  croyons-nous,  que  l'on  essaye  aujourd'hui  de  la 
détourner  de  l'accomplissement  de  sa  véritable  mission.  Elle  n'é- 
coutera pas  les  conseils  de  ceux  qui  lui  disent  de  jeter  par-dessus 
bord  toutes  ses  croyances  ;  elle  suivra  moins  encore  la  voix  de 


vu  i  PRÉFACE 

ceux  qui  voudraient  lui  persuader  que  le  dernier  mot  de  la  re- 
ligion a  été  prononcé  au  récent  concile  du  Vatican.  Elle  réagira 
aussi  contre  cette  doctrine  fataliste  d'après  laquelle  la  direc- 
tion religieuse  de  l'humanité  aurait  passé,  avec  l'hégémonie 
politique  et  sociale,  des  peuples  de  race  latine  aux  peuples  de 
race  germanique  ou  anglo-saxonne.  Certes,  nous  ne  demandons 
pas  à  la  France  de  se  faire  protestante,  et  nous  laissons  à 
d'autres  le  soin  de  lui  rappeler  ce  qu'elle  a  perdu  en  repoussant 
la  Réforme  au  seizième  siècle  et  en  proscrivant  ses  fils  au  dix- 
septième.  Qu'elle  renoue  simplement  avec  les  propres  traditions 
de  son  passé  et  que,  appliquant  à  son  ancienne  foi  les  méthodes 
nouvelles,  elle  redevienne  ce  qu'elle  a  été  jadis  dans  la  fleur 
de  ses  héros  :  le  pays  des  fortes  études,  des  mœurs  austères  et 
de  la  propagande  enthousiaste  de  l'Evangile  ! 


ENCYCLOPÉDIE 


DES 


SCIENCES   RELIGIEUSES 


AARON  jÀharôn,  "Aapwv],  frère  aîné  de  Moïse  et,  par  conséquent,  fils 
d'Amrâm  et  de  Yokèbèd,  de  la  tribu  de  Lévi  (Nomb.  XXVI,  59).  Nous 
ne  savons  rien  de  sa  jeunesse.  La  première  fois  qu'il  est  question  de  lui 
dans  le  Pentateuque  (Exode  IV,  14),  il  semble  qu'il  avait  déjà  la  répu- 
tation d'être  un  homme  habile  à  manier  la  parole.  Il  ne  fut  guère  que 
l'interprète,  la  «  bouche  »  (Exode  IV,  16)  de  son  frère  dont  il  subit  le 
puissant  ascendant.  Nous  le  trouvons  toujours  à  côté  de  Moïse,  dont  il 
soutenait  le  bras  à  la  bataille  de  Rephidim  contre  les  Amalécites 
(Exode  XVII,  12).  Une  fois  il  est  laissé  à  lui-même,  et  il  autorise  le 
peuple  à  se  faire  un  taureau  d'or  qui  rappelait  les  idoles  égyptiennes 
f  Exode  XXXII,  1-6).  Dans  une  autre  circonstance,  cédant  à  l'influence 
de  sa  sœur  Miryam,  il  cherche  querelle  à  son  frère  parce  qu'il  a  épousé 
une  femme  Kouchite  (Nomb.  XII,  1  et  ss.).  Aaron  paraît  donc  avoir  été 
d'un  caractère  faible  et  peu  consistant.  Il  n'en  fut  pas  moins,  selon  la 
tradition  consacré  prêtre  en  même  temps  que  ses  fils  (Exode  XXIX,  i 
et  ss.  ;  Nomb.  VIII),  et  la  prêtrise  déclarée  héréditaire  dans  sa  famille. 
Coupable,  ainsi  que  Moïse,  d'avoir  douté  de  Jéhova  aux  eaux  de  Meri- 
bah  (Nomb.  XX,  6-12),  il  ne  put  traverser  le  Jourdain  et  entrer  dans  le 
pays  de  Canaan  à  la  tête  des  Israélites.  Il  mourut  sur  le  mont  Hôr,  dans  le 
voisinage  de  Pétra,  etMoïse  revêtit  Eleâzâr,  son  fils,  du  costume  sacerdo- 
tal (Nomb.  XX,  28).— Lafemme  d'Aaron s'appelait  Elisabeth  (Elichèba). 
Des  quatre  fils  qu'il  eut  d'elle,  Nâdâb,  Abihou,  Eleâzâr  et  lthâmâr,  les 
deux  derniers  seuls  lui  survécurent;  les  deux  premiers  étaient  morts 
pour  avoir  apporté  devant  Jéhova  «  un  feu  étranger  »  (Lév.  X,  1,  2).  — 
Pour  la  critique  de  la  vie  d'Aaron,  voir  l'article  Moïse. 

ABADDON.  Ce  terme,  qui  vient  du  verbe  hébreu  'âbad,  «se  perdre,  » 
signifiait  primitivement  la  destruction;  puis,  dans  la  langue  poétique, 
il  est  devenu  le  synonyme  du  séjour  de  la  mort,  duCheol  (Job  XXVI,  6; 

1 


ABADDON  —  ABAISSEMENT 

XXVIII,  22;  Ps.  LXXXVIII,  12;  Prov.XV,  11).  Dans  l'Apocalypse  enfin, 
on  le  retrouve  appliqué  à  «  L'ange  de  l'abîme  »  (Apoc.  IX,  11)  qui  com- 
mande aux  armées  des  sauterelles  infernales;  son  nom,  'A6ascwv,  est 
rendu,  en  grec,  par  le  mot  'Atcoàauwv  ,  «  le  destructeur.  » 

ABAISSEMENT  du  Christ  (Status  exinanitîonis).  La  dogmatique  dis- 
tingue un  double  état  dans  l'existence  du  Christ  :  l'état  d'abaissement 
et  l'état  d'élévation.  Elle   se  fonde  principalement  sur  Phil.  II,  ;>-<>, 
où  la  Vulgate  traduit  èxévoxjev  pnvexinanivit.  Dans  ce  passage,  saint  Paul 
oppose  l'existence  terrestre  du  Christ,   humble  et  misérable  (lAOpçrj 
oouXcu),  à  son  passé  et  à  son  avenir  glorieux.  Son  incarnation  est  dès 
lors  considérée  comme  un  abaissement  volontaire  nécessité  par  notre 
salut,  riche  en  consolations  et  en   encouragements  pour  ceux  qui, 
comme  lui,  portent  la  forme  du  serviteur,  en  attendant  la  gloire  future 
qui  doit  être  manifestée.  La  Divinité  étant  toujours  égale  à  elle-même 
ne  peut  être  ni  abaissée  ni  élevée  ;  c'est  donc  le  fait  de  revêtir  la  nature 
humaine  qui  constitue  l'abaissement  du  Fils  de  Dieu.  Ainsi  raisonnent 
Calvin  et  les  théologiens  réformés  :  «  Car,  que  veulent  dire  ces  mots  : 
«  Il  a  esté  trouvé  comme  homme  en  figure,  »  sinon  que  pour  un  tems 
sa  gloire  divine  n'a  point  relui,  mais  seulement  la  forme  humaine  en 
condition  vile  et  basse  »    (Inst.    chrest.,  II,  13,  2).   Les  théologiens 
luthériens  qui  admettaient  la  communication  réciproque  des  pro- 
priétés des  deux  natures  ne  pouvaient  sortir  d'embarras  qu'en  en- 
seignant que  la  nature  humaine  du  Christ,  quoique  participant  de  la 
majesté  divine,  vécut  «  presque  toujours  »  dans  un  état  de  gloire  ca- 
chée et,  par  conséquent,  d'abaissement  sur  la  terre  :  «  Bœc  humanx 
naturse  majestas  in  statu  humiliât  ionis  majore  ex  parte  occultata  et  quasi 
dissimulata  fuit»  (Form.  conc,  VIII,  65).   Une  controverse  assez  vive 
s'engagea,  en  1616,  sur  ce  point,  entre  les  théologiens  souabes  et  les 
théologiens  hessois.  Les  premiers  soutinrent  qu'en  vertu  de  la  communi- 
catio  idiomatum,  le  Christ  avait  possédé  la  toute-présence  et  le  gouver- 
nement du  ciel  et  de  la  terre,  même  dans  son  état  d'abaissement  et  jusque 
dans  sa  mort.  Ils  distinguent  entre  la  xr^ctç,  la  possession  des  attributs 
de  Dieu,  la  xprlcic)  l'usage,  et  la  y.pu^tç,  l'usage  occulte.  Les  Hessois,  de 
leur    côté,    insistaient    sur   la  xévojatç,   c'est-à-dire  le  dépouillemeni 
(voy.  l'article  Kenosis),  l'abstention  complète  de  l'usage.  Les  théolo- 
giens saxons,  à  l'arbitrage  desquels  la  décision  fut  soumise,  donnèrent 
raison  à  ces  derniers,  mais  en  accordant  toutefois  à  leurs  collègues  de 
Tubingue  que,  pour  accomplir  ses  miracles,  Jésus-Christ  s'est  servi  de 
la  nature  divine.  —  Les  dogmatistes  ont  relevé   deux  éléments  clans 
l'état  d'abaissement  :  l'élément  négatif  (yivwciç)  qui  consiste  dans  l'ab- 
dication de  l'usage  de  la  majesté  divine,  et  l'élément  positif  (Tarcsivcosu;) 
qui  consiste  dans  le  revêtement  de  la  forme  de  serviteur.  Ils  ont,  de 
plus,  distingué  jusqu'à  sept  degrés  (gradus,  modi,  momenta)  dans  l'abais- 
sement du  Christ  :  la  conception,  la  naissance,  l'éducation,  la  fréquen- 
tation des  hommes  (sanctissima  ipsius  consuetudo  cum  variis,  etiam  con- 
temptissimis  hominibus,plena  molestiis,  incommodis ,  periculis) ,  la  passion, 
la  mort,  l'ensevelissement;  quelques-uns  y  ajoutent  encore  la  circonci- 
sion et  la  fuite  en  Egypte. 


ABANDON  -  ABAUZIT  3 

ABANDON.  Lorsqu'il  est  dit,  dans  l'Ecriture  sainte,  d'un  individu  ou 
d'un  peuple  que  Dieu  l'abandonne,  cela  signifie  que,  pendant  un  temps 
plus  ou  moins  long,  il  lui  retire  le  sentiment  de  sa  présence,  l'assu- 
rance de  sa  sollicitude  paternelle,  de  sa  protection  bienveillante  et 
de  son  secours  efficace,  pour  le  laisser  tomber  dans  le  malheur  et  dans 
la  misère,  en  butte  à  ses  convoitises  ou  en  proie  à  ses  ennemis.  Cet 
abandon  s'applique  aux  incrédules,  dans  le  but  de  les  reprendre  et  de 
les  corriger  (Deut,  XXXI,  17  ;  Jérém.  Il,  19;  Osée  IX,  12  ;  2  Cor.  IV,  4  ; 
2  Tina.  Il,  26),  aussi  bien  qu'aux  croyants  afin  de  les  éprouver  et  de  les 
exciter  à  redoubler  de  fidélité,  de  vigilance  et  de  zèle  (2  Chron.  XXXI l, 
31;  JabXIÏÏ,24;  Ps.LXIX,21;  LXXXVIII,  6).  — L'abandon  du  Christ  sur 
la  croix  (Matth.  XXVII,  46,  Cf.  Pst  XXII,  2)  n'implique  ni  une  séparation 
essentielle  avec  le  Père,  ni  un  divorce  momentané  entre  sa  nature  divine 
et  sa  nature  humaine,  ni  surtout  Faction  de  la  colère  et  de  la  malédic- 
tion divines  dont  le  Fils  eût  été  l'objet,  alors  qu'il  accomplissait  l'obéis- 
sance dans  ce  qu'elle  avait  de  plus  pénible.  Vaincu  par  le  double  excès 
de  la  douleur  physique  causée  par  la  crucifixion  et  de  la  douleur  mo- 
rale résultant  de  la  réprobation  dont  il  était  la  victime  de  la  part  des 
hommes,  Jésus-Christ,  en  ce  court  et  suprême  instant  de  l'agonie, 
n'a  plus  senti  la  puissance  de  l'amour  divin  :  il  n'a  vu  que  les  signes  de 
la  colère,  du  châtiment  et  du  jugement  des  hommes  sous  les  effets 
desquels  il  succombait. 

ABANDONNEMENT,  terme  de  droit  ecclésiastique  qui  désigne  l'acte 
par  lequel  une  personne  déjà  condamnée  par  le  tribunal  ecclésiastique 
est  livrée  entre  les  mains  des  juges  laïques.  Les  canons  ont  fixé  à  trois 
les  cas  où  le  criminel  devait  être  livré  au  bras  séculier  :  l'hérésie,  quand 
il  y  a  impénitence  de  la  part  du  coupable  ;  le  faux  commis  sur  des 
lettres  du  pape;  la  calomnie  portée  contre  son  propre  évêque. — On  se 
sert  aussi  de  ce  terme  pour  désigner  la  cession  d'un  bénéfice,  soit 
expresse,  par  acte  public,  lors  d'un  mariage,  d'un  vœu  monastique  ou 
d'un  autre  motif  d'incompatibilité;  soit  tacite,  par  la  non-résidence  ou 
la  non-desserte. 

ABARIM,  proprement  har  ou  hàré  ha'abàrim,  «les  monts  du 
]>assage  ?  »  peut-être  aussi  «du  gué?»  étaient  situés  en  face  de  Jéricho, 
de  l'autre  côté  du  Jourdain.  Ils  sont  mentionnés  parmi  les  étapes  du 
peuple  hébreu  (Nomb.  XXXIII,  47)  et  dans  le  récit  de  la  mort  de 
Moïse  (voy.  Nébo),  Ils  avaient  pour  sommet  principal  le  mont  Nébo. 
Suivant  Winer,  cette  chaîne  s'étendait  jusqu'au  sud  de  la  mer  Morte  où 
l'on  rencontre  des  montagnes  appelées  'iyyé  ha'abârim,  à  l'entrée 
du  pays  de  Moab  (Nomb.  XXI,  11  ;  XXXIII,  44)  ;  mais  cette  hypothèse, 
qui  a  été  adoptée  par  Menke  dans  son  atlas,  est  contestable;  deux 
groupes  de  montagnes  différents  ont  fort  bien  pu  porter  un  nom  de  ce 
genre. 

ABAUZIT  (Firmin),  savant  genevois  [1679-1767],  était  né  à  Uzès 
d'une  famille  huguenote.  Au  moment  de  la  révocation  de  l'édit  de 
Nantes,  sa  mère,  femme  distinguée,  réussit,  au  travers  de  beaucoup  de 
péripéties,  à  l'arracher  aux  mains  de  l'évêque  et  à  le  faire  fuir  en  1689 
à  Genève,  où  elle  le  rejoignit.  Après  des  études  fortes  et  variées,  Abauzit 


4  ABAUZIT 

voyagea  en  1698  en  Hollande  et  en  Angleterre,  et  s'y  lia  avec  plu- 
sieurs savants,  notamment  Bayle  et  Newton.  De  retour  à  Genève,  il  s'en- 
fonça dans  la  vie  de  cabinet,  sans  vouloir  s'astreindre  à  aucune  fonction 
obligatoire.  Voué  au  développement  de  la  Bibliothèque  publique,  qui  avait 
été  organisée  en  1702,  il  en  fut  nommé  bibliothécaire  honoraire.  Plus 
tard,  en  1727,  la  République  lui  accorda  la  bourgeoisie  gratis.  Sa  longue 
vie  s'écoula  dans  le  célibat,  le  travail  assidu,  la  paix.  Visité  par  tous  les 
passants  distingués,  consulté  par  les  savants  du  pays  et  de  l'étranger, 
en  correspondance  suivie  avec  quelques-uns  des  plus  grands,  estimé  el 
aimé  de  tous,  Abauzit  était  un  sage  au  jugement  de  ses  contempo- 
rains. C'est  ainsi  que  Rousseau  l'a  dépeint  dans  une  note  de  la  Nouvelle 
Hèloise  (5e  P.,  lettre  I)  qui  l'a  immortalisé.  Il  l'appelle  «  un  vrai 
philosophe,  le  seul  qu'il  ait  connu,  »  et  le  compare  à  Socrate  et  à 
Gaton.  Simplicité  antique,  grande  modestie,  bienveillance  exquise,  em- 
pire sur  lui-même,  piété,  Abauzit  a  en  effettous  les  traits  d'un  sage  chré- 
tien. Gomme  savant,  il  eût  pu  aspirer  à  une  grande  renommée.  Il  était 
également  versé  dans  les  sciences  exactes  et  les  sciences  historiques  : 
mathématiques,  physique,  astronomie,  géographie,  histoire,  archéologie, 
numismatique,  langues  anciennes,  théologie,  enfin,  il  a  tout  abordé 
avec  talent,  car  il  avait  à  un  haut  degré  les  qualités  de  l'esprit  scienti- 
fique, une  étonnante  mémoire,  une  grande  curiosité,  une  pensée  péné- 
trante et  précise.  Mais  cette  facilité,  cette  curiosité  lui  furent  un  piège. 
Il  dispersa  ses  recherches,  émietta  ses  travaux.  Et  d'autre  part  sa  pas- 
sion pour  l'indépendance,  sa  prudence,  son  manque  d'ambition  l'empê- 
chèrent d'entreprendre  et  de  produire  une  œuvre  étendue  et  durable. 
Il  eut  le  tort  de  travailler  en  amateur.  Aussi  ne  publia-t-il  rien  ;  quel- 
ques écrits  confiés  à  ses  amis  virent  le  jour  de  son  vivant.  Après  sa 
mort,  une  partie  de  ses  manuscrits  furent  détruits,  d'autres  laissés  à  la 
Bibliothèque  publique,  d'autres  enfin  furent  recueillis  dans  deux  édi- 
tions de  ses  Œuvres,  l'une  à  Genève  en  1770,  l'autre  à  Londres  et  Ams- 
terdam, 1770-1773,  en  deux  volumes  chacune.  Le  second  est  occupé  par 
des  dissertations  scientifiques  diverses,  le  premier  par  des  fragments  de 
théologie,  dont  le  choix  est  plus  varié  et  plus  hardi  dans  l'édition  de 
Londres.  C'est  là  que  nous  allons  trouver  le  théologien.  Abauzit  appar- 
tient à  ce  qu'il  appelle  les  théologiens  modérés  par  opposition  aux  rigi- 
des. C'était  la  tendance  dominante  à  Genève  et  ailleurs,  au  commence- 
ment du  dix-huitième  siècle.  Il  abandonnait  doucement  la  dogmatique 
traditionnelle,  pour  se  borner  à  la  Bible,  interprétée  selon  la  méthode 
critique  el  raisonnable.  En  dogmatique,  il  était  unitaire.  La  plupart  (10) 
des  fragments  exégétiques  du  volume  sont  consacrés  à  la  discussion  des 
passages  favoris  du  trinitarisme.  Christ  est  l'envoyé  de  Dieu,  qui  n'a 
eu  qu'une  préexistence  idéale,  c'est  le  docteur  et  le  martyr  parfait. 
En  apologétique,  Abauzit  maintient  la  dualité  de  la  religion  natu- 
relle et  de  la  religion  révélée,  celle-ci  venant  confirmer  et  populariser 
l'autre  par  des  miracles.  Dans  la  controverse,  le  savant  réfugié,  qui  ne 
s'est  jamais  un  peu  échauffé  que  contre  les  jésuites,  eût  pu  être  un 
maître  :  sa  Lettre  à  une  dame  de  Dijon  sur  les  dogmes  de  V Eglise  romaine 
est  un  petit  chef-d'œuvre  de  polémique  incisive  et  pourtant  courtoise  ; 


ABATTZIT  —  ABBAD1E  :, 

mais  c'est  surtout  dans  la  critique,  qu'Abauzit  excelle.  Qu'on  lise 
les  morceaux  sur  Daniel  et  l'Apocalypse.  11  donne  de  ces  deux 
livres  l'interprétation  tirée  des  faits  contemporains.  Quant  à  l'Apoca- 
lypse, dans  son  Discours,  il  en  discute  la  canonicité,  en  passant  en  revue 
les  témoins  pour  et  contre  dans  les  premiers  siècles,  et  soumettant 
Pères  et  conciles  à  un  jugement  très-mordant  ;  dans  son  Essai,  il  donne 
de  la  vision  une  explication  ingénieuse,  la  rapportant  tout  entière  à 
la  destruction  de  Jérusalem  et  de  la  nation  juive  par  les  Romains,  mais 
sans  aborder  le  problème  du  nombre  660.  En  résumé,  Abauzit  avait 
l'étoffe  d'un  théologien  et  surtout  d'un  critique,  et  l'on  peut  regretter 
qu'il  n'ait  pas  votdu  ajouter  un  grand  nom  de  plus  à  la  théologie  pro- 
testante de  langue  française.  —  Sources  :  les  deux  éditions  des  Œu- 
vres d'Abauzit,  de  Genève  et  de  Londres,  avec  les  Eloges  de  Végobre 
et  Bérenger;  Senebier,  Histoire  littéraire  de  Genève,  tome  III;  la  France 
protestante,  2e  éd.,  1er  vol.,  p.  2.  Manuscrits  à  la  Bibliothèque  de  Genève. 

A.  Bouvier. 
ABBADIE  (Jacques),  né  àNay  (Béarn)  en  1654,  mort  à  Mary-le-Bone 
près  Londres  le  6  octobre  1727,  fut  pasteur  de  l'Eglise  française  de 
Berlin  de  1680  à  1688,  puis  pasteur  français  à  Londres  jusqu'en 
1609,  enfin  doyen  deKillalow  en  Irlande  jusqu'à  sa  mort.  C'est  surtout 
comme  apologiste  et  comme  moraliste,  c'est-à-dire  par  ses  traités 
sur  la  Vérité  de  la  religion  chrétienne  et  sur  YArt  de  se  connaître 
soi-même  qu'Abbadie  s'est  élevé  au  rang  éminent  qu'il  occupe  parmi  les 
théologiens  réformés  de  langue  française.  Le  Traité  de  la  vérité  de  la 
religion  chrétienne  parut  en  1684  en  deux  volumes  correspondant  aux 
deux  parties  de  la  démonstration  que  l'auteur  y  donnait  du  christia- 
nisme. La  2e  édition  (1688)  est  augmentée  de  quelques  chapitres  ;  ce  sont, 
dans  la  première  partie,  les  chapitres  IX,  XIX  et  XX  de  la  troisième 
section,  dans  la  deuxième  partie,  les  chapitres  I-VI  de  la  troisième  sec- 
tion. Le  livre  s'ouvre  (après  l'épître  dédicatoire)  par  une  préface  dans 
laquelle  l'auteur  expose  son  objet  et  son  plan.  «  La  religion  chrétienne, 
dit-il,  se  fait  sentir  aussitôt  qu'elle  se  fait  connaître,  »  elle  agit  sur  le 
cœur  en  même  temps  qu'elle  éclaire  l'intelligence,  et  son  action  sur  le 
cœur  est  sa  meilleure  preuve  pour  ceux  qui  en  ont  fait  l'expérience. 
Cette  preuve  de  sentiment  ne  peut  que  s'affaiblir  en  s'exprimant. 
Toutefois,  comme  il  ne  faut  pas  laisser  l'incrédulité  triompher  du  silence 
des  chrétiens,  l'auteur,  en  exposant  les  preuves  qui  s'adressent  à  l'intel- 
ligence, essayera  aussi  de  faire  sentir  aux  incrédules  la  vérité  du  chris- 
tianisme. Il  emploiera  pour  cela  successivement  deux  méthodes:  par  la 
première  il  descendra  de  cette  proposition  :  «  11  y  a  un  Dieu  »  à  cette  au- 
tre :  «  Jésus  fils  de  Marie,  est  le  Messie  promis,  »  par  la  seconde,  de  ce 
fait  évident  :  «  Il  y  a  aujourd'hui  des  chrétiens  dans  le  monde,  »  il  re- 
montera à  cette  première  proposition  :  «  Il  y  a  un  Dieu  qui  s'est  révélé 
par  l'Evangile.  » — Le  point  de  vue  de  l'auteur  est  le  point  de  vue  intel- 
lectualiste. Le  christianisme  étant  conçu  comme  une  doctrine  révélée, 
réconcilier  cette  doctrine  avec  la  raison  en  est  la  preuve  interne,  établir 
la  réalité  des  miracles  par  lesquels  la  révélation  se  légitime,  en  est  la 
preuve  historique.  Le  problème  de  l'apologétique  est  alors  de  présenter 


G  iBBADIfî 

ces  doux  preuves  de  telle  sorte  qu'elles  se  fassent  équilibre  et  se  soutien- 
nent mutuellement.  (J'esl  ce  problème  qu'a  admirablement  résolu 
Abbadie  en  employant  successivement  pour  démontrer  le  christianisme 
deux  méthodes  inverses:  celle  de  la  première  partie  qui  consiste  à 
faire  succéder  à  la  preuve  interne  la  preuve  historique,  et  celle 
de  la  seconde,  qui  va  de  la  preuve  historique  à  la  preuve  interne; 
plan  ingénieux  et  compréhensif,  qui  lui  a  permis  de  présenter 
deux  fois  les  mêmes  arguments  sans  se  répéter  et  de  manière  à  ce 
que  la  seconde  démonstration  vienne  confirmer  ei  compléter  la  pre- 
mière. Ajoutons  que  les  considérations  historiques  defla  seconde  partie 
conservent  aujourd'hui  toute  leur  valeur.  (Voyez  en  particulier  les  cha- 
pitres où  Abbadie  établit  la  bonne  foi  des  apôtres,  l'impossibilité  d'in- 
venter une  personnalité  telle  que  celle  de  Jésus-Christ,  la  valeur  et  la 
portée  du  témoignage  de  saint  Paul,  etc.)  —  Mais  nous  avons  dit  que 
c'est  la  conception  intellectualiste  qui  domine  dans  cet  ouvrage,  con- 
ception qui  avait  déjà  marqué  de  son  empreinte  les  premiers  essais  de 
systématisation  de  la  pensée  protestante.  Abbadie  parait  avoir  beau- 
coup lu  et  médité  Descartes  et,  sans  avoir  implicitement  adopté  toutes 
ses  opinions,  il  s'était  pénétré  de  son  esprit  et  épris  de  sa  méthode. 
C'est  bien  Descartes  qu'il  avait  devant  les  yeux,  quand  dans  sa  préface 
il  annonçait  l'intention  de  «  confondre  par  les  principes  de  la  raison  les 
faux  partisans  de  la  raison  humaine  »  et  pour  cela  de  «  n'employer  que 
les  preuves  qui  persuadent  et  de  ne  les  presser  qu'à  mesure  qu'elles 
nous  persuadent.  »  C'est  encore  Descartes  qu'il  imitait,  quand,  en 
commençant  la  seconde  partie,  il  disait  :  «  Nous  voulons  bien  pour 
quelque  temps  douter  de  tout  avec  eux  (les  incrédules)  et  nous  élevant 
par  degrés  à  la  connaissance  des  faits  qui  établissent  le  christianisme, 
ne  recevoir  les  vérités  qu'à  mesure  qu'elles  nous  paraîtront  évidentes.  » 
Or  si  Descartes  avait  fait  une  distinction  entre  les  vérités  de  foi  et  les 
vérités  déraison,  ce  n'est  pas  qu'il  les  regardât  comme  étrangères  les 
unes  aux  autres.  C'est  au  contraire  parce  que,  croyant  la  raison  capable 
de  s'élever  par  ses  propres  forces  à  certaines  vérités  religieuses,  telles 
que  l'existence  de  Dieu  et  la  spiritualité  de  l'âme,  il  espérait,  en  démon- 
trant ces  vérités  par  des  arguments  rationnels,  fournir  une  base  solide  à 
la  défense  de  la  religion.  Tel  est  le  point  de  vue  auquel  s'est  placé 
Abbadie.  Mais  il  n'a  pas  comme  Descartes  limité  aux  deux  affirmations 
de  l'existence  de  Dieu  et  de  la  spiritualité  de  l'âme  le  contenu  de  la  rai- 
son, il  y  a  ajouté  la  loi  morale  :  importante  addition,  qui  a  imprimé  à 
son  apologie  un  caractère  par  où  elle  rentre  dans  le  grand  courant  de 
la  théologie  réformée.  Ce  qu'il  nous  importe  ici  de  remarquer  c'est  que 
l'addition  dont  nous  parlons  n'a  rien  changé  essentiellement  au  point 
de  vue  intellectualiste  d'Abbadie.  Cette  loi  morale,  en  effet,  il  la  conçoit 
comme  un  ensemble  de  vérités  faites  pour  régler  la  vie  pratique.  Il  ne 
descend  pas  jusqu'au  principe,  jusqu'au  fait  moral  lui-même,  jusqu'à 
ce  «  tu  dois  »  de  la  conscience  individuelle  que  Kant  devait  si  bien 
appeler  «  l'impératif  catégorique.  »  La  preuve  morale,  pour  Abbadie, 
consiste  donc  non  dans  la  réponse  apportée  par  l'Evangile  aux  besoins 
de  pardon  et  d'affranchissement,  mais  dans  l'accord  de  la  raison  et  de 


ABBAD1E  7 

la  doctrine  révélée,  sur  les  vérités  essentielles  de  l'ordre  religieux  et 
moral.  Abbadie,  il  est  vrai,  sait  fort  bien  que  la  religion  révélée 
venant  réparer  le  désordre  introduit  par  le  péché  dans  la  nature 
humaine,  contredira  la  raison  obscurcie  par  les  passions.  Les  mystères 
de  la  doctrine  chrétienne  sont  destinés  à  humilier  l'esprit,  comme  les 
préceptes  sévères  de  la  morale  chrétienne  à  mortifier  la  chair,  et  d'ail- 
leurs la  contradiction  n'est  pas  seulement  entre  l'Evangile  et  la  nature, 
elle  est  dans  l'homme  lui-même  entre  les  passions  et  la  raison,  entre 
le  sens  commun  et  la  raison.  Celle-ci,  dans  ses  intuitions  les  plus 
hautes,  soutient  donc  contre  l'homme  pécheur  la  même  guerre  que 
soutient  aussi  la  religion  chrétienne,  et  l'accord  éclate  dans  la  contra- 
diction même  qu'on  avait  signalée.  Ici  Abbadie  rejoint  un  autre  grand 
écrivain  de  son  temps,  à  qui  revient  l'honneur  d'avoir  le  premier  mis  en 
lumière,  dans  une  intention  apologétique,  les  contradictions  intérieures 
de  la  nature  humaine.  Nous  avons  nommé  Pascal.  L'auteur  du  Traité 
de  la  vérité  de  la  religion  chrétienne  a  certainement  connu  et  largement 
mis  à  contribution  les  Pensées.  Mais  il  ne  faut  pas  chercher  chez  lui  ce  sen- 
timent profond  du  déchirement  de  la  conscience  et  des  contradictions  de 
la  raison  qui  caractérise  Pascal.  Il  ne  lui  emprunte  que  Vidée  de  ces  con- 
tradictions et  de  ces  déchirements  et  il  la  met  bien  posément  en  œuvre 
dans  le  cours  de  son  argumentation.  Il  doit  aussi  beaucoup  à  La  Roche- 
foucault  dans  le  tableau  qu'il  trace  des  vertus  humaines  pour  les  oppo- 
ser à  celles  qu'enfante  la  religion  chrétienne.  Gomme  Fauteur  des 
Maximes,  il  montre  l'amour-propre,  sous  ses  deux  formes  essentielles, 
la  volupté  et  l'orgueil,  donnant  naissance  à  tous  nos  vices  et  toutes  nos 
vertus  <(  se  perdant  dans  l'intérêt  comme  les  fleuves  dans  la  mer.  » 
Mais  après  avoir  dit  que  la  religion  chrétienne  ordonne,  comme  remède 
à  l'amour-propre,  l'amour  de  Dieu,  il  montre  mal  comment  elle  nous 
inspire  cet  amour  et  il  semble  faire  consister  tous  les  motifs  de  cette 
morale  évangélique  dans  la  considération  des  promesses  et  des  menaces 
contenues  dans  la  Bible,  ainsi  que  des  bienfaits  de  Dieu,  entre  lesquels 
figure  à  son  rang  l'œuvre  de  Jésus-Christ.  On  voit  que  la  preuve  ne 
change  pas  un  seul  instant  de  nature  dans  tous  les  développements 
qu'elle  reçoit,  et  que  l'Evangile  est  partout,  dans  cet  ouvrage,  présenté 
comme  un  supplément  de  lumières  venant  s'ajouter  à  celles  de  la  raison, 
comme  un  enseignement  révélé  venant  rétablir  les  principes  de  la  reli- 
gion naturelle. —  Et  cependant,  il  y  a  dans  cette  apologie  tout  un  courant 
de  pensées,  par  où  elle  échappe  à  l'intellectualisme  pur  et  relève  du 
principe  individualiste  et  moral  de  la  Réforme.  Abbadie  n'a  pu  montrer 
que  la  religion  révélée  était  venue  rétablir  l'ordre  de  la  nature  et  repla- 
cer l'homme  dans  la  voie  de  sa  destination  véritable,  sans  être  conduit 
a  envisager  plus  ou  moins  la  révélation  comme  une  divine  histoire  et  la 
religion  comme  un  rapport  spirituel  et  vivant  entre  l'homme  et  Dieu. 
De  la  à  faire  de  Jésus-Christ  le  centre  de  la  religion  objective  et  à  ramener 
toute  la  religion  subjective  à  l'acte  par  lequel  l'âme  saisit  Jésus-Christ 
comme  son  Sauveur,  il  n'y  a  qu'un  pas.  Ce  pas  notre  auteur  ne  l'a  pas 
franchi.  Mais  le  mouvement  d'idées  qui  devait  y  aboutir,  est  très-sensible 
dans  plusieurs  chapitres  du  Traité  de  la  vérité  de  la  religion  chrétienne. 


8  ABBADIE 

Nous  signalerons  on  particulier,  dans  la  IIe  partie,  sect.  Il,  le  chapitre  sur 
la  divinité  du  Nouveau  Testament.  —  En  passant  de  ce  premier  grand 
ouvrage  d'Abbadie  à  ceux  qui  lui  ont  succédé,  on  éprouve  une  décep- 
tion pénible.  L'intellectualisme  a  deux  issues  opposées  mais  presque  éga- 
lement funestes:  le  rationalisme  et  un  supranaturalisme  sec  et  aride. 
L'auteur  du  Traité  de  la  vérité  de  la  religion  chrétienne  ne  pouvait  ver- 
ser dans  le  rationalisme,  mais  sa  pensée  religieuse  paraît  s'être  de  plus 
en  plus  stérilisée  en  s'accentuant  davantage  dans  le  sens  du  supranatu- 
ralisme. Le  Traité  de  la  divinité  de  Jésus-Christ  publié  en  1689  marque 
sous  ce  rapport  un  progrès  déplorable.  Ce  nouveau  traité  fut  donné 
par  Abbadie  comme  le  troisième  volume  de  celui  que  nous  venons 
d'étudier.  On  comprend  en  effet  qu' Abbadie  ait  senti  que  son  apologie 
du  christianisme  n'était  pas  achevée  tant  qu'il  n'avait  pas  traité  la  ques- 
tion de  la  personne  même  de  Jésus-Christ,  et  Ton  entrevoit  comment  il 
aurait  pu  la  résoudre,  s'il  fut  demeuré  fidèle  à  la  méthode  historique 
et  morale  de  sa  seconde  partie.  Le  Traité  de  la  divinité  de  Jésus-Christ 
n'est  qu'un  insipide  corollaire  de  la  démonstration  contenue  dans  les 
deux  volumes  du  Traité  de  la  vérité.  «  Les  vérités  essentielles  du  chris- 
tianisme, dit  Abbadie  en  commençant,  sont  tellement  enchaînées, 
qu'elles  ressemblent  à  cet  égard  aux  principes  de  la  géométrie,  dont  les 
uns  servent  comme  de  degrés  pour  descendre  à  la  connaissance  des  au- 
tres !  »  Descendre,  par  voie  de  déduction,  à  la  connaissance  de  la  divinité 
du  Sauveur  !...  Encore  Abbadie  ne  procède-t-il  pas  à  cette  déduction 
directement,  mais  indirectement,  par  la  méthode  appelée  en  logique 
.<  preuve  par  l'absurde.  »  Jésus-Christ  est  Dieu,  de  même  essence 
avec  le  Père,  ou  bien  il  faut  avouer  :  1°  que  la  religion  mahoniétane  esl 
préférable  à  la  religion  chrétienne  et  que  Jésus-Christ  est  inférieur  à 
Mahomet;  2°  que  le  sanhédrin  a  été  juste  en  faisant  mourir  Jésus  et  que 
les  Juifs  ont  eu  raison  de  le  rejeter;  3°  que  Jésus-Christ  et  les  apôtres 
nous  ont  trompés;  4°  qu'il  n'y  a  aucun  rapport  entre  l'Ancien  et  le 
Nouveau  Testament  ;  5°  enfin  que  la  religion  n'est  qu'un  leurre  et  une 
comédie  !  Et  chacun  de  ces  points  est  compendieusement  établi  par 
un  procédé  invariable  :  ce  sont  des  citations  indistinctement  tirées  des 
Psaumes  et  des  prophètes,  des  évangiles  et  des  épîtres  pour  prouver  que 
Jésus-Christ  a  été  annoncé,  s'est  donné  lui-même  et  a  été  considéré  par  les 
apôtres  comme  Dieu,  de  même  essence  avec  le  Père  !  L'histoire  a  été 
remplacée  par  le  syllogisme  et  l'analyse  morale  a  fait  place  à  la  plus 
aride  exégèse.  —  Abbadie  redevient  un  véritable  apologiste,  dès  qu'il 
remet  le  pied  sur  le  terrain  moral  ;  l'auteur  de  Y  Art  de  se  connaître  soi- 
même,  bien  que  supérieur  sans  nul  doute  à  celui  du  Traité  de  la  divi- 
nité, reste  encore  fort  en  dessous  de  l'auteur  du  Traité  de  la  vérité.  Cet 
ouvrage,  écrit  dans  les  années  1691-92  en  Angleterre  «  au  milieu  du 
bruit  des  armes,  »  est,  dans  la  pensée  dAbbadie,  la  première  partie 
d'une  nouvelle  démonstration  de  la  vérité  du  christianisme,  mais,  en 
réalité,  il  ne  fait  que  reproduire  les  arguments  insuffisants  que  nous 
venons  d'analyser.  Quant  à  son  système  de  morale,  il  n'en  expose  dans 
ce  livre  que  la  moitié  :  «  La  morale,  dit-il,  étant  à  notre  âme  ce  que  la 
médecine  est  à  notre  corps  et  ayant  pour  but  de  nous  guérir  de  nos 


ABBADIE  9 

maladies  spirituelles,  elle  doit  s'appliquer  principalement  à  deux  cho- 
ses :  premièrement  à  connaître  le  mal  et  ensuite  à  chercher  des  remè- 
des qui  peuvent  nous  en  procurer  la  guérison.  Ces  deux  desseins  par- 
tagent la  morale  ;  mais  ils  sont  trop  vastes  et  nous  mèneraient  trop 
loin.  Nous  nous  bornerons  donc  au  premier,  en  attendant  que  la  Provi- 
dence nous  donne  les  moyens  de  travailler  sur  l'autre.  »  C'est  donc  le 
mal  dont  nous  souffrons,  ou  notre  corruption  qu'Abbadie  veut  mettre  à 
découvert.  Pour  cela  il  devra  montrer  tout  d'abord  ce  que  l'homme  de- 
vrait être  et  ensuite  ce  qu'il  est  en  réalité.  Dans  la  première  section 
l'auteur  s'attache  à  relever  l'excellence  et  la  noblesse  de  l'homme  en 
tant  qu'être  immortel,  fait  pour  connaître  Dieu  et  l'aimer  et  trouver  en 
Lui  tout  son  bonheur;  dans  la  seconde,  il  fait  voir  que  la  corruption  de 
l'homme  consiste  en  ce  que,  étant  immortel,  il  vit  comme  s'il  avait  sa  tin 
dans  cette  existence  terrestre,  et  ayant  Dieu  pour  bien  suprême  il  s'atta- 
che aux  biens  périssables  de  la  vie  présente.  L'homme,  d'après  Abbadie, 
a  pour  mobile  unique  et  fondamental  l'amour  de  soi  ;  car  la  recherche 
du  bonheur,  que  chacun  reconnaît  être  le  fond  de  toutes  nos  inclina- 
tions, n'est  pas  autre  chose  que  l'amour  de  nous-mêmes.  Seulement  cet 
amour  de  nous-mêmes  revêt  un  caractère  bien  différent  selon  que  nous 
nous  considérons  comme  des  êtres  dont  toute  la  destinée  est  enfermée 
dans  cette  vie,  ou,  au  contraire,  comme  des  êtres  appelés  à  vivre  éter- 
nellement. Dans  ce  second  cas  l'amour  de  soi  est  légitime,  il  est  la 
source  de  toutes  les  vertus.  Dans  le  premier  cas,  il  change  de  nom, 
s'appelle  l'amour-propre  et  devient  la  racine  de  tous  les  vices.  Toute 
la  doctrine  morale  de  Y  Art  de  se  connaître  est  résumée  dans  ces  quel- 
ques lignes.  Il  est  difficile  peut-être  de  faire  exactement  le  départ  du 
vrai  et  du  faux  dans  cette  doctrine.  On  ne  peut  méconnaître  en  effet 
que  l'amour  de  nous-mêmes  ne  soit  un  fait  fondamental  de  notre  na- 
ture: toute  doctrine  morale  qui  prétend  le  supprimer  est  par  cela  même 
condamnée  comme  inhumaine.  D'autre  part,  il  n'est  pas  moins  certain 
que  la  notion  vraie  du  devoir  implique  le  désintéressement  et  que  toute 
doctrine  qui  tend  à  le  réduire  à  l'intérêt  bien  entendu  est  par  cela 
même  condamnée  comme  immorale.  Entre  ces  deux  principes  opposés 
qui  nous  sollicitent  :  le  devoir  et  le  bonheur,  où  est  la  conciliation  ? 
Abbadie  répond:  elle  est  dans  l'amour  pour  Dieu.  Cela  est  vrai,  mais  il 
faut  s'entendre.  L'amour  pour  Dieu  est,  en  effet,  le  suprême  devoir  et 
le  bonheur  parfait.  Mais  si,  dans  cet  amour,  vous  nous  présentez  le  bon- 
heur comme  but  et  le  devoir  comme  moyen,  alors  nous  sentons  que 
l'ordre  est  renversé  et  la  conscience  proteste.  Faites  du  bonheur  au 
contraire  le  moyen,  et  du  devoir  le  but;  concevez  (par  hypothèse)  que 
l'homme  aime  Dieu  d'abord  par  besoin  (sous  l'impression  toute  vive 
de  l'amour  de  Dieu  pour  lui),  et  qu'il  en  vienne  ensuite  à  l'aimer  par 
devoir,  c'est-à-dire  par  le  don  libre  et  entier  de  lui-même,  alors  sans 
doute  il  y  a  un  moment  dans  la  vie  morale  où  il  semble  que  la  loi  ab- 
dique, mais  c'est  un  moment  de  transition,  et  l'instant  d'après,  la  loi 
reparaît  dans  toute  son  inviolable  majesté.  Le  tort  d'Abbadie,  c'est 
d'avoir  fait  de  ce  moment  transitoire  un  état  définitif.  Non  pas  qu'il 
ait  positivement  nié  le  devoir.  Mais  il  n'en  a  pas  établi  distinctement 


10  AHRADIE 

Tidée.  Abbadie  ne  veut  pas  que  l'homme  soit  égoïste,  puisqu'il  fait  de 
l'égoïsme  l'essence  même  du  désordre  moral,  et  il  sait  bien  qu'il  n'y  a 
pas  d'autre  moyen  de  détruire  l'égoïsme  que  de  le  remplacer  par 
1  amour  pour  Dieu.  Mais  cet  amour  pour  Dieu,  il  n'en  montre  pas  distinc- 
tement les  deux  moments  successifs  :  celui  où  il  est  la  satisfaction  en- 
tière et  définitive  de  l'amour  de  soi,  et  celui  où  il  est  la  destruction  de 
cet  amour  de  soi  dans  ce  qu'il  a  de  personnel  et  d'exclusif.  Il  dit,  avec  un 
bonheur  d'expression  qu'il  doit  en  partie  à  La  Rochefoucault  :  «  L'amour 
de  Dieu  est  le  bon  sens  de  l'amour  de  soi  ;  »  mais  il  n'ajoute  pas  qu'une 
fois  tourné  dans  ce  bon  sens,  l'amour  de  soi  cesse  d'être  et  devient 
l'amour  des  autres  ;  et  que  c'est  là  l'ordre  vrai,  absolu,  définitif,  le  pre- 
mier moment  de  cet  amour  n'étant  que  le  passage  du  désordre  à  l'ordre. 
Reconnaissons  d'ailleurs  que  ce  problème  de  l'amour  est  l'écueil  même  de 
la  conception  intellectualiste  de  l'Evangile.  La  philosophie  de  l'idée  avait 
beau  faire,  elle  ne  pouvait  ni  rendre  compte  de  l'amour,  ni  lui  faire  sa 
véritable  place  dans  le  système  de  la  pensée  et  de  la  vie  chrétiennes. 
Ce  qui  manquait  à  Abbadie  comme  à  toute  la  théologie  de  son  temps  pour 
arriver  à  comprendre  parfaitement  l'homme  et  l'Evangile,  c'est  la  no- 
tion précise  et  vraie  du  devoir.  —  Abbadie  comme  prédicateur  est 
encore  avant  tout  et  constamment  un  apologiste.  Ses  sermons  sont 
pleins  de  vues  historiques  et  morales  d'une  justesse  et  parfois  d'une  pro- 
fondeur remarquables.  Car  il  ne  faut  pas  l'oublier  :  si  Abbadie  n'a  su 
complètement  ni  réaliser  l'apologétique  historique,  ni  systématiser  la 
morale  chrétienne,  il  a  eu,  dans  ces  deux  branches  de  la  théologie,  des 
aperçus  féconds  qui  expliquent  l'impression  produite  par  ses  ouvrages 
sur  ses  contemporains  et  qui  lui  assurent  un  rang  éminent  parmi  les 
penseurs  de  tous  les  temps.  Or,  on  sait  que  c'est  dans  le  sermon  sur- 
tout que  les  hommes  d'une  vraie  portée  aiment  à  semer  leurs  aperçus 
les  plus  hardis  et  leurs  pensées  les  plus  intimes.  Malheureusement  nous 
n'avons  que  onze  à  douze  sermons  d' Abbadie,  et  c'est  évidemment  une 
bien  minime  partie  de  ses  travaux  comme  prédicateur.  Quant  à  la 
forme  de  ses  sermons,  [on  peut  leur  reprocher  l'abus  des  divisions, 
l'emphase,  un  ton  trop  constamment  solennel,  des  fautes  de  goût  et 
des  phrases  enflées  outre  mesure  d'épithètes  accumulées  et  d'énuméra- 
tions.  Mêmes  défauts  dans  les  Panégyriques,  sans  les  qualités  de  fond  qui 
relèvent  les  Sermons.  —  On  ne  s'étonnera  pas  que  nous  reconnaissions  à 
Abbadie  comme  polémiste  un  mérite  hors  ligne.  Une  dialectique  serrée, 
une  connaissance  approfondie  des  Ecritures,  une  exégèse  toujours 
saine  et  solide,  un  style  nerveux,  une  parfaite  convenance  d'expression  : 
telles  sont,  avec  un  sérieux  qui  n'exclut  pas  à  l'occasion  un  certain 
enjouement,  les  qualités  qui  distinguent  l'auteur  des  Réflexions  sur  la 
présence  du  corps  de  Christ  dans  l'Eucharistie.  On  les  retrouve,  unies  à  une 
grande  mais  un  peu  confuse  érudition,  dans  le  dernier  important  ouvrage 
de  notre  auteur  :  le  Triomphe  de  la  Providence  et  de  la  religion,  4  vol.  in- 1 2, 
Amst. ,  1723.  Mais  peut-être  les  pages  les  plus  éloquentes  qui  soient  sorties 
de  sa  plume  dans  ce  genre  d'écrits,  sont-elles  quelques-unes  des  premières 
du  volume  intitulé  :  Défense  de  la  nation  britannique,  in-12,  La  Haye, 
4693.  —  Sources  à  consulter:  La  France  protestante,  art.  Abbadie,  lree( 


ABBADIE  -  ABBÉ  1 1 

2e  éditions.  Essai  sur  la  vie  et  les  ouvrages  d 'Abbadie,  placé  en  tête  (Tune 
édition  en  3  vol.  de  ses  Sermons  et  panégyriques.  Amst.,  1760.  Viguié, 
Histoire  de  l'apologélique  réformée.  J.  de  Visme. 

ABBAYE  (abbafeia,  abtria,  abbatia)  ou  monastère  de  religieux  ou  de 
religieuses  régi  par  un  abbé  ou  une  abbesse.  On  distinguait  entre  les 
abbayes  royales,  fondées  et  dotées  par  les  rois,  qui  devaient  rendre 
compte  de  l'administration  de  leur  temporel  aux  officiers  du  roi,  et 
entre  les  abbayes  épiscopales  qui  n'étaient  comptables  qu'aux  évéques. 
Les  abbayes  furent  supprimées  en  France  en  1790,  et  leurs  bâtiments 
aussi  bien  que  leurs  revenus  réunis  au  domaine  de  l'Etat  ;  mais 
les  catholiques,  profitant  de  la  liberté  d'association  dont  l'Etat  les 
a  laissés  jouir,  ont  reproduit  avec  autant  de  fidélité  que  les  tendances 
nouvelles  de  la  hiérarchie  l'ont  permis,  l'ancienne  organisation  des 
abbayes  dont  Solesmes  est  aujourd'hui  un  intéressant  spécimen 
(voy.  Moines). 

ABBÉ,  ABBESSE.  Le  mot  abbé,  dérivé  du  syriaque,  signifie  père  et 
rappelle  la  nature  de  l'autorité  que  les  porteurs  de  ce  titre  doivent 
exercer  sur  leurs  subordonnés.  A  l'origine,  ce  titre  était  étendu  à  tous 
les  solitaires  qui,  par  leurs  vertus  et  leur  vie  ascétique,  avaient  droit  à 
la  vénération  des  fidèles.  A  partir  du  cinquième  siècle,  il  fut  restreint 
aux  supérieurs  des  monastères.  Aujourd'hui,  dans  plusieurs  pays,  et 
notamment  en  France,  il  est  donné,  comme  un  titre  d'honneur,  à 
tous  ceux  qui  portent  l'habit  ecclésiastique.  L'élection  des  supérieurs 
de  monastères  présentait  de  grandes  variations  :  les  uns  étaient  désignés 
par  tous  ceux  qui  avaient  droit  de  suffrage  dans  l'enceinte  d'un  monas- 
tère, les  autres  par  un  chapitre  provincial  ou  une  autre  autorité  supé- 
rieure :  l'élection  avait  lieu  soit  à  terme,  soit  à  vie.  Les  abbés  étaient 
tenus  de  faire  confirmer  leur  élection  dans  un  délai  de  trois  mois  par 
l'évêque  ou  par  le  pape  :  ils  recevaient  alors  la  bénédiction.  Pour  être 
élu  abbé,  il  fallait  avoir  vingt-cinq  ans,  être  né  d'un  mariage  légitime, 
être  instruit  et  capable  d'instruire,  observer  la  règle  et  se  montrer  zélé 
pour  la  faire  observer.  La  plupart  de  ces  règles  subsistent  encore, 
mais  avec  les  modifications  qu'amena  inévitablement  la  concentration 
des  pouvoirs  entre  les  mains  d'un  chef  unique.  De  fait,  l'évêque  n'a 
plus  aujourd'hui  qu'un  pouvoir  purement  nominal  sur  les  abbés  régu- 
liers qui,  en  réalité,  dépendent  de  Rome.  Les  canons  de  l'Eglise  placent 
les  abbés  immédiatement  après  les  évêques;  certains  d'entre  eux  siègent 
dans  les  conciles  œcuméniques,  ont  le  droit  de  porter  la  mitre  et  le  bâton 
pastoral  et  exercent  une  juridiction  quasi  épiscopale.  On  distinguait  entre 
les  abbés  réguliers,  astreints  à  résider  dans  leurs  monastères  et  à  porter 
l'habit  de  leur  ordre,  et  entre  les  abbés  séculiers  qui,  tonsurés  ou  non 
tonsurés,  jouissant  d'une  partie  ou  de  la  totalité  des  revenus  attachés  à 
leurs  bénéfices,  investis  ou  privés  du  droit  de  juridiction  épiscopale,  se 
faisaient  remplacer  par  des  vicaires  dans  le  gouvernement  de  leurs  mo- 
nastères. C'est  aussi  à  cette  catégorie  qu'appartiennent  les  abbés  de 
cour,  si  nombreux  au  siècle  dernier,  qui  n'étaient  autres  que  des  cadets 
de  famille,  en  expectative  d'une  abbaye  qu'ils  ne  possédaient  pas  en- 
core ou  qui  jouissaient  de  ses  revenus,  sans  être  jamais  entrés  même 


12  ABBÉ  —  ABBON 

dans  les  ordres  mineurs.  —  Les  abb esses,  élues  par  les  nonnes  au  scrutin 
secret,  doivent  être  issues  d'un  mariage  légitime,  Agées  de  quarante  ans  el 
avoir  accompli  leurs  vœux  pendant  huit  ans.  Elles  reçoivent  la  bénédic- 
tion de  l'évêque  qui  leur  remet  la  crosse  et  le  pectoral.  Elles  exercent  tous 
les  droits  temporels  et  spirituels  compatibles  avec  leur  sexe  ;  le  cas 
échéant,  elles  se  font  suppléer  par  un  vicaire.  D'anciens  canons  leur 
attribuent  même  le  droit  de  siéger  dans  les  synodes. 

ABBON  (saint)  de  Fleury,  Abbo  Floriacensis  abbas,  né  près  d'Orléans 
de  parents  libres,  entra  de  bonne  heure  à  l'abbaye  de  Fleury.  Les 
études  étant  complètement  éteintes  en  Angleterre,  saint  Oswald,  arche- 
vêque d'York,  qui-  avait  étudié  à  Fleury,  y  envoya  demander,  en  985, 
quelque  savant  moine  pour  instruire  les  religieux  de  l'abbaye  de 
Ramsey.  Après  s'être  acquitté  avec  éclat  de  cette  mission,  Abbon  revint 
à  Fleury,  en  987,  et  fut  élu  abbé  l'année  suivante.  Dès  lors,  il  eut  à  sou- 
tenir contre  Arnoul,  évêque  d'Orléans,  les  droits  de  son  couvent,  qui 
prétendait  «  dépendre  uniquement  du  pouvoir  royal.  »  Au  concile  de 
Saint-Denis  (995) ,  il  prit  la  défense  des  moines  contre  les  évêques,  qui 
voulaient  exiger  la  dîme  des  moines  et  des  laïques.  Ceux-ci  soulevèrent 
la  foule  contre  les  évêques,  qui  furent  frappés  et  dispersés.  Accusé  par 
Arnoul  d'être  l'instigateur  de  cette  émeute,  Abbon  adressa  la  même 
année  son  Apologeticus  à  Hugues-Capet  et  à  Robert;  sa  justification 
est  en  même  temps  un  plaidoyer  en  faveur  des  privilèges  des  moines. 
En  991,  l'abbé  de  Fleury  avait  assisté  au  concile  de  Saint-Baie,  et,  sans 
craindre  d'encourir  la  défaveur  d'Hugues-Cape t,  il  s'était  constitué  le 
défenseur  d' Arnoul,  archevêque  de  Reims,  qui  fut  déposé  par  le  concile. 
Fnvoyé  pour  la  seconde  fois  à  Rome,  en  996,  par  le  roi  Robert,  qui  lui 
avait  donné  la  mission  d'obtenir  la  confirmation  de  son  mariage,  il  fit 
ratifier  par  Grégoire  V  les  privilèges  de  son  abbaye,  et  à  son  retour  il 
obtint  de  Robert  le  renvoi  de  sa  femme  Berthe,  et  fit  sortir  Arnoul  de 
Keims  de  sa  prison.  Honoré  de  l'amitié  du  pape  et  de  la  confiance  du 
roi,  il  rétablit  l'ordre  dans  plusieurs  couvents,  à  Marmoutier,  à  Mici,  à 
Saint-Père  de  Chartres;  enfin,  s'étant  rendu  à  la  Réole  pour  réformer  le 
couvent  de  ce  lieu,  soumis  à  Fleury,  il  fut  tué  d'un  coup  de  lance,  le 

13  novembre  1004,  dans  une  émeute  des  habitants  soulevés  par  les 
moines.  Dès  1031,  son  office  était  célébré  à  Fleury  et  à  la  Réole.  La  vie 
de  ce  célèbre  abbé,  restaurateur  des  lettres  en  Angleterre,  et  qui  mé- 
rita d'être  appelé,  en  1031,  au  concile  de  Limoges,  «  philosophe 
illustre,  et  le  maître  le  plus  fameux  de  toute  la  France  pour  son  auto- 
rité dans  toutes  les  choses  de  la  religion  et  du  siècle,  »  a  été  écrite  par 
son  disciple,  l'historien  Aimoin,  moine  de  Fleury.  Ce  remarquable  mor- 
ceau est  imprimé  dans  Mabillon  (AA.  SS.  o.  Bened.  ssec.  YI,  1),  et  en 
extrait  dans  Du  Chesne,  IV,  Bouquet,  X,  etc;  Migne,  139.  Plusieurs  de 
ses  épîtres  se  trouvent  avec  Y  Apologeticus  à  la  suite  du  Codex  Canonum 
de  Fr.  Pithou  (P.  1687,  fol.)  Son  Recueil  de  Canons,  adressé  à  Hugues  et  à 
Robert,  a  été  publié  par  Mabillon  (Vet.  Anal.,  II,  p.  248  et  suiv.).  Voyez 
ses  autres  ouvrages  dans  Hist,  lift,  de  la  Fr.,  VII,  p.  159  et  suiv.,  Ma- 
billon, AA.  SS.  Ben.  I.  L,  p.  30  et  suiv.  Cf.  Bull,  des  Comités  histor., 
avr.  1849.  Pardiac  :  Hisi.  de  Saint- Abbon.  P.  1872.  L'abbé  de  Fleurv  a 


ABBON  -  ABDIAS  13 

été  souvent  confondu  avec  le  poëte  Abbon,  moine  de  Saint-Germain, 
(t  après  923),  auteur  d'un  poëme  sur  le  siège  de  Paris  par  les  Normands. 

S.  Berger. 

ABBOT  (Georges),  né  le  29  octobre  1562  à  Guilford,  après  des  études 
brillantes  dans  sa  ville  natale,  se  rendit  à  Oxford,  où  il  passa  trente  an- 
nées d'une  existence  studieuse  et  s'éleva  peu  à  peu  aux  plus  hautes  di- 
gnités universitaires.  La  part  active  qu'il  prit  à  la  révision  delà  traduc- 
tion de  la  Bible  dans  la  commission  instituée  par  le  roi  Jacques  Ier,  en 
1604,  et  aux  tentatives  d'union  entre  l'Eglise  presbytérienne  d'Ecosse  et 
l'Eglise  anglicane  attirèrent  sur  lui  les  regards  du  souverain,  qui  le 
nomma  successivement  dans  le  court  espace  de  trois  années  évèque  de 
Lichfield  en  1609,  de  Londres  en  1610,  et  archevêque  de  Cantorbéry 
en  1611  à  la  mort  de  Bancroft.  Abbot  sut  conserver  dans  une  époque 
tourmentée  un  esprit  calme,  impartial,  modéré.  Tolérant  envers  les 
puritains,  plus  attaché  au  fond  qu'à  la  forme,  inflexible  dans  les  ques- 
tions de  morale  sans  craindre  d'affronter  la  disgrâce,  partisan  convaincu 
du  sabbat  rigide,  il  travailla  à  négocier  le  mariage  de  la  princesse  Eli- 
sabeth avec  rélecteur  palatin  Frédéric  V  et  s'opposa  au  mariage  du  prince 
royal  avec  une  Espagnole.  Adversaire  inflexible  des  idées  absolutistes  et 
ultra-hiérarchiques  deLaud,  qu'il  avait  condamnées  dès  1603  à  Oxford, 
il  fut  victime  des  intrigues  de  cour  et  déposé  sans  jugement  par  ordre 
de  Charles  1er  en  1628.  Il  mourut  le  4  août  1633  à  Cray  don,  dans  un 
âge  avancé.  Abbot  a  été  l'un  des  chefs  du  parti  latitudinaire  également 
opposé  aux  exagérations  des  puritains  et  aux  excès  de  la  haute  Eglise. 
11  favorisa  les  efforts  tentés  par  Duraeus  pour  rapprocher  les  commu- 
nions protestantes  et  entretint  dans  le  même  esprit  une  longue  corres- 
pondance avec  le  célèbre  patriarche  grec  Cyrille  Lucar.  Il  provoqua 
en  1610  la  publication  à  Londres,  par  Saville,  des  œuvres  de  Bradwar- 
din.  A.  Paumier. 

ABDIAS  ['Obadyâh,  cod.  Vat.  'Occtaç,  cod.  Al.  'Acoiaç,  Abdias],  le 
quatrième  des  petits  prophètes  dans  le  canon  hébreu,  le  cinquième  dans 
le  canon  des  Septante.  Nous  ne  savons  absolument  rien  de  sa  personne, 
ce  qui  a  porté  plusieurs  commentateurs  à  refuser  de  voir  un  nom  pro- 
pre dans  le  mot  'Obadyâh  (serviteur  de  Jéhova),  et  à  traduire  le  pre- 
mier verset  du  livre  :  «  Vision  d'un  serviteur  de  Jéhova.  »  Cette  hypo- 
thèse est  insoutenable.  L'oracle  d'Abdias  se  compose  d'un  seul  chapitre 
et  est  dirigé  contre  les  Iduméens  sur  lesquels  Jéhova  exercera  bientôt  ses 
jugements  (v.  1-9),  parce  que  ce  peuple-frère  (v.  12)  s'est  montré  hostile, 
et  n'a  pu  cacher  sa  joie  au  jour  de  la  ruine  de  Juda  (prise  de  Jérusalem, 
enlèvement  de  captifs,  etc.,  v.  10-14);  mais  les  temps  vont  changer;  les 
lils  d'Israël,  avec  l'aide  de  Jéhova,  vaincront  et  soumettront  leurs  enne- 
mis, y  compris  les  Iduméens,  et  c'est  Jéhova  qui  gouvernera  leur  em- 
pire (v.  15-21).  L'auteur  a  évidemment  sous  les  yeux  le  spectacle  delà 
désolation  présente  de  Juda.  On  ne  peut  guère  songer  à  un  autre  événe- 
ment qu'à  la  ruine  de  Jérusalem  par  Nébucadnetsar  (586  av.  J.-C),  et 
c'est  en  effet  à  cette  date  que  la  grande  majorité  des  exégètes  reportent 
la  date  de  la  composition  du  livre  d'Abdias  (Bleek,  Ewald,  Kuenen,  etc.). 
Faire  remonter  cette  date  jusqu'au  temps  d'Osias,  avec  Caspari,  Hœver- 


lï  AHD1AS  —  AIJEL 

nick,  Mengstenberg,  est  aussi  inadmissible  que  de  l'abaisser  avec  Hitzig 
jusqu'au  moment  de  la  dévastation  de  la  Palestine  par  Plolémée  Lagu> 
(312  av.  J.-C.).  Celte  dernière  hypothèse  esl  fondée  principalement  sur 
la  grande  ressemblance  qui  existe  entre  Abdias,  1-9,  et  Jérémie  XLIX, 
7-22,  qui  lui  aurait  servi  de  modèle.  Mais  une  élude  attentive  du  texte 
montre  qu'aucun  des  deux  n'a  copié  Faillir,  et  quils  auraient  plutôt  suivi 
l'un  et  l'autre  un  texte  plus  ancien  (Ewald,  Kuenen).  Abdias  du  reste 
n'est  point  un  écrivain  très-original,  et,  malgré  le  peu  d'étendue  de  son 
livre,  on  y  relève  plusieurs  autres  traces  d'imitation.  —  Gaspari,  der 
Prophet  Obadja,  Leipz.,  1842;  Jœger,  Ueber  das  Zeitalter  Obadja' s, 
Tub.,  1837  ;  Krahmer,  Obscrvationes  in  Obadiam,  Marb.,  1833;  Hende- 
vverk,  Obadjx  oraculum  inldumxos,  Regiom.,  1836;  W.  Seydel,  Vatici- 
nium  Obadjœ,  Lips.,  1869,  et  les  ouvrages  généraux  sur  la  critique  et 
l'exégèse  de  l'Ancien  Testament.  A.  Carrière. 

ABDIAS  (voyez  Apocryphes  du  Nouveau  Testament). 

ABDON  [cAbdôn],  Tune  des  villes  des  Lévites,  située  sur  le  territoire 
de  la  tribu  d'Ascer  (1  Ghron.  VI,  59).  Dans  une  autre  liste  des  villes 
assignées  aux  Lévites  (Jos.  XIX,  28),  on  lit  à  la  place  de  ce  nom  celui 
celui  d'fAbrôn;  mais  ce  dernier  mot  doit  être  corrigé  en  'Abdoii, 
comme  le  prouvent  du  reste  vingt  manuscrits. 

ABDON  [cAbdôn,  'A6cu>v,  Abdon],  fds  de  Hillel,  de  Pirathon,  dans  le 
pays  d'Ephraïm,  fut  juge  en  Israël  pendant  huit  ans  (Juges  XII,  13-15). 
Aucun  détail  ne  nous  a  été  transmis  sur  sa  judicature.  Le  seul  rensei- 
gnement que  nous  possédions  à  son  sujet,  savoir  qu'il  avait  «  quarante 
fds  et  trente  petits-fils  montant  soixante  et  dix  ânons,  »  tendrait  seule- 
ment à  nous  le  représenter  comme  un  personnage  riche  et  considérable. 
Mais  son  nom,  selon  toute  vraisemblance,  doit  être  identifié  avec  celui 
de  Bedan  (1  Sam.  XII,  11),  et  alors  Abdon,  à  côté  de  Gédéon,  de  Jephté 
et  de  Samson,  aurait  joué  un  rôle  important  dans  les  guerres  que  sou- 
tint Israël  pour  son  indépendance  avant  l'établissement  de  la  royauté 
(voyez  Bedan). 

ABEL  ['Abél].  Ce  nom,  qui  devait  signifier  autrefois  «  prairie,  »  d'a- 
près Gesenius  (voy.  pour  l'opinion  contraire,  Hengstenberg,  Pentateuquc 
II,  319),  a  servi  à  former  un  certain  nombre  de  noms  de  lieux.  Les  prin- 
cipaux sont  :  'Abél-Béth-Macakâh.  Cette  ancienne  ville,  «  métro- 
pole en  Israël,  »  était  située  tout  au  nord  de  la  Palestine,  sur  la  roule 
des  invasions  des  rois  de  Syrie  (1  Rois  XV,  20)  et  d'Assyrie  (2  Rois  XV,  29  . 
Un  passage  des  Chroniques  (1  Ghron.  XVI,  4)  lui  donne  le  nom  <f  Abél- 
Mayim.  La  sagesse  de  ses  habitants  était  proverbiale  (2  Sam.  XX).  Il 
est  probable  qu'il  faut  la  chercher  dans  1 Ard-el-Huleh ,  au  nord  du  lac 
Mérom,  soit  à  Abil  (Robinson,  III,  347)  soit  plus  au  sud  (Stanley,  Sinai 
dan  Pal.,  p.  390,  note).  'Abél-Kerâmim,  «  le  pâturage  des  vignes,  » 
à  Test  du  Jourdain,  non  loin  d'Aroer  (Juges  XI,  33).  C'est  l'Abila  dans 
laDécapole  (Ptolémée,  Géog?'.,V,  15,  22,  Eusèbe,  Onomast.,  s.  v.  'A6=a,  e( 
Josèphe,  Ant.,  XIX,  5.  1).  On  a  trouvé  à  cette  place  des  ruines  portant  le 
nom  d'Abila  (Ritter,  Pal.,  1058).  'Abél-Mekhôlâh,  dans  la  vallée  du 
Jourdain,  non  loin  de  Béth-Chean(l  Rois  IV,  12),  nommée  dans  l'his- 
toire de  Gédéon  (Juges  VII,  22)  et  patrie  d'Elisée  (1  Rois  XIX,  16-19) 


ABEL  —  ABÉLARD  15 

'Abél-Chitthim,     ou    hachchitthim    (voyez   Cliitthim).   'Abél- 
Miçrayim  (voyez  Atad). 

ABEL  [Hèbèl,  "A6sX],  nom  du  second  fils  d'Adam  tué  par  son  frère 
Gain  (Gen.  IV,  1-16).  Abel,  dont  le  nom  signifie  en  hébreu  «  un  souffle,  » 
<(  une  chose  sans  consistance,  »  était  berger,  c'est-à-dire  nomade,  pen- 
dant que  son  frère  cultivait  la  terre  et  par  conséquent  avait  une  demeure 
fixe.  Le  sacrifice  du  premier  ayant  été  agréé  par  Jéhova,  et  celui  du 
second  n'ayant  pas  été  accepté,  Gain  le  laboureur  entra  dans  une  vio- 
lente colère  et  tua  Abel  le  berger ,  introduisant  ainsi  le  meurtre 
sur  la  lerre.  Pour  le  sens  du  récit  biblique,  voyez  l'article  Histoire  pri- 
mitive de  V humanité  d'après  la  Bible.  —  Le  sort  tragique  d'Abel  a  pro- 
voqué la  naissance  de  nombreuses  traditions  chez  les  Juifs  (Eisenmen- 
ger,  Entdecktes  Judenthum,  I,  462,  832;  Ersch  et  Gruber,  Encyclop., 
s.  v.  Abel),  les  musulmans  (Korân,  sour.V;  Hottinger,  Hisl.  orient.,  2-4) 
et  les  chrétiens  (Ghrysostôme,  Hom.  in  Gen.,  XIX  ;  Gedrenus,  Bistoria,S) . 
On  montra  à  Pococke,  à  quelque  distance  de  Damas,  l'endroit  où  Gain 
tua  son  frère  et  l'enterra;  d'après  la  tradition  rapportée  par  le  voyageur 
anglais  et  qui  se  trouve  déjà  dans  le  Korân  et  le  Thargoum  de  Jonathan, 
«  il  le  porta  quelque  temps  sur  son  dos,  en  pleurant,  sans  savoir  qu'en 
faire  ;  mais  voyant  un  corbeau  qui  creusait  un  trou  dans  la  terre  pour 
enterrer  son  camarade,  il  suivit  son  exemple  et  enterra  son  frère  » 
(Pococke,  Voyages,  éd.  de  Neuchâtel,  t.  III,  p.  347).  L'Eglise  primitive, 
d'après  une  parole  de  Jésus  (Matth.  XXIII,  35),  honora  Abel  comme  le 
premier  des  martyrs.  Il  fut  transformé  en  éon  dans  quelques  sectes 
gnostiques,  et  les  abélites  au  temps  d'Augustin,  prétendant  qu'Abel 
avait  vécu  dans  la  continence,  suivaient  son  exemple  pour  ne  pas  con- 
tribuer à  perpétuer  le  péché  originel. 

ABÉLARD  naquit  en  1079  au  bourg  du  Pallet,  près  de  Glisson  (Loire- 
Inférieure).  Il  reçut  le  nom  de  Pierre  ;  Abélard  est  un  surnom  qui  ne  lui  fut 
donné  que  plus  tard,  et  dont  le  sens  n'est  pas  encore  bien  expliqué.  Son 
père,  Béranger,  était  un  noble  qui  aimait  les  lettres  ;  il  voulut  que  ses  tils 
reçussent  toute  l'instruction  qu'on  pouvait  donner  alors.  Pierre  montra  de 
bonne  heure  une  grande  ardeur  pour  l'étude,  beaucoup  d'ambition,  et  un 
esprit  subtil  porté  à  la  contradiction.  Vers  l'âge  de  vingt  ans  il  se  rendit 
à  Paris,  où  Guillaume  de  Champeaux  enseignait  dans  l'école  épiscopale 
le  réalisme  le  plus  absolu.  Abélard  suivit  ses  leçons,  et  bientôt  ouvrit 
lui-même  une  école,  d'abord  à  Melun,  puis  à  Gorbeil,  enfin  en  1108  à 
Paris  même.  G'est  de  cette  année  que  date  son  influence.  Il  ne  professa 
d'abord  que  la  philosophie  ;  combattant  à  la  fois  le  nominalisme  et  le 
réalisme,  il  disait  que  les  universaux  ne  sont  ni  des  choses  ni  des  mots, 
{nais  des  conceptions  de  notre  esprit,  qu'il  n'existe  que  des  individus 
dont  nul  n'est  en  soi  ni  espèce  ni  genre,  que  les  genres  et  les  espèces 
sont  des  produits  de  notre  intelligence,  des  conceptions.  Ge  système 
ontologique,  auquel  on  a  donné  le  nom  de  conceptualisme,  n'est  au 
fond  qu'une  modification  du  nominalisme  et  a  dû  favoriser,  comme  ce 
dernier,  une  critique  plus  indépendante.  Se  voyant  admiré  pour  son  ta- 
lent dialectique,  Abélard  voulut  aussi  se  faire  un  nom  dans  la  théologie. 
Pour  jouir  du  droit  d'enseigner  cette  science,  il  fallait  avoir  suivi  les 


16  ABÉLARD 

leçons  d'un  maître;  il  partit  donc  pour  Laon,  où  Anselme,  doyen  du 
chapitre  de  cette  ville,  tenait  une  école  théologique.  Revenu  à  Paris,  il 
annonça  des  cours,  qui  bientôt  attirèrent  de  nombreux  élèves.  Ce  fut  à 
cette  époque  de  ses  plus  grands  succès  qu'il  apprit  à  connaître  Héloïse. 
la  nièce  d'un  chanoine  de  Notre-Dame,  nommé  Foulques.  Nous  ne  nous 
arrêterons  pas  à  cet  épisode  romanesque,  qui  a  popularisé  les  noms  des 
deux  amants  ;  il  suffira  de  dire  que  leurs  relations  ayant  été  violemment 
rompues,  Héloïse  entra  au  couvent  d'Argenleuil,  et  qu'Abélard  se  fil 
moine  dans  l'abbaye  de  Saint-Denis.  Il  n'y  resta  pas  longtemps  ;  il  rou- 
vrit une  école  au  prieuré  de  Maisoncelle  en  Champagne.  A  la  demande 
de  ses  élèves,  il  rédigea  ses  leçons  sous  le  titre  & lntroductio  ad  theolo- 
giam.  Dans  cet  ouvrage,  qui  traite  principalement  de  la  Trinité,  Abélard 
démontre  que  celle-ci  n'est  pas  fondée  nécessairement  dans  l'essence 
même  de  Dieu,  mais  que  néanmoins  elle  n'est  pas  contraire  à  la  raison. 
Ces  principes  le  rendirent  suspect  d'hérésie.  Cité  devant  un  concile 
réuni  à  Soissons  en  1121,  il  n'obtint  pas  la  permission  de  se  défendre  ; 
il  eut  la  faiblesse  de  jeter  lui-même  son  Introduction  au  feu  et  de  réciter 
devant  l'assemblée  le  symbole  dit  d'Athanase.  Il  fut  remis  à  la  garde  de 
l'abbé  de  Saint-Médard  près  de  Soissons,  mais  le  légat  du  pape  l'auto- 
risa à  retourner  à  Saint-Denis.  Là  il  excita  la  colère  des  moines,  en 
soutenant  que  le  saint  Denis,  auquel  on  attribuait  la  fondation  de  l'ab- 
baye, n'était  pas  Denis,  le  membre  de  l'Aréopage,  converti  par  l'apôtre 
Paul.  Il  dut  s'enfuir,  se  retira  dans  un  couvent  à  Provins,  puis  se  bâtit, 
non  loin  de  Nogent-sur-Seine,  un  petit  oratoire  qu'il  dédia  à  la  Trinité: 
il  s'y  cacha  seul  avec  un  clerc.  Bientôt  toutefois  les  écoliers  y  accou- 
rurent enfouie;  la  maison  dut  être  reconstruite  et  agrandie,  elle  devint 
un  couvent  auquel  Abélard  donna  le  nom  de  Paraclet.  Menacé  de  nou- 
veau de  persécution,  il  chercha  un  asile  en  Bretagne,  au  couvent  de 
Saint-Gildas.  Ayant  été  informé  que  les  religieuses  d'Argenteuil  venaient 
d'être  expulsées,  il  leur  donna  sa  maison  du  Paraclet  ;  Héloïse  en  devint 
abbesse,  lui-même  fut  élu  abbé  de  Saint-Gildas.  Il  voulut  réformer  les 
mœurs  de  ses  moines  bretons,  lutta  vainement  contre  leur  opposition, 
et  dut  s'enfuir  encore  une  fois.  Caché  quelque  part  en  Bretagne,  il 
écrivit  cette  Historia  calamitatum  suarum,  qui  donna  lieu  à  la  corres- 
pondance avec  Héloïse.  Il  se  rapprocha  de  Paris  et  vint  peut-être  à 
Paris  même  ;  dans  cette  période  de  sa  vie  il  composa  plusieurs  traités 
pour  son  ancienne  amante,  qui  s'occupait  d'études  philosophiques  et 
théologiques  ;  en  même  temps  il  retoucha  ceux  qu'il  avait  rédigés 
dans  les  années  précédentes.  Vers  1136,  il  reprit  une  dernière  fois  à 
Paris  son  enseignement  théologique.  Le  malheur  et  l'expérience  n'a- 
vaient refroidi  ni  sa  hardiesse  ni  sa  passion  pour  la  dispute.  Son  habi- 
tude de  soulever  sur  chaque  question  le  pour  et  le  contre,  donnait  à  ses 
leçons  un  caractère  raisonneur,  qui  leur  ôtait  cette  autorité  dogma- 
tique que  réclamait  l'Eglise.  Il  se  livrait  en  outre  a  des  invectives  contre 
les  moines  et  contre  quelques  prélats.  Un  moine  cistercien,  Guillaume, 
tira  de  ses  ouvrages  une  série  de  propositions  qui  lui  paraissaient  scan- 
daleuses, et  les  communiqua  à  l'évêque  de  Chartres  et  à  saint  Bernard  ; 
on  ignore  ce  que  répondit  l'évêque,  mais  l'abbé  de  Clairvaux  dénonça 


ABÉLARD  17 

Abélard  comme  un  ennemi  de  Dieu  et  du  Christ.  En  1140,  on  tint  un 
concile  à  Sens,  en  présence  du  roi  Louis  VII.  Saint  Bernard  produisit 
dix-sept  propositions  tirées  des  livres  d' Abélard  ;  celui-ci  refusa  de  ré- 
pondre et  quitta  l'assemblée  en  déclarant  qu'il  ne  reconnaissait  d'autre 
juge  que  le  pape.  Malgré  cet  appel  au  saint-siége,  saint  Bernard  fit  con- 
damner quatorze  des  thèses  incriminées  :  elles  portaient  pour  la  plupart 
sur  les  droits  de  la  raison  en  matière  de  foi,  sur  la  Trinité  et  sur  la  ré- 
demption. Innocent  II  confirma  cette  sentence,  excommunia  Abélard 
comme  fabricateur  de  dogmes  pervers  et  agresseur  de  la  foi  catholique, 
et  ordonna  de  renfermer  dans  un  couvent  jusqu'à  la  fin  de  ses  jours. 
Quand  cet  ordre  arriva  en  France,  Abélard  avait  trouvé  un  asile  au  mo- 
nastère de  Gluny,  où  l'abbé  Pierre  le  Vénérable  l'avait  reçu  avec  de 
grands  témoignages  d'estime  ;  Pierre  obtint  même  que  saint  Bernard 
consentit  à  une  sorte  de  réconciliation  et  que  le  pape,  relevant  le  con- 
damné de  l'excommunication,  lui  permît  de  passer  à  Cluny  le  reste  de 
sa  vie.  Abélard  se  soumit  aux  conditions  de  son  existence  nouvelle  ;  mais 
ses  forces  déclinaient  de  jour  en  jour  ;  pour  les  rétablir,  Pierre  l'enga- 
gea à  se  retirer  au  prieuré  de  Saint-Marcel,  près  de  Châlons-sur-Saône  ; 
il  n'y  vint  que  pour  y  mourir,  le  21  avril  1142.  — Nous  n'avons  à  appré- 
cier Abélard  que  comme  théologien  ;  nous  pouvons  nous  dispenser  de 
parler  de  ses  ouvrages  philosophiques.  Parmi  ceux  qui  sont  consacrés  à 
la  théologie,  les  plus  importants  sont,  outre  Ylntroductio  ad  theologiam 
déjà  citée,  une  Theologia  christiana  en  cinq  livres,  un  traité  intitulé  Sic 
et  non,  un  commentaire  sur  l'Epître  aux  Romains,  et  un  traité  de  mo- 
rale, Scito  te  ipsum.  Le  Sic  et  non  est  une  espèce  de  préparation  critique 
à  l'étude  de  la  théologie  ;  c'est  un  recueil  de  passages  contradictoires 
des  Pères  sur  cent  cinquante-sept  questions,  précédé  d'une  introduction 
où  Abélard  expose  des  principes  par  lesquels  il  a  singulièrement  devancé 
son  temps.  Il  commence  par  dire  qu'il  est  fort  difficile  d'interpréter  exac- 
tement la  Bible,  et  même  d'expliquer  les  écrits  des  Pères.  La  difficulté 
est  double  :  d'abord  la  Bible  n'a  pas  été  écrite  pour  les  savants,  mais 
pour  le  peuple,  ce  qui  fait  que  bien  souvent  les  savants  ne  la  compren- 
nent pas  ;  en  second  lieu,  il  y  a  des  textes  corrompus  et  un  grand  nom- 
bre d'ouvrages  apocryphes.  Il  faut  donc  rechercher  si  le  passage  d'un 
Père  dont  on  veut  s'autoriser,  n'a  pas  été  rétracté  par   lui;  il  faut 
admettre  en  outre  qu'on  trouve  chez  les  anciens  auteurs  chrétiens  bien 
des  choses  qui  ne  sont  que  des  réminiscences  de  leur  érudition  profane 
ou  qu'ils  ont  avancées  sans  y  attacher  beaucoup  d'importance  ;  qu'ils 
parlent  quelquefois  selon  le  sens  apparent  ou  d'après  les  opinions  de 
ceux  auxquels  ils    s'adressent  ;  que  leurs  contradictions  s'expliquent 
souvent  par  la  diversité  des  sens  qu'ils  attachent  au  même  mot  ;  qu'en 
tout  état  de  cause,  il  faut  s'en  rapporter  aux  témoignages  les  plus  accré- 
dités, et  que  pour  ce  qui  regarde  les  passages  dont  on  ne  peut  pas  du 
tout  se  rendre  compte,  il  faut  les  abandonner  en  se  disant,  non  que 
l'auteur  s'est  trompé,  mais  que  le  texte  dont  on  se  sert  est  corrompu  ; 
il  faut  distinguer  enfin  entre  les  écritures  canoniques  de  la  Bible  et  les 
ouvrages  des  Pères,  ces  derniers  on  doit  les  consulter,  mais  on  n'est 
pas  tenu  de  les  suivre.  Toutes  ces  règles,  si  hardies,  sont  exposées  avec 


18  ABÉLARD 

une  grande  réserve  et  entourées  d'une  foule  d'autorités;  leur  but,  sui- 
vant Abélard,  est  d'exercer  les  jeunes  gens  à  la  recherche  de  la  vérité. 
Dans  le  Sic  et  non  lui-même,  il  ne  donne  pour  chaque  question  que  les 
arguments  affirmatifs  et  les  arguments  négatifs  ;  il  réservait  le>  solutions 
à  ses  cours  et  à  ses  ouvrages  dogmatiques.  Quant  au  dogme,  il  le  prend 
tel  qu'il  est  fixé  par  l'Eglise  ;  de  même  qu'Anselme,  il  le  suppose  élevé 
au-dessus  de  toute  discussion  ;  mais  tandis  qu'Anselme  s'appuyait  sur 
Esaïe  VII,  9  :  si  non  credideritis ,  non  permanebitis,  Abélard  en  appelle 
à  l'Ecclésiastique  XIX,  4  :  qui  crédit  cito,  levis  est  et  minorabitur.  An- 
selme disait  que  pour  comprendre  il  faut  d'abord  croire,  Abélard  pré- 
tend que  puisqu'on  ne  peut  pas  croire  ce  qu'on  ne  comprend  pas,  il 
faut  comprendre  avant  de  croire.  Anselme  partait  de  la  foi,  Abélard 
part  du  doute  qui  est  pour  lui  prima  sapientix  clavis  ;  en  un  mot,  s'il 
admet  que  la  raison  a  des  limites,  il  admet  aussi  que  dans  les  matières 
qui  sont  de  son  domaine,  elle  est  seule  maîtresse,  in  omnibus  his  quœ 
ratione  discuti  possunt,  non  est  necessarium  autoritatis  judicium  ;  or,  ce 
qui  peut  être  discuté,  c'est  en  définitive  toute  la  doctrine  ecclésiastique. 
En  théorie  il  accepte  le  dogme  comme  incontestable,  mais  il  ne  le  con- 
sidère pas,  comme  le  fait  Anselme,  comme  étant  la  vérité  absolue,  il  est 
pour  lui  une  sorte  de  problème  qui  peut  être  démontré  par  la  raison, 
tout  aussi  bien  que  celle-ci  en  démontrerait  un  autre,  s'il  était  enseigné 
par  l'Eglise  comme  vérité. — Les  doctrines  dont  il  s'est  le  plus  occupé  sont 
celles  de  la  Trinité  et  de  la  Rédemption.  Il  démontre  que  la  Trinité  est 
possible,  qu'étant  donnée  elle  n'a  rien  qui  répugne  à  la  raison  ;  se  rat- 
tachant à  la  conception  de  saint  Augustin,  il  dit  qu'en  Dieu  on  distingue 
la  puissance,  la  sagesse  et  la  bonté  :  la  première  engendre  la  seconde, 
et  des  deux  ensemble  procède  la  troisième  ;  les  trois  personnes  sont 
distinguées  entre  elles  par  les  trois  propriétés,  mais  elle  ne  forment 
qu'une  essence,  puisqu'il  n'y  a  qu'un  Dieu  indivisible,  à  la  fois  puissance, 
sagesse  et  bonté.  Cela  revient  à  dire  que  les  trois  personnes  ne  sont  ainsi 
que  des  personnifications  de  trois  attributs  divins,  et  que  la  notion 
qu' Abélard  se  fait  de  la  Trinité  est  nominaliste.  Dans  sa  manière  de  con- 
cevoir la  rédemption,  il  se  rapproche  du  rationalisme  moderne.  Il  sou- 
tient, il  est  vrai,  que  l'homme  ne  peut  rien  pour  son  salut  sans  la  grâce, 
et  que  l'incarnation  est  le  plus  grand  bienfait  de  Dieu  ;  mais  le  but  de 
l'incarnation  n'a  été  que  de  nous  instruire.  Dieu  a  passé  sur  la  terre 
pour  nous  enseigner,  par  ses  discours  et  par  son  exemple,  d'une  ma- 
nière plus  précise  une  loi  plus  parfaite  que  l'ancienne,  celle  de  l'amour; 
à  l'amour  qu'il  nous  a  témoigné  doit  s'allumer  le  nôtre  ;  c'est  dans  cet 
amour  de  l'homme  pour  Dieu,  provoqué  surtout  par  le  spectacle  ou  le 
souvenir  de  la  passion  du  Christ,  que  consiste  l'effet  de  la  rédemption. 
La  morale  d'Abélard  est  en  connexion  intime  avec  sa  manière  d'envisa- 
ger le  christianisme  ;  elle  est  originale  et  elle  a  le  mérite  d'être  fondée 
sur  l'étude  de  la  conscience  (scito  te  ipsum),  mais  elle  est  plus  philoso- 
phique que  religieuse,  car  elle  est  toute  subjective  :  la  valeur  de  nos 
actes  ne  consiste  que  dans  l'intention  ;  extérieurement  ils  peuvent  être 
bons  ou  mauvais,  mais  s'ils  sont  faits  sans  intention  bonne  ou  mauvaise, 
ils  sont  indifférents.  Le  péché  ne  résulte  que  d'un  consentement  formel 


ABÉLARD  —  ABELL1  10 

de  la  volonté  ;  le  désir,  La  concupiscence  sont  involontaires,  ils  ne  nous 
sont  donc  pas  imputables.  —  Dans  le  monde  catholique  on  a  fait  beaucoup 
d'efforts  pour  défendre  Abélard  contre  le  reproche  d'hérésie.  Nous  n'a- 
vons ni  à  le  justifier  ni  à  le  condamner  ;  il  est  pour  nous  un  représen- 
tant de  la  libre  pensée  philosophique  bien  plutôt  qu'un  théologien  ;  il 
est  devenu  la  victime  d'une  époque,  où  le  respect  de  la  liberté  n'avait 
pas  encore  pénétré  dans  les  mœurs.  Du  reste,  il  n'a  pas  fait  école  ;  il  a 
exercé  son  influence,  moins  par  ses  doctrines,  que  par  sa  méthode  ;  ses 
doctrines  étaient  trop  hardies  pour  trouver  alors  beaucoup  de  partisans, 
mais  la  forme  de  son  argumentation,  procédant  pu*  sic  et  non,  convenait 
trop  aux  esprits,  avides  de  subtilité,  pour  qu'elle  n'eut  pas  dû  être  gé- 
néralement, adoptée.  —  P.  Abxlardi  et  Heloisse  opéra,  éd.  A.  Duchesne. 
P.,  1616,  in-4°.  Ouvrages  non  contenus  dans  ce  recueil  :  Theologise  chris- 
tianx  libri  V,  chez  Martène  et  Durand,  Thésaurus  novorum  anecdot.,  t.V, 
p.  1156  et  s.  ;  Ethica  sive  liber  dictus  scito  te  ipsum,  chez  Pez,  Thésaurus 
anecdot.,  t.  III,  p.  627  et  s.  ;  Dialogus  inter  philosophum,  judseum 
et  christianum,  éd.  Rheinwald,  Berl.,  1831;  Epitome  theologise  chris- 
tianx  (ou  Sententiœ,  notes  recueillies  par  un  des  auditeurs  d'Abélard), 
éd.  Rheinwald,  Berl.,  1835.  Ouvrages  inédits  d' Abélard,  publiés  par 
Cousin  (contenant  pour  la  première  fois  le  Sic  et  non),  P.,  1836,  in-4°; 
Sic  et  non,  éd.  Hencke  et  Lindenkohl  (d'après  un  Ms.  de  Munich),  Marb., 
1851.  (Un  traité  adversus  hœreses,  dans  le  recueil  de  Duchesne,  ne 
parait  pas  être  d'Ab.)  —  Comp.  Hist.  lit  t.  de  la  France,  t.  XII,  p.  86 
et  s.  ;  Cousin,  Fragments  philosophiques,  Abélard,  2e  éd.,  P.,  1840  ;  Ch. 
de  Rémusat,  Abélard,  2  vol.,  P.,  1845,  ouvrage  capital.  Goldhorn,  De 
sunimis  principiis  theologise  abselardese.  Leipz.,  1836.  Lewald,  De  operibus 
Ab.  qum  e  Codd.  Mss.  Cousin  edidit.  Heidelb. ,  1839,  in-i°.  Frerichs,  De  Ab. 
doctrina  dogmatica  et  morali.  Jena,  1827,  in-4°.  Bittcher,  De  Ab.  theolo- 
gia  systematica,  et  Ueber  das  Werk  Ab.  Ethica.  Naumb.,  1843,  1844, 
in-4°.  Sur  la  philosophie  d*  Abélard,  voy.  aussi  Hauréau,  De  la  philosophie 
sr-olaslique.  P.,  1840.  T.  I,  p.  267  et  s.  Ch.  Schmidt. 

ABÉLÏENS,  Abéloniens,  Abélites,  nom  d'une  secte  qui  parut  dans  le 
diocèse  d'Hippone,  vers  l'an  370,  et  que  nous  ne  connaissons  que  par 
une  mention  de  saint  Augustin  (de  Hseres.,  n°  87),  qui  lui-même  n'a  su 
l'existence  de  ces  hérétiques  qu'après  leur  disparition.  Ils  prétendaient 
suivre  l'exemple  d'Abel,  qui,  d'après  eux,  avait  été  marié,  maisavait  vécu 
dans  la  continence.  Chaque  couple  adoptait  deux  enfants,  un  garçon  et 
une  fille  qui  étaient  astreints  à  suivre  la  même  règle.  Walch  [Ketzer- 
gesch.,  I,  608)  ramène  les  Abéliens  à  une  ancienne  secte  gnostique  ou 
manichéenne,  fondée  sur  le  principe  du  dualisme. 

ABELLI  (Louis),  né  en  1603,  d'abord  curé  à  Paris,  puis  évêque  de 
Uhodez,  démissionnaire  en  1664,  retiré  à  Paris  au  couvent  de  Saint- 
Lazare,  mort  en  1691.  Adversaire  du  jansénisme,  il  publia  un  traité 
dogmatique,  Medulla  theologica,  1650  (souvent  réimprimé  depuis,  en- 
core 1839  à  Mayence).  C'est  à  cause  de  ce  titre  que,  dans  le  Lutrin, 
Boileau  appelle  l'auteur  le  moelleux  Abelli.  Parmi  ses  écrits,  assez 
nombreux,  il  convient  de  citer  encore  :  Tradition  de  f  Eglise  tou- 
chant la  dévotion  des  chrétiens  envers  la  sainte  Vierge,  1652  et  souvent; 


20  ABELLI  —  ABGARE 

Défense  de  la  hiérarchie  de  V Eglise  et  de  l'autorité  du  pape,  1659,  in-4°; 
et  une  Vie  de  saint  Vincent  de  Paul,  dont  Abelli  avait  été  l'ami,  1664, 
in- 4°. 

ABEN-ESRA,  dont  le  véritable  nom  est  Abraham  ben  R.  Meir  ben 
R.  Esra,  célèbre  rabbin  espagnol  qui  vivait  dans  la  première  moitié  du 
douzième  siècle.  La  date  de  sa  naissance  (à  Tolède,  vers  1093),  et  celle 
de  sa  mort  (à  Rhodes,  d'après  d'autres  à  Rome,  1168  ou  1174)  sont 
incertaines.  11  fit  de  longs  voyages  en  France,  en  Ralie,  en  Angleterre,  en 
Palestine  et  en  Grèce,  et  cultiva  toutes  les  sciences  connues  de  son  temps. 
Ses  coreligionnaires  l'ont  surnommé  «  le  Sage.  »  Les  plus  importants  de 
ses  ouvrages  sont  ses  Commentaires  sur  r  Ancien  Testament  (publiés 
par  Bomberg,  Venise,  1526,  plusieurs  fois  réimprimés  et  en  grande 
partie  traduits  en  latin).  L'exégèse  d'Aben-Esra  se  distingue  par  l'ab- 
sence d'explications  allégoriques,  une  tendance  presque  rationaliste,  et 
une  indépendance  d'esprit  rare  à  cette  époque.  Nous  avons  encore  de 
lui  des  ouvrages  sur  la  grammaire,  la  morale,  la  géométrie,  l'astrono- 
mie, même  quelques  poésies  (De  Rossi,  Dizionario  storico  degli  autori 
Ebrei;  Wolff,  Biblioth.  Bebr.,  I,  71  et  suiv.). 

ABGARE  [  Aêfapoç,  Aii^apoç,  "Av6apoç,  Agbarus,Agabarus,  en  syriaque 
Abgâr,  Abgârâ  (boiteux)],  nom  porté  par  plusieurs  rois  ou  toparques 
d'Edesse.  Le  plus  connu  d'entre  eux  est  AbgarOukhâmâ  (le  noir), 
quatorzième  roi  d'Edesse,  contemporain  d'Auguste  et  de  Tibère,  et  qui, 
d'après  une  ancienne  tradition,  aurait  entretenu  une  correspondance 
avec  Jésus.  Entendant  parler  des  miracles  accomplis  par  ce  dernier  à  Jéru- 
salem, et  en  concluant  que  Jésus  était  «  Dieu  descendu  du  ciel  ou  le  Fils 
de  Dieu,  »  Abgarelui  aurait  écrit  pour  le  prier  de  venir  le  guérir  d'une 
maladie  dont  il  souffrait ,  il  lui  proposait  en  même  temps  de  chercher  à 
Edesse  un  refuge  contre  les  mauvais  traitements  des  Juifs.  Jésus  répond 
en  félicitant  Abgare  «  d'avoir  cru  sans  avoir  vu,»  et  lui  dit  qu'il  ne  peut 
quitter  Jérusalem  où  il  doit  achever  son  œuvre;  mais,  «après  son 
ascension,  »  il  enverra  au  roi  d'Edesse  un  de  ses  disciples  qui  le  guérira 
et  prêchera  l'Evangile  à  son  peuple.  Telle  est,  en  substance,  le  contenu 
des  deux  lettres  reproduites  par  Eusèbe  (H.  E.,  III,  13),  qui  prétend  les 
avoir  trouvées  en  langue  syriaque  dans  les  archives  d'Edesse.  Le  même 
historien  ajoute  que  Thaddée,  un  des  soixante  et  dix  disciples,  vint  en  effet 
guérir  Abgare  et  convertit  ses  sujets  à  la  foi  chrétienne.  —  Un  siècle 
après  Eusèbe,  la  tradition  se  montre  plus  développée  chez  Moïse  de 
Khoren,  historien  arménien.  Jésus  n'envoie  pas  seulement  une  lettre  à 
Abgare,  il  lui  fait  remettre  son  image  qui  fut  longtemps  vénérée  à 
Edesse.  Moïse  de  Khoren  cite  en  outre  deux  lettres  d'Abgare  à  Tibère, 
où  il  raconte  la  mort  et  la  résurrection  de  Jésus  et  demande  la  destitu- 
tion de  Pilate  ;  puis  une  réponse  de  Tibère  qui  dit  avoir  ordonné  de 
recevoir  Jésus  parmi  les  dieux  et  promet  de  châtier  les  Juifs  d'une  ma- 
nière exemplaire  (Moïse  de  Khoren,  Histoire,  1.  II,  c.  33).  Le  portrait 
authentique  de  Jésus,  apporté  à  Abgare  par  son  messager  Hanan,  est 
montré  aujourd'hui  à  Rome  et  à  Gênes  (W.  Grimm,  Die  Sage  vom  Ur- 
sprung  des  Christusbildes,  Berlin,  1843).  —  La  correspondance  de  Jésus 
et  d'Abgare  a  été  rangée  de  bonne  heure  parmi  les  apocryphes  (con- 


ABGARE  —  ABIA  21 

cile  de  Rome,  494),  mais  elle  n'en  continua  pas  moins  de  jouir  d'une 
grande  autorité,  et,  même  dans  les  temps  modernes,  des  théologiens 
comme  Grabe,  Gave,  Parker,  etc.,  proposèrent  de  la  joindre  au  canon  du 
NouveauTestament.  Plusieurs  dissertations  de  epistola  C  hristi  ad  Abgarum 
ont  été  écrites  aux  dix-septième  et  dix-huitième  siècles  (Frauendorff,  1696; 
Dalhusius,  1699;  J.-E.-C.  Heine,  1759;  J.-S.  Semler,  1768,  etc.).  Il  est 
généralement  admis  que  les  lettres  d'Abgare  et  de  Jésus  sont  l'œuvre 
d'un  chrétien  qui  voulait  donner  à  l'Eglise  d'Edesse  une  ancienne  et 
glorieuse  origine.  Cependant  une  découverte  récente  vient  de  ranimer 
la  controverse  en  fournissant  de  nouveaux  éléments  à  la  discussion. 
Moïse  deKhoren  cite  le  nom  de  l'écrivain  contemporain  d'Abgare  qui  au- 
rait mis  par  écrit  les  faits  dont  il  vient  d'être  question  et  déposé  son 
œuvre  dans  les  archives  d'Edesse;  c'est  Ghéroubna  ou  Léroubna.  Or,  en 
1852,  le  P.  Alishan  trouva  dans  les  manuscrits  arméniens  de  la  Biblio- 
thèque nationale  de  Paris  un  ouvrage  dont  l'auteur  se  nomme  aussi 
Léroubna,  qui  contient  la  correspondance  de  Jésus  et  d'Abgare  et 
raconte  l'histoire  de  la  conversion  des  Edessiens  par  l'apôtre  Addée 
celiez  Eusèbe  :  Thaddée).  Peu  de  temps  après,  Gureton  découvrit  dans 
deux  manuscrits  du  British  Muséum,  datant  du  cinquième  et  du  sixième 
siècle,  un  long  fragment  de  l'original  syriaque  dont  l'arménien  n'était 
qu'une  traduction,  et  en  prépara  une  édition  (Ancient  syriac  documents 
relative  to  the  earliest  establishment  of  Christianity  in  Edessa ,  Lon- 
dres, 1864;  publié  par  M.  Wright  après  la  mort  de  Gureton).  Le  texte 
arménien  fut  traduit  par  M.  Emin  (Langlois,  Collection  des  Historiens  de 
r Arménie,  t.  I,  p.  319  et  suiv.)  et  par  le  P.  Alishan  (La  lettre  d'Abgare 
ou  Histoire  de  la  conversion  des  Edesséens,  par  Laboubna,  écrivain  con- 
temporain des  apôtres,  Venise,  1868).  Enfin  le  texte  syriaque  complet, 
trouvé  dans  les  manuscrits  de  Saint-Pétersbourg,  vient  d'être  publié 
sous  son  vrai  titre  par  M.  G.  Philipps  (The  doctrine  ofAddai  the  apostle, 
Londres,  1876).  Le  nom  véritable  de  l'auteur  est  Laboubna,  dont  les 
formes  Léroubna  et  Ghéroubna  ne  sont  que  des  altérations.  —  Le  P.  Ali- 
shan, Cureton,  Bickell  (De  re  Syrorum  literaria,  Munster,  1871),  Phi- 
lipps admettent  que  ce  curieux  document  remonte  jusqu'au  premier 
siècle,  mais  contient  un  certain  nombre  d'interpolations  de  date  posté- 
rieure. Quant  à  nous,  en  attendant  une  étude  critique  à  laquelle  la  Doc- 
trine de  l'apôtre  Addée  ne  pourra  manquer  d'être  soumise,  nous  esti- 
mons avoir  affaire  à  un  apocryphe  rédigé  au  quatrième,  peut-être  au 
cinquième  siècle,  sur  un  texte  plus  ancien  ou  sur  une  tradition  déjà 
courante.  Rien  ne  nous  oblige  donc  d'admettre,  conformément  au 
témoignage  d'Eusèbe,  qu'un  échange  de  communications  ait  eu  lieu 
ri  lire  Jésus  et  un  toparque  de  l'Osroène.  A.  Carrière. 

ABIA  ou  ABIAM  [Abiyâh,  Abiyâhou,  Abiyâm;  'Aêia,  'A&ou, 
'Âêiaç;  Abia,  Abiam],  roi  de  Juda,  fils  et  successeur  de  Roboam,  ne 
régna  que  Irois  ans  (957-955  av.  J.-G.).  Nous  apprenons  par  le  pre- 
mier livre  des  Rois  (XV,  1-8)  qu'il  fit  toute  sa  vie  la  guerre  à  Jéro- 
boam, roi  d'Israël,  voulant  sans  doute  ramener  par  la  force  les  dix  tri- 
bus sous  le  sceptre  de  Juda  ;  mais  aussi  qu'il  vécut  «  dans  tous  les 
péchés  de  son  père  »  et  ne  fut  point  un  fidèle  servi  leur  de  Jéhova.  Le 


ABIA  -  ÀBILÈNE 

péoit  du  livre  des  Chroniques  est  beaucoup  plus  détaillé  et  plus  com- 
plet (2  Chron.  XIII),  mais  il  est  difficile  de  le  regarder  comme  entière- 
ment historique.  Le  discours  pieux  mis  dans  la  bouche  d'Abia 
(v.  4-12),  les  chiffres  de  400,000  hommes  pour  l'armée  de  Juda,  de 
SOI), 000  hommes  pour  l'armée  d'Israël,  la  défaite  complète  de  Jéro- 
boam, qui  «  resta  sans  force  tant  que  vécut  Abia  »  (v.  20)  :  tout  cela 
s'accorde  parfaitement  avec  le  caractère  de  l'auteur  des  Chroniques  et 
sa  tendance  à  glorifier  le  royaume  du  Sud,  mais  ne  cadre  pas  sans 
peine  avec  les  données  plus  historiques  que  nous  trouvons  dans  le  livre 
des  Rois. 

ABIATHAR  [Ebyâthâr,  'ASiaBap],  le  seul  des  fils  du  prêtre  Ahitné- 
lech  qui  échappa  au  massacre  de  sa  famille  ordonné  par  Saiil  el  exéculé 
par  Doëg  l'iduméen  (1  Sam.  XXII,  20).  Il  se  réfugia  auprès  de  David, 
pour  lequel  il  consulta  plusieurs  fois  Jéhova  au  moyen  de  l'Ephod 
(1  Sam.  XXIII,  9;  XXX,  7).  Plus  tard,  nous  le  trouvons  cité  comme 
grand  prêtre  à  côté  de  Sadoc  (2  Sam.  XXII,  25).  Resté  fidèle  à  David 
pendant  la  révolte  d'Absaîon,  il  se  rangea  parmi  les  partisans  d'Ado- 
nias  contre  Salomon  (1  Rois  I,  7,  25).  Lorsque  ce  dernier  fut  monté  sur 
le  trône,  Abiathar  n'échappa  à  la  mort  qu'en  considération  des  service.-, 
qu'il  avait  rendus  à  David  et  fut  envoyé  sur  ses  terres  à  Anathot 
(1  Rois,  26).  Salomon  le  destitua  de  sa  charge  de  grand  prêtre  et  mit 
Sadoc  à  sa  place  (1  Rois  II,  27,  35),  mais  il  dut  garderie  titre,  car  il  est 
encore  nommé  à  côté  de  Sadoc  1  Rois,  IV,  4.  Cette  double  grande 
prêtrise  de  Sadoc  et  d'Abiathar,  sous  David  et  sous  Salomon,  constitue 
une  difficulté  historique  qui  n'est  pas  encore  résolue  d'une  façon 
satisfaisante  :  chacun  d'eux  représente  une  branche  de  la  famille 
d'Aaron,  le  premier,  descendant  d'Eléazar,  le  second,  d'Ithamar. 
1  Chron.  XVIII,  J6  et  XXIV,  6,  il  faut  corriger  le  texte  et  lire: 
«  Abiathar,  fils  d'Ahimélech  ;  »  de  même  Abiathar  est  nommé  au 
lieu  d'Ahimélech  dans  le  second  évangile  (Marc  II,  26)  (voy.  Ahi- 
mélech). 

ABIGAIL  [Abigayil,  'Aêr^ai'a],  femme  de  Nabal  qui  possédait  de 
grands  troupeaux  aux  environs  du  Carmel.  Elle  était  renommée  pour 
sa  beauté.  A  l'occasion  de  difficultés  entre  son  mari  et  David,  elle  mon- 
tra tant  d'adresse  et  de  prudence  qu'elle  se  concilia  les  bonnes  grâces 
de  ce  dernier  (1  Sam.  XXV).  Après  la  mort  de  Nabal,  David  fit  entrer 
Abigaïl  dans  son  harem  et  en  eut  un  fils  nommé  Kileab  (2  Sam.  III,  3) 
(voy.  David). 

ÂBÏLÈNE  ou  ÀBILA  ^AêiXr^v^],  contrée  située  en  Cœlé-Syrie,  entre 
F  Anti-Liban  et  Damas,  et  citée  Luc  III,  I.  Elle  tirait  son  nom  d'Abila, 
sa  capitale.  Celle-ci  était  à  18  milles  romains  de  Damas,  et  38  (ou  32  > 
d'Héliopolis  ou  Baalbec  (voy.  Itiner.  Ant.  et  Tabula  Peuting.).  D'après 
saint  Luc,  l'Abilène  formait,  en  la  quinzième  année  de  Tibère,  28-29  a.  D. , 
une  tétrarchie  entre  les  mains  de  Lysanias.  Josèphe  l'appelle  "AéiXa  rt 
Âttèa&vtôu  (An*., XIX,  5,  1),  et  Ptolémée  presque  de  même  (V,  15,  §  22). 
En  l'an  37,  l'empereur  Caligula  en  fit  présenta  Hérode  Agrippa.  Certains 
auteurs  ont  prétendu,  mais  sans  raisons  suffisantes,  que  le  témoignage 
de  l'évangéliste  était  en  désaccord  avec  celui  de  Josèphe.  Suivant  eux. 


ABILENE  —  ABJURATION  ?3 

ce  Lysanias  aurait  vécu  cent  ans  plus  tôt,  sous  Antoine  et  Çléopâtre,  et 
n'aurait  jamais  été  tétrarque  (voyez  à  ce  sujet  Wieseler  :  ChronoL 
Synopsis  der  Evangel.,  p.  1 74-183,  où  la  question  est  traitée  à  fond  et  à 
peu  près  résolue).  Il  existe  des  ruines  sur  remplacement  même  indiqué 
par  les  auteurs  anciens  pour  Abila  ;  elles  sont  sur  les  bords  du  W. 
Barada,  à  l'endroit  où  il  quitte  la  montagne  pour  entrer  dans  la  plaine 
de  Damas.  Aujourd'hui  encore,  la  tradition  y  place  le  tombeau  d'Abel, 
«  Nebi  Bab/L  »  On  possède  des  monnaies  avec  le  nom  de  Lysanias 
qui  en  proviennent.  Pocockey  a  même  recueilli  une  inscription  portant 
A-jsav'cj  TsTpâp/ou,  mais  on  ne  Ta  pas  revue  depuis.  On  y  a  aussi  trouvé 
plus  récemment  des  inscriptions  latines.  —  Letronne,  yowrw.  des  savants, 
1827,  p.  168;  Orelli,  Jnscr.  Lat.,  4997,  4998.  Voy.  pour  le  reste  ; 
Porter,  Journ.  of  sacred  literature,  july,  1853,  p.  248  ss.;  Robinson, 
Lat.  bibl.  res,  p.  478-483.  Ph.  Berger. 

ABÏMÉLECH  [Abîmélèk,  'Aé^iXsyJ,  nom  porté  par  deux  rois  philis- 
tins de  Guérar.  Le  premier  enleva  la  femme  d'Abraham  pour  la  mettre 
dans  son  harem  (Gen.  XX),  et  la  rendit  a  la  suite  d'un  songe  qui  lui  fut 
envoyé  par  Dieu;  puis  il  fit  alliance  avec  Abraham  (Gen.  XXI,  22-32). 
Le  second  figure  dans  une  histoire  à  peu  près  semblable  racontée  au 
sujet  de  Rebecca  (Gen.  XXVI,  1-11).  Ces  deux  récits,  auxquels  il  fout 
joindre  l'enlèvement  de  Sara  par  le  roi  d'Egypte  (Gen.  XII,  15),  ne  sont 
vraisemblablement  que  les  versions  différentes  d'un  même  fait.  Il  n'y  a 
pas  de  raisons  suffisantes  pour  croire,  avec  quelques  exégètes*  que 
le  nom  d'Abimélech  (c'est-à-dire  père  du  roi  ou  père-roi)  était  un  titre 
porté  par  tous  les  rois  philistins. 

ABÏMÉLECH,  fils  du  juge  Gédéon  et  d'une  concubine  sichémite,  égor- 
gea ses  soixante  et  dix  frères  après  la  mort  de  son  père  (voy.  Jotham), 
et  se  fit  proclamer  roi  par  les  habitants  de  Sichem  (Juges  IX)  ;  mais  ses 
sujets  ne  tardèrent  point  à  se  révolter,  et  Abimélech  fut  tué,  en  assié- 
geant Tébés,  par  une  meule  qu'une  femme  lui  jeta  sur  la  tête  du  haut 
d'une  tour  (voy.  Juges). 

ABISAG  [Abîchag,  'AêtGày],  jeune  fille  de  Sunem  qui  fut  intro- 
duite dans  le  harem  du  roi  David  pour  le  soigner  sur  ses  vieux  jours 
(1  Rois,  I,  1-4).  Après  la  mort  de  David,  le  prétendant  Adonia  la  fit 
demander  pour  femme  par  Betsabée,  mère  de  Salomon;  mais  Salo- 
mon  prit  ombrage  de  cette  démarche  qui  coûta  la  vie  à  Adonia 
(1  Rois  II,  13-25). 

ABÎSAI  [Abîchaï,  'Aêscca],  fils  d'une  sœur  de  David  et  frère  de 
Joab,  était  un  des  principaux  officiers  de  David  à  qui  il  rendit  de  nom- 
breux et  éclatants  services  (1  Sam.  XXVI,  6-12;  2  Sam.  XVI,  9; 
XX  III,  2;  XXI,  17).  Le  premier  livre  des  Chroniques  (XVIII,  12)  attribue 
ii  Abisaï,  et  non  pas  à  David  (2  Sam.  VIII,  13),  la  défaite  de  18,000  Edo- 
mites  (ou  Syriens)  dans  la  vallée  du  Sel. 

ABJURATION,  serment  par  lequel  un  hérétique  déclare  renoncer  à 
ses  erreurs  et  faire  profession  de  la  foi  catholique.  —  Les  législations  mo- 
dernes sauvegardent  le  droit  pour  chacun  de  changer  de  religion,  tout 
en  veillant  à  ce  que  ce  changement  ne  se  fasse  ni  par  contrainte  ni  par 
ruse.  Pour  cela  elles  exigent  certaines  conditions  d'âge,  de  maturité; 


24  ABJURATION  -  ABLON 

parfois  aussi  une  année  d'épreuve  (annus  discretionis),  et  même  un  cer- 
tificat du  pasteur  de  la  religion  que  le  nouveau  converti  veut  quitter, 
constatant  qu'il  a  été  placé,  pendant  un  laps  de  temps  déterminé,  sous 
l'influence  de  son  ministère.  Le  changement  de  religion  est,  dans  cer- 
tains pays,  rendu  plus  difficile  pour  les  prêtres.  En  France,  en  Autriche, 
comme  dans  la  plupart  des  pays  catholiques  où  l'Etat  reconnaît  le 
charade?'  indebilis  du  prêtre,  celui-ci  ne  peut  pas  se  marier,  même  après 
son  abjuration.  La  paix  de  religion  de  1555  stipulait  en  outre  que  la  con- 
version d'un  ecclésiastique  au  protestantisme  entraînerait  la  perte  de 
son  bénéfice  {rcservatum  ecclesiasticum).  A  ces  exceptions  près,  la  re- 
nonciation aux  droits,  comme  aussi  l'affranchissement  des  devoirs 
ecclésiastiques,  par  suite  de  l'abjuration,  n'entraîne  plus  aujourd'hui  la 
perte  des  droits  civils  et  politiques.  —  L'admission  des  nouveaux  conver- 
tis dans  les  Eglises  protestantes  a  lieu  à  la  suite  d'une  instruction  plus 
ou  moins  longue,  d'un  acte  public  ou  privé  de  profession  de  foi  et  du 
baptême  pour  les  non-chrétiens  :  elle  se  marque  par  la  réception  à  la 
sainte  Gène.  Dans  l'Eglise  romaine,  la  cérémonie  de  l'abjuration  propre- 
ment dite  est  de  rigueur  pour  être  absous  de  l'excommunication, 
sous  le  coup  de  laquelle  chaque  non-catholique  se  trouve,  et  pour  être 
réconcilié  avec  l'Eglise.  L'évêque  seul  peut  absoudre  du  crime  d'hérésie 
dans  le  ressort  de  son  diocèse  ;  il  peut  néanmoins  se  faire  remplacer 
par  un  vicaire,  dûment  délégué  à  cet  effet  par  le  saint-siége  (Concil. 
Trident.  Sessio  XXIV,  cap.  VI  de  Reform.).  Les  canonistes  distinguent 
quatre  sortes  d'abjurations  :  1°  de  formait,  lorsque  celui  qui  la  pro- 
nonce est  notoirement  reconnu  comme  hérétique;  2°  de  vehementi, 
lorsqu'il  y  a  forte  présomption  d'hérésie,  comme  par  l'affirmation 
explicite  de  deux  témoins  ;  3°  de  violenta  suspicione,  lorsque  l'accusation 
repose  sur  des  paroles  ou  des  actes  qui  paraissent  au  juge  entachés 
d'hérésie  ;  4°  de  levi,  lorsque  le  soupçon  n'est  que  léger. 

ABLEGAT,  ab  legatus,  envoyé  du  pape,  chargé  en  son  nom  de  remettre 
la  barrette  aux  cardinaux  nouvellement  nommés.  Cette  remise  se  fait 
d'une  manière  solennelle,  en  présence  du  souverain  et  des  grands 
dignitaires  de  l'Etat.  Les  ablégats  appartiennent  d'ordinaire  aux  familles 
les  plus  illustres  de  Rome;  ils  sont  autorisés,  même  s'ils  n'ont  pas  en- 
core reçu  les  ordres,  à  revêtir  l'habit  ecclésiastique  :  ils  reçoivent  alors 
le  titre  de  monsignor. 

ABLON,  petit  village  au  bord  de  la  Seine,  en  amont,  sur  la  rive 
gauche,  est  à  quatre  lieues  et  demie  de  Paris  :  il  a  dû  une  certaine 
notoriété,  dans  les  annales  du  protestantisme  français,  au  choix  dont  il 
fut  l'objet  lorsqu'on  voulut  désigner  un  lieu  d'exercice  aux  réformés  de 
la  capitale,  par  application  du  33e  des  articles  secrets  annexés  à  i'Edit 
de  Nantes,  le  2  mai  1598,  en  ces  termes  :  «  Sera  baillé  à  ceux  de  la 
religion  un  lieu  pour  la  ville,  prévosté  et  vicomte  de  Paris,  à  cinq  lieues 
pour  le  plus  de  ladite  ville,  auquel  ils  pourront  faire  l'exercice  public 
d'icelle.  »  La  paix,  dite  de  Monsieur,  en  mai  1576  (art.  4),  avait  permis 
d'établir  un  prêche  à  Noisy-le-Sec,  à  quatre  lieues  de  Paris  ;  mais  c'était 
le  temps  de  la  Ligue,  peu  commode  à  ceux  de  la  religion.  Depuis  que 
Henri  IV  s'était  mis  en  possession  de  son  trône  et  de  sa  capitale,  ses 


ABLON  25 

sujets  réformés  avaient  profité  de  la  faveur  d'un  prêche  toléré  au  Louvre 
pour  Madame,  sa  sœur.  Enfin,  en  mai  1599,  quand  Madame,  devenue 
duchesse  de  Bar,  était  partie  pour  la  Lorraine,  on  avait  transporté 
l'exercice  à  Grigny-sur- Seine,  à  cinq  lieues  de  Paris  (Josias  Mercier, 
l'illustre  savant  huguenot,  était  seigneur  des  Bordes  et  de  Grigny).  Ce 
ne  fut  pas  une  petite  affaire  que  la  désignation  d'un  nouveau  lieu 
d'exercice  aux  réformés.  Après  les  grandes  colères  qu'avait  soule- 
vées la  promulgation  de  l'Edit  de  Nantes,  vinrent  les  oppositions  de 
détail  et  les  chicanes  de  toutes  sortes  pour  en  entraver  l'exécution. 
Dans  ses  lettres  patentes,  adressées  au  prévôt  de  Paris  le  14  octobre  1599, 
il  fallut  que  le  roi  déclarât  que  la  haute  justice  du  fief  d'Ablon  lui 
appartenait,  et  l'huissier  à  cheval  du  Châtelet,  qui  fut  chargé  d'en  faire 
la  publication  à  Ablon  le  12  novembre  suivant,  dut  le  signifier  expressé- 
ment à  Messieurs  du  chapitre  de  l'Eglise  de  Paris,  moyens  et  bas  justiciers 
de  la  seigneurie  de  Mons-sur-Orge  et  Ablon-sur-Seine  (Arch.  nat.,  S. 
656).  L'installation  du  culte  réformé  à  Ablon  dut  être  et  fort  simple  et 
très-prompte,  mais  les  informations  à  ce  sujet  font  défaut.  On  constate 
seulement,  par  une  mention  du  Journal  de  l'Estoile,  que,  dès  le 
dimanche  23  janvier  1600,  «  fust  baptisé,  au  presche  d'Ablon,  un  jeune 
homme,  âgé  de  25  à  26  ans,  qui  n'avoitpas  encore  esté  baptisé,  pour  ce 
que  son  père  et  sa  mère  estoient  anabaptistes.  »  Les  Ephémérides  de 
Casaubon  parlent  du  nouveau  lieu  de  culte,  pour  la  première  fois,  au 
26  mars  de  cette  année.  Le  10  avril,  Gasaubon  s'y  rend  par  un  temps 
affreux  de  neige  et  de  grêle  :  c'est  à  peine  si  le  coche  de  terre  peut 
accomplir  le  trajet.  En  mai,  on  le  voit  accompagner,  à  l'aller  et  au 
retour,  les  présidents  Dufresne-Ganaye  et  de  Galignon,  notables  person- 
nages. Ces  voyages  donnaient  souvent  lieu  à  des  manifestations  mal- 
veillantes, à  des  rixes,  qu'il  fallait  parfois  réprimer,  comme  nous  l'ap- 
prend l'Estoile,  au  \  6  juin  1601  et  au  18  sept.  1605.  Aller  ainsi  à  près  de 
cinq  lieues  pour  assister  au  culte  public,  y  aller  soit  à  pied,  soit  par  le 
coche  de  terre  ou  le  coche  d'eau  du  port  Saint-Bernard,  soit  même, 
comme  cela  arrivait  quelquefois  à  Gasaubon  et  aux  siens,  dans  le 
carrosse  de  son  honorable  ami  M.  de  Thou  (6  janv.  1602),  c'était 
toujours,  comme  il  le  dit  bien  lui-même,  une  véritable  expédition.  Gela 
devenait  un  péril  quand  il  s'agissait  d'y  porter  des  enfants  pour  les  y 
faire  baptiser  (11  déc.  1600).  Que  d'appréhensions,  de  péripéties  de  tout 
genre  en  s'embarquant  pour  cette  odyssée  d'un  jour  !...  Aussi  n'est-il 
pas  étonnant  que,  dès  1601,  les  députés  des  Eglises  aient  présenté 
itérativement  au  roi  un  Cahier  de  plaintes  et  remontrances,  où  se  lisait 
cet  article  :  «  Et  pource  que  les  habitans  de  la  ville  de  Paris  et  environs, 
faisant  profession  et  ayant  Fexercice  de  la  R.  P.  R.  au  lieu  d'Ablon, 
estans  contraincts  d'y  faire  porter  leurs  enfants  pour  estre  baptisés,  les 
exposent  en  apparent  danger  de  mort,  tant  pour  la  longueur  et  incom- 
modité du  chemin  que  à  cause  des  grandes  froidures  de  l'hyver  et 
chaleurs  de  l'été  (dont  il  est  advenu  que  plusieurs  desdils  enfants,  jus- 
ques  au  nombre  de  quarante,  ont  été  l'hyver  passé  misérablement 
esteints  et  suffoqués) ,  et  que  d'ailleurs  les  hommes  sexagénaires, 
femmes  grosses,  petits  enfants,  et  les  valétudinaires  sont  privés  dudit 


26  ABLON  —  ABLUTION 

exercice,  est  Sa  Majesté  suppliée  d'incliner  paternellement  aux  très- 
humbles  remonstrances  qui  lui  ont  été  faites  par  l'Eglise  de  Paris, 
octroyant  ledit  exercice  en  quelque  lieu  plus  proche  et  commode  aux 
dites  personnes.  »  Mais  la  réponse  du  roi,  en  son  conseil,  fut,  le  18  sep- 
tembre :  «  Ne  peut  être  rien  changé  en  l'Edit.  »  Le  dimanche  29  sept. 
1002,  eut  lieu  à  Ablon  le  baptême  d'un  fils  de  Sully  :  la  princesse 
d'Orange  (Louise  de  Coligny)  était  marraine.  Le  20  janv.  1003,  un  carme 
y  «  jeta  son  froc  aux  orties  et  fit  profession  de  la  religion.  »  (Cet ail 
Etienne  Lebrun,  du  couvent  de  Valenciennes.  Son  discours  fut  imprimé.) 
L'Estoile  mentionne  encore  le  baptême  d'un  juif  (20  juillet  1003);  d'un 
Turc,  tenu  sur  lés  fonts  par  Sully,  qui  lui  donna  son  nom  de  Moxirni- 
lîen  (20  janv.  1004)  ;  ainsi  que  plusieurs  autres  conversions  de  moines, 
parmi  lesquelles  il  faut  noter  celle  de  Bertrand  Davignon,  cordelier, 
dont  la  profession  de  foi  (29  mai  1005),  qui  fut  publiée,  est  remarquable. 
11  était  seigneur  de  Souvigné  et  devint  pasteur  de  FEglise  de  Rennes. 
Les  Mémoires  de  Sully  et  la  correspondance  du  duc  de  Caumont- 
Laforce  nous  montrent  ces  seigneurs  se  rendant  fréquemment  à  Ablon 
et  y  faisant  la  cène  avec  leur  famille.  Là  fut  célébré  (13  févr.  1005)  le 
mariage  du  duc  de  Rohan  avec  la  fille  de  Sully,  en  présence  de  «  bon 
nombre  de  seigneurs  et  gentilshommes,  que  M.  de  Rosni  traita  au 
chasteau  d' Ablon.  »  Le  10  mars  1005,  eut  lieu  à  Ablon  un  synode  pro- 
vincial, présidé  par  un  ministre  de  Paris,  François  de  Lauberan,  sieur 
de  Montigny.  Dans  un  rapport  qui  se  trouve  au  British  Muséum  [Mss. 
Cotton),  il  est  dit  que  «  les  ministres  et  anciens,  secrétaires  et  adjoints, 
ont  employé  une  grande  partie  du  temps  à  se  censurer  les  uns  les  autres 
en  la  doctrine,  vie  et  mœurs,  et  ce  avec  beaucoup  de  liberté  :  qui 
est  une  forme  de  convention  mutuelle  qu'ils  observent  en  tous  les 
synodes  provinciaux,  surtout  en  la  dissolution  de  vie  et  en  la  négligence 
des  pasteurs.  »  Le  président  de  ce  synode  avait  acquis,  le  10  juin  1003, 
la  propriété  du  fief  et  seigneurie  du  chastel  d' Ablon.  Une  sorte  de 
cantique  ou  complainte  (rarissime)  en  51  distiques,  intitulée  :  Les 
louanges  cï Ablon, 

Ablon,  petit  hameau,  que  ce  bel  œil  du  monde 
Voit  sur  le  bord  de  l'eau,  près  la  Seine  profonde 


racontait  naïvement  aux  fidèles  les  vicissitudes  de  cette  période,  qui 
dura  sept  années.  La  considération  du  grand  danger  auquel  étaient 
exposés  les  enfants  qu'on  portait  à  Ablon,  pour  le  baptême,  finit  par 
l'emporter.  Jusque-là,  on  s'était  borné  à  tempérer  par  des  exceptions  la 
rigueur  de  TEdit  :  l'Estoile  nous  apprend  que,  le  dimanche  2-4  fév.  1003, 
le  roi  avait  autorisé  «  que  le  fils  de  M.  du  Gouldrai,  conseiller  en  la 
Cour,  fût  baptisé  à  Paris,  sur  la  plainte  et  le  rapport  qu'on  lui  avoit  fait 
que  plusieurs  enfants  qu'on  port  oit  baptiser  à  Ablon,  mouroient  sans 
baptême,  à  cause  du  long  et  mauvais  chemin.  »  Les  lettres  patentes  qui 
transférèrent  le  lieu   d'exercice   à   Charenton-Saint-Maurice   sont  du 

1er  août  1000.  Charles  Rbad. 

ABLUTION.  La  propreté  du  corps  a  été  envisagée  par  tous  les  peu- 
ples, comme  un  symbole  de  la  pureté  de  l'âme.  De  là,  dans  toutes  les 


ABLUTION  -  ABOULFARAGE  27 

religions,  des  rites  de  purification  (voy.  cet  article).  —  Le  mot  d'a- 
blution, dans  l'Eglise  catholique,  a  un  sens  liturgique.  Il  indique  le  vin 
et  l'eau  que  le  prêtre,  immédiatement  après  la  messe,  verse  soit  dans 
le  calice,  soil  sur  ses  doigts  pour  les  purifier,  c'est-à-dire  pour  en 
détacher  les  particules  eucharistiques  qui  auraient  pu  y  rester  atta- 
chées. 

ABNER  ['Abnér,  'Aêsvv^p],  fils  de  Ner,  qui  était  le  frère  de  Kis,  père 
de  Saùl  (1  Sam.  XIV,  50).  Abner  commandait  les  troupes  de  Saùl,  et 
lui  resta  fidèle  jusqu'à  sa  mort;  il  proclama  alors  roi  d'Israël  Isboseth, 
fils  de  Saûl,  dont  l'autorité  fut  reconnue  par  toutes  les  tribus,  sauf  celle 
de  Juda  qui  prit  parti  pour  David  (2  Sam.  II,  8-10).  Abner,  battu  par 
Joab,  général  de  David,  tua  le  jeune  frère  de  Joab ,  Azaël ,  qui  le  pour- 
suivait (2  Sam.  II,  12-28).  Il  perdit  la  confiance  d'ïsboseth  qui  lui  repro- 
cha d'avoir  eu  des  relations  avec  une  concubine  de  Saùl  (2  Sam.  III, 
7  et  suiv.),  ce  qui,  dans  les  idées  du  temps,  paraissait  impliquer  des 
visées  à  la  couronne  (voy.  Abisag).  Irrité  de  cette  ingratitude,  Abner 
abandonna  le  parti  d'ïsboseth  pour  passer  du  côté  de  David  dont  il  reçut 
un  accueil  favorable  à  Hébron  (2  Sam.  III,  20)  ;  presque  aussitôt  après 
il  fut  traîtreusement  assassiné  par  Joab  qui  vengeait  ainsi  la  mort  de  son 
frère  Azaël  (III,  27).  Ne  pouvant  punir  le  trop  puissant  coupable,  David 
honora  du  moins  la  mémoire  d'Abner,  suivit  son  cercueil  et  composa 
une  élégie  sur  sa  mort  (2  Sam.  III,  35  et  suiv.). 

ABOULFARAGE  (Grégoire)  naquit  à  Mélitène  (aujourd'hui  Malatia),  en 
Asie  Mineure,  en  1226;  il  eut  pour  père  Aaron,  médecin  d'origine  juive, 
d'où  le  nom  de  Bar-Hebraaus  (en  syriaque  Bar  cEbrâyâ,  fils  de  l'hébreu) 
sous  lequel  il  est  généralement  connu.  De  bonne  heure  familier  avec  les 
trois  langues  arabe,  syriaque  et  grecque,  il  étudia  ensuite  la  philoso- 
phie, la  théologie  et  la  médecine.  En  1244  Aboulfarage  alla  habiter 
Antioche,  et  mena  quelque  temps  la  vie  d'anachorète  dans  les  environs 
de  cette  ville,  puis  à  Tripoli  de  Syrie.  Il  avait  vingt  ans  lorsqu'il  fut 
sacré  évéque  de  Gouba,  par  le  patriarche  jacobite  Ignace.  Successive- 
ment évèque  de  Lacabène  et  d'Alep,  il  devint  en  1264  primat  (ma- 
phriân)  des  Jacobites  d'Orient  et  garda  cette  haute  dignité  jusqu'à  sa 
mort  arrivée  en  1286,  à  Maraga,  dans  l'Azerbidjân.  Bar-Hebrseus  est  un 
des  écrivains  les  plus  féconds  de  la  littérature  syriaque  ;  le  catalogue  de 
ses  œuvres  ne  comprend  pas  moins  de  trente  et  un  ouvrages  dont  plu- 
sieurs très-importants.  Il  faut  citer  en  première  ligne  sa  grande  Chro- 
nique ou  Histoire  universelle  depuis  la  création  du  monde,  divisée  en  trois 
parties;  la  première  raconte  l'histoire  politique,  et  fut  traduite  en  arabe 
par  fauteur  lui-même  (texte  arabe  publié  par  Pococke,  Bistoria  com- 
pendiosa  dynastiarum,  Oxon.,  1663,  2  vol.  in-4°;  texte  syriaque,  par 
Bruns  et  Kirsch,  Chronicon  syriacum,  Lips.,  1788,  2  vol.  in-4°)  ;  la  se- 
conde traite  des  patriarches  d'Antioche;  la  troisième,  des  archevêques 
de  Séleuoie  et  des  primats  catholiques  d'Orient.  Ces  deux  dernières 
parties,  Uès-importantes  pour  l'histoire  ecclésiastique  de  l'Orient,  sont 
actuellement  en  cours  de  publication  (Grey.  Barhcbrsei  chronicon  eccle- 
iioêticum  ediderunt  J.  B.  Abbeloos  et  T.  J.  Lamyy  Lov.,  1878-1874). 
M.  l'abbé  Martin  nous  a  donné  récemment  les  ÛEtit>rêÈ  yi-annnaticales 


28  ABOULFARAGE  —  ABRAHAM 

d' Aboul' faradj  (Paris,  1872,  2  vol.)  dont  nous  ne  connaissions  qu'une 
partie  (Grammatica  metrica,  éd.  Bertheau.  Gœtt.,  1843).  Nous  avons 
également  du  même  auteur  des  Scholies  sur  tous  les  livres  de  la  Bible. 
Pour  plus  de  détails  sur  Bar-Hebraeus  et  ses  ouvrages,  voir  Assemani, 
Bibliotheca  orientalis,  t.  I,  p.  244  et  suiv.  ;  Bickell,  Compectw  rei  Syro- 
rum  literarix,  Monast.,  1871,  in-8°.  A.  Carrière. 

ABRABANEL  (R.  lsaac),  appelé  aussi  Abarbenel  ou  Abravanel,  né  à 
Lisbonne  en  1437,  d'une  famille  qui  prétendait  descendre  de  David, 
mort,  à  Venise  en  1508,  fut  en  même  temps  savant  rabbin  et  ministre 
d'Alphonse  V,  roi  de  Portugal.  Il  tomba  en  disgrâce  sous  Jean  II,  suc- 
cesseur d'Alphonse,  et  s'enfuit  en  Espagne  où  il  travailla  à  rétablir  les 
finances  de  Ferdinand  et  d'Isabelle  ;  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  d'être 
compris  dans  le  décret  d'expulsion  qui  frappa  tous  ses  coreligionnaires 
en  1492.  Réfugié  d'abord  à  Naples,  il  se  rendit  ensuite  à  Gorfou,  puis  à 
Venise,  où  il  contribua  à  aplanir  des  difficultés  qui  s'étaient  élevées 
entre  le  Portugal  et  la  République.  Abrabanel  mourut  dans  cette  der- 
nière ville  et  fut  enterré  à  Padoue.  Malgré  le  rôle  politique  qu'il  fut  appelé 
à  remplir  en  diverses  circonstances,  Abrabanel  est  surtout  connu  par 
ses  ouvrages,  et  en  particulier  par  ses  Commentaires  sur  les  livres  de 
l'Ancien  Testament  qui  ont  joui  longtemps  d'une  grande  autorité  parmi 
les  Juifs.  Les  écrits  d'Abrabanel  trahissent  souvent  une  violente  hosti- 
lité contre  le  christianisme  (Wolf,  Biblioth.  hebr.,  III,  544;  de  Rossi, 
Dizionario  storico  degli  autori  Ebrei ;  Ersch  et  Gruber,  Encyclopédie, 
art.  Abrabanel). 

ABRAHAM  ['Abraham,  'A6paâjji. ,  Abrahamus],  appelé  d'abord 
Abram,  fils  de  Thérach,  descendant  de  Sem,  le  premier  des  pa- 
triarches. La  vie  d' Abram,  si  Fon  s'en  tient  à  la  rédaction  cano- 
nique de  la  Genèse  et  à  l'interprétation  qui  a  prévalu  dans  l'Eglise, 
se  partage  en  quatre  phases  distinctes,  inaugurées  chacune  par  une 
intervention  divine.  La  première  période  (Gen.  XII-XIV)  débute  par 
la  vocation  d" Abram  et  comprend  son  départ  de  Mésopotamie  avec 
Lot,  son  établissement  en  Canaan,  son  voyage  en  Egypte,  la  guerre 
des  rois  alliés,  la  délivrance  de  Lot,  l'entrevue  avec  Melchisédec.  Le  fait 
central  de  cette  période  est  la  triple  promesse  faite  par  Dieu  à  Abram  : 
1°  la  bénédiction  qui  par  lui  s'étendra  à  toute  la  terre  ;  2°  une  postérité 
innombrable  ;  3°  la  possession  de  Canaan.  A  l'entrée  de  la  seconde  pé- 
riode (Gen.  XV-XIX),  la  promesse  se  précise  :  Abram,  malgré  son  grand 
âge,  verra  naître  un  héritier  de  son  sang.  A  la  foi  d' Abram,  qui  reçoit 
sans  hésiter  le  témoignage  de  Dieu,  celui-ci  répond  par  rétablissement 
de  l'alliance,  pacte  bilatéral  ;  mais  Dieu  seul  a  pris  Finitiative,  comme 
Findique  la  cérémonie  mystérieuse  rapportée  Gen.  XV.  L'union  d' Abram 
avec  Agar  et  la  naissance  d'Ismaël  retardent  l'accomplissement  de  la 
promesse,  qui  tombe  dans  la  troisième  période  (Gen.  XVII-XXI).  Dieu 
ratifie  l'alliance  en  la  plaçant  sous  la  garantie  de  son  nom  d'  'Elchaddaï, 
et  la  confirme  en  donnant  à  Abram  le  signe  de  la  circoncision  et  en 
changeant  son  nom  d'Abrâm  (père  élevé)  en  celui  d' Abraham  (père 
de  multitude).  La  naissance  d'Isaac,  l'héritier  des  promesses,  précédée 
immédiatement  par  la  destruction  de  Sodome  et  Gomorrhe  et  le  séjour 


ABRAHAM  29 

d'Abraham  au  pays  d'Abimélech,  est  bientôt  suivie  de  l'exil  d'Agar.  La 
quatrième  période  (Gen.  XX1I-XXV)  nous  fait  assister  à  l'épreuve  que 
Dieu  impose  à  la  foi  d'Abraham  et  dont  eelui-ci  sort  triomphant,  à  la 
mort  de  Sarah,  au  mariage  d'isaac  avec  Rébecca,  et  se  termine  par  la 
mort  de  notre  héros.  —  Abraham  marque  une  époque  de  transition  im- 
portante dans  l'histoire  de  la  révélation.  Deux  passages  caractérisent  sa 
relation  avec  l'état  de  choses  antérieur  :  c'est  d'abord  Gen.  XIV,  18-24, 
où  est  affirmée  l'identité  de  Jéhova,  Dieu  d'Abraham,  avec  El-  'elyon, 
le  Très-Haut,  Dieu  de  Melchisédec,  qui  représente  la  religion  primitive 
des  Sémites.  C'est  ensuite  le  récit  Gen.  XXII  qui  condamne  implicite- 
ment les  sacrifices  humains,  en  usage  chez  les  Cananéens.  En  même 
temps  qu'il  ferme  l'ère  du  monothéisme  primitif,  Abraham  ouvre  celle 
des  révélations  positives.  Il  occupe  le  premier  rang  dans  la  série  des 
hommes  de  Dieu  de  l'Ancien  Testament.  A  lui  se  rattachent  directe- 
ment et  l'ancienne  et  la  nouvelle  alliance  ;  car  s'il  est,  par  le  sang,  le 
père  d'Israël,  il  est,  selon  l'esprit,  le  père  de  tous  les  croyants.  Ce  qui 
lui  donne  cette  place  exceptionnelle,  ce  n'est  pas  son  mérite  person- 
nel; sa  figure,  héroïque  en  sa  simplicité  patriarcale,  présente  des  côtés 
sombres,  et  de  graves  défaillances  atténuent  la  grandeur  de  son  carac- 
tère (Gen.  XII,  14-20,  et  XX).  L'importance  d'Abraham  résulte  tout 
entière  de  sa  foi  (Gen.  XV,  6).  Cette  foi,  qui  a  pour  objet  la  promesse 
divine,  implique  l'obéissance  (Gen.  XVII,  1  ;  XVIII,  19)  et  est  avant  tout 
un  acte  moral  de  confiance  en  Dieu,  le  Tout-Puissant.  Aussi  est-elle 
imputée  à  justice,  c'est-à-dire  qu'aux  yeux  de  Dieu  elle  constitue  in- 
tègre celui  qui  la  possède.  La  signification  constante  du  terme  justifier 
dans  l'Ancien  Testament  est  :  déclarer  juste.  L'effet  de  la  justification 
est  le  rapport  intime  qui  s'établit  désormais  entre  Dieu  et  Abraham  : 
celui-ci  devient  l'ami  de  Dieu  (Esaïe  XLI,  8;  Jacques  II,  23),  et 
comme  tel  est  initié  au  secret  des  voies  divines  (Gen.  XVIII,  17);  de  là 
son  nom  de  prophète  (Gen.  XX,  7);  de  là  aussi  son  droit  d'intercession 
(Gen.  XVIII,  23-33).  —  Le  Nouveau  Testament  cite  Abraham  à  de 
fréquentes  reprises.  Les  principaux  passages  sont  Gai.  III  et  Rom.  IV, 
où  Paul  appuie  la  doctrine  de  la  justification  par  la  foi  sans  les  œuvres, 
sur  l'exemple  d'Abraham.  La  contradiction  entre  ces  textes  et 
Jacq.  II,  21-24  n'est  qu'apparente  :  Jacques,  pour  combattre  de  fausses 
conséquences  tirés  de  l'enseignement  paulinien,  s'attache  à  relever  le  côté 
moral  et  pratique  de  la  foi  d'Abraham.  L'épître  aux  Hébreux  (XI,  8-12  et 
17-19)  accentue  surtout,  dans  cette  foi,  l'élément  de  l'obéissance  con- 
fiante. D'autres  textes  enfin  (Rom.  IX,  6-9,  et  Gai.  IV,  21-31)  opposent 
à  la  postérité  charnelle  d'Abraham  ses  descendants  spirituels,  seuls  hé- 
ritiers de  la  promesse  (voir  encore  Matth.  I,  1  et  suiv.;  XXII,  32; 
Luc  XIX,  9;  Jean  VIII,  33;  Actes  III,  25;  Hébr.  VII,  1  et  suiv.,  etc.). 
—  Pour  la  critique  de  la  vie  d'Abraham,  voir  l'article  Patriarches.  — 
Sources  :  J.-H.  Heidegger,  Historia  sacra  pair iar char um.  Ed.  2.  Amst., 
1688.  Ch.-Th.  Engelstoft,  Historia  populi  Judaïci  biblica  usque  ad  occu- 
pationem  Palestine.  Kop.,  1832.  A. -F.  Holst,  Scenen  aus  dem  Leben 
Abraham  s.  Chem.,  1828.  Th.  Passavant,  Abraham  und  Abraham' s 
Kinder.  Basel,  1848.  B.  Béer,  Leben  Abraham  s  nacli  Au/fassung  der 


M)  ABRAHAM  -  ABU  AXA  S 

judischen  Sage.  Leipz.,  1859.  A.  Bemstein,  Kritiiche  Unter8uchiM§ 
iïher  den  Ursprung  der  Sagen  von  Abraham,  Imac,  mal  Jacob.  BerL, 
1871.  En  général,  pour  toutes  les  indications  de  sources,  voir  : 
A.  Kœhler,   Lehrbuch  der  bibl.  Gesch.  A.    T.  Erl.,    1875. 

A.   BoEGNEU. 

ABRAHAM  A  SANCTA-CLARA,un  des  prédicateurs  populaires  de  l'Al- 
lemagne les  plus  renommés,  bien  qu'il  soit  loin  d'être  un  orateur  irré- 
prochable. Il  s'appelait  Ulric  Megerlé,  était  fils  d'un  paysan  badois,  reçu! 
une  instruction  très-insuffisante,  mais  avait  de  l'esprit  et  de  l'imagina- 
tion. En  1022,  il  entra  dans  l'ordre  mendiant  des  Augustins;  c'est  alors 
qu'il  prit  le  nom  soiis  lequel  il  est  devenu  célèbre.  La  réputation  qu'il  se 
fit  par  l'originalité  de  ses  sermons  attira  l'attention  de  l'empereur  ;  en 
1669  il  devint  à  Vienne  prédicateur  de  la  cour;  comme  tel  il  mourut 
en  1700,  âgé  de  soixante-sept  ans.  Il  est  de  l'école  des  Olivier  Maillard,  des 
Michel  Menot,  des  Geiler  de  Kaisersberg,  qu'on  a  coutume  de  qualifier  de 
prédicateurs  burlesques,  mais  qui  sont  plus  justement  appelés  prédica- 
teurs populaires  ;  chez  eux,  à  la  fin  du  quinzième  siècle  et  au  commence- 
ment du  seizième,  le  retour  à  la  langue  vive,  leste,  imagée,  du  peuple,  fut  un 
progrès  sur  la  prédication  ordinaire,  aride  dans  la  forme  et  hérissée  d'éru- 
dition ;  à  l'époque  d'Abraham  a  Sancta-Clara  ce  genre  ne  se  justifiait  plus. 
Son  langage  est  aussi  trivial,  aussi  grossier  que  possible  ;  mais  il  rachète  en 
partie  ce  défaut  par  une  verve  satirique  incomparable  ;  ses  invectives 
ne  ménageaient  personne,  pas  même  la  cour;  on  pourrait  extraire  de 
ses  œuvres  des  morceaux  qui  compteraient  parmi  les  satires  les  mieux 
réussies.  Mais  on  ne  le  prenait  pas  au  sérieux,  les  grandes  foules  qu'il 
attirait,  venaient  plutôt  pour  s'égayer  que  pour  s'édifier  ou  se  corriger. 
Les  nombreux  recueils  de  ses  sermons  ont  tous  des  titres  figurés  ;  le 
plus  remarquable  est  celui  qui  traite  de  Judas  l'archiscélérat  [Judas  der 
Erzsckelm).  Les  anciennes  éditions  étant  devenues  très-rares,  on  en  a 
fait  récemment  de  nouvelles  ;  nous  citerons:  Auserlesene  Werke,  17  vol., 
Vienne,  1846;  Ssemmtliche  Werke,  20  vol.,  Passau,  1835-1854;  Judas  de? 
Frzschclm,  7  vol.,  Passau,  1856. 

ABRÂHA1ITES,  déistes  de  la  Bohême,  qui,  à  la  fin  du  dix-huitième 
siècle,  essayèrent  de  constituer  une  secte  dans  le  district  de  Pardubitz, 
Ils  déclaraient  professer  la  foi  d'Abraham  avant  la  circoncision,  et  ne 
gardaient  de  la  Bible  que  les  dix  commandements  et  l'oraison  domini- 
cale. Gomme  ils  ne  voulaient  se  considérer  ni  comme  juifs,  ni  comme 
chrétiens,  l'empereur  Joseph  II  les  exclut  du  bénéfice  de  son  F  dit  de 
tolérance  (1784);  il  les  fit  déporter  dans  les  provinces  voisines  et  ordonna 
d'enrôler  les  hommes  dans  les  bataillons  de  frontière.  La  secte  s'éteignil 
prompt  ement. 

ABRAXAS.  On  désigne  par  ce  mot  des  pierres  plus  ou  moins  précieu- 
ses, de  petite  dimension,  portant  sur  leurs  deux  faces  et  parfois  sur  la 
tranche,  de  courtes  inscriptions,  des  signes  mystérieux  ou  des  représen- 
tations de  personnages  symboliques;  l'une  des  plus  fréquentes  figure 
un  être  ayant  la  tête  d'un  coq,  le  corps  revêtu  d'une  cuirasse,  tenant 
d'une  main  un  fouet,  de  l'autre  un  bouclier,  et  dont  les  jambes  sont 
remplacées  par  deux  serpents.  Beaucoup  d'inscriptions  sont  en  langue 


ABRAXAS  31 

grecque,  d'an  style  souvent  barbare;  plusieurs  en  kople  ou  en  quelque 
autre  langue  orientale  ;  on  rencontre  aussi  de  longues  séries  de  voyelles 
diversement  groupées,  Oee,  Aeu,  eei,  etc.  Parmi  les  termes  qui  se  retrou- 
vent sur  la  plupart  des  gemmes  (iao,  semeseilam,  chnoubi),  celui  qui  a  le 
plus  attiré  l'attention  des  archéologues,  c'est  Abraxas  ou  Abrasax,  qui 
semble  expliqué  par  un  passage  d'Irénée.  L'évéque  de  Lyon,  Refut.  1, 24, 
parlant  de  la  doctrine  des  Basilidiens  dit  :  «  Le  chef  des  cieux  (ou  des  mon- 
des spirituels)  est  Abraxas,  car  il  renferme  365  unités  ;  »  c'est-à-dire  en 
additionnant  la  valeur  arithmétique  des  lettres  dont  se  compose  ce  mot, 
on  obtient  le  nombre  365,  qui  est  le  chiffre  de  la  totalité  des  émanations 
divines  ;  Abraxas,  est  donc,  suivant  Basilide,  le  nom  du  Dieu  manifesté 
ou  de  l'ensemble  des  manifestations  du  Dieu  suprême.  Cette  indication, 
que  Théodore!  confirme,  a  porté  le  premier  savant  qui  s'occupa  de  ce 
sujet,  Jean  Lheureux,  chanoine  de  Tournay,  mort  en  4614,  à  attribuer 
aux  Basilidiens  toutes  les  pierres  gravées  de  ce  genre  ;  son  traité  (Joan. 
Macarîi  Abraxas,  seu  Apistopistus,  qux  est  antiquaria  de  gemmis  basili- 
dianis  disquisitio)  ne  fut  publié  qu'en  1657  par  Chiflet,  chanoine  de  Tour- 
nay, qui  y  joignit  une  dissertation  :  Abraxas  proteus.  Pignorius  (1669), 
Gorlaeus  (1695),  Capello  (1702),  Maffei  (1707),  Montfaucon  (1722),  Lip- 
pert  (1755),  Kopp  (1827),  Walsh  (1828),  continuèrent  dans  cette  voie, 
publiant  des  descriptions  plus  ou  moins  exactes  de  pierres  inconnues  et 
les  accompagnant  de  conjectures  fort  aventureuses.  J.-B.  Passeri,  vicaire 
général  de  Pesaro  (  Thésaurus  gem.  astri fer  arum,  cura  Gori,  1750),  rompit 
avec  la  tradition  et  contesta  que  ces  monuments  aient  appartenu  aux 
gnostiques.  Bellermann  (Ueber  die  Gemmem  der  Alten  mit  dem  Abraxas 
bilde,  3  progr.,  1817-1819)  revendiqua  de  nouveau  le  caractère  gnos- 
tique  des  Abraxas  ;  il  essaya  de  les  interpréter  au  moyen  de  l'hébreu 
et  du  kopte,  et  donna  le  premier  essai  de  classification;  mais  ce  fut  un 
tableau  si  compliqué  (les  abraxoïdes  et  les  abraxastes,  ceux-ci  divisés  en 
douze  classes,  dont  chacune  comptait  des  subdivisions)  que  l'auteur  lui- 
même  ne  put  en  faire  un  usage  utile.  J.  Matter,  dans  la  lre  édition  de  son 
Histoire  du  Gnosticisme,  avait  publié  les  spécimens  les  plus  importants,  et 
la  seconde  édition  devait  être  accompagnée  d'un  traité  beaucoup  plus 
complet  ;  mais  ce  travail  n'a  point  paru.  Le  professeur  W.  King  (the 
Gnostics  and  their  remains,  Londres,  1867)  a  pertinemment  utilisé  les  tra- 
vaux de  ses  prédécesseurs.  Mais  jusqu'ici  l'explication  des  Abraxas  n'a 
pas  été  trouvée.  Du  moins  quelques  principes  sont  acquis  pour  l'étude 
de  ce  domaine.  Tout  d'abord  il  importe  de  distinguer  soigneusement 
'Mitre  trois  sortes  de  pierres  gravées,  celles  qui  appartiennent  exclusi- 
vement au  paganisme,  celles  qui  furent  à  l'usage  des  chrétiens,  et  celles 
qui  ont  servi  aux  sectes  gnostiques  et  qui  par  conséquent  renferment 
des  symboles  empruntés  aux  deux  catégories  précédentes.  La  troisième 
classe  ne  pourra  être  interprétée,  et  c'est  ce  qui  retarde  la  solution  du 
problème,  qu'après  une  explication  satisfaisante  des  signes  appartenant 
aux  deux  premières.  Alexandrie  fut  le  foyer  principal  du  gnosticisme, 
e!  ce  sont  les  symboles  égyptiens  qui  fourniront  le  plus  de  lumières  ; 
l'Asie  Mineure  ne  vient  qu'en  seconde  ligne  et  pour  des  monuments 
d'une  époque  plus  récente.  De  plus,  les  Abraxas  ne  paraissent  pas  don- 


32  ABRAXAS  —  ABSALON 

ner  les  grandes  théories  du  gnosticisme,  et  ils  ne  nous  instruisent  pas 
sur  ce  sujet  au  même  degré  que  les  écrits  des  Pères  de  FEglise.  Ces 
gemmes  étaient  entre  les  mains  du  vulgaire,  des  initiés  inférieurs  ;  elles 
servaient  sans  doute  d'amulettes  ou  de  talismans,  et  l'efficace  en  a 
dû  être  parfois  augmentée  par  la  juxtaposition  de  symboles  apparte- 
nant à  des  systèmes  différents.  A.  Matter. 

ABRÉVIATEURS,  officiers  de  la  chancellerie  romaine  chargés  de  rédi- 
ger, de  transcrire  et  de  taxer  les  brefs,  bulles,  décrets  consistoriaux  et 
autres  actes  émanant  de  la  cour  pontificale. 

ABRIL  (Pedro  Simon),  savant  espagnol  né  à  Alcavaz  vers  4530.  11  est 
connu  surtout  par  ses  traductions  d'auteurs  grecs  et  latins  et  divers 
travaux  philologiques.  Nommé  à  l'université  de  Saragosse  professeur  de 
«  latinité  »  et  de  rhétorique  en  1583,  c'est  à  cette  époque  à  peu  près 
qu'il  envoya  à  Philippe  II  un  projet  de  réforme  de  l'enseignement  des 
sciences  qui  se  distingue  autant  par  l'élévation  des  vues  et  le  bon  sens 
pratique  que  par  la  franchise  et  l'énergie  avec  lesquelles  l'auteur 
signale  au  maître  tout-puissant  les  vices  des  méthodes  pédagogiques  et 
la  décadence  du  haut  enseignement  qui  allait  bientôt  passer  aux  mains 
de  la  société  de  Jésus.  Simon  Abril  mourut  vers  la  fin  du  seizième 
siècle.  Son  discours  à  Philippe  II  imprimé  d'abord  en  1589  à  Madrid, 
avec  une  approbation  du  célèbre  Luis  de  Léon,  a  été  réédité  par 
A.  de  Castro  dans  la  Bibliotheca  de  aulores  espanoles  de  Rivadeneyra, 
t.  LXV,  Madrid,  1873,  p.  293-300.  Sur  la  vie  et  les  œuvres  de  Simon 
Abril ,  voy.  J.-A.  Pellicer ,  Ensayo  de  una  bibliotheca  de  traductores 
espanoles.  Madrid,  1778,  p.  145-154,  et  J.-M.  Guardia,  Revue  nationale  et 
étrangère  du  25  octobre  1861. 

ABSALON  [Abchâlôm,  'AêsŒcaXcbpi.,  Absalon],  troisième  tils  de  David, 
né  à  Hébron  de  Ma'akah,  princesse  syrienne,  l'une  des  sept  fem- 
mes épousées  par  David  avant  son  entrée  à  Jérusalem  (2  Sam.  III,  -4). 
Absalon  était  renommé  pour  sa  beauté  (2  Sam.  XIV,  25).  Le  fils  aine  de 
David  et  son  successeur  éventuel,  Amnon,  ayant  déshonoré  Thamar, 
sœur  d' Absalon,  celui-ci  fit  tuer  le  coupable  par  ses  serviteurs  et  s'en- 
fuit en  Syrie  (2  Sam.  XIII).  Il  y  resta  trois  ans  avant  d'obtenir  l'autorisa- 
tion de  rentrer  à  Jérusalem,  et  dut  ensuite  vivre  encore  deux  ans  dans 
sa  maison  sans  paraître  devant  le  roi  (XIII,  38  ;  XIV,  28).  Il  se  trouvait 
alors  l'aîné  des  fils  de  David,  car  Amnon  avait  été  tué,  et  il  n'est  plus 
question  de  Kileab  (2  Sam.  III,  3)  qui  sans  doute  était  mort  à  cette  époque. 
Ce  fut  donc  autour  d'Absalon  que  se  rallièrent  les  mécontents,  en  grand 
nombre  depuis  que  David  avait  organisé  sur  le  modèle  d'un  empire  orien- 
tal l'ancienne  république  des  Hébreux.  L'ambition  du  jeune  prince  aidant, 
une  formidable  insurrection  se  prépara,  et  il  suffit  qu'Absalon  donnât  le 
signal  en  se  retirant  à  Hébron,  pour  qu'il  fût  proclamé  roi  dans  toutes 
les  tribus.  Achitophel  lui-même  prit  parti  pour  les  rebelles.  David  jugea 
que  toute  résistance  immédiate  était  impossible,  et  quitta  Jérusalem  à 
la  tête  de  quelques  fidèles  et  de  ses  vieux  guerriers;  mais,  toujours 
habile  dans  sa  conduite  politique,  il  laissa  en  arrière  Husaï,  qui  devait 
feindre  d'embrasser  la  cause  du  prétendant  pour  l'empêcher  de  suivre 
les  conseils  d'Achitophel  (2  Sam.  XV).  Absalon  entra  à  Jérusalem,  et 


ABSALON  33 

pour  affirmer  aux  yeux  de  tous  qu'il  se  substituait  à  son  père  dans 
l'exercice  du  pouvoir  royal,  il  prit  publiquement  possession  du  harem 
de  David  (voy.  Adonia;  comp.  la  conduite  du  faux  Smerdis,  Héro- 
dote, III,  68),  accomplissant  ainsi  la  prophétie  de  Nathan  (2  Sam.  XII,  11). 
Cependant  Achitophel  voulait  immédiatement  poursuivre  le  vieux  roi, 
avant  qu'il  eût  le  temps  de  rallier  ses  partisans  ;  Husaï,  comprenant  le 
danger,  détourna  Absalon  d'un  pareil  dessein  et  fit  prévenir  David 
(XVII,  1-23).  Dès  lors  l'insurrection  perdait  toutes  ses  chances  de 
succès.  Achitophel  s'étrangla  (XVII,  23).  David  eut  le  loisir  d'organiser 
son  armée,  et,  quand  il  fut  attaqué  dans  la  forêt  d'Ephraïm,  ses  vieilles 
troupes,  malgré  l'infériorité  du  nombre,  eurent  facilement  raison  des 
masses  indisciplinées  que  conduisait  Absalon  ;  «  le  peuple  d'Israël  fut 
battu  par  les  serviteurs  de  David  »  (2  Sam.  XVIII,  7).  Absalon  s'en- 
fuit ;  mais  sa  tête  (sa  chevelure,  dit  Josèphe,  Antiq.,  VII,  10,  2)  se  trouva 
prise  dans  les  branches  d'un  grand  térébinthe,  sa  monture  fila  sous  lui, 
et  il  resta  suspendu  ;  Joab  et  ses  écuyers  le  tuèrent  malgré  les  recom- 
mandations de  David  (XVIII,  9-15).  La  mort  d' Absalon  ne  mit  pas  fin  à 
la  révolte;  David  eut  besoin  de  négocier  et  d'user  de  ruse  pour  rentrer 
en  possession  de  son  royaume,  ce  qui  prouve  bien  que  la  révolte  de 
son  fils  n'était  pas  seulement  l'acte  téméraire  d'un  jeune  ambitieux. 
—  Le  tombeau  d' Absalon  que  l'on  montre  encore  aujourd'hui  dans  la 
vallée  de  Josaphat  est  de  date  relativement  moderne,  et  n'a  rien  de 
commun  avec  le  monument  dont  il  est  question  2  Sam.  XVIII,  18. 

A.  Carrière. 

ABSALON  ou  Axel  (1128-1201),  né  à  Zélande,  petit-fils  du  précep- 
teur du  duc  Knud ,  après  des  études  faites  au  collège  danois  de  Paris  et 
des  voyages  dans  divers  pays  de  l'Europe,  fut  nommé,  grâce  à  la  pro- 
tection du  roi  Waldemarler,  évêque  de  Roeskilde,  fonctions  qu'il  garda 
jusqu'à  sa  mort,  bien  que  le  chapitre  de  Lunden,  appuyé  par  la  cour  de 
Rome,  lui  eût  imposé  de  force  le  titre  d'archevêque  de  Lunden  et  de 
primat  de  Suède  (1177).  Absalon  se  distingua  d'une  part  par  ses  connais- 
sances, son  éloquence  «  presque  divine,  »  son  zèle  pour  la  vie  monas- 
tique et  le  célibat  des  prêtres  ;  de  l'autre  par  le  rôle  politique  et  mili- 
taire qu'il  joua  dans  l'histoire  du  Danemark  de  son  temps.  Il  défendit 
l'indépendance  de  son  pays  contre  l'empire  d'Allemagne,  dirigea  plu- 
sieurs expéditions  par  terre  et  par  mer  contre  les  Wendes  et  con- 
tribua à  achever  la  soumission  et  la  conversion  au  christianisme  de 
l'île  de  Rugen,  le  principal  et  dernier  rempart  du  paganisme  dans 
les  pays  de  la  Baltique.  Le  château  d'Axelhuus  fut  construit  sous  sa 
direction  sur  l'emplacement  où  s'éleva  plus  tard  la  résidence  royale 
de  Copenhague.  Défenseur  énergique  des  droits  de  l'Eglise,  en  parti- 
culier de  celui  de  la  dime,  Absalon  présida  plusieurs  conciles  chargés 
de  régler  les  cérémonies  du  culte  et  de  rédiger  un  bréviaire  uni- 
forme. On  lui  doit  aussi  un  Code  ecclésiastique  de  Zélande  (1171), 
ainsi  que  la  rédaction  par  les  moines  de  recueils  de  légendes  et  de 
travaux  concernant  l'histoire  du  Danemark  (voy.  Saxonis  Gramma- 
tici  Historié  Danicœ  libri  XVI.  Ilgen's,  Zeitschr.  fur  histor.  TheoL 
1832.  H.  1). 

3 


34  ABSIDE 

ABSIDE  ['A^iç  (cintre,  voûte),  absis  ou  apsis,  apside],  parlie  ordinai- 
rement semi-circulaire  qui  termine  une  église,  au  delà  du  chœur.  On  dit 
aussi  chevet  ou  sanctuaire.  Le  mot  apsis  désignait  chez  les  Romains  des 
annexes  ou  enfoncements,  en  forme  de  niche,  de  certains  édifices  civils, 
notamment  le  tribunal  (ou  concha)  des  basiliques  païennes,  où  siégeaient 
les  juges  et  les  assesseurs;  c'était  la  seule  partie  de  l'édifice  recouverte 
d'une  voûte  en  demi-coupole  (d'où  son  nom).  Les  chrétiens  des  premiers 
siècles  ayant  adopté  le  plan  des  basiliques  pour  celui  de  leurs  églises, 
l'hémicycle  du  tribunal  devint  le  sanctuaire  de  Féglise,  la  partie  la  plus 
sacrée,  réservée  au  clergé,  et  fut  désigné  dès  lors  sous  le  nom  de 
presbyterium.  L'abside  était  élevée  de  plusieurs  degrés  au-dessus  de  la 
nef  et  du  chœur  (d'où  son  nom  de  apsis  gradata  ou  pr^a),  pavée  en  mar- 
bres et  richement  décorée  de  peintures  ou  de  mosaïques  ;  la  voûte  re- 
cevait d'ordinaire  l'image  du  Christ,  s'enlevant  sur  un  fond  d'or. 
Le  sanctuaire  était  séparé  du  reste  de  l'église  par  des  grillages  ou 
balustrades  de  marbre,  cancelli,  et  des  rideaux  que  l'on  fermait  pendant 
la  célébration  d'une  partie  des  saints  mystères  (disposition  qui  subsiste 
encore  aujourd'hui  dans  les  églises  consacrées  au  rite  grec) .  Il  renfer- 
mait sur  le  devant  l'autel  et  dans  le  fond  le  trône  épiscopal,  cathedra; 
un  ou  plusieurs  rangs  de  bancs  ou  sièges  en  gradins,  exedra,  destinés 
au  haut  clergé,  garnissaient  le  pourtour  de  l'hémicycle.  Plus  tard,  pen- 
dant le  moyen  âge,  le  nombre  des  prêtres  et  des  desservants  allant  en 
croissant,  le  siège  épiscopal  et  les  stalles  furent  placés  en  avant  de  l'au- 
tel, dans  le  chœur,  et  l'abside  proprement  dite  ne  renferma  plus  que  le 
maître-autel.  ■ —  L'abside  n'est  pas  nécessairement  semi-circulaire  ;  dès 
l'origine  il  y  en  eut  de  carrées  et  plus  tard  de  polygonales  :  beaucoup 
d'églises  normandes,  la  plupart  des  cathédrales  anglaises  et  presque 
toutes  les  églises  cisterciennes  ont  le  chevet  carré.  L'abside  prin- 
cipale est  souvent  flanquée  de  petites  absides,  disposées  à  l'extré- 
mité des  bas-côtés  ou  nefs  latérales;  dans  l'église  primitive  elles 
étaient  closes  par  des  tentures  :  on  déposait  dans  celle  de  droite 
(iupoôecnç,  vestiarium)  les  vases  précieux  et  les  vêtements  des  prêtres, 
dans  celle  de  gauche  (otcr/,ovr/.6v,  evangelium)  les  livres  sacrés  et  les 
diplômes,  ainsi  que  les  offrandes  des  fidèles.  C'est  l'origine  des 
sacristies  et  des  trésors.  Plus  tard  ces  absides  devinrent  aussi  des 
chapelles  latérales  renfermant  un  autel.  Dans  les  grandes  églises 
du  moyen  âge,  l'abside  principale  est  entourée  d'un  bas-côté  el 
accompagnée  souvent  de  chapelles  rayonnantes,  disposées  en  son 
pourtour  ;  elles  s'appellent  chapelles  absidales  ou  absidioles.  Celle  du 
centre,  la  plus  importante  de  toutes,  est  consacrée  à  la  Vierge.  Dans 
les  basiliques  primitives,  l'abside  (ou  le  sanctuaire)  était  placée  à  l'oc- 
cident, mais  de  bonne  heure  la  disposition  contraire  devint  générale.  Un 
certain  nombre  d'églises,  notamment  sur  les  bords  du  Rhin,  ont  deux 
absides,  l'une  à  l'orient,  l'autre  à  l'occident.  —  On  donne  aussi 
le  nom  d'abside  aux  châsses  renfermant  les  reliques  des  saints,  soit 
parce  qu'elles  étaient  placées  dans  le  sanctuaire,  soit  parce  qu'elles 
affectaient  souvent  elles-mêmes  la  forme  d'une  voûte. 

Emile  Lichtenberger. 


ABSOLU  35 

ABSOLU,  mot  qui  en  philosophie  désigne  ce  qui  est  suprême,  comme 
la  religion  l'exprime  par  h1  mot  Dieu.  L'esprit  humain  ne  peut  s'arrê- 
ter à  la  simple  perception  des  phénomènes  dans  leur  immense  diver- 
sité ;  un  instinct  invincible  nous  porte  à  chercher  le  lien  qui  les  relie 
entre  eux,  à  ramener  nos  perceptions  à  des  notions  générales,  soit  en 
groupant,  au  moyen  de  la  classification,  les  êtres  et  les  faits  semblables 
en  unités  collectives,  soit  en  rattachant  les  effets  à  leurs  causes  et  les 
attributs  à  leurs  substances.  Nous  nous  élevons  ainsi  à  la  connaissance 
de  quelques  principes,  et  faisant  un  pas  de  plus,  nous  nous  efforçons  de 
remonter  jusqu'à  un  principe  premier.  En  procédant  de  la  sorte,  nous 
n'avons  pas  seulement  le  sentiment  de  satisfaire  à  un  besoin  de  l'esprit, 
d'obéir  à  une  loi  de  la  pensée,  nous  avons  la  conviction  de  suivre  la 
voie  légitime  pour  arriver  à  la  connaissance  de  la  réalité,  à  la  vérité. 
Qui  dit  vérité,  dit  que  les  lois  de  notre  esprit  et  les  lois  de  l'univers  se 
répondent;   et  quand   il  s'agit  d'un  objet  que  l'expérience  sensible 
n'atteint  point,  nous  ne  sommes  pas  pour  cela  réduits  à  l'ignorance, 
si  la  raison,  provoquée  par  l'expérience,  affirme  cet  objet  par  un  acte 
normal,  nécessaire,  permanent.  Tel  est  le  cas  pour  l'absolu.  Les  systè- 
mes qui  n'admettent  d'autres  connaissances  que  celles  acquises  par  nos 
sensations,  écartent  comme  chimérique  la  notion  de  l'absolu;  mais  par 
là  ils  assument  la  tâche  fort  ardue  de  démontrer  que  la  science  soit 
possible  par  le  seul  jeu  de  nos  sens  et  sans  l'intervention  de  l'esprit. 
Quant  aux  philosophes  qui  admettent  deux  moyens  de  connaissance, 
les  sensations  et  la  pensée,,  ils  sont  d'accord  pour  reconnaître  que  l'ex- 
périence sensible  ne  constate  pas  un  principe  suprême,  mais  que  leur 
raison  est  obligée  de  le  statuer  et  qu'il  est  la  base  de  toutes  les  opéra- 
tions de  l'esprit  aussi  bien  que  le  fondement  de  tous  les  phénomènes 
de  la  réalité.  Ce  premier  principe  est  appelé  l'absolu  ;  mot  tiré  du  latin, 
absolvere,  absolution,  c'est-à-dire  dégagé,  offrant  tout  d'abord  une  signi- 
fication que  les  penseurs  sont  unanimes  à  proclamer  :  l'absolu  est  dé- 
gagé de  toute  condition,  de  toute  limite,  indépendant,  il  ne  subit  au- 
cune détermination  qui  lui  soit  imposée  du  dehors.  Mais  cette  première 
indication,  qui  nous  dit  ce  que  l'absolu  n'est  pas  et  qui  nous  fournirait 
tout  au  plus  une  abstraction  vide,  inerte,  sans  rapport  avec  la  réalité, 
ne  saurait  nous  suffire;  il  nous  faut  savoir  ce  que  l'absolu  est.  Ici  appa- 
raissent les  divergences;  et  comme  la  notion  de  l'absolu  est  le  terme 
utiel  de  tout  système  philosophique,  il  nous  faudrait  retracer  l'his- 
t  oire  de  la  philosophie  pour  expliquer  les  acceptions  diverses  que  ce 
mot  a  reeues  et  faire  apprécier  les  progrès  que  la  pensée  a  faits  dans  la 
connaissance  de  son  objet  principal.  Contentons-nous  de  quelques  indi- 
cations sommaires.  Cette  notion  a  jusqu'ici  parcouru  trois  degrés.  Le 
premier,  représenté  parmi  les  modernes  par  Spinoza,  c'est  la  notion  de 
L'être  pin1  et  simple,  existentix  absoluta  a/fîrmatio,  de  la  substance  dans 
son  unité  indivisible  et  infinie,  dans  son  immuable  identité  ;  mais  une 
leiie  notion  de  la  substance  isolée  de  la  notion  de  cause  ne  donne 
qu'une  unité  monotone,  une  durée  abstraite,  et  l'existence  des  choses 
contingentes,  multiples  et  du  mouvement  n'est  pas  expliquée.  Aussi  le 
second  degré,   représenté  par  Leibnitz  et  Hegel,   considère  l'absolu 


36  ABSOLU  —  ABSTEMES 

comme  cause  ou  activité,  opérant  un  déploiement  dont  il  est  le  principe 
et  la  fin,  se  donnant  l'existence  à  lui-même  suivant  une  norme  déter- 
minée et  parfaite  ;  mais  s'il  ne  s'est  pas  donné  cette  norme ,  il  n'est  pas 
réellement  l'absolu.  Le  troisième  degré  (Schelling  dans  sa  dernière  pé- 
riode et  M.  Secrétan)  insiste  sur  la  liberté  de  l'absolu;  il  est  ce  qu'il  a 
voulu  être.  Dès  lors  nous  sommes  en  présence  d'un  dilemme  :  ou  bien 
ce  libre  arbitre  n'a  été  déterminé  par  aucun  motif,  et  alors  c'est  le  pur 
caprice,  un  acte  aveugle  ;  ou  bien  l'absolu  a  voulu  être  parfait,  l'exercice 
de  sa  liberté  a  été  raisonnable,  un  idéal  s'est  en  quelque  sorte  imposé  à 
son  choix,  et  alors  c'est  le  déterminisme.  Les  philosophes  hésitent 
devant  ces  deux  solutions,  et  M.  Janet  reconnaît  «  qu'il  y  a,  au  fond  des 
choses,  un  dernier  terme  où  tout  doit  se  confondre  et  s'identifier,  au 
delà  de  ce  que  nous  pouvons  connaître,  un  je  ne  sais  quoi,  que  vous  pou- 
vez appeler  liberté,  volonté,  l'absolu,  mais  ces  noms  ne  représentent  pas 
une  idée  distincte  ;  la  philosophie  est  impuissante  à  exprimer  l'inexpri- 
mable ;  ce  qui  dépasse  une  certaine  limite  est  du  domaine  de  la  poésie, 
de  la  religion.  »  Il  ne  faut  pas  nous  étonner  si,  dans  la  phase  d'élabo- 
ration que  la  philosophie  traverse,  la  notion  de  l'absolu  est  l'objet  d'un 
débat,  les  uns  penchant  vers  le  déterminisme,  les  autres  vers  le  libre 
arbitre.  Mais  il  y  a  lieu  d'examiner  si  la  conciliation  de  cette  antinomie 
n'est  pas  proposée  par  Nitzsch  [System,  §  61),  qui  considère  l'absolu 
comme  suprême  amour,  l'amour  étant  tout  ensemble  le  bien  souverain 
et  la  souveraine  spontanéité.  Du  moins,  par  cette  solution,  l'idée  philo- 
sophique de  l'absolu  se  trouve  identifiée  avec  l'idée  religieuse  de  Dieu, 
tandis  que  Platon,  saint  Anselme,  Descartes  ne  les  ont  rapprochées  que 
d'une  manière  imparfaite,  de  sorte  qu'on  a  pu  leur  reprocher  d'avoir 
enseigné  deux  premiers  principes.  —  Voy.  Colani,  Essai  sw*  l'idée  de 
V absolu,  1847.  A.  Matter. 

ABSOLUTION.  Les  canonistes  distinguent  plusieurs  genres  d'abso- 
lution dont  les  principaux  sont  :  1°  l'absolution  sacramentelle  ou 
la  rémission  des  péchés  faite  par  le  prêtre  au  nom  de  Jésus-Christ 
dans  le  sacrement  de  la  pénitence  (voy.  cet  article)  ;  2°  l'absolution 
des  censures  ou  des  peines  dont  l'Eglise  punit  certains  péchés  ; 
3°  l'absolution  de  l'irrégularité  ou  de  certains  obstacles  prévus  par 
l'Eglise  qui  empêchent  de  recevoir  les  ordres  et  d'en  exercer  les  fonc- 
tions. 

ABSOUTE  ou  encensements  et  aspersions  d'eau  bénite  qu'on  fait 
sur  les  corps  qu'on  enterre  ou  sur  la  représentation  d'un  mort 
pendant  le  service  qui  se  célèbre  pour  le  repos  de  son  âme.  —  Ce  mot 
désigae  aussi  la  cérémonie  qui  se  pratique  dans  l'Eglise  romaine  le 
jeudi  saint  pour  représenter  l'absolution  qu'on  donnait  aux  pénitents 
de  la  primitive  Eglise  en  ce  jour,  nommé  pour  cette  raison  le  jeudi 
absolu. 

ABSTEMES,  du  latin  abstinere.  On  désigne  sous  ce  nom  les  personnes 
qui,  ayant  une  répugnance  invincible  pour  le  vin,  ne  communient  que 
sous  la  seule  espèce  du  pain.  Les  abstèmes  ne  peuvent  être  admis  aux 
ordres  sacrés,  le  vin  étant  nécessaire  à  la  célébration  de  la  messe. 
Le  XXVIe  synode  réformé  de  Charenton  décida  que  les  abstèmes  pou- 


ABSTÈMES  —  ABYSSIN1E  37 

vaient  être  admis  à  la  cène  pourvu  qu'ils  touchassent  seulement  la 
coupe  du  bout  des  lèvres  :  tolérance  qui  fut  vivement  reprochée  aux 
calvinistes  par  les  luthériens. 

ABSTINENCE.  Les  moralistes  recommandent  cette  vertu,  en  la  pré- 
sentant comme  le  côté  négatif  de  l'ascétisme.  Elle  consiste  à  renon- 
cer librement,  par  amour  pour  Dieu,  à  tout  ce  qui  est  contraire  à 
sa  volonté,  en  particulier  aux  convoitises  de  la  chair  «  qui  font  la  guerre 
à  l'âme  »  (1  Pierre  II,  il).  Parmi  les  instincts  inférieurs  de  notre  na- 
ture qui  empêchent  le  triomphe  de  l'esprit,  ils  désignent  celui  de  la  nour- 
riture, celui  de  la  génération  et  celui  de  la  paresse  (Nomb.  VI,  2,  3  ; 
Tob.  VI,  19,  etc.).  L'abstinence  est  aussi  prescrite  comme  un  moyen 
utile  pour  favoriser  le  recueillement,  la  prière  et  la  lutte  contre  les 
tentations  (Matth.  XXVI,  41;  1  Cor.  VII,  5;  IX,  25;  1  Pierre  IV,  7),  ou 
pour  prévenir  le  scandale  que  nous  pourrions  donner  aux  faibles 
1  Cor.  VI,  12;  X,  23).  L'Eglise  catholique,  en  opposition  avec  le  jeûne 
qu'elle  définit  l'abstention  complète  de  toute  nourriture,  a  réservé  le 
terme  d'abstinence  [semijejunium)  à  la  privation  de  la  chair.  Depuis  les 
Encratites  [abstinentes)  du  deuxième  siècle  jusqu'aux  teatotallers  (tea- 
total,  rien  que  du  thé)  et  aux  sociétés  de  tempérance  modernes,  il  s'est 
toujours  trouvé  des  chrétiens  qui,  soit  individuellement  soit  collecti- 
vement, ont  fait  porter  le  principe  de  l'abstinence  sur  tels  ou  tels 
usages  jugés,  suivant  les  temps  et  les  pays,  particulièrement  funestes 
au  développement  de  la  vie  chrétienne.  Aujourd'hui,  presque  tous  les 
moralistes  reconnaissent  qu'une  satisfaction  bien  réglée  de  nos  instincts 
naturels,  un  usage  modéré  et  reconnaissant  des  biens  d'ici-bas  (1  Cor.  III, 
21,  22  ;  1  Tim.  IV,  4)  est  plus  conforme  aux  principes  de  l'Evangile  et  à 
la  réalisation  de  l'idéal  chrétien  que  l'abstinence  prise  dans  le  sens  ec- 
clésiastique de  ce  mot. 

ABYSSINIE  (Religion  de  l'ancienne).  Voyez  Ethiopie. 

ABYSSINIE  (Eglise  d').  Ce  fut  seulement  vers  le  milieu  du  quatrième 
siècle  que  le  christianisme  pénétra  dans  cette  partie  de  l'ancienne  Ethio- 
pie, connue  sous  le  nom  d'Abyssinie  ou  de  Habesch.  Il  n'y  a  rien  de 
vrai  dans  la  tradition  d'après  laquelle  les  Abyssiniens  seraient  venus  au 
christianisme  par  l'intermédiaire  du  judaïsme.  Ce  qui  a  pu  donner  lieu 
à  cette  croyance,  ce  sont  les  rapports  fréquents  qu'ils  soutenaient  de- 
puis longtemps  avec  les  Juifs  et  la  pratique  de  certaines  coutumes 
telles  que  la  circoncision  ;  mais  la  circoncision  n'était  pas  particulière 
au  peuple  d'Israël,  elle  se  rencontrait  aussi  chez  les  autres  peuples  de 
L'Egypte  et  de  l'Arabie.  On  ne  saurait  davantage  accorder  une  grande 
valeur  à  cette  autre  tradition,  qui  s'appuyant  sur  le  récit  de  la  conver- 
sion de  l'eunuque  éthiopien  par  le  diacre  Philippe  (Actes  VIII,  26-40) 
voudrait  attribuer  à  l'Eglise  d'Abyssinie  une  origine  apostolique.  Il 
d  est  dit  d'ailleurs  nulle  part  que  cet  ennuque  fût  originaire  d'Abyssi- 
nie. À  défaut  de  renseignements  précis,  on  peut  du  moins  s'en  tenir  à 
ce  que  raconte  Kufin  {Eût.  eccl,  I,  5,  9)  et  à  ce  que  répètent  après  lui 
Théodoret,  Socrate  et  Sozomène.  Vers  l'an  330,  sous  le  règne  de  Con- 
Btantin,  un  philosophe  païen  nommé  Métrodox ,  après  avoir  accompli 
heureusement  plusieurs  voyages  de  découvertes,  revint  à  Tyr,  et  ses 


38  ABYSSINIB 

récits  excitèrent  l'émulation  d'un  certain  Merapius  qui  s'occupait  vrai- 
semblablement de  commerce.  Ce  dernier,  accompagné  de  son  neveu 
Frumentius  et  d'un  autre  jeune  homme  nommé  GEdesius,  entreprit  à 
son  tour  un  voyage  d'exploration;  malheureusement  il  fut  assailli 
par  un  naufrage  sur  les  côtes  d'Ethiopie  et  il  fut  massacré  ainsi  que 
l'équipage  par  les  indigènes.  Seuls,  les  deux  jeunes  gens  furent  épar- 
gnés et  conduits  comme  esclaves  à  Axum,  capitale  du  pays;  Fun  fut 
nommé  gardien  du  trésor  et  l'autre  échanson  du  roi.  Ces  dignités  leur 
furent  conservées  après  la  mort  du  monarque;  ils  profitèrent  de  leur  in- 
fluence pour  introduire  et  propager  la  religion  chrétienne  à  laquelle  ils 
appartenaient.  GEdesius  ne  tarda  pas  à  revenir  à  Tyr,  mais  Frumentius 
alla  demander  au  patriarche  d'Alexandrie  qui  était  alors  Athanase,  la 
prêtrise  et  l'épiscopat.  Pour  lui  donner  une  autorité  plus  grande,  Atha- 
nase lui  conféra  le  titre  de  patriarche  d'Abyssinie.  Le  nouveau  roi  et 
son  frère  se  laissèrent  convertir  et  baptiser  par  Frumentius  et  dès  lors  le 
christianisme  fit  de  rapides  progrès.  La  nouvelle  Eglise  d'Abyssinie  ve- 
nait de  se  constituer  dans  un  moment  oii  la  chrétienté  tout  entière  était 
agitée  par  la  controverse  arienne,  et  elle  reçut  le  contre-coup  de  ces  agi- 
tations. Athanase,  le  plus  fameux  champion  de  la  doctrine  qui  avait 
triomphé  au  concile  deNicée,  se  trouvant  à  son  tour  parmi  les  vaincus, 
et  chassé,  à  diverses  reprises,  de  sa  ville  épiscopale,  fut  remplacé  pen- 
dant quelque  temps  par  un  patriarche  arien  qui  essaya,  en  vain,  d'agir 
par  Frumentius.  Depuis  Frumentius,  le  patriarche  ou  abuna  (notre 
père)  d'Abyssinie  fut  régulièrement  choisi  et  consacré  par  le  pa- 
triarche d'Alexandrie  ;  seulement  Y  abuna  ne  possédait  pas  le  pouvoir 
d'un  patriarche,  il  n'en  avait  que  le  rang.  Il  devait  être  étranger  au 
pays  et  n'avoir  jamais  plus  de  sept  évêques  sous  sa  juridiction.  Les 
successeurs  de  Frumentius  furent  des  moines  de  la  haute  Egypte  ;  ils 
introduisirent  dans  le  pays  la  vie  monastique  et  neuf  d'entre  eux  sont 
honorés  encore  aujourd'hui,  comme  des  saints.  L'Eglise  d'Abyssinie 
prit  parti  dans  les  querelles  sur  les  deux  natures  du  Christ,  elle  se 
rattacha  à  la  doctrine  d'Eutychès  et  fut  englobée  par  conséquent  dans 
les  anathèmes  que  le  concile  œcuménique  de  Chalcédoine  (451)  lança 
contre  le  patriarche  d'Alexandrie  Dioscure  et  ses  partisans  accusés  d'hé- 
résie monophysite.  Retranchés  en  Egypte  et  en  Ethiopie,  comme  dans 
une  forteresse  inexpugnable,  les  monophysites  se  séparèrent  de  plus  en 
plus  du  reste  de  la  chrétienté.  La  conquête  arabe  rendit  ce  schisme 
irrévocable,  et  ainsi  se  constitua  ce  que  l'on  appelle  X Eglise  copte.  — 
Aujourd'hui  encore,  l'Eglise  d'Abyssinie  a  conservé  son  autonomie 
ecclésiastique  et  possède  son  organisation  particulière.  Les  églises 
abyssiniennes  n'ont  rien  de  remarquable  en  fait  d'architecture;  elles 
se  trouvent  en  général  situées  sur  les  hauteurs  et  sont  de  forme 
circulaire  avec  un  dôme  de  chaume  surmonté  d'une  croix  de  laiton  ; 
les  murs  sont  peints  en  blanc  et  percés  de  quatre  portes  qui  re- 
gardent les  quatre  points  cardinaux.  A  l'intérieur  les  parois  sont  dé- 
corées de  mauvaises  peintures  représentant  la  Vierge,  les  saints,  les 
anges  et  le  diable.  Les  sculptures  sont  interdites.  Un  vestibule  ou 
parvis  est  destiné  aux  laïques  ;  puis  viennent  comme  dans  le  temple 


ABYSSINIE  39 

juif  le  lieu  saint  et  le  lieu  très-saint.  On  retrouve  d'ailleurs  dans 
l'Eglise  d'Abyssinie  beaucoup  d'usages  juifs  ;  ainsi,  outre  la  circon- 
cision, la  célébration  du  sabbat,  l'interdiction  de  certaines  viandes, 
les  jeûnes,  l'arche  d'alliance,  etc.  Nous  avons  vu  qu'on  peut  expliquer 
cela  par  les  rapports  anciens  et  fréquents  des  Abyssiniens  avec  les 
juifs  ;  on  pourrait  ajouter  que  l'emploi  presque  constant  de  l'Ancien 
Testament  dans  la  liturgie  et  dans  le  chant  a  contribué  à  produire  et  à 
entretenir  ces  imitations.  Les  deux  sacrements  chrétiens,  le  baptême  et 
la  sainte  Gène,  sont  célébrés  dans  l'Eglise  d'Abyssinie.  Le  baptême  est 
administré  ordinairement  après  la  circoncision.  La  cérémonie  consiste 
en  prière,  exorcisme,  immersion,  bénédiction,  présentation  du  nou- 
veau-né aux  quatre  coins  de  l'horizon,  insufflation,  imposition  des 
mains,  onction  avec  de  l'huile  consacrée.  C'est  la  formule  de  Nicée  qui 
fait  le  fond  de  la  liturgie  dont  on  se  sert  à  cette  occasion.  Quant  à  la 
sainte  Gène,  elle  est  célébrée  sous  les  deux  espèces,  avec  du  pain  levé, 
cuit  dans  l'église  même;  les  prêtres  communient  tous  les  jours;  les 
simples  fidèles  à  époques  indéterminées.  La  confession  existe;  mais 
on  n'y  participe  qu'après  l'âge  de  vingt-cinq  ans.  Avant  cet  âge  on  est 
considéré  comme  innocent  ou  tout  au  moins  comme  un  pécheur  de 
peu  d'importance.  A.  Gary. 

ABYSSINIE  (Statistique  religieuse).  Population.  On  a  évalué  très- 
diversement  la  population  de  l'Abyssinie.  Les  voyageurs  du  commence- 
ment de  ce  siècle  parlent  de  4  à  6,000,000  de  chrétiens  abyssins,  sans 
compter  les  autres  éléments.  Les  relations  plus  récentes  se  contentent 
de  chiffres  beaucoup  plus  modestes.  G.  Rohlfs,  par  exemple,  évalue  la 
population  totale  du  pays  à  1,600,000  âmes,  d'accord  en  cela  avec 
Rùppel.  Les  calculs  de  Behm  et  Wagner,  qui  nous  semblent  les  plus 
probables,  admettent  pour  le  pays  3,000,000  d'habitants.  Le  plus  grand 
nombre  est  d'origine  éthiopienne  ;  il  y  a  aussi  des  Arabes,  des  Turcs,  des 
nègres  (Gallas  et  autres)  et  beaucoup  de  Juifs.  Formant  autrefois  un 
empire  dont  le  souverain  s'appelait  négus  (roi) ,  le  pays  passe  depuis 
longtemps  par  de  fréquentes  révolutions  qui  en  détruisent  et  en  réta- 
blissent alternativement  l'unité.  Les  conquêtes  des  Egyptiens  dans  la 
vallée  du  Haut-Nil  en  4875  et  1876  ont  modifié  les  frontières  et  les  divi- 
sions intérieures  de  la  contrée,  de  telle  sorte  qu'on  ne  peut  à  l'heure 
actuelle  en  parler  avec  certitude.  —  Divisions  religieuses.  La  grande 
majorité  de  la  population  appartient  à  l'Eglise  d'Abyssinie;  les  mission- 
naires catholiques  et  protestants  ont  réuni  autour  d'eux  quelques  rares 
adhérents;  les  Juifs  y  forment  un  groupe  puissant  et  nombreux;  on 
trouve  encore  dans  le  pays  des  mahométans  et  quelques  païens.  Nous 
allons  passer  en  revue  ces  diverses  dénominations.  1<>  L 'Eglise  d Abys- 
sine. La  constitution  est  épiscopale.  Son  chef  ou  abîma  (notre  père) 
réside  ci  Gendar.  Pour  éviter  que  son  influence  soit  trop  grande,  on  le 
prend  toujours  parmi  les  étrangers.  C'est  généralement  un  moine  copte  ; 
le  patriarche  d'Alexandrie  jouit  du  privilège  de  le  confirmer  et  de  le 
consacrer.  L'abuna  seul  a  le  pouvoir  de  consacrer  ;  il  le  fait  en  soufflant 
sur  le  candidat  et  en  le  marquant  du  signe  de  la  croix.  Le  casuel  qu'il  tire 
de  ces  consécrations  forme  le  meilleur  de  son  revenu  ;  il  jouit  en  outre  de 


40  ABYSSINIE 

quelques  terres  de  médiocre  étendue.  Les  subordonnés  de  Vabuna  sont 
a)  les  évêques  et  le  clergé  séculier,  b)  les  docteurs  et  c)  les  moines.  Les  évo- 
ques sont  nommés  par  le  souverain  qui  exerce,  du  reste,  une  influence 
prépondérante  sur  toute  l'administration  ecclésiastique.  Les  prêtres 
sont  nombreux,  mais  fort  ignorants;  ils  appartiennent  généralement  à 
la  classe  inférieure  de  la  population.  Ils  n'ont  ni  costume  particulier, 
ni  privilèges  spéciaux;  leur  distinction  est,  lorsqu'ils  sortent,  de  porter 
à  la  main  une  croix  qu'ils  donnent  à  baiser  à  ceux  qu'ils  rencontrent. 
Une  fois  consacrés  le  mariage  leur  est  interdit  ;  mais  les  unions  con- 
clues auparavant  continuent  à  subsister.  Ils  ne  reçoivent  pas  de  traite- 
ment et  vivent  dû  produit  de  l'absolution  et  des  funérailles.  Ils  sont  pris 
parmi  les  diacres  et  achètent  leur  consécration  de  Vabuna  moyen- 
nant deux  sacs  de  sel.  Les  diacres  en  fonctions  sont  presque  tous  des 
enfants  ;  mais  il  y  en  a  un  très-grand  nombre  d'autres  ;  car  quiconque 
sait  lire  et  peut  réciter  le  symbole  de  Nicée  devient  diacre  de  plein 
droit.  Au  dernier  degré  de  la  hiérarchie  on  retrouve  l'emploi  de  portier 
emprunté  aux  anciennes  Eglises.  Gomme  il  est  interdit  à  beaucoup  de 
personnes  de  pénétrer  dans  les  temples,  cette  modeste  fonction  a  conservé 
sa  raison  d'être.  A  chaque  Eglise  est  attaché  de  plus  un  administrateur 
laïque  de  ses  biens  dont  les  attributions  rappellent  assez  celles  des  patrons 
dans  quelques  Etats  de  l'Europe.  En  dehors  du  clergé  proprement  dit,  il 
faut  encore  signaler  les  docteurs  ou  théologiens,  gardiens  de  la  science 
et  de  la  tradition.  Leur  subtilité  dans  la  discussion  est  fort  grande; 
mais,  si  l'on  en  excepte  la  doctrine  de  la  nature  du  Christ,  leur  savoir 
est  fort  peu  de  chose.  Les  moines  sont  fort  nombreux  en  Abyssinie.  Ils 
y  forment  deux  ordres  distincts.  Le  plus  important,  celui  de  Sainte- 
Thècle,  compte  un  grand  nombre  de  couvents,  dont  quelques-uns  fort 
riches,  et  habités  par  des  moines  célibataires.  Le  chef  de  l'ordre,  qu'on 
appelle  étchégué,  réside  à  Bergameda  et  est  après  Vabuna  le  premier 
personnage  religieux  du  pays.  Le  second  ordre  monastique  est  celui 
de  Saint-Eustase.  Les  religieux  qui  le  composent  n'ont  point  de  cou- 
vents. Ils  vivent,  chacun  avec  sa  famille,  dans  des  huttes  groupées  au- 
tour de  leurs  églises.  Ils  possèdent  et  héritent  comme  les  autres 
citoyens  et  laissent  leurs  biens  à  leurs  enfants.  Chaque  groupe  de 
huttes  est  gouverné  par  un  abbé.  Celui  de  Mahela-Selesse  est  nomina- 
lement le  chef  de  l'ordre;  mais  en  fait  son  pouvoir  est  fort  restreint.  Il 
y  a  également  des  religieuses  ;  mais  elles  sont  beaucoup  moins  nom- 
breuses que  les  moines.  —  2°  Les  catholiques  romains  sont  très-peu 
nombreux  en  Abyssinie.  Ils  avaient  été  les  maîtres  pendant  quelques 
années  au  dix-huitième  siècle  dans  le  beau  temps  de  la  puissance  por- 
tugaise. Le  jésuite  Alph.  Mendès  avait  même  revêtu  de  1626  à  1632 
la  dignité  à'abuna,  mais  une  réaction  du  sentiment  national  entraîna 
l'expulsion  complète  des  catholiques.  Ils  ne  sont  revenus  que  vers  le 
milieu  de  ce  siècle.  Depuis  1847,  l'Abyssinie  forme  dans  la  hiérarchie 
romaine  un  diocèse  que  gouverne  un  vicaire  apostolique.  —  3°  Le  pro- 
testantisme n'y  a  sérieusement  travaillé  que  depuis  1830.  La  mission  de 
l'Eglise  d'Angleterre,  l'établissement  de  Crischona  près  de  Baie  et  la 
Société  des  Missions  suédoises,  y  ont  eu  et  y  ont  encore  des  établisse- 


ABYSSINIE  —  AGACE  41 

ments.  Mais  catholiques  et  protestants  indigènes  ne  sont  encore  qu'une 
imperceptible  minorité.  —  4°  Les  Juifs  forment  en  Abyssinie  une  portion 
considérable  de  la  population.  Leur  nombre,  fort  exagéré  autrefois,  peut 
être  évalué  à  environ  250,000.  Ils  sont  établis  dans  le  pays  depuis  fort 
longtemps,  probablement  depuis  les  conquêtes  d'Alexandre.  Les  uns 
vivent  dispersés  dans  la  contrée;  les  autres,  réunis  en  corps  de  nation 
dans  les  montagnes  de  Samen,  se  donnent  à  eux-mêmes  le  nom  de 
Falackas  (exilés).  Un  prince  de  leur  race  les  gouverne,  et  pendant  un 
temps,  ils  ont  même  dominé  l'Abyssinie  entière.  —  5°  Les  mahométans 
ei  les  païens  sont  peu  nombreux,  et  pour  la  plupart  étrangers.  Mais,  à 
en  croire  certains  voyageurs,  l'islamisme  serait  en  progrès  dans  le  pays 
et  les  succès  de  l'Egypte  dans  la  dernière  guerre  ne  peuvent  malheu- 
reusement qu'accélérer  ce  mouvement.  —  Bibliographie  :  Voyages  de 
Sait,  Rùppel,  Rohlfs,  d'Abbadie,  etc.  Statistiques  et  journaux  ecclésias- 
tiques et  géographiques  divers.  E.  Vaucher. 

ACACE  (Acacius),  dit  le  Borgne,  disciple  d'Eusèbe,  succéda  en  340  à  son 
maître  sur  le  siège  de  Gésarée.  Il  fut  un  des  principaux  représentants  de 
l'arianisme  strict.  Condamné  par  le  synode  de  Sardique  (347)  et  déposé 
de  sa  charge,  il  fut  encore  une  fois  destitué  par  le  synode  semi-arien  de 
Séleucie,  en  359.  Mais  à  cette  occasion  il  se  trouva  en  désaccord  avec 
les  plus  ardents  de  son  parti;  il  avait  été  amené  à  reconnaître  une  cer- 
taine ressemblance  du  Fils  avec  le  Père  quant  à  la  volonté,  tandis  que 
les  anoméens  (c'était  ainsi  que  l'on  appelait  les  ariens  purs)  soute- 
naient que  le  Christ  n'est  pas  même  semblable  à  son  Père.  Les  aca- 
ciens  déclarèrent  à  ce  synode  :  «  Nous  rejetons  le  mot  consubstantiel 
comme  étranger  à  l'Ecriture,  et  nous  maudissons  celui  de  dissemblable  » 
(to  àvo^G'.ov.  Epiph.,  Hser.,  73,  23-25).  En  363,  dans  un  synode 
qu'il  tint  à  Antioche  avec  Mélèce,  évêque  de  cette  ville,  et  vingt-cinq 
autres  évêques,  l'intrigant  Acacius  alla  jusqu'à  signer  le  symbole  de 
Nicée;  néanmoins,  dans  une  lettre  synodale  adressée  à  l'empereur 
Jovien  (Socrate,  III,  25;  Sozom.,  VI,  4>)}  les  évêques  interprétèrent  le 
terme  de  homoousios  ou  consubstantiel  par  celui-ci:  semblable  en  essence 
(ojxo'.o;  vm  ous(av).  Acacius  mourut  la  même  année.  Il  avait  su  assurer 
à  l'arianisme  une  puissante  influence  sur  la  cour  impériale.  Il  a  écrit, 
parmi  plusieurs  ouvrages  perdus,  une  vie  d'Eusèbe  son  maître  (Socr.,  II, 
4,  39  ss.  ;  Sozom.,  IV,  23  ss.  ;  Théodoret,  II,  8;  Philostorge,  IV,  p.  496, 
éd.  Vales). 

ACACE,  ermite,  puis  à  partir  de  378  évêque  de  Bérée  en  Syrie,  siégea 
en  430  au  synode  du  Chêne  parmi  les  ennemis  de  Chrysostôme.  Il  avait 
compté,  comme  tous  les  moines,  parmi  les  plus  ardents  défenseurs  de 
la  doctrine  de  Nicée.  Homme  vénéré  pour  son  grand  âge  et  pour  son 
caractère,  il  voulut,  dans  la  querelle  du  nestorianisme,  s'employer  à 
rétablir  la  paix,  et  ne  sut  que  s'enrôler,  à  l'âge  de  cept  dix  ans,  dans 
le  parti  antiochien,  opposé  à  Cyrille  d'Alexandrie.  Il  reprit  pourtant 
son  indépendance  et  se  réconcilia  avec  Cyrille.  Voy.  Sozom.,  VII,  28; 
Théodoret,  IV,  27  ss.;  Mansi,  V,  pass. 

ACACE,  patriarche  de  Constantinople  depuis  l'an  471,  fut  un  défenseur 
énergique  de  la  doctrine  de  Ghalcédoine;  il  condamna,  dans  un  synode 


42  AGACE  -  ACADEMIES 

tenu  à  Constantinople  en  478,  le  monophysite  [Pierre  le  Foulon,  pa- 
lliai ehe  d'Antioche  (Mansi,  VII,  e.  995  ss.  et  4121).  Mais  ayant  voulu 
jouer  le  rôle  de  nioyenneur,  il  crut  pouvoir  engager  l'empereur  Zenon 
à  publier  (482)  l'édit  de  réconciliation  qu'il  appela  Hénotikon,  et  dont 
les  monophysites  se  montrèrent  encore  moins  irrités  que  le  pape 
Félix  III.  Ceiui-ci,  dans  un  synode  romain  de  482,  excommunia  Acacius, 
convaincu  d'avoir  aidé  l'empereur  à  corrompre  les  légats  du  pape 
(Mansi,  VII,  c.  1053  ss.  1108).  La  lutte  violente  soulevée  par  cette  con- 
damnation, et  le  schisme  qui  en  fut  la  suite,  ne  cessèrent  pas  avec  la 
mort  d'Acacius,  arrivée  en  483.  Ce  ne  fut  qu'en  519  que  la  cour  de 
Constantinople  consentit  à  effacer  le  nom  d'Acacius  des  diptyques  de 
l'Eglise  et  à  rentrer  à  ce  prix  en  communion  avec  l'Eglise  romaine. 
Voy.  Evagrius,  II,  11,  III,  7,  9,  17  ss.,  et  dissertation  du  P.  Valois  de 
Acacio  dans  l'appendice  à  son  édition  de  YHisl.  eccl.  d'Evagrius. 

S.  Berger. 

ACADÉMIES  des  Eglises  réformées  de  France  (1561-1685).  Les  Eglises 
réformées  de  France  étaient  à  peine  organisées  qu'elles  sentirent  la  né- 
cessité de  fonder  des  universités,  ou,  comme  on  les  appelait  alors,  des 
académies.  Leurs  futurs  conducteurs  spirituels  ne  pouvaient  se  préparer 
à  l'exercice  du  ministère  évangélique  que  dans  des  écoles  leur  apparte- 
nant en  propre.  Quelques  jeunes  gens  allaient,  il  est  vrai,  faire  des  étu- 
des de  théologie  dans  des  universités  étrangères,  principalement  à  Ge- 
nève ;  mais  il  aurait  fallu  y  en  entretenir  un  bien  plus  grand  nombre,  et 
on  ne  le  pouvait  pas.  Il  convenait  d'ailleurs  que  ces  Eglises  eussent  en 
elles-mêmes  tout  ce  qui  était  indispensable  à  leur  propre  existence  et 
que  leurs  futurs  pasteurs  fussent  élevés  sous  leurs  yeux  et  sous  leur 
direction.  D'un  autre  côté,  il  était  utile  de  soustraire  la  jeunesse  réfor- 
mée qui  se  destinait  aux  professions  libérales  ou  qui  aspirait  à  une  édu- 
cation supérieure  à  celle  qu'on  rapportait  des  collèges,  à  l'influence  du 
clergé  catholique  qui  était  toute-puissante  dans  les  universités  établies 
dans  le  royaume.  Il  fallait  donc  que  dans  les  écoles  réformées  de  hautes 
études,  on  enseignât,  en  outre  de  la  théologie,  qui  naturellement  devait 
en  être  la  partie  principale  et  essentielle,  les  lettres,  les  sciences,  la 
philosophie,  la  jurisprudence  et  la  médecine.  Des  difficultés  sans  nom- 
or  e  paraissaient  rendre  impossible  la  réalisation  d'un  semblable  projet. 
Il  réussit  cependant.  Dans  l'espace  d'un  demi-siècle,  les  réformés  fran- 
çais établirent  huit  académies  ;  deux  d'entre  elles,  il  est  vrai,  disparu- 
rent, l'une  en  1617  et  l'autre  en  1620;  mais  les  six  autres  vécurent  en- 
core longtemps.  C'était  plus  que  les  besoins  des  Eglises  réformées  de 
France  le  demandaient  ;  dans  quelques  synodes  nationaux  on  proposa 
d'en  réduire  le  nombre  (Ayrnon,  Synodes  nation.,  t,  I,  p.  315  ;  t.  II, 
p.  26)  ;  mais  cette  proposition  fut  toujours  repoussée.  L'enseignement 
ne  fut  pas  dans  toutes  aussi  complet  qu'on  l'avait  d'abord  désiré  ;  mais 
il  n'y  en  eut  aucune  dans  laquelle  on  ne  fût  en  état  de  préparer  conve- 
nablement les  étudiants  au  grade  de  maître  ès-arts  et  au  ministère  évan- 
gélique ;  c'était  là  l'important  ;  le  reste,  je  veux  dire  l'enseignement  de 
la  jurisprudence  et  de  la  médecine,  n'était  qu'une  affaire  de  luxe.  Voici 
le  tableau  de  ces  huit  académies  avec  la  date  de  leur  fondation  et  celle 


ACADÉMIES  43 

de  leur  suppression  :  1°  Nîmes,  fondée  par  le  consistoire  et  le  corps 
municipal  de  cette  ville  en  août  1561,  supprimée  en  avril  i664  (Bulletin, 
II,  543-549,  et  III,  43-53  ;  Hist.  de  l  Eglise  réformée  de  Nîmes,  par 
A.  Borel,  2e  édit.,  1856,  in- 12).  2°  Orthès,  fondée  par  Jeanne  d'Albret  en 
1566,  supprimée  en  1620  [Bulletin,  III,  280-292).  3°  Orange,  fondée 
par  Ludovic,  comte  de  Nassau,  en  1573.  Cette  principauté  étant  encore 
indépendante  en  1685,  cette  académie  ne  fut  pas  supprimée  ;  mais  elle 
s'éteignit  bien  lot  après.  4°  Sedan,  fondée  par  Henri-Robert  de  La  Mark 
en  1573,  el  supprimée  le 9 juillet  1681. 5° L'académie  ^Montpellier  fon- 
dée par  le  consistoire  de  cette  ville  en  1596,  et  réunie  à  celle  de  Nîmes 
en  1627  par  le  s5rnode  national  de  Vitré  (Aymon,  Synodes  nation.,  II,  122 
ci  123).  6°  Montauban,  fondée  en  mai  1598  par  le  synode  national  de 
Montpellier,  transportée  à  Puylaurens  en  1660  et  supprimée  le  5  mars 
1685  {Bulletin,  VI,  342-355  et  364-366,  IX,  394-408.  L'académie  protest, 
de  Montauban,  discours  par  Nicolas,  1872,  in-8°).  7°  Saumur,  fondée 
en  même  temps  que  la  précédente,  par  le  synode  national  de  Montpel- 
lier et  supprimée  le  8  janvier  1685  {Bulletin,  I,  302-316).  8°  Die,  fondée 
par  le  synode  provincial  du  Dauphiné  en  octobre  1604,  avec  l'autorisa- 
tion du  roi,  et  supprimée  le  11  septembre  1684  {Bulletin,  V,  179-188, 
et  299-308  ;  Histoire  de  Yacad.  protestante  de  Die,  par  E.  Arnaud,  1872, 
in-8°) .  Toutes  ces  académies  avaient  à  peu  près  la  même  organisation.  On 
prit  en  général  l'académie  de  Genève  pour  modèle.  Pour  la  connaître 
dans  ses  traits  essentiels,  on  peut  avoir  recours  aux  «  Règlements 
de  1600  pour  l'académie  de  Montauban,  »  publiés  dans  le  Bulletin, 
IX,  394-408,  aux  «  Statuts  généraux  faits  au  synode  national  d'Alais 
en  1620  pour  les  académies  des  Eglises  réformées  de  France  »  (Aymon, 
Synodes  nation.,  11,209-212),  et  aux  règlements  faits  au  synode  provincial 
de  Saverdun  en  1678,  pour  l'académie  transférée  à  Puylaurens  en  1660 
{Recueil  des  règlements  faits  par  les  synodes  provinc.  du  Haut- Languedoc 
et  Haute-Guyenne,  par  A.  Pujol,  Castres,  1679,  pet,  in-8°,  p.  121-135). 
On  pourrait  aussi  consulter  avec  fruit  les  règlements  rédigés  par  Jean  de 
Serres  en  1581  pour  l'académie  de  Nîmes,  publiés  par  Ménard  dans  son 
Histoire  de  Nîmes,  t.  V.  Preuves,  p.  158  et  suiv.  Chaque  académie  se 
gouvernait  et  s'administrait  librement  elle-même,  d'après  les  règlements 
qui  la  régissaient,  et  sous  le  contrôle  des  synodes  nationaux  aussi  long- 
temps qu'ils  existèrent,  et  ensuite  (1660-1685)  sous  celui  du  synode  de 
la  province  dans  laquelle  elle  résidait.  Elle  nommait  elle-même  son 
recteur  ;  elle  présentait  la  liste  des  candidats  aux  chaires  vacantes,  et 
par  conséquent  elle  se  recrutait  en  réalité  elle-même;  elle  disposait 
comme  elle  l'entendait  des  legs  qui  lui  étaient  faits,  sans  avoir  à  en 
rendre  compte  à  personne,  etc.,  etc.  Ni  les  synodes  nationaux,  ni  les  sy- 
nodes provinciaux  n'eurent  jamais  à  signaler  le  moindre  inconvénient 
dans  ce  système  de  liberté.  —  Jusques  en  1630,  on  ne  remarque  aucune 
différence  dans  l'enseignement  des  différentes  académies.  La  doctrine 
calviniste  dans  toute  sa  rigueur  y  dominait  également,  et  la  controverse 
avec  l'Eglise  catholique  y  était  la  grande  préoccupation  des  esprits.  Les 
choses  changèrent  quelque  peu  de  face  bientôt  après.  La  controverse 
continua  bien  jusqu'à  la  fin  à  occuper  une  place  considérable  dans  les 


44  ACADÉMIES 

leçons  et  dans  les  thèses  des  professeurs,  dans  les  unes  comme  dans  les 
autres  sans  exception  ;  c'était  un  effet  inévitable  de  la  position  des  ré- 
formés en  France  ;  mais  cette  préoccupation  s'associa,  se  subordonna 
peut-être  même  à  une  autre,  et  les  académies  qui  avaient  jusqu'alors 
vécu  en  bonne  intelligence,  commencèrent,  sinon  à  se  diviser,  du  moins 
à  se  distinguer  les  unes  des  autres  par  des  tendances  dogmatiques  quel- 
que peu  différentes.  A  Saumur,  Caméron  d'abord  et  après  lui  ses  disci- 
ples, Moïse  Amyraut,  Louis  Gappel  et  Josué  de  la  Place  essayèrent,  pour 
la  première  fois  en  France,  d'adoucir  les  aspérités  de  la  théologie  de 
Calvin,  et  ce  fut  dans  cette  voie  que  marchèrent  en  général  ceux  qui 
leur  succédèrent  dans  les  chaires  de  cette  académie,  entre  autres  Etienne 
Gaussen  (1655-1675)  qui  remplaça  Josué  de  la  Place.  Cet  essai  souleva 
une  vive  opposition  à  Sedan.  Pierre  Dumoulin  (1626-1658)  en  particulier 
n'eut  pas  assez  d'anathèmes  non-seulement  pour  les  innovations  salmu- 
riennes,  mais  encore  pour  les  hommes  qui  les  avaient  proposées.  Samuel 
Desmarets  (1625-1632)  ne  fut  pas  un  moins  ardent  défenseur  du  calvi- 
nisme ;  il  est  vrai  que  ce  fut  surtout  en  Hollande  et  contre  les  armi- 
niens qu'il  se  laissa  entraîner  à  une  polémique  ardente  ;  mais  cet  esprit 
avait  dû  certainement  se  montrer  dans  son  enseignement  à  Sedan.  On 
sait  enfin  avec  quelle  vivacité  Pierre  Jurieu,  soit  à  Sedan  (1674-1681), 
soit  plus  tard  en  Hollande,  s'éleva  contre  tout  ce  qui  lui  paraissait  por- 
ter la  moindre  atteinte  à  des  doctrines  devenues  en  quelque  sorte  tradi- 
tionnelles dans  la  Réforme.  A  Montauban,  on  ne  se  rangea  pas  du  côté 
des  nouveautés  des  professeurs  de  Saumur  ;  mais  on  n'eut  pas  pour  elle 
cette  indignation  et  ces  colères  qui  éclatèrent  à  Sedan.  Ant.  Garissoles 
écrivit  un  gros  volume  contre  la  doctrine  de  Josué  de  la  Place  sur  l'im- 
putation du  péché  d'Adam,  mais  sans  se  permettre  la  moindre  récrimi- 
nation contre  ce  théologien,  sans  même  le  nommer,  et  comme  s'il  se 
fût  agi  d'une  doctrine  anonyme,  il  y  a  plus,  en  passant  sous  silence  ou 
en  adoucissant  ce  qu'il  y  a  d'âpre  ou  de  dur  dans  le  système  de  Calvin. 
Cette  modération  théologique,  et  si  l'on  peut  ainsi  dire,  ce  calvinisme 
adouci  se  retrouvent,  peut-être  encore  plus  prononcés,  dans  les  écrits  de 
Verdier  (1645-1666),  de  Théophile  Arbussy  (1674-1682),  d'Antoine  Pé- 
rès (1660-1685).  Cette  tendance  théologique  moyenne  était  bien  certai- 
nement celle  de  la  grande  majorité  des  Eglises  réformées  de  France  au 
dix-septième  siècle.  C'est  du  moins  ce  qu'on  est  autorisé  de  conclure  de 
la  modération  que  montra  en  1637  le  synode  national  d'Alençon  dans 
l'affaire  de  Testard  et  d'Amyraut  (Aymon,  Synodes  nation.,  II,  571-576), 
et  du  regret  que  manifesta  en  1641  le  synode  national  de  Charenton  de 
voir  continuer  des  discussions  qu'il  faudrait  «  ensevelir  dans  un  perpé- 
tuel oubli  »  (Aymon,  Ibid.,  II,  663).  L'académie  de  Nîmes  suivit  la 
même  voie  que  celle  de  Montauban  ;  elle  refusa  d'entrer  dans  la  lutte, 
et  un  synode  du  bas  Languedoc,  tenu  en  1654  à  Montpellier,  jugea  dan- 
gereux d'agiter  les  questions  irritantes  qui  se  débattaient  entre  Saumur 
et  Sedan,  et  fit  tous  ses  efforts  pour  étouffer  les  divisions  qu'elles 
avaient  provoquées  (Bulletin,  X,  43-49).  C'est  dans  cette  théologie  de 
modération  que  l'enseignement  de  l'académie  de  Die  paraît  s'être  tou- 
jours maintenu.  Etienne  Blanc  (1616-1650)  avait  pris  part  au  rapport 


ACADÉMIES  -  ACCOMMODATION  45 

faii  au  synode  nationa  d'Alençon  sur  Tes  tard  et  Amyraut,  et  ce  rap- 
port avait  conclu  à  un  arrangement  amiable  dans  cette  affaire.  Les  au- 
tres professeurs  de  cette  académie  semblent  avoir  été  animés  de  senti- 
ments semblables.  On  sait  du  reste  qu'à  Die  on  mettait  la  piété  et  la 
pratique  des  vertus  chrétiennes  au-dessus  des  abstractions  sèches  et 

arides  d'une  théologie  SCOlastique.  Michel  Nicolas. 

ACCEPTANTS.  On  désigne  sous  ce  nom  ceux  des  jansénistes  qui  accep- 
tèrent, sans  réserve  aucune,  la  bulle  Unigenitus,  lancée  en  1713,  par 
Clément  XI  contre  les  doctrines  de  Jansénius  et  du  Père  Quesnel,  en  op- 
position avec  les  Appelants  qui  déclarèrent  faire  dépendre  leur  accepta- 
tion de  la  décision  d'un  concile  œcuménique  auquel  ils  en  appelèrent 
(voy.  Jansénisme). 

ACCOMMODATION.  Dire  que  Dieu  s'est  révélé  à  l'homme,  c'est  dire 
qu'il  s'est  mis  à  la  portée  de  sa  créature,  et  s'est  accommodé  à  sa  faiblesse 
tout  .ensemble  intellectuelle  et  morale.  De  là  à  supposer  que  les  organes 
de  la  révélation  divine  ont  fait  des  concessions  aux  préjugés  de  leur 
époque,  et,  par  condescendance,  ont  mêlé  dans  leurs  enseignements 
l'erreur  avec  la  vérité,  le  passage  est  facile.  On  voit  se  produire  chez  les 
Pères  avec  plus  ou  moins  de  hardiesse  l'idée  d'une  accommodation  de  ce 
genre.  (V.  Reinhard  F.-V.  :  Utrum  et  quando  possint  oratores  divini  in 
administrando  suo  munere  demittere  sese  ad  varias  hominum  opiniones. 
Viteb.,  1782.  Réimprimé  dans  ses  Opuscula  Academica,  vol.  I,  p.  475- 
525.   Carus  Fr.-A.  :  Historia    antiquior    sententiarum    ecclesise  grsecx 
de   accommodatione  Christo  imprimis  et  apostolis  tributa.  Lips.,  1793). 
Mais    c'est  surtout   dans  la  seconde    moitié  du  dix-huitième   siècle 
que  cette  supposition  a  été  formulée  en  théorie,  et  a  commencé  à 
jouer  un  rôle   considérable  dans  l'interprétation  du  Nouveau  Testa- 
ment. L'exégèse  dite  historique  florissait.  On  ne  croyait  pas  pouvoir 
donner  aux  paroles  de  Jésus-Christ  un  sens  qui  dépassât  celui  qu'elles 
auraient  eu  dans  la  bouche  de  tel  autre  docteur  de  son  temps.  Ainsi 
compris,  l'enseignement  de  Jésus-Christ  présentait  souvent  des  doctrines 
qu'il  ne  semblait  pas  facile  de  justifier  aux  yeux  de  la  raison.  On  levait 
la  difficulté  en  supposant  que  Jésus-Christ  avait  alors  accommodé  son 
langage  aux    croyances   erronées  de   ses  auditeurs,  comme  fait   un 
maître  prudent  avec  les  enfants  qu'il  doit  former.  Restait  à  prouver  que 
la  doctrine  choquante  avait  été  professée  chez  les  Juifs,  à  quoi  l'on  pou- 
vait toujours  réussir  dans  une  certaine  mesure,  en  ramassant  tout  ce 
qui  y  ressemblait  plus  ou  moins  dans  Josèphe  ou  Philon,  dans  les  Tar- 
gums,  dans  le  Talmud,  etc.  Semler  auquel  on  a  rattaché  la  théorie  de 
l'accommodation,  en  ce  point  comme  en  plusieurs  autres,  n'inventa  pas 
mais  appliqua  en  grand  et  vulgarisa.  Ce  fut  à  propos  des  démoniaques 
qu'il  fit  son  premier  emploi  et  son  premier  exposé  de  l'accommodation, 
déjà  essayée  par  d'autres  [Diss.  de  Dxmoniacis  quorum  in  Evangelio  fit 
mentio     Halle,    1760.     Umstsendliche    Untersucliung    der    dsemonischen 
Leute.  Halle,  1762.  Vorrede  und  Anhang  zu  dem    Versuch  einer  bibli- 
schen  Dsemonologie.  Halle,  1776.   Farmer,  Briefe   an  D.  Worthington 
«h.  d.  J);r/inonischen  in  der  Evangelien  mit  Zusxtzen  und  einer  Vorrede 
den  Begri/f  der  Inspiration  zu  bessern) .  Depuis  il  usa  largement  du  procédé. 


46  ACCOMMODATION 

Tous  ceux. qui  voulaient  se  débarrasser  d'un  enseignement  biblique  gê- 
nant) sans  rompre  avec  l'inspiration  et  l'autorité  de  l'Ecriture,  se  saisirent 
avec  empressement  d'un  moyen  si  facile  de  tout  concilier,  M  cVsl  ainsi 
qu'on  se  mit  à  l'aise  avec  l'enseignement  de  Jésus-Christ  ou  de  ses 
apôtres  sur  sa  dignité  messianique,  sur  la  résurrection  et  le  jugement 
dernier,  sur  l'expiation,  sur  le  premier  et  le  second  Adam,  sur  l'autorité 
de  l'Ecriture,  etc.  Cette  herméneutique  ne  fut  pas  sans  rencontrer  de  l'op- 
position. Dès  le  commencement,  le  chef  de  l'ancienne  école  de  Tu- 
bingue,  Storr  (né  en  1746,  mort  en  1805),  dans  sa  Dissert,  de  sensu  histo- 
rico  et  dans  la  préface  de  sa  Dogmatique  fit  ressortir  ce  que  l'accommo- 
dation ainsi  entendue  avait  de  contraire  à  une  interprétation  véritable- 
ment historique.  Un  débat  assez  vif  s'engagea,  qui  se  poursuivit  jusque 
dans  les  premières  années  de  notre  siècle.  On  peut  voir  en  Bretschnei- 
der  (System.  Entwickelung  aller  in  der  Dogm.  vorkomm.  Begriffe.  1819, 
p.  138-1  M),  l'indication  de  la  plupart  des  ouvrages  qui  furent  le  fruit  de 
cette  controverse.  — On  est  loin  aujourd'hui  d'un  tel  débat  :  le  point  de 
vue  général  a  changé.  On  croirait  plus  facilement  les  auteurs  sacrés  capa- 
bles de  s'être  trompés  avec  les  hommes  de  leur  temps  que  d'avoir  voulu 
les  tromper  pour  les  gagner  :  on  a  plus  de  respect  pour  leur  caractère 
et  moins  de  confiance  en  leur  absolue  infaillibilité.  L'accommodation 
n'est  pas  absolument  niée,  mais  elle  ne  joue  plus  qu'un  rôle  secondaire 
et  fort  extérieur.  On  admet  qu'il  peut  y  avoir  accommodation  dans  la 
forme,  c'est-à-dire  que  les  auteurs  sacrés  ont-pu  se  servir  d'expressions 
ou  de  façons  d'argumenter  dont  ils  sentaient  l'insuffisance,  mais  qui, 
contenant  dans  leur  imperfection  une  portion  de  vérité,  étant  familières 
à  leurs  contemporains,  devaient  mettre  à  la  portée  de  ceux-ci  la  doc- 
trine nouvelle  (Gai.  III,  15  et  ailleurs).  Encore  estime-t-on  que  dans 
bon  nombre  de  cas,  les  auteurs  sacrés  ont  employé  ces  formes  de  lan- 
gage ou  de  démonstration,  simplement  parce  que  ces  formes,  étant 
celles  de  leur  époque  et  de  leur  milieu,  étaient  par  là  même  celles  de 
leur  propre  esprit.  On  admet  des  cas  d'accommodation  négative;  les 
auteurs  sacrés  n'ont  pas  attaqué  de  front  et  à  la  fois  toutes  les  erreurs, 
pas  plus  qu'ils  n'ont  exposé  du  premier  coup  la  vérité  tout  entière.  Ils 
ont  procédé  par  degrés,  par  méthode  pédagogique  (1  Cor.  III,  1-2; 
Hébi\  X,  11-14,  etc.).  Encore  peut-on  souvent  supposer  que,  n'ayant 
reçu  pour  leur  propre  compte  la  vérité  que  d'une  manière  graduelle 
et  successive,  ils  l'ont  enseignée  nécessairement  de  même  façon  aux 
autres.  On  rejette  toute  accommodation  positive.  Personne  n'admet  au- 
jourd'hui que  Jésus-Christ  ou  ses  apôtres  aient  jamais  enseigné,  pour  se 
faire  mieux  écouter,  des  doctrines  qui  étaient  à  leurs  yeux  des  erreurs. 
Une  telle  accommodation  est  contraire  au  sens  manifeste  des  textes,  et 
par-dessus  tout  au  caractère  moral  de  Jésus-Christ  et  de  ses  disciples* 
Descendre  sur  le  terrain  où  se  trouvent  le  juif  et  le  païen  pour  les  élever 
jusqu'à  Christ  (1  Cor.  IX,  20)  ;  laisser  à  la  vérité  le  soin  de  dissiper,  en 
se  développant,  les  erreurs  régnantes  (Matth.XIII,  33);  ne  présenter  de 
cette  vérité  que  la  part  qui  peut  en  être  comprise  et  reçue  (Jean  XVI,  2  ; 
Matth.  XI,  6)  :  ce  n'est  point  la  même  chose  que  de  donner  à  dessein  pour 
vrai  ce  qu'on  tient  pour  faux.  Quand  on  la  porte  ainsi  jusqu'à  Une  adhésion 


ACCOMMODATION  —  ACHAB  M 

positive  à  l'erreur,  l'accommodation  va  à  fin  contraire  de  son  but  qui  est 
de  faire  recevoir  la  vérité  ;  elle  devient  une  simple  question  de  morale,  qui 
doit  être  traitée  dans  le  chapitre  de  la  véracité,  à  l'article  spécial  du  men- 
songe dit  officieux  ou  à  bonne  intention.  On  sait  que  les  Jésuites,  dans 
leurs  missions  de  la  Chine  et  de  l'Inde  ont  pratiqué  l'accommodation 
aux  mœurs  et  aux  croyances  païennes,  avec  un  tel  excès  qu'ils  ont  attiré 
sur  eux  la  condamnation  du  pape  Benoît  XIV.  Toute  leur  casuistique 
est,  du  reste,  inspirée  par  la  préoccupation  de  rendre  la  religion  facile, 
en  accommodant  ses  exigences  aux  faiblesses  de  tous  et  au  genre  de 
vie  de  chacun.  On  peut  consulter  pour  les  commencements  histo- 
riques de  l'accommodation  :  G.-W.  Meyer,  Gesch.  der  Exégèse,  1809, 
vol.  IV,  p.  158-352;  vol.  V,  p.  510  et  passim  ;  quant  à  la  ques- 
tion de  fond,  pour:  Cellérier,  Manuel  d'herméneutique,  1862,  p.  318- 
342;   contre:   S.   Lutz,   BibL  Hermeneutik,    1861,  p.    338-346. 

Charles  Bois. 

ACÉMÈTES  ('Axoipi-uoi,  qui  ne  se  couchent  pas),  moines  qui  se  re- 
layaient par  bandes,  afin  de  continuer  leurs  psalmodies  pendant  le  jour 
et  pendant  la  nuit.  On  fait  remonter  la  fondation  de  leur  premier  mo- 
nastère à  saint  Alexandre,  sur  les  bords  de  l'Euphrate,  à  la  fin  du  qua- 
trième siècle;  ils  s'établirent  à  Constantinople  et  en  divers  autres  lieux, 
jusqu'à  ce  qu'au  milieu  du  sixième  siècle  ils  furent  compris  dans  la 
condamnation  qui  frappa  Nestorius  et  ses  doctrines  auxquelles  ils 
avaient  adhéré.  Le  roi  de  Bourgogne,  Sigismond,  fonda,  en  515,  une 
association  semblable  à  Agaunum  (assiduum  chorum). 

ACHAB  [Akh'âb,  'A^aiê],  fils  et  successeur  d'Omri,  régna  vingt- 
deux  ans  sur  Israël  (917-897).  C'était  un  prince  d'un  caractère  faible, 
irrésolu,  qui  se  laissa  entièrement  dominer  par  sa  femme  Jésabel,  fille 
d'un  roi  de  Sidon  et  entièrement  dévouée  aux  cultes  de  Baal  et  d'Aché- 
rah.  Grâce  à  la  protection  de  la  reine,  les  divinités  phéniciennes  eurent, 
à  Samarie,  des  prêtres  et  des  autels.  Les  prophètes  de  Jéhova  furent 
persécutés;  mais  ceux-ci,  soutenus  par  une  partie  du  peuple,  résistè- 
rent, et  la  lutte  fut  vigoureusement  engagée  contre  le  roi  infidèle  par 
le  prophète  Elie  qui  fit  massacrer  à  la  fois  quatre  cent  cinquante  prêtres 
de  Baal  (1  Rois  XVIII,  40).  Le  même  prophète  alla  menacer  Achab 
jusque  dans  son  palais  de  Jizreël,  dont  il  avait  agrandi  les  dépendances 
en  y  joignant  la  vigne  de  Naboth  (1  Rois  XXI,  1-16).  Le  règne 
d' Achab  fut  troublé  également  par  plusieurs  guerres.  La  première, 
dont  le  livre  des  Rois  ne  fait  pas  mention,  était  dirigée  contre  Moab 
(inscription  de  Mécha)  ;  mais  la  plus  importante  fut  celle  que  soutint 
le  roi  d'Israël  contre  Ben-Adad,  roi  de  Syrie,  et  ses  alliés;  elle  com- 
prend trois  campagnes  :  une  première  fois,  Achab  mit  en  fuite  les 
Syriens  qui  assiégeaient  Samarie  (1  Rois  XX,  1-21)  ;  l'année  suivante,  il 
battit  de  nouveau  Ben-Adad,  et  le  fit  prisonnier,  mais  lui  accorda  la 
vie  sauve,  malgré  les  injonctions  des  prophètes  de  Jéhova  (XX,  26-34); 
les  hostilités  recommencèrent  trois  ans  après,  et  Achab,  allié  avec 
Josaphat,  roi  deJuda,  marcha  contre  Ramoth  de  Galaad;  mais,  confor- 
mément à  ce  qu'avait  annoncé  le  prophète  Michée,  il  fut  tué,  son  armée 
battue,  et  son  cadavre  ramené  à  Samarie  (XXII,  1-38).     • 


48  AGHAIE  —  AGHÉRY 

ACHAIE  ('A/ata),  primitivement  le  district  nord-ouest  du  Péloponèse, 
au  temps  des  apôtres  une  province  romaine  qui  comprenait  l'Hellade  et 
le  Péloponèse  (Actes  XVIII,  12,  1G;  XIX,  21  ;  Rom.  XV,  26;  1  Thess.  I, 
7,  8;  2  Cor.  IX,  2).  Les  Romains  avaient  donné,  dans  le  langage 
administratif,  ce  nom  à  la  Grèce,  parce  que  c'est  au  moyen  de 
la  ligue  achéenne  qu'ils  avaient  soumis  les  autres  Grecs  (Pausan.,  VII, 
xvi,  7).  L'Achaïe,  province  sénatoriale,  était  gouvernée  par  des  pro- 
consuls. 

ACHARD  (Antoine)  (1696-1772),  appartient  à  une  famille  de  réformés 
originaire  de  Die  qui  vint  se  réfugier  à  Genève,  à  la  suite  de  la  révoca- 
tion de  l'édit  de  Nantes.  Achard  fut  appelé  à  Rerlin  pour  y  succéder 
comme  pasteur  à  David  Ancillon.  Il  fut  nommé  membre  de  l'Académie 
royale  des  sciences,  inspecteur  du  collège  et  directeur  de  l'hospice 
français.  Homme  d'érudition  et  orateur  éloquent,  il  a  publié  des  Ser- 
inons dont  quelques-uns  ont  été  traduits  en  allemand.  Les  Mémoires  de 
l'Académie  de  Rerlin  contiennent  de  lui  divers  traités  philosophiques  et 
entre  autres  le  plan  d'une  nouvelle  métaphysique,  inséré  dans  le 
volume  de  1747.  Son  fils,  Frédéric-Charles  Achard  (1754-1821),  fut 
un  chimiste  très -distingué.  C'est  aussi  à  cette  famille,  dont  une 
branche  s'est  fixée  à  Marseille  vers  1820,  qu'appartient  le  célèbre 
romancier  Amédée  Achard  (1814-1875).  Voy.  la  France  protest., 
2*éd.,I,  p.  30. 

ACHAZ  [Akhâz,  'A^aaÇ],  fils  et  successeur  de  Jotham,  monta  sur  le 
trône  de  Juda,  à  l'âge  de  vingt-cinq  ans  (2  Rois  XVI,  2  :  «  20  ans,  » 
le  texte  doit  être  corrigé  d'après  les  LXX  et  la  Péchito).  Il  régna  seize 
ans  à  Jérusalem  (740-724)  et  favorisa  les  cultes  étrangers  (2  Rois  XVI, 
2-4).  A  l'époque  de  la  mort  de  Jotham,  Retzin,  roi  de  Damas,  et  Pécah, 
roi  d'Israël,  faisaient  déjà  la  guerre  au  royaume  de  Juda.  Ils  vinrent 
assiéger  Achaz  dans  Jérusalem,  sans  doute  pour  le  forcer  de  s'unir  à 
eux  contre  les  Assyriens,  et,  s'il  refusait,  mettre  un  autre  roi  à  sa  place 
(«  le  fils  de  Tabeel,  »  Esaïe  VII,  6).  Ils  remportèrent  de  grands  succès, 
s'emparèrent  d'une  partie  du  pays  et  enlevèrent  même  aux  Judéens  le 
port  d'Elath,  sur  la  mer  Rouge,  qu'ils  rendirent  aux  Edomites. 
(2  RoisXVI,6:lireEdômim  au  lieu  de  Arômîm.)  Le  prophète  Esaïe 
soutint  le  courage  des  assiégés  en  promettant  une  délivrance  prochaine 
(VII,  VIII),  mais  il  ne  put  empêcher  Achaz  d'acheter,  au  prix  des  trésors 
du  temple  et  du  palais,  le  secours  de  Thiglat-Pileser,  roi  d'Assyrie,  qui 
vint  conquérir  plusieurs  provinces  du  royaume  d'Israël  (voy.  Pécah). 
Le  roi  de  Juda  devint  par  suite  une  sorte  de  vassal  des  Assyriens  et  dut 
aller  jusqu'à  Damas  rendre  ses  hommages  à  Thiglat  Pileser;  là  il  vit 
un  autel  qu'il  fit  copier  pour  remplacer  l'ancien  autel  du  temple  de  Jéru- 
salem (2  Rois  XVI,  10-16).  Ces  divers  événements  sont  racontés  par  le 
livres  des  Chroniques  d'une  manière  assez  différente  (2Chron.  XXVIII), 
mais  la  relation  du  livre  des  Rois  semble  plus  historique.  Achaz  mourut, 
laissant  le  trône  à  Ezéchias. 

ACHÉRY  (dom  Luc  d'),  savant  bénédictin,  né  à  Saint-Quentin  en  1609, 
mort  à  Paris  en  1685,  entra  dans  la  congrégation  de  Saint-Maur  et 
exerça,  pendant  quarante-cinq  ans,  les  fonctions  de  bibliothécaire  de 


AGHÉRY  —  ACOSTA  49 

l'abbaye  de  Saint-Germain-des-Prés.  Egalement  distingué  par  sa  piété 
sincère  et  modeste  et  par  son  zèle  littéraire  infatigable,  il  collectionna, 
mit  en  ordre  et  publia  un  nombre  considérable  d'œuvres  inédites,  parmi 
lesquelles  des  chroniques,  des  vies  de  saints,  des  traités  ascétiques,  des 
actes,  des  chartes  et  des  lettres  d'un  certain  prix.  On  peut  dire  qu'il 
dressa  un  inventaire  de  toutes  les  richesses  littéraires  disséminées  dans 
les  diverses  abbayes  de  son  ordre.  Parmi  ses  publications  nous  citerons 
la  lre  édition  deYFpitre  de  Barnabas  (Paris,  1645,  in-4°);  les  Œuvres 
complètes  de  Lanfranc  de  Cantorbéry  (1648,  in-f°)  ;  celles  de  Guibert 
de  Nogent  (1651,  in-f°);  le  Spicilegium  veterum  aliquot  scriptorum, 
qui  in  Gallix  Bibliothecis,  maxime  Benedictorum,  supersunt  (1655-1677, 
13  vol.  in-4°,  réimprimé,  augmenté  et  mis  en  ordre  par  J.  de  la  Barre, 
en  1724-,  3  vol.  in-f°);  les  Acta  Sancto?*um  ordinis  S.  Benedicti,  pour 
lesquels  d'Achéry  fournit  les  matériaux  et  dont  Mabillon  s'attribua  tout 
le  mérite. 

ACHIS  [Akîch,  'Ayyjç,  'Ay^ouç],  roi  philistin  de  Gath,  chez  lequel 
David,  fuyant  devant  Saùl,  se  réfugia  par  deux  fois.  Une  première  fois 
(1  Sam.  XXI,  11-16),  David  fut  obligé  de  contrefaire  le  fou  pour  échapper 
à  la  vengeance  des  Philistins  ;  il  fut  mieux  reçu  lors  de  son  second  séjour 
chez  Achis  (1  Sam.  XXVII,  2;  XXVIII,  2;  XXIX,  1-11),  qui  lui  donna  la 
ville  de  Tsiklag,  l'admit  dans  son  armée  et  lui  confia  même  la  garde  de 
sa  personne.  Achis,  sur  la  demande  de  ses  officiers  et  malgré  les  pro- 
testations de  David,  le  renvoya  pourtant  à  Tsiklag  au  début  de  la  cam- 
pagne contre  Israël,  où  Saùl  et  Jonathan  devaient  trouver  la  mort.  On 
ne  peut  dire  si  le  roi  de  Gath  Achis,  dont  il  est  question  1  Rois  II,  40, 
est  le  même  que  le  protecteur  de  David,  lequel  se  trouve  appelé  Abi- 
mélech  Ps.  XXXIV,  1. 

ACHITOPHEL  [Akhîtophèl,  'AxwfyeX],  dont  les  conseils,  à  une 
certaine  époque,  jouissaient  auprès  de  David  du  même  crédit  que  la 
«  parole  de  Dieu  »  (2  Sam.  XVI,  23),  ne  resta  pas  fidèle  à  son  maître 
jusqu'à  la  fin  :  entraîné  probablement  dans  le  mouvement  de  réaction 
provoqué  par  la  politique  intérieure  de  David,  il  se  rangea  du  côté 
d'Absalon  (2  Sam.  XV,  31)  ;  puis,  voyant  que  ses  conseils  n'étaient  pas 
suivis  et  augurant  mal  du  succès  de  l'entreprise,  «  il  regagna  sa  maison, 
mit  ordre  à  ses  affaires  et  s'étrangla  »  (2  Sam.  XVII,  23). 

ACOLYTES  ('AkoXouSoç,  celui  qui  suit,  qui  accompagne).  Ce  nom 
désignait,  à  partir  du  troisième  siècle,  dans  l'Eglise  d'Occident,  les 
jeunes  clercs  dont  l'office  était  de  faire  les  messages  des  évêques  et 
d'aider  au  service  de  l'autel.  Le  Pontificale  romanum  règle  ainsi  ces 
dernières  fonctions  :  «  Ceroferarium  ferre,  luminaria  ecclesiœ  accendere, 
vinum  et  aquam  ad  Eucharistiam  ministrare.  »  Aujourd'hui,  l'exercice 
de  ces  fonctions  a  presque  partout  passé  aux  mains  des  sacristains  et 
des  enfants  de  chœur,  c'est-à-dire  des  laïques,  mais  le  nom  d'acolyte 
est  resté  pour  désigner  le  premier  des  quatre  ordres  mineurs  de 
l'Eglise. 

ACOSTA  (Gabriel,  puis  Uriel),  né  à  Porto,  vers  la  fin  du  seizième 
siècle,  de  parents  chrétiens  d'origine  juive,  étudia  avec  ardeur  dans  sa 
jeunesse  la  théologie  et  la  jurisprudence  (il  est  aussi  appelé  Uriel 
i.  4 


50  AGOSTA  —  ACRE 

jvrista).  Animé  dune  piété  fervente,  il  se  livrait  à  toutes  les  pratiques 
de  la  dévotion;  niais  bientôt  saisi  par  le  doute,  il  crut  devoir  retourner 
à  la  religion  de  ses  pèies.  Il  quitta  le  Portugal  avec  sa  famille  qu'il  avait 
convertie,  changea  son  nom  de  baptême  Gabriel  en  celui  d'Uriel,  et 
vint  demeurer  a  Amslerdam,  où  il  fit  profession  publique  de  judaïsme. 
Acosta  ne  tarda  pas  à  découviir  que  le  judaïsme  moderne  s'écartait  en 
bien  des  points  de  la  loi  mosaïque,  exprima  hautement  ses  doctrines 
antirabbiniques  et  s'attira  ainsi  l'anathème  de  la  synagogue.  Il  écrivit 
alors  un  livre  contre  l'immortalité  de  l'âme,  où  il  comparait  les  tradi- 
tions pharisiennes  avec  la  loi  écrite  (Examen  tradùionum  phar/'s. 
Vmst.,  1023).  Cet  ouvrage  fut  réfuté  par  le  médecin  Sam.  de  Silva  et 
valut  à  son  auteur  d'être  condamné  à  la  prison  par  les  tribunaux  d'Ams- 
terdam. En  butte  pendant  près  de  quinze  ans  à  des  persécutions  de 
toute  nature,  devenu  indiffèrent  au  judaïsme  aussi  bien  qu'au  christia- 
nisme, il  se  résigna,  pour  obtenir  quelque  tranquillité,  à  faire  amende 
honorable  et  à  subir  le  châtiment  que  la  synagogue  voudrait  lui  impo- 
ser. Il  désavoua  publiquement  ses  eireurs,  et,  dépouillé  jusqu'à  la  cein- 
ture, attache  à  une  colonne,  il  fut  battu  de  verges;  puis  on  le  coucha 
sur  le  seuil  de  la  synagogue  et  les  membres  de  la  communauté  lui  mar- 
chèrent sur  le  corps.  Acosta  ne  put  supporter  une  telle  humiliation,  et, 
à  la  suite  d'une  tentative  de  meurtre  contre  son  cousin  qui  l'avait  dé- 
cidé à  se  soumettre,  il  se  tua  d'un  coup  de  pistolet  (1611).  On  trouva 
dans  ses  papiers  une  sorte  d'autobiographie  intitulée  :  Exempta?'  vilse 
humanse,  qui  a  été  publiée  par  le  théologien  protestant  Limborch  à  la 
fin  de  son  Arnica  cdlatio  cum  erudito  judaeo  de  veritate  retigionis  chris- 
tianse  (Gonda,  1687,  in-4°). 

ACRE  (SAINT-JEAN-D')  [/Akkô,  "Av.yw,  "Ay.vj,  Ptolémaïs,  sur  les 
pylônes  de  Karnak,  Aaka],  port  situé  sur  le  golfe  qui  est  au  nord  du 
Garmel  et  à  l'entrée  de  la  petite  vallée  du  même  nom.  Cette  place  a 
toujours  été  d'une  importance  capitale,  parce  quelle  dominait  la  vallée 
de  Jizreel  et  était  la  clef  de  la  route  de  Damas.  Aussi  les  Hébreux  n'ont- 
ils  jamais  réussi  à  s'en  emparer;  elle  est  citée  (Juges  I,  31)  parmi  les 
villes  qui  n'ont  pu  être  prises  par  eux,  puis  il  n'en  est  plus  fait  mention 
dans  l'Ancien  Testament,  si  ce  n'est  peut-être  Miehee  I,  10.  Akko  a 
toujours  appartenu  à  la  Phénieie,  comme  le  prouvent  ses  monnaies 
(Gesenius,  iSionvm.,  p.  296  ss.).  Après  Alexandre,  elle  passa  aux  Ptolé- 
mees,  à  qui  elle  dut  son  nouveau  nom  de  Ptolémaïs,  puis  à  Antiochus 
le  Grand.  Sous  les  Macchabées,  elle  devint  la  base  d'opérations  des  Sy- 
riens. Simon  tâcha  en  vain  de  s'en  emparer  (1  Mac.  V,  22);  plus  tard, 
Alexandre  Bala,  pour  se  concilier  Jonathan,  ne  sut  mieux  faire  que  de 
la  lui  offrir  (I  Mac.  X,  39).  Après  avoir  été  quelque  temps  indépen- 
dante, elle  tomba  aux  mains  des  Syriens,  puis  passa,  avec  toutes  leurs 
possessions,  aux  Romains.  Ptolémaïs  n'est  mentionnée  qu'une  fois  dans 
le  Nouveau  Testament,  à  propos  du  dernier  voyage  de  saint  Paul  à 
Jérusalem  (Actes  XXI,  7),  puis  elle  rentre  dans  le  domaine  de  l'histoire 
profane.  Pourtant,  dans  les  actes  des  conciles,  on  voit  figurer  à  diffé- 
rentes reprises  des  évêques  de  Ptolémaïs,  l'un  d'entre  eux  même  parmi 
les  évêques  de  Phénieie.  Elle  est  la  dernière  ville  qui  ait  offert  une 


ACRE  —  ACTA  SANGTORUM  M 

résistance  sérieuse  aux  Sarrasins.  Sa  chute  entraîna  la  perte  du  reste  de 
la  Palestine  (18  mai  1291).  Pendant  les  croisades,  elle  avait  changé  son 
nom  d'Akka,  qui  lui  avait  été  rendu  par  les  Arabes  en  638,  contre  celui 
de  Saint-Jean  d'Acre,  à  cause  d'une  église  fort  importante  que  les  che* 
valiers  de  Saint- Jean  y  possédaient  (voy.  Josèphe,  Antiq.,  Xll,  8,  2; 
Xlïi,  12,  2  et  passim;  de  Bel/a  Jad.,  II,  10,  2;  Wilken,  Gesch.  der  Kreuz-r 
ziïge,  vol.  II  et  VII;  Reland,  Pal.  sub.  voc.  Acco;  Rosenmuller,  Bibl. 
Alterlhum^hunde,  II,  2.  p.  60-66  et  not.  139;  Renan,  Mission  de  Phéni- 

cic,  752  SS.).  Ph.  Berger. 

ACTA  SANCTORUM.  On  comprend  d'ordinaire  sous  le  nom  générique 
<l  \ctesdes  saints,  les  écrits  de  nature  très-diverse  qui  nous  racontent 
leur  vie,  leur  mort,  la  translation  de  leurs  reliques,  les  miracles  accom- 
plis par  leurs  vertus,  en  un  mot  toutes  les  œuvres  hagiographiques.  Ce 
n'est  toutefois  que  depuis  la  publication  du  grand  recueil  des  Bollandistes 
que  le  mot  Acta  a  pris  cette  extension.  Il  était  anciennement  réservé 
aux  Ada  martyrum  et  les  autres  œuvres  portaient  les  titres  de  Viise, 
Translationes,  Miracula.  L'expression  Acta  a  en  effet  le  sens  spécial 
et  pour  ainsi  dire  technique  d'acte  officiel,  de  procès-verbal  juridique. 
Elle  ne  devrait  s'appliquer  qu'aux  documents  relatant  les  poursuites 
dont  les  chrétiens  ont  été  l'objet  et  le  supplice  qu'ils  ont  subi.  Les  Acta 
martyrum  ont  la  prétention  d'être  des  récits  absolument  authen- 
tiques et  véridiques  des  martyres  chrétiens.  C'est  par  un  abus  de  lan- 
gage et  par  une  inexactitude  grammaticale  qu'on  a  confondu  Acta 
avec  Actus  et  qu'on  a  donné  à  l'expression  Actes  des  martyrs  le 
même  sens  qu'à  Actes  des  apôtres  (Actus  apostolorum,  faits  et  gestes  des 
apôtres). 

I.  Acta  martyrum.  La  mort  des  martyrs  a  donné  naissance  à  deux  sortes 
d'écrits  ;  les  Actes  proprement  dits  qui  sont  des  récits  plus  ou  moins  déve- 
loppés des  persécutions  et  des  supplices  que  les  martyrs  ont  eu  à  endurer, 
appelés  d'ordinaire  dans  les  textes  anciens  P.jssiones  snnctorum,  Gesta 
tiartyrum,  réunis  fréquemment  dans  des  recueils  suivant  l'ordre  des 
jours  de  l'année  (ces  recueils  étaient  appelés  Paumnarh\  Passionaria, 
Passionnaires)  ;  et  les  martyrologes  (Martyrologia)  ou  catalogues  des 
martyrs  classés  aussi  d'après  les  jours  de  l'année  (de  là  leur  nom  de 
Kalendariu)  dans  lesquels  la  sèche  mention  de  la  mort  d'un  martyr  s'est 
parfois  peu  à  peu  accrue  par  des  remaniements  successifs  jusqu'à  former 
un  récit  plus  ou  moins  développé  et  orné.  Ce  mot  de  martyrologe  a 
du  reste  rapidement  perdu  son  sens  primitif;  on  a  compris  dans  les 
martyrologes  tous  les  saints,  qu'ils  fussent  morts  martyrs  ou  non;  et 
enfin  martyrologe  est  devenu  synonyme  de  nécrologe  ou  d'obituaire. 
Quant  aux  Diptyques  (Diptycha,  tabellse  rpisco/m'es,   episcoporum,  mor- 
h'oram),  ce  n'étaient  point  à  proprement  parler  des  listes  de  martyrs, 
mais  de^  listes  dressées  pour  chaque  Eglise   des  évéques  ou  d'autres 
personnages  renommés  pour  leur  sainteté  et  dont  le  nom  était  iu  aux 
offices.  Cette  inscription  sur  les  diptyques  fut  le  point  de  départ  des 
canonisations    officielles.  Chez   les    Grecs   on    appela    Menologia    les 
martyrologes,  et  Menxa  les  offices   des   saints  contenant    un   récit 
du   leur   vie   et  de  leur  mort.   —   Il  n'est   pas   probable   qu'aucune 


52  ACTA  SANCTORUM 

des  compositions  à  la  fois  littéraires  et  édifiantes  qui  nous  sont  parve- 
nues sous  le  nom  d'Actes  des  martyrs  remonte  à  l'époque  des  persé- 
cutions et  soit  antérieure  au  quatrième  siècle  de  notre  ère  ;  soit  que 
les  écrits  de  ce  genre  aient  tous  été  détruits  par  les  persécutions  et  en 
particulier  par  celle  de  Dioctétien  (Arnobe,  Adversus  nationes,  IV,  36), 
soit  plutôt  que  pendant  cette  période  militante  on  n'ait  point  eu  le 
temps  de  s  adonner  à  ces  exercices  de  style,  et  qu'on  se  soit  con- 
tenté de  raconter  les  souffrances  et  la  mort  des  martyrs  dans  des  lettres 
écrites  par  les  Eglises  persécutées  aux  frères  des  autres  Eglises  pour  les 
exhorter  à  suivre  ces  saints  exemples  et  pour  les  encourager  dans  la  foi. 
Eusèbe  nous  a  conservé  plusieurs  lettres  de  ce  genre.  Les  persécutions 
exercées  sous  Marc-Aurèle  contre  l'Eglise  de  Smyrne  en  167  et  contre 
celle  de  Lyon  en  177  nous  sont  racontées  dans  deux  lettres  adressées  par 
ces  Eglises  aux  Eglises  d'Asie  et  qui  sont  les  deux  plus  anciens  documents 
de  la  littérature  hagiographique  (Histoire  ecclésiastique,  IV,  15,  et  V,  1). 
Eusèbe  cite  également  une  lettre  de  l'évêque  Denys  d'Alexandrie  sur  les 
martyrs  d'Egypte  (ibid.,VI,  31,  32).  De  nombreux  écrits  sur  les  martyrs 
se  trouvaient  aussi  dans  des  écrits  d'un  caractère  plus  général,  tels  par 
exemple  que  les  Commentaires  d'Hégésippe  (Eusèbe,  Hist.  eccl.,  III,  32)  ou 
les  Lettres  de  Cyprien.  Il  semble  de  plus  que  dès  le  troisième  siècle 
chaque  Eglise  avait  soin  de  tenir  registre  de  ses  martyrs,  car  Cyprien 
recommande  de  bien  noter  le  jour  de  leur  mort  pour  pouvoir  ensuite 
les  célébrer  (Epistola  12;  Eusèbe,  Hist.  eccl.,  VIII,  14).  Ces  mentions 
étaient  peut-être  accompagnées  de  quelques  mots  sur  leur  vie  ou  leur 
mort;  mais  il  semble  qu'il  s'agisse  ici  plutôt  de  simples  martyrologes. 
Eusèbe  dans  son  Histoire  ecclésiastique  ne  fait  pas  mention  d'Actes  pro- 
prement dits,  et  les  Actes  concernant  les  plus  anciens  martyrs,  ceux  de 
saint  Ignace,  de  sainte  Symphorose,  de  sainte  Félicité,  de  saint  Justin,  de 
saint  Symphorien,  des  saints  Alexandre  et  Epipodius,  ne  sont  évidem- 
ment pas  contemporains  des  faits  qu'ils  racontent.  Aucun  d'eux  n'est 
antérieur  au  quatrième  siècle.  Il  ne  faudrait  cependant  pas  en  conclure 
que  les  faits  qu'ils  contiennent  sont  absolument  faux,  car  les  petites 
sociétés  persécutées  conservent  leurs  traditions  avec  une  singulière 
ténacité,  et  l'on  a  pu  par  les  inscriptions  vérifier  l'exactitude  d'événe- 
ments rapportés  par  des  Actes  évidemment  apocryphes  (Voy.  pour  les 
Actes  de  sainte  Félicité  les  observations  de  M.  Leblant  dans  les  Comptes 
rendus  de  l'Académie  des  inscriptions,  1875,  p.  138).  C'est  pendant  les 
quatrième,  cinquième  et  sixième  siècle  que  furent  composés  la  plupart 
des  Acta  martyrum. — Eusèbe  de  Césarée  (267-338)  est  pour  la  littérature 
hagiographique  comme  pour  tous  les  autres  genres  de  compositions 
littéraires  le  maître  des  siècles  postérieurs.  Son  Histoire  ecclésiastique 
est  à  vrai  dire  une  histoire  des  martyrs  ;  le  huitième  livre  en  particulier 
est  tout  entier  consacré  à  la  grande  persécution  de  Dioclétien.  Il  avait 
de  plus  composé  un  ouvrage  spécial  sur  les  anciens  martyrs  àp/aitov 
{Aapîupwv  auvayioYY]  (Hist.  eccl.,  IV,  15),  qui  a  été  perdu  de  bonne 
heure  et  n'existait  plus  à  la  fin  du  sixième  siècle  (Grégoire  le  Grand, 
Epist.,  VIII,  29).  Ces  récits  sur  les  martyrs  ont  aussi  revêtu  la  forme 
poétique,  par  exemple  dans  le  Peristephanon  de  Prudence  (né  vers  348), 


AGTA  SANCTORUM  53 

qui  se  compose  de  quatorze  hymnes  en  l'honneur  des  martyrs  où  il 
raconte  leur  passion  (Ed.  Dressel,  Leipzig,  1860).  — Nous  ne  savons  pas 
à  quelle  époque  l'usage  s'introduisit  de  réunir  les  Actes  des  martyrs 
suivant  Tordre  du  calendrier  dans  les  Passionnaires,  mais  il  est  pro- 
bable qu'il  remonte  assez  haut,  car  dès  le  quatrième  siècle  on  lisait 
dans  les  églises  les  Passions  des  saints  (Concile  de  Carthage,  397,  c.  47  ; 
Attonis  episcopi  capitulare,  c.  58;  Canones  saxonici  jElfrici  ad  Vulfî- 
num  episc.  c.  21;  Epist.  Buggx  ad  Bonifacium  moguntinum  episcop.; 
Avîtus  Viennensis  ep.,  éd.  Sirmond,  II,  97).  Quelques  esprits  prudents,, 
comme  le  pape  Gélase  au  concile  de  Rome  de  494,  essayèrent  bien  de 
mettre  le  clergé  en  garde  contre  les  innombrables  falsifications  qui  sous 
le  voile  de  l'anonyme  se  glissaient  dans  ces  œuvres  hagiographiques,  et 
d'en  interdire  la  lecture  publique  ;  mais  toutes  les  Eglises  furent  de  l'avis 
de  saint  Ferréol  d'Uzès  qui  écrivait  au  chapitre  18  de  sa  Règle  :  «  Gesta 
martyrum,  i.  e.  Passiones  sanctorum  fidelium,  quodam  compaginata 
studio  et  sermone  digesta  sunt,  tempore  quo  nobis  diem  migrationis 
eorum  anni  meta  cursus  sui  legibus  représentât,  recenseri  in  oratorio, 
audientibus  cunctis,  omnino  decernimus.  »  Cf.  Du  Cange,  Glossarium, 
\°Passionarius.  De  ces  lectures  publiques  est  venue  l'expression  de  legenda 
appliquée  aux  récits  de  la  vie  et  de  la  mort  des  saints  lus  aux  offices 
(en  grec  auva^àpia);  de  là  legendarius,  fr.  légendier.  «  Legendarius, 
dit  G.  Durand  dans  son  Rationale  divinorum  offtciorum,  liv.  VI,  ch.  I, 
n°  29,  vocatur  liber  ille,  ubi  agitur  de  vita  et  obitu  confessorum,  qui 
legitur  in  eorum  festis,  martyrum  autem  in  Passionariis.  »  —  Les  mar- 
tyrologes, c'est-à-dire  les  simples  listes  de  martyrs,  classés  d'après  le 
calendrier  remontent  comme  nous  l'avons  déjà  vu  par  les  paroles  de 
Cyprien  à  une  assez  haute  antiquité.  A  la  fin  du  sixième  siècle  Grégoire 
le  Grand  en  parle  en  termes  très-précis  :  «  Nos  autem  psene  omnium 
martyrum  distinctis  per  dies  singulos  passionibus  collecta  in  uno  codice 
nomina  habemus,  atque  quotidianis  diebus  in  eorum  veneratione  Missa- 
rum  solennia  agimus,  non  tamen  in  eodem  volumine  quis  qualiter  sit 
passus  indicatur,  sed  tantummodo  nomen  et  dies  passionis  ponitur.  » 
Epist.  VII,  29.  Cf.  Du  Cange,  v°  Martyrologium.  Dans  le  Chronographe 
de  354  dont  le  manuscrit  est  à  Vienne  et  qui  a  été  publié  par  M.  Momm- 
sen  [Abhandlungen  der  kgl.  Sxchs.  Gesellsch.  der  Wissenschaften  in 
Leipzig,  I,  1850,  p.  661)  se  trouve  le  plus  ancien  martyrologe  connu  et 
daté.  11  est  spécial  à  l'Eglise  de  Rome.  Ruinart  a  publié  dans  ses  Acta 
martyrum  (p.  541)  deux  martyrologes  qu'il  fait  remonter  l'un  au 
quatrième,  l'autre  au  cinquième  siècle,  et  qui  sont  spéciaux,  le  premier 
à  l'Eglise  de  Rome,  et  le  second  à  celle  de  Carthage.  Mais  de  très-bonne 
heure  les  martyrologes  cessèrent  d'être  particuliers  à  une  Eglise  et 
continrent  les  noms  des  principaux  martyrs  sans  distinction  d'origine. 
Tel  était  sans  doute  celui  dont  parle  saint  Grégoire,  tels  sont  ceux  qui 
nous  sont  parvenus  sous  le  nom  de  saint  Jérôme,  mais  que  rien  n'auto- 
rise à  lui  attribuer  et  qui  d'ailleurs  présentent  dans  les  divers  manuscrits 
les  plus  grandes  divergences.  Le  nom  de  saint  Jérôme  a  été  tout  natu- 
rellement appliqué  à  ces  catalogues  parce  qu'il  était  pour  l'Eglise  latine 
le   plus  éminent  représentant  des  traditions  ecclésiastiques  et  de  la 


AGTA  8ANCT0RUM 

littérature  sacrée  (Ed.  Fiorentini,  Lucques,  1668  ;  d'Achéry,  Spicilegium, 
II,  1-13;  Martène,  Thésaurus,  III,  1547).  A  ce  martyrologe  se  rattache  le 
Martyrologium  Romanum  vetustius  seu  parvum  (publié  par  Valois  à  la  suite 
d'Eusèbe,  Paris,  1631),  in-f"  et  par  H.  de  Roswev  avee  les  martyrologes 
d'Adon  et  de  Baronius,  Anvers,  16l3:in-f(,)et  le Martyrologium  Gellonense 
(du  monastère  de  Gellone)  écrit  vers  804  et  F  un  des  plus  estimés  fpubl.  par 
d'Achévy,  Spicilcgium,  XIII,  388,  et  par  Sollerius,  A  A.  SS.,  juin,  t.  VI).— 
Pendant  ce  temps  les  martyrologes  revêtaient  au  nord  de  l'Europe  des 
formes  plus  développées  et  accueillaient  des  traditions  plus  ou  moins 
légendaires.  Le  point  de  départ  de  cette  nouvelle  série  est  le  martyro- 
loge de  Bède  dont  le  texte  primitif  ne  nous  a  pas  été  conservé,  mais  qui  a 
servi  de  canevas  aux  martyrologes  plus  étendus  encore  de  Florus  (sous- 
diacre  à  Lyon  au  neuvième  siècle  ;  édité  dans  les  œuvres  de  Bède,  dans 
les  A  A.  SS.,  mars,  II,  p.  XIII;  etc)  ;  de  Wandalbert,  moine  à  Prum  vers 
831,  quia  mis  envers  l'œuvre  de  Bède  en  l'amplifiant  (d'Achéry,  S  pic?!.,  I, 
303.  Msà  Paris.  Bibl.  nat.  2332);  de  Raban  Maur  abbé  de  Fulda  (v. 
845;  Ganisius,  Lectiones  antiquse,  2e  éd.,  II,  2,  314);  d'Adon  de  Vienne 
(859-874.  Cf.  supra  Mort.  Rom,,  parv.);  de  Husward,  moine  de  Saint- 
Germain-des-Prés  (875.  Ed.  Sollerius  Al.  SS.,  juin  VI  et  VII);  enfin  de 
Notker  le  Bègue,  le  maître  de  l'Ecole  de  Saint-Gall  (f  912.  Canisius,  2  éd. 
II,  3,  89).  —  Quant  au  grand  Martyrologe  romain  composé  par  Baronius 
par  ordre  de  Grégoire  XIII  et  publié  sous  Sixte-Quint  (Rome,  1586,  in-f°) 
ce  n'est  qu'une  compilation  pleine  des  plus  graves  erreurs.  —  Ruinart 
a  donné  en  1689  une  édition  des  Actes  des  martyrs  qui  fait  encore 
aujourd'hui  autorité  bien  qu'il  soit  loin  d'avoir  poussé  le  scepticisme 
critique  assez  loin  :  Actn  primorum  martyrum  sincera  et  selfcta,  ex  Hbrii 
cum  cditis  tnm  manuscriptù  collecta,  <ruta  vel  emrndala,  notisque  et  obser- 
vationibus  illustrata.  Paris,  1689,  in-f°  ;  réédité  avec  des  additions  à  Ams- 
terdam 1713,  et  à  Vérone  1731.  Une  traduction  française  en  a  été  donnée 
par  Drouet  de  Maupertuis,  Paris,  1708,  in-8".  Ruinart  a  mis  en  tête  de  son 
ouvrage  une  préface  générale  très-importante  où  il  expose  ses  principes 
de  critiqué  et  réfute  Dodwell  qui  dans  ses  Dissertations  sur  saint  Cyprien 
(1682)  avait  cherché  à  diminuer  l'importance  des  persécutions  contre 
les  chrétiens.  Voyez  aussi  l'ouvrage  de  M.  Aube,  Histoire  des  persécu- 
tions de  l'Eglise  jusqu'à  la  fin  des  Antonins,  Paris,  1875,  in-8°,  qui 
reprend  la  thèse  de  Dodwell.  Pour  la  liste  complète  des  martyrologes, 
voy.  Potthast,  Bibliotheca  hislorica  medii  sévi,  1,  436  ss.  Pour  la  cri- 
tique des  martyrologes,  voy.  l'Introduction  de  Sollerius  au  Martyrolo- 
gium Usuardi,  dans  lès  A  A.  SS.  juin  VI;  Piper,  Die  Kalendarien  und 
Martyrologien  d<r  Angelsachsen,  Berlin,  1862,  in-8j;  et  G.  de  Smet,  ln- 
troductio  ad  historinm  eccies.,  Louv.,  1876. 

Iï.  Acta.  Sanctorum.  La  littérature  biographique  a  pris  avec  le  christia- 
nisme un  immense  développement.  Les  écrivains  païens  ont  sans  doute, 
surtout  à  l'époque  impé;iale,  écrit  des  biographies,  et  il  suffit  de  rappe- 
ler les  noms  de  Suétone,  Plutarque,  Diogène  Laerce,  Philostrate;  mais 
la  religion  nouvelle,  en  détachant  les  chrétiens  de  tous  les  intérêts  tem- 
porels j  en  leur  faisant  considérer  avec  mépris  les  événements  généraux 
de  la  vie  laïque  et  publique,  donna  une  valeur  infinie  aux  vertus  et  aux 


AGTA  SANCTORUM  55 

actions  individuelles  des  personnages  religieux.  Durant  les  premiers 
siècles,  la  vie  et  la  mort  des  prédicateurs  et  des  martyrs  étaient  seules 
dignes  d'occuper  l'attention  des  chrétiens  ;  plus  tard,  les  moines,  enfer- 
més dans  leur  couvent,  et  même  les  prêtres  d'une  église  épiscopale, 
pouvaient  rarement  étendre  leurs  regards  vers  le  monde  extérieur,  com- 
prendre la  vie  politique  et  s'y  intéresser.  Ce  qui  les  touchait,  c'était  le 
souvenir  des  hommes  saints  et  illustres  dont  la  vertu  leur  servait  de 
modèle.  Parla  sainteté,  par  son  union  avec  Dieu  et  l'Eglise,  par  la  perpé- 
tuité de  son  action  sans  cesse  renouvelée  dans  les  miracles  qu'opé- 
raient ses  reliques,  la  vie  de  l'individu,  la  vie  du  saint  acquérait  une  valeur 
générale  et  durable.  Sa  vie,  sa  mort,  ses  miracles,  composaient  souvent 
l'histoire  tout  entière  d'un  monastère  ou  d'une  Eglise.— Cette  littérature 
biographique  commence  à  l'origine  même  du  christianisme.  Les  trois 
premiers  évangiles  et  les  Actes  des  apôtres  sont  des  écrits  hagiographi- 
ques,semblables  à  bien  des  égards  à  ceux  du  moyen  âge.  Mais  en  dehors 
des  écrits  relatifs  aux  fondateurs  mêmes  du  christianisme,  les  trois  pre- 
miers siècles  ont  été  trop  troublés  pour  qu'on  se  soit  attaché  à  écrire 
d'autres  biographies,  ou  si  on  l'a  fait  pour  quelques-uns,  ces  écrits  se 
sont  perdus.  C'est  au  sixième  siècle  que  la  littérature  hagiographique 
se  développe  tout  à  coup,  à  la  fois  en  Orient  et  en  Occident.  Nous 
retrouvons  à  son  origine  les  noms  des  deux  hommes  qui  sont  les  pères 
de  toute  la  littérature  ecclésiastique  du  moyen  âge,  Eusèbe  et  saint 
Jérôme.  Nous  avons  perdu  la  Vie  de  saint  Pamphile  par  Eusèbe 
[H Ut.  ecci,  VI,  23;  VII,  29);  mais  nous  avons  conservé  les  trois 
Vies  de  saint  Paul  Ermite,  de  saint  Hilarion,  et  du  solitaire  Malchus, 
par  saint  Jérôme,  qui  avait  aussi  traduit  du  grec  la  Vie  de  saint 
Antoine,  par  saint  Athanase.  Le  nombre  de  Vies  de  saints  alla  rapi- 
dement en  augmentant,  et  bientôt  on  compose  des  recueils  conte- 
nant la  vie  d'une  série  de  saints.  Tels  sont  le  Pamdisus  d'Heraclides  et 
Y  Histoire  Lusiaque,  Aausaïxov,  par  Pallade  de  Galatie,  écrits  au  com- 
mencement du  quatrième  siècle.  L 'Histoire  Inusiaque  contient  l'histoire 
des  ermites  et  moines  d'Orient.  Traduite  par  Rufin  d'Aquilée  (milieu  du 
quatrième  siècle),  sous  le  titre  de  Vitœ  Patrum  ou  flistona  eremitica, 
elle  eut  une  grande  réputation  au  moyen  âge,  et  jusqu'au  dix-sep- 
tième siècle  (Ed.  Héribert  de  Roswey,  Anvers,  1615,  in-f").  Un  peu  plus 
tard,  Jean  Moschus  (f  v.  620),  écrit  une  Vie  des  moines  jusqu'à  l'époque 
d'Héraclius,  sous  le  titre  de  Àsi^wv  ou  vsb;  Tuapasico;  {Bibl.  Patrum,  Pa- 
ris, 1644,  t.  XÏV).  En  Occident,  pendant  ce  temps,  les  Vies  de  saints  se 
multipliaient.  En  Gaule  la  première  Vie  de  saint  gallo-romain,  celle  de 
saint  Martin  de  Tours  (f  397),  est  écrite  par  son  disciple  Sulpice-Sévère, 
{AA.  SS.,  juin,  I.  p.  162).  Eugippius  raconte  la  vie  de  son  maître  saint 
Séverin,  l'apôtre  du  Haut-Danube  (t  482.  Friedrich,  Ki  ckengesckichte 
DeutS'/ilands,I);  Ennodius,  évêque  de  Pavie,  nous  conserve  l'histoire  de 
saint  Epiphane  son  prédécesseur  (f  496.  AA.  SS.  jaiv.  II.  364).  Ces 
trois  écrits  ont  un  intérêt  capital  pour  l'histoire  du  christianisme  en 
Gaule,  en  Rurgundie  et  en  Allemagne  ;  à  côté  d'eux  paraissent 
une  foule  d'œuvres  analogues ,  mais  qui  n'ont  pour  la  plupart 
qu'un  intérêt    d'édification.   Telles   sont    les  Vies  de   saints  du  poëte 


56  AGTA  SANCTORUM 

Fortunat,  mort  évêque  de  Poitiers  (v.  600.  Opp. ,  éd.  Luchi.  Rome 
1786,  2  v.  in-4°).  A  côté  et  à  la  suite  des  Vies  des  saints  nous  voyons 
apparaître  de  nouveaux  écrits  hagiographiques,  qui  racontent  les  trans- 
lations des  reliques  des  saints  (Translationes)  et  les  miracles  accomplis 
sur  leurs  tombeaux  (Miracula).  Les  cinquième  et  sixième  siècles  con- 
stituent pour  l'hagiographie  en  Occident  une  première  période  pendant 
laquelle  la  plupart  des  saints  sont  d'origine  romaine,  et  prêchent  l'E- 
vangile dans  les  pays  romanisés,  et  où  leurs  biographes  appartiennent 
presque  tous  au  clergé  séculier.  Cette  première  période  pourrait  être 
appelée  romaine  et  épiscopale.  Son  représentant  le  plus  éminent  est 
Grégoire  de  Tours  (538-594).  Dans  la  littérature  hagiographique  comme 
dans  la  littérature  historique,  il  est  le  modèle  des  écrivains  du  moyen 
âge  primitif  ;  il  domine  tous  ceux  qui  viennent  après  lui  par  le  nombre 
comme  par  la  valeur  de  ses  œuvres.  11  n'est  aucun  genre  d'écrit  hagio- 
graphique dont  il  n'ait  laissé  l'exemple.  Ses  Vitse  Patrum  sont  un  re- 
cueil de  vingt  vies  de  saints  ;  son  De  gloria  Martyrum  est  une  col- 
lection de  Miracula  et  de  Passiones  se  rapportant  aux  temps  primitifs  de 
l'Eglise  et  à  la  mission  en  Gaule;  son  De  gloria  Confessorum  et  ses 
quatre  livres  De  Miraculis  Martini  sont  des  recueils  de  miracles  ;  enfin 
son  DeVirtutibus  S.  Juliani  est  unePassio,  suivie  d'une  Translatio  et  de 
Miracula  (Gregorii  Tur.  opéra  minora,  éd.  H.  Rordier,  4  vol.  in-8°,  av.  trad. 
1857-1864,  p.  la  Soc.  d'Hist.  de  France).  C'est  le  groupe  d'œuvres  le 
plus  remarquable  qu'ait  produit  la  littérature  hagiographique.  Après 
cette  période  romaine  et  épiscopale,  l'hagiographie  prend  un  caractère 
purement  monastique.  L'ordre  de  Saint-Renoît  répand  sur  FOccident 
ses  colonies  de  moines  et  les  envoie  au  delà  du  monde  romain  évangéliser 
les  barbares.  Cette  seconde  période  qui  commence  avec  la  Vie  de  saint 
Renoît,  par  Grégoire  le  Grand  (590-604),  se  prolonge  en  réalité  à  tra- 
vers tout  le  moyen  âge,  car  c'est  désormais  dans  les  monastères  que  se 
réfugie  ce  qui  reste  de  l'art  d'écrire.  On  peut  toutefois  discerner  encore 
des  époques  et  des  courants  divers.  Pendant  le  septième  siècle  et  le 
commencement  du  huitième,  la  mission  est  presque  entièrement  entre 
les  mains  des  moines  venus  des  Eglises  celtiques  d'Irlande  et  du  pays 
de  Galles  et  de  leurs  disciples.  Ce  sont  eux  qui  à  la  suite  de  saint 
Colomban,  de  saint  Gall,  de  saint  Wandrille,  créent  partout,  en 
Gaule,  dans  le  Jura,  dans  les  Alpes,  des  monastères  qui  à  leur  tour  en- 
voient au  loin  des  colonies  nouvelles,  et  donnent  au  monde  les  plus 
beaux  exemples  de  la  spiritualité  pure  et  de  la  vie  contemplative.  C'est 
grâce  à  ces  missionnaires  qu'on  désigne  du  nom  d'Irlandais  que  le  sep- 
tième siècle  peut  être  appelé  l'âge  d'or  des  monastères.  L'hagiographe 
qui  représente  le  mieux  cette  époque  est  Jonas,  le  disciple  de  saint 
Colomban,  l'auteur  des  Vies  de  saint  Colomban,  de  saint  Eustase,  de 
saint  Attale,  de  saint  Rertulf,  de  sainte  Rurgondofare  (Mabillon,  AA. 
SS.  ord.  S.  Ben.,  II).  L'influence  des  missions  irlandaises  ne  se  prolon- 
gea guère  au  delà  des  temps  mérovingiens.  Le  caractère  spéculatif  et 
mystique  des  Celtes  les  poussa  aux  lointains  pèlerinages  et  aux  stu- 
dieux travaux  des  scribes  dans  les  monastères.  Ils  furent  remplacés 
dans  l'apostolat  par  les  Anglo-Saxons,  d'un  caractère  plus  énergique. 


AGTA  SANGTORUM  57 

plus  pratique,  mieux  discipliné,  et  qui  étaient,  comme  leur  premier 
chef  Augustin  (f  608),  étroitement  attachés  à  l'Eglise  de  Rome,  tan- 
dis que  les  Irlandais  avaient  toujours  conservé  un  fonds  de  fière  et 
naïve  indépendance.  C'est  par  les  Anglo-Saxons  que  l'influence  de  Bède 
se  répandit  sur  le  continent,  c'est  par  eux  que  la  Germanie  païenne  fut 
amenée  au  christianisme.  Leur  parole  fut  le  plus  utile  auxiliaire  de 
l'épée  de  Gharlemagne.  Le  vrai  représentant  de  cette  époque  anglo- 
saxonne  fut  saint  Boniface  (Winfrid  f  755),  le  grand  primat  de  Germa- 
nie, le  créateur  des  évêchés  d'outre-Rhin,  dont  nous  avons  deux  Vies 
contemporaines,  celle  de  Willibald  (Pertz,  Monwnenta  Germanise,  SS.,  Il, 
331)  et  celle  d'un  anonyme  de  Maestricht  (AA.  SS.,  juin  I,  4-77).  A  côté 
de  lui  nous  trouvons  Wilfrid,  Willibrod,  Lullus,  Willibald  et  Wunni- 
bald,  etc.,  etc.  —  A  partir  du  neuvième  siècle  et  du  réveil  littéraire  sous 
Charlemagne,  l'hagiographie  prend  un  caractère  nouveau.  Jusqu'à  cette 
époque  on  s'était  contenté  d'écrire  la  vie  de  personnages  contempo- 
rains ou  morts  depuis  un  temps  relativement  restreint,  et  ces  récits, 
sans  être  toujours  d'une  exactitude  bien  scrupuleuse,  avaient  du  moins 
un  air  de  naïveté  et  de  bonne  foi  A  partir  du  neuvième  siècle  on  con- 
tinue sans  doute  à  écrire  les  Vies  des  saints  contemporains,  et  ces 
Vies  nouvelles  ressemblent  à  celles  des  siècles  précédents  ;  mais  en 
même  temps  on  entreprend  un  travail  tout  nouveau  de  remaniement 
des  anciennes  biographies  ;  on  compose  tant  bien  que  mal  les  Vies  des 
saints  qui  n'avaient  point  eu  de  biographes  contemporains,  enfin  on  en 
arrive  à  créer  des  saints  dont  la  biographie  est  fabriquée  de  toutes 
pièces  sur  des  légendes  populaires  et  aux  frais  de  l'imagination  de 
l'hagiographe.  Le  plus  souvent  le  but  du  remanieur  est  simplement  de 
donner  une  forme  plus  élégante  à  un  écrit  d'une  époque  barbare.  C'est 
ainsi  qu'Alcuin  refait  la  Vie  de  saint  Waast.  Presque  toutes  les  Vies  an- 
ciennes ont  subi  des  remaniements  semblables,  si  bien  qu'il  nous  en 
est  parvenu  un  très-petit  nombre  sous  leur  forme  primitive.  On  les 
détruisait  ou  on  les  laissait  périr,  leur  préférant  un  récit  plus  élé- 
gant, et  de  plus  embelli  le  plus  souvent  d'une  foule  de  détails  et 
de  miracles  d'invention  toute  récente.  Il  est  souvent  difficile  de  re- 
connaître les  Vies  du  septième  et  du  huitième  siècle  sous  les  tra- 
vestissements qu'elles  ont  revêtus  du  neuvième  au  treizième  siècle. 
D'autres  fois  les  hagiographes  étaient  poussés  par  des  mobiles  moins 
désintéressés  que  l'amour  du  beau  style.  Il  s'agissait  souvent  d'a- 
chalander  de  visiteurs  et  de  pèlerins  un  sanctuaire  trop  peu  fré- 
quenté, ou  d'assurer  à  une  Eglise  des  droits  de  primauté  sur  les 
diocèses  environnants,  ou  de  fournir  à  un  monastère  des  titres  de 
propriétés  perdus  ou  même  imaginaires,  au  moyen  d'un  écrit  d'as- 
pect vénérable  et  d'un  caractère  sacré.  C'est  ainsi  qu'on  fabrique  une 
Vie  de  saint  Dagobert  III,  soi-disant  martyr  à  Stenay  ;  que  Sigebert  de 
Gembloux  (f  1112)  écrit  une  Vie  de  saint  Sigebert  III,  qui  ne  repose 
sur  rien  d'authentique.  Hincmar,  pour  appuyer  ses  prétentions  ambi- 
tieuses, compose  une  Vie  de  saint  Rémi,  qui  est  un  chef-d'œuvre  d'ha- 
bile supercherie;  les  moines  de  Saint-Denis  chassés  en  885 de  leur  abbaye 
par  les  Normands,  et  ayant  perdu  leurs  titres  de  propriété,  les  remplacent 


Îi8  AGTA  SANCTORUM 

en  écrivant  une  Vitn  Dn gober li  régis  qui  est  supposée  écrite  par  un  con- 
temporain du  roi.  Un  des  principaux  motifs  qui  poussèrent  à  la  compo- 
sition des  Vies  des  saints  apocryphes,  fut  le  désir  qui  s'empara  de  toutes 
les  Eglises  à  partir  du  neuvième  siècle,  de  faire  remonter  leur  fonda- 
tion jusqu'à  l'époque  apostolique.  Cette  manie  sévit  avec  violence  en 
France  et  en  Allemagne.  De  là  les  Vies  de  saint  Denys  l'Aréopagite  de 
Paris,  celle  de  saint  Trophime  d'Arles,  celle  de  saint  Julien  du  Mans, 
celles  de  saint  Eucharius,  Valerius  et  Maternus,  les  fondateurs  des 
Eglises  de  Trêves,  de  Cologne  et  de  Tongres,  etc.,  etc.  Les  théories 
discréditées  et  pourtant  toujours  renaissantes,  qui  attribuent  la  fonda- 
tion des  Eglises  de  Gaule  aux  apôtres  et  aux  soixante  et  dix  disciples, 
reposent  toutes  sur  des  légendes  apocryphes  de  cette  nature.  Le  on- 
zième siècle  fut  l'époque  la  plus  féconde  en  pieuses  falsifications,  et 
Guibert  de  Nogent  (t  1124),  dans  son  curieux  ouvrage  de  Piynoribus 
sanclorwn,  a  signalé,  avec  une  singulière  vigueur,  les  supercheries  aux- 
quelles donnaient  lieu  les  reliques  et  les  écrits  hagiographiques.  En 
même  temps  le  nombre  des  Vies  des  saints  contemporains  allait  tou- 
jours en  diminuant,  comme  le  nombre  des  saints  du  reste,  et  l'on  s'oc- 
cupait surtout  de  compo  er  de  beaux  recueils  des  Vies  les  plus  impor- 
tantes, écrites  en  noble  style,  copiées  sur  grand  parchemin,  et  d'une  cal- 
ligraphie irréprochable.  Tous  les  monastères,  toutes  les  Eglises  possé- 
daient de  ces  recueils  et  ils  sont  conservés  aujourd'hui  en  grand  nombre 
dans  nos  bibliothèques.  Les  grands  saints,  comme  saint  Dominique, 
saint  Bernard,  Otton  de  Bamberg,  trouvent,  il  est  vrai,  des  biographes 
remarquables,  mais  qui  n'ont  plus  la  naïveté  des  temps  primitifs.  Saint 
François  seul,  qui  par  sa  vie  rappelle  l'époque  apostolique,  inspire  un 
livre  exquis  les  Fioretti,  où  l'on  retrouve  le  parfum  des  récits  de  Rufin 
d'Aquilée  et  de  Grégoire  de  Tours.  —  Au  moment  où  l'hagiogra- 
phie va  s'é  teignant  au  milieu  de  la  platitude  prosaïque  du  quator- 
zième et  du  quinzième  siècle,  on  réunit  toutes  les  légendes  en  les 
abrégeant  dans  des  compilations  destinées  à  être  répandues  à  un 
grand  nombre  d'exemplaires  pour  les  besoins  du  culte  ou  de  l'édi- 
fication personnelle.  Dès  le  dixième  siècle,  Wolfhard  de  Herrieden 
avait  réuni  une  série  de  légendes  pour  chaque  jour  de  l'année  (Ano- 
nymus  Haserensis.  Monum.  Germ.  S8*,  Vif);  mais  il  n'avait  fait 
qu'un  choix  très-restreint.  Jacques  de  Voragine,  archevêque  de  Gênes 
(f  lv298),  atteignit  pour  ainsi  dire  du  premier  coup  la  perfection  du 
genre.  Sa  Leyenda  aurm  ou  Liber  pavionali*,  ou  Hist.na  Longobardico 
(éd. Grœsse, Leipzig,  1850)  eut  immédiatement  une  immense  réputation. 
Elle  fut  imprimée  dès  que  l'imprimerie  eut  été  inventée.  11  y  en  eut  quatre 
éditions  avant  157(5  ;  et  elle  a  été  traduite  dans  toutes  les  langues  de 
l'Europe.  Le  Catalogua  de  Pierre  de  Natalibus  (dei  Nadali,  t  av.  1406) 
est  loin  d'avoir  eu  la  même  popularité  (Vicence,  1493,  in-f°).  —  D'a- 
près tout  ce  que  nous  venons  de  dire,  on  comprendra  sans  peine  com- 
bien il  est  difficile  de  critiquer  avec  certitude  les  écrits  hagiographiques 
et  de  les  utiliser  pour  la  connaissance  de  Fhistoire  du  moyen  âge. 
Sans  parler  des  falsifications  complètes,  la  plupart  des  Vies  de  saints 
ne  nous  sont  parvenus  que  défigurées  par  des  remaniements  sous  les- 


ACTA  SANCT0R1UM  w.) 

quels  il  est  presque  mpossible  de  discerner  l'œuvre  primitive  ;  enfui 
même  lorsque  celle-ci  nous  a  été  conservée,  elle  a  souvent  été  écrite 
avec  une  partialité  qui  lui  ôte  toute  autorité,  ou  bien  elle  â  été  com- 
posée par  un  auteur  qui,  n'ayant  en  vue  que  l'édification,  a  passé  sous 
silence,  ou  raconté  inexactement  les  événements  historiques  contem- 
porains, même  ceux  auxquels  le  saint  a  été  mêlé.  C'est  ainsi  que  For- 
tunat  a  laissé  une  Vie  de  saint  Rémi,  où  il  n'est  pas  question  du  baptême 
de  Clovis.  Pourtant  l'hagiographie  a  pour  l'histoire  du  moyen  âge  une 
importance  capitale  et  il  est  impossible  de  la  négliger.  Tout  d'abord  il 
est  un  certain  nombre  d'écrits  hagiographiques  qui  contiennent  des 
récits  historiques  étendus  et  dignes  de  foi.  C'est  ainsi  que  les  Miracula 
S.  Benedicti  du  moine  André,  sont  notre  principale  source  pour  l'his- 
toire de  Robert  et  de  Henri  Ie*.  De  plus,  même  lorsqu'elles  ne  con- 
tiennent pas  des  récits  étendus,  les  Vies  de  saints,  par  des  allusions 
à  des  faits  contemporains,  permettent  souvent  de  compléter  ou 
de  contrôler  les  chroniqueurs.  Elles  sont  en  outre  une  mine  infinie 
de  renseignements  sur  les  mœurs,  sur  les  institutions,  sur  la  vie 
sociale,  sur  les  idées  et  les  sentiments,  sur  l'architecture,  sur  le  cos- 
tume. Alors  même  qu'elles  sont  de  pures  fabrications  d'une  époque  pos- 
térieure, si  elles  sont  sans  intérêt  pour  le  temps  où  a  vécu  le  saint  dont 
elles  parlent,  elles  peuvent  être  très-intéressantes  pour  celui  où  elles 
ont  été  écrites.  Enfin  elles  sont  notre  source  la  plus  précieuse  pour  la 
connaissance  de  la  vie  et  des  idées  religieuses  au  moyen  âge.  Toute 
l'histoire  de  l'évangélisation,  des  missions,  des  pèlerinages,  des  mo- 
nastères, des  Eglises  est  là;  et  la  vie  religieuse  si  importante  à  toutes 
les  époques  est  le  fond  même  de  l'histoire  du  moyen  âge.  L'histoire 
ecclésiastique  est  intimement  liée  à  l'histoire  profane,  elle  la  do- 
mine ;  et  l'on  ne  peut  rien  comprendre  à  ces  temps  si  obscurs  sans 
attacher  une  grande  valeur  aux  récits  hagiographiques. — Dès  les 
premiers  temps  de  l'imprimerie  et  du  réveil  des  études  au  quin- 
zième et  au  seizième  siècle,  on  se  mit  à  recueillir  et  à  publier 
les  Vies  des  saints.  Mombiitius  publia  à  Milan  à  la  fin  du  quin- 
zième siècle,  un  Sanctuarium  (sans  date,  1474?  2  vol.  in-f>),  où 
les  Vies  des  saints  sont  classées  par  ordre  alphabétique.  En  1551  Aloy- 
sius Lipomanus,  évêque  de  Vérone,  commença  la  publication  de  son 
Historia  de  vitts  sanctorum  (Rome,  1555-45(30.  8  vol.  in-i°).  Lipoman 
n'avait  donné  que  des  remaniements  latins  de  textes  grecs  ;  le  char- 
treux Surius  de  Cologne  reprit  l'œuvre  de  Lipoman,  la  compléta  par 
loutes  les  Vies  latines  qu'il  put.  recueillir  et  les  classa  suivant  l'ordre 
du  calendrier.  La  première  édition,  seule  donnée  du  vivant  de  Surius, 
1570-1575,  ne  forme  que  six  volumes  in-f  *.  La  plus  estimée  est  celle  de 
1018  donnée  également  à  Cologne  en  H  vol.  in-R  Toutes  ces  collections 
n'étaient  point  faites  dans  un  esprit  scientifique.  Aucun  travail  de  cri- 
tique  n'accimpagnait  les  textes  ;  ceux-ci  étaient  recueillis  au  hasard 
et  les  éditeurs  ne  se  faisaient  nul  scrupule  de  les  retoucher  ou  de  les 
abréger.  C'est  aux  Jésuites  d'Anvers  que  revient  la  gloire  d'avoir  les 
premiers  conçu  le  plan  d'un  recueil  complet  et  critique  des  écrits 
hagiographiques,   et  d'avoir  poursuivi    cette   œuvre  colossale  pendant 


OU  AGTA  SANCTORUM 

plus  de  deux  siècles,  à  travers  des  difficultés  de  tous  genres.  Héribert 
de  Roswey  (et  non  Rosweyde)  jeta  les  bases  de  l'entreprise  en  1607 
dans  les  Fasti  sanctorum  (Anvers,  in-8°),  reproduit  plus  tard  dans  le 
1er  vol.  des  Acta  sanctorum  paru  en  1643  (Anvers,  in-f°.),  quatorze 
ans  après  la  mort  de  Roswey.  Ce  fut  Jean  Bolland,  (d'où  le  nom  de 
Bollandùtes,  voy.  ce  mot)  qui  continua  l'œuvre,  dont  il  publia  cinq 
volumes,  et  après  sa  mort  (1665),  il  fut  remplacé  par  Godefroid  Hen- 
schen  (4600-1681)  et  Daniel  Papebroch  (1628-1714).  Quarante-neuf  vo- 
lumes parurent  jusqu'en  1773.  Alors  commença  pour  les  Bollandistes, 
à  la  suite  de  la  suppression  de  l'ordre  des  Jésuites,  une  série  de  tribu- 
lations qui  ne  les  empêchèrent  cependant  pas  de  publier  encore  de  1773 
à  1794  quatre  nouveaux  volumes.  Complètement  arrêtée  par  la  Révo- 
lution, la  publication  reprit  en  1845  et  elle  comprend  aujourd'hui 
soixante  volumes  in-f°  (Paris,  Palmé),  qui  s'étendent  jusqu'au  29  octobre. 
Un  volume  supplémentaire,  publié  en  1875,  comprend  des  additions  et 
une  table  générale  des  plus  utiles  composée  par  M.  Rigollot.  —  La  col- 
lection des  Acta  Sanctorum  est  d'une  valeur  très-inégale.  Elle  ne  devait 
contenir  que  seize  volumes,  et  elle  en  aura  près  de  cent  ;  aussi  le  nom- 
bre des  documents  admis  pour  les  premiers  mois  de  l'année  a-t-il  été 
beaucoup  moins  grand  que  celui  des  documents  recueillis  pour  les 
derniers  mois.  Néanmoins,  si  les  derniers  volumes  l'emportent  sur  les 
premiers  par  l'abondance  des  matériaux,  ils  sont  loin  de  les  valoir  pour 
la  sûreté  et  l'indépendance  de  la  critique.  On  ne  saurait  à  cet  égard 
trop  louer  la  liberté  d'esprit  dont  Henschen  et  Papebroch  ont  fait 
preuve.  Tls  ont  réduit  à  néant  une  foule  de  légendes,  celles  en  particu- 
lier sur  les  origines  apostoliques  des  Eglises  de  Gaule,  raillé  sans  pitié 
les  traditions  vaniteuses  des  ordres  religieux,  tels  que  les  Carmé- 
lites qui  prétendaient  remonter  au  prophète  Elie,  poussé  même  par- 
fois le  scepticisme  trop  loin,  comme  il  arriva  à  Papebroch  quand  il 
prétendit,  en  1675,  dans  son  Propylseum  ad  Acta  SS.,  que  tous  les 
documents  diplomatiques  antérieurs  aux  Carolingiens  étaient  faux. 
Les  Acta  SS.  à  cette  époque  méritèrent  d'être  mis  à  l'index  par 
l'Inquisition  espagnole  et  furent  même  un  instant  menacés  du  même 
sort  à  Rome.  Cette  époque  de  sévère  et  libre  critique  ne  dura  pas. 
Dès  le  dix-huitième  siècle,  les  Bollandistes  tombèrent  dans  une  in- 
supportable diffusion  ;  ils  enflèrent  démesurément  leurs  préfaces ,  ac- 
cueillirent avec  crédulité  les  traditions  les  plus  fabuleuses.  Ces  défauts 
n'ont  fait  que  s'accentuer  de  nos  jours,  et  si  les  Bollandistes  modernes 
sont  dignes  de  leurs  prédécesseurs  par  leur  infatigable  activité,  ils 
n'ont  presque  rien  conservé  de  leur  esprit  scientifique.  Quant  au  choix 
des  textes  et  à  la  critique  des  manuscrits,  elle  a  toujours  beaucoup 
laissé  à  désirer  chez  les  Bollandistes,  et  ils  n'ont  guère  fait  à  cet  égard 
de  progrès  depuis  le  dix-septième  siècle.  Le  clergé  catholique, 
qui  seul  serait  bien  placé  pour  entreprendre  un  grand  travail  de 
critique  et  de  classement  des  écrits  hagiographiques,  en  est  aujour- 
d'hui radicalement  incapable,  dans  la  servitude  intellectuelle  où  il  est 
tenu,  et  ce  sont  les  Jésuites  eux-mêmes,  qui,  par  des  mobiles  de  poli- 
tique ecclésiastique,  imposent  l'obligation    d'accepter   des    légendes 


AGTA  SANCTORUM  61 

dont  leurs  prédécesseurs  ont  démontré  la  fausseté.  —  Pendant  que  les 
Bollandistes  poursuivaient  en  Belgique  leur  œuvre  gigantesque,  en 
France  les  Bénédictins  de  la  congrégation  de  Saint-Maur  entreprenaient 
des  travaux  de  tout  genre  sur  la  littérature  ecclésiastique  du  moyen  âge, 
et  apportaient  à  cette  étude  une  intelligence  plus  profonde  des  traditions 
religieuses,  en  même  temps  qu'une  conscience  scientifique  plus  scru- 
puleuse. Dom  Luc  d'Achéry,  D.  Mabillon,  D.  Germain  et  D.  Ruinart, 
commencèrent  en  4668  la  publication  d'un  recueil  des  Acta  sanctorum 
ordinis  S.  Benedicti.  Mabillon  en  fut  le  principal  auteur  et  on  considère 
le  recueil  comme  son  œuvre.  Cette  collection  s'étend  jusqu'au  dou- 
zième siècle,  et  quoi  qu'en  dise  le  titre,  elle  contient  des  Vies  d'une 
foule  de  saints  qui  n'ont  point  appartenu  à  l'ordre  des  Bénédictins.  Mais 
Mabillon  et  ses  collaborateurs  se  sont  surtout  attachés  à  ne  publier  que 
des  Vies  offrant  un  véritable  intérêt,  à  choisir  les  textes  les  plus  anciens 
et  les  plus  corrects  ;  ils  les  ont  de  plus  accompagnées  de  courtes  et 
excellentes  préfaces.  L'œuvre  de  Mabillon,  par  sa  sobriété,  sa  précision, 
sa  méthode,  est  bien  plus  conforme  que  celle  des  Bollandistes  à  ce  que 
nous  exigeons  aujourd'hui  d'une  édition  de  textes.  Le  classement 
adopté  est  plus  scientifique.  Tandis  que  les  Bollandistes  ont  conservé  le 
vieil  ordre  des  légendiers  d'après  le  calendrier,  les  Bénédictins  ont 
adopté  l'ordre  chronologique  et  leur  recueil  est  divisé  en  six  siècles,  de 
500  à  1100.  A  côté  de  ces  grandes  collections  et  des  nombreuses  édi- 
tions des  Vies  des  saints,  publiées  dans  les  bibliothèques  des  Pères  ou 
dans  les  grands  recueils  historiques,  tels  que  D.  Bouquet,  Pertz,  etc., 
nous  possédons  encore  un  nombre  considérable  de  collections  spéciales 
à  un  ordre  religieux  ou  à  un  pays  particulier.  Les  Vies  des  moines  de 
Gluny,  des  Cisterciens,  des  Dominicains,  etc.,  sont  réunies  dans  des 
recueils  dont  les  titres  seront  donnés  aux  articles  consacrés  à  chacun 
de  ces  ordres  monastiques.  Quant  aux  recueils  spéciaux  aux  divers 
pays,  en  voici  les  principaux  :  Ghesquière,  Acta  SS.  Belgii  selecta, 
Bruxelles,  1783-94,  6  vol.  in-f°.  Fr.  Van  Heussen,  Batavia  sacra, 
Bruxelles,  1714,  2  vol.  in-f°.  Chr.  Brower,  Sidéra  illustrium  et  sancto- 
rum virorum,  qui  Germaniam...  ornarunt,  Mayence,  1616,  in-4'°.  Rader, 
Bavaria  sancta  et  pia,  Ingolstadt,  1581,  2  vol.  in-f°;  3e  éd.,  Munich, 
1705,  4  vol.  in-f°.  Berthold,  de  Melk,  Sancta  et  beata  Austria,  Vienne, 
1750,  in  f°.  Acta  SS.  Ungarise,  1733-44,  2  vol.  in-f°.  Balbinus,  Bohemia 
sancta,  Prague,  1682,  in-f°.  J.  Vastovius,  Vitis  Aquilonita,  sive  vitœ  SS. 
regni  Sueci-Gothici,  Upsal,  1708,  in-4°.  H.  Wharton,  Anglia  sacra, 
Londres,  1691,  2  vol.  in-f°.  Th.  Messingham,  Florilegium  insulœ  sanc- 
torum seu  vitx  et  acta  SS.  Btbernix,  Paris,  1624,  in-f°.  J.  Colgan,  Acta 
SS.  Scotix  seu  Hibernise,  Louvain,  1645-1647,  2  vol.  in-f°.  Farlati, 
IUyricum  sacrum.  Venise,  1751-1819,  8  vol.  in-f°.  O.  Caietan,  Vitx  SS. 
Siculorum,  Palerme,  1657,  2  vol.  in-f°.  H.  Florez,  Espana  sagrada, 
Madrid,  1747-1856,  48  vol.  in-4°.  La  commission  archéologique  russe 
publie  une  collection  de  Vies  de  saints  dont  la  cinquième  livraison  a 
paru.  — En  fait  de  travaux  sur  les  Vies  des  saints  nous  ne  possédons  pres- 
que rien.  L'article  Acta  Martyrum,  Acta  Sanctorum,  par  Rettberg,  dans 
l'Encyclopédie  de  Herzog,  est  encore  ce  qu'il  y  a  de  plus  complet  sur  le 


g:     acta  sangtohum  —  actes  des  apôtres 

sujet.  M.  Potlhasf  donne  dans  la  seconde  partie  de  saBibliotheca  historica 
medii  xm (Berlin,  1 802,  et  supplément,  18G(>,  2  vol.  in-8°),  une  bibliogra- 
phie complète  des  écrits  hagiographiques,  rangés  par  ordre  alphabé- 
tique des  noms  des  saints.  C'est  un  manuel  indispensable  et  qui  a  rendu 
inutile  le  Heiligmhxicon  de  Schmauss,  Gœttingen,  1719,  in-8°.  Voy. 
Wattenbach,  Deutsckhmds  G'scluchts-Quellen,  3e  éd.  I™  vol.  Introd.  et 
4re  partie.  Tougard,  lie  ï  histoire  profane  dans  les  Actes  grecs  des  Bollan- 
disles,  Paris,  Didot,  1874,  in-8°.  Gabriel  Monod. 

ACTE,  ACTION.  La  théologie  scolastique  a  distingué  en  Dieu,  par 
analogie  avec  ce  qui  se  passe  chez  l'homme  :  1°  les  actes  de  l'entende- 
ment et  ceux  de  la  volonté;  2°  les  actes  intérieurs  (octus  ad  intra),  tels 
que  celui  par  lequel  Dieu  se  connaît  et  s'aime  lui-même,  et  les  actes 
extérieurs  (octus  ad  extra),  tels  que  celui  en  vertu  duquel  il  a  créé  le 
monde  ;  3°  les  actes  nécessaires  (Dieu  se  connaît  et  s  aime  nécessaire- 
ment) et  les  actes  libres  (Il  a  librement  créé  le  monde).  De  même,  dans 
l'œuvre  de  la  rédemption,  les  dogmatiques  ont  distingué  Y actus  imma- 
nens,  en  vertu  duquel  Dieu  en  lui-même  est  réconcilié  avec  l'homme, 
et  Yactvs  forensis,  par  lequel  il  déclare  à  l'homme  qu'il  le  regarde 
comme  justifié  par  la  foi.— En  ce  qui  concerne  l'homme,  la  scolastique 
fait  une  différence  :  1°  entre  les  actes  humains  (actus  humanus),  c'est- 
à-dire  accomplis  avec  réflexion  et  par  conséquent  imputables,  et  entre 
les  actes  d'homme  (actus  hominis),  c'est-à-dire  les  simples  mouvements 
instinctifs  et  spontanés  dont  l'homme  n'est  pas  responsable;  2°  entre 
les  actes  naturels,  accomplis  sans  le  secours  de  la  grâce,  et  les  actes 
surnaturels,  seuls  directement  utiles  au  salut;  3°  entre  les  actes  de  foi-, 
témoignages  de  confiance  en  la  parole  de  Dieu,  les  actes  d'espérance, 
témoignages  de  confiance  en  ses  promesses,  et  les  actes  de  charité, 
témoignages  d'amour  pour  Dieu,  en  retour  de  l'amour  dont  il  nous  a 
aimés. 

ACTES  DES  APOTRES  (Upafee,  Ilpiçsiç  xûv  êmotnêlw,  Aeta  ou 
Actus  apostolorum)  est  le  nom  générique  servant  à  désigner,  dès  la  plus 
haute  antiquité  chrétienne,  un  grand  nombre  d'écrits  de  nature  et 
d'origine  fort  diverses,  se  rapportant  à  l'histoire  réelle  ou  légendaire  de 
l'âge  apostolique  (voy.  Apocryphes).  Il  est  devenu  de  bonne  heure  et  il 
est  resté  le  nom  propre  du  livre  canonique  du  Nouveau  Testament 
attribué  à  saint  Luc,  compagnon  de  saint  Paul,  bien  que  ce  titre  soit  un 
peu  trop  général  et  ne  lui  convienne  pas  parfaitement.  Ce  livre  se  rat- 
tache au  troisième  évangile  comme  une  seconde  partie  à  la  première 
partie  d'un  même  ouvrage  (Actes  1, 1).  De  même  que  l'évangile,  c'est  un 
éerit  privé  adressé  au  même  Théophile  que  rien  n'autorise  à  prendre 
pour  un  personnage  fictif  ou  symbolique  ;  on  peut  encore  penser  que 
le  prologue  de  l'évangile  s'applique  également  aux  Actes  des  apôtres 
où  l'écrivain  achève  de  raconter  ces  choses  «  accomplies  ou  accrédi- 
tées »  dans  la  primitive  Eglise  (ttîrcXepcçopYjjjiivwv  h  ryh),  dont  il  veut 
donner  à  Théophile  la  pleine  certitude  (Ev.  selon  saint  Luc  I,  1^3), 
En  tout  cas,  l'identité  d'auteur  est  hors  de  toute  contestation  sé- 
rieuse. Elle  a  été  établie  et  démontrée  par  MM.  Zeller  et  Lecke- 
busch  au  triple  point  de  vue  des  idées  dogmatiques,  des  procédés 


ACTES  DES  APOTRES  gg 

littéraires  de  composition  et  du  style;  et  les  doutes  que  quelques  es- 
prits difficultueux  ont  pu  émettre  sont  à  l'heure  présente  entièrement 
dissipés.  Après  avoir  rappelé  son  premier  écrit  et  les  dernières  paroles 
de  Jésus,  entre  lesquelles  se  détache,  comme  un  programme  au  frontis- 
pice du  livre,  cet  ordre  suprême  laissé  aux  apôtres  :  «  Vous  serez  mes 
témoins  et  à  Jérusalem  et  en  Judée  et  en  Samarie  et  jusqu'aux 
extrémités  de  la  terre  »  (Actes  I,  8)  ;  après  avoir  raconté  l'ascension  du 
Ressuscité  à  Béthanie,  et  donné  une  nouvelle  liste  des  apôtres  complé- 
tée avec  Matthias  désigné  par  le  sort,  l'historien  entre  dans  le  cours  et 
la  suite  des  événements  avec  le  miracle  de  la  Pentecôte  et  la  fondation 
de  l'Eglise  de  Jérusalem.  Il  semble  suivre  à  la  lettre  le  programme 
tracé  par  Jésus  lui-même  à  ses  disciples,  et,  préoccupé  de  faire  éclater 
le  caractère  universel  du  christianisme,  il  en  suit  pas  à  pas  les  con- 
quêtes et  les  progrès  ;  il  s'attache  surtout  à  montrer  cette  marche  en 
avant,  sans  jamais  s'arrêter  ni  revenir  en  arrière  pour  raconter  la  vie 
ou  les  discussions  intérieures  de  l'Eglise  apostolique.  Naturellement  ces 
questions  intérieures  se  sont  effacées  ou  ont  même  disparu  à  ses  yeux 
devant  le  but  suprême  et  dominant  auquel  il  regardait  dès  la  première 
ligne,  et  qu'il  ne  perd  pas  de  vue  un  seul  instant  dans  sa  rapide  narra- 
tion. C'est  de  cette  manière  seulement  que  le  plan  du  livre  se  fait  com- 
prendre ;  il  se  divise  de  lui-même  en  trois  grandes  parties  correspon- 
dant aux  grandes  étapes  qu'a  parcourues  la  prédication  de  l'Evangile 
sur  cette  longue  route  qui  l'a  portée  de  Jérusalem,  la  capitale  du 
judaïsme,  à  Rome,  la  capitale  du  monde.  —  La  première  partie  (I,  1  ; 
VIII,  1)  raconte  les  succès  de  la  prédication  des  apôtres  à  Jéru- 
salem. Dès  le  début,  le  don  miraculeux  des  langues  symbolise  les 
destinées  universelles  de  l'Evangile.  Pierre  fonde  la  première  com- 
munauté chrétienne  qui  n'est  encore  ni  par  le  dogme,  ni  par  les  ha- 
bitudes, ni  par  le  culte,  séparée  du  judaïsme  et  au  sein  de  laquelle 
un  ardent  mouvement  de  charité  realise  un  moment  la  commu- 
nauté des  biens.  Le  chapitre  V  marque  un  progrès  essentiel  par  la  nais- 
sance de  luttes  intérieures  dans  le  sein  de  cette  première  Eglise, 
l'institution  des  diacres  et  l'apparition  d'Etienne,  dont  la  prédication, 
précédant  et  annonçant  celle  de  saint  Paul,  met  en  conflit  violent,  pour 
la  première  fois,  le  christianisme  et  le  judaïsme.  —  La  seconde  partie  va 
de  VIII,  1,  à  XV,  33.  C'est  une  longue  transition  qui,  par  un  progrès 
bien  gradué,  porte  l'Evangile  de  Judée  en  Samarie,  de  Samarie  au 
monde  païen,  jusqu'au  moment  où  l'entrée  des  gentils  dans  l'Eglise, 
présentée  d'abord  comme  fait  accidentel  et  isolé  dans  les  conversions 
de  leunuque  de  la  reine  Candace  et  du  centenier  Corneille,  est  enfin 
légitimée  et  régularisée  par  une  décision  du  concile  de  Jérusalem.  La 
persécution  où  succombe  Etienne  disperse  d'abord  les  chrétiens  en  Pa- 
lestine et  en  Samarie.  Philippe  évangelise  cette  dernière  province  où  se 
rendent  Pierre  et  Jean.  Puis  l'historien,  qui  avait  déjà  introduit  Saul 
comme  persécuteur,  raconte  sa  conversion  aux  environs  de  Damas  (  IX) 
Ce  n'est  pas  Paul  cependant,  c'est  Pierre,  éclairé  par  une  vision,  qui  ouvre 
la  voie  a  l'Evangile  vers  les  païens,  tandis  que  d'autres  missionnaires  le 
portent  jusqu'en  Phénicie,  en  Chypre  et  à  Antioche  (X,  XI).  La  persécu- 


64  ACTES  DES  APOTRES 

tion,  au  contraire,  sévit  en  Judée,  où  Jacques,  le  fils  de  Zébédée,  est  tué 
et  Pierre  mis  en  prison  (XII).  La  première  grande  mission  de  Paul  et  de 
Barnabas  (XIII  et  XIV)  a  des  succès  plus  grands  encore,  ces  succès 
provoquèrent  les  conférences  de  Jérusalem,  dont  le  résultat  fut  de  re- 
connaître le  droit  des  païens  au  royaume  de  Dieu  et  de  les  dispenser  de 
la  circoncision.  Ainsi  la  formation  d'une  chrétienté  pagano-chrétienne 
n'apparaît  pas  dans  ce  livre  comme  un  acte  révolutionnaire  et  violent 
de  Paul,  mais  comme  la  conséquence  irrésistible  et  naturelle  des  pro- 
grès de  l'Evangile  que  FEglise  mère  de  Jérusalem,  après  quelque  résis- 
tance, a  fini  par  comprendre  et  accepter.  —  La  troisième  partie  s'étend 
jusqu'à  la  fin  du  livre  lui-même  (XV,  35;  XXVIII,  31).  Paul,  dont  la 
personnalité  •  et  le  rôle  grandissaient  à  chaque  pas  dans  les  cha- 
pitres XIII  et  XIV,  arrive  maintenant  au  premier  plan.  Les  missions 
païennes  ont  trouvé  en  lui  leur  héros,  et  l'histoire  des  progrès  de  l'E- 
vangile vers  l'universalisme  où  il  tend  dès  l'origine,  se  confond  avec 
celle  de  l'apôtre  lui-même.  Paul  se  sépare  de  Barnabas  et  de  Marc 
que  son  audace  effrayait  sans  doute,  et,  dans  un  second  voyage  à  tra- 
vers la  Galatie,  l'Asie  Mineure,  la  Macédoine  et  la  Grèce,  porte  le 
christianisme  jusqu'à  Corinthe,  laissant  derrière  lui  une  série  de  com- 
munautés chrétiennes  nouvelles  qui  marquent  comme  les  étapes  de  la 
route  parcourue  (XVI-XVIII).  Après  une  course  rapide  à  Antioche,  il 
vient  se  fixer  à  Ephèse  qui  lui  sert,  pendant  trois  ans,  de  quartier  gé- 
néral et  d'où  il  rayonne  en  Grèce  et  en  Asie  (XIX-XXI).  Assiégé  de 
sombres  pressentiments,  il  se  rend  encore  une  fois  à  Jérusalem  ;  il 
n'échappe  à  la  haine  des  Juifs  que  pour  tomber  entre  les  mains  des 
Romains.  Mais  cette  captivité  elle-même  le  conduira  à  Rome,  but  su- 
prême où  tendent  ses  désirs,  comme  aussi  la  narration  de  son  histo- 
rien. Après  un  emprisonnement  de  deux  années  à  Gésarée  et  une 
longue  traversée  retardée  encore  par  un  naufrage,  Paul,  enfin,  arrive 
dans  la  ville  des  Césars.  L'auteur  arrête  ici  son  récit  et  conclut  par  une 
citation  du  prophète  Esaïe  (Esaïe  VI,  9),  qui  justifie  le  rejet  de  l'Evan- 
gile par  les  Juifs  et  son  acceptation  par  les  païens.  La  brusque  fin  du 
livre  avant  le  martyre  de  Paul  a  étonné.  On  a  pu  conjecturer  que  l'au- 
teur se  réservait  d'ajouter  à  ses  deux  premiers  livres  un  troisième  dis- 
cours (ipiiov  Xéfov),  où  il  aurait  raconté  la  fin  de  la  vie  de  Paul  et  des 
principaux  apôtres.  Ce  n'est  là  qu'une  supposition.  Le  livre  est  bien 
fini;  le  plan  que  l'auteur  se  proposait  est  bien  réalisé.  Il  peut  poser 
la  plume.  Si  Théophile  était  un  catéchumène  que  troublaient  les  ob- 
jections et  les  attaques  de  la  fraction  pharisao-chrétienne,  il  doit  être 
à  cette  heure  convaincu  que  la  doctrine  libérale  qu'il  a  reçue  est 
la  vraie,  que  l'universalisme  évangélique  répond  bien  à  la  volonté 
divine  et  que  Paul  l'a  réalisée,  non  sans  luttes,  mais  en  somme 
dans  un  accord  général  avec  les  douze  apôtres  de  Jésus-Christ  et  la 
majorité  de  la  primitive  Eglise.  Voilà  comment  il  faut  comprendre  les 
Actes  et  quelle  part  il  faut  faire  à  l'intention  conciliatrice  ou  apologé- 
tique qu'on  leur  a  prêtée.  Elle  n'en  saurait  altérer  essentiellement  ni 
le  caractère  ni  la  valeur  historique.  —  Quant  à  l'histoire  du  livre,  elle 
reste  fort  obscure  dans  les  commencements.  Sans  doute  on  peut  dire 


ACTES  DES  APOTRES  65 

que  l'ancienne  Eglise  n'a  jamais  eu  le  moindre  doute  sur  l'authenticité 
et  la  canonicité  des  Actes  des  apôtres.  Les  sectes  qui  les  rejetaient  le  fai- 
saient toutes  par  des  motifs  dogmatiques  :  les  Ebionites  et  les  Encra- 
ntes Sévériens,  en  haine  de  Paul  et  de  son  universalisme  ;  les  Mani- 
chéens, qui,  voyant  dans  leur  chef  Mani  le  vrai  Paraclet,  ne  voulaient 
pas  admettre  la  descente  du  Saint-Esprit  le  jour  de  la  Pentecôte;  et 
enfin  les  Marcionites,  qui  ne  pouvaient  tolérer  les  condescendances  ou 
les  faiblesses  de  Paul  à  l'égard  du  judaïsme  (Epiph.,  Hser.,  30,  16; 
Aug.,   De  utilitate  cred.,   3;   Tertullien,   Adv.   Marc,  V,  2).    Cepen- 
dant ce  n'est  que  chez  Irénée  et  dans  le   canon  de  Muratori  que, 
pour  la  première  fois,  il  est  fait  une  claire  mention  de  notre  livre 
comme  d'un   ouvrage  de  Luc.   Toutes   les  traces   qu'on   en   a  cru 
trouver  dans  Papias,  Polycarpe,  Ignace  et  Justin  Martyr  restent  fort 
douteuses.    Sans  doute   les  témoignages    nombreux  de  la  présence 
et  de  l'autorité  du  troisième  évangile  au  deuxième   siècle   doivent 
profiter  également  aux  Actes  des  apôtres,  puisqu'il  n'est  rien  de  plus 
certain  que  l'identité  de  l'auteur  des   deux   livres.  Il  n'en   est  pas 
moins  vrai  que  le  dernier  ne  semble  pas  avoir  été  populaire  dans  l'an- 
cienne Eglise.  Chrysostôme  se  plaint,  dans  sa  première  homélie  sur  les 
Actes,  non-seulement  de  ce  que  plusieurs  en  ignoraient  l'auteur,  mais 
encore  l'existence.  Ce  fait  singulier  s'explique  si  l'on  songe  à  la  nature 
du  canon  ecclésiastique  du  deuxième  et  même  du  troisième  siècle.  11 
se  divisait  en  deux  parties  :  Y  Evangile  et  Y  Apôtre  {instrurnentum  evange- 
licum,  qui  renfermait  les  quatre  évangiles,  instrurnentum  opostolicum, 
qui  renfermait  les  épîtres).  Les  Actes  des  apôtres  ne  se  trouvaient  sans 
doute  ni  dans  l'une  ni  dans  l'autre  ;  ils  restaient  isolés  entre  les  deux 
et  devaient  être  lus  moins  souvent.  Longtemps,  dans  l'antiquité  et  du- 
rant tout  le  moyen  âge,  les  Actes  furent  considérés  comme  le  premier 
chapitre  de  l'histoire  de  l'Eglise.  A  la  Renaissance,   on   remarqua 
qu'il  y  avait  bien  des  lacunes  dans  la  suite  des  événements,  et  que  le 
récit  lui-même  ne  s'écartait  guère  des  personnes  de  Pierre  et  de  Paul. 
Aussi,  depuis  Grotius,  les  regardait-on  comme  la  double  biographie 
parallèle  de  ces  deux  fondateurs  de  l'Eglise  chrétienne.  Même  à  ce 
point  de  vue  restreint,  l'ouvrage  reste  fort  incomplet  et  ne  s'explique 
pas  dans  toutes  ses  parties.  Ce  n'est  que  de  notre  temps  qu'on  s'est 
rendu  un  compte  précis  de  la  nature,  de  la  tendance  et  du  plan  du 
livre.  Les  discussions  et  les  recherches  commencèrent  avec  le  livre  si 
original  de  Schneckenburger,  professeur  à  Berne  (184-1),  sur  le  But 
des  Actes  des  apôtres.  Ce  savant  mettait  pour  la  première  fois  en  pleine 
lumière  le  parallélisme  constant  établi  par  l'auteur  entre  Pierre   et 
Paul,  montrant  qu'à  un  miracle  ou  à  un  discours  de  l'un  dans  la  pre- 
mière partie  du  livre,   correspondaient  toujours  un  miracle   et  un 
discours  analogues  de  l'autre  dans  la  seconde.  Baur  et  son  école  sont 
partis  de  ces  conclusions  pour  mettre  en  doute  et  anéantir  la  valeur 
historique  du  récit  de  Luc.  Ils  ont  essayé  de  montrer  que  non-seule- 
ment il  reposait  sur  des  combinaisons  artificielles  et  arbitraires,  mais 
qu'il  avait  un  but  dogmatique  évident,  que  Pierre  y  parlait  comme 
aurait  pu  parler  Paul  et  que  Paul  se  conduisait  comme  aurait  pu  faire 


r.i,  ACTES  DES  APOTRES 

Pierre,  que  l'auteur  enfin  avait  voulu  faire  oublier  les  luttes  ardentes 
qui  avaient  divisé  la  première  Église  et  les  apôtres  eux-mêmes  et  n'avait 
dressé,  du  milieu  du  second  siècle  où  il  écrivait,  qu'un  tableau  légen- 
daire, pâle  et  sans  vérité,  de  l'âge  héroïque  du  christianisme.  Sans 
compter  que  les  disciples  de  l'école  de  Tubingue  n'ont  jamais  réussi 
à  se  mettre  d'accord  sur  la  véritable  tendance  dogmatique  des  Actes 
des  apôtres,  deux  faits,  mis  en  lumière  par  une  critique  moins  préve- 
nue et  moins  systématique,  sont  venus  corriger  ce  qu'une  telle  concep- 
tion avait  d'excessif  et  de  faux.  Le  premier,  c'est  que  notre  livre,  étant 
la  continuation  du  troisième  évangile,  ne  peut  avoir  ni  une  autre  ten- 
dance ni  un  autre  caractère  que  ce  dernier.  Le  second,  plus  décisif  encore, 
c'est  que,  pour  écrire  l'histoire  apostolique  comme  pour  écrire  l'histoire 
évangélique,  loin  de  s'abandonner  à  son  imagination,  l'auteur  a  re- 
cherché et  mis  soigneusement  en  œuvre  des  sources  écrites  ou  orales 
qu'on  peut  encore  discerner.  Son  procédé  littéraire  est  resté  le  même. 
Le  prologue  de  l'évangile  nous  montre  un  homme  qui  se  rend  assez 
bien  compte  de  la  tâche  d'un  historien,  qui  n'aborde  pas  son  œuvre 
sans  avoir  considéré  les  moyens  qu'il  a  de  la  remplir  et  procède  avec 
réflexion,  choix  et  critique  dans  la  comparaison  et  l'emploi  des  docu- 
ments qui  lui  sont  accessibles.  En  d'autres  termes,  l'auteur  a  déjà  le 
scrupule  historique,  et,  pour  l'évangile  du  moins,  le  résultat  définitif  a 
répondu  assez  bien  à  ses  efforts  (voy.  l'article  Luc  [évang.  selon  saint]). 
L'étude  attentive  des  Actes  ne  mène  pas  à  une  autre  conclusion.  Ici  encore 
l'auteur  a  inséré  dans  son  récit  des  documents  qu'il  est  difficile  de  bien 
dégager,  mais  qu'il  est  aisé  de  reconnaître.  La  recherche  et  la  discus- 
sion de  ces  sources  premières  est  le  point  le  plus  grave  et  le  plus 
curieux  à  la  fois  du  problème  que  le  livre  des  Actes  pose  à  la  critique 
historique.  Dans  cette  recherche  comme  dans  bien  d'autres  l'impulsion 
fut  donnée  par  Schleiermacher.  Depuis  son  livre  sur  les  écrits  de  Luc 
(Ueber  die  Schriften  des  Lucas,  Berlin,  1817),  l'évangile  et  les  Actes  ont 
été  disséqués  de  toutes  les  façons  :  on  méconnaissait  trop  alors  l'unité, 
le  plan  réfléchi  de  l'ouvrage.  Luc  a  eu  des  sources  sans  doute;  mais 
souvent  il  les  a  combinées,  fondues  dans  un  récit  nouveau,  et,  dès  lors 
si  Ion  ne  veut  se  perdre  dans  les  minuties  où  toute  décision  devient 
arbitraire,  il  faut  s'en  tenir  à  ce  qui  est  évident.  Or,  dans  les  Actes  des 
apôtres,  il  est  deux  points  où  cette  évidence  se  rencontre  :  d'abord,  au 
chapitre  XIII;  le  verset  1er  est  évidemment  un  commencement  nouveau. 
Non-seulement  il  est  sans  lien  avec  le  chapitre  précédent,  mais  il  est 
impossible  que  ce  verset  soit  de  la  même  main  qui  avait  déjà  rédigé 
XII,  24  et  25.  Barnabas  et  Saul,  dans  le  récit  de  Luc,  sont  toujours 
nommés  ensemble.  Or  au  chapitre  XIII,  1,  nous  trouvons  une  liste  des 
prophètes  et  docteurs  qui  enseignaient  à  Antioche  où  Barnabas  est 
nommé  le  premier,  Saul  le  dernier  et,  entre  eux,  trois  inconnus.  Evi- 
demment ce  verset  est  indépendant  absolument  de  XII,  25.  C'est 
dans  le  cours  de  ce  même  chapitre  que  Saul  est  pour  la  première  fois 
appelé  Paul  (XIII,  9).  Il  est  donc  assez  clair  que  nous  avons  ici  un  do- 
cument d'origine  paulinienne  qui  racontait  ce  premier  voyage  de 
l'apôtre  en  Chypre  et  en  Pisidie  et  dont  Luc  a  fait  son  profit.  La  préci- 


ACTES  DES  APOTRES  67 

sion  et  la  sûreté  des  indications  géographiques,  le  naturel  et  la  vraisem- 
blance du  récit  distinguent  avantageusement  ces  deux  chapitres  de  ceux 
qui  les  précèdent.  Il  semble  qu'à  ce  moment  la  tradition,  toujours  un 
peu  incertaine  et  colorée  de  reflets  légendaires,  fasse  place  à  l'histoire 
précise  et  positive.  Cette  remarque  s'applique  mieux  encore  à  la  fin  du 
livre  des  Actes,  à  cette  partie  où  le  récit  devient  direct  et  la  troisième 
personne  est  remplacée  par  la  première.  Le  nous  apparaît  pour  la  pre- 
mière fois  XVI,  10-17,  et  revient  XX,  5-15,  XXI,  1-18,  XXVII  et 
XX VIII,  16.  Quel  que  soit  l'auteur  de  ce  fragment  mystérieux,  il  pro- 
vient sûrement  d'un  témoin  oculaire.  Je  ne  sais  pas  s'il  est  un  autre 
document  dans  toute  l'antiquité  plus  exact,  plus  précis,  plus  sûr  que 
le  récit  du  voyage  contenu  dans  le  chapitre  XXVII.  Quel  est  ce 
iemoin  oculaire?  Il  faut  évidemment  le  chercher  parmi  les  compa- 
gnons de  Paul.  On  a  d'abord  pensé  à  Timothée  (Schleiermacher).  Mais 
cette  hypothèse  vient  échouer  devant  le  verset  XX,  3,  dont  le  sens 
naturel  s'impose  à  tout  esprit  non  prévenu.  Là  sont  nommés  d'abord 
trois  Macédoniens,  (Sopater  de  Bérée,  Aristarque  et  Secundus  de  Thes- 
salonique),  puis  deux  Lycaoniens  (Gaïus  de  Derbe  et  Timothée  de 
Lystre)  et  enfin  deux  personnes  de  l'Asie  proconsulaire  (Ty chique  et 
Trophime).  «  Ceux-ci,  lisons-nous  ensuite  au  verset  5,  nous  attendaient 
à  Troas.  »  Dès  lors  la  personne  qui  parle  au  pluriel  ne  peut  être  con- 
fondue avec  Timothée.  On  peut  en  dire  autant  de  Silas,  nommé  à  la 
troisième  personne,  XV,  40,  puis  dans  le  fragment  XVI,  16-20,  et  qui 
d'ailleurs  disparaît  du  récit  des  Actes  et  probablement  se  sépare  de 
Paul  à  partir  du  XVIII,  5.  11  faut  pour  les  mêmes  raisons,  écarter 
Sopater,  Aristarque,  Secundus,  Gaïus,  Tychique,  Trophime.  Tous  les 
compagnons  de  Paul  que  nous  connaissons  avaient  à  ce  moment 
(XX,  4)  été  envoyés  en  avant.  Quelle  peut  donc  être  la  personne  qu'il 
avait  gardée  auprès  de  lui  ;  il  ne  reste  que  Luc.  Quand  on  lit  avec 
attention  les  premiers  fragments  où  le  nous  apparaît,  on  arrive  à  se 
convaincre  que  l'auteur  parle  en  Macédonien.  Le  nous  commence  pré- 
cisément XVI,  4,  pour  cesser  XVI,  17,  au  moment  où  Paul  quitte  Phi- 
lippes  et,  chose  digne  de  remarque,  il  reparaît  XX,  5,  au  moment  où 
Paul  revient  pour  la  seconde  fois  dans  cette  ville.  On  prétend  donc 
avec  raison  que  Luc  était  de  ces  parages,  qu'il  se  serait  joint  à  Paul  à 
Troas,  et  serait  resté  à  Philippes  jusqu'au  moment  où  Paul  revenant  de 
Corinthe,  le  reprit-avec  lui.  Le  seul  point  sur  lequel  on  discute  encore 
aujourd'hui  est  de  savoir  si  ce  journal  de  voyage,  rédigé  par  Luc,  a  été 
intercalé  dans  les  Actes  des  apôtres  par  un  auteur  postérieur,  qui  aurait 
profité  de  cette  occasion  pour  mettre  son  ouvrage  entier  sur  le  compte 
de  cet  homme  apostolique,  ou  si  Luc  lui-même  est  bien  réellement  l'au- 
teur du  troisième  évangile  et  du  livre  des  Actes.  MM.  Hilgenfeld,  Zel- 
ler  tiennent  pour  la  première  opinion.  MM.  Renan,  Holzmann,  Reuss 
pour  la  seconde,  et  celle-ci  paraît  devoir  triompher.  L'auteur  de  l'évan- 
gile et  des  Actes  des  apôtres  a  un  style  très-personnel  ;  il  a  une  gram- 
maire et  un  dictionnaire  à  lui,  des  tournures  et  des  habitudes  d'expres- 
sion fort  caractéristiques.  Le  témoin  oculaire  qui  parle  à  la  fin  des  Actes 
«■si  aussi  un  écrivain  original.  Constate-t-on  quelques  différences  entre 


b8  ACTES  DES  APOTRES 

leurs  deux  manières?  Aucune.  Gomme  on  a  prouvé,  jusqu'à  l'évidence, 
par  la  simple  comparaison  du  style,  l'identité  d'auteur  de  l'évangile  et 
des  Actes,  on  peut  prouver  avec  la  môme  force  l'identité  personnelle  du 
témoin  qui  dit  nous,  et  de  l'auteur  du  livre  tout  entier.  En  second  lieu, 
pour  comprendre  la  fraude  pieuse  par  laquelle  l'évangile  et  les  Actes 
auraient  été  attribués  à  Luc,  il  faut  faire  composer  ces  deux  livres  au 
plus  tôt  vers  l'an  110  ou  120.  Or  il  est  certain  que  l'évangile  existait  alors 
depuis  longtemps,  qu'il  n'est  pas  très-postérieur  à  l'an  70,  que  les  Actes 
l'ont  suivi  de  près,  et  qu'à  ce  moment,  Luc  vivant  encore  selon  toute 
vraisemblance,  on  ne  pouvait  abuser  de  son  nom.  Entre  les  hypothè- 
ses imaginées,-  celle  de  la  pleine  authenticité  de  nos  deux  écrits  reste 
encore  après  tout  la  plus  sûre.  De  cette  analyse  critique  des  documents 
mis  en  œuvre  par  Luc,  se  déduit  bien  plus  sûrement  que  d'une  tendance 
dogmatique  spéciale  toujours  difficile  à  préciser,  la  valeur  historique  du 
livre  des  Actes.  Il  faut  se  garder  avant  tout  d'un  jugement  sommaire  et 
d'ensemble.  Les  matériaux  employés  par  l'auteur  n'étaient  pas  tous  de 
même  qualité  ni  de  même  valeur.  On  ne  saurait  mettre  sur  la  même 
ligne  ni  estimer  au  même  prix  le  journal  de  voyage  de  la  fin  et  les  tra- 
ditions quelquefois  assez  vagues  et  un  peu  merveilleuses  du  commen- 
cement. Il  faut  distinguer  entre  ces  éléments  de  provenance  et  de  na- 
ture fort  diverses  et  appliquer  à  chacun  sa  mesure.  Les  données  chrono- 
logiques du  livre  comme  celles  de  l'évangile  sont  discutables.  Mais  il  ne 
faut  pas  se  hâter  de  condamner  Luc.   Les  choses  de  cette  époque  nous 
sont  encore  fort  mal  connues,  et  il  s'est  trouvé  bien  des  fois  que  les  dé- 
couvertes de  l'épigraphie  ont  donné  raison  à  Luc  contre  Josèphe,  le  seul 
historien  qui  puisse  ici  servir  de  contrôle.  Nous  n'avons  malheureu- 
sement aucun  autre  récit  parallèle  des  premiers  commencements  de 
l'Eglise,  et  l'on  peut  se  demander  si  une  histoire  des  apôtres,  écrite  du 
point  de  vue  galiléen  de  l'évangile  de  Matthieu,  ne  nous  aurait  pas  mon- 
tré en  Galilée  des  commencements  chrétiens  qui  compléteraient  ceux 
que  Luc  nous  a  dépeints  à  Jérusalem.  Mais  cette  réserve  faite,  on  doit 
reconnaître  que,  de  l'Apocalypse,  de  l'épître  de  Jacques  et  des  autres 
documents  judéo-chrétiens,  il  ressort  un  tableau  général  de  la  vie,  de 
l'esprit  et  des  mœurs  des  premiers  chrétiens  qui  correspond  fort  bien 
aux  grandes  lignes  de  celui  que  Luc  a  laissé.  On  ne  peut  enfin  méconnaître 
que,  dans  les  premiers  discours  de  Pierre,  il  n'y  ait  une  esquisse  de  l'é- 
vangile primitif,  commençant  au  baptême  de  Jean  et  finissant  à  la  ré- 
surrection, et  une  conception  de  la  personne  et  de  l'œuvre  du  Messie 
tout  à  fait  originales,  antérieures  même  à  la  tradition  synoptique  et 
très-frappantes  de    simplicité    et    de    vraisemblance    (II,    22-36  ;   III, 
13-26;  IV,  27-30;   X,   34-43).    Pour  contrôler  la   dernière   partie  du 
livre  des  Actes,   nous   avons   les   épîtres   de   Paul.  De  cette  compa- 
raison, il  ressort  avec  évidence  que  la  biographie  de  Paul  d'après  Luc 
est  loin  d'être  complète,  que  notre  historien  n'a  pas  tout  su,  et  que 
même  entre  ce  qu'il  a  su,  il  a  fait  un  choix  approprié  au  but  général 
qu'il  se  proposait  dans  sa  narration.  Quelque  agitée  que  nous  apparaisse 
dans  les  Actes  la  vie  errante  de  Paul,  elle  a  été  en  réalité  bien  plus  tra- 
versée, bien  plus  orageuse  et  pleine  de  douleurs  et  de  disputes  que  son 


ACTES  DES  APOTRES  -  ADAD  69 

historien  ne  le  dit.  La  simple  énumération,  faite  2  Cor.  XI,  23-33,  suffi! 
pour  montrer  combien  est  incomplet  le  récit  de  Luc.  De  même  dans  le 
chapitre  Ier  de  cette  même  seconde  épître,  est  rappelée  une  récente  et 
douloureuse  épreuve  de  Paul  en  Asie  qui  eut  sur  sa  vie  et  même  sur  sa 
doctrine  une  influence  décisive  et  dont  rien  ne  donne  l'idée  dans  les 
Actes.  La  longue  lutte  de  Paul  et  des  judaïsants  qui  remplit  ses  quatre 
grandes  lettres  y  est  également  effacée.  La  dispute  d'Antioche  n'est  pas 
mentionnée;  rien  n'est  dit  sur  le  séjour  de  Paul  en  Arabie,  et  le  récit 
des  conférences  de  Jérusalem  (XV)  ne  laisse  pas  que  d'offrir  des  diffi- 
cultés rapproché  de  celui  que  Paul  en  a  fait  lui-même  (Gai.  11, 1-11).  De 
ces  faits,  il  résulte  que,  dans  une  histoire  de  la  vie  de  Paul,  il  faut  tou- 
jours prendre  pour  point  de  départ  et  pour  base  les  indications  histori- 
ques fournies  par  l'apôtre  et  corriger  d'après  elles  ce  que  le  récit  de 
Luc  peut  avoir  de  vague  ou  de  défectueux.  Mais  cela  dit,  il  faudra  sou- 
vent admirer  combien  la  vie  de  Paul  que  nous  donne  Luc  et  celle  qui 
ressort  des  épîtresde  cet  apôtre,  se  rencontrent  dans  les  grandes  lignes 
et  dans  les  détails.  En  particulier,  à  partir  du  ch.  XVI,  où  le  récit  de- 
vient personnel  et  où  l'auteur  est  entré  dans  l'intimité  de  Paul,  sa  nar- 
ration peut  être  incomplète,  mais  elle  est,  dans  ce  qu'elle  renferme, 
singulièrement  précise  et  fidèle.  Les  Actes  des  apôtres,  tout  en  restant 
soumis  à  la  critique,  n'en  demeurent  pas  moins  en  somme  un  docu- 
ment historique  de  la  plus  sérieuse  valeur  et  d'autant  plus  précieux 
qu'il  est  le  seul  qui  nous  reste  sur  une  période  de  l'histoire  et  sur  des 
faits  que  nous  avons  tant  d'intérêt  à  connaître.  —  La  littérature  exégétique 
et  critique  dont  ce  livre  a  été  l'objet  est  fort  riche.  En  se  bornant  à  l'es- 
sentiel, il  faut  citer  :  Chrysostôme,  Homil.  in  Acta  apostolorum;Théoiphy- 
lacte,  Explicationes  in  Acta.  ap.;  QEcumenius,  Commentaria  inAct.  apost. 
et  epist.  Pauli  et  epist.  cathol.,  et  enfin  des  scholies  tirées  des  manuscrits 
A  F  D  H.  Dans  les  temps  modernes,  les  travaux  sont  plus  nombreux 
encore  :  R.  Simon.  Hist.  crû.  du  Nouveau  Testament.  Rotterdam,  1689. 
W.  Paley.  Horx  Paulinx,  traduit  en  français  sur  la  dixième  édition. 
Paris,  1821.  En  Allemagne,  outre  les  nombreuses  introductions  au  Nou- 
veau Testament  et  les  commentaires  généraux,  parus  depuis  Semler  à 
nos  jours,  les  travaux  spéciaux  les  plus  remarquables  sont  ceux  de 
Schneckenburger,  Ueber  den  Zweck  der  Apostelgeschichte,  Bern.,  1841; 
de  Baur,  Paulus  der  Apostel.  J.-C,  lre  édit.,  Stuttg.,  1845;  2e  édit., 
Leipz.,  1867;  de  Zeller,  Die  Apostelgeschichte  nach  ihrem  Jnhalt  und 
Ursprung  kritisch  untersucht,  Stuttg.,  1854;  de  Lekebusch,  Die  Compo- 
sition und  Entstehung  der  Apg.,  Gotha,  1854  (ces  deux  derniers  ont 
épuisé  l'étude  philologique  et  littéraire  du  livre).  James  Smith,  Voyage 
and  shipwreck  of  st  Paul,  Lond.,  1848.  Gonybeare  et  Howsen,  The  Life 
of  st  Paul,  Lond.,  1864  (dans  ces  deux  livres  la  partie  géogra- 
phique est  admirablement  traitée).  Renan,  Les  apôtres,  introduction. 
Paris,  1867.  A.  Sabatier. 

ADAD  [Hadad,  'ABàB,  'Apàd,  'Aoap,  Hadad],  divinité  syrienne  (d'a- 
près Macrobe  (Saturn.,  1,23),  le  dieu  du  soleil  ;  d'après  Sanchoniathon  : 
'Aowoo;,  le  roi  des  dieux),  dont  le  nom,  ou  ses  composés,  a  été  porté  par 
plusieurs  rois  de  Syrie  (Nicol.  Damasc,  p.  293);  l'Ancien  Testamenl 


70  ADAD  —  ADALBERT 

connaît  trois  Ben-Iladad  (fils  d'Adad),  rois  de  Damas  (voyez  ce  mot). 
—  Le  huitième  des  douze  fils  d'Ismaël  (Gen.  XXV,  30:  Hadar,  à  corri- 
ger d'après  1  Chron.  I,  30.  —  Le  quatrième  et  le  huitième  roi  d'Edom 
(Gen.  XXXVI,  35,  39).  —Nom  d'un  prince  de  !a  famille  royale  d'Edom, 
qui,  ayant  échappé  au  massacre  des  u  mâles  de  l'Idumée  »  par  Joab, 
sous  le  règne  de  David,  se  réfugia  efl  Egypte,  y  fut  bien  reçu  par  Pharaon, 
épousa  une  princesse  du  pays,  et  revint,  après  la  mort  de  David,  pour 
essayer  de  recouvrer  ses  domaines;  il  fut  «un  adversaire  de  Salomon,» 
guerroya  contre  Israël  et  «régna  sur  la  Syrie»  (d'après  les  Septante, 
plus  correctement  :  «sur  l'Idumée»).  Le  texte  1  Rois XI,  14-25,  où  ces 
événements  sont  racontés,  est  altéré  et  présente  de  graves  difficultés 
d'interprétation  (Thenius,  DieBB.  der  Kœnigé). 

ADALBÉRON,  archevêque  de  Reims  (f  988).  Voyez  Reims. 

ADALBERT  de  Prague.  Le  Bohème  Adalbert  (son  nom  tchèque  était 
Woytech),  un  des  premiers  missionnaires  chrétiens  en  Pologne  et  en 
Prusse,  naquit  vers  950,  fut  élevé  dans  l'école  de  la  cathédrale  de 
Magdebourg,  et  nommé  en  983  évêque  de  Prague.  Cet  évêché,  fondé 
dix  ans  auparavant  par  l'empereur  Otton  Ier,  après  la  conquête  de  la 
Bohême,  devait  servir  avant  tout  à  la  germanisation  du  pays  ;  aussi  la 
position  d' Adalbert  devint-elle  très-difficile.  Déjà  son  prédécesseur, 
Allemand  d'origine,  s'était  attiré  la  haine  des  habitants  ;  Adalbert  lui- 
même,  investi  par  l'empereur,  se  croyait  obligé  à  servir  les  intérêts  de 
son  suzerain,  mais  comme  Bohême  il  ne  pouvait  se  résoudre  à  trahir 
ceux  de  sa  nation.  Deux  fois  il  essaya,  en  se  retirant  à  Rome,  de  se 
soustraire  à  une  situation  qui  tourmentait  sa  conscience,  mais  chaque 
fois  il  dut  se  soumettre  aux  ordres  de  l'archevêque  mayençais,  qui 
était  alors  le  métropolitain  de  Prague.  Ce  ne  fut  qu'en  996  qu'il  obtint 
d'être  déchargé  de  ses  fonctions  et  autorisé  à  se  consacrer  à  l'évangéli- 
sation  des  païens  de  la  Pologne  et  de  la  Prusse.  Au  printemps  de  997 
il  arriva  à  Dantzig,  y  prêcha  et  y  baptisa  un  certain  nombre  de  per- 
sonnes. Lors  d'une  tentative  qu'il  fit  bientôt  après  sur  les  Côtes  du 
Frischhaff,  les  Prussiens  le  massacrèrent.  Depuis  lors  il  est  vénéré 
comme  martyr  et  apôtre  des  Slaves. 

ADALBERT,  archevêque  de  Brème  (1045-1072),  ambitieux  et  dur, 
plus  occupé  de  politique  que  de  piété,  seconda  les  projets  de  domina- 
tion de  l'empereur  Henri  III  sur  l'Italie  et  sur  les  pays  du  Nord.  Il  fut 
investi  d'une  sorte  de  patriarcat,  indépendant  de  Rome,  sur  les  douze 
évêchés  d'Allemagne,  ainsi  que  sur  ceux  du  Danemark  et  des  Etats 
Scandinaves.  «  Grâce  à  son  infatigable  activité,  dit  l'historien  Adam, 
Brème  était  devenue  une  seconde  Rome,  où  affluaient  les  ambassadeurs 
de  tous  les  peuples  du  Nord,  Islandais,  Groenlandais,  habitants  des" 
Orcades,  pour  demander  des  messagers  de  l'Evangile.»  A  la  mort  de 
Henri  III,  toute  cette  domination  fondée  sur  la  violence  s'écroula,  mais 
pendant  la  minorité  de  son  fils  Henri  IV,  Adalbert,  secondé  par  l'arche- 
vêque de  Cologne,  arracha  la  régence  aux  mains  de  l'impératrice 
Agnès  d'Aquitaine  et  gouverna  tyranniquement  l'Allemagne  pendant 
quatre  ans  (1062-1066).  Une  conspiration;  ourdie  par  les  ducs  de  Saxe. 
les   irréconciliables   ennemis  de  l'archevêque  de  Brème,  aux  dépens 


ADALBERT  —  ADAMITES  71 

desquels  il  n'avait  cessé  d'agrandir  son  patrimoine,  le  renversa  et  le 
força  de  se  retirer  dans  son  diocèse. 

ADAM  [Adam,  'ASâpt],  nom  du  premier  homme  qui  fut  créé  de  la 
poussière  de  Ta  terre,  adâmâh  (cf.  owTfyôwv  et  le  rapprochement  fait 
par  Varron  entre  homo-humus)  ;  mais  cette  étymologie,  admise  évidem- 
ment par  l'auteur  du  récit  biblique  (Gen.  II,  7),  n'est  guère  défendable 
au  point  de  vue  philologique.  Josèphe  renvoie  déjà  à  la  racine  âdam, 
être  rouge,  et  dit  que  le  premier  homme  fut  ainsi  nommé  à  cause  de  la 
couleur  rouge  de  la  terre  encore  vierge  (Tuuppoç...  xoiauiY]  -yccp  èatw  yj 
EapOévoç  Y*l  y.at  àXrjÔivfi,  Antiq.,  I,  1,  2);  d'autres  commentateurs  se 
bornent  à  en  appeler  à  la  couleur  rouge  du  sol  de  la  Palestine.  L'expli- 
cation la  plus  probable  est  celle  qui  regarde  le  mot  Adam  comme  ayant 
primitivement  désigné  une  race  particulière  d'hommes  (par  opposition 
à  d'autres  races  diversement  colorées  [cf.  Thargoum  de  Jonathan, 
Genèse,  II,  7  :  «Dieu  créa  l'homme  rouge,  noir  et  blanc»];  âdam 
est  pris  au  sens  collectif  Gen.  I,  26),  et  ayant  été  appliqué  plus  tard  à 
l'homme  en  général.  Il  n'est  guère  possible  de  retrouver  dans  ce  mot 
le  sens  de  «  beau,  »  «  bien  fait,  »  que  certains  critiques  ont  voulu  y 
voir  (cf.  Dillman,  Genesis,  p.  62).  —  Deux  récits  bibliques  bien  distincts 
(Gen.  1,  l-II,  3,  et  II,  4-IV)  nous  parlent  d'Adam  et  des  origines  de  l'es- 
pèce humaine  (voyez  les  articles  Création  et  Histoire  primitive  de  l'hu- 
manité d'après  la  Bible).  D'après  le  premier,  Adam  ou  plutôt  «l'homme  » 
est  créé  le  sixième  jour,  immédiatement  après  les  animaux  qui  de- 
vront -lui  être  soumis  ;  la  femme  est  créée  en  même  temps  (  «  Il  les 
créa  mâle  et  femelle,  »  Gen.  I,  27).  Suivant  le  second,  Jéhova  aurait 
d'abord  créé  l'homme  (II,  7)  qu'il  établit  dans  le  jardin  d'Eden  (v.  8), 
puis  les  plantes  (v.  9),  les  animaux  (v.  19),  enfin  la  femme  qu'il  forma 
d'une  côte  de  l'homme  (v.  21,  22).  Ayant  cédé  aux  instigations  d'Eve 
et  mangé  du  fruit  de  l'arbre  de  la  connaiss  nce  du  bien  et  du  mal 
(Gen.  II,  17),  Adam  se  vit  chassé  par  Dieu  du  jardin  d'Eden  et  fut  con- 
damné à  manger  son  pain  à  la  sueur  de  son  front  (III,  17-19).  Il  eut  de 
sa  femme  trois  fils,  Gain,  Abel  et  Seth  (IV).  Le  premier  document  qui 
reprend  au  chap.  V,  1-5,  nous  dit  en  outre  qu'il  «  engendra  des  fils  et 
des  filles,  »  vécut  neuf  cent  trente  ans,  et  mourut.  —  Gomme  auteur 
de  la  chute  et  aussi  comme  type  de  Jésus-Christ  (Rom.  V,  14),  Adam 
a  joué  un  grand  rôle  dans  le  développement  de  la  théologie  chrétienne. 
L'imagination  orientale  a  fait  également  une  large  place  dans  ses  lé- 
gendes à  notre  premier  ancêtre  (voyez  d'Herbelot,  Bibl.  orientale; 
Kisenmenger,  Entdccktes  Judenthum  I,  84,  365,  830  ;  II,  417  ;  Weil, 
Bibl.  Legenden  der  Muselmsenner).  A.  Carrière. 

ADAMITES.  1°  Sectaires  mentionnés  par  Epiphane  et  Théodoret. 
Suivant  Epiphane  ils  ont  eu  pour  chef  un  personnage  inconnu  nommé 
Adam  ;  ils  ont  condamné  le  mariage,  et  observé  si  rigoureusement  la 
chasteté,  quoiqu'ils  parussent  nus  dans  leurs  assemblées  religieuses,  que 
toute  infraction  à  cette  règle  était  punie  d'une  excommunication  per- 
pétuelle. Ils  ont  cru  faire  revivre  ainsi  dans  leur  communauté,  appelée 
par  eux  paradis  terrestre,  l'état  d'innocence  des  premiers  hommes.  Théo- 
doret. au  contraire,  rapporte  qu'ils  ont  eu  pour  chef  Prodicus,  disciple 


72  ADAMITES 

de  Carpocrate,  vivant  au  milieu  du  deuxième  siècle,  ce  qui  ferait  des 
Adamites  une  branche  des  Carpocratiens  ;  et  il  raconte  que  Prodicus  a 
également  professé  le  principe  de  la  communauté  des  femmes  que  les 
Carpocratiens,  suivant  Clément  d'Alexandrie,  mettaient  en  pratique 
dans  leurs  assemblées  religieuses.  La  contradiction  qui  existe  entre  ces 
deux  témoignages,  si  toutefois  celui  d'Epiphane  mérite  créance,  ne 
peut  être  résolue  que  si  l'on  admet  qu'ils  se  rapportent  à  deux  sectes 
distinctes,  dont  l'une,  gnostique  et  immorale,  aurait  existé  au  deuxième 
siècle ,  et  l'autre  ascétique  et  extravagante ,  aurait  surgi  du  temps 
d'Epiphane,  vers  la  fin  du  quatrième  siècle  (Walch,  Historié  der 
Ketzereien,  I,  327.  Bayle,  Diction.,  art.  Adamites).  —  2°  Sectaires 
du  treizième  et  du  quatorzième  siècle,  appelés  aussi  Lucifériens,  ré- 
pandus en  Autriche,  en  Bohême,  dans  le  Brandebourg  et  jusque 
dans  les  pays  du  Rhin,  et  formant  une  branche  des  Cathares.  Ils  en- 
seignaient que  Lucifer,  le  créateur  de  la  terre,  avait  été  injuste- 
ment chassé  du  ciel,  qu'il  y  remonterait  un  jour  et  en  chasserait 
à  son  tour  l'archange  Michel  et  ses  compagnons,  et  qu'alors  les 
adorateurs  de  Lucifer  seront  seuls  sauvés  et  régneront  avec  lui.  Ils  re- 
jetaient l'Eglise  et  ses  sacrements,  surtout  celui  du  mariage,  et  se  li- 
vraient à  tous  les  excès  que  peut  engendrer  le  culte  du  dieu  de  la  ma- 
tière. «  Nous  pouvons  impunément  pécher,  disaient-ils  ;  ceux  qui  vonl 
nus  comme  Adam  et  Eve,  et  satisfont  leurs  passions,  font  bien.»  La 
secte  avait  à  sa  tête  douze  ministres  ou  apôtres,  qui  communiquaient 
avec  les  démons  (Schmidt,  Hist.  des  Cathares,  Paris,  1849,  I,  138  ss.). — 
3°  Sectaires  de  la  Bohême  au  quinzième  siècle,  appelés  aussi  Picards  par 
le  peuple,  ce  qui  n'est  sans  doute  qu'une  forme  corrompue  du  mot  Bé- 
ghards.  La  secte  a  été  fondée  probablement  par  des  Béghards  hérétiques 
ou  Frères  du  libre  esprit,  chassés  de  l'Allemagne  et  des  Pays-Bas  par 
la  persécution.  Elle  avait  à  sa  tête  un  patriarche  qu'on  appelait  Adam, 
Fils  de  Dieu  ou  Père,  et  une  femme  qui  portait  le  titre  de  mère  de  Dieu. 
La  communauté  des  femmes  la  plus  entière  régnait  parmi  ces  héré- 
tiques. L'homme  présentait  la  femme  de  son  choix  au  patriarche  de  la 
secte,  en  disant  :  «  Mon  esprit  s'est  échauffé  pour  celle-ci  »  ;  à  quoi  le 
patriarche  répondait:  «Allez,  croissez,  multipliez!  »  De  plus,  ils  consi- 
déraient la  nudité,  surtout  pendant  les  cérémonies  du  culte,  comme  le 
signe  extérieur  de  la  perfection  morale  :  «  Nous  n'avons  pas,  comme 
Adam  et  Eve,  trangressé  la  loi  de  Dieu,  disaient-ils  ;  nous  vivons  dans 
l'état  d'innocence  des  premiers  hommes  avant  la  chute.  Quiconque 
fait  usage  d'habits,  ne  possède  point  la  liberté.  »  En  outre,  ils  n'admet- 
taient pas  la  présence  réelle  dans  la  sainte  Cène,  et  niaient  toute  supé- 
riorité des  prêtres  sur  les  laïques.  Etablis  dans  une  île  de  la  Luschnitz, 
ils  dérobèrent  pendant  quelque  temps  leurs  excès  aux  yeux  des  po- 
pulations. Un  jour,  pris  du  désir  de  s'enrichir  par  le  pillage,  ils  allè- 
rent porter  la  désolation  dans  les  villages  environnants.  Ziska,  informé 
de  ce  fait,  marcha  contre  eux  en  décembre  1421  ;  il  les  força  dans  leur  île, 
et  passa  au  fil  de  l'épée  tous  ceux  d'entre  eux  qu'il  prit  en  ce  jour.  D'au- 
tres, saisis  plus  tard,  marchèrent  au  supplice  en  riant  et  en  chantant, 
disant  qu'ils  ne  tarderaient  pas  à  vivre  au  sein  de  la  félicité  divine 


ADAMITES  —  ADÉODAT  73 

(Beausobre,  Dissert.  surlcsAdamites,  chez  Lenfant,  Hist.  de  la  guerre  des 
Eussites,  etc.,  II,  110;  et  mon  Hist.  du  panthéisme  popul.,  Paris,  1875, 
p.  |i6)#  —  40  Petite  secte  anabaptiste  d'Amsterdam,  composée  de  sept 
hommes  et  de  plusieurs  femmes,  ayant  pour  prophète  un  certain  Die  trich 
le  Tailleur,  un  visionnaire  dont  les  prédications  apocalyptiques,  entre- 
mêlées de  descriptions  du  ciel  et  de  l'enfer,  exerçaient,  une  puissante 
fascination  sur  l'esprit  exalté  de  ses  auditeurs.  Le  12  février  1535,  le 
prophète  parut  dans  l'assemblée  armé  d'un  casque,  d'une  cuirasse  et 
d'une  épée,  prêcha  et  pria  quatre  heures  durant,  puis  se  dépouilla  de 
ses  armes  et  de  ses  vêtements  et  les  jeta  au  feu,  en  invitant  les  autres 
membres  de  la  secte  à  faire  de  même,  affirmant  que  c'était  un  sa- 
crifice agréable  à  Dieu  de  jeter  au  feu  tout  ce  qui  est  terrestre  pour 
n'être  plus  revêtu  que  de  vertus  célestes.  Puis,  après  quelques  mo- 
ments d'irrésolution,  tous  ces  fanatiques  sortirent  de  la  maison  et  se 
mirent  à  parcourir  les  rues  en  criant  :  «  Malheur  !  la  vengeance  di- 
vine! »  Arrêtés  immédiatement  par  les  bourgeois,  ils  refusèrent  les  ha- 
bits qu'on  leur  offrait,  en  disant  :  «  Il  faut  que  la  vérité  soit  nue.  »  Peu 
de  jours  après,  ils  subirent  le  dernier  supplice  (Bayle,  Diction.,  art. 
Picards,  note  B).  A.  Jundt. 

ADELBERT,  chef  du  clergé  frank  à  la  cour  de  Garloman,  fils  de 
Charles  Martel.  En  possession  d'une  grande  popularité,  il  s'était  fait 
consacrer  évêque  d'une  manière  irrégulière  et  sans  avoir  de  diocèse. 
Son  histoire  ne  nous  est  connue  que  par  les  récits  et  les  documents 
produits  par  son  implacable  adversaire  Boniface,  l'apôtre  de  la  Ger- 
manie, dont  il  paraît  avoir  contrecarré  les  plans  ambitieux.  Il  est 
accusé  d'une  part  d'avoir,  sous  l'empire  d'un  spiritualisme  exagéré, 
défendu  les  pèlerinages  à  Rome,  blâmé  la  pratique  du  jeûne,  interdit 
la  consécration  des  églises  sur  les  noms  des  apôtres  et  des  martyrs  et 
recommandé  au  peuple  la  célébration  du  culte  en  plein  air,  dans  les 
champs  et  auprès  des  sources.  D'autre  part,  Adelbert  aurait  exploité  la 
crédulité  du  peuple  par  les  supercheries  les  plus  grossières,  prétendant 
guérir  les  malades  par  l'attouchement  de  reliques  que  lui  auraient  ap- 
portées les  anges,  exhibant  une  lettre  écrite  par  Jésus-Christ  lui-même  et 
tombée  du  ciel  entre  ses  mains,  etc.  Il  est  difficile  de  démêler  la  vérité 
au  milieu  de  ces  accusations  contradictoires.  Boniface  eut  quelque 
peine  à  faire  condamner  celui  qu'il  considérait  comme  son  plus  dange- 
reux adversaire,  tant  le  crédit  dont  jouissait  l'évêque  frank  était  consi- 
dérable. Ce  ne  fut  qu'avec  l'avènement  de  Pépin  le  Bref,  qui  avait 
intérêt  à  ménager  la  cour  de  Rome,  que  la  sentence  du  synode  de 
Soissons  (744),  confirmée  par  le  concile  tenu  à  Rome  (745),  put  être 
exécutée.  D'après  une  tradition  conservée  dans  l'église  de  Mayence, 
Adelbert,  à  la  suite  d'une  controverse  publique  avec  Boniface,  aurait 
été  enfermé  dans  le  couvent  de  Fulda  et,  après  s'en  être  évadé  et  avoir 
erré  misérablement  sur  les  bords  du  Rhin,  aurait  trouvé  la  mort  par  la 
main  d'un  porcher. 

ADÉODAT  fut  pape  de  672  à  676.  Il  était  Romain  et  avait  été  moine 
à  Saint-Erasme.  Sa  vie,  attribuée  à  Anastase  (Muratori,  Script,  rer. 
ItaL,  III,  1,  p.  141  ss.),  nous  apprend  qu'il  fut  un  homme  doux.  On 


Vt  .      ADÉODAT  -  ADIAPHORA 

l'appelle  quelquefois  Adéodal  11,  pour  le  distinguer  du  pape  Deus- 
dedit. 

ADHÉMAR  de  Monteil,  évêque  du  Puy,  dirigea  la  première  croi- 
sade en  qualité  de  légat  du  pape,  prêcha,  par  sa  parole  et  son 
exemple,  l'union  entre  les  chefs,  la  constance  au  milieu  des  fatigues  et 
des  périls  et  la  pratique  des  vertus  chrétiennes.  Il  mourut  à  Antioche 
en  1098. 

ADHÉMAR  (D'),  famille  de  gentilshommes  languedociens  qui  en  1536 
étaient  encore  de  petits  tenanciers  de  l'église  cathédrale  d'Uzès,  mais, 
dès  la  fin  du  siècle,  fortement  attachée  aux  principes  de  la  Réforme, 
elle  s'est  peu  à  peu  élevée  au  premier  rang  dans  sa  province  où  elle 
est  aujourd'hui  l'une  des  plus  considérables  et  des  plus  fidèles  protes- 
tantes. On  cite  particulièrement  le  comte  Claude  d'Adhémar  qui  fut 
arrêté  au  milieu  de  la  nuit,  en  4751,  pour  avoir  fait  baptiser  ses  deux 
fils  au  désert,  et  qui  écrivait  à  l'intendant  par  lequel  il  était  retenu  en 
prison  qu'un  honnête  homme,  un  bon  citoyen,  un  fidèle  sujet  lui  avait 
paru  devoir  vivre  sans  rien  craindre,  mais  que  puisqu'il  s'était  trompé,  il 
invoquait  ardemment  «  le  grand  scrutateur  des  cœurs,  afin  qu'il  touche 
celui  de  notre  auguste  monarque  en  faveur  des  infortunés  protestants.  » 
L'intendant  se  récria  sur  «  le  ton  fanatique  »  de  tels  sentiments.  Mais 
il  n'eut  pas  le  dernier  mot,  car  M.  d'Adhémar  lui  répondit  que  si 
porter  l'amour  du  prince  et  de  la  patrie  au  point  de  préférer  le  triste 
état  de  protestant  en  France  à  celui  de  feld-maréchal  dans  le  pays 
étranger  constituait  le  fanatisme,  il  en  était  atteint  au  suprême  degré. 
Plusieurs  de  ses  parents,  en  effet,  occupèrent  de  hautes  fonctions 
au  service  de  l'Allemagne,  mais  le  foyer  de  la  famille  est  resté  bien 
français. 

ADIAPHORA  (du  grec  ààtacpopoç,  indifférent).  Les  stoïciens,  mettant  le 
bien  uniquement  dans  la  volonté  et  l'action,  regardaient  tout  le  reste 
comme  n'ayant  en  soi  aucune  valeur  morale.  Selon  eux,  la  richesse,  la 
bonne  renommée,  le  pouvoir,  la  durée,  la  santé  même,  tous  les  objets 
extérieurs  sur  lesquels  pouvaient  se  porter  l'action  de  l'homme,  n'é- 
taient, à  les  considérer  en  eux-mêmes,  ni  bons  ni  mauvais.  Parmi  ces 
choses,  il  y  en  avait  que  le  sage  était  libre  de  préférer  comme  étant  plus 
rapprochées  du  véritable  bien  et  pouvant  servir  davantage  à  le  réaliser, 
mais  aucune  ne  méritait  proprement  le  nom  de  bien  ;  quelquefois 
moyens,  jamais  but,  toutes  formaient  la  classe  nombreuse  des  choses 
en  soi  indifférentes,  adiaphora  (V.  Ritter,  Hist.  de  la  philos.,  lrepart., 
vol.  III,  p.  325-326,  350;  Ravaisson,  Essai  sur  le  stoïcisme,  p.  48-53).  — 
Ce  terme  a  joué  un  grand  rôle  dans  certaines  controverses  parmi  les 
protestants  d'Allemagne.  En  1548,  Mélanchthon  et  quelques  autres, 
trouvant  que  l'intérim  impérial  d'Augsbourg  demandait  aux  évangéliques 
des  concessions  exagérées,  proposèrent  comme  modus  vivendi  entre  ca- 
tholiques et  luthériens  ce  qu'on  appela  l'intérim  de  Leipzig.  On  y  accep- 
tait la  juridiction  des  évêques,  la  confirmation,  l'extrême-onction,  les 
cierges,  les  jeûnes,  les  fêtes,  même  celle  du  corps  du  Christ,  presque 
tout  l'ancien  canon  delà  messe  :  c'étaient,  disait-on,  autant  à' adiaphora, 
de  choses  extérieures  et  indifférentes  auxquelles  il  était  permis  de  se 


ADIAPHORA  75 

soumettre  pour  conserver  la  paix  et  l'unité  de  l'Eglise.  Cette  condescen- 
dance parut  à  plusieurs  excessive,  et  une  polémique  assez  animée  s'é- 
leva. Elle  se  poursuivit,  même  après  la  paix  de  religion  d'Augsbourg, 
jusqu'au  moment  où  la  Formule  de  concorde  (1580)  imposa  sur  ce  point 
comme  sur  d'autres  ses  déclarations  conciliatrices.  Ce  symbole  reconnut 
que  les  cérémonies  et  les  usages  ecclésiastiques,  n'étant  pas  ordonnés 
par  l'Ecriture,  sont  laissés  à  la  liberté  des  Eglises,  pourvu  que  la  vraie 
doctrine  reste  sauve  :  ce  sont  des  adiaphora  dans  certaines  limites  qu'on 
ne  saurait  déterminer  à  l'avance  pour  tous  les  cas.  Mais  on  ajouta  que, 
dans  les  temps  de  persécution  où  l'on  demande  des  fidèles  un  témoi- 
gnage ferme  et  non  équivoque,  il  ne  faut  pas  céder  aux  ennemis  de 
l'Evangile,  même  dans  les  choses  indifférentes  (Conc.  Form.  art,  X,  de 
reremoniis  ecclesiasticis  quse  vulgo  adiaphora  vocantur).  —  Deux  siècles 
plus  tard,  toujours  en  Allemagne,  s'éleva  un  nouveau  débat  sur  les 
adiaphora,  mais  dans  un  tout  autre  domaine.  Ce  fut  Spener,  l'auteur  du 
mouvement  religieux  connu  sous  le  nom  de  piétisme,  qui  le  provoqua. 
Dans  son  dessein  de  réagir  contre  la  légèreté  des  mœurs  de  son  temps, 
il  condamna  toute  une  série  de  délassements  et  d'habitudes  qu'il  jugeait 
incompatibles  avec  le  sérieux  de  la  vie  chrétienne,  la  danse,  par  exemple, 
le  jeu  de  cartes,  le  théâtre,  le  luxe  de  la  table  ou  de  la  toilette,  etc. 
{TheoL  Bedenken,  4  vol.  1700-4712;  Letzte  Theol.  Bed.:  3  vol.,  1711). 
Une  quantité  de  livres  ou  de  brochures  s'échangèrent  entre  les  piétistes 
qui  étaient  les  rigoristes  de  l'époque  et  les  orthodoxes  qui  en  étaient 
les  relâchés.  On  peut  en  voir  l'indication  dans  Walch,  Einleitung  in  die. 
Relig.  Streit.  der  Luth.  Kirche,  V,  p.  821-841.  Des  polémiques  de  dé- 
tail se  dégagea  une  question  générale  :  Y  a-t-il  des  actions  moralement 
indifférentes,  qui  ne  soient  ni  commandées  ni  défendues?  Les  piétistes 
le  niaient,  Les  orthodoxes  l'affirmaient.  Cette  question  n'est  point  en- 
core vidée  :  la  discussion  se  continue  avec  moins  de  passion  et  plus  de 
science  entre  les  moralistes  de  nos  jours,  et  l'on  rencontre  parmi  les 
champions  de  l'une  ou  de  l'autre  thèse  quelques-uns  des  plus  grands 
noms  de  la  philosophie  ou  de  la  théologie.  Non  que  personne  soutienne 
aujourd'hui  qu'il  puisse  y  avoir,  dans  la  vie  chrétienne,  une  seule  action 
indifférente,  c'est-à-dire  sans  caractère  moral,  par  conséquent  sans  au- 
cun rapport  avec  la  volonté  de  Dieu  et  avec  la  sainte  vocation  du 
croyant.  Tout  le  monde  s'accorde  à  nier  Yadiaphoron  ainsi  entendu. 
Mais  il  est  certaines  actions  qui,  si  le  chrétien  s'y  décide,  devront  être 
accomplies  par  lui  sous  le  regard  de  Dieu,  mais  qui  ne  s'imposent  pas  à 
sa  conscience  comme  des  devoirs,  et  qu'il  se  sent  libre  de  faire  ou  de  ne 
pas  faire.  On  ne  dit  pas  qu'elles  soient  indifférentes  ;  on  dit  qu'elles  sont 
simplement  permises.  Telle  est  l'opinion  de  Chalibgeus  (System  der  spe- 
kvlntiwn  Ethik,  1830,  vol.  I,  p.  279-285),  de  Rothe  (  Theol.  Ethik,  1870, 
vol.  III,  §  841),  de  Palmer  (Moral  des  Christenthums,  206-329;  Jahrb.  f. 
Deutsche  TheoL  1860,  p.  476-483;  1869,  p.  698-705),  de  Martensen 
(Christl.  Ethik.  Allg.  Theil,  1874 ,  p.  579-582),  de  Wuttke  (Handbuch  d. 
Christl.  Siltenlehre,  1875,  vol.  I,  p.  322-329),  etc.  Ces  partisans  du  «  sim- 
plement permis  »  ont  grand'peine  à  définir  ce  qui  proprement  le  consti- 
lue  :  il  est  impossible  de  résumer  ici  leurs  conceptions  et  leurs  arguments 


70  ADIAPHORA  -  ADON 

qui  sont  loin  de  concorder.  Mais  une  même  préoccupation  leur  est  com- 
mune :  vouloir,  pensent-ils,  que  le  chrétien  n'agisse  jamais  que  sur  un 
commandement  exprès  de  Dieu  ou  de  sa  conscience,  ce  serait  détruire 
en  lui  toute  spontanéité,  tout  élan,  et  le  jeter  dans  des  scrupules  sans 
fin  ;  en  fait,  telle  promenade,  telle  lecture,  tel  exercice  ou  telle  jouis- 
sance esthétique  (musique,  peinture,  poésie),  ne  sont  pas  des  devoirs 
positifs,  mais  simplement  des  libertés  permises  au  chrétien,  à  la  seule 
condition  qu'il  en  use  chrétiennement  (t  Tim.  IV,  4).  Palmer  fait  remar- 
quer que  l'héroïsme  n'est  pas  commandé.  Au  contraire,  Fichte  (vol.  IV 
de  ses  œuvres,  System  d.  Sittenlehre,  p.  155  ss.,  264  ss.),  Schleier- 
macher  (vol.  I  de  ses  œuvres,  Kritik  d.  bisher.  Sittenlehre,  p.  433-136, 
surtout  Ueber  den  Begriff  d.  Erlaubten,  Philos,  und  vermisch .  Schriftm,  II, 
p.  418-445),  Wirth  (System  d.  spek.  Fthik,  I,  p.  116),  Harless  (Christl. 
Fthik,fc  édit.  p.  160),  Kœstlin  (Jahrb.  f.  Deutsche  TheoL,  iSG9,Studien 
ueber  das  Sittengesetz,  p.  464-527),  etc.,  soutiennent  que  tout  dans  la  vie 
morale  doit  se  ramener  à  la  volonté  de  Dieu,  au  devoir  ;  et  que  l'action 
qui  ne  pourrait  se  justifier  que  par  la  libre  préférence  de  l'agent  devrai! 
être  considérée  par  lui  non  pas  comme  permise  mais  comme  défendue4. 
Ils  accusent  l'opinion  contraire  de  mener  tout  droit  à  la  dangereuse  dis- 
tinction des  «  prœcepta  eteonsilia  »  en  morale,  et  aux  œuvres  suréroga- 
toires.  Il  est  bon  de  remarquer  que  si  les  derniers  excluent  absolument 
de  leur  système  de  morale  la  catégorie  du  «  simplement  permis,  »  ils 
n'excluent  pas,  en  général,  de  la  vie  morale  les  actions  que  Ton  prétend 
ranger  sous  ce  chef  ;  ils  s'efforcent  seulement  de  les  rattacher  à  quelque 
grand  devoir.  En  quoi,  ils  arrivent  plus  ou  moins  à  se  rencontrer  avec 
leurs  adversaires  ;  car,  ceux-ci,  tout  en  maintenant  le  «  simplement 
permis  »  dans  la  théorie,  n'en  affirment  pas  moins  que  le  chrétien  ne 
saurait  s'y  livrer  que  sous  le  regard  de  Dieu,  et,  en  quelque  manière 
pour  le  servir,  ce  qui  est  bien  près  de  le  faire  par  devoir.  On  comprend 
du  reste  que,  descendue  sur  le  terrain  de  la  pratique  et  des  détails,  la 
discussion  tombe  aisément  dans  la  casuistique  comme  au  temps  de 
Spener  :  il  s'agit  de  savoir  jusqu'à  quel  point  et  par  quelles  raisons  un 
homme  sérieux,  un  chrétien  peut  légitimer  devant  sa  conscience  la 
danse,  le  jeu,  les  soirées,  l'usage  du  tabac,  le  luxe,  etc.  En  résumé, 
saint  Paul  a  posé  le  vrai  principe  (1  Cor.  X,  31).  Plus  le  chrétien  avance 
dans  son  développement  moral  et  religieux,  plus  sa  vie  est  pénétrée 
jusque  dans  ses  derniers  détails  de  l'esprit  du  Christ  et  consacrée  à 
Dieu;  plus  aussi,  il  sent,  selon  un  mot  du  grand  apôtre,  que  tout 
lui  est  permis,  et,  dans  le  même  temps,  moins  il  est  porté  vers  ce 
qui  n'édifie  ni  ses  frères  ni  lui  même  (Tite  I,  15;  1  Cor.  X,  23. 
Cf.  1  Cor.  VI,  12).  La  perfection  suprême  des  enfants  de  Dieu,  c'est 
Dieu  tout  en  eux  et  eux  tout  en  Dieu  :  c'est  aussi  leur  glorieuse 
liberté.  Charles  Bois. 

ADON,  de  Vienne.  Originaire  d'une  famille  noble  du  diocèse  de  Sens, 
il  fut  d'abord  moine,  successivement  dans  les  couvents  de  Ferrières  et 
de  Prûm,  célèbres  alors  pour  leurs  tendances  littéraires.  De  retour  d'un 
voyage  en  Italie,  il  fut  nommé  en 859 archevêque  de  Vienne;  il  mourut 
en  874,  après  avoir  aidé,  sous  les  papes  Nicolas  Ie*  et  Adrien  II,  à  conso- 


ADON  —  ADON1AS  77 

lider  en  France  l'autorité  pontificale.  Dans  ses  loisirs  il  s'était  occupé 
d'études  historiques  ;  il  avait  écrit  les  vies  de  quelques  saints,  refait  et 
complété  le  martyrologe  de  Bède  le  Vénérable,  et  compilé  une  chroni- 
que depuis  l'origine  du  monde  jusqu'à  Charles-le-Chauve  ;  le  fond  de 
cet  ouvrage  est  emprunté  à  la  chronique  de  Bède  et  aux  autres  sources 
dont  on  disposait  alors  Paul  Orose,  Isidore  de  Séville,  les  Annales  dites 
de  Lorsch  (Annales  Laurissenses)  avec  la  continuation  d'Eginhard,  etc. 
Dans  la  période  chrétienne,  l'idée  dominante  de  Fauteur  est  celle  de 
l'unité  et  de  la  continuité  de  l'empire  romain  ;  à  Fimpératrice  Irène  se 
rattachent  aussitôt  Gharlemagne  et  ses  successeurs  ;  mais  au-dessus  de 
l'empire  est  la  papauté.  —  La  meilleure  édition  du  Martyrologium  est 
encore  celle  que  donna  Héribert  de  Roswey  à  la  suite  du  Martyrolo- 
gium romanum,  Anvers,  1613;  Paris,  1645,  in-f°.  Le  Chronicon  de 
sex  œtatibus  mundi  a  été  imprimé  plusieurs  fois,  par  exemple  dans 
la  Bibl.  Patrum  maxima,  t.  XVI,  p.  768,  ss.  Voy.  Hist.  lût.  de  la 
France y  t.  V,  p.  469  ss. 

ADONAÏ,  un  des  noms  de  la  divinité  dans  l'Ancien  Testament.  Le  sens 
étymologique  de  cette  appellation  est  «  mon  Seigneur,  »  plus  exacte- 
ment «ma  Seigneurie»  (pluriel  d'abstraction);  mais  la  valeur  du 
suffixe  pronominal  s'étant  peu  à  peu  affaiblie  (comme  dans  le  français 
Monsieur),  Adonaï  n'a  plus  signifié  que  «  le  Seigneur.  »  Dieu  prend  lui- 
même  ce  nom  (Esaïe  VIII,  7),  qui  est  toutefois  employé  de  préférence 
dans  le  discours  direct  et  les  formules  précatives.  Les  Juifs  pro- 
noncent Adonaï  le  tétragramme  ineffable  YHWH  ;  et,  pour  indiquer 
cette  lecture,  les  masorèthes  ont  combiné  les  voyelles  du  premier 
mot  avec  les  consonnes  du  second.  La  prononciation  Jehovah,  résul- 
tant de  cette  combinaison,  est  donc  un  véritable  barbarisme  qui  n'a 
jamais  été  admis  par  les  Juifs,  et  date  seulement,  parmi  les  chrétiens, 
de  la  première  moitié  du  seizième  siècle  (voyez  Jehova).  —  Le  mol 
Adôn,  avec  le  suffixe  pronominal  Adoni  (d'où  le  grec  "Aûgmç),  signi- 
fiant «  Seigneur,  »  «  mon  Seigneur,  »  précède  souvent  les  noms  de 
divinités  sur  les  monuments  phéniciens,  et  désigne  même  une  divinité 
particulière. 

ADONIAS  [Adôniyâh,  'Adôniyâhou,  'A&oviaç],  fils  de  David  et  de 
Hagguît,  né  à  Hébron,  le  quatrième  dans  l'ordre  de  primogéniture,  et 
par  conséquent  l'héritier  présomptif  après  la  mort  de  ses  trois  aînés 
(I  Sam.  III,  4).  Vers  la  fin  du  règne  de  David,  il  afficha  hautement  ses 
prétentions  à  la  couronne  et  fut  soutenu  par  quelques  grands  person- 
nages (Abiathar,  Joab)  ;  mais  le  grand-prêtre  Tsadok,  le  prophète  Na- 
than et  les  guerriers  de  David  appuyèrent  le  vieux  roi  qui  avait  promis 
à  Bethsabée  que  son  fils  Salomon  lui  succéderait.  La  tentative  dAdonias 
échoua  et  lui  fut  pardonnée  (1  Rois  I,  5-53).  Il  recommença,  après  la 
mort  de  David,  en  demandant  en  mariage  une  concubine  royale,  Abisaï, 
comme  pour  affirmer  ses  droits  au  trône.  Salomon  entra  alors  dans 
une  violente  colère  et  fit  tuer  son  frère  (1  Rois  II,  13-25).  Abiathar 
fut  destitué  et  Joab  mis  à  mort  (1  Rois  II,  26-35).  Si  Salomon  ne  mon- 
tra point  autant  de  clémence  que  son  père,  peut-être  fut-il  plus  poli-  . 
lique. 


78  AD0PT1AN1SME  —  ADOPTION 

ADOPTIANISME,  nom  donné  à  la  doctrine  préconisée  au  huitième 
siècle  en  Espagne,  d'après  laquelle  Jésus  homme  aurait  été  fils  de  Dieu, 
non  par  nature,  mais  par  adoption.  Quelques  phrases  de  la  liturgie  mo- 
zarabique  et  l'influence  persistante  des  tendances  ariennes  dans  l'Espa- 
gne soumise  à  la  domination  maure  expliquent  la  localisation  de  la 
doctrine  adoptienne  dans  ce  pays,  ainsi  que  cette  controverse  qu'on 
peut  considérer  comme  le  dernier  écho  du  grand  conflit  de  l'aria- 
nisme.  Ce  fut  en  tout  cas  une  renaissance  du  nestorianisme  con- 
damné en  451  par  le  concile  de  Ghalcédoine,  qui  décréta  l'unité  de  la 
personne  du  Christ  en  stipulant  en  même  temps  la  dualité  de  sa  nature 
divine  et  de  sa  nature  humaine.  Au  huitième  siècle,  Elipand,  archevê- 
que de  Tolède,  et  Félix,  évêque  d'Urgel,  enseignèrent  que  le  Christ,  en 
tant  que  Dieu,  était  en  effet  Dieu  exnatura,  mais  qu'en  tant  qu'homme, 
il  était  fils  adopté  de  Dieu,  unigenitus  in  natura,  primogenitm  in 
adoptione  et  gratia.  La  querelle  s'échauffant  en  Espagne,  Charlemagne 
crut  devoir  intervenir.  Le  siège  d'Urgel  faisait  partie  de  l'empire  frank, 
tandis  que  le  diocèse  de  Tolède  obéissait  politiquement  aux  rois 
maures.  Félix  fut  individuellement  condamné  à  Ratisbonne  (792),  puis 
à  Rome,  se  rétracta  et  Fadoptianisme  fut  absolument  rejeté  par  le  con- 
cile de  Francfort  en  794,  comme  contraire  au  dogme  de  l'unité  de  la 
personne  du  Christ,  qui  s'est  fait  homme  assumptione  et  non  adoptione 
carnis.  Alcuin  se  distingua  surtout  dans  cette  controverse  par  l'habileté 
subtile  de  son  argumentation  et  l'âpreté  de  sa  polémique.  Au  concile 
d'Aix-la-Chapelle  en  799,  Alcuin  décida  Félix  à  se  rétracter  définitive- 
ment, mais  Elipand  repoussa  toute  proposition  de  ce  genre  et  sous  la 
protection  musulmane  put  défier  toute  mesure  de  coercition.  Félix  fut 
relégué  à  Lyon  et  mis  sous  la  surveillance  de  l'archevêque  Leidrad.  Il  y 
mourut  en  816  ou  818,  laissant  quelques  écrits  qui  autorisent  à  penser 
que  ses  rétractations  avaient  été  imposées  plus  que  consenties.  Du  reste 
Fadoptianisme  ne  survécut  pas  à  ses  patrons  espagnols.  On  doit  toute- 
fois signaler  les  sympathies  que  professèrent  pour  cette  doctrine  au 
dix-septième  siècle  le  jésuite  Vasquez  et  le  théologien  protestant  Ca- 
lixte.  Il  y  eut  enfin  au  dix-huitième  siècle  une  curieuse  querelle  entre 
P.  Constant,  éditeur  des  écrits  de  saint  Hilaire,  et  le  jésuite  Germonius 
qui,  en  1707,  fit  falsifier  un  manuscrit  du  Vatican  des  ouvrages  de  ce 
père  à  l'endroit  où  celui-ci  s'énonce  d'une  manière  dont  les  adoptiens 
pouvaient  tirer  avantage.  —  Pour  l'histoire  de  fadoptianisme,  outre  les 
histoires  générales  de  l'Eglise  et  des  dogmes,  il  faut  surtout  consulter 
VHistoria  Adoplianorum  de  Walch,  Gœtt.,  1755,  et  Y  Histoire  des  Hérésies 
du  même,  IX,  667.  A.  Réville. 

ADOPTION  (des  enfants  de  Dieu).  I.  Ce  mot  de  la  langue  juridique, 
transporté  par  saint  Paul  dans  la  langue  religieuse,  ne  se  trouve  que 
dans  les  épîtres  aux  Romains  (VIII,  15,  23),  aux  Galates  (IV,  5)  et  aux 
Ephésiens  (I,  5);  mais  le  fait  que  ce  mot  exprime,  savoir  la  qualité 
d'enfant  de  Dieu  attribuée  aux  chrétiens,  est  fréquemment  rappelé  dans 
le  Nouveau  Testament,  en  particulier  dans  les  écrits  de  saint  Jean.  Ce 
terme  désigne  soit  l'acte  de  souveraine  miséricorde  par  lequel  Dieu 
reconnaît  pour  ses  enfants  ceux  qui  ne  l'étaient  point    par  nature 


ADOPTION  79 

(cf.  Exode  II,  10),  soit  1  état  de  ceux  qui  ont  été  les  objets  de  cette 
grâce.  Le  terme  original  que  nos  versions  ont  rendu  par  «  adoption  » 
(oioÔeafa  de  uiôç,  tiOtj^c)  renferme  ces  deux  sens.  Saint  Paul,  en  l'em- 
ployant, a  principalement  en  vue  le  second  :  la  position  nouvelle  dans 
laquelle  se  trouvent  placés  vis-à-vis  de  Dieu  ceux  qu'il  a  adoptés  pour 
ses  entants,  leur  fdialitê.  Celle-ci  n'a  été  réalisée  dans  sa  vérité  absolue 
qu'en  Jésus-Christ  qui  est  «  le  propre  fils  de  Dieu  »  (Rom.  VIII,  32; 
Jean  III,  16),  non  par  adoption  seulement  (voy.  :  Adoptmnisme);  mais, 
dans  un  sens  relatif,  il  y  a,  sur  la  terre,  grâce  à  l'adoption  divine,  des 
enfants  de  Dieu  ou,  comme  les  appelle  plusieurs  fois  l'Ecriture,  des 
a  fils  de  Dieu  »  (Matth.  V,  9,  45;  Luc  VI,  35;  XX,  36;  2  Cor.  VI,  18). 
Dans  une  acception  générale,  tous  les  hommes  sont  des  enfants  de  Dieu, 
puisqu'il  est  le  Père  du  genre  humain  (Matth.  XXIII,  9),  mais  le  péché 
ayant  rompu  ce  lien  primitif  entre  l'homme  et  Dieu  et  fait  de  nous 
«  des  enfants  de  colère  »  (Ephés.  II,  3),  c'est  désormais  par  un  acte 
spontané  de  la  grâce  divine,  par  l'adoption  seule,  que  nous  sommes 
remis  en  possession  du  titre  et  des  privilèges  d'enfants  de  Dieu;  «  les 
enfants  de  la  chair  »  ne  peuvent  y  prétendre  (Rom.  IX,  8).  Déjà  dans 
l'ancienne  alliance,  tout  un  peuple  avait  été  adopté  de  Dieu,  comme 
son  peuple  particulier  (Exode  XIX,  5);  c'est  à  Israël  qu'appartient 
«  Fadoption  »  laquelle  fut,  à  son  tour,  la  garantie  des  autres  faveurs  de 
Dieu,  à  son  égard  :  la  gloire,  les  alliances,  la  législation,  le  culte,  les 
promesses  (Rom.  IX,  4).  «  Israël  est  mon  fils,  mon  premier-né  »,  dit 
l'Eternel  (Exode  IV,  22).  «  J'ai  appelé  mon  fils  hors  d'Egypte  »  (Osée  XI,  1). 
De  son  côté,  le  peuple  s'écrie  :  «  C'est  toi,  Eternel,  qui  es  notre  Père  » 
(Esaïe  LXIII,  16).  Seulement,  dans  l'Ancien  Testament,  c'est  la  nation 
entière  qui  reçoit  le  nom  de  fils  de  Dieu,  et  qui  en  exerce  les  sublimes 
prérogatives.  Le  moment  vint  où,  sorti  de  l'âge  de  tutelle  et  de  l'écono- 
mie préparatoire,  tout  homme  devait  se  sentir  vis-à-vis  de  Dieu,  à  la 
condition  de  la  foi,  dans  un  rapport  de  filialité  personnelle.  A  tous  les 
croyants  «  a  été  donné  le  pouvoir  de  devenir  enfants  de  Dieu  »  (Jean  I, 
12).  C'est  là  le  fait  chrétien,  tel  qu'on  peut  le  saisir  dans  le  cœur  de 
l'homme.  —  Il  nous  reste  à  voir  comment  s'opère  cette  adoption  et 
quels  en  sont  les  caractères.  —  II.  a)  La  cause  première  de  l'adoption 
des  enfants  de  Dieu  est  dans  sa  volonté  miséricordieuse.  De  tous  les 
témoignages  de  l'amour  de  Dieu,  c'est  pour  saint  Jean  le  plus  éclatant 
(1  Jean  III,  1).  En  effet,  cet  acte  divin  consiste  non  dans  une  déclaration 
légale,  ou  dans  le  don  fait  aux  chrétiens  d'un  nom  nouveau,  mais  dans 
une  vie  nouvelle,  c'est-à-dire  des  facultés  nouvelles  et  des  forces  nou- 
velles que  Dieu  leur  communique  réellement,  par  grâce  (Jacques  I,  18); 
ils  sont  nés,  non  du  sang  ou  de  la  volonté  de  la  chair,  mais  de  Dieu 
(expression  propre  à  saint  Jean  :  Jean  I,  13;  1  Jean  II,  29;  111,9;  IV, 
7:  Y,  1,  4,  18)  et  par  conséquent  «  d'en  haut»  (àvwQsv.  Jean  III,  3)* 
L'adoption  tst  donc,  de  la  part  de  Dieu,  un  enfantement  spirituel  véri- 
table; il  fait  de  nous  des  enfants,  puis  nous  traite  comme  tels.  Tout  ce 
qu'ils  sont,  les  enfants  de  Dieu  le  doivent  donc  à  l'amour  tout-puissant 
de  leur  Père  céleste  (Tite  III,  4-7).  De  cette  gratuité  absolue  de  l'adop- 
tion divine,  plusieurs  symboles  de  l'Eglise  réformée  concluent  à  son 


<S0  ADOPTION 

inamissibilité  :  «  Ex  immutabili  electionis  proposito  Deus  suos  non  eo 
usque  prolabi  sinit  ut  gralia  ado/jtionis  excidant  »  (Can.  Syn.  Dordrecht, 
v.  6).  b)  C'est  en  Christ  que  Dieu  adopte  ses  enfants,  car  c'est  en 
lui  que  sont  pardonnes  leurs  péchés  qui  s'élevaient,  comme  une  bar- 
rière, entre  eux  et  lui.  L'adoption  a  donc  pour  condition  (non  pour 
cause)  la  foi  en  Jésus-Christ  (Gai.  III,  26).  Quand  le  pécheur  a  été  jus- 
tifié par  la  foi,  c'est-à-dire  déchargé  de  l'accusation  portée  contre  lui 
par  ses  œuvres ,  et  de  la  crainte  de  la  condamnation  que  ces  œuvres 
avaient  méritée,  Dieu  l'admet  dans  sa  famille  (2  Cor.  VI,  18)  (voy.  l'art. 
Justification).  Le  baptême  est  le  signe  extérieur  de  cette  adoption 
divine,  c)  Enfin,  la  garantie  de  l'adoption,  inséparable  de  cette  adoption 
même,  c'est  le  témoignage  intérieur  de  l'Esprit  de  Dieu,  appelé  l'esprit 
d'adoption,  ou  l'esprit  filial  (Rom.  VIII,  15).  «  Parce  que  vous  êtes  fils 
(fils  adoptifs),  Dieu  a  envoyé  l'esprit  de  son  Fils  dans  vos  cœurs,  lequel 
crie  abba,  Père  »  (Gai.  IV,  6).  Les  fils  de  Dieu  sont  «  tous  ceux  qui  sont 
conduits  par  l'Esprit  de  Dieu.  C'est  cet  Esprit  qui  rend  témoignage  à 
notre  esprit  que  nous  sommes  enfants  de  Dieu  »  (Rom.  VIII,  14-16).  — 
III.  Les  caractères  de  la  filialité  peuvent  se  ramener  aux  suivants  : 
a)  La  paix.  Elle  est  entretenue  dans  le  cœur  des  enfants  de  Dieu  en  dépit 
des  épreuves  et  des  secousses  de  la  vie,  par  l'assurance  inébranlable  de 
Famour  de  leur  Père  céleste  (Rom.  VIII,  31-39).  Tous  les  événements 
de  la  vie  leur  sont  un  témoignage  de  cet  amour.  «  Les  bénéfices  que  les 
fidèles  reçoivent  journellement  de  la  main  de  Dieu  proviennent  de  son 
adoption  secrète  »  (Calvin,  Instit.,  III,  24,4).  De  même,  les  afflictions 
sont  pour  eux  des  avertissements  paternels  de  la  part  de  Celui  «  qui  les 
traite  comme  ses  enfants,  car  quel  est  l'enfant  que  son  père  ne  châtie 
pas?  »  (Hébr.  XII,  5-11).  b)  L'amour  pour  Dieu.  Il  se  montre  par  l'ardent 
désir  d'entrer  avec  Dieu  dans  une  communion  toujours  plus  intime  de 
sentiments  et  de  volonté,  de  ne  point  toucher  à  ce  qui  est  impur 
(2  Cor.  VI,  17,  18),  de  tendre  à  la  perfection,  parce  que  notre  Père 
céleste  est  parfait  (Matth.  V,  48),  en  un  mot  «  d'être  ses  imitateurs  » 
(Ephés.  V,  1),  comme  un  fils  respectueux  et  dévoué  cherche  à  marcher 
sur  les  traces  de  son  père,  c)  La  liberté.  Celle-ci  n'est  pas  seulement 
promise  dans  l'avenir;  elle  est  réalisée  dans  le  cœur  de  l'enfant  de 
Dieu  :  «  Tu  n'es  plus  esclave,  mais  fils  »  (Gai.  IV,  6).  L'âge  de  l'en- 
fance qui  est  un  temps  d'esclavage  (Gai.  IV,  3)  a  fait  place  à  l'âge  de  la 
majorité.  Ceux  que  Dieu  a  adoptés  pour  ses  fils  ont  secoué  le  joug  pro- 
visoire, bien  que  salutaire,  des  tuteurs  et  des  régisseurs  (Gai.  IV,  1,2). 
Ils  sont  affranchis  du  péché  et  de  la  mort  (Rom.  VIII,  2)  en  même  temps 
que  de  la  loi,  et  ont  désormais  un  libre  accès  auprès  du  Père  (Ephés.  II, 
18).  Toute  crainte  a  disparu  (Rom.  VIII,  15).  «  Si  nous  sommes  enfants 
de  Dieu,  dit  Calvin,  il  nous  induit  et  pousse  par  son  Saint-Esprit  à  nous 
retirer  familièrement  à  lui,  comme  à  notre  Père.  »  d)  L'espérance. 
Bien  que  le  chrétien  soit  dès  à  présent  un  enfant  de  Dieu,  ce  qu'il  sera 
n'a  pas  encore  été  manifesté  (1  Jean  III,  2).  Il  a  devant  lui  un  héritage 
de  pardon,  de  justice  et  de  vie  éternelle;  parce  qu'il  est  enfant,  il  est 
aussi  héritier  de  son  Père  céleste  (Rom.  VIII,  17).  Cet  héritage  du  salut, 
impérissable  et  sans  tache  (\  Pierre  I,  4),  il  le  possède  virtuellement, 


ADOPTION  -  ADORATION  81 

dès  ici-bas,  mais  il  n'a  encore  que  les  prémices  de  l'esprit;  il  attend 
avec  confiance  la  pleine  réalisation  de  ses  prérogatives  filiales  (Rom. 
VIII,  23)  et  le  moment  où  toutes  choses  seront  à  lui,  en  qualité  de  fils, 
les  choses  futures,  aussi  bien  que  les  choses  présentes  (1  Cor.  III,  22). 
«  Celui  qui  vaincra  héritera  ces  choses.  Je  serai  son  Dieu  et  il  sera  mon 
fils  »  (Apoc.  XXI,  7).  Ce  sera  le  dernier  mot  de  l'adoption  divine. 

J.     MONOD. 

ADORATION,  acte  par  lequel  on  rend  à  Dieu  l'hommage  qui  lui  est 
dû.  Le  mot  latin  qui  a  passé  dans  notre  langue  (adoratio)  paraît  dérivé 
de  ad  et  os  (oris)  =  bouche,  la  marque  du  plus  profond  respect  dans 
l'antiquité  consistant  à  rapprocher  la  main  de  la  bouche,  pour  jeter  un 
baiser.  Job  affirme  «  que  son  cœur  ne  s'est  jamais  laissé  séduire  jusqu'à 
adresser  les  baisers  de  sa  bouche  à  de  fausses  divinités  »  (Job  XXXI, 
26-28).  On  lit  dans  un  Psaume  :  «Baisez  le  fils  (c'est-à-dire  rendez-lui 
hommage),  de  peur  qu'il  ne  s'irrite  »  (Ps.  II,  12;  cf.  1  Rois  XIX,  18  ; 
Osée  XIII,  2).  L'adoration  répond  à  un  besoin  de  l'âme,  indéfinissable, 
mais  indestructible,  celui  de  nous  abaisse*  dans  le  sentiment  de  notre 
dépendance  et  de  nos  fautes  en  présence  du  Dieu  souverain,  notre 
juge,  de  célébrer  ses  perfections  et  ses  bienfaits,  de  nous  affranchir  des 
liens  terrestres  pour  entrer  en  communion  avec  Dieu  et  nous  plonger 
dans  la  contemplation  momentanée  de  sa  grandeur  infinie  enfin  de 
tout  consacrer  et  de  nous  donner  nous-mêmes  à  celui  auquel  tout  ap- 
partient (Michée  VI,  6).  Les  caractères  essentiels  de  l'adoration  sont  la 
vénération  et  l'amour.  Son  contraire,  c'est  l'esprit  profane.  Elle  est  à  la 
base  de  la  religion  et  répond  au  besoin  le  plus  intime  et  le  plus  noble 
de  l'homme  ;  le  propre  de  l'homme  c'est  d'être  capable  d'adoration. 
Elle  précède  tout  dogme,  toute  Eglise,  tout  culte,  toute  bonne  œuvre. 
Dans  les  Psaumes,  dont  un  grand  nombre  sont  des  cantiques  d'adora- 
tion, la  nature  entière  est  fréquemment  invitée  à  s'associer  à  l'adora- 
tion du  psalmiste  (Ps.  CXLVI1I,  etc.).  Esaïe  décrit  une  scène  d'adoration 
céleste  à  laquelle  il  assista  dans  une  vision  (Esaïe  VI,  l-II;  cf.  Hébr.  I,  6). 
La  vie  du  ciel  consiste,  sans  doute,  dans  une  adoration  active  et  parfaite 
(Apoc.  V,  14;  VII,  II,  1%.—Dim  seul  doit  être  adoré  (Matth.  IV,  10; 
Exode  XX,  3  ;  XXXIV,  14),  et  Dieu  étant  esprit,  cette  adoration  doit  être 
spirituelle  (Jean  IV,  23).  Toute  adoration  qui  n'a  pas  Dieu  pour  objet 
est  un  acte  d'idolâtrie  (voy.  ce  mot).  L'idolâtrie  était  le  plus  grand 
crime  religieux  que  pût  commettre  le  peuple  d'Israël,  puisqu'il  est  la 
rupture  même  de  l'alliance  conclue  entre  Dieu  et  lui  (Deut.  XIII  ;  XIV, 
2. Voyez  encore  l'adoration  du  veau  d'or,  Exode  XXXII,  8;  les  constantes 
dénonciations  des  prophètes  contre  ce  crime,  Esaïe  XLII,  17  ;  Osée  XIII, 
2,  etc.;  la  description  pleine  d'ironie  de  la  fabrication  des  idoles,  Esaïe 
XLIV,  8-20).  Dans  la  troisième  tentation  de  Jésus,  celle  où  se  concentra 
tout  l'effort  du  tentateur,  Satan  cherche  à  détourner  sur  lui-même,  en 
échange  des  richesses  du  monde,  l'adoration  due  à  Dieu  (Matth.  IV, 
8,9).  Si  Jésus-Christ  est  adoré,  c'est  parce  que  «Dieu  est  en  lui» 
(2  Cor.  V,  19;  Matth.  I,  23)  ou  parce  que  «le  Père  l'a  souverai- 
nement élevé»  (Phil.  II,  9-11;  Jean  V,  23).  Exemples  d'ado- 
ration rendue  à  Jésus-Christ  :  les  mages  (  Matth.  II,  2-11  )  ;  un 
i.  6 


$2  ADORATION  —  ADRAMÉLEGH 

lépreux  (VIII,  2);  les  disciples  (XIV,  33);  une  pécheresse  (Luc 
VII,  36-50);  la  sœur  de  Lazare  (Jean  XII,  1-8)  ;  Thomas  (XX,  28)  ; 
les  témoins  de  l'ascension  (Luc  XXIV,  52);  Etienne  (Actes  VII,  59). 
L'Eglise  catholique-romaine  adore  Y  hostie,  parce  qu'elle  croit  à  la  pré- 
sence réelle  de  Jésus-Christ  dans  les  espèces  de  la  sainte  cène.  Dans  la 
cérémonie  de  la  messe,  le  prêtre,  après  avoir  consacré  l'hostie,  fléchit 
le  genou  devant  elle,  puis  la  présente  au  peuple  (élévation)  qui  se 
prosterne  à  son  tour  (adoration).  Cette  adoration  du  Saint-Sacrement 
fut  introduite  dans  l'Eglise  par  le  pape  Honorius  III,  en  1217.  Ainsi 
s'explique  aussi  la  génuflexion  du  peuple  dans  les  rues,  quand  passe  le 
Saint-Sacrement.  Les  saints  et  particulièrement  la  Vierge  sont  aussi  les 
objets  de  l'adoration  des  fidèles  dans  l'Eglise  romaine.  Néanmoins  ses 
docteurs,  depuis  Thomas  d'Aquin,  distinguent  cette  adoration,  appelée 
culte  de  dulie  (honneurs  divins),  de  celle  rendue  à  Dieu,  à  laquelle  est 
réservé  le  nom  de  culte  de  latrie  (adoration  proprement  dite).  On  ap- 
pelle culte  d'hyperdulie  les  hommages  rendus  à  la  Vierge.  Celle-ci  est 
l'objet  d'une  dévotion  spéciafe  appelée  «  l'adoration  perpétuelle,  »  pra- 
tiquée par  certaines  congrégations  dont  les  membres  se  succèdent  pour 
adresser  à  Marie  des  prières  qui  ne  sont  jamais  interrompues.  Les 
papes,  après  leur  élection,  reçoivent  l'hommage  des  cardinaux  dans  une 
cérémonie  appelée  l'adoration.  L'adoration  de  la  croix  est  une  cérémo- 
nie qui  se  pratique  dans  l'Eglise  romaine  le  vendredi  saint.  Les 
images  et  les  reliques  peuvent  aussi  devenir  des  sujets  d'adoration  (voy. 
ces  mots).  La  forme  de  l'adoration  varie  suivant  les  époques  et 
les  pays.  Son  expression  naturelle  est  la  prière  et  le  cantique,  quelque- 
fois un  silence  religieux,  comme  chez  les  Quakers  (  «  Que  toute  créature, 
en  ta  sainte  présence,  s'impose  le  silence,  et  laisse  agir  ta  voix  I  » 
Corneille).  Les  signes  de  l'adoration  sont  tantôt  le  prosternement, 
comme  chez  les  Orientaux,  tantôt  la  génuflexion  (Jésus  :  Luc  XXII, 
41;  saint  Paul:  Actes  XX,  36),  tantôt  les  mains  levées  vers  le  ciel 
(Esaïe  I,  15;  1  Tim.  II,  8).  Moïse  (Exode  III,  5)  et  Josué  (Josué  V,  15) 
ôtent  leurs  chaussures,  comme  marque  de  respect  devant  Dieu.  Jacob 
mourant  adora  Dieu,  en  s'appuyant  sur  son  bâton  (Hébr.  XI,  21;  Gen. 
XLVII,  31).  Quelles  que  soient  les  formes,  l'essentiel  est  qu'elles  expri- 
ment des  sentiments  de  l'âme.  Il  n'y  a  d'adoration  réelle  que  s'il  y  a 
recueillement  et  componction  intérieure.  Dans  un  grand  nombre  d'E- 
glises, la  place  faite  à  l'adoration,  dans  le  culte,  est  manifestement  in- 
suffisante et  bien  différente  de  celle  que  lui  avait  faite  l'Eglise  des  pre- 
miers siècles.  Cette  place,  il  importe  de  la  lui  rendre  et  de  trouver  pour 
l'adoration  chrétienne  une  forme  vraie  qui  se  tienne  à  égale  distance 
du  ritualisme  catholique  et  de  la  froideur  du  puritanisme  (voyez  l'ar- 
ticle Culte).  J.  Monod. 

ADRAMELEGH  [Adrammèlèk,  'ASpafjiXex] ,  fils  et  meurtrier  de 
Sennachérib,  roi  d'Assyrie,  que  lui  et  son  frère  Saresser  assassinèrent 
dans  le  temple  de  Nisroch  (2  Rois  XIX,  37  ;  Esaïe  XXXVH,  38),  au 
retour  de  sa  désastreuse  expédition  de  Jérusalem.  Adramélech  ne  put 
réussir  à  se  faire  proclamer  roi  et  se  réfugia  en  Arménie  (Maspéro, 
Hùtoirs  anc.  des  peuples  de  l'Orient,  p.  422).  —  Nom  d'une  divinité 


ADRAMÉLEGH  —  ADRETS  89 

assyrienne  dont  le  culte  fut  apporté  à  Samarie  par  les  habitants  de 
Sepharvaïm  (2  Rois  XVII,  31).  Voy.  Samarie. 

ADRAMITTE  ['ASpa^u-uisiov,  'ABpaparraov,  etc.,  aujourd'hui  Endra- 
mit],  port  célèbre  de  Mysie,  en  Asie  Mineure.  C'est  sur  un  vais- 
seau de  cette  ville  que  saint  Paul  fut  emmené  de  Césarée  (izkom 
'ASpajjLUTTYjvo),  Actes  XXVII,  2).  C'est  à  tort  que  quelques  savants  ont 
voulu  trouver  dans  ce  passage  la  mention  de  la  ville  d'Adrumetum, 
dans  la  Byzacène,  en  Afrique  (voir  Shaw,  Travels.  Cf.  Bùsching, 
trdbeschr.,  V,  1,  91). 

ADRETS  (le  baron  des),  gentilhomme  dauphinois  dont  le  nom  de 
famille  était  Beaumont  (François  de)  et  dont  la  trace,  dans  les  san- 
glantes discordes  du  seizième  siècle,  est  restée  plus  brûlante  que  pure. 
C'est  l'un  de  ceux  que  les  ennemis  de  la  Réformation  citent  le  plus 
volontiers,  lorsqu'ils  veulent  faire  croire  que  violences  d'une  part  pour 
violences  de  l'autre,  les  deux  partis  se  valaient  et  que  les  protestants 
n'ont  rien  à  reprocher  aux  catholiques  en  fait  de  cruautés.  Ce  men- 
songe est  fondé  sur  une  complaisante  confusion  des  faits  de  guerre  avec 
les  assassinats  juridiques  ou  les  coups  d'Etat,  pareils  à  celui  de  la  Saint- 
Barthélémy,  et  sur  l'oubli  de  la  longanimité  chrétienne  avec  laquelle  les 
huguenots  ont  tout  souffert  dans  le  plus  humble  silence  depuis  1523 
jusqu'au  16  mars  1560.  Et  même  en  ce  qui  concerne  les  sévices  repro- 
chés au  baron  des  Adrets  contre  ses  prisonniers  de  guerre,  qu'il  forçait 
à  se  précipiter  du  haut  des  remparts,  et  contre  les  places  emportées 
d'assaut,  il  se  défendait  en  répondant  qu'il  avait  agi  pour  défendre  les 
siens  et  qu'il  n'avait  fait  «  la  mauvaise  guerre  »  que  pour  apprendre  aux 
catholiques  à  ne  pas  la  faire.  L'historien  d'Aubigné  lui  demandant  un 
jour  pourquoi  «  il  avoit  usé  de  cruautez  mal  convenables  à  sa  grande 
valeur.  Nul,  dit-il,  ne  fait  cruautez  en  les  rendant  :  les  premières  s'ap- 
pellent cruautés,  les  secondes  justice.  »  D'ailleurs  jamais  le  baron  des 
Adrets  ne  trahit  la  parole  donnée  au  vaincu,  à  la  grande  différence  du 
maréchal  de  Monluc  et  des  autres  capitaines  pratiquant  la  doctrine  des 
restrictions  mentales.  Des  Adrets,  né  en  1513,  avait  longtemps  servi 
dans  les  armées  du  roi,  sous  Lautrec  et  Brissac,  principalement  en 
Italie  lorsqu'en  1558,  au  siège  d'une  petite  place  du  Piémont,  il  eut  un 
violent  démêlé  avec  son  chef  immédiat,  Charles  d'Ailly.  Les  Guise  pro- 
tégeaient ce  dernier  et  on  lui  donna  tort.  Alors  il  se  jeta  dans  les  rangs 
militants  du  parti  huguenot,  sans  qu'on  sache  bien  sûrement  s'il  devint 
protestant  en  cette  circonstance  ou  s'il  ne  l'était  pas  déjà.  Pendant 
trois  ans,  à  la  tête  de  quelques  milliers  de  religionnaires,  il  tint  le  Dau- 
phiné,  la  Provence,  le  Lyonnais  et  le  Languedoc  sous  la  terreur  qu'in- 
spirait son  épée  :  c'était  un  soldat  merveilleux  pour  la  décision  ferme 
et  prompte,  l'exactitude,  la  sobriété,  l'étonnante  célérité,  avec  le  plus 
brillant  courage.  Mais  sa  gloire  fut  de  courte  durée.  Son  orgueil  cha- 
touilleux se  trouva  blessé  plusieurs  fois,  surtout  lorsqu'au  mois  de 
juillet  1562  le  gouvernement  de   Lyon,   dont  il  s'était  emparé,  fut 
donné  par  le  prince  de  Condé  à  un  autre  chef,  Soubise.  Au  commen- 
cement de  1563  ses  anciens  compagnons  d'armes  l'arrêtèrent  comme 
traître  à  leur  cause  et  il  n'échappa  à  un  jugement  que  par  le   béné- 


84  ADRETS  -  ADRIEN 

fice  de  Tédit  de  pacification  du  12  mars  de  la  même  année.  Dès 
lors,  il  devint  un  fidèle  sujet  du  roi,  servit  dans  l'armée  catholique  en 
1567,  mais  sans  éclat;  sa  fortune,  comme  sa  foi,  l'avait  abandonné.  Il 
vécut  toujours  un  peu  suspect  aux  deux  partis,  refusa  en  1577  de  signer 
la  Ligue,  fit  encore  une  campagne  en  1585  et  mourut  deux  ans  après 
dans  son  château  de  la  Frette.  Il  eut  trois  fils,  de  moins  de  valeur  que 
lui,  et  leur  survécut  à  tous  trois.  H.  Bordier. 

ADRIANISTES.  1°  Nom  d'une  secte  qui  n'a  jamais  existé.  Eusèbe 
(Hist.  eccles. ,  1.  IV,  ch.  22),  mentionnant  d'après  Hégésippe  diverses 
sectes,  ajoute  :  "08sv  àiub  toutwv  MevavBpavscrai  ;  quelques  manuscrits 
portant  fautivement  le  nom  de  'Acpiavsrcou,  Théodoret  (Op.,  IV,  p.  193) 
en  a  conclu  qu'il  s'agissait  d'une  secte  particulière  qu'il  fait  dériver  de 
Simon  le  Magicien.  —  2°  On  désigne  aussi  sous  ce  nom  une  secte  qui 
s'éleva  en  Hollande  au  milieu  du  seizième  siècle.  Elle  se  rattachait  aux 
doctrines  anabaptistes,  se  recrutait  surtout  parmi  les  femmes,  et,  sous 
le  couvert  de  l'ascétisme,  favorisait  des  mœurs  assez  relâchées.  Son 
chef  était  Adrien  Hamstédius,  né  à  Dordrecht  en  1521  et  mort  à  Bruges 
en  1581. 

ADRIEN  (Publius  jElim  Adrianus),  empereur  romain.  D'origine  es- 
pagnole et  parent  de  l'empereur  Trajan,  il  fut  adopté  par  lui  et  lui 
succéda  en  117.  De  son  règne  date  la  fin  de  l'histoire  des  Juifs  de  Pa- 
lestine. Il  voulut  d'abord  rebâtir  Jérusalem  et  en  faire  une  ville 
païenne.  A  cette  prétention,  ceux  des  Juifs  qui  avaient  survécu  au 
siège  de  la  ville  par  Titus  et  qui  étaient  restés  en  Judée  se  soulevèrent 
une  dernière  fois,  sous  la  conduite  de  Bar-Coziba,  appelé  aussi  Bar- 
Cocheba  (voy.  cet  article).  Adrien,  pour  en  finir  avec  ce  malheureux 
peuple,  envoya  contre  lui  le  général  Julius  Severus,  qui,  sans  livrer 
une  seule  grande  bataille,  dévasta  le  pays  et  changea  la  Judée  en  dé- 
sert. Jérusalem  fut  reprise  et  encore  une  fois  rasée.  Une  ville  nouvelle 
s'éleva  sur  ses  ruines  et  fut  appelée  jElia  (du  nom  de  famille  d'Adrien  : 
iElius).  L'empereur  ordonna  de  bâtir,  sur  l'emplacement  de  l'ancien 
sanctuaire  un  temple  à  Jupiter  Capitolin,  et  iElia  reçut  le  surnom  de 
Capitolina.  Il  fut  expressément  interdit  aux  Juifs  même  de  s'approcher 
de  la  ville  à  une  certaine  distance.  La  Bévue  historique,  dirigée  par 
MM.  Monod  et  Fagniez,  a  publié  dans  sa  troisième  livraison  (juillet-sep- 
tembre 1876)  un  travail  important  de  M.  Renan,  intitulé  :  La  Guerre 
des  Juifs  sous  Adrien,  dans  lequel  le  savant  auteur  révoque  en  doute  le 
siège  et  la  destruction  de  Jérusalem  sous  cet  empereur.  Nous  ren- 
voyons le  lecteur  à  cet  article  pour  tous  les  détails  de  la  lutte  dont  la 
Palestine  fut  alors  le  théâtre.  —  Adrien  s'intéressait  aux  progrès  de  la 
science.  Il  avait  aussi  un  profond  amour  de  la  justice,  ce  qui  le  rendit 
plutôt  favorable  qu'hostile  au  christianisme.  Il  s'opposa  aux  massacres 
des  chrétiens  par  la  populace  et  ordonna  de  ne  condamner  ceux-ci  que 
légalement.  Aussi  les  Pères  de  l'Eglise  ne  Font-ils  jamais  rangé  au 
nombre  des  empereurs  persécuteurs  du  christianisme.  A  la  fin  de 
sa  vie,  il  devint  cruel  et  débauché.  Il  mourut  à  Baies  le  10  juil- 
let 438,   après  avoir  adopté  Antonin,   qui  lui  succéda. 

Edm.  Stapfer. 


ADRIEN  —  ADRIEN  I«-  85 

ADRIEN  (Saint).  Parmi  les  nombreux  saints  de  ce  nom,  il  con- 
vient de  mentionner  saint  Adrien  et  ses  vingt -trois  compagnons, 
martyrisés  à  Nicomédie  en  Bithynie,  vers  Tan  310.  Les  actes  de  leur 
martyre,  rejetés  par  Tillemont  (V,  p.  508),  sont  considérés  par  les 
Bollandistes  (8  Sept.  III)  comme  douteux.  Le  corps  de  saint  Adrien 
a  été  transporté  au  septième  siècle  à  Rome  dans  l'église  qui  porte 
son  nom.  —  Saint  Adrien,  premier  évêque  de  Saint-Andrews ,  souffrit 
le  martyre  vers  870  avec  ses  compagnons  dans  l'île  de  May  en 
Ecosse,  où  une  Eglise  a  longtemps  conservé  son  nom  (A A.  SS.,  4  mart. 
I;  Th.  Mac-Lauchlan ,  The  early  scott.  churck,  Edinb.,  1865,  in-8°, 
p.  293). 

ADRIEN  Ier,  pape  de  772  à  795.  Il  était  Romain,  issu  d'une  famille 
puissante.  Lorsqu'à  la  mort  d'Etienne  III  il  monta  sur  le  trône  de  Saint- 
Pierre,  la  papauté  était  sous  le  joug  des  Lombards.  A  l'heure  même,  il 
rappela  de  l'exil  les  ennemis  du  roi  Didier  et  exigea  de  ce  prince  l'exé- 
cution des  traités  conclus  avec  son  prédécesseur.  De  son  côté,  le  roi 
des  Lombards  désirait  que  le  pape  consentît  à  servir  sa  haine  contre 
Charlemagne,  en  sacrant  les  fils  de  Garloman.  Ne  pouvant  l'obtenir,  il 
occupe  le  duché  de  Ferrare   et  menace  Ravenne.  Mais  tandis  qu'il 
marche  sur  Rome,  l'âme  du  parti  lombard  dans  cette  ville,  le  meur- 
trier Paul  Afiarta,  est  écarté  de  Rome  par  ruse,  et  mis  à  mort.  Cepen- 
dant Adrien  invoquait  le  secours  de  Charlemagne.  Au  lieu  de  s'empres- 
ser au  secours  du  pontife,  Charles  négociait  avec  Didier.  Le  pape  s'en- 
ferme dans  la  ville,  abandonne  les  basiliques  de  Saint-Pierre  et  de 
Saint-Paul  ;   en  même  temps  il  lance  l'anathème  contre  Didier,  et  lui 
adresse  de  telles  menaces,  que  le  roi,  rencontré  à  Viterbe  par  les  envoyés 
du  pape,  donne  aussitôt  l'ordre  de  la  retraite.  En  septembre  773,  Char- 
lemagne pénètre  en  Italie  par  Genève  et  le  mont  Cenis.  Jusqu'au  pied 
des  Alpes,  il  a  offert  au  roi  des  Lombards  les  conditions  les  plus 
douces  ;  mais  s'étant  rendu  maître  du  défilé  des  Cluses  par  un  mouve- 
ment habile,  il  poursuit  Didier  épouvanté,  et  le  roi  s'enferme  dans 
Pavie.  La  veille  de  Pâques  de  l'an  774,  Charles  entre  à  Rome,  il  est  ac- 
clamé comme  patrice  de  la  ville,  il  monte  les  degrés  de  Saint-Pierre  en 
en  baisant  toutes  les  marches.  Le  6  avril,  à  la  basilique  de  Saint- 
Pierre,  le  pape  engage  Charles  à  renouveler  la  donation  faite  au  saint- 
siége,  à  Kiersy,  par  son  père.  Le  biographe  d'Adrien  raconte  que  le  roi 
fit  recopier  la  charte  de  Pépin  par  son  notaire,  il  la  signa  avec  les 
grands  de  son  royaume,  et  ce  document  fut  déposé  dans  le  tombeau  de 
saint  Pierre.  Cette  «  promesse  de  donation  »  mentionne  la  Corse,  Luna, 
Parme,  Reggio,  Mantoue,  l'exarchat  de  Ravenne,  Venise,  l'Istrie,  et  les 
duchés  de  Spolète  et  de  Bénévent.  De  nombreux  auteurs  ont  contesté, 
soit  le  caractère  historique  de  la  donation  de  Charlemagne,  soit  son 
identité  avec  la  charte  de  Kiersy,  et  presque  tous  reconnaissent  que 
Charlemagne  a  dû  se  réserver  la  suzeraineté  sur  les  territoires  mêmes 
qu'il  promettait  de  rendre  au  pape,  soit  comme  héritage  de  l'empire 
romain,  soit  comme  patrimoine  de  l'Eglise  (voy.  l'article  Donations). 
Pavie  rendue,  Didier  alla  mourir  au  couvent  de  Corbie  ;  Charlemagne 
se  fit  désormais  appeler  roi   des  Francs  et  des  Lombards,  patrice  de 


86  ADRIEN  I«  —  ADRIEN  II 

Rome.  Charles  tardait  à  remettre  à  Adrien  les  domaines  reconquis  sur 
les  Lombards.  En  réalité  il  ne  témoigna  guère  en  aucune  occasion  de 
son  zèle  pour  le  pouvoir  temporel  du  pape.  Tandis  que  dès  774  l'arche- 
vêque de  Ravenne,  Léon,  poussé  par  une  ancienne  rivalité,  s'em- 
parait  de  l'Emilie  et  de  la  plus  grande  partie  de  l'exarchat,  Charle- 
magne  fermait  l'oreille  aux  plaintes  du  pape,  et  la  mort  même  de  Léon 
(776)  ne  lui  fournit  pas  une  occasion  de  rendre  justice  au  siège  de 
Saint-Pierre.  En  vain  le  pape,  dans  une  lettre  appartenant  à  l'an  777  ou 
du  moins  antérieure  à  781  (Cad.  Car.  ep.  49)  lui  rappelle  sa  promesse 
et  redemande  ses  Etats  au  roi  des  Francs,  «afin  que  les  peuples  puis- 
sent s'écrier  :  Quia  ecce  novus  christ ianissimus  Dei  Constantinus  imper  a- 
tor  his  temporibus  surrexit.  »  Adrien  croyait  avoir  trouvé  dans  le  pa- 
trice  de  Rome  un  protecteur;  mais  Charles  prétendait  avoir  reçu,  avec 
les  devoirs  de  cette  charge,  les  droits  du  représentant  de  l'empire  en 
Italie.  Longtemps  appelé  en  vain  par  le  pape,  Charles  se  retrouve  enfin 
à  Rome  en  781,  et  le  jour  de  Pâques  de  cette  année  le  pape  baptise  son 
fils  Carloman,  qu'il  tient  sur  les  fonts  baptismaux  en  lui  donnant  le 
nom  de  Pépin,  et  sacre  les  deux  fils  de  Charlemagne,  Louis  et  Pépin, 
l'un  roi  d'Aquitaine,  l'autre  roi  d'Italie.  Depuis  ce  jour,  Adrien  appela 
le  roi  des  Francs  «  son  compère  »  (spiritalis  compater).  Dans  l'automne 
de  786,  Charles  revint  en  Italie,  en  787  il  était  à  Rome.  Arégise,  gendre 
de  Didier,  exerçait  à  Bénévent  une  sorte  de  pouvoir  royal.  Charles, 
malgré  le  désir  du  pape,  traite  avec  le  prince  de  Bénévent,  reçoit  son 
hommage,  et  exige  de  lui  qu'il  rende  au  pape  Capoue  et  quelques  do- 
maines. Cette  promesse,  comme  tant  d'autres,  fut  toujours  sans  rece- 
voir son  exécution,  et  Adrien  ne  put  pas  davantage  se  faire  livrer  les 
quelques  villes  de  la  Toscane  dont  Charles  lui  avait  garanti  la  posses- 
sion. Lorsqu'en  787  le  deuxième  concile  de  Nicée  fut  assemblé  du  con- 
sentement d'Adrien  pour  traiter  du  culte  des  images,  le  pape  s'empara 
avec  bonheur  des  décisions  du  concile,  et  pria  Charlemagne  d'en  faire 
reconnaître  l'autorité.  Le  roi,  au  contraire  (voy.  Charlemagne),  fort  de 
l'appui  de  l'Eglise  anglo-saxonne,  réfuta  les  décisions  de  Nicée  dans 
son  Opus  Carolinum,  et  réunit  en  794  le  concile  de  Francfort,  qui  con- 
damna le  culte  des  images.  Un  synode  assemblé  à  Paris  en  825  ne 
craignit  pas  de  blâmer  ouvertement  le  pape  Adrien  et  de  rejeter  sa 
doctrine.  La  Vita  Hadriani,  attribuée  à  tort  à  Anastase,  se  trouve, 
entre  autres  lieux,  dans  Murât ori,  Scr.  r.  JtaL,  III,  1.  179,  et  Vi- 
gnoli,  R.  1724,  in-4°.  Les  Lettres  d'Adrien  à  Charlemagne,  recueillies  par 
ordre  de  Charles  en  1791,  dans  le  Codex  Carolinus,  sont  imprimées  dans 
Muratori,  l.  I.  III,  2,  194  ss.  ;  Bouquet,  V,  544,  ss.;  Caj.  Cenni,  Mo- 
num.  dominationis  pontificise,  R.,  1760,  2  vol.  in-4°,  et  Jaffé,  Bibl.  rer. 
Germ.,  III,  Berl.,  1867,  in-8°.  Voy.  S.  Abel  :  Papst  Hodr.  1  (Forsch.  z. 
deutsch.  Gesch.,  1862)  ;  le  même  :  Jahrb.  d.  fraenk.  Reiches  u.  Karl.  d. 
gr.,  Berl.,  1866,in-8°.  S.  Berger. 

ADRIEN  II,  pape  (867-872),  fut  élu  peu  de  jours  après  la  mort  de 
Nicolas  Ier,  et  sacré  le  14  décembre  867.  Il  était  de  la  même  famille  d'où 
étaient  issus  les  papes  Etienne  IV  et  Serge  II.  Il  avait  été  marié  et  avait 
une  fille.  Homme  aimé  de  toutes  les  classes,  il  avait  déjà  deux  fois  refusé 


ADRIEN  II  —  ADRIEN  IV  87 

le  pouvoir  papal,  il  l'accepta  à  l'âge  de  soixante-seize  ans.  Au  moment 
de  son  avènement,  l  Orient  était  agité  par  les  querelles  entre  Photius, 
patriarche  de  Constantinople,  et  la  papauté.  L'empereur  Basile  (voy. 
Photius)  avait  rétabli  Ignace  en  la  place  de  Photius.  Le  pape,  d'accord 
avec  lui,  réunit  en  869  un  synode  à  Saint-Pierre  pour  la  condamnation 
de  Photius.  Dans  Tune  des  allocutions  qui  furent  lues  à  ce  synode 
(Mansi,XYI,  128  ss.),  Adrien  relève  la  hardiesse  de  son  ennemi  qui  a 
tenté  de  le  déposer  :  «  Romanum  pontificem  de  omnium  ecclesiarum 
praesulibus  judicasse  legimus,  de  eo  vero  quemquam  judicasse  non 
legimus.  »  Le  huitième  concile  œcuménique,  qui  fut  tenu  à  Constanti- 
nople en  l'an  869,  subit  l'influence  du  pape  et  rejeta  Photius  (Mansi,  XVI, 
p.  8  ss.).  Dans  son  troisième  canon  (/.  /.  p.  157),  ce  concile  se  prononça 
comme  il  suit  au  sujet  des  images  :  «  La  sainte  image  de  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ  doit  être  vénérée  à  l'égal  des  saints  évangiles  ;  et  de  même 
les  images  de  la  sainte  Vierge,  des  anges,  des  apôtres,  des  martyrs  et 
de  tous  les  saints.  »  Dès  le  jour  de  son  intronisation,  Adrien  avait  fait 
sa  paix  avec  Lothaire  II  en  admettant  ses  adhérents  dans  la  communion 
de  l'Eglise.  Lorsqu'en  869  Charles  le  Chauve  prit  possession  de  la  Lor- 
raine, le  pape  envoya  deux  ambassadeurs  protester  contre  lui  et  il 
interdit  aux  évêques  de  le  soutenir.  Les  évêques  et  le  roi  ne  tinrent 
aucun  compte  de  cette  menace.  Ce  conflit  se  compliqua  de  la  querelle 
des  deux  Hincmar  (voy.  Hincmar).  Hincmar  de  Reims,  malgré  la  pro- 
tection dont  le  pape  couvrait  son  neveu  Hincmar  de  Laon,  le  fait  con- 
damner au  concile  de  Douzy  (août  871).  Par  trois  lettres  adressées  à 
Charles-le-Chauve,  aux  grands  et  aux  évêques  de  France  (Mansi,  XV, 
850  ss.),  Adrien  avait  jeté  l'invective  au  roi  Charles.  Celui-ci,  par  une 
lettre  due  à  Hincmar  [H.  opp.,  éd.  Sirmond,  II,  p.  701),  ferma  la 
bouche  au  pape.  Adrien  mourut  en  décembre  872,  mais  le  conflit  entre 
la  cour  de  Rome  et  Charles  le  Chauve  ne  cessa  que  lorsqu'en  876, 
Jean  VIII  son  successeur  accepta  la  condamnation  du  jeune  Hincmar. 
La  vie  d'Adrien  II,  par  Pandulphe  Pisan,  est  imprimée  dans  Mura- 
tori  III,   1,  p.   261   ss.  et  ailleurs;  ses  lettres,  dans  Bouquet,  VIII, 

439  SS.  S.  Berger. 

ADRIEN  III,  pape  (884-885).  On  lui  attribue,  sans  doute  à  tort,  un 
u  Décret  prescrivant  l'ordination  du  pape  hors  de  la  présence  des 
ambassadeurs  impériaux;  »  ce  décret  n'était  pas  connu  avant  le  chro- 
niqueur Martinus  Polonus.  Sa  vie,  par  Pandulphe  Pisan,  est  dans  Mura- 
tori,  /. /.,  c.  310. 

ADRIEN  IV,  pape  (1154-1159).  Le  4  décembre  1154,  Adrien  IV  suc- 
céda à  Anastase  IV.  Il  s'appelait  Nicolas  Breakspear,  était  fils  d'un  clerc 
anglais,  et,  abandonné  par  son  père,  il  avait  mendié  son  pain.  Recueilli 
par  les  moines  de  Sainl-Ruf  près  Avignon,  il  fut  en  1137  élu  abbé  de  ce 
couvent  ;  le  pape  Eugène  III  le  fit  cardinal-évêque  d'Albano,  et  l'envoya 
comme  légat  en  Danemark  et  en  Norwége.  «  Le  siège  pontifical,  dit-il 
aussitôt  élu,  est  semé  d'épines,  le  manteau  papal  est  percé  de  toutes 
parts,  et  si  lourd  qu'il  accablerait  l'homme  le  plus  fort.  »  A  peine 
monté  sur  le  trône,  Adrien  rencontre  l'opposition  des  Romains  qui, 
conduits  par  Arnaud  de  Brescia,  le  somment  de  renoncer  à  l'adminis- 


88  ADRIEN  IV 

tration  temporelle  et  de  l'abandonner  au  sénat  élu  par  eux.  Adrien, 
chassé  de  Rome,  met  la  ville  en  interdit.  Le  jeudi  saint  de  l'an  1155, 
le  peuple  ayant  chassé  le  tribun,  il  rentre  au  Latran.  Cependant 
Barberousse  pénètre  en  Italie,  il  tient  la  diète  de  Roncaglia  près 
Plaisance,  le  pape  aussitôt  lui  envoie  une  ambassade  amicale  et  lui  de- 
mande de  lui  livrer  Arnaud;  celui-ci  est  pendu  et  brûlé  à  Rome.  Le 
9  juin  1155,  Adrien  se  décide  à  aller  saluer  le  roi  à  Sutri,  devant  Rome; 
mais  Frédéric  Ier  ne  lui  tient  pasl'étrier.  Le  pape  exige  et  obtient  l'hom- 
mage qui  lui  est  dû  :  à  Nepi,  le  roi  des  Romains  conduisit  par  la  bride 
la  monture  du  pape.  Frédéric  parle  aux  Romains  avec  une  éloquente 
énergie,  et,  réconcilié  avec  Adrien,  il  se  fait  couronner  par  lui  à  Saint- 
Pierre,  le  18  juin  1155.  Une  émeute  des  Romains  est  réprimée  et  l'em- 
pereur retourne  en  Allemagne.  Bientôt  Adrien  IV  se  trouve  en  lutte 
avec  le  roi  de  Sicile  Guillaume  1er;  assiégé  dans  Bénévent  et  pressé  par- 
les circonstances,  il  conclut,  en  1156,  un  traité  avec  le  roi  Guillaume. 
Les  cardinaux  gibelins  le  lui  reprochent  ;  Frédéric  Ier,  qui  convoite  les 
Deux-Siciles,  en  est  irrité.  Cependant,  en  1157,  à  la  diète  de  Besançon, 
le  pape  envoie  à  l'empereur,  par  deux  légats,  une  lettre  hautaine  : 
«  Souvenez-vous,  lui  dit-il,  comment  votre  sainte  mère  l'Eglise  vous  a 
accueilli,  comment  elle  vous  a  comblé  de  dignités  et*  d'honneurs,  vous 
conférant  volontiers,  avec  la  couronne,  les  insignes  de  l'empire.  Et  nous 
aurions  été  heureux  que  votre  excellence  pût  recevoir  encore  de  notre 
main  de  plus  grands  bienfaits  (bénéficia).  »  Le  mot  de  bénéficia,  traduit 
par  bénéfices,  souleva  un  orage  de  colère  au  sein  de  la  diète.  Le  cardinal 
Roland  de  Sienne  (plus  tard  Alexandre  III)  aggrava  l'effet  de  cette  lettre 
en  s'écriant  :  «  De  qui  donc  l'empereur  tient-il  l'empire,  si  ce  n'est  du 
pape?  »  Déjà,  à  son  voyage  à  Rome,  Frédéric  avait  été  offensé  par  la 
vue  d'un  tableau  qui  représentait  le  couronnement  de  Lothaire,  et  portait 
ces  deux  vers,  où  Fempereur  était  appelé  «  l'homme  du  pape  :  »  Rex 
venit  ante  fores ,  jurans  prius  Ur bis  honores,  Post  homo  fit  Papse,  sumit 
quodante  coronam.  Dès  lors,  Frédéric  fut  l'ennemi  du  pape.  Goldast  a 
publié  une  lettre  adressée  à  Hillin,  archevêque  de  Trêves,  où  l'empe- 
reur déclare  qu'il  n'a  pas  été  couronné  par  le  pape  ;  il  a  pris  lui-même 
la  couronne,  il  n'a  reçu  d'Adrien  que  l'huile  sainte  :  et  Fempereur  pro- 
pose à  l'archevêque  de  Trêves  de  faire  schisme.  MM.  Jaffé,  Wattenbach 
et  Hefele  ont  démontré  Finauthenticité  de  ce  document.  Frédéric  mar- 
che une  seconde  fois  sur  l'Italie,  il  y  entre  en  juillet  1158  ;  le  pape,  al- 
lant au-devant  de  sa  colère,  lui  donne,  sans  s'humilier,  les  explications 
les  plus  satisfaisantes  sur  sa  lettre  :  «  Bénéfice  ne  signifie  pas,  chez 
nous,  fief  mais  bienfait...  conférer  veut  dire  imposer.  »  L'empereur  se 
contente  de  cette  justification.  A  la  diète  de  Roncaglia,  en  novembre 
1158,  il  recevait  le  témoignage  de  la  servilité  des  Italiens.  Mais  la  ten- 
sion entre  Fempereur  et  le  pape  demeure.  L'approche  de  la  mort 
(Adrien  mourut  le  1er  sept.  1159  à  Anagni)  empêcha  seule  le  pape 
d'excommunier  Barberousse.  —  Voy.  R.  Raby,  Pope  Hadrian  IV, 
Lond.,  1849;  H.  Reuter,  Gesch.Alex.  /Y/,2*édit.,,L.,1860,p.  1  ss.;  Hefele, 
Conciliengesch.,\,  p.  472  ss.^trad.  fr.,VII,p.  328  ss.;  Raumer,  Hohenst., 
éd.  III,  t.  II,  p.  22  ss.  La  vie  d'Adrien IV,  recueillie  par  le  cardinal  d'Ara- 


ADRIEN  IV  -  ADRIEN  VI  89 

gon,  Nicolo  Roselli  (f  1362),  est  l'œuvre  du  cardinal  Boso,  camérier 
d'Adrien  (f  1178).  M.  Watterich  {Pontifie,  roman,  vitœ,  L.  1862,  II, 
p.  323  ss.)  l'a  publiée  avec  tous  les  documents  intéressant  la  vie  de  ce 
pape.  S.  Berger. 

ADRIEN  V  fut  pape  du  12  juillet  au  18  août  1276  ;  il  s'appelait  Otto- 
boni  Fiesco  et  était  Génois. 

ADRIEN  VI.  Adrien  Dedel  d'Utrecht,  qui  avait  été  successivement  cha- 
noine, vice-chancelier  de  l'université  de  Louvain,  précepteur  du  petit- 
fils  de  Maximilien,  cardinal-évêque  de  Tortose,  régent  d'Espagne,  fut 
élu  pape  sans  s'être  porté  candidat  et  sans  être  connu  du  conclave,  le 
9  janvier  1522  ;  il  fut  nommé  à  la  recommandation  de  Cajetan  qui  avait 
entendu  parler  en  Allemagne  de  sa  science  et  de  sa  piété,  par  une  ma- 
jorité qui  voulait  être  agréable  à  Charles  V.  Adrien  toutefois  ne  se  crut 
pas  obligé  de  servir  la  politique  de  son  ancien  élève  et,  dès  son  avène- 
ment, il  recommanda  la  paix  à  toutes  les  puissances  de  l'Europe  et  es- 
saya de  se  placer  en  dehors  et  au-dessus  des  luttes  qui  divisaient  la 
chrétienté.  Il  se  propose  de  combattre  l'hérésie  en  Allemagne  et  en 
Suisse,  de  réformer  l'Eglise,  de  tourner  les  armes  des  chrétiens  contre 
les  Turcs  et  de  rendre  au  saint-siége  le  prestige  qu'il  avait  perdu  depuis 
longtemps.  Mais  rien  ne  lui  réussit  et  il  ne  fut  même  pas  en  état  d'ob- 
server la  neutralité  qu'il  croyait  indispensable  au  succès  de  ses  projets. 
A  Rome,  «  qui  était  la  source  de  tout  le  mal,  »  il  rencontra  une  opposi- 
tion insurmontable  ;  les  abus  de  l'administration,  le  trafic  des  bénéfices, 
des  indulgences,  des  grâces  étaient  consacrés  par  un  long  usage  :  toute 
la  curie  entra  en  lutte  avec  le  pape  et  l'obligea  de  reculer.  En  Allema- 
gne, la  Réforme  avait  fait  de  rapides  progrès  depuis  la  diète  de  Worms, 
et  lorsque  le  cardinal  Chieregati  se  présenta  devant  la  diète  de  Nurem- 
berg avec  un  bref  pontifical  engageant  les  Etats  à  procéder  contre 
Luther  et  à  faire  exécuter  l'édit  de  Worms,  les  princes  répondirent  que 
des  mesures  de  rigueur  provoqueraient  la  guerre  civile.  Chieregati  eut 
beau  promettre  au  nom  du  pape  de  sérieuses  réformes  dans  l'Eglise,  la 
diète  ne  voulut  pas  tenir  compte  de  ces  promesses  ;  elle  formula  les 
cent  doléances  et  réclama  la  réunion  d'un  concile  libre  dans  une  ville 
d'Allemagne.  Adrien  accorde  à  Charles-Quint  la  dîme  et  les  annates  en 
Allemagne  sous  la  condition  qu'il  combattra  les  Turcs;  mais  l'empereur 
ne  peut  pas  se  décider  à  tourner  ses  armes  contre  l'Orient  par  crainte  de 
la  France.  Le  pape,  après  avoir  eu  la  douleur  de  voir  tomber  Rhodes  aux 
mains  des  Ottomans,  adhéra  à  la  Ligue  (3  août  1523),  persuadé  que 
l'ambition  remuante  de  François  Ier  faisait  seule  obstacle  à  la  croisade. 
Au  moment  où  la  guerre  éclate  en  Lombardie,  où  les  Français  passent 
le  Tessin,  Adrien  découragé,  méconnu  des  Romains,  insulté  par  les  car- 
dinaux, meurt  le  14  septembre  1523.  Ce  pape,  malgré  les  intentions  les 
plus  droites,  les  mœurs  les  plus  pures,  une  science  théologique  très- 
profonde,  un  amour  éclairé  des  lettres  (bonx  litterx)  qu'Erasme 
se  plaisait  à  constater,  fut  traité  de  tyran,  de  barbare,  d'ennemi 
farouche  des  Muses  par  un  peuple  habitué  aux  splendeurs  païennes 
du  règne  de  Léon  X.  Il  porta  sur  le  trône  pontifical  l'autérité  d'un  as- 
cète; mais  Rome  méprisa  ses  vertus  maussades  autant  qu'elle  avait  ad- 


90  ADRIEN  VI  —  ADULTÈRE 

miré  les  vices  brillants  de  ses  prédécesseurs.  Son  épitaphe,  qui  rap- 
pelle une  parole  qu'il  avait  prononcée  dans  une  heure  de  découra- 
gement, résume  bien  l'impression  qu'on  éprouve  en  lisant  sa  bio- 
graphie :  Proh  dolor  !  quantum  refert  in  quœ  tempora  vel  optim 
cujusgue  virtus  incidat.  Adrien  n'a  nommé  qu'un  seul  cardinal,  son 
conseiller  Enkefort.  —  Voyez  :  Jovius,  De  vita  Leonis  X...  Hadriani  VI, 
Flor.,  1548,  in-f°;  Burmann,  Analecla  historien  de  Hadr.  VI,  Traj. 
ad  Rhenum,  1727,  in-4°;  Gregorovius,  Geschichte  der  Stadt  Rom, 
t.  VIII;  A.  de  Reumont,  Geschichte  der  Stadt  Rom,  t.  III;  H.  Bauer, 
Hadrian  IV,  Heidelb. ,  1876;  Hœller,  Wahl  und  Thronbesteiguag 
Adr.  VI,  Wien,  1872;  Lanzk,  Correspondenz  des  Kaisers  Karl  V, 
Leipz.,  1844;  Gachard,  Corresp,  de  Charles  V  et  d'Àd.  VI,  Brux., 
1859;  Ranke ,  Deutsche  Geschichte,  etc.,  t.  II.  Pour  les  plans  de 
réforme  :  Sarpi,  Conc.  Trident,,  I,  cap.  XXII;  Raynaldus,  Annal,  eccle- 
siast.,  XI,  36  J  (instruction  donnée  à  Ghieregati);  et  Hœfler,  Analecten 
zur  Geschichte  Deutschlands  und  Italiens  (mémoire  sur  l'état  de  l'Eglise 
et  sur   les  réformes  remis  à  Adrien  par  iEgidius  de  Viterbe,  général 

des  AugUStins).  G.  Léser. 

ADULLAM  ['Adoullam,  'OàoXXa^,  'ASouXXxpj],  ancienne  ville  située 
dans  la  plaine  de  Juda  (Josué  XV,  35).  Après  avoir  été  cananéenne 
(Gen.  XXXVIII,  Josué  XII,  15),  elle  fut  fortifiée  par  Roboam  (2  Chron. 
XI,  7)  et  devint  un  des  boulevards  de  la  royauté  (Michée  I,  15).  Elle 
existait  encore  après  l'exil  (Néh.  XI,  30).  Cette  longue  résistance  s'ex- 
plique par  les  cavernes  dont  le  pays  était  couvert  et  qui  étaient  déjà  une 
des  retraites  habituelles  de  David  (I  Sam.  XXII,  1;  2  Sam.  XXIII,  13). 
Eusèbe  et  Jérôme  l'ont  confondue  avec  Eglon  ;  depuis  on  n'a  pas 
réussi  à  en  fixer  l'emplacement  avec  certitude  (voy.  Robinson,  II, 
p.  399). 

ADULTÈRE.  L'adultère  est  défendu  dans  le  6e  commandement  du 
décalogue.  N'était  considéré  comme  tel,  en  vertu  de  la  polygamie  qui 
régnait  chez  les  Hébreux,  que  le  commerce  illicite  d'un  homme  marié 
avec  une  femme  mariée  ou  fiancée.  L'adultère  était  puni  de  mort.  La  peine 
ordinaire  était  la  lapidation  (Deut.  XXII,  20  ss.;  Ezéch.  XVI,  38  ;  XXIII, 
43  ss.)  ou  bien  encore  le  bûcher  (Gen.  XXXVIII,  24;  Lév.  XX,  10  ss.). 
La  femme  adultère  y  échappait,  lorsque  le  mari  consentait  à  lui  accorder 
une  lettre  de  divorce.  Lorsque  le  crime  était  commis  dans  les  champs, 
l'homme  seul  était  condamné,  car  la  loi  supposait  que  la  femme  n'avait 
pu  appeler  au  secours  ;  lorsqu'un  époux  soupçonnait  d'adultère  son 
épouse,  il  la  conduisait  devant  le  prêtre  qui  la  jugeait  (Nomb.  III, 
42  ss.).  Un  homme  qui  avait  ravi  l'honneur  à  une  jeune  fille  était  tenu 
de  l'épouser  ou  de  payer  une  rançon  au  père  (Exode  XXII,  18;  Deut.  XXII, 
25).  Celui  qui  avait  commis  adultère  avec  une  esclave  pouvait  s'acquitter 
au  moyen  d'un  sacrifice,  l'esclave  elle-même  subissait  un  châtiment 
corporel  (Lév.  XIX,  20  ss.).Les  prophètes  s'élèvent  avec  énergie  contre 
l'adultère  (Jér.  VII,  9;  XXIII,  10;  Osée  IV,  2;  Mal.  III,  5,  etc.);  ils  le 
classent  parmi  les  vices  les  plus  abominables  (Ezéch.  XXXIII,  26),  qui 
rabaissent  l'homme  au  rang  de  la  bête  (Jér.  V,  8)  et  le  rendent  sem- 
blable à  l'idolâtre,  qui  est  parjure,  réprouvé  de  Dieu   et  livré  à  une 


ADULTÈRE  —  ^EPINUS  \.\\ 

passion  que  rien  ne  peut  assouvir  (Jér.  III,  9;  XIII,  27;Ezéch.  XXI11,  47). 
La  débauche  et  la  prostitution  étaient  d'ailleurs  favorisées  par  le  voi- 
sinage des  cultes  voluptueux  et  lascifs  de  la  Phénicie  et  de  la  Syrie. 
L'image  de  l'adultère  est  fréquemment  employée  par  les  prophètes 
pour  désigner  l'infidélité  du  peuple  d'Israël  à  l'alliance  jurée  avec 
Jéhova.  —  Le  Nouveau  Testament  se  montre  plus  sévère  encore  que 
l'Ancien.  Seul,  l'adultère  est  admis  par  Jésus-Christ  comme  un  motif  de 
divorce  (Matth.  V,  32);  il  l'étend  au  simple  désir  impur  (Matth.  V,  28). 
De  même  les  apôtres,  qui  représentent  le  corps  comme  le  temple  de 
Dieu  (I  Cor. VI,  15),  condamnent  toute  parole  déshonnête  (Ephés.  IV,  29  ; 
V,  3,  4)  et  appellent  le  jugement  de  Dieu  sur  le  fornicateur  (Hébr.  XIII, 
4;  Gai.  V,  19-21).  L'Evangile,  appliqué  à  extirper  la  racine  de  l'adul- 
tère au  fond  des  cœurs,  ne  s'occupe  pas  de  la  question  de  pénalité. 
Jésus-Christ,  qui  ne  veut  pas  la  mort  du  pécheur  mais  son  salut,  ne  ra- 
tifie pas  contre  la  femme  adultère  la  sentence  prononcée  contre  elle,  et 
ses  adversaires,  venus  pour  le  tenter  en  le  mettant  en  contradiction 
soit  avec  la  loi  de  Moïse  soit  avec  la  loi  romaine,  plus  douce,  n'osent 
pas  exécuter  la  première,  puisqu'ils  se  sentent  repris  eux-mêmes  dans 
leur  conscience.  Le  précieux  fragment  qui  rapporte  ce  trait  (Jean  VIII, 
1-11),  bien  qu'il  ne  fit  point  partie  primitivement  de  l'Evangile  selon 
saint  Jean  (absence  de  lien  avec  le  contexte  ;  ton,  expressions  et  struc- 
ture de  phrases  propres  aux  synoptiques  plutôt  qu'au  quatrième  évan- 
gile; omission  dans  les  plus  anciens  mss.,  bien  que  plus  de  cent  cod.  le 
contiennent  ;  nombre  extraordinaire  de  variantes  dans  le  texte  ;  silence 
d'Origène,  de  Chrysostôme,  de  Tertullien,  de  Cyprien,  etc.),  remonte 
certainement  à  l'âge  apostolique,  et  nous  pouvons  dire  avec  Calvin  : 
Nihil  apostolico  spiritu  indignum  continet  (voy.  Meyer  :  Krit.  exeg. 
Handb.  ueb.  das  Eu.  desJoh.,  Gœtt.,  1862,  p.  273  ss.).  —  Le  Talmud 
confirme,  dans  la  procédure  contre  les  adultères,  les  dispositions  de  la 
loi  mosaïque  :  «  Filia  Israélite,  si  adultéra,  cum  nupta,  strangulanda, 
cum  desponsata,  lapidanda  »  (Sanh.,  f.  LI,  2).  Les  législateurs  mo- 
dernes n'ont  point  admis  ces  rigueurs  ;  le  droit  canonique  est  moins 
sévère  que  le  droit  romain  qui  défend  d'une  manière  absolue  le  mariage 
entre  adultères,  même  après  la  mort  de  la  victime.  Le  concile  d'An- 
cyre  ordonne  le  refus  de  la  communion,  même  à  l'article  de  la  mort, 
au  prêtre  qui  a  commis  ce  crime,  et  le  6e  concile  d'Orléans  décrète 
que  tout  clerc  convaincu  d'adultère  serait  déposé  et  enfermé,  sa  vie 
durant,  dans  un  monastère. 

iENESIDEME,  philosophe  crétois,  renouvela,  vers  la  fin  du  premier 
siècle  avant  Jésus-Christ,  à  Alexandrie  la  doctrine  de  Pyrrhon  (voy. 
Scepticisme). 

iEPINUS  (Jean),  un  des  réformateurs  allemands  de  second  ordre. 
Son  nom  allemand  était  Hœck  ou  Hoch  ;  il  naquit  en  1499  dans  la  marche 
de  Brandebourg,  fit  ses  études  à  Wittemberg,  essaya  de  prêcher  les 
principes  évangéliques  dans  sa  patrie,  fut  mis  en  prison,  partit,  après 
sa  délivrance,  pour  l'Angleterre,  se  rendit  de  là  à  Stralsund,  et  devint 
en  1529  pasteur  à  Hambourg,  où  il  mourut  en  1553.  Dans  cette  ville,  il 
consolida  l'œuvre *de  la  Réforme  par  ses  prédications  et  en  1551  par  un 


92  y-EPlNUS  —  AETLUS 

remarquable  règlement  ecclésiastique  et  liturgique  (Kirchen-Ordnung) . 
En  1544  il  fut  engagé  dans  une  controverse  pour  avoir  dit,  dans  un 
traité  sur  le  seizième  psaume,  que  pour  Jésus-Christ  la  descente  aux 
enfers  signifiait  le  degré  le  plus  profond  de  son  abaissement,  le  Seigneur 
étant  descendu  pour  souffrir  et  expier  aussi  les  peines  infernales.  Cette 
opinion  fut  attaquée  par  quelques-uns  des  collègues  d'^Epinus  ;  selon 
la  coutume  du  temps,  la  querelle  devint  si  violente  que  le  magistrat 
dut  intervenir;  il  demanda  l'avis  de  Mélanchthon;  celui-ci  conseilla 
d'imposer  silence  aux  deux  parties,  de  pareilles  disputes  ne  pouvant 
que  troubler  les  fidèles.  Ce  n'était  en  effet  que  du  scolasticisme.  La 
querelle  continuant,  les  plus  impétueux  des  adversaires  d'^Epinus  furent 
bannis.  Lors  de  l'Intérim,  iEpinus,  d'accord  avec  les  pasteurs  et  les 
communautés  de  Hambourg,  de  Lùbeck  et  de  Lùnebourg,  s'éleva 
contre  les  concessions  que  l'on  exigeait  des  protestants;  il  publia  à 
cette  occasion  plusieurs  écrits  très-fermes,  quoique  d'un  ton  fort 
modéré.  Il  se  déclara  de  même  contre  la  doctrine  d'Osiander  sur  la 
justification. 

AERIENS.  Aérius,  presbytre  à  Sébaste  dans  la  province  du  Pont 
(355),  s'éleva  contre  son  évêque  Eustathe  qu'il  accusait  de  détourner 
les  fonds  destinés  aux  pauvres  comme  aussi  de  favoriser  des  tendances 
hiérarchiques  et  des  idées  superstitieuses  condamnées  par  l'Ecriture. 
Rejeté  de  l'Eglise,  il  forma  une  secte  que  la  persécution  obligea  de 
célébrer  le  culte  au  milieu  des  champs  et  des  bois.  Aérius  enseignait, 
en  se  fondant  sur  la  tradition  apostolique,  l'égalité  des  charges  d'évêque 
et  de  presbytre  ;  il  interdisait,  comme  inutiles  et  dangereuses  au  point 
de  vue  de  la  morale,  les  prières  pour  les  morts  ;  bien  que  livré  lui- 
même  aux  pratiques  de  l'ascétisme,  il  combattait  l'institution  obliga- 
toire du  jeûne  qu'en  tant  que  sacrifice  volontaire  il  préférait  reporter 
du  mercredi  et  du  vendredi  au  dimanche  ;  il  condamnait  aussi  la  cou- 
tume juive  de  confondre  la  sainte  Cène  avec  la  Pâque,  flétrissant  du 
nom  d'antiquaires  les  fidèles  attachés  aux  cérémonies  prescrites  par 
l'Eglise.  Cette  secte  était  trop  en  opposition  avec  le  courant  des  idées 
régnantes  pour  pouvoir  subsister  longtemps.  Epiphane  {Hœres.,  LXXV) 
dénonce  Aérius  comme  un  hérétique  dangereux  ;  Mosheim,  par  contre, 
(Kirchengesch.,ll,  c.  III,  §  21)  s'en  est  constitué  l'apologiste  :  il  voit  en  lui, 
comme  Neander  (Kirchengesch.,  II,  p.  492),  un  précurseur  du  protes- 
tantisme. 

AÉTIUS,  chef  intrépide  et  remuant  de  la  secte  des  Anomiens  (v.  cet 
article),  surnommé  l'athée  (àOsoç)  par  l'ancienne  Eglise,  vécut  vers  le  mi- 
lieu du  quatrième  siècle.  Il  mena  une  vie  errante  et  agitée  qui  le  con- 
duisit d'Antioche  à  Alexandrie  et  des  déserts  de  la  Thébaïde  aux  bords 
du  Bosphore,  tour  à  tour  étudiant  et  professant  l'art  de  graver,  la 
médecine,  la  grammaire,  la  rhétorique,  la  philosophie.  Défenseur 
éloquent  et  convaincu  de  l'arianisme,  proscrit,  en  péril  de  vie  sous  les 
fils  de  Constantin,  honoré  de  l'amitié  de  Julien  l'Apostat  qui  lui  fit  don 
d'une  propriété  dans  l'île  de  Lesbos,  diacre  et  évêque,  mais  sans  dio- 
cèse, ardent  à  disputer  dans  les  synodes  et  les  conciles,  Aétius  doit 
avoir  composé  plus  de  300  traités  théologiques  dont  un  seul,  sur  la 


AÉTIUS  —  AFFRANCHIS  93 

non-conception  du  Verbe,  nous  a  été  conservé  par  Epiphane  {Haires., 
LXXVI,  40)  qui  le  réfute.  Il  paraît  avoir  été  surtout  un  dialecticien 
habile  et  vigoureux. 

AFFLICTIONS.  Tandis  que  les  adversités  sont  accueillies  par  l'incré- 
dule avec  une  irritation  peu  déguisée  ou  avec  une  morne  résignation 
et  deviennent  pour  lui  un  sujet  de  blasphème  contre  la  Providence, 
le  pieux  Israélite  déjà  les  considérait  comme  faisant  partie  du  plan 
de  Dieu  pour  le  bien  des  hommes.  A  ses  yeux,  elles  sont  pour 
le  méchant  le  châtiment  de  ses  fautes  et  un  signe  visible  de  la  répro- 
bation divine.  Pourtant  le  juste  aussi  souffre  beaucoup  ici-bas,  dans 
son  corps,  dans  ses  facultés,  dans  ses  biens,  dans  ses  enfants,  dans  son 
honneur;  il  est  exposé  aux  embûches  et  aux  violences  de  ses  ennemis, 
surtout  lorsqu'il  défend  la  cause  de  l'Eternel  ;  mais  Dieu  lui  vient  en 
aide,  le  soutient,  le  console,  le  dédommage,  ici-bas  déjà,  et  si  sa  raison 
bornée  ne  parvient  pas  à  comprendre  les  desseins  impénétrables  de  la 
Providence,  il  trouve,  dans  sa  foi,  des  motifs  suffisants  pour  se  soumettre 
et  bénir  la  main  qui  le  frappe.  Tel  est,  en  résuméT  la  thèse  développée 
dans  le  livre  de  Job  (V,  19;  IX,  2,  38:  XIII,  45;  XIV,  6;  XVII,  46; 
XXXVI,  45,  etc.)  et  dans  beaucoup  de  Psaumes  (XVI,  2;  XXXIV,  20; 
LXXVII,  44;  LXXXVIII,  46,  etc.  Cf.  2  Sam.  IV,  9;  Esaïe  XXV,  4; 
XXX,  20;  Hab.  IV,  2).  —  Jésus-Christ  affirme  la  même  vérité  :  il 
proclame  heureux  les  affligés,  en  particulier  ceux  qui  souffrent  pour  la 
justice  (Matth.  V,  4,  40).  Ses  apôtres  rappellent  aux  chrétiens  que  si 
les  souffrances  peuvent  être  envisagées  comme  un  châtiment  pour  les 
péchés  qu'ils  ont  commis  et  un  avertissement  en  vue  de  ceux  qu'ils 
seraient  disposés  à  commettre  encore,  elles  sont  le  moyen  que  dans 
son  amour  Dieu  emploie  de  préférence  pour  garder  les  siens  de  toute 
tentation  et  de  toute  rechute,  pour  purifier  leur  cœur,  pour  éprouver 
leur  foi  et  leur  patience,  pour  les  exercer  à  la  miséricorde.  Elles  sont, 
par  excellence,  l'instrument  de  la  pédagogie  divine.  L'exemple  des 
prophètes,  et  surtout  celui  de  Jésus-Christ,  doit  fortifier  les  affligés. 
Tous  les  grands  ouvriers  de  Dieu  ont  beaucoup  souffert  ici-bas.  L'en- 
trée dans  le  royaume  des  cieux  et  l'héritage  de  la  gloire  à  venir 
sont  à  ce  prix.  Aussi  les  apôtres  exhortent-ils  les  chrétiens  à  con- 
sidérer les  afflictions  comme  le  sujet  d'une  joie  excellente  (Actes  IX,  6; 
XIV,  22;  Rom.  V,  3;  VIII,  48;  2  Cor.  1,5,  7;  IV,  47;  VII,  4;  Col.  I, 
24;  2  Tim.  III,  44;  Hébr.  XII,  5,  6;  Jacq.  V,  40;  4  Pierre  III,  44; 
V,  4,   etc.). 

AFFRANCHIS.  Dans  le  passage  Actes  VI,  9,  il  est  question  d'une 
synagogue  des  affranchis  (AiêspTÎvoi)  qui  se  serait  trouvée  à  Jérusalem. 
Une  faut  voir  dans  cette  désignation  assez  obscure  ni  d'anciens  esclaves 
italiens  qui  se  seraient  convertis  au  judaïsme  (  Vitringa,  Grotius)  ;  ni  des 
affranchis  juifs  au  service  de  maîtres  juifs  de  la  Palestine  (Lightfoot)  ; 
ni  une  corruption  du  mot  de  AiougtÏvoi  (Libystini)  que  ne  porte  aucun 
manuscrit  ;  mais  peut-être  des  Juifs  originaires  de  Libertum,  un  district 
inconnu  de  f  Afrique  proconsulaire  (le  catalogue  du  synode  de  Carthage, 
en  444,  fait  mention  d'un  episcopus  ecclesiz  tibertinensis) ,  voisin  de  celui 
de  Cyrène  et  d'Alexandrie,  nommés  dans  le  contexte  (Gerdes,  De  synag. 


94  AFFRANCHIS  —  AFFRE 

Libert.,  Gron.,  1736);  et  plus  vraisemblablement  des  Juifs  conduits 
sous  Pompée  comme  prisonniers  de  guerre  à  Rome  où  ils  auraient  été 
affranchis  et  d'où  ils  seraient  revenus,  peut-être  sous,  le  coup  de  l'arrêt 
d'expulsion  promulgué  par  Tibère,  et  auraient  formé  l'une  des  480  sy- 
nagogues qui  existaient  à  Jérusalem  (Tacite,  Annales,  II,  85,  3.  C'était 
déjà  l'opinion  de  Chrysostôme  qui  les  appelle  :  01  Po)|jj.!o)v  dbiaXeùôepot, 
Floderus  :  Disserl.  de  synag.  Libert.,  Ups.,  1767.  De  même  :  Winer, 
Meyer,  etc.). 

AFFRE  (Denis-Auguste),  archevêque  de  Paris,  était  né  en  1793  à  Saint- 
Rome  (Aveyron).  Neveu  d'un  professeur  du  séminaire  de  Saint-Sulpice 
à  Paris,  il  entra  fort  jeune  dans  cet  établissement,  qui  était  alors  dirigé 
parle  vénérable  Emery.  En  1816,  il  fut  chargé  de  l'enseignement  de  la 
philosophie  au  séminaire  de  Nantes.  Deux  ans  plus  tard,  la  chaire  de 
dogme  à  Saint-Sulpice  lui  était  confiée;  mais  l'ardeur  qu'il  mettait  à  sa 
tâche  l'obligea  bientôt  de  prendre  du  repos.  Il  accepta  l'humble  poste 
d'aumônier  à  l'hospice  des  Enfants  trouvés,  qui  lui  laissait  assez  de 
loisirs  pour  fonder  avec  M.  Laurentie  un  journal  politique  et  religieux, 
La  France  chrétienne,  M.  de  Soyez,  évêque  du  diocèse  nouvellement 
reconstitué  de  Luçon,  l'appela  en  1821  auprès  de  lui  comme  vicaire 
général,  et  il  put  déployer  ses  talents  administratifs  et  son  infatigable 
autorité.  Mais  à  la  suite  d'un  dissentiment  avec  son  évêque,  il  fut  investi 
des  mêmes  fonctions  à  l'évêché  d'Amiens.  Il  y  publia  son  Traité  de 
V administration  temporelle  des  paroisses,  1827  (3e  éd.  1835),  ainsi  que 
Y  Essai  historique  et  critique  sur  la  suprématie  temporelle  des  papes  et 
de  l'Eglise,  ouvrage  destiné  à  combattre  le  système  de  Lamennais. 
M.  Aft're  n'était  pas  ultramontain,  mais  il  voulait  l'alliance  du  trône  et 
de  l'autel.  Après  la  révolution  de  1830,  le  clergé  craignit  que  le  nou- 
veau gouvernement  ne  fut  hostile  à  la  religion  catholique ,  et  le  vicaire 
général,  appelé  à  complimenterLouis-Philippe  qui  visitait  Amiens  (1831), 
se  contenta  de  le  saluer  comme  prince,  au  lieu  de  se  servir  du  terme 
usité  de  Sire.  En  1834,  quelques  désagréments  le  portèrent  à  demander 
uncanonicat.  L'archevêché  de  Paris  étant  devenu  vacant  (1840),  par  la 
mort  de  M.  de  Quelen,  légitimiste  fortattaché à  l'ancien  ordre  de  choses, 
le  gouvernement  désira  que  ces  importantes  fonctions  fussent  confiées 
à  un  homme  qui  apporterait  un  esprit  nouveau  dans  les  rapports  du 
clergé  et  de  l'autorité  civile.  Après  quelques  hésitations,  il  nomma 
M.  Affre.  Celui-ci  se  consacra  avec  une  grande  fidélité  à  l'administration 
de  son  diocèse  ;  mais  les  relations  avec  les  pouvoirs  laïques  restèrent 
tendues.  Lorsque  l'épiscopat  réclama,  au  nom  des  catholiques,  la 
liberté  de  l'enseignement  secondaire,  l'archevêque  de  Paris  prit  une 
grande  part  au  débat,  et,  dans  un  mémoire  sur  l'enseignement  philoso- 
phique, il  critiqua  vivement  les  variations  du  chef  de  la  philosophie 
française,  Cousin.  La  révolution  de  1848  devait  couronner  sa  carrière 
par  un  acte  héroïque.  L'insurrection  de  juin  se  prolongeait;  M.  Affre 
offrit  au  général  Cavaignac  d'adresser  aux  rebelles  des  paroles  de  paix. 
Le  chef  du  pouvoir  exécutif  lui  représentant  les  dangers  de  cette  en- 
treprise, il  repondit  :  «  Ma  vie  est  peu  de  chose,  je  la  donne  volontiers.  » 
U  se  rendit  aux  barricades,  accompagné  du  représentant  du  peuple 


AFFRE  —  AFGHANISTAN  95 

Albert.  Celui-ci,  en  costume  d'ouvrier,  tenait,  au  lieu  du  drapeau  blanc 
des  parlementaires,  une  branche  de  verdure.  Il  demanda  qu'on  laissât 
parler  l'archevêque.  La  fusillade  s'arrêta;  Affre  commençait  son  dis- 
cours, quand  un  coup  de  feu,  parti  on  ne  sait  d'où,  le  blessa  au  côté. 
Un  effroyable  tumulte  d'accusations  réciproques  retentit;  mais  la  vue 
de  la  victime  défaillante  unit  les  combattants  dans  un  même  sentiment 
d'horreur,  et  la  guerre  civile  était  conjurée.  Affre  fut  d'abord  transporté 
aux  Quinze-Vingts;  autour  de  lui  on  promettait  de  le  venger  :  «  Non, 
dit-il,  mon  sang  doit  être  le  dernier  qui  ait  coulé  dans  cette  lutte.  »  Le 
27  juin,  il  expirait  à  l'archevêché.  Un  décret  de  l'assemblée  prescrivit 
des  funérailles  solennelles.  —  Voy.  Vie  de  Mgr  Affre,  par  Mgr  Cruice, 
évêque  de  Marseille.  A.  Matter. 

AFGHANISTAN  (Statistique  religieuse).  Population.  On  a  longtemps 
attribué  à  l'Afghanistan  une  population  de  8  à  14,000,000  d'habitants. 
On  ne  l'évalue  plus  aujourd'hui  qu'à  environ  4,000,000  d'âmes.  Les 
Afghans,  peuple  nomade  d'origine  indo-germanique,  en  forment  la 
grande  majorité.  Il  leur  est  arrivé  la  même  chose  qu'à  bien  d'autres 
nations  sur  la  surface  du  globe.  Des  savants  bien  intentionnés  plutôt 
que  judicieux  ont  voulu,  en  se  fondant  sur  quelques  ressemblances  de 
mots  et  d'usages,  voir  en  eux  des  descendants  des  dix  tribus  d'Israël. 
Cette  opinion  est  aujourd'hui  abandonnée,  aussi  bien  que  celle  qui  les 
faisait  sortir  de  l'Arménie.  On  trouve  encore  dans  le  pays,  principale- 
ment dans  les  villes,  des  Tadjiks,  des  Parsis,  des  Hindous,  des  Arabes, 
des  Tatars  et  quelques  Juifs.  On  ne  pourrait  sans  témérité  évaluer  la 
force  numérique  de  ces  divers  éléments  ;  le  pays  est  encore  trop  peu 
connu  pour  cela.  Longtemps  soumis  à  la  domination  persane,  l'Afgha- 
nistan profita  pour  se  rendre  indépendant  des  troubles  qui  désolèrent 
la  Perse  au  milieu  du  siècle  dernier.  —  Religion.  Les  Afghans  appar- 
tiennent à  la  religion  musulmane;  ils  se  rattachent  à  la  grande  secte 
des  Sunnites  qui  reconnaît  la  légitimité  des  trois  premiers  khalifes, 
successeurs  de  Mahomet.  Chose  rare  parmi  les  musulmans,  ils  sont, 
dit-on,  très-tolérants  pour  les  autres  religions  et  ne  molestent  nulle- 
ment à  cause  de  leurs  croyances  les  Juifs  et  les  Parsis  qui  habitent  au 
milieu  d'eux.  Leurs  prêtres  que  l'on  appelle  mollahs  ne  jouissent  pas 
d'une  grande  influence.  L'instruction  publique  est  assez  estimée; 
chaque  village  possède  une  école  dont  le  maître  est  payé  par  une  con- 
cession de  terres.  Quelques  collèges  dans  les  villes  préparent  les  mollahs 
à  leur  vocation  ;  mais  ceux  qui  veulent  pousser  leurs  études  plus  loin 
vont  chercher  à  «Boukhara  une  science  supérieure  à  celle  de  leur  pays. 
C'est  que  l'enseignement  des  écoles  afghanes  est  fort  peu  de  chose  et 
qu'il  n'empêche  pas  le  peuple  d'être  plongé  dans  une  profonde  igno- 
rance et  dans  toute  sorte  de  superstitions.  Les  revenants,  les  rêves,  les 
devins,  l'astrologie,  les  talismans  jouent  un  grand  rôle  dans  les  croyances 
populaires.  Le  Coran  est  la  règle  du  droit  civil,  mais  il  s'en  faut 
bien  qu'il  soit  toujours  respecté,  et  quant  à  la  justice  pénale,  la  ven- 
geance de  l'offense  en  tient  lieu  le  plus  souvent.  Aussi  le  pays  est-il 
encore  en  pleine  barbarie,  et  il  serait  temps  d'y  faire  briller  enfin  la 
lumière  de  l'Evangile.  Il  n'y  a  rien  de  particulier  à  dire  des  Juifs  et  des 


96  AFGHANISTAN  —  AFRIQUE 

Parsis  qui  habitent  la  contrée.  —  Bibliographie  :  Voyages  et  géographies 
de  Forster,  d'Elphinstone,  de  H.  Pottinger,  d'E.  Stirling,  de  Masson, 
d'Outram,  de  Perrin,  de  H.  Wilson,  etc. 

AFRE  (Sainte),  patronne  d'Augsbourg.  Les  actes  de  cette  sainte 
(M.Welser,  lier.  August.  Vind.  Commentarii,  Fef.  1594-,  in-4°;  AA.  SS., 
5  Aug.  II)  se  composent  de  deux  parties.  D'après  la  Conversio,  œuvre 
légendaire  et  sans  valeur,  Afra  (ou  Affra),  Cypriote  d'origine,  était  me- 
retrix,  et  consacrée  au  service  de  Vénus.  Saint  Narcisse,  évêque  de 
Gerona  en  Espagne,  s' étant  réfugié  dans  sa  maison,  la  convertit  ainsi 
que  ses  servantes.  La  Passio  (publiée  seule  par  Welser,  Ven.,  1591, 
in-4°;  Ruinart,  et  Friedrich,  p.  427)  contient  un  beau  récit  de  sa  mort  : 
Afra,  autrefois  lupanar  ia,  fut  brûlée  au  bord  du  Lech  par  le  juge  Gaius 
(304)  ;  sa  mère  Hilaria  (ou  Hilara),  après  avoir  recueilli  ses  restes,  fut 
brûlée  le  même  jour.  Saint  Fortunat,  mort  en  609  (De  vita  S.  Martini, 
l.  A,  éd.  Luchi,  R.  1786,  I,  p.  470),  fait  le  premier  mention  du  nom  de 
sainte  Afre.  Il  s'adresse  à  son  poëme  et  lui  dit  : 

Pergis  ad  Augustam,  quam  Vindo  Lycusque  fluentant  ; 

(Var.  :  Virdo  et  Licca  fluentant.  La  Wertach  et  le  Lech). 

Illic  ossa  sacrse  venerabere  martyris  Afrse.  (Var.  :  Virginis.) 

Le  culte  de  sainte  Afre  était  donc  célébré  à  Augsbourg  dès  le  sixième 
siècle.  Rettberg  [K.  Gesch.  Deutschl.,  I,  1846,  p.  144  ss.),  paraît  avoir 
prouvé  que  ce  mot  de  meretrix  ne  se  rencontre  dans  les  martyrologes 
qu'avec  Adon  (859),  c'est-à-dire  après  l'époque  où  nous  retrouvons  les 
Actes  de  la  sainte,  dont  il  fixe  la  date  peu  avant  le  milieu  du  neuvième 
siècle  (voy.  aussi  Tillemont,  V).  M.  Friedrich,  qui  a  retrouvé  les  Actes 
entiers  dans  un  manuscrit  de  la  fin  du  huitième  ou  du  commencement 
du  neuvième  siècle  [K.  Gesch.  Deutschl.,  1867,1,  p.  186  ss.),  veut  faire 
remonter  les  Actes  du  martyre  jusqu'au  quatrième  siècle.  —  Voy.  PI. 
Braun,  Gesch.  der  h.  Mart.  Afra,  Augsb.,  1805,in-8°.  Sur  l'église  et  le 
monastère  de  saint  Ulrich  et  sainte  Afra  à  Augsbourg,  voy.  Basil.  SS. 
U.  et  A.  hist.  descr.,  Aug.,  1635,  in-f°.  PI.  Braun,  Beschr.  der  Dioc. 
Augsb.,  I,  Augsb.,  1823. 

AFRIQUE  (Statistique  religieuse).  Nous  allons  passer  rapidement  en 
revue  toutes  les  parties  de  ce  vaste  continent  et  en  indiquer  la  popula- 
tion et,  autant  que  possible,  la  proportion  des  divers  groupes  religieux 
dans  chaque  contrée.  —  1°  Maroc.  En  prenant  pour  base  le  recensement 
fait  en  Algérie  en  1872  et  les  rapports  des  voyageurs  les  plus  accrédités 
sur  la  proportion  de  la  population  des  deux  pays,  nous  arriverons  à 
donner  approximativement  à  l'empire  du  Maroc  6,080,000  habitants, 
savoir,  5,370,000  pour  la  portion  fertile  du  Nord  ou  Tell,  et  710,000  pour 
la  région  stérile  du  Sud  ou  Sahara.  Plusieurs  races  occupent  le  pays, 
les  Maures,  les  Arabes,  les  Berbères,  les  nègres,  tous  mahométans  et 
formant  la  plus  grande  partie  de  la  population.  Les  Juifs,  proportionnel- 
lement fort  nombreux  (300  à  350,000),  descendent  pour  la  plupart  d'Is- 
raélites que  la  persécution  chassa  d'Espagne  ;  il  s'y  trouve  enfin  quelques 
centaines  de  chrétiens  (6  à  800)  établis  presque  tous  à  Tanger  et  catho- 
liques-romains en  majorité.  —  2°  Algérie.  Le  recensement  de  1872 
donne  à  l'Algérie  une  population  totale  de  2,416,225  habitants.  Il  compte 


AFRIQUE  07 

2, 125,052  musulmans,  233,733  catholiques,  6,000  protestants,  39,812 
Israélites  et  11,682  individus  dont  le  culte  n'a  pu  être  constaté.  L'article 
spécial  consacré  à  l'Algérie  discutera  ces  chiffres  et  donnera  plus  de 
détails  en  indiquant  l'organisation  des  divers  cultes.  —  3°  Tunisie.  En- 
viron 2,000,000  d'habitants  (ou  1,250,000).  Les  mahométans  des  diver- 
ses races  qui  peuplent  le  nord  de  l'Afrique  forment  le  fond  de  la  popu- 
lation. Les  juifs  sont  nombreux  ;  les  évaluations  varient  entre  45,000 
et  168,000;  on  compte  environ  25,000  catholiques  romains  (ou  7,000), 
Italiens  et  Maltais  pour  la  plupart,  400  catholiques  grecs  et  une  cen- 
taine de  protestants.  —  4°  Régence  de  Tripoli.  Des  données  fort  incer- 
taines font  attribuer  à  ces  contrées  1,150,000  habitants,  savoir, 
794,000  pour  la  Tripolitaine,  54,000  pour  le  Fezzan  et  302,000  pour  le 
pays  de  Rarka.  Presque  tous  sont  musulmans.  Les  juifs  y  sont  moins 
nombreux  que  dans  les  autres  Etats  barbaresques  ;  mais  on  ne  saurait 
donner  de  chiffre  à  cet  égard.  11  n'y  a  pour  ainsi  dire  pas  de  chrétiens. 

—  5°  Sahara.  La  population  de  cette  grande  région  appartient  tout  en- 
tière à  l'islamisme.  En  additionnant  les  chiffres  que  nous  fournissent 
pour  ses  différentes  parties  les  voyageurs  les  plus  autorisés,  nous  arri- 
vons à  un  total  nécessairement  très-douteux  de  3,672,000  âmes.  — 
6°  Egypte  et  possessions  égyptiennes.  Jusqu'à  ces  derniers  temps  on  at- 
tribuait aux  Etats  du  khédive  environ  8,400,000  âmes.  Le  recensement 
de  l'Egypte  proprement  dite  et  les  grandes  conquêtes  des  années  1874 
et  1875  dans  l'intérieur  de  l'Afrique  ont  plus  que  doublé  le  chiffre  pri- 
mitif et  fait  admettre  16,921,757  habitants.  L'Egypte  propre  comptait, 
le  11  mars  1872,  5,271,757  habitants,  la  Nubie  1,000,000,  le  Darfour  et 
les  autres  possessions  du  khédive  dans  le  Soudan  10,670,000  dont 
5,000,000  pour  le  Darfour.  La  Nubie,  le  Darfour  et  le  Soudan  sont 
exclusivement  mahométans,  sauf  quelques  communautés  coptes  et 
quelques  stations  de  missions  sur  les  bord  du  Nil.  Dans  l'Egypte 
proprement  dite,  les  musulmans  forment  également  la  majorité.  Les 
coptes  chrétiens  sont  au  nombre  de  150  à  200,000,  ayant  à  leur  tête  le 
patriarche  d'Alexandrie  qui  réside  au  Caire.  Malgré  le  travail  des  mis- 
sionnaires catholiques  et  protestants,  il  n'y  a  guère,  si  l'on  en  excepte 
les  coptes,  d'autres  chrétiens  que  les  étrangers,  soit,  79,696  individus, 
savoir,  34,000  catholiques  grecs,  37,000  catholiques  romains  et  8  à 
10,000  protestants.  Les  juifs  sont  au  nombre  de  8,000  (voy.  cet  article). 

—  7°  Abyssinie.  Les  3,000,000  d'âmes  qui  peuplent  l'Abyssinie  se  ré- 
partissent ainsi  que  suit.  Le  christianisme  monophysite  est  la  religion 
de  2,500,000  d'entre  eux;  250  ou  300,000  professent  le  judaïsme  ;  le 
reste  se  rattache  à  l'islamisme,  au  paganisme  et  à  diverses  Eglises  chré- 
tiennes (voy.  cet  article).  —  8o  Au  sud  de  l'Abyssinie,  le  pays  des 
Gallas  et  la  région  du  Nil-Blanc  sont  peuplés  d'environ  15,000,000  d'ha- 
bitants païens,  parmi  lesquels  travaillent  quelques  rares  missionnaires. 

—  9°  La  péninsule  de  Somali  est  peuplée  d'environ  8,000,000  de  maho- 
métans. —  10"  Le  Soudan  moyen  compte  à  peu  près  33,800,000  habi- 
tants musulmans,  répartis  dans  les  royaumes  de  Wadai,  de  Raghirmi, 
de  Rornou,  de  Sokoto,  de  Gando,  deMassina,  etc.  —11°  La  Haute-Guinée 
et  le  Soudan  occidental,  peuplés  d'environ  43,600,000  habitants,  sont 


98  AFRIQUE 

partagés  a  peu  près  également  entre  païens  et  musulmans,   ceux-ci  dans 
l'intérieur  du  pays  du  côté  du  désert,  ceux-là  davantage  sur  les  côtes  et 
dans  les  contrées  voisines  de  la  mer.  Dans  cette  région,  les  possessions 
françaises  du  Sénégal  et  de  Garée  renferment  215,941  habitants  ;  les  co- 
lonies anglaises  de  la  Gambie,  de  Sierra- Leone,  de  la  Côte  d'Or  et  de 
Lagos  633,400  ;  la  petite  république  nègre  de  Libéria  718,000.  Les 
chrétiens  de  toutes  dénominations,  tant  Européens  qu'indigènes,  peuvent 
être  au  nombre  d'environ  350,000.  Les  nègres  chrétiens  forment  une 
partie  considérable  des  habitants  de  Libéria  ;  le  travail  assidu  de  nom- 
breux missionnaires  en  a  amené  un  certain  nombre  à  l'Evangile  dans  le 
reste  du  pays.  —  12°  L'Afrique  équatoriale  est,  au  rapport  des  voya- 
geurs, peuplée  de  45,500,000  habitants,  de  race  nègre,  païens  en  grande 
majorité.  On  compte  cependant  un  certain  nombre  de  mahométans  dans 
le  nord  et  quelques  chrétiens  dans  les  stations  missionnaires  des  côtes. 
—  13°  Zanzibar  et  pays  environnants  sur  la  côte  orientale  d'Afrique. 
3,700,000  habitants  mahométans  et  païens  avec  quelques  chrétiens.  — 
14°  Mozambique,  Quilimane  et  autres  possessions  portugaises  de  la  côte 
orientale.  300,000  habitants  païens,  avec  un  certain  nombre  de  catho- 
liques européens  et  indigènes.  —  15°  Possessions  portugaises  de  la  côte 
occidentale.  9,000,000  d'habitants  païens,  sauf  100  à  150,000  chrétiens 
tant  colons  européens  qu'indigènes  convertis  par  les  missionnaires.  — 
16°  Cafrerie  indépendante,  royaumes  indigènes  de  l'Afrique  méridionale. 
Environ  6,280,000  habitants.  La  masse  de  la  population  est  encore 
païenne  ;  mais  c'est  une  des  contrées  du  monde  où  les  missions,  protes- 
tantes surtout,  ont  été  le  plus  actives  et  le  plus  bénies  ;  une  portion  con- 
sidérable des  habitants  de   ces  régions  est  aujourd'hui  chrétienne.  On 
pourrait,  je  crois,  sans  exagération  en  évaluer  le  nombre  à  près  de 
300,000.  —  17°  La  république  du  Transvaalz  de  275  à  300,000  habitants. 
Les  dominateurs  du  pays,  Hollandais  d'origine,  au  nombre  de  25  à 
30,000,  se  rattachent  à  l'Eglise  réformée.  La  population  indigène,  forte 
de  250,000  âmes,  est  encore  en  grande  majorité  plongée  dans  les  ténè- 
bres du  paganisme.—  18°  Etat  libre  du  fleuve  Orange.  245,000 habitants, 
savoir,  45,000  blancs  protestants  et  environ  200,000  nègres,  presque 
tous  encore  païens.  —  19°  La  colonie  de  Natal  comptait,  en  1871, 
289,773  habitants.  Les  Européens  sont  presque  tous  protestants,  le  pa- 
ganisme indigène  est  fortement  entamé  par  les  nombreux  missionnaires 
protestants  et  catholiques  à  l'œuvre  dans  le  pays.  —  20°  La  Cafrerie 
britannique  avec  86,201  habitants  est  dans  le  même  cas.  Les  Européens 
y  sont  peu  nombreux. — 21°  La  Colonie  du  cap  de  Bonne-Espérance  avait, 
au  recensement  de  1871 ,  436,381  habitants.  Par  suite  de  la  grande  émi- 
gration de  colons  européens  d'une  part  et  du  travail  missionnaire  de 
l'autre,  la  majorité  est  rattachée  au  protestantisme.  Cependant,  il  y  a 
encore  dans  quelques  régions  du  pays  passablement  de  païens.  — 
22°  Les  Iles  de  l'Océan  Atlantique,  îles  du  Cap-Vert,  de  San-Thomé,  du 
Prince,   de  Fernando-Po,  d'Annobon,  de  Corisco,  de  l'Ascension,  de 
Sainte-Hélène  et  de  Tristan  d'Acunha  sont  toutes  colonies  des  puissances 
européennes.  La  population  (129,219  habitants)  est  protestante  à  Sainte- 
Hélène,  catholique  dans  les  autres.  —  23°  Madagascar,  habitée  par  les 


AFRIQUE  99 

Howas  de  race  malaise,  les  Sakalaves  de  race  nègre  et  d'autres  peupla- 
des moins  importantes,  nourrit  environ  5,000,000  d'habitants.  Le  paga- 
nisme a  disparu  officiellement  du  pays,  et  sauf  i 0,000  catholiques,  les 
habitants  se  rattachent  à  l'Eglise  presbytérienne.  Mais  tout  semble  indi- 
quer que  chez  beaucoup  la  conversion  au  christianisme  a  été  seulement 
extérieure,  et  le  danger  d'une  réaction  en  faveur  des  erreurs  anciennes 
n'est  pas  encore  écarté.  — 24°  Les  îles  de  la  Réunion,  de  Maurice,  et  des 
Seychelles,  la  première  française,  les  autres  anglaises,  ont  une  population 
totale  de  542,965  habitants.  Descendants  de  colons  européens  et  de 
nègres  esclaves,  ils  sont  généralement  catholiques.  Les  îles  anglaises 
contiennent  un  certain  nombre  de  protestants.  Le  paganisme  règne  en- 
core dans  le  cœur  de  bien  des  nègres  extérieurement  catholiques.  ■— 
25°  Enfin  les  petites  Iles  africaines  de  l'Océan  Indien,  les  Comores,  Nossi- 
Bè,  etc.,  avec  environ  80,000  âmes,  sont  habitées  par  une  population 
païenne  encore  dans  sa  masse,  mais  déjà  fortement  entamée  par  l'Evan- 
gile. —  Résumé  :  De  ce  qui  précède,  il  résulte  que  la  population  de  l'A- 
frique s'élève  environ  à  207,500,000  habitants.  Ce  chiffre  étonnera  peut- 
être  quelques  lecteurs.  On  trouve  encore  dans  des  livres  récents  la  popula- 
tion de  ce  continent  taxée  à  80  ou  100.000  000.  Cette  énorme  différence 
s'explique  ainsi  qu'il  suit  :  le  centre  de  l'Afrique,  complètement  inconnu 
jusqu'à  Livingstone  et  à  quelques  autres  voyageurs  contemporains,  pas- 
sait pour  être  presque  désert.  Les  explorateurs  récents,  lorsqu'ils  sont 
parvenus  à  y  pénétrer,  ont  trouvé  au  contraire  que  c'était  une  contrée 
extraordinairement  peuplée  ;  c'est  pourquoi  les  évaluations  nouvelles 
vont  quelquefois  au  triple  et  au  quadruple  des  anciennes,  et  la  population 
totale  de  l'Afrique  est  comptée  pour  plus  du  double  de  ce  que  l'on  disait 
il  y  a  vingt  ans  encore.  Du  reste,  les  procédés  d'évaluation  pour  ces  pays 
encore  si  mystérieux  laissent  place  à  bien  des  erreurs.  A  l'exception  de 
l'Egypte,  de  l'Algérie,  du  Gap  et  des  autres  colonies  anglaises  et  fran- 
çaises, toutes  les  populations  ne  sont  estimées  que  d'après  les  évalua- 
tions nécessairement  conjecturales  des  voyageurs,  et  bien  des  chiffres 
subiront  sans  doute  encore  de  grands  changements.  Pour  le  moment 
nous  sommes  forcés  d'adopter  les  nombres  qui  ont  pour  eux  les  princi- 
pales autorités  ;  sauf  deux  ou  trois  exceptions  nous  avons  pris  les  chif- 
fres de  Behm  et  Wagner  dans  les  Mittkeilungen  de  Petermann,  1875, 
cahier  41  des  suppléments.  Voyons  maintenant  comment  les  diverses 
religions  se  partagent  cette  population.  Les  mahométans  et  les  païens  de 
toutes  dénominations  se  partagent  à  peu  près  également  les  habitants 
de  l'Afrique.  Nous  trouvons  en  effet  J01,000,000de  païens  et  98  000,000 
de  mahométans.  Il  y  a  quelques  années  encore  l'écart  en  faveur  du  pa- 
ganisme était  beaucoup  plus  considérable,  mais  l'activité  missionnaire 
des  musulmans  fait  tous  les  jours  de  nombreuses  conquêtes  et  la  marche 
de  l'islam  vers  le  sud  est  sûre  et  rapide.  Les  juifs  sont  dans  le  nord  au 
nombre  de  7  à  800,000.  Les  diverses  communions  protestantes  ont  en- 
viron 6,000,000  d'adhérents,  dont  plus  des  trois  quarts  sont  les  presby- 
tériens de  Madagascar.  Les  monophysites  coptes  et  abyssins  vont  à 
environ  2,700,000;  1,100,000  catholiques  et  35,000  grecs  complètent  à 
peu  près  pour  tous  les  chrétiens  africains  le  nombre  de  10,000,000.  — 


100  AFRIQUE 

Organisation  ecclésiastique.  Depuis  le  moment  où  le  christianisme  régna 
clans  le  nord  de  l'Afrique  jusqu'à  la  conquête  musulmane,  il  y  eut  dans 

Ci\  pays  un  grand  nombre  de  diocèses.  Le  patriarche  d'Alexandrie  avait 
sous  lui  neuf  provinces  métropolitaines  :  1°  Egypte  I  (métropole  Dé- 
ment ure,  Hermopolis  parva),  14  évêchés  ;  2°  Augustamniquc  1  (Péluse), 
16  évêchés;  3°  Augustamnique  II  (Léontopolis),  9évéchés;  i°  Egypte  II 
(Gabasa),  8évêchés;  5°  Arcadie  (Oxyrynchus),  9  évêchés  ;  6°  Thébaïde  1 
(Antinoé),  10  évêchés;  7°Thébaïde  H(Ptolémaïs),  10  évêchés;  8°Lybie  1 
ou  Penlapole  (Ptolémaïs  de  Cyrénaïque),  11  évêchés  ;  9°  Lybie  II  ou 
Marmarique  (Dardanis),  8  évêchés,  plus  deux  douteux.  L'Ethiopie  (mé- 
tropole Auxunia)  et  les  diocèses  des  Himiarites  et  d'Adulé  ressortaient 
probablement  aussi  du  patriarche  d'Alexandrie.  Le  patriarche  de  Car- 
tilage avait  sous  lui  un  grand  nombre  d'évéques.  Le  P.  Gams,  bénédictin, 
dans  sa  Séries  episcoporum  côtelés  évéques  de  715  sièges.  Aujourd'hui 
l'Eglise  catholique  compte  en  Afrique  un  certain  nombre  de  diocèses 
que  nous  allons  énumérer  :  1  archevêché,  Alger;  12  évêchés,  Gonstan- 
tine,  Oran,  Ceuta,  Congo  et  Angola,  Saint-Denis,  Santiago  du  Cap-Vert, 
Maurice,  Mozambique,  Saint- Paul- de -Loanda,  Natal,  Tanger,  San- 
Thomé  ;  9  vicariats  apostoliques,  Abyssinie,  Alexandrie,  Le  Cap,  Gra- 
hamstown,  Guinée,  terre  des  Gallas,  le  Caire,  Libéria  et  Monrovia, 
Tunis  ;  1  provicariat  apostolique,  Khartum,  et  4  préfectures  apostoli- 
ques, Saint-Louis,  Nossi-Bë,  les  îles  Seychelles  et  Tripoli.  L'Eglise  épis- 
copale  d'Angleterre  a  des  évêques  au  Cap,  à  Grahamstown,  à  Maurice, 
à  Natal,  à  Sainte-Hélène,  à  Sierra-Leone,  et  trois  évêques  missionnaires 
dans  l'Afrique  centrale,  au  Niger  et  dans  l'Etat  libre  du  fleuve  Orange, 
en  tout  9  diocèses.  —  Bibliographie.  Les  documents  consultés  sont  trop 
nombreux  pour  être  tous  indiqués  ici.  Citons  seulement  plusieurs  rela- 
tions de  voyages,  la  statistique  officielle  de  l'Algérie  en  1873  et  les  pu- 
blications de  l'Institut  géographique  de  Gotha.  E.  Vaucher. 

AFRIQUE  (Eglise  d').  On  a  l'habitude  de  désigner  sous  ce  nom  l'ensem- 
ble des  Eglises  chrétiennes  qui  s'étaient  établies  dans  l'Afrique  procon- 
sulaire et  qui  y  ilorissaient  dans  les  premiers  siècles  de  notre  ère.  Par 
le  rôle  considérable  qu'elle  joua  dans  les  controverses  dogmatiques  et 
ecclésiastiques  de  cette  époque,  non  moins  que  par  la  notoriété  de  ses 
principaux  représentants,  l'Eglise  d'Afrique  a  droit  à  une  mention  toute 
particulière.  Nous  ne  nous  occuperons  ici  que  de  la  première  période 
de  son  histoire,  qui  est  naturellement  close  par  l'invasion  vandale  et  la 
mort  de  saint  Augustin  (430).  Les  années  qui  suivirent  furent  pour 
cette  Eglise  des  années  d'angoisses  et  de  décadence;  la  conquête 
arabe  (698)  acheva  de  la  ruiner.  —  A  l'époque  où  le  christianisme  y  fut 
introduit,  le  nord  de  l'Afrique  était  divisé,  au  point  de  vue  politique,  en 
quatre  provinces  :  Y  Afrique  proconsulaire  proprement  dite,  la  Numidie, 
la  Mauritanie  Césarienne  et  la  Mauritanie  Tingitane.  Au  commencement 
du  quatrième  siècle,  on  comptait  six  provinces  au  lieu  de  quatre.  La 
Mauritanie  Tingitane  avait  été,  il  est  vrai,  réunie  à  l'Espagne,  mais  on 
avait,  en  revanche,  adjoint  aux  autres  la  province  de  Tripolis  ;  on  avait 
subdivisé  l'Afrique  proconsulaire  en  deux  parties  qui  portaient  les  noms 
de  Zeuaitane  et  de  Byzacène ,  et  de  la  Mauritanie  Césarienne  on  avait 


AFRIQUE  101 

détaché  la  Mauritanie  Sitifienne.  La  Numidie  seule  restait  ce  qu'elle 
était.  Ces  six  provinces  constituèrent,  au  point  de  vue  ecclésiastique, 
le  diocèse  d'Afrique.  La  métropole  de  ce  diocèse,  la  ville  qui  devint  le 
centre  du  christianisme  africain  était  Garthage.  Détruite  de  fond  en 
comble,  après  la  troisième  guerre  punique,  elle  ressuscita  en  quelque 
sorte  parla  volonté  de  l'empereur  Auguste  (29  av.  J.-C).  Son  déve- 
loppement fut  si  rapide  qu'elle  ne  tarda  pas  à  reprendre  son  ancien 
éclat.  A  côté  d'elle  on  peut  citer  quelques  villes  plus  ou  moins  célèbres  : 
Hippone,  Tagaste,  Madaure,  Milène,  etc.  —  Gomme  la  plupart  des 
Eglises,  celle  d'Afrique  a  essayé  de  se  donner  une  origine  apostolique. 
La  légende,  s'einpârant  du  nom  de  Simon  de  Cyrène  qui  s'était  acquis 
une  grande  notoriété  en  portant  la  croix  de  Jésus  (Matth.  XXVII,  32)  et 
le  confondant  avec  Simon  le  Zélote,  un  des  douze  apôtres,  a  fait  de  ce 
dernier  le  premier  missionnaire  de  l'Afrique  ;  elle  a  aussi  prétendu  que 
saint  Pierre  aurait  envoyé  de  Rome  des  légats  apostoliques  à  Garthage. 
Ce  sont  là  des  suppositions  purement  gratuites.  Tertullien,  qui  fait 
quelque  part  une  énumération  des  Eglises  ayant  une  origine  aposto- 
lique, passe  sous  silence  l'Eglise  d'Afrique  à  laquelle  pourtant  il  apparte- 
nait. Il  est  très-naturel  de  supposer  que  les  rapports  fréquents  soutenus 
par  la  capitale  de  l'empire  romain  avec  l'Afrique  proconsulaire  contri- 
buèrent, pour  une  grande  part,  à  l'introduction  du  christianisme  à  Gar- 
thage. Les  commencements  de  l'Eglise  d'Afrique  sont  obscurs.  Le  pre- 
mier évèque  dont  il  soit  question  est  Optât  de  Garthage,  qui  est  cité  dans 
le  martyrologe  de  Perpétue  et  de  Félicité  (202).  Cependant  le  christia- 
nisme avait  introduit  comme  une  vie  nouvelle  dans  le  nord  du  conti- 
nent africain,  et  sur  ce  sol  un  peu  barbare  était  née  toute  une  littéra- 
ture. Tertullien,  Gyprien,  Augustin,  et  au-dessous  d'eux  Arnobe  de 
Sicca,  Optât  de  Milène,  Fulgence,  etc.,  imprimèrent  à  la  langue  latine 
un  cachet  tout  particulier.  Les  trois  premiers  surtout  jouèrent  un  rôle 
considérable  dans  l'Eglise  d'Occident  par  la  part  qu'ils  prirent  aux 
luttes  dogmatiques,  ecclésiastiques  et  morales  de  leur  temps.  — 
Avant  d'aborder  l'histoire  dogmatique  et  morale  de  l'Eglise  africaine, 
rappelons  rapidement  quels  furent  ses  rapports  avec  les  derniers  em- 
pereurs romains.  Un  seul  mot  les  résume  :  persécution.  Dans  l'es- 
pace de  quelques  années,  le  christianisme  avait  acquis  un  dévelop- 
pement si  rapide  au  sein  de  l'Afrique  proconsulaire  qu'il  était  devenu 
pour  l'ancienne  religion  un  rival  dangereux;  aussi,  la  population  du 
pays,  qui  sous  le  dehors  d'une  civilisation  avancée  avait  gardé  un  grand 
fonds  de  barbarie,  exécuta-t-elle  avec  une  ardeur  sauvage  les  décrets  des 
empereurs .  En  203,  Septime-Sévère  condamna  formellement  dans  un 
décret  la  propagation  des  doctrines  nouvelles,  et  invita  les  magistrats  à 
faire,  à  cet  égard,  des  enquêtes  minutieuses.  Le  proconsul  d'Afrique, 
Saturnin,  n'attendit  pas  ce  décret  pour  sévir  contre  les  chrétiens.  Dès 
l'an  200,  douze  chrétiens  des  deux  sexes  de  la  petite  ville  de 
Scillita  furent  amenés  à  Garthage,  interrogés  et  décapités.  Deux  ans 
après  eut  lieu,  encore  à  Garthage,  le  martyre  de  Perpétue  et  de  Fé- 
licité. En  211,  sous  Caracalla,  nouvelle  persécution,  mais  qu'il  faut 
attribuer  moins  à  l'empereur  qu'au  proconsul  Scapula.  V Apologie  de 


102  AFRIQUE 

Tertullien  n'avait  pas  empêché  la  première  persécution;  sa  belle  Lettre 
à  Scapula  ne  diminua  pas  les  rigueurs  de  la  seconde.  L'Eglise  jouit 
d'une  sécurité  relative  sous  Macrin,  le  meurtrier  de  Caracalla,  et  sous 
Héliogabale  (218);  Alexandre-Sévère  (222-235)  lui  fut  même  favorable. 
Sous  les  empereurs  suivants,  en  particulier  sous  Maximin  le  ïhrace 
(235-338),  la  persécution  se  raviva;  mais  l'Eglise  même  d'Afrique  ne  fut 
directement  atteinte  que  sous  Décius  (2i9-251).  Les  rigueurs  furent 
telles  que  de  nombreuses  défections  eurent  lieu,  et  c'est  alors  que  surgit 
la  grave  question  des  chrétiens  tombés,  des  lapsi,  où  se  fit  sentir  d'une 
façon  particulière  l'influence  de  saint  Gyprien.  Le  pieux  évêque  n'était 
pas  à  Garthage  au  moment  où  la  persécution  y  sévissait.  Comprenant 
que  l'heure  du  martyre  n'avait  pas  encore  sonné  pour  lui,  il  s'était  ré- 
fugié dans  une  retraite  inconnue  d'où  il  continuait  à  gouverner  son 
Eglise,  l'exhortant  par  ses  lettres  et  combattant  avec  succès  le  schisme 
du  prêtre  Félicissimus  que  ses  adversaires  voulaient  asseoir  à  sa  place 
sur  le  siège  épiscopal.  Quand  il  put  reparaître  au  milieu  des  siens,  il 
trouva  son  troupeau  affaibli  et  divisé.  Beaucoup  de  ceux  qui  avaient 
faibli  voulaient  rentrer  en  grâce.  La  question  était  délicate  :  on  était 
porté  d'une  part  à  une  trop  grande  indulgence ,  tandis  que  d'autre  part 
on  réclamait  une  sévérité  excessive.  Gyprien,  unissant  la  fermeté  à  la 
douceur,  écrivit  à  ce  sujet  son  traité  De  lapsis,  dans  lequel  il  déclare  que 
si  ceux  qui  ont  failli  ne  doivent  pas  être  rejetés  à  toujours,  il  ne  faut 
cependant  les  admettre  au  pardon  qu'après  pénitence.  Les  empereurs 
Gallus  (251-253)  et  Valérien  (253-260)  continuèrent,  quoique  avec  moins 
de  rigueur  et  de  persistance,  la  politique  de  Décius;  mais  les  quarante 
années  qui  suivirent  la  mort  de  Valérien  furent  de  nouveau  pour 
l'Eglise  une  période  de  tolérance  et  de  calme.  La  terrible  persécution 
de  Dioclétien  et  de  ses  associés  (303-313)  n'en  dut  paraître  que  plus 
formidable.  L'Eglise  d'Afrique  fut  particulièrement  éprouvée.  C'était 
surtout  contre  les  Livres  saints  que  les  païens  tournèrent  leur  fureur. 
Le  décret  de  Dioclétien  portait  entre  autres  que  «  les  exemplaires  des 
Livres  sacrés  devaient  être  jetés  au  feu  »  (Eusèbe,  H.  i^VIlI,  2). 
Beaucoup  de  chrétiens  croyaient  satisfaire  à  la  fois  à  leur  conscience  et 
à  leur  sécurité  en  livrant,  au  lieu  des  saintes  Ecritures,  des  manuscrits 
des  livres  hérétiques.  On  les  appela  tradùores.  La  plupart  firent  preuve 
d'un  courage  héroïque  :  ainsi,  Félice,  évêque  de  Tabura,  qui  résista  à 
toutes  les  injonctions.  L'édit  de  Milan  (313)  inaugura  pour  l'Eglise  une 
ère  nouvelle  ;  le  christianisme  devenait  religion  d'Etat  avec  Constantin  ; 
mais  l'Eglise  d'Afrique  ne  devait  pas  connaître  de  sitôt  la  paix  exté- 
rieure ;  le  schisme  des  donatistes  lui  causa  presque  autant  de  dommage 
que  la  persécution  païenne.  —  Cela  nous  amène  à  parler  de  l'attitude 
que  cette  Eglise  prit  dans  les  questions  disciplinaires  et  morales.  Dans 
un  excès  de  réaction  contre  la  corruption  de  la  société  païenne,  quel- 
ques chrétiens  se  jetèrent  dans  un  ascétisme  outré,  et  cette  tendance 
donna  naissance  en  particulier  à  la  secte  des  montunistes  et  à  celle  des 
nova  tiens  (voy.  ces  articles).  Mais  ce  fut  surtout  contre  le  donatisme 
que  l'Eglise  d'Afrique  eut  à  lutter  (voy.  cet  article).  Comme  les  précé- 
dents, les  donatistes  affichaient  une  rigueur  disciplinaire  excessive. 


AFRIQUE  103 

Malheureusement,  au  lieu  de  les  abandonner  à  l'isolement  auxquels  ils 
se  condamnaient  eux-mêmes,  Constantin  donna  le  premier,  contre  eux, 
le  signal  des  persécutions  (314).  Les  donatistes  se  crurent  en  droit  de 
combattre  la  force  par  la  force.  Ils  se  liguèrent  avec  tout  ce  qu'il  y 
avait  en  Afrique  de  sujets  opprimés,  d'esclaves  maltraités,  de  débiteurs 
poursuivis,  en  un  mot  avec  tous  les  ennemis  jurés  de  l'ordre  social. 
A  leur  suite,  les  «  circoncellions ,  »  espèce  de  mendiants  vagabonds, 
armés,  disaient-ils,  pour  combattre  Satan,  parcouraient  les  campagnes, 
dépouillant  les  voyageurs,  pillant  les  maisons,  se  livrant  à  toutes  sortes 
d'excès.  Il  était  vraiment  impossible  de  ramener  ces  furieux  par  la  per- 
suasion. Saint  Augustin,  qui  s'y  était  d'abord  essayé  dans  plusieurs  con- 
férences, finit  par  les  abandonner  à  la  rigueur  des  édits  d'Honorius  (412). 
L'Etat,  on  le  voit,  intervenait  de  plus  en  plus  dans  le  règlement  des 
affaires  ecclésiastiques;  l'Eglise  cependant  s'était  organisée  en  dehors 
de  lui  et  possédait  son  gouvernement  propre.  Dans  le  principe  tous  les 
fidèles  étaient  «  prêtres  et  sacrificateurs,  »  mais  peu  à  peu  et  par  la 
force  même  des  choses  le  gouvernement  spirituel  se  concentra  entre  les 
mains  d'un  petit  nombre.  Ainsi  naquit  la  distinction  entre  le  clergé  e( 
les  laïques.  Au  commencement  du  troisième  siècle,  Tertullien  s'écriait 
sans  doute  :  «  Nous  laïques,  ne  sommes-nous  pas  aussi  prêtres?  »  mais 
déjà  la  hiérarchie  était  fondée  et  depuis  le  milieu  du  troisième  siècle, 
sous  l'influence  de  saint  Gyprien  surtout,  l'épiscopat  obtint  sur  la  prê- 
trise une  prééminence  sensible.  L'évêque  de  Carthage  ne  lutta  pas  avec 
moins  d'ardeur  contre  la  primauté  romaine  et  en  plusieurs  circon- 
stances il  maintint  formellement  son  avis  contre  celui  de  Févêque  de 
Rome.  Selon  Cyprien,  la  décision  d'aucun  évêque  ne  pouvait  prévaloir 
dans  l'Eglise  catholique,  qu'autant  qu'elle  était  confirmée  par  le  corps 
épiscopal  tout  entier.  Disons  toutefois  que  le  même  Gyprien,  sans 
prendre  expressément  le  nom  de  métropolitain  de  sa  province,  en  joua 
souvent  le  rôle.  Les  évêques  de  la  Numidie,  de  la  Mauritanie  ou  de  la 
Tripolitane  se  réunirent  souvent  en  synodes  généraux  sous  sa  prési- 
dence, et  le  siège  épiscopal  de  Carthage  finit  par  acquérir  une  sorte  de 
primauté  de  fait.  Cet  état  de  choses  s'affirma  surtout  sous  Aurèle,  qui 
fut  évêque  de  Carthage  de  392  à  429.  L'évêque  du  chef-lieu  de  chacune 
des  six  provinces  dont  se  composait  l'Eglise  d'Afrique  fut  considéré 
comme  une  sorte  de  primat,  mais  seulement  dans  le  sens  d'évêque  du 
premier  siège  (p?nmx  sedis  episcopus).  Toutefois  ce  ne  fut  pas  là  pour 
l'Eglise  d'Afrique  une  règle  absolue,  et  la  dignité  de  primat  fut  souvent 
attribuée  non  pas  à  l'évêque  du  chef-lieu,  mais  à  celui  dont  l'ordination 
était  la  plus  ancienne.  Cela  n'empêcha  pas  l'Eglise  de  Carthage  de  con- 
server la  prépondérance  et  Aurèle,  en  particulier,  ne  laissa  passer 
aucune  occasion  de  l'affirmer.  Ego  cunctarum  ecclesiarum  dignatione 
Dei,  utscitis,  fmtres,  sollicitudinem  sustineo ,  dit-il  au  troisième  concile 
de  Carthage,  Ce  pouvoir  étendu  était  pourtant  limité  par  le  concile  gé- 
néral devant  lequel  étaient  portées  les  affaires  qui  concernaient  les 
Eglises  de  toutes  les  provinces  africaines.  A  l'époque  d 'Aurèle  ce  con- 
cile devait  se  réunir  tous  les  ans,  le  23  août;  plus  tard  il  fut  décidé  qu'il 
ne  serait  convoqué  que  lorsque  les  circonstances   l'exigeraient  (Cad. 


104  AFRIQUE 

eccl.  Afr.,  can.  95).  Les  décisions  du  concile  général  devaient  être  sans 
appel  et  l'excommunication  était  la  peine  réservée  à  ceux  qui  tente- 
raient de  faire  intervenir  une  autorité  d'outre-mer.  —  Cet  esprit  d'in- 
dépendance que  l'on  constate  dans  l'organisation  ecclésiastique  de 
l'Eglise  africaine,  se  retrouve  en  quelque  mesure  dans  ses  croyances 
dogmatiques.  D'une  manière  générale,  elle  se  rattachait  à  la  tendance 
réaliste  pratique  par  opposition  à  la  tendance  scientifique  idéaliste  re- 
présentée par  l'école  d'Alexandrie.  Tertullien  qui  fut  d'abord  son  prin- 
cipal docteur  apparut  sur  la  scène  au  moment  où  la  doctrine  chré- 
tienne s'affirmait  contre  les  sectes  théosophiques.  Les  gnostiques,  on  le 
sait,  faisaient  bon  marché  de  la  tradition  et  de  la  lettre.  Tertullien 
affirma  au  contraire  qu'il  fallait  s'y  asservir  et  que  là  même  où  elles 
répugnaient  le  plus  à  l'intelligence  humaine,  leur  apparente  absurdité 
était  un  titre  de  plus  aux  yeux  de  la  foi.  «  Credo  quia  ineptum,  »  disait-il. 
Les  gnostiques  essayaient  de  résoudre  par  les  fantaisies  de  leur  ima- 
gination ces  grandes  questions  de  l'origine  du  monde  et  de  l'existence 
du  mal  ;  ils  avaient  inventé  à  ce  propos  le  système  des  émanations. 
Tertullien,  et  avec  lui  l'Eglise  d'Afrique,  professe  la  création  exnihilo, 
par  un  acte  absolu  de  la  volonté  de  [Dieu,  et  l'existence  de  ce  Dieu  se 
prouve  par  le  témoignage  de  l'âme  naturellement  chrétienne.  Dans  son 
réalisme  outré,  Tertullien  allait  jusqu'à  attribuer  un  corps  à  Dieu.  A 
vrai  dire,  c'était  là  du  matérialisme  et  ce  matérialisme  s'affirme  ingénu- 
ment dans  ses  idées  sur  la  nature  de  l'âme  humaine  ;  selon  lui,  l'âme 
était  corporelle  et  se  propageait  avec  les  corps;  on  a  appelé  ce  système 
le  traducianisme .  Le  réalisme  de  l'Eglise  d'Afrique  ne  s'affirma  pas 
moins  en  christologie,  et  le  génie  matérialiste  de  Tertullien  n'était  nulle- 
ment embarrassé  pour  expliquer  comment  Dieu  était  devenu  Père  et 
pour  faire  ressortir  l'identité  de  substance  du  Fils  et  du  Père.  C'est  Ter- 
tullien également  qui  introduisit  dans  le  langage  théologique  occidental 
le  mot  de  trinité  pour  désigner  un  Dieu  triple  quant  aux  personnes  qui 
le  composent  et  un  par  la  substance.  Les  disputes  ariennes  n'agitèrent 
pas  trop  l'Eglise  d'Afrique;  cependant,  par  l'organe  de  saint  Augustin, 
elle  dit  son  mot  lors  de  la  rédaction  du  dogme  trinitaire,  et  fit  ajouter, 
en  Occident,  au  symbole  de  Gonstantinople  le  fameux  Filioque.  Des 
questions  d'une  nature  plus  pratique  occupaient  l'Eglise  latine  : 
c'étaient  celles  qui  concernent  l'homme,  les  rapports  de  son  libre 
arbitre  avec  la  grâce  et  les  forces  dont  il  dispose  pour  remplir  les  con- 
ditions du  salut.  Nous  n'avons  pas  à  faire  ici  l'histoire  de  la  controverse 
pélagienne;  il  nous  suffira  de  rappeler  que  saint  Augustin  fut  le  plus 
infatigable  et  le  plus  implacable  adversaire  de  Pelage  et  de  Gœlestius.  Il 
les  fit  condamner  par  plusieurs  conciles  réunis  en  Afrique  même,  entre 
autres  par  les  conciles  de  Carthage  de  412,  416  et  417.  Si  l'histoire  de 
l'Eglise  d'Afrique  peut  se  clore  à  la  mort  de  l'illustre  évêque  d'Hip- 
pone,  son  influence  a  persisté  bien  au  delà.  Grâce  à  lui,  les  doc- 
trines de  l'Eglise  d'Afrique  ont  été  pendant  des  siècles  la  norme  de 
la  croyance  des  Eglises  chrétiennes  aussi  bien  catholique  que  pro- 
testantes. —  Voyez  surtout  Munter,  Primordia  ecclesias  Africanz, 
Hafn.,  1829.  A.  Gary. 


AGABUS  -  AGAPES  105 

AGABUS  ("Ayacoç,  nom  évidemment  hébraïque,  peut-être  le  même 
que  Khagab,  Esd.  II,  46),  prophète  chrétien  de  la  primitive  Eglise  men- 
tionné deux  fois  dans  les  Actes  (XI,  28,  et  XXI,  10).  La  première  fois  à 
Antioche,  Agabus  prédit  une  grande  famine  qui  devait  s'étendre  à  toute 
la  terre.  On  s'accorde  assez  à  voir  dans  cette  prédiction  la  famine  qui 
sévit  particulièrement  en  Judée  en  l'année  44  et  la  quatrième  du  règne 
de  Claude  (Josèphe,  Ant.  XX,  2,  6  ;  Eusèbe,  H.  E.,  II,  8;  Orose,  VII,  6). 
Plus  tard,  à  Césarée,  dans  la  maison  de  Philippe  l'évangéliste,  il  prédit 
encore  par  un  acte  symbolique  la  captivité  de  Paul  à  Jérusalem. 
Agabus  est  l'unique  prophète  chrétien  du  Nouveau  Testament  dont  le 
nom  ait  été  conservé.  Mais,  à  cette  époque,  les  hommes  en  qui  revi- 
vaient l'antique  esprit  et  l'exaltation  prophétique  étaient  nombreux 
(Actes  XI,  27;  XXI,  9;  1  Cor.  XII,  28;  XIV,  29;  Ephés.  III,  5;  IV,  11). 
Les  prophètes  avaient  même  rang  dans  l'Eglise  et  venaient  après  les 
apôtres. 

AGAPES,  du  mot  grec  cc{&%^  qui,  dans  le  Nouveau  Testament,  désigne 
surtout  l'amour  fraternel.  C'est  le  nom  des  repas  mystiques  que  les 
premiers  chrétiens  prenaient  en  commun  et  qui  se  terminaient  par  la 
célébration  de  l'Eucharistie.  Le  mot  revient  souvent  chez  les  auteurs 
ecclésiastiques  des  quatre  premiers  siècles.  On  ne  le  trouve,  dans  ce 
sens,  qu'une  fois  dans  le  Nouveau  Testament,  Epître  de  Jude,  12.  (La 
leçon  parallèle  de  2  Pierre  II,  13,  que  nous  offrent  les  manuscrits  A,  C? 
ne  paraît  pas  être  la  bonne).  Il  est  vraisemblable  que  le  livre  des  Actes 
fait  allusion  à  ce  repas  fraternel  quand  il  parle  de  l'habitude  des  chré- 
tiens de  rompre  le  pain  en  commun  (Actes  II,  42,  46,  et  XX,  7).  Paul  le 
mentionne  expressément  et  le  nomme  zupiaxcv  Seîtcvov  (1  Cor.  XI,  20). 
Cette  expression  en  démontre  l'origine  chrétienne  et  ne  permet  pas  d'y 
voir  une  imitation  ou  un  emprunt  fait  aux  esséniens  ou  à  quelque  autre 
secte  juive  ou  païenne.  L'agape  est  évidemment  dans  l'Eglise  le  sou- 
venir et  la  répétition  du  dernier  repas  de  Jésus  avec  ses  disciples  à  la  fin 
duquel  il  institua  la  sainte  Cène  (Matth.  XXVI,  8;  1  Cor.  XI,  23).  Voilà 
pourquoi  l'agape  et  la  sainte  Cène  étaient  séparées  du  culte  public 
dans  la  primitive  Eglise  et  célébrées  ensemble  le  soir  (Actes  XX,  7  ;  Pline, 
Epist.,  X,96).  A  Jérusalem,  dans  les  premiers  temps,  ce  repas  mystique 
avait  lieu  tous  les  jours.  Mais  un  tel  état  de  choses  ne  pouvait  durer 
qu'aussi  longtemps  que  l'Eglise  était  peu  nombreuse  et  que  la  charité  y 
produisait  et  y  maintenait  cette  communauté  de  biens  dont  il  est 
question  dans  le  livre  des  Actes.  Plus  tard  les  agapes  n'eurent  lieu 
que  le  dimanche.  Bientôt  des  abus  et  des  désordres  se  produisirent 
qui  amenèrent  des  changements  plus  importants.  Déjà  Paul  blâme 
vivement  la  manière  dont  ces  agapes  se  tenaient  à  Corinthe  (1  Cor.  XI, 
21,  22).  Il  n'y  reconnaît  plus  le  repas  du  Seigneur.  Ces  festins  ressem- 
blaient trop  à  ceux  qui  suivaient  les  sacrifices  païens.  Au  lieu  de  tout 
mettre  en  commun ,  chacun  mangeait  ce  qu'il  avait  apporté.  Les  uns 
sortaient  presque  ivres,  les  autres  ayant  faim.  Les  riches  semblaient 
insulter  par  leur  abondance  à  la  misère  des  pauvres.  Ajoutons  que  ces 
agapes  non-seulement  donnèrent  à  l'autorité  romaine  l'occasion 
d'appliquer  à  l'Eglise  chrétienne  les  lois  contre  les  hétairies  ou  corpo- 


10G  AGAPES  -  AGAPET  I" 

rations  dont  les  membres  se  réunissaient  en  des  banquets  réguliers 
(Pline,  Episl.,  X,  97),  mais  encore  par  le  seul  fait  qu'elles  avaient  lieu 
dans  l'intimité  et  la  nuit,  elles  donnèrent  lieu  à  toutes  ces  rumeurs 
absurdes  qui  couraient  dans  le  peuple  sur  le  compte  des  chrétiens.  La 
distribution  symbolique  du  corps  et  du  sang  du  Christ  devenait  un 
repas  de  chair  humaine.  Le  baiser  fraternel  que  se  donnaient  avant  de 
se  sépare r  les  membres  de  la  communauté  se  transformait  en  scènes 
de  débauches  incestueuses.  La  lettre  de  Pline  a  démontré  la  fausseté  de 
ces  calomnies.  Mais  il  n'est  que  trop  vraisemblable  que  les  désordres 
dont  se  plaignait  Paul  durent  aller  en  augmentant  dans  les  Eglises 
d'origine  païenne.  Aussi  en  vint-on  bientôt  à  séparer  la  sainte  Gène  de 
l'agape  et  à  la  joindre  au  culte  du  dimanche  matin.  Nous  trouvons  cette 
révolution  accomplie  à  l'époque  de  Justin  Martyr  (140),  qui  nous  donne 
dans  sa  première  apologie,  une  description  du  culte  chrétien  dont  la  sainte 
Gène  est  déjà  la  partie  centrale.  A  partir  de  cette  séparation,  la  sainte 
Gène  et  l'agape  eurent  des  destinées  bien  contraires.  La  sainte  Gène 
acquit  chaque  jour  une  plus  grande  importance  et  une  plus  haute  signi- 
fication dans  le  culte,  la  doctrine  et  la  vie  de  l'Eglise,  jusqu'au  sacrifice 
de  la  messe  et  au  dogme  de  la  transsubstantiation.  L'agape,  au  contraire, 
privée  de  son  élément  capital,  réduite  à  un  simple  banquet  frater- 
nel, dégénéra  de  plus  en  plus  et  perdit  de  son  importance  et  de 
son  rôle  dans  la  vie  de  l'Eglise.  Sans  doute  Tertullien,  avant  la  pé- 
riode montaniste  de  sa  vie,  en  fait  le  plus  chaleureux  éloge  (Apo- 
ioget.,  39)  et  Julien  l'Apostat  recommande  aux  païens  d'emprunter 
cette  coutume  aux  Galiléens;  mais  des  voix  de  plus  en  plus  nom- 
breuses, inspirées  par  l'esprit  ascétique  envahissant  l'Eglise  ou  par 
les  désordres  moraux  qu'amenaient  ces  agapes,  s'élèvent  contre  elles 
à  partir  du  troisième  siècle  (Clément  d'Alexandrie,  Pœdag.,  II,  1: 
Ghrysostome,  Hom.  XXYII  in  1  Cor.  XI;  Augustin,  Epist.,  64).  Du 
temps  de  ce  dernier,  les  agapes  n'étaient  guère  plus  que  des  repas 
de  charité  que  les  riches  donnaient  aux  pauvres.  Sans  les  condam- 
ner, plusieurs  évêques,  à  l'exemple  d'Ambroise  de  Milan,  et  plusieurs 
conciles  défendirent  de  les  célébrer  dans  les  Eglises  (Concile  de  Gar- 
thage,  III,  391,  c.  30).  Avec  le  cinquième  siècle,  les  agapes  dispa- 
raissent. Peut-être  faut-il  en  voir  des  traces  dans  certaines  habitudes 
populaires  et  distributions  faites  aux  pauvres  en  quelques  pays,  le 
jour  des  Rameaux,  le  lundi  de   Pâques  ou  le  jour  de  Noël. 

A.  Sabatier. 

AGAPET  Ier  (saint)  [Agapitus,  Agapetus),  Romain,  fut  pape  de  juin  535 
à  septembre  536.  Envoyé  à  Constantinople  pour  négocier  au  nom  du 
roi  des  Ostrogoths,  Théodat,  menacé  par  Bélisaire,  avec  l'empereur 
Justinien,  il  s'employa  à  combattre  le  monophysitisme  et  réussit  à 
mettre  sa  créature  Mennas  à  la  place  du  patriarche  hérétique  Anthime. 
Dans  une  lettre  adressée  à  l'évêque  de  Jérusalem,  il  célèbre  son 
triomphe  en  comparant  le  premier  évêque  d'Orient  qui  ait  été  sacré 
par  un  pape  à  ceux  qu'a  institués  saint  Pierre.  Il  mourut  à  Constan- 
tinople. Sa  vie,  attribuée  à  Anastase,  est  dans  Muratori,  Scr.  r.  Ital.% 
III,  i,  p.  lï28.Voy.  Hefele,  II,  741.  Ses  lettres  se  lisent  dansMansi,YilJ. 


AGAPET  II  —  AGATHE  107 

AGAPET  II,  Romain,  fut  pape  de  946  à  955.  Impatient  du  joug  de  In 
pornocratie,  il  chercha  un  appui  auprès  d'Othon  Ier.  Dans  le  grave  con- 
flit des  deux  archevêques  de  Reims,  dont  l'un,  Hugues  de  Vermandois, 
était  soutenu  par  son  oncle  Hugues  le  Grand,  et  l'autre,  Artaud,  par 
Othon,  protecteur  du  faible  Louis  d'Outre-mer,  le  pape  s'était  d'abord 
prononcé  pour  Hugues.  Il  subissait  l'autorité  du  fils  de  Marozia.  Mais, 
dès  qu'il  se  sentit  appuyé  par  le  roi  de  Germanie,  il  excommunia 
Hugues,  et  réunit  en  Allemagne  le  synode  d'Ingelheim  (948)  pour  dis- 
poser de  la  France.  Après  le  synode,  il  excommunia  Hugues  de  France, 
le  rival  d'Othon.  Appelé  en  Italie  par  le  pape,  Othon  le  Grand  ne  put  en- 
core cette  fois  accomplir  son  œuvre,  affranchir  la  papauté  du  joug  du 
parti  qui  la  dominait,  et  prendre  la  couronne  impériale  (voy.  Flodoard, 
S.  A.,  946  ss.  Les  lettres  du  pape  sont  dans  Bouquet,  IX,  226  ss.  et 
dans  Mansi,  XVIII,  405  ss.). 

AGAR  [H  agar,  "Ayap],  esclave  égyptienne  que  Sara  donna  pour 
concubine  à  Abraham,  de  qui  elle  eut  un  fils  nommé  Ismaël  (Gen.  XVI, 
15).  A  partir  de  ce  moment,  Agar  fut  en  butte  aux  mauvais  traitements 
de  sa  maîtresse,  qui  la  fit  renvoyer  par  Abraham  (Gen.  XXI,  9-21).  Elle 
se  réfugia  dans  le  désert  avec  son  fils  qui  devint  le  père  des  Ismaéliens 
ou  Arabes  (voy.  Patriarches).  Dans  la  tradition  arabe,  Agar  devient  la 
femme  légitime  d'Abraham;  elle  habite  la  Mekke,  et  le  fameux  puits 
Zemzem,  dans  l'enceinte  de  la  Kaaba,  n'est  autre  que  la  fontaine  qui  lui 
fut  montrée  par  Dieu  (Gen.  XXI,  19);  Abraham  reçut  l'ordre  de  sacri- 
fier Ismaël,  etc.  Voyez  :  d'Herbelot,  Bibliothèque  orientale;  Weil.,  Bibl. 
Legenden  der  Muselmœnner,  p.  82  ss. 

AGAREENS  ou  Agaréniens  [Hag'rîm,  Hag'riyîm,  'ÀYapaïoi,  'Ava- 
p-rçvot,  Agarei,  Agareni],  nom  d'un  peuple  mentionné  plusieurs  fois 
dans  l'Ancien  Testament  comme  s' étant  trouvé  en  hostilité  avec  Israël 
(1  Chron.  V,  10,  19,  20;  Ps.  LXXXIII,  7).  11  est  difficile  de  dire  au 
juste  quel  était  ce  peuple,  dont  le  nom  est  vraisemblement  dérivé 
d'Agar,  mais  que  le  v.  7  du  Ps.  LXXXIII  distingue  bien  des  Ismaé- 
liens. Eratosthène  et  Ptolémée  connaissent  des  'AypaToi  au  nord  de 
l'Arabie,  et  dans  cette  région  se  trouve  encore  une  tribu  arabe  por- 
tant le  nom  de  Hadjar  (Sprenger,  Die  alte  Géographie  Arabiens,  1875, 
p.  288).  C'est  là  probablement  qu'il  faut  placer  les  Agaréens  de  la 
Bible,  plutôt  que  dans  le  pays  de  Hadjar,  sur  les  bords  du  golfe 
Persique. 

AGATHE  (sainte) ,  vierge  et  martyre  sicilienne.  Ses  Actes  latins 
(A A.  SS.  5  Feb.  I)  racontent  sa  passion,  subie  à  Catane,  sous  Décius, 
en  Tan  251.  Quintianus ,  consulaire,  pour  la  conquérir,  l'enferme 
dans  la  maison  d'Aphrodisia,  matrone.  Torturée,  elle  est  guérie  par 
un  ange  ou  un  apôtre  (saint  Pierre).  Les  bourreaux  traînent  son 
corps  sur  des  charbons  ardents  et  sur  des  fragments  de  poterie.  Elle 
meurt  dans  sa  prison.  Un  ange,  un  jeune  homme  inconnu  vêtu  de 
soie,  suivi  de  plus  de  cent  jeunes  gens,  place  sur  sa  tombe  une  pe- 
tite table  de  marbre  avec  ces  mots  :  Mentent  sanctam,  spontaneum 
honorem  Deo ,  et  patrise  liberationem.  D'après  divers  auteurs,  cette 
pierre,  conservée  à  Crémone,  porte  les  lettres  :  M.  S.  S.  H.  D.  E. 


108  AGATHE        AGEN 

P  .  L.).  Après  sa  mort,  les  païens  opposent  le  voile  qui  recouvrait 
son  corps  aux  laves  qui  descendent  vers  Catane,  et  la  lave  s'écarte.  Ses 
reliques  sont  à  Rome,  dans  l'église  de  son  nom,  in  Suburra;  saint  Am- 
broise  a  composé  la  préface  de  l'office  de  sainte  Agathe;  le  pape 
Damase  lui  a  consacré  des  vers  élégants,  saint  Fortunat  la  nomme  parmi 
les  vierges  pures.  Catane  et  Palerme  se  disputent  sa  naissance.  Les 
anciens  bréviaires  et  les  auteurs  sont  partagés  en  Ire  l'une  et  l'autre 
origine,  les  témoins  les  plus  nombreux  plaident  en  faveur  de  Catane. 
Le  bréviaire  de  Pie  V  décida  en  faveur  de  cette  ville,  mais  le  pape 
Clément  VIII,  par  une  décision  que  Bolland  loue  comme  dignitati 
ecclesiœ  romanse  consenlanea,  écrivit  dans  le  bréviaire  réformé  :  ....quam 
Panormitani  et  Catanenses  civem  suum  esse  dicunt.  Bolland  et  Potthast 
(Bibl.  hist.  m.  œvi,  Berl.,  1862,  Suppl.  1868)  citent  les  défenseurs  de 
l'une  et  l'autre  ville  (voy.  Tillemont,  III,  p.  409  ss.). 

AGATHON  (saint),  surnommé  le  Thaumaturge,  fut  pape  de  678  à  682. 
Il  était  moine  sicilien.  Le  sixième  concile  œcuménique,  réuni  le  22  no- 
vembre 680  au  Trullum  de  Constantinople  contre  le  monothélétisme, 
fut  préparé  à  Rome  par  un  synode  de  125  évêques,  tenu  à  la  fête  de 
Pâques  de  Tan  680  par  Agathon.  Les  lettres  dogmatiques  du  pape  à 
l'empereur  Constantin  Pogonat  et  au  concile  de  Constantinople,  sont, 
avec  les  Actes  du  concile,  dans  Mansi,  XI  (voy.  Hefele  III,  227  ss.,  trad. 
fr.?  IV,  128  ss.).  Le  pape  y  proclame  «  deux  volontés  naturelles  et 
deux  énergies  naturelles,  ainsi  qu'il  convient  à  un  Dieu  parfait  et 
à  un  homme  parfait.  »  C'est  par  ce  concile,  réuni  de  l'autorité  du 
pape  saint  Agathon,  que  le  pape  Honorius  fut  condamné  pour  hé- 
résie. C'est  peut-être  à  l'effet  de  donner  à  la  papauté  une  revanche 
que  le  cardinal  Deusdedit  (1086)  a  fabriqué  un  décret  d'Agathon,  con- 
servé dans  Gratien  {VDist.  19,  c.  2),  et  adressé  à  tous  les  évêques  de 
la  chrétienté,  d'après  lequel  «  toutes  les  dispositions  du  siège  aposto- 
lique doivent  être  acceptées  comme  si  saint  Pierre  les  avait  confirmées 
de  sa  bouche.  »  —  Voy.  sa  vie  attribuée  à  Anastase  dans  les  Bollan- 
distes  (10  janvier,  I)  ;  M.  Schiavo,  Dissert,  storica  dommat.  délia  patria 
santtta  e  dottrina  del  ponte f.  S.  Agatone.  Palermo,  1731,  in-4°,  éd.  II, 
1751,  in -4°. 

AGDE  (Hérault)  ['AfaBï),  Agatha],  évêché  suffragant  de  l'archevêché 
deNarbonne,  supprimé  en  1790.  Saint  Sever,  vivant  vers  450,  en  est  le 
premier  évêque  connu.  Le  concile  d'Agde,  tenu  en  506  dans  l'église 
cathédrale  de  Saint-André,  sous  la  présidence  de  l'archevêque  Césaire 
d'Arles,  formulai  canons  qui  ont  tous  trait  à  la  discipline  (Mansi,VIII, 
323;  Sirmond,  Conc.  Gallix,  I,  161;  Hefele,  II,  631,  trad.  fi\,  III,  254; 
Gallia  Chrisliana,  VI). 

AGEN  [Aginnum],  évêché  suffragant  de  Bordeaux.  Saint  Caprais, 
moine  de  Lérins  (Caprasius),  est  le  premier  apôtre  d'Agen;  il  fut  mis  à 
mort  en  303,  après  le  martyre  de  saint  Foy  ;  sa  fête  est  célébrée  le 
20  octobre.  Saint  Phébade  est  le  premier  évêque  de  cette  ville  qui  soit 
connu  (359).  L'évêché,  réuni  en  1802  à  Toulouse,  a  été  rendu  en  1823 
à  la  province  de  Bordeaux.  L'ancienne  cathédrale  de  Saint-Etienne  a  été 
démolie  pendant  la  Terreur;  l'église  cathédrale,  autrefois  collégiale,  de 


AGEN  —  AGENAIS  100 

Saint-Gaprais  a  été  bâtie  du  onzième  au  seizième  siècle  sur  les  ruines 
d'une  première  basilique  fondée,  suivant  la  tradition,  par  saint  Dulcide, 
qui  fut  évêque  en  405  [Gallia  Christiana,,  II). 

AGENAIS.  La  Réforme  ne  s'introduisit  ostensiblement  dans  cette  con- 
trée, qui  ressortit  plus  lard  au  synode  de  la  Basse-Guyenne  et  forma 
les  deux  colloques  du  Bas  et  Haut-Agenais ,  que  lorsque  Gérard  Rous- 
sel prit  possession  de  l'abbaye  de  Clairac  en  1530.  Pourvu  de  ce  béné- 
fice par  François  Ier,  favorable  à  cette  époque  aux  idées  nouvelles,  le 
célèbre  réformateur  donna  aussitôt  des  conférences  qui  attirèrent  une 
foule  de  moines,  lesquels  quittèrent  leurs  couvents  sur  l'heure  et  pro- 
pagèrent les  doctrines  réformées.  Quatre  ans  plus  tard,  Calvin  étant 
venu  visiter  le  savant  et  pieux  Lefèvre  d'Etaples,  qui  s'était  retiré  à 
Nérae  pour  fuir  la  persécution,  Roussel  eut  des  entretiens  avec  lui  tou- 
chant l'organisation  de  l'Eglise,  mais  les  deux  docteurs  ne  purent 
s'entendre.  Calvin  voulait  «  raser  sur  terre  pour  bâtir  un  nouvel  édi- 
fice, »  tandis  que  Roussel  désirait  seulement  restaurer  ce  qui  existait 
déjà  ;  de  là  l'éphithète  de  temporiseur  que  lui  donnait  volontiers  le  pre- 
mier. Deux  ans  après  (1536),  les  doctrines  réformées  furent  professées 
à  Agen  pour  la  première  fois  par  le  régent  Philibert  Sarrasin,  «homme 
docte,  vertueux  et  craignant  Dieu,  »  qui  devint  l'ami  du  célèbre  Scali- 
ger  et  le  précepteur  de  son  fils  aîné.  Bientôt  suspect  de  «  luthérerie,  » 
Sarrazin  fut  obligé  de  fuir  pour  ne  pas  être  appréhendé  au  corps  par 
le  conseiller  Geoffroy  de  la  Chassaigne,  délégué  par  le  parlement  de 
Bordeaux  pour  informer  contre  les  partisans  des  idées  nouvelles  à 
Agen.  Scaliger  lui-même,  accusé  de  posséder  des  livres  hérétiques, 
((  d'avoir  dit  le  carême  n'être  de  l'institution  ni  de  Christ  ni  des  apô- 
«  très,  ni  la  transsubstantiation  article  de  foi  sinon  depuis  le  concile  de 
«  Latran  et  finalement  d'avoir  mangé  de  la  chair  en  temps  prohibé,  » 
ne  dut  sa  liberté  qu'à  la  protection  des  amis  qu'il  comptait  parmi  le 
parlement.  Les  autres  luthériens  d'Agen  furent  condamnés  à  «  faire 
amende  honorable  devant  le  grand  temple,  en  chemise  la  torche  au 
poing  »  et  à  abjurer.  En  1539  l'official  de  l' évêque  d'Agen,  plus  sévère 
que  le  parlement,  condamna  le  moine  jacobin  Jérôme  Vindocin,  qui 
avait  fait  le  voyage  de  Genève,  à  être  brûlé  vif,  supplice  que  le  coura- 
geux martyr  endura  avec  une  grande  constance  (4  fév.).  Dans  une  autre 
partie  de  l'Agenais,  à  Tonneins,  en  1541,  l'Allemand  André  Mélanchthon 
et  Jean  Carvin  d'Artois  «  tenaient  des  écoles  et  prêchaient.  »  Aymon 
de  la  Voye  faisait  de  même  à  Sainte-Foy.  Le  courageux  confesseur 
ayant  appris  qu'il  était  décrété  d'arrestation  par  le  parlement  de  Bor- 
deaux ne  chercha  pas  à  fuir,  «  répondant  à  quelques  amis  particuliers 
«  qui  le  pressaient  de  sortir,  que  c'était  le  fait  de  mercenaires  et  faux 
«  prophètes.  »  Conduit  à  Bordeaux  vers  la  Noël,  il  souffrit  pendant 
neuf  mois  «  toutes  sortes  d'indignes  et  cruels  traitements,  »  fut  mis  en 
vain  à  la  question  extraordinaire  pour  dénoncer  ses  amis,  convertit  un 
jeune  carme  qui  était  venu  l'exhorter  et  marcha  au  supplice  en  chan- 
tant le  psaume  CXIV  (21  août  1542).  Peyreton,  archer  d'Agen,  et  Nico- 
las Charpentier,  de  Castelmoron,  se  virent  également  condamnés  au 
supplice  du  feu.  Le  parlement  de  Bordeaux  ordonna  encore,  le  4  août 


Î10  AGENAIS 

1542,  de  poursuivre  contre  plusieurs  personnages  «  accusés  d'être 
«  sectateurs  et  auteurs  de  certaines  doctrines  contraires  à  la  foi  de 
«  l'Eglise  catholique,  »  et  Paul  Denserville,  «  convaincu  de  blasphème 
«  séditieux  et  perturbateur  de  la  foi  catholique,  »  fut  condamné  à  la 
même  époque  à  faire  amende  honorable  au  devant  de  l'église  Saint-An- 
dré de  Bordeaux  et  à  «  être  brûlé  vif  et  son  corps  mis  en  cendres 
«  en  face  du  palais  du  parlement.  »  Le  7  mai  1556,  Arnaud  Mo- 
rtier, de  Saint-Emilion,  et  Jean  de  Gazes,  de  Libourne,  furent  égale- 
ment brûlés  vifs  à  Bordeaux  en  vertu  d'un  arrêt  du  parlement  qui, 
du  même  coup,  défendit  à  son  de  trompe  «  l'impression  et  vente  des 
«  Pseaumes  et  du  Nouveau  Testament  en  français.  »  En  1558  Pierre  Sau- 
bin,  conseiller  au  présidial  d'Agen,  accusé  de  luthéranisme,  fut  con- 
duit à  Bordeaux,  «  où  il  endura  beaucoup  d'inhumanités,  mais  tant  y 
«  a  que  finalement  il  en  échappa  par  une  amende  pécuniaire  et  ne 
«  laissèrent  les  petites  assemblées  de  passer  outre  ».  Cependant  le 
timide  Gérard  Roussel,  qui  avait  été  promu,  dès  1536,  à  l'évèché 
d'Oléron  en  Béarn  par  la  reine  Marguerite  de  Navarre,  fut  bientôt 
distancé  par  ses  partisans,  qui  organisèrent  des  Eglises  évangéliques. 
C'est  ce  que  fit  en  particulier  son  propre  vicaire  général,  le  bénédictin 
Aymeric,  qui  devint  le  premier  pasteur  de  Clairac.  Son  exemple  fut 
suivi  et  Pon  vit  peu  à  peu  se  fonder  diverses  Eglises,  à  la  tête  des- 
quelles furent  ptacés  des  ministres  venus  de  la  Suisse.  Les  documents 
de  l'époque  mentionnent  François  le  Guay,  dit  Boë  Normand,  et  Vi- 
gneaux, pasteur  à  Bordeaux  en  1558  ;  Oudet  Nott,  à  Castelmoron,  en 
1561  ;  Jean  Voirin  et  Jacques  Fontaine,  «  tous  deux  de  grande  doctrine 
et  piété,  »  à  Agen  en  1560.  Voirin  était  doué  d'une  vive  éloquence  et  on 
dut  lui  livrer  les  églises  des  Jacobins  et  de  Saint-Phébade  d'Agen,  pour 
contenir  les  nombreux  auditeurs  avides  de  l'entendre.  Un  synode  provin- 
cial, assemblé  à  Bordeaux  en  1561  et  qui  compta  AO  pasteurs,  donna  un 
corps  à  toutes  ces  Eglises.  Le  parlement  irrité  rendit  un  arrêt  sévère,  qui 
ordonnait  l'arrestation  de  tous  les  «  prêcheurs  »  et  faisait  défendre  à 
toute  personne  d'aller  les  ouïr  sous  peine  de  mort.  En  même  temps,  il 
envoya  des  commissaires  dans  la  sénéchaussée  d'Agen  «  à  l'effet  d'in- 
«  former  contre  les  hérétiques.  »  ayant  eu  soin  de  leur  donner  pour 
escorte  une  compagnie  de  soldats  à  sa  solde.  Un  grand  nombre  d'évan- 
géliques  furent  arrêtés  et  pendus,  leurs  assemblées  dissoutes  par  les 
soldats  et  leurs  lieux  de  réunion  démolis.  Comme  on  pouvait  s'y 
attendre,  il  y  eut  des  représailles  regrettables  de  la  part  des  évangéli- 
ques et  le  feu  de  la  discorde  fut  allumé  dans  tout  le  pays.  Le  féroce 
maréchal  de  Montluc,  qui  s'intitulait  «  le  boucher  royaliste,  »  et  reçut 
plus  tard  des  félicitations  du  pape  pour  ses  exécutions,  vint,  sans  mis- 
sion officielle  d'abord,  puis  avec  une  commission  en  règle  du  roi, 
prêter  main-forte  au  parlement,  et  le  sang  coula  de  toutes  parts.  Les 
guerres  de  religion,  qui  surgirent  ensuite,  ne  contribuèrent  pas  peu  à 
augmenter  le  nombre  des  massacres  des  protestants  (celui  de  Penne, 
en  1562,  est  resté  célèbre),  et  les  condamnations  juridiques  se  multi- 
plièrent à  l'infini.  L'édit  de  Nantes  ouvrit  une  ère  de  prospérité  et  de 
paix  pour  les  Eglises  agenaises.  Elles  eurent  cependant  à  souffrir  des 


AGENAIS  -  AGENDE  111 

trois  nouvelles  guerres  de  religion  du  dix-septième  siècle.  Clairacfut  pris 
en  1021  et  pillé,  et  le  consul  Denys,  le  ministre  Laffargue  et  le  procureur 
dé  même  nom  pendus.  Plusieurs  autres  périrent  noyés.  On  rasa  com- 
plètement les  fortifications  de  Monheurt  qui  étaient  en  fort  bon  état. 
En  1622,  Tonneins  fut  à  son  tour  incendié.  Après  ces  événements,  les 
Eglises  de  l'Agenais  jouirent  paisiblement  de  leur  droit  d'exercice 
jusqu'aux  approches  de  la  révocation,  alors  qu'elles  furent  interdites 
les  unes  après  les  autres  et  virent  leurs  temples  rasés  et  leurs  conduc- 
teurs spirituels  bannis.  Nous  citerons  parmi  les  pasteurs  agenais  les  plus 
distingués  de  cette  époque,  Primerose,  Gigord  et  Garissoles.  L'Agenais 
demeura  sans  pasteurs,  mais  non  sans  souffrir,  pendant  de  longues  an- 
nées. Ce  n'est  qu'en  1740  que  les  assemblées  du  désert  y  prirent  une  cer- 
taine importance.  En  1745,  elles  étaient  présidées  parle  pasteur  Ollivier, 
dit  Jean  de  Loire,  et  en  1754  par  le  jeune  et  courageux  Grenier  de 
Barmond,  qui  déploya  la  plus  grande  activité  dans  son  œuvre.  A  partir 
de  cette  époque  et  malgré  le  schisme  fâcheux  de  Laune,  dit  Dubois, 
qui  avait  accepté,  en  1761,  la  vocation  des  Eglises  de  Tonneins,  Nérac 
et  autres,  mécontentes  de  certaines  décisions  des  synodes,  les  Eglises  de 
l'Agenais  ne  cessèrent  de  s'affermir  jusqu'à  la  Révolution,  à  travers  des 
alternatives  de  persécution  et  de  tolérance,  fruit  de  la  versatilité  des 
idées  de  la  cour.  A  l'époque  de  la  réorganisation  des  cultes,  l'Agenais, 
dont  a  été  fait  le  département  de  Lot-et-Garonne,  fut  divisé  en  cinq 
consistoires  :  Tonneins  (avec  3,500  protestants  en  1870),  Clairac  (3,200), 
Nérac  (1,500),  Lafitte  (2,700)  et  Castelmoron,  embrassant  plus  de  160 
communes  habitées  par  des  protestants.  (Voyez  Bèze,  Hist.  ecclés.; 
Alph.  Lagarde,  Chronique  des  Eglises  réformées  de  l'Agenais,  1870). 

E.  Arnaud. 

AGENDE.  Bien  que  ce  mot,  dans  son  sens  ecclésiastique,  n'ait  jamais 
été  jusqu'ici  usité  en  France  et  qu'il  ne  figure  à  ce  titre  dans  aucun  de 
nos  dictionnaires,  il  est  d'un  usage  si  courant  dans  l'histoire  religieuse 
de  l'Allemagne  qu'il  nous  a  semblé  devoir  lui  faire  une  place  ici,  d'au- 
tant plus  que  nous  ne  possédons  en  français  aucun  terme  qui  y  cor- 
responde exactement.  Le  mot  agende  n'a  jamais  eu  qu'une  signification 
fort  restreinte  :  il  désignait  l'office  des  morts  en  neuf  leçons  chez  les 
Chartreux  (voyez  Littré,  Dictionnaire);  il  aurait  aussi,  d'après  M.  Littré, 
désigné  quelquefois  l'administration  municipale,  mais  ce  sens  n'est  nul- 
lement établi,  et  la  seule  citation  de  Bossuet  que  M.  Littré  apporte  à 
l'appui,  et  que  nous  n'avons  pu  retrouver  dans  le  livre  XV  de  \  Histoire 
des  variations,  d'où  elle  serait  tirée,  nous  paraît  avoir  une  tout  autre 
signification.  Le  mot  latin  agenda,  usité  chez  les  plus  anciens  auteurs 
et  toujours  au  pluriel,  désigne  le  culte  public  en  général  et  la  messe  en 
particulier,  car  on  disait  couramment  missas  agere  pour  célébrer  la 
messe.  Ainsi,  dans  les  Actes  du  second  concile  de  Carthage,  sous  Céles- 
tin  Ier,  can.  9  :  In  quibusdam  locis  sunt  presbyteri  qui,  cum  plurimis  in 
domiciliis  agant  agenda,  ainsi  dans  la  lettre  d'Innocent  Ier  (f  417)  à 
Decentius  :  Quem  morem  vel  in  consecrandis  mysteriis,  vel  in  cxteris 
agexdis  arcanis  teneat;  et  dans  la  règle  de  Saint-Benoît  :  Csetens  vero 
age.ndis  ultima  pars  ejus  orationis  (dominiez)  dicitur  ut  ab  omnibus  res- 


11?  AGENDE 

pondeatur  :  Sed  libéra  nos  a  malo.  Le  moi  agenda  diei  désigne  souvent 
aussi  l'office  du  jour.  De  là  à  désigner  sous  le  nom  &  agenda  un  livre 
indiquant  l'ordre  à  suivre  dans  les  offices,  la  transition  était  facile. 
D'après  Daniel,  auquel  nous  empruntons  la  plupart  de  ces  renseigne- 
ments, le  mol  agenda,  pris  dans  ce  dernier  sens,  apparaît  pour  la  pre- 
mière fois  en  1287,  chez  Jean  de  Janua,  qui  l'emploie  en  désignant  par 
là  liber  baplisrnatis  vel  benedictionis.  —  Dans  les  premiers  siècles,  il  est 
presque  certain  que  l'Eglise  n'a  pas  voulu  consigner  par  écrit  les 
formes  liturgiques  de  son  culte,  mais  qu'elle  les  a  conservées  par  la 
tradition  orale  avec  les  autres  éléments  de  ce  qu'on  appelait  disciplina 
arcani  (voyez  l'article  Liturgie).  On  ne  voulait  pas  qu'elles  pussent 
tomber  entre  les  mains  des  païens.  Qu'on  se  rappelle  qu'on  attendait 
le  moment  du  baptême  pour  communiquer  au  néophyte  le  texte  de 
l'oraison  dominicale  et  du  symbole  de  la  foi.  La  partie  de  la  Liturgie 
qui  fut  probablement  écrite  le  plus  anciennement  fut  ce  qu'on  appela 
les  Diptyques,  ou  tablettes  sur  lesquelles  on  inscrivait  les  noms  de 
ceux  pour  lesquels  on  priait  à  l'office  public,  car  ces  noms  ne  pou- 
vaient guère  être  conservés  par  la  mémoire  (voir  Martigny,  Dictionnaire 
des  antiq.  chrétiennes,  art.  Diptyque).  Plus  tard,  l'extension  de  la  litur- 
gie primitive  et  les  prières  qui  se  rapportaient  aux  diverses  fêtes  de 
l'année  rendirent  nécessaire  la  rédaction  de  ses  diverses  parties.  On 
appela  en  Occident  ces  manuscrits  libelli.  Ils  ne  contenaient  au  début 
que  les  parties  variables  des  liturgies  (voir  la  très-intéressante  publica- 
tion de  Mone,  Lateinische  und  griechische  Messen  aus  dem  zweiten  bis 
sechsten  Jahrhundert).  Ensuite  on  rédigea  le  tout,  comme  nous  le 
voyons  dans  les  manuscrits  les  plus  anciens  des  sacramentaires  ro- 
mains. Mais  le  savant  Muratori  affirme  que  dans  tous  les  manuscrits 
qu'il  a  vus  antérieurs  à  l'an  1000,  les  parties  variables  de  la  liturgie 
sont  toujours  écrites  sur  un  autre  cahier  que  celui  qui  renferme  le  ca- 
non de  la  messe.  Ces  différents  livres  durent  se  multiplier  avec  le 
temps,  car  il  devait  y  en  avoir  un  pour  chacune  des  cérémonies  que  le 
prêtre  accomplissait.  C'est  ainsi  que,  dans  le  moyen  âge,  nous  voyons 
qu'on  se  sert  des  livres  liturgiques  suivants  :  Manuale,  Obsequiale,  Bene- 
dictionale,  Sacerdotale,  Ordinatorium,  qui  tous  reçoivent  le  nom  d'/l- 
genda.  Ils  furent  parmi  les  premiers  livres  que  l'imprimerie  servit  à  ré- 
pandre. Ainsi,  en  1513,  nous  voyons  paraître  à  Mayence  Y  Agende  de 
l'archevêque  Uriel;  en  1551,  au  même  lieu,  une  nouvelle  Agende  de 
l'archevêque  Sébastien,  etc.,  etc.  Peu  à  peu,  et  surtout  après  l'édition 
officielle  du  Rituale  romanum,  sous  Paul  V,  le  mot  agende  est  adopté 
par  l'Eglise  luthérienne,  et  il  ne  conserve  plus  dans  l'Eglise  romaine 
que  le  sens  de  rituel,  qui  finit  par  l'y  remplacer.  —  La  Réformation  dut 
créer  une  forme  de  culte  conforme  à  son  esprit.  En  1523,  Luther  pu- 
bliait un  écrit  sur  l'ordre  à  suivre  dans  le  culte  public.  En  1524  parais- 
sait à  Wittemberg  une  Formula  ?nissx  et  communionis  pro  ecclesia  Vuit- 
tembergensi  ;  en  1526,  un  ouvrage  tout  semblable  en  langue  vulgaire, 
Deudsche  Messe  und  ordnung  Gottis  diensts.  Luther  y  ajoutait  des  formu- 
laires pour  le  baptême  et  le  mariage.  Ces  différents  formulaires  étaient 
peu  à  peu  réunis  et  publiés  dans  chaque  Etat  sous  le  titre  de  Kirchen- 


AGENDE  11  à 

nrdnung  ou  à'Agende.  Ils  déterminaient  l'ordre  plus  ou  moins  complet 
du  service  divin,  en  réunissant,  comme  dans  le  Common  prayer  book 
anglican,  des  éléments  qui  se  trouvaient  dispersés  dans  les  divers  offices 
de  l'Eglise  romaine;  et  comme  l'épiscopat  n'existait  plus  en  qualité  de 
ministère  distinct  chez  les  luthériens,  ils  faisaient  aussi  des  emprunts 
au  Pontifical,  par  exemple  pour  les  services  de  confirmation  et  d'ordi- 
nation, et  aussi  aux  livres  de  droit  canon  pour  certains  cas  de  disci- 
pline. Ils  sont  tous  écrits  en  langue  vulgaire,  quoiqu'ils  aient  conservé  un 
grand  nombre  d'appellations,  latines.  Nous  pouvons  citer,  parmi  les  plus 
anciennes  agendes  protestantes,  celle  du  grand-duché  de  Prusse,  1§25 
{Lande sordnung  des  Herzogthums  Pi^eussen)  ;  celle  de  Brunswick,  rédigée 
par  Poméranus  en  1528  ;  celle  de  Hambourg,  1529;  de  Gœttingue,  1530  : 
de  Lubeck,  1531,  etc.  La  multiplicité  des  Etats  dont  était  alors  composée 
l'Allemagne  favorisa  la  diversité  des  formes  liturgiques.  Parmi  tant  de 
formulaires,  on  peut  distinguer  trois  familles  principales  :  les  agendes 
luthériennes,  celles  qui  ont  plutôt  une  direction  catholique,  celles  qui 
ont  été  inspirées  par  l'esprit  calviniste.  Parmi  les  agendes  plus  stricte- 
ment luthériennes,  on  doit  citer  en  première  ligne  celle  qui  fut  publiée 
en  1533,  par  Osiander  et  Brenz,  pour  le  Brandebourg  et  le  territoire  de 
Nuremberg,  et  celle  du  duc  Henri  de  Saxe  en  1539,  celle  du  Mecklem- 
bourg  en  1552.  Parmi  celles  qui  sont  restées  plus  fidèles  à  la  tradition 
catholique,  celle  de  Joachim  II  en  1540.  Parmi  les  calvinistes,  celles 
du  Wurtemberg,  du  Palatinat,  de  Bade  et  de  l'Alsace,  en  particulier 
celle  du  duc  Christophe  de  Wurtemberg  publiée  en  1553.  La  plupart 
de  ces  agendes  subsistèrent  sans  modification  sensible  jusqu'au  milieu 
du  dix-huitième  siècle,  où  l'influence  de  plus  en  plus  prédominante  du 
rationalisme  se  fit  sentir  dans  la  liturgie  comme  dans  le  chant  d'église. 
Alors  on  vit  paraître  dans  les  prières  publiques  toute  la  phraséologie  de 
l'esprit  nouveau,  les  termes  philosophiques  de  vertu,  de  raison,  de  lu- 
mière, etc.  ;  les  corrections  se  multiplièrent  dans  une  direction  en  gé- 
néral très-prosaïque  et  plate.  La  grande  inspiration  de  la  foi  chrétienne 
avait  disparu,  et  l'on  s'éprenait  d'enthousiasme  pour  des  nouveautés 
qui  nous  semblent  aujourd'hui  singulièrement  vieillies.  Dans  les  autres 
Eglises  protestantes,  le  dix-huitième  siècle  vit  s'accomplir  des  transfor- 
mations de  même  nature.  Les  Eglises  réformées  avaient,  il  est  vrai, 
attaché  beaucoup  moins  d'importance  à  la  liturgie  que  les  Eglises  lu- 
thériennes. Zwingle  avait  laissé  une  très-grande  liberté  à  cet  égard.  Ubi 
publiée  precandi  raos  recipietur,  avait-il  dit  dans  son  ouvrage  De  can. 
missœ.  prœf.,  p.  176,  utetur  quœlibet  eccl.  quibus  placebit  orationibus, 
modo  sint  ad  regulam  verbi  Bel  formate.  Calvin  s'était  exprimé  dans  le 
même  sens  (voir   à  l'article  Liturgie  tout  ce  qui  concerne   l'histoire 
de  ce  sujet).  Cependant  l'Eglise  réformée,  soit  helvétique,  soit  calvi- 
niste, et  cette  dernière  dans  ses  diverses  branches,  avait  conservé  quel- 
ques éléments  liturgiques  qui  subirent  au  dix-huitième  siècle  la  même 
modification  que  nous  observons  chez  les  luthériens.  L'Eglise  anglicane 
au  contraire  fut  préservée  de  ces  déviations  par  son  attachement  à  son 
antique  liturgie.  —  Notre  siècle  a  vu  s'accomplir  une  véritable  révolu- 
tion liturgique,  en  ce  sens  que  la  plupart  des  agendes  dont  nous  parlons 


114  AGENDfi 

ont  été  l'objet  de  révisions  successives  qui  ont  l'ait  disparaître  les  effets 
de  l'influence  du  dix-huitième  siècle  et  se  sont  inspirées  de  l'esprit  des 
Ecritures  et  de  l'antiquité  chrétienne.  La  nouvelle  agende  prussienne 
mérite  surtout  notre  attention  par  les  luttes  ardentes  qu'elle  a  soule- 
vées. Il  convient  donc  que  nous  en  retracions  sommairement  lhistoire. 
En  1798,  Frédéric-Guillaume  III,  sous  l'influence  du  théologien  Sack, 
se  décida  à  réformer  la  liturgie  de  son  royaume  et  nomma  dans  ce  but 
une  commission  composée  de  théologiens  réformés  et  luthériens,  tels 
que  Hacker,  Teller,  Zœllner,  Gonart,  Meierotto  et  Sack.  Ce  travail  de- 
vait évidemment  se  faire  dans  le  sens  des  idées  régnant  à  la  fin  du  dix- 
huitième  siècle,  c'est-à-dire  du  rationalisme  de  la  période  de  YAufklœ- 
rung.  Il  fut  arrêté  par  les  guerres  qui  bouleversèrent  alors  l'Allemagne, 
et  lorsqu'il  fut  repris,  à  la  suite  de  la  défaite  de  la  France  en  1815,  le 
roi  était  revenu  lui-même,  sous  l'influence  des  circonstances  doulou- 
reuses qu'il  avait  traversées,  à  des  idées  chrétiennes  positives.  Il  était 
douloureusement  affecté  de  l'anarchie  des  idées  qui  régnait  dans  l'Eglise 
protestante,  et  il  jugeait  que  l'établissement  d'une  liturgie  bien  faite 
était  un  des  moyens  les  plus  efficaces  d'y  remédier.  On  voit  dans  ses 
lettres  publiées  par  Eylert  (Characlerzùge  aus  dem  Leben  Friedrich 
Wilhdm  III)  à  quel  point  cette  idée  le  préoccupait;  il  sentait  qu'une  li- 
turgie devait,  pour  réussir,  se  garder  de  trop  improviser,  de  trop  sacri- 
fier au  goût  contemporain  et  qu'il  fallait  qu'elle  puisât  largement  aux 
grandes  sources  de  l'antiquité  chrétienne.  C'est  sous  cette  influence  que 
parut  en  1816  une  liturgie  pour  l'Eglise  de  la  cour  et  de  la  garnison  à 
Potsdam  et  à  Berlin  dont  l'auteur  resta  inconnu,  ce  qui  fait  qu'on  y  vit 
l'œuvre  personnelle  du  roi  lui-même.  Elle  fut  assez  vivement  critiquée 
dès  son  apparition  par  Schleiermacher  ;  cette  critique  stimula  le  roi  qui 
travailla  directement  à  une  révision  de  ce  premier  essai,  en  s'inspirant 
davantage  encore  des  traditions  du  seizième  siècle.  L'édition  nouvelle 
fut  soumise  à  l'examen  des  consistoires  qui  l'accueillirent  de  façons  fort 
diverses,  et  dont  quelques-uns  y  firent  une  assez  violente  opposition.  Le 
roi  voyant  que  les  arguments  qu'on  lui  opposait  étaient  souvent  con- 
tradictoires et  que  la  discussion,  en  se  prolongeant,  ne  ferait  que  s'en- 
venimer, résolut  d'agir  d'une  manière  autoritaire  en  usant  de  son  droit 
de  summus  episcopus,  de  premier  évèque  de  l'Eglise.  Il  fit  donc  paraître 
en  1822  Y  Agende  ecclésiastique  pour  la  chapelle  royale  et  pour  la  cathé- 
drale. Il  fit  cadeau  de  cette  liturgie  à  chacune  des  Eglises  qui  se  décla- 
raient prêtes  à  l'adopter,  en  l'accompagnant  d'une  lettre  autographe. 
Deux  théologiens  distingués,  Augusti  et  Ammon,  se  prononcèrent  ou- 
vertement en  faveur  de  Y  agende  nouvelle.  Mais  bientôt  arriva  un  flot  de 
protestations  ;  on  vit  paraître  des  écrits  anonymes,  ou  publiés  sous  des 
noms  empruntés,  tels  que  celui  de  P  aci ficus  Sincerus  (Schleiermacher): 
Sur  le  droit  liturgique  des  princes  protestants  en  Allemagne,  Gœt- 
tingue,  1824.  Le  roi  prit  une  part  personnelle  au  débat  en  publiant  un 
écrit  anonyme  sous  le  titre  suivant  :  Luther  et  V Agende  ecclésiastique 
prussienne  de  1822.  Cet  écrit  est  dirigé  surtout  contre  les  vieux  luthé- 
riens qui  trouvaient  que  la  liturgie  nouvelle  portait  atteinte  à  leur  doc- 
trine sur  la  sainte  Cène.  En  1824,  le  ministère  envoya  aux  consistoires 


AGENDE  —  AGGÉE  115 

une  nouvelle  édition  de  YAgende  en  leur  demandant  de  se  prononcer 
pour  ou  contre  :  deux  tiers  d'entre  eux  se  décidèrent  à  l'accepter 
(5,243  Eglises  sur  7,782).  Le  4  juillet  1825,  une  circulaire  officielle 
somma  les  récalcitrants  de  prendre  un  parti.  Une  controverse  violente 
s'engagea  à  ce  sujet.  Douze  prédicateurs  de  Berlin,  et  Schleiermacher  à 
leur  tête,  envoyèrent  leur  protestation.  Le  gouvernement  décida  le 
2  juin  1826,  que  tout  pasteur  appelé  à  desservir  une  Eglise  devait  s'en- 
gager à  adopter  la  liturgie  nouvelle  à  moins  que  l'on  ne  pût  prouver 
que  cette  Eglise  conservait  son  ancienne  agende  approuvée  par  les  au- 
torités du  pays.  Bunsen,  alors  représentant  de  la  Prusse  à  Rome,  rédi- 
gea pour  la  chapelle  de  l'ambassade  prussienne  dans  cette  ville  une 
liturgie  tout  à  fait  conforme  à  la  nouvelle  agende  prussienne,  et  dont  la 
préface  fut  écrite  par  le  roi.  Le  10  janvier  1829,  la  nouvelle  agende 
prussienne  fut  introduite  dans  les  Eglises  évangéliques  du  grand-duché 
de  Bade.  La  nouvelle  agende  prussienne  a  été  en  butte  à  des  attaques 
passionnées  partant  des  points  de  vue  les  plus  opposés.  Le  parti  des 
vieux  luthériens  lui  a  reproché  son  caractère  rationaliste,  et  d'autre 
part  on  a  prétendu  qu'elle  avait  pour  but  de  ramener  l'Eglise  évangé- 
lique au  catholicisme.  Ce  qui  lui  a  nui  surtout,  c'est  qu'elle  a  été  con- 
sidérée à  juste  raison  comme  le  moyen  pratique  de  réaliser  dans  le 
culte  Tidée  de  l'Eglise  évangélique  unie  (voyez  l'article  sur  ce  sujet), 
œuvre  de  conciliation  des  réformés  et  des  luthériens  à  laquelle  on 
pourra  toujours  reprocher  son  origine  toute  officielle  et  gouvernemen- 
tale. Mais  cette  liturgie  considérée  en  elle-même  est  après  tout  un  mo- 
nument remarquable  :  la  doctrine  en  est  scripturaire,  et  elle  contient 
de  remarquables  éléments  empruntés  à  l'antiquité  chrétienne.  Cepen- 
dant de  bons  juges,  Daniel  entre  autres,  critiquent  la  sécheresse  de  sa 
forme  ;  ils  trouvent  que  le  style  manque  souvent  d'ampleur  et  de  ma- 
jesté. Malgré  ces  remarques,  on  ne  peut  nier  qu'elle  n'ait  été  le  point 
de  départ  d'un  véritable  mouvement  de  réforme  du  culte  évangélique. 
On  en  retrouve  la  trace  et  l'influence  dans  les  agendes  qui  ont  paru 
depuis;  dans  l'agende  pour  l'Eglise  évangélique  luthérienne  de 
Russie  (1832),  dans  la  liturgie  du  duché  de  Nassau  (1843)  ;  dans  le  livre 
d'Eglise  (Kirchenbuch)  du  royaume  de  Wurtemberg  (184-3)  ;  d'autres 
essais  du  même  genre  ont  été  publiés  dans  d'autres  parties  de  l'Alle- 
magne et  la  question  a  été  souvent  mise  à  l'ordre  du  jour  des  confé- 
rences pastorales.  On  peut  citer,  parmi  les  œuvres  individuelles  les  plus 
remarquables  faites  dans  ce  genre  :  la  Liturgie  luthérienne  de 
Pasig  (1851)  ;  YAgende  de  Lœhe  (1844)  ;  celle  de  Stier  (1852)  ;  celle  de 
Pétri,  destinée  à  l'Eglise  du  Hanovre  (1852)  ;  celle  de  Th.  Hugues,  écrite 
au  point  de  vue  réformé.  — On  peut  consulter  sur  l'histoire  des  Agendes 
des  Eglises  allemandes  l'article  de  Daniel,  dans  YEncycl.  de  Herzog; 
Bockelmann,  Teutsche  Bibliotheca  Agendarum,  1736  ;  Richter,  Evange- 
lische  Kirsckenordnungm  des  16ten  Jahrunderts,  1846;  Kliefoth,  Litur- 
gische  Abhandiungen,  1854:  Falck,  Aktenstùcke  betreffcnd  die  neuePreus- 
sischc  Agende,  KM,  1827.  Eug.  Êersier. 

AGGÉE   [Khaggaï, 'Ày^aTo;,  Aggxus],  dont  le  nom  signifie  «celui 
qui  célèbre  une  fête,  »  ou  mieux  encore  «  celui  qui  est  né  pendant  la 


116  AGGÉE  —  AGIER 

fête  (des  tabernacles),  »  est  le  dixième  des  petits  prophètes  d'après 
l'ordre  suivi  par  le  texte  hébreu  et  la  version  des  Septante.  Contempo- 
rain de  Zorobabel,  qu'il  accompagna  peut-être  à  son  retour  de  l'exil, 
Aggée  exhorte  le  peuple  et  ses  chefs  à  continuer  la  réédification  du 
temple  commencée  peu  de  temps  après  l'arrivée  à  Jérusalem  (538 
av.  J.-C),  mais  arrêtée  par  suite  de  l'opposition  des  Samaritains.  Son 
livre  se  compose  de  quatre  oracles,  tous  datés  de  la  seconde  année  de 
Darius,  fils  d'Hystaspe  (520  av.  J.-C).  S'adressant  à  Zorobabel  et  à 
Josué,  le  prophète  reproche  au  peuple  d'habiter  des  maisons  lambris- 
sées pendant  que  le  temple  de  Jéhova  est  en  ruines  ;  c'est  à  cela 
qu'il  faut  attribuer  la  famine  dont  le  pays  souffre  actuellement  (I,  1-11 }. 
L'appel  d' Aggée  produisit  son  effet,  et  vingt-trois  jours  après  les  tra- 
vaux du  temple  furent  repris  (1, 12-15).  Mais  ceux  qui  avaient  vu  l'an- 
cien temple  de  Salomon  devaient  trouver  bien  mesquine  la  nouvelle 
construction  (comp.  Esdras,  III,  12)  ;  le  prophète  les  console  en  annon- 
çant que  la  gloire  du  second  sanctuaire  dépassera  celle  du  premier 
(II,  1-9).  Jusqu'à  présent  le  peuple  étant  impur,  ses  offrandes  l'étaient 
également,  et  Jéhova  l'a  châtié  par  de  mauvaises  récoltes  ;  mainte- 
nant va  s'ouvrir  l'ère  des  bénédictions  (II,  10-19).  Aggée  prédit  enfin 
que  dans  la  catastrophe  générale,  qu'il  attend  dans  un  bref  délai 
(II,  6,  7),  Jéhova  gardera  et  protégera  Zorobabel  (H,  20-23).  Il 
n'existe  aucune  raison  pour  mettre  en  doute  la  composition  de  ces 
quatre  oracles  par  un  prophète  du  nom  d'Aggée  et  aux  dates  fixées 
par  le  livre  lui-même.  Mais  sur  la  personne  du  prophète,  nous  ne  pos- 
sédons aucun  renseignement.  Peut-être,  ainsi  que  le  suppose  Ewald, 
était-il  de  ceux  qui  avaient  vu  l'ancien  temple  de  Salomon.  Le 
livre  d'Esdras  le  cite,  à  côté  de  Zacharie,  fils  de  Iddo,  comme  ayant 
prophétisé  au  sujet  de  la  reconstruction  du  temple  (V,  1,  VI,  14). 
Dans  l'antiquité  chrétienne,  quelques-uns,  se  fondant  sur  une  mau- 
vaise interprétation  du  passage  I,  13,  regardèrent  Aggée  comme  un 
ange  qui  n'aurait  eu  que  l'apparence  d'un  corps  (comp.  Jérôme,  Comm. 
ad  Agg.,  I,  13).  Aggée  joue  un  certain  rôle  dans  les  traditions  talmu- 
diques  ;  on  lui  attribue  des  prescriptions  sur  l'intercalation  du  mois 
d'Adar,  l'autorisation  d'écrire  la  Loi  en  caractères  assyinens,  la  permis- 
sion d'offrir  des  sacrifices  en  l'absence  de  temple,  la  découverte  de 
l'endroit  où  se  trouvait  l'ancien  autel,  etc.  (Hamburger,  Real-Encyclop. 
fur  Bibel  und  Talmud,  s.  v.  Haggai).  La  version  des  Septante,  Yltala, 
la  Peschito  inscrivent  les  noms  d'Aggée  et  de  Zacharie  en  tête  de  plu- 
sieurs psaumes.  —  Littérature  :  Peu  de  travaux  récents  ;  Kœhler, 
Nachexilische  Proipheten,  B.  I  ;  Haggai,  1860.  A.  Carrière. 

AGIER  (Pierre-Jean),  né  à  Paris  en  1748,  fils  d'un  procureur  au  par- 
lement, devint  magistrat  et  janséniste  comme  son  père.  Envoyé  en 
1789  aux  états  généraux  comme  député  suppléant  du  tiers  état  de 
Paris,  il  s'enthousiasma  pour  une  réforme  de  la  situation  du  clergé  ;  la 
constitution  civile  votée  par  l'Assemblée  nationale  fut  entièrement 
conforme  à  ses  opinions.  Dans  un  ouvrage  qu'il  publia  en  1800,  en 
2  vol.  :  Traité  sur  le  mariage  dans  ses  rapports  avec  la  religion  et  les 
lois  nouvelles  de  la  France,  il  démontre  avec  talent  la  légitimité  du 


AGIER  —  AGNEAU  DE  DIEU  117 

mariage  civil.  Devenu  juge  à  la  cour  d'appel  de  Paris,  puis  président  de 
ce  tribunal,  il  se  livra,  sous  la  Restauration,  à  des  travaux  théologiques, 
dont  antérieurement  déjà  il  s'était  occupé.  A  l'âge  de  quarante  ans  il 
avait  appris  l'hébreu,  pour  pouvoir  étudier  l'Ancien  Testament  dans  le 
texte  original:  en  1809  il  avait  fait  paraître  une  traduction  des  Psaumes, 
2  vol.;  de  18:20  à  1823  il  donna  les  prophètes  «  avec  des  explications  et 
des  notes  critiques,  »  M  vol.  De  même  que  d'autres  jansénistes,  il 
était  préoccupé  de  l'avènement  du  Seigneur  ;  ses  études  sur  les  pro- 
phètes n'avaient  dû  lui  servir  qu'à  mieux  comprendre  l'Apocalypse; 
des  Commentaires  sur  ce  livre,  1823  ;  des  Vues  sur  le  second  avènement 
de  Jésus-Christ,  1818;  un  ouvrage  intitulé  Prophéties  concernant  Jé- 
sus-Christ et  /'Eglise  éparses  dans  les  livres  saints,  font  preuve  d'une 
piété  sincère  et  un  peu  mystique  ;  sous  le  rapport  scientifique,  leur 
importance  est  médiocre.  Agier  mourut  à  Paris  en  1823. 

AGNEAU  DE  DIEU  (6  à\Lvbq  xou  ôeoïï).  Cette  expression,  appliquée  à 
Jésus-Christ  par  Jean-Baptiste  (Jean  1,  29),  lui  fut  suggérée  soit  par 
l'image  dont  le  prophète  Esaïe(LIlI,  7  ;  cf.  Matth.  VIII,  17  ;  Actes  VIII, 
32  ;  1  Pierre  II,  22  ss.)  se  servit  pour  désigner  le  serviteur  de  Dieu  qui 
soutire  innocemment  pour  son  peuple,  soit  par  l'agneau  pascal  que  les 
Israélites  immolaient  en  souvenir  de  la  délivrance  d'Egypte.  Le  terme 
'z  zïjpfaw  TV  à-xapTiav  tou  xca^ou  doit  se  traduire  de  préférence  par 
-  enlever  »  et  non  point  par  «  porter»  (les  Septante  emploient  toujours 
le  verbe  yépeiv  pour  exprimer  ce  dernier  sens)  ;  mais  l'un  de  ces  actes 
implique  l'autre  :  on  ne  peut  enlever  le  péché  qu'en  le  portant.  C'est 
bien  l'idée  d'une  victime  qui  se  trouve  exprimée  par  cette  image  :  au- 
tre chose  est  de  savoir  si  c'est  une  victime  expiatoire,  cette  idée 
étant  étrangère  à  la  conception  d'Esaïe,  comme  aussi  à  l'institu- 
tion de  l'agneau  pascal.  Il  faut  rappeler,  en  effet,  que,  dans  le  céré- 
monial lévitique,  les  agneaux  étaient  réservés  aux  sacrifices  non 
d'expiation,  mais  de  purification  (Lév.  V,  1-6  ;  XIV,  12  ;  Nomb.  VI, 
12).  L'Apocalypse  appelle  Jésus-Christ,  àpvCov,  qui  est  la  forme  diminu- 
tive  de  à[j.vcc,  sans  doute  pour  marquer  son  extrême  douceur  et  sa  fai- 
blesse apparente,  en  opposition  avec  son  adversaire  le  lion  ;  l'auteur  le 
représente  (V,  6),  dans  un  cercle  formé  par  les  vieillards  et  les  anges 
autour  du  trône  de  Dieu  ;  il  porte  sept  cornes  et  sept  yeux,  symboles 
de  la  toute-puissance  et  de  la  toute-science  du  Fils  de  Dieu,  bien  que 
les  traces  de  son  immolation  soient  demeurées  visibles. — Dès  l'ori- 
gine, l'Eglise  chrétienne  se  servit,  de  préférence,  du  symbole  de 
l'agneau  pour  représenter  Jésus-Christ;  d'ordinaire  une  croix  orne 
ta  tête,  tandis  que,  dans  le  pied  droit  de  devant  ou  contre  l'épaule,  est 
placée  une  houlette  recourbée,  au  bout  de  laquelle  flotte  une  bannière, 
signe  de  la  victoire.  Ailleurs,  le  Père  céleste  lui  tend  la  couronne  du 
lein  d'un  nuage  de  feu  ou  bien  encore  l'agneau  apparaît  entouré  d'une 
guirlande  de  laurier.  On  le  retrouve  sur  les  sarcophages  et  les  mosaï- 
ques des  «-lises,  entouré  de  douze  ou  de  six  agneaux  qui  représen- 
ttjit  les  apôtres,  ou  encore  debout  sur  une  colline  des  flancs  de  la- 
quelle s'échappent  quatre  fleuves  où  s'abreuvent  des  brebis*.  Le  concile 
de  Constantinople,  Quinisextum  (692),  défendit  ces  sortes  de  représen- 


118  AGNEAU  DE  DIEU  -  AGNES 

talions.  L'image  de  l'agneau,  dit-il,  était  bonne  pour  Jean-Baptiste  qui 
n'avait  saisi  que  l'ombre  des  biens  dont  nous  nous  sommes  approprié 
la  réalité  ;  il  convient  aujourd'hui  de  représenter  le  Christ  dans  la 
plénitude  de  la  stature  humaine  que  le  Verbe  divin  a  voulu  honorer  en 
s'abaissant  jusqu'à  la  revêtir,  et  qu'à  son  exemple  nous  devons  hono- 
rer dans  nos  corps.  La  cour  de  Rome,  après  quelques  hésitations,  sanc- 
tionna cette  décision,  sans  s'y  conformer  dans  la  pratique,  comme  le 
prouve  l'exemple  du  pape  Serge  III,  qui  fit  confectionner  un  magni- 
fique agneau  en  or  et  en  pierres  précieuses. 

AGNES  (Sainte),  vierge  et  martyre  romaine  (f  vers  304).  Saint 
Ambroise  en  a  fait  l'éloge  dans  un  admirable  morceau  (De  virgi- 
7iibus  lib.  1,  c.  2;  cf.  de  lapsu  virg.  c.  3;  Enarr.  in  Ps.  CIV  ;  lib,  I 
officiorum,  c.  4);  saint  Augustin  (sermo  273  et  354),  saint  Jérôme 
(ep.  130  ad  Demetriadem)  se  sont  inspirés  de  son  martyre  ;  le  pape  Da- 
mase  (carmenQ)  l'a  chantée;  Prudence  (Peristephanon  hymnus  14, 
édit.  Arevalo),  lui  consacre  un  hymne  très -élégant.  Les  Actes  de 
cette  martyre  (A.A.  SS.  21  jan.  Il),  qui  prétendent  être  l'œuvre  de 
saint  Ambroise,  racontent  comment,  âgée  de  treize  ans  (saint  Am- 
broise, De  virg.,  dit  :  de  douze  ans)  et  revenant  de  l'école,  elle  fut 
aimée  par  le  fils  du  préfet  de  la  ville,  Symphronius.  Celui-ci,  pour 
triompher  de  sa  résistance,  l'enferme  dans  un  mauvais  lieu.  Mais  ses 
cheveux  croissent  par  miracle  et  la  vêtissent,  un  ange  de  Dieu  l'envi- 
ronne de  lumière.  Le  jeune  homme  est  frappé  de  mort  à  sa  vue, 
mais  il  est  ressuscité  par  sa  prière.  Agnès  est  jetée  dans  le  feu  qui  se 
divise  et  consume  le  peuple,  et  Aspasius,  vicaire  du  préfet,  qui  s'est 
retiré  confondu,  lui  fait  trancher  la  tête.  Elle  est  enterrée  sur  la  Via 
Numentana,  dans  le  champ  de  ses  parents;  sa  sœur  Emérentienne  est 
«  baptisée  de  son  sang  »  auprès  du  tombeau  de  sainte  Agnès,  et  Con- 
stance, fille  de  Constantin,  reine  et  vierge,  est  guérie  au  même  lieu. 
L'église  de  S.  Agnese,  à  Rome,  sur  la  place  Navone,  est  bâtie  sur 
l'emplacement  du  cirque  où  elle  mourut  ;  et  celle  de  S.  Agnese  fuori 
le  Mura,  sur  son  tombeau.  C'est  dans  cette  basilique,  élevée,  d'après 
la  tradition,  par  Constantin,  rebâtie  par  Honorius  Ier,  et  plusieurs  fois 
restaurée,  que  tous  les  ans,  le  21  janvier,  on  bénit  les  agneaux  dont  la 
laine  sert  à  faire  les  palliums  que  le  pape  offre  aux  archevêques.  L'a- 
gneau devint  en  effet  de  bonne  heure  le  symbole  de  sainte  Agnès.  Le 
nom  à'Agne,  Agnes,  Agnen  (frprç),  seule  forme  qui  soit  ancienne,  est  un 
nom  grec,  mais  le  nom  d Bagne  était  connu  de  l'antiquité  romaine. 
Saint  Augustin  en  tire  une  gracieuse  allégorie  en  disant  :  «  Agnes  latine 
agnam  significat  ;  grsece  castam.  Erat  quodvocabatur,  merito  coronabatur 
(sermo  273).  Il  n'est  pas  besoin  des  Actes,  en  vain  défendus  par 
D.  BdiVÏoXim.  (Atti  de l  mar t.  di  S.  Agnese,  R.,  1858,  in-f°,  trad.  par  l'abbé 
Materne,  P.,  1864,  in-8°),  pour  établir  le  caractère  antique  et  populaire 

de  sa  légende.  S.  Berger. 

AGNÈS  (la  Mère)  [1593-1671],  fille  de  l'avocat  et  sœur  du  théologien 
Antoine  Arnauld,  coadjutrice  de  sa  sœur,  la  mère  Angélique,  abbesse 
de  Port-Royal,  a  été  persécutée  pour  son  attachement  au  jansénisme, 
et  a  laissé  deux  écrits  :  Y  Image  de  la  religieuse  parfaite,  1665,  et  les 


AGNÈS  —  AGOBARD  110 

Constitutions  de  Part-Royal,  1669.  M.  Faugère  a  publié  un  recueil  de 
ses  Lettres  en  1858  (voyez  l'article  Port-Royal). 

AGNOÈTES.  On  appelle  ainsi  un  parti  qui,  au  sixième  siècle,  s'était 
formé  parmi  les  monophysiles  égyptiens  et  qui,  pour  résoudre  la  ques- 
tion du  rapport  du  Savoir  humain  et  du  savoir  divin  en  Jésus-Christ,  pré- 
tendait que  le  Seigneur  ne  nous  aurait  pas  été  semblable  si,  en  certaines 
choses,  il  n'avait  pas  montré  une  ignorance,  constatée  d'ailleurs  par  les 
évangélistes.  Lé  chef  du  parti  était  un  des  diacres  d'Alexandrie,  Thémis- 
lius.  Le  parti  contraire  éludait  la  difficulté  en  disant  que,  si  Jésus-Christ 
a  eu  l'air  de  ne  pas  tout  savoir,  il  ne  l'a  fait  que  pour  s'accommoder  à  la 
nature  humaine.  Les  agnoètes  ou  thémistiens  furent  frappés  d'ana- 
thème  par  le  patriarche  monophysite  Théodotius.  On  les  retrouve  en- 
core au  huitième  siècle,  quoique  le  pape  Grégoire  le  Grand  eût  à  son 
tour  condamné  leur  doctrine. 

AGNUS  DEI,  nom  donné  à  de  petits  objets  en  forme  de  médaille,  ayant 
d'un  côté  limage  de  l'agneau,  un  des  plus  anciens  symboles  du  Christ, 
de  l'autre  celle  de  quelque  saint.  Suivant  Guillaume  Duranti  (Rationale 
divinorum  officiorwn,  lib.  VI,  cap.  79),  ils  sont  faits  de  cire  provenant 
du  cierge  pascal  et  mêlée  à  de  l'huile  consacrée  (saint-chrême).  On  en 
connaît  aussi  qui  sont  en  métal  ou  en  pâte  d'oublié.  On  leur  attribuait 
des  vertus  miraculeuses  :  c'étaient  des  amulettes,  qui  devaient  préser- 
ver celui  qui  les  portait  de  toutes  sortes  de  maux.  L'auteur  qui  vient 
d'être  cité,  et  qui  a  vécu  au  treizième  siècle,  assure  qu'ils  garantissent 
contre  la  foudre  et  les  tempêtes.  Le  pape  Urbain  V  (1362-1370),  qui 
envoya  quelques  agnus  dei  à  l'empereur  grec,  les  fit  accompagner  de 
vers  léonins  par  lesquels  on  apprend  qu'ils  nous  empêchent  de  périr  par 
l'eau  ou  par  le  feu,  qu'ils  procurent  à  la  femme  enceinte  un  heureux 
accouchement,  qu'ils  détruisent  même  le  péché.  Jadis  le  pape  les  dis- 
tribuait chaque  année  le  dimanche  après  Pâques;  aujourd'hui,  la  distri- 
bu lion  ne  se  fait  plus  que  la  première  année  de  chaque  pontificat,  et 
ensuite  tous  les  sept  ans. 

AGOBARD,  d'origine  espagnole,  né  en  779,  élevé  et  consacré  prêtre  à 
Lyon,  éluévêque  de  cette  ville  en  816,  fut  un  des  hommes  les  plus 
éclairés  du  siècle  carlovingien.  D'un  caractère  ardent  et  décidé,  il  prit 
une  part  active  aux  luttes  entre  Louis  le  Débonnaire  et  ses  fils.  S'étant 
déclaré  contre  l'empereur,  et  celui-ci  ayant  été  relevé  de  sa  pénitence, 
il  s'enfuit  en  Italie.  Le  concile  de  Thionville  (835)  le  somma  de  compa- 
raître pour  se  justifier;  comme  il  ne  vint  pas,  on  le  destitua.  En  837,  il 
put  reprendre  possession  de  son  siège,  qu'il  continua  d'occuper  jusqu'à 
sa  mort,  en  840.  Nous  n'avons  pas  à  nous  arrêter  à  ceux  de  ses  écrits 
qui  se  rapportent  à  sa  vie  politique.  Comme  théologien,  Agobard  s'est 
distingué  parle  zèle  et  le  bon  sens  avec  lesquels  il  s'est  prononcé  contre 
plusieurs  erreurs  et  superstitions  de  son  temps.  Il  a  réfuté  l'étrange 
doctrine  de  l'adoptianisme,  dont  un  des  auteurs,  l'ancien  évêque  Félix 
(1  I  pgel,  s'était  retiré  à  Lyon.  Il  a  combattu  le  culte  des  images,  contre 
lequel  protestait  toute  l'Eglise  franque  depuis  Charlemagne;  il  l'a  com- 
battu avec  une  vivacité  qui  rappelle  celle  de  Claude  de  Turin  et  qui  lui 
fait  dire  :  «  Sanc/orum  imagines...,  omni  génère  conterendpe  et  usgvr  ad 


120  AGOBARD  -  AGREDA 

pulverern  sunt  eradendœ,  cum  non  Mas  fieri  Deus  jusserit,  sed  tiumanus 
sensus  excogitaverit.  »  Elles  ne  sont  qu'une  cause  d'idolâtrie,  un  retour 
au  paganisme  (Liber  contra  eorum  super stitionem,  qui  picturis  et  imagi- 
nibus  sanctorum  adorationis  obsequium  deferendum  putant).  11  a  écrit 
contre  le  préjugé  populaire  qui  attribuait  à  certaines  gens  le  pouvoir  de 
soulever  des  tempêtes,  contre  l'opinion  qu'on  pouvait  éloigner  des  épi- 
démies en  faisant  des  dons  aux  églises,  contre  le  duel  judiciaire,  sanc- 
tionné par  les  lois  germaniques,  contre  les  épreuves  par  l'eau  et  par  le 
feu.  Il  s'est  plaint  de  certains  abus  que  commettaient  les  juifs,  de  l'état 
d'abjection  auquel  était  réduit  le  clergé,  des  grands  qui  pillaient  les 
biens  de  l'Eglise  et  usurpaient  ses  droits.  Il  existe  aussi  de  lui  quelques 
ouvrages  liturgiques,  notamment  un  traité  De  correctione  antiphonarii  ; 
il  veut  éliminer  du  chant  tout  ce  qui  n'est  pas  pris  de  la  Bible.  —  Ago- 
bardi  opéra,  éd.  Pap.  Masson,  Paris,  1605,  in-4°;  édition  plus  complète 
par  Baluze,  Paris,  1666,  2  vol.  in-8°,  reproduits  dans  la  Bibl.  Patrum 
Maxirna,  t.  XIV;  voy.  Hist.  littéraire  de  la  France,  t.  IV,  p.  567  ss.  ; 
Ampère,  Hist.  litt.  de  la  France  avant  le  douzième  siècle,  Paris,  1840, 
t.  III,  p.  175  ss.  ;  Hundeshagen,  De  Agobardi  vita  et  scriptis,  Giessen, 
1831. 

AGONISANTS,  congrégation  fondée  à  Rome,  en  1586,  par  Ca- 
mille de  Lellis  et  confirmée  par  le  pape  Sixte  V,  dans  le  but 
d'assister  les  mourants  dans  leurs  maladies,  même  en  cas  de  peste, 
et  de  prier  ou  faire  prier  pour  les  condamnés  à  mort.  Répandue  à  la 
tin  du  seizième  siècle  dans  toutes  les  parties  de  l'Italie  et  même  en 
Espagne,  cette  congrégation  a  vu  peu  à  peu  diminuer  le  nombre  de 
ses  maisons  de  novices  et  de  professes,  ainsi  que  ses  hospices;  elle  a 
son  siège  principal  à  Rome,  près  de  l'église  Sainte-Madeleine,  où  réside 
son  général. 

AGREDA  (Marie  de  Jésus)  joue  un  certain  rôle  dans  l'histoire  du  dogme 
de  l'immaculée  conception.  On  lui  attribue,  en  effet,  un  livre  intitulé  : 
Mis! ici,  Ciudad  de  Dios  (Madrid,  1670)  dans  lequel  il  n'est  question  que 
des  grâces  et  des  prérogatives  que  cette  situation  toute  spéciale  aurait 
values  à  la  Vierge  Marie.  On  y  raconte  que  Marie,  si  elle  l'avait  voulu, 
aurait  pu  parler  dès  le  jour  même  de  sa  naissance;  on  la  représente 
comme  la  souveraine  du  monde  et  on  la  met  sur  le  même  rang  que 
Dieu  lui-même.  Marie  d'Agreda  appartenait  à  l'ordre  des  franciscains; 
elle  fut,  depuis  1627,  supérieure  du  couvent  de  l'Immaculée  Conception 
d'Agreda  en  Espagne.  Les  franciscains  présentèrent  son  livre  comme 
le  produit  d'une  révélation  divine  ;  ce  ne  fut  pas  ainsi  pourtant  qu'il  fut 
d'abord  considéré.  Non-seulement  on  mit  en  doute  que  Marie  d'Agreda 
en  fût  l'auteur,  mais  encore  la  Sorbonne  déclara  que  la  Mistica  Ciudad  de 
Dios  était  un  ouvrage  scandaleux,  et  lïnquisition  en  interdit  la  lecture  à 
Rome,  en  Espagne  et  en  Portugal.  En  1730,  les  franciscains  portèrent 
la  chose  devant  le  pape  Alexandre  VIII,  qui  demanda  avant  tout  une 
preuve  irrécusable  de  l'authenticité  du  livre.  Malgré  ces  jugements  dé- 
favorables et  ces  hésitations  papales,  les  idées  contenues  dans  cet  ou- 
vrage ont  fait  leur  chemin  dans  l'Eglise  catholique,  et  les  légendes  qui 
v  sont  racontées  sont  devenues  des  articles  de  foi, 


AGRICOLA  121 

AGRICOLA  (Rodolpho),  Huesmann,  un  des  premiers  restaurateurs  des 
études  en  Allemagne,  naquit  en  1443  de  parents  pauvres,  au  village  de 
Bafloo  près  de  Groningue  ;  il  reçut  sa  première  instruction  dans  l'excel- 
lente école  des  Frères  de  la  vie  commune  àZvvoll,  où  Thomas  A  Kem- 
pis  fut  un  de  ses  maîtres.  II  compléta  ses  connaissances  par  un  séjour 
de  plusieurs  années  aux  universités  de  Louvain  et  de  Paris  et  par  de 
longs  voyages  en  Italie,  où  il  apprit  le  grec  et  un  latin  plus  classique. 
Appelé  à  Heidelberg  pour  concourir  au  relèvement  des  études,  il  y  en- 
seigna  la  rhétorique  et  la  philosophie;  en  même  temps  il  se  fit  donner 
par  un  juif  des  leçons  d'hébreu.  De  retour  d'un  nouveau  voyage  en  Ita- 
lie, il  mourut  à  Heidelberg  en  octobre  1485,  à  peine  âgé  de  quarante- 
deux  ans,  laissant  des  écrits  assez  nombreux,  des  traductions  du  grec, 
des  discours,  des  poésies,  des  lettres.  Son  ouvrage  principal  est  le 
traité  De  inventione  dialectica,  en  trois  livres;  c'est  par  ce  traité  qu'il  a 
préparé  la  réforme  de  renseignement  philosophique.  Dans  les  écoles  du 
temps,  la  dialectique  était  devenue  le  plus  compliqué  et  le  plus  stérile 
des  arts;  Agricola  la  simplifie  et  la  ramène  à  un  but  plus  pratique,  en 
montrant  qu'elle  ne  doit  enseigner  que  les  moyens  de  trouver  des  argu- 
ments et  de  les  exposer.  En  1529  et  dans  les  années  suivantes,  Jean 
Sturm  professa  ces  principes  dans  des  cours  faits  à  Paris;  l'université 
s'en  offusqua,  elle  se  plaignit  de  ce  qu'au  lieu  de  suivre  Aristote  on 
suivait  Agricola.  Ces  plaintes  n'empêchèrent  pas  Ramus,  un  des  audi- 
teurs de  Sturm,  de  s'approprier  la  méthode  du  savant  Hollandais.  — 
Rud.  Agricole  opéra,  Cologne,  1539,  2  vol.  in-4°;  le  traité  De  inven- 
tione dialectica  parut  plusieurs  fois  séparément,  voy.  Tresling,  Vita  et 
mérita  Rud.  Agr.,  Groning.,  1830;  Bossert,  De  Rud.  Agr.  litterarum  in 
Gerrnania  restitutore,  Paris,  1865. 

AGRICOLA  (Jean),  né  à  Eisleben  en  U92,  s'est  fait  un  nom  dans 
l'histoire  de  la  Réformation  par  ses  opinions  particulières  sur  la  loi 
mosaïque,  et  par  son  empressement  à  servir  l'électeur  de  Brande- 
bourg, qui  voulait  le  maintien  des  cérémonies  du  catholicisme.  Il  n'a 
pas  été  cupide,  comme  on  Ta  prétendu,  mais  entêté  et  vaniteux. 
Après  avoir  étudié  à  Wittemberg  et  rempli  diverses  fonctions  dans  cette 
ville  et  à  Francfort,  il  fut  appelé  en  1525  à  la  direction  d'une  école 
nouvellement  établie  à  Eisleben,  où  il  devint  aussi  prédicateur.  Lors- 
qu'en  1527  parurent  les  articles  de  Mélanchthon  sur  la  Visitation  (in- 
spection) des  Eglises  de  la  Saxe,  dans  lesquels  l'auteur  recommandait  de 
ne  pas  prêcher  seulement  la  foi,  mais  aussi  la  repentance  qui  doit  la 
précéder,  et  d'expliquer  par  conséquent  ledécalogue,  Agricola  trouva 
que  ce  principe  portait  atteinte  à  la  doctrine  de  la  justification  par  la 
foi  seule:  il  soutint  l'abrogation  pleine  et  entière  de  la  loi,  et  prétendit 
que  le  sentiment  de  la  repentance  ne  peut  être  inspiré  que  par  l'an- 
nonce de  La  grâce.  Dans  une  conférence  à  Torgau,  Luther  l'amena. 
non  pas  à  renoncer  à  son  opinion,  mais  au  moins  à  ne  plus  l'exposer 
d  une  manière  agressive.  Cependant,  devenu  professeur  de  théologie  à 
Wittemberg  en  1530,  Agricola  renouvela  ses  attaques  dans  quelques 
thèses  sur  la  loi  de  Moïse  ;  cette  loi,  disait-il,  est  devenue  superflue, 
attendu  que  tout  vient  uniquement  de  la  foi.  Il  montra  un  tel  mépris 


m  AGRICOLA  —  AGRICULTURE 

du  décalogue,  qu'en  1538  Luther  soutint  et  publia  contre  lui  plusieurs 
disputations,  pour  établir  le  vrai  rapport  entre  la  loi  et  la  grâce  ;  il 
donna  à  la  doctrine  d'Agricola  le  nom  d'antinomisme,  qui  lui  est  resté. 
Engagé  dans  un  procès  pour  avoir  diffamé  Luther,  Agricola  se  rendit  à 
Berlin,  où  l'avait  appelé  l'électeur  Joachim  II,  comme  prédicateur  de 
la  cour.  De  là  il  envoya  à  Wittemberg  une  sorte  de  rétractation,  mais 
n'oublia  pas  sa  rancune  contre  Mélanchthon  et  Luther.  Joachim  était 
grand  amateur  de  cérémonies  ;  quand  Charles  V  songea  à  régler  provi- 
soirement la  situation  religieuse  de  l'empire,  il  lui  fut  facile  de  gagner 
ce  prince  et  son  prédicateur  pour  un  projet  qui  obligerait  les  protes- 
tants à  rétablir  un  certain  nombre  de  coutumes  catholiques.  Agricola, 
flatté  de  jouer  un  rôle  dans  cette  affaire,  consentit  au  sacrifice  de 
quelques-uns  des  principes  les  plus  importants  de  la  Réforme.  Le 
15  mai  1548,  Y  Intérim  fut  proclamé  devant  la  diète  d'Augsbourg;  les 
électeurs  du  Brandebourg  et  du  Palatinat  furent  les  seuls  princes  évan- 
géliques  qui  le  signèrent  sans  protestation.  Dans  la  controverse  qui 
éclata  en  1548  sur  la  nécessité  à' œuvres  bonnes,  Agricola  revint  à  ses 
opinions  sur  l'abrogation  de  la  loi  ;  selon  lui,  il  ne  fallait  plus  parler 
d'œuvres  dans  aucun  sens,  autrement  on  renonce  à  l'Evangile.  Il 
mourut  en  1566.  Outre  des  traités  théologiques  et  des  sermons,  il 
existe  d'Agricola  un  curieux  recueil  de  proverbes,  publié  d'abord  en 
bas-allemand  à  Magdebourg,  1528  ;  puis  en  haut-allemand  à  Haguenau 
et  à  Zwickau,  1529.  Ces  premières  éditions  contiennent  300  pro- 
verbes; la  dernière,  Wittemberg,  1592,  en  a  749.  Enfin  on  a  d'Agricola 
une  traduction  allemande  de  Y  Andria  de  Térence,  1544.  — V.  Kordes, 
Agricoles  Schriften  mœglichst  vollstxndig  verzeichnet,  Altona,  1817  ; 
Nitzsch,  De  anlinomismo  Agricole,  2  vol.  Witt.,  in-4°,  et  une  disser- 
tation, sous  le  même  titre,  de  Wewetzer,  Stralsund,  1829,  in-4°. 

Ch.  Schmidt. 

AGRICULTURE  dans  la  Bible.  Les  Hébreux,  tant  qu'ils  menèrent  la 
vie  nomade,  ne  s'occupèrent  que  fort  peu  de  cultiver  la  terre.  Ils 
durent  envisager  d'abord  ce  travail  comme  quelque  chose  d'avilissant, 
indigne  d'une  race  libre.  La  vie  pastorale  leur  semblait  plus  noble,  et, 
dès  le  début  de  la  Genèse,  nous  voyons  que  Dieu  préfère  l'offrande 
d'Abel,  le  berger,  à  celle  de  Caïn,  le  laboureur  (Gen.  IV,  2-5).  Du  reste,  si 
l'homme  doit  «  tirer  avec  labeur  sa  nourriture  de  la  terre  »  (Gen.  III, 
17,  18),  c'est  à  cause  de  la  malédiction  divine  qui  suivit  la  première 
désobéissance.  Les  Hébreux  se  livrèrent  cependant  avec  succès  à  l'agri- 
culture dès  que,  renonçant  à  la  vie  errante,  ils  eurent  trouvé  des  de- 
meures fixes  dans  le  pays  de  Canaan.  Ils  n'eurent  qu'à  suivre  l'exemple 
des  populations  dépossédées  par  eux  et  qui  depuis  longtemps  exploitaient 
les  richesses  du  sol  fertile  de  la  Palestine  (Deut.  VIII,  8  ;  voyez 
l'énumération  des  tributs  payés  à  Touthmosis  III  par  les  anciens 
Cananéens.  M.  Duncker,  Gesch.  des  Alterthums,  I,  p.  253,  4e  éd.).  Une 
transformation  complète  s'opéra  ainsi  en  Israël,  et  exerça  une  influence 
considérable  sur  le  développement  religieux  et  politique  du  peuple 
hébreu.  —  Les  Israélites  cultivèrent  surtout  le  froment ,  l'orge , 
l'épeautre,  etc.  ;  Salomon  pouvait  livrer  annuellement  à  Hiram,  roi  de 


AGRICULTURE  -  AGRIPPA  DE  NETTESHE1M  t<>3 

Tyr.  en  échange  des  bois  de  cèdre  et  de  cyprès  destinés  à  la  construc- 
tion du  temple,  20,000  kors  de  froment  (1  Rois  V,  25).  La  vigne  et  l'oli- 
vier formaient  également  un  des  grands  éléments  de  richesse  du  pays. 
A  l'époque  de  la  moisson,  qui  s'ouvrait  le  second  jour  de  la  fête  de 
HAque  (Lév.  XXIII,  9-44)*  au  mois  des  épis  (âbîb),  l'allégresse  éclatait 
partout  (Esaïe,  IX,  2),  et  quand  venait  le  moment  des  vendanges,  qui 
devaient  être  terminées  avant  la  fête  des  Tabernacles  (fin  des  récoltes), 
les  vignes  et  les  pressoirs  retentissaient  de  cris  joyeux  pour  lesquels  la 
Bible  a  un  mot  particulier  (hédâd,  Jér.  XXV,  30  ;  XL VIII,  33,  etc.).  — 
De  nombreuses  prescriptions  légales  se  rapportent  à  l'agriculture,  mais 
«'Iles  sont  d'origine  relativement  moderne  (voyez  les  articles  Année  sab- 
batique et  Législation  mosaïque).  Quant  aux  détails  techniques  sur  les 
procédés  de  culture  des  Hébreux,  voir  W.  Smith,  Dictionary  of  the 
Bible,  s.  v.  Agriculture  ;  Munk  Palestine,  p.  359  ss.,  et  les  manuels 
d'archéologie  biblique.  A.  Carrière. 

AGRIPPA  I  et  IL  Voyez  Hérodes  (les). 

AGRIPPA  CASTOR  est  signalé  par  Eusèbe  (ffist.  Eccles.,  IV,  7)  et  par 
Jérôme  (Devir.  illustr.,  c.  21)  comme  l'un  des  adversaires  les  plus 
Bavants  du  gnosticisme  du  deuxième  siècle.  Il  réfuta  les  attaques  que 
Basilides  avait  dirigées  contre  le  christianisme  en  citant  des  prophètes 
qui  n'ont  jamais  existé,  et  lui  reprocha  d'avoir  autorisé  ses  disciples 
comme  étant  des  choses  sans  importance,  à  manger  de  la  viande  sacri- 
fiée aux  idoles  et  à  renier  la  foi  pendant  la  persécution.  Il  nous  est 
impossible  de  juger  de  la  valeur  de  cet  écrit  :  Kaià  BajiXetcou  Stef/oç, 
par  l'analyse  confuse  qu'en  a  faite  Eusèbe. 

AGRIPPA  DE  NETTESHEIM  (Henri-Cornélius),  un  des  plus  originaux 
et  des  plus  inconstants  de  ces  aventuriers  littéraires,  dont  l'époque 
de  la  Renaissance  a  produit  un  si  grand  nombre.  Il  faudrait  un 
espace  dont  nous  ne  pouvons  pas  disposer  ici,  pour  raconter  le 
roman  de  sa  vie.  Né  en  1486  à  Cologne,  il  mourut  en  1535  à  Grenoble, 
après  avoir  séjourné  tour  à  tour  en  France,  en  Espagne,  en  Angleterre, 
en  Italie,  en  Allemagne,  dans  les  Pays-Bas,  s'occupant  de  tout,  de  mé- 
decine, d'astrologie,  de  magie,  d'alchimie,  de  droit,  de  philosophie,  de 
théologie,  tantôt  emprisonné  pour  ses  opinions  trop  téméraires,  tantôt 
jouissant  de  la  faveur  des  princes,  attiré  par  la  Réformation,  mais  trop 
égaré  dans  ses  rêveries  pour  l'accepter.  Nous  ne  dirons  quelques  mots  que 
de  ses  deux  ouvrages  principaux,  De  occulta  philosopltia,  et  De  incerti- 
tudine  et  vanitate  scientiurum  et  artium  utque  excellentia  verbi  Dei  dicla- 
matio.  Dans  le  premier,  se  rattachant  à  quelques  philosophes  italiens 
ainsi  qu*à  Reuchlin  ,  dont  à  Dôle  il  avait  expliqué  publiquement  le 
traité  De  verbo  miri/îco,  Agrippa  veut  élever  la  magie  à  la  hauteur  d'une 
science,  qui  compléterait  toutes  les  autres  ;  il  admet  que  nos  connais- 
sances dérivent  soit  de  la  nature,  qui  a  donné  lieu  cà  la  philosophie 
hermétique  et  cabalistique,  soit  de  la  révélation  qui  est  contenue  dans 
l'Ecriture:  sur  ce  principe  il  élève  une  théosophie  qui,  selon  lui, 
explique  tous  les  mystères  de  la  création  visible  et  invisible.  Le  traite 
De  la  vanité  des  sciences  semble  être  le  contraire  de  la  philosophie 
occulte  :  autant  dans  celle-ci  Agrippa  paraît  enthousiaste  et  convaincu. 


124  AGRIPPA  DE  NETTESHEIM  —  AHIJA 

autant  il  paraît  sceptique  dans  l'autre  ;  après  avoir  voulu  savoir  tout, 
il  est  arrivé  à  la  conclusion,  qui  sert  d'épigraphe  au  livre  :  nîhil  scire, 
felicissima  vif  a.  Nihil  scire.  c'est  renoncer  au  vain  savoir  des  hommes, 
pour  ne  connaître  et  aimer  que  Dieu.  Mais  ce  qui  le  fait  parler  ainsi, 
c'est  moins  le  découragement  d'un  homme  qui  a  perdu  ses  illusions, 
que  l'indignation  qu'il  éprouve  en  voyant  la  manière  dont  la  plupart 
des  sciences  étaient  enseignées  en  son  temps.  Le  traité  est  en  réalité 
une  declamalio  très-vive  et  le  plus  souvent  très-juste  contre  les  mé- 
thodes qui  rendaient  tout  savoir  incertain  ;  il  attaque  même  incidem- 
ment le  monachisme  et  certaines  pratiques  du  culte.  En  peu  d'années 
le  livre  eut  sept  éditions  et  fut  traduit  en  plusieurs  langues.  La  faculté 
de  théologie  de  Louvain  l'ayant  censuré,  Agrippa  publia  une  Apologia 
adversus  calumnias...  sibi  per  aliquos  Lovanienses  theologistas  inten- 
fatas,  1533.  Les  œuvres  complètes  ont  paru  en  2  vol.  à  Lyon,  en  1550 
et  en  1660.  Voy.  sur  lui  :  Dictionnaire  philosophique,  Paris,  1844,  t.  1, 
p.  33  SS.  Ch.  Schmidt. 

AGUIRRE  (Joseph  Saënz  d')  [1630-1699],  bénédictin,  professeur  de 
théologie  à  Salamanque,  secrétaire  de  l'inquisition,  fut  nommé  cardi- 
nal par  Innocent  XI,  en  récompense  des  services  qu'il  rendit  à  la  cour 
de  Rome  par  sa  Defensio  cathedra  Sancti  Pétri  contra  quatuor  pro- 
positiones  cleri  gallicani,  Salam.,  1683,  in-f°.  On  a,  en  outre,  de  lui 
une  Collectio  maxima  conciliorum  omnium  Hispanise  et  novi  or  bis  cum 
notis  et  dissert ationibus ,  Rome,  1693,  4  vol.  in-f°,  qui  contient  des 
documents  importants  pour  l'histoire  politique  et  religieuse  de  l'Es- 
pagne, ainsi  qu'une  Theologia  S.  Anselmi,  Rome,  1690,  3  vol.  in-f°. 
restée  inachevée.  Rossuet,  son  adversaire,  a  dit  :  «  Le  cardinal  d'A- 
guirre  est  la  lumière  de  l'Eglise,  le  modèle  des  mœurs,  l'exemple  de  la 
piété.  » 

AGUR  [Agour],  nom  d'un  sage  inconnu  auquel  est  attribuée  la  col- 
lection de  sentences  et  d'énigmes  qui  forme  le  chap.  XXX  du  livre  des 
Proverbes  (v.  1  :  Paroles  d'Agur,  fils  de  Jaque,  prophétie,  oracle  donné 
par  l'homme  à  Ithiel,  à  Ithiel  et  à  Uchal,  »  suivant  la  version  de  Perret- 
Gentil).  Mais  la  traduction  ordinaire  de  ce  passage,  rendu  déjà  tout 
autrement  par  les  Septante  et  la  Vulgate,  n'est  guère  acceptable  (Hitzig, 
Theol.  Jahrb.  de  Zeller,  1844  p.  283;  Bertheau,  der  Prediger,  introd., 
§  2;  Kuenen,  Hist.-Krit.  onderzoek  naar  het  ontstaan  en  de  verzameling 
van  de  boeken  des  S.  0.,  III,  p.  65  ss.).  Hitzig  corrige  le  texte  et  traduit  : 
«  Paroles  d'Agur,  fils  de  celle  à  qui  Massa  obéit,  »  c'est-à-dire  de  la  reine 
de  Massa;  Agur  deviendrait  ainsi  un  frère  de  Lemuel  (Prov.  XXXI,  1). 
Geiger  est  le  seul  qui  de  nos  jours  ait  défendu  l'ancienne  explica- 
tion donnée  par  Jérôme  et  Raschi,  et  d'après  laquelle  Agur  (de  la 
racine  àgar,  rassembler)  serait  un  nom  symbolique  de  Salomon, 
Voyez  Proverbes  (livre  des). 

AHASVÉRUS.  Voyez  Juif -Errant. 

AHIJA  [Akhiyâh  etAkhiyâhou,  'A/y.a,  Achias],  prophète  de  Silo, 
qui  vivait  vers  la  fin  du  règne  de  Salomon  et  sous  Jéroboam.  Ce  fut  lui 
qui  prédit  à  Jéroboam  le  schisme  des  dix  tribus  et  son  avènement  au 
trône  d'Israël  (1  Rois,  XI,   29-39;   XII,    15).  Mais,  après  le  schisme, 


AHIJA  —  AILLV  1  fe 

Jéroboam  s'étanl  rendu  coupable  des  mêmes  crimes  d'idolâtrie  que 
Salomon,  Ahija  prophétisa  la  ruine  de  la  nouvelle  dynastie  et  reçut 
avec  une  extrême  dureté  la  femme  du  roi  d'Israël  qui  était  venue  le 
consulter  au  sujet  de  sou  fils  malade  (I  Rois  XIV,  ]-\H).  Voir  Schisme 
des  dix  tribus, 

AHIMÉLECH  [Akhîmèlèk,  'Ay^iXs*/,  Achimelech],  nommé  aussi 
Ahija,  Akhiyàh,  Ay.i,  Achias  (1  Sam.  XIV,  3-18),  était  un  arrière- 
petit  fils  d'Eu*  et  exerçait  les  fonctions  de  prêtre  à  Nob,  dans  la  tribu 
de  Benjamin,  quand  David  vint  se  réfugier  auprès  de  lui  (1  Sam.  XXI, 
I  et  ss.).  Il  l'accueillit,  lui  donna  à  manger  les  pains  sacrés  et  lui  remit 
répée  de  Goliath.  C'est  pourquoi  Saùl  le  fit  massacrer  avec  tous  les 
prêtres  de  Nob,  au  nombre  de  quatre-vingt-cinq  (1  Sam.  XXII,  19). 
Abiathar  seul  échappa  à  la  mort. 

AÏ,  Aïath.  Voyez  Haï. 

AILLY  (Pierre  d'),  de  Alliaco,  né  en  1350,  destiné  à  jouer  un  rôle 
eminent  dans  les  graves  complications  ecclésiastiques  de  son  époque, 
entra  à  l'âge  de  vingt-deux  ans  au  collège  de  Navarre,  un  des  plus 
savants  de  la  capitale.  Il  se  distingua  de  bonne  heure  par  son  talent 
dialectique  ;  se  rattachant  au  nominalisme,  il  se  réserva  une  certaine 
indépendance  dans  l'examen  des  questions  logiques  et  psychologiques, 
mais  traita  aussi,  dans  ses  leçons  sur  le  Maître  des  sentences  et  dans 
ses  disputations,  une  foule  de  problèmes  de  peu  d'importance.  Il  es- 
saya, sans  trop  y  réussir,  de  combiner  avec  la  théologie  scolastique  le 
mysticisme  ;  celui-ci,  tel  qu'il  l'expose,  est  plus  allégorique  et  ascé- 
tique que  réellement  contemplatif.  En  1380,  il  obtint  le  grade  de  doc- 
leur  eu  théologie;  dans  un  discours  qu'il  prononça  à  cette  occasion 
sur  l'éloge  de  l'étude  des  Ecritures  saintes,  il  dit,  entre  autres,  que  dans 
les  paroles  de  Jésus-Christ,  Malth.  XVI,  18,  la  pierre  sur  laquelle  l'Eglise 
est  fondée  est  la  Bible,  que  saint,  Pierre  et  ses  successeurs  ne  peuvent 
pas  être  ce  fondement,  à  cause  de  leur  infirmité  humaine.  Il  fit  des 
cours  sur  le  Nouveau  Testament  ;  dans  une  de  ses  leçons,  il  distingua 
entre  l'Eglise  universelle  et  l'Eglise  romaine,  qui  n'est  qu'une  «  Eglise 
particulière  ;  »  il  démontra  que  cette  dernière  n'avait  pas  nécessaire- 
ment la  primauté,  que  tout  autre  évêque  pouvait  être  le  chef  de  la 
chrétienté.  Ces  principes  obtinrent  l'assentiment  de  l'université  qui,  lors 
du  schisme,  employa  son  autorité  auprès  des  rois  et  des  papes,  pour  ren- 
dre à  l'Eglise  la  paix.  C'est  pendant  le  schisme  que  s'ouvrit  pour  d'AilIy 
une  carrière,  dans  laquelle  il  s'acquit  une  grande  célébrité.  Dès  1381,  il 
fit  devant  le  régent,  au  nom  de  l'université,  une  harangue  pour  deman- 
der un  concile  universel,  comme  unique  moyen  de  terminer  la  scission 
qui  divisait  et  troublait  l'Eglise;  en  ce  moment  toutefois  il  n'admettait 
pas  encore  qu'un  pareil  concile  eût  une  autorité  supérieure  à  celle  du 
pape.  En  1383,  il  obtint,  une  prébende  canoniale  dans  l'église  de  Noyon  ; 
l'année  suivante  il  devint  recteur  du  collège  de  Navarre,  où  il  eut  pour 
disciples  Gerson  et  Nicolas  de  Clémanges.  Les  dominicains  de  Paris 
ayant  attaqué  la  doctrine,  non  encore  officielle,  de  l'immaculée  con- 
ception, la  Sorbonne  prononça  la  censure  contre  un  des  moines  ;  celui- 
ci  en  appela  a  Clément,  VII.  L'université  fit  partir  pour  Avignon  d'Ailly, 


126  AILLY 

accompagné  du  jeune  bachelier  Gerson  ;  d'Ailly  défendit  la  doctrine 
critiquée  par  les  frères,  et  soutint  le  principe,  aujourd'hui  condamné, 
que  dans  ces  questions  le  souverain  pontife  n'avait  pas  seul  le  droit 
de  la  décision,  qu'il  appartenait  aussi  aux  docteurs  de  la  théologie 
a  cîrca  ea  qu%  sunt  fidei  doctrinaliter  definire.  »  Clément  confirma  la 
sentence  et  les  droits  de  l'université.  En  1389,  d'Ailly  fut  élu  chancelier 
de  ce  corps;  bientôt  après,  Charles  VI  le  prit  pour  confesseur  et  aumô- 
nier ;  il  devint  en  outre  archidiacre  de  l'église  de  Cambray  et  trésorier 
de  la  Sainte -Chapelle  de  Paris.  —  Le  nouveau  pape  d'Avignon, 
Benoît  XIII,  ne  négligea  rien  pour  gagner  un  homme  aussi  considérable 
que  le  chancelier  de  la  grande  université.  D'Ailly,  espérant  qu'un  pape 
soutenu  par  la  France  finirait  par  l'emporter  sur  son  rival  et  qu'ainsi  le 
scandale  du  schisme  prendrait  fin,  réussit  à  faire  reconnaître  Benoît  par 
l'université  et  par  la  cour.  Pour  se  l'attacher  encore  d'avantage,  le  pape 
lui  confia  successivement  les  évêchés  du  Puy  et  de  Cambray  (1397- 
1398).  L'acceptation  de  ces  faveurs  semblait  accuser  un  abandon  de 
ses  principes  et  le  rendre  moins  décidé  quand  il  s'agirait  de  prendre  des 
mesures  énergiques  contre  les  papes  ;  aussi  trouva-t-il  désormais  des 
adversaires  dans  l'université.  Il  se  démit  de  ses  fonctions  de  chancelier, 
qui  furent  données  à  Gerson.  Cependant  il  usa  de  son  influence  à 
Avignon,  pour  obtenir  une  résolution  propre  à  relever  en  France  l'en- 
seignement théologique  ;  Benoît  XIII  décida  que  dans  chaque  église 
cathédrale  il  y  aurait  un  chanoine  théologal,  chargé  de  faire  des  cours  ; 
cette  institution,  pour  laquelle  d'Ailly  fut  publiquement  remercié  par 
la  Sorbonne,  n'eut  pas  encore  de  résultat.  Voulant  rester  étranger  aux 
entreprises  contre  Benoit,  d'Ailly  se  retira  dans  son  évêché  de  Cambray  ; 
quand  il  rentra  dans  la  lutte,  il  rencontra  d'abord  des  difficultés,  qui  le 
découragèrent  au  point  qu'un  moment  il  eut  l'intention  de  ne  plus  se 
mêler  des  affaires  générales.  Il  fallut  les  lettres  les  plus  pressantes  de 
Gerson  et  de  Clémanges  pour  le  décider  à  rester  leur  coopérateur.  Un 
concile  universel  était  alors  le  vœu  général  de  l'Eglise  ;  d'Ailly  à  son 
tour  ne  voyait  plus  d'autre  remède.  En  4409,  se  réunit  le  concile  de 
Pise  ;  d'Ailly  prit  part  à  ses  délibérations,  mais  exerça  peu  d'influence, 
il  était  encore  trop  hésitant  sur  la  question  de  la  suprématie  du  concile. 
De  retour  à  Cambray,  il  s'occupa  de  travaux  astronomiques  et  cosmogra- 
phiques. Jean  XXIII  le  nomma  cardinal;  en  1414,  il  remplit  pour 
le  pape  la  mission  de  légat  en  Allemagne.  Le  5  novembre  de  cette 
année  s'ouvrit  le  concile  de  Constance  ;  d'Ailly  y  arriva  le  17.  Son 
influence  fut  plus  décisive  qu'à  Pise.  Ce  fut  sur  sa  proposition  que, 
contrairement  au  parti  ultramontain,  on  résolut  de  voter  par  nation 
au  lieu  de  voter  par  tête.  -D'Ailly  renouvella  la  demande  d'une  abdica- 
tion (cession)  volontaire  des  trois  papes,  comme  moyen  le  plus  légal 
et  le  plus  pacifique  de  terminer  le  schisme  ;  voyant  qu'on  ne  l'ob- 
tiendrait pas,  il  passa  outre  et  proclama  enfin  la  maxime  que  le 
concile  universel  est  supérieur  aux  papes  et  qu'il  peut  les  destituer. 
Le  1er  novembre  1416,  il  produisit  des  canones  reformandi  ecclesiam  ; 
quelque  temps  après  il  donna  lecture  d'un  tractatus  de  ecclesix, 
concilii  generalis,  romani  pontificis  et  cardinalium  autoritate;  il  y  expo- 


ailly  —  aïn  1-:: 

sait  ce  qu'il  appelait  la  vérité  catholique  sur  la  matière  :  le  pape  est 
jwr*  nuturali,  divino  et  canonico,  soumis  au  concile  universel,  auquel  on 
peut  en  appeler  de  lui,  et  qui  peut  le  juger  et  le  condamner  ;  s'il  ne 
cède  pas,  le  concile  doit  procéder  comme  si  le  saint-siége  était  vacant. 
L'assemblée,  adoptai)!  ces  principes,  défendus  aussi  par  d'autres  mem- 
bres, déposa  Benoît  Xlll.  D'Ailly,  au  lieu  de  se  joindre  à  ceux  qui  de- 
mandaient qu'avant  d'élire  un  nouveau  pape,  on  fit  des  décrets  de 
réforme,  se  joignit  au  parti  qui  obtint  la  priorité  pour  l'élection  ponti- 
ficale. 11  ae  reconnaissait  au  concile  que  le  droit  de  juger  le  pape  ;  un 
pape  régulièrement  élu  devait  rentrer  dans  la  plénitude  de  son  pou- 
voir. 11  était  moins  avancé  dans  sa  théorie  ecclésiastique  que  souvent 
on  le  suppose  :  la  nécessité  d'une  situation,  qui  semblait  désespérée, 
avait  seule  pu  le  faire  pencher  vers  la  suprématie  du  concile  ;  mais  cette 
suprématie  ne  devait  s'exercer  qu'en  cas  de  schisme  ou  d'indignité  no- 
toire d'un  pape  ;  en  tout  le  reste,  le  souverain  pontife  gardait  ses  droits. 
I  >' Ailly  est  un  de  ceux  qui  ont  empêché  le  concile  de  Constance  de  dé- 
créter une  réforme  sérieuse  des  abus.  Il  faut  ajouter  qu'ayant  été  un 
des  commissaires  chargés  de  l'examen  des  doctrines  de  Jean  Huss,  il  vota 
pour  la  condamnation.  Mécontent  de  l'issue  du  concile,  bien  qu'il  y  eût 
contribué  lui-même,  il  s'en  retourna  à  Gambray.  Martin  Y  l'envoya 
comme  Légal  à  Avignon,  d'où  il  dirigea  toute  l'Eglise  française  dans 
l'intérêt  du  siège  apostolique.  Il  mourut  en  1420.  —  Ses  ouvrages  sont 
assez  nombreux;  il  n'en  existe  pas  encore  d'édition  complète;  ceux  qui 
traitent  de  philosophie,  de  théologie,  d'astronomie,  de  cosmographie, 
ont  été  publiés  séparément  ;  un  recueil  intitulé  Tractatus  et  sermones, 
Strasb.,  1490,  in-f»,  ne  contient  qu'un  petit  nombre  de  pièces.  Ses  écrits 
relatifs  au  schisme  sont  disséminés  dans  l'édition  des  œuvres  de  Gerson, 
par  Dupin,  et  dans  la  Historia  concilii  C onstantiensis  de  von  der  Hardt. 
—  Voy.  sur  d'Ailly  les  notices  de  Launoi  [Historia  gymnasii  Navarr., 
dans  les  Opéra  Launoii,  t.  IV,  P.  l,p.  508  ss.),  de  Dupin  (Gersonia- 
na,  t.  I,  p.  XXXVII  ss.,  des  œuvres  de  Gerson),  de  Bayle  dans  son 
Dictionnaire  ;  Paul  Tschakert,  Pctrus  Alliacenus  de  ecclesia  quid  docuerit 
et  quid  pro  va  prxstiterit,  Breslau,  1875;  id.,  Der  Cardinal  Peter  von 
Ailly  und  die  beiden  ihm  zugeschriebenen  Schriftm  a  de  difficultate  re for- 
mat'onis  in  conciho  univursali,  »  und  «  Monita  de  nécessita  te  reformandi 
ecclesiam  in  cavité  et  in  membris,  »  dans  les  Jahrb.  f.deutsche  Theol., 
T.  20,  livr.  II.  Cet  écrivain  démontre,  par  une  discussion  très-judicieuse, 
que  ces  deux  traités,  attribués  à  d'Ailly  par  von  der  Hardt,  ne  peuvent 
pas  être  de  lui.  Ch.  Scumidt. 

AIN  [Ayin],  «  l'œil,  »  nom  des  sources,  en  hébreu,  par  opposition 
aui  puits  (Bèêr).  Un  grand  nombre  de  noms  de  lieux  commençaient 
ainsi.  Le  plus  souvent  ce  sont  des  villages  (En-Dor,  En-Guedi,  En-Rim- 
njoii  ou  de  simples  sources  (En-Roguel,  près  de  Jérusalem,  Josué  XV, 
7  :  \\  III.  16).  Quelquefois  le  mot  Ain  est  employé  seul,  avec  ou  sans 
article  ;  il  est  fort  difficile  de  dire  dans  ce  cas  si  c'est  un  nom  propre 
ou  une  simple  indication  locale  (voy.  1  Sam.  XXIX,  i  «  Aïn  près  de 
Jizreel,  »  et  Nomp.  XXXIV,  11).  Quel  était  cet  Aïn  à  l'ouest  de  Ribla, 
qui  devait  marquer  la  frontière  d'Israël  au  nord  ?  Suivant  Robinson  et 


i2è  AIN  —  AIX-LA-CHAPELLE 

Knobel,  ce  serait  la  source  de  l'Oronte  ;  la  plupart  des  anciens  com- 
mentateurs hésitent  à  faire  monter  aussi  haut  la  frontière,  même 
théorique,  de  la  Palestine,  et  se  rabattent  sur  Tune  des  sources  du 
Jourdain.  Voyez  Robinson,  Lat.bibl.  m.,  p.  542-546;  Rosenmuller, 
Schotia  in  Vet.  Test.  IL;  Knobel,  Kurzgef.  Excg.  Handb.,  Numeri  IL 

AIRE  (Landes)  [Vicus  Julii  ou  Civitas  Aturensium,  Adura,  Ayre], 
évêché  connu  depuis  506,  suffragant  de  l'archevêché  d'Eauze,  puis  rat- 
laché  à  Auch  après  la  destruction  d'Eauze  et  celle  de  Vicus  Julii,  par 
les  Normands,  au  neuvième  siècle.  Supprimé  en  1790  et  réuni  à  celui 
de  Bayonne,  l'évêche  d'Aire  fut  rétabli  en  1823  [pallia  chr.,  I). 

AIX  en  Provence  (Bouches-du-Rhône)  [Aquœ  Sextix],  métropole  de 
la  Seconde  Narbonnaise,  archevêché  connu  depuis  417,  ayant  pour 
suffragants,  avant  1790,  les  évêchés  d'Apt,  Riez,  Fréjus,  Gap,  Sisteron, 
et  aujourd'hui  ceux  de  Marseille,  Fréjus,  Digne,  Gap,  Ajaccio,  Alger  et 
Nice.  L'université  d'Aix  fut  fondée  en  1413  ;  une  faculté  de  théologie 
catholique  y  a  été  établie  en  1802  ;  elle  a  été  supprimée,  faute  d'élèves, 
en  1876.  Un  synode  provincial,  réuni  à  Aix  en  1585,  interdit  de  rebapti- 
ser «  sous  condition  »  les  calvinistes  nouveaux  convertis  (Hardouin,  X). 
L'église  cathédrale  de  Saint-Sauveur,  relevée  vers  1060,  fut  consacrée 
en  1103  ;  le  chœur  date  de  1285,  la  nef  principale  du  quatorzième  siè- 
cle. Le  baptistère  est  romain  (Gallia  chr.,  I). 

AIX-LA-CHAPELLE    [Aachen,  Aquis,  Aquisgranum  (754),  Ais].  Char- 

lemagne  éleva  à  Aix,  sur  le  modèle  de  Saint- Vital  de  Ravenne,  l'église 

octogone  de  Notre-Dame,  qui  fut  terminée  en  796,  d'après  le  moine  de 

Saint-Gall  (Pertz,  Scr.,  II,  744).  Sur  sa  demande,  le  pape  Adrien  Ier  lui 

avait  envoyé,  en  787,  pour  cette  église,  huit  colonnes  de  marbre  tirées 

du  palais  de  Théodoric  à  Ravenne.  Le  chœur  date  du  quatorzième 

siècle.  On  croit  qu'Anségise  fut  employé  à  sa  construction.  Charlema- 

gne  réunit  à  Aix  de  nombreux  synodes.  Celui  de  789  (le  capitulaire 

est  dans  Pertz,  Leg.,  I,  53)  décida  la  réforme  des  mœurs  du  clergé.  Au 

grand  synode  de  799,  Alcuin  obtint  la  rétractation  de  Félix  d'Urgel, 

promoteur  de  l'adoptianisme.  Les  deux  «  synodes  pour  l'examen  des 

évêques  et  des  clercs  »  (nov.  801  et  oct.  802)  décrétèrent  une  réforme 

dans  les  mœurs  des  prêtres  (Pertz,  //.,  87  ss.  105  ss);  celui  de  811  et 

surtout  le  synode  tenu  en  sept.  813  s'occupèrent  des  trois  ordres,  clergé, 

moines.,  laïcs  (Pertz,  Leg.  II,  552).  Un  grand  synode  réuni  à  Aix  en  809 

se  prononça  en  faveur  de  la  procession  du  Saint-Esprit  et  du  Filioque. 

Sous  Louis  le  Débonnaire,  deux  célèbres  synodes  furent  assemblés  après 

les  grands  placites  d'Aix,  en  816  et  817.  Les  décrets  de  celui  de  817  sur  la 

réforme  des  clercs  et  des  nonnes,  en  grande  partie  rédigés  par  Amalaire 

de  Metz  et  par  Benoît  d'Aniane,  sont  une  application  à  toute  l'Eglise 

franque  de  la  règle  que  Chrodegang  avait  formulée  pour  son  clergé 

(Pertz,  Leg.,  I,  200  ss.).  Ce  décret  fut  complété  par  un  statut  pour  les 

moines  et  par  un  autre  relatif  aux  évêques.  Les  nombreux  synodes, 

toujours  associés  aux  placites  d'Aix,  s'occupèrent  encore  plus  souvent 

des  divisions  de  l'empire  que  de  la  réforme  du  clergé.  Aix  fut  évêché, 

suflragant  de  Malines,  sous  la  domination  française,  de  1802  à  1814.  — 

(Voyez  Rettberg,  K.  Gesch.  DeutsckL,  poss.,  et  l'article  du  même  auteur 


AIX-LA-CHAPELLE  -  AKIBA  W.) 

dans  l'Encyclopédie  de  M .  Herzog.  Les  synodes  d'Aix  sont  tous  relatés  dans 
Mansi,  XIII  et  XIV,  el  Hardouin,  IV,  et  en  particulier  dans  Hartzheim, 
Conc.  Germ.,  I  ei  11,  Col.,  1759;  les  capitulaires  sont  dans  Baluze,  Capi- 
tol., et  surtout  dans  Pertz,  Monum.  Germ.,  \\\,Leges,  I;  voy.  Binteiim, 
Deutsche  Concilier*,  et  Hefele,  III,  IV,  trad.  fr.,  V,  pass'wt. 

AJALON  [Ayâlôn,  pays  des  cerfs,  aujourd'hui  lâlo],  un  peu  au 
nord  de  la  route  de  Jérusalem  à  Jaffa,  à  25  kilomètres  environ  de  la 
première,  esi  célèbre  par  un  vieux  chant  qui  racontait  la  victoire  de 
Josué  sur  les  Amorrhéens  (Josué  X,  12)  : 

Soleil,  arrète-toi  sur  Gabaon, 
Et  toi,  lune,  sur  le  val  d' Ajalon  ; 
Et  le  soleil  s'arrêta,  et  la  lune  se  tint  en  place, 
Jusqu'à  ce  qu'Israël  eût  puni  ses  ennemis. 

Ajalon  était  située  sur  les  contre-forts  des  monts  d'Ephraim,  à  l'entrée 
d'une  des  vallées  qui  descendent  vers  la  plaine  de  Saaron.  Malgré  la 
victoire  de  Josué,  Israël  ne  réussit  pas  à  s'en  emparer  (Juges  I,  35  ; 
comp.  Josué  XIX,  42).  C'est  par  là  que,  plus  tard,  Jonathan  poursuivit 
les  Philistins,  après  avoir  surpris  leur  camp  à  Mikmach,  le  jour  qu'il 
trempa  son  bâton  dans  un  rayon  de  miel  (1  Sam.  XIV,  31).  Pendant 
les  guerres  des  maisons  d'Israël  et  de  Juda,  Ajalon  formait  frontière  et 
semble  avoir  appartenu  tantôt  aux  uns,  tantôt  aux  autres  (cf.  1  Chron. 
VIII,  13).  Roboam  la  fortifia  (2  Chron.  XI,  10),  mais  les  Philistins  pro- 
fitèrent des  premières  attaques  de  P Assyrie  contre  Juda  pour  s'en  em- 
parer de  nouveau  sous  Achaz  (2  Chron.  XXVIII,  18).  Ajalon  est  ci- 
tée parmi  les  villes  qui  furent  données  aux  Lévites  (Josué  XXI, 
24;  1  Chron.  VI,  69).  Il  ne  faut  pas  la  confondre  avec  un  autre 
Ajalon,  lieu  de  sépulture  du  juge  Elon,  dans  le  territoire  de  Zabulon 
(Juges  XII,  12).  —Voyez  Robinson,  III,  p.  279;  Stanley,  S.  et  P., 
p.  210. 

AKIBA  Ben  Joseph  (R.),  un  des  principaux  docteurs  juifs  de  la  fin  du 
premier  siècle  de  notre  ère  et  du  commencement  du  second.  On  a  peu 
de  renseignements  certains  sur  sa  jeunesse.  Ce  qui  est  raconté  de  son 
origine  païenne  et  de  sa  première  condition  presque  servile,  l'histoire 
de  son  amour  pour  la  fille  de  son  maitre,  qui  n'aurait  consenti  à  l'épou- 
ser que  si  lui,  simple  berger,  parvenait  à  se  faire  admettre  parmi  les 
docteurs,  le  récit  de  la  profonde  misère  où  il  serait  tombé  après  son 
mariage,  tout  cela  doit  être  rangé  sans  doute  parmi  les  légendes  des 
t<'inps  postérieurs.  Quoi  qu'il  en  soit,  Akiba  enseignait  la  loi  avant  la 
fin  du  premier  siècle  et  groupait  autour  de  lui  un  nombre  considérable 
de  disciples.  Jamais  aucun  docteur  n'avait  obtenu  de  succès  pareils,  et 
li  tradition,  en  le  nommant  le  restaurateur  de  la  loi,  comme  Esdras, 
el  en  Le  comparant  à  Moïse,  va  jusqu'à  lui  donner  douze  mille  et  même 
vingt-quatre  mille  élèves.  Akiba  est  un  des  quatre  tanaïtes  qui  firent 
ensemble  Le  voyage  de  Rome  (voy.  Derenbourg,  Hist.  de  la  Palestine, 
I,  336).  Il  fit  également  d'autres  voyages  parmi  les  Juifs  de  la  dispersion, 
et  prépara,  dans  la  mesure  de  ses  forces,  la  terrible  insurrection  à  la 
tête  de  laquelle  se;  mit  Bar-kochba  (tils  de  l'étoile).  Ce  fut  Akiba  qui 
donna  au  chef  des  insurgés  (appelé  Ben-Koziba)  le  nom  sous  lequel  il 


130  AKIBA  —  ALAGOQUE 

est  généralement  connu,  en  lui  appliquant  le  verset  Nomb.  XXIV, 
17  :  «  une  étoile  (kôkâb)  s'élance  de  Jacob.  »  On  ajoute  même  qu'il 
s'écria  en  le  voyant  :  «  Voici  le  Messie.  »  Emprisonné  par  les  Romains, 
dès  le  début  de  la  révolte  (132),  comme  un  des  plus  dangereux  agita- 
teurs, Akiba  trouva  moyen  de  rester  en  relation  avec  ses  disciples  et  de 
répondre  aux  questions  qu'ils  lui  posaient.  Mais  quand  les  Romains, 
vainqueurs  de  Bar-kochba,  étouffèrent  les  derniers  restes  de  l'insurrec- 
tion dans  des  flots  de  sang,  il  fut  une  des  premières  victimes.  Livré  aux 
bourreaux  qui  devaient  le  faire  mourir  au  milieu  d'atroces  tortures, 
Akiba  expira  en  répétant  la  profession  de  foi  israélite  :  «  Dieu  est  uni- 
que. »  Il  n'avait  jamais  rempli  de  fonctions  officielles.  On  ne  peut 
guère  exagérer  l'effet  produit  sur  les  contemporains  par  l'enseignement 
d'Akiba,  et  son  école  exerça  une  influence  considérable  sur  l'interpré- 
tation du  Pentateuqueet  les  études  rabbiniques  dans  les  siècles  suivants. 
Ses  procédés  exégétiques  lui  permettaient  «  d'abriter  sous  la  parole  du 
Pentateuque  toutes  les  halachot,  toutes  les  décisions  rabbiniques.  » 
Selon  l'expression  du  Talmud,  «  il  tirait  de  chaque  coin  ou  angle  des 
lettres  des  boisseaux  entiers  de  décisions.  »  «  Son  système  d'interpré- 
tation, dit  M.  J.  Derenbourg,  ne  connaît  pas  les  limites  que  l'usage  de 
la  langue  établit...  Tout  mot  qui  n'est  pas  absolument  indispensable 
pour  rendre  l'intention  du  législateur,  ou  pour  établir  le  rapport  logi- 
que entre  les  diverses  parties  de  la  même  proposition  ou  entre  les  dif- 
férentes propositions  qui  composent  une  loi,  est  destiné  à  élargir  ou  à 
restreindre  le  cercle  de  cette  loi,  à  y  faire  entrer  ce  que  la  tradition 
ajoute,  à  en  retrancher  ce  que  la  tradition  exclut.  »  Akiba  n'est  point  le 
premier  qui  ait  compris  de  la  sorte  les  textes  sacrés,  et  il  eut  de  nom- 
breux successeurs,  aussi  bien  chez  les  chrétiens  que  chez  les  juifs.  — 
Voyez  Derenbourg,  Histoire  de  la  Palestine,  I,  384  ss.;  Hamburger,  Real- 
Encyclopédie  fur  Bibel  und  Talmud ,  s.  v.  Akiba.  A.  Carrière. 

ALAGOQUE  (Marie),  que  l'Eglise  catholique  appelle  aujourd'hui  la 
bienheureuse  Marguerite-Marie,  est  surtout  célèbre  pour  avoir  fondé  la 
dévotion  au  Sacré-Cœur  de  Jésus.  Elle  naquit  le  22  juillet  1647  dans  le 
village  de  Lauthecourt,  diocèse  d'Autun,  fut  baptisée  le  25  juillet  et  eut 
pour  marraine  Madame  de  Saint-Amour,  qui  lui  donna  son  prénom  de 
Marguerite.  D'après  ses  biographes,  dès  l'âge  de  quatre  ans,  elle  aurait 
fait  vœu  de  perpétuelle  chasteté.  A  huit  ans,  elle  perdit  son  père  et  fut 
mise  en  pension  par  sa  mère  chez  les  religieuses  urbanistes  de  Cha- 
rolles.  Sa  piété  était  si  grande  qu'elle  put  faire  sa  première  communion 
à  neuf  ans.  A  la  suite  d'une  cruelle  maladie,  elle  se  consacra  à  la  Vierge 
et  prit  dès  lors  le  prénom  de  Marie.  Le  25  mai  1671,  Marguerite  Ala- 
eoque  entra  au  couvent  de  la  Visitation  de  Paray -le-Monial  ;  elle  y  pro- 
nonça les  vœux  solennels  le  6  novembre  1672.  A  partir  de  ce  moment, 
les  hallucinations  auxquelles  elle  était  en  proie  devinrent  de  plus  en 
plus  fréquentes;  elle  avait  des  entretiens  presque  continuels  avec  Jé- 
sus; elle  le  voyait,  le  touchait,  portait  sa  croix  et  sa  couronne  d'épi- 
nes, éprouvait  les  souffrances  de  sa  passion.  Ce  fut  en  1675  qu'elle  s'i- 
magina entendre  le  Seigneur  lui  demandant  que  le  premier  vendredi 
après  l'octave  du  Saint-Sacrement  fût  consacré  à  une  fête  particulière 


ALACOQUE  -  ALAIS  131 

en  l'honneur  de  son  cœur.  La  première  fête  du  Sacré-Cœur  eut  lieu  dix 
ans  après,  en  1685,  au  couvent  de  Paray.  Les  austérités  exagérées  et  les 
macérations  avaient  usé  la  santé  de  Marie  Alacoque;  elle  mourut  le 
17  octobre  1690.  Le  24  juin  1864,  Pie  IX  fit  publier  le  décret  qui  per- 
mettait de  précéder  à  sa  béatification.  Marie  Alacoque  a  laissé  quelques 
petits  écrits  dont  le  plus  connu  est  intitulé:/,»  dévotion  au  cœur  de 
Jésus  Voir  J.  Joseph  Langue!,  La  vie  de  la  vénérable  mère  Marguerite- 
Marie,  Paris,  1729;  l'abbé  Daras,  Vie  de  la  bienheureuse  Marguerite- 
Marie,  Paris,  1S75). 

ALAIN.  Il  existe  un  certain  nombre  d'ouvrages  philosophiques  et  théo- 
logiques, les  uns  en  prose,  les  autres  envers,  qui  passent  pour  être 
écrits  par  un  docteur  du  moyen  âge  nommé  Alain;  on  mentionne  en 
outre  plusieurs  personnages  qui  ont  porté  ce  nom,  principalement  Alain 
de  Lille,  De  insulis,  Alain,  évêque  d'Auxerre,  Alain,  du  Puy,  De  podio. 
Tous  les  trois  sont  peu  connus  ;  il  est  arrivé  qu'on  les  a  confondus  en- 
semble, et  qu'on  a  fait  des  biographies  de  l'un  en  y  mêlant  des  détails 
empruntés  à  celle  des  autres  et  en  partie  légendaires.  Tout  cela  est 
encore  fort  obscur.  Ce  qui  semble  être  le  plus  probable,  c'est  qu'Alain, 
de  Lille  en  Flandre,  a  vécu  au  douzième  siècle,  qu'il  a  enseigné  à  Paris, 
qu'il  s'est  fait  moine  cistercien  et  qu'il  a  passé  une  partie  de  sa  vie  en 
Angleterre.  <>n  lui  a  donné,  sans  trop  de  raison,  la  qualification  de  doc- 
t.'ir  universel.  Ses  ouvrages  les  plus  importants  sont  :  un  traité  dog- 
matique en  cinq  livres,  De  arte  catholiese  fidei,  où  il  procède  suivant  la 
méthode  mathématique,  en  commençant  par  des  définitions  et  en  po- 
sant ensuite  des  théorèmes  qu'il  démontre  et  dont  il  tire  des  corollaires  ; 
un  poëme  allégorique  et  moral,  Anti-C laudianus  sivede  officio  viri  boni 
et  perfecti;  un  autre  poëme,  mêlé  de  prose,  Planctus  nature,  plaintes 
sur  la  corruption  des  contemporains.  Il  convient  peut-être  de  lui  attri- 
buer aussi  sept  livres  d'Fxplanationes  in  prophetiam  Mer  Uni  Britanni. 
Une  Summa  quadripartita  contra  hxreticos  (les  Albigeois),  Waldenses, 
jwisos  et  paganos,  dédiée  au  comte  Guillaume  de  Montpellier  et  se  tra- 
hissant comme  écrite  dans  la  France  méridionale,  est  plutôt  l'œuvre 
d  Alain  du  Puy,  dont  on  a  retrouvé  aussi,  parmi  les  manuscrits  de  la 
bibliothèque  d'Avranches,  un  traité  moral.  La  Summa  est  une  source 
précieuse  pour  la  connaissance  des  doctrines  albigeoises  et  vaudoises. 
—  Alani  opéra  omnia  quse  reperiri  potuerunt,  éd.  G.  de  Visch,  Anvers, 
1654,  in-f°.  Le  traité  Zte  arte  fidei,  qui  ne  se  trouve  pas  dans  ce  recueil, 

té  publié  dans  les  Anecdota  de  Pez,  t.  I,  p.  II,  p.  476  ss.;  Hisl.  lût. 
de  la  France,  t.  XVI,  p.  396  ss.,  on  il  ne  faut  se  méfier  que  des 
combinai  sens  biographiques;  Dupuy,  Notice  sur  la  vie,  les  écrits  et  les 
duci,  met  d'Alain  de  Lille,  18o0  (extrait  des  Mémoires  de  la  Société  des 
'le  Lille),  et  du  même,  Alain  de  Lille,  Etudes  de  philosophie 
HolaUique,  Lille,  1859.  M.  Dupuy  croit  pouvoir  attribuer  à  Alain  de 
Lille  tous  les  ouvrages  qui  portent  le  nom  d'Alain.        Ch.  Schmidt. 

ALAIS  Gard  Wlcstum,  Alest].  I.  L'église  collégiale  de  Saint- Jean- 
Baptiste  à  Uaisfut,  en  161)4,  érigée  en  évêché  suffragant  de  Narbonne, 
use  du  grand  nom  lue  de  «  nouveaux  catholiques,  »  dont  il  y  avait, 
mm  qu'exposèrent,  en  1693,  devant  l'archevêque  de  Narbonne  les 


i;|-2  AL  AIS 

témoins  de  L'enquête,  «  50,000  dans  les  vallées  des  Cévennes,  outre 
40,000  qui  sont  à  Nîmes  et  dans  les  environs.  »  L'évêché  fut  supprimé 
en  1790  [Gallia  chr.,  VI). 

II.  La  Réforme,  déjà  connue  dans  les  Cévennes  avant  1560,  s'y 
répandit,  à  cette  époque,  avec  une  extrême  rapidité.  Plusieurs  Egli- 
ses furent  «  dressées  »  dans  le  pays,  suivant  l'expression  de  Bèze, 
notamment  à  Alais,  qui  était  la  capitale  des  Cévennes  et  dont  l'Eglise 
fut  organisée,  sinon  fondée,  par  Robert  Maillard,  pasteur  de  Mialet. 
Les  guerres  de  religion  survinrent  peu  après,  et  les  protestants  s'em- 
parèrent de  la  ville,  dont  ils  chassèrent  aussitôt  les  catholiques  (1567, 
2e  guerre).  Ce  fut  sans  succès  qu'ils  tentèrent  de  la  prendre  en  1569 
(3e  guerre).  Après  la  Saint-Barthélémy,  ils  ne  purent  la  conserver  que 
quelques  semaines  (1572,  4e  guerre);  mais  trois  ans  après,  soutenus 
par  le  maréchal  de  Damville,  qui  s'était  mis  à  la  tête  du  parti  des  Poli- 
tiques dans  le  midi,  ils  s'en  saisirent  de  nouveau  et  la  gardèrent  plus 
longtemps  (1575,  5e  guerre).  Pendant  la  Ligue,  Alais  eut  à  souffrir  de 
la  défection  momentanée  de  Damville,  mais,  à  partir  de  la  conférence 
de  Fleix  (1580),  elle  jouit  de  la  plus  grande  tranquillité.  L'Eglise  cica- 
trisa ses  blessures.  Un  synode  général  très-important  s'y  assembla  en 
1620  dans  la  rue  Fabrerie,  n°  54.  Il  édicta  un  règlement  général  à  l'u- 
sage des  académies  réformées  du  royaume  et  confirma  les  décisions  du 
synode  de  Dordrecht.  Malheureusement  les  trois  nouvelles  guerres 
religieuses  du  dix-septième  siècle  (1621-1629)  vinrent  encore  la  troubler. 
Les  protestants  de  la  ville  embrassèrent  le  parti  du  duc  de  Rohan,  qui 
les  visita  plusieurs  fois;  mais,  ne  pouvant  soutenir  une  lutte  inégale,  ils 
finirent  par  se  rendre  au  roi  Louis  XIII  qui  les  assiégea  en  personne 
(16  juin  1629).  Quelques  années  après,  en  1632,  la  comtesse  d' Alais, 
Charlotte  de  Montmorency,  qui  avait  épousé  la  querelle  de  Marie  de 
Médicis  et  de  Gaston  d'Orléans,  adversaires  du  cardinal  de  Richelieu,  fit 
soulever  Alais  contre  le  roi,  mais  la  religion  fut  étrangère  à  cette  ré- 
volte, et  les  protestants,  comme  corps,  n'y  prirent  aucune  part.  A  dater 
de  cette  époque  et  jusqu'à  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,  l'Eglise 
d' Alais  fut  paisible.  Elle  ressortissait  au  colloque  d'Anduze  et  au  synode 
des  Cévennes.  Sa  population  était  supérieure  en  nombre  à  la  popula- 
tion catholique  et  desservie  par  deux  pasteurs.  Son  temple,  vaste  et 
commode,  situé  rue  Peyrolerie,  fut  démoli  en  octobre  1685.  Après 
la  révocation,  des  assemblées  du  désert  furent  présidées  dans  les  envi- 
rons d'Alais  par  de  hardis  prédicants,  comme  Fulcrand  Rey,  Vivens, 
Poujol  et  autres.  La  guerre  des  Camisards  (1702-1704)  amena  plusieurs 
fois  près  d'Alais  le  célèbre  Cavalier,  qui  livra  aux  flammes  l'antique 
abbaye  de  Cendras.  Les  travaux  pacifiques  d'Antoine  Court  et  de  ses 
compagnons,  Durand,  Crotte,  Hue,  Vesson  et  Arnaud  succédèrent  à 
cette  époque  troublée.  La  plupart  de  ces  pieux  missionnaires  mouru- 
rent martyrs  de  leur  foi,  notamment  Arnaud,  jeune  ministre  plein 
d'espérance,  qui  périt  sur  le  gibet  à  Alais  le  22  janvier  1718.  Quinze  ans 
plus  tard,  le  pasteur  Claris  aurait  été  de  même  exécuté  à  Alais,  mais 
il  put  s'échapper  de  sa  prison.  Sous  l'épiscopat  de  Vivet  de  Montclus 
(1744-1755),  les  protestants  du  diocèse  d'Alais  eurent  particulièrement 


ALAIS  -  ALBE  133 

à  souffrir  de  la  part  de  ce  prélat  intolérant,  qui  voulait  que  L'Etat  or- 
donnât aux  protestants  de  faire  réhabiliter,  dans  l'Eglise  romaine  et  à 
bref  délai,  leurs  mariages  et  Leurs  baptêmes  sous  dos  peines  très-sévères 
en  cas  de  désobéissance.  Le  célèbre  pasteur  de  Nîmes,  Paul  Rabaut, 
répondil  avec  beaucoup  de  force  et  de  modération  à  la  lettre  de  l'évè- 
qne.  (Mi  trouve  connue  pasteur  à  Alais,  de  1752  à  1760,  Ghalon  dit  La- 
tour,  qui  eul  à  lui  ter  contre  la  trop  grande  complaisance  avec  laquelle 
les  membres  les  plus  influents  de  son  Eglise  tapissaient  les  devantures 
de  leurs  maisons  les  jours  de  procession.  Après  lui  (nous  ne  savons  si 
ce  fut  immédiatement),  l'Eglise  fut  desservie  par  le  pasteur  Jean-Pierre 
Roche,  que  le  gouvernement  confirma  dans  son  poste,  après  la  loi  de 
germinal  an  X.  A  cette  époque,  Alais  devint  le  chef-lieu  d'un  consis- 
toire important.  En  1870,  cette  Eglise  comptait  6,500  protestants.  — 
<\.  Bèze,  Histoire  ecclésiastique  ;  Gh.  Coquerel,  Histoire  des  Eglises  du 
Désert]  Recherches  historiques  sur  la  ville  d? Alais,  1860;  Correspondance 
médite  des  deux  Chirons).  E.  Arnaud. 

ALBAN  (Saint)  [Albon],  premier  martyr  de  l'Angleterre,  fut  mis  à 
mort  à  Vérulam  dans  la  persécution  de  Dioclétien  (302),  après  avoir 
donné  l'hospitalité  à  un  clerc  (Bède,  Hisl.  Eccl.,  1,  6  ;  AA.  SS., 
22  Juin,  IV).  La  plus  ancienne  mention  du  nom  de  ce  saint  est 
dans  saint  Gildas  (583)  et  dans  saint  Fortunat.  De  prétendus  actes 
anglais,  que  l'on  dit  avoir  été  composés  vers  590,  appellent  le  clerc 
Amphibale,  mais  il  n'y  faut  voir  qu'une  paraphrase  du  récit  de  Bède. 
Le  nom  d'Amphibalus  paraît  être  né  d'un  jeu  de  mots  (Henschen, 
1. 1.  SS.  /./.).  Le  roi  Offa  a  construit  en  793  près  des  ruines  de  Vérulam 
le  célèbre  couvent  de  Saint-Albans,  supprimé  par  Henri  VIII  (Tille- 
mont,  V,  508;  Monast.  anglic,  II,  p.  178;  Atkinson,  Saint- Auban, 
L,  1876). 

ALBAN  (Saint),  martyr  de  Mayence.  Raban  Maur,  dans  son  martyro- 
logue,  raconte  qu'il  vint  de  l'île  de  Namsia  (Naxos?),  sous  Théodose, 
à  Milan  avec  saint  Théoneste  et  saint  Ours  ;  envoyés  par  saint  Ambroise 
I archer  en  Gaule,  ils  moururent,  saint  Ours  à  Aoste,  saint  Théoneste 
ei  siint  Alban  à  Mayence.  Goswin,  chanoine  de  Saint-Martin  de  Mayence 
vers  1072),  a  composé  une  vie  de  saint  Alban,  publiée  par  Ganisius  dans 
se-  Lectiones  antiqux  (Ingolst.,  1601).  (V.  AA.  SS^  24  Juin,  IV).  D'après 
les  documents  les  moins  anciens,  saint  Alban  a  porté  sa  tête  jusqu'au 
lieu  de  sa  sépulture.  L'église  de  Saint- Alban,  à  Mayence,  apparaît  en 
7:>s.  Elle  fut  rebâtie  en  805  sur  l'ordre  de  Gharlemagne,  qui  la  desti- 
nait a  la  sépulture  de  son  épouse  Fastrade  ;  le  couvent  nous  est  connu 
depuis 895,  il  devint  un  puissant  chapitre  noble,  qui  fut  ravagé  en  1552 
(Reuter,  Albansgulden,  M.,  1790;  Rettberg,  K.  Gesch.  DL,  I.  p.  211 
et  582). 

ALBE    I ■'(  rnando  Alvarez  de  Toledo,  duc  d').  Ge  célèbre  capitaine,  fds 

de  Garcia  Alvarez  de  Toledo  et  de  Beatriz    Pimentel,  naquit,  d'après 

Herrera,  en  1508.  Il  commença  de  bonne  heure  sa  carrière  militaire 

les  auspices  de  son   grand-père  Fadrique  Alvarez  de  Toledo.  Il 

la  a  la  prise  de  Fontarabie  (1524)  :  il  prit  une  part  active  à  la  cam- 

pagne  de   Hongrie  contre  Soliman    (1532)  et  à  l'expédition  de  Tunis 


134  ALBE 

(1535),  il  dirigea  en  partie  l'armée  de  Charles-Quint,  dans  ses  cam- 
pagnes contre  les  protestants  allemands  en  1545  et  1546.  Les  seuls 
épisodes  de  sa  vie  qui  intéressent  directement  l'histoire  religieuse  sont 
ses  négociations  diplomatiques  avec  le  pape  Paul  IV  en  1556,  et  son 
gouvernement  des  Pays-Bas  de  1567  à  1573.  Le  duc  fut  chargé  par  son 
souverain  de  demander  satisfaction  des  violences  commises  par  l'ordre 
de  Jean-Pierre  Garaffa,  qui  venait  d'être  élevé  au  pontificat,  sur  les 
partisans  de  l'Espagne  à  Rome  ;  il  devait  défendre  le  royaume  de 
Naples  que  le  pape  avait  déclaré  indépendant  de  la  couronne  d'Espagne, 
protester  contre  la  demande  d'excommunication  prononcée  contre 
Charles-Quint  et  Philippe  II  par  le  fiscal  du  pape  dans  le  consistoire  du 
28  juillet  1556,  et  obliger  le  pontife  à  renoncer  à  l'alliance  française. 
Les  deux  lettres  qu'il  écrivit  au  pape  et  au  collège  des  cardinaux  après 
son  arrivée  à  Naples  avec  son  armée,  le  21  août  1556,  témoignent  d'une 
intention  sérieuse  de  ne  pas  entrer  en  guerre  ouverte  avec  le  saint- 
siège  dans  un  moment  où  les  discussions  entre  le  roi  catholique  et  le 
pape  pouvaient  avoir  de  si  graves  conséquences.  Le  duc  y  proteste  de 
son  dévouement  au  saint-siége  en  indiquant  toutefois  que  l'intention 
de  son  souverain  est  de  retirer  à  tout  prix  les  armes  des  mains  du  pon- 
tife ennemi  de  l'Espagne.  On  sait  comment  se  termina  cette  campagne, 
comment  le  duc  de  Guise,  envoyé  par  Henri  II  en  Italie,  fut  obligé  de 
revenir  en  toute  hâte  pour  couvrir  Paris  qu'on  croyait  à  la  veille  d'être 
assiégé  par  les  Espagnols  qui  venaient  de  remporter  la  victoire  de 
Saint-Quentin.  Les  portes  de  Rome  s'ouvrirent  devant  le  général  es- 
pagnol qui  y  entra  en  conciliateur  et  donna  à  ses  officiers  les  ordres 
les  plus  sévères  pour  faire  respecter  la  ville  éternelle  et  la  mettre  à 
l'abri  d'un  nouveau  sac.  A  partir  de  1558,  le  duc  d'Albe  prit  une  part 
très-active  dans  le  gouvernement  de  Philippe  II  et  devint  un  des  mem- 
bres les  plus  influents  de  son  conseil  d'Etat  ;  il  s'y  occupait  surtout  de 
questions  militaires  et  sur  ce  point  ses  avis  étaient  presque  toujours 
écoutés.  Lorsque,  vers  la  fin  de  l'année  1566,  Philippe  II  se  décida  à 
inaugurer  une  politique  de  répression  absolue  contre  ses  sujets  des 
Pays-Bas  et  à  retirer  des  mains  de  Marguerite  de  Parme  le  gouverne- 
ment de  ces  provinces,  il  n'hésita  pas  longtemps  à  fixer  son  choix  sur 
le  capitaine  illustre  dont  il  connaissait  les  talents  militaires,  l'inflexibi- 
lité de  caractère  et  le  dévouement  sans  bornes.  En  renonçant  à  se 
rendre  lui-même  au  milieu  de  ses  sujets,  en  leur  envoyant  comme  gou- 
verneur l'homme  qui  parmi  tous  ses  ministres  leur  était  le  plus  anti- 
pathique, Philippe  II  inaugurait  une  politique  dangereuse,  mais  parfaite- 
ment logique.  Le  roi,  qui  dans  la  Péninsule  se  refusait  à  toute  espèce 
de  concession  en  matière  de  religion,  qui  traitait  ses  sujets  espagnols 
avec  la  dernière  rigueur,  ne  pouvait  pas  admettre  dans  une  province  de 
ses  Etats  des  principes  de  tolérance  religieuse  dont  les  effets  n'auraient 
pas  tardé  à  se  faire  sentir  au  cœur  même  de  la  monarchie.  Les  années 
de  domination  du  duc  d'Albe  aux  Pays-Bas  comptent  parmi  les  plus 
tristes  de  l'histoire  de  ces  provinces.  La  création  du  conseil  des  troubles, 
l'exécution  des  principaux  chefs  de  la  révolution,  en  un  mot  la  dureté 
de  cœur  et  la  cruauté  du  général  espagnol  ont  rendu  son  nom  odieux 


ALBE  —  ALBER  135 

et  en  oui  t'ait  le  synonyme  de  tyran  Sanguinaire.  Toutefois,  quelque 
part  de  responsabilité  personnelle  qu'il  lui  incombe  dans  ces  répres* 
lions,  il  est  juste  de  remarquer  qu'il  n'était  que  l'exécuteur  de  la  vo- 
lonté du  maître.  Philippe  II,  décidé  à  renoncera  la  politique  de  modé- 
ration suivie  jusqu'alors  par  Marguerite,  chargea  le  duc  de  prendre 
le  contre-pied  de  la  ligne  de  conduite  suivie  auparavant,  et  les  lettres 
du  souverain  à  son  agent  prouvent  qu'il  ne  lui  laissa  pas,  bien  souvent, 
choisir  les  moyens  d'obtenir  les  résultats  qu'il  désirait.  Sans  doute  il 
est  regrettable  pour  la  mémoire  du  duc  que  les  circonstances  l'aient 
place  en  présence  d'hommes  agités  de  sentiments  qu'il  ne  comprenait 
.  t  qu'il  Se  sentait  tenu  de  comprimer  par  le  fer  et  le  feu;  aussi 
pai  lagora-t-on  l'opinion  du  cardinal  de  Granvelle  qui,  en  apprenant  sa 
mort,  écrivait  de  lui  :  «  C'étoit'un  grand  personnage;  mais  je  voudrois 
qu'il  n'eut  oneques  vu  les  pays  d'embas,  pour  tout  respect.  »  A  partir 
de  1574,  après  son  départ  des  Pays-Bas,  où  il  fut  remplacé  par  le  grand 
commandeur  de  Gastille,  Luis  de  Requesens,  le  duc  d'Albe  n'a  plus  à 
la  cour  qu'un  rôle  assez  etfacé.  Il  encourut  même  la  disgrâce  de 
Philippe  II,  en  1579,  à  l'occasion  d'un  mariage  de  son  fils  Fadrique  :  le 
duc  fut  exilé  et  son  fils  emprisonné.  En  1580  le  roi  rappela  cependant 
son  vieux  serviteur  pour  le  mettre  à  la  tête  de  l'armée  qui  devait  envahir 
le  Portugal.  Ce  fut  la  dernière  campagne  du  duc;  il  mourut  le  12  dé- 
cembre 1582,  à  l'âge  de  soixante-quatorze  ans,  suivant  d'autres  de 
soixante-seize  ou  soixante-dix-sept  ans.  —  Bibliographie  :  J.  A.  de 
Vera  y  Figueroa,  Résultas  de  la  vida  de  D.  Fernando  Alvarez  de  Toledo, 
in-4-°,  s.  1.  n.  d.;  P.  Ant.  Ossorio,  Ferdinandi  Tôle  tant  Albœ  dueis  vita  et 
res  gestse,  Samanticae,  1669,  2  t.  in-8°;  J.  V.  de  Rusîant,  Historia  de 
Fernando  Alvarez  de  Toledo,  Madrid,  175! ,  2  t.  in-4°.  Ces  trois  ouvrages 
sont  des  panégyriques.  Sur  le  gouvernement  du  duc  d'Albe  aux  Pays- 
Bas,  voy.  toutes  les  histoires  de  la  domination  espagnole  dans  ces 
provinces,  et  surtout  les  deux  premiers  tomes  de  la  Correspondance  de 
Philippe  11  sur  les  affaires  des  Pays-Bas,  publ.  par  M.  Gachard,  puis  la 
Coleccion  de  documentos  ineditos  para  la  historia  de  Fspaïia,  t.  IV,  VII 
et   VIII.  Morel-Patio. 

ALBER  (Matthieu),  Albérus,  un  des  premiers  réformateurs  du  Wur- 
temberg, un  de  ceux  qui,  avec  Brenz,  ont  fait  prévaloir  en  ce  pays, 
voisin  de  la  Suisse,  le  type  luthérien.  Né  à  Reutlingen  en  1495,  il  fit  ses 
études  a  Tubingue  et  à  Fribourg,  fu!  consacré  prêtre  à  Constance  et  ap- 
prit- comme  prédicateur  dans  sa  ville  natale,  où  il  commença  aussitôt  a 
prêcher  les  principes  de  la  Réforme.  En  1524  il  fut  cité  devant  Pévêque 
de  Constance  :  sur  son  refus  de  comparaître,  le  prélat  l'excommunia  et 
frappe  Reutlingen  de  l'interdit  ;  une  sentence  du  tribunal  auliquede  Rol- 
weil  aggrava  ces  peines,  en  mettant  au  ban  de  l'empire  les  habitants  et 
leur  prédicateur.  On  ne  se  laissa  pas  intimider;  Alber  continua  son 
œuvre.  Traduit  devant  le  tribunal  d'Esslingen,  il  se  détendit  si  bien,  qu'a- 
près trois ioUTS  de  débats  on  le  laissa  repartir  en  liberté.  Il  sutempêcner 
l'arrivée  d'anabaptistes,  et  maintenir  l'ordre  pendant  les  troubles  des 
paysans.  Par  une  lettre  du  16  novembre  1524,  qui  est  un  document 
important  dans  l'histoire  de  la  discussion  sur  la  sainte  Gène.  Zwingle 


136  ALBER  —  ALBERT  LE  GRAND 

essaya  d'amener  Alber  à  sa  manière  de  concevoir  le  sacrement,  mais 
Alber  se  déclara  pour  celle  de  Luther  et  y  resta  fidèle.  Quand,  lors 
de  l'Intérim,  il  dut  quitter  Reutlingen,  le  duc  de  Wurtemberg  l'appela 
comme  prédicateur  à  Stuttgard.  Il  resta  dans  cette  position  jusqu'à  sa 
mort  en  1570.  Il  a  laissé  peu  de  livres;  le  principal  de  ses  écrits  est  un 
catéchisme  pour  la  jeunesse  de  Reutlingen. 

ALBERT,  dit  LE  GRAND  (Albertus  Magnus),  un  des  docteurs  qui,  au 
treizième  siècle,  ont  illustré  l'ordre  des  dominicains.  Fils  d'un  comte  de 
Bollstaedt,  il  naquit  vers  1193  à  Lauingen,  en  Souabe.  A  Paris  il  étudia 
la  philosophie,  à  Padoue  les  mathématiques  et  la  médecine.  Dans  cette 
dernière  ville  le  général  des  frères  prêcheurs,  Jordan,  le  décida  à  entrer 
dans  l'ordre  et  à  se  vouer  à  la  théologie.  Plus  tard,  il  enseigna  avec  un 
grand  éclat  dans  divers  couvents,  entre  autres  dans  ceux  de  Strasbourg 
et  de  Cologne,  et  depuis  1245  à  Paris;  en  1254  il  fut  élu  provincial 
d'Allemagne,  occupa  pendant  quelque  temps  la  charge  de  prédicateur 
de  la  cour  pontificale,  magister  sawi  palatii,  dut  accepter  en  1260,  sur 
les  instances  du  pape,  l'évêché  de  Ratisbonne,  mais  n'y  resta  que  trois 
ans  ;  il  résigna  sa  dignité  et  rentra  dans  son  couvent  de  Cologne,  où  il 
mourut  en  1280,  âgé  de  quatre-vingt-sept  ans.  Aucun  des  docteurs  du 
moyen  âge  n'a  possédé  autant  de  connaissances  qu'Albert,  aucun  n'a 
écrit  autant  de  livres  que  lui;  ses  œuvres,  publiées  à  Lyon  en  1651, 
remplissent  21  vol.  in-f°  ;  la  seule  énumération  des  titres  occupe  douze 
pages  dans  les  Scriptores  ordinis  prœdical.,  de  Quétif  et  Echard,  t.  I, 
p.  171  ss.  Ses  contemporains  lui  ont  décerné,  à  meilleur  droit  qu'à 
Alain  de  Lille,  le  titre  de  Docteur  universel;  sachant  tout  ce  qu'on  pou- 
vait savoir  alors,  il  représente  en  quelque  sorte  l'encyclopédie  du  trei- 
zième siècle.  La  prodigieuse  étendue  de  sa  science  lui  procura  même  le 
privilège  de  passer  pour  sorcier  ;  quand  il  fut  mort,  la  légende  s'empara 
de  son  histoire  ;  on  raconte  une  foule  d'anecdotes  sur  le  pouvoir  ma- 
gique qu'il  aurait  exercé.  Ses  livres  sont  consacrés  à  la  logique,  à  la 
métaphysique,  à  la  psychologie,  à  la  morale,  à  la  physique  ou  histoire 
naturelle,  à  l'astronomie,  à  la  médecine,  à  la  théologie.  Dans  tout  ce 
qu'il  a  écrit,  on  retrouve  Aristote;  c'était  Aristote  qu'il  expliquait  dans 
ses  cours;  c'est  à  lui  qu'il  se  rattache,  au  point  qu'on  a  pu  par  dérision 
le  qualifier  de  Simia  Aristotelis.  Il  a  même  pris  comme  étant  de  ce 
philosophe  ce  qui  n'appartenait  qu'à  ses  commentateurs  arabes,  qu'on 
venait  d'introduire  dans  le  monde  latin  ;  de  là  ce  mélange  de  notions 
platoniciennes  et  néoplatoniciennes  avec  celles  du  péripatétisme,  dont 
on  est  frappé  dans  beaucoup  de  ses  livres,  mais  qui  a  été  tout  à  fait  in- 
conscient chez  lui.  Dans  sa  théologie  on  ne  peut  signaler  que  fort  peu 
d'idées  originales;  il  a  eu  de  la  patience  et  de  l'érudition,  mais  il  a 
manqué  de  génie.  S'il  a  un  mérite  c'est  d'avoir  osé,  comme  l'avait  déjà 
fait  Alexandre  de  Halès,  revenir  à  Aristote,  dont  au  commencement  du 
siècle  l'Eglise  avait  défendu  l'étude;  ce  mérite  est  très-relatif,  car  en 
appliquant  la  méthode  et  les  idées  d'Aristote  à  la  théologie,  Albert 
a  rendu  à  cette  dernière  un  service  qui  lui  a  peu  profité.  On  rencontre 
chez  lui  quelques-uns  des  éléments  du  mysticisme,  et  les  mystiques  du 
quatorzième  siècle  le  citeront  souvent  dans  leurs  écrits;  mais  ces  élé- 


ALBERT  LE  GRAND  —  ALBERT  DE  MAYENCE  i:î7 

ments  ne  sont  pas  le  fruit  de  sa  méditation  personnelle,  ils  faisaient 
partie  de  la  tradition  scolastique  elle-même,  ils  venaient  de  Pseudo- 
Denis, qui  passait  pour  un  Père  authentique  et,  orthodoxe  et  sur  lequel 
Albert  a  même  écrit  un  commentaire.  Jamais,  dans  ses  ouvrages  théo- 
logiques,  il  ne  résout  los  questions  par  la  spéculation,  il  les  résout 
iheologice,  c'est-à-dire  d'après  l'autorité  des  Pères  ;  «  quand  il  s'agit  des 
choses  de  Dieu,  dit-il,  la  foi  vient  avant  l'intelligence,  les  autorités  avant 
le  raisonnement  ».  Les  dogmes  par  eux-mêmes  sont  l'expression  de  la 
vérité  divine,  mais  on  peut  en  démontrer  la  rationabilité,  car  il  est  im- 
possible qu'il  y  ait  désaccord  entre  la  raison  et  la  révélation.  C'est  là  le 
principe  fondamental  de  la  théologie  scolastique.  Les  principaux  ou- 
vrages théologiques  d'Albert  le  Grand  sont  une  Summa  theologise,  des 
commentaires  sur  les  sentences  de  Pierre  le  Lombard,  sur  différents 
livres  de  la  Bible  et  sur  l'Aréopagite.  11  se  forma  une  école  d'albertistes, 
qui  propagea  surtout  ses  principes  philosophiques;  en  théologie,  son 
disciple  le  plus  célèbre  fut  Thomas  d'Aquin.  —  Voy.  Bist.  lit  t.  de  la 
France,  t.  XIX;  Rousselot,  Etudes  su?'  la  philosophie  dans  le  moyen  âge, 
Paris,  1841,  t.  II,  p.  178  ss.  ;  Hauréau,  De  la  philosophie  scolastique, 
t.  Il,  p.  1  SS.  Ch.  Schmidt. 

ALBERT  DE  MAYENCE,  fds  de  l'électeur  Jean  de  Brandebourg,  naquit 
en  1490.  Nommé  en  1513  archevêque  de  Magdebourg  et  administrateur 
de  l'évêché  d'Halberstadt,  il  devint  en  outre,  en  1514,  archevêque  de 
Mayence,  primat  de  Germanie  et  électeur  du  saint-empire;  en  1518  il 
fut  élevé  à  la  pourpre  romaine.  Gomme  par  suite  de  trois  vacances  suc- 
cessives (1505,  1508,  1513),  Mayence  avait,  en  moins  de  huit  ans,  payé 
trois  fois  le  pallium,  Albert  ne  fut  nommé  à  ce  siège  qu'à  la  condition 
d'acquérir  son  pallium  à  ses  propres  frais.  Il  dut  emprunter  30,000  du- 
cats aux  fameux  banquiers  Fugger  d'Augsbourg,  et,  pour  les  rembour- 
ser, il  obtint  de  Léon  X  la  ferme  de  la  vente  des  indulgences  en  Alle- 
magne. L'instruction  qu'il  rédigea  pour  cet  effet  tient  40  pages  in- 
quarto,  d'une  impression  très-serrée;  c'est  un  chef-d'œuvre  de 
raffinement  et  de  cynisme,  pour  exploiter  les  vivants  et  les  morts.  Le 
dominicain  Jean  Tetzel  s'y  conforma  si  bien,  qu'il  provoqua  les  95  thèses, 
qui  furent  le  premier  acte  de  la  Réformation  (31  oct.  1517).  Luther  les 
envoya  à  Albert,  accompagnées  d'une  lettre  où  l'humilité  monacale 
s'allie  à  une  noble  hardiesse.  Celui-ci  n'y  répondit  point  et  ne  prit  au- 
cune part  officielle  au  débat  ;  mais  la  vente  fut  enrayée  et  le  cardinal  ne 
put  empêcher  la  Réforme  de  pénétrer  dans  ses  diocèses  de  Magdebourg 
et  d'Halberstadt.  «  Brocanteur  de  l'empire,  »  il  se  fit  payer  fort  cher  sa 
voix  et  ses  intrigues  pour  l'élection  de  Charles-Quint  (1519).  Lorsque 
Luther  fut  enfermé  à  la  Wartbourg,  Albert  voulut  reprendre  son  pro- 
ductif trafic  ;  mais  le  réformateur  lui  écrivit  aussitôt,  le  menaçant,  s'il 
nt-  ^  arrêtait,  de  livrer  à  la  publicité  sa  «  réprimande  publique  »  Contre 
l  Id<>le  de  Balle.  La  réponse  de  l'archevêque  fut  humble  et  soumise. 
«...  Je  me  conduirai  désormais  comme  il  convient  à  un  prince  pieux... 
Je  sais  qu'il  n'est  rien  de  bon  en  moi,  sans  la  grâce  de  Dieu,  et  que  je 
ne  suis,  par  moi-même,  qu'un  vil  et  infect  fumier...  Je  souffre  volon- 
tiers une  réprimande  fraternelle  et  chrétienne...  »  (21  déc.  1521).  On 


138  ALBERT  DE  MA YENCE  —  ALBERT  DE  BRANDEBOURG 

conçut  un  moment  l'espoir  de  gagner  le  prélat  à  la  Réforme:  il  avait 
ouvert  la  cathédrale  de  Mayence  à  la  prédication  évangélique  de  Capiton 
et  donné  l'hospitalité  h  Ulric  de  Hutten;  Luther,  qui  pourtant  ne  par- 
tagea jamais  cette  illusion,  l'engagea  (1525)  à  se  marier  et  à  séculariser 
son  électorat  ;  mais  le  cardinal  n'avait  pas  le  caractère  assez  fortement 
trempé  pour  une  aussi  grande  entreprise.  Il  aimait  et  protégeait  les 
lettres  et  les  sciences  et  ne  manquait  pas  d'une  certaine  culture.  Libéral 
et  fastueux,  doux  et  bienveillant,  il  a  été  un  Léon  X  allemand,  proté- 
geant les  arts  religieux,  ornant  les  églises,  collectionnant  des  reliques 
et  se  plaisant  à  dire  :  Dilexi  decorem  domus  Dei.  Il  eût  volontiers  con- 
senti à  une  réforme  disciplinaire  et  scientifique,  dans  le  sens  de  son 
ami  Erasme;  mais,  comme  Léon  X,  il  était  frivole  et  corrompu,  privé 
de  tout  sens  moral  et  manquant  absolument  de  convictions  religieuses. 
C'est  lui  qui  appela  le  premier  les  jésuites  en  Allemagne.  Il  mourut  à 
Mayence,  le  24  septembre  1545.  Ch.  Pfender. 

ALBERT  DE  BRANDEBOURG,  premier  duc  de  Prusse,  était  le  troisième 
des  dix  fils  du  margrave  Frédéric.  Né  le  17  mai  1490,  il  entra  le  13  fé- 
vrier 1511  dans  l'ordre  teutonique  dont  il  devint  grand  maître  le  jour 
suivant.  A  l'exemple  de  son  prédécesseur,  il  refusa  de  prêter  serment 
à  son  oncle  Sigismond,  roi  de  Pologne;  la  guerre  éclata  en  1519.  Après 
des  alternatives  de  succès  et  de  revers,  Albert,  qui  n'était  pas  un  grand 
capitaine,  dut  se  résigner  (1521)  à  une  trêve  de  quatre  ans,  et  céder  à  la 
Pologne  onze  villes  avec  leurs  territoires.  Pour  obtenir  l'appui  de 
l'Allemagne,  il  se  rendit  (1522)  à  la  diète  de  Nuremberg,  et  c'est  dans 
cette  ville  qu'il  fut  amené  à  la  connaissance  de  l'Evangile  par  les  pré- 
dications d'André  Osiander,  «  son  père  spirituel.  »  En  1524,  il  vit 
Luther  à  Wittemberg,  et  le  réformateur  lui  conseilla  «  de  répudier  la 
règle  absurde  et  confuse  de  son  ordre,  de  se  marier  et  d'ériger  la 
Prusse  en  duché.  »  Le  prince  sourit  et  ne  répondit  rien  ;  mais  ce 
conseil  lui  plut.  Resté  en  rapport  avec  Luther,  devenant  chaque  jour 
plus  ferme  dans  sa  foi,  voyant  d'ailleurs  qu'il  n'avait  aucun  secours  à 
espérer  de  l'Allemagne  et  sûr  de  l'approbation  de  son  peuple,  Albert 
prêta  serment  à  Sigismond,  le  10  avril  1525,  et  sécularisa  les  biens  de 
l'ordre.  Déjà  la  Réforme  avait  pénétré  dans  la  Prusse,  sous  les  auspices 
de  l'évêque  de  Samland,  George  de  Polenz  (depuis  1523),  assisté  de  Jean 
Brismann  et  de  Paul  Speratus.  Dès  1526,  elle  fut  établie  dans  tout  le 
duché,  sauf  l'Ermland.  Sur  le  conseil  de  Luther,  Albert  se  maria,  le 
24  juin  1526,  avec  Dorothée,  fille  du  roi  Frédéric  Ier  de  Danemark,  la- 
quelle, «  si  elle  n'avait  été  qu'une  pauvre  servante,  n'aurait  pu  être 
plus  humble,  plus  fidèle  et  d'un  amour  plus  inaltérable.  »  Quelques 
chevaliers  de  l'ordre,  qui  avaient  refusé  d'accepter  la  sécularisation, 
se  joignirent  à  ceux  de  l'Allemagne  et  élurent  grand  maître  Walter 
de  Cromberg.  Albert  fut  cité  devant  l'empereur ,  sous  l'accusation 
d'apostasie  et  de  spoliation.  Malgré  les  efforts  du  roi  de  Pologne,  il  fut 
mis  au  ban  de  l'empire  (1531).  En  1534,  il  entra  dans  la  ligue  de  Smal- 
calde.  Il  travailla  constamment  à  améliorer  l'état  des  églises  et  des 
écoles  ;  il  eut  une  correspondance  suivie  avec  les  hommes  principaux 
de  la  Réforme  (tels  que  Luther,  Mélanchthon,Camerarius,  Bugenhagen, 


ALBERT  DE  BRANDEBOURG  -  ALBRET       n«.) 

Jonas.  Brenz,  Spalatin,  Osiander  et  autres)  et  avec  les  savants  les  plus 
célèbres  de  sou  temps.  Luther  l'appelle  principem  Evangelio  studio- 
gi&imum,  heroem  inclyfum,  nu'  douât inn  est  eodem  spiritu  ut  cogitet  quar 
principe  digna  stmt.  ÈD  l-Vri,  il  fonda  l'université  de  Kœnigsberg  ; 
jamais  il  ne  voulut  Consentir  à  introduire  l'Intérim  dans  ses  Etats.  La 
vieillesse  d'Albert  fut  attristée  par  des  intrigues  politiques  et  des  dis* 
putes  religieuses  (sur  le  baptême  contre  Gnapheus;  sur  la  justification 
par  la  foi  contre  Osiander).  Fatigué,  brisé,  voyant  son  fils  infirme  de 
corps  et  d'esprit  et  incapable  de  régner,  mené  par  un  favori  escroc  et 
faussaire,  Paul  Scalich,  il  se  vit  enlever  toute  autorité  par  une  com- 
nii>sion  polonaise  que  soutenait  la  noblesse;  son  confesseur,  Jean 
Punk,  fut  décapité  et  plusieurs  de  ses  conseillers  condamnés.  Albert 
mourut  le  20  mars  1568,  âgé  de  soixante-dix-huit  ans,  après  avoir 
régné  cinquante-sept  ans,  dont  quarante-trois  comme  duc  de  Prusse 
(Bock,  Leben  des  Margrafen  Albrecht  ;  Voigt,  Geschichte  Preussens). 

Ch.  Ppender. 

ALBI  (Tarn)  [Civitas  Albigensium,  Albiga,  Albia],  jadis  évêché  suffra- 
gant  de  l'archevêché  de  Bourges,  connu  depuis  le  cinquième  siècle 
depuis  1678  archevêché,  ayant  pour  sufFragants,  avant  1790,  les  évêchés 
de  Cahors,  Castres,  Mende,  Rodez  et  Vabre,  et  depuis  1822  ceux  de 
Cahors.  Mende,  Perpignan  et  Rodez.  En  1790,  Albi  redevint  simple 
évêché,  lequel  fut  supprimé  de  1802  à  1822.  Un  synode,  réuni  à  Albi 
en  1254,  renouvela  les  prescriptions  de  celui  de  Toulouse  (1229),  en 
organisant  l'inquisition  dans  toutes  les  paroisses  (Mansi,  XXIII,  829  ss.  : 
Hefele,  VI,  p.  40  ss.,  trad.  fr.,  VIII,  p.  461  ss.).  L'église  cathédrale 
de  Sainte-Cécile,  en  briques,  est  un  remarquable  modèle  d'église  for- 
tifiée. Elle  a  été  construite  de  1282  à  1512.  L'église  collégiale  de 
Saint-Salvi  (treizième  siècle)  conserve  le  nom  d'un  saint  évêque,  mort 
en  584  (Gallia  chr.,  I;  d'Auriac,  Hist.  de  la  cathédr.  et  des  évêques 
d'Albi,  1858). 

ALBIGEOIS.  Voyez  Cathares. 

ALBIZZI  (Barthélémy),  moine  franciscain,  plus  connu  sous  le  nom 
latin  de  Bartholomœus  Albicîus  Pisanus,  est  l'auteur  du  Liber  conforma 
tatum  sancti  Francisci  cum  Christo,  ouvrage  dont  la  première  édition 
parut,  vers  la  fin  du  quinzième  siècle,  à  Venise,  sans  date  et  sans  nom 
d'imprimeur,  et  qui  a  été  réimprimé  depuis  en  divers  lieux  avec  des 
changements  et  sous  différents  titres.  L'auteur  y  a  recueilli  sans  discer- 
nement et  reproduit,  avec  une  exagération  que  son  enthousiasme 
pour  la  mémoire  du  fondateur  de  son  ordre  ne  suffit  pas  à  excuser, 
toutes  les  légendes,  même  les  plus  bizarres,  relatives  à  saint  François 
d'Assise.  Outre  quelques  recueils  de  sermons,  on  attribue  encore  à 
Albizzi  un  Liber  con for mi tatum  Virginis  Marix  cum  Christo,  Med., 
1496,  in-4°,  plein  des  mêmes  exubérances  d'une  piété  mystique  unie  à 
une  imagination  désordonnée. 

ALBRET  (Maison  d'j.  Cette  maison,  Tune  des  plus  illustres  du  midi 
de  la  France,  tirait  son  nom  de  la  petite  ville  d'Albret,  aujourd'hui 
Lalait,  et  eut  pour  chef  Amanieu,  sire  d'Albret,  mort  en  1060.  La  sirie 
d'Albret  comprenait  une  partie  du  territoire  dont  on  a  formé  les  dé- 


140  ALBRET 

parlements  du  Gers  et  des  Landes.  Jean  II  d'Albret,  ayant  épousé 
en  1484  Catherine  de  Foix,  héritière  du  trône  de  Navarre,  ce  royaume 
fut  acquis  à  la  maison  d'Albret,  qui  régna  dès  lors  sur  la  Haute- 
Navarre  (Pampelune,  Estella,  Tudela,  Olite,  San  Guesa),  la  Basse- 
Navarre  (Saint-Jean-Pied-de-Port),  leBéarn  (Pau,  Orthez,  Oleron,  Lescar, 
Navarreins),  le  comté  de  Foix  (Foix,  Pamiers,  Tarascon,  Mazères)  et  la 
sirie  d'Albret  (Nérac,  Mont-de-Marsan,  Tartas).  Le  mariage  de  Henri  II 
d'Albret  avec  Marguerite  de  Valois,  sœur  de  François  Ier  et  veuve  du 
duc  d'Alençon,  et  celui  de  sa  fille  Jeanne  d'Albret  avec  Antoine  de 
Bourbon  apportèrent  de  plus  à  la  couronne  de  Navarre  les  duchés  de 
Vendôme,  d'Alençon  et  de  Berry,  les  comtés  de  Marie,  du  Perche, 
d'Armagnac,  de  Rodez,  de  Gomminges ,  etc.,  et  quelques  autres 
seigneuries,  mais  ce  ne  fut  qu'une  faible  compensation  de  la  perte  de 
la  Haute-Navarre  ou  Navarre  espagnole,  dont  s'était  emparé  Ferdinand 
le  Catholique,  roi  d'Aragon,  avec  l'appui  du  pape  Jules  II,  qui  avait 
excommunié  Jean  IL  —  Les  membres  les  plus  connus  de  la  maison 
d'Albret  sont  les  suivants  :  Arnaud,  vicomte  de  Tarbes,  grand  chambel- 
lan de  Charles  V;  Charles,  son  fils,  connétable  en  1402,  du  parti  d'Ar- 
magnac et  tué  à  la  bataille  d'Azincourt  (1415);  Jean  II,  déjà  nommé, 
prince  d'un  esprit  médiocre,  d'un  caractère  insouciant  et  crédule.  C'est 
sous  lui  que  s'opéra  le  démembrement  de  la  Navarre  (1512).  Catherine 
de  Foix,  sa  femme,  ne  lui  ressemblait  en  aucune  manière.  Elle  était 
pleine  de  courage  et  de  résolution.  Jean,  qui  vivait  dans  la  mollesse, 
n'avait  rien  fait  pour  défendre  la  Haute-Navarre  et  il  s'enfuit  de  Pam- 
pelune  à  l'approche  de  l'armée  du  roi  d'Aragon.  Indignée,  Catherine 
refusa  de  le  suivre,  en  s' écriant  :  «  Allez,  vous  avez  été  Jean  d'Albret 
et  vous  redeviendrez  Jean  sans  royaume.  »  Plus  tard  elle  lui  disait 
souvent  :  «  Don  Jean,  si  nous  fussions  nés,  vous  Catherine  et  moi 
Don  Jean,  nous  n'eussions  pas  perdu  la  Navarre.  »  Henri  II,  fils  et 
héritier  de  Jean,  n'avait  que  quatorze  ans  quand  il  perdit  sa  mère 
(1517),  qui  l'avait  fait  élever  avec  le  plus  grand  soin.  Il  parut  tout 
d'abord  fort  supérieur  à  son  père.  Brave,  magnifique,  il  s'exprimait 
avec  grâce  et  facilité.  Aidé  de  Lautrec,  général  de  François  Ier,  il  re- 
conquit la  Navarre  espagnole,  mais  il  ne  put  la  conserver  et  cette  pro- 
vince fut  perdue  à  jamais  pour  sa  couronne.  Il  n'en  demeura  pas  moins 
fort  reconnaissant  envers  le  roi  de  France  du  concours  qu'il  lui  avait 
prêté,  combattit  courageusement  à  ses  côtés  à  Pavie  (1525)  et  partagea 
son  triste  sort.  Ses  sujets  réunirent  31,000  écus  d'or  pour  sa  rançon, 
mais  Charles-Quint,  n'ayant  pas  trouvé  la  somme  suffisante,  Jean  de 
Gassion,  qui  l'avait  apportée  du  Béarn,  s'en  servit  pour  corrompre  les 
geôliers  de  son  maître  et  réussit  à  le  faire  évader.  Pour  prix  du  dévoue- 
ment et  de  la  valeur  de  Henri  II,  François  Ier  lui  accorda  la  main  de  sa 
sœur  Marguerite  (24  janv.  1527).  L'âge  des  deux  époux  était  assez  dis- 
proportionné. La  nouvelle  reine  avait  trente-cinq  ans  et  son  mari  vingt- 
quatre  seulement.  Marguerite  fut  accueillie  avec  joie  par  les  Navarrais, 
car  elle  apportait  une  grande  alliance,  un  domaine  considérable  et,  ce 
qui  frappe  plus  encore  les  multitudes,  beaucoup  d'affabilité  et  de  grâce. 
Secondant  puissamment  son  mari  dans  le  gouvernement  de  ses  Etats, 


ALBRET  141 

ils  s'appliquèrent  ensemble  à  organiser  une  bonne  police  et  à  protéger 
ragrieulture  el  l'industrie.  Us  construisirent  également  le  magnifique 
château  de  l'an.  Marguerite,  qui  penchai!  vers  les  idées  luthériennes, 
les  favorisa  tir  toul  son  pouvoir  à  sa  cour.  Ce  fut  auprès  d'elle  que  se 
réfugia  Clément  Marot,  compromis  dans  l'affaire  des  placards,  Calvin 
(1534),  le  savant  et  infortune  Etienne  Dolet,  le  pieux  professeur  Lefèvre 
d'Etaples  qu'elle  pourvul  de  l'abbaye  de  Clairac,  et  Gérard  Roussel, 
qu'elle  til  nommer  évoque  d'Oleron.  Egalement  passionnée  pour  les 
lettres,  elle  accueillit  avec  empressement  plusieurs  écrivains  et  littéra- 
teurs, tels  que  Des  Perriers,  Claude  Gruget,  Antoine  Du  Moulin,  Jean  de 
la  Haye  (Silvius)  et  d'autres  encore.  Le  roi  de  Navarre,  homme  naturel- 
lement rude,  ne  comprenait  pas  cette  communion  morale  et  intellec- 
tuelle que  Marguerite  entretenait  avec  ces  hommes  d'élite  et  lui  en 
témoigna  un  jour  un  tel  mécontentement  qu'il  la  souffleta  en  lui  disant  : 
«  Madame,  vous  voulez  trop  savoir.  »  Marguerite  néanmoins  parvint  à 
le  ramener  à  des  sentiments  plus  chrétiens  et  plus  doux,  et  on  le  vit 
chanter  comme  la  reine  les  psaumes  de  Marot,  écouter  le  prêche  et 
assister  à  la  célébration  de  la  Cène.  François  Ier  étant  mort  sur  ces 
entrefaites,  Marguerite  en  eut  un  tel  chagrin  qu'elle  ne  lui  survécut 
que  deux  ans.  Elle  mourut  en  1549,  vivement  regrettée  de  ses  sujets 
et  également  de  son  mari,  qui  avait  apprécié  à  la  longue  ses  rares 
qualités  d'esprit  et  de  cœur.  Quant  à  ce  dernier,  il  nourrissait  toujours 
T  espoir  de  recouvrer  la  Haute -Navarre.  Par  sa  sage  administration,  il 
s'était  ménagé  d'importantes  ressources  sans  pressurer  son  peuple,  et 
allait  tirer  l'épée  quand  il  mourut  en  Gascogne,  âgé  seulement  de 
cinquante-deux  ans.  Ses  sujets  le  pleurèrent,  car  sous  la  rudesse  de 
son  caractère  «  il  portait,  dit  Th.  Muret,  le  cœur  d'un  souverain,  la 
«  conscience  de  ses  devoirs  royaux,  le  vrai  sentiment  populaire,  la  rigide 
«  droiture  d'un  bon  justicier  qu'aucune  considération  n'arrêtait.  »  Il 
eut  de  Marguerite  quatre  enfants,  trois  filles  et  un  fils,  dont  un  seul 
survécut,  Jeanne.  Née  le  7  janvier  1528,  Jeanne  d'Albret  n'était 
âgée  que  de  deux  ans  et  quelques  mois  quand  François  Ier,  qui 
avait  sacrifié  à  l'Espagne  parle  traité  deCambrayles  intérêts  de  la  mai- 
son  de  Navarre  et  craignait  que  Henri  II  ne  se  rapprochât  de  son  an- 
cienne ennemie,  exigea  que  la  future  héritière  du  trône  de  Navarre  fût 
élevée  sous  ses  yeux  au  château  de  Plessis-les-Tours.  Cette  contrainte 
toutefois  ne  nuisit  en  rien  à  l'éducation  de  la  jeune  princesse  dont 
tous  les  maîtres  furent  choisis  par  sa  mère.  Douée  de  beaucoup  d'intel- 
ligence, d'une  heureuse  mémoire  et  d'une  raison  supérieure,  la  jeune 
tille  tit  de  rapides  progrès  dans  ses  études  et  apprit  non-seulement 
le  fiançais,  le  béarnais  et  l'espagnol,  mais  encore  le  latin  et  le  grec. 
Quand  elle  eut  douze  ans,  François  1er.,  poussé  encore  par  des  vues 
politiques,  la  maria  contre  son  gré  et  celui  de  ses  parents  avec  le  duc 
Guillaume  de  Clèves  et  de  Gueldre,  ennemi  de  Charles-Quint  (15  juil- 
Ift  1540).  Ce  mariage  de  pure  forme  et  tout  politique  fut  annulé  par 
1«'  pape  trois  ans  après,  à  la  suite  des  revers  et  de  la  défection  du  duc 
de  Clèves.  François  [«  reprit  alors  un  projet  qu'il  avait  conçu  précé- 
demment, celui  de  marier  Jeanne  avec  Antoine  de  Bourbon,  duc  de 


442  ALBRET 

Vendôme,  pour  qui  du  reste  elle  avait  un  secret  penchant  et  dont  elle 
était  aimée.  Henri  II  souleva  d'abord  quelques  objections  tirées  de  la 
prodigalité  bien  connue  d'Antoine,  mais  il  finit  par  céder  (20  oct.  1548) 
sur  la  promesse  que  lui  fit  François  Ier  de  s'employer  de  tout  son 
pouvoir  à  le  rétablir  dans  ses  Etats  de  delà  les  monts.  Jeanne  perdit 
successivement  deux  fils,  mais  elle  eut  le  bonheur  d'en  conserver  un 
troisième  qui  naquit  à  Pau  le  13  déc.  1553  et  devint  le  roi  Henri  IV. 
Le  jeune  prince  fut  élevé  comme  un  enfant  béarnais.  On  le  plaça  en 
nourrice  à  la  campagne  et,  comme  il  était  d'une  constitution  robuste, 
il  acquit  une  grande  vigueur,  en  même  temps  que  se  développèrent 
chez  lui  le  courage  et  cette  vivacité  qui  ne  l'abandonnèrent  jamais.  Son 
grand'père  se  plaisait  à  dire  qu'il  serait  un  lion  généreux.  Jeanne  eut 
encore  deux  filles,  mais  une  seule  survécut,  Catherine,  née  le  7  fév.  4659. 
Dès  après  la  mort  de  Henri  II  d'Albret,  dont  elle  était  l'unique  héritière, 
le  roi  de  France  Henri  II,  qui  voulait  la  dépouiller  de  ses  domaines,  lui 
offrit,  en  échange  de  leur  cession,  des  terres  équivalentes  situées  dans 
l'intérieur  de  la  France,  mais  elle  sut  parer  habilement  le  coup  et 
abrita  son  refus  derrière  la  répugnance  insurmontable  des  états  géné- 
raux de  son  royaume,  qu'elle  convoqua  à  cet  effet  et  qu'elle  avait  eu 
le  soin  de  gagner  d'avance  à  sa  cause.  Gomme  Marguerite  sa  mère, 
Jeanne  favorisa  la  Réforme.  Son  mari  fit  de  même  et  allait  plus  loin 
encore,  car  il  ne  voyageait  jamais  sans  son  aumônier.  Cette  conduite 
rendit  Jeanne  suspecte  à  la  cour  de  France,  mais,  douée  d'une  énergie 
supérieure  à  son  sexe,  elle  demeura  ferme  dans  sa  foi  et  repoussa 
toutes  les  tentatives  que  fit  le  cardinal  Georges  d'Armagnac  pour  in- 
troduire l'inquisition  dans  ses  Etats.  Après  l'entreprise  d'Amboise,  son 
mari  fut  arrêté  et  une  armée  espagnole  se  mit  en  marche  pour  envahir 
ses  domaines,  mais  la  mort  de  François  II  changea  subitement  la  face 
des  choses.  Antoine  de  Rourbon  fut  nommé  lieutenant  général  du 
royaume  et  fit  venir  à  Paris  sa  femme  et  ses  enfants.  Ce  bonheur  fut 
de  courte  durée.  Habilement  circonvenu  et  flatté  dans  les  plus  viles 
passions,  Antoine  renia  sa  foi,  se  mit  à  la  tête  du  parti  catholique  et 
«  tout  ce  que  les  larmes  de  sa  femme  purent  obtenir  de  lui,  dit 
Varillas,  fut  d'aller  dans  sa  principauté  de  Réarn  vivre  à  la  calvi- 
niste »  (juil.  1562).  Jeanne  n'eut  garde  de  s'y  soustraire.  Elle  fit  venir 
une  vingtaine  de  ministres,  qui  parlaient  le  basque  et  le  béarnais,,  pour 
annoncer  l'Evangile  à  ses  peuples  dans  les  deux  langues,  transforma 
les  églises  en  temples  et  les  monastères  en  écoles,  employa  les  revenus 
ecclésiastiques  au  soulagement  des  pauvres  et  à  l'entretien  des  pasteurs, 
et  transféra  l'académie  de  Lescar  à  Orthez  et  y  appela  des  professeurs 
distingués.  Mais  où  elle  dépassa  les  limites  et  ne  comprit  point  les  condi- 
tions de  la  liberté,  c'est  lorsqu'elle  défendit  l'exercice  public  de  la 
religion  romaine  dans  ses  Etats.  La  mort  d'Antoine  de  Rourbon 
(17  nov.  1562),  qui  ne  fut  sincèrement  pleuré  que  par  elle,  ne  changea 
rien  à  ses  desseins,  et  elle  sut  préserver  ses  Etats  des  atteintes  des 
deux  premières  guerres  de  religion.  Mais  ses  ennemis  ne  sommeillaient 
point.  Le  cardinal  d'Armagnac,  poussé  par  le  pape  Pie  IV,  lui  écrivit 
de  revenir  à  la  religion  de  ses  pères.  Sur  son  refus,  le  souverain  pontife 


ALBRET  —  ALCANTARA  143 

la  cita  à  Comparaître  devant  le  tribunal  de  l'inquisition  (28  sept.  1S83). 

Mais  Gharles  IX,  inslrnit  des  faits  et,  conseillé  par  le  chancelier  de 
L  Hospital,  fit  des  représentations  au  pape,  qui  consentit  à  révoquer  sa 
bulle.  La  troisième  guerre  de  religion  ayant  éclaté  (25  août  1568), 
Jeanne  ne  pu!  plus  compter  sur  la  protection  du  roi  de  France  et  se  vit 
obligée  de  chercher  un  asile  à  la  Rochelle  avec  son  fds  Henri  de 
Navarre  qui,  à  dater  de  cette  époque,  ne  quitta  plus  les  armées  protes- 
tantes. Bile-même  prit  une  vive  part  à  la  lutte,  engageant  toutes  ses 
pierreries  pour  la  soutenir,  relevant  le  courage  des  chefs  lorsqu'ils 
étaient  trahis  par  la  victoire,  visitant  les  hôpitaux,  pansant  les  blessés, 
déployant  une  activité  surhumaine  pour  refaire  des  armées  et  trouvant 
au  milieu  de  ses  occupations  viriles  le  temps  de  composer  des  écrits 
en  faveur  de  la  cause,  d'encourager  les  lettres  et  de  broder  d'admi- 
rables tapisseries,  qui  sont  restées  célèbres.  Ses  sujets  avaient  été  sou- 
levés par  l'ordre  de  Charles  ÏX,  mais  son  lieutenant  Montgomméry , 
qu'elle  envoya  en  Béara,  fut  assez  heureux  pour  remettre  toutes  choses 
en  leur  ancien  état.  La  paix  ayant  été  signée  en  août  1570,  Gharles  IX 
mit  tout  en  œuvre  pour  attirer  Jeanne  et  son  fils  à  la  cour.  Douée  d'une 
rare  perspicacité  et  d'une  connaissance  profonde  des  hommes  et  des 
choses,  la  reine  de  Navarre  était  remplie  de  sombres  pressentiments, 
mais  obsédée  par  le  roi,  qui  lui  offrit  sa  sœur  Marguerite  pour  femme 

ion  fds  et  l'éventualité  d'une  déclaration  de  guerre  à  l'Espagne,  qui 
lui  permettrait  de  ressaisir  ses  domaines  de  delà  les  monts,  elle  finit  par 

t  et.  après  être  retournée  dans  ses  Etats,  elle  arriva  à  Paris  en  mai 
l.*)7w2.  Elle  n'y  était  que  depuis  quelques  semaines  quand  elle  mourut 
d'une  manière  presque  subite  à  l'âge  de  quarante-quatre  ans  (9  juin  1572). 
bavila,  l'Etoile,  d'Aubigné,  les  Mémoires  de  Gharles  IX,  Olhagaray 
et  d'autres  graves  historiens  assurent  qu'elle  fut  empoisonnée.  Elle 
montra  à  ses  derniers  moments  la  plus  entière  soumission  à  la  volonté 
(!••  Dieu.  Dans  son  testament,  qu'elle  dicta  d'un  esprit  ferme  et  lucide, 
elle  supplie  son  fils  de  persévérer  dans  la  religion  évangélique  et  «  d'y 
conformer  ses  mœurs,  »  lui  recommande  de  servir  de  père  à  sa  sœur 
Catherine,  d'aimer  le  prince  de  Gondé  comme  son  frère,  et  le  fait  son 
héritier  universel.  Elle  prie  en  même  temps  le  roi  et  la  reine  mère  de 
prendre  ses  enfants  sous  sa  garde  et  de  leur  permettre  le  libre  exercice 
de  leur  religion.  Enfin  elle  termine  en  instituant  le  cardinal  de  Bour- 
bon, son  beau-frère,  et  l'amiral  Goligny  ses  exécuteurs  testamentaires. 
«  Ainsi  mourut  cette  reine,  dit  d'Aubigné,  n'ayant  de  femme  que  le 
L'âme  entière  aux  choses  viriles,  l'esprit  puissant  aux  grandes 
affaires,  le  cœur  invincible  aux  adversités.  »  — Voyez  Haag,  La  France 
l>rol<:stauh:;  Théod.  Muret. ,  But.  de  Jeanne  d'Albret,  etc.,  1862. 

E.   Arnaud. 

ALCANTARA  (Ordre  d').  La  fondation  de  cet  ordre  est  attribuée  à 
quelque-  <  iicvalicrs  de  Salamanque  qui,  l'an  1156,  se  mirent  à  guer- 
royer  contre  les  Maures  aux  environs  de  Giudad-Kodrigo  sur  la  frontière 
de  Portugal,  ayant  i  leur  trie  un  nomme  Don  Suero.  Pour  renforcer 
les  liens  de  l«ur  compagnonnage  ils  se  décidèrent  à  fonder  une  associa- 
tion utilitaire  et  religieuse  a  l'imitation  de  L'ordre  du  Temple  et  de 


144  ALCANTARA  —  ALCUIN 

l'Hôpital.  Ils  obtinrent  à  cet  effet  l'approbation  de  leur  évêque  diocé- 
sain D.  Ordofîo  qui  leur  donna  une  règle  tirée  de  la  règle  de  Citeaux. 
Le  nouvel  ordre  s'intitula  d'abord  San-Julian  del  Perero  du  nom  d'un 
ermitage  situé  sur  les  bords  de  la  Coa,  à  huit  lieues  de  Giudad-Rodrigo, 
auprès  duquel  les  frères  avaient  construit  un  fort.  En  1217,  le  roi 
Alphonse  IX  ayant  conquis  la  ville  d'Alcantara  sur  les  Maures  en  fit 
donation  à  D.  Martin  Fernandez,  maître  de  Calatrava,  qui,  dans  l'impos- 
sibilité de  tirer  parti  de  cette  donation,  la  céda  aux  chevaliers  de  San- 
Julian  del  Perero  qui  dès  lors  prirent  le  titre  de  chevaliers  d'Alcantara. 
Le  but  de  l'ordre,  tel  qu'il  fut  défini  par  les  bulles  d'Alexandre  III  et 
de  Gélestin  III,  était  la  défense  de  la  foi  chrétienne  contre  les  infidèles, 
en  particulier  contre  les  musulmans  d'Espagne.  Les  chevaliers  faisaient 
les  trois  vœux  d'obéissance,  de  pauvreté  et  de  chasteté.  Plus  tard  ils 
furent  autorisés  à  se  marier,  mais  ils  eurent  en  revanche  à  défendre  le 
dogme  de  l'immaculée  conception  de  la  Vierge.  En  1494,  les  rois  catho- 
liques, Ferdinand  et  Isabelle,  par  un  accord  passé  avec  le  grand  maître 
Juan  de  Zuniga,  attribuèrent  à  la  couronne  la  maîtrise  de  l'ordre  d'Al- 
cantara, comme  ils  l'avaient  fait  deux  ans  auparavant  pour  les  deux 
autres  ordres  militaires  de  Calatrava  et  de  Santiago.  Dès  lors  les  affaires 
de  l'ordre  furent  administrées  par  le  pouvoir  royal,  aidé  du  conseil 
spécial  des  ordres  militaires.  Après  l'occupation  française  du  com- 
mencement de  ce  siècle,  l'ordre  d'Alcantara  perdit  le  peu  d'importance 
que  lui  avaient  assuré  jusqu'alors  ses  propriétés  territoriales.  Ce  n'est 
plus  maintenant  qu'une  décoration  militaire.  —  Bibliographie  :  Difini- 
ciones  y  establecimientos  de  la  orden  y  cavalleria  d'Alcantara,  Madrid, 
1609,  in-f°  (il  y  a  une  édit.  antérieure  de  1569  et  une  édition  augmentée 
de  1662)  ;  Privilégia  selectiora  militise  sancti  Iuliani  de  Pereiro 
(hodie  de  Alcantarà)  cisterciensis  ordinis,  etc.,  opéra  Dris  Fr.  Ioannis 
Galderon  de  Robles,  Matriti,  1662,  in-f°;  Coronica  de  la  orden  de 
Alcantarà  que  en  su  principio  se  llamo  de  San  Julian  del  Pereiro  y  de 
Truxillo,  por  el  licd0  D.  Fr.  Alonzo  de  Torres  ;  2  t.  in-f°,  s.  1.  n.  d.  Cet 
ouvrage  ne  mène  l'histoire  de  l'ordre  que  jusqu'en  1516. 

ALCHIMIE.  Voyez  Sciences  occultes. 

ALCUIN,  ou,  comme  il  aimait  à  s'appeler,  Albinus,  naquit  vers  735  à 
York  ;  il  suivit  l'école  attachée  à  la  cathédrale  de  cette  ville  et  dirigée 
par  le  prêtre  Aelbert,  qui  était  renommé  pour  son  savoir.  Quand 
Aelbert,  qu'il  accompagna  lors  d'un  voyage  à  Rome  pour  y  chercher 
des  manuscrits,  fut  devenu  archevêque  d'York,  il  lui  succéda  dans  la 
direction  de  l'école.  En  780,  à  la  mort  d'Aelbert,  le  nouveau  prélat 
Eanbald,  désirant  avoir  le  pallium,  chargea  Alcuin  d'aller  le  demander 
au  pape.  En  revenant  de  Rome,  en  781,  le  savant  anglo-saxon  se  ren- 
contra à  Parme  avec  Charlemagne,  qu'il  avait  déjà  vu  dans  une  occa- 
sion précédente.  Le  roi,  qui  aimait  à  attirer  en  France  des  hommes 
instruits  pour  lui  aider  à  relever  le  clergé  et  la  nation  de  leur  ignorance, 
l'invita  à  s'établir  auprès  de  lui.  Il  y  consentit  ;  dès  782  il  vint  à  la  cour 
avec  quelques-uns  de  ses  disciples.  Il  devint,  selon  l'heureuse  expres- 
sion de  M.  Guizot,  le  ministre  intellectuel  de  Charlemagne,  qui 
pour  le  retenir  lui  donna  l'abbaye  de  Ferrières,  et  celle  de  Saint-Loup  à 


ALCUIN  445 

Troyes.  Il  dirigea  les  études  du  roi  et  l'instruction  de  ses  enfants  et  de 
quelques  jeunes  nobles.  Ce  fut  sous  son   inspiration  qu'en  787  Charle- 
magne   adressa   aux   évêques  francs  une  lettre-circulaire,    pour  leur 
recommander  de  prendre  des  mesures  pour  répandre  les  connaissances 
littéraires,  comme  première  base  des  connaissances  théologiques.  Après 
un  nouveau  séjour  en  Angleterre,  Alcuin  entreprit,  sur  le  vœu  du  roi,  la 
réfutation  de  L'adoptianisme  qui,  venu  d'Espagne,    avait  trouvé  quel- 
ques  partisans  dans  la  France  méridionale.  Au  concile  de  Francfort 
de  7'.)'»,  où  fut  traitée  aussi  cette  question,  il  parut  comme  délégué  de 
l'Eglise  anglicane  ;  ses  ouvrages  contre  les  adoptiens  sont  écrits  avec 
modération,  et  non  sans  une  certaine  sagacité   théologique.  Dans  les 
discussions  provoquées  en  France  par  les  canons  du  concile  de  Nicée 
de  7S7.  qui  avait  rétabli  le   culte'  des  images  dans  l'Eglise  grecque, 
Alcuin  fut  un  des  adversaires  les  plus  décides  de  cette  superstition  ;  il 
concourut  à  toutes  les  décisions  qui  furent  prises  pour  l'écarter.  Lors 
de  son  retour  en  Angleterre,  il  assista  au  concile  qui   se  prononça 
contre  l'adoration  des  images  ;  elle  fut  rejetée  de  même  par  le  concile 
de   Francfort  de  794  dont  il  vient  d'être  parlé.  Ce  n'est  qu'à  propos 
de  la  conversion  des  Saxons  que  Gharlemagne  ne  suivit  pas  les  avis  de 
son  conseiller  ;  Alcuin,  supérieur  en  ceci  au  roi  et  au  siècle,  aurait 
voulu  qu'on  envoyât  en  Saxe  des  missionnaires  instruits  et  charitables 
pour  instruire  les  habitants,  au  lieu  d'imposer  à  ceux-ci  le  baptême 
par  la  force.  En  796,  il  demanda  l'autorisation  de  quitter  la  cour  et  les 
affaires  ;  il  put  se  retirer  dans  l'abbaye  de  Saint-Martin  de  Tours,  que 
Gharlemagne  lui  conféra  et  qui  était  une  des  plus  riches  du  royaume  ; 
elle  avait  sur  ses  domaines  plus  de  20,000  colons  et  serfs.  Dès  lors,  il 
s'occupa  surtout  de  l'école  de  Tours,  à  laquelle  il  imprima  une  direc- 
tion qui  en  fit  pendant  longtemps  une  des  plus  savantes  du  pays. 
Comme  les   livres  manquaient  en  France  et  que  le  peu  qu'on  en  avait 
était  très-incorrect,  Alcuin  envoya  un  de   ses  disciples  en  Angleterre 
pour  en  rapporter  des  manuscrits  meilleurs.  Il  corrigea  lui-même  le 
texte  corrompu  de  la  Vulgate,  et  fit  faire  des  travaux  semblables  pour 
d'autres  ouvrages  ;  à  mesure  qu'une  révision  était   faite,  on  en  trans- 
mettait des  copies  aux   principales  églises  et  abbayes  ;  c'est  ainsi  que 
se  formèrent  alors  quelques  bibliothèques  assez  considérables.  Alcuin 
mourut  en  804.  Ses  écrits,  assez  nombreux,  témoignent  de  l'étendue 
de  ses  connaissances,  tout  en  n'étant  en  partie  que  des  compilations  ; 
mais  à  cette  époque  les  compilations  mêmes  avaient  leur  utilité  :  avant 
de   faire  du  nouveau,  il  fallait  renouer  la  tradition  interrompue  par 
plusieurs  siècles    de  barbarie.    Outre  des  traités    de  grammaire,   de 
rhétorique,  de  dialectique,  pour  les  écoles,  Alcuin  a  laissé  des  Vies  de 
quelques  saints,  des  dissertations  sur  diverses  questions  théologiques, 
des  explications  de  livres  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  des 
poésies  qui,  malgré  l'imperfection  du  style,  contiennent  de  beaux  pas- 
es,  enfin  des  ld tics  qui  sont  de  la  plus  haute  importance  pour  l'his- 
toire deson  temps.  —Alcuini. opéra,  éd.  Duchesne,  Paris,  1 G 1 7 ,  in-f°  ; 
une  édition  plus  complète  fut  donnée  par  l'abbé  Frobénius,Ratisb.,d  777, 
2  vol.  in-f°.  Voy.  Hist.  Utt.  de  la  France,  t.  IV,  p.  529  ss.;  Commentaiio 

F.  10 


116  ALCUIN  —  ALES 

de  vita  Alcuini,  dans  le  1er  vol.  de  Téd.  de  Frobénius;  Lerentz,  Leben 
Alcuins,  Halle,  1829.  Ch.  Schmidt. 

ALDEGONDE  (Sainte)  [Aldegundis],  abbesse  fondatrice  de  Maubeuge, 
est  née  en  630  à  Goursolre,  en  Hainaut,  de  race  royale.  Son  père  se 
nommait  Walbert,  sa  mère  Bertile.  Elle  refusa  le  mariage.  Sainte 
Waudru  (Waldetrudis),  sa  sœur,  était  mariée  à  Madelgaire  ou  saint 
Vincent  ;  ce  dernier  passa  la  fin  de  sa  vie  au  monastère  de  Hautmont, 
et  sa  femme  se  retira  au  couvent  de  Mons.  Elle  invita  sa  sœur  à  la 
rejoindre.  Les  vertus  de  sainte  Aldegonde,  les  visions  qu'elle  eut,  et  les 
miracles  qu'elle  fit,  sont  racontés  dans  ses  Actes,  qui  sont  simples  et 
non  sans  charme  (AA.  S  S.,  30  jan.,  II).  Elle  mourut  vers  684,  après 
avoir  donné  ses  biens  au  couvent  de  bénédictines  qu'elle  avait  fondé  à 
Maubeuge  (Malbodium  ou  Melbodium),  et  qui,  sécularisé  au  treizième 
siècle,  devint  un  chapitre  noble  qui  fut  dispersé  en  1791.  Son  testa- 
ment, publié  parCh.  bu.\i\iev(Rech.  sur  le  Hainaut,  Brux.?  1865,  in-8°, 
p.  268),  porte  des  traces  évidentes  de  faux.  — Voy.  A.  Triquet  :  Som- 
maire de  ta  Vie  de  sainte  Aid.,  Tournay,  1641,  in-8°  ;  nouv.  édit.  avec 
notes  de  A.  Estienne,  Maubeuge,  1837,  in-12. 

ALÉANDRE  (Jérôme)  serait  peu  connu  sans  le  rôle  qu'il  a  joué  en 
Allemagne  dans  les  premières  années  de  la  Réformation.  Il  naquit  en 
1480  à  Motta,  petite  ville  sur  les  frontières  du  Frioul  et  de  l'Istrie  ;  il 
étudia  la  médecine  et  la  théologie,  et  s'acquit  la  réputation  d'être  un 
bon  humaniste  ;  comme  tel  il  enseigna  pendant  quelque  temps  à  l'uni- 
versité de  Paris.  Il  entra  au  service  de  l'évêque  de  Liège,  qui  l'envoya 
à  Rome  pour  solliciter  pour  lui  le  chapeau  de  cardinal  ;  Léon  X,  auquel 
il  plut  par  ses  connaissances  littéraires,  le  retint  et  le  nomma  biblio- 
thécaire du  Vatican.  En  1520  il  fut  un  des  membres  de  la  commission 
qui  rédigea  la  bulle  d'excommunication  contre  Luther  ;  le  pape  le 
chargea,  avec  le  docteur  Eck,  de  la  faire  exécuter  en  Allemagne.  Au 
commencement  de  l'année  suivante  il  parut  comme  nonce  à  la  diète 
de  Worms,  prononça  contre  Luther  un  discours  qui  dura  trois  heures, 
et  fut  un  des  promoteurs  et  auteurs  de  l'édit  qui  mit  le  réformateur  au 
ban  de  l'empire.  Malgré  la  défense  impériale,  Ulric  de  Hutten  et  d'au- 
tres publièrent  contre  Méandre  des  pamphlets  très-vifs.  En  1523,  on  le 
trouve  dans  les  Pays-Bas,  conseillant  les  mesures  les  plus  violentes 
contre  les  partisans  de  la  Réforme.  Clément  VII  le  récompensa  de  ses 
services  par  l'évêché  de  Brindisi.  Il  remplit  encore  plusieurs  missions 
pour  la  cour  de  Rome,  fut  élevé  en  1538  au  rang  de  cardinal  et  mou- 
rut en  1542. 
ALEMBERT  (d').  Voyez  Encyclopédie  (Dictionnaire  de  1'). 
ALEP.  Voyez  Helbon. 

ALES  (Alexandre)  ou  Alesius,  né  à  Edimbourg  en  1500  et  mort  à 
Leipzig  en  1565,  occupe  un  rang  estimable  parmi  les  théologiens  luthé- 
riens du  seizième  siècle.  Il  était  chanoine  de  Saint- Adrews,  lorsque  la 
lecture  des  écrits  de  Luther,  et  plus  encore  ses  relations  avec  Patrik 
Hamilton,  qui  confirma  sa  foi  par  son  martyre,  le  détachèrent  du  catho- 
licisme et  le  décidèrent  à  embrasser  les  principes  de  la  Réforme.  Em- 
prisonné pendant  un  an  sur  des  soupçons  d'hérésie,  Aies  parvint  à 


ALÈS  —  ALEXANDRE  LE  GRAND  147 

s  évader  et  serendil  en  Allemagne,  auprès  deLuthèr  et  dé  IMélanchthoh 
(1532),  dont  il  devinl  le  fidèle  compagnon  d'oeuvre.  Son  premier  écrit 
est  une  Epistola  contra  decrvtUm  quotundafh  Episcoporum  in  Scotia 
(1533),  dan-  laquelle  il  revendique  pour  les  laïques  le  droit  de  lire  la 
Bible  dans  une  langue  qui  leur  esl  Familière.  Le  doeteur  Cochlée  ayant, 
sur  l'instigation  des  evèques  écossais  et  du  roi  Jacques  V,  combattu 
eetle  opinion,  s'attira  une  verte  réplique  de  la  part  de  notre  théologien 
s  onsw  ad  Cocklsèi  calurtiniûs).  Henri  VIH  d'Angleterre  s'étant,  sur 
entrefaites,  décide  à  rompre  avec  la  cour  de  Rome,  son  conseiller 
Oaniner  appela  Aies  à  une  chaire  de  l'université  de  Cambridge  (1542)  ; 
mais  il  dut  se  retirer,  au  bout  de  peu  de  temps,  devant  l'opposition 
qu'il  rencontra  de  la  part  des  catholiques.  Une  discussion  avecl'évèque 
de  Londres  sur  la  valeur  des  sacrements  donna  lieu  à  une  nouvelle 
brochure:  De  aUthbritaté  Verbi  bei\itl%.  Obligé  de  quitter  l'Angle- 
terre où  il  ne  se  sentait  plus  en  sécurité,  Aies  professa  successivement 
la  théologie  à  Francfort-sur-FOder  et  à  Leipzig.  11  publia  un  certain 
nombre  de  commentaires  (saint  Jean,  Timothée,  Tite,  Romains), 
des  traités  dogmatiques  sur  la  justification  et  sur  la  Trinité,  ainsi  que 
des  brochures  de  controverse.  11  soutint  avec  Major  la  nécessité  des 
bonnes  œuvres  pour  le  salut,  et  traduisit  sur  la  demande  de  Cranmer, 
le  Commun  prayer  Book  en  latin.  Aies,  Fami  de  Mélanchthon,  était  un 
espril  à  la  fois  terme  et  conciliant.  Dialecticien  habile  et  savant  judi- 
cieux, il  lit  preuve,  dans  les  luttes  où  il  fut  mêlé  et  dans  les  colloques 
religieux  auxquels  il  prit  part,  d'un  vif  désir  de  rapprocher  les  diverses 
fractions  du  protestantisme,  sans  toutefois  rien  céder  des  droits  de  la 
Write  (V.  Thomas,  Oratio  deAlesio,  Leipz.,  1683). 

ALET  (Aude)  [Civitas  Aletensium,  Flectum,  Electa,  Alerta),  autrefois 
monastère  de  bénédictins,  fondé  en  813  (cœnobium  loti  Electi),  évêché 
suffragant  de  Narbonne  de  1318  à  1790.  Nicolas  de  Pavillon  fut  évêque 
d'Alet  de  1637  à  1677  (Gallia  chr.y  VI). 

ALEXANDRE,  surnommé  LE  GRAND,  fils  de  Philippe,  roi  de  Macédoine 
et  conquérant  de  l'Asie,  monta  sur  le  trône  en  336  et  mourut  à  Baby- 
lone  en  323  avant  Jésus-Christ.  Nous  n'avons  point  à  faire  ici  Fhistoire 
«le  ses  expéditions  et  de  ses  exploits.  Il  ne  touche  à  notre  sujet  que  par 
le  fait  de  sa  visite  à  Jérusalem,  que  raconte  Josèphe  (Antiq.jnd.,  XI, 
vin.  3-6  ,  et  qui  a  donné  matière  à  bien  des  contestations.  Le  récit  de 
Josèphe,  confirmé  dans  ses  grands  traits  parles  traditions  rabbiniques  et 
samaritaines  Derenbourg,  Hist.  de  la  Palestine,  ï,  M  ss.),  a  probable- 
ment un  fond  réel  ;  mais  les  détails  de  l'entrevue  du  grand-prêtre 
Jaddus  avec  le  roi  macédonien  semblent  appartenir  plutôt  au  domaine 
légende  qu'à  celui  de  l'histoire.  Quoi  qu'il  en  soit,  Alexandre  attira 
un  grand  nombre  de  Juifs  à  Alexandrie,  et  c'est  de  son  règne  que 
datenl  les  commencements  de  l'influence  grecque  en  Palestine.  On 
quels  furent  les  résultats  de  ce  contact  de  la  religion 
de  Jéhova  avec  lé  paganisme  hellénique.  L'empire  d'Alexandre  est 
clairement  désigné  dans  le  livre  de  Daniel  (il,  VII,  VIII).  D'après  le 
1"  livre  des  MaccabéeS  (l,  6),  il  fut  partagé  parle  conquérant  lui-même 
Entre  ses   généraux  et   ses  compagnons  d'armes,    renseignement   qui 


148      ALEXANDRE  LE  GRAND  -  ALEXANDRE  II 

n'est  point  en  parfait  accord  avec  le  témoignage  des  auteurs  grecs  et 
latins  (Quint e-Curce,  Arrien,  Plutarque). 

ALEXANDRE  BALA,  originaire  de  Rhodes,  s'étant  fait  passer  pour  le 
fils  d'Antiochus  IV  Epiphane,  usurpa,  en  152  avant  J. -G.,  le  trône  de 
Syrie,  après  avoir  renversé  Démétrius  Soter,  avec  l'appui  de  Ptolémée 
Philométor,  roi  d'Egypte,  d'Attale,  roi  de  Pergame,  et  d'Ariarthe,  roi 
de  Cappadoce.  Il  s'était  aussi  allié  avec  le  Maccabéen  Jonathan 
(1  Macc.  X,  1  ss.),  qu'il  nomma  gouverneur  et  général  en  chef  de  la 
Judée.  Alexandre  régna  pendant  près  de  six  ans,  livré  à  la  paresse  et  à 
la  débauche.  Au  bout  de  ce  temps,  Ptolémée  s'étant  tourné  contre  lui 
et  ayant  envahi  la  Syrie,  l'usurpateur,  battu,  dut  fuir  en  Arabie  où  il 
fut  assassiné  (1  Macc.  XI,  17).  Démétrius  Nicator,  fils  de  Démétrius 
Soter,  occupa  alors  le  trône  de  son  père  (voy.  Justin,  XXXV;  Appian. 
Syr.,  LXV1I  ;  Liv.,  Epit.,  L  ;  Diod.  Sic,  Eclog.,  XXXII). 
ALEXANDRE  JANNÉE.  Voyez  Asmonéens  (les). 

ALEXANDRE  Ier  (Saint),  pape  ou  plutôt  presbytre  de  l'Eglise  de 
Rome.  Irénée  (flœr.,  III,  3,  3)  et  Augustin  (Ep.  53)  le  placent  entre 
Evariste  et  Sixte.  D'après  Eusèbe  (Hist.  ecct.,  IV,  1,  4),  il  fut  évêque  de 
Rome  de  108  à  118,  et  non,  comme  l'on  compte  ordinairement,  de 
109  à  119;  d'après  la  Chronique  d'Eusèbe,  il  occupa  le  siège  épiscopal 
de  103  à  114,  et  d'après  le  Catalogue  libérien  de  109  à  116.  Suivant  les 
Actes  de  son  martyre  (A  A.  SS.,  3  Mai,  I),  il  fut  mis  à  mort  en  l'an  117, 
avec  saint  Eventius  et  saint  Théodule,  sur  la  Via  Nomentana  ;  mais  ces 
Actes  sont  évidemment  inspirés  sinon  par  le  Livre  pontifical  (530),  du 
moins  par  le  Catalogue  léonin  (après  440).  M.  Lipsius  (Chronol.  derrœm. 
Bisch.  bis  z.  4ten  Jhh.  18<ï9,  p.  169)  estime  que  nous  n'avons  pas  de 
raisons  pour  douter  de  l'existence  de  ce  personnage;  mais  il  ne  croit 
pas  qu'il  se  soit  conservé  aucune  tradition  dans  l'Eglise  de  Rome 
touchant  l'époque  de  son  installation,  la  durée  de  son  ministère  et  l'an- 
née de  sa  mort.  — Voy.  Tillemont  et  Pagi  ;  Aube,  Hist.  des  persécutions, 
P.,  1875,  p.  284  ss, 

ALEXANDRE  II,  pape  (1061-1073).  Nicolas  II  étant  mort  le  27  juillet 
1061,  le  parti  impérial  envoya  auprès  de  Henri  IV  une  députation  char- 
gée de  l'inviter  à  intervenir  dans  l'élection  du  pape.  Le  jeune  roi 
réunit  autour  de  lui  les  évêques  lombards,  et  dans  un  synode  assem- 
blé à  Râle,  F  évêque  de  Parme,  Gadalous,  est  élu  et  prend  le  nom 
d'Honorius  IL  Déjà,  le  1er  octobre  1061,  Anselme,  évoque  de  Lucques, 
natif  de  Baggio  près  Milan,  élu  par  tous  les  cardinaux-évèques,  avait  été 
sacré  sous  le  nom  d'Alexandre  IL  L'impératrice  Agnès  envoie,  pour 
frayer  les  voies  à  l'antipape,  un  homme  rusé  et  sans  scrupules,  Benzo, 
évêque  d'Aîba.  Benzo  s'établit  avec  la  faveur  du  peuple  dans  la  cité  Léo- 
nine, quartier  de  la  noblesse,  Alexandre  est  battu  près  du  Vatican,  et 
le  sénateur  Gensius  reçoit  Gadalous  dans  le  château  Saint-Ange,  tandis 
que  le  pape  occupe  le  Gapitole.  Cependant  Godefroy,  duc  de  Toscane, 
se  présente  devant  Rome,  et,  sous  prétexte  de  conciliation,  il  invite  les 
deux  partis  à  attendre  la  décision  de  la  cour  impériale  Au  même  mo- 
ment, l'archevêque  de  Cologne,  Annon,  s'emparait  du  jeune  prince,  et 
réléguait  l'impératrice  dans  un  couvent.  Le  27  octobre  1062,  Annon 


ALEXANDRE  II  —  ALEXANDRE  113  149 

réuni!  un  synode  à  Augsbourg.  Le  cardinal  Pierre  Damien,  ardenl  liil- 
debrandiste,  a  écrit  L'histoire  de  ce  concile.  Le  synode  ne  sut  prendre 
aucune  résolution,  néanmoins  Annon  fait  rentrer  Alexandre  à  Rome. 
Le  jeune  Henri  IV  esl  tiraillé  entre  Annon  et  l'archevêque  de  Brème, 
\dalberl,  favorable  à  l'antipape.   Celui-ci  reprend  la  cité  Léonine   e1 
Saint-Pierre,  el  son  parti  semble  triomphant.  Cependant  Cadalous  esl 
abandonné  des  siens.  L'antipape,  retenu  prisonnier  par  Censius  dans  le 
chat  (Mil  Saint-Ange,  s'enfuit  seul,  après  avoir  payé  rançon.  A  ce  mo- 
ment, raconte  Bonizo,  Annon,  «  voulant  réconcilier  le  sacerdoce  el 
l'empire,  »  vint  à  Home  reprocher  à  Alexandre  d'avoir  accepté  la  tiare 
sans  L'agrément  du  roi  des  Romains.  Hildebrand  lui  répondit  que  les 
décrets  des  Pères  excluaient  l'empereur  du  choix  des  papes.  En  effet, 
L'élection  d'Alexandre  II  avait  inauguré  un  droit  nouveau.  Nicolas  II, 
dans  un  concile  de  1059,  avait  donné  aux  seuls  cardinaux  le  droit 
d'élire  le  pape,  «  sauf  l'honneur  et  la  révérence  de  notre  bien-aimé  fils 
Henri.  »  Mais  le  fait  de  cet  entretien  paraît  douteux.  Le  concile  de 
Mantoue,  assemblé  à  la  Pentecôte  de  Fan  1061  par  Annon,  convoque 
les  deux  papes.  Alexandre  seul  y  paraît;  il  se  justifie  par  serment  des 
reproches  de  trahison  et  de  simonie,  et  il  est  solennellement  proclamé. 
Honorius,  dont  les  partisans  ont  tenté  d'envahir  le  concile,  est  excom- 
munie. Alexandre  ne  fut  seul  maître  que  lorsqu'en  1066  l'archevêque 
de  Brème  fut  précipité  du  pouvoir.  Le  parti  hildebrandien  et  populaire 
en  Lombardie,  la  Pataria,  dont  le  chef  Arialdo  venait  d'être  massacré, 
releva  la  tête;  le  pape,  vainqueur  des  Normands  avec  l'aide  du  duc  de 
Toscane,  mourut  le  21  avril  1073.  Disciple  d'Hildebrand,  qui  lui  suc- 
céda, il  avait  osé  citer  Henri  IV  à  comparaître  devant  lui.  —  Le  livre  de 
Bonizo,  ad  Amicum,  la  lettre  bouffonne  de  Benzo,  ad  Heinricum  IV,  la 
Vie  d'Alexandre,  par  le  cardinal  Boso,  résumée  de  Bonizo,  et  qui  a 
été  publiée  sous  le  nom  du  cardinal  Nicolas  d'Aragon  (Murât.,  Scr., 
III,  1),  etc.,    se    trouvent    dans   Watterich,   Pontificum  Rom.    vùœ. 
L.,  1864,  in-8°,  I.  Voy.  Gregorovius,  IV,  121   ss.;  Hefele,  IV,  784  ss., 
trad.  franc.,  VI,  409  ss.  ;   Giesebrecht,  Ann.  altah.,  1841,   et  Gesc/t. 
der  Kaiserzeit,  III,  66  ss.  S.  Berger. 

ALEXANDRE  III,  pape  (1139-1181).  Roland  Bandinelli,  évéque  de 
Sienne,  chancelier  de  l'Eglise  de  Rome,  fut,  à  la  mort  d'Adrien  IV,  élu 
le  7  septembre  1 159  par  la  majorité  des  cardinaux.  Deux  voix  seulement 
>•'  déclarèrent  pour  Octavien  Maladetti.  L'antipape  se  fait  introniser 
-<>u>  le  nom  de  Victor  IV.  Roland  est  assiégé  neuf  jours  dans  Sainl- 
Pierre  par  les  Victorins,  soutenus  par  les  ambassadeurs  impériaux. 
Mais  le  peuple  de  Rome  se  déclare  pour  lui;  sacré  à  Nimfa,  il  prend 
le  nom  d'Alexandre  111.  Le  roi  de  France,  l'ordre  de  Gîteaux,  celui  des 
Chartreux,  la  bastille.  l'Aragon,  la  Hongrie,  les  Normands  d'Italie,  se 
déclarent  pour  lui.  L'empereur  convoque  à  Pavie  un  prétendu  concile 
général,  mais  ce  synode,  réuni  le  5  février  en  présence  de  Victor,  se 
montre  partagé.  Renaud  de  Dassel,  archevêque  élu  de  Cologne,  excite 
au  schisme  L'empereur  e1  les  prélats,  Frédéric  [«"tient  retrier  a  Victor. 
L'Allemagne,  la  Bohême,  le  Danemark  et  la  partie  impériale  de  la  Bour- 
gogne son!  les  seuls  pays  ou  l'antipape  soit  reconnu.  Les  Cisterciens  sont 


150  ALEXANDRE  II]  -  ALEXANDRE  IV 

bannis  d'Allemagne.  Dès  le  24  mars  1160,  Alexandre  se  sent  assez  fort 
pour  excommunier  Frédéric,  Octavien  et  les  fauteurs  du  schisme. 
Henri  II  et  Louis  Vil  se  réconcilient  en  mai  1160,  et  l'Angleterre  et  la 
France,  dans  les  synodes  de  Neufmarché,  de  Beauvais  el  de  Toulouse, 
reconnaissent  le  pape  légitime.  Menacé  par  les  avant-coureurs  de  l'em- 
pereur, Alexandre,  à  la  fin  de  1161,  quitte  l'Italie  et  se  réfugie  à  Mont- 
pellier, où  il  est  reçu  en  triomphe.  Le  17  mai  1162,  il  réunit  dans  cette 
ville  un  concile  national.  L'ordre  de  Gluny  tient  pour  le  schisme. 
Louis  VII,  intimidé  par  Barberousse,  consent  à  se  rencontrer  avec 
l'empereur  sur  le  pont  de  Saint-Jean-de-Losne  ;  l'entrevue  n'eut  pas 
lieu.  Alexandre  tient  un  concile  à  Tours,  le  19  mai  1163  (Mansi,  XXI); 
Renaud  de  Dassel  et  l'abbé  de  Gluny  sont  excommuniés.  Renaud  fait  ré- 
gner la  terreur  en  Italie. Victor  était  mort  le  20  avril  1164;  l'archevêque 
de  Cologne  fait  élire  Guy  de  Grema  (Pascal  III).  Mais  le  nouvel  antipape 
est  abandonné,  et,  rappelé  par  les  Romains,  Alexandre  III  rentre  dans 
Rome  le  23  novembre  1165.  La  diète  de  Wurtzbourg  (1165)  se  déclare 
pour  Pascal,  et,  en  1166,  Henri  II,  irrité  contre  le  pape  qui  protège 
Becket,  prête  l'oreille  aux  insinuations  de  Renaud  et  menace  de  se 
séparer  d'Alexandre.  Barberousse  marche  une  seconde  fois  sur  lTtalie 
(1167),  les  Romains  sont  battus,  Alexandre  s'enfuit  à  Bénévent.  Mais 
après  avoir  fait  sacrer  Pascal  à,  Rome,  l'empereur  est  chassé  par  une 
peste  terrible,  dont  Renaud  de  Dassel  tombe  victime.  Les  Lombards 
opposent  à  l'empereur  les  murs  de  paille  d'Alexandrie,  pendant  que 
Pascal  est  relégué  dans  le  Transtevère.  Pascal  était  mort  le  20  septem- 
bre 1168,  on  élut  en  hâte  l'indigne  Jean  de  Struma,  Galixte  III.  Barbe- 
rousse traverse  les  Alpes  pour  la  troisième  fois,  il  est  battu  à  Legnano, 
et  au  traité  d'Agnani  (1176)  il  promet  de  reconnaître  Alexandre.  Au 
concile  de  Venise,  présidé  en  1177  par  le  pape,  l'empereur  jure  la  paix. 
Le  20  août  1178,  Galixte  se  jette  aux  pieds  d'Alexandre.  Quelques  schis- 
matiques  élisent  aussitôt,  contre  le  gré  de  l'empereur,  Landone  (Inno- 
cent III);  ce  dernier  antipape  se  vit  enfermer  dans  un  couvent,  et  le 
schisme  prit  fin  en  janvier  1180.  Alexandre  III  mit  plusieurs  rois 
à  ses  pieds,  il  châtia  sans  pitié  Henri  H,  le  meurtrier  de  Th.  Becket 
(1170).  En  1179,  il  réunit  à  Rome  le  11e  concile  œcuménique 
(Mansi,  XXII)  ou  3e  concile  du  Latran,  et  fit  décréter  par  cette  assem- 
blée Télection  du  pape  par  les  seuls  cardinaux,  à  la  majorité  des  deux 
tiers  des  voix.  Il  mourut  le  30  août  1181.  —  La  Vie  d'Alexandre,  par  le 
cardinal  Boso,  son  ami  (t  1178),  recueillie  dans  la  collection  du  cardinal 
d'Aragon  (Muratori,&cr.,  III,  1),  est  imprimée  dans  Watterich,  /.  /.,  II. 
Voy.  H.  Reuter,  Gesch.  Alex,,  III  (1845),  éd.  II,  3  vol.,  LS60-64;  Gre- 
gorovius,  IV,  526  ss;  Hefele,  V,  501  ss.,  trad.  fr.,  VII,  359  ss.;  Papen- 
cordt,  p.  269  ss.;  Raumer,  éd.  III,  t.  II,  84  ss.  S.  Berger. 

ALEXANDRE  IV,  pape  (1254-1261).  Renaud,  évoque  d'Ostie  et  de  Vel- 
letri,  fut  élu  à  Naples  le  12  décembre  1254,  et  sacré  sous  le  nom 
d'Alexandre  IV.  11  était  natif  du  diocèse  d'Anagni  et  appartenait  à  cette 
famille  des  Conti,  qui  avait  produit  deux  grands  papes  ennemis  des 
Hohenstaufen  ;  il  était  neveu  de  Grégoire  IX  et  parent  d'Innocent  III. 
Il  continua  la  politique  d'innocent  IV.  Tout  son  pontificat  se  passa 


ALEXANDRE  IV  —  ALEXANDRE  VI  151 

dans  des  luttes  incessantes  contre  Manfred,  roi  do  Sicile,  auquel  il 
iya  en  vain  d'arracher  son  royaume,  et  les  Romains,  dont  le  grand 
Brancaleone,  sénateur  et  capitaine  du  peuple,  était  le  chef  redouté.  Le 
tribun  mourut  en  1258,  et  sa  tête  fut  placée  en  trophée  sur  une 
colonne  de  marbre.  Pendant  ces  guerres,  la  détresse  des  popula- 
tions til  surgir  la  redoutable  manifestation  des  flagellants  qui,  vers 
i960,  malgré  le  pape  et  les  princes,  parurent  aux  portes  de  Home. 
Associé  aux  Gibelins,  Manfred  s'allie  aux  villes  d'Italie,  et  le  faible 
Alexandre  IV  meurt  dans  rabattement  à  Viterbe,  le  25  mai  1261,  après 
un  long  exil  à  Anagni.  —  Voy.-  sa  vie  par  Bernard  Guy,  Muratori, 
Scr.t  III.  1,  j).  592  s.,  et  Bouquet  XXI,  698;  Haynaldi  contm.  Baron. 
s.  a.,  1354;  Gregorovius,  V,  301,  ss.;  Raumer,  Hokenst.,  III,  324  ss.; 
IV,  *2l(i  ss.  (3e  édit.);  Hefele,  VI,  7,  trad.  fr.,VIII,  426  ss.;  Papencordt, 
p.  307  ss. 

ALEXANDRE  V,  pape  (1409-U10).  Le  concile  de  Pise  avait,  le  5  juin 
1409,  excommunié  et  déposé  Benoît  XIII  et  Grégoire  XII;  Balthazar 
i,  qui  se  réservait  pour  de  meilleurs  temps,  fit  élire  un  vieillard  de 
soixante  et  dix  ans,  homme  «  de  mœurs  pures  et  de  volonté  faible.  »  Pie- 
tro  Filargo  (ou  Philargi),  franciscain,  archevêque  de  Milan  et  cardinal, 
était  natif  de  Candie;  il  avait  été  mendiant  et  était  sans  neveux. 
Benoît  XIII,  le  pape  de  Perpignan,  était  reconnu  à  Naples,  en  Frioul, 
ep  Hongrie,  en  Bavière,  le  roi  des  Romains  était  pour  lui,  Grégoire  XII 
u  avait,  dans  son  obédience,  que  F  Aragon  et  l'Ecosse.  Alexandre  op- 
pose au  roi  de  Naples  Louis  d'Anjou,  accouru  à  Pise.  Balth.  Gossa  et 
Louis  d'Anjou,  alliés  aux  Orsini,  assiègent  Rome,  et  Malatesta,  leur 
rai,  s'empare  de  la  ville  soulevée  aux  cris  de  :  Viva  lo  popolo  e  la 
ml  Alexandre  mourut  avant  d'avoir  eu  le  temps  de  se  rendre,  de 
Bologne  où  Gossa  le  retenait,  à  Rome  où  l'appelait  le  peuple.  Le  bruit 
public  accusa  B.  Gossa,  son  successeur,  de  sa  mort.  11  n'avait  rien  fait 
pour  la  réforme  de  l'Eglise  «  dans  son  chef  et  dans  ses  membres,  »  qu'il 
avait  juré  d'accomplir.  —  Sa  biographie,  par  Thierry  de  Niem,  se 
trouve  dans  le  traité  De  se hismate,  Ub.  III,  éd.  Basil,  1566,  p.  181  ss. 
\ .  riatina(f  U81),  Vita  Alex.  V,  dans  ses  Vitse  Pontif.;  Gregorovius,  V, 
p.  MOI  ss.;  Papencordt,  p.  459  ss.;  Hefele,  VI,  892,VII,  1  ss.,  trad.  fr.,  X, 
p.  291  ss. 

ALEXANDRE  VI.  Roderigo  Lanzol  ou  Lenzuoli,  fils  d'un  modeste 
gentilhomme,  Jofré,  et  d'Isabelle  Borgia,  sœur  de  Galixte  III,  naquit  à 
Xativa,  près  de  Valence,  en  1431  ;  il  prit  le  nom  de  famille  de  sa  mère 
et  arriva  immédiatement  aux  plus  hautes  positions  dans  l'Eglise  par  la 
protection  de  son  oncle.  Evêque  de  Valence,  cardinal,  vice-chancelier 
de  1  Eglise,  légat  du  pape  en  Espagne,  il  eut  occasion,  jeune  encore, 
de  faire  apprécier  son  habileté,  d'étudier  l'administration,  de  connaître 
!•  I  ressources  financières  des  Etats  pontificaux  et  surtout  de  s'enrichir. 
A  la  moi  I  d'Innocent  VIII,  Roderigo,  qui  avait  été  candidat  une  pre- 
mière fois  eu  i  is i,  réussit  à  se  faire  élire  en  achetant  les  suffrages  de 
les  cardinaux,  sauf  cinq  qui  refusèrent  de  vendre  la  tiare  aux  eu- 
es 11  aoul  1  i'.ei  Le  nouveau  pape,  malgré  le  mystère  dont  il  avait 
enveloppé  sa  vie  privée,  avait  une  réputation  détestable;  ses  premiers 


152  ALEXANDRE  VI 

actes  justifièrent  les  craintes  que  son  élection  avait  fait  naître.  Il 
comble  sa  famille  de  biens  et  d'honneurs,  accorde  la  pourpre  à  un  de 
ses  neveux,  l'archevêché  de  Valence  à  son  fils  César;  dès  Tannée  sui- 
vante, César  est  créé  cardinal  avec  le  frère  de  la  maîtresse  du  pape.  Il 
était  évident  pour  tous  qu'Alexandre  VI,  dominé  par  ses  passions, 
n'avait  qu'une  pensée,  c'était  de  fonder  une  nouvelle  dynastie  au  profit 
de  sa  famille  au  cœur  de  l'Italie  divisée,  et  que,  pour  arriver  à  son  but, 
il  ne  reculerait  devant  aucun  crime.  Quoi  qu'on  ait  dit,  Alexandre  VI 
n'est  qu'un  médiocre  politique  et  ne  possède  de  ce  que  ses  contempo- 
rains appellent  la  virtu  que  la  sceleratezza  ;  il  n'a  souci  ni  des  intérêts 
du  saint-siége  ni  de  l'indépendance  de  l'Italie  ;  il  hésite  entre  l'Espagne 
et  la  France,  entre  Milan  et  Naples,  alors  que  Charles  VIII  franchit  les 
Alpes,  sous  prétexte  d'aller  combattre  les  Turcs  ;  il  ne  sait  à  quel  parti 
s'arrêter.  Le  roi  de  France,  après  de  longues  négociations,  promet  de 
respecter  les  droits  du  pape  et  entre  dans  Rome  en  maître,  et  en 
ennemi  plutôt  qu'en  allié.  Il  y  demeure  plus  d'un  mois,  sollicité  par  les 
cardinaux  ennemis  d'Alexandre  VI  de  convoquer  un  concile ,  de  ré- 
former l'Eglise,  de  déposer  le  pape  ;  il  était  plus  d'une  fois  près  de 
céder  à  ces  conseils,  et,  s'il  l'eût  fait,  «  toutes  gens  de  cognoissance 
et  de  raison  l'eussent  tenu,  comme  dit  Comines,  à  une  bonne  grande 
et  très-saincte  besogne  »  (liv.  VII,  ch.  12).  Alexandre  VI,  effrayé  surtout 
par  la  menace  du  concile,  se  résigne  à  traiter,  à  livrer  plusieurs  forteres- 
ses à  Charles  VIII  et  à  lui  remettre  pour  six  mois  le  sultan  Djem  ;  il 
s'engage,  en  outre,  à  ne  plus  être  contraire  au  roi  et  à  lui  accorder 
l'investiture  de  Naples,  sauf  réserve  des  droits  d'autrui  (janv.  1495). 
Deux  mois  après,  le  pape  décida  la  grande  Ligue  entre  Venise,  Ludovic, 
l'Espagne  et  l'Empire,  et  s'enhardit  jusqu'à  publier  un  monitoire  par 
lequel  il  somme  Charles  VIII  de  poser  les  armes  sous  peine  d'excom- 
munication. —  L'échec  et  la  retraite  des  Français  permettent  à 
Alexandre  VI  de  s'occuper  des  affaires  intérieures  de  ses  Etats  et  de 
commencer  contre  les  barons  maîtres  du  patrimoine  de  Saint-Pierre, 
de  la  campagne  de  Rome,  des  marches  de  la  Romagne,  cette  guerre 
d'extermination  qui  a  rendu  exécrable  le  nom  des  Borgia.  Louis  XII, 
dès  son  avènement,  recherche  l'appui  du  pape  ;  César  qui,  dans  l'inter- 
valle, avait  renoncé  à  l'état  ecclésiastique  pour  lequel  il  n'avait  pas  de 
goût  et  s'était  fait  relever  de  ses  vœux,  se  rend  en  personne  à  la  cour 
de  France  pour  y  porter  les  bulles  de  dissolution  du  mariage  de  Jeanne 
et  une  promesse  d'alliance,  et  reçoit  pour  prix  des  complaisances  de  son 
père,  le  duché  de  Valentinois  et  la  main  de  Charlotte,  sœur  de  Jean 
d'Albret.  Les  Français  se  rendent  maîtres  de  Milan  et  aussitôt  Alexandre 
déclare  tous  les  vassaux  de  l'Eglise  dans  la  Romagne  et  dans  les 
Marches,  déchus  de  leurs  droits,  sous  le  prétexte  qu'ils  n'avaient  pas 
payé  leurs  redevances,  et  une  armée  de  8,000  hommes  fournie  en  partie 
par  Louis  XII  et  payée  par  le  pape  entre  en  campagne.  Imola,  Sinigaglia, 
Faenza  tombent  au  pouvoir  de  César,  qui  est  proclamé  duc  de  la 
Romagne  (1500-1501).  Les  Colonna,  les  Savelli  sont  dépouillés  de  leurs 
biens  ;  la  trahison  livre  Urbino  et  Camerino  aux  Borgia,  la  Toscane 
elle-même  est  menacée.  Louis  XII,  effrayé  de  l'ambition  de  César, 


ALEXANDRE  VI  153 

arrête  sa  marche  victorieuse,  prête  l'oreille  aux  plaintes  des  ennemis 
d'Alexandre  VI  ;    mais  César   réussi!  à  gagner  George   d'Amhoise  en 
lui  promettant  la  tiare  et  à  rassurer  le  roi  par  des  proteslations  de 
dévouement.  La  conjuration  des  barons  et  des  condottieri  allait  tout 
Compromettre;  déjà  l'armée  de  César  avait  été  battue,  et  lui-même, 
entérine  dans  Imola,  semblait  perdu  lorsque  l'intervention  énergique 
de  Louis  XII  force  les  conjurés  à  poser  les  armes.  Les  condottieri,  trop 
confiants,  signent  des  traités  séparés  avec  César,  qui  se  débarrasse  de 
ses  ennemis  par  le  poison  ou  par  le  glaive  (c'est  ce  qu'on  appelle  la 
tragédie  de  Sinigaglia),  tandis  qu'Alexandre  VI  fait  mourir  à  Rome  ou 
jeter  en  prison  tous  ceux  que  son  fils  lui  a  désignés.  A  ce  moment, 
Home  et  le  pape  lui-même  tremblent  devant  César  aux  mains  duquel 
le  domaine  du  saint-siége,  conquis  et   soumis  presque  tout  entier 
allait  passer  avec  le  titre  de  roi  de  la  Romagne  et  des  Marches  ;  les 
Borgia  se  disposaient  à  abandonner  Louis  XII  vaincu  pour   s'unir  à 
L'Espagne  victorieuse,  lorsqu'un  accident  bien  commun  sous  le  règne 
d'Alexandre  VI  ruina  tous  leurs  projets.  Le  pape  mourut  empoisonné 
par  le  cardinal  Adrien;  César  faillit  mourir  (dépêche  de  l'ambassadeur 
de  Venise,  en  désaccord  avec  le  Diarium  de  Burchard),  et  le  conclave, 
pendant  la  maladie  de  ce  dernier,  eut  le  courage  de  choisir  un  pape 
qui  n'était  pas  du  parti  des  Borgia.  «  J'avais  tout  prévu,  disait  le  fils 
d'Alexandre  VI  à  Machiavel,  sauf  le  cas  où  je  serais  malade  à  la  mort 
de  mon  père  »  [Prince,  ch.  VII).  —  Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper 
des  crimes  domestiques  qui  ont  épouvanté  Rome  sous  le  pontificat 
d'Alexandre  VI,  ni  des  meurtres  ordonnés  par  César  pour  faire  dis- 
paraître ceux  qui  mettaient  obstacle  à  son  ambition  ou  dont  la  fortune 
tentait  sa  cupidité;   qu'il  suffise  de  dire  que  parfois  Alexandre  fut  le 
complice  de  son  fils  et  que  toujours  il  le  laissa  foire  ou  lui  pardonna. 
De  toutes  les  accusations  portées  contre  Alexandre  VI,  une  seule  peut- 
être  a  été  inventée  par  la  calomnie  :  des  poètes  et  après  eux  des  chro- 
niqueurs malveillants  ont  parlé  en  termes   peu  voilés  des  rapports 
incestueux  qui  auraient  existé  entre  Lucrèce  et  son  père  et  de  la  jalou- 
sie de  César;  on  sait  aujourd'hui  qu'il  n'en  est  rien  (Roscoë,  Vie  de 
Léon  X,  et  Gregorovius,  Lucrèce  Borgia)  et  que  Lucrèce  ne  mérite  pas 
l'horrible  réputation  qu'on  lui  a  faite.  —  Alexandre  VI,  qui  avait  été 
pendant  plus  de  trente  ans  vice-chancelier  de  l'Eglise,  avait  étudié  h 
fond  l'administration  financière  et  connaissait  mieux  que  personne  les 
ressources  et  les  procédés  de  la  curie  :  devenu  pape,  il  tira  des  bénéfices, 
des  grâces ,  des  indulgences ,  des  sommes   considérables  ;  il    vendit 
toutes  les  charges  et  toutes  Les  dignités,  prit  des  annates  doubles,  se 
réserva  deux  ou  trois  dîmes.  Occupé  comme  il  était  d'intrigues  politi- 
ques, du  soin  d'établir  sa  famille,  il  n'a  guère  marqué  dans  l'histoire 
des  dogmes  et  de  la  constitution  de  l'Eglise;  il  convient  toutefois  de 
citer  deux  ouvrages  publiés  avant  exaltation  (Glossœ,  Roder  ici  P  or  tuen- 
opi  m   régulas    Cancellariae  et  constitutiones   lnnoc.    VIII  de 
beneficiis,  Rom»,  1487;  et  Cfgpeus  defensionis  fidei,  S.  R.  E.  Argent.), 
et  de  rappeler  que  le  premier  d'entre  les  papes  il  a  déclaré  officielle- 
ment qu'il  pouvait  délivrer  du  purgatoire,  qu'il  a  étendu  et  renouvelé 
i.  11 


151  ALEXANDRE  VI  -  ALEXANDRE  VII 

les  attributions  et  les  pouvoirs  de  l'inquisition  (Raynaldus,  1498,  n°  25), 
qu'il  est  intervenu,  comme  aurait  pu  faire  un  grand  pontife  du  moyen 
âge,  entre  le  Portugal  et  la  Castille,  et  qu'il  a  tracé  sur  le  globe  une  ligne 
au  delà  et  en  deçà  de  laquelle  devaient  s'arrêter  les  découvertes  et  les 
possessions  de  ces  deux  pays.  Il  n'a  guère  été  que  l'ennemi  politique  de 
Savonarole  et,  dans  ses  négociations  avec  la  seigneurie  de  Florence  au 
sujet  du  réformateur  dominicain,  il  a  obéi,  soit  en  cédant,  soit  en  mena- 
çant, à  des  considérations  purement  temporelles.  —  Sources  :  Raynaldi 
(Oderici),  Annales  ecclesiastici  Romx,  1667;  Stefano  Infessura,  Diario 
Romano  (ap.  Muratori  et  Eccard)  ;  Burchardi,  Diarium,  (ap.  Leibnitz, 
Eccard),  publié  en  partie  par  Gennarelli,  Flor.,  1854;  Guicciardini, 
htoria  d'Italia,  lib.  I-VI;  Gregorovius,  Geschichte  der  Stadt  Rom; 
A.  de  Reumont,  idem  ;  Gherrier,  Histoire  des  guerres  de  Charles  VIII  ; 
Gordon,  Histoire  du  pape  Alexandre  VI  et  de  son  fils  César,  trad.  en 
français,  Amsterdam,  1732;  Tomasi,  Vita  di  Cesare  Borgia  ;  Gregoro- 
vius, Lucrezia  Borgia,  1874,  trad.  française,  chez  Sandoz  et  Fischba- 
cher,  Paris,  1876  ;  P.  Villari,  Savonarole  et  son  temps,  trad.  Gruyer, 
Paris,  1874.  G.   Léser. 

ALEXANDRE  VII,  Fabio  Ghigi,  cardinal  et  secrétaire  d'Etat,  élu  pape 
le  8  avril  1655,  avait  assisté  en  qualité  de  nonce  aux  négociations  du 
traité  de  Westphalie,  et  fut  depuis  cette  époque  en  mauvais  termes  avec 
Mazarin  et  la  cour  de  France.  Mazarin  voulait  traduire  le  cardinal  de 
Retz  devant  les  tribunaux  ordinaires  ;  il  en  demanda  l'autorisation  au 
pape,  mais  celui-ci,  quoiqu'il  traitât  Retz  de  brouillon,  fit  tant  de  diffi- 
cultés pour  régler  la  forme  des  poursuites  et  le  choix  des  juges,  que  le 
ministre  français  ajourna  le  projet.  Un  peu  plus  tard,  le  traité  des 
Pyrénées  fut  signé  sans  que  le  pape  eût  été  consulté  ;  enfin  l'affaire  des 
gardes  corses  qui  avaient  insulté  l'ambassadeur  de  France,  Créqui,  mit 
aux  prises  Louis  XIV  et  le  pape.  Le  roi,  repoussant  la  médiation  de  la 
reine  Christine  récemment  convertie,  fait  occuper  le  comtat  d'Avignon 
et  le  Venaissin,  dirige  des  troupes  au  delà  des  Alpes,  exige  des  satis- 
factions qu'Alexandre  hésite  à  lui  accorder.  Après  avoir  sollicité  en  vain 
les  souverains  catholiques  de  se  liguer  en  sa  faveur,  il  se  résigne  à 
souscrire  le  traité  de  Pise,  1664,  et  à  envoyer  le  cardinal-neveu  à  Fon- 
tainebleau avec  les  satisfactions  demandées.  Alexandre,  adversaire  dé- 
claré des  jansénistes,  avait  insisté  auprès  d'Innocent  X,  pour  qu'il  con- 
damnât formellement  leur  doctrine;  dès  après  son  avènement,  il 
impose  le  formulaire  rédigé  par  les  évoques  français,  repousse  les  ten- 
tatives de  conciliation  de  l'évêque  de  Comminges  et  du  président  du 
parlement  de  Toulouse.  Les  jansénistes  signent  le  formulaire  avec  cette 
réserve  que  les  cinq  propositions  condamnées  ne  se  trouvaient  pas  dans 
Jansénius.  La  paix  ne  fut  conclue  qu'en  1668  sous  le  pontificat  de 
Clément  IX.  En  1685,  il  donna  une  bulle  contre  les  censures  que  la 
Sorbonne  avait  faites  des  erreurs  de  Jacques  Vernant  et  d'Amédée  Gui- 
ménius.  Le  parlement  s'unit  à  la  Sorbonne  et  interdit  dans  tout  le 
royaume  la  bulle  pontificale  sur  la  demande  des  gens  du  roi.  Alexandre 
fait  défense  par  des  bulles  d'écrire  ou  de  prêcher  contre  l'immaculée 
conception  de  la  sainte  Vierge  et  d'écrire  sur  la  matière  de  l'attrition  ;  il 


ALEXANDRE  VII  -     ALEXANDRE  D'ALEXANDRIE        155 

aise  saint  Thomas  de  Villeneuve  et  saint  François  de  Sales.  Son 
administration  donna  lieu  à  dos  plaintes  fréquentes;  il  écrasa  d'impôts 
la  population,  enrichil  ses  neveux,  embellit  et  rebâtit  plusieurs  quar- 
tiers de  Rome,  acheva  le  collège  de  la  Sapience,  et  éleva  la  belle  co- 
lonnade de  la  place  de  Saint-Pierre.  Il  mourut  le  22  mai  1667.  — Voyez 
A.  de  Reumont,  Geschichte  der  Stadt  Rom\  Berlin,  1867-71,  3vol.in-8°; 
Pallavicino  (card.  Sforza),  Délia  vita  di  Alessandro  Vil,  opéra  inedita, 
1839,  2  vol.  in-8°;  Ranke,  Die  rœmichen  Pxpste,  passim;  Desmarais, 
ire  des  démêlés  de  la  cour  de  France  avec  la  cour  de  Home,  1707; 
Relation  de  tout  ce  qui  se  passa  entre  le  pape  Alexandre  et  le  roi  de 
France,  Col.,  1G70;  les  historiens  du  jansénisme.  G.  Léser. 

ALEXANDRE  VIII,  Pierre  Ottoboni,  Vénitien,  élu  pape  le  6  octobre 
1689,  -ici1  aux  efforts  de  M.   de   Chaulnes,  ambassadeur  de  France, 
qui  voulait  «  procurer  à  la  chrétienté  un  pape  plus  sage.  »  Louis  XIV 
s'empresse,  aussitôt    après    l'avènement    d'Alexandre    VIII,    d'offrir 
iiclon  des    franchises  de   l'ambassade,   la   restitution  du  comtat 
d'Avignon,  une  transaction  au  sujet  de  la  régale.  Alexandre  se  montre 
plus  exigeant  qu'Innocent  XI;  il  demande  avant  de  traiter  que  la  cour 
de  France  désavoue  la  déclaration  de  1673,  les  quatre  articles  et  que 
ivêques  qui  avaient  assisté   à  l'assemblée  de  1682  et  qui  n'avaient 
;»u  obtenir  encore  leurs  bulles  d'institution  fassent  une  sorte  de 
rétractation  (innovata  in  comùiis  disait,  au  sujet  des  opinions  gallicanes 
de  l'assemblée  de  1682,  le  texte  de  la  lettre  d'excuse  proposée   par 
Alexandre).  Après  avoir  consulté  les  archevêques,  la  cour  de  France 
rejette  ces  conditions  ;  Alexandre  tient  bon,  et  sur  son  lit  de  mort  il 
fait  lire  devant  les  cardinaux  le  bref  :   Inter  multipliées,  qui  déclare 
nuls  et   de  nulle  valeur  les  quatre  articles  et  redit  royal  touchant  la 
le.  Ce  bref  est.  connu  en  France  en  même  temps  que  la  mort  du 
pape  ;  Louis  XIV  ne  veut  pas  qu'il  en  soit  tenu  compte,  persuadé 
qu'Alexandre  en  le  publiant  «  n'avait  pas  bien  su   ce  qu'il  faisait.  » 
(Croissy  à  de  Harlay,  ap.  Depping,  IV,  154).  Un  décret  du  14  août  1690 
proscrivit  l'erreur  du  Péché  philosophique  enseignée  à  Dijon  par  le  jé- 
suite Musnier.  Alexandre  mourut  le  1er  février  1691.  — Voyez  Durand  de 
Maillane,  les  Libertés  de  V Eglise  gallicane  ;  Gérin,  Recherches  historiques 
■'assemblée  de  1682,  Paris,  1876  ;  Loyson,  L'assemblée  du  clergé  de 
ic.N-2,    Paris,  1870;  Phillips,  Das  Regalienrecht  in  Frankreich,  Halle, 
1873  ;  Journal  de  Dangeau,  années  1689-1690. 
ALEXANDRE  (Saint),  patriarche  d'Alexandrie,  élu  en  311.  Dans  un 
vèques,  il  condamna  Arius  (320),  et  dans  une  lettre 
encyclique,  il  exposa  et  réfuta  les  dogmes  des  ariens  (Socr.,  I,  6,  et 
dans  Athanasii  opp.,  éd.  Bened.,  I,  1    p.  397  ss.).  Il  écrivit  au 
pape  Silvestre  une  lettre  qui  ne  s'est  conservée  qu'en  extrait  dans  la 
du   pape  Libère  à  Constantin.  Une  longue  lettre  d'Alexandre  à 
indre  de  Constantinople,  reproduite  par  Théodoret  (I,  2  ss.),  dans 
i'Hf  l'auteur  expose  prolixement  la  doctrine  orthodoxe,  et  formule 
un  Credo  ou  se  trouve  le  mot  de  Beoréxoç  et  où  l'article  du  Saint-Esprit 
est  développe  longuement,  paraît  être  apocryphe  (voy.  Semler  dans 
Km   introd.   aux  Polémiques  de  Baumgarten,  III,  1764).  Constantin 


156    ALEXANDRE  D'ALEXANDRIE —ALEXANDRE  DE  HALÈS 

écrivit  à  Alexandre  une  lettre  dédaigneuse  (Eusèbe,  Vita  Const.,  II, 
61  ss.);  Sev.  Binius,  et  après  lui  presque  tous  les  auteurs,  ont  supposé 
que  cette  lettre  avait  été  falsifiée  par  un  des  Eusèbe.  Heinichen  dans 
son  édition  d'Eusèbe  {éd.  II,  Melet.  25),  combat  cette  opinion.  Suivant 
les  calculs  ordinaires,  Alexandre  mourut  le  18  avril  326,  cinq  mois 
après  le  concile  de  Nicée  auquel  il  avait  pris  une  part  active  ;  mais 
d'après  un  document  syriaque  publié  en  1848  par  Cureton  [the  f estai 
Letlers  of  Athanasius,  cité  par  Hefele,  ï,  429,  trad.  fr.,  I,  437),  sa  mort 
n'arriva  que  le  17  avril  328. — Voyez  Epiph. ;  Bser. ,  69  ;  Socr. ,  I,  5  ss.  15  ; 
Sozom.,  I,  15  ss.;  II,  17;  Théod.,  I,  2  ss.  26;  AA.  SS.,  26  Febr.,  III 
(voir  aussi  l'article  Arianisme). 

ALEXANDRE,  élu  patriarche  de  Gonstantinople  en  317.  Défenseur 
de  la  doctrine  orthodoxe,  il  prit  part  au  concile  de  Nicée.  Il  mourut  en 
340,  heureux  de  ne  pas  voir  Arius  réintégré  dans  l'Eglise  et  l'hérésie 
victorieuse. 

ALEXANDRE  DE  HALÈS  (Halésius),  ainsi  appelé  du  couvent  anglais  où 
il  avait  reçu  son  instruction.  Il  enseigna  la  théologie  à  Paris,  et  mourut 
en  1245.  Ilestle  premier  des  docteurs  scolastiques  qui  ait  utilisé  pour  la 
théologie,  outre  la  dialectique  d'Aristote,  sa  physique,  sa  psychologie, 
sa  métaphysique.  Il  forme  la  transition  entre  ceux  qu'on  appelait  sen- 
tentiaires,  parce  qu'ils  s'étaient  bornés  à  exposer  les  sentences  ou  pas- 
sages dogmatiques  des  Pères,  et  les  théologiens  plus  systématiques. 
Mais  en  introduisant  dans  le  système  de  nombreux  éléments  aristotéli- 
ciens, il  l'a  encombré  d'une  foule  de  matières  étrangères.  Il  est  aussi 
le  premier  qui  dans  la  discussion  du  pour  et  du  contre,  du  sic  et  non, 
ne  laisse  plus  subsister  aucune  incertitude,  La  Summa  universx  theolo- 
gix  est  un  commentaire  sur  Pierre  le  Lombard;  chez  ce  dernier  il  y  a 
encore  des  questions  indécises,  sur  lesquelles  il  n'ose  pas  se  prononcer; 
Alexandre  de  Halès  résout  tous  les  problèmes  ;  il  donne  d'abord  les 
arguments  dont  la  conclusion  est  :  videtur  quod  sic,  puis  il  leur  oppose 
ceux  qui  aboutissent  au  videtur  quod  non;  enfin  il  se  déclare  pour  l'un 
ou  pour  l'autre,  soit  en  invoquant  une  autorité,  soit  en  faisant  une  nou- 
velle distinction.  Quant  aux  Pères,  il  n'admet  pas  qu'il  puisse  y  avoir 
entre  eux  le  moindre  désaccord  ;  tout  au  plus  diffèrent-ils  par  le  point 
de  vue.  La  forme  de  sa  Somme  est  on  ne  peut  plus  scolastique  ;  il  a  un 
talent  de  faire  des  distinctions  subtiles  qu'on  ne  rencontre  chez  aucun 
des  docteurs  précédents  ;  chacune  des  quatre  parties  de  la  Somme  est 
divisée  en  un  certain  nombre  de  questions,  chaque  question  en  membra, 
chaque  membre  en  articles,  et  en  cas  de  besoin  ceux-ci  sont  divisés  en 
paragraphes.  Cette  méthode  fut  adoptée  par  la  plupart  des  scolastiques 
postérieurs.  Parmi  les  questions  qu'il  soulève,  il  y  en  a  déjà  qui  dé- 
notent une  curiosité  peu  théologique.  A  cause  de  l'apparente  rigueur 
avec  laquelle  il  résout  et  démontre  tout,  il  a  reçu  le  nom  de  doctor  irre- 
fragabilis.  Un  commentaire  sur  la  métaphysique  d'Aristote  et  une 
Summa  de  virtutibus  qu'on  lui  a  attribués,  ne  sont  pas  de  lui.  —  La 
Ire  éd.  de  la  Summa  parut  à  Venise,  1475,  in-f°  ;  la  meilleure  est  celle 
de  1576,  également  à  Venise,  4  vol.  in-f°.  Voy.  Hist.  litt.  de  la  France, 
t.  XVÏÏI  ;  Hauréau,  De  laphil.  scol.,  t.  Ier,  p.  423  ss.  Ch.  Schmidt. 


ALEXANDRE  NEGKAM  —  ALEXANDRE  I"  157 

ALEXANDRE  NECKAM  [Necham,  Nequam],  grammairien  cl  théolo- 
gien anglais,  né  à  Saint-Alban  en  1 1  r>T ,  professeur  à  l'université  de 
Paris  entre  1 180  et  1 187,  chanoine,  puis  abbé  de  Ghichester;  il  mourut 
en  1217.  Comme  poète,  il  esl  connu  par  ses  vers  sur  la  vie  monastique, 
imprimés  dans  diverses  éditions  de  saint  Anselme,  et  par  l'intéressante 
description  du  monde  intitulée  Jmus  divin»  sapientim  (Bibl.  nat.,  ms. 
lai..  U8l'»7.  Ses  nombreux  ouvrages  sur  la  Bible,  dont  plusieurs, 
comme  son  Elucidarium  bibliothecx  et  ses  commentaires,  existent  en 
manuscrit  en  Angleterre,  mériteraient  une  sérieuse  étude. — Voy.  Baie, 
Script,  maj.  Brit.,  1557,  I,  275;  Pits,  De  rébus  aagL,  1619,  I,  298;  du 
Boulay,  II, pass.; Cave,  Script,  ecclcs.,  Il,  280;  Hist.  lût.  delà  Fr.,  XVIII, 
521  :  Th.  Wright,  Biogr.  Brit.}  II,  449;  le  même,  Ancient  vocabulariex, 
1857,  p.  98. 

ALEXANDRE  NEVSKY  (+  1 263),  héros  et  saint  russe,  fils  de  Jaroslav  II, 
grand  prince  de  Vladimir.  Il  devint,  en  1238,  grand  prince  de  Novgo- 
rod, et  remporta,  en  1240,  sur  les  Suédois  aux  bords  de  la  Neva  une 
vie  toire  signalée,  qui  lui  valut  le  surnom  de  Nevsky.  Il  combattit  avec 
succès  les  chevaliers  allemands  de  Livonie  et  les  Lithuaniens.  Il  se  fit 
donner  par  le  khan  des  Tartares  l'investiture  de  la  principauté  de  Vla- 
dimir et  sut  obtenir  de  lui  l'établissement  d'un  évéché  sur  les  bords  du 
Don.  11  résista  avec  constance  aux  efforts  que  fit  le  pape  Innocent  IV 
pour  le  rattacher  à  l'Eglise  latine.  En  1724,  Pierre  le  Grand  fit  trans- 
porter ses  restes  de  Vladimir  à  Saint-Pétersbourg,  dans  le  couvent  qu'il 
avait  élevé  en  1715  sur  le  lieu  de  sa  victoire.  Il  est  le  sujet  d'un  grand 
nombre  de  chansons  et  de  légendes. 

ALEXANDRE  Ier,  czar  de  Russie,  né  le  23  décembre  1777,  monté  au 
trône  le  24  mars  180J,  mort  le  1er  décembre  1825.  L'éducation  d'A- 
lexandre fut,  dans:  ses  premières  années,  exclusivement  laissée  à  sa 
mère,  l'impératrice  Marie,  femme  d'un  grand  cœur,  d'une  haute  intel- 
ligence ;  son  précepteur,  César  de  Laharpe,  développa  également  les 
côtés  enthousiastes  de  sa  nature,  ses  aspirations  passionnées  vers 
l'idéal.  Son  avènement  au  trône  donna  en  tout  domaine  le  signal  de 
\astes  réformes  dont  plusieurs  ne  parvinrent  jamais  à  leur  complète 
réalisation.  Les  grands  événements  qui  se  succédaient  sans  interrup- 
tion en  Europe  firent  sur  Pâme  ardente,  facilement  excitable  du  czar 
une  profonde  impression.  Des  missionnaires  moraves  avec  lesquels  il 
entretenait  d'étroits  rapports,  lui  montrèrent,  dans  la  lutte  avec  Napo- 
léon, la  victoire  des  armées  russes,  l'accomplissement  merveilleux  de 
prophéties  contenues  dans  l'Ecriture  sainte.  «  L'incendie  de  Moscou, 
ia  un  jour  Alexandre,  a  éclairé  mon  âme.  »  L'exaltation  reli- 
gieuse du  czar  contribua  pour  une  large  part  à  surexciter  le  patriotisme 
de  -"o  peuple,  a  transformer  en  une  guerre  sainte  la  lutte  contre  Napo- 
Depuis  1831 ,  Alexandre  s'abandonna  complètement  à  ses  ten- 
dances mystiques.  Il  visita  en  1815  Jung  Stilling  à  Stuttgart,  appela 
Gossner  à  Saint-Pétersbourg,  correspondit  avec  Baader  et  Ober- 
lin.  Madame  de  Krûdener,  qu'il  rencontra  pour  la  première  fois  en  1815 
i  Heilbronn,  devint  son  guide  spirituel.  Il  se  fit  expliquer  par  elle  l'Ecri- 
ture sainte,  assista  aux  pieux  conventicules  tenus  à  Eïeidelberg  el  à 


158  ALEXANDRE  I*r 

Paris,  réclama  pour  le  triomphe  de  sa  politique  l'efficacité  de  ses  prières. 
Ce  fut  sous  l'inspiration  de  Madame  de  Krûdener,  à  l'instigation  d'A- 
lexandre, que  le  roi  de  Prusse,  les  empereurs  de  Russie  et  d'Autriche 
conclurent  à  Paris,  le  26  septembre  4815,  le  traité  dit  de  la  Sainte- 
Alliance;  les  autres  souverains  de  l'Europe  ne  tardèrent  pas  à  s'y  ral- 
lier à  l'exception  du  roi  d'Angleterre,  du  pape,  du  sultan.  Les  signa- 
taires s'engageaient  au  nom  de  la  très-sainte  Trinité  à  prendre  pour 
seule  norme  de  leur  conduite,  soit  vis-à-vis  de  leurs  propres  sujets, 
soit  vis-à-vis  des  nations  étrangères,  les  préceptes  de  l'Evangile;  tous 
les  peuples,  malgré  les  divergences  de  race,  formaient  une  grande 
famille  dont. l'unique  souverain  était  Jésus-Christ.  Alexandre  se  mon- 
trait très-vivement  préoccupé,  à  cette  époque,  d'une  réunion  entre  les 
différentes  confessions  chrétiennes,  «  II  y  a  dans  le  christianisme,  di- 
sait-il à  Joseph  de  Maislre,  un  principe  supérieur  à  nos  confessions 
particulières,  qui  en  constitue  l'essence.  Commençons  par  combattre 
l'incrédulité,  le  véritable  mal  dont  nous  devions  nous  préserver.  Lorsque 
l'Evangile  sera  pratiqué  par  tous,  un  grand  pas  sera  déjà  accompli.  Je 
crois,  je  suis  même  certain  qu'un  jour  toutes  les  confessions  chré- 
tiennes seront  réunies  en  un  seul  faisceau.  C'est  notre  devoir  que  de 
préparer,  de  hâter  ce  bienheureux  moment.  »  Le  libéralisme  d'Alexan- 
dre se  refroidit  à  la  suite  des  mouvements  populaires  qui  éclatèrent 
simultanément  dans  plusieurs  provinces  de  son  empire  (1820-1822)  : 
ses  précédentes  aspirations  à  la  fraternité  universelle  lui  parurent  dan- 
gereuses, du  moment  qu'il  les  sut  partagées  par  les  francs-maçons;  il 
pratiqua  toujours  davantage  le  système  de  compression  qui  fut  le  plus 
clair  résultat  de  la  Sainte-Alliance.  Madame  de  Krûdener  perdit  peu  a 
peu  toute  influence  ;  il  vit  en  elle  une  prophétesse,  une  visionnaire  et 
ne  lui  pardonna  pas  sa  propagande  en  faveur  des  Grecs;  en  1822  il  lui 
intima,  par  une  lettre  autographe,  l'ordre  de  quitter  Saint-Pétersbourg. 
Les  questions  religieuses  occupèrent  Alexandre  jusqu'à  sa  mort;  la 
maladie,  les  tracas  du  gouvernement,  la  peur  des  conjurations  le  jetè- 
rent dans  un  mysticisme  toujours  plus  sombre,  une  dévotion  toujours 
plus  mélancolique.  —  Alexandre  combattit  au  sein  de  l'Eglise  grecque  la 
superstition  et  le  fanatisme;  il  fut  aidé  dans  cette  tâche  par  quelques 
prélats  distingués,  entre  autres  le  patriarche  de  Moscou,  Philarète.  Les 
Académies  nouvellement  créées  de  Saint-Pétersbourg  et  de  Moscou  con- 
tre-balancèrent  l'influence  traditionaliste  de  Kiew  et  répandirent,  dans 
une  certaine  mesure,  les  idées  de  la  théologie  allemande.  Une  solide 
instruction  fut  donnée  aux  ecclésiastiques  dans  les  séminaires;  des 
écoles  furent  fondées  jusque  dans  les  villages;  les  popes  furent  affran- 
chis du  knout  et  des  autres  châtiments  corporels.  Toute  contrainte 
cessa  pour  les  dissidents  [Durchoborzi)  qui,  sous  Paul  1er,  avaient  été 
traités  avec  une  extrême  rigueur;  Alexandre,  par  sa  bienveillance  et  la 
sagesse  de  ses  mesures,  convertit  des  sectaires  jusque-là  réputés  dan- 
gereux en  honnêtes  et  paisibles  sujets  qui  peuplèrent  de  florissantes 
colonies  les  bords  du  Dnieper,  les  steppes  de  la  Crimée.  Dans  les  années 
qui  précédèrent  immédiatement  la  Sainte-Alliance,  Alexandre  se  mon- 
tra favorable  au  protestantisme.  Sur  un  vœu  formellement  exprimé  par 


ALEXANDRE  Ier  —  ALEXANDRIE  159 

lui,  une  Société  biblique  se  constitua  à  Saint-Pétersbourg  par  les  soins 
du  ministre  de  l'instruction  publique,  le  prince  Galitzin,  et  de  l'ambas- 
sadeur anglais,  lord  Gathcarl  (ukase  du  11)  janvier  1813).  Des  représen- 
tants des  plus  grandes  familles  flrenl  partie  du  comité;  le  métropolitain 
de  Moscou  e!  l'évoque  catholique  de  Podoltsk  comptèrent  parmi  les  plus 
Eélés  promoteurs.  Une  nouvelle  traduction  des  livres  saints  en  langue 
russe  d'abord,  puis  dans  tous  les  idiomes  parlés  à  la  surface  de  l'em- 
pire fui  entreprise  sous  les  auspices  du  saint-synode;  un  édit  fut  adressé 
à  tous  les  gouverneurs  de  province  pour  qu'ils  protégeassent  les  agents 
de  la  Société  biblique.  Le  peuple  accueillit  favorablement  ces  derniers 
et  plaça  la  Bible  à  côté  des  images  les  plus  vénérées.  Plus  tard,  les  pro- 
grès furent  entravés  par  la  jalousie  des  popes  ;  quelques  expressions 
mal  comprises  des  livres  saints,  qui  donnèrent  lieu  à  de  fâcheux  malen- 
tendus, éveillèrent  la  défiance  de  l'autorité.  Mal  vue  pendant  les  der- 
nières années  du  règne  d'Alexandre,  la  Société  fut  supprimée  peu  après 
sa  mort  (1826).  Alexandre  encouragea  également  les  missionnaires  de  la 
Société  de  Baie  qui,  à  partir  de  1816,  se  rendirent  dans  le  sud  de  la 
Russie,  soit  pour  visiter  les  communautés  nestoriennes  et  les  colonies 
allemandes  fondées  sous  Catherine  II,  soit  pour  convertir  les  païens  et 
les  musulmans.  Leur  activité  fut  paralysée  par  la  jalousie  du  clergé 
russe  et  le  mauvais  vouloir  de  Fadministration;  le  czar,  qui  personnel- 
ul  leur  était  favorable,  dut  remettre  en  vigueur  la  loi  qui  contrai- 
gnait les  nouveaux  convertis  à  entrer  dans  le  giron  de  l'Eglise  grecque. 
Les  juifs  furent,  pendant  tout  le  règne  d'Alexandre,  traités  avec  bien- 
veillance :  le  gouvernement  s'efforça,  par  des  dons  en  terre,  de  mettre 
un  terme  à  leur  vie  errante;  ceux  qui  abjurèrent  la  religion  de  leurs 

;s  en  furent  récompensés  par  Fexemption  des  impôts.  Alexandre 
témoigna,  au  commencement  de  son  règne,  d'une  bienveillance  exces- 
sive pour  les  jésuites.  Le  général  de  l'ordre,  le  Père  Thaddeus  Brzo- 
zowski,  se  flatta  un  moment  de  concentrer  entre  ses  mains  tout  ren- 
seignement de  la  jeunesse  russe.  Le  collège  de  Polotzk  fut  investi  des 
mêmes  privilèges  que  les  universités  nationales,  les  écoles  des  Révé- 
rends Pères  affranchies  de  la  surveillance  de  l'Etat.  Les  jésuites  gâtè- 
rent une  situation  aussi  avantageuse  par  l'indiscrétion  de  leur  prosély- 
tisme. Plusieurs  jeunes  gens  de  famille  noble,  parmi  leurs  élèves,  furent 
convertis,  au  mépris  des  lois  de  l'empire,  entre  autres  le  propre  neveu 
du  ministre  de  l'instruction  publique,  le  prince  Paul  Galitzin.*  Un  ukase 
du  1er  janvier  1816  interdit  aux  Révérends  Pères  le  séjour  de  Saint-Pé- 
•ourg  et  de  Moscou.  Gomme  cette  leçon,  loin  de  ralentir  leurs  in- 
trigues,  leur  donna  un  nouveau  stimulant,  ils  furent  expulsés  de  tout 

tpire  par  l'ukase  du  23  mars  1820.  L'Eglise  catholique  en  Pologne 
n'eut  point  à  souffrir  de  ces  mesures.  Varsovie  fut  érigée  en  archevêché, 
Sandomir  et  Sanow  en  évechés  par  la  bulle  Ex  imposita  nobis  du  30  juin, 
l'ukase  du  27  novembre  1818.  E.  Strœhlin. 

ALEXANDRIE  (Ecole  juive  d').  La  ville  d'Alexandrie  fut  fondée 
en  332  par  Alexandre  de  Macédoine.  11  en  dressa  lui-même  le  plan  et 
en  confia  l'exécution  au  célèbre  architecte  macédonien  Démocrate. 
Peuplée  principalement  par  des  familles  venues  de  la  Grèce,  elle  fut 


160  ALEXANDRIE 

une  ville  grecque  de  mœurs  et  de  langage  ;  mais  les  grands  avantages 
qu'elle  allait  offrir  au  commerce,  et  qui  ne  pouvaient  échapper  à  des 
yeux  exercés,  y  attirèrent  presque  aussitôt  un  grand  nombre  de  Juifs, 
auxquels  Alexandre  accorda  les  mômes  droits  qu'aux  Grecs.  Par  sa 
position,  en  effet,  aussi  bien  que  par  les  nouveaux  rapports  que  l'éta- 
blissement d'un  grand  empire  grec  dans  le  centre  de  l'Asie  allait  for- 
cément faire  naître  entre  cette  partie  du  monde  et  l'Europe,  Alexan- 
drie était  destinée  à  devenir  le  plus  grand  marché  qui  eût  jamais  existé 
sur  la  terre.  En  fondant  cette  ville  à  laquelle  il  donna  son  nom, 
Alexandre  de  Macédoine  avait  peut-être  été  déterminé  par  le  désir  et 
le  besoin  d'assurer  des  communications  faciles  et  rapides  entre  la 
Grèce  et  le  nouvel  empire  qu'il  allait  former  dans  l'Asie  centrale.  Mais 
il  entra  certainement  aussi  dans  ses  plans  d'en  faire  le  centre  du  com- 
merce entre  l'Orient  et  l'Occident,  et  le  point  de  rencontre  où  pour- 
raient se  pénétrer  et  peut-être  se  fondre  ensemble  les  civilisations 
jusqu'alors  si  différentes  de  l'Asie  et  de  l'Europe  ;  on  rapporte  du 
moins  qu'il  caressait  ce  projet  d'une  fusion  plus  ou  moins  intime  des 
peuples  de  l'une  et  de  l'autre  de  ces  deux  parties  du  monde,  probable- 
ment dans  l'intérêt  de  sa  domination  en  Orient,  mais  peut-être  aussi 
en  vue  du  bonheur  des  hommes.  Quoi  qu'il  en  soit,  Alexandrie  fut 
bientôt  une  immense  ville  industrielle  et  commerciale.  La  fabrication 
du  verre,  du  papyrus,  des  étoffes  de  lin  y  occupait  des  milliers  de 
bras,  et  ses  vaisseaux  sans  nombre  répandaient  sur  toutes  les  côtes  de 
la  Méditerranée  les  riches  produits  de  l'Arabie  et  de  l'Inde,  et  y  appor- 
taient au  retour  des  marchandises  recueillies  dans  les  ports  de  l'Occi- 
dent et  aussitôt  expédiées  dans  les  différentes  contrées  de  l'Asie.  Après 
la  mort  d'Alexandre,  les  Ptolémées,  restés  maîtres  de  l'Egypte,  appe- 
lèrent de  la  Grèce  à  Alexandrie,  devenue  la  capitale  de  leur  royaume, 
des  savants,  des  philosophes,  des  artistes.  Ils  leur  assurèrent  une  exis- 
tence brillante,  les  comblèrent  d'honneurs  et  mirent  à  leur  disposition 
des  écoles  splendides,  des  bibliothèques  d'une  richesse  inouïe,  des  ob- 
servatoires, des  jardins  botaniques,  en  un  mot  tout  ce  qui  peut  contri- 
buer au  développement  des  grands  travaux  de  l'esprit.  Par  là,  cette 
ville,  déjà  la  métropole  de  l'industrie  et  du  commerce,  devint  aussi,  et 
pour  des  siècles,  le  plus  illustre  centre  des  lettres,  des  sciences  et  des 
arts.  —  Les  Juifs,  qui  formaient  une  partie  considérable  de  la  popula- 
tion d'Alexandrie,  ne  s'y  étaient  établis  que  dans  l'intention  de  se  livrer 
au  négoce,  pour  lequel  leur  race  avait  une  rare  aptitude.  Ils  ne  tar- 
dèrent cependant  pas  longtemps  à  s'intéresser  au  grand  mouvement 
littéraire  et  philosophique  qui  avait  pris  une  si  large  place  dans  cette 
ville.  Mis  en  présence  de  tant  d'éléments  de  culture  intellectuelle  qui 
leur  étaient  restés  à  peu  près  inconnus  dans  leur  petit  monde  de  la 
Judée,  ils  en  subirent  l'influence,  peut-être  sans  même  s'en  douter,  et, 
tout  en  restant  fidèles  à  leurs  croyances  monothéistes,  ils  furent  en- 
traînés dans  le  mouvement  général  du  monde  civilisé,  et  perdirent  peu 
à  peu  l'étroitesse  d'esprit  et  bien  des  préjugés  qu'ils  tenaient  de  leur 
éducation  première.  A  la  seconde  génération,  ils  eurent  oublié  leur 
langue  nationale  et  ne  connurent  et  ne  parlèrent  que  le  grec.  Il  fallut 


ALEXANDRIE  161 

leur  traduire  dans  roi  le  langue  la  Loi  (le  Pentateuque).  Dos  derniers 
temps  du  troisième  siècle  au  commencement  du  premier  avant  l'ère 
chrétienne,  un  certain  nombre  de  Juifs  alexandrins,  prenant  sans  doute 
Thucydide  pour  modèle,  entreprirent  d'écrire  en  grec  l'histoire  de  leur 
nation.  Les  noms  de  quatre  ou  cinq  d'entre  eux  sont  parvenus  jusqu'à 
nous,  Alexandre  Polyhistor,  qui  vivait  du  temps  de  Sylla  (90  à  80  ans 
av.  J.-C),  et  qui,  selon  toutes  les  apparences,  était  lui-même  d'origine 
juive,  tMi  parlait  dans  son  ouvrage  sur  les  Juifs.  Cet  ouvrage  a  péri  ; 
mais  Eusèbe  (Prxpar.  evangelica,  IX,  17-39)  en  cite  de  nombreux  frag- 
ments dans  lesquels  il  est  question  de  ces  historiens  judéo-alexandrins 
(voyez  aussi  Clément  d'Alex.,  Strom.,  I,  et  Josèphe,  Contr.  Apion,  1,  23). 
Pendant  la  même  période,  d'autres  Juifs  s'exercèrent  dans  la  poésie 
grecque,  Ezéchiel  composa  des  tragédies  bibliques  dans  lesquelles  il 
employa  l'ïambe  d'Eschyle  et  de  Sophocle,  poètes  tragiques  qu'il  avait 
pris  évidemment  pour  modèles.  Philon  (différent  de  Philon  le  philoso- 
phe et  de  Philon  l'ancien  mentionné  par  Josèphe  Contr.  Apion,  I,  23)  fit 
un  poëme  sur  Jérusalem,  etThéodote,un  Samaritain,  à  ce  qu'il  semble, 
un  poëme  dans  lequel  il  célébrait  la  gloire  de  Sichem,  selon  lui  la  ville 
sainte  de  la  famille  d'Israël.  Ce  qu'on  sait  de  ces  poètes  et  de  ces  histo- 
riens n'est  pas  de  nature  à  donner  une  haute  idée  de  leurs  talents  litté- 
raires. Mais  enfin,  et  c'est  ce  qu'il  suffit  de  montrer  ici,  leurs  ouvrages 
sont  une  preuve  manifeste  que  les  Juifs  alexandrins  ne  restèrent  pas 
étrangers  à  la  culture  des  Grecs,  qu'ils  en  étudièrent  les  œuvres  et  qu'ils 
s'efforcèrent  de  les  imiter.  —  C'est  surtout  la  philosophie  grecque  qui 
fit  une  profonde  impression  sur  leurs  esprits.  Us  ne  purent  voir  sans 
étonnement  l'accord  de  cette  philosophie,  sur  les  points  les  plus  essen- 
tiels de  la  religion,  avec  les  grandes  doctrines  du  judaïsme.  Platon, 
Aristote  et  les  stoïciens  proclament  l'unité  de  Dieu  aussi  hautement 
que  Moïse.  Comme  lui,  ils  enseignent  que  la  pratique  du  bien  moral 
est  la  condition  indispensable  du  bonheur  aussi  bien  des  peuples  que 
des  individus.  Il  est  permis  de  croire  que  leur  étonnement  ne  fut  pas 
sans  être  accompagné  de  quelque  secret  dépit.  Ils  étaient  habitués  à 
se  représenter  tous  les  hommes,  en  dehors  de  la  famille  d'Israël, 
comme  des  adorateurs  de  faux  dieux,  de  vaines  idoles  de  pierre  et  de 
bois  ;  ils  se  croyaient  seuls  en  possession  de  la  connaissance  du  vrai 
Dieu,  du  Dieu  unique  ;  c'est  sur  cette  croyance  qu'ils  fondaient  leur 
supériorité  sur  toutes  les  autres  nations.  Et  voilà  que  tout  d'un  coup 
ils  découvrent  qu'il  y  a  eu,  qu'il  y  a  encore,  au  milieu  des  peuples 
païens,  des  hommes  qui,  comme  eux,  font  profession  de  monothéisme. 
Leur  sentiment  religieux  en  aurait  été  peut-être  singulièrement 
troublé,  s'ils  n'avaient  presque  aussitôt  trouvé  une  explication  propre 
a  mettre  en  paix  leur  conscience.  Dans  leur  ignorance  de  l'histoire 
•  •t  dan-  la  naïveté  de  leur  foi,  ils  se  persuadèrent  que  les  philosophes 
grecs  avaient  emprunté  aux  écrits  de  Moïse  des  principes  et  des 
doctrines  si  contraires  à  l'idolâtrie  et  au  polythéisme  des  peuples 
auxquels  ils  appartenaient  par  leur  naissance.  Ce  sentiment  ne  s'effaça 
jamais  de  leur  esprit.  D'Aristotmle  à  Philon  et  de  Philon  à  Numénius 
d'Apamée,  tous  les  Juifs  qui  se  sont  familiarisés  avec  la  philosophie 


162  ALEXANDRIE 

grecque,  répètent  unanimement  que  Platon  est  un  Moïse  parlant  grec. 
L'orgueil  national  ne  fut  pas  certainement  étranger  à  la  naissance 
de  cette  opinion.  Les  Juifs  hellénistes  se  trouvèrent  heureux  de  se 
venger  du  mépris  trop  peu  dissimulé  des  Grecs  à  leur  égard,  en  leur 
affirmant  que  leurs  plus  célèbres  philosophes  avaient  puisé  leurs 
plus  belles  doctrines  à  la  source  pure  de  la  révélation  hébraïque.  On 
peut  croire  cependant  que  dans  le  principe  elle  leur  fut  suggérée  par 
l'admiration  qu'ils  éprouvèrent  pour  une  philosophie  si  voisine,  dans 
ses  traits  les  plus  caractéristiques,  de  leurs  propres  doctrines  religieu- 
ses, et  surtout  par  le  besoin  de  se  prouver  à  eux-mêmes  qu'ils  pou- 
vaient s'en  servir  pour  expliquer  leurs  livres  saints,  sans  la  moindre 
crainte  d'introduire  dans  cette  explication  des  éléments  étrangers, 
puisqu'elle  n'était  qu'un  emprunt  fait  à  ces  livres  saints  eux-mêmes. 
—  Les  Juifs  alexandrins  s'attachèrent  surtout  à  la  philosophie  plato- 
nicienne. Le  sentiment  religieux  dont  elle  est  empreinte  lui  valut  cer- 
tainement cette  préférence.  On  peut  croire  que  de  bonne  heure  ils  l'étu- 
dièrent  et  s'en  pénétrèrent.  On  trouve  en  effet  des  souvenirs  de  cette 
philosophie  dans  la  traduction  grecque  du  Pentateuque.  Dès  les  pre- 
miers mots  de  la  Genèse,  on  reconnaît  dans  l'auteur  de  cette  traduction 
un  homme  habitué  au  langage  platonicien.  La  terre  que  Dieu  vient 
de  créer,  encore  désordonnée  et  confuse,  d'après  le  texte  hébreu,  est 
dans  la  version  grecque,  une  terre  invisible  et  sans  forme,  àopaicc  *m\ 
&taTaaxeûftar6ç  (Gen.  I,  2).  Le  traducteur  alexandrin  n'aurait-il  pas 
entendu  par  là  le  monde  intelligible,  y.ôa\Loq  voyjtoç,  qui,  d'après  Platon, 
a  précédé  la  formation  du  monde  sensible,  y,6qxo<;  aicÔYjTéç  ?  Et  n'au- 
rait-il pas  cru  que,  dans  les  deux  écrits  de  la  création  du  monde  qui  se 
trouvent  l'un  dans  Gen.  I,  1-11,  111,  et  le  second  dans  Gen.  II,  4-25, 
Moïse  avait  voulu  décrire  dans  le  premier  la  création  du  monde  intel- 
ligible et  dans  le  second  celle  du  monde  sensible  ?  On  semble  autorisé 
à  le  supposer,  quand  on  compare  encore  la  traduction  grecque  et  le 
texte  hébreu  de  Gen.  II,  5.  M.  Daehne  (Geschicht.  Darstellung  der 
jud.-alexandr.  Religionsphilosophie,  II,  15-16,  27  et  ss.,  33  et  ss.)  et 
M.  Franck  (La  Kabbale,  3e  part.,  chap.  3)  indiquent  quelques  autres 
traces  de  préoccupations  philosophiques  dans  la  version  grecque  des 
Septante.  Je  renvoie  le  lecteur  à  ces  deux  remarquables  ouvrages;  ce 
que  j'ai  dit  de  la  traduction  grecque  de  Gen.  I,  2  et  II,  5,  me  paraît 
suffire  ici,  à  la  rigueur,  pour  nous  convaincre  que  dès  le  commence- 
ment du  second  siècle  avant  Père  chrétienne,  et  peut-être  même  plus  tôt 
la  philosophie  platonicienne  était  familière  aux  Juifs  d'Alexandrie.  — 
La  Sapience  (la  Sagesse  de  Salomon),  livre  apocryphe  de  l'Ancien  Testa- 
ment, présente  des  traces  bien  autrement  marquées  de  cette  philoso- 
phie. La  création  et  le  gouvernement  du  monde  y  sont  attribués  à  la 
Sagesse  (VII,  12  ;  VIII,  1  ;  le  nom  de  Logos  lui  est  donné  IX,  1  ;  XIII,  12), 
qui  y  est  personnifiée  sous  des  traits  plus  prononcés  (VII,  22  ;  VIII,  5  ; 
IX,  A  et  9)  que  dans  les  Proverbes,  l'Ecclésiaste  et  l'Ecclésiastique.  Cette 
doctrine  semble  inspirée  par  le  discours  que,  dans  le  Timée,  Platon 
fait  adresser  par  Dieu  aux  dieux  fils  de  Dieu  (les  dieux  seconds,  l'en- 
semble du  monde  intelligible).   L'auteur  de  ce  livre  pense,  avec  le 


ALEXANDRLE  |  83 

philosophe  athénien,  que  le  corps  corruptible  appesantit  l'âme,  que  la 

maison  d'argile  dans  laquelle  elle  est  renfermée  ici-bas  arrête  le  libre 
lcuII  is  IX,  18).  H  croit,  comme  lui,  à  la  préexistence  des 
âmes  I  VU,  I  :  Vil!,  10  et  20);  doctrine  qui  se  lie  à  la  précédente.  Enfin, 
comme  lui  encore,  il  admet  quatre  vertus  et  les  désigne  par  les  mêmes 
noms  (VI1J,  7),  ce  qui  écarte  toute  supposition  d'une  coïncidence  for- 
tuile. —  Clément  d'Alexandrie  el  Eusèbe  de  Gésarée  parlent  d'un  phi- 
losophe  juif,  nommé  Aristobule  (est-ce  l' Aristobule  de  2  Macc,  1,  20), 
qui  vivait  à  Alexandrie,  vraisemblablement  pendant  le  règne  de  Ptolé- 

Philométor  (481-445  av.  J.-G.).  Il  raconte  qu'il  avait  composé  un 
ouvrage  (probablement  intitulé  :  'E^y^ctî-ç  ty);  Mwuaéwç  YpaçYjç,  Expli- 
tation  du  livre  de  Moïse),  qui  était  une  interprétation  allégorique  du 
Pentateuque.  Dans  un  des  fragments  qui  en  ont  été  conservés  (ce  frag- 
ment faisait  partie  du  prologue  de  cet  ouvrage),  Aristobule  annonce 
lui-même  qu'il  n'est  pas  de  ceux  qui  s'en  tiennent  à  la  lettre  des  Ecri- 
tures, et  que  c'est  en  cherchant  ce  qu'il  y  a  plus  profond  dans  ce  qui  y 
est  exposé,  qu'il  va  essayer,  autant  qu'il  sera  en  lui,  d'en  expliquer  le 
contenu.  Que  trouva-t-il  sous  la  lettre  des  écrits  mosaïques  ?  Un  en- 
semble de  doctrines  en  complète  harmonie  avec  la  philosophie  grecque  : 
cela  ressort  de  presque  tous  les  fragments  qui  nous  restent  de  son  ou- 
unis  dans  YAlfgem.  Biblioth.  d'Eichhorn,  V,  253-259).  Ce  n'est 

il  est  vrai,  pour  faire  part  de  cette  intéressante  découverte  à  ses 
'igionnaires,  qu'il  composa  cet  ouvrage  ;  il  paraît  s'être  uniquement 
proposé  de  prouver  aux  païens  éclairés  de  son  temps,  non  pas  seule- 
ment que  le  mosaïsme  ne  le  cède  en  rien  à  la  sagesse  des  Grecs,  mais 
encore  et  surtout  que  les  écrits  de  Moïse,  antérieurs  à  ceux  des  poètes 
el  des  philosophes  de  la  Grèce,  étaient  la  source  à  laquelle  ils  avaient 
puisé  les  uns  et  les  autres  leurs  meilleures  pensées  et  leurs  plus  belles 
ries.  On  ne  saurait  en  douter  quand  on  voit  que,  pour  compléter  sa 
démonstration,  en  l'appuyant  sur  de  prétendus  faits  historiques,  il 
n'hésita  pas  à  inventer  des  fables  pleines  d'invraisemblance  et  à  com- 
mettre des  fraudes  pieuses,  fort  nombreuses,  à  ce  qu'il  semble.  Pour 
prouver  que  les  Grecs  avaient  pu  connaître  les  écrits  de  Moïse,  il  affirma 
que,  bien  avant  la  version  des  Septante,  il  existait  en  Egypte  une  tra- 
duction grecque  de  ces  écrits,  et  pour  prouver  qu'ils  les  avaient  réelle- 
ment connus,  il  interpola  et  même  fabriqua  de  toutes  pièces  des  poésies 

[ues,  dans  lesquelles  il  inséra  des  allusions  trop  transparentes  et 
par  cela  même  d'une  extrême  maladresse,  à  l'histoire  des  patriarches 

Moïse  (Valkenaer,  Diatribe  de  Aristobulojudxo.  Ludg.  Batav.,  1806, 

D'après  les  anciens  écrivains  ecclésiastiques,  Aristobule  aurait 

un  philosophe  péripatéticien.  Sur  quoi  se  fondait-on  pour  lui  donner 

dénomination?  On  ne  saurait  le  dire;  mais  à  en  juger  d'après  les 
quelques  sentiments  philosophiques  qu'il  émet  dans  les  fragments 
qu'on  a  de  son  ouvrage,  c'est  bien  plutôt  au  platonisme  qu'à  l'aristo- 
télisme  qu'il  le  rattachait.  On  voit  en  effet  qu'il  admettait  entre  Dieu  et 

onde  un  être  divin  intermédiaire  qu'il  appelle  parfois  la  sagesse, 

el  plus  souvent  la  puissance  ou  la  vertu  divine,  OsTa  c'Jvaw.-  (Eusèbe, 

ngiel.}  VII,   U;  Mil,  0  et  40;  IX,  6;  XIII,  12).  C'est  là 


164  ALEXANDRIE 

une  doctrine  caractéristique  et  essentielle  du  platonisme,  tandis  qu'elle 
est  entièrement  étrangère  à  la  philosophie  péripatéticienne.  Ajoutez  que 
la  méthode  d'interprétation  allégorique  dont  il  fait  un  si  grand  usage 
se  comprend  bien  mieux  chez  un  disciple  de  Platon  que  chez  un  dis- 
ciple d'Aristote.  L'interprétation  allégorique  du  Pentateuque,  comme 
instrument  ou,  si  le  mot  pouvait  s'appliquer  à  un  procédé  aussi  peu 
scientifique,  comme  méthode,  et  la  théorie  d'un  être  divin  intermédiaire, 
comme  doctrine  fondamentale,  tels  sont  les  deux  traits  essentiels 
qu'Aristobule  légua  à  la  théosophie  alexandrine.  Elle  se  développa  après 
lui  sur  cette  double  base.  Philon  en  fut  la  plus  parfaite  expression  (voir 
ce  nom).  Mais,  d'Aristobule  à  Philon,  bien  d'autres  Juifs  alexandrin 
cultivèrent  cette  théosophie  et  interprétèrent  allégoriquement  les  tra- 
ditions hébraïques.  Eclipsés  par  Philon,  ils  ne  nous  ont  pas,  il  est  vrai, 
légué  même  leurs  noms;  leurs  écrits,  s'ils  en  composèrent,  ne  sont 
pas  parvenus  jusqu'à  nous.  Quand  on  voit  celui-ci  combattre  certaines 
explications  allégoriques  qui  avaient  été  proposées,  nous  ne  savons  par 
quel  théosophe  juif,  ni  à  quelle  date,  on  ne  peut  douter  en  effet  qu'il 
n'ait  eu  bien  d'autres  prédécesseurs  qu'Aristobule  (Philon,  Allegor.  Leg., 
XL VII,  1  et  2,  à  propos  d'une  interprétation  allégorique  de  l'arbre  de  vie). 
—  En  outre  des  ouvrages  cités  dans  cet  article,  consultez  sur  l'école 
juive  d'Alexandrie  :  Gfrœrer,  Philo  und  die  alexandrimiche  Théosophie 
(publié  aussi  sous  le  titre  :  Krithche  Geschichte  des  Urchristenthums), 
Stuttg.,  1831,  2  vol.  in-8.  Hausrath,  J\ 'eûtes tament.  Zeitgeschichte,  t.  II, 
p.  126-148.  Schenkel,  Bibellexicon,  t.  I,  p.  85  ss.  M.  Nicolas. 

ALEXANDRIE  (Ecole  philosophique  d').  Elle  naquit  au  commence- 
ment du  troisième  siècle,  et  vécut  jusqu'en  529,  les  écoles  d'Athènes, 
son  dernier  refuge,  ayant  été  fermées  alors  par  Justinien  qui  en  donna 
les  biens  à  quelque  corporation  monastique.  Le  caractère  essentiel  en 
est  le  mysticisme  extatique.  Cette  manière  de  penser  avait  été  étran- 
gère aussi  bien  aux  Grecs  qu'aux  Latins.  Elle  fut  introduite  dans  le 
monde  gréco-latin  par  des  hommes  d'origine  orientale,  attirés  à  Alexan- 
drie par  la  renommée  de  ses  écoles,  et  sur  lesquels  le  platonisme  pro- 
duisit une  profonde  impression.  Ce  qui  les  séduisit  dans  cette  philoso- 
phie, ce  fut,  non  pas  seulement  son  caractère  religieux  et  théocratique, 
mais  encore  et  surtout  certaines  expressions  mystiques  dont  Platon 
s'est  servi,  et  ses  mythes  sur  la  préexistence  de  l'âme  et  sa  chute  dans 
un  corps  mortel.  Des  esprits  non  prévenus  n'y  auraient  vu  que  des 
images  brillantes,  et  les  auraient  expliquées  par  les  principes  ration- 
nels de  sa  dialectique,  comme  d'ailleurs  Platon  en  donne  lui-même 
l'exemple  dans  le  Ménon  à  la  fin  de  la  scène  de  l'esclave,  et  dans  bien 
d'autres  passages  de  ses  écrits.  Des  hommes  pleins  de  souvenirs  de  la 
sagesse  orientale  y  virent  les  doctrines  chères  à  leur  pays,  et  crurent 
devoir  expliquer  d'après  ces  doctrines  tout  ce  que  Platon  enseigne  sur 
les  procédés  logiques  de  la  raison  dans  la  recherche  de  la  vérité.  Le 
mysticisme  idéal  du  philosophe  athénien  fut  transformé  par  là  en  un 
mysticisme  extatique.  Les  premiers  Pères  de  l'école  alexandrine  n'au- 
raient certainement  pas  évité  l'erreur  que  je  viens  de  signaler  ;  ils  y 
auraient  été  inévitablement  entraînés  par  leur  imagination  orientale  et 


ALEXANDRIE  165 

leurs  préoccupations  religieuses.  Il  faut  reconnaître  toutefois  quelle 
leur  fui  transmise  par  la  théosophie  judéo-alexandrine.  Il  est  grande^ 
menl  vraisemblable  qu'ils  ne  connurent  d'abord  le  platonisme  que  par 
ce  que  celle-ci  leur  en  apprit.  Le  nom  et  les  écrits  de  Philon  restèrent 
probablement  inconnus  à  Plotin  comme  à  Ammonius  Saccas  ;  mais 
les  ouvrages  de  Numénius  d'Apamée,  un  philonien  qui  avait  dépouillé 
la  théosophie  judéo-alexandrine  de  sa  forme  juive,  se  lisaient  dans 
l'école  de  Plotin  (Porphyre,  Vie  de  Plotin,  §  14).  Celui-ci  fut  même 
accusé  de  s'être  approprié  les  sentiments  du  philosophe  d'Apamée 
(Porphyre,  Vie  de  Plotin,  %  17).  L'accusation  était  injuste  ou  du  moins 
d'une  exagération  manifeste  ;  cependant  le  fait  seul  qu'elle  ait  pu 
t't  re  portée,  prouve  qu'il  y  avait  des  traits  de  ressemblance,  peut-être  des 
liens  de  parenté  entre  les  deux  doctrines.  Les  Judéo-Alexandrins  livrèrent 
ainsi  à  Ammonius  et  à  Plotin  un  platonisme  déjà  transformé  en  un 
mysticisme  extatique,  et  quand  ceux-ci,  Plotin  du  moins,  abordèrent 
l'étude  des  écrits  de  Platon,  ce  fut  avec  des  idées  préconçues  et  un 
système  arrêté.  Ils  ne  laissèrent  pas  pour  cela  de  se  regarder  comme 
les  héritiers  et  les  disciples  légitimes  de  Platon  (d'où  le  nom  de 
néoplatonisme  sous  lequel  on  désigne  également  l'école  philoso- 
phique d'Alexandrie).  Grâce  à  l'autorité  du  philosophe  athénien,  cet 
ensemble  complexe  de  conceptions  transcendantes  qu'on  présente, 
faute  de  mieux,  sous  le  nom  vague  et  indéterminé  de  sagesse  orientale, 
envahit  le  monde  gréco-latin,  que  les  malheurs  du  temps  n'avaient  que 
trop  disposé  à  ces  doctrines  énervantes.  Il  est  à  peine  nécessaire  de  dire 
qu'on  a  cherché  avec  curiosité  la  provenance  des  divers  éléments 
orientaux  dont  se  compose  la  doctrine  de  l'école  alexandrine.  L'état 
encore  imparfait  de  nos  connaissances  des  religions  et  de  l'histoire  des 
différents  peuples  de  l'Orient  n'a  pas  encore  permis  d'arriver  à  des 
résultats  d'une  précision  suffisante.  C'est  des  travaux  des  orientalistes 
qu'il  faut  attendre  des  renseignements  satisfaisants.  Déjà  M.  Lassen  a 
attiré  l'attention  sur  les  étonnantes  analogies  de  la  doctrine  de  Plolin 
avec  le  bouddhisme  (le  Nirvana  et  les  moyens  d'y  atteindre).  Ce  serait, 
dans  tous  les  cas,  peine  perdue  que  de  consulter  sur  cette  question  les 
Alexandrins.  Ils  ignoraient  les  origines  de  leurs  philosophâmes  ;  ils 
s'inquiétaient  même  très-peu  de  savoir  d'où  ils  venaient.  Tout  ce  qulls 
pourraient  nous  apprendre,  c'est  qu'ils  les  tenaient  de  la  sagesse  orien- 
tale, et,  pour  en  être  persuadé,  on  n'a  pas  besoin  de  leur  témoi- 
gnage. Il  est  manifeste  en  effet  que  ni  la  théorie  des  deux  fois  nés, 
(Ennéade  I,  1.  III,  §  1;  1.  VIÏÏ,  §§  13  et  14;  Ennéade  II,  1.  IX,  §§  4 
et  9),  ni  celle  de  l'extase,  sous  une  forme  quelconque  (Porphyre, 
I  ie  de  Plo( m,  §  23),  ni  celle  de  la  simplification  comme  moyen  de 
s'unir  au  divin  Ennéade  V,  1.  XIII,  §  17;  VI,  1.  VII,  §§34  et  35),  ni 
celle  de  l'absorption  de  l'individu  dans  le  sein  d'une  unité  absolue 
ade  11.  1.  V,  §  12;  VI,  1.  VII,  §  3;>  ;  IX,  §  11),  ni  la  conception 
d  un  principe  premier  dans  lequel  il  n'y  a  ni  pensée,  ni  volonté,  ni 
Mouvement,  ni  vie,  ni  activité  d'aucune  espèce  (Ennéade  V,  1.  III, 
S  13;  \  i.  I.  VII,  §§  35-42),  doctrines  qui  forment  le  fond  du  système 
alexandrin,  n'ont  point   d'antécédents  dans  la  philosophie  grecque,  et 


106  ALEXANDRIE 

répugnent  au  plus  haut  degré  au  génie  de  la  Grèce.  —  Le  fondateur 
de  cette  école  fut  Ammonius  Saccas  (portefaix),  mort  à  Alexandrie 
en  242.  Il  avait  probablement  appartenu  d'abord  à  quelqu'une  des  sectes 
gnostiques  si  nombreuses  alors  dans  cette  ville;  Porphyre  dit  qu'il 
avait  été  chrétien  (Eusèbe,  Hist.  eccl,  VI,  19)  ;  mais  il  ne  paraît  pas 
avoir  fait  de  distinction  entre  les  gnostiques  et  les  chrétiens  (Vie  de 
Plotin,  §  16).  Arrivé  à  Fâge  de  raison,  il  abandonna  les  opinions  dans 
lesquelles  il  avait  été  élevé  dès  sa  naissance,  pour  se  livrer  à  la  culture 
de  la  philosophie  ou,  pour  mieux  dire,  de  ce  qu'il  prenait  pour  la  philo- 
phie.  La  lecture  des  écrits  de  Numénius  ou  de  quelque  autre  philonien 
ne  fut  peut-être  pas  étrangère  à  cette  conversion.  Mais  c'est  à  Plotin 
(né  à  Lycopolis  dans  la  haute  Egypte  en  205  et  mort  dans  la  Campanie 
en  270),  que  revient  l'honneur  d'avoir  donné  à  la  doctrine  d'Ammo- 
nius,  son  maître,  tous  les  développements  logiques  qu'elle  comportait 
et  de  l'avoir  exposée  par  écrit  en  cinquante-quatre  traités,  dont  Por- 
phyre retoucha  le  style  et  qu'il  publia  sous  le  titre  d'Ennéades  (Neu- 
vaines).  Voyez  la  Notice  bibliographique  à  la  fin  de  la  préface  de  la  trad. 
franc,  des  Ennéades  de  Plotin,  par  M.  Bouillet.  Paris,  Hachette,  1857- 
1861,  3  vol.  in-8°.  La  philosophie  de  Plotin  est  cette  doctrine  de  la 
délivrance  de  l'âme,  que  professent  les  zoghis  de  l'Inde  et  les  suffistes 
de  l'Asie  centrale,  qui  forme  le  fond  du  Dhyâna  des  bouddhistes,  que 
Eckart  et  Tauler  prêchèrent  sur  les  bords  du  Rhin  au  quatorzième 
siècle,  et  qui  se  retrouve,  sous  une  forme  populaire,  dans  les  écrits  de 
sainte  Thérèse  et  dans  ceux  de  Madame  Guyom  Le  point  de  départ  de 
Plotin,  comme  d'ailleurs  celui  de  tous  les  autres  mystiques  extatiques, 
est  un  très-vif  sentiment  des  misères  de  tout  genre  qui  assaillent 
l'homme  ici-bas.  Le  moyen  le  plus  sûr  de  se  délivrer  de  ces  misères, 
conséquences  inévitables  des  conditions  de  l'existence  humaine,  c'est 
de  rentrer,  par  delà  les  intermédiaires  qui  nous  en  séparent  actuelle- 
ment, dans  le  sein  du  principe  premier,  duquel  tout  est  sorti.  Telle 
est  la  fin  que  nous  devons  nous  proposer.  «  Le  but  auquel  l'homme 
aspire,  dit-il,  ce  n'est  pas  de  ne  point  faillir,  c'est  d'être  Dieu  »  (En- 
néade  I,  1.  II,  §  6).  Pour  que  la  délivrance  soit  complète,  il  faut  que 
Dieu  soit  le  repos  absolu.  Sur  les  traces  de  Platon  (Timée,  XLI,  A.-D, 
Henri  Martin,  Etudes  sur  le  Timée  de  Platon,  t.  I,  p.  110  et  112),  et 
comme  l'avaient  fait  Philon  et  Numénius,  Ammonius  Saccas  n'avait 
admis  qu'un  Dieu  premier  et  un  Dieu  second.  Plotin  jugea  nécessaire 
de  remonter  plus  haut.  Le  Dieu  premier  d' Ammonius  était  l'Intelli- 
gence, par  conséquent  un  être  pensant;  mais  penser  suppose  nécessai- 
rement une  dualité,  celle  du  sujet  et  de  la  pensée,  et  aussi  un  travail  : 
ce  ne  pouvait  être  là  le  Dieu  premier.  S'unir  à  ce  Dieu  premier  d' Am- 
monius, ce  n'aurait  été  que  changer  les  agitations  humaines  pour  les 
agitations  divines  ;  on  aurait  sans  doute  gagné  au  change  ;  mais  cela 
ne  suffisait  pas  à  Plotin  :  c'est  après  le  repos  absolu  qu'il  soupirait. 
Il  bannit  donc  loin  du  Dieu  véritablement  premier,  toute  action,  toute 
pensée.  Simplifier  ainsi  le  principe  premier,  c'était  en  faire  une  simple 
abstraction,  moins  que  cela,  un  venerabile  divinum  nihil.  Mais  Plotin 
était  de  ces  âmes  pour  lesquelles  le  non-être  est  préférable  à  l'être. 


ALEXANDRIE  167 

Aussi  est-il  d'avis  que  le  principe  qui  est  supérieur  à  l'Intelligence 
(c'est-à-dire  l'Un,  le  principe  premier)  n'a  pas  besoin  de  se  voir 
Ennéade  V,  1.  111,  §  10),  que  tout  ce  qu'on  peut  en  dire,  c'est  qu'il 
n'esl  aucune  chose  :  que  quelque  chose  qu'on  en  affirme,  on  le  parti- 
cularise [Ennéade  V,  livre  III,  §  13);  que  Dieu  n'est  pas  en  mouve- 
ment ;  qu'il  ne  vit  pas,  mais  qu'il  est  supérieur  à  la  vie  [Ennéade  V, 
1.  111,  §  35);  qu'on  ne  peut  dire  de  lui  :  Il  est  ceci  ou  cela  [En- 
néade V,  1.  V,  §  6),  Telle  est  d'ailleurs  la  doctrine  à  laquelle  doit 
aboutir  logiquement  le  panthéisme,  et  le  système  de  Plotin  est  un 
système  panthéiste.  Maintenant  il  est  à  peine  nécessaire  de  dire  ce  que 
L'homme  doit  faire  pour  arriver  à  l'union  avec  Dieu.  Il  faut  d'abord 
séparer  l'âme  du  corps,  puis  l'âme  proprement  dite  de  l'âme  sensible, 
pleine  de  passions  et  de  désirs  [Ennéade  V,  1.  I,  §  12;  1.  III,  §  9); 
il  faut  aller  plus  loin  encore,  se  dépouiller  de  tout  acte  de  réflexion, 
de  sa  propre  conscience,  de  sa  personnalité,  c'est-à-dire  s'anéantir, 
tt  quand  il  ne  nous  reste  plus  que  (ce  qui  est  Dieu  lui-même  en 
nous,  nous  lui  sommes  unis,  puisque  rien  ne  nous  distingue  de  lui 
J:nnéade  I,  1.  II,  §  -4;  Ennéade  V,  1.  V,  §  7).  En  attendant  que 
par  le  cours  naturel  des  choses,  l'âme,  ainsi  préparée,  soit  séparée 
définitivement  du  corps  par  la  mort,  l'homme  peut  déjà  ici-bas  jouir 
momentanément  de  l'union  avec  Dieu.  C'est  l'affaire  de  l'extase,  et 
l'extase  est  l'effet  de  la  simplification,  ou  de  la  suspension  momenta- 
née de  la  pensée,  de  la  volonté,  de  la  conscience  et  de  la  personnalité. 
Porphyre  nous  apprend  que,  pendant  les  six  années  qu'il  passa  avec 
Plotin,  celui-ci  eut  quatre  fois  le  bonheur  de  s'unir  avec  le  Dieu 
suprême,  non  pas  virtuellement,  mais  par  un  acte  réel  et  ineffable,  et 
il  ajoute  avec  modestie  que  pour  lui  il  n'a  goûté  ce  bonheur  qu'une 
seule  fois  [Vie  de  Plotin,  §  23).  Au  point  de  vue  d'une  saine  philo- 
sophie, on  ne  peut  s'empêcher  de  porter  un  jugement  sévère  sur  ce 
système  [Hist.  crit.  de  l'école  d'Alexandrie,  par  M.  Vacherot,  III,  243). 
Sous  le  spécieux  prétexte  de  délivrer  définitivement  l'homme  de  ses 
maux,  il  renverse  l'ordre  naturel  des  choses,  mettant  le  non-être  an- 
us de  l'être,  et  déclarant  la  vie  un  mal  et  l'anéantissement  un 
bien  (Ennéade  I,  1.  VII,  §  3).  Il  serait  cependant  injuste  de  ne 
Caire  porter  en  grande  partie  la  responsabilité  de  ses  erreurs  au 
temps  qui  le  vit  naître.  On  ne  trouverait  en  aucune  autre  époque  un 
concours  de  circonstances  plus  propres  à  pousser  une  âme  honnête  au 
désespoir  et  à  exalter  presque  jusqu'au  délire  le  sentiment  mystique 
qui,  après  tout,  est  une  partie  constitutive  de  la  nature  humaine. 
D'un  autre  côté,  on  ne  saurait  méconnaître  le  caractère  héroïque  dont 
système  est  empreint  et  qui  force  l'admiration  de  ceux-là  même 
qui  le  tiennent  pour  une  aberration  de  la  raison.  On  ne  peut  voir,  sans 
mu,  <i« !S  hommes  d'un  esprit  élevé  et  d'une  haute  moralité 
enir  une  lutte  continuelle  avec  les  instincts  les  plus  prononcés  de 
notre  nature,  travailler  avec  une  sombre  énergie  à  leur  propre  anéan- 
ment,  et  aspirer  à  la  mort  avec  plus  d'ardeur  que  l'immense 
majorité  des  hommes  a  la  conservation  de  leur  existence.  — Après 
Plotin   «  I    ses   disciples  immédiats,   l'école   alexandrine    tomba   dans 


168  ALEXANDRIE 

une  décadence  protonde.  Porphyre   (233-304)   vécut  assez  pour  en 
être  témoin.  Il  essaya  de  l'arrêter;  ce  fut  probablement  dans  cette 
intention  qu'il  composa  sa  Lettre  à  Anébon  (imprimée  en  tête  du  De 
mysteriis  jfigyptiorum  de  Gale)  ;  effort  superflu  :  l'âge  héroïque  de 
cette  école  ne  pouvait  durer  plus  longtemps.  A  partir  de  Jamblique 
(mort  en  333),   les  doctrines  essentielles  du  système  de  Plotin  sont 
oubliées  et  remplacées  par  un  amas  de  vulgaires  superstitions.  Ne  se 
sentant  plus  capables  de  s'élever  par  leurs  propres  efforts  jusqu'à  la 
vue  du  principe  premier,  et  bien  moins  encore  jusqu'à  l'union  avec 
lui,  les  néoplatoniciens  dégénérés  déclarent  que  le  Dieu  suprême  est 
inaccessible  de  même  qu'il  est  ineffable.  Leurs  prétentions  se  bornent 
à  se  mettre  en  rapport  avec  les  dieux  subordonnés,  et  encore  non  par 
un  travail  intellectuel  et  moral,  mais  par  des  évocations  magiques. 
L'âme,  trop  faible  pour  monter  jusqu'à  eux,  leur  demande  de  des- 
cendre jusqu'à  elle.  «  L'enthousiasme,  nous  dit  Fauteur  du  De  mysteriis 
jfâgyptiorum  (III,  §  7),  n'est  le  fait  ni  de  l'âme  ou  de  quelqu'une  de  ses 
facultés,  ni  de  l'intelligence  ou  de  ses  opérations.  Le  ravissement  en 
Dieu  n'est  pas  une  œuvre  humaine  :  Dieu  en  est  Tunique  auteur;  il 
l'opère  par  lui-même,  seul,  et  sans  que  l'âme  et  le  corps  y  soient  pour 
rien.  »  Les  Alexandrins  du  quatrième  et  du  cinquième  siècle  sont  si 
bien  convaincus  de  leur  impuissance  et  par  suite  de  l'impuissance  de  la 
raison  humaine  en  général,  qu'ils  rapportent  toutes  nos  connaissances 
à  une  révélation.  A  les  en  croire,  Hermès  Trismégiste  aurait  enseigné 
aux  hommes,  de  la  part  des  dieux,  l'écriture,  le  calcul,  la  géométrie, 
la  physique,  en  un  mot,  toutes  les  sciences  et  tous  les  arts,  et  en  même 
temps  la  religion  et  la  philosophie,  qui  ne  sont  qu'une  seule  et  même 
chose  sous  deux  aspects  différents.  La  religion  est  la  philosophie  pré- 
sentée sous  une  forme  allégorique  et  symbolique,  et  la  philosophie 
est  la  religion  dépouillée  de  ce  vêtement  extérieur  et  entendue  dans 
son  sens  véritable  et  réel.  L'une  est  pour  la  foule  ignorante,  incapable 
de  comprendre  la  vérité  divine  dans  sa  pureté,  et  qui,  pour  n'être  pas 
exposée  à  la  profaner  par  des  conceptions  grossières,  doit  s'en  tenir 
à  des  symboles  et  des  allégories  ;  l'autre  est  la  part  des  esprits  élevés 
qui  peuvent  saisir  le  véritable  sens  des  choses.  Ce  n'est  pas  toutefois 
que  ceux-ci  aient  pu  par  quelque  effort  de  leur  raison  soulever  les 
voiles  de  l'allégorie  qui  couvrent  la  révélation  ;  s'ils  en  connaissent  le 
sens  caché,  c'est  que  Hermès  le  fit  connaître  lui-même  à  des  initiés  qui 
à  leur  tour  l'ont  transmis  à  leurs  successeurs.  La  série  de  ces  hommes 
privilégiés  est  ce  que  les  Alexandrins  appellent  la  chaîne  hermétique. 
Les  Orphée,  les  Pythagore,  les  Platon,  tous  les  sages  de  l'antiquité 
en  forment  les  anneaux  ;  les  Alexandrins  en  font  eux-mêmes  partie,  et 
sont  par  cela  même  des  inspirés  de  Dieu.  —  Proclus  (412-485),  qui  fut  le 
philosophe  de  ce  néoplatonisme  dégénéré,  entreprit  de  donner  une  forme 
scientifique  à  cet  amas  de  futiles  imaginations.  U  Institution  théologique, 
qui  est,  avec  sa  Théologie  platonicienne,  le  plus  important  de  ses  ouvrages, 
est  écrite  more  geomelrico.  Chaque  chapitre  commence  par  l'énoncé 
d'une  proposition  et  en  présente  ensuite  une  sorte  de  démonstration. 
Cette   affectation  de  rigueur  scientifique  ne  saurait   nous   tromper. 


ALEXANDRIE  169 

Proclus  manque  d'espril  philosophique;  il  est  l'homme  de  la  tradition 
ei  de  la  révélation;  il  fonde  sa  prétendue  philosophie  sur  les  livres 
d'Hermès,   auxquels   il  associe  les  poèmes  orphiques  et  les  oracles 
chaldaïques.  La  foi  en  ces  écrits  (les  uns  fabriqués  et  les  autres  arrangés 
par  les  Alexandrins  eux-mêmes  d'après  leurs  propres  croyances)  est, 
selon  lui,  L'unique  source  de  la  connaissance  de  la  vérité  divine  (Theol. 
phi  ion.,  I,  25-29).  Il  était  plein  de  dévotion  pour  tous  les  dieux  du 
paganisme;  il  se  donnait  lui-même  pour  un  hiérophante  universel;  il 
Be  croyait  inspiré  (Von  haut.  Les  dieux,  h  ce  qu'il  prétendait,  commu- 
niquaient avec  lui  en  songes.  En  réalité,  tous  les  Alexandrins,  depuis 
Jamblique,  sont,  non  des  philosophes,  mais  des  soutiens  et  des  apolo- 
gistes  du  paganisme  mourant.  Plotin,  Porphyre  et  ses  autres  disciples 
étaienl   sans  doute  attachés  aux  anciennes  religions  païennes;  mais 
s'ils  ne  négligèrent   pas  à  l'occasion  de^ donner  un  sens  rationnel  aux 
antiques  mythologie*,  ils  n'en  firent  pas  leur  constante  préoccupation. 
Depuis  Janiblique,  au  contraire,  l'école  alexandrine  n'a  qu'une  seul0 
pensée,  qu'un  seul  désir,  la  restauration  des  anciennes  croyances,  et 
ds  espèrent  y  réussir  en  soutenant  qu'elles  seules,  comme  le  dit  Pro- 
clus, retirenl  les  âmes  de  l'ignorance  et  du  mal  et  sont  capables  de 
les  unir  aux  dieux.  Celte  différence  entre  les  deux  âges  de  l'éceh 
d'Alexandrie  est  tellement  manifeste  qu'elle  frappa  même  quelques- 
uns  des  néoplatoniciens.  «Les  uns,  dit  Olympiodore  dans  son  Com- 
mentaire sur  le  Phédon,   donnent  le  premier  rang  à  la  philosophie, 
comme  Porphyre,  Plotin  et  beaucoup  d'autres  ;  les  autres  à  la  religion, 
comme  Jamblique,  Syrius,  Proclus  et  tous  les  hiératiques  (Cousin, 
Fragments  philosophiques,  Phil.   ancienne,   2e  édit.,   1840,   p.  543. 
Voyez  aussi   dans   ce  volume  sur    le    symbolisme  des  Alexandrins, 
î  1-543,  et  sur  les  néoplatoniciens  du  quatrième  siècle,  p.  210-242). 
défenseurs  du  paganisme  furent  naturellement   des  adversaires 
du  christianisme.  Il  est  étonnant  que.  seulement  trois  d'entre  eux, 
Porphyre,  l'empereur  Julien  et  Proclus,  aient  écrit  contre  la  religion 
nouvelle.  Leurs  ouvrages  ne  sont  pas  parvenus  jusqu'à  nous  ;   mais 
en  connaît  des   extraits   plus  ou  moins  étendus  par  les  anciens 
vains   ecclésiastiques  (celui  de   Porphyre,  par  Eusèbe,  Hist.  ce- 
clés.,  VI,  19,  et  Démonst.  évang.,  III,  G,  et  Augustin,  Cité  de  Dieu,  XIX, 
23  ss.,  celui  de  Julien  par  la  réfutation  qu'en  a  faite  Cyrille  d'Alexan- 
drie, et  celui  de  Proclus  par  le  Contra  Procli  de  mundi  xternitatc,  de 
Jean  Philopon).  —  L'inimitié  de  l'école  philosophique  d'Alexandrie 
pour  le  christianisme  n'empêcha  pas  quelques  Pères  de  l'Eglise.,  entre 
s  Basile  le  Grand  et  son  frère  Grégoire  de  Nysse,  de  tenir  Plotin 
pour  un   philosophe  éminent  et  d'étudier  ses  écrits.  La  Calechetica 
de  celui-ci  esl  pleine  de  souvenirs  des  Ennêades  (Trad.de  Uouillet, 
13,  360,  385  et  386),  et  YOraiio  de  Spiritu  sancto  de  ce- 
lui-la    a  la  fi'i  du  cinquième  livre  de  son  Contra Enomium)  contient  un 
long  •  qui  esl  presque  en  entier  emprunté  à  Plotin  (Ennéade  V, 

i.   I.  §  2  :  Trad.  de  Bouillet,  I.  III,  p.  638-644,  et  pour  d'autres  imi- 
tations, Ibid.,   I.  I,  p.  lui,  note  1,  et  LV,  la  note;  t.  III,  p.  474,  572, 
656.    Sur    le   même    sujet,    A.    Jahn,   Basilius   magnus    platoni- 
i.  12 


170  ALEXANDRIE 

zans,  1838).  Augustin  lui-même  ne  sut  pas  voir  la  différence  radicale 
qui  se  trouve  entre  le  néoplatonisme  de  Plotin  et  le  véritable  christia- 
nisme. Il  est  persuadé  que  les  Alexandrins  n'auraient  eu  à  changer 
que  quelques  mots  et  quelques-unes  de  leurs  opinions  pour  devenir 
chrétiens  (paucis  mutalis  verbis  atque  sententiis  christiani  fieront.  De 
vera  religione,  cap.  IV,  §  7).  Dans  son  épîlrc  à  Dioscore,  §  21,  il  re- 
produit ce  sentiment  presque  dans  les  mêmes  termes  (M.  iiouillet, 
dans  les  notes  qui  accompagnent  sa  traduction  des  Ênnéades,  a 
recueilli  avec  autant  de  science  que  de  patience,  tout  ce  qui^  dans  les 
écrits  d'Augustin,  a  trait  à  ses  rapports  avec  le  néoplatonisme.  On  en 
trouvera  l'indication  dans  la  Table  générale  des  matières,  t.  III, 
p.  6G1-663).  Jusqu'à  ce  moment  les  écrivains  chrétiens  n'avaient 
fait  des  emprunts  qu'à  Plotin  et  à  quelques  écrits  de  Porphyre  ;  au 
commencement  du  sixième  siècle,  un  écrivain  inconnu,  peut-être  un 
néoplatonicien  converti  au  christianisme,  ou,  ce  qui  semble  plus  vrai- 
semblable, un  chrétien  séduit  par  la  philosophie  alexandrine  telle 
qu'elle  s'enseignait  alors  à  Athènes,  habilla  à  la  chrétienne  le  système 
de  Proclus,  le  compléta  par  une  application  de  ses  conceptions  hié- 
rarchiques aux  choses  ecclésiastiques,  et,  attribuant  ces  divers  opus- 
cules à  Denys  l'Aréopagite  (Actes  XVII,  34),  les  lança  dans  le  monde 
chrétien.  Ces  écrits  soulevèrent  au  premier  moment  une  vive  opposi- 
tion ;  ils  finirent  par  en  triompher.  Traduits  en  latin  au  neuvième  siècle 
par  Jean  Scot  Erigène,  commentés  pendant  le  moyen  âge  à  l'égal  des 
saintes  Ecritures,  ils  ont  été  pendant  longtemps  le  manuel  des  mys- 
tiques extatiques  chrétiens  (L.  Monte t,  Des  livres  du  Pseudo-Denys, 
Paris,  1848,  in-8°).  —  Voyez  la  notice  bibliographique  donnée  dans  la 
dernière  édition  du  Dictionnaire  des  Sciences  philosophiques ,  Paris, 
Hachette,  1875,  page  32.  Michel   Nicolas. 

ALEXANDRIE  (Ecole  chrétienne  d').  Le  christianisme  fut  porté  à 
Alexandrie  dès  le  premier  siècle  par  Marc  l'évangéliste,  le  fidèle  com- 
pagnon de  saint  Pierre,  après  le  martyre  de  celui-ci  pendant  la  persécu- 
tion de  Néron  (Eusèbe,  H.  E.,  II,  16).  La  religion  nouvelle  se  développa 
rapidement  dans  la  ville  et  dans  toute  la  conlrée  environnante,  et  y 
forma  l'une  des  Eglises  les  plus  considérables  de  la  chrétienté  primi- 
tive; elle  devint  promptement  l'un  des  foyers  les  plus  actifs  de  la  piété 
et  de  la  science  évangélique.  Cette  Eglise,  la  vraie  métropole  de  FOrient 
chrétien,  depuis  que  Jérusalem  n'était  guère  plus  qu'un  grand  nom, 
dut  son  caractère  particulier  aux  circonstances  au  milieu  desquelles 
elle  grandit.  Les  questions  de  gouvernement  intérieur  la  préoccu- 
pèrent beaucoup  moins  que  les  Eglises  occidentales,  bien  plus  tour- 
nées vers  la  pratique  et  l'organisation,  dont  elles  avaient  le  génie. 
Longtemps  fidèle  à  l'antique  constitution  de  l'Eglise,  l'évèque  ne  fut  à 
Alexandrie,  jusqu'au  premier  tiers  du  troisième  siècle,  que  le  repré- 
sentant, le  délégué  des  anciens,  primas  inter  parcs,  comme  on  en  peut 
juger  par  ce  texte  non  contesté  de  saint  Jérôme  :  Alexandrix  usque  ad 
Heraclam  presbyteri  semper  unurn  ex  se  electum  in  excelsiori  gradu  col- 
latum  episcopum  nominabant  (saint  Jérôme,  Ep.  ad  Evang.  Oper.,  t.  IV, 
p.  802).  La  constitution  de  l'ancienne  Eglise  d'Alexandrie  a  été  retrou- 


ALEXANDRIE  171 

vée  avec  des  caractères  certains  d'authenticité  dans  les  Constitutions 
langue  copte,  dont  le  manuscrit  a  été  découvert  par 
Tattam  (voir  Bunsen,  Analecta  antenicœna,  vol.  II,  p.  451-477).  Ce  pré- 
cieux document  fail  revivre  sous  nos  yeux  l'Eglise  de  Clément  et  d'Ori- 
gène,  avec  le  libéralisme  large  et  élevé  qui  présida  à  son  gouverne- 
menl  jusqu'à  l'épiscopal  de  Démétrius  et  l'exil   d'Qrigène.  Nous  y 
trouvons  aussi  1rs  renseignements  les  plus  précieux  sur  l'institution  la 
plu--  caractéristique  de  Cette  Eglise,  l'école  des  catéchètes.  On  peut 
dire  que  c'esl  à  Alexandrie  que  la  théologie  chrétienne  a  pris  nais- 
e,  du  moins  son  enseignement  méthodique  et  approfondi.  S'adres- 
sant  à  des  hommes   pour  la  plupart   cultivés,  héritiers  de  toute  la 
ce  du  paganisme,  l'Eglise  d'Alexandrie  devait,  pour  les  gagner  à 
•.  établir  la  supériorité  de  celui-ci  sur  tout  ce  qui  l'avait  pré- 
cédé,   en  cherchant  aussi  à  dégager  des  superféiations  parasites  les 
pierres  d'attente  de  l'édifice  nouveau,  soit  dans  la  culture  du  passé, 
soit  dans  t'àme  humaine  elle-même,  faite  pour  la  vérité  et  la  vie  divine. 
Une  telle  tâche  était  considérable  et  demandait  plus  que  le  simple  et 
i    témoignage  rendu  à  la  foi  chrétienne;  ce  témoignage  ne  ces- 
sait  pas  d'ailleurs   d'être  le   moyen  le  plus  efficace   de   gagner  les 
simples  el  les  ignorants,  les  souffrants  et  les  méprisés,  car  ils  n'étaient 
point  négligés  par  cette  grande  Eglise,  malgré  sa  vocation  spéciale; 
ne  n'hésitait  pas  à  se  glorifier  de  ce  qui  était  un  sujet  de  scandale 
aux  yeux  de  Celse,  en  reconnaissant  hautement,  malgré  les  railleries 
!i  adversaire,  que  le  christianisme  s'est  en  effet  préoccupé  de  tous 
-'daignes  de  la  philosophie  païenne,  de  la  femme,  de  l'esclave  et 
même  du  brigand  (Origène  contre  Celse,  liv.  III,  c.  49).  C'est  donc  sans 
aucun  exclusivisme,  et  en  répudiant  les  dédains  de  l'Académie  ou  du 
Portique  pour  les  esprits  non  cultivés,  que  l'Eglise  d'Alexandrie  fonda 
un  enseignement  doctrinal  plein  de  hardiesse  et  de  profondeur.  Elle  y 
fut  amenée  par  le  simple  accomplissement  de  sa  mission,  en  suivant 
l'exemple  de  saint  Paul,  «  de  se  faire  tout  à  tous.  »  Pour  répondre  aux 
besoins  des  prosélytes  qui  sortaient  du  Serapeum,  il  fallait  concilier  l'idée 
chrétienne  avec  la  haute  culture  antique,  du  moins  dans  ce  que  celle-ci 
avail  de  légitime,  et  combattre  les  erreurs  qui  la  corrompaient.  Ces  er- 
s  ne  venaient  pas  seulement  du  dehors,  mais  encore  du  dedans.  Il 
'allait  se  défendre  sans  cesse  contre  l'hérésie,  spécialement  contre  le 
-iicisme,  si  plein  de  séduction,  grâce  au  symbolisme  ingénieux  par 
lequel  il  recouvrait  d'un  voile  chrétien  le  vieux  fond  de  la  métaphysique 
païenne.  11  avail  trouvé  à  Alexandrie  le  terrain  le  plus  favorable  à  sa 
tnde;  c'est  là  que  Basilides  et  Valentin  avaient  développé  leur 
?no<c  tout  ensemble  poétique  et  subtile,  dont  les  Philosophoumena 
non>  0*1  rendu  la  trame  et  l'enchaînement  par  des  textes  complets  et 
k  -rient  la  lumière  dans  les  informes  et  obscurs  fragments 
«ée  i  t  Epiphane  (voir  les  Philosophoumena,  édition 
Dunker  et  Sehrfedewin,  Gœtt.,  1889,  liv.  V,  VI  et  VII).  Telles   sont 
et  les  nécessités  qui  expliquent  la  fondation  de  l'é- 
des  catéchètea.  Ce  l'ut  bientôt  une  institution  véritable  qui  eut 
aon  nom  (tg  m?  'AXft&tôpetcev  cicar/.aXsïov,  Eusèbe,  H.  jE\,V,  10;  xb  xyjç 


172  ALEXANDRIE 

y.a.vffitfi<setùq  Bi&xraaXeîov,  ld.,  VI,  6;  Comp.  Sozom.,  //.  E.,  III,  15; 
Phot.  Codex,  118,  Catcchisandi magislerium ; Rufin, //. #.,11, 17). L'école 
des  catéchètes  était  en  relation  directe  avec  l'Eglise  elle-même,  aussi 
fut-elle  placée  sous  son  gouvernement  régulier;  l'évêque  fui  chargé  de 
désigner  ses  maîtres  (Eusèbe,  II.  E.,V1,  3).  Il  ne  pouvait  en  être  autre- 
ment, car  elle  ne  devait  jamais  se  confondre  avec  un  simple  établisse- 
ment scientifique;  elle  était  destinée,  avant  tout,  à  préparer  les  prosé- 
lytes au  baptême  qui,  à  cette  époque,  était  principalement  administré 
aux  adultes,  le  baptême  des  enfants,  déjà  en  usage,  étant  l'exception  et 
non  la  règle,  ou  du  moins  ne  déterminant  pas  le  caractère  essentiel  du 
sacrement.  L'Eglise  ne  voulait  ouvrir  sa  porte  qu'à  des  adhérents  ca- 
pables non-seulement  de  l'honorer,  mais  encore  de  la  gouverner,  puis- 
que tout  son  gouvernement  reposait  en  définitive  sur  l'élection  des 
fidèles.  Elle  demandait  les  plus  sérieuses  garanties  à  ses  néophytes,  et 
c'était  au  Ccitéchuménat  à  les  lui  fournir.  Aussi  était-il  réglé  avec  le 
plus  grand  soin  clans  l'Eglise  d'Alexandrie,  comme  on  en  peut  juger 
par  le  document  copte  publié  par  Tattam.  Il  devait  durer  trois  ans  (xp(a 
eiYj  y.arr^stcOw,  Const.  Ecc.  Egypt.,  II,  42).  Le  candidat  au  catéchu- 
ménat  subissait  un  examen  préliminaire  sur  sa  conduite  pour  qu'on  s'as- 
surât de  sa  sincérité  {Const.  Egypt.,  II,  40).  Toute  infraction  aux  bonnes 
mœurs,  toute  connivence  avec  l'idolâtrie  suffisait  pour  l'écarter,  môme 
comme  disciple,  afin  qu'il  fût  bien  établi  que  quand  il  s'agit  de  la  vérité 
chrétienne  le  savoir  n'est  rien  sans  la  pureté  du  cœur,  qui  seul  voit  Dieu 
(Matth.  V,  8).  En  ce  qui  concerne  le  mode  d'enseignement,  il  n'avait 
aucune  solennité  oratoire.  Il  commença  par  être  privé.  Les  catéchu- 
mènes se  pressaient  dans  la  demeure  du  catéchiste,  souvent  jusque 
dans  les  heures  avancées  de  la  nuit  à  cause  de  leur  aflluence  (Eusèbe, 
H.  E.,  VI,  3).  Plus  tard  il  eut  lieu  en  public,  le  matin  avant  la  célébra- 
tion du  culte  proprement  dit  (Const.  Egypt.,  II,  -40),  mais  à  ses  grands 
jours  il  était  plutôt  un  entretien  qu'une  exposition,  afin  de  mieux  s'ap- 
proprier aux  divers  degrés  de  culture,  à  l'Age,  au  sexe  de  ses  audi- 
teurs. «  Nous  avons  appris,  dit  Origène,  comment  il  faut  répondre  à 
chacun.  Il  en  est  parmi  nos  auditeurs  qu'il  faut  se  contenter  d'exhorter 
à  croire,  mais  il  en  est  d'autres  que  nous  persuadons  par  des  demandes 
et  des  réponses  (cî  èpwr/jaewv  y.al  àicoxpicetov).  Sur  chaque  point  nous 
varions  nos  arguments»  (Orig.,  Contre  Celse,  VI,  10;  Comp.  Eusèbe, 
H.  E.,  VI,  8;  Glém.,  Strom.,  1,  i,  18).  «Gardons-nous,  disait  Clément 
d'élargir  nos  phylactères  par  amour  de  la  vaine  gloire.  Un  seul  dis- 
ciple suffit  au  sage  »  (Strom.,  1, 10,  48).  La  littérature  grecque,  surtout 
la  philosophie,  était  mise  à  profit,  sans,  scrupule,  pour  préparer  les 
voies  à  l'Evangile  (Glém.,  Strom.,  I,  \,  16).  L'enseignement,  simple  et 
populaire  au  début,  devenait  en  se  développant  de  plus  en  plus  la  vraie 
gnose  chrétienne,  sans  jamais  ressembler  à  la  gnose  hérétique,  car  il 
ne  cessait  pas  d'être  pénétré  de  sève  morale;  il  était  présenté  comme 
inséparable  de  la  sainteté,  et  son  terme  était  la  contemplation  de  Dieu 
(Glém.  Alex.,  Strom.,  II,  18,  77;  V,  1,  3,  13).  Rien  ne  ressemblait 
moins  à  l'ésotérisme  philosophique  que  cette  gnose;  elle  n'était  qu'un 
degré  plus  avancé  de  connaissance  auquel  tous  pouvaient  parvenir,  un 


ALEXANDRIE  173 

simple  développement  de  la  foi.  Celle-ci  posait  le  fondement,  et  la 
gnose  se  bornait  à  construire  l'édifiée.  La  foi  était  le  commencement; 
la  gnose  l'achèvement  Glém'.,  Strom.,  VII,  10,  51).  I!  semble  que  cet 
enseignemenl  supérieur  fui  surtoul  destiné  à  ceux  qui  n'étaient  plus  de 
simples  catéchumènes  el  qui  donnaient  une  quatrième  année  à  leur 
instruction  religieuse  (Clém.,  Strom.,  II,  18,  96).  Ceux  qui  voulaient  à 
leur  tour  devenir  maîtres  après  avoir  été  diseiples  ne  se  contentaient 
pas  de  ces  quelques  années;  ils  s'attachaient  pour  un  temps  indéter- 
miné au  chef  de  l'école  des  catéchètes.  C'est  ainsi  que  Clément  avait 
ét<  formé  par  Panténus  (Eusèbe,  H.  E.,  VI,  11),  Origène  par  Clément 
Eusèbe,  //.  E.,Xl,  19),  et  Héraclas  et  Denys  par  Origène.  Rien  ne 
préparai!  mieux  les  futurs  directeurs  de  l'école  que  de  collaborer  à  la 
tâche  de  leur  maître,  sous  ses  yeux.  On  se  tromperait  pourtant  si 
l'on  établissait  une  ligne  de  démarcation  trop  tranchée  entre  les  deux 
enseignements.  Les  catéchumènes  d'Alexandrie,  pour  la  plupart,  avaient 
besoin  d'une  exposition  large  et  approfondie  de  la  vérité  chrétienne. 
On  voit  par  la  constitution  apostolique  copte,  complétée  par  certains 
fragments  des  autres  constitutions  apostoliques,  que  le  cours  de  trois 
années  comprenait  la  théodicée,  la  christologie,  la  morale  chrétienne 
avec  des  développements  sur  l'histoire  delà  révélation  (Const.  Egypt., 
Il,  Ui,  i":  ld..  I,  Yo\  Const.  ajjost.,11,  57).  La  charge  de  catéchiste, 
bien  que  dépendant  de  l'évêque,  n'était  point  réservée  exclusivement  à 
des  membres  du  clergé,;  les  laïques  pouvaient  en  être  revêtus,  comme 
le  prouvent  l'exemple  d'Origène  et  le  texte  suivant  :  'Ev.yXr^ia.Gir^  wv, 
eits  Xarxéç  (Const.  Egypt.,  II,  44).  L'enseignement  était  rémunéré  par 
les  dons  volontaires  des  fidèles,  tout,  en  étant  souvent  gratuit  en  fait 
par  le  généreux  désintéressement  de  maîtres  qui  suivaient  l'exemple 
du  grand  Alexandrin  (Eusèbe,  II.  E.,  VII,  3).  Si  la  surintendance  ap- 
partenait à  un  seul  docteur,  il  est  certain  qu'il  était  assisté,  car  Clément 
a  enseigné  en  même  temps  que  Panténus  (Eusèbe,  H.  E.,  VI,  11).  — 
C'est  ce  dernier  qui  fut  le  vrai  fondateur  de  l'école  des  catéchètes, 
et  non  Atbénagoras,  comme  Philippe  de  Sida  l'a  prétendu  sans  aucune 
espèce  de  fondement  historique  (voir  le  fragment  de  Philippe  de  Sida 
reproduit  par  Dodwell  :  Dissertatio  inlren.,  Oxon.,  1689,  p.  488-497). 

Tour  à  tour  attaché  aux  doctrines  stoïciennes  et  au  platonisme  modi- 
fia de  <tm  temps,  Panténus  était  admirablement  préparé  à  revêtir  dans 
l'Eglise  d'Alexandrie  la  tâche  de  catéchiste.  11  suffit  de  rappeler  que  ses 
successeurs  lurent  Clément  et  Origène  pour  donner  l'idée  du  dévelop- 
pemenl  qu'avait  pris  l'école  au  commencement  du  troisième  siècle.  Ce 
pas  le  moment  de  résumer  la  doctrine  de  ces  grands  maîtres. 
Nous  nous  bornerons  à  déterminer  d'après  l'ensemble  de  leurs  écrits 
i.-  caractère  général  de  l'enseignement  de  l'école  chrétienne  d'Alexan- 
drie, qui  fut  porté  par  eux  à  son  plus  haut  degré  de  puissance  et  de  spi- 
ritualité. Bien  qu'il  ne  fût  pas  exempt  de  subtilité  et  qu'il  reposât  sur  la 
icience  la  plus  vaste,  comme  on  pouvait  l'attendre  d'hommes  qui  pos- 
Bédaienl  tout<-  la  culture  de  leur  temps,  il  était  plein  de  sève  religieuse. 
On  peul  voir  par  Y  Exhortation  aux  gentils,  de  Clément,  à  quel  point 
tout   cet    enseignemenl   était   ramené  à  la  personne  vivante  du  Verbe, 


174  ALEXANDRIE 

qui  n'avait  rien  de  la  froide  abstraction  du  \6yoq  de  Philon.  Il  cherchait 
son  point  d'appui  dans  la  conscience  et  la  volonté,  faisant  appel  au  di- 
vin qui  est  dans  l'homme  pour  comprendre  et  saisir  le  divin  qui  le  do- 
mine et  dont  il  procède,  selon  cette  belle  parole  de  Clément  :  To  c^otov 
tw  6[xoiu>  (Strom.,,  V,  1,  43).  «  Le  semblable  doit  être  perçu  par  le  sem- 
blable. »  L'histoire  des  religions  et  des  philosophies  était  appelée  en 
témoignage  des  aspirations  meilleures  du  cœur  humain,  sans  aucune 
concession  aux  erreurs  mortelles  qui  les  avaient  altérées.  Flambeaux 
pâlissants  destinés  à  s'éteindre  devant  l'Orient  céleste,  les  grandes  phi- 
losophies avaient  à  leur  manière  préparé  l'avènement  de  l'Evangile. 
La  doctrine  de  Justin  Martyr  sur  le  Verbe  spermatique  avait  reçu  à 
Alexandrie  ses  plus  riches  compléments.  La  morale  était  empreinte 
de  la  plus   haute    spiritualité  ;  elle   occupait  une  place   d'honneur 
dans  cet  enseignement  qui  voulait  faire  des  saints,  et  non  simplement 
des  docteurs.  Au  point  de  vue  dogmatique,  il  se  perdait  souvent  dans 
un  idéalisme  nuageux  et  tombait  dans  tous  les  dangers  de  l'exégèse 
allégorique  favorisée  par  la  théorie  du  triple  sens.  Il  n'en  demeure  pas 
moins  l'un  des  plus  parfaits  modèles  de  la  grande  apologétique  morale 
que  Pascal  devait  ressusciter  bien  des  siècles  plus  tard.  Cette  apologie 
avait  aussi  pour  elle  le  sceau  du  martyre.  Plus  d'une  fois  Origène  ac- 
compagna jusqu'au  cirque  ceux-  qu'il  avait  instruits  et  qu'il  brûlait  de 
suivre  au  supplice  (Eusèbe,  H.  E.,Y1,  3).  Après  son  départ  d'Alexandrie, 
qui  précéda  sa  double  et  injuste  condamnation  provoquée  par  l'évêque 
Démétrius,  bien  plus  pour  son  libéralisme  ecclésiastique  que  pour  ses 
hardiesses  dogmatiques,  Origène  eut  pour  successeur  d'abord  Héraclas, 
puis  quand  celui-ci  eut  été  élevé  à  l'épiscopat,  Denys  d'Alexandrie,  le 
grand  et  sage  modérateur  de  l'Eglise  de  son  temps.  Après  Denys,  l'his- 
toire de  l'école  chrétienne  d'Alexandrie  devient  assez  obscure.  Eusèbe 
mentionne  comme  ses  successeurs  Achillas,  dont  nous  ne  connaissons 
que  le  nom  (Eusèbe,  H.  E.,  VII,  32),  et  Pierrius  (Phot.  Codex,  418). 
Philippe  de  Sida  nomme  après  eux  Théognostus  et  Sérapéon  (loc.  cit.). 
D'après  Théodoret  {H.  E.,  I,  1),  Arius  aurait  quelque  temps  accepté  la 
charge  de  catéchiste.  Didyme  l'aveugle  l'aurait  remplie  un  long  espace 
de  temps  dans  le  cours  du  quatrième  siècle  (Sozom.,  //.  E.,  III,  15; 
Rufin,  H.  E.,  II,  4).  Rhodon  fut  le  dernier  catéchiste  d'Alexandrie,  car 
depuis  le  départ  pour  Sida  de  son  disciple  Philippe,  qui  lui  avait  quel- 
que temps  prêté  son  concours,  cette  grande  école,  déjà  bien  déchue, 
cessa  de  se  survivre.  Elle  n'avait  plus  en  face  d'elle  pour  la  stimuler 
un  foyer  de  science  philosophique;  la  culture  païenne,  étouffée  à  son 
tour,  ne  provoquait  plus  par  ses  attaques  des  réponses  vigoureuses  et 
savantes,  et  l'hérésie  tombait  sous  le  coup  des  pénalités  civiles.  Les 
conciles  généraux  remplaçaient  la  libre   discussion   par  les  décrets 
appuyés  par  la  force.  Le  catéchuménat  des  adultes  devenait  l'excep- 
tion après  avoir  été  la  règle.  Une  orthodoxie  sévère  condamnait  dans 
Origène  le  plus  noble  usage  de  la  liberté  de  la  pensée  chrétienne  et  la 
meilleure  gloire  de  l'école  d'Alexandrie.  Les  discussions  des  nestoriens 
et  des  monophysites  développaient  le  côté  subtil  de  l'esprit  alexan- 
drin, en  le  détournant  des  voies  larges  et  fécondes  des  grands  caté- 


ALEXANDRIE  —  ALFRED  LE  GRAND  175 

chistes  du  troisième  siècle.  Los  préoccupations  de  l'Eglise  qui  avait 
Fondô  la  théologie  chrétienne  se  partagèrent  dos  lors  entre  lo  dogma- 
tisme sec  de  Cyrille  ef  l'ascétisme  dos  premiers  moines»  Elle  ne  devait 
plus  échapper  aux  querelles  interminables  sur  los  doux  natures  jus- 
qu'au jour  où  la  conquête  musulmane  viendrait  les  interrompre, 
comme  plus  tard  à  Bysance,  en  refoulant  dans  l'intérieur  du  pays  cette 
chrétienté  copie  dont  les  débris^nous  ont  conservé  plus  d'un  précieux 

iment.  A  vrai  dire,  la  grande  époque  de  l'école  chrétienne  d'A- 
lexandrie ne  dépassa  pas  le  milieu  du  troisième  siècle,  il  ne  lui  avait 
pas  fallu  un  siècle  pour  laisser  après  elle  une  trace  ineffaçable  dans  le 
champ  de  la  pensée  religieuse.  —  Matter,  Essai  historique  sur  l'école 
d'Alexandrie,  1,  273;  Redepenning,  Origenes,  eine  Darstellung  seines 
Leèens  ttnd  seiner  Lehre,  Bonn,  1841;  E.  de  Pressensé,  Histoire  des  trois 
première  siècles  de  l'Eglise  chrétienne,  vol.  III  et  IV;  Guericke,  De  schola 
qiue  Alexandrie  floruit  catechetica,  Halle,  1824;  Mœhler,  Patrologie, 
vol.  I.  E.  de  Pressensé. 

ALFARABI.  Voyez  Arabes  (Philosophie  des). 

ALFRED  LE  GRAND,  petit-fils  d'Egbert,  qui  le  premier  (en  800)  avait 
réuni  sous  son  autorité  les  royaumes  de  l'Octarchie  anglo-saxonne, 
était  né  en  849.  Lorsqu'il  fut  élevé  sur  le  trône  en  871,  l'Angleterre  se 
trouvait  dans  la  situation  la  plus  critique.  Depuis  trente-six  ans  déjà 
ses  cotes  étaient  infestées  par  des  hordes  de  pirates  danois  qui,  re- 
montant les  fleuves,  portaient  la  dévastation  dans  ses  campagnes, 
pillaient  les  villes,  les  églises,  les  monastères,  brûlaient  ou  massacraient 
tout  ce  qui  leur  résistait,  menaçaient  enfin  de  replonger  le  pays  dans 
le  chaos  de  barbarie  païenne  dont  il  venait  à  peine  de  sortir.  Alfred, 
aux  prises  dès  son  avènement  avec  ces  farouches  ennemis,  ne  répondit 
pas  d'abord  aux  espérances  que  sa  valeur  et  ses  talents  avaient  fait 
concevoir.  Voyant  son  royaume  épuisé  par  leurs  continuels  assauts,  il 
essaya  de  pactiser  avec  eux;  ce  qui  ne  fit  qu'accroître  leur  audace.  Les 
Danois  avançant  toujours  envahirent  l'une  après  l'autre  les  principales 
provinces.  Alfred  lui-même,  attaqué  dans  le  Wessex,  faillit  tomber 
entre  leurs  mains.  Fugitif,  abandonné  des  siens,  il  passa  six  mois  dans 
la  cabane  d'un  pauvre  berger  habitant  un  district  marécageux  sur  les 
frontières  du  pays  de  Cornouailles.  L'adversité  retrempa  son  caractère. 

int  par  quelques  amis,  il  combina  avec  eux  un  nouveau  plan  d'at- 
taque. Sous  le  costume  d'un  barde,  il  pénétra  dans  le  camp  des  Danois; 
après  avoir  reconnu  leurs  forces,  étudié  leurs  dispositions,  il  fait  avertir 

ixons  de  se  tenir  prêts  pour  une  action  décisive.  A  l'appel  du  roi 
qu'ils  croyaient  perdu  pour  eux,  ils  accourent  pleins  d'enthousiasme; 

■-ual  convenu  ils  fondent  avec  impétuosité  sur  les  Danois,  les 
•  ii  déroute,  les  poursuivent  jusque  dans  leur  camp,  où  ils  les 
tiennent  bloqués,  et  les  forcent  à  demander  la  paix.  Alfred,  tout  vic- 
torieux qu'il  était,  ne  pouvait  espérer  de  chasser  ni  de  détruire  un 

mi  qui  occupait  le  pays  depuis  tant  d'années.' Mais  si,  après  lui 
avoir  fait  sentir  la  puissance  de  ses  armes,  il  pouvait  le  décider  à  re- 
noncer à  ses  mœurs  barbares,  à  se  vouera  l'agriculture  et  à  embrasser 
la  religion  du  vainqueur,  le  but  serait  atteint,  l'Angleterre  serait  paci- 


176  ALFRED  LE  GRAND  —  AL-GAZEL 

fiée.  Les  Danois  se  soumirent  à  ces  conditions.  Pendant  leurs-  longues 
migrations,  éloignés  de  leurs  prêtres,  ils  avaient  eu  le  temps  d'oublier 
leurs  idoles,  et  ne  demandaient  qu'à  échanger  une  vie  de  périls  et  de 
hasards  contre  une  existence  plus  paisible.  Ils  suivirent  sans  hésiter 
leurs  chefs  au  baptême;  Alfred  leur  servit  de  parrain  et  leur  assigna 
pour  résidence  la  province  de  Northumbrie.  Après  cet  acte  de  poli- 
tique tout  à  la  fois  généreuse  et  habile,  il  put  consacrer  au  bien  de  son 
peuple  les  quinze  années  de  paix  qui  suivirent  sa  victoire.  En  môme 
temps  qu'il  fortifiait  l'entrée  des  rivières  navigables,  et  créait  une  ma- 
rine qui  lui  permit  (de  893  à  890)  de  repousser  de  nouvelles  attaques 
des  pirates  du  Nord,  il  assura  l'ordre  intérieur  en  réorganisant  les  tribu- 
naux et  leur  donna  pour  règle  un  code  de  lois  encore  apprécié  de  nos 
jours.  Enfin,  il  mit  sa  noble  ambition  à  ramener  l'Angleterre  au  degré 
de  lumière  et  de  civilisation  d'où  les  invasions  l'avaient  fait  déchoir,  à 
l'élever  même  sous  ce  rapport  à  un  degré  qu'elle  n'avait  pas  encore 
atteint.  Les  impressions  qu'il  avait  reçues  à  Rome  dans  deux  pèleri- 
nages où  son  père  l'avait  conduit  dans  son  enfance,  plus  tard  à  la  cour 
de  France,  où  subsistaient  encore  les  traditions  du  règne  de  Charle- 
magne,  l'éducation  qu'il  avait  reçue  par  les  soins  de  la  reine  Judith  sa 
belle-mère,  Alfred  mit  tout  cela  à  profit  pour  le  développement  intel- 
lectuel et  religieux  de  son  peuple.  Il  releva  les  églises  et  les  monas- 
tères, rétablit  les  écoles  qui  y  étaient  attachées,  appela  auprès  de  lui 
les  hommes  distingués  par  leur  savoir,  apprit  d'eux  le  latin  à  l'âge  de 
quarante  ans,  et  traduisit  lui-même,  pour  en  répandre  la  lecture  chez 
ses  sujets,  plusieurs  livres  de  la  Bible,  les  Méditations  de.  saint  Au- 
gustin, les  Consolations  de  la  philosophie,  par  Boèce ,  Y  Abrégé  historique 
d'Orose,  V Histoire  ecclésiastique  de  Bède,  enfin  le  Pastoral  de  Grégoire 
le  Grand,  dont  il  offrit  un  exemplaire  à  chacun  de  ses  évêques.  Tant  de 
travaux,  après  les  luttes  incessantes  du  commencement  et  de  la  fin  de 
son  règne,  achevèrent  d'épuiser  le  faible  tempérament  d'Alfred.  Il 
mourut  en  900  ou  901,  décoré  par  son  peuple  du  titre  de  Grand  qui  ne 
lui  a  jamais  été  contesté.  Il  fut  pour  l'Angleterre  un  autre  Gharlemagne, 
qui,  sur  un  théâtre  moins  vaste  et  moins  brillant,  avec  des  vues  moins 
étendues,  fit  admirer  des  mœurs  plus  pures,  des  sentiments  plus 
humains,  une  âme  plus  élevée,  des  vertus  guerrières  enfin,  qui  ne  furent 
jamais  souillées  par  d'injustes  conquêtes.  E.  Chastel. 

ALFRIC,  savant  bénédictin,  sorti  du  couvent  d'Abingdon,  chanoine 
de  Winchester  et  archevêque  de  Gantorbéry  (994),  est  le  prélat  le  plus 
marquant  de  l'Eglise  anglo-saxonne  depuis  Augustin.  Il  consacra  sa 
vie  à  relever  le  culte,  à  instruire  et  à  moraliser  le  clergé  placé  sous  ses 
ordres.  Nous  avons  de  lui  un  Glossarium,  imprimé  à  Oxford  en  1659, 
une  grammaire,  une  anthologie  connue  so.us  le  nom  de  Colloquia,  un 
Homiliarium,  une  liturgie,  une  traduction  et  des  commentaires  sur  les 
livres  historiques  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  et  un  recueil 
de  canons,  publié  en  1737  à  Londres  sous  le  titre  de  Concilia  Magnse 
Britannica  et  Hibernise  (voy.  Edw.  Rowei  Moresi  de  Aelfrico  archiepis- 
copo  Commentarium,  éd.  Thorkelin.  1789,  in-4°). 

AL-GAZEL.  Voyez  Arabes  (Philosophie  des). 


ALGER  —  ÀLGERIli;  177 

ALGER  ou  plutôt  AUGER  DE  LIÈGE  [Algerus  Leodiensis],  théologien 
et  canoniste,  fui  diacre  el  écolâtre  dans  sa  pairie,  et  se  retira  on  1121 
a  c.luny  où  il  nionriil  vers  M  32,  regretté  de  Pierre  le  Vénérable  (Biùl. 
Ciuniac,  p.  793  ss.  ;  cf.  1175,  127  i.  (>n  a  de  lui  un  recueil  de  droit 
canon  intitulé  De  la  Miséricorde  et  de  la  Justice  (Martène,  V,  1019),  qui 
parai!  une  tlt^s  sources  deGratien,  el  un  traité  du  Sacrement  du  corps  et  du 
sauf/  de  Jésus-Christ^  publié  par  Erasme  en  1530  (Bibl.  Pair.  Lagd^XXÏ, 
251),  dans  lequel  il  établi!  que  la  communion  sous  les  deux  espèces 
est  l'essence  du  sacrement  et  où  il  semble  suivre  Guitmond.  On  a  public 
de  lui  un  Traité  du  libre  arbitre  et  un  opuscule  sur  le  Sacrifice  de  la 
.  M.  Huiler  (Beitrsege ,  etc.  Munster,  1802,  in-8°)  lui  attribue, 
d'après  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  nationale  (lai.  3881),  un  Liber 
sententiarum,  recueil  important  de  doctrine  et  de  discipline.  Nicolas  de 
Liège  a  ('m  rit  la  Vie  d'Auger  (Martène,  /.  /.).  Voyez  Richter,  Beitrœge, 
L,  1834  :  liist.  Litt.  de  la  Ft\,  XI,  158  (2e  éd.)  ;  Aligne,  180. 

ALGÉRIE.  (Statistique  ecclésiastique).  Le  recensement  de  1872  attri- 
bue aux  possessions  françaises  du  nord  de  l'Afrique  une  population  de 
2,446,225  âmes.  Sur  ce  nombre,  2,125,052  professent  la  religion  mu- 
sulmane: il  y  a  39,812  israéliles,  233,733  catholiques,  0,00(5  protes- 
tants  et'10  à  12,000  individus  dont  le  culte  n'a  pu  être  constaté.  Il 
convient  d'examiner  à  part  chacune  de  ces  confessions  et  de  voir  quelle 
i.  t'ii  Algérie,  l'organisation.  Nous  commençons  par  la  religion  de 
la  majorité.  —  1.  Musulmans.  Par  la  capitulation  d'Alger,  le  4  juil- 
1830,  le  gouvernement  français  garantissait  aux  indigènes  le  libre 
exercice  de  leur  culte.  Cet  engagement  a  été  plus  que  tenu;  l'islamisme 
a  tle  reconnu  en  Algérie,  au  même  titre  que  les  divers  cultes  reconnus 
en  France.  L'administration  lui  accorde  même  une  sorte  de  protection 
et  interdit  aux  ministres  des  cultes  chrétiens  toute  propagande  et  tout 
prosélytisme.  Après  la  grande  famine  de  1868,  l'inépuisable  charité  de 
\Lr  Lavigerie,  archevêque  d'Alger,  avait  recueilli  un  grand  nombre 
d'orphelins  musulmans.  Lorsque  leur  âge  permit  de  les  instruire  des 
choses  religieuses,  ce  fut  dans  la  religion  catholique  qu'on  les  éleva. 
La  susceptibilité  de  quelques  indigènes  s'en  trouva  froissée  et  le  maré- 
chal de  Mac-Mahon,  alors  gouverneur  général,  crut  devoir  écrire  à 
Mgr  d'Alger  pour  le  rappeler  à  l'observation  catégorique  de  la  capitu- 
lation de  1830,  ou  plutôt  de  l'interprétation  qu'en  donne  l'adminis- 
tration. Toutefois  cette  faveur  officielle  ne  porte  pas  bonheur  aux 
mahométans  algériens.  Leur  population  diminue  constamment  depuis 
■  uiquête,  et  ils  semblent  condamnés  à  dépérir,,  si  une  force  nou- 
velle n<>  vient  leur  rendre  une  vie  nouvelle,  et  quelle  autre  force 
que  l'Evangile  sérail  capable  d'accomplir  ce  miracle.  Mais  il  serait 
temps,  car  la  décadence  est  rapide  : -2,700,000  en  1801;  2,400,000 
•  ■M  1866;  2,125,000  en  1872.  La  dernière  période  a  été  éprouvée 
par  le  choléra,  la  famine  el  l'insurrection,  de  sorte  que  là  on  s'explique 
la  diminution.  Mais  la  première  période  (1801-1860)  a  été  normale 
il.-  tous  points  el  aucune  cause  extérieure  ne  peut  rendre  compte 
de  ce  recul.  Dans  l'état  actuel,  les  2,125,052  mahométans  se  ré- 
partirent ainsi  entre  les  provinces  :  Alger,  757,908;  Oran,  411,874; 


178  ALGÉRIE 

Constantine,  955,270.  Les  autorités  religieuses  varient  de  province  à 
province.  Les  musulmans  de  la  province  d'Alger  ont  à  leur  tête  un 
muphti  maléki  assisté  de  deux  muphtîs  hanéfis  et  de  six  ruuphtis;  à  Oran, 
un  muphti  de  lre  classe  a  pour  aides  trois  muphtîs  de  2e  classe.  A  Con- 
stantine enfin,  les  autorités  sont  un  muphti  maléki,  un  muphti  hanêfi  et 
vingt  et  un  imams.  —  II.  Israélites.  Les  juifs  se  répartissent  ainsi  que 
suit  entre  les  trois  provinces  :  Alger,  12,037  ;  Oran,  18,393  ;  Constan- 
tine, 9,382;  total,  39,812.  L'ordonnance  royale  du  9  novembre  1845 
avait  institué  un  consistoire  algérien  siégeant  à  Alger  et  deux  consis- 
toires provinciaux  à  Oran  et  à  Constantine.  L'autorité  du  consistoire  al- 
gérien s'étendait  sur  toute  la  colonie;  celle  des  consistoires  provinciaux 
s'exerçait  respectivement  dans  la  circonscription  de  leurs  provinces. 
Un  décret  du  16  septembre  1867  a  supprimé  le  consistoire  central  algé- 
rien et  créé  un  consistoire  provincial  au  chef-lieu  de  chacune  des  trois 
provinces.  Chaque  consistoire  est  composé  du  grand-rabbin  de  la 
circonscription  et  de  six  membres  laïques  élus,  lesquels  choisissent  l'un 
d'entre  eux  pour  président.  Chaque  consistoire  a  en  outre  un  représen- 
tant auprès  du  consistoire  central  qui  siège  à  Paris.  Il  nomme  un  dé- 
légué à  chacune  des  synagogues  de  sa  circonscription.  —  III.  Catho- 
liques. Répartition  par  provinces  :  Alger,  94,558;  Oran ,  .79,296  ; 
Constantine,  59,879.  Le  9  août  1838,  Alger  fut  érigé  en  évèché.  L'ac- 
croissement considérable  de  la  population  chrétienne  engagea  le  gou- 
vernement français  et  le  saint-siége  à  élever  le  siège  d  Alger  à  la  dignité 
de  métropole  avec  deux  évêchés  suffragants  à  Oran  et  à  Constantine. 
L'archevêché  d'Alger  comprend  le  chapitre  de  Saint-Philippe  d'Alger 
avec  8  chanoines  titulaires,  le  grand  séminaire  diocésain  de  Kouba, 
tenu  par  les  lazaristes,  le  petit  séminaire  de  Kouba,  le  collège  Saint- 
François-Xavier,  dirigé  par  les  jésuites,  le  petit  séminaire  indigène  de 
Saint-Laurent  d'Olt,  le  grand  séminaire  de  la  mission  du  Sahara  et  du 
Soudan  à  la  Maison-Carrée,  7  succursales  de  lre  classe,  74  succursales 
de  2e  classe,  26  vicariats  rétribués  par  l'Etat  et  20  prêtres  auxiliaires. 
Le  diocèse  d'Oran  comprend  le  chapitre  de  Saint-Louis  d'Oran  avec 
3  chanoines  titulaires,  5  succursales  de  lre  classe,  62  succursales  de 
2e  classe,  13  vicariats  rétribués  par  l'Etat  et  12  prêtres  auxiliaires. 
Le  diocèse  de  Constantine  comprend  le  chapitre  de  Notre-Dame  des 
Sept-Douleurs  de  Constantine  avec  4  chanoines  titulaires,  un  sémi- 
naire diocésain  et  un  petit  séminaire  à  Sainte-Hélène,  5  succursales 
de  lre  classe,  53  succursales  de  2e  classe,  17  vicariats  rétribués  par 
l'Etat  et  15  prêtres  auxiliaires.  —  IV.  Protestants.  La  conquête  fran- 
çaise amena  naturellement  un  certain  nombre  de  protestants  en 
Algérie  ;  il  fallut  pourvoir  à  leurs  besoins  religieux.  En  1839,  un  pasteur 
fut  nommé  à  Oran  ;  cette  création  fut  suivie  par  d'autres  et  il  devint 
nécessaire  de  les  grouper  et  de  les  organiser.  Aux  termes  d'un  décret 
du  14  septembre  1859,  les  Eglises  protestantes  de  la  colonie  furent 
administrées  par  des  conseils  presbytéraux  sous  l'autorité  supérieure 
d'un  consistoire  siégeant  à  Alger.  Cet  état  de  choses  a  été  changé  par 
un  second  décret,  en  date  du  12  janvier  1867,  dont  voici  les  principales 
dispositions  :  Il  est  institué  un  consistoire  provincial  au  chef-lieu  de 


ALGÉRIE  —  ALLÉGORIE  179 

chacune  des  trois  provinces  algériennes;  les  laïques  élus,  en  nombre 

double  de  celui  dos  pasteurs,  sont  choisis  par  partie  égale  dans  l'Eglise 
réformée  et  dans  celle  de  la  confession  d'Augsbourg.  La  présidence  du 
consistoire  est  annuelle  et  élective;  elle  appartient  tour  à  tour  aux  pas- 
teurs réformés  el  luthériens.  Les  conditions  d'éligibilité,  la  durée 
des   fonctions  el  les  attributions  sont  du  reste  les  mêmes  que  pour 

consistoires  français,  sauf  que  les  membres  appartenant  à  l'une 
do>  confessions  ne  participent  pas  aux  actes  qui  intéressent  exclu- 
sivement l'autre  confession,  tels  que  nominations  de  pasteurs,  élec- 
tions de  délégués  à  des  synodes,  de  professeurs  de  théologie,  etc.: 
pour  le  reste,  l'union  administrative  est  complète;  ajoutons  toute- 
foi--  que  les  provinces  luthériennes  relèvent  de  l'inspection  ecclésias- 
tique de  Paris.  Les  pasteurs  sont  au  nombre  de  18:9  pour  l'Eglise 
de  la  confession  d'Augsbourg,  et  9  pour  l'Eglise  réformée.  Le  re- 
censement de  1872  donne  pour  les  protestants  le  chiffre  de  6,006; 
nous  croyons  qu'il  était  déjà  alors  au-dessous  de  la  vérité,  et  l'émigra- 
tion alsacienne  a  dû  l'augmenter  depuis  dans  une  proportion  assez 
considérable.  Parmi  les  établissements  religieux  protestants  en  Algérie, 
nous  citerons  l'orphelinat  de  Dely-Ibrahim,  le  poste  d'évangélisation  de 
Miserghin,  un  poste  d'évangéliste  espagnol,  et  un  missionnaire  parmi 
les  israélites.  —Budget  des  cultes.  Nous  n'avons  pas  d'éléments  pour 

miner  dans  le  budget  des  cultes  la  part  qui  revient  à  l'Algérie  ; 
nous  pensons  qu'elle  doit  être  de  800,000  à  1,000,000  de  fr.  Dans  le 
budget  des  communes  pour  1872,  nous  trouvons  sous  la  rubrique  :  Dé- 
pense des  cultes,  176,837  fr.  aux  dépenses  ordinaires  et  1,256  fr.  aux 
dépenses  extraordinaires.  Rien  ne  nous  permet  de  faire  dans  ces  chiffres 
la  part  qui  revient  à  chaque  culte.  —  Bibliographie.  Statistique  géné- 
rale de  l'Algérie.  Années  1867  à  1872.  Imprimerie  nationale,  1874.  La 
France  ecclésiastique  pour  1876,  etc.  E.  Vaucher. 

ALLATIUS  ou  ALLACCI  (Léon),  savant  grec,  né  à  Chio  en  1586,  mou- 
rut en  1699  à  Rome,  où  il  était  bibliothécaire  du  Vatican.  Il  publia  un 
grand  nombre  de  textes  classiques,  et  fut  l'auteur  de  divers  écrits  de 
théologie,  dans  lesquels  il  s'applique,  non  sans  parti  pris,  à  démontrer 

>rd  inaltérable  de  l'Eglise  grecque  avec  celle  de  Rome,  à  laquelle 
il  s'était  rallié.  Nous  mentionnerons  :  De  eccl.  occid.  et  orient,  perpétua 
couseasionc,  Col.,  1648,  in-4°;  Grsecia  orthodoxa  (recueil  d'auteurs  grecs 
favorables  à  l'Eglise  romaine),  Rome,  1652-59,  2  vol.  in-4°;  De  utriusq. 

de  purgatorio  consensioîie,  Rome,  1655,  in-8;  De process.Spiritus  S., 
Rome,  1658,  in-12  (en  grec);  Viadicix  synodi  Ephes.  deprocess.  Sp.  S., 
,  1661,  in-8. 
ALLEGORIE.  On  nomme  ainsi  en  rhétorique  un  trope  ou  une  figure 
de  style,  par  laquelle  on  dit  une  chose  et  l'on  en  fait  penser  une 
autre,  en  sorte  que  le  discours  du  commencement  à  la  fin  et  dans 
tnui  orties  a  un   double  sens.  L'allégorie  est  très-voisine  de 

la    parabole.  Mais  elle  s'en  distingue  en   ce  qu'une  analogie  géné- 

suffit  pour  constituer  celle-ci,  chaque  trait  du  récit  n'ayant  pas 

ni  d'avoir  un  sens  particulier  ou  une  application  spéciale:  ce 
qui  doit  être  le  cas  dune  allégorie  bien  faite.  Il  résulte  de  là  que 


180  ALLÉGORIE 

la  parabole  plus  simple,  plus  naturelle,  est  plus  ancienne;   que  l'al- 
légorie, œuvre  plus  artificielle  et  plus  délicate,  suppose  plus  de  ré- 
flexion ou  un  état  philosophique  plus  avancé.  L'histoire  de  la  brebis  du 
pauvre  que  Nathan  raconte  à  David  coupable  est  une  belle  parabole  ; 
le  psaume  LXXX  contient  une  parfaite  allégorie.  La  différence  signalée 
ici  est  si  juste  que  la  parabole,  à  son  tour,  peut  être  interprétée  comme 
une  allégorie.  L'histoire  du  bon  Samaritain  ne  devait  d'abord  mettre  en 
lumière  qu'une  idée  morale  :  «Celui-là  est  notre  prochain  qui  a  besoin 
de  nous.  »  Au  moyen  âge,  elle  devint  l'histoire  mystique  de  la  destinée 
humaine.  Le  pauvre  blessé,  c'est  l'homme;  les  voleurs  sont  les  esprits 
du  mal.  La  route  de  Jérusalem  à  Jéricho  représente  celle  de  la  vie.  Le 
lévite  et  le  sacrificateur  sont  la  loi  et  les  prophètes;  le  bon  Samaritain, 
c'est  Jésus;  l'auberge,  c'est  l'Eglise,  etc.  — L'allégorie,  comme  la  pa- 
rabole, fut  un  mode  d'enseignement  cher  aux  Orientaux.  Elle  se  ren- 
contre dans  la  prédication  des  prophètes  à1  côté  d'actes  symboliques 
qui  ne  sont  que  des  allégories  en  action,  dans  les  apocalypses  où  ce 
style  à  double  entente  a  sa  place  toute  naturelle.  Dans  le  Nouveau 
Testament  elle  est  plus  rare.  Jésus  ne  l'a  pas  employée.  L'auteur  du 
quatrième  évangile,  par  un  effet  de  sa  méditation  intense,  semble  bien 
par  moments- élever  la  parabole  jusqu'à  l'allégorie  et  le  miracle  jus- 
qu'au symbole  (Jean  X,  XV).  Mais  la  parabole  primitive  se  laisse  encore 
reconnaître.  L'allégorie  n'apparaît  guère  dans  le  Nouveau  Testament 
que  comme  moyen  d'interpréter  l'Ancien  (Gai.  IV,  24  ss.  ;  Rom. VII,  1-5  ; 
1  Gor.V,  7  ;  Hébr.  III,  6  ;  IX,  8,  etc.).  Ce  procédé  d'interprétation  a  joué 
un  rôle  capital  dans  l'histoire  des  doctrines  religieuses.  Les  Orientaux 
ne  l'ont  point  inventé  ;  l'interprétation  allégorique  est  un  fruit  de  la 
subtilité  de  l'esprit  grec.  Déjà  du  temps  de  Socrate  et  de  Platon,  les 
philosophes,  scandalisés  de  la  conduite  des  dieux  et  des  déesses  de 
l'Olympe,  expliquaient  allégoriquement  les  poëmes  d'Hésiode  et  d'Ho- 
mère. Les  stoïciens  d'abord,  les  néoplatoniciens  et  les  gnostiques  plus 
tard  se  distinguèrent  par  leur  habileté  à  trouver  dans  les  mythes  anciens 
les  vérités  cachées  de  la  philosophie  de  la  nature.  Quand  les  Juifs 
d'Egypte  entrèrent  en  contact  avec  la  sagesse  grecque,  leur  premier 
souci  fut  de  concilier  cette  philosophie  avec  leurs  révélations  mo- 
saïques. Ils  prétendirent  que  les  Grecs  avaient  jadis  connu  le  Penta- 
teuque  et  en  avaient  tiré  leurs  doctrines.  Aristobule  d'abord  (160  av. 
J.-C.),Philon  ensuite  (40 av.  J.-G.),  les  retrouvaient  toutes  dans  l'Ancien 
Testament  par  l'interprétation  allégorique.  Les  quatre  fleuves  du  Pa- 
radis devenaient  les  quatre  vertus  cardinales  de  Platon  ;  Abraham  parmi 
les  Ghaldéens,  c'était  l'âme  enfermée  dans  le  monde  des  sens.  La  vraie 
patrie  de  Jacob  était  la  parole  de  Dieu  à  laquelle  l'homme  doit  toujours 
revenir  ;  Esaù   représentait  l'appétit  grossier  de  la  chair,  etc.  Toute 
l'histoire  d'Israël  devenait  ainsi  une  allégorie  métaphysique  ou  morale. 
De  l'Egypte  ces   habitudes  d'interprétation  passèrent  de   très-bonne 
heure  en  Palestine,  chez  les  esséniens,  qui  auraient  bien  pu  y  arriver 
tout  seuls  par  leur  tendance  mystique,  et  chez  les  rabbins  qui  ne  se 
privent  pas  non  plus  de  ces  commodes  ressources.  Il  ne  faut  pas  douter 
que  Paul  n'y  fût  devenu  très-habile  à  l'école  de  Gamaliel.  De  là  viennent 


ALLÉGORIE  —  ALLÉLUIA  181 

le  traces  que  nous  en  trouvons  encore  dans  ses  épîtres.  11  devait  en 
faire  un  bien  plus  grand  usage  dans  sa  prédication.  Les  Pères  de  l'E- 
glise trouvaient  l'Evangile  dans  l'Ancien  Testament  de  la  même  ma- 
nière que  Philon  y  trouvait  le  platonisme.  A  cet  égard  l'école  chré- 
tienne d'Alexandrie  est  la  fille  directe  de  l'école  juive  qui  l'avait 
précédée.  La  méthode  allégorique  reste  attachée  au  nom  d'Origènë, 
parce  que  ce  grand  esprit  a  essayé  de  la  fixer  et  de  la  définir  en  en 
donnant  les  principes  el  les  règles.  A  ses  yeux  l'Ecriture  était  un  orga- 
nisme semblable  à  l'organisme  humain.  Comme  dans  l'homme  nous 
découvrons  trois  principes  :  le  corps  matériel,  l'Ame  vitale,  l'esprit  di- 
vin ;  de  même  l'Ecriture  a  trois  sens  liés  ensemble  mais  distincts  et 
correspondant  à  ces  trois  degrés  :  le  sens  littéral,  le  sens  moral  ou 
psychique,  et  le  sens  métaphysique  ou  divin.  Ce  dernier  ne  peut  être 
atteint  et  dégagé  que  par  l'interprétation  allégorique  (voy.  l'art.  Her- 
méneutique). Cette  méthode  tout  à  fait  arbitraire  a  disparu  de  l'exégèse 
scientifique.  On  ne  la  rencontre  plus  guère  que  dans  les  homélies  des 
prédicateurs.  A.  Sabatier. 

ALLEGRI  (Grégoire),  compositeur  de  musique  sacrée  de  la  famille  du 
Corrége  (Antonio  Allegri).  Né  à  Rome  vers  1560,  élève  de  Jean-Marie 
Nanini,  il  fut  d'abord  attaché  comme  chantre  compositeur  à  la  cathé- 
drale de  Fermo.  En  1029,  le  pape  Urbain  VIII  le  nomma  chapelain- 
chantre  de  la  chapelle  pontificale,  dont  il  resta  membre  jusqu'à  sa  mort, 
en  1052.  Il  était,  selon  André  Adami,  d'un  caractère  excellent  et  d'une 
charité  exemplaire,  visitant  chaque  jour  les  prisonniers  pour  leur  dis- 
tribuer tout  ce  qu'il  avait.  Allegri  est  Fauteur  d'une  foule  de  concerts 
et  de  motets  à  deux,  trois  et  quatre  voix,  mais  il  doit  principalement  sa 
réputation  au  Miserere  à  deux  chœurs  (l'un  à  quatre  voix,  l'autre  à  cinq) 
qu'il  composa  sur  la  demande  du  pape  et  qui  se  chante  encore  aujour- 
d'hui à  la  chapelle  Sixtine  pendant  la  semaine  sainte.  Ce  morceau  d'une 
glande  simplicité  est  à  peu  près  incompréhensible  à  la  lecture.  Il  ne 
produit  son  effet  que  s'il  est  chanté  selon  la  tradition  du  maître,  et  ce 
n'est  guère  qu'à  Rome  qu'on  en  possède  le  secret.  Alors  il  émeut  puis- 
samment par  la  profondeur  de  sa  mélancolie  et  sa  tristesse  religieuse 
d'une  suavité  particulière.  La  réputation  de  ce  chant  célèbre  le  fit  con- 
sidérer en  quelque  sorte  comme  sacré.  Il  était  défendu  sous  peine  d'ex- 
communication d'en  prendre  ou  d'en  donner  copie.  Cependant  Mozart 
l'écrivit  de  mémoire  après  l'avoir  entendu  deux  fois.  Plus  tard,  le  doc- 
teur Burney  se  le  procura  et  le  publia  à  Londres  en  1771.  Le-  Miserere. 
d'Allegiï  est  resté  le  morceau  classique  du  genre.  Il  est  le  seul  avec 
celui  de  Thomas  Bai  et  de  l'abbé  Baini  que  l'on  exécute  pendant  les 
trois  matinées  dites  des  ténèbres  à  la  chapelle  Sixtine.  Si  Allegri 
n'atteint  pas  au  sublime  de  Palestrina,  il  se  distingue  par  un  art  accom- 
pli dans  L'ordonnance  des  voix  et  un  rhythme  heureux  qui  fait  ressortir 
les  p  iroles.  Il  a  su  introduire  dans  la  musique  religieuse  quelque  chose 
de  la  morbidesse,  de  la  grâce  et  de  l'émotion,  que  son  parent  plus 
illustre  le  Corrége  a  su  mettre  dans  la  peinture  à  fresque.    E.  Schuré. 

ALLÉLUIA  [hallelou-iah,  àXXvjXoufo],  deux  mots  hébreux  qui  signi- 
fient :  Louez  ù  Seigneur,  Cette  foi-mule  liturgique  se  trouve  un  grand 


182  ALLÉLUIA  -  ALLEMAGNE 

nombre  de  fois  dans  les  psaumes.  D'après  le  rituel  fixé  par  le  Talmud, 
on  chantait  dix-huit  fois  par  an,  dans  le  culte  public  et  en  particulier 
pendant  le  repas  pascal,  le  grand  hallel,  c'est-à-dire  une  composition 
musicale  qui  comprend  les  psaumes  GXïII  à  GXVIII,  commençant  ou  finis- 
sant tous  par  le  mot  alléluia,  et  qui  déjà  dansla  version  alexandrine  porte 
l'inscription  :  8Xkt\koulaL  ;  on  entonnait  plus  fréquemment  encore  le  petit 
hallel  (Ps.  CXV,  1-13;  CXVI,  1-1 1).  — Bans  la  liturgie  de  l'Eglise  catho- 
lique, on  donne  le  nom  d'alléluia  à  un  ou  plusieurs  versets  des  psaumes 
chantés  pendant  l'office  de  la  messe  entre  répitre  et  l'évangile,  c'est- 
à-dire  au  graduel  (voy.  cet  article).  Le  mot  alléluia  qui  les  termine 
marque  le  degré  culminant  de  l'adoration  :  les  dernières  syllabes  ré- 
sonnent en  longues  modulations,  comme  une  jubilation  qui  ne  peut 
finir.  L'Eglise  grecque  mêla  l'alléluia  à  toutes  ses  cérémonies  ;  il  fut  in- 
troduit dans  l'Eglise  latine  par  saint  Jérôme  ;  mais,  encore  du  temps  de 
saint  Augustin  (Fp.,  119),  il  ne  figurait  que  dans  la  liturgie  du  jour  de 
Pâques.  C'est  Grégoire  Ier  qui  ordonna  qu'on  le  chanterait  toute  l'année, 
et  cette  coutume  s'est  conservée  jusqu'à  ce  jour.  Le  chant  de  l'al- 
léluia n'est  supprimé  que  dans  l'office  et  dans  la  messe  des  morts, 
ainsi  que  pendant  le  carême  ;  par  contre,  la  liturgie  de  la  messe  du 
samedi  après  Pâques  jusqu'au  dimanche  de  la  Pentecôte  renferme 
jusqu'à  quatre  alléluias  consécutifs.  Sidoine  Apollinaire  rapporte  que 
les  rameurs  entonnaient  à  haute  voix  l'alléluia  pour  s'exciter  à  la 
manœuvre. 

ALLEMAGNE.  (Statistique  ecclésiastique).  1.  Les  plus  importants  des 
Etats  de  l'Allemagne  auront  leurs  articles  spéciaux  dans  le  cours  de 
l'ouvrage.  Pour  eux,  nous  nous  bornerons  ici  à  des  chiffres  et  à  un 
renvoi.  Pour  les  Etats  moins  considérables,  nous  entrerons  dans  quel- 
ques détails  de  plus,  et  nous  terminerons  par  quelques  indications  géné- 
rales. —  \ .  Royaume  de  Prusse  et  duché  de  Lauenbourg  (v.  l'art.  Prusse), 
24,691,058  habitants  (1871)  :  16,041,215  protestants;  3,268,309  catho- 
liques romains;  1,565  catholiques  grecs;  52,338  membres  de  sectes 
chrétiennes;  325,565  Israélites;  85  ressortissants  d'autres  cultes;  4,410 
individus  dont  le  culte  n'a  pu  être  constaté.  —  2.  Royaume  de  Bavière 
(v.^^'ère), 4,813,450  habitants  (1871):  1,342,592  protestants;  3,464,314 
catholiques  romains  ;  246  catholiques  grecs;  5,207  membres  de  sectes 
chrétiennes;  50,662  israélites  ;  15  ressortissants  d'autres  cultes;  364 in- 
dividus dont  le  culte  n'a  pu  être  constaté.  —  3.  Royaume  de  Saxe 
(v.Saxe),  2,551,244  habitants  (1871)  :  2,493,556  protestants  ;.  53,642  ca- 
tholiques romains  ;  554  catholiques  grecs  ;  4,339  membres  de  sectes 
chrétiennes;  3,357  israélites;  19 ressortissants  d'autres  cultes;  777  indi- 
vidus dont  le  culte  n'a  pu  être  constaté.  —  4.  Royaume  de  Wurtemberg 
(v.  Wurtemberg),  1,818,539  habitants  (1871)  :  1,248,860  protestants; 
573,542  catholiques  romains;  3,857  membres  de  sectes  chrétiennes: 
25,373  israélites  ;  3  ressortissants  d'autres  cultes;  166  individus  dont 
le  culte  n'a  pu  être  constaté.  —  5.  Grand-duché  de  Bade  (v.  Bade)'. 
1,461,562  habitants  (1871)  :  491,008  protestants;  942,560  catholiques 
romains;  182  catholiques  grecs;  2,083  ressortissants  de  sectes  chré- 
tiennes ;  15,703  israélites  ;  2  ressortissants  d  autres  cultes  ;  24  individus 


ALLEMAGNE  183 

dont  le  culte  n'a  pu  être  constate.  —  6.  Grand-duché  de  Hesse, 
852,894  habitants  :  585,399  protestants  ;  238,080  catholiques  romains; 
18  catholiques  grecs;  3,855  membres  de  sectes  chrétiennes;  25,373  is- 
raélites;  3  ressortissants  d'autres  cultes;  166  individus  dont  le  culte  n'a 
pu  être  constaté.  Les  protestants  hessois  étaient  pour  la  plupart,  (4 10,000) 
luthériens:  les  175,000  autres  réformés.  Les  deux  confessions  ont  été 
unies  en  1822  dans  la  province  de  la  Hesse-Rhénane,  peu  après  dans  les 
deux  autres.  L'union  y  a  produit  ses  effets  ordinaires  et  jamais  l'Eglise 
ne  s'est  relevée  du  rationalisme  où  elle  croupit  depuis  longtemps. 
L'acte  d'union  reconnaissait  comme  base  de  l'Eglise  la  sainte  Ecriture 
et  les  confessions  de  foi  des  deux  Eglises  sur  les  points  où  elles 
étaient  d'accord,  laissant  pleine  liberté  pour  les  doctrines  où  il  y 
avait  désaccord  et  nommément  pour  la  sainte  Cène.  Après  plusieurs 
essais  malheureux  de  constitution,  on  s'est  arrêté  vers  1835  à  l'or- 
ganisation suivante  :  l'autorité  suprême  de  l'Eglise  est  le  ministère 
de  l'intérieur  et  de  la  justice.  Le  consistoire  central  de  Darmstadt  est 
placé  sous  les  ordres  du  ministre.  Il  se  compose  d'un  président  laïque, 
de  5  conseillers  (3  ecclésiastiques  et  2  laïques)  et  d'un  nombre  indé- 
terminé d'assesseurs  et  de  membres  extraordinaires.  Depuis  quelques 
années,  un  synode  élu  est  placé  à  côté  du  consistoire.  Le  pays  est 
partagé  en  trois  diocèses  avec  autant  de  surintendants,  l'un  d'eux  avec 
le  titre  de  prélat  fait  partie  de  la  chambre  haute  du  grand-duché.  Au- 
dessous  des  surintendants  sont  30  doyens  nommés  pour  cinq  ans  par  le 
consistoire.  Les  uns  et  les  autres  font  dans  les  paroisses  des  visitations 
périodiques.  Dans  chaque  paroisse  le  pasteur  est  assisté  d'un  conseil  où 
siègent  avec  lui  le  bourgmestre,  deux  membres  élus  et  un  nombre 
variable  d'assesseurs.  La  faculté  de  théologie  de  Giessen  et  le  sémi- 
naire de  prédicateurs  de  Friedberg  préparent  les  pasteurs  à  leurs  fonc- 
tions. Les  catholiques  romains  dépendent  du  siège  de  Mayence.  Il 
comprend  en  Hesse  16  doyennés  et  152  paroisses  avec  environ  250  prê- 
tres. Chaque  Eglise  a  son  conseil  d'Eglise  organisé  de  la  même  façon 
que  dans  l'Eglise  protestante.  Les  vieux-catholiques  ont  réussi  à  se 
constituer  dans  quelques  villes.  Parmi  les  sectes  chrétiennes,  la  plus 
importante  est  celle  des  mennonites  qui  compte  un  millier  d'adhérents. 
Les  juifs,  assez  nombreux,  ont  à  Mayence  et  à  Worms  d'importantes 
synagogues.  —  7.  Le  grand-duché  de  MecklembourgSchwérin  peuplé 
de  557,734  habitants  (1871),  contient  553,492  protestants,  \  ,336  catho- 
liques romains,  2  catholiques  grecs,  96  adhérents  de  sectes  chrétiennes, 
2,945  israélites,  1  membre  d'une  autre  religion  et  25  individus  dont 
le  culte  n'a  pu  être  constaté.  L'immense  majorité  de  la  population  est 
luthérienne.  Le  grand-duc  est  le  chef  suprême  de  l'Eglise  et  a  sous 
lui  un  consistoire,  qui  exerce  en  son  nom  l'autorité  ecclésiastique; 
5  surintendances,  38  prépositures  forment  les  autorités  intermédiaires  ; 
leurs  attributions  sont  presque  entièrement  réduites  à  l'examen  des 
questions  administratives;  296  paroisses  avec  327  pasteurs  et  470  Eglises 
forment  le  ressort  du  consistoire.  La  ville  de  Rostock  et  ses  environs 
forment  un  petit  consistoire  particulier.  Les  deux  Eglises  de  la  cour  à 
érin  et  Ludwigslust  son!  sous  la  direction  immédiate  du  souve- 


184  ALLEMAGNE 

rain.  La  faculté  de  théologie  de  Rostock  préparc  les  pasteurs  à  leur 
ministère.  —  8.  Le  grand-duché  de  Saxe-Weimar  avec  286,183  ha- 
bitants (1871)  renferme  275,492  protestants,  9,404  catholiques  romains, 
53  catholiques  grecs,  108  membres  de  sectes  chrétiennes,  1,120  is- 
raélites et  6  ressortissants  d'autres  cultes.  Les  luthériens,  au  nombre 
de  205,000,  dépendent  d'un  conseil  central  ecclésiastique  présidé  parle 
ministre  de  la  maison  grand-ducale  ;  2  surintendants  généraux  à  Weimar 
et  à  Eisenach  et  293  pasteurs  pourvoient  aux  besoins  religieux  du  pays.. 
Depuis  bien  longtemps  le  rationalisme  y  règne  en  maître  souve- 
rain. Les  réformés,  au  nombre  de  10,000,  ont  quelques  pasteurs.  Les 
catholiques,  avec  10  prêtres,  dépendent  de  l'évéehé  de  Paderborn 
(Westphalie)..  L'université  d'Iéna  a  une  faculté  de  théologie  protes- 
tante. —  9.  Le  grand-duché  de  Mecklembourg-Strèlitz  est  peuplé  de 
96,982  habitants,  dont  96,329  protestants,  167  catholiques  romains, 

I  membre  d'une  secte  chrétienne  et  485  israélites.  Les  habitants  luthé- 
riens assortissent  au  consistoire  deNeu-Strélitz,  composé  d'un  directeur 
laïque,  d'un  conseiller  ecclésiastique  qui  est  en  même  temps  surin- 
tendant et  d'un  assesseur  ecclésiastique.  Un  synode  consultatif  y  a  été 
joint  en  1839.  Sept  districts  ont  à  leur  tête  autant  de  pasteurs  préposés. 
Environ  60  paroisses  desservent  le  pays.  La  principauté  de  Ratzebourg 
a  sa  commission  consisloriale  particulière  avec  8  pasteurs  sous  sa  direc- 
tion. —  10.  Le  grand-duché  d' Oldenbourg  avait,  en  1871,  314,591  habi- 
tants, dont  240,962  protestants,  71,027  catholiques  romains,  941  mem- 
bres de  sectes  chrétiennes,  1,475  israélites,  1  ressortissant  d'autres 
cuites  et  53  individus  dont  le  culte  n'a  pu  être  constaté.  Les  protestants 
sont  en  grande  majorité  luthériens  ;  à  leur  tête  est  un  consistoire  et  un 
surintendant  général;  chaque  district  a  son  surintendant.  Les  réformés, 
au  nombre  de  2,300,  ont  leur  surintendant  particulier.  Les  catho- 
liques ont  un  doyen  général,  vicaire  de  l'évêque  de  Munster;  ceux  de 
la  petite  principauté  de  Bickerfeld  dépendent  de  l'évêché  de  Trêves. 
—  11.  Le  duché  de  Brunswick  avec  312,170  habitants  (1871)  comptait 
302,989  protestants,  7,030  catholiques,  574  membres  de  sectes  chré- 
tiennes et  1,171  israélites.  Les  protestants  sont  presque  tous  luthériens. 
Le  duc  est  chef  de  l'Eglise  ;  l'administration  est  dirigée  sous  ses  ordres 
par  le  consistoire  de  Wolfenbutteî,  au-dessus  duquel  se  trouvent  6  surin- 
tendants généraux,  30  surintendants  et  253  pasteurs.  L'Eglise  de  Bruns- 
wick a  conservé  plus  peut-être  qu'aucune  autre  les  anciennes  fêtes  et 
les  anciennes  coutumes.  Mais  là  aussi  le  rationalisme  a  passé  et  fait  des 
ravages,  moins  profonds  peut-être  qu'ailleurs,  mais  sensibles  néanmoins. 
Le  séminaire  de  Wolfenbutteî  forme  au  ministère  les  candidats  sortant 
de  Gœttingue.  Les  réformés,  peu  nombreux,  ont  une  Eglise  à  Brunswick. 

II  y  a  une  centaine  de  mennonites  dispersés  dans  le  duché.  Les  catholiques 
ont  trois  paroisses  :  à  Brunswick,  Wolfenbutteî  et  Helmsia3dt.  L'évêque 
de  Hildesheim  (Hanovre)  en  est  le  diocésain.  —  12.  Le  duché  de  Saxe- 
Meiningen,  187,957  habitants  (1871),  dont  181,964  protestants,  1,566  ca- 
tholiques romains,  1  catholique  grec,  175  membres  de  sectes  chré- 
tiennes, 1,625  israélites,  18  ressortissants  d'autres  cultes  et  2,610  indi- 
vidus dont  on  a  négligé  de  constater  le  culte.  L'Eglise  luthérienne,  qui 


ALLEMAGNE  185 

comprend  la  presque  totalité  de  la  population,  a  le  duc  pour  chef  légal. 
Un  consistoire  exerce  sous  lui  l'autorité  en  matière  ecclésiastique.  Le 
rationalisme  es!  entièrement  le  maître.  Les  réformés,  au  nombre  de  350, 
ne  son!  pas  groupés  en  paroisses.  —  13.  Le  duché  de  Saxe-Altenbourg , 
142,122   habitants  (1871),  dont   141,901   protestants,  193  catholiques 
romains,  2  catholiques  grecs,  16  membres  de  sectes  chrétienrîes  et 
10  israélites.  C'est  l'Etat  de  l'Allemagne  où  les  protestants  sont  propor- 
tionnellement le  plus  nombreux ,  tous  luthériens  de  confession ,  mais 
malheureusement  fort  rationalistes.  Un  consistoire  et  un  surintendant 
général  dirigent  sous  l'autorité  du  duc  les  130  pasteurs  du  pays.  Les 
quelques  catholiques  du  pays  dépendent,  comme  ceux  des  autres  duchés 
de  Saxe,  de  l'évêché  de  Wurzbourg.  —  1  4.  Le  duché  de  Saxe-Cobourg- 
Gotha,  74,339  habitants  (1871),  dont   172,786  protestants,  1,263  ca- 
tholiques romains,  76  membres  de  sectes  chrétiennes,  210  israélites, 
4  ressortissant  d'autres  cultes  et  3  individus  dont  le  culte  n'a  pu  être 
constaté.  Les  luthériens,  rationalistes  pour  la  plupart,  ont  un  consistoire 
et  un  synode.  Les  réformés  sont  au  nombre  d'environ  3,000.  —  15.  Le 
duché  à'Anhalt,  203,437  habitants  (1871),  dont  198,107  protestants, 
3,378  catholiques  romains,  56  membres  de  sectes  chrétiennes,  1,896 is- 
raélites. L'union  y  a  été  introduite  de  1820  à  1827.  Depuis  1863,  où  les 
trois  duchés  ont  été  réunis  en  un,  il  n'y  a  plus  qu'un  seul  consistoire, 
avec  144  pasteurs  et  4  surintendants.  L'Eglise  catholique  a  2  prêtres  à 
Dessau  et  1  à  Gœthen,  dépendant  de  l'évêque  de  Bautzen.  —  16.  La 
principauté  de  Schivarzbourg-Rudolstadt,  75,523  habitants  (1871),  dont 
75,294  protestants,  104  catholiques  romains,  2   catholiques  grecs, 
4  membres  de  sectes  chrétiennes  et  119  israélites, — et  17.  la  principauté 
de  Sc/nvarzbourg-Sondershausm,<J~,  191  habitants  (1871)  dont  66,824  pro- 
testants, 176  catholiques  romains,  5  membres  de  sectes  chrétiennes  et 
186  juifs,  ont  une  constitution  consistoriale  et  sont  peuplées  de  luthé- 
riens. La  vie  religieuse  est  beaucoup  plus  avancée  dans  la  seconde  que 
dans  la  première.  —  18.  La  principauté  de  Waldeck,  56,224  habitants 
(1871),  dont  54,055  protestants,  1,305  catholiques  romains,  30  membres 
de  sectes  chrétiennes,  834  israélites.  La  grande  majorité  appartient  à 
l'Eglise  luthérienne  ;  le  consistoire  d'Arolsen  la  dirige  sous  l'autorité  du 
prince.  Les  réformés  sont  peu  nombreux.  —  19  et  20.  Les  deux  princi- 
pautés de  Reuss,  ayant  ensemble  134,126  habitants  (1871)  dont  133,680 
protestants,  337  catholiques  romains,  4  catholiques  grecs,  37  membres 
de  sectes  chrétiennes,  339  israélites  et  9  individus  dont  le  culte  n'a  pu 
être  constaté.  Les  protestants  sont  presque  tous  luthériens.  Il  y  a  aussi 
dans  le  pays  quelques  mennonites.  —  21.  La  principauté  de  Schaum- 
bourg-fJppe,  32,059  habitants  (1871)  dont  31 ,21 1  protestants,  386  catho- 
liques, 23  membres  de  sectes  chrétiennes,  351  israélites  et  83  individus 
dont  le  culte  n'a  pu  être  constaté.  Les  luthériens  qui  forment  la  majo- 
rité sont  régis  par  le  consistoire  de  Bùckebourg.  Les  reformés,  au  nom- 
bre de  4,000  environ,  ont  une  paroisse  à  Bùckebourg  ;  elle  forme  avec 
la  paroisse  réformée  de  Brunswick  et  4  paroisses  hanovriennes  le  ressort 
d'un  synode.  —  22.  La  principauté  de  Lippe-Detmold  avec  111,135  habi- 
tants (1871),  dont  107,462  protestants,  2,638  catholiques  et  1,035  is- 
i.  13 


186  ALLEMAGNE 

raélites.  La  majorité  de  la  population  est  réformée  de  confession  et 
dépend  du  consistoire  de  Detmold.  Les  luthériens  sont  au  nombre 
d'environ  8,000.  —  23.  La  ville  libre  de  Lùbeck  est  peuplée  de  52,158  ha- 
bitants (1871),  dont  51,085  protestants,  -400  catholiques  romains, 
8  catholiques  grecs,  96  membres  de  sectes  chrétiennes,  565  israélites 
et  4  individus  dont  le  culte  n'a  pu  être  constaté.  La  grande  majorité 
appartient  à  l'Eglise  luthérienne.  Un  consistoire  en  partage  avec  le 
sénat  l'administration.  Les  réformés,  au  nombre  de  300  environ,  ont 
une  communauté  dans  la  ville.  —  24.  La  ville  libre  de  Brème  a 
122,402  habitants  (1871),  dont  118,103  protestants,  3,550  catholiques, 
284  membres  de  sectes  chrétiennes  et  465  israélites.  La  population 
protestante  compte  environ  cinq  huitièmes  de  luthériens  et  trois 
huitièmes  de  réformés  ;  mais  ces  derniers,  les  anciens  habitants  de  la 
ville,  ont  longtemps  opprimé  les  premiers,  venus  du  dehors.  Aujour- 
d'hui le  rationalisme  s'est  emparé  des  uns  et  des  autres,  à  peu  d'excep- 
tions près.  11  y  a  à  Brème  une  Société  de  Missions.  —  25.  La  ville  libre 
de  Hambourg  compte  338,974  habitants  (1871)  dont  306,553  protestants, 
7,748  catholiques  romains,  23  catholiques  grecs,  3,143  membres  de  sectes 
chrétiennes,  13,796  israélites,  22  ressortissants  d'autres  cultes,  et  7,689 
dont  le  culte  n'a  pu  être  constaté.  Les  luthériens  sont  au  nombre  d'en- 
viron 300,000.  Les  paroisses  de  la  ville  ont  chacune  un  pasteur  et 
3  diacres  (pasteurs),  de  plus  12  diacres  et  24  sous-diacres  laïques.  Les 
diacres  et  sous-diacres  des  cinq  paroisses  forment  le  conseil  des  cent 
quatre-vingts,  les  diacres  seuls,  le  conseil  des  soixante  qui  a  la  part  prin- 
cipale à  l'administration  et  au  gouvernement  de  l'Eglise,  et  les  trois  plus 
anciens  diacres  de  chaque  paroisse,  le  conseil  des  anciens.  La  banlieue 
compte  19  pasteurs.  Les  réformés,  au  nombre  de  5,000,  ont  trois  pa- 
roisses, allemande,  française  et  anglaise.  Les  mennonites  sont  environ 
au  nombre  de  1,000.  La  paroisse  catholique  relève  directement  du 
pape,  qui  en  délègue  l'administration  à  Févêque  de  Munster.  La  majo- 
rité de  la  population  de  Hambourg  est  malheuseusement  tombée  dans 
le  rationalisme.  —  26.  V Alsace-Lorraine  (v.  Alsace),  1 ,549,738  habitants 
(1871),  270,699  protestants,  1,235,097  catholiques,  2,132  membres  de 
sectes  chrétiennes,  40,928  israélites,  731  individus  dont  le  culte  n'a  pu 
être  constaté.  —  La  population  totale  de  l'empire  était  en  1871  de 
41,058,792  habitants,  dont  25,581,623  protestants,  14,867,600  catho- 
liques romains,  2,660  catholiques  grecs,  79,496  membres  de  sectes  chré- 
tiennes, 51 2,160 israélites,  176  ressortissants  d'autres  cultes  et  16,980 in- 
dividus dont  le  culte  n'a  pu  être  constaté. 

II.  Après  avoir  été  longtemps,  au  point  de  vue  extérieur  des  choses 
religieuses,  un  pays  de  tranquillité  et  presque  d'immobilité,  l'Allemagne 
est  devenue  tout  à  coup  la  terre  du  changement  et  du  désordre.  Depuis 
longtemps  la  nation  avait,  dans  son  ensemble,  perdu  le  sens  et  l'amour 
des  réalités  supérieures.  Portée  par  les  événements  à  la  tête  des  affaires, 
surexcitée  par  les  canons  du  concile  du  Vatican,  affolée  par  les  victoires 
de  1866  à  1871,  la  bourgeoisie  nationale-libérale  transporta  dans  les 
rapports  de  l'Etat  et  de  l'Eglise  le  froid  utilitarisme  dont  elle  était  ani- 
mée, tandis  que  le  gouvernement  obéissait  à  cette  tendance  à  tout 


ALLEMAGNE  187 

absorber  et  à  tout  dominer,  qui  a  toujours  été  uu  des  traits  distinctifs 
de  la  monarchie  prussienne.  Nous  n'avons  pas  à  entrer  dans  le.  détail  de 
la  lutte  que  le  nouvel  empire  a  entreprise  contre  Rome  et  qui,  jusqu'à 
ce  jour,  a  causé  peut-être  plus  de  dommage  à  l'Eglise  protestante  qu'à 
L'Eglise  catholique;  noliv  rôle  de  statisticien  se  borne  à  donner  des  dates 
et  des  laits.  Immédiatement  après  la  proclamation  du  dogme  de  l'infail- 
libilité, les  protestations  commencèrent  en  Allemagne.  Dès  le  22  juillet 
1870,  la  plupart  des  professeurs  de  l'université  de  Munich  se  déclarent 
contre  L'infaillibilité;  le  27,  le  professeur  Michaëlis  de  l'Académie  de 
Braunsberg  lance  un  pamphlet  contre  le  pape  qu'il  accusait  d'hérésie; 
le  9  août,  Le  gouvernement  bavarois  interdit  la  publication  des  déci- 
sions du  concile,  avant  qu'ait  été  accordé  le  placetum  regium;  le  18, 
l'archevêque  de  Munich  publie  les  décisions  sans  se  préoccuper  du 
placet  et,  le  31 ,  les  évèques  allemands  réunis  à  Fulda  prennent  la  déter- 
mination de  se  soumettre  au  décret  de  l'infaillibilité  que  la  plupart 
d'entre  eux  avaient  repoussé  dans  le  concile.  Le  12  octobre  a  lieu  à 
Fulda  une  assemblée  catholique  qui  proteste  contre  la  spoliation  du 
pape  par  l'Italie.  —  4  novembre.  Pétition  des  évèques  et  chanoines  de 
Posen  et  de  Gulm  demandant  à  la  Prusse  d'intervenir  en  faveur  du 
pouvoir  temporel  du  pape.  Cette  pétition  est  remise  au  roi  à  Versailles 
par  le  comte  Ledochowski,  archevêque  de  Posen.  —  22  novembre.  Le 
prince  évêque  de  Breslau  suspend  trois  professeurs  de  théologie, 
MM.  Baltzer,  Heinkens  et  Weber  qui  refusent  de  reconnaître  l'infailli- 
bilité. —  2i  novembre.  L'archevêque  de  Cologne  suspend  le  curé  Tan- 
germann,  pour  le  même  motif.  —  A-  décembre.  Le  gouvernement  saxon 
défend  la  lecture  de  la  lettre  pastorale  de  l'évêque  Forweck  qui  défend 
les  intérêts  pontificaux.  —  28  et  30  décembre.  Le  ministre  des  cultes 
prend  parti  pour  l'université  de  Berlin  contre  l'archevêque  de  Cologne 
et  déclare  que  ce  dernier  a  dépassé  la  mesure  de  son  autorité  et  qu'un 
changement  dans  le  règlement  concernant  les  fonctions  de  professeur 
à  la  faculté  de  théologie  catholique  ne  peut  avoir  lieu  sans  le  consente- 
ment de  TEtat.  Tous  ces  événements  se  passent  encore  pendant  la 
guerre  et  les  ultramontains  y  sont  évidemment  les  agresseurs.  Mais 
bientôt  la  situation  change.  Le  13  juillet  1871,  les  vieux-catholiques  de 
Bavière  réunis  à  Munich  s'adressent  au  gouvernement  pour  demander 
que  l'Etat  reconnaisse  aux  prêtres  excommuniés  le  droit  d'exercer  des 
fonctions  ecclésiastiques»  —  5  juillet.  L'évêque  d'Ermeland  excommunie 
le  curé  Wollmann.  —  14  juillet.  Le  prince-évêque  de  Breslau  excom- 
munie le  curé  Kaminski.  —  21  juillet.  Le  gouvernement  maintient  en 
fonctions  le  curé  Wollmann.  —  22  juillet.  Une  lettre  pastorale  de 
L'évêque  d'Ermeland  proteste  contre  cet  abus  de  pouvoir.  —  23  juillet, 
le  gouvernement  accorde  une  église  au  curé  Kaminski  pour  y  célébrer 
le  culte  vieux-catholique.  —  29  juillet.  Le  Dr  Dœllinger,  chef  des  vieux- 
catholiques  bavarois,  est  élu  recteur  de  l'université  de  Munich. —  27  août. 
_\;.  de  Luis,  ministre  des  cultes  de  Bavière,  expose  en  réponse  à  l'arche- 
vêque dr;  Munich  que  l'Eglise  doit  être  soumise  en  tout  aux  lois  de  l'Etat. 
—  22-24  septembre.  Congrès  de  vieux-catholiques  à  Munich. — 18  octo- 
bre. Le  roi  répond  aux  évèques  prussiens  que  les  lois  de,  l'Etat  régleront 


188  ALLEMAGNE 

d'une  manière  satisfaisante  les  droits  et  les  devoirs  de  chacun  dans 
l'Etat.—  30  octobre.  Les  évêques  affirment  leur  sympathie  pour  l'ordre 
menacé  des  jésuites.  —  15  novembre.  Le  Reichstag  adopte  la  proposi- 
tion Lasker  qui  étend  la  compétence  de  l'empire  dans  toutes  les  ques- 
tions de  droit  civil.  —  23  novembre.  Première  délibération  au  parlement 
sur  la  proposition  du  gouvernement  bavarois  relative  à  la  répression 
des  abus  commis  en  chaire.  Discours  du  ministre  de  Lutz  sur  l'anta- 
gonisme de  l'Eglise  catholique  et  de  l'Etat  moderne.  —  28  novembre. 
Adoption  de  cette  proposition.  —  17  janvier  1872.  Démission  de  M.  de 
Mùhler,  ministre  des  cultes  de  Prusse.  II  est  remplacé  par  le  Dr  Falk. 
—  8-10  février.  Délibération  du  Landtag  prussien  sur  la  loi  de  sur- 
veillance des  écoles.  Discours  de  MM.  Falk  et  de  Bismarck  qui  dé- 
noncent les  agitations  cléricales.  —  14  mai.  Discours  de  M.  de 
Bismarck  sur  le  refus  du  pape  d'agréer  le  cardinal  de  Hohenlohe 
comme  plénipotentiaire  allemand  auprès  du  saint-siége.  —  14-19  juin. 
Discussion  au  parlement  de  la  loi  relative  aux  jésuites.  181  voix  contre 
93  les  livrent  à  l'arbitraire  du  gouvernement.  —  4  juillet.  Un  arrêté  du 
ministre  des  cultes  interdit  les  associations  religieuses  dans  les  établis- 
sements supérieurs  d'enseignement.  —  5  juillet.  Promulgation  de  la  loi 
qui  exclut  du  territoire  de  l'empire  la  Société  de  Jésus  et  les  congréga- 
tions qui  lui  sont  affdiées.  —  8  juillet.  Manifeste  de  la  Société  des 
catholiques  allemands  de  Mayence  contre  la  loi  sur  les  jésuites  et  contre 
ia  nouvelle  politique  de  l'empire.  —  28  août.  Arrêté  du  ministre  des 
cultes  étendant  l'usage  de  la  langue  allemande  aux  écoles  polonaises. 
Dans  le  courant  du  mois,  on  a  commencé  à  exécuter  la  loi  contre 
les  jésuites.  La  dissolution  des  établissements  existants  donne  lieu  à 
Mayence,  à  Essen  et  dans  d'autres  endroits  à  des  protestations,  à  une 
grande  agitation  et  même  à  quelques  désordres.  La  surexcitation  de  la 
population  catholique  augmente  de  jour  en  jour.  —  12  septembre. 
L'évêque  d'Ermeland  refuse  de  participer  à  la  fête  du  centenaire  de  la 
réunion  de  la  Prusse  occidentale  à  la  monarchie.  —  22-26  septembre. 
Conférence  des  évêques  allemands  à  Fulda.  Ils  publient  un  mémoire 
dans  lequel  ils  prennent  parti  pour  le  pape  contre  l'empire.  — ■ 
22-26  septembre.  Congrès  des  vieux-catholiques  à  Cologne,  présidé  par 
le  professeur  de  Schulte,  de  Prague.  —  25  septembre.  L'évêque 
d'Ermeland  est  privé  de  son  traitement.  Le  gouvernement  fait  sa- 
voir à  l'évêque  que  cette  mesure  a  été  prise  à  cause  de  la  diver- 
gence de  ses  opinions  sur  ses  devoirs  envers  l'Etat  et  les  principes 
fondamentaux  de  la  monarchie.  Protestation  de  l'évêque.  —  30  dé- 
ombre.  En  réponse  à  l'allocution  du  pape  contre  l'empire  alle- 
mand, le  chargé  d'affaires  d'Allemagne  auprès  du  saint-siége  reçoit 
Tordre  de  prendre  un  congé.  —  7  février  1873.  Le  président  de  la 
chambre  des  députés  de  Prusse,  M.  de  Forkenbeck,  fait  savoir  que  tous 
-les  évêques  prussiens  ont  adressé  à  la  chambre  une  lettre  collective 
pour  la  prier  de  rejeter  les  projets  de  loi  concernant  l'instruction,  la  no- 
mination et  le  pouvoir  disciplinaire  des  ecclésiastiques.  —  24-25  février. 
Lors  de  la  discussion  du  budget  des  cultes,  les  députés  de  Saucken, 
Mùller  et  Yirchow,  se  prononcent  contre  le  maintien  du  conseil  supé- 


ALLEMAGNE  189 

rieur  ecclésiastique  comme  contraire  à  la  constitution.  —  26  février. 
M.  Falk  relève  les  assertions  de  M.  de  Gottberg  qui  considère  les  nou- 
velles lois  scolaires  comme  une  violation  de  la  constitution.  —  1er  mars. 
M.  Falk  parle  énergiquement  contre  les  attaques  des  ultramontains. 
Les  articles  15  et  18  de  la  constitution  sont  modifiés  conformément 
aux  désirs  du  gouvernement.  —  17  mars.  La  chambre  des  députés  de 
Prusse  vote  en  dernière  lecture,  et  selon  les  désirs  du  gouvernement, 
la  loi  concernant  les  limites  dans  lesquelles  doivent  s'appliquer  les 
moyens  de  discipline  ecclésiastique. —  23  avril.  Première  discussion  du 
projet  de  loi  concernant  le  mariage  civil.  —  11  août.  Le  docteur 
Reinkens  élu  évêque  des  vieux-catholiques  est  consacré  en  Hollande 
par  levèque  de  Deventer.  —  3  septembre.  Réponse  négative  de  l'em- 
pereur à  une  lettre  du  pape  du  7  août  qui  demande  une  modifica- 
tion de  la  politique  ecclésiastique  allemande.  —  19  septembre.  L'Etat 
reconnaît  î'évêque  Reinkens  en  qualité  d' évêque  des  vieux-catholiques. 

—  20  décembre.  La  chambre  des  députés  prussienne  vote  par  208  voix 
contre  110  la  loi  concernant  l'introduction  du  mariage  civil  obligatoire. 

—  29  janvier  1874.  La  chambre  des  députés  accorde  à  I'évêque  vieux- 
catholique  un  traitement  de  16,000  thalers.  —  6  mars.  Le  Dr  Eber- 
hard,  évêque  de  Trêves,  est  arrêté  et  conduit  en  prison  par  suite  de 
son  opposition  aux  lois  ecclésiastiques.  —  14  avril.  Le  tribunal  des 
affaires  ecclésiastiques  prononce  la  destitution  du  comte  Ledochowski, 
archevêque  de  Posen.  —  4  mai.  Promulgation  de  la  loi  concernant  la 
défense  de  remplir  illégalement  des  fonctions  ecclésiastiques.  —  6  mai. 
Clôture  de  la  discussion  concernant  l'administration  des  évêchés  catho- 
liques vacants.  La  loi  est  adoptée,  le  9,  par  257  voix  contre 95.  — 10  juil- 
let. L'évêque  Martin  de  Paderborn  déclare  qu'il  ne  se  soumettra  pas 
au  jugement  du  tribunal  pour  les  affaires  ecclésiastiques.  —  21  juillet. 
A  la  suite  de  l'attentat  de  Kullmann  contre  le  prince  de  Bismarck,  le 
directeur  de  police  de  Berlin  ordonne  la  clôture  provisoire  de  toutes  les 
associations  catholiques  à  Berlin  ;  en  même  temps  le  ministre  ordonne 
aux  autorités  de  surveiller  sévèrement  les  associations  analogues  en 
province.  —  22  août.  L'évêque  Ketteler  de  Mayence  invite  ses  diocé- 
sains à  ne  pas  célébrer  la  fête  de  Sedan,  parce  que  cette  victoire  a  été 
également  une  victoire  remportée  sur  FEglise  catholique.  —  6-8  sep- 
tembre. Congrès  des  vieux -catholiques  à  Fribourg  en  Brisgau.  — 
7  septembre.  L'évêque  Martin  de  Paderborn  est  invité  par  le  président 
suprême  de  Wesphalie  à  se  démettre  de  ses  fonctions  ;  il  s'y  refuse  et 
publie  une  lettre  pastorale  qui  le  fait  condamner,  le  21,  à  quatre  mois 
de  détention  dans  une  enceinte  fortifiée.  —  12  décembre.  Arresta- 
tion du  député  et  journaliste  catholique  Majunke.  —  49  décembre.  Le 
Journal  officiel  de  l'empire  publie  une  dépêche  de  M.  de  Bismarck  du 
1  i  mai  1872  concernant  l'élection  du  prochain  pape.  —  5  janvier  1875. 
Le  tribunal  des  affaires  ecclésiastiques  prononce  la  destitution  de 
l'évêque  Mai  lin  de  Paderborn.  L'évêque  est  interné,  le  19,  à  la  forte- 
resse de  Wesel.  —  25  janvier.  Le  Reichstag  adopte  par  207  voix  con- 
tre 72  la  loi  sur  le  mariage  civil  obligatoire  dans  tout  l'empire.  — 
28  janvier.  Les  évêques  bavarois  adressent  une  protestation  contre  Fin- 


190  ALLEMAGNE  —  ALLEN 

troduction  de  cette  loi. —  4  février.  Saisie  et  interdiction  des  mande 
ments  des  évêques  de  Metz  et  de  Strasbourg.  —  5  février.  Une  ency- 
clique du  pape  encourage  les  évêques  allemands  dans  leur  résistance. 
—  16  février.  Discussion  sur  la  loi  sur  l'administration  des  biens  des 
paroisses  catholiques.  —  24  février.  Saisie  des  journaux  ayant  reproduit 
l'encyclique  du  5  février.  —  2  mars.  Le  pape  adresse  aux  évoques 
allemands  une  lettre  collective  dans  laquelle  il  les  remercie  de  leur 
déclaration  contre  la  dépêche  du  prince  de  Bismarck  sur  l'élection  du 
prochain  pape.  —  4  mars.  Le  gouvernement  dépose  sur  le  bureau  de 
la  chambre  un  projet  de  loi  portant  suppression  des  allocations  fournies 
par  l'Etat  aux  ecclésiastiques  catholiques.  —  14  mars.  Le  ministre  des 
affaires  étrangères  invite  l'ambassadeur  d'Allemagne  à  Rome  à  appeler 
l'attention  du  gouvernement  italien  sur  les  dangers  qui  résultent  pour 
les  autres  Etats  des  privilèges  garantis  au  pape.  —  16  mars.  Première 
lecture  de  la  loi  supprimant,  les  allocations  au  clergé  catholique. 
Discours  passionné  de  M.  de  Bismarck.  —  2  avril.  Conférence  des  évêques 
à  Fulda.  Ils  protestent  contre  la  loi  supprimant  les  allocations.  Cette 
loi  est  votée  définitivement  le  6  avril.  —  15  avril.  Note  remise  à  la 
Belgique  concernant  l'immixtion  de  sujets  belges  dans  la  politique 
religieuse  allemande.  —  27  mai,  Le  gouvernement  bavarois  défend  les 
processions  à  l'occasion  du  jubilé  du  pape.  —  29  mai.  Le  président 
supérieur  de  Westphalie  invite  Eévêque  de  Munster  à  résigner  ses  fonc- 
tions. —  4  juin.  Le  gouvernement  badois  interdit  aux  processions  de 
sortir  des  églises.  —  10  juin.  Le  prince-évêque  de  Breslau  est  condamné 
à  2,000  marcs  d'amende  pour  avoir  excommunié  le  curé  Kick... — Biblio- 
graphie. Tous  les  renseignements  contenus  dans  cet  article  sont  em- 
pruntés aux  actes  et  documents  officiels.  E.  Vaucher. 

ALLEN  (Guillaume),  surnommé  le  cardinal  anglais,  l'un  des  plus 
grands  adversaires  de  la  réformation  anglaise  au  temps  d'Elisabeth, 
naquit  à  Rossai,  comté  de  Lancastre,  en  1532,  et  fit  ses  études  au 
collège  d'Orick,  à  Oxford,  1547.  Il  fut  un  des  plus  violents  ennemis  du 
réformateur  Cranmer,  et  son  zèle  lui  assura  un  avancement  rapide 
sous  le  règne  de  Marie  la  Sanglante,  qui  le  nomma  chanoine  d'York, 
en  1558.  Sacrifiant  sa  patrie  à  son  zèle  pour  l'Eglise  de  Rome  et  pour 
les  jésuites,  il  se  réfugia  à  Louvain,  en  1560,  et  commença  la  publica- 
tion de  ses  pamphlets  et  traités,  dont  l'un  renferme  la  défense  du 
dogme  du  purgatoire.  Rentré  secrètement  en  Angleterre  en  1565,  son 
audace  le  fit  découvrir  et  il  n'échappa  qu'avec  peine  aux  soldats  en- 
voyés contre  lui.  Après  un  court  séjour  à  Malines,  il  fondia  en  1568, 
à  Douai,  un  collège  de  jésuites,  qui  compta  bientôt  cent  cinquante 
élèves  et  douze  professeurs,  pépinière  des  agents  secrets  envoyés 
chaque  année  en  Angleterre  pour  affermir  la  foi  des  catholiques 
et  provoquer  des  prises  d'armes  contre  le  gouvernement  d'Elisabeth. 
Chassé  de  Douai  par  les  menaces  de  la  diplomatie  anglaise,  Allen 
transporta  son  école  à  Reims,  sous  la  protection  de  l'archevêque 
Charles  de  Guise,  cardinal  de  Lorraine,  et  releva  pendant  quelques 
années  l'antique  prestige  universitaire  de  cette  métropole  (voy.  Flo- 
doard,  Hist.  de  Reims).  Le  pape  Grégoire  XIII  le  nomma  chanoine  et 


ALLEN  —  ALLIANCE  191 

lui  confia  la  mission  de  fonuYr  dos  écoles  semblables  à  Rome  et  à 
Madrid.  Allen  multiplia  les  brochures  dans  lesquelles  il  déclare,  entre 
autres,  déchus  de  leurs  droits  naturels  les  parents  et  les  souverains 
hérétiques.  L'un  de  ces  traités  parut  en  français  à  Lyon.  Les  jésuites 
Person  et  Gampien  se  tirent  les  propagateurs  de  ses  écrits  en  Angle- 
terre, et  provoquèrent  de  la  part  d'Elisabeth  une  résistance  qui  se  ma- 
nifesta par  le  supplice  de  nombreux  disciples  d'Allen.  Celui-ci  encou- 
ragea les  efforts  de  Philippe  II  et  de  son  armada.  Son  manifeste  de  1588 
souleva  une  réprobation  unanime  en  Angleterre.  Elevé  par  le  roi 
d'Espagne  au  siège  de  Malines  avec  droit  de  résidence-  à  Rome,  Allen 
y  vécut  jusqu'en  1594,  année  de  sa  mort,  au  sein  d'une  opulence  et 
d'une  faveur,  qu'il  employa  jusqu'à  la  fin,  quoi  qu'on  en  ait  dit,  au 
service  des  ennemis  du  gouvernement  de  son  pays.  —  Voy.  L.  Ranke, 
Die  rœmischen  Pxpste,   Berlin,   1852;   Lingard,  History  of  England, 

VOl.  VI  SS.  A.  Paumier. 

ALLEN  ('Guillaume),  éminent  quaker  et  philanthrope  du  commence- 
ment du  siècle,  né  à  Londres,  le  29  août  1770.  Dès  l'âge  de  quatorze 
ans  il  fit  preuve  des  plus  grandes  aptitudes  scientifiques,  auxquelles  se 
joignait  une  piété  profonde  développée  par  sa  mère,  et  dont  nous 
avons  de  nombreux  témoignages  dans  son  diairc  ou  journal,  qui  em- 
brasse une  période  de  cinquante  années.  Pendant  sa  longue  carrière, 
qui  prit  fin  le  30  décembre  1843,  William  Allen  fit  sur  le  continent 
huit  voyages  et  visita  la  Hollande,  l'Allemagne,  les  Etats  du  Nord,  la 
Russie,  la  Suisse,  la  France,  l'Espagne  et  POrient.  Il  entretint  des  re- 
lations suivies  avec  les  philanthropes  de  son  temps,  Krafft,  de  Stras- 
bourg, Oberlin,  de  Gérando,  l'abbé  Gautier,  etc.  Dans  deux  entrevues  il 
plaida  auprès  de  l'empereur  Alexandre  la  cause  de  la  paix  et  de  l'hu- 
manité. Il  n'est  pas  de  question  sociale  qu'il  n'ait  abordée  :  éduca- 
tion par  la  fondation  d'écoles  populaires  ayant  la  Bible  pour  base, 
d'écoles  du  dimanche  et  de  colonies  agricoles;  caisses  d'épargne 
pour  le  peuple;  amélioration  du  sort  des  prisonniers  par  des  visites 
et  surtout  par  la  fondation  d'un  reformalory  dont  il  posa  la  pre- 
mière pierre  le  20  janvier  1816  ;  abolition  de  la  peine  de  mort. 
Il  poursuivit  avec  un  zèle  infatigable  l'abolition  de  la  traite  des  nègres. 
Pour  assurer  au  peuple  des  lectures  saines  et  instructives,  il  publia  des 
traités,  des  journaux,  entre  autres,  le  Philanthrope,  encouragea  les 
aiers  travaux  de  la  Société  des  Livres  religieux  de  Toulouse,  ré- 
digea  des  articles  populaires  sur  l'épargne,  la  vaccine,  la  méthode 
i>ter,  plaida  tour  à  tour  la  cause  des  Vaudois  du  Piémont,  des 
Grecs,  des  Irlandais.  Membre  zélé  de  la  Société  des  Amis,  au  sein  de 
laquelle  il  remplit  les  fonctions  les  plus  élevées,  chef  d'un  grand  éta- 
blis9emen(  industriel,  il  fit  des  cours  scientifiques  à  Guy's  hospital,  à  la 
Société  des  sciences  de  Londres,  dont  il  devint  membre,  sur  la  pro- 
position d'Humplney  Davy.  Marié  trois  fois,  il  eut  la  douleur  de  sur- 
vimc  a  presque  tous  les  membres  de  sa  famille.  —  Voy.  Biofjr.  de 
W.  Allen,  par  de  Pélice,  Toulouse,  18(3*.).  A.  Paumier. 

ALLIANCE.  Cette  expression  est  prise  au  propre  et  au  figuré,  pour  les 
principes  et  pour   les  doctrines,  comme  pour  les  individus.  La  Bible 


192  ALLIANCE 

s'en  sert  très-souvent  avec  des  acceptions  diverses  dont  voici  les  prin- 
cipales. Par  ce  mot  elle  désigne  :  1°  des  rapports  entre  des  individus 
(Gen.  XIV,  13;  2  Chron.  XVIÏI,  1);  2°  des  rois  avec  les  peuples  et 
des  peuples  avec  les  rois,  qu'ils  appartiennent  ou  qu'ils  n'appartiennent 
pas  à  la  même  cause  (2  Chron.  XXIII,  16  ;  Exode  XXXIII,  12)  ;  3°  l'union 
d'un  homme  et  d'une  femme,  par  le  mariage  (Mal.  II,  14)  ;  4°  l'union 
des  cœurs  par  l'amitié  (1  Sam.  XVIII,  3).  Mais  c'est  surtout  de  l'alliance 
de  Dieu  avec  les  hommes  que  la  Bible  nous  parle  fréquemment.  Comme 
un  roi  s'unit  avec  ses  sujets,  Dieu  fait  alliance  avec  les  hommes.  Tan- 
tôt cette  alliance  est  conclue  avec  des  individus  :  Abraham  (Gen.  XV,  18)  ; 
Phinées,  (Nomb.  XXV,  13);  Lévi  (Mal.  II,  4;  Nomb.  III,  11,  12); 
d'autres  fois  c'est  avec  un  peuple  qui,  pour  ce  motif,  prend  le  nom 
de  peuple  de  Dieu  (Exode  XIX).  Comme  dans  toute  alliance  il  y  a  tout 
au  moins  deux  parties  contractantes,  ici  ceux  entre  qui  se  passe  le 
contrat  sont  l'Eternel  et  le  peuple.  Dieu  promet  assistance  et  protec- 
tion, Israël  promet  obéissance  et  soumission  :  «  Je  serai  votre  Dieu  et 
vous  serez  mon  peuple,  je  vous  donnerai  des  lois  et  vous  les  observerez  » 
(Lév.  XXVI,  12).  Cette  alliance  fut  conclue  à  Sinaï,  par  l'intermédiaire 
de  Moïse,  qui  en  est  appelé  le  médiateur,  et  le  peuple  fit  cette  promesse 
à  Moïse  :  «  Nous  ferons  tout  ce  que  l'Eternel  a  dit.  »  Bien  qu'il  soit  parlé 
de  beaucoup  d'alliances  que  Dieu  a  faites  avec  des  hommes,  toutes  se 
rapportent  à  l'alliance  mosaïque  dont  elles  ne  sont  que  des  parties 
intégrantes,  comme  qui  dirait  les  branches  d'un  arbre  ou  les  membres 
qui  constituent  un  corps  ;  elles  se  rattachent  à  celle-ci  qui  est  appelée 
par  excellence,  l'alliance  (berit).  Comme  elle  est  fondée  sur  la  loi, 
c'est-à-dire  sur  la  manifestation  que  Dieu  a  faite  de  sa  volonté,  elle  est 
appelée  Y  alliance  de  la  justice.  Cette  alliance  fut  promulguée  avec  un 
éclat  dont  on  peut  lire  la  description  dans  le  XXIVe  chapitre  du  livre 
de  l'Exode.  Cette  loi  écrite  dans  un  livre  appelé  livre  de  l'alliance 
(séphèrhabberit)  dut  être  renfermée  dans  une  arche  appelée  arche 
de  V alliance  (aron  berit) ,  et  Moïse  ayant  pris  une  partie  du  sang  des 
taureaux  qui  avaient  été  offerts  en  sacrifice,  le  répandit  sur  le  peuple 
en  disant  :  a  Voici  le  sang  de  l'alliance  que  l'Eternel  a  faite  avec  vous.  » 
Cette  alliance  fut  renouvelée  à  l'extrémité  du  désert  (Deut.  XXIX). 
Comme  l'alliance  faite  à  Noé,  lors  du  déluge,  et  avec  Moïse,  lors  de  la 
sortie  d'Egypte,  avait  eu  un  signe,  l'arc-en-ciel  et  l'agneau  pascal, 
l'alliance  conclue  avec  le  peuple  d'Israël  dut  être  rappelée  à  chacun 
de  ses  membres  par  la  circoncision.  «  Tout  mâle  parmi  vous  sera  cir- 
concis »  (Gen.  XVII,  10),  et  cette  alliance  est  appelée  pour  ce  motif 
l'alliance  de  la  circoncision  (Actes  VII,  8).  —  Cette  alliance  dont  il  est 
si  souvent  parlé  dans  l'Ancien  Testament  n'était  pour  ainsi  dire  que 
la  figure  et  la  préparation  d'une  autre  qui  devait  la  développer  et  la 
remplacer  (Jér.  XXXIII,  31-37).  «  Les  jours  viennent,  dit  l'Eternel,  que 
je  traiterai  avec  la  maison  d'Israël  et  la  maison  de  Juda  une  alliance 
nouvelle.  »  Cette  alliance  est  mise  en  parallèle  avec  celle  de  Sinaï,  ses 
lois  seront  écrites  dans  les  cœurs  et  non  sur  des  tables  de  pierre  ;  elle 
sera  fondée  sur  le  pardon  des  péchés,  et  elle  aura  pour  cause  la  bonté 
de  l'Eternel  qui  est  aussi  certaine  et  invariable  que  les  lois  qu'il  a  don- 


ALLIANCE  -  ALLIANCE  ÉVANGÉLIQUE  103 

nées  à  la  nature  en  créant  l'univers.  Cette  alliance  à  intervenir  sera 
une  alliance  de  paix  qui  ressemblera  à  celle  de  Noé  dans  ce  sens  que 
si,  dans  la  première,  Dieu  promet  qu'il  n'enverra  plus  les  eaux  pour 
détruire  la  terre,  dans  la  seconde  il  promet  de  ne  plus  s'irriter  et  as- 
sure qu'il  maintiendra  son  amour  (Esaïe  LIV,  iO).  Cette  alliance  sera 
pour  tous  les  peuples  et  non  pour  un  peuple  seulement.  Toutes  les  na- 
tions de  la  terre  seront  bénies  en  Abraham  (Gen.  XIÏ,  3);  le  Rédemp- 
teur, le  Messie  promis  viendra  de  Sion  (Esaïe  LX,  20),  et,  comme  le  dit 
Siméon,  il  sera  la  lumière  des  nations  et  la  gloire  du  peuple  d'Israël 
(Luc  II,  32).  L'Eternel  sera  fidèle,  alors  même  que  les  hommes  ne  le 
seraient  pas;  il  punira  ceux  qui  l'offenseront,  mais  il  ne  retirera  pas  sa 
bonté  (Ps.  LXXXIX,  35).  Cette  alliance  de  grâce,  préparée  par  la  pré- 
dication de  Jean-Baptiste  et  fondée  par  Jésus-Christ,  prend  le  nom 
d'alliance  nouvelle  (•?)  jweivy]  Aiaôr;/,-/)).  Jésus-Christ  en  est  le  médiateur 
comme  Moïse  fut  le  médiateur  de  l'ancienne.  Elle  est  supérieure  à  la  pré- 
cédente par  le  sacerdoce  exceptionnel  de  son  fondateur  et  par  son  éten- 
due, puisque  les  gentils  seront  appelés  à  y  prendre  part  comme  les  Juifs. 
Les  conditions  sont  la  repentance  et  la  foi.  Au  reste,  elle  se  rattache  à 
l'ancienne  par  la  forme  comme  par  le  fond.  L'Evangile  sort  de  la  loi, 
le  salut  vient  des  Juifs,  l'alliance  nouvelle  fut  instituée  pendant  qu'on 
célébrait  l'ancienne  pâque.  La  sainte  Cène  est  destinée  à  perpétuer  le 
souvenir  de  la  mort  du  Christ,  comme  la  célébration  de  la  pâque  juive 
devait  conserver  le  souvenir  de  la  sortie  d'Egypte.  Il  n'est  pas  jusqu'à 
la  victime  du  sacrifice  qui  ne  fasse  ressortir  le  rapport  qui  existe  entre 
les  deux.  Jésus  est  appelé  l'agneau  sans  tache  qui  ôte  les  péchés  du 
monde;  et  son  sang,  comme  celui  des  victimes  anciennes,  doit  être 
répandu  sur  le  peuple,  mais  d'une  autre  façon  :  «Prenez,  mangez,  ceci 
est  mon  corps  ;  buvez,  ceci  est  mon  sang,  le  sang  de  la  nouvelle 
alliance...  Le  sang  du  Christ  purifie  de  tout  péché...  Si  vous  ne  mangez 
ma  chair  et  si  vous  ne  buvez  mon  sang,  vous  n'aurez  point  de  part  avec 
moi.  »  —  Le  mot  àu&fptv),  qui  signifie  alliance,  signifie  aussi  testament. 
Cette  dernière  traduction  a  prévalu  pour  désigner  le  volume  sacré, 
tandis  que  la  première  avait  obtenu  la  préférence  chez  nos  pères  du 
seizième  et  du  dix-septième  siècle.  C'est  pourquoi  nos  Bibles  impri- 
mées, il  y  a  deux  cent  cinquante  ans,  portent  les  noms  d'Ancienne  et 
de  Nouvelle  Alliance,  tandis  que  les  modernes  paraissent  sous  les  titres 
d'Ancien  et  de  Nouveau  Testament.  Les  Bibles  hébraïques  ne  le  portent 
pas.  Cette  innovation  remonte  à  la  traduction  des  Septante.  Ces  inter- 
prètes ont  écrit  :  Y)  rSkcàcL  AtaO/j^Y).  Ph.  Corbière. 

ALLIANCE  ÉVANGÉLIQUE.  I.  La  fondation  et  les  premiers  développe- 
ments de  l'alliance  évangélique  appartiennent  déjà  à  l'histoire.  Depuis 
plu-  de  quarante  ans,  en  effet,  dans  diverses  contrées  de  l'Europe  et  de 
l'Amérique,  des  chrétiens  distingués  par  leur  science  ou  par  leur  piété 
cherchaient  les  moyens  de  manifester,  d'une  manière  extérieure,  l'u- 
nité fondamentale  qui  existe  entre  les  chrétiens  évangéliques,  à  quelque 
dénomination  qu'ils  appartiennent.  En  Suisse,  le  professeur  Louis 
Gaussen  ;  en  Allemagne,  le  docteur  Kniewel,  de  Dantzig  ;  en  France, 
les  pasteurs  Fisch  et  Frossard  ;  en  Angleterre,  les  Rev.  Steward,  de 


194  ALLIANCE  ÉVANGÉLIQUE 

Liverpool,  James,  de  Birmingham,  et  Liefchild,  de  Londres;  aux 
Etats-Unis,  les  docteurs  Schmucker  et  Patton,  ou  publiaient  des  écrits 
sur  ce  sujet  ou  invitaient  leurs  frères  à  des  réunions  de  prières  desti- 
nées à  la  fois  à  proclamer  et  à  provoquer  l'union  qui  existe  entre  tous 
les  chrétiens.  En  février  184-3,  une  immense  assemblée  se  réunit  à 
Londres,  dans  la  grande  salle  du  Centenary-Hall,  et  décida  pour  le  mois 
de  juin  suivant  un  meeting  d'alliance  dans  Exeter-Hall.  Les  hommes 
les  plus  éminents  de  leurs  communions  respectives  prirent  part  à  cette 
convocation  qui  fut  un  pas  décisif  dans  la  voie  du  rapprochement. 
L'Ecosse  ne  demeura  pas  étrangère  à  ce  généreux  mouvement.  Déjà, 
en  1842,  l'Eglise  presbytérienne  d'Ecosse  avait  nommé  un  comité 
chargé  de  nouer  des  communications  fraternelles  avec  les  autres  Eglises 
chrétiennes.  La  disruption  de  1843  ne  fit  qu'accentuer  ce  besoin  d'u- 
nion, et,  en  juillet  de  la  même  année,  naquit  dans  une  grande  solen- 
nité destinée  à  commémorer  l'anniversaire  bi- centenaire  de  West- 
minster, le  projet  d'une  vaste  conférence  qui  réunirait,  des  contrées 
les  plus  lointaines,  les  chrétiens  décidés  à  se  tendre  une  main  d'asso- 
ciation. Cette  pensée  germa  dans  les  cœurs.  Aussi,  lorsqu'elle  fut  for- 
mulée par  le  docteur  Patton,  d'Amérique,  en  une  proposition  positive 
de  convoquer  cette  assemblée  dans  la  métropole  de  l'Angleterre,  elle 
produisit  à  peine  quelque  étonnement.  Un  comité  écossais  proposa, 
dans  un  appel  du  5  août  1845,  qu'une  réunion  préliminaire  se  tînt  à 
Liverpool  pour  discuter  les  bases  d'une  grande  conférence  œcuménique. 
Deux  cent  seize  personnes,  appartenant  à  vingt  dénominations  diffé- 
rentes, répondirent  à  cette  invitation  et  siégèrent  ensemble  à  Liverpool 
du  1er  au  3  octobre.  Une  série  de  résolutions  furent  arrêtées,  et  un 
comité  provisoire  fut  chargé  de  préparer  pour  l'année  suivante,  à 
Londres,  une  assemblée  universelle  des  chrétiens  évangéliques.  —  Le 
19  août  1846,  la  grande  salle  de  Freemason's-Tavern  s'ouvrit  aux  délé- 
gués de  cinquante  dénominations  ou  Eglises  différentes.  Presbytériens 
et  congrégationalistes  réformés,  épiscopaux,  luthériens,  baptisles,  wes- 
leyens,  calvinistes,  méthodistes,  moraves,  etc.,  étaient  représentés 
par  neuf  cent  vingt  pasteurs  ou  laïques  venant  de  toutes  les  contrées 
de  la  Grande-Bretagne,  de  presque  tous  les  Etats  de  l'Union  américaine, 
de  la  France,  de  la  Suisse,  de  l'Allemagne,  de  la  Belgique,  du  cap  de 
Bonne-Espérance,  de  l'Inde  même.  Des  hommes  jouissant  dans  leurs 
Eglises  d'une  grande  autorité  siégeaient  dans  ce  congrès  chrétien.  Du 
continent  on  y  voyait  les  pasteurs  et  professeurs  Tholuck,  Ad.  Monod, 
de  Laharpe,  Fisch,  L.  Bonnet,  Barth  de  Calw,  Marriot,  Treviranus, 
Kuntze,  etc.;  d'Angleterre  et  d'Ecosse,  les  Rev.  Baptiste  Noël,  Bic- 
kerstheth,  Gummigham,  Candlish,  Angell  James,  King,  Liefchild, 
John  Henderson,  sir  Culling  Eardly  Smith  ;  d'Amérique,  les  docteurs 
Cox,  Patton,  Baird,  Schmucker,  etc.  La  conférence  de  Londres,  qui 
revendiquait  le  caractère  d'une  assemblée  constituante,  discuta  et  vota 
dans  dix-neuf  séances,  du  19  août  au  2  septembre,  une  série  de  résolu- 
tions, que  l'on  peut  grouper  autour  des  quatre  chefs  principaux  : 
1° formation  de  l'alliance  ;  2°  base  de  l'alliance  ;  3°  objet  de  l'alliance; 
4°  organisation  de  l'alliance.  Les  discussions   auxquelles   ces  divers 


ALLIANCE  ÉVANGÉLIQUE  195 

pointa  donnèrent  lieu  furent  toutes  empreintes  de  franchise  et  de  cordia- 
lité. Il  fut  bien  établi  qu'il  ne  s'agissait  ni  de  fonder  une  confédération 
d'Eglises,  une  Eglise  nouvelle,  ni  d'opérer,  une  fusion  dos  Eglises,  mais 
de  proclamer  l'unité  essentielle  de  V Eglise  de  Dieu  dans  la  diversité  de 
ses  manifestations  extérieures.  C'est  du  reste  ce  qu'expriment  nettement 
les  résolutions  votées  le  second  jour  (voyez  :  E  van  g  elical  alliance,  1840, 
Report  of  the  proeeedings,  p.  AÀ,  î>4,  (U).  Sans  vouloir  arrêter  une  base 
doctrinale  absolue,  il  importait  cependant  que  l'assemblée  signalât  les 
grandes  vérités  de  la  foi  qu'elle  considérait  comme  le  fondement  de 
l'union  de  ses  membres.  Le  but  de  l'alliance,  comme  on  l'a  dit  (L.  Bon- 
net ,  L  Unité  par  le  lien  de  la  paix  et  de  l'esprit,  p.  47),  était  de  confesser 
la  vérité  aussi  bien  que  de  cultiver  la  charité,  et  pour  cela  elle  devait 
confesser  sa  foi  (Report,  p.  77  ss.).  Il  fut  en  outre  distinctement  en- 
tendu :  1°  que  ce  court  résumé,  comprenant  les  principales  doctrines 
évangéliques,  ne  doit  nullement  être  regardé  comme  une  confession  de 
foi,  dans  le  sens  ecclésiastique,  et  que  son  adoption  ne  doit  point  être 
considérée  comme  présumant  le  droit  de  fixer  les  limites  de  la  frater- 
nité chrétienne,  mais  qu'il  est  destiné  simplement  à  indiquer  la  classe 
de  personnes  qu'il  est  désirable,  généralement  parlant,  de  voir  entrer 
dans  l'alliance;   2°  qu'il  ne  faudrait  pas  conclure  du  choix  qu'a  fait 
la  conférence  de  certains  points  de  doctrine  à  l'exclusion  de  certains 
autres,  ni  que  les  premiers  constituent  le  corps  entier  des  vérités  im- 
portantes, ni  que  les  autres  soient  indifférents  {Report,  p.  170).  Il 
restait  à  la  conférence  à  définir  l'objet  et  l'organisation  de  l'alliance 
qu'elle  venait  de  fonder.  Elle  le  fit  en  termes  émus  :  «  Comme  la  pro- 
position de  travailler  à  l'union,  disent  les  minutes  de  la  conférence 
(Sessions  XI,  XII,  XIII;,  émane  principalement  d'un  sentiment  univer- 
sel parmi  les  chrétiens,  celui  de  leur  coupable  négligence  pratique  du 
«  nouveau  commandement  »  de  notre  Seigneur  à  ses  disciples  :  Aimez- 
vous  les  uns  les  autres;  comme  les  membres  de  l'alliance  désirent  con- 
fesser avec  douleur  la  part  qu'ils  ont  prise  à  ce  péché,   le  premier 
objet  de  l'alliance  doit  être  de  rendre  plus  profonde  dans  le  cœur  de 
ses  propres  membres,  et,  par  leur  influence,  de  répandre  parmi  tous 
les  disciples  de  Jésus-Christ  cette  conviction  de  péché  que  l'Esprit  de 
Dieu  semble  maintenant  réveiller  en  tout  lieu  dans  l'Eglise  ;  afin  que, 
s'humiliant  de  plus  en  plus  devant  le  Seigneur,  tous  se  sentent  pressés, 
en  toute  occasion  convenable,  de  confesser  leur  culpabilité  à  cet  égard, 
et  d'implorer  par  les  mérites  et  l'intercession  de  leur  Sauveur  le  pardon 
des  offenses  passées,  aussi  bien  que  la  grâce  divine,  qui  peut  seule  les 
conduire  à  mieux  cultiver  cet  amour  des  frères,  enjoint  à  tous  ceux 
qui,  aimant  le  Seigneur  Jésus,  sont  liés  par  là  même  à  s'aimer  les  uns 
les  autresb,  pour  l'honneur  de  la  vérité  qu'ils  professent.  Le  grand  objet  de 
l'alliance  évangélique  doit  être  de  contribuer  à  manifester  autant  que 
possible  l'unité  qui  existe  parmi  les  vrais  disciples  du  Christ.  »  Dans  le  but 
d'avancer  eel  objet,  on  décida  que  l'alliance  recevrait,  sur  les  progrès 
delà  vraie  religion  dans  toutes  les  parties  du  monde,  les  informations 
que  des  frères  chrétiens  seront  disposés  à  leur  communiquer;  à  cet 
efifef   une  correspondance  serait  établie  avec  ces  frères  chrétiens  de 


196  ALLIANCE  ÉV ANGÉLIQUE 

divers  pays,  particulièrement  avec  ceux  qui  peuvent  se  trouver  dans  des 
difficultés  ou  des  persécutions  pour  la  cause  de  l'Evangile,  afin  de  leur 
offrir  les  encouragements  de  la  sympathie  et  de  réveiller  l'intérêt  pu- 
blic en  leur  faveur.  Comme  moyens  subordonnés  d'atteindre  le  môme 
grand  objet,  l'alliance  devait  s'efforcer  d'exercer  une  influence  salu- 
taire sur  les  progrès  du  protestantisme  évangélique,  sur  la  lutte  contre 
l'incrédulité,  le  romanisme  et  telles  autres  formes  de  superstition, 
d'erreur  et  de  mondanité,  en  particulier  contre  la  profanation  du  jour 
du  Seigneur.  La  question  d'organisation,  la  plus  simple  de  toutes, 
semblait-il,  faillit  briser  l'alliance  qui  venait  d'être  conclue.  On  était 
alors  fortement  préoccupé  en  Angleterre  et  aux  Etats-Unis  de  la  sup- 
pression de  l'esclavage,  et  quand  iLs'agit  de  déterminer  les  conditions 
requises  pour  faire  partie  de  l'alliance,  un  ministre  baptiste  de  Londres, 
le  Rev.  Hinton,  demanda  que  les  propriétaires  d'esclaves  en  fussent 
exclus.  Les  délégués  américains  déclarèrent  à  la  conférence  qu'ils  ne  pou- 
vaient assumer  vis-à-vis  de  leur  pays  la  redoutable  responsabilité  de  cet 
amendement,  et  l'on  allait  se  séparer,  lorsque,  après  d'ardentes  prières, 
on  résolut  de  laisser  à  chaque  branche  le  soin  et  la  liberté  de  son  orga- 
nisation intérieure ,  sans  engager  par  là  la  responsabilité  des  autres 
branches.  Le  royaume -uni  de  la  Grande-Bretagne  et  de  l'Irlande, 
—  les  Etats-Unis  d'Amérique,  —  la  France,  la  Belgique  et  la  Suisse 
française,  —  le  nord  de  l'Allemagne,  —  le  midi  de  l'Allemagne  et  la 
Suisse  allemande,  —  l'Amérique  anglaise,  —  les  Indes  occidentales, 
furent  désignés  comme  devant  former  sept  grandes  branches  qui  en- 
tretiendraient entre  elles  une  correspondance  officielle,  dans  la  vue 
de  coopérer  et  de  s'encourager  mutuellement  dans  leur  commun 
objet,  et  l'on  renvoya  jusqu'à  une  autre  conférence  générale  les 
détails  de  l'organisation  définitive  de  l'alliance  évangélique  qui  venait 
d'être  fondée.  L'assemblée  de  Londres  ne  se  sépara  pas  avant  d'avoir 
voté  une  série  de  résolutions  générales  ou  conseils  destinés  à  exhorter 
les  membres  de  l'alliance  au  support,  à  la  bienveillance  et  à  l'esprit 
de  pardon.  Elle  invita  en  particulier  «  tous  les  ministres  de  l'Evangile, 
tous  les  rédacteurs  de  publications  religieuses,  et  tous  ceux  qui  exercent 
quelque  influence  sur  les  diverses  dénominations  chrétiennes,  à  veiller 
davantage  sur  ces  péchés  du  cœur,  de  la  langue  ou  de  la  plume  envers 
les  chrétiens  appartenant  à  d'autres  Eglises,  et  à  répandre  avec  plus 
de  zèle  autour  d'eux  un  esprit  de  paix,  d'union  et  d'amour.  »  Ainsi 
fut  fondée  l'alliance  évangélique.  — Les  années  qui  suivirent  la  confé- 
rence de  Londres  furent  des  années  de  semailles.  En  Grande-Bretagne 
et  sur  le  continent,  quelques  associations  se  formèrent,  mais  l'Amé- 
rique n'accueillit  pas  l'alliance  à  cause  de  la  question  de  l'esclavage,  et 
l'Allemagne  s'y  montra  ou  hostile  ou  indifférente.  En  France  et  en 
Suisse,  elle  fit  peu  de  progrès.  La  base  dogmatique  arrêtée  à  Londres  y 
parut  aux  uns  trop  étendue,  à  d'autres,  pas  assez  affirmative.  Deux  ou 
trois  de  ses  articles  touchaient  à  des  points  controversés  entre  chré- 
tiens, et  laissaient  en  dehors  des  membres  vivants  du  corps  du  Christ  ; 
aussi,  après  de  longues  discussions  dans  les  divers  comités  de  la  branche 
française,  celle-ci  abandonna,  en  1854,  la  base  première  et  lui  sub- 


ALLIANCE  ÉVANGÉLIQUE  197 

stitua  les  principes  fondamentaux  suivants  qui,  dès  lors,  leur  ont  servi 
de  drapeau  :  «  La  branche  française  de  l'alliance  évangélique  admet  au 

nombre  de  ses  membres  tous  les  chrétiens  qui,  voulant  vivre  dans 
l'amour  fraternel,  expriment  l'intention  de  confesser  avec  elle,  confor- 
mément aux  Ecritures  inspirées  de  Dieu,  leur  foi  commune  au  Dieu 
Sauveur  :  au  Père,  qui  les  a  aimés  et  qui  les  justifie  par  grâce,  par  la 
foi  en  son  Fils  ;  au  Fils,  qui  les  a  rachetés  par  son  sacrifice  expiatoire, 
et  au  Saint-Esprit,  Fauteur  de  leur  régénération  et  de  leur  sanctiiication, 
un  seul  Dieu  béni  éternellement,  à  la  gloire  duquel  ils  désirent  con- 
sacrer leur  vie.  »  On  en  était  à  ce  temps  des  petits  et  difficiles  commence- 
ments, lorsque  l'Angleterre  se  prépara  à  réunir  dans  sa  capitale  la 
première  exposition  universelle  de  l'industrie.  La  pensée  de  profiter  de 
cette  assemblée  des  peuples,  pour  convoquer  en  même  temps  à  Londres 
une  sorte  de  congrès  fraternel,  sans  caractère  officiel,  fut  formulée,  en 
mai  1850,  par  le  pasteur  R.-H.  Herschell,  et  trouva  aussitôt  un  écho 
sympathique,  même  au  delà  des  mers.  Le  plan  se  mûrit,  des  invitations 
nombreuses  furent  envoyées  au  près  et  au  loin,  et  sur  la  proposition  du 
docteur  Baird,  de  New- York,  il  fut  résolu  qu'on  demanderait  à  des 
hommes  bien  qualifiés  des  mémoires  sur  l'état  religieux  de  leurs  pays 
respectifs.  L'assemblée  considérable  qui  se  trouva  réunie  le  20  août  1851 , 
dans  la  grande  salle  de  Freemason's-Tavern,  où,  cinq  ans  auparavant, 
l'alliance  avait  été  fondée,  prouva  que  l'arbuste  pour  être  frêle  encore 
était  destiné  à  devenir  un  grand  arbre  qui  couvrirait  la  terre  de  ses 
branches.  La  France,  la  Suisse,  FAllemagne,  la  Belgique,  la  Hollande,  la 
Suède,  la  Pologne,  l'Italie,  les  Etats-Unis,  le  Cap,  les  Indes,  Tunis,  Alger, 
la  Chine,  la  Syrie,  comptaient  à  cette  assemblée  cent  quatre-vingt-six 
représentants.  Les  sessions  de  la  conférence  durèrent  du  20  août  au 
3  septembre.  Un  puissant  esprit  de  fraternité  anima  toutes  ses  délibé- 
rations; un  vivant  intérêt  pour  le  règne  de  Dieu  fut  excité  par  cette 
vaste  revue  de  toutes  les  Eglises;  la  cause  des  conférences  œcumé- 
niques de  l'alliance  fut  gagnée  par  ce  premier  essai,  et  Ton  se  sépara 
avec  l'espérance  d'un  prochain  revoir.  Dès  lors,  Paris  en  1855,  Berlin 
en  1857,  Genève  en  1861,  Amsterdam  en  1867  et  New- York  en  1873, 
ont  eu  leur  congrès  de  l'amour  chrétien.  Chacune  de  ces  grandes  assises 
de  l'alliance  a  été  une  victoire  en  faveur  de  son  principe.  Partout  elles 
se  sont  légitimées  par  les  bienfaits  qu'elles  ont  laissés  à  leur  suite.  Ces 
diverses  conférences,  dans  le  détail  desquelles  nous  ne  pouvons  entrer, 
ne  se  sont  pas  bornées  à  entendre  des  travaux  de  statistique  religieuse  ; 
les  questions  les  plus  actuelles  et  les  plus  importantes  pour  l'Eglise  et 
pour  fa  société  y  ont  été  abordées  et  discutées  :  à  Paris,  la  liberté 
religieuse;  à  Berlin,  le  sacerdoce  universel  des  chrétiens  et  le  droit 
de  manifester  sa  foi;  à  Genève,  l'observation  du  jour  du  repos,  la 
condition  des  classes  laborieuses,  le  scepticisme  moderne,  l'union  de 
la  doctrine  et  de  la  vie;  à  Amsterdam,  l'école  et  la  Bible,  le  prin- 
cipe de  la  société  moderne  et  le  principe  chrétien,  la  morale  indé- 
pendante, la  philanthropie  chrétienne,  les  missions  et  la  civilisation; 
a  New-York,  l'union  des  chrétiens,  la  prédication  dans  les  temps  ac- 
tuels, le  christianisme  et  ses  adversaires,  la  vie  chrétienne,  le  christ  ia- 


198  ALLIANCE  ÉVANGÉLIQUE 

nisme  et  les  gouvernements  civils.  Tous  ces  travaux,  fruits  de  re- 
cherches ou  de  méditations  approfondies,  ont  été  publiés  dans  le 
compte  rendu  des  diverses  conférences,  et  répandus  par  la  voie  des 
journaux  sur  toute  la  face  de  la  terre.  —  Ces  congrès  de  l'alliance,  en 
attirant  sur  elle  l'attention  des  peuples  et  des  gouvernements,  lui  ont 
permis  de  poursuivre,  d'une  manière  efficace,  l'un  des  buts  importants 
qu'elle  s'était  proposés  dès  sa  formation  :  celui  de  la  protection  des 
minorités  religieuses  et  des  individus  chrétiens.  Dès  1847,  le  comité  de 
Paris  demandait  au  pape  et  obtenait  la  libération  du  docteur  Achilli, 
enfermé  dans  le  château  Saint- Ange,  pour  avoir  distribué  la  Bible  ;  il 
intercédait  sans  succès,  il  est  vrai,  auprès  du  roi  de  Suède  en  faveur  du 
pasteur  NilssOn,  persécuté  dans  son  pays  pour  avoir,  par  motif  de 
conscience,  abandonné  l'Eglise  nationale.  En  4855,  une  députation 
solennelle  se  rendait  auprès  du  duc  de  Toscane  et  préparait  l'élargisse- 
ment des  époux  Madiaï  condamnés  à  la  peine  des  travaux  forcés,  pour 
avoir  embrassé  «  la  religion  évangélique  ou  du  pur  Evangile.  »  En  1863, 
des  démarches  plus  retentissantes  encore  auprès  de  la  reine  d'Espagne 
firent  commuer,  en  la  peine  de  l'exil,  la  condamnation  aux  galères  pro- 
noncée contre  Matamoros  et  ses  compagnons  de  foi.  Indépendamment 
de  ces  faits,  l'alliance  a  fait  entendre  sa  [voix,  à  Gonstantinople,  pour 
obtenir  la  liberté  de  religion  aux  chrétiens  soumis  au  joug  ottoman  ;  en 
Perse,  en  faveur  des  nestoriens  ;  à  Berlin,  en  Suède  et  en  Suisse,  en 
faveur  des  baptistes  persécutés  ;  à  Saint-Pétersbourg,  pour  conserver 
aux  chrétiens  de  l'Esthonie  et  de  la  Livonie  leur  confession  religieuse  ; 
en  Afrique  et  dans  la  Nouvelle-Calédonie,  en  faveur  des  missionnaires 
français  et  anglais  entravés  dans  leur  œuvre,  etc.,  etc.  Fidèle  gardienne 
des  droits  de  la  conscience,  l'alliance  évangélique,  toujours  prête  à  les 
sauvegarder,  est  devenue  dans  le  monde  une  institution  respectée.  Elle 
exerce  auprès  des  gouvernements  une  influence  à  laquelle  aucune  Eglise 
isolée  ne  saurait  prétendre.  —  Si  des  faits  extérieurs  nous  passons  à 
la  vie  intérieure  des  diverses  dénominations  religieuses,  nous  voyons 
que  l'action  de  l'alliance  s'y  est  aussi  fait  sentir.  Les  réunions  de  prières 
convoquées  par  elle  depuis  1857,  pour  la  deuxième  semaine  de  janvier, 
ont  beaucoup  contribué  au  rapprochement  des  chrétiens.  Des  œuvres 
nombreuses  d'évangélisation,  de  mission,  d'éducation  ou  de  relèvement 
se  sont  constituées  dans  son  esprit  et  ont  mis  en  contact  des  hommes 
qui  jusque-là  s'ignoraient  et  se  combattaient.  Sans  ébranler  la  notion 
d'Eglise,  elle  a  rappelé  qu'au-dessus  des  Eglises  particulières  règne  la 
grande  Eglise  des  rachetés  de  Jésus-Christ.  La  controverse  a  pris  un 
caractère  plus  modéré.  Bien  des  pierres  de  scandale  ont  été  écartées  ; 
l'alliance  tend  à  devenir  de  plus  en  plus,  ce  que  Vinet  disait  du  chris- 
tianisme, «  une  école  de  respect  mutuel.  »  Aujourd'hui,  grâce  à  ces 
bienfaits,  par  lesquels  elle  s'est  légitimée,  l'alliance  compte  des  asso- 
ciations qui  représentent  son  principe  dans  presque  tous  les  pays  où  le 
christianisme  s'est  établi.  Les  branches  de  langue  anglaise  ont  pris 
un  développement  considérable  des  deux  côtés  de  l'Atlantique  ;  la 
branche  française  qui  ne  comprend  plus  que  la  France  et  la  Belgique 
(la  Suisse  formant,  depuis  le  28  octobre  1875,  une  branche  séparée), 


ALLIANCE  ÉVANGÉLIQUE  199 

compte  aussi  dos  conquêtes.  L'Allemagne,  PItalie,  l'Espagne,  l'Orient 
voient  se  multiplier  les  organisations  de  district.  La  Chine  et  le  Japon 
sont  aussi  ouverts  à  L'alliance.  Il  peut  paraître  désirable  que  l'alliance 
évangélique  s'affirme  un  jour  par  quelque  grande  œuvre  commune. 
Pour  l'heure,  elle  poursuit  celle  que  saint  Paul  qualifie  d'œuvre  par 
excellence,  celle  de  «  l'amour.  »  L.  R.ttffet. 

II.  La  guerre  de  IS70-71  entre  la  France  et  l'Allemagne  amena  un 
dissentiment  sérieux  entre  les  chrétiens  des  deux  pays,  au  point  de 
rompre  le  lien  de  l'alliance  évangélique  qui  les  unissait  les  uns  aux 
autres.  Au  mois  d'octobre  4871,  une  grande  conférence  de  protestants 
d'Allemagne  eut  lieu  à  Berlin,  dans  le  but  d'examiner  le  profit  spirituel 
que  l'on  pouvait  tirer  des  faits  glorieux  accomplis  avec  l'aide  de  Dieu 
pendant  la  guerre.  A  cette  conférence  assistaient  trois  délégués  du 
comité  de  .Neuchatel  qui  crurent  devoir  profiter  de  cette  occasion 
pour  faire  une  tentative  de  rapprochement  entre  ceux  que  les  événe- 
ments politiques  venaient  de  diviser.  Ils  se  chargèrent  d'une  lettre  des 
chrétiens  d'Allemagne  à  leurs  frères  de  France,  dans  laquelle  les 
premiers,  déplorant  profondément  les  maux  et  les  souffrances  que  la 
guerre  avait  inévitablement  amenés,  exprimaient  l'espoir  qu'une  récon- 
ciliation pourrait  avoir  lieu  dans  un  avenir  prochain.  Le  comité  de 
l'alliance  évangélique  de  Paris  répondit  à  cette  démarche  par  une 
lettre  en  date  du  10  mai  1872  dont  nous  reproduisons  la  fin.  Après 
avoir  constaté  que  la  principale  cause  de  la  rupture  se  trouvait 
dans  le  fait  de  l'annexion  à  l'empire  allemand  de  F  Alsace-Lorraine  au 
mépris  de  la  volonté  expresse  de  ses  habitants,  fait  approuvé  et  glorifié 
par  toute  la  presse  évangélique  allemande  ;  qu'il  n'était  pas  possible  de 
se  réunir  de  nouveau  autour  d'une  formule  dogmatique,  alors  qu'on 
différait  profondément  sur  une  question  de  morale  et  de  la  morale  la 
plus  élémentaire  ;  que  l'on  ne  pourrait  d'ailleurs  songer  à  défendre 
ensemble  le  droit  des  consciences  en  Suède,  en  Italie,  en  Espagne,  en 
Russie,  pendant  que  des  milliers  de  consciences  en  Alsace  et  en  Lor- 
raine étaient  impitoyablement  torturées,  la  lettre  concluait  ainsi  : 
«  Lorsque  l'Eglise  chrétienne,  laissant  tomber  de  ses  mains  le  flambeau 
de  la  justice,  met  contre  elle  la  conscience  humaine,  non-seulement 
elle  déshonore,  autant  qu'il  est  en  elle,  le  nom  de  son  chef,  mais  encore 
•  llr  se  condamne  elle-même,  au  sein  du  monde,  à  une  impuissance 
justement  méritée.  Malheur,  en  particulier,  à  notre  glorieuse  Réforme, 
m  entre  ses  fils  il  ne  s'en  levait  point  aujourd'hui  pour  déclarer  que 
lacté  de  violence  accompli  en  Alsace  et  en  Lorraine  par  une  nation  en 
majorité  protestante  est  pour  eux  et  pour  leur  cause  un  opprobre  bien 
lourd  à  porter!..'.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  droit  est  le  droit,  la  justice  est 
la  justice,  l'Evangile  est  l'Evangile,  et  sans  vouloir  porter  un  jugement 
sur  la  foi  de  frères,  à  nos  yeux  déplorablement  égarés,  nous  avons  le 
devoir  de  dire  a  ces  frères  lorsqu'ils  reviennent  à  nous  :  Vous  avez 
déchiré  devant  Dieu  et  devant  les  hommes  la  charte  qui  nous  unissait, 
car  la  première  des  alliances  évangéliques,  c'est  celle  de  l'Evangile  et 
de  la  justice!  »  Vu  nouvel  essai  de  réconciliation,  tenté  au  congrès  de 
New-York  en  1873,  n'aboutit  pas  davantage;  les  délégués  français,  et 


200  ALLIANCE  ÉVANGÉLIQUE  —  ALLUT 

parmi  eux  le  seul  délégué  que  l'Alsace  évangélique  eût  envoyé  au  delà 
de  l'Océan,  protestèrent  énergiquement  contre  l'interprétation  que  les 
journaux  américains  avaient  donnée  à  la  poignée  de  main  que  le  docteur 
Christlieb,  de  Bonn,  dans  un  moment  d'effusion,  avait  arrachée  à  M.  le 
pasteur  Fisch.  Le  43  juin  1876  enfin,  le  comité  de  l'alliance  évangé- 
lique de  Paris  repoussa  à  l'unanimité,  comme  inopportune,  la  propo- 
sition qui  lui  était  faite  par  le  comité  de  Londres  de  convoquer  une 
conférence  œcuménique  à  Paris,  à  l'occasion  de  l'exposition  universelle 
de  1878,  ne  pouvant  consentir  à  fraterniser,  par-dessus  l'Alsace  en 
deuil,  avec  ceux  qui  n'avaient  rien  fait  pour  modifier  la  situation 
exposée  dans  la  lettre  du  10  mai  1872. 

Ouvrages  à  consulter  :  L.  Bonnet,  L'Unité  de  V Esprit  par  le  lien  de  la 
paix,  Paris,  1847;  Conf.  on  Christian  Union.  Narrative  of  the  proceed.  of 
the  meetings  hold  in  Liverpool,  oct.  1845  ;  Evangelical  alliance,  lie  port  of 
the  proceed.  of  the  Conf.  held  at  London,  1846;  Jean  Monod,  Conf.  de 
VAll.  êvangél.  à  Londres,  1851  ;  G.  Monod,  Conf.  de  chrétiens  évang.  de 
toute  nation  à  Paris,  1855;  J.  Monod,  Conf.  de  chrétiens  évang.  de  toute 
nation  à  Berlin,  1857  ;  D.  Tissot,  Les  Conférences  de  Genève,  1861,  2  vol.  ; 
Cohen -Stuart,  Evangelische  Alliantie,  Amsterdam,  1867,  3  vol.; 
Ph.  Schaaf  et  Irenaeus  Prime,  History,  Essays,  etc.  of  the  sixth  gen. 
Conf.  of  the  Evang.  AU.  held  in  Neiv-York,  1873  ;  Herzog,  Real  E ne y- 
klopxdie,  art.  Evangelische  Allianz;  Decoppet,  Paris  protestant,  art. 
Alliance  évang.,  etc.,  etc. 

ALLIX  (Pierre),  un  des  écrivains  les  plus  érudits  et  les  plus  féconds  de 
l'ancienne  Eglise  réformée  de  France.  Il  était  natif  d'Alencon,  fit  ses 
études  à  Saumur  et  à  Sedan,  et  fut  nommé  en  1670  pasteur  de  Cha- 
renton,  où  ses  sermons  attiraient  de  nombreux  auditeurs.  Après  la  ré- 
vocation de  l'édit  de  Nantes,  il  passa  en  Angleterre,  où  Jacques  II  lui 
permit  d'ouvrir  une  église  pour  les  réfugiés,  à  condition  que  le  culte 
fût  célébré  d'après  le  rite  anglican.  La  réputation  qu'il  acquit  par  sa 
science  lui  procura  en  1690  un  canonicat  à  Salisbury,  et  de  la  part  des 
universités  de  Cambridge  et  d'Oxford  des  diplômes  de  docteur  en  théo- 
logie. On  le  chargea  même  de  la  rédaction  d'une  histoire  générale  des 
conciles,  qui  devait  former  7  volumes  in-f°,  mais  qui  ne  parut  point,  si 
tant  est  qu'A^.\  l'ait  réellement  entreprise  et  achevée.  Il  mourut 
Londres  en  1717,  âgé  de  soixante-seize  ans.  Ses  nombreux  ouvrages,  en 
français,  en  anglais  et  en  latin,  témoignent  d'une  vaste  érudition  théo- 
logique. De  même  que  beaucoup  d'autres  de  ses  compatriotes  réfor- 
més, dont  les  malheurs  du  temps  avaient  exalté  l'imagination,  il  croyait 
à  un  prochain  retour  de  Jésus-Christ  ;  dans  un  de  ses  traités  il  en  fixa 
même  la  date  pour  1720,  au  plus  tard  pour  1736.  Dans  deux  autres  ou- 
vrages, il  essaya  de  prouver  contre  Bossuet  que  les  albigeois  n'ont  pas 
été  dualistes,  mais  identiques  avec  les  vaudois;  il  a  beaucoup  contribué 
à  perpétuer  cette  erreur  dans  l'Eglise  réformée  de  France.  V.  Haag, 
France  protestante,  t.  I,  p.  Ql  ss. 

ALLUT  (Jean),  courageux  camisard  qui,  après  s'être  héroïquement 
battu  dans  les  Cévennes,  fit  sa  soumission  définitive  en  1706  et  se  retira 
d'abord  à  Genève,  puis  en  Allemagne  et  en  Angleterre,  avec  quelques 


ALLUT  —  ALPHA  ET  OMÉGA  201 

compagnons  d'infortune.  Mais  la  plupart  des  malheureux  composant  ce 
groupe  d'exilés  emportaient  avec  eux  cette  exaltation  nerveuse  et  mala- 
dive dont  beaucoup  de  camisards  étaient  atteints,  résultat  de  la  lutte 
prodigieuse  qu'ils  avaient  soutenue.  Ils  continuèrent  à  prophétiser  à 
l'étranger  comme  dans  leurs  montagnes  ;  ils  tinrent  des  assemblées,  re- 
crutèrent des  adeptes  et  publièrent  de  petits  livres  ascétiques,  comme 
ceux-ci  :  «  Discernement  des  ténèbres  jfpar  invitation  aux  créatures  de 
Dieu  d'entrer  dans  l'arche  de  grâce  qui  se  bâtit  aujourd'hui  »  (par  Jean 
Allut,  Elisabeth  Charras  et  Henriette  Allut).  Rotterdam,  1710,  in-8°; 
«  Cri  d'alarme  ou  avertissement  aux  nations,  1712,  précédé  d'un  avertis- 
sement de  l'esprit  du  Seigneur,  prononcé  de  la  bouche  de  Jean  à  Allut 
Leipsick,  1712.  »  On  les  renvoya  d'Allemagne;  à  Londres  le  consis- 
toire de  l'Eglise  française  les  condamna  comme  impies  et  faux  pro- 
phètes ;  dès  lors  l'oubli  s'étendit  sur  eux. 

ALMOHADES,  c'est-à-dire  en  arabe  unitaires,  secte  et  dynastie  de 
princes  maures  qui  régnèrent  sur  l'Afrique  occidentale  et  sur  l'Espagne 
au  douzième  et  au  treizième  siècle.  Voyez  Maures. 

ALOGIENS.  Nous  n'avons  que  des  renseignements  très-incomplets  sur 
ces  hérétiques,  qui  vécurent  en  Asie  Mineure  vers  Tan  160.  Epiphane 
(Hœres.,  LI,  LIV,  3)  leur  donne  ce  nom,  par  une  sorte  de  jeu  de  mots,  à 
la  fois  parce  qu'il  trouve  leur  doctrine  déraisonnable  et  parce  qu'ils  re- 
poussaient la  doctrine  du  Logos.  S'appuyant  sur  les  Synoptiques,  ils 
contestaient  l'autorité  du  quatrième  évangile  dont  ils  attribuaient  la  ré- 
daction à  Gérinthe.  Ils  ne  paraissent  pas  d'ailleurs  avoir  formellement 
nié  la  divinité  de  Jésus-Christ  ;  ils  admettaient  sa  naissance  surnaturelle, 
et  le  sévère  Epiphane,  dans  un  autre  passage,  n'hésite  pas  à  leur  déli- 
vrer un  certificat  d'orthodoxie  [Hœres.,  XLIV,  4  :  xà  ha  r^Tv  wwreùçiv 
Soxouai)  ;  ils  se  bornaient  à  rejeter  la  doctrine  du  Verbe  qu'ils  trouvaient 
empreinte  de  gnosticisme.  On  a  prétendu  que  les  alogiens  reprochaient 
aussi  à  l'évangile  selon  saint  Jean  sa  doctrine  du  Paraclet,  à  cause  de 
l'abus  qu'en  avaient  fait  les  montanistes.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que, 
dans  leur  opposition  contre  le  montanisme,  ils  repoussaient  l'idée  de  la 
permanence  des  charismes,  en  particulier  de  l'esprit  prophétique  dans 
l'Eglise  (V.  Trénée,  III,  c.  2),  comme  aussi  la  doctrine  du  chiliasme  et 
le  livre  de  l'Apocalypse  qui  la  favorise.  En  l'absence  de  données  plus 
explicites,  il  est  impossible  de  déterminer  si  les  alogiens  ont  plutôt  in- 
cliné vers  les  doctrines  monarchistes  qui  identifient  le  Christ  avec  le 
s,  ou  vers  celles  de  Théodoret  et  d'Artémon  qui  le  rabaissent  au 
d'un  simple  homme.  Une  seule  chose  est  attestée  chez  eux  :  l'aver- 
sion pour  une  spéculation  qui  leur  semble  propre  à  engendrer  un  mys- 
I  icisme  dangereux.  — Voy.  Merkel  :  Ilist.  krit.  Aufklxrg  dcr  Strcitigk.  der 
Aloger  ùb  die  ApokaL,  1782;  Heinichen./><?A%/5,Lips.,  1829;  Neander, 
Kirchengesch.,1,  3,  p.  6G7  ss.  ;  Dorner,  Entwklgsgesch.  der  Lehre  der 
Person  C'hr.,  I,  500  ss. 

ALPHA  ET  OMÉGA.   (A  vm  O).  Cette  expression   que  l'Apocalypse 

applique  trois  fois  (I,  8;  XXI,  6;  XXII,  13)  au  Christ  est  empruntée  à 

Esaïe  XLIV,  G  (cf.  XLIII,  10).  L'emploi  de  la  première  et  de  la  dernière 

lettre  de  l'alphabet  est  la  traduction  apocalyptique  de  ces  mois:  «  Je 

i.  14 


202  ALPHA  ET  OMÉGA  -  ALSACE 

suis  le  commencement  et  la  fin,  le  premier  et  le  dernier.  »  C'est  l'idée 
de  la  divinité,  non -seulement  quant  à  la  durée  mais  aussi  quant  à  la 
puissance,  que  saint  Jean  exprime  dans  le  prologue  de  son  évangile  par 
ces  mots  :  llav-a  g-.'  auxoïï  è-févexo  (1 ,  3).  D'après  le  gnostique  Marcus,  le 
Christ  se  serait  appelé  a  et  w,  pour  préfigurer  le  Saint-Esprit  sous  la 
forme  de  la  colombe,  vu  que  la  valeur  en  chiffres  de  l'a  et  de  !'<*>,  c'est- 
à-dire  801,  est  égale  à  la  somme  en  chiffres  des  lettres  du  mot  irepur- 
rspi.  Plusieurs  interprètes  de  l'Apocalypse  ont  adopté  ce  jeu  d'esprit 
puéril.  L'ancienne  Eglise  voyait  dans  ces  deux  initiales  un  témoignage 
de  la  divinité  de  Jésus-Christ  :  c'est  à  ce  titre  que  nous  les  trouvons  sur 
les  monuments  chrétiens,  presque  toujours  combinés  soit  avec  le  mo- 
nogramme du  Christ,  soit  avec  la  croix  (voy.  les  intéressants  détails 
donnés  par  Piper  dans  la  Real-Encycl.  de  Herzog,  I,  p.  1). 

ALPHÉE  fAXfcatoç),  père  de  l'apôtre  Jacques  le  Mineur  (Matth.  X,  3 
et  parai.)  et  par  conséquent  époux  de  Marie,  mentionnée  Marc  XV,  40, 
comme  la  mère  de  Jacques  et  de  Joses.  D'après  Jean  XIX,  25,  on  a 
voulu  faire  de  cette  Marie  la  sœur  de  la  mère  du  Christ,  et  alors  Alphée 
ou  Klopas  aurait  été  le  beau-frère  de  Joseph.  Mais  c'est  là  une  erreur. 
Dans  Jean  XIX,  25,  d'après  les  meilleurs  manuscrits,  il  faut  voir  men- 
tionnées quatre  femmes  et  non  trois,  divisées  en  deux  couples  opposés, 
et  traduire  le  passage  ainsi  :  «  Près  de  la  croix  de  Jésus  se  tenaient  sa 
mère  et  la  sœur  de  sa  mère  (Salomé  ?),  Marie  la  femme  de  Klopas,  et 
Marie  de  Magdala.  »  En  tout  cas  il  ne  faut  pas  douter,  malgré  les  appa- 
rences, de  l'identité  du  nom  d'Alphée  et  de  Klopas  ou  Kléopas 
(Luc  XXIV,  18).  Ce  sont  deux  transcriptions  grecques  différentes,  d'un 
même  nom  très-fréquent  dans  le  Talmud,  Klialipaï  ou  Khaliphaï.  La 
double  manière  de  l'écrire  en  grec  vient  de  la  double  manière  de  pro- 
noncer le  Khet  hébreu.  On  en  trouve  de  nombreux  exemples  dans  la 
version  des  Septante  ('Âfyatbç  =  Khaggaï,  etc.).  Il  est  question, 
(Marc  II,  14)  d'un  autre  Alphée,  père  de  Lévi  (Matthieu),  qui  ne  peut 
être  confondu  avec  le  précédent. 

ALSACE.  T.  (1517-1648).  La  Réformation  en  Alsace  eut  comme  par- 
tout ailleurs  ses  précurseurs.  Ce  furent  principalement  des  sectes,  qui, 
comme  les  vaudois,  s'étaient  émancipées  plus  ou  moins  du  joug  de 
l'Eglise  romaine.  On  a  souvent  exagéré  l'importance  de  ces  réformateurs 
avant  la  Réforme  :  ce  reproche  s'adresse  surtout  au  chroniqueur  alsa- 
cien Speckle,  auquel  nous  devons  le  plus  de  renseignements  de  ce 
genre.  Dans  ses  Colleclanées,  où  il  expose  les  doctrines  religieuses  de 
ces  sectes,  il  veut  en  faire  des  partis  foncièrement  protestants.  C'est  là 
un  anachronisme  que  l'historien  ne  doit  point  perdre  de  vue.  Déjà  au 
onzième  siècle  l'Eglise  romaine  rencontra  en  Alsace  des  velléités  d'op- 
position. La  voix  puissante  de  moines  fanatiques  y  mit  bientôt  fin 
et  le  pontife  de  Rome  trouva  presque  toujours  auprès  de  l'évêque  de 
Strasbourg  et  du  clergé  d'Alsace  un  dévouement  inaltérable.  L'op- 
position se  maintient  seulement  au  sein  des  sectes  et  des  confréries 
pieuses,  qui  à  cette  époque  se  formèrent  dans  la  vallée  du  Rhin.- 
Speckle  nous  parle  des  vaudois,  qui  au  commencement  du  trei- 
zième siècle  avaient  à  Strasbourg  de  nombreux  adhérents.  Les  domi- 


ALSACE  203 

nicains  les  persécutèrent  el  plusieurs  d'entre  eux  furent  brûlés.  Si 
même  beaucoup  de  détails,  que  communique  le  chroniqueur,  devaient 
être  des  amplifications,  il  n'en  peste  pas  moins  acquis  que  les  vaudois 
s'étaient  répandus  jusqu'en  Alsace.  Le  quatorzième  siècle  vit  surgir 
le  plus  grand  nombre  de  sectes  réformatrices.  On  les  classe  ordinai- 
rement en  deux  groupes  :  les  sectes  dont  la  tendance  était  plutôt 
spéculative  el  mystique,  &*  celles  qui  étaient  plus  dirigées  du  coté 
de  la  vie  pratique.  Les  premières  sont  surtout  connues  sous  le  nom 
des  Amis  de  Dieu  :  leur  représentant  principal  en  Alsace  est  le  pré- 
dicateur Jean  Tauler.  A  la  même  époque  une  autre  secte  comptait 
à  Strasbourg  beaucoup  d'adhérents  :  elle  rejetait  l'autorité  souveraine 
du  pape,  le  culte  de  Marie,  etc.  Elle  avait  ses  prêtres,  nommés  Winkler; 
plus  tard  nous  la  voyons  en  rapports  directs  avec  les  hussites  ;  nous 
possédons  même  les  actes  du  procès  d'an  de  ces  hussites  qui  était  venu 
à  Strasbourg  et  qui  y  fut  brûlé  (voyez  Rœhrich,  Mit/hcilungen,  I;  Jung, 
Timothem,  II).  L'état  dans  lequel  se  trouvait  alors  l'Eglise  avait  fait 
naître  ces  sectes.  Ses  charges  étaient  souvent  données  à  des  hommes 
qui  ne  les  méritaient  nullement .;  prêtres  et  moines  étaient  générale- 
ment dune  ignorance  absolue.  Le  culte  était  devenu  une  comédie;  les 
indulgences,  la  vente  de  reliques  et  d'autres  abus  achevaient,  ici  comme 
ailleurs,  la  décadence  de  l'Eglise.  —  En  Alsace,  la  bourgeoisie  des  villes 
n'avait  cessé  d'aspirer  à  l'indépendance  politique  ;  ce  fut  elle  aussi  qui 
peu  à  peu  se  mit  à  rechercher  l'indépendance  religieuse.  C'est  ainsi  que 
nous  voyons  à  Strasbourg  le  magistrat,  Pierre  Schott,  créer  de  ses 
propres  fonds  une  place  de  prédicateur  à  la  cathédrale  pour  un  théo- 
logien distingué.  Le  premier  qui  reçut  cette  place  importante  fut 
le  docteur  Jean  Geiler,  né  à  Schaffhouse  en  1445  et  élevé  à  Kay- 
sersberg,  en  Alsace.  C'est  à  ce  nom  que  se  rattachent  les  premiers 
efforts  sérieux  en  vue  d'une  réformation  de  l'Eglise.  Du  haut  de  la 
chaire,  Geiler  ne  cessa  de  censurer  les  mœurs  dissolues,  tant  des  digni- 
taires de  l'Eglise  que  des  simples  prêtres  et  moines;  sa  prédication 
populaire  et  originale  eut  un  immense  retentissement;  l'empereur 
Maximilien  fut  souvent  au  nombre  de  ses  auditeurs.  Mais  jamais  Geiler 
n'attaqua  l'autorité  du  pape;  la  vraie  source  de  tous  les  abus  lui  resta 
cachée;  mais  il  n'en  jeta  pas  moins  des  semences  qui  devaient  porter 
plus  tard  leurs  fruits.  Il  n'avait  pas  été  seul  dans  son  œuvre  ;  des  amis 
éclaires  l'avaient  soutenu  :  Pierre  Schott,  l'ammeister  de  Strasbourg, 
aux  vues  larges  et  libérales;  Sébastien  Brandt,  le  satirique  de  l'époque; 
Wimphelkig,  le  savant  modeste,  l'ami  et  le  conseiller  de  Maximilien  Ier, 
le  maître  de  Jacques  Sturm.  Ce  dernier  nom  nous  rappelle  un  autre  levier 
de  la  Réforme  en  Alsace,  la  Renaissance.  La  célèbre  école  de  Schlettstadt, 
organisée  par  Louis  Dringenberg,  entre  1550-80,  devint  une  pépinière 
d'hommes  savants  et  distingués,  qui  saluèrent  avec  joie  les  premières 
lueurs  de  la  Réformation,  mais  qui  plus  tard  s'en  éloignèrent.  Ce  qui 
activa  le  plus  Les  progrès  de  l'émancipation  intellectuelle  et  religieuse 
fut  l'invention  de  l'imprimerie.  L'Alsace  a  l'honneur  d'en  avoir  été  le 
berceau.  Ce  lurent  les  horaires  et  les  imprimeurs  qui  répandirent  les 
premiers  la  semence  de  la  Réformation.  Jean  Knobloch  imprima  en 


204  ALSACE 

1519  des  écrits  de  Luther;  d'autres  suivirent  son  exemple.  Un  autre 
libraire,  Wolfgang  Capiton,  se  mit  plus  tard  exclusivement  au  service  de 
la  Réformation.  Bien  que  l'édit  de  Worms  et  un  bref  du  pape  Adrien  VI 
eussent  défendu  la  lecture  de  livres  hérétiques,  ces  hommes  courageux 
n'en  continuèrent  pas  moins  leur  œuvre.  Peu  à  peu,  beaucoup  de 
bourgeois  furent  gagnés  aux  nouvelles  doctrines,  et  le  jour  vint  où 
même  du  haut  de  la  chaire  elles  furent  annoncées.  Le  premier  prédi- 
cateur évangélique  que  l'histoire  mentionne  fut  Pierre  Wickgram,  de 
Remiremont,  prêtre  de  l'église  Saint-Pierre-le-Vieux  (1520).  Depuis 
1521  ses  prédications  eurent  beaucoup  de  retentissement.  Comme  Gei- 
ler,  il  ne  fut  d'ailleurs  qu'un  sévère  censeur  de  mœurs.  Nous  omettons 
d'autres  noms,  pour  arriver  à  l'homme  que  l'on  regarde  avec  raison 
comme  le  réformateur  de  Strasbourg  :  maître  Matthieu  Zell,  né  en 
1477,  à  Kaysersberg.  Il  avait  fait  ses  études  à  Erfurt  et  à  Fribourg,  et 
fut  appelé  en  1518  comme  prédicateur  de  la  chapelle  Saint-Sauveur,  à 
la  cathédrale.  Depuis  1521,  il  se  mit  à  prêcher  dans  le  sens  de  la  Réfor- 
mation. Dès  l'abord,  il  devint  le  protecteur  du  peuple,  et  ses  prédications, 
qui  de  jour  en  jour  devenaient  plus  courageuses,  lui  firent  un  grand 
nombre  d'adhérents.  La  bourgeoisie  et  le  conseil  le  soutinrent  contre 
tous  ses  détracteurs.  En  1523,  l'évêque  Guillaume  III  de  Hohenstein  fit 
rédiger  contre  Zell  vingt  et  un  chefs  d'accusation  auxquels  le  réforma- 
teur répondit  par  un  livre  devenu  le  premier  document  de  la  Réforme 
en  Alsace  :  «  Christ  lie he  Vcrantivortung  ùber  Artikel  ihm  vom  Bischœffli- 
chen  Fiscal  daselbs  entgegengesetzt  und  ira  rechten  ùbergeben.  »  Dans  l'in- 
tervalle, d'autres  prédicateurs  influents  s'étaient  rangés  du  côté  de 
Zell:  Symphorien  Pollion,  le  successeur  de  P.  Wickgram,  et  plus  tard 
prédicateur  à  l'église  Saint-Martin;  Wolfgang  Capiton  (Kœpfel),  né  en 
1-478  à  Mayence,  depuis  15 J  2  pasteur  à  Bruchsal  et  à  Baie,  depuis 

1520  prédicateur  à  la  cour  du  prince  -  évoque  Albert  de  Mayence, 
et  en  1523  prévôt  de  Saint-Thomas.  Capiton,  qui  avait  salué  la  Réfor- 
mation avec  joie,  n'aimait  pourtant  point  des  procédés  trop  audacieux. 
Mais  l'influence  de  Zell  fut  décisive;  et  le  prévôt  de  Saint-Thomas 
se  mit  bientôt,  au  grand  étonnement  des  bourgeois,  à  prêcher  coura- 
geusement les  doctrines  évangéliques.  Un  autre  appui  de  Zell  fut  le 
prêtre  Martin  Bucer,  né  à  Schlettstadt  en  1491.  D'abord  moine  do- 
minicain, Bucer  étudia  la  théologie  à  Heidelberg;  la  lecture  d'Erasme 
et  de  Luther  l'enthousiasma  pour  l'œuvre  de  la  Réformation.  Le 
brave  chevalier  de  Sickingen  le  protégea  contre  les  persécutions  des 
dominicains  ;  mais  la  guerre  de  Sickingen  avec  l'évêque  de  Trêves  força 
bientôt  Bucer  à  se  retirer  en  Akace.  Après  avoir  prêché  quelque  temps 
à  Wissembourg,  il  vint  à  Strasbourg;  Zell  l'accueillit  à  bras  ouverts  et 
le  fit  prêcher  plusieurs  fois  ;  sa  parole  eut  du  succès  et  la  bourgeoisie 
lui  devint  favorable.  A  ces  trois  hommes  vint  s'adjoindre  Gaspard  Hédion, 
d'Ettlingen  (en  Bade),  né  en  1494.  Ami  de  Capiton,  de  Zwingle,  de 
Luther,  et  successeur  de  Capiton,  à  Mayence,  Hédion  accepta  avec  joie  en 
1523  la  place  de  prédicateur  à  la  cathédrale.  Ce  furent  là  les  hommes 
que  l'on  appelle  avec  raison  les  réformateurs  de  Strasbourg.  Ils  se  com- 
plétaient l'un  l'autre  et  leurs  efforts  réunis  assurèrent  à  l'œuvre  de  la 


ALSACE  205 

Réforme  une  victoire  décisive. Zell  était  l'homme  du  peuple;  Capiton, le 
savant  e1  le  théologien;  Bucer,  l'homme  d'Eglise  et  le  fin  diplomate 
voyez  la  biographie  de  Bucer  etde  Capiton  par  M.  Baum).  Les  appuis  que 
la  Réformation  trouva  au  sein  de  la  bourgeoisie  ne  furent  pas  moins 
importants.  Beaucoup  de  conseillers  s'y  étaient  rattachés;  nous  ne 
mentionnerons  que  le  plus  éminent  d'entre  eux,  Jacques  Sturm  de 
Sturmeck,  que  ses  contemporains  appelaient  la  lïeur  de  la  noblesse  alle- 
mande. 11  était  né  en  J  489  ;  ses  maîtres  furent  Geiler  et  Wimpheling.  Il 
se  destina  à  la  carrière  politique  et  depuis  1524,  époque  à  laquelle  il 
entra  au  conseil,  son  influence  devint  prédominante.  Jusque-là  le  con- 
seil s'était  tenu  réservé,  mais  il  ne  put  garder  à  la  longue  un  silence 
absolu.  Le  1er  décembre  1523,  il  reconnut  le  bon  droit  des  prédicateurs 
evangéliques  par  une  ordonnance,  dans  laquelle  il  était  dit  :  Dorénavant 
on  ne  devra  prêcher  au  peuple  chrétien  que  le  saint  Evangile  et  la  doc- 
trine divine  et  tout  ce  qui  sert  à  l'accroissement  de  l'amour  de  Dieu  et 
du  prochain,  publiquement  et  librement.  Le  premier  pas  était  fait  vers 
un  changement  radical  dans  l'Eglise.  D'autres  le  suivirent  ;  quelques 
prêtres  se  marièrent  ;  malgré  la  colère  de  l'évêque,  leur  acte  fut  re- 
connu légitime.  En  1523,  le  conseil  ordonna  que  les  prêtres  de- 
vaient être  reçus  bourgeois  de  la  ville.  Bientôt  après,  il  se  chargea  de 
la  nomination  des  pasteurs  des  différentes  églises;  le  premier  pasteur 
nommé  fut  Martin  Bucer  à  l'église  Saint e-Aurélie.  Depuis  1524,  on  n'em- 
ploya plus  que  le  titre  de  «  ministres  de  la  Parole.  »  Une  réforme  du 
culte  devint  également  nécessaire  ;  les  pasteurs  l'entreprirent  et  en  1524 
parut  la  première  Kirchenordnung  sous  le  titre  de  :  «  Teutsche  Mess  ivie 
sy<'  yetzundt  zu  Strassburgk  gehalten  wûrf.  »  D'autres  écrits  réformateurs 
parurent  à  la  même  époque  :  ils  étaient  en  partie  provoqués  par  les  at- 
taques injurieuses  de  deux  moines  fanatiques  :  Conrad  Treger  et  le 
docteur  Thomas  Murner.  Ce  dernier  est  une  des  figures  les  plus  origi- 
nales de  Tépoque;  génie  sauvage  et  indiscipliné,  il  fut  tour  à  tour  le  dé- 
fenseur ardent  et  l'impudent  détracteur  de  l'œuvre  de  la  Réformation. 
—  De  sérieux  dangers  vinrent  entraver  ce  développement  si  rapide.  En 
Alsace  comme  en  Allemagne  la  Réformation  fit  éclater  une  crise,  qui 
se  préparait  depuis  longtemps.  On  sait  combien  à  cette  époque  le 
peuple  était  opprimé;  lorsque  la  voix  des  réformateurs  réveilla  le 
désir  de  l'émancipation,  une  révolte  générale  ne  tarda  pas  à  éclater. 
Elle  commença  dans  le  Sundgau,  se  répandit  dans  toute  la  Haute-Alsace 
jusqu'en  1525;  la  Basse-Alsace  fut  également  le  théâtre  d'une  révolte 
générale  des  paysans.  Le  conseil  de  Strasbourg,  qui  avait  déjà  su  réta- 
blir la  paix  dans  le  pays  de  Bade,  essaya  aussi  de  s'interposer  en 
Alsace.  Les  trois  premiers  prédicateurs  furent  envoyés  dans  le  camp 
des  insurgés.  Mais  on  ne  put  rien  faire  ;  il  fallut  chercher  ailleurs  du 
secours.  Le  duc  Antoine  de  Lorraine  offrit  ses  troupes  et  entreprit 
L'expédition  terrible,  dont  les  péripéties  sont  trop  connues  pour  que 
nous  les  racontions  ici.  La  paix  se  rétablit  en  Alsace;  les  paysans 
étaient  réduits  à  une  impuissance  complète.  Depuis  ce  temps,  la  mai- 
son d'Autriche  persécuta  les  protestants  dans  ses  possessions  alsa- 
cienne.  A  Strasbourg  se  montrèrent  bientôt  de  nouveaux  ennemis. 


200  ALSACE 

Beaucoup  d'anabaptistes,  attirés  par  l'esprit  tolérant  des  prédicateurs 
de  Strasbourg,  s'étaient  retirés  dans  cette  ville,  parmi  eux  le  turbu- 
lent Garlstadt.  Leurs  prédications  excitèrent  beaucoup  de  troubles  ; 
elles  attiraient  les  fanatiques  et  en  engendraient  de  nouveaux.  Le  con- 
seil lança  un  mandat  contre  eux  ;  les  anabaptistes  continuèrent  leurs 
manœuvres;  un  instant  toute  l'œuvre  de  Zell  et  des  siens  fut  compro- 
mise. Le  conseil  dut  mettre  violemment  fin  à  tous  ces  troubles  et  peu 
à  peu  la  ville  fut  délivrée  de  ces  agitateurs.  Toutes  ces  entraves  n'em- 
pêchèrent point  la  consolidation  de  l'œuvre  de  la  Réforme.  A  Strasbourg, 
la  bourgeoisie  s'était  peu  à  peu  rangée  entièrement  du  côté  des  prédi- 
cateurs et  réclamait  une  sanction  définitive  du  nouvel  ordre  de  choses. 
L'abolition  de  la  messe  fut  réclamée  de  toutes  parts  ;  la  diète  de  1526 
avait  été  favorable  aux  protestants;  en  15:28,  à  la  suite  d'un  colloque, 
la  ville  de  Berne  avait  passé  au  protestantisme.  Malgré  les  députations 
réitérées  du  conseil  impérial  siégeant  à  Spire,  le  conseil  ne  put  résister 
aux  demandes  de  la  bourgeoisie,  et  le  20  février  1529  une  majorité  de 
484-  voix  contre  94  décida  l'abolition  de  la  messe.  On  sait  que  bientôt 
après,  à  la  suite  de  la.  diète  de  Spire  (1519),  des  dangers  bien  autre- 
ment sérieux  vinrent  menacer  les  protestants.  Jacques  Sturm  ?  qui 
avait  été  l'un  des  signataires  de  la  fameuse  protestation  de  Spire, 
chercha  à  les  conjurer,  en  réunissant  les  deux  partis  qui  déchiraient 
l'Eglise  et  dont  la  division  empêchait  toute  action  commune.  Les  pré- 
dicateurs de  Strasbourg  l'assistèrent  dans  ces  efforts.  Le  colloque 
de  Marbourg,  qui  devait  amener  une  entente  réciproque,  ne  fit  qu'en- 
venimer l'animosité.  On  pouvait  s'attendre  à  ce  que  l'attitude  coura- 
geuse du  conseil  de  Strasbourg  excitât  la  colère  de  Fempereur.  Stras- 
bourg s'était  lié  plus  étroitement  aux  villes  suisses  et  allemandes  par  la 
confédération  du  Burgrecht.  A  la  diète  d'Augsbourg,  à  laquelle  assista 
Jacques  Sturm,  on  ne  chercha  qu'une  chose  :  l'union  des  protestants. 
Les  députés  de  Strasbourg  n'étaient  point  d'accord  avec  JVIélanchihon 
dans  ce  qu'il  disait  de  la  sainte. Gène  dans  sa  confession;  ils  consen- 
tirent cependant  à  signer  cette  dernière,  mais  on  ne  le  leur  permit 
point.  Ils  durent  rédiger  une  autre  confession  :  Bucer  et  Capiton  s'en 
chargèrent.  Elle  fut  signée  par  les  députés  des  quatre  villes  :  Stras- 
bourg, Constance,  Memmingen  et  Landau;  elle  est  connue  dans  l'his- 
toire sous  le  nom  de  Confessio  Tetrapolitana  et  resta  en  vigueur  jus- 
qu'en 15i8.  L'influence  de  Strasbourg  n'en  devint  que  plus  grande: 
et  il  est  à  reconnaître,  comme  le  titre  le  plus  beau  de  ses  diplo- 
mates et  de  ses  prédicateurs,  qu'ils  n'usèrent  de  cette  influence  que 
pour  la  paix  de  l'Eglise.  L'àme  de  tout  ce  mouvement  était  Jacques 
Sturm.  Cette  noble  figure  nous  apparaît  ici  clans  toute  sa  grandeur. 
Grâce  à  son  influence  et  à  celle  de  Bucer  et  de  Capiton,  les  partis  se  rap- 
prochèrent, si  bien  que  Strasbourg  fut  reçu  dans  la  ligue  de  Smalcalde 
(1532).  Les  rapports  entre  Luther  et  les  théologiens  de  Strasbourg  de- 
vinrent dès  lors  plus  étroits;  enfin,  en  1536,  la  Concorde  de  Wittem- 
berg  fut  conclue  de  part  et  d'autre.  La  situation  politique  était 
aussi  devenue  plus  supportable  depuis  la  paix  de  Nuremberg  (1532). 
Mais  peu  à  peu  l'horizon  s'assombrit  de  nouveau;  en   1546  éclata  la 


ALSACE  -207 

guerre  de Smalcalde.  Jacques  Simm  fui  naturellement  du  côté  des 
confédérés  protestants.  L'empereur  étail  décidé  à  punir  sévèrement 
lous  ceux  qui  avaient  refusé  de  reconnaître  le  concile  de  Trente.  On 
sait  combien  les  premiers  événements  de  cette  guerre  furent  malheu- 
reux pour  les  protestants  :  les  villes  du  Sud  se  virenl  bientôt  abandon- 
nées par  leurs  allies  cl  réduites  à  se  soumettre  à  l'empereur.  Jacques 
Sturm  se  décida  à  chercher  du  secours  auprès  du  roi  de  France  Henri  II. 
Cependant  on  ne  put  éviter  un  acte  de  soumission  à  l'empereur.  Bientôt 
après,  la  diète  d'Âugsbourg  décréta  l'Intérim  :  Strasbourg  l'accepta  après 
avoir  longtemps  résisté,  parce  que  l'intérêt  politique  l'exigeait,  Bucer 
el  ses  collègues,  qui  n'avaient  en  vue  que  les  intérêts  religieux,  ne  se 
soumirent  point  :  Bucer  se  retira  en  Angleterre.  Les  catholiques  occu- 
pèrent de  nouveau  la  cathédrale;  des  députés  furent  envoyés  à  Trente, 
entre  autres  l'historien  Sleidan.  On  sait  comment  tout  à  coup  Maurice 
de  Saxe  fit  prendre  aux  affaires  politiques  une  autre  tournure.  Stras- 
bourg se  réconcilia  avec  l'empereur,  qui  visita  même  encore  une  fois  la 
ville  ;  et  lorsque  la  diète  d'Augsbourg  se  réunit,  les  protestants  purent 
espérer  beaucoup  d'avantages.  Cependant  on  ne  fit  que  confirmer  le 
statu  quo.  Strasbourg  ne  fut  point  content;  les  prédicateurs  entreprirent 
une  guerre  à  outrance  contre  l'évêque  et  le  conseil,  pour  obtenir  l'aboli- 
tion complète  de  l'Intérim.  Ils  remportèrent  enfin,  en  1552,  la  victoire,  et 
Strasbourg  resta  une  ville  protestante.  —  Il  est  temps  de  voir  quel  fut  le 

de  la  Réformation  dans  les  autres  parties  de  l'Alsace.  On  sait  que  ce 
pays  était  à  cette  époque  morcelé  en  une  foule  de  petits  Etats  :  villes  im- 
périales, possessions  de  l'empereur,  des  princes  palatins,  du  landgrave 
deHesse,  des  comtes  de  Hanau  et  de  Wurtemberg,  d'évêques  et  d'abbés, 
de  familles  françaises,  etc.  Dans  chaque  ville  et  chaque  territoire  le 
sort  de  la  Réformation  dépendait  de  la  situation  politique.  Pour  plus  de 
détails,  nous  renvoyons  aux  ouvrages  de  Rœhrich,  ainsi  qu'aux  mono- 
graphies de  MM.  Lerse  etRochoil  pour  Golmar,  Erichson  pour  Kaysers- 
berg,  Drion  pour  Sain  te -Marie -aux -Mines,  Jœger  pour  Haguenau, 
F.  Jung  pour  Wissembourg,  etc.  Dans  les  endroits  dépendant  de  Stras- 
bourg, la  Réformation  se  répandit  rapidement.  Elle  fut  accueillie 
avec  transport  dans  les  villes  impériales  :  à  Mulhouse,  ce  furent  Au- 
gustin Kraemer  et  Nicolas  Prugner  qui,  depuis  1522,  prêchèrent  l'Evan- 
gile; à  Wissembourg,  la  Réforme  fut  étouffée  violemment  dès  1525; 
à  Haguenau,  où  résidait  le  bailli  impérial,  les  nouvelles  idées  péné- 
trèreni  avec  peine;  à  Schlettstadt,  les  humanistes  opposèrent  plus  de 

tance  qu'on  aurait  pu  croire;  les  possessions  des  princes  palatins 
furent  plus  accessibles  à  la  Réforme.  Dans  les  parties  de  l'Alsace  appar- 
tenant a  l'archiduc  d'Autriche,  elle  eut  à  surmonter  bien  plus  de  diffi- 
cultés; il  en  fut  de  même  dans  la  seigneurie  de  Ribeaupierre  et  dans 
les  terres  du  duc  de  Lorraine.  Dans  bien  des  villes,  comme  à  Golmar, 
le  magistral  n'osait  protéger  ouvertement  la  Réformation.  Les  événe- 
ment politiques  racontés  plus  haut  changèrent  la  situation  de  bien 
des  Eglises;  Dans  les  possessions  des  princes  palatins,  la  Rélornia- 
tion  s'affermit  de  pins  en  plus.  Le  seigneur  de  Ribeaupierre,  Egenol- 
phe  III,  embrassa  aussi  le  protestantisme.  Il  s'affermit  également  dans 


208  ALSACE 

le  territoire  des  comtes  de  Hanau-Lichtenberg.  A  Wissembourg, 
Munster,  etc.,  il  resta  victorieux;  à  Haguenau  même  il  le  fut  un 
instant,  mais  la  guerre  de  Trente  ans  et  les  jésuites  arrêtèrent  ses  pro- 
grès. A  Colmar,  la  Réforme  fut  solennellement  reconnue  en  1575. 
Beaucoup  de  seigneurs  alsaciens  avaient  embrassé  le  protestantisme, 
comme  ceux  d'Andlau,  de  Rathsamhausen ,  de  Landsperg,  d'Ober- 
kirch.  —  Aussi  longtemps  que  vécurent  les  réformateurs  de  Stras- 
bourg, les  divisions  confessionnelles  ne  pénétrèrent  point  dans  les 
Eglises  protestantes  de  l'Alsace.  Grâce  à  l'esprit  tolérant  et  vraiment 
évangélique  des  Sturm,  des  Bucer,  etc.,  Strasbourg  était  devenu,  dans 
cette  première  période  de  notre  histoire,  le  centre  de  la  Réformation. 
Cet  esprit  malheureusement  cessa  bientôt  d'animer  les  représentants  de 
l'Eglise  de  Strasbourg  :  l'intolérance  dogmatique  et  l'étroitesse  confes- 
sionnelle devinrent  leur  signe  distinctif.  Comment  s'opéra  ce  change- 
ment? En  l'an  1555,  tous  les  héros  de  la  Réformation  avaient  quitté 
la  scène  :  Zell,  Bucer,  Sturm  s'étaient  rapidement  succédé  dans  la 
tombe.  Ceux  qui  les  remplacèrent  n'étaient  point  de  leur  taille.  La 
paix  d'Augsbourg  n'avait  eu  en  vue  que  l'Eglise  luthérienne  :  c'est 
cette  dernière  seule  que  l'on  cherche  dorénavant  à  défendre  et  à 
fortifier.  Après  lai  mort  de  Sturm,  le  président  du  cohvent  ecclésias- 
tique de  Strasbourg,  le  pasteur  Jean  Marbach,  devint  l'apôtre  fana- 
tique d'une  sèche  orthodoxie.  Le  culte,  d'abord  si  simple,  fut  surchargé 
d'éléments  liturgiques  ;  la  prédication,  envahie  par  la  polémique,  ne 
servit  plus  à  l'édification  des  fidèles.  L'école  seule  résista  à  ce  mouvement 
rétrograde  :  et  ici,  c'est  à  Jean  Sturm  que  revient  l'honneur  d'avoir 
conservé  les  traditions  libérales  de  ses  devanciers.  Sur  l'instigation  de 
Jacques  Sturm,  les  réformateurs  de  Strasbourg  avaient  fondé  une  école 
supérieure  d'enseignement  ;  les  professeurs  étaient  en  même  temps 
membres  du  chapitre  de  Saint-Thomas.  Des  bourses,  un  pensionnat 
(couvent  de  Saint-Guillaume)  et  une  bibliothèque  complétaient  cette 
institution.  Quelques  réfugiés  d'Italie  avaient  été  recueillis  au  nombre 
des  professeurs,  parmi  eux  le  savant  Pierre  Martyr  Vermigli;  des 
réfugiés  français  trouvèrent  aussi  un  asile  à  Strasbourg  et  plusieurs 
d'entre  eux  professèrent  à  la  nouvelle  école  ;  nous  ne  nommerons  que 
Calvin,  qui  fut  aussi  le  premier  pasteur  de  la  petite  paroisse  fran- 
çaise à  Strasbourg.  Jean  Sturm  fut  l'organisateur  de  toutes  ces  insti- 
tutions. Il  avait  été  à  Paris  avec  Sleidan  ;  les  persécutions  le  poussèrent 
à  Strasbourg.  Il  y  devint  le  premier  directeur  du  gymnase  créé  par 
Jacques  Sturm.  Admirateur  passionné  de  l'antiquité  classique,  il  releva 
ces  études  et  les  organisa  sur  une  vaste  échelle.  Aussi  l'école  de  Stras- 
bourg devint-elle  le  rendez-vous  de  la  jeunesse  studieuse  de  tous  les 
pays  (voyez  l'ouvrage  de  M.  Schmidt  sur  la  vie  et  les  travaux  de  Jean 
Sturm).  Sturm  était  aussi  un  défenseur  zélé  de  la  cause  protestante  ;  il 
aimait  ces  nobles  et  braves  huguenots  et  ne  désespéra  jamais  de  la  vic- 
toire du  protestantisme  en  France.  Un  conflit  entre  l'école  et  l'Eglise 
était  inévitable.  Peu  à  peu  la  lutte  prit  un  caractère  sérieux.  Pierre 
Martyr  dut  quitter  Strasbourg;,  un  autre  savant  italien,  Jérôme  Tanchi, 
eut  une  longue  querelle  avec  Marbach  au  sujet  de  la  prédestination  et 


ALSACE  209 

dut  partir:  la  paroisse  française  cessa  d'exister.  Depuis  1571,  une  que- 
relle théologique  divisait  Marbach  et  Sturm.  En  1577,  une  nouvelle  con- 
fession de  foi,  la  Formula  eoncordix,  avait  été  signée;  elle  devait  être 
un  fort  rempart  entre  luthériens  et  calvinistes.  Marbach  et  son  collègue 
Pappus,  non  moins  célèbre  par  son  fanatisme,  remplirent  Strasbourg  de 
leurs  cris  et  de  leurs  injures;  ils  parvinrent  même  jusqu'à  obtenir  la 
destitution  de  Sturm.  La  Formula  concordix  ne  fut  pourtant  pas 
adoptée:  mais  le  but  des  Marbach  et  des  Pappus  n'en  fut  pas  moins 
atteint  :  à  la  fin  du  seizième  siècle,  l'orthodoxie  froide  et  intolérante 
régnait  à  Strasbourg.  —  A  la  même  époque  le  catholicisme  s'était 
relevé  pour  recouvrer  ce  qu'il  avait  perdu.  On  sait  que  le  nouvel  ordre 
des  jésuites  s'était  mis  au  service  du  pape,  pour  le  seconder  dans  cette 
œuvre.  En  Alsace,  les  jésuites  furent  appelés  en  1580  par  l'évêque  Jean 
de  Manderscheid.  Le  premier  collège  fut  établi  à  Molsheim  ;  dès  1614, 
nous  les  voyons  àEnsisheim,  en  1604  déjà,  à  Haguenau.  Le  chapitre  de 
la  cathédrale  comptait  parmi  ses  membres  des  amis  de  la  Réformation. 
Une  lutte  ne  tarda  point  à  éclater;  à  la  mort  de  Jean  de  Manderscheid 
en  1692,  les  protestants  élurent  le  margrave  de  Brandebourg,  Jean- 
George,  et  les  catholiques  le  cardinal  Charles  de  Lorraine.  Il  en  résulta 
une  guerre  de  dix  ans,  connue  sous  le  nom  de  guerre  épiscopale  ou  des 
évêques.  La  ville  s'était  rangée  du  côté  de  Jean-George,  qui  de  plus  était 
soutenu  par  la  ligue  de  Torgau  et  par  Henri  de  Bourbon.  C'est  en  1604? 
seulement  que,  grâce  à  l'intervention  de  Henri  IV,  la  paix  fut  conclue. 
Elle  fut  malheureuse  pour  les  protestants  ;  le  cardinal  de  Lorraine  de- 
vint évêque  de  Strasbourg  et  le  chapitre  n'eut  plus  d'éléments  hétéro- 
gènes dans  son  sein.  Le  successeur  de  Charles,  Léopold  de  Bavière,  père 
de  Ferdinand  II,  fut  la  cause  de  nouveaux  malheurs  pour  l'Alsace.  Il 
était  impliqué  dans  la  guerre  de  la  succession  de  Juliers-Clèves.  Le  pays 
fut  dévasté  ;  Henri  IV  devait  mettre  fin  à  la  guerre  et  relever  l'union 
protestante,  lorsqu'il  tomba  sous  le  fer  du  régicide.  Une  guerre  décisive 
était  inévitable.  Ce  fut  la  guerre  de  Trente  ans.  Dès  1621,  l'Alsace 
devint  le  théâtre  de  la  guerre.  Le  comte  de  Mansfeld  fit  une  expédition 
en  faveur  de  l'union  protestante;  mais  Strasbourg,  qui  dès  1621  avait 
quitté  l'union,  ne  le  soutint  point.  La  ville  conclut  la  paix  avec  l'empe- 
reur, qui  en  retour  éleva  son  école  au  rang  d'université.  Bientôt  après 
les  protestants  eurent  à  subir  une  série  de  persécutions;  à  Colmar,  ils 
furent  même  bannis.  En  1628,  on  proclama  redit  de  restitution  ;  des  me- 
sures énergiques  furent  prises  pour  l'exécuter.  Cette  réaction  antipro- 
testante ne  manqua  point  d'exciter  une  haine  ardente  contre  l'empereur 
et  le  conseil.  A  la  même  époque  Richelieu  arrivait  au  pouvoir.  On  con- 
naît sa  politique;  Strasbourg  lui  tendit  une  main  amie  :  les  Suédois,  sous 
la  direction  du  général  Horn,  eurent  bientôt  soumis  toute  l'Alsace. 
Cette  invasion  des  Suédois  est  pour  l'Alsace  un  fait  de  sinistre  mémoire. 
En  1634, on  appela  les  troupes  françaises  :  Richelieu  accorda  l'Alsace  à 
Bernard  de  Saxe-Weimar,  qui  de  1635  à  1638  conquit  le  pays.  Il  gou- 
verna l'Alsace  pendant  quelques  mois  :  après  sa  mort  les  Français  occu- 
pèrent le  pays.  Bientôt  la  paix  longtemps  désirée  fut  conclue.  L'Alsace 
Strasbourg  excepté,  passa  à  la  France.  Le  pays  était  épuisé  :  pour  le 


210  ALSACE 

repeupler,  on  y  envoya  beaucoup  d'étrangers  du  Palatinat  et  de  la 
Suisse,  la  plupart  calvinistes:  c'est  là  l'origine  de  beaucoup  de  paroisses 
réformées.  Nous  renvoyons  pour  plus  de  détails  sur  celte  époque  aux 
articles  de  M.  Reuss,  dans  YAlsatia  de  1862,  et  de  M.  Rœhrich,  dans  ses 
Mittheilungen,  vol.  2,  ainsi  qu'aux  ouvrages  généraux. — L'histoire  de  la 
Réformation  en  Alsace  a  été  traitée  surtout  par  deux  savants:  M.  Rœh- 
rich a  écrit  une  Histoire  de  la  Reformations  en  3  vol. ,  et  des  Mittheilungen, 
en  3  vol.  ;  M.  Jung  a  écrit  un  volume  de  Beitrœge  zu  der  Geschichte  der 
Re formation.  Le  vicomte  Marie-Théodore  de  Bussière  a  écrit  plusieurs 
ouvrages  sur  l'histoire  de  la  Réformation  en  Alsace  {Histoire  de  réta- 
blissement du  protestantisme  en  Alsace;  Histoire  du  développement  du 
protestantisme,  etc.)  dans  un  sens  tout  à  fait  catholique  et  avec  beaucoup 
de  partialité.  Nous  avons  indiqué  dans  le  cours  de  l'article  les  monogra- 
phies les  plus  importantes.  Alb.  Courvoisier. 

II.  (16-48-1789).  Lors  de  la  réunion  de  l'Alsace  à  la  France,  le  respect 
de  la  liberté  de  conscience  n'avait  pénétré  encore  ni  dans  les  mœurs 
ni  dans  les  lois.  Aussi  le  gouvernement  de  Louis  XIV  fit-il  de  fréquents 
efforts,  sinon  pour  détruire  le  protestantisme  dans  les  provinces  nou- 
vellement acquises,  du  moins  pour  Fentraver  et  pour  favoriser  les  pro- 
grès de  la  religion  catholique.  Dès  1662,  une  ordonnance  royale  pres- 
crivit de  ne  distribuer  qu'à  des  catholiques  les  terres  et  habitations 
abandonnées  pendant  les  guerres  ;  aux  nouveaux  propriétaires,  il  fut 
fait  remise,  pendant  six  ans,  de  tout  impôt,  et  on  leur  permit  de  pren- 
dre gratis  dans  les  forêts  du  domaine  le  bois  pour  la  reconstruction  des 
maisons  ruinées.  Cette  mesure  avait  pour  but  d'attirer  dans  l'Alsace, 
dont  plusieurs  parties  étaient  presque  dépeuplées,  une  nouvelle  popu- 
lation catholique.  La  plupart  des  édits  publiés  contre  les  huguenots 
furent  enregistrés  au  conseil  souverain  d'Alsace  ;  par  ce  fait,  ils  deve- 
naient applicables  aux  protestants  du  pays,  tant  luthériens  que  calvi- 
nistes, malgré  le  traité  de  Westphalie  qui  leur  garantissait  la  liberté  de 
leur  culte.  Nous  citerons  entre  autres  les  déclarations  sur  l'âge  auquel 
il  était  loisible  aux  enfants  mineurs  de  changer  de  religion,  sur  les 
moyens  de  subsistance  à  leur  fournir  par  les  parents,  sur  la  défense  des' 
mariages  mixtes,  sur  les  peines  auxquelles  s'exposaient  les  pasteurs  qui 
recevaient  dans  leurs  églises  des  catholiques  convertis  ou  non.  Par  la 
capitulation  de  Strasbourg,  30  septembre  4681,  il  fut  stipulé  que  la 
ville  garderait  le  libre  exercice  de  sa  religion  et  la  propriété  de  ses 
biens  ecclésiastiques  ;  la  cathédrale  seule  dut  être  rendue  aux  catho- 
liques ;  dès  le  mois  d'octobre,  l'évêque  François  Egon  de  Furstenberg  en 
prit  possession  :  il  fit  frapper  en  souvenir  une  médaille,  contre  laquelle 
protesta  le  magistrat.  En  1664,  la  France  conclut  avec  l'empire  une 
trêve  de  vingt  ans  ;  elle  s'engagea  de  nouveau  à  laisser  aux  luthériens 
et  aux  réformés  d'Alsace  leur  entière  liberté  ;  en  vertu  de  cet  engage- 
ment, la  révocation  de  l'édit  de  Nantes  ne  fut  pas  enregistrée  au  conseil 
souverain  ;  mais  les  agents  du  roi  n'en  continuèrent  pas  moins  à  pro- 
téger le  catholicisme  au  détriment  du  protestantisme.  Déjà  en  1683 
Fintendant  de  la  Grange  avait  exempté  ceux  qui  se  convertiraient  de 
toute  charge  de  guerre  pendant  trois  ans  ;  une  ordonnance  de  1685 


ALSACE  m 

accorda  aux  mêmes  trois  ans  pour  l'acquittement  de  leurs  dettes;  en 
1688,  on  autorisa  les  catholiques-,  quand  ils  voulaient  se  faire  recevoir 
bourgeois,  à  ne  payer  que  le  liées  des  droits  usités.  Ce  qui  fut  plus 
grave  encore,  car  ce  fut  une  violation  flagrante  de  la  capitulation  de 
Strasbourg,  ce  fui  une  deelaration  royale  du  <*>  avril  1087,  voulant  que 
les  charges  ci  emplois  qui  donnaient  entrée  au  magistral  ou  qui  en 
dépendaient,  tan!  dans  la  ville  que  dans  les  seigneuries,  fussent  rem- 
plies alternativement  par  des  proteslantset  des  catholiques;  le  nombre 
de  ces  derniers  étant  encore  très-restreint,  on  se  borna  d'abord  à  ne 
leur  allée  1er  que  le  quart  des  places  ;  mais  dans  le  cours  du  dix-huitième 
siècle  on  s'en  tint  strictement  à  l'alternative.  En  1683,  les  jésuites,  qui 
avaient  déjà  plusieurs  maisons  en  Alsace,  s'établirent  aussi  à  Stras- 
bourg. Le  séminaire  fondé  par  l'évéque,  le  collège  royal,  l'université 
catholique,  transférée  en  1701  de  Molsheim  à  Strasbourg,  furent  confiés 
à  leur  direction.  Ils  devinrent  les  agents  les  plus  actifs  delà  propagande 
catholique  dans  la  province.  A  leur  tête  était  le  professeur  Jean  Dèz, 
homme  instruit  et  habile:  en  1687,  il  publia  un  livre,  intitulé  :  Réunion 
des  protestants  de  Strasbourg  à  l'Eglise  romaine;  on  en  attendait  un 
grand  succès,  mais  il  n'en  eut  aucun  auprès  des  Strasbourgeois.  Un 
colloque  entre  des  jésuites  et  le  professeur  de  théologie  Bébel  eut  le 
résultat  ordinaire  de  ces  conférences;  chacune  des  deux  parties  garda 
son  opinion.  Les  missions  catholiques  furent  plus  heureuses  dans  les 
campagnes  ;  plusieurs  villages  furent  entièrement  ramenés  au  catho- 
licisme. Un  édit  de  1686  avait  ordonné  de  ne  plus  instituer  que  des 
maires  catholiques.  En  1684,  on  avait  prescrit  que,  dans  chaque  com- 
mune possédant  deux  églises,  les  protestants  n'en  garderaient  qu'une 
seule,  et  que  là  où  il  n'en  existerait  qu'une,  elle  serait  partagée  entre 
les  deux  cultes,  de  manière  que  les  catholiques  eussent  la  jouissance 
du  chœur  ;  il  suffisait  à  cet  efiet  qu'il  y  eût  dans  le  village  sept  familles 
professant  la  religion  du  roi  ;  seulement  «  pour  obvier  aux  abus  qu'on 
pourrait  faire  de  ce  règlement,  »  on  voulut  bien  ne  pas  compter  au 
nombre  des  sept  familles  «  les  passagers  ou  les  simples  valets,  tels 
que  chasseurs,  pâtres  et  autres  gens  sans  domicile  fixe.  »  Ce  fut  là 
l'origine  des  églises  simultanées,  dont  il  existe  encore  plusieurs  en 
Alsace.  —  La  fameuse  déclaration  de  Louis  XV,  du  14  mai  1724,  con- 
tinuant la  révocation  de  l'édit  de  Nantes  et  de  toutes  les  ordonnances 
rendues  pour  en  assurer  l'exécution,  fut  enregistrée,  sur  Tordre  exprès 
du  roi,  au  conseil  souverain  d'Alsace,  mais  il  fut  impossible  de  l'ob- 
server; on  se  vit  même  obligé  de  faire  savoir  officiellement  qu'elle  ne 
s'étendait  pas  aux  luthériens.  Ceux-ci  toutefois  ne  cessaient  de  se 
méfier  des  arrière-pensées  du  gouvernement  ;  leur  méfiance  fut  pleine- 
ment justifiée  par  un  règlement  du  1er  mars  1727,  provoqué  surtout 
par  l'évéque  cardinal  de  Hohan,qui  s'était  plaint  de  certaines  coutumes 
protestantes  comme  étant  des  abus  préjudiciables  à  la  religion  ef.au 
(  kergé  catholiques.  Le  règlement  qui  dut  être  suivi  dans  toute  la  pro- 
vince et  qui,  a  cet  ell'ct,  lut  enregisl ré  au  conseil  souverain,  ordonnait 
aux  proleslanK  quand  ils  rencontreraient  un  prèlro  portant  le  sainl- 
sacremeni.  de  s'agenouiller  ou  de  se  retirer;  il  demandait  la  cessation 


21?  ALSACE 

du  culte  protestant  dans  les  églises  mixtes  les  jours  où  elles  étaient 
visitées  par  l'évêque,  l'observation  rigoureuse  des  fêtes  romaines,  l'édu- 
cation catholique  des  enfants  illégitimes,  «  attendu  que  le  roi  seul  est 
en  droit  de  leur  tenir  lieu  de  père.  »  Quelques-unes  de  ces  prescrip- 
tions n'étaient  que  le  renouvellement  d'ordonnances  plus  anciennes, 
qu'en  Alsace  on  avait  laissé  tomber  en  désuétude  ou  qu'on  n'y  avait 
pas  même  introduites.  Les  réclamations  qu'élevèrent  les  protestants 
ne  furent  pas  écoutées.  Ce  ne  fut  qu'à  partir  du  ministère  du  duc  de 
Choiseul  que  le  gouvernement  se  montra  un  peu  plus  libéral  ;  les 
protestants  d'Alsace  ne  furent  plus  molestés  que  par  des  fonctionnaires 
subalternes.  On  contesta  aux  pasteurs  le  droit  d'entrer  dans  les  prisons 
et  les  hôpitaux  militaires  ;  on  songea  même  un  moment  à  introduire 
dans  l'université,  à  la  seule  exception  de  la  faculté  de  théologie,  la 
même  alternative  qu'on  avait  fait  prévaloir  dans  les  fonctions  civiles  ; 
on  maintint  surtout  les  ordonnances  sur  l'éducation  catholique  des 
bâtards;  il  existe  de  nombreux  dossiers,  allant  jusqu'à  l'année  1782, 
sur  l'enlèvement  d'enfants  protestants.  On  se  vantait  enfin  des  conver- 
sions que  Ton  faisait;  il  y  en  eut  qui  firent  quelque  bruit,  d'autres 
furent  obtenues  on  ne  sait  comment  ;  deux  volumes  in-folio  contenant 
des  noms  de  convertis  alsaciens,  de  1682  à  1778,  ressemblent  singu- 
lièrement aux  listes  qu'avant  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes  on  avait 
eu  coutume  de  mettre  sous  les  yeux  de  Louis  XIV.  —  Cette  situation 
dura  jusqu'à  l'édit  de  tolérance  de  Louis  XVI.  Elle  avait  diminué  la 
force  politique  du  protestantisme,  mais  elle  ne  l'avait  pas  empêché  de 
se  conserver  ;  il  s'était  consolidé  plutôt  par  la  nécessité  de  se  défendre 
contre  les  entreprises  d'un  pouvoir  absolu  et  fanatique.  Dans  la  faculté 
de  théologie  de  Strasbourg  on  ne  peut  citer  au  dix-huitième  siècle 
aucun  nom  illustre  ;  les  professeurs  étaient  des  hommes  érudits,  mais 
trop  préoccupés  de  controverse  ou  de  simple  édification  pour  faire 
avancer  la  science.  Dans  le  dogme  ils  étaient  fidèles  à  la  tradition 
orthodoxe  luthérienne.  Quand  les  piétistes  et  les  frères  moraves  com- 
mencèrent à  se  répandre  en  Alsace,  on  les  combattit  avec  une  extrême 
véhémence  ;  le  professeur  Frœreisen  entre  autres  publia  une  brochure 
sous  ce  titre  :  Portrait  de  deux  imposteurs,  Mahomet  etZinzendorf,  singe 
du  premier.  A  plusieurs  reprises  parurent  des  arrêtés  contre  les  con- 
venticules.  En  1759,  il  fut  même  défendu  aux  pasteurs  de  Strasbourg 
et  de  ses  dépendances  de  rien  publier  sans  l'autorisation  du  convent 
ecclésiastique.  Cependant  la  vie  religieuse  était  généralement  floris- 
sante ;  dans  peu  de  villes  le  culte  était  plus  fréquenté  qu'à  Strasbourg 
et  à  Colmar;  l'Eglise  d'Alsace  eut  quelques  pasteurs  dont  elle  se  sou- 
viendra toujours  avec  respect;  l'un  d'entre  eux,  Oberlin,  s'est  acquis 
une  célébrité  européenne.  —  Les  réformés  seuls  manquaient  en  Alsace 
de  liberté.  Ils  avaient  contre  eux,  outre  l'intolérance  du  gouvernement, 
les  scrupules  des  luthériens.  Ils  possédaient  des  églises  à  Sainte-Marie- 
aux-Mines,  à  Bischwiller  et  dans  deux  ou  trois  villages  ;  dans  d'autres 
localités  ils  se  réunissaient  dans  des  maisons  particulières.  Ceux  de 
Strasbourg  étaient  obligés  de  se  rendre  à  Wolfisheim,  qui  dépendait 
alors  des  landgraves  de  Hesse-Darmstadt,  comtes  de  Hanau.  En  1788, 


ALSACE  213 

ils  s'adressèrenl  d'abord  au  magistrat,  puis  au  gouvernement  de 
Louis  XVI,  pour  être  autorisés  à  célébrer  leur  culte  dans  l'intérieur 
même  de  la  ville  ;  la  permission  leur  fut  aeeordée,  à  condition  que  la 
maison  de  réunion  ne  trahît  par  son  extérieur  «  ni  un  temple  ni  mémo, 
un  édifice  publie  »  et  qu'elle  n'eût  pas  de  cloches.  Ils  élevèrent  alors  le 
bâtiment  qui  leur  sert  encore  aujourd'hui.  —  Les  édits,  etc.,  relatifs 
aux  protestants  sont  disséminés  dans  le  recueil  intitulé  :  Ordonnances 
d'Alsace,  Golmar,  1775,  2  vol.  in-f°;  V.  Kiefer,  Le  Gouvernement  français 
et  les  protestants  d'Alsace,  1648-1697,  Strasb.,  1868;  Charles  Bœgner, 
L Eglise  protestante  de  Strasbourg  dans  ses  rapports  avec  l'Eglise  catho- 
lique, 1681-1727,  Strasb.,  1851.  Divers  articles  de  Rœhrich,  dans  le 
t.  11  de  ses  Mittheilungen  aus  der  Geschiclite  der  evangelischen  Kirche 
des  Elsasses,  Strasb.,  1855.  Ch.  Schmidt. 

111.  (1789-1876).  La  révolution  de  1789  fut  accueillie  avec  un  vif  en- 
thousiasme en  Alsace.  Les  protestants  la  saluèrent  comme  devant  ouvrir 
une  ère  nouvelle  dans  laquelle  la  liberté  de  culte,  qui  leur  était  garantie 
par  le  traité  de  Westphalie,  ne  serait  plus  entravée  par  des  mesures 
administratives  empreintes  d'un  esprit  marqué  d'hostilité.  Un  Cahier  de 
doléances  (Rœhrich,  MittheiL,  III,  -444)  fut  envoyé  à  l'Assemblée  natio- 
nale par  les  magistrats  et  consistoires  protestants  des  villes  d'Alsace  pour 
réclamer  la  confirmation  des  anciennes  garanties,  la  restitution  des 
biens  possédés  en  l'année  1624,  la  réglementation  du  culte  simultané 
dans  les  églises  où  il  avait  été  introduit,  et  la  participation  par  moitié 
aux  places,  dignités,  charges  et  emplois  publics  de  la  province.  En 
même  temps,  le  professeur  Koch  fut  délégué  à  Paris  pour  appuyer  ces 
réclamations  auprès  des  autorités  compétentes.  Des  décrets  du  47  août 
et  du  10  décembre  1790  exemptèrent  de  la  vente  des  biens  ecclésiasti- 
ques, ceux  des  protestants  des  deux  confessions  d'Augsbourg  et  helvé- 
tique habitant  l'Alsace,  ainsi  que  ceux  des  pays  deBlâmont,  deBelmont, 
d'Héricourt  et  de  Ghaletot,  parce  que. ces  biens,  sécularisés  depuis 
longtemps,  étaient  exclusivement  destinés  à  l'entretien  du  culte  et  d'é- 
tablissements d'instruction  publique,  auquel  ils  avaient  peine  à  suffire. 
Un  décret  spécial,  rendu  le  8  mai  1791,   étendit  cette  exemption  aux 
biens  de  la  fondation  de  Saint-Thomas,  principalement  affectés  à  l'en- 
tretien de  l'université  protestante  de  Strasbourg.  Lorsque  l'armée  des 
alliés  menaça  la  frontière  de  l'Est,  l'Alsace  envoya  ses  bataillons  de 
volontaires  pour  la  couvrir  :  bien  qu'allemande  encore  de  mœurs  et  de 
langue,  elle  était  française  de  cœur,  et  ce  fut  surtout  pendant  ces  mé- 
morables années  où  ses  fils  combattirent  sous  le  drapeau  tricolore  pour 
défendre  l'indépendance  de  la  France  et  ses  libertés  récemment  con- 
quises,  que  le  lien  qui  rattachait  l'ancienne  province  de  l'empire  à  sa 
nouvelle  patrie  devint  plus  intime.  Le  règne  de  la  Terreur  même  ne  put 
le  relâcher.  L'ordre  de  fermer  les  églises  fut  donné  au  mois  d'octo- 
bre 1793,  et  peu  de  localités  purent  s'y  soustraire  :  pendant  plus  d'une 
année  le  culte  public  fut  interrompu.  Les  vases  d'église,  les  ornements 
de  la  chaire  el  de  l'autel  avaient  été  offerts  ou  confisqués  pour  les  ser- 
vices publics;  le  convent  de  Strasbourg  avait  spontanément  décidé  de 
faire  collegialiter  à  la  patrie  le  sacrifice  des  boucles  d'argent  que  ses 


211  ALSACE 

membres  portaient  à  leurs  chaussures.  Les  églises  furent  converties  en 
hôpitaux,  en  magasins  de  fourrages  et  parfois  même  en  étables.  Des 
commissaires  du  gouvernement  révolutionnaire  parcouraient  les  cam- 
pagnes pour  faire  fondre  les  cloches  et  brûler  les  livres  sacrés  trouvés 
sur  les  autels.  Les  pasteurs  furent  invités  à  renier  la  foi  chrétienne,  et 
ceux  d'entre  eux  qui  s'y  refusèrent  se  virent  arrachés  à  leurs  troupeaux 
et  incarcérés.  Le  nombre  des  défections  fut  peu  considérable,  et  beau- 
coup de  pasteurs  déployèrent,  dans  cette  circonstance;  une  fermeté  qui 
commandait  le  respect  même  à  leurs  persécuteurs.  On  peut  dire  qu'en 
général,  les  protestants,  comme  les  plus  éclairés,  les  plus  modérés  et 
les  plus  riches-  des  citoyens  de  l'Alsace,  eurent  le  plus  à  souffrir  pen- 
dant la  Terreur.  La  correspondance  du  pasteur  Blessig,  détenu  pendant 
onze  mois  dans  le  séminaire  épiscopal  de  Strasbourg  qui  avait  été  con- 
verti en  prison,  est  remplie  de  détails  curieux  (voy.  Edel,  Monatsblsetter 
fur  die  Blessig-Stiftung,  1847-4850,  4.-  vol.).  —  Au  milieu  de  ces  se- 
cousses qui  agitèrent  le  pays  pour  le  transformer,  il  devint  nécessaire 
de  réorganiser  l'Eglise  protestante  d'Alsace  sur  des  bases  nouvelles.  Le 
convent  ecclésiastique  de  Strasbourg  s'était,  dès  le  mois  de  septem- 
bre 1789,  retrempé  dans  des  élections  presbytérales  faites  d'après  un 
mode  très-large,  et  il  avait  adressé  une  Encyclique  aux  communautés 
de  la  province  pour  les  exhorter  à  la  concorde  et  à  la  paix.  Divers  pro- 
jets d'organisation  surgirent  pour  mettre  fin  à  l'anarchie  que  la  ruine 
de  l'ancien  régime  avait  provoquée.  Des  débats  auxquels  ils  donnèrent 
lieu,  et  des  négociations  qui  furent  entamées  avec  le  premier  Consul  et 
son  ministre  Portalis,  sortit  la  fameuse  loi  du  18  germinal  an  X.  Elle 
fut  accueillie  avec  une  vive  faveur,  parce  qu'elle  assurait  aux  protes- 
tants l'existence  légale,  le  salaire  de  l'Etat,  et  qu'elle  donnait  satisfac- 
tion au  besoin  d'unité  administrative  ;  le  sentiment  religieux,  d'ailleurs 
peu  ardent  à  ce  moment,  ne  réclama  ni  contre  ce  qui,  dans  les  condi- 
tions électorales,  était  de  nature  à  le  blesser,  ni  contre  les  dispositions 
qui  compromettaient  gravement  l'indépendance  et  l'autonomie  de  l'E- 
glise. La  loi  de  germinal  prenait  pour  base  l'Eglise  consistoriale,  com- 
posée d'une  moyenne  de  six  mille  âmes,  dispersées  sur  un  territoire 
plus  ou  moins  étendu  et  réparties  dans  une  ou  dans  plusieurs  paroisses, 
avec  un  nombre  indéterminé  de  pasteurs  et  une  représentation  laïque 
qui  variait  de  six  à  douze.  Ces  anciens  devaient  être  nommés  pour  la 
première  fois  par  les  vingt-cinq  pères  de  famille  les  plus  imposés  au 
rôle  des  contributions  directes  ;  dans  la  suite,  le  consistoire  devait  lui- 
même  désigner  un  nombre  égal  de  notables  chargés  de  pourvoir,  de 
concert  avec  lui,  aux  réélections  et  aux  vacances.  Les  pasteurs  étaient 
nommés  par  le  consistoire,  et  cette  nomination  était  soumise  à  l'appro- 
bation du  gouvernement,  qui  se  réservait  aussi  la  faculté  de  les  desti- 
tuer. Un  certain  nombre  de  consistoires  formaient  une  inspection,  à  la 
tête  de  laquelle  se  trouvaient  un  inspecteur  ecclésiastique  et  deux  in- 
specteurs laïques,  chargés  d'exercer  une  certaine  surveillance  sur  les 
Eglises  de  leur  ressort.  Au-dessus  des  assemblées  d'inspection,  la  loi  de 
germinal  plaçait  un  consistoire  général,  composé  d'un  président  laïque, 
de  deux  inspecteurs  ecclésiastiques  nommés  à  vie  par  le  gouvernenient, 


ALSACE  :i:, 

et  d'un  député  Laïque  nommé  par  chaque  inspection  également  à  vie. 
Dans  L'intervalle  de  ses  sessions,  d'ailleurs  .non  périodiques,  une  com- 
mission de  cinq  membres  devait,  sous  le  nom  alors  en  vogue  de  direc- 
toire, s'occuper  de  L'expédition  des  affaires  courantes.  Toutes  les  mo- 
difications dans  Les  catéchismes,  dans  les  formulaires  Liturgiques,  dans 
la  confession  de  foi,  dans  la  discipline  ecclésiastique  étaient  d'aiUe»BS 
subordonnées  à  L'approbation  du  gouvernement,  et  ne  pouvaient  même 
pas  être  disculées  sans  son  agrément.  L'université  protestante  de 
Strasbourg  lut  convertie  en  Académie  ou  séminaire  protestant  par  dé- 
cret du  30  lloréal  an  XI,  et  complétée  en  1818  par  une  faculté  de 
théologie.  —  Celle  organisation,  sorte  de  compromis  entre  le  type  luthé- 
rien, plus  autoritaire,  et  le  type  réformé,  plus  démocratique,  dans  ses 
traits  essentiels,  subsiste  en  Alsace  encore  aujourd'hui.  De  1830  a  1850, 
diverses  lenlatives  furent  faites  auprès  du  gouvernement  pour  y  intro- 
duire quelques  éléments  plus  libéraux,  mais  elles  échouèrent,  moins 
encore  par  suite  du  mauvais  vouloir  de  l'autorité  civile  que  par  le  dé- 
faut d'entente  chez  les  protestants  eux-mêmes.  Le  décret  du  26  mars 
1852,  rendu  dictatorialement  par  le  prince-président  après  le  coup 
d'Etat,  apporta  à  la  loi  de  germinal  quelques  changements  importants. 
Il  donna  une  sanction  légale  aux  conseils  presbytéraux  qui,  de  fait, 
existaient  déjà  à  peu  près  partout;  de  plus,  les  élections  devaient  être 
faites  par  le  suffrage  universel.  Sont  électeurs  tous  les  membres  portés 
au  registre  paroissial  qui  sont  âgés  de  trente  ans  au  moins  et  qui  ont 
deux  ans  de  résidence.  Les  conseils  presbytéraux  des  chefs-lieux  con- 
sistoriaux  reçurent  'le  titre  de  consistoires,  le  nombre  des  conseillers 
presbytéraux  fut  doublé,  et  chaque  conseil  presbytéral  sectionnaire  y 
envoya  avec  son  pasteur  un  délégué  laïque.  Le  consistoire  supérieur 
devait  comprendre  deux  députés  laïques  par  inspection,  tous  les  inspec- 
teurs ecclésiastiques,  un  professeur  du  séminaire  délégué  par  ce  corps, 
le  président  du  directoire  et  un  commissaire  du  gouvernement,  ce  qui 
donnait  à  celte  assemblée  plus  d'un'  tiers  de  membres,  tous  fonction- 
naires, nommés  par  l'Etat.  Le  consistoire  supérieur  devait  se  réunir  au 
moins  une  fois  par  an.  Quant  au  directoire,  il  fut  composé  de  cinq 
membres,  dont  trois  nommés  par  l'Etat.  C'est  entre  ses  mains  qu'était 
remise  la  nomination  des  pasteurs,  celle  des  inspecteurs,  des  profes- 
seurs du  séminaire  et  du  gymnase;  il  avait  de  plus  le  droit  d'autoriser 
ou  d'ordonner,  par  mesure  disciplinaire,  le  passage  d'un  pasteur  d'une 
cure  à  l'autre.  Ces  dispositions,  qui  renforçaient  le  principe  de  centra- 
lisa ion  et  concentraient  l'autorité  dans  l'Eglise  entre  les  mains  d'un 
corps  à  peu  près  irresponsable,  étaient  en  opposition  flagrante  avec  les 
vœux  des  Eglises  et  les  principes  fondamentaux  du  protestantisme. 
N'était-il  pas  dérisoire  de  mettre  l'élément  électif  et  le  suffrage  univer- 
sel ii  l;i  base  de  la  constitution  ecclésiastique,  alors  qu'on  annulait 
complètement  faction  des  conseils  locaux,  en  bornant  leur  rôle  à  la 
surveillance  des  intérêts  matériels  et  à  la  gesliondes  finances?  «  Le 
testantisme,  pouvait  justement  dire  M.  de  Montalembert,  comme  insti- 
tution, a  Laissé  réduire  au  rang  (Tune  section  de  L'administration  civile 
ses  Eglises  officielles,  docilement  enchaînées   dans  l'antichambre  de 


216  ALSACE 

l'Etat.  »  Le  directoire  sentait  fort  bien  le  vice  de  sa  position,  car  il 
interdit  avec  une  vivacité  extraordinaire  toute  discussion  des  articles 
de  ce  décret,  si  notoirement  contraire  aux  légitimes  aspirations  des 
fidèles.  Le  consistoire  supérieur,  d'abord  résigné,  essaya  dans  la  suite 
de  lui  arracher  quelques  concessions,  notamment  en  ce  qui  con- 
cerne la  nomination  des  pasteurs.  Il  fut  faiblement  soutenu  par  l'opi- 
nion publique,  qui,  après  avoir  accueilli  avec  stupeur  le  décret  de 
4852,  prit  le  parti  funeste  de  se  désintéresser  des  choses  de  l'Eglise. 
Pourtant  l'opposition,  commencée  par  le  courageux  auteur  des  Gra- 
vamina,  imprimés  à  Baie  et  distribués  par  la  poste,  grandit  chaque 
année  et  chercha  à  réveiller  les  communautés  de  leur  indifférence, 
et  à  leur  donner  la  conscience  de  leurs  droits  et  de  leurs  devoirs 
(voyez  surtout  les  brochures  de  M.  le  pasteur  Mettetal).  —  Au 
printemps  de  Tannée  1870,  une  campagne  sérieuse  de  tous  les  partis 
coalisés  avait  été  ouverte  pour  battre  en  brèche  la  constitution  de 
1852,  lorsque  survinrent  les  événements  désastreux  qui,  en  renversant 
ses  auteurs,  changèrent  le  sort  politique  de  l'Alsace.  Annexée  à  l'em- 
pire d'Allemagne  par  le  traité  de  Francfort,  malgré  les  protestations 
unanimes  de  ses  représentants,  elle  conserva  ses  institutions  ecclésias- 
tiques, un  instant  menacées  par  la  pieuse  ingérance  du  gouverneur, 
M.  de  Bismarck-Bohlen,  aidé  du  commissaire  extraordinaire,  M.  Fabri, 
inspecteur  des  missions  à  Barmen.  La  conquête  allemande  détacha  des 
Eglises  de  la  confession  d'Augsbourg  d'Alsace  les  inspections  de  Mont- 
béliard  et  de  Paris,  qui  en  faisaient  partie  depuis  la  réorganisation  des 
cultes  en  1802;  de  plus,  tandis  que  sur  1,235,097  catholiques,  l'Alsace 
n'en  perdit  que  11,936  (moins  de  1  pour  100),  sur  270,099  protestants, 
20,001  (plus  de  14  pour  100)  optèrent  pour  la  France.  Ajoutez-y  les 
départs  en  vue  d'échapper  au  service  militaire  allemand  :  en  1873, 
479  jeunes  gens  de  moins  de  dix-sept  ans;  en  1874,  735;  en  1875, 
811  ont  demandé  des  permis  d'émigration,  sans  parler  du  grand  nom- 
bre de  ceux  qui  se  sont  passés  de  cette  autorisation.  Ainsi  réduite, 
l'Eglise  luthérienne  d'Alsace-Lorraine  forma  cinq  inspections,  celles 
du  Temple-Neuf,  de  Saint-Thomas,  de  Bouxwiller,  de  Wissembourg,  de 
la  Petite-Pierre  et  de  Colmar,  avec  38  consistoires,  191  paroisses  et 
211  pasteurs  titulaires.  Un  décret  récent  vient  d'en  créer  une  sixième, 
celle  de  Saint-Guillaume,  formée  de  cinq  consistoires,  détachés  des 
deux  premières  inspections.  Les  anciens  vices  de  la  constitution  ecclé- 
siastique ont  survécu  au  changement  du  régime  et  des  personnes  :  ni 
l'autorité  du  directoire  n'a  été  limitée,  ni  des  garanties  sérieuses  n'ont 
restitué  à  l'électorat  paroissial  sa  dignité.  De  plus,  tandis  que  dans  nos 
Eglises  de  France  les  étrangers,  après  deux  années  de  résidence,  sont 
admis  à  être  portés  sur  le  registre  électoral,  un  décret  du  gouverne- 
ment impérial  allemand  a  enlevé  leurs  droits  électoraux  à  tous  les  étran- 
gers (lisez  Français)  résidant  en  Alsace.  En  vertu  d'une  disposition  libé- 
rale, émanée  du  consistoire  supérieur,  les  communautés  sont  aujourd'hui 
consultées  sur  le  choix  de  leurs  pasteurs  ;  mais  le  directoire  conserve  le 
droit  de  les  nommer  et  de  les  déplacer  sans  avoir  égard  à  ces  vœux. 
En  somme,  s'il  faut  en  croire  le  témoignage  de  l'un  de  ses  membres 


ALSACE  '217 

les  plus  compétents  ei  les  plus  impartiaux,  le  eonsistoire  supérieur 
jouit  de  moins  de  liberté  que  du  temps  de  l'administration  française 
(Amtl.  Sammlg.,  XXIX,  p.  55).  Quant  à  l'Eglise  réformée,  elle  compte 
en  Alsace-Lorraine  cinq  consistoires,  ceux  de  Strasbourg,  de  Bischwiller, 
de  Sainte-Marie-aux-Mines,  de  Mulhouse  et  de  Metz,  avec  26  paroisses 
et  34  pasteurs  titulaires.  Une  tentative  récente  de  créer  un  lien  com- 
mun entre  eux,  par  le  moyen  d'une  organisation  synodale,  a  échoué 
devant  le  mauvais  vouloir  de  l'autorité  politique.  Il  y  a  en  outre,  en 
Alsace,  deux  communautés  de  luthériens  séparés  à  la  suite  de  dissenti- 
ments de  doctrine  ou  de  discipline  ecclésiastique,  une  station  de  frères 
moraves,  un  petit  troupeau  méthodiste.qui  dépend  de  l'Eglise  métho- 
diste américaine,  et  quelques  communautés  évangéliques  libres  sans 
lien  avec  des  Eglises  du  dehors  et  sans  action  sur  celles  de  la  province. 
—  Nous  ne  dirons  que  peu  de  mots  de  la  vie  intérieure  des  Eglises 
d'Alsace.  Son  histoire  se  rattache  étroitement  à  celle  des  Eglises  sœurs 
qui  l'entourent,  comme  au  courant  général  des  idées  qui  agitent  le 
protestantisme  contemporain  dans  des  directions  contraires.  Les  pa- 
roisses alsaciennes  ont  subi,  dans  une  large  mesure,  l'influence  du  ra- 
tionalisme au  commencement  du  siècle;  elles  ont  aussi  participé,  bien 
qu'un  peu  tard,  au  mouvement  du  réveil;  l'union  et  la  séparation  con- 
fessionnelles ont  rencontré  des  partisans  dans  leur  sein,  comme  aussi 
la  tendance  critique  et  l'école  radicale.  Bien  qu'on  Tait  tentée,  une  sta- 
tistique exacte  parait  difficile  à  établir.  Les  divers  partis  en  Alsace  ont 
traversé  des  périodes  de  luttes  très-vives,  suivies  de  temps  d'apaise- 
ment et  d'acalmie;  ce  qui  est  certain,  c'est  qu'aucun  d'eux  ne  saurait 
revendiquer  pour  lui  ni  le  monopole  de  la  vie  et  de  l'activité  reli- 
gieuses, ni  celui  des  individualités  marquantes.  Nous  trouverons  l'oc- 
casion, dans  ce  recueil,  de  citer  les  noms  les  plus  célèbres  en  ce  qui 
concerne  les  morts:  pour  les  vivants,  ils  sont  dans  la  mémoire  de  cha- 
cun. Les  sessions  annuelles  du  consistoire  supérieur  ont  été  l'arène  la 
plus  en  évidence  des  débats  ecclésiastiques.  Des  discussions  animées  s'y 
sont  produites  à  propos  de  l'introduction  des  livres  de  cantiques,  des 
catéchismes,  des  formules  liturgiques ,  des  nominations  ou  des  destitu- 
tions de  pasteurs  ou  de  professeurs,  de  l'ouverture  ou  de  la  fermeture 
des  paroisses,  de  noms  indûment  rayés  des  registres  électoraux.  En  thèse 
générale,  le  parti  libéral  s'est  trouvé  en  majorité,  sans  pourtant  que 
Ton  puisse  lui  reprocher  d'avoir  abusé  de  son  pouvoir  ou  d'avoir  cher- 
ché à  faire  passer  des  mesures  trop  radicales.  11  y  a,  dans  les  Eglises 
d'Alsace,  un  esprit  très-conservateur,  même  chez  les  esprits  les  plus 
igës  de  l'ancienne  dogmatique.  Le  respect  des  traditions,  des  cou- 
tumes, parfois  aussi  l'amour  de  la  routine  et  de  la  commodité,  le  désir 
de  garder  les  positions  acquises  y  sont  pour  beaucoup  :  ni  le  radicalisme 
ni  le  puséysme  ne  recruteront  jamais  qu'un  petit  nombre  d'adeptes  dans 
les  rangs  du  cierge  ou  des  fidèles  alsaciens.  Par  contre,  depuis  une 
vingtaine  d'années,  un  certain  luthéranisme  strict  y  a  fait  des  progrès 
sensibles,  bien  que  Ton  constate  que,  dans  les  derniers  temps,  il  a 
beaucoup  perdu,  sinon  de  son  exclusivisme,  du  moins  de  son  âpre  l'é. 
Les  piétistes.  par  contre,  tendent  à  disparaître  et  à  se  fusionner  soit 


nS  ALSACE 

avec  les  luthériens,  soit  avec  les  hommes  du  tiers-parti.  La  vie  reli- 
gieuse n'est  pas  en  progrès  depuis  l'annexion  à  l'Allemagne.  Le  rôle  que 
les  organes  de  l'Eglise  évangélique  d'outre-Rhin  ont  joué  pendant  la 
guerre  de  1870  n'a  pas  rapproché  des  sanctuaires  ceux  qui  déjà  n'étaient 
que  trop  tentés  de  s'en  tenir  éloignés;  de  plus,  les  rapports  unanimes 
des  inspecteurs  constatent  avec  douleur  les  éléments  de  démoralisation 
que  les  immigrés  allemands,  par  leur  indifférence  religieuse  et  l'irrégu- 
larité de  leurs  mœurs,  ont  apportés  dans  les  paroisses.  La  mendicité, 
l'ivrognerie  et  la  propagation  de  la  littérature  légère  ont  augmenté 
dans  une  notable  proportion.  —  Le  culte  public  en  Alsace,  fidèle  à  ses 
anciennes  traditions,  a  conservé  un  juste  milieu  entre  la  trop  grande 
sécheresse  du  puritanisme  réformé  et  le  ritualisme  catholique  auquel, 
dans  d'autres  pays,  les  Eglises  protestantes  sont  parfois  tentées  de  faire 
des  emprunts.  La  prédication  est,  en  thèse  générale,  simple  et  nour- 
rie, plus  fortement  biblique  et  moins  oratoire  qu'en  France,  plus  pra- 
tique que  dans  beaucoup  de  localités  en  Allemagne.  Les  études  théolo- 
giques sont  cultivées  avec  succès  en  Alsace.  Tout  le  monde  sait  l'éclat 
jeté  par  la  faculté  de  théologie  et  le  séminaire  protestant  de  Strasbourg, 
et  la  part  importante  qu'ils  ont  eue  au  mouvement  scientifique  inau- 
guré en  France  par  la  Revue  de  théologie  et  de  philosophie  chrétiennes 
(1850-1869.  32  vol.).  Ces  établissements  sont  on  ne  peut  mieux  placés 
pour  servir  d'intermédiaires  entre  la  science  allemande  et  la  science 
française,  et  pour  sauvegarder  ce  trait  particulier  de  la  piété  alsacienne, 
qui  est  d'unir  à  un  sentiment  religieux  profond,  sobre  et  réservé  dans  son 
expression,  une  indépendance  réelle  d'esprit  et  une  vive  répulsion  pour 
tout  ce  qui  touche  à  Fintolérance.  L'énumération  serait  trop  longue 
des  ouvrages  d'histoire,  de  critique  et  de  philosophie  religieuses,  pu- 
bliés dans  les  deux  langues  par  des  savants  alsaciens,  parmi  lesquels  on 
compte  plus  d'un  modeste  pasteur  de  campagne.  Le  décret  du  1er  mai 
1872,  qui  créa  l'université  de  Strasbourg  avec  une  dotation  de  plus 
d'un  million  de  francs  par  an,  supprima  le  séminaire  protestant  comme 
corps  enseignant;  par  un  autre  décret  du  29  novembre  1873,  l'admi- 
nistration des  biens  de  Saint-Thomas,  à  laquelle  le  gouvernement  fran- 
çais n'avait  point  touché,  bien  qu'il  fut  maintes  fois  sollicité  de  le  faire 
par  les  meneurs  du  parti  catholique  (voyez  en  particulier  :  Notices  sur 
les  fondations  administratives  par  le  séminaire  protestant  de  Strasbourg , 
Strasb.,  1854),  fut  confiée  à  un  corps  nommé  en  conformité  avec  les 
règlements  antérieurs  à  1789.  Disons  aussi  que  le  nombre  des  étudiants 
en  théologie,  depuis  l'annexion,  a  diminué  de  plus  d'un  tiers.  Les  amis  de 
l'ancienne  école  fondée  par  Jean  Sturm  et  qui,  sous  le  nom  de  Gymnase 
protestant,  a  jeté  un  si  vif  éclat,  déplorent  de  lui  voir  perdre  de  jour  en 
jour  le  caractère  qui  constituait  son  originalité.  Grâce  à  son  enseigne- 
ment solide  et  large,  fécondé  par  la  combinaison  heureuse  des  méthodes 
françaises  et  allemandes,  et  grâce  aux  principes  de  forte  pédagogie 
sur  lesquels  elle  reposait,  cette  école  était  à  la  fois  la  pépinière  où  se  re- 
crutait le  corps  pastoral  alsacien  et  un  foyer  de  haute  culture  intellec- 
tuelle d'où  est  sortie  toute  une  élite  d'hommes  éminents  dans  toutes 
les  branches;  aujourd'hui,  sans  égard  pour  les  sentiments  d'une  popu- 


ALSACE  —  ALTENSTEIN  M9 

latiun  qu'il  froisse,  et  sans  fruit  pour  l'Eglise  donl  l'esprit,  lui  est  de- 
venu étranger,  cet  établissement,  entre  les  mains  de  ses  nouveaux  di- 
recteurs, tend  à  devenir  un  simple  lycée  allemand.  Pour  compléter 
ce    tableau,   nous   dirons  que  l'Alsace   déploie   une  louable  activité 
dans  le  champ  drs  icuvres  religieuses.  Elle  ne  possède  pas  moins  de 
38  associations  de   mission  intérieure  | sociétés   de  charité,   ouvroirs, 
orphelinats,   patronage  des  détenus,   établissements   de  diaconesses, 
asiles,  etc.),  5  sociétés  bibliques  et  d'evangelisation,  5  sociétés  pour  les 
missions  parai  les  païens  et  les  juifs,  5  caisses  pour  les  pasteurs  émé- 
rites  et  les  veuves  de  pasteurs.  Sa  libéralité  est  bien  connue,  en  France 
surtout  où,  pour  les  «euvres  et  les  intérêts  les  plus  divers,  on  s'est  ha- 
bitue de  longue  date  à  compter  sur  elle.  Les  Eglises  d'Alsace  ont  plusieurs 
conférences  pastorales,  ainsi  qu'une  société  de  propagande  évangélique 
et  une  union  protestante  libérale  qui,  chaque  hiver,  organisent  des  confé- 
rences très-suivies  sur  des  sujets  d'ordre  religieux.  Parmi  les  organes 
de  la  presse  périodique,  nous  citerons  les  suivants  dont  les  titres  in- 
diquent suffisamment  la  tendance  :  Ehsess.  evangel.  Sonntagsblatt  (de- 
puis 1863),  le  Progrès  religieux  (depuis  1868),  Evangel.  luther.  Fric- 
densbote  (depuis  1871),  Evangel.  prot.  Kirchenbote  (depuis  1872).  — 
Sources,  outre  les  feuilles  ci-dessus  mentionnées  :  Recueil  officiel  des 
actes  du  consistoire  supérieur  et  du  directoire  de  l'Eglise  de  la  confess. 
d'Augsb.  en  France  (20  vol.),  et  Amtl.  Samnilg.   der  Acten  des  Ober- 
Cons.  u.  des  Direct,  der  K.  A.  C.  in  Els.-Lothr.,  qui  y  fait  suite;  Buob, 
Manuel  d'un  code  ccclés.  à  rasage  des  deux  Eglises  prot.  de  France,  P., 
1855:   E.   Lehr,   Dictionnaire  iï administrât .  eccl.,  P.,  1809;  Evangel. 
Kirchenkalender  fur  Elsas.-Lothr.,  herausgeg.  von  C.  Boegner,  !873, 
1875-1877,  2  vol.;  Archiv  der  Stras-sb.  Pastoral-Conferenz,   Strassb., 
1847-70,  0  vol.  ;  Beitrxge  zu  den  theol.  Wissenschaften,  herausgeg.  von 
Keuss  u.Cunitz,  Jena,  1851,0  vol.;  (Maeder),  Oie  protest.  Kirche  Frankr. 
1787-1840,  herausgeg.  von  Gieseler,  Leipz.,  1848,  2  vol.,  avec  de  nom- 
breux documents  et  pièces  à  Tappui  (il  s'en  trouve,  parmi  les  papiers 
du  vénérable  président  du  consistoire  réformé  de  Strasbourg,  mort  en 
1873,  un  grand  nombre  d'autres,  classés  et  annotés,  qui  offriraient  faci- 
lement les  matériaux  de  deux  autres  volumes)  ;  Kienlen,  Franzœs.  re- 
form.  u.  luther.  Kirche  im  19  /en  Jhh.,  dans  la  lleal-Encyclop.  de  Her- 
zog.,  IV,  p.  547  ss.;  enfin  des  articles  publiés  par  le  signataire  de  cet 
article  dans  la  Revue  ehrê tienne,  X,  p.  103  ss.;  XVI,  p.  471  ss.;  p.  559  ss.; 
XVII,  p.  232  ss.;  XXiï,  p.  1  ss.;  XXIll,  p.  042  ss. 

F.    LlCHTENBERGER. 

ALSTED  Jean-Henri),  théologien  réformé,  fut  professeur  de  philoso- 
phie el  de  théologie  à  Herborn,  puis  à  partir  de  1029  à  l'université 
récemmenl  fondée  de  Weissenburg  en  Transylvanie  ;  il  mourut  dans 
celte  ville  en  Î038.  11  avait  élé  envoyé  au  synode  de  Dordrecht  par 
l'Eglise  du  Nassau.  Parmi  les  nombreux  ouvrages  de  cet  écrivain  infa- 
tigable, nous  nous  contenterons  de  citer  son  Enct/clo/nvdia,  2  vol.,  Herb., 
1030,  iu-f",  réimprimée  a  Lyon  en  A  vol.  in-f°,  1649. 

ALTENSTEIN  Charles,  baron  de  Slein-Allenstein),' né  le  7  octobre 
1770  a  Ansbach,  dans  la  principauté  de  Bayreutb  qui  appartenait  alors  ;i 


220  ALTENSTEIN 

la  Prusse.  D'abord  conseiller  au  commissariat  des  guerres  et  des  domai- 
nes dans  sa  ville  natale,  appelé  en  1792  à  Berlin  par  le  prince  Harden- 
berg,  il  suivit  Frédéric-Guillaume  111  à  Kœnigsberg  après  la  catastrophe 
de  1806  et  reçut  en  1808  le  portefeuille  des  finances,  en  1813  il  fut 
nommé  gouverneur  de  la  Silésie,  en  1817  ministre  de  l'instruction 
publique.  Le  talent  supérieur  avec  lequel  il  dirigea  ce  département  dont 
il  était  le  premier  titulaire  (l'instruction  publique,  qui  avait  fait  jusqu'a- 
lors partie  du  ministère  de  l'intérieur,  fut  constituée  depuis  1817  en  un 
service  spécial  sous  le  nom  de  ministère  de  l'instruction,  des  affaires 
ecclésiastiques  et  médicales,  Ministerium  fur  die  g eist lichen ,  Unter- 
richts-und  Medicinalangelegenheilen)  lui  valut  l'estime  de  toutes  les  per- 
sonnes compétentes  ;  aujourd'hui  encore  sa  mémoire  est  entourée  de 
la  reconnaissance  universelle.  La  loi  de  1819,  qui  régla  tous  les  stades 
de  l'enseignement  depuis  l'école  primaire  jusqu'à  l'université  et  dont 
les  dispositions  les  plus  essentielles  sont  demeurées  jusqu'à  maintenant 
en  vigueur,  fortifia  le  principe  de  l'obligation  dont  un  siècle  de  pratique 
avait  démontré  l'excellence  (introduit  par  un  édit  de  Frédéric  Ier  en  1713)  ; 
son  adoption  fut  décrétée  pour  la  Westphalie  et  les  provinces  rhénanes 
malgré  l'opposition  du  clergé  catholique.  Si  grande  que  fût  à  cette 
époque  la  pénurie  du  trésor,  Altenstein  laissa  lors  de  sa  retraite 
120  gymnases  et  30,000  écoles  pour  .16  millions  d'habitants  environ.  Les 
universités  ne  furent  pas  traitées  avec  moins  de  sollicitude.  En  1809, 
Altenstein,  quoiqu'il  eût  le  portefeuille  des  finances,  avait  été  lors  de 
l'érection  de  l'université  de  Berlin  l'un  des  plus  dévoués  collabora- 
teurs de  G.  de  Humboldt  ;  le  18  octobre  1818  il  inaugura,  pour  les  pro- 
vinces nouvellement  réunies  à  la  Prusse,  l'université  de  Bonn.  En  fidèle 
disciple  de  Hegel,  il  donna  dans  les  programmes  académiques  la  place 
d'honneur  à  l'enseignement  de  la  philosophie,  appela  son  maître  à 
l'université  de  Berlin  et  l'investit  d'une  véritable  juridiction  sur  tout  le 
mouvement  intellectuel.  Dans  le  domaine  théologique  et  ecclésiastique, 
Altenstein  s'inspira  surtout  des  vues  de  Schleiermacher.  Parmi  les  pro- 
fesseurs éminents  nommés  sous  son  ministère ,  il  convient  de  citer  : 
Tholuck  à  Halle,  Liïckeet  Bleek  à  Bonn.  Gesenius  et  Wegschéider  furent 
maintenus  dans  leurs  charges  malgré  les  dénonciations  de  la  Gazette 
évangélique  (1830);  l'université  de  Berlin  fut  illustrée  par  l'enseigne- 
ment de  Schleiermacher,  de  Neander,  de  Marheinecke.  Altenstein  pré- 
sida, sans  être  libre  de  les  diriger  complètement  selon  ses  vues,  aux 
grands  événements  qui  dans  la  première  moitié  du  dix-neuvième  siècle 
s'accomplirent  au  sein  de  l'Eglise  protestante  de  Prusse  :  l'Union  (1817), 
l'Agende  (1822),  les  divers  essais  de  constitution.  Il  s'efforça  en  toute 
circonstance  de  faire  prévaloir  les  vues  progressives  de  Schleiermacher, 
mais  ne  put  triompher  des  préventions  de  Frédéric -Guillaume  III  et  du 
mauvais  vouloir  du  parti  féodal.  Il  aurait  désiré  entre  autres  pour  l'Eglise 
protestante  une  réelle  autonomie,  l'introduction  dans  son  intégrité  du 
régime  synodal.  L'Agende  lui  répugnait  à  cause  du  maintien  de  formules 
surannées  et  de  la  part  excessive  faite  à  l'élément  liturgique.  Dans  les 
controverses  qui  suivirent  et  qui  amenèrent  le  schisme  des' vieux-luthé- 
riens, Altenstein,  malgré  la  divergence  des  vues  dogmatiques,  plaida  la 


ALTENSTEIN  —  ALTING  22i 

cause  de  la  liberté  de  conscience  el  aurail  voulu  qu'on  procédai  contre 
les  communautés  dissidentes  avec  moins  de  rigueur.  Ses  relations  avec 
l'Eglise  romaine  fonl  moins  d'honneur  à  sa  perspicacité:  il  subit  tou- 
jours davantage  l'influence  d'un  de  ses  conseillers,  L'ultramontain 
Schmedding,  el  se  laissa  entraîner  par  un  amour  excessif  de  la  paix  à 
des  concessions  regrettables.  Il  réussit,  il  est  vrai,  après  le  congrès  de 
Vienne  à  empêcher  la  signature  d'un  concordat  entre  la  Prusse  et  le 
saint-siége  :  la  bulle  De  salule  animarum  (16  juillet  1821)  n'en  reconnut 
pas  moins  à  ce  dernier  des  privilèges  excessifs  pour  la  direction  des 
séminaires  et  la  nomination  des  évèques.  Le  conllit,  dit  des  mariages 
mixtes,  occupa  Altenstein  dès  son  entrée  au  ministère;  il  se  flatta  par 
ses  négociations  avec  l'archevêque  de  Cologne,  Spiegel,  et  le  pacte  du 
5  mai  1830,  de  lui  avoir  donné  une  solution  définitive,  mais  les  événe- 
ments ne  tardèrent  pas  à  lui  montrer  la  vanité  de  ses  espérances.  Une 
faute  plus  grave  encore  fut  commise  par  la  nomination  au  siège  vacant 
de  Cologne  du  baron  de  Droste-Vischering  (29  mai  1830);  le  nouvel 
élu  engagea  avec  le  cabinet  de  Berlin  une  guerre  violente  qui  ne  fut 
officiellement  terminée  que  par  son  arrestation  (20  novembre  1837). 
Les  professeurs  hermésiens  de  Bonn,  après  avoir  été  soutenus  par  le 
gouvernement  prussien,  furent  abandonnés  par  lui  à  la  vengeance  de  la 
curie  romaine  (1837).  Altenstein  mourut  le  14  mai  1840.  Tous  les 
contemporains  s'accordent  à  reconnaître  la  hauteur  de  ses  vues,  l'éten- 
due de  ses  connaissances,  son  absolu  dévouement  k  la  chose  publique , 
la  sûreté  et  l'agrément  de  son  commerce.  E.  Strœhlin. 

ALTHAMER(André)  [1498-1 564],  plus  connu  sous  le  nom  de  Brentius 
du  lieu  de  sa  naissance  dans  la  Souabe,  savant  philologue  et  théologien, 
embrassa  les  principes  de  la  Réforme  et  fut  appelé  en  1528  par  le  mar- 
grave George  de  Brandebourg,  dont  il  devint  le  conseiller  favori,  à  di- 
riger les  Eglises  protestantes  du  pays  d'Ansbach  et  de  Silésie.  Il  s'appli- 
qua principalement  à  l'exégèse  grammaticale  de  la  Bible  et  à  la  caté- 
chétique.  Nous  citerons,  parmi  ses  ouvrages,  son Diallage,siveconciliatio 
locorum  Scripturee,  qui  prima  facie  inter  se  pugnare  videntur,  Nuremb., 
1528,  sa  Sylva  biblicorum  nominum,  1530.,  dictionnaire  des  noms  pro- 
pres qui  se  trouvent  dans  la  Bible;  ses  Annotationes  in  S .  Jacobi Episto- 
l'uii  et  son  catéchisme,  intitulé  :  Dasist  Unterricht  zum  christl.  Glaicben, 
wie  man  die  Jugend  lehrenu.  ziehensoll,  in  Fragweis  u.  Antwort  gestellt. 
Item  etlidte  gemeine  Colleclen  od.  Gebete  fur  gemeines  Ànliegen  der  Chris- 
tenheit.  »  Niïr.  1528. 

ALTING  (Henri),  théologien  réformé,  naquit  en  1583  à  Embden  en 
Frise,  où  son  père  était  pasteur.  Après  avoir  fait  des  études  à  Gronin- 
gue  et  a  llerborn,  il  devint  le  précepteur  de  Frédéric,  prince  électoral 
palatin,  qu'il  accompagna  à  l'université  de  Sedan  et  plus  tard  en  Angle- 
terre. En  1613  il  devint  professeur  de  théologie  à  Heidelberg,  assista  au 
synode  de  Dordrecht,  dut  s'enfuir  de  Heidelberg  lors  du  siège  de  la  ville 
par  Tilly  en  S<»-2-2.  obi  in I  en  1(327  une  chaire  théologique  à  Groningue, 
el  mourut  en  celle  ville  en  1644.  Durant  une  vie  agitée,  il  avait  montré, 
non-seulemenl  un  grand  savoir,  mais  la  patience  et  le  courage  d'un 
chrétien.  Il  avait  écrit  beaucoup  de  livres,  mais  n'en  avait   publie  qu'un 


m  ALTING  -  AMALÉGITES 

seul,  en  1618,  sur  quelques  opinions  du  théosophe  allemand  Jacques 
Bœhme.  Ses  autres  ouvrages  ne  parurent  qu'après  sa  mort,  parles  soins 
de  son  fils  Jacques,  professeur  de  théologie  à  Groningue,  mort  en  1(597. 
Les  œuvres  du  père,  3  vol.  in-f°,  1662,  contiennent  sous  le  titre  de 
Loci  communes  une  dogmatique,  desproblematica  theologica,  et  une  expli- 
cation du  catéchisme  de  Heidelberg.  En  1701  on  publia  sa  Historia  ec- 
clesise  palatinœ,  et  en  1841  son  Katecketischen  Unterricht  des  Pfalzgrafen 
Friedrich  (éd.  Lewald,  Heidelb.),  qui  n'est  pas  le  moins  intéressant  de 
ses  écrits.  Ceux  de  son  fils  Jacques,  qui  était  savant  en  hébreu  et  qui 
avait  étudié  les  rabbins,  remplissent  5  vol.  in-f°,  Amsterdam,  1687.  — 
V.  les  articles  de  Bayle  dans  son  dictionnaire. 

ALYPE  (Saint),  compatriote,  disciple  et  ami  de  saint  Augustin,  pas- 
sionné comme  lui  pour  les  plaisirs  du  monde  et  particulièrement  pour  les 
jeux  du  cirque,  mais  intègre  et  loyal,  s'attacha  à  son  maître  avec  une  in- 
violable fidélité,  le  suivit  dans  ses  pérégrinations,  partagea  ses  doutes  et 
ses  erreurs,  reçut  le  baptême  en  même  temps  que  lui  dans  l'église  de 
Milan  par  les  mains  d'Ambroise  et  l'accompagna,  avec  Nébride,  dans  sa 
retraite  à  Tagaste.  Il  fut  nommé  évêque  de  cette  ville  en  394.  Le  mar- 
tyrologe romain  fait  mention  de  lui  au  13  août.  —  Voy.  saint  Augustin, 
Confess.,  "VI,  7-10;  IX,  6  etpassim  ■;  Fpist.  22-25. 

ÂMALAÎRE  (Amalarius).  Ce  qu'on  sait  de  sa  vie  est  incomplet  et  in- 
certain ;  il  fut  prêtre  dans  le  diocèse  de  Metz,  et  mourut  vers  837.  En 
816  il  écrivit,  sur  l'ordre  de  Louis  le  Débonnaire,  un  Liber  vitse  clerico- 
rum,  composé  de  passages  des  Pères  sur  les  devoirs  du  clergé.  Ses 
ouvrages  principaux  sont  consacrés  à  la  liturgie  ;  ils  sont  très-utiles 
pour  la  connaissance  du  culte  au  commencement  du  neuvième  siècle. 
Pour  les  composer,  Amalaire  avait  fait  des  voyages  à  Tours,  au  cou- 
vent de  Gorbie  et  même  à  Rome  ;  il  avait  recueilli  des  informations  et 
comparé  des  manuscrits.  Ses  quatre  livres  de ecclesiasticis  offïciis,  dédiés 
à  l'empereur,  contiennent  une  description  de  tout  ce  qui  se  rapportait 
au  culte,  des  offices  depuis  le  dimanche  de  la  Septuagésime  jusqu'à  la  Pen- 
tecôte, des  divers  grades  de  la  hiérarchie  et  des  vêtements  sacerdotaux, 
de  la  messe  et  du  chant  des  heures.  L'ouvrage  se  distingue  par  le  soin 
avec  lequel  Amalaire  s'efforce  de  rechercher  les  origines  des  choses 
liturgiques  ;  mais  son  interprétation  allégorique  lui  fit  commettre  des 
erreurs,  dont  quelques-unes  furent  déjà  remarquées  par  ses  contempo- 
rains. Dans  le  traité  de  ordine  antiphonarii  il  blâme,  sans  raison,  la 
réforme  du  chant  ecclésiastique  proposée  par  Agobard.  Ses  Eclogse  de 
officio  missœ  sont  une  explication  mystique  de  la  messe.  Le  Liber  vitse 
clericorum  est  imprimé  dans  les  collections  des  conciles  de  Sirmond,  de 
Labbe,  etc.;  les  Èclogx,  dans  les  Capitularia  deBaluze,  t.  II,  p.  1352  ss.; 
les  deux  autres  ouvrages  liturgiques  chez  Hittorf,  Collatio  scriptorum  de 
divinis  o/ficiis,  Col.  1568,  in-f",  et  dans  la  Bibl.  PP.  Max.,  t.  XIV.  — 
V.  Hist.  litl.  de  la  France,  t.  IV,  p.  531  ss. 

AMALÉCÎTES.  Tribu  de  bédouins  qui  habitait  le  pays  situé  entre  la 
mer  Morte,  l'Egypte  et  l'Arabie  Pétrée  (Nomb.  XIII,  29;  1  Sam. 
XXVII,  8;  Eusèbe;  Jos.,  Anl.,  II,  1,  2;  III,  2,  1),  et  sans  doute  aupara- 
ravant  jusque  dans  la  montagne  d'Ephraïm  (Juges  V,  14;  XII,  15).  La 


AMALÉCITES  223 

Bible  connaît  deux  traditions  différentes  à  Lems  sujet  :  ils  sont  établis 
ail  sud-ouest  «le  la  mer  Morte  au  temps  <r.\l>rahain  (Gen.  XIV,  7),  ot 
l'oracle  de  Balaam  les  appelle  les  «  princes  des  nations;  »  au  contraire. 
Gen.  \\\YI,  Là,  Kl  (cf.  i  Chron.  [,  3(>)  Amalek  est  le  pelil-fils  d'Esaii.  11 
faut  remarquer  cependant  que  sa  mère,  Timna  (l'Escarpée),  est  une 
Horite,  et  qu'ainsi  Amalek  pourrait  peut-être  se  rattacher  par  elle  aux 
populations  primitives  de  la  Palestine.  Amalek  se  trouve  également 
associé  à  un  autre  nom  sous  lequel  on  serait  tenté  de  reconnaîtra  les 
Adites,  une  des  tribus  qui  ont  joué  le  plus  grand  rôle  dans  l'histoire  des 
Arabes  primitifs.  Une  des  femmes  d'Esaii,  grand-père  d'Amalek,  s'ap- 
pelle Adah  (Gen.  XXXVI,  12);  clans  un  passage  même  (v.  16),  les  Ama- 
lécites  sont  appelés  les  Benè-Adah.  Or,  d'après  la  tradition  arabe,  Ad, 
père  des  Adites,  était  fils  d' Amalek  et  petit-fils  de  Cham.  11  est  difficile 
de  méconnaître,  entre  ces  deux  séries  de  faits,  une  certaine  parenté. 
Nous  croyons  en  trouver  la  confirmation  dans  la  prophétie  de  Balaam 
qui  concerne  Amalek.  En  effet,  le  second  vers  en  est  obscur  à  cause  du 
mot  Adi  dont  on  ne  sait  que  faire;  il  devient  clair  au  contraire  si  on 
y  voit  un  nom  propre  et  si  Ton  traduit  :  Amalek  est  le  prince  des  na- 
tions, mais  sa  postérité,  Ad,  sera  anéantie.  —  Les  Amalécites  étaient 
Les  ennemis  jures  d'Israël  :  «  guerre  de  Jéhovah  contre  Amalek,  de 
génération  en  génération,  »  disait  un  vieux  proverbe.  L'Exode  raconte 
que,  lors  de  l'invasion  des  Hébreux,  ils  furent  battus  par  Moïse  à  Raphi- 
dim  :  cette  victoire  fut  consignée  par  écrit,  et  un  monument  élevé  pour 
en  perpétuer  le  souvenir  (Ex.  XVIÏI,  8-16;  comp.  Deut.  XXV,  17-19). 
Du  temps  des  Juges,  on  les  voit  s'allier  successivement  à  tous  les  enne- 
mis des  Hébreux,  aux  Ammonites  (Juges  III,  13),  aux  Madianites  et  aux 
Benê-Kedem  (Juges  VI,  3  ;  VII,  12)  ;  les  Israélites  trouvèrent  des  défen- 
seurs dans  Gédéon,  Saùl  et  David  dont  les  exploits  contre  les  Amalécites 
sont  restés  populaires.  Ce  n'étaient  toutefois,  de  part  et  d'autre,  que 
des  guerres  d'embuscades  et  de  surprises  (1  Sam.  XV,  5;  XXVII,  8; 
XXX,  1-18)  ;  mais,  dès  que  le  pouvoir  fut  consolidé  entre  les  mains  de 
David,  les  Amalécites  disparurent  (2  Sam.  VIII,  12).  Leurs  derniers  dé- 
bris furent  anéantis  par  la  tribu  de  Siméon  sous  Ezéchias  (1  Chron. 
IV,  43).  Cette  disparition  si  prompte  tient  à  deux  causes  :  les  Amalécites 
étaient  déjà  un  peuple  vieux  lors  de  l'invasion  des  Hébreux  ;  et  puis, 
ils  paraissent  ne  jamais  avoir  eu  d'organisation  sociale  ;  ce  n'étaient 
que  des  hordes  nomades  (gedoud);  ils  arrivaient  montés  sur  des  cha- 
meaux, avec  leurs  troupeaux  et  leurs  tentes,  et  disparaissaient  empor- 
tant tout  sur  leur  passage.  Il  n'est  question  qu'une  fois  d'une  ville 
d'Amalek  d  Sam.  XV,  a).  A  diverses  reprises,  on  rencontre  de  leurs 
rois  portant  le  nom  d  Agag  ;  on  a  même  pensé  que  c'était  un  titre  hono- 
rifique, pourtant  cela  est  douteux.  Les  Arabes  en  parlent  comme  d'une 
tribu  encore  puissante  au  temps  de  Nebucadnetzar;  mais  ce  renseigne- 
ment, comme  toutes  leurs  légendes  sur  les  patriarches,  est  fort  sujet 
à  caution.  -  Voyez  :  d'ilerbelot,  Bibl.  or.  s.  v.  Amlak;  Aboulféda,  Ilist. 
ùl.,\).  lTSss.;  Micûaelis,  SpiciL,  I,  170.  J.  van  Iperon.  Hist,  crit  Edom. 
et  Amelacitarum ,  Leovarden,  17(>8:  Noeldeke,  Uebcr' dia  Amalekiter , 
Gœtt.,  1864,  in-8°.  i>h.  Bkrc 


224  AMAN  —  AMAURY 

AMAN  [Ha  m  an],  premier  ministre  du  roi  de  Perse  Assuérus.  Le 
livre  d'Esther  (III,  10  ss.)  l'accuse  d'avoir  voulu  faire  périr  tous  les 
Juifs  de  l'empire  persan  par  haine  contre  Mardochée  ;  arrêté  dans  ce 
projet  par  la  reine,  il  serait  tombé  en  disgrâce  auprès  du  roi  qui  l'aurait 
fait  périr  (Esth.  VII,  10).  —Voyez  Esther. 

AMAND  (Saint),  Amandus,  un  des  missionnaires  chrétiens  du  sep- 
tième siècle,  était  originaire  d'une  ancienne  famille  romaine  de  l'Aqui- 
taine. Il  entra  de  bonne  heure  au  service  de  l'Eglise  ;  ardent  et  coura- 
geux, il  se  consacra  à  la  conversion  des  païens.  On  dit  qu'il  prêcha 
l'Evangile  aux  populations  basques  des  Pyrénées  et  aux  Slaves  des  bords 
du  Danube.  Son  principal  champ  d'activité  fut  l'ancien  pays  des 
Francs,  le  long  de  la  Meuse  et  de  l'Escaut.  Les  Francs,  établis  dans  la 
Gaule,  tout  en  étant  devenus  chrétiens,  semblaient  avoir  oublié  que 
beaucoup  de  leurs  contemporains  étaient  encore  païens.  A  partir  de 
626  on  trouve  Amand  aux  environs  de  Gand,  luttant  contre  les  diffi- 
cultés que  lui  opposaient  la  superstition  et  la  haine  du  peuple  ;  enfin  il 
convertit  un  homme  riche,  Bavon,  avec  l'aide  duquel  il  put  établir  deux 
couvents, Blandinium  (Blandigny)  eXGandavum  (plus  tard  Saint-Bavon). 
Ces  deux  maisons  et  une  troisième,  Elnon,  près  de  Tournay  (plus 
tard  Saint- Amand),  devinrent  dès  lors  le  centre  de  sa  mission.  De 
647  à  649  il  fut  évêque  de  Maestricht,  mais,  ne  réussissant  pas  à  disci- 
pliner ses  prêtres  grossiers  et  incultes,  il  reprit  son  œuvre  parmi  les 
païens  de  la  contrée.  Il  passa  ses  dernières  années  au  couvent  d'Elnon. 
La  date  de  sa  mort  est  incertaine  ;  un  de  ses  anciens  biographes  la  place 
en  661.  La  légende  lui  attribue  une  foule  de  miracles. 

AMASA  [cAmâsâ,  'A^saaat],  fils  d'Abigaïl,  sœur  de  David,  et  d'un 
certain  Jithra  ou  Jether,  commanda  l'armée  envoyée  par  Absalom 
contre  son  père  et  essuya  une  défaite  complète  ;  gracié  par  David,  il 
remplaça  Joab  à  la  tête  de  l'armée  et  reçut  la  mort  de  sa  main 
(2  Sam.  XVII,  15  ss.,  25  ;  XVIII;  XIX,  13;  XX,  4  ss.,  8  ss.). 

AMASIAS  ['Amaçyâh,  'A^scaCaç,  'A^actaç],  roi  de  Juda,  fils  et 
successeur  de  Joas  (838-809  avant  J.-C),  fit  le  procès  aux  meurtriers 
de  son  père  (2  Rois  XIV,  5  ss.),  défit  les  Edomites,  qui  avaient  récem- 
ment secoué  le  joug  du  royaume  de  Juda  (2  Rois  XIV,  7),  attaqua  le  roi 
Joas  d'Israël,  éprouva  une  défaite  complète  et  fut  fait  prisonnier  :  Jéru- 
salem fut  prise,  ses  murailles  démolies  en  partie  et  ses  trésors  pillés. 
Amasias,  remis  en  liberté,  régna  pendant  quinze  ans  après  la  mort  de 
Joas  d'Israël  et  mourut  assassiné  (2  Rois  XtV,  17). 

AMAURY,  natif  de  Bène,  près  de  Chartres,  enseigna  la  philosophie, 
puis  la  théologie  à  l'université  de  Paris.  Sa  thèse,  que  «  tout  chrétien 
est  tenu  de  croire  qu'il  est  membre  de  Christ  et  qu'il  a  souffert  réelle- 
ment avec  Christ  le  supplice  de  la  croix,  »  ayant  été  censurée  par 
l'université  et  condamnée  par  le  pape  en  1204,  Amaury  la  rétracta, 
mais  mourut  de  chagrin  bientôt  après,  sans  laisser  d'ouvrages.  Son 
système  a  été  un  panthéisme  semblable  à  celui  de  Scot  Erigène,  dont 
Amaury  a  visiblement  subi  l'influence.  Dieu,  selon  lui,  est  l'être  infini 
qui  se  manifeste  à  lui-même  en  revêtant  les  formes  des  créatures. 
Essence  absolue  de  tout  ce  qui  existe,  il  est  encore  le  principe  formel 


AMAURY  225 

du  monde  en  tant  qu'il  est  l'intelligence  qui  conçoit  et  réalisé  les  types 
éternels  dos  choses.  Toutes  les  créatures  sont  émanées  de  Dieu  et 
doivent  rentrer  dans  l'unité  divine.  L'àme  remonte  en  Dieu  par  la  con- 
templation et  L'amour;  «  elle  perd  alors  son  propre  être  et  reçoit  l'être 
de  Dieu  :  désormais  elle  n'est  plus  une  créature  ;  elle  ne  voit  plus, 
n'aime  pins  Dieu:  elle  est  Dieu  même,  l'objet  de  toute  contemplation 
et  de  tout  amour.  »  La  thèse  incriminée  présente  eette  même  idée 
sous  la  forme  biblique  de  l'union  de  l'Ame  avec  Christ,  empruntée  à 
1  Cor.  XII,  27,  et  exprimée  sous  une  forme  paradoxale.  —  La  doctrine 
d'Amaurv  s'était  répandue  dans  le  peuple.  De  ces  principes  métaphy- 
siques les  amalriciens  déduisirent  bientôt,  pour  les  appliquer  dans  la 
vit4  pratique,  des  conséquences  morales  qui  étaient  restées  bien  loin  de 
l'esprit  idéaliste  d'Amaury  :  «  L'homme  en  qui  habite  le  Saint-Esprit 
ne  pèche  plus  ;  il  peut  impunément  commettre  tous  les  péchés,  car 
c'esl  l'Esprit  même  de  Dieu  qui  agit  par  lui.  »  Pour  justifier  cette 
doctrine,  ils  la  présentèrent  comme  une  nouvelle  et  dernière  révéla- 
tion de  Dieu  aux  hommes,  en  adoptant  les  idées  apocalyptiques  de 
Joachim  de  Flore  :  «  Le  Père  s'est  manifesté  dans  l'Ancien  Testament 
sous  la  forme  des  lois  mosaïques  ;  le  Fils  s'est  manifesté  dans  le  Nou- 
veau Testament  sous  la  forme  des  sacrements  ;  le  Saint-Esprit  se  mani- 
festera à  son  tour  et  abolira  les  rites  évangéliques  comme  Jésus  a  aboli 
les  lois  de  Moïse.  »  Aussi  les  sectaires,  s'attribuant  la  mission  de  pré- 
parer l'avènement  du  règne  du  Christ,  commencé  déjà  dans  leur  secte, 
condamnèrent  l'usage  des  sacrements  et  la  participation  aux  cérémo- 
nies du  culte.  Selon  eux,  la  résurrection  des  morts  devait  inaugurer 
l'ère  nouvelle,  et  ils  entendaient  par  ce  mot  la  diffusion  du  Saint-Esprit 
dans  les  cœurs  des  fidèles,  assurant  qu'eux-mêmes  étaient  ressuscites. 
Ils  annonçaient  que  de  grandes  calamités  précéderaient  cette  résurrec- 
tion :  «  Dieu  visitera  les  peuples,  les  princes  et  surtout  les  prélats  par 
toutes  sortes  de  fléaux.  Le  pape  est  l'Antéchrist,  Rome  la  Babylone 
d'impureté.  Finalement  tous  les  royaumes  de  la  terre  seront  soumis 
au  roi  de  France,  »  chef  visible  de  cette  théocratie  de  l'Esprit.  En  1209 
la  secte  avait  envahi  les  diocèses  de  Paris,  de  Langres,  de  Troyes  et  de 
Sens.  Elle  était  composée  de  clercs  et  de  laïques  et  paraît  avoir  possédé 
une  certaine  organisation  intérieure  :  il  est  du  moins  fait  mention  de 
réunions  religieuses  dans  lesquelles  la  description  de  ravissements 
colotcs  était  accueillie  avec  faveur,  et  de  l'institution  de  sept  prophètes, 
organes  spéciaux  du  Saint-Esprit.  La  propagande  trop  zélée  de  l'un  de 
ces  prophètes  révéla  l'existence  de  la  secte  à  l'archevêque  de  Paris.  Le 
synode  de  Paris  de  l'an  1209  condamna  dix  des  hérétiques,  dont  neuf 
clercs,  a  la  peine  du  bûcher.  L'un  d'eux,  avant  de  mourir,  affirma  «  que 
nul  incendie,  nul  supplice  ne  pouvait  l'affecter,  parce  qu'il  était  Dieu, 
en  lanl  qu'il  possédait  l'existence.  »  Le  même  synode  flétrit  la  mé- 
moire (1  Amaury,  ei  ordonna  que  son  corps  fût  extrait  du  cimetière  où 
il  reposait,  ei  enseveli  dans  une  terre  non  consacrée.  —  Voyez  :  En- 
gelhardt,  Amalrich  v.  Bena,  dans  ses  Kirchengesch.,  Abhandlungen, 
Erl.,  1832,  j>.  -2.')1  :  Hahn,  Amalrich  v.  Bena,  dans  les  Theol.  Stud.  u. 
Krit.,  1846,  I,  p.  1  Si  ;  Knenlein,  Amalrich  v.  Bena  u.  David  v.  Dînant, 


226  AMAURY  -  AMBOISE 

IàùL,  1847,  Iï,  p.  271;  Hauréau,  De  la  plril.  scolast.,  1,  p.  391;  et  mon 
Hist.  du  panthéisme  popul.,  etc.,  p.  20.  A.  Jundt. 

AMBOISE  (Conjuration  a").  Les  protestants  français  avaient,  sous  les 
règnes  de  François  Ier,  de  Henri  II,  et  durant  la  première  partie  de 
celui  de  François  II,  traversé  la  phase  du  martyre  :  uniquement 
préoccupés  du  soin  d'affirmer  leur  foi  et  d'en  démontrer  la  sainteté, 
dans  les  cachots  et  au  milieu  des  bûchers  et  des  tortures,  ils  avaient 
héroïquement  affronté  la  mort,  sans  qu'une  seule  fois  l'idée  leur  fût 
venue  de  s'abriter  sous  l'égide  d'un  principe  de  droit  public  supérieur 
aux  lois,  aux  juges  et  aux  bourreaux  qui  les  frappaient  impitoyable- 
ment. Le  jour  vint  où  un  homme  de  foi  et  de  haute  intelligence, 
Coligny,  voulut  inaugurer  pour  eux  une  phase  nouvelle,  celle  de  la 
revendication  pacifique,  mais  ferme,  du  principe  de  la  liberté  de 
conscience  et  de  culte,  consacré  par  les  enseignements  de  Jésus- 
Christ.  Dans  une  mémorable  conférence  tenue  à  La  Ferté-sous- 
Jouarre,  où  la  question  religieuse  dominait  la  question  politique,  il 
soutint  énergiquement  la  nécessité  de  ne  recourir  qu'à  la  seule  force 
morale  et  qu'aux  voies  de  la  légalité,  tant  pour  affranchir  d'un  pouvoir 
tyrannique  la  France  et  une  royauté  débile,  que  pour  fonder  le  régime 
de  la  liberté  religieuse,  Des  esprits  impatients  et  aventureux,  substi- 
tuant au  droit  strict  la  force,  l'emportèrent  sur  l'opinion  émise  par 
Coligny.  L'amiral  se  retira,  en  déclinant  d'avance  toute  responsabilité 
quant  aux  mesures  agressives  qui  seraient  adoptées,  et  inébranlable- 
ment  résolu  à  poursuivre  pacifiquement  la  consécration  légale  et 
l'application  de  la  plus  précieuse  des  libertés  publiques  à  conquérir. 
L'opinion  qui  avait  prévalu  dans  la  conférence  de  La  Ferté  conduisit  au 
tumulte  d'Amboise.  S'il  n'est  pas  possible  de  retracer  ici  les  nombreux 
détails  qui  se  rattachent  à  la  conception  et  à  l'exécution  de  ce  complot, 
il  est  opportun  du  moins  de  lui  restituer  son  véritable  caractère,  que 
la  partialité  de  certains  narrateurs  a  sciemment  altéré.  Ce  fut,  ainsi 
qu'un  pieux  écrivain  (M.  Lutteroth,  Hist.  de  la  Ré  for  m.  en  Fr.,  p.  191) 
l'a  judicieusement  qualifié,  un  complot  d'honnêtes  gens.  En  effet,  il  fui 
l'œuvre,  non  de  vulgaires  conjurés,  animés  de  viles  passions,  mais 
d'hommes,  généralement  recommandables ,  qu'exaspéraient,  d'une 
part,  la  longue  série  de  supplices  infligés  à  d'innocentes  victimes,  et, 
de  l'autre,  l'asservissement  de  la  royauté  par  les  Guises.  Ces  hommes 
aspiraient,  comme  protestants,  à  l'anéantissement  d'un  régime  de 
compression  religieuse,  comme  Français  et  royalistes,  au  renversement 
des  tyrans  de  la  nation  et  des  dominateurs  de  la  royauté.  Munis  de 
l'avis,  combattu  d'ailleurs  par  Calvin,  de  plusieurs  théologiens  et  ju- 
risconsultes, ils  se  décidèrent  à  une  prise  d'armes,  légitimée,  à  leurs 
yeux  de  même  qu'à  ceux  de  leurs  conseils,  par  la  direction  que  leur 
imprimerait  un  prince  du  sang.  Deux  chefs  leur  étaient  nécessaires, 
l'un  apparent,  l'autre  secret,  jusqu'au  moment  où  les  circonstances 
exigeraient  la  révélation  de  sa  personnalité  prépondérante.  Le  premier 
fut  un  gentilhomme  d'ancienne  maison,  Godefroy  de  Barry,  seigneur  de 
La  Renaudie  ;  le  second,  le  prince  de  Condé.  Tandis  que  celui-ci  demeurait 
intentionnellement  dans  l'ombre  et  à  l'état  de  chef  muet,  La  Renaudie, 


A. M  BOISE  227 

doue''  d'habileté,  d'intrépidité;  ée  persévérance,  recruta  des  partisans  et 
leur  assigna,  à  Nantes,  pour  le  l<r  février  ir>60,  un  rendez-vous  auquel 
ils  vinrent  exactement.  Là,  protestant  de  son  respect  et  de  son  dévoue- 
ment pour  le  roi  et  la  famille  royale,  «  il  harangua  les  assistants, 
nieslanl  les  raisons  et  tes  passions  de  si  bonne  grâce,  qu'il  tira  d'eux 
un  sonnent  solennel.  Ils  advisèrent  qu'il  falloit  commencer  par  une 
requeste  qu'il  ferai  présenter  par  personnes  simples  et  sans  armes,  sur 
le  refus  de  laquelle  ils  espéroient  se  saisir  de  ceux  de  Guise  dedans 
Hlois.  se  prostèrnet  aux  pieds  du  roi,  et  de  là  déclarer  le  prince  pour 
leur  chef  si  administrateur  du  royaume.  Après  ils  firent  eslection  de 
ceux  qui  dévoient  rallier  les  forces  de  divers  endroicts  »  (d'Aubigné, 
///'st.  Btfittr.,  liv.  H,  chap.  XV).  Quelque  limitée  que  soit  la  présente  notice, 
uniquement  destinée  à  caractériser  le  tumulte  d'Amboise,  sans  en 
exposer  les  péripéties,  elle  ne  peut  pas  cependant  taire  les  motifs  qui, 
fondés  ou  non,  déterminèrent  une  prise  d'armes.  Les  voici  tels  que  l'un 
des  principaux  acteurs  de  ce  drame,  le  loyal  baron  de  Gastelnau,  les 
signala  au  duc  de  Nemours  :  «  Ni  lui,  ni  ses  associés  ne  vouloient 
attenter  aucune  chose  contre  la  majesté  du  roy  :  mais  au  contraire  ils 
es  love ni  armez  pour  maintenir  sa  personne  et  la  police  de  son 
royaume.  Ils  vouloient  remonstrer  à  Sa  Majesté  les  machinations  et 
délibérations  secrètes  de  ceux  de  Guyse  contre  sa  grandeur,  leur  vio- 
lence manifeste  contre  les  subjects,  l'oppression  faite  par  eux  contre  sa 
justice  de  ses  estats,  des  lois  et  coustumes  de  son  royaume.  En  telle 
nécessité,  ils  vouloient  entretenir  le  nom  de  fidèles  subjects  qu'ils 
avoient  acquis  de  si  longtemps,  et  pour  autant  qu'ils  se  sentoient 
obligez  de  faire  ce  qui  est  oit  nécessaire  pour  la  conservation  de  leur 
prince.  Leurs  armes  ne  s'adressoient  aucunement  contre  le  roy,  mais 
contre  lesdicls  de  Guyse,  qui  leur  estoient  ennemys,  lesquelz  empes- 
choient  avec  violence  que  aucun  eust  accès  au  roy,  sinon  ceux  qu'il 
leur  plaisoit.  Ils  s'estoient  donc  armez,  afin  que  si  besoing  estoit,  ils 
peussenl,  malgré  lesdicls  de  Guyse,  se  faire  voye  jusques  à  la  majesté 
du  roy,  là  où  estans,  ils  scavoient  bien  l'honneur  et  la  révérence  qu'ils 
luv  devoyent  porter  »  (le  prés,  de  Laplace,  Comment.,  in-f°,  52).  Ces 
paroles  concordent  avec  un  passage  remarquable  d'un  mémoire  rédigé, 
en  159i,  par  Th.  de  Bèze,  sur  les  guerres  de  religion  {Bull,  de  la  Soc. 
d'hlst .  du  prote$t:  f)\,  ann.  1872,  p.  31).  Les  Guises,  auxquels  le  com- 
plot avait  été  secrètement  dénoncé,  organisèrent  les  moyens  de  le 
déjouer.  Ils  conduisirent  le  roi  de  Blois  à  Amboise,  où  eux  et  lui 
sciaient  plus  en  sûreté,  et  ils  concentrèrent  des  troupes  sur  divers 
points.  Voulant  réduire  à  l'impossibilité  d'agir  les  trois  personnages 
(jn  ils  redoutaient  le  plus,  Goligny,  Dandelot  et  Gondé,  ils  les  firent 
appeler  officiellement  a  Amboise.  Tous  trois  s'y  rendirent;  les  deux 
premiers,  sans  défiance,  forts  qu'ils  étaient  de  la  netteté  de  leurs  sentir 
ments  <■!  de  leurs  vues:  le  dernier,  avec  une  témérité  qui  équivalail  à 
L'abdication  de  son  rôle  de  chef  ultérieur  de  l'action,  en  temps  voulu; 
abdication  qui  compromil  gravement  le  succès  de  l'entreprise,  fidèle 
à  sa  résolution  de  ne  demander  qu'a  la  force  morale  la  consécration  de 
toute  mesure  tendant,  soit  à  établir  la  liberté  religieuse,  soit  au  moins 


228  AMBOISE  —  AMBON 

à  en  préparer  les  bases,  par  la  répudiation  immédiate  du  régime  de 
l'intolérance,  l'amiral,  en  pleine  cour,  «  donna  le  conseil  d'apaiser  la 
multitude  qu'on  craignoit  par  quelque  édict  qui  suspendit  la  persécu- 
tion des  réformez.  Cet  édict  fut  faict  »  [d'Aubignè,  liv.  Il,  ch.  XV). 
Informé  de  la  découverte  du  complot,  La  Renaudie,  sans  se  décourager, 
marcha  avec  les  siens  sur  Amboise.  Le  succès  échappa  à  ses  efforts  :  il 
périt  en  combattant.  La  plupart  de  ses  partisans  furent  massacrés; 
d'odieuses  exécutions,  commandées  par  les  Guises  et  accomplies  sous 
leurs  yeux,  ensanglantèrent  le  château  d 'Amboise  et  ses  alentours.  Le 
souvenir  de  toutes  les  lâches  atrocités  commises  en  cette  circonstance 
pèsera  à  jamais,  de  tout  le  poids  du  déshonneur,  sur  le  nom  de  ces 
néfastes  Lorrains,  hostiles  à  la  liberté  religieuse,  à  la  France  et  à  la 
royauté,  dont  les  passions  dominantes  furent  l'ambition,  la  haine  et  la 
soif  de  vengeance.  —  Voyez  sur  le  tumulte  d' Amboise  :  1°  Régnier  de 
Laplanche,  Hist.  de  V Estât  de  France,  éd.  de  1576,  p.  125  à  135  et  155 
à  254;  2°  le  prés,  de  Laplace,  Comment,  de  V est.  de  la  relig.,  etc.,  éd.  de 
1565,  fo  49  à  58;  3°  Th.  de  Bèze,  Hist.  eccl.^éd.  de  1580,  t.  I,  p.  249  à 
273;  4°  Grespin,  Hist.  des  Martyrs,  éd.  de  1608,  p.  516  à  520;  5°  Galvin, 
Corresp.  lat.,  1560-1561,  et  Corresp.  franc.,  t.  II,  p.  382  à  391  ;  6°  La  Po- 
pelinière,  ffist.,  éd.  de  1581,  t.  I,  f°  162  ss.;  7°  d'Aubignè,  Hist.  vniv., 
éd.  de  1616,  p.  91  à  95;  8°  Mém.  de  Condé,  éd.  de  1743,  t.  1,  p  320  à 
334 ;  9°  de  Thou,  Hist.  unie,  éd.  fr.  de  1740,  t.  II,  p.  753  à 788  ;  10°  Mém. 
de  Michel  Castelnau,  éd.  de  1731,  t.  I,  liv.  I,  ch.  VIII,  IX,  X,  XI;  11»  art, 
de  M.  Mignet,  dans  le  Journal  des  Savants,  ann.  1857,  p.  412  à  423  et 
469  à  481  ;  12°  H.  Lutteroth,  La  Réform.  en  Fr.,  1859,  p.  188  à  200; 
13°  Puaux,  Hist.  de  la  Réf.  fr.,  1859,  t.  Il,  p.  24  à  36.       J.  Delaborde. 

AMBOISE  (Françoise  d'),  fille  de  Jacques  d' Amboise,  seigneur  de 
Bussy  et  de  Resnel,  et  d'Antoinette  d' Amboise.  Du  mariage  de  Françoise 
avec  René  de  Glermont,  seigneur  de  Saint- Georges,  naquirent  Antoine 
l'aîné,  marquis  de  Resnel,  et  Antoine  le  jeune,  dit  le  moine  de  Bussy. 
D'une  seconde  union,  contractée  avec  Charles  de  Groy,  comte  de 
Seninghen  et  de  Porcien,  Françoise  n'eut  qu'un  enfant,  Antoine  de 
Croy,  prince  de  Porcien  (voy.  cet  article).  La  comtesse  de  Seninghen 
fut,  à  l'instigation  d'Anne  de  Montmorency,  poursuivie  au  criminel, 
comme  ayant  favorisé  l'évasion  de  son  cousin  le  duc  d'Arschot,  prison- 
nier de  guerre.  La  poursuite  tourna  à  la  confusion  du  connétable.  En 
1558,  la  comtesse,  haut  placée  à  la  cour,  y  fit  une  profession  ouverte 
de  protestantisme  qu'elle  soutint  avec  persévérance.  En  1561,  notam- 
ment, on  la  vit  ouvrir,  à  Paris,  l'accès  de  son  hôtel  à  une  assemblée 
religieuse  «  qui  fut  faite,  la  veille  de  la  Toussaint,  devant  les  yeux  de 
tout  le  monde,  et  remparée  de  la  présence  du  prévost  des  mareschaux 
et  de  leurs  archers,  pour  empescher  qu'il  n'y  eust  émotion  du  peuple  » 
(OEuvr.  d'Est.  Pasquier,  t.  II,  p.  87).  Cette  assemblée  fraya  la  voie  aux 
prédications  qui,  bientôt  après,  se  firent  au  Patriarche  et  à  Popincourt. 
—  Il  existe  quelques  lettres  de  Françoise  d'Amboise  à  laBibl.  nat.,  f.  fr. 
Vol.  3196  à  3632. 

AMBON  [de  àyiwv  (éminence),  ambio  (j'entoure),  ou  ambo  (deux)], 
meuble  élevé  placé  dans  le  chœur  des  anciennes  basiliques  chrétiennes. 


AMBON  —  AMBROISE  229 

Les  ambons,  ambçnes,  étaient  ordinairement  au  nombre  de  doux, 
disposés  l'un  en  face  de  L'autre  :  celui  de  droite  (au  sud)  avait  la 
tonne  d'un  pupitre  ou  lutrin  de  forme  carrée,  auquel  on  montait  par 
un  seul  escalier  et  d'en  les  diacres  lisaient  l'épître  et  les  livres  des 
prophètes;  celui  de  gauche  (au  nord),  plus  élevé,  était  une  sorte  de 
tribune  ou  chaire,  de  forme  polygonale,  accessible  par  un  double 
escalier,  cl  servait  à  la  lecture  de  l'évangile  et  aux  prédications.  Près  de 
lui,  sur  l'un  des  piédestaux  de  la  balustrade,  se  dressait  un  petit  pilier 
ou  une  colonnette  torse,  supportant  le  cierge  pascal.  Les  ambons 
étaient  habituellement  en  marbre  avec  incrustations  et  décorés  de  mo- 
saïques.  On  en  voit  de  beaux  exemples  à  Rome,  dans  les  basiliques 
Saint-Clément,  Sainte-Marie  in  Cosmedin  et  Saint-Laurent-hors-les- 
-Murs.  A  partir  du  quatorzième  siècle  ils  sont  remplacés  par  la  chaire  et 
le  Julie    voyez  ces  deux  mots). 

AMBROISE  (Saint)  fut  le  représentant  le  plus  éminent  de  l'esprit  et 
des  tendances  hiérarchiques  de  l'Eglise  d'Occident  du  quatrième  siècle, 
et  en  même  temps  un  des  écrivains  ecclésiastiques  latins  les  plus  in- 
fluents.  Toutes  les  circonstances  dans  lesquelles  il  se  vit  placé  contri- 
buèrent également  à  lui  faire  obtenir  une  des  places  les  plus  marquées 
dans  l'histoire  des  prétentions  sacerdotales,  telles  qu'elles  s'accentuè- 
rent de  plus  (Mi  plus  à  partir  de  cette  époque.  On  s'accorde  assez  géné- 
ralement à  le  croire  né  à  Trêves,  vers  340.  Son  père,  issu  d'une  famille 
consulaire  distinguée,  avait  été  préfet  du  prétoire  dans  les  Gaules  et 
comme  Ici  placé  à  la  tète  de  l'administration  des  trois  provinces  les 
plus  considérables  de  l'empire  d'Occident.  Toute  la  famille  professait  le 
christianisme  ;  la  sœur  d'Ambroise  avait  même  fait  vœu  de  virginité 
et  exerça  une  grande  influence  sur  les  idées  religieuses  de  son  frère. 
Après  avoir  perdu  son  père  de  bonne  heure,  Ambroise  jeune  encore, 
arriva  rapidement,  par  la  faveur  de  l'empereur,  au  poste  de  gouverneur 
d'une  grande  partie  de  l'Italie.  Les  circonstances,  qui  brusquement 
amenèrent  Ambroise  à  échanger  les  hautes  fonctions  politiques  qu'il  exer- 
çait, contre  le  siège  épiscopal  de  Milan,  même  avant  d'avoir  encore  reçu 
le  baptême,  sont  enveloppées  d'obscurité.  Le  récit  que  son  biographe 
Paulin  en  a  conservé,  montre  le  caractère  légendaire  dont  beaucoup 
d'autres  de  ses  narrations  portent  l'empreinte.  Les  orthodoxes  et  les 
ariens  se  disputaient  la  succession  de  l'évèque  Auxentius  qui  venait  de 
m  urir,  en  374-,  quand  au  milieu  de  l'agitation,  la  voix  de  Dieu  se  fit 
entendre  par  la  bouche  d'un  enfant  et  entraîna  les  deux  partis  à  pro- 
clamer avec  enthousiasme  Ambroise  comme  évoque  de  Milan.  Toute 
résistance  de  sa  part  fut  inutile;  l'empereur  confirma  son  élection  avec 
joie.  !1  entra  dans  l'exercice  de  sa  charge  sacerdotale  en  donnant  tous 
ses  biens  a  l'Eglise  et  aux  pauvres.  L'austérité  tout  exceptionnelle  de  la 
vie  qu'il  adopta,  les  jeûnes  et  les  autres  pratiques  ascétiques  qu'il  s'im- 
posa à  partir  de  ce  jour,  caractérisent  l'idée  qu'il  se  faisait  de  la  sain- 
teté chrétienne.  Le  parti  des  ariens  jusqu'alors  très-influent  à  Milan 
n'eut  pas  a  se  féliciter  d'avoir  contribué  avec  tant  d'empressement 
à  l'acclamer  comme  évêque.  Ambroise  lui  fit  une  guerre  sans  répit, 
malgré  le  puissanl  appui  dont  il  jouissait  auprès  de  plusieurs  membres 


230  AMBR01SE 

de  la  famille  impériale.  Du  reste,  les  autres  hérétiques,  tels  que  les 
maniehéeus,  les  joviniens,  les  apollinaristes,  ne  lardèrent  pas  plus  à  se 
ressentir  du  zèle  d'Ambroise  pour  la  foi  orthodoxe.  Dans  la  poursuite 
de  ce  but,  il  ne  craignait  pas  de  résister  ouvertement  même  aux  exi- 
gences du  pouvoir  politique,  quand  celui-ci  essayait  d'obtenir  de  lui 
une  concession  quelconque  en  faveur  des  sectaires.  Lorsque  Valenti- 
nien,  à  l'instigation  de  sa  mère  Justine,  lui  demanda  (385)  de  céder 
aux  ariens  une  petite  église,  située  hors  des  portes  de  la  ville,  il   lui 
répondit  :  «  L'église  appartient  à  Dieu,  l'empereur  n'a  aucun  droit 
à  la  demander.  »  Le  peuple  s'ameuta  en  faveur  de  l'évêque.  Un  ser- 
mon que  prononça  celui-ci,  rempli  d'insinuations  à  l'adresse  de  l'impé- 
ratrice mère,  ne  contribua  pas  à  calmer  l'effervescence.  «  L'empereur, 
disait-il,  n'est  que  membre  de  l'Eglise  et  n'est  pas   placé  au-dessus 
d'elle.  »  Plutôt  que  de  livrer  l'héritage  du  Christ,  il  se  déclarait  prêt 
à  subir  la  mort.  Quand  on  lui  envoya  l'injonction  de  sortir  de  la  ville,  il 
répondit  par  le  refus   d'obéir,    alléguant  que  ce    serait  abandonner 
son  Eglise  au  moment  du  danger.   Les  contestations  se  prolongèrent 
jusqu'à  ce  qu'au  moment  suprême  le  ciel  intervînt,  en  faisant  découvrir 
les  reliques  de  deux  martyrs,  saint  Gervais  et  saint  Protais,   dont  les 
miracles  remplirent  le  peuple  catholique  d'un  tel  enthousiasme  que  la 
cour  jugea  à  propos  de  ne  pas  pousser  les  choses  à  bout.  Ambroise  lui- 
même  a  laissé  le  récit  de  ces  faits,  dans  ses  lettres  XX  et  XXII.  La  cour 
avait  encore  d'autres  raisons  de  ne  pas  rompre  avec  ce  prêtre  énergique 
et  influent.  On  se  méfiait  des  plans  secrets  de  l'usurpateur  Maxime,  qui, 
il  y  avait  quelques  années,  s'était  emparé  des  Gaules  et  auprès  duquel 
Ambroise  avait  alors  déjà  rendu  de  notables  services  au  jeune  Valenti- 
nien.  On  savait  que  le  tyran  méditait  toujours  une  irruption  en  Italie. 
Ambroise  dut  se  charger  de  la  mission  difficile  de  l'engager  à  renoncer 
à  ces  projets.  Nous  possédons  encore  le  rapport  que  l'évêque  présenta  à 
l'empereur  du  mauvais  succès  de  ces  négociations  et  de  la  manière  dont 
il  affronta  le  courroux  du  conquérant.  Mais  celui-ci  bientôt  après  suc- 
comba devant  les  armes  de  Théodose,  venu  au  secours  de  Valentinien. 
Ambroise  ne  tarda  pas  à  gagner  un  grand  ascendant  sur  l'esprit  de  cet 
empereur  et  la  manière  dont  il   en  usa  peint  encore  son  caractère. 
Antérieurement  déjà  (385)  il  était  entré  en  conflit  avec  le  paganisme 
mourant,  lorsque  les  partisans  de  celui-ci,  ayant  pour  représentants 
Symmaque,   le  préfet  de  Rome,   et    plusieurs    membres    du   sénat, 
avaient  essayé  de  regagner  une  position  politique  dans  l'Etat  pour  le 
culte  des  anciens  dieux,  en  demandant  à  Valentinien  le  rétablissement 
solennel  de  l'autel  de  la  Victoire  au  Capitole.  Ambroise  se  sentit  appelé 
au  nom  de  l'Eglise  à  élever  sa  voix  contre  un  pareil  acte  de  reconnais- 
sance publique  des  faux  dieux.  Son  influence  l'emporta.  Les  écrits  publiés 
à  cette  occasion,  de  part  et  d'autre,  sont  plus  remarquables  comme 
échantillons  caractéristiques  de  l'esprit  et  de  la  rhétorique  de  l'épo- 
que, que  par  la  force  de  l'argumentation,  En  388,  les  païens  renouve- 
lèrent leurs  efforts  auprès  de  Théodose,  mais  Ambroise  triompha  de 
nouveau  et  les  lois  par  lesquelles  l'empereur  chercha  à  amener  la  sup- 
pression totale  de  l'ancien  culte  dans  les  différentes  parties  de  l'empire 


AMimoisE  m 

paraissent  avoir  été  écrites  on  partie  iu  moins  sous  l'inspiration  de 
hévêque.  Son  hnftdlérance  se  déploya  aussi  à  plusieurs  occasions  contre 
les  juifs.  Néanmoins  cette  inteïérance  chez  lui  n'alla  jamais  jusqu'à  lui 
faire  méconnaître  les  lois  de  l'humanité.  C'est  une  justice  que  l'histoire 
doil  lui  rendre.  Des  le commencemenH  de  son  épiscopal  on  le  vil  pro- 
tester solennellement  contre  les  persécutions  sanglantes  qui  avaient  élé 
dirigées  contre  les  priscillianislos.  Mais  un  t'ait  devenu  bien  plus  célèbre 
nous  le  montre  comme  l'interprète  et  le  défenseur  courageux  des  senti- 
ments d'humanité  vis-à-vis  de  l'empereur  lui-même.  Dans  une  émeute 
survenue  à  Thessalonique  à  propos  d'une  course  de  chars,  un  général, 
Bdthéricus,  avait  perdu  la  vie  et  Théodose,  pour  punir  ce  méfait, 
ordonna  le  massacre  de  plusieurs  milliers  d'habitants.  Ambroise  lui 
adressa  une  lettre  dans  laquelle  il  lui  exposa  toute  la  cruauté  de  cet 
acte,  et  la  nécessité  d'une  réparation  éclatante  et  d'une  réconciliation 
publique  avec  Dieu  en  se  soumettant  aux  pénitences  de  l'Eglise.  Malgré 
toutes  les  instances  du  prince,  Ambroise  maintint  son  excommunication 
et  ne  lui  accorda  l'absolution,  qu'après  qu'il  eût  fait  preuve  d'un  repentir 
sincère.  Les  historiens  ne  sont  pas  d'accord  dans  tous  les  détails  de 
leurs  récits,  aussi  a-t-on  jugé  très- diversement  la  conduite  des  deux 
hommes,  places  l'un  vis-à-vis  de  l'autre  dans  cette  occurrence.  Mais  le 
fait  principal,  attesté  par  les  lettres  d' Ambroise,  ne  saurait  être  révo- 
qué en  doute.  Théodose,  du  reste,  n'en  conserva  pas  moins,  jusqu'à  sa 
fin,  envers  l'évoque  de  Milan,  l'estime  et  l'amitié  qu'il  lui  avait  toujours 
témoignées.  Celui-ci  ne  survécut  que  deux  ans  à  peu  près  à  l'empe- 
reur; il  mourut  en  397.  —  L'activité  littéraire  d'Ambroise  ne  fut  pas 
moins  grande  que  son  activité  ecclésiastique  et  politique.  On  l'a  même 
surnommé  le  Cicéron  chrétien,  et  ce  nom,  bien  que  trop  pompeux, 
désigne  du  moins  en  quelque  mesure  son  caractère  comme  orateur,  en 
tant  que  la  plupart  de  ses  écrits  appartiennent  au  genre  oratoire  : 
;ont,  en  effet,  des  discours  ou  bien  des  livres  qu' Ambroise  com- 
posa  en  y  fondant  et  en  y  remaniant  des  sermons  et  des  homélies 
qu'il  avait  débités  soit  aux  catéchumènes,  soit  aux  autres  membres  de 
son  Eglise.  Celaient  les  Pères  Alexandrins,  et  surtout  Basile  le  Grand, 
Grégoire  deNazianze  et  Grégoire  deNysse  qui  lui  servaient  de  modèles  : 
ce  lut  leur  goût  pour  l'explication  mystique  et  allégorique  des  textes 
et  des  récits  sacrés  qu'il  s'appropria  et  qu'il  poussa  jusqu'à  l'excès. 
Aussi  les  nombreux  livres  qu'il  composa  sur  des  sujets  tels  que  le  para- 
dis terrestre  ou  la  création  du  monde,  l'histoire  de  Caïn  et  d'Abel, 
l'aiclie  de  Noé,  Abraham,  Isaac,  De  Jacob  et  vita  bca/a,  De  interpellatkmc 
Job  cl  David,  etc.,  n'ont-ils  plus  guère  d'autre  intérêt,  qu'à  nous  faire 
connaître  le  genre  de  spéculations  auxquelles  se  livrait  l'esprit  ascé- 
tique et  religieux  de  ces  temps.  D'autres  écrits  ont  pour  sujet  la  vir- 
ginité, le  célibat,  la  sainteté  de  la  vie  monacale.  L'ouvrage  qui  reste 
le  plus  digne  de  remarque  est  celui  qui  porte  le  titre  De  officiîs  minis- 
trorum;  c'est  une  imitation  du  traité  de  Cicéron  de  officiis,  entreprise 
au  point  fie  vue  de  l'écrivain  ecclésiastique  du  quatrième  siècle.  Les 
cinq  livres  De  fide  contiennent  plutôt  une  longue  polémique  dirigée 
contre  l'arianisme  qu'un  exposé  dogmatique.  On  se  tromperait  du  reste 


232  AMBROISE  —  AMBROISIEN  (CHANT) 

en  cherchant  chez  Ambroise  de  l'originalité  dans  les  idées.  11  ne  fut 
qu'un  rhéteur  chrétien,  écrivant  dans  le  goût  de  l'époque.  Ses  Oraisons 
funèbres,  qu'il  composa  à  l'occasion  de  la  mort  du  malheureux  empe- 
reur Valentirtien  II  et  de  celle  de  Théodose  le  Grand,  sont  les  discours 
qui  méritent  le  plus  d'être  nommés.  En  outre  ses  Lettres  présentent  de 
l'intérêt  pour  l'histoire  du  temps,  ainsi  que  pour  la  connaissance  du 
caractère  et  de  la  vie  d' Ambroise.  A  vrai  dire,  la  seule  de  ses  produc- 
tions littéraires  à  laquelle  on  puisse  attribuer  une  valeur  réelle,  ce  sont 
les  quelques  hymnes  qui  nous  sont  restées  de  lui.  Elles  tiennent  une 
place  importante  dans  l'histoire  de  la  poésie  religieuse  de  l'Eglise 
d'Occident.  Il  fût  amené  à  les  composer,  comme  il  dit  lui-même, 
dans  l'intérêt  de  l'orthodoxie  vis-à-vis  de  l'arianisme.  Mais  quel  que 
fût  le  motif  qui  les  lui  inspira,  Ambroise  doit  être  regardé  comme 
ayant  introduit  dans  la  liturgie  de  l'Eglise  l'usage  de  ce  genre  de  poé- 
sie. Saint  Hilaire,  déjà  avant  lui,  doit  avoir  composé  des  hymnes  en  lan- 
gue latine,  mais  sans  trop  de  succès  à  ce  qu'il  paraît.  Elles  tombèrent 
dans  l'oubli.  Ce  ne  fut  qu' Ambroise  qui  mit  en  vogue  ces  chants  reli- 
gieux. L'évêque  Isidore  de  Séville  rapporte  (O/fic.  eccl.,  I,  c.  6)  :  Hila- 
rius,  episcopus  Pictaviensis,  hymnorum  carminé  floruit  primus  :  post 
quem  Ambrosius,  Mediol.  ep.,  copiosius  in  huiusmodi  carminé  claruisse 
cognoscitur,  atque  inde  hymni  ex  eius  nomine  Ambrosiani  vocanlur,  quia 
eius  tempore  primum  in  ecclesia  Mediolanensi  celebrari  cœperunt,  cuius 
celebritatis  devotio  dehinc  per  totius  Occidentis  ecclesias  observa tur.  Parmi 
une  trentaine  de  ces  poésies  portant  le  nom  d' Ambroise,  la  critique  n'en 
reconnaît  que  quatre  comme  authentiques  :  un  cantique  du  matin,  un 
autre  du  soir,  une  prière  à  chanter  à  la  troisième  heure  du  jour  et  enfin 
un  cantique  de  Noël.  Le  célèbre  Te  Deum  laudamus  ne  date  que  d'un 
siècle  après  la  mort  d'Ambroise.  La  meilleure  édition  des  œuvres  d'Am- 
broise  est  celle  des  Bénédictins  (Par.,  1686,  2  vol.  in-f°).  La  plupart  des 
biographies  d'Ambroise  ne  sont  que  des  écrits  panégyriques.  Les  au- 
teurs qui  peuvent  être  consultés  avec  le  plus  de  fruit  sont  Ghaufepié, 
Schroeckh,  Gibbon,  Ebert,  Gesch.  der  chr.  lat.  Lit.  Leipz.  4874. 

E.  Cunitz. 

AMBROISE  LE  CAMALDULE  [1378-1431],  né  à  Portico,  près  de  Flo- 
rence, général  et  réformateur  de  son  ordre,  légat  d'Eugène  IV  aux  con- 
ciles de  Baie,  de  Ferrare  et  de  Florence,  s'est  surtout  distingué  par  sa 
connaissance  de  la  langue  et  de  la  littérature  grecques.  Il  dirigea  habi- 
lement les  négociations  entamées  par  Eugène  IV  en  vue  de  l'union  de 
l'Eglise  grecque  et  de  l'Eglise  latine,  traduisit  en  latin  un  grand  nombre 
de  Pères  grecs,  composa  des  Vies  de  saints,  un  traité  sur  la  sainte  Gène, 
ainsi  qu'une  relation  de  sa  visite  d'inspection  des  couvents  de  son  ordre 
en  Italie.  Ses  lettres  et  ses  harangues,  recueillies  par  Mabillon,,  ont  été 
publiées  à  Florence  en  1759  par  Gannetus  sojs  le  titre  de  S.  Ambr. 
Camald.  Epistolx  et  orationes. 

AMBROISIEN  (Chant).  Ce  que  l'on  sait  sur  ce  sujet  se  réduit  à 
quelques  données  très-peu  précises  et  peu  sûres.  11  paraît  avéré 
qu' Ambroise,  évêque  de  Milan,  de  même  qu'il  donna  une  impulsion 
toute  nouvelle  à  la  poésie  religieuse  latine  par  les  hymnes  qu'il  com- 


AMBR0IS1EN  (CHANT;  —  AME  233 

posa,  fut  aussi  l'auteur  d'une  réforme  importante  dans  le  chant,  tel 
qu'il  se  pratiquait  dans  l'Eglise  d'Occident.  Le  témoignage  le  plus  an- 
cien et  le  plus  authentique  sur  ce  sujet  nous  est  fourni  par  saint 
Augustin,  qui,  à  la  fin  du  1.  IX,  ch.  VI  de  ses  Confessions,  raconte  la 
vive  impression  que,  lors  de  son  baptême  par  saint  Ambroise,  produi- 
sirent sur  lui  les  hymnes  et  les  cantiques  chantés  à  l'église,  et  combien 
son  àme  se  sentait  remplie  d'une  ardente  piété.  Il  ajoute  ensuite,  au  cha- 
pitre suivant,  que  depuis  un  an  seulement,  l'Eglise  de  Milan  avait  adopté 
ce  moyen  d'édification  en  l'empruntant  aux  Eglises  d'Orient  :  Tune  hyrnni 
et  palmi  ut  canerentur  secundum  morem  orientaliumpartium  instilutum  est. 
Et  il  rapporte  que  cette  pratique  était  observée  dans  presque  toutes  les 
Eglises  du  monde.  Paulin,  qui  faisait  lui-même  partie  du  clergé  d'Am- 
broise,  dans  sa  biographie  de  cet  évêque,  en  décrivant  cette  innova- 
tion, la  désigne  plus  particulièrement  comme  ayant  consisté  dans  le 
chant  kantiennes,  c'est-à-dire  de  cantiques  dont  les  strophes  étaient 
alternativement  chantées  par  deux  chœurs  ou  bien  aussi  par  un  chœur 
et  le  peuple.  Ambroise,  dans  un  passage  de  son  Hexaèmêvon,  insiste 
expressément  sur  la  participation  de  toute  la  communauté,  hommes  et 
femmes,  vierges  et  jeunes  gens,  au  chant  de  l'Eglise,  ce  qui  précisé- 
ment constituait  une  partie  essentielle  de  l'innovation  qu'il  introduisit. 
Antérieurement  ce  n'était  qu'un  chœur  composé  d'ecclésiastiques, 
les  cantores,  qui  chantait.  Il  parait  en  outre  que  ce  chant  jusqu'alors 
n'avait  consisté  qu'en  une  espèce  de  récitation  plus  ou  moins  monotone. 
Ambroise,  par  contre,  doit  avoir  adopté  le  chant  plus  varié  et  plus 
mélodieux  qui,  par  l'influence  surtout  de  certains  partis  hérétiques, 
avait  prévalu  dans  l'Eglise  de  Syrie  et  s'était  ensuite  répandu  dans  tout 
l'Orient.  On  marqua  davantage  le  rhythme  des  vers,  en  même  temps 
qu'on  s'appropria  certains  airs  populaires,  de  manière  à  remplacer  la 
simplicité  sévère  et  monotone  des  premiers  siècles  par  ce  qu'on  appela 
plus  tard  le  chant  figuré,  avec  ses  modulations  et  ses  mélodies  capables 
d'élever  et  d'entraîner,  sans  toutefois  blesser  la  gravité  exigée  par  le 
caractère  du  lieu  et  du  culte.  La  nature  du  citant  ambroisien  nous  est 
expliquée  par  ce  que  l'on  rapporte  sur  les  abus  mêmes  auxquelles  il 
donna  lieu,  en  tant  que  saint  Grégoire  crut  devoir  réprimer  les  modu- 
lations trop  théâtrales  et  empreintes  d'une  mollesse  efféminée  qui, 
peu  à  peu,  prirent  le  dessus  dans  le  chant  ecclésiastique,  en  les  rem- 
plaçant par  un  genre  plus  grave  et  plus  solennel,  appelé  depuis  du 
nom  du  pape  qui  en  fut  l'auteur,  le  chant  grégorien  ou  le  plain-chant. 
— Voy.  Gerbert,  de  Cantu  et  Musica  sac?-a,  1. 1,  etc.,  S.-Blas.,  111 1,  in-4°. 

E.  Cunitz. 
AME.  Avant  que  l'homme  entreprît  une  étude  scientifique  des  organes 
el  des  fonctions  de  son  corps,  ses  recherches  se  portaient  déjà  sur  cette 
autre  partie  de  son  être  dont  l'activité  ne  se  peut  expliquer  par  les  com- 
binaisons  des  molécules  organiques  et  que  nous  désignons  par  le  mot 
âme.  Socrate,  en  rappelant  l'antique  parole  :  Connais-toi  toi-même, 
avait  en  vue  non  fanatomie,  mais  la  psychologie,  et  indiquait  la  con- 
dition première  de  la  vraie  science.  Aussi  la  philosophie  grecque 
constata  plusieurs  des  attributs  et  des  facultés  de  notre  vie  intérieure, 
i.  16 


234  AME 

les  diverses  formes  de  son  activité,  penser,  sentir,  vouloir,  sa  supério- 
rité sur  le  corps,  ses  vertus  et  ses  vices,  son  immortalité,  tandis  que 
les  écoles  étaient  divisées  sur  d'autres  points  importants  :  le  mode  de 
formation  de  nos  connaissances,  la  nature  et  l'origine  de  l'âme,  son 
unité  ou   sa   multiplicité.   Le   christianisme  imprima  une  impulsion 
féconde  à  ces  recherches,  non-seulement  par  les  enseignements  des 
textes  sacrés,  notamment  sur  les  rapports  de  l'âme  avec  Dieu,  qui 
constituent  un  des  éléments  essentiels  de  la  vie  psychique  (v.  J.-T.  Beck, 
Umriss  der  bibl.  Seelenlehre,  d843;  Delitzsch,  System  der  bibl.  Psychol., 
2e  éd.,  1862);  mais  de  plus  la  religion  évangélique  adonné  à  ces  inves- 
tigations un  intérêt  plus  puissant.  Elle  est  éminemment  morale,   et 
l'objet  principal  de  ses  préoccupations,  c'est  le  relèvement  de  l'homme, 
son  rétablissement  dans  la  justice  et  la  sainteté.  Par  là  les  problèmes 
psychologiques  furent  envisagés  à  un  point  de  vue  nouveau.  L'existence 
même  de  l'âme  ne  fut  plus  simplement  constatée  par  le  témoignage  du 
sens  intime  (témoignage  qui  pourrait,  comme  celui  des  sens  extérieurs, 
être  sujet  à  l'illusion)  ;  mais  impliquée  dans  le  fait  de  notre  responsa- 
bilité, imposée  par  le  verdict  de  la  conscience  morale  qui  nous  impute 
le  mérite  ou  le  démérite  de  nos  actes  (v.  l'art.  Conscience).  On  com- 
prend dès  lors  que  tout  ce  qui  tenait  aux  conditions  de  la  vie  religieuse 
et  morale  ait  été,  de  la  part  des  Pères  et  des  docteurs,  l'objet  d'une 
affirmation   catégorique,   sanctionnée  par  le   suffrage   de  toutes   les 
Eglises.  La  liberté  de  l'âme  fut  maintenue  fermement,  et  si  le  libre 
arbitre  fut  quelquefois  refusé  à  l'homme  dans  son  état  de  déchéance, 
du  moins  on  enseigna  toujours  que  l'homme,  dans  son  état  primitif, 
avait  possédé  la  vraie  liberté  et  qu'il  la  retrouvait  dans  l'économie  chré- 
tienne (v.  les  art.  Liberté,  Déterminisme,  Prédestination).  L'idée  d'une 
vie  future  était  trop  intimement  liée  à  celle  du  compte   que  nous 
avons  à  rendre  de  nos  œuvres,  pour  qu'un  débat  pût  s'engager  sur  ce 
point  ;  mais  bien  des  opinions  purent  se  produire  sur  les  conditions 
de  cette  seconde  existence  (v.  Immortalité,  Eschatologie,  Résurrection, 
Anéantissement  des  âmes)*  De  même  la  matérialité  de  l'âme  fut  com- 
battue, en  tant   qu'elle  pouvait   amoindrir  notre  responsabilité.   Par 
contre,  d'autres  questions,  d'un  ordre  plus  spéculatif,  restèrent  livrées 
aux  discussions  des  diverses  écoles.  En  ce  qui  concerne  l'essence  même 
de  l'âme,  les  unes   purent   professer  des  degrés   ou   des  éléments 
divers  (trichotomie),  tandis  que  d'autres  affirmaient  sa  simplicité  (di- 
chotomie); mais  lorsque  le  panthéisme  voulut  enseigner  qu'il  n'y  a 
qu'un  seul  esprit,  une  âme  identique  et  indivisible  dans  tous  les  indi- 
vidus, le  sentiment  chrétien  s'éleva  contre  cette  intrusion  de  l'aver- 
roïsme.  De  même,  si  l'on  fut  unanime  pour  affirmer  que  l'âme  humaine 
est  une  création  spéciale  et  immédiate  de  Dieu,  on  se  divisa  sur  la 
question  de  l'origine  des  âmes  individuelles  (v.  Traducianisme ,  Créatia- 
nisme,  Préexistence)  ;  la  seule  doctrine  qui  ne  soit  pas  parvenue  à  se 
faire  jour,  est  celle  de  la  métempsycose.  S'il  y  eut  ainsi  bien  des 
discussions  entre  les  écoles  chrétiennes,  c'étaient  la  dignité  même  de 
l'âme  et  ses  intérêts  les  plus  sacrés  qui  faisaient  l'objet  du  débat,  soit 
entre  Pelage  et  Augustin,  soit  entre  les  thomistes  et  les  scotistes,  les 


AME  235 

catholiques  e!  les  protestants,  les  jansénistes;  el  les  jésuites.— A  partir  du 
dix-septième  siècle,  la  psychologie  se  dégagea  de  l'autorité  de  l'Eglise 
et  devint  une  science  indépendante,  .Malheureusement,  le  rénovateur 
même  de  la  philosophie,  Descartes  imprimait  à  ces  éludes  une  direc- 
tion fâcheuse,  en  professant  une  différence  si  profonde  entre  l'âme  el 
le  corps,  la  substance  pensante  et  la  substance  étendue,  qu'il  ne 
pouvait  y  avoir  de  rapports  entre  eux  et  que  toute  action  de  l'un  sur 
l'autre  était  l'effet  dîme  intervention  directe  de  la  Divinité.  Tel  eus 
[Essa  s  sur  le  nature  de  Thomme,  1777)  ramena  l'attention  des  philo- 
sophes sur  le  sentiment,  qu'il  considéra,  sinon  comme  la  force  fonda- 
mentale, qui  demeure  insaisissable,  du  moins  comme  la  faculté  la  plus 
intime,  celle  qui  entre  la  première  en  activité.  Si  les  enseignements 
profonds  et  subtils  de  Kant  furent  de  bonne  heure  contestés,  du  moins 
le  rôle  primordial  qu'il  assignait  à  la  volonté  devait  ouvrir  une  voie 
nouvelle  à  l'étude  de  l'àme.  L'école  hégélienne  n'a  point  produit  de 
découvertes  notables  en  ce  domaine,  mais  elle  a  contribué  à  revendi- 
quer les  droits  de  la  raison  dans  l'acquisition  de  la  connaissance.  De  nos 
jours,  les  travaux  psychologiques  ont  pris  une  extension  plus  grande 
que  jamais.  D'une  part,  les  diverses  écoles  philosophiques  ont  été  te- 
nues de  formuler  chacune  sa  notion  de  l'âme  ;  les  unes  s'attachant  à 
maintenir  et  à  développer  renseignement  spiritualiste  (v.  Garnier, 
Traité  des  fac.  de  l'âme,  1865;  Waddington,  De  rame  hum.,  J862; 
J.-H.  Fichte,  Psychologie,  1864) ;  d'autres  cherchant  à  expliquer  tous 
les  phénomènes  de  la  vie  intérieure  par  des  actions  physiologiques  ou 
même  mécaniques.  Du  moins  l'accord  semble  s'être  établi  sur  un 
point,  c'est  de  ne  plus  chercher  le  siège  de  l'àme  dans  quelque  organe 
spécial  du  corps.  De  plus  les  phénomènes  de  la  vie  inconsciente  ont  été 
mieux  étudiés;  on  ne  considère  plus  l'activité  de  l'âme  comme  res- 
treinte à  ce  que  nous  révèle  le  sens  intime  ;  au  delà  du  cercle  lumineux 
où  se  meut  le  moi  conscient  et  libre,  on  reconnaît  une  activité  spon- 
tanée, instinctive,  exerçant  une  influence  considérable  sur  nos  actes 
volontaires.  Enfin  une  science  nouvelle  est  née,  la  psychophysique,  que 
son  nom  désigne  suffisamment  et  qui  a  déjà  produit  des  découvertes 
considérables.  D'autre  part,  la  théologie  évangélique,  amenée  par  L'in- 
fluence de  Schleiermacher  à  se  préoccuper  davantage  de  l'élément 
subjectif  de  la  religion,  s'est  attachée  à  réunir  en  un  corps  de  doctrine 
les  enseignements  de  l'Ecriture  sainte  et  ceux  de  la  philosophie  chré- 
tienne ou  profane.  Elle  a  accueilli,  sans  prévention  aveugle,  les  décou- 
vertes des  sciences  nouvelles  et  les  hypothèses  de  leurs  champions 
exclusifs,  parce  qu'elle  espérait  y  trouver  quelques  éclaircissements 
utile-  -m-  noire  rang,  notre  rôle  dans  la  nature  et  sur  ce  qu'on  a  par- 
fois appelé  le  réalisme  biblique  v.  les  Dogmatiques  de  Martensen, 
Thomasius,  etc.;  les  art.  Geist ,  d'Auberlen,  et  Seele,  de  Gœschel,  dans 
Herzoy'ê  Encyclop.).  Ces  travaux  consciencieux  ont  permis  de  constater 
que  le-  problèmes  les  plus  élevés  de  la  psychologie,  celui  de  la  solida- 
rité (pu  unit  les  âmes  dans  leur  déchéance  el  dans  leur  relèvement. 
celui  des  rapports  avec  Dieu  ici-bas  el  dans  l'éternité,  celui  de  l'essence 
Uéme  de  noire  aine,  demandent  pour  être  approfondis,  qu'on  vienne 


236  AME  —  AME  DU  MONDE 

se  placer  sous  la  lumière  de  l'Evangile.  —  Pour  la  signification  des 
noms  hébreux  nèphèch,  roua  h,  nechàmâh,  et  leurs  correspon- 
dants en  grec,  voir  l'art.  Dichotomie.  A.  Matter. 

AME  DU  MONDE.  On  dit  quelquefois  :  l'âme  de  la  France,  l'âme  de  la 
Grèce.    Cette   expression   n'est-elle   qu'une  image  poétique,  ou  bien 
désigne-t-elle  une  réalité  distincte  ?  La  question  prend  des  proportions 
plus  considérables  dans  la  philosophie  de  la  nature,  où  le  spectacle  de 
l'harmonie,  de  l'homogénéité  de  l'univers  peut  suggérer  la  pensée  que 
le  monde  serait  un  grand  organisme  vivifié  par  une  âme  semblable  à 
l'âme  humaine.  Platon  est  le  premier  qui  ait  explicitement  professé 
cette  doctrine.  Encouragé  par  l'enseignement  de  Pythagore  d'un  feu 
central,  principe  de  la  vie  dans  le  monde,  et  par  le  polythéisme  grec 
qui  déifiait  les  forces  de  la  nature,  il  crut  avoir  trouvé  l'explication  des 
rapports  du  souverain  bien,  dans  son  idéalité  pure,  avec  la  matière. 
L'âme  du  inonde,  d'après  lui,  est  une  puissance  intermédiaire,  réunissant 
la  vertu  éternelle,  indivisible  de  l'intelligence  et  la  nature  changeante, 
divisible  de  ce  qui  est  corporel  ;  plus  ancienne  que  le  monde  sensible, 
elle  est  le  principe  de  toute  forme,  de  tout  ordre,  de  toute  sensibilité, 
de  toute  vie  ;  c'est  d'elle  que  les  âmes  individuelles  tirent  leur  origine 
et  leur  nourriture  (v.  H.  Martin,  Etudes  sur  le  Timée,  ï,  p.  346  ss.).  Le 
stoïcisme  fit  un  pas  de  plus,  il  professa  le  pur  panthéisme  ;  la  divinité 
ne  fut  plus  transcendante  ;  la  matière  et  Dieu,  le  passif  et  l'actif  furent 
les  deux  éléments  inséparables  d'un  organisme  dans  lequel  Dieu  était 
le  principe  vital.  Mais  l'école  d'Alexandrie  revint  à  la  doctrine  de 
Platon;  pour  Plotin  (Enn.  III),  l'âme  du  monde  participe  par  sa  nature 
de  l'éternité  simple,  pure  et  parfaite  de  l'intelligence,  mais  par  son 
activité  elle   donne  naissance   au  temps,  à  l'étendue  et  contient  le 
inonde,  comme  l'intelligence  contient  l'âme  et  l'Un  contient  l'intelli- 
gence. Peut-être  faut-il  voir  un  écho  de  ces  pensées  philosophiques 
dans  le  livre  de  la  Sapience  aux  chap.  VII,  24;  VIII,  1  ;  XII,  1  :  «  Ton 
esprit  incorruptible  est  en   tout  »    (v.   Comment,   de  Grimm,   1860). 
Quelques  Pères  de  l'Eglise  crurent  devoir,  dans  un  intérêt  apologé- 
tique, faire  un  rapprochement  entre  cette  idée  de  l'âme  du  monde  et 
la  doctrine  du  Saint-Esprit,  entre  autres  saint  Basile  et  saint  Grégoire 
de  Naziance  (Or.  XXXVII).  Mais  Origène  déjà  protestait  que  l'Ecriture 
seule  a  donné  la  notion  de  la  subsistance  du  Saint-Esprit  (de  Princ.  ,1,3). 
Abélard  est  le  seul  docteur  qui,  au  moyen  âge,  ait  renouvelé  cette  assi- 
milation (Theol.  chr.,  I,  Martene,   Thés.,  1176)  :  «  Platonis  verba  de 
anima  mundi  diligenter  discutiamus,  ut  in  eis  Spiritum  S.  integerrime 
designatum  esse  agnoscamus.  »  A  partir  du  quinzième  siècle,  l'antique 
philosophême  reparut,  d'abord  avec  la  renaissance  de  la  philosophie 
platonicienne,    puis   par   l'influence   de    la    théosophie.    Agrippa    de 
Nettesheim  adapte  aux  dogmes  chrétiens  toute  une  philosophie  éma- 
natiste,  où  le  monde  est  un  organisme  vivant,  dont  l'âme,  douée  de  rai- 
son, «  est  vita  quœdam  unica,  omnia  replens,  omnia  perfundens,  omnia 
colligans  et  connectens,  ut  unam  reddat  totius  mundi  machinant  »  (de 
occulta  Philosophia,  II,  57;  1510).  Amos  Goménius,  dans  un  ouvrage 
qui  a  pour  but  de  délivrer  les  sciences  naturelles  du  joug  de  la  sco- 


AME  DU  MONDE  —  AMEN  237 

lastique  aristotélicienne  (Physicx  ad  Lumen  dtvinum  reformandse  syr 
nopsis,  L635),  reconnaît  trois  principes  :  la  matière  (tohou  wâbôhou), 
l'esprit  de  Dieu  (planant  sur  L'abîme  et  qui  est  la  vie  universelle),  la 
force,  la  lumière  (principe  supérieur);  et  cet  exemple  a  trouvé  des 
imitateurs  chez  les  Ihéosophes.  Mais  la  philosophie  proprement  dite  n'a 
pas  accueilli  cette  doctrine.  Schelling,  au  moment  où  il  se  séparait  de 
Fïchte,  publia  dans  un  traité  :  L Ame  du  monde,  une  hypothèse  delà  phy- 
sique supérieure  pour  expliquer  l'organisme  universel,  1798  (3e  éd.,  1809). 
L'âme  du  monde,  d'après  lui,  est  cette  force  primordiale  et  constante  qui 
se  manifeste  dans  l'électricité,  dans  la  lumière  comme  dans  les  fonc- 
tions physiologiques,  vie  universelle  qui  s'individualise  dans  les  êtres 
particuliers  et  s'élève,  dans  les  conflits  des  forces  expansives  et  attrac- 
tives, jusqu'à  la  conscience  de  soi-même  et  à  la  pensée.  Cette  esquisse 
poétique  devait,  avec  d'autres  travaux  de  sa  phase  de  philosophie  de  la 
nature,  se  transformer  en  une  doctrine  nouvelle,  le  système  de  l'iden- 
titié.  Jusqu'ici  l'observation  de  la  nature  n'a  fourni  aucun  indice  qui 
nous  conduise  à  statuer  une  âme  de  l'univers.  Du  moins  M.  Fechner 
n'a  guère  réuni  d'adhérents  pour  son  affirmation  [Einige  Jdeen  zur 
Schœpfungs-imd  Entwickelungs-Geschichte  der  Organismen,  1873)  que 
les  mouvements  cosmiques  des  corps  célestes  diffèrent  beaucoup  des 
mouvements  moléculaires  des  corps  inorganiques  sur  cette  terre,  tandis 
qu'ils  offrent  une  grande  ressemblance  avec  les  mouvements  molécu- 
laires des  corps  organiques,  d'où  nous  devons  conclure  que  l'univers 
est  un  organisme  dont  l'âme  est  Dieu  et  que  partout  l'organique  est 
antérieur  à  l'inorganique.  De  son  coté,  la  théologie  chrétienne  ne  se 
sent  pas  autorisée  par  lès  passages  qu'on  a  invoqués  (Gen.  I,  2; 
Ps.  XXXIIÏ,  6;  1  Cor.  XII,  6)  à  admettre  que  l'impulsion  imprimée  par 
le  Créateur  à  sa  création  se  concentre  en  un  foyer  conscient,  et  la  piété 
se  refuse  à  reconnaître  un  tel  intermédiaire  entre  l'âme  humaine  et  son 
Dieu  Sauveur.  A.  Matter. 

AMEN  (âmén,  £(jufjv),  dérivé  du  verbe  hébreu  aman  (appuyer), 
exprime  moins  un  serment  qu'une  affirmation  énergique,  une  puis- 
sante confirmation  de  la  vérité,  un  consentement  formel  donné  à  ce 
qui  précède  ou  à  ce  qui  suit,  surtout  si  le  mot,  répété  deux  fois,  acquiert 
la  force  d'un  superlatif.  La  traduction  française  :  Ainsi  soi t-il !  est  très- 
exacte.  Dans  l'Ancien  Testament  cette  expression  est  employée  soit 
comme  simple  sceau  d'une  convention  (Deut.  XXVII,  15-26),  soit 
comme  ternie  d'adjuration  dans  la  bouche  du  juge  (Nomb.  V,  19; 
cf.  Matth.  XXVI,  63),  soit  comme  péroraison  solennelle  des  louan- 
de  Dieu  (Ps.  XLI,  14;  LXXII,  19;  LXXXIX,  53;  CVI,  48),  soit 
connue  réponse  à  un  vœu- de  prospérité  (Jér.  XI,  5;  XXVIII,  G; 
Tob.  IX.  1-2;  cf.  2  Cor.  I,  20).  Dans  le  Nouveau  Testament  nous  trou- 
vons 1<"  mol  amen  fréquemment  dans  la  bouche  de  Jésus  (Matth.  V, 
18,  26;  \  I,  -2,  :>;  Jean  I,  51;  III,  5,  I  l,  etc.)  pour  donner  à  son  lémoi- 
gnage  plus  de  force,  ou  bien  à  la  fin  d'une  prière  ou  d'une  lettre 
(Matth.  VI.  L3;  Rom.  XVI.  21;  Apoc.  XXII,  20,  .21).  Jésus-Chrisl  lui- 
même  est  appelé  (Apoc.  III,  14)  ô  'Ajjufjv,  c'est-à-dire  le  témoin  incor- 
ruptible  et   pleinement   fidèle  de  la  vérité.  Déjà  dans  la  synagogue 


238  AMEN  —  AMENDES 

(Néh.  VITI,  6),  comme  aussi  dans  les  réunions  de  culte  de  l'Eglise 
apostolique  (1  Cor.  XIV,  16),  les  fidèles  avaient  l'habitude  de  marquer 
leur  accord  avec  le  contenu  de  la  prière  que  le  rabbin  ou  le  pasteur 
avait  prononcée,  en  répétant  en  haute  voix  :  Amen,  amen.  Cette  cou- 
tume s'introduisit  et  se  fixa  dans  les  liturgies  de  l'Eglise  grecque  et  de 
l'Eglise  latine.  Elle  ne  peut  se  légitimer  qu'à  la  condition  d'être,  dans 
le  culte,  l'expression  du  sentiment  libre  et  spontané  de  la  commu- 
nauté. 

AMENDES.  Ce  mot  qui  provient,  par  corruption,  du  latin  emendare, 
signifie  proprement  ce  qui  enlève  la  faute  (mendum),  et,  par  consé- 
quent, au  sens  religieux,  ce  qui  efface  sinon  le  péché,  du  moins  la 
coulpe,  —  une  réparation,  une  expiation.  On  distingue  Y  amende  hono- 
rable et  Y  amende  pécuniaire.  La  première  consiste  dans  le  sacrifice  de 
l'honneur,  dans  l'aveu  public  et  humiliant  imposé  au  coupable  :  c'est 
ainsi  que,  dans  l'ancienne  Eglise,  ceux  qui  avaient  renié  leur  foi  pen- 
dant les  persécutions  (les  lapsi)  ne  pouvaient  être  relevés  de  l'excom- 
munication qu'en  confessant  leur  faiblesse  devant  l'assemblée  des 
fidèles.  Théodose  Ier  à  Milan,  390,  Louis  le  Débonnaire  à  Attigny,  822, 
et  à  Soissons,  833,  Henri  IV  d'Allemagne  à  Canossa,  1077,  Raimond  VII 
de  Toulouse  à  Notre-Dame  de  Paris,  1229,  nous  fournissent  d'autres 
exemples  de  ce  genre  de  pénitence.  De  l'Eglise,  l'amende  honorable 
passa  dans  la  législation  civile  mais  en  conservant,  du  moins  sous  sa 
forme  la  plus  solennelle,  un  certain  caractère  religieux.  Le  condamné 
était  conduit  par  le  bourreau  sur  la  place  publique,  généralement  au 
parvis  d'une  église,  tête  nue,  pieds  déchaux,  tenant  en  main  un  cierge 
de  cire  jaune,  ayant  devant  et  derrière  un  écriteau  qui  mentionnait  le 
crime  à  expier.  En  France,  cette  peine  (abolie  en  1791)  frappait  entre 
autres  les  blasphémateurs,  et  elle  fut  subie  en  1766  par  le  chevalier  de 
la  Barre,  à  qui  on  trancha  ensuite  la  tête;  son  écriteau  portait  ces 
mots  :  a  impie,  blasphémateur  et  sacrilège,  exécrable  et  abominable.  » 
L'inscription  tenant  lieu  de  la  confession  repentante  du  condamné, 
cette  peine  n'avait  plus  aucune  valeur  morale  et  n'était  qu'une  torture. 
Le  nom  d'amende  honorable  s'applique  encore  à  une  prière  litur- 
gique dans  laquelle  le  prêtre,  en  son  nom  et  au  nom  des  fidèles, 
demande  pardon  à  Dieu  des  injures  faites  à  sa  majesté  par  ceux  qui  la 
blasphèment.  En  1864,  à  propos  de  la  publication  de  la  Vie  de  Jésus 
de  M.  Renan,  l'évèque  de  Marseille  jugea  à  propos  de  donner  à  ce 
genre  d'amende  honorable  une  solennité  inaccoutumée.  —  Si  l'amende 
honorable  est  d'origine  ecclésiastique,  l'amende  pécuniaire  remonte  à 
la  législation  civile  et  païenne.  L'Eglise  ancienne  ne  la  connut  point, 
car  on  ne  saurait  citer  ici  les  amendes  infligées  aux  donatistes  par  l'em- 
pereur Honorius  après  que  saint  Augustin  eut  invoqué  le  bras  séculier 
contre  ces  sectaires  quelque  peu  socialistes.  Il  fallut  une  longue  pé- 
riode de  décadence  pour  que  l'argent  fût  admis  à  jouer  un  rôle  dans  la 
discipline  chrétienne.  Outre  une  lente  dégénérescence  du  principe 
évangélique,  il  fallut  une  influence  étrangère  presque  irrésistible. 
D'une  part,  dès  le  quatrième  siècle,  en  partie,  grâce  à  l'enseignement 
de  1  evêque  d'Hippone,  on  arriva  à  une  notion  grossière  de  la  pénitence 


AMENDES  239 

qui,  pour  chaque  péché,  exigeai!  une  réparation  spéciale  ;  puis  peu  à 
peu  dans  les  siècles  suivants,  par   un  développement   tout  naturel, 
l'arbitraire  laissé  au  prêtre  pour  la  détermination  des  peines  se  trouva 
limité  et  remplacé  par  une  législation  traditionnelle,  par  un  vrai  code 
pénal  {lihri  pœnitentiale»,    neuvième   siècle).  Mais  dans  le  droit   des 
Germains,   des  Francs  saliens,  par  exemple,   tous  les  crimes  et  les 
délits  contre  les  personnes  et  les  propriétés  se  réparaient  au  moyen 
de  compensations  en  argent  soigneusement  réglées  (wehrgeld)  :  ce  prin- 
cipe ne  pouvait  régner  dans  la  vie  civile  sans  pénétrer  dans  la  discipline 
ecclésiastique.  D'ailleurs  puisque,  en  vertu  du  même  principe  barbare, 
la  peine,  la  réparation  est  quelque  chose  d'extérieur,  de  matériel,  on 
peut  évidemment  substituer  une  peine  à  une  autre  peine,  troquer  un 
mode  de  réparation  contre  un  autre.  Tout  péché  est  coté,  il  a  son 
taux,  et  le  pécheur  a  le  droit  de  le  racheter,  à  son  choix,  de  diverses 
manières  qui  sont  équivalentes,  par  des  privations  qu'il  s'impose,  par 
des  prestations  qu'il  promet  d'accomplir,  et  enfin,  ce  qui  est  le  plus 
simple,  par  un  don  en  argent.  Tel  est  le  principe  qui  règne  à  peu  près 
sans  partage  dès  le  onzième  siècle.  Le  confesseur  a-t-il  ordonné  un 
jeûne  pendant  un  temps  déterminé  ?  Ce  jeûne  se  rachète  (redimere  est 
le  terme  technique)  au  moyen  d'une  somme  également  déterminée. 
A-t-on  fait  le  vœu  d'un  pèlerinage  périlleux  et  lointain?  A-t-on  pris  la 
croix?  On  se  fait  relever  de  ce  vœu  moyennant  une  somme  à  débattre. 
Toute  pénitence  s'estime  en  sous  et  deniers,  toute  pénitence  se  laisse 
transformer  en  amende  pécuniaire.  L'amende  qui,  tantôt  a  son  tarif 
réglé  à  l'avance  et  tantôt  est  arbitraire,  est  le  dernier  mot  de  la  disci- 
pline catholique.  L'austère  Pierre  Damiani,  lui  qui  ne  quittait  jamais  les 
cilices  ni  les  chaînes  de  fer  (f  1072),  n'hésite  pas  à  voir  dans  ce  sys- 
tème une  juste  application  de  l'Ecriture  :  Divitim  hominis  redemptio  ejus 
(Prov.  XIII,  8).  Comme  c'est  par  indulgence  que  l'Eglise  permet   e 
choix  entre  les  divers  modes  de  pénitence,  l'amende  ne  tarda  pas  à 
prendre  aussi  ce  nom  d'indulgence,  que  Tetzel  devait  rendre  si  fameux 
lorsqu'il  mit  en  vente  «  pour  un  quart  de  florin,  ainsi  qu'il  s'exprime 
dans  ses  affiches,  des  papiers  qui  conduisent  saine  et  sauve  l'àme  divine 
et  immortelle  vers  sa  patrie  céleste.  »  En  établissant  ce  système  de 
compensations  ou  d'amendes,  l'Eglise  cessait  en  réalité  d'être  chré- 
tienne puisque  le  christianisme  repose  tout  entier  sur  l'idée  que,  le 
péché  venant  du  dedans,  la  seule  réparation  possible  consiste  dans  la 
transformation  du  cœur.  En  outre  les  amendes,  payées  soit  en  argent, 
soit  en  donation  déterres,  soit  en  cession  de  droits  féodaux,  soit  en 
fondations  d'églises,  de  chapelles  et  de  couvents,  profitent  presque 
toutes  à  l'Eglise,  rarement  aux  pauvres;  l'Eglise  se  place  donc  dans 
eette  situation  profondément  immorale  de  vivre  du  produit  des  péchés. 
—  Au    sein   du   protestantisme,    les   amendes  ont  été   généralement 
abolie*  des  le  seizième  siècle.  Là  où  on  les  a  conservées  plus  ou  moins 
longtemps    dans  certaines  parties  de  l'Eglise  luthérienne),  elles  n'ont 
jamais  eu  que  le  caractère  d'une  pénalité  sociale;. on  les  infligeail  non 
pour  des   pécftés  niais  pour  des  délits  commis  envers  l'Eglise,  ainsi 
pour  le  scandale  public  causé  par  le  travail  du  dimanche  ou  pour  des 


240  AMENDES  —  AMÉRIQUE 

fraudes  dans  les  déclarations  de  l'état  civil  confié  aux  pasteurs.  Ce 
qu'il  faut  blâmer  ici,  ce  n'est  pas  une  fausse  notion  de  la  pénitence 
mais  une  confusion  du  domaine  civil  et  du  domaine  religieux.  Nous  en 
dirons  autant,  en  le  déplorant  très-vivement,  des  diverses  pénalités, 
amendes  en  nature  ou  en  prestations,  introduites  çà  et  là  par  des  mis- 
sionnaires protestants  :  si  elles  n'égarent  pas  les  consciences,  elles 
mettent  du  moins  l'Eglise  dans  une  position  très-fausse.      T.  Çolani. 

AMÉRIQUE.  (Statistique  religieuse.)  Chaque  Etat  de  l'Amérique  aura 
son  article  particulier.  Nous  nous  bornerons  dans  un  court  résumé 
à  indiquer  pour  chaque  pays  la  population  et  la  répartition  des  habi- 
tants entre  les  divers  cultes.  —  I.  Amérique  du  Nord.  1°  Groenland, 
9,922  habitants  dans  les  établissements  danois  (1871),  dont  377  Euro- 
péens et  9,545  indigènes.  Environ  500  indigènes  indépendants.  En  tout 
10,422,  dont  environ  9,000  protestants  convertis  par  les  missionnaires 
danois  et  les  moraves.  —  2°  Terre-Neuve,  161,386  habitants,  protes- 
tants en  majorité.— 3°  Canada  et  Amérique  anglaise,  3,631,813  habitants 
recensés  en  1871,  plus  les  Indiens  évalués  officiellement  à  126,679  têtes. 
Les  Indiens  sont  païens.  Dans  le  reste  de  la  population  on  compte 
1,522,489  catholiques,  2,019,853  protestants  et  1,115  juifs.  —  4°  Iles 
Bermudes,  15,309  habitants  (1871)  protestants.  —  5°  Saint-Pierre  et 
Miquelon,  4,750 habitants  catholiques.  —  6° Etats-Unis,  38,925,598 ha- 
bitants (1870).  La  majorité  de  la  population  appartient  à  diverses 
Eglises  protestantes,  dont  l'article  Etats-Unis  donnera  le  détail.  Il  y  a 
environ  3,000,000  de  catholiques,  60,000  mormons,  50,000  juifs  et 
300,000  Indiens  païens.  —  7°  Mexique,  9,158,247  habitants  (1872), 
presque  tous  catholiques.  Les  Indiens  mêmes  le  sont  généralement  de 
nom.  —  Total  pour  l'Amérique  du  Nord  :  52,034,219  habitants,  dont 
à  peu  près  14,000,000  de  catholiques  et  37,000,000  de  protestants.  — 
II.  Amérique  centrale  et  Indes  occidentales,  7,026,100  habitants,  dont 
6,000,000  de  catholiques  dans  les  républiques  de  l'Amérique  centrale 
et  aux  Antilles,  et  1,000,000  de  protestants  aux  Antilles.  —  III.  Amé- 
rique méridionale.  1°  Brésil,  10,196,238  habitants  (1872),  presque  tous 
catholiques.  Il  est  impossible  d'évaluer  le  nombre  des  Indiens.  — 
2°  Guyane,  300,000  habitants  environ,  15,000  catholiques,  80,000  pro- 
testants, 200,000  païens.  —  3°  Venezuela,  1,784,194  habitants  (1873), 
en  grande  majorité  catholiques.  — 4°  Colombie,  2,774,000  âmes,  catho- 
liques, à  l'exception  de  126,000  Indiens  païens  (1870).  —  5°  Equateur, 
environ  1,300,000  habitants,  dont  1,100,000  catholiques  et  200,000  sau- 
vages païens.  —  6°  Pérou,  3,199,000  habitants.  Ce  chiffre  officiel  en 
1871  est  probablement  beaucoup  trop  élevé.  La  population  est  catho- 
lique. —  7°  Bolivie,  2,000,000  d'habitants  catholiques.  —  8°  Chili, 
2,074,000  habitants,  catholiques,  si  l'on  en  excepte  70,400  Araucans 
païens.  —  9°  République  Argentine,  1,531,319  habitants  (1869),  dont  50  à 
60,000  protestants.  —  J0°  Gran  Checo,  Pampas  Argentines,  Patagonie  et 
Terre-de-Feu,  environ  300,000  habitants  païens.  — 14?  Uruguay,  400,000 
habitants,  catholiques,  sauf  5  à  6,000  protestants.  —  12°  Paraguay, 
221,079  habitants  (1873),  en  général  catholiques. — 13°  Iles  Falkland, 
803   habitants    protestants.    —    Total    pour    l'Amérique    du    Sud   : 


AMÉRIQUE  —  AMÉRIQUE  CENTRALE  241 

25,386,800  habitants,  dont  23*500,000  catholiques  et  environ  «50,000 
protestants.  —  La  population  de  l'Amérique  peut  donc  être  évaluée  à 
84,449,019  habitants,  don!  44,000,000  de  catholiques,  38,000,000  de 
protestants,  el  à  peine  2,000,000de  païens.  E.  Vauchbr. 

AMÉRIQUE  CENTRALE.  (Statistique  ecclésiastique.)  On  connaît  sous 
le  nom  d'Amérique  centrale  un  groupe  d'Etats  situés  au  sud  du 
Mexique,  sur  le  continent  américain.  Ces  contrées,  colonisées  au  sei- 
zième siècle  par  des  Espagnols,  restèrent  sous  la  domination  de  leur 
mère  pairie  jusqu'au  grand  mouvement  d'indépendance  qui,  vers  1820, 
priva  l'Espagne  et  le  Portugal  de  presque  toutes  leurs  colonies  améri- 
caines. Le  21  septembre  1821,  le  pays  se  déclara  indépendant  de 
l'Espagne  el  se  joignit  à  la  république  du  Mexique.  Au  bout  de  peu  de 
temps  il  s'en  sépara  (1er  juillet  1823),  et  forma  une  confédération  de 
l'Amérique  centrale,  qui  fut  constituée  en  1824.  Des  divergences  d'in- 
térêl  tirent  dissoudre  la  confédération  en  1839.  Depuis  lors,  les  divers 
Etats  qui  la  composaient  ont  vécu  dans  des  rapports,  quelquefois 
amicaux,  plus  souvent  hostiles;  mais  quoique  chacun  d'eux  ait  désor- 
mais sa  vie  indépendante,  la  communauté  d'origine  et  de  destinée  ont 
fait  conserver  l'habitude  de  les  voir  comme  un  tout  et  de  les  appeler 
Amérique  centrale.  Leurs  destinées  religieuses  sont  du  reste  assez 
semblables.  La  population  primitive  composée  d'Indiens  de  diverses 
races  a  perdu  peu  à  peu  du  terrain,  qu'ont  occupé  les  colons  européens 
et  les  nègres,  leurs  esclaves.  Avec  les  Espagnols,  le  catholicisme  s'y  im- 
planta et  l'inquisition  y  fleurit  longtemps  sans  partage.  La  déclaration 
d'indépendance  amena  une  réaction,  dont  l'Eglise  eut  souvent  à 
souffrir.  En  1831  les  ordres  monastiques  y  furent  supprimés,  à  l'excep- 
tion des  Bethléémites,  et  les  moines  des  couvents  dissous  furent  in- 
corporés au  clergé  séculier.  En  1835  les  couvents  de  femmes  furent 
menacés  à  leur  tour,  et  ne  purent  subsister  qu'en  consentant  à  une 
visite  annuelle  de  l'autorité  civile,  destinée  à  s'assurer  qu'aucune  reli- 
gieuse n'est  retenue  dans  la  maison  contre  son  gré.  Les  corporations 
enseignantes,  qui  seules  avaient  longtemps  échappé  aux  rigueurs  du 
pouvoir,  en  sont  depuis  quelques  années  atteintes.  Les  catholiques 
forment  la  majorité  de  la  population.  Ils  avaient  en  1840,  dernière 
année  pour  laquelle  nous  ayons  pu  nous  procurer  des  chiffres, 
243  cures,  4  postes  de  missions  et  716  églises.  Les  Indiens  païens  sont 
encore  assez  nombreux  dans  l'intérieur.  Il  n'y  a  que  peu  de  protestants. 
La  tolérance  religieuse  est  complète  dans  tous  les  Etals.  Les  deux 
universités  de  Léon  et  de  Guatemala  donnent  l'enseignement  supérieur. 
Voici  maintenant  ce  que  nous  pouvons  dire  de  particulier  de  cha- 
cune des  cinq  républiques  de  l'Amérique  centrale.  —  I.  Guatemala, 
1,190,754  habitants  (1872).  L'archevêque  de  Guatemala  est  métropo- 
litain de  toute  l'Amérique  centrale.  La  création  de  l'évêché  date  du 
l.s  décembre  1534;  il  fut  érigé  en  archevêché  le  16  décembre  1743. 
Le  budget  de  IS7I  porte  sous  une  seule  rubrique  (cujtes  et  instruction 
publique  une  dépense  de  (.)9,100  dollars.  Les  blancs,  créoles  et  métis, 
au  nombre  de  360,608,  sont  presque  tous  catholiques,  ainsi  que  la 
pluparl  des  830,146  Indiens.  Les  protestants  (anglo-américains,  anglais 


242  AMÉRIQUE  CENTRALE  -  AMIENS 

et  allemands)  sont  en  très-petit  nombre.  —  2.  Cosla-Rica,  185,000  ha- 
bitants (1870),  forme  le  diocèse  de  San-José  de  Cosla-Rica,  érigé  en 
1850.  La  masse  de  la  population  est  hispano-américaine  et  catholique. 
7,000  mulâtres  et  3,000  Indiens  sont  également  catholiques.  H  y  a 
environ  12,000  Indiens  sauvages  et  païens.  On  évalue  le  nombre  des 
protestants  à  1,000  et  celui  des  Chinois  à  600.  —  3.  Honduras, 
351,700  habitants,  forme  le  diocèse  de  l'évéque  de  Comayagua,  érigé 
le  6  septembre  1539.  —  4.  San-Salvador,  600,000  habitants.  Le  chef 
des  catholiques  est  l'évéque  de  San-Salvador,  dont  le  siège  fut  créé  le 
28  septembre  1842.  Le  budget  des  cultes  était  en  1871  de  8,688  dollars. 
—  5.  Nicaragua,  250,000  habitants.  Evêché  de  Nicaragua  érigé  le 
26  février  1531.  La  population  catholique  se  compose  de  90,000  la- 
dinos,  descendants  des  colons  européens,  100,000  Indiens  métis, 
20,000  Indiens  civilisés,  8,000  nègres.  Le  reste  se  compose  d'Indiens  de 
diverses  races,  aborigènes,  Zambos,  Mosquites,  Aztèques  et  Caraïbes, 
encore  païens.  —  Il  faut  rattacher  géographiquement  à  l'Amérique 
centrale  la  petite  colonie  du  Honduras  britannique  peuplée  de  24,710  ha- 
bitants (1871),  dont  377  blancs  et  24,333  hommes  de  couleur;  un  tiers 
à  peu  près  de  la  population  se  rattache  au  protestantisme.  L'Eglise 
anglicane  y  a  un  évêque  missionnaire.  E.  Vaucher.  . 

AMES  (Guillaume),  Amésius,  né  en  1576,  étudia  à  Cambridge  la 
théologie.  Puritain  rigide,  il  ne  put  obtenir  un  ministère  dans  l'Eglise 
anglicane  ;  il  se  rendit  en  Hollande ,  où  le  commandant  des  troupes 
auxiliaires  anglaises  à  la  Haye  lui  confia  les  fonctions  d'aumônier. 
Quand  eut  commencé  la  controverse  entre  Gomar  et  Arminius,  il  publia 
contre  ce  dernier  plusieurs  écrits  pour  la  défense  du  système  calviniste. 
Lors  du  synode  de  Dordrecht  parut  un  traité  anonyme  sur  la  servitude 
de  l'Eglise  en  Angleterre  ;  le  gouvernement  de  ce  pays  crut,  à  tort,  que 
Fauteur  était  le  puritain  Ames.  Il  perdit  sa  place  d'aumônier,  mais 
les  Etats  généraux  lui  accordèrent  une  subvention ,  pour  qu'il  pût 
s'établir  à  Dordrecht  et  assister  le  président  du  synode  de  ses  connais- 
sances. En  1622  il  fut  nommé  professeur  de  théologie  à  l'université  de 
Franeker;  appelé  en  1633  comme  prédicateur  à  l'Eglise  anglaise  de 
Rotterdam,  il  mourut  avant  d'être  entré  en  fonctions.  Ses  écrits  sont 
en  partie  polémiques  —  contre  les  Remontrants  et  contre  le  cardinal 
Bellarmin, —  en  partie  dogmatiques.  Ils  parurent  en  1658  à  Amsterdam 
en  5  vol.  in-12.  Ce  qui  constitue  l'originalité  d'Ames,  c'est  qu'il 
a  été  un  des  premiers  à  relever  le  côté  pratique  de  la  théologie  ;  son 
ouvrage  principal,  Medulla  theologise,  est  divisé  en  deux  parties,  dont 
la  première  expose  les  dogmes  calvinistes  orthodoxes,  tandis  que  la 
seconde  traite  la  morale  au  point  de  vue  strictement  puritain.  Ames 
n'admet  point  de  morale  indépendante  ou  purement  philosophique  ; 
le  vrai  bien  n'existe  que  par  la  religion,  la  science  qui  l'enseigne  ne 
peut  donc  être  qu'une  partie  de  la  théologie.  —  Voyez  sa  biographie 
par  Mat.  Nethenus,  prof,  à  Utrecht,  en  tête  de  l'édition  de  1658. 

AMIENS  [Samarobriva,  Ambianis,  Ambianum],  éveché  suffragant  de 
l'archevêché  de  Reims  (il  fut  rattaché  à  Rouen  en  1790,  et  dépendit  de 
Paris  de  1802  à  1822);  on  le  fait  remonter  à  saint  Firmin,  martyrisé 


AMIENS  —  AMIS  DE  DIKU  ->', 3 

d'après  Tillemont,  en  287  (AA.  SS.,  25  sept.,  VII).  L'histoire  de  ce 
sainl  évêque  orne  le  chœur  de  la  splendide  cathédrale  gothique,  dédiée 
à  Notre-Dame,  qui  tut  réédifiée  de  1220  a  1288  par  Itoberl  de  Luzarches 
sous  l' évêque  Evrard  de  Fouilloy  et  ses  successeurs.  Les  lours  datent 
de  13(j(). —  Galli*,  X  ;  Dflire,  Hist.  de  la  ville  et  du  dioc.  d'Amiens,  1757, 
2  vol.  in-i°;  Gorblet,  Uagiogr.  du  dioc.  d'Amiens,  1809-76,  5  vol. 

AMIS  DE  DIEU.  Le  terme  d'Amis  de  Dieu  se  rencontre  fréquemment 
dans  dos  traités  mystiques  de  la  seconde  moitié  du  quatorzième  siècle, 
appartenant  à  l'Alsace,  à  la  Suisse,  à  l'Allemagne  méridionale.  Tauler, 
Suso  et  d'autres  entendent  par  là  des  personnes  qui,  troublées  par  la 
confusion  ecclésiastique  et  politique  du  temps,  et  par  les  calamités  qui 
frappaient  les  peuples,  cherchaient  la  paix  de  l'âme  dans  un  complet 
abandon  à  Dieu  ;  ceux  qui  se  consolaient  ainsi  par  une  soumission  sans 
réserve  à  la  volonté  divine,  s'appelaient  Amis  de  Dieu  en  s'appliquant 
les  paroles  du  Seigneur  à  ses  disciples  (Jean  XV,  15).  Il  y  en  avait  dans 
des  couvents  et  dans  des  béguinages;  on  en  trouvait  parmi  les  nobles, 
les  bourgeois,  les  paysans.  Çà  et  là  ils  se  réunissaient  pour  former  des 
associations  qui  entraient  en  rapport  les  unes  avec  les  autres;  des 
prêtres  et  des  moines  y  entretenaient  la  vie  pieuse,  soit  en  y  prêchant, 
soit  en  y  communiquant  des  traités  en  langue  vulgaire.  Dans  quelques 
documents  du  moyen  âge  le  même  nom  d'Amis  de  Dieu  est  aussi  donné 
aux  Yaudois.  Dans  un  sens  plus  spécial  il  servait  à  désigner  une  société 
plus  ou  moins  secrète  qui,  sans  se  séparer  de  l'Eglise  pour  devenir  sec- 
taire, s'était  proposé  le  rétablissement  de  l'union  des  hommes  avec 
Dieu,  par  la  propagation  des  doctrines  du  mysticisme.  A  sa  tête  était 
un  laïque,  qui,  dans  les  documents  contemporains,  n'est  qualifié  que  de 
((  grand  Ami  de  Dieu  dans  XOberland,  »  et  qui  très-probablement  s'est 
appelé  Nicolas  de  Bâle.  Son  histoire,  telle  qu'on  la  connaît  surtout  par 
ses  propres  écrits,  est  mêlée  d'éléments  fantastiques,  dont  il  n'est  pas 
toujours  facile  de  dégager  la  réalité.  Il  suffit  ici  dédire  que  ce  qui  carac- 
térisait cet  homme  extraordinaire  ,  c'était  un  désir  enthousiaste  de 
communication  immédiate  avec  Dieu,  une  foi  sans  réserve  aux  visions 
et  aux  rêves,  une  confusion  inconsciente  de  ce  qui  se  passait  dans  son 
âme  avec  des  faits  extérieurs,  une  grande  austérité  morale,  un  ardent 
amour  des  hommes.  Pour  devenir  Ami  de  Dieu,  il  fallait  selon  lui,  moins 
le  renoncement  aux  choses  terrestres,  que  le  renoncement  à  la  volonté 
personnelle;  toutes  choses  ne  doivent  être  contemplées  qu'en  Dieu,  en 
elles-mêmes ,  elles  sont  indifférentes,  mais  vues  en  Dieu  elles  sont 
bonnes;  la  souffrance  même  est  une  grâce,  et,  non-seulement  celle  du 
:orps,  mais  aussi  celle  de  l'âme;  le  véritable  Ami  de  Dieu  ne  fait  pas 
d'efforts  pour  résister  aux  tentations  du  doute,  pas  même  à  celles  de  la 
concupiscence,  il  les  accepte  comme  des  grâces  passives,  il  se  souvient 
de  sainl  Paul,  auquel  Jésus-Christ  a  dit  :  «Ma  grâce  te  suffit,  car  ma 
vert  u  manifeste  sa  force  dans  l'infirmité  »  (2  Cor.  XII,  9).  Nicolas  de  Mâle 
acceptait  le  catholicisme,  avec  ses  formes  et  ses  dogmes;  il  ne  s'éloignait 
de  la  coutume  générale  qu'en  demandant  une  communion  Ires-fré- 
quente pour  les  laïques.  11  voulail  que  les  Amis  de  Dieu  ne  s'isolassent 
pas  lin  monde,  ils  devaienl  se  dévouera  la  conversion  de  leurs  contenu- 


244  AMIS  DE  DIEU 

porains,  et  cette  mission  n'était  pas  seulement  celle  des  prêtres,  elle 
appartenait  aussi  aux  laïques  illuminés.  Plein  de  ces  idées,  Nicolas  s'as- 
socia de  bonne  heure  à  quatre  compagnons.  Pendant  quelque  temps 
il  vécut  à  Baie  ;  de  là  il  se  rendit  à  Strasbourg,  où  il  gagna  le  domi- 
nicain Tauler  et  le  négociant  Rulmann  Merswin,  qui  le  prirent  pour 
«  directeur  à  la  place  de  Dieu.  »  Il  engagea  Merswin  à  faire  l'acquisition 
d'un  couvent  abandonné  et  à  le  céder  à  l'ordre  de  Saint-Jean,  avec  les 
membres  duquel  il  resta  en  correspondance.  En  1356,  après  le  tremble- 
ment de  terre  qui  ravagea  Baie,  il  écrivit  un  appel  aux  chrétiens  pour 
les  exhortera  la'pénitence  ;  il  l'envoya  à  Tauler,  qu'il  revint  visiter  dans 
sa  dernière  maladie.  En  1367  il  se  retira  avec  ses  compagnons  sur  une 
montagne,  non  loin  d'une  ville.  En  réunissant  les  diverses  données 
qu'on  trouve  sur  cette  émigration,  nous  sommes  arrivé  à  la  conclusion 
que  la  ville  était  Lucerne  et  la  montagne  le  groupe  du  Pilate.  Un  savant 
allemand,  M.  Preger,  de  Munich,  croit  que  c'est  plutôt  en  Alsace,  dans 
les  Vosges,  qu'il  faut  chercher  la  retraite  des  Amis  de  Dieu.  Notre  sup- 
position, au  contraire,  vient  d'être  confirmée  par  les  recherches  d'un 
historien  suisse,  M.  Lùtolf,  de  Lucerne.  En  1377,  Grégoire  IX  étant 
revenu  d'Avignon  à  Rome,  Nicolas  et  un  de  ses  compagnons  se  rendirent 
auprès  de  lui  pour  lui  faire  des  représentations  sur  l'état  de  la  chré- 
tienté ;  d'abord  il  se  méfia  d'eux,  mais  finit  par  les  écouter,  et  les  ren- 
voya avec   des  privilèges   pour  leur  établissement.  Quand  éclata  le 
schisme,  ils  se  réunirent,  en  mars  1379,  sur  une  montagne  près  d'une 
chapelle  taillée  dans  le  roc  ;  ils  auraient  voulu  partir  pour  prêcher,  mais 
Nicolas  raconte  qu'ils  reçurent  de  la  Trinité  l'ordre  d'attendre  encore 
un  an.  Après  cette  année  ils  se  retrouvèrent  au  même  endroit,  cette  fois 
au  nombre  de  treize  ;  il  y  avait  parmi  eux  des  frères  venus  de  Hongrie 
et  d'Italie.  Nicolas  écrit  au  commandeur  de  la  maison  de  Saint-Jean,  de 
Strasbourg,  que  par  une  lettre  tombée  du  ciel  ils  avaient  appris  que  Dieu 
donnait  au  monde  encore  trois  ans  de  répit,  que,  si  dans  cet  intervalle 
les  hommes  ne  se  convertissaient  pas,  la  colère  divine  éclaterait  sur  eux 
et  qu'alors  les  Amis  de  Dieu  devaient  se  disperser  «  aux  cinq  coins  du 
monde.  »  Après  ce  délai  de  trois  ans,  en  1382,  on  perd  leurs  traces;  on 
peut  admettre  qu'ils  exécutèrent  ce  qu'ils  croyaient  être  l'ordre  de 
Dieu,  ils  partirent  pour  prêcher  la  repentance.  D'après  le  dominicain 
Nider,  Nicolas  de  Baie  et  deux  de  ses  compagnons  furent  brûlés  à  Vienne 
en  Autriche;  en  1393  le  bénédictin  Martin  de  Mayence,  de  l'abbaye  de 
Reichenau,  eut  le  même  sort  à  Cologne  pour  s'être  soumis  à  Nicolas  de 
Bâle  ;  peu  auparavant  d'autres  Amis  de  Dieu  avaient  été  condamnés  à 
Heidelberg.  Gomme  les  écrits  du  «  grand  Ami  de  Dieu  dans  YOberland  » 
ne  renferment  rien  de   décidément  hérétique ,  on  a   pensé  qu'il  ne 
convient  pas  de  j l'identifier  avec  Nicolas  de  Bâle.  Nous  ne  tenons  pas  à 
notre  opinion,  nous  sommes  prêt  à  la  modifier  dès  qu'on  nous  fournira 
des  raisons  suffisantes;  mais  comme  au  moyen  âge  il  ne  fallait  pas 
beaucoup  pour  être  livré  à  l'inquisition,  nous  continuons  de  croire  que 
TArni  de  Dieu  visionnaire,  prédicateur  enthousiaste  de  la  pénitence,  et 
au  surplus  laïque,  a  pu  être  prie  pour  un  beghard  et  qu'il  a  bien  été 
e  Nicolas  brûlé  à  Vienne.   Après  la  mort  de  Rulmann  Merswin,  les 


AMIS  DE  DIEU  —  AMIS  DES  LUMIERES  245 

johannites  de  Strasbourg  firent  des  tentatives  pour  trouver  la  retraite 
des  Amis  de  Dieu;  ils  ne  la  cherchèrent  pas  en  Alsace,  niais  en  Suisse, 
et  toujours  en  vain.  L'existence  de  cette  association  est  un  des  faits  les 
plus  curieux  du  quatorzième  siècle;  elle  avait  des  ramifications  en 
Lorraine,  en  Hongrie,  en  Italie  ;  le  chef  exerçait  une  influence  consi- 
dérable sur  des  chevaliers,  des  moines,  des  religieuses,  et  même  sur  des 
personnes  qui  ne  l'avaient  jamais  vu;  le  commandeur  de  la  maison  de 
Saint-Jean,  de  Strasbourg,  et  le  maître  de  l'ordre  en  Allemagne,  qui  ne 
savaient  pas  même  son  nom,  ne  décidaient  rien  sans  le  consulter  par 
l'intermédiaire  de  Merswin.  —  Voyez  Nicolaus  von  Basel,  Leben  und 
ausgcwxhlte  Schriften,  von  G.  Schmidt,  Wien,  18(5(5.         Ch.  Schmidt. 

AMIS  DES  LUMIÈRES  (Lichtfreundè).  Ce  ne  fut  d'abord  qu'une  appel- 
lation railleuse  de  leurs  adversaires;  eux-mêmes  se  nommèrent  «  Amis 
protestants,  »  «  Communautés  libres  »  (Freie  Gemeinden),  lorsqu'ils  se 
furent  constitués  en  associations  distinctes.  Leur  mouvement  propre- 
ment dit  éclata  en  1841,  mais  ne  fut  que  la  continuation  de  la  lutte 
entre  l'orthodoxie  luthérienne  et  le  vieux  rationalisme.  11  eut  pour 
principal  foyer  la  province  de  Saxe  et  s'étendit  à  l'ouest  sur  les  duchés 
d'Anhalt,  le  Hanovre,  l'électorat  et  le  landgraviat  de  Hesse,  à  l'est  sur 
le  royaume  de  Saxe,  le  Brandebourg,  la  province  de  Prusse,  la  Silésie. 
Un  fait  insignifiant  détermina  une  explosion  depuis  longtemps  prévue. 
Parmi  les  tableaux  exposés  pendant  le  printemps  de  1841,  à  Magdebourg 
s'en  trouvait  un  qui  représentait  une  famille  de  cultivateurs  agenouillés 
dans  une  foret  devant  le  crucifix.  Un  pasteur  d'Halberstadt  qui  appar- 
tenait à  la  tendance  rationaliste,  Sintenis,  en  prit  occasion  pour  s'élever 
contre  une  pratique  idolâtre;  il  fut  sévèrement  réprimandé,  menacé 
môme  de  destitution  par  le  surintendant  de  la  province,  l'évêque 
bnesecke.  Plusieurs  de  ses  collègues  se  prononcèrent  en  sa  faveur  et 
tinrent  une  série  de  réunions  qui  furent  fréquentées  par  un  nombre 
toujours  croissant  d'auditeurs  (Gnadau,  29  juin  1841;  Halle,  Magdebourg, 
automne  1841;  Leipzig,  Kœthen,  1842);  elles  durent  être  convoquées 
en  plein  air  lorsqu'il  atteignit  plusieurs  centaines.  Parmi  les  principaux 
chefs  du  mouvement,  il  convient  de  citer  outre  Sintenis,  d'Halberstadt, 
Uhlich,  de  Magdebourg;  Fischer,  de  Leipzig;  Kœnig,  d'Anderbeck;  Balt- 
zer,  de  Nordhausen;  Wislicenus,  Niemeyer,  Francke,  Duncker,  Eberty, 
de  Halle.  Leur  valeur  morale  l'emportait  de  beaucoup  sur  leurs  capacités 
intellectuelles  ;  c'étaient  pour  la  plupart  de  dignes  pasteurs ,  des 
hommes  convaincus  et  dévoués  qui  auraient  désiré  une  évolution 
libérale  au  sein  de  l'Eglise  protestante,  mais  qui  manquaient  de  clarté 
et  de  rigueur  dans  les  idées,  de  culture  scientifique.  La  piété  et  le  dé- 
sintéressemenl  d'Uhlich  n'ont  été  mis  en  doute  par  aucun  historien 
impartial.  La  partie  négative  de  leur  œuvre  conta  moins  de  peine 
aux  Amis  protestants  que  la  partie  positive.  Ils  tombèrent  aisément 
d'accord  pour  dépouiller  de  toute  autorité  religieuse  les  articles  des 
Livres  symboliques  qui  leur  paraissaient  contraires  à  l'Ecriture  libre- 
ment interprétée  et  à  la  saine  raison,  pour  supprimer  dans  l'Agende 
tous  les  rites  qui  leur  semblaient  entachés  de  superstition.  Par  contre, 
sur  tous  les  points  importants  de  la  dogmatique,  leurs  idées  demeurèrent 


246  AMIS  DES  LUMIERES 

très-vagues  ;  ils  se  bornèrent  à  reproduire  les  thèses  quelque  peu  banales 
de  l'ancien  rationalisme.  Les  Amis  protestants  s'occupèrent,  dans  leurs 
conférences,  du  côté  pratique  de  leur  œuvre  :  ils  s'associèrent  aux  tra- 
vaux de  la  Société  de  Gustave-Adolphe,  créèrent  dans  chaque  commu- 
nauté une  réunion  d'édification  et  d'instruction  pour  les  jeunes  gens  el 
les  adultes,  multiplièrent  les  bibliothèques  populaires,  publièrent  sous 
la  direction  du  pasteur  Fischer,  de  Leipzig,  un  journal  :  Feuilles  pour 
l'édification  chrétienne  des  Amis  protestants,  qui  compta  bientôt  plus  de 
4,000  abonnés,  firent  dans  la  nouvelle  organisation  une  large  part  à 
l'élément  laïque.  Effrayé  de  ces  succès,  le  parti  orthodoxe  combattit  ses 
adversaires  par  tous  les  moyens  dont  il  disposait.  Ses  plus  ardents  cham- 
pions furent  le  professeur  Guericke,  de  Halle,  et  les  rédacteurs  de  la 
Gazette  évangélique.  Les  critiques  qu'ils  adressèrent  aux  Amis  protes- 
tants, perdirent  beaucoup  de  leur  autorité  à  cause  des  perfides  insinua- 
tions dont  elles  étaient  accompagnées,  de  l'amertume  et  de  la  véhé- 
mence du  langage,  du  constant  appel  au  bras  séculier.  Des  procès 
d'hérésie  furent  intentés  à  Kœnig,  Uhlich,  Wislicenus,  à  la  demande  des 
pasteurs  orthodoxes  de  leurs  consistoires  respectifs.  A  ces  accusations, 
les  Amis  protestants  répondirent  par  la  déclaration  de  Kœthen  (Pente- 
côte 1849),  où  ils  flétrissaient  la  partialité  du  ministre  des  cultes 
(Eichhorn)  et  les  calomnies  de  la  Gazette  évangélique.  Les  «  jeunes  hé- 
géliens, »  qui  s'étaient  alliés  à  eux  par  haine  de  l'Eglise,  l'emportèrent 
au  sein  de  leurs  réunions  sur  le  parti  modéré.  Wislicenus  lut,  dans  la 
conférence  de  Kœthen,  un  rapport  Ecriture  ou  Esprit  (Schrift  oder 
Geist),  dans  lequel  il  prenait  au  sens  littéral  toutes  les  déclarations  de 
la  Bible  el  lui  substituait  l'autorité  de  l'Esprit  entendu  dans  le  sens  du 
radicalisme  panthéiste.  Ses  expressions  furent  habilement  exploitées  par 
ses  adversaires.  D'un  parti  religieux  au  sein  de  l'Eglise  protestante,  les 
Amis  des  lumières  inclinèrent  toujours  davantage  à  devenir  une  associa- 
tion de  rationalistes,  de  libres  penseurs.  L'intervention  de  l'autorité 
civile  envenima  encore  le  différend.  Le  gouvernement  saxon  interdit 
aux  Amis  protestants  de  se  réunir  sous  aucun  prétexte;  Frédéric-Guil- 
laume IV,  à  l'instigation  d'Hengstenberg,  leur  appliqua  les  dispositions 
les  plus  rigoureuses  de  la  loi  sur  les  clubs  politiques  et  menaça  de  desti- 
tution tous  ceux  de  leurs  membres  qui  appartenaient  aux  écoles  ou  au 
clergé.  Dès  que  l'heure  de  la  persécution  eut  sonné,  les  classes  éclairées, 
la  bourgeoisie,  les  ouvriers,  bref  tous  ceux  que  mécontentait  l'ordre  de 
choses  actuel,  et  qui  professaient  les  idées  démocratiques,  se  pronon- 
cèrent ouvertement  en  faveur  des  victimes.  Les  municipalités  de  Berlin, 
de  Breslau,  de  Kœnigsberg  demandèrent  au  roi  de  garantir  à  tous  ses 
sujets  une  pleine  liberté  de  conscience  et  le  supplièrent  de  résister  aux 
suggestions  d'un  parti  «  qui  mettait  l'Union  en  péril  et  dont  les  vues  reli- 
gieuses répugnaient  à  l'immense  majorité  de  la  nation.  »  Quatre-vingts 
ecclésiastiques  de  Berlin  et  du  Brandebourg,  qui  comptaient  parmi  les 
disciples  les  plus  modérés  de  Schleiermacher,  conseillèrent  également 
la  tolérance  envers  les  Amis  des  lumières  et  profitèrent  de  l'occasion 
pour  réclamer  une  plus  complète  autonomie  des  communautés  vis-à-vis 
de  l'Etat.  Toutes  les  démarches  furent  inutiles  et  ne  servirent  qu'à  attirer 


AMIS  DES  LUMIERES  247 

sur  leurs  auteurs  le  courroux  du  monarque.  Frédéric-Guillaume  IV  pro- 
céda avec  une  extrême  rigueur  contre  des  hommes  dans  lesquels  il 
voyait  des  hérétiques  dangereux.  Les  Amis  protestants  furent  contraints 
de  se  séparer  de  L'Eglise  établie  et  de  se  constituer,  à  leurs  risques  et 
périls,  en  libres  associations.  Wisiicenus  avait  été  suspendu  de  ses  fonc- 
tions après  sa  conférence  :  Ecriture  ou  Esprit?  (12  juillet  1845)  ;  Rupp 
fut  destitué  à  lûenigsberg*,  pour  avoir  prêché  contre  le  symbole  d'Atha- 
nase,  Baltzer  à  Nordhausen,  pour  avoir  refusé  délire  le  symbole  des  apô- 
tres. Uhlich  à  Magdebourg,  pour  if  avoir  pas  voulu  souscrire  aux  formules 
favorites  du  vieux-luthéranisme.  «  Nous  restons  ce  que  nous  étions 
auparavant  :  des  chrétiens  évangéliques,  »  se  serait  écrié  ce  dernier 
après  son  expulsion.  La  première  communauté  qui  se  constitua  fut 
celle  de  Kœnigsberg  (16  janvier  1846);  la  plus  nombreuse,  celle  de 
Halle  (novembre  184-7),  qui  compta  jusqu'à  5,000  adhérents.  Afin  de 
grouper  ces  membres  épars,  Uhlich  essaya  d'instituer  des  conférences 
annuelles,  mais  elles  n'aboutirent  à  aucun  résultat.  Le  principe  indivi- 
dualiste fut  poussé  jusqu'à  ses  plus  excessives  conséquences;  chaque 
communauté  régla  selon  son  bon  plaisir  ses  rapports  avec  l'Etat,  son 
organisation  intérieure,  ses  questions  de  dogme.  La  conférence  de 
Nordhausen  (6-8  septembre  18-47)  remplaça  le  symbole  des  apôtres  par 
la  formule  :  «  Je  crois  en  Dieu  et  en  son  royaume  éternel,  tel  qu'il  a 
été  introduit  dans  le  monde  par  Jésus-Christ,»  mais  n'en  rendit  l'adoption 
obligatoire  pour  aucune  communauté.  Afin  d'obvier  à  leur  isolement, 
les  Amis  des  lumières  cherchèrent  à  s'unir  aux  «  catholiques  alle- 
mands. »  Une  première  tentative  avait  été  déjà  faite  en  1845  au  moyen 
d'une  lettre  que  la  communauté  de  Halle  avait  adressée  à  Ronge  pour 
l'assurer  de  ses  sympathies.  Poursuivies  en  octobre  1849,  à  la  confé- 
rence d'Halberstadt,  les  négociations  aboutirent  à  un  accord  complet 
entre  les  deux  parties  après  le  concile  de  Leipzig-Kœthen.  Protestants 
et  catholiques  se  confondirent  en  une  «  association  religieuse  des  com- 
munautés libres.  »  A  l'Eglise  et  au  sacerdoce  ils  substituèrent  comme 
moyens  de  salut  :  l'esprit,  l'amour,  la  libre  association  ;  le  seul  lien 
entre  les  différents  groupes  fut  «  la  liberté  de  l'esprit  humain  qui  se 
manifestait  par  des  actes  moraux,  »  pour  traduire  littéralement  une 
formule  inspirée  par  la  phraséologie  hégélienne.  A  vrai  dire,  l'identité 
était  complète  entre  les  deux  mouvements  :  mêmes  aspirations  géné- 
reuses, même  amour  vague  de  la  liberté,  même  haine  de  la  superstition 
et  de  la  contrainte  intellectuelle,  même  absence  de  culture  scientifique, 
même  confusion  entre  la  sphère  politique  et  le  domaine  religieux.  La 
révolution  de  1848  acheva  de  transformer  en  apôtres  du  socialisme,  de 
la  démocratie  avancée,  des  hommes  qui  s'étaient  d'abord  proposé  la 
réforme  de  L'Eglise  protestante.  La  situation  légale  des  Amis  protes- 
tants s'était  déjà  améliorée  en  Prusse  avec  l'édit  du  30  mars  1847, 
qui  garantissait  aux  dissidents  la  plénitude  de  leurs  droits  civils  et  poli- 
tique- :  ils  Curent  expressément  reconnus  en  1848,  par  un  article  des 
Droits  fondamentaux  et  obtinrent  en  Prusse  la  commune  jouissance  des 
églises  évangélkraes,  pourvu  qu'ils  s'arrangeassent  avec  les  munici- 
palités. De  nouvelles  associations  se  fondèrent  à  Danlzig,  à  Berlin,  à 


248  AMIS  DES  LUMIERES  —  AMMON 

Dresde,  à  Nuremberg,  etc,;  mais  elles  revêtirent  un  caractère  trop 
exclusivement  politique  pour  que  leur  existence  fût  de  longue  durée. 
Les  Amis  des  lumières  payèrent  cruellement  ces  faveurs  passagères 
de  la  révolution.  Après  le  triomphe  du  parti  conservateur  leurs  assem- 
blées furent  fermées  comme  tous  les  autres  clubs,  eux-mêmes  pour- 
suivis comme  des  fauteurs  de  troubles ,  de  criminels  démagogues. 
Depuis  1851,  ils  perdirent  en  Saxe  et  en  Hesse  leur  existence  légale;  en 
Prusse  leurs  associations,  après  avoir  été  tracassées  par  la  police,  excom- 
muniées par  le  consistoire  supérieur,  furent  enfin  dissoutes  en  1856, 
parce  que  «  sous  le  manteau  de  la  religion  elles  ne  traitaient  que  de 
matières  politiques.  »  Ce  fut  en  vain  que  la  chambre  des  députés  pro- 
testa contre  cet  acte  d'intolérance  et  que  M.  de  Bunsen  intervint 
publiquement  en  faveur  des  sectaires;  Frédéric-Guillaume  IV  demeura 
inflexible.  Un  moment  suspendues  par  M.  de  Bethmann-Hollweg  (1859), 
ces  lois  oppressives  furent  remises  en  vigueur  par  M.  de  Mùhler  (1862). 
La  persécution  n'a  pas  réussi  à  galvaniser  un  mouvement  qui  avait  tou- 
jours manqué  de  force  vitale;  les  quelques  communautés  qui  n'ont  pas 
été  englouties  par  la  tempête  de  1850,  traînent  une  existence  misérable 
malgré  le  dévouement  de  quelques-uns  de  leurs  adeptes.  Plusieurs  né- 
gations des  Amis  des  Lumières  furent  provoquées  par  le  fanatisme, 
l'hypocrisie,  l'étroitesse  intellectuelle  de  leurs  adversaires  ;  on  n'en  est 
pas  moins  forcé  de  reconnaître  qu'ils  furent  incapables  de  substituer 
aux  anciennes  formules  un  principe  religieux  durable.  Le  faible  prestige 
dont  les  entouraient  leurs  souffrances  a  disparu  depuis  que  la  liberté  d'en- 
seignement et  d'association  a  été  de  nouveau  garantie  en  Prusse,  avec 
l'avènement  au  ministère  de  M.  Falk  (1872).  —  Voyez  Brockhaus,  Con- 
versations Lexicon,  VI  ;  Nippold,  Neueste Kirchengeschickte,  1868  ;  Kampe, 
Geschichte  der  religiœsen  Beivegung  der  neuen  Zeit,  1856  ;  Zschiesche, 
Die protestantischen  Freunde.  Eine  Selbstkritik,  1846.         E.  Strœhlin. 

AMMIEN  MARCELLIN,  né  à  Antioche,  mort  vers  410,  est  l'auteur 
d'une  histoire  de  l'empire  romain  (Ilerum  gestarum  libri  XXXI),  qui 
s'étendait  de  l'an  96  à  l'an  378,  mais  qui  ne  nous  est  conservée  qu'à 
partir  de  l'an  353.  Ammien  était  païen,  mais  l'impartialité  avec  la- 
quelle il  loue  les  mœurs  des  chrétiens,  la  constance  des  martyrs  et  la 
simplicité  de  la  religion  chrétienne,  révèle  un  de  ces  philosophes  du 
quatrième  siècle  qui,  repoussés  du  christianisme  par  le  spectacle  de  ses 
divisions,  respectaient  néanmoins  en  lui  le  culte  du  perpetuum  ?iumen, 
du  Dieu  unique.  Cl.  Chifflet,  dans  sa  dissertation  De  A.  M.  Vita,  etc., 
Louvain,  1627  (reproduite  dans  l'édition  de  Gronovius,  Leyde,  1693, 
in-4°,  et  dans  celle  des  frères  Valois,  Paris,  1681,  in-f°),  a  pu  soutenir 
qu' Ammien  était  chrétien.  Dernière  édition  critique,  par  Gardthausen, 
Leipz.,  1874  s.,  2  vol.  in-1'8. 

AMMON,  AMMONITES.  C'est  par  erreur  qu'on  appelle  Ammon  le  fils 
né  de  l'inceste  de  Lot  avec  sa  fille  cadette;  la  Genèse  le  nomme  Ben- 
eAmmi  (Gen.  XIX,  38);  il  est  frère  puîné  de  Moab  et  père  des  Benê- 
e Ammon.  Benê-cAmmôn  signifiant  proprement  «  les  enfants  d' Am- 
mon, »  on  a  pensé  qu'ils  devaient  descendre  d'un  homme  nommé 
'Ammon;  mais  benê  correspond  au  latin  gens,  il  signifie  tribu;  on 


A  M  MON  249 

disâil  les  Benê-Ammon  comme  les  Benê-Kedem  ou  les  Beni-Mzab.  De 
Benê-Ammôn  nous  avons  fait  les  Ammonites,  d'après  Josèphe  et  la 
version  alexandrine  du  Pentateuque;  dans  l'Ancien  Testament,  l'eth- 
nique eAmmôni  (F Ammonite)  s'applique  exclusivement  aux  individus; 
on  ne  rencontre  que  deux  fois  le  pluriel  'Ammônim  (Deut.  II,  20; 

1  Rois  XI,  5  .  Les  textes  assyriens  connaissent  les  Ammonites  sous  le 
nom  de  BU- Amman.  Les  Benê-Ammon  sont  donc  une  tribu  très-proche 
parenle  des  Moabites;  ils  sont  sans  cesse  nommés  ensemble  (Juges  X,  6; 

2  Chron.  XX,  1;  Soph.  II,  8),  parfois  même  leurs  pays  sont  confondus 
(Deut.    11.   19).  Suivant  la  tradition  (Deut.  II,  20),  les  Benê-Ammon 
avaienl  chassé  les  Zamzummim,  une  ancienne  peuplade  de  géants,  et 
leur  avaient  pris  le  pays  situé  entre  l'Arnon  et  le  Jabboq  (Juges  XI,  13), 
à  l'exception  des  villes  qui  bordent  la  mer  Morte;  d'accord  avec  le  livre 
de  Josué,  l'inscription  de  Mésa  nous  apprend  que  ces  villes  Jahac,  Dibon, 
Medeba,  etc.,  appartenaient  aux  Moabites  (Cl.  Ganneau,  la  Stèle  de  Dhi- 
ban,  p.  12  ss.). —  L'invasion  des  Amorrhéens  obligea  les  Benê-Ammon  à 
reculer  vers  le  nord-est,  derrière  le  Jabboq,  qui  formait  une  frontière 
naturelle  (Deut.  III,  16;  Nomb.  XXI,  24)  et  qui  était  défendu  par  leur 
capitale,  Rabbâ  (Deut.  III,  i  1  ;  Amos  1, 14)  ;  mais  ils  ne  renoncèrent  jamais 
à  leurs  prétentions  sur  la  rive  droite  de  l'Arnon  (Juges  XI,  14-23)  ;  du 
jour  où  les  Hébreux  s'en  furent  emparés,  ils  ne  cessèrent  pas  de  les 
leur  disputer,  les  armes  à  la  main.  Il  y  eut  toujours  entre  les  deux  na- 
tions une  inimitié  d'autant  plus  implacable  qu'elles  se  tenaient  de  plus 
près.  Les  Benê-Ammon  profitèrent  de  la  période  d'anarchie  qui  suivit 
la  conquête  pour  opprimer  les  tribus  établies  sur  la  rive  gauche  du 
Jourdain;  ils  tentèrent  même  de  traverser  le  fleuve  (Juges  III,  13). 
Jephté  en  débarrassa  le  pays  momentanément  (Juges  XI,  32;  XII,  2). 
Le  premier  exploit  militaire  de  Saùl  fut  de  les  battre  (1  Sam.  XI,  11; 
XIV,  47).   David,   qui  n'avait  pas  épousé  les  haines   de   la  maison 
d'Ephraïm,  vécut  d'abord  avec  eux  en  bonne  intelligence;  mais,  sen- 
tant que  leur  soumission  était  nécessaire  à  la  sûreté  de  son  empire,  il 
profita  d'une  insulte  faite  à  ses  ambassadeurs  pour  écraser  les  Benê- 
Ammon   (2  Sam.  VIII,  12;  X;  XII,  26),  prit  leur  capitale  et  la  cou- 
ronne de  leur  dieu  Milkom.  —  Salomon  aima  des  Ammonites  (1  Rois 
XI,  1  ;  comp.  Nétiém.  XIÏI,  23);  la  mère  de  Roboam,  Nacama,  en  était 
une  (1  Rois  XIV,  31;  2  Chron.  XII,  13).  A  partir  du  schisme,  les  hostilités 
recommencèrent.  On  peut  consulter,  pour  toute  cette  période,  à  côté  des 
textes  bibliques,  les  inscriptions  cunéiformes;  elles  nous  ont  fait  con- 
naître jusqu'à  présent  trois  rois  ammonites  :  Baasa,  fils  de  Rokhob,  sous 
Salmanazar  II,  Sanibi,  sous  Tiglat-Pilezer,  et  Puduilu  sous  Sennachérib 
el    Essarhaddon,   tous  trois  tributaires  (voy.  Schrader,  Die  Keilinschr. 
h  das  A.  7\,  p.  ;>2  ss.).  On  peut  pourtant  se  demander  si  le  premier 
D  esl  pas  !<•  même  que  Baasa,  roi  d'Israël,  second  successeur  de  Jéro- 
boam. D'après  les  sources  juives,  les  Benê-Ammon  attaquèrent  de  nou- 
veau  l',i<»\aumedeJudasousJosaphat(a.914ss.),  furent  battus  (2  Chron. 
X  V  i  .  <-i  devinrenl  tributaires  sousOsias  (2  Chron.  XXVI,  8)  et  sous  son 
fils  Jotham    no'.i  ss.  H  7:>8  ss.;  comp.  2  Chron.  XXVII,  5).  Mais,  dès 
q  u'israél  fui  aux  pi  i& >s  avec  les  Assvriens,  leurs  haines  se  réveillèrent.  Ils 

i.  17 


250  AMMON 

se  mirent  à  saccager  le  pays  de  Gaîaad  (Amos  1, 13)  et  insultèrent  les  dix 
tribus  lorsqu'elles  s'en  allaient  en  captivité  (Soph.  11,  8).  Appuyés  sur 
les  Chaldéens,  dont  ils  étaient  tributaires  après  l'avoir  été  des  Assyriens 
(Jérém.  XXVII,  3),  ils  s'emparèrent  de  la  rive  gauche  du  Jourdain  (Jé- 
rém.  XLIX,  1  ss.),  et  quand  les  Chaldéens  fondirent  sur  la  Judée  (2  Rois 
XXIV,  2),  ils  s'unirent  à  eux  (Ezéch.  XXI,  33;  XXV,  2  ss.).  Plus  tard, 
poussés  par  la  nécessité,  les  Juifs  se  réfugièrent  à  l'est  du  Jourdain 
(Jérém.  XL,  11  ;  XLI,  15)  ;  mais  quand  ils  voulurent  se  relever,  le  roi  des 
Ammonites  fit  assassiner  Gedalja,  leur  chef  (Jérém.  XL,  14).  Aussi  les 
prophètes  sont-îls  pleins  de  menaces  contre  les  Benê-Ammon  (voy.  plus 
haut),  et  le  Deutéronome  (XXIÏI,  3)  contient-il  l'interdiction  de  jamais  les 
recevoir  dans  la  communauté.  Néanmoins,  après  l'exil,  les  mariages  entre 
les  deux  peuples  continuèrent  comme  par  le  passé  ;  mais  les  prêtres  con- 
damnaient ces  pratiques  (2  Chron.  XXIV,  26;  Esdras  IX,  1),  et  la  race 
ammonite  resta  hostile  à  la  nouvelle  société.  Ces  dispositions  persistèrent 
jusque  sous  les  Maccabées  (1  Macc.  V,  1  ss.).  Sous  les  Romains,  les  Benê- 
Ammon  furent  englobés  dans  la  décapole;  déjà  les  Ptolémées  avaient 
changé  le  nom  de  Rabbâ,  leur  capitale,  contre  celui  de  Philadelphe. 
Néanmoins,  du  temps  de  Justin  Martyr  (Tryph.,  p.  272),  ils  étaient  en- 
core nombreux,  et,  d'après  M.  CL  Ganneau  (/.  /.),  on  les  retrouve  encore 
aujourd'hui  à  Test  du  Jourdain.  11  ne  nous  est  rien  resté  de  la  littérature 
des  Benê-Ammon;  mais  leur  langue,  autant  qu'on  peut  en  juger  d'après 
celle  de  Moab,  était  presque  de  l'hébreu.  Les  noms  propres  ont  une  cou- 
leur fortement  hébraïque  :  Na'amâ,  Nakhach,  Baasa  (?),  Paduel  (Puduilu). 
Du  reste,  les  Benê-Ammon  paraissent  n'avoir  pas  eu  grande  culture;  ils 
avaient  vis-à-vis  de  Moab  une  infériorité  réelle  qu'exprime  l'histoire  de 
leur  origine.  On  ne  trouve  pas  chez  eux  de  traces  de  civilisation  comme 
chez  les  Moabites  (Esaïe  XV;  XVI;  Jérém.  XL VIII).  Ils  ont  toujours  été 
repoussés  à  la  limite  du  désert,  où  ils  menaient  une  vie  de  maraudeurs 
(1  Sam.  XI,  2;  Amos  I,  13;  Jérém.  XLI,  6,  7;  2  Sam.  X,  1-5);  et  n'ont 
jamais  réussi  à  s'emparer  des  places  fortes  qui  bordaient  la  mer  Morte. 
Ils  avaient  pourtant  une  capitale ,  Rabbâ,  fortifiée  et  entourée  peut- 
être  de  travaux  pour  les  eaux  (2  Sam.  XI,  cf.  Inscr.  de  Mésa,  lin.  22-23). 
Voici  la  liste  de  ceux  de  leurs  rois  que  l'on  connaît  aujourd'hui  : 
Nakhach,  contemporain  de  Saùl  ;  Khannoun  ben  Nakhach,  contemporain 
de  David  ;  Rokhob  (?)  ;  Ba'asa  ben  Rokhob  (?),  sous  Salmanazar  II  ;  Sanibi, 
sous  Tiglat-Pilezer  (744-726)  ;  Puduilu,  sous  Sennachéiïb  (704-681)  et 
Assarhaddon  (681-662);  Ba'alich,  du  temps  de  Gedalja;  enfin,  1  Macc. 
V,  6,  nous  trouvons  cité  un  chef  ammonite  du  nom  de  Timothée.  Les 
Benê-Ammon  adoraient  Molok  ou  Milkom;  il  était  leur  dieu  national, 
comme  Kamoch  celui  de  Moab.  Une  fois  même  on  trouve  Kamoch  cité 
à  la  place  de  Molok,  sans  doute  par  erreur  (Juges  XI,  24).  Molok,  qui 
était  primitivement  un  terme  honorifique,  avait  fini  par  désigner  un 
aspect  spécial  de  la  divinité;  c'était  le  soleil  consumant;  on  lui  faisait  des 
sacrifices  humains,  et  les  Juifs  faisaient  passer  par  le  feu  leurs  enfants 
en  son  honneur.  Il  avait  une  tente  sacrée  où  l'on  portait  son  idole, 
ornée  d'une  couronne  avec  une  pierre  précieuse  au  milieu  (2  Sam.  XII, 
30;  comp.  Amos  V,  26).  David  se  vantait  de  l'avoir  prise  et  de  l'avoir 


AMMON  251 

mise  sur  sa  tête,  comme  Mésa  se  vantail  (ravoir  pris  l'Ariol.  Il  y  a  donc 
pour  la  religion,  comme  pour  les  mœurs  ««I  la  langue,  un  parallélisme 
constanl  entre  les  Ammonites  el  les  Hébreux,  mais  cette  ressemblance 
riait  puremenl  dans  les  formes,  et  les  Ammonites  n'ont  jamais  rien  eu 
de  ce  qui  a  l'ail  la  grandeur  d'Israël.  Pn.  Berger. 

AMMON  ou  AMOUN  (Saint),  anachorète,  contemporain  et  ami  de 
sain!  Antoine.  11  se  maria  à  l'âge  de  vingt-deux  ans  avec  une  jeune  fille 
de  parents  nobles  ef  riches,  mais  non  sans  avoir  exigé  d'elle  le  vœu  de 
continence,  qu'ils  observèrent  pendant  dix-huit  ans.  Après  la  mort  de 
sa  femme,  Ammon  se  retira  au  fond  d'une  gorge  sauvage  de  montagne 
dans  le  désert  de  Nitrie,  réunit  autour  de  lui  quelques  disciples,  fonda 
un  couvent  et  mourut  en  356,  âgé  de  soixante-deux  ans.  Son  nom  ne  se 
trouve  pas  dans  le  Martyrologe  romain;  mais  le  Ménologe  grec  place 
sa  fête  au  A  octobre  (Sozom.,  I,  12;  Socr.,  IV,  23;  VitœPatrum,  II,  30). 

AMMON  (Christophe-Frédéric  von)  [1766-1849],  originaire  de  la  Fran- 
conie,  après  avoir  professé  la  théologie  à  Erlangen  et  à  Gœttingue, 
remplit  à  Dresde  la  charge  de  premier  prédicateur  de  la  cour  et  de 
membre  du  consistoire  supérieur.  Esprit  cultivé,  d'un  savoir  plus 
étendu  que  profond,  caractère  souple,  orateur  abondant,  Ammon  pré- 
sida, pendant  près  d'un  demi-siècle,  aux  destinées  de  l'Eglise  protes- 
tante de  la  Saxe.  11  essaya  de  couvrir  d'un  vernis  d'élégance  le  plat 
rationalisme  auquel  il  était  attaché,  et  montra  comment  on  pouvait 
concilier  les  vues  les  plus  subversives  de  tout  christianisme  avec  la  sou- 
mission la  plus  respectueuse  à  l'autorité  des  livres  symboliques.  En 
1817,  le  prélat  saxon,  dans  une  brochure  qui  causa  un  véritable  scan- 
dale (Bittere  Arznei  fur  die  Glaubmsschw sèche  der  Zeit),  s'étant  avisé  de 
soutenir  Harms,  l'intrépide  restaurateur  du  vieux  luthéranisme,  s'at- 
tira de  la  part  de  Schleiermacher  une  verte  réplique  qui  lui  ferma  la 
bouche.  Les  ouvrages  d' Ammon  sont  de  peu  d'importance.  Sa  Biblîsclie 
Théologie,  1792  (2e  éd.  1801),  n'est  qu'un  recueil  diffus  des  Dicta  pro- 
bantia  dont  se  sert  la  dogmatique,  expliqués,  il  est  vrai,  d'après  les 
principes  de  l'interprétation  historique,  mais  jugés  d'après  «  le  sain  bon 
sens,  »  ce  critère  suprême  de  l'école  rationaliste.  Il  nie  les  miracles  et 
les  prophéties,  et  définit  Jésus-Christ  :  «  le  seul  Messie  moral;  »  c'est  en 
vertu  de  sa  haute  moralité  qu'il  a  pu  fonder  une  religion  nouvelle. 
Jésus,  d'après  Ammon,  se  serait  du  reste  intentionnellement  environné 
d'uni'  sorte  de  «  clair-obscur  allégorique.  »  On  retrouve  les  mêmes 
vues,  mais  accommodées  à  la  terminologie  officielle,  dans  son  manuel 
de  dogmatique  (Sumrha  Iheologica,  1803;  4e  édition,  1830)  et  dans  son 
traité  de  morale  (Sittenlehre,  1795;  5e  éd.,  1823).  Sa  pensée  apparaît 
débarrassée  de  tous  ses  voiles  dans  un  ouvrage  intitulé  :  Fortbildung  des 
Christenihums  zur  Weltreligion.  Fine  Ansicht  der  hœhern  Dogmatik, 
I  vol.,  1836-38  :  c'est  un  plaidoyer  déclamatoire  el  superficiel  en  faveur 
du  rationalisme  le  plus  vulgaire.  Dans  la  chambre  des  députés,  don!  il 
étail  membre,  ainsi  que  dans  une  brochure  devenue  célèbre  (Die 
gemischten  kl/en.  1839),  Ammon  a  pris  chaudement  la  défense  des  ma- 
riages  mixtes.  (Voyez  son  panégyrique  par  un  de  ses  admirateurs  ano- 
nymes, Chr.  F.  von  Ammortnach  Lebett,  Ansicktehu.  Wirken,  1850). 


252  AMMONIUS  SACCAS  -  AMORRHÉENS 

AMMONIUS  SÀGCAS,  philosophe  alexandrin,  qui  paraît  avoir,  dans  sa 
jeunesse,  exercé  la  profession  de  portefaix  et  qui  mourut  vers  Tan  241 
après  Jésus-Christ.  11  est  reconnu  comme  le  fondateur  de  l'école  néo- 
platonicienne d'Alexandrie.  Mais  il  n'écrivit  point,  et  le  plus  éminent 
de  ses  disciples,  celui  qui  fut  dans  son  école  ce  que  Platon  avait  été 
dans  l'école  de  Socrate,  Plotin  ne  cite  jamais,  dans  les  Ennéades,  ni  les 
paroles  ni  le  nom  du  maître.  L'engagement  que  quatre  de  ses  élèves, 
Plotin,  Longin,  Herennius,  Origène,  le  païen,  avaient  d'abord  pris  de  ne 
pas  publier  ses  leçons,  porte  à  croire  qu'Ammonius  avait  une  doc- 
trine ésotérique'qui  ne  devait  être  communiquée  que  par  la  tradition 
orale.  Cependant  quelques  indications  fournies  par  des  écrivains  posté- 
rieurs nous  permettent  de  discerner  les  caractères  de  cet  enseigne- 
ment. Ammonius,  inspiré  par  une  pensée  de  synthèse  et  d'éclectisme 
qui  s'imposait  aux  philosophes  du  second  siècle,  s'efforça  de  concilier 
les  deux  grands  systèmes  de  la  Grèce,  le  platonisme  et  le  péripatétisme, 
apportant  à  cette  œuvre  un  esprit  religieux,  un  mysticisme,  qui  le  fit 
considérer  par  ses  disciples  comme  un  inspiré  de  Dieu,  un  théodidacte. 
Ce  caractère  de  piété  explique  l'intérêtqueClémentd'Alexandrie,  Origène, 
Héraclas  (qui  mourut  évoque  d'Alexandrie  en  274)  prenaient  à  sa  philo- 
sophie, et,  au  quatrième  siècle,  Eusèbe  de  Césarée,  dans  son  Hist. 
eccl.,  VI,  19,  le  confondit  avec  un  chrétien  du  même  nom,  auteur  d'un 
ouvrage  intitulé  :  l'Harmonie  de  Moïse  et  de  Jésus.  —  Voyez  les  historiens 
de  l'école  d'Alexandrie,  J.  Simon,  1845;  Vacherot,  1846;  Matter,  2e  éd., 
1848. 

AMOLON  ou  AMULON  (Amolo),  disciple  d'Agobard  et  son  successeur  à 
l'archevêché  de  Lyon  en  840,  est  l'un  des  représentants  les  plus  éclairés 
de  l'Eglise  franque  à  l'époque  carlovingienne.  Dans  sa  Lettre'  à  Theut- 
balde,  évêque  de  Langres,  à  l'occasion  de  prétendus  miracles  qui  se 
seraient  accomplis  sur  la  tombe  de  saint  Bénigne  à  Dijon,  il  s'élève  avec 
force  contre  les  abus  auxquels  donne  lieu  le  culte  des  reliques  : 
mieux  vaut  suivre  paisiblement  les  offices  divins  et  profiter  des  grâces 
qui  en  découlent  que  de  rechercher  avidement  des  manifestations 
extraordinaires  de  la  puissance  divine.  Amolon  combat  les  doctrines  de 
Gotescalc  dans  un  opuscule  sur  la  Grâce  et  la  Prédestination  ;  il  sou- 
tient que  Dieu  ne  prédestine  personne  à  la  condamnation.  Son  Traité 
contre  les  Juifs,  publié  par  le  P.  Chifflet  en  1656,  sous  le  nom  de 
Raban-Maur,  auquel  il  l'attribuait  à  tort,  dénote  un  esprit  très-prévenu 
et  animé  des  sentiments  de  la  plus  vive  intolérance.  Une  édition  com- 
plète des  ouvrages  d'Amolon  a  été  publiée  par  Baluze,  Paris,  1666,  et 
reproduite  dans  la  Bibliotheca  Fatrum  Maxima,  t.  XIII  et  XIV. 

AMON  ['Amôn,  'Aj/^v],  roi  de  Juda,  fils  et  successeur  de  Manassé 
(641-639  av.  J.-C),  favorisa  l'idolâtrie  autant  ou  plus  que  son  père,  et 
périt  victime  d'une  conjuration  ourdie  dans  sa  maison,  mais  désapprou- 
vée par  le  peuple  (2  Rois  XXI,  19  ss.,  et  2  Chron.  XXXIII,  21  ss.). 

AMORRHÉENS  [en  hébreu  toujours  ha'Emorî.  Les  Septante  tradui- 
sent d'une  façon  assez  inexacte  par  le  pluriel  'Ajwfpaîot  d'où  nous  avons 
fait  Amorrhéens  ;  Josèphe  n'emploie  jamais  que  la  forme  géographique 
'ApLupî-aç,  'Adopta].  Suivant  Io.  Simonis  et  Ewald,  ce  nom  vient  de  la 


AMORRHÉENS  253 

racine  'Amar  «  être  élevé  o  el  désigne  les  habitants  de  la  montagne  par 

opposition  aux  Cananéens  ou  habitants  de  la  plaine.  A  quelle  race 
appartenaient  les  Amorrhéens?  Amos  en  fait  des  géants  (II,  9,  comp. 
Dent.  I,  28).  D'après  la  généalogie  de  la  Genèse  (X,  16),  c'étaient  des 
Cananéens,  frères  des  Hélions  (Khétas)  et  des  Jébusites  à  côté  desquels 
ils  sont  constamment  nommés  dans  l'Ancien  Testament.  Ils  devaient 
être  unis  aux  Hébreux  par  des  liens  fort  anciens,  dont  Ezéchiel  nous  a 
conserve  le  souvenir  (XVI,  3,  45)  ;  mais  dans  la  bouche  d'Ezéchiel  cette 
parenté  était  un  reproche  à  l'adresse  d'Israël,  et  les  Hébreux  n'ont 
jamais  cessé  d'insister  sur  la  différence  qu'il  y  avait  entre  eux  et  les 
Amorrhéens  (2  Sam.  XXI,  2).  Nous  ne  croyons  donc  pas  qu'on  soit  en 
droit,  avec  Knobel  {Vœlkei'tof.  der  Gen.,  p.  201  ss.),  de  considérer  les 
Amorrhéens  comme  une  tribu  purement  sémitique.  On  ne  peut  pas  da- 
vantage n'y  voir  qu'une  désignation  locale  (Smith,  Dict.  of  the  B.,  s.  v.) 
ne  s'appliquant  à  aucune  tribu  en  particulier.  La  vérité  est  que  les  Hé- 
breux, leur  étant  plus  directement  opposés,  ont  pu  souvent  en  exagérer 
l'importance  et  étendre  ce  nom  à  tous  les  Cananéens  qu'ils  avaient  en 
face  d'eux.  Si  haut  que  l'on  remonte,  on  trouve  les  Amorrhéens  établis 
au  sud  de  la  Palestine,  dans  ce  qui  fut  plus  tard  la  montagne  de  Juda; 
Hatsatson  Thamar  leur  appartient  (Gen.  XIV,  7);  Mamré  l'Amorrhéen 
dresse  sa  tente  auprès  de  Hébron  (XIII,  18).  Le  rapport  des  premiers 
espions  hébreux  nous  montre  les  Amorrhéens  occupant  la  montagne 
avec  les  Jébusites  (Nomb.  XIII,  29)  ;  elle  a  continué  longtemps  à  s'appe- 
ler de  leur  nom  (Deut.  I,  7;  XIX,  20).  De  l'autre  côté  du  Jourdain,  les 
Amorrhéens  refoulèrent  les  Ammonites,  et  s'emparèrent  de  tout  le  terri- 
toire compris  entre  le  Jabboq  et  l'Arnon  (Deut.  TV,  46-49).  Ils  y  avaient 
deux  royaumes  :  au  nord  celui  de  Basan,  la  terre  des  géants,  avec  Edréi 
et  Salca  (Deut.  III,  II),  dont  le  roi  légendaire,  Og,  avait  un  lit  de  fer  de 
neuf  coudées  (comp.  Josué  XIII,  12)  ;  au  sud,  celui  de  Galaad  qui  avait 
pour  capitale  Hesbon.  Les  Amorrhéens  du  sud  s'étendirent  même,  sous 
leur  roi  Sihon,  aux  dépens  de  Moab  et  lui  prirent  les  villes  de  Dibon, 
Nofak  et  Medeba  (Nomb.  XXI,  26  ss.).  Ces  guerres  nous  sont  racontées 
dans  un  vieux  chant  que  nous  a  conservé  le  livre  des  Nombres  (XXI,  27- 
30).  Lors  de  l'invasion  des  Juifs,  les  Amorrhéens  du  sud  les  arrêtèrent  et 
les  défirent  à  Horma  (Nomb.  XIV,  39;  Deut.  I,  41  ss.).  Ceux  de  l'est  leur 
fermèrent  aussi  le  passage  ;  mais  Moïse  battit  Sihon  à  Jahaç  (Nomb.  XXI, 
13-21;  Deut.  II,  26  ss.  ;  Juges  XI,  13),  puis  Og  à  Edréi  (Deut.  III,  11  ss.; 
Nomb.  XXI,  33),  et  donna  leur  pays  aux  tribus  de  Gad,  de  Ruben  et  à 
une  parti.'  de  celle  de  Manassé.  Josué  à  son  tour  battit,  les  Amorrhéens 
de  Palestine  ligues  contre  lui  (ch.X),  mais  sans  réussir  à  leur  enlever  leurs 
villes  Juges  I,  34,  35;  III,  5;  1  Sam.  VII,  14).  Voilà  ce  que  nous  appren- 
nent le  l'entateuque,  Josué  et  le  livre  des  Juges.  Il  faut  croire  que,  une 
toi-  les  Hébreux  établis  en  Palestine,  les  Amorrhéens  se  confondirent 
avec  les  autres  peuplades  cananéennes,  car  on  n'en  rencontre  plus  que 
de  rares  débris  2  Sam.  XXI,  ±  Josué  !X,  15-19)  et  il  n'en  est  plus  ques- 
tion que  cômmed'un  Bouvenir  du  passé  (1  Rois  IX,  20;  2 Ghron.  VÏII,  7), 
Il  n'est  nullemenl  t'ait  mention  des  mœurs  ni  de  la  religion  des  Amor- 
rhéens;  on   a   voulu    en   conclure   qifils  n'avaient,   pas   une  existence 


254  AMORRHÉENS  -  AMOUR 

propre ,  mais  à  tort.  Nous  n'en  savons  pas  davantage  sur  les  Hétiens, 
dont  l'importance  comme  peuple  nous  est  attestée  par  les  documents 
égyptiens.  Si  la  poésie  que  nous  avons  rapportée  est  bien  amorrhéenne, 
leur  langue  était  presque  identique  à  l'hébreu.  En  dehors  de  là,  nous 
ne  possédons  qu'un  seul  mot  de  leur  Langue  :  On  lit,  Deut.  LU,  8  :  «  Les 
Sidoniens  appellent  l'Hermon  Sirion,  et  les  Amorrhéens  Sénir.  »  Com- 
parez Deut.  IV,  48.  Ph.  Berger. 

AMORTISSEMENT,  terme  juridique  qui  désigne  les  mesures  restric- 
trives  prises  par  les  gouvernements,  vis-à-vis  des  Eglises  et  des  commu- 
nautés religieuses,  en  ce  qui  concerne  l'acquisition  et  la  possession  des 
biens  temporels.  L'accumulation  des  propriétés  dans  une  seule  main, 
morte  pour  ainsi  dire  (manus  mortua) ,  parce  qu'elle  les  retirait  du 
domaine  des  transactions  publiques,  jetait  un  trouble  profond  dans  l'éco- 
nomie sociale  et  justifiait  dès  lors  l'intervention  de  l'autorité  civile. 
L'Eglise  catholique  n'a  jamais  reconnu  ce  droit,  les  biens  de  mainmorte 
appartenant,  d'après  elle,  à  Dieu  quant  à  la  propriété,  au  clergé  quant 
à  la  dispensation  et  à  l'administration,  à  l'Eglise  ou  aux  pauvres  quant 
à  l'usufruit.  Elle  n'a  cessé  de  prolester  contre  les  lois  toujours  plus  nom- 
breuses édictées,  à  partir  du  treizième  siècle,  dans  presque  tous  les  pays, 
soit  pour  contenir  le  zèle  des  fidèles  disposés  à  faire  des  legs  et  des  do- 
nations à  l'Eglise,  en  limitant  la  valeur  des  biens  immeubles  ou  la  somme 
du  capital  légués  ;  soit  pour  introduire  des  laïques  dans  l'administration 
des  biens  ecclésiastiques  ou  même  pour  détourner  ces  biens  de  leur 
usage  primitif  en  les  sécularisant  (voyez  l'article  Biens  ecclésiastiques). 

AMOS  [cAmôs,  'Ajjwîx;],  prophète  hébreu  du  commencement  du  hui- 
tième siècle,  du  temps  d'Osias,  roi  de  Juda  et  de  Jéroboam  II,  roi  d'Israël, 
parla  surtout  contre  le  royaume  des  dix  tribus  et,  à  l'occasion,  contre  le 
royaume  de  Juda  (ch.IVet  V),  et  contre  les  peuples  voisins,  les  Syriens, 
les  Philistins,  les  Phéniciens,  les  Edomites,  les  Ammonites,  les  Moabites 
(ch.  I  et  II).  Il  était  natif  de  Thékoa,  dans  la  tribu  de  Juda,  et  avait  été 
berger.  Par  ses  vives  attaques  contre  l'idolâtrie  et  la  dépravation  du 
royaume  du  Nord  auxquelles  il  rattachait  de  terribles  menaces^  il  sou- 
leva contre  lui  les  prêtres  de  Béthel,  qui  réclamèrent  de  Jéroboam  son 
expulsion.  Plus  énergique  dans  son  blâme  et  plus  précis  dans  ses 
menaces  que  Joël  auquel  il  se  rattache,  Amos  prédit  que  le  châtiment 
réservé  au  peuple  de  Dieu  sera  l'entière  destruction  du  royaume  et 
l'exil  ((  au  delà  de  Damas  »  (V,  25;  VII,  7-9,  17).  Ces  malheurs  auront 
pour  résultat  d'opérer  un  triage  entre  les  bons  et  les  méchants,  et  de 
préparer  pour  Israël  une  ère  nouvelle  de  splendeur,  de  réconciliation 
entre  les  deux  royaumes  et  de  domination  sur  les  peuples  voisins  (IX, 
8-11).  —  Voyez  Steeg  :  Revue  de  théol.,  3e  série,  II,  p.  77  ss. 

AMOUR.  De  tous  les  termes  du  langage  religieux,  celui-ci  est  le  plus 
étendu  et  le  plus  caractéristique.  L'amour  est  le  contenu  essentiel  et  le 
signe  même  de  la  religion  chrétienne.  C'est  elle  qui  a  fait  entendre 
cette  parole  suprême  qui  domine  les  temps,  les  religions  et  les  diverses 
théologies  :  «  Dieu  est  amour  »  (1  Jean  IV,  8).  Dieu  se  donnant  à 
l'homme,  afin  que  l'homme,  en  retour  de  cet  amour  gratuit,  se  donne 
librement  à  Dieu,  tel  est,  sous  sa  forme  la  plus  concise,  le  fait  chrétien  : 


AMOUR  255 

a  Nous  l'aimons  parce  qu'il  nous  a  aimés  le  premier  »  (1  Jean  IV,  19); 
c'esi  dans  ce  double  don  que  se  concentre  la  force  propre  du  christia- 
nisme. Qui  dit  amour  dit  un  acte  volontaire  et  conscient  lequel  s'exerce 
d'une  personne  sur  une  autre  personne  et  qui  tend  à  les  unir,  sans  les 
confondre.  En  effet,  l'amour  suppose  nécessairement  deux  termes: 
un  sujet  qui  aime  et  un  objet  qui  est  aimé.  11  ne  peut  donc  y  avoir 
amour  qu'autant  qu'il  y  a  deux  êtres  distincts  en  présence;  l'amour 
cesse  au  point  précis  où,  de  part  et  d'autre,  s'efface  la  personnalité;  il 
fait  place  alors  à  une  fusion  sans  caractère  et  sans  vie.  Par  conséquent, 
ni  le  panthéisme  qui  identifie  Dieu  et  le  monde,  ni  le  déisme  qui  les 
Sépare  par  un  abîme,  ne  peuvent  parvenir  à  une  notion  vraie  de  la 
relation  que  l'amour  établit  entre  Dieu  et  l'homme.  Or  ce  n'est  qu'à  la 
condition  de  posséder  cette  notion  que  l'on  peut  comprendre  la  nature 
el  l'action  de  l'amour.  On  ne  le  connaît  qu'en  remontant  à  sa  source, 
c'est-à-dire  jusqu'à  Dieu.  L'amour  ne  rehausse  pas  seulement  ses  autres 
perfections;  il  en  est  la  base  et  la  racine.  Dieu  est  amour;  l'amour  est 
son  être  même;  connaître  l'amour  dans  sa  réalité  puissante  et  sainte, 
c'est  connaître  Dieu.  Là  est  l'explication  première  de  toutes  choses  : 
Dieu  est  le  Père  du  genre  humain  et  de  la  création  ;  celle-ci  procède 
de  lui,  c'est-à-dire  de  sa  volonté  qui  n'est  autre  que  son  amour 
(Ps.  GXXXVI,  4-9).  «Dieu  étant  bon,  dit  Platon,  n'est  point  avare  de 
ses  dons  ;  il  a  voulu  que  toutes  choses  fussent  aussi  excellentes  que 
possible  »  (Timée).  Les  calamités  qui  désolent  la  terre,  les  guerres  qui 
l'ont  ensanglantée,  les  inégalités  choquantes  que  nous  y  rencontrons 
à  chaque  pas,  bien  qu'elles  posent  devant  notre  intelligence  les  plus 
redoutables  problèmes,  n'ébranlent  pas  le  principe  fondamental  que 
nous  venons  de  poser,  en  dehors  duquel  il  n'y  a  que  trouble  pour  le 
cœur  et  incertitude  pour  l'esprit;  il  persiste  sous  les  douleurs  de 
l'existence,  comme  le  soleil  sous  les  nuages.  Cette  affirmation  de 
l'amour  de  Dieu  n'est  pas  non  plus  affaiblie  par  la  considérai  ion  des 
rétributions  divines  qui  atteignent  les  méchants,  car  l'indignation  de 
Dieu  contre  le  mal,  désignée  dans  l'Ecriture  sainte  sous  le  nom  de 
«  colère  de  Dieu,  »  loin  d'être  un  signe  de  sa  malveillance,  est  encore 
un  témoignage  de  son  ardente  et  sainte  charité  qui  poursuit  le  pécheur 
au  sein  de  son  péché,  pour  lui  en  faire  goûter  l'amertume,  l'y  arracher 
et  le  rendre  à  sa  vraie  vocation,  en  le  rendant  à  la  sainteté  ;  «  la  joie 
n'esl  semée  que  pour  ceux  dont  le  cœur  est  droit  »  (Ps.  XGVII,  14).  — 
L'amour  de  Dieu  qui  a  précédé  toutes  ses  œuvres  et  qui,  seul,  est  la 
raison  d'être  de  la  création,  est  aussi  celle  de  ses  voies  providentielles, 
car  Dieu  n'est  pas  moins  magnifique  en  moyens  qu'admirable  en  conseil 
Esaïe  XXVIII,  29),  et  l'histoire  entière,  à  la  considérer  de  près,  est  la 
réalisation  successive  et  souvent  mystérieuse  de  ses  desseins  d'amour. 
Vax  effet,  L'histoire  nous  présente,  d'un  côté,  l'élection  divine  d'un 
peuple  qui  ;'s|  mis  a  part,  au  sein  de  l'humanité,  comme  peuple  de 
Dieu  (Deut.  IV.  20;  Actes  XV,  14),  celui  dont  l'Eternel  se  déclare 
L'époux  Esaïe  LIY,  5),  el  qu'il  soumet  à  une  éducation  spéciale  parla 
lui,  le  culte  el  l'enseignemenl  des  prophètes,  pour  qu'il  soit  un  peuple 
saint  (Deut.  XXVI,  11),  ;  de  l'autre  coté,  elle  nous  fait  assister  aux  desti- 


256  AMOUR 

nées  multiples  des  nations  païennes  que  Dieu  laisse  marcher  «  dans 
leurs  propres  voies  »  (Actes  XIV,  16)  et  tenter  toutes  les  expériences 
de  la  vie,  à  la  seule  lumière  de  leur  conscience  et  de  la  nature 
(Rom.  I,  20;  II,  15),  afin  qu'elles  aussi,  fatiguées  de  leurs  efforts  sté- 
riles, se  tournent  vers  Celui  «  qui  aime  les  peuples  »  (Deut.  XXXIII,  3) 
et  qui  offre  la  paix  à  ceux  qui  sont  loin,  comme  à  ceux  qui  sont  près 
(Esaïe  LVII,  19).  Enfin,  quand  l'homme,  par  son  égoïsme  et  la  révolte 
de  sa  volonté,  s'est  placé  en  dehors  des  conditions  du  bonheur,  en  rom- 
pant le  lien  filial  qui  l'unissait  à  son  Dieu,  alors  l'amour  de  Dieu,  loin 
de  se  lasser,  persévérant  à  tout  espère?*  de  sa  créature  coupable  et 
égarée  (1  Cor.  XIII,  7),  s'est  déployé  sous  la  seule  forme  qui  convienne 
à  notre  état  actuel  de  condamnation,  savoir  sous  forme  de  miséricorde, 
dans  la  rédemption.  La  rédemption  se  rattache  si  intimement  à  la 
création  que,  sans  elle,  le  but  de  la  création  ne  serait  pas  atteint, 
puisque  c'est  par  la  rédemption  qu'est  réalisée  la  pensée  d'amour  du 
Créateur  à  l'égard  de  sa  créature  ;  c'est  elle  qui  renoue  entre  rhomme 
coupable  et  le  Dieu  saint  le  lien  vivant  que  Dieu  avait  établi  et  que  le 
péché  avait  brisé.  La  miséricorde  de  Dieu  n'a  pas  été  un  simple  senti- 
ment de  sympathie  pour  l'homme  tombé  ;  elle  est  apparue  dans  l'his- 
toire et  s'est  traduite  en  un  acte,  bien  plus,  s'est  manifestée  dans  une 
personne,  savoir  en  Jésus- Christ  :  «  Dieu  a  tant  aimé  le  monde  qu'il  a 
donné  son  Fils  »  (Jean  III,  16;  Rom.  V,  8).  C'est  en  lui  que  l'amour  de 
Dieu  est  devenu  accessible  à  tous;  en  effet,  dans  la  nature  et  dans 
Thistoire,  les  traces  de  cet  amour  ne  sont  point  partout  également  vi- 
sibles ;  on  dirait  qu'il  se  montre  et  se  cache  tour  à  tour  ;  mais  en 
Jésus-Christ  et  dans  son  œuvre  rédemptrice,  telle  que  l'Evangile  nous 
la  fait  connaître,  l'amour  de  Dieu  éclate  sans  lacune  ni  obscurcisse- 
ment ;  à  moins  de  résistance  volontaire,  le  plus  ignorant,  mis  en  pré- 
sence de  Jésus-Christ,  ne  peut  pas  ne  pas  sentir  qu'il  est  placé  directe- 
ment sous  l'influence  de  l'amour  de  Dieu  (1  Jean  IV,  9),  car  Jésus- 
Christ  c'est  Dieu  cherchant  l'homme  pécheur  et  le  ramenant  de  son 
égarement,  comme  un  berger  cherche  sa  brebis  perdue,  ou  comme  un 
père  court  au-devant  de  son  enfant  rebelle  et  repentant  (Luc  XV,  4,  20). 
Ce  témoignage  de  l'amour  divin  est  tel  que  l'apôtre  Paul  y  voit  la 
garantie  de  tous  les  autres  (Rom.  VIII,  32).  L'amour  véritable  ne 
s'exerce  que  sur  des  êtres  capables  de  le  sentir  et  d'y  répondre  ;  aussi 
n'est-il  dans  l'humanité  pécheresse  aucun  cœur  assez  large  ni  assez 
pur  pour  s'ouvrir  tout  entier  à  cette  action  d'en  haut  ;  chez  tous  elle 
rencontre  une  résistance  égoïste  plus  ou  moins  grande  ;  il  faut  donc, 
pour  contempler  l'amour  dans  sa  perfection,  considérer  les  rapports  de 
Dieu  non  avec  des  pécheurs,  mais  avec  Jésus-Christ,  le  type  accompli 
de  l'humanité  ;  ces  rapports  sont  ceux  d'une  union  absolue  (Jean  XIV, 
10).  L'amour  éternel  de  Dieu  pour  son  Fils  (Jean  X,  17;  XVII,  24; 
Matth.  III,  17)  auquel  correspond  l'amour  de  Jésus  pour  son  Père 
(Jean  XIV,  31),  voilà  l'idéal  de  l'amour.  En  outre,  Jésus-Christ  qui 
aime  son  Père  d'un  amour  infini  aime  également  les  hommes  que  son 
Père  aime;  il  les  appelle  à  lui  (Matth,  XI,  28),  meurt  pour  eux  (Jean  X, 
11)  et  leur  donne  la  vie  éternelle  (Jean  X,  28).  Son  amour  pour  les 


AMOUR  251 

hommes  est  l'amour  de  Dieu  pour  eux,  se  manifestant  dans  un  cœur 
humain  (Rom.  VIII,  35-39).  —  Quiconque  croit  à  l'amour  de  Dieu 
l'aime  en  retour.  Ce  devoir  déjà  prescrit  aux  fidèles  de  l'ancienne 
alliance  (Deut.  XI,  I,  13;  XXX,  10;  Josué  XXÏI,  5)  a  reçu  sous  la 
dispensation  évangélique  une  sanction  nouvelle  et  s'appuie  désormais 
sur  de  nouveaux  motifs.  L'amour  de  Dieu  pour  l'homme,  tel  est  le 
centre  el  h1  principe  de  la  doctrine  chrétienne;  l'amour  réciproque  de 
l'homme  pour  Dieu,  tel  est  le  centre  et  le  principe  de  la  morale  chré- 
tienne. Ce  sentiment,  en  eiï'et,  exerce  une  intluence  décisive  sur  la  di- 
rection de  toute  la  vie  :  «  Sans  l'amour,  nous  ne  sommes  rien  » 
(1  Cor.  XIII,  2).  En  outre,  c'est  un  fait  confirmé  par  l'expérience  géné- 
rale, non-seulement  des  mystiques,  mais  de  tous  les  hommes  religieux, 
que  nous  ne  pouvons  connaître  Dieu  qu'à  la  condition  de  l'aimer. 
Dieu,  l'être  absolu,  n'étant  pas  l'absolu,  au  sens  abstrait  et  métaphy- 
sique, étant,  avant  tout,  l'être  absolument  bon,  l'intelligence  seule  ne 
suffit  pas  pour  nous  mettre  en  communion  avec  lui;  il  y  faut  l'élan  du 
cœur,  la  sympathie,  l'amour  ;  aimer  c'est  connaître,  c'est  du  moins  se 
préparer  à  connaître.  Voilà  pourquoi  les  païens  n'ont  pas  connu  Dieu  ; 
ils  le  craignaient  ;  ils  ne  l'ont  point  aimé.  On  a  demandé  si  nous  devions 
aimer  Dieu  uniquement  pour  ce  qu'il  est  et  pour  les  avantages  spirituels 
qui  nous  en  reviennent.  Ainsi  posée,  la  question  est  oiseuse,  puisque  Dieu 
a  voulu  qu'en  l'aimant  nous  fussions  heureux,  et  même  que  nous  ne  le  fus- 
sions réellement  qu'à  la  condition  de  l'aimer  ;  l'homme  d'ailleurs  ne  peut 
jamais  se  désintéresser  de  son  propre  bonheur.  L'amour  a  ce  caractère 
particulier  qu'il  est  le  foyer  vivant  où  se  rencontrent  le  devoir  dans  ce 
qu'il  a  de  plus  impérieux,  la  liberté  dans  ce  qu'elle  a  de  plus  noble  et  la 
félicité  dans  ce  qu'elle  a  de  plus  parfait.  De  l'amour  pour  Dieu  découle 
nécessairement  l'amour  pour  le  prochain.  Jésus  a  résumé  la  loi  et  les 
prophètes  dans  ce  double  devoir  de  l'amour  de  Dieu  et  du  prochain 
(Matth.  XXII,  40),  et  ce  qu'il  a  enseigné  sur  ce  point,  il  l'a  lui-même 
réalisé  dans  sa  vie,  tellement  que  l'amour  de  Dieu  et  l'amour  du  pro- 
chain en  ont  été  le  fond  même  et  la  trame  constante.  A  son  exemple, 
ses  disciples  doivent  s'aimer  entre  eux,  comme  étant  les  membres  d'un 
même  corps  dont  Christ  est  le  chef  (1  Cor.  XII,  27).  D'une  part,  le  chré- 
tien est  soumis  à  la  loi  générale  qui  veut  qu'aucune  vie  sociale  ne  soit 
possible  sans  l'amour;  l'homme  solitaire  est  réduit  à  l'impuissance  : 
unus  nullus;  tous  nous  avons  besoin,  ici-bas,  les  uns  des  autres  ;  d'autre 
part,  le  chrétien  trouve  dans  l'amour  de  Dieu  envers  lui  des  motifs  plus 
élevés  et  plus  pressants  que  cet  attrait  mutuel  e^  naturel  pour  aimer 
ses   frères;    aussi  son  amour  pour  eux  ne  souffre-l-il  ni  exceptions 

Luc  X,  ^(.>,  37),  ni  limites  .Matth.  VI,  14),  à  la  condition  qu'il  soit  su- 
bordonne a  l'amour  pour  Dieu  (Luc  XIV,  20).  La  félicité  à  venir  con- 
sûtera  dans  une  communion  toujours  plus  intime  avec  Celui  que  nous 
aimons  déjà,  bien  que  nous  ne  le  connaissions  encore  que  par  la  loi 

l  Pierre  1,8),  et  que  nous  le  verrons  un  jour  tel  qu'il  est  (1  Jean  111,2). 
11  se  trouvera  alors  que  l'amour  qui  a  été,  dès  le  commencement 

("'ii.  I,  !).  la  raison  première  de  l'activité  divine  el  la  seule  explica- 
tion de  toutes  les  dispensations  de  Dieu  a  travers  l'histoire,  sera  aussi 


258  AMOUR  —  AMPÈRE 

le  dernier  mot  de  ses  voies  envers  nous  et  la  consommation  même  du 
salut,  lequel,  dans  son  développement  suprême,  sera  a  Dieu  tout  en 
tous  »  (1  Cor.  XV,  28).  J.  Monod. 

AMOURS  (Gabriel  d'),  ministre  doué  à  la  fois  d'une  parole  séduisante 
et  d'un  bouillant  courage  de  soldat.  Il  était  né  à  Paris  dans  une  famille 
de  gentilshommes  de  Normandie  et  seigneur  de  Mallart.  Après  avoir 
étudié  la  théologie  à  Genève  (1559-62),  il  exerça  le  saint  ministère  à 
Paris,  où  il  n'échappa  que  par  une  sorte  de  miracle  au  massacre  du 
24  août  1572.  Il  parvint  à  gagner  la  Suisse,  et  au  mois  d'avril  1573  il 
était  déjà  nommé  pasteur  d'une  petite  ville  du  comté  de  Neufchâtel  où 
il  resta  jusqu'en  1584.  Les  pasteurs  du  comté  l'avaient  choisi  pour 
président  dès  1575  et  son  pays  d'adoption  tenait  tellement  à  le  garder 
qu'après  l'avoir  refusé,  en  1579,  à  Théod.  de  Bèze  qui  le  demandait 
pour  la  Rochelle,  les  Neufchâtelois  refusaient  également  de  le  rendre 
à  Paris.  Il  fallut  cependant  céder  à  une  aussi  juste  requête  et  G.  d'A- 
mours reprit,  en  octobre  1584,  les  fonctions  qui  lui  appartenaient  dans 
sa  ville  natale.  Henri  IV  l'attacha  à  sa  maison  et  il  suivit  ce  prince  dans 
ses  nombreuses  expéditions  militaires  jusqu'après  la  bataille  dlvry 
(août  1591).  Il  se  fit  surtout  remarquer  à  Goutras,  où,  après  avoir  pro- 
noncé la  prière  et  béni  l'armée,  il  mit  l'épée  à  la  main  et  se  jeta  des 
'premiers  sur  les  rangs  ennemis.  En  1591,  il  rentra  imprudemment  à 
Paris  au  plus  fort  des  fureurs  de  la  Ligue  et  passa  quelque  temps  sous 
les  verrous  de  la  Bastille.'  Redevenu  libre,  il  fut  appelé  à  desservir 
l'Eglise  de  Saint-Jean  d'Angely  et  fut  de  nouveau  l'objet  des  mêmes 
discordes  qui  l'avaient  tourmenté  et  honoré  dans  le  pays  de  Neufchâtel  : 
les  Eglises  de  Paris,  de  Lyon,  de  Barbezieux,  de  Châtellerault  et  la 
princesse  Catherine,  sœur  du  roi  de  Navarre,  se  le  disputaient  sans  que 
Saint-Jean  d'Angely  voulût  se  résigner  à  le  perdre.  Le  synode  de  Jar- 
geau,  1601,  mit  lin  à  toutes  les  querelles  en  faveur  de  Ghâtellerault  où 
le  digne  ministre  acheva  sa  carrière.  Gabriel  d'Amours  joua  aussi  un 
beau  rôle  auprès  de  Henri  IV  pour  le  retenir  dans  la  foi  protestante.  Il  lui 
écrivait  énergiquement  ;  «  Vous  voulez  estre  instruict  par  les  evesques 
de  l'Eglise  romaine,  ce  dit-on?  0  que  vous  n'estes  pas  le  roy  qu'il  faille 
instruire  ;  vous  estes  plus  grand  théologien  que  moi  qui  suis  vostre  mi- 
nistre. Vous  n'avez  faulte  de  science,  mais  vous  avez  un  peu  faulte  de 
conscience...  »  Et  dans  la  même  lettre  (de  Saint-Jean  d'Angely, 
20  juin  1592),  il  lui  écrivait  avec  un  esprit  charmant  :  «  Si  vous 
escoutiés  Gabriel  Damours,  vostre  ministre,  comme  vous  escoutés  Ga- 
brielle  vostre  amoureuse,  je  vous  verrois  toujours  roy  généreux  et 
triomphant.  »  Ce  ministre  vraiment  parisien  mourut  vers  1608. 

H.    BORDIER. 

AMPÈRE  (André-Marie),  naquit  à  Lyon  en  1775.  Son  père,  ancien  né- 
gociant, s'étant  bientôt  après  retiré  dans  le  village  de  Polémieux,  le 
jeune  André,  déjà  doué  d'une  insatiable  avidité  de  connaître,  s'instruisit 
en  lisant  tous  les  livres  de  la  bibliothèque  paternelle,  et  notamment 
Y  Encyclopédie  de  Diderot  et  d'Alembert.  En  1793,  le  père,  qui  avait 
conservé  les  fonctions  de  juge  de  paix  pendant  l'insurrection  de  Lyon, 
périt  sur  l'échafaud.  Son  fils,  accablé  de  douleur,  ne  put  être  arraché 


AMPERE  259 

à  un  anéantissement  stupide  que  par  la  lecture  des  lettres  de  Rousseau 
sur  la  botanique;  puis  1rs  poètes  Latins  L'enthousiasmèrent.  Un  mariage 
qui  comblait  ses  vœux  l'amena  à  professer  la  physique  à  l'Ecole  cen- 
trale de  Bourg.  L'attention  des  savants  t'ul  attirée  sur  lui  par  un  travail 
de  liante  analyse,  Considérations  mathématiques  sur  la  théorie  du  jeu. 
Mais  la  mort  de  sa  femme  (1803),  quoique  acceptée  avec  une  soumis- 
sion religieuse,  porta  son  esprit  vers  un  nouvel  ordre  d'investigations, 
la  philosophie.  Appelé  à  Paris,  en  1805,  comme  répétiteur  d'analyse  à 
l'Ecole  polytechnique,  il  entra  en  relation  avec  Cabanis  et  Destutt  de 
Tracy,  les  représentants  du  sensualisme  de  Condillac.  Toutefois,  se 
sentant  plutôt  attiré  vers  Maine  de  Biran  qui  devait  bientôt  guider  la 
philosophie  française  dans  une  voie  nouvelle,  il  se  joignit  à  une  société 
philosophique  qui  se  réunissait  chez  lui  et  dont  faisaient  partie  Stapfer, 
le  docteur  Bertrand,  Loyson,  Cousin.  Ampère  eut  le  mérite  de  devancer 
Maine  de  Biran  dans  l'étude  de  l'activité  volontaire  du  moi.  11  pencha 
même  un  moment  pour  le  subjectivisme  de  Kant;  mais  ses  vastes  con- 
naissances le  préservèrent  du  scepticisme  du  philosophe  allemand,  et 
il  enseigna  la  vérité  de  nos  conceptions  objectives.  Du  moins  l'étude  de 
Kant  lui  fit  mieux  apprécier  le  rôle  de  la  raison  et  de  l'induction  spon- 
tanée dans  l'acquisition  de  nos  connaissances  des  objets  extérieurs, 
tandis  que  Maine  de  Biran  négligeait  de  faire  à  l'intelligence  sa  part 
Légitime.  Successivement  nommé  professeur  à  l'Ecole  polytechnique, 
inspecteur  général  de  l'Université,  membre  de  l'Institut,  il  faisait  à  la 
Sorbonne  (1819-1820)  un  cours  de  philosophie  sur  la  classification  des 
faits  intellectuels,  quand  une  expérience  d'QErstedt,  prouvant  la  dépen- 
dance réciproque  des  phénomènes  magnétiques  et  électriques,  imprima 
subitement  une  nouvelle  direction  à  ses  recherches  et  le  conduisit  à  la 
théorie  qui  l'a  rendu  célèbre,  celle  des  lois  de  l'électro-dynamisme  et 
en  particulier  de  Félectro-magnétisme.  En  même  temps,  il  s'occupait 
de  zoologie,  et  dans  son  cours  du  collège  de  France  il  se  prononçait, 
comme  Geoffroy  Saint-Hilaire,  pour  le  système  de  l'unité  de  composi- 
tion des  corps  organisés.  Une  découverte  de  Gay-Lussac  sur  les  pro- 
portions simples  qu'on  observe  entre  le  volume  d'un  gaz  composé  et 
ceux  des  gaz  composants  lui  suggéra  une  théorie  nouvelle  sur  la  struc- 
ture atomique  des  corps  inorganiques.  Mais  à  partir  de  1829,  il  s'était 
plus  spécialement  consacré  à  une  œuvre  qui  avait  déjà  plusieurs  fois 
attiré  son  esprit  encyclopédique  :  c'était  une  classification  de  toutes  les 
connaissances  humaines,  œuvre  souvent  remaniée  et  qui  aurait  subi 
Lieu  des  transformations  encore,  si  la  mort  n'était  venue  interrompre 
travaux  (4836).  Ampère  avait  commencé  un  grand  nombre  d'ou- 
ges,  mais  la  fougue  de  son  génie  ne  lui  permettait  pas  de  les  ache- 
ver: r ;'est  dans  ses  cours,  dans  ses  conversations,  qu'il  épanchait  les 
rien.  te  science.  Ses  œuvres  philosophiques  ont  été  publiées 

par  M.  Barthélémy  Saint-Hilaire  en  un  volume  intitulé  :  Philosophie  des 
deux  Ampère^  1866;  on  y  trouve  des  fragments  d'un  mémoire  composé 
m  lS0:j,  des  Lettres  h  Maine  de  Biran  et  une  notice  de  J.-J.  Ampère  : 
Introduction  à  la  Philosophie  de  mon  père.  Au  milieu  de  ses  immenses 
tra\  aux  et  de  ses  relations  avec  tous  les  savants  de  l'Europe,  Ampère  avait 


2G0  AMPERE  -  AMRI 

conservé  la  candeur,  l'exquise  sensibilité  de  ses  premières  années,  et  si 
sa  bonhomie  provoqua  quelques  sourires,  la  noblesse  de  son  caractère 
et  sa  piété  lui  concilièrent  le  respect  de  tous  ceux  qui  le  connurent 
plus  intimement.  La  publication  récente  de  sa  correspondance  a  con- 
firmé l'appréciation  sympathique  que  Sainte-Beuve  donnait  dans  la 
Revue  des  Deux  Mondes  en  1837.  — Voyez  sur  André-Marie,  dans  la  Bio- 
graphie universelle,  nouv.  éd.,  Fart.  Ampère,  de  M.  Et.  Arago,  et  dans  le 
Dictionn.  des  Sciences  philos.,  2e  éd.,  Fart,  de  M.  Th. -H.  Martin.  —  Son 
fils,  Jean-Jacques  Ampère,  successeur  d'Andrieux  au  collège  de  France, 
mort  en  1874,  s'est  plus  spécialement  consacré  à  des  travaux  de  littéra- 
ture et  d'histoire.  A.  Matter. 

AMPHILOQUE  (Saint),  originaire  de  la  Cappadoce,  ami  de  Basile  le 
Grand  et  de  Grégoire  de  Naziance,  d'abord  rhéteur  et  avocat,  se  retira 
dans  le  désert  d'Oziales,  où  il  se  livra  aux  pratiques  de  l'ascétisme.  En 
374,  il  fut  nommé  archevêque  d'Iconium,  métropole  de  la  Lycaonie, 
et,  en  cette  qualité,  prit  part  au  second  synode  œcuménique  de  Con- 
stantinople  (381)  et  présida  en  383,  à  Side,  un  synode  qui  condamna 
les  messaliens.  Adversaire  décidé  des  ariens,  Amphiloque  demanda  à 
l'empereur  Théodose  de  leur  défendre  d'exposer  leurs  principes  dans 
les  réunions  publiques.  Les  actes  des  conciles  d'Ephèse  et  de  Chalcé- 
doine  citent  de  lui  de  longs  passages  contre  Nestorius  et  Eutychès. 
Saint  Jérôme  parle  d'un  Traité  du  Saint-Esprit,  qu'Amphiloque  lui 
aurait  lu  et  dans  lequel  il  aurait  défendu  son  égalité  de  substance  avec 
le  Père  et  le  Fils.  D'autre  part,  il  s'éleva  contre  le  culte  des  images, 
flagellant  la  piété  de  ceux  qui  multipliaient  les  portraits  des  saints  au 
lieu  d'imiter  leur  conduite.  Ses  écrits  ont  été  publiés  par  le  P.  Combe- 
fis,  Paris,  1644,  in-f°;  mais  leur  authenticité  a  été  fortement  contestée, 
à  l'exception  d'une  lettre  synodale,  écrite  pour  défendre  la  doctrine 
orthodoxe  de  la  Trinité.  — Voyez  Gotelier,  Monum.  eccL,  t.  II,  et  Dom 
Geillier,  Hist.  gêner,  des  auteurs  sacrés  et  eccl.,  t.  VII,  p.  307  ss. 

AMPOULE  (Sainte),  fiole  autrefois  conservée  à  Saint-Remy  de  Reims, 
et  qui  contenait  l'huile  avec  laquelle  ont  été  sacrés,  depuis  1179,  tous 
les  rois  de  France  (Henri  IV  fut  sacré  à  Chartres  avec  l'huile  de  la 
Sainte  Ampoule  de  Marmoutier,  relique  de  Saint-Martin  de  Tours). 
Hincmar  raconte  dans  sa  Vie  de  saint  Remy  (A  A.  SS.,  1.  Oct.  I;  cf. 
Opp.  I,  744,  Sirmond)  que  l'ampoule  fut  apportée  du  ciel  par  une  co- 
lombe au  sacre  de  Glovis.  Depuis  le  dixième  siècle,  la  colombe  fut 
remplacée  dans  la  tradition  par  un  ange.  Brisée  le  7  octobre  1793  par 
le  représentant  Ruhl.  la  Sainte  Ampoule  a  été  refaite  en  1823.  On  ne 
peut  écarter  d'Hincmar  le  soupçon  d'avoir  inventé  cette  légende  dans 
l'intérêt  de  Charles  le  Chauve,  couronné  roi  de  Lorraine  en  869.  — 
Voyez  G.  Marlot,  le  Théâtre  d'honneur,  Reims,  1643,  in-4°  ;  J.-J.  Chifflet, 
De  Ampulla  Remensi,  Anvers,  1651,  in-f°;  Godefroy,  le  Cérémonial  fran- 
çois,  Paris,  1649,  I,  in-f°;  P.  Tarbé,  Trésors  des  Eglises  de  Reims,  Reims, 
1843,  in-4°. 

AMRI  [cOmri,  "A^êpil,  roi  d'Israël  (928-918  av.  J.-C),  commandait 
l'armée  du  roi  Ela  quand  celui-ci  fut  assassiné.  Appelé  au  trône  par 
l'armée,  il  se  défit  successivement  de  Zimri,  meurtrier  d'Ela,  qu'il  ré- 


AMRI  -  AMSDORF  261 

duisii  dans  Thirtsa,  el  de  Thibni,  prétendanl  appuyé  par  le  peuple.  Il 

transporta  le  siège  de  la  royauté  de  Thirtsa  à  Samarie,  qu'il  bâtit,  et 
doit  avoir  éprouve  des  dommages  dans  une  guerre  avec  Ben-Hadad,  roi 
de  Syrie  (1  Rois  XVI,  16-28).  La  fixation  de  la  durée  de  son  règne  pré- 
sente  quelques  difficultés. 

AMSDORF  Nicolas  d'),  un  dos  premiers  amis  et  collaborateurs  de 
Luther,  s'est  t'ait,  non  sans  cause,  la  réputation  d'avoir  été  un  homme 
véhément  el  obstiné.  Son  caractère  ne  manque  pas  de  noblesse;  ce  qui 
lui  a  manqué  c'est  la  modération.  Il  naquit  le  3  décembre  1483,  d'une 
famille  noble  de  la  Saxe.  Il  fit  ses  études  à  Leipzig  et  à  Wittemberg,  où 
il  devint  chanoine  du  chapitre  de  la  Toussaint  et  licencié  en  théologie. 
Dès  que  Luther  eut  affiché  ses  thèses,  il  s'attacha  à  lui  de  cœur  et  d'âme; 
il  l'accompagna  au  colloque  de  Leipzig  et  à  la  diète  de  Worms.  Nommé 
en  152 i  pasteur  à  Magdebourg,  il  introduisit  définitivement  en  cette  ville 
la  Réformation;  il  l'introduisit  de  même  dans  des  villes  voisines,  avec 
fermeté,  mais  sans  garder  toujours  dans  ses  actes  la  mesure  désirable. 
Trop  fidèle  disciple  de  Luther,  attentif  aux  moindres  symptômes  d'une 
déviation  de  la  doctrine,  ou  plutôt  de  la  lettre  du  réformateur,  il  se 
brouilla  avec  Mélanchthon  et  désapprouva  la  concorde  de  Wittemberg, 
de  1536,  tout  luthérienne  qu'elle  fût.  Dans  la  même  année,  GasparCru- 
ciger  s'étant  servi  de  la  formule  bona  opéra  non  quidemesse  causant  effi- 
cientem  salut is,  sed  tamen  causam  sine  qua  non,  Amsdorf  écrivit  à  Luther 
pour  lui  signaler  cette  opinion  comme  une  erreur  ;  elle  était  mal  ex- 
primée, mais  au  fond  elle  revenait  à  ceci  :  Les  bonnes  œuvres  ne  pro- 
duisent pas  le  salut,  qui  ne  vient  que  par  la  foi,  mais  comme  elles  sont 
le  fruit  de  la  foi  justifiante,  on  doit  conclure  de  leur  absence  à  celle  de 
la  foi  ;  en  ce  sens,  elles  sont  une  condition  du  salut.  En  1540,  Amsdorf 
assista  aux  conférences  de  Haguenau  et  au  colloque  de  Worms  ;  en 
15 il  il  fut  à  celui  de  Ratisbonne,  où  l'électeur  Jean-Frédéric  l'avait 
envoyé  pour  surveiller  Mélanchthon  dont  il  se  méfiait;  il  devait  aviser 
à  ce  que  dans  aucun  article  on  ne  s'écartât  de  la  doctrine  de  Luther. 
L'évèque  de  Naumbourg  étant  mort  en  janvier  1540,  le  chapitre  élut  le 
prévôt  Jules  de  Pflug,  catholique  instruit  et  modéré.  L'électeur,  qui 
considérait  l'institution  de  l'évèque  comme  un  droit  régalien,  cassa 
l'élection  et  nomma  Nicolas  d'Amsdorf,  en  chargeant  un  laïque  de  l'ad- 
ministration du  temporel.  Amsdorf  fut  installé  par  Luther  lui-même, 
le  2<>  janvier  1542,  comme  premier  évoque  luthérien.  Mais  il  rencontra 
des  difficultés  de  tout  genre  ;  le  chapitre  lui  fit  de  l'opposition,  l'empereur 
lf  menaçait,  l'électeur  ne  le  soutenait  que  mollement,  son  autorité 
épiscopale  était  presque  nulle  ;  à  la  fin,  toutefois,  il  put  organiser  les 
paroisses  et  les  écoles  de  son  diocèse  conformément  aux  articles  publiés 
en  15-27  pour  la  Visitation  de  la  Saxe.  Lors  de  la  diète  de  Spire,  juin 
1544,  L'électeur  reçut  communication  du  projet  de  Bucer  et  de  Mé- 
lanchthon  pour  la  réformation  de  Cologne;  trouvant  qu'en  plusieurs 
points  il  g' écartait  de  la  «  pure  doctrine,  »  il  le  remit  à  Amsdorf; 
celui-ci  en  écrivil  une  censure  très-vive  qu'il  envoya  à- Wittemberg;  le 
livre,  disait-il.  était  obscur  et  ambigu,  notamment  dans  les  articles  du 
libre  arbitre  et  de  la  sainte  Gène.  Luther  fut  du  même  avis.  Poussé  par 


262  AMSDORF  —  AMSTERDAM 

lui  et  par  Amsdorf,  l'électeur  refusa  tout  appui  à  l'archevêque  Herrmann, 
de  Cologne.  Lors  d'une  visite  qu'Amsdorf  eut,  en  ioM,  de  Luther,  il 
l'excita  à  publier  contre  les  Suisses  cette  Brève  confession  du  Saint- 
Sacremmt,  où  ils  sont  qualifiés  de  meurtriers  des  âmes.  Adversaire 
décidé  de  l'Intérim,  Amsdorf  se  réfugia  à  Magdebourg  où  il  devint, 
avec  Flacius,  un  des  chefs  du  parti  qui  s'opposait  aux  concessions  qu'en 
Saxe  et  ailleurs  on  proposait  de  faire  au  catholicisme.  Plus  tard,  il  obtint 
une  position  de  surintendant  à  Eisenach.  En  1551  il  attaqua  la  propo- 
sition de  Georges  Major  :  les  bonnes  œuvres  sont  nécessaires  au  salut, 
par  laquelle  Major  voulait  dire  que  personne  n'obtient  le  salut  par  des 
œuvres  mauvaises  ni  sans  des  œuvres  bonnes.  En  1554  il  s'éleva  contre 
son  collègue,  Juste  Ménius,  surintendant  à  Gotha,  qui  professait  la  même 
opinion.  Dans  cette  querelle^  il  alla  jusqu'à  publier  un  traité  :  Dass  die 
Propositio  gute  Wercke  sind  zur  Seligkeit  schsedlich  eine  rechte  wahre 
christliche  Propositio  sey,  1559 ,  in-<4°.  Il  entendait  par  ces  bonnes 
œuvres  nuisibles  celles  par  lesquelles  on  croit  pouvoir  mériter  le  salut. 
Les  théologiens  qu'il  combattait  ne  voulaient  pas  non  plus  de  ces 
œuvres  ;  la  controverse  tout  entière  n'était  qu'une  logomachie  ;  Flacius 
lui-même  et  les  luthériens  les  plus  orthodoxes  du  dix-septième  siècle 
ont  blâmé  l'exagération  de  la  formule  d'Amsdorf.  Celui-ci  était  l'ad- 
versaire intraitable  des  philippistes  ou  disciples  de  Mélanchthon.  Il  con- 
courut à  l'établissement  de  l'université  d'Iéna,  fondée  par  les  ducs  de 
Saxe  pour  faire  concurrence  à  celle  de  Wittemberg  ;  il  écrivit  la  préface 
de  l'édition  des  œuvres  de  Luther  qu'à  Iéna  on  opposa  à  celle  de  Wit- 
temberg ;  il  fit  appeler  Flacius  comme  professeur  de  théologie  ;  de 
concert  avec  lui,  il  excita  les  théologiens  saxons  à  se  séparer  de  Mé- 
lanchthon lors  du  colloque  de  Worms,  de  1557;  l'année  suivante  il 
écrivit  contre  le  synergisme  du  professeur  Pfeffinger,  de  Leipzig,  et 
publia  une  récusation  du  recès  de  Francfort.  Sur  la  fin  de  sa  vie,  en 
1564,  il  lui  arriva,  à  lui  ardent  luthérien,  d'être  attaqué  par  Tilmann 
Hesshus,  qui  se  prétendait  plus  luthérien  que  lui.  Hesshus,  ayant  été 
renvoyé  de  Magdebourg  à  cause  de  sa  violence,  Amsdorf  approuva  cette 
mesure;  il  se  vit  engagé  par  là  dans  une  polémique,  où,  de  part  et 
d'autre,  on  prodigua  plus  d'injures  que  d'arguments.  Il  mourut 
en  1565.  Ch.  Schmidt. 

AMSTERDAM,  capitale  du  royaume  des  Pays-Bas,  à  l'embouchure  de 
l'Amstel,  qui  a  donné  son  nom  au  hameau  de  pêcheurs  d'où  est  sortie 
la  ville  commerçante,  si  justement  grande  par  l'activité  qu'elle  a  dé- 
ployée dans  tous  les  domaines.  Son  origine  ne  remonte  pas  au  delà  de  la 
fin  du  douzième  siècle;  son  commerce  prit  un  rapide  élan  dans  le  sei- 
zième, après  qu'elle  eut  accueilli  les  juifs,  expulsés  de  Portugal  et  de  l'Es- 
pagne. Lorsque  après  la  chute  d'Anvers,  elle  eut  formé  dans  le  commence- 
ment du  dix-septième  siècle  de  puissantes  colonies  en  Afrique,  en  Asie 
en  Amérique,  Amsterdam  se  trouva  être,  pour  quelque  temps,  la  métro- 
pole du  commerce  du  monde.  Mais  nous  n'avons  à  parler  ici  que  du 
rôle  qu'elle  a  joué  dans  l'histoire  religieuse.  La  piété  mystique  qui  se 
manifesta  en  Europe  après  les  croisades,  et  qui  dans  le  quatorzième  siècle 
se  développa  dans  les  Pays-Bas  avec  un  caractère  pratique,  sous  le  nom 


AMSTERDAM  203 

de  «  dévotion  moderne,  »  par  l'influence  des  Frères  de  la  vie  commune, 
fui  aussi  très  en  faveur  à  Amsterdam,  el  donna  naissance  à  une  littéra- 
ture d'édification  fort  recherchée.  Au  quinzième  sièele,  la  ville  ne  comp- 
luit  pas  moins  de  vingt-cinoj  couvents.  Le  magistrat  craignant  le  pouvoir 
envahissant  du  clergé,  et  voyant  avec  déplaisir  le  tiers  de  la  ville  entre 
1rs  mains  de  corporations  exemptes  des  charges  publiques,  finit  par 
s'opposer  à  cotte  multiplication.  La  Réforme  importée  à  Amsterdam,  dès 
les  premières  années  du  seizième  siècle,  par  des  négociants  allemands,  y 
trouva  des  adhérents  toujours  plus  nombreux  parmi  les  classes  commer- 
çantes et  industrielles.  Mais  elle  se  vit  bientôt  enveloppée  dans  la  défaveur 
qu'encourut  le  fanatisme  séditieux  des  anabaptistes,  qui  causa  de  grands 
troubles,  nécessita  de  sanglantes  répressions  et  augmenta  chez  les  familles 
puissantes  leur  aversion  instinctive  pour  tout  mouvement  révolutionnaire. 
Bien  plus  et  plus  longtemps  qu'ailleurs,  le  magistrat  d'Amsterdam  fut 
hostile  à  la  Réforme.  La  tolérance  à  laquelle  il  se  vit  contraint  vers  le 
milieu  du  siècle  fut  remplacée  par  de  nouvelles  rigueurs,  lorsque  la 
fièvre  iconoclaste,  qui  saisit  en  1566  le  bas  peuple  protestant  des  Pays- 
Ras,  se  fut  manifestée  aussi  à  Amsterdam.  Grand  nombre  de  réformés 
*  migrèrent,  d'autant  plus  que  la  ville,  toujours  gouvernée  par  l'aristo- 
cratie, refusait  de  se  joindre  aux  mesures  qui  préparaient  l'abjuration  du 
roi  d'Espagne  comme  souverain  des  Pays-Ras.  Et  lorsque  enfin,  en  fé- 
vrier 1578,  Amsterdam  jugea  devoir  s'associer  à  ce  mouvement,  elle  sti- 
pula expressément  l'exercice  exclusif  du  culte  catholique  dans  ses  murs 
et  n'accorda  aux  réformés  qu'un  lieu  de  sépulture,  avec  une  liberté  res- 
treinte de  tenir  des  assemblées  religieuses  hors  de  son  enceinte.  Mais  les 
émigrés  étant  rentrés  et  les  réformés,  qui  comptaient  parmi  eux  un 
grand  nombre  d'hommes  notables,  ayant  vainement  tenté  d'obtenir  du 
magistrat  des  conditions  plus  favorables,  ils  opérèrent,  trois  mois  plus 
tard,  une  révolution  civile,  qui  sans  faire  verser  une  goutte  de  sang  mit 
entièrement  la  ville  en  leur  pouvoir.  Dès  ce  moment  Amsterdam  devint 
et  est  demeurée  la  ville  essentiellement  réformée,  où  jusqu'à  la  révolu- 
tion de  1795  les  seuls  réformés  étaient  admis  à  l'exercice  des  fonctions 
publiques,  mais  hospitalière  du  reste  pour  les  cultes  de  toute  dénomi- 
nation. Nous  allons  succinctement  les  passer  en  revue.  —  1 .  Les  réformés 
ont  conservé  leur  supériorité  numérique  dans  des  proportions  égales  à 
l'accroissement  considérable  de  la  population.  Rs  sont  actuellement  au 
nombre  d'environ  160,000  âmes,  dont  à  peu  près  50,000  membres  com- 
muniants. Desservie  par  28  pasteurs  (l'un  prêche  en  allemand),  la  com- 
munauté célèbre  son  culte  dans  10  temples  et  quelques  succursales; 
6  d<'  ces  temples  ont  été  bâtis  après  rétablissement  de  la  Réforme;  on 
vienl  de  décider  la  construction  d'un  temple  de  plus.  Les  exercices  du 
<  iill.  .  ii  temps  ordinaire,  23  à  25  le  dimanche  et  -4  sur  semaine,  bien 
qu'inégalement  fréquentés,  réunissent  parfois  des  assemblées  de  4  à5, 000 
fidèles.  Au  nombre  des  institutions  de  bienfaisance  que  la  communauté 
i  fondées  et  entretient,  on  distingue  un  orphelinat  où  sont  recueillis 
environ  150  enfants  des  deux  sexes;  un  très-grand  hospice  pour  la  vieil- 
.  habit e  par  près  de  1,000  hommes  et  femmes;  et  7  écoles  diaco- 
oales,  où   environ   2,000   enfants   pauvres  reçoivent  l'instruction.  — 


264  AMSTERDAM 

2.  Après  qu'Amsterdam  se  fut  déclarée  pour  la  Réforme  en  1578, 
elle  vit  affluer  dans  ses  murs  un  nombre  très-considérable  de  réfugiés 
des  provinces  flamandes  et  wallonnes,  qui  venaient  de  retomber  sous 
la  domination  de  l'Espagne,  et  oii  la  Réforme,  après  avoir  pris  un  déve- 
loppement même  plus  grand  que  dans  le  nord,  fut  alors  complètement 
étouffée.  Les  Flamands,  qui  parlaient  le  néerlandais,  s'associèrent  à  la 
communauté  établie.  Mais  la  langue  des  Wallons  étant  le  français,  il 
fallut  pour  eux  un  établissement  à  part;  ils  y  avaient  d'autant  plus  de 
droits,  qu'ils  étaient  les  plus  anciens  réformés  et  que  c'était  au  milieu 
d'eux  qu'était  née  la  confession  de  foi  et  la  forme  d'Eglise  calviniste, 
qui  l'une  et  l'autre  venaient  d'être  définitivement  adoptées  par  la  nou- 
velle république.  On  les  laissa  ainsi  se  constituer  comme  communauté 
ivalionne  réformée,  associée  aux  autres  communautés  wallonnes,  qui 
s'établirent  en  môme  temps  et  par  les  mêmes  causes  dans  les  principaux 
endroits  des  Pays-Bas  septentrionaux,  et  qui  formèrent  ensemble  un  res- 
sort synodal,  partie  intégrante  de  l'Eglise  réformée  des  Provinces-Unies. 
Le  temple  wallon  d'Amsterdam,  bien  que  déjà  trois  fois  agrandi  pendant 
le  dix-septième  siècle,  ne  s'en  trouva  pas  moins  complètement  insuffi- 
sant, lorsqu'à  la  suite  de  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,  en  1685,  des 
milliers  de  réfugiés  vinrent  s'établir  à  Amsterdam.  Le  magistrat  accorda 
alors  à  la  communauté  wallonne  un  second  temple,  qui  lui  fut  enlevé  il 
est  vrai,  lorsqu'au  commencement  de  ce  siècle  la  propriété  des  temples, 
jusqu'alors  domaine  de  la  ville,  fut  cédée  aux  communautés  religieuses, 
mais  que  la  communauté  wallonne  remplaça  par  un  temple  nouveau, 
de  sorte  que  le  culte  wallon  ou  français  s'exerce  toujours  dans  deux 
édifices.  La  communauté,  desservie  par  quatre  pasteurs,  compte  environ 
3,500  âmes.  Elle  possède  un  hospice  pour  l'éducation  ou  l'entretien  d'une 
centaine  d'orphelins  et  de  personnes  âgées,  de  plus  trois  écoles  pour 
300  enfants  pauvres,  avec  une  institution  secondaire  pour  les  former  à 
une  profession  qui  les  mette  en  état  de  gagner  leur  vie.  — 3.  On  connaît 
les  troubles  ecclésiastiques  et  politiques,  nés  au  commencement  du 
dix-septième  siècle  des  disputes  dogmatiques.  Proscrits  et  persécutés 
d'abord,  les  pasteurs  arminiens  ou  remontrants  essayèrent  bientôt  de 
rallier  leurs  adhérents.  Dès  1621  le  magistrat  d'Amsterdam  refusa  de 
s'y  opposer,  bien  qu'il  en  fût  vivement  sollicité  ;  et  en  1628,  malgré 
lesédits  contraires  et  une  violente  opposition  ecclésiastique,  il  autorisa 
les  assemblées  religieuses  des  remontrants.  En  1634 ,  ceux-ci  fon- 
dèrent un  séminaire.  Le  célèbre  Episcopius  en  fut  le  premier  profes- 
seur; il  accueillit  comme  ami  et  eut  pour  successeur  Etienne  de 
Courcelles,  théologien  distingué,  bien  connu  dans  les  Eglises  de  France, 
qui  Pavaient  déposé  pour  ses  opinions  arminiennes.  Le  séminaire  qui  a 
continué  de  fleurir  et  de  compter  parmi  ses  professeurs  des  hommes 
illustres,  a  été  transféré  il  y  a  peu  d'années  à  Leyde.  La  belle  biblio- 
thèque théologique  est  restée  à  Amsterdam.  La  communauté  des  re- 
montrants compte  aujourd'hui  plus  de  1,200  âmes;  elle  a  son  temple  à 
elle  et  est  desservie  par  deux  pasteurs.  —  -4  et  5.  Les  Anglais  et  Ecossais 
presbytériens  forment  aussi  depuis  1607  une  communauté,  possédant  un 
temple  et  desservie  par  un  pasteur.  Elle  ressortit  du  synode  de  l'Eglise 


AMSTERDAM  265 

réformée  des  Pays-Bas.  La  communauté  anglaise  épiscopale,  qui  s'est 
établie  et  a  obtenu  un  temple  vers  1700,  dépend  de  l'Eglise  épiscopale 
d'Angleterre  qui  la  pourvoit  d'un  pasteur.  — (>  et  7.  C'étaient  les  adhé- 
rents de  Luther  qui,  les  premiers,  avaient  introduit  la  Réforme  à  Am- 
sterdam. Mais  le  calvinisme  avait  prévalu.  Le  principe  de  la  liberté  des 
cultes  étant  alors  encore  fort  loin  d'être  admis,  les  luthériens,  déjà  nom- 
breux lorsqu'en  1578  la  ville  se  déclara  réformée,  n'obtinrent  cette 
liberté  qu'après  quelques  années,  à  titre  de  privilège,  dans  l'intérêt  du 
commerce.  L'accroissement  rapide  de  la  population  pendant  le  dix-sep- 
tième siècle  augmenta  considérablement  la  communauté.  Bientôt  leur 
temple,  bien  que  bâti  pour  des  assemblées  de  5  à  6,000  fidèles,  ne  leur 
suffisant  plus,  il  fallut  en  construire  un  second,  presque  également  vaste. 
Vers  la  fin  du  dernier  siècle,  une  partie  de  la  communauté  se  sépara  de 
l'autre,  à  la  suite  de  discussions  dogmatiques,  et  forma  une  Église  à 
part,  sous  le  nom  cY  F  g  lise  luthérienne  rétablie  (c'est-à-dire  sur  la  base 
des  doctrines  de  Luther).  Elle  compte  environ  9,000  âmes  et  est  desservie 
par  quatre  pasteurs.  Indépendamment  d'un  vaste  temple  que  la  commu- 
nauté s'est  bâti,  elle  possède  un  orphelinat,  qui  sert  en  même  temps  de 
second  lieu  de  culte.  L'autre  ou  1 'ancienne  communauté  luthérienne,  forte 
toujours  de  près  de  30,000  âmes,  a  six  pasteurs,  dont  un  pour  la  prédi- 
cation allemande.  Un  vaste  hospice  abrite  250  vieillards  et  environ 
120  orphelins.  —  8.  Les  mennonites  ou  baptistes  ont  eu  à  Amsterdam 
'plusieurs  établissements  de  nuances  assez  divergentes,  qui  ont  fini  ce- 
pendant par  se  réunir  dans  une  seule  communauté,  comptant  pour  le 
moins  4,000  âmes.  Desservie  par  trois  pasteurs,  elle  a  son  temple  et  ses 
institutions  de  charité.  De  même  que  les  remontrants,  les  luthériens  et 
les  mennonites  des  Pays-Bas  ont  fondé  à  Amsterdam  des  séminaires  où 
se  forment  leurs  pasteurs  respectifs.  Ces  deux  dernières  institutions  n'ont 
point  quitté  la  capitale  et  continuent  d'y  fleurir.  La  bibliothèque  théo- 
logique des  mennonites  est  très-remarquable  et  complète.  —  9.  La 
Réforme  l'ayant  emporté  à  Amsterdam  sur  le  catholicisme,  l'ancien 
persécuté  ne  devint  pas  persécuteur.  Les  catholiques  furent  traités  avec 
une  grande  tolérance.  Avant  le  milieu  du  dix-septième  siècle,  les  catho- 
liques jouissaient  déjà  du  libre  exercice  de  leur  culte  dans  l'intérieur  des 
églises  et  avaient  obtenu  l'autorisation  d'en  bâtir.  Les  prêtres,  même 
ceux  de  l'ordre  des  jésuites,  étaient  admis,  sauf  l'obligation  de  déclarer 
quils  ne  reconnaissaient  pas  aux  papes  le  droit  de  délier  les  sujets  du 
sérmenl  de  fidélité  à  leurs  souverains.  Les  jansénistes,  persécutés  en 
France  et  dans  les  Pays-Bas  espagnols,  entre  autres  le  célèbre  Quesnel, 
trouvèrent  à  Amsterdam  un  asile.  Aussi  le  nombre  des  catholiques  ro- 
mains  augmenta-t-il  en  proportion  de  la  population.  Vers  la  fin  du  dix- 
huitième  siècle  ils  possédaient  vingt-deux  lieux  de  culte,  qu'ils  s'occu- 
penl  d'embellir  plutôt  que  d'augmenter,  depuis  que  l'état  de  minorité 
ou  les  maintenait  Le  pays  réformé,  a  cessé,  et  que  l'égalité  des  citoyens, 
Bans  distinction  de  culte,  a  passé  dans  les  mœurs  et  dans  la  constitution 
de  l'Etat.  Leur  nombre  est  d'environ  00,000,  divisés  en  paroisses  des- 
servies  par  cinquante  ecclésiastiques.  Ils  possèdent  de  grands  et  beaux 
établissements  de  bienfaisance,  tant  pour  l'enfance  et  la  jeunesse  que 
i.  18 


266  AMSTERDAM 

pour  l'âge  avancé.  —  10.  A  côté  des  catholiques  romains,  on  distingue 
dans  les  Pays-Bas,  les  anciens  épiscopaux,  dits  aussi  jansénistes,  c'est- 
à-dire  les  catholiques,  qui,  ayant  refusé  de  souscrire  en  4703  et  1713  aux 
condamnations  papales  de  la  doctrine  de  Jansénius,  ont  maintenu  l'an- 
cien archevêché  d'Utrecht,  supprimé  ou  interdit  à  cette  époque  par  le 
pape,  et  ont  continué  d'en  nommer  les  archevêques  en  vertu  du  droit  du 
chapitre,  droit  et  nomination  que  la  cour  de  Rome  ne  cesse  de  déclarer 
nuls  et  non  avenus.  La  communauté  janséniste  d'Amsterdam  possède 
deux  églises.  —  11.  Les  juifs,  tant  ceux  de  Pologne  et  d'Allemagne,  que 
ceux  du  Portugal  et  d'Espagne,  persécutés  chez  eux  et  attirés  par  le 
commerce  et  la  tolérance,  s'établirent  en  nombre  à  Amsterdam,  surtout 
après  sa  révolution  religieuse  de  1578.  Ils  ne  tardèrent  pas  à  y  obtenir 
le  libre  exercice  de  leur  culte.  Les  juifs  portugais,  au  nombre  d'environ 
3,500,  possèdent  une  grande  et  belle  synagogue.  Spinoza  était  un  des 
leurs.  Les  juifs  allemands,  bien  plus  nombreux,  environ  30,000,  ont 
huit  synagogues,  dont  la  principale  surtout  est  un  bel  édifice.  Les  insti- 
tutions pour  les  pauvres  et  pour  l'enseignement  sont  nombreuses,  bien 
entretenues  et  bien  dirigées. — 12.  Dans  le  dernier  siècle,  l'Eglise  armé- 
nienne ou  perse  avait  à  Amsterdam  un  temple  et  l'Eglise  grecque,  ainsi 
que  les  quakers,  des  lieux  de  culte,  qui  subsistent  toujours,  mais  où  le 
service  religieux  ne  se  célèbre  plus.  — 13.  Le  mouvement  religieux  qui, 
sous  le  nom  de  réveil,  s'est  manifesté  dans  la  première  moitié  de  ce 
siècle  dans  la  France  et  la  Suisse  protestantes,  s'est  fait  sentir  aussi  en 
Hollande  et  a  donné  naissance  à  Amsterdam  à  plusieurs  communautés 
dissidentes,  autorisées  par  l'Etat.  La  plus  ancienne  et  la  plus  considé- 
rable, qui  se  désigne  d'une  manière  spéciale  comme  Eglise  chrétienne 
réformée,  a  trois  lieux  de  culte,  et  est  desservie  par  trois  pasteurs.  Elle 
tient  à  un  corps  organisé  d'Eglises,  établies  dans  tout  le  pays,  qui  a  son 
synode  spécial  et  son  école  de  théologie  à  Kampen  (Over-Yssel).  —  Après 
la  large  tolérance  religieuse  pratiquée  à  Amsterdam  depuis  la  Réforme, 
la  parfaite  égalité  des  cultes  proclamée  à  la  suite  de  la  révolution  poli- 
tique de  1795  n'a  pas  eu  de  peine  à  entrer  dans  les  mœurs.  Protestants 
de  toute  dénomination,  catholiques  et  juifs  siègent  et  travaillent  ensemble 
dans  la  magistrature,  dans  les  chambres  législatives,  dans  les  cabinets 
ministériels,  dans  toutes  les  administrations  et  associations  commer- 
ciales, industrielles  et  statistiques.  La  différence  des  rites  et  des  croyances 
n'influe  à  divers  degrés  que  sur  les  relations  personnelles  ou  de  société. 
Du  reste,  l'esprit  religieux,  qui,  au  milieu  de  toutes  les  évolutions  des 
idées,  s'est  maintenu  en  Hollande,  n'est  pas  le  moins  vivant  à  Amster- 
dam. Les  tendances  conservatrices  et  progressistes  qui  divisent  le  pro- 
testantisme, et  qui  existent  là  comme  ailleurs,  font  sentir,  et  vivement 
quelquefois,  leur  présence  et  leur  action  au  sein  des  communautés 
ecclésiastiques.  L'une  et  l'autre  comptent  parmi  leurs  représentants  des 
hommes  d'une  grande  valeur  scientifique  et  religieuse,  qui,  malgré  les 
tiraillements  inséparables  de  la  lutte,  conservent  à  celle-ci  le  caractère 
d'un  débat  utile  et  sérieux.  La  fréquentation  du  culte,  bien  qu'elle  ne 
soit  plus  ce  qu'elle  était  autrefois,  est  plus  assidue  qu'en  mainte  autre 
grande  ville  protestante  de  l'Europe.  Quelquefois  les  vastes  temples  suffi- 


AMSTERDAM  267 

sent  à  peine  pour  contenir  1rs  auditoires  qui  se  pressent  autour  des  pré- 
dicateurs,  surtout  des  orthodoxes,  mais  aussi  des  libéraux.  Amsterdam 
est  le  centre  et  le  chef-lieu  de  l'activité  de  la  Société  biblique  néerlan- 
daise, celle  œuvre  protestante  à  laquelle  concourent  des  théologiens  et 
des  laïques  de  tous  les  cultes  el  de  toutes  les  tendances.  Elle  est  connue, 
entre  autres,  par  les  éludes  linguistiques  qui  se  poursuivent  sous  ses  aus- 
pices dans  l'archipel  des  Indes  asiatiques,  et  dont  plusieurs  travaux  litté- 
raires et  traductions  bibliques  dans  les  différents  dialectes  des  langues 
malaie,  javanaise,  el  celle  des  Bataks,  sont  déjà  le  fruit.  L'esprit  reli- 
gieux et  philanthropique  se  voit  encore,  en  dehors  des  institutions  ecclé- 
siastiques, dans  l'œuvre  d'un  grand  nombre  d'associations  particulières, 
soit  qu'elles  exercent  leur  action  dans  les  établissements  publics,  soit 
qu'elles  poursuivent  leur  but  par  le  moyen  de  fondations  expresses. 
Dans  la  vaste  prison  cellulaire,  bel  édifice  bien  aéré,  le  relèvement 
moral  des  prisonniers  est  l'objet  de  soins  constants  et  bien  organisés, 
qu'une  société  spéciale  continue  au  prisonnier  après  son  relâchement. 
La  grande  maison  de  travail ,  lieu  de  détention  pour  les  vagabonds , 
asile  et  occasion  d'un  travail  rémunéré  pour  le  pauvre,  ainsi  que  l'orphe- 
linat civique,  destiné  aux  orphelins  de  ceux  qui  ont  droit  de  bour- 
geoisie (actuellement  environ  175  enfants),  reçoivent  également  des 
soins  religieux  appropriés  aux  besoins  de  leurs  habitants.  Il  en  est  de 
même  des  deux  maisons  d'aveugles,  destinées  l'une  à  l'éducation  des 
enfants,  l'autre  à  faire  apprendre  un  métier  aux  adultes,  de  celle  des 
sourds-muets,  de  plusieurs  maisons  de  santé,  dont  une  spécialement 
affectée  aux  enfants,  une  autre  aux  ophthalmiques ,  établissements 
qui  servent  aussi  à  former  des  sœurs  de  charité  (gardes-malades)  tant 
protestantes  que  catholiques,  de  l'asile  pour  les  pénitentes,  d'un  autre 
pour  mettre  les  jeunes  filles  à  l'abri  de  la  séduction  :  autant  de  fonda- 
tions, qui,  de  même  que  les  crèches  et  les  diverses  sociétés  de  patro- 
nage, sont  des  institutions  de  la  charité  privée.  Bref,  la  bienfaisance 
des  Amsterdammois  est  universellement  connue.  Il  est  peu  de  pays  de 
l'Europe  dont  il  ne  lui  vienne  des  appels  réitérés  et  rarement  infruc- 
tueux pour  des  besoins  religieux  et  sociaux.  —  Si  Fesprit  de  sagesse 
pratique  qu'entretient  le  commerce  se  montre  à  Amsterdam  dans  son 
lii>loire  religieuse,  il  se  voit  aussi  dans  ses  institutions  pour  la  diffusion 
d'utiles  lumières.  La  «  dévotion  moderne  des  Frères  de  la  vie  com- 
mune, »  qui  dans  le  quatorzième  et  le  quinzième  siècle  exerçait  au  sein 
des  Pays-Bas  son  action  bienfaisante,  faisait  prendre  aussi  à  cœur  l'en- 
seignement, tant  primaire  que  supérieur.  Amsterdam  vit  ainsi  se  mul- 
tiplier ses  écoles  paroissiales  et  particulières,  où  l'enfance  et  la  jeunesse, 
tout  en  apprenant  avant  tout  ce  qu'il  fallait  pour  prendre  part  au  culte 
et  aux  rites  ecclésiastiques,  recevaient  aussi,  et  dans  une  mesure  crois- 
s'"11'-  '''"  connaissances  nécessaires  pour  la  vie  sociale  en  rapport  avec 
la  diversité  des  rangs  et  des  professions.  Elle  est  la  première  ville  dès 
Pays  Bas  septentrionaux  où  se  tonna,  en  1450,  un  collège  pour  les  hautes 
études,  par  les  soins  de  la  riche  et  respectable  famille  des  Eggerts, 
dont  I  un  des  chefs  avait  consacré,  vers  1400,  une  partie  de  sa  vaste  for- 
tune à  bâtir  !  église  neuve,  qui  est  devenue  et  demeurée  le  temple  prin- 


268  AMSTERDAM 

cipal  de  la  ville.  Ce  collège,  d'après  les  lettres  de  fondation,  devait  être 
organisé  «  à  la  manière  de  la  faculté  de  théologie  de  Paris,  »  et  être 
pourvu  de  chaires  de  philosophie,  d'histoire  ecclésiastique,  de  dogma- 
tique et  de  morale.  Il  fut  enrichi  bientôt  d'une  bibliothèque,  qui  s'est 
confondue  depuis  avec  la  bibliothèque  publique.  Le  collège  s'éteignit  au 
milieu  des  troubles  du  siècle  suivant.  Mais  avec  lui  ne  s'éteignit  pas  à 
Amsterdam  le  besoin  de  favoriser  les  hautes  études.  Après  que  la  ville 
eut  accompli  et  consolidé  sa  révolution  ecclésiastique  et  politique,  elle 
fonda  en  1632  son  athénée  ou  école  illustre  et  y  créa  successivement 
des  chaires  pour  un  enseignement  universitaire,  histoire,  littérature, 
géométrie  et  navigation,  médecine,  jurisprudence,  théologie.  L'école 
eut  eu  pour  premiers  professeurs  l'illustre  Galilée  et  Hugo  Grotius,  si  le 
grand  âge  du  premier  lui  avait  permis  de  se  rendre  dans  la  ville  qui  eût 
été  heureuse  de  lui  faire  oublier  les  persécutions  de  son  ingrate  patrie, 
et  si  de  puissantes  inimitiés  n'avaient  pas  empêché  Grotius  d'occuper  la 
chaire  qu'Amsterdam  s'empressait  de  lui  offrir.  Vossius  et  Barlaeus, 
expulsés  de  leurs  chaires  de  Leyde,  pour  cause  d'arminianisme,  furent 
parmi  les  premiers  professeurs  de  l'athénée.  Ils  y  eurent  pour  collabo- 
rateur et  pour  successeur  David  Blondel,  appelé  de  France,  où  il  avait 
été  également  en  butte  à  des  animosités  dogmatiques.  Les  chaires  n'ont 
cessé  d'être  occupées  par  des  savants  du  premier  ordre.  Parmi  ceux  qui 
y  ont  enseigné  pendant  la  dernière  centaine  d'années,  les  noms  de 
Cras  et  de  Kemper,  de  Schultens,  Willmet  et  van  Heugel,  de  Camper, 
Kemwardt,  van  Swinden,  Vrolik,  de  Wyttenbach  et  van  Lennep,  hono- 
rés dans  le  monde  savant,  continueront  d'aller  à  la  postérité.  L'athénée, 
tout  en  offrant  aux  divers  séminaires  indiqués  ci-dessus  un  précieux 
moyen  de  compléter  leur  enseignement,  est  du  reste  une  école  prépara- 
toire ou  succursale  universitaire  pour  la  nombreuse  jeunesse  d'Amster- 
dam et  pour  les  étudiants  du  dehors,  qui  désirent  profiter  des  ressources 
scientifiques  de  la  capitale,  Toutefois,  l'école  n'ayant  pas  le  droit  de  con- 
férer les  grades,  les  étudiants  sont  obligés  d'aller  les  demander  ailleurs  : 
inconvénient  qui  s'est  fait  toujours  plus  vivement  sentir  et  en  vue  duquel 
une  loi  récente  vient  d'ouvrir  à  l'athénée  la  voie  où  il  pourra  obtenir  le 
rang  d'université  avec  le  jus  promovendi.  La  constitution  néerlandaise 
exigeant  qu'il  soit  donné  «  partout  de  la  part  de  l'Etat  un  enseignement 
primaire  qui  satisfasse  aux  besoins,  »  cet  enseignement  est  aussi  à  Am- 
sterdam l'objet  de  soins  très-étendus.  Indépendamment  du  gymnase  ou 
école  latine,  qui  date  du  seizième  siècle,  la  ville  a  fondé  un  grand 
nombre  d'écoles  publiques.  Dans  28  des  56  écoles  actuelles  l'enseigne- 
ment se  donne  gratis  à  \ 0,000  enfants  pauvres.  Les  28  autres,  où  l'ensei- 
gnement est  approprié  aux  besoins  des  classes  aisées,  sont  visitées  par 
environ  6,000  enfants.  Le  corps  enseignant  compte  environ  600  institu- 
teurs et  institutrices,  supérieurs  et  aides,  choisis  avec  soin  parmi  des 
candidats  diplômés  L'enseignement  public  étant  destiné  aux  enfants  de 
tous  les  cultes  doit  servir  d'après  la  loi  «  à  former  les  enfants  aux  vertus 
chrétiennes  et  sociales,  mais  s'abstenir  du  reste  de  tout  ce  qui  pourrait 
heurter  les  convictions  religieuses  divergentes.  »  C'est  là  ce  qui  met  les 
écoles  publiques  en  défaveur  chez  plusieurs  qui  désirent  pour  leurs 


AMSTERDAM  —  AMULETTE  260 

entants  un  enseignement  en  rapport  avec  les  doctrines  de  leurs  Eglises 
respectives.  C'est  l'un  dès  motifs  qui  font  qu'à  côté  des  écoles  publiques, 
les  écoles  particulières  (fondées  en  partie  par  des  associations  religieuses, 
protestantes  et  catholiques)  continuent  d'être  nombreuses  et  bien  fré- 
quentées. Elles  sont  au  nombre  de  135,  où  près  de  850  instituteurs  et 
institutrices  donnent  renseignement  gratis  à  environ  8,000  enfants,  et 
l'enseignement  payant  à  au  delà  de  9,000.  11  y  a  120  salles  d'asile.  — 
Voyez  Amsterdam,  beschreeven  daor  Jan  Wagenaur,  1760,  10  vol.;  Per 
Gouw,  Amstelodameana,  1871,  2  vol.  etc.  J.  J.  Mounier. 

AMULETTE,  mot  venant  du  latin,  amoliri,  écarter,  amolimentum,  et 
qui  désigne  un  objet  préservant  des  sortilèges,  du  mauvais  œil,  des 
maux  que  les  puissances  invisibles  peuvent  faire  subir  aux  hommes. 
L'amulette  était  efficace  aussi  pour  guérir  les  maladies,  même  pour  les 
prévenir:  c'est  pourquoi  dans  les  temps  anciens  et  au  moyen  âge  encore, 
les  remèdes  étaient  partagés  en  deux  classes  :  les  rationnels,  c'est-à-dire 
ceux  où  l'on  pouvait  se  rendre  compte  de  l'effet  médical,  et  les  physi- 
ques, ceux  qui  renfermaient  des  causes  occultes.  Parmi  les  substances 
jouissant  d'une  telle  vertu,  on  comptait  diverses  pierres  précieuses  (no- 
tamment le  jaspe),  l'ambre  jaune  (usité  sous  forme  de  collier  pour  les 
enfants),  certaines  parties  du  corps  des  animaux,  des  coquillages,  des 
plantes,  des  figurines  de  pierre  ou  de  métal.  La  vertu  de  ces  substances 
était  rehaussée  par  des  inscriptions,  des  symboles  astrologiques  ou  reli- 
gieux, qui  établissaient  une  relation  plus  manifeste  entre  l'amulette  et 
la  puissance  protectrice;  parfois  on  se  contentait  de  graver  sur  la 
gemme  le  nom  d'un  dieu;  souvent  on  y  ajoutait  une  courte  invocation 
et  le  nom  de  la  personne  qui  devait  être  protégée.  A  l'époque  de  l'em- 
pire romain,  on  ne  s'adressa  plus  que  rarement  aux  dieux  de  la  Grèce  et 
de  l'Italie;  on  préférait  recourir  aux  divinités  orientales,  et  il  importait 
de  les  invoquer  dans  la  langue  de  leur  pays;  traduite  en  quelque  autre 
idiome,  la  formule  eût  été  sans  valeur;  du  reste,  pourvu  que  les  syl- 
labes de  l'incantation  fussent  exactement  reproduites,  il  n'était  pas 
nécessaire  que  le  sens  en  fût  compris.  Ces  formules  inspiraient  même 
d'autant  plus  de  respect,  qu'elles  étaient  plus  mystérieuses.  Ephèse 
surtout  était  renommée  pour  la  rédaction  de  ces  lettres  sacrées;  comme 
exemple  nous  citerons  les  cinq  mots  qu'Hésychius  nous  a  conservés  : 
A  ski,  Kataski,  Lix,  Tetrax,  Damnameneus  •  on  ne  sait  si  les  quatre  pre- 
miers mots  appartiennent  à  quelque  langue  inconnue  ou  s'ils  étaient, 
dès  l'origine,  privés  de  toute  signification;  quant  au  cinquième,  il 
désigne  un  des  trois  Dactyles,  inventeurs  de  la  métallurgie  et  fondateurs 
des  initiations  de  Samothrace.  L'orthographe  des  mots  dut  être  fréquem- 
ment altérée  par  des  graveurs  qui  en  ignoraient  le  sens.  Parmi  ces 
termes  magiques,  le  plus  répandu  fut  Abracadabra,  qu'on  disposait  de 
diverses  manières;  ce  terme  semble  dérivé  de  deux  mots  sémitiques: 
baraCj  bénir,  et  dabar,  parole  :  peut-être  faut-il  y  joindre  le  mot  ab,  père; 
plusieurs  archéologues  1"  niellent  en  relation  avec  le  mol  abraxas  (voyez 
et- mol  . —  Le  prophète  Esate,  III,  20,  déclare  aux  femmes  israélites  que 
l'Eternel  leur  ôtera  leurs  amulettes,  Lekhachîm.  Le  mot,  qui  en  chal- 
déen  désignai!  la  boucle  d'oreille,  Kadichah,  montre  que  cet  ornement 


270  AMULETTE  —  AMYOT 

avait  un  caractère  sacré.  Les  phylactères  (Matth.  XXIII,  5),  ces  bandes 
de  parchemin  sur  lesquelles  étaient  écrits  des  passages  des  saintes 
Ecritures  et  qu'on  attachait  au  bras  gauche,  au  front,  étaient  souvent 
considérés  comme  des  préservatifs.  Du  moins  cet  usage  s'autorisait  de 
Moïse  (Deut.  VI,  8;  XI,  18)  ;  mais  les  Juifs  avaient  d'autres  amulettes 
encore,  et  le  Talmud  défend  de  les  porter  au  jour  du  sabbat  (Sabb., 
VI,  2).  En  général,  les  amulettes,  de  même  que  la  superstition,  se  ren- 
contrent chez  tous  les  peuples  de  la  terre,  et  quoique  le  christianisme 
en  ait  bien  diminué  le  prestige,  ce  serait  une  illusion  de  croire  qu'ils 
aient  disparu  de  nos  contrées.  — Voyez  Becker  et  Marquardt,  Handbuch 
der  rœm.  Alterthùmer,  4e  partie,  1856;  Grotefend,  art.  Amulet,  dans 
Encycl.  d'Ersch  et  Gruber.  Ce  qui  distingue  l'amulette  du  talisman, 
c'est  que  le  premier  écarte  le  mal,  tandis  que  le  second  procure  le 

SUCCès.  A.  Matter. 

AMYOT  (Jacques),  né  à  Melun  en  1513,  mort  à  Auxerre  en  1593.  Ce 
n'est  ni  comme  précepteur  du  roi  Charles  IX,  ni  comme  évêque,  ni 
comme  grand  aumônier  de  France,  ni  comme  délégué  au  concile  de 
Trente,  ni  comme  érudit,  ni  comme  écrivain  original  que  nous  plaçons 
ici  Amyot.  Il  a  traduit  Plutarque,  disons  mieux,  il  a  donné  Plutarque  à 
son  siècle  :  voilà  le  titre  qui  le  recommande  à  notre  attention.  Cette 
traduction  qui,  vers  le  dix- septième  siècle,  était  sévèrement  jugée  (par 
Bachet  de  Méziriac,  un  des  Quarante),  et  qui  renferme  en  effet  bien 
des  erreurs  et  des  inexactitudes,  eut  cet  immense  mérite  qu'elle  mit 
d'emblée  à  la  portée  d'un  grand  nombre  de  lecteurs  un  des  grands  écri- 
vains les  plus  intéressants,  les  plus  accessibles  de  l'antiquité,  celui  de 
tous  qui  était  le  plus  propre  à  agir  sur  les  esprits.  Bien  peu  de  gens 
alors  savaient  le  grec.  Montaigne,  si  habile  latiniste,  l'ignorait  ;  voici  en 
quels  termes  il  témoigne  à  Amyot  sa  reconnaissance  :  «  Je  donne  avec 
raison,  ce  me  semble,  la  palme  à  Jacques  Amyot  sur  tous  nos  écrivains 
français,  non-seulement  pour  la  naïveté  et  pureté  du  langage...  ;  mais 
surtout,  je  lui  sais  bon  gré  d'avoir  su  tirer  et  choisir  un  livre  si  digne  et 
si  à  propos,  pour  en  faire  présent  à  son  pays.  Nous  autres  ignorants 
étions  perdus,  si  ce  livre  ne  nous  eût  relevés  du  bourbier  :  sa  merci 
(grâce  à  lui),  nous  osons  à  cette  heure  et  parler  et  écrire  ;  les  dames  en 
régentent  les  maîtres  d'école  :  c'est  notre  bréviaire.  »  C'est  la  traduction 
d'Amyot  que  la  noble  Jeanne  d'Albret  mit  aux  mains  de  son  fils  ado- 
lescent, et  trente  ans  plus  tard,  voici  en  quels  termes  Henri  IV  parlait 
de  ce  précepteur  muet,  mais  efficace  :  «Plutarque  me  sourit  toujours 
d'une  fraîche  nouveauté.  L'aimer,  c'est  m'aimer,  car  il  a  été  l'insti- 
tuteur de  mon  bas  âge.  Ma  bonne  mère,  à  qui  je  dois  tout,  et  qui  avait 
une  affection  si  grande  de  veiller  à  mes  bons  déportements,  et  ne  voulait 
pas,  se  disait-elle,  voir  en  son  fils  un  illustre  ignorant,  me  mit  ce  livre 
entre  les  mains,  encore  que  je  ne  fusse  à  peine  plus  un  enfant  de  ma- 
melle. Il  m'a  été  comme  ma  conscience  et  m'a  dicté  à  l'oreille  beaucoup 
de  bonnes  honnêtetés  et  maximes  excellentes  pour  ma  conduite  et  pour 
le  gouvernement  des  affaires.  »  On  sait  ce  que  c'était  que  la  cour  des 
Valois  :  le  chroniqueur  des  dames  du  temps,  Brantôme,  nous  apprend 
qu'au  milieu  des  intrigues  et  des  divertissements  de  tout  genre  «  les 


AMYOT  271 

princesses  de  la  maison  de  France,  entourées  de  leurs  gouvernantes  el 
filles  d'honneur,  s'édifiaient  grandement  aux  beaux  dits  des  Grecs  et  des 
Romains,  remémoriés  par  le  doux  Plutarchus.  a  Le  doux  Plutarchus, 
ne  l'esl  que  dans  Amyot,  car,  comme  le  dit  fort  bien  Montaigne,  qui 
avait  pu  lire  des  traductions  latines  plus  fidèles,  c'est  un  «  auteur 
épineux  et  ferré.  »  On  pourrait  multiplier  les  témoignages,  mais  à 
quoi  bon?  Sans  Amyot,  Plutarque  fût  resté  peut-être  aussi  inconnu  du 
public  que  Diodore  de  Sicile  ou.  Athénée.  La  première  édition  de  la 
traduction  d'Amyot  parut  chez  Vascosan,  en  1559;  la  seconde,  fort 
améliorée,  en  1565;  la  troisième,  en  1567.  A  dater  de  cette  époque,  il 
en  parut  une  édition  nouvelle  presque  tous  les  ans,  jusqu'en  1620,  sans 
parler  des  contrefaçons  faites  à  l'étranger,  notamment  en  Hollande, 
ou  des  traductions  faites  sur  cette  traduction.  Il  n'y  a  peut-être  pas 
d'ouvrage  au  seizième  siècle ,  qui  ait  eu  vogue  pareille.  — t  11  serait 
puéril  de  reprocher  à  Amyot  les  anachronismes,  les  fausses  couleurs 
dont  sa  traduction  est  pleine.  Cette  constante  appropriation  de  l'anti- 
quité aux  mœurs  et  aux  habitudes  des  contemporains  ne  choquait 
point  alors;  on  peut  même  assurer  qu'elle  était  indispensable.  Elle  mé- 
nageait, pour  ainsi  dire,  la  transition;  elle  comblait  à  moitié  l'abîme 
qui  sépare  le  monde  antique  du  monde  moderne,  les  sociétés  païennes 
des  sociétés  chrétiennes.  On  sait  avec  quelle  ardeur  on  se  portait  alors 
vers  les  trésors  de  l'art  et  de  la  sagesse  antiques,  si  récemment  mis  au 
jour.  Dans  leur  impatience  de  les  communiquer  aux  lecteurs,  les  érudits 
publiaient  souvent  la  traduction  avant  le  texte  même.  Quand  le  Plu- 
tarque d'Amyot  parut,  les  lacunes,  si  nombreuses  encore,  furent  comme 
comblées;  on  put  croire  que  l'on  possédait  enfin  la  substance  même 
et  famé  du  monde  gréco-romain,  antérieur  au  christianisme.  Plutarque 
n'est  ni  un  penseur,  ni  un  écrivain  de  génie,  ni  même  un  artiste  remar- 
quable. C'est  un  érudit  d'une  mémoire  merveilleuse,  mais  un  érudit 
qui  rapporte  tout  à  l'enseignement  moral.  Son  érudition,  allongée 
encore,  pour  ainsi  dire,  par  la  traduction  complaisante  et  traînante 
d'Amyot,  fournit  à  toutes  les  classes  de  lecteurs  des  matériaux  d'une 
incroyable  variété.  Politiques,  capitaines,  courtisans,  princes,  savants, 
historiens,  philosophes,  hommes  et  femmes,  chacun  y  trouva  pâture  à 
son  goût.  Mais  c'est  surtout  l'influence  du  moraliste  qui  fut  décisive.  Il 
n'y  avait  alors  ni  théâtre,  ni  littérature  courante  et  populaire  qui  pût 
donner  quelque  aliment  aux  esprits.  L'enseignement  moral  qui  résultait 
de  la  prédication  était  présenté  sous  une  forme  barbare,  et  que  de 
questions  il  laissait  de  côté!  La  traduction  d'Amyot  mit  comme  en  cir- 
culation une  morale  simple,  familière,  pratique,  accessible  à  tous.  Ce 
fut  une  nouveauté  d'une  bien  efficace  séduction.  En  même  temps  que 
le-  réformés,  en  répandant  l'Evangile,  renouvelaient  et  agrandissaient 
l'horizon  de  la  conscience  humaine,  Plutarque,  présenté  par  Amyot, 
révélail  les  enseignements  d'une  sagesse  que  lesdernieis  el  ies  meilleurs 
esprits  du  monde  ancien  avaient  pour  ainsi  dire  mûrie  et  comme 
rendue  <li^nr  d'un  voisinage  avec  l'Evangile,  L'imagination  de  Plutar- 
que, naturellement  religieuse  et  empreinte  d'un  certain  platonisme, 
ouvrit  des  perspectives  brillantes  ou  consolantes  aux  âmes  qui,  sans  se 


272  AMYOT 

détacher  du  christianisme,  ne  craignaient  pas  d'aller  puiser  à  d'autres 
sources.  Tel  traité  rappelait  les  enseignements  de  la  religion,  les  argu- 
ments de  la  théologie,  aboutissait  à  la  démonstration  de  vérités  ana- 
logues à  celles  du  dogme,  et  cependant  restait  l'œuvre  d'un  écrivain 
qui  n'avait  pas  connu  l'Evangile  :  je  veux  parler  du  livre  sur  les  retarde- 
ments  de  la  vengeance  divine,  sur  lequel  s'abattit  avec  son  instinct  de 
justicier  implacable,  le  comte  Joseph  de  Maistre.  Mais  ce  qui  frappa  et 
charma  particulièrement  les  lecteurs  du  seizième  siècle,  ce  fut  cette 
douceur  unie,  cette  humanité  sereine,  cette  sympathie,  au  véritable 
sens  grec,  de  l'auteur  pour  les  faibles,  pour  la  femme,  l'enfant,  l'es- 
clave, les  animaux.  Les  traités  sur  le  mariage ,  sur  l'éducation  des 
enfants,  furent  traduits  et  publiés  à  part,  je  ne  sais  combien  de  fois. 
Dès  que  Amyot  eut  donné  le  goût  de  son  auteur,  chacun  y  puisa  ce  qui 
était  le  plus  à  sa  convenance.  Le  petit  livre  qui  indiquait  les  moyens  de 
distinguer  le  véritable  ami  du  flatteur  fut  un  des  plus  répandus.  Il  est 
d'une  vérité  éternelle,  et  chacun  peut  en  faire  son  profit.  Ainsi  se  forma 
et  s'épancha  comme  un  courant  de  morale  humaine,  familière,  pra- 
tique, très-voisine  de  la  nature,  et  qui  tempérait  heureusement  l'âpreté 
parfois  féroce  de  cette  grande  époque.  —  Plus  vive  encore,  sans  doute, 
fut  l'influence  exercée  parles  Vies  parallèles.  La  traduction  d' Amyot  fit 
revivre  tout  à  coup  les  plus  purs  exemplaires  de  la  vertu  antique,  qui 
était  avant  tout  énergie  et  force.  Ce  fut  comme  l'aliment  que  récla- 
maient, qu'attendaient  ces  hommes  indomptables  qui  imprimèrent  à 
la  seconde  moitié  du  seizième  siècle  une  si  violente  allure.  L'héroïsme 
païen  prend  la  place  de  l'héroïsme  chrétien;  l'idéal  moral  semble 
retourné.  Humilité,  douceur,  oubli  des  injures,  ces  vertus  inconnues 
aux  personnages  de  Plutarque,  on  aurait  grand'peine  à  les  découvrir 
chez  les  catholiques,  chez  les  protestants  du  seizième  siècle.  De  part  et 
d'autre  il  y  a  des  fanatiques  ;  de  part  et  d'autre  on  semble  se  modeler 
sur  les  héros  de  Rome  et  d'Athènes.  On  se  pénètre  des  leçons,  des  exhor- 
tations dont  Plutarque  se  plaît  à  relever  telle  parole,  tel  acte  magna- 
nime ou  terrible.  On  sait  par  cœur,  on  répète  à  tout  propos  les  apo- 
phthegmes  qu'il  a  recueillis  pieusement  ;  on  se  prépare  à  son  école  à 
souffrir  pour  le  parti  que  l'on  sert,  à  sceller  de  son  sang  les  opinions 
qui  sont  plus  chères  que  la  vie.  C'est  encore  grâce  au  Plutarque  d'Amyot 
que  certaines  idées  un  peu  vagues  de  liberté  politique,  accompagnées 
d'une  violente  haine  contre  le  despotisme,  commencèrent  à  se  faire  jour 
dans  une  société  si  profondément  monarchique.  Plutarque  a  pour  les 
tyrans,  pour  ceux  qui  ont  usurpé  le  pouvoir  dans  une  cité  libre,  une 
aversion  mêlée  de  dégoût,  qui  à  tout  moment  fait  explosion.  En  toute 
occasion  il  prêche  la  tyrannoctonie,  ou  meurtre  du  tyran.  Un  de  ses 
griefs  contre  la  philosophie  d'Epicure,  c'est  qu'elle  n'a  jamais  armé  le 
bras  d'un  Brutus.  Nous  retrouvons  la  théorie  complète  de  l'insurrection 
contre  le  despotisme  telle  que  la  glorifiait  Plutarque,  dans  l'éloquent 
pamphlet  de  la  Boëtie,  le  Contrun  ou  de  la  Servitude  volontaire.  Il  ne 
serait  pas  malaisé  de  découvrir  dans  les  déclamations  furibondes  des 
prédicateurs  de  la  Ligue,  des  traces  sensibles  de  cette  doctrine  qui  se 
confondit  bientôt  avec  le  régicide.  Le  pauvre  Amyot  qui  avait  mis  ces 


AMYOT  —  AMYRAUT  273 

armes  aux  mains  dos  furieux,  bien  innocemment,  il  est  vrai,  l'ut  par  eux 
outragé,  menacé,  ruiné,  excommunié  même  et  sommé  d'anathématiser 
son  bienfaiteur  d'abord,  Henri  III,  puis  le  futur  roi  de  France,  Henri  IV. 
En  ces  circonstances  difficiles,  il  ne  se  conduisit  pas  en  héros  de  Plu- 
tarque;  il  tant  bien  l'avouer  :  le  cœur  chez  lui  était  médiocre;  mais  ce 
n'est  pas  toujours  celui  qui  a  sonné  la  charge  qui  la  mène  le  plus  vail- 
lamment. A  défaut  de  son  traducteur,  Plutarque  trouva  d'autres  dis- 
ciples. Ce  n'est  pas  rabaisser  les  La  Noue,  les  Coligny,  les  d'Aubigné, 
les  Duplessis-Mornay,  les  l'Hospital  et  bien  d'autres  nobles  caractères 
que  de  les  rattacher  à  Plutarque.  Ce  n'est  pas  lui  qui  les  a  faits  fout 
entiers,  car  ils  étaient  chrétiens,  mais  ils  lui  doivent  quelque  chose. 

Paul  Albert. 

AMYRAUT  (Moïse).  Pour  bien  comprendre  l'œuvre  et  le  système  de 
cet  illustre  théologien,  il  est  nécessaire  de  se  rendre  compte  du  mou- 
vement intérieur  du  protestantisme  français  au  dix-septième  siècle.  La 
prédestination  calviniste  fut  le  dogme  central  de  la  théologie  réformée 
à  ses  origines,  en  même  temps  que  l'inspiration  et  la  véhémente  énergie 
de  l'Eglise  dans  sa  période  du  martyre.  Ce  dogme,  il  ne  faut  pas  s'y 
méprendre,  avait  jailli  des  profondeurs  de  la  conscience  chrétienne,  et 
le  milieu  terrible  et  exceptionnel,  où  il  se  développa,  ne  fit  que  lui 
donner  un  relief  plus  tragique  et  plus  saisissant.  La  piété  ardente  et 
intense  du  calvinisme  s'exprima,  dans  la  pensée  et  dans  la  vie,  sous 
cette  forme  de  la  prédestination.  L'âme  tourmentée  du  péché,  mais 
heureuse  du  pardon  de  Dieu,  dans  la  joie  de  la  communion  avec  Jésus- 
Christ,  sentait  profondément  et  en  même  temps  réclamait  avec  énergie 
l'assurance  de  son  propre  salut.  Cette  assurance  intime,,  profonde,  qui 
se  confondait  avec  l'assurance  de  sa  propre  existence,  aucun  homme 
ne  saurait  la  donner,  aucun  témoignage  du  dehors  ne  pourrait  la  pro- 
duire, ni  le  prêtre,  ni  le  sacrement,  ni  la  hiérarchie,  ni  rien  au  monde 
d'extérieur.  Dieu  seul  fonde  cette  assurance,  Dieu  seul  rend  ce  témoi- 
gnage, c'est  sa  volonté  miséricordieuse  qui  agit  souverainement.  Or 
cette  volonté,  qui  se  manifeste  dans  le  salut  du  racheté,  a  de  tout 
temps  été  immuable  et  parfaite.  De  toute  éternité  un  décret  de  Dieu  a 
donc  fondé  mon  salut.  Ce  n'est  plus  moi  qui  parle,  qui  agis,  qui  vis, 
c'est  Dieu  en  moi.  De  là  la  force  surhumaine  du  calvinisme.  Ces 
hommes  étaient  des  élus,  ils  se  sentaient  faisant  l'œuvre  de  Dieu;  ils 
étaienl  scellés  de  son  sceau,  prédestinés  à  l'œuvre  sainte.  De  là  cette 
prodigieuse  vie  avec  une  doctrine  qui,  superficiellement  considérée, 
et  .nt  fataliste  et  aboutissait  à  l'anéantissement  de  la  liberté.  C'est  qu'en 
effet  la  prédestination,  dans  sa  première  vigueur,  loin  d'être  une  néga- 
tion de  l'individualité,  en  était  au  contraire  l'affirmation  excessive.  C'était 
la  conscience  saisie  et  de  part  en  part  pénétrée  de  Dieu,  si  bien  qu'elle  ne 
peut  être  disjointe  de  lui.  C'est  le  subjectivisme  le  plus  mystique  et  le  plus 
audacieux.  Dieu  m'a  élu,  m'a  prédestiné,  je  le  sais;  cet  acte  de  Dieu  se 
passe  en  moi,  c'est  le  témoignage  de  Dieu  en  moi  qui  emporte  ma  vie 
dans  le  sens  du  salul  et  de  la  sainteté;  mais  c'est  par  le  sens  intime, 
c'est  par  ma  propre  perception  spirituelle,  c'est  par  le  leslimonhtm  spi- 
ritus  sa/ic(i,  c'est  à  la  lumière  de  ma  raison  et  de  mon  cœur  que  je  lis 


274  AMYRAUT 

le  décret  éternel  de  Dieu  et  que  je  sens  son  action  souveraine.  Au  fond, 
la  prédestination,  c'est  la  pénétration,  l'envahissement,  l'immanence 
agissante  de  Dieu  dans  l'homme.  Tant  que  la  vie  mystique  et  héroïque 
de  la  première  période  inspira  le  dogme  de  la  prédestination,  il  était 
sans  danger.  Mais  dès  que  la  vie  se  retira  du  dogme,  la  formule  seule 
resta,  elle  demeura  vide,  et  logiquement  elle  aboutissait  au  fatalisme  et 
à  la  destruction  de  la  liberté.  Le  décret  éternel  et  souverain  de  Dieu, 
prédestinant  absolument  les  uns  au  salut,  les  autres  à  la  damnation, 
portait  un  coup  mortel,  par  voie  de  conséquence  théologique,  à  la 
doctrine  de  la  liberté.  C'est  alors,  au  commencement  du  dix-septième 
siècle,  que  nous  voyons  apparaître  un  mouvement  contre  la  doctrine 
de  la  prédestination  et  en  faveur  de  la  liberté  morale.  Le  mouvement 
est  plus  particulièrement  accusé  en  Hollande  (voy.  l'article  Arminia- 
nisme),  mais  partout,  et  surtout  en  France,  nous  voyons  se  produire 
une  tendance  analogue.  Elle  eut  pour  siège  l'école  de  théologie  de 
Saumur.  Tandis  que  les  écoles  de  Montauban  et  de  Sedan  restaient 
plus  attachées  à  la  doctrine  du  passé,  l'école  de  Saumur  devint  le  foyer 
d'une  tendance  plus  libérale.  Fondée  par  Duplessis-Mornay,  l'école 
de  Saumur  semble  s'être  toujours  inspirée  de  l'esprit  élevé,  large  et 
indépendant  de  ce  grand  chrétien.  L'Ecossais  Gaméron,  qui  professa 
pendant  quelques  années  à  cette  académie,  exerça  une  influence  sé- 
rieuse dans  le  sein  de  la  doctrine  arminienne.  Les  professeurs  illustres, 
qui  portèrent  très-haut  le  renom  de  Saumur  et  dont  nous  aurons  à 
parler  plus  tard,  enseignèrent  dans  ce  môme  sens.  Mais  l'homme  qui 
exposa  et  défendit  avec  le  plus  d'éclat  à  cette  époque  les  principes  libé- 
raux fut  sans  contredit  le  professeur  Moïse  Amyraut.  —  Il  était  admi- 
rablement préparé  pour  cette  œuvre.  Sa  famille  était  une  famille  très- 
ancienne  et  fort  distinguée  d'Orléans.  Il  naquit  en  septembre  1596, 
dans  une  petite  ville  de  Touraine,  à  Bourgueil,  la  même  année  et  dans 
la  même  contrée  que  Descartes.  Il  fut  par  sa  famille  destiné  au  bar- 
reau :  son  père  espérait  le  voir  un  jour  remplacer  son  oncle  dans  la  charge 
de  sénéchal.  Le  jeune  homme,  avec  de  belles  facultés  et  un  amour 
ardent  du  travail,  alla  donc  à  Poitiers  étudier  le  droit  et  il  prit  rapide- 
ment sa  licence  (1616).  Plusieurs  de  nos  grands  théologiens  réformés 
ont  commencé  leur  carrière  par  l'étude  du  droit,  et  cette  science  n'a 
pas  été  sans  influence  sur  leur  développement.  Les  idées  de  justice,  de 
devoir,  de  responsabilité,  idées  fortement  creusées  en  elles-mêmes 
et  suivies  dans  leur  évolution  historique,  ont  certainement  préparé 
Amyraut  à  la  lutte  qu'il  devait  soutenir  contre  le  fatalisme  et  la  roideur 
du  système  orthodoxe  et  lui  ont  donné  ce  goût  et  ce  souci  de  la  liberté 
morale  qui  inspirent  tous  ses  écrits.  Mais  une  vocation  irrésistible, 
pour  laquelle  il  eut  à  lutter  auprès  de  sa  famille,  l'entraînait  vers  le 
ministère  évangélique.  La  lecture  de  Y  Institution  chrétienne  de  Calvin 
avait  fait  sur  son  esprit  une  impression  profonde,  et  malgré  bien  des 
obstacles  et  sur  les  pieux  conseils  de  son  compatriote,  le  pasteur  Bou- 
chereau,  il  alla  étudier  la  théologie  à  Saumur.  Dans  ce  milieu  de  piété, 
de  savoir  et  d'indépendance,  il  développa  fortement  et  grandement 
ses  dons  naturels  :  c'est  là  qu'il  trouva  son  maître  et  son  ami,  le  pro- 


AMYRAUT  27S 

faneur  Caméron,  à  la  personne  e1  h  la  doctrine  duquel  il  se  donna  de 
tout  cœur  et  donl  il  fui  le  disciple  aime.  11  débuta  dans  le  ministère  à 
Saint-Aignan,  dans  le  Maine,  où  il  ne  resta  que  dix-huit  mois.  Il  fut 
appelé  a  Saumur  même  pour  remplacer  Baillé,  nommé  à  Charenton. 
En  même  temps,  le  conseil  académique  lui  demandait  d'être  professeur 
en  théologie,  dans  cette  école  où  il  était  naguère  élève.  Il  accepta,  et, 
bien  que  les  Eglises  de  Rouen  et  de  Tours  eussent  prié  le  synode  de 
leur  accorder  Amyrant  comme  pasteur,  le  synode  ne  put  les  satisfaire, 
parce  que  d'après  la  jurisprudence  établie  le  synode  devait  avoir  plus  de 
souci  des  intérêts  des  académies  que  des  Eglises.  Amyraut  entra  offi- 
ciellement dans  le  professorat  en  1633.  En  même  temps  que  lui  arri- 
vaient à  l'école  de  Saumur  deux  maîtres  illustres,  Louis  Cappel  et  Josué 
de  La  Place.  Ces  trois  professeurs,  éminents  par  la  science,  animés  du 
même  esprit,  liés  d'une  amitié  étroite  et  vraiment  touchante,  jetèrent 
sur  l'académie  de  Saumur  un  lustre  extraordinaire,  si  bien  que  de  tous 
les  pays  étrangers  les  réformés  venaient  étudier  à  cette  école  floris- 
sante. «  Outre  leur  grand  savoir,  dit  Bayle,  et  non  sans  malice,  il 
y  avait  entre  ces  trois  professeurs  une  sympathie  merveilleuse  qui  a 
produit  une  concorde  pleine  d'édification  et  de  bonheur,  et  d'autant 
plus  digne  de  louange  qu'elle  est  une  rareté  fort  difficile  à  trouver  en 
pays  académique.  »  Amyraut  fut,  jeune  encore,  entouré  d'un  respect 
universel.  En  1631  il  fut  député  au  synode  national  de  Charenton  et 
chargé  par  le  synode  de  haranguer  le  roi  en  lui  présentant  le  cahier 
des  plaintes.  Il  parla  au  roi  debout,  tandis  que  les  députés  du  dernier 
synode  lui  avaient  parlé  à  genoux.  L'affaire  n'était  pas  simple,  le  synode 
avait  prié  Amyraut  de  la  mener  à  bien,  et  il  y  mit  tant  de  fermeté  et  de 
prudence  que  l'audience  fut  accordée  suivant  les  désirs  du  synode  et 
d' Amyraut,  et  que  Richelieu  fut  vivement  frappé  des  qualités  hors 
ligne  du  professeur  de  Saumur.  —  Ce  fut  à  cette  époque  qu'éclata  la 
grande  querelle  théologique,  qui  mit  en  émoi  tout  le  protestantisme 
du  dix-septième  siècle  et  dont  Amyraut  fut  le  promoteur  et  le  héros. 
Le  système  théologique  d'Amyraut  a  un  nom  dans  l'histoire.  Il  s'appelle 
l'universalisme  hypothétique.  Il  s'agit  de  bien  déterminer  le  sens  et  la 
portée  du  système,  d'en  marquer  la  place  entre  le  calvinisme  et  l'armi- 
nianisme,  et  d'en  saisir  les  conséquences  au  sein  de  l'Eglise  réformée 
de  France.  L'universalisme  hypothétique  est  une  réaction  pleine  de 
mesure  contre  l'étroitesse  du  dogme  calviniste,  solennellement  con- 
tinué à  Dordrecht  et  approuvé  d'une  façon  générale  par  les  synodes 
<1  Mais  et  de  Charenton.  C'est  une  revendication  honnête,  plusieurs 
diront  timide,  des  droits  de  la  liberté  morale.  Amyraut  n'est  pas  un 
réformateur  aux  allures  tragiques,  c'est  un  homme  de  conciliation 
tempérée.  Il  ne  fera  pas  éclater  le  moule  du  vieux  dogme,  son  ambi- 
tion se  borne  a  l'élargir  dans  la  mesure  du  possible.  Le  vieux  dogme 
('-tait  le  particularisme.  Il  disait  :  «  Dieu  ne  veut  pas  sauver  Ions  les 
hommes,  de  toute  éternité  il  a  prédestiné  ceux-ci  à  la  damnation, 
ceux-là  au  salui.  ci  irrévocablement  ceux-ci  sont  les  ('lus,  ceux-là  les 
réprouvés,  tel  est  le  décret  de  Dieu.  »  Cette  forme  roide,  blessante, 
avait  été  plus  accentuée  encore  à  Dordrecht,  sous  prétexte  de  relever 


276  AMYRAUT 

les  droits  de  Dieu,  et  les  cœurs  et  les  esprits,  qui  ne  se  sentaient  pas  du 
nombre  des  élus,  se  laissaient  aller  au  découragement  et  au  désespoir 
et  accusaient,  non  sans  raison,  la  doctrine  orthodoxe  de  faire  de  Dieu 
un  maître  tyrannique,  prenant  plaisir  au  malheur  de  ses  créatures.  La 
tentative  et  l'effort  d'Amyraut  sont  en  ceci  que  d'emblée,  au  premier 
plan,  il  place  l'universalisme  :  Dieu  veut  sauver  tous  les  hommes.  Le 
système  rassure  aussitôt  la  conscience  et  la  pensée.  Il  est  vrai  que 
bientôt  après  Amyraut  retire  ce  qu'il  semblait  avoir  donné.  Oui,  il  y  a 
en  Dieu  une  volonté  générale  que  tous  les  hommes  soient  sauvés  :  mais 
de  fait  cette  volonté  générale  demeure  inefficace;  car  les  hommes, 
plongés  dans  le  péché,  de  par  la  corruption  persistante  de  la  race, 
n'entrent  pas  dans  ce  plan  de  Dieu  et  immanquablement  sont  exclus  du 
salut.  Tous  seraient  donc  perdus  de  fait,  mais  il  y  a  en  Dieu,  à  cause  de 
sa  miséricorde,  une  volonté  particulière,  par  laquelle  il  a  résolu  d'en 
sauver  au  moins  quelques-uns.  Ce  qui  donc  est  vraiment  réel,  efficace, 
c'est  la  volonté  particulière,  le  particularisme,  le  décret  spécial  de 
Dieu.  Au  contraire  ce  qui  n'aboutit  pas,  ce  qui  semble  être  purement 
pour  le  décor  du  système,  c'est  la  volonté  générale  que  tous  soient 
sauvés,  c'est  l'universalisme,  c'est  une  volonté  non  pas  decreti,  mais 
prœcepti,  c'est  une  invitation  vague,  et  à  laquelle  la  pauvre  créature  ne 
peut  efficacement  répondre  à  cause  du  péché  originel.  Voilà  donc 
l'universalisme  hypothétique  :  c'est  l'universalisme  en  ce  sens  qu' Amy- 
raut pose  ce  grand  fait  tout  d'abord  que  tous  sont  appelés  au  salut  ; 
mais  cet  universalisme  est  hypothétique,  sub  conditione  fidei;  et  mal- 
heureusement cette  foi,  condition  du  salut,  ne  peut  naître  dans  l'âme 
à  cause  du  péché,  et  pour  qu'elle  soit  produite,  c'est-à-dire  pour 
qu'elle  aboutisse  efficacement  au  salut,  il  faut  la  volonté  particulière, 
le  décret  spécial  et  prédestinateur  de  Dieu.  Parti  de  l'universalisme,  le 
système  retombe  dans  le  particularisme.  D'autres  fois  Amyraut,  et 
c'est  toujours  la  même  pensée  maîtresse  revenant  sous  des  formes 
différentes,  distingue  la  grâce  objective  et  la  grâce  subjective  :  la  grâce 
objective,  c'est  l'annonce  du  salut  pour  tous,  d'une  manière  générale, 
vague,  l'appel  de  Dieu  offrant  le  pardon  et  la  vie  à  tous  les  âges  et  à 
tous  les  siècles  :  mais  cette  grâce  objective  est  absolument  inefficace, 
car  tous  les  hommes  sont  corrompus  et  immanquablement  refusent  le 
salut.  L'autre  grâce,  au  contraire,  la  grâce  subjective,  est  la  grâce  effi- 
cace, décisive,  qui  donne  le  salut,  et  c'est  cette  grâce  que  Dieu,  dans 
sa  miséricordieuse  volonté  particulière,  accorde  aux  élus.  En  réalité 
donc,  l'universalisme,  tel  que  le  présente  Amyraut,  est  purement  pla- 
tonique, idéal,  il  ne  sauve  et  ne  peut  sauver  personne.  Le  particula- 
risme, la  prédestination  spéciale,  voilà  qui  est  réel,  décisif,  et  qui  en- 
traîne le  salut  ou  la  perdition.  C'est  là  le  point  intéressant,  essentiel  du 
système  d'Amyraut,  l'union  du  particularisme  réel  et  de  l'universalisme 
idéal.  On  trouvera  peut-être  que  le  système  n'est  pas  riche  de  consé- 
quences pratiqués  et  qu'en  somme,  puisqu'il  faut  toujours  revenir  au 
particularisme,  il  n'y  a  pas  grand  gain  pour  la  liberté.  Ce  serait  une 
erreur  :  bien  que,  nous  l'avouons  sans  détour,  l'universalisme  d'Amy- 
raut demeure  in  abstracto,  sans  effet,  il  y  a  cependant  deux  choses  qui 


AMYRAUT  277 

recommandent  cet  essai  de  conciliation  :  la  première,  c'est  le  fait  que 
l'universalisme  est  pose  avec  fermeté,  avec  persévérance  :  c'est  beau- 
coup qu'en  ces  temps  soupçonneux  ces  mots gratiauniver salis,  redernp- 
tio  et  vocatio  universalis,  mots  décriés  par  les  puissants  du  jour, 
retentissent  comme  un  appel  à  la  liberté  de  tous;  la  seconde  c'est  la 
place  qu'Amyraul  donne  à  l'universalisme  :  il  est  au  frontispice,  il 
frappe  d'abord  les  regards,  involontairement  on  le  considère  comme 
le  point  essentiel,  en  tout  cas  c'est  un  honneur  pour  un  système  théo- 
Logique  de  proclamer,  dut-on  bientôt  se  rétracter  ou  se  contredire, 
l'appel  miséricordieux  du  Père  céleste  à  tous  ses  enfants.  —  D'après  ce 
que  nous  venons  d'exposer,  la  place  du  système  est  indiquée  entre  le 
calvinisme  de  Dordrecht  et  l'arminianisme.  C'est  un  essai  de  médiation 
entre  les  deux  :  Amyraut  déclare  ne  point  accepter  l'arminianisme 
et  veut  être  fidèle  à  la  doctrine  du  passé.  L'arminianisme  posait  l'uni- 
versalisme et  résolument  combattait  et  écartait  la  grâce  particulière 
du  dogme  orthodoxe.  Amyraut  pose  aussi  l'universalisme,  mais  pour- 
quoi? non  pas  pour  écarter  absolument  la  grâce  particulière,  mais 
bien  pour  la  faire  accepter,  pour  la  rendre  plus  tolérable,  pour  pouvoir 
la  défendre  avec  quelque  succès  devant  des  adversaires  qui  n'avaient 
pas  de  peine  à  en  montrer  les  conséquences  détestables  au  point  de 
vue  de  la  liberté  morale.  Les  manuscrits  de  famille  dont  Bayle  s'est 
servi  pour  écrire  la  vie  <T Amyraut  racontent  une  anecdote  qui  éclaire 
ce  dessein  du  professeur  de  Saumur  et  ses  préoccupations  à  cet 
égard.  A  Bourgueil,  clans  un  diner  chez  l'évêque  de  Chartres,  un 
catholique  romain  de  qualité  engagea  avec  Amyraut  une  discussion 
sur  la  prédestination  et,  bien  que  porté  vers  le  protestantisme,  il 
exprima  vivement,  de  concert  avec  l'évêque,  tous  ses  scrupules  sur  le 
dogme  terrible  de  l'élection.  Ces  objections  firent  beaucoup  réfléchir 
Amyraut  qui  essaya  de  dissiper  les  doutes  et  de  présenter  le  dogme 
calviniste  sous  un  jour  adouci.  Ce  récit  reflète  bien  la  situation  géné- 
rale et  explique  les  desseins  et  les  efforts  d'Amyraut.  Il  a  voulu 
élargir  et  tempérer  le  vieux  dogme  par  une  revendication  prudente  et 
ferme  de  l'appel  universel  de  Dieu  et  des  droits  de  la  responsabilité 
personnelle.  Les  conséquences  du  système  d'Amyraut  furent,  à  notre 
sens,  considérables.  La  théologie  protestante  française  en  a  profondé- 
ment ressenti  la  salutaire  influence.  Somme  toute,  ces  «  nouveautés,  » 
comme  on  appelait  alors  ces  doctrines  plus  larges,  sauvèrent  bien  des 
murs  du  désespoir  et  des  esprits  du  doute  et  de  l'incrédulité.  La 
France  réformée  marcha  plus  particulièrement  dans  ces  voies  plus 
évangéliques  et  plus  libérales.  C'est  dans  notre  pays  que  ces  principes 
modérés  pénétrèrent  profondément  les  esprits,  les  Eglises  et  les  écoles, 
et  il  me  parait  facile  de  prouver  cette  assertion  par  les  quatre  considé- 
ration^ suivantes  :  1.  Sans  doute  Amyraut  eut  en  France  des  ennemis, 
qui  attaquèrent  vivement  sa  doctrine,  puisqu'à  diverses  reprises  il  dut 
comparaître  comme  accusé  devant  les  synodes.  Citons  les  plus  impor- 
tants, les  Rivet,  le  pasteur  Vincent,  delà  Rochelle,  et.  surtout  le  vieux 
et  vénérable  Du  Moulin  :  mais  d'un  côté  il  nous  est  doux  de  savoir  qu'à 
la  grande  édification  de  l'Eglise  Amyraut  eut  la  joie  de  se  réconcilier 


278  AMYRAUT 

personnellement  avec  les  adversaires  les  plus  acharnés  de  son  système  ; 
et  de  l'autre  la  doctrine  et  la  personne  d'Amyraut  eurent  des  admi- 
rateurs passionnés ,  non  pas  les  moins  importants ,  dans  l'Eglise, 
Daillé,  Blondel,  Du  Bosc,  Mestrezat,  Claude,  Le  Faucheux,  etc.  — 
2.  Le  mouvement  de  Saumur  est  très-spécialement  français  et  n'est 
pas  une  importation  étrangère.  A  partir  de  1623,  par  ordre  de  Louis  XIII, 
il  fut  interdit  aux  étrangers  d'exercer  en  France  la  charge  pastorale  : 
le  corps  des  pasteurs  se  recruta  donc  exclusivement  dans  les  univer- 
sités françaises ,  tandis  qu'auparavant  beaucoup  avaient  étudié  au 
dehors,  et  c'est,  dans  le  sein  même  de  l'Eglise  réformée  française  que 
prit  naissance  le  mouvement  antiprédestinatien  et  qu'il  se  développa 
sous  l'influence  de  Saumur  et  d'Amyraut.  —  3.  Les  adversaires  persé- 
vérants, obstinés  du  système  d'Amyraut  sont  à  l'étranger,  en  Hollande 
et  en  Suisse.  Il  n'y  a  qu'à  lire  les  lettres  adressées  au  synode  d'Alençon 
contre  Amyraut;  celles  de  Hollande  sont  supportables,  ce  sont  des 
approbations  données  au  traité  de  Rivet  contre  Amyraut  ;  mais  la  lettre 
compendieuse  de  Genève,  signée  de  Turretin,  Tronchin,  Prévôt  et  Pau- 
leint,  fait  une  pénible  impression,  c'est  une  dénonciation  en  règle. 
«  Nous  donnons  aussi  les  louanges  qui  sont  dues  à  ces  dignes  personnes 
qui  ont  sonné  l'alarme  les  premiers  et  qui  ont  combattu  ces  dogmes,  de 
même  qu'à  ceux  qui  ont  apporté  les  eaux  de  la  modération  pour 
éteindre  le  feu  de  ces  controverses,  lesquels  en  mettant  l'appareil  à  la 
plaie  se  sont  servis  des  lénitifs  propres  pour  en  éloigner  les  symptômes 
les  plus  dangereux,  réservant  à  une  main  plus  puissante,  c'est-à-dire  à 
votre  suprême  assemblée,  l'extinction  totale  de  ce  brandon  et  l'entière 
guérison  de  cette  maladie  ;  c'est  pourquoi  nous  vous  supplions  de  vous 
servir  de  toute  votre  autorité,  et  d'employer  tous  vos  soins  pour  sauver 
ce  qui  peut  être  sauvé,  et  de  recouvrer  ce  qui  semble  perdu,  sans  vous 
écarter  de  la  charité  et  de  la  vérité,  ni  user  d'une  malheureuse  conni- 
vence qui  pourrait  être  fatale»  (Aymon,  t.  II,  p.  609).  La  Suisse  fut 
tellement  intraitable,  malgré  les  explications  et  les  supplications  des 
théologiens  français,  qu'elle  lança,  en  1675,  onze  ans  après  la  mort 
d'Amyraut,  et  uniquement  contre  les  nouveautés  de  Saumur,  la  fa- 
meuse Formula  consensus  ecclesiarum  helveticarum,  que  rédigea  Hei- 
degger. —  4.  Enfin  il  est  vrai  que  des  principes  plus  larges  avaient 
pénétré  au  sein  de  l'Eglise,  que  les  synodes  nationaux  ne  condamnèrent 
pas  la  doctrine  d'i^nyraut.  Ces  discussions  sont  fort  au  long  rappor- 
tées dans  le  livre  d'Aymon  (Voir  aussi  dans  le  Bull,  de  la  Soc.  de 
VHist.  du  prot.  fr.,  XIII,  p.  39,  un  manuscrit  sur  la  grande  affaire 
de  MM.  Testard  et  Amyraut,  et  les  notes  instructives  de  M.  le  pasteur 
Corbière  :  ce  journal  sommaire  de  ce  qui  s'est  passé  à  Alençon  ne 
s'écarte  d'ailleurs  pas  du  récit  donné  par  Aymon).  Au  synode  d'Alençon 
(27  mai  au  9  juillet  1637),  Amyraut  et  son  ami  Testard,  pasteur  de 
Blois,  éminent  disciple  de  Caméron,  furent  cités  à  comparaître  et  les 
accusations  et  les  dénonciations  de  près  et  de  loin  ne  firent  pas  défaut. 
Il  est  extrêmement  intéressant  de  lire  ces  discussions  fort  vives.  Les 
motifs  de  l'arrêt,  comme  nous  dirions  aujourd'hui,  sont  longuement 
développés  ;  ils  méritent  d'être  étudiés,  ils  donnent  la  physionomie  et 


A  M  Y  HAUT  -279 

1rs  allures  de  la  discussion.  Je  cite  le  passage  significatif:  «  Ensuite  de 

quoi,  expliquant  leurs  sentiments,  touchaiil  le  but  universel  de  la  mort 
de  Jésus-Christ,  ils  déclarèrent  que  Jésus-Christ  est  mort  pour  tous  Les 
hommes  suffisamment  :  mais  qu'il  était  mort  efficacemertl  pour  les  dus 
seulement  ;  el  que  par  conséquent  son  Intention  était  de  mourir  pour 
tous  les  hommes,  quanl  à  la  suffisance  de  sa  satisfaction,  mais  pour  les 
élus  seulement,  quant  à  la  vertu  el  efficace  vivifiante  et  sanctifiante; 
c'est-à-dire  que  la  volonté  de  Jésus-Christ  était  que  le  sacrifice  de  sa 
croix  fût  d'un  prix  et  d'une  valeur  infinie,  et  très-abondamment  suffi- 
sant pour  expier  les  péchés  de  tout  le  monde;  que  cependant  l'efficace 
de  sa  mort  appartient  seulement  aux  élus;  tellement  que  tous  ceux 
qui  sont  appelés  par  la  prédication  de  l'Evangile  à  participer  par  la  foi 
aux  effets  et  fruits  de  cette  mort,  étant  invités  sérieusement,  et  Dieu 
daignant  leur  accorder  tous  les  moyens  extérieurs  nécessaires  pour 
venir  à  lui,  et  leur  montrant  tout  de  bon  et  avec  toute  la  sincérité  de 
sa  parole  ce  qui  lui  est  agréable;  s'ils  ne  croient  pas  en  notre  Seigneur 
Jésus-Christ,  mais  périssent  dans  leur  obstination  et  incrédulité,  cela 
ne  vient  point  du  défaut  de  la  vertu  ou  de  la  suffisance  du  sacrifice  de 
Jésus-Christ,  cela  ne  vient  pas  non  plus  de  ce  qu'ils  n'ont  pas  été  appelés 
et  invités  sérieusement  à  la  foi  ou  à  la  repentance,  mais  la  faute. en  est 
en  eux.  »  Quant  au  dispositif  du  jugement,  il  est  des  plus  significatifs. 
Testard  et  Amyraut  exposèrent  amplement  leur  système,  donnèrent 
toutes  les  explications  demandées;  au  cours  de  la  discussion  ils  furent 
invités  à  la  modération,  à  la  prudence,  on  les  pria  de  ne  pas  faire  abus 
de  certains  mots  malsonnants,  et  finalement,  c'est  la  conclusion  de 
toute  l'affaire,  «  le  modérateur  leur  donna  la  main  d'association  de  la 
part  de  cette  assemblée  et  on  les  renvoya  honorablement.  »  L'affaire 
fut  reprise  au  synode  de  Charenton  (26  décembre  1644  au  26  janvier 
1645)  ;  de  nouvelles  plaintes  avaient  été  portées  contre  Amyraut,  mais 
les  esprits,  paraît-il,  avaient  fait  du  chemin  depuis  Alençon.  Voici  le 
jugement  de  ce  synode  :  «  Cette  assemblée  étant  très- satisfaite  de  l'ex- 
plication et  du  sens  qu'ils  donnèrent  à  la  doctrine  de  ces  livres,  laquelle 
s'accordait  fort  bien  avec  celle  du  synode  d' Alençon  ;  et  jugeant  qu'il 
valait  beaucoup  mieux  ensevelir  dans  un  perpétuel  oubli  toutes  les 
plaintes  qui  avaient  été  portées  par  l'une  et  l'autre  partie;  cette  assem- 
blée renvoya  avec  honneur  ledit  sieur  Amyraut  en  l'exhortant  de  s'ac- 
quit 1er  courageusement  et  joyeusement  de  son  office  de  pasteur  et  de 
professeur  en  théologie  »  (Aymon,  II,  p.  663).  Enfin  le  dernier  synode 
national  tenu  ù  Loudun  (10  novembre  1659  au  10  janvier  4660)  donna 
une  preuve  de  son  estime  et  de  sa  confiance  à  Amyraut  en  le  chargeant 
de  publier  une  nouvelle  et  définitive  édition  de  la  Discipline  des  Eglises, 
travail  dans  lequel  il  pourrait  être  aidé  par  quelques  collègues.  Il  n'est 
plus  question  ni  de  nouveautés,  ni  d'hérésies,  ni  d'accusations.  La  con- 
cIumoii  a  tirer  des  faits  que  nous  venons  d'exposer,  c'est  que  le  mou- 
vement libéral  de  Saumur  était  essentiellement  français  et  que  le  sys- 
tème d  Amyraut,  essai  de  médiation  entre  le  vieux  dogme  calviniste 
et  l'arminianisme,  répondait  aux  besoins  des  esprits  à  cette  époque 
dans  notre  Eglise.  Les  principaux  ouvrages  d 'Amyraut,  qui  exposent  ou 


280  AMYRAUT 

qui  défendent  son  système  dogmatique  sont  les  suivants  :  Thèses  salmu- 
viennes.  Syntagma  thesium  theol.  in  acad.  Salrn.  var.  tempor.  disput.  : 
dans  ce  recueil  il  y  a  soixante-deux  thèses  d'Amyraut;  Traité  de  la 
prédestination,-  1634  :  c'est  le  traité  qui  provoqua  la  grande  dis- 
cussion; Echantillon  de  la  doctrine  de  Calvin  sur  la  prédestination, 
1634  ;  De  la  justification,  1638  ;  De  Providentia  Dei  in  malo,  1638  ; 
Defensio  doctrine  Calvini  de  absoluto  reprobationis  decreto,  1641  ;  Dis- 
sertât, theolog.  quatuor,  1645;  Exercitatio  de  gratia  universali,  1646; 
Declaratio  fidei  contra  errores  arminian.,  1646;  Disput.  de  libero  arbitrio, 
1647  ;  Spécimen  animadv.  in  exercit:  de  gratia  univers,  1648  ;  De  mysterio 
trinitatis,  1661  ;  In  orat.  domin.  exercitatio,  1662  ;  In  symbol.  apost. 
exercitatio,  1663.  —  Le  bruit  et  l'éclat  de  la  lutte  provoquée  au  dix- 
septième  siècle  par  l'universalisme  hypothétique  d'Amyraut  ne  doivent 
pas  nous  faire  oublier  les  éminents  travaux  du  professeur  de  Saumur 
dans  les  autres  branches  de  la  théologie.  Un  des  premiers  ouvrages 
d'Amyraut  est  âon  apologétique,  Traité  des  religions  contre  ceux  qui  les 
estiment  indifférentes,  1631.  Le  livre  se  divise  en  trois  parties,  «  dont  la 
première  servira  de  degré  à  la  seconde  et  la  seconde  à  la  troisième.  »  Il 
y  a  trois  classes  de  personnes  qui  professent  que  les  religions  sont  in- 
différentes :  les  épicuriens  qui  admettent  un  Dieu  mais  nient  la  provi- 
dence, les  philosophes  qui  admettent  la  providence  mais  nient  la 
révélation,  enfin,  les  troisièmes  admettent  la  révélation  mais  «  n'esti- 
ment pas  que  cela  oblige  à  suivre  une  forme  de  religion  certaine  et  dé- 
terminée :  secte  de  gens  inconnue  des  anciens  et  née  de  nos  temps.  » 
La  première  partie  du  Traité  des  religions  établit  la  providence  contre 
les  épicuriens;  la  seconde  établit  contre  les  philosophes  la  nécessité 
d'une  révélation,  nécessité  basée  sur  notre  infirmité  naturelle  et  sur 
l'universel  désir  d'un  secours  extraordinaire  de  Dieu.  Enfin  la  troi- 
sième partie  démontre  l'excellence  de  la  révélation  chrétienne.  La 
preuve  capitale,  c'est  l'expérience  personnelle  :  une  religion  est  de 
Dieu  quand  elle  donne  la  paix  et  la  sanctification.  Autour  de  cette 
preuve  se  groupent  des  «  marques  »  secondaires  et  préparatoires  qui 
sont  :  a)  l'accord  de  la  révélation  avec  les  données  de  la  conscience  ; 
b)  l'antiquité  ;  c)  l'harmonie  dans  la  Bible  ;  d)  la  préoccupation  de  la 
gloire  de  Dieu;  e)  le  moyen  assuré  de  réconciliation,  «  le  pont  pour  re- 
nouer la  communication  entre  Dieu  et  nous  ;  »  f)  les  faits  extraordi- 
naires, miraculeux,  l'établissement  providentiel,  etc.  Or  il  y  a  quatre 
religions  qui  se  donnent  comme  révélées,  «  la  païenne,  la  mahométane, 
la  juive,  la  chrétienne.  »  Amyraut  montre  qu'il  n'y  a  «  qu'une  religion 
au  monde  à  laquelle  toutes  ces  marques  conviennent  et  qu'elles  ne 
peuvent  se  trouver  qu'en  elle  seule.  »  Il  conclut  à  l'excellence  de  la  ré- 
vélation chrétienne.  Cette  rapide  analyse  de  l'apologétique  d'Amyraut 
suffit  pour  en  montrer  l'esprit.  Décidément  c'est  l'élément  intime  et 
moral  qui  pénètre  cette  œuvre.  Une  place  très-secondaire  est  accordée 
aux  faits  purement  extérieurs,  même  surnaturels.  En  revanche  la  mé- 
thode est  toute  interne  :  «  Or  prendrai-je  la  meilleure  partie  de  mes 
raisons  des  mouvements  de  notre  nature  et  de  la  conscience  sans 
m'étendre  dans  ces  longues  disputes...  »  et  la  preuve  est  toute  morale  : 


AMYRAUT  >S1 

«  semblablement  (comparaison  avec  un  remède  dont  on  a  éprouvé  les 
bons  effets),  la  meilleure  connaissance  qu'on  saurait  avoir  de  la  révéla- 
tion de  la  vérité  céleste,  en  ce  point,  serait  par  l'épreuve  de  la  conso- 
lation qu'elle  apporte  aux  âmes  des  hommes  et  par  son  efficace  à  les 
repurger  de  cette  corruption  de  péché  de  laquelle,  si  nous  ne  nous  en 
plaignons,  nous  sommes  plus  que  ladres  et  insensibles.  »  —  Amyraut 
acquit  aussi  une  grande  célébrité  comme  moraliste.  Son  grand  ouvrage, 
La  Morale  chrétienne,  fut  beaucoup  lu  et  apprécié  et  plaça  très-haut  le 
nom  de  son  auteur.  Le  livre  est  dédié  à  M.  de  Villarnoul,  digne  héritier, 
par  la  piété  et  par  la  science,  de  son  aïeul  Duplessis-Mornay.  C'est  ce 
gentilhomme  qui  avait  inspiré  à  Amyraut  l'idée  de  ce  livre,  qui  l'avait 
détourné  des  controverses  vaines  et  qui  avait  fortement  insisté  pour  la 
prompte  exécution  de  ce  travail.  «  D'autant,  lui  dit  Amyraut  dans  sa 
préface,  que  M.  Diserote  (le  pasteur  attaché  à  la  famille)  vous  avait  dit 
que  je  m'étais  proposé  de  faire  une  morale  chrestienne,  dans  laquelle 
j'édifierais  sur  les  fondements  de  la  nature  les  enseignements  qui  nous 
ont  été  donnés  par  la  révélation,  peu  s'en  faut  que  vous  ne  me  conju- 
rassiez de  laisser  ou  de  différer  au  moins  toute  autre  méditation,  pour 
m'appliquer  à  celle-là...  Vous  ne  me  laissâtes  point  que  vous  n'eussiez 
tiré  de  moi  la  promesse  de  m'adonner  à  cet  ouvrage  au  plus  tôt.  » 
Amyraut  avait  même  espéré  pouvoir  composer  son  ouvrage  au  château 
même  de  M.  de  Villarnoul,  où  il  aurait  trouvé,  en  même  temps  que  le 
calme,  l'exemple  vivant  des  vertus  chrétiennes  et  domestiques,  ce  qui  lui 
eût  été  «  une  aide  merveilleuse;  »  mais  les  devoirs  de  sa  charge  l'empê- 
chèrent de  jouir  de  l'hospitalité  qui  lui  avait  été  si  fraternellement  et  si 
instamment  offerte.  Le  livre  se  divise  en  quatre  parties.  Dans  la  pre- 
mière, l'auteur  «  a  dessein  d'expliquer  quelles  instructions  la  nature 
donnait  au  commencement  aux  hommes  pour  les  former  à  suivre  la 
piété  et  la  vertu.  »  C'est  une  étude  de  psychologie  morale,  la  constata- 
tion des  principes  et  des  instincts  innés,  la  recherche  de  ce  que  la  na- 
ture nous  dit  au  commencement  sur  le  souverain  bien,  sur  Dieu,  sur 
nos  devoirs.  Dans  la  seconde  partie,  c'est  l'étude  de  l'homme  moral 
après  le  péché  :  «  la  nature  n'est  pas  demeurée  en  sa  première  consti- 
tution et  le  péché  l'a  précipitée  de  la  simplicité  de  son  intégrité  dans  la 
misère  de  la  condition  en  laquelle  nous  voyons  toutes  choses  »  :  de  là 
nouvelles  relations  et  nouveaux  devoirs.  En  troisième,  il  y  a  eu  en 
Israël  une  révélation  spéciale,  «  il  est  comme  absolument  nécessaire 
que  j'examine  quelle  est  la  mesure  de  la  révélation  dont  les  Juifs  ont 
surpassé  les  gentils.  »  Et  enfin  la  dernière  partie  est  consacrée  à  la  mo- 
ral»' chrétienne  proprement  dite  et  l'auteur  explique  admirablement 
comment  la  morale  chrétienne  se  lie  aux  principes  antérieurs  en  les 
complétant  et  en  les  transfigurant  :  «  dans  cette  dernière  partie  je  trai- 
terai de  ce  que  la  révélation  chrétienne  a  ajouté  à  toutes  les  dispensa- 
lion>  précédentes  pour  l'accomplissement  des  vertus,  de  sorte  qu'en 
ayant  tiré  la  première  idée  des  pures  institutions  de  la  nature,  et  y 
ayant  un-  de  plus  les  nouveaux  traits  que  le  changement  qui  y  est  arrivé 
nous  a  fournis,  et  puis  ayant  imbu  et  coloré  ce  tableau  des  belles 
choses  dont  les  livres  de  l'ancienne  alliance  fournissent  les  enseigne- 
i.  10 


282  AMYRAUT 

ments,  j'en  rehausserai  l'éclat  par  les  instructions  et  les  exemples  du 
Nouveau  Testament,  et  donnerai  par  ce  moyen  autant  que  je  pourrai  à 
l'éthique  des  chrétiens  toute  la  perfection  dont  la  nature  humaine  est 
capable  en  cette  vie.  Or,  encore  que  toutes  les  autres  parties  de  mon 
ouvrage  seront  considérables  en  elles-mêmes,  parce  qu'elles  contien- 
dront les  commencements  et  les  progrès  de  cette  souveraine  perfection 
à  laquelle  l'homme  doit  monter,  si  est-ce  que  la  dernière  est  le  but  au- 
quel elles  tendent,  je  ne  craindrai  donc  pas  de  leur  donner  à  toutes  ce 
nom  de  morale  chrestienne,  d'autant  qu'on  y  en  verra  les  principes  et 
les  fondements,  sans  quoi  l'éthique  du  christianisme  n'aurait  pas  un 
corps  assez  complet  ni  d'une  assez  ferme  consistance.  Et  néanmoins  ce 
sera  proprement  à  la  dernière  que  cette  appellation  conviendra,  parce 
qu'on  y  trouvera  parachevé  ce  que  les  autres  n'auront  qu'ébauché,  au- 
tant que  la  mesure  de  la  révélation  l'aura  pu  permettre  en  chacune.  » 
Les  citations  que  nous  venons  de  donner  sont  fort  remarquables.  C'est 
pour  la  première  fois  qu'un  vrai  système  de  morale  est  établi.  On  en 
voit  aussi  l'esprit  large,  humain,  scientifique  en  même  temps  que  pieux 
et  évangélique.  Le  même  principe  intime,  libéral,  indépendant  est  à  la 
base  de  ce  grand  travail.  Dans  les  développements  il  y  a  sans  doute 
bien  des  répétitions,  des  longueurs,  des  inutilités,  des  détails  peu  inté- 
ressants :  mais  en  somme  c'est  une  belle  et  bonne  œuvre  et  qui  encore 
aujourd'hui  instruit  et  édifie. — Les  travaux  exégétiques  d'Amyraut  sont 
considérables.  Il  ne  faut  pas  chercher  naturellement  dans  ces  explica- 
tions des  livres  saints  les  vues  profondes,  vraiment  historiques,  que  la 
critique  moderne  a  mises  à  notre  portée.  Mais  d'un  côté  les  paraphrases 
d'Amyraut  sont  pénétrées  de  l'esprit  nouveau  qui  soufflait  à  Saumur. 
On  sait  comment,  par  les  remarquables  travaux  de  Louis  Gappel  sur  la 
Bible  et  surtout  sur  l'Ancien  Testament,  l'idée  de  l'inspiration  littérale, 
la  bibliolatrie,  perdait  du  terrain  dans  les  esprits  pour  faire  place  à  la 
vraie  et  salutaire  conception  de  l'inspiration  morale  et  religieuse,  qui 
laissait  aux  écrivains  sacrés  leur  liberté  et  leur  individualité.  D'un  autre 
côté  les  paraphrases  d'Amyraut  sont  des  explications  particulièrement 
édifiantes  et  l'élément  de  la  sanctification  n'est  jamais  pour  lui  séparé 
de  l'élément  de  la  connaissance.  Ses  principaux  ouvrages  exégétiques 
sont:  Paraphrases  sur  CEpître  aux  Romains,  1644;  Sur  VE pitre  aux 
Galates,  1645;  Observations  sur  les  E pitres  aux  Coloss.  et  aux  Thessal., 
3645;  Paraphrases  sur  VE pitre  aux  Hébreux  et  aux  Philippiens,  1646; 
Epîtres  catholiques,  1646;  Corinthiens,  1647;  Sur  l'Evangile  de  Jean, 
1651  ;  Sur  les  Actes,  1654;  Paraphrasis  in  Psahnos  Davidis,  1662;  Consi- 
dérations in  cap.  VU  ad  Rom.,  1648;  Exposition  des  chapitres  VI  et 
VI II  de  l'E pitre  aux  Rom.  et  du  chapitre  XV  de  la  lre  aux  Corin- 
thiens, 1659.  —  Amyraut  fut  aussi  un  orateur  chrétien  d'une  rare  puis- 
sance. Ses  prédications  produisaient  un  grand  effet  et  elles  avaient  un 
long  retentissement  même  chez  les  catholiques  et  dans  les  plus  hautes 
régions,  surtout  à  la  cour.  Les  plus  grands  seigneurs  de  l'époque  ne 
manquaient  jamais  l'occasion  de  l'entendre.  Il  y  a  dans  ses  discours  de 
la  vie,  de  l'éloquence,  de  la  sagesse,  un  fin  jugement.  «  Il  avait  autant 
de  facilité  pour  la  plume  que  pour  la  langue,  nous  dit  Bayle,  et  c'est 


AMYKAt  T  283 

beaucoup  dire;  car  il  avait  un  ilux  (le  bouche  merveilleux  tant  en  latin 
qu'en  français,  tant  pour  les  leçons  de  théologie  que  pour  les  sermons.» 
Voici  les  sermons  qui  restent  de  lui  imprimés  :  Six  sermons  de  la  na- 
ture, étendue ,  nécessité,  dùpensation  et  efficace  de  l'Evangile,  1636; 
Deux  sermons  sur  la  justification  et  la  sanctification,  1648;  Sermons 
du  voyle  de  Moïse,  2  Cor.  III,  13  à  16;  Le  mystère  de  piété,  expliqué 
en  quatre  sermons,  1651;  Un  sermon  sur  Hébr.  VI,  14;  Sermon  sur 
2  Tint.  III,  12,  prononcé  à  Charenton,  1645;  Cinq  sermons  prononcés 
à  Charenton.  1658;  Le  tabernacle  ou  sennons  sur  Hébr.  IX,  1  ss.  — 
L'activité  littéraire  d'Amyraut  était  infatigable.  En  histoire  il  a  publié 
la  Vie  de  François  La  Noue  depuis  le  commencement  des  troubles  religieux 
en  1560  jusqu'à  sa  mort,  Leyde,  1661,  ouvrage  pour  lequel  la  critique 
s'est  montrée  sévère.  11  a  composé  aussi  un  poëme,  Apologie  de  saint 
Etienne  à\ses  juges,  poëme  qui  lui  valut  une  méchante  affaire;  il  fut 
accusé  d'avoir  parlé  avec  irrévérence  du  Saint-Sacrement;  il  s'en  expli- 
qua dans  un  écrit  spécial  et  trouva  un  défenseur  dans  Daillé.  Dans  le 
domaine  ecclésiastique  ses  ouvrages  sont  nombreux.  Il  était  l'homme 
de  la  sagesse  et  de  la  conciliation  ;  il  redoutait  tout  ce  qui  pouvait  com- 
promettre le  progrès  pacifique  delà  théologie  et  de  l'Eglise.  Les  excen- 
tricités dogmatiques  lui  causaient  de  l'irritation.  Il  attaqua  vivement 
un  ardent  chiliaste,  de  Launay,  avocat  au  parlement  de  Paris,  dans  un 
livre  intitulé  :  Du  règne  de  mille  ans  ou  de  la  prospérité  de  l'Eglise, 
1654.  Une  controverse  s'engagea  sur  ce  sujet,  il  y  eut  réponse  et  ré- 
plique jusqu'en  1656.  Il  ne  supportait  pas  non  plus  patiemment  les 
opinions  extrêmes  en  fait  de  gouvernement  de  l'Eglise  et  il  combattit 
les  idées  de  ceux  qui,  dans  le  protestantisme  français,  se  montraient 
partisans  des  doctrines  des  indépendants  d'Angleterre  (Du  gouverne- 
ment de  r Eglise  contre  ceux  qui  veulent  abolir  l'usage  et  V autorité  des 
synodes).  Quant  à  la  situation  des  protestants  vis-à-vis  du  pouvoir 
établi,  Amyraut  professe  le  plus  profond  respect  pour  l'autorité  royale, 
il  conseille  la  lutte  «  par  la  patience,  les  larmes  et  la  prière;  »  il  justifie 
du  mieux  qu'il  peut  les  guerres  religieuses  du  passé  et  en  somme  il  se 
déclare  pour  l'obéissance  (Apologie  pour  ceux  de  la  religion,  1647,  et 
Discours  de  la  souveraineté  des  ?^ois,  1650).  Cependant,  dès  que  la  con- 
science est  engagée,  Amyraut  conseille  la  résistance  absolue.  Un  arrêt 
du  conseil  d'Etat  ordonna  de  tendre  les  maisons  le  jour  de  la  Fête-Dieu. 
Amyraut  dit  au  sénéchal  qu'il  avait  bien  toujours  conseillé  la  soumis- 
sion aux  puissances,  «  mais  qu'il  n'avait  jamais  entendu  cela  à  propos 
de  semblables  choses  qui  intéressent  la  conscience.  »  Un  grand  désir 
de  paix  et  de  conciliation  était  dans  l'esprit  d'Amyraut.  Devant  les  ou- 
verture* très-directes  qui  lui  furent  faites  de  la  part  de  Richelieu  sur 
sod  grand  dessein  de  réunir  les  deux  Eglises,  romaine  et  réformée,  il  n'y 
eul  pas  d'hésitation  de  la  part  d'Amyraut  et  il  comprit  aussitôt  que  la 
m  était  irrémédiable.  -Mais  en  présence  de  l'Eglise  romaine  qui 
reprochait  souvent  aux  Eglises  prolestantes  leurs  divisions,  Amyraut 
eut  la  grande  et  pieu»  ambition  (l'unir  dans  la  même  Eglise  les  luthé- 
riens  el  les  réformés.  11  lit  dans  ce  sens  de  louables  efforts  et  il  donne 
dans  ses  Livres  dai  conseils  qui  sont  toujours  de  saison,  ceux-ci,  par 


284  AMYHAUÏ 

exemple,  que  l'union  ne  doit  pas  se  faire  à  coups  de  majorité,  à  coups 
de  protocoles,  mais  bien  par  le  respect  mutuel,  par  la  pénétration  bien- 
veillante des  sentiments  et  des  idées,  par  la  fréquentation  des  mêmes 
cultes  dans  un  même  désir  d'édification  (De  secessione  ab  Ecclesia  ro- 
mana,  deque  ratione  pacis  inter  evangelicos  in  religionis  negotio  consti- 
tuendœ,  disputatio,  1647;  Eïpyjvixbv,  sive  de  ratione  pacis  in  religionis 
negotio  inter  evangelicos  constitutuendx  consilium,  1662). — Les  vertus 
privées  et  domestiques  du  chrétien,  du  pasteur  et  du  père  inspirèrent 
un  respect  universel.  On  lit,  écrites  de  la  main  d'Amyraut  sur  la  garde 
d'un  exemplaire  de  son  Traité  des  religions,  ces  lignes  touchantes  à 
propos  de  ses  deux  enfants,  dont  il  mentionne  et  consigne  les  noms  : 
«  Je  recommande  ces  deux  petits  enfants  à  la  grâce  et  à  la  bénédiction 
de  Dieu  et  à  la  tendre  bonté  de  leur  mère,  à  laquelle  je  laisse  ce  gage 
de  mon  entière  affection,  étant  comme  je  pense  au  lit  de  la  mort.  » 
Son  fils  fut  un  avocat  distingué  au  parlement  de  Paris.  Sa  fille,  qui 
épousa  Bernard  d'Haumont,  mourut  dix-huit  mois  après  son  mariage. 
Très-grande  douleur  dans  la  famille.  Gomme  consolation  à  tous,  et 
surtout  en  regard  de  sa  femme,  Amyraut  publia  un  intéressant  et  tou- 
chant traité,  Discours  sur  l'état  des  fidèles  après  la  mort,  1646.  La  charité 
d'Amyraut  était  inépuisable  ;  pendant  les  dix  premières  années  de  sa 
vie  il  donna  aux  pauvres  les  revenus  de  sa  charge,  il  s'intéressait  aux 
catholiques  comme  aux  protestants  :  on  cite  de  lui  des  traits  d'une  gé- 
nérosité vraiment  rare.  La  piété  d'Amyraut  put  se  manifester  avec  sim- 
plicité et  avec  grandeur  à  son  lit  de  mort,  où  il  conserva  toute  sa  liberté 
d'esprit  et  où  il  put  adresser  les  discours  les  plus  édifiants  et  donner 
de  beaux  témoignages  de  sa  foi.  Il  mourut  le  8  janvier  1664.  —  L'in- 
fluence exercée  par  Amyraut  sur  son  Eglise  et  même  sur  son  temps  fut 
très-sérieuse.  On  peut  voir  en  détail  dans  Bayle  les  marques  étonnantes 
de  considération  qui  lui  furent  données  par  les  personnages  les  plus 
considérables,  Richelieu,  le  maréchal  de  Brezé,  le  maréchal  de  la  Meil- 
leraie,  le  président  Le  Goux  de  la  Berchère,  les  intendants  de  la  pro- 
vince d'Anjou,  plusieurs  prélats,  et  surtout  par  Mazarin.  Il  savait  le 
monde,  et  sa  parfaite  urbanité,  qui  donnait  un  charme  à  sa  science  et  à 
ses  hautes  vertus,  continua  à  faire  estimer  et  respecter  le  nom  protes- 
tant dans  les  sphères  élevées  de  la  société  de  l'époque.  Quant  aux  ré- 
formés, ils  avaient  pour  Amyraut  une  confiance,  un  respect  et  une 
admiration  sans  bornes.  Les  protestants  étaient  fiers  de  lui,  ils  aimaient, 
en  même  temps  que  ses  talents  éclatants,  sa  sagesse,  sa  fermeté  et  son 
indépendance,  et  ils  sentaient  qu'il  y  avait  en  lui  la  double  vertu,  qui 
doit  être  le  désir  et  l'effort  de  toute  Eglise  chrétienne,  l'attachement  à 
la  tradition  et  la  passion  du  progrès.  La  gloire  dont  il  jouissait  était 
telle  qu'en  certaines  occasions,  comme  au  synode  de  Loudun,  elle  lui 
fut  plutôt  contraire  «  comme  s'il  eût  été  un  grand  arbre,  qui  faisait 
ombre  aux  petits  et  qu'il  fallait  abaisser.  »  —  Voir  sur  Amyraut  :  Bayle, 
Dictionnaire  historique;  Schweizer,  Real-Encycl.  de  Herzog;  Haag, 
France  protestante.  Les  ouvrages  d'Amyraut  sont  très-rares,  heureuse- 
ment surtout  ceux  de  moindre  étendue  ;  je  n'ai  pas  indiqué  dans  les 
citations  le  nom  du  lieu  d'impression,  parce  que,  sauf  exception   c'est 


AMYRAUT  —  ANABAPTISTES  285 

toujours  Saumur,  ville  qu'Amyraut  habila  toute  sa  vie.  Voyez  aussi 
Bull,  de  la  Soc.  de  l ilisl.  du  prat.  fr.}  mentions  et  renseignements 
presque  dans  lous  les  volumes;  Saigey,  M.  Amyraut,  thèse  soutenue  à 
Strasbourg,  1849;  Viguié,  Hist.  de  iapolog.  dans  VEgl.  réf.  fr,  1858; 
Walch,  Histor.  und  Iheol.  Fini,  in  die  Beligionsstreitigkeiten  ausserh. 
der  lut It.    Kirchc,   ïéna,    1733;   Sehweizer,    Thcol.   Jahrb.,  4852. 

A.  Viguié. 

ANABAPTISTES,  ceux  qui  rebaptisent  les  adultes  passant  dans  leur 
société  religieuse,  parce  qu'ils  regardent  comme  illégitime  ou  nul  le 
baptême  administré  dans  l'Eglise  chrétienne  aux  petits  enfants.  C'est  le 
nom  qui  fut  donné  aux  ardents  sectaires  du  seizième  siècle,  dont  la 
puissance,  un  instant  redoutable,  sombra  dans  la  tragique  catastrophe 
de  Munster,  et  qu'il  faut  soigneusement  distinguer  des  Baptistes  des 
temps  qui  suivirent,  aussi  pacifiques  et  respectables  que  les  anabaptistes 
furent  intraitables  et  souvent  scandaleux.  Le  baptisme  n'est  pas  simple- 
ment sorti  de  l'anabaptisme,  on  doit  dire  plutôt  qu'il  s'en  est  dégagé  et 
purifié.  Les  anabaptistes  sont,  avec  les  sociniens,  bien  qu'à  un  titre  tout 
différent,  les  radicaux  de  la  Réforme.  Ce  grand  mouvement  religieux 
doit  sa  puissance  et  sa  réalisation  à  la  convergence  de  trois  éléments 
qui  y  cherchèrent  simultanément  satisfaction  et  l'y  trouvèrent  dans  une 
certaine  mesure  ;  1°  Les  protestations  de  la  raison,  déjà  plus  éclairée 
qu'au  moyen  âge,  contre  les  superstitions  ecclésiastiques  ;  2°  le  besoin 
de  posséder  une  religion  intérieure,  rattachant  personnellement  et 
directement  l'âme  fidèle  à  Dieu  ;  3°  la  nécessité  sentie  de  changer  les 
institutions  religieuses  existantes,  pour  mettre  en  harmonie  l'Eglise  et 
la  vie  chrétienne  collective  avec  cette  tendance  à  la  fois  rationnelle  et 
mystique.  Les  sociniens  abondèrent  dans  le  sens  rationnel,  aux  dépens 
de  la  piété  intérieure  et  mystique;  les  anabaptistes  poussèrent  jusqu'à 
l'extravagance  le  principe  de  l'individualisme  mystique  et,  sous  prétexte 
d'assurer  la  réforme  religieuse ,  aspirèrent  à  renverser  avec  l'ordre 
ecclésiastique  la  société  politique  et  civile  elle-même.  —  C'est  avec  la 
Guerre  des  paysans  qu'on  voit  surgir  l'anabaptisme  en  Allemagne.  On 
s'est  trompé  quand  on  a  dit  qu'elle  avait  été  engendrée  par  la  réforme 
religieuse.  Avant  même  qu'il  fut  question  de  Réforme,  depuis  le  milieu 
du  quinzième  siècle,  il  y  avait  eu  de  fréquents  soulèvements  de  paysans 
dans  les  campagnes  allemandes  contre  les  abus  du  régime  impérial  et 
féodal.  Les  années  1513,  1514,  1517,  avaient  été  particulièrement  mar- 
quées par  des  mouvements  de  ce  genre  dans  le  Wurtemberg,  dans  l'é- 
vêché  d'Augsbourg,  en  Carinthie,  etc.  Les  sympathies  populaires  pour 
la  Réforme,  contrariées  par  la  noblesse  et  le  clergé,  donnèrent  un 
aliment  nouveau  à  ce  feu  mal  éteint,  et  cette  coïncidence  amena  en 
divers  lieux  une  sorte  de  mélange  où  des  tendances  sociales  révolution- 
naires sejoignirentàdes  prétentions  de  réforme  religieuse  radicale.  Parmi 
Les  partisans  les  plus  emportés  de  la  Réforme  commencée  par  Luther 
on  avait  vu  se  prononcer  surtout  les  «  prophètes  de  Zwickau,  »  qui,  en 
1.V21,  faillirent  par  leur  hâte  intempestive  compromettre  la  grande 
œuvre  à  ses  débuts.  Parmi  eux  on  distinguait  Thomas  Munzer,  pasteur 
destitué  de  Zwickau,  qui  répandait  en  Thuringe  des  doctrines  d'un  mys- 


286  ANABAPTISTES 

ticisme  exalté.  Il  rabaissait  l'autorité  de  l'Ecriture  bien  au-dessous  de 
l'inspiration    individuelle.   Il   prêchait  une  sorte  de    divinisation    de 
l'homme  chez  qui  Dieu  incarnait  son  Fils  par  le  fait  même  qu'il  lui 
communiquait  intérieurement  son  Verbe  éternel.  Il  blâmait  le  baptême 
des  enfants  comme  contraire  à  l'institution  divine,  assimilait  le  mariage 
des  époux  non  convertis  à  un  véritable  concubinage,  prétendait  fonder 
le  royaume  de  Dieu  sur  l'égalité  de  tous  et  la  communauté  des  biens; 
enfin,  il  sommait  les  princes  d'adhérer  à  la  nouvelle  constitution  so- 
ciale, s'ils  ne  voulaient  pas  qu'on  la  leur  imposât  par  la  force.  En  même 
temps,  il  poursuivait  Luther  d'attaques  violentes  et  grossières.  Il  dut 
bientôt  quitter  la  Thuringe  (1524),  et  se  rendit  sur  la  frontière  suisse,  à 
Waldshut,  où  il  continua  d'agiter  les  populations.  Autour  de  Zwingle, 
qui  lui-même  avait  hésité  quelque  temps  sur  la  question  du  baptême 
des  petits  enfants,  il  y  avait  aussi  des  impatients  et  des  emportés  (icono- 
clastes), qui  fournirent  à  Thomas  de  nombreux  adhérents.  Bientôt  l'a- 
nabaptisme, qui  n'avait  été  d'abord  qu'un  élément  accessoire  dans  ses 
doctrines,  devint  la  devise  et  le  signe  de  ralliement  du  parti  soulevé  par 
ses  prédications.  Cette  agitation  religieuse,  déjà  menaçante  pour  l'ordre 
social  établi,  ne  tarda  pas  à  s'allier  à  l'agitation  révolutionnaire  de  l'Al- 
lemagne du  sud.  En  1525,  une  insurrection  bientôt  formidable  s'étendit 
rapidement  de  Kempten  (Bavière)  en  Souabe,  en  Franconie,  en  Alsace. 
Les  paysans  révoltés  réclamaient  une  réforme  complète  de  l'Eglise  et 
de  l'Etat,  le  droit  d'élire  et  de  déposer  les  pasteurs,  la  réforme  des 
impôts,  de  la  justice,  l'abolition  des  privilèges  de  chasse  et  de  pêche,  etc. 
Luther,  tout  en  reconnaissant  la  légitimité  de  plusieurs  griefs,  blâma 
leur  prise  d'armes  et,  terrifié  par  leurs  excès,  finit  par  approuver  qu'on 
procédât  par  la  force  contre  cette  insurrection.  Malheureusement,  la 
répression  fut  sanglante  et  souvent  atroce.  En  Suisse,  c'est-à-dire  à 
Zurich,  à  Bâle,  à  Schaffouse,  à  Saint-Gall,  des  mouvements  analogues 
furent  réprimés,  d'abord  avec  une  certaine  douceur,  mais  bientôt  par  les 
moyens  les  plus  rigoureux.  La  peine  de  mort  fut  comminée  contre  les  ana- 
baptistes qui  eurent,  eux  aussi,  leurs  confesseurs  et  leurs  martyrs.  Pen- 
dant cette  lutte  acharnée  l'anabaptisme  avait  toujours  plus  étendu  son 
programme  dogmatique  et  mystique.  Toute  la  société  terrestre,  dans 
l'Etat  comme  dans  l'Eglise,  étant  désespérément  corrompue,  il  fallait 
tout  reconstituer  ab  ovo  sous  la  direction  des  prophètes  inspirés  de 
Dieu.  Un  vrai  chrétien  devait  se  refuser  à  toute  fonction  civile  ou  mili- 
taire. Le  serment  lui  était  d'ailleurs  interdit.  L'esprit  divin  émancipait 
les  régénérés  de  toute  obligation  d'obéissance  aux  autorités  constituées. 
La  grâce  de  Dieu,  en  délivrant  le  régénéré  du  péché  et  de  ses  suites,  le 
rendait  impeccable,  lors  même  qu'en  apparence  il  s'abandonnait  encore 
à  la  transgression.  C'était,  en  un  mot,  là  théocratie  sous  forme  de  gou- 
vernement des  inspirés  que  l'anabaptisme  prétendait  établir.  Il  com- 
promit par  des  extravagances  les  progrès  de  la  Réforme,  servit  d'épou- 
vantail   aux  partisans  de  la   réaction  religieuse  et  de  l'immobilisme 
politique  et  même  nuisit  longtemps,  par  l'impopularité  qui  s'attacha  à 
tout  ce  qu'il  avait  enseigné  ou  prétendu,  aux  doctrines,  discutables  sans 
doute,  mais  très-honnêtes  et  très-pacifiques  qui  furent  par  la  suite 


ANABAPTISTES  -jst 

réunies  sous  le  nom  de  Baptistne  (v.  ce  mot).  Thomas  Miïnzer  continuait 
à  Mulhouse,  en  1525,  son  œuvre  dissolvante,  lorsque  la  bataille  de  /*' 
Frankenhausen  (45  mai),  noya  l'insurrection  des  paysans  dans  un  fleuve 
de  sang.  Mùnzer  et  son  compagnon  Pfeifer  furent  faits  prisonniers,  et 
tandis  que  ce  dernier  affronta  courageusement  le  supplice,  Mùnzer 
faiblit,  reçut  la  communion  sous  la  forme  catholique  et  fut  porté  presque 
sans  connaissance  sur  l'échafaud. — Mais  l'anabaptisme  écrasé  en  Suisse 
et  dans  l'Allemagne  du  sud,  releva  la  tête  aux  Pays-Bas  où  il  fut  ré- 
pandu par  un  disciple  de  Mùnzer,  Melchior  Hoffmann,  qui  se  fixa  à 
Emden  et  fît  des  prosélytes  à  Amsterdam,  à  Harlem  et  à  Leyde.  L'un 
d'eux,  le  boulanger  Jean  Matthiesen,  de  Harlem,  qui  se  prétendait 
Enoch  revenu  sur  la  terre,  se  lia  d'amitié  avec  un  jeune  tailleur  de 
Leyde,  Jean  Beukelszoon,  qui  joignait  à  une  grande  beauté  physique 
une  éloquence  naturelle  fort  remarquable.  Tous  deux,  fuyant  les  édite 
rendus  contre  les  novateurs,  se  rendirent  à  Munster,  en  Westphalie 
(1533).  Dans  cette  ville,  où,  malgré  les  efforts  de  l'évêque  Franz  de 
Waldeck,  la  Réforme  s'était  établie  victorieusement  sous  la  direction 
du  prédicateur  Bernard  Rottmann  (1529-1533),  se  réfugièrent  une  foule 
d'anabaptistes  néerlandais  et  allemands.  Bientôt  les  ardentes  prédications 
des  deux  prophètes  trouvèrent  faveur  auprès  des  habitants  ;  Rottmann 
lui-même  finit  par  se  joindre  à  eux,  ainsi  qu'un  certain  Knipperdolling, 
bourgeois  notable,  qui  avait  adopté  à  l'étranger  les  idées  anabaptistes  et 
qui  souleva  la  classe  inférieure  contre  la  noblesse,  le  clergé  et  les  riches. 
Un  signe  caractéristique  de  cette  révolution  anabaptiste,  c'est  le  profond 
mépris  des  «  inspirés  »  pour  les  livres  et  la  science  humaine.  La  plupart 
des  bourgeois  aisés  furent  bannis  et  les  anabaptistes,  sous  la  direction 
de  leurs  prophètes,  se  virent  à  même  de  constituer  une  théocratie  selon 
leur  idéal.  Sur  l'autorité  de  prétendues  révélations,  la  communauté  des 
biens  et  la  polygamie  furent  décrétées,  tous  ceux  des  habitants  qui  re- 
fusèrent d'adhérer  à  la  foi  nouvelle  furent  pillés  et  expulsés  en  plein 
hiver,  sept  diacres  nommés  pour  répartir  entre  les  fidèles  les  biens  des 
bannis  ;  puis,  sur  l'ordre  de  Jean  de  Leyde,  tous  les  meubles  et  objets 
de  luxe,  les  sculptures,  les  tableaux,  tous  les  livres,  à  l'exception  de  la 
Bible,  furent  brûlés  sur  la  place  publique.  Cependant  l'évêque  Franz 
de  Waldeck  avait  réuni  une  petite  armée  pour  tâcher  de  reprendre  la 
ville  (avril  1534).  Une  sortie  heureuse  des  assiégés  commandés  par  le 
prophète  Matthiesen  inspira  à  celui-ci  une  telle  confiance  qu'il  se  fit 
fort  de  disperser  l'armée  épiscopale  avec  une  troupe  de  trente  hommes 
choisis,  il  périt  avec  ses  compagnons  dans  la  rencontre  qui  suivit,  et 
Jean  de  Leyde  se  vit  sans  rival  possible  à  la  tête  de  la  ville  anabaptiste, 
d'autant  plus  que  Rottmann  continuait  de  l'appuyer  sans  réserve. 
Bientôt,  assisté  de  douze  anciens  élus  qui  ne  juraient  que  par  lui  et 
rendaient  la  justice  au  nom  d'un  code  emprunté  littéralement  à  l'Ancien 
Testament,  il  concentra  dans  sa  main  tous  les  pouvoirs.  C'était  selon 
lui  L'inauguration  du  royaume  millénaire  du  Christ,  annoncé  par  l'Apo- 
oalypse,  ef  il  voulut  être  le  roi  de  la  nouvelle  Sion.  Des  révélations 
prophétiques  vinrent  encore  à  point  nommé  confirmer  ce  vœu  ambi- 
tieux, et  .Jean  >••  til  couronner  vn  grande  pompe,  avec  le  titre  du  «  Roi 


288  ANABAPTISTES 

juste  du  nouveau  Temple,  »  Rottmann  ayant  désigné,  toujours  en  suite 
de  révélations  directes,  les  noms  des  principaux  officiers  de  la  couronne. 
Lui-même  fut  «  le  porte-parole,  »  Knipperdolling  le  lieutenant,  Krech- 
ting,  un  autre  inspiré,  le  chancelier,  etc.  Jean  portait  au  cou  une 
chaîne  d'or,  à  laquelle  était  suspendu  un  globe.  Trois  fois  la  semaine  il 
paraissait  sur  la  place  publique,  tandis  que  Knipperdolling  se  tenait  un 
peu  plus  bas,  l'épée  nue  à  la  main.  Quand  il  parcourait  la  ville,  deux 
enfants  le  précédaient,  portant,  l'un  l'Ancien  Testament,  l'autre  une 
épée,  et  tous  les  passants  devaient  s'agenouiller.  Sa  prétention  haute- 
ment avouée  était  de  faire  la  conquête  du  monde  entier,  et  pour  pré- 
parer ce  grand  événement,  il  fit  partir  de  Munster  vingt-huit  apôtres  qui 
devaient  annoncer  son  règne  dans  toutes  les  directions.  A  Fexception 
d'un  seul,  tous  ces  malheureux  furent  arrêtés  et  exécutés  en  divers 
lieux  comme  rebelles.  Le  roi-prophète  donnait  d'ailleurs  l'exemple  de 
la  polygamie.  Se  fondant  sur  l'exemple  de  David  et  de  Salomon,  il  s'était 
entouré  d'un  harem  de  quinze  femmes,  qu'il  gouvernait  à  l'orientale. 
Lui-même  trancha  la  tête  publiquement  à  Tune  d'elles  qui  avait  osé 
blâmer  sa  conduite.  11  est  facile  de  comprendre  qu'un  pareil  régime  et 
de  pareils  exemples  engendrèrent  un  état  sans  nom  de  violences  , 
d'excès,  de  débauches  de  tout  genre.  Mais  l'autorité  de  Jean  restait 
toute-puissante,  soit  par  la  terreur  qu'il  inspirait,  soit  surtout  par  le 
fanatisme  qu'il  avait  su  faire  partager  à  la  ville  entière  où  personne  ne 
doutait  que  bientôt  des  triomphes  incomparables  succéderaient  à  la 
situation  précaire  où  le  blocus  de  plus  en  plus  rigoureux  les  condam- 
nait. En  effet,  quand  il  fut  devenu  plus  évident  que  Févêque  était  hors 
d'état  de  réduire  la  ville  défendue  par  une  population  de  forcenés,  les 
princes  de  l'empire  se  décidèrent  à  des  mesures  énergiques.  Ce  fut  sur- 
tout Philippe,  le  landgrave  de  Hesse,  qui  se  chargea  de  l'entreprise. 
Depuis  le  mois  d'avril  1535  son  armée  bloqua  étroitement  Munster,  où 
la  famine  sévissait  déjà.  Deux  transfuges  fournirent  à  ses  soldats  le 
moyen  de  pénétrer,  le  24  juin,  à  Fintérieur  des  murs  et,  malgré  la 
résistance  désespérée  des  assiégés,  la  ville  fut  prise.  A  peine  un  tiers 
des  habitants  échappa  à  la  rage  des  vainqueurs.  Jean  et  ses  principaux 
officiers  furent  pris  et  jetés  dans  les  fers.  Lui,  Knipperdolling  et  Krech- 
ting  repoussèrent  avec  hauteur  les  propositions  du  landgrave  qui  voulait 
les  amener  au  repentir.  On  crut  d'une  bonne  politique  de  les  promener 
enchaînés  de  lieu  en  lieu,  à  travers  des  populations  qui  les  insultaient 
et  les  maudissaient.  Enfin,  le  23  janvier  1536,  ils  furent  livrés  à  l'épou- 
vantable supplice  de  la  mort  par  «  les  tenailles  brûlantes.  »  Leurs  restes 
informes  furent  jetés  dans  une  corbeille  de  fer  que  l'on  hissa  tout  au 
haut  de  la  tour  de  Saint-Lambert  de  Munster  pour  servir  d'avertissement 
à  quiconque  serait  tenté  de  les  imiter.  Tel  fut  le  lugubre  dénoûment 
de  la  tragédie  de  l'anabaptisme.  Il  ne  se  releva  jamais,  sous  cette  forme 
délirante  et  scandaleuse,  de  sa  sanglante  catastrophe.  Les  débris  de 
l'anabaptisme  primitif,  dispersés  en  Allemagne,  furent  pourchassés, 
livrés  aux  bourreaux,  excepté  dans  les  Etats  du  landgrave  qui  se  con- 
tenta de  les  bannir.  —  Sources  :  Mélanchthon,  Die  Historié  von  Th. 
Mùntzer,  1525;  Strobel,  Leben,  Schriften  und  Lehren  Thomx  Mùntzers, 


ANABAPTISTES  —  ANANIAs  o89 

1795;  Ranke,  Deutsche  Gesch.  imZeitalt.  der  Reform.,  vol.  II  et  III; 
Spanheim,  De  origine  Anabapt.,  Lugd,  1643;  Ant.  Corvinus,  Zte  mz'si- 

rabili...  Anabapt.  obsidione  (ce  Corvinus  fut  l'un  des  théologiens  que 
le  landgrave  de  liesse  envoya  à  Jean  de  Leyde  prisonnier,  pour  rame- 
ner à  résipiscence)  apud  Schardtum,  t.  II;  Original-Actenstùcke  de?' 
Mùnst.  Wiedertxufer-Gesch.j  Francf.,  1808;  IL  Jochmus,  Mûnstersche 
Gesch.  Legenden  und  Sagen,  1826;  Schlosser,  Weltgesch.  fur  das 
deustche  1  o//r,  vol.  XII;  Bullinger,  Der  Wiedertœufer  Ursprung,  1560; 
C.  A.  Cornélius,  Die  Niederlœndischen  Wiedertœufer  wœhrend  der  Bela- 
gerung  Munsters,  publications  de  l'Académie  royale  de  Bavière,  1869; 
Gieseler,  Kirchengesch.,  III,  1,  p.  196  ss.;  F.  Ch.  Baur,  Kirchengesch . 
der  neueren  Zeit,  p.  70  ss.,  et  en  général  les  histoires  de  la  Réforme. 

A.   RÉVILLE. 

ANACHORÈTES  (àvaxwp-rçTYjç,  de  àvaywpéw,  je  me  retire),  ceux  qui  se 
retirent  du  monde  pour  vivre  dans  la  solitude.  Dès  le  troisième  siècle 
il  est  fait  mention  de  chrétiens  qui  fuient  la  société.  Les  causes  n'ont 
pas  été  chez  tous  les  mêmes  :  les  uns  n'ont  cherché  qu'un  asile  pour  se 
dérober  aux  persécuteurs;  d'autres,  dégoûtés  de  la  corruption  du 
monde  païen,  ont  cru  devoir  éviter  un  état  de  choses  qui  les  blessait  et 
qu'ils  se  sentaient,  incapables  de  corriger  ;  d'autres  encore  se  sont 
retirés,  soit  pour  expier  ainsi  leurs  péchés,  soit  pour  se  vouer  en  paix 
à  la  contemplation,  soit  pour  obéir  à  des  conseils  évangéliques  pris 
dans  le  sens  le  plus  littéral.  Les  premiers  anachorètes  connus  se  ren- 
contrent en  Egypte  et  en  Palestine.  Leur  genre  de  vie  ne  tarda  pas  à 
être  considéré  comme  procurant  un  mérite  supérieur.  Ceux  qui  habi- 
taient le  désert  reçurent  le  nom  d'ermites  (Ipv^oç,  désert).  Il  y  en 
eut  dans  tous  les  pays  chrétiens.  Le  concile  de  Constantinople  de  692 
décréta  que,  pour  devenir  anachorète,  il  fallait  d'abord  passer  un  temps 
d'épreuve  dans  un  monastère;  Charlemagne,  au  contraire,  voulait  que 
tous  les  ermites  de  ses  Etats  entrassent  dans  des  couvents.  Néanmoins 
on  en  trouve  pendant  tout  le  moyen  âge  ;  çà  et  là  il  y  en  a  encore 
aujourd'hui. 

ANACLET  I  (Saint),  pape  ou  plutôt  presbytre  romain  de  la  fin  du 
premier  siècle.  Les  listes  grecques,  Irénée  {Hœr.,  III,  3,  3),  la  Chronique 
d'Eusebe  et  Y  Histoire  ecclésiastique  du  même  auteur  (III,  13,  15)  placent 
AvéyxXijTOç  entre  Lin  et  Clément;  la  Chronique  le  fait  régner  de  79 
à  86,  YHist.  eccl.  de  79  à  91.  Augustin  (Ep.  53),  Optât  [de  Schism. 
Donat.,  II,  3)  et  tous  les  catalogues  latins  jusqu'au  sixième  siècle, 
nomment  au  contraire  Anacletus  entre  Clément  et  Evariste.  Le  Cata- 
logue Libérien  de  354  est  le  premier  à  intercaler  Cletus  (77-83)  entre 
Clément  et  Anaclitus  (84-95);  le  livre  des  papes  (530),  qui  place  Clé- 
ment entre  Clet  et  Anaclet,  suit  néanmoins  le  môme  calcul.  On  peut 
affirmer  que  le  nom  de  saint  Clet  était  inconnu  avant  le  milieu  du 
troisième  siècle  (Lipsius,  Chronol.  der  rœm.  Bisch.,  Kiel,  1869).  On 
trouve  dans  Pseudo-Isidore  et  dans  Gratien  de  fausses  décrétâtes  au 
nom  d' Anaclet.  Voyez  Colombier,  Rev.  des  Quest.  Hist.,  1876,  avril. 

ANACLET  II,  antipape  (1130-1138).  IToyez  Innocent  IL 

ANANIAS   ('AvxvÉaç,  nom   propre  hébreu,    Khananeiah,    Jérém. 


290  ANANIAS  —  ANASTASE  LE  SINAÏTE 

XXVIII,  1;  Daniel  I,  6,  7).  Dans  les  Actes  des  apôtres  se  rencontrent 
trois  personnages  de  ce  nom  :  1°  Un  Juif  chrétien  de  la  première  Eglise 
de  Jérusalem  dont  la  femme  était  Saphira.  Tous  deux  furent  punis 
d'avoir  menti  au  Saint-Esprit  en  dissimulant  le  prix  véritable  des  biens 
qu'ils  avaient  vendus  pour  venir  l'apporter  aux  pieds  des  apôtres 
(Actes  V,  1  ss.).  2°  Un  Juif  chrétien,  de  Damas,  homme  fort  considéré 
qui  rendit  la  vue  à  Paul  en  lui  imposant  les  mains  et  sans  doute  lui 
donna  les  premiers  enseignements  évangéliques  (Actes  IX,  10  et 
XXII,  10)  ;  3°  enfin  un  grand  prêtre  juif  (Actes  XXXIII,  2)  devant  lequel 
comparaît  Paul,  prisonnier,  et  qui,  en  ordonnant  de  le  souffleter, 
provoqua  de  sa  part  cette  rude  apostrophe  :  «  Dieu  te  frappera,  mu- 
raille blanchie!  »  On  trouve  des  renseignements  sur  ce  dernier  dans 
Josèphe  (Ant.,  XX,  6,  8,  9).  Il  était  fils  de  Zébédée  et  obtint  le  grand 
pontificat  sous  le  procurateur  Gumanus  :  il  fut  envoyé  à  Rome  pour  se 
défendre  devant  l'empereur  Claude  au  sujet  d'actes  de  violence  dont  il 
était  accusé.  Il  redevint  vraisemblablement  grand  prêtre,  ou  du  moins 
en  remplit  les  fonctions  un  peu  avant  le  départ  du  gouverneur  Félix, 
mais  pour  peu  de  temps.  Il  fut  tué  au  commencement  de  la  guerre 
juive  (Josèphe,  de  bell.  Jud.,  II,  17,  19). 

ANASTASE  I  (Saint),  pape  (398-402),  était  Romain.  Il  condamna,  en 
399,  Rufin  et  les  origéniens.  Saint  Jérôme,  qui  clans  plusieurs  de  ses 
lettres  parle  de  lui  avec  éloge,  cite,  dans  son  Apologie  contre  Rufin, 
une  lettre  d'Anastase  à  Jean,  évêque  de  Jérusalem  (401),  où  ce  pape 
s'oppose  à  Rufin.  Le  concile  de  Carthage,  en  401,  rendit  témoignage  à 
son  zèle  à  combattre  le  donatisme.  Il  bâtit  la  basilique  de  Saint-Cres- 
centienne  (voy.  Henschen,  dans  AA.  SS.,  27  Apr.,  III;  Muratori,  Scr., 
III,  1,  115,  Baronius  et  Pagi;  ses  lettres  se  lisent  dans  la  collection 
de  Coustant,  Paris,  1721,  in-f°). 

ANASTASE  II,  pape  (496-498),  était  Romain.  Le  clergé  se  souleva 
contre  lui  ;  on  l'accusait  d'avoir  sans  le  conseil  des  évêques  et  du 
clergé  reçu  dans  sa  communion  Photin,  diacre  de  Thessalonique,  et 
de  méditer  en  secret  la  réhabilitation  d'Acacius.  «  Il  mourut  misérable- 
ment »  (Amaury  Auger,  dans  Muratori,  III,  2,  43).  Voyez,  sur  son 
orthodoxie,  Baronius,  à  l'année  497.  La  lettre  de  félicitation  écrite  par 
le  pape  à  Glovis,  lors  de  sa  conversion,  se  trouve  dans  d'Achéry  et  dans 
Mansi,  VIII,  193. 

ANASTASE  III,  pape  (911-913),  était  Romain;  il  régna  sous  la  por- 
nocratie. 

ANASTASE  IV,  pape  (Conrad,  évêque  de  Sabine),  était  Romain  et 
régna  de  1153  à  1154.  Il  eut  des  égards  pour  Frédéric  Barberousse.  Il 
releva  le  Panthéon  (Sainte-Marie  la  Ronde).  Voyez  sa  vie,  par  le  card. 
Boso,  dans  Watterich,  II,  321  ;  ses  lettres,  dans  Bouquet,  XV,  655  ss. 

ANASTASE,  antipape  en  855.  Voyez  Benoît  111. 

ANASTASE  LE  SINAÏTE,  moine  du  mont  Sina  et  prêtre,  vivait  vers 
l'an  680.  Il  sortit  souvent  de  sa  solitude  pour  combattre  les  acéphales, 
les  séveriens  et  les  théodociens  d'Egypte  et  de  Syrie.  Il  nous  reste  de 
lui  :  1)  V'Oori^éq  ou  dux  vise  ado.  Acrphalos  (gr.  et  lat.  éd.  J.  Gretser, 
Ingolstadt,  1606,  in-4°);  2)  Les  èpwiYjcstç  xal  àitoxpfeeiç,  questions  et 


ANASTASE  LE  SINAÏTE  —  ANATHEME  201 

réponses,  où  il  répond  à  cent  cinquante-quatre  questions  différentes 
d'exégèse,  de  dogmatique,  de  morale  et  d'ascétisme.  Cet  ouvrage  est 
nourri  de  la  doctrine  des  Pères  (gr.  et  lat.,  éd.  J.  Gretser,  Ingolstadt, 
1617,  in-i°).  3)  Les  Anagogicx  contemplationes  in  Hexaëmeron,  lib.  XII. 
Les  onze  premiers  de  ces  livres  ne  sont  conservés  qu'en  latin  dans  la 
Magna  Bibl  Pair.,  Colon.,  1618,  t.  VI  et  dans  la  Max.  Bibl.  Pair., 
t.  IX.  Le  douzième  livre  est  publié  en  grec  et  en  latin  par  Allix,  Lond., 
1682,  in-4°.  4)  Trois  sermons  De  hominis  creatione  a  Deo  ad  imag.  et 
simil.  suam  (A.  Maji,  Coll.  nova  veter.  script.,  t.  VII).  Il  ne  faut  pas  con- 
fondre Anastase  le  Sinaïte  avec  un  autre  écrivain  ecclésiastique,  aussi 
nommé  Anastase,  créé  patriarche  d'Antioche  en  l'année  561,  qui,  ayant 
résisté  aux  édits  de  Justinien  contre  les  aphthardocètes,  fut  exilé  en  570 
et  qui,  rappelé  sous  Maurice,  occupa  paisiblement  son  siège  jusqu'à  sa 
mort,  arrivée  le  21  avril  599. 

ANASTASE  LE  BIBLIOTHÉCAIRE,  abbé  d'un  couvent  romain  et  pro- 
bablement bibliothécaire  du  Vatican,  est  l'un  des  écrivains  les  plus 
savants  du  neuvième  siècle.  Il  fut  envoyé  au  huitième  concile  œcumé- 
nique de  Constantinople  qui  condamna  Photius  ;  il  en  traduisit  en  latin 
les  actes,  ainsi  que  ceux  du  septième  concile.  On  a  de  lui  une  Historia 
ecclesiastica  chronographia  tripartita,  P.,  1649,  in-f°,  et  on  lui  a  long- 
temps attribué  le  Liber  ponti/îcalis,  source  importante  pour  l'histoire 
des  papes  et  qui  contient  leur  biographie  jusqu'à  Nicolas  Ier  (voy.  cet 
article).  Anastase  mourut  en  886. 

ANASTASIE  (Sainte),  veuve  et  martyre.  Elevée  dans  la  foi  chrétienne 
par  saint  Chrysogone,  elle  fut  mariée  à  un  païen,  torum  mentita  infir- 
mitate  declinans.  Devenue  veuve  après  avoir  demandé  à  Dieu  la  mort  de 
son  mari,  elle  suivit  son  maître  à  Aquilée,  où  il  fut  martyr,  et  assista 
les  confesseurs.  Elle  fut  décapitée  à  Grado  (304),  et  son  corps  fut  porté 
de  Zara  à  Sirmich,  puis  à  Constantinople.  Ses  actes,  conservés  par  Mé- 
taphraste  et  antérieurs  à  Bède  (Surius,  25  déc),  sont  étranges.  Voy. 
Tillemont,  V,  et  Baillet,  Vies  des  Saints,  III. 

ANATHEME  (àvaôs^a  ou  selon  la  forme  attique  àvaÔY^a,  ce  qui  répond 
dans  les  Septante  au  mot  hébreu  Chère  m)  se  disait  des  objets  con- 
sacrés à  Dieu  et  suspendus  à  la  voûte  ou  aux  murs  d'un  temple  pour 
être  exposés  à  la  vue  des  fidèles  (Luc  XXI,  5);  mais,  comme  l'on  expo- 
sait  aussi  les  objets  odieux,  comme  la  tête  d'un  coupable  ou  d'un 
ennemi,  ses  armes,  ses  dépouilles,  le  mot  chèrèm  ou  anathème  a  été 
appliqué  aux  personnes  ou  aux  choses  que  l'on  entendait  retrancher  de 
la  société,  vouer  à  la  colère  divine,  à  l'entière  destruction,  à  l'éternelle 
damnation.  C'est  ainsi  que  Moïse  voue  à  l'anathème  les  villes  des 
Cananéens  qui  ne  se  rendront  pas  aux  Israélites,  ainsi  que  ceux  qui 
adoreronl  de  faux  dieux  (Exode  XXII,  19;  Deut.  IX,  26);  Saul  pro- 
nonça 1  anathème  contre  quiconque  mangerait  quelque  chose  avant  le 
coucher  du  soleil,  dans  la  poursuite  des  Philistins  (1  Rois  XIV,  24)  ; 
Judith  offre  à  Jéhova  les  armes  d'Holopherne  pour  anathème  (Judith 
XVI,  23).  D'après  une  prescription  du  Lévitique  (XXVII, 28,  29),  tout  ce 
qu'un  possesseur  a  voué  à  l'anathème,  soil  homme,  soit  animal,  soit 
pièce  de  terre,  ne  pourra  plus  être  racheté,  mais  devra  être  consacre  à 


292  ANATHEME  —  ANCIENS 

la  destruction.  Dans  le  Nouveau  Testament,  saint  Paul  affirme  que  per- 
sonne ne  peut  dire  de  Jésus  qu'il  est  anathème,  s'il  parle  par  l'Esprit 
de  Dieu  (i  Cor.  XII,  3)  ;  il  déclare  anathème  tous  ceux  qui  n'aiment 
point  le  Seigneur  Jésus-Christ  (1  Cor.  XVI,  22)  ;  il  prononce  la  même 
sentence  contre  ceux  qui  annoncent  un  autre  Evangile  que  le  sien 
(Gai.  I,  8)  ;  par  contre,  il  exprime  le  vœu  de  pouvoir  être  anathème  lui- 
même  pour  sauver  ses  compatriotes,  les  Israélites,  de  la  perdition  où 
les  expose  leur  aveuglement  (Rom.  IX,  3).  —  Dans  l'Eglise  catholique, 
Tanathème  est  la  forme  de  l'excommunication  majeure,  lancée  par  le 
pape,  par  un  concile  général  ou  par  un  évêque  ;  il  ajoute  à  l'excommu- 
nication ordinaire  la  séparation  formelle  du  corps  de  la  société  et  du 
commerce  des  fidèles.  C'est  la  peine  réservée  ordinairement  aux  héré- 
tiques. Tous  les  conciles  et  la  plupart  des  symboles  œcuméniques  ont 
adopté  la  formule  :  Anathema  su.  Dans  l'acte  d'abjuration,  l'hérétique 
est  également  tenu  de  dire  anathème  à  l'erreur  qu'il  abjure. 

ANATHOT  [eAnâthôth],  ville  lévitique  (1  Rois  II,  26),  située  dans  la 
tribu  de  Benjamin  (Jos.  XXI,  18;  1  Chron.  VI,  60;  Néhém.  XI,  32),  sur 
la  grande  route  qui  se  dirige  du  Nord  vers  Jérusalem,  dont  elle  était 
éloignée  de  trois  milles  romains  d'après  Eusèbe  et  Jérôme  (Ad  Jerem., 
I,  1),  de  20  stades  (c'est-à-dire  un  peu  moins),  d'après  Josèphe  (Ant., 
X,  7).  Anathot  était  la  patrie  du  prophète  Jérémie  (Jérém.  I,  1;  XI,  21  ; 
XXIX,  27;  XXXII,  7). 

ANATOLE  (Saint)  [AvaioXtoç] ,  évêque  de  Laodicée,  succéda  à  saint 
Eusèbe,  Alexandrin  comme  lui.  Il  était  «  parvenu  au  faîte  »  de  toutes 
les  sciences,  et  l'on  dit  qu'il  avait  été  mis  à  la  tête  de  l'école  aristotéli- 
cienne dans  sa  ville  natale;  il  paraît,  d'après  la  vie  dTamblique  par 
Eunape,  avoir  été  le  maître  de  ce  philosophe.  Lorsque  Alexandrie  fut 
assiégée  par  les  Romains,  en  269,  il  prêcha  la  reddition,  et  ne  pouvant 
l'obtenir,  il  fit  sortir  de  la  place  les  bouches  inutiles,  et  sauva  ainsi  la 
vie  à  presque  tous  les  assiégés,  «  et  d'abord  à  ceux  de  l'Eglise.  »  Eusèbe, 
qui  rapporte  ces  faits  (Hist.  eccl.,  VII,  32;  voy.  les  notes  d'Heinichen), 
cite  plusieurs  ouvrages  de  lui,  et  reproduit  ses  canons  sur  la  Pâque 
{AA.SS.,  3/w/.,  I). 

ANATOLE  (Saint),  patriarche  de  Constantinople  (f  458).  Il  était 
Alexandrin.  Son  attitude  au  concile  de  Macédoine  le  fit  suspecter  d'eu- 
tychianisme,  et  le  pape  saint  Léon,  dans  plusieurs  de  ses  lettres,  ex- 
prime des  doutes  à  cet  égard.  L'éminent  critique  de  Baronius,  Pagi,  et 
Tillemont  (vol.  XV),  défendent  son  orthodoxie  contre  Baronius  (ad  a. 
451);  les  Bollandistes  (3  JuL,  I)  reconnaissent  qu'Anatole  fut  un  saint 
de  seconde  grandeur. 

ANCIENS  chez  les  Hébreux.  11  est  déjà  question  d'anciens,  faisant 
fonctions  de  représentants  du  peuple  israélite,  en  Egypte  (Exode  III, 
16;  IV,  29;  XII,  21;  cf.  XVII,  5;  XVIII,  12).  Moïse  en  choisit  soixante  et 
dix  (ou  soixante-douze),  pour  former  un  collège  qui  devait  l'assister 
dans  la  direction  des  affaires  (Nomb.  XI,  16;  cf.  Exode  XXIV,  I,  9).  A 
partir  de  ce  moment  nous  trouvons  sans  cesse  des  anciens  qui  repré- 
sentent tantôt  le  peuple  en  son  entier,  tantôt  une  tribu,  tantôt  une  ville, 
et  à  l'occasion  prennent  part  aux  sacrifices  ou  président  aux  fêtes 


ANCIENS  —  ANG1LL0N  293 

(I  Rois  VIII,  1  ;  1  Chron.  XV,  25;  2  Chron.  V,  2-4).  Chaque  ville  pos- 
sédait un  collège  d'anciens  qui  y  remplissait  les  fonctions  judiciaires 
et  de  police,  et  siégeail  aux  portes  (Deut.  XIX,  22;  XXI,  2,  19;  XXII, 
15  ss.  :  XXV,  8;  Josué  XX,  i;  Ruth  IV,  11).  Les  anciens  subsistèrent  à 
côté  des  rois  comme  représentants  de  la  nation  (1  Sam.  III,  17;  V,  3; 
VIII,  4  ss.;  XV,  30,  XVII,  4;  2  Sam.  XIX,  11;  1  Rois  XX,  7;  2  Rois  X, 
ir>;  XXIII,  I;  I  Chron.  XXI,  16).  Cette  organisation  résista  à  l'exil 
Jérém.  XXIX,  1;  Esdras  X,  8,  14),  et  s'accrut  en  importance  sous  la 
domination  des  princes  étrangers  (1  Macch.  I,  26;  VII,  33;  XII,  6,  35; 
XIII,  36;  XIV,  9,  20;  2  Macch.  I,  10;  IV,  44)  ;  elle  reçut  sa  dernière 
sanction,  en  ce  qui  touche  les  anciens  de  la  nation,  dans  l'institution  du 
sanhédrin  (voy.  cet  article). 

ANCIENS  chez  les  chrétiens.  Voyez  Presbytérien  (Système). 

ANCILLON,  famille  de  Metz,  déjà  influente  au  quatorzième  siècle, 
convertie  au  protestantisme  dès  les  premiers  jours  de  la  Réforme, 
établie  en  Prusse  depuis  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes.  Le  premier 
de  ses  membres  dont  parlent  les  annales  du  protestantisme,  président  à 
mortier  dans  une  des  cours  les  plus  importantes  du  royaume,  fit  vo- 
lontairement le  sacrifice  de  sa  charge  pour  embrasser  les  croyances 
huguenotes.  Son  fils,  Georgin  Ancillon,  fut  un  des  fondateurs  de  l'Eglise 
de  Metz;  son  petit-fils,  Abraham,  un  jurisconsulte  éminent.  De  cet 
Abraham  Ancillon  et  d'Esther  Marsal  naquit  à  Metz,  en  1617,  le 
célèbre  prédicateur  David  Ancillon .  Après  avoir  étudié  la  théologie  à 
Genève  sousDiodati,  Tronchin,  Spanheim  (1633-164J),  il  fut  consacré 
ministre  parle  synode  de  Charenton  (1641)  et  placé  aussitôt  après  à  la 
tête  de  l'Eglise  de  Meaux.  Son  talent  pour  la  prédication,  la  douceur 
de  son  caractère,  sa  piété  solide  et  éclairée  lui  gagnèrent  tous  les  cœurs; 
les  catholiques  eux-mêmes  ne  purent  lui  refuser  leur  estime.  Pendant 
un  voyage  qu'il  fit  à  Metz  (1652),  les  membres  du  consistoire  furent  si 
charmés  de  son  éloquence  qu'ils  le  nommèrent  au  premier  poste 
vacant.  Ancillon  demeura  dans  sa  ville  natale  jusqu'à  la  révocation  de 
Tédit  de  Nantes  (1685).  Toutes  les  démarches  auprès  de  Louis  XIV  en 
faveur  des  réfugiés  messins  ayant  échoué,  Ancillon  et  ses  trois  col- 
lègues profitèrent  de  la  faculté  qui  leur  était  laissée  de  s'expatrier 
dans  l'espace  de  quinze  jours.  Après  avoir  exercé  pendant  quelques 
mois  les  fonctions  pastorales  à  Hanau  et  à  Francfort,  il  fut  appelé  à 
Berlin,  comme  prédicateur  de  l'Eglise  française  et  de  la  cour,  par  le 
iinmd-électeur  qui  professait  une  admiration  toute  particulière  pour 
son  caractère  et  son  talent.  Les  réfugiés  de  la  colonie  de  Berlin  trou- 
vèrent en  lui  un  père  qui  s'occupa  d'eux  jusqu'à  sa  mort  (1692),  avec 
la  plus  tendre  sollicitude,  le  plus  infatigable  dévouement.  David  An- 
cillon jouit  auprès  de  ses  contemporains,  comme  orateur  de  la  chaire, 
d'une  grande  réputation;  il  est  à  regretter  que,  par  excès  de  modestie, 
il  n'ait  laisse  publier  qu'un  seul  de  ses  sermons,  prêché  à  Metz  un  jour 
déjeune:  les  Larmes  de  saint  Paul  (Paris,  1676).  Son  ouvrage  le  plus 
connu  est  un  Traité  polémique  contre  la  tradition  romaine,  résumé 
d'une  dispute  qu'il  avail  eue  en  1657,  à  Metz,  avec  le  Dr  Bédaciez 
évêque  dAoste  et  Miffragant  de  l'évêque  de  Metz.  —  Charles  Ancillon, 


294  ANGILLON 

fils  aîné  de  David,  né  à  Metz  en  i659,  jurisconsulte  et  historien,  étudia 
le  droit  à  Marbourg,  à  Genève,  à  Paris  (167 4-1679), 'et  s'établit  comme 
avocat  dans  sa  ville  natale.  Au  moment  de  la  révocation  de  l'édit  de 
Nantes,  ses  concitoyens  le  choisirent  pour  leur  délégué  à  Versailles, 
mais  il  ne  put  obtenir  de  Louvois  que  les  réformés  messins  passassent 
l'hiver  dans  leur  patrie.  Lui-même  accompagna  son  père  dans  l'exil  et 
fut  accueilli  avec  distinction  par  l'électeur  Frédéric-Guillaume,  qui  le 
nomma  «juge  et  directeur  de  la  colonie  de  Berlin,  »  puis,  après  la  re- 
traite de  son  oncle,  Joseph  Ancillon,  «juge  de  tous  les  Français  réfugiés 
dans  le  Brandebourg.  »  La  droiture,  l'impartialité,  le  tact  dont  il  fit 
preuve  dans  ces  difficiles  fonctions,  lui  acquirent  l'entière  confiance  de 
Frédéric  Ier  qui  le  chargea  de  plusieurs  missions  importantes  en  Suisse 
(1695),  et  auprès  du  margrave  de Bade-Durlach  (1697).  Aux  capacités  di- 
plomatiques Charles  Ancillon  joignit  celles  de  l'historien,  du  pédagogue. 
En  1687,  le  roi  lui  donna  la  surintendance  de  «  l'Académie  des  nobles  » 
à  Berlin,  une  institution  modèle  sur  laquelle  devaient  se  régler  les 
établissements  du  même  genre  dans  les  provinces;  en  1699,  il  remplaça 
Puffendorf  comme  historiographe  royal.  Les  relations  intimes  qu'il 
entretenait  avec  quelques-uns  des  penseurs  les  plus  distingués  de  son 
temps,  entre  autres  avec  Leibnitz,  lui  permirent  de  jouer  un  rôle  im- 
portant lors  de  la  fondation  et  des  premiers  débuts  de  l'Académie  de 
Berlin.  Charles  Ancillon  fut  un  fécond  écrivain;  quelques-uns  de  ses 
écrits  possèdent  encore  aujourd'hui  une  réelle  valeur.  Le  plus  intéres- 
sant est  Y  Histoire  des  Français  réfugiés  dans  les  Etats  de  S.  A.  F.  de 
Brandebourg  (Berlin,  1690),  qui  contient  de  précieux  détails  sur  l'orga- 
nisation, les  droits,  les  mœurs  de  la  colonie  naissante.  Les  Réflexions 
politiques  par  lesquelles  on  fait  voir  que  la  persécution  des  réformés  est 
contre  les  véritables  intérêts  de  la  France  (Cologne,  1685),  attribué  à 
tort  par  Bayle  à  Sandras  de  Courtilz,  et  Y Irrévocabilité  de  redit  de 
Nantes  (Amsterdam,  1688)  se  recommandent  par  la  hauteur  des  vues, 
la  modération  du  langage.  —  Frédéric- Auguste-Luc  (1698-1758),  et 
Louis- Frédéric  Ancillon  (1740-1814),  fils  et  petit-fils  de  Charles  Ancillon, 
furent  tous  deux  pasteurs  de  l'Eglise  française  de  Berlin.  Le  second 
d'entre  eux  a  laissé  des  discours  patriotiques  (1793),  des  oraisons  fu- 
nèbres, un  éloge  de  Saumaise,  un  Discours  sur  les  caractères  qui, 
outre  l'inspiration,  assurent  aux  livres  saints  la  supériorité  sur  les  livres 
profanes  (1782).' — Jean-Pierre-Frédèric  Ancillon,  fils  de  Louis-Frédéric, 
né  à  Berlin,  le  30  avril  1767,  se  destina  d'abord  à  la  carrière  ecclé- 
siastique. A  son  retour  de  Genève  où,  à  côté  de  la.  théologie,  il  s'était 
livré  à  des  études  historiques,  il  fut  nommé  pasteur  de  l'Eglise  fran- 
çaise du  Werder,  à  Berlin,  et  professeur  d'histoire  à  l'Académie  mili- 
taire. Un  discours  qu'il  prononça,  en  1791,  à  Bheinsberg,  devant  le 
prince  Henri,  le  mit  en  relations  suivies  avec  la  cour.  Ancillon  se  démit 
en  1801  de  ses  fonctions  pastorales  et  professorales,  pour  se  consacrer 
à  l'éducation  du  prince  royal.  Des  juges  compétents,  Varnhagen  von 
Ense  {Journal,  t.  I,  Feuilles  pour  servir  à  V Histoire  de  Prusse)  et  M.  de 
Treitschke  {Annales  prussiennes,  avril  1872),  lui  ont  reproché  envers 
son  élève  une  complaisance  qui  dégénéra  souvent  en  faiblesse.  Ancillon, 


ANC1LL0N  —  ANC VUE  295 

par  son  manque  de  décision  et  l'incohérence  de  ses  vues  historiques,  ne 
pouvait  qu'exercer  une  fâcheuse  influence  sur  un  esprit  aussi  nuageux, 
au— i  agité,  aussi  fantasque  que  celui  de  Frédéric-Guillaume  IV.  La  car- 
rière de  l'administration,  une  fois  qu'elle  se  fut  ouverte  devant  lui, 
l'amena  rapidement  au  faite  des  honneurs.  Nommé,  en  J 8 J  4,  conseiller 
de  légation  par  le  prince  Hardenberg,  il  devint  successivement,  en 
1817,  conseiller  d'Etat,  en  1818,  directeur  de  la  section  politique  au 
ministère  des  affaires  étrangères,  en  1831  enfin,  président  du  même 
ministère.  La  conduite  politique  d'Ancillon  ne  justifia  point  les  espé- 
rances qu'avait  suscitées  son  avènement.  A  l'extérieur,  il  se  contenta 
d'exécuter  docilement  les  ordres  du  prince  de  Metternich;  à  l'inté- 
rieur, il  s'efforça  uniquement  de  complaire  au  parti  féodal  et  fut  l'opi- 
niâtre adversaire  des  plus  modestes  réformes.  Le  grand  œuvre  de  la 
Prusse  pendant  cette  période,  la  fondation  du  Zollverein,  se  fit  entière- 
ment en  dehors  de  sa  participation.  Ancillon  mourut  à  Berlin,  le 
19  ami  1837;  quoique  marié  trois  fois  il  ne  laissa  pas  d'enfants.  La  va- 
leur littéraire  d' Ancillon,  estimée  très-haut  de  son  vivant,  paraît  au- 
jourd'hui singulièrement  surfaite.  Ses  écrits  philosophiques,  La  foi  et  la 
science  dans  la  philosophie  (Berlin,  1824)  ;  Pensées  sur  l'homme,  ses  rap- 
ports et  ses  intérêts  (Berlin,  1829),  ne  s'élèvent  pas  au-dessus  d'un  spiri- 
tualisme vulgaire  et  trahissent  un  manque  complet  d'originalité  et  de 
vigueur  dans  la  pensée.  —  David  Ancillon  II  le  jeune,  deuxième  fils 
de  David  Ancillon,  né  à  Metz  en  1670,  prédicateur  distingué,  succéda  à 
son  père  dans  les  fonctions  qu'il  remplissait  à  l'Eglise  française  et  à  la 
cour.  Son  habileté,  sa  discrétion  lui  permirent  de  remplir  avec  succès 
plusieurs  missions  importantes.  En  1700-1701,  il  entreprit  pour  Fré- 
déric Ier  un  voyage  diplomatique  en  Angleterre,  en  Hollande,  en 
Suisse,  et  régla  selon  les  vœux  de  son  maître  la  question  de  Neuchâtel; 
en  1709,  il  fut  chargé  d'une  nouvelle  mission  en  Pologne  et  en  Hongrie. 
David  Ancillon  mourut  à  Berlin  en  1723.  —  Voir  pour  les  anciens  An- 
cillon :  Erman  et  Beclam,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  des  réfugiés 
français  dans  les  Etats  du  roi,  1782-1799;  pour  Charles  Ancillon: 
Bartholmess,  Hist.  philos,  de  VAcad.  de  Prusse,  Paris,  1850;  pour 
J. -P. -Frédéric  Ancillon  :  Mignet,  Notices  et  portraits,  II;  Varnhagen  von 
Ense;  H.  de  Treitschke;  Robert  de  Molli,  Hist.  et  littérat.  des  sciences  po- 
lit., I;  pour  tous  les  membres  de  la  famille  Ancillon  :  France  protest., 
-'  éd.,  P.,  1870,  p.  210  ss.  ;  Brockhaus,  Conversât  ions  -Lexicon,  I; 
Biographie  allemande  générale,  publiée  par  la  commission  historique  de 
l'Académie  des  sciences  de  Munich,  t.  I,  3e  livr.,  Leipz.,  1875. 

E.  Strœiilin. 

ANCYRE  ["AYv.jpa,  actuellement  Angora],  capitale  de  la  Galatie.  Un 
synodfl  r<  uni  dans  cette  ville  aussitôt  après  la  défaite  de  Licinius,  et 
probablement  en  314,  formula  vingt-cinq  canons  de  discipline  relatifs 
aux  lapii,  etc.  Mansi,  11;  Houth,  Reliqwx  sacrœ,  III;  voy.  Hefele,  édit. 
I,  vol.  I,  p.  ISS,  Irad.  h-.,  p.  194).  Un  synode  semi-arien  fut  tenu  à  An- 
cyre,  ru  :;:>*,  et  présidé  par  Basile,  évêque  de  cette' ville  (Epiphane, 
//.-//■.,  LXXIH,  -2  w»;  Mansi,  111;  voy.  Hefele,  /.  /.,  p.  (>5i  ss.,  trad.  fr., 
U,  p.  58  ss.;.  Les  ariens,  dans  un  synode  convoqué  à  Aneyre,  en  375, 


296  ANGYRE  —  ANDELOT 

destituèrent  plusieurs  évêques  orthodoxes,  et  parmi  eux  Grégoire  de 
Nysse  (Hefele,  /.  I,  p.  717,  trad.  fi\,  II,  p.  124). 

ANDELOT  (François  de  Goligny,  sieur  d'),  quatrième  fils  du  maréchal 
de  Ghâtillon  et  de  Louise  de  Montmorency.  Il  fit,  en  1542,  avec  Gas- 
pard de  Coligny,  son  frère,  ses  premières  armes  dans  le  Luxembourg, 
en  qualité  de  porte-guidon  de  son  oncle  maternel,  de  La  Rochepot. 
Prenant  part  à  la  campagne  de  Flandres,  en  1543,  il  concourut  brillam- 
ment, ainsi  que  Gaspard,  à  la  défense  de  Landrecies,  et,  comme  lui,  se 
distingua,  en  1544,  à  Gérisoles  et  à  Garignan.  Il  figura  à  la  camisade 
de  Boulogne,  et,  plus  tard,  joua  un  rôle  actif  dans  l'expédition  d'Ecosse. 
Il  venait  alors  d'épouser  Claude  de  Rieux,  qui  appartenait  à  Fune  des 
grandes  familles  de  la  Bretagne.  En  1549  et  1550,  au  cours  des  négocia- 
tions relatives  à  la  restitution  de  Boulogne  à  la  France,  il  servit  d'inter- 
médiaire entre  le  roi  et  les  plénipotentiaires  français  dont  les  deux 
principaux  étaient  de  La  Rochepot  et  Gaspard  de  Goligny.  Envoyé  en 
Italie  en  1551 ,  il  y  fut  fait  prisonnier  et  enfermé  au  château  de  Milan,  d'où 
il  entretint  pendant  plusieurs  années  une  intéressante  correspondance 
avec  sa  famille  et  le  maréchal  de  Brissac.  «  Je  vous  suplye  de  penser, 
écrivait-il  à  son  oncle,  le  connétable,  combien  je  porte  de  desplaisir, 
non  pour  les  rigueurs  et  fassons  deshonnestes  dont  me  usent  ceulx  de 
ce  chasteau,  tant  comme  pour  le  regret  de  me  veoir  si  mal  fortuné 
que  tant  d'occasions  et  de  temps  se  passent  en  m'ôtant  le  moïen  d'ac- 
compagner tant  de  gens  de  bien,  lesquelz  journellement  s'employent  à 
faire  service  au  roy  »  (B.  N.,  f.  fr.,  3122,  55).  L'étude  de  l'Ecriture 
sainte  et  de  divers  livres  de  piété,  à  laquelle  d'Andelot  se  livra  pendant 
sa  captivité,  fit  de  lui  un  disciple  de  la  Réforme.  Rendu  à  la  liberté  par 
la  trêve  de  Vaucelles,  en  1556,  il  devint  colonel-général  de  l'infanterie 
française  ;  et  s'associa,  en  1557,  aux  héroïques  efforts  de  son  frère,  dans 
la  défense  de  Saint-Quentin,  y  fut  pris  sur  une  brèche  qu'il  disputa  à 
l'ennemi  jusqu'à  la  dernière  extrémité,  s'échappa  bientôt  à  travers 
mille  dangers  et  contribua  puissamment  à  la  prise  de  Calais.  Stimulé 
par  les  basses  insinuations  des  Guises,  le  roi  lui  reprocha  sa  franche 
adhésion  à  la  religion  réformée,  s'emporta  contre  lui,  et  le  fit  incarcérer 
à  Melun.  Babou  de  Labourdaisière,  ambassadeur  de  France  à  Rome, 
écrivit,  à  ce  sujet,  au  connétable  :  «  Dernièrement,  le  pape  me  déclara 
qu'il  s'ébayssoit  grandement  comme  Sa  Majesté  ne  faisoit  aucun  compte 
de  punir  les  hérétiques  de  son  royaume,  et  que  l'impunité  de  M.  d'An- 
delot donnait  une  très-mauvaise  réputation  à  Sa  Majesté,  devant  la- 
quelle ledit  sieur  d'Andelot  avoit  confessé  d'estre  sacramentayre,  et  que 
si  on  l'eust  mené  tout  droict  au  feu,  comme  il  méritoit,  oultre  ce  que 
Fon  eûst  faict  chose  très-agréable  à  Nostre  Seigneur,  le  royaulme  de 
France  fûst  demeuré  longtemps  nect  d'hérésie»  (B.  N.,  f.  fr.,  3J32,  44). 
D'Andelot,  à  la  suite  d'un  acte  de  regrettable  condescendance,  se  releva 
de  toute  la  hauteur  de  ses  convictions  chrétiennes,  les  proclama  de 
nouveau,  et  n'en  fut  pas  moins  réintégré  dans  ses  fonctions,  lors  de  la 
paix  de  Gateau-Cambrésis.  Si,  sous  François  II,  dans  les  assemblées  de 
Vendôme  et  de  Laferté,  il  opina  pour  l'adoption  de  mesures  énergiques 
en  faveur  des  protestants,  du  moins  ne  prit-il  aucune  part  à  la  conju- 


ANDELOT  -  ANDORRE  -.17 

ration  d'Amboise,  qu'il  désavoua  (B.  N.,  f.  fr.,  20,  507,  88:  20,  nos. 
150  .  Sa  correspondance  avec  le  duc  d'Etampes,  en  1561  notamment, 
atteste  sa  vive  sollicitude  pour  les  protestants  de  Bretagne.  Lorsque 
éclata  la  première  guerre  de  religion,  il  facilita  l'entrée  des  chefs  réfor- 
més dans  Orléans;  amena  d'Allemagne,  où  les  princes  protestants 
Pavaient  bien  accueilli  (voy.  sa  lettre  du  28  août  1562,  Arch.  de  Berne, 
Frankreich,  1551  bis  1569);  un  corps  de  troupes  qu'il  y  avait  levé; 
assista  à  la  bataille  de  Dreux,  défendit  avec  énergie  Orléans,  dont  la 
garde  lui  avait  été  confiée  par  Coligny;  et,  lors  de  la  paix  d'Amboise, 
en  1563,  se  retira  successivement  à  Châtillon-sur-Loing,  à  Taulay  et 
ailleurs.  En  1564,  après  un  veuvage  de  trois  ans,  il  épousa,  en  se- 
condes noces,  Anne  de  Salm.  A  la  suite  de  la  seconde  guerre  de 
religion,  à  laquelle  il  avait  pris  une  part  active,  il  demeura  dans  ses 
terres.  Lors  de  la  troisième  guerre,  il  se  signala  à  Pamprou.  à  Jazer- 
neuil.  à  Jarnac,  suivit  Coligny  à  Saint-Jean  d'Angély,  à  Saintes,  et 
succomba  dans  cette  dernière  ville,  le  7  mai  1569.  Le  10  juin  suivant, 
son  frère,  Odet  de  Châtillon,  écrivait  à  l'électeur  palatin  (voy.  Kluckhohn, 
Briefe  Friedrich  des  Frommen,  II,  1,  p.  334):  «M.  d'Andelot,  par 
la  machination  des  papistes,  voire  des  plus  grands,  a  esté  empoisonné, 
comme  il  est  apparent,  tant  par  Fanatomye  qui  a  esté  faicte  de  son 
corps  après  sa  mort,  que  aussi  par  le  propos  d'un  Italien  qui  s'est 
vanté,  devant  ladite  mort,  à  plusieurs,  tant  à  Paris  qu'à  la  court,  d'avoir 
donné  ledict  poison  et  demandé  récompense  d'un  si  généreux  acte, 
aussitost  qu'il  aveu  que  la  nouvelle  en  fut  sceue  et  publiée;  comme 
pareillement,  en  plusieurs  endroicts  de  la  France  et  mesme  au  camp 
de  Monsieur,  frère  du  roy,  il  estoit  connu,  devant  que  ledit  seigneur 
d'Andelot  rat  aucunement  malade,  qu'il  debvoit  mourir  vers  le  com- 
mencement du  mois  de  mai.  »  L'éloge  de  d'Andelot  se  résume  dans  ces 
simples  lignes,  que  Coligny  adressait,  de  Saintes,  le  18  mai  1569  (Mém., 
1665,  in-32),  à  ses  enfants  et  à  ceux  de  son  frère":  «  Vous  estes  heureux 
d'estre  fils  ou  nepveux  d'un  si  grand  personnage,  que  j'ose  assurer 
avoir  esté  très-fidèle  serviteur  de  Dieu  et  très-excellent  et  renommé 
capitaine...  et  puis  dire  avec  vérité  que  personne  en  France  ne  l'a 
surpassé  en  la  profession  des  armes...  Certes  je  n'ay  point  connu 
d'homme,  ny  plus  équitable,  ny  plus  amateur  de  piété  envers  Dieu... 
Je  me  propose  ses  grandes  vertus  pour  exemple  ;  suppliant  très-hum- 
blement Oieu  et  Nostre  Seigneur  que  je  puisse  partir  de  ceste  vie 
aussy  pieusement   et  heureusement  que  je  l'ay  veu  mourir.  » 

J.  Delaborde. 

ANDELOT  (Charles  d'),  fils  de  l'amiral  Gaspard  Coligny  et  de  Char- 
lotte de  Laval.  Voyez  Coligny. 

ANDORRE  (République  d').  Ce  petit  Elat,  situé  dans  une  vallée  des 
Pyrénées,  cuire  la  France  et  l'Espagne,  est  peuplé  d'environ  12,000  ha- 
bitants. Depuis  la  suppression  de  l'Etat  de  l'Eglise,  c/est  le  seul  point 
de  l'Europe  où  la  souveraineté  civile  appartienne  encore,  en  partie 
du  moins,  a  une  autorité  religieuse.  En  effet,  la  république  a  pour 
suzerains  la  France  et  L'évêque  d'Urgel  qui  nomment  chacun  uji 
viguier,  l'une  des  principales  autorités  du  pays.  Un  tribut  est  payé 
i.  20 


298  ANDORRE  -^  ANDREA 

aux  deux  suzerains,  un  an  960  francs  à  la  France,  et  l'année  sui- 
vante 891  francs  à  l'évoque  cPUrgel.  Les  habitants  sont  tous  catho- 
liques. Les  vacances  de  cures  qui  se  produisent  sont,  pendant  quatre 
mois  de  l'année,  à  la  nomination  directe  de  Féveque  d'Urgel  et,  pen- 
dant les  huit  autres  mois,  à  la  nomination  du  pape,  sur  la  proposition 
de  Féveque. 

ANDRÉ  ('Avopé?4,  viril,  nom  d'origine  grecque,  mais  qui  se  retrouve 
chez  les  Juifs  à  partir  de  l'époque  des  Séleucides.  Dio.  Gass.,  LXVIII,  32). 
Frère  de  Pierre,  un  peu  plus  jeune  sans  doute,  originaire  de  Bethsaïda, 
mais  habitant  Capernaùm  et  exerçant  comme  lui  le  métier  de  pêcheur, 
l'apôtre  André  aurait  été  d'abord  disciple  de  Jean-Baptiste,  et  se  serait, 
sur  l'indication  de  celui-ci,  attaché  à  Jésus  à  qui  il  aurait  amené  son 
frère  (Jean  ï,  41-43).  Au  contraire,  d'après  Matthieu IV,  18-19,  Pierre  et 
André  auraient  été  tous  deux  à  la  fois  arrachés  à  leurs  barques  et  à 
leurs  fdets  par  un  appel  de  Jésus.  On  concilie  ces  deux  indications  en 
disant  qu'il  s'agit  d'abord  de  leur  première  rencontre  avec  Jésus  et 
ensuite  de  leur  vocation  apostolique  ,  que  celle-ci  suppose  même 
celle-là.  André  parait  avoir  été,  bien  qu'un  peu  en  seconde  ligne,  du 
cercle  intime  de  Jésus  (Marc  XIII,  3;  Jean  XII,  22).  On  ne  peut  rien 
dire  de  son  caractère,  à  moins  qu'on  ne  veuille  le  déduire  de  la  signifi- 
cation de  son  nom.  Ni  les  Actes  des  apôtres,  ni  les  E pitres  de  Paul  ne 
parlent  de  lui.  Diverses  légendes  ecclésiastiques  se  sont  attachées  à  son 
nom.  D'après  la  plus  ancienne  (Eus.,  H.  E.,  III,  1),  il  aurait  évangélisé 
le  pays  des  Scythes.  C'est  pour  cela  que  les  Russes  en  ont  fait  leur 
patron.  Il  serait  ensuite  revenu  en  Grèce,  en  Asie  Mineure  et  en  Thrace. 
D'après  les  actes  apocryphes  qui  portent  son  nom  (voir  art.  Apocryphes), 
le  proconsul  de  l'Achaïe  Œges  l'aurait  fait  crucifier  à  Patras.  Il  serait 
resté  trois  jours  attaché  à  une  croix  en  forme  d'un  X,  et  aurait  expiré 
avant  le  premier  jour  des  calendes  de  décembre.  L'Eglise  célèbre  sa 
fête  le  30  novembre. 

ANDRÉiE  (Jacques)  est  surtout  connu  par  la  part  qu'il  prit  à  l'établis- 
sement de  la  Formule  de  concorde  de  l'Eglise  luthérienne.  Il  a  été  un 
théologien  savant,  actif,  doué  d'un  remarquable  talent  d'organisation 
et  d'une  grande  autorité  morale.  Il  naquit  en  1528  à  Waiblingen, 
dans  le  Wurtemberg,  où  son  père  était  maréchal  ferrant.  Il  fit  ses  études 
à  Tubingue  et  devint  d'abord  pasteur  à  Stuttgard.  Après  avoir  rempli, 
depuis  1553,  les  fonctions  de  surintendant  à  Gœppingen,  introduit 
ou  consolidé  la  Réformation  dans  quelques  contrées  voisines,  accompa- 
gné le  duc  Christophe  à  diverses  diètes  et  assisté  au  colloque  de  Worms, 
il  fut  envoyé  à  celui  de  Poissy,  mais  arriva  trop  tard  pour  participer 
aux  discussions.  Nommé  professeur  à  Tubingue  et  chancelier  de  cette 
université,  il  fut  invité  à  plusieurs  reprises  à  servir  de  médiateur  et 
d'arbitre  dans  des  querelles  théologiques.  En  1570,  il  fit  une  tournée 
d'inspection  dans  le  comté  de  Montbéliard,  qui  dépendait  alors  du 
Wurtemberg.  Le  duc  Christophe,  affligé  de  la  division  qui  régnait 
dans  l'Eglise  d'Allemagne,  où  l'on  se  disputait  sur  plusieurs  doc- 
trines avec  une  animosité  de  jour  en  jour  croissante,  chargea  Andrése 
de  faire   une  tentative   de   conciliation.   Andréa?  fit  à  cet  effet  de 


ANDRÉiE  9?9 

nombreux  voyageai  visita  les  cours  si  WÉ  universités,  mais  ne  ren- 
ooïitra  d'abord  que  de  la  méfiante  chez  les  uns  cl  de  l'opposition  chez 
d'autres.  Il  ne  se  laissa  pas  rebuter.  11  publia  six  sermons  «  sur  les 
principales  erreurs  du  lemps,  »  concernant  la  justification,  les  bonnes 
œuvres,  le  pèche  originel,  les  adiapliora,  la  différence  entre  la  loi  et 
l'Evangile,  la  personne  de  Jésus-Christ.  Les  deux  plus  renommés  théo- 
logiens de  L'Allemagne  du  Nord,  Martin  Ghemnitz,  pasteur  à  Brunswick, 
et  David  Chy  trams,  professeur  à  Rostock,  auxquels  il  envoya  cet  opus- 
cule, en  leur  proposant  de  le  prendre  pour  formule  de  concorde,  trou- 
ve! enl  que  la  forme  de  sermons  était  peu  propre  à  ce  but.  Il  en  fit  un 
exh  ait  qui,  en  1574,  fut  approuvé  par  les  théologiens  du  Wurtemberg 
(Concordia  suevica),  et  bientôt  après,  avec  quelques  modifications,  par 
ceux  de  Brunswick  (Concordia suevica-saxonica).  Ce  fut  un  premier  ache- 
minement vers  une  concorde  plus  générale.  En  mai  1576,  sur  l'invitation 
de  l'électeur  Auguste  de  Saxe,  plusieurs  savants,  du  nombre  desquels 
fut  André»)  se  réunirent  au  château  de  Torgau  ;  ils  élaborèrent  un 
projet,  qui,  en  1577,  reçut  sa  forme  définitive  (voy.  Formule  de  con- 
corde). En  1580,  Andréa?  eut  à  Montbéliard  un  colloque  avec  Théodore 
de  Bèze,  sur  la  sainte  cène,  la  personne  de  Jésus-Christ,  la  prédesti- 
nation et  quelques  autres  points.  Les  actes  en  furent  publiés  en  latin 
el  (Mi  français.  Après  plusieurs  voyages  en  Allemagne  et  en  Suisse,  dans 
l'intérêt  des  affaires  protestantes,  Andréa?  mourut  le  7  janvier  1590. 

Ch.  Schmidt. 

ANDRÉiE  (Jean-Valentin),  petit-fils  de  Jacques  Andréa?,  dont  il  vient 
d'être  parlé.  Né  en  1586  à  Herrenberg,  dans  le  Wurtemberg,  il  devint 
en  1614  diacre  à  Vaihingen.  En  1620,  il  fut  appelé  comme  pasteur  à 
Galw,  où  il  resta  jusqu'en  1639  ;  il  y  montra,  pendant  les  misères  de  la 
guerre  de  Trente  ans,  un  courage  et  un  dévouement  dignes  des  plus 
grands  éloges.  Depuis  1639  prédicateur  de  la  cour,  en  1650  prélat  à 
Bebenhausen,  et  en  1654  à  Adelberg,  il  mourut  en  cette  dernière  année 
à  Stuttgard.  Il  s'est  distingué  autant  par  son  activité  pastorale  que  par 
quelques  ouvrages,  destinés  à  dévoiler  et  à  combattre  les  rêveries  des 
alchimistes,  si  nombreux  en  Allemagne  à  la  fin  du  seizième  et  au  com- 
mencement du  dix-septième  siècle.  Le  scolasticisme  qui  s'était  intro- 
duit dans  la  théologie  protestante  avait  provoqué  une  réaction  mys- 
tique, qui  s'était  manifestée  sous  des  formes  diverses;  chez  Valentin 
V\  eigel  et  chez  Jacques  Bœhme  le  mysticisme  était  devenu  une  théoso- 
phie,  donl  beaucoup  de  personnes  se  servaient  pour  chercher  la  pierre 
philosophale  el  les  moyens  de  faire  de  l'or  ;  d'autres  étaient  revenus 
a  fhéophraste  Paracelse.  Andréa?,  qui  à  des  connaissances  très-variées 
joignait  infiniment  d'esprit,  se  proposa  de  se  railler  de  ces  superstitions. 
Dans   sa  jeunesse,  il  écrivit  un  livre  intitulé  :  Die  chymûche  Hochzeit 
Chrtstiani  Rosenkreutz,  anno   1459   (les  noces  chimiques  de  chrétien 
Ros    Crois  en  1459),  sorte  de  roman,  racontant  les  aventures  d'un  per- 
Êctif  nommé    Kose-Croix,  qui  est  invité  aux  noces  d'un  roi 
inconnu  el  qui  la  est  initié*  aux  mystères  d'une  société  de  magiciens  et 
d'alchimistes;   c'ési  dans  ce  livre  que  paraît    pour  la  première  fois  le 
nom  de   Rose-Croix,  emprunta  san>  doute  à  deux  des  principaux  sym- 


300  ANDRÉtë  —  ANDREWS 

boles  des  adeptes  de  la  philosophie  hermétique.  Cet  ouvrage  ne  circula 
d'abord  qu'en  manuscrit.  Vers  1610  il  s'en  répandit  un  autre  :  Allge- 
meine  und  General  Reformation  der  ganzen  weiten  Welt  beneben  der 
Fama  fraternitatis  des  lœblichen  Orden  des  Rosenkreutz.  Ce  fut  encore 
une  mystification;  le  livre  fut  imprimé  en  1614;  la  seconde  édi- 
tion, 1615,  est  augmentée  d'une  Confession  oder  Bekanntnusz  der 
Societxt  Rosenkreutz,  an  die  Gelehrten  Europa's.  La  Hochzeit  ne  parut 
qu'en  1616  à  Strasbourg.  Dans  la  Réformation  générale,  les  sept  sages 
de  la  Grèce  et  quelques  philosophes  romains  délibèrent  sur  les  moyens 
d'améliorer  le  monde  ;  la  Confession  expose  les  principes  de  la  soi-disant 
société.  Ces  livres,  dont  le  but  était  de  persifler  les  amateurs  de  la 
magie  et  de  la  théosophie,  produisirent  un  effet  immense.  Tout  le  monde 
les  prit  au  sérieux;  les  mystiques  et  les  alchimistes  se  mirent  à  la  re- 
cherche de  l'ordre  des  Rose-Croix,  qui  n'existait  nulle  part  ;  des  théo- 
logiens luthériens  soupçonnèrent  une  manœuvre  calviniste  contre 
l'orthodoxie.  La  nouvelle  se  répandit  aussi  en  France  ;  en  1623  on  afficha 
à  Paris  un  placard ,  annonçant  l'arrivée  des  Rose-Croix ,  sauveurs  du 
monde  ;  Gabriel  Naudé,  qui  à  cette  occasion  se  montra  sceptique  au 
bon  endroit,  se  railla  de  la  chimère  importée  d'Allemagne,  dans  une 
brochure  pleine  de  sens  :  Instruction  à  la  France  sur  la  vérité  de  l'his- 
toire des  frères  de  la  Rose-Croix.  Andréas  lui-même,  voyant  qu'au 
lieu  de  faire  disparaître  la  superstition,  il  l'avait  alimentée,  publia 
divers  écrits  où,  tout  en  conservant  parfois  la  forme  allégorique  et 
satirique,  il  exhortait  ses  contemporains  à  renoncer  «  à  cette  curiosité 
dangereuse  »  qui  veut  sonder  tous  les  mystères,  à  sortir  de  «  ce  chaos,  » 
à  renverser  «  cette  tour  de  Babel  élevée  contrairement  à  la  volonté  de 
Dieu.  »  Comme  quelques  enthousiastes  fondèrent  en  effet  un  ordre  de 
Rose-Croix,  il  lui  opposa  une  Société  évangélique,  ayant  pour  objet  «  de 
remettre  Jésus-Christ  en  son  lieu  et  de  détruire  les  idoles.  »  En  général, 
il  fit  des  efforts  pour  relever  dans  son  pays  la  vie  religieuse  ;  adversaire 
aussi  décidé  du  formalisme  de  l'orthodoxie  du  temps  que  des  extra- 
vagances des  théosophes,  il  chercha  à  rétablir  un  christianisme  plus 
vivant  et  plus  simple.  On  lui  a  reproché  différentes  hérésies,  mais  sa 
mémoire  n'a  pas  souffert  de  ces  reproches. V.  Burk,  Verzeichniss  aller... 
Schriften...  J.  V.  Andrex.  Tubing.  1793  (catalogue  de  cent  numéros, 
mais  incomplet);  Hossbach,  Andrex  umd  sein  Zeitalter.  Berlin,  1819. 

Ch.  Schmidt. 

ANDREWS  (Lancelot)  [1565-1626],  évêque  de  Westminster,  est  l'un 
des  représentants  les  plus  distingués  de  l'anglicanisme  sous  les  règnes 
d'Elisabeth  et  de  Jacques  1er.  Il  soutint,  d'une  part,  les  droits  de  la 
royauté  en  matière  de  réforme  ecclésiastique  contre  Bellarmin  (voy.  le 
traité  :  Sur  le  droit  des  princes,  et  la  réplique  :  Tortura  Torti,  sivead 
Matthxi  Torti  librum  responsio.  Lond.,  1609,  in-4°,  à  la  brochure  dans 
laquelle  le  savant  cardinal,  sous  le  pseudonyme  de  Matthieu  Tortus, 
avait  cherché  à  réfuter  l'ouvrage  de  Jacques  Ier  sur  la  Prérogative 
royale)  ;  d'autre  part,  il  combattit  les  vues  des  presbytériens  en  matière 
d'organisation,  de  discipline  et  de  doctrine,  en  particulier  sur  l'Eu- 
charistie. Il  prit  une  part  importante  à  la  révision  de  la  traduction  de 


ANDREWS  -  ANDROUET  DU  CERCEAU  M)\ 

la  Bible  ordonnée  par  Jacques  Ier  en  1(504,  et  publia  un  certain  nombre 
de  manuels  de  piété  e(  de  sermons  (voy.  surtout  son  Recueil  d' œuvres 
posthumes,  Lond.,  1057,  in-f°). 

ANDRONIQUE,  gouverneur  d'Antioche  sous  Antiochus  Epiphane, 
pendant  que  ce  dernier  faisait  une  campagne  en  Asie  Mineure,  fit  périr, 
sur  les  incitations  de  Ménélas,  l'ancien  grand  prêtre  Onias,  alors  exilé 
(2  Macchab.  IV,  31  ss.).  L'historicité  de  ce  récit  semble  avoir  été  con- 
testée sans  fondement  sérieux. 

ANDROUET  DU  CERCEAU,  nom  d'une  dynastie  d'artistes  qui  com- 
mence vers  le  milieu  du  seizième  siècle  avec  Jacques  Androuet,  fils 
d'un  cabaretier  de  Paris  qui  avait  pour  enseigne  un  cerceau  d'or.  Il 
naquit  vers  1515.  On  ne  sait  d'ailleurs  rien  sur  sa  vie,  si  ce  n'est  qu'il 
travailla  au  château  et  à  l'église  de  Montargis  et  qu'il  était  cité  par  ses 
contemporains  comme  un  architecte  de  premier  ordre  en  même  temps 
qu'il  était  un  huguenot  fidèle.  Il  mourut  hors  de  France,  à  Annecy, 
vers  1585,  laissant  pour  souvenir  de  lui  une  quinzaine  de  beaux  ouvrages 
de  gravure,  dont  le  premier  fut  une  carte  du  Maine,  publiée  en  1539,  et 
le  plus  célèbre  un  recueil  gravé  en  deux  volumes  in-f°,  Des  plus  excellents 
bastiments  de  France  (1576  et  1579).  —  Baptiste,  fils  de  Jacques  et  son 
élève,  entra  au  service  de  Henri  III  en  1575,  en  qualité  de  l'un  des  qua- 
rante-cinq gentilshommes  de  sa  chambre,  et  fut  le  seul  huguenot  admis 
à  cet  office,  «  pour  ce  que  ce  petit  homme  pourtrait  (dessinoit)  fort 
bien  et  mieux  qu'homme  de  France  »  (Mém.  de  Nevers),  talent  auquel 
Henri  III  était  on  ne  peut  plus  sensible.  Les  mémoires  que  nous  venons 
de  citer  ajoutent  :  «  Ledit  du  Cerceau  a  bien  fait  pénitence  en  sa 
charge,  ayant  plus  fait  de  dessins  de  monastères,  églises,  chapelles, 
oratoires  et  autels  pour  dire  la  messe,  que  jamais  architecte  en  France 
en  ait  fait  en  cinquante  ans.  »  Il  eut  le  double  honneur  de  commencer 
la  construction  du  Pont -Neuf  à  Paris  (1578)  et  de  succéder  à  Pierre 
Lescot  dans  la  direction  des  travaux  du  Louvre.  Les  réclamations  des 
catholiques  obligèrent  à  la  fin  le  roi  de  le  congédier,  car  il  aima  mieux 
abandonner  son  art  que  sa  religion,  et  se  retira,  sur  la  fin  de  1585, 
dans  une  habitation  qu'il  venait  de  se  bâtir  sur  les  terrains  du  Pré  aux 
Clercs  (aujourd'hui  occupés  par  les  maisons  de  la  rue  Bonaparte  entre 
les  rues  Jacob  et  Visconti).  Il  y  mourut  en  1602.  —  Jacques,  frère  de 
Baptiste,  «  architecte  des  bastiments  du  Roy,  »  continua  la  grande 
galerie  du  Louvre  (1595-1609)  et  mourut  en  1614.  —  Jean,  fils  de 
Baptiste,  devint  architecte  du  roi  en  1617,  reconstruisit,  avec  deux 
autres  architectes,  en  1639,  le  pont  au  Change  et  fut  le  créateur,  vers 
le  même  temps,  de  plusieurs  somptueux  édifices  de  Paris  :  les  hôtels 
de  Sully,  de  Bellegarde  et  de  Bretonvilliers.  —  On  trouve  encore  dans 
la  même  famille  un  autre  Jacques,  architecte,  mort  en  1644;  un  Moïse, 
commissaire  de  l'artillerie;  un  Paul,  graveur  distingué,  vers  1660;  un 
Jacques  du  Cerceau,  sieur  des  Bardillières,  orfèvre,  marié  à  Charenton 
m  1661;  un  autre  Paul,  dessinateur,  marié  en  1691  ;  un  Guillaume- 
Gabriel,  dessinateur  du  roi,  en  1710.  Mais  la  famille,  qu'on  voit  ainsi 
déchoir  peu  a  peu  de  son  premier  éclat,  avait  abandonné  le  protestan- 
tisme en  1685,  à  la  Révocation.  II.  Bordjkr. 


302  ANDUZE 

ANDUZE.  Cette  Eglise,  qui  faisait  partie  de  la  province  ecclésiastique 
des  Gévennes  et  était  le  chef-lieu  du  colloque  de  ce  nom,  entendit  pour 
la  première  fois  la  Réforme  de  la  bouche  du  cordelier  Nicolas  Ramondy, 
chargé  de  prêcher  dans  cette  ville  le  carême  de  1547.  La  population 
accueillit  sa  parole  avec  joie  ;  le  prieur,  au  contraire,  en  conçut  une 
grande  irritation  et  se  laissa  aller  à  souffleter  en  pleine  sacristie  le 
cordelier  en  présence  des  consuls  ;  après  quoi  il  le  dénonça  à  l'inqui- 
siteur de  Toulouse.  Dix  ans  s'écoulèrent  après  cet  événement;  vinrent 
ensuite  des  ministres  de  Genève  qui  réunirent  des  assemblées  si  consi- 
dérables que  le  roi  Henri  II  crut  ne  pouvoir  mieux  en  arrêter  le  cours 
qu'en  faisant  escorter  d'une  armée  les  commissaires  du  parlement  de 
Toulouse,  chargés  de  poursuivre  les  évangéliques  (3  juillet  1557).  Beau- 
coup de  ces  derniers  furent  jetés  en  prison  et  plusieurs  autres  brûlés, 
au  nombre  desquels  l'infortuné  cordelier  Claude  Rozier,  qui  avari- 
ce prêché  le  carême  passé  dans  la  présente  ville  d'Anduze  et  découvert 
les  abus  de  la  papauté.  »  Ses  cendres  étaient  à  peine  refroidies  quand 
le  bouillant  Guy  de  Morange,  natif  de  Clermont,  accourut  de  Genève 
pour  continuer  son  œuvre  et  par  son  éloquence  persuasive  gagna  à  la 
Réforme  une  grande  partie  de  la  population.  Il  eut  pour  successeur 
Pasquier  Boust,  sous  le  ministère  duquel  l'Eglise  fut  définitivement 
organisée  (1560).  Sauf  trois  familles,  la  ville  entière  embrassa  la  Ré- 
forme. L'expédition  sanglante  du  comte  de  Villars,  lieutenant-général 
du  roi  dans  la  province,  suspendit  bien  pour  un  moment  l'exercice  de 
la  religion  nouvelle  dans  la  cité,  mais  elle  fut  impuissante  à  ramener 
celle-ci  au  catholicisme,  qu'elle  abandonna  pour  toujours.  Les  huit 
guerres  de  religion  qui  troublèrent  ensuite  la  France  épargnèrent 
Anduze,  qui  n'en  prit  pas  moins  part  à  la  lutte,  soit  en  envoyant  de 
forts  contingents  de  troupes  aux  armées  huguenotes,  soit  en  se  mettant 
elle-même  en  état  de  défense.  Sitôt  après  la  promulgation  de  l'édit  de 
Nantes,  l'Eglise  d'Anduze,  qui  avait  déjà  agrandi  son  temple  en  1590, 
en  construisit  un  nouveau  en  1600.  L'édifice  avait  520  mètres  carrés  et 
pouvait  contenir  2,000  auditeurs.  Un  second  pasteur  fut  appelé  et  un 
collège  fondé.  Les  trois  nouvelles  guerres  religieuses  du  dix-septième 
siècle  troublèrent  momentanément  cette  prospérité.  Pendant  la  pre- 
mière (1621-1622),  Anduze  reçut  la  visite  du  duc  de  Rohan,  qui  ordonna 
l'établissement  de  grands  travaux  de  défense.  Durant  la  seconde  guerre 
(1625-1626),  ce  fut  en  quelque  sorte  malgré  elle  que  Rohan  l'engagea 
dans  la  lutte.  Il  n'en  fut  pas  de  même  pour  la  troisième  (1627-4629), 
qu'elle  épousa  avec  une  extrême  ardeur.  Quand  la  paix  fut  faite,  elle 
eut  à  subir  des  vexations  de  toutes  sortes  jusqu'à  sa  suppression,  en 
1685.  Des  légions  de  moines  s'abattirent  sur  elle,  une  garnison  lui  fut 
imposée,  son  consulat  devint,  par  ordre,  mi-parti  et  plus  tard  exclu- 
sivement composé  de  catholiques  (bien  que  ceux-ci  ne  fussent  que 
100  sur  3,500  réformés),  la  maison  consulaire  et  le  cimetière  durent 
être  cédés  à  ces  derniers,  le  collège  fut  fermé,  de  nombreuses  con- 
damnations furent  prononcées  en  1683  contre  ceux  qu'on  soupçonna 
d'avoir  consenti  au  projet  de  Claude  Brousson,  bien  que  le  consistoire 
l'eût    formellement    désapprouvé;    les    dragons   enfin    couronnèrent 


ANDUZE  -  ANE  303 

Pieuvre  on  affamant,  ruinant  et  maltraitant  la  ville  de  toute  façon.  Les 
assemblées  du  désert,  présidées  dans  les  environs  d'Anduze  par  le  pro- 
posai martyr  Fulcrand  Hey,  suivirent  de  près  la  révocation  de  redit 
de  Nantes.  Après  lui  surgirent  les  prédicants  el  les  petits  prophètes, 
puis  la  terrible  guerre  des  camisards,  qu'Anduze  n'osa  pas  ostensible- 
ment favoriser,  et  qui  la  ruina,  car  elle  fut  obligée  de  payer  les  dégâts 
que  les  camisards  commirent  sur  les  catholiques  dans  ses  environs,  et 
de  supporter  une  grosse  part  des  dépenses  de  l'armée  royale.  Le  pas- 
leur  du  Vivarais,  Durand,  tint  des  assemblées  près  d'Anduze  en  17t(>. 
En  17v2i,  elle  eut  pour  pasteur  Rivière,  et  le  célèbre  Antoine  Court 
présida  une  nombreuse  assemblée  dans  son  ressort  en  1728.  Les  persé- 
cutions ne  lui  furent  pas  épargnées.  Un  grand  nombre  de  jeunes  filles 
fuient  jetées  dans  des  couvents,  des  amendes  considérables  infligées 
aux  personnes  qui  assistaient  aux  assemblées  du  désert  et  aux  parents 
qui  n'envoyaient  pas  leurs  enfants  à  la  messe  ou  au  catéchisme,  ces 
assemblées  elles-mêmes  dispersées  à  coups  de  fusil,  et  les  pasteurs,  grâce 
aux  dénonciations  du  traître  Soulier,  poursuivis  avec  acharnement, 
mais  heureusement  sans  succès.  Les  persécutions  diminuèrent  ensuite 
et  cessèrent  complètement  en  1764.  Les  protestants  purent  alors  célé- 
brer leur  culte  à  l'entrée  de  la  ville,  et  un  cimetière  leur  fut  octroyé, 
même  avant  ledit  réparateur  de  1787.  A  l'époque  de  la  réorganisation 
des  cultes,  Anduze  devint  le  chef-lieu  du  consistoire  de  ce  nom  et 
comprit  huit  communes  dans  son  ressort,  dont  plusieurs  ont  été  con- 
verties depuis  en  Eglises  particulières,  savoir,  Générargues,  Tornac, 
Ribaute  et  Bagard.  La  population  protestante  totale  du  consistoire  était 
en  1870  de  8,260  âmes  (voy.  Hugues,  But.  de  VEgl.  réformée  d'Anduze, 
2e  éd.,  1864).  E.Arnaud. 

ANE  (Fête  de  Y),  Au  moyen  âge,  la  fête  de  l'âne  était  célébrée  dans 
plusieurs  villes  de  France  ;  c'étaient  des  représentations  plus  ou  moins 
dramatiques,  qui  avaient  leurs  rituels  particuliers.  A  Rouen,  la  fête 
avait  lieu  pendant  l'Avent  ;  le  peuple  se  rendait  en  procession  à  la  ca- 
thédrale ;  là  paraissaient  d'abord  Moïse  et  les  prophètes.  Virgile  et  les 
Sibylles,  tous  annonçant  la  venue  d'un  Sauveur;  le  personnage  prin- 
cipal était  l'âne  de  Balaam;  un  prêtre,  caché  entre  ses  jambes,  faisait 
également  des  prédictions.  A  Béarnais,  le  but  de  la  fête,  fixée  au  14  jan- 
vier, était  de  rappeler  la  fuite  en  Egypte.  Une  jeune  fille,  tenant  un 
entant  et  montée  sur  un  âne  richement  décoré,  était  conduite  depuis 
la  cathédrale  jusqu'à  l'église  de  Saint-Etienne,  où  elle  assistait  à  la 
messe;  le  répons  de  l'Introït  était  Hinham;  entre  les  diverses  parties  de 
l'office  on  chantait  une  prose  moitié  latine,  moitié  française,  dont  voici 
lei  derniers  yen  : 

A  mon  dicas  asine  liez  va!  hez  va!  hez  va  hez! 

Jam  satur  de  gramine,  Bialx  siro  asnes,  car  allez, 

Amen  amen  itéra,  Belle  bouche,  car  chantez. 

mare  vetera. 

La  messe  terminée,  <•  Sacerdos  hinhannabit  »au  lieu  de  dire  missa  §tt; 
et  le  peuple,  au  lieu  de  dire  Dec  gratiai,  «  tw  respondebit  hinham.  » 
A  Sens,  la  cérémonie  était  à  peu  près  la  même  ;  à  la  porte  de  la  cathé- 


304  ANE  —  ANÉANTISSEMENT  DES  AMES 

drale  on  chantait  des  vers  qui  prouvent  assez  qu'il  s'agissait  avant  tout 
d'un  divertissement  :  «  Lseta  volunt  —  quicunque  colunt  —  asinaria 
festa.  »  Plusieurs  évoques  essayèrent  en  vain  de  faire  disparaître  ces 
cérémonies  profanes;  il  fallut  un  ordre  du  Parlement  pour  les  suppri- 
mer (voy.  Ducange,  Gloss,,  éd.  Henschel,  t.  III,  p.  255;  Du  Tillot,  Mé- 
moires pour  servir  à  V histoire  de  la  fête  des  Fous.  Lausanne,  1741, 
in-4°,  p.  14). 

ANEANTISSEMENT  DES  AMES,  locution  théologique  qui  serait  plus 
claire  si  l'on  disait  :  anéantissement  de  certaines  âmes;  aussi,  préfère- 
t-on  souvent  l'expression  :  immortalité  conditionnelle.  En  d'autres 
termes,  les  âmes  ne  sont  pas  toutes,  et  par  leur  nature  même,  immor- 
telles; toutes,  il  est  vrai,  sont  appelées  à  recevoir  l'immortalité;  mais 
tandis  que  les  unes  Facquièrent  en  s' attachant  à  Dieu,  source  de  la  vie 
impérissable,  les  autres,  en  se  tenant  éloignées  de  Dieu,  se  condamnent 
elles-mêmes  à  l'anéantissement.  Cette  doctrine  paraît  avoir  été  déjà 
connue  des  Egyptiens,  qui  auraient  estimé  que  les  châtiments  n'étaient 
pas  éternels,  qu'ils  devaient  être  terminés  par  une  seconde  et  définitive 
mort,  tandis  que  les  âmes  pures  continueraient  de  cultiver  avec  bon- 
heur les  champs  d'Osiris.  Le  stoïcisme  enseigna  de  même  que  le  sage 
seul  survivrait  à  la  destruction  universelle.  Plusieurs  écoles  gnostiques, 
entre  autres  celle  de  Yalentin,  distinguèrent  entre  les  pneumatiques, 
qui  participent  de  la  nature  immuable  du  plérôme,  et  les  hyliques,  les 
âmes  charnelles,  qui,  selon  la  déclaration  d'Esaïe,  XL,  6,  périront  avec 
la  matière.  En  Afrique,  Arnobe,  vers  303,  formula  explicitement  la 
doctrine  de  l'anéantissement  des  méchants,  C.  Genl.  II,  14:  «  Les  âmes 
sont  de  qualité  intermédiaire,  pouvant,  ou  périr,  si  elles  ignorent  Dieu, 
ou  être  délivrées  de  la  destruction,  si  elles  s'appliquent  à  ses  menaces 
et  à  ses  indulgences  ;  c'est  la  vraie  mort,  ne  laissant  pas  de  résidu,  lors- 
que les  âmes  qui  ne  connaissent  pas  Dieu  sont  consumées  par  un  feu 
cruel.  »  Cet  enseignement  fut  aussi  adopté  par  quelques  sociniens  qui 
niaient  à  la  fois  l'éternité  des  peines  et  Fapocatastase  ou  rétablissement 
final  de  tous  les  réprouvés.  De  nos  jours,  l'immortalité  conditionnelle  a 
été  professée  avec  de  nouveaux  développements,  et  elle  a  rencontré  des 
partisans  en  Angleterre  et  en  Amérique  (voy.  E.  Petavel  Olliff,  La  fin  du 
mal  et  V anéantissement  graduel  des  impénitents,  1872  ;  Edward  White, 
Life  in  Christ  :  a  study  of  the  Scripture  doctrine  on  the  nature  of  man 
and  the  conditions  of  human  Immortality,  1875).  Cette  doctrine  s'appuie 
sur  trois  ordres  d'arguments  :  d'une  part,  elle  est  d'accord  avec  la  science 
biologique  pour  reconnaître  que  l'âme,  à  cause  de  son  intime  union 
avec  l'organisme,  n'est  point  capable,  une  fois  séparée  du  corps,  de 
subsister  seule;  la  vie  future  suppose  une  intervention  de  Dieu.  Puis, 
l'immortalité  obligatoire  impliquerait  l'éternité  des  peines;  or,  le  cœur 
humain  éprouve  une  invincible  répugnance  à  admettre  des  peines  qui 
ne  finissent  jamais  et  ne  conçoit  pas  la  possibilité  de  les  concilier  avec 
la  miséricorde  et  la  sagesse  de  Dieu.  Enfin,  la  disparition  du  mal  et  des 
méchants  est  enseignée  par  la  Bible,  1  Cor.  XV,  28  :  «  Dieu  sera  tout  en 
tous;»  le  salaire  du  péché,  c'est  la  mort,  la  mort  avec  l'acception  reçue 
dans  tant  de  passages  où  l'Apôtre  nous  invite  à  faire  mourir  le  péché;  la 


ANÉANTISSEMENT  DES  AMES  —  ANGELICO  305 

mort  elle-même  n'aura  plus  d'empire,  elle  rejoindra  Satan  dans  l'abîme 
d'anéantissement  que  l'Ecriture  appelle  le  lac  de  feu  et  de  soufre 
(Apoe.  XX,  14).  A  ces  arguments,  on  a  objecté  que  les  sciences  natu- 
relles n'ont  pas  qualité  pour  nous  donner  une  notion  suffisante  de 
l'Ame  ;  que  les  passages  invoqués  demandent  à  être  complétés  par  d'au- 
tres, tels  que,  Apoc.  XIV,  11;  XX,  JO  :  «  Ils  seront  tourmentés  aux 
siècles  des  siècles;  »  Matth.  XV,  -46:  «  Ceux-ci  s'en  iront  aux  peines 
éternelles,  mais  les  justes  à  la  vie  éternelle:  »  et  l'on  a  demandé  si  cette 
doctrine  n'autorisait  pas  les  âmes  égarées  à  concevoir  un  nouveau 
genre  de  suicide,  par  la  pensée  que,  plus  elles  s'enfonceraient  dans  le  mal, 
plus  rapide  et  moins  douloureuse  serait  la  mort  définitive.  —  Une  telle 
question  ne  peut  être  tranchée  seule  et  sans  tenir  compte  d'autres  élé- 
ments encore  de  la  vérité  chrétienne  (possibilité  d'une  conversion  au 
delà  du  tombeau,  connexité  de  la  grâce  et  de  la  liberté,  etc.);  c'est 
dans  l'article  Eschatologie  que  ces  divers  éléments  seront  unis  en  une 
doctrine  générale  et  complète.  A.  Matter. 

ANGELICO  (//  Beato  Fra  Giovanni)  [1387-1455],  le  peintre  des  anges, 
dit  aussi  da  Fiesole,  du  lieu  de  sa  naissance.  Avec  le  quinzième  siècle  se 
manifeste,  en  Italie,  une  puissante  réaction  contre  les  procédés  de  la 
peinture  du  moyen  âge.  On  ne  craint  plus  de  copier  la  nature,  d'étudier 
H  de  reproduire  les  formes  corporelles,  d'imiter  la  réalité  en  donnant 
au  coloris  plus  de  vigueur,  à  la  perspective  plus  de  relief.  Presque  isolé 
parmi  ses  contemporains,  Fra  Angelico  continue  à  suivre  les  traditions 
du  moyen  âge,  qu'il  incarne  dans  ses  œuvres  avec  un  rare  bonheur. 
Nous  n'avons  point  de  détails  sur  sa  vie,  qui  paraît  s'être  écoulée, 
presque  tout  entière,  entre  les  murs  d'un  couvent  de  dominicains,  où 
il  entra  fort  jeune  et  où  il  resta,  refusant  tous  les  honneurs  qu'on  lui 
offrait.  Il  a  laissé  une  grande  réputation  de  sainteté.  On  disait  de  lui 
«  qu'il  travaillait  en  priant  et  qu'il  priait  en  travaillant,  »  Son  âme, 
d'une  pureté  et  d'une  douceur  exquises,  se  reflète  dans  l'expression  in- 
comparable de  suavité  qu'il  a  su  donner  à  ses  figures.  On  peut  dire 
qu'un  souffle  céleste  les  anime.  Sans  doute,  le  talent  de  Fiesole  manque 
de  variété,  et  son  horizon,  somme  toute,  est  assez  étroit  :  il  n'a  point 
|)>'i;it  la  vie  active  et  la  lutte  tragique  des  passions;  il  paraît  ignorer  le 
mal  et  les  ravages  qu'il  exerce.  Son  Christ  a  la  majesté,  il  n'a  pas  l'é- 
nergie qui  convient  au  «  Fils  de  l'homme  ;  »  ses  madones  se  distinguent 
par  la  grâce,  l'humilité,  la  sérénité  pleine  d'abandon  de  leur  visage  et 
de  leur  maintien,  mais  elles  ne  semblent  pas  vivre  de  notre  vie.  Où 
Angelico  excelle,  c'est  dans  la  peinture  des  anges,  précisément  parce 
qu  ils  ne  doivent  avoir  rien  de  terrestre.  L'impression,  à  coup  sûr  do- 
minante, que  produisent  ces  tableaux,  c'est  celle  d'une  paix  de  l'âme, 
«  qui  surpasse  toute  intelligence.  »  Nous  apprenons  par  eux  de  quelle 
manière  1<'  royaume  des  cieux  se  reflétait  dans  les  âmes  pieuses  vers  la 
tin  du  moyen  ftge.  Ajoutez  qu'Angelico  se  distingue,  au  point  de  vue 
artistique,  par  la  finesse  de  l'exécution,  la  richesse  cl  la  fraîcheur  du 
coloris,  la  noblesse  des  groupes  et  des  attitudes,  l'expression  «  person- 
nelle »  donnée  aux  têtes.  L'Académie  de  Florence  possède  un  certain 
nombre  de  ses  tableaux,  parmi  lesquels  on  remarque  surtout  un  Cou- 


306  ANGELICO  -  ANGÉLIQUE 

ronnement  de  la  Vierge.  Le  même  sujet  est  reproduit  sur  un  tableau 
dans  l'église  de  Santa  Maria  Novella,  à  Florence,  et  sur  un  autre  qui  se 
trouve  au  Musée  du  Louvre.  On  cite  aussi  les  peintures  murales  du  cou- 
vent de  Saint-Marc,  à  Florence,  en  particulier  une  Crucifixion  du  plus 
grand  style,  plainte  douloureuse  de  toute  l'Eglise  réunie  au  Calvaire 
dans  la  personne  des  apôtres,  des  grands  saints,  docteurs  et  fonda- 
teurs d'ordres  religieux,  ainsi  qu'une  Apparition  de  Jésus  ressuscité  à 
Marie-Magdeleine.  Nous  signalerons  également  le  Christ  en  croix,  avec 
Marie  et  Jean  à  ses  pieds,  dans  la  salle  du  chapitre  du  couvent  San 
Domenico  à  Fiesole,  de  même  qu'une  représentation  du  Jugement  der- 
nier, dans  la  chapelle  de  la  Madone  du  dôme  d'Orvieto,  et  des  épisodes 
de  la  Vie  de  saint  Etienne  et  de  saint  Laurent,  dans  la  chapelle  du  pape 
Nicolas  V,  au  Vatican.  Pourtant  Angelico  réussit  mieux  dans  les  minia- 
tures que  dans  les  grands  tableaux,  où  il  révèle  une  certaine  timidité. 
Nous  citerons  tout  particulièrement  la  Vie  de  Jésus-Christ  en  trente- 
cinq  tableaux  à  l'Académie  de  Florence.  Les  restes  de  Fra  Angelico 
furent  ensevelis  à  S.  Maria  sopra  Minerva,  à  Rome.  Lui-même  fut  béa- 
tifié quelques  années  après  sa  mort.  F.  Lichtenberger. 

ANGÉLIQUE  (la  Mère),  dont  le  vrai  nom  était  Jacqueline-Marie  Ar- 
nauld,  naquit  à  Paris,  en  1591.  Elle  appartenait  à  la  famille  des  Arnauld, 
originaire  d'Auvergne,  comme  la  famille  des  Pascal.  Elle  était  fille 
d'Antoine  Arnauld,  avocat  à  Paris,  qui  avait  eu  vingt  enfants,  dont  dix 
moururent  en  bas  âge.  Jacqueline  et  sa  sœur  Jeanne,  encore  enfants, 
obtinrent,  par  le  crédit  de  leur  grand-père  Marion,  avocat  général,  la 
possession  de  deux  abbayes,  celle  de  Port-Royal  (voy.  cet  article)  et 
celle  de  Saint-Cyr.  Jacqueline  prit  le  voile  à  huit  ans,  et  s'installa,  à 
onze  ans,  comme  abbesse  à  Port-Royal,  sous  le  nom  de  la  mère  Angé- 
lique. Après  une  période  d'indifférence  religieuse,  elle  se  sentit  troublée 
dans  sa  conscience,  et  eut  un  moment  la  pensée  de  renoncer  à  une 
vocation  qui  lui  avait  été  imposée  sans  son  consentement.  Ces  agitations 
intérieures  ne  s'apaisèrent  que  dans  une  conversion  décisive,  dont  deux 
prédicateurs  furent  tour  à  tour  les  instruments.  La  mère  Angélique, 
pleinement  consacrée  à  Dieu,  fut  frappée  du  relâchement  de  la  disci- 
pline à  Port-Royal  et  en  médita  la  réforme.  Elle  l'entreprit  malgré  les 
plus  grands  obstacles  et  rétablit,  dans  toute  leur  rigueur,  les  règles 
monastiques,  en  particulier  celle  de  la  clôture,  qu'elle  opposa  avec  un 
courage  inflexible  à  son  propre  père,  M.  Arnauld,  dans  la  fameuse 
journée  du  Guichet,  25  septembre  1603.  De  Port-Royal,  la  réforme  se 
propagea  dans  un  grand  nombre  de  monastères  du  même  ordre.  Angé- 
lique l'établit,  avec  beaucoup  de  peine,  à  Maubuisson,  où  le  retour 
inattendu  de  l'abbesse  expulsée,  madame  d'Estrées,  amena  les  scènes  les 
plus  violentes.  Une  fois  sa  tâche  accomplie  dans  ce  monastère,  elle, 
revint  à  Port-Royal ,  ramenant  avec  elle,  de  Maubuisson,  un  grand 
nombre  de  religieuses  sans  fortune  dont  elle  acceptait  généreusement 
la  charge.  Port-Royal  devenant  trop  étroit  pour  recevoir  toutes  les  sœurs 
qu'y  attirait  une  discipline  sérieuse,  la  mère  Angélique  se  transporta, 
avec  toute  sa  communauté,  dans  une  maison  du  faubourg  Saint-Jacques, 
aujourd'hui  l'hospice  de  la  Maternité,  qu'on   appela  Port-Royal  de 


ANGÉLIQUE  -  ANGÉLITES  307 

Paris.  C'est  alors  qu'elle  se  plaça  sous  la  direction  religieuse  de  Saint- 
Cyran,  qui  fui  le  père  spirituel  de  Port-Royal,  comme  elle  en  avait  été 
la  mère.  Elle  avait  enfin  trouvé,  selon  ses  propres  expressions,  l'homme 
«  duquel  la  force  d'esprit  dans  la  vérité  allait  accabler  le  sien.  »  En  même 
temps  que  Saint-Cyran  avait  la  direction  des  religieuses  de  Port-Royal, 
il  attirait,  par  l'ascendant  de  sa  piété  et  de  son  génie,  les  Lancelot,  les 
le  Maistre,  les  de  Sacy,  qui  furent  les  premiers  solitaires  et  allèrent 
s'établir  à  Port- Royal  des  Champs.  La  mère  Angélique,  après  vingt- 
deux  ans  de  séjour  à  Paris,  ramena  ses  religieuses  dans  cette  première 
retraite  :  les  femmes  occupèrent  le  monastère  et  les  hommes  montèrent 
sur  la  colline,  à  la  maison  des  Granges.  Ce  fut  la  plus  belle  période  de 
Port-Royal  :  la  mère  Angélique  exerça  une  influence  bénie  sur  un  grand 
nombre  de  femmes  distinguées,  qui  étaient  attirées  par  ce  foyer  de  vie 
spirituelle,  madame  de  Guéméné,  Marie  deGonzague,  reine  de  Pologne, 
madame  de  Sablé,  Jacqueline  Pascal,  etc.  La  guerre  de  la  Fronde  fut 
pour  elle  une  occasion  d'exercer  envers  les  blessés,  les  pauvres,  les 
paysans,  une  admirable  charité.  Lorsque  vint  pour  Port-Royal  la 
période  de  la  lutte  théologique  et  de  la  persécution,  la  mère  Angélique 
montra  la  plus  noble  fermeté.  Laissant  la  théologie  aux  docteurs,  elle 
soutint  les  âmes  qui  lui  étaient  confiées,  par  le  calme  imposant  que  lui 
inspirait  sa  grande  maxime  :  a  Mourir  à  tout,  s'attendre  à  tout.  »  Tandis 
qu'elle  répondait  sans  frayeur  au  lieutenant  civil  Daubray,  elle  écrivait 
à  son  frère  Arnauld,  condamné  en  Sorbonne  :  «  Si  on  efface  votre  nom 
d'entre  ceux  des  docteurs,  il  n'en  sera  que  mieux  écrit. dans  le  Livre  de 
Dieu.  »  Elle  assista,  déjà  minée  par  la  maladie,  à  la  dispersion  des  soli- 
taires, à  la  fermeture  des  écoles  de  Port-Royal,  au  renvoi  des  novices  et 
des  postulantes,  présage  de  persécutions  plus  violentes.  Mais  elle  eut  le 
bonheur  de  ne  pas  voir  la  destruction  et  la  profanation  de  Port-Royal. 
Elle  mourut  dans  une  humilité  profonde,  le  6  août  1661,  à  l'âge  de 
70  ans.  La  mère  Angélique  a  laissé  plusieurs  écrits  :  Les  Mémoires  pour 
servir  à  l'histoire  de  Port-Royal,  dont  une  grande  partie  lui  est  due, 
plusieurs  recueils  de  lettres,  des  Entretiens  et  Conférences,  etc.  Elle  fut 
une  belle  âme,  un  grand  caractère,  un  esprit  d'élite,  et,  avant  tout,  une 
des  femmes  les  plus  sérieusement  chrétiennes  de  son  siècle. 

Ernest    Dhombres. 

ANGÉLITES  ou  adorateurs  des  anges.  Epiphane  [contra  octoginta 
hxreses  Qpui,  P.,  1712,  p.  420)  a  entendu  parler  de  cette  secte,  mais 
n'en  >ail  rien  de  positif.  Ce  nom  leur  aurait  été  donné,  soit  parce  qu'ils 
-iiiifiii  que  le  monde  a  été  créé  par  les  anges,  soit  parce  qu'ils 
prétendaient  mener  une  vie  semblable  à  celle  des  anges,  soit  parée 
qu'ils  haletaient  une  localité  appelée  Angelina,  à  l'est  de  la  Mésopo- 
tamie Sainl  Augustin  (de  Jhvres.,  c.  XXXIX)  se  rallie  à  la  seconde 
opinion,  bien  que,  *  1  i I  —il,  ces  hérétiques  puissenl  aussi  avoir  été  appelés 
ainsi,  parce  qu'Us  affirmaient  avoir  peçu  leur  connaissance  des  choses 
divines  par  l'intermédiaire  des  anges.  Nicéphore  {ttrer.  hist.,  1.  XV1Ï1, 
e.  IL  rapporte  que  c'étaient  (les  sabelliens  qui  se  réunissaient  à  Alexan- 
drie, dans  an  lieu  mnniuv.  Agelius  ou  Angelius.  11  est  plus  probable  d'ad- 
inelhc.  avec  la  plupart  des  historiens  modernes,  que  cette  désignation 


308  ANGÉL1TES  -  ANGENNES 

était  un  surnom  satirique  donné  aux  gnostiques,  à  cause  de  leur  doc- 
trine des  Eons. 

ANGELUS,  prière  instituée  par  le  pape  Jean  XXII,  en  1316,  en  l'honneur 
de  la  sainte  Vierge  et  pour  remercier  Dieu  du  mystère  de  l'Incarnation. 
Elle  se  compose  de  trois  versets  bibliques,  de  trois  Ave  Maria  et  d'une 
oraison,  par  laquelle  on  demande  à  Dieu  sa  grâce  et  son  salut  éternel 
par  les  mérites  de  Jésus -Christ.  Le  premier  verset  commence  par  ces 
mots  :  Angélus  Domini,  d'où  son  nom.  Elle  s'appelle  aussi  le  Pardon, 
parce  que  plusieurs  papes  y  ont  attaché  des  indulgences  spéciales.  Pour 
avertir  les  fidèles  de  réciter  cette  prière,  Louis  XI,  désireux  de  plaire  à 
celle  que  dans  son  familier  langage  il  appelait  sa  bonne  dame,  sa  petite 
maîtresse,  sa  bonne  amie,  ordonna  de  sonner  la  cloche  trois  fois  par  jour, 
le  matin,  à  midi  et  le  soir.  Cet  usage  s'est  conservé  dans  beaucoup  de 
localités  jusqu'à  ce  jour. 

ANGELUS  SILESIUS.  Le  vrai  nom  de  ce  poëte  et  polémiste  catholique 
était  Jean  Scheffler.  Il  naquit  en  1624  à  Breslau  de  parents  protestants  ; 
il  étudia  la  médecine  à  Strasbourg,  à  Leyde  et  à  Padoue.  Pendant  son 
séjour  en  Hollande,  il  lut  les  ouvrages  de  Jacques  Bœhme,  qui  firent 
une  impression  profonde  sur  son  esprit  naturellement  porté  au  mysti- 
cisme. En  1649,  un  prince  allemand  se  l'attacha  comme  médecin.  Il  se 
dégoûta  du  protestantisme,  qu'il  ne  connaissait  que  sous  la  forme  d'une 
orthodoxie  aride  et  querelleuse  ;  en  1653,  à  Breslau,  il  se  convertit  à 
l'Eglise  catholique  ;  c'est  à  cette  occasion  qu'il  prit  le  nom  d'Angelus. 
Quelques  mois  auparavant,  il  avait  été  nommé  médecin  de  la  cour  im- 
périale. Un  peu  plus  tard,  il  fut  consacré  prêtre  et  entra  dans  l'ordre 
des  franciscains.  Non  content  d'avoir  changé  de  religion,  il  devint  un 
des  adversaires  les  plus  passionnés  du  protestantisme  ;  il  s'engagea 
dans  des  controverses  avec  des  luthériens  et  des  réformés.  Il  fit  lui- 
même  un  recueil  de  ceux  de  ses  traités  polémiques  qui  lui  semblaient 
les  plus  décisifs;  ce  recueil  parut  dans  l'année  même  de  sa  mort,  1677, 
sous  le  titre  de  Ecclesiologia,  un  vol.  in-f°.  Si  Angélus  n'avait  laissé  que 
ces  écrits,  il  serait  probablement  oublié,  mais  il  a  fait  mieux,  il  a  été 
poëte  ;  on  a  de  lui  quelques  volumes  de  poésies  religieuses,  dont  plu- 
sieurs ont  été  adoptées  comme  cantiques  par  les  protestants.  Le  senti- 
ment qui  anime  ces  vers  est  si  pur,  ils  respirent  une  piété  si  intime,  si 
étrangère  à  toute  rancune  confessionnelle,  ils  forment  un  tel  contraste 
avec  la  violence  des  traités  de  controverse,  qu'on  a  douté  parfois  de 
l'identité  du  théologien  Scheffler  et  du  poëte  Angélus.  Mais  chez  un 
caractère  impressionnable,  inquiet,  ballotté  entre  les  besoins  de  son 
cœur  chrétien  et  les  nécessités  de  sa  position  de  converti,  les  contra- 
dictions ne  doivent  pas  nous  étonner;  le  polémiste  et  le  poëte  n'ont  pas 
pu  se  mettre  d'accord  ;  c'est  le  poëte  qui  révèle  le  mieux  la  person- 
nalité sympathique  de  cet  étrange  écrivain  (voyez  surtout  Kahlert, 
Angélus  Silesius,  Breslau,  1843).  Ch.  Schmidt. 

ANGENNES  (D')  de  Montlouët,  Rambouillet  et  autres  lieux.  Ces  noms 
rappellent  le  plus  élégant  des  souvenirs  littéraires  du  dix-septième 
siècle,  l'hôtel  de  Rambouillet,  avec  la  société  charmante  qui  s'y  réunit 
pendant  près  d'un  demi-siècle,  donnant  le  ton  à  l'esprit  français  et  aux 


ANGENNES  —  ANGERS  309 

Ici  tirs  françaises,  sous  les  auspices  de  trois  générations  de  dames 
d'Angennes.  Une  partie  de  cette  famille  célèbre  fut  protestante.  François 
d'Angennes,  marquis  de  Montlouët,  était  allé  et  avait  probablement 
étudié  à  Genève  dans  sa  jeunesse;  il  y  fut  inscrit  sur  le  registre  des 
nouveaux  habitants,  le  3  avril  1559.  Catherine  de  Médicis  l'attacha 
comme  chambellan  à  la  personne  de  son  quatrième  fils,  le  duc  d'Alen- 
çon.  Ce  n'est  qu'en  1587  qu'on  commence  à  le  trouver  mentionné 
parmi  les  capitaines  huguenots,  mais  il  fut  dès  lors  de  toutes  les  expé- 
ditions importantes  de  Henri  IV,  devint  un  de  ses  maréchaux  de  camp, 
conduisit  diverses  opérations  en  personne  et  se  distingua  à  la  bataille 
dlvry,  où  il  fut  blessé  (1590).  La  conversion  de  son  maître  n'altéra 
point  son  dévouement  et  en  même  temps  nos  Eglises  le  choisirent  en 
mainte  circonstance  comme  leur  délégué  et  l'un  de  leurs  plus  fidèles 
protecteurs  ;  il  vivait  encore  en  1611.  —  Jacques  d'Angennes  de  Mont- 
louët, proche  parent  du  précédent,  faisait  partie  de  la  maison  de  Gaston 
d'Orléans  et  reçut  le  contre-coup  de  la  mauvaise  fortune  et  de  la  mau- 
vaise conduite  de  ce  prince.  Retiré  dans  sa  maison  patrimoniale,  à 
Meaux,  il  fit  de  cette  demeure  le  rendez -vous  où  les  protestants  des 
enviions  traitaient  leurs  principales  affaires.  On  cite  de  lui  un  beau 
trait  :  Un  de  ses  amis,  parrain  d'une  de  ses  filles,,  lui  avait  légué 
10,000  livres;  il  comprit  cette  disposition  comme  signifiant  qu'il  avait 
été  choisi  par  le  testateur  comme  simple  dépositaire,  et  transmit  la 
somme  au  consistoire  de  son  district.  Cet  honnête  homme  fut  inhumé 
à  Charenton  en  1658.  A  la  révocation,  plusieurs  dames  d'Angennes  se 
réfugièrent  soit  dans  le  canton  de  Vaud,  soit  à  Berlin  ;  d'autres  furent 
enfermées  au  couvent  des  Nouvelles-Catholiques,  à  Paris.  La  branche 
vaudoise  a  encore  aujourd'hui  des  représentants.  H.  Bordier. 

ANGERS  (Juliomagus,  Andegavis,  Andegavum),  évêché  suftragant  de 
Tours,  connu  depuis  l'évèque  Talaise  (453).  Saint  Aubin  en  était 
évêque  en  538,  il  mourut  en  550  ;  saint  Fortunat  a  écrit  sa  vie  (Mabil- 
lon  ;  Bollandistes,  1er  mars);  saint  Maimbœuf  (Magnobodus)  occupa 
l'évêché  vers  609,  il  mourut  vers  660  ;  Jean  de  Rély  fut  évêque  d'Angers 
de  1491  à  1 499.  De  1790  à  1802,  Angers  fut  dépendant  de  Rennes.  La 
cathédrale  de  Saint-Maurice  fut  consacrée  en  4030,  la  nef  a  été  élevée 
en  1150,  les  tours  datent  du  seizième  siècle.  On  remarque  les  an- 
ciennes églises  de  Saint-Serge  et  de  la  Trinité.  Angers  posséda  une 
école  épiscopale  devenue  une  célèbre  université,  et  un  collège  fondé 
en  1031.  Un  synode  provincial  fut  tenu  à  Angers,  en  453,  sous  la  pré- 
sidence de  Léon  de  Bourges;  il  publia  douze  canons  relatifs  aux  mœurs 
des  clercs  et  des  laïques  (Mansi,  VII;  Sirmond,  Conc.  gall.,  I;  Hefele,  II, 
661,  édit.  I,  trad.  fr. ,  III,  181).  Jean  de  Montsoreau,  archevêque 
de  Tours,  réunit  en  1279  à  Angers  un  autre  synode,  où  l'on  con- 
fn  nia  plusieurs  anciens  décrets  et  on  en  ajouta  cinq  nouveaux  sur 
l'excommunication,  etc.  (Mansi,  XXIV;  Hefele,  VI,  179,  trad.  fr. 
IX,  9-2).  l'n  synode  fut  tenu  à  Angers  en  1365,  sous  l'archevêque 
Simon  de  Tours;  nous  en  possédons  trente-quatre  capitula  relatifs 
aux  droits  des  prêtres,  etc.  (Mansi,  XXVI;  Hefele,  /.  /.,  618,  trad. 
fr.,   /.   /.,  603).  Un  synode   réuni   dans  la   même  ville   en    I  UN  dlar- 


310  ANGERS  —  ANGES 

douin,  IX)  ajouta  aux  décrets  du  précédent  quelques  canons  de  dis- 
cipline (Gallia,  XIV).  Voir  Tresvaux,  Hist.  de  VEgl.  d'Angers.  1858.  — 
Voyez,  pour  la  Réforme  à  Angers,  l'article  Anjou. 

ANGES  (m  al  aluni,  à^ekoi,  messagers  ou  envoyés).  La  Bible  appelle 
ainsi  des  êtres  célestes  supérieurs  à  l'homme,  destinés  à  exécuter  les 
ordres  de  Dieu.  Ces  êtres,  organes  de  la  volonté  divine,  nous  sont  re- 
présentés comme  n'agissant  jamais  de  leur  propre  gré,  mais  toujours 
comme  instruments  employés  à  réaliser  les  desseins  de  Dieu  dans  l'his- 
toire des  individus  et  des  peuples.  La  Genèse  ne  parle  pas  de  la  création 
des  anges  ;  mais  elle  suppose  leur  existence  avec  le  nom  primitif 
(elohîm)  donné  par  les  Hébreux  à  leur  Dieu  (Gen.  I,  26;  111,^22,  cf. 
IX,  7).  Ce  nom  implique  en  effet  une  pluralité  d'êtres  célestes  agissant 
avec  Dieu  lors  de  la  création.  D'après  nos  documents  bibliques,  les 
anges  ont  donc  existé  avant  la  création  du  monde  (Job  XXXVIII,  7).  Il 
ne  faudrait  pas  toutefois  conclure  du  fait  que  le  nom  û!  Elohîm  appliqué 
aux  anges  en  même  temps  qu'à  Dieu,  comme  cela  résulte  clairement 
de  plusieurs  textes  des  Septante  dont  nous  retrouvons  deux  cités  dans 
Tépître  aux  Hébreux  (I,  6  ;  II,  7),  implique  partout  dans  l'Ancien  Tes- 
tament le  sens  mentionné  ;  c'est-à-dire  désigne  à  la  fois  Dieu  et  les  êtres 
célestes  qui  exécutent  sa  volonté.  Il  ne  faudrait  pas  non  plus  s'imaginer 
que  les  anciens  Hébreux  n'ont  pas  fait  une  distinction  nette  entre  Dieu 
et  les  anges  qui  ne  sont  jamais  l'objet  de  leur  culte.  Le  nom  collectif 
elohîm,  là  où  il  est  employé  dans  ce  sens,  indique  seulement  l'étroit 
rapport  qu'ils  établissaient  entre  Dieu  et  les  êtres  supraterrestres 
organes  de  sa  volonté.  De  là  le  nom  benê  haelohhn  (Job  I,  6),  benê 
elohîm  (Job  XXXVIH,7),  benê  êlîm  (Ps.  XXIX,  7)  (fils  de  Dieu),  donné 
ordinairement  aux  anges,  nom  qui  caractérise  leur  nature,  leur  ori- 
gine ou  encore  leur  étroite  parenté  avec  Dieu  qui  les  a  créés,  plutôt 
que  leur  caractère  moral.  La  théologie  juive  les  a  appelés  pour  ce  motif  : 
«  la  famille  d'en  haut))  (Eph.  III,  15).  Il  est  possible  cependant  que 
les  benê  haeloîm  dont  parle  le  récit  de  la  Genèse  (VI,  2),  et  qui 
s'unirent  aux  filles  des  hommes  pour  engendrer  des  géants,  ne  soient  pas 
des  anges,  mais  simplement  des  descendants  pieux  de  Seth.  En  tous 
les  cas,  ce  récit  ne  peut  guère  être  consulté  avec  fruit  pour  la  question 
que  nous  examinons.  Pour  désigner  leur  perfection  morale,  l'Ancien 
Testament  donne  aux  anges  le  nom  de  «  saints  »  (kedôschîm)  (Ps. 
LXXXIX,  6;  Job  V,  2;  Dan.  IV,  10).  Mais  cette  perfection  est  envisagée 
comme  purement  relative  ou  dérivée  (Job  IV,  18;  XV,  15).  Quant  à  la 
nature  des  anges,  elle  est  caractérisée  par  le  nom  que  leur  donne 
l'épître  aux  Hébreux  qui  les  appelle  Tuvsu^axa  (esprits),  c'est-à-dire  êtres 
revêtus  d'un  organisme  spirituel,  différant  des  êtres  corporels  animés 
d'ici-bas.  L'Ancien  Testament,  il  est  vrai,  ne  connaît  pas  cette  désigna- 
tion, car  dansPs.  C1V,  -4,  les  rouchoth  (vents)  ne  sont  pas  dès  anges  et 
le  harouach  dont  il  est  question  1  Rois  XXII,  21  n'est  que  l'image 
visionnaire  de  Fesprit  prophétique.  Mais  en  donnant  aux  anges  le  nom 
d'elohîm  ou  de  benê  eiohim  l'Ancien  Testament  leur  attribue  par 
là  même  une  nature  supraterrestre  ;  de  sorte  que  les  formes  corporelles 
sous  lesquelles  il  les  représente  ne  sont  pour  lui  que  les  formes  sous 


ANGES  311 

Lesquelles  ils  se  manifestent  aux  hommes.  Le  judaïsme  avant  l'exil  ne 
donne  pas  de  nom  aux  anges  (cf.  lien.  XWll,  30;  Jugés XIII,  18).  Il  ne 
parle  que  des  keroiibîm  et  des  seraphim,  qu'il  ne  faut  pas  confon- 
dre avec  les  benê .  elohim,  car  ils  forment  une  classe  d'êtres  célestes 
à  part  (voir  l'article  Chérubins).  Ces  êtres  diffèrent  des  anges  parleurs 
formes  dans  les  descriptions  que  nous  en  donne  l'Ancien  Testament.  Ils 
sont  de  plus  ailés,  tandis  que  les  anges  sont  dépeints  sous  la  simple 
tonne  humaine.  Gè  ne  fut  que  plus  tard  que  l'art  chrétien  leur  a 
attribué  des  ailes,  en  se  fondant  sur  l'interprétation  inexacte  que  la 
Yulgate  donne  d'un  passage  du  livre  de  Daniel  (IX,  21).  Les  êtres  cé- 
lestes qui  environnent  Dieu  dans  les  visions  prophétiques  ou  les  descrip- 
tions poétiques  de  l'Ancien  Testament  portent  du  reste  seuls  le  nom  de 
malàchim  (messagers).  Ils  exercent  les  mêmes  fonctions  que  «  les  fils 
de  Dieu  ou  les  fils  du  ciel  »  de  la  mythologie  indoue,  les  angiras,  qui 
ont  donné  naissance  au  mot  «yysXoç.  Les  anges  ne  sont  pas,  comme  on 
l'a  prétendu  en  se  fondant  sur  certains  passages  de  l'Ancien  Testament 
(Ps.  CIV,  4;  Josué  V,  4),  de  simples  personnifications  des  forces  delà 
nature,  car  ils  servent  d'intermédiaires  à  Dieu  dans  l'histoire  de  l'huma- 
nité, et  non  pas  seulement  pour  produire  des  phénomènes  physiques.  Au 
reste,  l'Ancien  Testament  distingue  entre  des  interventions  médiates 
et  des  interventions  immédiates  de  Dieu  ;  les  premières  ont  partout  un 
caractère  surnaturel,  les  secondes,  celui  de  la  libre  action  de  la  grâce 
(Ps.  XGI,  1 1  ss. j.  Tous  les  documents  bibliques  sont  unanimes  à  admettre 
l'intervention  des  anges  dans  les  événements  de  ce  monde. — L'angéologie 
des  Juifs  s'est  certainement  enrichie  sous  l'influence  de  croyances  non 
judaïques  ;  mais  l'étude  impartiale  des  progrès  de  cette  doctrine  dans 
les  documents  bibliques  constate  que  ces  progrès  doivent  être  attribués 
plutôt  encore  à  un  développement  indépendant  qu'à  une  action  venue 
du  dehors.  Ce  qui  prouve  le  mieux  qu'il  en  est  ainsi,  c'est  l'histoire 
très-succincte  que  nous  retracerons  des  apparitions  d'anges  dans  l'An- 
cien Testament.  Au  premier  rang  de  ces  apparitions,  il  faut  placer 
celle  qui  confirme  l'alliance  contractée  par  Jéhova  avec  Abraham 
(Gen.  XV).  Ici,  il  est  parlé  d'un  «  ange  de  Jéhova  »  (maleach  Jahve) 
qui  reparait  souvent  dans  l'histoire  primitive  d'Israël.  La  nature  de  cet 
ange  n'est  pas  définie  bien  nettement,  de  telle  façon  qu'on  ne  sait  trop  s'il 
est  une  créature  spéciale  ou  une  simple  apparition  de  Jéhova  lui-même 
sous  forme  d'un  ange.  Cependant,  la  première  manière  de  voir  semble  la 
plus  conforme  à  la  vérité,  car  déjà,  à  l'époque  des  Rois  (2  Sam.  XXIV, 
ii>:  '2  Rois  XIX,  35),  les  angélophanies  se  précisent  et  les  anges  sont 
clairement  caractérisés  comme  des  créatures  supérieures.  Il  en  est  de 
même  dans  les  visions  des  prophètes  (Zach.,l,  12;  111,2),  où  l'ange  de 
Jéhova,  qui  est  manifestement  le  même  que  celui  des  patriarches  et 
de  Moïse,  se  distingue  explicitement  de  Jéhova  et  se  subordonne  à  lui. 
Q  en  est  de  même  enfin  de  «l'ange  de  l'alliance»  (maleach  haberith) 
(Malachie  III,  1),  qu'il  ne  faut  pas  identifier  avec  Jéhova,  car  cet  ange 
est  le  messager  qui  est  envoyé  par  Jéhova,  par  conséquent  un  ètrt 
distinct,  dans  doute  l'ange  de  Jéhova  du  temps  dé  Moïse  s'appelle  «  M 
face  de  Jéhova  »  (Exode  XXX,  14;  Deut.  IV,  37);  mais  il  ne  peut  èlre 


312  ANGES 

question  ici  de  l'aspect  même  de  Jéhova  qui  donnait  la  mort  (Gen. 
XXXII,  31),  et  ne  put  pas  même  être  le  privilège  d'un  Moïse  ou  d'un 
Elie  (Exode  XXX,  20).  Il  s'agit  donc  là,  comme  ailleurs,  d'un  ange  qui 
est  la  manifestation  indirecte  de  Jéhova  (Exode,  XXII  20),  de  l'ange 
qui  est  appelé  «  l'ange  de  la  face  »  (maleach  panav)  par  Esaïe 
(LXIII,  9).  Cet  ange  se  donne,  il  est  vrai,  les  noms  de  Jahve, 
d'Elohîm  et  d'El  (Gen.  XVIII,  33;  XXXII,  25;  XXXI,  13),  parce 
que  le  nom  de  Dieu  est  «  en  lui.  »  Mais  il  est  aussi  peu  Dieu  en  per- 
sonne que  l'ange  de  l'Apocalypse  (XXII,  13),  qui  se  nomme  l'Alpha  et 
l'Oméga,  tout  en  refusant  catégoriquement  l'adoration  du  voyant  et 
en  se  disant  compagnon  de  service  comme  lui.  —  Dans  le  livre  de 
Josué,  l'ange  qui  apparaît  à  Josué  devant  Jéricho  se  donne  le  titre  de 
«  prince  (sar)  de  l'armée  céleste  »  (Jos.  V,  15).  C'est  à  cette  désigna- 
tion que  se  rattache  sans  doute  la  doctrine  d'une  hiérarchie  céleste  qui 
se  développa  plus  tard  dans  la  théologie  juive.  Les  anges,  en  effet,  ne 
furent  pas  seulement  divisés,  depuis  l'exil,  en  catégories  distinctes,  mais 
aussi  classés  par  rang  de  dignité.  Dans  l'Apocalypse  de  Daniel,  nous 
voyons  en  effet  à  la  tête  des  légions  innombrables  qui  se  tiennent  de- 
vant Dieu  et  qui  le  servent  (VII,  10)  des  «  princes  »  ou  des  chefs  d'anges 
(sarîm  rischonîm)  qu'on  a  appelés  archanges.  L'un  de  ces  «princes» 
porte  le  nom  de  Michaël  (V,  13,  21),  un  autre  celui  de  Gabriel 
(VIII,  15).  La  théologie  postérieure  compte  sept  archanges).  Le  livre 
de  Tobie  (VII,  15)  nomme  le  troisième  Raphaël.  Le  livre  de  Henoch, 
le  quatrième  livre  d'Esdras  et  le  targoum  de  Jonathan  nous  font  con- 
naître les  trois  autres  :  Uriël,  Raguël  et  Serakiël.  Cette  doctrine  a 
pu  se  former  en  contact  avec  la  doctrine  persane  des  sept  «  princes  de 
la  lumière  »  ou  amschaspands  (amësha-çpento)  ;  mais  déjà  le  prophète 
Ezéchiel  (IX,  2)  mentionne  six  esprits  supérieurs  qui  se  tiennent  devant 
Jéhova,  et  la  mythologie  assyrienne  de  Babylone  parle  de  «  grands  sei- 
gneurs »  (nun-galene  en  langue  accadienne)  qui  se  prosternent  devant 
la  divinité  (Lenormant  :  Etudes  accadiennes,  1874,  II,  p.  140  ;  Schrader 
Hœllenfahrt  der  Istar,  p.  100,  1874).  M.  Lenormant  ne  voit  dans  ces 
«  grands  seigneurs  »  personne  d'autre  que  les  archanges  célestes  eux- 
mêmes.  En  tous  les  cas,  la  tradition  rabbinique  (Bosch  haschana,  56) 
de  la  Mischna  et  le  midrasch  Bereschilh  rabba  (4)  font  provenir  les 
noms  des  mois  et  des  anges  de  Babylone,  et  les  recherches  ultérieures 
de  la  critique  nous  apprendront  si,  à  côté  de  l'influence  que  la  re- 
ligion de  Zoroastre  a  pu  exercer  sur  l'angéologie  des  Juifs  (cf.  (As- 
modi  et  Kohut,  Ueber  die  jûdische  Angeologie  in  ikrer  Abhœngig- 
keit  vom  Parsismus,  1866),  il  ne  faudra  pas  admettre  une  influence 
plus  directe,  de  l'antique  religion  sémitique  accadienne  lors  de  l'exil  et 
avant  lui.  —  Dans  Daniel,  les  archanges  n'apparaissent  encore  que  dans 
le  domaine  visionnaire.  Leur  aspect  est  majestueux  et  éblouissant.  Ils 
portent  le  vêtement  sacerdotal  céleste,  et  leur  éclat  est  celui  des  pierres 
précieuses,  leur  visage  resplendit,  leur  regard  est  de  flamme,  leur  voix 
égale  le  tonnerre  (X,  5  ss.).  Dans  le  livre  de  Tobie,  Raphaël  est  le  com- 
pagnon de  voyage  du  jeune  Tobie  et  ressemble  à  un  autre  homme. 
Dans  l'épître   de  Jude,  Michaël  protège  le  cadavre  de  Moïse  contre 


ANGES  313 

Satan,  d'après  une  légende  relatée  par  Y  Assomption  de  Moïse.  Dans 
l'évangile  de  Luc,  enfin,  Gabriel  apparaît  dans  le  domaine  sensible  et 
en  songe  aux  personnages  du  premier  chapitre.  D'après  le  livre  de 
Daniel,  les  archanges  étaient  considérés  comme  anges  protecteurs  de 
certaines  nations  ou  de  certains  empires  (Dan.  IV,  10).  Aussi  Michaël  est 
désigné  comme  le  protecteur  et  le  défenseur  d'Israël  (XII,  1).  Tel  est 
aussi  le  rôle  du  préposé  des  soixante-dix  gardiens  (anges)  du  livre  de 
Henoch  (LXXXIX,  61),  et  qui  n'est  autre  que  l'archange  lui-même. 
Cependant,  d'après  un  autre  texte  de  Daniel  (X,  12-13),  Michaël  n'est 
que  l'assistant  d'un  plus  grand  que  lui  qui  protège  Israël.  En  tous  les  cas, 
la  notion  des  anges  protecteurs  des  nations  ressort  clairement  du  livre  de 
Jésus  ben  Sirâch  (XVII,  14;  cf.  Deut.  XXXII,  8,  dans  les  LXX).  Il  semble 
résulter  enfin  de  deux  textes  du  Nouveau  Testament  (Matin.  XVIII,  10; 
Actes  XII,  15)  que  Jésus  et  ses  contemporains  admettaient  des  anges 
protecteurs  pour  chaque  homme  en  particulier  (cf.  Schmidt  dans 
Ilgen,  Denkschrift,  I,  p.  24).  La  doctrine  d'un  jugement  final  exercé 
sur  les  anges  qui  ont  failli  à  leur  mission  repose  sur  celle  des  anges 
protecteurs.  Cette  doctrine,  à  laquelle  le  prophète  Esaïe  semble  déjà 
faire  allusion  (XXIV,  21-23),  est  surtout  développée  dans  l'Apocalypse 
de  Henoch  (XC,  20  ss.).  Le  jugement  exercé  sur  les  anges  semble 
même  frapper  le  soleil,  la  lune  et  les  étoiles  (Esaïe  XXIV,  23).  Nous 
voyons  du  reste  ici  comme  ailleurs  l'étroit  rapport  qui  existe,  dans  les 
documents  bibliques,  entre  le  monde  des  anges  et  celui  des  astres.  L'un 
et  l'autre  porte  le  nom  d'  «  armée  céleste  »  (Deut.  XVII,  3  ;  1  Rois 
XXII,  19).  Les  anges  et  les  astres  paraissent  même  confondus  (Néh. 
IX,  4)  et  dans  le  livre  de  Job  (XXXVIII,  7)  les  «  étoiles  du  matin,  » 
c'est-à-dire  les  étoiles  qui  datent  du  matin  de  la  création,  sont  pa- 
rallèles et  synonymes  des  a  fils  de  Dieu.  »  Le  nom  deZebaoth  donné 
à  Jéhova  du  temps  des  rois  désigne  Dieu  comme  le  Dieu  des  armées 
célestes  qui  impliquent  à  la  fois  les  astres  et  les  anges.  Enfin,  les  anges  et 
les  étoiles  forment  une  seule  et  même  armée  (Zaba)  dans  Esaïe  (XL,  26; 
cf.  Juges  I,  20).  11  ressort  de  ces  observations  que  le  monde  des  étoiles, 
comme  celui  des  anges,  a  joué,  pour  la  théologie  juive,  un  rôle  im- 
portant dans  la  lutte  des  principes  contraires  du  bien  et  du  mal  qui 
embrasse  l'univers  et  se  concentre  sur  la  terre.  Cette  croyance,  qui 
semble  appartenir  à  la  forme  païenne  de  l'antique  religion  sémitique, 
subsiste  dans  la  religion  révélée  de  l'Ancien  Testament,  qui  n'a  pas 
rejeté  en  bloc  tous  les  éléments  de  la  religion  primitive  des  Sémites, 
mais  les  a  souvent  purifiés  et  confirmés.  Nous  n'avons  pas  à  traiter 
ici  la  question  de  la  chute  des  anges,  qui  sera  abordée  dans  l'ar- 
ticle sur  les  démons.  Nous  dirons  simplement  que,  si  une  décou- 
verte récente  du  célèbre  Smith  (le  déchiffrement  de  la  légende 
assyrienne  sur  la  création)  se  confirmait,  le  serpent  tentateur  de  la 
Genèse  (ch.  III)  aurait  trouvé  son  explication  historique  dans  la  chute 
de  l'archange  dont  parle  cette  légende,  et  il  ne  serait  plus  nécessaire 
de  faire  provenir  le  récit  biblique  de  la  doctrine  persane  sur  Ahrinian, 
qui  sous  forme  de  serpent  dévaste  le  paradis  et  corrompt  la  création 
non  entachée  de  mal.  L'angéologie  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Tesla- 
i.  21 


314  ANGES 

ment  se  distingue  essentiellement  de  celle  de  la  théologie  rabbiniqu** 
qui  porte  le  caractère  des  superstitions  les  plus  bizarres  et  les  plus 
monstrueuses  (cf.  Brecher,  Transcendentale  Magie  im  Talmud,  1850; 
Gfrœrer,  Das  Jahrhundert  des  Heits,  I,  p.  352-424).  Cette  angéologie 
diffère  aussi  totalement  des  conceptions  helléniques  sur  les  «  esprits 
éthérés  »  d'un  Heraclite  ou  d'un  Pythagore  (cf.  Diogène  de  Laërte, 
IX,  7;  VIII,  21),  ou  d'un  Philon  et  d'un  Plutarque  qui  parlent  de 
«  forces  »  et  d'  «  âmes  privées  de  corps ,  »  car  un  esprit  sans  corps  ou 
sans  organisme  corporel  est  une  conception  absolument  étrangère 
aux  écrivains  de  la  Bible.  —  Dans  l'Eglise  chrétienne  des  siècles  qui 
suivirent  l'âge  apostolique,  la  doctrine  des  anges  devint  un  sujet  de 
prédilection  pour  la  dogmatique  des  Pères.  On  ne  formula  pas,  il  est 
vrai, de  dogme  précis  à  leur  sujet,  mais  on  précisa  leur  mission  spéciale 
et  on  rejeta  la  doctrine  gnostique  d'une  participation  des  anges  à  la 
création.  En  présence  du  gnosticisme  avec  ses  théories  sur  les  émana- 
tions et  les  éons,  on  accentua  le  caractère  de  créature  des  anges  et 
leur  nature  corporelle,  tout  en  leur  attribuant  des  organes  supérieurs 
à  ceux  de  l'homme.  La  croyance  aux  anges  protecteurs  se  rattacha  en 
partie  à  celle  des  génies  protecteurs  du  paganisme.  On  ne  trouve 
aucune  trace  d'un  culte  des  anges  dans  l'Eglise  catholique,  jusque 
vers  le  milieu  du  troisième  siècle,  quoique  déjà  l'épître  aux  Golossiens 
(II,  18)  parle  d'une  OpYjcjxsux  tûv  ^éXtov,  et  qu'un  passage  de  Justin 
martyr  (Apol.  I,  c.  6)  semble  faire  allusion  à  un  culte  pareil.  Ce  culte 
naquit  en  réalité  dans  l'Eglise  sous  l'impulsion  que  lui  donna  l'évêque 
de  Milan  Ambroise  (f397).  Le  synode  de  Laodicée  fut  obligé  de  dé- 
fendre l'angéolâtrie  au  milieu  du  quatrième  siècle.  Cette  défense  et  le 
témoignage  de  Théodoret  nous  prouvent  que  ce  culte  s'était  propagé 
un  peu  partout,  mais  surtout  dans  certaines  contrées  de  l'Orient. 
Théodoret  et  saint  Augustin  protestent  principalement  contre  l'invoca- 
tion des  anges  que  le  pape  Grégoire  III  lui-même  désapprouvait.  Mais  les 
empereurs  et  les  évoques,  en  encourageant  la  consécration  des  temples 
dédiés  aux  anges,  favorisaient  par  là  même,  malgré  leurs  déclarations 
dogmatiques,  la  croyance  populaire  que  les  anges  pouvaient  entendre 
et  exaucer  les  prières.  Un  écrit  de  Pseudodenys  (De  hierarchia  cœlesti), 
universellement  consulté  dans  la  suite,  divisa  les  anges  en  trois  ordres 
ou  neuf  classes.  Ce  Linné  de  l'angéologie  apprit  à  l'Eglise,  en  se  fon- 
dant sur  certains  textes  (Eph.  1,  21  ;  III,  10;  Col.  I,  16)  où  il  est  question 
de  ôp£vcii,dex'JptG'ï7]TEç,  d  dp^al,  d'i^ousCai  et  de  âuvàjjustç,  qu'il  existait  un 
premier  ordre  composé  des  ôpévoi,  des  xepovôly,  et  des  espaça,  un 
second  composé  des  èÇouafai,  des  xupibirjTsç  et  des  ouvà^eiç,  et  un 
troisième  formé  par  les  àp^ai,  les  àffl&ffékoi  et  les  à^zkoi.  Mais  déjà 
Basile  le  Grand  et  Grégoire  de  Nazianze  avaient  admis  diverses  catégories 
d'anges.  Quant  aux  nouvelles  déterminations  dogmatiques  qui  en- 
richirent l'angéologie  pendant  cette  période,  elles  concernent  la  date 
de  leur  création  placée  par  Grégoire  III  avant  la  création  du  monde, 
et  par  saint  Augustin  au  premier  jour  de  cette  création.  On  examina 
aussi  la  question  de  savoir  si  les  anges  étaient  doués  comme  les 
hommes  d'une  volonté  libre  et  capables  de  péché.  On  admettait  gé- 


ANGES  3|S 

uéralemenl  qu'il  en  était  ainsi  avant  la  chute,  niais  on  différait  sur  la 
possibilité  constante  de  la  tentation  chez  les  anges  après  la  première 
et  tragique  défaite.  Grégoire  de  Xazianze  et  Cyrille  de  Jérusalem 
croyaient  à  cette  possibilité.  Saint  Augustin  et  Grégoire  le  Grand  la 
niaient.  Au  treizième  siècle,  lors  du  synode  de  Latran  (1215), 
Innocent  III  lit  formuler  le  dogme  que  les  anges  étaient  des  êtres  spiri- 
tuels créés  sans  tache.  Quant  aux  déterminations  précises  sur  leur 
mission,  sur  leurs  rapports  avec  Dieu  et  les  hommes  ou  avec  la  ré- 
demption, elles  fuient  laissées  à  la  libre  spéculation  de  chacun.  Lors 
de  la  Réforme  du  seizième  siècle,  la  doctrine  de  l'existence  des  anges 
et  des  démons  subsista  comme  doctrine  scripturaire  dans  l'Eglise  pro- 
lestante comme  dans  l'Eglise  catholique.  Cette  dernière  continua 
à  enseigner  l'invocation  des  anges,  rejetée  comme  antiscripturaiie 
par  l'Eglise  protestante.  Pendant  le  règne  de  la  critique  et  de  la  spé- 
culation philosophique  du  dix-huitième  siècle,  la  foi  à  l'existence  et  à 
la  mission  d'êtres  célestes  supérieurs  à  l'homme  fut  sensiblement 
ébranlée  et  devint  plus  ou  moins  étrangère  à  la  théologie.  Les  théo- 
logiens supranaturalistes,  qui  continuèrent  à  admettre  les  anges  par 
respect  pour  la  Bible,  ne  surent  guère  que  faire  d'eux  et  les  logèrent 
dans  les  étoiles  ;  les  visions  hardies  d'un  Swedenborg  leur  substi- 
tuaient les  âmes  glorifiées  des  hommes  dans  l'autre  monde.  De  nos 
jours  beaucoup  de  théologiens  sont  revenus  à  l'enseignement  bi- 
blique. Rothe  lui-même  n'a  pu  se  passer  des  anges  dans  son  grandiose 
système,  et  tout  le  monde  connaît  la  parole  qu'il  a  prononcée  sur  son  lit 
de  mort.  Martensen  (Dogm.  p.  121)  admet  une  grande  variété  d'esprits 
célestes,  différant  par  le  degré  de  leur  nature  spirituelle  et  de  leur 
caractère  personnel.  Mais  la  spéculation  chrétienne  ne  dépasse  pas 
ces  limites.  Sans  doute  la  critique  moderne  a  pu  considérer  l'exis- 
tence des  anges  comme  incompatible  avec  la  science  et  le  système 
de  Copernic,  et  reléguer  ces  êtres  célestes  dans  le  domaine  de  la 
poésie  ou  de  Fart.  Il  n'en  reste  pas  moins  vrai  qu'on  ne  peut  dé- 
montrer, au  point  de  vue  du  théisme,  l'impossibilité  ou  même  l'invrai- 
semblance de  l'existence  d'êtres  supérieurs  à  l'homme,  employés  au 
service  de  Dieu  et  de  son  règne.  Voyez  l'article  Mondes  (Pluralité  des). 
—  La  question  des  anges  de  l'ancien  hébraïsme,  du  judaïsme  après  l'exil 
et  de  l'Eglise  chrétienne  a  été  l'objet  d'une  grande  variété  de  travaux. 
parler  des  commentaires  et  des  ouvrages  de  théologie  biblique 
qui  abordent  incidemment  cette  question,  nous  mentionnerons  seule- 
ment pour  le  judaïsme  le  livre  de  M.  Nicolas,  Des  doctrines  religieuses 
<!<>s  Juifs,  3«  edit.  186$,  p.  237-261,  et  l'ouvrage  de  Langen,  Pa 
AêAettihum  in  PoJestina  zur  Zeit  Christi,  1860,  p.  297-329.  Pour  l'an- 
géologie  de  l'Eglise  chrétienne,  on  peut  consulter  Suicer,  Tliesaur.  s.  v. 
>.;■;:/ s.;;  Gotta,  Dix/mtationes,  II,  1762;  Schmidt,  Bist.  dogm.  de  angehs 
tutelaribuè,  dans  llgens,  IlisL  tkeol.  Abhandl.,  I.,  p.  21-27;  Gaab, 
Abhandl.  zur  Dêgmen$e$cà.  der  xltest.  grieck.  Kircke,  Î790,  p.  97-136: 
l 'steri,  Der  finulin.  Lehrbegriff,  te  édif.,  suppl.  3,  p.  421  ss.  ;  Carpzov, 
1  ariahistor.  anfelic.  ex  Epiphano  etaliorum  velcrum  m&numentis  erula, 
1772;  Keil.  Opusc.  aco.deiuieay  II,  p.  568 ss.  A.  Wainaz, 


316  ANGILBERT  -  ANGLETERRE 

ANGILBERT  (Saint)  [Anghelpertus ,  Angilbertus] ,  poëte  et  homme 
d'Etat  (f  814),  fut  secrétaire  et  ministre  de  Charlemagne,  qui  le  chargea 
de  diverses  missions  en  Italie,  et  dont  il  signa  le  testament.  Il  entra,  en 
791,  au  couvent  de  Saint-Riquier  (Centula)  et  en  devint  abbé  en  794.  Il 
eut  de  Berthe,  fdle  de  Gharlemagne,  née  en  780,  deux  fils,  dont  l'un 
fut  l'historien  Nithard.  On  sait  par  Eginhard  que  l'empereur  ne  con- 
sentit jamais  au  mariage  de  ses  tilles.  Elève  d'Alcuin,  Angilbert  composa 
un  élégant  poëme  sur  le  voyage  de  Charlemagne  auprès  de  Léon  III 
(799),  imprimé  dans  Pertz,  Scr.  II,  391  ;  cf.  Migne,  99.  —  Voyez  Mabillon, 
AA.  SS.  Ord.  Ben.  Ssec.  IV ,  1,  p.  91  ss.  ;  AA.  SS.  BolL  18  Feb.  III; 
Hisl.  Litt.  de  la  Fr.,  IV,  p.  414  ss.;  Wattenbach,  Deutschlands  Geschichts- 
quellen,  édit.  II,  p.  117  ss.;  Gorblet,  Hagiogr.  I,  p.  102. 

ANGILRAM,  évêque  de  Metz  de  768  à  791,  abbé  de  Senones  et  archi- 
chapelain  de  Charlemagne,  a  joué  un  certain  rôle  dans  l'histoire  de 
l'épiscopat  franc.  On  lui  attribue  la  continuation  de  la  Chronique  de 
Frédégaire  et  la  collection  d'un  certain  nombre  de  décrets  sur  les 
rapports  des  évêques  avec  le  pouvoir  civil.  Voyez  Décrétâtes  (Fausses). 

ANGLETERRE  (La  Réformation  d').  Quoique  les  abus  du  système  ca- 
tholique romain,  au  moyen  âge,  se  fussent  fait  sentir  en  Angleterre 
comme  ailleurs,  et  que  plusieurs  de  ses  rois  en  eussent  supporté  impa- 
tiemment le  poids,  il  s'en  fallait  bien  qu'au  commencement  du  seizième 
siècle,  la  nation  anglaise  fut,  comme  on  l'a  prétendu,  la  première  et  la 
mieux  préparée  pour  une  réforme  religieuse.  Bien  plus  séparée  qu'elle 
ne  l'est  aujourd'hui  des  nations  du  continent,  elle  n'avait  suivi  que 
d'assez  loin  le  mouvement  intellectuel  et  religieux  qui  s'accomplissait 
chez  les  principales  d'entre  elles.  «  Un  trait  caractéristique  de  l'esprit 
ecclésiastique  en  Angleterre,  dit  Lechler  [Joli.  Wicliff,  t.  I),  c'est  que, 
jusque  après  le  milieu  du  quatorzième  siècle,  aucune  division,  aucune 
secte  ne  s'était  produite  en  dehors  de  la  forme  occidentale  romaine  du 
christianisme,  aucune  hérésie  n'était  apparue  sur  le  sol  anglais.  » 
Wiclef  lui-même,  ainsi  que  Luther  le  remarquait,  «  ne  s'était  attaqué 
d'abord  qu'à  la  vie  et  non  à  la  doctrine.  »  La  simonie,  les  empiétements, 
les  exactions  de  la  papauté,  la  mondanité  du  clergé,  les  dérèglements 
des  moines,  étaient  à  ses  yeux  les  plus  tristes  plaies  de  l'Eglise,  et 
c'est  avec  l'appui  de  la  royauté,  de  la  noblesse  et  du  parlement,  qu'il 
les  avait  combattues.  Ce  n'est  que  plus  tard  que  son  opposition  avait 
revêtu  un  caractère  plus  positivement  religieux.  Au  moyen  de  pré- 
dicateurs itinérants  qu'il  envoyait  munis  de  quelques  fragments  tra- 
duits des  livres  saints,  il  fit  annoncer  l'Evangile  au  peuple,  tandis 
que  lui  -  même,  dans  sa  chaire  professorale  et  dans  ses  écrits ,  le 
commentait  à  l'usage  des  savants,  et  combattait  les  abus  ecclé- 
siastiques en  ruinant  les  doctrines  qui  leur  servaient  de  base.  Mais, 
faussement  accusé  par  le  clergé  de  menées  démagogiques,  il  vit  se 
courner  contre  lui  les  pouvoirs  qui  l'avaient  d'abord  soutenu,  et  qui, 
dès  lors,  le  sacrifièrent  aux  haines  sacerdotales.  Le  statut  de  l'an  1400, 
qui  condamnait  les  hérétiques  au  bûcher,  fut  dirigé  spécialement  contre 
les  lollards,  ses  disciples.  Depuis  le  supplice  [du  noble  lord  Cobham 
(1417)  le  wicléfisme,  proscrit  comme  levain  de  sédition,  disparut  du 


ANGLETERRE  317 

sein  des  classes  supérieures,  et  fut  réduit  à  se  cacher  dans  les  derniers 
rangs  de  la  population  ouvrière.  Ce  n'était  non  plus  qu'assez  tard  que 
les  lumières  de  la  Renaissance  avaient  pénétré  en  Angleterre.  Erasme 
les  y  apporta  un  des  premiers  (1498  et  1509)  ;  il  y  laissa  des  amis  et  des 
disciples,  entre  autres  Thomas  More  et  Jean  Colet,  qui  s'inspirèrent, 
l'un  de  sa  verve  sarcastique,  l'autre  de  son  zèle  pour  la  littérature  sacrée, 
mais  ils  lui  demeurèrent  bien  inférieurs  pour  l'esprit  et  férudition.  Ce 
ne  tut  que  depuis  le  règne  d'Elisabeth  que  la  culture  des  lettres  fut 
véritablement  encouragée  en  Angleterre;  jusque-là  elles  n'y  avaient 
qu'assez  péniblement  végété,  et,  en  tout  cas,  n'y  avaient  rendu  que  de 
médiocres  services  à  la  cause  religieuse  (Hallam,  Hist.  de  la  littérature 
en  Europe,  c.  II-IV,  p.  347-8  et  passim).  Rien  n'y  rappelle,  même  de 
bien  loin,  l'activité  de  la  presse  théologique  en  Allemagne,  les  travaux 
bibliques  d'Erasme,  de  Reuchlin,  de  Staupitz,  les  écoles  fondées  par  les 
Amis  de  Dieu  et  les  Frères  de  la  vie  commune,  ni  les  pieuses  méditations 
des  mystiques  allemands,  ni  la  lutte  vaillante  des  humanistes  du  même 
pays  contre  les  inquisiteurs  de  Cologne,  ni  les  savants  écrits  des  trois 
théologiens  des  bords  du  Rhin  auxquels  est  demeuré  le  titre  honorable 
de  «  réformateurs  avant  la  Réforme.  »  Quant  aux  classes  populaires, 
((il  est  faux  de  soutenir,  dit  M.  Rrewer  {Revue  hist.,  1876,  t.  I, 
p.  293),  qu'elles  commençassent  alors  à  se  livrer  avec  ardeur  à  l'étude 
de  la  Bible.  »  Les  écoles  monastiques,  en  effet,  chargées  de  leur  édu- 
cation, ne  les  y  avaient  guère  préparées,  et  il  leur  manquait,  pour  y 
suppléer,  des  traductions  des  livres  saints  publiées  dans  leur  propre 
langue.  Tandis  que,  même  avant  la  version  de  Luther,  quatorze  éditions 
de  la  Bible  allemande  et  quinze  de  la  Bible  flamande  avaient  été  épui- 
sées, et  que,  depuis  lors,  treize  éditions  du  Nouveau  Testament  avaient 
paru  en  langue  flamande  de  1522-1520  (Hallam,  ibid.,  c.  VI,  p.  385),  la 
première  version  anglaise,  celle  de  Tyndale,  composée  à  TIeidelberg, 
ne  fut  publiée  qu'en  1526  à  Anvers,  ne  put  pénétrer  que  clandestine- 
ment en  Angleterre,  et  y  fut  proscrite  dès  son  introduction.  Enfin,  la 
situation  politique  du  pays,  au  commencement  du  seizième  siècle, 
semblait  exclure  également  toute  possibilité  d'un  changement  prochain 
dans  les  affaires  de  l'Eglise.  La  noblesse  et  la  bourgeoisie  anglaises, 
épuisées  par  cinquante  ans  de  guerres  civiles,  manquaient  de  cette 
vigueur,  de  cet  élan  qui,  ailleurs,  avaient  si  puissamment  secondé  la 
Réforme.  La  royauté,  au  contraire,  à  l'isue  des  guerres  des  deux  Roses, 
fixée  enfin  dans  la  maison  de  Tudor,  était  sortie  de  cette  crise,  plus  forte 
que  jamais  ;  elle  profitait  de  la  lassitude  de  la  nation  pour  étendre  indé- 
finiment son  pouvoir,  et  le  second  des  Tudor,  Henri  VIII,  idolâtré  du 
peuple,  voyait  les  deux  chambres  du  Parlement  rivaliser  envers  lui  de 
passive  et  servile  obéissance.  Or,  ce  prince,  le  plus  absolu  de  tous  ceux 
de  -on  temps,  était  alors  l'un  des  plus  fidèlement  dévoués  à  la  foi 
catholique.  Destiné  du  vivant  de  son  frère  aîné  à  entrer  dans  les  ordres, 
pour  occuper  un  jour  le  siège  de  Cantorbéry,  il  avait  conservé  sur  le 
trône  l'exacte  observation  des  pratiques  de  l'Eglise.  Il  éleva  aux  plus 
hautes  dignités  du  royaume  le  cardinal  Wolsey,  légat  du  Saint-Siège. 
Dès  le  commencement  de  son  règne  (1509)  il  mit  en  pleine  vigueur  les 


318  ANGLETERRE 

anciens  édits  contre  l'hérésie,  et  ne  laissa  aux  lollards  d'alternative 
qu'entre  l'abjuration  et  le  bûcher.  La  nouvelle  du  schisme  de  Luther 
l'enflamma  d'indignation.  Il  pressa  l'Electeur  palatin  d'extirper  de  ses 
Etats  cette  peste  redoutable,  de  faire  brûler  l'hérésiarque  s'il  ne  voulait 
s'amender,  et  dans  son  dépit  de  ne  pouvoir  lui-même  le  châtier  comme 
il  l'eût  voulu,  il  mit  à  profit  ce  qu'il  avait  acquis  d'érudition  théolo- 
gique pour  publier  contre  lui  (1522)  un  violent  libelle,  dont  le  pape  le 
récompensa  par  le  titre  de  «  défenseur  de  la  foi.  »  Enfin,  apprenant  que 
les  écrits  de  Luther  commençaient  à  se  répandre  dans  son  royaume,  il 
enjoignit  aux  autorités  civiles  de  prêter  main-forte  aux  évêques  pour  la 
recherche  et  la  répression  des  hérétiques  (1521),  et  ce  nouveau  décret 
fut  exécuté  avec  assez  de  rigueur  pour  obliger  maints  lettrés,  jus- 
qu'alors partisans  de  la  Réforme,  Th.  More  entre  autres,  à  déserter  sa 
cause,  tandis  que  Fish  et  Tyndale  durent  se  condamner  à  un  perpétuel 
exil.  Mais  l'emportement  que  ce  despote  déployait  alors  au  service  de 
l'Eglise  devait  un  jour  se  tourner  contre  elle,  lorsqu'elle  viendrait  à 
contrarier  ses  fougueuses  passions.  Marié  depuis  dix-huit  ans  avec 
Catherine  d'Aragon,  veuve  de  son  frère  aîné,  il  s'avisa  tout  à  coup  que 
cette  union  avec  sa  belle -sœur,  bien  qu'autorisée  par  le  pape  Jules  11, 
était  contraire  aux  canons  de  l'Eglise,  et  que,  par  suite,  les  droits  de  sa 
fille  Marie,  alors  seule  héritière  de  sa  couronne,  pourraient  un  jour  être 
contestés.  Ces  tardifs  scrupules  s'expliquèrent  bientôt.  Henri  s'était 
épris  d'amour  pour  Anne  Boleyn,  jeune  dame  d'honneur  de  la  reine, 
et  depuis  ce  moment  n'aspirait  plus  qu'à  rompre  le  lien  qui  le  séparait 
d'elle.  Mais,  pour  ce  divorce,  une  nouvelle  autorisation  du  Saint-Siège 
était  nécessaire,  et  la  proche  parenté  de  Catherine  d'Aragon  avec  l'em- 
pereur Charles-Quint  rendait  cette  dispense  difficile  à  obtenir.  Le  car- 
dinal Wolsey  se  chargea  de  lever  les  obstacles.  Par  deux  fois,  cet 
ambitieux  prélat  venait  de  briguer  la  tiare,  et  deux  fois  l'empereur  lui 
avait  fait  préférer  d'autres  candidats.  Le  divorce  projeté  lui  parut  propre 
à  servir  sa  vengeance.  En  1527,  le  pape  Clément  VII,  brouillé  avec 
Charles-Quint,  était  bloqué  par  lui  au  château  Saint-Ange  ;  Wolsey  con- 
seille au  roi  de  saisir  ce  moment  pour  lui  présenter  sa  requête,  en  lui 
promettant  son  secours  en  échange  du  service  qu'il  attend  de  lui. 
Clément  lui  fait  pressentir  en  effet  une  réponse  favorable.  Mais  à  peine 
délivré  et  réconcilié  avec  l'empereur,  craignant  de  sa  part  de  nouvelles 
hostilités,  n'osant  ni  accorder  ni  refuser  ce  que  le  roi  lui  demande,  il 
remet  le  jugement  de  la  cause  à  son  légat,  qui  se  rend  à  Londres,  et, 
de  concert  avec  Wolsey,  s'efforce  d'engager  la  reine  à  consentir  à 
son  divorce  et  à  se  retirer  dans  un  couvent.  Sur  le  refus  péremptoire 
de  Catherine  et  son  appel  au  Saint-Siège,  Clément  évoque  l'affaire  à 
son  tribunal,  espérant  toujours,  à  force  de  lenteur,  lasser  la  constance 
du  roi.  Henri  perdait  patience,  mais  ne  savait  que  résoudre,  lorsqu'un 
docteur  de  Cambridge,  Cranmer,  lui  suggéra  un  expédient  :  «  De  quoi 
Sa  Majesté  s'embarrasse-t-elle?  C'est  ici  une  question  de  droit  cano- 
nique, toute  par  conséquent  du  ressort  de  la  science.  Que  Sa  Majesté 
fasse  consulter  les  principales  universités  d'Europe,  et  si  la  pluralité  des 
voix  déclare  la  non-validité  du  mariage  de  Henri  avec  Catherine,  le 


ANGLETERRE  ;M0 

Saint-Siège  ne  pourra  refuser  de  le  casser.  »  Le  roi  goûte  cet  avis.  Il 
fait  prendre,  et  payer,  partout  où  il  en  est  besoin,  l'avis  favorable  dos 
docteurs,  le  transmet  au  pape  en  le  sollicitant  de  nouveau  de  rompre 
s<»n  mariage,  OU  de  l'autorisera  prendre  une  seconde  femme;  et  comme 
le  pape  louvoie  et  diffère  encore,  et  engage  Wolsey  dans  ses  tergiver- 
sations, Henri,  après  s'être  prémuni  par  de  sévères  menaces  contre 
Ion  le  résistance  de  son  clergé,  ôte  les  sceaux  à  Wolsey,  nomme  Cranmer 
au  siège  primatial  de  Cantorbéry,  fait  prononcer  par  lui  son  divorce 
avec  Catherine,  et  célébrer,  secrètement  d'abord,  puis  publiquement, 
son  mariage  avec  Anne  Boleyn  (1534).  Si  Clément  eût  été  libre  alors 
dans  ses  déterminations,  il  eût  cherché  sans  doute,  par  des  voies  conci- 
liantes, à  prévenir  le  schisme  qui  se  préparait  et  déjà  s'annonçait  par 
des  mesures  assez  graves.  Mais,  pressé  par  les  cardinaux  dévoués  à 
L'empereur,  il  somme  le  roi,  sous  peine  d'excommunication,  de  re- 
prendre sa  légitime  épouse.  Aussitôt,  sur  l'ordre  de  Henri,  le  Parlement 
et  les  évèques  eux-mêmes  déclarent  que  le  pontife  romain  n'a  aucune 
autorité  à  exercer  dans  le  royaume,  transportent  au  roi  le  titre  de  chel 
suprême  de  l'Eglise  d'Angleterre,  avec  le  droit  exclusif  de  nommer  les 
prélats,  interdisent  tout  appel  au  siège  de  Rome,  et  font  prêter  à  tous 
les  ecclésiastiques  le  serment  de  reconnaître  la  suprématie  spirituelle 
du  monarque.  Jean  Fisheret  Th.  More,  qui  seuls  ont  osé  s'élever  contre 
ce  décret,  payent  de  leur  tête  leur  courageuse  résistance.  Le  schisme 
ainsi  consommé,  de  nouveaux  actes  d'hostilité  ne  tardèrent  pas  à  s'en- 
suivre. Les  ordres  religieux,  qui  dépendaient  immédiatement  delà  cour 
de  Rome  et  formaient  sa  milice  la  plus  puissante  et  la  plus  dévouée, 
ont  embrassé  avec  ardeur  son  parti,  et  ne  cessent  d'exciter  contre  le 
roi  le  fanatisme  populaire.  Ainsi  provoqué,  Henri  ordonne,  en  1535, 
une  visite  générale  des  couvents  du  royaume.  Les  .commissaires,  qui 
connaissent  ses  intentions,  présentent  au  Parlement  un  tableau,  véri- 
dique  en  partie,  mais  exagéré,  des  irrégularités  et  des  désordres  qu'ils 
vont  découverts.  Sur  leur  rapport,  le  Parlement  supprime  près  de 
quatre  cents  monastères  de  second  ordre,  et  déclare  leurs  biens  con- 
fisqués au  profit  de  la  couronne,  sauf  une  pension  viagère  réservée  aux 
religieux  dépossédés,  mais  qui  ne  leur  fut  que  très-irrégulièrement 
payée.  Ces  moines,  réduits  alors  à  mendier  sur  les  grands  chemins,  les 
pauvres  qui  ne  trouvent  plus  à  la  porte  des  couvents  l'aumône  habi- 
tuelle, les  paysans  qui  occupaient  leurs  terres  à  des  baux  avantageux, 
et  qui  s'en  voient  expulsés,  s'ameutent  sur  divers  points  du  royaume, 
marchent  en  masse  sur  Londres,  vociférant  des  menaces  contre  le  roi. 
Leur  troupe  es!  dispersée,  leurs  chefs  sont  mis  à  mort,  et  Henri  prend 
occa-i  n  de  cette  révolte  pour  ordonner  l'abolition  définitive  de  tous  les 
couvents  el  la  saisie  de  leurs  biens.  Les  revenus  de  ces  biens,  fort  supé- 
iiein  de  la  noblesse,  étaient  alors  ('values  à  plus  de  300, 000  liv. 

sterling.  On  coi  i-qua  également  ceux  des  ordres  militaires,  puis  les 
dîmes,  les  aimâtes,  enfin,  tout  ce  que  les  papes  percevaient  dans  le 
royaume.  Henri,  pour  détourner  de  lui  le  reproche  de  cupidilé  sacrilège, 
avait  d'abord  annoncé  L'intention  de  consacrer  à  des  usages  pieux  ces 
dépouilles  de  l'Eglise.  Ses  largesses  en  ce  genre  se  réduisirent  à  l'érer- 


320  ANGLETERRE 

tion  de  six  nouveaux  évêchés  et  à  la  fondation  de  quelques  écoles  et 
collèges.  La  plus  grande  partie  servit  à  grossir  son  propre  trésor,  à 
enrichir  ses  favoris,  à  doter  une  nouvelle  noblesse  qui  fût  tout  entière 
à  sa  dévotion.  Le  reste,  mieux  employé,  fut  consacré  à  divers  services 
publics,  réparation  déports,  construction  de  forts  sur  les  côtes,  accrois- 
sement de  la  flotte,  travaux  qui  plus  lard  furent  mis  à  profit  pour  fonder 
la  puissance  maritime  de  l'Angleterre.  En  cinq  ans,  la  confiscation  des 
biens  monastiques  fut  complète.  A  la  nouvelle  de  ces  spoliations , 
Paul  III  publia,  en  4538,  une  bulle  fulminante  où  le  ci-devant  «  défen- 
seur de  la  foi  »  était  frappé  d'excommunication,  son  royaume  mis  à 
l'interdit,  ses  sujets  excités  à  la  révolte,  tous  les  princes  catholiques 
invités  à  exécuter  cet  arrêt  ;  et  le  cardinal  Pôle  fut  chargé  à  cet  effet 
d'une  mission  auprès  des  cours  de  France  et  d'Espagne.  Cette  coalition 
dont  Henri  se  voyait  menacé  ne  laissa  pas  de  lui  causer  de  l'inquiétude. 
Déjà  précédemment,  pour  faire  oublier  aux  puissances  catholiques  le 
supplice  de  Fisher  et  de  Th.  More,  il  avait  par  compensation  publié  un 
nouvel  édit  contre  l'hérésie,  et  des  protestants  non  moins  respectables, 
Bilney,  Bilefield,  avaient  été  condamnés  à  périr  dans  les  flammes.  A 
plus  forte  raison,  dénoncé  au  monde  chrétien  comme  impie,  comme 
sacrilège,  crut-il  devoir  donner  de  nouveaux  gages  de  son  attachement 
à  la  foi  catholique.  En  1539,  il  fit  dresser  par  une  réunion  de  prélats, 
et  adopter  par  les  deux  chambres,  un  bill  en  six  articles,  affirmant  le 
dogme  de  la  présence  corporelle  dans  la  Gène,  la  suffisance  de  la  com- 
munion sous  une  seule  espèce,  l'obligation  du  célibat  ecclésiastique,  la 
perpétuité  des  vœux,  le  maintien  des  messes  privées,  enfin  l'utilité  et 
la  nécessité  de  la  confession.  Quiconque  prêchait  ou  disputait  contre 
le  premier  article  devait  être  brûlé  et  ses  biens  confisqués;  toute  oppo- 
sition aux  articles  suivants  emportait  la  peine  de  la  confiscation  et  de 
la  potence  ;  puis,  afin  de  bien  marquer  l'intention  qui  lui  avait  dicté  ce 
décret,  au  même  poteau  où  furent  liés  quatre  catholiques  qui  avaient 
nié  la  suprématie  royale,  Henri  fit  attacher  trois  luthériens  qui  s'étaient 
prononcés  contre  le  bill,  et  tandis  que  les  premiers  furent  d'abord 
étranglés,  les  derniers  furent  brûlés  vifs.  L'année  suivante,  en  exécution 
du  même  édit,  plus  de  cinq  cents  personnes  furent  emprisonnées.  L'ap- 
proche même  de  la  mort  ne  mit  pas  un  terme  aux  cruautés  de  Henri. 
Sur  le  soupçon  de  quelques  relations  que  Catherine  Parr,  sa  dernière 
femme,  aurait  entretenus  avec  des  protestants  accusés  de  nier  la  pré- 
sence réelle,  il  fit  mettre  en  prison  plusieurs  d'entre  eux,  torturer  et 
brûler  une  jeune  femme  attachée  au  service  de  la  reine;  peu  même 
s'en  fallut  que  celle-ci  ne  courût  risque  de  la  vie  pour  s'être  hasardée  à 
discuter  contre  lui  la  question  du  sacrement.  Ces  actes  barbares  don- 
nent un  suffisant  démenti  à  ceux  qui,  s'obstinant  à  considérer  Henri  VIII 
comme  protestant,  ne  veulent  voir  dans  la  Réformation  d'Angleterre 
que  l'œuvre  d'un  capricieux  et  exécrable  despote.  Mais  ils  n'autorisent 
guère  davantage  ceux  qui  nient  au  contraire  qu'il  ait  en  rien  contribué 
à  cette  révolution,  et  veulent  en  attribuer  tout  l'honneur  à  la  nation 
elle-même.  Nous  avons  déjà  vu  combien  cette  nation  y  était  imparfai- 
tement préparée.  Quant  au  monarque,  il  n'y  avait  rien  en  lui  assurément 


ANGLETERRE  321 

(1  un  réformateur;  jamais  la  pensée  d'épurer  la  foi  ni  les  mœurs  de  son 
peuple  n'aborda  son  esprit.  En  rompant  avec  Rome,  il  ne  voulut  que 
secouer  un  joug  qui  lui  pesait.  Mais  en  s1  affranchissant,  il  affranchit  de 
fait  son  Eglise;  il  en  fit  un  établissement  national;  il  renversa  l'obstacle 
qui  bien  longtemps  encore  eût  empêché  la  vérité  d'y  pénétrer,  et  invo- 
lontairement ouvrit  la  brèche  qui  donnait  aux  vrais  réformateurs  accès 
dans  la  place.  Combien  de  princes  dont  les  actes  aboutissent  à  de  tout 
autres  tins  que  celles  qu'ils  se  sont  proposées!  a  Ce  qu'ils  ont  pensé  en 
mal,  dit  Burnet,  Dieu  le  fait  tourner  en  bien.  »  Henri  eût-il  été  le  plus 
ardent  adversaire  du  catholicisme,  pouvait-il  lui  porter  des  coups  plus 
funestes  qu'en  lui  ôtant  son  chef,  en  dispersant  sa  milice,  en  confisquant 
ses  biens,  et  en  dotant  de  ces  biens  une  noblesse  intéressée  à  sa  ruine  ? 
Il  n'en  eût  pas  tant  fallu  à  François  Ier  pour  changer  radicalement 
l'avenir  religieux  de  la  France.  Qu'après  tout  cela,  Henri  VIII  crûl 
pouvoir,  avec  le  sang  de  quelques  réformés,  recimenter  un  édifice  dont 
il  avait  sapé  les  fondements,  abattu  les  colonnes,  enlevé  le  faîte,  c'étail 
de  sa  part  une  grossière  illusion.  Lui-même,  pendant  qu'il  subissait 
l'ascendant  d'Anne  Boleyn,  de  Jeanne  Seymour,  celui  de  Cranmer  et 
de  Cromwell,  avait,  sans  y  songer,  frayé  plus  d'une  voie  à  la  Réforme. 
Ses  dispositions  testamentaires  en  ouvrirent  une  plus  sûre  et  plus  large 
encore.  —  Des  six  femmes  qu'il  avait  successivement  épousées,  et  dont 
il  avait  répudié  deux  et  fait  mourir  deux  autres,  il  ne  lui  restait,  à  sa 
mort,  en  1547,  que  trois  enfants:  Marie,  fille  de  Catherine  d'Aragon; 
Elisabeth,  fille  d'Anne  Boleyn  ;  Edouard,  fils  de  Jeanne  Seymour.  En 
confirmant  par  son  testament  l'acte  de  1544,  qui  réhabilitait  ses  deux 
filles  précédemment  déshéritées,  il  désigna  comme  son  successeur  im- 
médiat son  fils  Edouard,  encore  mineur,  sous  la  tutelle  de  ses  deux 
oncles  maternels,  dont  l'un,  le  duc  de  Somerset,  nommé  par  le  conseil 
de  régence  protecteur  du  royaume,  était,  sans  doute  à  l'insu  de  Henri, 
dévoué  à  la  cause  de  la  Réforme.  Encouragé  par  Calvin,  soutenu  par 
le  Parlement  et  la  nouvelle  noblesse,  il  maintint,  au  bénéfice  de  son 
pupille,  l'acte  de  suprématie  royale.  Le  jeune  prince,  protestant  comme 
sa  mère,  élevé,  sous  la  direction  de  Cranmer,  par  des  hommes  aussi 
éclairés  que  pieux,  remarquablement  doué  lui-même  sous  le  rapport 
du  caractère  et  de  l'intelligence,  applaudit  k  toutes  les  mesures  ré- 
formatrices décrétées  en  son  nom.  Dès  la  première  année  de  son 
règne  les  six  articles  de  sang  furent  abolis,  ainsi  que  les  anciens  édits 
portes  contre  les  wicléfites.  Une  visite  régulière  des  églises  fut  instituée 
au  moyen  de  commissaires  qui  partout  durent  se  faire  accompagner 
<1<  prédicateurs  zélés.  La  Bible  en  anglais  et  les  paraphrases  d'Erasme 
furent  introduites  dans  chaque  paroisse;  les  images  furent  enlevées  des 
églises,  les  processions  interdites,  le  célibat  obligatoire  aboli,  l'office 
du  Saint-Sacrement  réformé  ;  enfin  ce  qui  restait  d'anciennes  fondations 
monastiques  tut  confisqué  à  la  requête  et  au  profit  de  la  noblesse.  Ce 
fut  l'occasion  de  nouveaux  soulèvements  populaires  qui  ne  purent  être 
réprimer  qu'à  l'aide  d'une  armée.  Un  incident  plus  grave  fut  la  disgrâce 
de  Somerset,  queWarwick,  son  collègue,  par  de  faux  rapports,  fit  con- 
damner à  mort  comme  coupable  de  haute  trahison  (1552).  Mais  la  réac- 


322  ANGLETERRE 

lion  catholique  dont  cette  mort  devint  le  signal  fut  de  courte  durée; 
Warwick,  bien  que  protestant  douteux,  n'osa  défaire  entièrement 
l'œuvre  de  son  prédécesseur.  Ce  qui  avait  jusqu'alors  le  plus  man- 
qué en  Angleterre ,  c'était  un  nombre  suffisant  de  théologiens  et 
de  pasteurs  capables  d'édifier  par  la  parole  et  par  l'exemple.  En  1549, 
Bucer,  Fagius  et  après  eux  Calvin  remarquaient  avec  surprise  com- 
bien le  clergé  anglais ,  uniquement  occupé  du  rituel ,  presque  ja- 
mais de  l'enseignement  et  de  la  prédication,  était  peu  propre  à 
faire  avancer  la  Réforme,  en  sorte  qu'on  était  obligé  d'envoyer  les 
jeunes  gens  destinés  à  l'Eglise  étudier  sur  le  continent.  Le  retour  de 
Coverdale,  Rogers,  Hooper,  docteurs  distingués,  fugitifs  sous  Henri  VIII, 
permit  de  combler  en  partie  ce  déficit.  La  persécution  qui  sévissait  en 
ce  temps-là  sur  le  continent  y  contribua  d'une  manière  encore  plus 
efficace.  Il  se  forma  à  Londres  des  congrégations  de  protestants  réfu- 
giés de  presque  tous  les  pays.  A  leur  tête  on  distingue  Bucer  et  Fagius, 
eux-mêmes  menacés  par  Yinterim  de  Charles-Quint,  le  Polonais  Laski, 
les  Italiens  Bernardin  Ochino,  Pierre  Martyr  Vermigli,  l'Ecossais  Jean 
Knox,  qui  fut  nommé  chapelain  d'Edouard  VI.  Accueillis  par  le  jeune 
roi,  appelés,  pour  la  plupart,  à  enseigner  dans  les  universités  d'Oxford 
et  de  Cambridge,  ces  docteurs  étrangers  imprimèrent  à  la  Réforme 
anglaise  un  élan  plus  déterminé,  une  direction  évangélique  plus  pro- 
noncée. Cranmer,  stimulé  par  leur  exemple,  fit  instituer  par  la  cour 
six  chapelains,  dont  quatre  devaient  parcourir  le  royaume  en  évangé- 
listes;  de  concert  avec  Ridley,  il  publia  un  recueil  de  douze  homélies 
sur  la  foi  et  le  devoir,  destinées  à  être  lues  dans  les  assemblées  du 
culte.  La  liturgie  et  le  code  ecclésiastique  furent  revisés,  un  nouveau 
catéchisme  fut  rédigé  ;  une  confession  de  foi  en  4°2  articles,  réduits 
plus  tard  à  39,  fut  dressée  en  1552  dans  le  sens  calviniste  et  présentée 
à  la  signature  de  tous  les  membres  du  clergé.  Tels  étaient  les  progrès 
accomplis  dans  l'espace  de  six  ans,  lorsque  Edouard  VI  mourut  en 
1553  dans  sa  seizième  année,  au  moment  où,  comme  protestant  et 
comme  roi,  il  faisait  concevoir  les  plus  belles  espérances,  et  laissa  le 
trône  à  Marie,  sa  sœur  aînée,  qui  y  apporta  de  tout  autres  dispositions. 
—  Longtemps  spectatrice  indignée  des  humiliations  infligées  à  Catherine, 
sa  mère,  traitée  elle-même  en  fille  illégitime  par  les  Anglais  schismati- 
ques  et  par  son  propre  père,  qui  était  allé,  dit-on,  jusqu'à  projeter 
sa  mort,  irritée  contre  son  frère  qui,  non  content  de  la  gêner  dans 
l'exercice  de  son  culte,  avait  voulu  l'exclure  du  trône  au  profit  de  Jane 
Grey,  petite-nièce  de  Henri  VIII,  Marie  n'avait  oublié  aucun  de  ces  af- 
fronts. Son  fanatisme,  déjà  très-âpre,  fut  encore  envenimé  par  ses  di- 
recteurs et  les  gens  de  sa  cour.  Outre  le  clergé  qui,  malgré  sa  soumis- 
sion apparente,  était  encore  en  grande  majorité  attaché  à  l'ancien  ordre 
de  choses,  elle  avait  dans  ses  intérêts  la  vieille  noblesse,  jalouse  de  la 
nouvelle,  le  bas  peuple  des  villes  et  surtout  celui  des  campagnes,  qui  es- 
pérait d'elle  le  rétablissement  des  couvents.  Enfin,  comme  pour  mieux 
s'engager  dans  les  voies  de  la  réaction,  elle  accepta,  en  1554,  contre  le 
vœu  exprès  de  ses  sujets,  la  main  de  Philippe  II,  futur  héritier  du  trône 
d'Espagne  et  déjà  mortel  ennemi  du  nom  protestant.  Aussi  la  vit-on 


ANf.UTEHRE  323 

proinptement  oublie!'  les  promesses  de  tolérance  qu'elle  avait  faites  au 
commencement  de  son  règne.  Les  prêtres  mariés  furent  immédiate- 
ment chassés  du  pays,  les  chaires  protestantes  partout  fermées.  Un 
nouveau  Parlement  composé  à  son  gré  abrogea  toutes  les  ordonnances 
schismatiques  de  ses  prédécesseurs;  par  le  ministère  du  cardinal  Pôle, 
l'Angleterre  fut  solennellement  réconciliée  avec  la  cour  de  Rome,  la 
suprématie  royale  abolie,  la  messe  rétablie.  Bientôt,  comme  il  fallait 
s'y  attendre,  les  violences  commencèrent.  Marie  y  préluda  par  le  sup- 
plice de  Jane  Grey;  elle  épargna  Elisabeth,  il  est  vrai,  mais  en  la 
[(laçant  sous  une  étroite  surveillance.  Près  d'un  millier  d'Anglais, 
parmi  lesquels  une  foule  de  docteurs  ou  d'étudiants  en  théologie,  durent 
s'exiler,  des  milliers  d'étrangers  transporter  ailleurs  leur  industrie.  Les 
cachots  se  remplirent  de  protestants,  les  chefs  les  plus  illustres  du 
parti,  Cranmer,  Latimer,  Hooper,  trois  ou  quatre  cents  de  leurs  coreli- 
gionnaires, qui,  à  leur  exemple,  refusèrent  d'abjurer,  périrent  les  uns 
sous  la  hache,  le  plus  grand  nombre  sur  le  bûcher.  Déjà  même  sur  les 
instances  du  pape,  de  Gardiner  et  Bonner,  ses  dignes  suppôts,  l'inquisi- 
tion allait  être  établie,  lorsque,  en  1558,  Marie  mourut  sans  enfants, 
haïe  de  ses  sujets,  délaissée  par  son  mari,  et  désespérée  de  la  perte  de 
Calais  que  la  France  venait  de  reconquérir.  —  Sa  sœur  Elisabeth,  appelée 
à  lui  succéder,  trouva  le  peuple  anglais  plus  mur  pour  la  Réforme. 
Grâce  à  la  version  de  Tyndale ,  largement  répandue  sous  le  règne 
d'Edouard,  l'Evangile  était  mieux  connu;  le  frappant  contraste  des 
deux  règnes  précédents  avait  fait  ressortir  l'excellence  de  la  foi  protes- 
tante; et  quel  témoignage  éloquent  que  celui  que  venaient  de  lui  rendre 
tant  de  confesseurs  et  de  martyrs  !  Le  sentiment  national  ne  plaidait  pas 
moins  en  sa  faveur.  Deux  fois,  par  les  intrigues  de  princesses  catholi- 
ques, l'Angleterre  s'était  vue  menacée  de  plier  sous  un  joug  étranger, 
par  Marie  ïudor  sous  celui  de  l'Espagne,  par  Marie  de  Lorraine,  régente 
d'Ecosse,  sous  celui  de  la  France.  Le  patriotisme  d'Elisabeth,  au  con- 
traire, son  caractère  énergique,  sa  haute  intelligence,  son  amour  pour 
les  lettres,  promettaient  au  pays  une  ère  glorieuse  d'indépendance  et  de 
grandeur.  Soutenue  ainsi  par  l'élite  de  son  peuple,  tandis  qu'un  pontife 
impérieux  lui  contestait  effrontément  ses  droits,  dès  1560  étroitement 
alliée  avec  l'Ecosse,  qui,  sous  les  auspices  de  l'intrépide  Jean  Knox,  ve- 
nait d'accomplir  sa  révolution  à  la  fois  politique  et  religieuse,  Elisabeth 
consacra  son  règne  long  et  heureux  à  faire  triompher,  chez  elle  et  aussi 
loin  que  -étendit  son  influence,  la  cause  de  la  Réformation.  Elle  y 
•••H— il  d 'autan!  mieux  qu'elle  y  travailla  avec  circonspection  et  pru- 
dence. L'ancien  culte  comptait  encore  de  nombreux  adhérents  dans  les 
tevées;  elle  ne  les  repoussa  point  brusquement  de  ses  conseils, 
d  en  maintenant,  entourés  de  clauses  sévères,  les  actes  de  supré- 
matie cl  d'uniformité,  elle  les  mitigea  dans  l'application,  en  sorte  que, 
an  inoins  pendant  les  dix  premières  années  de  son  règne,  sa  conduite 
envers  les  partis  dissidents  put  passer  pour  de  la  tolérance.  Bile  jugea 
de  même  qu'une  réforme  aussi  radicale  que  celles  de  Zwingle  et  de 
Calvin,  vers  I*  squelles  son  frère  avait  incliné,  conviendrai!  mal  aux  ha- 
bitudes eî  an  tempérament  de  son  peuple.  Naturellement  amie  elle- 


324  ANGLO-SAXONS  —  ANGLETERRE 

même  de  la  dignité  et  d'une  certaine  pompe  dans  le  culte,  elle  conserva 
de  la  liturgie,  des  rites  et  de  la  constitution  de  l'ancienne  Eglise,  tout 
ce  qui,  sans  trop  s'écarter  de  l'esprit  protestant,  s'harmonisait  avec  le 
caractère  aristocratique  de  son  gouvernement,  et  semblait  propre  à  for- 
tifier l'autorité  de  la  religion  sur  les  masses.  Le  Parlement,  toujours 
docile,  ratifia  sans  hésiter  les  ordonnances  d'Elisabeth,  et,  à  l'exception 
des  évêques,  qui  refusèrent  presque  tous  le  serment  de  suprématie, 
l'immense  majorité  du  clergé  y  donna  son  adhésion  plus  ou  moins  sin- 
cère. Depuis  ce  moment,  la  Réformation  peut  être  considérée  comme 
définitivement  établie  en  Angleterre.  Elle  avait,  comme  on  vient  de 
le  voir,  passé  par  trois  phases  distinctes.  Sous  Henri  VIII  elle  s'était  à 
peu  près  bornée  à  la  rupture  avec  Rome.  Tandis  qu'ailleurs  les  réformes 
avaient  amené  le  schisme,  ici  le  schisme  avait  précédé  les  réformes. 
Celles-ci  n'avaient  proprement  commencé  que  sous  Edouard  VI,  en  se 
modelant  plus  ou  moins  sur  celles  de  Genève  et  de  la  Suisse;  jusqu'à  ce 
que,  sous  Elisabeth,  mieux  assorties  au  génie  de  la  nation  et  à  la  poli- 
tique de  la  reine,  elles  se  fondirent  en  ce  système  mixte  où  le  régime 
épiscopal  et  un  rituel  demi-catholique  se  trouvent  juxtaposés  à  un 
dogme  calviniste  mitigé.  —  Sources  à  consulter  :  Strype,  Annals  of 
Réf.  et  eccles.  memorials;  Collier,  Eccles.  hist.  of  Gr.  Britain;  Burnet, 
Hist.  de  la  Réformation  d'Angleterre;  Bonnechose,  Hist.  d'Angleterre; 
Lingard,  id.\  Merle,  Hist.  de  la  Ré  format.,  t.  V,  ss.  ;  J.-J.  Tayler,  Reli- 

gious  life  of  England;  Herzog,  Real-Encycl. ,  art.  England;  etc. 

E.  Chastel. 

ANGLETERRE  (Statistique  ecclésiastique).  Voyez  Britanniques  (Iles). 

ANGLICANISME.  Voyez  Eglise  anglicane. 

ANGLO-SAXONS  (Conversion  des).  Depuis  que  les  Romains  avaient 
achevé  la  conquête  du  midi  et  de  l'est  de  la  Grande-Bretagne  et,  par 
les  murailles  d'Adrien  et  d'Antonin  le  Pieux,  l'avaient  mise  à  couvert 
des  incursions  des  Pietés  et  des  Scots,  la  civilisation  romaine,  introduite 
sous  le  gouvernement  d'Agricola  (77-85),  s'y  était  par  degrés  conso- 
lidée. L'établissement  de  colonies  de  vétérans,  le  développement  de 
l'agriculture  et  du  commerce,  la  fondation  de  villes  nombreuses, 
l'extinction  graduelle,  puis  la  destruction  violente  de  la  corporation  des 
druides,  y  avaient  préparé  les  voies  au  christianisme,  qui,  vers  la  fin  du 
second  siècle,  y  avait  été  apporté  d'Orient,  soit  directement,  soit  par 
l'intermédiaire  des  villes  commerçantes  de  la  Gaule.  Les  persécutions 
de  Dioctétien  n'en  avaient  que  momentanément  arrêté  l'essor  ;  bientôt 
l'administration  douce  et  tolérante  de  Constance  Chlore,  le  zèle  chré- 
tien de  son  épouse  Hélène,  enfin  la  faveur  déclarée  de  Constantin,  leur 
fils,  avaient  rendu  à  l'Eglise  la  paix  d'abord,  puis  la  liberté.  En  314, 
trois  évêques  bretons  siégeaient  déjà  au  concile  d'Arles  ;  du  temps  de 
Théodose,  la  Bretagne  en  comptait  environ  une  trentaine  :  chaque  ville 
un  peu  importante  avait  le  sien,  et  ces  dignitaires  ecclésiastiques,  par 
le  crédit  qui  s'attachait  à  leur  caractère,  exerçaient  même  dans  les 
affaires  civiles  une  certaine  autorité.  Mais,  sous  les  faibles  successeurs 
de  Théodose,  l'ébranlement  de  la  domination  romaine  fit  sentir  à 
l'Eglise  bretonne,  ainsi  qu'à  bien  d'autres,  ses  funestes  contre-coups. 


ANGLO-SAXONS  325 

Pour  tenir  tête  aux  nations  germaniques,  qui  de  tous  côtés  pénétraient 

jusqu'au  cœur  de  L'empire,  Honorius  fut  obligé,  en  409,  de  rappeler  ses 
légions  de  la  Bretagne.  Aussitôt  les  Pietés  et  les  Scots  forcèrent  le  rem- 
part qui  les  contenait,  et  se  répandirent  dans  les  provinces  du  midi. 
Abandonnés  à  eux-mêmes  et  incapables  de  résister  à  ce  torrent,  les 
Bretons  appelèrent  à  leur  aide  des  barbares  plus  redoutables  encore. 
Depuis  deux  siècles  déjà  avaient  paru  dans  les  mers  du  Nord  les  pirates 
saxons,  connus  sous  le  nom  de  «  rois  de  la  mer.  »  Avec  leurs  barques 
légères,  ils  croisaient  le  long  des  côtes,  remontaient  les  fleuves,  se  ré- 
pandaient dans  les  campagnes,  et  ne  les  quittaient  que  gorgés  de  butin. 
A  plusieurs  reprises  déjà,  ils  avaient  fait  des  descentes  en  Bretagne. 
En  449,  ils  y  reparurent  au  nombre  de  neuf  mille,  sous  la  conduite  de 
deux  chefs,  Hengistet  Horsa,  qui  se  disaient  descendants  d'Odin.  Le  roi 
breton  Vortiger  implora  leur  secours,  leur  promettant,  s'ils  l'aidaient  à 
repousser  les  Pietés,  de  leur  abandonner  l'île  de  Thanet.  Mais,  aussitôt 
ce  service  rendu,  les  Saxons  deviennent  exigeants  :  ils  demandent  la 
cession  d'un  nouveau  territoire.  Sur  le  refus  de  Vortiger,  ils  s'allient 
avec  les  Pietés  et  s'emparent  de  la  province  de  Kent,  qu'ils  érigent  en 
royaume  sous  le  sceptre  d'Hengist.  En  477,  un  nouveau  chef  saxon  dé- 
barque dans  les  provinces  du  midi,  en  chasse  les  Bretons,  et  y  fonde  le 
royaume  de  Sussex.  Dix-huit  ans  après,  Cerdie  fonde  de  même  le 
royaume  de  Wessex  ;  plus  tard  encore  un  autre  chef,  celui  d'Essex. 
Après  les  Saxons,  qui  avaient  ainsi  baptisé  de  leur  nom  chacune  de  leurs 
conquêtes,  les  Angles  émigrés  du  Schleswig,  encouragés  par  leur  exem- 
ple, débarquent  à  leur  tour  (537)  sur  la  côte  orientale,  livrent  aux  Bre- 
tons de  nouveaux  combats,  et  sur  leur  territoire  établissent  les  royaumes 
de  Mercie,  d'Estanglie,  et  deux  autres  compris  ensemble  sous  le  nom 
de  Northumberland;  en  sorte  que,  vers  la  fin  du  sixième  siècle,  l'île 
entière,  à  l'exception  de  l'Ecosse  et  du  pays  de  Galles,  se  trouva  sou- 
mise aux  rois  de  l'octarchie  anglo-saxonne,  qui,  sur  les  ruines  de  la  civi- 
lisation romaine,  y  firent  prévaloir  leur  langage,  leurs  usages,  leurs 
mœurs,  et  enfin  leur  idolâtrie  nationale.  Ces  conquérants,  en  effet, 
branche  de  la  grande  confédération  des  Saxons  et  des  Angles,  qui  s'é- 
tendait des  embouchures  de  l'Elbe  à  celles  du  Rhin,  ne  s'étaient  point 
trouvés,  avant  leurs  invasions,  comme  les  Goths,  les  Francs  et  même  les 
Lombards,  en  contact  suivi  avec  des  nations  chrétiennes.  Ils  apportaient 
dos  contrées  du  Nord  la  seule  religion  qui  y  fut  alors  connue,  le  poly- 
théisme  germanique  ou  Scandinave  (Turner,  t.  T,  p.  127  ss.),  et  se  ven- 
gèrent sur  le  culte  chrétien  delà  longue  résistance  que  les  Bretons  leur 
avaient  opposée.  Les  églises  furent  démolies,  les  monastères  pillés  et 
brûlés,  les  troupeaux  dispersés,  les  prêtres  massacrés  au  pied  des  au- 
tels,  La  plupart  des  Bretons  échappés  au  carnage  se  réfugièrent  en 
Ecosse,  dans  le  pays  de  Galles,  dans  les  monastères  de  l'Irlande,  ou  dans 
PArmorique  gauloise.  Ceux,  en  petit  nombre,  qui  restèrent  dans  le  pays, 
abattus,  découragés  par  la  servitude,  comme  l'avoue  leur  historien  Gil- 
<la<,  ne  tentèrent  lien  pour  la  conversion  de  vainqueurs  farouches  dont 
ils  ne  parlaient  point  la  langue  et  sur  lesquels  ils  ne  pouvaient  exer- 
cer aucun  ascendant  (Bède,  I,  22).  Ce  n'était  pas  non  plus  de  l'Ecosse 


326  ANGLO-SAXONS 

ni  de  l'Irlande,  on  la  foi  chrétienne  venait  à  peine  de  pénétrer  et  où  le 
nom  saxon  était  abhorré,  que  pouvait  partir  une  telle  tentative.  Le 
christianisme  semblait  donc  détruit  sans  ressource  en  Angleterre  (Blum- 
hardt,  t.  Il,  p.  177,  241;  Mitman,  Lai.  Christ.,  t.  II,  p.  55  ss.),  lors- 
qu'une circonstance  fortuite  attira  sur  ce  pays  la  sollicitude  du  pape 
Grégoire  le  Grand.  N'étant  encore  que  simple  moine  à  Rome,  il  remar- 
qua un  jour  sur  le  marché  aux  esclaves  quelques  adolescents  dont  la 
physionomie  l'intéressa.  Il  s'informa  de  leur  pays  et  de  leur  religion,  et 
apprit  que  c'étaient  de  jeunes  Angles  amenés  de  Bretagne  et  dont  la 
nation  était  encore  païenne.  Il  supplia  aussitôt  le  pape  Pelage  de  l'en- 
voyer en  mission  dans  ce  pays.  Bientôt  élevé  lui-même  au  souverain 
pontificat,  il  ne  put  accomplir  son  projet  ;  mais  il  ne  le  perdit  point  de 
vue.  En  attendant  que  ces  jeunes  esclaves,  qu'il  fit  élever  à  Rome  dans 
un  couvent,  fussent  en  état  d'aller  évangélisër  leur  pays  natal,  il  y  en- 
voya un  de  ses  anciens  collègues,  le  moine  Augustin,  suivi  de  quarante 
autres  missionnaires.  Le  moment  était  favorable  :  des  relations  com- 
mençaient à  s'établir  entre  l'octarchie  saxonne  et  le  royaume  des 
Francs.  Ethelbert,  roi  de  Kent,  venait  d'épouser  Berthe,  fille  de  Garibert, 
princesse  chrétienne,  qui  s'était  réservé  dans  le  palais  du  roi  païen  le 
libre  exercice  de  son  culte.  Débarqués  en  597  dans  l'île  de  Thanet,  Au- 
gustin et  ses  compagnons  firent  annoncer  au  roi  leur  arrivée  et  le  but 
de  leur  voyage.  Le  roi,  favorablement  prévenu  par  son  épouse,  les 
accueillit,  autorisa  leur  prédication,  les  invita  même  à  résider  à  Gan- 
torbéry,  où  il  se  chargea  de  leur  entretien  et  leur  accorda  l'usage  d'une 
vieille  chapelle  jadis  consacrée  à  saint  Martin  de  Tours.  Là,  leur  genre 
de  vie  simple  et  austère,  la  mystérieuse  solennité  de  leur  culte  et  le 
crédit  visible  dont  ils  jouissaient  auprès  de  la  reine,  firent  impression 
sur  les  Saxons,  qui,  dès  la  même  année,  reçurent  le  baptême  au  nombre 
de  dix  mille.  Informé  de  ces  heureux  débuts,  Grégoire  décerna  à  Au- 
gustin le  titre  de  primat  de  l'Eglise  anglaise,  lui  envoya  de  nouveaux 
collaborateurs,  exhorta  pathétiquement  la  reine  à  travailler  comme 
sainte  Hélène  à  la  conversion  de  son  époux,  le  roi  lui-même  à  recon- 
naître les  grâces  du  vrai  Dieu,  en  détruisant  dans  son  royaume  le  culte 
des  idoles.  Son  vœu  ne  tarda  pas  à  être  exaucé,  quant  à  la  pleine  li- 
berté, au  moins,  qui  fut  laissée  aux  efforts  des  missionnaires.  Le 
royaume  de  Kent  occupait  alors  le  premier  rang  dans  l'octarchie  an- 
glo-saxonne, son  chef  Ethelbert  soutenait  avec  les  autres  familles  roya- 
les de  nombreux  rapports  d'intérêt,  d'affection  ou  de  parenté,  que  les 
compagnons  d'Augustin  surent  heureusement  mettre  à  profit.  C'est 
ainsi  que  le  roi  d'Essex,  neveu  d'Ethelbert,  reçut  avec  faveur  les  mis- 
sionnaires Mellitus  et  Justus  ;  que  Redwald,  roi  d'Estahglie,  dans  une 
visite  qu'il  fit  à  celui  de  Kent,  se  déclara  chrétien  ;  qu'Edwin,  un  de  ses 
successeurs,  en  épousant  la  fille  d'Ethelbert  aux  mêmes  conditions  que 
celui-ci  avait  épousé  Berthe,  accueillit  à  sa  cour  Paulin  en  qualité  d'au- 
mônier de  la  reine,  promit,  comme  Clovis,  de  se  faire  baptiser  si  le 
Dieu  des  chrétiens  le  rendait  vainqueur  de  ses  ennemis  ;  qu'enfin,  après 
avoir  pris  l'avis  de  son  conseil,  il  accomplit  le  vœu  avec  toute  sa  no- 
blesse et  deux  mille  de  ses  sujets,  et  persuada  aux  deux  fils  de  Red- 


ANC.I.O-SAXONS  r,->7 

wald  de  suivre  son  exemple  ;  en  sorte  que  le  christianisme  se  propagea 
dans  tout  le  royaume  d'Estanglie.  Oswaldet  Oswy,  son  frère,  exercèrent 
dans  la  Northumbrie  Le  même  ascendant  qu'Elhelberl  dans  le  royaume 
de  Kent.  Penda  n'obtint  ta  main  de  la  tille  d'Oswy  que  sous  la  condi- 
tion de  se  convertira  la  foi  chrétienne,  et  son  beau-frère  Alfred  se  fit 
comme  lui  baptiser  avec  tous  ses  comtes  et  ses  chevaliers.  L'idolâtrie 
anglo-saxonne  ne  se  laissa  pas  cependant  vaincre  sans  résistance.  Etroi- 
temenl   liée   aux  vieilles   moeurs   de   la  nation,   elle  repoussa  autant 
qu'elle  le  pul  le  joug  de  la  discipline  chrétienne.  Le  fils  d'Ethelbert 
lui-même,  Eadbald,  furieux  de  ce  que  le  missionnaire  Laurent  voulait 
r empêcher  d'épouser  sa  belle-mère,  renvoya  les  ecclésiastiques  de  sa 
cour,  retourna  au  paganisme  et  y  ramena  plusieurs  de  ses  sujets,  bap- 
tisés en  même  temps  que  lui.  Après  la  mort  de  Sabaret,  roi  d'Estanglie, 
ses  fils  expulsèrent.  Mellil  us,  qui  voulait  les  empêcher  de  profaner  la 
mainte  cène.  Souvent  aussi,   pendant  les  guerres  fréquentes  que  se  li- 
vraient les  différents  Etats,  maints  princes  qui  se  disputaient  la  préémi- 
nence, ou  qui  voulaient  s'agrandir  aux  dépens  de  leurs  voisins,  s'ar- 
maient du  fanatisme   païen   encore  vivace   chez   les  tribus  les  plus 
barbares  ;  il  en  résultait  des  réactions  violentes  qui  paralysaient,  par- 
fois même  détruisaient  l'œuvre  des  missionnaires.  C'est  ainsi  qu'Edwin, 
dans  son  enfance,  avait  eu  beaucoup  à  souffrir  des  cruautés  du  païen 
Ethelfrid  qui  lui  disputait  le  trône  de  Northumbrie  ;  il  finit  par  trouver 
la  mort  dans  un  combat  qui  lui  fut  livré  par  Penda,  roi  païen  de  Mer- 
cie,  <ll  qui  eut  pour  conséquence  la  dévastation  de  deux  royaumes  ei 
des  cruautés  sans  nombre  exercées  contre  les  chrétiens.  Mais  à  mesure 
que  la  population  saxonne  prenait  racine  dans  le  pays,  et  en  fermait 
l'accès  à  de  nouveaux  envahisseurs,  ses  mœurs  s'adoucissaient  par  de- 
grés ;  le  besoin  de  la  paix  se  faisait  mieux  sentir  ;  les  âmes,  moins  ru- 
des, moins  grossières,   devenaient  plus  accessibles   à  la  prédication 
évangélique.  L'esprit  saxon,  ditïurner,  acquérait  ce  degré  de  maturité 
qui  ne  pouvait  plus  s'accommoder  des  absurdités  du  paganisme,  et 
s'ouvrait  aux  intluences  d'une  religion  plus  pure.  On  en  eut  la  preuve 
dans  le  conseil  tenu  par  le  roi  Edwin,  où  l'un  des  grands  de  sa  nation 
démontra  d'une  manière  expressive  l'impuissance  de  leur  ancienne  re- 
ligion pour  résoudre  l'énigme  de  la  vie  et  la  nécessité  de  s'en  instruire 
dm-  la  religion  du  Christ.  L'avis  d'un  prêtre  saxon  fut  encore  plus  dé- 
cisif.  Après  avoir  entendu  le  missionnaire  Paulin  expliquer  la  nature  et 
le  culte  du  vrai  Dieu  :  «  Jusqu'à  ce  jour,  dit-il,  je  ne  savais  ce  que  j'a- 
:  plus  j'examinais  noscroyances  idolâtres,  plus  j'en  reconnaissais 
l'erreur.  Maintenant  j'adople  sans  hésitation  celles  qu'on  nous  expose 
et   dont    la  vérité  et  les   bienfaits  resplendissent  à  mes  yeux.  0  roi  ! 
hâte-toi  de  faire  brûler  ces  temples  que  nous  avons  si  follement  véné- 
rés. —  Qui  l'oserait  ?  demanda  un  des  assistants. —  Moi!  répliqua-t-il,  » 
«t  s'élançanl  -m-  le  cheval  du  roi,  il  courut  au  temple  des  idoles,  en  fil 
lf  tour  en  brandissant  sa  lance,  et  ordonna  à  ses  collègues  d'y  mettre  le 
feu.  Ce  coup  hardi  trancha  La  question;  le  peuple,  tout  à  l'heure  ef- 
frayé, applaudit;  et  le  roi,  sa  noblesse  et  un  grand  nombre  (le  ses  su- 
jets reçurent  en  même  temps  le  baptême.  Le  farouche  Penda  lui-même 


328  ANGLO-SAXONS 

sur  la  fin  de  sa  vie  sentit  s'adoucir  la  haine  qu'il  avait  vouée  au  chris- 
tianisme, et  qui  l'avait  rendu  meurtrier  de  cinq  rois.  Il  permit  dans  ses 
Etats  la  profession  et  la  prédication  de  l'Evangile.  A  sa  mort,  la  Mercie 
se  trouva  presque  entièrement  convertie.  Les  mêmes  influences  aidè- 
rent le  christianisme  à  se  répandre  dans  les  autres  royaumes  ;  en  sorte 
que,  cent  cinquante  ans  après  l'établissement  des  Anglo -Saxons  en 
Bretagne  et  soixante-cinq  ans  après  l'arrivée  des  premiers  missionnaires 
romains,  le  christianisme  s'y  trouvait  rétabli.  Il  ne  l'était  point  cepen- 
dant exactement  sous  la  forme  qu'il  avait  chez  les  Bretons  et  qu'il  con- 
servait encore  dans  le  pays  de  Galles.  Les  Bretons  l'avaient  reçu  d'Orient, 
par  conséquent  avec  certains  rites,  certains  usages  différents  de  ceux 
qu'Augustin  avait  apportés  de  Rome.  Ainsi,  sans  parler  de  diversités 
insignifiantes  dans  le  costume  des  prêtres  ou  dans  les  observances  du 
carême,  les  Bretons  célébraient  la  Pâque  le  même  jour  que  les  Juifs, 
permettaient  le  mariage  aux  ecclésiastiques  d'ordre  inférieur,  etc. 
Grégoire  le  Grand,  dans  son  projet  de  mission,  ne  paraît  pas  s'être  beau- 
coup préoccupé  de  ces  différences  ;  et  c'est  injustement,  selon  nous, 
que,  le  jugeant  d'après  un  trop  grand  nombre  de  ses  successeurs,  on 
n'a  voulu  voir,  dans  le  zèle  qu'il  déploya  pour  la  conversion  de  l'An- 
gleterre, que  l'effet  d'une  politique  ambitieuse  et  intéressée,  comme 
s'il  se  fût  proposé  avant  tout  d'asservir  ce  pays  à  la  domination  de 
Home,  et  de  substituer  violemment  le  rite  romain  au  rite  breton.  Les 
vues  de  l'éminent  pontife  étaient  plus  grandes  et  plus  généreuses.  Au 
milieu  du  chaos  où  la  chute  de  l'empire  latin  avait  plongé  l'Europe  en- 
lière  et  où  le  christianisme  et  la  civilisation  semblaient  également  en 
péril,  Rome,  qui  seule  en  Occident  n'était  point  restée  au  pouvoir  des 
barbares,  Rome,  pourvue  encore  de  tant  de  ressources,  et  dont  l'anti- 
que renom  imprimait  partout  le  respect,  avait  une  mission  protectrice 
à  exercer  envers  toutes  les  Eglises  ;  c'était  à  elle  à  les  secourir  là  où 
elles  étaient  menacées,  à  les  relever  là  où  elles  étaient  tombées,  à  les 
fortifier  les  unes  par  les  autres  en  les  groupant  autour  d'elle-même 
en  un  seul  faisceau.  Le  christianisme  avait  succombé  dans  tout  une 
partie  de  la  Grande-Bretagne,  il  s'agissait  de  l'y  rétablir  ;  Rome  seule 
alors  en  manifestait  le  désir,  et  en  avait  le  pouvoir.  Ce  fut  là  l'objet  de 
la  noble  ambition  de  Grégoire,  et  non  la  gloriole  mesquine  de  soumet- 
tre une  Eglise  de  plus  à  son  joug.  Après  sa  mort,  il  est  vrai,  lorsque  les 
Saxons  voulurent  étendre  leur  domination  sur  les  Bretons  du  pays  de 
Galles,  l'ambition  d'Augustin  se  tourna  aussi  de  ce  côté.  Soutenu,  dit 
Bède  (II,  2),  par  le  roi  Ethelbert,  il  convoqua  à  une  conférence  les  évê- 
ques  et  les  docteurs  bretons,  et  les  invita  fraternellement  à  évangéliser 
de  concert  avec  lui  la  nation  saxonne.  «  Si  vous  m'accordez  trois  choses, 
leur  dit-il,  la  célébration  de  la  Pâque  en  son  temps,  le  baptême  selon 
le  rite  romain,  et  la  prédication  aux  Saxons,  nous  passerons  sur  tout  le 
reste.  »  Offensés  par  ses  airs  de  hauteur,  ils  ne  se  rendirent  point  à  sa 
demande.  «  Eh  bien  !  leur  dit-il,  si  vous  ne  voulez  enseigner  aux 
Saxons  le  vrai  chemin  de  la  vie,  vous  trouverez  la  mort  par  leurs 
mains.  »  Cette  prédiction  s'accomplit,  ajoute  Bède  ;  car,  après  la  mort 
d'Augustin,  Ethelbert,  indigné  de  leur  obstination,  excita  contre  eux  un 


ANGLO-SAXONS  —  ANGOUMOIS  329 

roi  de  Deira,  encore  attaché  au  paganisme.  Les  Brelons  turent  vaincus  ; 
douze  cents  moines  du  couvent  gallois  de  Bangor,  qui  étaient  venus  le 
soutenir  par  leurs  prières,  furent  massacrés,  et  leur  monastère  réduit 
en  cendres.  Les  Bretons,  soumis  par  la  force  aux  Anglo-Saxons,  durent 
se  plier  au  rituel  romain.  Plus  tard,  dans  le  synode  de  Whitby  (664), 
où  la  même  question  fut  agitée,  et  où  un  missionnaire  saxon  soutint 
avec  ardeur  la  cause  de  Rome,  le  roi  Oswy,  apprenant  que  Jésus  avait 
promis  à  saint  Pierre  et  à  ses  successeurs  les  clefs  du  royaume  des 
deux,  déclara  qu'il  y  aurait  folie  à  braver  l'ordre  établi  par  le  vicaire 
du  Christ.  L'intluence  des  papes  ne  cessa  dès  lors  de  s'accroître  dans 
toute  l'Angleterre;  le  pèlerinage  de  Rome  devint  de  mode  chez  les 
princes  anglo-saxons.  Plusieurs  même  s'y  retirèrent  pour  passer  le  reste 
de  leurs  jours  dans  ses  couvents.  L'unité  romaine  acheva  de  se  fortifier 
sous  l'influence  de  Théodore,  que  le  pape  Vitalien  éleva  en  667  à  l'arche- 
vêché de  Cantorbéry  et  qu'il  chargea  d'organiser  définitivement  l'Eglise 
anglo-saxonne.  Natif  de  Tarse  en  Gilicie  et  longtemps  moine  à  Rome, 
versé  par  là  également  dans  les  lettres  grecques  et  latines,  Théodore  con- 
tribua beaucoup  au  développement  de  la  science  dans  les  monastères 
bénédictins  qu'il  fonda.  C'est  de  là  que  sortirent  en  foule  des  mission- 
naires qui  allèrent  répandre  le  christianisme  dans  les  contrées  encore 
païennes  du  nord  de  l'Europe  d'où  leurs  ancêtres  étaient  issus,  et  dont 
ils  parlaient  encore  la  langue.  Nommons  à  leur  tête  Winfried,  l'apôtre  de 
l'Allemagne,  si  célèbre  sous  le  nom  de  Boniface,  fondateur  des  Eglises 
de  Thuringe  et  de  tant  d'autres  que,  dans  son  zèle  pour  l'unité  ecclé- 
siastique, il  plaça  sous  la  suzeraineté  de  l'évêque  romain.  —  Sources  à 
consulter:  Beda,  Hist.  eccles.  gent.  Anglorum;  Collier,  Eccles.  history 
of  England  ;  Turner,  History  of  the  Anglo-Saxons  ;  Blumhardt,  Histoire 
de  l'établissement  du  christianisme,  T.  II;  Lingard,  Hist.  cT Angleterre  ; 
Bonnechose,  Hist.  d'Angleterre  ;  Thierry,  Hist.  de  la  conquête  d'Angl. 
par  les  Normands;  Mitman,  Latin  Christianity,  t.  IL  E.  Chastel. 

ANGOULEME  [Inculisma,  Fcolisma,  Engolisma,  Engoleime],  évêché 
sutfragant  de  Bordeaux.  Saint  Ausone,  vivant  au  troisième  siècle,  est 
cité  comme  l'apôtre  et  le  premier  évêque  d'Angoulême;  il  est  fêté 
comme  martyr,  le  11  juin.  Dynamius,  nommé  par  Grégoire  de  Tours, 
est  le  premier  évêque  dont  l'existence  soit  certaine.  L'église  cathédrale 
de  Saint-Pierre  (douzième  siècle)  fut  dévastée,  l'église  et  le  monastère 
de  Saint-Ausone  furent  rasés  par  les  calvinistes  en  1568  (voy.  Chaumet, 
les  Protestants  et  la   cathédr.   d'Angoulême,  Ang.  1869).  Saint  Cybar 

Eparchiùs),  reclus,  mort  en  581,  dont  un  couvent  conserve  le  nom,  est 
le  pal  ion  de  la  ville  ;  il  est  fêté  le  1er  juillet  {Gallia,  II). 

ANGOUMOIS.  Cette  province  (Charente),  dont  Angoulème  était  la  ca- 
pitale et  qui  forma,  avec  l'Aunis,  la  Saintonge  et  les  îles,  un  même  ar- 
rondissemenl  synodal,  fut  visiléeen  1532  par  Calvin  qui  fuyait  la  persé- 
cution. Le  fui iir  réformateur  trouva  un  asile  dans  la  maison  de  Louis 
du  Tillet,  chanoine  d'Angoulême  et  curé  de  Claix.  C'est  là  que,  n'ayant 
pas  encore  rompu  avec  la  communion  de  Rome,  il  posa  les  premiers 
fondements  de  sa  célèbre  Institution  chrétienne  et  se  lia  d'amitié  avee 
l'abbé  de  Bussac,  Charles  Girault  d'Auqueville,  Antoine  Chaillon,  prieur 
i.  22 


330  ANGOUMOIS 

de  Bouteville  et  autres,  avec  lesquels  il  se  réunissait  fréquemment 
dans  la  maison  de  Girac,  près  d' Angoulême.  11  composa  même  des  exhor- 
tations que  du  Tillet  fit  lire  au  prône  à  Angoulême  et  dans  les  paroisses 
environnantes.  Quelque  temps  après  il  retourna  à  Paris,  mais  fut  con- 
traint presque  aussitôt  de  reprendre  le  chemin  d' Angoulême.  Cette  fois 
il  était  surveillé  et  fut  réduit  à  se  cacher  à  Saint-Saturnin,  puis  dans  les 
grottes  de  la  Roche-Corail  (1534).  Poursuivi  jusque  dans  cette  dernière 
retraite,  il  partit  pour  Bade  avec  du  Tillet,  qui  malheureusement  ne 
persévéra  pas  dans  ses  premières  opinions.  Le  séjour  de  Calvin  dans 
l'Angoumois  porta  ses  fruits.  Dès  1536  Villefagnan  comptait  des  parti- 
sans des  idées  nouvelles,  et,  neuf  ans  plus  tard  (1545),  ils  formèrent  à 
la  Rochefoucauld  un  parti  assez  puissant.  Quelques  madones  furent  bri- 
sées dans  cette  dernière  localité  et  donnèrent  lieu  à  des  poursuites  di- 
rigées contre  deux  ecclésiastiques,  Jean  et  Elie,  et  les  nommés  Pierre 
Tachier  et  Guillaume  Bouhier  qui  furent  arrêtés.  A  dater  de  cette  épo- 
que, la  Réforme,  indirectement  favorisée  par  les  exactions  de  toutes  sor- 
tes auxquelles  étaient  en  butte  les  malheureux  habitants  des  campagnes 
de  l'Angoumois,  s'étendit  beaucoup  dans  cette  province.  Elle  recruta 
de  nombreux  adhérents  parmi  les  descendants  des  Sarrasins  et  des 
Visigoths,  qui  avaient  toujours  manifesté  une  grande  opposition  aux 
doctrines  et  à  la  hiérarchie  romaines.  Diverses  Eglises  furent  fondées, 
Cognac  en  1556  (Pierre  Combes,  pasteur),  Hiersac  en  1560,  Montignac 
en  1563  (Fériol,  pasteur),  Châteauneuf  en  1563  (Bordier,  pasteur),  Se- 
gonzac  avant  1560  (François  Gabard,  pasteur),  Saint-Claud  en  1547 
(Destampes,  pasteur,  Guillaume  Oubert,  diacre),  la  Rochefoucauld  avant 
1566  (Hog,  pasteur),  Vertueix  avant  1562  (Prévost,  pasteur  en  1566), 
Jonzac  avant  1567  (Cochois,  pasteur),  Jarnac,  vers  1561,  Tonnay-Cha- 
rente  en  1560  (Noël  Magnan,  pasteur),  Saint-Surin  (le  notaire  Jean  Frère 
Jean,  prêcheur  ;  Léopard,  pasteur  en  1561  ;  Sorain,  pasteur  en  1562), 
Aubeterre  (Bouchard,  pasteur  en  1562),  Chalais,  Barbezieux,  la  Roche- 
beaucour,  Villefagnan,  etc.  Dès  1560  ces  diverses  Eglises  avaient  tenu  un 
synode  provincial  à  Jarnac,  où  elles  affirmèrent  leur  union.  Pour  ce  qui 
est  de  la  capitale  de  l'Angoumois,  le  parti  protestant  y  devint  tout- 
puissant  en  1558.  L'année  suivante  une  Eglise  régulière  y  fut  fondée 
sous  le  ministère  de  Jean  de  Voyon,  allié  aux  meilleures  familles  d' An- 
goulême. Emprisonné  à  la  tour  du  Châtelet  à  Paris,  ses  parents  obtin- 
rent sa  délivrance  à  la  mort  de  François  II,  et  il  reprit  son  ministère, 
qu'il  continua  jusqu'à  l'édit  de  janvier.  En  son  absence  l'Eglise  avait  été 
desservie  par  le  pasteur  Dumont.  —  Pendant  la  première  guerre  de  re- 
ligion (avril  1562-19  mars  1563)  Angoulême  et  les  principales  places  de 
l'Angoumois  furent  enlevées  par  les  protestants,  mais,  la  fortune  de 
leur  parti  étant  devenue  chancelante  sur  les  bords  de  la  Loire,  les  dé- 
fenseurs d' Angoulême  se  rendirent  après  quinze  jours  de  siège.  On  leur 
promit  la  vie  sauve,  mais  cette  clause  ne  fut  pas  respectée,  et  le  cruel 
laRochefoucauld-Marthon,  qui  commandait  les  catholiques,  commit  les 
plus  grands  excès  dans  la  ville.  Il  en  fut  de  même  à  Cognac.  Pendant  la 
troisième  guerre  de  religion  (25  août  1568-8  août  1570),  Angoulême  et 
toutes  les  autres  places  de  l'Angoumois  tombèrent  de  nouveau  aux 


ANGOUMOIS  -  ANHALT  331 

mains  des  protestants  qui,  à  la  paix,  n'obtinrent  pas  le  droit  d'exercer 
leur  religion  dans  la  province.  La  Saint-Barthélémy  occasionna  de  nom- 
breux massacres  dans  l'Angoumois.  A  l'époque  de  la  Ligue  le  duc  d'E- 
pernon,  qui  tenait  le  parti  du  roi  de  Navarre  et  était  gouverneur  de  la 
province,  se  réfugia  à  Angouième  pour  se  mettre  à  l'abri  des  ligueurs, 
mais  il  se  trompa  en  quelque  sorte  d'adresse,  car  ces  derniers  l'assailli- 
rent trois  fois  dans  le  château,  et  ils  fussent  sans  nul  doute  parvenus  à 
le  massacrer  sans  l'approche  d'un  gros  escadron  de  cavaliers  hugue- 
nots. Quand  la  Ligue  eut  été  abattue  dans  la  province,  les  protestants 
recommencèrent  leurs  assemblées  publiques.  Ceux  d'Angoulême  cons- 
truisirent un  temple  à  Pontouvre ,  et  les  pasteurs  de  la  Rochefoucauld, 
Saint -Même  et  Segonzac  furent  rétribués  par  Henri  IV.  Les  guerres  reli- 
gieuses du  dix-septième  siècle  vinrent  troubler  de  nouveau  les  Eglises 
angoumoises,  mais  l'orage,  une  fois  passé,  elles  reprirent  leur  première 
prospérité.  Leurs  pasteurs  les  plus  distingués  furent  pour  cette  époque 
Pacard,  Gommarc  et  Daillon.  La  révocation  de  l'édit  de  Nantes  livra 
l'Angoumois  aux  convertisseurs  et  aux  missions  bottées.  Les  dragons 
parcoururent  le  pays  en  tous  sens,  recevant  les  conversions  par  milliers 
et  domptant  les  opiniâtres  par  la  force  et  la  souffrance.  D'un  autre  côté, 
les  prisons  se  remplirent  de  nombreux  confesseurs  et  spécialement  le 
château  d'Angoulême.  Le  commerce  des  papiers,  si  florissant  jusque-là  à 
Angoulême  et  dans  les  environs,  fut  anéanti  par  l'émigration,  et  la  Ro- 
chefoucauld, ville  riche  et  considérable  à  cette  époque,  perdit  ses  tan- 
neries si  renommées.  On  ne  trouva  même  plus  assez  de  gens  pour  culti- 
ver les  vignes,  et  le  commerce  des  eaux-de-vie  en  fut  gravement  atteint. 
La  première  assemblée  du  désert  de  l'Angoumois  fut  présidée,  dans  la 
nuit  du  9  novembre  1716,  àTouzac,  par  Jean  Berthelot,  prédicant  du 
Poitou,  condamné  dans  cette  dernière  province  par  contumace  aux 
galères  l'année  précédente.  Le  lieutenant  criminel  d'Angoulême  le  con- 
damna à  son  tour  à  mort.  Le  premier  moment  d'effroi  passé,  Berthelot 
reprit  ses  prédications  (1719),  puis  rentra  dans  le  Poitou.  11  eut  pour 
successeur  un  prédicant  venu  des  Gévennes,  nommé  Chapelle,  qui  fut 
trahi  et  emprisonné  en  Saintonge.  Plus  tard  apparaît  le  pasteur  Gibert 
l'aine,  qui  ne  dut  qu'à  la  vitesse  de  son  cheval  de  ne  pas  être  pris  à  la 
suite  d'une  assemblée  et  fut  condamné  à  mort  par  l'intendant  de  la 
Rochelle  (14  juil.  1756).  En  1763  il  conduisit  en  Angleterre  une  colonie 
de  réfugiés  protestants,  et  périt  en  1774  dans  une  assemblée  surprise  à 
Saint-Just  en  Saintonge.  Le  nombre  des  pasteurs  s'étant  beaucoup  accru 
dans  l'Angoumois  par  suite  des  progrès  de  la  tolérance,  les  Eglises  de 
Cftte  province  furent  desservies  dès  1761  par  un  pasteur  spécial,  nommé 
Martin  :  faveur  dont  elles  jouirent  jusqu'à  la  Révolution.  Après  le  con- 
cordat ces  mêmes  Eglises  formèrent  le  consistoire  de  Jarnac,  qui  comp- 
tait 4,000  protestants  environ  en  1870.— Voyez  :  Bèze,  Uist.  ecclés.;  Bu- 
jeaud,  Chroniq.prot.  de  VAnçjoum.,  1860;  Goguel,  1534-1836,  But.  et 
statistiq.  des  Egl,  réf.  de  la  Charente,  1836.  .     E.  Arnaud. 

ANHALT  (La  Réformation  dans  les  duchés  d').  A  l'époque  de  la  Ré- 
formation  la  maison  d'Anhalt  était  divisée  en  deux  branches  représen- 
tées, l'une,  par  le  prince  Wolfgang,  l'autre,  par  les  trois  fils  mineurs  du 


332  ANHALT  —  AN1GET 

prince  Ernest.  Wolfgang  est  une  des  plus  héroïques  figures  du  seizième 
siècle.  Né  le  1er  août  1492,  il  fit  la  connaissance  de  Luther  à  la  diète  de 
Worms  (1521)  et  se  montra  dès  ce  moment  favorable  à  la  Réforme. 
L'année  suivante  Luther  vint,  à  sa  demande,  prêcher  àZerbst,  dont  les 
bourgeois  se  prononcèrent  pour  l'Evangile.  En  1529,  Wolfgang  signa  la 
protestation  de  Spire,  et  en  1530  la  Confession  d'Augsbourg  ;  il  fit  alors 
à  Eck  cette  réponse  qui  le  caractérise  :  «  Notre  cause  est  bonne,  car 
c'est  la  cause  de  Dieu  et  Dieu  la  soutiendra.  Mais  sachez  bien,  monsieur  le 
docteur,  que,  si  vous  nous  suscitez  une  guerre,  vous  trouverez  aussi  de 
notre  côté  des  hommes.  »  Wolfgang  pleura  auprès  du  lit  de  mort  de 
Luther,  entra  dans  la  ligue  de  Smalcalde  et  tira  l'épée  contre  Charles- 
Quint.  Dépossédé  et  mis  au  ban  de  l'empire  après  la  bataille  de  Muhl- 
berg  (1546),  il  quitta  son  palais  en  chantant  le  cantique  de  Luther.  Mau- 
rice de  Saxe  contraignit  plus  tard  l'empereur  à  lui  restituer  ses  domai- 
nes. En  1561  Wolfgang  protesta  à  Naumbourg  contre  les  changements 
introduits  par  Mélanchthon,  dans  la  Confession  d'Augsbourg  ;  en  1564, 
il  abandonna  ses  États  à  ses  cousins  et  se  retira  dans  la  vie  privée,  à 
Zerbst,  uniquement  occupé  de  l'Eglise,  des  écoles  et  d'œuvres  de  cha- 
rité. Il  mourut  en  1 566.  L'autre  branche  d'Anhalt  était  représentée  par 
les  jeunes  princes  Jean,  George  et  Joachim,  placés  sous  la  tutelle  de 
leur  pieuse  mère  Marguerite  et  sous  l'influence  de  leur  parent  George 
de  Saxe,  l'ardent  ennemi  de  Luther.  Hostiles  à  la  Réforme  jusqu'en  1530, 
leurs  dispositions  furent  modifiées  par  la  lecture  de  la  Confession  d'Augs- 
bourg et  de  l'Apologie  ;  mais  ce  n'est  qu'en  1532  qu'ils  se  prononcèrent 
ouvertement  pour  la  Réformation,  et  ce  fut,  comme  dit  Luther,  non 
sine  magno  periculo,  magnis  principibus  contrarium  suadentibus,  insuper 
etiam  minantibus.  Ils  appelèrent  à  Dessau  l'ami  de  Luther,  Nicolas 
Hausmann,  dont  le  réformateur  disait:  «  Quod  nosdocemusi  illevivit.» 
Luther  resta  en  correspondance  avec  les  trois  princes,  surtout  avec 
George,  surnommé  le  Pieux,  dont  il  dit  :  «  Le  prince  George  a  plus  de 
piété  que  moi;  si  celui-là  ne  va  pas  au  ciel,  je  n'y  irai  pas  non  plus.  » 
Entré  dans  les  ordres,  George  fut  d'abord  chanoine  à  Naumbourg,  puis 
prévôt  du  chapitre  de  Magdebourg  ;  en  1544  il  devint  évêque  évangéli- 
que  de  Mersebourg  ;  il  mourut  à  Dessau,  le  17  octobre  1553,  à  l'âge  de 
quarante-six  ans.  A  la  fin  du  seizième  siècle,  par  suite  des  disputes  pro- 
voquées par  la  Formule  de  Concorde,  la  Confession  réformée  fut  intro- 
duite dans  le  duché  d'Anhalt-Dessau.  Au  commencement  de  notre  siècle 
(1820  àBernbourg;  1827  à  Dessau)  on  y  établit  l'Union  (Beckmann, 
Hist.  des  Fùrstenthums  Anhalt;  G.  Schubring,  Die  Einfùhrung  der  réf. 
Confession  in  Anhalt;  Lie.  Schmidt,  Georg  v.  Anhalt,  dans  Meurer, 
Altvseter  der  luth.  Kirche.  1 V.  Ch.  Pfender. 

ANÏCET  (Saint)  [Avimjtoç],  évêque  de  Rome.  Le  livre  des  papes  dit 
qu'il  était  originaire  d'Emésa  en  Syrie.  Hégésippe,  contemporain  d'Ani- 
cet  (Eusèbe,  H.  E.,  IV,  22),  Irénée  {Hœr.,  III,  3,  3)  et  les  Grecs  le  pla- 
cent entre  Pie  et  Soter  ;  la  Chronique  d'Eusèbe  le  fait  régner  de  152  à 
153,  l'Histoire  ecclésiastique  de  157  à  168,  ou  plutôt  de  156  à  167.  Tous 
les  Latins,  jusqu'au  sixième  siècle,  nomment,  par  une  erreur  évidente, 
Pie  après  Anicet.  M.  Lipsius  (Chronol.  d.  rœm.  Bisch.,  p.  186  ss.)  admet 


AN1GET  -  ANIMISME  333 

qu'il  succéda  à  Pie  entre  les  années  154  et  156,  et  mourut  en  166  ou 
167.  Polycarpe  vint  à  Rome  vers  160,  mais  ne  put  s'entendre  avec  Ani- 
cet  au  sujet  de  la  célébration  de  la  Pâque  (Jrén.,  Hser.,  III,  3,  4  ;  Eusèbe 
H.  E '.,  V,  24).  On  a  inséré. dans  le  Pseudo-Isidore  et  dans  Gratien  de 
fausses  décrétâtes  sous  le  nom  de  ce  pape. 

ANIMAUX  purs  et  impurs  (Lévit,  XI,  1-31,  cf.  v.  46  ss. ,  Deut. 
XIV,  1-19).  Les  diverses  catégories  d'animaux  impurs  sont,  d'après  ces 
textes,  les  quadrupèdes  ruminants  qui  n'ont  pas  la  corne  du  pied  fendue 
de  part  en  part,  les  serpents,  les  reptiles  en  général  et  la  plupart  des 
insectes,  les  animaux  aquatiques  n'ayant  ni  nageoires,  ni  écailles  et  un 
certain  nombre  d'oiseaux.  Le  rédacteur  jéhoviste  du  Pentateuque  fait 
observer  cette  distinction  par  Noé  (Gen.  VII,  1  ss.).  Voyez  Histoire  na- 
turelle de  hi  Bible  et  Loi  mosaïque. 

ANIMISME,  doctrine  qui  attribue  la  vie  de  notre  corps  à  une  action  de 
l'a  me.  celle-ci  ayant  deux  modes  de  fonctionnement,  l'un  spirituel,  pro- 
duisant les  pensées,  les  volitions,  l'autre  organique,  produisant  l'inner- 
vation, la  nutrition,  en  un  mot,  tous  les  phénomènes  de  l'ordre  matériel. 
L'harmonie  qui  relie  entre  elles  toutes  les  parties  du  corps  humain  sug- 
géra de  bonne  heure  la  pensée  que  les  diverses  fonctions  obéissent  à  une 
énergie  dominante,  en  qui  se  concentre  l'unité  de  l'individu  ;  mais  jusque 
dans  les  temps  modernes  cette  énergie  fut,  plus  ou  moins  vaguement, 
considérée  comme  distincte  de  l'âme  raisonnable  et  immortelle.  Au  dix- 
septième  siècle,  les  progrès  récents  des  mathématiques  et  de  la  chimie 
inspirèrent  la  théorie  iatromécanicienne  (Descartes,  Leibnitz),  qui  pré- 
tendait expliquer  par  des  actions  mécaniques  toutes  les  manifestations 
de  la  vie,  tandis  que  la  théorie  iatrochimique  (Sylvius  de  Le  Boë)  les  ex- 
pliquait par  des  fermentations,  distillations  et  autres  actions  chimiques. 
Stahl  (Theoria  medica,  1707)  fut  le  premier  qui  professa  nettement 
l'animisme,  le  formulant  dans  sa  rigueur  extrême  :  l'âme  forme,  fait  son 
corps.  Cet  enseignement  renfermait  deux  erreurs  que  les  animistes  ac- 
tuels ont  répudiées.  D'une  part,  il  prétendait  que  cette  action  exercée 
par  l'âme  était  consciente,  intentionnelle,  puisque  l'âme  est  essentielle- 
ment raisonnable  et  intelligente  ;  on  a  reconnu  qu'il  existe,  même  dans 
les  faits  de  l'ordre  spirituel,  une  activité  inconsciente,  une  spontanéité 
instinctive,  qui,  pour  précéder  la  réflexion,  n'en  est  pas  moins  juste  et 
vraie  ;  à  plus  forte  raison,  faut-il  ranger  dans  le  domaine  de  la  sponta- 
néité inconsciente  l'action  exercée  par  l'âme  sur  le  corps,  si  intense 
ou  si  faible  qu'on  veuille  la  concevoir.  De  plus  Stahl  se  représentait 
l'âme  comme  le  premier  moteur  d'une  machine  ;  il  juxtaposait  deux 
entités,  dont  l'une,  principe  de  l'unité,  était  dépouillée  de  son  expansion 
légitime,  tandis  que  l'autre,  organisme  sans  force  organisante,  était  une 
construction  compliquée,  sans  unité  réelle.  L'école  de  Montpellier 
(Barthez,  Bordeu)  essaya  de  rapprocher  les  deux  entités  en  proclamant 
t.-  vitalisme,  qu'on  a  appelé  doctrine  du  double  dynamisme,  plaçant  au- 
dessous  de  l'âme  un  principe  vital  distinct,  qui  régit  les  actes  de  la  vie 
organique,  principe  indéfinissable  du  reste,  pareequ'il  échappe  et  s'éva- 
nouit lorsqu'on  veut  le  saisir.  La  doctrine  des  propriétés  vitales,  formu- 
lée parBichat,  fut  une  transformation  du  vitalisme;  elle  rattacha direc- 


334  ANIMISME  —  ANJORRANT 

tement  les  manifestations  de  la  vie  aux  propriétés  des  divers  tissus  dont 
se  compose  le  corps  humain  ;  la  vie  se  trouvait  par  là  décentralisée  et 
fortement  incarnée  dans  les  différents  organes.  Depuis  lors  les  biologistes 
se  sont  partagés  entre  deux  tendances.  L'une,  l'école  de  la  méthode 
exclusivement  expérimentale,  a  marché  dans  la  voie  de  décentralisation 
ouverte  par  Bichat  :  le  corps  humain  est  une  association  ;  l'unité  élé- 
mentaire, le  vrai  individu,  c'est  la  cellule  ;  «  il  n'y  a  rien  de  plus  dans 
l'organisme  total  que  ce  qu'il  y  a  dans  les  cellules  ou  dans  la  substance 
intercellulaire  ;  le  seul  résultat  du  rapprochement  harmonique  de  toutes 
les  cellules  en  tissus,  organes,  appareils,  est  de  combiner  les  actions  cel- 
lulaires existantes,  d'en  former  un  tout  synergique,  un  concert.  » 
(Y.  le  cours  de  M.  Cl.  Bernard,  Revue  scientif.,  avril  1876.)  L'écueil  de 
cette  tendance,  c'est  de  s'absorber  dans  la  multiplicité  des  détails.  A  ses 
yeux,  l'animisme  est  une  notion  métaphysique,  nuisible  à  la  science. 
L'autre  tendance  veut  réagir  contre  les  excès  de  l'analyse  ;  elle  affirme 
que  les  cellules  vivent  par  la  vie  du  corps  entier,  c'est-à-dire  par  l'unité 
première  et  créatrice  dont  elles  procèdent  ;  le  caractère  dominant  de 
tout  ce  qui  vit  est  l'unité  ;  l'organisme  est  l'unité  se  manifestant,  l'unité 
extériorisée,  l'individualité  étant  incarnée  au  même  titre  dans  chacune 
des  cellules  (V.  plusieurs  art.  de  M.  Chauffard  dans  le  Correspondant, 
25  oct.  1873,  25  mai  1874,  25  fév.  1875).  On  conçoit  que  cette  école 
compte  des  animistes  à  des  degrés  divers.  Il  est  naturel  que  des  philo- 
sophes, des  théologiens,  partant  non  de  l'observation  externe,  de  la  pé- 
riphérie, mais  de  l'observation  interne,  se  soient  aussi  prononcés  pour 
la  doctrine  de  l'animisme  ;  ils  ne  prétendent  pas  pour  cela  expliquer  le 
mystère  de  cette  action  de  l'âme  sur  l'organisme  ni  suppléer  à  l'expéri- 
mentation pour  tout  ce  qui  concerne  l'anatomie  et  la  pathologie,  mais 
ils  estiment  que  le  rapprochement  harmonique  des  cellules  vivantes  doit 
avoir  une  cause,  vivante  aussi,  et  que  l'animisme  est  le  système  qui  sau- 
vegarde le  mieux  les  caractères  respectifs  de  ces  deux  substances  dis- 
tinctes el  inséparables,  l'âme  et  le  corps,  qui  constituent  notre  être 
complet.  —  Voy.  A.  Lemoine,  Le  Vitalismeet  l'Animisme  de  Stahly  1865; 
Fr.  Bouillier,  Le  Principe  vital  et  /' Ame  pensante ,  2e  édit.  1875. 

A.  Matter. 

ANJORRANT.  Une  famille  de  ce  nom  avait  pour  chef,  à  la  fin  du  quin- 
zième siècle,  un  avocat  du  roi  à  la  cour  des  comptes,  Louis  Anjorrant, 
seigneur  de  Claye  et  de  Souilly,  dans  la  Brie.  Un  demi-siècle  après, 
Jean  et  Renaud,  fils  de  Louis,  étaient  l'un  président,  l'autre  conseiller  au 
parlement  de  Paris  et  partisans  plus  ou  moins  déclarés  de  la  Réforme. 
Renaud  l'embrassa  d'un  tel  zèle,  qu'il  abandonna  ses  fonctions  pour  se 
retirer  à  Genève,  où  il  fut  reçu  habitant  en  1554,  bourgeois  en  1556, 
et  membre  du  grand  conseil  de  la  République  en  1570.  Il  mourut  le  25 
août  1572.  Jacob  Anjorrant,  son  fils,  né  à  Genève  en  1566,  étudia  le 
droit,  entra  au  grand  conseil  en  1593,  et  se  consacra  tout  entier  au  ser- 
vice de  la  République.  Il  était  négociateur  excellent.  Depuis  1593  jus- 
qu'à 1629,  il  se  passa  peu  d'années  où  il  ne  fût  envoyé  en  mission  à  l'é- 
tranger, tantôt  en  Hollande,  en  Allemagne,  en  Angleterre,  en  Ecosse, 
pour  quêter  au  profit  de  la  seigneurie  et  des  Eglises,  tantôt  à  la  cour  de 


ANJORRANT  —  ANJOU  335 

France  pour  défendre  ses  compatriotes  et  déjouer  les  influences  perfides 
qui  s'agitaient  sourdement  contre  Genève.  En  1610,  Henri  IV  accorda, 
sur  sa  requête,  une  pension  annuelle  de  72,000 livres  auxGenevois,  pour 
soudoyer  leur  garnison.  Le  14  mai,  au  matin,  le  diplomate  alla  pren- 
dre son  audience  de  congé  et  remercier  le  roi  qui  se  disposait  à  entrer 
en  campagne  contre  les  armées  catholiques  d'Autriche  et  d'Espagne,  et 
qui  lui  dit  :  «  Assurez  messieurs  de  Genève  que  je  ne  quitterai  jamais 
mes  anciens  serviteurs,  et  encore  que  vous  ne  soyez  mes  sujets,  je  vous 
maintiendrai  comme  si  j'étais  votre  père.  »  Quelques  heures  après  Henri 
tombait  sous  le  poignard  de  Ravaillac.  Jacob  Anjorrant  fut  élu  dix  fois 
syndic  de  Genève  et  sept  fois  lieutenant  de  police  et  justice.  On  peut  le 
citer  comme  un  modèle  de  ces  anciens  magistrats  genevois,  dignes  par 
leurs  moeurs  austères,  leur  capacité,  leur  dévouement  à  la  patrie,  de 
gouverner  une  glorieuse  république.  Il  mourut  à  quatre-vingt-un  ans. 
—  En  1636  la  seigneurie  de  Glaye  appartenait  encore  à  une  descendante 
des  Anjorrant  s  du  parlement  de  Paris,  Jeanne  Anjorrant,  femme  de 
Daniel  de  Tissard.  Gomme  tous  les  seigneurs  protestants  ayant  haute 
justice,  ils  jouissaient  du  droit  de  faire  célébrer  le  culte  dans  la  cha- 
pelle de  leur  château  ;  mais  comme  tous  aussi  ils  eurent  à  subir  les 
vexations  sans  nombre  suscitées  pour  leur  arracher  cette  modeste  li- 
berté. Les  persécutions  judiciaires  entamées  contre  eux  à  cet  effet 
commencèrent  en  1636  et  ne  se  terminèrent  qu'en  1668,  par  la  sup- 
pression du  droit  de  célébrer  le  service  religieux  dans  la  seigneurie  de 
Glaye.  h.  Bordier. 

ANJOU.  La  Réforme  pénétra  de  bonne  heure  dans  l'Anjou.  Dès  1523, 
les  vicaires  généraux  du  diocèse  d'Angers  interdisaient  la  lecture  des 
ouvrages  de  Luther,  et  l'évêque  François  de  Rohan  renouvelait  la 
même  défense  Tannée  suivante.  Mais  ce  ne  fut  qu'en  1547  que  les 
idées  nouvelles  gagnèrent  véritablement  du  terrain  dans  l'Anjou.  La 
ville  d'Angers,  en  particulier,  qui  était  le  siège  d'une  université  et  peu- 
plée de  moines  et  de  prêtres,  les  reçut  avec  avidité,  grâce  à  la  faveur 
que  leur  accordait  son  évêque  Jean  Ollivier,  «  homme  de  bon  savoir  et 
de  gentil  esprit,  »  dit  Bèze.  Il  y  eut  des  assemblées  de  prières  et  des 
prédications,  mais  elles  furent  bientôt  découvertes,  et  François  Fardeau, 
ii  le  Royer,  Jean  de  la  Vignole,  Denis  Saureau  et  Guillaume  de 
Ren,  convaincus  d'y  avoir  assisté,  furent  condamnés  à  mort  et  exécutés. 

suppliées  devinrent  le  germe  de  nouveaux  progrès,  et  neuf  ans  plus 
lard  (4555),  une  Eglise  était  fondée  à  Angers  sous  la  direction  du  savant 

•ur  Jean  de  Pleur,  envoyé  par  les  ministres  de  Genève,  et  grâce 

aux  soins  de  François  le  Maçon,  pasteur  à  Paris  et  natif  d'Angers.  Une 

era  ration  »  suivit  de  près  cet  heureux  événement.  Le  roi,  à  la 

demande  des  chanoines  d'Angers  et  d'autres  catholiques  de  marque, 

1  Rémy  Àmbroise,  président  au  parlement  d'Aix,  et  l'inquisiteur 

thieu  Ory  pour  foire  le  procès  aux  évangéliques.  Huit  d'entre  eux 

\\    \ 'Tiiti-s.  De  tour  nombre  se  trouvèrent  les  minisires  Pierre  de 

et  Jean    Rabec.  Le  premier  revenait  de  faire  ses   études  à 

ève  et  à  Lausanne.  Moulé  sur  le  bûcher,  et  bien  qu'on  lui  eût  coupé 
la   langue,  il  «  invoqua  plusieurs  fois  à  haute  voix  et  intelligiblement 


336  ANJOU 

Jésus-Christ  au  grand  éionnement  de  tous  les  assistants  »  (22  mai  1556). 
Jean  Rabec,  ancien  cordelier  et  écolier  des  seigneurs  de  Berne  à  Lau- 
sanne, périt  également  par  le  feu  en  chantant  le  psaume  LXXIX 
(24  avril).  Trente-quatre  autres  luthériens,  qui  purent  heureusement 
prendre  la  fuite,  furent  condamnés  à  être  brûlés  vifs  par  contumace. 
L'Eglise  abattue,  mais  non  détruite,  se  releva  deux  ans  après  (1558)  par 
la  présence  et  l'exemple  de  d'Andelot,  frère  de  Coligny,  «  lequel, 
accompagné  de  Gaspard  Marcel,  ministre  de  Paris...  y  fit  prêcher  par 
trois  fois  à  porte  ouverte  en  son  logis.  »  Le  pasteur  Nicolas  Gorre  dit 
Daniel,  qui  vint  peu  après  se  mettre  à  la  tête  de  l'Eglise,  put  exercer 
«  fidèlement  sa  charge  pendant  près  de  deux  ans,  faisant  les  exhorta r 
tions  de  nuit,  quelquefois  en  la  ville,  quelquefois  aux  champs,  par  les 
blés  et  par  les  bois.  »  11  fut  remplacé  par  Ambroise  de  la  Plante,  dit  le 
Balleur,  qui  administra  la  Gène  le  lendemain  de  Pâques  (1560).  Son 
successeur,  Charles  d'Albiac  du  Plessis,  la  donna  en  septembre.  Sous  le 
ministère  de  ces  deux  pasteurs,  l'Eglise  s'accrut  d'un  grand  nombre  de 
membres  sortis  principalement  des  rangs  de  la  noblesse.  Mais  elle  fut 
de  nouveau  dispersée  par  le  duc  de  Montpensier,  qui  arriva  à  Angers 
avec  des  troupes  pour  châtier  à  la  fois  les  évangéliques  et  les  gentils- 
hommes enclins  à  la  Réforme,  qui  avaient  assisté  en  armes  à  l'assemblée 
des  états  de  la  province  et  occasionné  quelques  troubles  (Journée  des 
mouchoirs).  Trois  partisans  des  idées  nouvelles  furent  mis  à  mort  :  un 
gentilhomme,  un  sergent  et  un  charron.  La  mort  du  roi  François  II 
changea  la  face  des  choses.  Charles  IX,  qui  lui  succéda,  fit  cesser  toutes 
les  poursuites  dirigées  contre  les  évangéliques  d'Angers,  qui  rappelèrent 
aussitôt  leur  ministre  et  reprirent  leurs  assemblées.  Elles  se  tinrent 
dans  les  bois,  puis  dans  l'intérieur  de  la  ville.  Irrités  de  leur  audace, 
les  moines  excitèrent  contre  eux  les  catholiques,  qui  tuèrent  un  des 
leurs  par  mégarde,  le  prenant  pour  un  huguenot.  L'heureux  édit  de 
janvier  1562  mit  fin  à  ces  persécutions,  et  les  évangéliques  tinrent  dé- 
sormais leurs  assemblées  dans  les  faubourgs  de  la  ville.  —  La  première 
guerre  de  religion  fut  fatale  à  l'Eglise  d'Angers.  Les  protestants  s'em- 
parèrent de  la  ville  par  surprise  (5  avril  1 562) ,  mais  ils  ne  surent  pas  la 
conserver.  Puygaillard,  lieutenant  du  duc  de  Montpensier,  se  glissa 
dans  le  château,  dont  ils  avaient  négligé  de  se  saisir,  et  se  rendit  peu 
après  maître  de  la  ville.  Le  duc  y  entra  bientôt  lui-même  et  institua 
une  sorte  de  cour  martiale,  qui  mit  à  mort  quatre-vingt-huit  réformés. 
Beaucoup  d'autres  excès  se  commirent  au  nom  des  catholiques,  et 
finalement  tous  les  gens  suspects  de  près  ou  de  loin  de  luthéranisme 
furent  expulsés  de  la  ville.  La  soumission  d'Angers  entraîna  rapidement 
celle  de  tout  le  pays  d'Anjou,  qui  ne  comptait  pas  du  reste  beaucoup 
de  réformés.  Le  fait  d'armes  le  plus  remarquable  de  la  lutte  fut  la  dé- 
fense héroïque  du  château  de  Rochefort  par  le  capitaine  huguenot 
Desmarais,  que  Montpensier  eut  la  basse  cruauté  de  faire  périr  sur  la 
roue  après  sa  reddition.  A  la  paix,  les  réformés  furent  autorisés  par  des 
commissaires  royaux  à  se  réunir  dans  les  faubourgs  de  Baugé,  mais  ils 
continuèrent  leurs  assemblées  à  Cantenay,  village  voisin  d'Angers. 
Pendant  les  autres  guerres  de  religion  aucune  contrée  de  l'Anjou  ne 


ANJOU  331 

tomba  au  pouvoir  des  huguenots.  Ils  traversèrent  la  province  en  1568, 
sous  la  conduite  de  dAndelot,  qui  se  dirigeait  vers  la  Rochelle,  mais 
sans  s'y  arrêter  et  essayer  de  la  conquérir.  Elle  demeura  donc  entière- 
ment livrée  à  l'influence  des  catholiques.  Aussi  ne  faut-il  pas  s'étonner 
que  la  Saint-Barthélémy  y  ait  fait  de  nombreuses  victimes.  Ce  fut  le 
duc  d'Anjou,  frère  du  roi,  qui  ordonna  lui-même  l'ordre  des  massacres 
à  Saumur  et  à  Angers.  Dans  cette  dernière  ville,  trois  pasteurs  furent 
mis  à  mort  :  la  Rivière,  de  Goulaine  et  Delaunay.  Pendant  la  dernière 
guerre  de  religion  (1685),  le  prince  de  Condé  tenta,  mais  inutilement, 
d'enlever  de  vive  force  Angers,  et,  après  l'assassinat  du  duc  de 
Guise  (1588),  cette  cité  embrassa  chaudement  le  parti  des  ligueurs. 
Henri  III  eut  bien  vite  triomphé  de  ces  derniers  par  l'envoi  d'un  ré- 
giment aux  ordres  du  maréchal  d'Aumont,  mais  il  n'eut  pas  le  même 
succès  sur  les  autres  points  du  royaume.  La  Ligue  triomphait  partout 
et  le  roi  n'était  plus  reconnu  que  dans  cinq  places.  Dans  cette  extré- 
mité, il  s'allia  avec  le  roi  de  Navarre  et  lui  livra  Saumur,  dont  le  gou- 
vernement fut  confié  au  vertueux  Duplessis-Mornay.  De  cette  petite 
ville,  jusqu'alors  ignorée,  ce  dernier  fit  une  puissante  citadelle,  un 
grand  centre  de  population,  un  foyer  de  science  et  le  siège  de  l'une 
des  plus  célèbres  académies  réformées  du  dix-septième  siècle.  Après 
l'assassinat  d'Henri  III  (2  août  1589),  Angers  et  Saumur  furent  les  deux 
seules  villes  de  l'Anjou  qui  reconnurent  le  nouveau  roi.  Toutes  les  places 
secondaires  de  la  province  s'y  refusèrent.  Alors  commença  une  lutte 
acharnée  qui  dura  neuf  années  entières.  Les  troupes  royalistes,  con- 
duites par  la  Rochepot,  lieutenant-général  du  roi,  dans  l'Anjou,  et 
Puycharic,  gouverneur  du  château  d'Angers,  furent  souvent  battues 
par  les  bandes  ligueuses  de  Bois-Dauphin  et  des  trois  frères  Saint- 
Offange,  qui  avaient  fait  du  château  de  Rochefort  un  véritable  repaire 
de  brigands.  La  conversion  d'Henri  IV  au  catholicisme  et  sa  marche 
victorieuse  sur  l'Anjou  achevèrent  de  ruiner  le  parti  ligueur  dans  la 
province,  et  tous  ses  chefs  firent  leur  soumission  les  uns  après  les 
autres  (1598).  Ce  fut  à  Angers,  dans  une  des  salles  du  couvent  des 
Jacobins,  que  les  articles  de  redit  de  Nantes  furent  définitivement 
arrêtés.  Le  roi  les  signa  deux  jours  après  dans  cette  dernière  ville 
(13  avril).  Les  protestants  de  l'Anjou  eurent  le  droit  de  célébrer  leur 
culte  dans  une  dizaine  de  lieux,  et  les  plus  prospères  de  leurs  Eglises 
furent  Angers,  Saumur,  Baugé,  Craon,  Mirebeau  et  Bourgueil.  On  doit 
citer  comme  les  plus  distingués  de  leurs  pasteurs  :  Louis  Gappel,Gomar, 
Amyraut,  la  Place  et  d'Huisseau,  qui  furent  en  même  temps  d'éminents 
professeurs  de  théologie  de  la  savante  université  protestante  de  Saumur. 
Les  Eglises  de  l'Anjou,  jointes  à  celles  du  Maine  et  de  la  Touraine, 
formèrent  au  dix-septième  siècle  trois  colloques  distincts  et  un  arrondis- 
sement synodal.  La  révocation  de  l'édit  de  Nantes  les  ruina  com- 
plètement, et  elles  ne  paraissent  pas  s'être  relevées  pendant  la  période 
du  Désert.  Nous  n'avons  retrouvé  du  moins  aucune  de  leurs  traces. 
Aujourd'hui  l'Anjou,  qui  a  servi  à  former  le  département  de  Maine-et- 
Loire,  ne  renferme  que  deux  Eglises  rattachées  au  consistoire  de 
Nantes,  Angers  et  Saumur,   encore  sont-elles   de   création   récente 


338  ANJOU  —  ANNE 

voyez  Bèze,  Hist.  ecclés.;  Ern.  Mourin,  La  Réforme  et  la  Ligue  en 
Anjou,  1856.)  E.  Arnaud. 

ANNAT  (François),  jésuite,  né  à  Rodez  en  1590.  On  prétend  qu'il 
s'appelait  Canard  (en  latin  anas).  Il  devint  provincial  de  son  ordre 
et  fut  pendant  seize  ans,  depuis  1654,  le  confesseur  indulgent  de 
Louis  XIV;  il  mourut  à  Paris  en  1670.  Le  P.  Annat  employa  son  crédit 
à  obtenir  d'Innocent  X  la  condamnation  des  Cinq  Propositions  et  con- 
sacra son  érudition  à  combattre  le  miracle  de  la  sainte  Epine  {Le  Rabat- 
joie  des  Jansénistes,  P.,  1656,  in-4°)  et  à  réfuter  les  premières  Provin- 
ciales (La  Bonne  Foi  des  Jansénistes  en  la  Citation  des  Auteurs,1?.,  1656, 
in-4°).  C'est  à  lui  que  Pascal  adressa,  comme  réponse,  sa  dix-septième 
et  sa  dix-huitième  Lettre.  Ses  opuscules  latins  sur  la  grâce  ont  paru  à 
Paris  en  1666,  en  trois  volumes  in-4°. 

ANNATES  (Annatœ,  annalia,  annum  vectigal  vacantis  benefîcii).  On 
désigne  sous  ce  nom  le  revenu  annuel  ou,  pour  dire  plus  juste,  une 
certaine  portion  du  revenu  annuel  d'un  bénéfice  vacant,  redevable  au 
Saint-Siège.  L'origine  de  cette  redevance  est  très-ancienne.  Dès  le  sixième 
siècle,  les  canons  de  l'Eglise  autorisaient  les  évêques  et  les  abbés  à 
percevoir  la  moitié  ou  même  la  totalité  du  revenu  de  la  première  année 
des  bénéfices  qu'ils  conféraient  aux  prêtres  ordonnés  par  eux.  On  dési- 
gnait aussi  cet  impôt  sous  le  nom  de  servitia  communia,  qui  devait  dé- 
guiser sans  doute  ce  qu'il  pouvait  avoir  de  blessant  pour  la  délicatesse 
de  celui  qui  en  jouissait.  A  mesure  que  la  papauté,  de  plus  en  plus 
considérée  comme  la  source  exclusive  des  grâces  dans  l'Eglise,  confis- 
quait à  son  profit  le  droit  de  l'ordination  épiscopale,  elle  réclama  aussi 
celui  de  percevoir  les  annates  de  tous  les  bénéfices  vacants.  En  Italie, 
en  Allemagne  et  dans  d'autres  pays,  ce  droit  lui  fut  accordé  dès  le.  qua- 
torzième siècle  ;  en  France,  elle  le  reçut  par  le  concordat  conclu  à  Bo- 
logne, en  1516,  entre  François  Ier  et  Léon  X.  Les  efforts  des  conciles  pour 
réformer  cet  abus  et  remplacer  les  annates  par  un  subside  fixe  restèrent 
absolument  infructueux  ;  ce  n'est  que  de  nos  jours  que  le  Saint-Siège 
s'est  vu  contraint  de  renoncer  à  ce  privilège.  En  France,  le  décret  du 
4  août  1789  a  supprimé  les  annates.  Dans  les  autres  Etats  catholiques, 
les  gouvernements  les  ont  remplacées  par  des  taxes  fixées  et  consenties, 
d'accord  avec  la  chancellerie  romaine,  à  titre  de  remise  gracieuse, 
selon  l'importance  de  l'évêché  ou  de  l'abbaye  à  pourvoir  (voy.  l'article 
Bénéfices).  —  Thomassin,  De  veter.  et  nova  Ecclés.  disciplina,  III,  1.  II, 
c.  56;  Alexander,  Hist.  ecclés.,  ssec.  XV  et  XVI,  diss.  IX,  De  annatis, 
art.  3. 

ANNE  [Khannâh,  "Avva].  —  1°  Femme  d'Elkana  et  mère  de  Samuel 
(1  Sam.  I;  cf.  II,  21).—  2°  Femme  de  Tobie  (Tob.  I,  9;  II,  1,  19).  — 
3°  Veuve  âgée  habitant  Jérusalem,  fille  de  Phanuel,  le  prophète,  qui  se 
trouvait  au  temple  lorsque  Marie  vint  y  présenter  l'enfant  Jésus,  dans 
lequel  Anne  reconnut  et  salua  le  futur  Messie  (Luc  II,  36). 

ANNE  ("Avva;  dans  le  Nouveau  Testament,  'Avavoç  dans  Josèphe, 
deux  transcriptions  grecques  du  même  mot  hébreu  Khan  an),  nom 
d'un  grand  prêtre  juif,  contemporain  d'Auguste  et  de  Tibère  et  chef 
d'une  nombreuse  et  riche  famille  sacerdotale,  dont  l'influence  fut  loue- 


ANNE  339 

temps  prépondérante  à  Jérusalem  avant  et  après  la  mort  de  Jésus. 
A  des  intervalles  plus  ou  moins  longs,  dans  l'espace  de  soixante  ans, 
sept  membres  de  cette  famille  obtinrent  la  charge  de  grand  prêtre.  Fils 
d'un  nommé  Sel  h,  et  probablement  d'origine  extrapalestinienne,  Anne 
devint  le  chef  du  vieux  parti  sadducéen  et  semble  en  avoir  incarné 
l'esprit  légal,  conservateur,  froidement  cruel,  s'alliant  à  une  grande 
habileté  politique,  qui  lui  permettait  de  plaire  aux  Romains,  sans  perdre 
la  confiance  du  peuple.  Il  devint  grand  prêtre  après  le  recensement  de 
Quîrinus  (6  ap.  J.-G.)  et  le  resta  pendant  huit  années  environ,  jusqu'au 
commencement  du  règne  de  Tibère  (Jos.,  Ant.  XVIII,  2,  1  et  2;  XX,  9, 1; 
B.  «/.,  V,  12,  2).  Nous  ne  savons  rien  de  ce  long  pontificat,  sinon  qu'avant 
une  fête  de  Pâques  (an  8  ou  9?)  les  Samaritains  souillèrent  le  temple  en  y 
répandant  des  ossements  humains.  Fidèle  aux  prescriptions  traditionnelles 
et  légales,  Anne  fit  fermer  le  temple  au  peuple  pendant  la  fête,  interdic- 
tion et  interruption  unique  dans  l'histoire  du  culte  lévitique  (v.  Deren- 
bourg,  Essai  sur  V histoire  et  la  géographie  de  la  Palestine,  p.  359).  Dé- 
posé par  le  gouverneur  romain  Val.  Gratus,  il  n'en  resta  guère  moins 
puissant  et  honoré  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie.  Cinq  de  ses  fils  et  son  gendre 
obtinrent  les  fonctions  de  grand  prêtre  et  semblent  les  avoir  exercées 
sous  sa  tutelle  (Eléazar,  16-17  ap.  J.~C.  — Joseph  Caïphe,  gendre  d'Anne, 
18-36.  —  Jonathan  et  Théophile,  36-37.  —  Matthias,  43,  et  enfin  Anne 
Junior,  63.  —  Un  petit-fils  d'Anne,  Matthias,  fut  encore  nommé  grand 
prêtre  par  le  peuple  au  commencement  du  siège  de  Jérusalem).  Honorée 
par  le  judaïsme,  cette  famille  a  gardé  dans  la  tradition  chrétienne  un 
sinistre  renom,  parce  qu'elle  s'est  trouvée  l'adversaire  de  la  famille  de 
Jésus,  et  semble  l'avoir  poursuivie  avec  une  haine  acharnée.  C'est  Anne 
et  son  gendre  Gaïphe  qui  ont  fait  mourir  Jésus  et  lapider  Etienne;  c'est 
son  fils  Théophile  qui  a  pris  les  premières  mesures  violentes  contre  les 
chrétiens;  enfin,  c'est  son  fils  Anne  qui,  trente  ans  après,  faisait  encore 
exécuter  le  frère  de  Jésus,  Jacques  le  Juste.  Tels  sont  l'esprit  et  la  tra- 
dition de  cette  famille  que  traduit  fort  bien  le  mot  de  Gaïphe,  rapporté 
par  Jean,  à  propos  de  Jésus  :  «  Il  vaut  mieux  qu'un  homme  périsse  que 
tout  le  peuple.  »  Anne  vécut  longtemps;  son  influence  était  prépondé- 
rante dans  le  Sanhédrin,  qui  même,  si  nous  en  croyons  une  tradition 
talmudique,  aurait,  quarante  ans  avant  la  ruine  du  temple,  transporté 
le  lieu  de  ses  séances  dans  les  Khaneioth  ou  bazars  du  mont  des  Oliviers, 
propriété  particulière  de  sa  famille.  C'est  là  probablement  que  Jésus  a 
comparu  et  a  été  jugé  (voy.  Derenb.,  Essai  sur  l'hist.  et  la  geog.  de  la 
Palest.,  p.  465).  Plus  tard,  Anne  y  eut,  au  dire  de  Josèphe,  un  magni- 
fique tombeau,  qui  fut  détruit  avec  le  temple  de  Jérusalem.  Ces  détails 
font  comprendre  pourquoi  dans  nos  Evangiles  le  nom  d'Anne  est  pres- 
que toujours  associé  à  Caïphe  et  même  cité  souvent  le  premier  ;  il  ne 
faut  pas  davantage  s'étonner  de  lui  voir  porter  le  titre  de  grand  prêtre, 
bien  qu'il  n'en  exerçât  plus  les  fonctions,  car  il  est  certain  que  ceux  qui 
avaient  occupé  ce  haut  rang  en  conservaient  le  titre  honorifique  et 
même  certains  privilèges  durant  toute  leur  vie  (Jos.  B.  </.,  II,  12,  16; 
IV,  3,  7  et  9;  Vita,  38).  Néanmoins,  deux  passages  de  Luc  ont  droit  de 
nous  surpendre:  Luc  III,  2,  et  Act.  IV,  6,  où  Anne,  nommé  avant 


340  •  ANNE  —  ANNEAU 

Caïphe,  a  seul  le  titre  de  grand  prêtre  et  semble  être  présenté  comme 
en  remplissant  les  fonctions.  Il  y  a  là,  soit  une  erreur  historique,  soit 
une  expression  inexacte  que  le  grand  renom  et  l'influence  souveraine 
d'Anne  rendent  fort  concevable.  On  a  bien  essayé  de  montrer  qu'Anne, 
en  ce  moment,  aurait  eu  la  présidence  ou  la  vice-présidence  du  San- 
hédrin, ce  qui  expliquerait  l'épithète;  mais  cette  conjecture  est  dé- 
mentie par  les  faits  ;  car  tous  s'accordent  à  démontrer  qu'à  cette  époque 
la  charge  de  grand  prêtre  et  la  présidence  du  Sanhédrin  ne  furent 
jamais  séparées.  •  A.  Sabatier. 

ANNE  (Sainte),  mère  de  la  Vierge  Marie.  Le  Protévangile  de  Jacques, 
le  Pseudo -Matthieu  et  l'Evangile  de  la  Nativité  de  Marie  racontent  la 
poétique  légende  de  son  union  avec  Joachim  (Tischendorf,  éd.  II,  1876). 
Epiphane  [User.  78)  et  Grégoire  de  Nysse  nous  révèlent  les  premières 
traces  de  son  culte;  Jean  de  Damas,  dans  sa  première  homélie  sur  la 
Nativité  de  la  Vierge,  lui  adresse  d'ardentes  invocations.  Justinien,  au 
témoignage  de  Procope,  fit  bâtir,  vers  550,  l'église  de  son  nom  à  Cons- 
tantinople.  Le  culte  de  sainte  Anne  fut  long  à  s'introduire  en  France. 
Gerson,  dans  son  sermon  sur  la  Nativité  de  la  Vierge  (  Opp.  III, 
1352),  résume  en  cinq  vers  la  généalogie  compliquée  des  trois  ma- 
riages de  sainte  Anne  avec  Joachim,  Gléophas  et  Salomas  ;  elle  eut 
de  ces  trois  époux  les  trois  Marie,  qui  épousèrent  Joseph,  Alphée  et 
Zébédée.  Lorsque  Le  Fèvre  eut  publié,  dans  la  deuxième  édition  de  son 
livre  sur  Marie-Madeleine,  son  traité  De  una  ex  tribus  Maria  (P.,  1518, 
in-4°),  et  qu'Agrippa  l'eut  suivi  dans  la  lice  [De  B.  Annse  monogamia  ac 
unico  puerperio,  15]  9),  les  sorbonistes  prirent  feu  pour  la  défense  de  la 
trinuba  et  tripara;  Beda  se  distingua  par  son  livre  De  nepotibus  B.  Annse 
(P. ,  1529,  in-4°).  La  trigamie  de  sainte  Anne  dont  Eck,  dans  ses  sermons,  se 
fit  encore  le  défenseur,  n'est  pourtant  plus  soutenue  aujourd'hui  par  per- 
sonne, elle  est  abandonnée  par  le  jésuite  Guper  (AA.SS.,  QSjul.YÏ).  Le 
culte  de  sainte  Anne  a  été  réglé  en  1584,  par  une  bulle  de  Grégoire  XIII; 
elle  est  vénérée  en  Orient  le  9  septembre,  et  dans  l'Eglise  latine,  le 
26  juillet.  Son  principal  sanctuaire  est  à  Auray,  en  Bretagne.  L'Eglise 
a  condamné,  en  1677,  le  Napolitain  Imperiali  qui  avait  avancé  que  sainte 
Anne  avait  été  mère  sans  cesser  d'être  vierge.  Cette  hérésie  n'est  pour- 
tant point  opposée  à  la  tendance  du  culte  de  sainte  Anne.     S.  Berger. 

ANNEAU.  L'anneau,  chez  les  Hébreux  comme  chez  les  Egyptiens  et 
les  Perses,  servait  principalement  de  sceau  ;  il  était  un  signe  d'honneur 
(Jérém.  XXII,  24;  Aggée  II,  24;  Esaïe  XI,  21  ;  Luc  XV,  23),  ou  une 
des  marques  de  la  souveraine  autorité  (Gen.  XLI,  42  ;  Esth.  III,  10; 
VIII,  2;  Dan.  VI,  17).  Il  se  donnait  aussi  comme  gage  de  fidélité,  lors 
des  fiançailles  (Gen.  XXXVIII,  18).  Les  premiers  chrétiens  l'ornaient  de 
symboles  variés,  tels  que  deux  colombes,  une  ancre  et  un  poisson,  un 
serpent  roulé  autour  d'une  croix,  image  de  la  durée  infinie  et  du  carac- 
tère indissoluble  de  l'union.  Tertullien  (Apolog.  VI)  parle  de  Yunicus 
digitus,  quem  sponsus  oppignorasset  pronubo  annulo  ;  Clément  d'Alexan- 
drie (Pœdag.,  1.  III,  c.  XI),  par  contre,  rapporte  que  les  femmes  à 
Alexandrie  recevaient  de  leurs  époux  un  anneau  d'or,  non  comme  un 
objet  de  parure,  mais  pour  mettre  sous  scellés  ce  qui  devait  être  plus 


A&NEA11  —  ANNÉE  ECCLÉSIASTIQUE  311 

spécialement  gardé  dans  le  ménage.  Au  septième  siècle  encore  et  jus- 
qu'au neuvième,  l'anneau  était  le  signe  des  fiançailles  (Isidorus,  De  ofjfic., 
1.  II,  c.  XIX  :  Quod  in  primis  negotiis  annulus  a  sponso  sponsx  dutur).  Ce 
n'est  que  plus  tard  qu'il  joua  un  rôle  dans  la  bénédiction  nuptiale. 
D'après  le  Rituale  romanum,  le  prêtre,  après  avoir  béni  l'anneau,  le  re- 
met à  l'époux  qui  l'attache  au  quatrième  doigt  de  l'épouse,  parce  que 
ce  doigt  a  une  veine  qui  correspond  avec  le  cœur  (Isidorus,  1.  c.  :  Quarto 
digito  annulus  inseritur,  quod  in  eo  vena  quœdam,  ut  fertur,  sanguinis 
ad  cor  usque perveniat).  Dans  l'Eglise  grecque,  le  prêtre  offre  un  anneau 
d'or  à  l'époux  et  un  anneau  d'argent  à  l'épouse  ;  mais  aussitôt  le  para- 
nymphe  les  échange  et  remet  l'anneau  d'or  à  l'épouse  et  l'anneau  d'ar- 
gent h  l'époux.  Dans  les  églises  protestantes,  l'échange  des  anneaux  en- 
tre les  deux  époux  par  l'intermédiaire  du  pasteur  officiant  a  prévalu, 
comme  signe  de  l'union  qu'ils  contractent  et  de  la  fidélité  qu'ils  se  pro- 
mettent mutuellement.  —  L'anneau  fait  aussi  partie  des  ornements 
d'un  évèque.  Il  est  le  triple  symbole  de  sa  souveraineté,  de  sa  confir- 
mation dans  la  foi,  de  son  union  spirituelle  avec  l'Eglise,  son  épouse 
(Bocquillot,  Traité  hist.  de  la  liturgie  sacrée,  P.,  1701,  p.  168);  l'anneau 
cardinalice  et  l'anneau  abbatial  ont  la  même  signification.  Le  pape  porte 
lui  aussi  un  anneau,  appelé  annulus  piscatorius,  parce  que  le  sceau  est 
revêtu  de  l'empreinte  de  saint  Pierre,  pêcheur.  Il  lui  servait  à  sceller  les 
brefs  apostoliques,  au  moyen  d'une  cire  rouge  ou  verte,  que  remplace 
d'ailleurs  aujourd'hui  un  sceau  imprimé  à  encre  rouge. 

ANNECY  [Anessiacus]  fut,  à  partir  de  1535,  le  siège  de  l'évêché  de 
Genève.  Saint  François  de  Sales  et  sainte  Jeanne  de  Chantai  y  sont  en- 
terrés dans  l'église  de  la  Visitation.  Le  siège  épiscopal  de  Genève,  sup- 
primé en  1801,  ayant  été  rétabli  en  1819  et  réuni  à  celui  de  Lausanne, 
Annecy  fut,  en  1822,  érigé  en  évêché,  et  devint  suffragantde  Chambéry 
{Galliriwi). 

ANNÉE  chez  les  Hébreux.  L'année  chez  les  Israélites  était  une  année 
lunaire  de  354  jours  8  heures  48  minutes  38  secondes,  composée  de 
12  mois,  alternativement  de  29  et  de  30  jours  et  à  laquelle  on  adjoignait 
de  temps  en  temps  un  mois  intercalaire  pour  rétablir  son  rapport  avec 
l'année  solaire.  Elle  commençait  au  mois  d'Abib  ou  Nisan  (Lév.  XX11I, 
34;  XXV,  9  ;  Nomb.  IX,  Il  ;  2  Rois,  XXV,  8;  Jérém.  XXXIX,  2),  con- 
formément à  l'ordre  de  Moïse  (Exode  XII,  2),  en  relation  avec  la  sortie 
d'Egypte  (Exode  IX,  31)  et  le  printemps.  La  distinction  de  l'année  reli- 
gieuse avec  l'année  civile  commençant  au  mois  de  Tisri  (automne)  sem- 
ble  postérieure  à  l'exil  (EsdrasIII,  1  ss.  ;  Néh.  VII,  73;  VIII,  1  ss.). 

ANNÉE  ECCLÉSIASTIQUE.  Les  premiers  chrétiens  observaient  le  cycle 
traditionnel  du  calendrier  juif.  Dans  les  communautés  issues  du  paga- 
nisme, aucune  règle  particulière  n'était  établie  :  l'année  religieuse  se 
confondait  avec  l'année  civile.  Pourtant,  dès  l'origine,  la  célébration 
des  fête*  <l,,riiennes  (voy.  cet  article)  détermina  dans  les  idées  et  dans 
les  mœurs  une  impulsion  qui,  en  s'accentuant,  donna  naissance  à  tout 
un  organisme  original  qu'il  est  intéressant  d'étudier.  Aux  deux  pre- 
mières grandes  fêtes,  celle  de  Pâques,  en  l'honneur  de  la  résurrec- 
tion  de  Jésus-Christ,   et  celle  de  Pentecôte,  en  mémoire  de  la  des- 


342  ANNEE  ECCLESIASTIQUE       * 

cente  du  Saint-Esprit,  vinrent  se  joindre,  au  troisième  siècle,  celle 
de  l'Epiphanie  et  de  Noël,  précédées  et  encadrées  comme  les  pré- 
cédentes de  semaines  et  de  jours  plus  spécialement  consacrés  à  so- 
lenniser  les  hauts  faits  qu'elles  rappelaient.  L'histoire  de  l'ordre  pro- 
videntiel du  salut  s'incrusta  de  la  sorte,  pour  ainsi  dire,  dans  la  vie 
habituelle  des  chrétiens,  et  le  retour  des  saisons  ramena  périodique- 
ment des  anniversaires  destinés  à  populariser  des  souvenirs  vénérés.  La 
révélation  de  l'amour  divin,  dans  les  phases  progressives  qu'elle  a  par- 
courues, marqua  de  son  empreinte  l'année  terrestre  et  la  força  de  se 
plier  à  ses  convenances  :  c'était  comme  la  main  de  l'éternité  qui  réglait 
en  la  sanctifiant  la  marche  du  temps.  L'Eglise  ajouta  bientôt  les  fêtes 
de  ses  martyrs  et  de  ses  saints  à  celles  qui  rappelaient  la  mémoire  de 
son  chef,  et  la  superstition  non  moins  que  la  foi  trouva  intérêt  à  les  mul- 
tiplier, en  les  distribuant,  sans  méthode  et  sans  choix,  dans  tout  le  cours 
de  l'année  civile.  La  vie  entière  du  chrétien  devenait  ainsi  une  représen- 
tation symbolique  du  royaume  des  cieux,  et  chaque  jour  ramenait,  dans 
leur  cadre  invariable,  les  anniversaires  de  l'ordre  spirituel,  ajoutés  ou 
substitués  à  ceux  que  les  populations  avaient  empruntés  aux  phénomènes 
de  la  nature  ou  aux  coutumes  consacrées  par  les  traditions  nationales. — 
Pendant  longtemps  la  date  du  commencement  de  l'année  ecclésiastique 
n'avait  point  été  officiellement  et  uniformément  fixée.  La  plupart  des 
Eglises,  soit  en  Orient,  soit  en  Occident,  avaient  continué  à  la  placer, 
avec  la  Synagogue,  au  lundi  de  Pâques,  qu'Eusèbe  encore  (Hist.  eccL 
VTI,  32)  désigne  sous  le  nom  de  Tupohoç  jjlyjv,  et  dont  Ambroise  (De  mys- 
ter.,  c.  Il)  dit  :  «  Pascha  est  enim  vere  aani principium,  primi  mensisexor- 
dium,  novella  germinum  reparatio  ac  tetrx  hiemis  nocte  discussa,  primi  ve- 
rts restiiuta  jucunditas.»  Cet  usage  eût  sans  doute  prévalu,  n'eut  été  le  dé- 
sir de  se  distinguer  nettement  des  Juifs,  sans  pour  cela  commencer  l'année 
avec  les  anciens  Romains  le  1er  mars  ou,  selon  la  coutume  postérieure, 
leler  janvier.  Ajoutons  que,  de  ces  usages,  celui  que  l'on  avait  hérité  de  la 
Synagogue  était  le  moins  commode,  parce  que  de  toutes  les  fêtes  celle 
de  Pâques  était  la  plus  mobile.  Dans  certaines  Eglises  d'Italie  et  d'Alle- 
magne on  avait  adopté,  sans  raison  particulière,  soit  l'époque  du 
solstice  d'hiver  (25  décembre),  soit  celle  de  l'équinoxe  du  printemps 
(anciennement  le  25  mars),  et  l'on  datait  en  conséquence  a  nativitate 
ou  ab  onnuntiatione  s.  a  conceptione.  L'Eglise  grecque  choisit  et  garda, 
on  ne  sait  trop  pourquoi,  le  1er  septembre.  La  date  qui  l'emporta 
en  Occident  fut  celle  qui  fixe  le  commencement  de  l'année  ecclé- 
siastique au  premier  dimanche  de  l'Avent,  c'est-à-dire  au  quatrième 
dimanche  avant  Noël.  C'est  aux  nestoriens  qu'elle  est  empruntée,  à 
une  époque  toutefois  où  le  souvenir  de  l'hérésie  nestorienne  s'était 
déjà  effacé.  S'il  faut  en  juger  par  l'introduction  des  péricopes  (voy.  cet 
article),  adoptées  d'abord  dans  les  Eglises  franques,  c'est  vers  le 
sixième  ou  septième  siècle  au  plus  tôt  que  cette  coutume  s'introduisit, 
et  encore  ne  se  généralisa-t-elle  pas  tout  de  suite,  comme  aussi  le 
cycle  des  fêtes  et  des  temps  fériés  de  l'année  ne  se  compléta  que  peu 
à  peu,  attendu  que  la  fête  de  la  Trinité,  par  exemple,  ne  fut  célébrée 
qu'à  partir  du  quatorzième  siècle.  L'Eglise  luthérienne,   fidèle  à  son 


ANNÉE  ECCLÉSIASTIQUE  343 

principe  de  conserver  de  la  tradition  de  l'Eglise  tout  ce  qui  n'est  pas 
contraire  à  l'Ecriture,  distingue  encore  jusqu'à  ce  jour,  pour  les  besoins 
le  la  vie  religieuse  et  du  culte,  l'année  ecclésiastique  de  l'année  civile; 
L'Eglise  réformée,  au  contraire,  dans  son  désir  de  reproduire  en  tous 
points  exactement  le  type  apostolique,  n'avait  maintenu,  à  l'origine, 
que  la  célébration  du  dimanche,  en  abandonnant  le  choix  des  sujets  et 
(les  textes  de  la  prédicat  ion  à  la  volonté  de  l'officiant.  De  nos  jours,  elle 
a  reconnu  que  ce  procédé  de  légitime  réaction  contre  la  multiplicité  des 
fêtes  et  une  distinction  judaïque  des  temps  de  l'année  était  trop  radical. 
En  effet,  dans  la  pratique,  à  moins  de  tomber  dans  le  désordre  de  l'arbi- 
traire, il  est  impossible  de  ne  pas  plier  le  culte  public,  et  ce  qu'on  pour- 
rait appeler  la  gamme  de  l'édification  chrétienne,  aux  exigences  de  l'an- 
née ecclésiastique,  marquée  par  le  retour  périodique  des  grandes  fêtes. 
—  L'année  ecclésiastique  se  divise  en  deux  moitiés  à  peu  près  égales  ;  la 
première,  semestre Domini,  contient  les  trois  cycles  des  grandes  fêtes  dont 
chacune  rappelle  un  des  faits  les  plus  mémorables  pour  le  chrétien.  Elle 
s'ouvre  par  la  période  de  YAvent  embrassant  les  quatre  dimanches  qui 
précèdent  Noël  ;  elle  se  lie  aux  fêtes  pascales  par  le  temps  de  la  Passion 
qui  comprend  les  dimanches  de  la  Septuagésime  (neuvième  avant  Pâ- 
ques), de  la  Sexagésime,  de  la  Quinquagésime  ou  Esto  mihi  (Ps.  XXXÏ, 
3),  qui,  en  Allemagne  par  exemple,  est  le  premier  dimanche  du  carême, 
tandis  qu'en  France  c'est  le  sixième  dimanche  avant  Pâques,  aussi  ap- 
pelé lnvocavit  (Ps.  XCI,  15).  Suivent  les  dimanches  de  Beminiscere 
(Ps.  XXV,  6),  (VOculi  (Ps.  XXV,  15),  de  Lxtare  (EsaïeLIV,  1;  LVI,  1), 
de  Judica  (Ps.  XLIII,  1)  et  des  Bameaux  (Matth.  XXI)  qui  ouvre  la 
grande  semaine  (hebdomas  magna) .  Le  jeudi  saint  (dies  viridium,  Ps.  XXIII, 
2,  ou  cœna  Domini),  le  vendredi  et  le  samedi  saint  (sabbatum  s/mctum) 
précèdent  le  dimanche  de  Pâques  ou  la  fête  de  la  résurrection  du  Sei- 
gneur que  l'Eglise  considéra  de  bonne  heure  comme  la  corona  et  caput 
omnium  festivitatum.  La  grande  joie  de  Pâques  se  reporte  sur  les  six  di- 
manches suivants  (Quasimodo geniti,  1  Pierre II,  2,  ou  dominica  inalbis,k 
cause  des  vêtements  blancs  que  revêtaient  les  néophytes  ce  jour-là; 
Misericordias  Domini,  Ps.  LXXXIX,  1;  Jubilate,  Ps.  LXVI,  1;  Cantate, 
Ps.  XCVIII,  1;  Bogate  vocem  jucunditatis ,  Esaïe  XLV1II,  28;  Exaudi, 
Ps.  XXVII,  7),  et  se  prolonge  pendant  une  période  de  50  jours,  qui  com- 
prend aussi  la  fête  de  l'Ascension,  jusqu'à  la  Pentecôte.  Le  dimanche  de 
la  Trinité,  qui  la  suit,  clôt  la  première  moitié  de  l'année  ecclésiastique. 
La  seconde,  semestre  Ecclesix,  destinée  plus  particulièrement  à  rappeler 
au  chrétien  les  diverses  phases  de  l'appropriation  du  salut,  comprend 
tous  les  dimanches  qui  viennent  après  celui  de  la  Trinité  :  leur  nombre 
varie  de  ±1  à  -27,  suivant  que  Pâques  est  célébré  ou  plus  tard  ou  plus 
tôt  vus .  l'article  Calendrier).  —  Sources  :  Lisco,  Das  christl.  Kirchen- 
jahr,  Beti.,  ISiO;  Piper,  Kirchenrechnung,  Berl.,  1841;  idem,  Evangel' 
Kalender.  Einl.  fur  1850  u.  1851  ;  Fr.  Strauss,  Das  evangel.  Kirchenjahr 
in  $ein.  Zmtmmtnkang  dargest.,  Berl.,  1850;  Bobertag,  Das  evangel. 
KirclwHjuhr,  Brcsl.,  1853;  Ilcizog's  Beal-Encyklop.'  IV,  378  ss.  ;  VU, 
643  ss.  ;  Alt,  Der  christl.  Cultus,  llte  Abtheil.,  2e  édit.,  Berl.,  1858. 

F.    LlCHTENBERGKR. 


344  ANNÉE  SABBATIQUE  —  ANNONAY 

ANNÉE  SABBATIQUE  (eécc^atixbç  ou  ca6êaxixbç  èviauxbç.  Jos.,  Ant., 
IV,  10).  La  législation  mosaïque,  pour  augmenter  la  fécondité  du  sol 
palestinien,  avait  prescrit  (Lév.  XXV,  1-8)  que  chaque  septième  année 
serait  une  année  de  chômage  tant  pour  les  champs  que  pour  les  vigno- 
bles. Ce  qui  poussait  naturellement  des  grains  de  la  moisson  précédente 
ou  des  ceps  non  émondés  était  considéré  comme  bien  commun.  L'agri- 
culteur étant  privé  de  son  revenu,  cette  année-là,  les  créanciers  ne 
devaient  pas  non  plus  poursuivre  le  recouvrement  de  leurs  créances 
(Deut.  XV,  1  ss.);  d'après  le  Talmud,  toutes  les  dettes  devaient  être 
complètement  acquittées.  C'est  à  tort  que  l'on  a  prétendu  que  les  es- 
claves d'origine  israélite  étaient  libérés  dans  l'année  sabbatique.  Les 
passages  Exode  XXI,  2;  Jérém.  XXXIV,  14  ss.  disent  que  cet  affran- 
chissement devait  avoir  lieu  d'une  manière  régulière  la  septième  année 
de  l'esclavage  (cf.  Josèphe,  Ant.,  XVI,  1).  L'institution  de  l'année 
sabbatique  n'a  guère  été  observée  qu'après  l'exil  (Néh.  X,  31  ;  1  Macc. 
VI,  49,  53);  si  elle  avait  des  avantages  incontestables  au  point  de  vue 
agronomique,  elle  ne  préservait  pourtant  pas  le  pays  de  la  famine 
(1  Macc.  VI,  49,  53;  Jos.,  Ant.,  XIV,  16). 

ANNONAY.  Les  premières  prédications  de  la  Réforme  furent  faites 
dans  cette  ville  dès  1528  par  un  cordelier,  docteur  en  théologie,  nommé 
Etienne  Machopolis,  qui  avait  eu  le  privilège  d'entendre  Luther  lui- 
même  en  Allemagne.  Il  s'éleva  tant  en  public  qu'en  particulier  contre 
les  superstitions  de  l'Eglise  romaine,  notamment  contre  les  reliques  des 
saintes  Vertus,  qui  étaient  en  grande  vénération  dans  la  ville.  Bientôt 
obligé  de  fuir,  il  eut  pour  successeur  un  moine  du  même  ordre,  nommé 
Etienne  Rénier,  «  qui,  dit  Bèze,  fit  encore  mieux;  à  raison  de  quoi 
étant  emprisonné,  il  persévéra  jusqu'à  la  fin,  scellant  la  vérité  de  son 
propre  sang  à  Vienne,  où  il  fut  brûlé  vif  avec  une  singulière  constance. 
Après  lui  continua  le  maître  des  écoles  du  lieu,  nommé  Jonas,  homme 
de  grande  érudition  et  piété,  lequel,  ayant  fait  en  prison  bonne  et  entière 
confession,  en  fut  retiré  par  le  moyen  de  quelques  amis  ;  de  quoi  étant 
irrité,  l'archevêque  fit  saisir  et  conduire  à  Vienne  environ  vingt-cinq 
personnes,  où  quelques-uns  moururent  de  langueur  et  mauvais  traite- 
ments, étant  les  autres  finalement  délivrés  par  une  manière  de  grâce, 
en  payant  certaines  amendes.  »  En  1539,  on  sévit  plus  sévèrement  contre 
André  Berthelin  qui,  se  rendant  à  la  foire  de  Lyon  et  n'ayant  pas  voulu 
s'agenouiller  devant  une  image,  fut  brûlé  vif  à  Annonay  pour  ce  seul 
motif.  Quelques  années  plus  tard  (1546),  François  d'Angy,  arrêté  à  son 
retour  de  Genève,  fut  également  brûlé  vif.  Le  bienheureux  martyr  fit 
une  mort  triomphante.  «  Courage,  mes  frères,  s'écriait-il  sur  le  bûcher» 
je  vois  les  cieux  ouverts  et  le  Fils  de  Dieu  qui  s'apprête  pour  me  rece- 
voir. »  Paroles  qui  encouragèrent  à  tel  point  les  assistants  que  plusieurs 
d'entre  eux  confessèrent  sur  l'heure  et  tout  haut  leur  foi,  et  que  qua- 
torze ans  plus  tard  la  Réforme  était  dominante  dans  la  ville  et  dans  les 
environs.  A  dater  de  cette  époque  les  événements  se  succèdent  rapide- 
ment. Le  6  mars  1561,  les  sacramentaires  abattent  toutes  les  croix  de  la 
ville  et  des  faubourgs  ;  le  15,  ils  renversent  les  autels,  brûlent  les  images 
des  églises  et  font  prêcher  leur  ministre  sur  la  place  publique.  L'année 


ANNONAY  —  ANNONCIADES  345 

suivante  (mai)  le  **nltt^  catholique  est  suspendu,  deux  pasteurs  sont  ap- 
pelés, Pierre  Raillet,  ancien  maître  d'école  de  Sanci,  près  Genève,  et 
Pierre  Bellot  (ou  Boullod),  et  la  garde  de  la  ville  confiée  à  Sarras,  capi- 
taine du  trop  célèbre  baron  des  Adrets.  —  La  première  guerre  de  reli- 
gion ayant  commencé  peu  après,  le  duc  de  Nemours,  qui  venait  de 
s'emparer  de  Vienne,  envoya  contre  Annonay  le  féroce  Saint-Chamond, 
qui  saccagea  la  ville  et  passa  au  lil  de  l'épée  tous  ceux  qui  l'avaient 
défendue  (oct.  1502).  Le  comte  de  Grussol,qui  était  le  chef  des  religion- 
oaires  en  Languedoc,  la  reprit  bientôt  après  (18  déc.)  ;  mais  Saint- 
Chamond,  s'en  étant  de  nouveau  emparé,  l'incendia  en  partie,  rasa  ses 
murailles,  mit  à  mort  un  grand  nombre  de  ses  habitants  et  laissa  com- 
mettre à  ses  soldats  une  foule  d'excès  au  mépris  de  la  capitulation,  au 
bas  de  laquelle  il  avait  apposé  sa  propre  signature.  A  la  paix,  Annonay 
ayant  été  choisi  comme  lieu  d'exercice  pour  la  sénéchaussée  de  Beau- 
caire  et  de  Nîmes,  les  protestants  de  la  ville  célébrèrent  leur  culte  dans 
la  maison  de  Gonnet-Merle,  au  faubourg  delà  Récluserie,  sous  la  direc- 
tion du  pasteur  Raillet,  revenu  de  son  exil  (20  août  1564).  Pendant  les 
sept  autres  guerres  de  religion  qui  suivirent,  la  ville  d'Annonay  fut  de 
nouveau  prise  et  reprise  par  les  catholiques  et  les  protestants,  mais  elle 
demeura  finalement  au  pouvoir  de  ces  derniers  (17  juil.  1574).  Les 
réformés  annonéens  jouissaient  en  paix  de  l'exercice  de  leur  religion,  sous 
le  régime  de  redit  de  Nantes,  quand  le  seigneur  de  Boulicu  leur  défendit 
de  s'assembler.  Sans  s'arrêter  à  cette  interdiction,  l'Eglise  députa  un  de 
ses  membres  à  Louis  XIII  qui,  reconnaissant  la  justice  de  la  cause  des 
réformés,  les  maintint  dans  leur  droit  d'exercice.  Les  deux  pasteurs  les 
plus  distingués  d'Annonay  pendant  cette  période  furent  Le  Faucheur 
et  de  Vinay.  Le  premier  était  un  des  orateurs  sacrés  les  plus  remar- 
quables de  son  temps  et  fut  appelé  à  desservir  l'Eglise  de  Paris  ;  le 
second,  un  controversiste  habile  qui,  après  avoir  exercé  son  ministère 
en  Dauphiné,  fut  placé  à  la  tête  de  l'Eglise  d'Annonay,  où  il  eut  une 
dispute  théologique  célèbre,  qui  dura  trois  mois,  avec  le  jésuite  Marti- 
necourt.  Les  actes  en  ont  été  publiés  à  Genève  par  de  Vinay,  en  1626. 
—  La  révocation  de  redit  de  Nantes  porta  un  rude  coup  à  l'Eglise  d'An- 
nonay, qui  ne  fut  visitée  désormais  qu'à  de  rares  intervalles,  par  les 
pasteurs  du  désert  du  Vivarais.  Elle  fut  pourtant  assez  heureuse  pour 
avoir  uu  pasteur  en  propre,  en  1773,  Abraham  Chiron,  né  à  Genève  de 
endants  de  réfugiés  dauphinois.  Zélé,  capable,  laborieux,  Chiron 
mit  l'Eglise  sur  le  meilleur  pied;  mais,  vu  de  très-mauvais  œil  par  les 
catholiques,  à  cause  de  sa  nationalité,  et  perpétuellement  en  butte  à 
leurs  injures,  il  passa  au  service  de  l'Eglise  de  Beaumont  près  Valence, 
en  1787.  A  L'époque  delà  réorganisation  des  cultes,  Annonay,  qui  faisait 
partie  du  synode  du  Vivarais  aux  dix-septième  et  dix-huitième  siècles, 
fut  rattaché  au  consistoire  de  Lamastre,  puis  à  celui  de  Saint-Péray. 
En  L870,  l'Eglise  comptait  2,200  unies.  —  Voyez:  Bèze,  Hist.eccUs. 
Achille  Gamon,  Mémoires,  //àt.  remarquai),  des  persécut.  de  l'Eglise  réf. 
de  la  ville  d'Annonay  advenues  en  l'an  1635;  E.  Arnaud,  Notice  sur  les 
eontrov.  relig.  en  Dauphiné.  E.  Arnaud. 

ANNONCIADES.  —  1°  L'ordre  des  religieuses  de  la  Bienheureuse  Vierge 
i.  23 


346  ANN0NCIADE3  —  ANOMÉENS 

Marie,  appelées  de  l'Annonciade  ou  des  dix  Vertus  de  Notre-Dame,  fut 
fondé  à  Bourges  parla  Bienheureuse  Jeanne  de  Valois,  femme  répudiée 
de  Louis  XII,  et  fut  confirmé  en  1501.  Elles  étaient  soumises  à  Tordre 
de  Saint  François.  Saint-Ambroise,  àPopincourt,  était  à  Paris  l'église  des- 
Annonciades  de  France  (Hélyot,  VII,  339).  —  2°  L'ordre  des  Annonciacles 
célestes,  ainsi  appelées  à  cause  de  leur  habillement  bleu  céleste,  fut 
fondé  à  Gênes  en  1602  par  la  Mère  Victoire  Fornari,  et  définitivement 
établi  en  1605;  elles  ajoutaient  aux  quatre  vœux  celui  de  clôture  perpé- 
tuelle (Hélyot,  IV,  297). 

ANNONCIATION,  message  de  Fange  Gabriel  à  la  Vierge  Marie  pour 
lui  annoncer  le  mystère  de  l'Incarnation  (Luc  î,  26-38).  C'est  aussi  le 
nom  de  la  fête  que  l'Eglise  catholique  a  instituée  pour  célébrer  ce  sou- 
venir. Elle  a  lieu  le  25  mars  (voir  l'article  Jésus). 

ANOMÉENS,  nom  donné  aux  partisans  de  l'arianisme  rigide,  qui 
cherchèrent  à  profiter  de  la  victoire  momentanée  du  semi-arianisme 
ou  eusébianisme  sous  Constance  (337-361)  et  du  zèle  arien  de  Valent 
(364-378)  pour  assurer  à  leur  doctrine  les  avantages  d'une  position 
officielle  et  dominante.  Le  concile  de  Nicée  (325)  avait  condamné  l'a- 
rianisme en  décrétant  Vhomoousie  ou  l'identité  d'essence  du  Fils  et 
du  Père.  Les  semi-ariens  ou  eusébiens  (ainsi  nommés  d'Eusèbe  de  Ni- 
comédie,  leur  principal  organe)  lui  opposèrent  llwmœousie,  la  simili- 
tude ou  l'analogie  d'essence.  Les  ariens  purs,  sous  la  direction  d'Aetius 
d'Antioche,  d'Acacius  de  Césarée  et  d'Eunomius  de  Cappadoce,  insis- 
tèrent sur  l'idée  que  le  Fils  était  créé  et,  par  conséquent,  d'une  autre 
essence  que  le  Père.  Leur  parti  était  puissant  dans  l'entourage  de 
Constance  et  réussjt  à  faire  décider  par  le  deuxième  concile  de  Sirmium 
(357)  qu'il  fallait  s'abstenir  de  toute  mention  d'homoousieou  d'homœou- 
sie.  L'année  d'après,  le  concile  d'Ancyre  et  un  troisième  concile  de 
Sirmium  se  prononcèrent,  au  contraire,  en  faveur  du  semi-arianisme. 
Après  quoi  la  formule  équivoque,  consentie  par  les  ariens  purs,  d'a- 
près laquelle  «  le  Fils  est  semblable  au  Père  comme  les  saintes  Ecri- 
tures le  disent  et  l'enseignent  »  fut  admise  par  le  concile  de  Rimini 
pour  l'Occident  et  celui  de  Séîeucie  pour  l'Orient  (359).  Mais  une  défi- 
nition aussi  vague  n'était  pas  de  nature  à  apaiser  les  différends  qui  se 
prolongèrent  sous  les  successeurs  de  Constance.  L'intolérance  arienne 
de  Valens,  en  rejetant  les  semi-ariens  du  côté  des  partisans  du  dogme 
de  Nicée,  hâta  la  victoire  définitive  de  l'orthodoxie  consacrée  sous 
Théodose.  Eunomius,  disciple  et  ami  d'Aetius,  fut  îe  plus  distingué  de  ces 
derniers  défenseurs  de  l'arianisme.  Doué  d'un  grand  talent  de  parole 
et  logicien  très-serré  (ce  qui  lui  a  valu,  à  tort  selon  Ritter,  la  réputation 
d'un  partisan  déterminé  d'Aristote),  il  s'appuyait  surtout  sur  la  notion 
d'absolu  pour  nier  toute  pluralité  et  toute  différence  dans  l'Etre  divin.. 
Sa  réputation  fit  que  l'on  désigna  son  parti  sous  îe  nom  d'eunomiens, 
puis,  dans  une  intention  hostile,  sous  ceux  û'anoméens,  qui  semblait 
impliquer  l'antinomisme  ou  l'absence  de  loi,  et  d1 exoukontéens  (gens 
de  rien,  par  allusion  à  la  formule  arienne  d'après  laquelle  le  Fils  avait 
été  créé  de  nihilo).  De  la  même  manière  on  transformait  le  nom  de  son 
ami  Aetius  en  celui   iVatheos,  athée,  Son  Exposition  de  la  foi  se  trouve- 


ANOMEENS  —  ANSCHAIRE  :;I7 

rhuisFabricius  {Bibl.  6rr.,vol.  VIII),  ainsi  que  son  A pologie.  —  Ouvrages 
•i  consulter:  outre  Théodoret,  Philastorgius,  Sozomène  et  Basile,  Baur, 
Dreicinigkeit,  I;  Dorner,  Enhvickelungsgeschichte  d.  Lehre  v.  d.  Person 
Chri&ti,  I;  Ritter,  Histoire  de  la  Philosophie  chrétienne,  II,  traduit  de 
l'allemand  par  Trullard,  1844*  a.  réville. 

ANOMIENS.  Voyez  Antinomisme. 

ANSCHAIRE  (Saint)  [Ansgarius],  d'origine franque,  surnommé  l'apôtre 
du  Nord,  et  digne  de  ce  nom.  Il  naquit  en  801  en  Picardie;  encore  enfant  il 
tut  admis  au  monastère  de  Corbie.  Quand  ce  couvent  établit,  en  822,  sa 
colonie  de  Corvey,  sur  le  Weser,  pour  la  conversion  des  Saxons,  Ans- 
chaTre  y  devint  le  directeur  de  l'école.  Humble  et  courageux,  il  était 
prêt  à  tous  les  sacrifices.  Déjà  Charlemagne  avait  conçu  ridée  de  fon- 
der sur  les  frontières  de  son  empire  des  évêcliés,  d'où  le  christianisme 
pourrait  être  apporté  aux  nations  étrangères  encore  païennes.  C'est 
ainsi  qu'en  787  il  avait  appelé  comme  évêque  à  Brème  l'Anglo-Saxon 
Willehad,  qui  pendant  quelque  temps  avait  été  missionnaire  en  Frise 
et  en  Saxe.  Hambourg  devait  être  le  centre  de  cette  Eglise  du  Nord. 
Louis  le  Débonnaire,  dans  les  commencements  de  son  règne,  perdit  de 
vue  ces  projets  de  son  père;  il  n'y  fut  ramené  que  par  une  occasion  en 
apparence  accidentelle,  après  qu'en  822  l'archevêque  Ebbon  de  Reims 
eut  fait,  sans  résultat,   une  tentative  de   prédication  chrétienne  en 
Danemark.  Le  roi  danois  Harald,  détrôné,  étant  venu  demander  l'appui 
à  l'empereur  et  s'étant  fait  baptiser  à  Mayenceen  826,  Louis  résolut  de 
le  faire  accompagner  par  un  missionnaire.  L'abbé  de  Corvey  lui  dési- 
gna Anschaire.  Celui-ci,  âgé  de  vingt-cinq  ans,  accepta  la  charge  péril- 
leuse; avec  le  frère  Autbert  il  suivit  le  roi  qui,  tout  baptisé  qu'il  était, 
les  maltraita  brutalement  pendant  le  voyage.  Dans  le  Jutland  ils  instrui- 
sirent quelques  jeunes  gens,  qui  devaient  les  assister  ;  mais  ainsi  que 
Harald  lui-même,  ils  furent  obligés  de  quitter  la  contrée.  Louis  le  Dé- 
bonnaire, auquel  on  avait  rapporté  qu'en  Suède  on  désirait  connaître 
l'Evangile,  chargea,  vers  830,  Anschaire  et  le  frère  Wittmar  de  partir 
pour  ce  pays  ;  ils  y  trouvèrent  des  chrétiens  réduits  en  esclavage  par 
les  pirates;  Anschaire  convertit  quelques  indigènes,  dont  l'un  fit  même 
bâtir  une  église.  Après  dix-huit  mois  de  séjour  il  revint  à  Aix-la-Cha- 
pelle. C'est  alors  que  Louis,  reprenant  le  projet  de  Charlemagne,  éri- 
gea pour  Anschaire  l'archevêché  de  Hambourg;  l'acte  de  fondation  est 
daté  d'Aix-la-Chapelle,  le  15  mai  834  ;  il  fut  confirmé  par  une  bulle  de 
Grégoire  IV.  Mais  les   chrétiens  y   étaient  rares   et  le  diocèse  très- 
étendu  ;  il  devait  comprendre  tout  le  pays  au  nord  de  l'Elbe,  le  Dane- 
mark et  la  Suède;  dans  toute  cette  contrée  si  vaste  il  n'y  avait  encore 
que  quatre  églises.  Pour  assurer  à  Anschaire  les  moyens  de  vivre  et 
d'entretenir  les  prêtres,  l'empereur  lui  accorda  le  couvent  de  Thurholt 
en  Flandre.  11  en  fut  privé  de  nouveau  lors  du  partage  de  l'empire, 
Thurholt  appartenant  à  la  portion  de  Lothaire.  En  outre,  la  ville  de 
Hambourg   tut   saccagée  en  837  par  les  Normands;  l'église,  les  livres 
d' Anschaire  et  tout  son  avoir  devinrent  la  proie  des  flammes;  pour 
rester  dans  le  voisinage  il  construisit  le  couvent  de  Thamelsloh,  où  il 
s'établit.  En  8&$,  Hambourg  fut  pille  une  seconde  fois.  Louis  le  Ger- 


348  ANSCHAIRE  —  ANSÊGISE 

manique  unit  alors  cet  archevêché  avec  l'évêché  de  Brème,  qui  était 
vacant  ;  il  engagea  Anschaire  à  se  fixer  dans  cette  dernière  ville,  moins 
exposée.  L'archevêque  de  Cologne,  qui  jusque-là  avait  été  le  métropo- 
litain de  Brème,  souleva  des  difficultés;  elles  furent  aplanies  lors  d'un 
concile  tenu  à  Mayence  en  847  ;  Anschaire  fut  installé  comme  arche- 
vêque de  Hambourg-Brème;  en  858,  Nicolas  Ier  le  confirma  en  exigeant 
de  lui,  pour  lui  et  ses  successeurs,  le  serment  d'obéissance  au  Saint- 
Siège  et  à  ses  décrets;  la  création  de  Louis  le  Germanique  fut  ainsi  su- 
bordonnée à  la  papauté.  Anschaire  établit  le  christianisme  dans  le 
Schleswig  ;  il  fit  des  essais  pour  le  répandre  parmi  les  Slaves  de  l'Est.  Il 
se  dévoua  surtout  à  faire  cesser  le  trafic  des  esclaves  ;  parmi  ses  propres 
chrétiens  il  y  en  avait  qui  vendaient  de  leurs  coreligionnaires  à  des 
païens  ;  en  général  l'évangélisation  était  encore  toute  extérieure.  Mal- 
gré les  efforts  d'Anschaire,  le  peuple  restait  païen  dans  ses  mœurs. 
En  835,  il  avait  envoyé  en  Suède  le  moine  Gaubert,  qui  bientôt  fut 
chassé.  En  848,  il  retourna  lui-même  dans  ce  pays,  où  il  obtint  d'une 
assemblée  nationale  l'autorisation  de  prêcher  l'Evangile  ;  il  le  fit  pen- 
dant deux  ans;  quelques-uns  de  ses  disciples  continuèrent  cette  œuvre, 
mais  il  fallut  encore  plus  d'un  siècle  et  demi  pour  faire  disparaître  le 
paganisme  Scandinave.  Anschaire  mourut  le  3  février  865.  Il  avait 
écrit  le  journal  de  ses  missions;  malheureusement  il  paraît  qu'il 
n'existe  plus.  On  n'a  de  lui  qu'une  courte  biographie  du  premier  évêque 
de  Brème  Willehad.  La  sienne  fut  écrite  par  son  disciple  et  successeur 
le  Flamand  Rimbert  ;  destinée  aux  moines  de  Corbie,  elle  est  pleine  de 
récits  de  visions  et  de  miracles  ;  néanmoins  elle  donne  une  image  fidèle 
du  caractère  et  de  l'activité  d'Anschaire,  dont  la  douceur,  la  simplicité, 
la  charité,  le  désintéressement  avaient  inspiré  du  respect  même  à  ceux 
des  païens  qui  refusaient  le  christianisme.  Ch.  Schmidt. 

ANSE  (Rhône)  [Ansa  Paulini].  Il  se  tint  dans  cette  ville  en  994,  1025, 
1070,  1076,  1100  des  synodes  peu  importants.  Le  dernier  fut  réuni 
en  1299  ou  plutôt  en  1300  sous  la  présidence  de  l'archevêque  Henri 
de  Lyon,  et  s'occupa  de  la  discipline  (Mansi,  XXIV,  1218;  Hefele,  VI, 
338). 

ANSÊGISE  (Saint)  [Ansigùus,  Ansegisus],  abbé  de  Saint-Germer  de 
Flay  (807),  de  Luxeuil  (817)  et  de  Saint-Wandrille  ou  Fontanella  (823). 
Il  assista  Eginhard  dans  sa  construction  du  palais  d'Aix-la-Chapelle 
et  enrichit  grandement  la  bibliothèque  des  couvents  qu'il  dirigea.  Il 
recueillit  en  quatre  livres  les  Capitulaires  de  Charlemagne  et  de  ses 
fils  (789-817).  Cet  important  ouvragé,  qui  fut  continué  avec  moins 
d'honnêteté  par  Benoît,  diacre  de  Mayence,  a  été  publié  par  Baluze, 
P.,  1677,  2  vol.  in-f°,  et  Pertz,  Mon.  leg.,  I,  p.  256  ss.  La  vie  de  saint 
Waubert,  abbé  de  Luxeuil,  écrite  par  Adson,  abbé  de  ce  couvent  au 
dixième  siècle,  le  mentionne  comme  l'auteur  de  cette  collection  (AA. 
SS.,%mai,l,ip.  280) .  Il  mourut  en  833.  Sa  vie  se  trouve  dans  les  gestes  des 
abbés  de  Fontanelle  (Pertz,  Mon.  Scr.,  II,  p.  293  ss.  ;  d'Achéry,  Mabillon 
et  les  Bollandistes,  20  Juil.,  V).  Voy.  Hist.  litt.  de  la  Fr.,  IV,  509. 

ANSÊGISE  [Ansegisilus,  Ansegisus],  abbé  de  Saint-Michel  de  Beauvais, 
fut  élu  en 871  archevêque  de  Sens.  Le  pape  Jean  VIII  le  nomma,  en  876, 


ANSEGISE  —  ANSELME  349 

primat  des  Gaules  et  de  Germanie  et  vicaire  apostolique,  et  lui  donna 
le  droit  de  convoquer  les  synodes.  Les  évêques,  réunis  la  même  année 
au  synode  de  Ponthion,  ne  se  soumirent  à  ce  décret,  malgré  les  ins- 
tances de  l'empereur  et  des  légats,  «  qu'en  réservant  les  droits  et  les 
privilèges  des  métropolitains.  »  Hincmar,  l'instigateur  de  cette  résis- 
tance, écrivit  contre  lui  son  traité  de  Jure  Metropolitarum  (éd.  Sir- 
mond,  II,  719).  Anségise  mourut  en  883;  il  ne  jouit  que  sur  son 
épitaphe  du  titre  de  secundus  papa,  que  lui  donne  la  chronique  d'Odo- 
ranne,  moine  de  Sens  (Bibl.  Hist.  de  V  Yonne,  1863,11,  a.  883).  Voy.les 
Annales  de  saint  Berlin,  par  Hincmar  (éd.  Dehaisnes,  P.,  1871,  in-8°, 
a.  876);  Gallia  chrisiiana,  XII,  25  ss.;  Lettres  de  Jean  VIII,  Bouquet, 
VIL  $59  ss.  ;  Mansi,  IX.  S.  Berger. 

ANSELME  (Saint)  fut  l'on  des  hommes  les  plus  remarquables  de 
l'Eglise  au  onzième  siècle.  Né  en  1033  dans  la  petise  ville  d'Aoste 
au  sein  d'une  noble  et  riche  famille  alliée  aux.  comtes  de  Maurienne, 
il  se  fit  remarquer  dès  son  enfance  par  son  goût  pour  l'étude  et 
par  la  vivacité  de  ses  sentiments  religieux.  La  vie  du  cloître  l'atti- 
rait ;  mais  son  père,  qui  avait  pour  son  lils  de  toutes  autres  ambitions, 
contraria  cette  vocation  monastique.  Toutefois,  après  quelques  années 
données  aux  affaires  et  aux  plaisirs  du  monde,  le  jeune  Anselme 
sentit  se  réveiller  en  lui,  avec  une  ardeur  nouvelle,  ses  aspirations 
premières.  Il  résolut  de  quitter  sa  famille  et  sa  patrie  pour  aller  cher- 
cher au  loin  un  asile  où  il  pût  se  consacrer  à  Dieu.  Après  avoir  par- 
couru la  Bourgogne  et  la  France,  il  arriva  en  Normandie  et  entra 
comme  novice  dans  le  monastère  de  Sainte-Marie  du  Bec,  où  il  enten- 
dit les. leçons  de  l'un  de  ses  compatriotes,  Lanfranc,  qui  en  était  alors 
le  prieur.  Il  prononça  ses  vœux  en  1060,  et  devint  successivement 
prieur  en  1063  et  abbé  en  1078.  Anselme  déploya  dans  l'exercice  de 
ses  fonctions  beaucoup  de  zèle  et  de  talent.  L'instruction  des  novices, 
la  direction  des  études  des  moines  et  celle  de  leurs  consciences,  la  dis- 
tribution des  aumônes,  le  soin  des  malades,  l'administration  générale 
des  affaires  du  couvent,  voilà  les  devoirs  entre  lesquels  il  partageait 
son  temps.  Au  milieu  de  ces  occupations  si  diverses,  et  tout  en  obser- 
vant avec  la  plus  rigoureuse  exactitude  les  pratiques  d'une  règle  mo- 
nastique très-sévère,  Anselme  trouvait  encore  des  loisirs  pour  l'étude 
et  les  méditations  solitaires,  et  pour  la  correction  des  manuscrits  pré- 
cieux, dont  il  faisait  faire  des  copies  destinées  à  enrichir  la  bibliothèque 
du  couvent.  Sa  piété,  sa  douceur,  l'exquise  délicatesse  avec  laquelle 
il  savait  manier  les  hommes  et  parler  aux  consciences,  lui  gagnaient  les 
cœurs  de  tous  ceux  dont  il  était  le  guide  spirituel.  Grâce  à  lui,  le  mo- 
nastèredu  Bec  acquit  une  grande  réputation.  Les  novices  et  les  audi- 
teurs  y  affluaient  de  toutes  parts,  et  les  donations  pieuses  venaient, 
d'année  eu  année,  en  accroître  les  richesses.  Les  soins  de  l'administration 
des  biens  que  possédait  la  communauté  en  Angleterre,  obligèrent  sou- 
vent Anselme  à  [tasser  |<>  détroit.  Lanfranc,  qui,  après  avoir  été  son 
maître,  étail  resté  son  ami,  occupait  alors  le  siège  de  Cantorbéry. 
Anselme  lui  lit  de  fréquentes  visites;  il  eut  ainsi  l'occasion  de  se  faire 
connaître  du  roi  Guillaume  le  Conquérant  et  de  son  lils  Guillaume  le 


350  ANSELME 

Roux,  en  même  temps  qu'il  se  conciliait  par  ses  vertus   l'estime  du 
clergé  et  V affection  du  peuple.  Aussi,  lorsqu'en  1089  la  mort  de  Lan- 
franc  laissa  vacant  le  premier  siège  d'Angleterre,  Anselme  fut-il  désigné 
par  F  opinion  unanime  du  peuple  et  du  clergé  comme  son  successeur. 
Guillaume  le  Roux  tarda  longtemps  à  pourvoir  à  l'évêché  vacant,  dont 
il  percevait  les  riches  revenus.  Ce  n'est  qu'au  bout  de  quatre  ans  que 
le  roi,  malade  alors  et  préoccupé  du  salut  de  son  âme ,  crut  devoir  céder 
aux  réclamations  du  clergé  dont  les  intérêts  étaient  en  souffrance,  et 
appela  Anselme  au  siège  de  Cantorbéry.  Celui-ci,  cependant,  refusait 
l'épiscopat.  Il  se  sentait  plus  fait  pour  l'étude  et  pour  la   vie  solitaire 
que  pour  les  devoirs  d'une  charge  aussi  lourde.  La  situation,  d'ailleurs, 
était  difficile,  et  il  prévoyait  des  luttes  dont  s'effrayait  son   caractère 
pacifique.  C'était  le  temps  où  la  question  des  investitures  allumait  la 
guerre  aux  quatre  coins  de  l'Europe.  Les  abus  contre  lesquels  le  pape 
Grégoire  YII  avait  protesté  avec  tant  d'énergie  étaient  plus  criants  en- 
core en  Angleterre  que  partout  ailleurs.  Guillaume  le  Conquérant  avait 
eu  pour  politique  de  disposer  des  bénéfices  ecclésiastiques  en  faveur 
des  seigneurs  et  des  prêtres  normands  qui  l'avaient  suivi  en  Angleterre. 
Il  pensait  par  là  affermir  sa  conquête  et  donner  à  son  pouvoir  de  plus 
fortes  racines   dans   le   pays.   Guillaume  [II,  son  successeur,  était  un 
prince  jaloux  de  ses  prérogatives  royales  et  amoureux   du  pouvoir 
absolu.  Violent  et  débauché,  il  opprimait  l'Eglise  et  affectait  le  plus 
profond  mépris  pour  les  remontrances  que  lui  adressaient  les  prêtres. 
Il  disposait  des  charges  ecclésiastiques  au  gré  de  ses  caprices  ;   il  en 
investissait  des  hommes  incapables  ou  indignes,  afin  de  s'en  faire  des 
créatures,  ou  bien  il  les  laissait  vacantes  pendant  de  longues  années 
pour  s'en  approprier  les  revenus.  Les  liens  qui  rattachaient  l'Eglise 
d'Angleterre  au  siège  de  Rome  étaient  d'ailleurs  fort  relâchés  ;  le  de- 
nier de  Saint-Pierre  ne  se  payait  pas;  l'autorité  des  légats  apostoliques 
était  souvent  méconnue.  Enfin,  l'Angleterre  n'avait  pas  encore  reconnu 
le  nouveau  pape  Urbain  II,  et  affectait  de  garder  une  sorte  de  neutralité 
entre  l'antipape  Clément  et  lui.  Anselme  avait  déjà  reconnu  Urbain  II 
comme  seul  pape  légitime.  Il  était  de  ceux  qui  applaudissaient  aux 
efforts  de  Grégoire  XII  et  des  papes  formés  à  son  école,  pour  l'affran- 
chissement et  la  réforme  de  l'Eglise,  et  il  était  décidé  à  tout  faire  pour 
le  triomphe  des  principes  défendus  par  la  papauté.  Aussi  hésitait-il  à 
accepter  ces  périlleuses  responsabilités  de  l'épiscopat.  On  ne  put  vaincre 
ses  refus  que  par  une  sorte  de  violence.  Ses  appréhensions  ne  furent 
que  trop  justifiées.  A  peine  avait-il  pris  possession  de  son  siège  (1093) 
que  les  conflits  qu'il  avait  prévus  éclatèrent.  Ce  fut  d'abord  à  l'occasion 
du  pallium,  signe  de  sa  nouvelle  dignité,  qu^il  ne  voulait  recevoir  que 
des  mains  d'Urbain  II;  ce  fut  ensuite  à  propos  des  investitures  et  des 
revenus  que  le  roi  prétendait  retenir.  Guillaume,  qui  l'avait  pris  en 
haine,  chercha  vainement  à  le  faire  déposer  par  une  assemblée  d'é- 
vêques  et  de  barons.  Anselme  ayant  demandé  l'autorisation  d'aller  à 
Rome  pour  consulter  le  pape  sur  les  questions  qui  étaient  un  sujet  de 
querelles  entre  le  roi  et  lui,  cette  permission  lui  fut  accordée,  mais  on 
ajouta  que  s'il  quittait  l'Angleterre,  il  cesserait  d'être  considéré  comme 


ANSELME  351 

évéque  par  le  roi.  Anselme  partit  (1097)  et  il  ne  put  rentrer  en  Angle- 
terre qu'à  la  mort  de  Guillaume  le  Roux  (1100).  Pendant  son  séjour  en 
Italie,  il  assista  à  deux  conciles  s  celui  de  Bari  et  celui  de  Rome,  où 
lurent  renouvelées  les  sentences  d'excommunication  prononcées  contre 

les  princes  qui  conféraient  des  investitures  ecclésiastiques  et  contre  les 
clercs  qui  les  recevaient  de  leurs  mains.  Au  concile  de  Bari,  Anselme 
soutint  avec  éclat,  contre  les  députés  de  l'Eglise  grecque,  la  doctrine 
des  latins  touchant  la  procession  du  Saint-Esprit.  Le  discours  prononcé 
au  concile  devint  plus  tard  un  traité  en  forme  qui  a  été  conservé  parmi 
les  œuvres  d'Anselme  :  De  processione  S.  Spiritus  contra  Grœcos  liber. 
Le  successeur  de  Guillaume  II,  Henri  Ie1  Beauclerc,  rappela  Anselme  et 
lui  lit  le  meilleur  accueil.  Mais  la  lutte  ne  tarda  pas  à  éclater  de  nou- 
veau à  l'occasion  des  investitures  et  des  réformes  que  l'archevêque 
avait  décrétées  dans  un  synode  tenu  à  Londres  peu  de  temps  après  son 
retour.  Anselme  dut  prendre  une  seconde  fois  le  chemin  de  l'exil. 
Après  un  nouveau  voyage  à  Rome,  où  il  fut  accueilli  avec  une  faveur 
marquée  par  le  pape  Pascal  II,  il  vint  se  fixer  à  Lyon  auprès  de  l'ar- 
chevêque Hugues,  son  ami.  Le  roi,  cédant  aux  instances  de  la  reine 
Mathilde,  consentit  à  un  rapprochement.  Une  entrevue  eut  lieu  au 
monastère  du  Bec.  On  convint  de  supprimer  la  cérémonie  de  l'investi- 
ture, occasion  de  la  querelle.  C'était  là  une  victoire  pour  Anselme  et 
pour  le  Saint-Siège.  Mais  le  roi,  tout  en'renonçant  à  conférer  l'investi- 
ture, conservait  le  droit  dénommer  aux  bénéfices  vacants,  ce  qui  laissait 
la  porte  ouverte  à  tous  les  anciens  abus.  Anselme  rentra  en  Angleterre 
en  1100  et  y  exerça  paisiblement  jusqu'à  sa  |mort  (1109)  la  charge 
épiscopale.  Lu  second  synode  de  Londres,  où  fut  reprise  l'œuvre  inter- 
rompue de  la  réforme,  et  une  lutte  victorieusement  soutenue  contre 
l'archevêque  d'York,  qui  contestait  les  droits  du  siège  de  Cantorbéry  à 
la  primatie,  remplirent  les  dernières  années  de  son  épiscopat.  — Anselme 
ne  fut  pas  seulement  un  .grand  évéque,  il  fut  aussi  un  grand  théologien. 
On  peut  le  considérer  comme  le  père  de  la  théologie  scolastique.  Le 
premier  il  en  a  formulé  le  principe  et  tracé  le  programme.  J\o?i  quxro 
mtel/t'gere  ut  credam,  sed  credo  ut  intelligam.  Nain  qui  non  crediderit, 
non  experietur^  et  qui  experlus  non  f lient,  non  intelliget  (ProsL,  c.  I,  De 
fide  triait.,  c.  II).  La  foi  doit  précéder  l'intelligence.  L'expérience  des 
choses  divines  rend  seule  possible  la  science  des  choses  divines.  Tout 
l'effort  du  théologien  doit  tendre  à  justifier  rationnellement  et  à  orga- 
niser diine  matière  systématique  les  vérités  enseignées  par  la  révélation 
et  crues  par  l'Eglise.  Anselme  n'a  rempli  qu'une  partie  de  ce  vaste 
programme,  et  il  n'a  appliqué  son  principe  (fides  quxrens  inteltectum) 
qu'à  certains  points  particuliers  de  la  foi.  La  doctrine  de  Dieu  et  de 
la  Trinité,  celles  de  l'incarnation  et  de  la  rédemption  furent  l'objet 
préféré  de  ses  méditations  cl  la  matière  de  ses  principaux  ouvrages. 
Dans  le Monologhtm,  Anselme,  pour  répondre  à  un  désir  que  lui  avaient 
soii\eiif  exprimé  les  moines  du  Bec,  entreprend  de.démonlrer  parla 
•eule  force  du  raisonnement,  et  .sans  faire  appel  à  l'autorité  de*  saintes 
Ecritures,  l'existence  de  Dieu  et  le  mystère  de  la  Trinité.  Toutes 
tes  choses,  dit-il,  qui  ont  en  elles  quelque  bonté,  quelque  vérité  et 


352  ANSELME 

quelque  perfection,  ne  sont  ce  qu'elles  sont  qu'autant  qu'elles  parti- 
cipent à  la  bonté,  à  la  vérité  et  à  la  perfection  suprêmes.  De  même, 
tout  ce  qui  est  n'existe  que  par  le  fait  d'un  être  qui  existe  souveraine- 
ment et  par  lui-même.  Cet  être  souverain,  qui  est  aussi  la  bonté,  la 
vérité  et  la  perfection  souveraines,  c'est  Dieu.  On  reconnaît  là  les  prin- 
cipes réalistes  qu'Anselme  avait  empruntés  à  saint  Augustin.  Anselme, 
comme  d'ailleurs  tous  les  scolastiques,  se  lit  le  défenseur  du  réalisme, 
et  attaqua  les  principes  nominalistes,  comme  conduisant  logiquement  à 
l'hérésie  (  De  fide  trinitatis  et  de  Incarnatione  Verbi  contra  blasphemias 
Roscelini).  —  Dans  le  Proslofjium,  Anselme  ramène  à  des  termes  encore 
plus  simples  la  démonstration  de  l'existence  de  Dieu.  C'est  toujours  la 
preuve  ontologique,  mais  elle  prend  pour  point  de  départ  l'idée  de 
l'être  parfait  telle  que  la  conçoit  notre  esprit.  Cette  idée  est  l'idée  d'un 
être  tel  que  l'on  ne  peut  rien  concevoir  de  plus  grand  (aliquid  quo 
nihil  majtis  cogitari  possit).  Il  faut  nécessairement  que  cet  être  existe 
hors  de  l'intelligence;  autrement,  on  pourrait  en  concevoir  un  autre 
existant  à  la  fois  dans  l'intelligence  et  dans  la  réalité,  lequel  serait  plus 
grand  que  lui,  ce  qui  est  contraire  à  la  définition  de  l'être  parfait.  Il  est 
donc  hors  de  doute  que  l'être  parfait  existe  à  la  fois  dans  l'intelligence 
et  dans  la  réalité,  et  il  faut  être  insensé  pour  dire  qu'il  n'y  a  point  de 
Dieu  (Prosl.,  c.  II  ).  L'argumentation  d'Anselme  fut  attaquée  par  un 
moine  de  Marmoutiers,  nommé  Gannilon  (  Liber  pro  insipiente  adver- 
sus  Anselmiin  Proslogio  ratiocinationem) .  Gannilon  accusait  Anselme  de 
confondre  deux  choses  fort  distinctes  :  le  esse  in  intellectu  et  le  esse  in  re. 
De  ce  que  nous  avons  l'idée  d'une  chose,  il  ne  s'ensuit  pas  nécessaire- 
ment que  cette  chose  existe.  Anselme  répondit  à  son  tour  (Liber  apolo- 
geticus  contra  Gannilonem  respondentem  pro  insipiente).  Il  s'attache  à 
montrer  que  F  idée  de  Dieu  est  une  idée  nécessaire  que  nous  ne  pouvons 
pas  ne  pas  concevoir  comme  ayant  un  objet  réel ,  tandis  qu'il  n'en  est 
pas  ainsi  des  idées  des  choses  contingentes  qui  peuvent  indifféremment 
être  ou  n'être  pas.  C'est  dans  le  Monologium  qu'Anselme  expose  sa 
théorie  de  la  Trinité.  Dieu,  dit-il,  est  intelligence,  mémoire  et  amour.  Il 
se  connaît  et  il  se  parle  éternellement  lui-même  ;  il  ne  peut  se  connaître 
sans  se  souvenir  de  lui  ;  et  il  ne  peut  se  souvenir  de  lui  et  se  connaître 
sans  s'aimer.  La  mémoire  de  Dieu,  c'est  le  Père;  son  intelligence  et  sa 
Parole,  c'est  le  Fils  ;  son  amour,  c'est  le  Saint-Esprit.  Et  le  Saint-Esprit 
procède  à  la  fois  du  Père  et  du  Fils  parce  que  l'amour  procède  à  la  fois 
de  la  mémoire  et  de  l'intelligence.  —  Le  plus  remarquable  des  traités 
d'Anselme  est  le  Cur  Deus  Homo,  dans  lequel  la  nécessité  de  l'incarna- 
tion et   de  l'expiation   est  rationnellement  démontrée.  Étant  donné, 
d'une  part,  Dieu  avec  ses  éternels  attributs  de  sainteté  et  d'amour,  et, 
de  l'autre,  le  péché  de  l'homme  avec  sa  gravité  infinie ,  la  rédemption 
n'était  possible  que  par  l'incarnation  et  la  mortdu  Fils  de  Dieu.  Refuser 
à  Dieu  ce  qui  lui  est  dû,  voilà  en  quoi  consiste  le  péché.  Il  constitue 
donc  une  grave  offense  à  la  majesté  et  à  l'honneur  de  Dieu,  en  même 
temps  qu'il  trouble  l'ordre  universel  que  Dieu  lui-même  a  établi.  Il 
faut  que  le  péché  soit  puni  ou  qu'il  soit  expié,  autrement  l'honneur  de 
Dieu  serait  compromis  et  l'ordre  de  l'univers  demeurerait  troublé 


ANSELME  353 

L'expiation  vaut  mieux,  que  le  châtiment, parce  qu'elleestun  hommage 

volontaire  rendu  au  droit  de  Dieu  que  le  châtiment  sanctionne  d'une 
manière  toute  passive.  L'expiation  est  d'ailleurs  nécessaire  pour  que 
les  hommes  soient  sauvés,  et  Dieu  veut  qu'ils  soient  sauvés  pour  qu'ils 
aillent  occuper  dans  la  cité  eéleste  les  places  laissées  vides  par  les  anges 
déchus  (I,  c.  L6).  Mais  l'expiation  n'est  possible  qu'à  certaines  con- 
ditions. Il  faut  offrira  Dieu,  en  réparation  du  péché,  quelque  chose  qu'on 
ne  lui  doive  pas  déjà  par  simple  devoir  d'obéissance.  11  faut  offrir  à 
Dieu  plus  qu'il  ne  lui  a  été  refusé  par  la  désobéissance,  afin  de  réparer 
ainsi  l'outrage  que  lui  a  infligé  cette  désobéissance  elle-même  (  1,  c.  11  ). 
11  faut  enfin  que  la  valeur  de  l'offrande  soit  infinie  pour  compenser  la 
gravité  infinie  et  le  nombre  infini  des  offenses  commises  (I,c.  20  et 21). 
Ces  conditions,  l'homme  est  incapable  de  les  remplir.  Il  n'a  à  offrir  à 
Dieu  comme  pécheur  que  ce  qu'il  lui  doit  déjà  comme  homme  :  car 
l'homme  doit  à  Dieu  tout  ce  qu'il  est  et  tout  ce  qu'il  a  (omne  quod  est, 
omne  quod  habet,  omne  quod  potest,  débet  ).  Quand  il  aura  tout  donné  à 
Dieu,  il  n'aura  fait  que  son  devoir,  et  il  ne  lui  restera  rien  à  offrir  en 
compensation  de  son  péché  et  en  réparation  de  l'outrage  qu'il  a  fait  à 
Dieu  par  son  péché  même.  Il  ne  peut  d'ailleurs  offrir  quelque  chose 
d'un  prix  infini,  quelque  chose  de  plus  précieux  que  tout  ce  qui  n'est  pas 
Dieu  (aliquid  quod superet  omne  quod  non  Deusest).  11  n'y  a  rien,  en  effet, 
qui  soit  au-dessus  de  tout  ce  qui  n'est  pas  Dieu,  excepté  Dieu  lui-même. 
Dieu  seul  peut  donc  accomplir  la  satisfaction  exigée.  Et  comme  c'est 
l'homme  qui  doit  cette  satisfaction,  il  faut  qu'elle  soit  accomplie  par 
un  Dieu  fait  homme  (II,  c.  6).  Ce  Dieu  fait  homme,  c'est  le  Fils  qui  a 
pris  la  nature  humaine  en  naissant  de  la  Vierge  Marie.  Mais  comment 
Jésus-Christ  a-t-il  accompli  la  satisfaction  sans  laquelle  les  hommes  ne 
pouvaient  être  sauvés?  Ce  n'est  pas  par  son  obéissance,  car  il  devait  à 
Dieu  cette  obéissance  comme  homme,  et  il  ne  pouvait  l'offrir  en  répa- 
ration des  péchés  des  hommes.  C'est  par  sa  mort,  qui  a  été  de  sa  part 
un  sacrifice  volontaire.  Jésus-Christ,  en  effet,  ne  devait  pas  mourir.  La 
mort  n'était  pas  pour  lui  une  nécessité  naturelle  puisqu'il  était  le  Fils 
de  Dieu;  elle  n'était  pas  davantage  le  châtiment  inévitable  du  péché, 
puisqu'il  était  parfaitement  saint.  Sa  morta  été  absolument  volontaire: 
il  a  donné  sa  vie  comme  une  libre  offrande  faite  à  l'homme  et  à  la 
gloire  de  Dieu.  Et  cette  offrande  est  d'un  prix  infini,  car  cette  vie  est 
une  vie  sainte  et  une  vie  divine;  c'est  là  justementee  quelque  chose  de 
l>lu>  précieux  que  tout  ce  qui  n'est  pas  Dieu,  exigé  pour  la  réparation 
du  péché.  Une  telle  vie,  volontairement  sacrifiée  au  milieu  des  souf- 
rances  d'une  telle  mort,  c'est  plus  que  l'équivalent  des  péchés  des 
hommes,  quels  qu'en  soient  le  nombre  etla  gravité.  Vitam  {C  hristi)  tam 
sublimem,  tam  pretiosam  apertissime  probasti  ut  sufficere  possit  adsolven- 
dum  quod  pro peccatis  totiusmundi  debetur ,  et  plus  in  infinitum  (II, c.  17). 
Anselme  ajoute  que,  par  sa  mort  volontaire,  Jésus-Christ  a  mérité  une 
récompense  que  Dien  ne  peut  lui  refuser  sans  injustice.  Or,  connue 
Dieu  ne  |»nit  rien  donner  à  son  Fils  (pie  son  Fils  Dépossède  déjà,  il  lui 
donne  le  salut  des  hommes  :  c'est  là  son  salaire  et  sa  récompense. 
—  Parmi  les  autres  ouvrages  d'Anselme,  nous  citerons  :  De  casudiaboli; 


354  ANSELME  —  ANSPACH 

Liber  de  conceptu  virginali  et  originali peccato  ;  Tractatus  de  concordia  pre- 
scientiœ  et  prœ  destinations  s  necnon  gratix  Dei  cum  libero  arbitrio.  Ajoutez 
à  ces  écrits  théologiques  des  Homélies,  des  Méditations ,  des  Elévations 
(Orationes)  et  de  nombreuses  lettres  dont  quelques-unes  offrent  un 
véritable  intérêt  historique.  La  meilleure  édition  des  œuvres  d'Anselme 
est  celle  qui  a  été  publiée  à  Venise  en  1746  par  Gabriel  Gerberon 
(2  vol.  in-fol).  Sa  vie  a  été  écrite  pour  la  première  fois  par  Eadmer,son 
disciple  et  son  ami.  —  Sources:  Franckh,  Ansehn  von  Cantorbery,  1842; 
Masse,  Anselm  von  Cantorbery,  1854  ;Ch.  de  Rémusat,  Anselme  de  Can- 
torbery, 2e  édit.,  1868;  Bouchitté,  Le  rationalisme  chrétien  à  la  fin  du 
onzième  siècle,  1842.  Voir  aussi  H.  Ritter,  Die  christL  Philosophie, 
vol.  I,  et  Baur,  Die  Lehre  von  dtr  Versœhnung  ;  Die  Lehre  von  der  Drei- 
einigkeit  und  Menschwerdung  Christi.  F.  Bonifas. 

ANSELME  DE  LAON  (Anselm us  ou  Ansellus  Laudunensis),  appelé  le 
docteur  des  docteurs  par  Jean  de  Salisbury,  peut  être  considéré  comme 
le  restaurateur  des  études  théologiques  en  France  au  onzième  siècle. 
On  croit  qu'il  fut  élève  de  saint  Anselme,  au  couvent  du  Bec.  Il  en- 
seigna à  Paris  entre  1076  et  1089,  et  fut  jusqu'en  1117  écolâtre  de 
l'Eglise  de  Laon  ;  plus  tard  il  fut  nommé  doyen  et  archidiacre,  mais  il 
refusa  plusieurs  fois  l'épiscopat  pour  se  consacrer  tout  entier  à  l'en- 
seignement. Il  professa  avec  un  grand  éclat  aux  côtés  de  son  frère 
Raoul.  Guillaume  de  Champeaux,  Gilbert  de  la  Porée,  furent  ses  élèves. 
L'école  de  Laon,  à  l'instar  de  celle  de  Paris,  attira  bientôt  des  jeunes 
gens  de  tous  les  pays  de  l'Europe.  Abélard  vint  s'y  asseoir,  mais  il  ne 
sut  pas  goûter  les  leçons  d'Anselme  qu'il  accusait  d'être  aussi  verbeux 
que  peu  sensé,  de  faire  plus  de  fumée  que  de  feu  et  de  produire  des 
feuilles  et  non  des  fruits  :  il  le  traite  de  «  figuier  stérile»  {Hist.  calam, 
suarum,G.  3).  Outre  de  nombreux  commentaires  (il  parait  que  l'on  doit 
lui  attribuer  celui  sur  saint  Matthieu,  qui  est  imprimé  sous  le  nom  de  Guil- 
laume de  Paris,  celui  sur  le  Cantique  des  cantiques  et  l'Apocalypse,  attri- 
bué à  Anselme  de  Cantorbery,  et  celui  sur  les  épitres  de  Paul,  placé  sous 
le  nom  d'un  moine  de  Bourd  ieu) ,  il  a  publié  la  fameuse  Glose  marginale 
et  interlinéraire  du  Psautier,  imprimée  dans  toutes  les  éditions  de  la 
Bible  où  se  trouve  la  Glose  ordinaire  de  Walafride  le  Louche  (voy.  ce 
nom),  depuis  l'édition  sans  lieu  ni  date  (Bâle,  vers  1480),  jusqu'à  celle 
d'Anvers,  1634.  Anselme  a  fait  des  efforts  évidents  pour  ramener 
l'exégèse  au  sens  de  la  lettre  (voy.  du  Boulay,  passim;  Hist.  litt.  de  la 
Fr.,  170).  S.  Berger. 

ANSPACH,  margraviat  de  300,000  habitants  situé  dans  la  Franconie 
centrale,  qui,  depuis  le  quatorzième  siècle,  appartenait  aux  Hohenzol- 
lern,  burgraves  de  Nuremberg.  Cette  petite  principauté  devint  un  des 
premiers  foyers  de  la  Réforme  allemande  au  seizième  siècle.  Dès  le 
1er  octobre  1524,  la  Diète  déclara  au  margrave  Casimir  qu'elle  enten- 
dait professer  le  pur  Evangile  et  le  pria  de  réformer  les  abus  qui 
s'étaient  introduits  dans  l'Eglise,  en  particulier  dans  la  célébration  de 
la  messe.  Mais  ce  fut  surtout,  sous  le  règne  de  George,  frère  de  Casi- 
mir (1527-1543),  que  le  nouvel  état  de  choses  se  consolida.  Ce  prince, 
d'une  piété  et  d'une  fermeté  sans  égales,  ordonna  une  visite  générale 


AXSPACH  —  ANTECHRIST  355 

des  Eglises,  avec  l'injonction  d'abolir  toutes  les  cérémonies  papales, 
contraires  aux  vingt-trois  articles  adoptés  dans  la  convention  de  Schwa- 
baCh  (1528).  11  prit  pari  à  la  célèbre  protestation  de  Spire  et  fut  l'un 
des  principaux  signataires  de  la  Confession  d'Augsbourg.  Brenz  rap- 
porte de  lui  une  parole  courageuse  :  «  Plutôt  que  de  me  laisser  ravir  la 
Parole  de  Dieu  et  de  renier  mon  Dieu,  dit  le  margrave  George  à 
Charles-Quint,  je  m'agenouillerais  devant  Votre  Majesté  Impériale  et  je 
nie  laisserais  couper  la  tête.  »  A  quoi,  l'empereur  doit  avoir  répondu 
dans  le  dialecte  bas-allemand  :  «  Et  lœver  Fœrst,  nit  Kop  ab,  nit  Kop 
ab  ))  (Non,  cher  prince,  pas  la  tête,  pas  la  tête).  Pourtant  la  réforme 
ne  fut  introduite  complètement  dans  le  margraviat  d'Anspach  qu'à  la 
suite  de  la  publication  de  PAgende  de  1533,  rédigée  par  Andr.  Osian- 
der  et  par  Brenz,  et  qui  servit  de  norme  à  la  plupart  des  agendes 
ecclésiastiques  des  autres  principautés  protestantes.  Un  grand  nombre 
de  couvents  furent  supprimés  et  leurs  biens  sécularisés  :  parmi  eux  le 
célèbre  couvent  de  Heilsbronn  qui,  transformé  en  gymnase,  devint  un 
foyer  intellectuel  important  pour  toute  l'Allemagne  méridionale.  — 
Sources:  Lith,  Erlxuter.  der  Reform.  Gesch.  von  Ansbach,  1733;  Lœhe, 
Erinnerungen  aus  de?*  Réf. -Gesch.  von  Eranken,  1847  ;  Hartmann,  Real- 
Eneykl.  de  Herzog,  I,  p.  357  ss. 

ANTECHRIST  ou  mieux  Antichrist  ('AvTfypwroç),  le  dernier  et  grand 
adversaire  du  Messie.  La  doctrine  de  Y  Antéchrist  est  une  doctrine 
apocalyptique  qui  a  historiquement  les  mêmes  origines  et  s'est  déve- 
loppée de  la  même  manière  que  la  littérature  apocalyptique  elle- 
même.  C'est  dire  qu'elle  appartient  à  la  dernière  époque  de  l'histoire 
d'Israël.  La  première  définition  nette  qu'on  en  rencontre  se  trouve  dans 
le  Targum  de  Jérusalem  à  Nomb.  XI,  26;  Deuter.  XXXIV,  2;  Esdr.  IX,  1, 
et  dans  le  Targum  de  Jonatham  à  Esaïe  XI,  2.  Mais  elle  a  ses  racines 
dans  les  livres  de  l'Ancien  Testament,  et  spécialement  dans  la  manière 
dont  les  prophètes  se  représentaient  les  choses  finales.  L'ère  mes- 
sianique ne  devait  venir  qu'aprèsune  grande  bataille  dans  laquelle  le 
peuple  de  Dieu  triompherait  de  tous  ses  ennemis.  Quand  la  cause  de 
Jéhova  fut  représentée  et  personnifiée  dans  la  figure  même  du  fils  de 
David,  du  Messie,  il  était  naturel  de  donner  aussi  à  l'armée  du  mal  un 
chef,  à  la  cause  diabolique  un  représentant.  De  là,  l'idée  de  cet  être 
étrange,  moitié  homme  et  moitié  démon,  qui  a  reçu  le  nom  de  P Anté- 
christ. Mais  cette  personnification  ne  s'est  faite  que  lentement  etPAnte- 
christ  a  pris  tour  à  tour  plusieurs  figures.  Déjà  Ezéchiel  (XXXVIII  et 
XXXIX)  nous  montre  à  la  fin  des  temps  le  roi  Gog,  venant  du  pays  de 
Magog,  pour  livrer  au  peuple  d'Israël  la  suprême  bataille  aprèslaquelle 
apparaîtra  le  règne  messianique.  Gog  est  resté  la  représentation  sym- 
bolique de  toutes  les  puissances  et  de  toutes  les  idolâtries  païennes  qui 
s  .-lèveront  aus  derniers  jours  contre  la  nouvelle  Jérusalem.  Les  atroces 
persécutions  d'AntiochusEpiphanes  vinrent  plus  tard  donner  l'occasion 
de  personnifier  (Pnnc  manière  pins  nette  et  d'arrêter. dans  un  type  his- 
torique cette  image  encore  vague  et  flottante.  L'Antéchrist  apparaît 
avec  tous  ses  traits  essentiels  au  chapitre  XI  du  livre  de  Daniel,  et  ces 
traits  sonl  ceux  d'Antiochus  Lui-même.  Cette  description  de  Daniel 


356  ANTECHRIST 

devint  le  type  de  toutes  les  autres  et  resta  très-populaire  chez  les  Juifs 
et  chez  les  premiers  chrétiens.  On  en  retrouve  les  traces  profondes 
dans  les  discours  eschatologiques  des  Evangiles  (Matth.  XXIV,  15  et 
passîm),  dans  les  épîtres  de  Paul  (2  Thess.  II,  3),  dans  l'Apocalypse 
de  Jean  (Apoc.  XVI  et  XVII).  Mais,  dans  ce  dernier  livre ,  la  ligure 
de  l'Antéchrist  s'est  encore  enrichie  ou  transformée.  Néron  a  pris  d&ns 
les  imaginations  chrétiennes  la  place  d'Antiochus  et  a  paru  être  la 
suprême  personnification  des  puissances  mauvaises,  le  véritable  Anté- 
christ. Le  caractère  de  ce  prince,  ses  crimes  et  ses  débauches,  l'incen- 
die de  Rome,  l'horrible  persécution  des  chrétiens,  tout  devait  porter 
l'Eglise  primitive  à  voir  dans  les  déportements  de  ce  César  les  marques 
d'une  méchanceté  surnaturelle  et  diabolique.  Comme  on  attendait  le 
retour  prochain  du  Christ,  le  règne  de  Néron  ne  pouvait  être  que  cette 
période  laissée  au  triomphe  apparent  du  mal  sur  la  terre  avant  l'appa- 
rition glorieuse  du  Messie,  qui  devait  renverser  tout  cet  empire  de 
l'Antéchrist  du  souffle  de  sa  bouche.  La  révolte  des  Juifs,  le  siège  de 
Jérusalem,  vinrent  tout  à  la  fois  exalter  et  confirmer  cette  attente  et  ces 
prévisions.  Aussi  quand  la  nouvelle  se  répandit  que  Néron  détrôné, 
fugitif,  s'était  tué,  les  chrétiens,  et  avec  eux  presque  tout  l'Orient, 
refusèrent  de  croire  à  sa  mort.  On  se  disait  qu'il  avait  été  seulement 
blessé,  mais  qu'il  avait  été  guéri  et  s'était  retiré  chez  les  Parthes  d'où 
il  allait  revenir  à  leur  tête  pour  châtier  Rome  (Suéton.,  Nero,  57). 
Aussi  plusieurs  faux  Nérons  parurent-ils  en  Orient  et  y  causèrent  une 
grande  émotion.  Ces  rumeurs  effrayantes  ont  laissé  des  traces  dans 
l'Apocalypse  où  l'Antéchrist  est  très-clairement  représenté  sous  les 
traits  de  Néron  (XIII,  XVII),  et  même  expressément  désigné  sous  ce 
nom  par  le  chiffre  cabalistique  aujourd'hui  sûrement  expliqué  de  666, 
c'est-à-dire  Néron  César  (voy.  art.  Apocalypse).  A  côté  de  cette  image 
de  l'Antéchrist,  reflet  du  caractère  de  Néron,  nous  trouvons  dans 
l'Apocalypse  un  second  élément  qui  vient  s'y  ajouter  et  la  compléter  ; 
nous  voulons  parler  du  faux  prophète,  du  prophète  de  l'erreur  qui 
séduit  les  habitants  de  la  terre  et  les  pousse  à  adorer  la  Rête  (Apocal. 
XIII,  14, 15).  Cette  prophétie  menteuse  est  l'antithèse  de  l'enseignement 
authentique  du  Christ,  comme  la  puissance  de  la  Bête  est  l'antithèse 
du  règne  et  de  l'autorité  du  Messie.  C'est  surtout  sous  ce  second  aspect, 
que  Jésus,  dans  les  Evangiles,  a  montré  la  puissance  séductrice  qui  se 
manifestera  dans  les  derniers  temps  et  contre  laquelle  il  met  ses  disci- 
ples en  garde.  Il  parle  même  de  plusieurs  faux  Christs  qui  feront  de 
grands  prodiges  pour  séduire  les  élus  eux-mêmes.  Cette  même  notion 
devient  plus  abstraite  et  plus  générale  eneore  dans  les  épitres  de  Jean. 
Il  est  question  ici  de  plusieurs  Antechrists  qui  ne  sont  pas  autre  chose 
que  des  docteurs  hérétiques.  L'idée  de  l'Antéchrist  se  confond  avec 
celle  de  l'hérésie  (1  Jean  II,  18,  22;  IV,  3;  2  Jean  7).  Le  type  de 
cet  enseignement  d'erreur  c'est  Balaam,  l'Anti-Moïse.  Aussi  les  faux 
docteurs  sont-ils  représentés  comme  les  successeurs  de  Balaam 
(2  Pierre  II,  15;  Apocal.  II,  6,  14,  15;  Targum  de  Jonath.  à  Esaïe  XI, 
4).  —  Dans  la  notion  de  l'Antéchrist  conservée  par  la  tradition  ecclé- 
siastique se  retrouvent  ces  deux  éléments  :  hostilité  contre  le  Christ  et 


ANTECHRIST  —  ANTHROPOLOGIE  :\bl 

>o\\  Eglise,  et  i'au\  enseignement.  Aussi  a-t-on  appliqua  à  la  (ois  la 
qualification  d'Antéchrist  et  aux  princes  persécuteurs  et  aux  héré- 
siarques. Que  n'a  pas  su  découvrir  dans  les  symboles  de  l'Apocalypse 
L'exégèse  subtile  de  l'esprit  sectaire!  Au  VIIIe  siècle  on  s'accorda  à  y 
reconnaître  Mahomet  et  le  mahométisme.  Plus  tard,  au  moyen  âge  et 
après  la  Réforme,  les  sectes  rebelles  à  L'Eglise  romaine  y  virent  la 
papauté.  Dans  les  temps  modernes,  Hengstenberg  et  son  école  voient 
L'essence  de  l'Antéchrist  dans  l'union  du  radicalisme  politique  et  du 
despotisme  césarien  qu'ont  personnifié  Napoléon  et  sa  dynastie.  Mais 
toutes  ces  interprétations,  arbitraires  autant  qu'ingénieuses,  de l'Apoca- 
lypse  ne  sont  que  des  fantaisies  sans  caractère  ni  valeur  scientifiques. 

A.  Sabatier. 

ANTÈRE  (Saint)  ['Av-spwç,  Àntheros,  Anterus],  évêque  de  Rome,  ré- 
gna du  21  novembre  235  au  3  janvier  236.  Son  épitaphe  a  été  retrou- 
vée au  cimetière  de  Saint-Calixte  (Rossi,  Borna  Sotterranea,  II,  p.  55). 
Il  n'est  pas  certain  qu'il  ait  souffert  le  martyre. 

ANTHOINE  (Nicolas),  pauvre  homme  dont  l'exaltation  religieuse 
égara  l'esprit  et  dont  l'histoire  offre  un  lamentable  exemple  des  excès 
qu'on  peut  commettre  au  nom  de  la  foi.  Il  naquit  au  commencement 
du  dix-septième  siècle  en  Lorraine,  à  Briey,  dans  une  famille  catho- 
lique, étudia  d'abord  à  Luxembourg,  puis  à  Trêves  et  à  Cologne  chez 
les  jésuites.  Ses  études  terminées,  il  éprouvait  des  doutes  sur  la  reli- 
gion qu'on  lui  avait  enseignée,  et  pour  les  éclaircir  il  consulta  divers 
pasteurs,  notamment  Paul  Ferry,  de  Metz.  Ces  pourparlers  l'amenèrent 
à  embrasser  le  protestantisme  et  même  à  se  rendre  à  Sedan,  puis  à 
Genève  pour  étudier  la  théologie  et  s'élever  à  la  profession  pastorale. 
Cependant,  en  scrutant  assidûment  la  Bible,  il  lui  sembla  qu'on  avait 
attribué  bien  légèrement  à  Notre  Seigneur,  qui  l'avait  bien  prompte- 
nient  accepté,  le  rôle  de  Messie  marqué  par  les  prophéties.  Il  résolut 
alors  d'embrasser  loyalement  le  judaïsme,  et  se  rendit  à  Metz  pour  ob- 
tenir son  admission  dans  la  Synagogue.  Mais  les  juifs  de  Metz  le  ren- 
voyèrent prudemment  à  ceux  de  Venise,  ne  voulant  point  s'attirer  de 
mauvaise  affaire,  et  ceux  de  Venise  à  ceux  de  Padoue.  Voyant  les  obs- 
tacles se  dresser  sous  ses  pas,  et  pressé  d'ailleurs  par  l'indigence,  il 
revint  à  Genève,  reprit  ses  allures  de  protestant  fidèle,  se  fit  nommer 
régent  au  Collège,  puis  ministre  du  saint  Evangile  dans  un  synode  de 
Bourgogne  tenu  à  Gex,  enfin  pasteur  à  Divonne. 

ANTHROPOLOGIE,  science  de  l'homme.  Si  l'on  prenait  ce  mot  à  la 
lettre,  rien  de  ce  qui  concerne  l'homme  ne  serait  étranger  à  l'anthro- 
pologie, qui  embrasserait,  dans  son  immense  domaine,  l'anatomie  et  la 
physiologie,  la  médecine,  l'ethnologie,  la  linguistique,  l'archéologie, 
l'histoire,  la  politique,  la  législation,  la  morale,  la  psychologie,  l'es- 
thétique, etc.,  c'est-à-dire  un  champ  d'études  beaucoup  trop  vaste 
pour  que  Le  savant  le  mieux  doué  pût  se  flatter  de  l'approfondir. 
Aussi  est-on  convenu  de  donner  à  ce  mot  un  sens  plus  restreint,  dési- 
gnant une  science  <pii,  empruntant  aux  autres  les  résultats  les  plus 
importants  de  leurs  investigations,  se  propose  de  nous  donner  les  no- 
tions essentielles  sur  la  nature   de  l'homme  et  de  l'humanité.  Pour 


358  ANTHROPOLOGIE 

constituer  l'anthropologie,  il  y  a  donc  un  choix  à  faire  et  une  coordi- 
nation à  établir  entre  les  matériaux  fournis  par  les  sciences  spéciales, 
choix  et  coordination  qui  varient  selon  le  point  de  vue  où  Ton  se 
place.  Les  savants,  à  cet  égard,  se  partagent  entre  deux  écoles  :  Tune 
affirmant  que  l'essence  de  l'homme,  son  principe  constitutif,  c'est 
l'esprit;  l'autre  soutenant  que  la  vie  humaine  puise  dans  l'organisme 
ses  forces  et  [sa  raison  d'être  :  deux  tendances  qui  ne  sont  pas  en  tous 
points  exclusives  Tune  de  l'autre,  mais  qui  aboutissent  nécessairement 
à  des  conclusions  différentes.  Parmi  les  penseurs  qui,  tout  en  tenant 
grand  compte  des  faits  organiques,  reconnaissent  dans  la  vie  spiri- 
tuelle la  dignité  spéciale  et  la  nature  intime  de  l'homme,  nous  men- 
tionnerons :  tout  d'abord  le  fondateur  même  de  cette  science,  Platner 
(Anthr.  med.  et  philos.,  1772)  ;  Maine  de  Biran  (Nouveaux  essais  d'An- 
thropologie, publiés  par  E.  Naville,  1859),  qui  voit  l'homme  partagé 
entre  les  sollicitations  des  sens  et  celles  de  l'esprit,  ne  trouvant 
l'unité  intérieure  qu'en  s'identifiant  avec  Dieu  par  l'amour;  J.  H. 
Fichte  (Anthropologie,  3e  éd.,  1876),  qui  atteste  une  pénétration  com- 
plète du  corps  par  l'âme  et  un  rapport  intime  de  l'âme  avec  son  créa- 
teur comme  constituant  la  vie  normale  de  l'homme.  Dans  cette  caté- 
gorie, il  nous  faut  ranger  aussi  les  ouvrages  qui  se  placent  au  point  de 
vue  biblique  (General  von  Rudloff,  Lehre  vom  Menschen  auf  Grund 
der  gôttl.  Off.,  2e  édit.,  1863)  ou  dogmatique  (H.  Wichart,  Metaphys. 
Anthrop.,  1844,2  vol.,  dont  le  second  est  consacré  aux  sept  sacrements 
dans  leurs  rapports  avec  l'organisme  humain).  L'autre  tendance  se 
préoccupe  plus  exclusivement  des  faits  de  l'ordre  sensible  ;  à  ses  yeux, 
l'anthropologie,  c'est  l'histoire  naturelle  de  l'homme.  Cette  école, 
plus  jeune  que  la  précédente,  compte  cependant  un  bien  plus  grand 
nombre  d'adhérents.  En  1859,  M.  P.  Broca  fonda  à  Paris  la  première 
Société  d'anthropologie; depuis  lors  ces  associations  se  sont  assez  mul- 
tipliées pour  pouvoir  tenir,  dans  diverses  capitales  de  l'Europe,  des 
congrès  internationaux  qui  ont  chaque  fois  attiré  un  immense  con- 
cours de  savants  et  de  gens  du  monde.  Deux  questions  principales  ont 
été  et  sont  encore  vivement  débattues  dans  ces  réunions  :  d'une  part 
la  place  de  l'homme  dans  la  nature,  la  distance  qui  le  sépare  des  ani- 
maux supérieurs  ;  les  uns  enseignant  qu'il  y  a  moins  de  différence 
entre  l'homme  et  les  singes  anthropomorphes  qu'il  n'y  en  a  entre  ces 
mêmes  anthropomorphes  et  les  singes  qui  viennent  immédiatement  en 
dessous  d'eux  ;  les  autres  revendiquant  pour  l'homme  un  règne  spé- 
cial. Dans  ce  problème  se  trouve  renfermée  la  solution  d'une  autre 
question  :  Est-ce  graduellement,  par  une  évolution  dont  le  point  de 
départ,  fut  l'existence  animale,  que  l'homme  s'est  élevé  à  la  vie  hu- 
maine, ou  bien  a-t-il  été  dès  l'abord  constitué  dans  sa  nature  actuelle? 
Le  second  problème,  c'est  celui  de  l'époque  où  l'homme  apparut  sur 
cette  terre,  problème  à  la  fois  géologique,  dans  quelle  couche  de 
l'époque  quaternaire  ou  même  tertiaire  trouve-t-on  les  premières 
traces  d'un  squelette  ou  de  produits  de  l'industrie  humaine  ;  et  chro- 
nologique, combien  de  siècles  se  sont  écoulés  depuis  la  constitution  de 
cette  couche?  A  ces  recherches  s'en  rattachent  uu  grand  nombre  d'au- 


ANTHROPOLOGIE  359 

très,  comprises  pour  la  plupart  dans  le  champ  de  l'archéologie  préhis- 
torique. Par  là  cette  anthropologie  se  rapproche  de  l'ethnographie 
(par ex.  :  Th.  Waitz,  Anthropologie  der  Natur-Vôlker,k\o\.,  1859-1872); 
c'est  aussi  par  là  qu'elle  dépasse  la  sphère  des  sciencesnaturelles.MM.de 
Quatrefageset  Pruner-Bey  considèrent  la  religiosité  comme  un  caractère 
distinctif  du  règne  humain.  M.  G.  Gerland  (Xnlhropolog .  fieitraegey 
1875),  darwinien  dans  ses  prémisses,  constate  cependant  une  diffé- 
rence spécifique  entre  l'animal  et  l'homme,  l'immortalité  de  l'âme, 
la  nécessité  d'une  religion  et  la  légitimité  du  christianisme  comme 
seule  vraie  religion.  Si  cette  science  nouvelle  n'a  pas  encore  de  limites 
nettement  tracées,  ni  de  principes  définis,  elle  a  cependant  mis  en 
lumière  une  multitude  de  faits  du  plus  haut  intérêt  et  largement  com- 
pensé les  emprunts  qu'elle  avait  dû  taire  à  ses  sœurs  aînées.  — 
Y.  Revue  d'Anthropologie  dirigée  par  P.  Broca;  Gazalis  de  Fondouce, 
Revue  préhistorique .  —  Pour  une  autre  acception  du  mot  anthropologie, 
v.  Anthropomorphisme.  A-  Mattee. 

ANTHROPOMORPHISME,  mot  tiré  du  grec  et  qui  signifie:  la  forme 
humaine  érigée  en  type;  et,  dans  le  langage  théologique  :  l'attribution 
à  Dieu  d'une  forme  semblable  au  corps  humain.  C'est  seulement  aux 
degrés  inférieurs  du  polythéisme  que  nous  trouvons  une  assimilation  si 
totale  de  la  divinité  et  de  la  créature  ;  au  sein  des  nations  chrétiennes, 
on  ne  pourrait  citer  qu'un  ou  deux  exemples  de  cette  notion  grossière 
(\.  \udicns).  Mais  on  rencontre  dans  les  Saintes  Ecritures  un  grand 
nombre  d'anthropomorphismes  partiels,  c'est-à-dire  de  passages  men- 
tionnant la  main  de  l'Eternel  (77  fois  dans  l'Ancien  et  le  Nouveau  Tes- 
tament), son  bras  (32  fois),  ses  yeux  (22  fois),  sa  face,  ou  d'expressions 
similaires,  telles  que  le  trône  de  Dieu,  son  marchepied.  Nous  y  rencon- 
trons aussi  desant/wopopathismes,  c'est-à-dire  des  expressions  attribuant 
à  Dieu  les  sentiments,  les  émotions  de  l'homme,  l'angoisse  (Es.  LXIII,9), 
le  repentir  (1  Sam.  XV,  11).  D'autre  part,  l'Eternel,  par  la  bouche  d'E- 
saïe,  dit  à  son  peuple  :  «  A  qui  me  feriez-vous  ressembler?  »  La  loi  du 
Sinaï  interdit  toute  image  de  la  Divinité.  En  ce  qui  concerne  les  an- 
thropopathismes,  dans  le  récit  môme  où  Dieu  parle  de  repentir,  le 
prophète  dit:  «  11  ne  se  repentira  point,  car  il  n'est  pas  homme  pour 
se  repentir  »  (1  Sam.  XV,  29).  Ces  expressions  doivent  donc  être  prises 
dans  un  sens  figuré.  Un  tel  langage  symbolique  pouvait  être  une  accom- 
modation à  la  pensée  encore  peu  développée  du  peuple  israélite  ;  mais 
rait  une  erreur  de  n'y  voir  que  des  fictions  excusables;  le  rôle  du 
symbolisme  est  plus  important.  Jésus-Christ  se  sert  du  langage  figuré 
pour  enseigner  les  vérités  les  plus  élevées;  ainsi,  il  exprime  les  rap- 
ports qui  unissenl  le  fidèle  à  son  Sauveur  en  disant:  «  Je  suis  le  cep  et 
vous  êtes  tes  sarments.  »  C'est  que  les  réalités  les  plus  profondes  sont 
inexplicables,  indéfinissables;  dans  tous  les  domaines  de  la  science, 
en  chimie,  en  biologie  comme  en  métaphysique,  nous  constatons 
qu  ici-bas  nous  ne  connaissons  le  fond  de  rien.  Cependant,  il  importe 
que  nous  tenions  compte  de  ces  réalités,  et  si  nous  ne  pouvons  les  voir 
directement,  dans  leur  essence  intime,  nous  pouvons  les  concevoir  par 
analogie,  par  une  comparaison  m11'1  nous  permet  de  saisir  une   partie 


360  ANTHROPOMORPHISME 

de  la  vérité.  Or,  le  premier  terme  de  comparaison  qui  s'offre  à  L'esprit, 
ce  que  nous  connaissons  encore  le  mieux,  c'est   nous-mêmes.  Un   tel 
recours  à  l'analogie  est  surtout  légitime  en  ce  qui  concerne  notre  no- 
tion de  la  divinité,  puisqu'un  des  premiers  enseignements  de  l'Ecriture 
sur  Dieu  et  sur  l'homme,  c'est  que  Dieu  créa  l'homme  à  son  image  ; 
quelle  que  soit  la  distance  qui  sépare  la  créature  de  son  créateur,  et  la 
distance  plus  grande  qui  sépare  l'homme  pécheur  du  Dieu  trois  fois 
saint,    tant  que  l'homme   n'est  pas  devenu  un  être  d'une  autre  es- 
pèce, il  nous  faut  reconnaître  que  la  pensée  divine  subsiste  et  qu'il  y  a 
dans  l'homme  une  ressemblance  de  Dieu.  Cette  conviction  est  confir- 
mée par  un  fait  solennel  :  quand  Dieu  voulut  se  révéler  dans  une  mani- 
festation suprême,  il  apparut  sous  une  forme  humaine,  en  Jésus  qui  a 
dit:  «  Celui  qui  m'a  vu  a  vu  mon  Père.  »  Dès  lors,  la  nature  et  la  vie 
humaines  nous  font  comprendre  la  nature  et  l'activité  divines  ;  mieux 
nous  nous  connaîtrons,  mieux  nous  connaîtrons  notre  Dieu  ;  il  y  a  dans 
notre  science  de  Dieu  un  élément  profondément  humain,  un  inévitable 
anthropomorphisme,  ce  mot  étant  pris  non  plus  dans  un  sens  matériel 
et  symbolique,  mais  dans  un  sens  spirituel  et  doctrinal.  La  légitimité 
d'un  tel  anthropomorphisme  a  été  contestée  ;  on  a  cru  mieux  rendre 
hommage  à  la  grandeur  de  Dieu  en  revenant  au  principe  des  Eleates  : 
«L'Etre  est  si  grand  que  nous  n'en  pouvons  rien  dire  qui  soit  digne  de 
lui  ;  nous  ne  pouvons  ni  le  connaître,  ni  le  concevoir,  ni  le  nommer.  » 
Spinoza  ne  voulait  pas  qu'on  supposât  en  Dieu  un  entendement  ni  une 
volonté,  même  infinis  (voir  Ethique,  part.  I,  prop.  17  et  32).  L'idée  de 
la  personnalité  de  Dieu  fut  déclarée  un  anthropomorphisme,  c'est-à- 
dire  un  abaissement  de  la  majesté  divine.  Comment  ne  pas  s'aperce- 
voir que  c'est  là  un  hommage  dérisoire?  qu'un  tel   Etre  indéterminé 
ne  diffère  pas  du  non-être?  Et  si  notre  intelligence  ne  l'avait  pas  dis- 
cerné, notre  piété  ne  nous  en  avertirait-elle  pas?  Car  elle  ne  peut  sou- 
tenir de  rapports  réels  et  vivants  avec  une  abstraction  logique.  L'ex- 
périence est  donc  d'accord  avec  la  révélation  pour  attester  la  vérité  de 
l'anthropomorphisme  doctrinal  ;  d'accord  aussi  pour  en   marquer  le 
rôle  et  par  conséquent  les  limites.  On  peut  objecter  l'inconvénient,  le 
danger  d'un  pareil  rapprochement.  Mais  on  ne  saurait  faire  ce  même 
reproche  aux  anthropomorphismes  symboliques  des  Ecritures  ;  le  but 
des  expressions  figurées  qu'elles  emploient  est  évident  :  c'est  de  rendre 
plus  saisissable  à  notre  esprit  l'activité  de  Dieu,  ses  pensées,  sa  sollici- 
tude, de  rapprocher  le  Père  de  ses  enfants,  pour  que  ses   enfants   se 
rapprochent  de  lui.  Tels  sont  aussi  les  anthromorphismes  de  Pâme 
croyante  ;  ils  varient  selon  les  degrés  de  la  piété  ;  dans  la  mesure  où 
l'àme  se  détache  du  monde,  se  sanctifie,  elle  a  une  intuition  plus  vive 
et  plus  vraie  de  Dieu,  intuition  cependant  imparfaite  encore  (1  Cor. 
XIII,  12),  et  qui  ne  fera  place  à  la  vue  directe  qu'au  jour  où  nous  serons 
transfigurés  (2  Cor.  V,  7;  IJean  III,  2).  Malebranche  cédait  à  une  il- 
lusion de  métaphysicien  quand,  parlant  de  Y  anthropologie   (terme  qui 
alors  désignait  l'anthropomorphisme),  il  disait:   «  Comme  l'Ecriture 
est  faite  pour  les  simples  comme  pour  les  savants,  elle  est  pleine  d'an- 
thropologies »  ;  indiquant  par  là  qu'à  ses  yeux  les  savants  pourraient 


ANTHROPOMORPHISME  —  ANTIENNE  361 

se  passer  d'anthropologies.  La  science  religieuse  doit,  il  est  vrai,  épu- 
rer la  notion  divine,  écarter  les  enveloppes  qui  retiendraient  l'àme  à 
un  degré  intérieur  de  la  vie  religieuse,  mais  elle  doit  aussi  maintenir 
les  traits  essentiels,  les  mettre  vivement  en  lumière,  et,  dans  ce  travail, 
elle  confirme  toujours  plus  le  mot  de  Jacobi  :  Dieu,  en  créant  l'homme, 
a  théomorphisé;  c'est  pourquoi  1  nomme  anthropomorphise  nécessai- 
rement (V.  Image  divine).  A.  Matter. 

ANTIBES  (Alpes-Maritimes)  [Antipolis],  évéclié  d'abord  dépendant 
d'Aix,  puis  d'Embrun,  et  connu  depuis  506.  Saint  Armentaire 
(vers  451)  est  vénéré  comme  premier  évêque  d'Antibes,  mais  son  exi- 
stence n'est  pas  certaine.  En  1244,  Innocent  IV,  à  cause  de  la  dépopu- 
lation du  pays,  transféra  l'évêché  d'Antibes  à  Grasse  (Gallia,  III). 

ANTIDICOMARIANITES  ou  Antidicomarites ,  Antimarianites ,  Anti- 
mariens,  c'est-à-dire  adversaires  de  la  Vierge.  Ils  soutenaient  que  la 
Vierge  n'avait  pas  continué  de  vivre  dans  un  état  de  virginité,  mais 
qu'elle  avait  eu  plusieurs  enfants  de  Joseph.  Epiphane  (Hœres.  78)  cite 
un  long  écrit  qu'il  adressa  à  ces  hérétiques  pour  les  persuader  de  reve- 
nir de  leur  erreur.  On  les  place  tantôt  en  Arabie,  où  commençait  alors 
à  se  produire  la  dévotion  superstitieuse  dont  la  Vierge  était  l'objet, 
tantôt  à  Rome,  où  saint  Jérôme  aurait  victorieusement  réfuté  leurs 
chefs,  Helvidius  et  Jovinien.  On  s'accorde  à  dire  qu'ils  ont  vécu  à  la 
tin  du  quatrième  siècle. 

ANTIENNE  (Anttphonœ,  du  grec  ovtj  ?g>v^).  On  désignait  par  là 
le  chant  alternatif  de  deux,  chœurs  dans  l'église.  On  affirme  que  les 
psaumes  étaient  originairement  chantés  parmi  les  Juifs  de  telle  sorte 
qu'une  partie  de  l'assemblée  disait  une  strophe  et  l'autre  partie  la 
strophe  suivante.  Cela  semble  avoir  déterminé  la  composition  de  cer- 
tains psaumes  où  il  y  a  évidemment  deux  personnages  en  présence, 
dont  chacun  prend  la  parole  tour  à  tour.  Voyez,  par  exemple,  le 
psaume  XCI.  On  ne  peut  pas  prouver  que  les  Juifs  chantassent  ainsi 
les  psaumes,  mais  il  est  certain  que  ce  chant  antiphonaire  s'intro- 
duisit de  très-bonne  heure  dans  l'Eglise  chrétienne.  Socrate  (Hist. 
eccl.  II,  8)  en  attribue  l'introduction  à  Ignace  d'Antioche,  c'est-à- 
dire  qu'il  la  fait  remontera  l'an  116  de  notre  ère;  il  est  vrai  que 
l'assertion  de  Socrate  n'est  pas  appuyée  de  preuves,  et  qu'il  affirme 
qu'Ignace  aurait  introduit  ce  chant  après  l'avoir  entendu  exécuter  par 
des  anges  en  l'honneur  de  la  Trinité.  Théodoret,  par  contre  (Hist. 
..  H, 24),  attribue  cette  introduction  à  deux  moines,  Flavien  et  Dio- 
dore,  qui  vivaient  sous  Constantin  (337-361).  Basile  le  Grand,  dans  son 
Ep.  63,  ad  Neocœs.,  dit  :  «Tantôt  l'assemblée,  divisée  en  deux  parties, 
(liant"  en  alternant,  tantôt  l'une  des  parties  entonne  et  l'autre  la  suit.  » 
li  ne  faut  donc  pas  confondre  les  antiphones  avec  les  répons.  Kaban 
liaur  {delnst.  cleric,  I,  33)  indique  déjà  clairement  cette  différence  : 
i<  Dans  les  répons,  dit-il.  un  seul  dit  un  verset  et  le  chœur  répond, 
tandis  que  dans  les  antiphones  deux  chœurs  se  répondent.  »  Peu  à 
peu.  cependant,  le  mot  antienne  désigna  uniquement  le  verset  qui  pré- 
cède l'intonation  du  psaume  (Amalar.,  IV,  7).  verset  qui  convient  à  la 
fête  que  l'on  célèbre  ;  il  désigne  aussi  ceux  qu'on  chante  à  l'introït, 


362  ANTIENNE  —  ANTILLES 

aux  invitatoires  et  aux  processions.  On  appelle  aniiphonairele  livre  qui 
contient  les  introït  et  les  autres  antiennes  de  toutes  les  messes  de  Tan- 
née qui  sont  chantées  par  le  chœur.  Grégoire  le  Grand  est  le  principal 
auteur  de  l'antiphonaire  romain  ;  il  en  avait  composé  la  musique  ou  du 
moins  il  mettait  le  plus  grand  soin  à  son  exécution. 

ANTILIBAN.  Voyez  Liban. 

ANTILLES  (Statistique  ecclésiastique).  On  appelle  Antilles  ou  Indes 
occidentales  les  îles  situées  dans  l'Océan  atlantique  entre  les  deux  Amé- 
riques. Découvertes  les  premières  de  toute  F  Amérique  par  Christophe 
Golomb  et  ses  premiers  successeurs,  elles  ont  toutes  passé  entre  les 
mains  des  Européens  et  presque  toutes  les  puissances  maritimes  en 
eurent  leur  part  ;  aujourd'hui  encore  elles,  sont  dans  cet  état  de  divi- 
sion, et  ce  monde  insulaire,  évidemment  destiné  à  former  un  tout,  est 
sous  les  maîtres  les  plus  divers.  Une  seule,  Saint-Domingue,  est  indé- 
pendante et  forme  deux  républiques  rivales.  Les  autres  sont  soumises 
aux  lois  de  l'Espagne,  de  l'Angleterre,  de  la  France,  des  Pays-Bas,  du 
Danemark  et  de  la  Suède.  Le  population  primitive,  les  Caraïbes,  a  été 
entièrement  exterminée.  [Les  Antilles  sont  donc  habitées  maintenant 
uniquement  par  des  immigrants,  descendants  des  colons  européens,  et 
de  nègres,  leurs  esclaves.  Chaque  île  a  pris  le  caractère  de  la  nation 
qui  l'a  colonisée,  et  c'est  pourquoi  la  différence  n'est  guère  moindre 
aujourd'hui  entre  les  Antilles  espagnoles  et  les  Antilles  anglaises 
qu'entre  l'Espagne  et  l'Angleterre.  Il  est,  par  suite,  impossible  de  les 
considérer  comme  un  tout,  et  il  faut  voir  l'état  religieux  de  chaque 
île  en  particulier.  Les  Antilles  forment  un  immense  arc  de  cercle  dont 
la  direction  générale  est  du  nord-ouest  au  sud-est.  Nous  commençons 
notre  course  au  nord-ouest  :  1°  Iles  Lucayes  ou  Bahama,  Caïcos  et  Tucks, 
appartenant  à  l'Angleterre,  43,885  habitants  (1871).  Cet  archipel  forme 
dans  l'Eglise  anglicane  le  diocèse  de  Massan  qui  avait,  en  1818, 11  cures 
et  19  pasteurs.  Les  baptistes  et  les  wesleyens  y  ont  quelques  mission- 
naires qui  travaillent  parmi  les  nègres  qui,  dans  toutes  les  Antilles,  ne 
sont  guère  chrétiens  que  de  nom,  et  ont  tout  au  plus  quelques  formes 
extérieures  de  la  religion.  —  2°  Cuba.  Cette  grande  île,  la  reine  des  Antilles, 
appartient  à  l'Espagne,  à  qui  une  insurrection  fomentée  par  les  Etats-Unis 
s 'efforce  depuis  de  longues  années  de  l'arracher .  La  population  peut  en  être 
évaluée  à  1,399,871  habitants,  savoir:  763,176  blancs,  238,927  nègres 
libres,  363,288  nègres  esclaves,  et  34,480  coolies  chinois  (1872).  La  masse 
delà  population  est  catholique  et  forme  deux  diocèses  :  l'archevêché  de 
Santiago  de  Cuba  (évêché  le  28  avril  1522,  archevêché  le  25  dé- 
cembre 1803)  et  l' évêché  de  la  Havane  (10  septembre  1787).  Il  y  avait 
dans  l'île,  en  1838,  76  cures,  19  vicariats  et  57  annexes.  Le  clergé  se 
composait  de  644  prêtres  séculiers,  245  moines  et  116  religieuses.  Il  y 
a  quelques  protestants  parmi  les  étrangers.  Les  coolies  chinois  seuls  ne 
sont  pas  chrétiens.  —  3°  La  Jamaïque  et  les  îles  Cayman,  anglaises, 
510,877  habitants  (1871).  La  grande  majorité  de  la  population  est  pro- 
testante. L'Eglise  anglicane  a  pour  chef  l'évêque  de  la  Jamaïque  ;  le 
clergé  se  compose  de  3  archidiacres,  de  18  recteurs  et  78  pasteurs.  La 
population    étant    nègre   presque  entièrement   (392,707    nègres    et 


ANTILLES  363 

100,346  mulâtres,  contre  13,101  blancs),  il  y  a  grande  place  pour   le 

ravail  des  missions.  Aussi  de  nombreuses  sociétés  y  sont  à  V œuvre; 
on  y  trouve  des  missionnaires  moraves,  wesleyens,  baptisles   anglais, 

I  sbytériens  unis  d'Ecosse,  de  la  société  de  Londres,  do  la  société 
américaine  des  Missions,  baptistes  de  la  Jamaïque,  méthodistes  libres 
unis,  etc.  Les  catholiques  ont  également  à  la  Jamaïque  un  évôché  créé 
le  10  janvier  1837.  —  \°  La  grande  ile  de  Saint-Domingue  est  la  seule 
di  -  Antilles  (|tii  soit  aujourd'hui  indépendante.  La  partie  occidentale, 
autrefois  française,  forme  la  république  de  Haïti.  La  partie  orientale, 
{ancienne  colonie  espagnole,  l'orme  la  République  dominicaine  ou  de 
Saint-Domingue.  La  république  de  Haïti  est  peuplée  de  572,000  âmes.  Les 
irais  quarts  sont  nègres,  le  reste  mulâtre;  il  n'y  a  pas  pins  de  600  blancs. 
La  religion  officielle  est  le  catholicisme,  dont  le  chef  est  l'archevêque 
de  Port-au-Prince  (érection  du  16  septembre  1861).  Quatre  évêchés 
suflragants  ont  été  érigés  en  môme  temps  aux  Caves,  au  Cap  Haïtien, 
aux  Gonaïves  et  à  Port-de-Paix  ;  mais  ils  n'ont  jamais  été  occupés.  Du 
reste,  les  habitants  sont  de  fait,  sinon  en  droit,  retombés  dans  le  paga- 
nisme et  l'Eglise  y  est  fort  persécutée.  Quelques  missionnaires  protes- 
tants, baptistes  et  wesleyens,  cherchent  à  apporter  l'Evangile  à  ces 
malheureux.  La  République  dominicaine  a  une  population  de  blancs  et 
<le  mulâtres  qu'on  peut  évaluer  à  250,000  âmes.  L'archevêque  de 
•San-Domingo  (évôché  le  13  août  1513,  archevêché  1547)  est  le  chef 
spirituel  des  catholiques,  quifforment  à  peu  près  toute  la  population. 
—  5°  Porto-Rico  est  une  grande  ile  espagnole  et  catholique  peuplée  de 
-587,327  habitants,  dont  329,994  blancs  et  257,333  nègres  libres  (l'es- 
clavage ayant  été  aboli  en  1873).  L'ile  forme  un  évôché  catholique, 
celui  de  Porto-Rico,  créé  eu  1513.  —  6°  Les  Antilles  danoises  (Saint- 
Thomas,  Saint-Jean  et  Sainte-Croix)  font  partie  du  groupe  des  iles 
Vierges.  La  population,  protestante  en  majorité,  est  de  37, 700  habitants. 

II  y  a  quelques  milliers  de  catholiques  et  trois  paroisses  anglicanes.  — 
7°  Les  autres  iles  Vierges  sont  anglaises,  avec  les  îles  voisines  de  Saint- 
Christophe^  Antiguey  Nevis,  la  Rarbade,  Anguille,  Montserrat  et  la  Do- 
minique, et  peuplées  de  120,131  habitants.  Elles  forment  le  diocèse 
anglican  d'Antigue,  avec  2  archidiacres  et  31  recteurs  et  pasteurs.  Les 
catholiques,  assez  nombreux,  ont  un  évôché  au  Roseau  (Dominique), 
créé  le  30  avril  1850.  Il  y  a  dans  ces  îles  des  missionnaires  moraves, 
wesleyens,  presbytériens  unis  et  de  la  Société  pour  la  propagation  de 
I  Evangile.  —  8°  L'ile  suédoise  de  Saint-Rarthélemy  a  2,898  habitants. 
La  plupart  sont  protestants,  quelques  centaines  catholiques;  il  y  a  un 

iionnaire  wesleyen.  —  9°  La  Guadeloupe  est  française.  En  y  çoîti- 

aanl  les  petites  îles  qui  en  dépendent,  la  population  était,  en  1872, 

163,600 habitants,  dont  120,000  nègres  et  600  coolies.  La  population 

est  catholique.  Le  diocèse;  de  la  Basse-Terre, créé  le  27 septembre  1850, 

ède  un  collège  diocésain  dirigé  par  les  Pères  du  Saint-Esprit  et  du 

L-Cœur  de  Marie.  H  forme  2  archiprêtres,   11   doyennés,  43  pa- 

ses  avec  90  prêtres  séculiers.  Les  Frères  de  l'instruction  chrétienne 

Ploërmel  dirigent  %1  écoles  communales  et  2  externats.  Les  Sieurs 

institutrices  <!.■  Saint-Joseph  de  Cluny  oui  1  pensionnat,  :*  externats  et 


m  ANTILLES  —  ANTINOMISME 

21  écoles  communales.  Les  sœurs  hospitalières  de  Saint-Paul  de  Chartres 
desservent  12  hôpitaux,  hospices  et  infirmeries.  Il  y  a  quelques  protes- 
tants avec  un  missionnaire  wesleyen  dans  la  dépendance  de  Saint- 
Martin.  —  10°  La  Martinique,  autre  grande  île  française,  est  peuplée 
de  156,799  habitants  (1872),  dont  environ  100,000  nègres  et  600  coo- 
lies. Elle  forme  l'évêché  catholique  de  Saint-Pierre  et  F ort-de -France, 
érigé  le  27  septembre  1850.  Il  renferme  2  collèges  dirigés  par  les  Pères 
du  Saint-Esprit  et  du  Saint-Cœur  de  Marie,  9  doyennés,  39  paroisses, 
avec  73  prêtres,  séculiers.  Les  Frères  de  l'instruction   chrétienne  de 
Ploërmel,  les  sœurs  de  Saint-Joseph  de  Cluny,  les  sœurs  de  Saint-Paul 
de  Chartres  et  la  congrégation  des  Filles  de  Notre-Dame  de  Délivrance 
y  ont  des  établissements.  —  11°  Les  îles  anglaises  de  Sainte-Lucie, 
Saint-Vincent,  la   Barbade,  la  Grenade,  les  Grenadines,  Tabago  et  la 
Trinité  ont  une  population  fortement  mélangée  de  catholiques  et  de 
protestants  (393,716  habitants  en  1871).  Les  catholiques  dépendent  du 
diocèse  de  Port-d'Espagne  (Trinité),  créé  le  30  avril  1850.  L'Eglise  an- 
glicane a  1  évoque  à  la  Barbade,  avec  2  archidiacres  et  85  recteurs  et 
curés.  Des  missionnaires  moraves,   wesleyens  et  presbytériens   unis 
évangélisent  la  population  noire  de  ces  îles.  —  12°  Enfin,  les  Antilles 
hollandaises  (Curaçao,  etc.)  ont  39,150  habitants,  catholiques  en  majorité. 

E.  Vaucher. 
ANTINOMISME,  théorie  contraire  au  principe  de  la  loi.  Jésus  avait  dé- 
claré que  la  loi  religieuse,  morale  et  rituelle,  sous  laquelle  les  Juifs 
vivaient,  était  imparfaite  (Matth.  V,  17,  20)  et  devait  être  accomplie.  A 
l'observance  littérale  et  servile  de  ses  nombreuses  prescriptions,  il  pré- 
férait Fintention  droite,  pieuse,  humaine  comme  principe  de  conduite, 
ï amour  actif  de  Dieu  et  du  prochain  comme  mobile  directeur  de  la  vie 
(Marc  XII,  28-34).    L'apôtre  Paul  ht  de  l'antithèse  de  la  loi  et  de  la  foi 
le  fondement  même  de  son  enseignement  chrétien.  Il  démontra  que  la 
loi  indique  bien  ce  qui  doit  être  fait,  mais  qu'elle  ne  procure  aucune  force 
pour  le  faire  et  sert  plutôt  de  miroir  où  nous  pouvons  contempler  notre 
laideur  morale  qu'elle  ne  contribue  à  nous  améliorer.  Au  contraire,  la  foi, 
en  nous  unissant  de  cœur  et  d'àme  avec  le  Christ,  au  point  que  notre  vie 
se  fond  avec  la  sienne,  nous  communique  un  nouveau  principe  de  vie  qui 
détermine  nos  sentiments  et  nos  actes  dans  le  sens  de  la  pureté,  de  la 
confiance  en  Dieu  et  de  la  charité.  Dès  lors,  notre  obéissance  est  vou- 
lue, joyeuse  et  libre,  se  distinguant  ainsi  de  la  soumission  timorée  à 
des  ordres  qu'on  exécute  par  crainte,  c'est-à-dire  mal  ou  pas  du  tout, 
ou  bien  avec  lesquels  on  ruse,  observant  leur  lettre,  mais  en  trahissant 
leur  esprit  (par  exemple,  celui  qui  fait  l'aumône  par  calcul  et  non  par 
miséricorde,  I  Cor.  XIII,  3).  Il  n'entrait,  toutefois,    dans  l'idée  ni  de 
Jésus  ni  de  Paul  de  condamner  la  loi  comme  mauvaise  et  pernicieuse 
en  elle-même  ;  ils  la  subordonnaient   seulement   à  un  principe  supé- 
rieur. Mais,  dans  sa  polémique  contre  les  partisans  obstinés  dk;    a  loi 
juive,  Paul  put  se  servir  d'expressions  (par  exemple,   Rom.   IV,    15; 
Y,  20),  dont  on  abusa  pour  rabaisser  la  loi  au  rang  des  choses  mau- 
vaises, infernales,  qu'il  y  avait  du  mérite  à  nier,  à  combattre,  en  pre- 
nant le  contre-pied  de   ce   qu'elle  ordonnait.  De  là,  un   antinomisnie 


ANTINOMISME  305 

dont  on   trouve  déjà   peut-être  quelques  traces  dans    l'Apocalypse 
II.  14,  20).  Ce  fut  surtout  dans  les  sociétés  gnostiques   (voy.   l'article 
Gnosttctsmé)  que  cette  exagération  de  la  doctrine  paulinienne  prévalut 
el  donna  lieu  à  des  théories  qui  tendaient  à  absoudre  l'immoralité  chez 
les  pneumatiques  ou  hommes  de  l'esprit.  Mais  le  gnosticisme  fut  vaincu 
par  l'ancien  catholicisme,  qui,  de  plus  en  plus,  s'écarta  du  principe 
évangélique  de  la  subordination  de  la  loi  à  la  foi  et  à  la  grâce  divine, 
el  finit,  dans  le  catholicisme  complet,  par  faire  dépendre  entièrement 
le  salut  des  âmes  de  l'observation  des  préceptes,  des  rites,  des  œuvres 
extérieures,  indépendamment  du  sentiment,  de  l'intention,  delà  con- 
version intérieure  et  réelle.  On  sait  que  cet  ergisme ,  ou  doctrine  du 
salut  par  l'accomplissement  mécanique  des  œuvres,  engendra  la  doc- 
trine des  Indulgences,  d'après  laquelle  l'Eglise  peut  reporter  le  mérité 
des  œuvres  surérogatoires  sur  les  pécheurs  qui  consentent  à  acheter 
le  ciel  à  certaines  conditions,  et    que  l'application   scandaleuse   de 
cette  théorie  fut  le  point  de  départ  de  la  Réforme  du  seizième  siècle. 
Les  réformateurs  revinrent  à  l'enseignement  évangélique  en  opposant 
la  justification  par  la  foi  au  salut  par  les  œuvres.  Mais  c'était  toujours 
dans  l'idée  que  la  foi,  moyennant  la  grâce  de  Dieu,  inspirait  au  vrai 
chrétien  le  désir  et  lui  procurait  la  force  du  bien.  Mais,  dans  les  empor- 
tements de  la   polémique,  il  arriva  parfois  à  Luther   de  dépasser  ses 
propres  sentiments,  en  appelant,  par  exemple,  la  loi  «  une  parole  de 
perdition  et  de  malédiction  »,  en  disant  qu'il  n'y  a  plus  de  «  comman- 
dement de  contrainte,  et  qu'un  peuple  qu'on  veut  encore  effrayer  ou 
contraindre  au  nom  de  la  loi  ne  mérite  plus  le  nom  d'un  peuple  chré- 
tien ».  Parmi  ses  premiers  partisans,  il  y  eut  des  théologiens  qui,  tels 
qu'Agricola  d'Eisleben,  érigèrent  en  théorie  dogmatique  ces  expres- 
sions hyperboliques  et  qui  ouvrirent  un  feu  nourri  d'attaques  violentes 
contre  Luther  et  Melanchthon,  parce  qu'ils  rendaient  à  la  loi,  au  com- 
mandement divin,   sa  place  légitime  dans  la  vie  chrétienne.  Agricola 
ne  voulait  entendre  parler  que  de  la  foi  pure  et  simple,  indépendam- 
ment de  toute  condition  morale,  comme  fondement  du  salut.  Une  con- 
férence qui  eut  lieu  à  Torgau,  en  1527,  entre  Melanchthon  et  Agricola, 
apaisa  pour  un  temps  cette  guerre  intestine.  On  s'accorda  à  reconnaître 
que  la  repentance  est  comprise  dans  la  foi,   entendue  dans  son  sens 
général.  Luther  s'était  catégoriquement  prononcé  en  faveur  de  Melan- 
chthon. Mais,  en  1537,  Agricola  renouvela  cette  controverse  à  Witteni- 
berg  et  poussa  son   point   de  vue  jusqu'au  paradoxe  :  «  Es-tu  débau- 
ché, adultère,  garnement,  en  un  mot  pécheur?  Si  tu  crois,  tu  es  sur  le 
chemin  du  salut...    Tous  ceux  qui  ont  commerce  avec  Moïse  doivent 
aller  au  diable,  à  la  potence,  avec  Moïse.  »  Luther,  directement  atta- 
qué, répondit  que  la  loi  était  légitime  en  son  temps   et   à   sa   place; 
qu  elle  servait  à  éclairer,  à  effrayer  la  conscience,  et  qu'alors  l'Evan- 
gile apportait  la  parole  de  grâce  et  de  régénération.  La  dispute  s'enve- 
nima, et  Luther   ne  ménagea   pas   les  gros   mots  à  son   adversaire, 
[/affaire  allait  être  portée  devant  la  justice  électorale,   quand  l'appel 
d' Agricola,  comme  prédicateur  à  Berlin,   lui  donna  une  autre  tour- 
pure  (1540).  Déféranl  aux  conseils  <U>  l'électeur  de  Brandebourg,  Agri- 


S6C  ANTINOMISME 

cola  publia  une  espèce  de  rétractation,  reconnaissant  qu'en  effet  la  îob 
devait  servir  à  la  manifestation  du  péché,  par  conséquent  à  l'aire  naître 
la  repentance  dans  le  cœur  du  coupable,  et  il  se  réconcilia  avec 
Luther.  Après  la  mort  du  grand  réformateur,  F  un  de  ses  plus  ardents 
partisans,  Flacius,  publia  une  édition  nouvelle  du  dernier  et  du  plu*; 
violent  des  écrits  de  Luther  contre  Agricola,  en  y  joignant  une  préface- 
(jui  contenait  certaines  paroles  très-acerbes  que  peu  de  temps  avant  sa 
uort  Luther  aurait  énoncées  devant  plusieurs  témoins  au  sujet  du  pré- 
dicateur de  Berlin.  Agricola  se  tut,  mais,  en  1562,  un  sermon  qu'il  fit 
sur  Luc  VII,  37-49  (La  Pécheresse  aux  pieds  de  Jésus)  ranima  la  con- 
troverse et  donna  lieu  à  des  traités  pro  et  contra  aussi  injurieux  que 
scolastiques.  Agricola  mourut  en  1566.  Mais  il  avait  trouvé  des  sou- 
tiens parmi  les  luthériens  d'Allemagne,  entre  autres  Amsdorf,  disciple- 
et  ami  de  Luther,  qui  allait  jusqu'à  dire  que  «  les  bonnes  œuvres  sont 
nuisibles  au  salut  »,  et  le  prédicateur  Otto>  de  Nordhausen,  qui  pré- 
tendait que  ce  que  le  chrétien  avait  de  mieux  à  faire,  c'était  d'ignorer 
la  loi,  que  la  prédication  évangélique  n'en  devait  pas  parler,  etc.  La 
Formule  de  concorde  (1577)  condamna  les  antinomiens,  adversarii  legis, 
qui  prxdicationem  legis  ex  ecclesia  explodunt ,  et  affirmant  non  ex  legeT 
sed  ex  solo  Evangelio  peccata  arguenda  et  contritionem  docendam  esse* 
Depuis  lors,  l'antinonisme  disparaît  de  la  scène  théologique  propre- 
ment dite.  Cependant,  on  le  voit  de  temps  à  autre  reparaître  au  sein  de 
sectes  obscures,  par  exemple,  chez  quelques  baptistes  anglais  en  i689r. 
ou  dans  les  partis  ultra-mystiques,  tels  que  celui  du  quiétisme 
(Madame  Guyon).  Soit  qu'on  rabaisse  trop  l'idée  de  la  loi  en  tant  qu'é- 
lément indispensable  du  développement  social  ou  moral,  soit  qu'on 
l'annulle  en  s'abandonnant,  sans  réserve,  aux  voluptés  du  mysticisme, 
ou  risque  toujours  de  fournir  des  prétextes  et  un  semblant  de  justifi- 
cation à  la  licence  des  mœurs.  On  a  pu  même  voir,  en  Europe  et  en 
Amérique,  de  scandaleuses  conséquences  de  ce  dénigrement  s'étaler 
avec  un  véritable  cynisme  dans  quelques  conventicules  où  une  exalta- 
tion religieuse  mal  dirigée  aboutissait  à  l'oubli  des  règles  élémentaires 
de  la  morale.  Mais  de  telles  extravagances  sont  du  ressort  de  la  méde- 
cine et  de  la  police  plus  que  de  la  théologie.  —  Pour  bien  comprendre 
la  controverse  antinomisle  et  sa  véritable  portée,  il  ne  faut  pas  s'arrê- 
ter au  fait  qu'à  l'origine  il  s'agissait  uniquement  de  la  loi  mosaïque 
dans  ses  rapports  avec  l'Evangile.  Les  principes,  mis  en  regard  l'un 
de  l'autre,  vont  plus  loin  que  ces  rapports  historiques,  et  la  loi 
mosaïque  peut,  sans  modifier  essentiellement  la  nature  du  conllit,  se 
changer  en  loi  morale  abstraite.  Il  reste  toujours  à  se  demander  si,  non 
pas  au  point  de  vue  social  qui  se  borne  à  fixer  les  relations  intéressant 
l'ordre  régulier  de  la  société,  mais  au  point  de  vue  de  la  religion  et  de 
la  morale  individuelles  qui  ont  des  prétentions  plus  hautes,  le  précepte 
pur  et  simple,  Y  impératif  suffit  pour  amener  l'homme  à  la  sanctifica- 
tion et  le  régénérer  quand  il  est  corrompu.  Nous  pensons  que  l'expé- 
rience confirme  la  thèse  évangélique  d'après  laquelle  l'homme  a 
besoin  d'un  mobile  intérieur  qui  lui  fasse  prendre  le  ma)  en  horreur 
et  aimer  fortement  le  bien.  C'est  alors  qu'il  accomplit  avec  aisance   et 


ANTINOMISME  —  ANTIOOHE  86? 

avec  joie  ce  que  la  loi  ordonnait  sans  doute,  mais  ne  pouvait  obtenir 
de  sa  faiblesse  et  de  ses  répugnances.  D'une  part,  les  prédicateurs  de 
l'Evangile,  en  développant  cette  profonde  vérité  philosophique  et  reli- 
gieuse, doivent  prendre  garde  à  ne  pas  favoriser  l'antinomisme  en 
décriant  la  loi  qui  pourtant  subsiste  avec  ses  exigences  imprescripti- 
bles. D'autre  part,  la  libre  pensée  philosophique  devrait  se  rendre 
mieux  compte  qu'elle  ne  le  l'ait  la  plupart  du  temps  de  tout  ce  qu'il  y 
a  de  fondé  dans  cette  dialectique  dusentiment  chrétien  qui  part  de  la  loi 
pour  se  réfugier  dans  la  foi,  mais  afin  de  revenir  mieux  armé,  plus  con- 
liant,  dans  la  grande  lutte  morale  nécessaire  à  l'accomplissement  de  la  loi. 
Sans  doute  il  faut  connaître  le  bien,  mais  pour  le  faire,  il  faut  l'aimer,  et 
la  loi  par  elle-même  n'inspire  pas  l'amour.  A.  eéville. 

ANTIOCHE.  Au  moment  où  cette  ville  prend  un  rôle  dans  l'histoire 
du  christianisme,   c'était  une  grande  cité,  la  troisième  de  r empire* 
romain  (Rome   et  Alexandrie  étaient  les  deux  premières),   et  comp- 
tait plus  de  500,000  habitants  (Jos.   B.  J.  III,   2,  4,  Comp.    Strab. 
XVI,  2,  5).  Fondée  l'an  300  avant  Jésus-Christ  par  Séleucus,  l'un  des 
généraux    d'Alexandre,    qui  l'avait   baptisée  du  nom  de  son  père, 
agrandie  et  embellie  par  ses  successeurs,  et  surtout   par  Antiochus 
Kpiphanes,  elle  était  restée  la  capitale   du   royaume  des  Séleucides 
jusqu'au  moment  de  la  conquête  romaine  et  avait  atteint  déjà  à  cette 
époque  le  plus  haut   degré  de' splendeur.   Le   site   d'Antioche  avait 
d'ailleurs  été  bien  choisi;  c'est  un  des  plus  agréables  et  des  plus 
pittoresques  du  monde.  Bâtie  sur  les  bords  de  l'Oronte,  à  l'endroit  où 
viennent   finir   brusquement  les  embranchements  du   mont   Casius, 
elle  était  en  communication  avec  la  mer  par  une  large  route  et  par  le 
fleuve  lui-même  que  pouvaient  remonter  les  plus  grands  vaisseaux. 
Le  mur  d'enceinte,  gravissant  des  rochers  à  pic,  formait,  sur  la  croupe 
onduleuse  des  monts  presepie  surplombant  sur  la  ville,  une  couronne 
dentelée  d'un  merveilleux  effet.  Ces  remparts,  détruits  une  première 
fois,   reconstruits  par  Justinien,  subsistent,  en  partie,  encore  aujour- 
d'hui.  Ils  enfermaient  une   étendue  immense,   où  l'on   voyait  des 
collines    de  sept  cents  pieds  de  haut,    des  vallons  profonds,    des 
torrents,  des  cascades,  et  au  milieu  de  tout  cela,  des  jardins  délicieux, 
de  fraîches  retraites,  des  bois  de  myrtes,  de  lauriers,  de  platanes,  avec 
des  pelouses  couvertes  des  plus  fines  fleurs  et  du  plus  frais  gazon.  Les 
ait  s    de  la  civilisation    avaient    rivalisé    avec   la   nature  pour  faire 
d'Antioche  l'une  des  plus  belles  villes  du  monde.  Ses  palais,  ses  bains, 
ses  théâtres,  ses  temples,  étaient  innombrables.  Une  savante  symétrie 
avait  aligné  les  rues.  Des  statues  admirables  ornaient  les  carrefours; 
h n  superbe  Corso  de   trente-six   stades  de  longueur,    formant  deux 
galeries  rouvertes  soutenues  par  des  colonnes  avec  une  large  avenue 
au  milieu,  traversait  la  ville  d'un  bout  à  l'autre.  En  un  mot,  il  y  avait 
tout   ce  qui  pouvait  plaire   au  goût  des  Grecs  de  la  décadence  et  à 
L'imagination  féerique  de  l'Asie,  à  ceux  qui  cherchaient  la  richesse  et 
à  ceux  qui  demandaient  des  plaisirs.  Aussi,  rien  de  plus  étrange,  de 
plus  bizarrement  mêlé,  que  L'immense  population  qui  s'agitait  dans 
tes  quatre  parties  de  la  ville  et  dans  ses  faubourgs.  C'était  connue  un 


368  ANTIOCHE 

raccourci  des  deux  paganismes  de  l'Orient  et  de  rOccident.  En  haut, 
le  monde  romain  officiel  et  une  aristocratie  d'origine  grecque  qui 
avait  superposé  la  philosophie  épicurienne  et  la  mythologie  de  la 
Grèce  sur  les  coutumes  et  les  religions  orgiostiques  de  la  Syrie;  en 
bas,  une  populace  sans  nom,  sans  patrie,  insouciante,  émeutière, 
avilie  et  livrée  à  toutes  sortes  de  superstitions  et  de  métiers  infâmes. 
C'était  le  paradis  des  magiciens,  des  mimes,  des  charlatans  et  des 
imposteurs  de  toute  nature  et  de  tout  étage.  Le  luxe  était  inouï;  les 
mœurs,  d'une  licence  effrénée.  Les  vices  de  deux  mondes  s'exagé- 
raient en  s'y  mêlant  et  faisaient  d'Antioche  la  sentine  de  l'empire 
romain.  —  Des  l'origine,  les  Juifs,  attirés  par  le  commerce  et  les  ordon- 
nances libérales  du  fondateur  de  la  dynastie  des  Séleucides,  y 
formèrent  une  colonie  nombreuse,  possédant  les  mêmes  droits  que  les 
Grecs  et  ayant  un  ethnarque  particulier  (Jos.  Ant.  XII,  3,  1  ;  XIV,  12, 
6;  B.  J.  II,  18,  5;  Contra  Apion.  II,  4,  Comp.  avec  Act.  VI,  5).  Une 
Eglise  chrétienne  s'y  forma  de  bonne  heure,  recrutée  parmi  les  Juifs 
et  surtout  parmi  les  prosélytes  païens  (Act.  XI,  19,  22,  26).  Un  esprit 
tout  différent  de  celui  qui  régnait  dans  l'Eglise  de  Jérusalem,  s'y 
manifesta  dès  le  principe.  Les  Juifs  et  les  païens  se  fondirent  ici  pour 
la  première  fois  dans  une  même  communauté.  Le  christianisme  prit 
une  claire  conscience  de  sa  mission  universelle.  C'est  là  qu'il  se  sépare 
nettement  du  judaïsme  avec  lequel  on  le  confondait  au  début,  et  reçoit 
son  nom  propre  et  distinct,  le  nom  qu'il  a  gardé  dans  l'histoire 
(voy.  art.  Chrétiens).  Aussi,  dans  cet  âge  primitif,  Antioche  rivalisa 
avec  Jérusalem.  C'est  la  ville  de  Paul  comme  celle-ci  est  le  point 
d'appui  des  Douze.  C'est  le  foyer  des  grandes  missions  dans  le  monde 
grec  et  romain.  Et,  après  la  ruine  des  Eglises  de  Judée,  elle  fut  la 
première  métropole  de  l'Eglise  chrétienne.  Dans  la  formation  de  la 
hiérarchie  ecclésiastique,  ses  évêques,  élevés  à  la  dignité  de  patriarches, 
prirent  rang  à  côté  de  ceux  d'Alexandrie,  de  Rome  et  de  Constanti- 
nople.  Plusieurs  conciles  ou  synodes  s'y  réunirent  :  un  premier  contre 
les  novatiens,  en  252;  trois  autres  au  sujet  des  luttes  soulevées  par  Paul 
de  Samosate,  évêque  de  cette  Eglise,  qui  fut  déposé  en  269  ;  un  grand 
nombre  enfin,  durant  les  disputes  des  ariens  et  des  monophysites. 
Antioche  donna  son  nom  alors  à  une  école  importante  et  originale 
d'exégèse  et  de  théologie  (voir  plus  loin).  —  Détruite  par  les  Perses  au 
milieu  du  sixième  siècle,  elle  fut  rebâtie  par  Justinien,  mais  acheva  de  per- 
dre son  importance  religieuse  après  l'invasion  musulmane.  Les  croisés 
de  Godefroi  de  Bouillon  s'en  emparèrent  en  1098  ;  et  elle  devint  un  ins- 
tant le  centre  d'une  principauté  féodale  attribuée  à  Boëmond  de 
Tarente.  Elle  ne  tarda  pas  à  être  reprise  par  les  musulmans,  et  fut 
enfin  saccagée  et  détruite  par  l'armée  du  sultan  d'Egypte  Bibors 
en  1269.  Aujourd'hui,  sur  l'immense  emplacement  de  l'ancienne  cité, 
entre  des  ruines  grandioses,  s'élève  une  petite  ville  de  7,000  habitants 
qui  porte  encore  le  nom  d'Antakieh.  —  Pour  l'histoire  d'Antioche,  les 
documents  sont  nombreux  dans  l'antiquité.  Aux  notices  de  Pline,  de 
Strabon,de  Josèphe,de  Pausanias,  il  faut  joindre  Y  Antiochichus  deLiba- 
nius,  les  Homélies  de  Chrysostôme,  la  très-curieuse  description  du  chro 


ANTIOCHE    .  3C9 

nographe  byzantin  Malala,  etc.  Au  moyeu  âge,  on  a  la  Tabula  Syrïx  d'Al- 
bufeda  et  quelques  indications  dans  les  autres  géographes  arabes.  Dans  Les 
temps  modernes,  Cellarius,.iVoftAtâ  orbis  antiqui;  Pococke,  Beschretbung 
des Morgenlands, Erl.,  1771;  Otfried  Millier,  Antiquit.  Anliochenœ,  Gœll.. 
1839;  Renan,  les  Apôtres,  p.  215-242,  etc.  A.  Sabatier. 

ANTIOCHE  DE  CARIE,  située  au  bord  du  fleuve  Méandre  (Stra- 
bon,  XIII,  ï,  15;  Pline,  Hist.  Nat.,  V,  2i)),  siège  d'un  évéché  où  plu- 
sieurs synodes  lurent  tenus  en  367  et  378,  à  propos  des  disputes 
ariennes. 

ANTIOCHE  DE  PISIDIE  (-pcç  tyj  iuc<HS!a)ou  Antioche-Gésarée  (Act.  Xlli, 
14-SO;  2  Tim.  III,  11;  Strabon,  XII,  7, 14  ;  Pline,  H.  iV.,  V,  24,)  ville  im- 
portante dans  le  Taurus,  visitée  par  Paul,  dans  son  premier  voyage 
missionnaire.  L'Eglise  d'Antioche  de  Pisidie,  comme  celle  de  Lystre, 
d'Iconie  et  de  Derbe  doit  être  comptée  parmi  les  Eglises  de  la  Galatie 
à  qui  P apôtre  adressa  son  épitre  aux  Galates  (voir  Waddington, 
Explication  des  inscriptions  de  Lebas,  tome  III,  p.  337  et  349  ;  Perrot, 
Exploration  de  la  Galatie,  p.  194  et  ss.  ;  Renan,  Saint  Paul,  p.  48). 

ANTIOCHE  (Ecole  d').  L'école  d'Antioche  a  été  moins  étudiée,  aussi 
est-elle  moins  bien  connue  que  l'école  d'Alexandrie.  Et  cependant  son 
importance,  pour  être  moindre  à  certains  égards  que  celle  de  sa 
célèbre  rivale,  est  considérable.  On  peut  même  affirmer  sans  exagéra- 
tion ([ue,  aussi  longtemps  que  nous  n'en  posséderons  pas  une  histoire 
exacte  et  complète,  notre  connaissance  du  mouvement  des  idées 
religieuses  de  théologiques  au  sein  de  l'ancienne  Eglise,  reste>:a 
nécessairement  insuffisante.  C'est  ce  que  Munter,  le  premier,  a  eu  le 
mérite  de  comprendre  et  de  chercher  à  mettre  en  lumière  en 
esquissant  les  destinées  de  l'école  d'Antioche,  en  énumérant  les 
travaux  de  ses  principaux  docteurs  et  en  signalant  les  caractères 
distinctifs  de  leur  théologie  (Ueber  die  Antiochenische  Sckule,  von 
U.  F.  Munter.  Archiv  fur  alte  undneue  Kircliengeschichte ,  von  Siicudlin 
u.  Tzchirner,  1813,  B.  I.  H.  1).  Malheureusement,  l'exemple  du  savant 
évêque  danois  n'a  pas  été  ou  a  été  peu  suivi  jusqu'à  ce  jour,  et, 
malgré  la  publication  d'un  certain  nombre  de  monographies  intéres- 
santes, la  lacune  que  nous  avons  indiquée  n'a  pas  été  comblée.  En 
attendant  qu'elle  le  soit,  nous  devons  nous  borner  à  soumettre  à  nos 
lecteurs  quelques-uns  des  points  les  plus  essentiels  ou  les  plus  discutés 
de  cet  important  sujet.  Et  d'abord,  quelle  signification  précise 
convient-il  d'attacher  à  cette  dénomination  &  école  d'Antioche?  Est-il 
possible  d  "entendre  par  là,  en  prenant  le  mot  dans  son  sens  propre, 
une  institution  régulièrement  organisée  d'enseignement  religieux  et 
théologique,  une  sorte  de  séminaire  qui  aurait  été  fondé  vers  la  fin  du 
troisième  siècle,  dans  la  capitale  de  la  Syrie,  sur  le  modèle  de  réta- 
blissement qui  llorissait  déjà  à  Alexandrie?  Des  présomptions,  qui  ne 
><>nt  pas  sans  force,  peuvent  être  alléguées  en  faveur  de  cette  manière 
de  voir,  l'ai;  ses  origines,  l'école  d'Antioche  se  rettache  à  une  époque 
du  développement  extérieur  et  spirituel  de  l'Eglise  où  le  besoin  de 
fondations  de  ce  genre  se  faisait  vivement  sentir.  Est-il  probable  qu'une 
«  .  aussi  considérable  que  celle  d'Antioche  par  sa  position,  par  son 


370  ■    ANTIOCHE 

antiquité,  par  la  science  et  la  renommée  de  plusieurs  de  ses  évêques,  ait 
négligé  de  se  pourvoir  d'un  moyen  aussi  précieux  de  progrès  intérieur 
et  d'influence  au  dehors?  D'un  autre  côté,  on  peut  se  demander  si  des  con- 
sidérations de  ce  genre  sont  suffisantes  pour  prévaloir  contre  l'absence 
de  témoignages  directs  et  positifs.  L'histoire,  qui  nous  a  légué  la  liste 
ininterrompue  des  maîtres  de  l'école  d'Alexandrie,  ne  nous  a  rien 
transmis  de  pareil,  relativement  à  Antioche.  Bien  plus,  nulle  part  elle 
ne  fait  mention  d'une  école  théologique  qui  aurait  fleuri  dans  cette 
dernière  ville.  .Le  seul  fait  que  nos  renseignements  nous  permettent 
d'aflirmer,  c'est  que,  parmi  les  personnages  considérables  par  leur  foi 
ou  par  leur  science  qui  résidèrent  à  divers  titres  dans  l'Eglise 
d'Antioche,  quelques-uns  appliquèrent  leur  savoir  au  développement 
de  l'instruction  théologique  au  sein  de  son  clergé.  Si  Eusèbe  ne 
mentionne  pas  expressément  un  enseignement  du  presbytre  Dorothée, 
dont  il  vante  d'ailleurs  la  science  et  particulièrement  la  connaissance 
de  la  langue  hébraïque  (H.  E.,  VII,  32),  il  nous  informe  par  contre 
que  le  martyr  Lucien  ouvrit  à  Antioche  une  école  (H.  iï7.,  VIII,  11  ;  IX,  6)  ; 
il  compta  parmi  ses  disciples,  Eusèbe  de  Nicomédie,  Maris  de  Chalcé- 
doine,  Théognis  de  Nicée.  Nous  savons  aussi  que,  vers  le  milieu  du 
quatrième  siècle,  Flavien,  d'abord  presbytre  et  plus  tard  évêque 
d'Antioche,  s'appliqua  à  l'instruction  des  anciens  de  son  Eglise  et  fut 
un  des  maîtres  de  Diodore  de  Tarse.  Celui-ci,  à  son  tour,  n'étant 
encore  que  presbytre  dans  la  même  ville,  donna  à  de  jeunes  ecclé- 
siastiques, jusqu'au  moment  où  il  devint  évêque  de  Tarse  (378),  un 
enseignement  destiné  à  les  préparer  au  service  de  l'Eglise.  Rappelé  à 
Antioche  pour  y  remplir  les  fonctions  de  l'épiscopat,  il  eut  pour 
disciples,  Théodore  de  Mopsueste  et  Chrysostôme.  On  a  lieu  de  croire 
que,  vers  la  même  époque,  Théodore  de  Mopsueste,  qui  avait  déjà 
reçu  l'enseignement  de  Flavien  et  de  Diodore  de  Tarse,  assista  aux 
leçons  de  l'archimandrite  Cartérius  dans  un  couvent  d'Antioche  ou 
des  environs.  Enfin,  il  est  fort  probable  que  le  même  Théodore,  qui 
fut  presbytre  d'Antioche  avant  d'être  évêque  de  Mopsueste  (392), 
appliqua  ses  vastes  connaissances  à  l'enseignement;  le  fait  que 
Nestorius  fut  son  disciple,  semble  nous  autoriser  à  admettre  qu'il 
enseigna  dans  la  capitale  de  la  Syrie.  Tels  sont  les  faits  auxquels 
s'arrêtent  les  informations  que  nous  possédons.  Avons-nous  le  droit 
d'aller  au  delà  et  de  transformer  ces  œuvres  qu'elles  nous  présentent 
comme  tout  individuelles,  inspirées  par  l'initiative  privée  et  à 
quelques  égards  indépendantes  les  unes  des  autres,  en  une  institution 
permanente,  oflicielle,  dont  les  docteurs  cités  auraient  été  en  quelque 
sorte  les  fonctionnaires  autorisés?  Nous  ne  le  pensons  point,  parce  que 
le  silence  de  l'histoire  sur  ce  point  ne  saurait  être  interprété  comme 
un  accident  et  qu'il  s'explique  par  les  circonstances  spéciales  dans 
lesquelles  se  trouva  l'Eglise  d'Antioche.  La  création  et  le  déve- 
loppement d'un  établissement  tel  que  l'école  d'Alexandrie  se  com- 
prennent au  sein  de  la  tranquillité  intérieure  dont  nous  voyons  jouir 
cette  ville  jusqu'au  grand  éclat  des  controverses  trinitaires  ;  mais  il  est 
difficile  de  se  représenter  une  fondation  de   ce  genre  naissant  et 


ANTIOCHE  371 

surtout  se  maintenant  au  milieu  des  Luttes  dogmatiques  qui,  à  partir 
de  la  seconde  moitié  du  troisième  siècle,  troublèrent  si  profondément 
et  presque  sans  interruption  l'Eglise  d'Antioche.  On  sait  que  ce  fut 
dans  la  capitale  de  la  Syrie  que  se  réunirent  les  trois  synodes  qui 
jugèrent  et  condamnèrent  l'hérésie  de  Paul  de  Samosate  (269),  et  un 
peu  plus  tard  quelques-unes  des  assemblées  où  la  question  arienne  fut 
débattue  avec  le  plus  de  violence;  on  sait  enfin  quel  fut  le  rôle  de 
l'Eglise  d'Antioche  dans  les  controverses  nestoriennes  et  euty- 
ehlennes.  Mais,  si  les  données  précises  de  l'histoire  ne  doivent  pas 
être  dépassées,  il  n'importe  pas  moins  de  n'en  pas  diminuer  la  réelle 
portée.  Or,  ce  dont  elles  témoignent  avec  une  évidence  incontestable, 
que,  à  une  certaine  époque  et  pendant  longtemps,  Antioche  fut 
le  (entre  et  comme  la  capitale  intellectuelle  d'un  mouvement  théolo- 
gique  considérable.  Bien  plus,  en  rattachant  les  uns  aux  autres,  par  le 
lieu  spirituel  de  maître  à  disciple,  les  représentants  les  plus  célèbres 
de  ce  mouvement,  elles  nous  obligent  à  attribuer  à  ceux-ci  des 
principes  communs,  une  théologie  empreinte  d'un  même  esprit,  en 
d'autres  termes,  à  affirmer  l'existence  d'une  école  d' Antioche  dans  le 
sens  large  et  figuré  du  terme.  Au  fond,  ce  fait  n'a  été  nié  par 
personne.  Personne  n'a  contesté  que,  à  un  certain  moment,  il  n'y  ait 
eu  en  Syrie  une  école  théologique  originale,  à  laquelle  ses  caractères 
propres  et  son  importance  aient  mérité  une  place  entre  la  théologie 
pratique  et  réaliste  de  l'Occident  et  la  théologie  spéculative  et  idéaliste 
des  Alexandrins.  Seulement  quelques  historiens  ont  éprouvé  des 
scrupules  à  la  désigner  par  une  dénomination  qui  n'en  fait  pas  assez 
ressortir,  suivant  eux,  la  tendance  distinctive  et  l'extension  géogra- 
phique. Gieseler,  par  exemple,  lui  a  préféré  le  terme  d'Ecole  syrienne 
/ustorico-exégétique  (Kirch.  Gesch.,  I,  2,  p.  34,  4e  édit.).  Toutefois,  on  a 
généralement  passé  outre  sur  ces  scrupules,  et  la  désignation  tradi- 
tionnelle a  été  maintenue.  Nous  croyons,  pour  notre  part,  que  celle-ci 
est  suffisamment  justifiée  par  l'histoire.  —  On  a  quelquefois  désigné 
Origène,  sinon  comme  le  fondateur  de  l'école  d'Antioche,  du  moins 
comme  le  père  spirituel  de  sa  théologie.  Il  est  certain  que  l'œuvre  du 
célèbre  docteur  d'Alexandrie  renferme  les  germes,  les  linéaments 
généraux  et  présente  même,  dans  certains  domaines,  les  premiers 
modèles  de  la  théologie  de  notre  école.  Mais  l'affirmation  (pie  nous 
avons  en  vue  a  besoin  dïêtre  précisée;  car,  formulée  en  ces  termes 
généraux,  elle  dit  trop  ou  trop  peu.  Trop,  si  l'on  oublie  que  la 
personnalité  d 'Origène  est  de  celles  qui  font  époque  dans  l'histoire,  de 
telle  sorte  que  parmi  les  écoles  des  siècles  suivants,  il  n'en  est  pas 
une.  même  parmi  les  plus  opposées,  qui  ne  puisse  légitimement,  à  un 
certain  degré,  m-  réclamer  de  lui,  et  (pie,  en  particulier,  l'influence 
qu'il  exerça  sur  la  nouvelle  école  d'Alexandrie,  fut  pour  le  moins 
égale  à  celle  qui  lui  est  attribuée  sur  l'école  d'Antioche.  Trop  peu.  si 
on  se  laisse  entraîner  par  le  désir  de  signaler  les  antécédents  de  cette 
dernière  jusqu'à  en  méconnaître  l'originalité  réelle  et  profonde;  trop 
peu  encore  si  Ton  borne  ;i  ses  débuts,  au  lieu  de'  retendre  au  déve- 
loppement  tout   entier    de    sa    théologie,    l'action    des    idées    de    son 


372  ANTIOCHE 

illustre  prédécesseur.  On  peut  sans  doute  être  tenté  d'attribuer  à 
Origène  la  gloire  d'avoir  fondé  la  science  exégétique,  lorsqu'on  se 
rappelle  son  étude  et  sa  connaissance  des  langues  originales  de 
l'Ecriture,  ses  importants  travaux  critiques,  le  soin  avec  lequel  il 
s'appliqua  à  établir  le  sens  grammatical  et  historique  du  texte  sacré 
(Ernesti,  Opuscula  philologica  crilica.  De  Origene,  interpretattonis  libro- 
rum  S.  S.  grammatkx  auctore).  Mais  on  n'en  est  pas  moins  obligé  de 
constater  qu'il  compromit  gravement  les  résultats  de  son  œuvre  réfor- 
matrice et  contribua  plus  que  personne  à  maintenir  au  sein  de  l'Eglise 
les  plus  fâcheuses  pratiques  du  passé,  en  reconnaissant  à  certains  écrits 
une  autorité  dont  les  avaient  indûment  revêtu  des  préoccupations  reli- 
gieuses ou  dogmatiques,  en  réduisant  outre  mesure  le  rôle  de  l'Ecri- 
ture dans  la  construction  du  dogme,  enfin  et  surtout  en  élevant  l'inter- 
prétation allégorique  à  la  hauteur  d'un  principe  et  d'une  théorie  her- 
méneutique. La  nouvelle  école  d'Alexandrie  et  l'école  d'Antioche  se 
partagèrent  sa  succession.  La  première  fut  une  école  dogmatique;  elle 
s'appropria  la  tendance  spéculative  et  mystique  du  maître.  L'école 
d'Antioche  fut  avant  tout  une  école  exégétique  et  critique,  et  son 
originalité  propre,  aussi  bien  que  son  honneur  le  plus  incontestable, 
fut  d'entrer  et  de  marcher  avec  résolution  dans  la  voie  nouvelle 
ouverte  par  Origène.  C'est  chez  elle  qu'on  vit,  pour  la  première  fois, 
l'intérêt  pour  l'étude  de  l'Ecriture  l'emporter  sur  l'attrait  de  la 
spéculation  religieuse.  Si  les  renseignements  de  l'histoire,  relatifs  aux 
deux  presbytres  qui  passent  généralement  pour  les  fondateurs  de 
notre  école,  sont  malheureusement  très-incomplets,  ils  nous  four- 
nissent cependant  sur  leurs  études  et  sur  leurs  travaux,  quelques 
informations  précieuses  à  recueillir.  Eusèbe  nous  dit  de  Dorothée 
(f  vers  290)  qu'il  s'était  adonné  à  l'étude  de  la  langue  hébraïque  et 
qu'il  était  très-versé  dans  les  lettres  sacrées  {H.  F.,  VII,  32).  Jérôme 
vante  les  travaux  de  Lucien  (f  311)  sur  les  livres  saints,  et  il  men- 
tionne le  fait  que  de  son  temps  encore  il  existait  des  exemplaires  des 
Ecritures  appelés  lucianea  (Catal.  script,  eccles.).  Les  deux  hommes  que 
nous  venons  de  nommer  s'occupèrent-ils  de  travaux  exégétiques 
proprement  dits?  Fondèrent-ils  la  méthode  d'interprétation  qui  fut 
pratiquée  et  développée  par  leurs  successeurs?  C'est  ce  que  nos 
documents  ne  nous  disent  pas.  Ernesti  a  cru  pouvoir  attribuer  ce 
dernier  honneur  à  Eusèbe  d'Emèse  (Opusc.  Iheolog.),  et  Munter  à  un 
contemporain  d'Eusèbe,  un  peu  plus  âgé  que  lui,  Théodore  d'Hé- 
raclée  (l.  c,  p.  13)  qui  suivant  le  témoignage  de  Jérôme  ,  écrivit 
plusieurs  commentaires  dans  lesquels  il  s'attacha  de  préférence  à 
l'interprétation  historique.  Quant  à  Eusèbe  d'Emèse,  que  son  long 
séjour  à  Antioche  nous  autorise  à  rattacher  à  notre  école  ,  nous 
savons  que,  dans  son  explication  des  prophètes,  il  repoussa  abso- 
lument l'interprétation  allégorique  et  s'en  tint  au  sens  historique, 
ne  rapportant  au  Christ  que  celles  des  prophéties  où  il  est  question 
directement  et  exclusivement  du  Messie  —  Mais ,  pour  apprendre 
à  connaître  aussi  complètement  du  moins  que  cela  nous  est  possible 
aujourd'hui,   les  caractères   de  la  nouvelle  exégèse,  il  faut  arriver  à 


ANTIOCHE  373 

♦ 
Diodore  de  Tarse  (f  394),  el    à  Théodore   de  Mopsueste  (f  428).  Ces 
deux  docteurs  peuvent  en  être  considérés  comme   les   représentants 
classiques,  soit  à  cause  de  la  rigueur  et  du  développement  avec  les- 
quels ils  l'appliquèrent  dans  leurs    nombreux    commentaires,    soit 
parée  que  les  premiers  ils  en  exposèrent  la  théorie  dans  des   écrits 
spéciaux.    Les  témoignages   de   l'antiquité  sont  unanimes   à  affirmer 
qu "ils    s'attachèrent  ,  dans  leur  interprétation  de  l'Ecriture,  à  fixer 
le  sens  du  texte  sacré  au   moyen  de  la  philologie  (tyïku) tô Ypàp[AaTt) 
et  de  l'histoire  (xarà  tyjv  l<jrop(av)   et  s'abstinrent  avec  le  plus  grand 
soin   de   toute    explication    allégorique   (Socrat.,  H.  E.,    VI,   3;  So- 
zom.,  H.  E.  VIII,  2  ;  Photius,  Bibl.  cod.  38).  A  l'exception  de  quelques 
fragments  dont  l'importance  est  à  peu  près  nulle,  et  l'authenticité 
douteuse ,   il    ne   nous   reste    de    Diodore     de    Tarse    que    le    titre 
de  l'ouvrage  qu'il   écrivit  pour  définir  sa  méthode   exégétique,   la 
caractériser  nettement  en  face  de  la  méthode  opposée  et  la  justifier  des 
attaques  auxquelles  elle  commençait  à  être  exposée.  Ce  titre:  t(ç  Scacpopà 
Qeuplzç  Jtal  *k'kiftQpl<zq,  peut  paraître  étrange  et  même  obscur,  mais  nous 
pensons  qu'il  s'explique  par   la  terminologie  de   l'époque  (Socrat., 
ibidem;  Sozom.,  ib.;  Greg.  Naz., /force/.,  42).  Ernesti  a  montré  que  Dio- 
dore désignait  par  le  mot  âXXiffopla  tous  les  passages  de  l'Ecriture 
où  l'Esprit  divin  annonce  typiquement  les  actes  et  les  faits  de  la  vie  de 
Jésus,    et    par  le    mot  6ea)p(a  l'interprétation   dans   laquelle   l'esprit 
humain  se  donne  libre  carrière  pour  expliquer  les  choses  visibles  par- 
les invisibles.  Il  parait  donc  que  Diodore  ne  poussait  pas  l'application 
de  ses  principes  herméneutiques  au  point  de  renfermer  l'idée  reli- 
gieuse dans  la  lettre  pure  ou  de  refuser  à  certains  noms,   à  certains 
personnages  et  à  certains  faits  de  l'Ancien   Testament  un   caractère 
typique.  Il  aurait  cru,  sans  doute  en  le  faisant,  briser  entre  les  deux 
alliances    un  lien  qu'il  prétendait  maintenir.  A  côté  de  passages  qui 
sont  des  prophéties  proprement  dites,  qui  se  rapportent  exclusive- 
ment et  directement  au  Christ,  et  qui  doivent  être  expliqués  littéra- 
lement et    historiquement,    il   en  admettait   d'autres  beaucoup  plus 
nombreux  qui  ne  doivent  s'entendre  de  la  personne  du  Sauveur  que 
dans  un  sens  mystique  quoique  réel.  Mais  il  voulait  qu'on  distinguât 
nettement  les  uns  des  autres  et  qu'on  ne  confondit  pas  le  sens  immé- 
diat du  texte  qui  s'impose  à  l'interprète  scientifique  avec  les  images  et 
les  réflexions  que  le  sentiment  religieux  inspire  au  lecteur  chrétien. 
Ces  principes  Eurent-ils  ceux  de  Théodore  de  Mopsueste?  L'affirmative 
Semble  avoir  en  sa  faveur  le  fait  dûment  établi  que  ce  docteur  fut  le 
disciple  et  le  continuateur  de  Diodore.  Il  est  vrai  que  quelques-uns  de 
ses  adversaires  l'accusèrent  d'avoir  nié  entre  les  deux  testaments  tout 
rapporl    prophétique.   Mais   nous    sommes  en   état,   au  moyen  des 
fragments  de  ses  commentaires  qui   nous  sont   parvenus,   de  nous 
convaincre   de   la  fausseté  de  cette  accusation,  laquelle  d'ailleurs  se 
trouve  démentie  par  le  témoignage  peu  suspect  de  Léontius,  deBysanze 
(Canisius,   Lectiones   antiquœ,  tom.  I,  p.  577  ss.).  En  outre,  tout  en 
rejetant  l'idée  que  les- prophètes,  et  même  le  Logos  auquel  il  attribue 
leur  inspiration,  aient  eu  en  vue  autre  chose  que  le  sens  historique  de 


374  AXTIOCHE 

la  prophétie,  Théodore  ne  songeait,  pas  plus  que  son  maître,  à  refuser 
à  un  certain  nombre  de  passages  de  l'Ancien  Testament  une  significa- 
tion typique.  Ce  qui  est  possible  et  même  probable,  c'est  que  la  polémique 
de  Théodore  fut  plus  vive  et  plus  amère  que  ne  l'avait  été  celle  de  ses 
prédécesseurs.  Recommandée  par  l'exemple  d'Origène,  et  puisamment 
favorisée  par  les  circonstances  de  l'époque,  Y  interprétation  allégorique 
n'était  pas  seulement  restée  la  méthode  favorite  des  nouveaux  Alexan- 
drins. Elle  était  devenue  de  plus  en  plus  la  méthode  dominante  et  en 
quelque  sorte  l'herméneutique  reconnue  par  l'Eglise.  Un  conflit  ne 
pouvait  manquer  d'éclater  entre  les  deux  exégèses  opposées.  Rien  ne 
nous  est  pavenu  du  livre  (Adversus  allegoi'icos  ou  de  allegoriaet  hisloma) 
que  Théodore  composa  pour  défendre  les  principes  de  son  école.  Mais 
ses  commentaires  témoignent  qu'il  rendit  amplement  sarcasmes  pour 
sarcasmes  et  injures  pour  injures.  Si  les  Antiochiens  étaient  accusés  de 
ne  pas  savoir  s'élever  de  la  turpitudo  litterœ  ad  décorera  intelligentix 
spiritalis  (Hieronym.,  ad  Amos,  2),  Théodore  traita  lésai  légoristes 
de  conteurs  de  fables,  de  radoteurs,  de  mauvais  plaisants  et  de  fous. 
A  vrai  dire,  l'œuvre  propre  de  l'école  d'Antioche  finit  avec  Théodore 
de  Mopsueste.  Après  lui,  Jean  Chysostôme,  son  ami  et  son  contempo- 
rain, et  Théodoret  son  disciple,  cherchèrent  une  voie  intermédiaire 
entre  les  deux  camps  opposés.  Mais  comme  dans  cette  entreprise  ils 
se  laissèrent  déterminer  bien  moins  par  des  vues  scientifiques  que  par  des 
influences  de  diverse  nature,  il  est  difficile  de  reconnaître  chez  eux  une 
méthode  arrêtée.  Bien  plus,  il  leur  arriva  parfois  d'énoncer  des  prin- 
cipes opposés  à  ceux  de  l'école  à  laquelle  ils  appartenaient  (Ghysost. 
In  Ps.,  46).  —  L'école  d'Antioche  étant  avant  tout  une  école  de  critique 
et  d'exégèse,  c'est  dans  le  domaine  des  études  scripturaires  qu'il 
convient  de  chercher  la  manifestation,  à  la  fois  la  plus  fidèle,  la  plus 
complète  et  la  plus  caractéristique  de  l'esprit  dont  elle  fut  ani- 
mée. Quant  aux  idées  christologiques  des  Antiochiens,  pour  être  bien 
comprises  et  appréciées,  elles  ne  doivent  pas  être  détachées  du  tableau 
général  des  débats  auxquels  elles  donnèrent  lieu.  Toutefois,  nous  ne 
saurions  nous  dispenser  d'indiquer,  en  quelques  mots,  le  lien  intérieur 
qui  nous  parait  rattacher  leurs  conceptions  dogmatiques  à  leurs  prin- 
cipes herméneutiques.  A  cet  égard,  il  est  un  fait  qui  donne  déjà  à 
réfléchir  :  c'est  celui  du  parallélisme  remarquable  qui  apparaît  entre 
les  rapports  de  l'école  d'Antioche  vis-à-vis  d'Origène  et  des  Alexan- 
drins sur  les  deux  terrains  de  l'exégèse  et  delà  dogmatique,  rapports  à 
la  fois  de  dépendance  et  de  réaction  vis-à-vis  du  premier,  rapports 
d'opposition  vis-à-vis  des  seconds.  On  discerne,  en  effet,  dans  la  doc- 
trine christologique  d'Origène,  deux  courants  qu'il  semble  difficile  de 
réunir  dans  un  lit  commun.  On  le  voit  d'un  côté affimer  contre  ledocé- 
tisme  gnostique  la  réelle  humanité  de  Jésus  en  distinguant  nettement 
cette  humanité  de  la  nature  divine  du  Logos,  en  lui  attribuant  un 
principe  psychique,  semblable  par  son  essence  à  celui  des  autres 
hommes,  en  en  faisant  le  siège  exclusif  des  affections  du  corps  et  des  sen- 
timents de  l'âme.  D'un  autre  côté,  entraîné  par  le  désir  d'exalter  la 
personne  du  Sauveur,  il  se  montre  disposé  à  admettre  une  pénétration 


ANTIOCHE  ;  375 

tle  son  humanité  par  la  nature  divine,  une  communication  des  attri- 
buts du  Logos  à  son  àme  et  à  son  corps,  au  point  de  lui  accorder  le 
pouvoir  de  changer  sou  apparence  extérieure  ;  il  semble  justifier  ainsi 
l'accusation  de  docétisme  que  portèrent  en  effet  contre  lui  Jérôme  et 
Gennadius.  Or,  de  ces  deux  tendances  opposées,  Tune  fut  suivie  et 
développée  par  les  Alexandrins,  l'autre  par  les  Antiochiens.  Le  par- 
tage fut-il  arbitraire?  Non,  sans  doute  ;  il  est  impossible  de  ne  pas  près- 
sentir  que  chacune  des  deux  écoles  s'appropria  des  idées  du  maître, 
celles  qui  répondaient  le  mieux  à  ses  propres  aspirations.  Un  examen 
quelque  peu  attentif  ne  tarde  pas  à  confirmer  cette  présomption. 
Si  les  théologiens  d'Alexandrie  avaient  préconisé  l'interprétation 
allégorique,  c'est  que,  répugnant  de  s'arrêter  aux  conditions  humaines 
de  la  révélation,  ils  s'étaient  attachés  avec  une  prédilection  exclusive  à 
son  origine  divine,  à  l'esprit  qui  en  avait  inspiré  les  pages  sacrées: 
la  Parole  de  Dieu,  l'Ecriture  avait,  à  leurs  yeux,  tous  les  attributs  de  la 
divinité,  l'unité  sublime,  la  profondeur  infinie  ;  les  ressources  inépui- 
sables de  l'allégorisme  suffisaient  à  peine  à  découvrir  toutes  les  richesses 
des  textes  mystiques.  Au  contraire,  c'est  pareeque,  sans  voir  l'inspira- 
tion des  livres  sacrés,  ils  y  distinguaient  l'élément  humain  de  l'élément 
divin  et  voulaient  conserver  au  premier  toute  sa  valeur  et  toute  sa  réa- 
lité, que  les  Antiochiens  professaient  la  nécessité,  pour  comprendre 
l'Ecriture,  d'en  étudier  avec  soin  le  sens  grammatical  et  historique  et 
faisaient  de  ce  travail  le  premier  devoir  de  l'exégète.  Au  fond  de  ces 
deux  méthodes,  il  y  avait,  on  le  voit,  deux  conceptions  différentes, 
et,  en  une  certaine  mesure,  opposées  des  rapports  de  Dieu  et  de 
l'homme.  Mais  la  question  des  rapports  de  Dieu  et  de  l'homme 
est  la  question  fondamentale,  celle  de  l'essence  même  du  christia- 
nisme comme  de  toute  religion.  Il  était,  par  conséquent,  inév- 
table  que  la  divergence  des  deux  écoles  apparût  sur  d'autres  do- 
maines encore  que  celui  des  études  scripturaires,  et  particulièrement 
que  le  jour  où  l'Eglise  aborderait  le  problème  christologique,  cha- 
cune d'elles  fût  conduite  à  en  formuler  une  solution  conforme  à  ses 
principes  herméneutiques.  Et,  en  effet,  tandis  que  les  Alexandrins 
(Athanase  et  les  trois  Cappadociens)  attribuaient  à  la  personne  du 
Christ  une  seule  nature,  la  nature  divine  du  Logos  ({ii'av  çuaiv  tou  OecO 
Xcrpu  ereffaRpxeojjiivTQv),  et  réduisaient  son  humanité  à  une  simple  forme 
dont  le  Logos  s'était  enveloppé  pour  manifester  son  être  (èvaapxeodiç 
tcj  Xo^ou),  les  docteurs  d'Antioche,  Diodore  de  Tarse  et  Théodore  de 
Mopsueste,  protestèrent  contre  cette  négation  de  la  vraie  humanité  de 
Jésus  et  proclamèrent  la  dualité  essentielle  de  son  être,  en. statuant 
entre  la  nature  divine  et  la  nature  humaine  une  union  (auvàçeia)  qui,  si 
intime  et  profonde  qu'elle  fût,  laissait  à  chacune  d'elles  sa  parfaite 
réalité.  Diodore  de  Tarse  enseignait  que,  s'il  ne  saurait  être  question  de 
deux  lils,  il  ne  fallait  pas  assigner  les  mêmes  attributs  au  Logos  et  à 
l'homme  Jésus.  Ce  que  Marie  a  enfanté,  ce  n'est  pas  le  Logos,  mais  un 
homme  semblable  à  nous  en  toutes  choses,  quoique  beaucoup  plus 
excellent  que  nous.  Le  Logos  ayant  habité  chez  les  hommes  une  lois 
seulement  pour  un  temps  annoncé  dans  les  prophètes,  mais  constam- 


376  ANTIOOHE  —  ANTIPAPE 

ment  et  pleinement,  il  est  permis  de  transporter  au  Fils  de  Marie  le 
nom  et  l'adoration  qui  appartiennent  au  Fils  de  Dieu,  à  la  condition, 
toutefois,  que  Ton  ne  perde  pas  de  vue  le  soin  de  distinguer  Tune 
de  Fautre.  Le  Logos  divin,  dit  Théodore  de  Mopsueste,  s'est  choisi 
(eiXYjçe),  pour  s'unir  avec  lui  par  un  mode  mystérieux  (auv^ev  âa-jTO)) 
dans  la  race  d'Abraham  et  de  David,  un  homme  parlait,  semblable 
quant  à  la  nature  à  ceux  dont  il  descendait.  Cet  homme,  en  vertu  de 
son  union  indissoluble  avec  la  nature  divine  (kyko^axoq  Trpcç  tyjv  Suèv 
çtaiv  auvàsia),  a  été  élevé  par  le  Logos  au  ciel  où  il  est  adoré  avec  lui. 
Il  n'y  a  pas  deux  fils  ou  deux  seigneurs;  il  n'y  a  qu'un  seul  Seigneur 
Jésus-Christ,  le  Fils  de  Dieu  uni  à  l'Homme-Jésus,  lequel,  par  suite  de 
cette  union,  est  devenu  participant  de  la  divinité  et  de  la  dignité  du 
Fils  de  Dieu.  L'école  d'Antioche  ne  survécut  pas  à  la  condamnation 
dont  elle  fut  frappée,  dans  le  jugement  de  ces  deux  plus  illustres  repré- 
sentants, à  l'occasion  des  controverses  nestorienne  et  eutychienne.  Il 
faut  descendre  jusqu'au  seizième  siècle  pour  retrouver,  dans  l'exégèse 
de  la  christologie  réformée,  quelques-unes  des  idées  qui  caractérisèrent 
sa  théologie.  Dandiran. 

ANTIOCHUS  (les),  rois  de  Syrie.  Plusieurs  de  ces  souverains  ont  été 
en  relation  avec  le  peuple  d'Israël.; — 1°  AntiochusIII,le  Grand,  succes- 
seur de  son  frère  Séleucus  II  sur  le  trône  de  Syrie  en  224  avant  Jésus- 
Christ,  échoua  dans  une  première  guerre  avec  l'Egypte,  à  laquelle 
il  dut  abandonner  la  Cœlésyrie,  la  Phénicie  et  la  Palestine,  mais  rega- 
gna ces  provinces  dans  une  guerre  avec  Ptolémée  Y,  Epiphanes.  A  la 
suite  de  ces  victoires,  les  Juifs  jouirent  sous  son  règne,  terminé  en  187, 
d'une  grande  liberté.  —  2°  Antiochus  IV,  Epiphanes,  second  fils  du  pré- 
cédent, occupa  le  trône  en  175,  entreprit  quatre  expéditions  contre 
l'Egypte  pour  maintenir  la  possession  de  la  Cœlésyrie  et  de  la  Phénicie. 
Au  retour  de  la  seconde  (170),  il  commit  des  violences  sur  les  Juifs  de 
Jérusalem  et  pilla  le  Temple;  après  la  quatrième  (168),  il  envoya  un 
corps  d'armée  dévaster  la  même  ville,  entreprit  d'imposer  aux  Juifs 
la  religion  grecque,  et  substitua  au  culte  juif  celui  de  Jupiter,  dans  le 
Temple  même.  La  révolte  des  Machabées  s'ensuivit.  Epiphanes  mourut 
en  163  dans  une  expédition  en  Perse.  Son  nom  est  resté  pour  les  Juifs 
le  symbole  de  l'exécration. — 3°  Antiochus  V,  Eupator,  fils  et  successeur 
dû  précédent  (163-161  av.  J.-C),  poursuivit  la  guerre  contre  les  révol- 
tés juifs,  etlivra  bataille  à  Judas  Machabée  avec  lequel  il  finit  par  conclure 
ta  paix.— 4°  Antiochus  VI,  0£oç,  fils  d'Alexandre  Balas,  emporta  le  trône 
sur  Démétrius  Nicator  (145),  et  se  concilia  l'appui  de  Jonathan  et  de  Si- 
mon ;  ilfut  tuépar Tryphon,  qui  convoitait  la  couronne  (143  av.  J.-C). 
—  5°  Antiochus  VII,  Sidétès,  second  fils  de  Démétrius  Ier,  reprit  le  trône  à 
l'usurpateur'Tryphon  (138),  conclut  un  traité  d'amitié  avec  le  prince  juif 
Simon,  puis  rompit  avec  lui,  vint  assiéger  en  personne  Jérusalem,  et  fit 
avec  Jeanllyrcan  une  paix  onéreuse.  Il  entreprit  avec  ce  dernier  une  ex- 
pédition contre  les  Parthes  dans  laquelle  il  perdit  la  vie  (130  av.  J.-C). 

ANTIPAPE.  On  donne  ce  nom  à  ceux  qui  prétendaient  se  faire  recon- 
naître pour  souverains  pontifes,  au  préjudice  d'un  pape  élu  légitime- 
ment. Les  auteurs  comptent  vingt-neuf  antipapes. 


ANTIPATER  —  ANTITRINITAIRES  377 

ANTIPATER.  Voyez  Hérodes  (les). 

ANTIPHONAIRE.  Voyez  Antienne. 

ANTITAGTES  (àvTtTaaaetjôai,  s'opposer),  nom  commun  à  plusieurs 
sectes  gnostiques  qui  enseignaient  le  mépris  de  la  loi  morale  dont  l'au- 
teur est  le  Démiurge.  Dieu  a  créé  le  inonde  bon;  le  principe  mauvais 
qui  y  a  été  introduit  et  <jui  réside  dans  la  matière  ne  saurait  être  vaincu 
qu'en  le  forçant  à  épuiser  tout  son  venin.  Aussi,  ces  hérétiques  préten- 
daient-ils anéantir  le  corps  en  se  livrant  à  la  débauche  la  plus  effrénée. 
C'est  ainsi  qu'ils  entendaient  rentrer  dans  l'état  d'innocence  d'où 
L'autorité  malfaisante  de  la  loi  les  avait  tirés  :  c'est  le  gnosticisme  dans  ses 
conséquences  les  plus  exagérées.  La  nature  violemment  outragée  par 
l'ascétisme,  auquel  d'ordinaire  il  aboutit,  cherche  à  prendre  sa  re- 
vanche, et  la  pensée  complaisante  formule  scientifiquement  ces  désirs 
malsains  (voy.  Clément  d'Alexandrie,  Strom.,  111;  Saint  Augustin, 
ffœres.,  18). 

ANTITRINIT AIRES ,  adversaires  du  dogme  de  la  Trinité.  Ce  dogme 
enseigne  que  Dieu  existe  en  trois  personnes  distinctes,  le  Père,  le  Fils, 
le  Saint-Esprit,  chacune  possédant  des  attributs  qui  la  distinguent  des 
deux  autres,  sans  toutefois  que  cette  distinction  détruise  l'unité  de  la 
Divinité  ou  fasse  tort  à  leur  complète  égalité.  De  ces  trois  personnes,  le 
Kils  s'est  incarné  pour  notre  salut  et  est  devenu  à  la  fois  vraiment 
homme  comme  il  est  toujours  vraiment  Dieu.  Telle  est  la  notion  de  la 
Trinité  consacrée  par  le  symbole  Quicumque,  qui,  depuis  le  huitième 
siècle,  passe  pour  le  document  officiel  et  définitif  du  dogme  trinitaire 
dans  les  Eglises  grecque ,  romaine ,  anglicane  et  protestante.  On  dis- 
tingue le  plus  souvent,  dans  l'histoire  du  dogme,  par  ce  nomd'antitri- 
nitaires  les  théologiens  et  les  partis  qui,  au  temps  de  la  Réforme,  pous- 
sèrent jusqu'à  la  négation  motivée  de  la  Trinité  la  révolte  contre  le 
dogme  traditionnel.  Dans  les  premiers  siècles  du  christianisme,  le  dogme 
de  la  Trinité  était  en  voie  de  formation,  n'avait  pas  encore  reçu  sa  forme 
stéréotypée  et  pouvait  être  conçu  de  plusieurs  manières.  11  nous  faut 
renvoyer  aux  articles  Trinité,  Ckristologic,  Arianisme  etc.,  pour  l'histoire 
des  doctrines  plus  ou  moins  éloignées  de  celle  qui  finit  par  prévaloir  dans 
l'Eglise.  De  même  dans  les  temps  modernes,  on  désigne  par  le  nom 
&  Unitaires  (voir  ce  mot),  des  Eglises  et  des  tendances,  se  rattachant  en 
partie  au  Sucinianisme  dont  nous  parlons  plus  loin,  mais  en  réalité  très- 
distinctes  de  cette  forme  la  plus  systématisée  de  toutes  celles  que  l'an- 
titrinitarisme  revêtit  aux  seizième  et  dix-septième  siècles.  Le  présent 
article  se  borne  donc  aux  antitrinitaires  de  l'époque  de  la  Réforme. 

I.  Les  prédécesseurs  des  Servet.  La  Réforme  a  été  déterminée  essentiel- 
lement  par  les  besoins  de  la  conscience  chrétienne  qui  se  sentait  blessée 
par  les  abus  de  l'Eglise  romaine,  surtout  à  l'égard- des  moyens  de  salut. 
C'est  pourquoi  autant  elle  fut  hardie,  tranchant  dans  le  vif,  en  tout 
ce  qui  concernait  i«'s  sacrements,  la  justification,  les  conditions  du 
salut,  autant  elle  se  montra  respectueuse el  même  timorée  vis-à-vis  d(  > 
doctrines  consacrées  par  la  tradition,  qui  n'avaient  pas  uw  rapport 
aussi  direct  avec  la  question  du  sa  lut,  et.  comme  il  arrive  d'ordinaire 
dans  les  révolutions,  ses  directeurs  tendirent  plutôt  à  exagérer  qu'à 


378  ANTITRINITAIRES 

restreindre  les  scrupules  conservateurs  de  ce  qui  ae  touchait  pas 
à  ce  qui  était  pour  eux  l'arche  sainte.  Cependant  ils  ne  pouvaient 
empêcher  leur  rupture  audacieuse  avec  l'autorité  traditionnelle  d'é- 
veiller et,  en  un  sens,  de  légitimer  un  esprit  d'examen  qui  devait 
s'attaquer  successivement  à  tous  les  éléments  de  l'enseignement  sé- 
culaire de  l'Eglise.  L" 'humanisme  érudit  et  littéraire,  qui  avait  fourni 
à  la  Réforme  tant  d'arguments  et  tant  d'alliés,  pouvait  tout  aussi  bien, 
avec  Erasme,  reculer  devant  les  conséquences  d'une  bataille  défi- 
nitive avec  Rome  que  pousser  avec  les  antiînnitaires  à  des  réformes 
plus  radicales  encore  que  celles  qui  triomphaient  à  Wittemberg  et  à 
Genève.  Dès  les  premières  années  de  la  Réforme,  nous  trouvons  en 
effet,  çà  et  là,  des  individus  impatients  des  limites  où  l'action  des  réfor- 
mateurs voulait  se  renfermer  et  qui  donnent  parfois  la  main  aux  ana- 
baptistes (v.  ce  mot),  d'autres  fois  n'ont  rien  de  commun  avec  ce  parti 
de  l'illumination  et  de  la  révolution  sociale.  Par  exemple,  nous  devons 
signaler  :  1°  Conrad  in  Gassen,  Wurtembergeois,  exécuté  à  Bàle  en  1529, 
pour  crime  de  blasphème  contre  la  divinité  et  la  naissance  miraculeuse 
de  Jésus-Christ.  —  2°  L.  Hetzer,  dcThurgovie,  J.  Denck,  de  Nuremberg, 
J.  Kantz,  de  Worms,  qui  parcoururent  l'Alsace  vers  1526-1528  en 
prêchant  contre  la  Trinité  et  la  divinité  du  Christ.  Hetzer,  d'abord  zélé 
disciple  de  Zwingle,  puis  passé  à  l'anabaptisme,  ramené  de  cette  dange- 
reuse accointance  par  son  ancien  maître  et  par  OEcolampade,  s'était  lié 
ensuite  avec  l'érudit  J.  Denck,  et  avait  travaillé  avec  lui  à  une  version 
des  prophètes  hébreux,  appréciée  des  savants,  entre  autres  de  Capiton, 
de  Strasbourg,  qui  le  reçut  chez  lui.  Mais  la  couleur  «judaïsante»  de 
cette  version  et  certaines  excentricités  d'allure  et  de  conduite  forcèrent 
les  théologiens  de  Strasbourg  à  rompre  avec  les  deux  hébraïsants  qui 
s'associèrent  J.  Kantz  et  répandirent  une  doctrine  revenant  en  termes 
généraux  à  ceci  :  que  Dieu  est  absolument  un;  qu'il  n'existe  en  Dieu 
aucune  triplicité  de  personnes;  que  Jésus-Christ  n'a  pas  préexisté  per- 
sonnellement à  sa  venue  sur  la  terre  ;  que  son  œuvre  rédemptrice  se 
résume  dans  l'exemple  qu'il  a  laissé  et  la  révélation  de  l'amour  divin 
qu'il  a  opérée.  Denck  insistait  toutefois  sur  l'idée  du  Verbe  éternel, 
éclairant  tout  homme,  parole  intérieure  de  Dieu  dans  nos  âmes.  Repous- 
sés d'Alsace,  ils  se  rendirent,  Hetzer  à  Constance  où  il  fut  condamné  à  mort 
peu  de  temps  après  son  arrivée  (1528)  sous  l'inculpation  d'immoralité, 
Denck  à  Bàle,  où  OEcolampade  le  protégea  par  estime  pour  son  caractère 
et  son  savoir,  mais  où  il  mourut  bientôt  de  la  peste.  —  3°  Sébastien 
Franck,  de  Donauwœrth,  en  Souabe,  idéaliste,  qui  ne  voyait  dans  le 
Christ  visible  que  l'image  et  le  symbole  du  Christ  spirituel,  invisible, 
qui  est  tout  en  tout,  qui  pénètre  3a  création,  qui  réside  dans  la  con- 
science humaine,  qui  révèle  le  Créateur  absolument  un  dont  il  dérive. 
—  4°  Claudius  de  Savoie  (Allobrox  ou  Sabandus),  qui  enseigna  à  Berne, 
en  1534,  l'unité  absolue  de  Dieu,  combattit  la  préexistence  personnelle 
du  Fils  et  ramena  le  Saint-Esprit  au  rang  des  créatures.  Après  une  vie 
errante  et  agitée,  et  bien  qu'il  eut  rétracté  publiquement  ses  opinions 
à  Lausanne,  en  1537,  on  le  retrouve,  par  la  suite,  en  Allemagne, 
s'efforçant  de  les  répandre  de  nouveau.  On  ignore  comment  il  finit.  — 


AXTITRINITATRES  379 

:;    ./.  Campanus,  de  Juliers,   qui,  vers   K>2S,  à  Wittemberg,   se  fait 
remarquer  par  son  opposition  au  dogme  trinitalre,  parcourt  Longtemps 
l'Allemagne   centrale,  retourne  dans  sa  patrie,   où   il  jouit  quelque 
temps  d'une  grande  popularité;  mais  ses  prédictions  concernant  la  lin 
prochaine  du  monde  soulèvent  contre  lui  le  peuple  des  campagnes,  et 
il   meurt  en  prison,   vers    1574,    dans  un  état,   paraît-il,  de  complète 
démence.  Il  avait  consigné  ses  vues  dans  un  écrit  intitulé  :  destitution 
et  amélioration  de  l'Ecriture  sainte  et  divine,  obscurcie  depuis  des  siècles, 
avec  la  permission  de  Dieu,  par  des  doctrines  et  des  docteurs  pernicieux 
(en  allemand).  11  existe  encore  de  lui,  aussi  en  allemand,  un  écrit  inti- 
tulé :  Contre  tout  le  monde,  d'après  les  apôtres.  Il  voulait,  non  pas  une 
trinité,  mais  une  dualité  divine.  Ce  n'est  pas  un   liomme  individuel, 
mais  Adam  et  Eve  dans  leur  dualité  inséparable  qui  auraient  été  créés 
à  l'image  de  Dieu.  Le  Fils  est  l'élément  féminin,  par  conséquent  subor- 
donné de  la  Divinité  où  le  Père  représente  le  principe  masculin,  actif 
et  productif.  Le  Saint-Esprit  n'est  pas  une   personne,   mais  l'esprit 
commun  au  Père  et  au  Fils  et  leur  action  à  tous  deux  sur  l'homme.  — 
6°  D.  Joris,  de  Delft,  né  en  1501,  banni  de  sa  patrie  pour  anabaptisme. 
Il  fut  évêque  anabaptiste  à  Delft,  et,  après  avoir  en  vain  cherché  un 
refuge  en  Frise,  il  se   fixa,  en  1544,   à  Bâle  sous  le  pseudonyme  de 
J.  von   Bruck  et  comme  membre  apparent  de  l'Eglise  réformée.  Un 
certain  nombre  de  ses  partisans  l'y  avaient,  toutefois,  rejoint  et  on  ne 
sut  qui  il  était  réellement  qu'après  sa  mort  (1556).  En  1559,  son  corps 
fut  déterré  et  brûlé  après  un  procès  en  règle.  Il  repoussait  comme  con- 
tradictoires les  doctrines  de  la  Trinité  et  de  l'incarnation  du  Fils-Dieu, 
disait-il,  révélé  à  nous  par  le   moyen  de  trois  hommes  spécialement 
choisis,  Moïse,  Jésus,  Elie,  ou  bien  Adam,  Jésus  et  David.  Mais  aucun 
d'eux  ne  doit  être  identifié  avec  le  Christ  de  l'esprit,  qui   n'est  autre 
que  la  volonté,  la  parole  et  la  nature  même  de  Dieu.    La  rédemption 
s'opère  par  l'incitation  du  modèle  donné  par  le  Christ  terrestre  en  qui 
le  Christ  de  l'esprit  habita  pour  nous  laisser  un  type  de  la  vraie  vie 
spirituelle.  Ce  que  Jésus  et  les  apôtres  ont  fondé  n'est,  toutefois,  qu'un 
fragment,  qu'une  ébauche  de  l'édifice  qui  doit  être  achevé.  Bientôt 
viendra  un  nouveau  Christ-David,  un  homme  de  Dieu,  qui  portera  à  sa 
perfection  l'œuvre  commencée  et  longtemps  gâtée  par  les  hommes.  On 
a  mainte  fois  soupçonné  Joris,  qui  ne  pécha  jamais  par  excès   de 
modestie,  d'avoir  cru,  sans  oser  le  dire  ouvertement,  qu'il  pouvait 
bien  être  cet  homme  prédestiné.  A  cette  attente  d'une  transformation 
prochaine  et  radicale  des  choses  s'associaient  des  vues  révolutionnaires 
tout  à  la  fois  très-ascétiques  et  très-licencieuses.  Au  fond,  le  vieil  ana- 
baptiste était  resté  fidèle  au  type  de  sa  secte.  Il  a  laissé  de  nombreux 
traités  en  langue  hollandaise,  dont  le  plus  remarquable  esi  intitulé  : 
Livre  miraculeux  \  Wonderèoek)*  —  Si,  dans  ce  groupe  d'antitrinilaires 
allemands  ou  néerlandais,  nous  avons  à  constater  l'influence  fréquente 
de  la  vieille  mystique  germanique,  nous  allons  voir  le  rationalisme 
critique  prévaloir  dans  les  doctrines  et  les  partis  originaires  de  l'Europe 
méridionale,  où  V  humanisme  fut  le  principal  ferment  du  mouvement 
armateur.  Parmi  les  protestants  italiens  réfugiés  en  Suisse,  on  dis- 


380  ANTITRINITAIRES 

tingue  :  1°  Francesco  le  Calabrais,  Titiano  et  surtout  Camillus  Renalus, 
originaire  de  Sicile,  en  Suisse  depuis  1542,  qui  s'accordent  dans  une 
doctrine  d'un  subjectivisme  complet,  annulant  l'incarnation  objective 
du  Fils  et  ramenant  à  la  persuasion  intérieure  du  salut  le  rapport  nor- 
mal de  Thomme  avec  Dieu. —  2°  Bernardin  Ochino,  ex-franciscain,  natif 
de  Sienne,  réfugié  à  Genève  en  1542.  Après  une  vie  errante  en  Alle- 
magne et  en  Angleterre  (sous  la  reine  Marie) ,  toujours  fuyant  devant 
la  persécution,  il  s'établit  à  Zurich  comme  professeur  de  langue  italienne 
et  se  lia  d'amitié  avec  son  compatriote,  L.  Socin,  dont  nous  parlons 
plus  bas.  Ses  vues  sont  exposées  dans  son  Catéchisme  (1561)  et  surtout 
dans  ses  Dialogues  (1563),  où  il  attaque  le  dogme  de  la  Trinité  par  des 
arguments  scripturaires,  en  même  temps  qu'il  lui  enlève  les  appuis  que 
la  théologie  scolastique  lui  fournissait  en  faisant  de  ce  dogme  une  sorte 
de  corollaire  de  l'incarnation  et  de  la  rédemption.  Grand  partisan 
de  l'inspiration  individuelle,  il  admettait  que  dans  certains  cas,  par 
exemple  la  polygamie  ,  l'inspiré  devait  écouter  ses  directions  plutôt 
que  les  préceptes  de  la  parole  écrite,  et  prétendait  le  prouver  par  des 
exemples  bibliques.  Banni  de  Zurich,  il  recommença  sa  vie  errante  à 
travers  l'Allemagne  et  la  Pologne,  et,  chassé  encore  de  ce  dernier  pays, 
ii  mourut  en  1564  à  Schlachau  en  Bohême.  —  3°  Mattheo  Gribaldo, 
Piémontais,  établi  près  de  Genève  sur  le  territoire  bernois.  Selon  lui 
l'unité  divine  du  Père  et  du  Fils  n'était  autre  chose  que  la  participa- 
tion à  la  même  nature  divine  abstraite,  comme  l'apostolat  commun 
de  Paul  et  d'Apollos,  disait-il,  forme  l'unité  de  ces  deux  personnes. 
Mort  en  prison  à  Berne  ,  en  1566.  —  4°  Jean- Paul  Alciati,  aussi 
piémontais,  réfugié  à  Genève,  enseigna  l'infériorité  du  Fils.  Gomme 
l'Eglise  italienne  semblait  incliner  vers  l'adoption  de  ces  idées  anti- 
trinitaires,  Calvin  provoqua  une  conférence  (1558),  où  la  question  fut 
publiquement  discutée,  et  qui  aboutit  à  la  rédaction  d'une  confession 
de  foi  orthodoxe  que  tous  les  membres  s'engagèrent  à  maintenir. 
Alciati  se  retira  d'abord  à  Zurich,  puis  en  Pologne.  Mort  à  Dantzig  en 
1565.  —  5°  Valentin  Gentélès,  de  Cosenza  en  Calabre,  avait  signé  cette 
confession  avec  répugnance  et  se  crut  forcé,  en  conscience,  de  spécifier 
ses  vraies  opinions.  Gentélès,  au  fond,  revenait  à  l'arianisme  ;  pour 
lui,  Dieu  le  Père  était  essentiator,  le  owtoôsoç,  Fils  essentiatus  et  Dieu  en 
sous-ordre  ;  puis,  il  niait  la  dualité  des  natures  dans  le  Fils  incarné  et 
voulait  que  le  Fils  se  fût  fait  chair  au  sens  absolu  de  ce  mot.  Menacé 
de  la  peine  du  feu,  Gentélès  prit  peur,  se  rétracta  et  fut  constitué  pri- 
sonnier sur  parole  dans  Genève  ;  mais  il  crut  pouvoir  enfreindre  cet 
engagement,  passa  par  Lyon,  Grenoble,  revint  en  Suisse,  où  il  fut 
arrêté  par  l'autorité  bernoise,  obtint  avec  peine  sa  mise  en  liberté, 
se  rendit  en  Pologne,  et  enfin  retourna  se  fixer  auprès  de  son  ami  Gri- 
baldo. C'est  là  qu'il  fut  repris  par  le  gouvernement  bernois.  Transporté 
à  Berne,  jugé  et  décapité  le  10  septembre  1556  comme  blasphémateur 
et  parjure.  —  6,J  Fr.  Stancaro,  de  Mantoue,  réfugié  aussi  en  Suisse, 
puis  après  une  vie  agitée  en  Pologne,  où  il  mourut  en  1574,  chercha 
surtout  à  écarter  de  l'essence  divine  tout  ce  qui,  dans  l'œuvre  de  la 
rédemption,  pouvait  en  compromettre  l'immutabilité.  Son  antitrini- 


ANTITRINITAIRES  38i 

tarisme  serésouten  fin  do  compte  dans  mi  nestorianisme  très-accentué. 
—  En  Pologne,  où  nous  voyons  les  antitrinitaires  chercher  si  souvent 
leur  refuge,  tout  un  parti  imbu  de  leurs  tendances  s'était  formé  à  la 
cour  et  dans  la  noblesse,  alors  et  pour  le  temps,  très-instruite.  Nous 
trouvons,  parmi  les  théologiens  antitrinitaires  de  ce  pays,  Pierre  Gone- 
sius  (Goniadzki),  pasteur  à  Wengrow,  dont  les  idées  ottrent  une  grande 
analogie  avec  celles  de  Servet  (voy.  plus  loin);  Grégoire  Pauli,  pasteur 
près  de  Gracovie  ;  Statorius  et  son  disciple  Remigius  Chelimki, etc.  Il 
s'ensuivit  un  schisme  parmi  les  protestants  polonais  qui  devint  défini- 
tif eu  156*5.  Les  antitrinitaires  se  divisèrent  eux-mêmes  en  partisans  et 
adversaires  de  la  préexistence  de  Jésus-Christ.  Franz  Davidis,  d'origine 
saxonne,  poussa  jusqu'au  bout  les  conséquences  des  prémisses  posées 
en  contestant  la  légitimité  de  l'adoration  du  Christ,  non  pas  comme 
l'ancienne  théologie  réformée  quatenus  mediator  ,  mais  quatenus 
homo  (1568).  L'histoire  de  l'antitrinitarisme  polonais  se  confond  de- 
puis lors  avec  celle  du  socinianisme,  dont  il  nous  reste  à  décrire  les 
doctrines.  Cependant  il  nous  faut  revenir  sur  nos  pas  pour  résumer 
avec  un  peu  plus  de  détail  l'histoire  de  Servet,  qui,  le  premier,  orga- 
nisa les  idées  antitrinitaires  en  un  système  complet,  et  qui  dut,  à  sa 
mort  sur  le  bûcher,  une  réputation  que  sa  théologie  obscure  et  em- 
brouillée  ne   lui  aurait  probablement  pas  procurée. 

IL  Michel  Servet  naquit  en  1509  ou  1511  à  Yillanueva  en  Aragon  (d'où 
le  nom  de  Villeneuve,  sous  lequel  il  se  fit  connaître  en  France),  étudia  le 
droit  à  Toulouse,  où  il  apprit  à  connaître  la  Bibleet  la  lut  avec  ardeur,  en 
compagnie  de  quelques  condisciples.  Il  parait  avoir  ensuite  voyagé  en 
Italie  et  en  Allemagne,  comme  attaché  à  la  suite  de  l'empereur  Charles- 
Quint  (il  règne  plus  d'une  variante  dans  ses  propres  déclarations  sur 
cette  partie  de  sa  vie).  En  1530,  on  le  voit  fixé  à  Bàle,  où  il  s'occupa 
de  théologie  et  surtout  de  spéculation  religieuse.  Déjà  ses  vues,  incon- 
ciliables avec  le  dogme  de  la  Trinité,  lui  attirèrent  les  remontrances 
d'OEcolampade,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de  publier  son  traité  intitulé  : 
De  Trinitatis  crroribus  libri  VII  (1531),  qui  causa  un  grand  scandale 
en  Allemagne  et  en  Suisse.  L'édition  fut  autant  que  possible  saisie  à 
Bàle  et  anéantie.  Lui-même  dut  se  rétracter  dans  l'ouvrage  qu'il  fit 
paraître  l'année  d'après,  Dialogorum  de  Trinitate  libri  IL  De  justifia 
regni  Christi  capitula  IV.  Mais  il  ne  condamna  son  premier  traité  que 
pro  forma,  comme  prématuré,  et,  quant  au  fond,  il  développa  bien 
plus  qu'il  ne  retira  ses  principales  thèses.  Sans  qu'on  en  puisse  claire- 
ment deviner  la  cause,  ce  second  écrit  eut  peu  de  retentissement.  Ser- 
ve! se  rendit  alors  à  Paris  sous  le  nom  de  Villeneuve,  s'adonna  à  la 
médecine,  aux  mathématiques  et  à  l'étude  du  néo-platonisme.  C'est  là 
qu'il  aurait  t'ait  la  connaissance  de  Calvin,  qui  aurait  dès  lors  conçu  de 
L'antipathie  contre  lui.  En  1534  il  passe  à  Orléans,  puis  va  se  fixera 
Lyon  où  il  exerce  la  profession  de  correcteur  d'épreuves  et  édite  quel- 
que travaux  scientifiques,  tels  que  la  Géographie  de  Ptolémée  revue  et 
annotée  d'après  Pirkeimer.  En  1537,  on  le  retrouve  à  Paris ,  ensei- 
gnant les  mathématiques,  s'occupanl  toujours  de  médecine,  publiant 
son  traité  des  sirops,  Siruporum  Ratio  (1537), el  joignant  à  des  divina- 


382  ANTITRINITAIBES 

lions  étonnantes  (celle  par  exemple  de  la  circula  lion  du  sang-,  comp. 
Christ.  Restù.,  p.  06  ss.),  des  superstitions  astrologiques,  partagées,  il 
est  vrai,  par  bien  d'autres  esprits  éminents  du  même  temps.  Mais  la 
Faculté  de  médecine  ,  irritée  par  le  ton  acerbe  de  sa  polémique,  le 
dénonça  au  Parlement.  Il  perdit  son  procès,  et,  en  1538,  il  quitta  Paris, 
non  toutefois  sans  y  avoir  acquis  le  diplôme  de  docteur.  Il  visita  alors 
plusieurs  localités  du  midi,  Avignon,  Charlieu,  séjourna  encore  quel- 
que temps  à  Lyon,  et  en  1540  se  rendit  à  Vienne  enDauphiné,  où  l'appelait 
l'un  de  ses  anciens  auditeurs  de  Paris,  l'archevêque  Palmier.  C'est  là 
qu'il  passa  douze  ans  de  tranquillité  matérielle,  médecin  recherché, 
favori  de  l'archevêque  et  du  clergé.  Néanmoins  il  continuait  ses  études 
érudites,  il  faisait  paraître  à  Lyon  une  édition  nouvelle  de  la  version 
latine  de  la  Bible,  de  Santés  Pagninus  (1542),  avec  quelques  notes  de 
lui  où  l'on  remarque  la  tendance  à  rapporter  à  des  événements  con- 
temporains des  prophètes,  les  prédictions  ordinairement  expliquées 
par  leur  rapport  avec  l'histoire  évangélique.  Il  correspondait  avec  Viret 
et  avec  Calvin,  et  leur  exposait  ses  idées.  Bientôt  Calvin  se -fâcha  et 
le  ton  avec  lequel  Servet  censurait  la  réforme  genevoise  n'était  pas  de 
nature  à  l'apaiser.  Dès  1546,  Calvin  le  considérait  comme  très-dange- 
reux pour  l'Eglise.  Servet  lui  offrait  de  venir  conférer  avec  lui  à  Ge- 
nève. Calvin  ne  voulait  pas  le  prendre  au  mot.  Si  venerit,  écrivait-il  à 
Farel,  modo  valeat  mea  autoritas,  vivurn  exire  nunquam  patiar.  Enfin 
il  se  décida  à  publier  sdiChî'istianismi  Restitutio  (1553)  avec  ces  initiales 
M.  S.  V.  (734  pages  in-8°).  Il  combat  le  dogme  de  la  Trinité  comme 
aboutissant  autrithéisme,  comme  constituant  un  «cerbère  tricéphale»; 
il  n'admet  qu'une  triplicité  de  révélation.  Dieu  est  la  substance  infinie 
de  toutes  choses  et  de  toutes  formes,  Substantif  pelagus  infinilum  om- 
nia  essentians...  ipsa  rerum  universitas,  en  lui-même  purement  incom- 
préhensible. Mais  il  a  voulu  se  révéler,  et  il  s'est  révélé  sous  trois 
modes,  la  parole,  le  Christ  et  Y  esprit.  La  parole  ou  le  Yerbe  est 
le  monde  idéal,  la  lumière  incréée,  omnium  imagines...  in  sapientia 
ipsa,  ut  in  archetypo  mundo  vere  lucentes...  In  luce  omnia  consistunt , 
l'homme  et  le  Christ  futur  y  compris.  Pour  que  ce  Christ  prévu,  pré- 
déterminé, apparût,  le  monde  et  son  histoire  étaient  nécessaires.  C'est 
ainsi  que  le  monde  a  été  fait  par  (per)  le  Christ  et  en  vue  de  sa  venue  en 
chair.  Mais  comme  de  toute  parole  provient  un  souffle,  de  même, 
du  Verbe  créateur  émane  Y  esprit  ,  l'âme  du  monde  ,  qui  anime 
aussi  les  hommes  et  fait  leur  respiration.  Cet  esprit  procédant 
par  des  productions  encore  imparfaites  (Adam  ,  la  loi  ,  les  pro- 
phètes ,  les  figures  de  l'ancienne  alliance),  a  trouvé  sa  parfaite 
expression  en  l'homme  Jésus,  dans  la  naissance  duquel  la  subs- 
tance du  Verbe  ou  de  la  Lumière  incréée  a  tenu  lieu  de  la  semence 
paternelle.  Les  vrais  éléments  supérieurs,  le  feu,  l'air  et  l'eau  (selon 
une  théorie  de  la  génération  particulière  à  Servet),  se  sont  unis  à  la 
matière  terrestre  dans  le  sein  d'une  Vierge  ;  d'où  suit  que  la  nature 
corporelle  du  Christ  est  aussi  divine  que  son  âme.  Caro  ipsa  Christi, 
qualis  erat  in  sepulcro,  formam substentialem habuit  divinam...  Habet  caro 
illa  in  se  substantiam  vere  divinam  de  cœlo.  Grâce  à  cette  incarnation  ou 


ANTITRINITAIRES  383 

plutôt  à  cette  sarcogenhe,  l'esprit,  troisième  mode  révélateur  de  Dieu, 
sYs!  trouvé  pour  ainsi  dire  affranchi  de  tout  ce  qui  le  limitait  et  l'obs- 
curcissait. Il  nous  vient  du  Christ,  délivré  depuis  la  résurrection  de 
tout  ce  <|iii  pouvait  encore, même  en  Jésus  vivant  de  la  chair  terrestre, 
troubler  sa  pensée.  Spiritus  sanctus  est  ipse  oris  Christi  halitus.  Il  im- 
plante  dans    L'homme    la    nature  divine  et  la  vraie  immortalité.  Au 
chapitre  de  la  sotériologie,  Servet  est  beaucoup  moins  spéculatif  et  ori- 
ginal. Il  reste  dans  le  vague  OU  bien  il  émet  des   théories  arbitraires, 
celle  par  exemple  d'après  laquelle  le  péché  mortel  n'est   imputable 
qu'après  l'âge  de  vingt  ans.  Il  se  prononce  fortement  contre  le  bap- 
têrae  des  enfants,  detestanda  abominatio .  On  ne  doit  recevoir  le  baptême 
qu'à  trente  ans,  à  l'exemple  de  Jésus.  Les  bonnes  œuvres,  le  jeûne,  la 
prière,  l'aumône,  la  confession  volontaire  procurent  un  degré   supé- 
rieur de  sainteté,  épargnent  ou  adoucissent  les  feux  du  purgatoire  (que 
Servet  voulait  maintenir).  Ce  livre  fit  scandale.  Un  gentilhomme  fran- 
çais, réfugié  à  Genève,  Guillaume  de  Trie,  se  défendit  contre  les  re- 
proches d'un  sien  parent  de  Lyon,  demeuré  catholique,  en  déclarant 
qu'on  ne  souffrirait  pas  à  Genève  des  écrits  blasphématoires,  comme 
celui  qu'un  certain  Villeneuve  ou  Servet  avait  publié  à  Vienne,  en  terre 
épiscopale.  Cela  prouve  qu'à  Genève,  on  avait  reconnu  l'auteur,  mal- 
gré  ses  précautions.  On  procéda  contre  Servet,  il  y  eut  visite  domici- 
liaire et  comme  on  ne  trouvait  pas  de  preuves  formelles,  de  Trie  ob- 
tint, non  sans  peine,  de  Calvin,  communication  de  vingt-quatre  lettres 
<!<■  Servet  et  de  quelques  autres  pièces  accusatrices.  Servet  fut  déféré  à 
l'inquisition  de  Lyon   et  ne   dut  qu'à   de  puissantes  protections   et 
à  l'argent  de  pouvoir  s'échapper  de  sa  prison.  Son  procès  n'en  fut  pas 
moins  continué,  et  le  17  juin  1553  il  fut  condamné  au  supplice  du  feu. 
Il  fut  en  effet  brûlé  en  effigie  à  Lyon  par  la  justice  inquisitoriale.  Servet 
voulut  se  rendre  alors  en  Italie,  à  Naples,  où  il  comptait  exercer  la 
médecine.  Pour  cela,  il  se  rendit  à  Genève,  où  il  commit  l'inconcevable 
imprudence  de  rester  tout  un  mois  dans  une  auberge.  Mais  à  la  lin,  il 
fut  reconnu,  dénoncé,  et  Calvin  le   lit  arrêter.  L'acte   d'accusation, 
rédigé  par  Calvin,  contenait  trente-huit  articles  concernant  ses  antécé- 
dents et  ses  doctrines.  Sa  contenance  fut  hardie  et  il  trouva  un  appui 
dans  Philippe  Berthelier,  chef  du  parti  libertin  (voy.  ce  mot)  de  Ge- 
nève. Calvin  crut  alors  qu'il  devait  intervenir  dans  le  procès.  L'atti- 
tude de  Servet  n'en  devint  que  plus  audacieuse.  Il  se  modéra  toutefois 
en  voyant  que  son  affaire  prenait  une  mauvaise  tournure.  On   lui   ac- 
corda  une  discussion  avec  Calvin  devant  le  Conseil;   mais   là,  Servet 
changea  -on  système  de  défense,  contesta  la  compétence  du  tribunal 
et  de  I  Eglise  de  Genève  et  en  appela  au  jugement   d'autres   Eglises. 
Toutefois,  il  demanda  avec  instance  qu'où  ne  le  livrât  pas  à  la  justice 
inquisitoriale  de  Valence,  qui  réclamait  son  extradition.  Le  duel  entre 
lui  et  Calvin  reprit  sa  première  animosité.  Le  parti  libertin,  hostile  à 
Calvin.  -  agitait  en  sa  laveur,  et  Servet,  dans  ses  remont rances,  accu- 
sai! violemment   son   redoutable  adversaire,  qui,  de  son  rôle,    ne    le 
ménageai!  pas,  allait  jusqu'à  exprimer  l»>  vœu  que  Calvin  fût  banni  de, 
Genève  et  qu'on  prît  sur  son  avoir  do  quoi  l'indemniser,  lui  Servet,  de 


384  ANTITRINITAIRES 

tout  ce  qu'il  avait  perdu.  En  octobre,  arrivèrent  les  préavis  des- 
Eglises  suisses,  tous  défavorables  à  Servet.  Celui  de  Berne,  surtout, 
poussait  aux  mesures  de  rigueur.  Après  délibération,  Calvin  et  ses  col- 
lègues se  prononcèrent  pour  la  peine  de  mort,  mais  en  émettant  le  vœu 
que  la  supplice  du  feu  lui  fût  épargné,  en  tant  qu'aggravation  cruelle 
et  inutile.  Les  efforts  tentés  par  le  syndic  Perrin,  adversaire  de  Calvin, 
en  faveur  du  malheureux  Espagnol  furent  vains,  et,  conformément  à  la 
loi  impériale,  il  fut  condamné  à  mourir  sur  le  bûcher.  Bien  qu'accablé 
et  demandant  grâce,  bien  que  visité  par  Farel  et  Calvin  sur  sa  demande, 
il  persista  dans  ses  convictions,  et  le  27  octobre  1553  il  subit  son  ter- 
rible supplice,  peut-être  le  plus  funeste  des  démentis  que  la  Réforme 
se  soit  infligés  à  elle-même.  Avec  lui  mourut  sa  doctrine  en  tant  que 
dogmatique  organisée  et  systématisée.  Ce  mélange  de  vues  spéculatives, 
panthéistes,  matérialistes,  critiques  et  catholiques  ne  pouvait  gagner 
beaucoup  d'adhérents;  à  peine  trouve-t-on  parmi  les  antitrinitaires  de 
marque  un  ou  deux  partisans  des  idées  de  Servet.  Mais  sa  critique  né- 
gative du  dogme  trinitaire  devait  se  retrouver  bientôt,  dégagée  de  son 
entourage  métaphysique,  sous  la  plume  de  théologiens  de  sens  plus 
rassis  et  plus  sobre.  Nous  voulons  parler  des  Sociniens. 

III.  Les  Sociniens.  Lelio  Socini  ou  Socin  naquit  à  Sienne,  en  1525, 
d'une  famille  de  juristes.  Il  quitta  l'Italie  en  1547,  déjà  gagné  aux  idées 
protestantes,  voyagea  beaucoup,  se  lia  avec  Melanchthon  et  se  iixa  défi- 
nitivement à  Zurich.  Erudit,  très-curieux  de  vérité  religieuse  et  d'un 
tour  d'esprit  plus  critique  et  rationaliste  que  mystique,  il  correspondait 
avec  beaucoup  de  théologiens  renommés,  entre  autres  avec  Calvin,  et 
leur  exposait  ses  cloutes  sur  certains  points  de  doctrine,  tels  que  la 
résurrection  de  la  chair,  la  prédestination,  la  personnalité  du  Saint- 
Esprit  et  la  divinité  du  Christ.  Calvin  finit  par  s'irriter  de  ces  hardies- 
ses; Bullinger  l'exhorta  à  plus  de  réserve.  Son  caractère,  très-doux  et 
très-estimé,  ses  vertus  privées  le  protégèrent  contre  l'intolérance  théo- 
logique. Lui-même,  d'ailleurs,  avait  peu  de  goût  pour  les  grands  éclats. 
Des  malheurs  domestiques,  les  persécutions  dont  sa  famille  fut  victime 
en  Italie,  la  confiscation  de  ses  biens  patrimoniaux  ordonnée  par  l'In- 
quisition assombrirent  la  fin  de  sa  vie,  qui  se  termina  prématurément 
en  1562.  Mais  il  put  laisser  à  son  neveu,  Fauste  Socin,  ses  manuscrits 
où  il  avait  accumulé  ses  notes  érudites  et  tâché  de  systématiser  ses  idées. 
Fauste  Socin,  né  à  Sienne  en  1539,  allié  par  sa  mère  aux  Piccolomini, 
se  voua  comme  son  oncle  à  l'étude  du  droit,  puis  à  la  théologie.  En 
1559,  la  persécution  l'envoya  à  Lyon,  où  il  séjourna  trois  ans,  puis  à 
Zurich.  Il  correspondait  depuis  plusieurs  années  avec  son  oncle,  qui 
voyait  en  lui  un  successeur  capable  de  répandre  ses  idées  avec  succès. 
Il  s'imprégnait  encore  plus  de  ses  idées  en  lisant  ses  manuscrits.  Tou- 
tefois, de  1562  à  1574,  il  resta  à  la  cour  de  François  de  Médicis  dans  les 
charges  et  les  honneurs,  jusqu'à  ce  que,  ne  pouvant  supporter  plus  long- 
temps cette  existence  incompatible  avec  ses  études  favorites  et  ses  con- 
victions, il  allât  se  fixer  à  Bàle,  où  il  vécut  obscurément,  tout  occupé 
d'élaborer  son  système  de  doctrines.  C'est  alors  (1578)  qu'il  reçut  du 
médecin  Blandrata  (George  Biandrata,  né  à  Saluées  1515.  médecin  de 


ANTITRINITAIRE»  385 

la  cour  de  Pologne  sous  Sigismond  Fr,  puis  de  la  veuve  du  prince  de 
Transylvanie,  Jean  Zapolya;  il  était  ensuite  retourné  à  Genève,  avait 
pris  part  au  mouvement  antitrinitaire  qui  se  termina  par  le  départd'Al- 
ciati,  s'était  enfui  avec  ce  dernier,  et,  après  avoir  joué  un  rôle  important 
parmi  les  antitrinitaires  de  Pologne,  était  revenu  en  Transylvanie  en 
qualité   de  médecin  du   prince  Jean   Sigismond,   1563),   l'invitation 
de  le  rejoindre  pour  combattre  les  vues  plus  radicales  de  Dàvidis  (voir 
plus  haut).  En  1579,  il  quitta  la  Transylvanie  et  se  rendit  en  Pologne, 
où  son  oncle  avait  séjourné  deux  fois  et  laissé  une  excellente  réputa- 
tion. 11  ne  tarda  pas  à  y  devenir  le  chef  du  parti  antitrinitaire  et,  jusqu'à 
sa  mort  (iliOi),  il  travailla  à  l'organisation  de  ce  parti  en  Eglise  consti- 
tuée. Il  contribua,  par  son  influence  et  ses  écrits,  à  la  dégager  des 
excentricités  anabaptistes  qui  s'y  étaient  glissées.  Plus  d'une  fois  il  dut 
supporter  les  mauvais  traitements  des  catholiques  fanatisés.  En  1594, 
des  militaires,  en  1598,  malgré  son  état  de  maladie,  des  étudiants  de  Cra- 
covie  usèrent  contre  lui  d'une  odieuse  brutalité.  Ses  papiers  et  ses  livres 
furent  brûlés  sur  la  place  publique.  Il  persévéra  toutefois  jusqu'à  sa  fin 
et  put  même  en  mourant  se  féliciter  d'avoir  fondé  Y  Eglise  des  freines 
polonais,  plus  connue  sous  le  nom  d'Eglise  socinienne  de  Pologne.  Ses 
écrits  forment  les  deux  premières  sources  de  la  Bibliotheca  Fratrum 
Pohnhrum}  Amsterdam,  1056,  8  tomes.  En  mourant,  il  laissa  inachevé 
le   catéchisme  de    Rakow  ou  Catéchisme  socinien  qui  fut  terminé  par 
quelques  uns  de  ses  disciples  (1605  en  polonais,  1608  en  allemand, 
1609  en  latin,  éditions  latines  plus  récentes  de  1665,  1680,  1684)  et 
qui  passe  pour  le  résumé  officiel  de  la  doctrine  socinienne.  —  Quand  F. 
Socin  mourut,  il  y  avait  en  Pologne  un  nombre  considérable  de  com- 
munautés sociniennes,  composées  surtout  de  membres  de  la  noblesse. 
Rakow  était  leur  centre   universitaire  et  comptait   les   étudiants   par 
milliers.  Parmilessocinienséminentsdesseixièmeet  dix-septième  siècles 
nous  devons  citer  Valentin  Schmalz,  de  Gotha,  mort  en  1622  ;  J.  Vœl- 
kel,  longtemps  secrétaire  de  Socin,  mort  en  1618;  Christophe  Ostorodl, 
mort  en  1611;  surtout  et  au  premier  rang,  Jean  Crell  (Grellius)  né  en 
1590,  à  Helmerschein,  en  Franconie,  professeur  à  Rakow  depuis  1613, 
puis  pasteur  au  même  lieu  de  1621  à  1631,  année  de  sa  mort,  il  a 
beaucoup  écrit.  Ses  œuvres  forment  les  tomes  III  et  IV  de  la  Biblioth. 
Emir.  Polon:.Oii  peut  encore  citer  Jonas  Schlichting  de  Bukovitz  (1592- 
1616  i,  auteur  de  commentaires  sur  le  Nouveau  Testament,  André  Wis- 
sowath,  descendant  desSociusducôté  maternel  (1608-1678),  SamaclCrell, 
petit-fils  de  Jean,  mort  en  1747  à  Amsterdam,  Daniel  Zwicher,  auteur 
de  VIremcum  frenteorum,  recherche  des   conditions  de  la  paix  entre 
toute»  Les  confessions  chrétiennes,  qui  lit  grand  bruit,  mort  à  Amster- 
dam en  li>7S,  etc.  En  général,  on  peut  dire  que  le  socinianisme  compta 
peu  d'hommes  supérieurs  par  l'éclat  du   talent  et  de  la  renommée, 
mais  en  revanche  un  très-grand  nombre  de  partisans  érudits,  de  mérite 
réel,  bien  qu'obscur.  Ce  fut  une  théologie  bourgeoise  et  dont  l'action 
fut  bien  plus  sensible  connue  ferment  gagnant  invisiblement  beaucoup 
de  théologiens  et  de  pasteurs  dans  Les  grandes  Eglises  constituées  que 
sous  la  forme  d'Eglise  distincte.  Au  dix-septième  siècle, les  dépositions 


386  ANTITRINITAIRES 

de  pasteurs  et  de  professeurs  sous  l'inculpation  de  socinianisme  sont 
fréquentes,  et  elles  sont  loin  d'avoir  atteint  tous  ceux  dont  les  opinions 
auraient  pu  motiver  ces  mesures  rigoureuses.  En  Pologne,  le  socinianisme, 
quelque  temps  si  florissant,  succomba  sous  la  réaction  inaugurée  par 
Sigismond  III,  le  roi  jésuite.  La  populace,  fanatisée  par  les  excitations 
des  disciples  de  Loyola,  démolit  à  Lublin  et  à  Rakow,  les  temples  socl- 
niens  (1627).  Un  crucifix  lapidé  par  quelques  étourdis  de  Rakow  servit 
de  prétexte,  bien  qu'ils  eussent  été  punis  et  chassés  de  l'université,  à 
une  série  de  manœuvres  qui  aboutit  à  la  suppression  de  cette  célèbre 
école  (1638).  Les  sociniens  furent  exclus  du  bénéfice  de  «  l'Acte  de 
tolérance»,  Tune  des  bases  de  l'Etat  polonais,  par  la  raison  qu'ils 
étaient,  non  en  dedans,  mais  en  dehors  de  la  religion.  Ils  furent  exclus 
aussi  de  la  conférence  religieuse  de  Thorn  en  1646,  et  sous  Jean  Casimir 
(roi  depuis  1648)  le  socinianisme  fut  mis  au  ban  de  l'Etat.  Les  éclits 
de  1658  et  de  1661  renforcèrent  encore  les  mesures  prises  contre  ses 
partisans,  et  ceux  qui  ne  voulurent  pas  se  soumettre  durent  s'expatrier. 
Ce  fut  ensuite  le  tour  des  autres  protestants  polonais.  En  Allemagne,  il 
y  eut ,  particulièrement  à  Altorf ,  plusieurs  mouvements  sociniens  et, 
avec  la  permission  de  l'électeur  Charles-Louis,  une  Eglise  socinienne 
s'organisa  à  Mannheim.  Mais  bientôt  le  prosélytisme  des  sociniens 
parut  dangereux,  le  droit  d'établissement  leur  fut  retiré  en  1666,  et 
et  ils  durent  se  disperser.  Quelques  communautés  sociniennes  s'orga- 
nisèrent ensuite  sous  la  tolérance  du  gouvernement  de  Brandebourg 
dans  quelques  localités  peu  connues,  Lyck,  Rhein,.Iohannisbourg,  mais 
.n'y  purent  mener  qu'une  existence  précaire,  et  elles  s'éteignirent  peu 
à  peu,  d'autant  plus  facilement  que  les  transformations  intérieures  des 
Eglises  protestantes  rendirent  de  plus  en  plus  leur  schisme  inutile.  Il 
en  fut  de  même  dans  les  Pays-Bas  où ,  malgré  les  édits  rendus  à  plu- 
sieurs reprises  contre  la  propagation  des  écrits  sociniens,  les  idées 
sociniennes  se  répandirent  beaucoup,  se  rattachant  souvent  à  l'armi- 
nianisme  et  au  baptisme,  mais  sans  former  une  communion  distincte. 
Il  pénétra  aussi  en  Angleterre  et  en  Amérique  où  il  prépara  les  voies 
aux  Eglises  qui  se  formèrent  dans  ces  deux  contrées  sous  le  nom 
d'Unitaires.  En  général  on  peut  dire  que  l'ancien  socinianisme  a  sombré, 
en  tant  que  système  suigeneris,  sous  les  évolutions  modernes  de  la  pensée 
religieuse,  mais  que  beaucoup  de  ses  idées  et  de  ses  critiques  se  retrouvent 
de  nos  jours  dans  l' Unitarisme  anglo-américain  etdaus  les  vues  communes 
à  la  tendance  connue  sous  le  nom  de  protestantisme  libéral.  Il  faut  toutefois 
faire  exception  pour  ce  qui  concerne  la  Transylvanie  où  le  socinianisme 
dut  à  l'influence  deBlandradade  pouvoir  s'organiser  paisiblement  (depuis 
1571)  et  où,  bien  que  diminué  en  nombre,  comme  tout  le  protestan- 
tisme hongrois  à  la  suite  des  persécutions  terribles  dirigées  par  les 
jésuites  et  soutenues  par  l'intolérance  des  Habsbourg,  supprimé  sous 
Charles  YI,  reconstitué  sous  Joseph  II  (1782),  il  compte  encore  50,000 
adhérents,  organisés  par  consistoires  sous  la  surintendance  d'un  évêque. 
Leur  centre  le  plus  important  est  à  Clausenbourg,  et  ils  sont  en  relations 
suivies  avec  les  unitaires  d'Angleterre  et  d'Amérique.  —Pour  apprécier 
utilement  le  socinianisme ,  il  faut  le  comprendre  au  point  de  vue  de 


ANTITRIXITAIRES  ;i87 

son  temps.   C'est  en  deux  mots  on  rationalisme  supranaturaliste.  il 

cherche  surtout  à  ramener  les  doctrines  chrétiennes  à  des  conceptions 
conformes  aux  exigences  de  la  raison ,  mais  en  même  temps,  il  croit  à  une 
révélation  surnaturelle  contenue  dans  la  Bible,  étayée  sur  le  miracle  et 
L'inspiration  divine  des  livres  saints,  et  par  conséquent  il  s'ingénie  à  inter- 
préter l'Ecriture  sainte  de  manière  que  ses  enseignements  soient  tou- 
jours et  en  tout  d'accord  avec  la  raison.  Or,  cette  raison  n'étant  autre 
que  la  raison  socinienne,  il  en  résulte  nécessairement  un  grand  arbi- 
traire dans  son  exégèse,  qui  pourtant  surplus  d'un  point  a  devancé  les 
résultats  de  la  critique  moderne.  D'après  le  socinianisme ,  la  religion 
chrétienne  est  la  voie  révélée  par  Dieu  pour  obtenir  le  salut.  Jésus  est 
le  révélateur,  parce  qu'il  a  prouvé  son  autorité  par  ses  miracles,  et 
qu'il  a  pu  nous  révéler  la  vie  éternelle  ainsi  que  la  rémunération  qui 
nous  attend  ;  d'autre  part,  il  a  aboli  les  préceptes  et  .cérémonies  du 
mosaïsme,  conservé  et  complété  les  lois  morales.  L'homme  par  lui- 
même  n'a  aucune  connaissance  de  Dieu,  il  ne  peut  l'obtenir  que  par 
révélation  extérieure.  C'est  la  Bible  et  à  proprement  parler  le  Nouveau 
Testament  qui  la  lui  fournit  (l'Ancien  n'a  guère  de  valeur  qu'au  point 
de  vue  historique,  et  est  subordonné  au  Nouveau).  Les  livres  qui  le 
composent  ont  été  écrits  par  des  hommes  divino  spiritu  impulsi  eoque 
dictante,  du  moins  quant  aux  doctrines.  La  raison  est  l'organe  par  le- 
quel nous  devons  en  démêler  le  vrai  sens,  puisqu'elle  nousaété  donnée 
pour  discerner  le  vrai  du  faux  et  que  le  sens  réel  de  l'enseignement 
révélé  ne  peut  lui  être  contraire.  Par  conséquent,  tous  les  dogmes  con- 
traires à  la  raison  doivent  d'avance  être  considérés  comme  non-scrip- 
turaires.  Dieu  s'est  révélé  dans  son  unité,  sa  justice,  sa  sagesse  et  sa 
puissance.  11  sait  tout  ce  qui  peut  être  su  (omnia  scibilia) ,  et,  par  consé- 
quent, il  ignore  les  actes  procédant  du  libre  arbitre  humain  jusqu'au 
moment  où  ils  sont  accomplis;  mais  dans  sa  sagesse  et  sa  toute-puis- 
sance il  maintient  sa  volonté,  réalise  son  plan  de  justice,  châtie  la 
transgression  et  n'en  reste  pas  moins  le  Maître  souverain.  Sa  justice  et 
sa  bonté  ne  sont  jamais  en  conflit.  C'est  aussi  bien  par  miséricorde  que 
par  justice  qu'il  punit  et  récompense.  La  doctrine  de  la  Trinité  est 
contraire  à  la  raison  :  1°  parce  qu'elle  enseigne  l'existence  de  trois  per- 
sonnes divines  sans  pouvoir  rétablir  d'une  manière  acceptable  l'unité  de 
Dieu  qu'elle  nie,  et  que,  dans  les  vains  efforts  de  la  théologie  tradition- 
nelle pour  échapper  à  cette  conséquence,  elle  tombe  fatalement  ou  dans  le 
trithéisme  ou  dans  le  modalisme  (réduction  des  personnes  divines  àde 
simples modi  existendi);  2°  parce  qu'en  attribuant  à  chaque  personne  di- 
vine des  propriétés  distinctes,  elle  introduit  l'imperfection  dans  la  nature 
divine,  puisque  les  propriétés  distinctes  de  l'une  manquent  aux 
deux  autres;  3°  parce  que  l'idée  génération  est  inapplicable  à  l'Être 
divin  et  suppose  la  profonde  subordination  de  l'être  engendré  qui  ne 
tire  pas  son  existence  de  lui-même;  i°parce  qu'au  chapitre  de  L'incar- 
nation du  Fils,  vrai  homme  et  vrai  Dieu,  elle  aboutit  à  stipuler  l'exis- 
tence  d'une  seule  personne  ayant  deux  natures,  personnelles  toutes  les 
deux,  de  sorte  que  le  Christ  est  à  la  fois  infini  <;t  fini,  parfait  et  impar- 
fait, impassible  et  souffrant,  impeccable  el  tenté,  prié   et   priant,  etc* 


388  ANTITRIMTAIRES 

Cette  doctrine  n'est  pas  moins  contraire  à  l'Écriture,  qui  insiste  par- 
tout sur  l'unité  rigoureuse  de  Dieu.  Les  trois  termes  de  la  trilogie 
chrétienne,  Père,  Fils,  Saint-Esprit,  correspondent  à  trois  éléments 
essentiels  de  la  dispensation  chrétienne,  niais  non  à  la  métaphysique 
trinitaire.  Le  passage  des  trois  témoins  (I  Jean  V,  7)  n'est  pas  authen- 
tique, et  quand  il  est  dit  que  le  Père  et  le  Fils  sontim,  cette  expression 
ne  doit  s'entendre  que  de  leur  accord  en  volonté,  en  intention  et  en 
action.  De  même,  les  passages  du  quatrième  Evangile  et  des  épitres,  qui 
semblent  attribuer  au  Fils  l'œuvre  de  la  création,  impliquent  simple- 
ment qu'il  est  l'auteur  de  la  dispensation  chrétienne  et  de  l'ordre  de 
choses  qu'elle  inaugure.  Du  reste,  plusieurs  sociniens  inclinèrent  à 
admettre  l'existence  d'une  matière  informe,  préexistant  à  la  création, 
parce  que  l'idée  d'une  création  de  nihilo  leur  paraissait  contradictoire. 
L'homme  a  été  créé  à  l'image  de  Dieu,  c'est-à-dire  souverain  des  créa- 
tures antérieures  à  lui  en  vertu  de  son  esprit  et  de  sa  raison.  Il  est 
mortel  de  nature;  l'immortalité  est  un  don  qui  lui  est  communiqué  du 
dehors  {l'arbre  de  vie).  Il  naquit  ignorant  et  innocent,  non  parfait 
comme  le  prétend  le  dogme  traditionnel  des  origines.  La  justice  est 
une  perfectio  voluntaria,  non  naturalis.  Il  pécha  librement,  parce  qu'il 
était  ignorant  et  plus  sensuel  que  raisonnable  (le  socinianisme  ne  paraît 
pas  s'être  aperçu  qu'il  revenait  ainsi  au  déterminisme  qu'il  combattait 
si  vivement).  Mais  cette  première  faute  n'a  enlevé  à  Adam  et  à  sa  pos- 
térité ni  la  liberté  de  choix  ni  l'imputation  purement  individuelle  des 
transgressions  ultérieures.  L'imputation  du  premier  péché  à  ceux  qui 
ne  l'ont  pas  commis  est  contraire  à  la  raison,  à  la  justice  divine  et  à 
l'Ecriture  bien  interprétée.  Toutefois,  l'homme  privé  des  fruits  de 
l'arbre  de  vie  retomba  dans  sa  mortalité  naturelle,  et  la  mauvaise  habi- 
tude du  péché  engendra  une  dépravation  qui  devint  héréditaire.  Le 
Christ  a  reçu  de  Dieu  le  pouvoir  de  nous  donner  autant  et  plus  que  ce 
que  le  péché  nous  fait  perdre.  Il  est  en  lui-même  punis  homo,  mais 
au-dessus  de  tous  les  autres  hommes  par  les  qualités  superéminentes 
dont  il  est  en  possession.  C'est  en  ce  sens  qu'il  est  Fils  unique,  Parole 
ou  plus  précisément  porteur  de  la  parole  de  Dieu.  Avant  de  commen- 
cer son  ministère  de  salut,  il  a  été  transporté  miraculeusement  au  ciel 
(Jean  III,  13,  31  et  passages  analogues)  pour  recevoir  la  communica- 
tion de  la  vérité  éternelle.  Enfant  du  miracle,  né  d'une  vierge  (sur  ce 
point,  toutefois,  il  y  eut  dissidence  dans  l'école  socinienne,  dont  une 
partie  rejeta  la  naissance  miraculeuse  et  révoqua  en  doute  l'authenti- 
cité de  Matth.  I  et  II),  il  s'éleva  par  sa  complète  obéissance  jusqu'à  la 
sainteté  parfaite  et  à  la  ressemblance  avec  Dieu.  C'est  pourquoi  Dieu 
lui  soumit  toutes  choses;  il  a  reçu  plein  pouvoir  sur  la  création,  et, 
en  ce  sens,  il  a  droit  aux  honneurs  divins  (sur  ce  point  encore  les  soci- 
niens les  plus  décidés,  à  l'exemple  deDavidis,  se  séparèrent  de  Socin), 
mais  toujours  in  Dei patins  gloriam.  Il  a  donc  réalisé  la  volonté  de 
Dieu,  qui  était  que  l'immortalité  nous  fût  accordée  et  que  ses  condi- 
tions nous  fussent  enseignées.  Par  là,  il  est  notre  sauveur.  Il  nous  a 
révélé  cette  vérité  divine  et  nous  communique  ce  don  précieux  du  ciel 
où  il  règne  depuis  son  ascension.  Ses  commandements  nous  indiquent 


AXT1TRINITAIRES  —  ANTOINE  389 

la  voie  à  suivre  pour  l'obtenir;  ses  promesses  nous  fournissent  le 
mobile  qui  doit  nous  exciter  à  les  remplir.  Il  n'a  ordonné  qu'un  rite, 
la  Sainte-Cène,  simple  mémorial  de  sa  mort.  Le  baptême  des  enfants, 
en  tant  que  vieille  coutume,  D'est  pas  absolument  condamnable,  mais 
il  n'a  ni  efficacité  ni  Légitimité  scripturaire.  La  mort  de  Jésus  est,  avec 
sa  sainteté  et  ses  miracles,  la  preuve  de  la  vérité  de  sa  doctrine.  Elle 
agit  sur  nous  comme  exemple  et  lui  confère  le  droit  d'exiger  de  nous 
la  même  soumission  dans  l'épreuve.  Elle  était,  d'ailleurs,  indispensa- 
ble à  sa  résurrection,  qui  nous  a  démontré  la  réalité  de  la  vie  future  et 
qui  est  ainsi  caput et  tanquam  fundamentum  totius  fidei  et  salutis  nostrœ. 
Par  conséquent,  le  socinianisme  rejette  l'idée  de  la  mort  du  Christ 
comme  opérant  un  changement  dans  les  dispositions  divines  et  conci- 
liant en  Dieu  la  justice  et  l'amour  ;  il  trouve  cette  idée  irrationnelle, 
antibiblique  et  dangereuse.  La  mort  du  Christ  est  de  sa  part  Un  acte 
de  dévouement  nécessaire  à  notre  salut  (dans  le  sens  précité)  ;  c'est 
pourquoi  le  Nouveau  Testament  lui  reconnaît  une  si  haute  importance. 
Le  corps  actuel  n'est  pas  destiné  à  la  vie  future.  Nous  recevrons  des 
corps  spirituels  (I  Cor.  XV)  dans  lesquels  nous  jouirons  de  la  vie  éter- 
nelle. Les  impies  et  les  méchants  seront,  au  contraire,  la  proie  de  la  des- 
truction et  du  néant.  Conformément  à  l'ensemble  du  système,  le  Saint- 
Esprit  n'est  pas  une  personne  divine,  mais  l'influence  par  laquelle  Dieu 
éclaire  et  soutient  les  hommes  disposés  à  l'obéissance  en  scellant  en 
eux  l'assurance  de  sa  fidélité,  de  sa  puissance  et  de  son  amour. 
Nous  nous  abstenons  de  tout  commentaire  sur  ce  système  à  la  fois  si 
original  et  si  prosaïque,  si  rationaliste  et  si  peu  philosophique,  si  hardi 
et  si  mesquin,  mais  où  se  trouvent  les  germes  de  tant  d'idées  et  de 
critiques  devenues  depuis  aussi  puissantes  que  largement  répandues.  — 
Sources  :  outre  la  Bibhotheca  Fratrum  Polonorum  et  le  Catéchisme  déjà 
mentionnés,  il  faut  citer  Fock,  Der  Socinianismus  nach  seinem  histo- 
rischen  Verlauf  und  nach  seinem  Lehrbcg ri ff,  Kiel,  1847;  F.  Trechsel, 
Die  protestant.  Antitrinitarier  vor  F.  Socius,  Heidelberg,  1839  et  1844: 
A.  Réville,  Histoire  du  dogme  de  la  Divinité  de  J.-C,  2e  édition,  p.  138 
ss.j  1876;  les  chapitres  correspondants  des  histoires  du  dogme  ou 
de  l'Eglise  dans  Gieseler,  Hase,  Hagenbach,  Baur,  Dreieinig keit  und 
Menschwerdung  Gottes,  vol.  III,  46-183,  1843;  Geschichte  der  christl. 
Kirche,  vol.  IV,  449-463,  1863;  Bayle,  Dictionnaire,  I,  art.  Blandrata. 
—  Sur  Servet,  Dorner,  Entwickelungsgesch.  der  Lehre  v.  d.  Person 
Christ i,  vol.  II.  p.  649  ss.;  Trechsel,  M.  Servet  und  seine  Vorgxnger, 
Heidelberg,  1839;  Killet,  Relation  du  procès  criminel  intenté  à  Genève 
en  1553  contre  M.  Servet  d'après  les  documents  originaux,  Genève,  1844; 
Dictionnaire  «le  Chauffepié;  E.  Saisset,  Rev.  des  D.  Mondes,  1848. 

A.   RÉVILLK. 

ANTITYPE.  Voyez  Type. 

ANTOINE  (Saint)  uaquit  au  village  de  Coma,  sur  les  confins  de  la 
Thébaïde.  Vers  ^70  il  entendit  dans  une  église  la  lecture  de  la  péricope 
du  jeune  homme  riche,  auquel  Jésus-Christ  dit  de  vendre  ce  qu'il  pos- 
sède et  de  le  suivre  (Luc  XYI1I,  22).  Prenant  cette  parole  à  la  lettre. 
Antoine,  qui  était  jeune  <'l  riche,  vendit  ses  biens  et  en  distribua  I''  pro- 


390  ANTOINE 

duit  aux  pauvres*  en  n'en  gardant  qu'une  faible  part  pour  son  entretien 
et  pour  celui  desa  sœur.  Quelque  temps  après  il  entendit,  pendant  le  culte, 
cette  autre  parole  du  Seigneur:  Ne  soyez  point  en  souci  pour  le  lende- 
main (Matth.  VI,  34)  ;  aussitôt  il  se  dépouilla  de  cequ'il  s'était  réservé  et 
se  retira  loin  de  son  village,  pour  vivre  du  travail  de  ses  mains.  Bientôt 
il  chercha  une  solitude  plus  profonde  encore.  Séparé  du  monde,  se 
faisant  une  fausse  idée  du  renoncement  chrétien,  voulant  étouffer  en 
son  cœur  les  sentiments  même  les  plus  légitimes,  il  fut  en  butte  à  des 
tentations  cle  toute  sorte;  il  était  tourmenté  par  des  visions  tour  à  tour 
séduisantes  ou  effrayantes;  pour  s'en  défaire  il  s'imposait  les  privations 
les  plus  dures.  Dans  sa  biographie,  écrite  par  Athanase,  ces  luttes  sont 
représentées  sous  des  formes  fantastiques,  exagérées  encore  par  la 
légende  postérieure.  En  311  il  vint  à  Alexandrie,  pour  encourager  les 
chrétiens  lors  de  la  persécution  sous  Maximin  ;  le  préfet  lui  ordonna  de 
quitter  la  ville.  Beaucoup  de  gens,  enthousiasmés  par  son  exemple,  le 
suivirent  au  désert  pour  mener  la  même  vie  ascétique;  son  ermitage 
devint  le  centre  de  beaucoup  d'autres.  Plusieurs  fois  il  essaya  de  se 
soustraire  à  la  foule  de  ceux  qui  sollicitaient  ses  conseils,  ainsi  qu'à 
celle  des  visiteurs  qui  venaient  par  caravanes  pour  voir  un  homme  aussi 
respecté  pour  sa  sainteté.  On  dit  qu'en  325,  âgé  de  près  de  cent  ans,  il 
reparut  à  Alexandrie  pour  combattre  l'arianisme.  Chez  lui  le  besoin  de 
solitude  avait  été  trop  vif  pour  qu'il  eût  pu  devenir  le  chef  d'une  con- 
grégation monastique;  mais  les  nombreux  ermites,  groupés  autour  de 
lui,  représentaient  le  monachisme  dans  son  germe,  de  sorte  qu'on  a  pu 
l'appeler  le  père  de  cette  institution.  Une  règle  qu'on  attribue  à  saint 
Antoine  n'est  pas  authentique;  on  n'a  conservé  de  lui  que  quelques  maxi- 
mes, où  se  révèle  un  esprit  supérieur  et  une  âme  pleine  de  l'amour  de 
rjjeu  Ch.  Schmidt. 

ANTOINE  (Ordre  de  saint).  Lors  d'une  maladie  qui,  vers  la  fin  du 
deuxième  siècle,  sévissait  dans  le  midi  de  la  France  et  que  le  peuple 
appelait  le  feu  de  saint  Antoine  (ailleurs  on  lui  donnait  le  nom  de  feu 
sacré,  feu  de  Dieu,  feu  de  la  Vierge),  Gaston,  un  noble  dauphinois, 
fonda  à  Vienne  en  1095,  en  reconnaissance  de  la  guérison  de  son  fils, 
un  hôpital  et  une  confrérie  laïque  pour  soigner  les  malades  ;  il  prit  pour 
patron  saint  Antoine.  En  1228,  Honoré  III  confirma  l'institution  comme 
ordre  monastique  ;  Boniface  VIII  donna  aux  frères  la  règle  dite  de  saint 
Augustin  et  la  qualité  de  chanoines  réguliers.  L'ordre  se  répandit  en 
France,  en  Italie,  en  Allemagne,  où  dans  beaucoup  de  villes  il  fonda 
des  hôpitaux.  Le  supérieur  de  celui  de  Vienne  portait  le  titre  de  grand- 
maître.  Dans  leurs  tournées  les  Antonins  recevaient  en  offrande  des 
porcs  ;  le  porc  était  un  des  attributs  de  saint  Antoine,  probablement 
par  allusion  à  ses  tentations  dans  le  désert  et  aux  pourceaux  des  démo- 
niaques (Matth.  VIII,  30  ss.).  Au  dix-huitième  siècle  l'ordre  fut  uni  à 
celui  de  Malte. 

ANTOINE  DE  PADOUE,  célèbre  comme  prédicateur  franciscain,  naquit 
à  Lisbonne  en  1195  de  parents  nobles,  fut  reçu  à  l'âge  de  quinze  ans  dans 
une  maison  de  chanoines  réguliers,  mais  entra  en  1220  dans  l'ordre 
des  frères-mineurs.  Après  une  tentative  infructueuse  de  prêcher  le 


ANTOINE  —  ANTONIN  301 

christianisme  en  Afrique,  il  se  rendit  auprès  de  François  d'Assise, 
qui  l'engagea  à  étudier  la  théologie;  il  enseigna  ensuite  cette  science 
dans  plusieurs  couvents  de  France  et  d'Italie.  Plus  tard  il  se  voua  à  La 
prédication;  il  produisait  des  impressions  profondes,  quoique  passa- 
gères,  sur  les  foules  qui  l'éooutaîèrtt ;  il  ne  ménageait  ni  les  grands  ni 
le  clergé  ;  un  instant  il  ébranla  même  le  farouche  et  incrédule  tyran 
Ëzzelin  de  Koniana;  aux  prêtres  il  reprochait  dépendre  les  choses  sain- 
te: en  revanche,  il  convertit  quelques  Cathares.  11  était  si  ardent  à 
remplir  sa  mission  qu'un  jour,  les  hommes  refusant  de  l'entendre,  il 
prêcha,  suivant  la  légende,  aux  poissons,  comme  saint  François  avait 
prêché  aux  oiseaux.  Dans  son  Ordre  il  voulait  la  rigide  observation  de 
la  règle  de  la  pauvreté,  tandis  que  Elie  de  Cortone,  le  deuxième  maître- 
général,  demandait  que  cette  sévérité  lut  mitigée.  Il  obtint  du  pape  la 
destitution  d'Elie,  mais  dès  1236  celui-ci  fut  réélu.  Antoine  était  mort 
dès  1231  à  Padoue,  après  avoir  été  pendant  quelque  temps  provincial 
de  la  Romagne.  L'année  après  sa  mort  il  fut  canonisé.  A  Padoue  on 
bâtit  en  son  honneur  une  église  magnifique;  son  mausolée  est  une 
œuvre  d'art  aussi  belle  que  celui  de  saint  Dominique  à  Bologne;  les 
traités  mystiques  et  ascétiques,  au  contraire,  qu'il  a  laissés,  sont  de 
peu  d'importance  (publ.  à  la  suite  de  ceux  de  saint  François,  éd.  Wad- 
ding,  Anvers,  1623,  4°).  Les  sermons  qu'on  a  imprimés  sous  son  nom, 
ne  sont  que  des  canevas.  Ch.  Schmidt. 

ANTOINE  DE  BOURBON,  roi  de  Navarre.  Voyez  Bourbons  (les). 

ANTON  (Paul)  [1661-1736],  l'ami  deFranckeet  son  collègue  à  l'uni- 
versité de  Halle,  fut  l'un  des  représentants  scientifiques  les  plus  distin- 
gués du  piétisme  naissant.  Son  soin  constant  fut  de  rompre  avec  les 
traditions  de  la  scolastique  protestante  et  de  donner  à  l'enseignement 
de  la  théologie  un  caractère  pratique.  Son  colhgiûm  antitheticum, 
publié  par  Schwentzel  en  1732,  montre  sous  quel  aspect  nouveau  il 
envisageait  la  polémique:  la  source  de  l'hérésie,  d'après  lui,  doit  être 
cherchée  dans  le  cœur,  bien  plus  que  dans  la  raison.  Anton  était  animé 
d'une  piété  saine,  zélée  et  compatissante  (voyez:  Denkmal  des  Herrn 
l'uni  Anton  dans  la  Sammlung  auserlesener  Matericn  zum  Bau  des  Rci- 
tàes  Gottes,  Halle  1731). 

ANTONIN  LE  PIEUX  (Titus  Aurelius  Fulvius  Antonius),  empereur 
romain,  adopté  par  Adrien,  lui  succéda  et  régna  de  138  à  161.  Son 
règne  fut  un  des  meilleurs  de  l'histoire.  Il  s'écoula  paisiblement  et  ne 
présente  pas  de  faits  saillants  à  mentionner.  La  christianisme  prit  sous 
Antonin  un*'  rapide  extension.  Lui-même,  après  avoir  entendu  l'apo- 
de Justin  martyr,  protégea  les  chrétiens  et  défendit  de  rien  inno- 
ver contre  eux.  11  ne  considérait  pas  leur  culte  comme  illégal.  L'admi- 
nistration d'Antonin  fut  à  bien  des  égards  ce  qu'aurait  été  celle  d'un 
empereur  chrétien  ;  il  évita  toujours  La  guerre,  et  il  alla  jusqu'à  fonder 
des  orphelinats  de  jeunes  tilles.  Il  mourut  à  Loriumen  161,  après  avoir 

adopté  Marc-Aurèlé  et  l'avoir  désigné  pour  son  successeur. 

ANTONIN  (Saint  de  Florence  où  il  naquit  et  mourut  (1389-1459). 
Jean  Dominici,  des  Frères  prêcheurs,  l'admit  dans  cet  ordre  à  seize 
ans,  quoiqu'il  eût  exigé,  dit-on,  que  !"  jeune  postulant  sût  par  cœur 


392  ANTONIN  —  AOSTE 

le  Décret  de  Gratien.  Nul,  en  tout  cas,  ne  se  pénétra  mieux  de  L'esprit 
de  ce  recueil  apocryphe.  Nommé  archevêque  de  Florence  par  Eugène  IV 
(1446),  il  resta  dominicain  sur  son  siège,  aussi  zélé  pour  la  suprématie 
papale  que  ses  prédécesseurs  (voyez  Zarabella)  Pavaient  été  pour  la 
liberté  de  l'Église.  «  Quelques-uns  ont  cru,  avoue  la  Vie  des  Saints, 
qu'il  pouvait  avoir  porté  trop  loin  l'autorité  du  pape.  »  Ses  services  ne 
lurent  pas  méconnus.  Nicolas  Ier  interdit  tout  appel  de  ses  jugements, 
Pie  II  assistant,  contre  l'usage,  à  ses  [obsèques,  accorda  le  jour  même 
une  indulgence  de  sept  ans  à  qui  visiterait  son  tombeau,  et  soixante- 
trois  ans  plus  tard  Adrien  VI  le  canonisa.  Il  a  laissé  deux  grands  ouvra- 
ges souvent  imprimés  aux  quinzième  et  seizième  siècles  :  la  Summa 
kistojnalis  ou  Chronica  tripartita,  compilation  inexacte  et  peu  judicieuse 
des  principaux  événements  depuis  l'origine  du  monde  jusqu'en  l'année 
1458,  et  la  Summa  theologica,  arsenal  où  plusieurs  défenseurs  du  sacer- 
doce ont  puisé  des  armes  contre  l'Empire.  Aussi  le  P.  Mamachi  l'a-t-il 
réédité  à  Venise  en  1751.  Sa  Summa  confessionalis  ou  Manuel  à  V usage 
des  Confesseurs,  imprimée  dès  1473,  embarrasse  quelque  peu  ses  pané- 
gyristes à  cause  de  sa  morale  singulièrement  accomodante.  Citons  enfin, 
parmi  ses  nombreux  opuscules,  des  Notes  sur  la  donation  de  Constantin 
et  un  Traité  sur  l'excommunication.  Antonin  assista  au  concile  général 
convoqué  par  le  pape  Eugène  IV  à  Florence,  et  prit  une  part  impor- 
tante à  la  discussion  du  projet  d'union  entre  l'Eglise  latine  et  l'Eglise 
grecque.  Il  se  fit  remarquer  aussi  par  sa  bienfaisance  et  par  le  dévoue- 
ment qu'il  montra  pendant  la  peste  de  1448  et  le  tremblement  de  terre 
de  1453  (voy.  Act.  Boll.,  I,  p.  311  ss.).  P.  Rouffet. 

ANVERS  [Andoverpis ,  Antverpia,  Antwerpen,  anc.  ail.  Antorf). 
Saint-Amand  (f  647)  est  donné  comme  le  premier  apôtre  de  ce  pays, 
où  saint  Eloi,  évêque  de  Nimègue  et  de  Tournai,  paraît  avoir  ensuite 
prêché  l'Evangile.  L'évêché,  suffragant  de  Malines,  fut  créé  en  1559 
par  Granvelle  pour  combattre  la  Réforme  (Gallia,  V),  et  supprimé 
en  1801.  L'église  de  Notre-Dame,  bâtie  en  1422,  achevée  en  1518, 
fut  incendiée  en  1533;  la  tour  et  le  chœur  avaient  été  seuls  épargnés. 
Le  19  août  1566,  elle  fut  pillée  par  les  Gueux;  Marnix  lui-même 
blâma  cet  acte  de  violence.  Le  premier  synode  des  Eglises  wallonnes 
se  réunit  à  Anvers  le  26  octobre  1566;  Marnix  y  obtint  l'adhésion 
des  Eglises  au  calvinisme,  et  leur  fit  adopter  la  confession  belge.  An- 
vers,- assiégée  en  1584  par  Alexandre  de  Parme,  et  défendue  par  Mar- 
nix, capitula  le  17  août  1585  (voy.  Brief  récit  de  V estât  de  la  ville 
d'Anvers,  etc.,  1585,  dans  les  œuvres  de  Marnix).  Cette  ville  est  cé- 
lèbre par  les  travaux  de  l'imprimeur  Plantin  (f  1589)  et  par  les  ins- 
titutions scientifiques  qu'y  fondèrent  les  jésuites,  ainsi  que  par  beau- 
coup de  belles  publications  (voy.  Mertens,  Gesch.  van  Antw.  2  vol.). 

AOD  [Éhoud,  'Awo],  juge  d'Israël,  originaire  de  la  tribu  de  Benjamin, 
tua  le  roi  des  Moabites  Eglon  auquel  les  Israélites  étaient  restés  assu- 
jettis pendant  dix-huit  ans,  défit  les  Moabites  sur  le  territoire  d'Ephraïm 
et  assura  par  là  à  ses  concitoyens  le  repos  pendant  quatre-vingts  ans. 
(Juges  III,  15-30). 

AOSTE.  Cette   capitale   d'une   des  plus  jolies   vallées  alpestres    se 


AOSTE  393 

trouve  inopinément  appelée,  par  la  plume  d'un  de  nos  écrivains  de 
talent,  à  figurer  dans  les  souvenirs  qui  s'attachent  à  la  vie  du  grand 
réformateur  français.  Dans  un  mémoire  lu  d'abord  à  l'Académie  des 
sciences  morales  ci  politiques  sous  ce  titre:  Calvin  au  val  d'Aoste  (1801) , 
puis  inséré  dans  les  Récits  du  XVIe  siècle  (1864),  M.  Jules  Bonnet  a 
vivement  intéresse  les  lecteurs  en  racontant  une  tentative  malheureuse 
que  Calvin  aurait  laite  en  1536  pour  évangéliser  les  Valdostains.  Après 
avoir  corrigé  à  Baie  la  dernière  épreuve  de  son  Institution  ckrestienne, 
Calvin  lit  un  voyage  à  Ferrare,  pour  saluer  de  loin  l'Italie,  disait- 
il.  et  pour  présentée  ses  hommages  pleins  de  reconnaissance  à  la 
duchesse  de  Ferrare,  Renée  de  France,  la  douce  protectrice  des  réfor- 
més français.  11  resta  peu  de  temps  à  Ferrare.  Pourchassé  par  l'In- 
quisition italienne,  il  rentra  en  France,  se  rendit  dans  sa  ville  natale, 
à  Noyon,  pour  régler  des  affaires  de  famille,  y  passa  environ  un  mois 
et  |  nojetait  d'aller  se  retirer  à  Strasbourg,  mais  obligé  à  de  longs  circuits 
par  la  présence  d'armées  en  campagne,  il  se  trouvait  dans,  les  premiers 
jours  de  juillet  ,  à  Genève,  où  les  adjurations  de  Farel  le  retinrent. 
C'est  dans  ce  voyage  de  retour,  entre  Ferrare  et  Noyon,  que  se  place- 
rait l'épisode  d'Aoste.  Calvin  n'en  dit  pas  un  mot  et  n'y  fait  pas  la 
moindre  allusion  dans  les  vingt  volumes  in-4°  d'oeuvres  et  de  corres- 
pondances qu'il  nous  a  laissés.  Mais  comment  révoquerait-on  le  fait  en 
doute,  quand  on  voit  encore  aujourd'hui,  sur  la  place  publique  d'Aoste, 
une  colonne  monumentale  qui  fut  élevée  en  1541,  cinq  ans  après 
L'événement  et  sur  laquelle  sont  gravés  ces  mots  :  Hanc  Calvini  fuga 
erexit  anno  MDXLI.  Religionis  constantia  reparavit  anno  MDCCXL1  ; 
quand  on  montre  encore  aux  abords  de  la  ville  la  ferme  de  Calvin,  le 
pont  de  Calvin,  la  fenêtre  de  Calvin,  et  quand  un  grave  personnage  du 
pays  décrivit,  à  la  lin  du  dix-septième  siècle  ou  au  commencement  du 
dix-huitième,  «  une  Chronique  d'Aoste  » ,  dans  laquelle  il  raconte  en  détail 
la  tentative  et  la  déconvenue  du  prédicateur.  L'auteur  de  cette  Chronique 
décrit  une  assemblée  du  Conseil  des  Etats  du  Val  d'Aoste  qui  eut  lieu, 
en  effet,  le  28  février  1536  dans  un  moment  bien  critique  pour  cette 
partie  du  Piémont  que  travaillaient  des  prédicants  venus  de  Genève, 
tandis  que  s'avançaient  des  troupes  de  Berne  et  de  France  qui,  huit 
jours  après  (6  mars),  envahissaient  les  terres  du  duc  de  Savoie.  Le 
Conseil  prit  la  résolution  de  soutenir  énergiquement  son  prince  et 
d'expulser  tous  les  fauteurs  d'hérésie.  Des  procès -verbaux  authen- 
tiqiies  attestent  le  fait,  mais  sans  prononcer  le  nom  de  Calvin.  Or, 
nu  savant  critique,  M.  Albert  Rilliet ,  a  démontré  qu'il  faut  rayer  de 
L'histoire,  comme  étant  pure  fiction,  tout  l'épisode  de  Calvin  au  val 
d'Aoste.  Dans  une  «  Lettre  à  M.  Merle d'Aubigné»  (40p.  in-8°,  Genève, 
mai  L864),  il  a  démontré  que  Calvin  était  encore  à  Bàle,  occupé  de 
l'impression  de  son  ouvrage  au  moment  où  ces  événements  se  pas- 
saient, et  que,  Loin  d'avoir  déjà  fait  son  voyage  à  Ferrare,  à  La  date 
du  28  février,  il  ne  quitta  Bàle  pour  le  fairequevers  Le  milieu  (h1  mars. 
Cette  preuve  de  L'erreur  parait  sans  réplique,  bien  que  L'auteur  des 
Récits  du  XVIe  siècle  ait  maintenu  avec  beaucoup  d'habileté  ses  affir- 
mations (dans  1«'  Bulletin  de  l"  Soc.  de  l'kist,  du  protestantisme,  t.  Mil, 

I.  26 


394  AOSTE  —  APATHIE 

p.  183).  Cette  erreur,vraimentremarquable,  s'explique  sans  grand'peine. 
La  voix  populaire  est  singulièrement  prompte  à  mêler  le  faux  au  vrai  ; 
des  ministres  genevois  étaient  venus  en  1536  prêcher  l'Evangile  dans 
la  vallée  ;  pour  le  peuple  d'Aoste,  ce  fut  bientôt  le  plus  illustre  qui  était 
venu,  et  le  chroniqueur  de  Tannée  1700,  ou  environ,  recueillit  de  bonne 
foi  les  bruits  vagues  du  pays  qu'il  enregistra  comme  laits  authentiques. 
M.  Rilliet  pense  que  ce  fut  en  1741  lorsqu'on  réédita  la  colonne  qu'on 
inventa  la  date  de  1541  qui  formait  précisément  le  centenaire.  Cette 
supposition  nous  parait  inutile.  Nous  croirions  plutôt  que  le  monument 
primitif  fut  élevé,  en  effet,  en  1541,  et  qu'il  portait  bien  cette  date,  mais 
que  ses  constructeurs  avaient  préparé,  sans  le  vouloir,  une  mystifica- 
tion historique  et  formé  la  base  de  la  fausse  tradition  tout  entière  en 
mettant  sous  le  nom  du  plus  grand  hérétique  du  moment,  la  défaite 
de  l'hérésie,  Calvini  fuga.  H.  Bordier. 

APATHIE,  littéralement  :  absence  de  passions.  Ce  mot  a  deux  accep- 
tions bien  différentes.  Dans  le  langage  ordinaire,  il  désigne  un  engour- 
dissement de  l'âme,  une  diminution  de  la  vie  morale,  impliquant 
l'indifférence  à  ce  qui  devrait  intéresser  l'esprit,  et  l'insensibilité  à  ce 
qui  devrait  émouvoir  le  cœur.  L'apathie  peut  être  suggérée  par  le 
tempérament,  mais  elle  est  coupable,  parce  qu'elle  s'est  développée 
à  la  suite  d'un  refus  persévérant  d'agir,  et  si  elle  préserve  des  fautes 
qui  exigent  quelque  effort,  elle  est  cependant  une  des  formes  les  plus 
tristes  de  l'égoïsme,  une  répudiation  de  ce  qui  constitue  la  dignité 
humaine,  un  abaissement  vers  la  vie  végétative.  —  En  philosophie,  la 
signification  de  ce  mot  est  tout  autre  :  il  désigne  l'absence  d'émotions 
considérée  comme  une  vertu.  Le  stoïcisme  veut  que  la  raison  seule 
nous  guide  dans  l'accomplissement  de  ce  qui  est  juste;  le  sentiment 
ne  doit  jamais  y  prendre  aucune  part;  nous  acquérons  l'indépendance 
en  étouffant  la  sensibilité  ;  non-seulement  les  douleurs  du  corps  et  les 
souffrances  de  l'âme  ne  doivent  plus  avoir  de  prise  sur  nous,  mais  il 
faut  nous  interdire  les  émotions  de  l'amour;  le  sage  assistera  les  mal- 
heureux, mais  il  serait  indigne  de  lui  d'éprouver  de  la  sympathie 
(Epitect.,  Enchir.,  16;  M.  Anton.,  VII,  43).  Tandis  que  l'apathie  était 
pour  les  stoïciens  un  moyen  d'accomplir  austèrement  le  devoir,  elle 
était,  aux  yeux  du  pyrrhonisme,  une  conséquence  du  doute  universel  ; 
puisque  le  vrai  et  le  faux,  le  bien  et  le  mal  ne  sont  que  des  apparences, 
il  ne  nous  reste  qu'à  ne  plus  nous  émouvoir  de  rien  et  à  goûter  une 
parfaite  tranquillité  (Cic,  AcacL,  11,42).  Le  christianisme  ne  veut  com- 
primer aucune  des  puissances  de  l'âme,  et  la  vie  du  Sauveur,  telle  que 
l'Evangile  nous  la  présente,  n'offre  pas  la  plus  lointaine  analogie  avec 
l'apathie  philosophique.  Toutefois  le  renoncement  aux  joies  et  aux 
agitations  du  monde,  qui  est  inséparable  de  la  vie  chrétienne,  n'a  pas 
toujours  été  bien  compris;  l'idée  que  Clément  d'Alexandrie  se  fait  du 
vrai  sage  rappelle  la  morale  stoïcienne;  et,  à  diverses  époques,  ceux 
qui  aspiraient  à  une  vie  supérieure  professèrent  une  indifférence  com- 
plète, qui,  si  elle  avait  été  pratiquée  strictement,  aurait  amené  non  une 
expansion,  mais  un  amoindrissement  du  cœur  humain  (voy.  entre  au- 
tres Fart.  Quiélisme).  A,  Matter. 


APELLES  —  APITEK  395 

ÀPELLES.  disciple  de  Mareiôn,  vivait  à  Rome  à  la  fin  du  second  siècle. 
L'raftofcnce  dos  systèmes  gnostiques  qull  subit  pondant  un  séjour  à 
Alexandrie  et  l'ascendant  qu'avaîi  su  prendre  sur  lui  une  vierge,  qui 
se  disait  inspirée,  du  nom  de  Phîlumène,  t'amenèrent  à  apporter  à  la 
doctrine  de  son  maître  quelques  modifications  importantes.  C'est  à  tort 
(]iio  Tortullion  (Prœscript.  //.v/Wîc,  e.  30)  suspecte  sa  moralité;  elle  est 
Suffisamment  attestée  parle  docteur  orthodoxe  Hliodon  (Euseb.;  Hist. 
errl..  V.  13),  son  adversaire,  qui  en  parle  comme  d'un  homme  qui 
jouissait  de  l'estime  générale.  Apelles  n'enseigne  pas  comme  Marc  ion 
l'existence   de  deux  principes  actifs  et  coéternels;  il  admet  un  seul 
Dieu,  cause  de  soi-même  et  souverainement  bon.  Au-dessous  de  lui,  il 
place  un  nombre  indéterminé  d'anges  ou  d'esprits,  principes  person- 
nels de  la  révélation  divine.  Tels  sont,  en  particulier,  Y  angélus  indy  fus, 
créateur  du  monde  et  des  justes,  et  Y  angélus  igneus,  créateur  des  mé- 
chants et  tentateur  des  bons.  Le  premier,  qui  répond  au   Démiurge, 
après  avoir  créé  le  monde,  fut  saisi  de  remords  à  la  vue  des  imperfec- 
tions et  des  maux  sans  nombre  qu'il  renfermait,  et  obtint  par  ses  priè- 
res que  Dieu  envoyât  son  Fils  sur  la  terre,  afin  de  corriger  son  œuvre. 
D'après  Apelles,  ce  n'est  pas  la  matière,  substance  aérienne  créée  par 
Pespril  supérieur,  mais  la  chair,  œuvre  de  l'esprit  du  feu,  qui  est  le 
siège  du  mal.  Aussi  Jésus-Christ  a-t-il  eu,  non  comme  le  voulait  Marcion, 
un  corps  apparent  seulement,  mais  un  corps  formé,  comme  celui  des 
anges  dans  l'Ancien  Testament,  de  la  matière  pure,  empruntée  aux  di- 
verses couches  aériennes  qu'ila traversées  on  descendant  sur  la  terre,  et 
dont  il  leur  a  restitué  les  éléments  en  remontant  au  ciel.  L'auteur  des 
Philosophoumena  (X,  20)  cite   deux  ouvrages  d'Apelles,  l'un,  intitulé 
ipcwepwfretç,  qui  contenait  une  exposition  de  la  doctrine  révélée  à  lui  par 
Philumène  ;  le  second,  auKkôyeGpoi,  destiné  à  relever  les  contradictions 
de  l'Ancien  Testament.  Apelles  entendait  se  réserver  le  droit  de  faire  un 
triage  dans  les  écrits  scripturaires  qui,  d'après  lui,  renferment  des  élé- 
ments divins  et  d'autres,  inspirés  par  l'esprit  du  feu.  Jérôme  (Proœm. 
ad  Mat  th.)  et  Bède  (Init.  commentai',  in  Luc.)  parlent,  à  tort  sans  doute, 
d'un  Evangelium  Ape/lis.  Ahodon  dit  que,  dans  sa  vieillesse,  Apelles, 
désabusé  des  spéculations  gnostiques,  est  revenu  à  la  simplicité  de  la 
foi  chrétienne,  tout  en  avouant  qu'il  se  sentait  incapable  d'en  démontrer 
scientifiquement lavérité(voy.Epiph.,  /fores.,  44  ;  Augustin, Haeres,  23; 
Eusèbe,  tfist.  eccl.,  V,  13  ;  Neander,  Kirchengesch.l.  p.  535,  ss. 

APÏÏ.EK  [Àfèqà,  lieu  fort,  citadelle]. —  !.  Ville  du  Liban,  attribuée 
par  le  livre  de  ïesué  (XIII,  4  ;  XIX,  30)  à  la  tribu  d'Asser.  Elle  se  trou- 
vait aux  sources  du  fleuve  Adonis  et  était  célèbre  par  son  temple  de 
Vénus.  Le  temple  fui  détruit  par  ordre  de  Constantin  (Eusèbe,  Vita 
Const.,  5,  55 ;  Sozomène,  11,  5),  mais  la  ville  a  conservé  son  nom  jus- 
qu'aujourd'hui. Afka  est  située  au  milieu  des  montagnes,  sur  la  route 
deByblos  à  Baalbek.  Elle  domine  un  amphithéâtre  de  verdure  au  fond 
duquel  bondit  le  Nahr  Ibrahim  (Adonis),  au  milieu  des  pins  et  des 
noyers.  D'un  côté  se  trouve  la  grotte  «Ton  sort  le  fleuve,  de  l'autre, 
-m'  une  plate-forme,  on  aperçoit  les  mines  <lu  temple  (Socin,  Guide  en 
Palestine^  p.  539).  Les  Grecs  avaienl  attaché  à  cet  endroil  le  mythe 


396  APHEK  —  APOCALYPSE 

de  Vénus  et  d'Adonis.  Suivant  Reland  (Palœst.,  p.  572) ,  l'Aphaca 
des  auteurs  classiques  est  beaucoup  trop  au  nord  pour  être  l'Aphekdu 
livre  de  Josué.  Mais  il  se  trompe.  Apliek  est  nommée  expressément 
(Jos.  XIII,  4)  à  côté  de  la  grotte  de  Sidon,  du  territoire  de  Byblos,  du 
Liban  et  de  Baal  Gad.On  la  retrouve  en  outre  (Jug.  I,  31),  sous  le  nom 
d' Afîg,  parmi  les  villes  dont  les  Hébreux  ne  purent  s'emparer.  Elle 
est  donc  du  nombre  de  celles  qui  sont  toujours  restées  en  dehors  des 
frontières  réelles  de  la  Palestine.  —  Il  faut  en  distinguer  :  2.  La  ville 
d1  Aphek  près  de  laquelle  Ben  Hadadfut  battu  par  Achab  (IRois  XX,  26). 
Gesenius  (Thés:,  s.  v.  Apliek)  place  cette  dernière  à  Test  de  la  mer  de 
Tibériade,  sur  remplacement  du  château-fort  d'Apheca  cité  par  Eu- 
sèbe,  Fîq  ou  Afîq  chez  les  historiens  arabes.  Afiq  était  au  milieu  de 
défilés  célèbres,  sur  la  route  qui  mène  de  Damas  à  Naplouse  et  à  Jéru- 
salem. Winer  n'admet  pas  cette  identification,  qui  parait  pourtant  à 
peu  près  certaine.  —  3.  Un  ou  deux  endroits  connus  par  des  combats 
entre  les  Hébreux  et  les  Philistins.  L'un  deux,  mentionné  dans  l'his- 
toire de  la  mort  de  Saûl  (1  Sam  XXVIII,  4;  XXIX,  I),  semble  avoir  été 
dans  la  vallée  de  Jézréel  ;  l'autre,  célèbre  par  la  mort  des  filsd'Hélietla 
prise  de  l'arche  (1  Sam.,  IV,  1),  était  près  d'Ebenézer.  Il  est  possible 
que  ces  deux  endroits  ne  fassent  qu'un  en  réalité.  —  Le  livre  de 
Josué  (XII,  18)  mentionne  enfin  un  roi  d'Aphek  dans  la  liste  des  rois 
vaincus  par  Josué.  —  Il  y  avait  aussi,  dans  la  montagne  de  Juda 
une  ville  nommée  Afêqâ,  mais  elle  s'écrivait  différemment  des  autres 
(Jos.  XV,  53).  Ph.  Beegek. 

APHTHARTODOGÈTES.  Une  scission  se  produisit,  vers  l'an  535,  parmi 
les  évèques  monophy sites  que  Justin  Ier  avait  déposés  et  dont  la 
plupart  s'étaient  réfugiés  à  Alexandrie.  Tandis  que  Sévérus,  patriar- 
che d'Antioche,  enseignait,  avec  l'Eglise  orthodoxe,  que  le  Fils,  en 
s'incarnant,  avait  revêtu  un  corps  semblable  au  nôtre,  Julien,  évêque 
d'Halicarnasse,  soutenait  au  contraire  que  ce  corps,  doué  à  la  fois 
d'impassibilité  et  d'incorruptibilité,  n'avait  été  assujetti  à  aucun  besoin, 
pas  même  à  celui  de  la  faim  et  de  la  soif  ;  qu'il  avait  été  incapable  de 
ressentir  la  douleur;  qu'il  était  identique  en  tous  points  avec  celui  que 
le  Christ  avait  porté  après  la  résurrection.  Protégée  sous  le  règne  de 
Justinien  ,  la  secte  des  aphthartodocètes  (dbOapCbç,  oovlto),  connue 
aussi  sous  le  nom  de  julianistes,  ou  de  phantasiastes  (le  corps  du  Christ 
un  savrac^a,  un  fantôme),  s'éteignit  rapidement  après  sa  chute  (voy. 
Severus,  Liber  adJulian.  Episc.  Ha  lica?-n.,  dans  ieSpicileg.  nwz.,X,  169; 
Gieseler,  Comm.  qua  Monophysitarum  variœ  de  Christi persona  opiniones 
illustrant  w\  Gotting.,  1835). 

APION,  célèbre  grammairien  et  rhéteur  d'Alexandrie,  député  par  les 
Alexandrins  à  Caligula  pour  se  plaindre  des  Juifs.  Il  ne  reste  de  ses 
écrits  que  des  fragments,  en  particulier  ceux  qu'on  trouve  chez  Josèphe, 
contra  Apionem,  qui  a  cherché  à  le  réfuter  (voy.  Alexandrie,  Juifs  d'). 

APOCALYPSE  ou  Révélation  de  saint  Jean.  Ce  livre,  le  dernier  du 
recueil  du  Nouveau  Testament,  est  le  chef-d'œuvre  d'un  genre  litté- 
raire, né  au  sein  du  peuple  juif  de  ses  espérances  messianiques  et  qui 
a  particulièrement  fleuri,  après  l'exil,  aux  époques  de  grande   perse- 


APOCALYPSE  397 

cution  (voy.  Apocalypses  juives).  Après  les  Juifs  ou  parallèlement  avec 
eux,  les  premiers  chrétiens,  qui  attendaient  eux  aussi  à  bref  délai 
le  retour  visible  et  triomphant  de  leur  Maître,  ne  Pont  pas  cultivé 
avec  moins  de  succès  et  d'ardeur,  se  servant  des  mêmes  calculs,  des 
mêmes  procédés  de  composition  et  des  mêmes  symboles.  Aussi  les 
trois  premiers  siècles  virent-ils  paraître  un  grand  nombre  d'apoca- 
lypses chrétiennes.  Une  seule,  celle  de  Jean,  a  été  admise  dans  le 
canon  du  Nouveau  Testament  non  sans  opposition  et  sans  contro- 
verse. —  Longtemps  on  s'est  trompé  sur  la  nature  et  la  signification 
de  ce  livre  en  voulant  y  découvrir  l'histoire  anticipée  du  monde  et 
de  L'Eglise  depuis  Jésus-Christ  jusqu'à  la  lin  des  temps.  De  nos  jours, 
la  méthode  historique,  qui  a  résolu  sans  peine  tant  de  problèmes,  a 
retrouvé  la  clef  de  ce  livre  mystérieux.  Chose  singulière,  cet  ouvrage, 
qui  passait  pour  le  plus  obscur  de  la  Bible,  est  peut-être  celui  sur 
lequel  règne  la  plus  grande  unanimité  d'explication  parmi  les  théo- 
logiens modernes.  On  est  généralement  d'accord  en  effet  sur  le  lieu 
et  la  date  précise  de  sa  composition,  sur  sa  signification  générale, 
sur  les  idées  qui  l'ont  inspiré  et  le  but  qui  y  est  poursuivi.  Le  nom 
de  l'auteur  même  ne  ferait  pas  de  difficulté,  si  cette  question  n'était 
liée  à  celle  de  l'authenticité  du  4°  Evangile,  énigme  non  encore  résolue. 
Pour  bien  comprendre  ce  livre,  il  ne  faut  pas  le  séparer  des  autres 
apocalypses  ni  du  genre  spécial  auquel  il  appartient.  Ces  apocalypses, 
avons-nous  dit,  apparaissaient  surtout  aux  moments  de  crise  et  de  per- 
sécution. Plus  l'épreuve  était  terrible,  plus  les  cioyants  persécutés  se 
persuadaient  que  la  délivrance  promise  et  attendue  était  proche.  Le 
triomphe  de  l'impiété  réclamait  la  vengeance  de  Jéhova.  Le  livre  de 
Daniel  avait  paru  au  milieu  des  persécutions  exercées  par  Antiochus 
Épiphanes,  l'apocalypse  d'Hénoch  aux  temps  troublés  de  JeanHyrcan; 
de  même  l'apocalypse  de  Jean  est  sortie  des  convulsions  qui  agitèrent 
la  Judée  de  l'an  07  à  Pan  70  et  amenèrent  la  destruction  de  Jérusalem. 
Cependant  rien  ne  serait  plus  erroné  que  de  se  représenter  un  tel 
livre  comme  le  produit  spontané  et  désordonné  de  l'état  de  vision  et 
d'extase.  Que  l'auteur  ait  été  un  voyant,  il  nan  faut  pas  douter.  Mais  à 
côté  de  l'illumination,  il  faut  faire  très-grande  la  part  de  la  réflexion, 
de  la  subtilité  d'esprit,  de  l'étude  et  même  de  Pimitation  littéraire.  Il 
est  ('vident,  par  exemple,  que  Jean  a  beaucoup  lu  Daniel  et  le  meta 
profit.  Notons  que  les  auteurs  d'apocalypses  sont  les  contemporains  des 
rabbins,  non  des  anciens  prophètes.  Ceux-ci  obéissaient  à  une  inspi- 
ration autrement  libre  et  puissante.  Mais,  quand  cette  grande  source 
jaillissante  d'éloquence  et  de  poésie  tarit  après  l'exil,  on  vit  alors  la 
réflexion  théologique  succéder  à  l'inspiration  prophétique.  On  se  mit  à 
étudier  minutieusement  les  anciens  oracles,  à  calculer  les  jours  et  les 
heures  qui  (levaient  s'écouler  avant  la  délivrance  promise,  à  marquer 
les  phases  successives  de  cet  avenir  glorieux,  à  interroger  les  événe- 
ments, à  observer  les  signes  précurseurs,  à  combiner  les  nombres 
sacrés.  Ainsi  se  forma  peu  à  peu  toute  une  science  particulière,  avec 
des  procédés  mystérieux,  une  rhétorique  étrange,  un  symbolisme 
bizarre  que  l'imagination  enflammée  par  les  persécutions  mit  eu  œuvre 


398  APOCALYPSE 

dans  les  apocalypses,  créations  étranges  où  l'exaltation  de  la  loi  et  l'at- 
tente fiévreuse  se  joignent  aux  combinaisons  les  plus  étudiées,  à  la 
symétrie  la  plus  savante,  aux  allégories  les  plus  ingénieuses.  Telle  est 
en  particulier  notre  Apocalypse  ;  le  ton  lyrique  de  certains  morceaux  ne 
doit  pas  faire  oublier  le  plan  très-réfléchi  et  très-étudié  de  l'ensemble.  On 
n'en  saurait  donner  une  meilleure  idée  qu'en  la  comparant  à  ces  vieilles 
cathédrales  gothiques,  contemporaines  elles  aussi  d'une  théologie 
scolastique  raffinée,  œuvre  d'une  inspiration  religieuse  très-puissante, 
mais  où,  malgré  la  multiplicité  des  colonnes,  des  chapelles  et  des  sculp- 
tures, malgré  la  "bizarrerie  des  formes  symboliques  qui  se  détachent 
de  toutes  parts,  monstrueuses  et  mêlées  comme  dans  un  chaos,  règne 
au  fond  cependant  l'architecture  la  plus  savante  et  la  symétrie  la  plus 
soutenue.  La  cathédrale  et  l'apocalypse  sont  les  produits  d'époques 
analogues  et  d'un  même  génie  religieux.  Si  l'image  de  la  croix  est  à  la 
base  de  l'architecture  gothique,  le  nombre  sept  est  à  la  base  de  la 
construction  de  l'Apocalypse  de  Jean.  Ce  chiffre  ou  ses  éléments  revien- 
nent partout.  La  révélation  entière  se  compose  de  sept  grandes  visions; 
elle  est  dédiée  aux  sept  Eglises  d'Asie;  le  livre  qui  renferme  les  secrets 
de  l'avenir  est  fermé  de  sept  sceaux,  auxquels  succèdent  les  sept  trom- 
pettes, puis  les  sept  coupes.  Jérusalem  sera  livrée  aux  Gentils  pendant 
trois  ans  et  demi,  ce  qui  est  la  moitié  de  sept.  La  grande  prostituée  est 
assise  sur  sept  collines.  La  bête  a  sept  têtes,  etc.,  etc.  Il  faut  se  rap- 
peler toutes  ces  ingénieuses  combinaisons  pour  ne  pas  se  méprendre 
sur  le  caractère  du  livre.  —  Quant  à  son  contenu,  on  n'en  peut  donner 
ici  qu'une  analyse  sommaire.  Le  titre  indique  fort  bien  la  nature  et 
l'intention  de  l'ouvrage  :  (<  Révélation  de  Jésus-Christ  (génitif  subj.), 
que  Dieu  lui  a  donnée  pour  qu'il  montrât  à  ses  serviteurs  ce  qui  doit 
arriver  très-pi^ochainement .  »  11  est  étrange  que  ces  derniers  mots  n'aient 
pas  mis  en  garde  les  exégètes  qui  ont  voulu  chercher  dans  l'Apocalypse 
l'histoire  d'un  long  avenir.  Après  une  première  vision,  qui  n'est  qu'une 
préface  à  la  révélation  elle-même  et  les  sept  lettres  adressées  aux 
Eglises  d'Asie  Mineure,  le  Voyant  est  ravi  au  ciel  (IV,  1).  En 
face  du  trône  de  Dieu,  entouré  des  quatre  chérubins  représentant  la 
création  entière  et  de  vingt-quatre  vieillards  représentant  l'Eglise,  est 
apporté  un  livre  fermé  de  sept  sceaux  qui  renferme  les  secrets  de  l'his- 
toire. A  mesure  que  chaque  sceau  est  brisé,  une  partie  de  cette  histoire 
apparaît.  Le  sixième  sceau  nous  mène  probablement  au  moment  où  vit 
et  écrit  Pauteur.  L'avenir  commence  avec  le  septième.  Nous  sommes 
dans  l'attente  :  qu'apportera-t-il  ?  A  ce  point  du  drame,  Pauteur 
s'arrête.  Une  pause  intervient.  C'est  un  temps  de  préparation  pendant 
lequel  un  ange  va  par  le  monde  marquer  au  front  les  serviteurs  de 
Dieu  pour  qu'ils  soient  épargnés  dans  les  suprêmes  catastrophes 
(VII- VIII).  Le  septième  sceau  à  son  tour  est  ouvert,  mais  il  n'amène 
pas  le  dénoûment;  il  introduit  sept  anges  armés  chacun  d'une  trom- 
pette. Les  sept  trompettes  sonnent  tour  à  tour  et  dénoncent  les  châti- 
ments qui  doivent  précéder  la  lin  suprême.  Ici  se  pose  une  délicate 
question  :  La  révélation  des  trompettes  fait-elle  suite  aux  révélations 
des  sept  sceaux,  ou  n'est-elle  qu'un  nouveau  développement  du  même 


APOCALYPSE  .399 

thème  qui  sera  repris  encore  km  t'ois  dans  l'image  des  sept  coupes? 
K u  d'autres  tonnes,  avons-cous  une  succession  ou  bien  une  récapi- 
t  dation?  Cette  dernière  opinion  nous  parait  la  plus  probable.  L'auteur 
développe  dans  l'image  dc>  trompettes  ri  des  eoupesles  mômes  signes, 
les  mêmes  douleurs  qui  doivent  amener  la  lin.  Ce  sont  comme  des 
reprises  de  plus  en  plus  menaçantes:  Après  la  sixième  trompette,  un 
nouveau  moment  d'arrêt,  intervient.  De  même  que  les  élus,  après  le 
sixième  sceau,  ont  été  marqués  au  iront  pour  être  épargnés,  de  même 
maintenant  le  Voyant  reçoit  Tordre  de  mesurer  le  temple  et  le  parvis 
qui  doivent  être  sauvés,  tandis  que  Jérusalem  pendant  trois  ans  et  demi 
sera  abandonnée  aux  païens  (VIII-XI).  La  septième  trompette,  parallèle 
an  septième  sceau,  ne  fait  qu'introduire  un  nouvel  acte  du  grand  drame. 
Une  femme  parait  qui  a  le  soleil  pour  vêtement,  la  lune  à  ses  pieds  et 
un  diadème  de  douze  étoiles  sur  la  tête.  Elle  met  au  monde  un  entant 
que  poursuit  la  bête  aux  sept  têtes  et  aux  dix  cornes.  L'enfant  est  sauvé 
dans  le  ciel;  la  femme  se  cache  au  désert  (Xl-XII).  Le  prophète 
revoit  la  bête  aux  sept  têtes  et  aux  dix  cornes  montant  de  la  mer. 
lue  des  sept  têtes  est  blessée  à  mort.  Mais  elle  est  guérie,  à  la  stupéfac- 
tion de  la  terre  entière.  Suit  un  autre  monstre  nommé  le  faux  prophète, 
qui  a  la  forme  de  l'agneau  et  le  langage  du  serpent,  séduit  les  hommes 
et  leur  fait  adorer  la  première  bête.  Le  chiffre  de  celle-ci  est3(|ç=666. 
«  Que  celui  qui  a  de  l'intelligence,  ajoute  l'auteur,  calcule  le  nombre  de 
la  bête,  car  c'est  le  nombre  d'un  homme,  le  nombre  de  son  nom  » 
(XIII,  17-18).  Le  Messie  apparaît  une  première  fois  comme  un  fils 
d'homme,  assis  sur  un  nuage  blanc,  ayant  une  couronne  d'or  sur  la 
tête  et,  dans  la  main,  une  faucille  tranchante,  signe  que  la  moisson  est 
prête  (XVI).  Les  anges,  tenant  les  sept  derniers  fléaux,  expression  su- 
prême de  la  colère  divine,  apparaissent.  Ces  fléaux  sont  représentés 
pai'  sept  coupes  de  colère  que  les  anges  viennent  tour  à  tour  verser  sur 
la  terre.  Les  cinq  premières  sont  une  série  de  formidables  bouleverse- 
ments dans  la  nature.  A  la  sixième,  l'Euphrate  est  desséché  et  les  rois 
de  l'Orient  envahissent  l'empire;  ligués  avec  la  bête  blessée  et  guérie 
et  avec  les  dix  cornes,  qui  représentent  les  dix  proconsuls,  ils  marchent 
contre  Rome  et  rangent  leur  armée  en  bataille  à  Harmagedôn  (nom 
mystérieux,  ville  de  Neggido  ou  Rome  la  grande).  La  septième  coupe 
versée  sur  la  terre  consommera  la  ruine  de  Rome,  la  grande  Babylone. 
Le  prophète  voit  une  femme  assise  sur  sept  collines,  c'est  la  grande 
\  ille  qui  domine  sur  tous  les  rois  de  la  terre.  Elle  est  enfin  détruite  et 
pillée  par  les  rois  armés  contre  elle;  dans  le  ciel  retentit  un  terrible 
(liant  de  triomphe  sur  la  chute  de  cette  ville,  la  grande  prostituée  qui 
l'es!  enivrée  du  sang  des  martyrs  (XVII-XIX).  La  bête,  blessée  et  guérie, 
a  triomphé  et  règne.  Mais  la  porte  du  ciel  s'ouvre  encore  une  fois  et, 
sur  un  cheval  blanc,  le  .Messie  fait  son  entrée  dans  le  monde.  11  anéantit 
la  puissance  de  la  bête  et  la  jette  dans  la  fournaise  ardente.  Satan, 
l'ancien  serpent,  est  lié  pour  mille  ans.  Le  Messie  ressuscite  alors  ses 
élus  qui  régneront  avec  lui  sur  la  terre  pendant  cette  période  millé- 
naire de  milleniuun  au  terme  de  laquelle  Satan  sera  de  nouveau  dé- 
eliainé.  Il   DOUSaen   encore   une   fois   le   monde   païen,  (iog  et   Magog, 


400  APOCALYPSE 

contre  Jérusalem.  Mais  il  sera  vaincu  à  son  tour  et  précipité  avec  la 
bête  dans  le  gouffre  de  l'enfer.  Viennent  enfin  la  résurrection  générale, 
le  jugement  dernier,  le  renouvellement  des  cieux  et  de  la  terre,  la  des- 
cription de  la  nouvelle  Jérusalem  où  les  élus  goûteront  les  joies  de 
T éternité.  Des  avertissements  solennels,  analogues  à  ceux  qui  ouvraient 
le  livre,  lui  servent  de  conclusion. 

La  clef  de  cette  révélation  se  trouve  dans  les  chapitres  XIII  et  XVII 
qu'il  suffit  de  comparer  et  de  lire  avec  attention  pour  être  transporté 
dans  le  milieu  historique  et  au  moment  précis  où  écrivait  Fauteur.  Lui- 
même  a  pris  soin  d'attirer  notre  attention  sur  ce  point  par  des  avertisse- 
ments répétés  (XIII,  18,  XVII,  7,  9).  Il  prend  la  peine  de  soulever  un  ins- 
tant le  voile  de  ces  figures  symboliques  et  de  les  faire  connaître  par  des* ex- 
plications très-claires.  «  Voici,  lui  dit  l'ange  qui  lui  montre  la  vision  de  la 
grande  prostituée,  je  vais  te  révéler  le  mystère  de  la  femme  et  de  la  bête 
qui  la  porte,  ayant  sept  têtes  et  dix  cornes  »  (XVII,  7).  D'ailleurs  cer- 
taines de  ces  figures  sont  si  nettes  et  si  transparentes,  qu'il  est  impossible 
de  s'y  méprendre.  La  femme  revêtue  de  la  lumière  du  soleil  (XII),  qui  a  un 
diadème  de  douze  étoiles  et  enfante  le  Messie,  c'est  évidemment  l'Israël 
croyant  d'où  le  Messie  est  sorti  et  qui  se  continue  dans  l'Eglise  persécu- 
tée. Dans  la  prostituée  dont  le  nom  mystique  est  la  grande  Babylone 
(XVII,  9),  qui  règne  sur  la  terre  et  sur  la  mer,  et  est  assise  sur  la  bête 
aux  sept  têtes  et  aux  dix  cornes,  qui  s'est  enivrée  du  sang  des  martyrs, 
et  reste  la  mère  de  toutes  les  abominations  païennes  et  de  toutes  les  im- 
puretés, il  est  aisé  de  reconnaître  la  ville  de  Rome.  La  bête,  c'est  l'empire 
romain.  Les  sept  têtes  sont  les  sept  collines  sur  lesquelles  la  capitale 
de  l'empire  est  assise.   Mais,   ajoute  l'auteur,  ce  sont  aussi  sept  rois 
(•/.al  PaaiXéïç  èxTa  etaiv,  XVII,   9   et   10),  c'est-à-dire   sept   empereurs, 
l'empereur  étant  vraiment  la  tête  de  l'empire.  Si  les  sept  têtes  repré- 
sentent l'empire  dans  sa  durée,  les  dix  cornes  le  représentent  dans  son 
étendue;  ces  dix  cornes  sont  les  dix  proconsuls,  qui  n'ont  qu'une  seule 
pensée,  celle  de  la  tête  et  gouvernent  avec  elle.  Des  sept  empereurs, 
cinq   sont  déjà  tombés,  c'est-à-dire  sont  morts;  le  sixième  règne  à 
l'heure  présente,  le  septième  n'est  pas  encore  venu,  mais  ne  régnera 
pas  longtemps.  Ces  indications  sont  si  claires  qu'on  ne  comprend  guère 
qu'elles  aient  été  jamais  méconnues.  Les  cinq  empereurs  tombés  sont  : 
1°  Auguste,  2°  Tibère,  3°  Caligula'   4°  Claude,  5°  Néron.  Le  sixième, 
régnant  à  l'heure  où   écrit  l'auteur,   c'est  donc  Galba  qui  occupa  le 
trône    de  Juillet    68    à    janvier  69.  On    prévoyait   déjà  qu'Othon  le 
remplacerait  et  ne  régnerait  pas  longtemps  ;  car  chaque  jour  grandit 
la  rumeur  populaire  qui  annonce  le  retour  de  Néron.  L'Apocalypse 
a  donc  été  écrite  dans  les  derniers  mois  de  68.  Il  est  vrai  qu'on  peut  se 
demander  si  Jean  a  considéré  comme  de  véritables  empereurs  Othon  et 
Vitellius,  qui  disparurent  sans  avoir  eu  le  temps  de  faire  partout  recon- 
naître leur  autorité.  Faisons  la  part  à  cette  incertitude  et  contentons- 
nous  de  dire  qu'en  tout  état  de  cause  l'Apocalypse  a  été  écrite  après  la 
mort  de  Néron  (juin  68),  et  avant  la  prise  de  Jérusalem  par  Titus  (70). 
Si  nous  reprenons  les  indications  de  l'auteur,  on  verra  comment  se 
vérifie  dans  le  détail  l'exactitude  de  ce  premier  résultat.  L'empire  se 


APOCALYPSE  401 

personnifiant  dans  L'empereur,  il  ne  faut  pas  s'étonner  que  le  hui- 
tième empereur,  l'Antéchrist  attendu,  soit  à  son  tour  représenté 
comme  la  bête  elle-même.  «  Et  la  bête,  dit  notre  auteur,  «fui 
était,  qui  n'est  plus,  sera  le  huitième  »  (XVII,  11).  Mais,  ajoute-t-il, 
ce  huitième  empereur,  a  été  déjà  l'un  des  sept  premiers.  C'est  la  tête 
qui  avait  été  blessée  à  mort,  et  dont  la  blessure  a  été  guérie  (XIII,  3). 
Le  monstre,  jeté  dans  l'abîme,  va  reparaître  au  grand  étonnement  du 
monde  entier  et  réunira  bientôt  une  armée  de  partisans.  Avec  les  rois 
de  l'autre  côté  de  l'Euphrate  et  les  dix  proconsuls  de  l'empire  qui  se 
prononceront  en  sa  faveur,  il  marchera  contre  Rome  et  se  vengera  d'elle 
en  la  détruisant.  Est-il  possible  de  s'y  méprendre  et  de  ne  pas  recon- 
naître Néron?  Mais,  dira-t-on,  comment  un  homme  de  sens  rassis  a-t-il 
pu  annoncer  le  retour  de  Néron  comme  huitième  César,  alors  qu'il 
était  du  nombre  des  cinq  premiers  disparus?  Que  veut-il  dire  en  le 
représentant  comme  la  bête  qui  est  blessée  et  qui  est  guérie,  qui  était 
et  qui  n'est  plus,  et  va  bientôt  remonter  de  l'abîme?  A  cette  question 
les  historiens  romains  nous  donnent  une  claire  réponse.  Tacite  et 
Suétone  nous  racontent  en  effet  que  le  bruit  se  répandit  surtout  en  Orient, 
sous  le  règne  de  ses  successeurs,  que  Néron  vivait  encore.  On  disait 
tout  bas  que  ses  meurtriers  ne  l'avaient  pas  tué ,  mais  seulement  griè- 
vement blessé,  qu'il  s'était  réfugié  chez  les  Parthes,  d'où  il  allait 
bientôt  revenir,  suivant  une  antique  prophétie,  pour  régner  sur  l'Orient 
et  détruire  Rome.  Au  moment  même  où  Jean  écrivait  à  Patmos,  un 
aventurier  ressemblant  de  visage  à  Néron  se  faisait  passer  pour  lui  en 
Asie  Mineure  et  dans  les  îles  de  l'Archipel  et  y  causait  la  plus  grande 
agitation  (Suétone,  Nero,  5*7  et  38;  Tacite,  HisL,  I,  2;  II,  8-9;  Dion 
Chrysostôme,  Orat.,  XXI;  Livres  sibyllins,  V,  v.  33;  VIII,  v.  71;  Sul- 
pice  Sévère,  Hist.,  II.  Ce  dernier  écrivain,  en  rapportant  cette  légende, 
la  met  précisément  en  rapport  avec  Apocal.  XIII,  3).  —  L'auteur  de 
l'Apocalypse  partagea  cette  croyance  générale  en  l'appropriant  à  ses 
espérances  de  chrétien.  L'Eglise,  en  effet,  avant  le  retour  du  Messie, 
attendait  la  venue  de  l' Anti-Messie  (2  Thess.,  II,  3).  Quoi  de  plus  natu- 
rel pour  les  chrétiens,  tremblant  encore  de  l'horrible  persécution  de  l'an- 
née 04,  que  de  voir  cet  Antéchrist  dans  le  prince  qui  semblait  avoir 
résumé  en  sa  personne  tous  les  vices  et  toutes  les  cruautés,  dans  cet 
incendiaire  de  Rome,  ce  meurtrier  de  sa  mère,  ce  roi  de  la  populace, 
que  l'enfer  même  n'avait  pu  retenir  et  qui  ne  pouvait  reparaître  d'une 
façon  si  prodigieuse  que  pour  accomplir  son  grand  rôle  d'ennemi  de 
Dieu  et  de  l'Eglise?  La  dernière  épreuve  à  laquelle  cette  explication 
reste  soumise  achève  de  la  continuer.  L'auteur  n'a  pas  donné  le  nom 
propre  <!<•  L'Antéchrist;  mais  il  l'a  indiqué  par  un  nombre,  selon  les  pro- 
céd(  s  cabalistiques  du  temps.  Le  nombre  de  ce  nom  est  006.  A  la  lin  du  se- 
cond siècle,  la  signification  de  ce  chiffre  n'était  pas  encore  tout  à  fait 
oubliée.  Quelques-uns  y  savaient  encore  lire  le  nom  deNéron.  Mais  plus 
tard,  le  sens dece passage  se  perdit  en  même  temps  que  celui  du  livre  tout 
entier.  La  polémique  acheva  d'égarer  l'exégèse.  Les  protestants  se  sont 
rattachés  a  une  interprétation  qui  date  d'Irénée  et,  dans  le  nombre  666, 
ont  trouvé  le  mot  Lateinos,  c'est-à-dire  le  pape.  Les  catholiques  y  ont 


402  APOCALYPSE 

lu  par  contre  Lutheranos  et  présenté  le  docteur  Martin  Lulher  comme 
la  béte  de  Y  Apocalypse.  Les  piétistes  anglais,  allemands  et  suisses  ont  su 
y  découvrir  le  nom  de  Buonaparte,  etc.  etc.  Plusieurs  savants  à  la  fois, 
en  1835,  parmi  lesquels  MM.  Beuss  à  Strasbourg,  Hitzig  à  Heidelberg, 
Benory  à  Berlin,  Fritzsche  à  Halle,  ont  retrouvé  la  véritable  interpréta- 
tion. En  écrivant  en  lettres  hébraïques  le  nom  de  Néron  César,  on 
obtient  exactement  le  nombre  666.  d  =  50  ;  1  =  200  ;  1  =  6  ;  d  =  50  ; 
p  =  100;  D  =  60;  1  =  200:  total  666.  Et  si  on  écrit  Nero,  forme  latine,  en 
supprimant  le  noun  final,  on  obtient  encore  616,  chiffre  qui  correspond 
à  la  variante  de  quelques  manuscrits  occidentaux.  Nous  ne  pou- 
vons poursuivre  cette  explication  historique  des  symboles  de  l'Apoca- 
lypse. Quelques-uns  ne  sont  pas  moins  clairs  que  ceux  que  nous  venons 
d'indiquer,  d'autres- restent  plus  obcurs,  soit  parce  que  les  allusions  de 
Fauteur  nous  échappent,  soit  parce  qu'ils  sont  la  libre  création  de  son 
imagination  poétique.  Il  ne  faut  pas  en  effet  méconnaître  le  côté  idéal 
de  l'Apocalypse.  Vouloir,  comme  certains  exégètesl'ont  tenté,  trouver  la 
désignation  d'un  événement  local  et  particulier,  dans  chaque  image 
des  sept  sceaux,  des  sept  trompettes,  des  sept  coupes,  c'est  tenter 
une  entreprise  irréalisable  où  la  place  est  laissée  trop  grande  à  l'arbi- 
traire et  à  la  subtilité.  D'ailleurs  ce  que  nous  avons  dit  suffit  pour 
déterminer  le  sens  générai  et  la  portée  du  livre.  On  se  demandera 
plutôt  comment,  en  l'an  68,  notre  auteur  a  pu  arriver  à  croire  que 
la  fin  du  monde  était  imminente.  On  le  comprendra  sans  peine  en 
se  rappelant,  d'un  côté,  les  discours  eschatologiques  mis  dans  la  bouche 
de  Jésus  par  nos  trois  premiers  évangiles  et  en  particulier  le  chapi- 
tre XXIV  de  Matthieu,  et  de  l'autre,  l'état  de  la  Judée  et  du  monde  romain 
en  général  à  cette  époque.  Jésus  a  certainement  prédit  à  ses  disciples 
la  destruction  de  Jérusalem  et  son  retour  glorieux.  11  a  pu  ne  pas  join- 
dre ces  deux  événements  ;  plusieurs  indices  permettent  de  le  supposer  ; 
mais  il"  n'est  pas  moins  certain  que  ses  disciples  les  ont  considérés 
comme  devant  être  simultanés.  Cette  confusion  caractérise  même  les 
discours  eschatologiques  qu'ils  nous  ont  rapportés.  Toute  la  primitive 
Eglise  (et  Jean,  Paul,  Pierre  ne  font  pas  d'exception)  a  cru  à  un  pro- 
chain retour  du  Maître  crucifié.  Est-il  donc  étonnant  que  le  prophète 
de  Patmos,  en  voyant  Jérusalem  perdue,  ait  attendu  à  bref  délai  la  réa- 
lisation des  promesses  de  Jésus?  Que  l'on  songe  à  la  situation  dans 
laquelle  on  se  trouvait.  L'Eglise  avait  déjà  terriblement  souffert;  elle 
ressentait  ces  douleurs  de  l'enfantement  (wowsç),  cette  affliction  su- 
prême (OXiç'iç)  que  Jésus  avait  données  comme  les  signes  précur- 
seurs de  son  avènement.  La  ville  sainte  était  serrée  de  près  par 
les  armées  romaines  et  la  communauté  chrétienne  de  Jérusalem  avait  fui 
de  l'autre  côté  du  Jourdain,  à  Pella.  En  même  temps  toutes  sortes  de 
fléaux,  depuis  quelques  années,  sévissaient  sur  les  peuples:  des  famines, 
des  pestes,  des  guerres  atroces,  des  tremblements  de  terre;  des  phé- 
nomènes effrayants  dans  le  ciel  et  sur  la  terre  se  succédaient  sans  relâ- 
che (voy.  Renan,  Antéchrist,  pages  321-339).  Tout  ce  qu'avait  prédit 
Jésus-Christ  se  réalisait  d'une  manière  terrible.  Le  spectacle  qu'offrait 
l'empire  romain  n'était  pas  moins  extraordinaire.  Néron  est  tombé , 


APOCALYPSE  m 

mais  personne  na  croit  à  sa  mort.  L'empire  semble  rester  vacant;  et 

de  toutes  parts  éclatent  des  symptômes  d'une  conflagration  universelle. 

Les  deux  Flaviens  sont  menaçants  en  Palestine;  Mucianus  s'agite  en 
Syrie,  Vitellius  en  Germanie;  Othon  s'élève  à  Home.  Ces  signes  de  dis- 
solutionir  échappent  pas.au  Voyant  de  Patmos  et  due  croit  pas  hasarder 
beaucoup  en  annonçant  que  les  cornes  de  la  béte  vont  bientôt  se  tour- 
ner contre  la  bête  elle-même  pour  la  détruire.  A  toutes  ces  circonstances 
ajoutez  maintenant  la  rumeur  grandissante  du  retour  imminent  de 
.Néron  à  la  tête  des  Parthes.  Quelle  contre-partie  du  rôle  du  Christ,  (pie 
cette  résurrection  de  l'homme  de  péché!  Quelle  antithèse  diabolique! 
L'Antéchrist  a  paru  une  première  l'ois  et,  comme  le  Christ  lui- 
même,  il  a  été  frappé  à  mort,  il  est  descendu  dans  Fabime;  comme 
lui  il  revient  pour  achever  son  rôle,  réaliser  son  idéal,  grouper  autour 
de  lui  toutes  les  forces  de  Fidolàtne  et  du  péché,  et  livrer  au  peuple 
de  Dieu  et  à  son  chef  la  suprême  bataille  dans  laquelle  il  sera  vaincu. 
Quel  devait  être  F  effet  d'une  telle  vision  sur  une  imagination  aussi 
ardente  que  celle  de  Fauteur  de  FApocalypse?  Sans  doute,  Jean  s'est 
trompé;  le  Christ  n'est  pas  revenu;  le  monde  a  suivi  son  cours.  Mais 
ajoutons  que  Jean  ne  s'est  trompé  ni  plus  ni  moins  que  Paul  au  chapi- 
tre XV  de  sa  première  épitre  aux  Corinthiens,  que  les  rédacteurs  de  nos 
évangiles  et  toute  la  première  génération  des  chrétiens.  Son  erreur  a  été 
celle  de  son  époque,  et  il  y  aurait  injustice  à  la  lui  reprocher  plus  qu'à  ses 
contemporains. — Il  resterait  à  déterminer  la  tendance  dogmatique  et  la 
valeur  religieuse  et  morale  de  FApocalypse.  Nous  avons  en  elle,  sans 
contredit,  un  produit  de  ce  que  Fou  a  appelé  le  judéo-christianisme 
primitif  par  opposition  à  la  tendance  plus  libérale  de  Paul.  Mais  on  est 
allé  trop  loin  quand,  après  Baur,  M.  Volkmar  (Commenlar zur  Offenbarung 
Johannis,\Wi),  M.Ui\genie\d(Histo?'ich-h'?'itische  Einleitung  in  das  N. 
Testament,  1875)  et  d'autres  exégètes  de  la  même  école  y  ont  décou- 
vert une  violente  polémique  contre  Paul  et  ses  disciples.  Le  faux  prophète 
du  chapitre  XIII,  11-12,  qui  ressemble  à  un  agneau  et  parle  comme  le  dra- 
gon, qui  séduit  les  hommes  et  les  pousse  à  adorer  la  bête,  ne  serait  pas 
autre  que  l'auteur  de  l'épitre  aux  Romains,  déclarant  que  toute  auto- 
rité vient  de  Dieu  et  prêchant  l'obéissauce  aux  pouvoirs  établis 
(Rom.  XIII,  1-6).  De  même,  ce  serait  encore  la  tradition  de  Paul  et  ses 
adhérents  que  l'auteur  poursuivrait  sous  le  nom  des  Nicolaïtes,  des 
partisans  de  Jézabel,  dans  les  lettres  aux  Eglises  d'Asie  (Apoc.  II,  6,  9, 
14,  20,  etc.).  Ces  rapprochements  ne  paraîtront  que  spécieux  à  des 
esprits  libres.  Ces  mêmes  savants  se  sont  également  trompés  sur  le 
vrai  caractère  de  l'Apocalypse  en  parlant,  comme  ils  l'ont  fait,  du  ma- 
térialisme religieux,  du  fanatisme  juif,  des  conceptions  étroites  et  gros- 
sières  de  SOB  auteur.  Ils  ont  eu  le  tort  de  prendre  à  la  lettre  les  descrip- 
tions el  les  symboles  apocalyptiques.  Ils  ont  oublié  que  c'est  là  un  lan- 
gage qu'il  faut  comprendre  et  traduire;,  une  rhétorique  dont  le  propre 
est  de  cadber  les  idées  abstraites  sous  des  images  matérielles.  Si  l'on 
ireitf  tenir  compte  de  cette  sorte  d'expression  plastique  et  creuser  sous 

tas  symboles,  oo  trouvera  efeez  cotre  auteur  une  dogmatique  el  un  genre 
de  [piété  d'un  spiritualisme  aussi  éle\é  que  celui  de  la  plupart  des 


404  APOCALYPSE 

écrits  du  Nouveau  Testament.  Tout  le  monde  connaît,  par  exemple,  la 
description  fastueuse  de  la  nouvelle  Jérusalem  descendant  du  ciel, 
représentée  comme  une  grande  ville  carrée,  ayant  12,000  stades  de 
tour,  3,000  stades  de  chaque  côté  et  144  coudées  de  hauteur,  avec 
12  portes  glorieuses.  Prendra-t-on  cette  description  et  ces  chiffres  à  la 
lettre?  Ne  voit-on  pas  que  ces  nombres  en  particulier  sont  des  multi- 
ples de  douze  et  expriment  simplement  la  plénitude,  la  perfection 
atteinte  de  l'Israël  de  Dieu?  Au  même  endroit,  la  Jérusalem  céleste  est 
représentée  comme  une  femme,  comme  la  fiancée  de  l'agneau 
(Apoc.  XXI,  9),  et  l'auteur  se  rencontre  ici  avec  saint  Paul  (cf .  Eph.  V, 
32  et  2  Cor.  XI,  2).  De  même,  au  chapitre  IV,  il  compare  la  vision  de 
Dieu  sur  son  trône  à  la  vision  éblouissante  d'une  pierre  de  jaspe  et  de 
sardoine.  Allons-nous  dire  qu'il  se  représente  Dieu  comme  une  grande 
pierre  brillante?  Trouverez-vous  ailleurs  une  notion  du  Dieu  suprême 
plus  sévèrement  spiritualiste  (cf.  IV,  9)?  Même  observation  sur  son 
prétendu  particularisme  juif.  Il  donne  à  l'Eglise  le  nom  d'Israël;  il 
précise  le  chiffre  des  élus  à  144,000  (12,000  de  chacune  des  douze  tri- 
bus). Mais  immédiatement  il  ajoute  que  cette  foule  est  recrutée  de  toute 
race,  de  toute  tribu,  de  toute  nation  et  de  toute  langue  (VII,  9).  En 
donnant  à  ce  nouveau  peuple  de  Dieu  le  cadre  théocratique  et  le  nom 
d'Israël,  il  se  rencontre  encore  avec  Paul  (Rom.  I,  16;  Gai.  IV,  28; 
Phil.  III,  3),  et  avec  l'auteur  de  l'épître  aux  Hébreux.  Sans  doute,  il 
considère  le  monde  païen  comme  le  royaume  du  démon  ;  mais  Paul 
n'en  parle  pas  autrement  (2Gor.  VI,  14;  1  Cor.  VI,  6;  Gai.  II,  15, etc.). 
La  christologie  de  l'Apocalypse  et  la  doctrine  de  la  rédemption  qui 
s'y  appuie  sont  bien  plus  rapprochées  des  doctrines  analogues  de  Paul 
que  de  celles  de  l'épître  de  Jacques.  Le  Christ  y  est  appelé  l'Alpha  et 
l'Oméga,  le  premier-né  des  morts,  le  Logos  de  Dieu.  Il  est  l'Agneau 
immolé  dont  le  sang  a  effacé  les  péchés  et  blanchi  les  robes  des  élus,  etc. 
(Apocal.  I,  5,  17;  V,  9-14;  VII,  14;  XIX,  11, 13,  etc.,  etc.  Gomp.  avec 
Rom.  VIII,  29;  Col.  I,  15;  1  Cor.  V,7;  Rom.  III,  25,  etc.,  etc.).  Enfin, 
nous  trouvons  dans  tout  le  cours  de  l'Apocalypse  une  série  d'images 
familières  où  s'exprime  une  piété  intime  et  douce,  un  mysticisme  chré- 
tien qui  rapproche  beaucoup  cet  ouvrage  de  la  première  épître  de  Jean 
et  du  quatrième  Évangile  (II,  7,  17;  Comp.  Év.  de  Jean  VI,  3-35; 
Apoc.  III,  17-20;  VI,  1-14;  Comp.  1  Jean  I,  7;  Apoc.  XXI,  6;  Comp., 
Év.  de  Jean  VII,  37).  Citons,  pour  terminer,  ce  seul  passage  qui  donne 
le  vrai  ton  de  la  piété  de  l'auteur  :  «  Voici  l'habitation  de  Dieu  avec  les 
hommes  :  il  plantera  sa  tente  avec  eux.  Ils  seront  son  peuple,  et  Dieu 
lui-même  habitera  avec  eux  comme  leur  Dieu.  Il  séchera  toute  larme 
de  leurs  yeux.  La  mort  ne  sera  plus,  ni  l'affliction,  ni  les  lamentations, 
ni  la  fatigue.  Les  choses  anciennes  sont  passées.  Voici,  je  fais  toutes 
choses  nouvelles  (Comp.  2  Cor.  V,  17).  Je  suis  l'alpha  et  l'oméga,  le 
commencement  et  la  fin.  A  celui  qui  a  soif,  je  donnerai  gratuitement 
de  l'eau  de  la  vie;  celui  qui  vaincra  héritera  de  ces  choses.  Je  serai  son 
Dieu;  il  sera  mon  lils  (XXI,  3-7)  ».  Trouvera-t-on  une  plus  tendre  et 
plus  belle  page  dans  les  épitres  de  Paul  ou  dans  l'Evangile  de  Jean?  — 
Sans  doute,  c'est  une  difficile  question  de  savoir  si  cet  Evangile  et 


APOCALYPSE  405 

r Apocalypse  peuvent  avoir  été  écrits  par  le  même  auteur;  mais  il  est 
certain  que  ces  deux  ouvrages,  nés  dans  la  même  région  de  l'Asie 
Mineure,  malgré  les  différences  qui  les  séparent,  restent  unis  par  un 
mystérieux  lien  de  parenté.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'auteur  de  l'Apocalypse 
se  nomme  lui-même  Jean,  esclave  de  Jésus-Christ  (1,  1),  frère  des 
autres  chrétiens,  leur  compagnon  d'épreuve,  qui,  ravi  en  esprit  un 
dimanche  dans  l'île  de  Patmos,  a  reçu  la  révélation  qu'il  adresse  aux 
Eglises  (I,  9-1  lï.  Patmos  est  une  île  à  l'ouest  d'Ephèse,  à  six  heures  de 
navigation  environ,  la  première  escale  pour  les  vaisseaux  allant  de 
cette  ville  à  Home  (voy.  Patmos).  On  a  tort  de  se  la  représenter  comme 
un  désert.  Elle  était,  au  contraire,  à  cette  époque  fort  peuplée  et  très- 
commerçante.  Quelles  circonstances  avaient  amené  Jean  dans  ce  lieu? 
Nous  P ignorons.  Les  mots  dont  il  se  sert  (I,  9),  B'.à  tov  Xc^ov  tou  ôsoj  xûù 
-r;>  [Aopruptav  'It^oj,  sont  malheureusement  trop  vagues.  En  tout  cas,  il 
faut  écarter  la  légende  d'une  déportation,  car  l'île  de  Patmos  n'a  jamais 
été  un  lieu  d'exil  ou  une  prison.  Peut-être  le  disciple  de  Jésus  fuyait-il 
quelques  menaces  des  Juifs  ou  des  autorités  romaines  d'Ephèse;  peut- 
être  y  était-il  venu  simplement  pour  prêcher  l'Evangile.  Bien  qu'il  ne 
résulte  pas  du  passage  cité  plus  haut  que  l'Apocalypse  ait  été  nécessai- 
rement écrite  à  Patmos,  elle  a  vu  le  jour  dans  ces  parages.  On  est 
frappé,  en  la  lisant,  du  grand  nombre  d'images  empruntées  par  l'au- 
teur à  la  mer,  à  la  vie  maritime  et  au  commerce  d'un  port  de  mer.  Il 
parle  souvent  des  marchands  et  des  gens  qui  naviguent  sur  les  grandes 
eaux.  Il  entend  leurs  chants,  il  énumère  leurs  marchandises  (XVIII,  13). 
Il  ne  décrit  pas  directement  la  chute  de  Rome,  mais  il  rend  l'émotion 
que  la  ruine  de  cette  ville  a  causée  parmi  les  marins  et  les  gens  de  tra- 
fic. «  Les  marchands  pleurent  sur  elle  et  sont  dans  le  deuil,  les  marins 
poussent  des  cris  en  voyant  monter  la  fumée  de  l'incendie  qui  la 
dévore  »  (XVIII,  15-20).  Mais  en  même  temps  on  ne  peut  douter  que  l'au- 
teur ne  soit  un  Palestinien  d'origine,  un  Juif  de  mœurs  et  d'idées  que 
le  spectacle  du  monde  païen  révolte.  Tout  ce  qu'il  voit,  tout  ce  qu'il 
entend,  l'idolâtrie  universelle,  les  statues  des  dieux  et  des  princes,  les 
noms  blasphématoires  d'Augustus,  de  Divus  donnés  aux  empereurs, 
jusqu'à  l' effigie  qui  est  sur  les  monnaies  romaines,  excitent  son  indi- 
gnation et  appellent  ses  anathèmes.  Cette  caractéristique  semble  bien 
convenir  à  celui  que  Jésus  un  jour  a  surnommé  «  le  fils  du  tonnerre»,  à 
L'apôtre  Jean.  La  plus  ancienne  tradition  ecclésiastique,  représentée  par 
Papias  (d'après un  Comment.  d'André,  évèque  deCésarée,  qu'on  trouve 
dans  quelques  éditions  des  œuvres  de  Chrysostôme,  édit.  de  Francfort, 
tome  II.  page  175),  par  Justin  martyr  (Dial.c.  Tryph,c.  81),parMéliton, 
qui  avait  écrit  un  livre  sur  l'Apocalypse  (Eusèb.,  //.  F.,  IV,  2(>;  par  Jé- 
rôme. De  ru-,  illustr.j  c.  24),  par  Irénée  (Haeres.,lY,  20, 11),  et  Tertullien 
(DeprxscripL,  c.  33;  Contra  Marcionem,  III,  14,  etc.),  témoigne  eu  faveur 
de  cetteorigineapostolique.il est  vrai  que  plus  tard  nous  rencontrons  des 
opinions  contraires.  L'Apocalypse  devint  suspecte  à  un  grand  nombre 
de  docteurs  de  L'Eglise  grecque,  à  cause  des  espérances  millénaires 
qu'elle  entretenait.  Les  aloges  l'attribuaient  à  Cérinthe  comme  aussi 
le  quatrième  Evangile;  Denys  d'Alexandrie,  à  Jean  le  presbytre;  Eusèbe 


40C  APOCALYPSE 

semble  incliner  à  cette  opinion  (H.  E.,  III,  39).  Mais  les  motifs  dogma- 
tiques qui  Font  suscitée  sont  trop  apparents  pour  qu'elle  puisse  contre- 
balancer les  témoignages  cités  plus  haut.  Cette  question  ne  peut  se  ré- 
soudre isolément  :  elle  tient  à  celle  de  l'origine  du  quatrième  Evangile. 
L'apôtre  Jean  peut-il  avoir,  même  à  des  époques  éloignées,  écrit  les  deux 
ouvrages?  Nous  devons  renvoyer  la  discussion  de  ce  problème  littéraire 
à  l'article  Jean.  — Quanta  la  fortune  du  livre  au  sein  de  l'Eglise  chré- 
tienne, elle  a  été  fort  diverse  avec  les  temps,  les  lieux  et  les  hommes. 
L'intelligence,  nous  l'avons  dit,  s'en  perdit  de  très-bonne  heure.  Si 
quelques  écrivains  comme  Sulpice  Sévère,  l'évêque  Yictorin  de  Petau 
(mort  en  303)  la  commentent  encore  avec  un  sentiment  assez  juste,  le 
plus  grand  nombre,  à  partir  d'ïrénée,  cessent  d'y  rien  comprendre  et 
restent  dans  l'embarras.  En  Orient,  le  livre  fut  considéré  par  quelques- 
uns  comme  apocryphe.  La  Peschito  ne  l'avait  pas  accueilli;  Origène 
hésite;  Denys  d'Alexandrie  le  repousse;  Eusèbe  le  classe  parmi  les 
antilégomènes  {H.  #.,  VII,  25).  Chrysostôme  n'a  pas  d'homélies  sur 
l'Apocalypse.  Auprès  de  l'Eglise  latine,  elle  ne  rencontre  pas  la  même 
défaveur.  Elle  avait  déjà  pris  dans  le  canon  une  position  trop  forte  pour 
qu'il  fût  possible  de  l'en  expulser.  Après  Jérôme  et  Augustin,  elle  est 
tenue  pour  canonique,  et  l'on  eut  recours  aux  tours  de  force  de  l'exé- 
gèse la  plus  vertigineuse  pour  résoudre  les  objections  et  trouver  un 
sens  au  livre.  Avec  Joachim  de  Flore  (douzième  siècle),  nous  entrons 
dans  l'océan  des  imaginations  et  des  interprétations  arbitraires  (Expositio 
in  Apocalyp.).  Elles  n'ont  plus  cessé  jusqu'à  nos  jours.  A  l'époque  de 
la  Réformation,  l'Apocalypse  redevint  embarrassante,  parce  qu'elle 
restait  inintelligible.  Luther  s'est  exprimé  très-librement  sur  l'Apoca- 
lypse dans  la  préface  qu'il  a  mise  à  sa  traduction  (voy.  surtout  la  pre- 
mière édition;  dans  les  suivantes,  les  expressions  ont  été  adoucies). 
Calvin  a  été  moins  audacieux,  mais  il  n'a  pas  commenté  le  livre  de 
Jean.  Ce  n'est  que  de  nos  jours,  et  grâce  à  la  critique  historique,  que 
l'Apocalypse,  en  s'expliquant,  a  repris  la  place  élevée  qui  lui  appartient 
parmi  les  livres  sacrés.  Autant  elle  était  obscure  et  rebutante  quand  on 
la  considérait  comme  un  recueil  d'oracles  abstraits  où  chacun  pouvait 
trouver  le  reflet  de  ses  rêves ,  autant  elle  devient  lumineuse  et  belle  à 
qui  sait  comprendre  le  temps  où  elle  a  paru  et  la  foi  qui  l'a  produite. 
Sans  doute  les  calculs  de  l'auteur  se  sont  trouvés  erronnés.  Mais  les 
pensées  religieuses  qui  sont  à  la  base  du  livre  sont  éternelles.  L'Apo- 
calypse a  été  précieuse  à  tous  les  persécutés,  parce  que  c'est  un  livre 
de  consolation  et  d'espérance  ;  c'est  la  protestation  triomphante  des 
martyrs  contre  les  bourreaux,  du  bien  et  de  la  vérité  contre  le  men- 
songe, de  la  foi  contre  les  peines  de  la  vie  présente  et  contre  la  mort. 
Voilà  pourquoi  tant  de  paroles  de  l'Apocalypse  sont  restées  chères  à 
l'Eglise  :  avertissements  solennels  qui  la  réveillent,  effusions  tendres 
qui  la  consolent  et  la  relèvent,  promesses  qui  l'encouragent.  Aussi 
a-t-elle  eu  raison  de  garder  ce  beau  livre,  le  dernier  mot  de  l'antique 
prophétie  d'Israël,  dans  le  recueil  du  Nouveau  Testament.  —  Biblio- 
graphie. La  littérature  exégétique  et  critique  suscitée  par  l'Apocalypse 
est  à  peu  près  infinie.  Pour  l'histoire  des  interprétations  apocalyptiques, 


APOCALYPSE  —  APOCALYPSES  JUIVES  J07 

nous  renvoyons  simplement  le  lecteur  à  l'ouvrage  capital  de  Lùcke  • 
Vertuek  mtef  rol/st .  Einleitttng  in  dit  O/fc/ibcrungJoh.  und  m  die  gesam- 
7/Ue  apocalypt .  Litteratur,  1'  édit.,  Bonn,  1832  ;  2e  édit.,  18fté.  11  y  faut 
ajouter  les  introductions  générales  au  Nouveau  Testament  depuis 
Richard  Simon  jusqu'à  Hilgent'eld.  Pour  les  ouvrages  spéciaux  mo- 
dernes, nous  les  rangeons  en  deux  classes  :  Commentaires  de  l'école 
prophétique  traditionnelle,  et  commentaires  de  l'école  historique.  Les 
principaux  de  la  première  sont  :  Hoffmann,  Weissagung  und  Erfïd- 
lung,  lSï'i  ;  Hengstenberg,  Die  Offenbarung  des  heiligen  Johannes, 
2  vol.,  Berlin,  1819-1851  ;  Ebrard,  Die  Offenbarung  Johannis  er/dœrf, 
1853,  (dernier  volume  du  commentaire  d'Olshausen  sur  le  Nou- 
veau Testament);  Auberlen,  De?'  Prophet  Daniel  und  die  Offenbarung 
Johannis,  2e  édit.,  1857;  Rougemont,  la  Révélation  de  St  Jean  expliquant 
l'histoire,  1806;  Gaussen,  Daniel  le  prophète,  1850.  Nous  tenons  pour 
condamné  définitivement  le  système  d'interprétation  de  ces  divers 
auteurs.  On  peut  plus  utilement  consulter  parmi  les  ouvrages  de  la 
seconde  classe  :  De  Wette,  Kurzgefasste  Erklœrung  de?'  Offenbarung 
Johannis,  1848  (dernier  volume  de  son  commentaire  sur  le  Nouveau 
Testament)  ;  Evvald,  Die  Johanneischen  Schriften  ûbersetzt  und  erklœrt, 
2  vol.,  1862;  Bleek,  Vorlesungen  ûber  die  Apokalypse,  1862;  Diister- 
diek,  Kritisch-exegetisclies  Handbuch  ûber  die  Offenbarung  Joliannis 
(dernier  volume  du  commentaire  de  Meyer  sur  le  Nouveau  Testa- 
ment, 2e  édit.,  1865)  ;  Reuss,  Histoire  de  la  théol.  apostolique,  3°  édit., 
1864  ;  du  même,  article  Joli,  Apocalypse  dans  l'Encyclopédie  d'Ersch 
et  Gruber,  tom.  22  ;  Kienlen,  Commentaire  historique  et  critique  sur 
l'Apocalypse  de  Jean,  Paris,  1870;  Volkmar,  Commentar  zur  Offenba- 
rung Johannis,  1862;  Renan,   l'Antéchrist,  1873.       A.  Sabatier. 

APOCALYPSES  JUIVES.  Parmi  les  nombreux  livres  apocryphes  de  1'  An- 
cien Testament,  qui  ont  joui  d'une  autorité  canonique  auprès  d'une  ou 
plusieursEglises  chrétiennes,  on  en  distingue,  sous  le  nom  d' apocalypses 
(révélations),  un  certain  nombre  qui  présentent  ces  trois  caractères  princi- 
paux: l°Ces  livres  se  donnent  comme  le  produit  d'une  communication 
céleste  adressée  à  l'écrivain  dont  ils  portent  le  nom;  2°  ces  livres  sont 
supposés  oupseudépigraphes,  c'est-à-dire  que  la  révélation  qu'ils  contien- 
nent s'abrite  du  nom  et  de  l'autorité  d'un  personnage  considérable  appar- 
tenant au  passé  et  que  l'auteur  réel  se  dissimule  sous  le  patronage  de 
ce  nom  vénéré;  3°  ces  livres  sont  principalement  consacrés  à  l'expo- 
sition de  l'avenir  du  peuple  juif,  ou,  en  d'autres  termes,  leur  con- 
tenu est  essentiellement  messianique  et  eschatologique.  Le  livre  cano- 
nique de  Daniel,  remontant,  suivant  l'opinion  généralement  admise 
aujourd'hui,  au  temps  de  la  persécution  d'Antiochus  Epiphanes  (aux 
environs  de  L'an  166  avant  J.-C),  offre,  surtout  dans  sa  seconde  partie 
(chap.  Vil-XIl).  le  modèle  du  genre  :  il  présente ,  en  effet ,  au  plus 
haut  degré  Le  triple  caractère,  apocalyptique,  pseudépigraphe  et  escha- 
tologique, que  nous  avons  marqué  (voyez  Daniel).  Les  apocaplvses. 
ainsi  définies,  constituent  dono  nue  branche  de  la  littérature  pseu- 
dépigraphe juive,  qui  prit  un  développement  extraordinaire  aux  envi- 
rons de  L'ère  chrétienne.  Nous  renvoyons  à  l'article  Pseudépigraphesdt 


408  APOCALYPSES  JUIVES 

l'Ancien  Testament,  pour  l'appréciation  générale  et  l'origine  de  cette 
œuvre  considérable,  l'article  Apocryphes  de  l'Ancien  Testament  trai- 
tant de  ces  livres  seuls,  que  la  Vulgate  a  joints  au  canon,  à  L'exemple 
des  Septante,  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  le  texte  hébreu,  et  auxquels  Tu- 
sage  a  réservé  de  préférence  le  nom  d'apocryphes  ou  de  deutéro- cano- 
niques. —  Les  lignes  suivantes  feront  mieux  saisir  la  nature  toute  parti- 
culière des  écrits  dont  nous  nous  occupons  dans  le  présent  article. 
«  L'écrivain  apocalyptique  couvre  ses  écrits  du  nom  d'un  personnage 
ancien  ,  tel  que  Daniel ,  Hénoch  ,  Noé ,  Adam ,  Esdras ,  et  met  dans  la 
bouche  de  son  prête -nom  le  tableau  des  destinées  futures  de  son 
peuple,  à  partir,  bien  entendu,  du  moment  où  celui-ci  a  vécu.  L'auteur 
du  livre  dit  de  Daniel  déroulera  l'histoire  à  venir  d'Israël  à  partir  de 
l'exil,  l'auteur  du  livre  d'Hénoch  remontera  au-delà  du  déluge,  etc.  Il 
est  en  général  très-facile  de  retrouver  la  date  où  ont  été  composés  ces 
livres  pseudépigraphiques ,  soit  par  les  préoccupations  particulières  à 
l'auteur  et  qui  trahissent  son  époque ,  soit  —  et  c'est  là  un  procédé 
d'un  emploi  parfaitement  sûr,  —  par  la  manière  dont  sont  présentés 
les  événements  historiques ,  selon  qu'ils  appartiennent,  —  pour  l'au- 
teur réel ,  —  au  passé ,  au  présent  ou  à  l'avenir.  La  description  du 
passé  (lequel  est  déjà  un  futur  pour  l'auteur  supposé,  pour  le  grand 
personnage  du  passé,  Daniel,  Moïse  ou  tel  autre)  se  conforme  à  ce  que 
nous  savons  de  l'histoire  ;  celle  du  présent  se  distingue  en  général  par 
ses  détails  et  par  l'exactitude  des  renseignements  ;  celle  de  l'avenir  ne 
consiste  qu'en  vagues  généralités.  Il  ne  planerait  donc  jamais  aucun 
doute  sur  la  date  de  composition  des  apocalypses,  si  l'auteur,  pour 
compléter  l'illusion  introduite  par  le  pseudonymat,  ne  déguisait  la 
clarté  de  ses  récits  du  passé  (  qui  sont,  encore  une  fois  ,  censés  des  pré- 
dictions) par  l'adoption  d'une  typologie  parfois  assez  compliquée, 
quelque  claire  qu'elle  dût  être  aux  contemporains.  Tel  roi  sera  désigné 
par  un  lion,  telle  dynastie  par  un  ours,  tel  empire  par  un  aigle,  etc. 
Sauf  des  cas  exceptionnels ,  la  connaissance  que  nous  avons  de  l'his- 
toire nous  permet  de  soulever  ces  voiles  plus  \o\i  moins  transparents  » 
(Maurice  Vernes ,  Histoire  des  idées  messianiques,  Paris,  1874,  p.  26, 
note  2).  Consultez,  outre  cet  ouvrage,  Michel  Nicolas,  Des  doctrines  reli- 
gieuses des  Juifs,  Paris,  1860,  chap.  V;  et  en  allemand,  Lùcke,  Versuch 
einerv.  Einleitung  in  die  Offenbarung  desJohannes,^  édit.,  Bonn,  1848, 
vol.  I.;  et  Hilgenfeld,  Die  jùdische  Apocalyptik ,  Iéna,  1857.  —  Nous 
traiterons  ci-dessous  des  trois  livres  suivants  :  1°  L'Apocalypse  (ou 
livre)  d'Hénoch,  2°  L'Apocalypse  (ou  IVe  livre)  d' Esdras,  3°  L'Apoca- 
lypse de  Baruch ,  renvoyant  à  l'article  Pseudépigraphes  pour  les  écrits 
(fui  appartiennent  moins  directement  au  type  ci-dessus  défini,  ou  ne 
ne  nous  sont  parvenus  que  sous  une  forme  incomplète.  Plusieurs 
poèmes  d'origine  juive,  contenus  dans  le  recueil  des  oracles  sibyllins, 
forment  une  division  à  part  de  l'apocalyptique  juive  ;  il  en  sera  traité 
dans  l'article  Sibyllins  (Livres). 

I.  Apocalypse  (ou  Livre)  d'Hénoch.  Cet  ouvrage,  après  avoir  joui 
d'une  grande  autorité  auprès  des  Eglises  orientales ,  comme  l'atteste 
une   citation   dans  l'épître  canonique  de  Jude  (v.  14  et  15),  et  des 


APOCALYPSES  JUIVES  409 

fragments  recueillis  par  des  écrivains  ecclésiastiques ,  avait  complète- 
ment disparu ,  quand  on  Ta  retrouvé ,  à  la  fin  du  siècle  dernier,  dans 
la  Bible  abyssinienne  en  une  traduction  éthiopienne.  La  langue  origi- 
nale semble  avoir  été  l'hébreu  ou  araméen,  au  moins  pour  la  plus 
grande  partie  du  livre,  et  le  lieu  d'origine  la  Palestine.  M.  Dillmann 
eo  a  publié  une  édition  critique  en  1851  (Liber  Henoch ,  SEthiopice), 
bientôt  suivie  (1853)  d'une  traduction  en  allemand,  avec  introduction 
et  commentaires  (Bas  Ihœh  Henoch  ùbersetzt  und  erklàrt).  Cette  œuvre 
considérable,  —  elle  ne  comprend  pas  moins  de  81  pages  in-8°  d'une 
impression  compacte  dans  la  traduction  de  Dillmann,  —  est  divisée  en 
cinq  livres,  plus  une  introduction  et  une  conclusion ,  et  cent  dix  cha- 
pitres. Elle  se  donne  dès  l'abord  pour  une  révélation  du  Voyant  He- 
noch sur  le  jugement  à  venir  du  monde.  Le  livre  I  (chap.  6  à  36) 
raconte  la  chute  des  anges,  leur  commerce  avec  les  filles  des  hommes 
et  prédit  le  châtiment  qu'ils  encourront  avec  la  race  humaine  corrom- 
pue. Suit  la  description  de  deux  voyages  accomplis  par  Henoch ,  sous 
la  conduite  d'anges ,  au  travers  du  ciel  et  de  la  terre ,  avec  explication 
des  mystères  du  monde  tant  visible  qu'invisible,  qui  lui  furent  dé- 
voilés. Le  livre  II  (chap.  37  à  71)  se  compose  de  trois  paraboles  sur 
les  choses  du  royaume  céleste  et  l'avenir  messianique ,  dont  la  nature 
et  le  ton  tranchent  complètement  sur  le  reste  du  livre ,  sauf  des  frag- 
ments appartenant  vraisemblablement  à  une  Apocalypse  de  Noé,  au- 
jourd'hui perdue,  qui  s'y  trouvent  mal  à  propos  intercalés.  Le  livre  III 
(  chap.  72  à  82,)  est  consacré  à  des  notions  astronomiques  et  physi- 
ques. Le  livre  IV  (chap.  83  à  91)  se  compose  de  deux  visions  qui 
donnent  un  aperçu  général  de  l'histoire  juive  jusqu'à  l'inauguration 
de  l'ère  messianique.  (La  principale  de  ces  visions  (chap.  85  à  90), 
qui  offre  un  haut  intérêt,  est  traduite  in  extenso  d'après  l'allemand  de 
Dillmann  dans  mon  Histoire  des  idées,  p.  79-108).  Le  livre  V  et  dernier 
contient  principalement  des  exhortations  morales.  M.  Dillmann  a  sou- 
tenu l'unité  d'origine  du  livre  entier  dans  son  ouvrage  ci-dessus  men- 
tionné; cependant,  après  les  travaux  d'Ewald,  de  Kôstlin  et  d'autres 
savants,  il  s'est  rangé  à  l'opinion,  généralement  admise  aujourd'hui,  qui 
distingue  les  livres  I,1II-V  du  livre  II.  Toutefois,  àl'encontre  de  Lùcke, 
Kôstlin,  Hilgenfeld ,  etc.,  et  à  l'exemple  d'Ewald,  il  donne  la  priorité 
au  livre  II,  dont  il  place,  avec  ce  dernier  savant,  la  composition  dans 
les  premiers  temps  des  Asmonéens;  un  peu  plus  tard,  sous  le  règne 
d'Hyrcan,  viendraient  se  placer  les  livres  I,  III-V.  Les  fragments  noa- 
chiques,  intercalés  dans  le  livre  II,  seraient  seuls  postérieurs,  ainsi  que 
h-  remaniement  qui  a  donné  au  livre  sa  forme  actuelle.  Ces  résultats 
sont  adoptés  par  la  plupart  des  critiques  en  ce  qui  touche  les  livres 
I.  III -Y.  que  Ton  assigne  avec  une  sûreté  suffisante  aux  environs  de 
Tan  1 10  avant  l'ère  chrétienne,  d'après  des  allusions  très-précises  con- 
tenue dans  la  vision  des  chapitres  85-90.  L'accord  est  loin  de  s'être 
fait  sur  la  date  du  livre  II  que  Lùcke  et  Kôstlin,  entre  autres,  rappor- 
tent an  temps  dHérode  le  Grand,  et  dont  le  caractère  général  semble, 
en  eflfet .  trahir  une  époque  postérieure  à  celle  assignée  an  corps  de 
l'ouvrage.  M.  Hilgenfeld, allant  plus  loin,  a  revendiqué  pour  le  livre  11 

i.  27 


410  APOCALYPSES  JUIVES 

mie  origine  purement  chrétienne.  Cette  manière  de  voir,  contre  la- 
quelle il  n'a  pas  été  produit  d'arguments  externes  décisifs,  a  été 
défendue  par  ce  savant  avec  une  grande  vigueur  dans  sa  Jàdkche  Ajjoca- 
lyptik.  MM.  Colani  {Jésus- Christ  et  les  croyances  messianiques,  2e  édit., 
Strasbourg,  1864)  et  Vernes  (ouvrage  cité),  Pont  reproduite  après 
lui.  D'après  ces  critiques,  les  allusions  au  Messie,  désigné  couramment 
sous  le  nom  de  «  fils  de  l'homme  »,  sont  trop  précises  pour  pouvoir 
être  mises  sur  le  compte  d'une  prévision  prophétique.  Sa  personne  est 
introduite  directement  comme  familière  au  lecteur,  et  sous  une  forme 
qui  rappelle  les  préoccupations  de  la  seconde  ou  troisième  génération 
de  l'Eglise  chrétienne,  se  consumant  dans  l'attente  impatiente  du  re- 
tour de  Jésus-Christ,  actuellement  au  ciel,  d'où  il  va  venir  exercer  ses 
jugements  sur  les  persécuteurs  du  troupeau  fidèle.  Il  résulte  de  cela 
que  le  livre  d'Hénoch  doit  être  considéré  comme  une  compilation ,  à 
la  base  de  laquelle  se  trouvent  deux  ouvrages  distincts ,  sans  parler 
d'additions  secondaires,  et  que  l'origine  juive  du  moindre  de  ces  deux 
ouvrages  est  fortement  contestée. 

II.  Apocalypse  d'Esdras.Vlm  heureux  que  la  masse  de  ses  congénères 
pseudépigraphes,  ce  livre ,  généralement  connu  sous  le  nom  de 
IVe  d'Esdras,  nous  a  été  conservé  de  tout  temps  dans  une  traduction 
latine  défectueuse,  il  est  vrai,  à  la  fois  tronquée  et  surchargée,  que 
reproduisent  beaucoup  d'éditions  de  la  Vulgate.  Le  texte  latin,  traduit 
«du  grec,  dans  lequel  l'ouvrage  a  été  écrit  et  dont  il  ne  s'est  conservé 
que  deux  fragments,  a  été  établi  critiquement  d'après  plusieurs 
manuscrits  et  la  comparaison  des  versions  syriaque,  éthiopienne, 
arabe  et  arménienne  par  Volkmar  {fias  vierte  Bach  Esra  etc.  Tûbin- 
gen,  1863) ,  Hilgenfeld  (Messias  Judœorum  etc.  Lipsiae,  1869)  et 
Fritzsche  (Libri  V.  T.  pseudepiyraphi  selecti,  Lipsise,  1871).  M.  Bensly 
a  récemment  découvert  dans  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  d'A- 
miens, provenant  de  Corbie,  le  texte  latin  d'un  fragment  important 
qui  avait  été  retranché  partout  ailleurs-  et  que  les  derniers  éditeurs 
avaient  reproduit  d'après  les  traductions  orientales  (The  missing 
fragment  of  the  latin  translation  of  the  fourlh  book  of  Ezra,  discovered 
and  edited...  by  R.  L.  Bensly,  Cambridge,  1875).  Les  chapitres  I— II  et 
XV-XVI  delà  Vulgate  n'appartiennent  pas  à  l'ouvrage  primitif. — L'apoca- 
lypse d'Esdras  comprend  sept  visions  que  le  scribe  de  ce  nom,  restaura- 
teur du  canon  sacré  d'après  la  tradition  juive,  est  censé  recevoir  la 
trentième  année  de  la  destruction  de  Jérusalem  (par  Nébucadnetzar) 
dans  la  ville  de  Babylone.  On  y  reconnaît  d'emblée  les  préoccupa- 
tions des  cercles  juifs  après  la  destruction  de  Jérusalem  par  Titus,  à 
la  lin  du  premier  siècle.  La  révélation  divine  déroule  aux  yeux  du 
Voyant  tous  les  secrets  de  l'avenir,  la  destruction  de  l'empire  romain 
et  la  fondation  définitive  du  royaume  messianique  sous  des  symboles 
assez  transparents.  Les  allusions  contenues  dans  ces  visions  (particu- 
lièrement la  cinquième)  font  assigner  à  cet  ouvrage  la  date  du  dernier 
quart  du  premier  siècle,  que  confirme  le  caractère  général  du  livre,  et 
même  des  dernières  années  de  ce  siècle.  Le  livre  est  remarquable  par 
la  science  de  la  composition  et  l'élévation  de  la  pensée.  On  peut  le 


APOCALYPSES  JUIVES  —  APOCRISAIRE  411 

considérer  comme  le  pendant  juif  de  l'apocalypse  canonique.  Lé 
dédain  de  la  chronologie  (Esdras,  placé  au  sixième  siècle  avant  J.-C.) 
prouve  combien  peu  d'importance  on  attachait,  même  dans  les  cercles 
1rs  plus  instruits,  à  une  exactitude  rigoureuse,  tandis  que  le  choix  de 
ce  nom  indique  an  milieu  de  scribes  et  de  lettrés  en  même  temps  que 
la  date  fictive  établit  une  étroite  corrélation  avec  les  circonstances  du 
moment. 

III.  Apocalypse  de  Barueh.  Cette  œuvre  importante,  dont  on  con- 
naissait depuis  deux  siècles  la  dernière  partie,  à  savoir  une  lettre  de 
Barueh  adressée  aux  neuf  tribus  et  demie,  a  été  récemment  décou- 
verte par  Ceriani  en  une  traduction  syriaque,  dont  ce  savant  a  donné 
une  édition  latine  (Milan,  1806);  elle  a  été,  depuis,  étudiée  par  Langen 
(Bonn,  1807)  et  rééditée  en  latin  par  Fritzsche  dans  ses  Libri  V.  71 
psettdepigrapkt  (p.  80-131).  Elle  offre  de  grandes  analogies  avec 
l'apocalypse  d'Esdras.  De  même  que  Barueh,  après  la  destruction 
chaldéenne  de  Jérusalem,  avait  pleuré  les  maux  de  son  peuple,  Pseudo- 
Baruch  déplore  la  destruction  de  Jérusalem  par  les  Romains.  Mais  une 
voix  céleste  le  console  et  ranime  en  lui  l'espérance.  Le  Messie  viendra 
bientôt  et  établira  son  empire  sur  les  ruines  de  celui  de  Rome.  Suivra 
le  jugement  général  où  chacun  recevra  selon  ses  œuvres.  Le  livre 
trahit  la  plume  d  un  juif,  qui  a  vécu  peu  de  temps  après  la  prise  de 
Jérusalem  par  Titus,  sans  qu'on  puisse  préciser  la  date.  La  langue 
originale  a  été  le  grec;  le  livre  ne  manque  pas  de  mérite  littéraire  et 
est  un  document  important  de  Pétat  des  esprits  au  sein  des  commu- 
nautés juives  à  la  fin  du  premier  siècle  de  Père  chrétienne.  (Pour  les 
les  autres  œuvres  apocryphes,  placées  sous  le  nom  de  Barueh,  voyez 
PseudépigrapkeSj  etc.).  Le  livre  d'Hénoch  doit  être  consulté  dans  la 
traduction  allemande  de  Dillmann;  Papocalypse  d'Esdras  et  de 
Barueh  le  seront  avec  commodité  dans  Pédition  de  Fritzsche.  La 
traduction  française  de  ces  deux  premiers  ouvrages,  donnée  par 
Pabbé  M  igné  dans  son  Dictionnaire  des  apocryphes  (1856-58),  est  trop 
défectueuse  pour  qu'il  soit  permis  d'y  recourir.       Maurice Vernes. 

APOCRISAIRE  (de  a-cy.p'.vcy.a'.,  je  réponds)  ou  responsalis.  On  appelait 
ainsi  les  ambassadeurs  que  les  patriarches  ou  même  les  évêques  et 
les  monastères  entretenaient  à  Constantinople  pour  y  traiter  les 
affaires  courantes  avec  la  cour  impériale.  Justinien  (Novell.,  L,  c.  2) 
rendit  un  décret  pour  défendre  aux  évêques  de  faire  des  absences  pro- 
longées de  leur  diocèse,  sans  un  ordre  exprès  de  sa  part;  il  ajoute 
qu'ils  doivent  se  l'aire  représenter  auprès  de  lui  par  leurs  apocrisaires, 
qui  répondent  ainsi  aux  nonces  que  la  cour  de  Rome  entretient  auprès 
des  princes  catholiques.  Aussi  longtemps  (pie  le  patriarchat  de  Rome 
dépendait  de  Pempire  d'Orient,  il  avait  son  apocrisaire  à  Constanti- 
nople. Ces  fonctionnaires,  versés  dans  les  questions  de  droit  ecclésias- 
tique, étaient  d'ordinaire  choisis  parmi  les  diacres.  Ils  avaient  aussi  la 
charge  d'introduire  les  métropolitains  et  les  évêques  qui  se  présentaient 
devant  l'empereur.  Ce  titre  lut  également  donné  an  grand  aumônier 
ou  chapelain  de  la  cour  des  rois  francs,  qui  devait  prendre  connais- 
sance de  toutes  \r>  affaires  ecclésiastiques  (Hincmar  :  De  ordine palatù\ 


412  APOCRISAIRE  —  APOCRYPHES 

XV,  14).  Voyez  Bingham  :  Origines  eccles.  or  the  antiq.  of  the  christ, 
church,  Lond.,  J708, 1.  III,  c.  13, §  6. 

APOCRYPHES  DE  L'ANCIEN  TESTAMENT.  La  traduction  grecque 
de  l'Ancien  Testament,  connue  sous  le  nom  de  version  des  Septante, 
contient  un  certain  nombre  de  livres  qui  ne  font  pas  partie  de  la  Bible 
hébraïque,  et,  de  plus,  Daniel  et  Esther  ont,  dans  cette  traduction, 
plusieurs  passages  qui  ne  sont  pas  dans  le  texte  hébreu.  (Il  en  est  de 
même  de  la  Vulgate).  Ces  livres  et  ces  additions  forment  ce  qu'on 
appelle  les  apocryphes  de  l'Ancien  Testament,  dénomination  qui  leur 
a  été  donnée  pour  les  distinguer  des  écrits  qui  composent  la  Bible 
hébraïque,  et  qui  sont  désignés  sous  le  nom  de  :  Livres  canoniques  de 
l'Ancien  Testament.  Dans  les  traductions  de  la  Bible  en  langues  mo- 
dernes, faites  sur  les  textes  originaux  (l'hébreu  pour  l'Ancien  Testament 
et  le  grec  pour  le  Nouveau),  les  livres  apocryphes,  quand  ils  y  sont  con- 
tenus, sont  réunis  ensemble  et  occupent  une  place  à  part,  soit  à  la  fin  de 
l'Ancien  Testament,  soit  à  la  lin  du  Nouveau.  Il  en  est  autrement  dans  les 
manuscrits  et  dans  les  éditions  de  la  version  des  Septante  (et  de  la 
Vulgate).  Ils  y  sont  placés  indistinctement  parmi  les  livres  canoniques. 
Par  exemple,  dans  l'édition  stéréotype  de  Leipzig,  1824,  in-8°,  l'Esdras 
apocryphe  se  trouve  après  le  deuxième  livre  des  Chroniques  et  avant 
l'Esdras  canonique;  Tobie  et  Judith,  entre  Néhémie  et  Esther;  la 
Sapience  et  l'Ecclésiastique  après  le  Cantique  des  Cantiques  et  avant 
les  douze  petits  prophètes  ;  Baruch,  après  Jérémie  et  avant  les  Lamenta- 
tions; la  Lettre  de  Jérémie,  après  les  Lamentations  et  avant  Ezéchiel; 
enfin  les  livres  des  Machabées  viennent  après  Daniel  qui,  lui-même,  suit 
Ezéchiel.  Rien  ne  les  distingue,  par  conséquent,  des  livres  canoniques  ; 
les  uns  et  les  autres  sont  mis  sur  la  même  ligne.  De  ces  livres  apocry- 
phes, les  uns  ont  été  écrits  en  grec  et  les  autres  en  hébreu,  ou  plus  pro- 
bablement en  araméen,  langue  mêlée  qu'on  parlait  en  Judée  depuis  le 
retour  de  la  captivité  de  Babylone.  On  n'a  ceux-ci  que  dans  une  traduc- 
tion grecque;  les  textes  originaux  ont,  à  ce  qu'il  semble,  disparu 
depuis  longtemps.  Sauf  pour  l'Ecclésiastique,  on  ne  sait  ni  à  quelle 
date  ni  par  qui  ont  été  composés  ceux  dont  le  texte  original  était  en 
hébreu  ou  en  araméen,  ni  par  qui  ni  à  quelle  date  ils  ont  été  traduits 
en  grec.  On  ignore  également  les  dates  de  la  composition  et  les  noms 
des  auteurs  de  ceux  dont  le  grec  est  la  langue  originale.  Tout  ce  qu'on 
peut  assurer,  c'est  qu'ils  sont  tous  (aussi  bien  les  hébreux  que  les 
grecs)  postérieurs  à  l'époque  d'Antiochus  Epiphanes,  et  antérieurs  à 
Tère  chrétienne  ;  ce  dernier  point  a  été  cependant  contesté,  entre  autres 
pour  la  Sapience,  mais,  à  vrai  dire,  sans  des  raisons  valables.  A  quelle 
époque,  pour  quels  motifs  et  de  quelle  manière  ces  livres  ont-ils  été 
introduits  dans  la  version  des  Septante  ?  On  manque  entièrement  de 
données  historiques  sur  ces  différents  points  ;  on  en  est  réduit  à  des 
conjectures  ;  et  cependant  il  serait  du  plus  grand  intérêt  de  savoir  à 
quoi  s'en  tenir  là  dessus,  ne  fût-ce  que  pour  pouvoir  se  représenter 
avec  quelque  exactitude  l'idée  que  les  Juifs  alexandrins  se  faisaient  de 
leurs  livres  saints.  Malgré  ces  obscurités,  les  apocryphes  de  l'Ancien 
Testament  ont  encore  une  valeur  considérable  au  point  de  vue  histo- 


APOCRYPHES  413 

pique.  Comme  ils  ont  été  composés,  les  uns  dans  la  Judée,  et  les  autres 
à  Alexandrie,  et  que  chacune  de  ces  deux  catégories  porte  naturelle- 
ment l'empreinte  du  milieu  dans  lequel  elle  a  pris  naissance,  ces 
livres  fournissent  à  L'historien  des  renseignements  précieux  sur  les 
tendances  intellectuelles  et  les  croyances  religieuses  et  morales,  aussi 
bien  des  Juifs  palestiniens  que  des  Juifs  alexandrins,  pendant  les  deux 
ou  trois  siècles  antérieurs  à  l'ère  chrétienne.  —  I.  Apocryphes  de  l'An- 
cien Testament,  écrits  originairement  en  hébreu  ou  en  araméen  :  1°  Le 
premier  livre  des  Machabées  est  un  récit  des  événements  accomplis 
dans  la  Judée  de  17o  à  135  avant  Jésus-Christ.  Malgré  quelques  erreurs 
et  des  exagérations  qu'explique  le  sentiment  patriotique,  il  l'emporte 
en  exactitude  sur  toutes  lesautresproductions  historiques  de  cette  époque. 
Josèphe  paraît  en  avoir  fait  usage  dans  ses  Antiquités  hébraïques,  XII 
et  XIII.  Luther  le  jugeait  digne  de  prendre  place  dans  le  Canon.  Ce 
livre  fut  probablement  écrit  après  la  mort  de  Hyrcan  (XVI,  23).  2°  La 
Sagesse  de  Jésus,  lils  de  Sirac  (l'Ecclésiastique,  nom  sous  lequel  ce 
livre  fut  désigné  de  bonne  heure  parmi  les  chrétiens,  parce  qu'on  en 
faisait  fréquemment  la  lecture  dans  leurs  assemblées),  est  un  recueil 
de  préceptes  moraux,  fait  à  l'imitation  du  Livre  des  proverbes.  Ces 
conseils  ne  sont  pas  tous  d'une  morale  bien  élevée;  il  en  est  même 
dans  lesquels  l'intérêt  bien  entendu  tient  un  peu  trop  de  place;  mais 
en  somme,  les  intentions  de  l'auteur  sont  droites  et  pures;  son  âme 
s'émeut  au  spectacle  des  misères  humaines;  il  éprouve  un  touchant 
sentiment  de  pitié  pour  le  pauvre,  le  faible,  le  délaissé  (IV,  1-11  ;  VII, 
20,  21,  35,  36;  XIII,  25-27,  etc.)  ;  il  est  sur  le  seuil  du  christianisme, 
en  recommandant  le  pardon  des  offenses  (XXVIII,  2;  XVIII,  13,  etc.). 
Ce  recueil  est  l'œuvre  d'un  juif  de  Jérusalem,  versé  dans  la  connais- 
sance des  écrits  de  sa  nation.  Il  vivait  du  temps  du  souverain  sacrifica- 
teur, Simon  fils  d'Onias.  Cette  indication  ne  suffit  pas  cependant  pour 
nous  donner  une  date  précise;  il  y  a  eu,  en  effet,  deux  souverains 
sacrificateurs  qui  ont  porté  le  nom  de  Simon  fils  d'Onias,  l'un  qui 
mourut  en  292  avant  Jésus-Christ,  et  l'autre  qui  vivait  en  217 
avant  Jésus-Christ.  Duquel  des  deux  est-il  ici  question?  probable- 
ment du  second  ;  on  ne  'saurait  cependant  l'affirmer  positivement.  Ce 
recueil  fut  traduit  en  grec  par  le  petit-fils  de  l'auteur,  pendant  un 
séjour  qu'il  fit  à  Alexandrie  sous  le  règne  de  Ptolémée  Evergète.  Nous 
rencontrons  encore  ici  la  même  difficulté  ;  il  y  a  eu  aussi  deux  E ver- 
getés, l'un  2't7-222  avant  Jésus-Christ,  et  l'autre  170-10(5  avant  Jésus- 
Christ.  Duquel  des  deux  parle  le  traducteur  ?  Si  l'on  admet  que  le 
Simon,  fils  d'Onias,  dont  Jésus  fils  de  Sirac  fut  le  contemporain,  est 
celui  qui  vivait  en  217  avant  l'ère  chrétienne,  il  faudra  aussi  admettre 
que  <  "<st  sous  le  règne  d'Evergète  II  que  le  traducteur  grec  se  trouvait 
à  Alexandrie.  3°  Tobie  n'est  qu'une  fiction  dans  laquelle  on  a  voulu 
imiter,  mais  sans  grand  succès,  le  poëme  de  Job.  L'unique  intérêt 
qu'il  ait  pour  nous,  c'est  de  nous  donner  quelque  idée  des  supersti- 
tions des  Juifs  de  la  Palestine  à  cette  époque,  et  probablement  aussi  de 
ceux  de  la  Babylonie,  touchant  les  anges  et  les  démons.  4°  Le  livre 
de  Judith  a  été  inspiré  par  le  sentiment  patriotique.  L'héroïne  (Judith, 


414  APOCRYPHES 

la  juive)  est  la  personnification  de  la  race  d'Israël.  L'auteur  de  cette 
fiction  n'a  su  éviter  ni  les  invraisemblances,  ni  les  erreurs  historiques 
et  géographiques.    5°  Enfin  les  cinq  chapitres  qui  forment  le  livre  de 
Baruch  ne  sont  qu'une  assez  pauvre  imitation  des  écrits  des  anciens 
prophètes  et  plus  particulièrement  de  ceux  de  Jérémie.  —  II.  Apocryphes 
de  l'Ancien  Testament,  composés  en  grec  :  1°  La  Sagesse  de  Salomon 
(dans  la  Vulgate  Liber  Sapientiœ,   et  dans  les   traductions  françaises, 
La  Sapience)  est  un  livre  qui,  par  lui-même,  a  une  certaine  valeur 
littéraire  et  qui.  nous  fait  connaître  l'influence  que  le  platonisme  avait 
exercée  sur  les  Juifs  alexandrins  (voy.ce  qui  a  été  dit  sur  ce  sujet  dans 
V Ecole  juive  d'Alexandrie).  Il  fut  peut-être  écrit  pour  servir  de  réfuta- 
tion aux  doctrines  sceptiques  et  matérialistes  de  l'Ecclésiaste.  Il  faut  en 
placer  la  composition  entre  145  et  117  avant  Jésus-Christ,  dans  tous 
les  cas  avant  le  règne  de  Ptolémée  Phiscon.   2°  L'Esdras  apocryphe, 
appelé  tantôt  le  Ier  Esdras  et  tantôt  le  IIIe,  est  tout  simplement  une 
traduction  grecque  de  l'Esdras  canonique,  dans  laquelle  on  a  inséré, 
sans  doute  dans  l'intention  de  compléter  ce  livre,  deux  chapitres  du 
second  livre  des  Chroniques  (XXXV,  et  XXXVI,  1-21),  qui  forment  le 
chapitre  Ier  de  l'Esdras  apocryphe,  un  passage  de  Néhémie  (VII,  73  et 
VIII,  1-12)  placé  à  la  fin  de  l'Esdras  apocryphe  (IX,  37-55),  et  le  récit 
des  sentences  des  trois  jeunes  hommes  qui  veillaient  à  la  garde  du 
roi  Darius  (Esdras  apocryphe,  III  et  IV),  récit  qui  est  vraisemblable- 
ment un  conte  populaire  répandu  parmi  les  Juifs.  Ce  livre  n'a  pas  été 
admis  dans  la  Vulgate;  mais  il  y  est  d'ordinaire  imprimé,  avec  la 
prière  de  Manassé  et  le  IVe  Esdras  (qui  est  considéré,  non  comme  un 
apocryphe,  mais  comme  un  pseudépi  graphe  de  l'Ancien  Testament),  sous 
forme  de  supplément,  après  le  Nouveau  Testament,  avec  cette  remarque 
qu'il  ne  me  semble  pas  inutilede  rapporter  ici  :  nOratioManassx,  necnon 
libriduo,  quisub  libri  tertii  et  quarti Esdrœ  nomine  circumferuntur ,  hoc  in 
loco,  extra  scilicet  serium  canonicorum  librorum,  quos  sancta  Tridentina  sy- 
nodus  suscepit,  etpro  canonicissuscipiendos  decrevit,  sepositi sunt ,  ?iep?*o?*sus 
iaterirent,  quippe  qui  a  nonnullis  sanctis  Patribus  interdum  citantur,  et  in 
aliquibus  Bibliis  latinis  tam  manmcriptis  quam  imjjressis  reperiuntur.  » 
3°  Le  second  livre  des  Machabées,  bien  inférieur  au  premier,  se  donne 
lui-même  pour  un  abrégé  des  écrits  de  Jason  de  Cyrène  sur  les  Juifs 
(11,  20).  Les  diverses  lettres,  contenues  dans  XI,    16-38,   sont  pro- 
bablement authentiques  ;  tout  le  reste  n'est  qu'un  tissu  de  déclama- 
tions,  de  récits,  d'aventures  sans  la  moindre  vraisemblance,  et  d'er- 
reurs historiques  et  chronologiques.  4°  La  Lettre  de  Jérémie  forme 
d'ordinaire  le  chapitre  VI   du  livre  de  Baruch  ;  dans  quelques  ma- 
nuscrits et  quelques  éditions  des  Septante,  ainsi  que  dans  la  Vulgate,  elle 
est  placée  après  les  Lamentations,  dont  elle  forme  alors  le  chapitre  V. 
5°  Faut-il  placer  la  Prière  de  Manassé  au  nombre  des  apocryphes  de 
l'Ancien  Testament?  Certainement  non,  si  on  n'entend  par  apocryphes 
de  l'Ancien  Testament  que  les  pièces  propres  à  la  version  des  Septante. 
L'auteur  des  Constitutions   apostoliques,   qui  vivait  vers  la  fin   du 
troisième  siècle,  parait  l'avoir  traduite  du  latin  en  grec  ;  et  depuis,  elle 
a  été  parfois  insérée  dans  les  Septante,  après  le  verset  13  duXXXÏIIe  cha- 


APOCRYPHES  415 

pitre  du  second  livre  des  Chroniques.  Cette  prière  fut,  à  ce  qu'il 
semble,  composée  par  un  chrétien,  probablement  en  latin,  et  pour 
compléter  ce  qui  est  dit  2  Chron.,  XXXIII,  13,  et  surtout  18.  5°  Les 
passages  ajoutés  au  livre  <le  Daniel  dans  les  Septante,  sont  :  a.  le 
cantique  des  trois  jeunes  gens  dans  la  fournaise,  qui  y  a  été  mis  après 
le  23e  verset  du  chapitre  111  ;  b,  Thistoire  de  Bel  et  du  Dragon,  qui  en 
forme  le  chapitre  XIV,  et  c.  l'histoire  de  Suzanne,  qui  en  est  le 
chapitre  Ier,  dans  quelques  éditions,  et  le  XIIIe  dans  d'autres  et  dans  la 
Vulgate.  6°  Les  additions  au  livre  d'Esther,  dans  les  Septante,  sont 
répandues  en  différents  endroits  de  la  traduction  grecque.  De  Wette, 
dans  son  Einleit.  in  das  aile  Testament  (6°  édit.,  p.  298),  a  donné  le 
tableau  de  la  place  qu'elles  occupent  dans  les  Septante  et  la  Vulgate. 
Jérôme  les  réunit  et  les  mit  à  la  fin  de  ce  livre  dans  sa  traduction.  Ils 
sont  également  réunis  et  placés  parmi  les  apocryphes  de  l'Ancien 
Testament,  sous  letitre  d'Aclditionsaulivred'Esther,  dansles éditions  des 
Bibles  protestantes  qui  contiennent  ces  livres.  —  Voyez  les  Introduct.  de 
Berthold,  de  De  Wette,  de  Jahn;  Eichhorn,  Einleit.  in  die  apokrypJ^. 
Schriflen  des  A.  T.,  1795,  in-8°;  Kurzgef.  exeget.  Handbuch  zu  den 
Apokryph.  des  A.  T.,  par  G.  F.  Fritzche  et  W.  Grimm,  Leipz.r 
1851-18(30,  G  vol.  in. -8°,  ainsi  que  les  articles  Canon,  Propagation  de  la 
Bible,  Apocalypses  juives  et  Ppeudépigraphes  de  l'Ancien  Testament. 

Michel  Nicolas. 
APOCRYPHES  DU  NOUVEAU  TESTAMENT.  On  comprend,  sous  ce 
nom,  toute  une  littérature  d'écrits  en  partie  perdus,  en  partie  conservés, 
d'évangiles,  d'actes  d'apôtres,  d'épitres,  d'apocalypses  qui,  par  leur 
merveilleux  le  plus  souvent  fantastique,  leurs  tendances  hérétiques 
ou  sectaires  et  leur  origine  postérieure ,  se  distinguent  nettement 
des  ouvrages  accueillis  dans  le  recueil  du  Nouveau  Testament.  Ce 
ternie  d'apocryphe  se  trouve  défini  par  la  notion  contraire  de 
canonique  (voy.  art.  Canon).  Le  Sens  étymologique  du  mot  n'est  pas 
douteux:  (à-bv.p'jooc,  caché).  Ce  qui  est  plus  discuté,  c'est  la  raison 
qui  a  fait  appliquer  cette  désignation  à  une  telle  littérature.  Dans  l'an- 
tiquité classique,  le  terme  kr.lv.pozq  désignait  des  livres  tenus  secrets  à 
cause  de  leur  contenu  qu'il  fallait  dérober  au  vulgaire,  ou  bien  des  livres 
d'une  origine  occulte,  la  plupart  du  temps  attribués  faussement  à  des 
auteurs  anciens;  ce  qui  a  fait  que  ce  terme  a,  de  bonne  heure,  emporté 
une  nuance  de  blâme  et  de  discrédit.  Irénée  l'applique  déjà  à  des  écrits 
hérétiques^ qui  prétendaient  usurper  la  place  et  l'autorité  des  canoni- 
ques. Les  Pères  de  l'Eglise  des  troisième  et  quatrième  siècles  sont  loin 
de  le  prendre  toujours  en  un  sens  si  rigoureux.  Origène  donne  ce  nom 
à  des  écrits  privés,  ayant  cours  seulement  chez  quelques  sectes  ou  lus 
dans  les  maisons,  par  opposition  aux.  livres  officiels  de  l'Eglise  lus  dans 
le  eidte  public  {Lettre  à  Afncanus  sur  l'histoire  de  Suzanne,  Cômm.  sur 
Matthieu,  an  ch.  Xllh.  Entre?  les  «écrits  homologoumènes  du  Nouveau 
Testament  qui,  dès  le  second  siècle,  formèrent  le  premier  noyau 
d'un  recueil  canonique  et  les  livres  hérétiques  condamnés  comme 
oeuvres  d'imposteurs,  se  trouve  jusqu'autemps  d&ieroi&eet d'Augustin 
une   classe;  moyenne    et    flottante  de  livres    diversement   appréciés  et 


416  APOCRYPHES 

acceptés  dans  certaines  régions  de  l'Eglise  universelle  :  antilégomènes, 
livres  ecclésiastiques,  pseudépigraphes,  d'usage  plus  ou  moins  général 
et  fort  goûtés  du  peuple.  Dans  cette  classe,  il  se  lit  peu  à  peu  un  travail 
de  séparation,  un  triage,  à  la  suite  duquel  les  uns  furent  placés  dans  le 
canon  sacré,  et  les  autres  rejetés  parmi  les  apocryphes.  En  s'étendant 
ainsi,  la  notion  des  livres  apocryphes  s'adoucit  et  s'appliqua  en  général 
aux  écrits  d'origine  ou  d'autorité  simplement  douteuses.  Cette  notion 
est  déjà  arrêtée  dans  saint  Augustin.  «  Omittamus  igitur,  dit  ce  Père, 
earum  scripturarum  fabulas,  quœ  apocryphœ  nuncupantur,  eo  quod  eorum 

occulta  orig o  non  claruit  Patribus suntmulta  sub  nominibus  et  alio- 

rum  prophetarum  et  recentiora  sub  nominibus  apostolorwn  ab  hœreticis  pro- 
feruntur  quœ  omnia  nomine  apocryphorumab  auctoritate  canonica  diligenti 
examinatione  remota  sunt  »  {Civit.  Dei,  XV,  23).  Nous  traiterons  ici  de 
tous  les  livres  apocryphes  qui  sont  en  rapport  quelconque  avec  l'his- 
toire évangélique  et  le  contenu  du  Nouveau  Testament.  Nous  écartons 
les  livres  attribués  à  des  personnages  de  l'ancienne  alliance,  lesquels, 
bien  que  d'origine  chrétienne,  comme  le  Testament  des  douze  patriar- 
ches, l'Ascension  d'Isaï,  etc.,  affectent  la  forme  prophétique  et  appartien- 
nent aux  pseudépigraphes  de  l'Ancien  Testament.  Cette  littérature  apo- 
cryphe a  été  trop  longtemps  dédaignée.  Si  elle  ne  nous  apprend  à  peu 
près  rien  sur  les  choses  primitives  qu'elle  prétend  raconter,  en  revan- 
che elle  est  une  source  inappréciable  de  renseignements  sur  les  mœurs, 
les  goûts,  les  idées  régnantes  des  époques  où  elle  s'est  formée.  Son 
influence  d'ailleurs,  pour  être  plus  cachée,  n'a  guère  été  moins  pro- 
fonde que  celle  des  écrits  canoniques  sur  l'imagination  populaire.  Elle 
a  été  la  nourriture  du  peuple  chrétien'pendant  1400  ans.  Elle  a  laissé 
des  traces  nombreuses  dans  la  liturgie,  dans  le  culte  et  les  dogmes  de 
l'Eglise  catholique.  C'est  là  qu'il  faut  aller  chercher  les  sources  de  l'art 
chrétien  au  moyen  âge.  Elle  a  donné  les  types  qu'ont  illustrés  la  sculp- 
ture et  la  peinture  religieuse,  et  qu'on  a  vu  représentés  sur  la  scène 
dans  les  mystères.  Aussi  ne  faut-il  pas  s'étonner  du  zèle  avec  lequel  la 
science  historique  les  a  recueillis.  La  première  collection  qui  a  été  faite 
est  celle  de  Michel  Néandre  au  seizième  siècle  :  Apocrypha,  hoc  est  nar- 
rationes  de  Christo,  Maria,  Joseph  cognatione  et  familia  Christi  extra  Bi- 
bliam  apud  veteres  tamen  Grœcos  scriptores,  patres  historicos  et  philo- 
logos  reperla,  descripta,  exposita  et  édita  grœco-latine  a  M.  Neandro 
Sorasiensi,  Bàle  1564  et  1567.  Elle  fut  réimprimée  sans  grand  change- 
ment par  Grynœûs  (1569)  et  par  Glaser  (1614).  Mais  l'étude  critiquedes 
apocryphes  n'a  commencé  en  réalité  qu'avec  J.  A.  Fabricius,  dont  le 
Codex  Apocryphus  Novi  Te  s  tamenti  parut  d'abord  à  Hambourg  en  1703, 
et  s'enrichit  à  chaque  édition  suivante,  1719  et  1743.  Le  théologien  an- 
glais Jérémias  Jones  ne  fit  que  reproduire  le  travail  de  Fabricius  dans 
son  livre,  A  neiv  and  fu  II  Met  ho  d  of  the  canonical  aulhority  of  the  new 
Testament,  London,  1726  et  1798.  Plus  tard  un  évêque  danois,  André 
Birch,  entreprit  de  continuer  l'œuvre  de  Fabricius;  il  ne  parvint  qu'à 
publier  quelques  fragments  sous  ce  titre:  Auctuarium  Codicis  apocryphi 
NoviTestamentiFabriciani,  Copenhague,  1804.  On  peut  signaler  encore 
pour  mémoire  les  essais  plus  ou  moins  heureux  de  Henke,  Kleuker  et 


APOCRYPHES  417 

J.  Schmidt.  En  France,  en  ÎTIM,  sous  la  rubrique  de  Londres,  parut 
une  Collection  d'anciens  évangiles  ou  monuments  despremiers  siècles  du 
christianisme,  tirés  de  Fabricius,  Grabius  et  autres  savants  par  l'abbé  B. 
(l'abbé  Bigex,  l'un  des  secrétaires  de  Voltaire).  Elle  se  retrouve  dans 
les  œuvres  complètes  de  ce  dernier.  Mais  le  vrai  continuateur  de  Fabri- 
cius fut  Tliilo,  professeur  à  Halle,  dont  le  Codex  Apoeryphus  parut  en 
1832.  Les  textes  avaient  été  revus  avec  soin'sur  les  manuscrits.  Des  intro- 
ductions et  des  notes  étendues  les  accompagnent.  Malheureusement 
r œuvre  de  Tliilo  est  restée  incomplète.  Le  premier  volume  devait  être 
suivi  d'un  second  que  la  mort  Ta  empêché  de  donner.  C.  Tischendorf, 
à  son  tour,  s'est  appliquée  la  même  tâche  et  a  publié  trois  recueils:  Acta 
apostolorum  apocrypha  (ÏSbilfApocrypha Evangelia  (1853,  2eédit.  1876) 
<it  Apocalypses  (1866) .  Une  traduction  française  des  évangiles  apocryphes  a 
paru  à  Paris  en  1849  et  1863,  due  à  M.  Gustave  Brunet.  Mentionnons 
enfin  le  savant  Dictionnaire  des  apocryphes  de  l'abbé  Migne,  2  vol., 
Paris,  18o6. 

I.  Evangiles.  Le  nombre  de  ces  évangiles,  s'il  était  scrupuleusement 
dressé,  dépasserait  la  soixantaine.  Il  est  vrai  que  l'analyse  critique  les 
réduit  considérablement  et  les  ramène  à  quelques  types  primitifs  qui 
sont  allés  se  développant  et  se  diversifiant  à  l'infini.  Leur  origine  tient 
à  deux  causes  qui  ont  le  plus  souvent  agi  de  concert:  l'intérêt  dogma- 
tique qui  poussait  certaines  sectes  à  donner  par  ces  livres  supposés 
une  base  historique  à  leurs  doctrines  particulières,  et  le  travail  spontané 
et  naïf  de  l'imagination  populaire  qui  crée  partout  les  mythes  et  les  légen- 
des, et  ne  pouvait  pas  ne  pas  se  donner  carrière  sur  les  époques  inconnues 
de  la  vie  de  Jésus  et  les  orgïnes  de  sa  famille.  Aucune  de  ces  productions, 
même  sous  leur  forme  primitive,  ne  remonte  au-delà  du  second  siècle; 
toutes  sont  postérieures  à  nos  évangiles  canoniques  dont  elles  ne  sont 
que  des  développements  légendaires  ou  des  modifications  arbitraires. 
Aucun  des  évangiles  hérétiques  adoptés  par  les  nombreuses  sectes  des 
quatre  premiers  siècles  ne  nous  est  parvenu.  Les  légendes,  au  contraire, 
sur  Marie,  Joseph,  Jésus  enfant,  Jésus  aux  enfers,  etc.,  nées  souvent 
dans  le  même  milieu  et  enfantées  par  le  même  esprit,  ont  été  conser- 
vées dans  des  rédactions  postérieures  expurgées  de  toute  hérésie  et 
appropriées  à  l'orthodoxie  catholique.  Quand  on  lit  aujourd'hui  les 
recueils  de  cette  littérature  apocryphe,  on  se  trouve,  comme  pour  les 
l  tes  des  Saints,  en  présence  d'un  travail  séculaire  de  compilation,  de 
remaniements,  d'enrichissements  qui  a  duré  jusqu'au  milieu  du  moyen 
âge.  Chaque  période  de  l'Eglise  a  laissé  des  traces  plus  ou  moins  dis- 
tinctes dans  les  diverses  rédactions  de  ces  légendes  primitives.  Chose 
singulière,  en  les  suivant  jusqu'à  leur  origine,  on  rencontre  un  nom 
propre,  Leucius  Carinus,  un  hérétique  du  second  siècle,  à  qui  la  tradi- 
tion l<s  rattache  comme  à  leur  auteur  principal.  Mais  qu'est-ce  que  ce 
personnage?  Tantôt  il  parait  double,  tantôt  unique;  son  nom  varie  infi- 
niment. Les  Pères  Le  nomment  :  Leucius,  Lucius,  Lenthius,  Lenticius, 
Leontius  et  quelquefois  Séleucus.  Il  est  impossible  d'en  dire  quoi  que 
ce  soit  de  certain  (voy.  Beausobre,  Histoire  du  Manichéimie,tom.  1,  liv.n, 
pag.   339425,  édit.    d'Amsterdam,    1734).    Les    plus     anciens  des 


418  APOCRYPHES 

évangiles  apocryphes  que  nous  possédons  encore  sous  des  formes 
diverses  sont  :  1°  L'Evangile  de  Nicodème.  Cet  ouvrage,  composé 
de  deux  parties  fort  distinctes,  Tune  et  l'autre  plus  anciennes, 
ne  remonte  pas  sous  sa  forme  actuelle  au  delà  du  sixième  siècle.  La  pre- 
mière partie  n'est  pas  autre  chose  qui  un  ancien  apocryphe  connu  déjà 
de  Justin  Martyr  et  de  Tertullien,  sous  le  nom  d'ActaPilati  et  en  très- 
grande  faveur  dans  toute  l'antiquité  (Just.,  lrc  ApoL,  35  et  48;  Tertul., 
Apolog  21).  Ajoutons  à  ce  propos  qu'au  nom  dePilate  se  rattache  toute 
une  littérature  apocryphe  qu'on  trouvera  dans  Thilo  ou  dans  Tischen- 
dorf:  Narratif  Jostphi  Arimathiensis,  Vindicta  Salvatoins,  Anaphora 
Pilati,  Paradosis  Pilati,  Epistola  PUati,  Responsum  Tiberii  ad  Pilatum, 
Mors  Pilati.  Lettre  de  Lentulus  à  Tibère  avec  un  célèbre  portrait  de 
Jésus.  La  seconde  partie  de  l'Evangile  de  Nicodème  est  le  récit  de  la 
Descente  de  Jésus  aux  enfers,  mis  dans  la  bouche  de  Leucius  et  de 
Carinus  deux  morts  ressuscites  au  moment  de  la  mort  de  Jésus,  et 
qui  vécurent  quelque  temps  à  Arimathée.  Il  se  pourrait  bien  que  l'au- 
teur de  ce  morceau  fut  l'héritique  Leucius  Carinus  dont  nous  avons 
parlé,  qu'un  rédacteur  latin  de  notre  Evangile  aura  dédoublé  et  dont  il 
aura  ensuite  fait  les  deux  noms  des  deux  fils  du  vieillard  Siméon  res- 
suscites par  Jésus.  Cette  descente  aux  enfers  est,  au  point  de  vue 
littéraire,  le  plus  beau  morceau  de  tous  les  apocryphes.  C'est  une 
composition  purement  poétique  dont  Milton  n'a  pas  dédaigné  de 
s'inspirer.  Pour  les"  divers  textes  grecs  et  latins  de  l'Evangile  de 
Nicodème,  voyez  les  belles  recherches  de  Tischendorf  dans  ses  Evan- 
gelia  apocrypha.  2°  Le  Protévangile  de  Jacques,  connu  de  Grégoire  de 
Nysse,  d'Epiphane  et  d'Origène.  Peut-être  même  Clément  d'Alexan- 
drie et  Justin  martyr  l'ont-ils  possédé  sous  une  forme  primitive.  Il  en 
existe  encore  plus  de  cinquante  manuscrits  dans  le  plus  grand  nombre 
desquels  manque  le  nom  de  saint  Jacques,  frère  de  Dieu.  Le  pape  Inno- 
cent Ier  l'attribuait  à  Leucius  (Inn.  ad  Exup.,  Epistol.  III,  cap.  3).  Le  récit 
commence  avec  la  naissance  de  la  vierge  Marie  et  va  jusqu'à  l'exécu- 
tion de  Zacharie  qui,  au  moment  du  massacre  des  Innocents  à  Béth- 
léhem,  meurt  plutôt  que  de  livrer  son  fds  Jean  aux  soldats  d'Hérode. 
3°  V Evangile  de  Thomas  n'est  pas  moins  ancien,  si  du  moins  ce  que 
nous  en  possédons  encore  appartient  au  même  écrit  qu'Origène  et 
Irénée  connaissaient  sous  le  nom  «  d'Evangile  de  Thomas».  C'était  une 
production  gnostique  adoptée  par  les  marcosiens  et  les  ophites.  Elle 
contient  l'histoire  de  l'enfance  de  Jésus,  histoire  fort  scandaleuse  par 
les  impertinences,  les  violences  cruelles  et  l'orgueil  pédantesque  de 
l'enfant  Jésus.  Elle  s'arrête  à  la  visite  au  temple  de  Jérusalem.  De  cet 
ouvrage  grec  sont  issues  des  rédactions  latines  et  arabes.  On  en  trouve 
des  traces  dans  le  Coran.  De  ces  deux  sources  premières  (Protévangile 
et  Evangile  de  Thomas)  découlent  probablement  tous  les  suivants. 
4°  L' Evangile  du  Pseudo- Matthieu,  ou  livre  de  la  naissance  de  la  bien- 
heureuse Marie  et  de  l'enfance  du  Sauveur,  publié  pour  la  première 
fois  en  entier  par  Tischendorf  et  qu'on  a  quelquefois  confondu  avec  le 
Protévangile  de  Jacques.  5°  LJ Evangile  de  la  Nativité  de  Marie,  souvent 
identifié  avec  le  précédent  n'a  paru  qu'au  sixième  siècle.  6°  UEvan- 


APOCRYPHES  41D 

gile  arabe  de  l'enfance  du  Sauveur,  qui  existe  aussi   dans  des  manus- 
crits syriaques,   étaii  lu  surtout  par  les   nestoriens,  les  chrétiens  de 
saint  Thomas  et  l'Eglise  copte.  La  relation  latine  que  nous  en  avons  encore 
ne  remonte  pas  au  delà  du  douzième  siècle,  bien  que  l'ouvrage  lui- 
même  soit  beaucoup  plus  ancien.  7°  UHistme  du  charpentier  Joseph 
est  une  série  de  prédication  composée  en  Egypte  versle  sixième  siècle 
avec  la  matière  des  récits  précédentsetqui  devaitêtrelue  dans  les  Eglises 
au  jour  de  la  fête  de  ce  personnage.  Elle  existe  encore  en  copte  et  en 
arabe.  8°  De  la  nmrt  au  du  déport  de  Marie  (De  àormitmm  rel  transita 
Marias),  apocryphe  mentionné  dans  le  décret  de  Gélase.9°  La  naissance 
dr  Marie  [Vi^nx  Map-.a),  apocryphe  gnostique  qui  ne  nous  est  connu  que 
par  Epiphane.  10°  Les  grandes  et  petites  iuiemajaiions  de  Marie,  autre 
écrit  gnostique  perdu.  Nous  ne  pouvons  compter  parmi  les  apocryphes 
les  histoires  de  Jésus   non  moins  légendaires,  qui  ont  eu  cours  parmi 
les  Juifs  au  moyen   âge,   comme  les    Toledolh  leschuah  (éditées  par 
Wagenseil,  en  1681,  sous  le  titre  de  Je/a  ignea  Satanœ),  et  les  fables 
recueillies  dans  le  Talmud.  —  D'une  tout  autre  nature  étaient  les  évangiles 
des  anciennes  sectes  chrétiennes,  dont  quelques-uns,  commaY  E  vangile 
des  Hébreux,  pouvaient  être  aussi  anciens  que  nos  évangiles  canoniques. 
C'est  une  seconde  classe  d'apocryphes  dont  malheureusement  il  ne  reste 
rien.  L'orthodoxie  catholique  qui  les  a  condamnés  les  a  également  fait 
disparaître  et  a  privé  ainsi  la  critique  historique  de  précieuses  ressour- 
ces. On  peut  dire  que,  dans  les  premiers  temps,  chaque  secte  avait  son 
Evangile;  mais  il  ne  faut  pas  se  représenter  ces  évangiles  comme  des 
ouvrages  toujours  différents.  Ce  n'étaient  souvent  que  des  variantes 
d'un  même  écrit  mises  sous  des  noms  divers.  Les  plus  anciens  de  ces 
évangiles  perdus  sont  :   1°  \J  Evangile  selon  les  Htèèreuœ,  qui  nous  est 
assez  bien  connu  par  Jérôme,  Eusèbe,  Origène,  Clément  d'Alexandrie. 
C'était  l'Evangile  des  nazaréens,  chez  lesquels  Jérôme  le  découvrit  en 
langue  araméenne  et  le  copia.  Il  le  prit  même  un  moment  pour  l'ori- 
ginal de  notre  Matthieu  grec,  auquel  il  était  généralement  parallèle.  Au 
dire  d'Eusèbe,  Papias  et  Hégésippe  s'en  seraient  servis;  l'auteur  des 
lettres  d'Ignace  et  Justin  le  connaissaient.  On  a  plusieurs  fois  essayé  de 
le  reconstituer  avec  les  citations  que  les  Pères  en  ont  faites.  La  dernière 
et  la  plus  complète  de  ces  restitutions  est  celle  de  M.  Hilgenfeld  {!\ro- 
vunt  Tt'shiuK'iiiaiu  extra  canmem receptum^  fase.  IV,  Lipsise,  1860).  Plu- 
sieurs théologiens,  Lessing,  Baur,  Hilgenfeld,  l'ont  regardé  comme 'le 
plus  ancien  des  évangiles  et  comme  la  source  de  notre  Matthieu  actuel. 
Lue  comparaison  plus  exacte  des  deux  textes,  partout  où  elle  est  pos- 
sible, a  démontré  la  fausseté  de  cette  conjecture.  Il  est  probable  (pie 
cet  évangile  fut  rédigé  au  commencement  du  second  siècle  dans  quelque 
ville  de  ia  Palestine  d'après  une  l'orme  antérieure  de  notre  Matthieu  pour 
l'usaue  des  judéo-chrétiens  stricts.   Voilà  pourquoi  la  secte  des  naza- 
réens n'en  voulut  jamais  accepter  d'autres.   2°  {/Evangile  des  Ebio- 
niies  q -était  pas  au  tue,  chose  qu'une  version  de  celui  des  Hébreux,  s'eToi- 
gnant  encore  plus  de  notre  Lvangilecanonique  sous  l'influence  d'idées 
dogmatiques  plus  accusées.  3°  L'Evangile  de»  Douze  parait  n'avoir  été 
qu'une  appellation  différente  de  ce  môme  évangile,  en  tête  duquel  se 


420  APOCRYPHES 

trouvait  la  liste  des  douze  apôtres  dont  le  témoignage  devait  garantir  la 
vérité  "du  récit  tout  entier.  4°  L Evangile  de  Barthélémy  d'après  Eusèbe 
ne  serait  que  l'Evangile  de  Matthieu,  porté  dans  les  Indes  par  cet  apôtre. 
§°  h3  Evangile  de  Pierre,  mentionné  par  Origène,  Eusèbe,  Jérôme,  Théo- 
doret,  ne  s'écartait  non  plus  de  l'Evangile  de  Matthieu  que  par  des  mo- 
difications dans  le  sens  d'un  gnosticisme  judaïsant.  De  nos  jours  on  a 
voulu  y  voir  la  source  de  notre  Marc  actuel,  à  cause  d'une  tradition 
assez  répandue  qui  fait  de  Marc  l'interprète  de  Pierre.  Cette  conjecture 
est  abandonnée.  6°  Non  moins  ancien  et  non  moins  vénéré  était  Y  Evan- 
gile des  Egyptiens,  issu  d'un  gnosticisme  ascétique.  On  en  trouve  quel- 
ques citations  dans  la  deuxième  lettre  de  Clément  Romain  et  dans  les 
Stromates  de  Clément  d'Alexandrie.  Chaque  grande  école  gnostique 
avait  aussi  son  Evangile,  mais  c'était  le  plus  souvent  un  de  nos  Evan- 
giles canoniques  modifié.  Ainsi  les  Evangiles  de  Basilide,  de  Cérinthe, 
de  Carpocrate  n'étaient  que  des  versions  altérées  de  notre  Matthieu; 
celui  d'Apelles  et  deMarcion  dérivaient  de  Luc.  Le  Diatessa?*on  de  Tatien 
était  une  compilation  de  nos  quatre  Evangiles  remaniés  peut-être  sur 
quelques  points.  Les  Valentiniens  se  servaient  de  nos  évangiles  cano- 
niques qu'ils  savaient  interpréter  dans  le  sens  de  leurs  idées.  Ce  qu'ils 
appelaient  Y  Evangile  de  Vérité  ou  Y  Evangile  de  perfection,  n'était  que 
le  recueil  dogmatique  de  leurs  idées.  On  rencontre  encore  des  Evan- 
giles sous  les  noms  de  Philippe,  deBarnabas,  de  Thaddée  que  les  Pères 
caractérisent  comme  des  ouvrages  hérétiques  sans  les  faire  connaître. 
11  paraît  même  avoir  existé  un  Evangile  de  Judas  Iscariot,  en  usage 
dans  la  secte  des  Caïnites.  Les  Manichéens  avaient  aussi  un  Evangile  de 
vie  (evangelium  vivum)  et  un  autre  évangile  appelé  Y  Evangile  du  bois- 
seau (evange lion  modion,  Marc  IV,  21).  Il  est  question  encore  d'un  Evan- 
gile d'Eve,  etc.,  etc.  Dans  la  même  classe  de  ces  écrits  doivent  être  ran- 
gés Y  Evangile  éternel  (Apoc.  XIV,  16)  sorti  de  la  cellule  d'un  moine  au 
treizième  siècle,  Y  Evangile  de  Jacques  le  Majeur,  trouvé  en  Espagne  en 
1595  et  condamné  en  1682  par  le  pape  Innocent  XI,  Y  Evangile  de 
saint  Jean  dont  se  servaient  les  Cathares,  Y  Evangile  des  Templiers,  œu- 
vre d'un  spinoziste  du  18e  siècle.  Ces  deux  derniers  ont  été  recueillis 
dans  le  Codex  apocryphus  de  Thilo.  On  voit  que  cette  littérature  apo- 
cryphe n'a  jamais  cessé.  Car  à  elle  appartiennent  encore  toutes  ces 
lettres  de  Jésus  ou  de  la  Vierge  Marie,  apportées  du  ciel  par  des  anges 
et  dont  se  nourrit,  jusque  de  nos  jours,  la  superstition  populaire. 

II.  Actes  des  apôtres.  Ces  actes,  non  moins  nombreux  que  les 
Evangiles,  présentent  les  mêmes  caractères.  Ils  forment  en  réalité 
le  premier  chapitre  de  la  Légende  des  Saints,  dans  laquelle  d'ailleurs  ils 
ont  été  généralement  admis.  Ils  doivent  leur  origine  aux  mêmes  causes 
que  les  Evangiles;  ils  proviennent  presque  toujours  d'une  source  hé- 
rétique. Le  nom  de  Leucius  Carinus  revient  encore  ici  comme  l'auteur 
principal.  Mais ,  de  même  que  les  Evangiles  ,  ils  ont  subi  une  série  de 
transformations  jusqu'à  la  fin  du  moyen  âge.  Par  exemple,  les  Actes 
de  saint  André  ont  été  connus  d'Eusèbe,  d'Epiphanes  et  attri- 
bués au  même  hérétique  Leucius.  Ils  remonteraient  donc  au  second 
siècle.  Mais  dans  la  version  que  nous   avons  aujourd'hui ,   nous  re- 


APOCRYPHES  421 

trouvons  le  symbole  de  Nicée,  la  messe,  le  dogme  de  la  transubstantia- 
tion  avec  les  termes  et  les  formules  officielles  de  Y  orthodoxie  catho- 
lique. Tels  qu'ils  sont,  ils  ne  remontent  pas  au-delà  du  neuvième 
siècle.  1°  Les  Histoires  apostoliques  du  Pseudo-Abdias  (Historix  apos- 
toliccv  Pseudo-Abdiœ) ,  d'après  la  préface,  auraient  été  écrites  en  hébreu, 
parAbdias,  un  disciple  de  Jésus-Christ,  institué,  par  les  apôtres,  évêque 
de  Babylone,  ensuite  traduites  en  grec  par  Eutrope,  son  disciple,  et  enfin 
mises  [en  latin  par  Julius  Africanus.  Tout  cela  n'est  qu'un  tissu  de 
fables.  Il  est  probable  qu'Abdias  dont  le  nom  doit  couvrir  toutes  ces  lé- 
gendes est  le  même  que  Thaddée  que  les  Syriens  appellent  Addée ,  et 
qui  est  resté  le  patron  des  Eglises  de  Syrie.  Quant  au  contenu  du  livre, 
nous  n'y  trouvons  qu'une  mauvaise  version  d'Actes  apostoliques  plus 
anciens*!  de  Thomas,  d'André,  de  Jean,  etc.),  faite  par  un  moine  d'Occi- 
dent fort  ignorant  vers  le  sixième  ou  septième  siècle.  2°  Les  Actes  de  Paul 
et  de  Théclée  {Acta  Pauli  et  Theclœ)  sont  un  roman  assez  intéressant  par 
endroits,  sur  les  voyages  et  les  prédications  de  Paul  et  son  amie  sur  les 
côtes  méridionales  de  l'Asie-Mineure,  composé  au  second  siècle  par  un 
prêtre  d'Asie  en  l'honneur  de  Paul.  Mais  la  fraude  pieuse  ne  plut  pas 
aux  chefs  de  l'Eglise,  et  le  prêtre  fut  solennellement  déposé  de  sa 
charge  pour  se  l'être  permise.  3°  Les  Actes  de  Pierre  et  de  Paul  sont  men- 
tionnés dès  le  troisième  siècle.  De  ce  vieux  livre  est  venu  le  récit  que 
nous  possédons  encore  sur  le  martyre  des  deux  apôtres  à  Rome.  Les 
mêmes  légendes  se  retrouvent  dans  deux  autres  apocryphes  dont  l'un 
des  deux  est  attribué  à  Marcellus,  un  prétendu  disciple  de  Paul  et 
l'autre  à  Linus,  évêque  de  Rome.  4°  Les  Actes  de  saint  Jean  (Acta  Jo- 
hannis),  connus  d'Eusèbe,  de  Clément  d'Alexandrie ,  acceptés  par  les 
manichéens  ,  sont  un  des  plus  anciens  et  des  plus  curieux  apocryphes. 
Citons  encore  o°  les  Actes  d'André,  dont  nous  avons  parlé  ;  6°  les  Actes  de 
Philippe  et  les  Actes  du  même  apôtre  en  Grèce  qui  sont  un  complément 
des  premiers  ;  7°  les  Actes  de  Barnabas;  8°  les  Actes  d'André  et  de  Matthias 
dans  la  ville  des  anthropophages;  9°  les  Actes  et  le  martyre  de  Matthieu; 
10°  les  Actes  de  Thomas;  11°  la  Fin  de  Thomas  (Consommatio  Thomœ),  qui 
sont  la  principale  source  du  Pseudo-Abdias,  et  paraissent  fort  anciens; 
12° le  Martyre  de  Barthélémy ,  dont  Zoëga  a  publié  deux  fragments;  13° 
les  Actes  de  Thaddée  qui  racontent  la  mission  de  cet  apôtre  auprès  du 
roi  d'Édesse,  Abgar;  l'i0  les  Actes  de  Pierre  et  d'André  récemment  dé- 
couverts et  édités  par  Tischendorf  ;  15°  les  Actes  de  Paul  et  d'André  dont 
un  fragment  a  été  donné  par  Zoëga,  etc.  A  cette  longue  liste,  il  convien- 
drait peut-être  d'ajouter  le  fameux  roman  des  Homélies  Clémentines  ou 
Recoynitiones,  dirigé  surtout  contre  Paul  qui  s'y  trouve  représenté  et 
poursuivi  par  Pierre  sous  la  figure  de  Simon  le  Magicien ,  et  aussi  les 
deux  ouvrages  perdus  qui  ont  servi  de  source  à  l'auteur  de  ce  roman.  La 
Prédication  de  Pierre  (K^puf\ux  Ilrrpsy)  et  les  Voyages  de  Pierre  (IlepfoSoc 
Qéxpou),  inspirés  par  un  judéo-christianisme  fort  étroit. 

III.  Epures  apocryphes.  Celte  classe  est  moins  nombreuse  et  moins 
intéressante  que  Les  deux  précédentes.  En  premier  lieu,  nous  rencon- 
trons la  Lettre  de  Jésus-Christ  à  Abgar,  roi  d'Edesse,  conservée  par 
Eusèbe  et  dans  les   Actes  de  Thaddée  (voy.  art.    Abgar).   Nous  pas- 


422  APOCRYPHES 

sons  les  nombreuses  lettres  de  Marie  à  ses  adorateurs  anciens  et  mo- 
dernes. Mentionnons  deux  Lettres  de  Pierre  à  Jacques  qui  se  trouvent 
dans  les  Homélies  prétendues  de  Clément  et  appartiennent  à  cette  litté- 
rature pseudo-clémentine.  Quelques  passages  des  épîtres  de  saint  Paul 
ont  donné  lieu  à  quelques  fausses  lettres  de  cet  apôtre.  Ainsi  dans 
Coloss.  IV,  16,  il  est  question  d'une  Lettre  aux  Laodicéens,  qui  peut  être 
notre  épître  actuelle  aux  Ephésiens  ou  bien  est  entièrement  perdue. 
On  a  essayé  de  la  remplacer  par  une  production  apocryphe  de  20  ver- 
sets qui  existait  déjà  du  temps  de  Jérôme.  De  même,  le  passage  de 
1  Cor.  V,9,  a  donne  naissance  à  un  échange  de  Lettres  entre  Paul  et  les 
Corinthiens,  conservées  en  langue  arménienne  et  publiées  pour  la  pre- 
mière fois  en  1715.  On  trouve  ces  lettres  apocryphes  en  français  dans 
le  Dictionnaire  des  apocryphes  de  l'abbé  Migne.  Le  fragment  connu 
sous  le  nom  de  Canon  de  Muratori  mentionne  encore  une  Lettre  de 
Paul  aux  Alexandrins.  Enfin  toute  cette  littérature  a  son  couronne- 
ment dans  la  fameuse  Correspondance  de  Paul  et  de  Sënèque,  mention- 
née d'abord  par  Jérôme  et  tenue  pour  authentique  pendant  le  moyen 
âge.  On  compte  six  lettres  de  Paul  à  Sénèqueet  huit  lettres  deSénèque 
à  Paul.  Ces  rapports  entre  le  philosophe  et  l'apôtre  n'ont  d'autre 
point  de  départ  que  le  passage  des  Actes  des  apôtres  XVIII,  12,  où  est 
racontée  la  comparution  de  Paul  devant  Gallion,  le  frère  de  Sénèque. 
Dans  l'histoire  apocryphe  de  Prochore  {Narratio  Prochori  de  Sancto 
Johanne)  ,  se  rencontre  encore  une  Epître  de  Jean  à  un  hydropique . 
Enfin  si,  comme  on  le  croit,  Y  Epître  de  Barnahas  n'est  pas  authentique, 
elle  trouverait  ici  sa  vraie  place. 

IV.  Apocalypses.  Les  premiers  chrétiens  ne  se  sont  pas  servis 
du  genre  apocalyptique  avec  moins  d'ardeur  que  les  Juifs.  Ils  ont 
mis  plusieurs  apocalypses  chrétiennes  sous  les  noms  de  patriar- 
ches ou  de  prophètes  de  l'Ancien  Testament  et  des  Sybilles  dont  il  sera 
question  ailleurs  (voy.  art.  Pseudépigraphes).  Parmi  celles  qui  por- 
taient des  noms  chrétiens,  les  Pères,  à  côté  de  l'Apocalypse  de  saint 
Jean,  parlent  d'une  Apocalypse  de  saint  Pierre  qui  jouit  dans  les  pre- 
miers siècles  d'une  grande  autorité.  Le  Canon  de  Muratori  la  men- 
tionne avec  quelques  doutes  sur  son  authenticité.  Clément  d'Alexan- 
drie la  commentait  dans  ses  Hypotyposes.  Dans  certaines  Eglises  de  la 
Palestine,  elle  était  lue  annuellement  aux  jours  de  jeûne.  Nous  en 
avons  quelques  fragments  qui  décèlent  un  esprit  judaïsant  très- 
exalté.  Il  existe  encore  en  arabe  une  seconde  Apocalypse  de  Pierre. 
L Apocalypse  de  Paul,  dont  Eusèbe  a  parlé,  était  d'un  tout  autre 
caractère.  C'est  l'œuvre  d'un  gnostique  anti-judaïsant.  On  la  croyait 
perdue,  lorsque  dans  ces  derniers  temps,  Tischendorf  l'a  découverte 
et  publiée.  Elle  a  pour  point  de  départ  le  ravissement  de  Saint-Paul 
(2  Cor.  XII,  1-8).  Il  est  probable  qu'il  existait  un  autre  écrit  du 
même  genre,  issu  de  la  même  donnée,  connu  sous  le  nom  d'Ascension 
de  saint  Paul.  A  partir  du  onzième  siècle,  il  est  encore  question  d'une 
seconde  Apocalypse  de  Jean,  publiée  également  par  Tischendorf, 
ouvrage  absolument  sans  valeur.  Dans  le  décret  du  pape  Gélase,  il  est 
fait  mention  d' Apocalypses  de  saint  Thomas  et  de  saint  Etienne.  Enfin, 


APOCRYPHES  —  APOLL1NA1  RE  m 

éans  les  manuscrits  sahidiques  de  la  Bibliothèque  nationale  à  Paris,  se 
trouvent  une  Apocalypse  de  Barthélémy,  et,  parmi  les  manuscrits  grecs, 

un  autre  apocryphe,  la  Descente  au.r  enfers  de  la  Vierge  Marie,  dont 
rien  encore  n'a  été  publié.  —  On  peut  ranger  enlin  parmi  les  apocry- 
phes certains  livres  d  un  caractère  dogmatique  ou  ecclésiasti(iue,  qui, 
•dans  rancienne  Eglise,  avaient  une  grande  autorité  et  qu'on  taisait 
remonter  jusqu'aux  apôtres.  Les  Constitutions  apêsteiiques,  les  Doctrines 
des  apôtres  fAtàocgoii xôv  «rcoaréXwv)  dont  ont  parlé  Eusèbe  etAthanase,et 
<lont  M.  Ililgeiit'eld  a  donné  des  fragments  dans  son  JSovum  Testamen- 
tum  extra  canonem  (iasc.  IV),  auxquelles  il  faut  ajouter  la  Didascalia 
npostnlorinn,  éditée  et  traduite  du  Syriaque  par  M.  de  Lagarde  (i85â)» 
Parmi  les  manuscrits  découverts  dans  la  Bibliothèque  du  couvent  du 
Saint-Sépulcre,  M.  Bryennius  annonce  qu'il  a  trouvé  une  \ioxyrt  twv 
i-s—cAojv,  qui  sera  bientôt  publiée. —  Les  apocryphes  ont  été  P objet 
d'études  nombreuses  dans  les  deux  derniers  siècles.  On  peut  con- 
sulter, outre  les  diverses  collections  mentionnées  plus  haut,  la  Bi- 
blwthèque  ecclésiastique  de  Du  Pin  ;  les  Mémoires  de  Tillemont  sur  PHis- 
toire  ecclésiastique  ;  Y  Histoire  critique  des  Livres  du  Nouveau  Testa- 
ment de  Richard  Simon;  une  très-longue  et  très-savante  dissertation 
dans  Y  Histoire  du  Manichéisme  de  Beausobre  ;  un  Mémoire  sur  les  ou- 
vrages apocryphes,  inséré  dans  le  recueil  de  PAcadémie  des  inscrip- 
tions, tome  XXYII,  de  Burigny;  Kleuker,  Ueber  die  Apocryphen  des 
y.  T.,  Hambourg,  1798;  Xitzsch,  De  apocryph.  Evang .  in  explicando 
canonico  usu  et  abusu,  Viteb.,  1804;  Tischendorf,  De  Eu.  apocryph, 
origine  et  usu  disquisitio  historica  critica,  quam  prannio  aureo  dignam 
censuit  societas  Hagana,  Hagœ,  1851  ;  B.  Hoffmann,  Ltben  Jesu  nach 
den  Apocryphen-,  de  Pressensé,  dans  sa  Vie  de  Jésus,  Paris,  1866;  Michel 
Xicolas,    Evangiles   apocryphes,    Paris,    1866,    etc.      A.  Sabatier. 

APOLLINAIRE  (Saint)  [K\x2<o;  '  XrS/^y.^oz],  évêque  d'Hiérapolis , 
présenta  à  Marc-Aurèleune  apologie,  dans  laquelle  se  trouve  rapporté  le 
miracle  de  la  legio  fulminea;  il  écrivit  aussi  cinq  livres  contre  les  Gen- 
tils, deux  livres  sur  la  vérité,  et  un  livre  contre  Phérésie  naissante  de 
Montanus  (Eusèbe,  Hist.  Eccl.,l\,  27;  V,o;  saint  Jérôme,  de  Viris,  26; 
Photius,  cod.  14).  Rufin  et  Nicéphore  (Hist.  EccL,  IV,  23)  ont  cru  pou- 
voir attribuer  à  Apollinaire  un  écrit  anonyme  contre  le  montanisme  : 
ce  livre  est  certainement  postérieur.  Sérapion,  cité  par  Eusèbe  (V,  19), 
a  conservé  quelques  mots  du  traité  d'Apollinaire  contre  Montanus. 
Nicéphore  </.  /.  11)  et  quelques  manuscrits  d'Eusèbe,  mais  non  les 
meilleurs,  lui  attribuent  encore  deux  livres  contre  les  Juifs.  On  trouve 
dans  la  prélace  de  la  Chronique  Pascale  (éd.  Ducange,  p.  6;  éd.  Din- 
dorf,  !..  p.  13),  deux  passages  d'Apollinaire  sur  le  jour  de  la  mort  du 
Christ,  «!<>iit  Tillemont  a,  à  tort,  contesté  l'authenticité,  et  qui  ont 
joué  un  grand  rôle  dans  les  controverses  relatives  au  quatrième 
Evangile. 

APOLLINAIRE  ,  évoque  de  Laodicée,  iils  d'un  grammairien  chré- 
tien,  .'tait  lui-même  professeur  d'éloquence  (Soc,  II,  46  ;  III,  16; 
Sozom.,  V,1S;  Vl,25).  il  s'employa  tout  entier  à  combattre  l'arianisme. 
C'est  pour  désarmer  Phérésie  qu'il  conçut  le  système  de  christologio 


424  APOLLINAIRE  —  APOLLONIUS 

qui  a  gardé  son  nom.  Sa  doctrine  ne  nous  est  connue  que  par  les 
réfutations  de  Grégoire  de  Nysse  dans  son  Antirrheticus,  de  Grégoire 
deNaziance,  dans  ses  épitres  à  Glédonius  et  à  Nectaire,  d'Athanase  dans 
ses  deux  livres  contre  les  apollinaristes,  d'Epiphane  (Hœ?\,  77)  et  de 
Théodoret  {Hser.  Fab.,  4,  8;  dialogue  3),  ainsi  que  par  les  fragments  de 
ses  ouvrages  qu'A.  Mai  a  publiés  dans  le  volume  YJI  de  sa  Collectio 
nova.  Quel  est,  disait  Apollinaire,  le  siège  du  moi  dans  l'homme?  N'est- 
ce  pas  l'esprit,  le  vcuç,  ce  principe  de  la  conscience  et  du  libre  ar- 
bitre ?  Accorder  à  la  nature  humaine  du  Christ  le  vouç,  Y  esprit  et 
la  raison,  c'est  mettre  en  lui ,  comme  le  prétend  l'arianisme  ,  deux 
personnes,  deux  êtres  complets  :  «  Ils  seraient  deux,  l'un,  Fils  de  Dieu 
par  nature,  et  l'autre  par  adoption.  »  Reconnaître  à  l'humanité  du 
Christ  un  esprit  raisonnable  et  libre,  c'est  également  ouvrir  la  porte  au 
péché,  car  «  il  n'y  a  pas  d'homme  complet  sans  péché  ».  Il  faut  donc 
admettre  que  le  Christ  a  eu  un  corps  humain  et  une  âme  humaine, 
l'âme  étant  ce  principe  de  vie  qui  est  commun  à  tous  les  êtres  animés  ; 
mais  la  place  du  voue,  de  l'esprit  humain ,  a  été  tenue  en  lui  par  la 
nature  divine  du  Fils  de  Dieu.  On  le  voit,  emporté  par  le  désir  de 
confondre  en  une  seule  personne  les  deux  natures  du  Christ,  l'évêque 
de  Laodicée  a  sacrifié  l'intégrité  de  sa  nature  humaine  à  l'unité  de  son- 
être.  Les  deux  Grégoire  l'accusent  d'avoir  recherché  cette  unité  de 
Dieu  et  de  l'homme  jusqu'avant  le  temps  :  «La  nature  humaine  du 
Christ,  lui  fait  dire  Grégoire  de  Naziance,  est  antérieure  aux  siècles, 
elle  fait  partie  de  son  essence  ».  Grégoire  de  Nysse  va  jusqu'à  lui 
attribuer  d'avoir  enseigné  «  que  la  divinité  est  passible  ».  «  Ce 
n'est,  aurait-il  dit,  que  si  le  Christ  a  souffert  et  est  mort  comme 
Dieu,  qu'il  a  pu  triompher  de  la  mort.  »  Les  meilleurs  historiens  estiment 
que  les  Cappadociens  ont  attribué  au  maître  les  propos  de  ses  disciples  : 
quoiqu'il  en  soit  ,  nous  ne  pouvons  voir  en  ces  extrêmes  que 
la  conséquence  naturelle  de  sa  pensée.  Le  monophysitisme  devait 
sortir  du  même  courant.  La  querelle  soulevée  par  Apollinaire  fut 
pour  l'Eglise  une  occasion  d'affirmer  l'humanité  entière  du  Sau- 
veur. Dès  362,  un  synode  réuni  à  Alexandrie  se  prononçait  contre  une 
doctrine  semblable*  à  la  sienne  ;  les  synodes  romains,  convoqués  par 
Damase  en  374,  376,  380,  condamnèrent  hautement  l'évêque  de 
Laodicée  :  «  Si  le  Christ,  dit  le  synode  de  374,  s'est  uni  à  un  homme 
incomplet,  notre  salut  est  incomplet»  (Mansi,  III;  Hefele,  I,  705  ss.).  — 
Voy.  les  dissertations  de  Basnage  (Utrecht,  1687)  et  de  Wernsdorft 
(Witenb.,  1694,  puis  1719)  ;  Dorner  I,  976  ss.  S.  Bekgee. 

APOLLINE  (Sainte)  [Apollonia],  vierge  et  presbytù  (diaconnesse  ?) 
d'Alexandrie,  subit  le  martyre  en  249,  sous  Décius.  Denys  d'Alexan- 
drie, dans  une  lettre  à  Fabien,  évêque  d'Antioche,  conservée  par 
Eusèbe  (VI,  41),  raconte  sa  passion.  Les  bourreaux  la  souffletèrent  et 
brisèrent  ses  dents  ;  menacée  du  bûcher,  elle  s'y  précipita,  peut-être 
pour  échapper  à  de  nouveaux  outrages  (A A.  SS.,  9  Feb .  II). 

APOLLONIUS  DE  THYANES ,  magicien  et  philosophe,  vécut  au  pre- 
mier siècle  de  notre  ère  et  reçut  après  sa  mort  des  honneurs  divins 
dans  sa  ville  natale.  Tels  sont  les  seuls  détails  authentiques  que  nous 


APOLLONIUS  —  APOLLOS  425 

possédions  sur  lui.  Il  avait,  dit-on,  laissé  des  mémoires  qui  furent 
remis  à  F  impératrice  Julie  Domna,  femme  de  Septime  Sévère,  en  194. 
Celle-ci  confia  ces  mémoires  à  Philostrate  qui  écrivit  la  vie  d'AppoI- 
lonius.  Cette  biographie  if  a  aucune  valeur  historique.  Philostrate  fait 
de  son  héros  un  thaumaturge  accompli  dont  la  vie  est  remplie  de  pro- 
diges, en  même  temps  qu'il  nous  offre  en  lui  le  type  idéal  du  pythago- 
ricien parfait.    Ascète  austère,  il  connaît  toutes  les  sciences  et  toute  la 
sagesse  humaine  et    il  passe  sa  vie  à  prêcher  cette  sagesse  ;  toute  la 
grandeur  et  toute  la  puissance  du  monde  antique  se  concentrent  dans 
sa  personne  et  sont  résumées  dans  ses  prédications.  Il  se  présente  aux 
hommes  en  véritable  réformateur  du  paganisme  et  il  veut  cette  réfor- 
mation par  le  syncrétisme.  On  s'explique  aisément  le  but  de  Philos- 
trate ;  il  voulut  montrer,  sans  doute,  à  l'instigation  de  Julie  Domna, 
< [ue  le  paganisme  était  capable  de  produire  des  hommes  aussi  remar- 
quables, soit  par  leur  vie  morale,  soit  par  les  prodiges  qu'ils  accomplis- 
saient, que  le  fondateur  du  christianisme  lui-même.  Il  voulait  montrer 
aussi  qu'en  réunissant  ce  que  l'antiquité  a  offert  de  plus   parfait  on 
obtient  une  doctrine  qui  n'est  pas  inférieure  à  celle  de  l'Evangile.  Il  y 
a,  dans  cet  essai  du  sophiste,  une  preuve  curieuse  de  l'influence  im- 
mense qu'exerçait  sur  les   masses,  à  cette  époque,  la  personne  du 
Christ.  Philostrate  voulait  précisément  combattre  cette  influence  crois- 
sante et  arrêter  la  décadence  du  paganisme.  Il  se  proposait  donc  un 
but  pratique,  et  cette  forme  prise  par  l'opposition  aux  progrès  de  la  foi 
chrétienne  nous  montre  bien  quelle  puissance  morale  celle-ci  possé- 
dait alors.  Les  efforts  de  Philostrate  furent  en  partie  couronnés  de 
succès.  Il  n'arrêta  pas  les  progrès   du  christianisme,  mais   il  créa  à 
Appollonius  de  Thyanes  une  véritable  divinité.  Hiéroclès  qui,  cent  ans 
plus  tard,  fut  l'auteur  de  la  persécution  des  chrétiens  sous  Dioclétien, 
compara  ouvertement,  dans  un  de  ses  ouvrages,  Apollonius  avec  le 
Christ,  et  Eusèbe,  en  le  réfutant,  admet,  d'une  manière  générale,  la 
vérité  du  récit  de  Philostrate.   Les  habitants  de   Thyanes   dédièrent 
un  temple  à  Apollonius  ;   ceux   d'Ephèse   lui  élevèrent  une  statue, 
et  Alexandre  Sévère  plaça  son  image  à  côté  de  celle  de  Jésus-Christ. 

Edm.  Stapfer. 
APOLLONIUS,  savant  écrivain,  qui  vivait  en  Asie  Mineure  au  com- 
mencement du  troisième  siècle,  est  connu  par  un  ouvrage  (insigne  et 
mm  volumen,  dit  Jérôme  dans  son  Calai,  de  script,  ecci.,  c.XL)  contre 
les  montanistes  dont  il  ne  reste  qu'un  fragment  conservé  par  Eusèbe 
[Hist.  eccl.,  Y,  18).  Il  leur  reproche  les  vices  les  plus  graves  et  tourne  en 
ridicule  leurs  prophéties.  Nicéphore  l'a  confondu  avec  Apollonius,  séna- 
teur romain,  dont  Eusèbe  (V,  21)  nous  raconte  qu'il  fut  dénoncé  comme 
chrétien  par  son  esclave  sous  l'empereur  Commode,  et  qu'après  avoir 
prononcé  devant  le  Sénat  une  défense  éloquente  (XoYea)6a(b)v  dntdkoyzm), 
il  eut  la  tête  tranchée,  en  même  temps  que  son  dénonciateur,  confor- 
mément aux  lois  romaines  qui  réglaient  les  rapports  des  maîtres  et  des 
esclaves,  fut  condamné  à  avoir  les  cuisses  brisées,  ce  qui  «Hait  le  sup- 
plice le  plus  ignominieux. 

APOLLOS  (  'AwoXXwÇj  abréviation  du  nom  grec  'AtcqXXcovicç).  Il  est  spé- 

28 


426  APOLLOS  —  APOLOGÉTIQUE 

cialement  question  de  cet  ami  et  collaborateur  de  saint  Paul  à  Corinthe  et 
à  Ephèse,  dans  deux  passages  du  Nouveau  Testament  (1  Cor.  I-IÏI  et 
Act.  XVIII,  2i  ;  XIX,  1)  d'où  se  dégage  une  très-belle  et  très-intéressante  fi- 
gure. Apollos  était  un  juif  originaire  d'Alexandrie  où  il  n'avait  pu  rester 
étranger  à  l'influence  de  la  philosophie  religieuse  de  Philon.  Il  était,  nous 
disent  les  Actes,  éloquent ,  très-versé  dans  les  Ecritures,  puissant  dans  les 
controverses,  d'une  originalité  dépensée  etd'une  indépendance  de  carac- 
tère qu'il  sut  défendre  et  garder  môme  à  côté  de  l'irrésistible  influence 
de  la  pensée  du  grand  apôtre.  Il  ne  devint  jamais  entièrement  son  dis- 
ciple. Il  travailla  à  côté  de  lui  et  même  il  semble  à  Corinthe  avoir  con- 
quis momentanément  une  autorité  presque  égale.  Nous  ne  savons  point 
comment  il  avait  été  amené  à  l'Evangile  ;  mais,  en  tout  cas,  ce  ne  fut 
pas  comme  Paul,  par  une  conversion  subite.  D'après  le  récit  des  Actes, 
il  ne  connaissait,  quand  il  vint  à  Ephèse,  que  le  baptême  de  Jean. 
Aquilas  et  Priscille  achevèrent  son  éducation  chrétienne,  c'est-à-dire, 
sans  doute,  l'initièrent  à  ce  que  Paul  appelait  un  Evangile  entièrement 
fondé  sur  la  croix  et  la  résurrectiou  du  Christ  et  indépendant  de  toute 
tradition  et  de  toute  attache  juives.  Néanmoins  l'enseignement  d'Apol- 
os  ne  se  confondit  jamais  avec  celui  de  Paul.  D'un  côté,  il  parait  s'être- 
moins  séparé  du  judaïsme,  et  de  l'autre  avoir  fait  dans  sa  théologie  une 
part  plus  grande  à  la  philosophie  alexandrine.  C'est  ce  que  Paul  fait 
entendre  quand  il  blâme  dans  son  épître  aux  Corinthiens  (1  Cor.  ï, 
17;  II,  1-3)  cette  sagesse  mondaine,  ces  discours  pathétiques,  cette  rhé- 
torique savante  qui  semblent  vouloir  ajouter  quelque  chose  d'humain 
à  la  puissance  de  la  croix  du  Christ  toute  nue.  Dans  tous  ces  passages, 
il  est  évident  que  l'apôtre  fait  allusion  à  Apollos  et  au  parti  qui,  dans 
l'Eglise  de  Corinthe,  se  groupait  autour  de  son  nom.  Cependant  ces 
légères  différences  n'allèrent  jamais  jusqu'à  des  froissements.  Apollos, 
dont  l'humilité  semble  avoir  égalé  laf'erveur  et  le  talent,  fut  sans  doute  le 
premier  à'  donner  raison  aux  avertissements  sévères  de  Paul.  Dans  la 
seconde  lettre  aux  Corinthiens,  le  parti  d 'Apollos  disparaît  entièrement 
et  l'apôtre  ne  se  trouve  plus  qu'en  face  des  judaïsants,  ses  irrécon- 
ciliables adversaires.  Paul  le  nomme  son  frère  (1  Cor.  XVI,  12)  ;  il  aurait 
voulu  l'envoyer  à  Corinthe  ,  mais  il  ne  put  le  décider.  Apollos  passa 
les  années  57  et  58  à  Ephèse  ou  dans  les  environs.  Son  nom  revient 
encore  une  fois  à  la  fin  de  l'épitre  à  Tite  ;  puis  nous  perdons  entièrement 
ses  traces.  Luther  a  voulu  lui  attribuer  l'épitre  aux  Hébreux.  Ce  n'est 
qu'une  conjecture.  Mais  autant  qu'on  peut  se  représenter  la  théologie 
d'Apollos,  elle  ne  devait  pas  différer  beaucoup  de  celle  de  cette  épitre. 

A.  Sabatiee. 
APOLOGÉTIQUE,  APOLOGIE.  —  I.  Principes.  L'apologétique  est  la 
science  qui  établit  les  principes  d'après  lesquels  la  vérité  de  la  religion 
chrétienne  doit  être  démontrée  et  défendue  contre  les  attaques  de  ses 
adversaires.  Elle  se  distingue  de  l'apologie,  qui  est  cette  démonstration 
et  cette  défense  elles-mêmes.  On  a  contesté  l'utilité  de  l'apologétique, 
non  moins  que  son  caractère  scientifique.  Longtemps  ignorée  ou  dédai- 
gnée, cette  branche  de  la  théologie  est  cultivée  avec  prédilection  aujour- 
d'hui; pour  ce  qui  concerne  les  apologies,  elles  encombrent  le  marché 


APOLOGÉTIQUE  li>7 

de  la  librairie,  particulièrement  en  Allemagne,  ce  qui  ne  Laisse  pas  que 
d'être  un  symptôme  inquiétant.  Si  les  attaques  contre  le  christianisme 
u'étaient  pas  si  multiples  et  si  sérieuses,  la  défense  ne  déploierait  pas  tant 

d'efforts.  Quoi  qu'il  en  soit,  ni  les  défauts  communs  à  beaucoup df apo- 
logistes, tels  que  la  crédulité,  l'inexactitude-,  l'exagération,  la  partia- 
lité, les  sophismes,  le  ton  déclamatoire,  les  invectives  contre  les  adver- 
saires,  ni  la  difficulté  de  la  tache  en  elle-même,  ne  sauraient   être 
invoqués  contre  L'apologétique,  bien  qu'ils  expliquent  les  préventions 
dont  elle  est  L'objet.  Nous  croyons  que  les  défauts  que  nous  venons  d'énu- 
mérer  peuvent  être  évités;  quant  à  la  difficulté,  elle  tient  à  la  nature 
même  de  la  toi  chrétienne  qui  repose,  en  grande  partie,  sur  des  expé- 
riences intérieures  et  implique  une  certaine  direction  de  la  volonté.  Per- 
sonne ne  réussira  jamais  à  démontrer  mathématiquement  la  vérité  de  la 
religion  chrétienne,  dont  le  caractère  même  est  l'inévidence;  seulement, 
cet  inconvénient,  l'apologétique  le  partage  avec  d'autres  sciences,  avec 
la  philosophie  et  avec  l'histoire,  par  exemple:  elles  aussi  reposent  sur 
des  recherches  et  des  observations  qui  ne  sont  possibles  qu'à  celui  qui, 
par  une  application  sérieuse  et  prolongée,  s'y  est   spécialement  pré- 
paré, et,  dans  la  plupart  des  cas,  elles  lui  procurent  des  probabilités 
plutôt  que  des  certitudes.  Dans  le  fond,  la  tâche  de  l'apologétique  est  de 
mettre  en  lumière  les  principes  sur  lesquels  la  théologie  repose  comme 
science  et  se  distingue  de  la  philosophie.  Ces  principes  découlent  d'une 
analyse  rigoureuse  de  la  foi  chrétienne  destinée  à  mettre  en  lumière  les 
deux  laits  fondamentaux  qui  la  constituent,  l'un  d'ordre  psychologi- 
que, le  péché  ou  l'impuissance  de  l'homme  à  réaliser  par  lui-même, 
sans  un  secours  divin,  sa  destinée  terrestre;  l'autre,  d'ordre  histori- 
que, la  manifestation  de  la  grâce  divine  dans  la  personne  de  Jésus- 
Christ  et  dans  le  plan  providentiel  du  salut  auquel  elle  est  liée.  L'apo- 
logétique exige  donc  des  aptitudes  de  réflexion  philosophique,  comme 
aussi  une  certaine  familiarité  avec  les  procédés  de  la  critique  historique, 
et  pour  le  moins  une  connaissance  précise  de  ses  résultats.  Elle  fait  for- 
cément des  emprunts  à  toutes  les  autres  branches  de  la  théologie,  sans 
pour  cela  se  confondre  avec  elles.  Schleiermacher,  dans  son  Encyclo- 
pédie, la  place,  avec  la  polémique,  en  tête  de  renseignement  théologique, 
sous  le  nom  de  théologie  philosophique;  d'antres  l'identifient  soit  avec 
les  prolégomènes  de  la  dogmatique,  soit  avec  la  philosophie  de  la  reli- 
gion  ;  d'autres  encore,  la  considérant  comme  un  art  plutôt  que  comme 
une  science,  la  relèguent  dans  la  théologie  pratique.  Peu  importe  le 
rang  qu'on  lui  assigne,  pourvu  que  l'on  soit  bien  au  clair  sur  la  nature 
de  son  objet,  sur  son  étendue  et  sur  ses  limites.  Le  contenu  de  l'apolo- 
[ue  est  Le  témoignage  rendu  par  la  conscience  chrétienne  à  la  vérité 
morale  et  historique  du  christianisme.  Le  foyer  sur  lequel  elle  dirige 
son  attention  principale  est  le  sentiment   religieux,  tel  qu'il  vibre  au 
fond  de  notre  conscience,  et  qui  se  trouve  être  Le  produit  à  la  fois  d'un 
élément  objectif,  L'action  de  Dieu,  et  d'un  élément  subjectif,  l'action  de 
L'homme.  La  dualité  de  principes  qu'implique  cette  constatation  est 
irréductible  en  un  certain  sens,   parce  que  jamais  lnomme   ici-bas 
n'arrivera  à  connaître  et  à  posséder  pleinement  Dieu;  mais  elle  tend  à 


428  APOLOGETIQUE 

se  résoudre  dans  une  unité  toujours  plus  harmonieuse,  à  mesure  que  la 
foi  ou  la  vie  religieuse  devient  plus  parfaite,  c'est-à-dire  à  mesure  que 
l'homme  réussità  mieux  comprendre  et  à  s'assimiler  d'une  manière  plus 
complète  la  grâce  divine  :  Credo  ut  intellîgam.  Nulle  science  plus  que 
l'apologétique  n'a  besoin  de  se  pénétrer  de  la  vérité  de  cet  adage.  De  plus, 
l'action  de  Dieu  dans  la  conscience  du  chrétien  étant  déterminée  par 
certains  faits  historiques,  il  s'ensuit  que  l'effort  de  l'apologiste  devra 
se  porter  sur  ces  faits,  ainsi  que  sur  les  documents  qui  les  rapportent, 
afin  d'en  constater  l'authenticité  et  d'en  saisir  le  véritable  caractère.  —  Ce 
qui  a  surtout  nui  à  la  considération  de  l'apologétique  comme  science, 
c'est  la  difficulté  de  disposer  et  de  grouper  d'une  manière  organique 
les  matériaux  dont  elle  se  compose.  Longtemps  on  s'est  servi   de  la 
division  en  preuves  internes  (accord  du  christianisme  avec  la  raison 
ou  avec  la  conscience)  et  en  preuves  externes  (faits  extraordinaires  ou 
miraculeux  qui  ont  précédé  ou  accompagné  le  christianisme);   mais 
cette  division  nuit  au  but  même  que  se  propose  l'apologétique.    Le 
caractère  surnaturel  du  christianisme  ne  pouvant  être  déterminé  dans 
la  première  partie,  il  peut  paraître  que  son  essence  consiste  dans  son 
accord  avec  la  raison,  d'où  il  s'ensuit  que  l'élément  humain,  c'est-à- 
dire  subjectif,  devient   non-seulement   le   sensorium  et  le   critérium, 
l'organe  qui  perçoit  et  apprécie  l'élément  divin,  mais  sa  norme,  le  juge 
qui  lui  confère  sa  valeur  et  son  autorité.  Et,  d'autre  part,  les  faits  sur- 
naturels étant  considérés  comme  possédant  en  eux-mêmes  une  vertu 
démonstrative,   indépendamment  de  leur  accord  avec  la  raison,    il 
pourrait  sembler  que   l'essence  du   christianisme   consiste   dans   ce 
caractère  surnaturel,  ce  qui  serait  également  inexact.  En  tous  les  cas, 
ces  deux  manières  de  concevoir  le  christianisme  ne  peuvent  se  com- 
biner que  d'une  manière  extérieure  et  artificielle  et  ne  justifient  que 
trop  l'opposition  du  point  de  vue  rationaliste   et  supranaturaliste  que 
l'apologétique  doit  précisément  prendre  à  tâche  de  vaincre  par  une 
saine  exposition  des  principes  théologiques  fondamentaux.    D'autres 
auteurs  ont  commencé  l'apologétique  par  une  analyse  critique  de  l'idée 
de  la  révélation,  c'est-à-dire  par  rémunération  des  signes  d'après  les- 
quels on  doit  juger  la  vérité  et  la  réalité  d'une  révélation  divine;  puis, 
dans  une  seconde  partie,  ils  ont  montré  l'accord  des  idées  et  des  faits 
révélés  dans  le  christianisme  avec  ces  signes.  Cette  division  repose  sur 
la  pensée  juste  qu'il  faut  commencer  par  rattacher  l'œuvre  apologéti- 
que à   des  principes  généralement  admis;   mais,   d'une  part,    cette 
méthode  est  insuffisante   aussi  longtemps  que   l'analyse  critique   de 
l'idée  de  la  révélation  est  purement  philosophique,  au  lieu  d'être  elle- 
même  le  résultat  d'un  accord  reconnu  et  démontré  entre  le  principe 
chrétien  et  la  pensée  scientifique,  et,  d'autre  part,  cette  méthode  pré- 
suppose, sans  nécessité,  que  l'essence  du  christianisme  est  d'être  une 
révélation,   ce  qui  est  loin  d'être  prouvé.  D'autres  encore  ont  divisé 
l'apologétique  en  une  partie  générale  qui  expose  l'accord  du  christia- 
nisme avec  la  nature  humaine,  et  en  une  partie  spéciale  qui  montre 
comment  les  diverses  idées  religieuses  se  sont  réalisées  dans  le  chris- 
tianisme; mais  ces  deux  parties  empiètent  sans  cesse  l'une  sur  l'autre, 


APOLOGÉTIQUE  429 

et,  au  fond,  traitent  le  même  sujet  par  les  deux  bouts  contraires.  Ce 
qu'il  y  a  peut-être  de  préférable,  c'est  de  suivre  la  méthode  génétique 
ou  organique.  On  commencerait  par  une  analyse  précise  du  sentiment 
religieux  tel  qu'il  se  produit  dans  la  conscience  humaine,  avec  les 
conditions  particulières  qui  nous  sont  faites  ici-bas,  savoir  les  inces- 
sante;» contradictions  au  milieu  desquelles  nous  nous  mouvons,  les  pro- 
blèmes insolubles  qu'elles  imposent  à  notre  esprit  et  les  profonds  mys- 
tères dont  elles  nous  enveloppent.  On  chercherait  ensuite  d'où  vient  à  la 
conscience  la  lumière  qui  la  guide,  et  où  le  sentiment  religieux,  chez 
ce  ix  dans  lesquels  il  est  le  plus  pur  et  le  plus  ardent,  puise  sa  force. 
Par  un  examen  comparatif  des  diverses  religions  et  par  une  étude 
approfondie  des  temps  qui  ont  précédé  le  christianisme,  on  sera  amené 
à  s'arrêter  à  ce  dernier,  aux  manifestations  particulières  qui  l'ont  pré- 
cédé, préparé  et  introduit  dans  le  monde,  à  l'histoire  de  sa  propaga-' 
tion,  aux  causes  diverses  qui  ont  tour  à  tour  favorisé,  compromis  et 
arrêté  ses  triomphes,  aux  fruits  qu'il  a  produits  soit  chez  les  individus,  soit 
dans  la  société,  à  la  lumière  qu'il  a  projetée  sur  les  problèmes  qui  nous 
agitent,  à  la  manière  dont  il  entend  résoudre  les  contradictions  de  notre 
nature,  et  nous  expliquer  ou  nous  faire  accepter  les  mystères  qui  nous 
entourent  de  toute  part.  L'apologiste  sera  ainsi,  par  la  force  même  des 
choses,  conduit  à  ramener  tous  ces  effets  et  cette  action,  naturelle 
dans  la  marche  qu'elle  suit,  surnaturelle  ou  inexpliquée  dans  sa 
cause,  à  la  personne  même  du  fondateur  de  la  religion  qui  porte  son 
nom.  Jésus-Christ,  en  effet,  nous  donne  la  clef  du  christianisme.  Dans 
la  mesure  où  l'analyse  humaine  réussira  à  surprendre  le  secret  de  sa 
nature  et  de  cette  communion  exceptionnelle  et  unique  avec  Dieu  qui 
a  été  la  source  de  la  sainteté  de  sa  vie  comme  de  la  vérité  et  de  l'auto- 
rité de  son  enseignement,  elle  pourra  décrire  aussi  ce  que  c'est  que 
l'inspiration,  la  révélation,  le  miracle,  la  prophétie,  tous  les  éléments 
dits  surnaturels  qui  n'accompagnent  pas  seulement  le  christianisme, 
mais  qui,  en  un  sens,  le  constituent.  Et  alors,  par  un  dernier  effort, 
s'élevant  plus  haut  encore,  des  causes  secondes  à  la  cause  première,  de 
la  sphère  du  contingent  à  celle  de  l'absolu,  l'apologiste  verra  briller, 
entouré  d'une  lumière  incomplète  sans  doute,  mais,  à  tout  prendre, 
provisoirement  suffisante,  l'idée  ou  l'image  même  de  Dieu,  la  source 
de  toute  vie  et  de  tout  salut  dans  le  monde.  Cette  méthode,  que  l'on 
pourrait  aussi  appeler  thétique,  parce  qu'elle  développe  purement  et 
simplement  l'objet  de  la  foi  chrétienne,  en  n'ayant  égard  aux  objec- 
tions ctaux  critiques  qu'au  fur  et  à  mesure  qu'elleles  rencontre  sur  son 
chemin,  est  à  peu  de  chose  près  celle  de  la  dogmatique,  bien  que  le 
plan  et  l'ordre  suivi  par  cettedernière  science  soient  différents,  comme 
aussi  le  nombre  et  l'étendue  des  matériaux  :  l'apologétique  laisse  à 
la  dogmatique  tout  ce  qui  est  secondaire  et  ne  prend  que  ce  qui 
est  fondamental,  et  cela  moins  au  point  de  vue  de  l'exposition  systé- 
matiquedela  foi  qu'à  celui  de  la  défense  des  principes  du  christianisme. 
On  pourrait  également  dire  avec  Nitzsch,  que  l'apologétique  est  la 
théologie  des  laïques  :  c'est  une  dogmatique  populaire  qui  court  au 
plus  pressé,  à  savon?  la  recommandation  du  christianisme  auprès  de 


430  APOLOGÉTIQUE 

ceux  qui  en  doutent.  Serait-il  trop  téméraire  d'ajouter,  eu  égard  à  ce 
que  nous  voyons  se  produire  autour  de  nous  et  en  particulier  aux 
méthodes  que  la  science  préconise  aujourd'hui,  que  l'apologétique  est 
peut-être  la  forme  que  la  dogmatique  revêtira  dans  l'avenir  ? 

II.  Histoire.  L'histoire  de  l'apologétique  peut  se  diviser  en  cinq  pé- 
riodes, d'une  richesse  et  d'une  valeur  scientifique  inégales.  En  en  énu- 
mérant,  par  ordre  et  dans  leur  lien  organique,  les  productions  les  plus 
marquantes,  nous  prévenons  le  lecteur  que  la  plupart  d'entre  elles 
seront  l'objet  d'articles  spéciaux  dans  le  cours  de  cette  publication. 

Première  Période.  1.  Orient.  La  première  opposition  faite  contre  le 
christianisme  fut  celle  des  Juifs.  Jésus-Christ,  défendant  sa.  mission 
divine  et  repoussant  les  reproches  qui  lui  étaient  adressés  par  les  scribes 
et  les  pharisiens,  fut  son  propre  apologiste  (Jean  V,  16  ss.;  VII,  16  ss., 
etc.).  Toute  la  prédication  des  apôtres  porte  essentiellement  un  caractère 
apologétique  (voy.  entre  autres  Actes  XVII,  22  ss.  ;  XXII,  1,  ss.,  etc.)  ; 
ils  recommandent  d'ailleurs  aux  chrétiens  d'être  prêts  à  rendre  compte 
de  leur  foi  avec  douceur  et  respect  vis-à-vis  de  tout  le  monde  (I  Pierre 
III,  15).  Dans  la  suite,  ceux  d'entre  eux  qui  se  montrèrent  plus  particu- 
lièrement qualifiés  furent  chargés  de  porter  cette  défense,  soit  sous  forme 
juridique  devant  les  tribunaux  ,  soit  sous  forme  scientifique  à  l'adresse  de 
la  société  cultivée,  soit  sous  forme  populaire  en  présence  de  la  foule. 
Les  défenses  juridiques  précèdent  les  apologies  savantes.  Il  s'agissait 
de  repousser  les  attaques  d'athéisme,  d'immoralité,  de  superstition, 
d'hostilité  ou  d'indifférence  politique  qui  se  reproduisaient  sans  cesse 
avec  les  exagérations  les  plus  incroyables.  La  plupart  du  temps,  les 
apologistes  se  bornent  à  les  réfuter  par  le  simple  exposé  des  faits,  en 
insistant  sur  les  vertus  des  chrétiens,  l'héroïsme  des  martyrs  et  la  pro- 
pagation rapide  du  christianisme.  La  lutte  devint  plus  difficile,  lors- 
que du  terrain  des  faits  elle  fut  portée  sur  celui  des  idées  et  que  l'on 
se  trouva  en  présence  d'adversaires  philosophiques.  Les  écrivains  chré- 
tiens étaient  peu  habitués  à  manier  l'arme  de  la  dialectique;  ils  avaient 
des  conceptions  étroites  ou  erronnées  qui  tenaient  à  leur  éducation  et 
à  leur  culture  première,  soit  juive,  soit  païenne  ;  ils  n'employaient  pas 
toujours  les  meilleurs  arguments  et  se  livraient  souvent  à  une  polé- 
mique passionnée.  Vis-à-vis  des  Juifs,  ils  se  bornaient  à  montrer 
l'accomplissement  des  prophéties  de  l'Ancien  Testament  dans  le  Nou- 
veau, mais  se  livraient  à  des  interprétations  allégoriques  hasardées  et 
obéissaient  aux  règles  d'une  exégèse  arbitraire.  Ils  découvraient,  dans 
la  nature,  des  symboles  des  doctrines  révélées  et  ne  dédaignaient  pas 
d'invoquer,  en  face  des  païens,  les  enseignements  de  leurs  sages  ou 
les  oracles  de  leurs  devins.  Tous  les  écrits  de  cette  première  période 
portent  plus  ou  moins  le  caractère  apologétique  :  de  là,  l'absence  de 
rigueur  scientifique  et  de  distinction  tranchée  entre  les  diverses  bran- 
ches de  la  théologie,  compensée,  il  est  vrai ,  par  l'unité  et  la  puis- 
sance de  vie  religieuse  qui  marque  la  plupart  des  produits  littéraires 
de  ce  temps.  Il  faut  distinguer,  dans  les  écrits  consacrés  à  la  défense 
du  christianisme  pendant  les  trois  premiers  siècles,  ceux  que  l'on  peut 
considérer  comme  des  pétitions  adressées  aux  empereurs  romains,  qui 


APOLOGÉTIQUE  4'M 

sont  de  simples' 'plaidoyers,  él  ceux  qui  présentent  une  apologie  rai- 
sonnée  et  approfondie  de  la  vérité  chrétienne.  Dans  la  première  caté- 
gorie viennent  se  ranger  les  apologies  adressées  paiTévèque  Quadratus 
d'Athènes  et  le  philosophe  Aristide  à  l'empereur  Adrien  (12(>),  et  que 

nous  ne  possédons  plus;  celles  (le  Miltiade,  de  Méliton  de  Sardes,  de 
Claude  Apollinaire,  évèque  d'Hiérapolis,  adressées  à  Marc-Aurèle;  les 
deux  apologies  de  Justin  Hartyr  dédiées  à  Antonin  et  à  Marc-Aurèle 
(138-139;  I()0-1()()).  dont  la  seconde  renferme  des  digressions  philoso- 
phiques complètement  étrangères  aux.  débats  du  prétoire;  celle  d'Athé- 
nagore  à  Marc-Aurèle  (177)  ;  celles  de  Tatien  le  Syrien  et  de  Théophile, 
évoque  dAntioche.  Pour  ce  qui  concerne  les  apologies  savantes,  M.  de 
Pressensé  (Bût.  des  /mis  prem.  siècles  de  VEgl.  chr.,  vol.  IV:  Les  Apolo- 
f/ish's)  croit  pouvoir  les  diviser  en  trois  classes  :  1°  Les  apologistes  qui, 
admettant  une  affinité  profonde  entre  le  christianisme  et  la  conscience 
humaine,  cherchent  des  témoignages  et  des  preuves  de  cette  affinité 
dans  le  développement  historique  de  l'humanité  ;  2°  les  apologistes  qui 
n'en  appellent  qu'aux  instincts  naturels  du  cœur  humain;  3°  ceux  qui 
accablent  d'outrages  l'àme  humaine, l'anéantissent  et  l'avilissent,  pour 
l'amener,  par  le  dégoût  et  le  désespoir,  à  recourir  au  divin  rédemp- 
teur. Les  brillants  écrivains  de  l'école  d'Alexandrie  se  rattachent  à  la 
première  classe.  Clément,  dans  son  Exhortai  ion  aux  Gentils  (Xc^o;  izpz- 
Tps-7-.yiç  t.zzç  EWrftx;),  dans  son  traité  de  morale  intitulé  T.xioxybr(Q;  et 
dans  ses  mélanges  de  philosophie  religieuse  (  —po^rreT;)  établit  victo- 
rieusement le  néant  du  paganisme,  l'immoralité  de  ses  mythes  et  le 
rôle  pédagogique  de  sa  philosophie,  en  tous  points  semblable  à  celui 
que  la  loi  mosaïque  a  joué  chez  les  Juifs.  11  marque  en  traits  heureux 
les  limites  de  la  raison,  la  part  des  facultés  intuitives  et  des  détermina- 
tions morales  dans  nos  connaissances  religieuses  et  la  manière  vrai- 
ment organique  dont  la  yvmj'.ç  se  développe  de  la  Tj.sv.q.  Par  contre, 
Clément  néglige  complètement  la  preuve  historique,  se  bornant  à  faire 
comparaître  la  personne  vivante  du  Christ  devant  la  conscience  éclai- 
rée par  la  foi  et  qui  ne  tarde  pas  à  percevoir  en  lui  le  Verbe  ou  l' In- 
telligence parfaite  dont  l'intelligence  humaine  n'est  qu'un  pâle  reflet. 
ûrigène,  dans  son  livre  Contre  Celse  (vers  2ri<5),  complète  l'œuvre  de 
son  maitre,  en  répondant  à  la  fois  aux  attaques  des  juifs  et  à  celles  des 
païens.  11  défend  contre  les  premiers  la  loyauté  des  chrétiens  accusés 
d'avoir  falsilié  leurs  livres  sacrés,  la  grandeur  morale  du  Christ,  qui 
éclate  surtout  dans  son  humiliation  et  son  abaissement,  et  la  réalité  de 
sa  résurrection,  attestée  par  la  publicité  même  de  son  supplice.  Il  jus- 
tilie  contre  les  païens  l'abandon  des  coutumes  nationales  contraires  à 
la  morale  éternelle,  les  innovations  du  culte  qui  réalisent  un  progrès 
dan»  la  spiritualité,  l'obéissance  des  chrétiens  aux  lois  de  l'Etat,  si 
différente  de  la  servilité,  la  légitimité  des  diversités  dans  l'Eglise,  dé- 
rivées du  respect  de  l'individualité,  l'obscurité  et  la  basse  condition  de 
la  plupart  des  chrétiens  qui  attestent  la  sollicitude  de  la  religion  nou- 
velle pour  les  déshérités  de  la  terre,  la  simplicité  de  la  doctrine  chré- 
tienne qui  constitue  sa  supériorité  sur  la  philosophieel  qui  est  le  secret 
de  sa  puissance,  Pfssuraooe  ekifn  que  donne  la  foi  qui,  loin  d'inter- 


432  APOLOGETIQUE 

dire  l'examen,  le  provoque.  Origène,  lui  aussi,  n'accorde  qu'une  im- 
portance secondaire  à  la  preuve  du  miracle  qui,  d'après  lui,  ne  tire  sa 
valeur  que  de  son  caractère  moral  :  il  s'attache  de  préférence  aux  ar- 
guments tirés  des  conquêtes  rapides  du  christianisme  et  de  ses  effets 
sur  la  société,  ainsi  qu'à  la  preuve  interne,  à  savoir  la  réponse  satis- 
faisante donnée  à  tous  les  véritables  besoins  de  l'âme.  —  2.  En  Occident, 
nous  trouvons  d'abord  Y  Octave  de  Minutius  Félix  (vers  190),  dialogue 
spirituel  et  éloquent,  dans  lequel  l'auteur  combat  avec  succès  le  scep- 
ticisme frivole  de  son  temps,  en  insistant  plutôt  sur  les  principes  géné- 
raux du  théisme  que  sur  les  doctrines  particulières  de  l'Evangile;  puis, 
Y Apologeticus  (200)  de  Tertullien,  adressé  aux  magistrats  de  l'empire 
pendant  la  persécution  des  chrétiens  sous  Septime  Sévère,  au  sujet  de 
l'illégalité  de  leur  condamnation,  rendue  plus  odieuse  par  l'impunité 
qui  couvre  les  crimes  de  leurs  accusateurs.  Le  puissant  rhéteur  de  Car- 
tilage écrivit,  en  outre,  un  ouvrage  apologétique  plus  considérable  Ad- 
versus gentes,  et  surtout  un   remarquable  traité  De  testimonio   animie 
naturaliter  christianx,  dans  lequel  il  établit  que  la  religion  de  Jésus- 
Christ  répond  aux  aspirations  les  plus  vraies  de  notre  être  moral,  en 
protestant  contre  le  paganisme  qu'il  accuse  de  dégrader  la  nature  hu- 
maine et  d'obscurcir  le  témoignage  de  la  conscience  par  ses  vices  gros- 
siers non  moins  que  par  sa  culture  raffinée  et  corrompue.  Tertullien 
n'invoque  l'autorité  des  Ecritures   qu'en   seconde  ligne.  Dieu,  pour 
nous  rendre  capable  de  pénétrer  d'une  manière  plus  complète  et  plus 
sensible  ses  pensées  et  ses  volontés,  a  ajouté  au  témoignage  de  l'âme 
celui   des   lettres  saintes.  Les  Disputationum   adversus  gentes  libri  VII 
d'Arnobe  (vers  303)  dénotent  une  connaissance  superficielle  du  chris- 
tianisme et  ne  se  distinguent  que  par  une  polémique  violente  contre  le 
paganisme,  dont  ils  dévoilent  les  hontes  cachées  avec  une  incomparable 
richesse    d'informations.  Le  traité   de  Cyprien  De   idolorum  mnitate 
est  emprunté  en  grande  partie  à  Y  Octave  de  Minutius  Félix;  dans  ses 
Libri  III  testimoniorum  adversus  Judxos,  il  établit  par  de  nombreuses 
citations  que  la  réjection  des  Juifs,  comme   le  mystère  de  la  personne 
et  de  l'œuvre  du  Christ,  a  été  prédite  par  leurs  propres  livres  sacrés. 
Lactance.  dans  son  traité  De  mortibus  persecutorum,  invoque  en  faveur 
du  christianisme  la  mort  violente  de   ses  ennemis  les  plus  fameux. 
Saint  Augustin,  dans  les  dix  premiers  livres  de  son  ouvrage  De  civitate 
Dei,  réfute  les  accusations  des  païens  qui  reprochent  au  christianisme 
de  favoriser  la  décadence  extérieure  et  la  dissolution  intérieure  de  l'em- 
pire romain;  dans  les  douze  derniers,  il  démontre,  en  regard  de  l'inu- 
tilité des  solutions  qu'offre  le  paganisme  pour  cette  vie  et  pour  la  vie 
future,  la  valeur  des  doctrines  chrétiennes,  tant  pour  le  salut  des  indi- 
vidus que  pour  le  bonheur  de  la  société.  Dans  ses  Libri VII  historiarum 
adversus  paganos, Orose  tourne  contre  la  religion  païenne  les  reproches 
adressés  aux  chrétiens.  (Voyez  pour  toute  cette  première  période,  outre 
l'ouvrage  déjà   cité   de  M.   de   Pressensé,    Tzschirner,    Geschichte  der 
Apologetik,  Leipz.,  1805,  dont  le  premier  volume  seul  a  paru,  et  le 
livre  de  l'abbé  Freppel,   Les  Apologistes  du  IIe  siècle,  Paris,  1860). 
Deuxième  Période.   Lorsque  le  christianisme,  devenu  religion   de 


APOLOGÉTIQUE  433 

l'Etat,  se  vit  en  possession  du  pouvoir  et  de  persécuté  se  fit  persécu- 
teur, l'effort  de  la  lutte  se  tourna  contre  les  hérésies,  et  l'apologétique 
lit  place  à  la  polémique.  Restaient,  il  est  vrai,  indépendamment  des 
sectaires  et  des  Libres-penseurs  qui  se  cachaient  dans  leurs  rangs,  les 
juifs  et  les  mahoinétans  :  mais  l'Eglise  préféra,  pour  les  combattre, 
l'appui  du  bras  temporel  aux  armes  de  l'esprit.  On  trouve  bien  encore 
de  temps  à  autre  des  œuvres  apologétiques,  telles  que  la  Summa  catho- 
licae  fidei  contra  gentiles  de  Thomas  d'Aquin,  qui  contient  une  théorie 
curieuse  des  rapports  entre  la  raison  et  la  révélation  empruntée  à  la 
philosophie  scolastique,  mais  ces  œuvres,  en  général,  font  preuve  d'une 
grande  faiblesse  dans  l'argumentation  et  d'une  profonde  ignorance 
en  matière  philologique  et  historique.  La  seule  exception  à  cette  règle 
qui  puisse  être  signalée  est  la  Pugio  fidei  adversus  Mauros  et  Judœos  de 
Raymond  Martini  (1278).  A  la  suite  du  discrédit  dans  lequel  la  scolas- 
tique ne  tarda  pas  à  tomber,  grâce  à  la  renaissance  des  études  classi- 
ques, l'abîme  qui  commençait  déjà  à  séparer  la  philosophie  et  la 
théologie  s'agrandit  chaque  jour.  Au  milieu  de  ce  réveil  de  libre  pen- 
sée, qui  eut  pour  premier  théâtre  l'Italie,  d'autant  plus  hostile  à  la  foi 
chrétienne  qu'elle  souffrait  davantage  des  abus  que  Rome  commettait 
en  son  nom,  nous  voyons  se  produire  plusieurs  apologistes  de  la  reli- 
gion méconnue  et  travestie.  Parmi  eux,  nous  citerons  Marsile  Ficinqui, 
dans  son  traité  De  religione  christiana  (1475),  cherche  à  concilier  la 
doctrine  du  Christ  avec  celle  de  Platon  ;  Jérôme  Savonarole  qui,  dans 
son  Triumphus  crucis  seu  de  verilate  fidei  (1497) ,  relève  surtout  les 
effets  moraux  et  les  applications  pratiques  du  christianisme  ;  Louis 
Vives  qui,  dans  son  livre  De  veritate  religionis  christianx  (1543),  essaie 
de  démontrer  qu'une  foi  sincère  n'exclut  pas  des  recherches  spécu- 
latives indépendantes. 

Troisième  Période.  Survint  la  Réformation;  mais,  s'attachant  à 
signaler  l'altération  plus  encore  que  la  négation  de  la  vérité  chré- 
tienne dans  le  cours  des  siècles,  elle  s'occupa,  elle  aussi,  de  polé- 
mique plus  que  d'apologétique  :  elle  combattit  les  erreurs  dans 
l'Eglise  et  non  celles  du  dehors.  L'Eglise  réformée  de  France  eut 
pourtant  l'honneur  de  produire  deux  œuvres  marquantes  :  c'est 
d'abord  le  traité  De  la  vérité  de  la  religion  chrétienne  contre  les  athées, 
épicuriens,  païens,  juifs,  mahumédistes  et  autres  infidèles  (1579-81)  de 
Duplessis-Mornay,  écrit  au  sortir  d'une  longue  et  terrible  maladie 
causée  par  une  tentative  d'assassinat,  publié  d'abord  en  français  à  An- 
vers, puis  traduit  en  latin  et  dédié  à  Henri  IV.  L'auteur  ne  se  livre  à 
aucune  attaque  contre  ses  adversaires,  mais  il  expose  la  vérité  d'une 
manière  calme  et  sereine,  bien  qu'avec  un  peu  de  lenteur  et  de  lour- 
deur. Il  déclare  vouloir  se  servir  d'arguments  et  de  témoins,  par  où  il 
entend,  d  une  part,  des  raisonnements  assez  subtils,  puisés  dans  la 
scolastique,  sur  des  principes  premiers  indémontrables  et  que  chacun 
trouve  ru  soi-même,  et,  d'autre  part,  le  témoignage  emprunté  à  la 
conscience  et  à  L'histoire,  c'est-à-dire  à  l'antiquité  et  au  consentement 
universel.  Mornay  trouve  trois  marques  principales  «le  la  vraie  religion  : 
1°  le  vrai  Dieu  connu  et  adoré  en  Israël,   tandis  que  les  païens  adorent 


434  APOLOGÉTIQUE 

les  démons  ;  2°  le  service  de  Dieu  et  ses  commandements  positivement 
enseignés  dans  la  Parole  de  Dieu,  et  «  les  choses  les  plus  admirables 
en  nos  Écritures  »  confirmées  par  les  païens  ;  3°  le  moyen  de  récon- 
ciliation et  le  principe  de  vie  pour  accomplir  ces  commandements 
manifestés  en  Israël,  principalement  dans  le  Messie  promis  et  venu 
en  Jésus- Christ,  dont  l'Evangile  contient  l'histoire  et  la  doctrine. 
On  doit  de  même  citer  avec  éloge  l'ouvrage  d'Amyraut,  Traité  des 
religions  contre  ceux  qui  les  estiment  indifférentes  (1631),  dirigé  à 
la  fois  contre  les  épicuriens  qui  nient  la  Providence,  contre  les  phi- 
losophes qui  nient  la  révélation  et  contre  les  adversaires  d'une 
religion  «  certaine  et  déterminée.  »  A  côté  des  preuves  secondaires 
tirées  de  l'antiquité  de  la  religion  révélée,  de  l'harmonie  qui  existe 
dans  la  Bible  et  des  faits  extraordinaires  qui  ont  marqué  rétablisse- 
ment du  christianisme,  Amyraut  signale  la  marque  capitale  de  la  divi- 
nité de  notre  religion,  qui  est  d'être  une  source  de  paix  et  de  sanctifi- 
cation, et  d'offrir  à  l'homme  le  moyen  assuré  de  se  réconcilier  avec 
Dieu.  Comme  Duplessis-Mornay  et  conformément  au  courant  le  plus 
généreux  des  doctrines  réformées  ,  l'illustre  professeur  de  Saumur 
assigne  ainsi  à  la  preuve  interne  ou  expérimentale  la  place  d'honneur 
dans  son  apologétique.  (Voyez  Yiguié,  Histoire  de  l'apologétique 
dans  l'Eglise  réformée,  1858).  A  partir  du  milieu  du  dix- septième 
siècle  ,  notre  science  se  développe  avec  une  vigueur  nouvelle  , 
grâce  au  nombre  et  à  la  valeur  croissante  des  adversaires  ,  en 
profitant  d'ailleurs  du  progrès  marqué  des  études  philosophiques 
et  historiques.  C'est  Hugo  Grotius  qui  ouvre  la  série  des  apolo- 
gistes modernes  ,  avec  son  traité  De  veritate  religionis  christianx 
(1627),  traduit  bientôt  dans  toutes  les  langues  de  l'Europe  et  de  l'Asie. 
Il  l'avait  primitivement  écrit  dans  le  but  de  fournir  aux  navigateurs 
parmi  les  peuples  mahométans  et  païens  une  arme  pour  se  défendre 
contre  les  attaques  de  leur  foi  ;  mais  l'ouvrage  trouva  plus  de  lecteurs 
dans  les  cercles  des  lettrés  et  des  savants.  Dans  six  livres,  l'auteur 
montre  successivement  avec  plus  de  clarté  dans  la  forme  que  de  profon- 
deur dans  les  idées  :  1°  l'existence  de  Dieu  et  l'immortalité  de  l'âme 
établie  par  les  miracles  ;  2°  Jésus-Christ,  la  divinité  de  sa  vie,  la  réalité 
de  ses  miracles,  ainsi  que  la  supériorité  de  sa  religion,  prouvées  par  la 
vérité  de  sa  doctrine,  la  pureté  de  sa  morale,  la  spiritualité  de  son 
culte,  sa  propagation  rapide,  son  extension  et  sa  durée  ;  3°  l'authenti- 
cité du  Nouveau  Testament  et  la  véracité  de  ses  auteurs ,  attestées  par 
l'accord  de  ses  diverses,  parties,  les  miracles,  les  prophéties,  ainsi  que 
-les  témoignages  contemporains  et  postérieurs  qui  plaident  en  leur  fa- 
veur; 4°  la  réfutation  des  religions  païennes;  5°  celle  du  judaïsme; 
6°  celle  du  mahométisme.  Les  renseignements  utiles,  les  aperçus  ingé- 
nieux, les  considérations  sagaces  abondent  dans  ce  livre  qui  fut  pendant 
longtemps  l'arsenal  où  les  défenseurs  du  christianisme  puisaient  de 
préférence  leurs  armes,  mais  le  plan  est  diffus,  les  véritables  difficul- 
tés sont  à  peine  entrevues  et  l'argumentation  est  absolument  vieillie. 
Nous  en  dirons  autant  de  l'ouvrage  érudit  publié  par  Huet,  évéque 
d'Avranches,  sous  le  titre  de  Démonstratif)  evangeliea  (1679)  et  dédié  ad 


APOLOGETIQUE  435 

s</-ctussi»im/t  Delphinum   (le  lils  de  Louis  XIV),  dont  il  était  précepteur, 
de  concert  avec  Bossuet.  L'auteur  prétend  démontrer  les  quatre  axio- 
mes suivants,:  1°  Kst  authentique  tout  livre  qui  est  regardé  comme  tel 
par  les  contemporains  et  les  générations  suivantes  ;  2°  Est  vraie  tonte 
histoire  qui  expose  les  faits  tels  qu'ils  sont  racontés  dans  les  livres 
contemporains;  3°  Est  vraie  toute  prophétie  qui  annonce  des  faits  con- 
tinués par  les  événements;   i°  Tout  don  prophétique  vient  de  Dieu. 
H  net  en  conclut  précipitamment  que  tout  ce  que  L'Ecriture  dit  de  Jésus 
comme  étant  le  Christ  doit  être  vrai,  et  que  toutes  les  religions  païennes 
sont  issues  des  écrits  mosaïques  dont  elles  empruntent  jusqu'aux  noms 
propres   pour   désigner  leurs    dieux.   Les  Pensées  de  Pascal  (éditées 
avec  de  graves  altérations  par  les  docteurs  de  Port-Royal,  en  1669,  et 
publiées  pour  la  premières  l'ois  d'après  le  manuscrit  original  en  1844,  par 
M.  Faugère,  sur  les  indications  de  M.  Cousin)  ouvrirent  à  l'apologétique 
une  voie  nouvelle.  Sans  parler  de  l'incomparable  beauté  du  style  et  de 
rémotion  continue  qui  anime  ces  fragments,  dont  il  n'est  pas  difficile  de 
découvrir  le  lien  et  de  recomposer  le  plan,   l'effet  produit  par  cette 
démonstration  de  la  vérité  de  la  religion  chrétienne  résulte  de  la  mé- 
thode que  Pascal  se  proposait  d'employer.  Au  lieu  de  prouver  d'abord  ou 
L'existence  de  Dieu,  comme  Grotius,  ou  l'authenticité  de  la  Bible,  comme 
Huet,  pour  de  là  déduire  la  divinité  de  Jésus-Christ  et  la  conformité  de 
son  enseignement  avec  le  témoignage  de  notre  raison  et  de  notre  cons- 
cience, l'auteur  des  Pensées  suit  la  voie  inverse  :  il  va  de  l'homme  à 
Jésus-Christ  et  de  Jésus-Christ  à  la  Bible  et  à  Dieu,  cédant  à  la  preuve 
interne  le  pas  sur  la  preuve  externe  et  la  démonstration  spéculative.  Il 
trace  un  tableau  d'une  sombre  magnificence  de  la  nature  humaine,  de 
ses  contradictions,   de  cet  inconcevable  mélange  de  grandeur  et  de 
misère  qui,  selon  lui,  ne  s'explique  que  par  le  fait  de  la  chute  et  ne  se 
résout  que  par  l'union  avec  Jésus-Christ,  en  qui  tous  les  éléments  con- 
traires viennent  se  fondre  en  une  unité  harmonieuse.  Pascal,  toutefois, 
n'entendait  pas  sacrifier  la  preuve  historique  :  seulement  ce  qui  nous 
reste  de  cette  seconde  partie  de  son  œuvre  est  beaucoup  plus  faible  que 
la  première,  et   serait  complètement  à  refaire  aujourd'hui.  Ajoutons 
aussi  que  les  Posées  de  Pascal  n'eurent  presque  pas  de  retentissement  au 
(1  i  x-septième  et  au  dix-huitiéme  siècle,  tant  l'esprit  et  la  méthode  qui  carac- 
térisent cette  ébauche  de  génie  leur  étaient  étrangers:  ce  n'est  (pie  dans  le 
nôtre  que  nous  retrouverons  leur  influence.  Le  protestantisme  français 
produisit,  vers   le    déclin  du  grand   siècle,    l'apologie  remarquable 
de  Jacques  Abbadie   {Traité   de  lu  vérité   de  la  religion   chrétienne, 
1684),  qui,  dans  une  forme  achevée  mais  d'après  un  plan  trop  com- 
pliqué  pour   être  heureux,   s'élève  d'abord  de  l'idée  de  Dieu   à  la 
nécessité  d'une  révélation  et  à  sa  réalité  historique;  puis,  dans  une 
seconde   partie,  part  de  ce  l'ait  qu'il  y  a  aujourd'hui  des  chrétiens 
dans  Le  inonde,  pour  examiner  leur  foi,  remonter  à  son  origine,  cons- 
taler  qu'elle  repose  sur  une  histoire,  cela  plus  simple  et  la  plus  admirable 
du    monde,    i    qui  est  rapportée  par  un   livre  dont  l'autorité  découle 
principalement  de  la  personne  de  son  liéms.  La  preuve  interne  est  bien 
abordée,  car  AJtaddie  se  propose  de  nous  montrer  les  divers  rapporta 


136  APOLOGÉTIQUE 

qui  existent  entre  la  religion  chrétienne  et  la  conscience;  mais  ce  carac- 
tère, fortement  accusé  au  point  de  départ,  la  corruption  naturelle  de 
riiomme,  et  au  point  d'arrivée,  sa  sanctification,  Test  beaucoup  moins 
dans  le  chemin  qui  conduit  de  l'un  à  l'autre.  L'auteur  s'échappe  atout 
instant  hors  du  terrain  de  la  conscience  dans  le  domaine  de  la  pensée 
pure  ou  dans  celui  des  considérations  historiques  générales. 

Quatrième  Période.  Jusqu'au  dix-huitième  siècle,  le  règne  de  l'auto- 
rité en  matière  religieuse  avait  été  à  peu  près  incontesté.  L'Eglise,  aux 
yeux  du  catholique,  la  Bible,  pour  le  protestant,  garantissaient  sou- 
verainement la  vérité  des  doctrines  qu'elles  enseignaient  et  la  nécessité 
des  pratiques  qu'elles  prescrivaient  :  l'Etat  prêtait  d'ailleurs  à  l'établis- 
sement ecclésiastique  un  appui  intéressé,  et  l'absence  de  liberté  dans 
les  lois,  de  tolérance  dans  les  mœurs  était  un  frein,  à  tout  prendre  con- 
sidérable, à  la  révolte  du  moins  extérieure.  Pourtant  bien  avant  l'heure 
où  les  attaques  contre  le  christianisme  allaient  pouvoir  se  produire  au 
grand  jour  de  la  publicité,  les  doutes  et  les  défections  intérieures 
avaient  détaché  des  croyances  officiellement  reçues  un  nombre  tou- 
jours grandissant  d'esprits.  Le  progrès  lent  mais  continu  des  sciences 
naturelles  et  de  l'histoire  des  religions  comparées,  bien  qu'elles  fussent 
encore^à  l'état  d'enfance,  hâtèrent  ce  mouvement  que  la  philosophie, 
assez  superficielle  mais  très-entreprenante,  du  dix-huitième  siècle  pré- 
cipita. Sa  forme  religieuse  est  le  déisme,  puissamment  favorisé  par 
l'affaiblissement  général  de  la  piété  et  la  décadence  marquée  des  études 
théologiques.  Il  prétendait  être  une  religion,  tout  en  méconnaissant  le 
caractère  propre  du  sentiment  religieux  et  en  professant  une  haine 
amère  contre  le  christianisme.  Né  en  Angleterre,  il  trouva  de  nombreux 
adhérents  en  France  et  étendit  également  son  influence  sur  l'Allema- 
gne. A  côté  du  déisme  se  développa,  dans  un  esprit  d'opposition  encore 
plus  décidé,  le  matérialisme.  Pour  être  équitable  envers  ses  représen- 
tants, il  faut  tenir  compte  du  milieu  dans  lequel  ils  vivaient.  L'or- 
thodoxie officielle,  grâce  aux  violences  dont  elle  s'était  rendue  com- 
plice et  aux  hypocrisies  qu'elle  encourageait  et  couvrait  de  son  manteau, 
avait  perdu  tout  prestige  :  elle  était  impuissante  à  arrêter  le  flot  montant 
de  l'incrédulité,  souvent  plus  honnête  et  plus  vertueuse  que  ce  qui  se 
produisait  sous  le  nom  de  foi  ;  de  son  côté  le  sensualisme  était  une  réac- 
tion naturelle  contre  l'idéalisme  exagéré  dans  lequel,  à  ses  débuts,  était 
tombée  la  philosophie  spiritualiste.  Il  ne  faut  pas  oublier  enfin  que  les 
déistes  et  les  libres-penseurs  de  ce  temps  défendaient  l'idée  de  la  tolé- 
rance, tandis  que,  dans  la  plupart  des  pays,  les  représentants  del'Eglise 
y  étaient  radicalement  opposés.  La  faiblesse  des  ouvrages  apologétiques 
du  dix-huitième  siècle  explique  également  la  rapide  propagation  des 
doctrines  contraires.  Presque  aucun  d'entre  ses  défenseurs  n'a  saisi  le 
christianisme  dans  son  essence  :  tantôt  ils  font  des  concessions  et  même 
des  emprunts  regrettables  à  leurs  adversaires;  tantôt  ils  s'obstinent  à  se 
maintenir  dans  des  positions  absolument  intenables. — 1.  Ce  qui  dis- 
tingue les  apologistes  du  christianisme  en  Angleterre,  cette  patrie  du 
déisme,  c'est  le  common-sense  qui,  comme  on  l'a  dit,  garde  des  grandes  chu- 
tes, mais  ne  préserve  pas  toujours  de  la  médiocrité,  de  la  confiance  aveugle 


APOLOGÉTIQUE  437 

à  accepter,  sans  les  contrôler,  les  prémisses  d'un  raisonnement,  et  du 
manque  devigueurdans  la  critique.  Nous  nommerons  parmi  eux  :John 
Locke  (Beasonableness  of  ehristianity,  1693),  qui  cherche  à  prouver  la 
divinité  du  christianisme  par  les  effets  produits  par  sa  doctrine,  en  niant 
la  preuve  du  miracle  comme  inutile  et  attaquable  par  la  critique; 
Leland  [The  advantage  and  necessity  of  tke  Christian  recelai  ion  from  tke 
state  of  religion  in  the  ancient  heathen  world,  1764),  qui  montre,  par 
l'insuffisance  des  doctrines  philosophiques  et  religieuses  du  paga- 
nisme, la  nécessité  ou  du  moins  la  grande  probabilité  d'une  révélation, 
qu'il  trouve  dans  le  christianisme,  qui  contient  tout  ce  qui  man- 
quait aux  anciens;  Joseph  Butler  (The  analogy  of  religion  natural  and 
revealed  (o  (he  constitution  and  course  of  nature,  1734),  qui  relève  avec 
bonheur  la  preuve  interne,  en  établissant  contre  les  déistes  que  si, 
par  la  forme,  le  christianisme  est  une  religion  révélée,  il  est  iden- 
tique par  le  fond  avec  la  religion  naturelle,  c'est-à-dire  absolument 
conforme  à  la  saine  raison  et  sympathique  à  tous  ses  progrès  ;  Jenyns 
(A  vieia  of  the  internai  évidence  of  the  Christian  révélation,  1776),  qui, 
avec  une  grande  force  de  raisonnement,  tire  de  la  prétendue  imperfec- 
tion de  la  morale  chrétienne  une  preuve  de  son  excellence  et  de  sa 
divinité;  Lardner  (The  credibility  of  the  Gospel  history  ,  1741-69,  19 
vol.),  qui  déploie  une  érudition  prodigieuse  dans  l'exposition  des 
preuves  externes,  en  particulier  des  témoignages  des  auteurs  contem- 
porains rapportés  dans  le  Nouveau  Testament,  ainsi  que  de  ceux  des 
Pères  des  quatre  premiers  siècles  et  des  écrivains  ecclésiastiques 
des  siècles  postérieurs  ;  William  Paley  (A  vieiv  of  the  éviden- 
ces of  ehristianity,  1794,  2  vol.),  qui  s'applique  à  déterminer 
les  caractères  auxquels  on  peut  reconnaître  les  prophéties  et  les 
miracles,  et  les  raisons  qu'on  peut  alléguer  en  leur  faveur,  en  mon- 
trant que  le  surnaturel  n'est  pas  plus  invraisemblable  qu'une  ré- 
vélation divine  elle-même,  et  en  forme  le  complément  obligé.  — 
En  France,  la  défense  fut  beaucoup  plus  faible  qu'en  Angleterre.  Les 
études,  au  sein  du  catholicisme,  avaient  singulièrement  dégénéré; 
Port -Royal  n'était  plus,  et  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes  avait  rejeté 
hors  des  frontières  ceux  des  théologiens,  protestants  qui  auraient  pu 
soutenir  avec  quelque  succès  le  choc  du  déisme  et  de  l'incrédulité. 
Pourtant,  l'un  de  ses  plus  grands  écrivains,  J.-J.  Rousseau,  défendit 
les  droits  du  sentiment  religieux  contre  les  sarcasmes  des  encyclopé- 
distes et  le  iin  persifflage  de  Voltaire  ;  la  Profession  de  foi  du  Vicaire 
savoyard,  qui  valut  à  Y  Emile  sa  condamnation,  fournit  en  somme  plus 
d'arguments  aux  défenseurs  qu'aux  adversaires  du  christianisme. 
L'abbé  Guénée  (Lettres  de  quelques  Juifs  portugais],  allemands  et  polo- 
nais u  M .  de  Voltaire,  1769)  releva  les  nombreuses  inexactitudes  et  les 
impardonnables  légèretés  déjà  critique  dirigée  contre  l'Ecriture  sainte  par 
Voltaire  qui,  par  une  contradiction  significative,  avait  exclu  les  Juifs  de 
la  tolérance  qu'il  prêchait.  Genève,  ce  foyer  ardent  de  lumières  etde  vie 
religieuse,  qui,  au  commencement  du  dix-huitième  siècle,  avait  échangé 
L'ancienne  orthodoxie  calviniste  contre  un  christianisme  plus  rationnel, 
fournit  plusieurs  apologistes  distingués  ;   nous  ne  citerons  que  Jacob 


438  APOLOGETIQUE 

Yernet  {Traité  de  la  vérité  chrétienne,  1730-1788,  10  vol.,  tiré  avec  des 
modifications  importantes  des  thèses  latines  [de  Turretin  et  trahissant 
d'une  édition  à  l'autre,  un  rapprochement  plus  marqué  vers  le  déisme), 
qui  relève  surtout  le  côté  moral  du  christianisme  et  proclame  «  la 
grande  utilité  »  d'une  révélation  pour  dégager  la  religion  natu- 
relle des  nuages  dont  Terreur  et  la  corruption  humaine  Font  enve- 
loppée, et  pour  rétahlir  la  connaissance  du  vrai  Dieu,  prescrire  son 
vrai  culte,  fonder  une  bonne  morale,  éclairer  la  vie  future,  Dieu  for- 
tifiant la  parole  des.hommes  chargés  de  cette  mission  par  des  signes  ex- 
térieurs, dans  le  but  d'attirer  sur  eux  l'attention  des  croyants;  et  Charles 
Bonnet  {Recherches  philosophiques  sur  les  preuves  du  christianisme , 
1770),  qui  accorde  une  grande  valeur  à  la  preuve  des  miracles  ren- 
dus possibles,  selon  lui ,  par  une  prédétermination  spéciale  des  lois 
de  la  nature, [et  destinés  à  servir  de  lettres  de  créance  aux  envoyés  de 
Dieu,  qui  n'en  sont  pas  moins  obligés  de  confirmer  le  caractère  de 
leur  mission,  au  xyeux  de  la  raison  humaine,  par  la  vérité  de  leur  doc- 
trine.—  3.  Mais,  c'est  Y  Allemagne  surtout  qui  fut  riche  en  apologistes 
depuis  la  publication  des  Fragments  de  Wolfenbuttel  de  Samuel  Reimarus 
(1778),  qui  causèrent  une  profonde  sensation,  en  révélant  les  doutes 
qu'une  foule  d'esprits  distingués  professaient  sur  la  divinité  de  Jésus- 
Christ.  Tous,  sans  doute,  n'allaient  pas  aussi  loin  que  l'auteur  des  Frag- 
ments, qui  représentait  Jésus  comme  ayant  voulu  fonder  un  royaume  tem- 
porel par  la  tromperie,  et  s'appuyait  sur  la  faiblesse  des  procédés  d'har- 
monistiquepour  accuser  nos  évangélistes  de  falsification  intentionnelle. 
Les  débats  sur  la  nécessité,  la  possibilité  et  la  réalité  d'une  révélation  que 
cette  publication  provoqua,  et  auxquels  Lessing  prit  une  part  active,  mon- 
trèrent combien  il  était  urgent  de  déterminer  nettement  l'essence  du  chris- 
tianisme dans  ses  rapports  avec  le  sentiment  religieux  en  général  :  tâche 
que  le  rationalisme  du  dix-huitième  siècle,  avec  son  manque  de  sens  his- 
torique et  de  sens  religieux,  était  incapable  de  remplir,  et  que,  dès  lors,  il 
légua  au  nôtre.  Parmi  les  apologistes  allemands,  assez  faibles  la  plupart, 
nous  nommerons  :  Jérusalem  {Betrachtungen  ûber  die  vornehmsten  Wahr- 
heilen  der  Religion,  [1773-79),  qui  essaie  de  concilier  la  foi  et  la  morale 
chrétiennes,  dépouillées  de  leur  caractère  distinctif ,  avec  la  philoso- 
phie de  Wolf  ;  A.  von  Haller  (Briefe  ûber  einige  Einwùrfe  noch  leben- 
der  Freigeister  ivider  die  Offenbarung,  1774-77,  3  vol.),  qui ,  dans  un  lan- 
gage élevé  et  ému,  oppose  son  expérience  personnelle  de  la  vérité  de 
la  religion  chrétienne  aux  objections  des  libres-penseurs  ;  Noesselt 
{Vertheidigung  der  Wahrheit  u,  Gottlichkeit  der  christ  lichen  Religion, 
1769),  qui  défend  la  vérité  du  christianisme  contre  les  athées,  les 
sceptiques,  les  déistes  et  les  indifférents,  en  montrant  que  la  raison  ne 
saurait  s'élever  par  elle-même  à  la  connaissance  de  la  vraie  religion,  et 
qu'ainsi  une  révélation  revêtue  d'une  vertu  surnaturelle  est  très-vrai- 
semblable ,  très-possible  et  très-utile  ;  Less  (Beweis  der  Wahrheit  der 
christlichen  Religion,  1768),  qui  réduit  à  trois  les  preuves  vraiment 
décisives  en  faveur  de  la  divinité  du  christianisme  :  celle  qui  se  tire  de 
ses  effets  intérieurs  et  extérieurs  ;  la  preuve  des  miracles  racontés  dans 
le  Nouveau  Testament  ;   celle  qui   est    basée  sur  les  prophéties   de 


APOLOGÉTIQUE  !;;:> 

Jésus-Christ  ;  fteinhard  (Versuek  àber  éen  Plan  Jem,  1770),  qui  l'onde 
la  divinité  de  la  religion  chrétienne  sur  le  caractère  pur  et  sublime  die 
son  fondateur  et  le  plan  qu'il  avait  Corme  pour  le  bonheur  eu  genre 
humain  ;  Rosensmùller  (Hïètoriseker  Beweis  dër  Wahrheit  (1er  christhehen 
Religion,  1771),  qui  relève  surtout  la  preuve  tirée  des  prophéties  :  dans 
des  livres  manifestement  anciens  et  authentiques,  il  a  été  prédit  un 
temps  où  la  connaissance  et  le  culte  du  vrai  Dieu  se  répandraient  chez 
les  nations  païennes,  et  cela  par  un  homme  signale*  d'avance  de  telle 
manière  que  Ton  ne  pourrait  le  méconnaître  lorsqu'il  paraîtrait  ;  Wi- 
zeinnann  (Die  Geschichle  Jesu  nac/t  dem  Maltkxus,  als  Selbstbeweis  ihrer 
Zuverlsessigkeû,  1789),  qui  trouve  dans  l'histoire  de  Jésus-Christ,  telle 
qu'elle  est  racontée  dans  les  Evangiles,  un  tel  caractère  de  vérité  qu'il 
croit  pouvoir  démontrer  par  là  la  divinité  du  christianisme  ;  Kleuker 
(Nette  Prûfangu.  Erkl&rtmg  de?'  vorzûgUchsten  Beweise  fur  die  Walirheii 
ii.  deii  gott  lichen  Uvsprung  des  Ckristenthums,  ivieder  Off'enbaruny  àber- 
kaupt,  1787-94),  qui  fait  reposer  lui  aussi  la  divinité  du  christianisme  sur 
la  vérité  de  l'histoire  évangélique,  en  établissant  que  le  christianisme  est 
un  fait,  et  que,  par  conséquent,  sa  crédibilité  doit  être  établie  par  des 
faits  dont  l'authenticité  est  à  l'abri  de  toute  contestation  ;  Toellner 
(Versuch  eines  Beweises  der  christlichen  Religion  fur  Jedermann,  1774), 
qui,  d'après  le  même  point  de  vue,  essaie  de  démontrer  que  l'histoire 
évangélique  n'est  pas  impossible,  puisqu'elle  est  vraisemblable,  que  ses 
auteurs  ont  été  bien  informés  et  sont  de  bonne  foi.  11  affirme  que 
les  miracles  sont  la  seule  preuve  convaincante  pour  le  peuple,  et  que 
c'est  d'ailleurs  celle  à  laquelle  Jésus-Christ  lui-même  en  a  le  plus  fré- 
quemment appelé. 

Cinquième  période-.  L'influence  exercée  par  le  mouvement  philosophi- 
que moderne  sur  l'apologétique  fut  très-considérable.  Kant,en  montrant 
que  toutes  les  vérités  empruntées  au  domaine  de  la  raison  pratique  sont 
fondées  sur  la  conscience  et  sur  la  volonté,  indiquait  nettement  le  ca- 
ractère moral  de  la  vérité  religieuse,  et  son  siège,  la  conscience.  C'est 
à  lui,  plus  qu'à  ses  illustres  successeurs,  que  Ton  doit  une  distinction 
lumineuse  entre  le  domaine  de  la  philosophie  et  celui  de  la  religion, 
bien  qu'il  ait  méconnu  quelques  caractères  essentiels  de  cette  dernière. 
Grâce  au  réveil  de  la  vie  religieuse,  bien  des  âmes  firent  une  expérience 
plus  vive  et  plus  directe  de  la  puissance  du  christianisme,  tandis  que, 
de  leur  côté,  les  progrès  de  la  critique  historique  déterminèrent  une 
révision  sévère  des  preuves  externes.  L'apologétique  gagna  en  solidité 
et  en  rigueur  scientifique,  à  mesure  que  Ton  se  convainquit  que  ce 
ne  sofit  ni  des  doctrines  ni  des  faits  isolés  qui  constituent  l'essence  du 
christianisme,  dont  la  constatation  est  d'ailleurs  indépendante  de  la 
canonicité  de  tous  les  écrits  bibliques  et  de  leur  inspiration  littérale, 
niais  qu'elle  réside  dans  la  personne  de  Jésus-Christ,  comprise  dans  sa 
puissante  originalité. En  enchaînant  d'une  manière  organique  les  divers 
arguments  destinés  à  établir  la  vérité  de  la  religion  chrétienne,  on 
porte  une  Lumière  bien  plus  vive  dans  le  sujet  traité,  qu'en  présentai!! 
ces  preuves  séparées  lés  unes  des  autres,  sans  unité  et  sans  lien.  Deux 
circonstances,  au  surplus,  concourent,  en  dëpil  du  sérieux  et  de  l'ha- 


440  APOLOGETIQUE 

bileté  grandissante  déployés  par  l'attaque,  à  faciliter  la  tâche  actuelle 
de  l'apologétique.  Dans  les  pays  où  des  Eglises  chrétiennes  réussissent 
non-seulement  à   se  maintenir,  mais  à  prospérer  et  à  s'étendre  sans 
l'appui  de  l'Etat  et  où,  par  conséquent,  aucune  considération  d'intérêt 
temporel  n'explique  l'attachement  aux  croyances  religieuses,  il  s'établit 
tout  naturellement  une  forte  présomption  en  faveur  de  la  vérité  et  de 
la  puissance  des  doctrines  sur  lesquelles  elles  reposent.  D'autre  part, 
en  présence  du  transformisme,  cette  doctrine  grandiose  et  rigoureuse- 
ment logique  née  des  progrès  récents  des  sciences  naturelles,  la  raison 
moderne  décidera,  en  connaissance  de  cause,  si  la  nouvelle  conception 
du  monde  qui  doit  remplacer  la  conception  ancienne,  présente  moins 
de  contradictions  ou  de  mystères  à  l'intelligence,  au  cœur  et  à  la  con- 
science de  l'homme  que  le  dogme  chrétien  qu'il  aspire  à  détrôner.  Si, 
malgré  ces  incontestables  avantages,  l'apologétique  ne  jouit  pas  en- 
core, dans  le  domaine  scientifique,  de  toute  l'estime  à  laquelle  elle 
a  droit,  cela  tient  à  ce  que,  trop  souvent,  ceux  qui  la  cultivent  ne  sont 
pas  à  la  hauteur  de  leur  mission.  Le  nombre  des  apologies  médiocres 
est  légion,  tandis  que  les  ouvrages  de  valeur  sont  fort  rares.  Or,  rien  ne 
jette  plus  de  défaveur  sur  une  branche  du  savoir  humain  que  de  la  voir 
habituellement  traitée  d'une  manière  insuffisante,  comme  rien   ne  nuit 
plus  au  crédit  du  christianisme  et  delà  religion  en  général,  que  la  fai- 
blesse des  arguments  ou  la  déloyauté  des  procédés  par  lesquels  on 
cherche  aies  défendre. — 1.  Parmi  les  nombreuses  apologies  du  christia- 
nisme qui  ont  paru  dans  ce  siècle  en  Angleterre,  nous  n'en  citerons 
que  quatre  qui  représentent  assez  bien  les  divers  courants  que  l'on 
peut  remarquer  dans   la  théologie  anglaise.    Thomas  Chalmers  (The 
évidence  and  authority  of ' Christian  révélation,  7e  édit.,  1824),  après  avoir 
démontré  que  l'homme  est  incapable  par  lui-même  de  découvrir  les 
voies  de  Dieu,  abandonne  la  preuve  interne  et  appuie  ia  vérité  du 
christianisme   sur  la  force   du  témoignage  extérieur.  Dans  une  pre- 
mière partie,  l'auteur  établit  l'authenticité   des  divers  écrits  dont  se 
compose  le  Nouveau  Testament  ;  il  fait   ressortir,   dans  la  seconde, 
les  marques  internes  d'honnêteté  et  de  sincérité  que  l'on  peut  recueil- 
lir dans  ces  compositions  mêmes  ;   dans  la   troisième  ,  il    présente 
la  situation  connue  et  l'histoire  des  auteurs  de  ces  livres  comme  preuves 
suffisantes  de  leur  véracité  ;  dans  la  quatrième,  enfin,  il  produit  des 
témoignages  additionnels  et  subséquents  qui  viennent  à  l'appui  du 
récit  des  auteurs  originaux.  La  crédibilité  des  témoins  :  tel  est  le  point 
sur  lequel  se  concentre  tout  l'effort  apologétique  de  Chalmers  avec 
une  érudition  qui  laisse  beaucoup  à  désirer  et  une  absence  d'esprit 
critique  qui  ôte    aujourd'hui   presque  toute  valeur  à   son   ouvrage. 
Toute  autre  est  la  méthode  de  Thomas  Erskine  (Remarks  on   the  inter- 
nai  évidence    of   the    thruth  of  revealed  religion,  5me   édit. ,  1821).  Il 
n'aborde  pas  même  l'examen   des  preuves   externes.  Dans  la  révé- 
lation,   il  distingue   les   préceptes  moraux  et  les   dogmes;  pour  les 
premiers,    il    y   a   nécessairement  accord  entre  la  loi  naturelle  et  la 
loi  révélée  ;  quant  aux  dogmes,  la  raison  nous  dit  elle-même  qu'en 
face  des   grands  mystères    qu'ils    nous    présentent,    la   raison   doit 


APOLOGÉTIQUE  441 

abdiquer  et  se  soumettre,  vu  qu'elle  est  incompétente  pour  les  expliquer, 
comme  aussi  pour  expliquer  la  vie  humaine  sans  eux.  Elle  a  néanmoins 
le  droit  d'examiner  s'ils  proclament  la  sainteté  de  Dieu  et  s'ils  ont 
pour  but  la  régénération  de  l'homme  :  ce  qui  est  essentiellement  le  cas 
pour  les  dogmes  chrétiens  ;  de  plus,  ces  dogmes  reposant  tous  sur  des 
vérités  morales,  en  rapport  avec  la  nature  de  l'homme,  leur  accepta- 
tion exige  des  dispositions  de  l'àme  qui  leur  soient  conformes.  Pour 
croire,  il  faut  incliner  le  cœur  vers  les  objets  de  la  foi.  De  son  côté, 
M.Isaac  Taylor (The  restoration  of  belief,l$&$)  a  une  confiance  inébran- 
lable et  illimitée  dans  la  preuve  tirée  du  surnaturel.  Dans  une  pre- 
mière étude,  il  insiste  sur  l'héroïsme  des  martyrs,  sur  l'introduction 
dans  le  monde  d'un  principe  nouveau  de  vie  morale  et  sur  le  rapport 
de  ce  principe  avec  la  foi  des  chrétiens  au  surnaturel;  il  examine, 
dans  une  seconde  dissertation,  l'idée  du  miracle  dans  le  Nouveau 
Testament,  en  montrant  que  l'apostolat  s'exerçait  essentiellement  par 
le  miracle  qui  constitue,  à  son  tour,  un  des  éléments  fondamentaux  du 
caractère  de  Jésus.  La  troisième  partie  est  consacrée  à  l'étude  des 
effets  du  christianisme.  L'auteur  établit  que  Jésus-Christ  a  régénéré  la 
société  humaine  dont  il  est,  en  conséquence,  aussi  devenu  le  bienfai- 
teur temporel  ;  il  a  sauvé  les  âmes  en  expiant  les  péchés  de  l'humanité 
sur  la  croix  ;  il  a  triomphé  de  l'enfer  et  de  Satan.  Taylor  conclut  que 
le  miracle  est  nécessaire  pour  que  la  vérité  religieuse,  morale  et 
sociale  fasse  son  chemin  dans  le  monde.  Enfin  nous  nommerons 
l'ouvrage  anonyme  de  M.  Seeley  (Ecce  homo.  A  survey  of  the  life  and 
work  of Jésus-Christ,  8e  édit.,  1867),  qui  a  causé  une  immense  sensation 
et  a  été  traduit  dans  plusieurs  langues.  L'auteur  laisse  de  côté  la 
question  du  surnaturel  qui  est  indépendante,  selon  lui,  des  desti- 
nées du  christianisme;  il  néglige,  de  même,  l'examen  des  témoi- 
gnages, de  peu  de  valeur,  qui  sont  postérieurs  à  l'âge  apostolique. 
Concentrant  tous  ses  efforts  sur  la  personne  même  de  Jésus,  c'est-à- 
dire  du  Fils  de  l'homme,  idéal  de  l'humanité,  telle  que  nous  la  pré- 
sentent les  évangélistes,  Seeley  essaie  d'expliquer  tous  les  effets 
que  le  Christ  a  produits  par  la  puissance  de  l'esprit  d'amour  dont 
il  était  animé.  Le  moyen  employé  fut  l'établissement  d'une  com- 
munauté librement  formée  de  tous  ceux  qui  se  sentaient  attirés  vers 
lui.  et  dont  tous  les  membres  devaient  être  attachés  par  les  liens  les 
plus  étroits,  au  fondateur  lui-même  d'abord,  puis  les  uns  aux  autres. 
Jésus  donna  à  cette  société,  si  imparfaitement  réalisée  dans  l'Eglise 
chrétienne,  le  nom  de  royaume  des  cieux  et  s'en  déclara  le  roi,  le 
législateur,  le  juge.  C'est  à  cette  simple  démonstration  (pie  l'auteur  de 
VEcce  hùmo  réduit  le  rôle  des  défenseurs  actuels  du  christianisme.  — 
8.  En  tête  des  apologistes  contemporains,  en  France^  convient  de  pla- 
cer Chateaubriand  (Le  Génie  du  christianisme,  1802),  dont  l'œuvre,  plus 
brillante  que  solide,  a  dû  tout  son  succès  au  moment  où  elle  apparais- 
sait et  à  la  magie  du  style  dont  elle  <ist  revêtue.  Chateaubriand  s'ap- 
plique à  démontrer  l'excellence  «lu  christianisme  dans  le  domaine  de 
la  littérature,  de  Tari,  de  la  science  et  de  la  morale  :  mais  ce  dernisr 
poinl  de  vue  est  sans  cesse  sa<  rifié  aux  précédents  et,  au  lieu  de  saisir 
i.  29 


442  APOLOGÉTIQUE 

cette  religion   dans  son   essence,  il  ne  fait  qu'en  analyser  les  effets, 
en  insistant  même  de  préférence  sur  ceux  qui  tiennent  à  elle  par  des 
côtés    purement    extérieurs.    Toute    la    doctrine    chrétienne  ,    selon 
Chateaubriand,  repose  sur  l'idée  du  mystère  et  culmine  dans  celle  du 
sacrement.  Les  meilleurs  chapitres  sont  ceux  dans  lesquels  Fauteur 
traite  des  rapports  du  merveilleux  [avec  la  poésie  et  des  harmonies  de 
la  religion  chrétienne  avec  les  scènes  de  la  nature.  La  partie  consacrée 
au  culte  renferme  des  vues  souvent  bizarres  sur  la  symbolique  chré- 
tienne. L'évêque  d1Hermopolis,Frayssinous(/>e/e«se^w  christianisme  ou 
Conférences  sur  la  religion,  1825),  expose  d'abord  les  vérités  delà  religion 
naturelle,  comme  «une  préface  utile»  à  celles  de  la  religion  révélée  ;  il 
examine  ensuite  Futilité  du  culte  et  l'importance  des  principes  reli- 
gieux comme  fondement  de  la  morale  et  de  la  société.  Abordant  ensuite 
son  véritable  sujet  d'une  manière  tout  extérieure  et  sans  lien  organique 
avec  la  précédente  partie,  il  étudie  la  valeur  du  témoignage  et  discute 
la  possibilité  et  la  réalité  du  miracle,  pour  établir  l'autorité  de  Moïse 
et  des  Evangiles;  puis,  après  avoir  exposé  le  mystère  de  l'incarnation, 
il  traite  successivement,  mais  d'une  manière  assez  superficielle,  de  la 
religion  considérée  dans  ses  mystères,  dans  sa  morale  et  dans   son 
-culte.  Une  série  d'objections  sur  des  sujets  particuliers  sont  reléguées 
à  lalin  de  l'ouvrage.  Le  Pape  (1817)  et  les  Soi?'éesde  St-Pétersbourg  (1821), 
du  comte  J.  de  Maistre,  ouvrent  la  série  des  apologies  sorties  de  l'école 
ultramontaine  dont  les  productions  les  plus  caractéristiques  sont,  sans 
contredit,  Y  Essai  sur  l'indifférence  en  matière  de  religion  (1820,  4  vol.) 
de  Lamennais  et  les  Etudes  philosophiques  sur  le  christianisme  (1851) 
de  M.  Aug.  Nicolas.   Soumise  à  l'examen  de  la  raison  individuelle, 
toute  certitude  cesse.  Nos  sens,  notre  instinct,  notre  raison  :  tout  nous 
trompe.  Sur  les  ruines  du  scepticisme  absolu,  Lamennais  édifie  l'E- 
glise, armée  de  l'autorité  absolue.  Nous  n'avons  pas  à  juger  d'après 
nos  lumières  naturelles,  mais  à  adopter  les  décisions  de  l'autorité; 
Lamennais  admet  le  fait  historique  de  l'autorité,  qu'il  appelle  la  raison 
générale,  sans  se  demander  comment  il  s'est  produit.  L'autorité  est 
parce  qu'elle  est;  elle  n'a  pas  à  donner  des  raisons  de  son  existence. 
Il  n'y  a  jamais  eu  qu'une  seule  religion  sur  la  terre  qui  s'est  révélée 
successivement  sous  plusieurs  formes,  les  fausses  religions  n'en  sont 
qu'une  altération.  Lamennais  ne  s'occupe  pas  du  contenu  dogmatique 
-de  la  religion,  mais  il  prêche  la  soumission  des  individus  comme  des 
Etats  à   l'Eglise,   et  montre  que  la  tolérance  et  la  liberté  des  cultes 
conduisent  à   l'athéisme.   M.   Nicolas   professe,  lui  aussi,  un  dédain 
profond  des  faits  historiques,  bien  qu'il  se  montre  très-préoccupé  des 
conséquences    sociales  de  la  vérité  religieuse.   La   révélation    seule 
indique  le  rapport  des  hommes  avec  Dieu  et  des  hommes  entre  eux.  Le 
christianisme  surnaturel  est  contraire  à  la  raison  naturelle.  La  raison 
appliquée  au  dogme  chrétien  en  dérange  l'équilibre.  Il  faut  que  la 
vérité  soit  soustraite  à  l'examen  de  la  raison,  qu'elle  soit  confiée  à  la 
garde  d'une  autorité,  surnaturelle  comme  le  christianisme  lui-même. 
Toute  interprétation  exige  la  connaissance  adéquate  de  son  objet.  Le 
.Siirnaturel,  qui  est  le  propre  de  la  révélation,  implique  clone  le  surna- 


APOLOGÉTIQUE  443 

lurel  dans  Tarent  de  son  interprétation.  L'interprétation  de  la  vérité 
divin*  ne  peut  être  qu'une  révélation  continue  dont  l'organe  est  l'Eglise, 
infaillible  dans  son  chef.  Toute  hérésie  gravite  vers  le  panthéisme  et 
manifeste  des  tendances  socialistes.  Plus  que  dans  ces  œuvres  d'une 
logique  rigoureuse  jusqu'à  l'absurde  et  animées  d'une  défiance  incu- 
rable à  l'endroit  de  l'àme  humaine  et  de  la  société  moderne,  l'apolo- 
gétique chrétienne  trouve  à  glaner  dans  les  conférences  du  Père  Lacor- 
daire,  dans  les  ouvrages  philosophiques   du   Père  Gratry,   dans   les 
discours  et  les  brochures  du  comte  de  Montalembert  et  de  toute  cette 
brillante   phalange  d'écrivains    aujourd'hui   disparus  ou,  comme   le 
Père  Hyacinthe,  rejetés  qui,  faisant  appel  aux  nobles  instincts  de  l'âme 
humaine  même  déchue,  demandaient  que  la  vérité  chrétienne,  seule 
capable  de  les  satisfaire,  se  lit  librement  accepter  par  elle.  Pourtant  l'école 
catholique  libérale  n'a  produit  aucune  œuvre  apologétique  complète. 
Nous    pouvons  en  dire  autant  de    notre   théologie    protestante    de 
langue  française.  Elle  compte  des  apologistes  fort  distingués,  tels  que 
Samuel  Vincent  (Méditations  religieuses,  1839),  Diodati  (Essai  sur  le 
christianisme  envisagé  dans  ses  rappoi^ts  avec  la  perfectibilité  de  l'être 
moral,  1830);  F.  de  Rougemont  (Christ  et  ses  témoins,  1856);  A.  de  Gas- 
parin  (Les  Ecoles  du  doute  et  l'Ecole  de  la  foi,   1853)  ;  Jalaguier  (Le 
témoignage  de  Dieu,  base  de  la  foi  chrétienne,  1851);  Guizot  (Méditations 
sur  l'essence  de   la   religion   chrétienne,    1804-68,   4  vol.)  ;  MM.  Ernest 
Naville  (La  Vie  éternelle,  1861;   Le  Pbre  céleste,  1866;  Le  problème  du 
mal,  1868);  Ch.  Secrétan  (Recherches  sur  la  méthode,  1857;  La  raison 
et  le  christianisme,    1863)  ;  A.  Bouvier  (Le  Chrétien  ou  l'homme  accom- 
pli) ;  E.  de  Pressensé  (Le  Rédempteur,  1854  ;  Discours  religieux,  1859); 
Ed.    Schérer  (La  Critique    et  la  Foi,  1850);  F.  Pécaut  (Christ  et    la 
conscience,  1859)  ;  A.  Coquerel  fils  (La  Conscience  et  la  Foi,  1867),  et 
beaucoup  d'autres,   mais    aucun  d'eux   n'a  réuni  dans  une  œuvre 
d'ensemble,  et  comme  en  un  faisceau,  les  diverses  preuves  qui  peuvent 
être  invoquées  en  faveur  du  christianisme,  en  les  coordonnant  d'une 
manière  organique  et  d'après  un  procédé  rigoureusement  scientifique. 
La  même  remarque  s'applique  au  plus  illustre  d'entre  eux,  Alexandre 
Vinet,dont  tous  les  ouvrages,  même  les  plus  étrangers  par  leur  nature  à 
ce  but,   ont  une  tendance  apologétique  (voy.  surtout  ses  Discours,  ses 
Essais  de  philosophie   morale,  ses  Etudes  sur  Pascal,  etc.),  et  qui   a 
exercé  une  puissante  influence  sur  le  développement  de  la  théologie 
protestante  française  et  déterminé  son  meilleur  courant.  Vinet  plaça 
hardiment  la  preuve  interne  en  tête  de  l'apologie  chrétienne  :  c'est  fcu 
fond  de  la  conscience  que  le  débat  doit  se  vider,  et  l'homme  n'est 
sérieusement  convaincu  s'il  n'est  vaincu.  Tout  d'ailleurs,  malgré   les 
apparences  contraires,  promet  la  victoire,  car  «  l'homme  est  fait  pour 
Jésus-Christ,   comme   Jésus-Christ  est  fait   pour  l'homme  »  ;  à   une 
condition  toutefois,  c'est  que  leur  rencontre  se  fasse  dans  la  liberté. 
\  elle  de  tenter,  dans  le  domaine  intérieur  de  l'àme  comme  sur  le 
terrain  extérieur  de  l'association  ecclésiastique,  ce  que  la  foi  d'autorité 
%\   i  montrée  impuissante  à  réaliser.  Ajoutons  que,  depuis  Vinet,  la 
preuve  historique,  qu'il  avait  trop  négligée,  a  été  reprise  à  nouveau, 


444  APOLOGÉTIQUE 

et  les  travaux    de    l'école  critique,   quelque    négatifs   que  puissent 
paraître  leurs  résultats,  ont  contribué  puissamment  à  lui  rendre  tout 
son  éclat  et  toute  sa  solidité.  —  3.  L1 Allemagne ,  dans  le  champ  de  l'apo- 
logétique comme  dans  tous  les  autres,  a  fourni  de  beaucoup  les  œuvres 
les  plus  nombreuses  et  les  plus  remarquables.  A  la  tête  des  défenseurs 
contemporains  de  la  religion   chrétienne,   se    place  Schleiermacher 
(Reden  ùber  die  Religion  an   die  Gebildeten  unter   ihren    Verœehtern, 
1799).  Son  but  est  d'expliquer   aux  hommes   du  monde  quelle   est 
l'essence  de  cette  religion  qu'ils  dédaignent  et  qu'ils  repoussent  sans 
l'examiner.  A  cet  effet,  il  la  débarrasse  de  toutes  les  surcharges  qui  la 
défigurent    et,    pour  en   saisir  le  caractère  intime,   il   s'applique  à 
décrire  les  expériences  sur  lesquelles  elle  repose.  La  religion  n'est  ni 
la  croyance  en  certains  dogmes,  ni  la  pratique  de  certaines  maximes 
de  morale  ;  elle  est  un  sentiment,  celui  de  notre  absolue  dépendance, 
qui  provoque  la  réflexion  et  détermine  l'activité  de  l'homme,  tout  en 
le  poussant  à  se  réunir  à  ceux  qui  sentent  comme  lui.  En  revendiquant 
pour  la  conscience  religieuse  la  primauté  sur  les  autres  facultés   de 
l'homme,  Schleiermacher  a  réduit  à  leurs  vraies  limites  les  prétentions 
du  rationalisme  et  du  dogmatisme  ;  sur  les  ruines  de  l'ancienne  apolo- 
gétique, avec  ses  arguments  aprioristiques,  ses  affirmations  boiteuses 
et  ses  coups  d'autorité,  il  a  posé  les  solides  assises  de  l'apologétique 
moderne  qui  fait  avant  tout  appel  à  la  conscience  et  croit  n'avoir 
gagné  la  victoire  que  lorsqu'elle  a  porté  la  conviction  au  centre  même 
de  notre  individualité.  Sans  nous  arrêter  aux  ouvrages  moins  impor- 
tants de  Franke  (Entwurf  einer  Apologelik  der  christlichen  Religion  r 
1817),  de  Sack  (Christliche  Apologelik,  1829),    de   Steudel  {Grundzùge 
einer  Apologetik  fur  das  Christenthtim,i830),  de  Stirm  (Apologie   des 
Christenthums  fur  gebildete  Léser,  1836;  2e  édit.,  1856),  nous  signale- 
rons les  deux  importantes  études  d'Ullmann  (Sùndlosigkeit  Jesu,  lreédit.T 
1833;  Das  Wesen  des  Christenthums,  lrc  édit., 1845).  Dans  la  première, 
De  la  Sainteté  parfaite  de  Jésus,  il  part  du  fait  du  péché,  commun  à 
tous  les  hommes.  Il  en  montre  l'absence  dans  le  développement  moral 
de  Jésus,   discute  le  témoignage  des  apôtres  et  le  propre  témoignage 
du  Christ  sur  ce  point,  ainsi  que  les  objections  élevées  tant  contre  la 
réalité  que  contre  la  possibilité  de  ce  fait  exceptionnel,  pour  montrer 
ensuite  les  conclusions  que  l'on  peut  en  tirer,  tant  relativement  à  laper^ 
sonne  de  Jésus-Christ  qu'en  ce  qui  concerne  la  place  qu'il  occupe  dans 
l'histoire  de  l'humanité.  Dans  son  Essence  du  christianisme,  Ullmann 
fait  voir  que  le  caractère  distinctif  de  la  religion  chrétienne,  ce  n'est 
ni  sa  doctrine,  ni  sa  morale,  ni  même  sa  vertu  rédemptrice,  mais  la 
nature  particulière  et  la  valeur  exceptionnelle  de  son  fondateur,  dans 
sa  personnalité  aussi  véritablement  divine  qu'humaine  et  complète- 
ment une  avec  Dieu.  A  la  base  du  christianisme  se  trouve  un  organisme 
spirituel  parfait,  une  personne  vivante  qui  met  ses  forces  et  ses  dons 
au  service  de  la  société  humaine,  et  qui   tend  invinciblement  à  se 
l'assimiler  pour  en  faire  un  royaume  de  Dieu.  L'orthodoxie,  dans  les 
écrits  deM.  Tholuck  (Gespraiche  ùber  die  vornehmstenGlaubensfragen  der 
Zeit,  1846,  etc.),  le  rationalisme  moderne,  dans  ceux  de  M.  Hanne(  For- 


APOLOGÉTIQUE  —  APOSTASIE  445 

hœfe  zitut  Glauben  oderdas  Wunder  des  Christenthums  im  Einklange  mit 
Vernunft  u.  Natur,  1850-51,  2  vol.,  etc.),  ont  trouvé  des  apologistes 

ingénieux  el  abondants.  Parmi  les  défenseurs  du  christianisme  les  plus 
récents. -nous  citerons  Auberlen  (Die gœttlliche  Offenbarung,  1861-64, 
wi  vol.).  qui  part  des  faits  énoncés  dans  lesépitres  de  saint  Paul  com- 
munément regardées,  même  par  la  critique  la  plus  avancée,  comme 
authentiques,  et  de  là  remonte  à  ceux  que  l'apportent  les  Evangiles, 
les  prophètes  et  les  écrits  attribués  à  Moïse,  pour  prouver  la  réalité  de 
la  révélation  ;  M.  Luthardt  (Apologetische  Vortrœge  ûber die  Grundwahr- 
heiten  des  Christenthums,  1861k  ;  id.  Ueber  die  Heikwahrheitèn  desChris- 
tenthums,  1807),  qui,  se  basant  sur  les  contradictions  de  notre  être,  re- 
monte pour  les  résoudre,  directement  à  Dieu,  à  la  révélation,  à  la 
personne  de  J.-C.  et  au  développement  du  salut  dans  l'humanité  ;  M.  de 
Zezschwitz  (Die  Apologie  des  Christenthums  nach  Geschichte  u.  Lehre, 
1866),  qui,  par  une  méthode  heureuse,  mêle  la  preuve  interne  et  le 
témoignage  historique  et  démontre  que  la  meilleure  justification  du 
christianisme  est  son  histoire,  en  particulier  celle  de  son  avènement  ; 
il  examine,  à  l'aide  de  textes  habilement  choisis,  si  le  monde  pouvait 
se  passer  de  la  religion  de  Jésus,  et,  après  avoir  analysé  les  systèmes 
par  Lesquels  on  prétend  la  remplacer,  il  en  appelle  à  la  conscience  et 
fait  confirmer  par  son  témoignage  la  vérité  des  doctrines  fondamenta- 
les de  l'Evangile;  M. Delitzsch (System  der  christlichen  Apologetik,  1869) 
suit  une  marche  inverse.  Il  montre  d'abord  que  le  christianisme,  dans 
son  essence,  est  identique  avec  le  témoignage  de  la  conscience  hu- 
maine, réfutant  ainsi  la  part  d'erreur  et  confirmant  la  part  de  vérité 
de  toutes  les  religions  et  de  toutes  les  philosophies  humaines  ;  il  établit 
ensuite  la  réalité  historique  du  christianisme  avec  sa  préparation  dans 
l'Ancien  Testament  et  son  accomplissement  dans  L'histoire  de  l'Eglise; 
M.  Erbrard  (Apologetik.  Wissenschaftliche  Rechtfertigung  des  Christen- 
thums, 1874,  2  vol.  )  adopte  le  même  plan,  en  s'appliquant  d'une  manière 
particulière  à  relever  l'erreur  de  la  théorie  de  Darwin  et  de  tous  les  sys- 
tèmes qui  mettent  en  péril  la  liberté  de  Dieu  ou  celle  de  l'homme  ; 
enfin  les  ouvrages  de  MM.  Held  (Jésus  de?-  Christ,  1865),  Dusterdiek 
(Apologetische  Beitrœge,  1865),  Steinmeyer  (Apologetische  Beitrœge, 
1871 1.  Baumstark  (Christliche  Apologetik  auf  anthropologischer  Grun- 
dlage,  1872i,  Grau  (Ursprûnge  u.  Ziel  unserer  Culturentwicklung .  Fine 
[pologie  des  Christenthums  Vom  Standpunkt  der  Vœlkerpsychologie,  1864. 
'■'>  édit.,  L875),  etc.,  etc.  La  théologie  catholique  allemande  a  produit 
deux  ouvrages  d'apologétique  qui  ne  sont  pas  sans  valeur,  celui  de 
Divv  (Die  Apologetik  a/s  wissenschaftliche  Naehweisung  der  Gôttlich- 
heit  des  Christenthums  in  seiner  Ercheinung,  1 8.'J8 )  et  celui  de  Hettin- 
ger  i  ipologie  des  Christenthums,  3e  édit.,  L869,  2  vol.),  ainsi  qu'une 
bonne  histoire  de  l'apologétique  de  M.  'W erner  (Geschichte  der  apologeti- 
schen  u.  polemischen  Literatur  der  christl.  Théologie,*  1861-67,  5  vol.>. 

P.  Ljchtenhkrgek. 
APOSTASIE,   APOSTAT.  An  sens  étymologique  du  mot,  apostasie  se 
dit  de  L'acte  qui  consiste  à  se  tenir  à   l'écart,  et  plus  spécialement  à 
s'écarter  d'une  opinion  que  L'on  avait  suivie  jusqu'alors:  d'où  l'idée 


446  APOSTASIE 

de  résistance  et  de  révolte.  Le  terme  apostatare  ou  apostare,  que  Ton 
rencontre  dans  la  langue  de  la  basse  latinité,  signifie  mépriser  ou  violer 
n'importe  quoi.  L' Encyclopédie  de  Diderot  et  le  Dictionnaire  de  la 
Conversation  citent  à  ce  propos  cette  loi  d'Edouard  le  Confesseur  :  Qui 
leges  apostatabit  terrœ  suœ,  reus  sit  apnd  regem,  quiconque  viole  les 
lois  de  son  pays  est  coupable  de  lèse-majesté.  En  général,  on  entend 
par  apostasie  tout  changement  de  religion  et  particulièrement  l'aban- 
don de  la  foi  chrétienne  :  c'est  dire  qu'on  attache  à  ce  mot  une  idée  de 
blâme  et  même  d'infamie.  Quand  on  veut  flétrir  quelqu'un  qui  a  modi- 
fié ses  croyances,  on  le  traite  d'apostat,  et  cependant  l'apostasie  est 
quelquefois  un  devoir  de  conscience.  Quitter  une  opinion  que  l'on 
croit  fausse  pour  une  autre  que  l'on  croit  vraie  n'a  rien  que  de  légi- 
time; le  mal  consiste  à  renier,  par  intérêt  ou  par  peur,  une  opinion  ou 
une  cause  dont  on  ne  peut  s'empêcher  de  reconnaître  la  justesse  au 
fond  de  son  cœur.  C'est  à  tort,  d'ailleurs,  qu'on  a  qualifié  d'apostats 
certains  personnages  historiques,  tels  que  l'empereur  Julien,  par 
exemple.  Julien  dit  Y  Apostat  ne  fut  point  un  apostat;  il  avait  reçu  une 
éducation  pour  le  moins  aussi  païenne  que  chrétienne;  il  n'avait  été 
chrétien  que  de  nom  et  uniquetnerit  par  la  volonté  de  son  oncle  Cons- 
tantin, qui  désirait  en  faire  un  moine;  la  religion  qu'il  préférait  et  qu'il 
entendait  pratiquer,  c'était  la  religion  païenne;  il  n'avait  donc  pas  eu 
à  changer  de  sentiments  et  ne  mérite  pas  l'accusation  d'apostasie.  — ■ 
L'Eglise  a  réglementé  avec  soin  tout  ce  qui  concerne  l'apostasie;  elle 
distingue  :  1°  Yapostasia  a  monachatu,  c'est-à-dire  l'acte  qui  consiste  à 
déserter  un  ordre  religieux  dans  lequel  on  avait  fait  profession  et  que 
l'on  quitte  sans  une  dispense  légitime;  2°  Yapostasia  a  clericatu,  com- 
mise par  un  prêtre  qui  renonce  à  son  caractère  sacerdotal  ;  3°  Yapos- 
tasia perfidiœ,  c'est-à-dire  la  défection  totale  de  celui  qui  abandonne  la 
foi  chrétienne.  Chacun  de  ces  cas  d'apostasie  est  l'objet  de  nombreux 
commentaires  dans  le  droit  ecclésiatique  et  donne  lieu  à  des  pénalités 
diverses.  Le  concile  de  Chalcédoine  frappe  déjà  d'anathème  les  deux 
premières  sortes  d'apostasie;  plus  tard,  on  les  fait  tomber  sous  le  coup 
de  l'excommunication,  et  ceux  qui  s'en  rendent  coupables  sont  privés 
de  tous  les  privilèges  qui  s'attachaient  à  leur  état.  Il  est  enjoint  aux 
évêques  de  mettre  la  main  sur  les  apostats  qui  se  trouvent  dans  leur 
diocèse  et  de  leur  infliger  une  amende  et  même  la  prison,  jusqu'à  ce 
qu'ils  reviennent  à  résipiscence.  Le  dernier  cas  d'apostasie  est  le  plus 
grave  de  tous;  aussi  l'Eglise  lui  a-t-elle  réservé  toutes  les  rigueurs,  et. 
même,  les  trouvant  insuffisantes,  a-t-elle  fait  appel  aux  lois  civiles. 
Tous  les  édits  concernant  les  hérétiques  et  les  schismatiques  sont  diri- 
gés contre  cette  classe  d'apostats.  Aujourd'hui,  que  l'on  tend  de  plus 
en  plus  à  la  séparation  du  temporel  et  du  spirituel,  il  est  rare  que 
l'apostasie  soit  considérée  comme  un  délit  civil;  mais,  il  n'y  a  pas  cent 
ans  encore,  un  catholique  qui,  en  France,  abandonnait  sa  religion  pour 
embrasser  le  protestantisme,  pouvait  être  puni  par  l'amende  honora- 
ble, le  bannissement  perpétuel  et  la  confiscation  de  ses  biens,  en  vertu 
de  plusieurs  édits  du  temps  du  règne  de  Louis  XIV.  Le  protestantisme 
a  eu,  lui  aussi,  à  s'occuper  de  l'apostasie.  Il  eût  été  bien  extraordinaire 


APOSTASIE  —  APOSTOLIQUE  447 

que  les  nombreuses  persécutions  dont  il  [a  été  victime  n'eussent  pas 
produit  chez  lui  des  apostats.  Lorsqu'on  parcourt  la  longue  liste  des 
forçats  pour  la  loi,  on  trouve  cette  qualification  d'apostat  jointe  au  nom 
de  quelques-uns  d'entré  eux;  ceux  que  les  tourments  endurés  amenèrent 
ainsi  à  abjurer  sont  plus  à  plaindre  qu'à  condamner;  mais  on  ne  sau- 
rait avoir  la  même  indulgence  pour  les  gentilshommes  qui  abandonnè- 
rent la  cause  de  la  Réforme  quand  elle  parut  nuisible  à  leurs  intérêts- 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  temps  n'est  plus  où  l'apostasie  puisse  être  consi- 
dérée comme  la  suprême  flétrissure,  et,  de  nos  jours,  la  société  civile 
ne  rejette  de  son  sein  pas  plus  le  Rév.  Newmann  que  le  P.  Hyacinthe,, 
pas  plus  le  comte  de  Stolberg  que  lord  Northcote  ou  le  marquis  de 
Bute.  A.  Gary. 

APOSTOLIQUE  (Age).  On  entend  par  âge  apostolique  ou  siècle  apos- 
tolique la  période  de  temps  qui  s'est  écoulée  depuis  la  première  Pente- 
côte (an  30)  jusqu'à  la  mort  de  saint  Jean,  que  la  tradition  place  vers 
l'an  100.  C'est  la  première  période  de  l'histoire  de  l'Eglise  chrétienne,, 
celle  qui  fut  remplie  par  l'œuvre  des  Apôtres  (xoy.  ce  mot).  Le  christia- 
nisme naissant  se  répandit  parmi  les  Juifs  d'abord  et  ensuite  parmi  les 
païens.  Nous  traiterons  donc  successivement  du  Judaïsme  et  du  Paga- 
nisme  au  premier  siècle  de  notre  ère.  —  I.  Le  Judaïsme,  Les  Juifs  de 
l'âge  apostolique  avaient  dans  le  monde  trois  grands  centres  religieux; 
Babylone,  Alexandrie  et  la  Palestine.  Nous  n'avons  point  à  parler  ici 
des  Juifs  de  Babylone  ;  ils  ne  semblent  pas  avoir  eu  de  rapport  avec 
les  premiers  chrétiens,  et,  du  reste,  leurs  doctrines  religieuses  ne 
di lieraient  pas  de  celles  de  leurs  compatriotes  de  Jérusalem.  Quant  aux. 
Juifs  d'Alexandrie,  leurs  idées  exercèrent,  au  contraire,  une  influence 
immense  sur  la  religion  chrétienne,  et  nous  renvoyons  le  lecteur,  pour 
tout  ce  qui  les  concerne,  à  l'article  spécial  qui  leur  est  consacré. 
Nous  ne  traiterons  donc  que  du  judaïsme  de  Palestine.  Hérodt 
le  Grand,  qui  était  mort  au  moment  de  la  naissance  de  Jésus-Christ, 
avait  laissé  son  royaume  à  ses  trois  fils,  sortes  de  lieutenants  des 
Romains,  qui  se  l'étaient  partagé  :  Antipas  eut  la  Galilée  et  la  Pérée  ; 
Philippe ,  la  Gaulonite  et  la  Batannée  ;  Archelaûs  régna  à  Jérusa- 
lem. Jésus-Christ  n'avait  encore  qu'une  dizaine  d'années  lorsque 
Archelaûs  fut  déposé  par  Auguste,  et  la  Judée  fut  réunie  à  la  Samarie 
et  à  ridumée,  déjà  annexées  à  la  Syrie,  où  Quirinius  (Publius  Sulpi- 
cius  .  personnage  bien  connu,  était  légat  impérial.  C'est  alors  que  com- 
mença à  Jérusalem  cette  suite  de  procurateurs  dont  la  résidence  offi- 
cielle  était  Césarée,  mais  qui  venaient  passer  à  la  ville  sainte  tout  le 
temps  des  grandes  fêtes  :  Coponius,  Marcus  Ambivius,  Annius  Rufus, 
Valérius  Gratus,  Pontius  Pilatus.  Après  lui  (34),Hérode  Agrippa  parvint 
à  reconstituer  le  royaume  de  son  aïeul;  mais  à  sa  mort  (44),  la  Judée 
retomba  de  nouveau  au  pouvoir  des  procurateurs  :  Guspius  Fadus, 
Tibère  Alexandre,  Cumanus,  Félix,  Festus,  etc.  —  La  religion  pro- 
fessée par  les  habitants  de  la  Palestine  était  l'antique  religion  de 
Moïse,  restaurée  par  Esdras,  transformée  par  la  Synagogue  et  plus 
ou  moins  modifiée  par  l'hellénisme.  Depuis  l'exil,  le  Juif  différai! 
totalement  de  l'ancien  Hébreu.  Le  monothéisme  était  accepté  par  le 


448  APOSTOLIQUE 

peuple  entier;  tous  étaient  fidèles  ;  plus  de  guerres  civiles,  plus  de  tri- 
bus rivales,  plus  d'idolâtrie  ni  d'impiété.  A  un  profond  attachement 
aux  traditions  nationales,  les  Juifs  joignaient  une  grande  puissance  de 
réflexion  et  d'analyse.  Ils  avaient  créé  une  véritable  théologie  qui,  pen- 
dant le  siècle  apostolique,  avait  atteint  le  plus  haut  point  de  son  déve- 
loppement. Le  judaïsme  était  arrivé  à  sa  maturité  :  son  œuvre  s'ache- 
vait. Les  dernières  conséquences  des  principes  posés  autrefois  par 
l'antique  hébraïsme  étaient  tirées,  et  les  divers  partis,  alors  existants,  les 
mettaient  en  pratique  chacun  à  leur  manière.  Précisons  d'abord  l'in- 
fluence de  l'hellénisme  en  Palestine  :  elle  était  réelle.  Malgré  la  haine 
que  le  Juif  orthodoxe  professait  pour  tout  ce  qui  était  grec,  Antiochus 
Épiphane,  avait  imposé  les  idées  grecques,  et  il  avait  bien  fallu  les  subir. 
Elles  étaient  éminemment  envahissantes.  11  y  avait  même  un  parti  grec 
à  Jérusalem.  Il  va  sans  dire  qu'il  était  détesté.  Il  subsistait  néanmoins, 
et  les  Juifs  d'Alexandrie  y  avaient  leur  synagogue  (Act.  VI,  9).  Quant 
aux  systèmes  philosophiques  de  la  Grèce,  ils  avaient  fait  leur  appa- 
rition en  Palestine  deux  cents  ans  environ  avant  Jésus-Christ.  Mais  les 
écoles  de  Jérusalem  y  étaient  restées  très-opposées.  C'est  des  profon- 
deurs de  l'Ancien  Testament  que  les  docteurs  de  la  loi  tiraient  toute 
leur  théologie.  Pour  eux,  la  Thorah  renfermait  toute  la  science,  et  elle 
seule  jouissait  d'une  autorité  incontestée.  Cette  idée  était  bien  contraire 
aux  tendances  rationalistes  de  l'esprit  grec.  Nous  allons  passer  en  revue 
les  diverses  doctrines  de  la  théologie  juive,  telles  qu'elles  étaient  expo- 
sées dans  les  écoles  de  Jérusalem.  —  L'idée  de  Dieu  était,  chez  les  Juifs 
du  premier  siècle,  d'une  grandeur  incomparable.  La  foi  en  un  Dieu  uni- 
que était  dans  toutes  les  classes  de  la  société  la  base  indestructible  du 
sentiment  religieux.  Il  était  interdit  de  prononcer  le  mot  sacré  Jahveh, 
et,  dans  les  lectures  publiques,  le  lecteur  le  remplaçait  par  le  mot 
Adonaï  (le  Seigneur)  ;  chez  les  Samaritains,  on  lisait  :  le  nom  «  Schimah  ». 
Ce  Dieu  absolu,  abstrait,  esprit  pur,  n'en  était  pas  moins  un  Dieu 
vivant  et  personnel.  La  théologie  cherchait  à  concilier  cette  idée  à  la 
fois  concrète  et  abstraite  de  la  Divinité.  Le  Dieu-Esprit,  qui  est  loin 
des  choses  créées  et  du  monde  où  règne  le  mal,  s'est  communiqué  au 
monde;  il  a  parlé  aux  hommes,  et  un  grand  nombre  de  passages  bibli- 
ques lui  supposent  des  sentiments  humains  et  des  passions  humaines. 
Comment  expliquer  cette  contradiction?  Pour  sauvegarder  la  foi  en  la 
spiritualité  de  Dieu  et  l'authenticité  des  passages  de  la  Loi  où  Jahveh 
nous  est  représenté  parlant  à  Moïse  et  aux  prophètes,  les  Juifs  ensei- 
gnèrent que  ce  n'était  pas  Dieu  lui-même  qui  apparaissait  aux  patriar- 
ches, mais  «  sa  Gloire  »  (Schechina)  ou  sa  Parole  (Memra).  Ils  ne  son- 
geaient point  encore  à  un  Dieu  second,  et  ils  ne  distinguaient  point  la 
Memra  et  la  Schechina  de  l'essence  divine.  Ils  ne  voulaient  que  conci- 
lier les  Ecritures  avec  leur  doctrine  :  Jahveh  ne  peut  apparaître  à  une 
créature  humaine.  Mais  peu  à  peu  ils  se  trouvèrent  amenés  à  distinguer 
de  lui  cette  gloire  ou  cette  Parole  par  laquelle  il  se  communique  au 
monde  ;  et  de  l'idée  de  la  sainteté  de  Dieu,  poussée  à  ses  dernières  limites, 
sortit  la  doctrine  du  médiateur  ou  de  la  Parole  de  Dieu.  —  Le  Verbe.  Au 
premier  siècle,  les  Juifs  distinguaient  expressément  un  Etre  intermé- 


APOSTOLIQUE  419 

diaire  entre  l'Eternel  et  l'humanité.  C'était  le  développement  Logique 

de  la  doctrine  de  la  sagesse  de  Dieu  dont  l'Ancien  Testament  parlait 
déjà.  Les  Targoums  d'Onkelos  et  de  Jonathan  renferment  plusieurs  pas- 
sades où  Tidée  du  Vérité,  telle  qu'on  la  professait  en  Palestine  à  cette 
époque,  est  soigneusement  exposée.  C'est  la  Parole  qui  a  créé  le  monde 
et  Ta  mis  en  ordre.  Elle  conserve  toutes  choses,  règne  sur  le  peuple  et 
intercède  auprès  de  Dieu  pour  lui.  Elle  sait  tout  ce  qui  se  passe  sur  la 
terre.  C'est  par  elle  que  Dieu  a  l'ait  alliance  avec  les  hommes.  Moïse 
se  tenait  entre  Elle  et  le  peuple  élu.  (Targ.  Onkel,  sur  Gen.  I,  Ti  ; 
Deut.  XXXIII,  27;  Deut.  IV,  5;  Deut.  V,  5,  etc.;  Targ.  Jonath.,  sur 
Esaïe  LIX,  17  et  suiv.;  sur  Esaïe  XXXVIII,  7;  XL,  15,  etc.).  Il  résulte 
de  plusieurs  passages  des  Targoums  que  la  Parole  reste  en  relation 
étroite  avec  l'essence  divine.  Il  reste  entre  Dieu  et  son  Verbe  un  lien 
indissoluble  et  mystérieux.  Celui-ci  n'est  jamais  placé  d'une  manière 
très-nette  au-dessous  du  Dieu  unique  et  vrai  (voir  en  particulier  Targ. 
Onkel,  sur  Genèse  XXVIII,  13  et  21,  et  sur  Lévit.  XXVI,  30,  et  Targ. 
Jonath.,  sur  Esaïe  I,  14;  XLII,  1).  Ce  développement  d'une  doctrine 
du  Verbe  qui  se  faisait  à  côté  du  développement  des  idées  sur  le  Messie 
n'avait  rien  de  commun  avec  elles.  L'idée  de  l'incarnation  était  tout  à 
fait  étrangère  à  l'esprit  juif;  mais,  plus  tard,  les  deux  courants  devaient 
se  rencontrer  et  contribuer,  chacun  pour  -sa  part,  à  la  formation  du 
dogme  de  la  divinité  du  Christ.  —  Les  Anges.  La  théologie  juive  du 
premier  siècle  ne  reconnaissait  pas  seulement  un  être  intermédiaire 
entre  Dieu  et  les  hommes,  mais  plusieurs  auxquels  elle  donnait  le 
nom  d'Anges.  C'était  là  une  antique  croyance  remontant  au  temps  des 
Hébreux.  Ceux-ci  peuplaient  les  espaces  célestes  d'êtres  supérieurs  qui 
vivaient  parfaitement  heureux  dans  l'extase  et  la  prière.  Le  contact  des 
Juifs  avec  les  Perses,  pendant  la  captivité  de  Babylone,  leur  donna 
l'occasion  de  préciser  leur  angélologie  et  de  lui  donner  une  forme 
savante  et  compliquée.  Ils  crurent,  comme  les  Perses,  à  sept  Esprits 
supérieurs  qu'ils  appelaient  les  archanges  et  qui  formaient  le  conseil 
de  Jahveh.  Ils  se  tenaient  devant  le  trône  de  l'Eternel  ;  ils  étaient  sa 
garde  d'honneur  et  setrovaient  au  premier  rang  de  l'armée  céleste.  Les 
noms  de  six  d'entre  eux  nous  ont  été  conservés  :  Gabriel,  Michael, 
Raphaël,  Uriel,  Jérémiel,  Sealthiel.  Ilschantent  jour  et  nuit  leslouanges 
de  Jahveh  et  ne  descendent  sur  la  terre  que  dans  des  circonstances 
exceptionnelles  (voir  Daniel  VII,  XII;  Tobie,  passait;  Luc  I,  19). 
Au-dessous  des  archanges  se  placent  les  anges  inférieurs  dont  le 
nombre  est  indéterminé,  et  d'autant  plus  nombreux  que  leur  di- 
gnité est  moindre.  Ceux-là  étaient  les  anges  proprement  dits  (les 
messagers)  et  se  trouvaient  remplir  auprès  des  hommes  la  fonction 
d'anges  gardiens  (Act.  XII,  15;  Matth.  XVIII,  10).  Ils  étaient  mi- 
nistres de  l'assistance  divine  (Hébreux  I,  14),  et,  à  la  mort,  ils  por- 
taient l'âme  du  juste  dans  le  sein  d'Abraham  (Luc  XVI,  22). 
Non-seulement  chaque  homme  avait  son  ange,  mais  chaque  nation 
avait  le  sien  (Daniel  X).  Enfin,  les  éléments,  comme  le  veut. 
le  feu,  l'eau,  avaient  aussi  leurs  anges  (Livre  d'Enoch,  LX,  16  et 
suiv.).  —  Les  Démons.   Les  démons  sont  mentionnés  ça  et  là  dans 


450  APOSTOLIQUE 

l'Ancien  Testament;  mais  la  démonologie  juive  ne  date  que  des  deux 
siècles  qui  ont  précédé  l'ère  chrétienne.  Les  Juifs  n'ont  cru  définitive- 
ment à  un  prince  des  démons  qu'après  être  entrés  en  contact  avec  les 
Perses.  Mais  leur  doctrine  des  démons  est  toujours  restée  vague  et  atté- 
nuée par  l'inébranlable  monothéisme  inhérent  à  leur  race.  Ils  sen- 
taient parfaitement  que  s'ils  précisaient  l'idée  d'un  chef  des  mauvais 
esprits,  ils  créaient  une  puissance  du  mal,  opposée  à  Dieu,  puissance 
du  bien,  et  devenaient  dualistes.  Le  chef  des  démons  n'est  appelé  Satan 
que  dans  le  Nouveau  Testament.  Les  documents  juifs  contemporains  de 
l'ère  chrétienne  l'appellent  Asmodée  (Tobie  III,  8;  VIII,  3);  Béliar 
(Orac.  sybill.,  III,  61).  Le  nom  Beelzebut  se  trouve  dans  plusieurs  pas- 
sages du  Nouveau  Testament.  Les  démons  sont  nés,  dit  le  livre  d'Enoch 
(XV,  8  et  suiv.)  du  mariage  des  anges  déchus  avec  les  filles  des  hom- 
mes ;  «  les  fils  de  Dieu  »  dont  parle  le  chapitre  VI  de  la  Genèse  étaient, 
d'après  lui,  des  anges  déchus.  Leurs  fils,  les  démons,  habitent  les  airs  ou 
les  déserts  et  les  endroits  inhabités  (Test.,  Benjamin,  §  3;  Tobie  VIII,  3). 
Ils  viennent  de  là  pour  tourmenter  les  hommes.  Ils  sont  cause  de  leurs 
maladies,  et  leur  pouvoir  ne  s'étend  pas  seulement  sur  le  corps,  mais 
sur  l'âme.  Ils  peuvent  «  induire  en  tentation  »  (Matth.  VI,  13).  Ils 
exercent  leur  influence  sur  les  pensées  des  hommes  et  sur  leur  destinée 
(Jos.,  B.  </.,  VII,  6,  3).  La  folie  surtout  était  considérée  comme  une 
possession.  Chasser  les  démons  était  une  œuvre  de  bienfaisance  à  laquelle 
se  livraient  les  écoles  de  la  Palestine.  Josèphe  nous  explique  en  détail  com- 
ment on  s'y  prenait  (Jos.,  Ant.  Jud.,  VJII,  2,  5;  B.  «/.,  VII,  6,  3).  On 
prononçait  certaines  formules  magiques,  on  se  servait  d'une  racine 
appelée  baaras,  que  l'on  approchait  du  nez  du  possédé.  Le  grave  Josèphe 
affirme  avoir  été  témoin  d'une  guérison  de  ce  genre.  Il  ne  faut  pas  con- 
fondre les  démons  avec  les  anges  déchus.  Ceux-ci,  qui  sont,  nous  l'avons 
dit  plus  haut,  leurs  pères,  ne  vivent  pas  en  liberté  dans  les  airs.  Ils 
expient  leur  crime  dans  les  tourments,  chargés  de  lourdes  chaînes  et  de 
pierres  énormes  et  sont  sous  les  montagnes,  dans  une  vallée  de  feu 
dont  les  éruptions  volcaniques  nous  révèlent  l'existence  (Livre 
d'Enoch,  X,  4,  12;  LXVII,  7).  Cette  foi  aux  démons  avait  au  premier 
siècle  une  grande  puissance.  On  découvrait  partout  de  mauvais  esprits; 
le  monde  invisible  trahissait  chaque  jour  leur  présence;  sans  cesse  on 
croyait  voir  arriver  la  catastrophe  finale  qui  annoncerait  le  Messie; rien 
d'étonnant  que  cette  époque  ait  été  fertile  en  visions  et  en  apparitions 
surnaturelles.  Tout  ce  qui  sortait  tant  soit  peu  de  l'ordinaire  était  attri- 
bué à  des  puissances  occultes.  —  L'Homme.  L'anthropologie  juive  est 
toujours  restée  pauvre,  et  les  questions  de  la  liberté  humaine,  de  la 
prescience  divine,  de  l'immortalité  de  l'àme  et  de  la  résurrection  du 
corps  n'ont  jamais  été  officiellement  et  définitivement  résolues.  La 
haute  idée  que  le  Juif  se  faisait  de  la  dignité  humaine  reposait  sur  son 
invincible  orgueil  national.  Il  refusait  de  croire  que  le  péché  originel 
ait  eu  pour  lui  la  moindre  conséquence.  Les  pécheurs,  c'étaient  les 
païens.  Le  livre  d'Enoch  (voir  ch.  GVIII)  nie  formellement  la  doctrine 
du  péché  originel.  Le  IVe  livre  d'Esdras  est  seul  à  l'enseigner,  et  il  en 
parle  sous  l'influence  des  idées  qui  fermentaient  alors  dans  la  jeune 


APOSTOLIQUE  151 

société  chrétienne.  La  gravité  du  péché  étant  méconnue,  la  question  du 
salut,  au  sens  tragique  de  ce  mot,  ne  se  posait  même  pas.  On  était 
justifié  par  les  œuvres  de  la  Loi  (Honi.  111,  20),  L'essentiel  était  de 
pratiquer  exactement  toutes  les  abstinences,  d'observer  les  jeûnes,  de 
célébrer  les  [êtes.  La  pauvreté  avait  une  valeur  morale.  Les  basses 
classes  passaient  pour  être  seules  composées  de  vrais  patriotes  aimés 
<le  Dieu,  et  les  riches,  que  Ton  appelait  volontiers  de  «  mauvais  riches», 
ne  se  faisaient  pardonner  leur  opulence  qu'en  faisant  largement 
L'aumône;  celle-ci  était  un  mérite  important;  elle  expiait  les  péchés 
(Tobie  XII,  9).  La  foi  en  la  résurrection  à  venir  était  de  formation 
récente  et  n'était  défendue  que  par  l'école  pharisienne.  L'Ancien  Tes- 
tament, qui  plaçait  la  récompense  du  juste  sur  la  terre,  n'avait  point 
eu  l'occasion  de  parler  de  vie  future,  et  lorsque  le  matérialisme  eut 
l'ait  invasion  en  Palestine,  la  piété  s'affaiblit.  Le  parti  sadducéen  refusa 
ducroire  en  la  spiritualité  et  en  l'immortalité  de  l'àme  ;  une  réaction  pro- 
voquée par  les  pharisiens,  se  produisit  contre  cette  tendance.  Une  vie  fu- 
ture où  les  hommes  de  bien  seraient  récompensés  fut  énergiquement  affir- 
mée (Eccl.  XL VIII,  o).  On  ne  pensait  pas  d'abord  «  aux  méchants  »,  et  on 
crut  pendant  longtemps  qu'il  n'y  aurait  pas  d'avenir  pour  eux.  Plus  tard, 
on  changea  d'avis  ;  ils  auraient  aussi  leur  vie  future  et  y  subiraient  le  châti- 
ment de  leurs  fautes.  L'ancienne  opinion  subsista  néanmoins,  et  toutes 
deux  étaient  enseignées  pendant  le  siècle  apostolique.  Les  Evangiles 
parlent  de  la  résurrection  des  «  justes  »  (Luc  XIV,  14  ;  Josèphe  aussi, 
Ant.  Jud.,  XVIII,  1,  3;  B.  «/.,  II,  8,  14;  Saint  Paul  affirme  celle  de  tous, 
«  tant  des  justes  que  des  injustes  »  (Act.,  XXIV,  15).  Remarquons, 
de  plus,  que,  pour  les  Juifs  palestiniens,  le  corps  et  l'âme  étaient 
étroitement  unis.  Pour  ceux  qui  croyaient  à  la  vie  future,  l'homme, 
après  la  mort,  entrait  dans  un  état  provisoire  sur  lequel  on  n'avait  point 
de  données.  La  mort,  disait  l'Ancien  Testament,  n'a  pas  été  voulue  de 
Dieu  ;  elle  n'est  que  le  châtiment  du  péché,  qui  a  eu  pour  conséquence 
de  corrompre  l'homme  et  de  séparer  ce  que  Dieu  a  fait  pour  être  unis, 
l'âme  et  le  corps.  Cette  séparation  est  un  châtiment  :  l'âme  ne  vivra 
donc  plus  tard  que  si  elle  a  un  corps,  et  on  ne  distinguait  pas  la  ques- 
tion de  l'immortalité  de  l'âme  de  celle  de  la  résurrection  du  corps. 
Nous  n'insisterons  pas  davantage  sur  une  question  que  le  lecteur  trou- 
vera traitée  à  l'article  de  l'eschatologie  juive.  Il  en  est  de  même  des 
espérantes  messianique,  la  plus  importante  des  doctrines  juives  de 
l'âge  apostolique  et  qui  est  traitée  dans  un  article  spécial.  Nous  ne  par- 
lons pas  non  pins  de  la  Bible  des  Juifs  de  Palestine  au  premier  siècle. 
—  L'ensemble  des  doctrines  que  nous  venons  d'exposer  formaità  Jéru- 
salem l'objet  d'un  d'un  enseignement  religieux.  Cette  ville  possédait 
des  écoles  de  pharisiens  ou  écoles  des  docteurs  de  la  Loi.  En  l'ace 
des  pharisiens  s'élevait  le  parti  des  sadducéens.  Enfin,  la  tendance 
ascétique,  puissante  alors  en  Palestine,  avait  produit  diverses  nia- 
nifestations  de  la  pensée  religieuse,  dont  les  ésséniens,  d'une  part, 
et  Jean-Baptiste,  de  L'autre,  étaient  les  divers  représentants.  L'au- 
torité religieuse  était  représentée  par  le  Sanhédrin  (voy.  ces  mots). 
L'histoire  du  judaïsme  du  premier  siècle  nous  fait  assister  au  spectacle 


452  APOSTOLIQUE 

de  la  décadence  d'une  religion  nationale.  Le  judaïsme  est  usé,  vieilli, 
il  marche  à  sa  ruine.  Avant  la  fin  de  l'âge  apostolique,  en  70,  il  suc- 
combe, et  on  peut  dire  qu'il  s'est  détruit  lui-même.  Cette  nation  est 
arrivée  à  un  tel  degré  d'exaltation  en  toutes  choses  que  son  existence 
est  devenue  impossible.  L'égoïsme  du  Juif,  sa  haine  du  genre  humain, 
son  orgueil  sont  à  leur  comble  ;  comme  peuple,  il  ne  peut  subsister, 
et  nous  prévoyons  déjà,  dans  ses  doctrines  exagérées  et  dans  les 
partis  qui  le  divisent,  l'explosion  de  rage  et  d'impuissance  qui  abou- 
tira à  la  destruction  de  Jérusalem  et  à  la  dispersion  des  enfants 
d'Israël.  Avec  saint  Paul,  le  christianisme  franchit  les  limites  que 
voulaient  lui  imposer  les  Douze  ;  il  sort  de  la  Palestine  et  d'Antioche, 
où  ceux-ci  l'avaient  prêché,  et  il  se  répand  dans  l'empire.  Il  s'y 
trouve  d'abord  en  présence  des  Juifs  disséminés  (rqç  Staorcopoç), 
car  c'est  dans  leurs  synagogues  que  les  missionnaires  chrétiens  prê- 
chaient d'abord  la  foi  nouvelle.  Les  Juifs  disséminés  étaient  très- 
nombreux  et  exerçaient  dans  certains  centres  une  grande  influence. 
Les  Romains  leur  laissaient  le  libre  exercice  de  leur  religion  et  ils 
jouissaient  de  plus  de  liberté  que  les  autres  sectateurs  de  religions 
étrangères  dont  le  culte  n'était  que  toléré.  La  loi  romaine  donnait  aux 
Juifs  le  droit  de  tenir  partout  leurs  assemblées  religieuses,  et,  dans 
toutes  les  grandes  villes,  il  y  avait  une  synagogue  ou  maison  de  prières 
où  la  Loi  et  les  Prophètes  étaient  lus  et  expliqués  chaque  jour  de  sabbat, 
le  plus  souvent  en  grec.  Quand  la  communauté  juive  ne  possédait  pas 
de  synagogue,  elle  se  réunissait  hors  de  la  ville,  à  portée  d'un  cours 
d'eau  pour  les  ablutions  (Act.  XVI,  13).  Ces  réunions  n'étaient  point 
interdites  aux  païens  et  les  femmes  les  fréquentaient  volontiers.  En 
général,  les  Juifs  disséminés  étaient  très-ardents  à  la  propagande,  et 
ils  obtenaient  un  certain  nombre  de  conversions.  Parmi  les  païens 
convertis,  les  uns  s'appelaient  prosélytes  de  la  Porte  et  les  autres  pro- 
sélytes de  la  Justice  (voy.  ces  mots).  Ceux-ci,  qui  étaient  aussi  connus 
sous  le  nom  de  8£ose6eiç  ou  ço6otfji£vol  tov  0eov,  restaient  toujours  in- 
férieurs aux  Juifs  de  naissance  qui ,  à  l'apparition  du  royaume  de  Dieu, 
devaient  être  les  premiers  à  jouir  des  bénédictions  promises. 

IL  Le  paganisme.  Parlons  maintenant  du  paganisme  et  de  l'empire 
romain  considéré  dans  son  ensemble,  et  disons  ce  qu'il  était  lorsque 
saint  Paul  le  parcourut  dans  ses  grands  voyages  missionnaires.  Ici,  il  ne 
s'agit  plus,  comme  pour  le  judaïsme, d'une  théologie  proprement  dite; 
nous  caractériserons  l'ensemble  de  la  situation  politique,  sociale,  religieuse 
et  philosophique  du  monde  païen  au  premier  siècle.  —  Etat  politique. 
L'empire  romain  comprenait  presque  tout  le  monde  connu  des  anciens. 
On  l'appelait  rt  oixoupli).  Il  renfermait  une  grande  partie  de  l'Europe,  le 
nord  de  l'Afrique  et  toute  l'Asie  orientale.  Cette  immense  étendue  de 
territoire  était  entre  les  mains  de  l'empereur  de  Rome.  Deux  langues  y 
étaient  partout  comprises:  le  grec  et  le  latin.  On  conçoit  immédiatement 
quelle  prodigieuse  facilité  de  communications  créait  cette  unité  politique 
et  cette  unité  de  langage.  En  Orient,  le  grec  dominait;  les  conquêtes 
d'Alexandre  le  Grand  l'avaient  introduit  en  Asie  Mineure.  Nous  avons  vu 
que  les  Juifs  eux-mêmes  n'avaient  pu,  malgré  d'héroïques  efforts,  s'op- 


APOSTOLIQUE  45;: 

poser  à  l'introduction  de  l'hellénisme  en  Palestine.  En  Occident,  à  Rom.' 
surtout,  les  classes  cultivées  parlaient  grec  et  on  le  comprenait,  nous 
Pavons  dit,  dans  tout  V empire. Quant  au  latin,  il  resta  toujours  la  langue 
officielle  de  la  législation  et  de  Tannée.  L'empire  était  divisé  en  provin- 
ces dont  Pempereur  se  partageait  le  gouvernement  avec  le  sénat.  Les 
provinces  impériales  étaient,  sous  Auguste,  au  nombre  de  neuf:  la  Lusi- 
tanie  (N.-O.  de  l'Espagne),  la  Tarraconaise  (anc.  Espagne  citérieure), 
l'Aquitaine,  la  Celtique  ou  Lyonnaise,  la  Belgique,  la  Dalmatie  ou  Illyrie, 
la  Syrie  (comprenant  la  Phénicie  et  la  Judée,  qui  y  fut  annexée,  nous  l'a- 
vons vu,  six  ans  après  Jésus-Christ),  la  Cilicie  et  l'Egypte.  C'étaient  les  pro- 
vinces frontières  qui  exigeaient  une  surveillance  spéciale  et  avaient  une 
grande  importance  militaire.  Elles  étaient  administrées,  sauf  l'Egypte 
qui  n'avait  qu'un  préfet,  par  des  légats  ou  propréteqrs,  sortes  de  gou- 
verneurs militaires  choisis  par  l'empereur.  Au-dessous  du  légat,  un 
procurateur  était  chargé  de  percevoir  les  impôts.  Dans  les  provinces 
importantes,  le  propréteur  avait  avec  lui  un  sous-gouverneur  qui  réunis- 
sait les  administrations  de  la  guerre,  de  la  justice  et  des  finances.  C'étaient 
là  les  fonctions  que  remplissait  Ponce  Pilate;  il  n'était  que  procurateur, 
mais  avait  le  pouvoir  d'un  préteur.  Les  vingt-cinq  légions  tenaient 
garnison  dans  les  provinces  impériales,  et  l'empereur  les  avait  directe- 
ment sous  ses  ordres.  Les  provinces  sénatoriales  étaient  au  nombre  de 
onze  :  la  Sicile,  la  Sardaigne  et  la  Corse,  l'Espagne  Bétique,  la  Narbon- 
naise,  la  Numidie,  la  Crète,  l'Achaïe,  la  Macédoine,  l'Asie,  la  Bithynie 
et  Chypre.  Elles  étaient  administrées  par  des  proconsuls  désignés  par 
le  Sénat.  Ces  proconsuls,  avant  d'être  nommés,  devaient  avoir  rempli 
à  Rome  même  d'importantes  fonctions  et  y  avoir  exercé  au  moins  la 
préture.  Sous  leurs  ordres  était  placé  un  questeur  qui  percevait  les 
impôts.  Les  fonctions  de  fermiers  d'impôts  (publicanus)  étaient  confiées 
aux  chevaliers  romains.  Cet  empire,  ainsi  organisé  et  administré,  n'é- 
tait en  réalité  qu'un  vaste  gouvernement  militaire,  et  le  nom  d'impe- 
rator  (général)  donné  au  César  de  Rome  se  trouvait  être  d'une  grande 
vérité.  Voici  les  noms  des  empereurs  romains  qui  se  succédèrent  de  la 
mort  d'Auguste  (14)  à  l'avènement  de  Trajan  (98)  :  Tibère  (14-37),  Ca- 
ligula  (37-41),  Claude  (41-54),  Néron  (54-68),  Galba  (68-69),  Othon  (69, 
3  mois),  Vitellius  (69,  8  mois),  Yespasien  (69-79),  Titus  (79-81),  Domi- 
tit'ii  (81-96),  Nerva  (96-98).  —  Etat  social.  La  population  vivait  dans  la 
servitude.  C'était  d'abord  aux  peuples  conquis  que  Rome  avait  imposé 
sa  direction  et  ses  lois.  En  outre,  le  monde  était  rempli  d'esclaves.  Pen- 
dant le  siècle  apostolique, le  nombre  des  esclaves  était  au  moins  égal  à 
e<-hii  de  la  population  libre.  On  trouvait  des  maîtres  assez  riches  pour 
en  posséder  cinq  mille, dix  mille,  et  jusqu'à  vingt  mille.  Tout  leur  était 
livré,  ei  ce  n'était  pas  seulement  le  service  proprement  dit  qui  leur 
était  demandé;  l'agriculture  était  entre  leurs  mains  et  ils  étaient  char- 
gés de  l'éducation  des  enfants.  Ils  se  recrutaient  par  la  guerre,  par  le 
commerce  (il  en  venait  de  toutes  les  parties  de  l'empire)  et  aussi  par 
la  naissance.  La  loi  romaine  était  envers  les  esclaves  d'une  horrible 
cruauté;  leur  maître  disposait  d'eux  comme  il  l'entendait,  il  pouvait  les 
mettre  en  croix  pour  le  pins  l'utile  motif;  s'ils  devenaient  vieux,  s'ils 


454  APOSTOLIQUE 

tombaient  malades,  il  lui  était  permis  de  les  abandonner  dans  une  ile  du 
Tibre.  Le  Romain  n'avait,  en  général,  nul  souci  de  la  dignité  humaine. 
Le  propriétaire  seul  avait  une  individualité.  L'esclave  était  sa  chose, 
et  l'homme  qui  ne  possédait  rien  était  sans  valeur.  Cependant  il   ne 
faudrait  pas  juger  de  l'état  social  des  esclaves  au  premier  siècle  d'après 
la  cruelle  législation  qui  les  régissait.  Il  arrive  souvent  que  l'homme 
vaut  beaucoup  mieux  que  les  lois  qu'il  promulgue  ;  et  tout  permet  de 
supposer  que  les  maîtres  étaient  ordinairement  plus  indulgents  et  plus 
doux  que  ne  le  demandait  la  loi.  L'esclave  des  villes  prenait  parfois 
une  grande   influence  sur  l'esprit  de  son  maître.  On  sait  le  rôle  que 
jouèrent  les  affranchis  dans  la  société  romaine  sous  l'empire.  Il  faut 
ajouter  que  la  religion  les  protégeait,  et  ils  lui  rendaient  cette  protec- 
tion en  étant  très-dévots.  Enfin,  de  Cicéron  à  Sénèque  (et  c'est  préci- 
sément de  cette  époque  que  nous  parlons),  les  recommandations   des 
philosophes  aux  maîtres  en  faveur  de  leurs  esclaves  sont  de  plus  en 
plus  pressantes.  Sénèque  parle  quelquefois  comme  le  ferait  un  chrétien. 
Les  gladiateurs,  en  particulier,  qui   étaient  les  plus   malheureux  de 
tous,  excitaient  sa  compassion.  Il  condamnait  absolument  les  jeux  du 
cirque.  «  Homo,  écrivait-il,  res  sacra  homini  »  (Epist.,  15,  33).   A  côté 
des  esclaves  venaient  les  pauvres  ;  c'est  parmi  eux  que  s'est  recruté  le 
christianisme  naissant  ;  malheureusement  on  ne  les  connait  qu'imparfai- 
tement. Tout  porte  à  croire  qu'ils  étaient  aussi  très-dévots  [et  très-atta- 
chés au  culte  de  leurs  pères.  Rien  d'étonnant  qu'un  grand  nombre  ait 
facilement  accepté  l'Evangile.  C'est  toujours  parmi  les  personnes  déjà 
croyantes  qu'une  religion  nouvelle  est  accueillie.  Elle  ne  réussit  point 
avec  les  sceptiques  et  les  indifférents.  Voilà  pourquoi  l'Evangile  a  trouvé 
le  plus  grand  nombre  de  ses  disciples  dans  les  basses  classes,  en  même 
temps  qu'il  soulevait  parmi  elles  les  plus  violentes  haines.  Il  faut  ajou- 
ter qu'une  religion  parlant  à  l'âme  de  consolation  et  lui  offrant  une 
compensation  aux  peines  de  la  vie  devait  trouver  un  accès  facile  dans 
les  classes  souffrantes.  Le  christianisme  prêchait  la  liberté  spirituelle,  et 
montrait  à  la  conscience  humaine  les  limites  que  le  despotisme  des 
Césars  ne  pouvait  dépasser.  Enhn,  il  ne  faut  pas  oublier  que  les  pauvres 
formaient  déjà  entre  eux  des  associations  ou  collèges  avec  lesquels  les 
premières  Eglises  chrétiennes  n'étaient  pas  sans  offrir  quelque  analo- 
gie. Ces  collèges  étaient  nés  du  besoin,  si  naturel  chez  les  faibles,  de 
mettre  leurs  forces  en  commun.  On  s'associait  quand  on  avait  le  même 
métier,  quand  on  était  loin  de  Rome  et  qu'on  voulait  remplacer  la 
patrie  absente  ;  parfois  le  voisinage  était  seul  l'occasion   d'un  rappro- 
chement et  de  la  fondation  d'un  collège.  Le  gouvernement  des  Césars 
ne  pouvait  être  favorable  à  des  associations  aussi  indépendantes;  il 
craignait,  non  sans  raison,  de  les  voir  dégénérer  en  sociétés  secrètes,  et 
Auguste  supprima  tous  les  collèges  qui  lui  semblaient  dangereux.il  en 
subsista  néanmoins  un  grand  nombre,  et  les  collèges  de  l'âge  aposto- 
lique prirent  une  importance  considérable  parce  qu'ils  devinrent  surtout 
des  collèges  funéraires.  Un  sénatus-consulte  vint  même  les  autoriser 
solennellement  à  prendre  ce  titre,  et  leur  principal  souci  fut  de  procu- 
rer à  leurs  membres  une  sépulture  honorable.  On  comprend  ce  qu'il 


APOSTOLIQUE  455 

v  avait  de  consolant  pour  le  pauvre,  dont  la  vie  n'était  qu'un  long  et 
douloureux  esclavage,  à  penser  qu'après  sa  mort  il  ne  serait  pas  oublié 
et  que  sa  tombe  serait  respectée.  Les  chrétiens  s'empressèrent  de  pro- 
fiter de  cette  touchante  coutume  ;  la  tolérance  accordée   aux   collèges 
funéraires  leur  fut  très-utile  et  ils  cherchèrent  à  leur  ressembler  pour 
faire  respecter  non-seulement  leurs  tombes,  mais  aussi  leurs  agapes 
fraternelles,  qu'ils  instituèrent  à  l'image  des  repas  pris  en  commun  par 
les  membres  des  collèges.  Il  va  sans  dire  que  la  différence  fondamentale 
des  deux  associations  était  dans  le  sentiment  religieux  qui  semble  avoir 
été  peu  développé  dans  les  collèges.  Il  n'y  a  pas  grand'chose  à  dire 
des  classes  élevées  de  la  société  païenne  au  premier  siècle.  Des  richesses 
immenses  y  étaient  accumulées.  La  noblesse  avait  perdu  tout  ce  qui 
avait  fait  autrefois  sa  force,  elle  n'avait  plus  d'initiative  et  ne  prenait 
aucune  part  au  gouvernement.  Le  sénat  ne  savait  plus  que  servir.  De 
cette  absence  d'occupations  sérieuses  résultait  une  profonde  immora- 
lité. Les  meilleurs  étaient  encore  ceux  dont  les  devoirs  de  société  et  de 
politesse  absorbaient  la  vie  tout  entière.  Les  lettres  restaient  la  conso- 
lation et  le  charme  de  quelques  esprits  rares  et  délicats,  qui  savaient 
s'en  contenter;  mais,  en  réalité,  il  régnait  sur  toute  cette  société  polie 
un  immense  ennui,  un  profond  dégoût  de  la  vie.  Tous  s'adonnaient 
aux  flatteries  les  plus  basses  et  les  plus  viles  envers  le  maître.  La 
famille  était,  dans  la  société  païenne,  et  surtout  à   Rome,  une   insti- 
tution  beaucoup   plus  respectée  qu'on  ne  le  croit  généralement.  La 
femme  n'était  point  une  esclave,  comme  on  l'a  prétendu;  elle  jouissait 
dans  son  intérieur  dune  réelle  et  légitime  autorité.  L'atrium,  avec 
ses  dieux  lares  et  ses  trésors,  lui  était  confié.  Elle  élevait  elle-même  ses 
enfants,  au   moins  jusqu'à  un   certain   âge.  Au  premier   siècle,   les 
femmes  prirent  une  grande  influence,  même  en  dehors  de  la  famille. 
Elles  se    mêlaient  souvent   aux  intrigues   politiques  et    religieuses. 
Les  superstitions  trouvaient  auprès  d'elles  l'accès  qu'elles  y  trouvent 
si  souvent.  Quanta  l'enfant,  sa  condition  était  moins  douce;  il  est 
certain  que   le  père  avait  le  droit  absolu  de  le  mettre  à  mort  s'il  le 
trouvait  trop  faible  ou  s'il  était  difforme;  et  s'il  n'usait  pas  souvent 
de  ce  droit  odieux,  toujours  est-il  qu'il  ne  lui  fut  enlevé  que  sous 
les  empereurs   chrétiens.  —  La  religion  de  l'âge  apostolique  est  avant 
tout    la    religion  romaine.    Elle    avait  pénétré    dans    tout    l'empire 
et  la  plupart  des  religions  étrangères  s'étaient  modifiées  sous  son  in- 
Quence.  C'est  d'elle  qu'il  faut  presque  uniquement  s'occuper  lorsqu'on 
étudie  le  paganisme  du  premier  siècle.  Or,  à  cette  époque,  sous  les 
règnes  d'Auguste  et  de  ses  successeurs  la  religion  romaine  était  dans 
un  (Hat  florissant.  Au  scepticisme  des  derniers  temps  de  la  République 
avait  succédé  un  véritable  réveil  religieux.  Le  temps  où  Cicéron  écri- 
vait que  deux  augures  ne  pouvaient  se  regarder  sans  rire  était  bien 
passé.  La  loi  aux  vieilles  doctrines  avait  reparu  et  si  on  se  souvenait 
encore  des  vers  de  Lucrèce,  c'était  pour  en  blâmer  l'esprit  irréligieux. 
Horace  lui-même  l'ait  semblant  de  croire;   et   il  est  [tennis  (le  supposer 

qu'à  certains  moments  de,  sa  vie  il  a  cru  véritablement.  H  est  certain 

que.  du  vivant  de  Sénèque,    il  y  avait  plus  (h;  foi  religieuse  dans  les 


456  APOSTOLIQUE 

cœurs  que  du  temps  de  Cicéron.  Ce  qui  caractérise  ce  réveil  des  vieilles 
croyances,  ce  n'est  pas  seulement  un  retour  à  la  foi  du  passé,  c'est 
surtout  la  création  d'un  dogme  nouveau  qui  donnait  à  tout  l'ensemble 
des  traditions  nationales  une  extraordinaire  vitalité.  Nous  voulons 
parler  du  dogme  de  l'apothéose  impériale,  et,  pour  le  dire  en  passant, 
il  serait  difficile  d'imaginer  une  preuve  plus  éclatante  de  l'état  de  cor- 
ruption et  d'avilissement  où  était  tombé  le  monde  antique  que  celle-là: 
décerner  la  divinité  à  un  Néron  et  à  un  Caligula!  Après  la  création  de 
cette  doctrine  étrange,  la  religion  romaine  s'est  arrêtée  épuisée.  L'apo- 
théose des  empereurs  a  été  sa  dernière  création,  celle  qui  couronnait  et 
achevait  son  système.  Sous  Auguste,  un  ternple  fut  élevé  à  la  majesté 
impériale.  Auguste  lui-même  eut  assez  de  bon  sens  pour  empêcher 
que  les  honneurs  divins  lui  fussent  décernés  de  son  vivant  à  Rome 
même.  Mais,  aussitôt  après  sa  mort,  on  lui  dédia  des  temples,  il  eut  ses 
fêtes  et  son  collège  de  prêtres.  Caligula  fut  adoré  comme  dieu  pendant 
son  règne  ;  il  se  fit  construire  un  temple  et  appeler  Optimus  Maximus. 
Sur  ses  monnaies  il  porte  une  auréole.  Vespasien  ne  toléra  ni  temple, 
ni  prêtres;  il  disait  spirituellement  pendant  sa  dernière  maladie  et 
sentant  la  mort  approcher  :  «  Voilà  que  je  deviens  dieu.  »  Mais  il  fut 
seul  parmi  les  empereurs  à  se  moquer  de  l'apothéose  impériale.  Domi- 
tien,  au  contraire,  prit  son  rôle  tellement  au  sérieux  qu'il  commençait 
tous  ses  édits  par  la  formule  :  Dominus  et  deus  noster...  jubet.  Si  ridi- 
cule que  nous  paraisse  aujourd'hui  cette  divinité  décernée  à  des  fous 
furieux  ou  à  des  imbéciles,  comme  l'étaient  quelques-uns  de  ces  pre- 
miers empereurs,  il  ne  faut  y  voir  que  la  conséquence  naturelle  de  la 
religion  romaine  (Horace,  Odes,  4  e  livre,  Ode  14e;  Ovide,  Metam.y 
livre  XV).  C'était,  comme  nous  l'avons  dit,  sa  dernière  création.  Elle 
avait  fait  son  temps  et  ne  pouvait  plus  que  disparaître  en  étant  remplacée. 
Les  Romains,  en  faisant  [la  conquête  du  monde,  étaient  entrés  en  con- 
tact avec  des  peuples  qui  professaient  tous  des  religions  fort  différentes 
de  la  leur.  Leur  premier  principe  avait  été  de  respecter  absolument 
les  croyances  des  nations  qu'ils  avaient  conquises.  C'était  par  esprit 
politique  qu'ils  montrèrent  cette  tolérance  bienveillante  à  l'égard  des 
cultes  des  provinces.  Elle  leur  était,  au  reste,  bien  facile  :  pour  celui  qui 
ne  croit  pas  à  l'existence  d'un  Dieu  unique,  il  n'y  a  pas  de  faux  dieux. 
Les  Romains  croyaient  d'avance  aux  divinités  des  nations  qu'ils  sou- 
mettaient. On  raconte  qu'à  la  prise  de  Jérusalem  les  soldats  furent  pris 
d'une  sorte  de  crainte  superstitieuse  et  n'osèrent  pas  d'abord  pénétrer 
dans  le  temple,  et  nous  savons  par  Josèphe  (Ant.,  XVIÏI,  3)  que,  avant 
Pilate,  les  procurateurs  n'avaient  jamais  permis  de  porter  dans  les 
rues  de  Jérusalem  les  étendards  qui  avaient  l'image  de  l'empereur.  Il 
n'y  eut  à  cette  tolérance  que  deux  exceptions  nécessitées  par  la  poli- 
tique, l'une  à  Cartilage,  l'autre  dans  les  Gaules.  L'intolérance  étant 
inconnue  des  religions  antiques,  le  prosélytisme  l'était  aussi  ;  et  les 
cultes  avaient  une  tendance  à  s'unir  entre  eux  et  à  se  mêler.  Si  le 
culte  de  Rome,  s'était  répandu  avec  les  conquêtes  romaines,  si 
partout  où  les  vétérans  avaient  fondé  des  colonies,  ils  avaient  établi  la 
religion   romaine,  à   l'inverse,  les  cultes  des   provinces  avaient  étô 


APOSTOLIQUE  457 

introduits  à  Rome;  en  Italie,  on  trouvait  toutes  les  religions  pratiquées. 
Les  Romains  austères,  comme  Tacite  (Ann.,  15,  W,  déploraient  cette 
confusion.  Elle  n'en  subsistaitjpas  moins  et  on  rencontrait  jusque  dans 
la  Gaule  des  temples  de  la  déesse  égyptienne  Isis.  C'est  en  vain  qu'Au- 
guste et  Tibère  avaient  publié  de  sévères édits  contre  les  cultes  étran- 
gers (Suét.,  Tibère,  cil.  XXX;  Tac,  Ami.,  2,85).  La  superstition  crois- 
sante était  très-favorable  à  ces  religions  pleines  de  mystères  qui 
venaient  de  l'Orient  et  où  la  magie  et  l'astrologie  jouaient  un  grand 
rôle,  comme  dans  le  culte]  syrien.  Les  Romains,  du  reste,  eurent  tou- 
jours grand  soin  de  faire  perdre  aux'  cultes  locaux  leur  signification 
politique.  Avec  la  liberté  et  l'indépendance  politique  devait  disparaître 
le  sens  véritable  du  culte  national.  Au  premier  siècle,  les  oracles,  celui 
de  Delphes  par  exemple,  n'avaient  plus  d'intérêt  général.  Ils  ne  par- 
laient plus  que  pour  les  particuliers.  Celui  de  tous  ces  cultes  de  pro- 
vinces qui  était  le  plus  répandu  était  certainement  celui  des  Grecs.  La 
foi  aux  douze  grands  dieux  de  la  Grèce  florissait,  avec  des  modifica- 
tions locales,  en  Asie  Mineure,  en  Sicile,  dans  l'Italie  du  Sud.  Là  elle 
avait  ses  oracles,  ses  jeux  sacrés  et  ses  mystères;  mais  nulle  part,  même 
en  Grèce,  elle  n'avait  gardé  sa  pureté  primitive.  En  Asie  Mineure,  elle 
s'était  mêlée  aux  croyances  de  l'extrême  Orient.  La  Syrie  aussi  était  pres- 
que entièrement  hellénisée.  La  langue  sémitique  n'était  plus  parlée  que 
dans  les  basses  classes.  Les  cultes  de  Baal  et  de  Moloch  et  les  sacrifices 
humains  étaient  depuis  longtemps  abolis.  Cependant  la  grande  déesse 
Astarté  avait  toujours  son  temple  où  la  servaient  plus  de  cent  prêtresses. 
L'empereur  Héliogabale  sera  plus  tard  prêtre  d'Héiios  et  voudra  intro- 
duire le  culte  d' Astarté  dans  tout  l'empire.  En  Egypte,  l'influence  de 
l'hellénisme  était  aussi  très-puissante.  Dans  la  plupart  des  villes,  à 
Alexandrie  en  particulier,  s'élevaient  des  temples  grecs.  Les  prêtres  de 
la  vieille  religion  égyptienne  avaient  perdu  leur  prestige  et  n'avaient  plus 
le  monopole  de  la  science.  Ils  n'étaient  que  de  simples  sacrificateurs, 
mais  leur  culte  était  toujours  célébré.  Isis,  Osiris,  Anubis  avaient  leurs 
temples,  leurs  sphinx  et  leurs  animaux  sacrés.  Il  y  avait  encore  un  bœi>î 
Apis  àMemphis.  Sile  christianisme  et  le  judaïsme  étaient  soigneusement 
exclus  de  cette  fusion  générale  de  toutes  les  religions  et  de  cette  tolé- 
rance universelle,  c'est  qu'il  fallait  pour  en  jouir  faire  des  concessions 
et  ces  deux  religions  n'en  faisaient  pas  ;  nul  ne  songeait  à  s'étonner  d'en- 
tendre parler  d'un  Dieu  nouveau;  mais  on  voulait  que  les  Juifs  et  les 
chrétiens  reconnussent  les  dieux  déjà  adorés.  Ceux-ci  n'y  consentirent 
a  aucun  prix,  et  voilà  pourquoi  on  les  accusait  de  «  détester  le  genre 
humain  »  (Tacit.,  A/m.,  15,  H).  La  fermeté  de  ce  principe  ne  nuisait 
pas  à  leur  propagande.  Toute  croyance  venue  de  l'Orient  avait  un 
grand  charme  et  exerçait  à  Home  et  sur  les  femmes  surtout  une 
influence  énorme.  Celles-ci  recherchaient  les  émotions  religieuses,  et  le 
culte  juif,  en  particulier,  avec  son  Dieu  unique,  ses  rêves  de  domina- 
tion universelle  et  son  repos  sabbatique  était  volontiers  accueilli  et 
pratiqué.  —Il  nous  reste  à  parler  de  la  philosophie.  Elle  aussi  avait  pris 
une  rapide  extension  à  la  chute  de  la  République.  Elle  apprenait  à 
r homme  a  raisonner  sa  toi.  à  se  rendre  compte  de  ce  qu'il  croyait  et 
i.  30 


458  APOSTOLIQUE 

elle  contribua  puissamment  à  répandre  la  croyance  en  l'unité  de  Dieu, 
en  enseignant  que  c'était  une  même  divinité  que  tous  les  peuples  ado- 
raient sous  des  noms  divers.  Elle  achevait  un  grand  travail  préparé 
pendant  des  siècles  et  tirait  d'admirables  conséquences  pratiques  des 
doctrines  spiritualistes  restées  jusque-là  dans  les  livres.  Cicéron,  cin- 
quante ans  avant  Jésus-Christ,  proclamait  déjà  de  grands  principes  aux- 
quels Sénèque  acheva  de  donner  leur  plein  développement.  La  philo- 
sophie telle  qu'elle  est  exposée  dans  ses  écrits  enseigne  l'unité  de  Dieu 
et  l'immortalité  de  l'àme.  Le  corps  est  pour  l'âme  une  prison  et  la 
mort  sera  le  commencement  de  la  véritable  vie.  Les  hommes,  même 
les  esclaves,  sont  tous  semblables  et  peuvent  arriver  à  la  vertu.  Chacun 
doit  faire  du  bien  à  son  prochain  et  aimer,  non-seulement  ses  conci- 
toyens, mais  tout  le  genre  humain.  Nous  ne  nous  arrêterons  pas  à  discu- 
ter les  prétendus  rapports  de  Sénèque  et  de  saint  Paul.  Il  est  prouvé  que 
Sénèque  n'a  point  connu  le  christianisme,  et  cependant  nous  le  voyons 
dans  ses  écrits  plaindre  sincèrement  les  esclaves  et  réprouver  avec 
énergie  les  combats  de  gladiateurs.  Derrière  l'insouciance  superficielle 
du  beau  monde ,  on  découvre  ainsi  un  grand  nombre  d'esprits  sé- 
rieux, qui,  comme  Virgile,  le  pieux  Virgile,  une  des  âmes  les  plus  éle- 
vées de  l'antiquité  païenne,  pressentent  la  religion  nouvelle.  Le  stoï- 
cisme était  le  système  généralement  adopté  par  les  philosophes  ;  mais 
c'était  un  stoïcisme  moins  farouche  que  celui  qui  l'avait  précédé  et 
auquel  n'était  point  étranger  ce  sentiment  de  faiblesse  qui  saisit  l'âme 
quand  elle  se  connaît  elle-même  et  lui  fait  chercher  un  point  d'appui 
en  dehors  d'elle.  La  philosophie  de  l'âge  apostolique  préparait  douce- 
ment les  voies  à  la  doctrine  du  péché  telle  que  le  christianisme  l'en- 
seignera. Il  faut  ajouter  qu'elle  s'était  faite  populaire.  Les  philosophes 
s'habituaient  à  parler,  à  être  orateurs  aussi  persuasifs  et  aussi  éloquents 
que  possible.  Sous  Tibère,  leurs  écoles  étaient  pleines  ;  c'est  là  que  se 
forma  Sénèque,  le  plus  grand  orateur  de  son  temps.  Tel  était  le  monde 
antique  quand  les  apôtres  commencèrent  leur  prédication  évangélique. 
Il  achevait  son  développement  en  toutes  choses  et  sa  vie  touchait  à  sa 
fin.  Suivant  la  profonde  parole  de  l'Ecriture  :  «  Le  temps  était  accom- 
pli. »  L'antiquité  était  impuissante  à  changer  elle-même  de  condition. 
Les  masses  restaient,  par  la  force  de  l'habitude,  soumises  aux  prêtres  ; 
mais  les  besoins  religieux  des  âmes  n'étaient  point  satisfaits.  Un  nou- 
veau principe  de  vie  allait  se  répandre  et  le  monde  était  prêt  à  le  rece- 
voir. L'espèce  de  fermentation  religieuse  dans  laquelle  vivaient  les  es- 
prits servit  plus  le  christianisme  que  n'aurait  pu  le  servir  P indiffé- 
rence de  l'époque  de  Cicéron.  —  Bibliographie.  Les  seuls  documents 
originaux  que  nous  possédions  pour  l'histoire  des  Juifs  au  pre- 
mier siècle  sont  les  Pseudépigraphes  et  les  Apocalypses  juives  parues. 
à  cette  époque,  les  Targoums  d'Onkelos  et  de  Jonathan,  les  Livres 
du  Nouveau  Testament,  les  écrits  de  Josèphe  et  le  Talmud.  Parmi 
les  ouvrages  modernes  qui  traitent  cette  question  on  peut  consulter  : 
Schneckenburger,  Vorlesungen  ùb.  N.  T.  Zeitgeschichte;  Langen,  Das 
Judmthum  in  Palœstina  zur  Zeit  Christi;  Gfrœrer,  Das  Jahrhundert  des 
Heils;  Hausrath,  Die  Zeit  Christi;  Nicolas,  Des  doctrines  religieuses  des 


APOSTOLIQUE  45fr 

Juif» pendant  les  deux  siècles  antérieurs  ù  l'ère  chrétienne.  Pour  l'his- 
toire romaine  du  premier  siècle,  nous  citerons,  outre  les  documents 
originaux,  Suétone,  Tacite,  Sénèque,  etc.  et  les  histoires  générales,  (h. 
N'hmidt,  Essai  histor.  s//?'  la  soc.  cw.  dans  le  monde  rom.  et  sur  satrans- 
fort*,  parle  Christian..  Strasb.,  1S53  ;  Mœurs  romaines  du  règne  d'Au- 
(juste  à  la  fin  des  Antonins,  par  L.  Friédlaender,  traduction  libre  de  Ctu 
Vogel,  4  vol.,  in-8;  La  fictif/ ion  romaine  d Auguste  aux  Antonins,  par 
Gaston  Boissier,  2  vol.  in-8.  Voir  pour  la  bibliographie  complète  l'ou-^ 
vrage  de  Schneckenburger.  Ef>M.  Stapfer. 

APOSTOLIQUE.  On  donnait,  dans  les  premiers  siècles  du  christia- 
nisme .  ce  nom  aux.  Eglises  fondées  par  les  apôtres  ou  censées  fondées» 
par  eux  (Jérusalem,  Antioche ,   Alexandrie,  Home,   etc.);  même  on 
rétendait  souvent  à  toutes  les  Eglises ,  moins  à  cause  de  la  conformité 
de  ieur  doctrine  avec  celle  des  Eglises  qui  étaient  apostoliques  par  leur 
fondation  que  parce  que  les  évoques  se  considéraient  indistinctement 
comme  les  successeurs  des  apôtres  et  basaient  leur  autorité  sur  cette 
succession.  Depuis  le  septième  siècle,  ce  titre  fut  exclusivement  réservé 
au  siège  de  Rome  (Greg.  Magn.,  Ep.,  37),  les  trois  patriarchats  d'Orient 
étant  tombés  entre  les  mains  des  musulmans  et  la  suprématie  de  saint 
Pierre  sur  les  autres  apôtres  étant  généralement  reconnue  (Rupert.,  De 
divin,  offic,  I,  27).  Le  concile  de  Reims  (1049)  déclara  que  le  souverain 
pontife  de  Rome  était  le  seul  primat  apostolique  de  l'Eglise  universelle. 
De  là  ces  expressions  si  usitées,  siège  apostolique,  nonce  apostolique,, 
vicaire  apostolique,  notaire  apostolique,  bref  apostolique,  etc.  —  On 
réserve  le  nom  de  Pères  apostoliques  à  ceux  des  disciples  immédiats  des- 
apôtres auxquels  l'Eglise  a  attribué  des  écrits  dont  un  certain  nombre 
sont  considérés  aujourd'hui  comme  inauthentiques,  ou  du  moins  dont 
l'authenticité  est  douteuse.  On  les  divise  en  deux  classes,  suivant  qu'ils 
se  rattachent  à  Paul,  comme  Barnabas,  Clément  de  Rome  et  Hermas  r 
ou  à  Jean,  comme  Ignace  ,Polycarpe  et  Papias  (voy.  ces  articles).  On  a 
cessé  de  comprendre  Denys  l'Aréopagite  parmi  les  Pères  apostoliques.. 
Les  meilleures  éditions  de  ces  Pères  sont  les  suivantes  :  1°  S.  S.  Pa\rum 
qui  temporibus  apôstolicis  floruerunt  opéra,  éd.  J.  B.  Cotelerius,  Paris,. 
lt)72;  2e éd.,  Amst.,1724,  2  vol.  in-f0.;  2°  S.  S.  Patrum  apostolic.  opéra 
genfoin*,  éd.  R.  Russel,  Lond.,  1746,  2  vol.  in-8°;  3°  Clementis  Rom., 
S.  ff/italii,  S.  Pohjcarpi,  patrum  apostoL  qine  supèrsurii,,  éd.  Jacobson,. 
Oxon.,  1838. 2  vol.  ;  4°  Patrum  apost.  opéra,  éd.  C.  J.  Hefele,  Tub.,  1839  : 
->e  «'•<! .  I8'i7;  5°  Codex  N.  T.  deuterocanonieus  s.  patres  apostolici,  éd. 
Muralto,  Turici,  1847,  in-12.  — Voyez  Nickel  :  Die  apostoL    Vaeter,  in 
4  wtscher  Uehersetzung,  Berl.  1858  ;  Hilgenfeld  :  Dieapùsiôl.  Vxter,  Halle, 
1853.  —  Le  titre  de  Rois  apostoliques  fut  accordé  aux  rois  de  Hongrie 
par  Sylvestre  II,  pour  récompenser  Saint-Etienne  (999-1003)  d'avoir 
conquis  ceroyaumeàla  foi  chrétienne.  Il  fut  renouvelé  par  Clément  XIII, 
en  1758,  en  faveur  de  la  maison  d'Autriche-Hongrie. 

APOSTOLIQUES,    nom   d'une   secte    italienne  du   Seizième   siècle 
Gérard  Begafelli,  un  simple  ouvrier  d'Alzano^près  de  Panne,  fut  poussé, 
par   la   vue   d'un  tableau  représentant  les  apôtres,  à  imiter  leur  \i< 
pauvre  et  errante,  qui  formait  un  contraste  si  saisissant  avec  la  mon- 


460  APOSTOLIQUE  —  APOTRE 

danilé  du  clergé.  Sa  prédication  trouva,  à  partir  de  1260,  un  écho 
puissant  surtout  parmi  le  peuple.  Il  rêva  de  former  une  société  plus 
libre  que  ne  Tétaient  les  associations  religieuses  de  son  temps,  no- 
tamment Tordre  des  franciscains,  dans  lequel,  on  ne  sait  pour  quel 
motif,  il  iTavait  pu  être  admis.  Point  de  vœux,  point  de  règle,  point  de 
loi,  mais  le  seul  lien  tout  spirituel  de  Tamour,  à  Tinstar  des  congré- 
gations apostoliques  :  tel  était  Tidéal  que  Segarelli  poursuivait.  Pour  le 
reste,  il  s'accommodait  aux  doctrines  et  aux  usages  de  TEglise,  n'ayant 
même  pas  conscience  d'une  opposition  contre  elle  et  s'abstenant  de 
toute  polémique.  La  réforme  des  mœurs  paraît  avoir  été  le  thème  habi- 
tuel de  ses  discours.  Ce  n'est  qu'en  1280  que  la  secte  des  apostoliques 
attira  l'attention  de  Tévêque  de  Parme.  Surveillé  d'abord ,  puis  banni , 
enfin  emprisonné,  Segarelli  fut  brûlé  vif  en  1300.  Dulcin,le  fils  naturel 
d'un  prêtre,  lui  succéda,  appela  le  peuple  aux  armes  et  succomba  dans 
une  croisade  qui  fut  prêchée  contre  lui.  Il  subit  en  1307  le  même  sort 
que  son  prédécesseur  (voy.  l'article  Dulcin);  mais  la  secte  des  aposto- 
liques ne  s'éteignit  pas  avec  lui.  De  nombreux  conciles  et  synodes  en 
Italie  ,  en  France ,  en  Allemagne  et  même  en  Angleterre  ,  pendant  tout 
le  cours  du  quatorzième  siècle ,  ont  cru  devoir  s'élever  contre  ses  doc- 
trines et  prononcer  l'excommunication  contre  ses  membres,  confondus 
d'ailleurs  souvent  avec  d'autres  sectaires  du  même  genre,  dont  les  ten- 
dances étaient  moins  pures  et  les  mœurs  moins  irréprochables  que 
paraissent  l'avoir  été  celles  des  frères  apostoliques.  —  La  biographie  de 
Segarelli  se  trouve  dans  une  chronique  rédigée  par  Salimbenus  de 
Adam,  moine  franciscain ,  mais  qui  n'a  jamais  été  publiée.  Fr.  Pegna, 
jurisconsulte  italien ,  en  a  inséré  des  fragments  dans  les  notes  dont  il  a 
enrichile  Directorium  inquîsitionis  de  Nicolas  Eymericus,  ed.Venet.,  1595. 
Voyez  aussi  :  Mosheim,  Versuch  eine?*  Ketzergeschichte,  1er vol.,  et  Nean- 
der,  Ktrchengeschtchte,  V,  844  et  ss. 

APOTRES  (àxorcôXoç,  apostolus).  Ce  mot  a  un  sens  général  qui  a  permis 
de  l'appliquer  aux  délégués  des  Eglises  primitives,  aux  missionnaires, 
aux  fondateurs  de  communautés  nouvelles  (2  Cor.  VIII,  23;  1  Cor.  XVI, 
3;  Rom.  XVI,  7.  Actes  XIV,  4*  14),  et  un  sens  particulier  et  restreint 
aux  douze  disciples  que  Jésus,  par  un  acte  spécial,  choisit  et  institua 
apôtres  pour  prêcher  la  bonne  nouvelle  du  Royaume  dans  les  villes  de 
la  Palestine,  et  continuer  son  œuvre  après  sa  mort  (Matth.  X  et  parall. 
XVI,  13  et  parall.  ;  XXVIII,  18-20  et  parall.).  Cette  mission  fut  précédée 
pour  les  Douze  d'unassez  long  temps  d'initiation  et  de  préparation  passé 
dans  l'intimité  et  la  familiarité  de  Jésus.  Le  Seigneur  trouva  ses  premiers 
disciples  dans  son  entourage  de  Capernaûm,  probablement  dans  des 
familles  amies  de  la  sienne  et  qu'il  connaissait,  et  fréquentait  depuis 
longtemps.  Ce  furent  d'abord  deux  frères,  fils  de  Jonas  le  pêcheur,  An- 
dré et  Pierre;  ensuite  les  deux  fils  de  Zébédée,  pêcheur  également,  mais 
d'une  fortune  et  d'un  rang  un  peu  plus  élevés,  auxquels  se  joignit  quel- 
ques jours  plus  tard  un  commis  aux  péages  de  la  douane,  Lévy-Mat- 
thieu.  Ces  disciples,  et  Philippe  dans  les  premiers  temps,  formèrent 
la  compagnie  habituelle  de  Jésus.  Le  cercle  ne  tarda  pas  à  s'élargir. 
Enfin,  après  avoir  dans  le  sermon  sur  la  montagne  exposé,  d'une  façon 


APOTRES  401 

plus  solennelle  encore  la  nature  et  les  lois  du  royaume  de  Dieu  qu'il 
voulait  inaugurer,  Jésus  choisit  dans  son  entourage  immédiat,  parmi 
ceux  qui  Tavaient  le  mieux  compris,  douze  hommes  pour  aller  répéter 
partout  ce  qu'ils  avaient  entendu,  en  leur  donnant  le  pouvoir  de  guérir 
les  malades  et  de  chasser  les  démons  (Marc III,  14  et  s.  et  parall.).  Pour 
la  caractéristique  de  chacun  de  ces  douze  apôtres,  nous  renvoyons  le 
lecteur  aux  articles  spéciaux  qui  leur  seront  consacrés.  Ici  nous  ferons 
simplement  observer  que  Jésus  s'arrêta  à  ce  nombre  douze,  à  cause  du 
nombre  officiel  des  douze  tribus  d'Israël  à  qui  leur  message  était  d'abord 
destiné.  Chacune  d'elles  devait  avoir  son  représentant  dans  le  collège 
apostolique.  C'est  la  même  raison  qui  fit  compléter  la  liste  après  la  trahi- 
son et  l'exclusion  de  Judas  (A et.  I,  15-26). Pierre  est  toujours  à  la  tête 
du  groupe  et  semble  le  représenter  dans  les  circonstances  solennelles. 
C'était  une  nature  passionnée,  toute  de  premier  mouvement,  expan- 
sive  et  fervente,  mais  d'une  volonté  peu  constante,  et  d'un  esprit  où 
l'intuition  première  et  l'inspiration  enthousiaste  l'emportaient  sur  la 
réflexion  et  la  délibération  raisonnée.  En  un  mot  il  avait  tons  les  côtés 
attachants  et  tous  les  défauts  de  ces  sortes  de  tempéraments.  C'est  lui  qui 
porte  la  parole  au  nom  des  Douze,  qui  le  premier  et  le  plus  rapidement 
trouve  la  réponse  attendue  par  le  Maitre  (Matth.  XVI,  17;  Jean  VI,  68). 
Mais  c'est  aussi  lui  qui  s'attire  parfois  les  réprimandes  les  plus  sévères 
et  qui  reniera  son  maitre  devant  une  servante.  Ses  retours  et  ses  re- 
pentirs étaient  aussi  prompts  que  ses  défaillances  ;  aussi  garda-t-il  jus- 
qu'à la  fin  le  rôle  éminent  que  son  âge,  son  intimité  avec  Jésus  et  son 
caractère  lui  avaient  spontanément  donné.  Quand  Jésus  crut  le  moment 
venu  de  faire  entendre  son  appel  à  toute  sa  nation,  il  envoya  ses  apô- 
tres deux  à  deux  prêcher,  dans  les  villes  et  les  bourgades,  que  le  règne 
de  Dieu  allait  venir.  Voilà  pourquoi  dans  les  listes  que  les  synoptiques 
nous  ont  laissées,  leurs  noms  se  présentent  dans  un  ordre  générale- 
ment le  même  et  forment  des  couples  qu'il  est  facile  de  discerner. 
Simon  Pierre  était  accompagné  de  son  frère  André  ;  les  deux  fils  de 
Zébédée  marchaient  ensemble  ;  Philippe  était  l'associé  de  Barthélémy  ; 
Thomas  celui  de  Matthieu  ;  Jacques,  fils  d'Alphée,  était  avec  Thaddée  ; 
et  enfin  allaient  de  concert  deux  disciples  venus  de  plus  loin,  Simon 
le  Zélote  et  Judas,  l'homme  de  Kerioth,  petite  ville  de  Judée.  L'appa- 
rition de  ces  messagers  dans  les  hameaux,  les  villages  et  les  villes,  dut 
avoir  tout  ensemble  quelque  chose  de  simple  et  de  surprenant.  Ils  arri- 
vaient sans  bourse  à  la  ceinture,  sans  souliers  aux  pieds,  sans  provi- 
sions,  suis  bâton  à  la  main  pour  se  défendre,  comme  chargés  d'un 
pressant  message,  ils  ne  devaient  saluer  personne  en  chemin  (Voy. 
Matth.  X,  et  parall.).  Suivant  la  coutume  orientale,  le  voyageur  qui 
rencontrait  une  personne  de  connaissance,  s'arrêtait  à  la  saluer  céré- 
monieusement* en  portant  une  main  de  la  poitrine  au  front,  et  en  pla- 
çant  l'autre  dans  la  main  droite  de  son  ami  :  aussi  recommandait-on 
aux  gens  chargés  d'une  commission  pressante  de  ne  saluer  personne 
(2  Rois  IV,  29).  L'effet  de  cette  première  mission  tut  considérable.  Ces 
semailles  devaient  lever  plus  tard;  Le  nom  de  Jésus,  renfermé  jusque- 
là  dans  un  étroit  rayon,   tut    partout   prononcé,   sous  le  toit  des  plus 


462  APOTRES 

humbles  demeures  et  jusqu'à  la  cour  d'Hérode  Antipas,  qui  crut  à 
une  résurrection  de  Jean-Baptiste  (Marc  VI,  14).  Les  apôtres  revin- 
rent heureux  et  enthousiasmés.  Jésus  partagea  leur  joie  :  «  Je  voyais, 
leur  répondit-il,  Satan  tomber  du  Ciel  comme  un  éclair.  Voici,  je  vous 
ai  donné  le  pouvoir  de  marcher  sur  les  serpents  et  les  scorpions 
et  sur  toutes  les  forces  de  l'ennemi,  et  rien  ne  vous  pourra  nuire. 
Cependant  ne  vous  réjouissez  pas  de  ce  que  les  esprits  vous  sont  assu- 
jettis, mais  bien  de  ce  que  vos  noms  sont  écrits  dans  les  cieux.  »  En 
même  temps,  ajoute  saint  Luc  Jésus  tressaillit  de  joie  et  remercia  Dieu 
de  ce  qu'ayant  caché  ces  choses  aux  sages,  ils  les  avaient  révélées  aux 
humbles  et  aux  petits  (Luc  X,  23).  Cependant  le  maître  n'eut  pas  tou- 
jours avec  ses  disciples  la  même  satisfaction.  Si  l'amour  le  plus  pur  inspire 
tous  ses  rapports  avec  eux,  il  n'a  que  trop  souvent  l'occasion  de  se 
plaindre  de  leur  sens  grossier  et  charnel.  Il  leur  reproche,  à  diverses 
reprises,  leur  inintelligence,   leur  incrédulité,   leur  impatience,   leur 
pusillanimité,  leurs  rivalités,  leurs  ambitions  terrestres  (Marc  IX,  19; 
IV,  13,  40;  VI,  52;  VII,  17  ;  VIII,  17-21  ;  IX,  6,  34;  X,  24,  32, 35;  XIV, 
40).  Surtout  à  la  fin  on  peut  constater  une  divergence  de  plus  en  plus 
sensible  entre  les  dispositions   du  Maître  qui  se  prépare  à  la  mort, 
et  les  espérances  matérielles   de  ses  apôtres   qui  attendent  un  éclat 
imminent  de  sa  puissance  et  de  sa  gloire  messianiques  Aussi  la  ca- 
tastrophe qui  met  fin  à  la  vie  de  Jésus,  les  jette-t-elle  dans  la  con- 
sternation et  la  stupeur.  La  crainte  les  disperse  un  moment  ;  ils  laissent 
à  des  étrangers  et  à  des  femmes  le  soin  d'assister  Jésus  à  sa  dernière 
heure  et  d'ensevelir  son  corps.  Les   apparitions  du   Ressuscité  rele- 
vèrent leur  courage  et  leurs  espérances.   Un   grand  changement  se 
fit  en  eux  ;  la  foi  inébranlable  que  leur  Maître  était  vivant  et  allait 
revenir,  devint  le  ressort  de  leur  apostolat  nouveau  et  la  puissance 
qui  fonda  l'Eglise.  Le  premier  soin  des  apôtres,  en  reprenant  con- 
science de  leur  mission,   fut  de  remplir  la  place  laissée  vide  parmi 
€ux  par  le  traître  Judas.  Pierre,  à  ce  propos,  développa  les  conditions 
«et  les  marques  essentielles  de  la  charge  apostolique.  «  Il  faut,  dit-il, 
qu'entre  ceux  qui  ont  été  avec  nous  pendant  toute  la  vie  de  notre  Sei- 
gneur Jésus,  depuis  le  baptême  de  Jean,  jusqu'au  jour  où  le  Seigneur 
a  été  enlevé,  nous  en  choisissions  un  qui  soit  témoin  avec  nous  de  sa 
résurrection.  »  Deux  disciples  furent  présentés  remplissant  ces  condi- 
tions, Barsabas  Juste  et  Matthias.  Puis  le  sort  décida  entre  les  deux  can- 
didats. Matthias  fut  désigné  (Act.  I,  15-26).  Le  miracle  de  la  Pentecôte 
n'eut  pas  lieu,  comme  on  le  croit  communément,  pour  les  apôtres  seuls. 
Mais  il  n'y  a  pas  lieu  de  douter  que  les  principaux  d'entre  eux  furent 
les  organes  les  plus  puissants  de  cet  esprit  chrétien  qui  fit  alors  sa  pre- 
mière explosion  et  devait  rester  l'àme  de  l'Eglise.  Incertains,  irrésolus, 
timides  jusque-là,  les  apôtres  dès  ce  moment  se  montrent  remplis  d'en- 
thousiasme et  d'une  indomptable  énergie.  Leur  mission  était  double  : 
diriger  l'Eglise  naissante  de  Jérusalem  et  faire  l'œuvre  missionnaire. 
A  ce  double  égard,  la  tradition  catholique  a  défiguré  le  véritable  état 
des  choses  en  introduisant ,  dans  ces  premiers  temps  de  libre  spon- 
anéité,  les%idées  de  légalité,  de  hiérarchie,  de  délibérations  officielles 


APOTRES  468 

qui  ont  prévalu  dans  la  suite.  Jamais  nous  ne  voyons  le  Collège  aposto- 
lique délibérer  officiellement  sous  la  présidence  de  Pierre.  Dans  la  di- 
rection de  l'Eglise,  Jacques,  le  frère  du  Seigneur,  qui  n'était  pas  apô- 
tre, exerce  une  influence  prépondérante  à  coté  de  Pierre  et  de  Jean,  et 
tous  les  trois  passaient  pour  les  «colonnes))  de  l'Eglise  (Gai.  II,  1-11). 
Quant  à  l'œuvre  missionnaire.  Paul  pourra  dire  justement  qu'à  lui  seul  il 
a  plus  l'ait  que  touslesautr.es  ensemble.  Malgré  quelques  tentatives  iso- 
lées de  Pierre  sur  le  sol  du  paganisme,  les  Douze,  fidèles  au  mandat 
qu'ils  avaient  reçu,  se  regardèrent  longtemps  comme  spécialement 
envoyés  auprès  du  peuple  d'Israël  (sjayyÉA'.cv  rrtç  TCeptTopjçGal.  H,  7).  En 
dehors  de  ce  que  les  Actes  des  apôtres  ont  raconté,  nous  ne  savons  à 
peu  près  rien  de  leurs  œuvres  ni  de  leurs  destinées.  La  fable  d'après 
laquelle',  au  moment  de  quitter  Jérusalem,  ils  se  seraient  partagés 
le  monde  connu  et  auraient,  avant  de  se  séparer,  fixé  l'essence  de 
la  foi  chrétienne  dans  le  Symbole  dit  des  Apôtres,  n'a  pas  l'ombre 
d'un  fondement.  Il  en  faut  dire  autant  de  toutes  les  autres  légendes 
recueillies  par  Eusèbe  et  les  écrivains  ecclésiastiques  ou  développées 
dans  les  Actes  apocryphes  qui  virent  le  jour  dans  les  âges  suivants.  Les 
apôtres  durent  rester  à  Jérusalem,  tant  que  ce  séjour  leur  fut  possible. 
Les  persécutions  les  dispersèrent  et  les  jetèrent  malgré  eux  sur  des 
routes  nouvelles  et  inconnues.  Jacques,  le  frère  de  Jean,  périt  décapité 
sur  l'ordre  d'Hérode  Agrippa  aux  environs  de  l'an  44  (Act.  XII,  1). 
Jacques;  le  frère  du  Seigneur,  qui  peut-être  lui  succéda  en  qualité 
d'apôtre,  fut  lapidé  à  Jérusalem  en  62  ou  63.  Pierre  sortit  de  la  Pales- 
tine. Nous  le  trouvons  vers  l'an  55  à  Antioche,  d'où  il  put  se  rendre  à 
Corinthe  et  à  Rome.  Jean  quitta  Jérusalem  vraisemblablement  au 
moment  où  éclata  la  guerre  juive  (65  ou  66),  et  exerça  son  ministère 
à  Ephèse  et  dans  l'Asie  Mineure.  Les  autres  s'évanouissent  dans  une 
impénétrable  obscurité.  Il  ne  faut  pas  seulement  accuser  l'histoire  de 
négligence  et  d'oubli.  Ce  silence  absolu  doit  avoir  aussi  quelque  raison 
dans  l'humble  rôle  qu'ils  ont  joué.  Ils  n'ont  eu,  extérieurement  du 
moins,  qu'une  assez  faible  part  dans  les  destinées  de  l'Eglise  et  dans  la 
propagation  du  christianisme.  La  tradition  a  certainement  surfait  leur 
activité  et  leur  importance.  Est-ce  à  dire  que  Jésus  en  les  choisissant 
s'était  trompé  ou  qu'ils  n'ont  pas  répondu  à  ses  espérances?  Nulle- 
ment. Mais  on  est  dans  l'illusion,  quand  on  s'imagine  que  Jésuis  les 
avait  choisis  pour  faire  exclusivement  son  œuvre.  Il  a  su,  quand  il  en 
a  eu  besoin,  trouver  d'autres  ouvriers  et  d'autres  missionnaires,  comme 
Paul,  Apollos  et  tant  d'autres.  Jésus,  en  établissant  le  collège  apostoli- 
que, nom  lait  plutôt  tonner  un  noyau  résistant,  le  germe  d'où  se  déve- 
lopperait 1  Eglise.  Si  tous  ses  premiers  apôtres  n'ont  pas  été  indivi- 
duellement des  hommes  de  grande  pensée  ou  de  grande;  initiative, 
dans  leur  ensemble,  ils  n'en  ont  pas  moins  rempli  la  destination  qu'il 
leur  avait  assignée.  Ils  représentent  avant  tout,  dans  la  religion  nou- 
velle, l'élément  fixe  et  traditionnel.  C'est  par  eux  que  l'Eglise  tient  au 
Christ    historique,   au  Jésus  des  Evangiles.  Ils  ont  d'abord   détendu 

l'originalité  de  la   toi   chrétienne   contre   le   judaïsme   dont    ils  se   sont 
lentement  détachés,  et  ensuite  Us  ont   préservé  le  caractère  positif,  le 


464  APOTRES 

contenu  réel  de  l'Evangile  contre  le  flot  du  gnostieisme  et  de  la  sagesse 
païenne  qui  menaçaient  de  le  dissoudre  et  de  le  submerger.  Ils  sont 
le  premier  anneau  et  le  plus  nécessaire  dejcette  longue  chaîne  qui,' 
sans  se  rompre,  traverse  les  siècles  et  fait  la  permanence  du  christia- 
nisme. Voilà  ce  qu'a  de  vrai  l'idée  catholique  de  la  succession  aposto- 
lique, si  du  moins  on  ne  veut  pas  trop  la  presser  et  lui  attribuer  un 
caractère  extérieur  et  officiel  qu'en  réalité  elle  n'a  jamais  eue.  Cette 
exposition  historique  permet  en  même  temps  de  faire  la  critique  de 
la  notion  dogmatique  de  l'apostolat.  On  a  l'habitude  d'attacher  à  l'a- 
postolat les  prérogatives  de  l'autorité  du  don  des  miracles  et  de 
l'inspiration.  Mais  ces  choses  ne  sont  pas  aussi  étroitement  liées  qu'on 
le  pense.  Sans  doute  ce  titre  d'apôtre  dans  la  primitive  Eglise  pesait  d'un 
grand  poids;  il  n'y  a  qu'à  voir  avec  quelle  jalousie  saint  Paul  l'invoque 
et  le  défend  dans  presque  toutes  ses  épitres.  Mais  précisément  à  propos 
de  ce  dernier  se  pose  une  grave  question  :  Paul  avait-il  le  droit  de  le 
prendre?  On  a  vu,  dans  le  discours  de  Pierre  pour  l'élection  du  rem- 
plaçant de  Judas,  quelles  conditions  paraissaient  essentielles  à  remplir. 
Il  fallait  avoir  suivi  Jésus  durant  tout  son  ministère  et  avoir  été  témoin 
de  sa  résurrection.  Il  est  évident  que  Paul  ne  les  remplissait  pas  com- 
plètement. 11  en  appelait  au  succès  extraordinaire  de  sa  prédication, 
à  ses  révélations,  à  ses  visions.  Cela  pouvait-il  suppléer  ce  qui  lui  man- 
quait ?  Ne  nous  étonnons  pas  que  son  autorité  apostolique  ait  été  violem- 
ment niée  par  ses  adversaires.  C'était  même  là  le  point  vif  de  cette  lon- 
gue controverse  avec  le  parti  judéo-chrétien.  Si  l'on  s'en  tient  à  une 
interprétation  juridique  et  formaliste,  il  est  difficile  de  ne  pas  donner 
raison  aux  adversaires  de  Paul.  Mais  cette  conclusion  inévitable  prouve 
précisément  combien  ce  point  de  vue  est  faux  et  étroit.  Qui  donc  fut  à 
un  plus  haut  degré  apôtre  de  Jésus-Christ  que  saint  Paul?  Sa  personne, 
son  rôle  et  son  œuvre  sont  la  preuve  que  ces  hautes  prérogatives  de 
l'autorité  etde  l'inspiration  demeurent  indépendantes  de  l'apostolat  ma- 
tériel et  du  nombre  douze  qui  l'exprime.  En  fixant  ce  chiffre,  qui  lui 
était  d'ailleurs  occasionnellement  indiqué  par  la  constitution  de  l'an- 
cien Israël,  Jésus  n'a  pas  voulu  enchaîner  la  liberté  de  l'esprit  de  Dieu. 
Le  catholicisme  suivant  son  principe,  a  surtout  relevé  le  caractère  offi- 
ciel de  l'apostolat  réalisé  dans  les  Douze,  tandis  que  le  protestantisme 
s'est  particulièrement  réclamé  de  saint  Paul.  En  face  des  Douze,  le 
treizième  apôtre  représente  en  effet  la  liberté  de  l'inspiration  reli- 
gieuse, l'autonomie  de  la  foi  et  de  la  pensée.  A.  Sabatieb; 

APOTRES  (Actes  des).  Voyez  Actes  des  Apôtres. 

APOTRES  (Concile  des).  Par  ce  terme  historiquement  assez  inexact, 
on  désigne  les  conférences  racontées,  Actes  XV,  qui  eurent  lieu  vers 
l'an  50  à  Jérusalem  entre  Paul  et  Barnabas  d'un  côté,  et  les  apôtres  de 
l'autre,  au  sujet  de  la  position  dans  l'Eglise  des  païens  convertis.  Ces 
derniers  étaient  devenus  très-nombreux  dans  la  communauté  chrétienne 
d'Antioche.  Des  membres  de  celle  de  Jérusalem  vinrent  y  jeter  un 
grand  trouble  en  voulant  leur  imposer  la  circoncision  et  en  leur  disant 
que  sans  elle  ils  ne  pouvaient  être  sauvés.  Paul  et  Barnabas  s'oppose- 
Tent  à  leurs  prétentions.    La  discussion  fut  très-vive.  On  résolut  de 


APOTfiES  465 

la  porter  à  Jérusalem.  Là,  devant  l'Eglise,  les  anciens  et  les  apôtres 
assemblés,  les  deux  missionnaires  racontèrent  leurs  grands  suc- 
cès à  Antioche  et  en  Pysidie.  Les  pharisa30-chrétiens  firent  valoir 
les  exigences  de  la  loi  mosaïque.  Pierre  se  mit  du  côté  de  Paul  et 
conseilla  de  ne  pas  imposer  aux  païens  un  joug  intolérable.  Jacques, 
tout  en  approuvant  le  discours  de  Pierre,  lit  quelques  réserves,  et  pro- 
posa le  compromis  qui  fut  accepté  et  rédigé  dans  une  lettre  officielle 
pour  être  porté  à  la  connaissance  des  nouvelles  Eglises.  Les  païens 
étaient  dispensés  de  la  circoncision.  On  les  engageait  seulement  à 
observer  les  préceptes  dits  «  noachiques  »,  auxquels  étaient  soumis  les 
«  prosélytes  de  la  porte  »,  et  qui  étaient  nécessaires  pour  rendre  possi- 
bles leurs  rapports  avec  leurs  frères  juifs  :  s'abstenir  des  viandes  sacri- 
fiées aux  idoles,  du  sang,  des  bêtes  étouffées,  et  de  la  fornication, 
(mariages  prohibés  par  la  loi  de  Moïse  ou  mœurs  licencieuses  de  la 
vie  païenne).  Tel  est  le  récit  des  Actes  des  Apôtres.  Dans  répitre  aux 
Galates  (II,  1-11),  Paul  nous  a  laissé  une  relation  assez  différente  de  ces 
mêmes  conférences.  Comme  Fauteur,  dans  cette  épître,  songe  surtout 
à  démontrer  et  à  garantir  l'indépendance  de  son  apostolat,  son  récit 
est  plus  personnel.  Il  ne  dit  rien  de  la  délégation  qu'il  aurait  reçue  de 
l'Eglise  d'Antioche  ;  en  venant  à  Jérusalem,  il  a  surtout  obéi  à  une 
révélation  intérieure.  Il  parle  ensuite  moins  des  délibérations  publiques 
et  officielles  que  de  ses  entretiens  particuliers  avec  Pierre,  Jacques  et 
Jean,  qui  passaient  pour  être  les  colonnes  de  l'Eglise  et  auxquels  il 
exposa  avec  soin  l'Evangile  qu'il  prêche  aux  païens.  Il  confirme  le 
récit  des  Actes  sur  deux  points  essentiels  :  le  premier,  c'est  qu'il  ne 
rencontra  ni  hostilité  ni  mauvais  vouloir  de  la  part  des  apôtres  qui  ne 
trouvèrent  rien  à  reprendre  ou  à  ajouter  à  sa  prédication,  et  lui  don- 
nèrent la  main  d'association,  en  lui  laissant  la  mission  parmi  les  Gen- 
tils, tandis  qu'ils  gardaient  celle  des  Juifs  ;  le  second,  c'est  que  l'oppo- 
sition faite  à  l'entrée  libre  des  païens  dans  l'Eglise  fut  le  fait  de  gens 
que  les  Actes  appelaient  des  pharisœo-chrétiens  et  que  lui  nomme  ((des 
faux-frères  intrus  ».  Il  ajoute  qu'ils  auraient  voulu  contraindre  Tite, 
son  disciple,  à  se  faire  circonscire  ;  mais  ils  n'y  réussirent  pas.  Enfin, 
Paul  ne  dit  pas  un  mot  du  compromis  dont  parlent  les  Actes  ni  des  pré- 
ceptes recommandés  officiellement  aux  pagano-chrétiens  ;  il  termine, 
au  contraire,  en  disant  que  les  apôtres  ne  lui  recommandèrent  qu'une 
chose,  de  se  souvenir  des  pauvres  de  Jérusalem,  ce  qu'il  n'a  jamais 
oublié  de  faire.  On  voit,  par  ce  double  résumé,  à  la  fois  les  harmonies 
et  les  divergences  des  deux  relations.  Ces  divergences  qui*  dans  d'au- 
tres documents,  ne  seraient  pas  très-étonnantes,  ont  paru  ici  plus 
graves.  Désireux  d'éviter  entre  des  écrits  également  vénérés,  jusqu'à 
l'apparence  même  d'une  contradiction,  quelques  théologiens  ont  pré- 
tendu que  ces  deux  relations  ne  concernaient  pas  le  même  voyage  et 
«.m  pensé  que  celui  dont  parle  Paul,  Gai.  II,  1,  devait  être  identifié 
avec  celui  d'Acte*  M.  30,  et  non  avec  celui  du  chapitre  XV  (Eusèbe, 
Calvin.  Kuinœl,  Keil,  etc.).  Deux  raisons  doivent  faire  écarte»  cette 
conjecture  :  d'abord  une  raison  chronologique.  Le  voyage  mentionné 
Actes  XI,  30,  ;i  '-U  lieu  trop  toi  pour  concorder  avec  celui  de  Gai.  Il,  1, 


466  APOTRES 

qui  d'après  l'indication  de  Paul  lui-même  ne  s'est  effectué  que  q uatorze  ou 
même  dix-sept  ans  après  sa  conversion.  En  second  lieu,  si,  déjà  à  l'époque 
du  premier  voyage,  l'entente  dont  parle  l'épître  aux  Galates  était  in- 
tervenue entre  Paul  et  les  apôtres  de  Jérusalem,  les  conférences  et  le 
compromis  racontés  au  XVe  chapitre  des  Actes  n'auraient  plus  de  rai- 
son d'être.  Il  faut  donc  maintenir,  sous  les  différences  secondaires  des 
deux  récits,  l'identité  générale  des  faits.  Mais  ces  différences  elles- 
mêmes  ne  peuvent-elles  pas  s'expliquer  par  la  différence  des  points 
de  vue  des  deux  rapporteurs  ?  Luc  fait  de  l'histoire  générale  et  est 
amené  à  donner  aux  conférences  de  Jérusalem  un  caractère  officiel 
qu'elles  n'eurent  peut-être  pas  autant  qu'il  le  dit.  Paul  défend  une 
cause  personnelle  et  devait  négliger  par  cela  même  tout  ce  qui  restait 
étranger  à  sa  démonstration.  Dès  lors,  les  différences  signalées  se  con- 
cilient assez  facilement.  Elles  se  réduisent  à  trois  :  1°  D'après  Actes  XV,  2, 
Paul  et  Barnabas  sont  envoyés  à  Jérusalem  par  l'Eglise  d'Antioche; 
d'après  Gai.  II,  1,  Paul  y  va  poussé  par  une  révélation  intérieure.  Les 
deux  choses,  loin  de  s'exclure,  s'appellent  l'une  l'autre.  D'abord,  il 
est  certain  que  l'Eglise  d'Antioche,  agitée  par  des  discussions  violentes, 
a  dû  délibérer  sur  lés  moyens  d'y  mettre  un  terme.  D'un  autre  côté, 
l'apostolat  de  Paul  n'était  pas  moins  intéressé  dans  ces  débats.  Après 
des  hésitations  et  des  luttes  intérieures,  il  dut  bien  vite  arriver  à  la 
conviction  que  le  seul  moyen  de  fermer  la  bouche  à  ses  adversaires 
était  de  leur  enlever  l'autorité  des  apôtres  de  Jérusalem  derrière 
laquelle  ils  se  retranchaient.  Monter  à  Jérusalem,  c'était  pour  lui,  dès 
lors,  obéir  à  une  claire  indication  de  Dieu.  En  allant  y  plaider 
la  cause  de  l'Eglise  d'Antioche,  c'était  la  sienne  au  fond  qu'il  allait  dé- 
fendre. 2°  Les  Actes  des  Apôtres  parlent  de  conférences  publiques  et 
officielles  devant  l'Eglise,  L'épître  aux  Galates  d'entretiens  privés.  Le 
but  spécial  que  poursuit  saint  Paul  explique  encore  cette  différence. 
Préoccupé  de  la  liberté  et  des  succès  de  ses  missions  futures,  il  devait 
tenir  surtout  à  se  mettre  d'accord  avec  les  Douze.  Il  ne  voulait  pas 
avoir  couru  en  vain  ;  dans  la  polémique  qu'il  soutient  contre  les  Gala- 
tes, le  règlement  de  la  querelle  d'Antioche  n'avait  aucune  importance 
et  ne  pouvait  lui  servir.  La  question  était  devenue  bien  plus  profonde  : 
il  s'agit  en  Galatie  de  son  autorité  apostolique  niée,  de  son  désaccord 
avec  les  premiers  apôtres  du  Christ.  Voilà  pourquoi  il  ne  rappelle  que 
ces  entretiens  avec  Pierre,  Jacques  et  Jean.  Mais  on  a  d'autant  plus  de 
tort  à  parler  ici  de  contradiction,  que  Paul,  loin  de  nier  la  délibération 
publique  devant  les  anciens  et  les  frères  assemblés,  la  rappelle  formel- 
lement et  la  distingue  de  ses  conférences  particulières  avec  le  chef 
de  l'Eglise  (Gai.  II,  2).  3°  La  vraie  difficulté  n'est  pas  dans  ces  minces 
détails,  elle  est  tout  entière  dans  le  silence  absolu  que  Paul  garde  dans 
Pépître  aux  Galates  et  dans  toutes  les  autres  sur  le  compromis  et  le 
décret  officiel  qui  furent,  d'après  les  Actes,  le  résultat  des  conférences 
de  Jérusalem.  La  raison  du  but  particulier  de  l'épître  aux  Galates, 
que  nous  avons  invoquée  pour  écarter  les  difficultés  précédentes,  n'est 
pas  applicable  à  cette  dernière.  Au  contraire,  puisque  des  docteurs 
judaïsants  venaient  encore,  au  nom  des  apôtres,  imposer  la   circonci- 


APOTRES  407 

sion  aux  Galates  convertis  et  renouveler  la  tentative  qui  avait  échoué 
à  Antioche,  il  semble  que  Paul  n'avait  rien  de  mieux  à  faire,  pour  les 
confondre,  que  de  rappeler  une  décision  officielle  qui  avait  solennelle- 
ment dispensé  les  païens  de  cette  obligation.  Le  silence  étonnant  de 
Paul  pourrait  donc  autoriser  la  critique  à  regarder  comme  apocryphe 
•ce  fameux  décret  de  Jérusalem.  La  rédaction  elle-même  de  ce  décret, 
et  de  la  lettre  qui  raccompagne,  est  trop  semblable  au  style  habituel 
de  l'auteur  du  livre  des  Actes,  pour  ne  pas  éveiller  les  soupçons.  D'un 
autre  côté,  le  compromis  intervenu  à  Jérusalem  répond  trop  bien  à  la 
situation  générale  telle  que  nous  la  connaissons;  trop  de  raisons  graves 
militent  en  sa  faveur,  pour  que,  si  la  forme  officielle  que  saint  Luc  lui 
a  donnée  reste  contestable,  il  n'y  ait  pas,  au  fond  de  son  récit,  le  sou- 
venir d'un  fait  authentique  et  réel.  Ce  fait  se  dégage  en  effet  d'un 
examen  plus  attentif  du  décret  lui-même  et  des  causes  qui  Pont  amené. 
Les  quatre  prescriptions  qui  le  composent  n'ont  pas  été  choisies  arbi- 
trairement et  ne  doivent  pas  être  comprises  comme  une  restriction 
apportée  à  la  liberté  des  païens  convertis.  Avant  PEglise,la  Synagogue 
juive  les  avait  imposées  aux  païens  qui  se  rapprochaient  du  judaïsme 
pour  adorer  le  vrai  Dieu,  et  qu'on  nommait  les  prosélytes  de  la  porte. 
On  appelait  ces  prescriptions  noachiques,  parce  qu'on  les  trouvait  dans 
le  commandement  donné  à  tous  les  enfants  de  Noé,  avant  l'institution 
de  la  loi  mosaïque,  et  que  dès  lors  ils  devaient  s'étendre  à  tous  les 
hommes  (Gen.  IX,  4,  développé  dans  Lé  vit.  XVII  et  XVIII).  Le  sang 
de  toute  bête  égorgée  devait  être  offert  à  l'Eternel,  parce  que,  d'après 
la  théologie  juive,  la  vie  de  tout  être  vivant  était  dans  son  sang,  et  que 
tout  être  appartient  à  Dieu.  De  là,  la  défense  de  manger  d'aucune  vic- 
time offerte  aux  idoles,  puisque  ce  sacrifice  est  la  négation  même  du 
Dieu  unique  et  de  ses  droits  imprescriptibles.  La  même  raison  faisait 
interdire  de  manger  le  sang  ou  même  la  viande  des  animaux  dont  le 
sang  n'avait  pas  été  auparavant  soigneusement  répandu.  Quant  à  la 
dernière  prescription,  concernant  les  souillures  charnelles,  on  peut  la 
ramener  au  même  principe.  Il  s'agit  ici  évidemment  des  unions  prohi- 
bées par  la  loi  entre  proches  parents  ou  d'actes  immoraux  contre  na- 
ture, parce  que  ce  sont  là  précisément  des  souillures  mêmes  du  sang 
qui  est  la  propriété  sacrée  de  l'Eternel.  Il  ne  s'agit  donc  point,  dans 
lé  décret  de  Jérusalem,  de  devoirs  moraux,  mais  de  prescriptions  reli- 
gieuses, spécialement  fondées  sur  ce  principe  de  la  théologie  juive  que 
nous  avons  rappelé,  à  savoir  que  la  vie  réside  dans  le  sang.  Si  les 
rabbins  et  le  Talmud  ont  étendu  plus  tard  jusqu'à  sept  le  nombre  de 
ces  prescriptions  noachiques,  en  y  ajoutant  le  blasphème,  le  vol  et  le 
meurtre,  la  résistance  aux  autorités  légitimes,  c'est  une  modification 
postérieure  des  mômes  idées  qu'on  peut  négliger.  Le  point  important, 
c  est  de  constater  ici  que  l'Eglise  de  Jérusalem,  en  rappelant  ces  pres- 
criptions, ne  faisait  rien  d'arbitraire  ni  de  nouveau,  mais  qu'elle  imitait 
la  Synagogue  et  assimilait  les  païens  convertis  en  face  du  royaume 
messianique,  aui  prosélytes  de  la  porte  également  incirconcis  en  face 
du  corps  du  peuple  d'Israël.  En  leur  reconnaissant  la  même  situation, 
il  était  naturel  de  leur  recommander  les  mêmes  devoirs.   Comment  en 


468  APOTRES 

était-on  venu  à  ce  résultat?  La  chose  s'explique  le  plus  aisément  du 
monde.  La  primitive  Eglise  fut  d'abord  composée  exclusivement  de 
juifs  de  naissance.  Les  conversions  exceptionnelles  de  quelques  païens 
isolés  ne  soulevèrent  pas  de  difficultés  sérieuses.  Mais  quand  leur  nom- 
bre s'accrut,  comme  à  Antioche,  jusqu'au  point  de  devenir  la  majorité, 
la  situation  changea.  Deux  questions  se  posaient  inévitablement  :  une 
question  dogmatique,  quelle  valeur  restait  à  la  circoncision  et  à  la  loi 
mosaïque  en  général  dans  l'Eglise  nouvelle?  Une  question  pratique, 
comment  maintenir  la  communion  et  des  rapports  intimes  entre  les 
chrétiens  païens  et  les  chrétiens  juifs?  Le  compromis  de  Jérusalem  évi- 
tait de  trancher  la  première,  et  ne  visait  à  résoudre  que  la  seconde. 
Les  prescriptions  que  l'on  y  rappelait  devaient  d'ailleurs  être  déjà 
généralement  observées  par  le  nouveaux  convertis.  On  sait  que  Paul  et 
Barnabas,  dans  leurs  courses  missionnaires,  se  rendaient  d'abord  à  la 
synagogue  des  juifs,  qui  leur  fournissait,  dans  le  monde  païen,  un  point 
de  départ  naturel  pour  leur  œuvre  et  leur  prédication.  Dans  ces  syna- 
gogues, au  culte  juif,  ils  trouvaieut  partout  un  assez  grand  nombre  de 
prosélytes  de  la  porte,  des  païens  pieux  qui  aimaient  à  se  rattacher  à  la 
tradition  juive.  C'est  évidemment  parmi  ces  prosélytes  que  l'Eglise 
naissante  fit  ses  premières  recrues  du  paganisme.  Mais  ils  obser- 
vaient déjà  ce  que  nous  avons  appelé  les  préceptes  noachiques.  Les 
leur  recommander,  ce  n'était  donc  rien  leur  imposer  de  nouveau  ni 
d'extraordinaire,  c'était  les  confirmer  seulement  dans  une  manière  de 
vivre  et  des  habitudes  qu'ils  avaient  prises  depuis  longtemps  et  qui 
devinrent  l'usage  général  de  toutes  les  Eglises  à  la  fin  du  premier  siè- 
cle. Dans  cette  liaison  historique,  le  décret  de  Jérusalem  perd  sans 
doute  beaucoup  de  son  importance,  mais  du  moins  il  est  très-conceva- 
ble. Le  conflit  d'Antioche  eut  cette  solution,  parce  qu'il  n'en  pouvait 
avoir  d'autre.  Elle  fut  acceptée  des  pagano-chrétiens,  parce  qu'elle  ne 
gênait  en  aucune  manière  leur  liberté.  Paul  non  plus  n'avait  rien  à  y 
objecter  ;  certainement,  lui-même  se  soumettait  à  toutes  ces  prescrip- 
tions et  les  faisait  observer  dans  les  Eglises  qu'il  fondait.  S'il  ne  men- 
tionne pas  le  décret  de  Jérusalem,  il  admet  le  point  de  vue  général  qui 
Ta  inspiré,  et  dans  les  épitres  aux  Corinthiens,  il  met  en  garde  de 
la  même  façon  les  chrétiens  contre  la  participation  aux  sacrifices  païens 
et  contre  les  unions  illicites  (1  Cor.  V,  20;  V,  1,  etc.).  Il  ne  faut  pas 
douter  non  plus  que  Paul  n'est  partagé  cette  croyance  générale  de  son 
peuple,  que  la  vie  était  dans  le  sang,  que  le  sang  était  chose  sacrée,  et 
qu'il  fallait  s'en  abstenir.  On  retrouve  les  mêmes  prescriptions  dans 
l'Apocalypse  de  Jean  (II,  20-24).  Sur  ce  point,  il  n'y  avait  aucune  di- 
vergence entre  l'apôtre  des  Gentils  et  les  Douze,  et  l'on  comprend  que 
Paul  pouvait  s'y  associer  sans  arrière-pensée  et  affirmer  en  même  temps 
que  ceux-ci  n'avaient  rien  ajouté  à  son  Evangile,  que  la  liberté  des 
pagano-chrétiens  était  sortie  des  débats  de  Jérusalem.  Mais  on  peut 
dire  que,  réduit  à  ces  proportions,  le  décret  en  question  n'a  plus 
qu'une  faible  portée.  On  se  demande  même  s'il  y  avait  là  matière  à  un 
décret  officiel,  et  si  tout  ne  se  borna  pas  à  une  simple  exhortation  fra- 
ternelle. On  comprend,  en  tous  cas,  que  Paul  le  néglige  dans  ses  polé- 


APOTRES  469 

iniques.    S'il  avait  coûté  peu  de  peine  à  obtenir,  c'est  <pf  il  entrait  peu 

avant  dans  la  question  en  litige.  Il  facilitait  la  communion  sociale  entre 
les  chrétiens  juifs  et  les  chrétiens  païens  ;  mais  il  laissait  intacte  la 
question  de  principe.  Il  ne  pouvait  prévenir  le  conflit,  qui,  dès  ce 
moment,  alla  s'aggravant  en  s'envenimant  entre  Paul  et  les  judaïsants. 
Il  était  même  susceptible  de  deux  interprétations  contraires  qui  ne 
devaient  pas  tarder  à  se  trouver  en  présence.  Les  deux  partis,  avec  une 
égale  bonne  foi,  durent  s'en  prévaloir.  Paul  était  satisfait  d'avoir,  pour 
le  moment,  sauvegardé,  dans  la  pratique,  la  liberté  de  ces  nouvelles 
Eglises.  Les  judaïsants  se  croyaient  autorisés  à  regarder  les  pagano- 
chrétiens  comme  des  prosélytes  de  la  porte  du  christianisme,  et  ils  ne 
pouvaient  pas  ne  pas  essayer  de  faire  de  ces  prosélytes  de  la  porte  des 
prosélytes  de  la  justice.  De  là  cette  contre-mission  organisée  par  eux 
dans  toutes  les  Eglises  du  paganisme  pour  y  corriger  et  achever  l'œuvre 
de  Paul,  contre-mission  dont  les  grandes  épitres  de  Paul  gardent  des 
traces  si  vives  et  si  douloureuses.  On  peut  enfin  apprécier  exactement 
cette  conférence  de  Jérusalem  que  la  tradition,  à  tort,  a  considérée  comme 
un  concile  apostolique.  Dans  l'histoire  du  christianisme  primitif,  elle 
n'est  qu'un  moment  transitoire,  une  trêve,  un  compromis  momentané 
entre  deux  tendances  hostiles  dont  elle  suspendit  un  instant,  mais  ne 
pouvait  pas  empêcher  l'inévitable  conflit.  En  se  bornant  à  régler  les 
difficultés  pratiques,  en  laissant  au  temps  et  à  Dieu  le  soin  de  décider 
entre  les  principes  rivaux,  les  apôtres  du  moins  firent  preuve  d'une 
modération  et  d'une  sagesse  que  malheureusement  les  autorités  ecclé- 
siastiques venues  après  eux  n'ont  pas  su  imiter.  —  On  a  beaucoup  écrit 
sur  ces  conférences  de  Jérusalem.  Citons  seulement  Neander,  Hist.  du 
siècle  apostolique;  Bauer,  Paulus,  2e  édit.,  I,  p.  119  ss.  ;  Ritschl,  Die 
Entstehung  der  altkath.  Kirche,  2e  édit.,  1857,  p.  128 ss.;  Reuss,  Histoire 
de  la  théologie  apostolique,  3e  édit.,  I,  en  divers  endroits;  du  même, un 
article  de  la  Revue  de  Théol.  de  Strasbourg  ;  de  Pressensé,  Histoire  des 
trois  premiers  siècles,  I,  p.  457  ss.  ;  E.  Renan,  Saint  Paul,  1869,  p.  57  ss.; 
Sahatier,  Y  Apôtre  Paul.  Esquisse  d'une  histoire  de  sa  pensée,  Stras.,  1870, 
p.  126  ss.  ;  Commentaires  généraux  sur  le  Nouveau  Testament  de  deWette 
et  Me  ver.  A.  Sabatiek. 

APOTRES  (Symbole  des).  Le  Credo  reçutle  nom  de  Symbole  (cù^oâcv, 
signe  distinctif),  parce  qu'il  était,  au  début,  comme  le  mot  d'ordre  ou 
le  serment  de  fidélité  du  soldat  de  Jésus-Christ,  comme  le  signe  de  recon- 
naissance de  l'initié  aux  mystères  chrétiens,  comme  le billetd'entrée  de 
l'invité  au  banquet  spirituel  de  l'Eglise.  Il  reçut  le  nom  d1 apostolique 
parcequ'il  entendait  maintenir,  contre  les  novateurs,  l'enseignement 
primitif  et  unanime  des  apôtres.  Une  fausse  interprétation  du  titre 
d  xxoffmXixov,  et  une  assimilation  erronée  du  mot  de  7J;^cAov  au  mot  de 
/r  (collât io,  assemblage)  donnèrent  lieu  plus  tard  à  la  légende  de  la 
rédaction  du  symbole  par  les  apôtres  eux-mêmes.  Rufin  (+  410),  pré- 
cédé s'il-  ce  point  par  Ambroise  (+397),  raconta  qu'avant  de  se  séparer 
pour  aller  prêcher  L'Evangile  à  toutes  les  nations,  les  apôtres  avaient 
arrêté  en  commun  les  termes  du  symbole  afin  de  donner  une  règle  à 
leur  propre  enseignement  et  à  la  croyance  des  fidèles.  L'auteur  inconnu 


470  APOTRES 

des  sermons  De  tempore  (cinquième  siècle  ou  commencement  du 
sixième),  renchérissant  sur  cette  première  donnée,  affirma  que  chacun 
des  douze  apôtres  avait  prononcé  à  son  tour,  sous  l'impulsion  du  Saint- 
Esprit,  l'un  des  articles  du  Credo.  Cette  idée  de  la  composition  textuelle 
du  symbole  par  les  apôtres  a  été  plus  tard  consacrée  par  le  Catéchisme 
romain;  elle  a  néanmoins  été  abandonnée  par  plus  d'un  théologien 
catholique  (dès  Laurent  Valla  et  Erasme),  comme  par  presque  tous  les 
savants  protestants  modernes.  —  Le  symbole  apostolique  est  sorti,  par 
une  espèce  d'épanouissement  graduel,  de  la  profession  de  foi  que  les 
néophytes  chrétiens  étaient  appelés  à  faire  au  moment  de  leur  baptême. 
A  la  lin  du  premier  siècle,  ce  Credo,  qui  se  rattachait  à  la  déclaration 
de  Jésus ,  rapportée  par  Matth.  XXVIII,  19,  était  probablement  conçu 
en  ces  termes  :  «  Je  crois  au  Père ,  au  Fils  et  au  Saint-Esprit.  »  Cette 
formule  s'accrut  peu  à  peu  d'un  certain  nombre  de  déterminations  et 
d'additions  également  empruntées  à  l'enseignement  des  apôtres,  et  qui 
furent  jointes  au  Credo,  les  unes  dans  un  but  purement  didactique  et 
explicatif,  les  autres,  en  plus  grand  nombre,  dans  une  intention  polé- 
mique, et  afin  de  prémunir  les  fidèles  contre  les  hérésies  de  l'époque. 
Telle  fut  l'origine  du  symbole.  L'obscurité  qui  plane  sur  l'histoire  et 
sur  la  chronologie  de  son  développement  provient  du  fait  que  l'Eglise  se 
fit  longtemps  scrupule  de  confier  au  papier  le  texte  de  la  profession  de 
foi  baptismale,  de  peur  de  révéler  ce  mot  d'ordre  sacré  à  des  personnes 
profanes  ou  hostiles.  De  là  une  absence  de  renseignements  directs  à 
laquelle  on  ne  peut  remédier  que  très-imparfaitement  au  moyen  d'in- 
ductions et  de  combinaisons  toujours  hypothétiques.  Ce  qu'il  y  a  de 
certain,  c'est  qu'on  prit  d'assez  bonne  heure,  dans  l'Eglise,  l'habitude 
de  rattacher  aux  linéaments  fournis  par  la  formule  du  baptême  une 
sorte  de  sommaire  des  faits  et  des  doctrines  évangéliques,  sommaire 
dont  le  contenu  était  analogue  à  celui  du  symbole  actuel  et  auquel  on 
donnait  le  nom  de  règle  de  foi  (régula  fidei,  xavwv  ty;ç  ùXrfîziaç,  etc.). 
On  peut,  ce  nous  semble,  découvrir  les  premiers  vestiges  ou  les  pre- 
miers germes  de  la  règle  de  foi  dans  Ignace  (écrivant  peu  après  100), 
dans  Polycarpe  (vers  120),  dans  Hermas  (vers  150  au  plus  tard),  et 
surtout  dans  Justin  (138  ou  139  et  147).  Elle  s'étale,  en  tous  cas,  au 
grand  jour  ,  chez  Irénée  (178-202  ;  Contra  H aères.,  t.  I,  c.  10,  §  1; 
t.  III,  c.  4,  §  2),  chez  Tertullien  (185-240;  De  velandis  virgin.,  §  1  ; 
Contra  Praxeam,  §  2,  De  prœscr.  haer.,  §3)  et  chez  Origène  (210;  De 
principiis,  1 1,  §  4).  Ces  écrivains  ecclésiastiques  entendent  nous  don- 
ner, dans  ces  divers  passages,  un  résumé  de  la  doctrine  traditionnelle- 
ment conservée,  dès  le  siècle  apostolique,  au  sein  de  l'Eglise  orthodoxe 
universelle,  et  ils  voient  dans  ces  articles  de  foi  la  norme  de  l'enseigne- 
ment des  docteurs  et  le  critère  de  la  croyance  des  fidèles,  le  fondement 
immuable  de  l'instruction  à  donner  aux  catéchumènes,  et  l'invincible 
boulevard  de  la  résistance  à  opposer  aux  hérétiques.  Dans  cette  repro- 
duction de  la  doctrine  consacrée,  ils  s'attachent  essentiellement  à  com- 
battre les  diverses  écoles  gnostiques,  qui  plaçaient,  soit  entre  Dieu  et  le 
monde,  soit  entre  Dieu  et  le  Christ  une  longue  série  d'émanations ,  qui 
faisaient  du  créateur  ou  démiurgue  un  être  méchant  ou  borné ,  et  qui , 


APOTRES  471 

voyant  dans  la  matière  la  source  du  mal,  ne  voulaient  pas  d'un  Christ 
qui  fut  réellement  avenu  en  chair».  —  La  règle  de  foi  existait,  dans 
l'Eglise,  à  l'état  de  conscience  générale,  et  de  tradition  orale:  elle 
demeurait  donc  assez   flottante  et  indéterminée  dans   sa  forme.   Les 
diverses   relations  que  les  Pères  nous  en  donnent  sont  loin  d'être  iden- 
tiques. En  ce  qui  concerne  le  nombre  ,  l'étendue  et  l'ordre  de  succes- 
sion des  divers  articles,  ces  formules  varient,  non-seulement  d'auteur  à 
auteur,  mais,  chez  le  même  auteur,  de  traité  à  traité,  et  dans  le  même 
traité,  de  page  à  page.  Cependant,  on  y  retrouve  toujours  certains  termes 
stéréotypés,  certaines  phrases  consacrées  qui  se  rencontrent  aussi  dans  le 
symbole  des  apôtres,  et  le  contenu  doctrinal  en  reste,  au  fond,  toujours 
semblable  à  lui-même ,  et  toujours  étroitement  apparenté  à  celui  du 
Credo,  qui  est  d'ailleurs  plus  simple  et  plus  court.  Cela  étant,  le  pro- 
blème des  rapports  de  la  règle  de  foi  et  du  Credo  baptismal  a  reçu  des 
solutions  diverses.  Aux  yeux  de  certains  auteurs ,  les  différentes  rédac- 
tions de  la  règle  de  foi ,  ne  seraient  que  des  paraphrases  individuelles 
du  symbole  des  apôtres,  lequel  aurait  déjà  existé  de  toutes  pièces  au 
commencement  ou  au  milieu  du  deuxième  siècle.  Suivant  d'autres ,  le 
symbole  des  apôtres  ne  serait  que  la  fixation  postérieure  et  sommaire 
des  vérités  traditionnelles  dont  la  règle  de  foi  aurait  été  le  premier 
véhicule.  Nous  croyons,  pour  notre  part,  que  la  règle  de  foi  et  la  pro- 
fession de  foi  baptismale  se  développèrent  simultanément,  avec  action 
cl  réaction  de  l'une  sur  l'autre.  La  règle  de  foi,  qui  était  plus  flottante, 
et  qui  concernait  surtout  les  docteurs,  s'enrichissait  la  première  ;  mais, 
lorsqu'une  de  ses  déterminations  avait  pris  corps  dans  la  profession  de 
foi  des  simples  fidèles ,  la  règle  de  foi  se  hâtait  de  s'appuyer  sur  ce 
nouveau  rameau  du  Credo  baptismal.  La  règle  de  foi  fut  ainsi  comme 
l'eau  mère  dans  laquelle  le  symbole  des  apôtres  se  cristallisa  peu  à 
peu  autour  des  trois  branches  maîtresses  de  la  formule  du  baptême. 
Ce  travail  de  formation  graduelle  échappe  presque  entièrement  à  l'œil 
de  l'historien.  Il  n'a  laissé  dans  les  documents  que  de  rares  vestiges  , 
et  ces  vestiges  doivent  être  interprétés  avec  beaucoup  de  prudence,  vu 
l'usage  simultané,  dans  plusieurs  des  Eglises  d'alors,  de  deux  formules 
symboliques,  l'une  plus  longue  et  l'autre  plus  courte.  Vers  138  ou  139, 
Justin  (Ie  Apologie ,  c.  61)  semble  faire  entendre  que  le  Credo  baptis- 
mal nommait  Dieu  «  le  Père  et  Maître  de  toutes  choses»  ,  rappelait  (pie 
Jésus-Christ  avait  été  «cruxifié  sous  Ponce  Pilate»,  et  mentionnait  la 
«  rémission  des  péchés».  Entre  178  et  202,  Irénée  (Adv.  Haer.,  t.  I, 
c,  9,  §  ï  )  «lit  que   le  chrétien  «  reçoit  à  son  baptême  la  règle  invariable 
de  la  vérité,  au  moyen  de  laquelle  il  peut  facilement  distinguer  la  saine 
doctrine  de  l'hérésie.».  Entre  185  et  202,  Tertullien  nous  apprend  (De 
prasàr.  ehaer^e.  30)  qu'on  pouvait  reconnaître  au  symbole  (tessera)  d'une 
Eglise  <•<■  que  cette  Eglise  enseignait;  il  nous  déclare  (De  coronâ  militis, 
v.  3)  que  le  néophyte  était  plongé  trois  fois  dans  l'eau,  «  répondant 
quelque  chose  de  plus  que  ce  que  le  Seigneur  avait  déterminé  dans 
l'Evangile  »\  il  nous  Informe  enfin   [De  hnptismo,  c.  5)  que  la  8  men- 
tion de  l'Eglise  »  figurait  dans  cette  profession  de  foi  à  côté  de  celle  du 
Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  Vers  250,  Cyprien  (Ep.  ad  Janua*> 


472  APOTRES 

rium,  ad  Magnum)  nous  apprend  que  le  symbole  baptismal  de  Car- 
tilage renfermait  cette  question  :  «  Crois-tu  à  la  rémission  des  péchés 
et  à  la  vie  éternelle  par  la  sainte  Eglise?  »,  formule  qui  ne  parait  pas 
avoir  été  usitée  ailleurs  qu'en  Afrique.  A  la  même  époque,  Novatien 
(De  Trinùate,  seu  de  Régula  fidei)  paraît  avoir  sous  les  yeux  un  sym- 
bole qui  renfermait,  sinon  toutes  les  phrases,  du  moins  toutes  les  idées 
du  symbole  actuel,  à  l'exception  des  deux  articles  de  la  descente  aux 
enfers  et  de  la  communion  des  saints.  Nous  réussissons  enfin  à 
mettre  la  main  sur  le  texte  même  de  deux  symboles  qui  paraissent 
avoir  été  employés  dès  le. troisième  siècle,  ou,  au  plus  tard, dès  le  commen- 
cement du  quatrième.  Ce  Credo,  conservé  dans  les  Canons  de  l'Eglise 
copte,  et  qui  était  usité  à  Alexandrie  (Bunsen,  Antenicaena,  III,  91-93) 
et  le  Credo  insère  dans  les  Constitutions  apostoliques  (1.  7,  c.  42),  et 
dont  on  se  servait  probablement  en  Asie  Mineure  et  à  Antioche.  L'un 
et  l'autre  sont  conçus  dans  un  style  périodique  et  présentent  des  dé- 
veloppements théologiques  étrangers  au  symbole  vulgaire,  mais  ils  en 
embrassent  presque  toutes  les  propositions.  Les  seuls  articles  du  Credo 
définitif  qui  manquent  à  ces  deux  professions  de  foi  sont  la  descente 
aux  enfers  et  la  communion  des  saints  ;  le  symbole  copte  omet,  de  plus, 
les  articles  de  la  création,  de  la  résurrection  et  de  la  vie  éternelle.  — 
Nous  arrivons  ainsi  au  quatrième  siècle.  En  325,  le  concile  œcuménique  de 
Nicée  émit  un  nouveau  formulaire  doctrinal  qui  fut  encore  développé, 
en  381,  par  le  premier  concile  de  Constantinople.  Ce  nouveau  symbole 
qui  n'était,  au  fond,  qu'une  détermination  théologique  du  Credo  (dont 
il  reproduisait  toutes  les  thèses,  sauf  la  descente  aux  enfers  et  la  com- 
munion des  saints)  remplaça  partout  la  règle  de  foi  orale  comme  règle 
d'enseignement  (norma  docendorum) .  Dans  l'Eglise  d'Orient,  plus  dog- 
matique que  celle  de  l'Occident,  le  symbole  nicéno-constantinopolitain 
fut  également  substitué  au  symbole  apostolique  comme  profession  de 
foi  baptismale  (norma  credendorum) .  Cette  révolution,  qui  était  déjà  en 
voie  d'accomplissement  lors  du  concile  de  Laodicée  (364),  était  con- 
sommée lors  du  second  concile  de  Constantinople  (553).  A  partir  de  ce 
moment,  l'ancien  Credo  tomba  peu  à  peu  en  oubli  chez  les  Grecs;  lors 
du  concile  de  Florence  (1438),  ils  en  ignoraient  même  l'existence. 
L'Eglise  d'Occident  préféra  conserver  pour  l'usage  baptismal  le  sym- 
bole primitif.  Ses  docteurs  firent  toutefois  subir  au  Credo  latin  bien  des 
remaniements  successifs.  Ils  le  complétèrent,  d'une  part,  en  y  trans- 
portant certains  articles  empruntés  aux  formules  orientales  [création, 
vie  éternelle,  mot  de  catholique)  ;  ils  le  simplifièrent,  de  l'autre,  en  éli- 
minant les  redites,  les  détails  accessoires,  les  déterminations  trop  sco- 
lastiques.  Le  principal  auteur  de  cette  révision  du  symbole  parait  avoir 
été  Saint-Angustin  (430).  Il  employait,  vers  la  fin  de  sa  vie,  notre  Credo 
vulgaire,  moins  les  deux  articles  de  la  descente  aux  enfers  et  de  la 
communion  des  saints  et  deux  ou  trois  expressions  d'importance  se- 
condaire. Le  Père  de  l'Eglise  exalte,  d'ailleurs,  le  symbole  des  apôtres 
comme  s'il  était  tombé  de  la  bouche  même  de  Dieu  :  le  Credo  est,  à 
ses  yeux,  le  fondement  de  la  foi,  sa  source  la  plus  pure  ;  le  chrétien 
doit  le  réciter  sans  cesse  comme  une  sorte  de  formule  magique.  Au  com- 


APOTRES  473 

agencement  du  cinquième  siècle,  le  symbole  jouissait,  dans  l'Eglise  la- 
tine, d'un  crédit  universel:  il  servait  partout  de  base  à  l'instruction  chré- 
tienne, il  figurait  partout  dans  la  cérémonie  du  baptême  (Léon  le  Grand, 
pape  de  140-461,  Ep.  ad  Flavianum).  Cependant,  sa  forme  était  loin 
d'être  définitivement  arrêtée.  Il  devait  encore  s'accroître,  dans  le  cou- 
rant du  cinquième  et  du  sixième  siècle,  de  ses  deux  articles  les  plus 
récents  :  la  descente  aux  enfers,  qui  parait  d'abord  dans  le  symbole 
présenté  par  les  ariens  au  concile  de  Rimini,  en  359,  puis  dans  le  sym- 
bole cité  par  Rufiii,  comme  étant,  vers  Tan  400,  celui  de  l'Eglise 
d'Aquilée,  et  la  communion  des  saints,  qui  ligure  pour  la  première  fois 
dans  les  sermons  lloc  et  131e  De  Ternpore,  écrits,  au  plus  tôt,  dans  la 
première  moitié  du  cinquième  siècle.  La  rédaction  actuelle  du  symbole 
ne  prévalut  que  lentement.  Ce  ne  fut  pas  avant  le  septième  siècle 
qu'elle  fut  adoptée  en  Italie,  pas  avant  le  neuvième  qu'elle  se  lit 
accepter  dans  les  Eglises  frankes.  Depuis  les  réformes  liturgiques 
opérées  par  Charlemagne,  elle  fut  introduite  dans  les  Heures  cano- 
niales, et  les  psautiers  dont  le  nouvel  empereur  d'Occident  fit  faire  un 
grand  nombre  de  copies  paraissent  avoir  été  le  principal  instru- 
ment de  sa  diffusion.  Quant  à  l'Espagne,  elle  conserva  jusqu'au  on- 
zième siècle  sa  liturgie  mozarabique  qui,  suivant  plusieurs  critiques, 
ne  renfermait  que  le  symbole  de  Nicée  et  de  Gonstantinople  (voir 
pourtant  Migne,  Patrolog.,  t.  LXXXV,  p.  385).  Les  derniers  articles  du 
symbole  des  Apôtres,  ceux  qui  se  groupent  autour  de  la  foi  au  Saint- 
Esprit  ou  à  l'Eglise  sont  juxtaposés  sans  lien  visible,  formulés  au 
moyen  de  substantifs  abstraits,  et,  par  là  môme,  susceptibles  d'inter- 
prétations assez  variées.  Le  protestantisme  primitif  les  accepta  dans  un 
sens  assez  différent  de  celui  que  leur  avait  donné  le  catholicisme  ro- 
main. Plusieurs  critiques  affirment  que  l'explication  grossièrement  réa- 
liste de  ces  articles  est  la  seule  qui  soit  historique,  et,  partant,  légitime. 
Cette  manière  de  voir  est,  selon  nous,  trop  extrême.  L'article  relatif  à 
la  sainte  Eglise  universelle  fut  primitivement  dirigé  contre  des  héré- 
tiques qui  répétaient  la  doctrine  des  apôtres  eux-mêmes,  et  contre  des 
schismatiques  qui  isolaient  de  la  communion  d'excellents  chrétiens. 
L'expression  :  «  Je  crois  la  rémission  des  péchés  par  la  sainte  Eglise» 
ne  fut  employée  que  dans  une  seule  contrée  et  à  une  seule  époque  ; 
elle  était  d'ailleurs  dirigée,  selon  toute  apparence,  contre  ces  rigoristes 
(jui  refusaient  à  l'Eglise  le  droit  de  réintégrer  dans  son  sein  les  chré- 
tiens tombés  dans  l'apostasie  aux  jours  de  la  persécution.  Quant  à 
l'article  de  la  communion  des  saints,  les  sermons  De  Ternpore  l'en- 
tendent bien,  quelque  part,  dans  le  sens  des  relations  actuelles  de 
l'Eglise  militante  avec  l'Eglise  triomphante,  qui  intercède  pour  la  pre- 
mière ,  mais  ils  semblent  lui  donner  ailleurs  une  signilicatiou 
beaucoup  plus  modeste,  quand  ils  parlent,  soit  de  la  communion  qui 
existe;  sur  la  terre  entre  tous  les  vrais  croyants,  soit  de  la  communauté 
des  dons  de  L'Esprit  dans  la  vie  future.  Dans  une  instruction  sur  le 
baptême,  composée  sous  Charlemagne,  Magnus,  archevêque  de  Sens, 
accompagne  encore  la  mention  de  la  communion  des  saints  de  la  glose 
suivante  :  «  savoir,  la  réunion  des  saints  en  Christ  ».  L'article  de  la 
i.  31 


474  APOTRES 

résurrection  de  la  chair,  l'un  des  plus  anciens  du  symbole,  ne  combattait, 
à  l'origine,  que  les  païens  et  les  gnostiques  qui  niaient  absolument  la 
réunion  future  de  l'âme  à  un  corps  matériel.  Le  symbole  de  Constan- 
tinople  parle  simplement  de  résurrection  des  morts,  et  les  deux  termes 
de  chair  et  de  corps  paraissent  avoir  été  employés  assez  indifféremment 
par  les  docteurs  les  plus  anciens  (voy.  1  Glem.,  ad  Cor.,  c.  26).  Enfin, 
l'article  plus  discuté  encore  de  la  descente  aux  enfers  entend  établir  que 
l'àme  de  Jésus  s'est  rendue,  entre  la  mort  et  la  résurrection  de  son 
corps,  dans  le  .séjour  intermédiaire  des  trépassés.  L'ancienne  Eglise , 
qui  était  unanime  sur  la  réalité  de  cette  descente  /n'était  pas  du  tout 
d'accord  sur  son  but.  Quant  à  l'intention  dans  laquelle  cet  article  fui 
inséré  au  symbole,  il  est  impossible  delà  déterminer  aujourd'hui.  L'opi- 
nion la  plus  répandue,  c'est  que  l'Eglise  voulut  attester  par  là  l'humanité 
parfaite  du  Christ  contre  les  apollinaristes  et  les  monophy sites.  En  ré- 
sumé, nous  pouvons  dire  qu'à  part  deux  ou  trois  articles  contestés,  toutes 
les  thèses  proclamées  par  le  symbole  des  Apôtres  ont  été  proclamées 
d'une  voix  unanime  par  l'Eglise  orthodoxe  du  deuxième  et  du  troisième 
siècle.  Le  Credo  actuel  nous  présente  donc,  sous  une  forme  consa- 
crée par  le  temps,  et  à  peu  près  adéquate,  le  minimum  de  foi  qui, 
dans  ces  premiers  âges,  était  universellement  exigé  des  docteurs  et  des 
néophytes  chrétiens  qui  n'appartenaient  pas  aux  sectes  judaïsantes  ou 
gnostiques.  —  De  là  la  haute  valeur  que  les  Eglises  occidentales  ont  tou- 
jours attribuée  à  cet  antique  document.  L'Eglise  catholique  romaine  l'a 
conservé  dans  sa  liturgie  baptismale  et  l'a  introduit  dans  son  catéchisme 
officiel.  Les  Réformateurs,  frappés  de  la  sobriété  toute  scripturaire  de 
ce  symbole  primitif,  s'y  rattachèrent  avec  empressement,  en  se  bornant 
à  substituer  à  l'interprétation  antérieure  de  certains  articles  une  inter- 
prétation plus  biblique.  Les  Eglises  anglicane,  luthériennes  et  réformées 
(  nous  ne  comprenons  pas  sous  ce  dernier  vocable  les  presbytériens,  les 
indépendants  et  lesbaptistes  anglo-américains)  déclarèrent  à^l' envi,  dans 
leurs  confessions  de  foi,  qu'elles  recevaient  ce  symbole  «parce  qu'il 
était  conforme  à  la  Parole  de  Dieu  ».  Elles  mirent  presque  toutes  le 
Credo  à  la  base  de  leurs  catéchismes  ;  la  plupart  d'entre  elles  le  firent 
mentionner  par  le  ministre ,  ou  même  réciter  par  les  parrains  ou  par 
les  catéchumènes,  dans  les  cérémonies  du  baptême  et  de  la  confirma- 
tion ;  beaucoup  d'entre  elles  le  firent  figurer  dans  le  culte  ordinaire  du 
dimanche,  ou,  du  moins,  dans  le  service  de  la  communion.  La. Liturgie 
de  Genève  (la  plus  usitée  dans  les  Eglises  réformées  de  langue  française  ) 
le  plaça,  jusqu'à  1861,  dans  le  formulaire  du  baptême,  et  le  fit  passer, 
en  1743,  de  l'office  des  jours  de  Ja  semaine  à  celui  du  dimanche.  Au 
sein  du  protestantisme,  des  tendances  assez  diverses  se  sont  successive- 
ment réclamées,  dans  le  cours  des  temps,  du  symbole  des  Apôtres.  Les 
syncrétistes  du  dix-septième  siècle  cherchèrent  à  en  faire  une  charte 
d'union  entre  catholiques  et  protestants.  Les  latitudinaires  du  dix- 
huitième  siècle  s'en  servirent  comme  d'une  arme  contre  le  dogmatisme 
orthodoxe.  Dans  notre  siècle,  quelques  traditionalistes  (tels  que  Delbrùck 
et  Boll  en  Allemagne,  Grundtvig  en  Danemark)  ont  proposé  de  substituer 
le  Credo  à  l'Ecriture ,  comme  règle  suprême  de  la  foi  et  comme  base 


APOTRES  —  APPEL  175 

fondamentale   de   l'Eglise.  En  revanche,  les  partisans  du  réveil   dit 
méthodiste,  suivant,  sur  ce  point  comme  sur  d'autres,  les  traces  du 
non-conformisme  anglo-américain,  n'ont  attribué  que  peu  de  valeur  à 
un  symbole  où  la  nature  et  l'œuvre  du  Christ  ne  sont  pas  nettement 
définies,  où  la  voie  du  salut  n'est  pas  même  indiquée,  et  où  toute  la 
partie  subjective  du  christianisme  (justification,  régénération,  sanctifi- 
cation ,  communion  avec  Dieu  )  est  presque  entièrement  passée  sous 
silence.  Dans  les  pays  de  langue  française,  les  Eglises  libres  nées  du 
Réveil  ne  font  en  général  aucun  usage  de  ce  document.  Mais  c'est  dans 
un  camp  tout  différent  que  le  symbole  des  Apôtres  a  trouvé  ses  prin- 
cipaux adversaires.  Le  libéralisme  moderne,  ennemi  du  surnaturel,  s'est 
récemment  élevé  avec  force  contre  la  place  donnée  au  Credo  dans  les 
liturgies  protestantes.  De  là  une  controverse  qui,  après  avoir  éclaté 
d'abord  en  Allemagne,  vers  1845  (Amis  des  lumières),  n'a  pas  tardé  à 
se  propager  en  Suisse  et  en  France.  Par  suite  des  efforts  des  libéraux, 
l'usage  liturgique  du  symbole  a  été  rendu  facultatif  dans  deux  ou  trois 
Etats  de  l'Allemagne ,  dans  quelques  cantons  de  la  Suisse ,  et  dans  plu- 
sieurs consistoriales  de  France.  Mais  les  orthodoxes  défendent  en  général 
avec  ardeur  ce  monument  dans  lequel  l'ancienne  Eglise  a  consigné  sa 
foi  en  un  rédempteur  surnaturel ,  et  sans  nier  que  ce  vieil  édifice  pré- 
sente quelques  fissures ,  ils  se  montrent  peu  disposés  à  l'abandonner 
avant  d'avoir  pu  transporter  le  trésor  qu'il  renferme  dans  un  édifice 
nouveau,  mieux  abrité  contre  le  vent  du  siècle.  —  Sowces  :  Les  diverses 
relations  du  Credo  ont  été  recueillies  dans  les  collections  de   Walch 
Bibliotheca  symbolica  vêtus,  Lemgovv,  1770;  d'Aug.  Hahn,  Bibliothek 
der  Symbole  und  Glaubensregeln  der  opostolisch.  kath.  Kirche,  Breslau, 
1842;  de  Heurtly,  Harmonia  symbolica,  etc.,  Oxford,  1858,  et  deC.  L. 
Caspari,  Ungedruckte,  unbeachtete  und  ivenig  beachtete  Quellen  zur  Ge- 
schichte  des  Taufsymbols  und  der  Glaubensregel,  3]vol.,  Christiania,  1866, 
69  et  75.  L'histoire  du  symbole  a  été  étudiée  dans  une  foule  d'écrits. 
Nous  nous  bornerons  à  citer  les  anciennes  dissertations  latines  de  Vos- 
sius,  Amst.,  1642;  Usserius,   1647;  ^Yitsius,  1697;  King,  1706;  J.  B. 
Kiesling,  Lips.,  1753;  les  mémoires  français  récents  de  MM.  A.  Bris- 
set,   Strasb.,  1831,1  Bonnef on,  Montauban ,  1858;  Kayser,  Revue   de 
Théologie   de  Strasbourg,  1855,   p.  153;  Grawitz,  Montpellier,  1864; 
et  Viguié,  Ximes,  1864;    sept  conférences  de  A.   Coquerel  fils,  His- 
<lii  Credo,  Paris,  1869;  enfin  et  surtout  les  savantes  monogra- 
pbies  de  M.  Michel  Nicolas,  Symbole  des  Apôtres,  Paris,  1867;  et  de 
.M.  Swainton,  The  Nicene  and  Apostles  Creed,  Lond.,  1875. 

F.  Chapoxnièee. 
APPEL.  H  y  a  lieu  de  recourir  à  l'appel  lorsqu'on  croit  que  la  sen- 
tence a  été  mal  rendue  quant  au  fond,  et  qu'un  autre  juge  prononcera 
différa  mment.  Nous  allons  parler  successivement  de  l'appel  au  pape,  au 
futur  concile,  el  de  l'appel  comme  d'abus.—  ï° Appel  au  Pape.  Jus- 
qu'au quatrième  siècle,  il  u'est  pas  question  de  la  supériorité  de  puis- 
sance ou  de  juridiction  de  l'évêque  de  Rome.  Les  lois  ecclésiastiques 
émanent,  soit  des  empereurs,  soit  «les  conciles.  Aucun  évêque  ne 
reconnaît  tenir  son  éveché  de  la  faveur  du   siège  apostolique ,    mais 


476  APPEL 

tous  disent  qu'ils  tiennent  leur  pouvoir  d'En  haut  et  qu'ils  sont  les 
'  ambassadeurs  de  Jésus-Christ.  Si  quelques-uns  sont  divisés  entre  eux, 
ce  n'est  pas  au  Saint-Siège,  c'est  aux  autres  évêques  de  la  même  pro- 
vince, réunis  en  conseil,  qu'ils  en  appellent.  Mais  déjà  dans  ce  siè- 
cle,  l'importance  chaque  jour    croissante  du   siège  de  Rome,  l'a- 
dresse de  certains  prélats  romains,  le  zèle  inconsidéré  de  quelques 
évêques,  l'imprévoyance  des  empereurs,  tout  contribue  à  élever  au- 
dessus  des  autres  l'évêque  de  Rome,  et  à  lui  donner  d'injustifiables 
privilèges.  Le  cinquième  canon  du  concile  de  Nicée  (325),  selon  les  vrais 
principes,  avait  permis  aux  ecclésiastiques  ou  aux  laïques  qui  se  croi- 
raient injustement  excommuniés,  de  porter  leur  plainte  au  concile  de 
la  province.  La  dangereuse  innovation  au  profit  de  l'évêque  de  Rome 
a  lieu  au  concile  tenu  à  Sardique  (Illyrie)  en  437,  Un  certain  évêque 
Osius,  propose,  si  l'un  de  ces  collègues  dans  l'épiscopat  croit  avoir  été 
condamné  injustement,  de  soumettre  l'affaire  en  dernier  ressort,  au 
jugement  de  l'évêque  de  Rome  :  «  Osius  episcopus  dixit  :  Si  vobis placet, 
Sanctî  Pétri  ?nemo?'iam  honoremus,  ut  scribatur  romano  episcopo...  Quse 
decreverit  conftrmata  erunt.  »  Et  les  Pères  réunis  ont  le  tort  d'accepter 
sans  réflexion  ce  qu'on  leur  propose.  «  Synodus  respondit  :  P lacet.  »  Il 
faut  dire  à  l'honneur  des  évêques  d'Afrique  qu'ils  ne  cessèrent  de  pro- 
tester contre  ce  nouvel  usage.  Dans  la  suite,  on  étend  considérable- 
ment et  l'on  exagère  encore  ce  droit  d'appel.  L'abus  devient  évident 
avec  les  Fausses  Décrétales  qui  permettent  à  tout  le  monde  de  s'adresser 
au  pape  directement,  sans  passer  par  les  degrés  inférieurs  de  juridic- 
tion. Aussi  le  même  livre  contient-il  déjà  de  nombreuses  explications 
données  aux  évêques,  sur  les  cas  où  ils  doivent  permettre  ou  refuser 
l'appel  à  Rome,  et  en  particulier  cette  curieuse  déclaration  du  pape 
Grégoire  VIII:  «  Est-ce  malice  des  plaideurs  ou  défaillance  de  ma  part? 
toujours  occupé  d'affaires  de  médiocre  importance,  je  n'ai  pas  le  temps 
de  veiller  aux  grands  intérêts  de  la  religion.  »  Et  il  a  soin  d'établir,  sur 
ia  matière,  des  règles  qui  font  réellement  de  l'appel  au  pape,  l'excep- 
tion.  Le  troisième  concile  de  Latran,  réuni  en  l'année  1179,  apporte 
au  pourvoi  en  cour  de  Rome  de  nouvelles  restrictions,  et  dans  le  même 
but  ;  le  quatrième,  1215,  exige  que  le  plaideur  qui  croit  devoir  faire 
appel,  consulte  son  juge  même  et  lui  fasse  connaître  ses  motifs.  Enfin, 
le  concile  de  Bàle,  dans  sa  vingtième  session  (1435)  condamne  à  l'amende, 
en  dehors  des  frais  et  dépens,  celui  qui  aura  fait  appel  à  tort.  Les  divers 
décrets  de  ce  concile  sur  la  question  de  l'appel,  sont  ainsi  résumés  et 
appliqués  dans  la  pragmatique  de  Charles  Vil:  «  Entre  autres  fut  accepté 
le  décret  de  causis,  lesquelles  toutes  furent  délaissées  au  jugement  de 
l'ordinaire  en  France.  Et  en  cas  d'appel  sujet  à  ressort  au  siège  de 
Rome,  par  juges  délégués  du  pays   aux  parties  de  France,  plus  ou 
autant  en  puissance  ordinaire  que  déléguée,  avec  défenses  de  n'en  tirer 
aucun  du  pays  de  France  en  cour  du  pape,  pour  occasion  quelconque, 
fors  pour  aucunes  y  mentionnées.  »  —  2°  Appel  au  futur  Concile.  L'his- 
toire ecclésiastique  nous  donne  d'assez  nombreux  d'exemples  de  ces 
sortes  d'appels.  Us  étaient  interjetés  par  des  princes,  des  villes,  ou 
même  des  particuliers  qui  refusaient  de  se  soumettre  aux  jugements 


APPEL  477 

portés  contre  eux  par  la  cour  de  Rome.  Ces  refus  étaient  devenus  fré- 
quents, surtout  dans  les  années  qui  suivirent  le  concile  de  Bàle.  Le  pape 
Pie  II  qui  venait  de  défendre  vigoureusement  la  cause  des  conciles  géné- 
raux contre  Eugène  IV,  mais  qui  devait,  quelques  années  plus  tard,  en 
1463,  publier  une  rétractation  solennelle  de  tout  ce  qu'il  avait  écrit, 
étant  évêque,  en  faveur  du  concile  de  Bàle,  choisit  ce  moment-là,  1459, 
pour  réclamer  ce  qu'il  lui  plaisait  d'appeler  les  droits  du  Saint-Siège, 
par  la  bulle  «  Execrabilis  ».  Il  insiste  sur  le  ridicule  qu'on  se  donne  en 
faisant  appel  à  un  futur  concile,  c'est-à-dire  à  ce  qui  n'a  pas  d'existence 
actuelle  et  se  trouve  incertain  à  tel  point  qu'on  ne  peut  dire  quand  cela 
sera.  «  Nonnulii  spù'itu  rebellionù  imbuti,  ad  futurum  consilium  provocare 
pr assumant. . .  l 'alentes  hoc pestiferum  virus  a  Christi ecclesia proculpellere, 
hujusmodi  provocationes  damnamus,  tanquam  erroneas  et  detestabiles  re- 
probamus.  »  Malgré  la  bulle,  l'appel  au  futur  concile  ne  fut  pas  aban- 
donné. L'empereur  Frédéric  II,  dans  ses  démêlés  avec  le  pape  Gré- 
goire IX,  avait,  le  premier,  donné  l'exemple,  en  1239.  Durant  le  schisme 
d'Occident  les  cas  deviennent  fréquents.  En  1393,  Boniface  VIII  ayant 
entrepris  sur  les  droits  temporels  de  la  couronne  de  France,  les  Etats 
assemblés,  le  roi,  le  clergé,  en  appellent  à  un  futur  concile  général. 
L'Université,  plusieurs  fois,  repousse  le  jugement  des  papes,  entre 
autres  de  Benoit  XI,  de  Pie  II,  de  Léon  X.  Les  gallicans  surtout  défen- 
dent et  conservent  avec  soin  le  droit  d'appel  au  futur  concile.  Pour 
eux,  c'est  une  conséquence  de  la  déclaration  de  1682.  Puisque  le  ju- 
gement du  pape  n'est  pas  irréformable,  si  le  consentement  de  l'Eglise 
n'intervient,  il  faut  toujours  que  l'on  puisse  appeler,  du  pape,  à 
l'Eglise  universelle.  Les  jansénistes,  sur  ce  point,  avaient  les  mêmes 
principes.  La  légitimité  de  l'appel  au  futur  concile  fut  reconnue  par  un 
pape.  Le  concile  de  Bàle,  dans  l'une  de  ses  premières  sessions,  ayant 
eu  à  juger  un  appel  de  ce  genre,  le  pape  Eugène  IV  vint  ensuite  et, 
dans  la  seizième  session,  il  approuva  tout  ce  qui  avait  été  fait  dans  les 
«essions  précédentes.  —  3°  Appel  comme  d'abus.  C'est  une  plainte  contre 
le  juge  ecclésiastique,  lorsqu'on  prétend  qu'il  a  excédé  son  pouvoir,  ou 
entrepris  en  quelque  manière  que  ce  soit  contre  la  juridiction  sécu- 
lière. Ce  genre  d'appel  date  de  la  pragmatique  de  saint  Louis.  Dans  le 
moyen  âge,  l'histoire  religieuse  de  la  France  n'est  remplie  que  par  la 
longue  énumération  des  interdits  qui  portaient  l'agitation  dans  les  pro- 
vinces. Ce  que  Louis  IX  voulut,  ce  fut  que  l'autorité  ecclésiastique  ne 
pût  faire  exécuter  ses  sentences  que  par  la  puissance  civile,  celle-ci 
examinant  si  elles  étaient  justes.  L'appel  comme  d'abus  ne  se  relevait, 
in  conséquence,  qu'en  cour  souveraine  et,  d'ordinaire,  en  Parlement. 
Il  pouvait  être  aussi  relevé  au  Conseil  du  roi  et  au  Grand  Conseil,  par 
ceux  qui  y  avaient  leurs  causes  commises.  La  nouvelle  procédure  ima- 
ginée par  saint  Louis  servit  admirablement  la  cause  de  la  liberté.  C'est 
derrière  ce  rempart  que  s'éleva  ce  qui  fut  appelé  plus  tard,  les  droits, 
franchises  el  privilèges  <!<•  l'Eglise  gallicane.  Aussi  les  plaintes  des  évê- 
ques  ne  cessent-elles  de  se  faire  entendre.  L'Editde  L695,  sousLouisXIV, 
qui  donne  dans  certains  cas  aux  ecclésiastiques  l'exécution  provisoire 
des  condamnations  prononcées,  n'est  qu'un  faible  remède  aumalqu'ils 


478  APPEL  —  APPENZELL 

prétendent  signaler.  Au  dix-huitième  siècle,  c'est  une  guerre  d'arrêts 
entre  le  Parlement  et  le  clergé,  les  parlements  allant  quelquefois  jus- 
qu'à prononcer  sur  des  questions  de  doctrine  et  de  discipline  ecclésias- 
tiques, et  même  sur  l'administration  des  sacrements.  De  nos  jours 
encore,  le  clergé  n'est  pas  réconcilié  avec  l'appel  comme  d'abus.  Na- 
guère, en  1845,  monseigneur  Affre,  archevêque  de  Paris,  publiait  un 
livre  pour  en  demander  la  suppression.  Cependant  la  législation,  sur 
la  matière,  n'a  plus  rien  de  vague  aujourd'hui.  Nous  pouvons  citer  la 
loi  organique  du  18  germinal  an  X,  art.  6  :  «  Il  y  aura  recours  au  Con- 
seil d'Etat  dans  tous  les  cas  d'abus  de  la  part  des  supérieurs  et  autres 
personnes  ecclésiastiques.  Les  cas  d'abus  sont:  l'usurpation  ou  l'excès 
de  pouvoir,  la  contravention  aux  lois  et  règlements  de  la  République, 
l'infraction  aux  règles  consacrées  par  les  canons  reçus  en  France,  l'at- 
tentat aux  libertés,  franchises  et  coutumes  de  l'Eglise  gallicane,  et  toute 
autre  entreprise  ou  tout  procédé  qui,  dans  l'exercice  du  culte,  peut  com- 
promettre l'honneur  des  citoyens,  troubler  arbitrairement  leur  con- 
science, dégénérer  contre  eux  en  oppression,  ou  en  injure,  ou  en  scan- 
dale public.  »  D'après  le  décret  du  25  mars  1813,  les  cours  impériales 
devaient  connaître  des   appels    comme  d'abus ,   mais  l'ordonnance 
du  29  juin  1814  les  rendit  au  Conseil  d'Etat.  Deux  appels  comme  d'abus 
ont  eu  lieu  en  1865.  Le  gouvernement  impérial  ayant  interdit,  comme 
portant  atteinte  aux  lois  fondamentales  de  la  France,  la  lecture  d'une 
partie  de  l'Encyclique  du  8  Décembre  1864,  et  àwSyllabus  errorum,  deux 
prélats,  monseigneur  de  Dreux-Brézé,  évêque  de  Moulins,  et  monsei- 
gneur Mathieu,  cardinal-archevêque  de  Besançon,  ne  tinrent  pas  compte 
de  cette  défense.  Les  décrets  rendus  contre  eux,  le  8  février,  contenaient 
ce  qui  suit:  «.  Le  Conseil  d'Etat  entendu,  il  y  a  abus  dans  le  fait  d'avoir 
donné  lecture  en  chaire  de  la  partie  de  la  Lettre-Encyclique  dont  la 
réception,  la  publication  et  la  mise  à  exécution,  n'ont  pas  été  autorisées 
par  nous  dans  l'empire  français.  » —  (Voy.  Acta  conciliorumet  Epistolas 
summorum  ponfificum,  par  le  Père  Harduin,  Paris,  1875,  12  vol.  in-f.  ; 
Antiquœ  collectiones  decretalium  cum  Antonii Augustini notis,  1  vol. ,  1609  ; 
Traité  des  droits  et  des  libertés  de  V Eglise  gallicane,  par  Pithou,  1731, 
4  vol.  in-f°  ;  Droit  public  ecclésiastique  français,  par  Dupin ,  Paris  1860. 

Jules  Aeboux. 
APPELANTS,  nom  donné  aux  évêques  et  autres  ecclésiastiques  qui 
avaient  interjeté  appel  au  [futur  concile  de  la  bulle  Unigenitus,  lancée 
par  le  pape  Clément  XI,  en  1713,  contre  le  livre  du  Père  Quesnel  (voy. 
Jansénisme). 

APPENZELL  (Histoire  religieuse  et  statistique  ecclésiastique).  Pen- 
dant tout  le  moyen  âge,  la  riche  abbaye  de  Saint-Gall  compta  le  pays 
d'Appenzell  parmi  ses  dépendances.  Mais  dès  1521  la  Réformation  y 
pénétra  et  y  lit  de  nombreuses  conquêtes.  Dès  1524,  la  plus  grande 
partie  du  pays  était  gagnée  au  mouvement.  Mais  les  éléments  de  résis- 
tance étaient  encore  assez  forts  pour  empêcher  toute  organisation 
durable.  Les  mesures  prises  en  1526  et  1529  ne  purent  tenir  longtemps, 
et  ce  ne  fut  qu'en  1544  qu'on  avisa  enfin  à  une  constitution  synodale 
définitive.  Cependant  les  portions  catholiques  d'Appenzell  n'avaient  pas 


APPENZELL  —  APT  479 

accepté  le  changement,  et,  après  bien  des  tiraillements  et  bien  des  luttes, 
il  fallut  en  venir  à  une  mesure  radicale.  Allié  des  cantons  suisses  dès 
U11,  Appenzell  était  lui-même  devenu  canton  en  1513.  En  1597,  on 
divisa  le  pays  en  deux,  et  tout  en  restant  un  dans  ses  rapports  avec  les 
Suisses,  il  forma  désormais  deux  républiques,  celle  des  Rhodes  exté- 
rieures qui  fut  protestante,  et  celle  des  Rhodes  intérieures,  catholique. 
Depuis  lors  chacune  d'elles  a  son  histoire  religieuse  séparée.  Les 
Rhodes  intérieures  ont  11,909  habitants  (1870)  dont  1 1,720  catholiques, 
188  réformés  et  1  individu  appartenant  à  une  secte  chrétienne.  Les  pa- 
roisses sont  au  nombre  de  dix  et  ressortissent  de  l'évêché  de  Saint- 
(iull.  Le  Cirand-Conseil  possède  [le  droit  de  collature  et  délivre  aux  ec- 
clésiastiques le  titulum  mensse.  Il  y  a  dans  le  pays  des  franciscains  et 
des  capucins.  Le  recensement  de  1870  attribue  aux  Rhodes  extérieures 
48,720  habitants.  C'est  de  beaucoup  le  canton  rural  le  plus  peuplé  de 
la  Suisse.  On  y  compte  46,175  réformés  et  2,338  catholiques.  Les  sectes 
chrétiennes  y  ont  171  habitants,  le  judaïsme  22.  La  constitution  du 
3  octobre  1858  contient  plusieurs  articles  se  rapportant  à  l'organisa- 
tion religieuse.  Art.  3.  Le  Grand-Conseil  est  chargé  de  veiller  à  la 
prospérité  de  l'Eglise  et  de  l'école...  Le  Grand-Conseil  établit  les  com- 
missions et  administrations  d'Eglise,  d'école...  Dans  la  règle,  chacune 
de  ces  commissions  et  administrations  devra  compter  au  moins  un 
membre  de  la  commission  d'Etat.  Art.  6.  Le  tribunal  matrimonial  est 
composé  de  six  membres  du  Grand-Conseil  et  de  trois  ecclésiastiques 
en  fonction  dans  le  pays.  Il  est  nommé  chaque  année  par  le  Grand-Con- 
seil. Art.  7.  Le  synode  se  compose  des  sept  fonctionnaires  nommés 
par  la  Landsgemeinde,  des  pasteurs  en  fonction  dans  le  pays,  et  de  tous  les 
citoyens  de  la  profession  ecclésiastique,  admis  par  le  synode  et  qui  ont 
même  qualité  pour  siéger.  Le  synode  se  réunit  ordinairement  une  fois 
l'an,  alternativement  àTrogen  et  à  Hérisau.Il  nomme  pour  une  année, 
librement  et  dans  son  sein,  le  doyen  qui  dirige  le  synode.  Les  compé- 
tences du  synode  sont  déterminées  par  un  statut  dont  les  dispositions  de- 
vront être  agréées  par  le  Grand-Conseil.  Art.  15.  La  religion  évangélique 
réformée  est  la  religion  du  pays.  Il  est  expressément  recommandé  à 
tous  les  protestants  d'assister  régulièrement  au  service  divin,  de  s'appro- 
cher de  la  Sainte-Cène  et  de  célébrer  dignement  les  dimanches  et  fêtes. 
Ces  jours-là,  cesseront  tous  les  travaux  qui  pourraient  empêcher  l'édi- 
fication et  déranger  le  service  religieux.  Le  libre  exercice  du  culte  ca- 
tholique est  garanti  selon  l'art.  44  du  pacte  général.  Les  paroisses  au 
nombre  de  19,  avec  20  pasteurs,  ont  à  leur  tête  un  conseil  de  paroisse 
composé  de  7  à  24  membres ,  élus  par  tous  les  paroissiens.  Ceux-ci 
élisent  roulement  leurs  pasteurs  et  peuvent,  s'ily  a  lieu,  les  soumettre  à 
nVI.<  tion.  Les  traitements  des  pasteurs  varient  entre  954  et  2121  francs. 
Le  rationalisme  règne  en  maître  dans  le  pays.  —  Bibliographie1:  Alma- 
naelis  officiels;  Finskr,  Kirchliche  Statistik  der  réf.  Schweiz. 

E.  Vauchek. 
APT  (Yaucluse)  [Apta  Julio]    a  possédé  jusqu'à  la   Révolution    un 
»'v<viié  sufragant  d'Aix.  Ses  évéques  portaient  le  titre  de  prince».  La 
cathédrale,  qui  fut  restaurée  en  991  et  en  1050,  était  autrefois  sous  le 


480  AQUAVIVA  —  AQUILA 

vocable  de  Notre-Dame  et  de  saint  Castor  (ce  saint  fut  évêque  d'Apt 
vers  419,  il  est  fêté  le  21  septembre),  mais  elle  a  pris  le  nom  de  Sainte 
Anne,  dont  elle  contient  les  reliques.  Saint  Auspice,  martyr,  dont  la 
la  tradition  fait  un  sénateur  romain,  est  cité  comme  le  premier  évêque 
d'Apt  (2  août).  Un  synode  fut  tenu  dans  cette  ville  en  1365  (Mansi, 
XXVI;  Hefele,  VI,  619;  tr.  fr.,IX,605;  Gallia,!;  Boze,  Htst.de l'Eglise 
d'Api,  Apt,  1820,  in-8). 

AQUAVIVA  (Claude),  Napolitain,  fils  du  duc  d'Atri,  entra  en  1567,  à 
vingt-cinq  ans,  dans  la  Société  de  Jésus,  et  il  en  fut  le  général  de  1581 
jusqu'à  Tannée  1615,  où  il  mourut.  Son  histoire  se  confond  avec  celle 
de  la  Compagnie,  qui  doit  à  l'habileté  de  son  général,  poussée  jus- 
qu'au génie,  rétablissement  de  sa  puissance  en  Europe  et  particulière- 
ment en  France.  Aquaviva  se  vit  attaquer  avec  passion  par  son  Ordre 
même,  et  Mariana  se  fit  l'organe  de  la  haine  des  Espagnols  contre  lui  ; 
mais  il  sut  sortir  victorieux  de  la  grande  Congrégation  de  1592,  con- 
voquée pour  sa  ruine.  Le  meurtre  d'Henri  IV  l'obligea  de  publier  un 
décret  «  contre  la  pernicieuse  doctrine  d'attenter  aux  sacrées  personnes 
des  rois  »,  mais  il  ne  faisait  que  défendre  de  prêcher  publiquement  le 
régicide,  et  il  avait  lui-même  approuvé  une  édition  du  trop  fameux 
livre  de  Mariana.  On  doit  à  Aquaviva  les  Industrie  pro  super  ioribus,  con- 
seils pour  la  direction  de  la  Compagnie  (1606),  et  la  célèbre  Ratio  stu- 
diorura,  qui  fut  rédigée  de  son  autorité  en  1584  ;  ses  épitres  ont  été  im- 
primées en  1615  avec  celles  des  autres  généraux.  —  Voy.  l'Historio- 
graphie de  la  Société,  pars  V,  par  les  PP.  Sacchini  et  Jouvency  et 
Southwell,  Bibl.  soc.  Jesu. 

AQUILA  et  PRISCILLE  ('AxùXaç;  Ilptaxa,  dimin.  Iïpitr/iXXa,  noms 
d'apparence  et  probablement  d'origine  latine  =  Aquila  etPrisca,  Pris- 
cilla),  couple  apostolique  que  nous  trouvons  attaché  à  la  personne  et  à  la 
cause  de  Paul,  à  partir  de  l'arrivée  de  ce  dernier  à  Corinthe  dans  son 
second  voyage  missionnaire  (Act.  XVIII,  23).  Le  métier  manuel  qu'ils 
exerçaient,  le  même  que  celui  de  Paul,  ij>«jvo7uotoç  (faiseur  de  tentes),  a 
été  sans  doute  la  cause  de  leurs  premières  relations.  L'apôtre  les  fait 
saluer  dans  plusieurs  de  ses  épitres  (Rom.  XVI,  3;  1  Cor.  XVI,  19; 
2  Tim.  IV,  19).  Juif  de  naissance  et  originaire  du  Pont,  Aquila  s'était 
d'abord  établi  à  Rome,  qu'il  dut  quitter  à  la  suite  d'un  édit  de  Claude, 
expulsant  tous  les  Juifs  de  cette  ville.  C'est  en  arrivant  à  Corinthe 
qu'il  rencontra  Paul;  il  partit  avec  lui  et  l'accompagna  jusqu'à Ephèse 
(Act.  XVIII,  18) ,  où  il  demeura  avec  sa  femme.  Apollos  y  fit  leur 
connaissance  et  fut  initié  par  eux  à  la  doctrine  de  Paul  (Act. 
XVIII,  24).  Si  Rom.  XVI  appartenait  réellement  à  l'épître  aux  Ro- 
mains, il  faudrait  admettre  qu' Aquila  et  Priscille  étaient  retournés  à 
Rome  et  y  avaient  précédé  Paul.  Mais  comme  il  est  probable  que  nous 
avons  ici  les  derniers  feuillets  d'une  autre  épître  adressée  à  Ephèse  ou 
àf  une  Eglise  d'Asie,  et  que,  d'ailleurs,  d'après  2  Tim.  IV,  19,  ils  pa- 
raissent encore  être  à  Ephèse,  il  est  vraisemblable  qu'ils  n'auront  plus 
quitté  cette  ville.  La  fin  de  leur  vie  est  inconnue. 

AQUILA  ('AxùXaç),  traducteur  grec  de  l'Ancien  Testament,  né  à  Si- 
nope,  dans  la  province  du  Pont,  était  un  prosélyte  juif.  C'est  la  seule 


AQUILA  481 

particularité  certaine  que  nous  connaissions  de  la  vie,  d'ailleurs  assez 
obscure,  de  cet  auteur  (Iren.,  adv.  H;vr.,\\\,  24;  Euseb.,  H  is  t.  ceci.,  Y, 
8;  Dem.,  Evang.,  VII,  1;  Hieron.,  Ep.  ad  Pammach.  Calai,  script, 
ceci.,  c.  54).  D'après  Epiphane  (De  ponderibus  et  mensuris,  c.  15), 
Aquila  fut  instruit  dans  la  religion  chrétienne  à  Jérusalem,  où  il  reçut 
même  le  baptême;  mais  s'étant  ensuite  livré  à  l'astrologie  judiciaire,  il 
fut  excommunié.  Par  ressentiment  contre  les  chrétiens,  il  embrassa  le 
judaïsme,  apprit  l'hébreu  et  traduisit  en  grec  l'Ancien  Testament  à 
l'usage  des  Juifs.  Ce  rapport  d'Epiphane  n'est  pas  authentique.  La  ver- 
sion très-littérale  d'Aquila  (Orig.,  Ep.  ad  Jul.  Afric.)  fut  la  première, 
qui  suivit  celle  des  Septante.  Elle  parut  probablement  sous  Adrien 
vers  130  (Justin,  Dial.  c.  Tryph.,  c-71).  Cette  version  n'est  pas  favorable 
aux  chrétiens.  On  remarque ,  en  effet ,  plusieurs  passages  interprétés 
avec  une  partialité  malveillante  dans  un  sens  contraire  à  la  doctrine 
chrétienne  (Hieron.,  Ep.  ad  Pammach.;  cf.  Justin,  Dial.  c.  Tryph. , 
c.  71;Epiph.,  De  pond,  et  mens.,  c.  15;  Iren.,  adv.  Hxr. ,lll,c.  24).  Une 
preuve  évidente  de  ce  fait,  c'est  que  les  Juifs  préféraient  cette  ver- 
sion à  celle  des  Septante  (Aug.,  De  civ.  Dei,  XV,  23).  Aquila  a-t-il, 
comme  on  Ta  dit,  fait  une  deuxième  édition  corrigée  de  son  ouvrage? 
Cela  n'est  pas  probable.  On  a  tort  de  confondre  Aquila  avec  le  Targu- 
miste  Onkelos.  Il  ne  nous  reste  de  cette  traduction  que  quelques  mor- 
ceaux conservés  par  Flaminius  Nobilis,  Drusius  et  Montfaucon.  On  les 
trouve  dans  Dath,  Opuscula,  Lips.,  1746.  Ign.  Moshakis. 

AQUILA  [Adler]  (Gaspard)  naquit  à  Augsbourg,le  7  août  1488.  Pen- 
dant un  séjour  en  Italie  il  eut  des  rapports  avec  les  humanistes  les  plus 
célèbres  ;  il  se  lia  d'amitié  avec  Erasme,  à  Rome,  où  son  éloquence  le 
lit  nommer  prédicateur.  En  1515,  il  fut  chapelain  dans  l'armée  de  son 
ami  Fr.  de  Sikingen,  qui  lui  confia  plus  tard  l'éducation  de  ses  enfants. 
Devenu,  en  1516,  pasteur  àJenga,prèsd'Augsbourg,  il  se  maria  et  pro- 
pagea, l'année  suivante,  les  thèses  de  Luther.  L'évêque  d'Augsbourg 
le  lit  enfermer  dans  un  cachot  souterrain,  et  il  n'échappa  à  la  mort 
que  par  l'intervention  de  la  reine  de  Hongrie,  Marie,  sœur  de  Charles- 
Quint.  Il  alla  à  AVittemberg,  où  il  suivit  les  cours  de  Luther  et  de  Mé- 
lanchthon,  et  devint  magister  en  1521.  Il  y  enseigna  l'hébreu,  aida 
Luther  dans  sa  traduction  de  la  Bible,  et  jouit  de  l'estime  et  de  l'affection 
du  réformateur,  qui  disait  :  «  Si  l'on  perdait  la  Bible,  je  la  retrouverais 
chez  Aquila.  »  En  1527,  il  fut  prédicateur  à  Saalfeld,  où  il  s'appliqua 
surtout  à  l'organisation  des  écoles.  Il  devint  surintendant  du  cercle  de 
Thuringe  et  assista  en  1530  à  la  diète  d'Augsbourg;  il  eut  avec  son 
collègue  Jacob  Sîegelune  controverse  ardente  sur  la  doctrine  de  la  Loi; 
Luther,  qui  rétablit  la  paix  entre  eux,  écrità  Menius  en  1539:  Aquitain 
memini  ita  fuisse zelotendecalogi,  ut  inde  Moses  appellaretur .  Après  la  mort 
du  réformateur,  il  consola  son  Electeur  dans  sa  captivité,  s'éleva  forte- 
ment contre  L'Intérim  et  s'attira  ainsi  la  colère  de  Charles-Quint,  qui 
omit  5,000  florins  à  qui  le  lui  livrerait  mort  ou  vif.  Il  put  s'échap- 
per, lui  comme,  en  1550,  doyen  à  Smalcalde,  et  en  1552,  quand  l'élec- 
teur redevint  libre,  il  reprit  sa  place  à  Saalfeld;  il  assista,  eu  1557, 
à  l'inauguration  de  L'Université  d'Iéna,  devint  membre  du  consistoire 


482  AQUILÉE  —  ARABES 

de  Weimar,  et  mourut  peu  après,  le  12  novembre  1560.  Il  a  publié  des 
sermons  et  des  écrits  polémiques  contre  l'Intérim.  On  a  réimprimé  onze 
sermons  pour  les  enfants  (Kurze  aber  zur  Seligkeit  hochnœthige  Frage- 
stùcke  der  ganzen  christlichen  Lehrè).  Ch.  Pfendee. 

AQUILÉE  [en  allemand:  Aglar],  célèbre  patriarcliat.  Cette  puissante 
Eglise,  qui  faisait  remonter  son  origine  à  saint  Marc,  ne  craignit  pas  de 
se  poser  en  rivale  de  Rome.  Dès  381,  un  synode,  réuni  à  Aquilée,  sous 
la  direction  d'Ambroise,  pour  la  condamnation  de  l'arianisme,  recon- 
nut à  saint  Valérien,  l'évêque  de  cette  ville,  l'autorité  de  métropolitain. 
En  557,  l'archevêque  Paulin  prit  le  titre  de  patriarche  dans  un  synode 
tenu  à  Aquilée.  Cette  assemblée  osa  s'élever  contre  les  décisions  que  le 
concile  de  Constantinople  avait  prises  dans  la  querelle  des  trois  chapi- 
tres. Ce  fut  le  signal  d'un  schisme  de  cent  cinquante  ans.  Favorisé  par 
les  Lombards,  qui  étaient  ariens,  le  schisme  ne  cessa  qu'en  698,  lors- 
que les  rois  des  Lombards  se  furent  rapprochés  de  Rome.  Après  la 
.  chute  de  l'empire  lombard,  les  patriarches  d 'Aquilée  soutinrent  con- 
stamment les  empereurs  contre  les  papes.  En  606,  afin  de  s'éloigner  de 
Grado  où  le  pape  avait  créé  un  évêché  rival  d'Aquilée,  ils  avaient  pris 
résidence  près  de  Cividale  ;  ils  s'établirent  ensuite  dans  cette  dernière 
ville,  à  Udine.  Parla  conquête  vénitienne  de  1420,  le  patriarcliat  d'Aqui- 
lée perdit  ses  possessions  temporelles;  en  1752,  il  fut  partagé  en  deux 
archevêchés,  ceux  de  Goerz  et  d'Udine.  —  Voy.  de  Rubeis,  Monum. 
Eccl.  AquiL,  Arg.,  1740,  in-f°;  Ugheili,  Ital.  Sacra^;  Czoernig,  Goerz, 
1873,  Vienne,  in-8. 

ARABES  (Philosophie  religieuse  des).  L'historien  Ritter  a  dit  avec 
beaucoup  de  justesse  que  la  philosophie  fut  seulement  un  épisode  dans 
la  vie  des  Arabes;  les  écrits  de  leurs  savants  eurent  pour  rôle  principal 
de  transmettre  aux  nations  de  l'Occident  l'aristotélisme,  dans  un  mo- 
ment où  ce  système  pouvait  donner  une  puissante  impulsion  aux  tra- 
vaux des  docteurs  scolastiques. —  Des  discussions  religieuses  s'élevèrent 
de  bonne  heure  au  sein  de  l'islamisme;  elles  étaient  provoquées  par  la 
diversité  des  populations  soumises  brusquement  à  la  loi  nouvelle  et  par 
le  caractère  éclectique  du  Coran,  qui  avait  fait  bien  des  emprunts  au 
judaïsme  ainsi  qu'au  christianisme.  Il  y  eut  donc,  avant  même  que  les 
Arabes  fussent  initiés  aux  spéculations  de  la  Grèce,  des  sectes  ou  écoles 
qui  cherchaient  à  systématiser  l'enseignement  du  texte  sacré.  Tels 
furent  les  Kadntes  (Kadr,  pouvoir,  libre  arbitre),  qui  n'admettaient  pas 
que  Dieu  décrétât  les  actions  mauvaises  ;  les  oeuvres  bonnes  ou  mau- 
vaises procèdent  donc  de  la  volonté  de  l'homme  :  «  Les  choses  sont 
entières  »,  disaient-ils.  Leurs  adversaires,  les  Djabarites  (Djaba?%  con- 
trainte), étaient  plus  orthodoxes,  en  affirmant  le  fatalisme;  mais  ils 
insistèrent  sur  l'unité  de  Dieu,  au  point  de  refuser  à  l'Eternel  des  attri- 
buts distincts.  Une  autre  secte  s'éleva  contre  eux,  celle  des  Cifatites- 
(Ci fat,  attribut),  qui  prit  à  la  lettre  les  anthropomorphismes  du  Coran. 
Les  diverses  écoles  prétendaient  être  fidèles  à  la  révélation;  aussi 
désigna-t-on  sous  le  nom  de  Calam  (parole)  cette  science  dogmatique, 
et  les  docteurs  qui  la  professaient  furent  appelés  Motecallemin.  Vers  la  fin 
de  la  dynastie  des  Ommiades,  il  se  forma  au  sein  du  Calam  une  branche 


ARABES  483 

plus  libérale,  celle  des  Motazales  (dissidents),  qui  comptèrent  vingt 
subdivisions,  unies  toutefois  par  quelques  principes  communs  :  l'unité 
de  Dieu  n'admet  pas  la  diversité  des  attributs  (doctrine  desDjabarites); 
en  vertu  de  la  transcendance  de  Dieu,  les  actions  des  hommes  ne  sont 
pas  déterminées,  nous  sommes  responsables  de  nos  actes  (doctrine  des 
Kadrites);  puisqu'il  n'y  a  pas  deux  Etres  éternels,  le  Coran  ne  saurait 
être  incréé;  les  connaissances  nécessaires  au  salut  peuvent  être  acquises 
par  les  seules  lumières  de  la  raison,  avant  comme  après  la  révélation, 
en  sorte  qu'elles  sont  obligatoires  pour  tous  les  hommes.  Ces  ensei- 
gnements, combattus  par  le  Calam  orthodoxe,  furent  exclus  de  l'isla- 
misme. Cependant  les  discussions  qu'ils  provoquèrent  avaient  exercé 
les  docteurs  à  la  dialectique  et  fait  surgir  une  foule  de  problèmes  aux- 
quels le  Coran  ne  fournissait  pas  de  solution.  —  Plusieurs  califes  de  la 
dynastie  des  Abassides,  notamment  Al-Mamoun  (813-833)  et  Al-Mo- 
tawackel  (847-861),  encouragèrent  les  travaux  scientifiques,  fondèrent 
des  bibliothèques,  ouvrirent  des  écoles  et  favorisèrent  la  traduction  des 
écrits  des  Grecs.  Les  traités  de  médecine  excitaient  le  plus  d'intérêt,  et 
dans  le  cours  de  cette  histoire,  nous  remarquons  une  intime  soli- 
darité entre  la  médecine  et  la  philosophie  ;  tandis  que  les  Motecalle- 
min  cumulaient  la  théologie  et  la  jurisprudence,  les  philosophes 
furent  médecins.  En  seconde  ligne  venaient  les  ouvrages  de  physique, 
de  mathématique,  d'astronomie,  qui  devaient  aider  aux  calculs  astro- 
logiques. Ces  traductions  furent,  pour  la  plupart,  faites  par  des  chré- 
tiens et  des  juifs  de  la  Syrie  ou  de  la  Chaldée  ;  fort  peu  de  philosophes 
arabes  connurent  les  textes  originaux.  Dans  la  pensée  des  Grecs,  toutes 
les  connaissances  étaient  reliées  par  une  science  centrale,  la  philosophie, 
et  les  Arabes  furent  ainsi  amenés  à  s'enquérir  des  spéculations  de 
l'hellénisme.  Ce  fut  vers  Aristote  que  leur  prédilection  se  porta;  Platon 
ne  leur  fournissait  pas  d'aussi  abondants  matériaux  pour  l'étude  de  la 
nature,  et  une  partie  seulement  de  ses  œuvres  fut  mise  à  la  portée  des 
Arabes.  Toutefois,  en  même  temps  qu'on  s'appropriait  les  travaux  du 
Stagirite,  on  traduisait  aussi  les  commentaires  de  savants  appartenant 
à  une  période  postérieure,  celle  du  syncrétisme  alexandrin,  Yhagoge 
de  Porphyre,  les  écrits  d'Alexandre  d'Aphrodisée,  de  Thémiste,  de 
Philopon,  et  la  pensée  d'Aristote  ne  fut  entrevue  de  la  plupart  des 
Arabes  qu'au  travers  des  interprétations  néoplatoniciennes  ;  mais  Aris- 
tote n'en  demeura  pas  moins  le  maitre  incontesté.  D'autre  part,  comme 
oji  ne  pouvait  attaquer  ouvertement  l'autorité  du  Coran,  la  tâche  des 
philosophes  fut  compliquée  par  la  nécessité  d'accorder,  de  la  manière 
là  plus  plausible,  les  saints  enseignements  avec  la  doctrine  philosophique. 
—  Nous  avons  peu  de  renseignements  sur  le  plus  ancien  des  philo- 
sophes,^ IrMendi;  né  d'une  famille  princière,  à  la  lin  du  huitième  siècle, 
il  étudia  à  Bagdad,  àBassora;  il  doit  avoir  possédé  toutes  les  sciences 
de  la  Grèce  et  de  L'Orient,  Il  ouvrit  la  voie  en  traduisant,  sur  le  texte 
Original) les  écrits  d'Aristote;  il  les  commentait  par  là  il  mérite  d'être 
considéré  comme  le  patriarche  de  la  philosophie  arabe.  Environ  un 
siècle  plus  tard.  Fartibi  (.t/-),  né  à  Farab,  dans  le  Turkestan,  étudia  la 
philosophie  à  Bagdad  :  à  Barran,  il  eut  pour  maitre  de  logique  un  mé- 


484  ARABES 

decin  chrétien  nommé  Jean;  après  avoir  vécu  à  la  cour  d'un  prince 
d'Alep,  il  fut  un  des  professeurs  les  plus  éminents  de  Damas,  où  il 
mourut  en  Tan  950.  Quoiqu'il  ait  commenté  les  ouvrages  d'Aristote, 
notamment  r Organon,  et  qu'il  ait  montré  une  grande  prédilection  pour 
la  logique,  Farabi  s'occupa  aussi  de  Platon;  il  publia  une  étude  com- 
parée des  deux  philosophes,  et  le  fond  de  sa  pensée  fut  néplatonicien  : 
L'univers  est  une  émanation  de  Dieu  à  des  degrés  divers,  jusqu'à  la 
matière  première  qui  constitue  la  limite  inférieure  de  l'existence;  les 
choses  corporelles  ne  sont  que  des  idées  troublées  et  confuses  ;  il  faut 
nous  élever  du  sensible  au  [principe  divin,  et  cela  au  moyen  de  la 
spéculation,  notre  intellect  s'unissant  à  cette  puissance  universelle  qui 
s'appelle  l'intellect  actif,  de  manière  à  acquérir  la  science  absolue. 
Nous  trouvons  déjà  chez  Farabi  cette  doctrine  qui  sera  professée  par 
tous  les  péripatéticiens  arabes,  que  les  événements  de  cette  terre  sont 
régis  par  les  mouvements  des  constellations  ;  ces  sphères  célestes  sont 
les  causes  secondes  par  lesquelles  Dieu  entre  en  rapport  avec  le  monde 
sublunaire  ;  l'astrologie  devient  ainsi  un  chapitre  de  la  métaphysique. 
Si  notre  intellect  est  admis  à  s'unir  au  principe  éternel,  l'àme,  par 
contre,  impuissante  à  concevoir  les  idées  abstraites,  ne  peut  prétendre 
à  l'immortalité;  du  reste,  ce  point  de  doctrine  reste  obscur  chez  la 
plupart  des  philosophes  arabes.  De  plus,  il  est  probable  que  Farabi 
partagea  la  prédilection  des  néoplatoniciens  pour  les  doctrines  orien- 
tales; Ritter  pense  qu'il  s'adonna  à  la  contemplation  mystique  prati- 
quée par  les  Soufis  (voy.  ce  mot).  Pour  la  doctrine  de  Farabi,  voir  son 
traité  :  Fontes  quœstionum,  publié  dans  les  Documenta  philosophix  ara- 
fyum,  de  Schmœlders,  1836.  Avicenne  (Ibn-Sina),  né  en  980,  dans  la 
province  de  Bokhara,  montra  de  bonne  heure  de  grandes  dispositions 
pour  l'étude;  il  suivait,  entre  autres,  les  leçons  de  médecine  d'un  chré- 
tien, Isa  ben-Yahya,  puis  mena  une  vie  orageuse,  jouissant  parfois  de 
la  faveur  des  princes,  parfois  poursuivi  comme  criminel  et  jeté  dans  les 
prisons,  trouvant  le  temps  de  composer  plus  de  cent  ouvrages,  et  hâtant  sa 
fin  par  des  excès  de  tout  genre;  il  mourut  à  Hamadan  en  1037.  Outre  son 
Canon  de  médecine,  qui  fut  commenté  jusqu'au  dernier  siècle  dans 
quelques  académies  de  l'Occident,  il  rédigea  une  grande  Encyclopédie 
en  dix-huit  volumes,  intitulée  al  Schefa  (guérison),dontil  fit  un  abrégé: 
al  Nadjah  (délivrance),  imprimée  à  Rome,  1593.  Les  divers  écrits  phi- 
losophiques qui  ont  été  traduits  en  latin  sont  tirés  de  ces  deux  ouvrages 
(voy.  Fédit.  de  Venise  :  Avicennœ  peripatetici  philosophi  ac  medicorum 
facile  primi  opéra...  nuper  quantum  ars  niti  potuit  per  canonicos 
emendata,  1495).  Pour  la  logique  et  la  classification  des  sciences,  Avi- 
cenne élucide  et  complète  Aristote.  Plus  fidèle  au  maître  que  ne  l'avait 
été  Farabi,  Ibn-Sina  considère  la  matière  non  comme  la  limite  extrême 
des  émanations,  mais  comme  la  condition  des  existences  sublunaires, 
le  support  de  tous  les  êtres  qui  sont  simplement  possibles,  matière  qui 
n'est  que  passive  mais  qui  subsiste  par  elle-même.  Mais  Avicenne  aussi 
cherche  à  combler  l'abîme  entre  l'Eternel  immuable  et  les  êtres  con- 
tingents par  des  intermédiaires,  les  intelligences  des  sphères  célestes, 
qui  ne  naissent  ni  ne  périssent,  qui,  n'étant  que  possibles  par  elles- 


ARABES  485 

mêmes,  reçoivent  de  leurs  rapports  avec  la  cause  première  la  qualité 
d'êtres  nécessaires.  La  cause  première  étant  l'unité  absolue,  ne  peut 
avoir  pour  effet  que  l'unité,  et  cependant  de  cette  unité  émane  une 
sphère  environnante  qui  est  composée,  puisque  son  intelligence  a  pour 
objet  la  cause  première  et  elle-même  ;  cette  sphère  agit  sur  une  deuxième, 
et  ainsi  de  suite  jusqu'aux  degrés  inférieurs  où  la  vie  est  moins  intense 
et  dont  les  êtres  sont  changeants,  périssables.  Tandis  que  la  connais- 
sance de  Dieu  ne  porte  que  sur  les  choses  universelles,  car  s'il  connais- 
sait les  contingentes,  il  y  aurait  changement  dans  sa  pensée,  dans  son 
essence,  la  connaissance  des  choses  particulières  est  accordée  sinon  aux 
intelligences  des  sphères  célestes,  du  moins  à  leurs  âmes,  douées  d'une 
faculté  d'imagination  dont  les  objets  se  multiplient  à  l'infini.  L'obser- 
vation des  choses  visibles  ne  nous  procure  que  des  notions  de  l'ordre 
sensible  ;  mais  en  s'y  appliquant  avec  méthode  et  en  se  purifiant  des 
désirs  et  des  passions  terrestres,  notre  âme  se  prépare  à  recevoir  l'in- 
tellect actif,  le  moteur  divin  qui  illumine  immédiatement  notre  intelli- 
gence et  nous  procure  la  connaissance  des  principes  supérieurs  ;  la 
véritable  perfection  de  l'âme  rationnelle,  c'est  de  devenir  un  monde 
intellectuel  dans  lequel  se  reflètent  les  substances  spirituelles,  la  cause 
première,  la  forme  de  tout  ce  qui  est.  Il  y  a  même  des  âmes  qui  n'ont 
besoin  d'aucune  étude  préliminaire  pour  recevoir  ces  communications 
de  l'intellect  actif;  tels  furent  les  prophètes.  Du  reste,  Avicenne  déclare 
qu'il  a  exposé  sa  vraie  doctrine  dans  un  ouvrage  qui  est  perdu,  le  Livre 
de  la  philosophie  orientale;  nous  ne  pouvons  juger  dans  quelle  mesure 
ce  livre  complétait  ou  modifiait  la  doctrine  exposée  dans  les  deux  En- 
cyclopédies. Avicenne  a  dû  surtout  sa  renommée  à  son  rôle  d'inter- 
prète d'Aristote;  c'est  à  ce  titre  qu'il  a,  selon  l'expression  de  Brucker 
(Hist.  crû.  phil.  III,  p.  88),  «  régné  jusqu'à  la  Renaissance  chez  les 
Arabes  comme  chez  les  chrétiens,  non  pas  seul,  il  est  vrai  ».  La  philo- 
sophie était  arrivée  à  son  apogée  dans  l'islamisme  oriental  ;  elle  provo- 
qua une  réaction  énergique  sur  le  terrain  même  delà  spéculation.  Algazel 
(Al-Gazali),  né  en  1038,  dans  le  Khoraçan,  après  avoir  professé  à  Bag- 
dad, fit  le  pèlerinage  de  la  Mecque,  puis  se  consacra  tour  à  tour  à  l'en- 
seignement et  à  la  vie  contemplative;  il  mourut  l'an  1111.  Après  avoir 
vainement  cherché  la  vérité  dans  les  divers  systèmes  de  philosophie, 
il  la  trouva  enfin  dans  le  mysticisme  des  Soufis.  Son  scepticisme  lui 
inspira  deux  ouvrages:  Y un,  Makacid  al  falasi 'fa  (tendance  des  philo- 
sophes), fut  un  exposé  de  la  logique,  de  la  métaphysique  et  de  la 
physique  péripatéticiennes,  surtout  d'après  Avicenne;  cet  ouvrage  fut 
traduit  en  latin  audouzième  siècle,  sauf  l'introduction,  où  l'auteur  déclare 
qu'avant  d'aborder  la  réfutation  des  philosophes,  il  veut  présenter  im- 
partialement leurs  doctrines.  Le  second,  Tehafot  al  falasifa  (destruction 
des  philosophes),  démontre  l'erreurdes  philosophes,  quand  ils  affirment 
r éternité  de  la  matière  et  du  monde;  quand  ils  se  flattent  de  prouver 
l'existence  de  Dieu  et  son  unité;  quand  ils  enseignent  que  la  cause 
première  est  un  être  abstrait,  sans  attributs,  ne  connaissant  pas  les 
choses  particulières,  dont  le  gouvernement  serait  livré  aux  âmes  des 
sphères  ;  quand  ils  nient  la  résurrection  des  morts,  le  paradis  et  l'enfer. 


486  ARABES 

Dans  ses  traités  de  morale  et  de  dévotion,  Algazel  montre  que  c'est  non 
par  la  science  mais  par  la  voie  pratique,  en  nous  unissant  à  Dieu  dans 
le  pur  amour,  que  nous  arrivons  à  l'illumination,  qui  nous  permet  de 
contempler  Dieu,  toutes  les  choses  universelles  et  particulières  ;  c'est 
la  voie  dans  laquelle  nous  précédèrent  les  prophètes  et  les  saints.  Ces 
écrits  lui  valurent  le  surnom  d'Ornement  de  la  religion,  de  Preuve 
de  l'islamisme.  Les  écrits  ésotériques  d'Algazel  ne  parvinrent  même 
pas  en  Espagne  ;  nous  ne  savons  jusqu'à  quel  point  il  adopta  l'idée  de 
l'absorption  de  Dieu  et  le  panthéisme  de  certaines  sectes  de  l'Orient.  Il 
déclare  que  c'est  dans  la  société  des  Soufis  qu'on  trouve,  dans  sa  plus 
grande  sincérité,  la  triple  croyance  en  un  seul  Dieu,  en  son  prophète 
et  au  jugement  dernier;  mais  le  soufisme  a  largement  pratiqué  le 
système  de  l'accommodation  aux  doctrines  officielles.  Avec  Algazel,  la 
première  période  de  la  philosophie  arabe,  celle  des  écoles  de  l'Orient, 
est  close.  —  En  Espagne,  la  philosophie  commença  par  réagir  contre 
l'enthousiasme  d'Algazel,  en  revenant  à  l'étude  de  la  nature.  Avempace 
(Ibn-Badja) ,  né  à  Saragosse  à  la  lin  du  onzième  siècle,  vécut  à  Séville,  où 
il  jouit  de  la  faveur  des  princes  Almoravides,  et  mourut  l'an  1138.  Il 
écrivit  des  commentaires  sur  Aristote,  une  Lettre  sur  le  véritable  but 
de  V existence  humaine,  qui  est  de  s'approcher  de  Dieu  et  de  s'unir  à 
lui,  union  qui  se  réalise  non  par  l'exaltation  mystique,  mais  par  la 
connaissance,  par  la  conjonction  qui  s'établit  entre  notre  intellect  et 
l'intellect  actif  ;  un  secours  qui  vient  d'en  haut  est  nécessaire  à  cet 
effet.  Un  autre  livre,  le  Régime  du  solitaire,  c'est-à-dire  du  sage  qui 
s'isole  des  influences  mauvaises  de  la  société,  contient  le  tableau  d'un 
Etat  parfait,  où  les  juristes  et  les  médecins  seront  inutiles.  Tofaïl 
{Ibn-),  né  en  Andalousie  au  commencement  du  douzième  siècle,  fut  vizir 
et  médecin  de  Yousouf,  deuxième  roi  de  la  dynastie  des  Almohades;  il 
mourut  à  Maroc  en  1185.  Le  seul  ouvrage  conservé  de  lui  est  un  roman 
philosophique,  Hay  Ibn-Yakdhan  (le  vivant,  fils  du  vigilant);  c'est 
encore  un  solitaire.  Hay,  né  par  une  sorte  de  génération  spontanée, 
dans  une  île  déserte,  et  nourri  par  une  gazelle,  s'instruit  seul  et  arrive 
à  discerner  dans  la  variété  des  objets,  la  matière  et  la  forme,  et  au- 
dessus  de  cette  terre,  les  sphères  célestes  et  l'agent  universel,  le  seul 
vrai  être,  qui  unit  tout.  L'intelligence  humaine,  incorporelle,  vraie 
substance,  ne  naît  ni  ne  périt;  elle  est  appelée  à  se  dégager  des  choses 
visibles  et  du  trouble  des  sens,  pour  s'identifier,  par  le  seul  exercice 
de  la  méditation,  avec  l'être  suprême  ;  ici  le  mysticisme  reprend  ses 
droits,  mais  avec  plus  de  sobriété  que  chez  Algazel.  A  cinquante  ans, 
Hay  voit  arriver  un  pieux  musulman  qui  lui  fait  connaître  l'islamisme, 
et  les  deux  solitaires  constatent  que  si  l'on  écarte  les  images  et  les 
symboles  du  Coran  pour  pénétrer  jusqu'au  sens  intime,  la  religion  et 
la  philosophie  enseignent  la  même  vérité.  Ce  livre  fut  traduit  en  latin 
par  E.  Pococke,  Philosophus  autodidactus,  1671,  et  en  plusieurs  langues 
modernes.  Âverroës  (Ibn-Roschd)  naquit  à  Cordoue  au  commencement 
du  douzième  siècle;  fils  et  petit-fils  de  jurisconsultes  éminents,  il  exerça 
les  fonctions  de  cadi  à  Séville  et  à  Cordoue  ;  il  avait  été  présenté  par  To- 
faïl à  Yousouf  et  jouit  de  la  faveur  de  ce  prince;  mais  sous  son  succès- 


ARABES  487 

seur,  il  partagea  les  persécutions  qu'encoururent  les  philosophes; 
cependant  Ibn-Koschd  rentra  en  grâce  à  la  cour  de  Maroc  et  il  mourut 
dans  eette  ville  en  1198.  Il  s'appliqua  à  ramener  toutes  les  sciences  au 
principes  du  Stagirite  :  «  car  aucun  de  ceux  qui  ont  vécu  depuis  Aris- 
tote  n'a  rien  pu  ajouter  à  ce  qu'il  a  dit  qui  fut  digne  d'attention  ».  Il 
écrivit  sur  les  œuvres  du  maître  des  commentaires  réitérés,  qui  ont 
été  divisés  en  grands,  moyens  et  paraphrases,  et  quoiqu'il  ne  sût  pas 
le  grec,  il  pénétra  plus  avant  qu'aucun  de  ses  prédécesseurs  dans  la 
pensée  de  son  guide.  C'est  par  la  science,  non  par  la  contemplation  ni 
par  la  pratique  des  vertus,  que  nous  arrivons  à  la  vérité;  car  la  science 
est  une  participation  de  la  pensée  pure,  qui  domine  tout  au  moyen  de 
l'intellect  actif,  puissance  formative  qui  a  son  siège  dans  le  ciel,  et  à 
un  degré  plus  rapproché  de  nous,  dans  l'orbite  de  la  lune.  L'intellect 
actif  ne  peut  rien  faire  de  rien,  il  dégage  seulement  de  la  matière  les 
formes  qui  y  sont  latentes.  Pour  Ibn-Roschd,  la  matière  éternelle  n'est 
pas  seulement  une  possibilité  indifférente  et  indéterminée,  elle  con- 
tient virtuellement  les  germes  de  toutes  les  existences.  L'homme  aussi 
a  dans  sa  nature  une  disposition  première  qui,  par  elle-même,  n'a 
aucune  forme  déterminée,  mais  qui  peut  percevoir  toutes  les  formes, 
qui  y  est  même  prédisposée;  c'est  l'intellect  passif  ou  matériel.  Mis  en 
mouvement,  excité  à  la  spéculation  par  l'intellect  actif,  notre  intellect 
passif  est  élevé  au  rang  d'intellect  acquis;  il  comprend  les  formes  ou 
les'substances  séparées  (Albert  le  Grand  les  définit  :  substances  sépa- 
rées du  lien  de  toute  matière  corporelle,  si  simple  qu'elle  soit),  c'est- 
à-dire  les  esprits  supérieurs,  le  ciel,  un  être  animé  qui  ne  nait  ni  ne 
périt,  qui  communique  aux  choses  sublunaires  le  mouvement  qu'il  a 
reçu  de  la  chose  première  et  du  désir  qui  le  porte  vers  ce  premier 
moteur,  vers  la  pensée  pure.  Tandis  que  la  pensée  et  les  notions  géné- 
rales sont  impérissables,  notre  intellect  matériel,  qui  n'est  pas  une 
substance  mais  une  simple  disposition,  est  destiné  à  périr  avec  notre 
corps.  Gomme  Tofaïl,  Ibn-Roschd  démontra  l'identité  de  cette  doctrine 
avec  le  Coran;  il  réfuta  le  scepticisme  d'Algazel  dans  un  ouvrage, 
Tehafot  al  Tekafot,  où  il  affecta  un  grand  zèle  pour  la  foi  musulmane, 
mais  sans  faire  illusion  à  personne.  La  doctrine  d'Averroës  fut  la  sys- 
tématisation la  plus  complète  et  la  plus  rigoureuse  du  péripatétisme 
arabe.  Ses  œuvres  furent  proscrites  ;  elles  auraient  disparu  si  les  rab- 
bins d'Espagne  et  de  Provence  ne  les  avaient  traduites  en  hébreu,  ou 
même  recopiées  en  caractères  hébraïques  ;  ce  furent  eux  aussi  qui  les 
traduisirent  en  latin  (édition  de  Venise,  11  volumes  in-folio,  1552).  Pour 
les  chrétiens,  Averroës  fut  le  type  de  l'irréligion;  il  fut  réfuté  par 
Albert  le  Grand  (FJbellus  contra  eos  qui  dicunt  quod  post  séparât ionem 
ex  omnibus  animalibus  nonremanel  nisi  intelleetus  unus  et  anima  una), 
saint  Thomas  d'Aquin  et  les  principaux  docteurs  (voir  E.  Renan,  Aver- 
roê*et?Averroùtne,  1852;  Marc  Huiler,  Averroës,  Philosophie  oder  Theol. 
aus  dem  arab.  ubers.  1876).  —  Les  rigueurs  contre  les  philosophes  avaient 
commencées  Orient,  provoquées  surtout  par  la  secte  fanatique  des 
Ascharites;  en  Espagne,  La  dynastie  des  Almohades  s'inspira  de  leur 
zèle;  si,  à  Bagdad,  les  ouvrages  de  philosophie  furent  brûlés,  à  Séville, 


488  ARABES 

Ben-Habib  fut  mis  à  mort  pour  s'être  adonné  à  ces  études  coupables.  Au 
quinzième  siècle,  l'historien  arabe  Makrizi  donnait  encore  une  expression 
à  cette  horreur  de  la  philosophie  :  c<  La  doctrine  des  philosophes  causa 
à  la  religion  des  maux  plus  funestes  qu'on  ne  le  peut  dire  ;  la  philoso- 
phie ne  servit  qu'à  augmenter  les  erreurs  des  hérétiques  et  à  ajouter  à 
leur  impiété  un  surcroît  d'impiété.  »  Cependant,  pour  repousser  les 
enseignements  de  l'aristotélisme,  le  Calam  avait  dû  se  transformer,  se 
compléter,  en  prenant  un  caractère  plus  scientifique.  Parmi  les  diverses 
nuances  de  ce  dogmatisme  devenu  plus   systématique,  les  Ascharites 
devinrent  pour  quelque  temps  l'orthodoxie  dominante.  Au  dixième  siècle, 
Al-Aschari,  après  avoir  été  l'un  des  principaux  docteurs  du  Motaza- 
lisme,  répudia  publiquement   ses  erreurs  à  Bassora  et  reconnut  la 
préexistence  du  Coran,  les  attributs  de   Dieu,   la  prédestination  des 
actions  humaines.  Les  Ascharites  n'admettaient  qu'une  cause  première 
et  niaient  les  causes  secondes  ;  rien  ne  surgit,  rien  ne  périt  par  une  loi 
de  la  nature;  Dieu  crée  à  chaque  instant  tous  les  phénomènes  successifs, 
les  atomes  mêmes  qui  composent  les   corps.  Prenant  exactement  le 
contrepied  de  la  doctrine  aristotélicienne,  les  Ascharites  firent  des  em- 
prunts au  système    atomistique  de  Démocrite  ;  mais  ils  y  ajoutèrent 
l'action  incessante  de  Dieu.  Aucun  phénomène  ne  dure  deux  instants; 
s'il  paraît  durer,  c'est  que  Dieu  crée  continuellement.  Lorsque  l'homme 
écrit,  Dieu  crée  quatre  accidents  qui  ne  se  tiennent  par  aucun  lien  de 
causalité  :  la  volonté  de  mouvoir  la  plume,  la  faculté  de  la  mouvoir,  le 
mouvement  de  la  main,  celui  de  la  plume.  Les  attributs  négatifs  ou 
privations  sont  des  accidents  réels  produits  par  le  Créateur;  le  repos, 
l'ignorance,  la  mort  sont  incessamment  créés  dans  certains  êtres,  aussi 
bien  que  la  vie,  l'activité,  la  connaissance  dans  d'autres.  Cependant, 
par  une  inconséquence  inévitable,  on  admit  une  certaine  part  de  l'homme 
dans  la  production  de  ses  actes.  Puis,  lorsque  la  philosophie  ne  fut  plus 
considérée  comme  un  péril,  ce  mouvement  dogmatique  dut  naturelle- 
ment s'apaiser  et  se  ralentir.  —  Du  huitième  au  douzième  siècle,  la  philo- 
sophie arabe  a  brillé  d'un  vif  éclat,  mais  sans  exercer  une  action  ap- 
préciable sur  la  civilisation  musulmane.  Une  des  causes  de  cet  insuccès, 
ce  fut  son  point  de  départ  :  elle  avait  emprunté  à  la  Grèce  non-seule- 
ment les  mathématiques  et  la  médecine,  mais  la  logique,  la  métaphy- 
sique, la  psychologie  avec  la  distinction  de  l'intellect  actif  et  passif; 
elle  déploya  une  patience  infatigable,  une  merveilleuse  habileté  à  élaborer 
les  matériaux  reçus,  à  introduire  quelques  principes  néoplatoniciens 
dans  le  cadre  aristotélique,  de  manière  à  construire  un  vaste  système 
dont  les  diverses  parties  se  trouvaient  reliées  par  d'ingénieuses  expli- 
cations. Mais  elle  ne  parvint  ni  à  surmonter  les  contradictions  intérieures 
de  la  pensée  première,  le  dualisme  de  la  forme  et  de  la  matière,  ni  à  se 
dégager  d'un  panthéisme  rationnel   chez    les    uns,   mystique    chez 
quelques  autres;  à  une  spéculation  qui  appartenait  au  passé,  elle  n'ap- 
porta pas  d'élément  nouveau, puisé  dans  l'âme  des  peuples  nouveaux; 
elle  n'eut  rien  de  créateur  ;  pour  les  populations  musulmanes,  elle 
demeura  une  étrangère  suspecte.  Elle  eut  une  philosophie  de  la  nature, 
une  cosmologie;  elle  n'eut  pas  à  proprement  parler  de  philosophie  de 


ARABES  —  ARABIE  489 

la  religion,  et  cela  parce  que  le  modèle  sur  lequel  elle  se  régla,  la  phi- 
losophie grecque,  dans  sou  antagonisme  vis-à-vis  de  la  religion  du 

pays,  n'avait  songé  à  constituer  une  telle  science.  Le  Calam  non 
plus  n'a  posé  les  bases  d'une  philosophie  de  la  religion,  parce  que  le 
Coran  ne  le  comporte  pas.  Si  la  philosophie  de  la  religion  doit  tenir 
compte  des  aspirations  de  la  pensée  chez  tous  les  peuples,  elle  ne  re- 
cueille cependant  que  des  enseignements  négatifs  chez  les  Arabes;  ce 
n'est  pas  là  qu'elle  trouve  les  principes  et  les  jalons  essentiels  dont  elle 
a  besoin  pour  devenir  une  vraie  science.  — Voir  Ritter,  Gesc/i.  der  Phi- 
losopln<\  tomes  7  et  8  ;  les  articles  de  M.  S.  Munk,  dans  le  Dictionnaire 
des  sciences  philosophiques  ;  Dieterici,  die  Philosophie  der  Araber,  ira 
A~°  Jahrh.  nach  den  Schriften  der  lautern  Druder,  8  volumes,  1858-1876. 

A.  Mattee. 

ARABIE  (Religion  de  l'ancienne).  — -  I.  Origines.  Le  mot  arabe  est 
assez  récent.  Pendant  longtemps,  les  Hébreux  ne  l'ont  pas  connu  ;  ils 
appelaient  «  enfants  du  Levant  »   Bené  Qedem,  les  Bédouins  qu 
erraient  dans  le  désert  compris  entre  la  mer  Morte  et  l'Euphrate  (Job 
I,  3;  Jug.  VI,  3,33;  VII,  1  ;  VIII,  10;  1  Rois  IV,  30),  et  leur  pays  «  le 
Levant  »,  Qedem  (Gen.  X,  30;Nombr.  XXII,  7),  «  la  terre  du  Levant  », 
Ereç  Qedem  (Gen.  XXV,  6)  ou  «  la  terre  des  enfants  du  Levant  », 
Ereç  benê-Qedem  (Gen.  XXIX,   1).   Les  voisins  immédiats  des 
Hébreux  avaient  chacun  leur  nom  particulier.  Le  mot  arabe  n'appa- 
raît guère  qu'à  l'époque  de  la  captivité  et  avec  un  sens  très-différent  de 
celui  que  nous  lui  donnons  aujourd'hui.  On  le  rencontre  pour  la  pre- 
mière  fois  dans  Esaïe  XXI,  13  ;  M.  Reuss  pourtant  (les  Prophètes,  I, 
p.  294)  lit  en  cet  endroit  :  Be  êreb,  et  traduit  :  oracle  au  soir  (comp, 
Jér.  XXV,  24;  Ezéch.  XXVII,  21;  2  Ghron.  IX,  14);  il  est  synonyme 
de  «  désert  »  ;  sa  forme  ethnique,  'Ar  âb  î,  désigne  les  habitants  de 
la  contrée  située  au  sud-ouest  de  la  Palestine,  et  que  les  auteurs  plus 
anciens  assignent  aux  descendants  d'Ismaël.  De  là  vient  qu'on  le  trouve 
associé  au  nom  d'autres  tribus  de  la  péninsule  arabique,  à  Dedan, 
Thema,  Buz  (Jér.  XXV,  23),  à  Cédar  (Ezéch.  XXVII,  21)  et  même  aux 
Philistins.  Dans  un  seul  passage  (2  Ghron.  XXI,  16)  il  semble  désigner 
les  habitants   de  l'Arabie   méridionale   (voy.   Gesenius:  les.,  vol.  I, 
p.  673,  et  Thésaurus,  p.  1066,  a).  Les  renseignements  des  auteurs  an- 
ciens nous  amènent  aux  mêmes  résultats.  Les  Egyptiens  n'emploient 
pas  le  nom  d'Arabes  ;  mais  ils  distinguent  très-nettement  les  Arabes 
du  Nord  de  ceux  du  Sud  ;  ils  appellent  le  sud  de  l'Arabie,  le  pays  de 
Pount  (Pceni,  Puni),  l'Arabie  Pétrée,  au  contraire,  le  pays  des  Shasous, 
e V>t-à-dire  des  «  pillards  »,  (Hyq-Shous«.  le  roi  des  Shous  »  ;Maspero, 
///s/,  anc.  des  peuples  de  l'Orient,  p.  171  ss.).  Sur  les  inscriptions  cu- 
néiformes, Lorsque  l'Arabie  apparaît,  c'est  avec  le  même  sens  très- 
Limité  (Schrader  :  Keilinschr.  u.  dos  A.  T.,  p.  06).  Ce  sont  également 
les  Arabes  du  Nord  qu'Hérodote  (111,4-7,  107  ss.)  semble  désigner  sous 
ce  nom.  An  contraire,  à  partir  de  Ptolémée,  l'Arabie  désigne  toute  la 
péninsule  qui  a  gardé  ce  nom  jusqu'aujourd'hui.  —  Ptolémée  divise 
L'Arabie  en  trois  parties  :  Arabie  Heureuse,  Arabie  Déserte  et  Arabie 
Pétrée.  Cette  division   n'est  pas  connue   de   la   plupart  des  auteurs 
î.  32 


490  ARABIE 

anciens;  mais  elle  est  fondée  jusqu'à  un  certain  point  clans  la  nature 
du  sol,  et  on  la  retrouve  déjà  dans  le  livre  de  la  Genèse,  quoiqu'il 
n'emploie  nulle  part  ces  trois  dénominations.  L'Arabie  Pétrée,  ainsi 
nommée  de  sa  capitale  Petra,  en  hébreu   Sel  a,  «  la  Roche  »,  forme 
comme  un  seuil  à  l'entrée  du  désert.  Petra  est  à  892  mètres  au-dessus 
du  niveau  de  la  mer.  Par  la  configuration  de  son  sol  aussi  bien  que  par 
les  mœurs  et  la  langue  de  ses  habitants,  elle  tient  le  milieu  entre  la 
Syrie  et  l'Arabie  ;  à  l'ouest  elle  embrasse  la  presqu'île  de  Sinaï  et  va 
rejoindre  l'Egypte.  A  l'est  de  l'Arabie  Pétrée,  entre  le  golfe  Elanitique 
et  l'Euphrate,  s'étend  à  perte  de  vue  le  désert,  el  Badieh.  Tout  ce  qui 
est  au  sud  s'appelait  autrefois  Yaman,  «  la  droite  »  ;  le  même  mot 
signifiant  en  arabe  droit  et  heureux,  on  en  a  fait  l'Arabie  Heureuse. 
Les  géographes  arabes  modernes  ont  repris   cette  division,  mais  en 
limitant  l'Yémen  au  sud  de  l'Arabie.  L'Arabie  Heureuse  comprend  en 
effet  plusieurs  parties.  Le  centre  est  un  immense  plateau  (Nedjed) ,  où  les 
déserts  alternent  avec  les  pâturages  ;  c'est  la  patrie  du  chameau  et  du 
cheval  arabe.  La  côte  Tihâma  est  stérile  et  rocailleuse  jusqu'à  l'Hedjaz 
(alHigaz,  (de  milieu»)  ;  l'Hedjaz  lui-même  est  une  mer  de  sable.  Mais, 
plus  au  sud,  le  pays  est  riche  et  bien  arrosé  et  fait  comprendre  le  nom 
d'Yémen  qu'on  lui  a  donné  par  une  sorte  de  jeu  de  mots  géographi- 
que ;  l'Yémen  étend  ses  châteaux-forts  jusque  sur  le  plateau  qui  s'abaisse 
en  cet  endroit.  Sur  la  mer  des  Indes,  «  la  côte  de  l'encens»  court  depuis 
l'Hadramaut  jusqu'à  l'Oman  ;  enfin  les  bords  du  golfe  Persique  forment 
le  district  à' El  Bahreyn,  presque  inconnu  des  auteurs  anciens,  et  qui 
n'est  guère   fréquenté,   maintenant  encore,    que  par   des   pêcheurs 
d'huîtres;  la  connaissance  de  cette  région  serait  pourtant  d'une  grande 
utilité  pour  l'intelligence  des  origines  de  la  civilisation  arabe.  —  On  ne 
peut  faire  aucun  fondement  sur  tout  ce  que  les  Arabes  racontent  tou- 
chant leurs  origines.  Pendant  longtemps  on  a  cru  que  leurs  généalogies 
et  leurs  traditions  relatives  aux  patriarches  remontaient  à  une  haute  an- 
tiquité ;  aujourd'hui  il  est  avéré  qu'elles  sont  empruntées  directement 
aux  récits  des  Juifs;  les  Arabes  ont  pris  aux  traditions  juives  sur  les 
patriarches  tout  ce  qui  les  concernait  de  près  ou  de  loin  et  ont  comblé 
l'intervalle  qui  les  en  séparait  par  des  histoires  et  des  généalogies  fic- 
tives. La  Genèse  est  notre  source  à  peu  près  unique  pour  la  connaissance 
des  origines  du  peuple  arabe.  Les  principaux  passages  à  consulter  sont: 
Ch.  XXI,  histoire  d'Agar  et  d'Ismaël;  XXV,  Généalogie  des  enfants  d'A- 
gar  et  de  Céthura;  X,  liste  généalogique  des  enfants  de  Noé.  D'après  le 
Ch.  XXI,  les  Arabes  sont  les  frères  aines  des  Hébreux  ;  l'histoire  d'Isaac 
et  d'Ismaël  exprime  très-clairement  cette  idée.Ismaël  n'est  pas  l'enfant 
de  la  promesse,  il  est  le  fils  de  l'étrangère,  Agar,  mais  il  est  le  pre- 
mier-né d'Abraham,  qui  le  reconnaît  pour  son  fils,  et  Dieu  le  prend 
sous  sa  protection.  Le  nom  même  d'Ismaël  rappelle  par  sa  forme  celui 
d'Israël.  Les  Arabes  sont  donc  aussi  grands  qu'on  peut  l'être  sans  être 
les  héritiers  légitimes  ;  on  sent  au  ton  du  récit  que  ce  sont  des  frères  : 
«  Et  Dieu  fut  avec  l'enfant,  et  il  grandit,  et  il  demeura  dans  le  désert, 
et  il  devint  adulte,  et  il  fut  tireur  d'arc.  »  Cette  description  ne  s'applique 
pas  à  toutes  les  tribus  indistinctement.  Les  enfants  d'Ismaël  formaient 


ARABIE  491 

douze  tribus,  comme  les  enfants  d'Israël,  avant  leurs  Nassis  et  leurs 
campements  :  Cédai*;  Duma,  Kedma,  Nebayot,  etc.,  ce  sont  les  Arabes 
du  désert;  le   chapitre   XXV,  v.  12,  ss.  nous  dit  expressément   leurs 
noms,  et  il  ajoute  :  C'est  à  l'Orient  de  tous  leurs  frères  qu'ils  s'éta- 
blirent. Le  même  chapitre  énumère  encore  d'autres  tribus  arabes  qui 
sont  parentes  au  même  degré  des  Hébreux,  mais  sans  leur  tenir  d'aussi 
près.  Ce  sont  les  enfants  d'Abraham  et  de  Céthura.  Le  plus  connu  est 
Ifadian  (Midiân).  Si  Ton  s'obstine  à  chercher  dans  ces  généalogies 
des  noms  d'hommes,  on  se  trouve  en  présence  de  difficultés  inextrica- 
bles,   car,    quelques  années  plus  tard,   on   trouve  des  caravanes  de 
Madianites  parcourant  le  désert;  au  contraire  si  on  y  voit,  comme  les 
noms  mêmes  l'indiquent,  des  tribus  rattachées  par  des  liens  de  parenté 
plus  ou   moins   étroits,   les  généalogies  de  la  Genèse  sont  de  la  plus 
haute  valeur.  Les  autres  enfants  de  Céthura  portent  les  noms  de  peu- 
plades qui  habitent  pour  la  plupart  entre   l'Hedjaz  et  l'Arabie  Pétrée; 
l'un  d'eux  même,  Jocsçan,  y  figure  comme  père   de  Saba  et  Dedan. 
Peut-être  faut-il  confondre  ces  derniers  avec  deux  tribus  du  mêmenom, 
les  plus  célèbres  de  l'Arabie  du  Sud,  que  la  table  généalogique   du 
ch.  X  rattache  à  Joctan,  petit-fils  de  Sem,  et  à  Cousch.  11  est  vrai  que 
divers  passages  (Jér.  XXV,  23;  XL1X,  8;  Ezéch.  XXV,  13)  où  Dedan 
est  cité  à  côté  d'Edom,  feraient  croire  qu'une  scission  s'était  opérée 
parmi  les  enfants  de  Saba  et  de  Dedan,  une  partie  d'entre  eux  étant 
i.  stés  au  Nord,  l'autre  ayant  émigré  au  Sud;  le  même  l'ait  se  retrouve 
chez  les  Amorrhéens,  les  Hetiens  et  chez  presque  toutes  les  populations 
cananéennes  de  la  Palestine;  mais  si  c'étaient  des  tribus  différentes, 
elles  avaient  la  même  origine,  qu'exprime  leur  descendance  commune 
de  Jocsçan  ou  Joctan,  les  deux  noms  se  confondent.  Nous  avons  donc 
affaire,  en  tous  cas,  à  deux  traditions  différentes,  dont  l'une  rattache 
i      Joctanides  à  Céthura,  l'autre  en  fait  des  descendants  immédiats 
de  Sem.  Les  Arabes  du  Nord  ne  sont  pas  les  seuls  que  connaisse  la 
Genèse.  Longtemps  avant  Abraham,  dans  l'histoire  des  fils  de  Noé, 
on  trouve  la  mention  de  peuplades  fixées  au  sud  de  l'Arabie  et  qui 
doivent  représenter  la  population  primitive  de  la  péninsule.  La  table 
généalogique  du   ch.  X  leur  assigne   deux   origines  différentes.  Au 
verset  7,   elle  les  fait  descendre   directement  de   Sem,   par  Joctan 
(Yoqtân),   aux  versets  26-30,  elle  les  rattache   à  Cousch,  fils  de 
Cham.  Saba  (Chebâ'),  le  grand  royaume  qui  occupait  le  centre  de 
l'Yémen,  se  retrouve  sur  les  deux  généalogies;  pourtant,  ces  deux  gé- 
i  éalogies  ne  coïncident  pas  dans  toute  leur  étendue;  la  première,  qui 
fait  des  Sabéens  des  descendants  de  Cousch,  cite  à  côté  de  Saba,  d'autres 
noms  sur  lesquels  on  a  beau  cou  p  discuté  (  voyez  Ophir,  Havila),  mais  qui 
appartiennent  tous  au  Sud;  elle  suit  une  ligne  qui  va  du  golfe  Persique, 
et  peut-être  de  l'Inde,  à  l'Ethiopie  en  passant  par  Saba;  l'autre,  qui  rat- 
tache les  Sabéens  à  Sem  par  Joctan,  part  du  centre  de  l'Arabie  pour 
aboutira  la  Limite  extrême  de  l'Yémen,  à  Zafari  ;  la  géographie  de  cette 
dernière  région  est  encore  sémitique;  le  nom  même  que  Ptolémée  donne 
à  toute  cette  côte,  Sachalites  sinus,  n'est,  suivant  une  conjecture  ingé- 
nieuse de  M.  Renan,  que  le  mot  arabe  pour  désigner  le  rivage,  c'est  le 


492  ARABIE 

Sahcl.  Il  semble  donc  que  ces  deux  généalogies  nous  mettent  en  pré- 
sence de  deux  courants  dépopulations  différents,  l'un  couschite,  l'autre 
sémitique,  qui  se  sont  rencontrés  au  sud  de  l'Arabie.  —  Les  auteurs 
arabes  ne  connaissent  pas  cette  distinction;  ils  rapportent  tout  ce  qui 
est  dit  dans  la  Genèse  de  Cousch  et  de  Joctan  à  un  seul  ancêtre  qu'ils 
appellent  Khaktan;  mais  ce  nom  semble  n'être  qu'une  déformation 
du  nom  de  Joctan.  On  peut  s'étonner  de  voir  appeler  Couschite  un  peu- 
ple de  langue  sémitique  ;  mais  la  civilisation  des  Sabéens  et  leur  orga- 
nisation sociale  lesrattacbentàBabylone  beaucoup  plutôt  qu'à  l'Arabie 
propre.  Peut-être  d'ailleurs  n'est-ce  pas  le  seul  exemple  d'un  peuple 
couschite  ayant  adopté  une  langue  sémitique:  l'Ethiopie  et,  à  l'extré- 
mité opposée  de  la  péninsule  arabique,  les  Phéniciens  semblent  pré- 
senter le  même  phénomène.  La  Mecque  est  isolée  au  centre  de  l'Arabie. 
Jusqu'à  Diodore de  Sicile,  les  auteurs  anciens  l'ignorent;  la  Genèse  elle- 
même  parle  très-peu  des  habitants  de  THedjaz.  On  a  voulu  en  conclure 
que  le  sanctuaire  de  La  Mecque  était  de  date  récente  et  qu'il  n'avait 
été  fondé  qu'un  siècle  à  peine  avant  l'ère  chrétienne.  M.  Dozy  (Die 
Israëliten  zu  Mekka,  Leipzig,  1864 ,  in-8)  est  arrivé  à  un  résultat  tout 
opposé;  suivant  lui,  le  culte  de  La  Mecque  n'est  pas  arabe  ,  mais  juif; 
La  Mecque  a  été  fondée  par  les  siméonites.  De  bonne  heure,  la  tribu 
de  Siméon  disparaît  entièrement  de  l'histoire  du  peuple  juif  ;  elle  parait 
avoir  émigré,  en  partie  du  moins,  vers  le  sud  (1  Chron.  IV,  24-43). 
M.  Dozy  croit  que  c'est  elle  qui,  sous  le  nom  de  Djorhoum,  a  battu  les 
Minéens  et  conquis  l'Hedjaz.  Le  nom  même  de  La  Mecque,  Macoraba  , 
«  la  grande  bataille»,  aurait  perpétué  le  souvenir  de  cette  conquête. 
Ce  fait  nous  paraît  hors  de  proportion  avec  la  cause  qu'on  lui  assigne. 
Il  nous  paraît  aussi  étrange  de  dire  que  la  tribu  de  Siméon  a  conquis  le 
centre  de  l'Arabie ,  que  d'attribuer  la  conquête  de  l'Egypte  aux  Hébreux 
ou  de  confondre  les  fils  de  Jacob  avec  les  Hyksos.  L'étymologie  même 
qu'on  donne  du  nom  de  La  Mecque  est  très-contestable.  Néanmoins, 
deux  faits  importants  subsistent  :  1°  la  disparition  subite  de  la  tribu 
de  Siméon  (voyez  Israël),  2°  les  traces  profondes  d'une  influence  juive 
au  centre  de  l'Arabie  ;  on  les  retrouve  dans  les  noms  propres,  dans  les 
pratiques  religieuses  et  jusque  dans  les  traditions  relatives  aux  deux 
Djorhoum  et  en  général  aux  populations  successives  qui  se  sont  dis- 
puté La  Mecque.  L'émigration  juive  avait  déjà  commencé  lors  de  la 
conquête  de  Jérusalem  par  Nébucadnezar  (Jér.  XL,  11),  depuis  elle  n'a 
fait  qu'augmenter;  à  l'époque   de  Mahomet,   l'Arabie  était  pénétrée 
d'éléments  juifs;  il  faut  même  en  tenir  grand  compte  dans  la  recherche 
des  origines  de  l'islamisme. 

IL  Religion.  1.  Sabéens.  On  appelle  en  général  royaume  himyarite  le 
puissant  royaume  qui  occupait  le  sud-ouest  de  l'Arabie,  et  la  langue  qu'on 
y  parlait ,  la  langue  himyarite  :  cette  expression  est  abusive.  Ce  nom 
est  celui  d'une  dynastie  qui  est  arrivée  au  pouvoir  à  une  époque  très- 
récente.  Le  nom  national,  le  seul  connu  avant  l'ère  chrétienne,  est  Saba. 
Les  Sabéens  occupaient  le  détroit  de  Bab-el-Mandeb,  et  se  trouvaient 
ainsi  en  relation  directe  avec  l'Egypte,  et  en  possession  du  commerce 
de  la  mer  Rouge.  Ils  avaient  pour  capitales  dans  les  temps  anciens, 


ARABIE  493 

Ssàna   et    Marc!),   la  Mariaba   des  auteurs  classiques  qui  est  appelée 
Saba  dans  la  Bible.  À  l'est,  la  limite  au  pays  était  marquée  par  un 
port  important,  Sefàrâ,  air'o  ird'hui  Zafari,  non  loin  déMirbàt.  Une  autre 
ville  du  même  nom  se  trouvait  dans  l'intérieur  des  terres,  aux  environs 
deSsâna.  L'Une  d'elles,  le  port,  suivant  F resnel  [Lettres  sur  V histoire  des 
Arabes,  IV,  p.   17  et  ss.),  fut  pendant  assez  longtemps  la  capitale  des 
rois   himyarites.    Le  royaume  de   Saba  était  très-riche.   La  relation 
du  voyage  de  la  reine  de  Saba  (1  Rois  X,  1,  12)  et  le  tableau  du  com- 
merce de  Tyr  (Ezéch.   XXVII)  en  l'ont  venir  l'or,  les  pierres  pré- 
cieuses, les  parfums  (comp.  Ps.  LXX1I,  15  et  Es.  VI,  20;  LX,  6).  Une 
partie  de  ces  trésors  provenaient  du  sol  de  l'Arabie;  la  plupart  des 
auteurs  anciens  font  du  Hadramaut  la  patrie  de  l'encens,  qui  était 
l'objet  du  commerce  peut-être  le  plus  important  de  l'antiquité;  l'encens 
était  le  luxe  des  rois  et  les  dieux  en  vivaient  (Hérod.  III,  107;  Strabon, 
XVI.  768,  778,  782;  Plin.,  H.  N.,  XII,  30  s.;  Diod.  Sic,  III,  45,  46). 
Mais  la  richesse  de  l'Yémen  devait  tenir  en  partie  aussi  à  son  com- 
merce extérieur.  En  quelque  endroit  que  Ton  place  Ophir  et  Havila,  il 
est  certain  que  Ton  trouve  cités,  parmi  les  objets  que  la  flotte  du  roi 
lliram  en   rapportait  à  Salomon,  des  produits  de  l'Inde  :  des  dents 
d'éléphant,   des  paons,   des  singes.  Les  mêmes  détails  se  retrouvent 
sur  les  bas-reliefs  du  temple  de  Deir-el-Bahari,  qui  retracent  la  con- 
quête du  pays  de  Pount  par  les  Egyptiens.  Saba  était,  en  effet,  l'entre- 
pôt de  l'Orient,  et  elle  tenait,  dans  l'antiquité,  la  clef  de  la  route  de 
Suez.  A  côté  des  Sabéens,  Pline  et  Ptolémée  citent  une  foule  d'autres 
peuplades  constituées  en  royaumes  indépendants,  mais  toutes  avaient 
le  même  caractère  ;  les  bas-reliefs  de  Deir  el  Bahari  représentent  les 
habitants  du  pays  de  Pount  comme  une  race  brune  dont  les  traits  res- 
semblent à  ceux  de  la  population  d'Egypte.  Le  peu  que  nous  savons 
des  mœurs  des  Sabéens  les  distingue  non  moins  nettement  des  Arabes 
du  Nord.  Suivant  Strabon  (VI,  708),  le  régime  des  castes  était  en  vigueur 
chez  eux;  il  régnait  dans  le  sein  de  la  famille  une  sorte  de  commu- 
nisme. La  monogamie  sémitique  leur  était  entièrement  inconnue;  au 
contraire,  on  retrouve  chez  eux  des  traces  de  polyandrie.   Peut-être 
faut-il  attribuer  à  la  même  conception  du  rôle  de  la  femme  la  présence 
de  reines  sur  le  trône  (bas-reliefs  de  Deir-el-Bahari,  1  Rois  X).  On  trouve 
également  chez  les  Sabéens  la  circoncision  établie  de  toute  antiquité 
(Comp.  Knobel,  Vœlkertafel,  p.  234  et  ss.).  Leur  organisation  politique 
était  celled'un  peuple  sédentaire.  Un  roi  entouré  de  grands  vassaux  ou 
cayls;  ceux-ci  étaient  les  chefs  des  tribus  et  formaient  une  féodalité 
redoutable  ;  ils  vivaient  dans  des  châteaux-forts  dont  on  voit  encore  les 
ruines.  Ces  ruines  témoignent  d'une  architecture  puissante  et  qui  res- 
semble  à  celle  de  Babylone.  Le  caractère  même  des  inscriptions  est  mo- 
numental; les  lettres  sont  liantes  et  carrées.  La  langue  qu'elles  nousont 
révélée  commence  à  être  connue,  grâce  aux  travaux  de  F  resnel,  Arnaud 
et,  dans  ces  derniers  temps,  de  MM.  Osiander,  Halévy  et  Prœtorius.  Le 
sabéen  forme,  avec  l'éthiopien  ou  ghez,  qui  en  dérive,  une  des  bran- 
ches de  la  famille  sémitique,  la  pins  éloignée  peut-être.  L'alphabet  se 
rattache  au  phénicien,  quoique  de  très-loin.  La  grammaire  est  sémiti- 


494  ARABIE 

que,  mais  avec  des  particularités  qui  la  rapprochent  de  l'égyptien  ancien 
et  du  copte;  par  d'autres  côtés,  au  contraire,  elle  ressemble  au  phéni- 
cien (Renan,  Histoire  des  langues  sémitiques,  livr.  IV,  ch.  I,  p.  305  ss.). 
Vekhili  et  les  autres  dialectes  parlés  actuellement  au  sud  de  l'Arabie 
s'écartent  encore  beaucoup  plus  des  langues  sémitiques  proprement 
dites;  toutefois,  on  ne  doit  se  servir,  en   ces   matières,   des  dialectes 
modernes  qu'avec  une  grande  réserve.  —  La  religion  des  Sabéens  est 
pleine  d'obscurités.  Tout  ce  que  nous   en  savons  nous  la  représente 
comme  une  religion   sidérale  ;   les  noms  qui  reviennent  constamment 
sur  les  inscriptions  sont  :  Almaqah,  Attar,  Hôbas,  C  hams,  S  ïn. 
On  reconnaît  à  première  vue  Vénus  (htar),  le  soleil  (Chemech),  la  lune 
(Sin),   mais   avec  des   particularités   qui   rattachent  la  religion   des 
Sabéens  à  celle  des  Babyloniens  et  qu'il  importe  de  noter.  Attar  est  la 
forme  assyrienne  de  la  divinité  qui  s'appelait  Astarté  chez  les  Phéniciens. 
Le  fait  est  encore  plus  frappant  pour  ChamsetSîn.  Le  soleil  est,  pour  les 
Sabéens,  une  divinité  femelle;  la  lune,  au  contraire,  un  dieu  mâle. 
D'autres  noms,  comme  Almaqah,  Hobas,  sontencore  à  expliquer.  Peut-être 
quelques-uns  de  ces  noms  divins  sont-ils  de  simples  titres  honorifiques. 
Ces  dieux  n'étaient  pas  adorés  partout  indifféremment,  ils  avaient  chacun 
leurs   sanctuaires  dont  ils  portaient  le  nom  précédé  d'une   particule 
nobiliaire.  On  disait  Almaqah  dou  Hai*ân  (Almaqah  de  Haràn)  ;  souvent 
la   diversité  des   sanctuaires   opérait  une  scission  dans   la  personne 
divine;  on  adorait  Almaqah  dou  Naaman  à  côté  (V  Almaqah  dou  Harôn. 
Ces  attributs  semblent  même  avoir  été  assez  puissants  pour  faire  oublier 
parfois  le  nom  propre  de  la  divinité  ;    il  est  une  déesse   qui  ne  porte 
jamais  d'autre  nom  que  celui  de  Bat  Baadnam  (la  dame  du  Sanctuaire?). 
Ce  titre  rappelle  singulièrement  des  noms  comme  celui  de  la  «  dame 
de  Byblos)),  Baalat  Gebel,  usités  dans  la  religion  phénicienne,  et  plus 
encore  celui  de  cette  déesse  retrouvée  récemment  à   Cartilage   et  qui 
s'appelle  Baalat  Hahedrat,  «  la  déesse  du  Sanctuaire  ».  Voilà  ce  que 
les  inscriptions  nous  apprennent  de  cette  religion   qui  est  devenue 
célèbre  sous  le  nom  de  sabéisme  et  que  les  anciens  historiens  arabes 
nous  dépeignent  comme  le  type  des  religions  sidérales  ;  elle  était  en- 
core en  vigueur  au  temps  de  Mahomet  et  l' islamisme  ne  l'a  jamais 
entièrement  détrônée  (Palgrave,   Narrative  of  a  years  journey  trough 
C  en  frai  and  E 'as ter n  Afrika,   t.  II,  p.  258).  A  côté  du  soleil  et  de  la 
lune,  les    Sabéens  adoraient  les   planètes;  certaines   tribus   les  ado- 
raient toutes,   d'autres  une   seule.  Ils  adoraient  aussi  certaines  con- 
stellations ou  certaines  étoiles,   les  Pléiades  et  Sirius   (voy.   Krehl, 
p.  7,ss.).  Tous  ces  cultes  particuliers  variaient  beaucoup  d'une  tribu  à 
l'autre';  chacune  avait  ses  astres  protecteurs  et  ses  idoles.  Ces  idoles 
n'étaient  pas  des  statues,  mais  des  pierres  dressées,  le  plus  souvent 
noires,  dans  lesquelles  se  personnifiaient  les  puissances  sidérales;  elles 
portaient  des  noms  dont  le  sens  nous  échappe  et  qui  étaient  peut-être 
déjà  incompréhensibles  pour  leurs  adorateurs  ;  quelques-unes  avaient 
une  grande  célébrité  :  telles  étaient  celles*  de  Lahm  et  de  Gudàm,  de 
Saïd,  d'Oukaïsir  et  de  Fuis.   La  plupart  des  exemples  d'un  culte  ana- 
logue  cités  par  Krehl  se  rapportent  à  des  tribus  himyarites;  néan- 


ARABIE  495 

moins  on  peut  en  suivre  Ks  traces  jusqu'à  La  Mecque  où  nous  re- 
trouverons quelques-unes  «les  idoles  les  plus  célèbres.  Est-on  en  droit 
pour  cela  d'identifier  la  religion  des  Mecquois  et  celle  des  Sabéens?  La 
question  a  été  résolue  dans  des  sens  différents.  11  est  certain  qu'il  y 

avait  (Mitre  elles  des  rapports  constants.  Mareb,  Amràn,  Tebàla,  etc. 
avaient  leurs  pèlerinages  on  Ton  se  rendait  de  très-loin,  et  d'autre  part 
les  Sabéens  allaient  en  masse  à  celui  de  La  Mecque.  Enfin,  le  culte  des 
arbres,  quoique  moins  répandu,  se  retrouve  aussi  chez  les  Sabéens, 
accompagné  de  devins,  de  magiciens  et  de  toutes  les  superstitions  qui 
s'y  rattachent  d*habitude. 

2.  Arabes.  C'est  dans  le  désert  qif  il  faut  chercher  les  Arabes  pro- 
prement dits.   L'Ancien   Testament  les  appelle  successivement  Benê- 
Qedem,  Kcdar,   Arah,  Ncbayot,  mais  tous  ces  noms  éveillaient  la  mémo 
idée  dans  l'esprit  des  Hébreux,  celle  de  la  vie  pastorale  et  nomade,  et 
désignaient  la  même  race;  Jérémie  définit  les  Arabes  ce  tous  ceux  qui  se 
rasent  les  tempes;  »  le  môme  trait  de  mœurs  est  rapporté  par  Héro- 
dote (III,  8).  Les  Arabes  vivaient  groupés  par  familles  et  par  tribus;  les 
familles  avaient  à  leur  tête  des  Clieiks  (anciens),  les  tribus  des  Emirs 
(chefs)  ou  des  «  princes  »  dans  le  langage  de  l'Ancien  Testament.  Leurs 
richesses  consistaient  dans  leurs  chameaux,  et  dans  leurs  troupeaux 
d'agneaux,    de   béliers   et   de   boucs   qu'ils    vendaient    aux    T\ riens 
(Es.   XXVII,    21;  Jér.    XLIX,  284).  Les  Arabes  se  divisaient  en   no- 
mades et  sédentaires.  Les  sédentaires  avaient  des  villes  et  menaient 
une  vie  plus  douce,  mais  ils  ont  toujours  été  tenus  en  un  certain  dé- 
dain par  les  tribus  bédouines.  L'Arabe  véritable,  c'est  le  Bédouin,  qui 
vit  sous  la  tente  (Ps.  LXXII,  8;  Gant,  I,  5),  est  bon  tireur  d'arc  et  un 
peu  pillard  (Es.  XXI,  16,  17;  Job  I,  15).  —  C'est  au  sein  de  cette  popu- 
lation que  s'est  développée  la  littérature  admirable  de  fraîcheur  et  de 
jeunesse  des  Moallakât,  du  Kilab-cl-Ykd,  du  Kitab-el-Agâni  et  des  di- 
vans. Ces  récits  d'aventures  ne  datent  que  des  premiers  siècles  de  notre 
ère,  mais  ils  dépeignent  un  état  social  qui,  par  bien  des  côtés,  rappelle 
celui  des  Hébreux  au  temps  des  Juges.  Ce  sont  des  guerres  de  tribu  à 
tribu,  illustrées  par  des  exploits  individuels;  on  se  bat  pour  un  cheval, 
un  couple  de  chameaux,  un  palmier.  On  retrouve  partout,  dans  ces 
combats,  à  coté  de  beaucoup  de  barbarie,  la  noblesse  des  Arabes,  leur 
générosité  et   le  respect  de  la  femme.  Souvent  le  vainqueur  chante 
un»'  complainte  sur  l'ennemi  qui  vient  de  mourir,  comme  David  sur 
Âbner.  En  général,  dans  ces  petits  poèmes  les  vers  alternent  avec  la 
l»i  •<»>.■;  l'ancienne  littérature  hébraïque  nous  offre  le  même  mélange: 
de  petits  discours  exprimant  en  quelques  vers  la  situation  de  l'au- 
teur h  M«  rattachanl  à  un  récit.   Les  vers  doivent  être  antérieurs  à  la 
prose.   C'est   an   même  genre  qu'appartiennent  les  discours  senten- 

ciriix  et  l'antique  sagesse  de  Tliemài).  célèbre  déjàdn  temps  de  Job.  Le 
livre  de  .lob  n'est  pas  arabe,  mais  il  est  certainement  le  témoin  le  pins 
ancien  que  nous  ayons  de  la  vie  du  désert.  —  La  langue  des  Moallakât 
et  du  Kitab-el-Agâni  est  arabe.  Sans  doute  elle  contient  bien  des  tours 

et  des  mots  qu'on  ne  retrouve  pas  dans  l'arabe  actuel,  mais  le  méca- 
nisme grammatical  est  celui  de  l'arabe  littéral,  il  ne  faut  pas  en  tirer 


496  ARABIE 

de  conséquences  exagérées  relativement  à  la  langue  que  parlaient  les 
nciens  Aarabes  ;  l'altération  insensible  qui  transforme  peu  à  peu  les 
langues  se  poursuit  aussi  dans  les  monuments  écrits;  néanmoins,  on 
peut  dire  qu'il  n'existait,  entre  l'arabe  ancien  et  l'arabe   classique, 
d'autre  différence  que  celle  qui  résulte  d'un  degré  plus  ou  moins  grand 
d'archaïsme.  Nous  en  avons  un  indice  dans  les  inscriptions  nabathéen- 
nes  gravées  sur  les  rochers  du  Sinaï;  ce  sont  des  graffiti  tracés  par  des 
pèlerins  tant  païens  que  chrétiens  des  premiers  siècles  du  christianisme  ; 
or  cette  langue,  où  l'on  sent  du  reste  une  certaine  influence  araméenne, 
s'explique  sans  autres  ressources  que  l'arabe;  les  noms  propres  sont 
formés  par  les  mêmes  procédés  et  les  radicaux  eux-mêmes  présentent 
une  grande  analogie   avec  ceux  de  l'arabe.  Nos  connaissances  -sur  la 
religion  des  anciens  Arabes  ont  quatre  sources  différentes  :  les  auteurs 
classiques,  les  anciens  auteurs  arabes,  la  tradition  et  l'épigraphie.  Les 
sources  arabes  présentent  une  grande  cause  d'obscurité:  l'arabe  n'a 
pas  de  mythologie;  les  historiens  ne  donnent  guère  que  des  noms  divins, 
presque  partout  les  légendes  ont  disparu.  Les  auteurs  grecs  suppléent 
en  quelque    mesure  à  cette  lacune.  Le  passage   classique    sur  cette 
matière  se  trouve  clans  Hérodote  III,  8.  Les  Arabes,  dit-il,  croient  qu'il 
n'y  a  qu'un  seul  Dieu,  Dionysos,  et  Ourania.  Ils  appellent  Dionysos 
Orotal  et  Ourania  Alilat.  Ailleurs  (1, 131),  parlant  du  même  sujet,  il  dit  : 
les  Arabes  appellent  Aphrodite  Alitta.  Ces  renseignements  sont  con- 
firmés par  Arrien  (Exp.  Alex.,  Vil,  20),  Strâbon  (p.  741),  et  Origène 
(contra  Cels.  V,  37)  ;  ces  auteurs  s'accordent  à  reconnaître  aux  Arabes 
deux  divinités  seulement,  la  première  qu'ils  appellent  Ouranos,  Zens 
ou  bien  Ourania,  la  seconde  qui  est  Dionysos.  Il  ressort  de  ces  diffé- 
rents passages  que  les  Arabes  adoraient  Uranie,  la  grande  déesse  céleste 
qu'on   retrouve  avec   des   noms   différents  dans   toutes  les  religions 
de  l'Asie  occidentale,  et  un  Dieu  qui  correspondait  au  Dionysos  des  Grecs. 
Un  autre  fait  important,  c'est  que,  sauf  chez  Hérodote,  Uranie  est  toujours 
placée  en  premier  et  parfois  mise  aumasculin.il  est  plus  difficile  de  dire 
à  quels  noms  arabes  correspondent  les  deux  mots,  sans  doute  assez  défigu- 
rés, d'Orotal  et  Alilat.  Pour  le  second,  la  difficulté  peut  être  résolue.  La 
forme  parallèle  Alitta,   citée   par  Hérodote,  nous  prouve  qu'il  s'agit 
de  la  déesse  Allât  bien  connue  par  les  anciens  auteurs  arabes  (Osiander, 
Zeitschr.  der  D.  Morg.Ges.,  VII,  p.  482).  Le  premier  est  plus  obscur  ;  on 
croit  pourtant  bien  y  voir  la  racine  Or  «  lumière  »  qui  sert  parfois  à  dé- 
signer le  soleil.  Une  parole  de  Job,  à  laquelle  on  n'a  pas  fait  attention, 
nous  paraît  presque  décisive;  dans  sa  justification  il  s'écrie  (XXXI,  28): 
«  Si  jamais  j'ai  regardé  le  soleil  {Or)  qui  brillait,  ou  la  lune  {Yarêakh)  dans 
sa  marche  resplendissante  !  »  Les  pratiques  auxquelles  Job  fait  allusion 
doivent  être  celles  qui  régnaient  autour  de  lui. La  lune  (Y  a  r  ê  a  k  h)  est  Ou- 
rania, peut-être  Or  est-HY  Ourotal  d'Hérodote?  La  théologie  des  inscrip- 
tions nabathéennes  est,'en  apparence,  beaucoup  plus  variée;  on  y  trouve, 
soit  seuls,  soit  en  composition,  des  noms  comme  Kharat,  Al-Sohari,  Yarê 
akh,  Allât,  mais,  en  les  regardant  de  près,  on  voit  que  ce  sont  des  noms  dif- 
férents qui  désignent  les  mêmes  divinités.  Kharatest  un  des  noms  dusoleil 
connu  en  hébreu  sous  la  forme  Kheres;  Al-Sohari,  Yarêakh  désignent  la 


ARABIE  497 

lune  et  se  confondent  par  conséquent  avec  Allât.  On  trouve  encore  à°au- 
tresnoms  divins,  mais  qu'il  faut  prendrecomme  des  désignations  locales 
ou  des  titres  honorifiques  plutôt  que  comme  des  noms  propres  dési- 
gnant dos  divinités  distinctes.  Peut-être  laut-il  en  dire  autant  d'un  Dieu 
connu  dès  longtemps  des  Grecs  et  des  Arabes,  mais  dont  on  n'a  pas 
encore  trouvé  L'explication,  Dusarès;  par  sa  forme,  il  rappelle  les  titres 
divins  tels  que  Dou  Harân, que  Ton  rencontre  dans  rYémen.  Enfin, on 
trouve  encore  en  composition  dans  des  noms  d'hommes  le  nom  du  Dieu 
El.  Etait-il  réellement  différent  des  dieux  que  nous  avons  examinés,  et 
ceux  qui  le  portaient  étaient-ils  les  adeptes  d'une  religion  strictement 
monothéiste  ?  ou  bien  n'était-ce  pas  la  forme  arabe  de  Dionysos,  le  nom 
propre  d'Ourotal?  Si  cela  était,  la  religion  des  Arabes  se  ramènerait  tout 
entière,  comme  l'ont  affirmé  les  anciens,  à  deux  divinités,  El  ou.  Allah 
ei  Allât?  En  tous  cas,  elle  était  excessivement  simple  et  la  multipli- 
cité des  noms  locaux  seule  put  taire  croire  à  une  richesse  mythologique 
qui  n'était  pas  dans  l'esprit  des  Arabes.  Les  Arabes  du  Nord  paraissent 
avoir  eu  des  bétyles,  c'est-à-dire  des  pierres  et  des  arbres  sacrés , 
comme  leurs  voisins,  mais  la  plupart  des  renseignements  des  anciens 
sur  ce  culte  se  rapportent  aux  Arabes  du  Sud  ou  à  La  Mecque.  La  Mec- 
que était  le  centre  du  pèlerinage  peut-être  le  plus  célèbre  dans  l'anti- 
quité. On  y  adorait  une  pierre  noire  qui  était  placée  au  centre  delaKaaba 
et  représentait  Saturne,  suivant  certains  auteurs.  Ce  n'était  pourtant 
pas  la  seule  idole  de  La  Mecque.  Dans  le  mur  même  de  la  Kaaba,  était 
encastrée  une  autre  pierre  qui  avait  une  ligure  humaine  (?)  et  qu'on 
appelait  Hobal.  Enfin,  autour  du  temple  et  de  la  ville  se  dressaient  des 
cippes  qui  avaient  chacun  leur  nom.  Telles  étaient  les  idoles  de  Mônât, 
d'Al-Lât,  les  sept  pierres  de  la  vallée  de  Mina  qui  représentaient  les 
sept  planètes,  et  les  statues  d'Isaf  et  de  Naïla,  peut-être  Adonis  et 
Aphrodite.  A  chacune  de  ces  pierres  se  rattachaient  une  série  d'expli- 
cations mythologiques,  mais  le  sens  véritable  de  la  plupart  d'entre 
elles  et  leur  rapport  avec  la  religion  arabe  restent  une  énigme.  Peut-être 
ont-elles,  en  partie  du  moins,  une  origine  étrangère. 

\\\.  Histoire.  L'histoire  de  l'Arabie  se  réduit  à  très-peu  de  chose  :  nous 
passerons  sous  silence  tout  ce  que  les  Arabes  racontent  du  premier  et  du 
deuxième  empire  des  Adites,  ainsi  que  de  la  première  et  de  la  seconde 
Djorhoum.  Ces  récits  légendaires  renferment  encore  trop  d'obscu- 
rité pour  qu'on  puisse  en  parler  ici.  On  traitera  séparément  des  tribus 
qui  ont  été  en  rapports  directs  avec  les  Hébreux  (voy.  Madianites,  Naba- 
théens).  Les  Arabes  du  Nord  n'eurent  pendant  bien  longtemps  que  des 
rapports  très-éloignés  avec  Isiaél;  ils  ne  paraissent  guère  que  dans  le 
deuxième  livre  des  Chroniques  ;  le  ch.  XVII,  v.  11,  nous  les  montre 
tributaires  de  Josaphat;  sous  son  fils  Joram  (XXI,  16)  ils. s'allièrent  aux 
Philistins  contre  Israël,  mais  Hozias  les  repoussa  (XXVI,  7);  les  deux 
derniers  passages  du  reste  sont  d'une  exactitude  douteuse.  A  plusieurs 
reprises,  les  prophètes  les  menacent  de  l'épée  de  l'Assyrie  :  prophéties 
contre  Cédar  (Jér.  XLIX,  28ss.;comp.  XXV,  23s.),  contre  Duma  (Es, 
XXI,  11-12  ,  contre  l'Arabie  (v.  Llss.;  voyez  pourtant,  au  sujettes  deux 
dernière»,  prophéties,  Reuss  :  les  Prophètes, p. 293-4).  En  effet,  pendant 


498  ARABIE 

deux  siècles,  ils  furent  exposés  aux  invasions  des  Assyriens.  Ils  ne  repa- 
raissent plus  jusqu'à  r époque  des  Machabées.  Pendant  la  guerre  d'in- 
dépendance et  jusque  sous  les  Hérodes,  ils  jouèrent  un  assez  grand 
rôle,  tantôt  comme  mercenaires  des  Syriens,  tantôt  comme  alliés  des 
Juifs  (1  Mac.  V,  IX,  XI,  XII,  passim;  Jos.,  Antiq.,  XIII,  13,  3,  15,  4; 
XIV,1,  4.  2,  1;  XV,4.  let  4.5,  1-3;  XVIII,  5,  1;  Bell.Jud.,1,  6,  2).  Les 
Nabathéens  même  se  constituèrent  en  royaume  indépendant  et  acquirent 
une  assez  grande  célébrité  sous  la  dynastie  des  Arétas  (voyez  :  Naba- 
théens). La  domination  impériale  et  le  contact  de  l'Occident  donnèrent 
naissance  en  Arabie  Pétrée  et  dans  le  Hauran  à  une  civilisation  arabo- 
romaine,  qui  jeta  un  vif  éclat  et  dont  les  ruines  et  les  inscriptions  de 
f»almyre  nous  attestent  la  grandeur  ;  c'est  une  architecture  grecque, 
avec  des  noms  en  grande  partie  arabes  (voyez  :  Waddington,  Inscrip- 
tions grecques  et  latines  de  la  Syrie;  de  Vogué,  Syrie  centrale).  Mais 
les  Romains  ne  pénétrèrent  pas  jusqu'en  Arabie  Déserte,  ou  du  moins 
leur  domination  n'y  fut  jamais  que  nominale.  On  y  voit  paraître,  au 
quatrième  et  au  cinquième  siècle,  une  tribu  dont  le  nom  devait 
occuper,  quelques  siècles  plus  tard,  une  si  grande  place  dans  l'histoire 
d'Occident,  les  Saraceni.  Peut-être  faut-il  y  voir,  avec  M.  Renan,  une 
dernière  transformation  des  Benê  Kedem ,  les  premiers  habitants  de 
l'Arabie  Déserte  :  Zêrakh  signifie  «  l'Orient  ».  —  L'Arabie  du  Sud  a 
toujours  vécu  de  sa  vie  propre.  Sous  la  dix-huitième  dynastie  égyp- 
tienne, elle  fut  conquise  par  la  princesse  régente  Hatsatsou,  sœur  de 
Thoutmès  III.  Mais,  dès  la  vingtième  dynastie,  les  Egyptiens  la  perdi- 
rent définitivement.  Depuis  lors  elle  fut  tout  entière  au  commerce 
de  la  mer  Rouge.  A  partir  du  huitième  siècle,  les  Assyriens  tournè- 
rent leurs  armes  de  son  côté.  Les  campagnes  de  Sennachérib  lui 
avaient  soumis  le  Hedjaz  et  le  Nedjed  ;  son  fils  Assarhaddon  pénétra 
jusqu'aux  frontières  du  royaume  sabéen  (681  et  072).  Méthodius  nous 
a  conservé  le  récit  de  cette  campagne  d'après  Bérose.  Mais  ce  ne  fut 
qu'une  conquête  passagère.  Il  en  est  de  même  de  la  grande  expédition 
de  Nabuchodonosor  qui  avait  pour  but  de  ruiner,  au  profit  du  golfe 
Persique,  le  commerce  de  la  mer  Rouge  rétabli  par  Psammétique  et 
Neko.  Il  pénétra  jusque  près  d'Aden,  mais  ne  put  s'y  maintenir.  Cent 
ans  après,  le  royaume  d'Yémen  était  aussi  florissant  qu'il  ne  l'avait 
jamais  été.  C'est  aux  siècles  suivants  qu'il  faut  sans  doute  rapporter 
les  grandes  constructions  dont  les  ruines  couvrent  l'Yémen,  et  les  in- 
scriptions qu'on  y  trouve.  A  une  époque  qu'on  ne  peut  déterminer, 
une  dynastie,  qui  avait  pris  pour  capitale  Himyar,  supplanta  l'ancien 
empire  sabéen  et  imposa  son  nom  à  toutle  pays.  Ses  rois  s'appelaient  Tob- 
baa.  Elle  dura  jusqu'à  l'invasion  éthiopienne.  La  dernière  période  de  l'his- 
toire d'Arabie  qui  s'étend  de  la  conquête  éthiopienne  à  Mahomet  est  très- 
obscure.  La  conquête  extérieure  se  mêle  à  l'introduction  du  christianisme 
et  à  l'émigration  toujours  plus  nombreuse  des  Juifs  du  côté  de  Médine. 
—  Sommes  :  Les  principaux  ouvrages  à  consulter  sont  :  Sources  indi- 
gènes, Abulfeda,  Historia  Ante-Islamica,  éd.  Fleischer,  Lispsia?,  1831, 
"n-4°;  Kitàb  el  Agûni:  il  n'a  jamais  été  traduit,  mais  on  en  trouve  de 
"ort  longs  extraits  dans  Caussin  de  Perceval  et  Fresnel  (voy.  plus  bas). 


ARABIE  499 

Sources  étrangères  :  Pour  la  géographie,  nous  nous  bornerons  à  indi- 
quer Niebuhr ,  Beschreibung  von  Arabien,  Kopenhagen,  1772,  1  vol. 
in-4°;  le  même,  Reisebeschreibung  nach  Arabien  usw.,  Kopenhagen, 
177't,  3  vol.  in-4°;  et  Ritter,  Erdkunde,  Arabien,  Berlin,  1846-7,  2  vol. 
in-8";  eu  y  joignant  pour  la  géographie  ancienne  :  Sprenger,  die  dite 
Géographie  Ara/siens,  Bern,  1875,  in-8°.  Pour  l'ethnographie,  r ou- 
vrage fondamental  est  :  Caussin  de  Perceval,  Essai  sur  l'histoire  des 
Arabes  avant  l'islamisme,  Paris,  1847-1848,  3  vol.  in-8°  ;  on  trouve 
aussi  un  grand  nombre  de  renseignements  sur  l'Arabie  du  Sud  dans 
Fresnel,  Lettres  sur  l'histoire  des  Arabes,  I-1V,  Paris,  1836-7  (les  trois 
dernières  sont  des  extraits  du  Journal  Asiatique).  La  langue  et  la  litté- 
rature ont  été  étudiées  d'une  façon  générale  par  E.  Renan,  Histoire 
'1rs  langues  sémitiques,  livre  IV,  ch.  1  et  2,  2e  édit. ,  Paris,  1858.  Pour 
fa  religion,  en  dehors  de  Y  Histoire  des  langues  sémitiques,  voir  Renan, 
Nouvelles  Considérations  sur  le  caractère  général  des  peuples  sémitiques  et 
en  particulier  sur  leur  tendance  au  monothéisme,  Journ.  Asiat. ,  1859; 
Sprenger,  Bas  Leben  Mohammeds,  Berlin,  1856,  in-8°;  Krehl,  Ueber  die 
Religion  der  vorislamischen  Araber,  Leipzig,  1863,  in-8°;  Dozy,  Die 
Israeliten  zu  Mekka,  Leipzig  et  Haarlem,  1864,  in-8°.  Les  généalogies 
de  la  Genèse  sont  étudiées  en  détail  dans  tous  les  commentaires. 
Oh  peut  en  rapprocher  les  travaux  de  Lassen,  Indische  Alterthums- 
kunde,  t.  I,  Bonn,  1847,  et  t.  II,  p  572ss.,  Bonn,  1849,  in-8°,  et  du  baron 
d'Eckstein,  Athenœum  français,  1854,  p.  486  s.,  sur  les  Couschites  et 
les  Arabes  primitifs.  L'Yémen  et  les  inscriptions  sabéennes  (himyari- 
tes)  forment  l'objet  de  toute  une  littérature.  Ses  périodes  principales 
sont  marquées  par  les  mémoires  suivants  :  Fresnel,  Lettres  sur  l'Ara- 
bie, 1837;  le  même:  Pièces  relatives  aux  inscriptions  liimyarites,  décou- 
vertes par  M.Arnaud.  Journ.  Asiat.,  1845;  Osiander,  Zeitschr.  der.  D. 
Morgenl.  Ges.,  t.  VII  (1853)  ;  Studien  uber  die  Vorisl.  Religion  der  Ara- 
ber, ibid.,  t.  X  (1856)  ;  Zur  himjarischen  Alterthumsu.  Sprachkunde,  etc.  ; 
Halevy,  Rapport  sur  une  mission  archéologique  dans  le  Yémcn.  Journ. 
Asiat.,  1872;  Idem,  Etudes  sabéennes,  ibid.,  1873;  Prœtorius,  Zeit- 
schr. d.  D.  Morg.,  Ges.,  t.  XXVI  (1871)  et  ss.Pour  Palmyre,  le  Haurân, 
les  Nabathéens,  les  Arabes  du  Sinaï,  voir  Lepsius,  JEgypt.Dcnkmaeler; 
Waddington, Inscr.  grecques  et  latines  de  la  Syrie,  Paris,  1870,  in-4°; 
de  Vogué,  Syrie  centrale,  Paris,  1869,  in-4°;  Lévy,  Zeitschr.  der  D. 
Morgenl.  Ges.,  XIV,  1860;  Blau,  ibidem;  Wetzstein,  Reisebericht  uber 
ffauràn  und  die  Trachonen,  et  Renan ,  Sur  quelques  noms  arabes  qui 
figurent  dans  les  inscriptions  grecques  de  l'Auranitide.  Bulletin  archéol. 
français,  sept.  1856.  L'histoire  de  l'Arabie  dans  son  ensemble  n'a  été 
I  objet  d'aucun  travail.  Le  seul  résumé  que  Ton  en  possède  se  trouve 
dans  Lenormant,  Manuel  d'histoire  ancienne  de  V Orient,  Paris,  1869, 
tome  III.  ph.Beeqeb. 

^  ARABIE  (Le  christianisme  en).  Saint  Paul  raconte  dans  l'épître  aux 
Galates  (I,  17),  qu'il  se  rendit  après  sa  conversion  en  Arabie.  Il  ne  peut 
guère  >  avoir  de  doute  sur  le  sens  des  paroles  de  L'apôtre  ;  la  significa- 
tion du  mot  Arabie  dans  L'antiquité  et  la  mention  de  Damas  qui  vient 
aussitôt  après,  nous  obligent  à  chercher  la  retraite  de  l'apôtre  dans  quel- 


500  ARABIE 

qu'une  des  villes  des  Nabathéens.  Les  légendes   qui  rattachent  à  saint 
Paul  l'introduction  du  christianisme  en  Arabie  n'ont  d'autre  source 
que  ce  passage  et  ne  méritent  aucune  créance  ;  il  faut  sans  doute  porter 
le  même  jugement  sur  la  légende  d'Abgare;  néanmoins  il  est  certain 
que  le  christianisme  se  répandit  de  très-nonne  heure  dans  ces  contrées. 
La  Nabathée,  Edesse,  Bostraont  été  au  nombre  des  premiers  pays  conquis 
au  christianisme.  Les  inscriptions  grecques  et  latines  rapportées  de  la  Syrie 
centrale  par  M.  Waddington  en  fournissent  la  preuve  éclatante.  Arnobe 
(Adv.ge?ites,  II,  50)  parle  des  progrès  du  christianisme  du  côté  du  désert, 
et  le  concile  de  Nicée  mentionne  cinq  évêques  de  la  province  d'Arabie, 
ceux  de  Bostra,  de  Philadelphie,  d'Hestbon,  de  Dionysas  et  de  Con- 
stantia.  Plus  tard,  au  concile  de  Chalcédoine,  en  451, jil  yen  eut  jusqu'à 
18,  sans  compter  ceux  des  villes  arabes  qui  ne  faisaient  pas  partie  de 
la  province  romaine.  Mais  l'histoire  du  christianisme   dans   l'Arabie 
du  Nord   se  confond   presque   avec  celle  des  hérésies.  Dès  l'an  244, 
Origène  ramène  à  la  foi  orthodoxe  Berylle,  évêque  de  Bostra,  qui 
était  antitrinitaire.  Quelques  années  après  (250),  il  revient  en  Arabie 
pour  combattre  des  hérétiques,  suivant  lesquels  l'àme  mourait  avec  le 
corps  et  devait  ressusciter  avec   lui.   Les  empereurs  chrétiens,  qui 
voyaient  dans  le  christianisme  une  arme  contre  les  Persans,  cherchèrent 
à  le  répandreen  Arabie.  Vers  350,  Constance  y  envoya  un  missionnaire, 
AnanesThéophilus;  mais  le  christianisme,  au  lieu  de  se  développer,  décrut 
avec  la  puissance  romaine  en  Orient,  et  ne  laissa  derrière  lui  que  des 
hérésies  ;  c'est  dans  ces  contrées  que  se  sont  développées  les  sectes  des 
nestoriens  et  les  monophysites.  Le  christianisme  a  pénétré  au  sud  de 
l'Arabie  par  une  voie  toute  différente.  En  dehors  du  martyre  de  Bar- 
thélémy, qui  n'a  aucune  valeur  historique,  et  des  détails  que  rapporte 
Eusèbe  à  ce  sujet,  il  n'est  fait  aucune  mention  de  chrétiens  dans  l'Ara- 
bie du  Sud  jusqu'au  règne  de  Constantin.  C'est  sous  cet  empereur  que 
se  place  l'histoire  de  Frumentius,  qu'on  a  rapportée  tantôt  à  l'Abyssi- 
nie,  tantôt  à  l'empire  himyarite   (voy.  Abyssinie).  Sous  le  règne  de 
Constance,  Theophilus  Indus  entreprit  un  voyage  missionnaire  dans 
l'Yémen,   y  lit  de  nombreuses  conversions  et  fonda  trois  Eglises. 
Assemanni  le  considère  comme  un  arien  ;  il  est  certain,  en  tous  cas, 
qu'à  dater  de  cette  époque,  le  christianisme  est  implanté  dans  l'Arabie 
du   Sud.    Ses  progrès  furent  arrêtés  par  la  persécution  d'un  prince 
himyarite,  Dzou-Nowas,  excité  par  les  Juifs  dont  il  avait  embrassé  la 
religion.  Mais  le  massacre  des  chrétiens  à  Nedjràn  attira  les  représailles 
des  Abyssins   déjà   convertis    au    christianisme.    Ceux-ci   envahirent 
l'Yémen  et  ne  laissèrent  que  des  ruines  derrière  eux.  Toute  cette  con- 
quête de  l'empire  himyarite  par  les  rois  d'Abyssinie  est  sujette  à  bien 
des  réserves,  mais  deux  faits  sont  certains.   Le  premier,  c'est  que  sous 
l'influence  de  ces  invasions  qui  venaient  du  Sud,  les  populations  jocta- 
nites  furent  refoulées  vers  le  Nord  ;  l'autre,  que  les  progrès  du  christia- 
nisme armé  provoquèrent  de  la  part  des  Juifs  et  des  Arabes ,  princi- 
palement des   Koréischites  établis  aux  environs  de  La    Mecque,  une 
résistance  puis  une  réaction  violentes.  Les  années  qui  suivirent  pourtant 
furent  favorables  aux  progrès  du   christianisme.   Sous  la  direction 


ARABIE  501 

habile  et  prudente  de  saint  Gregentius,  évêque  de  Zafar,  il  se  répandit 
rapidement;  mais  une  expédition  imprudente  du  prince  Abrahah  contre 
La  Mecque  compromit  tous  les  succès  qu'on  avait  obtenus.  L'armée 
chrétienne  fut  écrasée  dans  les  défilés  qui  entourent  La  Mecque  par  les 
Koréischites,  conduits  par  Abd-al-Motalleb,  le  grand-père  de  Mahomet. 
Abrahah  mourut  de  ses  blessures,  et  les  Persans  appelés  par  les  Himya- 
rites  s'emparèrent  de  la  domination  de  tout  le  sud  de  l'Arabie.  L'année 
même  de  la  défaite  du  prince  Abrahah  naissait  Mahomet.  —  L'histoire 
du.  christianisme  en  Arabie  a  été  étudiée  par  Thomas  Wright,  Early 
Christianity  in  \rabia,  Lond.,  1855,  in-8".  Ph.  Berger. 

ARABIE  (Statistique  religieuse).  Les  données  sur  la  population  de 
l'Arabie  sont  naturellement  fort  incertaines.  11  y  a  vingt  ans,  on 
parlait  de  douze  à  quatorze  millions  d'àmes.  Les  voyages  récents  ont 
fait  considérablement  réduire  ce  chiffre,  et  Ton  ne  peut  guère  évaluer 
aujourd'hui  cette  population  à  plus  de  quatre  ou  cinq  millions  d'habi- 
tants. Berceau  de  l'islamisme,  l'Arabie  est  restée  entièrement  musul- 
mane. Mais  tous  ses  habitants  n'appartiennent  pas  à  la  même  secte,  et 
il  y  a  entre  eux  des  différences  considérables.  Les  Bédouins,  descen- 
dants des  anciens  Arabes,  forment  environ  les  neuf  dixièmes  de  la 
population.  Le  voyageur  Burton  distingue  parmi  eux  trois  races 
distinctes  :  1°  Arab-el-Aribali,  descendants  des  habitants  primitifs  du 
pays  et  resserrés  dans  le  sud-ouest  de  la  péninsule  ;  2°  Redschdi,  venus 
de  Mésopotamie,  environ  2200  ans  avant  notre  ère,  et  occupant  la  plus 
grande  partie  du  pays,  et  enfiu  3°  Arab-el-Mustarrabah  ou  Ismaélites, 
établis  surtout  dans  la  presqu'île  du  Sinaï.  A  côté  des  Bédouins,  vivent 
quelques  Juifs,  des  banians  de  l'Inde,  des  nègres,  des  Abyssins  et  des 
Turcs.  On  distingue  aujourd'hui  sept  régions  principales  dans  le  pays  : 
1°  le Bahr-el-Tor,  presqu'île  du  Sinaï,  dontles  habitants  appartiennent  àla 
secte  des  Sunnites,  qui  reconnaissent  la  légitimité  des  trois  khalifes,  suc- 
cesseurs de  Mahomet  ;  2°  le  Hedjaz,  sur  la  côte  de  la  mer  Rouge,  avec 
environ  60,000  habitants.  C'est  le  berceau  de  l'islamisme.  Là  sont  les 
deux  villes  saintes,  La  Mecque  et  Médine  ;  là  ont  lieu  les  grands  pèleri- 
nages des  musulmans,  et  c'est  de  cet  usage  que  vient  le  nom  même 
de  la  contrée  (Hedjaz,  pays  des  pèlerinages).  Les  habitants  sont 
Sunnites;  quelques  Juifs,  Rechabites,  sont  établis  parmi  eux;  3°1VF- 
men  à  la  pointe  sud-ouest  du  pays,  peuplé  de  50,000  âmes;  le  voisi- 
nage de  l'Afrique,  dont  l'Yémen  n'est  séparé  que  par  le  détroit  de 
Bab-el-Mandeb,  fait  qu'il  y  a  dans  le  pays  passablement  de  nègres  et 
d'Abyssins,  ces  derniers,  chrétiens  monophysites.  La  population  arabe 
elle-même  doit  s'être  mélangée  avec  ces  émigrants,  comme  le  prouve 
la  couleur  presque  noire  des  habitants  ;  on  rencontre  encore  quelques 
Juifs;  4°  VHadramaout  forme  la  côte  méridionale  de  l'Arabie;  sa 
population,  sunnite,  peutêtre  évaluée  à  800,000  âmes;  5°  YOiuan  ap- 
partient en  majeure  partie  à  l'imam  de  Mascate,  que  l'on  appelle 
aussi  sultan  <l<-  Zanzibar.  Formant  l'extrémité  sudvest  de  l'Arabie, 
tourné  vers  L'Inde,  en  rapports  politiques  avec  la  côte  orientale 
d'Afrique,  L'Oman  est  à  la  fois  une  des  parties  les  plus  peuplées  de 
l'Arabie  (environ  i,o(J8,000  habitants),  et  l'une  de  celles  où  les  étran- 


502  ARABIE  —  ARANDE 

gers  sont  les  plus  nombreux.  Il  se  rattache  aux  croyances  sunnites;  6°  le 
Lahsa  ou  Barein,  sur  le  golfe  Persique,  a  été  conquis  en  majeure  partie 
par  les  Turcs.  La  population  soumise  à  la  Porte  s'élève  à  102,477  ha- 
bitants, de  la  secte  des  chiytes,  qui  rejettent  les  trois  premiers  khalifes 
et  considèrent  le  quatrième,  Ali,  comme  le  légitime  successeur  de  Maho- 
met; 7°  enlin  le  Nedjed,  dans  l'intérieur  du  pays,  est  un  immense  pla- 
teau où  dominent  presque  entièrement  les  Wahabites.  Cette  secte,  qui 
rejette,  comme  une  idolâtrie,  toutes  les  marques  d'adoration  à  Mahomet 
et  aux  saints  de  l'Islam,  a  été  fondée  vers  le  milieu  du  dix-huitième 
siècle.  Ils  s'emparèrent  de  presque  toute  l'Arabie  et  semblaient  destinés 
à  de  grandes  destinées,  lorsque  le  vice-roi  d'Egypte,  Méhémet-Ali,  les 
repoussa  dans  le  Nedjed,  où  ils  sont  restés  depuis  lors.  Le  voyageur 
Palgrave  évalue  leur  population  à  1,133,000  âmes.  Pour  terminer  avec 
l'Arabie,  il  faut  encore  signaler  la  colonie  anglaise  d'Aden  dans  l'ïé- 
men, peuplée  de  19,289  habitants.  Les  mahométans  y  sont  en  majo- 
rité, les  Juifs  y  forment  également  une  fraction  importante  de  la  popu- 
lation. Il  y  a  3  à  4,000  catholiques,  sous  la  direction  d'un  préfet  apos- 
tolique. L'Eglise  anglicane  y  entretient  un  chapelain  qui  relève  de 
l'évêque  de  Bombay.  E.  Vauchee. 

ARABIENS  ou  ARABIQUES  (Arabici,  ©vr/co^x/frat) ,  nom  d'une  secte 
qui  s'éleva  en  Arabie  au  commencement  du  troisième  siècle  et  qui  fut 
victorieusement  combattue  par  Origène  dans  un  synode  tenu  en 
l'an  246.  Ces  hérétiques  enseignaient  que  l'âme  naissait  et  mourait 
avec  le  corps,  mais  qu'elle  ressuscitait  en  même  temps  que  lui 
(Eusèbe,  Hist.  eccl.,  Yl,  37;  Augustin,  De  hœres.,  c.  38;  Nicéphore, 
Hist.,  Y,  23;  Jean  Damascène,  Hœres.,  99  ;  voy.  aussi  Walch,  Hist.  der 
Ketzereien,   Leipz.,  1764,  p.  167). 

ARAD  ('Arâd),  l'une  des  villes  royales  des  Cananéens,  au  nord  du 
désert  de  Juda  (Jos.  XII,  14;  Jug.,  I,  16).  C'est  certainement  le  nom 
de  cette  ville  que  l'on  retrouve,  Nombres  XXI,  1  et  XXXIII,  40.  Eusèbe 
et  saint  Jérôme  la  placent  à  l'entrée  du  désert  de  Kadès,  à  vingt  milles 
romains  au  sud  de  Hébron.  D'accord  avec  leurs  renseignements,  Ro- 
binson  (II,  101,  201,  202)  l'identifie  avec  Tell-Arôd,  une  colline  cou- 
verte de  ruines,  qui  est  située  à  huit  lieues  au  sud  de  Hébron,  sur  le 
versant  de  la  mer  Morte. 
ARAM.  Yoyez  Syrie. 

ARANDE  (Michel  d'),  natif  des  environs  de  Tournay,  fut,  vers  1520, 
un  des  jeunes  gens  auxquels  Lefèvre  d'Etaples  communiquait  ses 
convictions,  moitié  mystiques,  moitié  réformatrices.  Lorsqu'en  1521, 
Lefèvre,  soupçonné  d'hérésie,  se  retira  auprès  de  l'évêque  Briçonnet 
de  Meaux,  Michel  l'y  suivit  avec  Guillaume  Farel  et  Gérard  Roussel. 
L'évêque  leur  permit  de  prêcher.  Michel  se  rendait  parfois  à  Paris, 
auprès  de  la  princesse  Marguerite,  chez  laquelle,  dans  des  réunions 
intimes,  en  présence  du  roi  et  de  sa  mère,  il  expliquait  la  Bible.  En 
décembre  1521,  Marguerite  écrivit  à  Briçonnet  que,  par  la  bouche  de 
maître  Michel,  «  l'esprit  du  Seigneur  frappait  des  âmes  enclines  à  le 
recevoir  ».  Un  an  après,  l'évêque  ayant  demandé  son  retour,  elle  lui 
exprima,  au  nom  de  Louise  de  Savoie,  le  désir  qu'il  pût  achever  «  de 


ÀRANDE  —  ARARAT  Ô03 

lui  lire  L'Ecriture;  louez  Dieu  qu'il  ne  perd  pas  son  temps  ».  On  sait 
que  ces  dispositions  de  la  cour  ne  durèrent  point  ;  lors  de  la  réaction 
catholique,  en  1523,  le  mystique  Briçonnet,  intimidé,  détendit  de  prê- 
cher les  idées  nouvelles.  En  1524, Marguerite  s'attacha  Michel  d'Arande 
comme  aumônier  ;  il  raccompagna  à  Lyon,  où  il  prêcha,  ainsi  qu'à 
Màcon.  Impliqué  dans  le  procès  des  hérétiques  de  Meaux,  il  se  réfugia 
à  Strasbourg  où  se  trouvaient  déjà  Lefèvre  et  Roussel.  Après  le  retour 
de  François  Ier,  il  reprit  ses  fonctions  auprès  de  Marguerite,  qui,  en 
1525,  lui  lit  obtenir  l'évêché  de  Saint-Paul-Trois-Ghàteaux,  en  Dau- 
phiné.  Dans  une  lettre  à  la  reine  de  Navarre,  22  mai  1528,  Capiton  le 
dépeint  comme  grave,  éloquent,  singulièrement  pieux,  évêque  plein  de 
zèle,  mais  ayant  égard  au  temps;  on  ne  pouvait  pas  le  qualifier  en  de 
meilleurs  termes  ;  il  était  pieux  comme  la  princesse  ;  mais,  grâce  à  son 
mysticisme,  il  se  pliait,  comme  elle,  aux  circonstances. 

ARARAT,  montagne  d'Arménie  sur  laquelle  s'arrêta  l'Arche.  Dans  le 
récit  biblique,  ce  nom  désigne  une  chaîne  de  montagnes  plutôt  qu'un 
sommet  isolé;  il  est  dit,  Gen.  VIII,  4,  que  l'Arche  s'arrêta  sur  les 
monts  Ararat;  c'est  dans  le  même  sens  que  l'emploie  le  Livre  des 
Rois  (2  Rois  XIX,  37;  Comp.  Es.  XXXVII,  38);  Jérémie  (Ll,  27)  lui 
donne  une  acception  peut-être  encore  plus  large  ;  dans  les  inscriptions 
cunéiformes,  c'est  le  nom  même  de  l'Arménie  [Ararti,  Urarti  ;  Menant, 
Syllabaire  assyrien,  t.  I,  p.  119).  L'Ararat  était  inconnu  des  Grecs  et 
des  Romains;  néanmoins,  son  emplacement  n'est  pas  douteux;  c'est  la 
contrée  montagneuse  située  au  centre  de  l'Arménie,  entre  les  lacs  Van 
et  Ouroumiah  et  d'où  sortent,  à  l'est,  l'Araxe,  au  sud,  le  Tigre  et  l'Eu- 
phrate.  Elle  s'appelait  ainsi  dès  une  époque  fortancienne.  On  trouve  ce 
l'ait  mentionné  pour  la  première  fois  dans  Moïse  de  Khorène  (I,  15,  16). 
La  tradition  babylonienne  diffère  un  peu  de  la  tradition  biblique.  D'après 
le  récit  du  déluge,  retrouvé  par  G.  Smith  (Chaldaean  account  of  ihe 
Genesis,  p.  270),  l'Arche  s'arrêta  sur  les  monts  Nizir;  on  ne  sait  où 
il  faut  les  chercher  au  juste;  suivant  Smith  (II,  p.  237),  ce  serait  à  Test 
du  Tigre;  Bérose,  qui  doit  être  l'écho  de  la  même  tradition,  dit 
expressément  qne  le  pays  où  aborda  Xissuthrus  était  l'Arménie,  et 
il  ajoute  qu'une  partie  du  navire  resta  sur  les  monts  Gordiens,  %pbç  tÇ> 
zzv.  xw  KopSuaiwv;  ces  monts,  qui  ont  donné  leur  nom  au  Kurdis- 
tan, ferment  la  vallée  du  Tigre,  et  ont  l'air  de  former  une  barrière 
infranchissable  ;  on  conçoit  que  les  habitants  de  la  Mésopotamie 
les  aient  choisis  pour  y  fixer  la  légende  de  l'Arche.  Nicolas  de  Damas, 
qui  raconte  la  même  histoire,  la  rapporte  au  mont  Baris ,  au  nord 
(in  Minyas;  mais  cette  opinion,  qu'on  ne  retrouve  pas  ailleurs,  doit 
provenir  d'une  erreur;  aussi,  a-t-on  proposé  depuis  longtemps  de 
corriger Bapiç  en  Macr-c,  qui  est  le  nom  actuel  de  l'Ararat.En  somme,  la 
tradition  biblique  et  la  tradition  babylonienne  sont  assez  voisines,  car 
les  monls  du  Kurdistan  limitent  le  plateau  d'Arménie  du  côté  du  sud. 
On  a  supposé  que  Le  nom  de  l'Ararat  avait  voyagé,  comme  celui  de 
l'Olympe,  du  moût  Ida,  etc.,  et  qu'il  avait  désigné  primitivement  une 
montagne  située  beaucoup  plus  à  L'est  (voy.  Gen.  XI,  2),  l'Aryà- 
ratha,  dans  l'Hindou-Kouch,  au  nord  de  l'Himalaya  (Lenormant,  Frag. 


504  ARARAT  —  ARBALESTE 

cosmog.  de  Bérose,  p.  302  ss.)  ;  mais  les  preuves  font  peut-être  défaut. 
La  plupart  des  anciennes 'versions  de  la  Bible,  Aquila,  Symmaque, 
Théodotion,  la  Vulgate ,  ainsi,  que  les  auteurs  occidentaux,  Eusèbe, 
saint  Jérôme,  Tliéodoret,  traduisent  le  mot  Ararat  par  l'Arménie; 
au  contraire,  les  versions  orientales  y  substituent  les  monts  Gordiens; 
mais  elles  ont  dû  suivre ,  en  ce  point ,  la  tradition  babylonienne , 
tandis  que  les  versions  occidentales  se  rattachent  à  la  tradition  biblique. 
Seule,  la  version  samaritaine  place  Y  Ararat  dans  Pile  de  Ceylan.  Les 
Arméniens  modernes  ont  localisé,  plus  encore  que  le  récit  biblique, 
tout  ce  qui  a  trait  à  l'histoire  du  déluge.  Suivis  en  cela  par  les  Euro- 
péens, ils  désignent  plus  spécialement  comme  étant  l'Ararat  un  pic 
majestueux,  couvert  de  neiges  éternelles,  qui  s'élève  de  la  plaine  de 
l'Araxe,  en  face  d'Erivan,  et  qui  est  appelé  Massis  par  les  indigènes, 
Agndagh  par  les  Turcs,  Kuhi-Nuli  (montagne  de  Noé)  par  les  Perses. 
Derrière  lui  s'élève  une  montagne  conique,  moins  élevée  :  c'est  le  petit 
Ararat.  Parrot  est  le  premier  qui  en  ait  fait  l'ascension  (Beise  zum  Ara- 
rat, Berlin,  1834j.  L'Ararat  a  été  depuis  visité  et  décrit  par  presque 
tous  les  voyageurs.  Ph.  Beegee. 

ARBALESTE  (Charlotte),  fille  de  Guy  Arbaleste,  seigneur  de  La 
Borde,  vicomte  de  Melun,  président  à  la  Cour  des  comptes,  et  de  Made- 
leine Chevalier.  Mariée  à  dix-sept  ans,  en  1567,  à  Jean  de  Par,  sei- 
gneur de  Feuquères ,  officier  distingué ,  elle  le  perdit  en  1569.  La 
jeune  veuve,  lors  de  la  Saint-Barthélémy,  s'échappa  de  Paris,  à  travers 
mille  dangers,  et  se  réfugia  à  Sedan,  où  bientôt  vint  résider  Duplessis- 
Mornay.  Charlotte  «  consolait  son  exil  en  honorable  réputation  entre 
toutes  personnes,  en  la  crainte  de  Dieu,  lecture  de  sa  parole  et  autres 
louables  exercices,  fort  eslonguée  des  pensées  de  mariage  ».  Cepen- 
dant Mornay  ayant  recherché  la  main  de  Charlotte,  dans  la  conviction 
«  qu'ez  adversités  qu'il  avoit  à  traverser  en  la  profession  qu'il  faisoit, 
il  ne  pouvoit  être  plus  dignement  assisté  que  d'elle,  »  et  une  affection 
profonde  s'étant  établie  entre  les  deux  jeunes  gens,  ils  furent,  d'accord 
avec  leurs  plus  proches  parents,  liancés  l'un  à  l'autre.  Engagé,  loin  de 
Sedan,  dans  une  expédition  militaire,  au  cours  de  laquelle  il  fut  fait 
prisonnier,  Mornay  eut  la  joie  de  se  voir  tiré  cle  captivité,  moyennant 
rançon,  par  la  chaleureuse  intervention  de  sa  fiancée.  Ce  fut  alors  qu'à 
la  demande  de  celle-ci,  il  composa  le  Traité  de  la  vie  et  de  la  mort.  Le 
3  janvier  1576,  Mornay  épousa  Charlotte.  Basée  sur  des  sentiments  dont 
la  sainteté  n'apparut  jamais  mieux  que  sous  le  coup  d'austères  épreuves, 
leur  union  devint  l'un  des  plus  purs  modèles  du  mariage  vraiment 
chrétien.  —  Non  moins  bonne  mère  qu'épouse  fidèle,  Charlotte  Arba- 
leste n'avait  cessé  d'entourer  de  sa  sollicitude  éclairée  et  de  sa  ten- 
dresse les  enfants  que  Dieu  lui  avait  donnés;  ayant  honorablement  marié 
ses  filles,  elle  voyait  s'ouvrir,  pour  le  seul  des  quatre  fils  qui  lui  eût  été 
conservé,  un  noble  avenir,  lorsque  cet  excellent  jeune  homme,  pieux, 
tendre,  vaillant,  périt,  à  l'âge  de  vingt-six  ans,  le  25  octobre  1605,  à 
l'assaut  de  la  ville  de  Gueldre.  De  quelle  indicible  émotion  n'est-on 
pas  saisi  à  l'ouïe  de  ces  paroles  d'une  mère  angoissée?  «  Un  jeudi, 
24  novembre,  sur  le  soir,  M.  Duplessis,  sachant  bien  qu'il  ne  pouvait 


ARiJALESTE  505 

déguiser  son  visage,  se  résolut  qu'il  fallait  mêler  nos  douleurs  ensem- 
ble, et  d'entrée  :  «  Ma  mie,  me  dit-il,  c'est  aujourd'hui  que  Dieu  nous 
«  appelle  à  l'épreuve  de  sa  foi  et  de  son  obéissance;  puisqu'il  Ta  fait, 
«  c'est  à  nous  à  nous  taire  ;  »  auxquels  propos,  douteuse  déjà  quej'étois 
et  alangourie  de  longue  maladie,  j'entrai  en  pâmoison  et  convulsions; 
et  je  perdis  longtemps  la  parole, non  sans  apparence  d'y  succomber,  et 
la  première  qui  me  revint  fut  :  La  volonté  de  Dieu  soit  faite!...   Nous 
sentîmes  arracher  nos  entrailles,  retrancher  nos  espérances,  tarir  nos 
desseins  et  nos  désirs  ;  nous  ne  trouvions,  un  long  temps,  que  dire  l'un 
à  l'autre,  que  penser  en  nous-mêmes,   parce   qu'il   était  seul,    après 
Dieu,  notre  discours,  notre  pensée...  Nous  voyions  qu'en  lui,  Dieu 
nous  arrachait  tout,  sans  doute  pour  nous  arracher  ensemble  du  monde, 
pour  n'y  tenir  plus  à  rien,  à  quelque  heure  qu'il  nous  appelle,  et,  entre  ci 
et  là,  estimer  son  Eglise  notre  maison,  notre  famille  propre,  convertir 
tout  notre  soin  vers  elle.  »  A  peu  de  temps  de  là,  madame  de  Mornay 
terminait  ainsi  ses  Mémoires,  admirable  monument  d'amour  conjugal 
et  de  tendresse  maternelle  :  «  Le  21  d'avril  1606,  arriva  le  corps   de 
nostre  pauvre  fils,  qui  fut  porté  au  temple  de  l'Eglise  réformée  et  là 
mis  en  son  repos,  au  lieu  destiné  par  nous   à  cest  effet;   ordonnant, 
selon  que  Dieu  nous  appellera,  d'y  estre  posés  après  et  auprès  de  lui, 
puisqu'il  a  voulu  qu'il  y  soit  pour  prémices,  afin  qu'en  le  grand  jour, 
tous  ensemble,  par  la  grâce  de  Dieu  en  Jésus-Christ,  son  bien-aimé, 
nous  ressuscitions  en  sa  gloire.  Et  icy  esl-il  raisonnable  que  ce  même 
livre  finisse  par  lui,  qui  ne  fut  entrepris  que  pour  lui  décrire  notre  péré- 
grination en  ceste  vie,  et  puisqu'il  a  plu  à  Dieu,  il  a  eu  plus  tôt  et  plus 
doucement  fini  la  sienne  ;  aussi  bien,  si  je  ne  craignais  l'affliction  de 
y\.  Duplessis,  qui,  à  mesure   que  la  mienne  croit,  me  fait  sentir  son 
affection,  il  m'ennuierait  extrêmement  à  le  survivre.  »  Au  moment  où. 
sur  cette  terre,  leurunion  touchait  à  son  terme,  les  deux  époux,  tenant 
leurs  regards  haut  élevés  vers  les  célestes   régions   du   revoir  éternel, 
consignèrent  dans  le  préambule  d'un  testament,  fait  en  commun,  -ces 
touchantes  paroles   :    «  Nous   devons   à   Dieu   grâces   infinies   de  ce 
qu'ayant  à  passer  une  vie  pleine  d'amertumes,   pour  la  profession  de 
sa  sainte  vérité,  il  luy  a  plue,  pour  les  adoucir,   nous  donner  l'un  à 
l'autre;  à  moy,  Philippes,  une  très-chère  Charlotte,  douée  abondam- 
ment de  sa  connaissance  et  craincte,  à  laquelle  je  dois  ce  tesmoignage, 
si  je  ne  veux  estre  ingrat  à  Dieu,  qu'en  mes  travaux,  traverses,   souf- 
frances, nés  pour  sa  sainte  cause,  jamais  elle  ne  m'a  esté  en  surcharge, 
toujours  au  contraire  en  consolation,  et  de  parole  et  d'effeet,  se  résol- 
vant contre  l'affliction,   nonobstant    ses   maladies    ordinaires,   pour 
m'appuier,  à  mesure  qu'elle  croissoit;  à  moy,  réciproquement,  Char- 
lotte, mon  très-honoré  Philippes,  duquel  j'av  reçue  tant  d'instructions 
au  salut  <lc  mon  ame,  «le  consolations  d'esprit  en  mes  maux,  de  soula- 
gemenl  en  mes  douleurs,  de  douceurs  en  mes  amertumes,  ne  se  lassant 
nv  ennuyant  jamais  de  porter  et  supporter  ave<2  moy  les  croix  que  Dieu 
avoit  chargées  sur  moy,  et  me  les  pendre,  en  tant  qu'il  pouvoit.  suppor- 
tables, par  bon  ressentiment  et  secours  assidu,  que  je  «lois  protester 
que  toutes  autres  bénédictions  temporelles  ne  m'ont  rien  esté  à  l'égal 
i.  33 


50G  ARBALESTE  —  AKBUSSY 

de  celie-cy,  et  qu'après  la  connoissance  que  Dieu  m'a  miséricordieuse- 
mcnt  donnée  de  mon  salut  en  son  seul  fils,  de  rien  je  ne  l'ay  tant  loué,, 
ny  de  tout  le  reste  ensemble,  que  de  m'avoir  si  heureusement  adressée, 
en  la  pérégrination  que  j'avois  à  passer  en  ceste  vie.  »  Pieusement  rési- 
gnée, mais  brisée  par  la  douleur,  la  mère  chrétienne  suivit  de  près,  au 
tombeau,  le  fils  bien-aimé  dont  la  mort  avait  arraché  à  Philippe  de 
Mornay  cette  exclamation  déchirante  :  «  Je  n'ai  plus  de  fils,  je  n'ai 
donc  plus  de  femme.  »  Rien  de  plus  touchant  que  le  récit  authentique 
des  derniers  moments  de  madame  de  Mornay  ;  il  se  termine  par  ces  - 
mots  :  «  En  toute  ceste  agonie,  M.  Duplessis  ne  l'abandonna  point,  et 
quand,  ou  pour  prier  Dieu  pour  elle,  ou  crever  de  douleur,  il  s'en, 
retiroit  en  quelque  coin  de  la  chambre,  elle  le  demandoit  et  aussitost 
luy  tendoit  la  main,  tesmoignant  par  quelque  mot  que  la  douleur  qu'il 
sentoit  pour  elle  lui  estoit  plus  sensible  que  la  sienne  propre;  particu- 
lièrement, la  recommandante  Dieu  avec  très-ardentes  paroles  ;  il  la  pria, 
aussy  de  le  prier  pour  luy  en  ses  dernières  heures,  puisqu'il  estoit  ré- 
duit à  la  survivre,  sans  toutesfois  la  laisser  jusqu'au  dernier  soupir».— 
(Voir  sur  Charlotte  Arbaleste  :  1°  Vie  de  Philippe  de  Mornay,  1vol.  in-4,. 
Leyde,  1647  ;  2°  Mémoires  de  madame  de  Mornay,  publiés  par  la  Société 
de  l'Histoire  de  France,  2  vol.  in-8°,  Paris,  1868-69;  3°  Mémoires  et 
Correspondances  de  Duplessù-Momay,  12  vol.  in-8°;  Paris,  1824-25; 
4°  Etudes  historiques  sur  madame  Duplessis-Mornay  et  sur  Philippe  de 
Mornay  (Bulletin  de  la  Société  d'Histoire  du  Protestantisme  français,, 
t.  Il,  p.  649  à  666  et  t.  XVII,  p.  232  à  246  et  p.  257  à  279). 

J.  Delaboede. 

AR-BRISSEL  ou  Arbrisselles  (Robert  d')  (1047-1117),  originaire  du. 
village  de  ce  nom  (Arbre  sec),  dans  le  diocèse  de  Rennes,  d'une  fa- 
mille obscure,  après  avoir  assisté  son  évêque  en  qualité  d'administra- 
teur et  enseigné  la  théologie  à  Angers,  se  retira  dans  la  forêt  de  Graon 
et  mena  une  vie  de  solitaire  et  de  pénitent.  Sa  prédication  puissante  et 
incisive  réunit  bientôt  autour  de  lui  une  multitude  d'hommes  et  de 
femmes.  Il  éleva  deux  monastères,  celui  de  la  Roc  (de  rota)  en  1096  et 
celui  de  Fontevrault  (forts  Ebraldi)  en  1106,  qui  devint  même  le  siège 
d'un  ordre  particulier,  confirmé  par  une  bulle  du  pape  Calixte  II,  en 
1119  (voy.  Mabillon  :  Annales  Ord.  S.  Betted.,  V,  p.  314  ss.,  424  ss. 
ainsi  que  l'article  Fontevrault). 

ARBUSSY  ou  Arbussi.  Quatre  pasteurs,  de  la  même  famille ,  ont 
porté  le  même  nom.  Deux  d'entre  eux,  Théophile  et  Joseph,  étaient  fils 
de  Pierre  Arbussi,  bourgeois  de  Montauban,  et  de  Suzanne,  fille  de 
Théophile  Bérauld  ,  qui  était  fils  du  célèbre  Michel  Bérauld.  — 
1°  Théophile  Arbussi,  né  à  Montauban  le  8  juillet  1614,  fut  pasteur 
successivement  à  Sorèze,  1637;  à  Milhau,  1644;  etàRevel,  1663.  Nommé 
professeur  de  théologie  à  l'Académie  dePuylaurens,  en  1673,  il  mourut 
dans  cette  ville,  en  1681.  On  a  de  lui  un  sermon  sur  Genèse  XLIX,  10?. 
prêché  à  Loudun  pendant  le  temps  du  synode  national  (Saumur ,  1660^ 
in-8°),  et  sa  thèse  inaugurale  De  libero  arbitrio,  Podiolauri,  1674,  in-4° 
de  39  pag.  — 2°  Joseph  Arbussi,  son  frère,  né  à  Montauban  le  27  avril 
1624,  fut  pasteur  à  Sorèze  en  1645  et  l'année  suivante  à  Montauban^ 


ARBTJSSY  —  ARCHE  507 

En  1653  il  fut  nommé  professeur  d'hébreu  à  L'Académie  de  eette  ville. 
L'inconsistance  et  la  légèreté  de  son  caractère- soulevèrent  contre  lui 
une  très-vive  opposition  (Aymon,  Syn.  nat.,XX\,  754-758).  Après  avoir 
été  pasteur  pendant  quelques  années  à  Bergerac,  et  de  10()fi  à  1666 
à  Mines,  il  fut  obligé  de  quitter  cette  Eglise  où  il  avait  mis  ledésordre. 
Il  alla  alors  à  Paris  et  se  lit  catholique.  En  1675  il  retourna  à  Montau- 
ban,  et.  en  L689,  il  fut  nommé  avocat-général  à  la  Cour  des  aides  de 
cette  ville.  Il  mourut  le  5  avril  1091.  On  a  de  lui  :  Lettre  à  tous  les  fi- 
dèles des  Eglises  réformées  de  France,  Montaub.,  1057,  in-4°;  Sermon 
pour  l'ouverture  du  Synode  des  Eglises  réformées  de  la  Basse-Guienne, 
Bergerac,  1003,  in-8°;  Déclaration  contenant  les  moyens  de  réunir  les 
protestants  dans  l'Eglise  cathoL,  Paris,  1670,  in-8°.  —  3°  Les  deux  sui- 
vants sont  iils  de  Théophile Arbussi. L'aîné,  appelé  Théophile,  comme 
son  père,  naquit  à  Milhau  vers  1085.  11  fut  pasteur  à  Calmon,  1080,  et 
à  Puylaurens,  dès  la  fin  de  1081  à  1074.  Il  se  réfugia  alors  en  Suisse  et 
ensuite  en  Hollande.  11  fut  pasteur  des  nobles  à  la  Haye,  où  il  resta  jus- 
qu'à la  fin  de  ses  jours.  —  4°  Antoine  Arbussi,  frère  puîné  du  précé- 
dent, faisait  ses  études  de  théologie  à  Puylaurens  au  moment  de  la  ré- 
vocation de  Tédit  de  Nantes.  Réfugié  en  Hollande ,  il  fut  pasteur  à 
Franecker,  1703,  à  Utrecht,  1707,  et  à  Amsterdam,  1713.  Il  enseignait 
la  théologie  dans  cette  ville  en  1718.  On  a  de  lui  Juste  idée  de  la  grâce 
immédiate,  ou  Réponse  à  la  critique  de  la  doctrine  de  Jurieu,  la  Haye, 
1089,  in-12.  contre  les  Essais  de  théologie  sur  la  Providence  et  la  grâce, 
d'Isaac  Papin.  Michel  Nicolas. 

ARCHE  DE  L'ALLIANCE  [Arôn  haberith,  xi  ^hq^q  StaôVjxvjç  ou 
t:j  uiapTupfou,  circa  testimonii],  coffret  sacré  dans  lequel  étaient  enfermées 
le  tables  de  la  Loi  (Exode  XXV,  10  ss.  ;  XXXVII  1  ss.  ;  Deut.  X,  1  ss.  ; 
Josèphe,  A  nL,  III,  0).  D'après  Hébr.  IX,  4,  l'arche  renfermait  également 
une  corbeille  remplie  de  manne  (Exode  XVI,  33)  et  la  verge  fleurie 
d'Aaron  (Nomb.  XVII,  10),  mais  ce  fait  est  positivement  contredit  par 
1  Rois  VIII,  9,  et  par  Josèphe,  qui  ignore  l'existence  même  d'une  pa- 
reille tradition.  L'arche,  longue  de  deux  toises  et  demie  sur  une  toise  et 
demie  de  large  et  de  haut,  était  en  bois  d'acacia,  recouverte  à  l'intérieur 
et  à  l'extérieur  de  lames  d'or  lin  et  le  bord  supérieur  entouré  d'une 
guirlande  d'or.  Sur  le  couvercle  (kaporèth,  de  kaphar,  couvrir,  qui 
>.ms  doute  a  été  confondu  avec  kiphèr,  expier,  d'où  la  traduction  delà 
Septante  £Xa<rcVjpiov,  et  celle  de  la  Vulgate,  'propitiatorium),  qui  était  éga- 
lement en  or  et,  d'après  une  tradition  rabbinique,  en  or  massif ,  étaient 
représentés  deux  chérubins  en  or,  les  ailes  étendues,  la  face  tournée 
l'un  contre  L'autre  :  c'est  à  cet  endroit  que  les  Israélites  se  iiguraient 
Jéhova  présent  et  pendant  des  oracles  (Exode  XXV,  22;  Nomb.  XII,  89; 
Ps.  XCiX,  1,  etc).  Aux  deux  côtés  du  coffret  étaient  fixés  quatre  anneaux 
en  or,  par  lesquels  passaient  les  perches  en  acacia  destinées  à  porter 
l'arche  et  qui  devaient  y  rester  en  permanence  (Exode  XXV,  15),  aiin 
que  les  porteurs  n'eussent  pas  à  la  toucher  (2  Sam.  VI,  0).  L'arche  (-tait 
habituellement  déposée  dans  la  partie  la  pins  sainte  du  tabernacle 
on  (lu  temple  ;  parfois  pourtant  on  l'emportait  dans  les  expéditions 
militaire-,  comme  un  gage  sensible  de  la  protection  divine  1 1  Sain.  IV, 


08  ARCHE  —  ARCHEOLOGIE 

3  ss.;  cf.  XIV,  18),  et  de  cette  manière  elle  fut  prise  un  jour  par  les  Phi- 
listins (1  Sam.  V,  ()),  qui  la  restituèrent  quelque  temps  après  (1  Sam. 
VI,  19).  Nul  ne  pouvait  ni  la  voir  ni  la  toucher  :  c'est  pour  ce  motif 
qu'elle  était  enveloppée  d'une  housse  pendant  la  marche  à  travers  le 
désert  (Nomb.  XII,  17-20),  et  que  Huza,  qui  y  porta  la  main,  mourut 
subitement  (2  Sam.  VI,  6) .  Vraisemblablement  l'arche  périt  lors  de  la  des- 
truction du  temple  de  Salomon.   D'après  une  tradition,   reproduite 
2  Machab.  II,  4  ss.,  le  prophète  Jérémie,  sur  Tordre  de  Jéhova,  aurait 
caché  l'arche  dans  une  grotte  de  la  montagne  de  Pisga,  avant  la  prise 
de  Jérusalem  par  Nabuchodonosor,  mais  le  prêtre,  témoin  du  fait,  n'au- 
plus  pu  retrouver  l'endroit  (voy.  Ambroise,  de  Offic,  III,  17;  Werns- 
dorf,  de  fîde  Maccab .   p.  183  ss.).  De  récents  commentateurs  ont  affirmé, 
sans  preuves,  que  l'arche  se  serait  trouvée  au  nombre  des  objets  sacrés 
emportés  par  Nabuchodonosor  à  Babylone  (2  Chron.  XXXVI,  10),  et 
que  Cyrus  l'aurait  restituée  aux  Israélites  (voy.  Buxtorf,  de  Arca  fœder. 
c.  22;  Carpzov,  Disput.  academ.,  p.  48  ss.).  Quoi  qu'il  en  soit,  dans  le 
temple  recontruit  après  l'exil,   le  sanctuaire  était  absolument  vide 
(Josèphe,  de  Bdlo  jud.,\,  5).  Les  rabbins  parlent  d'une  nuée  qui  enve- 
loppait constamment  l'arche,  comme  le  symbole  de  la  présence  de 
Jéhova  (voy.  Othon,  Lexic.  rabb.,\).  678  ss.).  Cette  fable  s'appuie  sur  un 
passage  du  Lévitique  (XVI,  2)  où  il  est  question  du  nuage  d'encens  pro- 
duit par  le  prêtre  qui  officiait.  Les  Juifs  modernes  ont  dans  leurs  syna- 
gogues une  espèce  d'arche  qu'ils  regardent  comme  une  représentation 
de  celle  de  Moïse  :  c'est  un  coffre  ou  une  armoire  dans  laquelle  ils 
renferment  leurs  livres  sacrés.  D'autres  peuples  de  l'antiquité,  notam- 
ment les  Egyptiens,  avaient  des  coffrets  semblables  dans  lesquels  ils 
renfermaient  leurs  idoles  et  d'autres  objets  sacrés.  —  Voyez  :  Reland, 
Antiq.  sacr.,  I.,  c.  5,  p.  19  ss.  ;  Plutarque,  de  Isideet  Osir. ,  VII,  p.  446; 
Buxtorf,  Lexicon  ckald. ;  Winer,  Bill.  Reahvœrterb.,  etc. 
ARCHE  DE  NOÉ.  Voyez  Noé. 
ARCHÉLAUS.  Voyez  Hérodes  (les). 

ARCHÉOLOGIE  BIBLIQUE.  Il  n'est  pas  tout  à  fait  facile  de  rendre 
compte  de  la  valeur  de  ce  terme,  parce  qu'il  a  été  employé  dans  diffé- 
rents sens,  et  que,  à  vrai  dire,  il  en  comporte  plusieurs.  Le  mot  archéo- 
logie signifie  proprement  connaissances  ou  science  des  choses  anciennes, 
et  comme  la  Bible  est  une  chose  ancienne,  tout  ce  qui  tient  au  code 
sacré,  ou  ce  qui  peut  se  dire  de  lui  et  de  son  contenu  pourrait  rentrer 
{ans  l'archéologie  biblique.  Cependant  ce  n'est  pas  dans  cette  signifi- 
ition  large  et  pour  ainsi  dire  illimitée  que  ce  terme  est  employé.  On 
ne  l'applique  point  à  l'élément  spirituel,  aux  idées  religieuses  et  mora- 
les, aux  croyances,  à  l'enseignement,' qui  sont  la  chose  essentielle  dans 
l'Ecriture.  On  le  restreint  toujours  à  ce  que  nous  pourrions  appeler 
l'élément  matériel,  les  faits  concrets,  en  général  à  ce  qui  dans  les  textes 
se  rapporte  à  la  nature  physique  des  pays,  aux  institutions  et  à  la 
vie  domestique  et  sociale  des  peuples  et  des  personnes  qui  y  sont 
nommés.  Mais  cette  première  restriction  ne  suffit  pas  encore  pour 
préciser  le  sens  dans  lequel  le  mot  d'archéologie  biblique  est  habituel- 
lement employé  de  nos  jours.  On  a  coutume   d'éliminer  du  cadre  de 


ARCHEOLOGIE  509 

cette  science  l'histoire  proprement  dite,  c'est-à-dire  le  récit  des  évé- 
nements qui  sont  racontés  dans  l'Ancien  et  dans  le  Nouveau  Testament, 
ou  auxquels  il  y  est  fait  allusion.  Et  pourtant  il  parait  que  les  savants 
grecs  qui  ont  créé  le  terme  d'archéologie  ont  ,  avant  tout ,  songé 
à  cet  élément  particulier  comme  convenablement  représenté  par 
lui.  Ainsi  deux  célèbres  historiens  ,  Denys  d'Halicarnasse  et  Fla- 
vius Josèphe,  Tout  mis  en  tête  de  leurs  grands  ouvrages,  dont  l'un 
racontait  l'histoire  de  Home  depuis  l'origine  de  la  ville,  l'autre  celle 
des  Israélites  depuis  le  commencement  du  monde.  Le  titre  se  justifiait 
par  le  fait  que  tous  les  deux  remontaient  jusqu'aux  temps  les  plus  re- 
culés qu'ils  pouvaient  embrasser,  mais  ils  racontaient  des  faits  suc- 
cessifs, dont  ils  poursuivaient  la  série  jusqu'à  l'époque  contemporaine. 
Or  c'est  précisément  ce  caractère,  propre  à  toute  histoire,  de  s'occuper 
de  faits  successifs,  qui  engagea  les  auteurs  modernes  à  exclure  de  leurs 
ouvrages  d'archéologie  ce  qui  pouvait  être  le  sujet  d'une  narration 
progressive,  pour  n'y  faire  entrer  que  ce  qui  avait  le  caractère  de  la 
stabilité.  Il  n'y  a  que  bien  peu  d'écrivains  qui  n'aient  pas  tenu  compte 
de  cette  règle  (J.  Jahn,  Biblische  Archxologie,  Vienne,  1797  ss.,  5  vol.; 
Munk,  Palestine,  P.,  1845).  Il  est  vrai  que  la  condition  sociale  d'un 
gouvernement,  ses  mœurs,  sont  également  variables,  surtout  quand  il 
s'agit  d'un  espace  de  temps  aussi  considérable  que  celui  qui  s'est 
écoulé  entre  l'époque  des  patriarches  et  celle  des  apôtres.  Cependant 
la  variabilité  est  moins  grande  dans  cette  sphère  que  dans  l'autre,  et 
en  tout  cas  on  peut  dire  que  chaque  forme,  une  fois  donnée,  a  eu  une 
durée  suffisante  pour  pouvoir  être  considérée  en  quelque  sorte  comme 
relativement  stationnaire.  L'archéologie  biblique  serait  donc  la  science 
ou  la  connaissance  des  faits  matériels  (en  allemand  :  Realien),  men- 
tionnés dans  la  Bible,  en  tant  qu'ils  sont  censés  avoir  été  permanents 
[tendant  un  certain  laps  de  temps.  Voici,  cependant  une  aui,re  remarque 
préliminaire  plus  importante  encore.  La  Bible,  comme  chacun  sait,  ne 
parle  pas  seulement  des  Israélites.  Ceux-ci  ayant  toujours  été  en  rapport 
avec  d'autres  peuples,  Egyptiens,  Cananéens ,  Assyriens,  Chaldéens,  Per- 
ses, Grecs,  Romains,  les  auteurs  sacrés  sont  sans  cesse  amenés  à 
parler  de  choses  qui  appartiennent  à  une  sphère  autre  que  celle  qui  fait 
I  objet  principal  et  essentiel  de  leurs  écrits.  Qu'il  s'agisse  de  religion, 
de  lois,  de  coutumes,  d'arts,  ou  autres  choses  pareilles,  le  lecteur  de  la 
Bible  rencontre  presque  à  chaque  page  des  notices  ou  des  allusions  qui 
lui  rappellent  ou  représentent  une  civilisation  plus  ou  moins  différente 
decelleque  la  nation  israélite  a  développée  dans  son  propre  sein  et 
d  une  manier».'  indépendante.  L'archéologie  biblique,  si  l'on  veut 
prendre  l'adjectif  dans  son  acception  rigoureuse,  doit  parler  de  tout  cela, 
car  elle  doit  et  veut  faire  connaître  et  expliquer  tout  ce  qui  dans 
l'Ecriture  sainte,  d'un  bout  à  l'autre,  n'est  ni  enseignement  ni  récit 
historique.  Elle  doit  et  veut  être,  avec  la  philologie  biblique  ou  la  connais- 
sance des  langues  dont  les  écrivains  sacrés  se  sont  servis  et  avec  J'isago- 
gique  ou  l'histoire  de  la  littérature  biblique  ,  l'une  des  sciences 
auxiliaires  de  l'exégèse  ou  de  l'explication  des  textes.  Pour  compren- 
dre, par  exemple,  le  livre  des  Actes  des  apôtres,  il  ne  faut  pas  seule- 


510  ARCHEOLOGIE 

ment  savoir  ce  que  c'était  que  le  sanhédrin,  ou  une  synagogue,  ou  la 
circoncision,  ou  le  jeûne,  ou  lenasiréat,  ou  un  pharisien,  ou  un  hellé- 
niste, ou  toute  autre  chose  qui  tient  aux  institutions  religieuses  ou  civi- 
les des  Israélites  ;  on  y  rencontre  des  proconsuls,  des  préteurs,  des 
tribuns  militaires,  des  centurions,  des  légions,  des  cohortes,  des  asiar - 
ques,  des  magiciens,  des  stoïciens,  des  épicuriens,  l'aréopage  et  la 
Diane  d'Ephèse,  toutes  choses  étrangères  à  la  civilisation  du  peuple 
hébreu.  On  voit  par  ce  seul  exemple  combien  les  choses  à  expliquer, 
même  dans  le  cadre  restreint  que  nous  avons  tracé  plus  haut,  sont 
variées  et  disparates.  Gomment  peut-on  faire  avec  tous  ces  détails  une 
science,  c'est-à-dire  un  tout  bien  coordonné,  dont  les  éléments  soient 
ramenés  à  quelque  fait  fondamental  et  logiquement  disposés  ?  De  fait, 
les  savants  ont  dû  reconnaître  sans  hésiter  qu'il  n'y  a  pas  moyen  de 
réunir  tous  ces  éléments  en  un  faisceau  homogène,  en  d'autres  termes 
de  les  systématiser.  On  a  donc  dû  recourir  à  d'autres  méthodes  pour 
atteindre  le  but,  et  pour  faire  servir  à  l'interprétation  des  textes 
les  connaissances  variées  concernant  l'antiquité  et  indispensables  à 
quiconque  en  aborde  la  lecture  sans  instruction  préalable.  Quelquefois 
on  se  contente  d'enregistrer,  sans  aucun  ordre  rationnel,  ce  qu'il  y  a 
à  dire  sur  chaque  passage  qui  a  besoin  d'une  explication  archéo- 
logique, en  suivant  le  texte  pas  à  pas,  sauf  à  éviter  les  répétitions  super- 
flues au  moyen  de  renvois.  Cette  méthode  n'est  pas  scientifique,  elle 
est  peu  propre  à  orienter  le  lecteur,  parce  qu'elle  éparpille  au  plus 
haut  point  ce  qui  gagnerait  à  être  combiné  et  exposé  dans  son 
ensemble.  Aussi  ne  la  mentionnons-nous  ici  que  pour  être  complet , 
car  elle  n'arrive  pas  à  constituer  ce  qui  mériterait  le  nom  d'une  ar- 
chéologie biblique.  Comme  exemple,  nous  citerons  l'ouvrage  de  E.F.  C. 
Rosenmûller,  V Orient  ancien  et  nouveau,  L.,  1818,  6  vol.  (allem.).  Bien 
plus  fréquemment  on  a  choisi  la  forme  du  dictionnaire.  Là,  du  moins, 
on  a  pu  éviter,  dans  une  certaine  mesure  cet  éparpillement  que  nous 
venons  de  signaler,  en  évitant  de  faire  trop  d'articles  de  détail  ou 
plutôt  en  ayant  soin  d'en  composer  un  grand  nombre  qui  facilitaient 
les  aperçus  généraux,  et  dans  lesquels  on  renvoyait  aux  spécialités  qui 
s'y  l'apportaient.  Cette  méthode  est  beaucoup  plus  commode  que 
l'autre,  mais  elle  n'est  guère  plus  scientifique  :  elle  taille  des  pierres, 
mais  elle  n'en  fait  pas  un  édifice.  (Dom  A.  Calmet,  Dictionnaire  de  la 
Bible,  P.  >  1730,  in-fol. ;  Winer,  Bibl.  Reahvœrterbuch,  3e éd . ,  1847, 2  vol. ; 
Aug.  Bost, ,  Dictionnaire  de  la  Bible  fi.  1849, 2  vol.  ;  Sehenkel,  Bibellexicon, 
L.,  1869  ss.,  5  vol.).  Ces  ouvrages  comprennent  toujours  aussi  des  arti- 
cles d'histoire.  On  a  aussi  essayé  la  forme  populaire  et  attrayante 
que  Barthélémy  a  choisie  pour  l'enseignement  des  antiquités  grecques 
dans  son  Voyage  d'Anacharsis  /(Strauss)  Hélons  Wallfahrt  nach  Jérusa- 
lem 109  Jahre  vom  der  Geburt  Christi,  Eibf.,  1820,  4  vol.  Cependant  il 
y  a  moyen  de  faire  de  l'archéologie  une  véritable  science,  c'est-à-dire 
un  ensemble  de  connaissances  groupées  autour  d'un  fait  unique  et 
disposées  dans  un  ordre  rationnel.  Mais  c'est  à  condition  qu'on 
n'y  fasse  rentrer  que  ce  qui  regarde  directement  et  exclusivement  le 
peuple  israélite,  en  d'autres  termes  qu'au  lieu  d'une  archéologie  bi- 


ARCHÉOLOGIE  511 

bliquc  on  construise  une  archéologie  hébraïque.  C'est  de  celle-ci  que 
nous  parlerons  dans  le  reste  de  cet  article. —  Les  divers  auteurs  qui  ont 
traité  cette  science  ont  adopté  deux  cadres  de  différentes  dimensions,  dans 
lesquels  ils  ont  compris  les  matières  à  traiter.  Les  uns  vont  fait  entrer 
la  géographie,  de  sorte  que  le  tableau  de  la  vie  nationale  du  peuple 
se  composait  essentiellement  de  deux  parties,  dont  l'une  s'occupait  de 
ce  qui  tient  à  la  nature  (de  la  Palestine)  considérée  indépendamment  de 
l'action  de  l'homme,  L'autre  de  ce  qui  est  du  fait  de  celui-ci.  I)  autres, 
au  contraire,  et  c'est  le  plus  grand  nombre,  excluent  la  première 
partie  et  sebornent  à  la  seconde.  Nous  accordons  que  cette  dernière 
forme  de  la  science  justiiie  davantage  le  titre  sous  lequel  elle  est  plus 
généralement  comme,  surtout  quand  on  l'applique  à  d'autres  sphères 
ou  nationalités.  En  effet,  on  parle  (Y antiquités  grecques  ou  romaines,  et, 
quand  on  se  sert  de  ce  terme,  personne  ne  songe  à  autre  chose  qu'aux 
formes  de  la  vie  domestique  et  sociale  de  tel  ou  tel  peuple.  Cependant 
l'autre  cadre  n'est  pas  seulement  plus  riche,  il  est  aussi  plus  utile  pour  l'en- 
seignement pratique,  par  exemple,  dans  un  cours  académique;  car  il  y  a 
bien  des  choses  dans  les  mœurs  et  usages  des  hommes  qui  ne  se  com- 
prennent bien  qu'autant  qu'on  connaît  le  milieu  naturel  dans  lequel 
ils  ont  vécu.  Voilà  pourquoi  on  a  proposé  quelquefois  de  réserver  le 
titre  d' antiquités  pour  le  cadre  étroit,  et  celui  Cl  archéologie  pour  celui 
qui  comprend  aussi  la  géographie  ancienne  et  physique  de  Canaan,  y 
compris  la  faune  et  la  iïore  du  pays,  entant  qu'il  en  est  l'ait  mention 
dans  la  Bible  (voy.  Géographie  et  Histoire  naturelle  de  la  Bible).  Les  an- 
tiquités proprement  dites  peuvent  être  systématisées  d'après  différentes 
combinaisons,  et  presque  chaque  auteur  en  a  imaginé  ou  adopté  une 
autre.  11  est  superflu  d'en  énumérer  ici  un  plus  grand  nombre.  Nous 
nous  bornerons  à  tracer,  en  quelques  lignes,  m\  tableau  qui  aura  le 
double  avantage  d'être  très-simple  et  d'assurer  à  chaque  élément  une 
place  convenable,  sans  en  omettre  aucun.  Nous  rangeons  toutes  les  ma- 
tières à  traiter  sous  quatre  rubriques  générales  :  1°  la  Maison,  ou  les  an- 
tiquités domestiques;  2°  Y  Etatyoi\\e*  antiquités  politiques;  \\°  Y  Eglise, 
OU  les  antiquités  sacrées;  4°  Y  Ecole,  ou  les  antiquités  littéraires.  La  pre- 
mière partie  comprendra  les  chapitres  suivants  :  1°  la  famille  (naissance, 
mariage,  funérailles)  ;  2°  Y  habitation  (lentes,  maisons,  ameublement, 
ustensiles)  ;  3°  Y  habillement  (y  compris  tout  ce  qui  tient  à  la  toilette)  ; 
V'  la  nourriture  (objets  de  consommation,  cuisine,  repas);  o"  la  be- 
sogne domestique  (chasse,  pèche,  entretien  du  bétail,  agriculture,  arts 
niques).  La  secondepartie  s'occupera  de  tout  ce  qui  concerne  les 
rapports  mutuels  des  hommes  dans  un  cercle  plus  étendu  que  celui  de 
la  famille.  Il  y  sera  question  successivement  :   1°  de  la  formation  de 

ociété  par  V agglomération  de  la  population  (hameaux,  villages, 
villes)  ;  "2    des  relations  paisibles  entre  les  individus  (hospitalité,  poli- 

.  etc.);  3°dés  relations  hostiles  (brigandage,  guerre,  armes,  fortifi- 
cations, poliorcétique);  1°  du  commerce  (objets  et  moyens;  poids  et  me- 
sures, argent,  navigation);  5°  du  calendrier;  6°  de  la  constitution  (patriar- 
cale, démocratique,  monarchique,  administrative,  impôts);  7°des/ow 
(droit  civil,  droit  «le  cité  .  propriété, hérédité,  divorce,  esclavage,  lois 


512  ARCHÉOLOGIE 

pénales,  instruction  criminelle,  tribunaux).   Dans  la  troisième  partie 
qui  doit  traiter  de  tout  ce  qui  est  relatif  au  culte,  il  conviendra  de  dis- 
tinguer les   usages   antérieurs  à  la  promulgation  de  la  loi  écrite  et 
indépendants  d'elle,  et  les  institutions  dites  mosaïques,  telles  qu'elles 
sont  contenues  dans  le  Pentateuque  et  qu'elles  furent  consolidées  et 
officiellement  mises  en  pratique  après  l'exil.  Dans  ces  deux  sections,  il 
sera  question  des  lieux  où  se  célébrait  le  culte,  des  personnes  qui  y 
présidaient,  des  époques  qui  lui  étaient  consacrées,  enlin  des  actes  dans 
lesquels  il  consistait  (sanctuaires,  prêtres,  fêtes,  sacriiices).  Sous  cette 
dernière  rubrique,  sont  comprises  diverses  manifestations  du  sentiment 
religieux  d'origine  fort  ancienne,  mais  conservées  etréglées  plus  tard  par  le 
code,  telle  que  la  circoncision,  les  vœux,  les  oracles,  etc.  A  la  pre- 
mière section  reviendra  ce  qu'il  y  a  à  dire  sur  le  polythéisme  des 
Israélites,  sur  les  représentations  symboliques  du  dieu  national,  sur  les 
sanctuaires  locaux,  bocages,  hauts-lieux,  sacrifices  extra-légaux,  fêtes 
astronomiques,  économiques  et  des  saisons,  etc.  Dans  la  seconde,  se  pla- 
cera tout  ce  qui  est  relatif  à  la  hiérarchie  lévitique,  ses  castes  ou  grades, 
le  costume  des  prêtres, la  description  du  temple  et  de  son  mobilier,  les 
l'êtes  théocratiques,  les  dîmes  et  autres  redevances  sacrées,  etc.  Enfin, 
à  la  quatrième   partie  reviendra  :  1°  tout  ce  qui  rentre  dans  la  sphère 
des  arts  libéraux  (écriture,  musique,  poésie,  sciences  naturelles,  astro- 
nomie, médecine);  2° ce  qui  se  rapporte  a  Venseigement,  soit  populaire 
{synagogues),  soit  scientifique  (écoles  des  prophètes  et  des  rabbins), — 
Nous  ajouterons  encore  quelques  mots  sur  les  sources  auxquelles  on 
peut  puiser  la  connaissance  de  ces  divers  éléments  de  l'archéologie 
hébraïque.  Pour  d'autres   peuples,  Egyptiens,  Assyriens,  Grecs,  Ro- 
mains, l'un  des  principaux  moyens  d'information,  et  même  le  plus  di- 
rect et  le  plus  sûr,  ce  sont  les  monuments  qu'ils  ont  légués  à  la  posté- 
rité. Ce  moyen  manque   à  peu  près  complètement  pour  l'antiquité 
hébraïque.  Les  plus  anciennes  constructions   (ou  plutôt  ruines)  qu'on 
trouve  encore  en  Palestine,    appartiennent  à  une  époque  beaucoup 
trop  récente  pour  entrer  ici  en  ligne  de  compte.  Il  n'y  a  que  la  crédu- 
lité des  pèlerins,  exploitée  par  une  industrie  intéressée,  qui  puisse  se 
faire  illusion  à  cet  égard.  Tout  ce  qu'on'peut  citer  avec  certitude,  ce  sont 
quelques  médailles  datant  des  derniers  temps  de  l'histoire  nationale  ;  puis 
les  bas-reliefs  de  F  arc-de-triomphe  de  Tite-Vespasien  à  Rome,  qui  repré- 
sentent les  objets  enlevés  lors  du  sac  du  temple  de  Jérusalem:  enfin, 
une  stèle  récemment  découverte,  avec  une  inscription  du  roi  moabite 
Mésa,  remontant  à  900  ans  avant  Jésus-Christ.  11  se  pourrait  que  les 
fouilles  entreprises  de  nos  jours  sur  une  plus  grande  échelle,  et  surtout 
à  Jérusalem,  même,  amenassent  d'autres  découvertes  encore,  mais  il  est 
peu  probable  qu'elles  aient  d'autres  résultats  que  d'étendre  nos  con- 
naissances topographiques.  Les  monuments  étrangers,  notamment  ceux 
de  Ninive,  dont  on  vient   de  déchiffrer  les  inscriptions  avec  beaucoup 
de  succès,  pourront  contribuer  à  élucider  certains  faits  historiques  et  à 
en  préciser  les  dates,  mais  ils  ne  nous  apprendront  rien  relativement 
aux  antiquités  proprement  dites.  La  principale,  et  à  beaucoup  d'égards 
l'unique   source   à   consulter   au   sujet  des  antiquités  hébraïques ,  ce 


ARCHEOLOGIE  513 

seront  toujours  les  livres  uY  l'Ancien  Testament.  Il  est  vrai  que  ces 
livres  ont  été  écrits  dans  un  tout  autre  but  que  celui  de  transmettre  à 
la  postérité  des  renseignements  du  genre  en  question,  mais  comme  ils 
portent  à  un  haut  point  l'empreinte  du  temps  où  ils  ont  été  composés, 
ils  contiennent  une  telle  masse  d'informations,  tantôt  directes,  tantôt 
indirectes,  sur  toutes  les  sphères  de  la  vie  nationale  que  nous  avons 
énumérées  plus  haut,  que  pour  un  grand  nombre  de  détails,  ils  suflisent 
pleinement  et  fournissent  tous  les  traits  nécesssaires  pour  en  tracer  le 
tableau  complet.  Les  écrits  du  Nouveau  Testament,  les  Evangiles  et  les 
Actes  des  apôtres  contiennent  également  des  données  qu'on  peut  mettre 
à  profit,  quoique  dans  une  proportion  très-médiocre.  Nous  accorderons 
unv  valeur  comparativement  très-inférieure  à  d'autres  documents  litté- 
raires qu'on  cite  d'ordinaire  parmi  les  sources  de  l'archéologie.  L'his- 
torien Josèphe,  en  tant  qu'il  touche  aux  matières  qui  rentrent  dans  le 
cadre  de  cette  science,  ne  nous  apprend  guère  que  ce  que  nous  savons 
plus  directement  et  aussi  exactement  par  les  textes  sacrés  mêmes.  Le 
philosophe  Pliilon,  dominé  par  le  besoin  de  découvrir  ses  propres  con- 
ceptions sous  la  lettre  du  code  mosaïque,  en  travestit  plutôt  l'esprit 
et  la  forme  et  ne  saurait  être  un  guide  toujours  sûr  dans  l'exploration 
de  l'antiquité.  Les  compilateurs  du  Talmud,  essentiellement  hommes 
de  la  tradition,  auraient  été  assez  bien  placés  pour  combler  les  lacunes 
de  notre  savoir  archéologique,  malgré  la  distance  qui  les  sépare  des 
temps  bibliques,  s'ils  avaient  eu  l'esprit  critique  nécessaire  pour  bien 
distinguer  ce  qui  était  la  règle  récente  ou  contemporaine  de  ce  qui 
revenait  aux  générations  antérieures;  en  les  suivant  sans  précaution, 
on  s'expose  facilement  à  reporter  à  une  haute  antiquité  ce  qui 
ne  s'est  produit  que  dans  la  suite  des  siècles,  voire  même  à  prendre 
pour  des  faits  liistoriques.ee  qui,  chez  eux,  est  de  la  pure  théorie 
d'école.  Enfin,  les  auteurs  classique*  ne  s'occupent  que  bien  peu  des 
juifs,  dont  ils  ne  connaissent  l'histoire  ancienne  que  par  ouï-dire  et 
sous  une  forme  tellement  altérée,  que  leurs  récits  sont  pour  nous  un 
sujet  d'étonnement  et  même  de  dégoût  (Tacite,  liv.  V  des  Histoires; 
Justin,  liv.  XXXY1),  et  quant  aux  mœurs  et  croyances  du  peuple  hébreu, 
elles  sont  pour  eux  plus  souvent  un  objet  de  raillerie  que  de  sérieuse  inves- 
tigation. Il  n'y  a  que  Strabon  et  Pline  l'Ancien  qui  fournissent  des  rensei- 
naents  utiles  sur  la  géographie  et  sur  l'histoire  naturelle  de  la  Terre- 
Sainte  ;  à  eux  se  joignent  les  géographes  arabes.  On  peut  encore  con- 
sulter avec  fruit  les  relations  de  voyage  en  Orient,  quand  elles  sont 
écrites  par  des  hommes  intelligents  et  instruits,  et  non  par  de  simples 
touristes  ou  pèlerins.  Il  va  sans  dire  que  dans  cette  classe  d'ouvrages 
on  puisera  surtout  des  notices  du  genre  de  celles  que  nous  venons 
de  relever  en  dernier  lieu.  Cependant,  comme  la  vie  domestique  dé- 
pend en  -rande  partie  du  climat  et  d'autres  conditions  physiques  à 
peu  près  invariables,  on  comprend  que  bien  des  usages  qu'on  remar- 
que aujourd'hui  dans  ces  contrées  autorisent  des  conjectures  sur  ce 
qui  peut  avoir  existé  autrefois,  et  les  coïncidences  avec  les  mœurs 
actuelles  el  celles  que  constatent  les  textes,  sont  quelquefois  très-frap- 
pantes.  —  Il  sera  hors  de  propos  d'enregistrer  ici  les  innombrables  mono* 


514  ARCHEOLOGIE 

graphies  publiées,  surtout  depuis  le  dix-septième  siècle,  sur  toutes  les 
parties  et  sur  les  moindres  détails  qui  rentrent  dans  le  cadre  de  la 
science  de  F  archéologie  hébraïque-  Nos  lecteurs  les  trouvent  d'ailleurs 
indiquées  dans  les  ouvrages  généraux  et  notamment  dans  les  diction- 
naires mentionnés  plus  haut.  Aujourd'hui  les  manuels  les  plus  répan- 
dus sont,  outre  ceux  déjà  nommés ,  parmi  les  catholiques  :  Scholz , 
Handbuch  der  bihl.  Archéologie,  Bonn,  1834;  Gaire,  dans  le  tome  11  de  son 
Introd.  aux  livres  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  Paris,  1843  ; 
\id\ï\\o$,Handb..d.  hebr.Alterthihner,W\iisier,  1840;  Ailloli,  Handb.  der 
bibl.  Alterthumskunde,  Landsh.,  1844,  2  vol.  avec  lig.  Parmi  les  protes- 
tants :  De  Wette,  Lehrbuch  der  kebr.  jùdischen  Archéologie,  1814,  4e  éd., 
1864  ;  Pareu,  Antiquilas  hebra'ica  breviter  descripta,  Traj.,  1832  ;  Keil, 
Handb.  der  bibl.  Archœologie,  Frkf.,  1858,  2  vol.  Un  grand  nombre  de 
dissertations  et  d'opuscules  plus  anciens  ont  été  réunis  dans  le  Thesavrus 
antiquitatum  sacrarum  d'Ugolini,  Ven.,  17(54,  24  vol.  in-f°. 

Ed.  Reuss. 
ARCHÉOLOGIE  CHRÉTIENNE.  Le  terme  d'archéologie  est  employé  dans 
des  acceptions  assez  différentes.  Rigoureusement  parlant,  il  désigne  la 
science  des  choses  anciennes,  des  antiquités,  c'est-à-dire  des  choses  qui 
ont  existé  jadis  et  qui,  à  un  certain  moment,  ont  été  modifiées  ou  ont  dis- 
paru: telles  sont  les  institutions  politiques,  les  formes  sociales,  les  coutu- 
mes civiles,  les  pratiques  judiciaires  et  religieuses,  les  beaux-arts,  les 
moyens  employés  par  l'industrie  ou  l'agriculture,  etc.  Dans  ce  sens, 
il  existe  une  archéologie  des  Hébreux,  des  Egyptiens,  des  Grecs,  des 
Romains,  etc.  ;  elle  comprend  tout  ce  qui  se  rapporte  à  la  vie  de  ces 
peuples,  abstraction  faite  des  événements  historiques  ;  elle  a  pour  but 
de  faire  revivre  l'image  de  civilisations  éteintes.  S'il  fallait  donner  au 
terme  cette  extension,  on  ne  pourrait  pas  parler  d'archéologie  chré- 
tienne. 11  faut  exclure  tout  d'abord  tout  ce  qui  n'est  pas  en  rapport 
direct  avec  la  religion,  savoir  :  l'industrie,  le  commerce,  les  lois  poli- 
tiques et  civiles,  etc.,  il  resterait  ainsi  le  culte  et  les  institutions  ecclé- 
siastiques. Enelïet,  suivantquelquesauteurs,  l'archéologie  doit  embrasser 
Yxm  et  les  autres;  mais  ni  l'un  ni  les  autres  ne  sont  encore  devenus  des  an- 
tiquités ;  les  protestants,  il  est  vrai,  en  ont  rejeté  quelques  parties,  mais 
comme  ces  parties  sont  encore  en  vigueur  à  côté  d'eux,  on  n'a  pas 
le  droit  de  les  reléguer  dans  la  catégorie  de  ce  qui  a  cessé  d'exister. 
Pour  cette  raison,  on  a  proposé  de  restreindre  l'archéologie  aux  origines 
du  culte  et  des  institutions  ;  c'est  ce  qu'ont  fait  —  pour  ne  citer  que 
les  auteurs  principaux  —  l'anglais  Bingham,  le  premier  qui  ait  réuni 
dans  un  grand  ouvrage  intitulé  :  Origines  ccclesinsticcV  or  the  antiquities 
of  the  Christian  church  (Londres,  1708  et  ss.,  8  vol.;  2e éd.,  1726,2vol. 
in-f°;trad.  en  latin  par  Grishow,  Halle,  1724  ss.,  10  vol.  in-4°)  les 
matériaux  nécessaires  à  l'étude  de  cette  science  ;  après  lui  surtout 
Augusti ,  dans  ses  Denkicurdigkeiten  ans  der  christUchen  Archéologie, 
(Leipzig,  1817,  ss.,  10  vol.),  Rheinwald,  dans  sa  kirchliche  Archœo- 
logie (Berlin,  1830),  Bcehmer,  dans  sa  Christ  lie  h- Kirchliche  Alterihums- 
wissenschaft  (Breslau,  1836,  2  vol.) ,  Guericke,  dans  son  Lehrbuch  der 
christlich-kirchlichen  Archxlogie  (Leipzig,   1847);   et,  parmi  les  catholi- 


ARCHEOLOGIE  515 

ques,  notamment  Mamachi,  dans  ses  Originum  et  antiquitatum  ckristia- 
narum  fiftrî  XX,  Homo,  1749.  ss.,  9  vol.  in  4°, et  l'abbé  Martigny,  dans 
son  Dictionnaire  des  antiquités  chrétiennes,  Paris,  1865.  Tous  ces  ou* 
vrages  sont  très-utiles,  mais  ne  s'occupent  que  des  relations  sociales, 
des  mœurs,  des  institutions  religieuses  et  des  formes  liturgiques  des 
chrétiens  des  premiers  siècles,  en  un  mot,  ils  ne  traitent  que  des  ori- 
gines. Or,  l'histoire  de  ces  origines  est  inséparable  de  l'histoire  géné- 
rale de  l'Eglise,  elle  en  est  même  une  des  parties  les  plus  importantes. 
Et  puis  où  est  la  limite  des  origines?  Les  uns  la  placent  au  commencement 
du  quatrième  siècle,  d'autres  au  commencement  du  sixième;  Tune  des 
dates  est  aussi  arbitraire  que  l'autre.  Il  y  a  des  rites  liturgiques  qui 
n'ont  été  établis  que  fort  tard  au  moyen  âge,  et  il  y  a  des  institutions 
qui  sont  allées  continuellement  en  se  développant.  On  peut  déta- 
cher de  l'histoire  générale  de  l'Eglise  une  histoire  spéciale  du  culte,  et 
même,  si  Ton  veut,  une  histoire  spéciale  des  institutions,  mais  ce  ne 
sera  plus  de  l'archéologie.  Quelques-uns  des  auteurs  qui  viennent 
d'être  nommés,  tels  que  Augusti  et  l'abbé  Martigny,  ont  combiné  aussi 
avec  l'étude  des  coutumes  et  des  institutions  celle  des  monuments  de 
l'art;  d'autres  excluent  cette  dernière  absolument;  Rheinwald  dit 
qu'en  taisant  rentrer  dans  l'archéologie,  telle  qu'il  l'entend,  l'histoire 
de  l'art,  on  y  mêle  mal  à  propos  une  matière  étrangère;  Guericke  pré- 
tend que  cette  histoire  suppose  des  connaissances  techniques  et  esthé- 
tiques qu'on  ne  peut  pas  exiger  d'un  théologien.  C'est  là  une  erreur, 
dont  aujourd'hui  on  tend  à  revenir  de  plus  en  plus.  Par  la  raison  que 
l'exposition  des  mœurs  et  des  institutions  des  chrétiens  des  premiers 
siècles  ne  doit  pas  être  séparée  de  l'histoire  générale  de  l'Eglise,  on 
commence  à  prendre  le  mot  d'archéologie  dans  le  sens  spécial  d'his- 
toire de  l'art  chrétien  pendant  la  période  où  cet  art  a  été  sous  la  dé- 
pendance des  règles  et  des  traditions  ecclésiastiques;  l'archéologie 
chrétienne  sera  la  description  et  l'explication  des  monuments  religieux 
depuis  les  premiers  temps  de  l'Eglise  jusqu'à  la  lin  du  moyen  âge. 
Envisagée  à  ce  point  de  vue,  elle  touche  à  l'histoire  du  culte,  à  celle 
de  la  vie  religieuse,  et  même  à  celle  des  dogmes,  mais  elle  a  pourtant 
un  caractère  bien  déterminé,  elle  s'occupe  effectivement  de  choses 
qui  sont  devenues  des  antiquités;  les  monuments,  il  est  vrai,  existent 
encore;  beaucoup  d'entre  eux  servent  mêmeencore  au  culte,  mais  l'es- 
prit <jui  les  a  produits  n'est  depuis  longtemps  plus  le  même.  Dans  1rs 
temps  modernes,  quelques  artistes,  passionnés  pour  le  romantisme,  ont 
tenté  de  revenir  aux  types  du  moyen  âge;  mais  ils  n'ont  fait  que  de 
i  imitation,  la  plupart  de  leurs  œuvres  sont  des  anachronismes.  La  Re- 
naissance d'une  part  et  la  Réformation  de  l'autre  ont  amené  un  chan- 
gement qui  a  fermé  le  passé  et  qui  rend,  sinon  impossible,  du  moins 
peu  désirable  un  retour  à  l'art  archaïque.  C'est  dans  ce  sens  d'his- 
toire de  l'art  ecclésiastique  jusqu'à  la  fin  du  moyen  âge,  qu'il  faut 
comprendre  l'archéologie  chrétienne.  Pour  mieux  encore  en  fixer 
les  limites,  il  convient  de  la  restreindre  aux  monuments  des  arts  qui 
s'adressent  à  l'organe  de  la  vue,  savoir  de  l'architecture,  delà  sculpture 
et    de   la   peinture  dans  ses  diverses  formes.  —  En  définissant  ainsi 


516  ARCHÉOLOGIE 

le  but  de  r archéologie,  on  en  fait  pressentir  en  môme  temps  l'in- 
térêt  pour  les  laïques  et  Futilité  pour  les  théologiens.  Pour  autant 
que  Part  a  été  au  service  de  l'Eglise,  il  importe  que  celui  qui  veut 
connaître  l'histoire  de  l'Eglise  sous  toutes  ses  faces  connaisse  aussi  les 
monuments  de  l'art  ecclésiastique,  les  idées  dont  ils  sont  la  représen- 
tation visible  et  les  diverses  lins  auxquelles  ils  étaient  destinés.  Pen- 
dant une  série  de  siècles,  les  conceptions  et  les  sentiments  religieux 
des  fidèles  se  reflètent  dans  les  œuvres  des  architectes,  des  sculpteurs 
et  des  peintres.  IL  y  a  une  longue  période  durant  laquelle  les  arts  ne 
sont  pratiqués  que  par  des  clercs  et  des  moines  ;  même  quand  ils  pas- 
sent entre  les  mains  des  laïques,  ils  restent  jusqu'à  la  fin  du  moyen 
âge  sous  l'empire  d'une  tradition  qui  détermine  les  formes  générales 
et  qui  dicte  le  choix  des  sujets,  tantôt  suivant  les  besoins  du  culte,  tan- 
tôt suivant  des  coutumes  devenues  de  bonne  heure  officielles  ;  on  peut 
dire  que,  pendant  tout  ce  temps,  les  arts  ont  été  une  des  principales 
manifestations  de  la  vie  de  l'Eglise.  Dans  bien  des  cas,  ils  nous  révè- 
lent, mieux  que  les  livres  des  Pères  et  des  docteurs,  la  conception 
populaire  des  doctrines  et  des  faits  du  christianisme.  D'ordinaire,  on 
ne  s'informe  que  des  opinions  des  théologiens;  mais  n'est-il  pas  fort 
important  de  savoir  aussi  celles  du  peuple?  C'était  pour  le  peuple  sur- 
tout qu'étaient  destinés  les  monuments  de  l'art;  dans  les  siècles  où  les 
images  ont  dû  être  la  Biblia  laicorum  et  où  l'imagination  a  exercé  un  si 
grand  pouvoir,  elles  nous  montrent  comment  on  s'est  figuré  les  choses 
religieuses.  Elles  ont  contribué  sans  doute  à  propager  des  erreurs; 
mais,  par  là  même,  elles  nous  font  pénétrer  davantage  au  fond  de  la 
vie  chrétienne  de  cette  période.  Comme  les  œuvres  de  l'art  n'ont  pas 
dû  servir  seulement  aux  théologiens,  elles  nous  donnent  en  quelque 
sorte  la  mesure  des  croyances  et  des  habitudes  religieuses  des  masses. 
Bien  des  sujets,  qui  pour  les  savants  n'étaient  que  des  symboles,  étaient 
aux  yeux  des  ignorants  la  représentation  de  la  réalité  même  ;  on  ne 
distinguait  pas  l'idée  de  la  forme;  en  voyant,  par  exemple,  la  Trinité 
figurée  par  une  bête  à  trois  visages,  combien  de  laïques  n'ont  pas  dû 
croire  qu'en  effet  cela  correspondait  à  la  vérité  !  Les  monuments  artis- 
tiques ont  donc  un  intérêt  qui  n'est  pas  moindre  que  celui  des  docu- 
ments écrits;  ils  complètent  ces  derniers,  souvent  même  ils  les  rempla- 
cent; il  y  a  des  époques  et  des  contrées  pour  la  connaissance  desquelles 
les  documents  écrits  sont  rares,  mais  il  en  est  resté  des  monuments 
qui  peuvent  nous  éclairer  sur  les  idées  et  les  tendances  religieuses  de 
ceux  qui  les  ont  exécutés.  Enfin,  l'art  a  été  de  tout  temps  au  service 
du  culte;  pour  comprendre  les  monuments,  il  ne  faut  pas  les  séparer 
des  actes  et  des  coutumes  liturgiques.  On  a  dit  avec  raison  que  l'esprit 
d'une  religion  se  révèle  tout  entier  dans  les  productions  artistiques  des- 
tinées au  culte  de  ceux  par  lesquels  cette  religion  est  professée.  Toute 
communauté  religieuse^  besoin  de  lieux  spéciaux  pour  ses  réunions  ; 
dans  tout  culte  il  y  a,  dans  des  proportions  plus  ou  moins  considéra- 
bles, un  élément  symbolique,  lequel,  pour  être  représenté,  réclame  le 
concours  des  arts;  pour  l'accomplissement,  enfin,  des  actes  liturgiques, 
il  faut  des  vases,  des  meubles,  des  objets  divers  qui,  à  leur  tour,  seront 


ARCHEOLOGIE  517 

des  œuvres  d'artistes.  Dans  l'Eglise  protestante,  il  est  vrai,  l'élément 
symbolique  occupe  une  moindre  place  que  dans  le  catholicisme;  les 
actes  liturgiques  sont  moins  nombreux  et  plus  simples;  mais,  à  r  excep- 
tion de  quelques  petites  sectes  qui  professent  un  spiritualisme  exagéré, 
personne  ne  soutiendra  que  le  culte  protestant  peut  se  passer  absolu- 
ment de  Fart.  Quand  une  communauté  jouit  de  sa  liberté  et  qu'elle  est 
animée  d'une  vie  religieuse  intense,  il  ne  lui  suffit  pas,  pour  ses  actes 
d'adoration  de  se  réunir  dans  un  local  qui  ne  satisferait  qu'aux  besoins 
les  plus  ordinaires  de  la  convenance  et  des  lois  acoustiques;  ce  qui  se 
rapporte  au  culte,  à  l'expression  des  sentiments  les  plus  élevés  qui 
puissent  remplir  l'âme  humaine,  ne  doit  pas  seulement  répondre  tout 
juste  à  son  but  le  plus  prochain,  il  convient  aussi  que  cela  représente 
ce  but  sous  les  formes  les  plus  dignes.  Pour  le  choix  de  ces  formes,  il 
n'y  a  pas  de  secours  plus  efficace  que  l'étude  historique  des  monu- 
ments des  temps  passés,  non  pour  les  imiter  servilement,  mais  tantôt 
pour  y  puiser  des  motifs  d'inspiration  nouvelle,  tantôt  pour  appren- 
dre à  ne  pas  appliquer  à  un  culte  des  formes  qui  sont  propres  à  un 
culte  différent*  L'archéologie  chrétienne  a  ainsi  une  utilité  pratique 
directe  pour  les  pasteurs  et  les  administrateurs  laïques  des  Eglises. 
S'agit-il,  par  exemple,  de  la  reconstruction  ou  de  la  restauration  d'un 
édifice  religieux  ou  du  renouvellement  des  objets  servant  au  culte,  le 
pasteur  surtout  ne  peut  exercer  son  influence  légitime  qu'en  fondant 
son  avis  autant  sur  la  connaissance  des  besoins  liturgiques  que  sur 
celle  des  rapports  entre  les  idées  artistiques  et  les  idées  religieuses  ; 
cette  dernière  connaissance  ne  s'acquiert  pas  seulement  par  des  spécu- 
lations théoriques,  il  faut  qu'elle  s'éclaire  par  l'histoire.  Si  les  protestants 
étaient  un  peu  plus  archéologues,  on  entreprendrait' moins  souvent  des 
restaurations  faites  avec  aussi  peu  de  goût  que  d'intelligence,  on  laisserait 
se  perdre  ou  se  détériorer  moins  de  choses  précieuses,  on  ne  verrait  pas 
bâtir  pour  notre  culte  des  églises  gothiques  ou  des  églises  qui  n'ont  pas  de 
style  du  tout.  —  Il  suit  de  tout  ce  qui  vient  d'être  dit  que  l'archéologie 
chrétienne  a  un  caractère  essentiellement  théologique;  elle  n'est  pas  une 
simple  affaire  de  curiosité  pour  des  antiquaires  amateurs;  elle  a  sa  place 
marquée  comme  partie  intégrante  de  la  science.  On  atort  de  dire  qu'elle 
suppose  des  connaissances  techniques  ou  des  aptitudes  artistiques,  et 
oui- sans  cela  l'étude  en  est  impossible;  elle  peut  s'en  passer  sans 
aucun  inconvénient,  car  son  domaine  est  tout  autre;  pour  juger  de 
la  convenance  liturgique  d'une  église  ou  de  la  valeur  religieuse  d'un 
tableau,  on  n'a  pas  besoin  de  savoir  par  quels  procédés  architec- 
toniques  on  a  bâti  la  première  ni  comment  on  a  mêlé  les  couleurs 
pour  peindre  le  second;  on  n'a  pas  même  besoin  de  demander  si  une 
œuvre  répond  en  tout  point  à  l'idéal  du  beau;  les  premières  questions 
joudre  sont  :  quelles  sont  les  idées  que  les  monuments  mani- 
festent, et  quel  est  le  but  auquel  ils  ont  servi?  L'archéologie  est  donc 
autre  chose  qu'une  simple  branche  de  l'histoire  de  l'art  en  général; 
cette  histoire  s'occupe  en  première  ligne  de  la  forme,  de  la  manière 
de  la  traiter  et  des  moyens  employés  pour  réaliser  les  idées;  elle  ne 
peut  pas  négliger  de  parler  aussi  de  l'art  religieux  et  de  l'influence 


518  ARCHÉOLOGIE 

des  croyances  religieuses  sur  les  conceptions  artistiques,  mais  ce 
ne  sera  là  pour  elle  qu'un  point  de  vue  secondaire  ;  le  point  de  vue 
technique  et  esthétique,  le  degré  de  conformité  entre  les  monuments 
et  l'idéal ,  tels  sont  les  premiers  objets  de  l'histoire  de  l'art.  Mais 
l'élément  esthétique  n'épuise  pas  les  éléments  ecclésiastiques  et  re- 
ligieux; l'intérêt  du  théologien  est  moins  sollicité  par  la  forme 
et  par  les  procédés  d'exécution,  que  par  les  sujets,  par  les  idées 
ou  les  faits  que  les  œuvres  sont  destinées  à  représenter.  Ce  qui 
pour  l'historien  '  de  l'art  est  la  chose  principale  n'est  plus  pour 
l'archéologue  qu'une  chose  accessoire  ;  il  étudie  les  monuments 
dans  leurs  rapports  avec  le  culte  et  avec  les  manifestations  de  la 
vie  religieuse  ;  quelle  que  soit  leur  perfection  ou  leur  rudesse,  ils 
ont  pour  lui  la  même  valeur.  Cependant  lui  aussi  ne  pourra  pas 
négliger  de  prendre  en  considération  le  côté  esthétique  ;  il  existe  une 
relation  intime  entre  l'état  de  l'art  aux  différentes  époques  et  les 
tendances  religieuses  ou  la  culture  intellectuelle  des  peuples.  Il  faut 
ajouter,  du  reste,  que  l'âge  relatif  de  beaucoup  de  monuments  ne 
peut  être  déterminé  que  par  l'étude  des  procédés  mis  en  œuvre  ou  par 
l'examen  de  certaines  formes  qui  n'ont  pas  une  signification  direc- 
tement religieuse;  l'archéologie  chrétienne,  tout  en  ne  pas  attachant  à 
ces  matières  une  importance  prépondérante,  ne  peut  donc  pas 
entièrement  les  ignorer.  Les  objets  qui  rentrent  dans  sa  sphère  sont 
indiqués  par  la  nature  même  de  son  but  :  les  lieux  de  culte,  depuis 
les  catacombes  et  les  plus  anciennes  basiliques  jusqu'aux  cathédrales 
gothiques,  les  autels,  les  baptistères,  les  chaires,  les  sépultures,  les 
vases  sacrés,  les  crucifix,  les  ornements  de  tout  genre,  les  vitraux,  les 
livres  et  les  vêtements  liturgiques,  etc.  A  la  description  de  ces  objets 
s'ajoute  l'iconographie,  comprenant  les  images,  sculptées  ou  peintes, 
empruntées  à  l'histoire  biblique  et  à  celle  des  saints,  aux  objets  et  aux 
phénomènes  de  la  nature,  à  l'histoire  profane,  à  la  mythologie 
ancienne  et  aux  fables  du  moyen  âge.  Parmi  les  images,  il  y  en  a  qui 
rappellent  simplement  des  faits,  d'autres  représentent  des  allégories 
ou  des  symboles,  d'autres  encore  ne  sont  que  des  ornements.  Dès  son 
origine,  l'art  chétien  a  eu,  dans  quelques-unes  de  ses  parties,  un 
caractère  symbolique,  qu'il  a  conservé  pendant  toute  la  durée  du 
moyen  âge.  Mais  ce  caractère  appartient-il  à  toutes  les  figures,  souvent 
bizarres  et  grotesques,  que  l'on  rencontre  sur  tant  d'œuvres?  Il  y  a  là 
un  écueil  que  plus  d'un  savant  n'a  pas  su  éviter;  supposant  à  priori 
que  toute  image  que  l'on  voit  sur  un  monument  religieux  doit  avoir 
par  cela  même  un  sens  religieux,  on  a  attribué  des  intentions  pro- 
fondes à  des  sujets  qui' ne  sont  que  des  ornements  décoratifs  ou  des 
caprices  nés  de  la  libre  fantaisie  des  artistes.  L'interprétation  icono- 
graphique est  moins  difficile  qu'on  le  pense;  en  se  servant  des  auteurs 
liturgiques  du  moyen  âge  on  peut  presque  toujours  arriver  au  vrai, 
mais  quand  il  s'agit  du  symbolisme,  il  faut  user  d'une  réserve  extrême; 
autrement  on  s'expose  à  des  aventures  singulières;  il  n'y  a  pas  seule- 
ment des  archéologues  catholiques  qui  se  sont  laissés  égarer  ainsi  par 
leur  imagination,  il  y  en  a  aussi  de  protestants.  Une  partie  enfin  qui, 


ARCHEOLOGIE  519 

sans  rentre:-  directement  dans  l'archéologie,  lui  est  à  pou  près  indis- 
pensable, est  répigraphie  chrétienne,  l'étude  des  inscriptions.  Elle  a 
de  rimportance  surtout  pour  les  premiers  siècles;  les  pierres  portant 
des  épitaphes  ou  des  signes  chrétiens,  ne  fussent-elles  que  des 
fragments,  révèlent  souvent  L'existence  de  fidèles  dans  des  lieux  où 
ni  l'histoire  ni  la  légende  ne  signalent  d'anciennes  communautés. 
Depuis  qu'on  s'est  mis  à  recueillir  ces  inscriptions,  on  a  constaté, 
mieux  qu'on  n'a  pu  le  l'aire  encore.  la  marche  et  l'extension  du 
christianisme  à  une  époque  sur  laquelle  les  historiens  ne  répandent 
pas  toujours  une  lumière  suffisante.  —  L'archéologie  chrétienne,  telle 
que  nous  l'avons  définie,  est  une  science  relativement  moderne.  Dans 
la  seconde  moitié  du  seizième  siècle,  deux  Italiens  furent  les  premiers 
à  étudier  quelques  monuments  du  christianisme;  Onofrio  Panvinio,  de 
l'ordre  des  ermites  de  saint  Augustin,  découvrit  les  basiliques  de 
Rome,  et  le  chevalier  de  Malte,  Antoine  Bosio.  les  catacombes.  Ils 
donnèrent  l'impulsion  à  une  série  de  recherches  analogues,  mais 
qui,  pendant  longtemps ,  restèrent  bornées  à  l'Italie.  Plus  tard  r 
Les  savants  bénédictins  français  de  la  congrégation  de  saint  Maui% 
notamment  Mabillon,  Montfaucon,  Ruinart,  s'occupèrent  à  leur  tour, 
mais  plutôt  accidentellement  qu'ex  professa,  des  monuments  de  l'art 
ecclésiastique  et  tachèrent  d'en  démontrer  l'utilité  pour  une  connais- 
sance approfondie  de  l'antiquité  chrétienne.  Leurs  études  ne  furent 
-encore  que  préliminaires;  elles  furent  loin  d'exciter  l'intérêt  général. 
Ce  n'est  que  dans  notre  siècle  que  l'art  chrétien  est  devenu  l'objet 
d'investigations  plus  sérieuses;  il  en  est  parlé  dans  tous  les  grands 
ouvrages  sur  l'histoire  de  l'art;  il  existe,  sur  les  monuments  des 
divers  pays  et  sur  une  foule  de  questions  de  détail,  des  monographies, 
dont  plusieurs  sont  des  travaux  très-considérables  ;  chaque  jour 
apporte  son  contingent  nouveau.  En  outre,  pour  soustraire  certaines 
œuvres  à  la  destruction  et  pour  en  faciliter  l'étude,  on  a  formé  des 
musées  où  l'on  réunit  soit  les  originaux  soit  des  reproductions  des 
objets  les  plus  intéressants;  déjà,  en  17o6,  le  pape  Benoit  XIV  établit 
le  musée  chrétien  du  Vatican  ;  en  1854,  Pie  IX  en  fit  ouvrir  un  second 
au  palais  du  Latran.  Le  musée  de  Cluny  à  Paris,  le  musée  germanique 
à  Nuremberg,  les  collections  commencées  à  Bàle,  à  Berlin,  à  Co- 
penhague,  tous  destinés  à  rassembler  des  objets  d'art  du  moyen  âge, 
contiennent  aussi  une  foule  de  pièces  relatives  à  l'Eglise  et  à  ses 
coutumes.  Cependant,  malgré  ce  mouvement  imprimé  aux  études 
archéologiques,  nous  ne  possédons  pas  encore  d'ouvrage  qui  embrasse 
tout  L'ensemble  de  la  science.  Les  manuels  les  plus  utiles  sont  celui  de 
M.  de  Gaumont:  Abécédaire  ou  rudiment  d 'archéologie ,  5e  éd.,  Paris, 
1867,  et  celui  du  pasteur  Henri  Otte,  Handbuch  der  kirchlichen  Kunst- 
A  chœologie  des  deutschen  Afittelalters,  4°  éd.,  2  vol.,  Leipzig,  1868; 
mais  le  premier  n'est  consacré  qu'à  la  France,  le  second  ne  traite 
que  de  L'Allemagne.  Le  professeur  Piper,  qui  en  1847  a  publié  les 
deux  premiers  volumes  d'une  Mythologie  undSymbolikderchristlichen 
Kunst  (Weimar),  dont  on  attend  encore  la  suit!',  a  fail  paraître  aussi 
une  Einleitung  zitr  monumentales  Théologie,  Gotha,  1868.  Pour  ce  que 


520  ARCHEOLOGIE 

nous  appelons  archéologie  chrétienne,  il  propose  le  nom  de  théologie 
monumentale  ;  il  veut  montrer  comment  les  idées  théologiques  ont  été 
exprimées  et  rendues  populaires  par  le  moyen  des  arts,  ou  déduire  des 
monuments  de  tout  genre  une  dogmatique,  une  morale,  une  histoire, 
une  exégèse  monumentales.  Nous  recommanderons  encore  le  Manuel 
d'épigraphie  chrétienne  d'après  les  marbres  de  la  Gaule,  par  M.  Edmond 
Le  Blant,  Paris,  1869. — L'archéologie  chrétienne  doit  se  diviser  en  deux 
grandes  périodes,  dont  la  première  s'étend  depuis  les  origines  jusque 
vers  le  commencement  du  dixième  siècle  ;  elle  se  partage  en  deux 
époques  :  la  première  comprend  les  cinq  premiers  siècles,  l'âge  pri- 
mitif, où  le  génie  chrétien,  encore  plus  ou  moins  sous  F  influence  des 
traditions  païennes,  cherche  en  tâtonnant  à  se  créer  des  formes 
nouvelles  ;  la  seconde  est  marquée  en  Orient  par  l'apparition  du  style 
byzantin,  apparition  suivie  d'une  décadence  rapide  ;  en  Occident,  les 
progrès  sont  peu  sensibles,  mais  déjà  on  entrevoit,  à  côté  de  quelques 
influences  orientales,  les  premières  tentatives  de  modifier  les  types 
légués  par  l'antiquité.  La  deuxième  grande  période  est  celle  du  moyen 
âge;  c'est  celle  où  les  arts,  affranchis  des  règles  classiques,  mais 
assujettis  aux  coutumes  de  l'Eglise,  arrivent  comme  arts  catholiques 
au  plus  haut  degré  de  leur  perfection.  Là  aussi  on  distingue  deux 
époques  :  celle  du  style  roman  et  celle  du  style  gothique  ;  les  particula- 
rités caractéristiques  de  ces  styles  ne  se  remarquent  pas  seulement 
dans  l'architecture,  elles  sont  également  empreintes  aux  productions 
des  sculpteurs  et  des  peintres.  Dans  l'âge  roman  on  se  rattache  encore 
aux  traditions  latines,  mais  on  y  introduit  un  élément  nouveau,  l'élé- 
ment fantastique.  ;  les  arts  ne  sont  pratiqués  en  général  que  par  des 
moines  ;  les  écoles  et  les  ateliers  sont  dans  les  couvents  ;  Rome  est  le 
foyer  commun,  où  l'on  cherche  les  règles  et  les  types,  mais  dans  ces 
limites,  il  y  avait  une  large  place  pour  les  divergences  nationales  et  les 
créations  individuelles;  aussi  l'art  roman  offre-t-il,  malgré  la  commu- 
nauté des  traits  principaux,  une  variété  extrême,  aussi  bien  dans  la 
succession  chronologique  de  ses  œuvres,  que  dans  les  différences  de 
peuple  à  peuple.  L'art  gothique,  au  contraire,  témoigne  d'une  rupture 
à  peu  près  complète  avec  les  anciennes  traditions  ;  il  poursuit,  dès  sa 
première  apparition,  une  idée  nouvelle;  les  artistes  cessent  de  s'ins- 
pirer des  modèles  romains  ;  les  arts  sortent  de  l'enceinte  des  couvents, 
ils  deviennent  le  patrimoine  des  laïques,  et  ceux-ci,  tout  en  s'étant 
affranchis  de  certaines  coutumes,  créent  un  style  qui  se  reproduit 
partout  d'une  manière  presque  identique  ;  c'est  qu'ils  sont  dominés 
par  l'esprit  catholique  du  moyen  âge,  tel  qu'il  s'  était  développé  par 
suite  d'une  foule  de  circonstances  ecclésiastiques  et  politiques.  L'art 
nouveau  ne  se  contente  plus,  comme  l'avait  t'ait  l'art  roman,  de  la 
communauté  des  caractères  généraux,  il  s'empare  de  tout,  il  ne  laisse 
plus  de  place  à  la  variété  des  différences  nationales  ou  des  conceptions 
individuelles;  il  est  l'art  du  catholicisme  et  en  même  temps  celui 
des  laïques,  dans  une  période  où,  sous  le  rapport  ecclésiastique,  tou 
était  ramené  à  l'uniformité;  l'art  roman  avait  été  celui  des  couvents 
et  en  même  temps  celui  des  nationalités  occidentales.  Depuis  la  tin  du 


ARCHÉOLOGIE  —  ARCHEVÊQUE  521 

moyen  âge  on  ne  revient  pas  seulement  aux  principes  et  au  goût  du 
monde  antique,  l'art,  s'émancipant  de  la  tutelle  de  l'Eglise,  devient 
de  plus  en  plus  L'expression  d'idées  personnelles;  il  n'est  plus  de 
préférence  au  service  du  culte;  à  partir  de  ce  moment  il  cesse  d'être 
du  domaine  de  l'archéologie.  Ch.  schmidt. 

ARCHER  ou  L'archer  (Jean),  né  à  Bordeaux  en  1516,  avait  fait  de 
fortes  études.  Aussi,  au  lieu  de  devenir,  comme  il  y  semblait  destiné, 
curé  de  quelque  village  de  Guyenne,  on  le  trouve  transporté  de  bonne 
heure  en  Suisse  et  exerçant,  en  1543,  les  fonctions  pastorales  à  La  Neu- 
veville,  dans  le  pays  de  Bàle.  En  1552,  il  passa  dans  le  comté  de  Neuf- 
châtel  en  qualité  de  pasteur  de  Cortaillod  et,  toujours  sous  l'influence 
de  ses  souvenirs  de  jeunesse,  il  fit  imprimer  à  la  même  époque,  à  Bàle, 
un  gros  volume  in-folio  contenant  le  recueil  de  :  Canons  de  tous  les 
conciles  jusqu'au  pontificat  du  pape  Eugène  IV  (1431).  Les  pasteurs, 
ses  collègues,  ne  goûtèrent  nullement  cette  publication  et  il  fut  obligé 
d'en  faire  une  sorte  de  rétractation  sous  le  coup  des  critiques  amères 
qu'elle  avait  suscitées.  Ce  n'était  cependant  pas  qu'il  fût  encore  attaché 
a' ix  doctrines  romaines,  mais  il  joignait  à  une  conduite  pure  et  sévère 
un  esprit  indépendant  et  difficile.  Sébastien  Castalion  lui  avait  inspiré 
une  estime  particulière  et  l'amitié  qu'il  ne  cessa  de  témoigner  à  ce 
théologien  condamné  par  les  réformateurs  de  la  Suisse,  le  desservait 
fort  auprès  de  ceux-ci.  Il  quitta  brusquement  sa  chaire  en  1563  pour 
accepter  celle  de  Héricourt,  dans  le  comté  de  Montbéliard,  et  il  eut 
L'honneur  de  rendre  la  réforme  définitive  dans  ce  pays.  Mais  il  y  prit 
aigrement  part  aux  luttes  religieuses  qui  l'agitèrent,  soutenant  d'un 
zèle  fougueux  les  luthériens  contre  les  calvinistes,  et  garda  un  rôle 
actif  dans  les  polémiques  jusqu'à  la  lin  de  sa  vie,  en  1588  (voy.  France 
protest.  2e  édit.  I).  H.Bordieb. 

ARCHEVÊQUE,  chef  ou  premier  des  évêques  d'une  province  ecclésias- 
tique. C'est  au  concile  de  N\cée(Cons.  Nie,  can.  6)  quece  titre  (àpy^e- 
~;-v.z-zz)    purement   honorifique   apparaît   pour  la  première  fois;    il 
est  donné  à  des  évêques  de  grandes  villes  (a;.  -rpoka'.,  primœ,  fjwqTpoTuo- 
Xeiç)  qui  jouissaient  d'une  considération   particulière.  Il  fut  réservé 
d'abord  à  ceux  des  dignitaires  de  l'Eglise  qui  avaient  sous  eux  plu- 
sieurs métropolitains  ou  évêques  (Isidorus,  EtymoL,  lib.  VII,  c.  12  : 
Archiepiscopus  grœco  dicitur  vocabulo,  quod  sit   summus   episcoporumr 
tenet  enim  vicem  apnstolicam  etprœsidet  tam  metropolitanis  quant  ceteris 
episcopis).  Plus  tard  il  fut  étendu  à  tous  les  métropolitains  et,  en  Occi- 
.  devint  la  dénomination   usuelle.  L'étendue  des  droits  archiépis- 
copaux a  varié.  Les  évêques,  au  moyen  âge,  étaient  considérés  comme 
les    simples    suffragants   des    archevêques,    «  quia  suffragantur   Ar- 
)i$copo  in  officto  episcopah  ».    Bien   qu'ils  eussent  la  même  puis- 
e   spirituelle  et  la  même  dignité   pontificale  que  les  évêques,  les 
archevêques  avaient  le  droit  de  conlirmer  leur  élection,  de  les  consacrer, 
de  leur  faire  observer  les  canons  et  les  constitutions  de  l'Eglise,  de 
leur  de»nander  des  rapports,  et  même  de  les  citer  en  personne  devant 
leur  tribunal,  d'inspecter  leurs  diocèses  et  leurs  séminaires,  de  conié- 
les  bénéfices  au  cas  où  les  évêques  auraient  négligé  d'y  pourvoir 
i.  34 


522  ARCHEVÊQUE  —  ARCHIPPE 

dans  le  temps  prescrit  par  les  canons,  de  nommer  les  grands  vicaires 
pour  les  diocèses  vacants,  si  huit  jours  après  la  vacance  les  chapitres 
des  cathédrales  n'y  auraient  pas  pourvu,  de  convoquer  et  de  présider  les 
conciles  provinciaux,  de  publier  leurs  décrets,  de  veiller  à  ce  que  les 
évoques  résident  dans  leur  diocèse  ,  de  corriger  et  de  réformer  leur 
jugement  par  la  voie  de  l'appel.  De  plus,  la  forme  de  leur  consécration 
différait:  ils  recevaient  seuls  le  pallium;  seuls  ils  avaient  le  droit  de 
faire  porter  la  croix  haute  devant  eux,  sauf  en  la  présence  du  Souve- 
rain Pontife  ou -de  ses  légats  ;  seuls  enfin  ils  pouvaient  officier  pontiti- 
calement  dans  toute  Pétendue  de  leur  ressort.  Mais  à  mesure  que  le 
pouvoir  des  papes  et  celui  des  princes  grandit,  les  évêques  cher- 
chèrent à  s'affranchir  d'un  contrôle  d'autant  plus  gênant  qu'il  s'exer- 
çait à  une  distance  moins  grande.  Cette  tentative  se  produisit  déjà  au 
concile  de  Trente,  qui  fit  dépendre  l'exercice  de  quelques-uns  des 
droits  archiépiscopaux  de  l'assentiment  du  concile  provincial  (Trident. 
Conc,  sess.  XXIV,  cap.  2  et  3  de  reform.).  Aujourd'hui,  comme  à  l'ori- 
gine, dans  la  plupart  des  pays,  l'archevêque,  dans  la  hiérarchie,  soit 
catholique  soit  protestante  (Angleterre,  Danemark,  Suède),  n'a  plus 
qu'un  droit  de  préséance  purement  honorifique  sur  les  évêques,  ses 
ressortissants.  (Voyez  Thomassin,  Vêtus  ac  nova  Ecclesiœ  disciplina, 
p.  I,  lib.  I,  c.  3;  p.  II,  lib.  I,  c.  5;  p.  II,  lib.  II,  c.  55;  Mast,  Dogmat. 
histo?\  Abhandl.  ùb.  die  rechtl.  Stellg  dei-  Erzbischùfe  in  der  cathoL 
Kirche,  Freib.,  1847.) 

ARCHIDIACRE  ,  d'abord  le  premier  des  diacres,  puis  l'aide  et  le  sup- 
pléant de  l'évêque,  délégué  par  lui  à  des  fonctions  toujours  plus  nom- 
breuses et  plus  importantes,  telle  que  l'éducation  et  l'instruction  du 
clergé,  le  soin  des  pauvres,  l'administration  des  biens  et  le  droit  de  juri- 
diction sur  le  diocèse.  C'est  à  partir  du  quatrième  siècle  que  le  pouvoir 
des  archidiacres  commence  à  grandir;  il  atteint  son  apogée  au  treizième 
siècle,  où  ces  fonctionnaires,  entourés  de  subordonnés  indépendants  de 
l'autorité  épiscopale  (officiâtes),  se  gèrent  en  véritables  maires  du 
palais,  ambitieux  et  parfois  tout-puissants.  Depuis  lors,  une  réaction  se 
produit.  Evêques  et  synodes  à  l'envi  réunissent  leurs  efforts  pour  res- 
treindre les  droits  des  archidiacres  et  les  contenir  dans  de  justes  limites. 
Aujourd'hui,  le  titre  même  a  disparu,  à  peu  près  partout,  pour  faire 
place  à  celui  de  vicaire  général.  (Voyez  Thomassin,  Vêtus  et  nova  Eccl. 
disciplina,  p.  I,  Y  ib.  II,  c.  20;  Pertsch,  Abhandl.  von  dem  Ursprunge 
de'  Diakonen,  Hildesh.,  1743'. 

ARCHIMANDRITE  (àpxwv  -rtç  y.x>opzq,prœfectus  cœnobii),  proprement 
le  chef  du  bercail  (^avcpa)  des  brebis  du  Christ. Ce  nom  a  été  donné,  à 
partir  du  cinquième  siècle,  en  Orient,  aux  supérieurs  des  couvents,  et 
parfois  aussi,  mais  plus  rarement,  aux  prélats  que  l'on  voulait  honorer 
d'un  titre  particulièrement  recherché.  L'Eglise  grecque  l'a  conservé 
jusqu'à  ce  jour.  Dans  l'Eglise  latine,  les  archevêques  et  les  abbés  pré- 
posés à  plusieurs  couvents  l'ont  porté  parfois. 

ARCHIPPE  ("Ap7'.7:TCoç),  disciple  de  saint  Paul,  et,  à  ce  qu'il  paraît,  l'un 
des  directeurs  de  l'Eglise  de  Colosses,  en  rapport  intime  avec  Philémon 
(Col.  IV,  17;  Phil.  2).  Les  Pères  de  l'Eglise  en  ont  fait  le  premier 


ARCHIPPE  —  ARCHITECTURE  523 

évêque  de  cette  ville.  D'après  une  légende  sans  fondement,  il  aurait 
été  l'un  des    soixante-dix  disciples  de  Jésus  et   serait  mort   martyr. 

ARCHIPRÊTRE,  le  premier  des  prêtres.  Ses  fonctions  regardent  la 
célébration  de  l'office  divin  et  l'administration  des  sacrements.  On  dis- 
tingue deux  sortes  d'archiprêtres,  ceux  de  la  ville,  qui  remplacent 
Pévêque  absent,  et  ceux  de  la  campagne,  qui  sont  délégués  par  reve- 
nue pour  veiller  à  l'administration  d'un  certain  nombre  de  paroisses 
rurales.  Ces  derniers  étaient  absolument  subordonnés  aux  archidiacres, 
et  même  les  premiers  n'étaient  indépendants  d'eux  que  pour  l'exercice 
de  leurs  fonctions  intérieures. 

ARCHITECTURE  RELIGIEUSE  des  peuples  de  l'antiquité.  L'histoire 
constate  que,  chez  tous  les  peuples,  l'architecture  religieuse  est  la  pre- 
mière à  se  développer.  Elle  a  pour  tâche,  non-seulement  d'élever  des 
monuments  destinés  à   servir  de  demeure  à  la  Divinité,  à  renfermer 
son  image  et  les  objets  nécessaires  à  son  culte  et  à  réunir,  pendant  cer- 
taines heures  et  pour  certaines  cérémonies,  ses  serviteurs  et  ses  fidèles, 
mais  encore  de  donner  une  forme  tangible,  concrète  aux  aspirations 
morales  de  ceux  qui  élèvent  le  temple,  de  traduire  leurs  idées  reli- 
gieuses, de  les  affirmer,  de  les  glorilior,  d'attester  leur  puissance  et 
leur  sincérité.  Egalement  en  honneur  chez  tous  les  peuples,  elle  variera 
selon  leur  origine,  selon  le  climat  et  la  nature  du  sol,  selon  les  habi- 
tudes sociales,  selon  le  caractère  particulier  de  chaque  religion,  selon 
les  relations  enfin  qui  existent  entre  les  trois  facteurs  principaux  de 
toute  religion  :  la  divinité,  les  prêtres  et  les  fidèles.  Elle  produira  ainsi 
tour  à  tour  le  temple,  la  pagode,  la  synagogue,  la  basilique,  la  mos- 
quée, l'église.   L'influence  de  l'origine   se  fera  sentir  dans  certains 
traits  caractéristiques  de  l'architecture,  selon  que  les  peuples  auront 
été  primitivement  pasteurs,   chasseurs  ou  nomades,  et  qu'ils   auront 
habité  en  premier  lieu  la  tente,  la  cabane,  ou  la  caverne  creusée  dans 
le  roc,  selon  les  relations  aussi  qui  se  seront  établies  entre  eux  et  les 
peuples  voisins  ;  le  climat  influera  sur  la  grandeur  et  la  disposition  des 
ouvertures  et  principalement  sur  la  forme  des  toits  ;  la  nature  du  sol 
déterminera  celle  des  matériaux,  marbre,  pierre,  brique  ou  bois,  qui 
entreront  dans  la  composition  de  l'édifice  sacré  et  contribueront  à  sa 
décoration  ;  les  habitudes  sociales  modifieront  certaines  de  ses  parties, 
s" il  doit  servir  de  lieu  de  conservation  pour  les  trésors  et  les  archives 
de  la  nation,  de  lieu  d'asile  et  de  refuge  pour  les  criminels,  de  lieu  de 
réunion  pour  d'autres  buts  encore  que  le  culte  proprement  dit,  s'il 
doit  enfin  marquer  au  loin  le  centre  de  la  cité;  le  caractère  particulier 
de  chaque  religion  s'y  traduira  par  la  forme  et  la  nature  des  détails 
architectoniques  et  des  symboles  qui  s'y  trouveront  reproduits,  par  la 
prédominance  accordée  aux  dimensions  en  longueur,  en  largeur  et  en 
hauteur,  prédominance  qui  correspond  à  des  sentiments  et  à  des  états 
de  l'âme  divers;  les  relations  enfin  qui  existent  dans  toute  religion 
entre  la  divinité,  1rs  prêtres  et  les  fidèles  seront  marquée;  dans  le  plan 
même  de  l'édifice,  dans  ses  dispositions  générales,  dans  les  moyens  de 
communication  entre  les  diverses  parties  dont  il  se  compose,  dans  la 
place  assignée  dans  l'ensemble  à  chacun  de  ces  trois  facteurs  essentiels, 


524  ARCHITECTURE 

Les  monuments  religieux  de  chaque  peuple  sont  donc  de  véritables 
livres,  et  l'architecture  qui  les  a  élevés  une  écriture  où  celui  qui  sait  la 
déchiffrer  retrouvera  les  pensées,  les  croyances,  les  aspirations,  les 
habitudes  physiques  et  morales,  l'état  politique  môme  des  peuples  qui 
Tout  formée.  Chaque  fois  que  pendant  une  suite  d'années  ou  de  siècles 
une  civilisation  aura  produit  une  série  de  monuments  présentant  les 
mêmes  dispositions  intérieures  et  les  mêmes  caractères  extérieurs,  elle 
î>ura  formé  un  style  nouveau  et  ce  style  sera  accusé  principalement 
dans  les  édifices  religieux,  parce  qu'ils  donnent  satisfaction  aux  be- 
soins les  plus  pressants,  les  plus  intimes  et  en  même  temps  les  plus 
élevés  de  tous  les  peuples.  Chaque  fois  que  Ton  verra  changer  les 
formes  de  F  architecture,  la  civilisation  aura  été  renouvelée;  dans  les 
époques  de  transition  L'architecture  sera  flottante,  hésitante,  et  lorsque 
les  monuments  d'un  peuple  ou  crime  époque  manqueront  d'origina- 
lité, l'on  peut  être  assuré  que  ses  idées  religieuses  sont  dépourvues  de 
caractère  et  de  vitalité. 

I.  Hindous  et  Egyptiens.  Les  monuments  religieux  de  l'Inde,  le  berceau 
de  l'humanité,  et  ceux  de  l'Egypte,  l'un  des  plus  puissants  foyers  de  civili- 
sation antique,  sont  les  plus  anciens  parmi  ceux  qui  présentent  un  style 
bien  déterminé.  Différents  par  les  détails,  ils  ont  dans  leurs  dispositions 
principales  la  plus  grande  analogie.  Elle  s'explique  par  la  similitude 
du  climat,  de  la  nature  du  sol,  de  certaines  traditions  communes,  sans 
que  l'on  soit  amené  à  conclure  à  une  influence  directe  de  l'une  des 
architectures  sur  l'autre.  La  latitude,  et  par  suite  la  température,  sont 
à  peu  près  les  mêmes  ;  ce  que   le  Nil  est  pour  l'Egypte,  l'Indus,  le 
Gange,  le  Brahmapoutra  le   sont  pour  l'Inde  ;    la  fertilité  du  sol  est 
également  prodigieuse  ;  le  lotus  et  le  palmier  sont  abondants  dans  les 
deux  pays  et  forment  ici  comme  là  l'un  des  motifs  de  sculpture  les 
plus  caractéristiques;   les   habitants   de  l'une   et  de   l'autre  contrée 
avaient  commencé  par  habiter  des  cavernes  et  par  se  creuser  des  de- 
meures dans  le  roc,  puis  par  se  construire  dans  la  plaine  des  habita- 
tions légères  faites  en  terre  et  en  roseaux.  Aussi  leurs  premiers  tem- 
ples sont-ils  des  excavations  gigantesques  pratiquées  dans  la  roche  vive, 
et  lorsque  plus  tard  ils  ont  élevé  en  rase  campagne  leurs  édifices  reli- 
gieux, ils  leur  ont  conservé  des  formes  rappelant  la  disposition  pre- 
mière. Les  Egyptiens  comme  les  Hindous  croyaient  à  la   métempsy- 
chose,  à  un   retour   des  hommes   sur  la  terre,  après  leur  mort;  ils 
étaient  gouvernés  les  uns  et  les  autres  par  une  théocratie,  fondée  sur 
la  suprématie  absolue  de  la  caste  des  prêtres  sur  celle  des  soldats  et 
des  laboureurs.  L'architecture  portera  donc  de  part  et  d'autre  le  même 
caractère  de  force,  desévérité,  de  domination  et  de  stabilité.  —  La  reli- 
gion des  Hindous  est  un  panthéisme  mystique,  mêlé  à  un  sens  profond 
pour  les  énergies  de  la  nature  ;  la  divinité  est  dans  tout  et  partout  et 
se  manifeste  aux  hommes  en  d'innombrables  incarnations.  Les  prêtres 
qui  l'enseignaient  au  peuple  étaient  les  seuls  dépositaires  de  la  science 
et  leur  pouvoir  était  sans  limites  ;  les  règles  de  l'architecture  étaient 
rédigées  en  sanscrit  et  ignorées  de  la  masse  du  peuple  qui,  sous  la  di- 
rection des  prêtres,  élevaient  les  temples  gigantesques  consacrés  à  la 


ARCHITECTURE  525 

divinité.  Ces  temples  ou  pagodes  devaient  donner  au  peuple  l'impres- 
sion de  L'immensité  infinie  en  même  temps  que  celle  du  mystère  im- 
pénétrable ;  aussi  leur  dimension  en  longueur  est-elle  plus  accusée  que 
toutes  les  autres.  Leur  plan,  peu  régulier  en  général,  comprenait  de 
vastes  salles,  peu  élevées,  dont  le  plafond  massif  repose  sur  des  piliers 
courts  et  trapus,  dont  les  lignes  parallèles  s'étendent  indéfiniment  ;  ces 
salles  principales,  dont  les  murs  extérieurs  et  intérieurs  portent  par- 
tout les  images  incrustées  des  nombreuses  incarnations  de  Brahm,  sont 
accompagnées  de  sanctuaires  particuliers,  de  galeries,  de  bassins  pour 
les  ablutions,  de  temples  des  reliques,  de  salles  pour  les  pèlerins,  d'ha- 
bitations étendues  pour  les  prêtres  et  précédées  de  portes  monumen- 
tales. Toutes  ces  parties  de  l'édifice  sont  surchargées  de  sculptures 
fantastiques,  de  ligures  de  dieux  aux  bras  multiples,  d'éléphants  et 
d'autres  animaux  sacrés,  et  cette  répétition  continuelle  des  mêmes  mo- 
tifs prescrits  par  une  tradition  immuable,  engendre  la  monotonie.  Les 
plus  remarquables  de  ces  temples,  comme  ceux  de  File  de  Ceylan,  de 
Bénarès,  d'Eléphanta  et  d'Ellora,  sont  des  excavations  creusées  dans  le 
roc,  gigantesques  travaux  de  patience,  où  l'industrie  et  l'art  n'ont  que 
peu  de  part  et  dont  l'exécution  a  dû  coûter  un  nombre  considérable 
d'années,  peut-être  des  siècles.  D'autres,  comme  ceux  de  Jagernaut  et 
de  Tiruvalur,  s'élèvent  librement,  sous  forme  pyramidale,  au  moyen 
de  pierres  immenses  apportées  de  loin  et  assemblées  avec  soin.  On 
trouve  également  dans  l'Inde  un  grand  nombre  d'édifices  à  coupoles 
et  à  minarets;  ils  ont  été  construits  par  les  musulmans,  et  leur  style  n'a 
rien  de  commun  avec  celui  des  constructions  primitives  des  Hindous 
(voy.  L.  Langlès,  Mon.  anc.  et  mod.  de  VHindoustan,  2  vol.,  Paris, 
1821;  J.  Fergusson,  Handbook  of  arcliit.,  vol.  1,  London,  1855).  — 
La  religion  des  Egyptiens  était  un  polythéisme  des  plus  compliqués  ; 
tandis  que  les  prêtres,  qui  gouvernaient  le  peuple  d'une  manière  ab-. 
solue,  adoraient  un  grand  nombre  de  dieux,  auxquels  ils  donnaient 
allégoriquement  des  ligures  d'animaux,  le  peuple  en  vint  à  adorer  les 
animaux  eux-mêmes.  Peuple  et  prêtres  avaient  d'ailleurs  au  plus  haut 
degré  le  culte  des  morts  et  le  mépris  de  la  vie;  les  habitations  terres- 
très  étaient  construites  avec  économie,  les  temples  et  les  tombeau*,  au 
contraire,  d'une  manière  somptueuse  et  durable.  Leur  position  géogra- 
phique au  milieu  des  déserts,  et  les  dogmes  de  leur  religion,  interdi- 
saient également  aux  Egyptiens  toute  relation,  tout  commerce  avec  les 
peuples  étrangers.  De  là  un  art  plus  fermé,  plus  original,  plus  tradi- 
tionnel  encore  que  celui  des  Hindous  ;  la  dimension  prédominante  est 
crllc  de  la  largeur,  qui  donne  l'impression  de  la  durée.  Les  temples 
égyptiens  sont  élevés  sur  une  terrasse  dominant  la  plaine  et  tournés 
vers  I'-  Nil:  leurs  lignes  générales  sont  simples  et  majestueuses;  les 
murs  ('-pais  sont  disposés  en  talus  et  n'ont  point  d'ouvertures.  Une 
porte  gigantesque,  flanquée  de  deux  pylônes,  marque  rentrée  «le  l'édi- 
fice sacré,  auquel  conduisent  des  avenues  (le  sphynx,  d'animaux  fan- 
tastiques accroupis  dans  l'attitude  du  repos;  !<■  temple  lui-môme  com- 
prend plusieurs  rouis  entourées  de  portiques  et  des  sallesdont  les  toits 
plats  -ont  supportés  par  des  colonnes  serrées,  courtes  et  robustes.  Tandis 


52&  ARCHITECTURE 

que  le  sol  des  cours  et  des  salles  qui  se  succèdent  monte  par  degrés,  le 
plafond  s'abaisse  et  l'image  du  dieu  se  dresse  dans  le  plus  reculé  des- 
sanctuaires,  sombre  et  bas,  plein  de  mystère  et  inaccessible  au  peuple. 
De  colossales  figures  symboliques  en  gardent  l'entrée  et  les  murs  inté- 
rieurs et  extérieurs  du  temple,  ainsi  que  les  colonnes  et  les  frises,  sont 
recouverts  de  séries  innombrables  de  caractères  sacrés  ou  d'hiérogly- 
phes, entaillés  dans  la  pierre  et  coloriés  des  couleurs  les  plus  vives,  ra- 
contant l'histoire  de  la  nation  égyptienne  et  de  ses  dynasties  royales. 
Ces  constructions  sont  faites  en  matériaux  énormes,  transportés  à  de 
grandes  distances  par  des  armées  d'ouvriers,  mis  en  place  et  taillés 
avec  le  plus  grand  soin,  sous  la  direction  des  prêtres.  Ils  témoignent 
d'un  art  développé  et  original  ;  ils  frappent  et  imposent  ;  ce  qui  leur 
manque,  c'est  le  sentiment  individuel,  ce  souffle  de  liberté  qui  anime 
la  pierre  et  la  fait  parler.  Les  plus  beaux  temples  de  l'Egypte  sont 
ceux  de  Karnak,  de  Louqsor,  de  l'île  de  Philae  et  de  Dandour  en 
Nubie  ;  ceux  de  Thèbes  et  d'Ipsamboul  sont  des  excavations  dans  le 
genre  des  grands  temples  hindous  (voy.  Description  de  l'Egypte,  publ. 
par  ordre  du  gouvernement,  Paris,  1809-1810;  Gau,  Antiq.  de  la 
Nubie,  Paris,  1823,  Stuttgart,  1822;  C.  R.  Lepsius,  Denkm.  von  Aegyp. 
und  Bthiop.,  Berlin,  1849). 

II.  Perses  et  Assyrims.  Les  peuples  qui,  dès  l'antiquité  la  plus  re- 
culée, ont  habité  les  vastes  plaines  situées  entre  P  Indus  et  PEuphrate, 
n'ont  point  élevé  de  monuments  religieux  durables.  Babylone,  Ninive, 
Persépolis  offrent  encore  des  ruines  considérables,  mais  ces  ruines  sont 
celles  de  palais  et  de  tombeaux,  non  de  temples.  Comparée  à  la  religion 
des  Egyptiens  et  des  Hindous,  celle  des  Perses  était  claire  et  simple. 
Basée,  d'après  les  enseignements  de  Zoroastre  sur  le  dualisme  de  la 
lumière  ou  du  bien  (Ormuzd),  et  des  ténèbres  ou  du  mal  (Ahriman), 
son  culte  consistait  uniquement  dans  l'adoration  de  la  divinité  de  la 
lumière,  au  moyen  de  grands  feux  allumés  sur  des  autels  dressés  pri- 
mitivement au  sommet  des  montagnes,  plus  tard  sur  des  pyramides 
élevées  artificiellement.  —  Les  Assyriens  et  les  Babyloniens  rendaient 
un  culte  aux  astres  et  leur  dieu  principal  était  Baal  ou  Belus,  personni- 
fication du  soleil.  La  tour  de  Babel,  si  célèbre  dans  les  Livres  saints, 
était  un  temple  de  Bélus.  Elle  s'élevait  sous  la  forme  d'une  pyramide  à 
la  base  carrée  d'un  stade(environ  190  mètres)  de  largeur  et  de  hauteur  ; 
elle  se  composait  de  huit  étages  placés  en  retraite  les  uns  sur  les  autres 
et  reliés  au  moyen  d'escaliers  extérieurs;  sur  la  plate-forme  supérieure, 
qui  était  le  sanctuaire,  on  avait  dressé  pour  la  divinité  un  lit  magni- 
fiquement décoré  et  une  table  d'or;  là  aussi  se  trouvait  l'observatoire 
d'où  les  prêtres  chaldéens  étudiaient  les  révolutions  des  astres.  L'inté- 
rieur de  la  pyramide  renfermait  plusieurs  chapelles  et  des  chambres 
où  étaient  conservées  les  archives  de  la  nation.  Le  temple  de  Bélus, 
comme  la  plupart  des  édifices  élevés  dans  ces  pays  pauvres  en  maté- 
riaux de  construction  durables,  était  entièrement  construit  en  briques 
cuites  et  crues  et  décoré  de  bas-reliefs  en  argile,  rehaussés  d'un  enduit 
coloré.  Des  statues  et  des  revêtements  en  métaux  précieux  complé- 
taient sa   décoration  (voy.   Botta    et  Flandin,  Monuments  de  Ninive, 


ARCHITECTURE  527 

Paris,  1849  ;  Vaux,  Niniveh  and  Persepolis,  an  Irist.  sketch  of  Assyria 
and  Persia,  London,  1830). 

111.  Phéniciens  et  Hébreux.  Placés  géographiquement  entre  les 
civilisations  égyptienne  et  assyrienne,  les  peuplades  établies  en  Phé- 
nicie  et  en  Palestine  ne  sont  pas,  à  en  juger  par  les  monuments  qu'elles 
ont  laissées,  arrivées  à  un  degré  de  culture  comparable  à  celui  de  leurs 
voisins.  11  n'est  rien  resté,  pour  ainsi  dire,  des  édifices  religieux  qu'elles 
ont  élevés,  et  les  descriptions  de  ces  édifices  que  donne  la  Bible  sont  si 
confuses  et  si  incomplètes,  qu'il  est  dfficile  de  s'en  faire  une  représen- 
tation exacte.  Essentiellement  actifs  et  nomades,  adonnés  au  commerce 
et  à  l'industrie,  aussi  portés  à  voyager  et  à  trafiquer  que  les  Egyptiens 
Tétaient  peu,  les  habitants  des  côtes  phéniciennes  n'avaient  pas  l'esprit 
tourné  vers  les  longs  et  patients  travaux  de  l'architecture.  —  Plus  indus- 
trieux et  plus  artistes  que  les  Hébreux,  les  Phéniciens  bâtissaient  beau- 
coup et  étaient  renommés  pour  leur  habileté  dans  certains  arts  eons- 
tructifs  et  plastiques  ;  mais  ils  travaillaient  de  préférence  les  bois,  les 
métaux,  les  étoiles,  et  n'ont  rien  produit  de  durable.  Leur  religion,  un 
naturalisme  grossier,  ne  les  portait  pas  vers  les  entreprises  de  longue 
haleine.  Leur  divinité  principale,  adorée  sous  les  noms  de  Baal,Moloch 
et  Àdonaï,  recevait  des  sacrifices  humains,  et  son  culte  était  célébré  en 
plein  air,  sur  les  montagnes  et  dans  des  enceintes  sacrées,  grossière- 
ment disposées  au  moyen  de  grandes  pierres  assemblées  sans  art  et 
sans  régularité.  Il  est  fait  mention  cependant  de  temples  de  Baal  élevés 
à  Tyr,  à  Sidon  et  à  Gadès,  en  Espagne;  mais  on  n'a  aucun  renseigne- 
ment précis  sur  leurs  dispositions  (voy.  Mo  vers,  Bas  phœniz.  Alter- 
thum,  2  vol.,  Berlin,  1849-50).  —  Les  Hébreux  avaient  avec  les  Phéni- 
ciens des  rapports  de  voisinage  nombreux  et  constants.  Quoique  leur 
religion,  un  monothéisme  relativement  élevé,  fût  bien  différente  de  celle 
de  leurs  voisins,  leur  architecture  religieuse  a  dû  nécessairement  s'ins- 
pirer de  la  leur.  Un  peuple  nomade,  errant,  comme  l'avait  été  long- 
temps celui  des  Israélites,  n'avait  pu,  en  effet,  se  créer  un  style  d'ar- 
chitecture propre.  Ils  n'avaient  pu  songer  jusque-là  à  élever  des  tem- 
ples et  ne  connaissaient  d'ailleurs  qu'un  sanctuaire,  l'arche  d'alliance 
renfermant  les  tables  de  la  loi,  qu'ils  transportaient  avec  eux  dans  leurs 
migrations  et  à  laquelle  ils  construisaient  des  abris  temporaires  en  bois 
et  en  étoffes  (voy.  l'article  Arche).  Aussi  lorsque  Salomon  voulut  bâtir 
dans  Jérusalem  un  temple  à  Jéhova,  dût-il  s'adressera  son  voisin,  le  roi 
de  Tyr,  Hiram,  pour  obtenir  de  lui  non-seulement  des  matériaux  de 
construction,  puisque  la  pierre  de  taille  et  les  bois  précieux  manquaient 
dans  le  pays,  mais  encore  des  ouvriers  capables  et  des  architectes  chargés 
de  diriger  les  travaux.  Le  roi  de  Tyr  lui  accorda  les  uns  et  les  autres,  et 
un  de  ses  meilleurs  architectes  du  nom  d'Hiram,  ou  Adoniram,  eut  la 
surveillance  générale  de  l'entreprise.  La  Bible  renferme  plusieurs  des- 
criptions, en  partie  contradictoires,  de  ces  travaux  considérables;  leur 
étendue  et  leur  confusion  même  prouvent  combien  peu  les  écrivains 
d'alors  étaient  familiarisés  avec  les  œuvres  de  l'architecture  (1  Boit 
V- VII ;  2  Chron.  II-IV;  Ezéchiel  XL-XLII).  Le  temple.de  Salomon, 
après  son  achèvement,  se  composait  d'une  partie  centrale  comprenant 


528  ARCHITECTURE 

le  Saint  des  Saints  et  le  lieu  Saint,  précédés  d'un  porche  à  l'occident  et 
entourés  au]sud,  à  l'orient  et  au  nord ,  de  trois  étages  de  chambres;  cette  par- 
centrale  était  située  au  milieu  de  trois  cours  ou  parvis  carrés,  concen- 
triques et  destinés,  le  premier  aux  prêtres,  le  second  aux  Israélites  et  le 
tie  troisième  aux  étrangers  ou  Gentils.  On  pénétrait  par  trois  portes  dans 
le  plus  extérieur  de  ces  parvis,  celui  des  Gentils  ;  il  était  entouré  d'un 
vaste  portique  s'étendant  sur  les  quatre  côtés  du  carré  et  s'ouvrant  sur 
des  logements  divers,  des  chambres  de  gardiens,  des  boutiques  pour  les 
marchands  de  colombes  et  d'objets  destinés  au  culte,  de  salles  à  manger 
pour  les  pèlerins,  etc.  Du  parvis  des  Gentils,  trois  autres  portes  condui- 
saient dans  le  parvis  des  Israélites;  là  se  trouvait  une  double  colonnade 
desservant  les  habitations  des  prêtres,  des  sacrificateurs  et  des  musi- 
ciens ;  l'autel  des  holocaustes  se  dressait  dans  cette  cour,  qui  commu- 
niquait par  trois  autres  portes  avec  le  parvis  des  prêtres.  Celui-ci,  élevé 
de  huit  marches  au-dessus  des  autres,  n'en  était  séparé  que  par  un  mur 
formé  de  trois  assises  de  pierre  et  d'une  corniche  en  bois  de  cèdre;  il 
renfermait,  en  avant  et  à  gauche  du  sanctuaire,  dix  bassins  d'airain  pour 
laver  les  objets  destinés  aux  holocaustes,  et  la  mer  d'airain,  chef- 
d'œuvre  d'Adoniram,  vaste  cuve  d'airain  posée  sur  douze  taureaux, 
où  se  purifiaient  les  sacrificateurs.  Un  vestibule,  précédé  d'un  escalier 
et  de  deux  colonnes  d'airain,  donnait  accès  au  lieu  Saint,  qui  renfer- 
mait dix  chandeliers  à  sept  branches,  la  table  des  pains  de  proposition 
et  l'autel  des  parfums.  11  était  séparé  par  une  porte  à  deux  battants  en 
bois  d'olivier  du  Saint  des  Saints,  qui  était  plus  petit  et  plus  bas  que  le 
lieu  Saint  (selon  le  mode  égyptien),  et  absolument  obscur,  «  l'Eternel 
habitant  les  ténèbres  »  (2  Chron.  VI,  1).  Ce  sanctuaire,  formant  un  cube 
de  vingt  coudées  (oulOm,50  dans  tous  les  sens),  renfermait  l'arche  d'al- 
liance, gardée  par  deux  chérubins  en  bois  d'olivier  recouvert  d'or, 
hauts  de  dix  coudées,  dont  les  ailes  se  touchaient  et  s'étendaient  jus- 
qu'aux deux  parois  du  sanctuaire;  celles-ci  étaient  décorées  avec  une 
magnificence  inouïe,  recouvertes  d'un  lambris  en  bois  de  cèdre, 
rehaussé  de  fleurs,  de  palmes,  de  coloquintes  et  de  chérubins  en  lames 
d'or;  le  parquet  lui-même  était  en  planches  de  cyprès  lamées  d'or.  Les 
chambres,  disposées  en  trois  étages  sur  trois  côtés  du  lieu  Saint  et  du 
Saint  des  Saints  recevaient  les  archives,  le  trésor  public,  les  objets  du 
culte,  vases,  coupes,  plats,  ustensiles,  lustres,  encensoirs,  instruments 
de  musique,  habits  sacerdotaux,  etc.,  en  nombre  si  considérable,  qu'il 
est  fait  mention  de  plusieurs  milliers  d'objets  sacrés  transportés  par 
Nabuchodonozor  à  Babylone  et  rendus  plus  tard  aux  Juifs  par  Gyrus 
(Esdras  I  ss,).  Les  murs  extérieurs  de  toute  la  construction  étaient 
en  pierre  de  taille,  les  revêtements  intérieurs  en  bois  précieux,  la  cou- 
verture en  terrasse  ;  quant  au  style  de  l'ensemble  et  des  détails,  il  par- 
ticipait sans  doute  à  la  fois  de  celui  des  temples  égyptiens  et  de  celui 
des  palais  assyriens.  Le  peuple,  on  le  voit,  n'était  pas  admis  dans  les 
sanctuaires,  où  seuls  les  lévites  pouvaient  entrer,  et  dont  les  dimen- 
sions, comparées  à  celles  des  temples  égyptiens  et  hindous,  sont  peu  con- 
sidérables. Le  temple  de  Salomon  fut  détruit  et  reconstruit  à  plusieurs 
reprises.  Hérode  le  Grand  le  restaura  avec  la  dernière  magnificenc, 


ARCHITECTURE  529 

dans  le  style  romain.  Titus  accomplit  la  prédiction  du  Christ  et  le  dé- 
truisit de  fond  en  comble  (voy.  Josèphe,  les  Antiquités  judaïques; 
Hirt,  der  Tempel  von  Salomu,  1S^>;  de  Saulcy,  Hist.  de  V Art  judaïque; 
Thenius,  Die  Bûcher  der  Kœmge,  Leipzig,  1849).  Le  temple  de  Salomon 
était  autrefois  le  seul  lieu  de  culte  public  delà  Palestine;  on  s'y  ren- 
dait de  partout  pour  les  sacrifices,  les  jours  de  grandes  fêtes  religieuses. 
Les  autres  prescriptions  du  culte  s'accomplissaient  dans  la  maison,  sous 
l'autorité  du  père  de  famille.  Après  la  captivité  de  Babylone,  Esdras 
institua  des  synagogues  pour  la  lecture  et  l' interprétation  de  la  loi  en 
public;  c'étaient  à  la  fois  des  lieux  de  prédication  et  de  discussion,  des 
écoles  et  des  tribunaux.  Plus  tard,  après  la  dispersion  du  peuple  juif, 
ce  mot  désigna  le  local  consacré  à  la  célébration  du  culte.  Ces  temples 
modernes  des  Juifs  sont  généralement  simples,  ne  renferment  point 
d'images  et  sont  décorés  seulement  par  des  sentences  tirées  de  l'Ecri- 
ture sainte;  les  sexes  y  sont  séparés,  les  femmes  occupant  d'habitude 
les  galeries  supérieures  de  l'édilice.  Une  arche  d'alliance  renfermant 
un  ou  plusieurs  exemplaires  de  la  loi,  est  placée  du  côté  de  l'Orient. 
Ces  monuments  religieux,  par  suite  de  l'état  de  dispersion  de  la  nation 
juive,  n'ont  aucun  style  particulier  et  se  rattachent,  par  leur  architec- 
ture extérieure,  au  style  des  édifices  religieux  en  usage  dans  les  diffé- 
rents pays  où  les  Israélites  se  sont  établis.  La  synagogue  de  Francfort 
et  celle  construite  tout  récemment  à  Paris  (rue  de  la  Victoire)  comptent 
parmi  les  plus  belles. 

IV.  Grecs  et  Romains.  Il  était  réservé  aux  peuplades  établies  sur  les 
rives  privilégiées  de  la  Grèce  et  de  l'Italie  de  faire  faire  à  l'archi- 
tecture un  pas  décisif  et  de  donner  à  leurs  monuments  religieux,  ce 
qui  manquait  à  ceux  des  civilisations  qui  avaient  précédé  la  leur  :  la 
beauté  parfaite.  Certes,  les  temples  de  la  vallée  du  Nil  étaient  pleins  de 
grandeur  et  de  sombre  majesté;  ceux  de  l'Inde  frappaient  l'imagi- 
nation par  leur  étendue ,  par  la  quantité  prodigieuse  de  travail 
humain  qu'ils  représentaient;  le  temple  de  Bélus,  à  Babylone,  s'élevait 
dans  les  airs  à  une  hauteur  que  jamais  édifice  construit  par  la  main 
des  hommes  n'avait  atteinte  et  n'a  atteinte  depuis;  celui  de  Salomon 
devait  éblouir  par  la  magnificence  inouïe  de  sa  décoration  intérieure, 
mais  une  chose  faisait  défaut  à  toutes  ces  merveilles  et  les  empêchait, 
malgré  leurs  dimensions  prodigieuses  et  le  luxe  des  matériaux 
employés,  d'être  de  véritables  œuvres  d'art.  C'est  l'unité  dans  l'en- 
semble, l'harmonie  dans  les  détails,  la  science  des  proportions  justes 
entre  les  diverses  parties  de  l'édifice.  —  Ces  proportions  justes  dans 
1  architecture,  les  Grecs  allaient  les  trouver.  Aussi  actifs,  aussi  indus- 
trieux que  les  Phéniciens,  doués  d'un  génie  clair,  simple  et  mesuré, 
aimant  la  vie  et  sachant  user  de  ses  joies  avec  modération,  d'une  race 
forte  ci  belle,  admirablement  équilibrée  et  propre  à  la  fois  aux  entre- 
prises guerrières  et  aux  travaux  fructueux  de  la  paix,. favorisés  d'ail- 
leurs par  la  nature  et  le  climat,  ainsi  que  par  leur  situation  géogra- 
phique, les  (.jvc-,  ont  atteint  un  degré  de  culture  inconnu  avant  eux. 
Leur  polythéisme  était  peu  élevé,  mais  plein  de  grâce  et  «le  poésie; 
leurs  dieux  n'étaient  point  des  abstractions,  des  êtres  vagues  et  insai- 


530  ARCHITECTURE 

sissables  ;  c'étaient  moins  encore  des  monstres  difformes  et  hideux  : 
ils  n'avaient  rien  d'effrayant  ni  de  terrible.  Personniiications  de  toutes 
les  forces  de  la  nature,  ils  avaient  la  figure  humaine  dans  sa  perfection 
idéale,  étaient  doués  de  passions  tout  humaines  et  se  mêlaient  volon- 
tiers à  la  vie  des  hommes  ;  ils  habitaient  d'ailleurs  le  sommet  d'une 
montagne  voisine,  entre  la  Thessalie  et  la  Macédonie,  sur  les  frontières 
mêmes  de  la  Grèce.  Comme  ils  étaient  doués  néanmoins  de  facultés 
supérieures  à  celles  des  hommes  et  qu'ils  pouvaient  leur  nuire  ou  leur 
être  utiles,  il  convenait  de  leur  rendre  un  culte,  d'implorer  leur  assis- 
tance, et  de  s'appliquer  à  gagner  leur  faveur.  On  leur  bâtissait  donc 
des  temples  dans  lesquels  on  plaçait  l'image  du  dieu  et  devant  cette 
image,  on  brûlait  des  parfums,  on  apportait  des  sacrifices,  on  récitait 
des  invocations  :  culte  simple  et  familier,  qui  se  passait  pour  ainsi 
dire  d'intermédiaires.  Jamais  programme  aussi  favorable  ne  s'était 
présenté  à  l'architecte  chargé  d'élever  un  monument  à  la  divinité  ;  il 
réunissait  les  trois  conditions  essentielles  d'un  bon  programme  : 
clarté,  simplicité,  liberté.  Il  s'agissait  d'élever  au  dieu  une  demeure 
digne  de  lui,  belle  intérieurement  et  extérieurement,  de  grandeur 
moyenne,  proportionnée  qu'elle  devait  être  à  ses  dimensions  tout 
humaines;  à  l'ombre  du  sanctuaire  destiné  à  la  divinité,  il  fallait 
disposer  une  pièce  où  l'on  plaçait  le  trésor  public  et  les  archives  de  la 
cité,  confiés  à  la  garde  des  dieux  ;  tout  autour,  une  enceinte  sacrée,, 
découverte,  fermée  de  murs  et  parfois  précédée  d'un  portique,  rece- 
vait la  foule  des  fidèles.  Les  architectes  grecs  ont  admirablement 
rempli  ce  programme.  Le  sanctuaire  (b  vooç)  destiné  à  abriter  Ja  statue 
du  dieu  est  ordinairement  un  rectangle  allongé,  rarement  carré  ou 
rond  ;  il  communique  par  une  large  porte  avec  le  vestibule  (é  rcpovaoç) 
ouvert  du  côté  de  l'extérieur;  derrière  le  sanctuaire,  est  le  dépôt  des 
trésors  et  archives  (5  ôrciaôcîofjioç) .  Autour  de  l'édifice,  plus  encore  pour 
la  beauté  que  pour  l'utilité,  s'étend  un  simple  ou  double  portique 
(o  icepiffruXoç).  L'ensemble  du  monument  s'élève  sur  un  soubassement 
formé  de  trois  gradins  ou  marches  en  retraite  les  unes  sur  les 
autres.  Devant  ces  marches,  dans  l'enceinte  sacrée  (xo  Tépevoç)  est  placé 
l'autel  des  sacrifices.  C'est  dans  la  disposition  des  portiques  que  se 
révèle  tout  l'art  des  Grecs.  Leurs  temples  et  leurs  maisons  avaient  été 
construits  primitivement  en  bois,  et  se  composaient,  comme  toutes 
les  constructions  faites  au  moyen  du  bois,  de  poteaux  dressés  vertica- 
lement et  reliés  par  des  poutres  horizontales  ;  leur  architecture,  tout  en 
se  développant  et  en  employant  des  matériaux  plus  beaux  et  plus 
résistants,  conserva  les  traditions  de  cet  art  primitif.  Comme  les  troncs 
d'arbre,  les  colonnes  de  leurs  portiques  étaient  moins  larges  au 
sommet  qu'à  la  base;  elles  étaient  munies  dans  le  haut,  d'une  tablette 
carrée  (qui  forma  le  chapiteau)  destinée  à  recevoir  les  poutres  ou 
architraves  qui  les  reliaient  ensemble  horizontalement  ;  sur  ces  archi- 
traves, vinrent  apparaître  (sous  forme  de  triglyphes)  les  têtes  des 
poutres  transversales  qui  unissaient  la  colonnade  au  mur  de  l'édifice  ; 
l'espace,  vide  d'abord,  entre  les  triglyphes,  fut  fermé  par  la  suite  par 
une  dalle  (métope)  ornée  de  sculptures  en  bas-relief  et  de  peintures,, 


ARCHITECTURE  531 

et  l'ensemble  dos  triglyphes  et  i\i>>  métopes  tonna  la  i'rise;  enfin  une 
corniche  saillante  couronna  le  tout  et  reçut  L'extrémité  des  poutres  de 
la  charpente  du  toit.  Celui-ci,  doucement  incliné,  à  deux  versants, 
était  accusé  sur  la  face  principale  et  sur  la  l'ace  postérieure  par  des 
frontons,  dont  le  tympan  était  encore  orné  de  statues  et  bas-reliefs. 
L'ensemble  «le  cette  décoration,  résultant  de  la  construction  même, 
constitue  ce  qu'on  appelle  un  ordre  d'architecture  et  des  proportions 
fixes,  non  certes  rigoureuses,  mais  cependant  constantes,  furent 
établies  entre  les  dimensions  en  hauteur  et  en  largeur  des  colonnes  et 
celles  des  entablements  qui  les  couronnent.  C'est  dans  ce  juste 
rapport  de  tous  les  membres  de  la  construction  entre  eux  et  de 
chacun  deux  avec  le  tout,  de  manière  à  les  ramener  aux  harmo- 
nieuses proportions  de  la  beauté  humaine,  que  réside  la  supériorité  de 
l'art  grec  sur  tous  les  autres.  Les  Grecs  employaient  d'ailleurs  trois 
ordres  différents:  Tordre  dorique,  mâle  et  robuste,  sobre  d'ornements, 
employé  de  préférence  pour  les  temples  de  Jupiter,  de  Junon,  de 
Neptune,  d'Hercule,  etc.;  l'ordre  ionique,  dont  la  colonne  plus  svelte 
est  surmontée  d'un  chapiteau  aux  angles  arrondis  en  forme  de  cornes 
de  bélier  ou  de  volutes,  et  dont  la  frise  sans  triglyphes  supporte  une 
corniche  plus  légère,  était  réservé  d'ordinaire  aux  temples  d'Apollon, 
de  Diane  et  de  Cérès;  Tordre  corinthien  enfin,  plus  gracieux  et  plus 
riche  encore,  avec  son  chapiteau  complique,  orné  de  feuilles  d'a- 
canthe mêlées  à  des  feuilles  d'eau  et  couronnées  par  des  enroule- 
ments et  de  petites  volutes  d'angle,  était  consacré  à  Vénus  et  à 
Bacchus.  Les  moulures  de  ces  derniers  ordres  étaient  couvertes 
d'ornements  en  forme  d'oves,  de  rangées  de  perles,  de  raies  de  cœur, 
de  palmettes.  Non-seulement  les  temples  étaient  construits  en  maté- 
riaux précieux,  en  marbres  magnifiques,  mais  ils  brillaient  encore 
des  couleurs  les  plus  éclatantes,  répandues  à  profusion  sur  les  arêtes 
des  colonnes,  sur  les  moulures  des  entablements,  dans  les  fonds 
derrière  les  bas-reliefs  des  métopes  et  des  frises  et  derrière  les  statues 
des  frontons;  l'or,  l'argent  et  le  bronze  entraient  également  dans 
leur  décoration,  sous  la  forme  de  clous  saillants,  de  boucliers  fixés 
sur  les  architraves,  de  vases,  de  trépieds  disposés  aux  angles  et  au 
sommet  des  frontons.  La  statue  du  dieu  elle-même  était  en  marbre,  en 
ivoire  ou  en  un  métal  précieux,  et  lesanctuaire  était  orné  à  profusion  de 
trophées,  de  tables  d'or,  d'autels  et  de  tableaux.  C'était  en  quelque 
sorte  un  musée  national,  le  sanctuaire  des  arts  et  des  illustrations  de 
la  cité.  Aussi  L'amour  des  Grecs  pour  leurs  temples  était-il  passionné, 
el  partout  où  s'établissaient  leurs  colonies,  ils  élevaient  des  édifices 
sacrés  semblables  à  ceux  de  la  mère-patrie.  Les  principaux  temples 
doriques  dont  les  ruines  sont  encore  debout,  sont  :  le  Parthénon,  sur 
r Acropole  d'Athènes,  le  temple  de  Thésée,  dans  la  même  ville,  celui 
de  Jupiter  Panhéllénien  dans  l'ile  d'Egine,  les  temples  de  Sélinonte 
el  de  Syracuse,  en  Sicile,  et  ceux  de  Paestum,  dans  la  Grande-Grèce; 
parmi  les  temples  ioniques,  les  plus  célèbres  sont  ceux  de  TAsie- 
Nineure,  le  temple  de  Diane  à  Ephèse,  celui  d'Apollon  à  Didyme  et  les 
temples  de   Minerve   Poliade  à   Priene  et  à  Athènes.  Le  temple  de 


532  ARCHITECTURE 

Jupiter  Olympien,  à  Athènes,  est  le  seul  d'ordre  corinthien  grec  dont 
des  restes  soient  conservés.  Il  date  du  deuxième  siècle  avant  Jésus- 
Christ,  tandis  que  les  plus  anciens  temples  doriques  remontent  au 
sixième  siècle  avant  notre  ère  (voy.  Stuart  et  Revett,  Les  antiq. 
d'Athènes,  traduit  de  l'anglais,  4  vol.,  Paris,  1808;  Beulé,  YArchit. 
au  siècle  de  Pisistrate  {Revue  d'archit.,  15e  et  16e  année,  Paris).  —  Les 
Romains,  qui  ont  emprunté  aux  Grecs  leur  religion  et  qui  n'avaient 
ni  le  goût  ni  le  loisir  d'inventer  des  formes  nouvelles  pour  la  célébrer, 
leur  ont  emprunté  de  même  leur  architecture  religieuse  et  leurs 
ordres.  Ils  ont  fait  subir  néanmoins  quelques  modifications  à  la  dispo- 
sition générale  des  temples.  Les  portiques  latéraux  et  postérieurs  sont 
d'habitude  supprimés  et  un  seul  portique  {porticus)  profond  s'élève 
sur  la  face  principale,  en  avant  du  sanctuaire  (cella).  L'ordre  corin- 
thien, plus  riche  que  les  autres,  est  employé  de  préférence,  et  la  pente 
du  fronton  et  du  toit  devient  plus  sensible  que  chez  les  Grecs.  Les 
temples  perdent  en  grâce  et  gagnent  en  magnificence.  Situés  ordinai- 
rement sur  le  forum,  auquel  ils  servent  de  décor,  ils  sont  exhaussés 
sur  un  soubassement  élevé  formant  piédestal  tout  à  l'entour  de  l'édi- 
fice, auquel  on  accède  par  un  grand  escalier  occupant  toute  la  largeur 
de  la  façade.  Du  reste,  les  temples  ne  sont  plus  chez  les  Romains, 
l'édifice  unique  comme  chez  les  Egyptiens,  ou  principal  comme 
chez  les  Grecs.  Les  besoins  religieux  diminuent  chez  eux,  en  même 
temps  qu'augmentent  ceux  de  la  vie  civile  et  militaire.  Tout  absorbés 
par  la  conquête  du  monde,  par  l'administration  de  leur  vaste  empire, 
par  les  soucis  journaliers  de  la  politique,  leur  activité  sur  le  terrain 
de  l'architecture  se  manifeste  surtout  par  la  construction  d'aqueducs 
gigantesques,  de  basiliques,  d'amphithéâtres,  de  thermes  et  d'autres 
édifices  d'utilité  publique  ou  de  récréation.  Moins  artistes  que  les 
Grecs,  moins  riches  qu'eux  aussi  en  matériaux  de  prix,  leur  esprit 
pratique  a  fait  taire  néanmoins  un  pas  considérable  à  l'architecture. 
Les  premiers,  ils  ont  donné  à  la  voûte  et  à  l'arcade,  un  emploi 
judicieux,  presque  prédominant,  dans  leurs  constructions.  Ayant 
besoin  d'espaces  couverts  d'une  grande  étendue,  et  n'ayant  pas  à  leur 
disposition  des  pierres  suffisamment  longues  pour  pouvoir  porter 
horizontalement  d'un  mur  ou  d'un  pilier  à  l'autre,  ils  imaginèrent  les 
premiers  de  se  servir  de  pierres  plus  petites,  taillées  en  forme  de 
coins  et  disposées  en  claveaux  ou  voussoirs  sur  un  demi-cintre,  de 
façon  à  se  maintenir  réciproquement  et  à  pouvoir  porter  des  charges 
considérables,  sans  se  disjoindre.  Grâce  à  cet  emploi  ingénieux  de  la 
pierre  et  de  la  brique,  ils  purent  couvrir  de  larges  ouvertures  au 
moyen  d'arcades  reposant  sur  des  piliers  carrés  ou  piédroits,  et  de 
grandes  surfaces  rectangulaires  ou  circulaires,  au  moyen  de  voûtes  en 
berceau  continu  ou  en  coupole,  s'appuyant  sur  des  murs  épais 
s'opposant  à  leur  poussée.  Mais,  tout,  en  faisant  le  plus  grand  usage  de 
l'arc  plein-cintre,  les  Romains  n'ont  pas  su  lui  donner  une  expression 
artistique  ;  ils  le  considéraient  comme  une  nécessité  fâcheuse,  un 
artifice  de  construction,  et  n'eurent  pas  l'idée  d'en  faire  un  motif  de 
décoration.  Ils  s'en  servaient,  comme  d'un  esclave,  dans  les  subslruc- 


ARCHITECTURE  533 

lions  des  amphithéâtres,  dans  la  construction  des  aqueducs  immenses, 
dans  la  couverture  de  leurs  grandes  salles  des  thermes,  mais  chaque 
fois  qu'ils  voulaient  décorer  un  édifice,  ils  faisaient  appel  aux  ordres 
grecs,  et  lorsqu'ils  ne  pouvaient  éviter  d'accuser  l'arcade  à  l'extérieur, 
ils  la  combinaient  avec  les  colonnes  et  les  entablements  grecs,  d'une 
façon  souvent  peu  harmonieuse  et  contraire  aux  principes  des  deux 
systèmes  de  construction.  Dans  les  temples,  l'arcade  et  la  voûte  ne 
trouvèrent  que  peu  d'emploi;  elle  n'apparurent  jamais  au  dehors,  et 
leur  rôle  se  borna  à  couvrir  intérieurement  les  portiques  et  parfois  la 
relia.  Rome  présente  encore  les  ruines  d'une  grande  quantité  de  temples 
romains,  mais  un  plus  grand  nombre  d'entre  eux  a  disparu,  et  leurs 
matériaux  ont  servi  à  édifier  les  premières  basiliques  chrétiennes. 
Parmi  ceux  qui  ont  conservé  quelques  restes  de  leur  ancienne  splendeur, 
nous  nommerons  ceux  de  Vespasien,  de  Jupiter  Stator,  d'Antonin  et 
de  Faustine,  de  Vénus,  ainsi  que  le  Panthéon  d'Agrippa,  si  toutefois 
cet  édifice  a  été  un  temple,  et  non  une  salle  de  thermes,  comme  le 
croient  plusieurs  auteurs.  L'Italie  possède  un  grand  nombre  d'autres 
temples  romains,  et  partout  où  les  légions  romaines  ont  pénétré,  des 
temples  se  sont  élevés  à  côté  des  amphithéâtres  et  des  basiliques.  En 
Espagne,  en  Afrique,  en  Istrie,  jusqu'à  Palmyre  et  à  Balbeck,  on 
retrouve  des  colonnes  corinthiennes  ayant  fait  partie  de  temples 
considérables.  En  France,  la  Maison-Carrée  de  Nîmes  offre  l'un  des 
exemples  les  mieux  conservés  de  ce  genre  d'édifices.  C'était  un 
temple  consacré  à  Auguste.  On  le  voit,  grisés  par  leur  puissance,  les 
empereurs  romains  en  étaient  venus  à  se  croire  les  égaux  des  dieux 
et  leurs  peuples  leur  élevaient  des  temples  et  les  adoraient.  Les  dieux 
s'en  allaient,  et,  tandis  que  disparaissait  toute  croyance,  l'empire 
romain,  et  avec  lui  la  civilisation  et  l'architecture  romaines  mar- 
chaient à  une  égale  décadence.  Les  temps  étaient  propices  pour 
réclosion  d'une  religion,  d'une  civilisation  et  d'une  architecture 
nouvelles  (voy.  Canina,  Gli  edifîzi  di  Borna  anfica,   1840). 

Emile  Lichtenberger. 
ARCHITECTURE  CHRÉTIENNE.  Le  christianisme  est  la  plus  grande 
révolution  morale  que  l'humanité  ait  traversée.  Issu  de  la  religion  des 
Hébreux  à  une  époque  où  la  société  antique,  plongée  dans  le  matéria- 
lisme, s'éloignait  de  ses  dieux,  il  fut  une  protestation  énergique  du 
sentiment  religieux  contre  le  formalisme  et  le  scepticisme  qui  régnaient 
partout  et  se  partageaient  le  monde  alors.  Aux  divinités  mystérieuses 
des  peuples  de  l'Asie  et  de  l'Egypte,  aux  dieux  trop  familiers  des  Grecs 
el  des  Romains,  au  redoutable  Jéhova  des  Juifs,  il  opposa  un  Dieu 
unique,  Dieu  de  bonté,  de  pardon  et  d'amour.  A  côté  du  précepte  de 
I  amour  de  Dieu  il  plaça  celui  de  l'amour  du  prochain,  proclamant 
ainsi  L'égalité  la  plus  complète  de  tous  les  hommes  devant  la  justice  de 
Dieu.  Entre  Dieu  et  les  hommes  il  n'admit  qu'un  seul  intermédiaire: 
le  Christ,  fondateur  de  la  religion  nouvelle,  fils  de  Dieu,  sauveur  de 
l'humanité.  Ses  prêtres  lurent  les  disciples,  les  fidèles,  tous  ceux  qu 
avaient  la  foi;  son  culte  était  la  prière,  et,  dans  l'esprit  du  Christ,  la 
prière  individuelle  et  solitaire  plutôt  que  la  prière  collective  récitée  en 


534  ARCHITECTURE 

commun.  Une  seule  cérémonie  était,  non  pas  prescrite  par  le  Christ, 
mais  instituée  par  ses  premiers  disciples  :  celle  de  la  Sainte-Cène  qui, 
par  un  repas  symbolique,  devait  rappeler  aux  fidèles  leur  Sauveur  et 
son  sacrifice,  et  les  raffermir  dans  leur  communion  avec  Dieu  le  père 
et  le  fils.  A  une  religion  aussi  pure,  aussi  spirituelle,  il  ne  fallait  point 
de  temples,  dans  le  sens  antique.  Le  sanctuaire  ne  pouvait  plus  être 
une  image  plus  ou  moins  grossière  de  Dieu  ou  une  arche  d'alliance  en 
bois  ou  en  métal  précieux:  c'était  le  cœur  de  l'homme  régénéré,  pu- 
rifié par  la  loi.  C'est  là  qu'habitait  Dieu  désormais;  c'est  là  que  l'homme 
devait  se  mettre  en  relation  avec  lui.  Le  temple,  c'était  l'homme  lui- 
même.  La  comparaison  de  l'homme  à  un  édifice  sacré  est  fréquente 
chez  les  apôtres  (1  Pierre  II,  5;  Ephés.ll,  20),  et  Origène  répond  à 
Celse,  qui  lui  reproche  que  les  chrétiens  n'ont  point  de  temples: 
«  Ils  n'ont  point  de  temples  en  pierres,  mais  des  temples  vivants.  » 
Tout,  d'ailleurs,  était  bon  pour  les  lieux  de  réunion  des  premières 
communautés  chrétiennes,  car  «  où  il  y  a  deux  ou  trois  personnes 
assemblées  en  mon  nom,  j'y  suis  au  milieu  d'elles  »,  avait  dit  le 
Christ  (Matth.  XVIII,  20).  Une  salle  quelconque,  assez  vaste  pour 
renfermer  la  communauté,  assez  bien  disposée  pour  que  chacun 
de  ses  membres  pût  entendre  les  lectures  faites,  devait  suffire  aux 
besoins  de  ce  culte  simple  et  fraternel.  Lorsque  vinrent  les  persécu- 
tions, par  une  réaction  naturelle,  les  chrétiens  attachèrent  d'autant 
plus  de  prix  à  ces  réunions,  qu'elles  devenaient  plus  difficiles,  plus 
périlleuses.  On  dut  faire  choix  d'une  maison  se  distinguant  aussi  peu 
que  possible,  à  l'extérieur,  des  maisons  voisines  et  s'y  rendre  en 
secret  ;  là  où  la  conformation  du  sol  le  permettait,  comme  à  Rome  et  à 
Naples,  on  se  réunit  dans  des  lieux  souterrains,  les  catacombes  ;  on  y 
portait  les  corps  des  martyrs  tombés  pour  la  foi,  et  la  cérémonie  de  la 
Sainte-Cène  était  célébrée  sur  le  tombeau  même  du  martyr,  qui  devint 
ainsi  le  premier  autel  chrétien.  Du  jour  enfin  où  Constantin,  par  son 
édit  de  Milan  en  313,  permit  au  christianisme  de  sortir  des  catacombes, 
de  célébrer  librement  son  culte  et  de  faire  ouvertement  de  la  propa- 
gande, une  ère  nouvelle  commença  pour  la  religion  du  Christ  et  l'ar- 
chitecture chrétienne  prit  naissance.  Il  s'agissait  maintenant,  après  de 
longues  années  de  luttes,  de  souffrances,  de  persécutions,  d'affirmer 
hautement  sa  foi,  de  lutter  à  ciel  ouvert  avec  le  paganisme  qui  n'était 
pas  vaincu  encore,  d'achever,  par  un  prosélytisme  ardent,  la  vic- 
toire complète  cle  la  religion  nouvelle,  et,  pour  aider  à  tout  cela, 
d'élever  à  côté  des  temples  païens  des  édifices  consacrés  au  culte  du 
vrai  Dieu.  Mais  déjà,  pour  disposer  ces  édifices,  les  conditions  n'é- 
taient plus  les  mêmes  que  deux  siècles  auparavant.  Les  communau- 
tés étaient  devenues  plus  nombreuses  ;  une  sorte  d'hiérarchie  s'était 
établie  parmi  les  fidèles  :  chaque  communauté  choisissait  ses  diacres 
et  ses  sous-diacres,  spécialement  chargés  de  la  célébration  du  culte,  et 
toutes  les  communautés  d'un  même  diocèse  nommaient  à  l'élection 
un  évêque,  successeur  des  apôtres.  Le  concile  de  Nicée  organisa 
l'Eglise  catholique  et  jeta  les  bases  d'un  système  qui  devait  enlever 
de  plus  en   plus  aux  fidèles   l'administration   de   l'Eglise,   pour  la 


ARCHITECTURE  535 

mettre  tout  entière  entre  les  mains  du  clergé.  L'édifice  destiné  à  abriter 
la  communauté  chrétienne  ne  devait  pas  d'ailleurs  servir  à  la  seule 
célébration  du  culte;  il  devait  être  en  même  temps  un  lieu  de  réunion 
pour  la  discussion  de  toutes  les  affaires  communes  intéressant  les 
fidèles;  on  s'y  occupait  délections,  d'œuvres  de  charité,  d'instruction 
et  de  discipline  ;  c'était  en  un  mot,  réunis  dans  une  seule  enceinte,  le 
temple  des  païens  et  la  synagogue  des  Hébreux.  La  disposition  des 
temples  grecs  et  romains,  au  sanctuaire  sombre  et  de  petite  dimension, 
ne  pouvait  convenir  à  une  pareille  destination  ;  les  chrétiens,  à  peine 
sortis  des  catacombes,  ne  pouvaient  d'ailleurs  improviser  pour  leurs 
édifices  religieux  des  formes  nouvelles.  Avec  le  temps,  le  dogme  nou- 
veau devait  amener  nécessairement  une  rénovation  de  l'art;  mais  une 
pareille  transformation  exige  le  travail  de  plusieurs  siècles,  et  il  s'agis- 
sait de  donner  satisfaction  à  des  besoins  pressants.  Les  architectes 
chrétiens  durent  donc  se  résoudre  à  emprunter  aux  Romains  celui  des 
édifices  de  la  vie  civile,  dont  la  disposition  convenait  le  mieux  aux 
besoins  de  leur  culte  et  à  s'approprier  de  même  les  éléments  construc- 
tifs  et  décoratifs  de  leur  architecture.  La  basilique  romaine  fut  reconnue 
comme  l'édifice  le  plus  propre  à  se  prêter  à  la  célébration  du  culte 
chrétien.  Elle  n'était,  chez  les  Romains,  qu'une  sorte  de  prolongement 
du  forum,  destiné  à  la  réunion  des  commerçants,  à  la  discussion  et  aux 
jugements  des  affaires  ;  elle  se  composait  d'ordinaire  d'une  grande 
salle  rectangulaire,  presque  toujours  à  ciel  ouvert,  entourée  de  porti- 
ques couverts  à  une  ou  deux  rangées  de  colonnes  sur  les  quatre  côtés, 
et  accompagné  sur  l'un  des  petits  côtés  d'un  vestibule  ou  portique 
extérieur  en  communication  avec  la  voie  publique,  et  sur  l'autre  d'un 
tribunal  de  forme  carrée  ou,  plus  souvent,  semi-circulaire,  élevé  de  plu- 
sieurs degrés  au-dessus  du  sol  de  la  basilique  et  d'où  les  juges  ren- 
daient leurs  arrêts.  Cette  distribution  put,  sans  grandes  modifications, 
être  conservée  pour  les  basiliques  chrétiennes  ;  l'espace  central  et  ses 
portiques  furent  assignés  à  la  communauté,  les  pénitents  et  les  caté- 
chumènes trouvèrent  place  dans  le  vestibule  ou  portique  extérieur,  et 
le  clergé  s'installa  dans  le  tribunal  ou  l'abside.  La  difficulté  était  de 
couvrir  ce  grand  édifice,  car  si  chez  les  païens  le  peuple  pouvait  être 
laissé  à  découvert  en  dehors  du  sanctuaire,  il  n'en  était  plus  de 
même  chez  les  chrétiens  qui,  étant  temples  eux-mêmes,  devaient 
entrer  dans  le  lieu  saint  et  y  être  abrités.  A  Rome,  on  couvrit 
tout  L'espace  central,  ainsi  que  les  portiques  latéraux,  d'une  charpente 
en  bois,  après  avoir  élevé  sur  les  colonnes  des  portiques  des  murs 
percés  de  fenêtres,  donnant  des  jours  directs  à  la  salle  centrale.  A 
Byz  race,  au  contraire,  où  Constantin  avait  transporté  le  siège  de  l'em- 
pire on  préféra  la  voûte  et  on  chercha  de  bonne  heure  les  meilleures 
combinaisons  pour  voûter,  le  plus  solidement  et  le  plus  éeonomique- 
ment  possible,  les  grands  espaces  destinés  à  la  réunion  des  fidèles.  A 
Rome,  où  l'on  avait  sous  les  yeux  et  sous  la  main,  de  nombreux 
édifices  de  Style  romain,  on  se  servit  de  ces  matériaux  et  l'on  continua 
à  bâtir  dans  <•-■  même  style.  A  Byzance,  où  l'on  n'avait  ni  celle  res- 
source, ni  ces  exemples,  l'architecture  n'emprunta  aux  Romains  que 


536  ARCHITECTURE 

leur  principe  constructif  de  la  voûte  et  de  l'arcade  et  trouva  prompte- 
ment  des  formes  décoratives  nouvelles.  C'est  ainsi  que  dès  les  pre- 
miers siècles  de  l'ère  chrétienne  se  manifesta,  dans  l'architecture 
religieuse,  ce  contraste  entre  l'Orient  et  l'Occident,  antérieur  à  l'Eglise 
et  qui  devait  sous  peu,  sur  le  terrain  religieux,  amener  un  schisme 
dans  l'Eglise.  Le  développement  de  l'architecture  chrétienne  fut 
absolument  différent  en  Orient  et  en  Occident  et  il  convient  de  diviser 
dès  l'abord  l'étude  de  cette  architecture,  en  deux  parties  distinctes. 

A .  Architecture  chrétienne  de  ïOrient.  La  translation  du  siège  de 
l'empire  à  Byzance,  dans  une  ville  relativement  petite  et  d'origine 
nouvelle,  doit  être  considérée  comme  un  fait  favorable  à  la  prompte 
éclosion  d'un  style  nouveau  pour  l'architecture  religieuse  des  chré- 
tiens. Dès  le  principe,  ils  furent  à  Byzance  plus  nombreux  que  les 
païens  et  on  y  construisit  plus  d'églises  que  de  temples.  Ne  subissant 
pas  l'influence  des  chefs-d'œuvre  de  l'architecture  antique,  les  chré- 
tiens d'Orient  purent  s'affranchir  plus  rapidement  des  formes  païennes 
et  chercher  avec  plus  de  liberté  les  dispositions  convenant  le  mieux 
à  leurs  édilices  religieux.  On  se  trouvait  d'ailleurs  sur  ce  sol  grec,  où, 
malgré  la  conquête,  le  sentiment  cle  l'art  était  demeuré  plus  pur  et 
plus  vivace  qu'à  Rome.  N'ayant  pas  sous  la  main  les  innombrables 
colonnes  des  portiques  et  péristyles  païens  qui,  à  Rome,  étaient 
enlevées  aux  édifices  qu'elles  décoraient  primitivement,  pour  être 
replacées  et  combinées  à  nouveau  pour  la  construction  des  églises,  les 
architectes  de  Constantinople  durent  renoncer  bientôt  au  système 
des  colonnes  et  recourir  à  celui  cle  la  voûte  qui,  tout  en  employant  des 
matériaux  de  dimensions  restreintes,  avait  l'avantage  cle  leur  per- 
mettre cle  couvrir  cle  plus  vastes  espaces.  La  disposition  principale  de 
la  basilique  romaine,  qui  s'adaptait  si  bien  aux  exigences  du  culte 
nouveau,  fut  appliquée  à  Byzance  comme  à  Rome,  et,  ici  comme  là, 
l'édifice  religieux  se  composa  d'une  grande  salle  centrale,  destinée  à 
la  communauté,  précédée  à  l'occident  d'un  vestibule  ou  narthex  pour 
les  catéchumènes  et  terminé  à  l'orient  par  une  abside  semi-circulaire 
pour  le  clergé.  L'autel  fut  placé  en  avant  de  l'abside,  sur  la  limite  du 
sanctuaire,  ou  fc^x  et  de  l'espace  occupé  par  la  communauté.  Seu- 
lement, tandis  qu'en  Occident  ce  dernier  espace  prit  dès  le  commen- 
cement une  forme  rectangulaire  oblongue  et  fut  divisé  en  plusieurs 
allées  par  de  longues  rangées  de  colonnes,  comme  dans  la  basilique 
romaine,  on  s'attacha  de  préférence  en  Orient,  à  donner  à  cette  partie 
principale  cle  l'édifice  une  disposition  concentrique  autour  d'un 
point  central,  c'est-à-dire  une  forme  carrée,  octogonale  ou  ronde,  et  à 
la  recouvrir  d'une  voûte  en  coupole  extradossée,  s'élevant  librement 
dans  les  airs.  Cette  forme  avait  le  grand  avantage  de  mieux  réunir  la 
communauté,  de  la  rapprocher  du  clergé,  et  de  lui  assigner  clans 
l'édifice  la  place  qui  lui  revenait,  la  place  d'honneur,  accusée  au  loin 
par  la  coupole.  Au  quatrième  et  cinquième  siècle,  la  forme  de  la  basi- 
lique romaine  fut,  il  est  vrai,  employée  fréquemment  en  Orient;  la 
plupart  des  églises  élevées  par  Constantin  à  Byzance,  à  Bethléhem,  à 
Jérusalem,  présentaient  la  disposition  oblongue  de  ces  édifices.  Mais 


ARCHITECTURE  537 

cette  forme  ne  prévalut  pas,  et  dès  le  cinquième  siècle  on  préféra  la 
forme  ronde  ou  polygonale,  employée  pour  certains  temples  romains, 
comme  ceux  de  Vénus,  à  Rome  et  à  Tivoli.  Mais,  à  moins  d'élever  des 
coupoles  gigantesques,  comme  celles  du  Panthéon,  il  fallut,  pour 
gagner  de  la  place,  percer  le  mur  circulaire  et  le  faire  porter  par  des 
colonnes  simples  ou  doubles,  placées  en  cercle  au  nombre  de  huit  ou 
douze  et  reliées  par  des  arcades;  on  obtenait  de  la  sorte, outre  l'espace 
central,  des  bas-côtés,  où  la  communauté  pouvait  s'étendre.  Bientôt 
on  établit  deux  étages  superposés  de  ces  colonnes,  afin  d'avoir  des 
galeries  supérieures,  réservées  aux  femmes.  Puis  on  s'efforça  de  dimi- 
nuer de  plus  en  plus  le  nombre  des  colonnes  ou  piliers,  qui  gênaient 
la  vue.  et  Ton  créa  enfin  ce  type  de  l'église  grecque,  qui  trouva  sa 
réalisation  complète  dans  l'église  de  Sainte-Sophie,  élevée  au  sixième 
siècle  par  Justinien  à  Constantinople.  Quatre  piliers  massifs  furent 
établis  aux  angles  d'un  vaste  carré  et  réunis  par  de  puissants  arcs  en 
plein-cintre;  des  arêtes  intérieures  de  ces  piliers  s'élancèrent,  en 
encorbellement  sur  le  vide,  des  voûtes  triangulaires  appelées  pen- 
dentifs, qui  firent  la'  transition  entre  la  forme  carrée  du  plan  et  un 
grand  cercle  horizontal  qui  devint  la  base  de  la  coupole.  Des  demi- 
coupoles  vinrent  contre-buter  ce  dôme  central  et  fermer  les  arcs  sur 
lesquels  il  s'appuyait;  elles  couvrirent  quatre  nefs  ou  bras  d'une  croix 
grecque  formée  par  les  prolongements  des  quatre  arcades  principales. 
L'une  ilf  ces  nets,  à  l'occident,  reçut  l'entrée  principale  précédée  d'un 
portique  ou  narthex,  la  nef  opposée  renferma  le  sanctuaire,  et  les  nefs 
latérales  furent  coupées,  dans  leur  hauteur,  par  des  galeries  réservées 
aux  femmes  ;  enfin  des  couronnes  de  petites  fenêtres  cintrées  furent 
percées  à  la  base  de  la  coupole  centrale  et  des  petites  coupoles  laté- 
rales. A  cette  forme  nouvelle,  on  adapta  des  détails  d'architecture 
nouveaux  :  des  colonnes  à  chapiteaux  cubiques  ou  en  forme  de  pyra- 
mide tronquée,  reliées  par  des  arcades,  des  fenêtres  cintrées,  souvent 
géminées,  c'est-à-dire  réunies  deuxàdeux  sous  un  grand  arc  commun, 
enfin  une  ornementation  s 'inspirant  des  arts  de  l'Orient,  des  sculp- 
tures peu  saillantes  formées  d'entrelacs,  de  galons,  de  rangées  de 
perles,  de  feuillages  fantastiques,  et  un  goût  très-prononcé  pour  les 
"mosaïques  brillantes  à  fond  d'or  et  les  incrustations  de  métaux 
précieux.  Un  style  nouveau  était  né,  qu'on  appelle  le  style  byzantin, 
dont  l.s  traits  caractéristiques  sont  la  coupole  sur  pendentifs  placée 
au  centre  d'une  croix  grecque,  à  quatre  branches  à  peu  près 
égales,  et  l'emploi  de  coupoles  multiples.  Ce  style  fut  définitive- 
ment adopté  par  L'Eglise  grecque  lors  de  sa  séparation  d'avec  l'Eglise 
latine,  et  ne  subit  que  de  légères  modifications  depuis  le  sixième 
siècle  jusqu'à  l'époque  contemporaine.  A  l'extérieur  ,  se  manifesta 
une  tendance  de  plus  en  plus  prononcée  à  élever  et  à  multiplier 
les  coupoles.  A  la  coupole  centrale,  on  avait  adjoint  d'abord  quatre 
coupoles  plus  petites  disposées  sur  les  quatre  branches  de  la  croix 
grecque  :  on  en  ajouta  d'autres  encore,  par  la  suite,  sur  les  angles  for- 
més entre  les  extrémités  de  ces  branches  et  sur  le  narthex.  Ces  cou- 
poles,  au  li  u  de  reposer  directement  sur  les  pendentifs,  furent  sur- 

/.  35 


538  ARCHITECTURE 

haussées  et  élevées  sur  des  murs  ou  tambours  cylindriques  percés  de 
grandes  fenêtres.  La  Russie,  en  s'appropriant  le  style  byzantin,  changea 
la  forme  des  coupoles  pour  les  approprier  à  son  climat,  et  leur  donna 
les  courbes  les  plus  diverses  en  les  recouvrant  de  lames  d'or  à  l'exté- 
rieur. Un  changement  assez  important  se  fit  également  à  l'intérieur  vers 
le  dixième  siècle.  Tandis  que,  dans  l'Eglise  latine,  la  cérémonie  de  la  con- 
sécration de  l'hostie  se  faisait  toujours  en  présence  de  tous  les  fidèles, 
l'Eglise  grecque  la  déroba  à  leurs  yeux  et  ne  permit  plus  qu'aux  seuls 
prêtres  d'être  les  témoins  du  miracle  sans  cesse  renouvelé  de  la  trans- 
formation du  pain  et  du  vin  en  chair  et  en  sang  du  Christ.  Le  sanc- 
tuaire fut  donc  fermé  par  une  cloison  richement  décorée,  qui  s'appela 
iconostasis,  d'après  les  images  des  saints  dont  on  eut  coutume  de  l'or- 
ner ;  plusieurs  portes  mettaient  le  sanctuaire  en  communication  avec 
le  reste  de  l'église.  Les  arts  plastiques  subirent,  en  Orient,  une  déca- 
dence complète  ;  l'immobilité  dans  la  doctrine  engendra  la  monotonie 
dans  l'ornementation,  dans  la  reproduction  des  symboles  et  des  figures 
des  saints;  on  se  borna  à  copier  et  à  répéter  servilement  les  types 
prescrits  par  la  tradition, et  l'art  du  dessin  s'éloigna  déplus  en  plus  de 
la  nature,  pour  se  complaire  dans  le  conventionnel.  Le  type  de  l'archi- 
tecture byzantine  resta  toujours  Sainte-Sophie  de  Constantinople  ;  un 
grand  nombre  d'édifices  en  Grèce  et  en  Russie  furent  élevés  d'après 
le  même  principe  ;  l'un  des  plus  vastes  d'entre  eux  est  la  cathédrale  de 
Salonique.  Saint-Marc  à  Venise  et  Saint-Front  à  Périgueux  furent 
construits  sur  un  plan  identique,  presque  copié  sur  celui  de  Sainte- 
Sophie,  mais  les  détails  de  ces  deux  édifices  n'appartiennent  pas  au 
style  byzantin  proprement  dit  (voy.  Salzenberg,  Altclirist.  Baudeak. 
von  Constantinopel,  Berlin,  1854;  Alb.  Lenoir,  De  V architect .  byzan- 
tine, Bévue  d'archit.,  lre  année, p.  7  et  65,  Paris,  1840).  L'architure  des 
chrétiens  d'Orient  exerça  une  influence  prépondérante  sur  celle  des  mu- 
sulmans. Mahomet  était  né  peu  d'années  après  la  mort  de  Justinien,  et 
la  religion  qu'il  avait  fondée  vers  le  milieu  du  septième  siècle,  se  pro- 
pagea au  moment  même  où  l'architecture  byzantine  venait  d'atteindre 
son  complet  développement.  Le  culte  qu'elle  prescrivit  consiste  essen- 
tiellement en  des  prières  répétées  cinq  fois  par  jour,  dans  la  lecture 
du  Coran,  source  de  toute  loi  et  de  toute  science,  code  à  la  fois  religieux, 
civil,  moral  et  politique,  dans  le  pèlerinage  obligatoire  de  La  Mecque 
enfin,  que  chaque  musulman  dut  faire  une  fois  au  moins  dans  sa  vie. 
Les  parties  indispensables  à  tout  édifice  religieux  consacré  à  ce  culte 
étaient  donc  :  une  grande  cour  destinée  aux  ablutions  qui,  selon  le 
Coran,  devaient  précéder  tout  acte  de  foi,  un  grand  espace  couvert 
(mihrab)  pour  les  prières,  un  sanctuaire  (maksourah)  où  l'on  renfer- 
mait le  Coran,  une  chaire  (mimbar)  d'où  les  prêtres  (ulémas)  faisaient 
aux  fidèles  la  lecture  et  les  commentaires  du  livre  sacré,  enfin  une  ou 
plusieurs  tours  élevées  (minarets),  d'où  le  muezzin  annonçait  aux  fidè- 
les [l'heure  de  la  prière.  Les  Arabes,  peuple  nomade  et  peu  avancé 
dans  les  arts  constructifs,  étaient  moins  capables  encore  que  les  chré- 
tiens d'improviser  un  style  nouveau  pour  leur  religion  nouvelle  ;  ils 
s'inspirèrent  donc,  pour  leurs  mosquées,  des  édifices    religieux  des 


ARCHITECTURE  539 

-chrétiens,  <|u"ils  rencontraient  au  fur  et  à  mesure  que  leurs  conquêtes 
s'étendaient  plus  loin.  Les  premières  mosquées  qu'ils  construisirent 
rappellent  les  dispositions  principales  des  basiliques  chrétiennes.  Elles 
comprennent,  dans  une  vaste  enceinte  rectangulaire,  une  ou  plusieurs 
cours  dont  la  dernière  renferme  la  fontaine  des  ablutions,  et  est  entourée 
d'ordinaire  d'une  double  rangée  de  portiques  sur  trois  de  ses  laces. 
Sur  la  quatrième,  celle  regardant  l'Orient,  ces  portiques  se  prolongent 
en  une  série  d'allées  ou  de  nefs  parallèles,  de  hauteur  égale,  séparées 
par  des  piliers  ou  des  colonnes,  empruntées  parfois  à  d'anciens  monu- 
ments romains  et  chrétiens,  et  couvertes  au  moyen  d'un  plafond  en 
charpente  formant  terrasse  ;  des  minarets  élancés  sont  placés  aux 
angles  de  la  cour  ou  de  l'enceinte  extérieure  dont  la  muraille 
élevée  isole  la  mosquée  du  reste  du  monde.  C'est  la  disposition 
que  présentent  plusieurs  des  grandes  mosquées  du  Caire,  celles  d'Ël- 
Touloun,  d'El-Moyed,  celle  d'Amrou  (fondée  en  640  par  le  lieutenant 
d'Omar),  ainsi  que  la  célèbre  mosquée  de  Cordoue  (fondée  en  780)  aux 
dix-neuf  grandes  nefs  séparées  par  des  rangées  de  trente-quatre 
-colonnes  chacune.  Mais  cette  disposition  primitive  fut  bientôt  aban- 
donnée, lorsque  les  Arabes  se  trouvèrent  en  contact  avec  l'architecture 
byzantine,  si  conforme  à  leur  génie  et  à  leurs  goûts  orientaux.  Dès 
lors,  la  plupart  de  leurs  mosquées  furent  construites  sur  le  modèle  de 
Sainte-Sophie  de  Constantinople,  qu'ils  venaient  de  convertir  elle- 
même  en  mosquée.  Les  mosquées  d'Hassan,  au  Caire  (1356),  de  Soli- 
man (15d6),  et  d'Achmet  (1610),  à  Constantinople,  sont  des  imitations 
de  l'église  deJustinien.  Cependant,  pour  les  détails,  leur  architecture 
s'était  séparée  de  celle  des  chrétiens  et  avait  donné  naissance  à  un  style 
caractéristique  que  l'on  désigna  sous  le  nom  de  style  arabe  et  dont  les 
traits  principaux  sont  :  des  murs  extérieurs  à  peu  près  nus,  percés  de 
rares  ouvertures  et  souvent  couronnés  de  créneaux  ;  des  toits  en  terrasse, 
dominés  par  des  coupoles  aux  formes  renflées  et  allongées  et  par  des 
minarets  à  plusieurs  étages  ornés  de  balcons;  l'emploi  presque  exclusif 
de  l'arc  outre-passé  ou  en  fer  à  cheval,  dont  le  cintre  est  plus  élevé 
que  la  moitié  du  diamètre  et  qui  se  présente  tantôt  sous  la  forme  plein- 
cintre,  tantôt  sous  la  forme  ogivale  ;  des  arcades  découpées  et  des  tym- 
pans ajourés;  des  colonnes  sveltes  et  fréquemment  accouplées,  cou- 
ronnées  par  des  chapitaux  cubiques  ornés  d'entrelacs;  des  voûtes  en 
pendentifs  d'une  disposition  particulière,  composéesde  petits  fragments 
de  plâtre  affectant  la  forme  de  segments  de  coupole,  de  petits  triangles 
spliériques,  déniches  ou  cellules  d'abeilles  en  miniature,  agencées  et 
combinées  de  manière  à  faire  ressembler  le  dessous  des  voûtes  aux 
stalactites  d'une  grotte;  une  ornementation  tine  et  serrée,  recouvrant 
toutes  les  surfaces  et  se  composant  uniquement  d'arabesques,  c'est-à- 
dire  de  dessins  peu  saillants,  de  fleurons  et  d'entrelacs  ingénieusement 
combinés,  se  répétant  géométriquement  et  rehaussés  de  couleurs 
brillantes  et  de  dorures;  l'absence  de  toute  reproduction  de  la  ligure 
humaine  ou  d'une  figure  animale;  enfin,  l'introduction  dans  l'orne- 
mentation de  longues  inscriptions  en  caractères  contiques,  tirées  du 
Coran  et  disposées  dans  les  encadrements  des  portes  d'entrée.  Le  style 


540  ARCHITECTURE 

arabe,  lui  aussi,  n'a  subi  que  peu  de  modifications,  surtout  depuis  le 
quinzième  siècle.  (Voy.  Pascal  Coste,  Architecture  arabe  ou  monuments 
du  Caire,  Paris,  1837  ;  Girault  de  Prangey,  Essai  sur  l'architecture  des 
Arabes  en  Espagne,  en  Sicile  et  en  Barbarie,  Paris,  1811). 

B.  Architecture  chrétienne  de  l'Occident.  Tandis  qu'en  Orient  l'ar- 
chitecture chrétienne,  n'empruntant  aux  Romains  que  leur  principe 
constructif  de  la  voûte,  fit  de  ce  principe  des  applications  nouvel- 
les et  s'affranchit  promptement  des  formes  décoratives  de  l'art  grec 
et  romain,  pour  constituer,  dès  le  sixième  siècle,  un  style  nouveau,  les 
chrétiens  de  l'Occident  conservèrent  plus  longtemps,  dans  leurs  monu- 
ments religieux,  les  traits  caractéristiques  de  l'architecture  romaine. 
Toutefois,  pour  être  plus  lent,  le  développement  de  l'art  chrétien  en 
Occident  n'en  suivit  pas  moins  une  marche  progressive  constante  ; 
pratiqué  par  des  populations  plus  actives,  plus  libres,  plus  mobiles, 
plus  avides  de  perfectionnement,  occupant  d'ailleurs  des  pays  divers  de 
latitude  et  de  civilisation  ,  il  arriva  à  des  résultats  inconnus  à  l'art 
oriental  et  le  dépassa  en  variété.  Tandis  qu'en  Orient  on  avait  trouvé 
rapidement  un  style  caractéristique  que  l'on  conserva  presque  intact 
jusqu'au  siècle  présent  ,  l'on  marcha  en  Occident  de  progrès  en 
progrès ,  en  plusieurs  étapes  successives ,  formant  autant  de  pério- 
des distinctes. 

I.  Style  latin.  Jusqu'au  neuvième  siècle,  les  édifices  religieux  chrétiens 
de  l'Occident  présentèrent  ce  mélange  des  deux  principes  constructifs  de 
la  voûte  et  de  la  plate-bande  posant  sur  colonnes,  propre  à  l'architec- 
ture romaine  ;  plusieurs  de  ces  édifices  sont  même  composés  presque 
entièrement  de  fragments  de  colonnes,  de  chapiteaux  et  d'architraves 
enlevés   à  des  monuments  païens.    Un   seul   changement    important 
s'opère  dans  l'emploi  des   matériaux.    Les  pierres  de  grande   dimen- 
sion devenant  de  plus  en  plus  rares  et  leur  mise  en  place  de  plus  en 
plus  dispendieuse  et  difficile,  l'on  remplaça  les  longues  architraves 
qui  réunissaient  les  colonnes  horizontalement  par  des  arcs  plein-cintre, 
posant  directement  sur  les  chapiteaux  des  colonnes.  C'était  l'affran- 
chissement de  l'arcade  traitée  en  esclave  par  les  Romains,  et  un  pre- 
mier pas  dans  la  voie  où  les  Byzantins  s'étaient  engagés  résolument 
dès  le  cinquième  siècle.  Mais  là  s'arrête  l'innovation;  pour  l'exécution, 
pour  la  science  de  la  construction,  pour  la  finesse  dans  les  détails,  les 
architectes  de  l'Occident  restèrent  bien  en  arrière  de  leurs  prédéces- 
seurs romains  et  de  leurs  voisins  byzantins.  Du  quatrième  au  neuvième 
siècle ,  la  forme  des  édifices   consacrés  au  culte,  tout  en  conservant 
les  dispositions  générales  de  la  basilique  romaine,  subit  plusieurs  mo- 
difications  importantes.  Les  chrétiens  avaient  besoin  d'une  place  en 
avant  de  l'édince,  destinée  aux  pénitents  et  aux  catéchumènes  toujours 
plus  nombreux,   qui  n'avaient  pas  le  droit  de  pénétrer  dans  l'église 
elle-même  pendant  les  offices.    On  établit  donc  en  avant  de  la  façade 
principale  une  cour,  atrium,  narthex,  prenant  d'ordinaire  toute  la  lar- 
geur de  l'édifice  et  entourée  de  portiques  sur  les  quatre  côtés.  Au  cen- 
tre de  cette  cour  on  plaça  un  bassin  pour  les   ablutions.  Plus  tard, 
lorsque  les  loi?  romaines  qui  défendaientl'ensevelissement  clés  morts  dans 


ARCHITECTURE  541 

l'enceinte  de  la  citéfurent tombées  en  désuétude,  l'atrium  devint  le  cime- 
tière des  membres  delà  communauté;  le  commun  dos  fidèles  fut  enterré 
dans  la  cour,  les  tombeaux  des  évoques  furent  placés  sous  les  portiques. 
De  cet  atrium  on  pénétrait  par  plusieurs  portes  dans  la  partie  princi- 
pale de  l'édifice,  ayant  la  l'orme  d'un  rectangle  allongé  et  composé 
d'un  espace  central  couvert,  entouré  de  galeries  basses  sur  les  quatre 
côtés.  Mais  dès  les  premières  années  déjà  Ton  supprima  les  deux  gale- 
ries qui,  dans  la  basilique  romaine,  s'étendaient  sur  les  petits  côtés  du 
rectangle  et  dont  les  colonnes  cachaient,  depuis  rentrée,  la  vue  du 
tond  de  rédifice.  Or  ce  fond  de  la  basilique  en  était  précisément  Tune 
des  parties  les  plus  importantes,  celle  où  siégait  le  clergé,  où  était  placé 
l'autel,  celle  qu'il  importait  de  voir  distinctement  de  toutes  les  parties 
de  l'église.  A  la  place  de  la. rangée  de  colonnes  que  Ton  enleva  devant 
le  sanctuaire  on  disposa  un  grand  arc  plein-cintre  reliant  les  deux  murs 
des  colonnades  latérales,  que  Ton  appela  arc  triomphal,  arcus  triom- 
phalis.  De  bonne  heure  aussi,  on  établit  sur  les  portiques  latéraux  des 
galeries  supérieures,  qui  furent  destinées  aux  femmes  et  qui  s'ou- 
vraient sur  l'espace  central  par  un  second  étage  de  colonnes  placé  sur 
celles  du  rez-de-chaussée  et  supportant  le  mur  percé  de  fenêtres  qui 
recevait  la  toiture  en  charpente  apparente  qui  couvrait  la  salle  princi- 
pale. Cette  partie  essentielle  de  l'édifice,  destinée  à  la  communauté,  est 
désignée  par  Eusèbe  du  nom  de  vaôç,  nef,  vaisseau,  et  ce  nom  est  de- 
meuré à  toutes  les  parties  de  l'église  accessibles  aux  fidèles.  Dans  le 
fond  se  trouvait  le  tribunal,  ffrjy.a,  sacrarium,  sanctuarium,  commu- 
nément désigné  sous  le  nom  d'abside,  de  forme  semi-circulaire,  ex- 
haussé de  plusieurs  marches  au-dessus  du  sol  de  la  nef,  et  voûté  en 
demi-coupole;  on  y  plaça,  dans  l'axe,  le  trône  de  l'évêque,  et  des  deux 
côtés,  sur  un  gradin  semi-circulaire,  les  sièges  des  prêtres  et  des  diacres. 
Des  deux  côtés  de  l'abside  on  ménagea  de  petites  pièces  ou  sacristies,  pour 
le  dépôt  des  livres  sacrés  et  des  archives  et  la  garde  des  ustensiles 
nécessaires  au  culte.  En  avant  du  sanctuaire  était  placé  Y  autel,  disposé 
le  plus  souvent  sur  une  crypte  souterraine  renfermant  les  reliques  d'un 
saint  martyr  et  surmonté  d'un  petit  édicule  en  forme  de  temple  ouvert, 
le  ciborium.  Dans  la  partie  de  la  nef,  enfin,  qui  s'étendait  devant  l'autel, 
on  disposa  une  enceinte  destinée  aux  sous-diacres  et  au  chœur  des 
chantres  (d'où  lui  vint  le  nom  de  chœur,  appliqué  aussi  plus  tard  à 
toute  la  partie  postérieure  de  l'église),  entourée  d'une  balustrade,  ou 
chancela  cancelli,  et  renfermant  deux  pupitres  ouambons  pour  la  lecture 
de  l'Evangile  et  des  Epitres.  En  dehors  de  la  basilique,  soit  dans 
l'atrium,  soit  sur  l'un  des  côtés,  s'élevait  un  petit  édifice,  de  forme 
carrée,  octogonale  ou  ronde,  qui  servait  à  la  célébration  du  baptême  : 
c'était  le  baptistère.  A  mesure  que  les  communautés  augmentèrent,  le 
besoin  de  nouvelles  modifications  se  lit  sentir.  Des  changements  ayant 
été  introduits  dans  le  système  des  pénitents,  el  le  nombre  des  catéchu- 
mènes allant  en  diminuant,  à  mesure  que  celui  des  fidèles  admis  dans 
l'Eglise  allait  en  croissant,  l'atrium  ou  narthex  fut  supprimé  et  Ton 
n'en  conserva  que  le  portique  placé  en  avant  de  la  façade  et  occupant 
toute  sa  largeur.  Le  nombre  des  nets  augmenta  et  l'ut  port'.'  à  cinq, 


542  ARCHITECTURE 

pour  les  grandes  basiliques,  au  moyen  de  deux  nouvelles  rangées  de 
colonnes  disposées  parallèlement  aux  autres.  Enfin  l'espace  réservé  au 
clergé  et  aux  desservants  étant  devenu  insuffisant,  il  fallut  songer  à 
agrandir  le  chœur  situé  en  avant  du  sanctuaire;  on  y  établit,  entre 
Tare  triomphal  et  le  mur  du  fond,  une  nef  transversale,  qui  embrassa 
toute  la  largeur  de  l'édifice  et  fut  l'origine  des  transepts.  On  était  arrivé 
de  la  sorte  à  donner  au  plan  de  la  basilique  la  forme  d'une  croix  latine; 
cette  disposition  n'avait  pas  été  recherchée  dans  le  principe  et  elle 
n'apparut  bien  franchement  que  plus  tard,  dans  la  période  romane, 
lorsque  les  transepts  firent  saillie  sur  les  murs  latéraux  de  la  nef  et 
lorsque  l'abside  s'allongea.  Mais  dès  lors  on  s'attacha  à  développer 
cette  forme  symbolique  de  la  croix  latine  et  à  l'accuser,  non-seulement 
dans  le  plan  de  l'édifice,  mais  à  l'extérieur.  Au  troisième  et  au  qua- 
trième siècle    enfin  ,  lorsque  l'usage   des  cloches  pour  appeler  les 
fidèles  à  la  prière  se  fut  répandu,  on  disposa  des  clochers  en  forme  de 
tours  carrées,  percées  de  plusieurs  étages  de  fenêtres  cintrées,  soit  en 
avant,  soit  au  côté  de  la  basilique,  soit  dans  une  position  complètement 
isolée  de  l'église.  Grâce  à  ces  modifications  successives,  on  était  arrivé, 
tout  en  conservant  les  formes  anciennes,  à  édifier  des  monuments  im- 
portants, nouveaux  par  leurs  dispositions  et  susceptibles  d'une  riche 
décoration.  Celle-ci  ne  manqua  point.  Le  marbre,  le  porphyre  rouge, 
le  granit  rose  et  gris,  la  serpentine  verte,  furent  employés  pour  les 
colonnes  et  les  pavements  ;  les  murs  du  sanctuaire  et  la  voûte  de  l'ab- 
side furent  revêtus  de  mosaïques  brillantes  présentant  sur  un  fond 
d'or  les  images  du  Christ  et  des  saints  ;  la  charpente  elle-même  des 
plafonds  reçut  des  peintures  et  une  décoration  ou  l'or  jouait  un  rôle 
important  ;  les  matériaux  les  plus  précieux  enfin  servirent  à  la  con- 
fection du  mobilier  installé  dans  le  choeur  et  dans  le  sanctuaire.  La  plu- 
part des  édifices  religieux  de  l'Occident  de  cette  époque  furent  élevés 
d'après  ce  type  latin  ;  les  plus  importants  et  les  mieux  conservés  sont 
ceux  de  Rome  même  ;  l'ancienne  église  de  Saint-Pierre  fut  démolie  au 
sixième  siècle,   mais  les  basiliques  de  Saint-Paul -hors-les-murs ,  de 
Sainte-Agnès,  de  Saint-Clément  et  un  grand  nombre  d'autres,  sont 
debout  encore.  Les  basiliques  de  Torcello  et  de  Parenzo  offrent  des 
dispositions  analogues.  Les  édifices  de  Ravenne  forment  la  transition 
entre  les  basiliques  latines  et  les  églises  byzantines.  Des  exceptions,  en 
Occident,  sont  Saint-Etienne-le-Rond ,  à  Rome,  qui  a  une  nef  circu- 
laire entourée  de  plusieurs  bas-côtés,  et  le  dôme  d'Aix-la-Chapelle,  con- 
struit beaucoup  plus  tard  par  Gharle magne  et  où  déjà  l'influence  byzan- 
tine se  fait  sentir  dans  la  forme  octogonale  du  plan  et  dans  les  détails 
de  l'architecture.  Mais  si,  par  la  suite,  l'architecture  d'Orient  s'ap- 
propria certains  détails  du  style  byzantin,  elle  resta  fidèle,  en  général, 
à  la  forme  de  la  basilique  latine,  et  le  plan  polygonal  ou  circulaire,  avec 
une  coupole    centrale  sur   pendentifs,   y  resta  toujours  l'exception 
(voy.  Bunsen,  Die  Basil,  des  christ L   Roms,  Rome,  1843;  Hûbsch,  Die 
altchristl.  Kirchen,  etc.,  Carlsruhe,  1863  ;  F.  A.  Quast,  Die  altchristl .  Bau- 
werke  zu  Ravenna,  Berlin,  1842  ;  A.Lenoir,  Archit.  chrét.  de  l'Occident, 
Revue  d'archit.,  lre  année,  p.  257,  Paris,  1840). 


ARCHITECTURE  543 

II.  Style  roman.  La  basilique  latine,  malgré  les  grands  espaces  qu'elle 
offrait  à  la  communauté  chrétienne  et  la  richesse  de  la  décoration 
qu'elle  était  susceptible  de  recevoir,  avait  un  grave  inconvénient  :  sa 
couverture  au  moyen  d'une  charpente  apparente  mettait,  en  cas  d'in- 
cendie, toutes  ces  splendeurs  à  la  merci  des  flammes.  La  plupart  des 
basiliques  élevées  par  Constantin  et  ses  successeurs  furent  à  plusieurs 
reprises  la  proie  du  feu  et  nécessitèrent  des  restaurations  continuelles. 
On  dut  donc  chercher  un  moyen  d'écarter  complètement  le  bois  de  la 
couverture  des  édifices  destinés  au  culte  ;  la  voûte  seule  pouvait  le  rem- 
placer. Mais  les  traditions  romaines  de  la  construction  au  moyen  de 
voûtes  s'étaient  presque  complètement  perdues  en  Occident,  et  il  fallut 
de  longs  tâtonnements  pour  les  retrouver  et  les  adapter  aux  disposi- 
tions nouvelles  des  basiliques.  Du  cinquième  au  dixième  siècle ,  les 
invasions  des  barbares  avaient  couvert  de  ruines  le  sol  de  l'Italie;  les 
Gaules,  la  Germanie,  plongées  encore  dans  la  barbarie,  commençaient 
néanmoins  à  embrasser  la  religion  nouvelle.  Partout  on  voulut  élever 
des  églises,  et  après  avoir  commencé  par  imiter  les  formes  de  la  basi- 
lique latine  en  les  appropriant  aux  habitudes  locales  et  aux  matériaux 
dont  on  pouvait  disposer,  on  s'ingénia,  par  des  moyens  divers,  à  rem- 
placer la  couverture  en  bois  par  des  voûtes  solides  mettant  l'édifice 
sacré  à  l'abri  du  feu  du  ciel  et  des  incendies.  Les  premiers  essais 
furent  malheureux  ;  dans  le  courant  du  dixième  siècle  d'ailleurs,  cette 
ardeur  de  construction  fut  enrayée  et  paralysée  par  la  frayeur  qui,  à 
rapproche  de  l'an  1000,  s'empara  des  populations  et  leur  fît  attendre 
la  fin  du  monde.  Lorsque  cette  échéance  redoutée  fut  heureusement 
franchie,  la  construction  des  églises  prit  partout  un  essor  nouveau,  et 
le  onzième  et  le  douzième  siècle  virent  s'élever  dans  tout  l'Occident, 
depuis  les  rives  d'Espagne  et  de  Sicile  jusqu'en  Ecosse  et  sur  les  côtes 
de  la  Norvège,  des  édifices  religieux  en  grand  nombre.  Un  fait  consi- 
dérable favorisa  leur  érection  et  l'éclosion  d'un  style  nouveau  ;  ce  fut  l'éta- 
blissement de  couvents  nombreux  et  de  nouveaux  ordres  religieux.  Ces 
couvents  furent  le  refuge  des  hommes  de  science  et  de  paix,  et  pen- 
dant plusieurs  siècles  l'architecture  redevint  un  art  tout  religieux,  prati- 
qué presque  exclusivement  par  les  moines  et  sous  leurs  ordres  directs.  Le 
style  nouveau  qui  résulta  de  ces  efforts,  et  qui  prit  naissance  vers  le 
dixième  siècle,  presqu'en  môme  temps,  sur  un  grand  nombre  de  points 
tort  éloignés  les  uns  des  autres,  présente  dans  les  différents  pays  où  il  fut 
appliqué,  des  caractères  bien  divers,  mais  aussi  certains  traits  com- 
muns qui  le  distinguent  du  style  latin  qui  venait  de  finir  et  du  style 
gothique  qui  allait  commencer.  Ces  traits  communs  sont:  l'affranchis- 
sement  complet  des  ordres  romains  avec  leurs  colonnes  à  proportions 
ûxes  <t  leurs  entablements  à  trois  divisions;  une  tendance  prononcée  à 
remplacer  partout  la  toiture  apparente  par  des  voûtes;  l'emploi  à  peu 
près  exclusif  de  l'an-  plein-cintre  pour  les  portes,  les  fenêtres,  les  arca- 
des el  les  voûtes;  des  colonnes  soit  isolées,  soit  plus  fréquemment 
Réunies  en  piliers,  aux  bases  munies  de  pattes  ou  griffes  à  leurs  angles, 
aux  fûts  sans  proportions  déterminées,  tantôt  trapus,  tantôt  élancés, 
aux  chapiteaux,  non  plus  uniformes,  mais  variés  de  disposition  et  lus- 


544  ARCHITECTURE 

tories  de  figures  diverses  mêlées  à  des  entrelacs  et  recevant  directement 
les  retombées  des  arcades;  des  moulures  robustes  et  une  ornementa- 
tion mêlée  d'éléments  byzantins  et  d'éléments  locaux;  la  disposition 
sous  les  corniches,  à  la  place  des  frises  antiques,  de  petites  arcatures 
sur  corbeaux,  consoles  ou  colonnettes  légères,  formant  parfois  des  ga- 
leries aveugles  ou  destinées  à  la  circulation;  l'emploi  fréquent  de  l'al- 
ternance dans  la  disposition  des  piliers  et  dans  celle  des  matériaux; 
enfin  le  plan  en  croix  latine  presque  généralement  adopté  pour  les 
grandes  églises.  Des  modifications  importantes  furent  apportées,  en 
différentes  contrées,  au  plan  de  la  basilique  latine.  La  nef  transversale 
ou  transept,  qui  avait  été  une  exception,  devint  la  règle  à  peu  près  par- 
tout; certaines  églises  en  eurent  même  deux,  l'un  à  l'orient  et  l'autre 
à  l'occident,  ou  tous  les  deux  à  l'orient,  ce  qui  donna  à  l'église  la  forme 
de  la  croix  de  Lorraine  ;  de  plus  les  transepts  eurent  des  saillies  plus 
ou  moins  accusées  sur  les  nefs  latérales  et  leurs  murs  extérieurs  furent 
percés  de  portes  d'entrée.  La  nef  centrale  s'éleva  généralement  au- 
dessus  des  nefs  latérales,  ou  bas-côtés  ;  dans  certaines  régions  cepen- 
dant les  trois  nefs  furent  tenues  à  la  même  hauteur.  Les  galeries  supé- 
rieures, destinées  aux  femmes,  furent  souvent  supprimées  ou  enlevées 
au  culte  et  remplacées  par  un  simple  triforiurn  percé  de  jours  éclairant 
les  combles  des  bas-côtés.  Le  chœur  fut  prolongé  au  delà  du  transept 
et  l'abside  principale  percée  de  fenêtres;  deux  autres  absides,  pour- 
vues d'un  autel,  furent  établies  dans  l'axe  des  bas-côtés;  parfois  aussi, 
surtout  au  douzième  siècle,  les  bas-côtés  prolongés  au  delà  des  tran- 
septs, firent  le  tour  de  l'abside  principale  et  reçurent  une  couronne  de 
chapelles  absidales  rayonnantes,  ou  absidioles.  Ailleurs  il  y  eut  deux 
absides,  l'une  à  l'orient,  l'autre  à  l'occident,  et  les  transepts  eux-mêmes 
reçurent  souvent  des  chapelles  en  forme  d'absides  carrées  ou  semi- 
circulaires.  Enfin,  tandis  que  dans  certaines  contrées,  comrras  en  Italie, 
les  clochei^s  et  les  baptistères  continuèrent  à  être  des  édifices  distincts 
de  l'église,  placés  à  ses  côtés  ou  devant  elle,  ils  furent  réunis  ailleurs 
au  corps  de  l'église  et  soudés  de  plus  en  plus  avec  l'édifice  principal. 
Les  clochers  furent  disposés  d'ordinaire  symétriquement  dans  les  en- 
coignures formées  par  les  transepts  et  les  murs  prolongés  des  bas- 
côtés  cependant  ils  furent  placés  aussi  sur  la  façade  occidentale,  dans 
l'axe  lorsqu'il  n'y  en  avait  qu'un,  sur  les  premières  travées  des  bas- 
côtés  lorsqu'ils  étaient  au  nombre  de  deux;  enfin  un  grand  clocher 
central  de  forme  carrée  ou  polygonale  s'éleva  souvent  à  l'intersection 
de  la  nef  principale  et  du  transept  au-dessus  d'une  coupole,  sur  pen- 
dentifs, construite  selon  le  mode  byzantin.  Quant  aux  systèmes  em- 
ployés pour  voûter  les  différentes  parties  de  l'édifice,  ils  furent  nom- 
breux et  très-divers.  Tandis  que  dans  certaines*  contrées  on  couvrit  la 
nef  principale  d'une  voûte  en  berceau  continu,  renforcée  par  des  arcs- 
doubleaux  et  contre-butée  par  des  demi -berceaux  établis  suivies 
nefs  latérales,  ailleurs  on  couvrit  la  nef  unique  d'une  série  de  cou- 
poles sur  pendentifs  ;  cependant  la  forme  qui  prévalut  presque  par- 
tout fut  celle  de  la  voûte  d'arête,  d'abord  sans  nervures  et  puis  avec 
des  nervures.  Plusieurs    colonnes  de  la    nef  furent  réunies  en    un 


ARCHITECTURE  545 

pilier  <>t  placées  aux  quatre  angles  d'un  cawé  ,  avec  celles  qui  leur 
luisaient  l'ace  de  l'autre  côté  de  la  nef;  des  aies  plein-cintre  les  réu- 
nirent parallèlement  et  perpendiculairement  à  Taxe  principal,  puis 
d'autres  arcs  furent  bandés  sur  la  diagonale  du  carré,  de  manière  à  se 
couper  au-dessus  du  centre,  et  l'espace  compris  entre  ces  six  arcs  fut 
rempli  par  des  voûtes  triangulaires  en  maçonnerie  plus  légère.  Tout 
le  poids  de  la  voûte  se  trouva  de  la  sorte  reporté  sur  les  portions  des 
murs  latéraux  élevées  au-dessus  des  piliers,  et  il  fallut  renforcer  ces  murs 
et  les  consolider  au  moyen  de  contreforts  extérieurs,  peu  saillants  en- 
core. —  Grâce  à  cette  grande  diversité  dans  les  plans  mêmes  des  édifices 
et  dans  les  systèmes  employés  pour  les  couvrir,  grâce  aussi  aux  dille- 
rences  résultant  du  climat  et  des  matériaux  employés,  les  églises  de 
style  roman  sont  loin  de  présenter  cette  uniformité  que  Ton  rencontre 
dans  les  édifices  antiques  et  même  dans  ceux  de  style  byzantin  et  de  la 
période  latine.  La  variété,  tout  au  contraire,  fut  extrême  et  certaines 
églises  romanes  du  Midi  sont  plus  éloignées  des  églises  élevées  sur  les 
bords  de  la  Baltique,  par  exemple,  que  les  temples  égyptiens  ne  Té- 
taient des  temples  grecs.  Partout  où  un  édifice  religieux  important  fut 
construit ,  il  servit  de  type  aux  églises  de  moindre  importance  qui 
s'élevèrent  dans  les  environs,  et  une  école  particulière  prit  nais- 
sance qui  produisit  un  certain  nombre  de  monuments  présentant 
les  mêmes  caractères.  Voici  les  principales  de  ces  écoles.  En  Italie  : 
V école  lombarde  qui  a  produit  les  dômes  de  Modène,  de  Parme,  de 
Plaisance,  les  églises  Saint-Ambroise,  à  Milan,  Saint-Zénon,à  Vérone  et 
Saint-Michel,  à  Pavie,  et  qui  se  distingue  par  ses  larges  façades,  ses  chœurs 
élevés  au-dessus  de  vastes  cryptes,  ses  porches  à  colonnes  soutenues  par 
des  lions  et  ses  grands  baptistères  isolés  de  forme  ronde  ou  polygonale 
(voy.  Osten.  Mon.  de  la  Lombardiè)\Y  êcoU  fiisaneqiù,  outre  le  dôme,  le 
baptistère  et  le  campanile  de  Pise,  a  élevé  de  nombreuses  églises  à 
Lucques,  Pise ,  Pistoja ,  Livourne,  etc.,  et  qui  se  rapproche  plus  que 
toute  autre  de  la  forme  latine,  avec  laquelle  elle  s'est  bornée  à  combiner 
certains  éléments  byzantins,  tels  que  la  coupole  sur  pendentifs  et  l'al- 
ternance dans  la  couleur  des  assises  (voy.  Hohault  de  Fleury,  Mon. 
de  Pise  au  moyen  âge,  Paris,  1866)  ;  Y  école  sicilienne,  qui,  dans  la  cathé- 
drale de  Monréalé  et  la  chapelle  palatine  de  Palerme,  trahit  des  influen- 
ces arabes  en  mêlant,  à  des  colonnes  corinthiennes  et  à  des  mosaïques 
byzantines,  Tare  en  ogive  des  mosquées  du  Caire  et  les  voûtes  en  sta- 
lactite des  palais  mauresques  (voy.  Hittorff  et  Zanth,  Arch.  mod.de  la 
Sicile,  Paris,  1835).  En  France,  Y  école  normande  fut  une  des  premières 
à  Be  développer  et  à  trouver  promptement  des  dispositions  heureuses; 
ses  églises  sont  voûtées  en  arête  et  ont  généralement,  outre  les  deux 
clochers  de  la  façade,  terminés  par  des  flèches  massives,  une  grosse 
tour  sur  la  croisée,  à  l'intersection  des  nefs;  les  églises  de  TAbbaye-aux- 
Hommes  et  de  l'Abbaye-aux-Dames  à  Caen  ont  servi  de  types  à  la  plu- 
part des  églises  normandes  (voy.  Pugin,  Ant.  archit.  de  la  Normandie, 
Liège,  1855  :  Y écok auvergnate, qui  a  (-levé  Notre-Dame  du  Port  àCler- 
mont  et  a  laquelle  se  rattache  la  grande  église  de  Saint-Sernin  à  Tou- 
louse, se   distingue  par  ses  voûtes   eu    berceau,  ses  vastes  absides  à 


546  ARCHITECTURE 

bas-côtés  pourtournaiits  et  à  chapelles  rayonnantes,  et  l'emploi  de  maté- 
riaux de  couleurs  variées  dans  Y ornementation  des  façades  extérieures 
(voy.  Gailhabaud,  Mon.  anc.  et  mod.,  vol.  II,  Paris,  1865);  Y  école  bour- 
guignonne a  construit  les  églises  considérables  des  abbayes  de  Cluny  et 
de  Vézelay  et  se  fait  remarquer  par  ses  clochers  nombreux,  ses  grands 
porches,   ses   doubles   transepts   et   la   finesse  de  son  ornementation 
(voy.  Yiollet-le-Duc,   Dict.  raisonné  de  1'archit.,  vol.  I,p.  258  ss.,  Paris,. 
1867)  ;  Y  école  provençale,  dont  les  œuvres  principales  sont  les  cathé- 
drales d'Avignon  et  de  Valence  et  l'église  Saint-Trophime  à  Arles,  se 
reconnaît  aux  réminiscences  romaines  qui  s'y  rencontrent  et  qu'expli- 
quent les  nombreuses  ruines  d'édifices  romains  dont  le  sol  de  la  Pro- 
vence est  encore  couvert  (voy.  Kevoil,  Arch.   romane  du  midi  de  la 
Finance ,  Paris,  1873);  enfin  Y  école  du  Périgord,  s'inspirant  de  Saint- 
Front  de  Périgueux,  a  élevé,  outre  la  cathédrale  d'Angoulême,  un  cer- 
tain nombre  d'églises  à  coupoles  byzantines,  et  se  distingue  par  une  or- 
nementation fantastique  répandue  à  profusion  sur  les  façades  (voy. 
Verneilh,  YArchit.  byzanl.  en  France,  Paris,  1852).  En  Allemagne  la 
grande  école  rhénane  a  couvert  de  ses  dômes  et  de  ses  églises  les  deux  rives- 
du  Rhin;  les  dômes  de  Mayence,  Spire,  Bonn,  Worms,  Bamberg,  la  belle 
église  de  l'abbaye  de  Laach,  les  églises  des  Saints-Apôtres  et  de  Sainte- 
Marie-au-Capitole  de  Cologne  présentent,  presque  toutes,  deux  absides, 
deux  coupoles  centrales,  de  nombreuses  tours  élancées,  des  chapiteaux 
cubiques  et  des  arcatures  à  jour  sous  les  corniches  principales  (voy. 
Boisserée,  Mon.  d'archit.  du  septième  au  treizième  siècle,  dans  les  contrées 
du  Rhin  inf.,  Munich  et  Stuttgart,  1842);  Y  école  westphalienne,  qui  a 
élevé  les  dômes  de  Sœst  et  de  Paderborn,  est  remarquable  par  ses  clo 
chers  massifs  occupant  toute  la  largeur  de  la  façade  occidentale,  ses 
basiliques  couvertes  en  charpente  et  ses  églises  à  trois  nefs  de  largeur 
et   hauteur  égales   (voy.   Lùbke,  die  mittelalt.   Kunst  in  Westphalen); 
Y  école  saxonne  qui  a  conservé  plus  longtemps  que  toutes  les  autres  les 
traditions  de  la  basilique  latine,  et  dont  les  deux  églises  de  Hildesheim  sont 
les  monuments  principaux  (voy.  Puttrich,  Denkm.der  Bauk.des  Mittel. 
in  Sachsen)  ;  enfin  Y  école  prussienne,  qui  se  distingue  par  des  formes 
simples  et  l'emploi  exclusif  de  la  brique  ou  du  granit  (voy.  F.  Y.  Quast, 
zur  Charakter.  des  ait.    Ziegelbaues  in  der  Mark   Brandeburg ,  im  gL 
Kunstblatt,  1850).  L'Angleterre  se  rattache  directement  à  l'école  nor- 
mande; ses  grandes  cathédrales  (Winchester,  Ely,  Norwich,  Peterbo- 
rough)  ont  de  vastes  cryptes  et  souvent  des  absides  carrées  (voy.  Brit- 
ton,    Cathedral  antiquities).   Les   Pays-Bas,  la   Suisse,   l'Espagne  se 
rattachent  également  à  l'une  ou  l'autre  des  écoles  françaises,  et  l'Au- 
triche enfin  s'inspire  tantôt  des  écoles  allemandes,  et  tantôt  des  écoles 
italiennes.  Le  nombre  des  édifices  chrétiens  élevés  dans  tout  l'Occident 
pendant  la  période  romane  est,  on  le  voit,  considérable  et  il  en  est 
parmi  eux  qui,  sous  le  rapport  de  l'heureuse  disposition  de  toutes  les 
parties,  de   la  majesté  et  de  l'austérité  de  l'ensemble,  peuvent  passer 
pour  de  véritables  chefs-d'œuvre  de  l'art  chrétien.  Ils  avaient  toutefois 
un  défaut  commun  :  ils  étaient  sombres.  Les  arcades  plein-cintre  et  les 
lourdes  voûtes  de  leurs  nefs  exigeaient  des  murs  épais,  capables  de 


ARCHITECTURE  547 

résister  à  leur  poussée  et  percés,  pour  n'être  point  affaiblis,  d'ouver- 
tures peu  Larges,  oe  laissant  entrer  que  peu  de  jour  dans  L'intérieur  de 
L'église.  Un  nouveau  progrès  était  doue  possible  et  il  devait  être  réalisé 
dans  la  période  suivante. 

III.   Style  gothique.    Ce   qui  frappe  tout  d'abord  lorsqu'on  com- 
pare une  église  gothique  à  une  église  romane,  c'est  combien  la  pre- 
mière est  plus  claire,  plus  élevée  «pie  la  seconde.  Plus  de  clarté,  plus 
d'élévation  !  tel  est  bien  Le  but  que  semblent  avoir  poursuivi  les  con- 
structeurs delà  lin  du  douzième  siècle,  but  bien  conforme  aux  tendan- 
ces d'une  époque  de  foi  puissante  et  agissante,  d'une  foi  pressée  du 
besoin  de  s'affirmer,  de  s'étendre,  de  marcher  à  la  conquête  du  monde, 
dune  foi  qui,  avec  un  enthousiasme  fiévreux,  entreprend  les  croisa- 
des qui  n'aboutirent  point,  et  la  construction  d'innombrables  cathé- 
drales  qui,   la   plupart,   demeurèrent  inachevées.  Mais  ce  besoin  de 
clarté  et  d'élévation  n'était  pas  le  seul  qui  s'imposait  aux  architectes 
d'alors;  d'autres  conditions  avaient  surgi  qui  les  obligèrent  à  perfec- 
tionner, à  modifier  en  partie,  les  dispositions  suivies  jusqu'à  ce  joui*. 
Pour  bien  apprécier  ces  conditions  nouvelles,  il  faut  se  reporter  à  l'état 
politique,  social  et  religieux  dans  lequel  se  trouvait,  à  cette  époque,  le 
pays  qui  vit  naître  et  se  développer  rapidement  le  style  d'architecture 
nouveau.    11   est  hors  de  contestation  aujourd'hui  que  c'est  l'Isle-de- 
France  qui  est  le  berceau  du  style  improprement  appelé  gothique  (les 
iiotlis  y  sont  absolument  étrangers),  que  les  uns  ont  dénommé,  bien  à 
tort,  germanique,  que  d'autres  appellent  avec  plus  de  raison  ogival  (du 
nom  de  l'ogive  qui  y  joue  un  rôle  essentiel)  et  que  Ton  eût  pu  dési- 
gner très-justement  sous  le  nom  de  style  français.  En  effet,  tandis  que 
partout  ailleurs  les  édifices  de  transition  sont  rares,  clair-semés,  et  que 
le  style  gothique  apparaît  subitement,  comme  une  importation  étran- 
gère, on  peut,  en  France,  dans  cette  partie  du  domaine  royal  baignée 
par  la  Seine,  l'Oise,  la  Marne  et  leurs  affluents,  suivre  sur  de  nom- 
breux monuments  les  essais,  les  tâtonnements  divers  qui  ont  précédé 
i'éclosion   du   style  nouveau  et  les  phases  diverses  qu'il  a  traversées 
depuis  l'époque  de  sa  constitution  définitive  jusqu'à  celle  de  sa  déca- 
dence.  Or  risle-de-Frarice,  dans  la  seconde  moitié  du  douzième  siè- 
cle, était  travaillée  par  un  mouvement  social  considérable;  la  féoda- 
lité militaire  et  monastique  était  battue  en  brèche  parla  royauté  et  le 
clergé  régulier ,  aidés  dans  cette  œuvre  par  la  bourgeoisie  naissante  ; 
les  trilles,  en  s'agrandissant,  s'affranchissaient  de  la  domination   du 
château  el  de  L'abbaye,  la  nationalité  française  se  constituait.  Profon- 
dément religieuses,  pénétrées  d'une  foi  naïve  et  exaltée,  ces  popula- 
tions urbaines,  au  fur  et  à  mesure  qu'elles  se  groupaient,  sentirent  le 
besoin  de  mettre  leur  cité  et  leurs  franchises  nouvelles  sous  la  protec- 
tion de  Dieu  et  d'élever  des  monuments  qui  fussent  à  la  foisdes  témoi- 
gnages  visibles  de  leurs  croyances  spirituelles  et  la  marque  de  leur 
affranchissement  temporel.  De  là  cette  quantité  considérable  d'églises 
cathédrales  qui  lurent  fondées,  à  la  fois,  sur  tous  les  points  (fu  domaine 
royal,  et  qui.  de  même  que  les  basiliques  autrefois,  n'étaient  pas  des- 
tinées seulement  à  la  célébration  des  offices  divins,  mais  devaient  servir 


548  ARCHITECTURE 

en  môme  temps  de  lieux  de  réunion  pour  de  grandes  assemblées  poli- 
tiques et  judiciaires.  Les  évêques  encouragèrent  ce  mouvement  qui 
allait  enlever  aux  abbayes,  pour  la  leur  donner  à  eux,  la  direction 
spirituelle  des  masses  urbaines.  Pour  élever  les  édifices  nouveaux,  ils 
prirent  leurs  architectes  non  dans  les  confrérie?  ou  ordres  religieux, 
où  ils  se  recrutaient  presque  exclusivement  pendant  la  période  romane, 
mais  parmi  cette  population  laïque  qui  se  montrait  si  empressée  à 
donner  ses  trésors  et  ses  bras  pour  l'édification  de  ces  églises  et  qui, 
plus  d'une  fois,  se  porta  tout  entière  sur  les  chantiers  des  cathédrales, 
naissantes,  pour  aider  de  ses  mains  à  construire  la  maison  de  Dieu. 
Aussi,  pour  la|première  fois  dans  l'histoire  de  l'architecture  chrétienne, 
voit-on  apparaître  les  noms  de  quelques-uns  de  ceux  qui,  sous  la  direc- 
tion des  évêques,  ont  construit  ces  grandes  églises  vraiment  populai- 
res :  Robert  de  Luzarches  à  Amiens,  Pierre  de  Montereau  à  Paris. 
Erwin  de  Steinbach  à  Strasbourg,  Etienne  de  Bonneuil  à  Upsal,  etc. 
La  tâche  de  ces  artistes  était  considérable.  11  s'agissait  d'édifier  des 
nefs  déplus  en  plus  vastes  pour  les  fidèles,  de.  donner  plus  de  dé- 
veloppement encore  au  chœur,  afin  qu'il  pût  contenir  le  clergé  tou- 
jours plus  nombreux,  depuis  les  évêques  jusqu'aux  curés  et  aux  desser- 
vants; outre  l'autel  principal,  il  fallait  disposer  des  autels  secondaires  pour 
la  Vierge  et  pour  les  saints,  dont  le  culte  allait  croissant  à  mesure  que 
leur  nombre  augmentait  ;  il  était  de  plus  nécessaire  de  ménager  des 
moyens  de  communication  faciles  entre  toutes  les  parties  de  l'édifice 
afin  de  permettre  à  la  foule  des  fidèles  de  circuler  partout  et  de  se 
porter  à  ses  autels  de  prédilection;  il  fallait  enfin  éclairer  d'une  lumière 
abondante  toutes  les  parties  de  l'église  et  imprimera  l'ensemble  du 
monument  ce  caractère  d'aspiration  vers  le  ciel,  de  détachement  des 
choses  de  la  terre,  qui  était  le  trait  dominant  de  la  foi  de  cette  époque. 
Les  architectes  français  de  la  fin  du  douzième  siècle  se  montrèrent  à  la 
hauteur  de  leur  tâche.  La  disposition  en  longueur  de  la  basilique  fut 
en  général  conservée,  ainsi  que  la  forme  de  la  croix  latine  qui  toutefois 
n'apparut  plus  que  dans  le  tracé  des  hautes  nefs.  La  nef  centrale,  les 
transepts  et  le  chœur  eurent  une  largeur  égale  et  furent  élevés  à  la 
même  hauteur  et  éclairés  toujours  par  des  jours  directs;  la  crypte  sous  le 
chœur  fut  définitivement  supprimée  et  quelques  marches  seulement  éle- 
vèrent le  sanctuaire  au-dessus  du  reste  de  l'édifice;  uneou  deux  rangées  de 
bas-côtés  ou  nefs  latérales  accompagnèrent  le  vaisseau  principal  et  pour- 
tournërent  parfois  les  transepts,  presque  toujours  le  chœur,  qui  se 
terminait  par  un  polygone  de  trois,  cinq  ou  sept  côtés;  sur  ces  bas- 
côtés  s'ouvraient  des  chapelles  latérales  et,  correspondant  aux  travées 
de  l'abside,  des  chapelles  rayonnantes,  où  trouvèrent  place  les  autels 
secondaires  ;  une  chapelle  principale,  placée  dans  le  grand  axe  de  l'édi- 
fice, derrière  le  maître-autel,  fut  consacrée  à  la  Vierge;  des  tombeaux, 
des  épitaphes  garnirent  les  murs  latéraux  de  ces  chapelles  ;  la  chaire 
fut  placée  contre  l'un  des  piliers  de  la  nef,  sur  le  côté,  vers  les  tran- 
septs ;  le  siège  épiscopal  et  les  stalles  du  clergé  furent  disposés  sur  les 
côtés  du  chœur,  formé  par  le  prolongement  de  la  nef  au  delà  des  tran- 
septs, et  en  avant  du  maître-autel  ;  un  buffet  d'orgues  pour  accompa- 


ARCHITECTURE  549 

gner  le  chant  fut  dressé  sur  une  tribune  disposée  soit  au-dessus  de 
l'entrée  principale,  soit  transversalement  à  l'entrée  du  chœur  (et  appelée 
dans  ce  cas  jubé);  les  cloches  turent  installées  dans  deux  grandes  tours, 
disposées  symétriquement  sur  les  premières  travées  des  bas-côtés,  de 
manière  à  encadrer  la  façade  occidentale;  des  tours  semblables  accom- 
pagnèrent parfois  la  façade  des  transepts  ;  la  grande  tour  centrale  qui, 
dans  beaucoup  d'églises  romanes,  était  placée  à  l'intersection  des  nefs, 
fut  en  général  supprimée  et  remplacée  par  une  flèche  légère  en  char- 
pente. Toutes  les  parties  de  l'édifice  étaient  voûtées  suivant  le  principe 
que  l'on  avait  commencé  à  appliquer  déjà  à  la  lin  delà  période  romane, 
c'est-à-dire  de  façon  à  reporter  au  moyen  d'arcs  diagonaux  tout   le 
poids  des  voûtes   sur    les  piliers  et  sur  les  points  correspondants  des 
murs  latéraux,  que  Ton  fortifia  au   moyen  de  contreforts  extérieurs  de 
plus  en  plus  saillants.  L'arc  en  ogive,  formé  dedeux  segmentsde  cercle 
se  coupant  à  angle  aigu,  servit  de  base  à  toutes  ces  voûtes  et  fut  bientôt 
exclusivement  employé.  Il  avait  le  grand  avantage  de  permettre  de 
poser  des  voûtes   d'arête,    non -seulement  sur  des  espaces  carrés  ou 
à   côtés  sensiblement  égaux  ,   comme  pendant  la  période   romane, 
mais  aussi  sur  des  travées  rectangulaires  à  côtés  inégaux  ;  il  suffisait 
pour   cela    de   rendre   plus   aigus  les  arcs  jetés  sur  les  petits   côtés 
de  manière  à  ce  que  le  point  d'intersection  de  leur  ogive  arrivât  sen- 
siblement à  la  même  hauteur  que  celui  des  arcs  des  grands  côtés. 
L'arc  en  ogive  avait  cet  autre  avantage  de  posséder,  par  sa  construc- 
tion même,  une  force  de  portée  beaucoup  plus  considérable  tout  en  exi- 
geant des  dimensions  beaucoup  plus  faibles,  et  par  suite  des  points 
d'appui  plus  légers.  Tout  le  poids  des  voûtes  supérieures  se  trouvant 
ainsi,  grâce  à  l'ogive,  diminué  et  complètement  reporté  sur  les  piliers 
intérieurs  et  sur  les  contreforts  extérieurs,  reliés  à  eux  par  des  arcs- 
boutants,  il  devenait  possible  de  réduire  les  dimensions  des  piliers  et 
d'ouvrir  largement  les  murs  latéraux  de  la  nef  et  des  bas-côtés.  Les 
fenêtres  devinrent  promptement  si  grandes  qu'il  fallut  les  diviser  par 
des  menaux  verticaux,  réunis  dans  le  haut  par  des  ogives  et  des  rosa- 
ces;  de  grandes  rosaces  pareillement  subdivisées  furent  posées  dans  les 
pignons  des  façades,   au-dessus   des   portails  d'entrée.   La  lumière 
devint  alors  si  vive  qu'il  fallut  en  atténuer  l'éclat,  et  la  peinture  sur 
verre  vint  justeà  point  pour  tamiser  cette  clarté  trop  abondante.  Bientôt 
ces  vitraux  sur  Lesquels  l'art  des  peintres  verriers  retraça- l'histoire 
du  Christ   et  la  vie  des  saints,  devinrent  l'un  des  ornements  les  plus 
importants  de  l'église.   La   sculpture   d'ailleurs   ne   resta  pas  en  ar- 
rière rt  seconda  merveilleusement  l'architecture  et  la  peinture.  Elle 
dressa  d< -s  statues  sur  les  montants  des  grands  portails,  sous  les  ogives 
des  galeries,  dans  les  tabernacles  dont  on  orna  les  contreforts;  elle 
couvrit  de  bas-reliefs  symboliques  les  tympans  et  les  voussures  des 
port.-,  les  clôtures  des  chapelles  et  du  chœur;  renonçant  complètement 
aux  éléments  empruntés  à  l'ornementation  antique  ou  byzantine,   elle 
s'attacha  à  reproduire  les  types  de  la  flore  indigène  et  recouvrit   de  ses 
crochets,  de  ses  feuilles  enroulées,  de  ses  trèfles  et  de  ses  fleurons,  non- 
seulement  les  corbeilles  des  chapiteaux  et  les  grandes  moulures  des 


550  ARCHITECTURE 

frises  et  des  corniches ,  niais  les  rampants  des  pignons  et  les  gables 
aigus  que  Ton  éleva  au-dessus  des  portes  et  des  fenêtres  et  jusqu'aux 
pinacles  et  clochetons  qui  terminèrent  les  contreforts,  auxquels  ils  ser- 
virent à  la  fois   de  décoration   et  d'amortissement.   Il   n'y  eut  plus 
bientôt  une  seule  surface  de  l'édifice  qui  ne  fût  refouillée,  travaillée  par 
la  main  de  l'artiste  et  obligée  de  concourir  au  but  commun  :  la  glori- 
fication de  la  foi.  —  Né  vers  la  fin  du  douzième  siècle,  le  style  nouveau 
se  développa  pendant  le  cours  du  treizième  siècle,  et  au  commencement 
du  siècle  suivant  déjà  il  avait  atteint  son  apogée  ;  l'art  chrétien  avait 
trouvé  une  expression  nouvelle  et  complète,  dépouillée  cette  fois  de 
tout  emprunt  païen  et  répondant  parfaitement,  comme  disposition  et 
comme  forme,  aux  besoins  religieux  de  l'époque.  Dédain  du  corps  et 
aspiration  de  l'àme  vers  le  ciel  ,  telle  était  la  devise  delà  foi  d'alors  ; 
sacrifice  des  formes  extérieures  au  bénéfice  de  l'effet  intérieur  et  ten- 
dance à  l'élévation  donnée  à  toutes  les  parties  tant  extérieures  qu'in- 
térieures del'édifice,c'est  à-dire  prédominance  des  lignes  verticales  surles 
horizontales,  tel  est  aussi  le  principe  fondamental  de  l'architecture  reli- 
gieuse du  treizième  au  quinzième  siècle.  La  grandeur  même  de  l'idéal  qui 
inspira  ses  œuvres  fut  cause  de  sa  prompte  décadence.  A  force  de  vouloir 
toujours  subordonner  la  matière  à  l'idée  et  escalader  le  ciel,  on  finit 
par  tenter  l'impossible;  on  n'étudia  les  règles  de  la  construction  que 
pour  les  tourner  ou  les  braver,  les  propriétés  des  matériaux  que  pour 
essayer  jusqu'à  quelle  limite  on  pouvait  les  dompter  ;  on  voulut  avant 
tout  frapper  les  imaginations,  éblouir,  émouvoir  les  âmes;  on  créa  des 
difficultés  pour  le  plaisir  de  les  vaincre,  et  l'artifice  remplaça  l'art  véri- 
table. La  sculpture,  d'ascétique,  devint  grimaçante,  l'ornementation, 
de    légère,   puérile;   les  voûtes  trop  audacieuses   s'écroulèrent,    les 
piliers  trop  réduits  s'écrasèrent,  les  flèches  trop  élancées  furent  ren- 
versées par  le  vent  ou  frappées  par  la  foudre.  Dès  la  fin   du  quin- 
zième siècle  la  décadence  était  générale,  et  dans  le   cours  du  siècle 
suivant  le  style  gothique  fut  abandonné  presque  partout,  après  avoir 
régné  en  maître  pendant  trois   siècles   dans    toute    la  chrétienté  et 
l'avoir  couverte  de  monuments  en  partie  admirables,  mais  la  plupart 
inachevés.* — Les  caractères  des  édifices  gothiques  sont  sensiblement  les 
mêmes  dans  les  différents  pays  où  ce  style  a  été  adopté  ;  aussi  la  dis- 
tinction par  écoles  y  est-elle  beaucoup  moins  facile  que  pour  la  période 
romane.  Au  lieu  de  la  division  par  régions  on  a  adopté,  pour  la  classi- 
fication des  églises  gothiques,  la  division  par  époques  correspondant 
aux  périodes  de  formation,  d'apogée  et  de  décadence  du  style;  on  dis- 
tingue ainsi  trois  époques  principales ';.  1°  le  gothique  primaire  ou  à  lan- 
cette (de  la  fin  du  douzième  au  commencement  du  quatorzième  siècle), 
auquel  on  doit  les  cathédrales  de  Paris,  Reims,  Amiens,  etc.;  2°  le  go- 
thique secondaire  ou  rayonnant  (quatorzième  siècle),  dont  les  œuvres 
principales  sont  les  cathédrales  de  Strasbourg  et  de  Cologne;  3°  le  gothi- 
que tertiaire  ou  flamboyant  (quinzième  siècle),  qui  a  élevé  la  cathédrale 
et  l'église  Saint-Ouen  à  Rouen.  Parti  de  l'Ile-de-France,  le  style  gothi- 
que s'est  répandu  avec  une  rapidité  surprenante  dans  toute  la  France 
(cath.   de  Rordeaux,  de  Lyon,  de  Narbonne,  etc.),  en  Espagne  (cath. 


ARCHITECTURE  55J 

<le  Burgos,  de  Tolèdei  de  Séville,  etc...),  inais  surtout  en  Allemagne 
(cath.  de  Vienne,  d'Ulm,  d'Halberstadt,  églises  de  Nuremberg,  etc...), 
et  en  Angleterre  (cath.  d'York,  de  Liehfield,  d'Ely,  abbaye  de  West- 
minster, etc.).  L'Italie  (dômes  de  Sienne,  d'Orvieto,  de  Milan)  n'en  a 
adopté  les  formes  et  le  principe  qu'avec  répugnance  et  y  a  mêlé  fré- 
quemment des  réminiscences  antiques  ou  romanes.  C'est  d'elle  que 
•devait  partir  le  mouvement  qui  détrôna  le  style  gothique,  pour  le  rem- 
placer par  une  nouvelle  et  dernière  formelle  l'art  chrétien  (voy.  Yiollet- 
ie-Dtic ,  Diction,  de  F  architecture ,  I,  p.  106,  Paris,  1807;  F.  Kugler, 
Gesch.  dcrgothischr/i  Baukunst,  Stuttgart,  1859;  Pugin,  Exemples  of  go- 
thic  archit.,  London,  1838,  etc.). 

IV.  Style  <ie  la  Renaissance.  L'Italie,  même  dans  les  édifices  où  elle 
semblait  adopter  le  plus  franchement  le  style  gothique,  n'avait  jamais 
•entièrement  renoncé  à  l'arc  plein-cintre.  Il  apparaît  avec  persistance 
dans  les  monuments  italiens  de  la  fin  du  quatorzième  siècle,  accompa- 
gné déjà  de  réminiscences  antiques  très-caractérisées  ;  dans  le  cours 
du  quinzième  siècle,  la  réaction  contre  l'architecture  ogivale  prend  le 
dessus  et  l'arc  brisé  est  définitivement  écarté.  Cette  révolution  en  archi- 
tecture avait  été  précédée  et  préparée  par  une  révolution  dans  les 
lettres  et  dans  les  sciences  :  on  s'était  jeté  avec  un  goût  marqué  dans 
l'étude  de  l'antiquité,  de  sa  littérature,  de  sa  mythologie,  de  ses  monu- 
ments, et  l'on  se  prenait  d'enthousiasme  pour  les  chefs-d'œuvre  qu'elle 
avait  produits;  on  était  las  du  spiritualisme  exagéré  du  moyen-âge  et 
on  revint  à  apprécier  les  formes  extérieures  des  choses  indépendam- 
ment du  beau  idéal.  A  côté  de  ce  retour  vers  le  passé,  on  avait  le  senti- 
ment très-vif  que  bien  des  choses  étaient  à  changer  dans  l'état  social 
et  religieux  du  présent:  un  esprit  de  rénovation  et  de  réforme  souillait 
aussi  bien  sur  les  artistes  que  sur  les  savants  et  les  théologiens.  La  foi 
religieuse  du  grand  nombre  allait  d'ailleurs  en  diminuant  d'intensité, 
a  mesure  que  les  mœurs  de  la  noblesse  et  du  clergé  allaient  se  perver- 
tissant ;  la  religion  devenait  de  plus  en  plus  affaire  de  pratiques  exté- 
rieures, de  cérémonies  toutes  matérielles  que  l'on  s'attachait  à  rendre 
aussi  imposantes,  aussi  pompeuses  que  possible.  A  un  pareil  relâche- 
ment dans  les  mœurs  et  les  croyances  religieuses,  joint  à  un  esprit  de 
libre  recherche  et  de  réaction  contre  les  pratiques  de  l'ascétisme  et  de 
la  superstition,  devait  correspondre  une  transformation  dans  l'archi- 
tecture. Les  dispositions  générales  des  édifices  religieux  ne  furent  guère 
modifiées;  toutefois  on  revint  avec  prédilection  vers  le  plan  en  forme 
de  crois  grecque,  avec  une  grande  coupole  sur  la  partie  centrale,  et  on 
supprima,  surtout  en  Italie,  les  clochers  et,  par  suite,  la  tendance  ver- 
tical.' des  façades  extérieures  de  l'éditice.  Les  voûtes  en  arête  furent 
(  onservées,  mais  on  les  surbaissa  et  on  les  couvrit  de  culs-de-lampe  et 
d.-  pendentifs;  la  voûte  en  berceau  continu  reparut  et  on  la  divisa 
eu  compartiments  réguliers  ornés  de  rosaces  et  de  sculptures  diverses  ; 
la  voûte  eu  coupole  enfin  l'ut  péri' ectionnée en  ce  sens  (pour  la  première 
fois  par  Brunelleschi  à  Florence)  que  pour  les  grands  dômes,  ou  super- 
posa deux  coupoles  dont  l'une  terminait  l'édifice  intérieurement  et  dont 
l'autre  tout  en  abritant  la  première,  donnait   à   la   partie  centrale  une 


552  ARCHITECTURE 

silhouette  extérieure  plus  belle  et  plus  élancée.  Mais  c'est  dans  les  for- 
mes générales  et  dans  les  détails  de  la  décoration  que  le  changement  fut 
le  plus  profond.  On  revint  franchement  aux  ordres  antiques,  avec  leurs 
colonnes  à  proportions  fixes  et  leurs  entablements,  aux  frontons  bas, 
aux  feuilles  d'acanthe  et  à  une  ornementation  toute  conventionnelle. 
Malheureusement,  au  lieu  de  puiser  l'inspiration  aux  sources  de  l'art, 
en  Grèce,  on  la  chercha  dans  les  monuments  de  l'architecture  romaine, 
que  l'on  avait  sous  les  yeux  et  qui  trop  souvent  étaient  des  œuvres  de 
décadence  et  de  mauvais  goût;  c'est  ainsi  que  l'on  emprunta  à  cer- 
tains édifices  du  Bas-Empire  les  frontons  courbes  ou  brisés,  dont  la 
Renaissance  devait  faire  par  la  suite  un  si  fâcheux  abus.  Par  contre, 
l'ornementation  fut  en  général  d'un  goût  délicat  et  la  sculpture  couvrit 
toutes  les  surfaces  lisses  des  pilastres,  des  frises  et  des  voûtes,  d'une 
profusion  d'arabesques  où  des  rinceaux  de  fleurs,  des  guirlandes  de 
fruits  s'enroulent  ingénieusement  autour  de  gracieux  candélabres  ou 
de  vases  finement  profilés,  entremêlés  d'emblèmes  chrétiens  et  mytho- 
logiques, de  têtes  humaines,  de  génies  ailés,  moitié  anges,  moitié 
amours,  et  d'animaux  fantastiques.  La  peinture  enfin  vint  couvrir  de 
ses  fresques  éclatantes  les  grands  pleins  de  l'architecture  et  contribuer 
puissamment  à  la  rénovation  du  goût  artistique.  —  Le  quinzième  et  le 
commencement  du   seizième  siècle  virent  s'élever,  à  Rome  et  dans 
toute  l'Italie,  un  nombre  considérable  d'églises  conçues  dans  le  style 
nouveau  (voy.  Letarouilly,  Edif.  deRomeynoderne,  Paris,  1857;J.Burck- 
ckhardt,  Gesch.  der  Renaissance  in  Italien,  Stuttgart,  1868).  Construits 
avec  un  grand  luxe  de  matériaux  et  d'après  les  dessins  d'artistes  tels 
que  Bramante,  Raphaël,  Michel-Ange,  Palladio,  Serlio,  etc.,  ces  édifices 
purent  éblouir  et  charmer  les  yeux  et  donner  satisfaction  d'ailleurs  à  la 
religion  tout  extérieure  de  l'époque,  mais  ils  n'en  présentent  pas  moins 
des  contradictions  flagrantes,  provenant  de  combinaisons  malheureuses 
de  l'art  antique  et  des  traditions  chrétiennes,  et  de  l'absence  de  cet 
accord  intime  et  parfait  entre  les  nécessités  constructives  et  la  décora- 
tion extérieure,  qui  est  une  des  conditions  essentielles  d'un  art  élevé 
et  complet.  Le  style  de  la  Renaissance  atteignit  son  apogée  en  Italie, 
avec  le  dôme  de  Saint-Pierre  à  Rome.  Il  passa  dans  le  courant  du 
seizième  siècle  en   France  (église  Saint-Eustache  à  Paris  ;  abside  de 
Saint-Pierre  à  Caen),  en  Allemagne  (église  de  Wolfenbùttel)   et  dans 
les  autres  pays  de  l'Europe.  Il  eut,  en  général,  dans  chacun  de  ces 
pays,  un  caractère  particulier  résultant  de  son  mélange  avec  les  formes 
et  les  détails  du  style  ogival,  qui  l'avait  précédé,  et  subit  d'ailleurs  les 
influences  locales  les  plus  diverses.  En  dehors  de  l'Italie,  on  éleva  en 
somme,  avant  le  dix-septième  siècle,  peu  d'églises  et  ce  fut  l'architec- 
ture civile  surtout  qui  s'empara  et  profita  du  style  nouveau  ;  celui-ci 
créa  toutefois  un  grand  nombre  d'objets  mobiliers,  autels,  chaires, 
stalles,  fonts  baptismaux,  buffets  d'orgues,  etc.,  qui  sont  des  chefs- 
d'œuvre  de  grâce  et  de  finesse.  Avec  le  dix-septième  siècle  la  Renais- 
sance italienne,  strictement  classique,  s'introduisit  presque  en  tous  pays 
et  l'on  éleva  partout  des  imitations  de  Saint-Pierre  de  Rome  ;  à  Paris, 
le  dôme  des  Invalides  et  l'église  du  Val-de-Grâce  ;  à  Londres,  l'église 


ARCHITECTURE  553 

Saint-Paul;  à  Vienne,  L'église  Saint-Charles-Borromée.  En  même  temps 

une  uouvelle  révolution  s'opérait  en  Italie  ;  Tordre  des  jésuites  s'emparait 
du  style  de  la  Renaissance,  le  dépouillait  de  sa  grâce  et  de  sa  richesse 
et  le  transformait  en  une  architecture  lourde,  sèche,  pauvre  et  pom- 
peuse tout  ensemble,  à  laquelle  on  donna  le  nom  de  style  des  jésuites 
et  qui  lit,  à  la  suite  de  cet  ordre,  le  tour  de  l'Europe. 

V.  Le  dix-neuvième  siècle  a  inauguré  dans  le  domaine  de  l'architec- 
ture chrétienne,  de  même  que  dans  celui  des  sciences,  des  lettres  et 
de  l'art  en  général,  une  ère  nouvelle,  ère  de  recherches,  de  critiques, 
de  restaurations,  de  découvertes  incessantes.  Pour  la  première  fois 
depuis  (jue  les  hommes  bâtissent,  depuis  qu'ils  élèvent  des  temples 
à  la  Divinité,  on  a  repris  et  l'on  fait  revivre,  non-seulement  l'une  des 
formes  de  l'art  employées  précédemment,   comme  à  l'époque  de  la 
Renaissance,  mais  toutes  ces  formes  à  la  fois.  On  a  étudié  patiemment, 
consciencieusement,  l'architecture  de  tous  les  peuples,  dans  tous   les 
temps,  et  tandis  que  les  uns  relevaient  avec  un  soin  minutieux  les  tem- 
ples de  l'Egypte,  de  la  Grèce  et  de  Rome,  d'autres  exploraient  avec 
passion  les  cathédrales  du  moyen  âge  pour  découvrir  les  règles  et  les 
principes  qui  avaient  présidé  à  leur  construction.  Puis,  ces  études  faites, 
l'on  a  construit  des  monuments  religieux  dans  tous  les  styles  connus, 
chrétiens  et  non  chrétiens.  C'est  ainsi  que  Paris  a  vu  s'élever,  dans  ce 
siècle,  des  églises  de  style  gréco-romain  (la  Madeleine),  latin  (Saint- Vin- 
cent-de-Paul),  byzantin  (l'église  russe),  roman  (Saint-Ambroise),  gothi- 
que  (Sainte-Clotilde)   et  de  la  Renaissance  (la  Trinité).   Le  caractère 
essentiel  de  l'architecture  religieuse  contemporaine  est  donc  l'éclectisme. 
Ce  caractère  vraiment  nouveau  dans  l'histoire  de  l'architecture  est-il 
l'indice  que  le  cycle  des  inventions  en  matière  d'architecture  est  épuisé, 
et  que  l'humanité  ne  construira  plus  désormais  que  d'après  l'un  des 
types  consacrés  par  les  traditions  successives,  ou  n'est-il  que  le  trait 
précurseur  d'une  période  de  préparation,  d'élaboration  d'un  style  nou- 
veau? L'avenir  seul  pourra  donner  une  réponse  à  cette  question.  La 
Réformation  et  l'extension  du  protestantisme,  il  faut  le  dire  en  termi- 
nant cette  étude,  n'ont  eu  jusqu'à  ce  jour  d'autre  influence  sur  l'archi- 
tecture chrétienne  que  d'en  entraver  le  développement.  Les  premiers 
protestants,  de  même  que  les  premiers  chrétiens,  furent  trop  absorbés 
par  les  luttes  qu'ils  eurent  à  soutenir  pour  leur  foi,  pour  attacher  une 
grande  importance  à  la  bonne  disposition  des  localités  dans  lesquelles 
ils  célébrèrent  leur  culte.  Là  où  ils  étaient  les  maîtres,  ils  s'installèrent 
tant  bien  que  mal  (plutôt  mal  que  bien)  dans  les  églises  catholiques,  se 
bornant  à  supprimer  les  ornements  et  emblèmes  en  contradiction  avec 
leurs  croyances  ou  qui  étaient  de  nature  à  les  choquer;  toutefois,  ils 
déplacèrent,  partout  où  la  chose  était  possible,  la  chaire  pour  la  mettre 
à  l'endroit  de  l'église  où  le  prédicateur  fût  le  mieux  vu  et  entendu  par 
les  fidèles.  Lorsqu'ils  eurent  à  élever  des  églises  nouvelles,  ils  les  liront 
en  général  simples  et  sévères,   s'en  tenant  aux  dispositions  en  usage 
pour  les  églises  catholiques,  en  se  bornant  à  diminuer  l'emplacement 
réservé  dans  celles-ci  au  chœur.  On  a  reproché  avec  quelque  raison  au 
protestantisme  de  s'être  emparé  des  formes  de  la  religion  qu'il  venait 
i.  36 


554  ARCHITECÏ  URE 

combattre  et  de  l'art  que  le  catholicisme  avait  su  créer  et  développer  à 
son  image,  et,  partant  de  là,  on  a  accusé  le  protestantisme  d'impuis- 
sance ou  de  dédain  en  matière  d'art.  Il  n'est  que  juste  cependant  de 
faire  remarquer  que  le  protestantisme,  au  début,  n'entendait  point 
renverser  le  catholicisme,  mais  simplement  le  réformer;  qu'il  combat- 
tait, non  la  tradition  de  l'Eglise  catholique  en  elle-même,  mais  les  abus 
qui  s'y  étaient  introduits  peu  à  peu,  et  que  s'il  prêcha  avec  conviction 
un  retour  vers  les  croyances  et  les  pratiques  du  christianisme  de  l'Eglise 
primitive,  il  n'a  jamais  entendu  répudier  ce  que  l'Eglise  chrétienne  a 
produit  de  grand  et  d'élevé  depuis  sa  fondation  jusqu'à  l'époque  de  la 
Réformation.  Le  temps  a  fait  défaut,  d'ailleurs,  au  protestantisme  pour 
donner  la  mesure  de  son  génie  créateur  dans  le  domaine  de  l'architec- 
ture religieuse;  trois  siècles,  dont  deux  de  luttes  et  de  persécutions, 
sont  peu  de  chose  pour  l'invention  d'un  style  nouveau.  Ce  n'est  qu'après 
quatre  siècles  de  tâtonnements  que  les  chrétiens  ont  élevé  leurs  pre- 
mières basiliques,  bien  imparfaites  encore  au  point  de  vue  de  l'art;  les 
architectes  des  périodes  romane  et  ogivale  ont  procédé  par  le  dévelop- 
pement lent  et  progressif  des  formes  traditionnelles  ;  la  Renaissance 
enfin  n'a  fait  que  reprendre  et  rajeunir  des  éléments  empruntés  à  l'anti- 
quité païenne.  Des  essais  divers  ont  été  tentés  au  siècle  dernier,  mais 
surtout  de  nos  jours,  pour  donner  aux  temples  protestants  des  formes 
et  des  dispositions  répondant  parfaitement  au  caractère  et  aux  exigences 
du  culte  protestant.  L'un  des  premiers  et  des  plus  célèbres  est  celui 
réalisé  au  commencement  du  dix-septième  siècle  par  Jacques  de  Brosse, 
artiste  distingué  et  zélé  protestant,  dans  son  temple  de  Gharenton.  Ce 
temple  devait  avoir  le  plan  des  basiliques  antiques  et  les  formes  de 
l'architecture  classique  la  plus  sévère;  il  a  été  détruit  après  la  révoca- 
tion de  l'édit  de  Nantes,  et  Jacques  de  Brosse  n'a  guère  trouvé,  depuis, 
d'imitateurs  ;  les  dessins  imparfaits  (fui  en  ont  été  conservés  ne  permettent 
pas,  d'ailleurs,  de  juger  de  la  valeur  artistique  de  son  œuvre.  Les 
grandes  guerres  de  la  fin  du  siècle  dernier  et  des  premières  années  du 
dix-neuvième  siècle  n'ont  pas  été  favorables  à  la  construction  d'églises 
nouvelles  ;  mais  depuis  le  milieu  de  ce  siècle,  il  se  fait  un  travail  con- 
sidérable dans  ce  sens.  Un  certain  nombre  de  temples  protestants  ont 
été  élevés;  la  plupart,  il  est  vrai,  de  dimensions  restreintes.  Presque 
tous  les  architectes  chargés  de  les  édifier  ont  adopté  le  style  gothique 
ou  celui  de  la  Renaissance  et  la  disposition,  légèrement  modifiée,  des 
églises  catholiques  à  trois  nefs  ;  on  a  simplement  diminué  ou  supprimé 
complètement  le  chœur,  rétabli  et  agrandi  les  tribunes  et  transporté  la 
chaire  à  l'extrémité  de  la  nef  centrale,  soit  dans  l'axe  principal  du 
temple,  derrière  l'autel,  soit  de  côté  à  sa  proximité.  Cette  disposition, 
convenable  pour  des  églises  peu  considérables,  devient  fâcheuse  pour 
des  temples  d'une  certaine  grandeur  ;  les  fidèles,  placés  à  l'extrémité 
d'une  longue  nef,  n'entendent  que  très-imparfaitement  la  voix  du  pré- 
dicateur parlant  à  l'autre  bout,  et  la  moitié  des  auditeurs  assis  dans  les 
bas-côtés  ou  sur  les  tribunes  ne  peuvent  ni  voir  ni  entendre  convena- 
blement le  pasteur,  caché  à  leurs  yeux  par  les  colonnes  ou  piliers  qui 
divisent  les  nefs  et  soutiennent  les  tribunes  et  les  voûtes  hautes.  Or, 


ARCHITECTURE  —  ARCHIVES  555 

s'il  est  une  condition  essentielle  d'une  bonne  disposition  d'un  temple 
protestant,  c'est  assurément  celle-ci  :  que  tous  les  iidèles  puissent  voir 
et  entendre  commodément  le  pasteur  qui  lit  et  interprète  la  Bible.  Cette 
condition  n'est  qu'imparfaitement  remplie  dans  les  temples  de  Mul- 
house et  de  Bàle  (de  style  gothique)  et  ne  le  sera  guère  mieux  sansdoute 
dans  Le  Temple-Neuf  de  Strasbourg,  que  Fonachève  en  ce  moment  (1870) 
sur  remplacement  de  l'ancienne  église  des  Dominicains,  et  qui  devra 
contenir  environ  deux  mille  fidèles.  Dans  le  concours  qui  a  eu  lieu  à 
Strasbourg,  à  l'occasion  de  cette  reconstruction,  et  dans  celui  plus 
important  qui  a  été  ouvert  à  Berlin,  en  1869,  pour  l'érection  d'un 
dôme  protestant,  quelques  idées  nouvelles  se  sont  produites.  La  dispo- 
sition centrale  (celle  d'une  nef  circulaire,  carrée  ou  polygonale,  voûtée 
en  coupole  et  accompagnée  de  tribunes  pratiquées  dans  des  absides  ou 
bras  peu  profonds  correspondant  aux  côtés  du  polygone)  a  trouvé  un 
grand  nombre  d'adeptes,  qui  l'ont  revêtue  de  formes  soit  romane- 
byzantines,  soit  ogivales,  soit  de  la  Renaissance.  Quelques-uns  des  con- 
currents enfin,  pour  grouper  encore  davantage  les  fidèles  autour  de 
leur  pasteur,  ont  adopté  une  disposition  rappelant  celle  des  salles  de 
cours  ou  de  concerts.  Ce  n'est  pas  le  lieu  ici  de  discuter  laquelle  de  ces 
dispositions  est  la  plus  convenable  aux  temples  protestants,  ni,  en  géné- 
ral, si  une  disposition-type  a  chance  d'être  adoptée  par  le  protestan- 
tisme, pas  plus  que  de  rechercher  si  une  forme. d'architecture  nouvelle 
pourra  être  inventée  encore.  Il  convient  seulement  de  rappeler  que  la 
condition  première  et  indispensable  pour  l'éclosion  et  le  développe- 
ment d'un  style  d'architecture  vraiment  original  est  la  formation  d'un 
grand  courant  d'idées  et  de  besoins  communs.  Si  l'architecture  chré- 
tienne doit  produire  un  jour  de  nouveaux  chefs-d'œuvre  capables  de 
rivaliser  avec  ceux  du  passé  et  de  les  surpasser,  il  faut  que  les  com- 
munautés chrétiennes  sortent  de  l'état  de  dispersion  et  de  division 
où  elles  se  trouvent  aujourd'hui,  et  qu'unies  dans  une  même  aspira- 
tion, entraînées  par  une  foi  et  une  ardeur  égales,  elles  marchent  de 
nouveau  ensemble  vers  un  but  commun.  (Ouvrages  à  consulter  :  Rey- 
naud,  Traité  d'archit.,  2e  vol.,  p.  171,  Paris,  1867;  Bourassé,  Arçhéol. 
ch?-é tienne,  Tours;  Lùbke,  Gesch.  der  A rchit.,  Leipzig,  1870;  Hope,  Hist. 
de  rarckit.,  trad.  de  l'anglais  par  Baron,  Paris,  1839,  etc.). 

Emile  Lichtenbebgeb. 

ARCHIVES.  Dès  les  temps  les  plus  anciens,  les  églises  et  les  abbayes 
avaient  un  lieu  spécial  pour  y  conserver  les  titres  et  chartes,  les  régis- 
des  ordinations,  des  provisions,  des  collations  ou  autres  actes 
émanés  des  evêques  ou  de  leurs  vicaires.  Dans  l'Eglise  grecque,  le 
conservateur  des  archives  s'appelait  6  7a?xo?yXa;  :  c'était  d'ordinaire 
un  docteur  en  droit  canon  qui,  sous  l'autorité  de  l'évêque,  exerçait  en 
même  temps  les  fonctions  de  juge.  Varchivarius,  dans  l'Eglise  latine, 
pouvait  aussi  cumuler  d'autres  charges  avec  la  garde  des  documents. 
I..'  concile  de  Rouen,  en  1881,  et  une  bulle  de. Sixte  V  de  1587  ordon- 
n. mil  formellement  la  création  d'archives  partout  où  il  n'en  existe  pas. 

ARGHONTIQUES,    nom    d'une    secte    gnostique    qui,    sous    le    règne 
d'Antonin  le  Pieux,  s.-  détache  de  la  branche  des  valentiniens.  D'après 


556  ÀRCHONTIQUES  —  ARGENTINE 

Epipliane  (Hœres.,bO)  et  saint  Ausgustin  (Hseres.,  20),  ils  enseignaient  que 
le  monde  forme  une  «  symphonie  »,  composée  de  sept  cieux  dont  cha- 
cun est  gouverné  par  un  créateur  particulier  qu'ils  appelaient  archonte 
(àp70jv)  et  dont  la  mère  commune  est  Photine,  la  lumière  incréée. 
L'archonte  du  ciel  inférieur,  Zabaoth,  le  créateur  de  la  terre,  a  donné 
naissance  au  Diable  qui  est  le  Dieu  des  Juifs  et  qui  lui-même,  dans  un 
commerce  incestueux  avec  Eve,  a  engendré  Caïn  et  Abel,  embrasés 
l'un  contre  l'autre  d'une  violente  jalousie  à  cause  de  leur  coupable 
amour  pour  leur  sœur.  Seth,  le  seul  fils  légitime  d'Adam,  fut  enlevé 
par  la  Sophia  céleste  et  ses  anges  et,  après  avoir  séjourné  pendant 
quelque  temps  dans  le  monde  supérieur  pour  n'être  pas  tué,  revint 
sur  la  terre,  refusant  l'adoration  à  Zabaoth,  son  créateur,  et  ne  servant 
que  la  Sophia  et  le  souverain  Dieu  bon.  Seth  et  ses  sept  fils  ont  rédigé 
des  livres  (âiroxaXu^eiç)  que  les  archontiques  prétendaient  posséder  et 
d'après  lesquels  ils  réglaient  leurs  croyances  et  leur  culte.  Ils  rejetaient 
les  sacrements  et  niaient  la  résurrection,  les  puissances  célestes  ayant 
besoin  des  âmes  pour  leur  nourriture  ;  ils  aspergeaient  les  cadavres 
d'eau  et  d'huile,  ce  qui  les  faisait  tout  aussitôt  disparaître  (voy.  Baur, 
Diechristl.  Gnosis,  p.  201). 

ARÉTAS,  nom  commun  à  plusieurs  rois  de  l'Arabie  Pétrée.  La  Bible 
en  mentionne  deux,  le  premier  contemporain  du  grand  prêtre  Ja- 
son  et  du  roi  Antiockus  Epipliane  (2  Machab.  V,  8)  ;  le  second, 
gendre  du  roi  Hérode  Antipater.  Celui-ci,  ayant  gravement  offensé  le 
roi  d'Arabie  en  répudiant  sa  fille  pour  épouser  Hérodias,  sa  belle- 
sœur,  Arétas  lui  déclara  la  guerre  et  le  défit  complètement.  Hérode 
ayant  mandé  cet  événement  malheureux  à  Rome,  Vitellius,  gouverneur 
de  la  Syrie,  reçut  l'ordre  de  marcher  contre  le  prince  arabe  pour  le 
châtier.  Mais  Vitellius  ayant  été  rappelé  à  Rome  par  la  mort  de  l'em- 
pereur Othon  (an  37),  Arétas  profita  de  l'inaction  de  ses  troupes  pour 
occuper  momentanément  Damas  et  imposer  un  gouverneur  à  cette 
riche  ville  de  commerce  (2  Cor.  XI,  32;  Josèphe,  Antiq.,  XVIII,  5, 1-3). 

ARGENS  (Jean-Baptiste  de  Boyer,  marquis  d')  naquit  en  1704,  à 
Aix,  en  Provence  ;  après  une  jeunesse  dissipée,  il  se  rendit  en  Hollande, 
où  il  publia  des  écrits  irréligieux,  Lettres  juives,  chinoises,  cabalisti- 
ques, Philosophie  du  bon  sens.  Frédéric  II  le  nomma  chambellan  et 
directeur  de  son  académie.  Accablé  d'infirmités,  il  se  retira  en  Provence 
où  il  mourut  en  1771.  Ses  livres,  qui  jouirent  d'une  vogue  momenta- 
née, n'offrent  plus  d'intérêt;  ce  sont  des  romans  d'une  moralité  à 
peine  équivoque  ou  de  prétendus  traités  philosophiques  qui  plaident 
avec  une  prolixité  aimable  et  une  érudition  hâtive  la  cause  du  maté- 
rialisme. 

ARGENTINE  (République)  (Statistique  ecclésiastique).  La  Républi- 
que Argentine  ou  de  la  Plata  se  compose  de  quatorze  provinces  et  de 
quatre  territoires.  La  population  en  est,  d'après  le  recensement  de 
1869,  de  1,531,359  habitants.  Colonisées  par  les  Espagnols,  ces  vastes 
régions  firent  longtemps  partie  de  la  vice-royauté  du  Pérou  et  formè- 
rent, à  partir  de  1776,  celle  de  Buenos- Ayres.  En  1810,  elles  se  révol- 
tèrent contre  leur  métropole  et  en  1816  proclamèrent  leur  indépen- 


ARGENTINE  —  ARGOVIE  557 

dance.  Des  luttes  sanglantes  signalèrent  longtemps  son  existence. 
Maîtres  tour  à  tour,  les  unitaires  et  les  fédéralistes  se  succédaient  au 
pouvoir  et  modifiaient  d'après  leurs  idées  la  constitution  du  pays.  Le 
président  Rosas,  à  la  tête  desiiauchos,  population  sauvage  des  Pampas, 
y  domina  longtemps.  Après  sa  chute  en  1832,  l'Etat  se  divisa  en  deux, 
et  Buenos-Ayres  se  sépara  de  la  Plata;  l'unité  a  été  rétablie  en  1859. 
C'est  un  des  pays  du  monde  où  l'émigration  est  la  plus  considérable. 
Les  Italiens  surtout  s'y  portent  en  grand  nombre.  Il  n'y  a  pas  moins 
de  221,993  étrangers  dans  le  pays,  et  dans  le  nombre  beaucoup  de 
protestants.  11  n'existe  malheureusement  pas  de  chiffres  à  cet  égard. 
Mais  d'après  la  nationalité  de  tous  ces  étrangers,  on  voit  que  les  pro- 
testants doivent  être  au  bas  mot  50  à  60,000.  Quelques  pasteurs  anglo- 
américains  et  allemands  desservent  les  communautés.  Quant  aux  catho- 
liques, ils  sont  répartis  dans  cinq  diocèses,  l'archevêché  de  Buenos-Ayres 
(érigé  en  1582  comme  évêché,  archevêché  le  4  mars  1866)  et  les  évê- 
ches  de  Parana  (1859),  de  Cordova  (1570),  de  Cuya  (13  octobre  1834)  et 
de  Salta  (23  mars  1806).  La  constitution  a  accordé,  en  1825,  la  tolérance 
à  tous  les  cultes;  en  1834,  une  loi  autorisa  les  mariages  mixtes,  en 
décrétant  que  tous  les  enfants  qui  en  naîtraient  seraient  catholiques. 
L'Etat  s'empara  des  dimes  du  clergé  et  les  consacra  en  partie  au  salaire 
des  prêtres,  en  partie  à  l'entretien  des  écoles  et  des  établissements 
de  bienfaisance.  Les  couvents  ont  été  supprimés;  on  ne  laissa  sub- 
sister qu'une  maison  de  franciscains  et  deux  couvents  de  femmes. 
Depuis  lors,  on  a  laissé  revenir  les  dominicaines.  Le  budget  des  cultes 
pour  1874-1875  est  de  239,924  pesos  fuertos  (1,223,612  fr.).  Chaque* 
province  a  de  plus  ses  dépenses  particulières  pour  les  cultes.  La  seule 
pour  laquelle  nous  ayons  un  chiffre,  est  celle  de  Buenos-Ayres,  qui 
consacra  à  cet  objet,  dans  son  budget  de  1874,  839,000  pesos  moneda 
corriente  (4,295,680  fr.).  —  Bibliographie  :  Ahnanach  de  Gotha,  années 
1834  à  1876;  The  Stalesman,  yearbook  1876;  P.  Gams,  Séries  episcopo- 
rii m,  etc.  E.  Vaucher. 

ARG0B.  Voyez  Hauran. 

ARGOVIE  {Histoire  religieuse  et  statistique).  L'Argovie  a  formé  jusqu'en 
1415  une  partie  des  Etats  du  duc  d'Autriche.  Le  duc  Frédéric  ayant  été  alors 
mis  au  ban  de  l'Empire,  les  cantons  suisses  furent  chargés  de  l'exécution. 
Berne  s'empara  d'une  portion  du  pays;  les  anciens  cantons  possédèrent 
en  commun  le  reste  du  territoire.  La  Réformation  s'introduisit  sans 
difficulté  dans  les  possessions  des  Bernois.  Le  reste  du  pays  eut  à 
souffrir  de  grandes  luttes  et  resta  partagé  entre  les  deux  confessions. 
1  événements  de  1798  rendirent  son  indépendance  au  pays  qui 
tonnait  les  deux  cantons  d'Argovie  et  de  Bade,  réunis  en  un  seul  en  1803. 
Les  catholiques  furent  rattachés  à  l'évêché  de  Bàle,  les  réformés  eurent 
un  conseil  d'Eglise.  L'une  et  l'autre  Eglise  eurent,  pendant  les  temps 
qui  suivirent  et  jusqu'à  nos  jours,  la  vie  assez  difficile.  L'intervention 
du  pouvoir  civil  dans  les  questions  ecclésiastiques,  dans  les  affaires  des 
couvents,  dans  L'ordre  intérieur  des  Eglises,  fut  souvent  violente,  et  la 
main  du  pouvoir  séculier  l'ut  d'autant  plus  lourde  que, dans  un  canton 
où  catholiques  et  protestants  se  balancent  presque,  le  caractère  mixte 


558  ARGOVIE 

de  l'autorité  lui  ôte  toute  sympathie  et  toute  intelligence  pour  les 
affaires  cl  'Eglise.  Aussi  l' Argovie  est-elle  sans  doute  encore  destinée  à  bien 
des  luttes,  chaque  parti  voulant  dominer  et  aucun  n'étant  assez  puissant 
pour  faire  taire  l'opposition.  —  La  constitution  du  11  mars  1852  con- 
tient les  articles  suivants  :  4. —  Pour  être  admissible  à  une  fonction  éta- 
blie par  la  constitution,  il  faut  être  laïque.  12.  —  La  liberté  de  conscience 
est  inviolable.  Le  culte  catholique  et  le  culte  évangélique  réformé  son 
garantis.  L'exercice  illimité  du  culte  est  garanti  aux  adhérents  des  deux 
cultes.  Les  paroisses  ont  le  droit  de  triple  présentation  pour  la  nomi- 
nation à  leurs  pasteurs.  Les  décrets  et  les  rapports  des  deux  cultes  à 
l'égard  de  l'Etat  sont  déterminés  par  des  lois  protectrices,  et,  pour  ce 
qui  concerne  le  culte  catholique,  par  les  concordats  voulus.  Il  y  aura 
rachat  autant  que  faire  se  pourra  et  le  plus  tôt  possible  et  attribution 
à  l'Etat  de  tous  les  droits  de  collature  qu'il  n'exerce  point,  à  l'excep- 
tion de  ceux  exercés  par  les  communes  sur  les  bénéfices  locaux.  L'état 
de  la  fortune  des  deux  Eglises  sera  constaté  par  actes  authentiques. 
53.  — Le  conseil  exécutif  a  la  haute  surveillance  des  administrations  des 
Eglises,  des  bénéfices  ecclésiastiques  et  des  confréries,  ainsi  que  des 
fondations.  Par  l'art .  82,  le  conseil  communal  est  chargé  de  l'administra- 
tion des  biens  d'Eglise.  Le  recensement  de  1870  constate  en  Argovieune 
population  de  198,873  habitants  dont  107,703  réformés,  89,180  catholi- 
ques, 44^  membres  de  sectes  chrétiennes  et  1,541  israélites.  Les  catho- 
liques dépendent  de  l'évêque  de  Bàle  dont  la  résidence  est  à  Soleure. 
Ils  ont  été  fort  éprouvés  par  la  passion  populaire.  Les  couvents  ont  été 
supprimés  en  1841  ;  il  y  en  avait  à  ce  moment  six,  deux  d'hommes  et 
quatre  de  femmes,  peuplés  d'environ  180  personnes  et  possédant  une 
fortune  évaluée  à  7,248,171  fr.,  sans  compter  les  revenus  médiats. 
Depuis  quelques  années,  le  mouvement  vieux-catholique  a  pris  dans  le 
pays  une  importance  assez  considérable.  L'absence  de  documents 
officiels  ne  permettra  pas  jusqu'au  prochain  recensement  (1880)  de 
citer  des  chiffres  authentiques.  En  tous  cas,  ils  doivent  être  assez  nom- 
breux, et  la  petite  ville  d'Olten  est  le  centre  de  leurs  réunions.  C'est 
là  eDcove  que  tout  récemment  l'Eglise  chrétienne  catholique  suisse  a 
procédé  à  l'élection  de  son  évêque.  L'Eglise  réformée  est  divisée  en 
deux  chapitres  ou  décanats.  Le  chapitre  d'Aarau  et  Zofingue  avec 
23  paroisses,  25  pasteurs  et  2  auxiliaires,  et  le  chapitre  de  Lenzbourg 
et  Brugg  avec  25  paroisses,  25  pasteurs  et  2  auxiliaires.  Les  autorités 
ecclésiastiques  sont  :  1°  le  chapitre  général  du  clergé  réformé  dont  le 
caractère  est  purement  consultatif  ;  2°  le  conseil  ecclésiastique  composé 
d'un  membre  du  gouvernement  président,  de  trois  ecclésiastiques  et  de 
trois  laïques  ;  3°  les  classes  ou  chapitres,  ayant  chacun  à  leur  tête  un 
doyen  nommé  par  le  gouvernement.  Faire  des  visitations  dans  les 
paroisses  est  la  principale  tâche  des  fonctionnaires  des  classes  ;  4°  le 
conseil  de  paroisse,  composé  du  pasteur  et  des  autorités  municipales  de 
la  paroisse.  A  ces  anciennes  autorités  est  venu  se  joindre  depuis  quel- 
ques années  un  synode  mixte,  qui,  le  1er  septembre  1869,  a  décidé  par 
57  voix  contre  42  de  modifier  la  liturgie  dans  le  sens  libéral.  Les 
pasteurs  sont  nommés,  dans  la  plupart  des  paroisses,  par  le  Conseil 


ARGOVIE  —  ARIANISME  559 

•d'Etat,  sur  la  proposition  de  la  paroisse.  Quelques  paroisses  seules 
choisissent  directement  leur  pasteur,  faisant  en  cela  usage  d'un  droit 
antique.  Les  traitements  des  pasteurs  varient  entre  1714  et 2857  fr.  Le 
catéchisme  de  Heidelberg,  revisé  en  ISU,  est  encore  généralement  suivi, 
quoique  l'esprit  actuel  ait  bien  changé.  L'ancienne  liturgie  bernoise  a 
servi  de  base  à  la  liturgie  argovienne.  Les  principales  sociétés  sont  les 
sociétés  bibliques,  de  secours  parmi  les  protestants,  pastorales,  de  bien- 
faisance. 11  existe  aussi  une  caisse  des  veuves  de  pasteurs.  Les  moraves 
sont  assez  nombreux,  mais  sans  organisation;  les  baptistesont  quelques 
adhérents.  Mentionnons  encore  les  Israélites  au  nombre  de  1541  avec 
deux  synagogues,  à  Endingen  et  Lengnau. —  Bibliographie  :  Annuaires 
et  almanachs  officiels,  textes  de  lois;  G.  Finsler,  Kirchl.  Statistik  der  re- 
form .  Sch trriz .  B.  Vauchek. 

ARIANISME,  hérésie  relative  à  la  divinité  de  Jésus-Christ.  Elle  naquit 
en  Egypte  au  commencement  du  quatrième  siècle,  se  répandit  surtout 
en  Orient  où  elle  se  maintint  pendant  quatre-vingts  ans  environ,  et  du 
cinquième  au  septième  siècle  fut  importée  en  Occident  par  les  invasions 
des  barbares.  Son  histoire  comprend  quatre  phases  principales. 

I.  Arius,  originaire  de  Lybie,  eut  pour  maitre  le  presbytre  Lucien, 
fondateur  de  la  célèbre  école  d'Antioche  et  partisan  de  Paul  de  Samo- 
sate.  d'après  une  lettre  d'Alexandre,  évêque  d' Alexandrie.  Il  était  très- 
versé  dans  la  dialectique  et  d'une  tendance"  d'esprit  éminemment 
intellectualiste.  Dans  les  premières  années  du  quatrième  siècle,  il  devint 
diacre  de  L'Eglise  d'Alexandrie;  mais  lorsqu'éclata  le  schisme  de 
Mélétius  (306),  il  fut  excommunié  par  l'évêque  Pierre  d'Alexandrie 
pour  s'être  rangé  du  côté  des  dissidents.  Après  la  mort  de  Pierre  (  311  ), 
il  se  réconcilia  avec  son  successeur  Achillas ,  et  obtint  de  lui  la  dignité 
de  presbytre.  Plus  tard,  sous  l'épiscopat  d'Alexandre ,  successeur 
d'Achillas ,  il  marcha ,  d'après  Athanase ,  sur  les  traces  du  presbytre 
Colluthus,  son  contemporain.  Celui-ci  s'opposait  aux  empiétements  de 
l'autorité  épiscopale  sur  celle  des  presbytres,  comme  Mélétius,  évêque 
de  Lycopolis  avait  résisté  au  pouvoir  croissant  du  métropolitain  d'A- 
lexandrie sur  les  évêques  provinciaux  ;  et  il  avait  consacré  des  presbytres, 
entre  autres  un  nommé  Ischyzas ,  comme  Mélétius  avait  consacré  des 
évêques.  Nous  ne  savons  jusqu'à  quel  point  Arius  poussa  dans  le 
domaine  ecclésiastique  son  hostilité  envers  Alexandre;  l'opposition 
qu'il  manifesta  contre  lui  vers  la  même  époque  sur  le  terrain  dogma- 
tique eut  un  retentissement  bien  autrement  considérable.  L'évêque 
Alexandre  soutint  un  jour,  dans  une  assemblée  de  son  clergé,  que  la 
doctrine  de  la  Trinité  n'exclut  pas  celle  de  l'unité  de  Dieu.  Arius 
exprima  un  avis  contraire  :  «  Si  le  Père  a  engendré  le  Fils,  le  Fils  a 
commencé  à  exister;  il  y  avait  donc  un  temps  où  le  Fils  n'existait  pas; 
le  Fils  tire  son  existence  du  néant.  »  Alexandre  ,  tout  en  admettant  la 
subordination  du  Fils  au  Père  (d'après  Jean  XIV,  28),  parce  que, 
disait-il,  Le  Père  seul  existe  par  lui-même,  tandis  que  le  Fils  tire  son 
être  du  Père;  et,  tout  en  reconnaissant  que  la  nature  du  Fils  engendré 
occupe  une  place  intermédiaire  entre  le  Père  non  engendré  et  les 
créatures,  n'en  enseignait  pas  moins  l'éternité  et  la  divinité  du  Fils.  H 


560  ARIANISME 

écrivit  à  Arius  de  revenir  à  la  foi  catholique  ;  et  comme  Arius  s'effor- 
çait de  répandre  ses  vues  dans^  les  rangs  du  clergé  et  du  peuple,  il 
réunit  à  Alexandrie  un  synode,  qui  l'excommunia  (321).  Arius  avait 
gagné  à  sa  cause  un  certain  nombre  d'évêques  étrangers ,  entre  autres 
Eusèbe  de  Nicomédie,  Eusèbe  de  Césarée,  Paulin  de  Tyr,  etc.  Après 
que  sa  rupture  avec  Alexandre  fut  devenue  définitive ,  il  constitua  le 
parti  qu'il  avait  en  Egypte  en  une  Eglise  particulière.  En  322  il  fut 
obligé  de  quitter  la  ville  ,  chassé  par  l'évêque  Alexandre  ,  comme  il  le 
raconte  lui-même  dans  la  lettre  qu'il  écrivit  de  Palestine  à  Eusèbe  de 
Nicomédie,  tant  pour  se  plaindre  des  violences  dont  il  avait  été  l'objet , 
que  pour  déterminer  à  sa  façon  le  sens  des  propositions  qu'il  avait 
énoncées  à  Alexandrie.  Eusèbe  invita  Paulin  de  Tyr  et  plusieurs  autres 
évêques  à  écrire  à  Alexandre,  ainsi  qu'il  l'avait  fait  lui-même  en  321, 
pour  le  prier  de  réadmettre  Arius  dans  l'Eglise.  Alexandre  resta  inflexi- 
ble. Pour  être  plus  près  de  son  protecteur,  Arius  se  rendit  à  Nicomédie; 
c'est  là  sans  doute  qu'il  écrivit  son  ouvrage  intitulé  Thalia  (©  aXsia,  ban- 
quet) dont  Athanase  a  conservé  quelques  fragments,  et  qui  paraît  avoir 
contenu ,  entremêlées  à  l'exposition  dogmatique  ,  des  poésies  en  style 
populaire  sur  les  différents  points  de  sa  doctrine.  L'on  raconte,  en  effet, 
que  les  ariens  se  servaient  de  ce  livre  comme  d'un  recueil  de  chants 
pendant  leurs  repas.  Pour  mieux  répandre  ses  idées  parmi  le  peuple , 
Arius  ne  dédaignait  pas  de  recourir  à  ce  genre  littéraire ,  témoin  les 
chansons  qu'il  composa  pour  les  pêcheurs,  les  bateliers,  les  meuniers 
et  les  voyageurs.  De  Nicomédie ,  il  essaya  de  se  réconcilier  avec 
Alexandre;  dans  la  lettre  qu'il  lui  écrivit  à  cet  effet,  il  ne  renonçait  à 
aucune  de  ses  doctrines ,  mais  il  s'efforçait  de  les  présenter  sous  les 
apparences  les  plus  orthodoxes  possible.  Ce  fut  peine  perdue.  Alors  les 
évêques  de  son  parti  réunirent  en  Bithynie,  sans  doute  à  Nicomédie 
même,  un  synode  dont  ils  opposèrent  l'autorité  à  celle  du  synode 
d'Alexandrie.  Ils  y  rédigèrent  une  circulaire,  pour  prier  les  évêques  de 
continuer  à  entretenir  la  communion  ecclésiastique  avec  Arius  et  ses 
partisans,  et  d'intercéder  en  leur  faveur  auprès  d'Alexandre.  Peu  de 
temps  après  un  synode,  réuni  en  Palestine,  permit  aux  ariens  de 
recommencer  à  célébrer  publiquement  le  culte,  mais  leur  recommanda 
en  même  temps  de  redoubler  d'instances  auprès  d'Alexandre  pour 
obtenir  de  lui  leur  réadmission  dans  l'Eglise.  La  querelle  gagnait  peu 
à  peu  tout  l'Orient.  Le  peuple  même  commençait  à  se  passionner  pour 
ces  questions  de  métaphysique  ;  déjà  les  païens  tournaient  en  ridicule, 
dans  leurs  théâtres,  la  doctrine  de  la  Trinité.  Plus  tard,  la  confusion 
était  devenue  si  générale,  que  l'on  a  pu  dire  qu'il  n'y  avait  plus  de 
localité  où  l'on  n'entendît  les  discussions  les  plus  animées  sur  les  rapports 
du  Père  et  du  Fils,  jusque  dans  les  boutiques  des  marchands.  —C'est 
vers  cette  époque  que  Constantin,  devenu  seul  maître  de  l'empire,  se 
déclara  ouvertement  pour  le  christianisme.  L'Evangile  lui  paraissait 
offrir  une  base  autrement  solide  à  sa  domination  que  le  paganisme 
vieilli  et  battu  en  brèche.  La  religion  n'était  pour  lui  qu'un  moyen  de 
gouvernement.  Comme  en  sa  qualité  d'empereur  il  était  le  pontifex 
maximus  de  la  religion  de  l'Etat,  il  résolut  d'étendre  sur  la  religion 


ARIANISME  561 

nouvelle  l'autorité  souveraine  que  ee  titre  lui  conférait  sur  le  paga- 
nisme. Le  but  constant  de  ses  efforts  fut  désormais  de  sauvegarder 
l'unité  de  l'Eglise  dans  sa  doctrine  et  dans  son  organisation,  caria  paix 
religieuse  lui  paraissait  être  la  condition  indispensable  de  la  tranquillité 
politique.  Craignant  donc  de  voir  les  ariens  lui  susciter  en  Orient  les 
mêmes  difficultés  que  lui  causaient  les  donatistes  dans  la  province 
d'Afrique,  il  ne  prit  conseil  que  de  la  raison  d'Etat  qui  lui  prescrivait 
d'étouffer  cette  querelle  aussi  vite  que  possible,  sans  se  soucier  de  l'in- 
térêt  que  pouvait  avoir  l'Eglise  à  ce  qu'une  discussion  de  cette  impor- 
tance suivit  son  cours  libre  et  régulier.  Il  écrivit  donc  à  Alexandre  et  à 
Arius,  qui  était  revenu  à  Alexandrie,  «de  lui  rendre  des  jours  tran- 
quilles et  des  nuits  sans  soucis»,  et  puisqu'il  ne  pouvait  les  forcer  de 
penser  de  même  sur  «  une  question  qui  ne  méritait  pas  tant  de  discus- 
sions», de  «contenir  du  moins  leur  bavardage  vis-à-vis  du  peuple», 
alin  de  ne  pas  l'amener,  par  le  spectacle  de  leur  querelle,  «soit  à  des 
blasphèmes,  soit  à  des  divisions».  L'évêque  Hosius,  de  Cordoue,  qui, 
depuis  de  longues  années,  vivait  à  la  cour  et  jouissait  de  la  confiance  de 
l'empereur ,  fut  chargé  de  porter  cette  lettre  en  Egypte  et  en  même 
temps  d'apaiser,  si  possible,  le  différend.  Il  réunit  dans  ce  but  un  con- 
cile à  Alexandrie.  Son  contact  avec  Athanase,  diacre  de  l'Eglise  d'A- 
lexandrie et  conseiller  d'Alexandre,  parait  avoir  exercé  une  certaine 
influence  sur  lui  et  précisé  ses  idées  sur  la  Trinité  dans  un  sens  défa- 
vorable  à  Arius,  car  nous  le  rencontrons  désormais  parmi  les  adver- 
saires de  celui-ci.  Voyant  que  ni  sa  lettre,  ni  la  mission  conciliatrice 
d'Hosius  n'avaient  eu  le  résultat  désiré,  Constantin  résolut  de  terminer 
la  querelle  en  la  soumettant  au  jugement  de  l'Eglise  entière.  Il  pro- 
fessait, extérieurement  du  moins,  un  si  grand  respect  pour  l'autorité 
des  conciles,  qu'il  allait  jusqu'à  reconnaître  la  voix  de  Dieu  même  dans 
les  décisions  d'une  nombreuse  assemblée  d'évêques.  Cela  ne  devait  pas 
l'empêcher  d'intervenir  dans  le  débat  en  faveur  de  la  doctrine  dont  le 
triomphe  lui  paraissait  répondre  le  mieux  à  ses  intérêts;  et,  dans  le  cas 
où  la  discussion  n'aboutirait  pas  à  une  entente  complète,  c'était  un 
prétexte  pour  imposer  aux  dissidents  l'opinion  de  la  majorité  et  réta- 
blir par  la  force  l'unité  de  l'Eglise.  Il  convoqua  donc  le  premier  con- 
Cile  œcuménique  à  Nicée.  Alexandre,  de  même  qu'Arius,  n'y  comptait 
qu'un  nombre  assez  restreint  de  partisans;  la  grande  majorité  des 
évêques  n'avait  pas  apporté  d'opinions  bien  arrêtées  sur  les  divers 
points  du  débat  et  occupait  une  position  mal  définie  entre  les  deux 
minorités  hostiles.  Elle  représentait  assez  exactement  l'état  des  esprits 
avant  la  naissance  de  la  querelle  arienne.  Dans  le  fonds  commun  des 
opinions  émises  pendant  les  deux  siècles  précédents,  chacun  des 
évêques  de  cette  majorité  avait  choisi  celles  qui  lui  paraissaient  tra- 
duire le  plus  fidèlement  l'enseignement  de  l'Ecriture.  Il  en  était  résulté 
dans  ce  parti,  dont  les  tendances  étaient  à  la  fois  moins  positives  que 
celles  (I  Athanase  et  moins  négatives  que  celles  d'Arius,  une  certaine 
variété  d'opinions,  assez  bizarres  parfois,  et  destinées  en  vertu  même 
de  leur  peu  de  profondeur,  à  s'effacer  devant  l'une  des  deux  grandes 
doctrines  qui  allaient  se    trouver  en   présence.  Le  temps  et    la  libre 


562  ARIANISME 

discussion  eussent  seuls  pu  rendre  ce  dénoûment  vraiment  durable  et 
fécond  pour  l'Eglise  :  malheureusement,  l'empereur  venait  de  placer 
la  majorité  du  concile  dans  la  nécessité  de  se  prononcer  immédiate- 
ment sur  une  question  aussi  grave  et  aussi  peu  mûre  encore.  Aussi 
n'est-il  pas  étonnant  que  cette  majorité  ne  soit  pas  restée  fidèle  plus 
tard  à  sa  décision  première,  qu'elle  ait  obéi  pendant  de  longues  années 
à  l'influence  changeante  des  circonstances,  et  qu'elle  ne  se  soit  appro- 
prié que  lentement  cette  même  doctrine  qu'elle  avait  contribué  à  éta- 
blir à  Nicée,  surtout  si  l'on  songe  qu'en  l'établissant  elle  a  cédé  tout 
autant  à  la  pression  qui  lui  venait  des  régions  officielles ,  qu'à  l'élo- 
quence d'Athanase. — Le  concile  s'ouvrit  le  19  juin  325.  Arius,  secondé 
par  les  deuxEusèbe,  exposa  et  défendit  sa  doctrine  dans  des  confé- 
rences privées ,  puis  dans  plusieurs  séances  publiques  ;  il  trouva  un 
adversaire  infatigable  en  la  personne  d'Athanase ,  qu'Alexandre  avait 
amené  à  Nicée,  et  qui  était  appuyé  dans  la  discussion  par  Marcel  d'An- 
cyre  et  Hosius.  Pour  clore  le  débat,  on  proposa  de  s'en  tenir  à  la  simple 
déclaration  que  «  le  Fils  est  issu  du  Père».  C'était  une  tentative  de 
conciliation  :  mais  Athanase  et  ses  amis  combattirent  cette  formule 
comme  trop  vague,  car  «on  peut  également  dire  des  créatures  qu'elles 
sont  issues  de  Dieu,  en  tant  qu'elles  n'ont  pas  en  elles-mêmes  le  prin- 
cipe de  leur  existence»,  et  ils  réussirent  à  faire  adopter  parle  concile  la 
rédaction  suivante  :  «  le  Fils  est  issu  de  la  substance  du  Père  » .  Gomme  les 
ariens  se  montraient  disposés  à  signer  également  cette  formule,  «  puis- 
qu'on peut  dire  dans  un  certain  sens  que  toutes  les  créatures  sont  issues 
de  la  substance  divine»,  Athanase  et  ses  partisans  proposèrent  de  dire  : 
«  le  Fils  est  consubstantiel  (o^ocSzicc)  au  Père  »,  afin  de  couper  court  aux 
interprétations  tortueuses  des  ariens  par  une  expression  qui  ouvrait  un 
abîme  entre  la  nature  unique  du  Fils  et  celle  des  créatures.  Cette 
expression  devait  devenir  le  mot  d'ordre  de  l'orthodoxie.  Les  ariens 
la  rejetèrent  comme  étrangère  à  l'Ecriture,  comme  entachée  de  sabel- 
lianisme  et  comme  ayant  été  condamnée  pour  ce  dernier  motif  par  le 
concile  d'Antioche  de  l'année  269.  Athanase  et  ses  amis  répondirent 
que  sans  doute  le  terme  même  ne  se  trouve  pas  dans  l'Ecriture,  mais 
que  le  sens  est  parfaitement  biblique;  et  qu'en  le  condamnant,  les 
Pères  du  concile  d'Antioche  n'en  avaient  pas  voulu  interdire  en  général 
l'usage,  mais  n'avaient  fait  que  flétrir  l'interprétation  erronée  qu'en 
avait  donnée  Paul  de  Samosate,  alors  qu'il  avait  présenté  ce  mot 
comme  la  vraie  formule  du  sabellianisme.  Depuis  lors ,  ce  terme  avait 
été  employé,  notamment  par  Denis  d'Alexandrie,  pour  désigner  l'unité 
de  la  substance  divine,  sans  préjudice  pour  la  distinction  despersonnes; 
«'est  dans  ce  sens  qu'Athanase  venait  d'en  recommander  l'adoption 
aux  membres  du  concile.  Tout  dépendait  de  la  manière  dont  se  pro- 
noncerait le  parti  qui  formait  le  centre  de  l'assemblée.  Les  deux  mino- 
rités s'efforcèrent  de  l'attirer  chacune  de  son  côté.  Eusèbe  de  Césarée 
proposa  dans  ce  but  une  confession  de  foi ,  conçue  en  termes  parfaite- 
ment orthodoxes,  d'une  signification  assez  vaste  cependant  pour 
que  les  hommes  de  toutes  les  opinions,  depuis  Arius  jusqu'à 
Athanase,   pussent    s'en    accommoder.    Christ    y    était    appelé    «  le 


APJANISME  568 

Verbe  de  Dieu,  Dieu  issu  de  Dieu,  Lumière  issue  de  la  Lumière, 
Vie  issue  de  la  Vie,  le  Premier  né  de  toute  la  création ,  engen- 
dré par  le  Père  avant  tous  les  temps».  Le  sabellianisme  seul  y 
était  expressément  condamné;  la  doctrine  de  la  consubstantialité 
s'y  trouvait  passée  sous  silence.  Comme  la  sentence  du  synode  d'An- 
tioche  avait  rendu  cette  doctrine  plus  ou  moins  suspecte,  la  confession 
d'Eusèbe  avait  des  chances  sérieuses  de  succès.  C'est  par  l'opposition 
«le  l'empereur  que  cette  suprême  tentative  de  conciliation  devait 
échouer.  Constantin,  en  efïet,  intervint  à  ce  moment  dans  la  discussion. 
11  déclara  qu'il  ne  trouvait  rien  à  reprocher  à  la  confession  d'Eusèbe, 
sinon  qu'il  y  manquait  la  chose  capitale,  le  mot  «consubstantiel.  »  Ho- 
sius  et  ses  amis,  à  la  prière  desquels  il  venait  sans  doute  de  prendre 
part  aux  débats,  lui  avaient  même  suggéré,  parait-il,  l'argument  théolo- 
gique suivant,  qui,  tombant  de  la  bouche  du  maître  de  l'empire,  ne 
pouvait  manquer  de  produire  son  effet  sur  la  majorité  des  évêques  : 
«  Par  ce  terme  il  n'est  nullement  question  d'attribuer  à  la  substance 
divine  des  affections  corporelles,  car  une  nature  spirituelle,  immaté- 
rielle, ne  peut  éprouver  des  souffrances  physiques.  Cette  expression 
est.  seulement  destinée  à  bannir  de  la  notion  du  Fils  toute  idée  de 
ressemblance  avec  les  créatures  »  :  c'est-à-dire  que  pour  comprendre 
laconsubstanlialitéduPèreetdu  Fils,  il  n'est  pas  nécessaire  d'admettre 
une  division  de  la  substance  divine  en  deux  parties,  d'après  l'analogie 
des  êtres  matériels  qui  ne  participent  à  la  même  substance  qu'en  vertu 
de  la  divisibilité  de  la  matière.  En  outre,  Constantin,  pour  se  donner 
le  plaisir  de  faire  à  sa  manière  une  leçon  de  théologie  aux  évêques  as- 
semblés, ajouta  à  cette  argumentation  purement  négative  une  explica- 
tion positive  des  rapports  du  Fils  et  du  Père  :  «  Le  Fils  a  existé  avant 
tous  les  temps,  car  avant  d'avoir  été  engendré  il  a  déjà  existé  virtuel- 
lement dans  le  Père  ;  le  Père  a  donc  toujours  été  Père,  comme  le  Fils  a 
toujours  été  virtuellement  Roi  et  Sauveur.  »  Nous  doutons  que  Hosius 
et  ses  partisans  aient  été  fort  satisfaits  d'une  théorie  qui  réduisait  l'é- 
ternité du  Fils  à  une  simple  possibilité  d'existence,  sans  réalité  con- 
crète :  cette  manière  de  voir,  inspirée  à  l'empereur  par  la  culture  néo- 
platonicienne de  son  esprit,  se  rapprochait  de  très-près  de  l'arianisme  ; 
elle  passa  inaperçue.  Le  résultat  de  ces  longues  discussions  fut  le  rejet 
de  la  confession  d'Eusèbe  comme  trop  vague,  et  l'adoption  du  symbole 
dit  de  Nicée,  rédigé,  d'après  Athanase,  par  Hosius  lui-même  :  «  Nous 
croyons  en  un  seul  Seigneur,  Jésus-Christ,  le  Fils  de  Dieu,  le  Fils 
unique  engendré  du  Père,  c'est-à-dire  de  la  substance  du  Père,  Dieu 
issu  de  Dieu  et  Lumière  issue  de  la  Lumière,  vrai  Dieu  issu  du  vrai 
Dieu,  engendré  et  non  fait,  consubstantiel  au  Père,  etc.  »  La  formule 
se  terminait  par  la  condamnation  des  principales  propositions  d'Arius. 
Eusèbe  de  Césarée  eni  la  faiblesse  de  signer  ce  symbole.  Dans  la  lettre 
qu'il  adressa  peu  de  temps  après  à  son  Eglise,  il  eut  recours  à  des 
sous-entendus  pleins  d'équivoque  et  à  des  interprétations  sophistiques 
des  expressions  du  symbole  pour  justifier  une  conduite  qui  lui  avait 
été  dictée,  assurait-il,  par  le  désir  de  rendre  la  paix  à  l'Eglise.  A  l'en- 
tendre, les  mots«  consubstantiel  au  Père  »  signifiaient  seulement  (pie  le 


564  APJANISME 

Fils  ne  ressemble  en  rien  aux  créatures,  mais  est  semblable  en  tout 
point  (xaxà  rcavTa  Tpoiuov  bjJLOtoç)  au  Père  seul,  de  la  substance  duquel  il  a 
été  engendré  et  non  d'une  substance  étrangère  ;  de  plus,  il  est  vrai  de 
dire,  selon  lui,  que  le  Fils  n'a  pas  été  «  fait  »  par  le  Père,  car  ce  n'est 
que  des  autres  créatures,  de  celles  qui  ont  été  faites  par  le  Fils,  qu'on 
peut  dire  qu'elles  ont  été  faites  ;  enfin,  s'il  a  condamné  les  propositions 
d'Arius  :  «  le  Fils  est  créé  du  néant  ;  il  y  a  eu  un  temps  où  le  Fils 
n'était  pas  ;  le  Fils  n'a  pas  existé  avant  d'avoir  été  engendré,  »  c'est 
parce  qu'elles  ne  sont  pas  scripturaires,  et  parce  que  le  Fils  a  existé 
«  avant  son  incarnation  ».  L'exemple  d'Eusèbe  trouva  de  nombreux 
imitateurs,  si  bien  qu'à  la  fin  il  ne  resta  plus  du  côté  d'Arius  que  cinq 
évêques,  dont  plusieurs  avaient  été  ses  condicisples  à  l'école  d'An- 
tioche  :  Eusèbe  de  Nicomédie,  Théognis  de  Nicée,  Maris  de  Chalcé- 
doine,  Théonas  de  Marmarica  et  Secundus  de  Ptolémaïs.  Lorsque 
Constantin  eut  déclaré  qu'il  punirait  de  l'exil  ceux  des  évêques  qui 
refuseraient  de  signer  le  symbole,  les  trois  premiers  se  soumirent  ;  les 
deux  autres  furent  destitués  et  bannis.  Arius  lui-même  fut  exilé  en  Illy- 
rie.  Ses  écrits  durent  être  livrés  aux  autorités  et  brûlés  ;  l'empereur 
défendit  sous  peine  de  mort  déposséder  en  cachette  de  ses  livres.  Leur 
adhésion  tardive  à  la  formule  de  Nicée  ne  sauva  cependant  pas  Eu- 
sèbe de  Nicomédie  et  Théognis  de  la  colère  de  Constantin.  Avant  la  fin 
de  l'année  325,  l'empereur  les  fit  destituer  par  un  synode  convoqué  à 
cet  effet,  et  les  exila  en  Gaule,  parce  qu'ils  avaient  reçu  chez  eux 
quelques  délégués  des  mélétiens,  qui  traversaient  la  Bithynie  pour  se 
rendre  à  Constantinople.  Ces  délégués  étaient  venus  pour  exposer  à 
Constantin  les  griefs  que  nourrissaient  contre  le  parti  de  l'évêque 
Alexandre  ceux  des  mélétiens  qui  n'avaient  pas  voulu  accepter  les 
propositions  conciliatrices  que  le  concile  de  Nicée  avait  faites  à  Mé- 
létius  et  ses  adhérents,  pour  faire  cesser  leur  schisme.  Les  évêques 
de  cette  fraction  extrême  voulaient  bien,  il  est  vrai,  conserver  leurs 
charges,  comme  le  concile  le  leur  avait  accordé,  mais  refusaient 
d'ouvrir  leurs  églises  à  l'évêque  d'Alexandrie.  Leurs  envoyés  furent 
mal  reçus  à  la  cour  ;  l'empereur  leur  enjoignit  de  se  conformer 
strictement  aux  volontés  clu  concile  de  Nicée.  La  victoire  de  l'or- 
thodoxie était  complète  ;  malheureusement  elle  était  ternie  non-seu- 
lement par  la  part  qui  revenait  à  l'influence  personnelle  de  l'em- 
pereur dans  cette  défaite  de  l'hérésie,  mais  encore  par  les  mesures 
de  répression  que  Constantin  avait  prises  contre  Arius  et  ses  amis. 
Déjà  l'hérésie  était  déclarée  crime  public.  —  D'après  les  sources  men- 
tionnées plus  haut,  la  doctrine  d'Arius  a  été  la  suivante  :  «  Il  existe 
un  seul  Dieu,  non-engendré,  éternel.  Ce  Dieu  n'a  pas  toujours  été  Père; 
il  y  a  eu  un  temps  où  il  ne  l'était  pas.  11  a  engendré  un  Fils,  c'est-à-dire 
il  l'a  créé  du  néant  (èç  cjy.  cv-wv).  Le  Fils  n'est  pas  égal  au  Père  ;  il  ne 
participe  pas  à  son  essence  et  à  son  éternité,  car,  à  moins  de  cesser 
d'être  Fils,  il  ne  peut  posséder  une  essence  non-engendrée,  ce  qui  in- 
troduirait en  Dieu  deux  essences  non-engendrées.  Il  n'est  pas  même 
semblable  au  Père,  car  il  est  engendré  de  nature  et  né  dans  le  temps  ; 
il  est  une  créature,  une  œuvre  du  Père,  et  comme  tel  il  a  commencé  à 


ARIAXISME  565 

exister:  il  y  a  eu  un  temps  ou  il  n'était  pas.  Il  est  de  nature  complète- 
ment étrangère  au  Père  et  d'une  substance  différente  de  la  sienne 
(ï-=pzÙ7'.zz).  C'est  par  la  libre  volonté  du  Père  que  le  Fils  a  été  engen- 
dré et  non  de  la  substance  du  Père,  car  la  substance  divine  ne  pour- 
rait engendrer  qu'une  substance  égale  à  elle-même,  c'est-à  dire  non- 
engendrée.  Le  Père  est  incompréhensible  au  Fils,  ainsi  qu'à  toutes 
les  créatures  ;  ce  qui  a  commencé  à  être  ne  saurait  comprendre  ce  qui 
est  sans  commencement.  Le  Fils  ne  connaît  le  Père  que  dans  une  cer- 
taine mesure,  autant  qu'une  créature  peut  le  connaître;  il  ne  connaît 
même  pas  sa  propre  substance.  Ce  n'est  pas  en  vue  de  lui-même, 
mais  en  vue  de  nous  que  le  Fils  a  été  créé;  son  existence  est  su- 
bordonnée à  celle  des  autres  créatures.  Quand  Dieu  a  voulu  nous 
créer,  il  a  d'abord  créé  un  être  qu'il  a  appelé  la  Parole,  la  Sa- 
gesse, afin  de  nous  former  par  lui.  Si  Dieu  n'avait  pas  voulu 
nous  créer,  le  Fils  n'aurait  pas  été  créé.  Le  Fils  participe  aussi 
peu  à  la  perfection  morale  de  Dieu  qu'à  ses  attributs  métaphysiques; 
e»  tant  que  créature,  il  possède  une  nature  susceptible  de  changements; 
il  est  libre  de  rester  bon  ou  de  se  tourner  vers  le  mal,  comme  l'a  fait 
le  diable.  Aussi  est-il  improprement  appelé  la  Parole  et  la  Sagesse 
de  Dieu,  car  il  a  été  fait  lui-même  par  la  Sagesse  qui  se  trouve  en  Dieu 
et  par  la  Parole  avec  laquelle  Dieu  a  fait  toutes  choses.  Il  faut  distin- 
guer en  Dieu  deux  Sagesses  et  deux  Paroles;  le  Fils  a  été  appelé  par 
grâce  la  Parole  et  la  Sagesse  de  Dieu,  parce  qu'il  a  obtenu  en  partage  la 
Parole  et  la  Sagesse  que  Dieu  possède  en  lui.  En  lui-même  il  n'est  pas 
vrai  Dieu;  il  n'a  été  appelé  ainsi  que  par  grâce:  il  ne  possède  même  de 
nature  rien  de  divin,  et  n'a  aucun  avantage  sur  les  autres  tils  de  Dieu 
ou  créatures;  c'est  par  pure  grâce  que  le  Père  l'a  adopté  pour  son  Fils. 
D'où  lui  est  venue  cette  distinction?  Dieu  l'a  choisi  parmi  toutes  les 
créatures  à  cause  de  la  pureté  morale  de  sa  vie:  ou  plutôt  prévoyant 
que  par  sa  libre  détermination  le  Fils  resterait  dans  la  voie  du  bien, 
Dieu  n'a  pas  attendu  qu'il  eût  réellement  vaincu  le  mal  pour  lui  com- 
muniquer la  gloire  divine,  mais  il  la  lui  a  donnée  d'avance,  au  mo- 
ment de  sa  création.  C'est  par  la  libre  volonté  de  Dieu,  et  non  en  vertu 
de  sa  propre  nature,  que  le  Fils  est  ce  qu'il  est  :  par  la  volonté  sage  de 
Dieu  il  est  devenu  la  Sagesse  du  Dieu  sage.  »  Après  avoir  ainsi  abaissé 
le  Fils,  Arius  le  relève  jusqu'à  la  similitude  avec  le  Père;  il  essaye  de 
concilier  les  intérêts  de  la  religion  avec  les  nécessités  de  la  dialectique 
en  rendant  au  Fils,  à  titre  de  dons  gratuits  de  Dieu,  quelques-unes  des 
perfections  qu'il  lui  a  refusées  tantôt.  Il  l'appelle  une  créature  parfaite 
et  immuable,  Fils  unique,  Dieu  parfait  ;  il  affirme  que  si  le  Fils  n'a  pas 
existé  avant  d'avoir  été  créé,  il  a  du  moins  existé  avant  tous  les  temps, 
car  le  temps  n'a  commencé  qu'avec  la  création  du  monde  ;  et  il  pousse 
l'équivoque  et  la  subtilité  jusqu'à  prétendre  que  la  formule  «  le  Fils 
est  créé  du  néant  »  signifie  seulement  que  le  Fils  n'est  pas  une  partie 
de  Dieu,  et  qu'il  ne  tire  pas  son  existence  d'une  matière  déjà  existante. 
Sa  conclusion  «  -M  que  s'il  existe  actuellement  une  Trinité,  il  n'y  avait 
primitivement  qu'unité  on  Dieu,  et  que  les  personnes  de  la  Trinité 
sont  infiniment  séparées  les  unes  des  autres  par  le  rang  qu'elles  occu- 


566  AllIANISME 

peut  et  par  la  nature  de  la  substance  dont  elles  sont  composées  :  le 
Père  règne  sur  le  Fils  comme  son  Dieu;  le  Saint-Esprit  n'est  que  la  pre- 
mière créature  du  Fils,  comme  le  Fils  est  la  première  créature  du  Père. 
Cette  doctrine  a  pour  base  le  vieux  dualisme  païen  entre  l'infini  et 
le  fini  :  le  Père  demeure  renfermé  dans  l'absoluité  de  son  être,  sans  se 
communiquer  à  personne,  pas  même  au  Fils.  Ce  dualisme  n'existe  pas 
seulement  dans  la  Trinité  entre  le  Père  et  le  Fils,  mais  jusque  dans  la 
nature  même  du  Père  entre  sa  substance,  organe  de  sa  manifestation 
infinie,  et  sa  volonté,  instrument  de  sa  manifestation  relative.  Les  con- 
séquences religieuses  et  morales  de  cette  manière  de  voir  sont  l'impos- 
sibilité d'une  révélation  de  Dieu  et  d'une  rédemption  de  l'humanité 
dans  le  christianisme,  et  en  dernière  analyse  l'affranchissement  com- 
plet de  Thomme  vis-à-vis  d'un  Dieu  qu'il  ne  connaît  pas,  et,  puisque 
ce  Dieu  refuse  de  descendre  jusqu'à  lui,  sa  propre  déification  par  la 
voie  de  la  liberté  morale  absolue  (Baur). 

j$  II.  La  doctrine  d 'Arius  ne  formait  pas  un  tout  homogène  ;  elle  réunissait 
sans  les  concilier  deux  notions  contradictoires,  celle  de  la  différence  sub- 
stantielle du  Père  et  du  Fils  et  celle  de  leur  ressemblance.  Aussi  les  esprits 
auxquels  elle  était  offerte,  ont-ils  retenu  de  préférence  Tune  ou  l'autre 
manière  de  voir, suivant  leurs  dispositions  particulières.  Déjà  avant  325, 
Eusèbe  de  Nicomédie,  dans  sa  lettre  à  Paulin  de  T yr,  et,  peu  après  le  con- 
cile de  Nicée,  Eusèbe  de  Césarée  avaient  énoncé  l'opinion  que  le  Fils  est 
semblable  au  Père.  Cette  idée  fut  présentée  plus  tard  sous  la  forme  plus 
scientifique  de  la  ressemblance  substantielle  du  Père  et  du  Fils  (ojaôiqiS-* 
ffioç).  On  peut  donc  dire  que  les  partisans  d' Arius  se  divisèrent  dès 
l'origine  en  deux  groupes  :  les  ariens  stricts,  chez  lesquels  la  doctrine 
de  la  ressemblance  du  Fils  et  du  Père  n'était  qu'une  concession  faite 
à  l'intérêt  de  la  religion  et  une  inconséquence  destinée  à  disparaître 
bientôt  ;  et  les  ariens  modérés,  qui  professaient  précisément  cette  doc- 
trine et  qui  la  conservèrent  après  325,  tout  en  se  soumettant  extérieure- 
ment à  la  formule  de  Nicée.  Ces  derniers  reçurent  plus  tard  le  nom  de 
semiariens.  Les  ariens  stricts  jugèrent  prudent,  après  leur  condamna- 
tion, de  cacher  leurs  doctrines  extrêmes  et  de  s'allier  aux  ariens  mo- 
dérés contre  leur  ennemi  commun,  Athanase.  L'unité  du  parti  arien  se 
trouva  ainsi  constituée  pour  quelque  temps.  Dirigé  par  d'habiles  poli- 
tiques, le  parti  issu  de  la  fusion  de  ces  deux  tendances,  et  désigné 
communément  sous  le  nom  d'eusébiens,  d'après  ses  deux  principaux 
chefs,  oubliera  ses  propres  divisions  pour  ne  plus  songer  qu'à  gagner 
à  force  d'intrigues  la  faveur  impériale,  et  à  dominer  à  son  tour  dans 
l'Eglise.  Plus  tard,  quand  la  victoire  sur  l'orthodoxie  aura  rendu  cette 
alliance  moins  nécessaire,  la  tendance  extrême  renaîtra  de  son  efface- 
ment momentané  ;  les  deux  fractions,  restées  seules  dans  la  lice,  s'y 
combattront  à  leur  tour  avec  des  chances  diverses,  jusqu'à  ce  que, 
épuisées  toutes  deux  par  cette  lutte  intestine,  elles  soient  contraintes 
de  céder  définitivement  la  place  à  la  doctrine  de  Nicée.  — En  328  mou- 
rut Alexandre.  Athanase,  quoique  simple  diacre,  fut  désigné  comme  son 
successeur  par  les  évêques  d'Egypte  et  de  Lybie  réunis  en  synode,  et 
sur  les  instances  tumultueuses  du  peuple.  11  notifia  son  élection  à 


AHIAXISMK  567 

Constantin,  qui  La  confirma.  Au  dire  des  ariens,  il  n'aurait  été  nommé 
que  par  une  minorité  de  sept  évêques,  qui  faillirent  au  serment  qu'ils 
avaient  prêté,  ainsi  que  leurs  collègues,  de  ne  choisir  qu'un  évoque  qui 
convint  à  tous  les  partis.  La  même  année,  un  nouveau  changement  se 
produisit  dans  la  politique  ecclésiastique  de  Constantin.  La  sœur  de 
L'empereur,  Constantia,lui  avait  recommandé  à  son  lit  de  mort  d'écou- 
te- Les  avis  d'un  presbytre  à  qui  elle  avait  accordé  sa  confiance,  et  qui 
était  dévoué  à  l'arianisme.  Ce  presbytre  n'eut  sans  doute  pas  de  peine 
à  démontrer  à  Constantin  que  le  concile  de  Nicée  n'avait  pas  rendu  la 
paix  à  l'Eglise,  et  que  ee  résultat  ne  serait  pas  atteint  aussi  longtemps 
qu'un  parti  jouirait  exclusivement  de  la  faveur  impériale;  que  d' ail- 
leurs l'opinion  d'Ârius  n'était  pas  bien  éloignée  au  fond  de  celle  que 
L'empereur  lui-même  avait  énoncée  au  concile.  Arius  fut  rappelé  de 
l'exil  (328),  et  reçu  avec  bienveillance  par  Constantin.  Il  lui  remit  une 
confession  de  foi  rédigée  presque  entièrement  en  termes  scripturaires 
qu'ariens  et  orthodoxes  pouvaient  indifféremment  signer.  L'expres- 
sion «  consubstantiel  au  Père  »  y  manquait  ;  Christ  était  simplement 
appelé  «  le  Fils  engendré  avant  tous  les  temps  ».  Arius  y  exprimait  le 
vœu  d'être  réadmis  dans  la  communion  de  l'Eglise  par  les  «  pieux 
efforts  »  de  Constantin,  et  engageait  l'empereur  à  mettre  un  terme  à 
ces  «  oiseuses  discussions  ».  Quand  les  deux  évêques  exilés  apprirent 
Le  retour  d'Arius,  ils  écrivirent  une  lettre  à  leurs  collègues,  qui  se  trou- 
vaient sans  doute  assemblés  à  ce  moment  en  synode,  pour  les  prier 
d'intercéder  en  leur  faveur  auprès  de  l'empereur,  disant   qu'ils  ne 
S'étaient  jamais  rendus  coupables  d'aucune  hérésie,  qu'à  Nicée  ils 
avaient  signé  le  symbole  parce  qu'ils  avaient  «  bien  pesé  et  bien  com- 
pris la  signification  du  mot  consubstantiel  »,  et  que  s'ils  n'avaient  pas 
signé  l'appendice  renfermant  la  condamnation  d'Arius,   c'est  parce 
qu'ils  avaient  été  persuadés  par  la  lecture  de  ses  écrits  et  par  ses  dé- 
clarations verbales  qu' Arius  au  fond  n'admettait  pas  lui-même  les  pro- 
positions qu'on  lui  attribuait.  Ces  explications  ambiguës  parurent  suf- 
fisantes à  l'empereur  et  aux  évêques  :  Eusèbe  de  Nicomédie  et  Théo- 
gnis  de  Nicée  furent   rappelés   (328).  Aussitôt  les  hostilités  commen- 
cèrent. A  peine  revenu  dans  son  diocèse,  Eusèbe  de  Nicomédie  de- 
manda à  Athanase  de  recevoir  Arius  dans   l'Eglise.  Sur  son  refus,  il 
obtint  de  Constantin  une  lettre  enjoignant  à  l'évêque  d'Alexandrie  de 
lever  l'excommunication  qui  pesait  sur  Arius,  sous  peine  de  déposition 
et  d'exil.  Athanase  demeura  inflexible  :  «  L'Eglise,  répondit-il,  ne  peut 
ivoir  dans  sa  communion  un  hérétique   qui   combat  le  Christ.  » 
L'empereur,  quelque  irrité  qu'il  pût  être   de  cette   désobéissance,   ne 
donna  pas  suite  à  ses  menaces.  Les  ariens  avaient  compris  que  tout 
progrès  de  leur  part  se  heurterait  infailliblement  à  l'opposition  d'Atha- 
•  ;  ils  résolurent  de  l'éloigner  à  tout  prix  du  siège  d'Alexandrie.  Ils 
pouvaient    provoquer  sa  destitution  par  l'empereur,  en  le  chargeant 
d'un  crime  politique,  OU  même  d'un  crime  de  droit  commun  ;  ou  bien 
ils  pouvaient  Le  taire  déposer  par  un   synode  en   l'accusant  d'un  délit 
ecclésiastique  :  ils  employèrent  l'un  et  l'autre  moyen,  et,  pour  être  plus 
gûrs  du  succès,  ils  s'allièrent  à  ceux  des  mêlé  tien  s  qui  avaient  perse- 


568  ARIANISME 

véré  dans  le  schisme,  et  ils  les  chargèrent  d'attaquer  à  découvert  la  po- 
sition de  leur  ennemi  commun,  en  se  réservant  prudemment  de  les 
appuyer  auprès  de  l'empereur.  Les  évoques  Eustache  d'Antioche, 
Asclepas  de  Gaza,  Eutrope  d'Andrinople,  comptaient  parmi  les  adver- 
saires les  plus  déterminés  d'Arius  :  pour  priver  Athanase  de  leur  ap- 
pui, Eusèbe  de  Nicomédie  et  Théognis  de  Nicée  élevèrent  contre  eux, 
au  concile  d'Antioche,  entre  autres  accusations,  celle  de  sabellianisme, 
et  les  tirent  destituer  et  remplacer  J)ar  les  ariens.  Ce  fut  le  prélude  du 
combat.  En  330,  les  mélétiens  accusèrent  Athanase  auprès  de  l'empereur 
d'avoir  imposé  aux  Egyptiens  un  impôt  de  toile,  destinée  à  la  confection 
d'habits  sacerdotaux.  Deux  presbytres  d'Alexandrie,  Apis  et  Macarius, 
qui  se  trouvaient  par  hasard  à  la  cour,  n'eurent  pas  de  peine  à  démontrer 
la  fausseté  de  cette  allégation.  Les  ennemis  d' Athanase  formulèrent 
aussitôt  de  nouvelles  accusations  contre  lui  :  il  avait  envoyé,  disaient- 
ils,  une  caisse  pleine  d'argent  à  un  rebelle  du  nom  de  Philumenos,  et 
dans  l'une  de  ses  tournées  de  visite  il  avait  laissé  son  presbytre  Maca- 
rius briser  la  coupe  sacrée,  renverser  l'autel  et  brûler  les  livres  saints 
dans  le  lieu  de  culte  qu'Ischyras  avait  ouvert  dans  un  petit  village  de 
la  province  de  Maréotis,  et  dans  lequel  celui-ci  avait  continué  à  accom- 
plir des  actes  sacerdotaux,  quoique  le  synode  tenu  en  324  par  Hosius 
à  Alexandrie  eût  invalidé  les  ordinations  faites  par  Colluthus.  Athanase 
fut  mandé  à  Nicomédie  ;  il  y  resta  de  331  à  332,  dans  une  situation 
assez  pénible.  A  la  lin  cependant  il  réussit  à  établir  si  bien  son  inno- 
cence, que  l'empereur  lui  donna  à  son  départ  une  lettre  pour  le  clergé 
et  le  peuple  d'Alexandrie,  dans  laquelle  il  l'appelait  un  évêque  vrai- 
ment digne  de  ce  nom.  Pour  réparer  ce  double  échec,  les  mélétiens 
aggravèrent  encore  leurs  accusations  :  ils  allèrent  jusqu'à  prétendre 
qu' Athanase  avait  tué  un  de  leurs  évêques,  Arsenius,  qu'il  lui  avait 
coupé  la  main  droite  pour  s'en  servir  à  des  actes  de  sorcellerie ,  et 
comme  preuve  de  ce  qu'ils  avançaient,  ils  montraient  cette  main  enfer- 
mée dans  une  boîte.  Quanta  Arsenius  lui-même,  ils  l'avaient  caché  dans 
un  de  leurs  couvents  de  la  Thébaïde.  Bientôt  cependant,  apprenant 
qu' Athanase  avait  envoyé  un  diacre  à  sa  recherche,  ils  lui  firent  quitter 
l'Egypte;  Arsenius  vint  à  Tyr,  où  il  fut  reconnu  par  l'évêque  de  cette 
ville  et  obligé  d'avouer  son  identité.  Constantin  avait  chargé  un  de  ses 
officiers  de  faire  une  enquête  sur  ce  meurtre,  et  avait  signifié  à  Atha- 
nase de  se  tenir  prêt  à  comparaître  devant  son  tribunal.  Quand  il  apprit 
qu'Arsénius  avait  été  découvert  à  Tyr,  sa  colère  se  tourna  contre  les 
mélétiens  ;  il  écrivit  à  Athanase  une  lettre  très-flatteuse,  dans  laquelle 
il  lui  promettait  que  si  ses  ennemis  renouvelaient  leurs  calomnies,  il 
entendait  présider  lui-même  le  procès  qui  leur  serait  intenté,  et  qu'il 
les  punirait  non  suivant  les  lois  de  l'Eglise,  mais  suivant  celles  de  l'Etat. 
Au  moment  où  la  faveur  impériale  paraissait  se  tourner  définitivement 
du  côjé  d'Athanase,  Ischyras  et  Arsenius  écrivirent  à  l'évêque  d'Alexan- 
drie £our  implorer  son  pardon  et  obtenir  de  lui  leur  réadmission  dans 
l'Eglise;  l'évêque  Jean,  le  successeur  de  Mélétius  à  Lycopolis,  qui  diri- 
geait le  parti  des  mélétiens  depuis  la  mort  de  ce  dernier,  écrivit  une 
semblable  lettre,  en  l'adressant,  non  à  Athanase,  mais  directement  à 


ARIAXISME  569 

Constantin,  ce  qui  caractérise  bien  le  but  dans  lequel  ces  personnages 

avaient  jugé  à  propos  de  faire  acte  de  pénitence.  Sur  le  refus  d'Atha- 
nase  de  les  recevoir  dans  L'Eglise  avant  la  tin  de  leur  vie  et  sans  doute 
aussi  à  la  nouvelle  d'un  nouveau  changement  dans  les  dispositions  de 
l'empereur  à  l'égard  d'Athanase,  ils  retirèrent  leur  rétractation  et' 
revinrent  à  leur  ligne  de  conduite  antérieure.  En  effet,  les  eusébiens 
avaient  si  bien  réussi  dans  l'intervalle  à  circonvenir  Constantin,  que 
les  mélétiens  purent  non-seulement  élever  contre  Athanase  de  nou- 
velles accusations,  telles  que  d'avoir  été  irrégulièrement  élu,  de  s'être 
rendu  coupable  d'actes  de  violence  dans  son  diocèse,  et  même  d'avoir 
mené  une  conduite  immorale,  mais  qu'ils  osèrent  encore  renouveler 
leurs  anciennes  accusations,  et  l'histoire  d'Ischyras  et  celle  d'Arsénius, 
dont  l'examen,  disaient-ils,  avait  été  très-superficiel,  témoinlefaux  Arsé- 
nius  qu' Athanase  avait  fait  paraître  à  Tyr.  Se  défiant  de  la  clairvoyance 
de  l'empereur,  ils  obtinrent  même  que  ce  nouveau  procès  serait  jugé 
non  pas  devant  lui  mais  devant  un  synode.  Grâce  à  l'habileté  avec 
laquelle  ils  s'étaient  jusqu'à  présent  effacés  dans  la  lutte,  les  eusébiens 
allaient  devenir  les  arbitres  entre  Athanase  et  les  mélétiens.  Mais  Atha- 
nase, devinant  leurs  menées,  refusa  de  comparaître  devant  le  synode 
de  Césarée  (334),  où  «  ses  accusateurs  devaient  être  ses  juges  ».  Cette 
conduite  indisposa  fort  l'empereur  contre  lui,  et  donna  une  singulière 
force  aux  insinuations  des  eusébiens,  qui  le  représentaient  comme  un 
évêque  indocile,  orgueilleux  et  obstiné,  dont  la  présence  dans  l'Eglise 
était  incompatible  avec  la  tranquillité  publique.  Par  décret  de  l'empe- 
reur, un  nouveau  synode  se  réunit  à  Tyr  (335).  Il  était  composé  à  l'ori- 
gine d'environ  soixante  évêques,  presque  tous  orientaux;  les  eusébiens 
y  formaient  la  majorité,  et  dans  leur  nombre  se  trouvaient  Ursacius  de 
Singidunum,  en  Pannonie,  et  Yalens  de  Mursa,  en  Mœsie,  dont  la  con- 
duite ultérieure  devait  donner  le  spectacle  de  la  plus  scandaleuse  ver- 
satilité. Les  deux  Eusèbe  y  dominaient.  L'empereur  s'y  fit  représenter 
par  un  de  ses  officiers,  appelé  Denis.  Athanase  refusa  le  nom  de  synode 
à  une  assemblée  «  dirigée  par  un  officier  impérial,  et  dans  laquelle 
les  évêques  sont  introduits  par  le  notaire  de  l'empereur  et  non  par 
un  diacre  de  l'Eglise  »;  et  il  ne  se  rendit  à  Tyr  que  sur  un  ordre 
formel  de  Constantin.  Il  s'y  fit  accompagner  par  quarante-neuf  évê- 
ques égyptiens  de  son  parti,  dans  l'espoir  de  contrebalancer  ainsi 
la  puissance  de  ses  adversaires.  L'identité  d'Arsénius  fut  reconnue 
d'une  manière  définitive  par  le  synode;  de  plus  la  femme  de  mau- 
vaise vie,  avec  laquelle  Athanase  devait  avoir  entretenu  des  relations, 
introduite  dans  rassemblée  des  évêques  et  invitée  à  désigner  Athanase, 
se  trompa  et  désigna  unpresbytredunomdeTimothée.Résolusà  ne  pas 
laisser  échapper  la  dernière  arme  redoutable  qu'ils  eussent  entre  leurs 
mains,  les  eusébiens  décidèrent  d'envoyer  en  Egypte  une  commission 
chargée  de  s'enquérir  des  actes  de  violence  qu'  Athanase  devaitavoir  com- 
mis dans  l'administration  de  son  diocèse.  Cette  commission  se  composait 
des  adversaires  les  plus  décidés  d'Athanase.  Ischyras  devait  La  guider 
dans  ses  recherches;  Athanase  et  Marcarius,  au  contraire,  durent 
rester  à  Tyr.  Des  évoques  égyptiens  du  synode  remirent  à  leurs 
i.  37 


570  ARIANISME 

collègues  et  au  représentant  de  Constantin  une  protestation  énergique 
contre  cette  ((conspiration».  Arrivés  à  Alexandrie,  les  commissaires 
refusèrent  d'entendre  les  dépositions  des  partisans  d'Athanase;  ils 
admirent,  par  contre,  le  témoignage  d'apostats  et  même  celui  de 
païens.  Ils  n'étaient,  en  effet,  pas  venus  pour  démêler  soigneusement 
Vêlement  de  vérité,  qui,  vu  le  caractère  énergique  et  absolu  d'Atha- 
nase, pouvait  se  trouver  sous  telle  des  accusations  élevées  contre  lui, 
des  exagérations  et  des  calomnies  que  la  malveillance  y  avait  ajoutées. 
Le  clergé  orthodoxe  d'Alexandrie  et  celui  de  la  province  de  Maréotis 
envoyèrent  des  lettres  de  protestation  contre  cette  manière  d'agir,  aux 
membres  du  synode  de  Tyr  et  au  gouverneur  de  l'Egypte,  avec  prière 
d'en  communiquer  le  contenu  à  l'empereur.  Sur  la  lecture  du  rapport 
qui  lui  fut  présenté,  le  synode  de  Tyr  prononça  la  destitution 
d'Athanase.  Il  lui  fut  défendu  même  de  séjourner  à  Alexandrie,  de 
peur  que  sa  présence  n'y  occasionnât  des  troubles.  Cette  sentence  fut 
rendue  publique  par  une  circulaire  dans  laquelle  était  énumérée  une 
série  de  méfaits  dont  Athanase  devait  avoir  été  eonvaincu,  entre 
autres  sa  conduite  envers  Ischyras,  son  refus  de  comparaître  à  Césarée 
et  de  se  soumettre  aux  décisions  du  synode  de  Tyr,  les  tumultes  qu'il 
aurait  provoqués  dans  cette  dernière  assemblée  et  les  paroles  outra- 
geantes qu'il  y  aurait  adressées  à  certains  évêques.  Avant  de  quitter 
Tyr,  les  évêques  du  synode  reçurent  les  mélétiens  dans  la  communion 
de  l'Eglise;  puis  ils  se  rendirent  à  Jérusalem,  ils  levèrent  l' excom- 
munication prononcée  contre  Arius  et  ses  amis,  après  avoir  assisté  à 
la  consécration  de  l'église  (tue  Constantin  avait  fait  bâtir  dans  cette 
ville.  C'est  sur  l'invitation  directe  de  l'empereur  que  l'assemblée  de 
Jérusalem  venait  de  se  déclarer  aussi  ouvertement  contre  les  décisions 
de  Nicée  :  dans  la  lettre  qu'il  avait  écrite  aux  évêques  pour  les  engager 
à  réadmettre  dans  l'Eglise  Arius  et  ses  amis,  «  qui  en  avaient  été 
retranchés  récemment  par  envie  »,  il  avait  rendu  témoignage  lui- 
même  de  l'orthodoxie  d'Arius,  qu'il  assurait  avoir  interrogé  et  dont 
les  réponses  l'avaient  satisfait  ;  la  confession  de  foi  qu'Arius  lui  avait 
remise  dans  cette  circonstance  se  trouvait  jointe  à  sa  lettre.  Il  n'était 
plus  fait  mention,  dans  ces  négociations,  de  la  doctrine  de  Nicée. 
Athanase  était  revenu  à  Alexandrie  avant  le  retour  de  la  commission 
d'enquête  à  Tyr.  Quand  il  apprit  sa  condamnation,  il  se  rendit  à 
Constantinople  et  pria  l'empereur  de  lui  accorder  en  sa  présence  un 
débat  contradictoire  avec  ses  ennemis.  La  demande  était  trop  équi- 
table pour  pouvoir  être  refusée  :  Constantin  ordonna  aux  membres  du 
synode  de  se  rendre  immédiatement  de  Jérusalem  à  Constantinople. 
Mais  les  eusébiens,  redoutant  les  révélations  que  la  minorité  ortho- 
doxe eût  pu  faire  devant  l'empereur,  surent  empêcher,  suivant 
Athanase,  le  synode  entier  de  se  transporter  dans  la  capitale,  et  tirent 
en  sorte  qu'il  n'y  vint  qu'une  simple  délégation  synodale,  de  laquelle 
ils  étaient  sûrs.  En  outre,  craignant  que  le  procès  ne  se  rouvrît  dans 
les  conditions  défavorables  où  il  s'était  trouvé  autrefois,  ils  recou- 
rurent à  une  nouvelle  accusation  de  nature  essentiellement  politique, 
qu'ils  savaient  devoir  produire  son  effet  sur  l'esprit  de  l'empereur  ; 


AlilANISME  571 

«  Athanase  a  empêché  les  blés  d'Egypte  d'arriver  à  Constantinople.  » 

Constantin,  dans  sa  colère,  exila  Athanasc  à  Trêves  (335).  Les  eusé- 
biens  présents  à  Gonstantinople  songèrent  à  poursuivre  l'avantage 
obtenu.  Ils  s'adjoignirent  un  certain  nombre  de  leurs  collègues,  et 
tinrent  un  synode  dans  la  capitale,  malgré  les  efforts  de  révoque  de 
cette  ville,  Alexandre.  Marcel  d'Ancyre,  qui,  dans  sa  polémique 
contre  l'évêque  arien  Astérius,  s'était  permis  quelques  expressions 
entachées  de  sabellianisme,  et  dont  le  procès  avait  été  déjà  commencé 
à  Jérusalem,  fut  destitué  et  excommunié.  Ordre  fut  donné  de  brûler 
les  copies  de  son  livre.  Rien  ne  s'opposait  plus  à  l'admission  solen- 
nelle d'Arius  dans  l'Eglise.  Cette  cérémonie  ne  pouvant  avoir  lieu  à 
Alexandrie,  à  cause  du  puissant  parti  qu'y  possédait  Athanase,  les 
eusébiens  résolurent  de  la  célébrer  dans  la  capitale  même  de  l'empire. 
La  veille  du  jour  fixé,  un  samedi,  l'évêque  Alexandre  se  rendit  à 
l'église,  en  compagnie  de  deux  presbytres  dont  l'un  était  Macarius,  et, 
s'agenouillant  devant  l'autel,  il  adressa  à  Dieu,  au  dire  d'Athanase,  la 
prière  suivante  :  «  Si  Arius  doit  être  reçu  demain  dans  l'Eglise, 
enlève-moi  auparavant  de  ce  monde  ;  mais  si  tu  as  pitié  de  ton  Eglise, 
et  je  sais  que  tu  en  as  pitié,  n'abandonne  pas  ton  héritage  à  la  ruine 
et  à  la  honte,  et  ôte  Arius  de  cette  terre,  afin  que  l'hérésie  et  l'impiété 
n'entrent  pas  avec  lui  dans  l'Eglise».  Le  soir  de  ce  même  jour,  Arius 
traversait  la  ville  en  compagnie  d'Eusèbe  de  Nicomédie  et  de  quelques 
amis,  quand  il  fut  obligé  de  se  retirer  dans  une  latrine  publique  où  il 
fut  trouvé  mort  peu  d'instants  après  (336).  Le  lendemain,  Alexandre 
célébra  les  louanges  de  Dieu,  «  non  qu'il  se  fût  réjoui  de  la  mort 
d'Arius,  mais  parce  qu'il  voyait  dans  cet  événement  un  jugement  du 
Seigneur  même  ». —  Dans  la  lutte  entre  l'arianisme  et  l'orthodoxie,  la 
question  de  principes  avait  si  bien  prévalu  sur  la  question  de 
personnes,  qui  peut-être  n'en  avait  pas  été  complètement  absente  à 
l'origine;  en  outre,  tant  d'éléments  divers  s'étaient  ajoutés  successive- 
ment au  fond  premier  du  débat,  que  les  deux  auteurs  de  la  querelle 
disparurent  l'un  après  l'autre,  sans  que  leur  mort  exerçât  une 
influence  quelconque  sur  l'issue  de  la  lutte.  Constantin  mourut  le 
22  mai  337,  après  avoir  été  baptisé  par  Eusèbe  de  Nicomédie.  Ses 
trois  fils  se  partagèrent  l'empire  et  continuèrent  la  politique  ecclé- 
Mastique  de  leur  père.  En  Orient,  Constance  se  prononça  pour 
l'arianisme;  en  Occident,  Constantin  II  et  Constant  se  déclarèrent 
pour  l'orthodoxie.  Dans  leur  entrevue  à  Sirmium,  en  Pannonie,  les 
trois  frères  décidèrent  que  les  évêques  bannis  seraient  rappelés  (338). 
Sa j i^  doute  les  deux  Césars  d'Occident  comptaient  s'attacher  les 
Orthodoxes  d'Orient  par  une  mesure  dont  ceux-ci  devaient  surtout 
profiter.  En  automne  338,  Athanase  revint  à  Alexandrie.  Il  avait  reçu 
pour  les  habitants  de  cette  ville  (sujets  de  Constance)  une  lettre  du 
César  des  Gaules,  Constantin  II,  dans  laquelle  celui-ci  le  comblait 
d'éloges,  et  racontait  que  Constantin  I"r  n'avait  exilé  Athanase  que 
pour  l«-  soustraire  aux  mains  sanguinaires  de  ses  ennemis,  et  que, 
vers  la  lin  de  -;t  vie,  il  avait  même  eu  l'intention  de  le  rappeler  dans 
son  diocèse.  Quoi  qu'il  en  ><>it,  Constantin  1er  n'avait  pas  désigné  de 


572  ARIANISME 

successeur  à  Athanase.  Ce  retour  de  fortune,  dû  à  la  pression  exercée 
sur  Constance  par  des  princes  étrangers,  ne  fut  pas  de  longue  durée 
pour  les  orthodoxes.  Les  ariens  s'en  prirent  d'abord  à  l'évêque  Paul, 
de  Constantinople,  partisan  d'Athanase,  banni  peu  d'années  aupara- 
vant pour  élection  vicieuse,  et  revenu  en  338  dans  son  diocèse.  Ils  le 
chassèrent  une  seconde  fois  de  son  siège  et  lui  donnèrent  comme 
successeur  Eusèbe  de  Nicomédie.  Puis  ils  reprirent  leurs  intrigues 
contre  Athanase,  en  plaçant  à  côté  de  lui,  comme  évêque  des  ariens 
d'Alexandrie,  un  ancien  ami  d'Arius,  nommé  Pistus.  Athanase,  de 
son  côté,  sentant  la  nécessité  de  repousser  solennellement  les  accusa- 
tions qui  pesaient  sur  lui,  réunit  à  Alexandrie  un  synode  de  quatre- 
vingts  évêques  égyptiens,  où  fut  rédigée,  sous  forme  de  circulaire,  une 
apologie  complète  de  sa  conduite  (340) .  La  même  année,  Constantin  II  fut 
battu  et  tué  à  Aquilée  par  Constant;  l'Occident  n'avait  plus  qu'un  seul 
maître.  L'évêque  de  Rome  y  occupait  une  position  prédominante  ;  de 
son  attitude  dépendait  celle  de  la  majorité  des  évêques  latins  :  aussi 
ariens  et  orthodoxes  rivalisèrent-ils  d'efforts  pour  le  gagner  à  leur 
cause.  Le  premier  acte  du  grand  drame  avait  eu  Nicée  pour  théâtre; 
le  deuxième,  Alexandrie;  le  troisième  devait  se  dérouler  autour  de 
Rome,  et  le  dernier  autour  de  Constantinople. 

III.  Les  envoyés  des  eusébiens  rencontrèrent  à  Rome  ceux  d' Atha- 
nase, et  comme  ils  eurent  le  dessous  dans  les  discussions  qu'ils  engagè- 
rent avec  eux  en  présence  de  l'évêque  Jules,  ils  s'écrièrent,  pour  sortir 
d'embarras,  qu'ils  se  faisaient  forts  de  soutenir  leurs  accusations  devant 
un  synode  que  l'on  devait  convoquer  à  Rome.  Jules  s'empressa  d'ac- 
cepter le  rôle  d'arbitre  que  les  ariens  venaient  de  lui  offrir  à  la  légère  : 
rien  ne  pouvait  mieux  lui  convenir  que  le  droit  de  réviser  les  décisions 
de  tous  les  synodes  tenus"  par  les  Orientaux  depuis  325.  Comprenant, 
mais  trop  tard,  la  maladresse  qu'ils  avaient  commise,  les  eusébiens  ten- 
tèrent de  rendre  d'avance  inutile  l'œuvre  du  synode  de  Rome  en  re- 
nouvelant au  synode  d'Antioche  (341),  la  destitution  d' Athanase,  sous 
prétexte  qu'il  avait  repris  possession  de  son  siège  sans  l'autorisation  d'une 
assemblée  ecclésiastique.  Marcel  d'Ancyre  eut  le  même  sort.  Quatre 
confessions  de  foi,  conçues  dans  l'esprit  du  semiarianisme ,  furent 
proposées  au  synode  par  plusieurs  de  ses  membres  et  adoptées  par  lui. 
La  première  était  rédigée  en  termes  purement  bibliques.  La  deuxième, 
qui  venait  du  presbytre  Lucien  d'Antioche  et  fut  simplement  approu- 
vée par  le  synode,  appelait  Christ  «  le  Fils  engendré  avant  tous  les 
temps,  Dieu  issu  de  Dieu,  l'indivisible  issu  de  l'indivisible,  l'unique 
issu  de  l'unique,  le  parfait  issu  du  parfait,  l'immuable  image  de  la 
divinité,  de  l'essence  et  de  la  volonté  du  Père  »  ;  d'après  elle,  les 
personnes  trinitaires  ne  sont  pas  des  noms  sans  réalité,  mais  de  vraies 
personnes  «selon  le  rang  et  la  majesté».  La  troisième,  rédigée  par 
Théophronius,  était  encore  plus  explicite  :  «  Christ  est  Dieu  parfait, 
engendré  du  Dieu  parfait  avant  tous  les  temps,  qui  a  toujours  existé 
auprès  du  Père  comme  une  hypostase  réelle».  La  quatrième  se 
rapprochait  assez  de  la  formule  de  Nicée,  mais  il  y  manquait,  comme 
dans  les  trois  autres,  les  termes  de  «  consubstantiel  au  Père  »  ;  comme 


ARIAXISME  573 

celles-ci,  élit'  n'attribuait  au  Fils  qu'une  éternité  relative,  «avant  tous 
les  temps  0  et  n'enseignai!  pas  explicitement  la  génération  du  Fils  de 
la  substance  du  Père;  comme  elles,  elle  se  terminait  par  la  condamna- 
tion des  propositions  d'Arius  et  de  Sabellius,  c'est-à-dire  que  ces 
confessions  s'assignaient  elles-mêmes  une  position  intermédiaire  entre 
L'arianisme  strict  et  l'orthodoxie  nicéenne,  que  certains  esprits  consi- 
déraient comme  menant  inévitablement  au  sabellianisme.  Secondé  par 
Le  gouverneur  d'Alexandrie,  le  Cappadocien  Grégoire,  que  le  synode 
avait  désigné  comme  successeur  à  Athanase,  prit  violemment  posses- 
sion de  son  diocèse  pendant  les  fêtes  de  Pâques  (341),  et  contraignit 
Athanase  à  quitter  la  ville.  Celui-ci,  après  un  court  séjour  dans  les 
environs  d'Alexandrie,  pendant  lequel  il  retraça  dans  une  éloquente 
circulaire  les  actes  de  sauvagerie  qui  avaient  marqué  l'arrivée  de 
Grégoire,  se  rendit  à  Rome,  accompagné  de  deux  moines,  qui  furent 
pour  Flialie  une  apparition  d'un  genre  tout  nouveau.  Le  synode 
convoqué  par  l'évêque  Jules  se  réunit  en  342.  Il  se  composait  de 
cinquante  évèques,  tous  occidentaux  :  Athanase,  .Marcel  et  Paul  furent 
déclarés  innocents  et  réconciliés  avec  l'Eglise.  Les  eusébiens  s'étaient 
excusés  de  ne  pas  venir,  en  disant  que  les  évèques  occidentaux  ne 
pouvaient  rien  changer  aux  décisions  de  leurs  précédents  synodes. 
Athanase  resta  en  Italie  ;  il  mit  à  profit  son  séjour  pour  raffermir 
L'épiscopat  latin  dans  la  foi  de  Aicée.  La  même  année,  mourut  Eusèbe 
de  Constantinople,  la  vraie  tète  du  parti  arien,  Fàme  de  toutes  les 
intrigues  ourdies  contre  Athanase  ;  il  avait  su  prendre  sur  Constance 
le  même  ascendant  qu'il  avait  déjà  possédé  sur  Constantin.  Après  des 
luttes  sanglantes  qui  nécessitèrent  l'intervention  de  l'empereur,  les 
ariens  réussirent  à  écarter  Paul,  qui  était  revenu,  et  à  faire  prévaloir 
leur  candidat,  Macédonius.  Eusèbe  de  Césarée,  le  savant  historiographe, 
était  mort  quelques  années  auparavant,  et  avait  été  remplacé  par 
son  disciple  Acacius.  Malgré  les  efforts  tentés  à  Antioche  par 
les  eusébiens  pour  se  donner  une  apparence  d'orthodoxie  aux 
yeux  de  Constant  et  de  l'épiscopat  latin  qu'ils  savaient  encore  assez 
peu  imbu  des  doctrines  de  Nicee,  aucune  de  leurs  quatre  confessions 
n'obtint  l'assentiment  du  synode  de  Rome.  Les  eusébiens  essayèrent 
parer  cet  insuccès  en  tenant  un  nouveau  synode  à  Antioche  (343). 
Une  nouvelle  confession  de  foi,  de  tendance  également  semiarienne  et 
appelée  La  longue  confession  ([j.x/.zzz-:yz;),  y  fut  rédigée.  «Quoique  su- 
bordonne au  Père,  disait-elle,  le  Fils  a  cependant  été  engendré  du  Père, 
par  la  volonté  du  Père,  avant  tous  les  temps;  il  est  de  nature  (çucei)  Dieu 
véritable  et  parlait,  égal  au  Père  en  toutes  choses;  et  il  a  été  tel  de  tout 
temps,  b  Sont  rejetées  les  opinions  suivant  lesquelles  il  y  aurait  dans 
la  Trinité  trois  Dieux  ou  bien  une  seule  personne,  et  suivant  lesquelles 
le  Fila  aurait  existé  idéalement  comme  Parole  immanente  au  Père  avant 
d'exister  d'une  manière  réelle  comme  Parole  manifestée,  ou  bien  au- 
rait été  engendré  nécessairement  par  le  Père,  ou  bien  aurait  été  créé 
du  néant.  Arius,  qui  était  uc.it  réconcilié  avec  l'Eglise,  n'y  est  point 
nommé  à  côté  de  Sabellius,  Marcel  et  Paul  de  Samosate,  quoique  ses 
doctrines  j  -oient  condamnées  comme  les  Leurs.  Une  députation  d'évè- 


574  ARIANISMB 

ques  fut  chargée  de  porter  ce  document  en  Italie  :  il  leur  fut  répondu 
qu'on  n'entreprendrait  pas  un  nouvel  examen  des  questions  déjà  tran- 
chées par  le  concile  de  Nicée,  à  la  formule  duquel  on  devait  s'en  tenir. 
Les  évêques  latins  résolurent  de  porter  remède  à  une  situation  aussi 
déplorable.  Comme  les  lettres  que  Constant  avait  écrites  sur  leurs  ins- 
tances à  son  frère,  pour  demander  le  rappel  des  évêques  exilés,  étaient 
restées  sans  effet,  ils  prièrent  Constant  de  s'entendre  avec  Constance  en 
vue  de  la  convocation  d'une  assemblée  générale  des  évêques  de  l'em- 
pire, chargée  de  mettre  lin  à  toutes  les  querelles  pendantes.  Les  deux 
souverains  convoquèrent  en  347  ce  concile  à  Sardica,  en  Illyrie.  Il  y 
vint  environ  170  évêques,  dont  70  Orientaux.  Pendant  que  ces  der- 
niers traversaient  la  Thrace,  ils  apprirent  que  leurs  collègues  déjà  pré- 
sents à  Sardica  avaient  admis  Àthanase,  Paul  et  Marcel,  sur  la  conduite 
ou  la  doctrine  desquels  le  synode  devait  se  prononcer,  à  siéger  dans 
l'assemblée  avec  voix  délibérative.  Ils  envoyèrent  de  Philippople  des 
députés  pour  demander  que  les  évêques  en  question  quittassent  le 
synode  jusqu'après  l'examen  de  leur  affaire  ;  puis  ils  continuèrent  leur 
voyage.  Sous  cette  question  de  formalité  judiciaire  se  cachait  la  ques- 
tion bien  autrement  grave  de  savoir  si  les  décisions  des  précédents 
synodes  orientaux  seraient  prises  ou  non  en  considération  par  les  évê- 
ques occidentaux,  si  l'Eglise  d'Orient  allait  subir  ou  non  la  prédomi- 
nance de  l'Eglise  d'Occident.  A  Sardica  les  Orientaux  renouvelèrent 
leur  demande,  et,  pour  gagner  du  temps,  proposèrent  d'ordonner  de 
nouvelles  enquêtes  dans  les  diocèses  des  évêques  incriminés.  Mais  les 
Occidentaux  leur  déclarèrent  qu'ils  ne  pouvaient  exclure  de  l'assem- 
blée des  évêques  dont  plusieurs  synodes,  notamment  celui  de  Rome, 
avaient  constaté  l'innocence  ;  que  d'ailleurs  ils  considéraient  tous  les 
synodes  tenus  depuis  325  comme  nuls  et  non  avenus,  et  regardaient  le 
concile  de  Sardica  comme  le  continuateur  de  celui  de  Nicée.  De  même 
ils  jugèrent  de  nouvelles  enquêtes  inutiles,  puisque  les  accusés  étaient 
présents.  Sur  ce  refus,  les  Orientaux  quittèrent  Sardica  à  l'exception  de 
deux  d'entre  eux,  qui  tenaient  pour  Athanase,  et  revinrent  à  Philip- 
pople où  ils  se  constituèrent  en  synode  particulier.  Ils  commencèrent 
par  signer  la  quatrième  confession  d'Antioche  pour  prévenir  toute  accu- 
sation d'hérésie;  puis  ils  renouvelèrent  l'excommunication  d' Athanase, 
de  Marcel  et  de  Paul,  et  frappèrent  de  la  même  sentence  les  principaux 
membres  du  synode  de  Sardica,  entre  autres  Jules  et  Hosius.  Pendant 
ce  temps  le  synode  de  Sardica,  sous  la  présidence  de  Hosius,  déclara 
qu'il  s'en  tiendrait  strictement  à  la  formule  de  Nicée,  sans  addition  ni 
commentaires,  proclama  l'innocence  d'Athanase  et  de  ses  deux  amis  et 
excommunia  les  chefs  du  parti  arien,  entre  autres  Acacius,  Ursacius  et 
Valens.  En  outre  il  adopta  plusieurs  canons  qui  ont  une  haute  impor- 
tance dans  l'histoire  du  droit  ecclésiastique.  Une  grande  effervescence 
s'était  emparée  des  esprits.  A  Andrinople,  l'évêque  Lucius,  accusé 
d'avoir  jeté  aux  chiens  les  hosties  consacrées  par  les  ariens,  fut  exilé, 
tandis  que  dix  de  ses  partisans  furent  décapités.  Les  deux  évêques  orien- 
taux restés  à  Sardica,  furent  également  exilés.  A  Alexandrie,  le  gouver- 
neur reçut  de  l'empereur  l'ordre  de  surveiller  les  ports,  pour  saisir 


ARIANISME  575 

Athanase  ci  le  mener  au  supplice,  s'il  se  présentait;  bientôt  après.  Vé~ 
vêque  Grégoire,  qui  avait  essayé  depuis  sou  arrivée  cPextirper  r ortho- 
doxie de  sou  diocèse,  tut  assassine  dans  uneéineute  populaire.—  Partie 
d'une  communauté  d'Egypte,  la  division  religieuse  s'était  étendue  sur 
tout  L'empire.  La  rupture  était  consommée  entre  Home  et  Constanti- 
nople.  Une  tentative  de  conciliation  n'eût  pu  venir  que  de  L'autorité 
impériale;  malheureusement  les  deux  Césars  étaient  aussi  divisés  parla 
religion  que  par  la  politique.  Tout  dépendait  de  savoir  qui  des  deux 
frères  parviendrait  à  imposer  à  l'autre  ses  préférences  théologiques. 
Constance  étant  alors  en  guerre  avec  les  Perses,  son  frère  crut  l'occa- 
sion favorable,  et  lui  écrivit  de  reconnaître  les  décisions  de  Sardica  et 
de  rappeler  les  évêques  bannis,  le  menaçant,  s'il  refusait,  de  ramener 
lui-même  Athanase  à  Alexandrie.  Constance  crut  prudent  de  céder  sur 
le  second  point.  Athanase  se  défiait  sans  doute  de  cette  faveur  inatten- 
due, car  il  fallut  trois  lettres  de  Constance  pour  le  décider  à  quitter 
Àquilée  et  à  venir  à  Constantinople  où  l'empereur  le  reçut  av^c  tous 
les  dehors  de  la  bienveillance.  En  passant  par  la  Palestine,  il  décida 
Maxime  de  Jérusalem  à  réunir  dans  cette  ville  un  synode,  qui,  réglant 
son  attitude  sur  celle  de  l'empereur,  proclama  l'innocence  d' Athanase. 
Ursacius  et  Valens,  qui  avaient  été  exilés  à  leur  retour  en  Occident, 
pour  le  rôle  qu'ils  avaient  joué  à  Sardica,  jugèrent  prudent  de  se  ré- 
concilier avec  lui.  Dans  une  lettre  à  l'évêque  Jules,  ils  reconnurent  la 
fausseté  de  toutes  les  accusations  élevées  contre  son  protégé;  en  outre 
ils  s'adressèrent  directement  à  Athanase  pour  lui  demander  son  pardon. 
Celui-ci,  pendant  ce  temps,  était  rentré  en  triomphe  à  Alexandrie  (348). 
L'enthousiasme  du  peuple  s'était  manifesté  d'une  bien  singulière  ma- 
nière :  beaucoup  de  jeunes  gens  et  de  jeunes  filles  s'étaient  voués  à  la 
vie  monacale,  qu' Athanase  estimait  très-haut;  d'autres  avaient  fêté  le 
retour  de  leur  évêque  par  des  actes  de  charité  extraordinaires.  En  350 
Constant  fut  assassiné  par  Magnence.  Cet  usurpateur  disputa  pendant 
trois  ans  l'Occident  à  Constance.  Celui-ci,  occupé  en  outre  par  la  guerre 
contre  les  Perses,  crut  nécessaire  de  ménager  pendant  ce  temps  Atha- 
nase et  les  orthodoxes.  Cependant  au  synode  de  Sirmium  (351)  les  évê- 
ques orientaux  préludèrent  aux  hostilités  qui  ne  devaient  pas  tarder  à 
se  rouvrir,  en  condamnant  un  disciple  de  Marcel,  Photin  de  Sirmium, 
pour  crime  de  sabellianisme.  La  confession  adoptée  par  ce  synode  re- 
produit les  doctrines  de  la  «  longue  formule.  »  L'année  suivante  mou- 
rut I  évéque  Jules;  son  successeur,  Libérius,  n'avait  pas  sa  force  de 
caractère.  Athanase  venait  de  perdre  en  deux  ans  ses  deux  plus  puis- 
sants soutiens.  Les  ariens  tirent  un  nouvel  essai  pour  gagner  l'évêque 
de  Home.  Depuis  son  retour,  Athanase  s'était  efforcé  de  détruire  l'œu- 
\iv  de  l'évêque  George,  et  de  rendre  à  des  orthodoxes  la  direction  des 
Eglises  d'Egypte.  11  fut  accusé  auprès  de  Libérius  d'avoir  outrepassé  ses 
droits  dans  cette  circonstance.  Cité  à  Rome  pour  se  justifier  en  vertu 
du  droit  d'arbitrage  dans  les  querelles  entre  évêques  que  le  synode  de 
Sardica  avait  reconnu  à  l'évêque  Jules,  il  refusa  d'y  comparaître,  et  Li- 
bérius l'excommunia.  Cependant,  quand  il  eut  reçu  la  lettre  de  justi- 
fication qu' Athanase  avait  fait  rédiger  par  un  synode  d'évêques  égyp- 


576  ARIANLSME 

tiens  convoqué  à  cet  effet,  et  surtout  quand  il  eut  vu  combien  d'évêques 
latins  prenaient  fait  et  cause  pour  l'évêque  d'Alexandrie,  Libérius  se  ré- 
concilia avec  Athanase.  —  Parla  défaite  et  la  mort  deMagnence,  l'arien 
Constance  devint  seul  maitre  de  l'empire  (353).  Aussitôt  il  jeta  le  mas- 
que. Par  son  ordre,  un  synode  d'évêques  occidentaux  et  orientaux  se 
réunit  la  même  année  à  Arles.  Les  Occidentaux,  pour  détourner  le  coup 
dont  Athanase  était  menacé,  proposèrent  de  s'occuper  d'abord  des 
questions  dogmatiques,  pensant  gagner  ainsi  du  temps  et  jeter  la 
division  dans  les  rangs  de  leurs  ennemis.  Mais  les  Orientaux,  qui  te- 
naient la  haute  main  dans  l'assemblée,  grâce  à  l'appui  de  l'empereur, 
déclarèrent  qu'ils  n'étaient  pas  venus  pour  se  livrer  à  des  discussions 
théologiques  ;  Constance,  de  son  côté,  publia  un  décret  dans  lequel  il 
menaçait  de  l'exil  tous  ceux  qui  ne  consentiraient  pas  à  la  condamna- 
tion d'Athanase.  Tous  les  évêques,  y  compris  les  deux  délégués  de  Li- 
bérius,  se  soumirent,  à  l'exception  de  Paulin  de  Trêves,  qui  fut  banni 
en  Phrygie.  L'Orient  venait  de  conquérir  la  suprématie  sur  l'Occident. 
Espérant  que  leurs  affaires  se  rétabliraient  dans  une  autre  assemblée, 
les  évêques  latins,  à  leur  tête  Libérius,  prièrent  l'empereur  de  convo- 
quer un  nouveau  synode  général.  Cette  assemblée  se  réunit  à  Milan  (355). 
Les  Occidentaux  y  étaient  en  grande  majorité.  Eusèbe  de  Vercelli,  chef 
du  parti  orthodoxe,  renouvela  la  proposition  de  commencer  par  la  ques- 
tion de  dogme,  et  comme  elle  fut  acceptée,  il  mit  aux  voix  l'adoption 
pure  et  simple  de  la  formule  de  Nicée.  L'évêque  Denis  de  Milan  s'ap- 
prêtait à  la  signer,  quand  Yalens,  qui  s'était  hâté  ainsi  qu'Ursacius  de 
retirer  sa  rétractation  après  la  mort  de  Constant,  lui  arracha  la  plume 
de  la  main.  11  s'ensuivit  un  grand  tumulte  auquel  le  peuple  prit  part, 
ce  qui  nécessita  la  translation  du  synode  dans  le  palais  même  de  l'em- 
pereur. Là,  les  Orientaux  produisirent,  par  ordre  de  Constance,  une 
formule  qui  enseignait  que  le  Fils  est  subordonné  au  Père  et  qu'il  ne 
lui  est  pas  co-éternel,  n'étant  pas  non-engendré  comme  lui.  Malgré  les 
représentations  de  l'empereur,  les  Occidentaux,  appuyés  par  le  peuple, 
rejetèrent  cette  formule  comme  arienne.  Alors  on  coupa  court  aux  dis- 
cussions dogmatiques  pour  s'occuper  des  nouvelles  accusations  qui 
avaient  été  élevées  contre  Athanase,  entre  autres  celle  d'avoir  favorisé 
Magnence,  ce  qui  constituait  un  crime  de  haute  trahison.  Athanase  pro- 
teste dans  ses  écrits  avec  la  plus  grande  énergie  contre  cette  imputa- 
tion. Les  évêques  latins  eurent  beau  représenter  à  l'empereur  que  les 
nouvelles  accusations  n'avaient  pas  été  convenablements  examinées,  et 
que  les  anciennes  étaient  suffisamment  réfutées  par  la  rétractation  d'Ur- 
sacius  et  de  Yalens,  Constance  déclara  qu'il  se  portait  lui-même  pour 
accusateur  contre  Athanase,  et  que  sa  volonté  valait  bien  un  canon  de 
FEgiise;  et  il  ajouta  que  les  membres  du  synode  avaient  à  excommu- 
nier Athanase,  ou  bien  à  se  rendre  eux-mêmes  en  exil.  Tous  les  évê- 
ques obéirent,  excepter  Lucifer  de  Cagliari,  Eusèbe  de  Vercelli,  Denis 
de  Milan  et  les  délégués  de  l'évêque  de  Home,  qui  furent  bannis  en 
Orient.  Hosius  et  Libérius,  qui  étaient  restés  dans  leurs  diocèses,  refu- 
sèrent également  de  se  soumettre;  ils  furent  amenés  devant  l'empereur, 
qui  essaya  vainement  de  les  gagner  ;  Hosius  dut  rester  à  Sirmium,  et 


ARIAXISME  577 

Libérius  fut  conduit  à  Bérée,  en  Syrie.  La  victoire  de  L'Orient  sur  l'Oc- 
cident était  complète.  Athanase  n'avait  pas  quitté  l'Egypte  depuis  349. 
Il  essaya  d'apaiser  l'empereur  par  une  députation  chargée  de  réfuter 
les  accusations  produites  à  Milan;  ce  fut  en  vain.  Craignant  de  provo- 
quer des  troubles,  Constance  n'osa  cependant  exécuter  immédiatement 
la  sentence  du  dernier  synode;  il  préféra  user  de  ruse  et  envoya  à  Atha- 
nase Tordre  de  se  rendre  à  Constantinople.  Athanase,  après  avoir  con- 
sulté son  Eglise  sur  ce  qu'il  devait  faire,  resta  à  Alexandrie.  Constance 
se  décida  alors  à  joindre  la  violence  à  la  ruse:  sur  son  ordre,  le  com- 
mandant des  légions  d'Egypte,  Syrianus,  entra  dans  la  ville  avec  des 
troupes.  Le  peuple  aussitôt,  devinant  ses  projets,  se  souleva  contre  lui. 
Syrianus,  pour  l'apaiser,  déclara  solennellement  qu'Athanase  n'avait 
rien  à  craindre;  mais  quelques  semaines  plus  tard,  il  attaqua  brusque- 
ment, pendant  la  nuit,  à  la  tête  de  o,000  hommes,  l'église  dans  laquelle 
Athanase  présidait  au  culte.  Un  combat  s'engagea  dans  l'intérieur  du 
temple  :  Athanase  demeura  sur  son  siège,  refusant  de  fuir  au  milieu 
du  danger  commun,  et  s'il  ne  périt  pas  dans  le  tumulte,  c'est  qu'il  fut 
en  levé  de  sa  place  et  emporté  hors  de  l'église  par  quelques  moines. 
D'odieux  excès  suivirent  cet  acte  de  violence.  Un  misérable  du  nom  de 
Grégoire,  originaire  de  Cappadoce  comme  l'évoque  arien  précédent, 
avait  été  désigné  comme  successeur  d'Athanase;  il  fit  peu  de  temps 
après  son  entrée  dans  la  ville,  entouré  d'une  escorte  de  soldats.  Le 
peuple  demeura  tranquille.  Une  persécution  systématique  fut  organisée 
dans  toute  l'Egypte  contre  les  partisans  d'Athanase.  La  peine  du  fouet, 
le  bannissement  et  le  travail  des  mines  attendaient  les  ecclésiastiques 
qui  restaient  fidèles  à  leur  foi  etàleur  évêque  ;  en  même  temps  parut  un 
décret  de  Constance,  enjoignant  à  tous  les  évêques  de  l'empire  de  rompre 
la  communion  ecclésiastique  avec  Athanase.  Celui-ci,  après  s'être  caché 
pendant  quelques  jours  dans  une  maison  d  Alexandrie,  se  rendit  chez  les 
ermites  de  la  haute  Egypte,  ses  zélés  partisans.  Un  jour,  pris  du  désir 
d'aller  se  justifier  devant  l'empereur,  il  se  rapprocha  d'Alexandrie; 
mais,  apprenant  qu'on  continuait  à  le  chercher  très-activement,  il  rentra 
dans  le  désert.  Là  il  déploya  une  activité  littéraire  remarquable;  ses 
principaux  ouvrages  virent  le  jour  pendant  son  troisième  exil  ;  il  continua 
à  combattre  l'arianisme  avec  la  plume,  la  seule  arme  qui  lui  restât 
encore. 

IV.  L'arianisme  avait  atteint  son  apogée.  La  persécution  sévissait  en 
Orient  contre  les  défenseurs  de  la  foi  de  Nicée.  Athanase  et  son  parti  pa- 
raissaient  définitivement  vaincus.  Alors  éclatèrent  dans  le  parti  arien  les 
divergences  dogmatiques,  dont  le  besoin  d'une  action  commune  con- 
tre  un  même  adversaire  avait  seul  retardé  jusqu'alors  l'apparition. 
En  365,  était  arrivé  à  Alexandrie  un  certain  Aëtius,  autrefois  diacre 
à  Antioche,  el  qui  avait  été  obligé  de  renoncer  à  ces  fonctions  et  de 
quitter  la  ville  à  cause  des  dissensions  que  sa  présence  aurait  produites 
dans  cette  communauté,  si  elle  s'était  prolongée.  Cet  Àëtiusavaiteu  au 
synode  de  Sirmium  (351)  nue  discussion  avec  Basile  d'Ancyreel  Eusta- 
che  de  Sébaste,  dans  laquelle  l'avantage  lui  était  resté grâce  à  sa  con- 
naissance de   la   philosophie  d'Aristote.   A   Alexandrie,  où  l'évêque 


578  ARIANISME 

George  lui  rendit  ses  fonctions  de  diacre,  il  provoqua  avec  son  disciple 
Eunomius  la  renaissance  de  l'arianisme  strict.  Cette  tendance  à  laquelle 
s'adjoignirent  principalement  Acacius de Césarée,  Eudoxiusd'Antioche, 
Ursacius  et  Valens,  ne  fut  cependant  jamais  représentée  dans  le  parti 
arien  que  par  une  minorité  assez  petite,  à  cause  des  conséquences 
irréligieuses  auxquelles  elle  aboutissait.  Les  ariens  stricts  reçurent 
d'après  leur  doctrine  les  noms  d'anoméens  et  d' ' exoukontiens  (ôvé^oioç, 
s;  eux  ovxwv),  et  d'après  leurs  principaux  chefs  ceux  d" eunomiens, 
d'acaciens.  Ariûs  avait  défini  Dieu,  dans  le  sens  platonicien,  comme 
l'être  en  soi,  incompréhensible  même  au  Fils,  mais  il  avait  ajouté  que 
le  Fils  arrive  cependant  à  connaître  Dieu  dans  une  certaine  mesure, 
car  le  Père  se  révèle  à  lui  par  grâce.  Cette  dernière  thèse  fait  défaut 
chez  Aëtius  :  il  s'est  plu  à  élargir  encore  l'abîme  qu'Arius  avait  ouvert 
entre  l'être  absolu  du  Père  et  l'être  relatif  du  Fils.  D'après  lui,  le  Dieu 
non  engendré  ne  peut  pas  engendrer,  car  ce  serait  communiquer  sa 
substance  non  engendrée  à  un  être  engendré,  et  faire  naitre  dans  le 
temps  ce  qui  existe  déjà  de  toute  éternité;  d'ailleurs,  l'idée  de  géné- 
ration éveille  des  idées  trop  grossières  pour  qu'on  puisse  l'appliquer  à 
Dieu.  Le  Fils  a  donc  été  créé  par  la  volonté  du  Père;  il  n'a  pas  existé 
avant  d'avoir  été  créé  ;  sa  substance  est  différente  (èTcpoùatoç,  à^6[xoioq) 
de  celle  du  Père.  Le  Fils  ne  ressemble  au  Père  que  par  son  activité 
(par  la  volonté,  suivant  Acacius),  c'est-à-dire  par  la  puissance  de  créer 
qu'il  partage  avec  le  Père  et  qui  constitue  sa  divinité,  car  elle  l'élève 
au-dessus  du  niveau  ordinaire  des  créatures.  Il  n'existe  donc  en  Dieu 
ni  Père,  ni  Fils;  le  Verbe  est  en  lui-même  tellement  différent  de  Dieu, 
qu'il  ne  le  connaît  même  pas  :  plus  il  s'efforce  de  connaître  Dieu,  plus 
Dieu  se  cache  devant  lui.  Après  avoir  ainsi  abaissé  le  Fils  bien  plus 
que  ne  l'avait  fait  Arius,  et  au  point  de  s'attirer  le  surnom  d'athée, 
Aëtius  élève  l'homme  et  ses  facultés  jusqu'à  la  similitude  avec  Dieu, 
sans  se  préoccuper  de  la  contradiction  qu'il  peut  y  avoir  entre  cette 
thèse  et  la  précédente.  Dans  son  rationalisme  outré,  il  proclame,  d'après 
la  méthode  philosophique  d'Aristote, l'intelligibilité  absolue  de  Dieu  :  «  Je 
connais  Dieu  aussi  bien  que  moi-même;  la  faute  en  est  à  l'homme,  si  son 
intelligence  obscurcie  par  de  mauvaises  pensées  n'est  plus  capable  de 
comprendre  Dieu.  »  Suivant  Eunomius,  «  Dieu  ne  connaît  pas  mieux 
son  essence  que  nous  ne  la  connaissons  ».  Pour  Aëtius  et  son  disciple 
la  compréhension  parfaite  de  la  substance  divine  consistait,  en  effet, 
dans  la  notion  même  de  l'être  en  soi  (ày£Tr/]Gi%)  que  le  Père  seul 
possède.  Quant  au  Saint-Esprit,  il  n'était  pour  eux,  comme  pour  Arius, 
que  la  première  créature  du  Fils.  Les  eunomiens  n'administraient  le 
baptême  que  par  une  seule  immersion.  La  majorité  du  parti  arien,  à 
sa  tête  Basile  d'Ancyre,  Eustache  de  Sébaste,  Euzojus,  Auxentius  de 
Milan,  continua  à  représenter  la  tendance  plus  modérée  qui  s'était 
exprimée  dans  les  formules  d'Antioche  de  341  et  343.  Ces  semiariens 
('Hjjuapeioij  ariens  à  demi)  rejetaient  comme  sabellienne  la  doctrine  de 
l'unité  substantielle  du  Père  et  du  Fils  [p\Kooûisioq  =  TawTootaioç),  et  comme 
irréligieuse  celle  de  leur  différence  substantielle  (sTspouaioç).  D'après  eux, 
le  Fils,  engendré  du  Père  avant  tous  les  temps  et  par  la  volonté  du  Père, 


ARIANISMB  579 

et  non  créé  du  néant,  possède  une  substance  semblable  à  celle  du 
Père  (ojjloioç  kot'  oùaiav,  àjjwiotiaioç),  mais  qui  ne  lui  est  pas  égale,  car  elle 
n'esl  pas  non-engendrée  (àrfèwrpoç)  comme  elle.  Le  Filsôccupe  decette 

manière  une  position  [intermédiaire  entre  Dieu  et  les  créatures  :  de 
même  qu'il  a  été  homme  sans  être  identique  aux  hommes  par  rapport 
au  péché,  de  même  il  est  Dieu  sans  être  identique  à  Dieuquantà  L'être 
en  soi  (ÔY£vvT|(7(a)  et  L'éternité  absolue.  L'incohérence  et  le  peu  de 
profondeur  de  ces  opinions  dogmatiques,  qu'Athanase  a  fort  bien  rele- 
vées quand  il  a  comparé  ironiquement  la  ressemblance  du  Père  et  du 
Fils  dans  ce  système  à  la  ressemblance  de  l'argent  et  de  l'étain,  résid- 
aient de  la  fausse  position  qu'occupait  ce  parti  entre  les  exigences  de 
la  philosophie  et  celles  du  sentiment  religieux.  Les  semiariens  se 
payaient  de  mots  en  pensant  éviter  de  la  sorte  le  principe  de  la  diffé- 
rence substantielle  du  Père  et  du  Fils,  qui  restait  à  leur  insu  la  base  de 
leur  doctrine.  Cette  cause  intérieure  de  faiblesse  amènera  la  défaite  et 
la  dissolution  de  leur  parti.  Trompés  et  vaincus,  après  quelques  succès 
passagers,  par  la  minorité  turbulente  des  ariens,  ils  tenteront  de  se 
rapprocher  des  orthodoxes,  et  comme  ceux-ci  leur  demanderont  de 
reconnaître  le  symbole  de  Nicée,  le  moment  de  la  crise  sera  arrivé  : 
les  uns  seront  amenés  par  le  sentiment  chrétien  ou  par  l'intérêt  à 
..'  »  epter  la  foi  orthodoxe;  les  autres  accentueront  davantage  leur  hos- 
tilité contre  la  doctrine  de  Nicée  et  s'adjoindront  au  parti  de  l'aria- 
nisme  pur.  Ce  furent  les  ariens  qui  provoquèrent  cette  scission.  Sous 
prétexte  de  rétablir  la  paix  dans  l'Eglise,  ils  réussirent,  grâce  à  la 
faveur  dont  Ursacius  et  Valens  jouissaient  auprès  de  l'empereur,  à  faire 
adopter  par  le  deuxième  synode  de  Sirmium  (357)  la  déclaration  sui- 
vante :  «  Comme  les  termes  de  substance,  consubstantialité,  similitude 
de  substance  choquent  beaucoup  de  fidèles,  il  n'en  doit  plus  être  fait 
mention,  d'autant  plus  qu'ils  ne  sont  pas  scripturaires.  Le  mode  de  la 
génération  du  Fils  dépasse  l'intelligence  humaine;  seuls,  le  Père  et  le 
Fils  le  connaissent.  Cependant,  il  est  hors  de  doute  que  le  Père  est  plus 
grand  que  le  Fils,  car  le  Fils  l'a  dit  lui-môme.  »  Hosius,  âgé  de  plus 
de  cent  ans,  et  Libérius,  dont  deux  ans  d'exil  avaient  lassé  la  patience, 
signèrent  cette  formule  et  la  condamnation  d'Athanase,  pour  pouvoir 
rentrer  dans  leurs  diocèses.  Hosius  mourut  l'année  suivante  en  regret- 
tant amèrement  cet  acte  de  faiblesse.  Quant  à  Libérius,  il  informa 
lui-même  l'empereur  du  changement  de  ses  dispositions,  et  comme  la 
lettre  de  rappel  tardait  à  venir,  il  pria  les  évoques  orientaux  et  môme 
l  rsacius  et  Valens  d'intercéder  pour  lui  auprès  de  Constance  :  il  leur 
déclara  qu'il  n'avait  protégé  Athanase  que  par  égard  pour  son  pré- 
décesseur Jules,  que,  depuis  lors,  Dieu  lui  avait  fait  comprendre  la  légi- 
timité de  la  condamnation  d'Athanase,  qu'il  avait  rompu  toute  com- 
munion avec  lui  et  signé  de  grand  cœur  la  «  formule  catholique  de 
Sirmium  ».  Pendant  cette  capitulation  de  ses  principaux  chefs,  lYpis- 
copat  latin,  réuni  à  Agen,  protestait  de  son  dévouement  à  la  doctrine 
de  .Nicée.  Enhardis  par  Le  succès,  les  ariens  placèrent  par  ruse  un  des 
Leurs,  Eudoxius,  sur  le  siège  d'Antioche,  chassèrent  leurs  adversaires 
de  cette  ville,  .-t.  s'y  ('fuit  réunis  en  synode  (358),  envoyèrent  à  Ursa- 


580  AIUANLSME 

cius  et  à  Valens  une  lettre  de  félicitations  pour  l'habileté  avec  laquelle  il 
avait  amené  l'Occident  à  la  vraie  foi.  Irrités  de  ces  menées  audacieuses, 
les  semiariens  se  réunirent  à  Ancyre  (358)  et  condamnèrent  à  la 
fois  rhomœousie  orthodoxe  et  l'hétérousie  arienne,  après  avoir  affirmé 
leur  doctrine  propre  de  rhomœousie.  Puis  ils  envoyèrent  trois  délé- 
gués à  Sirmium  pour  informer  l'empereur  des  décisions  qu'ils  venaient 
de  prendre.  Ces  délégués  réussirent  si  bien  à  gagner  Constance  à  leur 
manière  de  voir,  qu'ils  obtinrent  qu'un  nouveau  synode  (le  troisième) 
serait  tenu  à  Sirmium  (358)  par  les  évoques  encore  présents  dans  cette 
ville.  Telle  était  alors  la  versatilité  des  esprits,  que,  pour  plaire  à  l'em- 
pereur, les  ariens  rejetèrent  la  confession  qu'ils  avaient  faite  à  Sir- 
mium Tannée  précédente,  et  en  adoptèrent  une  autre  qui  proclamait 
l'homœousie  du  Père  et  du  Fils.  Ursacius  et  Valens  la  signèrent,  ainsi 
que  Libérius,  qui  devint  aussi  aisément  semiarien,  qu'il  était  devenu 
arien  strict.  Les  semiariens  abusèrent  de  leur  victoire  :  ils  représentè- 
rent leurs  adversaires  auprès  de  Constance  non-seulement  comme  des 
hérétiques,  mais  encore  comme  des  gens  dangereux  au  point  de  vue 
politique,  qui  devaient  avoir  entretenu  des  intelligences  avec  le  neveu 
de  l'empereur,  Gallus,  exécuté  peu  auparavant  par  ordre  de  Constance. 
Aëtius  avait,  en  effet,  joui  pendant  quelque  temps  de  la  faveur  de 
Gallus.  Dans  une  lettre  à  l'Eglise  d'Antioche,  l'empereur  se  prononça 
en  faveur  du  semiarianisme  et  ordonna  à  l'évoque  Eudoxius  de  quitter 
la  ville.  11  bannit  de  même  les  autres  chef  s  de  l'arianisme  strict,  au  nom- 
bre de  dix-sept.  Mais  le  triomphe  des  semiariens  fut  de  courte  durée. 
Le  parti  vaincu  avait  à  la  cour  des  défenseurs  trop  habiles  pour  qu'il 
dût  rester  longtemps  en  disgrâce.  Ursacius  et  Valens  réussirent  à  dé- 
montrer à  l'empereur  que  sa  politique  de  persécution  religieuse  nuisait 
à  la  sécurité  de  l'empire,  et  ils  lui  inspirèrent  le  dessein  de  rendre 
la  paix  à  l'Eglise  par  le  moyen  d'un  nouveau  synode  et  d'une  nouvelle 
formule.  Les  évêques  bannis  furent  rappelés,  et  le  synode  fut  convoqué 
à  Nicée.  Mais  les  ariens ,  pour  ne  pas  avoir  à  combattre  tous  leurs 
adversaires  à  la  fois,  insinuèrent  qu'il  serait  trop  difficile  et  trop  coû- 
teux de  réunir  tous  les  évêques  dans  une  seule  ville  et  firent  ainsi 
échouer  le  plan  d'un  synode  unique.  Constance  décréta  que  les  Occiden- 
taux se  réuniraient  à  Rimini.,  et  les  Orientaux  àSéleucie,en  Isaurie.Une 
quatrième  formule,  adoptée  à  Sirmium,  par  les  évêques  encore  présents 
dans  cette  ville,  devait  servir  de  base  aux  délibérations  des  deux  assem- 
blées. Il  y  était  dit  que  le  terme  de  substance  (et  par  conséquent  aussi 
tous  ses  composés)  ne  devait  plus  être  employé  à  propos  de  Dieu  comme 
n'étant  pas  scripturaire,  et  que  «  le  Fils  est  semblable  au  Père  en  toutes 
choses,  comme  le  disent  les  Saintes  Ecritures  ».  Cette  dernière  propo- 
sition, ajoutée  sur  l'ordre  exprès  de  l'empereur,  semblait  donner  gain 
de  cause  aux  semiariens,  qui  n'avaient  consenti  assurément  à  la  sup- 
pression du  mot  substance,  ousia,  que  pour  atteindre  par  là  le  mot 
d'ordre  de  l'orthodoxie,  et  celui  de  l'arianisme,  tout  eh  maintenant 
debout  leur  propre  doctrine,  puisque  la  similitude  de  substance  fait 
évidemment  partie  de  la  similitude  «en  toutes  choses».  Les  ariens,  de 
leur  côté,    s'applaudissaient  de  l'interdiction  de  ce   terme,   car  ils  y 


AttlANISME  581 

voyaient  implicitement  renfermée  celle  de  tous  les  symboles  orthodoxe  s 
el  semiariens  qui  le  contenaient;  et  ils  se  retranchaient  derrrière  les 

mots  «  comme  le  disent  les  Saintes  Ecritures  »  pour  pouvoir  interpré- 
ter à  leur  façon  la  thèse  semiarienne  qui  précède.  Chaque  parti  s'ima- 
ginait avoir  obtenu  l'avantage  sans   rien   céder   lui-même;    on  avait 
cherché    réciproquement  à  se  tromper  :  la   victoire  devait  appartenir 
aux  plus  habiles.  —Le  synode  de  Rimini  s'ouvrit  le  premier  (359),  sous 
la  présidence  de  l'évêque  orthodoxe  de  Cartilage,  Restitutus,  et  la  sur- 
veillance d'un  officier  de   l'empereur.  Ce  dernier  avait  ordre  de  ne 
laisser  partir  les   évêques  que  lorsqu'ils  se  seraient  entendus   sur  les 
questions  qui  leur  seraient  soumises.  Sur  quatre  cents  évêques,  quatre- 
vingts  étaient  ariens.  Les  orthodoxes,  qui  formaient  la  majorité,  repous- 
sèrent la  quatrième  formule  de  Sirmium,  et  condamnèrent  comme  héré- 
tiques toutes  les  formules  faites  depuis  325;  ils  signèrent  le  symbole 
de  Nicée  et  déclarèrent  que  l'expression  de  substance  devait  rester  en 
usage.  Ursacius  et  Valens,    avec  un   certain   nombre  de  leurs  amis, 
furent  excommuniés.  Mais  les  dix  délégués,  qui  devaient  annoncer  ces 
décisions  à  l'empereur,  furent  prévenus  à  la  cour  par  les  ariens,  si 
bien  que  Constance  leur  ordonna  de  demeurer  à  Andrinople  jusqu'à 
son  retour,  et  il  partit  pour  la  guerre  contre  les  Perses.   Les  menaces 
de  l'empereur,  une  attente  de  six  mois,  et  la  considération  que  la  foi 
orthodoxe  n'était  pas  réellement  atteinte  par  le  rejet  d'un  terme  non 
scripturaire,   amenèrent    ces    délégués  à   composition  :  ils   signèrent 
à  Nice,  en  Thrace,  une  formule  rédigée  par  Ursacius  et  Valens,  et  sem- 
blable à  la  quatrième  formule  de  Sirmium,  si  ce  n'est  qlffe* l'interdic- 
tion  prononcée   contre   le   terme  de  substance  était  encore  étendue  à 
celui  d'hypostase,  et  que  les  mots  «  en  toutes  choses  »  y  manquaient. 
Les  évêques  de  Rimini  détruisirent  leur  propre  ouvrage  et  acceptèrent 
presque  tous  cette  formule.  Ils  écrivirent  même  à  l'empereur  pour  le 
remercier  de  leur  avoir  enseigné  à  ne  plus  se  servir  de  termes  étran- 
gers à  l'Ecriture  et  choquants   pour  les  fidèles,  et  pour  lui   déclarer 
qu'ils  rejetaient  l'expression  de  consubstantielle  comme  indignede  Dieu, 
parce  quelle  ne  se  trouve  pas  dans  la  Bible.  Le  synode  de  Séleucie 
commença  quelque  mois  plus  tard  (359).  Il  se  composait  de  cent  cinq 
semiariens,  de  quarante  ariens  et  de  dix  orthodoxes,  parmi  lesquels  se 
trouvait  Hilaire,  de  Poitiers,  que  Constance  avait  exilé  en  Phrygie  après 
Le  synode  de  Milan.  Un  officier  impérial  assistait  aux  séances.  Les  ariens 
ouvrirent  hardiment  la  discussion  sur  la  base  de  la  quatrième  formule 
Sirmium,  et  cherchèrent  à  réfuter  la  doctrine  semiarienne  en  décla- 
rant que  deux  substances  peuvent  être  identiques  ou  différentes,  mais 
non  semblables  :  à  l'appui  de  cette  thèse,   ils  lurent  un  sermon  pro- 
noncé autrefois  par  Aëtius  à  Antioche,  où  il  était  dit  qu'il  n'existe  à 
proprement  pari. m-  en  Dieu  ni  Père  ni  Fils,  sansquoi  il  faudrait  admet- 
tre que  Dieu  a   une  femme  et  des  organes  de  génération  ;    et  que  le 
Verbe,  loin  de  ressembler  à  Dieu,  ne  le  connaît  même  pas.  Cette  lecture 
provoqua  un  grand  tumulte  dans  l'assemblée.  Effrayés  de  ces  consé- 
quences extrêmes  du  principe  arien,  les  semiariens  se  rapprochèrent 
des  orthodoxes  et  se  déclarèrent  prêts  à  signer  le  symbole  de  Nicée  si 


582  AKIANISME 

Ton  en  retranchait  le  mot  «  consnbstantiel  ».  Cette  attitude  des  semia- 
riens  décida  les  ariens  à  quitter  la  séance  et  à  envoyer  le  lendemain 
au  synode  une  lettre,  dans  laquelle,  cachant  leurs  véritables  opinions 
de  peur  d'un  désastre,  ils  se  déclaraient  prêts  à  signer  la  deuxième 
formule  d'Antioche  de  Tan  241  ;  ils  continuaient,  il  est  vrai,  à  rejeter 
comme  non  scripturaires  les  mots  d'ordre  de  l'orthodoxie  et  dusemia- 
rianisme,  mais   ils   condamnaient  «  ceux  qui  disent  que  le  Fils  est 
dissemblable  (ôvo^oioç)  au  Père  »,  et  confessaient  d'une  manière  équi- 
voque que  le'  Fils  est  semblable  (o^oioç)  au  Père.   Interrogé   dans  la 
séance  suivante,  sur  ce  qu'il  entendait  par  ces  derniers  mots,  Acacius 
déclara  que  le  Fils  ressemble  au  Père  non  par  l'essence,  mais  par  la 
volonté.  Alors  le  tumulte  recommença  et  l'on  dut  lever  la  séance.  Les 
ariens  ne  reparurent  plus.  Restés  seuls,  les   semiariens  et  les  ortho- 
doxes excommunièrent  les  principaux  chefs  des  ariens  et  s'entendi- 
rent pour  signer  la  deuxième  formule  d'Antioche.   Mais  les  délégués 
qu'ils  envoyèrent  à  l'empereur  furent  également  prévenus  par  les 
ariens  et  trouvèrent  l'empereur   mal   disposé  à  leur  égard.  Pour  lui 
dévoiler  les  vraies  doctrines  des  ariens,  ils  lui  présentèrent  le  sermon 
d'Aëtius:  les  ariens,  réduits  à  détourner  l'orage  sur  .une  seule  tête  afin 
de  sauver  tout  leur  parti,  déclinèrent  toute  responsabilité  quant  aux  doc- 
trines contenues  dans  cet  écrit,  et  le  présentèrent  comme  l'œuvre  per- 
sonnelle d'Aëtius,  qui  fut  exilé  en  Phrygie.  Rentrés  en  faveur  auprès  de 
Constance,  grâce  à  ce  stratagème,  ils  tendirent  à  leur  tour  un  piège  à  leurs 
adversaires.  I/empereur,  sur  leurs  conseils,  demanda  aux  délégués  semia- 
riens de  condamner  le  terme  d'homœousie,  et,  comme  ils  s'y  refusèrent,  il 
s'irrita  contre  eux  comme  il  s'était  irrité  contre  Aëtius  et  déclara  qu'il 
exilerait  tous  les  membres   du   synode  qui  ne   rejetteraient  pas  cette 
expression.  Ces  menaces  eurent  l'effet  désiré  :  le  synode  semiarien  de 
Séleucie  capitula,  comme  l'avait  fait  le  synode  orthodoxe  de  Rimini,  et 
reconnut  la  quatrième  formule  de  Sirmium.  Cela  n'empêcha  pas  Con- 
stance de  bannir  peu  de  temps  après  les  principaux  chefs  des  semiariens, 
sous  divers  prétextes  suggérés  par  les  ariens  et  de  donner  leurs  sièges 
à  ceux-ci.  Eudoxius  remplaça  Macédonius  à  Constantinople ;  Eunomius 
devint  évêque  de  Cyzique.  La  minorité  arienne,  excommuniée  dans  les 
deux  assemblées,  avait  fini  par  triompher,  à  force  d'intrigues,  des  deux 
majorités  hostiles,  après  les  avoir  isolées  Tune  de  l'autre.  Cette  victoire 
fut  encore  consolidée  au  synode  de  Constantinople  (360),  auquel  assista 
Ulphilas.  La  formule  signée  à  Nice  et  à  Rimini  y  fut  adoptée,  et,  par 
ordre  de  Constance,  expédiée  dans  toutes  les  provinces,  avec  obligation 
pour  les  évêques  de  la  signer,  sous  peine  de  bannissement.  Il  s'ensui- 
vit une  confusion  générale.  Cependant,  le  succès  des  ariens  n'était,  au 
fond,  qu'illusoire  aussi  longtemps  qu'ils  étaient  obligés,  pour  le  faire 
durer,  de  cacher  leurs  vraies  doctrines.  Eunomius  tenta  le  premier  de 
jeter  le  masque.  Il  s'en  suivit  une  sédition  à  Cyzique.  Eudoxius,  chargé 
par  Constance  de  l'examen  de  l'affaire,  fut  obligé  de  sacrifier  son  ami, 
comme  il  avait  sacrifié  Aëtius  :  il  le  destitua.  L'année  suivante,  l'occa- 
sion de  se  révéler  sous  leur  vrai  jour  parut  plus  favorable  aux  ariens. 
Le  successeur  d'Eudoxius  à  Antioche,  Mélétius,  s'était  subitement  con- 


ÀRIÀNIS&E  588 

verti  à  l'orthodoxie  el  avait  été  exilé  en  Arménie,  après  le  synode  de 
Constant inople.  Son  successeur,   l'arien  Euzojus,  convoqua  un  synode 
à  Autioehe,  dans  lequel  les  ariens  se  crurent  assez  sûrs  du  succès  pour 
proposer  la  suppression  des  mots  «  semblable  au  Père  »  dans  la  for- 
mule de  Rimini,  comme  on  y  avait  supprimé  déjà  les  mots  «  en  toutes 
choses  »,  et  ils  soutinrent  aiidaeieusement  «pie  le  Fils  est  dissemblable 
(àsvéîiiioç)  au  Père  non-seulement  quant  à  l'essence,  mais  aussi  quant  à 
la  volonté,  et  qu'il  a  été  vvcr  du  néant.  Sur  la  demande  des  semiariens, 
comment,  avec  de  telles  opinions,  ils  avaient  pu  si  souvent  appeler  le 
Fils  «  Dieu  issu  de  Dieu;  »  ils  répondirent  (pie  saint  Paul  avait  bien  dit 
que  toutes  les  créatures  sont  issues  de  Dieu;  que,  d'ailleurs,  ils  n'avaient 
admis  la  ressemblance  du  Fils  et  du  Père  que  sous  la  réserve  «  selon 
l'Ecriture  ».  Malgré  leurs  efforts,  le  synode  ne  consentit  pas  à  la  sup- 
pression demandée.  Déjà  ils  avaient  pris  toutes   leurs  mesures   pour 
inciix  réussir  dans  une  nouvelle  assemblée  convoquée  à  Nicée,  quand 
Constance  mourut  subitement  (361),  après  avoir  été  baptisé  par  Euzo- 
jus.—  Julien  rappela  tous  les  évèques  bannis.  L'influence  de  la  cour  sur 
les  affaires  de  l'Eglise  ayant  complètement  cessé,  tous  les  partis  profi- 
tèrent de  la  liberté  religieuse  qui  leur  avait  été  accordée  pour  formuler 
leurs  doctrines  et  excommunier  leurs  adversaires.  Une  foule  de  synodes 
turent  réunis,  tant  en  Occident  qu'en  Orient;    la   vie   ecclésiastique, 
longtemps  comprimée,  se  réveillait  partout.  Au  synode  de  Paris  (361),  les 
évêques  latins,  à  leur  tète  Hilaire  de  Poitiers,  se  constituèrent  les  défen- 
seurs de  la  toi  orthodoxe,  déclarèrent  nul  et  non  avenu  ce  qu'ils  avaient 
fait  à  Rimini  et  envoyèrent  une  lettre  synodale  aux  semiariens  d'Orient 
dont  Hilaire  parait  avoir  gardé  un  bon  souvenir,  pour  combattre  chez 
eux  le  préjugé  d'après  lequel  la  doctrine  de  l'homoousie  mènerait  au 
sabellianisme  :  «  Nous  entendons  seulement  exprimer,  par  le  terme  de 
cousu bstantiel,  que  le  Fils  a  été  réellement  engendré   de  Dieu,    qu'il 
possède  avec  le  Père  une  seule  et  même  essence,  et  qu'il  n'est  ni  une 
créature  ni  un  fils  adoptif  »,  et  pour  établir  une  entente  avec  eux  sur 
un  terrain  commun  :  «  Nous  pouvons  bien  tolérer  l'expression  «  sem- 
blable quant  à  la  substance  »  (  ouoiofooç) ,  pourvu  qu'on  entende  par 
là  <pie  le  vrai  Dieu  ressemble  au  vrai  Dieu  ».  Athanase  était  rentré  en 
triomphe  à  Alexandrie  (362).  Il  y  tint  un    synode,   auquel  assistèrent 
quelques  évèques  occidentaux  revenant  de  l'exil,  entre  autres  Lucifer 
de  Gagliari;  Ton  y  discuta  la  question  de  la  réadmission  dans  l'Eglise 
<i      évêques  qui  avaient  signé  l'une  des  dernières  confessions  ariennes. 
Sur  l'avis  d' Athanase,  on  convint  d'user  d'indulgence  à  leur  égard  et  de 
leur  demander  seulement  de  confesser  la  doctrine  de  Nicée,  de  maudire 
l'hérésie   arienne  et  «  l'hérésie  de  ceux  qui  disent  (pie  le  Saint-Esprit 
est  une  créature  et  qu'il  est  d'une  substance  différente  de  celle  du  Fils.  » 
A  ces  conditions,  ceux  des  évèques  qui  n'avaient  t'ait  (pie  céder  par 
faiblesse  pouvaient  reprendre  possession  de  leurs  sièges;  ceux,  au  con- 
traire, qui  avaient  été  les  fauteurs  de  l'hérésie  ne  pouvaient  plus  obte- 
nir que  la  réconciliation  avec  l'Eglise.  Lesynode  se  proposa  également 
de  rétablir  l'union  dans  le  parti  orthodoxe  d'Antioche.  Mélétius,  en 
effet,  n'avait  pas   réussi  à  rallier  autour  de  lui  tous  les  adhérents  de 


584  ARIANISME 

l'ancien  évêque  Eustache;  un  certain  nombre  d'entre  eux  avaient 
formé  un  parti  distinct,  sous  la  direction  du  presbytre  Paulin.  Ceux-ci 
reprochaient  à  Mélétius  de  placer  dans  la  Trinité  trois  «  hypostases  » 
et  une  «  substance  »,  termes  que  le  symbole  de  Nicée  avaient  employés 
comme  synonymes  (ScrcTsasswç  'r\  oùçr(aç)  ,car  «  hypostase  »  est  la  traduc- 
tion exacte  du  latin  substantia  (Hosius était  latin).  A  la  place d'  «hypos- 
tases »,  ils  disaient  «  personnes  »  (::pc:7a)7:a).  Mélétius  cependant,  loin 
d'incliner  par  cette  expression  vers  l'arianisme,  ne  faisait  que  se  con- 
former à  l'usage  de  la  langue  orientale  dans  laquelle  «  hypostase  » 
signifie  «  personne  ».  Au  lieu  de  dissiper  ce  malentendu,  Lucifer,  que 
le  synode  avait  envoyé  à  Antioche,  approuva  les  mélétiens  de  s'en  tenir 
strictement  à  la  lettre  du  symbole  de  Nicée  et  nomma  Paulin  évêque 
d'Antioche.  La  lutte  devait  encore  continuer  pendant  cinquante  ans 
entre  les  partisans  des  deux  évêques.  Ce  même  Lucifer,  trouvant  trop 
douces  les  conditions  imposées  par  le  synode  d'Alexandrie  aux  évêques 
qui  avaient  fait  profession  d'arianisme,  se  sépara  de  ses  collègues,  et, 
poursuivant  avec  ses  adhérents  le  rêve  d'une  Eglise  complètement  pure, 
forma  le  parti  clés  lucifériens  qui  persévéra  dans  le  schisme  jusqu'après 
la  mort  de  son  fondateur.  La  querelle  arienne  venait  de  s'enrichir 
d'une  nouvelle  question  dogmatique,  celle  de  la  place  du  Saint-Esprit 
dans  la  Trinité.  Personne  n'avait  encore  songé  à  la  soulever  jusqu'à 
présent,  tant  la  controverse  sur  la  nature  du  Fils  avait  préoccupé  les 
esprits.  Le  synode  d'Alexandrie  décida  que  la  substance  du  Saint-Esprit 
est  inséparable  de  celle  du  Père  et  du  Fils,  et  qu'il  n'y  a  qu'une  seule 
divinité  dans  la  Trinité.  En  363,  Julien  ordonna  subitement  à  Athanase 
de  quitter  Alexandrie.  S'était-il  rendu  coupable  d'attaques  contre  le 
paganisme,  qui  était  la  religion  de  l'empereur,  ou  bien  le  zèle  même 
avec  lequel  il  s'efforçait  de  consolider  l'Eglise  et  sa  doctrine  au  milieu 
de  l'anarchie  ecclésiastique  et  théologique  qui  régnait  alors,  l'avait-il 
rendu  odieux  à  Julien?  11  partit  pour  la  Thébaïde  ;  mais,  dès  l'année 
suivante,  le  successeur  de  Julien,  Jovien,  qui  était  orthodoxe,  le  rappela. 
Se  réglant  sur  les  dispositions  de  l'empereur,  les  semiariens  se  rap- 
prochèrent des  orthodoxes  :  le  symbole  de  Nicée  fut  adopté  par  le  synode 
d'Antioche  (364),  mais  on  laissa  à  la  dérobée  une  porte  ouverte  au 
semiarianisme,  en  déclarant  que,  par  le  terme  de  consubstantiel 
(ôjjiooiîoiûç),  on  avait  voulu  exprimer  que  le  Fils  est  né  de  la  substance 
du  Père  et  qu'il  lui  est  semblable  d'après  la  substance  (ofAOtcuoioç),  et 
en  passant  sous  silence  la  divinité  du  Saint-Esprit.  —  A  Jovien  succédèrent 
en  Occident  l'orthodoxe  Yalentinien,en  Orient  l'arien  Valens  (364).  Le 
caprice  théologique  de  ce  dernier  rendit  aux  ariens  une  domination 
qu'ils  n'avaient  plus  exercée  depuis  la  mort  de  Constance.  Espérant 
que  les  semiariens  se  rendraient  à  ses  désirs  et  adopteraient  les  doctrines 
ariennes,  il  réunit  un  synode  à  Lampsaque  ;  mais  au  lieu  de  la  fusion 
qu'il  attendait,  la  majorité  semiarienne  décida  le  rejet  absolu  de  la  for- 
mule de  Rimini  et  l'adoption  de  la  deuxième  formule  d'Antioche  avec 
la  déclaration  que  «  le  Fils  est  semblable  au  Père  en  toutes  choses  » . 
Valens,  après  avoir  exhorté  une  dernière  fois  les  semiariens  à  s'enten- 
dre avec  Eudoxius  et  ses  amis,  envoya  les  principaux  d'entre  eux  en 


AIUÀNISME  585 

exil.  Dans  cette  extrémité,  les  semiariens  résolurent  de  chercher  un 
appui  en  Occident  auprès  d<^  orthodoxes.  Ils  envoyèrent  à  Valentinien 
et  à  Libérius  une  députât  ion  avec  des  lettres,  dans  lesquelles  ils  décla- 
rent qu'ils  étaient  toujours  restés  fidèles  à  la  foi  de  Nicée  et  qu'ils 
condamnaient  les  hérésies  deSabellius,  de  Paul  de  Samosate  et  d'Arius, 
et  surtout  la  formule  de  Rimini.  Gomme  ils  avaient  prudemment  recom- 
mandé à  leurs  délégués  d'éviter  toute  discussion  dogmatique,  Libérius 
et  d'autres  évèques  latins  furent  trompés  par  les  apparences  et  répon- 
dirent aux  Orientaux  qu'ils  les  recevaient  comme  frères  dans  leur  com- 
munion. Fondée  en  Occident  sur  la  dissimulation,  cette  alliance  entre 
le  semiarianisme  et  l'orthodoxie  ne  pouvait  durer  en  Orient  que  par 
l'équivoque.  Au  synode  de  Tyane  (367),  dans  lequel  les  délégués  ren- 
dirent compte  de  leur  mission,  Ton  fut  obligé,  pour  éviter  une  rupture, 
de  recourir  à  une  formule  semblable  à  celle  de  Tannée  364.  Sentant  la 
nécessité  de  consolider  leur  union  avec  les  orthodoxes  d'Orient  pour 
s'assurer  d'une  manière  durable  les  sympathies  des  orthodoxes  d'Occi- 
dent, les  semiariens  convoquèrent,  dans  ce  but,  un  synode  à  Tarse; 
mais  Yalens,  irrité  de  ces  menées,  fit  échouer  le  synode  en  bannissant 
tous  les  évèques  qui  étaient  revenus  de  l'exil  sous  Julien.  Athanase 
quitta  pour  la  cinquième  et  dernière  fois  Alexandrie  (367)  et  demeura 
caché  plus  de  quatre  mois,  non  loin  de  la  ville,  dans  le  tombeau  de 
son  père.  Les  séditions  populaires  qui  éclatèrent  à  Alexandrie  pendant 

mps,  décidèrent  Yalens  à  laisser  Athanase  reprendre  possession  de 
son  siège.  Il  n'y  fut  plus  inquiété  jusqu'à  sa  mort  (373).  Evêque  pen- 
dant quarante-cinq  ans,  il  en  avait  passé  vingt  en  exil.  Il  a  rempli  vis- 
à-vis  du  pouvoir  impérial  et  de  l'hérésie  le  rôle  que  les  papes  devaient 
remplir  dans  la  suite.  Véritable  représentant  de  l'unité  de  l'Eglise  à  une 
époque  où  l'autorité  de  Rome  était  encore  dans  son  enfance,  il  a  pré- 
servé la  doctrine  de  l'Eglise  de  tout  alliage  étranger,  et  il  a  défendu, 
non  le  principe  de  la  liberté  de  conscience,  mais  celui  de  la  liberté  de 
L'Eglise  catholique,  acceptant  déjà  tacitement  que  la  puissance  civile  se 
mette  au  service  de  l'Eglise,  mais  ne  souffrant  jamais  qu'elle  la  domine. 
En  paix  avec  les  Goths  depuis  369,  Valens  était  entré  depuis  lors  de 
plus  en  plus  dans  la  voie  des  persécutions.  Les  orthodoxes  avaient 
envoyé  quatre-vingts  délégués  à  Nicomédie  pour  se  plaindre  à  l'empe- 
reur  des  violences  commises  à  Constantinople  parjles  ariens  sur  Eva- 

is,  successeur  d'Eudoxius;  Yalens  lit  placer  ces  délégués  sur  un 
b  tteau  qu'on  incendia  à  la  sortie  du  port.  Mélétius  d'Antioche,  Pelage 
de  Laodicée,  Cyrille  de  Jérusalem,  Barsôs  d'Edesse  furent  exilés;  un 
I  nombre  d'évêques  furent  déposés,  entre  autres  Grégoire  de 
Nysse.  A  Antioche  et  à  Edesse,  des  scènes  de  carnage  suivirent  le  départ 
des  évèques.  Des  troubles  sanglants  éclatèrent  à  Alexandrie  lors  de 
rentrée  de  l'évêque  arien  Lucius  et  de  l'expulsion  de  Pierre,  qu'Atha- 
avait  désigné  comme  son  successeur.  Enfin,  un  édit  ordonna  de 
rechercher  les  moines  dans  leurs  solitudes  et  de  les  enrôler  dans  les 
armées.  C'est  en  vain  que  Valentinien  exhorta  son  frère  à  la  modéra- 
tion. Un  i  hilosophe  païen.  Thémislius,  lui  adressa  même  un  appel  ana- 
logue, en  lui  citant  l'exemple  des  païens  qui  ne  se  persécutent  point 
i.  38 


58C  ARIANISME 

entre  eux,  car  «  ils  savent  que  la  divinité  prend  plaisir  à  la  diversité 
des  opinions  ».  Pendant  ce  temps,  l'orthodoxie  triomphait  en  Occident 
sous  Valentinien.  Damase,  successeur  de  Libérius,  tint  à  Rome  deux 
synodes  qui  excommunièrent  Ursacius,  Yalens  et  Auxentius  de  Milan. 
Un  synode  réuni  en  Illyrie  destitua  six  évoques  ariens,  confessa  la  doc- 
trine de  Nicée,  défendit  d'interpréter  désormais  le  terme  de  «  consub- 
stantiel  »  par  celui  de  «  semblable  d'après  la  substance  »,  et  étendit  au 
Saint-Esprit  la  consubstantialité  du  Père  et  du  Fils.  Pareille  décision 
fut  prise  à  Iconium,  au  milieu  des  persécutions  de  Yalens  :  «  Quicon- 
que lit  avec  intelligence  la  confession  de  Nicée,  y  trouvera  un  ample 
enseignement  sur  le  Saint-Esprit;  ce  qui  y  est  dit  du  Père  et  duFils  s'ap- 
plique aussi  à  l'Esprit,  puisqu'aucune  nature  étrangère  ne  peut  être  jointe 
à  Dieu  dans  la  Trinité.  Les  paroles  de  Jésus  instituant  le  baptême  mon- 
trent bien  qu'il  y  a  en  Dieu  trois  hypostases  et  une  seule  divinité.  Ne 
pas  ranger  l'Esprit  sur  la  même  ligne  que  le  Père  et  le  Fils,  ne  pas  l'ho- 
norer autant  qu'eux,  c'est  pécher  contre  l'Esprit.  »  — Valentinien  avait 
deux  fils,  Gratien  et  Valentinien  IL  Le  premier  lui  succéda  en  Occident 
(375)  ;  il  était  orthodoxe  décidé.  Le  second  demeura  sous  la  tutelle  de 
sa  mère  Justine,  zélée  arienne.  La  mort  de  Valens  (378)  fit  de  Gratien  le 
seul  maître  de  l'empire.  Il  rappela  tous  les  évêques  bannis  sous  Valens 
et  publia  un  édit  de  tolérance  qui  accordait  la  liberté  religieuse  à  tous 
les  partis,  excepté  aux  manichéens,  aux  photiniens,  aux  eunomiens.  Les 
semiariens  relevèrent  la  tête,  et,  ne  jugeant  plus  nécessaire  de  voiler 
leurs  doctrines  pour  conserver  l'alliance  des  orthodoxes,  ils  condam- 
nèrent, au  synode  d'Antioche  en  Carie  (378),  le  terme  de  consubstan- 
tiel  et  proclamèrent  leurs  doctrines  particulières.  L'année  suivante, 
Gratien  s'adjoignit  Théodose,  auquel  il  abandonna  l'Orient.  Lui-même 
se  rendit  en  Occident,  où  Ambroise  de  Milan  venait  de  faire  élire  un 
évêque  orthodoxe  àSirmium,  malgré  les  efforts  de  Justine.  L'influence 
qu'Ambroise  exerça  bientôt  sur  lui  le  détermina  à  révoquer  son  édit 
de  tolérance  dans  cette  partie  de  l'empire.  L'orthodoxie  nicéenne  fut 
désormais  en  Occident,  jusqu'à  l'époque  des  invasions,  la  seule  forme 
légale  du  christianisme.  En  Orient,  Théodose,  après  une  trêve  momen- 
tanée nécessitée  par  la  guerre  des  Goths,  publia  en  380  un  édit  portant 
que  «  tout  le  monde  est  tenu  d'accepter  la  foi  enseignée  par  les  évêques 
Damase  de  Rome  et  Pierre  d'Alexandrie,  et  de  confesser  [la  divinité 
du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  »  Ceux  qui  refuseront  de  se  sou- 
mettre seront  considérés  comme  hérétiques  et  infâmes  et  recevront  les 
punitions  qu'ils  méritent,  suivant  la  justice  de  Dieu  et  celle  de  l'empe- 
reur. L'arianisme  était  poursuivi  comme  crime  public  ;  le  dogme  de 
Nicée  était  devenu  la  religion  de  l'Etat.  L'année  suivante,  une  nouvelle 
loi  défendit  aux  hérétiques  de  toutes  les  catégories  de  célébrer  leur 
culte  dans  les  villes  ;  leurs  églises  devaient  être  remises  aux  orthodoxes. 
Théodose  appela  au  siège  de  Constantinople  Grégoire  de  Nazianze,  qui 
était,  avec  ses  deux  compatriotes  Rasile  de  Césarée  et  Grégoire  de  Nysse, 
le  plus  ferme  appui  de  l'orthodoxie  en  Orient  depuis  la  mort  d'Atha- 
nase.  Pour  consolider  définitivement  la  victoire  de  l'orthodoxie  tant  en 
Orient  qu'en  Occident  et  terminer  la  querelle  sur  le  Saint-Esprit  par 


ARTANISMB  587 

une  décision  irrévocable  de  l'Eglise,  Théodqse  convoqua  le  quatrième 
concile  oecuménique  à  Constantinople  (381).  Les  semiariens,  au  nom- 
bre de  trente-six.  que  Ton  invita  à  signer  le  symbole  de  Nicée,  comme 
ils  Payaient  fait  dans  leur  lettre  à  Libérais,  et  à  confesser  la  consubstan- 
tialité  du  Fils  et  du  Saint-Esprit, quittèrent  le  synode  en  déclarant  que, 
plutôt  que  d'y  consentir,  ils  deviendraient  ariens.   Ils  reçurent  le  nom 
d'ennemis  du  Saint-Esprit  (•rçveuparoijwr/ot) ,  Le  concile  confirma  le  sym- 
bole de  Nicée  et  décida  que  le  Saint-Esprit  procède  du  Père  et  qu'il  doit 
être  adoré  et  honoré  comme  le  Père  et  le  Fils.  Deux  ans  plus  tard, 
Théodose  lit  un  dernier  essai  de  conciliation  entre  les  orthodoxes  et  les 
ariens  des  deux  tendances  au  synode  de  Fonstantinople  (383).  Tous  les 
partis  lurent  invités  à  lui  remettre  un  exposé  de  leurs  croyances.  La 
confession  d'Eunomius  a  été  conservée;  elle  développe  dans  toute  leur 
crudité  les  maximes  de  Farianisme  strict.  Cette  tentative  échoua,  et  les 
persécutions    recommencèrent    pour  durer  jusqu'à  l'extirpation   de 
L'hérésie  arienne.  Les  ariens  furent  privés  des  droits  de  citoyen,  et  les 
magistrats  furent  rendus  personnellement  responsables  de  l'exécution 
des  ('(lits  publiés  contre  eux.L'arianisme  se  releva  une  dernière  fois  en 
Occident,  après  la  mort  de  Gratien.  Pendant  l'absence  de  l'usurpateur 
Maxime,  Justine  accorda,  au  nom  de  son  fds  mineur,  la  liberté  reli- 
gieuse aux  ariens  et  remit  en  vigueur  la  formule  de  Rimini  ;  mais  elle 
échoua,  devant  la  fermeté  d'Ambroise,  dans  son  dessein  d'introduire 
l'hérésie  dans  l'Eglise  de  Milan;  révoque  et  les  fidèles  préférèrent  pas- 
rois  jours  et  trois  nuits  dans  la  principale  église  de  la  ville,  plutôt 
que  de  la  laisser  envahir  par  les  soldats  de  l'impératrice,  postés  aux 
portes.  L'arrivée  de  Maxime,  qui  était  orthodoxe,  et  la  fuite  de  Justine 
1  ■•  son  fils,  mirent  fin  à  celle  résurrection  éphémère  de  l'hérésie.  En 
Orient,  Arcadius  rendit  plus  sévères  encore  les  lois  publiées  par   son 
père  contre  les  ariens.  Il  leur  défendit  de  tester,  de  recevoir  des  legs, 
-  anplir  n'importe  quelles  fonctions  publiques  ou  ecclésiastiques; 
îles  officiers  spéciaux  furent  chargés  de   rechercher  les  hérétiques, 
d'envoyer  leurs  prêtres  en  exil  et  de  confisquer  les  maisons  où  ils  se 
réunissaient.  Ces  rigueurs  amenèrent  peu  à  peu  la  disparition  de  l'héré- 
sie. D'ailleurs,  à  la  cause  extérieure  de  sa  ruine  se  joignit  une  cause 
intérieure  non  moins  efficace  :   Farianisme   épuisé   s'émietta  en  une 
foule  de  petites  fractions  rivales  qui  s'excommuniaient  entre  elles  à 
propos  des  questions  les  plus  oiseuses.  A  Constantinople,  par  exemple, 
pose  lança  l'anathème  sur  la  question  de  savoir  s'il  convient  de  donner 
à  Dieu  le  nom  de  Père  avant  ou  après  la  génération  du  Fils.  La 'par- 
ution, loin  de  rendre  au  parti  arien  une  partie  de  sa  cohésion  pre- 
re,  ne  fit  que  hâter  sa  dissolution.  La  pensée  des  docteurs  chrétiens, 
dégoûtée  de  ces  discussions  stériles,  s'était  tournée  depuis  un  certain 
tps  vers  de  nouveaux  problèmes.  —  Les  sources  de  Farianisme  sont 
le  mieux  indiquées  dans  Kurtz,  Lehrbuch   der  Kirchengesck.,  1,  144, 
llitau,  1874.  Ouvrages  catholiques  :  Maimbourg,  llist.  de  l'Arian.,  Pa- 
ris, 107:;  ;  Hefele,  Coneiliengeich^  F  227  ss.,  Fribourg,  180;;  ;  Moehler, 
Alhaa.  (L  Gr.  u.  s.  Zeit  (2"  édit.),  Mayence.  18U,  trad.  en  français  par 
P,  Cohen,  Paris,  1840,  et  analysé  dans  la  Revue  '/es-  Deux-Mondes  par 


588  APJANISME  —  ARISTIDE 

Lherminier,  juin,  1843.  Ouvrages  protestants  :  (Starck),  Versuch  e. 
Gesch.  d.  Arianism.,  Berlin,  1783;  W'alch,  Histor.  d.  Kelzereien,  II,  385, 
Leipzig,  1762;  Dorner,  Entivickelunysgesch.  d.  Lehre  v.  d.  Person  Chr.f 
I,  part.  2  et  3,  Stuttg.,  1845;  Baur,  Vorles.  ub.  d.  christ  Dogmengesch., 
I,  1,  487  ss.  ;  I,  2,  139  ss.,  Leipzig,  1866;  Lehre  von  d.  Dreieinigh., 
1,320,  Tubing.,  1844;  Ritter,  Gesch.  d.  christl.  Philos.,  II,  18  ss., 
Hamb.,  1836;  Boehringer,  D.  Kirche  Chr.  u.  ihre  Zeugen,  I,  2,  1-121, 
Zurich,  1842;  Athanasius   u.  Arius,  Stuttg.,  1874.       A.  Jundt. 

ARIAS  (Francisco)  naquit  à  Séville  en  1535.  A  vingt-sept  ans  il  en- 
trait dans  la  compagnie  de  Jésus  dont  il  devint  un  des  membres  les 
plus  zélés.  Après  avoir  passé  une  dizaine  d'années  à  Valence,  il  se  ren- 
dit à  Rome  en  1593  pour  y  défendre,  dans  la  congrégation  de  l'Ordre, 
les  intérêts  de  la  province  d'Andalousie,  puis  il  revint  à  Séville  où  il 
passa  le  reste  de  sa  vie.  Il  mourut  le  23  mai  1605.  Par  ses  doctrines 
Arias  appartient  à  l'école  mystique.  François  de  Sales  recommande  la 
lecture  des  ouvrages  d'Arias  pour  se  préparer  à  la  vie  dévote.  —  La  liste 
des  traités  d'Arias  a  été  donnée  par  N.  Antonio,  Bibliotheca  hispànâ 
nova,  t.  I,  p.  403-404. 
ARIEL,  divinité  des  Moabites.  Voyez  Moab. 

ARIMATHÉE  ('Ap^aôau),  patrie  de  Joseph  d' A  rimathée  (Matth. XXVII, 
57;  Luc,  XXIII,  51  ;  Jean,  XIX,  38).  Suivant  saint  Luc,  elle  était  située 
en  Judée  ;  il  est  probable  néanmoins  qu'elle  ne  fait  qu'un  avec  la  cé- 
lèbre Rama,  lieu  de  naissance  de  Samuel  (1  Sam.  I,  1,  19),  'Ap(j.a- 
6ai[j.  chez  les  LXX,  'Ap^aOa  chez  Josèphe  (Ant.,  V,  10.  2),  et  avec  la 
place  forte  de  Ramathem  (  'Vz[xxH\j.)  ,  citée  dans  les  guerres  desMachabées 
(1  Mac.  XI,  34).  Voyez  Rama. 

ARISTARQUE ,  Macédonien,  originaire  de  Thessalonique,  accompa- 
gna l'apôtre  saint  Paul  dans  ses  voyages  et  partagea  sa  captivité  à  Césa- 
rée  (Actes  XIX,  29  ;  XX,  4  ;  Coloss.  IV,  10).  Les  Grecs  prétendent  qu'il 
l'ut  évoque  d'Apamée,  en  Syrie,  et  décapité  en  même  temps  que  Paul, 
à  Rome,  sous  Néron. 

ARISTÉE  ('Ap'.jTaïcç)  est,  d'après  Josèphe,  un  prosélyte  juif  d'Alexan- 
drie, qui  se  qualilie  lui-même  d'officier  des  gardes  de  Ptolémée  Phila- 
delphe.  Il  composa  une  histoire  delà  version  des  Septante  (Arïsteœ  his- 
toria,  LXXII,  int.  ex  rec.Eld.  de  Parchum,  Francof.,  1618,  in-8°,  Oxon., 
1692,  in-8u)  sous  la  forme  d'une  lettre  adressée  à  son  frère Philocrate. 
Le  caractère  légendaire  de  cette  histoire  a  été  reconnu  d'abord  par 
L.  de  Vives,  et  puis  par  les  meilleurs  critiques,  parmi  lesquels  Salméron, 
Scaliger,  et  surtout  Humphrey  Hocly  (De  bibliorum  textibus  origina- 
libus,  versionibus  yrœcis  et  latina  vulgata,  1.  IV;  Oxon.,  1705).  Voyez 
l'article  Bible,  Versions  de  l'Ancien  Testament. 

ARISTIDE,  apologiste.  Eusèbe  (IV,  3)  nous  apprend  qu'il  était  con- 
temporain de  Quadratus  et  qu'il  présenta  à  l'empereur  Adrien  (en  131) 
une  apologie  de  la  foi  chrétienne.  Saint  Jérôme  (de  Viris,  26)  dit  qu'il  . 
était  Athénien.  Son  apologie,  qui  était  fort  répandue  au  temps  d'Eusèbe, 
était  encore  en  honneur  à  Athènes  au  commencement  du  moyen  âge. 
Nous  lisons,  en  effet,  dans  le  Vieux  martyrologe  publié  par  Roswey,  et 
dansAdon  ci  Usuard  qui  copient  ce  document  (3  octobre),  que  le  mar- 


ARISTIDE  —  ARIST0TÉL1SME  589 

tyre  de  Denys  l'Aréopagite  à  Athènes  était  rapporté  dans  ce  livre  ; 
Etienne  LeMoyne  (Var.  $ac?\,  Leyde,  1685,  in-4°,  II,  155  ss.)  a  vu 

dans  un  autre  martyrologe  romain  qu'Aristide  enseignait  dans  soif 
apologie  «  que  Jésus-Christ  est  le  seul  Dieu  ».  Cet  important  ouvrage 
est  perdu,  bien  que  des  moines  grecs  aient  assuré  à  un  voyageur  (de  la 
Guilletière,  Athènes  anc.  et  nouv.,  P.,  1675,  in-8°.  p.  146)  qu'il  était 
conservé  au  couvent  de  Médelli  (Pentéli  ?),  à  six  milles  d'Athènes, 

ARISTOBULE,  juif  alexandrin,  de  race  sacerdotale,  précepteur  de 
Ptolémée  Evergète,  prédécesseur  de  Philon,  s'occupa  comme  lui  de 
spéculations  philosophiques  sur  la  création  et  les  rapports  du  monde 
terrestre  avec  le  monde  divin  (Eusèbe,  Praepar,  evang.,  607).  Son  exé- 
gèse allégorique  s'appliquait  aux  livres  sacrés  des  Juifs  comme  aux 
poèmes  des  païens  (les  Mythes  o?-phiques  entre  autres),  dans  lesquels  il 
prétendait  retrouver  les  doctrines  hébraïques.  Quelques  auteurs  (Lut- 
terbeck.  X.  T.  Lekrbegriff,  I,  p.  407  ss.)  lui  ont  attribué  le  livre  apocry- 
phe connu  sous  le  nom  de  la  Sagesse  de  Salomon. 

ARISTOBULE  I  et  IL  Voyez  Asmonéens. 

ARISTOTÉLISME.  Au  premier  siècle  de  l'ère  chrétienne,  la  doctrine 
d'Aristote  ne  comptait  que  peu  d'adhérents  dans  les  écoles  de  philo- 
sophie. etl'Eglise  naissante  devait  éprouver  encore  moins  de  sympathie 
pour  elle  que  le  paganisme.  Cette  doctrine  cependant  était  spiritualiste  ; 
si  Aristote  voit  partout  les  êtres  composés  de  deux  éléments  irréducti- 
bles, la  matière  et  la  forme,  ce  qui  implique  le  dualisme,  l'élément 
primordial  est  en  définitive  la  forme,  c'est-à-dire  la  pensée.  De  plus, 
Aristote  combat  le  polythéisme  ;  de  l'observation  des  choses  sensibles, 
il  sélève  à  la  notion  de  l'intelligence  pure,  être  unique,  absolument 
indépendant,  logiquement  antérieur  et  supérieur  au  monde,  seul  digne 
d'être  appelé  le  Bien  ou  Dieu.  Mais  une  telle  notion  de  l'intelligence 
pure  est  ,  chez  le  Stagirite,  fort  abstraite  et  subtile  :  Dieu  est  la 
pensée  se  pensant  elle-même,  n'ayant  d'autre  substance  et  d'autre  objet 
qu'elle-même;  «  sa  pensée  est  la  pensée  de  la  pensée»  (Métapk.,  XII,  9); 
un  acte  plutôt  qu'un  être  pensant,  et  un  acte  si  complet  que  toutes  les 
possibilités  ou  puissances  y  sont  réalisées  et  qu'il  demeure  toujours 
identique,  invariable.  Cette  pensée,  absorbée  dans  la  contemplation 
•  d'elle-même,  ne  pense  pas  le  monde,  ne  le  porte  pas  dans  son  intelli- 
gence, elle  ne  s'abaisse  pas  à  gouverner  les  choses  ;  l'ordre  universel 
résulte  d'un  élan  spontané  qui  porte  tous  les  êtres  vers  le  mieux,  vers 
le  Bien;  Dieu  est  le  régulateur  universel,  ouplutôt  le  but  immobile,  et  la 
nature  entière  obéit  à  une  impulsion  nécessaire  qui  amène  chaque  degré 
de  I  échelle  des  êtres  vers  le  degré  immédiatement  supérieur,  depuis  le 
minéral  jusqu'aux  constellations,  qui  sont  plus  rapprochées  que  nous 
de  la  divinité.  Le  divin  se  retrouve  donc  partout  {Ethic.  Mcom,  7.  [4), 
mais  dans  une  mesure  partout  diverse,  dans  la  mesure  où  chaque  être 
a  accompli  son  mouvement  ascensionnel  de  l'enveloppement  à  l'état 
épanoui,  de  la  possibilité  à  la  réalité,  de  la  matière  a  la  forme,  de  la 
nature  à  l'esprit.  Dieu  et  le  inonde,  éternels  tous  deux,  sont  distincts 
mais  inséparables,  comme  la  perfection  et  le  perfectionnement  ;  en 
d'autres  termes,  le  système  d'Aristote  est  un  panthéisme  rationnel;  le 


590  ARLSTOTELISME 

philosophe  qui  a  constitué  la  logique  et  proclamé  les  lois  de  la  pen- 
sée a  conçu  un  système  conforme  à  son  génie,  système  plus  en- 
'  cyclopédique et  plus  méthodique  que  celui  de  Platon,  mais  qui  répond 
moins  aux  aspirations  les  plus  élevées  de  l'âme.  Ce  Dieu  qui  n'est  pas 
même  une  volonté  libre  ne  saurait  nous  aimer  ni  devenir  un  père  pour 
nous,  comme  aussi  nous  ne  devons  songer  à  devenir  ses  enfants  ;  à  ce 
compte,  la  personnalité  humaine  est  amoindrie,  nous  no  sommes  que 
des  atomes  un  peu  plus  avancés  que  d'autres  dans  la  voie  du  progrès 
universel.  Nos  rapports  avec  Dieu  ne  consistent  que  dans  nos  méditations 
des  vrais  principes,  qui  sont  le  bien,  le  divin.  La  notion  du  mal  et  du 
péché  est  réduite  à  celle  d'une  imperfection  qui  est  sans  cesse  et  natu- 
rellement réparée.  —  Ces  indications  suffisent  pour  expliquer  l'atti- 
tude des  premiers  Pères.  D'une  part  ce  fut  une  opposition  vive.  Irénée 
(II,  4,  5)  reproche  aux  gnostiques  de  vouloir  introduire  dans  les  cho- 
ses de  la  foi  «  la  subtilité  et  la  sophistique  qui  est  le  propre  de  l'aristo- 
télisme  ».  Tertullien  {Deprœscript.)  s'écrie  :  «  Les  hérésies  sont  armées 
par  la  philosophie  ;  misérable  Aristote  !  qui  a  enseigné  aux  hérétiques 
la  dialectique  ingénieuse  à  construire  et  à  détruire.  »  D'autre  part 
les  Pères,  qui  sont  plus  équitables  à  l'égard  de  la  philosophie  grecque, 
n'adoptent  pas  le  système  du  Lycée.  Justin  martyr ,  dans  le  pas- 
sage de  Y  Apologie  (II ,  13)  où  il  revendique  comme  chrétiennes  les 
vérités  exprimées  par  les  païens,  fait  mention  de  Platon,  des  stoïciens,, 
des  poètes,  mais  non  des  péripatéticiens  ;  la  Confutalio\dogmatum  quo- 
rundam  Aristotelis,  attribuée  à  ce  Père,  est  du  troisième  siècle.  Clément 
d'Alexandrie  (Strom.  I,  7)  reconnaît  une  instruction  préparatoire  donnée 
par  la  philosophie  grecque,  et  par  là  il  entend,  «  non  le  système  des 
stoïciens,  ni  celui  de  Platon,  d'Epicure,  d'Aristote,  mais  un  choix  de 
tout  ce  qu'ils  ont  enseigné  de  conforme  à  la  justice  et  àla  vérité;»  il  s'agit 
non  d'un  éclectisme  constitué  en  un  système  défini,  pareil  à  celui  que 
le  néoplatonisme  allait  formuler,  mais  d'un  emploi  judicieux  de  toutes 
les  ressources  qu'offraient  les  méditations  des  sages  de  la  Grèce.  L'in- 
fluence principale  appartint  d'abord  au  platonisme  et  au  néoplatonisme. 
Mais  lorsque,  à  partir  du  quatrième  siècle,  l'Eglise  se  préoccupa  de  pré- 
ciser et  de  fixer  le  dogme,  on  recourut  aux  définitions  et  à  la  dialec- 
tique d'Aristote  ;  par  là  ses  principes  aussi  furent  introduits  dans  la- 
théologie  ;  au  quatrième  et  au  cinquième  siècle,  les  hérétiques  ouvrirent 
la  voie  ;  au  sixième,  les  catholiques  les  suivirent.  Eunomius,  le  chef 
des  ariens  stricts,  combattait  l'homoousie  en  se  fondant  sur  les  notions 
péripatéticiennes  de  la  substance,  de  l'énergie,  du  mouvement,  et  le 
péripatétisme  était  encore  assez  en  défaveur  pour  qu'on  le  lui  repro- 
chât vivement.  L'Eglise  monophysite  de  la  Syrie  s'appuya  sur  Aristote. 
"Le  docteur  de  cette  Eglise,  Jean  Philopon,  invoquait  la  Stagirite  pour 
poser  en  principe  que  l'hypostase  et  la  nature  sont  une  même  chose  ; 
dès  lors  il  n'y  a  eu  qu'une  seule  nature  en  Christ,  sinon  on  lui  attri- 
buerait deux  hypostases  ;  et  si,  dans  la  Trinité,  on  reconnaît  trois  hy- 
postases,  il  faut  aussi  reconnaître  trois  natures,  ce  qui  mène  au  trithéisme. 
Ce  furent  les  nestoriens  et  les  monophysites  qui  traduisirent  les  œu- 
vres   d'Aristote  dans  les  langues  orientales   (voy.   Arabes).   D'autre 


ARISTOTELISME  591 

part,  le  Traité  de  la  nature  de  Ihommede  Févêque  Némésius,  vers  421 
marque  la  période  où  les  théologiens  ayant  systématisé  les  principes 
essentiels,  portent  leur  attention  vers  ce  domaine  commun  à  la  fois  aux 
sciences  sacrées  et  profanes;  Némésius,  dans  son  livre,  cherche  à  imiter 
le  procédé  cTAristote,  la  revue  critique  des  opinions  diverses.  Enfin  au 
huitième  siècle,  Jean  de  Damas,  qui  résume  l'enseignement  de  l'Eglise 
grecque,  consacre  la  première  partie  de  sa  Source  de  la  sagesse  à  la 
dialectique  ;  la  physique  et  la  psychologie  de  cet  ouvrage  sont  emprun- 
tées à  Aristote.  —  Dans  l'Eglise  latine,  l'aristotélisme  fut  transmis  aux 
écoles  par  les  traductions  et  les  commentaires  de  Boëce  et  de  Cassio- 
dore  ;  ce  fut  un  enseignement  incomplet,  ne  comprenant  que  les  tra- 
vaux sur  la  logique,  et  de  plus  mitigé  par  un  éclectisme  platonisant. 
Isidore  de  Séville,  qui  donne  dans  son  deuxième  livre  des  E  tymologies 
une  dialectique  inspirée  par  Aristote,  Bède  ie  vénérable,  Raban  Maur 
sont  les  représentants  de  ce  syncrétisme  timide.  Plus  tard  les  deux  ten- 
dances se  séparèrent  ;  l'école  du  Bec  (Lanfranc,  saint  Anselme)  fut  plus 
augustinienne ;  l'école  de  Tours  (Bérenger)  penchait  pour  l'aristoté- 
lisme.  Mais  lorsque,  vers  le  milieu  du  douzième  siècle,  les  œuvres 
métaphysiques  d'Aristote  furent  introduites  par  Pintermédiaire  des 
docteurs  arabes  et  juifs,  les  autorités  ecclésiastiques  repoussèrent  une 
doctrine  qui  apparaissait  sous  de  tels  auspices;  en  1210,  le  concile 
provincial  de  Paris  condamna  les  Ubri  naturales,  1235;  le  légat  étendit 
cette  condamnation  aux  ouvrages  de  métaphysique,  1231  ;  Grégoire  IX 
réprouva  les  ouvrages  de  physique  «  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  été 
examinés  et  purgés  de  tout  soupçon  d'hérésie».  On  imputait  à  Aristote 
les  erreurs  d'Amalric  de  Bène  et  de  David  de  Dinant,  accusation  in- 
juste, car  elles  se  rattachaient  plutôt  à  Avicebron.  En  1240,  nouvelle 
condamnation  par  Guillaume,  évêque  de  Paris.  Quoique  les  ordres 
religieux,  qui  devaient  être  les  plus  fermes  soutiens  de  l'aristotélisme, 
amendé,  il  est  vrai,  eussent  été  admis,  en  1256,  à  enseigner  dans  l'uni- 
versité de  Paris,  Etienne,  évêque  de  cette  ville,  renouvela  en  1276  les 
anciennes  décisions,  et  l'Université  publia,  en  1290,  une  Collectio  de 
variis  erroribus  philosophorum  et  primo  de  Aristotele.  Mais  en  1322,  après 
la  canonisation  de  Thomas  d'Aquin,  tous  ces  arrêts  furent  retirés.  Ce 
turent  trois  grands  docteurs,  le  franciscain  Alexandre  de  Haies,  les 
dominicains  Albert  le  Grand  et  Thomas  d'Aquin,  qui  introduisirent  le 
péripatétisme  dans  l'université  qui  exerçait  l'hégémonie  sur  les  écoles 
latines.  Le  Stagirite  devait  être  seulement prxcursor  Chrùli  in  rébus  na- 
turalibus  ;  mais  il  est  malaisé  de  distinguer  l'ordre  naturel  de  l'ordre 
de  la  foi.  Le  platonisme  continuait  à  être  médité  parles  mystiques  sous 
Le  patronage  de  Richard  et  de  Hugo  de  Saint-Victor,  et  leur  disciple 
Gautier,  Contra  manifestas  hœreses,  réunissant  Pierre  le  Lombard  et  Abé- 
lard  dans  une  même  accusation,  reprochait  aux  docteurs  scolastiques 
d'être  tous  uno  spùntu  aristotelico  afflatos.  Ce  fut  le  mérite  de  saint 
Thomas  de  chercher  à  concilier  le  mysticisme  et  la  science,  d'unir  dans 
une  même  conception  Aristote  et  Platon.  Dans  le  grand  débat  du  réa- 
lisme et  du  Dominalisme,  les  deux  opinions  extrêmes  des  Universalia 
ante  res  (réalisme),  et  des  Universalia  post  res  (nominalisme),  ne  furent 


592  APJSTOTELLSME  —  ARLES 

soutenues  que  par  un  nombre  restreint  de  docteurs  ;  la  plupart  et  les 
plus  considérables  se  décidèrent  pour  les  UniversaUa  in  rébus,  et  cette 
solution  leur  était  fournie  par  Aristote.  Avec   Duns  Scot  et  dans  les 
luttes  qui  s'élevèrent  entre  Thomistes  et  Scotistes,  l'influence  de  la 
dialectique   d'Aristote  ne  pouvait  que  grandir.  —  Lorsque  les  écoles 
philosophiques  de  la  Grèce  vinrent  se  réfugier  en  Italie,  elles  y  conti- 
nuèrent leurs  luttes,  Chrysoloras,  Plethon,  le  cardinal  Bessarion,  sou- 
tenant la  supériorité  de  Platon,  Georges  de  Trébizonde ,  secrétaire   de- 
Nicolas  V,  celled'Aristote.  Mais  tandis  que  le  platonisme  s'accommo- 
dait aux  dogmes  et  aux  dignités  de  l'Eglise,  l'aristotélisme  n'eut  qu'un 
petit  nombre  de  docteurs  reconnus  pour  orthodoxes,  Hermolaùs  Bar- 
barus,  patriarche  d'Aquilée,  Gennadius,  patriarche  de  Constantinople. 
L'assertion  de  Marsile  Ficin  (Prœf.  Platon)  :  »  les  deux  sectes  aristoté- 
liciennes, l'alexandréenne  et  l'averroïque,  sont  unies  pour  renverser 
de  fond  en  comble  toute  religion  »  semblait  justifiée  par  les  hardiesses 
de  Pomponace,  à  peine  voilées  d'une    apparence   de   soumission   à 
l'Eglise,   et  par  le  panthéisme  de  Cardan,  de  Césalpin  et  de  Vanini. 
La  réforme,  pleine  de  respect  pour  saint  Augustin,  se  défia  d'abord 
d' Aristote,  le  maitre  de  la  vieille  scolastique,  et  Luther  disait  :  «  Mon 
avis  serait  que  les  livres  de  la  physique  et  de  la  métaphysique,  de  Lame 
et  de  l'éthique  d'Aristote,  fussent  entièrement  mis  de  côté,  ainsi  que 
les  commentaires  de  ces  livres,  qui  n'apprennent  rien.  »  Plus  tard  il 
s'exprima  sur  Aristote  avec  plus  d'égards.  Mélanchthon  composa,  d'après 
les  œuvres  duStagirite,  des  ouvrages  cle  philosophie  qui  furent  adoptés 
pour  l'enseignement  dans  l'Allemagne  protestante  et  y  assurèrent  à  Aris- 
tote un  empire  nouveau.  L'action  de  Théodore  de  Bèze  fut  semblable 
pour  les  Eglises  réformées.  Les  attaques  de  Ramus  contre  Aristote  fu- 
rent adoptées  par  les  arminiens,  par  plusieurs  hommes  éminents  de 
l'Allemagne,  mais  repoussées  par  Scaliger,  par  l'université  de  Genève, 
et  donnèrent  lieu,  dans  les  pays  protestants,  à  un  débat  long  et  confus; 
il  préparait  du  moins  les  esprits  à  la  philosophie  nouvelle  que  Descartes 
devait  inaugurer.  Dans  les  pays  catholiques,  les  jésuites   maintinrent 
fermement  la  scolastique  et  Aristote  ;  l'enseignement  de  la  philosophie 
de  Ramus  fut  interdit  par   l'université  de  Paris  (1024-1639).  Toutefois 
d'éminents  disciples  de   Descartes,   Malebranche,    Bossuet,   Fénelon, 
avaient  peu  à  peu  fait  prédominer,  dans  le  clergé  de  France,  une  phi- 
losophie platonicienne  ;  l'ontologïsme  en  était  l'expression  la  plus  vive, 
et  cette  doctrine  a  été  professée  jusqu'à  nos  jours  par  le  cardinal  Gerdil. 
Mgrs  Baudry,  Maret,  Hugouin;  mais  dans  ces  derniers  temps,  les  efforts 
des  Kleutgen,  Sanseverino,  Tongiorgi,  Prisco,  et  la  transformation  qui 
s'est  accomplie  dans  les  hautes  régions  du  clergé,  ont  rétabli  dans 
l'enseignement  des  séminaires  l'autorité  de  l'Aristote  scolastique  (voy. 
Kim,  Metaph.  Untersuchungen  :  die  Gotteslehre  des  Aristoleles  und  das 
Christenthum ,  1875.  A.  Mattee. 

ARLES  [Arelate],  archevêché.  On  rapporte  que  saint  Trophime,  or- 
.  donné  par  saint  Paul  premier  évèque  d'Arles,  y  apporta  l'Evangile. 
Grégoire    de   Tours   raconte,  mais  sans  preuves,  qu'en  l'an  250  cet 
évèque  fut  envoyé  en  Gaule  avec  saint  Sernin  ;  il  est  fêté  le  29  décem- 


ARLES  —  ARMÉE  593 

bre.  Son  nom  a  été  donné  an  onzième  siècle  à  l'église  Saint-Etienne, 
célèbre  par  son  cloître.  L'évêque  Marin  paraît  avoir  présidé  le  célèbre 
concile  d'Arles,  ce  «  concile  général  des  Eglises  de  l'Occident  »,  qui 
tut  convoqué  par  Constantin  et  réuni  en  314.  11  fut  fréquenté  par  trente- 
trois  évêques  et  se  prononça  contre  le  donatisme.  On  sait  que  le  con- 
cile pria  le  pape  de  promulguer  ses  décrets  (voy.  Mansi  II  ;  Collect. 
concit  Galliae,  I,  1781);  Hefele,  I,  170;  tr.  fr.  I,  177).  On  verra  ailleurs 
la  vie  des  trois  grands  évêques  d'Arles,  de  saint  Honorât,  le  fondateur 
Àw  monastère  de  Lérins  (f  v.  429),  de  saint  Hilaire,  son  iils  spirituel, 
qui,  mort  en  449,  fut  enterré  dans  l'église  de  Saint-Honorat,  élevée 
aux  Aliscamps  (Elysii  campi),  de  saint  Césaire  (501-542).  Arles  doit  à 
Hilaire  un  séminaire,  que  cet  évèque  avait  fondé  sous  le  nom  de  Con- 
grcgatio,  et  à  Césaire  le  couvent  de  Saint-Césaire,  ou  plutôt  de  Saint- 
Jean.  Sainte  Cassaria,  sœur  de  l'évêque,  donna  à  ce  couvent  la  règle 
que  son  frère  avait  rédigée.  Dès  Tan  401,  au  synode  de  Turin,  les 
évêques  d'Arles  et  de  Vienne  se  disputaient  la  primauté  ;  en  417,  le 
pape  Zozime,  en  mémoire  de  la  conversion  des  Gaules  par  saint  Tro- 
phime,  nomma  Patrocle  d'Arles  son  vicaire  en  Gaule,  et  lui  donna  le 
pouvoir  de  métropolitain  sur  la  province  de  Vienne  et  les  deux  Nar- 
bonnaises.  En  450,  le  conflit  recommença  devant  saint  Léon,  et  le  pape 
partagea  la  province  viennoise  entre  les  deux  archevêchés,  ne  laissant 
à  Vienne  que  les  Eglises  de  Valence,  de  Tarentaise,  de  Genève  et  de  Gre- 
jioble;  en  462,  le  pape  Hilaire  reconnut  Léontius  d'Arles  comme  primat 
des  Gaules*  Depuis  lors  l'archevêque  d'Arles  eut  autorité  sur  les  évê- 
chés  de  Marseille,  de  Saint-Paul-Trois-Chàteaux,  de  Toulon,  d'Orange, 
et,  jusqu'en  1475,  d'Avignon.  En  507,  Arles  fut  conquise  parThéodoric. 
Césaire  sut  commander  le  respect  au  vainqueur.  On  appelle  deuxième 
concile  d'Arles  celui  qui  fut  tenu  en  443  ou  453  ;  il  traita  de  la  disci- 
pline ;  le  troisième  concile  fut  présidé  par  l'archevêque  Ravennius, 
vers  455;  en  524,  à  l'occasion  de  la  dédicace  de  la  basilique  de  Sainte- 
Marie,  Césaire  réunit  le  quatrième  concile  d'Arles  ;  le  cinquième  eut 
lieu  en  554.  On  en  trouvera  l'histoire  dans  le  livre  de  Hefele,  de  même 
que  les  faits  du  synode  semiarien  de  353,  de  celui  de  475,  qui  justifia 
les  semi-pélagiens,  et  ceux  du  synode  tenu  en  813  par  ordre  de  Char- 
lemagne,  de  celui  qui,  en  1260,  condamna  Joachim  de  Flores,  et  du 
synode  provincial  de  1275.  Arles  a  perdu,  en  1801,  le  pallium  et  la 
mitre  (Duport,  //.  del'Eg.  d'A.,  p.  1690;  Gallia,[).  S.  Bergkr. 

ARMEE  chez  les  Hébreux.  Elle  ne  se  composait,  à  l'origine,  que  d'in- 
fanterie (Nomb.  XI,  21;  1  Sam.  IV,  10;  XV,  4),  bien  qu'ayant  à 
lutter  contre  les  peuples  voisins  qui  se  servaient  de  cavalerie  (Jos.  XI, 
9;  Jug.  IV,  3;  V.  22;  1  Sam.  X,  18)  et  de  chars  garnis  de  fer  (Jos. 
XVII,  L6;  Jug.  I,  19;  IV,  3;  V,  22;  1  Sam.  XIII,  5).  Cette  circonstance, 
et  le  théâtre  souvent  éloigné  de  la  guerre  déterminèrent  Salomon 
à  adjoindre  à  son  armée  de  la  cavalerie  qu'il  distribua  dans  les  villes 
(1  Rois  IX,  19;  X.  26)  et  que  ses  successeurs  renforcèrent  souvent 
...  troupes  auxiliaires  tirées  de  l'Egypte  (Esaïe  XXXI,  1;  XXXVI, 
9;  2  Rois  XVIII,  24).  La  loi  obligeait  chaque  citoyen  au  service  mili- 
taire de  vingt  à  cinquante  ans  (Nomb.  1.  3;XXVÏ,2;2€hron.  XXV,  :>; 


594  ARMEE 

cf.  Josèpbe,  Antiq.,  III,  12,  4),  mais  elle  admettait  des  exemptions 
(Deut.  XX,  5).  Une  guerre  éclatait-elle,  chaque  tribu  fournissait  un 
nombre  proportionnel  d'hommes  armés  (Nomb.  XXXI,  2,  ss.;  Jos.VII, 
3;  Jug.  XX,  10);  l'ennemi  envahissait-il  brusquement  le  territoire,  la 
nation  se  levait  en  masse,  au  son  de  la  trompette  ou  par  le  moyen  de 
signaux  érigés  sur  les  montagnes  et  de  messagers  envoyés  dans  toutes 
les  directions  (Jug.  III,  27;  VII,  24;  Jérém.  IV,  5,  ss.;  Ezéch.  VII,  14; 
Jug.  VI,  35,  etc.).  L'armée  était  divisée  en  corps  de  1,000,  de  100  et  de 
50  hommes  (Nomb.  XXXÏ,  14;  Jug.  XX,  10;  1  Sam.  VIII,  12;  2  Rois  I, 
9)  qui  avaient  chacun  leur  chef  (2  Rois  I,  9;  XI,  4;  2  Chron.  XV,  5). 
Des  corps  plus  grands  sont  mentionnés  (1  Chron.  XXVII,  1,  ss.; 
2  Chron.  XXV,  5).  Le  général  en  chef  formait,  avec  les  commandants 
des  corps,  l' état-major  et  le  conseil  de  guerre  (1  Chron.  XIII,  1  ss.)  et 
avait  à  diriger,  en  temps  de  paix,  le  service  du  dénombrement  mili- 
taire (2  Sam.  XXIV,  2  ss.);  toutefois,  en  campagne,  le  roi  conduisait 
lui-même  l'armée.  Les  milices  hébraïques  ne  portaient  pas  d'uniforme 
et  étaient  obligées  de  s'entretenir  elles-mêmes,  bien  que  Jug.  XX,  10 
mentionne  déjà  des  commissaires  des  vivres.  Les  soldats  portaient  les 
mêmes  armes  que  les  autres  peuples  :  le  bouclier  oval  en  bois,  recou- 
vert de  cuir,  attaché  à  l'épaule  pendant  la  marche  (2  Sam.  I,  21  ;  Esaïe 
XXI,  5)  et  recouvert  d'une  housse  (Esaïe  XXII,  6);  le  casque  en  airain 
(1  Sam.  XVII,  5;  1  Mach.  VI,  36);  la  cuirasse  en  airain,  formée  d'é- 
caillés, qui  couvrait  la  poitrine  et  le  ventre  (1  Sam.  XVII,  5, 38;  2  Chron. 
XXVI,  14)  ;  les  cuissards,  également  en  airain  (1  Sam.  XVII,  6)  ;  et, 
comme  armes  offensives ,  le  glaive  à  deux  tranchants ,  attaché , 
dans  un  fourreau,  à  un  ceinturon  et  porté  au  côté  gauche  (1  Sam.  XVII, 
39;  2  Sam.  XX,  8;  Ezéch.  XXI,  3;  1  Chron.  XXI,  27;  Jug.  III,  16;  Prov. 
V,  4)  ;  la  lance  (2  Sam.  XXI,  16)  et  le  javelot  (Jos.  VIII,  18,  26;  i  Sam. 
XVII,  6)  en  bois,  garnis  d'une  pointe  en  airain  (2  Sam.  XXI,  16);  l'arc, 
l'arme  habituelle  de  tir  des  Hébreux,  en  bois  ou  en  airain,  porté  dans 
un  fourreau  en  cuir  (Gen.  XXI,  20;  1  Sam.  XXI,  3;  2  Sam.  XXII,  35; 
Ps.  XVIII,  35;  Hab.III,  9);  les  flèches,  faites  de  jonc,  étaient  parfois  em- 
poisonnées (Ps.  XVIÏI,  3;  Job  VI,  4),  parfois  enveloppées  de  matières 
inflammables  et  allumées  (Pr.  VII,  14  ;  cf.  Eph.  VI,  16)  ;  la  fronde,  pour 
l'infanterie  légère,  fabriquée  en  cuir  ou  d'un  mélange  de  laine,  de 
joncs  et  de  poils  (2  Rois  III,  25;  2  Chron.  XXVI,  14;  Jug.  XX,  14),  ser- 
vait aussi  lors  des  sièges.  La  force  numérique  de  l'armée  des  Hébreux 
atteignait  parfois  des  chiffres  très-élevés,  ce  qui  n'a  pas  lieu  d'étonner 
si  l'on  se  rappelle  qu'il  s'agit  de  levées  en  masse  (1  Sam.  XI,  8;  XV, 
4;  1  Chron.  XXV11,  1,  ss.);  pourtant  certains  chiffres,  en  particulier 
ceux  du  livre  des  Chroniques  (1  Chron.  XXI,  5  ss.;  2  Chron.  XIII,  3; 
XIV,  8;  XVII,  14;  XXVI,  12  ss.),  paraissent  exagérés.  —  C'est  sous  le 
roi  Saiil  que  nous  trouvons  les  premières  traces  d'une  armée  perma- 
nente, forte  de  3,000  hommes,  levés  dans  toutes  les  tribus  et  complétés 
par  des  engagements  volontaires  (1  Sam.  XIII,  2  ss.;  52;  XXIV,  3).  Da- 
vid suivit  cet  exemple.  Indépendamment  de  la  garde  du  corps  (Kréthi, 
ceux  qui  tirent,  et  Pléthi,  ceux  qui  courent),  chargée  de  fournir, 
même  pour  les  affaires  civiles,  les  bourreaux  et  les  courriers  royaux 


ARMEE  595 

(2  Sam.  XV.  13;  XX,  7;  1  Rois  I,  38,44;  II,  25,  34;  2  Chron.  XXX,  6), 
David  organisa  une  armée  nationale  qui  de  vart  mettre  surpied  chaque  mois 
une  division  de  24,000  hommes  pour  le  service  actif  (1  Chron.  XXVII, 
i  ss.).  Ses  successeurs  conservèrent  cette  institution,  devenue  néces- 
saire depuis  que  les  Hébreux  se  trouvaient  à  chaque  instant  impliqués 
dans  les  guerres  que  se  livraient  leurs  puissants  voisins  (1  Mois  IV,'  26; 
2  Chron.  XVII,  14  ss.;  2  Rois  XI,  4;  2  Chron.  XXV,  5,  XXVI,  Il  ss.;  2Rois 
I,  9  ss.).  La  solde  des  troupes  était  vraisemblablement  payée  en  nature. 
Après  L'exil,  Tannée  fut  réorganisée  sous  les  Machabées  :  des  corps  de 
troupes  étrangères  y  furent  enrôlés,  de  même  que  des  Israélites  accep- 
tèrent le  service  militaire  dans  les  armées  égyptiennes  (i  Mach.  III,  55; 
XIV,  32;  X,  36;  cf.  Josèphe,  Antiq.,  XIII,  8,  4;  XIII,  10,  4;  XIV,  1,  6). 
Hérode  le  Grand  n'avait  presque  que  des  mercenaires  dans  son  armée; 
on  y  voyait  même  des  Germains  (Jos.,  Antiq.,  XVII,  8,  3;  B.  </.,  II,  1, 
2>  ;  elle  combattit  plusieurs  fois  à  côté  des  légions  romaines  dont  elle 
avait  adopté  l'organisation,  l'armement  et  la  tactique  (1.  c).  Depuis 
l'occupation  de  la  Judée  par  Rome,  Césarée,  la  résidence  du  procura- 
teur, avait  une  garnison  romaine  (Actes  X,  1),  qui  envoyait  de  forts 
détachements  à  Jérusalem  à  l'époque  des  grandes  fêtes,  pour  y  veiller 
au  maintien  de  Tordre  (Actes  XXI,  31  ;  Jos.,  B.  J.,  II,  12,  1).  —  Nous 
n'avons  que  des  données  fragmentaires  sur  la  manière  des  Hébreux  de 
faire  la  guerre.  On  consultait  la  volonté  divine  avant  d'entrer  en  cam- 
pagne (Jug.  XX,  27  ss.;  1  Sam.  XIV,  37;  XXIII,  2;  1  Rois  XX,  6  ss.  ; 
2  Chron.  XVIII,  4  ss.).  Lorsque  l'armée  se  trouvait  en  présence  de  l'en- 
nemi, un  sacrifice  était  ordonné  (1  Sam.  VII,  9;  XIII,  8  ss.);  un  prêtre 
ou  le  général  en  chef  lui-même  haranguait  les  soldats  (Deut.  XX,  1  ss.; 
2  Chron.  XX,  20)  ;  puis  les  trompettes  donnaient  le  signal  de  l'attaque 
(Nomb.  X,  9;  2  Chron.  XIII,  12)  qui  se  faisait  avec  des  clameurs  reten- 
tissantes (1  Sam.  XVII,  52;  Esaïe  XLII,  13;  Amos  I,  14;  Jérém.  L,  42; 
Ezéch.  XXI,  22).  Tannée  était  d'ordinaire  divisée  en  trois  bandes,  le 
centre  et  les  deux  ailes  (Jug.  VII,  1  Sam.  XI,  M,  2  Sam.  XVIII,  2; 

1  MaCh.  V,  33);  le  combat  avait  toujours  lieu  corps  à  corps.  La  trom- 
pette donnait  le  signai  de  la  retraite  (2  Sam.  II,  28;  XVIII,  16;  XX,  22). 
Parfois  on  cherchait  à  surprendre  l'ennemi  par  des  attaques  soudaines 
(Jug.  VII,  16  ss.),  par  des  surprises  préparées  avec  habileté  (Jos.  Mil, 
2-12;  Jug.  XX.  36  ss.  ;  1  Sam.  XV,  5),  en  tournant  les  lignes  ennemies 
(2  Sam.  V,  23);  on  se  servait,  à  cet  effet,  d'espions  (Jos.  VI,  22;  Jug. 
MI.  1<>  ss.;  i  Sam.  XXVI,  4;  1  Mach.  V,  38;  XII,  26).  Les  camps 
avaient  probablement  une  forme  circulaire  (1  Sam.  XYII,20;  XXVI,  5); 
ils  étaient  gardés  avec  soin  par  des  avant-postes  (Jug.  VII,  19;  1  Mach. 
XII.  27).  Tes  prisonniers  étaient  traités  durement;  on  pillait  les  guer- 
riers morts  (I  Sam.  XXXI,  S;  2  Mach.  VIII,  27),  on  tuait  (Jug.   IX,  45; 

2  Sam.  XII,  31;  2  Chron.  XXV,  12),  on  mutilait  (Jug.  I,  6  ss.; 
1  Sam.  XI,  2)  on  on  réduisait  en  esclavage  les  vivants  (Deut.  XX,  14); 
on  éventrait  même  les  femmes  et  on  égorgeait  les  enfants  (2  Rois  XV, 
16;  VIII,  12;  Esaïe  XIII,  16;  Amos  1,  L3;  Osée  X,  14;  XIV,  i;  Néh.  III, 
10;  2  Mach.  \,  13).  Tes  villes  conquises  étaient  parfois  incendiées  ou 
détruites  (Jug.  IX.  fc5;   l   Mach.  V,  28;  X,  84),  les  sanctuaires  païens 


596  ARMÉE  —  ARMENIE 

ruinés  (1  Mach.  V,  08 1,  le  pays  ravagé  {ï  Ghron.  XX,  1;  2  Rois  III,  19; 
Judith  II,  17).  La  victoire  était  célébrée  par  des  cris  de  joie,  des  chants 
de  triomphe,  des  danses  (Jiig.  V;  1  Sam.  XVIII,  6  ss.  ;  2  Sam.  XX;  Jug. 
XVI,  2;  1  Mach.  IV,  24);  souvent  on  érigeait  des  trophées  (1  Sam.  XV, 
12;  2  Sam.  VIII,  13).  Les  armes  conquises  étaient  déposées  dans  le 
temple  (2  Rois  XI,  10;  1  Ghron.  X,  10).  Des  distinctions,  des  cadeaux 
et  même  de  l'argent  étaient  distribués  aux  vainqueurs  (2  Sam.  XXIII, 
8;  Jos.  XV,  16;  1  Sam.  XVII,  25;  X VIII,  17;  1  Chron.  XI,  6;  cf.  Jos., 
Antiq.,XFf,  15,4). 

ARMÉNIE,  région  de  hauts  plateaux  et  de  montagnes,  dont  l'Ararat 
forme  le  principal  massif  et  qui  renferme  le  cours  supérieur  de  l'Eu- 
phrate,  du  Tigre  et  de  l'Araxe,  ainsi  que  le  lac  de  Van.  D'après  leurs 
traditions,  consignées  dans  Y  ouvrage  de  Moïse  de  Khorène,  les  Armé- 
niens descendraient  de  Haïg  qui  aurait  secoué  le  joug  de  Bélus  et  quitté 
Babylone  pour  s'établir  dans  la  vallée  supérieure,  à  laquelle  son  fils 
Arménag  aurait  donné  son  nom.  Les  mêmes  généalogies  connaissent 
aussi  un  Aram.  Les  Arméniens  se  désignent  eux-mêmes  de  préférence 
sous  le  nom  de  Haïasdans  et  leur  pays  sous  celui  de  Haïgasan,  ratta- 
ché au  nom  fabuleux  de  Haïg.  Les  habitants  primitifs  de  l'Arménie 
paraissent,  d'après  ces  récits,  avoir  appartenu  à  la  race  kouschite  ou 
sémitique,  représentée  par  les  souvenirs  attachés  à  Haïg.  Sur  ce  premier 
fond  vint,  un  peu  plus  tard,  se  superposer  la  véritable  nation  armé- 
nienne, de  souche  indo-européenne.  A  cette  seconde  immigration  se 
rattache  le  nom  d'Arménag.  La  Bible  désigne  l'Arménie  sous  le  nom 
de  Fhôgarmàh,  rangé  parmi  les  petits  fils  de  Japhet  et  les  fils  de  Gomer 
(Genèse  X,  3),  conformément  à  la  situation  géographique  et  aux  affi- 
nités de  race,  et  sous  celui  d'Ararat,  qui  semble  plus  approprié  à*[la 
partie  orientale  de  cette  région.  Ezéchiel  (XXVII,  14)  fait  allusion  à 
l'élève  et  au  commerce  des  chevaux  qui  faisaient  la  principale  richesse 
du  pays.  C'est  sur  les  monts  Ghaldéens  ou  Gordyens,  formant  la 
limite  méridionale  de  l'Arménie,  que  la  tradition  babylonienne  fait 
échouer  le  vaisseau  de  Xisuthrus,  et  c'est  sur  le  mont  Ararat  que  s'ar- 
rête, d'après  la  Bible,  l'arche  de  Noé;  la  tradition  hébraïque  rattache 
également  à  ces  hautes  régions  l'origine  des  Israélites  comme  celle  des 
Ismaélites  et  des  Edomites.  On  remarquera  aussi  que  l'Arménie  a  été 
souvent  considérée  comme  correspondant  à  la  description  du  jardin 
d'Eden,  à  cause  des  deux  fleuves  (sur  quatre)  dont  elle  renferme  le 
haut  cours.  Les  A-raméens  (Syriens)  ont  été  à  plusieurs  reprises  rap- 
prochés des  Arméniens  :  on  a  invoqué  à  cet  effet  le  texte  d'Amos  (X,  7), 
qui  fait  venir  les  Syriens  (Aram)  de  Kir,  c'est-à-dire  des  bords  du  fleuve 
Kour,  au  nord-est  de  l'Arménie,  ce  qui  concorde  avec  l'origine  ci- 
dessus  mentionnée  de  plusieurs  nations  sémites  ;  le  rapport  des  deux 
noms,  confirmé  par  la  présence  d'un  Aram ,  dans  la  tradition  rap- 
portée par  Moïse  de  Khorène;  enfin  la  place  occupée  par  Aram  dans 
la  table  généalogique  de  la  Genèse  (X,  22).  —  L'Arménie,  successive- 
ment soumise  par  le  premier  grand  empire  chaldéen,  par  l'Egypte,  par 
l'Assyrie  pendant  les  quatre  siècles  de  sa  première  splendeur,  alliée 
puis  vassale  des  Mèdes,  ensuite  de  l'empire  persan,  enfin  d'Alexandre, 


ARMENIE  597 

a  subi  dans  sa  religion,  comme  dans  sa  vie  politique,  le  contre-coup 
des  événements  auxquels  elle  a  été  mêlée.  La  religion  primitive  fut  la 
mythologie  de  la  race  aryenne  dont  les  Arméniens  forment  un  des 
rameaux  ;  le  contact  avec  les  populations  mésopotamiennes  et  en  parti- 
culier les  liens  politiques  qui  rattachèrent  l'Arménie  pendant  plusieurs 
siècles  à  l'empire  assyrien  eurent  pour  effel  d'y  introduire  les  croyances 
et  les  rites  du  naturalisme  assyro-babylonien  (voyez  Assyrie).  Les  ado- 
rations populaires  curent  pour  principaux  objets  la  déesse  Anahid 
(l'Anat  ou  Ànaïtis  des  Chaldéo-Assyriens),  puis  Sbantarad,  Vahakn  et 
Nané,  dieux  guerriers  correspondant  à  Mérodoch,  Nergal  et  Adar-Sam- 
dan.  Il  faut  joindre  à  ces  personnages  divins,  connus  par  Moïse  de  Klio- 
rène,  ceux  qui  nous  sont  révélés  par  les  inscriptions  cunéiformes,  Baga- 
barta  ou  Bagamazda  (lecture  douteuse),  qui  parait  avoir  joué  le  rôle 
d'un  dieu  suprême,  et  Haldia,  la  divinité  spéciale  du  pays  de  Van.  Le 
pillage  de  son  principal  sanctuaire,  situé  à  Mussassir,  est  représenté 
dans  les  bas-reliefs  de  Khorsabad  ;  la  légende  de  Sémiramis  était  égale- 
ment répandue.  On  ne  saurait  déterminer  l'influence  exercée  par  le 
magisme  des  Mèdes,  mélange  du  mazdéisme ,  du  sabéisme  et  des 
croyances  propres  aux  tribus  touraniennes.  Tigrane,  allié  de  Gyrus 
(sixième  siècle  av.  J.-C),  embrassa  la  religion  de  Zoroastre  et  la  pro- 
pagea dans  ses  Etats,  où  elle  devint  bientôt  prédominante,  mais  en  se 
combinant  avec  quelques  restes  du  polythéisme  assyrien. 

il.  Vernes. 
ARMÉNIE  (Eglise  d').  Il  est  très-vraisemblable  d'admettre  que  l'Ar- 
ménie, contrée  voisine  de  la  Syrie  et  de  E Asie-Mineure,  reçut  de  bonne 
heure  la  visite  des  missionnaires  chrétiens.  Toutefois,  on  ne  trouve 
guère  à  l'origine  de  l'Eglise  arménienne  que  des  légendes  ou  des 
traditions  assez  confuses.  Ainsi ,  s'il  fallait  en  croire  un  historien 
arménien,  Moïse  de  Khorène ,  qui  composa  son  histoire  d'Armé- 
nie vers  460,  ce  serait  à  la  suite  de  la  correspondance  d'un  roi 
d'Edesse,  Abgare  (voir  ce  nom)  avec  Jésus  que  l'Evangile  aurait  été 
introduit  en  Arménie  ;  l'apôtre  Thaddée  en  aurait  été  surtout  [le  plus 
ardent  propagateur.  Barthélémi,  Jude,  et  môme  Thomas  sont  cités  à 
côté  de  lui  et  ont  leur  place  dans  les  martyrologes  grec  et  arménien. 
Quoi  qu'il  en  soit,  la  foi  chrétienne  était  déjà  assez  répandue  dans  le 
pays,  lorsque  parut  le  véritable  apôtre  de  l'Arménie,  saint  Grégoire 
rilluminateur.  Avec  lui  commence  vraiment  la  période  historique  de 
l'Eglise  arménienne.  Grégoire  était  Arsacide  d'origine  et  issu  des  rois 
parthes.  Son  père,  Anak,  avait  assassiné  à  la  chasse  Chosroës  le  Grand, 
roi  d'Arménie,  à  l'instigation  d'Ardaschid  Ier,  roi  de  Perse,  qui  con- 
voitait la  possession  de  l'Arménie.  Ghosroës,  en  rendant  le  dernier 
soupir,  ordonna  de  mettre  à  mort  Anak  et  toute  sa  famille.  Grégoire, 
échappé  à  ce  massacre,  fut  emmené,  âgé  de  douze  ans  seulement,  à 
Césarée  de  Gappadoce  où  il  fut  recueilli  chez  le  frère  de  sa  nourrice  <'t 
élevé  dans  les  croyances  de  l'Evangile.  Parvenu  à  l'âge  d'homme,  il  se 
maria  avec  la  fille  d'un  prince  arménien,  mais  les  deux  époux  ne  tar- 
dèrent pas  ;i  se  séparer,  d'un  commun  accord,  pour  se  vouer  tout 
entiers  a  Dieu.  Grégoire  se  rendit  en  Arménie  et  essaya  de  réparer  le 


598  ARMENIE 

crime  de  son  père  Anak  en  y  prêchant  le  christianisme.  C'était  alors 
Biridate  qui  occupait  le  trône.  Ce  prince,  qui  s'était  d'abord   montré 
très-cruel  à  l'égard  de  Grégoire,  fut  gagné  à  la  foi  chrétienne  par  la 
constance  du  saint  et  l'aida  puissamment  dans  la  fondation  du  monas- 
tère d'Edehmiadzin  (c'est-à-dire  descente  du  F  ils  unique),  qui  est  encore 
aujourd'hui  le  chef-lieu  de  l'Eglise  arménienne;  c'est  là  que  depuis 
l'an  301  ou  302  se  trouve  le   siège  patriarcal  du  catholicos  ou  chef  de 
cette  Eglise.  Grégoire  avait  d'ailleurs  fondé  aussi  un  grand  nombre 
d'évêchés  en  Arménie  et  avait  appelé  à  leur  tête  plusieurs  évêques  et 
prêtres  grecs.  Il  mourut  peu  de  temps  après  la  réunion  du  concile  de 
Nicée,  en  325,  où  il  avait  envoyé  son  fils  Aristacès  qui  adopta,  au  nom 
des  Eglises  d'Arménie,  la  discipline  et  les  cérémonies  décrétées  par  ce- 
concile,   ainsi   que  son  symbole  de  foi.  Les  décrets  des  deuxième  et 
troisième  conciles  œcuméniques  furent  également  acceptés  sans  diffi- 
culté par  ces  Eglises;  mais  il  n'en  fut  pas  de  même  pour  le  concile  de 
Chalcédoine  en  451,  qui  fut  l'occasion  d'un  schisme.  Ce  concile  avait 
été  réuni,  comme  on  le  sait,  pour  combattre  la  doctrine  d'Eutychès 
connue  sous  le  nom  de  monophysisme.  L'Arménie,  alors  en  guerre  avec 
les  Perses,  n'avait  pu  être  représentée  à  cette  assemblée  ;  lorsque  les 
décisions  lui  en  furent  connues,  elle  les  discuta  longuement,  et  en  482, 
quelques  évêques  grecs  et  syriens,  réunis  à  Edesse,  les  rejetèrent  solen- 
nellement. En  491,  le  patriarche  Papguên  se  déclara  contre  le  concile 
de  Chalcédoine  et  ainsi  fut  consommée  la  séparation  des  Eglises  grecque 
et  arménienne.  Depuis  lors,  l'Eglise  d'Arménie  a  conservé  son  organi- 
sation particulière  et  son  autonomie  ecclésiastique.  Au  moyen  âge,  un 
certain  nombre  d'Arméniens,  chassés  de  leur  pays  par  les  incursions 
des  Turcs  et  des  Mongols,  émigrèrent  en  différents  pays,  dans  l'Ana- 
tolie,  en  Egypte,  dans  l'Inde,  à  Constantinople,  dans  quelques  villes 
du  midi  de  la  Russie  et  jusqu'en  Pologne.  Le  pape  Innocent  XII,  sur  la 
fin  du  dix-septième  siècle,  essaya  de  les  faire  rentrer  dans  le  giron  de 
l'Eglise  catholique,  mais  ses  missionnaires  n'eurent  de  succès  qu'auprès 
d'une  partie  des  habitants  de  Trébizonde,  Erzeroum,  Alep,  et  de  quel- 
ques villages  dans  les  environs  de  ces  villes.  On  trouve  cependant  en 
Pologne  quelques  Arméniens  «  unis  »,  sans  parler  de  ceux  qui  sont  éta- 
blis à  Venise  dans  le  couvent  fondé  en  1717  par  le  célèbre  Mechithar 
(voir  cet  article),  et  qui,  sous  le  nom  de  méchathiristes,  ont  eu  quelque 
renom  dans  l'histoire  littéraire.    On    compte    aujourd'hui    environ 
100,000  Arméniens  «  unis  ».  — Il  nous  reste  à  dire  quelques  mots  de  la 
doctrine  et  de  l'organisation  ecclésiastique  de  l'Eglise  arménienne.  La 
doctrine  arménienne  se  trouve  formulée  tout  au  long  dans  un  «  Exposé 
de  la  foi  de  l'Eglise  arménienne  »  que  rédigea  le  patriarche  Nersès,  dit 
Schnorhali  (le  gracieux),  sur  l'ordre  de  l'empereur  Manuel  Comnène, 
en  1166.  Le  Credo  est  à  peu  près  celui  de  Nicée,  avec  une  tendance 
plus  ou  moins  monophysite  en  christologie  ;  on  y  fait  procéder  le  Saint- 
Esprit  du  Père  seul  et  non  du  Père  et  du  Fils,  comme  dans  l'Eglise 
d'Occident.  Le  péché  originel  est  affirmé;  on  déclare  que  le  Christ  seul 
peut  nous  sauver  et  que  le  salut  est  acquis  à  l'homme  au  moyen  du 
baptême.  Les  sacrements  d'ailleurs  sont  tous  considérés  comme  des 


ARMENIE  —  ARMINIANISME  r,99 

moyens  essentiels  de  salut  ;  on  en  reconnaît  sept,  ainsi  que  dans  les 
Eglises  grecque  et  romaine.  Les  saints,  Marie  à  leur  tête,  sont  honorés 
et  considérés  comme  des  médiateurs  entre  Dieu  et  riiomme.  On  prie 
pour  les  morts  et  pour  le  pardon  de  leurs  péchés,  maison  n'admet  pas 
de  purgatoire  et  on  repousse  les  indulgences.  L'organisation  ecclésias- 
tique de  l'Eglise  d'Arménie  repose  *\\v  une  hiérarchie  à  trois  degrés: 
L'épiscopat,  le  sacerdoce  et  le  diaconat.  L'épiscopat  lui-même  se  subdi- 
vise en  trois  degrés:  archevêque,  évêque  et  archimandrite  ou  variobed 
(docteur).  Les  vartobeds  sont  des  espèces  de  moines  théologiens  qui  se 
vouent  en  général  à  la  prédication.  Ce  n'est  qu'un  archevêque  qui 
peut  être  élu  cat/wlicos,  c'est-à-dire  chef  suprême  de  l'Eglise  armé- 
nienne. Les  prêtres  et  les  diacres,  avant  leur  ordination,  devront  avoir 
contracté  mariage  ;  mais  une  l'ois  veufs,  ils  n'ont  plus  la  liberté  de  se 
remarier.  S'ils  veulent  parvenir  à  un  rang  plus  élevé,  il  faut  qu'ils  em- 
brassent la  vie  monastique.  Le  clergé,  dans  son  ensemble,  se  par- 
tage en  deux  classes  distinctes:  le  clergé  noir  et  le  clergé  blanc.  Les 
évèques  et  les  archimandrites  constituent  le  clergé  noir;  les  prêtres  et 
les  diacres  appartiennent  au  clergé  blanc.  Les  églises  arméniennes 
rappellent  à  peu  près  les  églises  grecques,  dans  leurs  dispositions  inté- 
rieures. L'autel,  tourné  toujours  vers  l'orient,  est  placé  sur  une 
estrade  élevée,  nommée  Pêne,  le  Berna  des  Grecs.  L'iconostase  ou  cloi- 
son à  laquelle  sont  attachées  les  saintes  images,  n'est  pas  avancée 
comme  chez  Grecs,  mais  elle  est  sur  la  même  ligne  que  l'autel.  Les 
églises  sont  surmontées  de  la  croix,  qui  est  toujours  tournée  vers 
l'orient.  L'Eglise  d'Arménie  possède  une  littérature  assez  riche;  sa  ver- 
sion de  la  Bible  est  remarquable  par  la  fidélité  et  l'élégante  simplicité 
du  style  ;  elle  fut  faite,  en  403,  par  l'inventeur  même  de  l'alphabet 
arménien,  le  pieux  et  savant  Mesrob,  avec  le  concours  du  patriarche 
saint  Saliag.  — Voyez:  Histoire,  dogmes,  traditions  et  liturgie  de  l'Eglise 
arménienne  orientale,  etc.,  ouvrage  traduit  du  russe  et  de  l'arménien, 
par  Dulaurier,  Paris,  1839.  A.  Gary. 

ARMINIANISME.  La  Réforme  calviniste,  qui  prévalut  en  France,  dans 
les  Pays-Bas,  en  Angleterre  et  dans  une  partie  de  l'Allemagne,  fut  pro- 
fondément religieuse,  en  ce  sens  qu'elle  ne  recula  devant  rien  pour 
-affirmer  les  thèses  les  plus  absolues  du  sentiment  religieux,  la  souve- 
raineté sans  partage  de  Dieu,  sa  toute-puissance,  sa  prescience,  la  libre 
dispensation  de  sa  grâce.  Tout  ce  qui  semblait  subordonner  la  souve- 
raineté divine  à  un  arbitraire  humain  quelconque,  lui  faisait  l'effet  d'une 
impiété.  Elle  aimait  à  enseigner  aux  lidèles  que  leur  salut  ne  dépendait 
ni  de  leur  volonté  vacillante,  ni  du  pouvoir  usurpé  d'un  sacerdoce  quel- 
conque, mais  de  la  volonté  toute-puissante  et  immuable  de  Dieu  qui,  de 
toute  éternité,  avait  élu  dans  sa  bonté  souveraine  ceux  qu'il  voulait 
rendre  participants  de  ses  grâces  et  du  salut  éternel.  La  dogmatique  cal- 
viniste ressemble  ainsi  très-souvent  à  une  prière  figée  sous  forme  de  doc- 
trine  théologique.  On  peut  remarquer,  en  elïet,  que  lès  idées  ou  les  sen- 
timents qu'elle  formule  avec  tant  de  rudesse  sont  aussi  naturels  dans 
la  bouche  de  L'homme  qui  adore  et  qui  prie  qu'ils  choquent  aisément 
le  bon  sens  vulgaire  et  la  raison  pratique.  Le  besoin  de  fonder  l'assu- 


600  A11MINIANISME 

rance  du  salut  sur  une  base  qui  tût  hors  de  la  portée  de  tout  arbitraire 
humain  fut  la  véritable  origine  du  dogme  calviniste  de  la  prédestina- 
tion. Nous  le  trouvons  formulé  en  ces  termes  dans  l'article  16  de  la  Con- 
fessio  Belgica,  qui,  d'ailleurs,  a  ses  correspondants  dans  la  plupart  des 
symboles  réformés  (Conf,  de  la  Rochelle,  art.  12)  :  «  Nous  croyons  que 
Dieu,  après  que  toute  la  postérité  d'Adam  se  fut  ainsi  précipitée  dans  la 
perdition  et  la  ruine  par  la  faute  du  premier  homme,  se  montra  tel  qu'il 
est,  savoir  miséricordieux  et  juste  :  miséricordieux,  en  délivrant  et  en 
sauvant  de  cette  perdition  ceux  que,  dans  son  conseil  éternel  et  immuable, 
il  a  élus  et  mis  à  part  selon  sa  bonté  gratuite  en  Jésus-Christ,  sans  aucun 
égard  à  leurs  œuvres  ;  juste,  en  laissant  les  autres  dans  la  chute  et  la 
perdition  dans  laquelle  ils  s'étaientprécipités  eux-mêmes.  »  Ce  dogme  de 
la  prédestination  avait  donc  pour  prémisses  :  1°  la  chute  et  la  corrup- 
tion de  l'humanité  solidaire  de  la  faute  commise  par  son  premier  an- 
cêtre; 2°  la  corruption  totale  de  la  postérité  d'Adam,  de  sorte  que, 
devant  Dieu,  il  n'y  avait  aucune  différence  de  mérite  entre  un  homme 
et  un  autre  ;  3°  l'idée  qu'en  Adam  nous  nous  étions  tous  individuellement 
rendus  coupables  de  la  transgression  originelle.  Dieu  donc,  qui  aurait 
pu  en  toute  justice,  ces  prémisses  une  fois  admises,  laisser  tout  le  genre 
humain  dans  sa  corruption  et  dans  son  malheur  éternel,  n'avait  mani- 
festé que  de  la  bonté  en  retirant  ceux  qu'il  avait  élus  de  toute  éternité, 
pour  des  motifs  de  lui  seul  connus,  du  gouffre  de  la  perdition  et  en  y 
laissant  les  autres.  Cette  exposition  du  dogme  calviniste  primitif  était 
nécessaire  pour  bien  comprendre  l'origine  et  le  développement  de 
l'arminianisme.  On  saisit  tout  cle  suite  les  objections  qu'une  fois  la 
première  ferveur  refroidie,  la  réflexion  venant  à  s'attaquer  à  ce  dogme 
majestueux  et  terrible,  le  sens  commun  ne  pouvait  manquer  d'alléguer 
contre  une  doctrine  qui  reportait  sur  Dieu  lui-même  l'arbitraire  qu'on 
prétendait  avoir  enlevé  aux  pouvoirs  humains.  N'en  résultait-il  pas 
immédiatement  que  la  grâce  de  Dieu  était  offerte  et  même  imposée  à 
un  certain  nombre  d'hommes  sans  qu'on  pût  concevoir  le  motif  de  cet 
immense  privilège,  tandis  qu'elle  demeurait  étrangère  et  même  refusée 
à  tous  les  autres,  et  cela  en  vertu  d'un  décret  immuable  de  la  volonté 
divine?  —  Arminius  (Jacques)  ou  Harmensen  naquit,  vers  1560,  à^Ou- 
dewater  (Vieille-Eau,  d'où  le  surnom  qu'on  lui  a  parfois  donné  de  Vete- 
raquinas).  Il  était  le  hls  d'un  simple  coutelier.  Il  perdit  son  père  de 
bonne  heure,  mais  ses  heureuses  dispositions  intéressèrent  en  sa  faveur 
quelques  personnes  riches  qui  le  firent  étudier.  C'est  ainsi  qu'il  fut  suc- 
cessivement étudiant  à  Utrecht,  à  Marbourg,  à  Rotterdam  et  à  Leyde,  où  il 
profita  des  leçons  du  savant  Danœnus,  et  à  Genève,  où  il  entendit  Théo- 
dore de  Bèze.  Il  visita  aussi  l'Italie  et  Home,  d'où  il  revint  profondément 
scandalisé.  A  Bàle,  où  il  séjourna  à  l'âge  de  vingt-deux  ans,  on  voulait 
déjà  lui  conférer  le  doctorat  en  reconnaissance  de  son  mérite  transcen- 
dant, mais  il  refusa  par  modestie.  En  1588,  il  fut  nommé  pasteur  à 
Amsterdam,  et  ne  tarda  pas  à  s'y  faire  une  grande  réputation  comme 
prédicateur.  Dans  cette  ville,  un  laïque,  Dirick  Kornhert,  avait  déjà 
attaqué,  non  sans  succès,  le  dogme  calviniste  de  la  prédestination.  Le 
consistoire  chargea  Arminius  de  le  réfuter.  En  même  temps,  il  y  avait 


ARMIXIAX1SME  tJOI 

conflit  entre  les  pasteurs  de  Delft,  infràlapsaires  (affirmant  que  la  pré- 
destination divine  n'avait  eu  lieu  qu'après  la  chute)  et  lés  supralapsaires 
(voulant  que  la  chute  elle-même  rentrât  dans  le  plan  divin).  Arminius 
se  prononça  en  faveur  des  premiers,  et  c'est  pendant  qu'il  se  livrait  à 
cet  examen  qu'il  sentit  naître  en  lui  des  doutes  sur  la  légitimité  du 
dogme  lui-même  de  la  prédestination.  Il  inclina  depuis  lors  vers  l'idée 
que  la  grâce  de  Dieu  était  offerte  à  tous  les  hommes,  et  que,  par  consé- 
quent, le  motif  déterminant  de  son  acceptation  ou  de  son  rejet  devait 
être  cherché  dans  l'homme  lui-même.  Son  savant  ami  Junius,  profes- 
seur à  Leyde,  partageait  son  opinion,  ainsi  que  le  pasteur  de  La  Haye, 
Uytenbogaert.  On  le  voit  aussi  s'opposer  à  une  exigence  du  parti  cal- 
viniste rigide  qui  voulait  obtenir  des  Etats  une  décision  qui  eût  astreint 
tous  les  pasteurs  à  renouveler  chaque  année  leur  serment  d'adhésion  à 
la  Confession  de  foi.  En  1603,  il  fut  nommé  professeur  à  Leyde,  en  rem- 
placement de  Junius  qui  venait  de  mourir.  Là,  il  se  rencontra  avec  son 
collègue  Gomar  qui  tenait  pour  le  calvinisme  rigide  et  qui  ne  tarda  pas 
à  l'attaquer  comme  pélagien.  Arminius  riposta  qu'il  fallait  se  garder 
du  pélagianisme,  mais  aussi  du  manichéisme  qui  sépare  l'humanité  en 
deux  parts  sans  rapport  commun,  l'une  appartenant  à  Dieu,  l'autre  au 
diable,  et  qu" il  était  impie  de  faire  de  Dieu  l'auteur  du  péché.  Un 
synode  en  1606,  une  conférence  en  1608  ne  purent  mettre  un  terme  au 
débat  qui  s'envenimait  toujours  plus,  lorsqu'Arminius  mourut  en  1609. 
Ses  écrits  furent  réunis  et  publiés  à  Leyde  en  1629;  sa  Biographie  fut 
rédigée  par  Gaspard  Brandt,  lils  de  l'historien  (1724).  Les  germes 
d'indépendance  vis-à-vis  du  calvinisme  rigide  qu'il  avait  semés  firent 
que  son  nom  resta  à  la  tendance  qui  se  dégagea  après  lui  et  sous  son 
impulsion  au  sein  de  l'Eglise  réformée  des  Pays-Bas.  Le  trait  caracté- 
ristique de  cette  tendance  fut  l'opposition  au  dogme  de  la  prédestina- 
tion, et,  par  conséquent,  une  opposition  de  plus  en  plus  systématique 
à  l'autorité  de  la  Confession  de  foi,  ainsi  qu'une  grande  liberté  dans 
l'interprétation  des  livres  saints.  La  controverse  pour  et  contre  la  pré- 
destination avait  déjà,  quand  Arminius  mourut,  dépassé  l'enceinte  des 
écoles  pour  se  propager  dans  la  population  néerlandaise.  Si  l'on  veut 
en  bien  comprendre  l'importance  et  la  vivacité,  il  faut  se  rappeler  que, 
dans  la  masse  du  peuple,  trois  choses  étaient  solidaires  et  inséparables  : 
l'indépendance  nationale,  le  calvinisme  et  l'orangisme;  l'oligarchie 
bourgeoise  et  républicaine,  au  contraire,  tout  en  tenant  beaucoup  à 
cette  indépendance  nationale  qu'elle  avait  tant  contribué  à  faire  triom- 
pher, était  anti-orangiste  et  médiocrement  attachée  au  calvinisme  pur. 
On  voit  d'ici  comment,  dans  les  Pays-Bas,  la  controverse  théologique 
se  compliqua  très-vite  d'une  lutte  politique. —Pour  se  justifier  des  accu- 
sations outrageantes  dont  il  était  l'objet  dans  les  chaires  et  les  pam- 
phlets du  temps,  le  parti  arminien  adressa  aux  Etats  de  Hollande  et 
d'Ouest-Frise,  en  1610,  une  Remonstrance  (de  là  le  nom  de  Bernons- 
trants)  dan-  laquelle,  tout  en  se  tenant  au  plus  près  des  doctrines  cal- 
vinistes en  général,  il  stipulaitque  Dieu  avait  prédestiné  au  salut  «ceux 
qui  croient  en  son  Fils  Jésus-Christ  et  qui  persévèrent  jusqu'à  la  fin 
dans  cette  loi  et  dans  l'obéissance  qu'elle  commande;  que  Jésus-Christ 
i.  30 


602  ARMINIANISME 

était  mort  pour  tous  ceux  qui  s'approprient  ses  mérites  par  la  foi  ; 
que  la  grâce  n'était  pas  irrésistible,  bien  qu'elle  fût  absolument  indis- 
pensable et  qu'il  fallait  décider  uniquement,  d'après  l'Ecriture,  si  cette 
grâce  était  ou  non  amissible  ».  Ce  dernier  point  fut,  toutefois,  modi- 
fié en  1611,  en  ce  sens  que  la  perte  de  la  grâce,  une  fois  obtenue,   fut 
déclarée  possible.  L'esprit  de  ces  articles  était  évidemment  de  faire 
dépendre  de  l'acceptation  volontaire  de  l'homme  le  salut  offert  à  tous, 
et,  par  conséquent,  il  était  directement  opposé  au  dogme  calviniste  qui 
déclare  que  le  salut  dépend  purement  et  uniquement  de  la  volonté 
divine.  Les  adversaires  du  parti  arminien  opposèrent  à  ce  manifeste 
une  contre-remonstrance  conçue  en  termes  très-vifs.  Les  Etats,  où  domi- 
nait encore  l'influence  de  Barneveld  et  du  parti  républicain,  défendi- 
rent, en  1614,  qu'on  discutât  ces  questions  irritantes  et  voulurent  impo- 
ser la  tolérance.  Le  célèbre  Grotius,  sympathique  aux  idées  arminiennes, 
les  appuya  de  toute  son  influence.  Mais  le  parti  populaire  et  orangiste 
refusa  de  se  soumettre;  bientôt  l'influence  du  prince  Maurice,    déjà 
illustre  par  ses  victoires,  devint  prépondérante,  et  il  fut  décidé  qu'un 
synode  général,  où  seraient  invités   des  représentants  de  toutes  les 
Eglises  réformées,  serait  tenu  à  Dordrecht  pour  trancher  définitivement 
la  question.  À  la  tête  du  parti   arminien   on   remarquait  Episcopius 
(Simon  Biscop),  né  à  Amsterdam  en  1583,  professeur  à  Leyde,  où  il 
avait  remplacé  Gomar  fixé  désormais  à  Middelbourg;   c'est  lui    qui, 
assisté  de  douze  autres  théologiens  remonstrants,  dut  défendre  devant 
le  synode  les  opinions  anti-prédestinatiennes.  Le  synode  lui-même  se 
composait  de  cinq  professeurs  en  théologie,  trente-six  pasteurs  et  vingt 
anciens.  On  y  remarquait  les  députés  des  Eglises  réformées  du  Palati- 
nat,  de  la  Hesse,  de  Suisse,  de  Genève,  de  Nassau,  de  Brème,  d'Angle- 
terre et  d'Ecosse,  Les  Eglises  de  Brandebourg  et  d'Anhalt  (celle-ci  ne 
jouissait  pas  d'une  réputation  d'orthodoxie  suffisante)  ne  furent  pas 
représentées;  le  gouvernement  de  Louis  XIII  n'autorisa  pas  l'Eglise  de 
France  à  y  envoyer  ses  députés.  —  Le  synode  se  constitua  le  13  novem- 
bre 1618.  Jean  Bogerman,  pasteur  à  Leuwarde,  calviniste  zélé,  fut  élu 
président,  et  les  remonstrants  furent  cités  à  comparaître.  C'est  ainsi  que 
fut  résolue  la  question  préalable  de  savoir  s'ils  conféreraient  avec  le 
synode  sur  le  pied  de  l'égalité  ou  si  d'avance  ils  seraient  traduits  à  la 
barre  comme  des  accusés  tenus  à  se  défendre.  Ce  dernier  avis  prévalut. 
Après  quelques  hésitations,  Episcopius  et  ses  amis  consentirent  à  com- 
paraître ;  mais  leur  langage  hardi,  la  fierté  de  leur  attitude  irritèrent  la 
haute  assemblée.  Dans  la  cinquante-septième  séance  (14  janvier  1619), 
ils  furent  expulsés  du  synode  comme  menteurs  et  trompeurs.  Les  diver- 
gences de  vues  qui  se  manifestèrent  ensuite  parmi  les  membres  du 
synode  sur  les  questions  de  l'élection,  du  supralapsarisme  et  du  fonde- 
ment du  salut  ne  les  empêchèrent  pas  de  s'unir  dans  une  réprobation 
unanime  de  l'arminianisme.  Les  canones  synodici  confirmèrent  et  déve- 
loppèrent le  dogme  de  la  prédestination  absolue,  de  manière  à  ne  pas  lais- 
ser la  plus  mince  ouverture  à  la  participation  de  l'homme  à  l'œuvre  de 
son  salut  (voy.  surtout  cap.  I,  art.  7  et  10).  Les  remonstrants,  qui  fai- 
saient dépendre  l'efficacité  de  la  vocation   divine   adressée  à  tous  les 


AlîMIXIANISME  60$ 

hommes  de  la  disposition  soumise  ou  rebelle  que  chacun  d'eux  présen- 
tait à  Faction  divine  (Art.fiemonstr.,  I  ;  Confessto  Remonstr.,  XVII,  3,  'i, 

7.  Si,  furent  condamnés  comme  perturbateurs  de  l'Eglise, profanateurs 
et  déclarés  déchus  de  toute  fonction  ecclésiastique.  La  réaction  orangiste 
aidant,  il  s'éleva  contre  eux  une  véritable  persécution.  Ëpiscopius  dut  se 
réfugier  dans  les  Pays-Bas  espagnols,  puis  en  France,  à  Paris  et  à  Rouen, 
où  il  y  eut  pendant  quelques  années  une  communauté  de  remonstrants 
réfugiés,  reconnue  et  protégée  par  le  pouvoir  royal.  La  mort  de  Barne- 
veld  sur  l'échafaud  (13  mai  1619),  la  condamnation  de  Grotius  à  la 
réclusion  perpétuelle  (à  laquelle  il  échappa  en  s1  évadant  grâce  au  dévoue- 
ment ingénieux  de  sa  femme),  bien  que  motivées  par  des  raisons  politi- 
ques, ne  s'expliquent  bien  que  par  leur  connexion  avec  la  réaction 
orangiste  et  antiarminienne  qui  sévit  sur  les  adversaires  du  calvinisme 
pur.  Deux  cents  pasteurs  environ  furent  déposés  et  ceux  qui  ne  voulu- 
rent pas  se  soumettre,  bannis.  Cependant  l'opinion  du  pays  et  du  gou- 
vernement revint  quelques  années  après  à  des  idées  plus  tolérantes.  On 
trouva  que  le  synode  avait  procédé  avec  trop  de  rigueur,  et  les  remons- 
trants réuesirent  à  se  disculper  du  reproche,  qui  leur  avait  été  si  fatal, 
d'être  hostiles,  en  tant  que  parti  religieux,  à  la  maison  d'Orange.  En  1625, 
la  mort  de  Maurice  et  le  stathoudérat  de  son  frère  Henri  servirent  leur 
cause  en  ce  sens  que,  d'abord  tolérés,  ils  obtinrent,  depuis  1630,  le  droit 
de  s'établir  en  tous  lieux  et  d'ériger  des  églises  et  des  écoles  à  côté  de 
celles  de  l'Etat  réformé-calviniste,  qui  seules  pouvaient  être  visibles 
(de  là,  aux  Pays-Bas,  le  grand  nombre  d'églises  catholiques,  menno- 
nites,  remonstrantes,  cachées  dans  des  pâtés  de  maisons).  Toutefois 
le  nombre  des  arminiens  ou  remonstrants  ,  assez  considérable  au 
premier  moment,  ne  s'accrut  pas  ou  plutôt  il  tendit  toujours  plus  à 
diminuer,  au  point  que  de  nos  jours  il  ne  s'élève  guère  à  plus  de 
huit  mille  âmes  réparties  en  21  communautés.  Mais  il  faut  ajouter 
que  la  cause  de  cette  diminution  doit  être  bien  moins  cherchée  dans  la 
disparition  graduelle  des  idées  arminiennes  que  dans  le  l'ait  tout 
opposé  de  leur  infiltration  graduelle,  et  aujourd'hui  pour  ainsi  dire  géné- 
rale, au  sein  de  l'Eglise  réformée  dans  les  Pays-Bas  et  dans  les  autres 
pays.  L'Eglise  réformée  de  France  s'associa  pourtant  par  une 
déclaration  solennelle  (synode  national  d'Alais,  1620)  aux  décrets  et 
aux  articles  de  Dordrecht,  mais  les  mesures  rigoureuses  qui  fuient 
prises  pour  en  assurer  le  maintien  ne  purent  empêcher,  en  France 
plus  qu'ailleurs,  le  levain  de  l'arminianisme  de  pénétrer  nos  Eglises 
et  nos  écoles  protestantes,  ainsi  que  le  prouvèrent  bientôt  Vuniuer- 
salisme  d'Amyraut  et  la  tendance  générale  de  l'école  de  San  mur  (v.  les 
art.  Amyraut  et  Saumur)..  Les  remonstrants  de  Hollande  furent  donc 
essentiellement  un  foyer  d'indépendance  vis-à-vis  du  calvinisme  pur, 
et  L'influence  de  leurs  savants  théologiens  fut  toujours  considérable. 
Ils  usèrent  de  la  liberté  qui  leur  fut  rendue,  en  £630,  pour  hunier  à 
Amsterdam  un  séminaire,  avec  deux  professeurs.  L'un  de  théologie, 
l'autre  de  philosophie.  A  côté  d'Episcopius  (f  L643),  l'auteur  de  la 
Confessio  Remomtrantium  en  vingt-cinq  chapitres  et  <Vi\\\c  fnstitulio 
iheologica  très-érudite  en  quatre  livres,  professeur  à  Amsterdam  depuis 


604  ARMINIANISME 

1634,  nous  distinguons  son  ami  Uyte'nbogaert  (f  1644),  qui  traduisit 
la  Confessio  en  hollandais,  composa  un  catéchisme  et  contribua  beau- 
coup par  ses  écrits  à  procurer  à  son  parti  la  liberté  civile  et  religieuse. 
Il  faut  citer  ensuite  parmi  les  représentants  les  plus  notables  de  la 
même  tendance,  outre  le  fameux  Grotius,  CurceUaeus  (Courcelles), 
successeur  cTEpîscopius  dans  la  chaire  professorale  d'Amsterdam 
(f  1645);  Limborch  (-J-  1714),  dont  la  Theologia  christiana  (1686)  passe 
pour  le  meilleur  exposé  de  la  théologie  arménienne;  Jean  Le  Clerc 
ou  Clericus,  d'origine  française  et  genevoise,  mort  en  1736,  qui  se 
rattacha  à  l'Eglise  remonstrante  pour  jouir  d'une  plus  grande  liberté 
scientifique,  professa  aussi  à  Amsterdam  et  compta  parmi  les  érudits  les 
plus  laborieux  et  les  plus  féconds  de  son  temps  ;  Jacob  Wetstein,  de 
Bàle,  éminent  critique,  également  professeur  remonstrant  à  Amster- 
dam, mort  en  1754.  Dans  notre  siècle,  l'arminianisme  néerlandais  a 
compté  dans  ses  rangs  plusieurs  hommes  remarquables,  parmi  lesquels 
nous  citerons  le  professeur  et  célèbre  prédicateur  Abraham  des 
Amorie  van  der  Hoeven  (f  1855),  précédé  dans  la  tombe  par  son  fils, 
pasteur  à  Utrecht,  éloquent  prédicateur  aussi,  poète  et  théologien  dis- 
tingué; puis  M.  C.-P.  Tiele,  actuellement  professeur  remonstrant 
à  Leyde,  où  la  chaire  de  théologie  remonstrante  a  été  transférée 
en  1873,  très-estimé  comme  orateur  religieux,  de  plus  et  tout 
spécialement  par  ses  savants  travaux  sur  l'histoire  comparée  des  an- 
ciennes religions.  —  Comme  cela  résultait  presque  nécessairement  de 
leur  position  de  parti  persécuté  et  de  protestants  au  sein  même  du 
protestantisme,  les  arminiens,  après  leur  rupture,  se  virent  amenés  à 
étendre  à  d'autres  dogmes  qu'à  celui  de  la  prédestination  et  de  l'élec- 
tion leur  opposition  au  calvinisme  primitif.  Ceux  de  la  chute,  de  la 
rédemption,  de  la  Trinité,  de  l'inspiration  des  Ecritures  ne  tardèrent 
pas  à  être  dans  leurs  écoles  l'objet  de  modifications  notables.  On  peut 
le  voir  surtout  dans  les  écrits  d'Episcopius,  de  Limborch  et  de 
Le  Clerc.  Il  y  a  même  lieu  de  penser  qu'une  des  grandes  raisons  qui 
animèrent  les  théologiens  de  Dordrecht  d'un  zèle  si  âpre  contre  les 
remonstrants,  fut  la  prévision  que  la  réforme  dogmatique  réclamée  par 
eux,  sur  un  point  spécial,  entraînerait  des  conséquences  bien  plus 
graves  encore.  Derrière  rarminianisme,  on  voyait  surgir  le  socinia- 
nisme.  En  fait,  plusieurs  arminiens  ne  furent  guère  que  des  sociniens 
timides,  et  le  parti  dans  son  ensemble  se  montra  de  bonne  heure  plus 
tolérant  que  les  Eglises  orthodoxes  pour  les  hommes  et  les  vues  du 
socinianisme.  Cependant  les  théologiens  les  plus  accrédités  de  l'armi- 
nianisme prirent  toujours  soin  de  se  distinguer  des  sociniens.  C'est 
plutôt  l'arianisme  et  le  semipélagianisme  qui  ressortent  de  leurs  sys- 
tèmes théologiques.  Aujourd'hui,  sauf  exceptions  individuelles,  les- 
remonstrants  des  Pays-Bas  se  rattachent  généralement  au  mouvement 
du  protestantisme  libéral.  —  Sources  :  Uytenbogaert,  Histoire  de  l'E- 
glise, de  l'an  400  jusqu'au  synode  de  Dordrecht,  en  hollandais,  1619  ; 
rééditée  en  1647;  Limborch,  Relatio  historié  a...  controversiarmm  infœde- 
rato  Belgio,  1715;  G.  Brandt,  Historia  reformationisbelgicœ,  1671-1704; 
llcgenboog,  Histoire  des  Remonstrants,  en  hollandais,  1774;  trad.allem. 


ARMINIANISME  —  ARNAUD  605 

en  1781  ;  Ypey  et  Dermout,  Histoire  de  V Eglise  réformée  néerlandaise, 
en  holl.,  1819-1827.  A.  réville. 

AR-MOAB.  Voyez  Moah. 

ARNAUD  (Henri)  était  un  modeste  pasteur  du  Dauphiné,  d'une  piété 
exemplaire.  Il  n'avait  jamais  t'ait  parler  de  lui,  et  avait  quitté  son 
Eglise  et  son  pays  pour  devenir  pasteur  dans  les  vallées  vaudoises 
du  Piémont,  lorsque  la  tyrannie  de  Louis  XIV  était  devenue  intolé- 
rable. 11  avait  déjà  plus  de  quarante  ans  alors,  et  lui-même  ne  se  dou- 
tait pas  sans  doute  que  dans  sa  mâle  poitrine  battait  le  cœur  d'un 
héros  comparable  aux  guerriers  antiques.  Louis  XIV  obligea  le  duc  de 
Savoie  à  proscrire  de  ses  Etats  les  religionnaires,  comme  il  avait  fait 
lui-même;  c'était  en  1686.  Arnaud  dut  s'expatrier  de  nouveau  avec 
trois  mille  pauvres  gens  des  vallées,  restes  pitoyables  d'une. population 
de  quinze  mille  âmes  décimées  par  la  misère  et  les  massacres.  Ils  avaient 
trouvé  refuge  en  Suisse  et  en  Allemagne.  L'énergie  dont  Arnaud  avait 
donné  mille  preuves  dans  ce  rude  voyage  tourna  vers  lui  le  cœur  de 
tous  ses  compagnons.  Tous  étaient  dévorés  dans  l'exil  par  un  amer  re- 
gret de  leurs  chères  montagnes.  Il  osa  concevoir  le  projet  de  lesy réin- 
tégrer de  force.  C'était  la  plus  téméraire  audace,  mais  il  avait  en  Dieu 
cette  foi  que  rien  ne  trouble,  rien  n'arrête.  Durant  plus  de  deux  années 
il  mûrit  son  plan,  et,  par  une  belle  nuit  du  milieu  d'août  1689,  tous  les 
Vaudois  valides,  venus  un  à  un  des  diverses  parties  de  la  Suisse,  et 
même  d'Allemagne,  se  trouvèrent  rassemblés  en  silence  dans  la  forêt 
de  Prangins  sur  les  bords  du  Léman.  Ils  étaient  près  de  neuf  cents.  On 
traverse  aussitôt  le  lac  sur  quelques  mauvaises  barques,  on  aborde  la 
rive  savoyarde  près  d'Yvoire  et  l'on  se  met  rapidement  en  marche  à 
travers  les  terres  du  duc,  enlevant  des  otages  et  des  guides  pour  les 
relâcher  à  l'étape  suivante,  et  sans  commettre  le  moindre  désordre.  Ils 
passent  à  Sallanches,  atteignent  les  hautes  montagnes,  culbutent  près 
du  fort  d'Exilles  quelques  compagnies  françaises  de  celte  frontière  qui 
voulaient  leur  barrer  le  passage  et,  le  27  août,  après  onze  jours  de 
fatigues  et  de  dangers  inouïs,  ils  arrivent,  demi-morts  de  faim,  au 
premier  village  des  vallées  vaudoises,  La  Balsille.  Les  troupes  piémon- 
taisrs  et  celles  du  roi  de  France  s'unirent  pour  leur  donner  la  chasse; 
mais  Arnaud  déploya  la  valeur  et  les  talents  d'un  militaire  consommé; 
il  repoussa  tous  les  assauts,  jusqu'à  ce  qu'un  allié  sur  lequel  il  avait 
bien  compté,  l'hiver,  vint  forcer  les  assaillants  à  le  laisser  en  repos 
jusqu'au  printemps.  Le  30  avril,  l'ennemi  reparut.  11  fut  repoussé  de 
nouveau.  Voulant  en  finir  à  tout  prix,  le  général  français  commença 
ww  siège  en  règle  et  lit  transporter  des  canons  sur  les  sommets  voisins  du 
camp  vaudois,  qui  semblait  inévitablement  perdu.  Ils  avaient  compté 
sans  la  toi  d'Arnaud,  (pie  le  découragement  ne  pouvait  atteindre.  Par 
une  sombre  nuit,  il  se  laissa  glisser,  suivi  de  tous  les  siens,  au  fond  de 
précipices  impraticables,  et  le  lendemain,  comme  les  assiégeants  étonnés 
'cherchaient  ;i  s'assurer  si  la  place  était  véritablement  déserte,  ils  aper- 
çurent les  indomptables  religionnaires  postés  sur  les  cimes  lointaines. 
La  politique  mit  fin  tout  à  coup  à  cette  lutte  trop  inégale  Le  due  df 
Savoie   passa   du    parti  de   la  France  an  parti  d'Allemagne  et  laissa 


60G  ARNAUD  —  ARNAULD 

la  paix  à  ses  sujets  vaudois.  Arnaud  reprit  ses  pacifiques  devoirs  de 
pasteur  des  vallées.  Huit  ans  après  (1698),  un  nouveau  changement  de 
la  cour  de  Turin  lui  lit  reprendre  le  chemin  de  l'exil.  On  l'accueillit 
avec  respect  en  Allemagne  et  en  Angleterre;  il  s'établit  définitivement 
au  presbytère  de  l'église  de  Schonberg,  en  Wurtemberg,  au  centre  d'un 
troupeau  de  deux  mille  de  ses  frères  réfugiés;  il  y  publia  (1710)  une 
Histoire  de  la  glorieuse  rentrée,  et  il  y  rendit  paisiblement  à  Dieu  son 
âme  admirable,  le  8  septembre  1721,  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans.  — 
Voyez  r Israël  dès  Alpes,  par  A.  Muston  (1851),  et  Biographie  du  Bau- 
phiné,  par  Rochas  (1856).  H.  Bordier. 

ARNAULD  DE  BRESCIA.  Faute,  de  documents  suffisants,  il  est  impos- 
sible, à  l'heure  qu'il  est,  d'écrire  de  ce  célèbre  agitateur  ecclésiastique 
et  politique  une  biographie  qui  ne  présente  pas  de  lacunes.  Plusieurs 
écrivains  ont  essayé  de  les  combler,  soit  par  d'anciennes  relations  dont 
rien  ne  garantit  l'exactitude,  soit  par  des  tableaux  de  fantaisie;  au  lieu 
de  faire  l'histoire  d'Arnauld,  on  a  fait  ainsi  son  roman;  c'était  inu- 
tile, car  ce  qu'on  sait  de  son  œuvre  est  assez  précis  pour  en  donner 
une  idée.  La  date  de  sa  naissance  est  inconnue  ;  il  se  voua  à  la  carrière 
ecclésiastique  ;  comme  jeune  homme  il  remplit  à  Brescia,  qui  était  sa 
patrie,  les  fonctions  de  lecteur.  Plus  tard  on  le  rencontre  en  France, 
parmi  les  disciples  les  plus  dévoués  d'Abélard.  Il  se  fit  moine  comme 
son  maître.  Revenu  dans  sa  ville  natale,  où  une  partie  de  la  population 
était  mécontente  de  Févêque,  il  attira  l'attention  par  son  éloquence  et 
par  la  simplicité  de  ses  mœurs.  Saint  Bernard,  quand  il  fut  devenu  son 
persécuteur,  disait  encore  de  lui:  «Plût  à  Dieu  que  sa  doctrine  fût 
aussi  pure  que  sa  vie  est  austère  ;  il  ne  mange  ni  ne  boit,  mais  a  faim 
et  soif  des  âmes.  »  Il  voulut  tenter  une  réforme  morale,  sans  toucher 
aux  dogmes.  L'Eglise  lui  semblait  déchue;  il  voyait  que,  par  les 
richesses,  et  l'usage  mondain  qu'il  en  faisait,  le  clergé  avait  perdu  son 
autorité  sur  le  peuple;  il  en  concluait  que  la  cause  de  la  décadence 
était  la  possession  de  biens  temporels;  pour  se  relever,  évêques,  prê- 
tres et  moines  devaient  revenir  à  la  pauvreté  des  temps  apostoliques; 
ce  n'est  qu'à  des  laïques  qu'il  fallait  conférer  les  domaines  relevant  du 
pouvoir  séculier,  le  clergé  se  contenterait  des  offrandes  des  fidèles,, 
renoncerait  au  luxe  et  aux  plaisirs,  et  reprendrait  ainsi  son  influence 
spirituelle.  Où  Arnauld  avait-il  puisé  ces  doctrines?  On  a  fait  à  ce  sujet 
des  suppositions  diverses.  Suivant  les  uns,  il  n'aurait  fait  que  tirer  des. 
conséquence  pratiques  de  l'enseignement  d'Abélard;  d'autres  l'ont  mis- 
en  rapport  avec  les  cathares  ou  avec  les  henriciens;  d'autres  ont 
même  découvert  chez  lui  du  gnosticisme.  Aucune  de  ces  hypo- 
thèses ne  peut  invoquer  en  sa  faveur  des  témoignages  historiques. 
Chaque  fois  que  parait  un  novateur,  il  n'est  pas  nécessaire,  quand  on 
n'en  a  pas  la  preuve,  de  le  rattacher  à  quelqu'un  dont  il  aurait  subi 
l'ascendant  et  dont  il  ne  serait  que  le  continuateur.  Arnauld  a  pu  trou- 
ver dans  sa  conscience^  froissée  par  la  situation  ecclésiastique  de 
l'Italie,  assez  de  motifs  pour  se  former  sa  doctrine  spontanément.  Cette 
doctrine  s'offrait  pour  ainsi  dire  d'elle-même,  dès  qu'on  faisait  une 
comparaison  entre  le  présent  et  l'Eglise  primitive;  il  y  a  peu  de  sectes 


ARNAULD  607 

du  moyen  âge  qui  iraient  protesté  contre  les  richesses  du  clergé  et 
voulu  rétablir  la  vie  apostolique;  dans  un  moment  de  détresse,  le 
pape  Pascal  II,  lui-même,  fut  d'avis  que  les  évoques  devaient  se  dé- 
pouiller de  leurs  possessions  et  de  leur  souveraineté  temporelles;  les 
ordres  mendiants,  à  leur  origine,  chercheront  à  leur  tour  à  reproduire 
Y  idéal  de  la  pauvreté  du  Christ  et  de  ses  disciples,  pour  conquérir 
ainsi  une  influence  que  les  prêtres  séculiers  risquaient  de  perdre. 
A  Brescia,  les  idées  d' Arnauld  rencontrèrent  de  l'écho  dans  le  parti  hos- 
tile à  l'évêque.  Celui-ci,  Manfred,  porta  contre  Arnauld  une  accusation 
d'hérésie  devant  le  concile  de  Latran  de  1139;  il  n'est  pas  dit  que  cette 
assemblée  condamna  formellement  ses  principes;  la  seule  chose  que  l'on 
sache,  c'est  qu'Innocent  II  lui  imposa  silence.  Il  est  vrai  qu'Otton 
de  Freisingén  rapporte  qu'il  avait  enseigné  aussi  des  erreurs  touchant 
la  sainte  cène  et  le  baptême  des  enfants;  mais  aucun  autre  historien  ne 
lui  reproche  des  erreurs  dogmatiques  ;  Otton  lui  a  attribué  des  opinions 
qu'on  imputait  alors  à  presque  tous  les  adversaires  de  l'Eglise;  il  a  pu 
s'y  croire  autorisé  par  le  fait  que  le  même  concile  de  1139  se  pro- 
nonça contre  les  henriciens,  au  nombre  des  hérésies  desquels  il  y  en 
avait  au  sujet  des  deux  sacrements.  Arnauld  revint  en  France;  s'il  en 
faut  croire  saint  Bernard,  il  y  fut  rappelé  par  Abélard  qui,  en  juin  1140, 
avait  à  se  défendre  devant  le  concile  de  Sens.  On  sait  qu'il  ne  se  dé- 
fendit pas,  mais  qu'il  en  appela  au  pape.  Un  rescrit  de  ce  dernier,  du 
mois  de  juillet,  ordonnait  d'enfermer  le  maître  et  le  disciple,  Goliath 
et  son  écuyer,  comme  disait  l'abbé  de  Clairvaux,  chacun  séparément 
dans  un  monastère.  Arnauld  put  se  retirer  en  Suisse  où,  pendant  quelque 
temps,  l'évêque  Herrmann  de  Constance  le  prit  sous  sa  protection.  Saint 
Bernard  écrivit  à  ce  prélat  plusieurs  lettres  pour  lui  dénoncer  «  ce  lion 
rugissant,  cet  ennemi  de  la  croix  de  Christ  »;  il  devait  le  [bannir,  ou 
mieuxencoreTemprisonner.  Arnauld  trouva  unasile  auprès  du  légat,  Guy 
deCastellis,  ancien  disciple  ûï Abélard;  l'abbé  de  Clairvaux,  quand  il  en 
fut  informé,  avertit  le  légat  qu'il  compromettait  la  dignité  de  ses  fonc- 
tions, qu'il  résistait  aux  commandements  du  pape  et  de  Dieu,  en  ac- 
cueillant un  homme  aussi  dangereux,  «qui  a  la  tête  de  la  colombe  et  le 
dard  du  scorpion  ».  Guy  abandonna-t-il  Arnauld  ?  On  l'ignore  ;  pour  plu- 
sieurs années  les  renseignements  nous  manquent.  —  En  1145,  Arnauld 
vint  à  Home,  où  depuis  deux  ans  le  peuple  était  en  pleine  révolution 
contre  la  papauté  temporelle.  Il  crut  le  moment  venu  de  réaliser  ses 
idées;  il  ne  voulut  plus  seulement  ramener  le  clergéà  la  pauvreté,  mais 
rétablir  la  liberté  et  l'ancienne  gloire  de  la  ville.  Dans  leur  enthou- 
siasme facile,  les  Romains  acceptèrent  les  plans  républicains  du  tribun 
réformateur:  plus  de  pouvoir  temporel  du  pape,  gouvernement  de 
Rome  par  un  Sénat  élu  par  le  peuple,  alliance  libre  avec  l'empereur. 
En  1452,  le  parti  modéré  réussit  à  rappeler  Eugène  III,  qui  d'abord 
avait  reconnu  le  régime  populaire,  mais  que  les  troubles  incessants 
avaient  obligé  de  se  réfugier  en  France.  Arnauld  resta  dans  la  ville; 
Eugène  mourut  peu  de  mois  après.  Le  nouveau  pape  Adrien  IV  exigea 
Péloignemenl  du  tribun,  mais  le  Sénat  la  refusa.  Un  cardinal  ayant  été 
été  tué.  Adrien  frappa  Rome  de  l'interdit.  L 'exécution  de  cette  sentence 


608  ARNAULD 

effraya  le  peuple;  Arnauld  dut  quitter  la  ville;  arrêté  à  Otiicoli,  il  fut 
délivré  par  quelques  barons  qui  lui  donnèrent  un  refuge  dans  un  châ- 
teau. Le  pape,  quand  il  fit  conclure  par  ses  délégués  un  traité  de  paix 
avec  Frédéric  Barberousse,  qui  marchait  sur  Rome,  voulut  que  le  roi  s'en- 
gageât à  lui  livrer  Arnauld  de  Brescia;  Frédéric  donna  Tordre  de  se 
saisir  d'un  des  nobles  qui  le  protégeaient,  sur  quoi  les  autres  l'abandon- 
nèrent. Le  préfet  de  Rome  le  lit  pendre  ;  le  cadavre  fut  brûlé  et  les  cendres 
jetées  dans  le  Tibre,  afin  d'empêcher  qu'elles  fussent  recueillies  comme 
celles  d'un  martyr.  Ce  fut  la  fin  de  la  république  romaine.  Arnauld 
laissa  quelques  disciples,  qui  continuèrent  de  professer  ses  opinions  en 
Italie.  En  1184,  Lucien  III  condamna  au  concile  de  Vérone  des  héré- 
tiques arnoldîstes,  sans  mentionner  leur  doctrines;  vers  1190,  Bona- 
cursus  les  mentionna  dans  un  discours  prononcé  à  Milan  contre  les 
cathares  ;  il  leur  reprochait  de  prétendre  que  pro  malitia  clericorum  sa- 
cramenta  ecclesiœ  esse  vitanda.  Des  auteurs  postérieurs  leur  attribuent 
des  erreurs  dogmatiques,  dont  l'histoire  ne  sait  rien.  On  peut  douter 
qu'ils  aient  formé  une  secte.  Ils  sont  nommés  dans  la  loi  de  Frédéric  II 
contre  les  hérétiques,  1224;  très-probablement  le  rédacteur  de  la  loi  a 
pris  le  nom  dans  le  décret  de  Lucien  III,  afin  de  ne  rien  oublier.  De  la 
loi  le  nom  passa  dans  les  bulles  de  quelques  papes,  ainsi  que  dans  les 
ouvrages  de  quelques  écrivains  allemands  du  treizième  siècle;  rien  ne 
prouve  qu'à  cette  époque  il  y  ait  eu  en  Allemagne  des  arnoldistes. 
—  Voy.  Kœler,  D.  Arnoldo  Brixiensi,  Gœtting.,  1742;  Bert,  Essai  sur 
A.  de  B.,  Genève,  1856;  Guibal,  A.  de  B.  et  les  Hohenstauffen,  ou  la 
question  du  pouvoir  temporel  de  la  papauté  au  moyen  âge,  Paris,  1868; 
Clavel,  A.  de  B.  et  les  Romains  du  douzième  siècle,  Paris,  1868;  Andro  di 
Giovanni  de  Castro,  Arnoldo  di  Brescia  e  la  revoluzione  romana  del 
douzo  secolo,  Livorno,  1875.  Je  ne  cite  que  pour  mémoire  Francke 
À.  von  B.  und  seine  Zeit,  Zurich,  1825;  c'est  un  roman  sans  critique  et 
mal  écrit.  Ch.  Schmidt. 

ARNAULD  (Antoine),  surnommé  le  grand  Arnauld.  Pour  comprendre 
ce  surnom  donné  à  un  homme  médiocre,  dont  les  œuvres  innombra- 
bles sont  aujourd'hui  aussi  oubliées  qu'illisibles,  il  faut  se  reporter  aux 
querelles  théologiques  du  dix-septième  siècle,  aux  puériles  disputes  sur 
la  grâce.  Né  à  Paris  le  6  février  1612,  Arnauld  était  le  vingtième  et 
dernier  enfant  de  l'avocat  Antoine  Arnauld.  Dix  d'entre  eux  seulement 
vécurent,  dont  neuf  entrèrent  en  religion  ;  le  dixième  aurait  sans  doute 
fini  de  même  s'il  n'eût  été  tué  au  siège  de  Verdun.  Antoine  suivit  les 
cours  de  la  Sorbonne  et  devint  docteur  en  1641  ;  il  se  dépouilla  alors 
de  tous  ses  biens  en  faveur  du  monastère  de  Port-Royal,  puis  fut  ordonné 
prêtre.  Deux  ans  après,  il  publia  son  livre  De  la  fréquente  Communion, 
écrit  sous  l'inspiration  de  M.  de  Saint-Cyran.  Depuis  Y  Introduction  à  la 
vie  décote,  de  saint  François  de  Sales,  aucun  traité  de  dévotion  n'avait 
fait  plus  de  bruit.  Les  deux  ouvrages  ne  se  ressemblaient  cependant  ni 
pour  le  fond  ni  pour  la  forme;  l'évêque  de  Genève  avait  montré  l'onc- 
tion et  les  charmes  du  catholicisme,  Arnauld  en  présentait  le  côté 
sévère,  terrible,  dans  un  style  clair,  froid,  géométrique,  mais  pur  et 
dépouillé  de  la  fadeur,  de  la  subtilité  alambiquée  qui  régnaient  alors 


ARXAULP  609 

dans  le  domaine  théologique.  Les  orages  qui  suivirent  l'apparition  de 
ce  volume  s'expliquent  assez  par  son  origme.  La  marquise  de  Sablé 
avait  un  directeur  jésuite,  la  princesse  de  Guémené  se  soumettait  aux 
conseils  de  M.  de  Saint-Cyran.  La  première  pressa  la  seconde  d'aller  au 
bal  un  jour  qu'elle  avait  communié;  celle-ci  refusa,  alléguant  la  défense 
de  son  directeur,  et  le  règlement  de  conduite  que  M.  de  Saint-Cyran  avait 
remis  à  madame  de  Guémené  passa  ainsi  entre  les  mains  des  jésuites. 
De  là  une  lutte  théologique  à  laquelle  furent  mêlés  l'Université,  le  Par- 
lement et  la  Sorbonne.  C'était  le  début  de  la  grande  querelle  du  jansé- 
nisme. En  1610  avait  paru  l'Augustinus  de  l'évêque  d'Ypres,  Jansénius, 
un  énorme  volume  écrit  en  latin  et  où  des  fragments  extraits  des  œu- 
vres de  saint  Augustin  sont  mis  en  ordre  et  disposés  de  manière  à  for- 
mer un  système  théologique  complet  sur  la  grâce.  Une  deuxième  édi- 
tion fut  publiée  en  1643,  et  Ton  préluda  par  des  escarmouches  à  une 
guerre  qui  allait  durer  près  d'un  siècle.  Enfin,  en  1649,  le  syndic  Cor- 
net dénonça  à  la  Faculté  de  théologie  cinq  propositions  hétérodoxes 
extraites  de  l'Augustinus.  Arnauld  prit  la  plume  et  soutint  que  les  cinq 
propositions  n'existaient  pas  dans  l'ouvrage  de  Jansénius.  Les  réfuta- 
tions, les  réponses,  les  manifestes,  les  libelles,  les  considérations,  les 
factums  commencèrent  à  pleuvoir  de  toutes  parts.  Un  jésuite,  Jean  de 
Labadie.  ayant  passé  à  Port-Royal,  puis  étant  devenu  protestant,  les 
jésuites  écrivirent  que  «  le  jansénisme  était  le  grand  chemin  qui  mène 
au  calvinisme  ».  Arnauld  et  ses  amis  se  défendirent  avec  une  inépuisa- 
ble fécondité.  Les  jésuites  attaquaient  les  jansénistes  sur  leur  foi,  les 
jansénistes  attaquèrent  les  jésuites  sur  leur  morale.  Tous  les  ouvrages 
publiés  au  cours  de  cette  lutte  sont  ensevelis  dans  un  juste  et  profond 
oubli;  il  est  donc  superflu  d'en  rappeler  les  titres;  quant  aux  cinq 
propositions,  causes  de  tout  ce  bruit,  elles  sont  d'une  compréhension 
difficile  pour  des  esprits  du  dix-neuvième  siècle.  Figuraient-elles, 
d'ailleurs,  réellement  dans  l'Augustinus?  Peut-être,  mais  incognito, 
suivant  la  spirituelle  expression  du  comte  de  Gramont,  que  Louis  XIV, 
par  une  malice  cruelle,  avait  chargé  de  lire  le  volume  pour  les  y  cher- 
cher. Enfin,  Rome  prononça;  une  bulle  d'Innocent  X  condamna  les 
cinq  propositions.  Cerveau  «  de  toutes  parts  borné  et  barré  en  ses 
perspectives  »,  dit  M.  Sainte-Beuve,  Arnauld  courba  la  tête.  Malgré  les 
conseils  des  protestants,  qui,  éclairés  par  l'intérêt  de  leur  cause,  criaient 
aux  jansénistes  :  «  Bon  gré,  mal  gré,  vous  voilà  hérétiques  tout  comme 
nous;  on  vous  (liasse,  sortez  avec  nous;  vous  êtes  bien  et  dûment  con- 
damnés  selon  les  règles  de  Rome»;  malgré  les  remontrances  de  Pascal, 
Arnauld  se  soumit,  et  de  ce  jour  le  jansénisme  fut  perdu.  Ce  fut  jus- 
tice, dit  avec  raison  M.  Sainte-Beuve.  Arnauld,  au  reste,  continua  à 
'•crire.  Du  fond  de  sa  retraite,  il  multipliait  ses  attaques  contre  les 
jésuites,  publiait  des  réflexions  sur  l'éloquence,  une  grammaire,  un 
traité  de  logique,  un  règlement  pour  l'étude  des  belles-lettres  et  jusqu'à 
.des  éléments  de  géométrie.  11  combattait  Descartes  et  Malebranche,  tra- 
duisait le  Nouveau  Testament,  commentait  saint  Augustin,  niellait  sa 
plume  infatigable  au  service  des  religieuses  de  Port-Royal  el  de  tous  les 
-  qui  réclamaient  son  appui,  au  besoin  la  tournait  contre  eux,  con- 


610  ARNAULD 

tre  Pascal  et  Nicole,  même  contre  son  protecteur  Innocent  XL  L'ac- 
commodement appelé  la  paix  de  l'Eglise  (1668)  fut  accepté  parArnauld 
qui  promit  de  garder  désormais  le  silence.  Il  fut  alors  présenté  au 
nonce,  puis  au  roi  et  accablé  par  eux  de  compliments  et  d'éloges.  Mais 
sa  dévorante  activité,  sa  passion  maladive  pour  la  controverse  ne  lui 
permettaient  pas  le  repos.  Réconcilié  avec  le  catholicisme,  il  se  mit  à 
combattre  les  protestants  et  publia  contre  eux  plusieurs  volumes  sans 
valeur,  parmi  lesquels  on  peut  citer  :  Réponse  générale  à  M.  Claude, 
1671,  in-8°;  Renversement  de  la  morale  de  Jésus- Christ  par  les  calvi- 
nistes, 1672,  in-4°;  l'Impiété  de  la  morale  des  calvinistes,  1675,  in-4°; 
Remarques  sur  une  lettre  de  M,  Spon,  1680.,  in-8°;  le  Calvinisme  con- 
vaincu de  nouveaux  dogmes  impies,  1682,  in-8°.  Si  Arnauld  se  fût  borné 
à  attaquer  le  protestantisme,  il  eût  pu  espérer  une  vieillesse  à  peu  près 
tranquille  ;  mais  son  esprit  inquiet  en  disposa  autrement.  L'affaire  de 
la  Régale,  la  mort  de  la  duchesse  de  Longueville,  qui  lui  avait  donné 
asile  dans  son  hôtel,  l'ordre  de  quitter  le  faubourg  Saint-Jacques  for- 
cèrent Arnauld  de  se  retirer  à  Fontenay-aux-Roses,  puis  de  se  réfugier 
hors  de  France,  à  Mons.  Il  n'y  put  rester,  et  erra,  dès  lors,  de  ville  en 
ville,  sans  demeure  fixe,  toujours  écrivant,  toujours  controversant  jus- 
qu'à sa  mort,  qui  arriva  le  6  août  1694.  Les  ouvrages  d'Arnauld  ont 
été  réunis  en  42  volumes  in -4°.  Prédicateur  éloquent  et  passionné, 
Arnauld  n'était  point  écrivain  :  «  Jamais,  dit  M.  Sainte-Beuve,  jamais 
peut-être  une  seule  fois  dans  ses  quarante-deux  volumes  in-quarto,  jamais 
une  expression  qui  attire  et  qui  fixe,  qui  reluise  ou  se  détache,  qui  fasse 
qu'on  y  regarde  et  qu'on  s'en  souvienne,  une  expression  qui  puisse 
s'appeler  de  talent!  S'il  est  lumineux,  c'est  d'une  lumière  uniforme  et 
qui  ne  va  pas  au  rayon.  Il  n'a  pas,  que  je  sache,  rencontré  un  de  ces 
hasards  de  plume  qui  n'arrivent  qu'à  un  seul.  »  En  somme,  la  vraie 
gloire  de  cet  homme,  dont  l'activité  fut  le  principal  mérite,  est  d'avoir 
engagé  Pascal  à  écrire  les  Provinciales,  Ce  n'est  pas  assez  pour  justifier 
le  surnom  de  grand  Arnauld,  sous  lequel  il  est  toujours  désigné.  Pen- 
dant tout  le  cours  d'une  vie  qui  dura  quatre-vingt-deux  ans,  Arnauld 
s'agita,  parla,  prêcha,  lutta,  fut  poursuivi,  se  cacha,  écrivit  près  de 
cent  quarante  volumes,  dont  pas  un  n'est  lisible  aujourd'hui.  Son 
ardeur  maladive,  sa  déplorable  fécondité  lui  permirent  d'ébranler,  de 
remuer  son  temps,  et  expliquent  un  surnom  que  beaucoup  de  ses  con- 
temporains ont  pu  croire  mérité.  Alf.  Franklin. 

ARNDT  (Jean),  auteur  du  Vrai  christianisme,  naquit  à  Ballenstsedt 
(Anhalt),  le  27  décembre  1555.  Dès  sa  jeunesse,  il  se  nourrit  des  écrits 
des  mystiques  catholiques  (saint  Bernard,  Thomas  a  Kempis,  Tauler, 
la  Théologie  allemande).  Dans  une  maladie  qui  mit  ses  jours  en  péril, 
il  fit  vœu,  s'il  guérissait,  de  renoncer  à  l'étude  de  la  médecine,  à 
laquelle  il  se  .destinait,  et  de  se  consacrer  entièrement  au  service  du 
Seigneur.  Il  tint  parole.  Il  étudia  la  théologie  aux  universités  d'Helms- 
taedt  (1576),  de  Wittemberg  (1577),  de  Strasbourg  et  de  Baie  (1579). 
Revenu  en  1581  à  Ballenstaedt,  il  y  fut  prédicateur  auxiliaire  et  institu- 
teur. En  1583,  il  devint  pasteur  au  village  de  Badeborn,  où  son  sou- 
venir  s'est  perpétué  jusqu'à  nos  jours.  Mais  le  duc  Jean-Georges  d'An- 


ARNAULD  611 

hait  inclinait  vers  le  calvinisme;  voulant  l'imposer  aussi  à  ses  sujets,  il 
interdit  l'usage  des  images  dans  les  églises  et  de  la  formule  de  l'exor- 
cisme dans  la  liturgie  du  baptême.  Arndt,  refusa  d'obéir.  Il  fut  des- 
titué et  expulsé,   malgré  les  réclamations  réitérées  de  son  troupeau. 
Il   lut  appelé   à   Quedlimbourg,  où  il  exerça  le  ministère  au  milieu 
de   circonstances  très-difficiles,  et  où,  pendant  la  peste  de  1598;  qui 
enleva  plus  de  3,000  personnes,  il  montra  un  dévouement  héroïque 
et  une  charité  infatigable;  il  n'en  fut  pas  moins  persécuté  et  abreuvé 
d'amertume.  En  1599,  il  devint  pasteur  à  Brunswick,  où  il  publia  le 
premier  livre  de  son   Vrai  christianisme.  Le  succès  de  l'ouvrage  fut  si 
grand,  qu'il  excita  la  jalousie  de  ses  collègues.  Les  divisions  politiques 
vinrent  encore  envenimer  les  haines  religieuses,  de  sorte  que  la  vie  et 
l'activité  d'Àrndt,  dans  cette  ville,  ne  furent  qu'un  long  martyre.  En 
1()07,  Arndt  fut  enfin   délivré   de  cette  «fournaise  ardente»,  et  ses 
ennemis  eux-mêmes  furent  obligés  de  rendre  hommage  à  sa  piété  ;  le 
surintendant  Wagner  inscrivit  dans  les  actes  du  ministère  ce  témoi- 
gnage :    Vir  placidus,  candidus,  pius  et  doctus.  Appelé  à  Eisleben,  il  y 
rencontra  une  véritable  sympathie ,  et  put  enfin   publier,  en  1609, 
les  quatre  livres  de  son  Vrai  Christianisme.  En  1611,  il  alla  comme 
prédicateur  de  la  cour  et  surintendant  à  Celle  (Lunebourg),  et  il  y  resta 
jusqu'à  salin  (II  mai  1621).  Arndt  a  publié,  en  outre,  des  sermons  sur 
Les  Evangiles  et  sur  le  Petit  catéchisme  de  Luther,  une  explication  du 
Livre  des  Psaumes,  et  un  recueil  de  prières:  Petit  Jardin  du  Paradis  ;  il 
a  aussi  réédité  Y  Imitation  de  Jésus-Christ  et  le  Traité  de  la  Théologie 
allemande.  Ce  qui  caractérise  sa  piété,  c'est  qu'elle  est,  avant  tout, 
vivante  et  pratique,  tenant  compte  du  sentiment  et  exerçant  une  discipline 
sévère  sur  (d'homme  intérieur».  Ce  caractère  a  fait  défaut  à  presque 
toutes  les  productions  théologiques  de  son  siècle,  et  ne  se  trouve  guère 
que  dans  les  cantiques.  Aussi ,  pendant  presque  toute  sa  vie,  Arndt 
fut-il  en  butte  aux  persécutions  et  aux  attaques  les  plus   violentes  : 
«  Non,  jamais  je  n'aurais  cru,  dit-il,  qu'il  y  eût  de  si  méchants  hommes 
parmi  les  théologiens.  »  Sa  bienfaisance  et  son  goût  pour  la  mystique 
médicale  de  Paracelse  le  firent  accuser  d'avoir  découvert  la  pierre  phi- 
losophai et  l'art  de  faire  de  l'or.  On  suspecta  son  orthodoxie;  il  fut 
accusé  de  toutes  les  hérésies,  et  sa  mort  même  ne  désarma  pas  ses 
ennemis.  Vu  prédicateur  de  Dantzig,  Jean  Corvinus,  s'écria  duhautde  la 
chaire  :  «  One  Satan  le  récompense  pour  ses  ouvrages  ;  pour  moi,  je  ne 
voudrais  pas  aller  après  ma  mort  là  où  est  Arndt.  »  Le  professeur  de 
rl  ubingue,  Lucas  Dsiander,  découvrit  dans  les  écrits  d'Arndt  des  erreurs 
"  papistiques,  monachiques,  enthousiastes,   pélagiennes,   calvinistes. 
schwenkfeldiennes,  flaciennes  et  weigeliennes  ».  Arndt  a  toujours  voulu 
rester tidèle  a  la  doctrine  de  son  Eglise;  il  l'a  déclaré  encore  sur  son  lit 
de  mort.  Mais  dans  un  siècle  où  fleurissait  le  dogmatisme,  il  a  insisté 
surtout    sur   la   sanctification.  Seulement,   comme  aux  universités  il 
avait  suivi. plus  assidûment  les  coins  de  médecine  (in.-  ceux  de  théo- 
logie, il  a   manqué   parfois  de  précision   et  de  clarté  et   a   semblé 
accentuer  la  sanctification  au  détriment  de  la  justification.  Il  déclare, 
du   reste,    lui-même  qu'il  a  un   modus  docendi  mysticus.  o  Cette  ma- 


012  ARNAULD  —  ARNO 

nière  d'enseigner,  dit-il,  est  fort  nécessaire  aujourd'hui  que  la  foi  s'est 
éteinte  et  que  la  charité  s'est  refroidie  dans  les  hommes».  Arndt  a  eu 
pour  mission  «  de  dire  à  ses  contemporains  que,  pour  être  un  bon 
luthérien,  il  faut  être  avant  tout  un  bon  chrétien,  c'est-à-dire  un 
enfant  de  Dieu  ayant  une  foi  vivante  (Kahnisj  ».  Son  Vrai  Christia- 
nisme respire  un  mysticisme  sain  et  essentiellement  scripturaire.  C'est 
un  enseignement  simple,  calme,  sans  éclat,  s'adressant  surtout  à  la 
conscience  et  à  la  volonté  et  conduisant  insensiblement,  mais  toujours 
plus  profondément,  dans  le  mystère  de  la  piété.  La  doctrine  de  la  justi- 
fication par  la  foi  s'était  pétriliée,  chez  la  plupart  des  théologiens  du 
temps,  dans  des  formules  scolastiques.  Arndt  s'appliqua  à  la  vivifier  de 
nouveau  en  accentuant  la  doctrine  johannique  delà  foi  qui  met  l'homme 
en  communion  de  vie  avec  Dieu  par  Jésus-Christ.  De  même  que  l'homme 
a  perdu  l'image  de  Dieu  en  Adam,  ainsi  il  doit  être  renouvelé  à  cette 
image  en  Jésus-Christ.  Voilà  la  pensée  fondamentale  du  livre.  Arndt 
lui-même  nous  expose,  du  reste,  sur  la  fin  de  sa  vie,  le  but  qu'il  s'est 
proposé  :  «  Voici  ce  que  j'ai  voulu,  écrit-il  :  d'abord,  détourner  les 
étudiants  et  les  pasteurs  de  cette  théologie  étroite  et  batailleuse  qui 
menace  de  nous  ramener  à  la  scolastique  ;  ensuite,  conduire  les  âmes 
de  la  foi  morte  à  la  foi  vivante,  de  la  science  pure  et  de  la  théorie  à 
une  piété  pratique  et  féconde  ;  montrer  enfin  ce  que  c'est  que  la  vraie 
vie  chrétienne,  inséparable  de  la  vraie  foi  et  ce  que  signifie  cette  parole 
de  l'apôtre  :  ((Je  ne  vis  plus  moi-même,  mais  Christ  vit  en  moi  !  »  Mon 
intention  n'était  donc  point  de  présenter  Christ  uniquement  comme  un 
exemple,  ainsi  que  font  les  moines,  mais  d'augmenter  la  foi  en  Christ 
et  de  lui  faire  porter  des  fruits,  afin  que  nous  ne  fussions  pas  trouvés 
stériles  aufjour  du  jugement  ».  Le  Vrai  Christianisme  a  acquis  la  plus 
grande  popularité  et  a  exercé  une  influence  durable  sur  la  piété  des 
protestants  de  langue  allemande.  Spener,  qui  appelait  Arndt  «  le  père 
des  croyants  »,  portait  sur  lui  ce  jugement  enthousiaste  :  «  Je  mets 
Luther  au  premier  rang,  parce  que  Dieu  a  fait  par  lui  une  œuvre  plus 
grande  et  surtout  plus  éclatante  ;  mais  immédiatement  après  lui,  je  place 
Jean  Arndt,  et  encore  ne  sais-je  pas  si  ses  écrits  ne  sont  pas  destinés 
par  Dieu,  à  accomplir  une  œuvre  aussi  considérable  que  celle  de  Luther 
même.  »  «  Celui  qui  ne  goûte  pas  ce  livre,  disait  le  surintendant 
Glassius,  a  décidément  perdu  tout  appétit  spirituel.  »  Dès  M)  15,  on  le 
réimprimait  en  Suisse;  en  1687,  on  le  trouvait  déjà  répandu  dans  l'Eglise 
catholique,  traduit  en  latin,  sans  nom  d'auteur.  Le  comte  de  Zinzen- 
dorf  en  a  publié  une  traduction  française,  dédiée  au  cardinal  de  Noailles, 
Paris,  1725,  3  vol.  in-8°.  Ch.  pj^ender. 

ARNO  (Aar,  Ara,  Aquila),  l'un  des  représentants  les  plus  distingués 
de  l'Eglise  carlovingienne,  est  originaire  du  diocèse  de  Freisingen  en 
Bavière.  Ordonné  prêtre  en  776,  il  se  retira  dans  le  couvent  d'Elnon, 
en  Flandre,  où  il  fut  élu  abbé  en  782;  mais,  trois  ans  après,  il  revint 
dans  sa  patrie  et  fut  nommé  évêquede  Salzbourg  par  le  duc  Tassillon. 
11  revint  de  Rome  en  798  avec  la  dignité  d'archevêque  et  de  métropo- 
litain de  Bavière  que  Charlemagne  avait  obtenue  pour  lui  du  pape 
Léon  III.  Diplomate  habile,  il  fut  chargé  de  missions  importantes,  tant 


AKNO  —  AllXOLD  013 

auprès  dû  siège  de  Rome  que  pour  la  conversion  des  Slaves  el  des 
Avares.  Il  défendit  avec  zèle  les  droits  de  son  archevêché  contre  les  évê- 
ehés  plus  anciens  d'Aquilée  et  de  Passa u.  Alcuin  l'estimait  pour  sa 
science,  tout  en  regrettant  que  la  politique  absorbât  la  majeure  partie 
de  son  activité.  Il  ne  nous  reste  d'Arno,  qui  mourut  en  82i,  qu'un 
Congestum  où  Indicuius,  relevéminutieux  des  biens  acquis  par  l'Eglise  de 
Bavière  depuis  sa  fondation  par  saint  Rupert  jusqu'au  moment  de  son 
incorporation  dans  l'empire  frank.  Il  se  trouve  inséré  dans  le  Thésau- 
rus monument,  eecles.  de  Casinius.  Les  notices  qu'il  renferme  sont  un 
document  précieux  pour  l'histoire  des  Eglises  d'Allemagne  (voy.  Rett- 
berg,  Kirehengeschichte  Deutschlands,  Gœtt.,  1848,  II,  p.  238  ss.). 

ARNOBE ,  rhéteur  à  Sicca  en  Afrique,  écrivit  au  commencement  du 
quatrième  siècle,  sous  le  titre  de  Dispuiationes  odversus  gentes,  une 
apologie  du  christianisme,  qu'il  avait  d'abord  combattu.  Cet  ouvrage, 
dont  le  style  est  déclamatoire  et  souvent  obscur,  renferme  des  rensei- 
gnements précieux  sur  la  décadence  du  paganisme  ;  il  est  important, 
en  outre,  comme  étant  un  des  premiers  où  l'on  montre  la  faiblesse  des 
efforts  que  faisaient  les  philosophes  pour  justifier  la  religion  populaire 
par  une  interprétation  soit  historique,  soit  allégorique  des  mythes.  Mais 
la  polémique  d'Arnobe  est  trop  violente  et  ses  propres  conceptions 
religieuses  manquent  de  profondeur.  La  théologie  africaine  était  si  réa- 
liste qu'elle  ne  pouvait  pas  se  figurer  un  esprit  sans  corps;  on  trouve 
cette  tendance  chez  Tertullien  ;  on  la  retrouve  chez  Arnobe  et  chez 
Lactance,  qui  passe  pour  avoir  appris  chez  lui  la  rhétorique.  La  pre- 
mière édition  de  son  apologie  parut  à  Rome  en  1543  ;  la  meilleure  est 
celle  de  Reiffîersheid,Yienne,  1875;  voy.  de  Pressensé,  /Jistoire  des  trois 
premiers  siècles  de  l'Eglise,  IV  p.  487ss.  —  Un  autre  Arnobe  que,  pour 
le  distinguer  de  l'apologiste,  on  appelle  le  Jeune,  a  vécu  au  neuvième 
siècle  en  Gaule;  il  est  l'auteur  d'un  commentaire  allégorique  des 
psaumes,  écrit  dans  le  sens  du  semipélagianisme.  (Bibl.  PP.  Max  VIII 
p.  238  ss.) 

ARNOLD  (Geoffroy),  né  en  1660,  dans  une  petite  ville  de  la  Saxe, 
étudia  la  théologie  à  Wittemberg,  où  régnait  un  luthéranisme  qui,  sous 
la  raideur  des  formes  scolastiques,  avait  perdu  sa  force  vitale.  Arnold, 
qui  avait  de  profonds  besoins  religieux,  se  sentit  peu  attiré  par  l'en- 
seignement universitaire  ;  il  se  mit  à  lire  des  auteurs  mystiques  et  à 
étudier  l'histoire  de  l'Eglise.  Venu  à  Dresde  en  1689,  il  entra  en  rap- 
port avec  Spener.  Deux  de  ses  premiers  écrits  consacrés,  l'un,  à  l'his- 
toire des  martyrs  {Erstes  Marterthum,  Halle,  1695,  in-12°),  l'autre  à 
la  vie  des  chrétiens  primitifs  (Erste  Liebe,  Francf.,  1696,  in-f°),  lui 
valurent  un  appel  comme  professeur  d'histoire  ecclésiastique  à  l'uni- 
versité de  Giessen.  Il  n'y  resta  qu'un  an,  se  sentant  incapable  de  lutter 
efficacement  contre  une  corruption  qui  lui  semblait  irrémédiable  ;  tou- 
tes ses  tendances  le  poussaient  vers  le  séparatisme.  Rentré  dans  la  vie 
privée,  a  Quedlinbourg,  il  publia-un  livre  sur  le  mystère  de  la  sagesse 
divine  (Dos  Gehmrmm  dergôttlichen  Sophia,  1700),  où  il  exposa  quel- 
ques idées  an  inoins  fort  singulières.  Il  acheva  aussi  son  ouvrage  prin- 
cipal :  /  npartheyùche  Kirchrn-vnd  Ketzeïhistorie  von  Avfang  des  neuen 


SU  ARNOLD 

Testaments  bis  aufs  Jahr  1688,  2  vol.  in-f°,  1698  et  1700.  A  cause  de 
ses  opinions  il  fut  entraîné  dans  des  controverses  violentes;  pour  s'y 
soustraire,  il  accepta  une  place  de  prédicateur  que  lui  offrait  une  prin- 
cesse de  Saxe-Eisenach  ;  dès  1704,  sur  son  refus  de  signer  la  Formule 
de  concorde,  il  fut  banni  comme  hérétique  et  fauteur  de  troubles. 
Le  roi  de  Prusse,  Frédéric  Ier,  auquel  il  avait  dédié  sa  grande  histoire  et 
qui,  en  récompense,  lui  avait  donné  le  titre  d'historiographe  royal,  l'ap- 
pela comme  pasteur  et  inspecteur  à  Werben  dans  le  Brandebourg  ;  en 
1707  il  vint  dans  la  même  qualité  à  Terleberg,  où  il  mourut  en  1714. 
A  ses  ouvrages  déjà  cités  il  faut  ajouter  une  Historia  et  descriptio  theo- 
logix  mysticœ,  Francf.,  1702,  quelques  recueils  de  sermons,  quelques 
traités  soit  de  polémique,  soit  d'édification,  quelques  cantiques,  parmi 
lesquels  il  y  en  a  de  très-beaux.  C'est  à  ses  travaux  historiques  qu'il 
doit  avant  tout  sa  réputation.  Ceux  sur  les  martyrs  et  sur  les  mœurs 
des  anciens  chrétiens  sont  surannés  ;  mais  sa  Unpartheyische  Kirchen-und 
Ketzerhistorie  garde  encore  un  certain  intérêt.  Le  mot  impartial  ajouté 
au  titre  ne  doit  pas  être  pris  à  la  lettre;  personne  n'était  moins  fait 
pour  être  impartial  que  G.  Arnold  ;  il  ne  veut  l'être  qu'envers  ceux 
que  l'orthodoxie  condamnait  comme  hérétiques  ou  fanatiques  ;  ses  sym- 
pathies sont  toutes  pour  les  séparatistes.  Il  juge,  avec  une  sévérité  sou- 
vent méritée,  l'intolérance  des  catholiques  et  des  protestants  ;  mais,  de 
son  côté,  il  n'est  pas  moins  exclusif  ;  il  prend  trop  passionnément  la 
défense  de  quiconque  avait  fait  opposition  à  une  Eglise  établie.  Il  n'est 
pas  piétiste  comme  Spener,  il  est  mystique  et  considère  le  mysticisme 
comme  la  seule  vraie  théologie  ;  c'est  cette  théologie  qu'il  s'applique  à 
découvrir  dans  l'histoire  de  l'Eglise;  indifférent  aux  dogmes,  il  veut 
prouver  que,  dès  le  commencement,  l'élaboration  dogmatique  a  été  la 
cause  principale  de  la  décadence  ;  la  Réformation,  qui  aurait  dû  être 
un  retour  pur  et  simple  au  christianisme  primitif,  n'a  pas  rempli  com- 
plètement son  but;  les  sectaires^et  les  mystiques  sont  des  représentants 
plus  fidèles  de  la  piété  que  les  orthodoxes  ;  aussi  développe-t-il  avec  pré- 
dilection leurs  doctrines,  au  point  que  dans  son  grand  ouvrage  le  sei- 
zième et  le  dix- septième  siècle  prennent  à  eux  seuls  plus  de  place  que 
les  quinze  autres  ;  cette  partie  est  aussi  celle  qui  est  encore  aujourd'hui 
la  plus  importante,  car  Arnold  y  a  réuni  des  extraits  de  livres,  dont 
les  uns  sont  devenus  très-rares  et  dont  d'autres  sont  tout  à  fait  introu- 
vables. —  Yoy.  G.  Amolds  gedoppelter  Lebenslauf,  wovon  der  eine  von 
ihm  selbst  projektirt  und  aufgesezt  worden,  1716,4°;  Colerey,  Historia 
G.  Arnoldi,  Wittemb,  1718  (aussi  en  allemand);  Knapp,  Biographie 
von  G.  A.,  comme  préface  d'une  nouvelle  édition  de  la  Erste  Liebe, 
Stuttg.,  1849  (le  même  a  aussi  publié  les  Geistliche  Liederd'A.,  Stuttg., 
1844)  ;  Ad.  Riff,  G.  A.,  l'historien  de  l'Eglise,  Strasb.,  1847. 

Ch.  Schmidt. 
ARNOLD  (Thomas) ,  pédagogue  et  théologien  anglais,  né  le  1 3  juin  1795 
à  West-Cowes  dans  l'île  de  Whight;  orphelin  de  père  à  l'âge  de  six  ans, 
il  fut  élevé  par  sa  tante  maternelle,  missDelafield.  En  1807  on  l'envoya 
à  l'Ecole  de  Winchester,  et  en  1811  il  devint  élève  du  Corpus  Christi 
Collège,  à  Oxford.  C'était  un  jeune  homme  timide,  réservé,  doué  d'une 


ARNOLD  C>15 

mémoire   remarquable  et  d'un  goût  assez  vif  pour  la  poésie.  Après 
quatre  ans  d'études,  il  l'ut  nommé  fellow  au  collège  Oriel,  etun  peu  plus 
tard  il  obtint  le  prix  dit  «  du  chancelier  ».  En  décembre  1818  il  fut 
ordonné  diacre  et  se  maria  le  20  août  1820.  Un  an  auparavant  il  s'était 
établi  à  Laleham  sur  les  bords  de  la  Tamise  avec  sa  mère,  sa  tante  et  sa 
sœur;  il  y  resta  neuf  ans,  s'occupant  de  huit  ou  neuf  jeunes  gens  qu'il 
préparait  aux  universités.  A  Laleham  son  caractère  se  forma,  une  singu- 
lière élévation  de  nature,  un  sens  moral  délicat  qui  n'excluait  pas 
l'énergie  de  la  volonté,  une  piété  sans  étalage  mais  se  mêlant  à  toutes 
ses  pensées  et  inspirant  toute  sa  conduite,  tels  étaient  les  principaux 
traits  de  sa  personnalité;  déjà  il  se  distinguait  par  ses  talents  pédago- 
giques; en  même  temps  il  préparait  son  édition  de  Thucydide,  réunis- 
sait, en  étudiant  Niebuhr,  les  premiers  matériaux  de  Y  Histoire  romaine 
à  laquelle  il  travailla  toute  sa  vie,  et  prêchait  de  temps  à  autre  dans 
l'église  du  village  ;  ses  premiers  sermons,  publiés  en  1828,  ont  été  prêches 
à  Laleham.  Elu  directeur  (headmaster)  de  la  célèbre  école  de  Rugby,  il 
se  fit  consacrer  pasteur,  obtint  les  deux  grades  de  bachelier  et  de 
docteur  en  théologie  et  au  mois  d'août  1828  entra  en  fonctions.  Là  se 
passèrent  quatorze  années  ;  comme  pédagogue  il  fut  un  véritable  réfor- 
mateur; il  voulait  que  Rugby  fût  une  école  chrétienne,  ou  comme  il 
disait   a  school  of  Christian  gentlemen;   dans  ce  but  il  choisissait  ses 
maîtres  avec  le  plus  grand  soin,  il  développait  chez  les  élèves  les  plus 
âgés  le  sentiment  de  leur  responsabilité  envers  les  plus  jeunes,  lui-même 
entretenait   avec  eux   des   rapports    personnels   et  fréquents  ;    aussi 
exerça-t-il  sur  ses  élèves  et  par  eux  sur  une  portion  importante  de  la 
société,  anglaise  une  influence  remarquable.  Un  de  ses  plus  puissants 
moyens  d'action  était  les  sermons,  très-courts  du  reste,  qu'il  adres- 
sait à  l'Ecole  réunie  au  service  du  dimanche.  Leur  collection  forme 
o  volumes  publiés  en  1828-32-34-41.  Il  élargit  aussi  le  cadre  des  études 
en  y  introduisant  l'histoire,  les  langues  modernes,  la  philosophie  et 
l'étude  de  la  Bible.  Malgré  les  travaux  multiples  que  lui  imposait  la 
direction  de  son  école,  il  ne  se  désintéressait  pas  des  affaires  nationales; 
à  défaut  d'un  livre  que  sa  fin  prématurée  ne  lui  a  pas  permis  de  publier, 
c'est  dans  des  brochures  de  circonstance,  dans  des  lettres  et  dans  quel- 
ques fragments  qu'il  faut  chercher  les  divers  éléments  de  son  système. 
Il  part  de  cette  idée  qu'une  société  nationale  tend  à  réaliser  le  but  le 
plus  élevé  de  l'homme,  et  comme  pour  les  chrétiens  ce  but  est  le  bien- 
être  religieux  et  moral,  l'Etat  et  l'Eglise  ne  sont,  dans  un  pays  chrétien, 
qu  une  seule  et  même  société  (voy.  Fragment  on  the  church).  De  là 
découlent  une  série  de  conséquences:  tout  d'abord  il  y  a  union  profonde 
entre  les  sciences  politiques  et  les  sciences  religieuses;  le  christianisme 
ne  saurait  être  restreintaux  individus,  il  doit  être  appliqué  directement 
aux  affaires  sociales  et  déterminer  les  principes  d'un  bon  gouverne- 
ment. C'est  par  là  que  Thomas  Arnold  est  original  :  placé  en  dehors 
de  tout  parti  ecclésiastique  el  politique,  il  a  toujours  revendiqué  les 
droits  de  la  conscience   chrétienne  (voy.  sa  brochure  intitulée  :  the 
Christian  duty  of  conceding  the  daims  of  the  roman  calholic,  1828);  les 
questions  sociales  l'ont  occupé  beaucoup  plus  et  les  questions  ecclé- 


61G  ARNOLD  —  ARXON 

siastiques  beaucoup  moins  qu'elles  n'occupent  la  plupart  des  théolo- 
giens, et  cela  parce  que,  comme  il  voulait  à  Rugby  une  école  chrétienne, 
il  voulait  pour  l'Angleterre  une  nation  et  un  gouvernement  chrétiens. 
Partisan  déclaré  de  l'Eglise  anglicane,  il  demandait  qu'elle  eût  un 
caractère  aussi  national  que  possible  ;  dans  ce  but  il  conseillait  de 
développer  l'activité  laïque,  de  raviver  l'institution  des  diacres  et  de 
faire  rentrer  dans  le  giron  de  l'Eglise  les  dissidents,  sans  du  reste  exiger 
d'eux  aucun  compromis  touchant  aux  principes  (voy.  Principles  of 
church  Reforma  833).  Enfin,  repoussant  toute  notion  purement  séculière 
de  l'Etat,  il  repoussait  également  toute  notion  cléricale  de  l'Eglise; 
aussi  fut-il  un  des  adversaires  les  plus  décidés  de  l'école  d'Oxford, 
autrement  dit  du  parti  high  church  (voy.  à  la  fin  de  son  3e  vol.  de  sermons, 
un  appendice  sur  la  doctrine  de  la  succession  apostolique  et  l'introduction 
du  4e  vol.)  Gomme  théologien  on  le  range  parmi  les  initiateurs  de 
l'école  latitudinaire  (broad  church);  et  en  effet,  bien  qu'il  soit  resté 
fidèle  au  christianisme  positif,  il  appartient  à  cette  école  plutôt  qu'à 
toute  autre  par  sa  théologie  large,  humaine,  ennemie  du  dogmatisme  et 
de  l'esprit  sectaire  et  surtout  par  son  idéal  qui  a  été  de  comprendre  toute 
une  société  dans  les  cadres  d'une  môme  Eglise  et  non  pas  de  grouper 
autour  d'une  doctrine  spéciale  un  certain  nombre  de  professants  ;  par 
ce  point  de  vue  il  s'éloigne  beaucoup  de  Yinet  et  se  rapproche  de 
Rothe.  Ajoutons  qu'Arnold  a  été  très-tolérant  à  l'égard  de  la  critique 
et  que,  tout  en  attribuant  à  la  Bible  une  importance  capitale,  il  n'a 
jamais  formulé  de  théorie  précise  sur  l'inspiration  et  la  révélation  (voy. 
à  la  fin  de  son  2e  vol.  de  sermons,  un  essai  sur  la  vraie  interprétation  des 
Ecritures  et  deux  sermons  sur  Y  interprétation  des  prophéties é  1839) .  Après 
une  période  de  luttes,  l'opinion  publique  lui  était  devenue  complète- 
ment favorable.  Sur  ces  entrefaites  la  place  de  professeur  d'histoire 
moderne  à  Oxford  étant  devenue  vacante,  elle  lui  fut  proposée  ;  sans 
quitter  ses  fonctions  de  Rugby,  il  l'accepta  (1841).  Mais  il  ne  put  que 
débuter  dans  cet  enseignement.  Le  12  juin  1842  il  mourut  subitement 
d'une  maladie  de  cœur,  à  l'âge  de  47  ans.  La  principale  source  à  con- 
sulter est  :  The  life  and  correspondence  of  Thomas  A?*)k)ld  D.  B.,  by 
Arthur  P.  Stanley,  7e  édition,  London,  1852.  Ce  livre  a  été  publié  en 
allemand  sous  une  forme  abrégée.  Fkédéric  Dumas. 

ARNON  [Arnôn,  aujourd'hui  Wâdi-Modjeb],  nom  d'un  torrent  qui 
se  jette  dans  la  mer  Morte,  à  l'est,  et  qui  formait  la  frontière  des 
Moabitesetdes  Amorrhéens  (Nombr.XXI,  13,  15;!XXII,30;  Deut.11,24, 
36;  111,8  ss.  ;  IV, 48;  JosuéXII,  1,  2;  Jug.  XI,  13  ss.,  etc.).  A  partir  de 
la  conquête  de  Canaan,  la  possession  de  la  ligne  de  l'Arnon  fut  l'objet 
de  guerres  constantes  entre  les  Hébreux,  les  Moabites  et  les  Ammonites 
(voyez  :  Ammon,  comp.  aussi  2  Rois  X,  33;  Es.  XVI,  2;  Jér.  XLYIII, 
20).  L'Arnon  coulait  au  fond  d'un  ravin  entouré  de  hauteurs  très-es- 
carpées (Jug.  XI,  2o;  Nombr.  X11I,|  29;  XXI,  28),  et  il  était  traversé 
par  une  route  que  défendait  la  ville  d'Aroer.  Saint  Jérôme  (Onomast.)  a 
donné  de  ce  passage  une  description  qui  n'a  pas  cessé  d'être  exacte;  il 
l'appelle  :  locum  vallis  in  prœrupta  demersœ  satis  horribilem  et  periculo- 
sum.  On  y  voit  encore  les  ruines  d'un  ancien  pont  ;  cette  construction 


ARNOX  —  ARPHAXAD  617 

est  d'époque  romaine,  mais  la  route  était  beaucoup  antérieure.  Elle 
est  déjà  mentionnée  dans  Esaïe  (XVI,  2)  et  dans  l'inscription  de  Mésa 
(voyez  Aroër). 

ÀRNOUL  ou  Arnulph  (Saint),  évêque  de  Metz,  naquit,  en  580,  de 
parents  illustres;  il  servit  dans  les  armées  de  Théodebert  II  et  exerça 
les  fonctions  de  major  domus  à  la  cour  des  rois  d'Austrasie.  Bien  que 
laïque  et  marié,  il  fut  désigné  par  le  peuple,  en  614,  pour  occuper  le 
siège  vacant  de  Metz.  Sa  femme  Dode  prit  le  voile  et  se  retira  dans  un 
couvent  de  Trêves;  l'un  de  ses  tils,  saint  Cloud,  lui  succéda  à  l'évêchtf 
de  Metz  ;  l'autre,  Anségise,  épousa  la  fille  de  Pépin  de  Landen  et  fut  le 
père  de  Pépin  d'Héristal.  Arnoul  était  le  principal  conseiller  de 
Clotaire  II  et  de  Dagobert.  Il  se  retira  dans  une  solitude  près  de  Remire 
mont  et  mourut  en  640  (voy.  Acta  sanctorum,  Juill.,  t,  IV;  Mabillon 
Act.  SS.  Ordin.  Bened.,  t.  II). 

ARNOUX(leP.),  jésuite,  né  à  Riom,  entra  dans  la  Compagnie  en  1592, 
à  Page  de  dix-sept  ans.  II  dirigea  avec  succès  les  maisons  de  Grenoble 
et  de  Toulouse.  En  1617,  à  la  mort  du  Père  Cotton,  il  fut  nommé  prédi- 
cateur et  confesseur  de  Louis  XIII  et  se  mit  aussitôt  à  prêcher,  devant 
le  roi,  contre  la  confession  des  Eglises  réformées.  On  racontera,  h  l'ar- 
ticle Dumoulin,  les  querelles  qu'il  eut  à  cette  occasion  avec  les  minis- 
tres de  Gharenton.  Arnoux  perdit  sa  place  en  1621;  il  mourut,  en  1636, 
provincial  de  Toulouse.  On  assure  qu'il  était  devenu  fou  (voy.  Sotvel- 
lus,  Bibl.  Scriptor.S.  J.). 

AROER   [  'A  r  ô  ê  r,  une  seule  fois  A  r  e  ô  r  (Jug.  XI,  26),  aujour- 
d'huLlra£r«  ruines  »],  ville  située  sur  lesbords  de  PArnon  (I)eut.  II,  36; 
III,  12;  IV,  48;  Jos.  XII,  2;  XIII,  16,  20)  et  qui  appartenait  aux  Moa- 
bites  (Jér.  XLVI1I,  10).  Aroër  commandait  la  route  qui  traverse  l'Ar- 
non  et  qui  reliait  Dibon  à  Rabba.  Du  temps  de  saint  Jérôme,  on  en 
voyait  encore  les  ruines    usque  hodie,  in  vertice  montis,  super  rîpam 
torrentis  Arnon;  ces  ruines  sont  celles  d'Araïr  qui  dominent  la  route 
de  l'Arnon.   La  route,   que  tous  les  voyageurs  attribuent  aux  Ro- 
mains, était  certainement  beaucoup  plus  ancienne.  Nous  lisons,   en 
effet,  dans  l'inscription  de  Mésa  (1.  26  )  :  «  C'est  moi  qui  ai  construit 
Aroër  et  c'est  moi  qui  ai  fait  la  route  de  l'Arnon  ».  Il  n'y  a  aucune 
raison   de   révoquer  en  doute  l'affirmation   du   roi    de  Moab.   Peut- 
être,  en  ce  qui  concerne  Aroër,  s'est-il  borné  à  la  reconstruire.  On  doit 
noter  pourtant  qu'Aroër   n'est   pas  citée   parmi    les   villes   moabites 
(Nomb.  XXI,  27,  30);  elle  semble  donc  être  d'une  époque  relativement 
récente.  I!  faut  en  distinguer  une  ville  du  même  nom  située  dans  les 
environs  de  Habitat  Ammon,  sur  le  territoire  de  (lad   et  mentionnée 
(Jos.  Xm,  25;  Nombr.  XXXIÏ,  34;  2  Sam.  XXIV,  S  et  Jug.  XI,  33), 
la  même,  suivant  Gesenius,  à  laquelle  Esaïe  (XVII,  2)  l'ait   allusion. 
Enfin,  un  endroit  du  pays  de  Juda  (2.  Sam.  XXX, 23).  celui  sans  dont" 
d'où  étaienl  originaires  deux  capitaines  de  David,  Sçamah  et  Jéliiel,  lil.- 
de  llntaiu  l'Aroérite    I  Chr.  XI,  H>.  Ph.  Beb< 

ARPHAXAD  [Arphakchad,  'ApçaÇaS  ],  descendanl  de  Sera 
(Gen.  X.  22.  2Y),  que  les  commentateurs,  suivant  L'analogie  des  autres 
noms,  regardera  comme  L'ancêtre  d'un  peuple  et  mettent  en   ia] 


618  ARPHAXAD  —  ART 

avec  une  province  septentrionale  de  l'Assyrie,  appelée  Arrapachitis .. 
Josèphe  (Antig.,  I,  6,  4),  suivi  parBochart,  Michaëlis,  Yater  et  d'autres,, 
fait  descendre  deluilesChaldéens.Le  livre  de  Judith  (I,  15)  mentionne 
également  un  roi  mècle  de  ce  nom. 

ARRAS  [Atrebatum,  civitas  Atrebatensium,  Atrecht],  Saint  Vaast  {Ve- 
dastus),  qui  enseigna  la  religion  à  Clovis,  en  fut  le  premier  évêque  ; 
saint  Remy  l'avait  établi,  il  mourut  vers  540,  le  6  février  (voy.  CorbleL 
Hagzogr.,  IV,  I  ss.).  On  croit  que  saint  Yedulphe,  troisième  évêque  de 
Cambrai  et  cT  Arras  (f  580),  transporta  le  siège  épiscopal  à  Cambrai. 
Dès  lors,  et  jusqu'en  1093,  Arras  n'eut  d'autres  évêques  que  ceux  de 
Cambrai.  En  1025,  des  hérétiques  manichéens,  disciples  de  l'Italien 
Gundulphus,  s'étaient  montrés  près  d' Arras;  un  synode,  réuni  par 
l'éveque  Gérard  (Mansi,XIX;  //e/î?/e,IV,648),les  contraignit  d'abjurer. 
Rétabli  par  Urbain  II,  l'évèché  a" Arras  resta  suffragant  de  Reims  jus- 
qu'à l'érection  de  Cambrai  en  métropole  (1559)  :  de  1802  à  1841,  il  a 
appartenu  à  la  province  de  Paris.  Grauvelle  fut  évêque  d'Arras  de 
1538  à  1561.  On  conservait  dans  l'ancienne  cathédrale  de  Notre-Dame 
construite  de  1030  à  1396,  la  Sainte-Chandelle,  ainsi  que  la  Sainte- 
Manne,  tombée  du  ciel  au  temps  de  saint  Jérôme.  En  l'an  III,  cette 
église  fut  vendue  à  charge  de  démolition.  La  spacieuse  église  de  Saint- 
Vaast,  élevée  en  1755,  fut,  en  1814,  affectée  à  la  cathédrale.  La  célèbre 
abbaye  de  ce  nom  avait  été  fondée  en  687  par  l'éveque  saint  Aubert; 
Thierry  III  en  releva  l'église  en  expiation  du  meurtre  de  saint  Léger 
(Dict.  d'Expilly;  Gallia,  III).  S.  Berger. 

ARSÈNE  (Saint),  diacre  romain,  renommé  par  sa  science  et  par  sa 
piété  fut  choisi  par  l'empereur  Théodose,  sur  la  recommandation  de 
l'éveque  Damase,  comme  précepteur  de  ses  fils.  Par  vénération  pour 
le  caractère  d'Arsène,  il  leur  enjoignit  d'écouter  ses  leçons  debout. 
A  l'âge  de  40  ans,  Arsène  se  retira  dans  les  solitudes  d'Arabie,  puis 
dans  celles  de  la  Haute  et  de  la  Basse-Egypte,  pour  y  vivre  dans  l'aus- 
térité et  les  mortifications.  Saint  Jérôme  l'appelle  une  des  principales 
colonnes  delà  vie  solitaire.  Il  mourut  en  445,  à  l'âge  de  95  ans,  et  d'après 
d'autres  de  120  ans.  On  a  de  lui  une  Exhortation  aux  moines  que  le 
P.  Combefis  a  publiée  dans  sa  Graxco  latinœ  Patrum  biblioth.  npv.Aue— 
tor.,  P.,  1672,  in-8,  et  des  Sentences  ou  Maximes,  au  nombre  de  qua- 
rante-quatre., recueillies  par  ceux  qui  vivaient  avec  saint  Arsène,  et 
publiées  par  Cotelier  dans  ses  Monument.  eccLgrœc.  t.  I,  p.  353. 

ARSÈNE,  patriarche  de  Constantinople,  abbé  du  monastère  de  Nicée, 
en  Bithynie,  puis  moine  au  couvent  du  Mont-Athos,  fut  choisi  par 
'empereur  Théodore  Lascaris  comme  tuteur  de  son  fils  Jean  (1259). 
Il  s'éleva  contre  l'usurpateur  Michel  Paléologue,  qui  avait  ordonné 
d'aveugler  l'héritier  légitime  avec  un  fer  rouge,  et  le  fit  excommunier. 
Maître  de  Constantinople,  Michel  convoqua  un  synode  qui  destitua 
Arsène.  Il  termina  ses  jours  en  1264  dans  l'île  de  Proconèse,  où  il  avait 
été  exilé.  On  a  de  lui  des  Ecclcs.  Grxc.  Monumenta,  publiés  par  Cote- 
lier, Paris,  1631,  in-4,  et  une  Synopsis  divinorum  canonum,  publiée  par 
Justellus,  Bibliotheca  juris  canonici  veteris,  P.,  1661,  t.  II,  p.  749. 

ART  CHRÉTIEN.  L'art  est-il  compatible  avec  le  christianisme  ?  C'est 


ART  619 

là  moins  une  question  de  principes  qu'une  question  de  faits.  Placé  sur 
ce  terrain,  le  débat  semble  bien  vite  tranché.  Seul,  le  moyen  âge  nous 
révèle  la  présence  d'un  arl  chrétien,  enfermé,  il  est  vrai, dans  d'assez  étroi- 
tes limites,  mais  reconnaissante  néanmoins  à  un  certain  nombre  de  signes 
caractéristiques.  Cela  étant,  il  paraîtrait  plus  juste  de  parler  d'un  art 
byzantin,  d'un  art  gothique  ou  catholique,  que  d'un  art  chrétien.  En 
effet,  l'Eglise  des  trois  premiers  siècles,  comme  aussi  le  protestantisme, 
que  nous   regardons,    Tune  dans  le  passé,  l'autre  dans  le   présent, 
comme  les  formes  les  plus  élevées  et  les  plus  authentiques  de  l'esprit 
chrétien,  quel  art  ont-ils  produit,  et  ne  sont-ils  pas,  en  un  sens,  ré- 
fractaires  à  l'idée  même  de  l'art?  Nous  trouvons  bien,  à  en  juger  par 
les  découvertes  que  nous  ont  ménagées  les  fouilles  des  catacombes,  les 
embryons  d'une  peinture  chrétienne  dans  les  images  allégoriques  qui 
décorent  les  caveaux  mortuaires  ;  mais,  sauf  l'expression  particulière 
du  visage  humain,  qui  n'est,  d'ailleurs,  que  fort  rarement  représenté, 
toute  la  symbolique  de  l'Eglise  primitive  vit  d'emprunts  faits  au  paga- 
nisme, de  même  que,  dans  l'érection  ou  dans  l'appropriation  de  leurs 
premiers  édifices  religieux,  ce  sont  des  bâtiments  païens  qui  ont  servi 
de  modèles  aux  chrétiens.  De  son  côté,  l'art  protestant,  partout  où  il 
triomphe  de  l'hostilité  puritaine  et  des  répugnances  calvinistes,  ne  fait 
que  reproduire,  avec  des  modifications  plus  ou  moins  heureuses,  les 
divers  types  qui  l'ont  précédé.  Il  n'y  a  point  encore,  et  il  n'y  aura  vrai- 
semblablement jamais,   d'architecture,    de  sculpture  et  de  peinture 
essentiellement  protestantes.  On  en  conclut  que  le  christianisme,  dans 
sa  forme  authentique,  est  trop  spiritualiste  pour  se  prêter  aux  incarna- 
tions de  l'art  :  religion  tout  intérieure,  il  se  distingue  précisément  des 
autres  cultes  en  ce  que,  dans  l'intérêt  même  de  l'adoration  «  en  esprit 
et  en  vérité  »,  il  réprouve  et  bannit  le  symbole  matériel  auquel,  trop 
facilement,  se  rattache  quelque  idée  superstitieuse  et  qui,  sans  le  vou- 
loir, provoque  l'altération  du  sentiment  religieux.  Confondre  l'émotion 
esthétique  que  produit  la  contemplation  du  beau  et  l'émotion  reli- 
gieuse qui  naitde  la  communion  avec  Dieu,  semble  à  d'excellents  chré- 
tiens, fort  bons  juges  en  cette  matière,  chose  si  facile  et  si  périlleuse, 
qu'ils  estiment  qu'il  vaut  encore  mieux,  à  tout  prendre,  se  passer  de 
l'art  (lue  de  risquer  quelque  défaillance  de  la  piété  et  une  rechute  cer- 
taine dans  le  paganisme.  Et  ce  qui  tend  à  confirmer  leur  opinion,  c'est 
que  lf  moyen  âge,  qui  a  créé  un  art  chrétien,  n'a  pas  évité  cet  écueil  : 
du  joui-  ou  il  a  réussi  à  s'affranchir  du  joug  que  faisait  peser  sur  lui 
l'ascétisme,  il  est  retombé  dans  la  divinisation  de  la  matière.  L'ascé- 
tisme :  telle  est,  en  effet,   l'inspiration    toute-puissante  à  laquelle  le 
moyen  âge  chrétien  obéit.  Que  Ton  étudie  avec  attention  ses  édifices 
religieux,  en  particulier  ceux  du  style  ogival,  que  l'on  analyse  les  sta- 
tues  ides  saints  ou  des  personnages  bibliques,  ainsi  que  les  rares  pro- 
ductions de  la  peinture  religieuse  de  cette  époque,  on  retrouvera  par- 
tout l'expression,  pour  ainsi  dire  stéréotypée  d'une  piété  mystique,  ne 
connaissant  qu'une  seule  passion,  celle  de  la  mortification  de  l;i  chair 
et  du  détachement  du  monde  :  è'esl  moins  encore  la  spiritualisation de 
l'art  que  sa  négation.  De  là,  ce  quelque  chose  de  heurt*',  de  tourmenté, 


320  ART 

de  douloureux  que  présentent  toutes  les  créations  du  moyen  âge.  Des 
que,  avec  la  Renaissance,  la  chrétienté  essaye  de  soulever  ce  linceul 
de  la  mort  qui  l'enveloppait,  l'art  cherche  à  s'émanciper  à  son  tour 
et  trouve  ses  meilleures  inspirations  dans  l'imitation  des  chefs-d'œu- 
vre du  paganisme  et  dans  l'étude  de  la  nature  reproduite  d'après 
eux.  La  conclusion  rigoureuse  de  cet  examen  des  faits  semble  donc 
être  celle-ci  :  ou  l'art  chrétien  est  pénétré  de  l'idéal  ascétique  du 
moyen  âge  ou  il  ne  l'est  pas,  et  l'on  serait  tenté  de  luijappliquer  cette 
parole  de  Jésus-Christ  :  «Mon royaume  n'est  pas  de  ce  monde.» — Mais 
la  piété  chrétienne  ne  se  confond  pas  avec  l'ascétisme.  Jésus-Christ, 
intercédant  pour  les  siens,  disait  à  son  Père  :  «  Je  ne  te  prie  pas  de  les 
ôter  du  monde,  mais  de  les  préserver  du  mal  »  (Jean  XVII,  la). 
Ce  n'est  pas  la  mutilation  mais  la  restauration  de  l'homme  que  l'Evangile 
se  propose,  et,  dès  lors,  aucun  des  éléments  qui  constituent  notre  être 
ne  doit  être  sacrifié.  La  contemplation  du  beau,  envisagé  comme  la 
splendeur  du  vrai,  joue  un  rôle  dans  notre  éducation  morale;  celle-ci  ne 
sera  complète  que  lorsque  toutes  les  sphères  de  notre  activité  comme 
de  notre  pensée  auront  été  pénétrées  de  l'idéal  chrétien  et  assujet- 
ties aux  desseins  du  royaume  de  Dieu,  selon  cette  remarquable 
parole  de  saint  Paul  :  «  Toutes  choses  sont  à  vous,  mais  vous  êtes  à 
Christ  et  Christ  est  à  Dieu  »  (1  Cor.  III,  22).  On  peut  dire,  dès  lors, 
qu'un  vaste  champ  s'ouvre  aux  inspirations  de  l'art  chrétien.  Il  n'est 
pas  difficile  de  signaler  en  quoi  il  différera  de  l'art  païen.  Jamais  la 
matière  ou  la  forme  ne  seront  pour  lui  le  but  de  ses  créations  ;  il  les 
considérera,  ainsi  que  le  corps  lui-même,  comme  l'habitation,  le  temple 
de  l'hôte  divin  dont  il  a  charge  de  reproduire  les  impressions.  Tou- 
jours la  dignité  de  ce  «  roseau  pensant  »  reluira  sous  la  splendeur  des 
formes.  Mais  l'expérience  de  dix-huit  siècles  ne  nous  autorise-t-elle  pas 
à  conclure  que,  dans  le  domaine  du  beau,  surtout  en  ce  qui  concerne 
les  arts  plastiques,  l'idéal  de  l'art  antique  ne  sera  pas  dépassé  ?  Sans 
nul  doute,  par  suite  des  conditions  particulières  de  son  sol,  de  son  cli- 
mat, de  sa  race  et  de  sa  civilisation,  la  Grèce  nous  présente,  au  point 
de  vue  de  la  forme  artistique,  soit  dans  l'architecture,  soit  dans  la 
sculpture,  des  types  d'une  pureté  de  lignes,  d'une  harmonie  de  pro- 
portions, d'un  mélange  heureux  de  grâce  et  de  force,  qui  ne  cesseront 
de  déjouer  et  de  confondre  les  efforts  de  l'art  moderne.  A  cet  égard 
on  peut  dire  que  les  arts  plastiques,  dès  cette  première  et  charmante 
éclosion  sur  notre  sol  européen,  ont  acquis  un  degré  de  perfection  qui 
ne  pourra  plus  être,  sinon  atteint,  du  moins  dépassé,  et  qui,  dans  cette 
sphère  particulière,  constitue  le  type  immortel  du  beau.  Mais  le  beau 
ne  réside-t-il  que  dans  la  pureté  des  lignes  et  dans  l'harmonie  des  pro- 
portions? L'expression  n'est-elle  rien,  et  j'entends,  non  pas  seule- 
ment l'expression  d'un  type  convenu,  mais  l'expression  dans  la  ri- 
chesse inépuisable  et  l'infinie  variété  de  l'individualité  humaine.  Nous 
croyons  que  l'antiquité  conservera  une  supériorité  incontestée  dans 
les  arts  qui,  comme  l'architecture,  et,  en  un  certain  sens,  la  sculpture, 
ne  comportent  pas,  grâce  au  but  qu'ils  poursuivent  et  à  la  matière  dont 
1s  disposent,  un  riche  développement  de   3 'expression  individuelle  : 


ART  —  ARTEMON  621 

c'est  une  idée  collective  que  réalise,  dans  le  marbre  ou  dans  l'airain, 
le  ciseau  de  l'artiste,  et  il  ne  pourra  guère  faire  autre  chose  que  de 
puiser  dans  le  trésor  des  traditions  du  passé.  Mais,  par  contre,  partout 
où  l'expression  individuelle  des  pensées  et  des  sentiments  de  l'âme 
joue  un  rôle  capital,  comme  dans  la  peinture  ou  dans  la  poésie,  l'art 
moderne  pourra  essayer  de  rivaliser  avec  l'art  antique.  N'oublions  pas 
que  c'est  le  christianisme,  en  réalité,  qui  a  affranchi  l'individu,  et  qui, 
par  cela  même,  a  donné  ou  refait  une  âme  à  chacun,  non-seulement 
au  héros  et  au  sage,  mais  au  plus  déshérité  comme  au  plus  coupable, 
que  dis-je,  à  la  nature  inanimée  elle-même  qui,  sous  le  pinceau  de  l'ar- 
tiste ou  sous  la  lyre  du  poète  moderne,  se  colore  de  nos  impressions 
individuelles,  reflète  nos  joies  et  nos  tristesses  et  semble  vivre  de  notre 
propre  vie.  C'est  dans  la  musique,  cet  art  par  excellence  des  temps 
présents  et  futurs,  que  l'âme,  éprise  de*  l'idéal,  épanche  ou  retrouve 
avec  le  plus  de  fidélité  ses  inspirations  diverses.  Les  formes  impalpa- 
bles de  cet  art  presque  divin  n'empruntent  rien  à  la  plastique  antique 
et,  dans  ses  vibrations,  tour  à  tour  douces  et  graves,  les  sentiments  de 
l'âme  humaine,  y  compris  le  plus  élevé  de  tous,  le  sentiment  religieux 
palpitent  et  résonnent  avec  la  grâce  souveraine  du  beau.  —  Voy.  les 
articles  Architecture,  Sculpture,  Peinture,  Poésie,  Musique  religieuse. 

F.   LlCHTENBEEGER. 

ARTAXERXÈS  [Arthachschaschthâ,  en  persan,  grand  ou  puis 
sant  roi],  nom  ou  plutôt  titre  de  plusieurs  rois  de  Perse  dans  l'Ancien 
Testament.  —  1.  Celui  qui  est  mentionné  EsdrasVI,  7-8  paraît  avoir  été 
le  faux  Smerdis,  qui  monta  sur  le  trône  par  une  conspiration  des  prê- 
tres, comme  prétendu  fils  de  Cyrus  et  frère  cadet  de  Cambyse  (552  av 
J.-C),  mais  ne  régna  que  huit  mois.  Sous  son  règne,  les  travaux  de  la 
réparation  des  murs  de  Jérusalem  furent  interrompus  (Esdras  IV,  23, 24). 
—  2.  La  plupart  des  commentateurs  estiment  avec  Josèphe  (Antiq.,Xl. 
5-6)  que  celui  dont  parle  Esdras  VII,  1,  11  est  Xerxès,  successeur  de 
Darius  Hystaspe,  qui  permit,  dans  la  septième  année  de  son  règne 
(479  av.  J.-C),  à  Esdras  d'aller  en  Judée  avec  sa  colonie,  et  lui  donna 
l'autorité  la  plus  étendue.  D'autres,  au  contraire,  le  confondent  avec 
Darius  Longuemainjdont  il  est  question  Néh.  II,  1  ;  V,  14  ;  XIII,  6,  qui, 
dans  la  vingtième  année  de  son  règne  (444  av.  J.-C),  autorisa  son 
échanson,  Néhémie,  à  retourner  à  Jérusalem  et  à  en  rebâtir  les  mu- 
railles. 

ARTÉMON  vécut  à  Rome  à  la  fin  du  deuxième  siècle.  Il  enseignait  que 
Jésus-Christ  était  un  simple  homme,  qui  ne  s'était  pas  trouvé  avec  Dieu 
dans  un  rapport  particulier.  Pour  appuyer  son  opinion,  il  invoquait 
l'autorité  des  prophètes,  qui  n'avaient  annoncé  qu'un  Messie  purement 
humain,  celle  des  apôtres  qui  n'ont  entendu  la  divinité  du  Christ  qu'au 
>ens  moral,  et  le  témoignage  de  Jésus-Christ  lui-même  qui  s'était  de 
préférence  appelé  le  Fils  del'homme.  C'est  à  cause  de  sa  vertu  que  Jésus  a 
mérité  d'être  divinisé.  Artémon  retient  sa  sainteté  parfaite  et  même  sa 
naissance  surnaturelle.  Les  artémon  i  te  s  soutenaient  que  leur  doctrine 
était  plus  ancienne  que  celle  <lu  Verbe,  el  qu'elle  avait  toujours  étéen- 
seignée  â  Rome  jusqu'à  l'avènement  de  l'évoque  Zéphyrin.  Leursadver- 


622  ARTEMON  —  ARTICLES 

saires  les  accusaient  d'avoir  puisé  leur  rationalisme  dans  l'étude  d'Eu- 
clide,  d'Aristote  et  de  Théophraste,  et  d'avoir  appliqué  à  l'exégèse 
biblique  les  principes  d'une  critique  arbitraire,  reproche  que  les  arté- 
monites  ne  manquent  pas  de  retourner  contre  les  orthodoxes.  Con- 
damnée par  les  conciles  de  Nicée,  d'Ephèse  et  de  Ghalcédoine,  l'hé- 
résie d'Artémon  conserva  des  partisans  jusqu'à  la  fin  du  troisième 
siècle  (voy.  Eusèbe,  Hist.  eceL,  V.,  c.  28;  Théodor.,  Hœret.  Fab.,  II, 
c.  4 ;  Neander,  Kirchengesch.,  I,  p.  664  ss.,  et  Dorner,  Entwiklungsge&ch. 
der  Lehre  von  der  Person  Christi,  I,  p.  508  ss.)|ont  discuté  d'une  manière 
intéressante  les  rapports  qui  existaient  entre  l'hérésie  d'Artémon  et  celle 
de  Théodose  de  Byzance. 

ARTICLES  DE  FOI.  Ce  terme  est  employé  dans  des  sens  différents. 
Dans  les  traités  de  scolastique,  les  articuli  désignent  simplement  les  sous- 
divisions  des  qumstiones;  au  seizième  siècle,  les  Eglises  de  la  Réforme  se 
sont  servies  de  ce  mot  pour  désigner  certaines  confessions  de  foi  (les 
articles  de  Smalkalde,  ceux  de  Torgau,  les  trente-neuf  articles  de  l'Eglise 
anglicane,  les  neuf  articles  du  synode  de  Dordrecht,  etc.).  Hollaz, 
Quenstedt  et  les  dogmatistes  protestants  du  dix-septième  siècle  ont 
compris  sous  ce  nom  l'ensemble  des  vérités  révélées  unies  entre  elles 
par  un  lien  organique  (telles  que  le  sont  les  articulations  de  la  main). 
Ces  vérités  sont  déterminées,  par  l'Eglise,  d'après  les  saintes  Ecritures. 
Depuis  Hunnius  (Aiàjy.e^tç,  De  fundamentali  dùsensu  doctrinx  Lutheranx 
et  Calvim'x,  Vit.,  1626,  1663),  qui  y  a  été  poussé  dans  un  intérêt  de  po- 
émique,  les  dogmatistes  ont  établi  entre  les  articles  de  foi  une  série  de 
distinctions  plus  ou  moins  subtiles,  soit  en  ce  qui  .concerne  leur  ori- 
gine ou  provenance  (principe  formel),  soit  en  ce  qui  regarde  leur  objet 
ou  but  (principe  matériel).  A.  I.  Les  articuli  puri  qui  ne  s'appuient  que 
sur  le  seul  témoignage  de  la  Bible  :  ce  sont  les  mystères  proprement 
dits  ou  les  doctrines  chrétiennes  qui  dépassent  la  raison  humaine. 
11.  Les  articuli  mixti  sont  ceux  qui,  bien  qu'également  contenus  dans  la 
Bible,  peuvent  néanmoins  être  reconnus  par  la  lumière  naturelle  de  la 
raison.  B.  I.  Les  articuli  fondamentales,  subdivisés  eux-mêmes  :  1°  en 
piimarii,  dont  la  connaissance  est  absolument  nécessaire  pour  être  sauvé, 
et  2°  en  secundarii  dont  l'ignorance  n'est  pas  un  obstacle  absolu  au  sa- 
lut, mais  dont  la  négation  ou  la  contestation  peut  en  ébranler  l'assu- 
rance. Les  articuli  primarii  se  divisent  eux-mêmes:  a.  en  constiiutivi, 
qui  donnent  d'une  manière  immédiate  naissance  à  la  foi,  et  b.  en  con- 
servativi,  qui  servent  de  fondement  aux  précédents,  soit  qu'ils  parais- 
sent nécessaires  pour  en  démontrer  la  vérité  (antécédentes),  soit  qu'ils 
découlent  logiquement  de  leur  affirmation  (conséquentes).  II.  Les  arti- 
culi non  fondamentales  sont  ceux  qui  ne  sont  pas  nécessaires  au  salut  et 
sur  lesquels  des  divergences  peuvent,  à  la  rigueur,  se  produire,  à  con- 
dition toutefois  que  la  vérité  d'aucun  article  fondamental  n'en  soit 
ébranlée.  Telles  sont,  par  exemple,  la  doctrine  de  la  chute  de  certains 
anges,  celle  de  l'Antéchrist,  celle  de  l'origine  des  âmes,  etc. — Malgré  leur 
subtilité,  ces  distinctions  n'ont  pas  été  inutiles  au  développement  de  la 
science  religieuse:  d'une  part,  elles  ont  habitué  l'esprit  humain  à  dé- 
mêle:, dans  la  masse  confuse  des  dogmes,  les  vérités  essentielles,  le 


ARTICLES  —  ARTOIS  G23 

principe  souverain  el  générateur,  en  vertu  duquel  L'ensemble  du  sys- 
tème doit  être  constitué;  de  l'autre,  elles  ont  contribué  à  populariser 
cette  idée  essentiellement  moderne  que  tous  les  dogmes  n'ont  pas  la 
même  importance  au  point  de  vue  religieux, qu'il  est  possible  et  même 
légitime  d'admettre  certaines  divergences  dans  l'exposition  des  systè- 
mes dogmatiques  et  d'user  en  pratique  de  tolérance  et  de  respect  vis- 
à-vis  de  ceux  clie/  Lesquels  ces  divergences  se  manifestent.  Le  rationa- 
lisme, depuis  Semler,  a  abandonné  L'usage  de  ces  distinctions.  A  ses 
veux,  tous  les  articuh  fidei sont  mixtiau  si  Ton  veut  puri,  mais  clans 
un  sens  opposé  à  celui  desliunnius  et  des  Qucnstedt,  puisque  c'est  la  toi 
purement  subjective  qui  en  est  la  source  commune,  soit  qu'elle  les  puise 
directement  dans  la  raison,  soit  qu'elle  les  tire  delà  Bible,  au  moyen  de 
l'interprétation  rationnelle.  Cette  subjectivité  qui  leur  est  propre  leur 
enlève  le  caractère  d'absolue  nécessité  qui  donnait  une  importance 
pratique  à  la  distinction  entre  les  articles  fondamentaux  et  ceux  qui 
n'étaient  pas  considérés  comme  tels.  Quelques  dogmatistes  moder- 
nes maintiennent  la  distinction  entre  les  doctrines  essentielles  et  les 
doctrines  secondaires,  et,  parmi  les  premières,  entre  celles  qui  sont 
universellement  proclamées  par  toutes  les  Eglises  et  celles  qui  sont 
spéciales  à  telle  ou  telle  communion  particulière.  Mais  la  ligne  de  dé- 
marcation entre  ce  qui  est  essentiel  et  ce  qui  est  secondaire  sera  tou- 
jours difficile  à  tracer.  Dans  un  système  bien  organisé  tout  se  tient,  et 
en  ce  qui  concerne  l'idée  ou  le  principe  qui  est  à  sa  base,  l'auteur  peut 
avoir  dépassé  ou  négligé  la  somme  des  vérités  que  d'autres  regar- 
dent comme  fondamentales.  —  Voy.  les  prolégomènes  des  ouvrages 
de  dogmatique,  et  en  particulier  Hase  :  Hutterus  redivivus,  7e  édit., 
Leipz.,  1848,  p.  22  ss. 

ARTICLES  ORGANIQUES  ou   loi   du  18  germinal  an  X  (8  avril  1802). 
Voyez  Concordai. 

ARTOIS.  Dans  cette  province  se  manisfesta,  dès  le  moyen  âge,  une 
vive  opposition  à  l'Église  romaine.  En  102o,  un  grand  nombre  de  ca- 
thares furent  emprisonnés  à  Arras;  ils  semblèrent  céder  devant  la  per- 
sécution, mais  leur  nombre  ne  lit  qu'augmenter.  Au  milieu  du  dou- 
zième siècle,  l'évêque  Frumald  les  trouva  si  nombreux,  qu'embarrassé 
de  les  combattre,  il  ne  sut  qu'exprimer  son  chagrin  à  Alexandre  III, 
qui  se  borna  à  recommander  la  surveillance  la  plus  active.  En  1182, 
une  violent*-  persécution  éclata;  beaucoup  de  personnes  de  toutes  con- 
ditionsjpérirent  sur  le  bûcherou  furent  privées  de  leurs  biens.  L'Église 
cathare  se  retira  de  nouveau  dans  l'ombre,  mais  son  influence  demeura 
grande;  un  écrivain  de  ce  pays,  Evrard  deBéthune,  consacra  un  traite 
spécial  à  réfuter  ses  doctrines.  Il  est  probable  que  les  enseignements 
i\*->  vaudois  se  substituèrent  peu  à  peu  à  ceux  des  cathares  dans  ce» 
contrées  comme  dans  le  reste  .de  la  France,  car  c'est  sous  le  oom  de 
vaudois  que  nous  retrouvons  des  chrétiens  persécutés  plus  tard  dans 
L'Artois.  En  1460,  l'inquisition  en  lit  brûler  plusieurs  à  Arras;  mais  ils 
se  trouvèrent  si  nombreux  et  si  influents  qu'on  ne  put  les  poursuivre 
tous.  Soixante  ans  après,  fa  Réformation  éclata,  et  l'ut  là.  comme 
leurs,  accueillie  par  les  \audois.  On  sait,  d'une  manière  positive,  que 


624  ARTOIS  —  ASBURY 

telle  fut  l'origine  de  l'Église  de  Wanquetin,  près  d'Arras.  Dans  cette 
ville,  le  protestantisme  ne  put  pas  s'implanter,  mais  il  s'étendit  dans 
les  environs  et  dans  d'autres  parties  de  la  province.  Après  la  révoca- 
tion de  l'édit  de  Nantes,  la  plupart  des  protestants  de  l'Artois  émigrè- 
rent,  et  lors  de  la  restauration  du  culte  protestant,  on  ne  retrouva  plus 
que  quelques  petites  Églises  pour  lesquelles  un  pasteur  fut  placé  à  Wan- 
quetin  ,  puis  un  autre  à  Arras.  Une  Église,  de  formation  récente,  a  été 
établie  à  Boulogne.  Ed.  Monnier. 

ASA  ['A sa,  'Aaa],  fils  et  successeur  d'Abia,  roi  de  Juda,  régna  de 
955  à  914  avant  Jésus-Christ.  Il  chercha  à  extirper  l'idolâtrie,  sans  épar- 
gner sa  mère  adonnée  au  culte  des  faux  dieux  (I  Rois  XVI,  12  ss.), 
augmenta  et  régla  les  revenus  du  temple  (V,  15)  et  fortifia  le  culte  de 
Jéhova  par  une  cérémonie  imposante  à  laquelle  assistèrent  môme  des 
habitants  d'Israël  (2  Chron.  XV,  8  ss.).  Les  affaires  militaires  occupèrent 
une  partie  considérable  de  son  règne.  Il  augmenta  le  nombre  des  places 
fortes,  ainsi  que  l'effectif  de  l'armée  (2  Chron.  XIV,  6  ss.),  et  entreprit 
une  guerre  heureuse  contre  le  roi  d'Israël  Baasa,  au  sujet  de  la  forte- 
resse de  Rama  dont  il  s'empara  et  qu'il  détruisit  à  l'aide  de  troupes 
syriennes  (I  Rois  XV,  16-22  ;  2  Chron.  XVI,  1-6).  Cette  alliance  avec 
le  roi  de  Syrie  attira  à  Asa  les  reproches  du  prophète  Hanani,  qui  expia 
sa  courageuse  franchise  par  la  mort  (2  Chron.  XVI,  7  ss.).  Le  livre  des 
Chroniques  parle  seul  d'une  campagne  dirigée  contre  Zéraph,  roi 
d'Ethiopie,  avec  des  détails  qui  rendent  ce  récit  assez  invraisembla- 
ble (2  Chron.  XIV,  9  ss.). 

ASAPH  ['A  sâph,  'Acaç].  1°  Nom  d'un  chroniqueur  sous  le  règne 
d'Ezéchias  (2  Rois  XVIII,  18;  Esaïe  XXXVI,  3).  —  2°  Maitre-chantre  et 
poète  de  la  cour  du  roi  David,  originaire  d'une  famille  lévitique  et 
honorée  du  surnom  de  Voyant  (1  Chron.  XV,  17  ;  XVI,  5  ;  2  Chron. 
XXIX,  30,  etc.).  On  lui  attribue  la  composition  de  douze  psaumes 
(L;LXXIII-LXXXIII),  dont  la  plupart,  toutefois,  paraissent  appartenir 
à  une  époque  postérieure.  Ses  descendants  héritèrent  de  ses  dons  et 
de  sa  charge  (2  Chron.  XX,  14;  EsdrasII,  14;  111,10;  Néhem.  VII,  41). 
ASBURY  (Francis),  né  près  de  Birmingham  le  20  août  1745,  fut  le 
principal  fondateur  de  l'Eglise  méthodiste  épiscopale  des  Etats-Unis. 
Fils  de  paysan,  il  ne  reçut  qu'une  culture  première  insuffisante,  qu'il 
compléta  en  grande  partie  par  un  travail  personnel  et  par  de 
nombreuses  lectures.  Il  fut  amené  de  bonne  heure  à  la  foi  par  le 
ministère  des  évangélistes  itinérants  de  Wesley.  A  dix-sept  ans  il 
commença  à  prendre  la  parole  dans  les  réunions  de  culte,  et  il  n'avait 
que  vingt-un  ans  lorsqu'il  quitta  tout  pour  devenir  l'un  des  helpers 
de  Wesley.  Quelques  années  plus  tard,  à  la  conférence  de  1770,  il  s'of- 
frit pour  la  mission  d'Amérique,  et  Wesley,  qui  avait  reconnu  en  lui 
de  grandes  qualités,  accepta  ses  services.  En  1772,  il  lui  confia,  avec  le 
titre  d'assistant,  la  direction  de  l'œuvre  américaine,  et,  lorsque  la  Ré- 
volution eut  brisé  le  lien  qui  rattachait  les  colonies  à  l'Angleterre,  il 
lit  d'Asbury  (1784)  le  premier  évêque  résidant  de  l'Eglise  méthodiste 
épiscopale  des  Etats-Unis  (voy.  l'article  Eglise  méthodiste  épiscopale). 
Quoique  inférieur  à  Wesley  par  la  culture  et  par  les  talents,  Asbury  fit 


ASBURY  —  ASCENSION  625 

en  Amérique  une  œuvre  aussi  profonde  et  plus  étendue  que  la  sienne 
en  Angleterre.  Gomme  lui,  il  était  à  la  fois  organisateur  de  premier  ordre, 
et  évangéliste  incomparable.  Pendant  près  d'un  demi-siècle,  il  parcou- 
rut sans  relâche  la  contrée  en  voie  de  colonisation ,  prêchant  tous  les 
jours,  voyageant,  le  plus  souvent  à  cheval,  à  raison  de  deux  mille  lieues 
par  année,  et  servant  de  trait  d'union  entre  les  Eglises  des  Etats  de 
î* Atlantique  et  celles  qui  surgissaient  de  tous  côtés  dans  les  prairies  et 
les  forêts  de  l'Ouest.  Il  lit  de  son  Eglise  une  armée  fortement  orga- 
nisée et  disciplinée  militairement,  et  il  sut  faire  passer  le  zèle  qui  le 
consumait  dans  l'âme  de  ses  frères.  Sous  sa  direction,  l'Eglise  métho- 
diste des  Etats-Unis  prit  une  extension  rapide  ;  elle  venait  de  naître 
lorsqu'il  arriva  en  Amérique,  et  quand  il  mourut  en  1816,  elle  comptait, 
211,000  membres.  Durant  son  long  épiscopat,  Asbury  conféra  l'ordina- 
tioff  à  4,000  pasteurs  environ.  —  Sources:  les  Histoires  du  Méthodisme 
américain  de  Bangsetde  Stevens;W.P.  Strickland,  The  Pioneer  Bishop, 
the  Life  and  Times  of  Francis  Asbury.  Matth.  Lelièvee. 

ASCALON  ['Achqelôn,  'AradcXcov*,  'AcxaXeoviov ] ,  Tune  des  cinq 
villes  confédérées  des  Philistins,  située  sur  le  bord  de  la  mer,  à  16  milles 
au  nord  de  Gaza  et  à  53  de  Jérusalem.  Elle  n'appartint  jamais  aux  Hébreux; 
un  passage  du  Livre  des  Sages  (1, 18)  pourrait  faire  croire  qu'elle  fut  prise 
par  la  tribu  de  Juda,  mais  cela  est  démenti  par  le  verset  suivant. 
Ascalon  possédait  un  antique  sanctuaire  de  la  déesse  ichthyomorphe  Der- 
ceto  (Ato-galis),  dont  le  culte  était  dans  un  rapport  étroit  avec  celui  de 
sa  fille  Sémiramis  (Aphrodite-Urania).  A  côté  du  temple  était  un  bassin 
où  l'on  élevait  des  poissons  sacrés  (Hérod.  1, 103;  Diod.  II,  3).  Les  ban- 
des de  Scythes  qui  pénétrèrent  jusqu'à  la  frontière  d'Egypte,  en  625, 
pillèrent,  en  passant,  le  temple  d' Ascalon.  Pour  les  punir,  la  déesse  les 
frappa  d'une  maladie  secrète.  Ascalon  resta  jusque  sous  les  Romains 
une  ville  libre  (Pline,  H.  N.,  o,  14).  Hérode  le  Grand,  qui  y  était  né, 
l'embellit  beaucoup,  bien  qu'elle  ne  lui  appartint  pas;  après  sa  mort, 
elle  devint  la  résidence  de  sa  sœurSalomé  (Jos.,  Bell.  Jud.,  I,  21,  11  ; 
Ant.,  XVII,  11,  o).Al'époque  chrétienne,  elle  fut  le  siège  d'un  évêché. 
Le  premier  évêque  connu  est  de  315.  On  en  trouve  ensuite  jusque  vers 
93040.  Au  douzième  siècle,  l'évêché  fut  transporté  à  Bethléhem.  Asca- 
lon possédait  de  riches  jardins  et  des  eaux  délicieuses;  elle  était  célèbre 
pour  son  vin  et  ses  échaloltes  (ascalonia).  Aujourd'hui  encore  on  voit 
sur  son  emplacement  de  grandes  ruines  au  milieu  d'un  amphithéâtre 
de  (<»lli]]cs(|ui  regardelamer  ( G uérin,  Descr.  delaFalest.,  II,  p.  135ss.; 
Tobler,3le  Wanderung,  18o7,p.  35 ss.;  Socin,  Handb.,  p.  339  ss.). 

Ph.  Bergek. 

ASCENSION  DE  JÉSUS-CHRIST.  Le  livre  des  Actes  des  Apôtres  rap- 
porte que  Jésus-Christ,  quarante  jours  après  sa  résurrection,  fut  élevé 
au  ciel,  aux  yeux  de  ses  disciples  (I,  3-11).  L'évangile  selon  saint 
Luc  raconte,  avec  moins  de  détails,  le  même  l'ait.  L'évangile  selon 
saint  Marc  le  mentionne  brièvement,  mais  dans  un  morceau  (XVI, 
9-20)  qui  est  aujourd'hui  généralement  considéré  comme  un  appen- 
dice étranger  à  la  composition  primitive  de  cet  évangile.  Le  premier  et 
le  quatrième  évangile  sonl  muets  sur  le  lait  de  l'ascension  de  .Jésus- 


626  ASCENSION 

Christ,  bien  qu'ils  renferment,  le  dernier  surtout,  plusieurs  récits  se 
rapportant  à  des  apparitions  de  Jésus-Christ  à  ses  disciples,  après  sa 
résurrection.  On  s'est  appuyé  sur  le  silence  de  deux  évangiles  touchant 
l'ascension  de  Jésus-Christ,  pour  nier  la  réalité  de  ce  fait  (Strauss. 
Nouvelle  vie  de  Jésus,  II,  p.  402,  traduction  Nefftzer  et  Dollfus).  Cette  con- 
clusion ne  nous  paraît  pas  légitime,  car:  1°  Elle  repose  sur  une  notion 
inexacte  de  la  nature  des  évangiles  dont  aucun  n'a  la  prétention  de 
raconter  toute  l'histoire  de  Jésus-Christ.  S'il  fallait  faire  une  exception 
à  cet  égard,  ce  serait  pour  saint  Luc  (I,  3),  lequel  contient  préci- 
sément le  récit  de  l'ascension.  2°  Saint  Matthieu  et  saint  Jean  admettent 
tous  deux  une  seconde  vie  terrestre  de  Jésus-Christ.  Comment  se  serait, 
pour  eux,  terminée  cette  vie  sinon  par  l'ascension?  3°  Nous  trouvons 
dans  saint  Jean  la  mention  anticipée  du  fait  de  l'ascension  (voir  XX, 
17  et  surtout  VI,  62,  passage  où  il  est  évidemment  question  d'un 
fait  extérieur,  visible).  4°  La  littérature  apostolique  suppose  l'ascension 
de  Jésus-Christ  (voir  Actes  II,  32  et  33  ;  Eph.  II,  6,  et  de  nombreux 
passages  tels  que  I  Pierre  111,22;  Eph.  IV,  10;  I  Tim.  III,  16;  Heb.  IX. 
24),  où  le  caractère  visible  de  l'ascension  de  Jésus-Christ  n'est  pas 
directement  affirmé,  mais  doit  se  déduire  du  rapprochement  avec  la 
nature  de  sa  résurrection  et  de  son  retour  dans  la  gloire,  dont  le  carac- 
tère visible  n'est  pas  contestable,  au  point  de  vue  du  témoignage  apos- 
tolique. —  On  a  cru  voir  une  contradiction  entre  le  récit  de  Luc  et  celui  des 
Actes  touchant  la  question  du  lieu  où  le  fait  de  l'ascension  s'est  passé.  Luc 
s'exprime  ainsi  à  ce  sujet  :  «  Il  les  mena  ensuite  dehors  jusqu'à  Béthanie 
(ttoç  etç  ByjSoviov),  puis  élevant  ses  mains,  il  les  bénit  »  (XXIV,  50). 
D'après  les  Actes,  les  disciples,  après  avoir  été  témoins  de  l'ascension, 
s'en  retournèrent  à  Jérusalem  de  la  montagne  dite  des  Olivier 
(I,  12).  Mais  ces  mots  elç  Byj^avtav  ne  désignent  pas  nécessairement 
Béthanie  même  ;  ils  peuvent  grammaticalement  s'appliquer  à  la  contrée 
de  Béthanie  (comp.  Matth.  XXI,  1),  à  laquelle  appartenait  le  mont  des  Oli- 
viers (voir  F.  Bovet,  Voyage  en  terre  sainte,  3,ncédit.  p.  203).  La  question  qui 
se  rapporte  au  temps  où  il  faut  placer  l'ascension  offre  plus  de  difficulté. 
D'après  les  Actes  le  fait  eut  lieu  quarante  jours  après  la  résurrection.  Luc 
ne  marque  point  de  date  à  cet  égard;  toutefois,  comme  il  place  le  récit  de 
l'ascension  immédiatement  après  celui  d'une  apparition  du  Christ, 
laquelle  eut  lieu  le  jour  de  sa  résurrection ,  et  qu  'il  ne  sépare  les  deux  récit 
que  par  l'adverbe  conjonctif  oà  (XXIV,'  50),  on  en  a  conclu  que  d'après 
Luc  l'ascension  avait  eu  lieu  le  même  jour  que  la  résurrection.  On  a 
raisonné  de  même  à  l'égard  de  saint  Marc  (XVI,  19).  Meyer  (Kri- 
tisch-Exegetischer  Kommentar  ub.  dus  N.  J7.,  vol.  I,  2mo  part,  p.  612 
5e  édit.),  s'appuyant  sur  ces  données,  croit  reconnaître  au  sujet  de 
la  date  de  l'ascension  deux  traditions  dans  l'Eglise  primitive  :Jd'unepart 
LucetMarc,  de  l'autre  les  Actes.  Ce  théologien  n'hésite  pas,  d'ailleurs,  à 
préférer  la  dernière  de  ces  traditions,  quiapourelle,  indirectement,  l'au- 
torité de  Marc  et  de  Paul,  par  la  manière  dont  ils  racontent  les  appa- 
ritions du  Christ  ressuscité  à  ses  disciples.  Meyer  n'insiste  pas  d'ailleurs 
sur  le  chiffre  de  40  jours,  qu'il  prend  pour  un  chiffre  rond.  Il  s'appuie, 
en  particulier,  à  ce  sujet,  sur  un  passage  de  l'épître  de  Barnabas,  d'après 


ASCENSION  G27 

lequel  L'ascension  du  Christaurail  eu  lieu,  sinon  le  même  jour  que  la  ré* 
surrection,  an  moins  (d'après  un  sens  possible  de  ce  passage),  comme  la 

résurrection,  un  premier  jour  de  la  semaine  :  «  Nous  célébrons,  écrit 
Barnabas,  dans  la  joie,  ce  huitième  jour  dans  lequel  Jésus  est  ressuscité 
<ies  morts  et,  après  s'être  manifesté,  est  monté  aux  cieux.  »  D'autres 
théologiens  estiment  que  l'ascension  de  Jésus-Christ  a  eu  lien  le  même 
jour  que  sa  résurrection  (en  particulier  Kinkel,  TàeoL  Stud.  u.  Krit., 
1841,  p. |  oi)7  ss.,  et  (ireve,  die  Hninnclfahrt  unseres  Herrn  Jesu 
Christii  ete.  Man.,  1868,  in-8°).  Il  nous  semble  qu'on  a  singulière- 
ment exagéré  la  portée  des  différences  qu'offrent  nos  documents  à 
-  <  t  égard.  C'est  entre  les  Actes  et  Marc  que  l'apparence  de  contradic- 
tion  est  la  plus  forte,  mais  on  sait  l'obscurité  qui  plane  sur  l'origine 
de  l'appendice  de  Marc.  Quant  au  récit  de  Luc,  la  particule  51  qui  le 
lie  à  ce  qui  précède  peut  indiquer  un  tout  autre  rapport  que  celui  de 
succession,  surtout  immédiate.  Il  serait  d'ailleurs  assez  singulier  que 
Lue  et  les  Actes  ayant  (d'après  Meyer  lui-même)  un  même  auteur,  ces 
deux  Ivres  fussent  en  contradiction  sur  le  point  qui  nous  occupe.  En 
résumé  nous  ne  voyons  dans  nos  documents  évangéliques  rien  qui  ne 
confirme  pleinement  la  doctrine  traditionnelle  de  toutes  les  Eglises 
chrétiennes  touchant  le  faitde  l'ascension  de  Jésus-Christ. — L'ascension 
de  Jésus-Christ  est  d'ailleurs  une  conséquence  de  sa  résurrection. 
Ecarter  celle-là  tout  en  conservant  'celle-ci,  c'est  aboutir  aux  consé- 
quences les  plus  étranges  (voy.  Godet,  Coin,  sur  l'Ev.  de  saint  Luc,  II, 
p.  444) .  Aussi  la  plupart  des  théologiens  qui  ont  nié  la  réalité  de  l'ascen- 
sion nient-ils  également  celle  de  la  résurrection  et,  le  plus  souvent  aussi, 
celle  du  surnaturel  chrétien.  Citons,  à  cet  égard,  quelques  exemples 
récents.  Pour  Strauss,  l'ascension  est  un  mythe  né  du  besoin  de  savoir 
comment  avait  pris  lin  le  nouvel  état  du  Christ,  ressuscité  dans  les  visions 
de  quelques-uns  de  ses  disciples.  Ce  mythe  avait  d'ailleurs  ses  éléments 
tout  prêts  dans  certains  récits  de  l'Ancien  Testament  tels  que  ceux  de 
l'ascension  d'Hénoch  etd'Elie  (II,  p.  402).  L'explication  de  M.  Renan 
est  des  plus  simples:  «  Quand  les  visions  devinrent  plus  rares  on  se  plia 
à  une  autre  imagination.  On  se  figura  Jésus  comme  entré  dans  la 
gloire  et  assis  à  la  droite  du  Père.  «  Il  est  monté  au  ciel  »,  se  dit-on 
(Les  apôtres,]*.  54).  Schenkel  s'exprime  ainsi  sur  les  apparitionsde  Jé- 
sus après  sa  mort:  «Ses  apparitions  furent  le  reflet  que  sa  sainte  image, 
jusque-là  voilée,  projetait  enfin  dans  l'àme  de  ses  disciples  »  [Carac- 
terbildJesu,  p.  254  de  la  traduction  française).  Il  ne  s'explique  pas 
autrement  sur  l'ascension  (voy.  aussi,  dans  le  même  ordre  d'idées, 
Ëwald,  Gesch.  des  apost.  ZeitaHers;  Keim,  Gesck.  Jesu  von  Nazara, 
'■>  vol.,  etc.).  Rothe  a  sur  les  apparitions  du  Christ  et  son  ascension 
un  point  de  vue  tout  spécial  que  l'on  trouve  exposé  notamment  dans 
sa  dogmatique  (11.  p.  139).  Les  documents  évangéliques  sont  d'une 
grande  sobriété  relativement  au  mode  de  l'ascension.  D'après  le  récil 
des  Actes  .lesus  lut  élevé  aux  yeux  de  ses  disciples  et  une  nuée  le  dé- 
robe à  leurs  yeux.  D'après  Luc,  «  comme  il  les  bénissait,  il  se  sépara 
d'eux  et  lut  élevé  au  ciel.  »  Le  mot  ciel  (Matth.  XVI,  :{)  désigne  dans 
le  langage  du  Nouveau  Testament  tantôt  le  ciel  étoile,  tantôt  le  do- 


628  ASCENSION  —  ASCETISME 

mairie  supra-sensible  où  Dieu  règne  sans  partage  (Matth.  VI,  10;  voy. 
l'article  Ciel).  Nos  divers  récits  de  l'ascension  se  plaçant  surtout  au 
point  de  vue  de  l 'apparence ,  il  est  probable  que  presque  partout,  sinon 
partout,  le  mot  ciel  doit  y  être  pris  dans  le  premier  de  ces  deux  sens. 
Il  n'en  est  pasmoins  vrai  que,  pourtoutl'ensembledenosdocumentsévan- 
géliques,  Jésus,  aprèsavoir disparu  aux yeuxdeses disciples,  rentra dansle 
domaine  où  le  règne  de  Dieu  est  une  absolue  réalité.  L'objection  que  Ton 
a  faite  à  la  possibilité  de  l'ascension  au  point  de  vue  du  système  de  Co- 
pernic, lequel  a  détruit  l'ancienne  notion  d'un  ciel  placé  au-dessus  de  la 
terre,  est  aussi  puérile  que  l'était  cette  notion  elle-même.  Nous  touchons 
ici  aux  contins  de  deux  ordres,  dont  l'un  tombe  sous  nos  sens  et  dont 
l'autre  leur  échappe,  en  lui-même  et  dans  les  conditions  d'existence 
qui  y  sont  réalisées.  Cela  nous  oblige  à  une  grande  réserve.  Le  corps 
de  Jésus- Christ,  élevé  au  ciel,  est  son  corps  glorifié,  c'est-à-dire  son 
corps  ancien  élevé  aux  conditions  d'une  vie  absolument  spirituelle 
(voir  sur  l'apparition  de  Jésus  glorifié  à  saint  Paul,  mentionnée  1  Cor. 
XV,  8,  l'article  Résurrection  de  J.-C).  D'après  la  doctrine  luthérienne 
stricte,  représentée  par  la  Formule  de  concorde,  le  corps  glorifié  de  Jé- 
sus-Christ serait  présent  partout  (voy.  l'article  Ubiquité).  Les  réfor- 
més, d'aCcord  en  cela  avec  les  catholiques,  n'admettent  pas  l'ubiquité 
du  corps  glorifié  du  Christ  (voy.  Calvin,  Institution  chrétienne,  liv.  II, 
ch.  XVI,  §  14).  L'ascension  de  Jésus-Christ  est  le  couronnement  né- 
cessaire de  son  œuvre  rédemptrice.  En  lui,  l'humanité,  victorieuse  de 
la  mort  a  été  restaurée  et  glorifiée  (Eph.  II,  6).  On  ne  saurait  nier 
l'importance  doctrinale  de  l'ascension  du  Christ,  qu'en  se  plaçant  au 
point  de  vue  d'un  idéalisme  aussi  contraire  aux  sentiments  primor- 
diaux de  notre  nature  qu'àl'esprit  de  l'Ecriture  sainte.  R.  Hollard. 
ASCÉTISME.  Ce  mot  n'a  point  encore  été  adopté  par  l'Académie 
française,  mais  il  a  pris  droit  de  cité  dans  les  sciences  morales  et  théo- 
logiques. Il  nous  vient  du  grec,  où  le  verbe  àsyio)  et  ses  dérivés  se 
disaient  du  régime  particulier  et  des  exercices  systématiques  par  les- 
quels les  athlètes  entretenaient  leur  vigueur  et  se  préparaient  au  com- 
bat. Les  stoïciens,  pour  arriver  à  l'ataraxie,  les  néo-platoniciens,  pour 
atteindre  Dieu,  s'imposèrent  une  rigoureuse  discipline.  C'étaient  des 
athlètes  spirituels  :  le  philosophe  fut  appelé  àjxrjTYjç,  son  genre  de  vie 
gioç  àr/.YjTr/.6ç,  et  sa  demeure  àsy.Yjr^ptov .  Ces  expressions  passèrent  na- 
turellement dans  la  langue  des  chrétiens,  qui  sont  appelés  "aussi  au  re- 
noncement et  à  la  lutte  (1  Cor.  IX,  24-27).  On  finit  par  les  appliquer 
spécialement  aux  moines  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  (owxiQTUiéç  âv/jp, 
àaxi^Tpià)  vivant  dans  des  cellules  (i7y.rtv.v:rt  fcaXtSftrj)  et  dans  des  mo- 
nastères (àffwjT^ptov).  Leur  genre  de  vie  fut  l'àV/r^iç.  De  là  le  mot 
«  ascétisme  »  qui  désigne  d'une  manière  générale  un  système  de  vie  tout 
composé  d'abstinence  et  de  mortifications.  La  Grèce  a  donné  le  mot, 
mais  c'est  l'Inde  qui  a  présenté  la  chose  même  dans  sa  réalisation 
la  plus  complète.  Pour  le  brahmanisme  comme  pour  le  bouddhisme, 
l'existence  individuelle  est  un  mal  qu'il  faut  détruire  pour  se  perdre 
dans  Brahma  ou  s'anéantir  dans  le  Nirvana  :  arriver  à  ne  plus  sentir, 
ni  penser,  ni  vouloir,  c'est  le  but  suprême.  Le  moyen,  c'est  une  sorte 


ASCÉTISME  G29 

de  suicide  progressif,  systématiquement  organisé,  s'attaquant  non- 
seulement  à  la  vie  du  corps,  mais  à  celle  de  Famé  :  privation  de  nour- 
riture, de  sommeil,  d'abri,  de  vêtements;  séparation  delà  famille  et 
de  la  société;  recherché  de  la  souffrance  sous  toutes  les  formes;  extinc- 
tion de  toute  affection,  de  tout  désir,  de  toute  pensée,  les  ascètes  de 
l'Inde  se  sont  montrés  effroyablement  inventifs  et  résolus  (voy. 
Bochînger,  La  Vie  contemplative,  ascétique  et  monastique  citez  les  Indous 
<et  chez  les  peuples  bouddhistes,  Strasb.,  1831;  Pfïeiderer,  Die  Religion, 

II,  p.  197,  202-204,  219-223  ;  Wuttke,  Geschichte  desHeùlent/iums,  etc.). 
Ces  terribles  pratiques  étaient  la  conséquence  des  croyances  fondamen- 
tales de  ces  religions  :  le  panthéisme  et  le  nihilisme  doivent  logique- 
ment conduire  ou  à  la  licence  ou  à  l'ascétisme  effrénés.  On  en  peut 
dire  autant,  quoique  à  un  moindre  degré,  de  toute  doctrine  dualiste, 
attribuant  un  côté  plus  ou  moins  considérable  de  l'existence  au  prin- 
cipe mauvais.  —  L'hébraïsme,  par  son  affirmation  sur  l'origine  de 
toutes  choses  (Gen.  I,  1,  31),  par  son  enseignement  caractéristique  sur 
le  lien  qui  doit  unir  dans  ce  monde  même  la  justice  et  la  prospérité,  le 
péché  et  la  souffrance,  a  rompu  avec  toute  espèce  de  panthéisme  et  de 
dualisme,  et  l'on  se  tromperait  fort  si  l'on  voyait  dans  les  lois  de 
pureté,  dans  le  vœu  dunazaréat,  dans  le  jeûne  de  certaines  journées,  des 
marques  d'ascétisme.  La  signification  de  ces  usages  est  tout  autre. 
C'est  plus  tard  seulement  que,  sous  des  influences  étrangères,  les 
esséniens,  les  thérapeutes  et  surtout  Philon  (De  vita  coniemplativa) 
firent  entrer  les  pratiques  ascétiques  proprement  dites  dans  le  judaïsme. 
Rien  n'est  plus  contraire  à  l'ascétisme  que  le  fond  même  de  la  doc- 
trine morale,  comme  les  prémisses  métaphysiques  de  l'Evangile  :  non- 
seulement  il  maintient  avec  l'hébraïsme  la  création  de  toutes  choses 
par  un  Dieu  saint  et  bon  ;  mais,  en  annonçant  l'incarnation  de  la 
Parole  éternelle  qui  était  avec  Dieu,  qui  était  Dieu,  il  réhabilite  en 
quelque  sorte  l'existence  terrestre  et  la  matière  même.  Il  fait  d'ailleurs 
dépendre  l'entrée  dans  le  royaume  de  Dieu  de  la  nouvelle  naissance 
opérée  par  l'Esprit,  et  cette  action  régénératrice  de  l'Esprit  est  promise 
à  la  foi  qui  est  un  lien  tout  moral  de  l'àme  avec  Dieu  ou  Christ  (Jean 

III,  3-8;  Rom.  VIII;  2  Cor.  V,  17,  etc.).  Il  résume  la  vie  sainte  tout 
entière  dans  l'amour  de  Dieu  et  des  hommes;  il  proclame  le  néant  des 
observances  extérieures  (Matth.  XV,  11;  Coî.  II,  20-23)  et  le  droit  de 
L'enfant  de  Dieu  à  user  de  toutes  choses  avec  actions  de  grâces  (1  Tim. 

IV,  \\  Rom.  XIV,  1-20;  1  Cor.  X,  25-36;  Act.  X,  15).  Le  corps  lui- 
même  est  mis  en  honneur  ;  dès  à  présent,  temple  de  l'Esprit  et  membre 
du  Christ  '2  Cor.  V,  15-19),  il  est  destiné  à  la  gloire  de  la  résurrection 
(1  Cor.  XV).  Aussi,  doit-il  être  respecté  (2 Cor.  VI,  13-20)  et  toute  souf- 
france ou  privation  qu'on  lui  imposerait  arbitrairement  est  condamnée 
(Col.  II,  23).  La  chose  seule  uécessaire,  c'est  le  développement  de 
L'homme  intérieur  (Eph.  III,  10-17),  et  l'Esprit  qui  anime  le  chrétien 
u'esl  pas  un  esprit  de  servitude,  de  scrupule  et  de  tristesse,  c'est  un 
espril  de  liberté  et  de  joie  (Rom.  VIII,  15;  2  Cor.  III,  17;  Jean  XV,  11; 
Philipp.  III.  1:  IV.  'i  ss.;  I  Pierre  !.  3-9,  etc.).—  Cependant  le  christia- 
nisme a  présenté  un  développement  d'ascétisme  qui  peut  se  comparer 


630  ASCETISME 

à  celui  de  l'Inde,  qui  le  rappelle  parfois,  jusque  dans  le  détail,  d'une 
façon  singulière  (Zœckler,  Krit.  Gesch.der  Askese,  1863).  On  ne  doit  pas 
chercher  l'explication  de  ces  ressemblances  dans  une  influence  posi- 
tive de  l'Inde  qui  se  serait  exercée  sur  la  chrétienté  par  l'intermédiaire 
des  gnostiques  et  des  néoplatoniciens.  Il  y  a  là  des  causes  plus  pro- 
fondes :  d'une  part ,  la  nature  humaine  qui  est  partout  la  même  ; 
de  l'autre,  certains  côtés  de  la  vie  chrétienne  qui  peuvent  aisément 
être  tournés  à  l'ascétisme.  Il  ne  manque  pas,  en  effet,  de  déclarations 
dans  l'Evangile,  où  la  vie  nouvelle  est  présentée  comme  un  renonce- 
ment total  (Matth.  XVI,  24),  un  dépouillement  absolu  (Matth.  XIII,  44, 46; 
MarcX,  21, 29-30;  Eph.  IV,  21-22,  etc.),  une  mort  (Col.  III,  5;  Matth.  X, 
38,  etc.)  :  expressions  énergiques  qui  rappellent  celles  des  bouddhistes  et 
ont  fait  dire  à  Schopenhauer  que  la  profonde  vérité  du  christianisme,  c'est 
sa]négation  delà  volonté  de  vivre,  fondement  de  l'ascète.  Il  est  vrai  que  la 
ressemblance  n'est  qu'extérieure,  qu'une  différence  infinie  sépare  les 
deux  morales  comme  les  deux  métaphysiques  ;  le  boudhiste  meurt 
pour  n'exister  jamais  plus;  le  chrétien  meurt  pour  revivre  ;  le  premier 
détruit  en  lui  toute  vie  ;  le  second  détruit  la  vie  fausse  et  mauvaise  et 
la  remplace  par  la  vie  véritable  (Matth.  XVI,  25;  Rom.  VI,  4-14, 
23,  etc.).  Le  but  de  celui-ci,  c'est  la  vie  éternelle  ;  le  but  de  celui-là,  c'est 
le  néant.  Il  n'en  reste  pas  moins  vrai  que  le  renoncement  et  l'abs- 
tinence doivent  jouer  un  grand  rôle  dans  la  vie  du  chrétien.  S'il  ne 
croit  pas  que  ce  monde  soit  l'œuvre  d'un  mauvais  principe,  il  sait  que 
sa  patrie  véritable  est  ailleurs,  que  le  mal  règne  sur  la  terre  et  que  la 
tentation  y  est  partout.  S'il  ne  croit  pas  que  l'existence  individuelle 
soit,  un  malheur  ou  une  souillure,  il  sent  en  lui  un  vieil  homme  qu'il 
faut  anéantir  avec  ses  convoitises  (Gai.  V,  24).  Il  connaît  sa  faiblesse  et 
n'ignore  pas  qu'il  doit  s'entourer  de  précautions  et  fuir  le  danger. 
Sans  doute,  tout,  en  un  sens,  lui  est  permis,  mais  tout  ne  l'édifie  pas 
(1  Cor.  X,  23).  Jésus-Christ  commande  de  sacrifier  même  un  bien  légi- 
time et  cher,  s'il  est  une  occasion  de  chute  (Matth.  V,  29-30;  XVIII, 
8-9)  ;  il  donne  à  entendre  qu'il  y  en  a  qui  sont  appelés,  pour  le  service 
de  Dieu,  à  quitter  leur  famille  (Luc  IX,  59-62) ,  à  vendre  leurs  biens, 
à  ne  jamais  se  marier  (Matth.  XIX,  12,  21).  Saint  Paul,  l'apôtre 
de  la  grâce  toute  gratuite,  a  déclaré  que,  pour  son  propre  compte, 
il  usait  d'abstinence,  il  matait  son  corps  et  le  tenait  captif  (1  Cor.  II, 
25-27),  et  il  adresse  aux  chrétiens  de  son  temps  des  conseils  de  sobriété 
et  de  discipline  personnelle  d'autant  plus  significatifs  et  frappants 
qu'il  revendique,  on  sait  avec  quelle  généreuse  ardeur,  la  liberté  des 
enfants  de  Dieu  (Gai.  V,  13-16  ;  1  Thess.  V,  6-8;  Rom.  XIII,  14,  etc.). 
Si  l'on  va  au  fond  de  cet  apparent  ascétisme,  après  avoir  écarté  les 
exhortations  à  éviter  le  péché  proprement  dit,  on  voit  bientôt  ou  qu'il 
s'agit  de  vocations  spéciales  entraînant  des  sacrifices  exceptionnels,  ou 
que  les  renoncements  demandés  sont  des  précautions  contre  la  fai- 
blesse humaine.  Ni  dans  un  cas  ni  dans  l'autre,  il  n'est  question  d'un 
degré  supérieur  de  perfection  et  de  mérite.  On  comprend  que,  vivant 
au  milieu  d'une  société  livrée  à  toutes  les  corruptions,  les  chrétiens  des 
premiers  temps  aient  donné  une  attention  particulière  à  ce  côté  austère 


ASCETISME  631 

de  renseignement  évangélique  ;  qu'Usaient  senti  tout  à  la  fois  le  besoin 
de  protester,  par  une  abstention  bien  caractérisée,  contre  la  légèreté  et 
la  corruption  païennes,  el  de  se  garder  eux-mêmes  contre  la  contagion 
environnante   et  contre  leur  propre  fragilité  ;  qu'ils   aient  été  enfin 
amenés  à  être  et  à  se  glorifier  d'être  les  vrais  philosophes  et  les  vrais 
ascètes.   11  y  aura  toujours,  dans  une  vie  sérieusement  chrétienne  au 
milieu  d'un  monde  profane,  une  attitude  de  réserve  sévère  et  d'austé- 
rité. Mais  il  arriva  que  ce  qui  devait  être  un  moyen  seulement  fut  érigé 
en  but.  Comme  il  est  plus  facile  de  détruire  que  de  transformer  et  de 
travailler  au  dehors  qu'au  dedans,  on  porta  tout  l'effort  de  la  piété  à 
dépouiller  l'existence  et  à  martyriser  le  corps.  On  mit  la  perfection 
dansée  qui  était  précaution  prudente  ;  donc,  signe  d'imperfection  et 
de  faiblesse.  On  se  fit  un  mérite  de  ces  privations  et  de  ces  souffrances 
volontaires  <pie  le  grand  apôtre  avait  condamnées.  On  les  offrit  à  Dieu 
comme  une  compensation  ou  une  expiation  des  fautes  commises.  On 
s'en  arma  comme  d'un  droit  assuré  aux  plus  hautes  récompenses  du 
ciel.  Dès  lors,  ce  fut  à  qui  inventerait  pour  soi-même  ou  pour  sa  com- 
munauté les  plus  pénibles  mortifications.  Une  guerre  implacable  fut 
déclarée  à  la  nature  humaine,  même  dans  ce  qu'elle  a  de  légitime,  de 
noble,  de  divin.  On   prit  à  tâche   de  se    dépouiller  et  de   s'anéan- 
tir, comme  si  Dieu  se  faisait  gloire  de  régner  sur  des  morts.  L'héroïsme 
qui  est  en  puissance  au  fond  des  grandes  âmes,  au  fond  de  toute  âme 
chrétienne,  se  porta  avec  une  sorte  d'enthousiasme  aux  renoncements 
et  aux  mortifications,  comme  il  s'était  porté  en  d'autres  temps  au  mar- 
tyre. Il  y  eut  même  des  époques  où  des  populations  entières  furent 
saisies  d'une  fureur  de   pénitence  corporelle  et  violente    (voy.  Fla- 
ge lie rats).   On   était  singulièrement  éloigné   de  la  spiritualité   évangé- 
lique, et  non  pas  au  profit  de  la  vraie  piété  et  de  la  vraie  moralité.  La 
Réformation  proclama  la  grande  doctrine  de  la  justification  par  la  foi, 
et,  par  ce  seul  coup,  elle  renversa  cet  échafaudage  de  pénitences  exté- 
rieures et  méritoires.  Gardons-nous  cependant  de  l'entendre  comme  si 
les  réformateurs  avaient  oublié  les  exemples  et  les  leçons  apostoliques 
que  nous  rappelions  tout  à  l'heure.  Il  serait  facile  de  citer  des  paroles 
<!'   Luther  et  de  Calvin  reconnaissant  l'utilité  et  le  droit,  non  pas  d'une 
discipline  méritoire  imposée  du  dehors,  mais  d'une  discipline  appro- 
priée par  chacun  à  son  état  spirituel  et  n'ayant  d'autre  valeur  comme 
d'autre  but  que  de  fortifier  et  de  garantir  la  fidélité.  C'est  à  ce  titre 
que    le  jeûne,  par  exemple,  fut  admis  par    les    deux  réformateurs 
(Lut lier.  KL  Catech.,  art.  $;Ausleg.  d.  Bergpredigt,  XLIII,  p.  l(,)3-202; 
Tùchreden,  etc.  ;  Calvin,  Inst.,  IV,  c.  2,  §  15-19).  Le  piétisme,  et,  à 
son  origine,  le  méthodisme  revinrent  à  ce  point  de  vue  scripturaire. 
En  somme,  la  chrétienté  évangélique  rejette  tout  ascétisme  qui  serait 
imposé  du  dehors  comme  une  règle  uniforme,  <|ui  aurait  pour  but  de 
mutiler  L'être  humain  et  pour  efiet  de  l'asservir,  qui  prétendrait  con- 
stituer un  degré  supérieur  de  perfection  et  un  mérite.  Elle  admel  que 
le  chrétien  doit  exercer  sur  lui-même  une  discipline  plus  ou  moins  ri- 
goureuse, <'ii  vue  de  prévenir  Les  reculs  el  d'assurer  le  progrès  de  sa 
vie  spirituelle.  Cesl  ce  que  quelques-uns  ont  appelé  «  ascétique  »  en 


632  ASCETISME 

revenant  au  sens  étymologique  et  premier  du  terme.  La  plupart  des 
systèmes  évangéliques  de  théologie  morale  ont  fait  une  place  dans 
leurs  cadres  à  l'ascétique.  Il  s'est  trouvé  cependant  des  théologiens 
pour  contester  la  légitimité  de  cette  façon  de  procéder.  Ils  font  obser- 
ver que  le  chrétien  doit  toujours,  partout  et  immédiatement,  faire  son 
devoir  et  qu'il  ne  saurait  avoir  du  temps  de  reste  pour  apprendre  à 
le  faire  ;  qu'après  tout  la  plus  sûre  manière  et  môme  l'unique  de  se 
rendre  vertueux:,  c'est  de  pratiquer  la  vertu  ;  que  cette  prétendue  ascé- 
tique ou  bien  ne  serait  qu'une  forme  vide,  un  exercice  sans  objet  et 
tout  arbitraire  ;  ou,  si  elle  avait  quelque  contenu  ou  quelque  valeur, 
ne  présenterait  que  des  devoirs  et  rentrerait  dans  la  partie  de  l'éthique 
où  les  devoirs  sont  exposés  (cf.  Schleiermacher,  Grundlinien  einer  Kri- 
tikder  bisher.  Sîttenlehre,  p.  429  ss.;  Rothe,  Theol.  Ethik,  III,  §861;  Gass, 
der  sittliche  Werth  des  Asketischen./ahrb.  f.  d.  Theol. , XVIII,  H.  2).  Tan- 
dis que  les  catholiques  faisaient  la  part  principale  et  première  à  l'ascétique 
dans  leur  morale,  les  luthériens  ne  lui  en  accordaient  aucune,  étant  plus 
préoccupés  de  la  foi  que  de  ses  œuvres,  ou  ne  voulant  pas  connaître 
d'autres  moyens  de  développer  la  vie  sainte  que  la  Parole  de  Dieu,  les 
sacrements  et  la  prière.  Les  réformés,  fidèles  à  leur  point  de  vue  éthi- 
que, tenaient  en  réelle  estime  ce  que  Calvin  avait  appelé  les  aides 
(adminiculd)  de  la  vie  chrétienne  (lnstit. ,  III,  c.  6-8;  IV,  c.  12). 
Le  piétisme  lit  pénétrer  leur  point  de  vue  dans  le  luthéranisme. 
Toutefois,  de  nos  jours  encore,  des  théologiens  luthériens  ont  cru 
devoir  maintenir  l'attitude  ancienne  (Vilmar,  von  Oettingen  et,  en  par- 
tie, Wuttke).  Par  contre,  la  liste  serait  longue  des  théologiens  pro- 
testants et  des  philosophes  qui  ont  admis,  sinon  le  terme,  du  moins  la 
chose  :  Kant,  Schopenhauer,  Wirth ,  Daub ,  Reinhard,  Stasudlin,  de 
Wette ,  Baumgarten-Crusius,  Nitzsch ,  Harless,  Palmer,  Schmid ,  etc. 
A  le  bien  voir,  peut-être  y  a-t-il  dans  ce  débat  une  question  de  forme 
plutôt  qu'une  question  de  fond.  On  peut  remarquer  que  les  théologiens 
qui  évitent  de  nommer  l'ascétique  ou  ne  la  nomment  que  pour  la  re- 
jeter, ne  manquent  pas  de  la  faire  reparaître  sous  un  autre  nom  ou 
sans  nom  dans  divers  endroits  de  leur  exposition.  Personne  ne  nie 
que  ce  ne  soit  un  devoir  pour  le  chrétien  de  travailler  à  son  propre 
développement  religieux  et  moral  (1  Tiin.  IV,  7,  14-16).  L'éducation 
que  reçoit  l'enfant  n'est  longtemps  qu'une  ascétique,  un  exercice  des- 
tiné à  former  l'homme  en  lui.  Or,  le  chrétien  est  toujours,  quant  à  sa 
vie  spirituelle,  plus  ou  moins  un  enfant  qui  a  besoin  de  tutelle  et  d'é- 
ducation (cf.  Rothe,/.  c. ,  §  862).  Seulement,  c'est  lui-même  qui 
doit  se  tenir  en  tutelle  et  faire  sa  propre  éducation  sous  le  contrôle  et 
la  direction  du  Saint-Esprit.  Le  but  de  cette  éducation  doit  être  de  former 
l'homme  nouveau,  indépendant  de  toutes  choses,  maître  de  lui-même, 
consacrant  joyeusement  son  corps  et  son  âme  au  service  de  Dieu.  Cette 
ascétique  n'a  rien  d'arbitraire;  elle  n'est  pas  seulement  une  préparation 
au  devoir,  elle  est  un  devoir,  Rothe  la  range  à  bon  droit  dans  ce  qu'il 
appelle  Selbstpfîichten,  devoirs  personnels.  A  mesure  que  le  chrétien  croît 
en  maturité  et  en  force,  certains  procédés  éducatoires,  certaines  précau- 
tions protectrices  deviennent  moins  nécessaires;  et,  au  terme  glorieux  du 


ASCETISME  —  AS  l  ÉTÉ  G33 

développement,  il  ne  restera  de  ces  moyens  que  ceux  gui,  parties  essen- 
tielles de  la  vie  sainte,  étaient  but  en  même  temps  que  moyens.  Disons,  en 

terminant.  que  L'ascétique  ainsi  comprise  a  naturellement  deux  par- 
ties, Tune  négative,  l'autre  positive.  Dans  la  première,  on  peut  ranger 
les  moyens  (Tugendmùtel)  suivants  :  la  connaissance  et  l'examen  de 
soi-même,  le  recueillement,  la  solitude,  la  vigilance,  l'abstinence  (qui 
est  ici  le  renoncement  à  ce  qui  est  permis,  pour  éviter  la  tentation, 
pour  exercer  la  volonté),  etc.  Dans  la  seconde,  on  peut  mettre  la  cul- 
ture de  soi-même  (connaissances  religieuses,  exercice  de  la  volonté,  etc.), 
la  recherche  des  bonnes  compagnies,  la  lecture  de  la  Bible,  celle  des 
bons  livres,  le  culte  public,  les  sacrements,  la  prière,  etc.  Pour  assu- 
rer de  la  suite  dans  cette  éducation  de  soi-même,  on  conseille  une  sage 
distribution  des  heures  de  la  journée  qui  lasse  leur  part  à  l'activité  et 
au  repos,  à  la  vie  extérieure  et  au  recueillement,  à  l'examen  de  soi,  à 
la  prière,  etc.  Il  est  évident  que  Ton  ne  peut  donner  ici  une  règle  gé- 
nérale et  imposer  à  tous  la  même  distribution  des  heures,  les  mêmes 
abstinences,  les  mêmes  exercices  (cf.  Rothe,  /.  c.  p.  463-526  ;  Nitzsch, 
System  der  christl.  Lehre,  §  159-164) .  Charles  Bois. 

ASCHÉRAH,  nom  d'une  divinité  phénicienne.  V oyez  Phénicie. 
ASDOD  ['A  c  h  d  o  d/AÇwcoç,  Azotus,  «  citadelle  »],  ville  maritime  des  Phi- 
listins et  Tune  de  leurs  cinq  capitales.  Asdod  se  composait,  comme 
Gaza  et  Jamnia,  de  deux  villes,  Tune  sur  la  route  de  Damas,  l'autre  sur 
la  mer.  On  voit  encore  le  monticule  où  doit  avoir  été  sa  citadelle  ;  au 
bas,  un  misérable  village  porte  le  nomd' Esdûd.  On  y  adorait  Dagon,  le 
dieu  poisson  (1  Sam.  V;  1  Mac.  XIV,  4).  C'est  dans  cette  ville  que 
fut  transportée  tout  d'abord  l'Arche  après  la  mort  des  lils  d'Héli. 
Mais  ses  habitants  furent  frappés  d'une  maladie  honteuse.  Asdod 
semble  avoir  payé  tribut  à  Salomon  (1  Rois  IV,  24).  Sous  Hozias,  les 
Juifs  s'en  emparèrent  (2  Chron.  XXVI,  6);  la  comparaison  des  livres 
de  Josué  et  des  Juges  ne  permet  pas  de  croire  qu'ils  l'aient  oc- 
cupée antérieurement  déjà  (Jos.  XIII,  3;  XV,  47;  Jug.  I,  18-20). 
Asdod  eut,  du  reste,  beaucoup  à  souffrir,  à  cause  de  sa  position,  des 
guerres  entre  l'Assyrie  et  l'Egypte.  Elle  fut  assiégée  et  prise  par  un 
général  de  Sargon,  vers  715  (Es.  XX,  1),  et,  cent  ans  après,  par  Psam- 
métique  (Hérod.  II,  157).  Jérémie  pouvait  parler  des  «  ruines  d'Asdod  » 
(XXV,  20;  cf.  Soph.  II.  4).  Enfin,  elle  fut  prise  deux  fois  et  finale- 
ment détruite  par  les  Machabées  (1  Mac.  V,  68;  X,  84).  Les  Romains  la 
relevèrent,  et  elle  passa  aux  mains  des  Hérode  (Jos.,  Bell.  Jud.,  I,  7,  7; 
Ant.  XIV,  :;.  :};  XVIî,  S,  1).  On  y  trouve  l'apôtre  Philippe  prêchant 
l'Evangile  (Act.  VIII,  40);  plus  tard,  elle  devint  le  siège  d'un  évêché  ; 
Oïl  connaît  cinq  de  ses  évèques,  de  325-536.  Sur  la  langue  et  la  popu- 
lation d'Asdod,  voyez  Xéh.  XIII,  23  ;  Zach.  IX,  6.  Ce  mélange  de  popu- 
lations provenait  en  partie;  du  système  de  déportation  pratiqué  par  les 
Assyriens,  mais  aussi  de  l'étendue  du  commerce  maritime  d'Adod. — • 
Voyez  :  Reland,  Pal.  s.  v.  Azotus,  Tobler,  iJritte  Wandeimuj,  p.  2.*> 
ss.;Socin,  Pal.,  p.  331.  Ph.  Berger. 

ASÉITÉ  ou  existence  pur  soi-même.  L'origine  de  ce  tenue  théologi- 
que  doit  sans  doute  être  cherchée  dans  llilaire  de  Poitiers  {Tract,  in 
r.  il 


G34  ASEITE  —  ASIARQUES 

Ps.  2)  :  «  lpse  est,  qui  quod  est  non  aliunde  est  :  in  sese  est,  secum  est, 
a  se  est,  suus  sibi  est  et  sibi  ipsi  omnia  est  ».  Lactance  déjà  (Divin. 
Inst.,  II,  8)  avait  dit  :  «  Ex  se  ipso  procreatus,  ex  se  ipso  est  et  ideo 
talis  est  qualern  esse  voluit  ».  Saint  Jérôme  (Epist.  ad  Ephes.,  3)  ex- 
prime la  môme  pensée  :  «  Deus  ipse  qui  origo  suœque  causa  substan- 
tiœ  est  »  ;  et  saint  Anselme  (Monol,  6)  :  «  Summa  substantia  ad  esse 
perducta  est  non  per  aliquid  ;  per  se  ipsam  et  ex  se  ipsa  est  quidquid 
est  » .  Cette  doctrine  a  été  plusieurs  t'ois  reproduite  par  les  théologiens 
des  divers  âgés,  par  J.  Gerhard  (t.  I.  1.  III,  117)  :  «  Deus  non  kabet 
esse  ab  alio  participatum,  sed  est  a  se  ipso  et  per  se  ipsum  ».  L'expres- 
sion aséité  de  Dieu  signifie  donc  la  négation  de  toute  dépendance,  de 
toute  détermination  subie,  de  toute  nécessité  d'avoir  telle  ou  telle  na- 
ture, et  l'affirmation  que  la  nature  de  Dieu  est  telle  qu'il  Ta  voulue  et 
parce  qu'il  l'a  voulue,  que  Dieu  possède  l'être  par  lui-même;  non  que 
l'on  puisse  concevoir  une  période,  un  moment  où  Dieu,  n'ayant  pas 
encore  cette  nature,  se  la  serait  donnée,  ce  qui  appliquerait  à  l'absolu 
les  conditions  de  temps  et  de  changement  auxquelles  les  créatures  sont 
assujetties  ;  au  contraire,  en  Dieu  la  cause  et  l'effet  sont  intimement 
unis  :  Dieu  est  souveraine  liberté,  non  pas  possibilité  vide  et  indéter- 
minée, mais  volonté  en  acte,  action.  Les  docteurs,  en  imaginant  ce  mot, 
n'ont  fait  que  formuler  ce  qui  est  plus  ou  moins  implicitement  contenu 
dans  la  piété  chrétienne,  dans  la  conviction  que  nous  devons  croire  en 
Dieu  seul,  et  qu'il  n'y  a  pas  de  puissance  supérieure  à  lui.  Tel  est  aussi 
l'esprit  de  nos  saints  livres  (Rom.  XI,  36  ;  Es.  LXIV,  6  ;  Exod.  III,  14).  Mais 
si  la  religion  se  contente  d'une  telle  affirmation  sous  sa  forme  concrète,  le 
rôle  de  la  philosophie  est  de  la  soumettre  à  ses  procédés  d'analyse  et 
de  dialectique,  œuvre  qui  est  notamment  accomplie  avec  beaucoup  de 
profondeur  dans  la  Philosophie  de  la  liberté  par  M.  Secrétan  (t.  I, 
leç.  XV  et  XVI).  —  Voyez  les  art.  Absolu  et  Dieu.  A.  Mattee. 

ASER  ['A  c  h  é  r],  deuxième  fils  de  Jacob  et  de  sa  concubine  Silpa, 
la  servante  de  Léa  (Gen.  XXX,  13;   XXXV,  26),  chef  d'une  des  douze 
tribus  israélites  (Nomb.  XXVI,  44).  Elle  comptait  53,400  combattants 
à  son  entrée  en  Palestine  (Nomb.  XL VI,  47),  et  reçut,  lors  du  partage, 
une  bande  de  terrain  assez  étroite,  mais  très-fertile,  sur  la  côte  septen- 
trionale de  la  Méditerranée,  s'étendant  au  sud  jusqu'au-dessous  du  pro- 
montoire du  Carmelet  au  nord  jusqu'au  territoire  de  Sidon  (Gen.  XLIX, 
20;  Deut.  XXXIII,  24  ss.;  Juges  V,  17;  Jos.  XIX,  24  ss:  ;  cf.  Josèphe, 
Antiq.,  V,  1,  22),  qu'elle  ne  parvint  jamais  à  conquérir,  pas  plus  que 
Tyr  et  Acre  (Juges  I,  31).  Ces  villes  maritimes  surent  toujours  mainte- 
nir leur  indépendance  contre  des  voisins  qui  n'avaient  pas  les  moyens 
de  les  réduire.  La  prophétesse  Anne  était  de  la  tribu  d'Aser(Luc  II,  36). 
ASIARQUES  (' Attirai)'  Au  milieu  de  l'émeute  des  orfèvres  d'Ephèse 
soulevée  par  Démétrius   contre   Paul,    ce  dernier  fut  empêché  par 
quelques  Asiarques  qui  s'intéressaient  à  lui,  de  se  rendre  au  théâtre  et 
de  se  livrer  à  l'aveugle  colère  du  peuple  (Act.  XIX,  31).  Ce  titre  était 
donné  à  dix-  citoyens  choisis  chaque  année  parmi  les  plus  riches  et  les 
plus  cmsidérés  de  la  province,  pour  présider,   veiller  et  pourvoir  aux 
jeux  et  spectacles  publics.donnés  en  l'honneur  des  dieux  ou  de  l'em- 


ÀSIARQUES  —  ASIE  C35 

pereur.  ('eux  qui  avaient  une  fois  rempli  cette  charge  continuaient  à 
se  parer  du  titre  comme  d'un  honneur.  Chaque  province  avait  une  ' 
corporation  semblable.  C'est  ainsi  qu'il  y  avait  des  Bithynarques,  des 
Pontarques,  des  Galatarques.  Tertullien  les  nomme  prxsides  sacerdo- 
tales (De  spectaculis,  2).  Leurs  droits  et  leurs  privilèges  reçurent  plu- 
sieurs modifications  sous  les  divers  empereurs.  Par  leur  origine  et  la 
nature  même  de  leurs  fonctions,  on  comprend  qu'ils  devaient  jouir 
auprès  du  peuple  d'une  assez  grande  autorité.  Le  mode  de  leur  élec- 
tion, l'organisation  intérieure  de  la  confrérie,  la  nomination  de  leur 
président  et  bien  d'autres  détails  restent  encore  mal  éclaircis.  —  Voy. 
Strabon,  XIV,  1,  12;  JUlius  Aristide,  Sacr.,  IV,  531;Eusèbe,  fl.  E.,  IV, 
15;  Lebas  et  Waddington,  Inscript.,  III,  nos  5,  158a,  649,  885',  1178, 
1221,  1224;  Perrot,  Explor.  de  la  Galat.,  p.  199  et  ss. 

ASIE  (Statistique  religieuse).  On  évalue  la  population  de  l'Asie  à 
766. 157.000  habitants;  elle  renferme  en  grand  nombre  des  chrétiens, 
des  musulmans,  des  brahmanistes,  des  bouddhistes,  des  païens.  Chaque 
contrée  principale  de  l'Asie  aura  son  article  spécial.  Nous  voulons  seu- 
lement donner  pays  par  pays  un  court  résumé  de  la  statistique  reli- 
gieuse :  1°  Sibérie.  La  population  est  de  3,428,867  habitants  (1870). 
Environ  1,800,000  se  rattachent  à  l'Eglise  grecque  orthodoxe,  800,000 
à  l'islamisme  et  600,000  au  paganisme.  2°  Les  possessions  russes  de  l'Asie 
centrale,  la  Boukkarie,  la  Dzungarie  et  le  Turkestan  sont  peuplés 
ensemble  de  8,941,600  habitants  musulmans.  3°  La  Caucasie  russe 
avait,  en  1871,  4,893,332  habitants.  Les  grecs  orthodoxes,  les  armé- 
niens monophysites  et  les  mahométans  y  sont  à  peu  près  en  nombre 
égal;  les  juifs  y  sont  bien  environ  20,000.  4°  La  Turquie  d'Asie  comp- 
tait, en  1871,  13,168,315  habitants.  On  peut  compter  3,000,000  de  chré- 
tiens de  toutes  dénominations,  10,000,000  de  musulmans,  150,000 
juifs.  5°  V Arabie  est  peuplée  de  4,000,000  de  musulmans.  6°  La  Perse 
a  environ  5,000,000  d'habitants.  Presque  tous  sont  musulmans;  les 
chrétiens,  les  juifs,  les  parsis,  ne  font  qu'une  bien  petite  minorité. 
7°  L'Afghanistan,  le  Kafiri'stan  et  le  Béloutchistan,  avec  environ 
5,300,000  habitants,  sont  également  mahométans,  avec  quelques 
juifs.  8°  La  Chine  et  ses  dépendances  ont  une  population  d'environ 
125,000,000  d'àmes.  La  répartition  de  cette  énorme  masse  d'hommes 
entre  les  diverses  religions  qu'ils  professent  est  bien  difficile  à  faire  à 
taux-  du  mystère  dont  la  Chine  s'est  si  longtemps  entourée,  et  qui  pour 
rïntérieur  du  pays  est  encore  loin  de  disparaître.  La  religion  de  Con- 
bicius,  le  culte  des  esprits,  le  bouddhisme  ont  des  adhérents  dans  ce 
vaste  empire.  La  Chine  proprement  dite  s'en  tient  en  général  à  Confu- 
cius  et  à  La  religion  naturelle.  Le  bouddhisme  règne  principalement 
dans  Les  pays  tributaires.  Les  juifs  et  les  mahométans  se  retrouvent 
dispersa  dans  le  pays  entier.  Les  catholiques  ont  conquis  au  prix  du 
de  bien  des  martyrs  plus  de  1,000,000  d'àmes.  Les  protestants 
sont  encore  peu  nombreux.  9°  Le  Japon  avait,  en  1872,  33,110,825  ha- 
bitants. La  religion  «le  Shinto  et  le  bouddhisme  se  partagentla  popula- 
tion dans  une  proportion  que  Ton  pont  évaluer  à  un  lins  pour  le 
Shintoïsme   et  deux  tiers  pour  le   bouddhisme.     10°  L lluulouslan    et 


035  ASIE  — ASIE-MINEURE 

Ceylan,  238,445,000  habitants  (recensement  de  1871  pour  les  posses- 
sions anglaises).  Nous  ne  pouvons  entrer  ici  dans  une  discussion  de 
chiffres.  Nous  établirons  nos  chiffres  à  l'article  spécial  de  l'Inde.  Ici 
nous  nous  contentons  de  dire  que  l'Inde  appartient  au  brahmanisme, 
sauf  25,000,000  environ  de  bouddhistes,  autant  de  musulmans  et 
3  ou  4,000,000  de  chrétiens,  tant  européens  qu'indigènes  convertis. 
11°  L' Indo-Chine,  avec  25,555,300  habitants.  Le  bouddhisme  y  règne 
presque  sans  partage.  Il  peut  y  avoir  5  à  600,000  catholiques.  Par  ce 
résumé,  on  voit  que  le  christianisme  n'est  encore  en  Asie  qu'une  bien 
petite  minorité.  11  à  12,000,000  d'âmes,  voilà  tout  ce  que  l'Eglise 
dirige  dans  ce  continent  qui  fut  son  berceau,  et  sur  ce  petit  nombre- 
même,  la  plupart  sont  plongés  dans  toutes  sortes  d'erreurs  et  de  super- 
stitions. K.  Yauciiee. 

ASIE-MINEURE.  La  péninsule  qui  s'avance  vers  l'ouest  entre  la  mer 
Noire  (Pont-Euxin),  au  nord,  et  la  mer  de  Syrie  au  sud,  fut  un  des  ber- 
ceaux de  la  civilisation  primitive.  Elle  servit  de  trait  d'union  entre  la 
race  grecque  qui  peupla  ses  côtes  occidentales  de  colonies  florissantes, 
et  les  autres  races  aryennes  ou  sémitiques  qui  habitaient  les  rives  de 
l'Euphrate  ou  les  plaines  de  la  Syrie.  De  là,  le  caractère  mélangé  de  sa 
population  et  de  son  génie.  Ce  nom  d'Asie,  d'origine  probablement 
aryenne  et  qui  parait  avoir  signifié  prairie,  marais,  se  rencontre  pour 
la  première  fois  dans  l'Iliade  (II,  v.  401),  et  senibiu  s'être  appliqué  tout 
d'abord  à  quelques  localités  particulières  de  la  Troade  ou  de  la  Lydie. 
Peut-être  même  y   a-t-il   eu   une   ville   et  une  tribu  aryenne  de  ce 
nom.  A  l'époque   du   royaume    lydien   (718-546),    cette    désignation 
s'étendit  à  toute  la  partie  comprise  entre  le  Taurus  et  la  Troade.  Chez 
les  poètes  grecs,  Eschyle,  Pindare  et  chez  Hérodote,  il  désigne  déjà  tout 
l'Orient,  la  troisième  partie  du  monde  ancien  àcôté  de  l'Europe  et  de  la 
Lybie  ou  Afrique.  Après  la  mort  d'Alexandre-le-Grand,  le  royaume  des 
Séleucides  fut  spécialement  appelé  le  royaume  d'Asie  (IMach.VIII,  6; 
2  Mach.111,3;  1  Mach.XI,  13).  Avec  la  conquête  romaine,  cette  désigna- 
tion se  restreignit  au  royaume  d'Attale  roi  de  Pergame,  qui  devint  une 
province  romaine,  sous  le  nom  à'Asia  propria  ou  proprie  dicta  (129  av. 
J.  G.),  Elle  comprenait  la  petite  et  la  grande  Phrygie,  la  Mysie,  la  Lydie, 
la  Troade,  l'Ionie,  la  Carie,  toutes  les  iles  et  colonies   grecques  éche- 
lonnées le    long  de  la  côte,   Rhodes   excepté.   Elle   était  bornée   à 
i'Orient  par  les    provinces   de   la  Bythinie,  la  Galatie   et  la    Pam- 
philie  (Ptolémée,  V,  2).  A  la  tête  de  la   province   se  trouvait  sous  la 
république,  un  propréteur.  Auguste  en  fit  une  province  consulaire  ;  elle 
fut  alors  administrée  par  un  proconsul  et,  dans  les  temps  difficiles,  par 
un  legatus  Auguste.  C'était  un  des  pays  les  plus  riches  et  les  plus  peu- 
plés. On  y  comptait  plus  de  cinq  cents  villes  dont  la  plupart  jouissaient 
d'une  assez  grande  autonomie.  C'est  à  cette  province  romaine  telle  que 
nous  venons  de  la  déterminer,  que  se  rapportent  tous  les  passages  du 
Nouveau  Testament  où  il  est  question  de  l'Asie  (Actes  II,  10;  VI,  9; 
XIX,  26;  XX,  4.  16;  2  Cor.  I,  8).  La   première  épitre  de  Pierre  est 
adressée  aux  élus  dispersés  dans  le  Pont,  la  Galatie,  la  Cappadoce,  l'Asie 
et  la  Bithyme.  Le?  sept  lettres  qui  ouvrent  l'Apocalypse  'sont  destinées 


ASIE-MINEURE  -  ASILE  637 

aux  sept  grandes  Eglises  d'Asie  :  Ephèse,  Smyrne,  Pergame,  Thyatire, 
Sardes,  Philadelphie,  Laodicée.  La  conquête  musulmane  a  stérilisé  et 
frappé  de  mort  ce  glorieux  el  riche  pays.  A.  Sabatier. 

ASILE.  La  législation  de  tous  les  peuples  contient  des  dispositions 
réglant  le  droit  d'asile  (rj\rr  de  auXaw,  prendre,  arracher  et  de  l'a  pri- 
vatif, d'où  acuXov,  asylum).  Tout  acte  de  violence,  comme  l'emprison- 
nement, le  droit  de  représailles  devait  s'arrêter  sur  le  seuil  des  édiiices 
-consacrés  à  la  divinité:  la  transgression  de  cette  coutume,  regardée 
comme  sacrée,  devait  être  sévèrement  punie.  Une  immunité  semblable 
ne  pouvait  se  justifier  qu'à  une  époque  où  régnait  l'arbitraire  de  la 
force  brutale,  conférant  à  chacun  le  droit  de  venger  lui-même  ses  in- 
jures,   et  où  toute  justice  régulière  était  absente  ou  impuissante.  Le 
droit  d'asile  est  sanctionné  par  la  législation  mosaïque.  Celui  qui  em- 
brassait  l'autel  devait  être  assuré   de   la   sécurité   pour  sa   personne 
(  1  Rois  I,  50-53),  à  moins  qu'il  n'eût  volontairement  tué  son  prochain 
(Exode  XXI,  14).  Outre  le  temple,  il   y  avait  six  villes  qui  jouissaient 
plus  spécialement  de  ce  droit,  trois  de  chaque  côté  du  Jourdain,  Ke- 
desch,  Sichemet  Hébron  sur  la  rive  droite,  Golan,  Ramothet  Bezersurla 
rive  gauche;  elles  étaient  appelées  villes  de  refuge  (m  i  k  1  a  t,  o'JYacîu- 
trçpia)  et  furent  consacrées  à   ce  but  par  une   cérémonie  solennelle 
(Nomb.  XXXV,  13, 14;  Jos.  XX,  7. 8.)  ;  le  meurtrier,  israélite  ou  étranger, 
qui  s'y  réfugiait  ne  devait  être  livré  et  puni  que  s'il  avait  tué  sa  vic- 
time avec  intention  et  méchanceté,  et  non  par  inadvertance,  par  un  cas 
fortuit  et  involontaire  (Ex.  XXI,  12;Nombr.  VXXY,  10.  ss  ;  Dent.  XIX, 
4-6).  Chez  les  Grecs  et  chez  les  Romains,  les  temples  et  les  autels  jouis- 
saient du  même  privilège  ({Bwytoç  awTYjptaç,  arx  salutis),  qui  était  étendu 
aux  maisons  privées,  en  raison  de  la  présence  des  dieux  pénates.  — 
Les  édifices  ecclésiastiques  dans  l'ère  chrétienne  héritèrent  de  ce  droit, 
qui  fut  réglé  avec  soin  par  diverses    constitutions   impériales  (Cod. 
Theados.,  1.  IX.  lit.  XLV;  Cod.  Justin.,  1.  I,  tit.  XII).  Les  meurtriers 
n'étaient   admis  que  s'ils  déposaient  préalablement  leurs  armes;  les 
débiteurs  envers  le  trésor  public  devaient  être  strictement  exclus;  la 
même  exclusion,  par  une  disposition  injuste,  frappait  les  juifs.  Par  une 
loi  promulguée  sous  Honorius  II,  en  431,  le  droit  d'asile  s'étendit  de 
l'autel  et  des  nefs  de  l'église  au  parvis,  aux  jardins,  aux  bâtiments 
situés  en  deçà  du  mur  d'enceinte.  Il  est  vrai  que  les  fugitifs,  à  leur 
arrivée,  étaient  soumis  à  un  interrogatoire  dont  le  résultat  devait  être 
communiqué   aux  juges,  mais  c'était  là,  le  plus  souvent,  une  vainc 
formalité  qui   n'empêchait  en   aucune  façon  tes  anus.  De  son  cote, 
1  Eglise  rappela,  à  diverses  reprises  ,  en  se  fondant  sur  le  droit  musai-, 
que,  que  ceux  qui  cherchaient  un  asile  auprès  d'elle  ne  devaient,  pas  être 
livrés  :  E  os  gui  adecclesiam  confugerunt,  tradinon  opportere,  sed  locirsve- 
rentiaetintercessionedefendi  {Syn.  Arausiàc.,can.5,c.6,dist.  IAWYII); 
•-  le  revendiqua  pour  les  cimetières,  pour  les  résidences  épiseopaies,  pour 
Les  cloitres  des  moines  et  les  demeures  des  chanoines,  ainsi  que  pour  les 
simples  i  hapelles  et  les  croix  plantées  sut-  les  grands  chemins,  le  même 
pnvi  !ge  quepour  les  églises,  en  exigeant  que  l'immunité  fût  étendue  à 
un  espace  de  trente  ou  de  quarante  pas  à  l'en  tour  des  édifices  (Syn.  Au- 


638  ASILE  —  ASIONGABEll 

reitan.,  c.  1-3;  Conc.  Toletan.,  c.  10).  Les  brigands  qui  infestaient 
les  grandes  routes  et  d'autres  catégories  de  malfaiteurs  se  virent  exclus 
du  bénéfice  de  l'asile  par  des  canons  des  papes  Innocent  III  (1200), 
Grégoire  IX  (1234),  Martin  V  (1418)  et  Jules  II  (1504).  Ces  restrictions 
se  multiplièrent  à  la  fin  du  moyen  âge,  soit  de  la  part  de  l'Eglise,  soit 
surtout  de  la  part  de  l'Etat.  François  Ier,  par  son  Ordonnance  sur  te 
faict  de  la  justice,  1539  (art.  166),  décréta  que  toute  immunité  en  ma- 
tière civile  était  abolie  et  que  l'extradition  était  de  rigueur,  lorsque  le 
juge  avait  ordonné  l'arrestation.  En  Ang\eteYre,\eprivilegeofsanctuary 
se  maintint  jusqu'en  1624  ;  en  Prusse,  il  fut  aboli  par  le  code  de  1794, 
en  Wurtemberg  par  un  décret  royal  rendu  en  1804,  et  de  même,  par 
des  décrets  successifs,  dans  les  autres  pays.  L'Italie  elle-même  suivit 
cet  exemple  par  la  loi  Siccardi  du  9  avril  4850.  L'Eglise  n'a  subi  qu'en 
murmurant  et  en  protestant  ces  sages  mesures  de  restriction.  Le  Concile 
de  Trente  (Sess.  XXV,  c.  20,  De  reform.)  proclame  encore  le  droit 
d'asile  comme  d'institution  divine;  mais  les  encycliques  de  Grégoire  XIV 
(1591),  de  Benoît  XIII  (1725),  de  Clément  XII  (1735).  de  Benoit  XIV 
(1751),  de  Clément  XIII  (1760),  témoignent  des  concessions  arrachées 
successivement  au  Saint-Siège  par  les  divers  gouvernements.  Pie  IX,  sur 
la  proposition  de  la  Congregatio  pro  immunitate  (1852),  établit  que  les 
malfaiteurs  devaient  quitter  l'asile  que  l'Eglise  leur  accorde  dans  l'es- 
pace de  trois  jours  et  que,  dans  des  cas  urgents,  l'autorité  civile,  sous 
la  conduite  du  clergé,  pouvait  se  rendre  sans  délai  dans  le  lieu  de 
l'asile,  pour  dresser  procès-verbal.  —  Sources:  Ferraris,  Prompta  bi- 
bliotheca  canonica,  art.  Immunitas ;  Thomassin,  Vêtus  et  nova  eccles* 
disciplina,  II,  1.  III,  c.  95-100;  Schmidt,  Thésaurus  juris  eccles.,  V,  c.  7, 
p.  284-425  ;  Schrœck,  Verm.  jurist.  A  bh an dl.,  Halle,  1786, II,  p.  362,  ss.; 
Keyscher  et  Wilda,  Zeitschr.fùr  deutsches  Recht,  III,  H.  2,  Leipz.  1840, 
p.  326  ss.;  Jacobson,  Real-Encycl.  de  Herzog,  I,  p.567ss.;  Wallon,  Le 
droit  d'asile,  P.,  1837. 

ASIMA,  nom  d'une  divinité  syrienne,  adorée  à  Hamath  et  mentionnée 
2  Rois  XVII,  30.  Voyez  Syrie. 

ASIONGABER  ['Eçyôn  Geber,  Earfov  Tofiip,  Asiongaber),  port  si- 
tué près  d'Elath,  sur  le  golfe  Elanitique  (mer  Rouge),  dans  le  pays 
d'Edom.  C'est  delà  que  partaient  les  vaisseaux  qui  allaient  à  Ophir.  Sa- 
lomon  y  construisit  une  flotte  (1  Rois  IX,  26).  Le  passage  correspondant 
des  Chroniques  raconte  môme  que  Salomon  y  alla  en  personne  (2  Chrom 
VIII,  17),  mais  ce  voyage  légendaire  pourrait  bien  n'être  que  le  résultat 
d'une  erreur  de  copiste;  les  deux  premiers  mots  du  verset  26  seront 
tombés,  pour  une  cause  ou  pour  une  autre,  et  le  scribe  aura  lu  az: 
hâlak  Cheiômoh  au  lieu  de  hammelek  Chelômoh.  Plus  tard  une 
autre  flotte  construite  par  Josaphat  y  fit  naufrage  (1  Rois  XX,  49).  Il 
résulte  de  l'itinéraire  des  Hébreux  et  des  passages  cités  plus  haut 
(Nombr.  XXXIII,  35)  qu'Eçiôn-geber  devait  être  à  la  pointe  du  golfe 
(cf.  Deut.  II,  8).  On  n'a  pas  trouvé  jusqu'à  présent  de  ruines  qui  puis- 
sent}7 correspondre. Ewald  (Isr.,  I,  p.  335)  l'explique  en  disant  qu'Eçiôn- 
geber  n'était  que  le  port  d'Elath.  Voyez  du  reste  Burckhardt,  Reisen.  éd. 
II,  p.  831  ;  Robinson,  Palaest.,  I,  280  ss. 


ASMODÉE  —  ÀSMONEENS  639 

ASMODÉÉ  ['Aqjio&atoç],  nom  d'un  démon  amoureux  de  Sara,  fille  de 
Raguel,  ({ui  tua  successivement  ses  sept  maris  daus  leur  nuit  de  noces 
(Toi),  lli.  8;  VJ.  15).  Il  figure  aussi  dans  le  Talmud  {Gittin,  f.  68,  1) 
comme  un  démon  très-voluptueux;  Satan  lui-même  y  est  quelquefois 
désigné  par  ce  nom.  Parmi  les  commentateurs,  les  uns  font  dériver  le 
nom  d'Asmodée  delà  racine  hébraïque  ch  à  m  ad,  détruire,  extirper, 
et  dès  lors  il  serait  synonyme  de  'Abaddôn,  'ÀicoXXifov  (Apoc.  IX,  11); 
d'autres,  au  contraire,  le  ramènent  à  un  verbe  persan  qui  signifie  rcetpà- 
L's'.v.  (''prouver,  tenter  (Mat th.  IV,  1  ss). 

ASMONEENS  ou  Hasmonéens  (K  h  a  c  h  m  ô  n  î  m,  b  é  t  h  K  h  a- 
c  h  m  ô  n  à  i),  nom  de  la  famille  indigène  qui  a  reconquis  l'indépen- 
dance de  la  Judée  sur  les  rois  de  Syrie  et  Ta  gouvernée  jusqu'à  Hérode. 
Bien  que  n'ayant  pas  occupé  le  trône  aussi  longtemps  et  joué  dans  la 
politique  orientale  un  rôle  aussi  important  que  les  Isaïdes  de  l'ancien 
royaume  de  Juda,  les  princes  asmonéens  ont  exercé  une  influence  déci- 
sive sur  le  développement  ultérieur  de  la  nation  et  de  la  race  juives. 
Pour  bien  comprendre  la  signification  de  cette  période,  il  est  nécessaire 
de  jeter  un  coup  d'œil  en  arrière  et  se  pénétrer  de  la  distinction  si  jus- 
tement faite  par  les  critiques  de  l'Ancien  Testament  entre  l'hébraïsme 
et  le  judaïsme.  Le  judaïsme  représente  l'ensemble  des  idées  morales  et 
religieuses  qui  prirent  corps  dans  l'esprit  des  conducteurs  spirituels  de 
Juda  au  retour  de  l'exil  et  au  cinquième  siècle  avant  Jésus-Christ.  Ce 
corps  de  doctrines  et  d'usages  s'imposa  à  la  Judée  avec  d'autant  plus  de 
facilité  que  la  perte  de  l'indépendance  politique  laissait  le  champ  libre 
aux  spéculations  de  cet  ordre  ;  la  suzeraineté  persane  semble  avoir 
plutôt  servi  que  contrarié  la  formation  du  type  judaïque.  Avec  l'inva- 
sion d'Alexandre,  la  scène  change;  par  la  fondation  des  deux  puissants 
empires  de  Syrie  et  d'Egypte  et,  en  suite  de  sa  situation  intermédiaire, 
la  Judée  se  trouve  englobée  dans  la  civilisation  grecque  dont  les  idées 
s'efforcent  de  la  pénétrer  soit  par  propagande  pacifique,  soit  par  vio- 
lence. L'aristocratie  semble  avoir  accueilli  assez-  favorablement  ces 
avances,  et  les  souverains  grecs  ont  pu  se  flatter,  non  sans  quelque  ap- 
parence de  raison,  de  voir  l'Eglise  juive  (car  il  n'y  avait  guère  autre 
chose  qu'une  grande  Eglise)  s'incorporer  au  panthéon  grec.  La  révolte, 
d'abord  locale  et  partielle,  et  en  tout  cas  tout  à  fait  spontanée,  de  quel- 
ques Juifs  dévots  (comparez  avec  d'autres  révoltes  religieuses,  telles 
que  celle  des  Camisards),  le  succès  inoui  de  cette  rébellion,  secondée 
par  Les  discussions  de  lafamille  régnante  de  Syrie,  eurent  pour  elfet  de 
ressusciter  le  type  judaïque  fortement  compromis  et  d'assurer  à  jamais 
son  existence.  —  Le  nom  d'Asmonéens  provient,  d'après  Josèphe,  de 
L'arrière  grand-père  de  Mattathias,  auteur  de  l'insurrection;  le  nom  de 
Machabées,  primitivement  surnom  de  Judas,  a  été  étendu  par  l'usage 
populaire  à  tous  les  membres  de  la  famille  et  même  au  delà,  à 
des  Juifs  fidèles  et  martyrs.  Les  sources  principales  sont  les  deux  Livres 
deutérocanoniques  des  Machabées  et  les  Antiquités  de  Josèphe 
(12 —  L4).  —  Les  Juifs  pieux  (Cka&idim),  supportaient  avec  une  hum- 
ble impatience  l'introduction  des  rites  grées  et  la  profanation  du 
culte  paternel  dont  L'intronisation  de  la  statue  de  Jupiter  Olympien 


C4J  ASMONEENS 

dans  le  temple  de  Jérusalem  avait  marqué  le  comble.  Les  excès  et  les 
fureurs  d'Antiochus  IV  Epiphane  devaient  exaspérer  les  sentiments 
dont  le  livre  de  Daniel,  écrit  à  cette  époque,  nous  a  transmis  l'éloquent 
témoignage  ;  une  révolte  était  dans  l'air.  Elle  éclata  dans  le  bourg  de 
Modin  (sur  la  route  de  Jérusalem  à  Joppé)  à  l'occasion  d'un  sacrifice 
présidé  par  un  officier  syrien  ;  le  prêtre  Mattathias  se  jeta  avec  quelques 
autres  sur  le  représentant  de  l'autorité  royale  et  le  tua  (167).  La  petite 
troupe  se  retira  dans  la  montagne,  et  une  guerre  de  partisans  com- 
mença, également  dirigée  contre  les  autorités  grecques  et  contre  les 
Juifs  complices.  Au  bout  d'un  an,  le  prêtre  mourut  en  laissant  la  direc- 
tion de  la  révolte  à  son  troisième  fds  Judas  (166).  Judas,  distingué  par 
ses  talents  militaires  et  de  nombreux  succès  partiels  qui  lui  valurent  le 
surnom  deMakkabi  (marteau),  noua  des  intelligences  dans  le  pays  et 
fut  assez  heureux  pour  s'emparer  du  Temple  de  Jérusalem  qu'il  purifia 
et  consacra  de  nouveau  ;  la  partie  la  plus  forte  de  la  ville,  la  montagne 
de  Sion,  était  restée  au  pouvoir  des  Syriens  (165).  Toutefois,  malgré 
l'alliance  du  Sénat  romain  qu'il  avait  recherchée,  il  succomba  et  périt 
à  Eléasa  (ou  Béthesda),  laissant  la  cause  presque  désespérée;  Jérusalem 
avait  été  abandonnée.  Son  frère  Jonathan  reforma  un  noyau  de  bandes 
franches  près  de  l'embouchure  du  Jourdain  et  sut  compter  assez  pour 
que  l'usurpateur  Alexandre  Balas  recherchât  son  appui  contre  Démé- 
trius,  et  que  Démétrius,  de  son  côté,  s'efforçât  de  l'acheter.  Il  reprit 
ainsi  possession  du  Temple  sans  coup  férir.  Alexandre  Balas  lui  con- 
féra la  tiare  pontificale  jusque-là  en  possession  des  favoris  de  la  Syrie 
et  le  titre  de  méridarque.  Jonathan  se  trouva  donc  prince  de  la  Judée 
sous  la  suzeraineté  du  trône  syrien,  rechercha  l'amitié  des  Romains  et 
se  borna  à  payer  un  tribut  aux  Syriens,  à  quoi  il  faut  joindre  le  fait 
d'une  garnison  étrangère  à  Jérusalem.  11  périt  victime  d'un  guet-apens 
tendu  par  l'usurpateur  Tryphon  (143).  Un  troisième  frère,  le  dernier 
survivant  des  fils  de  Mattathias,  Simon,  liérita  du  pontificat  et  du  gou- 
vernement; il  fait  preuve  d'une  remarquable  habileté  dans  la  consoli- 
dation du  nouvel  état  de  choses,  fort  chancelant  jusqu'à  lui  et  bat 
monnaie  pour  la  première  fois,  usant  ainsi  d'attributions  royales.  Il 
meurt  assassiné  en  136.  Son  fils  Jean  ou  Hyrcan  Ier  (135-107)  marque 
son  règne  par  la  conquête  de  l'Idumée  (Edomites)  et  de  la  Samarie  et 
soumet  ces  deux  peuples  aux  rites  judaïques  ;  il  détruit  le  sanctuaire  de 
Garizim  (109).  —  Les  règnes  de  Simon  et  d'Hyrcan  marquentrapogéede 
la  dynastie  asmonéenne  ;  l'indépendance  est  assurée,  tant  parles  pro- 
grès du  dedans  que  par  l'affaiblissement  des  voisins  ;  mais  des  germes 
de  discussions  intestines  se  font  déjà  voir  et  rempliront  les  règnes  sui- 
vants pour  aboutir  à  la  ruine  définitive.  Hyrcan  mourant  avait  disposé 
que  sa  femme  Alexandra  exercerait  le  gouvernement  à  la  place  de 
ses  cinq  fils  encore  jeunes.  Cependant  l'un  d'eux,  Aristobule  Ier  (Ju- 
das), s'empare  du  pouvoir,  laisse  mourir  de  faim  sa  mère,  jette  trois 
de  ses  frères  en  prison  et  tue  bientôt  le  quatrième  ;  le  premier  il  prend 
le  titre  de  roi,  mais  meurt  presque  aussitôt  (106).  Sa  veuve  Alexandra, 
femme  d'un  rare  mérite,  tire  de  prison  et  épouse  un  de  ses  beaux- 
frères,  Alexandre  Ier  (Jannée,  Jonathan)  ;  Jannée  se  débarrasse  de  ses 


ASMONÉENS  —  ASSASSINS  641 

deux  frères  survivants.  Le  Ion-  règne  d'Alexandre  Jannée  (106-79)  est 
marqué  par  de  Longues  guerres  étrangères  et  des  troubles  civils  termi- 
nés  par  le  massacre  des  pharisiens.  Il  meurt  laissant  la  tiare  à  son  lils 
aîné  Hyrean  II  et  le  troue  à  sa  femme,  de  qui  il  le  tenait;  celle-ci  se 
réconcilie  avec  les  pharisiens  et  meurt  entourée  de  la  faveur  populaire 
qu'avait  abandonné  ses  prédécesseurs  (70).  Ici  commence  la  décadence. 
Hyrean  II  (70)  est  dépossédé,  au  bout  de  trois  mois  de  règne,  par  son 
frère  Àristobule  II  (70-63),  entame  la  lutte  avec  lui  sur  les  conseils  de 
son  ministre  Antipater  (père  dTiérode  le  Grand).  Pompée,  maitre  de 
la  Syrie,  invoqué  tour  à  tour  par  Aristobule  et  Hyrean,  cite  les  compé- 
titeurs à  sa  barre,  s'empare  de  Jérusalem  contre  Aristobule,  retenu  à 
résipiscence  (63),  et  rétablit  Hyrean  sous  le  titre  modeste  d'ethnarque, 
qu'il  -arda  jusqu'en  40,  en  môme  temps  qu'il  reprenait  le  pontilicat. 
Alexandre  II,  lils  d 'Aristobule  II,  et  ce  dernier,  à  son  tour,  délivré  de 
prison,  reparaissent  à  la  tête  d'un  parti  de  l'indépendance;  ils  péris- 
sent la  même  année  (49).  Antipater  (f  43),  déjà  revêtu  par  Pompée  du 
titre  iï'erJ-pz-zç  (procurateur),  en  reçoit  la  confirmation  par  César,  en 
attendant  que  son  fils  Hérode,  tétrarque  en  l'an  41,  ne  prenne,  avec  le 
titre  de  roi,  le  dernier  reste  d'autorité  conservé  par  la  famille  asmo- 
néenne.  Cependant,  Antigone  II,  frère  du  prétendant  Alexandre  II, 
avait  repris  pour  un  moment  la  dignité  royale  à  Jérusalem  (40-37)  à  la 
faveur  des  troubles.  Après  la  prise  de  cette  ville  par  Hérode  et  son  exé- 
cution (37),  il  ne  restait  plus  de  la  famille  asmonéenne  que  le  vieil 
Hyrean  et  deux  enfants  d'Alexandre  II,  Mariamne  et  Antigone  III.  Le 
premier  fut  exécuté  en  Tan  31  sous  un  vain  prétexte  ;  le  bel  et  aimable 
Antigone,  héritier  du  pontifical,  fut  noyé  dans  un  bain  (34)  ;  quant  à 
Mariamne,  femme  d'Hérode,  elle  fut  mise  à  mort  en  l'an  28,  et  les  deux 
fils  que  ce  roi  avait  eus  d'elle  subirent  plus  tard  le  même  sort.  La 
véritable  histoire  de  la  dynastie  asmonéenne  finit  avec  l'intervention 
de  Pompée.  Maueice  Vernes. 

ASSASSINS,  redoutables  sectaires  établis  en  Syrie,  mais  dont  les  chefs 
suprêmes  résidaient  à  Alamout,  forteresse  du  Koûhistàn,  province  de 
Perse,  au  Sud  de  la  Caspienne.  Egalement  hostilesaux  mulsumansetaux 
chrétiens,  bien  qu'ils  s'alliassent  souvent  avec  les  uns  ou  les  autres  quand 
ils  y  voyaient  leur  avantage,  les  assassins  avaient  pour  but  de  s'emparer 
de  tous  les  pays  ou  régnait  l'islamisme  et  d'y  répandre  leur  croyances. 
Pour  m1  débarasser  de  leurs  ennemis,  ils  avaient  recours  au  meurtre; 
ils  louaient  même,  au  besoin,  lebrasdeleurs  sicaires,  appelés  Fidâwîs,  en 
arabe,  Fidâyîs,  en  persan,  c'est-à-dire  «dévoués»  aux  princes  qui  con- 
sentaienl  à  le«  employer.  Delà  vientquelemot  assassin,  altération  du  nom 
Haschischin,  qu'on  leur  donnait  en  Syrie,  a  passé  en  français  avec  lesens 
de  meurtrier.  Les  historiens  occidentaux  des  croisades  parlent  souvent 
df  ces  asssassins,  qu'ils  nomment  Assassmi,  Assissini,  fleissàsini,  Haus- 
saci,  et  de  leurs  terribles  chefs  auxquels  ils  donnent  le  titre  de  Vieux- 
de  la  Montagne,  expression  aujourd'hui  consacrée.  Le  véritable  titre  de 
ces  chefs  était  Scheïkh-al-Djabal,  c'est-à-dire  Seigneur  de  in  Montagne, 
—  L'origine  et  les  doctrines  'le  ces  sectaires  sonl  aujourd'hui  bien  con- 
nues grâce  aux  travaux  deDeSacv, Quatremère,Von  Hammer,  Purgstall, 


642  ASSASSINS 

Jourdain,  Rousseau,  Ch.  Dcfrémery,  De  Goeje,  E.Salisbury;  l'auteur  de 
cette  notice  a  lui-même  publié  le  texte  arabe,  avec  une  traduction  et  des 
notes,  de  fragments  de  leurs  écrits  {Fragments  relatifs  «  la  doctrine  des 
Ismaélis,  Paris,  1874,  in  4).  Nous  allons,  d'après  ces  recherches  et  ces  do- 
cuments, indiquer  les  points  principaux  de  l'histoire  politique  être  ligieu- 
se  de  cette  institution.  Son  fondateur,  Abdallah-ben-Meïmoûn,  médecin 
oculiste  de  profession,  et  versé  dans  tous  les  systèmes  philosophiques, 
vivait  au  neuvième  siècle  de  notre  ère.  Persan  d'origine,  il  était  resté 
attaché  aux  anciennes  croyances  des  Mages,  et,  si  l'on  ajoute  foi  aux  au- 
teurs musulmans,  il  rêvait,  en  fondant  une  secte  nouvelle,  de  soumettre 
aux  Persans  l'empire  des  Arabes.  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  opinion, 
qui  a  été  acceptée  par  d'éminents  orientalistes,  il  n'est  pas  douteux  qu'il 
cherchait  à  répandre  son  système  philosophico-religieux,  et,  en  même 
temps,  à  devenir  le  chef  politique  d'un  parti,  deux  choses  que  les  nova- 
teurs musulmans  n'ont  jamais  séparées.  On  l'a  accusé  de  vouloir  sim- 
plement propager  l'athéisme  et  le  libertinage  :  c'est  là  une  idée  insoute- 
nable, qu'ont  accréditée  ses  adversaires  acharnés,  les  orthodoxes,  mais  qui 
n'aurait  pas  dû  séduire,  comme  elle  l'a  fait,  SilvestredeSacy,  l'illustre 
auteur  de  Y  Exposé  de  la  religion  des  Druzes.  En  réalité,  Abdallah-ben- 
Mesmoûn  était  un  philosophe  qui  enseignait  que  l'univers  est  produit  par 
cinq  principes  universels  et  éternels,  émanant  les  uns  des  autres,  dont  les 
trois  premiers  sont  :1a  Raison  universelle,  X  Ame  universelle  et  la  Matière 
première.  Quant  aux  deux  autres,  nous  avions  cru  devoir  les  identifier 
avec  le  Temps  et  Y  Espace:  mais  nous  avons  reconnu  depuis  que  ce  sont 
plutôt  le  Plein,  c'est-à-dire  l'étendue  occupée  par  de  la  matière,  et  le  Vide 
ou  étendue  sans  matière,  termes  qui,  originairement,  représentaient, 
pensons-nous,  le  Pleroma  et  le  Kenoma  des  gnostiques.  Les  cinq  prin- 
cipes éternels  émanent  aux-mêmes  d'un  être  ineffable,  incompréhensi- 
ble, inaccessible  à  la  raison  humaine,  qui  n'est  autre  que  le  vrai  Dieu. 
L'univers  est  le  produit  de  cette  émanation  ;  un  jour  il  rentrera  par  ré- 
sorption dans  le  sein  de  Dieu,  et  toutes  choses  seront  finies.  C'est  là  ce 
que  les  Ismaéliens  appellent  la  Grande  Résurrection.  Tous  les  mouve- 
ments de  l'univers  sont  dus  à  l'émanation  et  à  la  tendance,  inverse  de 
l'émanation,  qu'ont  les  êtres  émanés  à  remonter  vers  leur  principe  pour 
devenir  aussi  parfaits  que  lui.  La  terre  est  un  microcosme  :  l'homme, 
doué  d'une  particule  de  l'Ame  universelle,  cherche  à  devenir  une  rai- 
son parfaite  et  universelle  :  tel  est  le  but  où  tendent  plus  ou  moins 
obscurément  ses  efforts.  Tant  qu'il  n'y  aura  pas  réussi,  son  âme 
reviendra  sur  terre  et  s'incarnera  dans  un  corps  approprié  à  son  de- 
gré de  perfection.  Mais  l'homme,  abandonné  à  lui-même,  s'agiterait 
perpétuellement  sans  pouvoir  se  délivrer  des  liens  de  la  -nature.  Il 
lui  faut  l'assistance  de  la  Raison  universelle  et  de  l'Ame  universelle. 
Celles-ci  viennent  donc  s'incarner  parmi  les  hommes  sous  forme  de 
prophètes,  de  pontifes  et  de  philosophes.  Depuis  le  commencement 
du  monde,  il  y  a  eu  sept  périodes  caractérisées  chacune  par  la  venue 
d'un  prophète,  suivi  de  sept  vicaires  destinés  à  diriger  les  fidèles  pen- 
dant chaque  période.  Chaque  prophète  prêche  une  religion  de  plus 
en  plus  parfaite.  Adam  a  été  le  premier  prophète.  Après  lui  sont  venus 


ASSASSINS  GÏZ 

successivement  Noé,  Abraham,  Moïse,  Jésus  et  Mahomet,  apportant 
chacun  une  religion  supérieure  à  celle  de  son  devancier  et  l'abrogeant. 
Âi)dallah-ben-Meïmoûn  se  donne  comme  le  premier  vicaire  du  septième 
et  dernier  prophète,  le  plus  parfait  de  tous.  C'est  en  son  nom  qu'il 
prêche  :  c'est  pour  établir  ses  prérogatives  qu'il  envoie  de  tous  côtés 
des  missionnaires,  ou  Dâ'is.  Et  ce  prophète  quel  est-il?  le  fils  de  cet 
Esmaël  autour  duquel  se  sont  déjà  groupés,  comme  on  Ta  vu  plus  haut, 
de  nombreux  partisans,  Mohammed-ben-lsmaël.  Ainsi,  tandis  que  les 
schiites  ismaéliens  s'en  tiennent  à  Ismaël,  leur  dernier  imam,  Abdallah- 
ben-Meïmoûn,  le  réformateur,  annonce  qu'Ismaël  est  simplement  le 
septième  vicaire  de  Mahomet,  sixième  prophète,  mais  qu'il  doit  céder 
la  place  à  son  iils  Mohammed,  qui  vient  abroger  la  loi  musulmane  et  y 
substituer  la  religion  définitive.  Dans  ce  système  habile,  toutes  les  reli- 
gions se  trouvent  englobées  ;  avec  un  peu  d'adresse,  les  missionnaires 
d'Abdallah  prouveront  aux  philosophes  que  toute  leur  philosophie  est 
contenue  dans  la  religion  nouvelle,  aux  juifs,  aux  chrétiens  et  aux  mu- 
sulmans que  leurs  fois  respectives  ne  représentent  que  des  étapes  des 
siècles  passés  vers  une  croyance  plus  sublime  qui  doit  régner  un  jour  sur 
Le  monde  entier.  La  Bible,  l'Evangile  et  le  Koran  contenaient  déjà  la  foi 
nouvelle,  mais  exposée  en  termes  incompréhensibles  pour  leur  époque. 
Abdallah  et  ses  missionnaires  se  chargent  d'interpréter  ces  livres  sacrés, 
«  l  de  montrer  qu'ils  s'appliquent  à  la  doctrine  ismaélienne.  Toutefois, 
il  fallait  de  grandes  précautions  pour  ne  pas  attirer  l'attention  des  auto- 
rités constituées.  L'initiation  fut  donc  divisée  en  sept  degrés,  que  plus 
tard  on  porta  à  neuf.  Dans  le  premier  degré,  le  missionnaire  éveillait  la 
curiosité  de  celui  qu'il  voulait  convertir  en  lui  proposant  une  foule  de 
questions  ambiguës.  Si  le  futur  prosélyte  en  demandait  avec  instance  la 
solution,  le  missionnaire  lui  faisait  prêter  serment  de  ne  rien  révéler  de 
ce  qu'il  allait  lui  apprendre  ;  puis  il  lui  disait,  et  c'était  le  second  degré, 
que  la  vérité  ne  peut  lui  être  communiquée  que  par  un  imam  ou  pon- 
tife, envers  lequel  il  faut  s'engager  par  un  pacte  et  auquel  il  faut  payer 
une  redevance.  Dans  le  troisième  degré,  on  établissait,  qu'il  y  a  eu  depuis 
Mahomet  sept  imâms,  tous  de  la  famille  d'Ali,  dont  le  dernier  est  Ismaël. 
L''  quatrième  degré  était  consacré  à  la  révélation  des  sept  périodes  du 
monde.  C'est  alors  qu'on  insinuait  que  Mahomet  n'est  qu'un  précur- 
seur du  septième  prophète,  Mohammed,  fils  d'Ismaél,  lequel  a  pour  mis- 
sion d'abroger  l'islamisme  et  toutes  les  croyances  antérieures.  A  par- 
tir de  ce  degré, le  prosélyte  cessait  d'appartenir  à  sa  religion  primitive. 
Dans  le  cinquième  degré,  on  lui  montrait  que  les  livres  sacrés,  la  Bible, 
PEvanguN  et  le  Koran,  ont  un  sens  apparent,  le  seul  compris  du  vulgaire, 
et  un  sens  caché,  que  connaissent  seuls  les  imâms  des  Ismaéliens  ;  que, 
d'ailleurs,  tout  ici-bas  à  un  sens  apparent  et  un  sens  secret;  que,  par 
<  temple,  les  sept  périodes,  les  sept  prophètes,  les  sept  vicaires  ou  imâms, 
ont  pour  emblèmes  et  pour  correspondants  les  sept  sphères  célestes,  les 

sept  planètes,  les   sept  Ouvertures  du   visage,  etc.   etc.   Dans  le  sixième 

degré,  ou  expliquait  le  sens  caché  des  livres  saints. et  l'on  exposait  leurs 
rapports  avec  les  systèmes  des  philosophes,  Pythagore,  Socrate,  Platon, 

Aristote,  etc.  Les  trois  derniers  degrés,  enfin,  étaient  réservés  pour  les 


644  ASSASSINS 

révélations  dernières  :  l'existence  d'un  Dieu  inaccessible  à  la  raison  et 
de  ses  cinq  hypostases,  le  but  réel  de  l'initiation  et  son  organisa- 
tion, etc.  Bien  entendu,  c'étaient  seulement  les  hommes  supérieurs  qui 
parvenaient  jusqu'au  degré  final.  La  masse  des  initiés  ne  dépassait 
pas  les  deux  premiers  degrés.  Tout  ce  qu'ils  savaient,  c'est  qu'ils 
devaient  obéissance  aveugle  à  un  chef  inconnu,  et  qu'en  récompense 
de  leur  soumission,  ils  auraient  les  joies  d'un  paradis,  dont  la  descrip- 
tion ne  le  cède  en  rien  à  celle  du  paradis  de  Mahomet.  Des  livres  spé- 
ciaux étaient  composés  à  l'usage  de  ces  initiés  des  classes  inférieures. 
Ils  ne  contiennent  que  des  préceptes  de  momie,  empruntés  fréquem- 
ment à  l'Evangile  (on  en  trouvera  des  spécimens  dans  nos  Fragments).  — 
Tels  sont,  esquissés  à  grands  traits,  la  doctrine  et  le  système  d'initiation 
d'Abdallah-ben-Meïmoûn.  Celui-ci,  qui  avait  commencé  à  prêcher  en 
Susiane,  se  vit  bientôt  persécuté,  et  dut  s'enfuir  d'abord  à  Basrah 
sur  le  bas  Euphrate,  puis  à  Salamiyah,  en  Syrie.  Il  mourut  dans  cette 
ville,  et  l'un  de  ses  fils,  Ahmed,  lui  succéda  comme  chef  de  la  secte. 
Ahmed  envoya  dans  l'Iraq  arabe,  ou  basse  Mésopotamie,  un  de  ses 
missionnaires,  appelé  Roçém-Ahwâzî ,  c'est-à-dire  natif  de  Susiane. 
Hoçeïn  y  fit  rencontre,  vers  l'année  887,  d'un  certain  Hamdàn,  sur- 
nommé Karmatk,  en  raison  d'une  défectuosité  qu'il  avait  à  la  hanche 
et  qui  le  forçait  à  faire  de  petits  pas  en  marchant.  Karmath  adopta  la 
religion  nouvelle  avec  enthousiasme  et  forma  le  parti  des  karmatkes, 
ainsi  nommés  d'après  leur  fondateur.  Les  karmathes  se  répandirent 
dans  l'Iraq  arabe,  la  Syrie  et  la  Perse  méridionale,  et  fondèrent  dans  le 
Bahreïn,  sur  la  côte  orientale  de  l'Arabie,  un  puissant  empire  qui,  pen- 
dant près  de  deux  siècles,  fit  trembler  les  khalifes  de  Baghdàd,  l'Ara- 
bie et  l'Egypte.  Mais  des  destinées  plus  brillantes  encore  attendaient  la 
doctrine  Ismaélienne.  Abdallah-ben-Meïmoûn  avait  quatre  fils,  Moham- 
med, Ahmed,  Aboû  Schala'la'  ou  Schalaghlagh  et  Hoçeïn.  Ce  dernier 
mourut  avant  son  père  Abdallah,  laissant  un  enfant  du  nom  de  Sa'id, 
lequel,  après  la  mort  de  ses  oncles  Mohammed,  Ahmed  et  Aboû  Scha- 
la'la', devint  chef  suprême  de  la  secte.  Sa'id  se  donna  alors  pour  un  des- 
cendant du  septième  prophète  ismaélien  (Mohammed,  fils  d'ismael),  et 
après  avoir  changé  son  nom  en  celui  d'Gbeïdallah  et  avoir  pris  le  titre 
de  Mehdî,  c'est-à-dire  de  Messie  attendu  à  la  fin  des  siècles,  il  passa  en 
Afrique,  où  l'un  de  ses  missionnaires  lui  avait  préparé  les  voies,  et  y 
fonda  la  grande  dynastie  des  Fàthimites  (ce  mot  signifie  descendants  de 
Fathimah,  femme  d'Ali  et  fille  de  Mahomet),  laquelle  compta  quatorze 
princes,  dontonze  khalifes,  et  dura  jusqu'à  la  fin  du  douzième  siècle,  épo- 
que où  Noûr  addin  et  le  fameux  Salàh  ad-din,  plus  connu  sous  le  nom  de 
Saladin,  s'emparèrent  de  l'Egypte  et  la  purgèrent  des  Ismaéliens.  C'est 
le  troisième  successeur  d'Obeïdallah,  le  prince  Mo'izz  lidinillàh,  qui  lit 
la  conquête  de  l'Egypte  et  fonda  le  Kaire,  sa  capitale  et  celle  de  tous 
ses  successeurs.  Moizz  se  déclara  khalife.  Après  lui  régna  Aziz,  dont  le 
fils  et  successeur  Hàkim,  séduit  par  un  imposteur  du  nom  de  Hamza 
ad-Durzî,  consentit  à  se  laisser  adorer  comme  un  Dieu.  Hamza  intro- 
duisit de  profondes  modifications  dans  la  doctrine  des  Ismaéliens  et  en 
fit  la  religion  druze,  dont  les  derniers  adeptes  subsistent  encore  aujour- 


ASSASSINS  G45 

d'hui  dans  le  Liban.  11  parait  cependant  qu'après  Hàkira,  la  religion 

druze  ne  continua  pas  d'être  professée  par  ses  successeurs;  car  nous 
voyons  que  sous  Mostansir,  cinquième  khalife  Fàthimite  (1036-1094), 

c'était  toujours  la  doctrine  Ismaélienne  qu'on  enseignait  et  pour 
laquelle  on  répandait  des  missionnaires  dans  toute  l'Asie.  La  preuve 
en  est  que  le  fondateur  de  la  puissance  des  Ismaéliens  assassins,  Haçan 
ben  Sabbàh,  fut  converti  à  la  religion  ismaélienne,  en  Perse,  par  des 
missionnaires  envoyés  du  Kaire,  et  qui  prêchaient  au  nom  du  khalife 
Mostansir.  Haçan-ben-Sabbàh  était  natif  de  la  ville  de  Tous,  dans  le 
Khoràçân,  province  orientale  de  la  Perse.  Les  historiens  persans  nous 
ont  conservé  de  lui  le  récit  de  sa  conversion  à  la  doctrine  ismaélienne 
et  de  ses  aventures  extraordinaires,  avant  qu'il  réussît  à  se  rendre  maître 
du  château  d'Àlamoût  (voyez  principalement  Y  Essai  sur  l'histoire  des 
Ismaéliens  ou  Batiniens  de  la  Perse,  plus  connus  sous  le  non)  d'Assasins, 
•par  M.  Defrémery,  extrait  n°  13  du  Journal  asiatique  de  1856,  p.  63  et 
suiv.).  Converti  à  Rey  par  un  missionnaire  du  nom  d'Ëmireh  Zarràb, 
il  prêta  le  serment  de  fidélité  envers  l'imam  des  Ismaéliens,  alors  le 
khalife  Mostansir,  entre  les  mains  d'un  certain  Moulmin.  En  1071-72, 
le  supérieur  de  la  mission  de  l'Ivûq,  étant  venu  à  Rey,  prit  en  affec- 
tion Hacan-ben-Sabbàh,  lui  conféra  la  distinction  de  suppléant  et  lui 
conseilla  d'aller  en  Egypte  auprès  de  Mostansir.  Après  de  nombreux 
voyages  à  Ispahan,  dans  l'Azerbaïdjàn  et  en  Syrie,  Haçan-ben-Sabbàh 
se  rendit  au  Kaire  en  1078-1079,  où  il  séjourna  un  an  et  fut  très-bien 
traité,  par  les  ordres  du  khalife.  Mostansir  avait  d'abord  désigné  pour 
son  successeur  au  trône  d'Egypte,  son  fils  aine  Nizàr.  Les  intrigues  de 
*on  généralissime  le  tirent  revenir  sur  sa  décision  et  choisir  comme 
héritier  présomptif  le  second  de  ses  fils  Mosta'li,  beau-fils  du  généra- 
lissime. Et  comme  Haçan-ben-Sabbàh  s'était  déclaré  en  faveur  de 
Nizàr,  le  généralissime  en  prit  ombrage  et  exigea  du  khalife  qu'il  ren- 
voyât Hacan  ;  ce  qui  fut  fait.  On  l'embarqua  sur  un  navire  en  partance 
pour  le  Maghreb  ;  mais  une  tempête  jeta  le  vaisseau  sur  les  côtes  de 
Syrie.  Haçan-ben-Sabbàh  gagna  la  ville  d'Alep,  et,  de  là,  retourna  en 
Perse  ;  il  parvint  à  Ispahan  dans  Tannée  1081  et  parcourut  ensuite  plu- 
sieurs villes  de  Perse,  prêchant  sur  son  passage  la  doctrine  ismaélienne. 
Dévoré  d'ambition,  et  bien  résolu  à  asseoir  en  Perse  les  bases  d'une 
puissance  militaire,  il  jeta  son  dévolu  sur  le  château  d'Alamoût,  situé 
dans  les  montagnes  qui  bordent  le  rivage  méridional  de  la  Caspienne; 
ayant  réussi  à  se. faire  des  prosélytes  dans  cette  forteresse,  il  y  fut  in- 
troduit par  eux  le  i  septembre  1090  et  en  chassa  le  gouverneur,  qu'il 
dédommagea  par  une  somme  de  trois  mille  pièces  d'or.  Depuis,  Haçan- 
ben-Sabbàh  vit  son  pouvoir  s'accroître  rapidement,  il  construisit  de 
nouveaux  forts  autour  d'Alamoût  et  fut  bientôt  en  état  de  résister  vic- 
torieusement au  prince  seldjoukide  Melik-Schàh,  son  suzerain.  C'est 
alors  qu'il  créa  le  corps  des  fidàwîs,  ou  sicaires,  dont  le  poignard  le 
débarrassait  de  tons  ceux  qui  gênaient  ses  projets.  Ces  fidàwîs,  d'une 
audace  à  toute  épreuve,  n'hésitaient  pas  à  sacrifier  leur  vie,  comme 
leur  nom  l'indique,  pour  exécuter  Les  ordres  de  leur  chef.  Et  par  quels 
moyens  obtenait-on  d'eux   un   dévouement   aussi   absolu,    un   mépris 


<S46  ASSASSINS 

aussi  complet  de  leur  existence?  On  les  enivrait  de  haschisch  et  on  leur 
faisait  croire  que  les  félicités  qu'ils  avaient  éprouvées   pendant  leur 
ivresse  étaient  celles  qui  les  attendaient  dans  le  paradis  des  Ismaéliens 
s'ils  succombaient  pour  la  cause  de  leur  secte.  De  là  le  nom  de  haschU 
schîn  ou  buveurs  de  haschisch,  que  leur  donnait  la  voix  du  peuple,  en 
Syrie,  et  qui  nous  a  été  transmis  aussi  bien  par  les  auteurs  orientaux 
que  par  les  historiens  occidentaux  :    par  ces  derniers,  sous  la  forme 
d' assassine  ou  sous  Tune  des  formes  énumérées  plus  haut.  Ou  bien,  à 
en  croire  le  célèbre  voyageur  Marc  Paul,  les  grands  maîtres  de  Tordre 
avaient  fait  disposer  autour  de  leur  palais  des  jardins   délicieux.   Là, 
dans  des  pavillons  magnifiquement  décorés  et  pourvus  de  tout  ce  que  le 
luxe  asiatique  peut  fournir,  de  jeunes  beautés  auraient  attendu  les 
fidâivîs.    De  temps  à  autre,  les  grands  maîtres  y  auraient  fait  trans- 
porter les  jeunes  gens  qu'ils  voulaient   enrôler  dans  le  corps   des  fidâ- 
wis,  après  les  avoir  endormis  au  moyen  d'un  breuvage  soporifique.  A 
leur  réveil,  ils  se  croyaient  dans  le  paradis,  et  quand  ils  avaient  joui 
pendant  quelque  temps  de  ce  séjour  enchanteur,  on  les  endormait  de 
nouveau  pour  les  en  retirer.  Dès  lors,  ils  étaient  prêts  à  tout  pour  con- 
quérir une  place  éternelle  dans  ce  lieu  de  délices  dont  ils  n'avaient  eu 
qu'un  avant-goût.  Qu'on  adopte  la  première  explication  ou  la  seconde, 
il  n'en  reste  pas  moins  acquis  ce  fait  que  c'est  à  l'usage  du  haschisch 
que  les  Ismaéliens  doivent  leur  nom  d'assassins.  —  Haçan-ben-Sabbâh 
s'était  donné  le  titre  modeste  de  Scheïkh-al-Djabal,  ou  Seigneur  de  la 
montagne.  Le  mot  scheïkh,  qui  signifie  en   arabe  seigneur  et  vieillard, 
comme  le  bas-latin  senioi*,  fut  mal  interprété,  dans  le  titre  susdit,  par 
les  Occidentaux,  et  ils  tournèrent  Scheïhh-al-Djabal  par    Vetulus  de 
Monte,  Senex  de  Montanis,  d'où  l'expression  consacrée  de  Vieux  de  la 
Montagne.  Sept  seigneurs  de  la  Montagne  succédèrent  à  Haçan-ben- 
Sabbâh.   Ce  furent  Bozozgumûd,   Mohammed  Ier,  Haçan  II,  Moham- 
med II,  Haçan  III,  Mohammed  III,  et  enfin  Rokn-ad-clin-Goûrschàh, 
sous  le  règne  duquel,  en  1256,  Houlagou  et  ses  Mongols  envahirent  la 
Perse,  exterminèrent  les  Ismaéliens  et  rasèrent  les  forteresses  de  la 
secte.  Non  content  d'asseoir  sa  puissance  en  Perse,  Haçan-ben-Sabbâh 
avait  envoyé  des  émissaires  en  Syrie  pour  tenter  de  ce  côté  la  fortune. 
Son  neveu,  Abou'1-Fath,  nommé  par  lui  chef  de  la  mission  de  Syrie, 
s'établit  à  Sermin,  à  une  journée  au  sud  d'Alep.  C'est  lui  qui,  secondé 
par  son  lieutenant  Aboû-Tàhir,  le  Botherus  d'Albert  d'Aix,  et  favorisé 
parRidhwân,  prince  d'Alep,  jeta  les  bases  de  la  puissance  des  assassins 
dans  cette  contrée.  Pendant  vingt  ans  environ,  de  1107  à   1128,   les 
assassins  luttèrent  tantôt  contre  les  croisés  et  tantôt  contre  les  musul- 
mans pour  s'assurer  la  possession  de  quelques  places  fortes.  Après  des 
alternatives  de  revers  et  de  succès,  ils  se  rendirent  maîtres  de  Panéas, 
dont  ils  firent  d'abord  leur  quartier  général,  que  douze  ans  plus  tard 
ils  transférèrent  à  Masyât,  forteresse  encore  aujourd'hui  debout,  située 
à  douze  lieues  à  l'ouest  de  Hamah,  sur  un  rocher  isolé.  Parmi  les  autres 
châteaux  qu'ils  possédaient,on  distingua  Kahf ,  Maïnakah,Qadamoûs,  Oleï- 
kah,  Khawàbî.  Jusque  vers  1148,  les  assassins  étaient  restés  soumis  aux 
ordres  des  grands  maîtres  de  Perse  ;  mais  à  cette  époque,  nous  voyons 


ASSASSINS  G47 

s'élever  parmi  eux  le  fameux  Raschîd-ad-din-Sinân,   qui  se  donnait 
pour  mie  incarnation  de  la  divinité,  comme  le  prouve  un  écrit  de  lui 
(conservé  dans  les  Fragments  relatifs  à  la  doctrine  des  Ismaéliens),  et  qui, 
faut-il  en  conclure,  détacha  les  assassins   de  Syrie  de  ceux  de  Perse. 
Nous  possédons  un  petit  ouvrage  arabe  composé  en  1323,  par  un  cer- 
tain   Aboû-Firâs,   dans   Lequel  sont  énumérés  et  racontés  en  détail 
les  nombreux  miracles  qu'avait    opérés  Sinân.   Il  mourut  en  1192. 
Environ  un  siècle  après,  en  1273-127't,   les   dernières  forteresses  des 
assassins  tombaient  entre  les  mains  du  sultan  mamloûk  d'Egypte  Bei- 
bars  Ier.  Vingt  ans  plus  tôt,  Houlagou  avait  anéanti  les  Ismaéliens  de 
Perse,   et,  en    1171,   Saladin   mettait  lin  au  khalifat  des  Fàthimites 
d'Egypte.  A  partir  de  la  lin  du  treizième  siècle,  les  assassins  disparaissent 
donc  de  la  scène  de  l'histoire,  et  il  n'en  subsiste  plus  aujourd'hui  que 
quelques  restes  dispersés  en  Syrie,  en  Perse,  dans  l'Inde,  en  Arabie  et 
jusqu'à  Zanzibar.  En  1810,  Rousseau,  consul  général  de  France  à  Alep, 
a  envoyé  aux  Annales  des  voyages  un  article  sur  les  Ismaéliens  de  son 
temps.  Ils  occupaient  encore  les  forteresses  de  Masyât  et  de  Qadamoûs 
(on  prononce  aujourd'hui  Qalamoûs).  Rousseau  dit  aussi  avoir  appris 
en  Perse  que  la  secte  des  Ismaéliens  y  est  assez  répandue,  et  qu'elle  a 
conservé  un  grand   pontife  appelé  Schâh-Khaliloullàh,   dont  l'oncle, 
Mirza-Abou'l-kasem  «  joua  un  grand  rôle  sous  le  règne  des  Zendes  ». 
Schàh-Khaliloullâh  se  prétendait  issu   d'Ismael,   celui-là  même  qui  a 
donné  son  nom  aux  Ismaéliens  ;   il  résidait  à  Khekh,  petit  village  du 
district  de  Qomm  (à  mi-chemin  entre  Téhéran  et  Ispahan).  Rousseau 
assure  qu'il  se  trouve  des  Ismaéliens  jusque  dans  l'Inde,  qui  viennent 
en  pèlerinage  des  bords  de  l'Indus  et  du   Gange  pour  recevoir  à  Khekh 
les  bénédictions  de  leur  imâm.    Ces  curieux  détails  ont  été  confirmés 
par  le  procès  des  Khojas,  qui,  en  1850,  a  eu  un  si  grand  retentissement 
dans  l'Inde  et  en   Europe.  La  haute  Cour  de  Bombay   décida  que  le 
personnage  nommé  Aga-Khàn-Mehelâti,  résidant  à  Bombay,  était  bien, 
comme  il  le  disait,  le  descendant  du  Vieux  de  la  Montagne  d'Alamoût, 
que  la  communauté  de  Khojas,  dont  il  existe  des  membres  à  Bombay, 
à  Kutch,  à  Kattiavar,  à  Mascate,  était  réellement  une  communauté  d'Is- 
maéliens, et  qu'en  conséquence  la  communauté  devait  payer  à  celui 
qu'elle  reconnaissait  pour  chef  spirituel,  Aga-Khân-Mehelâti,  le  tribut 
annuel  qu'il  réclamait  d'elle,  et  qui  se  monte,   pour  Bombay  seule- 
ment, à  la  somme  annuelle   de   250,000  francs.   Les  recherches   aux- 
quelles se  livrèrent  alors  les  juges,  principalement  sir  Joseph  Arnould, 
établirent  que  la  généalogie  d'Aga-Khân,   parfaitement  authentique, 
remonte  jusqu'à  Haçan  II,  grand  maître  d'Alamoût,   qui   passait  pour 
un  petit-fils  du  khalife  fàthimite  Mostansir,  et  par  suite  pour  un  descen- 
dant d'Ismael.  Le  père   d'Aga-Khân    était  ce  Schâh-Khaliloullàh   dont 
parle  Rousseau,  etle  père  de  celui,  Abou'l-Haçan,  frère  sans  doute  de 
L'Abou'l-Kasem  de  Rousseau,  était  gouverneur  du  Kirmàn,   eu    Perse, 
sous  les  lois  Zendes  (1750-1786).   Schâh-Khaliloullàh  fut  assassiné  à 
STezd,  en  1817,  dans  un    mouvement   populaire,  et   le   roi   de   Perse, 
Feth-Ali-Schàh,  redoutant  la  vengeance  de  ses  sectateurs,  de  funeste 
mémoire,  conféra  au   jeune   Aga-Khân-Mehelâti  le  gouvernement   du 


648  ASSASSINS  —  ASSEMANI 

district  de  Qomm,  résidence  habituelle  de  Khaliloullàh,  et  lui  donna 
une  de  ses  filles  eu  mariage.  Plus  tard,  Aga-Khân  vint  se  fixer  à  Bom- 
bay, où  il  vit  tranquillement  aujourd'hui  sous  la  protection  des  Anglais. 

Stanislas  Guyard 
ASSEMANI  (Joseph-Simon)  [1687-1768],  savant  orientaliste,  originaire 
d'une  famille  chrétienne  de  Syrie,  fit  ses  études  à  Rome,  et  enrichit  la 
bibliothèque  du  Vatican  d'un  grand  nombre  d'ouvrages  précieux.  Sur 
Tordre  de  Clément  XI,  il  entreprit  deux  voyages  (1715-17  et  1734-38) 
en  Orient,  tant  pour  défendre  les  intérêts  des  maronites  du  Liban,  sans 
cesse  menacés  par  le  fanatisme  des  Turcs,  que  pour  recueillir  des  ma- 
nuscrits, des  médailles,  des  monnaies  et  autres  objets  pouvant  faciliter 
la  connaissance  de  l'ancien  Orient.  Il  visita  à  cet  effet  l'Egypte,  les  cou- 
vents de  la  Nitrie,  l'île  de  Chypre,  Damas,  Alep,  la  Mésopotamie  et  sur- 
tout les  divers  districts  de  la  Syrie,  et  en  rapporta  un  riche  butin  litté- 
raire et  archéologique.  Nommé  bibliothécaire  du  Vatican  en  1740, 
Assémani  publia  un  certain  nombre  d'ouvrages  dont  les  plus  importants 
sont:  1°  Bibliotheca  orientalis  Clementino-Vaticana  recensens  manu- 
scriptos  codices  syriacos,  a?'abicos,  persicos,  turcicos,  hebraïcos,  samari- 
tanos,  armenicos,  xthiopicos,  grxcos,  œgyplios,  ibe?icos  et  malabaricos, 
Rome,  1719-1728,  in-f°  (les  3  premiers  volumes  seuls  sont  de  notre  au- 
teur ;  ils  traitent  des  écrivains  orthodoxes,  monophy sites  et  nestoriens 
delà  Syrie  et  sont  une  des  sources  d'information  les  plus  riches  pour 
l'histoire  de  l'Eglise  d'Orient;  les  extraits  qu'en  a  donné  Pfeiffer,  ErL, 
1776-77,  3  vol.,  n'ont  qu'une  valeur  secondaire);  2°  Sancti  Ephrem 
Syri  opéra  omnia  quae  exstantgrxce,  syriaceet  latine,  insextomos  distri- 
bua ad  manuscriptos  codices  Vaticanos  aliosque  castigata,  multis  aucta7 
nova  inierpretaiione,  prxfationibus,  notis,  variantibus  lectionibus  illus- 
trâtes Rome,  1732-34,  6  vol.  in-f°  (les  trois  premiers  volumes,  conte- 
nant les  ouvrages  grecs  d 'Ephrem,  sont  de  notre  auteur)  ;  3°  Scriptores 
historix  Italicx,  Rome,  1751-53,  4  vol.  in-4  (4  autres  volumes,  relatifs 
à  l'histoire  de  Naples,  de  la  Sicile  et  de  la  Lombardie,  étaient  prêts  en 
mss.  et  furent  dévorés  par  les  flammes  en  1758)  ;  4°  Kalendaria  ecclesix, 
universx,  Rome,  1755, 6  vol.  in-4  (ils  traitent  de  l'histoire  de  tous  les  saints 
du  calendrier  de  la  Slavicaecclesias.  Graeco-Moscha  ;  six  autres  volumes 
concernant  les  saints  grecs,  syriaques,  arméniens,  égyptiens,  latins  ont 
été  également  brûlés)  ;  5°  Bibliotheca  juris  orientalis  canonici  et  civilis, 
Rome,  1762-64,  4  vol.,  in-4;  6°  Bibliothecx  apostolicx  Vaticanx  co- 
dicum  manuscriptorumcatalogus,  Rome,  1756-59,  3  vol.  in-f°.  —  Joseph- 
Aloysius  Assémani,  son  frère  (1710-1782),  professeur  de  langues  orien- 
tales au  collège  de  la  Sapience  à  Rome,  est  l'auteur  d'un  Codex  liturgicus 
Ecclesix  universxin  quindecim  libros  distributus,  Rome,  1749-66, 12  vol. 
in-4°,  d'un  Commentarius  theo/ogico-canonico-cirticus  de  Ecclesiis,  earum 
reverentia  et  asylo,  atque  concordantia  sacerdocii  et  imperii,  Rome,  1766, 
in-f°,  ainsi  que  d'une  série  de  dissertations  de  Unione  et  communione 
ecclesiastica  et  decanonibuspœnitentialibus,  Rome,  1770,  in-4°.  — Etienne- 
Evode  Assémani,  neveu  des  deux  précédents  (1707-1782),  archevêque 
inpartibus  d'Apamée  en  Syrie  et  membre  de  la  Société  royale  britanni- 
que des  sciences  à  Londres,  a  laissé  une  Bibliothecx  Medicx,  Lauren- 


ASSEMANI  —  ASSEMBLEES  649 

tianse  et  Palatinx  codicum  Mss.  orientalium  catoloaus,  Florence,  1742, 
in-f°,  contenant  entre  antres  vingt-trois  grands  tableaux  de  sujets  em- 
pruntés à  l'histoire  évangélique  et  trouvés  dans  un  vieux  manuscrit 
syriaque,  ainsi  que  des  Acta  SS.  Martyrum  orientalium,  qui  in  Perside 
passisunt,et  occidentalium,  etc..  Home,  1748,  2  vol.  in-8.  11  termina  la 
publication  des  œuvres  de  Saint-Ephrem,  commencée  par  Joseph  Assé- 
mani.  —  Voyez  Angel.  Mai,  Scriptomm  veterum  nova  collectio  e  Vati- 
canis  Codd.  édita,  III,  P.  II,  p.  106  ss.  ;  Journal  des  Savants,  1736,  p. 
122;  1743,  p.  314;  1744,  p.  588,  594;  1745,  p.  50;  1750,  p.  67,  131; 
1751,  p.  707;  Herzog,  lîeal-Encykl,,  I  p.  560  ss. 

ASSEMBLÉES  du  clergé  de  France.  Le  but  de  ces  assemblées  était  : 
1°  de  voter  un  don  gratuit  pour  le  roi  dans  ses  pressants  besoins  d'ar- 
gent ;  2°  de  régler  les  conflits  et  différends  qui  s'élevaient  au   sein 
même  de  l'Eglise;  3°  de  combattre  avec  persévérance  l'hérésie.  Il  y 
avait  une  assemblée  générale  tous  les  cinq  ans,  autorisée  et  souvent 
convoquée  par  le  roi  lui-même.  Les  députés  qui  devaient  en  faire  par- 
tie, étaient  choisis  et  désignés  à  l'avance  dans  des  assemblées  provin- 
ciales. Mais  dans  l'intervalle  des  cinq  années,  avaient  lieu,  tantôt  des 
assemblées  ordinaires,  simples  réunions  de  membres  divers  du  clergé, 
et  tantôt  des  assemblées  extraordinaires,  soit  que  le  roi,  pendant  la 
guerre,  eût  besoin  de  demander  à  l'Eglise  un  don  gratuit  immédiat, 
soit  qu'il  fût  devenu  nécessaire,  comme  en  1682,  de  formuler  rapide- 
ment, dans  une  célèbre  déclaration,  les  doctrines  gallicanes.  Les  pre- 
miers procès-verbaux  d'assemblées  du  clergé  dont  nous  ayons  connais- 
sance, sont  ceux  de  la  chambre  ecclésiastique  aux  Etats  d'Orléans  en 
1560,  et  en  1561,  ceux  de  l' Assemblée  de  Poissy,  bien  connue  par  les 
noms  de  Théodore  de  Bèze  et  du  cardinal  de  Lorraine,  c'est-à-dire  par 
le  célèbre  colloque  entre  les  calvinistes  et  les  catholiques.  C'est  vers 
1645  que  les  attaques  deviennent  violentes  contre  les  huguenots  dans 
les  assemblées  du  clergé  ;  et,  en  1690,  on  a  fait  tant  de  remontrances 
au  roi,  on  a  déployé  tant  de  zèle  contre  les  hérétiques,  qu'on  lit  ces 
lignes  dans  le  procès-verbal  de  la  réunion  tenue  cette  année-là  :  «  Il 
n'y  fut  pas  question   d' affaires   de  religion,   n'y  ayant  plus  dans  le 
royaume    d'hérésie   à  combattre    ni    de    nouveauté  à  confondre.  » 
Les    jansénistes    aussi    avaient   été   réduits   à  signer  le    formulaire 
du  pape.  Le  siècle  qui  commence,  le  dix-huitième,  est  plus  libéral, 
bien   que  l'Assemblée    de    1700,   la    première,   semble  tenir    à    se 
signaler   par  des   condamnations  exceptionnelles.    Par  les   soins  de 
Bossuet  la  censure  de  127  propositions  de  doctrine  et  de  morale  est 
publiée,  et  le  probabilisme  flétri,  comme  source  de  la  morale  corrom- 
pue.  Mai-  ces  rigueurs  sont  presque  les  dernières,  les  nouveaux  adver- 
saires de  l'Eglise  dans  cette  période,  l'athéisme,  les  philosophes  et  le 
Parlement  même  qui  refuse  d'entendre  au  sens  orthodoxe  la  bulle 
l'iinjenitus  (voir  ce  mot)  ne  peuvent  être  facilement  atteints.  Un  im- 
mense progrès  s'est  accompli  des  débuts  du  siècle  aux  dernières  an- 
nées. C'est  eu  ces  termes  très-nouveaux  qu'en  1775  on  recommence  à 
se  plaindre  des  réformes  :  «  L'Assemblée  ne  sollicite  pas  de  châtiments 
»  personnels.  Les  religionnaires  seront  toujours  nos  semblables,  nos 
i.  42 


650  ASSEMBLÉES  —  ASSOCIATIONS 

frères,  et  même  nos  enfants  dans  l'ordre  spirituel.  »  On  sent  que  la 
Révolution  approche.  L'Assemblée  de  1788  est  la  dernière.  Louis  XVI 
Ta  convoquée  pour  obtenir  un  don  gratuit  qui  le  dispense  de  réunir 
les  Etats-généraux.  Mais  le  clergé  les  réclame  avec  toute  la  nation.  Le 
don  gratuit  que  vote  cette  dernière  assemblée  est  presque  dérisoire  : 
1,800,000  livres  !  —  Yoy.  Recueil  des  actes,  titres  et  mémoires,  concer- 
nant les  affaires  du  clergé  de  France,  12  vol.,  Paris,  1721  ;  Collection 
des  procès-verbaux  des  assemblées  générales  du  clergé  de  France,  depuis 
1560,  Paris,  Desprez,  1767-1778,  9  vol.  in-4  ;  Précis  historique  de 
toutes  les  délibérations  contenues  dans  les  proces-verbaux  des  assemblées 
générales  du  clergé  de  Finance,  1  vol.  Paris,  1769.  Jules  Asboux. 
ASSEMBLÉES  du  désert.  Voyez  Désert. 

ASSER,  rabbin  célèbre  de  Babylone  (353-427),  qui  présida  l'acadé- 
mie de  Sora  et  compta  un  grand  nombre  de  disciples.  Il  est  l'auteur 
du  Talmud  de  Babylone (voy.  ce  mot),  qui  a  été  imprimé  à  Amsterdam 
en  1744,  avec  commentaires,  en  12  vol.  in-fol. 
ASSIDÉENS,  secte  juive.  Vovez  Chasidim. 

ASSOCIATIONS  CATHOLIQUES.  «  Elles  sont  nées,  dit  M.  Keller,  dans 
un  discours  d'ouverture  prononcé  à  Paris,  le  18  avril  1876,  à  l'assem- 
blée générale  des  comités  catholiques  de  France,  au  milieu  des  mal- 
heurs de  la  patrie,  et  il  vaudrait  mieux  dire  des  malheurs  de  la 
patrie.  A  ce  moment,  il  y  a  eu  comme  une  sève  de  printemps  qui  a 
ranimé  les  œuvres  anciennes  et  qui  en  a  fait  naître  partout  de  nouvel- 
les. »  Il  faut  dire  plus  simplement  :  l'association,  c'est  le  nouveau 
moyen  que  le  clergé  a  trouvé,  après  une  guerre  funeste,  pour  conserver 
et  augmenter,  s'il  est  possible,  son  influence  Sur  les  populations  catho- 
liques. Aux  confréries,  aux  œuvres  qui  existaient  auparavant,  viennent 
s'ajouter,  à  partir  de  ce  moment-là,  un  grand  nombre  de  sociétés 
toutes  nouvelles.  Le  caractère  spécial  de  ces  associations,  ce  qui  les 
distingue  de  celles  qui  sont  plus  anciennes,  c'est  une  obéissance  aveu- 
gle et  un  dévouement  complet  an  Saint-Siège.  «  Dieu  soit  béni  !  disait 
en  l'église  Saint-Roch,  le  21  mai  1876,  le  R.  P.  Delaporte,  nos  comités 
ne  sont  ni  libéraux,  ni  catholico-libéraux,  ni  catholiques  et  libéraux, 
ni  vieux-catholiques  :  ils  sont  catholiques  !  Le  sobriquet  d'ultramon- 
tains  ne  les  effraye  pas.  L'Encyclique  et  le  Syllabus  sont  leur  boussole.  » 
Pie  IX,  de  son  côté,  encourageant  les  associations  de  sa  vive  sympathie 
et  de  ses  indulgences,  elles  se  sont  multipliées  à  l'étranger  comme  en 
France.  En  Italie,  l'importante  Societa  delli  interessi  cattolici  qui  a  le 
neveu  de  Mgr  Chigi,  ancien  nonce  apostolique  à  Paris,  pour  président, 
et  la  Voce  délia  Verita  pour  organe,  étend  sa  surveillance  à  trente  co- 
mités paroissiaux  dans  la  seule  ville  de  Rome.  Le  9  octobre  1876, 
le  congrès  de  toutes  les  associations  d'Italie  avait  lieu  à  Bologne 
avec  l'approbation  du  pape,  qui  se  félicitait  dans  un  bref  de  ce  qu'on 
avait  su  s'organiser,  former  des  comités  régionaux,  complétés  par  les 
diocésains  et  les  paroissiaux,  et  de  plus,  préparer  un  congrès  général, 
lorsque  deux  manifestations  hostiles  des  habitants  forcèrent  le  gouver- 
nement italien  à  dissoudre,  dès  le  second  jour,  l'assemblée  des  catholi- 
ques, afin  de  prévenir  des  désordres  qui  paraissaient  autrement  inévi- 


ASSOCIATIONS  651 

tables.  En  Espagne,  en  Autriche,  les  comités  sont  nombreux  et  les 
associations  florissantes.  A  Berlin,  les  Windthorst,  les  Halst,  avec 
leurs  collègues  de  l'opposition  ultramontaine  du  Reichstag,  sont  les 
directeurs  ou  les  membres  influents  de  .pareilles  sociétés.  En  Angle- 
terre, les  comités  formés  sous  le  patronage  du  duc  de  Norfolk,  ont 
paru  plus  impatients  encore  que  ceux  des  autres  pays  de  s'affirmer  et 
d'agir.  Préoccupés  du  sort  des  10,000  ecclésiastiques  qui,  ayant  refusé 
d'accepter  les  nouvelles  lois  prussiennes,  dites  lois  Falck,  se  trouvaient 
privés  de  leur  traitement,  c'est-à-dire,  pour  le  plus  grand  nombre,  de 
ouïe  ressource,  ils  ont  tenu  à  affirmer  la  solidarité  qui  existe  entre  les 
catholiques  des  différents  pays,  en  ouvrant  à  Londres,  en  janvier  1876, 
une  importante  souscription  en  faveur  des  ecclésiastiques  allemands 
persécutés.  En  France,  depuis  cinq  ans,  le  nombre  des  associations 
s'est  considérablement  accru.  On  les  trouve  aujourd'hui  sur  tous  les 
points  du  territoire,  aussi  bien  dans  les  campagnes  que  dans  les  villes. 
Chaque  année,  au  mois  d'avril  ou  de  mai,  une  assemblée  générale  réu- 
nit à  Paris  les  délégués  de  tous  les  comités  de  province.  Le  cardinal- 
archevêque,  Mgr  Guibert,  a  la  présidence  d'honneur,  et,  après  lui,  les 
évêques  qui  veulent  bien  assister  aux  séances;  mais  l'association  est 
œuvre  laïque  et  c'est  toujours  un  laïque  qui  occupe  le  fauteuil  comme 
président,  habituellement  M.  Chesnelong,  sénateur.  Neuf  commis- 
sions, «  établies  à  l'imitation  des  neuf  chœurs  angéliques  et  voulant 
travailler  comme  eux  à  la  gloire  de  Dieu»,  préparent  les  rapports,  exer- 
cent leur  surveillance  sur  l'ensemble  des  œuvres  catholiques  dans  le 
pays,  et  répondent  de  la  mise  à  exécution  des  vœux,  des  projets 
soumis  à  l'assemblée  et  adoptés  par  elle.  —  I.  Au  premier  rang,  repré- 
sentant le  chœur  des  séraphins,  il  faut  placer  l'ensemble  des  Œuvres 
de  prières.  L'œuvre  du  Vœu  National  a  pour  but  «  de  ramener  au 
Sacré-Cœur  de  Jésus,  dans  un  temple  digne  de  sa  majesté,  la  France 
pénitente  et  vouée  à  son  amour.  »  Le  16  juin  1876,  le  cardinal-arche- 
vêque de  Paris  a  posé  la  première  pierre  de  l'église  consacrée  au 
Sacré-Cœur,  sur  la  Butte-Montmartre.  Une  chapelle  provisoire  s'y 
élève  dès  aujourd'hui,  les  fidèles  y  viennent  en  pèlerinage,  le  comité 
de  l'Œuvre  a  déjà  recueilli  près  de  trois  millions,  et  à  la  date  du 
7  novembre  1876,  d'après  Y  Univers,  soixante-dix-sept  diocèses  en 
France  étant  déjà  voués  au  Sacré-Cœur,  huit  autres  attendant 
L'autorisation  du  pape,  il  n'en  restait  que  cinq  à  gagner  encore 
en  les  associant  à  cette  œuvre.  Ce  n'est  pas  tout.  Le  comité  du 
Vœu  National  s'est  efforcé  de  grouper  autour  de  lui  les  œuvres 
diverses  consacrées  au  Cœur  de  Jésus  dans  une  pensée  d'expia- 
tion et  de  réparation,  telles  que  la  Garde  d'honneur,  la  Communion 
réparatrice,  VHeure  sainte,  l'Apostolat  de  la  prière  qui  nous  assurait, 
dit  le  il.  P.  Rey,  «  le  concours  d'une  prière  incessante  etd'un  dévoue- 
ment sans  bornes»;  les  Touristes  du  Sacré-Cœur  qui  vont  donner  le 
bon  exemple  dans  les  églises  de  village  les  jours  d'adoration  solen- 
oelle;  V Association  réparatrice  des  blasphèmes  et  des  profanations  du 
dimanche,  formée  depuis  le  jour  où  la  Vierge  dit  aux  bergers  de  La 
Salette  :  «  Voici  ce  qui  appesantit  tant  le  bras  de  mon  fils  :  le  blas- 


652  ASSOCIATIONS 

phème,  la  profanation  de  son  jour.  »  L'appel  que  l'Association  de 
Montmartre,  dite  du  Sacré-Cœur,  adressa  à  ces  sociétés  a  été  entendu. 
Plusieurs  ont  consenti  à  l'union  proposée,  au  grand  profit  de  l'œuvre 
du  Vœu  national  qui  pourrait  encaisser  chaque  année,  dit  son  rappor- 
teur, 1,500,000  francs,  si  tous  les  diocèses  de  France  consentaient, 
comme  elle  le  propose,  à  faire  avec  elle  un  pareil  engagement.  A 
l'œuvre  du  Saint-Sacrement  se  rattaciient  de  la  môme  manière  plu- 
sieurs associations  :  Y  Adoration  perpétuelle  qui  possède  actuellement 
en  France  soixante-trois  diocèses,  vingt-quatre  en  étant  encore  privés  ; 
F Adoration  nocturne  encore  peu  répandue,  mais  qu'on  peut  organiser 
chez  soi,  en  faisant  successivement  tous  les  mois  dans  son  domicile 
une  heure  d'adoration,  de  huit  heures  du  soir  à  huit  heures  du  matin; 
Y  Union  de  prières  dont  le  Comité  invite  tous  les  membres,  après  avoir 
assisté  chaque  jour  à  la  messe,  à  réciter  avant  de  quitter  l'église,  une 
même  prière,  imprimée,  distribuée,  renouvelée  chaque  mois,  qu'on 
tire  à  Paris  à  25,000  exemplaires;  et  l'œuvre  des  Pèlerinages  Eucharis- 
tiques. Il  s'agit  pour  les  catholiques  qui  font  partie  de  cette  société, 
«  d'aller  en  foule  visiter  les  sanctuaires  si  nombreux  où  se  manifesta, 
à  diverses  époques,  la  puissance  divine,  dans  le  Très-Saint-Sacrement 
de  l'autel.  »  Il  faut  éviter  de  confondre  avec  cette  dernière  classe  d'as- 
sociations les  autres  Pèlerinages  que  M.  le  vicomte  de  Damas,  qui  a 
reçu  du  pape  «  l'ordre  de  marcher  »,  mène  à  travers  la  France,  à 
Lourdes,  à  la  Salette,  et  aux  différents  lieux  où  l'on  croit  que  se  sont 
accomplis  des  miracles.  — II.  Une  commission  présidée  par  M.  Keller, 
et  après  lui  par  le  général  baron  de  Charette,  vice-président,  s'occupe 
des  Œuvres  Pontificales,  c'est-à-dire  des  quêtes  pour  les  membres 
du  clergé  persécutés,  à  l'étranger,  et  surtout  du  Denier  de  saint  Pierre. 
On  s'efforce  de  dissimuler  les  résultats  qui  ne  sont  pas  satisfai- 
sants. Les  ultramontains  avaient  compté  sur  200  millions  de  francs 
par  année,  fournis  par  tous  les  catholiques  du  monde.  Mais  la  vérité, 
c'est  qu'on  a  de  la  peine  à  réunir  tous  les  cinq  ou  six  ans  une  moyenne 
de  cinquante  millions  dont  la  France  fournit  la  plus  grosse  part.  — 
III.  Sous  ce  titre,  Œuvres  en  général,  il  est  question  tour  à  tour,  des 
Conférences  publiques  et  des  moyens  à  employer  pour  en  répandre 
l'usage  au  sein  des  populations  catholiques  ;  des  œuvres  qui,  sous 
des  noms  différents,  ont  pour  but  commun  de  donner  à  la  faction 
cléricale  des  partisans  dans  l'armée,  l'œuvre  des  Militaires  blessés, 
l'œuvre  des  Bibliothèques  militaires,  l'œuvre  des  Vieux  papiers  (accu- 
mulés en  magasin,  puis  vendus,  et  l'argent  que  produit  la  vente  sert  à 
établir  des  salles  de  lectures  catholiques  pour  les  soldats),  et  surtout 
l'œuvre  de  la  Sanctification  du  dimanche.  «  Cette  dernière  association 
date  à  peine  de  deux  ans  »,  dit  M.  Louis  de  Cissey,  de  Lyon,  l'un  de 
ses  membres  les  plus  actifs.  Les  catholiques  qui  en  font  partie  sont 
divisés  par  dizaines  à  l'exemple  de  la  Propagation  de  la  foi.  Chaque 
dizaine  fournit  deux  sous  par  tête,  un  franc  par  an,  et  reçoit  en 
échange  les  annales  mensuelles  de  l'œuvre.  Malgré  tout,  on  est  réduit  à 
envier  les  pays  protestants  qui  observent  sans  effort  le  repos  du  sep- 
tième jour  et  à  constater  qu'on  n'obtient  pas  les  résultats  pratiques 


ASSOCIATIONS  653 

attendus;  niais  on  se  console  en  remarquant  avec  M.  de  Cissey,  qu'on 
s'est  assuré  2()2,U7i)  communions  mensuelles,  plus  de  750,000  chape- 
lets mensuels,  plus  de  70.000  heures  d'adoration  du  Saint-Sacrement 
mensuelles,  un  nombre  de  prières  tel  qu'il  doit  faire  violence  à  Dieu 
lui-même. — IV.En  matière  (V  enseignement,  tout  l'effort  du  catholicisme  se 
concentre  aujourd'hui  en  France  sur  la  formation  de  ces  groupes  d'éta- 
blissements consacrésà  renseignement  supérieur  qu'on  appelle  Univer- 
sités catholiques.  Ici  les  résultats  obtenus  sont  satisfaisants.  A  la  date 
du  27  octobre  1870,  les  souscriptions  en  faveur  de  l'Université  de 
Lille  atteignaient  le  chiffre  de  4,791,550  francs.  C'est  sans  doute  ce 
succès  inespéré  qui  a  appelé  l'attention  du  parti  ultramontaîn  sur  le 
diocèse  du  cardinal  archevêque  de  Cambrai,  et  l'a  décidé,  en  novembre 
1870,  à  inaugurer  dans  la  salle  des  cercles  ouvriers  de  Lille  une  sorte 
d'assemblée,  non  plus  générale  mais  régionale,  appelée,  dans  les  jour- 
naux du  parti,  Congrès  catholique  du  Nord.  Pour  le  reste ,  enseigne- 
ment de  la  théologie  offert  à  l'élite  des  laïques,  suivant  la  proposi- 
sition  de  Mgr  Isoard,  auditeur  de  Rote  à  Rome,  bourses  directement 
données  par  l'Etat  au  père  de  famille,  afin  qu'il  puisse,  s'il  le  veut, 
choisir  pour  sonlils  un  établissement  d'enseignement  secondaire  dirigé 
par  des  prêtres,  décentralisation,  c'est-à-dire  liberté  pour  l'institu- 
teur de  fonder  une  école,  de  choisir  sa  méthode  d'enseignement,  et 
même  d'exercer  les  fonctions  sans  avoir  passé  l'examen  d'usage,  s'il 
s'agit  d'écoles  primaires,  les  comités  n'en  sont  encore  qu'à  faire  des 
vœux,  sans  pouvoir  réaliser  ce  qu'ils  espèrent.  —  V.  La  Presse,  malgré 
les  nombreux  Comités  catholiques  qui  ont  pour  mission  soit  de  répandre 
les  feuilles  religieuses  et  les  journaux  politiques  du  parti,  soit  de  publier 
les  livres  approuvés  par  les  évêques,  soit  d'organiser  le  colportage  dans  les 
campagnes,  a  mieux  servi  les  sociétés  démocratiques,  que  les  associations 
ultramontaines.  31.  de  Biencourt  accuse  nettement  ses  coreligionnaires 
de  n'acheter  que  les  mauvais  journaux  et  d'être  les  premiers  à  railler 
la  bonne  presse  ou  à  lui  adresser  des  reproches  injustes.  Il  propose  de 
fonder  des  agences  télégraphiques  cléricales,  d'organiser  une  presse  ré- 
gionale, c'est-à-dire  d'envoyer  de  Paris  dans  chaque  région  un  jour- 
nal tout  fait,  avec  la  quatrième  page  en  blanc  pour  la  chronique  locale 
et  les  annonces.  Mais  rien  n'est  fait  encore,  ce  sont  là  de  simples  pro- 
jets. Quant  à  la  publication  des  livres,  trois  sociétés  catholiques,  la 
Société  bibliographique,  le  Comité  de  propagande  et  la  Société  des  publica- 
tions populaires,  ont  tenté  vainement  de  rivaliser  d'activité  et  d'in- 
fluence avec  la  presse  qu'elles  nomment  anti-religieuse,  et  d'op- 
poser,  sujet  après  sujet,  la  bonne  doctrine  à  la  mauvaise.  — 
VI.  Sous  ce  titre  un  peu  vague  :  Economie  sociale  catholique,  se  trou- 
vent désignées  celles  des  récentes  associations  sur  lesquelles  le  catholi- 
cisme contemporain  fonde  ses  meilleures  espérances:  les  Cercles  ouvriers 
et  Les  Corporations  ouvrières.  Leur  importance  est  telle  aux  yeux  des 
dltramontains  qu'ils  leur  ont  accordé  un  congrès  annuel,  à  côté  et  en 
dehors  de  L'assemblée  générale  des  Comités  catholiques.  La  première 
session  eut  lieu  a  Nevers  en  1871,  et  le  21  août  1870,  la  sixième  s'ou- 
vrait à  Bordeaux.  Les  premiers  c<-rrh-s  ouvriers  datent  de  1871.  Après  la 


654  ASSOCIATIONS 

Commune,  des  catholiques  ultramontains,  au  premier  rang  desquels  il 
faut  citer  MM.  de  Mun  et  de  Latour-du-Pin,  entreprirent  de  résoudre  le 
problème  social  en  réconciliant  les  patrons  et  les  ouvriers.  En  effet,  les 
industriels  ayant  abandonné  leur  mission  de  tutelle  morale,  il  faut  les 
rappeler  au  sentiment  de  leur  devoir  envers  l'ouvrier.  Mais  il  faut,  d'un 
autre  côté,  s'occuper  de  l'âme  de  cet  ouvrier,  et  lui  apprendre  le  res- 
pect de  la  hiérarchie  sociale.  Après  le  but,  les  moyens.  L'œuvre  fait 
appel  aux  patrons,  aux  industriels  de  bonne  volonté.  Elle  les  groupe 
en  comités  locaux  chargés  de  former  pour  toute  la  France  des  associa- 
tions ouvrières.  On  prétend  arracher  ainsi  l'ouvrier  à  un  isolement  qui 
lui  est  funeste,  beaucoup  mieux  que  ne  le  font  les  Trades Unions  de  l'An- 
gleterre ou  nos  Chambres  syndicales.  Le  travailleur  qui  veut  faire  partie 
d'un  Cercle,  reste  quelque  temps  candidat,  passant  par  une  épreuve 
de  plusieurs  mois  avant  d'être  nommé  membre.  Mais  l'épreuve  subie, 
le  sociétaire  dans  la  suite  est  facilement  retenu  et  attaché  à  l'association 

.  par  la  protection  du  Comité  qui  s'étend  sur  lui  et  sa  famille,  au  moyen 
de  dames  patronnesses,  par  les  pèlerinages  ou  voyages  gratuits  (les 
Cercles  de  Paris,  en  1876,  sont  allés  à  Rouen  prier  Notre-Dame  de  Bon- 
Secours),  par  les  banquets  qu'on  lui  offre,  et  même  par  des  repré- 
sentations théâtrales  qui  sont  données  dans  le  local  de  l'œuvre.  Aussi 
y  a-t-il  déjà  une  revue  des  œuvres  ouvrières,  Y  Association  catho- 
lique, qu'on  publie  à  Paris,  et  dix  Cercles  ouvriers,  présidés  par 
M.  Bailloud,  ancien  inspecteur  des  ponts  et  chaussées.  On  compte 
deux  cents  Cercles  en  province.  Ce  n'est  pas  assez  de  gagner  l'ouvrier 
et  de  l'habituer  au  respect  de  la  hiérarchie  sociale  en  lui  montrant 
quelle  est  pour  lui  la  sollicitude  vraiment  paternelle  du  patron.  On  a 
tenté  de  reconstituer,  par  la  foi,  la  famille  même  pour  refaire  une  so- 
ciété catholique.  C'est  le  but  d'une  autre  œuvre  ouvrière,  de  la  corpo- 
ration chrétienne  telle  que  Pie  IX  l'a  imaginée  dans  son  motupropriode 
1852,  et  que  M.  Harmel  l'a  réalisée  en  France  dans  son  usine  du  Val-des- 
Bois.  On  réunit  les  directeurs  de  chacun  des  Comités  catholiques  divers, 
déjà  établis  dans  la  localité  (un  prêtre  représente  chaque  association  de 
femmes) ,  en  un  Comité  corporatif.  Ce  Comité  s'occupe  avant  tout  des  inté- 
rêts de  la  corporation  en  général  et  de  chaque  association  en  particulier  ; 
il  fait,  de  plus,  participer  toutes  les  associations  renfermées  dans  son 
sein,  aux  mêmes  institutions  économiques,  en  procurant  à  ses  membres 
au  meilleur  marché  possible  les  choses  nécessaires  à  la  vie.  Dans  la 
pratique,  la  fondation  d'un  Cercle  ouvrier  précède  et  facilite  l'établis- 
sement de  la  corporation  chrétienne.  On  peut  faire  observer  que  le 
mot  «corporation  »  n'est  pas  exact  pour  désigner  une  association  d'ou- 
vriers, qui,  dans  la  même  localité,  ont  habituellement  des  métiers 
différents  ;  mais  il  faut  se  rappeler  que  les  premières  corporations  de 
ce  genre  ont  commencé  dans  des  usines  où  tous  les  ouvriers  avaient  le 
même  état  et  dépendaient  du  même  patron.  Agir  sur  l'ouvrier  des  villes 
ou  des  campagnes  de  manière  à  faire  de  lui  l'aveugle  et  dévoué  dé- 
fenseur du  Syllabus,  voilà  l'œuvre  aujourd'hui  que  poursuit  le  catho- 
licisme militant.   Plusieurs  de  ceux  qui    l'ont  commencée  ont  déjà 

acquis  une  certaine  notoriété.  Après  le  comte  Albert  de  Mun,  il  faut 


ASSOCIATIONS  —  ASSOMPTION  655 

«iter  le  R.  P.  Marquigny, de  Lyon,  el  le  H.  P.  Ludovic,  qui  a  eu  l'idée 
originale  de  dresser  la  liste  des  ouvriers  catholiques  d'Angers,  en  priant 
les  particuliers  de  n'apporter  leurs  commandes  qu'à  ceux-là  seuls,  et  de 
demander  au  Congrès  de  Bordeaux,  en  1876,  qu'il  fût  fait  partout  de 
pareilles  listes.  —  VII.  Pour  Y  Art  chrétien,  qu'on  voudrait  voir  renaître, 
el  qui  figure  à  son   rang  parmi  les  œuvres  du  catholicisme  contem- 
porain, on  n'a  rien  l'ait  absolument,  pas  une  école,  pas  une  association. 
Il  n'y  a  qu'un  comité  faisant  des  vœux:  et  cherchant  des  souscripteurs, 
sous  la  présidence  de  M.  le  barond 'Avril.  —  \  111.  Sous  le  titre  Législa- 
tion et  Contentieux,  ne  se  trouve  pas  désignée,  on  le  comprend  assez,  une 
association  ordinaire,  mais   une   société   de  jurisconsultes  destinée  à 
éclairer  sur  leurs  droits  les  prêtres,  les  moines,  les  religieuses  et  les 
évéques mêmes.  —  IX.  Enfin,  l'œuvre  récente  du  Pèlerinage  en  Terre- 
Sainte  et  des  chrétiens  $  Orient,  instituée   pour   contribuer  au    succès 
des  missions  et  veiller  aux  intérêts  du  catholicisme  à  l'étranger,  ter- 
mine la  série  de  ces  œuvres  générales,  qui  embrassent  rinfinie  variété 
des    associations   particulières.    Le    catholicisme,  en  effet,  a    besoin 
de  connaître    l'Orient   à    un    triple  point  de  vue  :    d'abord  pour   y 
propager  sa  doctrine  et  son  culte  par  la  diffusion  des  écoles  et  des 
orphelinats  ;  puis,  pour  prêter  un  concours  utile  aux  quelques  tribus 
qui  lui  sont     restées    attachées,   arméniens,   grecs    (unis  à    l'Eglise 
romaine),  chaldéens  et  maronites;  troisièmement,  pour  obtenir  la  con- 
version  des   Grecs   non  unis,  c'est-à-dire    des  hérétiques.    Une   asso- 
ciation de  prières  en  l'honneur  de  Marie  Immaculée,  pour  le  retour  de 
l'Eglise  gréco-russe  à  l'unité  catholique,  a  été  fondée  à  la  demande  du 
P.  Schouvalofï,  barnabite.  On  dit  dans  le  même  but  une  messe  par 
mois  à  Paray-le-Monial,  et  cent  cinquante-six  par  an  dans  la  seule  ville 
de  Bruxelles.  Toutes  ces  associations  ont  un  centre  commun  :  Rome  pour 
les  sociétés  catholiques  du  monde  entier,  et  Paris  pour  la"  France.  Sint 
iinum  a  dit  le  Pape,  et  c'est,  en  effet,  par  cette  union  qu'on  se  trouve 
fort.  Il  y  a  là,  à  le  bien  voir,  une  dangereuse  coalition  contre  la  société 
contemporaine  et  l'esprit  moderne,  une  véritable  Internationale  noire. 
Cependant  leurs  efforts  de  prosélytisme  et  leurs  succès  restent  secrets, 
grâce   à   l'inattention  de   leurs  adversaires    et    aux  précautions  qu'ils 
savent  prendre.  Le  mot  même  c  associations»  leur  a  paru  trop  moderne. 
Ils  aiment  mieux  imprimer  ou  même  dire  entre  eux  ((nos  comités».  — 
Voyez/,  Association  catholique ,  Revue;  Bulletin  de  l'œuvre  des  Cercles  ca- 
tholiques d'ouvriers  ;    Assemblées  générales  des   Comités  catholiques  de 
France,  Paris,  18724876;  ?  Univers,  1870-1876.        Jules  ahboux. 

ASSOMPTION  (àtvaXr^tç,  assumptio,  assumere,  enlever).  Ce  terme 
est,  de  préférence,  employé  dans  (es  légendes  et  les  actes  des  martyrs 
pour  désigner  le  jour  de  leur  mort.  Il  fut  appliqué  de  bonne  heure  à 
la  mort  de  la  Vierge  Marie,  concurremment  avec  les  mots  de  ho^yjœ'.ç, 
sommeil,  repos,  et  de  ii-y.--.y.z'.^  passage.  L'opinion  d'un  martyre  de 
la  Vierge,  fondée  sur  une  fausse  interprétation  de  Luc  11,  35,  était  en- 
core répandue  dans  l'Eglise  du  temps  d'Origène  (Homil.  17  in  Luc). 
Epiphane  #a?ro.,LXXVIII,  11.  cite  Apoc.XII,  13-16  pour  montrer  que 
l'on  peut  tout  aussi  bien  soutenir  queeda  femme  qui  avait  mis  au  monde 


656  ASSOMPTION 

un  fils  »  n'était  pas  réellement  morte.  Deux  écrits  apocryphes  du  com- 
mencement du  cinquième  siècle,  dont  l'un  est  attribué  à  l'apôtre  saint 
Jean(£[ç  tyjv  xoi^aw  ty;ç  ûiuepcryioç  SeoTrofvvjç),  et  l'autre  àMéliton,  évoque 
de  Sardes  (De  transita  Mariœ),  paraissent  avoir  surtout  contribué  à  popu- 
lariser la  légende  de  l'enlèvement   miraculeux  de  la  Vierge.   Denys 
l'Aréopagite  (Denomùi.  div.,  c.  3),  André  de  Crète  (èlç  tvjv  xo({xvjfftv)  et 
Grégoire  de  Tours  (De  gloria  martyr.,  \,  c.  4)  l'ont  accueillie  avec  de 
légères  variantes  et  en  ayant  soin  de  prévenir  qu'elle  n'était  pas  reçue 
par  toutes  les  Eglises.  En  voici  les  traits  principaux  :  A  la  nouvelle  de 
la  maladie  de  Marie,  les  apôtres  accourent  des  diverses  parties   du 
monde  et  veillent  autour  de  son  lit.  Jésus  s'approche  avec  ses  anges, 
prend  son  âme  et  la  remet  à  l'archange  Michel.  Le  lendemain,  lorsque 
les  apôtres  s'apprêtent  à  l'ensevelir,  le  Fils  apparaît  de  nouveau  et 
enlève  son  corps  dans  une  nuée  au  paradis  où  Fàme  s'unit  de  nouveau 
avec  lui.  André  de  Crète  compare  l'enlèvement  de  la  Vierge  à  celui 
d'Hénoch  et  d'Elie.  Plus  tard,  l'imagination  des  croyants  ajouta  à  la 
légende  des  traits  nouveaux.  Les  patriarches,  ayant  à  leur  tête  Adam 
et  Eve,  entourent  Marie  expirante  et  la  proclament  bienheureuse  d'avoir 
enlevé  la  malédiction  qui  pesait  sur  leur  race  ;  un  Juif  qui  touche  son  cer- 
cueil perd  les  deux  mains;  le  corps, avant  d'être  enlevé  au  ciel,  repose 
pendant  trois  jours  dans  la  tombe  sans  sentir  la  corruption.  Pourtant  les 
témoignages  ne  sont  rien  moins  qu'unanimes.  Notker  Babulus,  dans 
son  martyrologe,  n'ose  se  prononcer  pour  l'affirmative  ;  Adamnanus, 
au  septième  siècle,  dans  son  traité  De  locis  sanctis  (I,  13)  dit  que  l'on 
ne  sait  quand  et  par  qui  le  corps  de  la  Vierge  a  été  enlevé.  Au  neu- 
vième siècle  encore,  Usuard,  dans  le  martyrologe  d'Adam,  dit  que  le 
corps  de  la  Vierge  ne  se  trouvant  point  sur  la  terre,  l'Eglise,  qui  est 
sage  en  ses  jugements,  a  mieux  aimé  ignorer  avec  piété  ce  que  la  di- 
vine Providence  en  a  fait,  que  d'avancer  rien  d'apocryphe  ou  de  mal 
fondé  sur  ce  sujet.  Parmi  les  ornements  des  églises  de  Rome,  sous  le 
pape  Pascal,  qui  mourut  en  824,  il  est  fait  mention  de  deux  tableauxsur 
lesquels  était  représentée  Fassomption  delà  Vierge  en  son  corps.  L'E- 
glise grecque  célébrait  la  fête  de  l'Assomption  dès  le  septième  siècle, 
d'après  le  témoignage  d'André  de  Crète  et  celui  de  l'historien  Nice- 
phore  (Hist.  ecct.,  XVII,  28)  qui  rapporte  qu'elle  avait  été  instituée  par 
l'empereur  Maurice  (582-602)  et  fixée  au  15  août;  pourtant  elle  ne  fut 
étendue  à  tout  Fempire  que  par  une  loi  de  l'empereur  Manuel  Com- 
nène.  En  Occident,  la  date  parait  avoir  varié.  Tandis  que  le  Calenda- 
rium  Frontonù  (éd.  Fabricius,  p.  221)  mentionne  le  15  août  pour  la 
célébration  de  la  fête  dans  l'Eglise  de  Rome  au  huitième  siècle,  en 
France,  sous  la  première  race,  elle  avait  lieu  le  18  janvier;  les  capitu- 
laires  de  Charlemagne  (I,  c.  158),  les  canons  du  concile  de  Mayence  de 
813  (can.  36)  et  ceux  du  concile  d'Aix-la-Chapelle    de    818  assignent 
à  la  fête  de  l'Assomption  la  date  du  15  août.  Le  pape  Léon  IV  institua, 
en  847,  l'octave  de  l'Assomption,  ce  qui  l'élevait  au  rang  des  grandes 
fêtes  de  l'Eglise.  En  France,  elle  est  encore  devenue  plus  solennelle, 
depuis  que,  en  l'année  1638,  Louis  XÏII  choisit  ce  jour  pour  mettre  sa 
personn     et  son  royaume  sous  la  protection  de  la  Vierge,  vœu  qui  a 


ASSOMPTION  —  ASSYRIE  657 

été  renouvelé  en  £738  par  le  roi  Louis  XV.  Malgré  les  dogmes  récents 
qui  ont  davantage  encore  exalté  le  nom  de  la  Vierge  et  recommandé 
son  culte,  son  assomption  n'est  pas  considérée  comme  un  dogme  dans 
l'Eglise  romaine,  mais  seulement  comme  anepta  sententia,  et  la  distinc- 
tion est  maintenue  entre  Yascensio  de  Jésus-Christ,  monté  au  ciel  en 
vertu  de  sa  nature  divine,  et  Yassumptio  de  Marie,  enlevée  au  ciel  à 
•  anse  de  ses  mérites. — Voy.  Bergier,  Diction,  dethéot.,?.,  1808, 1,  p.,  197; 
Herzog,    Real-Fncyclop.,  IX,  p.  \)ï. 

ASSUÉRUS  ['Akhach  éroch,  'AroouYjpoç,  'Â7^poç],nom  commune 
plusieurs  rois  mèdes  et  perses  qut  sont  désignés  dans  l'Ancien  Testa- 
ment.—  1°  ïobieXIV,  15  nomme  Assuréus  comme  ayant  conquis Ninive 
de  concert  avec  Nabuchodonosor  (625  av.  J.-C),  ce  qui  ne  peut  s'appli- 
quer qu'à  Nabopolassar  et  à  Cyaxare  Ier.  —  2U  Daniel  IX,  1  parle  d'un 
Assuérus,  père  du  roi  de  Médie  Darius,  que  la  plupart  des  commentateurs 
supposent  devoir  être  identifié  avec  Astyage,  père  de  Cyaxare  II  (595-581 
av.  J.-C).  —  3°  Esdras  IV,  6  nomme  un  roi  de  Perse  Assuréus  qui  se 
montra  peu  favorable  aux  Juifs  retournés  en  Palestine  et,  sur  l'instiga- 
tion des  Samaritains,  ordonna  d'interrompre  la  reconstruction  du  tem- 
ple (VI,  13  ss.  cf.  Josèpbe,  Antiq.,  XI,  2,  1).  On  l'assimile  générale- 
ment à  Cambyse,  successeur  de  Cyrus  (529-522  av.  J.-C).  —  4°  Esther 
I.  1  ss.  raconte  un  épisode  du  règne  d' Assuérus,  prince  cruel,  capri- 
cieux, voluptueux,  dont  le  caractère  a  une  analogie  frappante  avec  ce 
que  Hérodote,  Strabon  et  d'autres  rapportent  de  Xerxès,  fils  de  Darius 
Hystaspe  (486-465  av.  J.-C).  Xo\ezEst/ier. 

ASSUR,  21'  iils  de  Sem,  originaire  du  pays  de  Sennaar,  se  rendit,  d'a- 
près Gen.  X,  11  ss.,  dans  l'Assyrie,  où  il  bâtit  Ninive,  Chalé  et  Rezen. 
Voyez  Assyrie. 

ASSYRIE.  I.  Histoire.  L'Assyrie,  'Achour  en  hébreu,  Axsoaren  assy- 
rien, Athourâ  dans  la  langue  des  anciens  Perses,  répondait  en  partie 
au  Kourdistan  actuel;  elle  couvrait,  sur  une  superficie  de  165,000  kil. 
carrés,  la  vallée  du  Tigre,  depuis  l'endroit  où  il  sort  des  montagnes 
jusqu'à  celui  où  il  rapproche  de  l'Euphrate;  au  sud,  elle  touchait  à  la 
Babylonie  dont  elle  n'était  séparée  par  aucune  frontière  naturelle.  Les 
inscriptions  cunéiformes  nous  fournissent,  pour  l'histoire  de  l'Assyrie, 
des  renseignements  d'une  richesse  incomparable.  Outre  les  grands  textes 
historiques,  sur  pierre  ou  sur  briques,  nous  possédons  des  listes  d'épo- 
iivmes  <|ui  nous  donnent,  année  par  année,  les  noms  des  grands  ma- 
gistrats, avec  L'indication  des  grands  événements,  guerres,  révoltes, 
calamités,  phénomènes  météorologiques,  qui  ont  marqué  leur  passage 
au  pouvoir;  c'est  à  l'aide  des  éclipses,  qui  portent  en  elles-mêmes 
leur  date,  qu'on  a  pu  établir  des  points  de  repaire  dans  la  chrono- 
logie assyrienne.  A  côté  de  ces  documents  originaux,  nous  avons  les 
ré<  its  des  auteurs  anciens,  Hérodote,  Bérose  el  Ctésias,  enfin  les  livres 
des  Rois  et  ceux  des  Chroniques  qui  nous  donnent  une  chronologie 
suivie  depuis  David  jusqu'à  la  captivité.  Mais  il  est  très-difficile  de 
mettre  d'accord  la  chronologie  juive  et  la  chronologie  assyrienne. 
M.  Oppertjdonl  nous  suivons  principalement  les  recherches  dans  cette 
étude,  adopte,  d'une  façon   générale,   la  chronologie  biblique,  et  il 


658  ASSYRIE 

suppose  que  les  listes  des  éponymes  font  à  un  certain  endroit  un  saut 
de  quarante-six  ans  dont  il  n'est  resté  aucune  trace  dans  les  textes; 
MM.  Smith  et  Schrader,  suivant  une  ancienne  hypothèse  de  M.  Raw- 
linson,  n'admettent  pas  cette  interruption  dans  les  canons  assyriens 
et  rajeunissent  d'un  nombre  d'années  à  peu  près  égal  les  dates  de  la 
chronologie  biblique.  Deux  éclipses  qui  ont  eu  lieu  à  quarante-six  ans 
d'intervalle  (809  et  763),  dans  les  mômes  conditions,  permettent  d'adop- 
ter indifféremment  l'une  ou  l'autre  de  ces  combinaisons.  L'histoire 
d'Assyrie  commence  tard,  et  ses  débuts  furent  humbles.  D'après  la 
Genèse  (X,  11),  les  Assyriens  se  sont  greffés  sur  l'ancienne  population 
couschite  de  Babylone  que  personnifie  Nemrod.  Assour  sortit  du  pays 
de  Sennaar  et  bâtit  Ninive,  Rehobot-Ir,  Kalah  et  Resen  entre  Ninive 
et  Kalah;  et  le  récit  biblique  ajoute  :  «  C'est  là  la  grande  ville  », 
passage  obscur  que  l'on  a  appliqué  tantôt  à  l'une  de  ces  quatre  villes, 
tantôt  à  leur  ensemble  :  Kalah  était  à  46  kilomètres  de  Ninive  ; 
Resen  était  entre  elles  deux,  et  Rehobot-Ir  n'était  peut-être  que  le 
«  faubourg  »  de  Ninive.  Ces  quatre  villes  ont  formé  le  noyau  de  la 
puissance  assyrienne.  Les  auteurs  anciens  nous  présentent  les  choses 
d'une  manière,  en  apparence,  bien  différente  ;  mais  il  faut  les  en- 
tendre. D'après  Ctésias,  le  fondateur  de  la  monarchie  assyrienne  fut 
Ninus,  qui  vivait  environ  2110  ans.  av.  J.-C.  Il  avait  pour  épouse  la 
reine  Sémiramis,  célèbre  par  ses  débauches  autant  que  par  les  cons- 
tructions immenses  et  les  palais  suspendus  dont  elle  couvrit  toute 
l'Assyrie  et  surtout  Babylone,  sa  capitale.  De  leur  union  naquit  un  fils, 
JNinyas,  prince  efféminé  qui  fut  lui-même  suivi  par  33  rois  fainéants  ; 
le  dernier,  Sardanapale,  se  brûla  pour  ne  pas  tomber  aux  mains 
d'Arbaces  le  Mède  et  de  Bélésys,  gouverneur  de  Babylone  (788). 
€e  règne  illustre  sur  lequel  tous  les  auteurs  anciens  abondent  en  détails, 
tandis  que  les  siècles  suivants  sont  plongés  dans  l'obscurité  la  plus 
profonde,  n'a  aucun  caractère  historique.  Il  est  même  possible  que 
Sémiramis  (Samourramal)  ne  soit  qu'une  déesse  ;  elle  forme  avec 
Ninus,  l'éponyme  de  Ninive,  et  son  fils  Ninyas  une  triade  divine 
semblable  à  toutes  celles  qui  forment  le  fond  des  religions  de  l'Asie 
occidentale.  Les  Assyriens  aimaient  à  mettre  des  généalogies  divines 
en  tête  des  listes  de  leurs  rois,  et  les  Grecs  auront  pris  pour  un  règne 
réel  ce  mythe  que  l'orgueil  national  avait  entouré  de  légendes  glo- 
rieuses ;  c'est  M.  Lenormant  qui  a  mis  ce  point  important  en  lumière. 
Hérodote  et  Bérose  placent  également  Sémiramis  au  début  de  l'histoire 
d'Assyrie,  mais  leurs  récits  ont,  dans  leur  ensemble,  un  caractère  plus 
historique.  Suivant  eux,  le  royaume  d'Assyrie  posséda  la  suprématie 
pendant  un  espace  de  520  (526)  ans  qui  est  rempli  par  45  rois  ;  elle  la 
perdit  à  la  révolte  des  Mèdes  en  588.  La  puissance  assyrienne  ne  date 
donc  que  de  la  réunion  de  Babylone  à  l'Assyrie,  en  1314.  Nous  avons 
peu  de  chose  à  changer  à  ces  données  générales.  Les  plus  anciens 
textes  ne  remontent  pas  au-delà  de  l'an  2000.  A  cette  époque,  les 
princes  assyriens  s'appelaient  Patesi,  et  dépendaient  de  l'Egypte  et 
de  la  Chaldée;  les  noms  de  plusieurs  d'entre  eux  sont  arrivés  jusqu'à 
nous,  Ismi-Dayan^Samsi-Bin^ïc.  ;  vers  le  quinzième  siècle,  ils  s'affran- 


ASSYRIE  659 

classent  graduellement  et  prennent  le  titre  de  «  rois  »,  sar,  mais  la 
puissance  assyrienne  ne  fut  fondée  que  par  la  conquête  de  Babylone 
(1314  suivant  Bérose).  Cette  conquête  entraîna  les    princes  assyriens 
dans   une  série   de    luttes   sanglantes;    ils    habitaient    alors  la  ville 
d'Elassar  (Kalah-Shergat)  ;  on  a  retrouvé  aux  angles  des  fondations  de 
ses  murs  des  cylindres  en  brique  tous  identiques,  qui  racontent  les 
campagnes  du  plus  célèbre  d'entre  eux,  Tiglathpkalasar  1  (Touklat- 
Habal-azar),  contre  Elam,  l'Arménie  et  la  Syrie.  Tiglathphalasar  fit 
même  dresser  à  Tune  des  sources  du  Tigre  une  stèle  commémorative 
de  ses  exploits;    mais  la   fin   de  son   règne  et  les  règnes  suivants 
furent  marqués  par  de  grands  revers  ;  la  puissance  assyrienne  ne  cessa 
de  décroître  jusqu'à    l'avènement  d'une  nouvelle  dynastie,  vers  le 
milieu  du  onzième  siècle.  Les  premiers  princes  de  la  nouvelle  dynastie, 
Salmanasar  II,  Irib-Bin,  Assour-idin-Akhe,  Assow*-Dan  III,  travail- 
lèrent à  réparer  les  désastres  de  leurs  prédécesseurs.  Enfin,  un   prince 
qu'on  appelle  Toukla t-  Adar  II  rentra  dans  la  voie  des  conquêtes.  Son 
fils  £fl>Y/^^a/e///(Assour-Nazir-Habal)  est  un  des  rois  les  plus  connus 
de  l'Assyrie.  Il  changea  l'ancienne  résidence  royale   d'Elasar  contre 
une  ville  située  plus  au  nord,  sur  le  Tigre,  Kalah,  aujourd'hui  Nim- 
roud,  que  ses  successeurs  ne  cessèrent  d'embellir  ;  il  y  bâtit  le  palais 
du   Nord-Ouest,  et  le  couvrit  d'inscriptions.  Néanmoins,  ses  efforts 
ne  portèrent  pas  surtout  vers  le  nord,  mais  du  côté   du   sud   et  de 
l'ouest,  vers  Babylone  et  la  Syrie.  A  partir  de  ce  moment,  l'objectif 
constant  des  rois  d'Assyrie  est  l'Egypte.  Sardanapale  franchit  ï'Eu- 
phrate,   s'empara   de   Karkemisch    et  s'avança  jusqu'à  la  Phénicie. 
Son  fils,  Salmanasar  III,  lui  succéda  en  905.  Son  règne  de  35  ans, 
rempli  par  des  guerres,  est  illustré  par  les  nombreuses  inscriptions 
qu'il  a  laissées  sur   les  murs   de  Nimroud.  Un  obélisque  noir  (au- 
jourd'hui au  British-Musaaum),  retrouvé  parmi  les  ruines  du  palais  du 
Centre,  retrace  ses  campagnes.  C'est  sous  son  règne  que  les  Assyriens 
se  rencontrèrent   pour  la  première  fois  avec  Israël.  Après  des  cam- 
pagnes sans  cesse  renouvelées  contre  Babylone  et  l'Arménie  il   marcha 
contre    la  Syrie,  battit  à   Karkar  une   armée  coalisée,   dirigée    par 
Benhadad,  dans  laquelle  figurent  10,000  hommes  envoyés   par  Achab  ; 
enfin,  dans   une  nouvelle   campagne  dirigée  contre  Hazaël  qui   avait 
remplacé  Benhadad,  il  s'empara  de   Damas.   Les  rois   de  Tyr  et  de 
Sidon,  ainsi  que  Jéhu  s'empressèrent  de  faire  leur  soumission.  L'éclat 
des  armes  de   Salmanasar  rejaillit  encore  sur  ses  successeurs  immé- 
diats, mais  l'époque  qui  suit  est  très-troublée.  C'est  dans  l'intervalle 
qui  sépare  le   dernier  des  rois  de  cette  époque  de  Tiglathphalasar, 
que  Ctésias  place  la  première  prise  de  Ninive   par  les  Mèdes  et  les 
Babyloniens  coalisés.  Bérose  ne  parle  pas  des  Mèdes,  mais,  suivant 
Eusèbe,   cet    historien   racontait    qu'un    roi   chaldéen,   Phoul,   avail 
occupé  le  trône  d'Assyrie;  la  Bible  le  connaît  égalemenl  <-t  <  rite   s<»n 
nom  a  plusieurs  ivjn-ises.  Les  auteurs  dont  nous  avons  cité  les  noms 
plus  haut  soutiennent  que   la  royauté  n'a  pas   subi   d'interruption, 
que  cette   prétendue   conquête  se  borne  aux   désordres   mentionnés 
sur    les  listes    d'éponymes  correspondantes,  et   ils   suppriment   toute 


660  ASSYRIE 

la  tradition  grecque  relative  à  ces  laits;  suivant  eux,  Phoul  ne  serait 
qu'une  forme  altérée  du  nom  de  Tiglathplialasar.  En  conséquence, 
ils  rajeunissent  de  40  ans  en  moyenne  les  dates  que  nous  avons  données 
pour  les  rois  d'Assyrie,  et  les  dates  correspondantes  des  rois  d'Israël. 
M.  Oppert  maintient  la  chronologie  traditionnelle  et  il  suppose  dans 
la  liste  des  éponymes   une  interruptiou  de  46  ans   dont  on  aurait 
volontairement   effacé  la  trace.    Seulement  il  est  obligé   d'admettre 
que  les  rois  Menahem   et  Azriah,   mentionnés  dans  les  inscriptions 
de  Tiglathplialasar,  ne  sont  pas  le  Menahem  et  l'Azariah  de  la  Bible 
qui,  d'après  ses  calculs,  régnaient  50  ans  plus  tôt,  mais  deux  autres 
princes  du  même  nom,  dont  les  Chroniques  ne  parlent  pas.  On  aura 
peut-être  quelque  peine  à  admettre  ce  dédoublement  apparent;  d'autre 
part,   si    l'on    suit  l'opinion   contraire,  on   sera  obligé  d'admettre 
qu'Azariah  était  presque  contemporain   de  son   grand-père    Achaz; 
en  tous  cas,  on  fera  bien  de  ne  pas  rejeter  la  chronologie  biblique 
avant  d'avoir  lu  les  savants  raisonnements  de  M.  Oppert;  nous  ajou- 
terons qu'il  ne  faut  pas  non  plus  accorder  une  valeur  exagérée,  ni 
pour  les  faits,  ni  même  pour  les  noms  bibliques,  aux  récits  officiels 
des  rois  d'Assyrie.  Les  principaux  passages  de  la  Bible  qui  ont  trait 
à  cette  période  sont  :  2  Rois  XIV-XVI;  2  Chron.  XXV-XXY1II;  Es.  VII, 
VIII  et  IX.  —  La  date  de  Tiglathplialasar  II  est  certaine  :  il  monta  sur  le 
trône  le  13  jyar  745.  Ce  fut  un  grand  conquérant.  Une  première  sé- 
rie de  campagnes  lui  assura  la  soumission  du  roi  de  Hamath,  d 'Azriah, 
roi  de  Juda  (suivant  M.  Oppert,  le  même  anti-roi   qu'Esaïe  désigne 
sous  le  nom  de  «  fils  de  Tabéel  »)  et  de  18  rois  parmi  lesquels  figurent 
Menahem  de  Samarie  (suivant  M.  Opp°rt,  Menahem  II),  et  Ketsin,  roi 
deDama.^.  Tranquille  de  ce  côté,  il  porta  ses  armes  vers  l'Asie  centrale, 
pénétra  plus   loin  qu'aucun  de  ses  prédécesseurs;  puis,  après  cette 
conquête  brillante  mais  éphémère,  revint  s'entremettre  entre  Pekach, 
roi  d'Israël,  et  Retsin,  roi  de  Damas,  d'une  part,  et  Achaz,  roi  de  Juda, 
de  l'autre.  Pekach  s'enferma  dans  Samarie;  presque  toutes  ses  villes 
furent  prises  et  leurs  habitants  déportés.  Puis  Tiglathplialasar  se  tourna 
contre  Retsin,  l'écrasa,  et,  après  une  résistance  de  deux  ans,  prit  Da- 
mas ;  Retsin  fut  mis  à  mort  (732)  et  tous  les  rois  voisins,  et  entre  autres 
Achaz,  vinrent  remercier  leur  libérateur  et  lui  rendre  hommage  dans  la 
capitale  de  la  Syrie.  A  la  mort  de  Tiglathplialasar,  une  révolte  générale 
éclata.  Salmanasai*  F  accourut;  la  Phénicie  se  soumit;  Hosée,  roi  d'Is- 
raël, fit  de  même  (2  Rois  XVII,  3).  Mais  ce  dernier  s'étant  allié  par  la 
suite  à  Sabacon  (Shabak),   chef   de  la  dynastie   éthiopienne  qui   ré- 
gnait en  Egypte,  Salmanasar  le  manda  auprès  de  lui  et  le  jeta  en  pri- 
son ;   puis  il  mit  le   siège  devant  Samarie,  mais  il  mourut  avant  de 
l'avoir  prise,  tandis  qu'il  faisait  le  siège  de  Tyr  qui  avait  pris  parti 
pour  Israël.  Salmanasar  était  mort  sans  enfants;  l'un  des  grands  offi- 
ciers de  la  couronne,  Saryon  (Sarru-Kin),  lui  succéda.  Sargon  est  fon- 
dateur de  la  dernière  dynastie  assyrienne.  Les  murs  de  sa  résidence 
favorite,  Khorsabad,  sont  couverts  d'inscriptions  en  son  honneur.  Sans 
elles,  nous  saurions  à  peine  son  nom,   il  n'est  cité  qu'une  fois  en 
passant  dans  la  Bible  (Es.  XX,    1).  Après  une  première  campagne 


[ASSYRIE  061 

contre  les  Susiens  et  les  Chaldéens  réunis,  il  se  porta  de  sa  per- 
sonne au  camp  devant  Samarie,  la  ville  fut  prise  et  pillée,  et  toute  la 
population  emmenée  en  captivité  à  la  frontière  de  Médie;  les  Mèdes 
vaincus  furent  déportés  à  Samarie  et  un  gouverneur  assyrien  y  fut 
installé  (722  ou  721).  Pendant  dix  ans,  Sargon  lit  la  guerre  en  Médie, 
en  Arménie,  en  Asie-Mineure,  en  Phénicie,  il  délit  les  Egyptiens  à 
Raphia  au-dessous  de  Gaza,  prit  Asdod  en  712,  enfin  attaqua  Merodac- 
Baladan  et  prit  Babylone  (709).  Plus  tard  encore  Sargon  se  rendit  dans 
Tile  de  Chypre  et  y  érigea,  en  souvenir  de  sa  campagne,  une  stèle, 
aujourd'hui  au  musée  de  Berlin.  Il  mourut  après  une  expédition  en 
Médie,  sans  doute  de  mort  violente,  en  704.  Son  fils  Sennachérib 
(Sin-ahe-Irib ,  70Ï-680),  eut  à  faire  à  une  révolte  générale.  Il  déposa 
le  vieux  Mérodac-Baladan,  mit  à  sa  place  sur  le  trône  de  Babylone 
une  ombre  de  roi,  puis  marcha  contre  la  Syrie  et  la  Palestine,  en  700. 
D'après  son  propre  récit,  il  envahit  la  Palestine,  punit  Ezéchias  en 
enlevant  200,150  hommes  et  l'enferma  dans  Jérusalem  comme 
dans  une  cage.  Le  livre  des  Rois  (2  Rois  XVIII  et  XIX,  comp. 
Esaïe  XXXVI-XXXVlIl)et  celui  des  Chroniques  (2  Chron.  XXXII)  igno- 
rent ce  fait.  On  sent  pourtant  au  ton  du  récit  que  la  détresse  fut  grande 
à  Jérusalem.  Ezéchias  mit  en  pièces  les  portes  du  temple  pour  trouver 
les  800  talents  d'argent  et  les  30  talents  d'or  exigés  par  Sennachérib  ; 
celui-ci  prit  l'or,  mais  sans  renoncer  à  son  projet  de  détruire  Jucla, 
parce  qu'il  méditait  une  invasion  en  Egypte;  il  envoya  de  Lakis,  où 
était  son  quartier  général,  une  ambassade  orgueilleuse  à  Jérusalem  ; 
mais  lorsqu'elle  revint,  elle  ne  le  trouva  plus  ;  il  avait  levé  le  camp 
pour  aller  assiéger  Libna  et  se  disposait  à  marcher  contre  l'Egypte, 
quand  «  l'ange  de  l'Eternel  frappa  185,000  hommes  et  Sennachérib 
s*en  retourna  en  Assyrie;  »  suivant  Hérodote,  son  armée  fut  détruite 
dans  sa  marche  contre  le  Delta  par  une  armée  de  rats.  Ce  désastre  est 
passé  sous  silence  dans  les  textes  assyriens,  mais  il  n'y  a  pas  lieu  de 
douter  qu'il  ne  soit  authentique,  du  moins  quand  au  fond.  Sennachérib 
est  celui  de  tous  les  monarques  assyriens  qui  a  laissé  le  plus  de  monu- 
ments importants.  Il  embellit  surtout  Ninive,  sa  capitale.  Après 
vingt-quatre  ans  de  règne,  il  fut  tué  par  ses  lils  Adrammelech 
et  Sareser.  Un  autre  de  ses  fils,  Assarhaddon,  s'empara  du  trône 
(680-667).  Il  se  rendit  maître  de  Babylone,  y  emmena  prisonnier  le 
roi  de  Judée,  Mariasse,  détruisit  Sidon,  puis  reprit  la  marche  de 
ses  prédécesseurs  vers  le  Sud,  Il  pénétra  en  Arabie,  mais  les  déserts 
l'arrêtèrent  ;  alors  il  se  détourna  vers  l'Egypte,  renversa  l'Ethiopien 
Tarhaka  et  mit  à  sa  place  Xeko  Ier.  A  son  retour,  il  put  dresser  aux 
sources  du  Nahar-el-Kelb,  près  de  Beyrouth,  à  côté  des  stèles  triom- 
phales de  Ramsès  II,  une  inscription  sur  laquelle  il  s'intitulait  roi 
d'Egypte,  de  Thèbeset  d'Ethiopie.  Vieux  et  malade,  il  abdiqua  en  667, 
laissant  l'Assyrie  à  Sardanapala  VI  et  Babylone  à  son  second  lils  Saos- 
duchin  (Saoul-Masadd-Youkin).  Ce  dernier  s'allia  aux  ennemis  de 
son  frère  et  lit  un  vaste  complot  qui  embrassait  tous  les  pays  du  Sud. 
Sardanapale  le  déjoua,  vainquit  séparément  ses  adversaires  et  assiégea 
Saosduchin  dans  Babylone.  Après  un  siège  célèbre  par  les  horreurs  de 


662  ASSYRIE 

sa  famine,  Babylone  fut  prise  et  saccagée,  et  Saosduchin  brûlé  dans  son 
palais  (647).  Sardanapale  réunit  encore  pour  vingt-deux  ans  Ninive  à 
Babylone;  c'est  le  Chinaladal  du  canon  de  Ptolémée,  le  Sardanapale  de 
Bérose;  il  est  celui  des  rois  d'Assyrie  qui  a  le  plus  fourni  à  la  science 
actuelle  ;  il  fonda  les  archives  de  Ninine  dont  les  fragments  nous  sont 
parvenus;  c'étaient  pour  la  plupart  des  copies  de  textes  anciens;  ses 
textes  historiques  sont  aussi  du  plus  haut  intérêt.  Sardanapale  soumit 
FEgypte  (665),  détruisit  Thèbes,  lit  alliance  avec  Gygès  roi  de  Lydie,  et 
pénétra  jusqu'au  milieu  de  l'Arabie  propre,  il  mit  tin  aux  compétitions 
du  trône  de  Médie  en  prenant  Suse  (648)  ;  il  fit  aussi  la  guerre  contre 
l'Arménie;  enfin,  il  vainquit  leMède  Phraorte  sous  les  murs  même  de 
Ninive  ;  mais  les  textes  ne  vont  pas  jusque-là.  Nabopolassar  de  Baby- 
lone et  Cyaxare  le  Mède  attaquèrent  Ninive  avec  leurs  forces  réunies 
et  mirent  fin  à  l'empire  assyrien  (606).  «  Ninive  resta  longtemps  en 
ruines;  au  temps  de  Xénophon,  on  avait  oublié  jusqu'au  nom.  Les 
Par  thés  semblent  avoir  élevé  une  ville  sur  son  emplacement  et  les  Ro- 
mains en  tirent  une  colonie,  comme  le  prouvent  des  monnaies  impé- 
riales. Plus  tard,  en  face  de  la  ville  royale,  sur  la  rive  droite  du  Tigre, 
s'éleva  Mossoul,  qui  est  encore  aujourd'hui  florissante  et  Ninive  resta 
sous  un  monceau  de  décombres,  jusqu'à  ce  que  les  fouilles  du  dix- 
neuvième  siècle  vinssent  la  rendre  à  la  lumière.  (Oppert).  » 

II.  Mœurs.  L'organisation  militaire  de  l'Assyrie  était,  à  peu  de  chose 
près,  celle  des  grands  Etats  orientaux  actuels.  Les  princes  (sar,  sarru) 
étaient  des  despotes  religieux;  dans  toutes  leurs  inscriptions,  ils  ne 
parlent  jamais  que  d'eux-mêmes  et  d'Assour,  dont  la  gloire  se- confond 
avec  la  leur  ;  c'est  en  son  honneur  qu'ils  accomplissent  tous  les  actes 
les  plus  barbares.  Sur  les  bas-reliefs,  on  les  distingue  à  la  tiare,  à  l'or- 
dre parfait  de  leur  barbe  et  de  leur  coiffure  et  à  l'impassibilité  de  leurs 
traits.  La  grande  occupation  des  rois  d'Assyrie  était. la  guerre;  ils  ne 
la  faisaient  pas  par  simple  plaisir,  mais  systématiquement;  chaque 
année  était  marquée  par  une  campagne.  Les  Assyriens  ne  pouvaient 
vivre   que   de  conquêtes  extérieures  ;  sitôt  qu'ils  ont  cessé  de  faire  la 
guerre,   ils   sont  tombés.   Le  peuple  était  ainsi   toujours  en  armes. 
Esaïe  (V,  26-30)  en  trace  un  portrait  saisissant:  «  La  ceinture  de  leurs 
((  reins  ne  se  défait  pas,  la  courroie  de  leurs  sandales  ne  se  délie  pas. 
«  Leurs  flèches  sont  aiguisées,  leurs  arcs  sont  tous  tendus,  les  sabots 
«  de  leurs  chevaux  sont  comme  le  caillou,  les  roues  de  leurs  chars  pa- 
«  reilles  à  l'ouragan.  »  La  force  de  l'armée  assyrienne  résidait  princi- 
palement dans  sa  cavalerie  et  ses  chars  de  combat,  célèbres  dans  toute 
l'antiquité.  A  en  juger  par  les  bas-reliefs,  les  Assyriens  ne  connaissaient 
pas  d'ordre  de  bataille;  mais  ils  y  suppléaient  par  une  grande  bravoure 
individuelle  ;  le  roi  combattait  toujours  en  personne.  Dans  les  sièges, 
ils  faisaient  usage  d'échelles,  de  béliers  et  de  tours  ;  souvent  ils  élevaient 
de  vrais  remparts  autour  de  la  ville  assiégée.  Le  sort  des  vaincus  était 
triste;  ils  étaient  mis  à  mort  par  milliers,  moins  toutefois  par  caprice 
que  pour  l'exemple.  C'est  surtout  dans  le  supplice  des  chefs  qu'on 
apportait  tous  les  raffinements  de  la  cruauté  ;  on  leur  crevait  les  yeux, 
ou  bien  on  les  écorchait  vifs,  on  étalait  leurs  peaux  sur  les  murs  de  la 


ASSYRIE  603 

ville  el  on  empilait  leurs  tètes  devant  Les  portes.  Les  pays  soumis  étaient 
administrés  par  des  gouverneurs  qui  sont  appelés  tantôt  pachat  (hébr., 
pêkhà),  tantôt  saknu  (hébr.,   sâgàn).  D'autres  fois,  on  laissait  sur  le 
trône  le  prince  qui  conservait  son  titre  et  devenait  vassal  ;  comme  les 
gouverneurs,  il  était  tenu,  dans  ce  cas.  à  payer  tribut  ('là  fournir  des  hom- 
mes en  cas  de  guerre.  C'est  le  premier  exemple  d'une  administration 
régulière  que  nous  ait  légué  l'antiquité,  et  les  Assyriens  ne  peuvent  être 
comparés,  sous  ce  rapport,  qu'aux  Romains.  En  outre,  pour  s'assurer  la 
soumission  des  pays  vaincus,  les  Assyriens  avaient  adopté  un  système 
de  déportation  que  Ton  pratique  encore   aujourd'hui  en  Bulgarie   et 
dans  d'autres  pays  dépendant  de  l'empire  ottoman  ;  ils  transplantaient 
des  peuples  entiers  à  l'extrémité  opposée  de  leur  empire,  et  les  rem- 
plaçaient  par  d'autres   déportés  ;   c'est  ainsi   que   les  habitants    du 
royaume  d'Israël  furent  emmenés  en  captivité  à  Kalah  sur  le  Khabour, 
sur  le  fleuve  Gozan  et  dans  les  villes  des  Mèdes,  et  remplacés  par  des 
Chaldéens  faits  prisonniers  à  Kalou  et,  plus  tard,  par  des  colons  venus 
de  Hamath,  qui  introduisirent  à  Samarie  leurs  mœurs  et  leurs  dieux. 
Cet  échange  constant  de  populations  avait  pour  effet  de  dépayser  les 
rebelles  et   de  rendre  les  révoltes   très-difficiles;   c'est  ainsi  que  les 
Assyriens  ont  pu  dominer,  pendant  plusieurs  siècles,  toute  l'Asie  anté- 
rieure: mais  il  leur  manquait  cet  élément  civilisateur  qui  a  fait  la  durée 
des  colonies  romaines;  leur  autorité  est  toujours  restée  purement  exté- 
rieure, et  un  jour  a  suffi  pour  consommer  la  ruine  de  l'Assyrie.  — 
L'architecture  assyrienne  est  une  imitation  de  celle  de  Babylone;  elle 
doit  pourtant  une  certaine  originalité  à  son  alliance  avec  la  sculpture. 
Les  murs  des  palais  étaient  couverts  de  bas-reliefs  qui  représentaient 
des  sujets  tantôt  mythologiques,  tantôt  réels  ;  aux  premiers  appartien- 
nent les  taureaux  à  face  humaine,  les  dragons,  les  dieux  que  l'on  voit 
tant  au  Louvre   qu'au  British-Musaeum  ;  la  donnée  est  le  plus  sou- 
vent    chaldéenne;  dans  l'autre  classe  il  faut  ranger  les  batailles,  les 
sièges,  les  assauts,  les  chasses  et  toutes  les  scènes  de  la  vie  journa- 
lière. Les  Assyriens  ne  faisaient  que  le  profil,  et  leurs  ligures  empiè- 
tent rarement  les  unes  sur  les  autres,  mais  elles  sont  pleines  de  mou- 
vement et  de  vie.  Ils  ne  s'appliquent  pas  seulement,  comme  les  Egyp- 
tiens, à  la  netteté  du  contour,  mais  ils  reproduisent  le  galbe  des  corps, 
les  muscles  et  tous  les  détails  des  traits  et  de  l'ornementation   avec 
une  grande  finesse.  Les  chevaux  et  les  animaux  en  général  sont  faits 
avec  une  rare  perfection.  C'est  uu  art  très-réaliste.  Il  a  surtout  atteint 
ce  caractère  sous  les  Sargonides.  C'est  de  Sennachérib  que  date  l'habitude 
de  reproduire  tons  les  détails  de  la  vie  journalière,  et  de  donner  aux 
différentes  scènes  un  fond  conforme  autant  que  possible  à  la  réalité. 
Quelques-unes  de  ces  sculptures  portent  encore  des  traces  de  peinture. 
Les  Assyriens  avaient  aussi  acquis  une  grande  perfection  dans  la  gra- 
des pierres  précieuses;  on  possède  un  grand  nombre  de  cylindres, 
d'amulettes  et  di  gemmes  qui  proviennent  des  différentes  villes  d'As- 
syri  ;  ces  Objets  se   sont   répandus  avec  la   civilisation  assyrienne  en 
eten  Asie-Mineure,  souvent  même  il  est  difficile  <Vvn  reconnaître 
la  provenance  exacte.  L'art  assyrien,  en  effet,  a  exercé  une  influence 


664  ASSYRIE 

profonde  sur  toute  la  côte  asiatique,   où  il  s'est  rencontré  avec  l'art 
égyptien  ;  il  a  même  pénétré  jusqu'en  Grèce  ;  on  en  retrouve  la  trace 
incontestable  dans  l'ornementation  grecque  et  parfois  jusque  dans  le 
choix  des  sujets.  La  céramique  était  fort  développée;  les  vases  que  l'on 
trouve  sur  les  monuments  assyriens  présentent  une  grande  variété  et  une 
grande  délicatesse  de  contours;  l'Assyrie  est  le  pays  de  l'argile.   Les 
ameublements  étaient  très-somptueux  (Nahum  II,  10)  ;  jl  faut  en  dire 
autant  des  tentures  et  des  tapisseries  qui  étaient  du  reste  un  des  prin- 
cipaux objets  de  commerce  de  l'Assyrie  (Ez.  XXVII,  23,  24).  —  L'As- 
syrie a  emprunté  son  écriture,  comme  son  architecture ,  à   la  Chal- 
dée.   L'écriture   cunéiforme  n'est  pas  sémitique,  non   plus  que  les 
hiéroglyphes  auxquels  elle  ressemblait,  parait-il,  beaucoup  dans  l'ori- 
gine. Elle  était  d'abord  idéographique,  c'est-à-dire  qu'elle  se  compo- 
sait de  dessins  qui  représentaient  des  objets;  mais  le  sentiment  de  la 
forme  s'est  perdu  beaucoup  plus  tôt  qu'en  Egypte,  sans  doute  parce 
que  la  langue  à  laquelle  cette  écriture  était  empruntée  était  différente 
de  l'assyrien  ;  on  n'a  conservé  que  la  charpente.  Les  signes  ont  en 
même  temps  changé  de  valeur  ;  les  Assyriens  les  ont  attachés  à  certains 
sons  et  non  plus  à  certains  sens  ;,  c'est  ainsi  que  l'écriture  cunéiforme 
est  devenue  en  grande  partie  phonétique,  mais  elle  est  toujours  restée 
mélangée  d'idéogrammes  nombreux  qui  en  font  une  des  principales 
difficultés.  D'autre  part,  ces  cadres  en  quelque  sorte  théoriques  dans 
lesquels  elle  était  emprisonnée  lui  ont  donné  une  certaine  immobilité  ; 
elle  a  bien  fait,  pour  s'en  affranchir,  des  efforts  qui  semblent  avoir 
donné  naissance  aux  alphabets  carien,  lycien  et  cypriote;  elle  est  même 
devenue  purement  alphabétique  avec  le  perse  ancien  ;  mais  ces  tenta- 
tives ont  avorté;  elle  ne  s'est  jamais  prêtée  aux  mêmes  transformations 
que  l'écriture  égyptienne  passant  des  hiéroglyphes  à  l'écriture  hiérati- 
que puis  au  démotique,  pour  aboutir  à  l'alphabet  phénicien  ;  F  écri- 
ture cunéiforme  est  morte  avec  les  palais  de  Niniveet  de  Persépolis.  Il  est 
probable  que  les  Assyriens  ont  possédé  à  côté,  de  très-bonne  heure,  une 
écriture  cursive;  en  tous  cas,  dès  le  huitième  siècle,  on  trouve  l'écriture 
et  la  langue   araméennes  employées  en]  Assyrie  conjointement  avec 
l'écriture  cunéiforme.  —  Les  sujets  dont  traitent  les  inscriptions  sont  des 
plus  variés  ;  à  côté  des  grands  textes  historiques,  gravés  sur  la  pierre, 
et  qui  couvrent  les  murs  des  palais,  on  en  possède  un  nombre  beau- 
coup plus  grand  encore  sur  briques;  c'étaient  les  livres  assyriens; 
chaque  page  formait  un  volume.  La  plupart  de  ces  briques  provien- 
nent de  la  bibliothèque  de   Sardanapale  ;  le  British-MusaBum  possède 
près  de  20,000  fragments  de  ce  genre.  Il  y  a  aussi  des  inscriptions  gra- 
vées sur  des  cylindres  de  matières  comme  de   formes  très-diverses. 
Beaucoup   de    ces  inscriptions   contiennent  des  contrats   d'achat  et 
de  vente,  des  placets,  ou  d'autres  objets  touchant  des  matières  com- 
merciales   ou    juridiques  :    ce    sont  presque    les    textes    les    plus 
nombreux.     Les    briques    forment    une    sorte     d'encyclopédie    de 
la   science    assyrienne.   Une    première   catégorie  contient  soit    des 
syllabaires  qui  indiquent  la  valeur  et  le  nom  des  différents  signes,  soit 
de  véritables  dictionnaires;   ces  textes  grammaticaux  ont  permis  à 


ASSYRIE  665 

M.  Oppert  de  reconstituer  la  grammaire  assyrienne  et  ils  sont  encore 
étudiés  et  discutés  tous  les  jours  avec  passion.  Une  autre  catégorie  a 
trait  à  la  chronologie,  à  la  métrologie  et  aux  sciences  exactes.  Les  As- 
syriens ont  eu  les  premiers  un  système  de  poids  et  mesures  régulier; 
ils  étaient  aussi  très-avancés  dans  le  calcul  des  temps;  ils  connaissaient 
l'année  de  06O  et  sans  doute  même  de  365  jours.  On  lit  (W.  A.  I.,  t.  III, 
p.  52,  Rev.  col.  2,  lin.  37)  :  «  12  mois  par  année  une,  (>  soixantaines  de 
jours  font;  »  la  fin  de  la  ligne,  qui  devait  compléter  ce  renseigne- 
ment, est  malheureusement  fruste.  On  trouve  aussi  sur  la  chronologie 
assyrienne,  sur  les  éclipses  et  sur  les  autres  phénomènes  atmosphé- 
riques qui  servaient  à  rétablir,  les  renseignements  les  plus  précieux. 
C'est  sur  des  tablettes  de  ce  genre  qu'on  a  retrouvé  les  listes  de  magis- 
trats éponymes  qui  sont  d'une  si  grande  utilité  pour  la  fixation  des 
dates  de  l'histoire  assyrienne.  D'autres  textes  ont  trait  à  la  médecine, 
à  l'astrologie  et  aux  sciences  occultes.  11  est  même  enfin  une  dernière 
catégorie,  la  plus  importante  peut-être,  qui  comprend  les  textes 
cosmogoniques.  Certains  de  ces  textes,  quelques-uns  même  fort 
importants,  étaient  déjà  connus  depuis  un  certain  temps;  pourtant 
il  est  permis  de  dire  que  le  mérite  de  leur  découverte  appartient  à 
George  Smith;  par  la  découverte  du  récit  du  déluge,  puis  de  fragments 
relatifs  à  la  création,  il  est  parvenu  à  établir  le  lien  et  le  véritable 
caractère  de  cette  littérature.  Tous  ces  récits  mythologiques,  qui  sont 
des  copies  de  vieux  textes  babyloniens,  devenus  presque  incompréhen- 
sibles déjà  du  temps  de  Sardanapale,  se  tiennent,  et  leur  ensemble 
formait  une  véritable  Genèse  chaldéenne,  parallèle  à  celle  de  la  Bible, 
avec  un  cadre  beaucoup  plus  large. 

III.  Religion.  Les  dieux  qui  figurent  soit  dansles  différents  textes  mythe- 
logiques  soit  dans  les  inscriptions  historiques  sont  extrêmement  nom- 
breux; peu  de  peuples  ont  eu  de  panthéon  aussi  riche;  mais  cette  religion 
n'est  pas  une  création  du  génie  assyrien,  toutes  ces  divinités  existaient 
déjà,  le  plus  souvent  avec  les  mêmes  noms,  dans  la  Chaldée.  Chaque 
ville  avait  ses  dieux,  que  l'on  adorait  de  préférence  à  tous  les  autres, 
mais  qui  se  rattachaient  à  un  système  de  mythologie  général.  Ce  sys- 
tème a  continué  sous  la  domination  assyrienne.  Constamment,  sur  les 
textes  comme  dans  Bible,  nous  voyons  les  rois  d'Assyrie  adorer  l'un 
ou  l'autre  de  ces  dieux,  suivant  la  ville  où  ils  se  trouvent;  Sargon  fut 
assassiné  tandis  qu'il  était  prosterné  dans  le  temple  de  son  dieu  Nisroch; 
de  même  les  habitants  de  Sepharvaïm  (des  deux  Sippara)  amenèrent  à 
Sainarie  leurs  dieux  Adrammelec  et  Anammelec.  Mais  toute  cette 
religion  n'était  encore  qu'un  emprunt  fait  à  la  Chaldée;  tout  au  plus 
les  Assyriens  y  ont-ils  mis  un  ordre  plus  strict,  mais  aussi  plus  arbi- 
traire qu'auparavant.  Leur  panthéon  se  composait  de  douze  grands 
dieux,  présidés  par  Assour.  Assour  est,  à  vrai  dire,  le  seul  dieu  de 
l'Assyrie,  il  a  fini  par  éclipser  tous  les  autres  dieux,  grâce  au  dévelop- 
pement  énorme  qu'a  pris  la  ville  de  Ninive.  Il  semblerait,  à  lire  les 
annales  des  rois  d'Assyrie,  qu'ils  n'aient  eu  d'autre  préoccupation  nue 
la  gloire  d'Assour.  Leurs  ennemis  sont  ceux  de  leur  dieu,  leurs  armées 
sont  \v.6  armées  du  dieu  Assour  et  c'est  de  sa  colère  qu'ils  s'inspirent, 
i.  43 


m  ASSYRIE 

dans  leurs  guerres  et  dans  leurs  actes  les  pluscruels.  Assour  n'est,  à  vrai 
dire,  que  la  personnification  de  la  puissance  assyrienne  et  la  glori- 
fication de  la  royauté  ;  les  deux  idées  sont  inséparables.  On  retrouve, 
dans  cette  adoration  presque  exclusive  d'un  dieu  qui  est  l'éponyme  de 
k  nation,  les  deux  traits  principaux  du  caractère  assyrien:  d'une  part, 
un  esprit  profondément  religieux,  et  une  tendance  marquée  au  mo- 
nothéisme; de  l'autre,  l'orgueil  national  quia  fait  la  force  de  l'Assyrie. 
En  somme,  les  Assyriens  n'ont  rien  inventé,  ils  n'avaient  pas  l'esprit 
créateur,  mais-  ils  ont  suppléé  à  tout  ce  qui  leur  manquait  de  ce  côté 
par  leur  énergie  et  leur  ténacité  ;  ils  y  joignaient  une  rare  facilité  de 
tout  s'assimiler  ainsi  que  l'amour  de  la  somptuosité  et  le  culte  de  la 
forme,  qui  ont  toujours  distingué  les  peuples  sémitiques.  On  chercherait 
vainement  quelque  autre  idée  dans  cette  civilisation  si  brillante  ;  l'idée 
morale  était  à  peu  près  étrangère  aux  Assyriens,  lis  ne  croyaient  pas 
non  plus  à  une  vie  future,  jamais  ils  n'en  parlent;  sans  doute,  dans  la 
légende  chaldéenne  du  déluge,  nous  voyons  Hasisadra  divinisé  pour 
sa  piété,  mais  ces  idées  semblent  être  restées,  pour  les  Assyriens 
en  tous  cas,  dans  le  domaine  de  la  mythologie,  et  n'avoir  jamais  passé 
dans  la  vie  du  peuple,  et  le  prince,  qui  s'est  confié  dans  la  grâce  d' Assour 
ne  lui  demande ,  comme  Ëschmounazar,  autre  chose  qu'  une  heureuse  exis- 
tence, une  longue  vie,  la  noblesse  de  la  race  et  la  constance  de  la  victoire. 
IV.  Sources.  L'étude  de  l'Assyrie  ne  date  guère  que  de  la  découverte 
des  ruines  de  Ninive.  James  Rich,  le  premier,  entreprit  des  fouilles 
aux-  environs  de  Mossoul,  sur  les  deux  collines  de  Kouyoundjik  et  de 
Neb*i-Jounous  (tombeau  du  prophète  Jonas);mais  c'est  à  Botta,  consul  de 
France  à  Mossoul,  qu'appartient  l'honneur  d'avoir  retrouvé  les  ruines 
de  Ninive;  après  quelques  recherches  infructueuses  à  Kouyoundjik,  il  se 
transporta  quatre  lieues  plus  loin  vers  le  nord,  à  Khorsabad,  et  mit  à 
découvert  le  palais  de  Sargon  (Dour-Sarkayan).  Les  antiquités  trouvées 
par  lui  furent  expédiées  en  1846  en  France  et  exposées  au  Louvre. 
M.  Layard  a  commencé  ses  fouilles  plus  tard  que  Botta,  vers  1845  ;  il 
n'a  pas  le  mérite  de  la  découverte,  mais  ses  fouilles,  poursuivies  avec  une 
rare  persévérance,  ont  été  beaucoup  plus  fructueuses  encore.  Il  commença 
par  rendre  à  la  lumière  la  ville  de  Kalah,  au  sud  de  Mossoul,  sur  l'em- 
placement du  village  actuel  de  Nimroud  (1845-1847  et  1849),  et  n'y 
découvrit  pas  moins  de  quatre  grands  palais,  celui  du  Nord-Ouest  ou  de 
Salmanasar  Ier  (vers  1300),  restauré  par  Assur-Nazir-Habal  (vers  900), 
celui  du  Centre  (ou  de  Tiglathphalasar  de  la  Bible),  enfin  celui  du 
Sud-Ouest  ou  d'Essarhaddon.  Plus  au  sud  encore,  il  retrouva  les 
ruines  de  la  ville  d'Elassar,  sur  la  rive  droite  du  Tigre,  sous  le 
monticule  qui  porte  le  nom  de  Kalah- Shergat  ;  mais  ses  découvertes 
les  plus  importantes  eurent  lieu  sur  l'emplacement  même  de  Ninive. 
Il  reprit  les  fouilles  qui  avaient  été  abandonnées  sur  les  collines  de 
Kouyoundjik  et  de  Nebi-Jounous,  et  il  trouva  dans  la  deuxième  de 
ces  collines  les  palais  de  Sennachérib  et  d'Essarhaddon;  dans 
la  première,  au  contraire  (palais  du  Sud-Ouest),  un  second  palais 
de  Sennachérib,  reconstruit  par  son  petit-fils  Sardanapale.  C'est  dans 
ce  dernier  qu'on  a  retrouvé  la  bibliothèque  de  Sardanapale.  Le  résul- 


ASSYRIE  667 

tat  de  ces  fouilles,  continuées  par  Loftus,  a  été  déposé  au  British- 
Musaeum.  —  Le  déchiffrement  des  inscriptions  cunéiformes  en  langue 
assyrienne  ne  date  guère  que  des  environs  de  1850.  Depuis  quelques 
années  déjà  on  lisait  les  inscriptions  cunéiformes  en  langue  perse 
que  Ton  trouve  à  Van,  à  Persépolis,  sur  les  rochers  de  Béliistoun,  et 
qui  sont  alphabétiques.  Burnout'  avait  déjà  soupçonné  le  caractère 
sémitique  des  inscriptions  assyriennes;  après  quelques  nouveaux 
essais  de  MM.  de  Longpérier,  Lœwenstern,  de  Saulcy,  ce  caractère  fut 
définitivement  établi  par  Sir  H.  Rawlinson,  qui  publia,  en  1851,  le 
premier  grand  texte  assyrien  avec  sa  traduction.  Hincks  fit  faire  un  pas 
décisif  à  ces  études  en  démontrant  que  récriture  assyrienne  était 
syllabique  et  non  pas  alphabétique.  Enfin,  la  grammaire  assyrienne  a 
été  réellement  fondée  par  M.  Oppert.  Ses  travaux  ont  été  continués 
et  répandus  par  MM.  Menant  et  Fr.  Lenormant,  et  dans  ces 
derniers  temps,  en  Allemagne,  par  MM.  Schrader,Fr.  Delitzsch,  etc.  En 
Angleterre,  toute  une  école  d'assyriologues  continue  la  tradition  de 
Sir  H.  Rawlinson.  — Les  ouvrages  fondamentaux  sur  cette  matière  sont  : 
Botta  et  Flandin,  Monuments  de  Ninive,  Paris,  1846-1850,5  vol.  in-fol.  ; 
Layard  :  Niniveh  and  its  remains,  Londres,  1849,  2  vol.  in-8;  le  même, 
Discoveries  in  the  ruins  of  Niniveh  and  Babylon,  Londres,  1853,  1  vol. 
in-8,  et  Monuments  of  Niniveh,  I  and  II  séries,  Londres,  1849-51,  2 
vol.  in-fol.;  Loftus,  Chaldœa  and  Susiana,  Londres,  1856,  1  vol.  in-8; 
Rawlinson  and  Norris,  Cuneiform  inscriptions  of  luestem  Asia,  Londres, 
4vol.  in-fol.,  inachevé;  George  Smith,  Assyrian  discoveries,  Londres,  1875, 
in-8.  —  Histoire  du  déchiffrement  et  grammaire  :  Oppert,  Grammaire 
assyrienne,  Paris,  lrc  éd., 1860;  2e  éd.,  1868,in-12;  le  même, Expédition 
en  Mésopotamie,  Paris,  1858-1863,  in-4  ;  Menant,  Eléments  delà  gram- 
maire assyrienne,  Paris,  1868,  in-8  ;  le  même,  Le  syllabaire  assyrien, 
Paris,  1869-1873,  2  vol.  in-4  ;  Lenormant,  Choix  de  textes  cunéiformes, 
Paris,  1873,  in-4;  le  même,  Lettres  assyriologiques,  Paris,  1871  ss.  in-4; 
Norris,  Assyrian  dictionnary,$  vol.,  allant  jusqu'au  Noun ;  Schrader, 
Die  assyrisch-babylonischenKeilinschriften,  Leipzig,  1872,  in-8.  —Histoire 
générale  :  Rawlinson,  The  early  history  of  Babylonia,  Londres, 
1851,  in-8;  Vaux,  Niniveh  and  Persépolis,  Londres,  1850,  etc.;  G.  Raw- 
linson, The  five  great  Monarchies  of  the  ancient  ivorld,  Londres,  1862- 
1867,  4  vol.  in-8;  le  même,  Herodotus,  Londres,  1858-1860,  4  vol. 
in-8  ;  Lenormant,  Manuel  d'histoire  ancienne  de  l'Orient,  t.  I,  Paris, 
1869,  in-12;  Maspéro,  Histoire  ancienne  des  peuples  de  l'Orient, 
Paris,  1873,  in-12.  —  Monographies  :  Niebuhr,  Geschichte  Assur's 
und  Babels  seit  Phul,  Berlin,  1857  ;  Oppert  ,  Histoire  des  empires 
de  Chatdée  et  d'Assyrie,  lre  partie,  Paris,  1865,  in-8;  le  même  et 
Menant,  Grand,;  Inscription  du  palais  de  Khorsabad,  Paris,  1863  ; 
1(3  même,  Les  Inscriptions  assyriennes  des  Sargonides  et  les  fastes 
de  Ninive;  Ami.  de  Phil.  Ghr.,  t.  VI,  5,:  série,  1863;  Menant,  Anna- 
les des  rois  d'Assyrie,  Paris,  1874,  in-4;  George  Smith,  History  of 
Assurbanipal,  London,  1 S 7 1 ,  in-4;  le  même,  The  Assyrian  Eponym. 
en, .on.  London,  s.  d.,  in-8  ;  Waldemar  Schmidt  et  Schrader,  Die 
Keilinschr.   u.  das  A.  Test.,   Giessen,    1872,   in-8;   Oppert,  Mémoire 


m  ASSYRIE  -  ASTRES 

sur  les  rapports  de  l'Egypte  et  de  l'Assyrie  dans  l'antiquité,  Ac.  des 
inscr.,  Savants  étrang.,  t.  VIII,  lre  p.,  Paris,  1869,  in-4  ;  le  même,  La 
Chronologie  biblique,  Annales  de  Phil.  Chr.,  t.  XIX  (5°  série),  p.  75; 
le  même,  Salomon  et  ses  successeurs,  ibidem,  6e  série,  t.  IX,  p.  259 
ss.,  325  ss.,  X,  p.  183  ss.,  393  ss.,  XI,  p.  35  ss.,  91  ss.,  204  ss.;  le 
même,  Grundzùge  der  assyrischen  Kunst,  Basel,  1872;  le  même, 
L'Etalon  des  mesures  assyriennes,  Paris,  1875  ;  Tegner,  Finzi  et  en 
dernier  lieu  Delitzsch,  Assyrische  Studien,  lepfasc,  Leipzig,  1874, 
in-8.  —  Mythologie  :  Lenormant,  Fragments  cosmogoniques  de 
Bérose,  Paris,  1872,  in-8;  le  même,  La  légende  de  Sémiramis,  Acad. 
de  Belgique,  Mémoires,  t.  XL,  1873,  in-4  ;  George  Smith,  Chaldxan 
account  of  Genesis,  Londres,  1875,  in-8,  traduit  en  allemand  par 
Hermann  Delitzsch  avec  des  explications  et  des  notes  de  Friedrich 
Delitzsch,  Leipzig,  1876,  in-8  ;  enfin,  de  nombreux  textes,  tant  histo- 
riques que  mythologiques,  ont  été  publiés  par  ces  divers  savants  dans 
les  Records  of  the  passt,  tom.  I-VII,  Londres,  s.  d.  in-12,  et  dans 
les  revues  savantes.  Ph.  Bergek. 

ASTAROTH.  Voyez  Bosra. 

ASTARTÉ,  nom  d'une  divinité  phénicienne.  Voyez  Phénicie. 

ASTIER  (Gabriel),  prophète  cévenol  du  Vivarais,  tint  tête  aux  dra- 
gons du  roi  avec  plusieurs  milliers  d'inspirés  qu'il  était  parvenu  à  sou- 
lever. Il  fut  condamné  à  mort,  et  exécuté  le  2  avril  1689  (voy.  France 
protest.,  2eédit.,  I,  p.  419). 

ASTIER  (Jean-Pierre)  [1757-1839],  pasteur  fidèle  et  courageux  qui 
exerça  le  ministère  dans  quelques  Eglises  riveraines  du  Rhône, 
sous  la  Révolution  et  dans  les  temps  plus  calmes  qui  suivirent 
la  chute  de  l'Empire.  Il  a  laissé  un  certain  nombre  d'écrits  dont  on 
trouvera  rénumération  dans  l'article  que  lui  a  consacré  M.  Arnaud 
dans  la  France  protestante. 

ASTRES  (Culte  des).  Les  habitants  de  la  Babylonie  reconnaissaient 
pour  leurs  dieux  le  soleil,  la  lune  et  les  cinq  planètes  alors  connues, 
savoir  :  Mercure,  Vénus,  Mars,  Jupiter  et  Saturne  (Diodore  de  Sicile, 
II,  21).  Des  religions  analogues  étaient  établies  dans  une  partie  de 
l'Arabie,  dans  la  Syrie,  la  Phénicie,  à  Carthage,  et  dans  la  plupart 
des  contrées  de  r Asie-Mineure.  Les  Israélites,  malgré  les  prescrip- 
tions mosaïques  (Ex.  XX,  3,  4,  11;  Deut.  IV,  19  et  XVII,  2-5)  et  les 
continuelles  exhortations  des  prophètes,  restèrent  aussi,  presque  jus- 
qu'à la  captivité  de  Babylone,  des  adorateurs  aveugles  des  divinités 
sidérales  (Schenkel,  Bibel-Lexicon,  V,  393-398),  soit  qu'ils  ne  pussent 
résister  à  l'exemple  des  peuples  voisins,  soit  qu'ils  cédassent  à  d'an- 
ciennes coutumes  (Amos  V,  25-27),  soit  enfin  qu'ils  fussent  entraînés 
par  quelque  instinct  de  race.  Les  pays  où  domina  dans  l'antiquité 
l'astrolâtrie  étaient  peuplés  presque  exclusivement  d'hommes  de  race 
sémitique.  L'astrolâtrie  n'a  pu  prendre  naissance  qu'au  milieu  des 
peuples  adonnés  à  l'agriculture,  selon  toutes  les  vraisemblances  dans 
la  Mésopotamie,  renommée  dans  l'antiquité  pour  ses  grands  travaux 
agricoles  (Hérodote,  II,  185  et  193),  et  que  sous  l'action  de  sentiments, 
de  conceptions,  de  besoins  et  de  désirs  propres  à  des  agriculteurs.  Elle 


ASTRES  GGO 

fut  aussi,  il  est  vrai,  la  religion  dos  Phéniciens,  dont  les  conditions 
d'existence  étaient  fort  différentes;  mais  on  peut  croire  qu'ils  la  reçu- 
rent des  peuples  voisins,  et  (Tailleurs  ils  purent  se  l'approprier  d'au- 
tant plus  aisément  que  l'influence  des  astres  n'est  pas  de  moins  grande 
importance  pour  des  navigateurs  que  pour  des  agriculteurs,  quoique 
pour  d'autres  raisons.  Que  cette  i'orme  de  religion  soit  issue  de  la  vie 
agricole,  c'est  ce  qui  se  montre  aussi  bien  dans  la  nature  des  concep- 
tions qu'on  se  faisait  des  astres  divinisés  que  dans  la  nature  des  bienfaits 
qu'on  en  attendait.  Si  le  soleil  était  invoqué  comme  le  plus  puissant 
des  dieux,  comme  la  source  de  tous  les  biens,  comme  le  protecteur  et 
le  sauveur  des  hommes,  c'est  qu'on  avait  remarqué  que  par  sa  cha- 
leur et  sa  lumière  il  vivifie  et  féconde  la  terre,  et  fait  éclore  et  mûrir 
les  fruits  des  champs.  On  se  lamentait  sur  sa  mort  (la  suspension  de 
son  action  bienfaisante)  après  l'équinoxe  d'automne  ;  on  célébrait  sa 
résurrection  vers  l'équinoxe  du  printemps,  au  moment  où  il  allait 
rendre  la  vie  à  la  nature  entière.  La  lune  avait  des  droits  aux  homma- 
ges des  humains,  non  pas  seulement  parce  qu'elle  leur  fournissait  un 
facile  moyen  de  mesurer  le  temps,  chose  importante  pour  la  conduite 
des  travaux  agricoles,  mais  encore  et  surtout  parce  qu'on  lui  supposait 
une  influence  marquée  sur  la  croissance  des  végétaux  et  l'état  de  leurs 
fruits,  et  même  sur  la  santé  des  animaux  et  des  hommes,  préjugés  qui, 
depuis  les  temps  reculés,  sont  restés  enracinés  dans  l'esprit  des  habi- 
tants de  la  campagne  (Pline,  Histoire  naturelle,  II,  39  et  40).  Les  pla- 
nètes, à  ce  qu'on  croyait,  n'étaient  pas  sans  exercer  une  action  sur  la 
terre  et  principalement  sur  les  phénomènes  atmosphériques,  le  vent, 
la  pluie,  etc.  Des  peuples  nomades  ou  chasseurs  se  seraient  fait  d'au- 
tres idées  de  ces  sept  astres  et  en  auraient  attendu  des  bienfaits  d'un 
autre  genre  ;  des  agriculteurs  pouvaient  seuls  les  considérer  dans  leurs 
rapports  avec  les  productions  de  la  terre.  Si  maintenant  on  admet  avec 
Platon  (Epinom.)  que  l'homme  prend  pour  ses  dieux  ce  qu'il  croit  être 
la  cause  des  biens  qui  lui  arrivent,  on  ne  sera  pas  étonné  que,  dans 
des  pays  agricoles,  des  corps  célestes  auxquels  on  attribuait  une  si 
grande  influence  sur  les  travaux  des  champs  aient  été  invoqués  comme 
les  pères  et  les  protecteurs  du  genre  humain.  Dupuis  attribue  une 
antre  origine  à  l'astrolàtrie.  Il  est  d'avis  qu'elle  dérive  de  l'astronomie, 
et  il  voit  dans  la  mythologie  de  ce  culte  une  exposition  allégorique,  à 
l'usage  de  la  foule,  des  résultats  auxquels  cette  science  était  arrivée 
(Unis  la  Babylonie.  C'est  à  la  fois,  ce  me  semble,  intervertir  l'ordre  na- 
turel des  choses  et  se  faire  una  idée  complètement  erronée  de  la  nature 
et  de  l'origine  des  mythologies.  Partout  la  religion  a  précédé  la  science, 
el  certainement  dans  l'antique  Babylonie  le  culte  des  astres  provoqua 
la  formation  d'une  science  astronomique,  et  n'en  fut  pas  simplement 
une  forme  populaire  et  dérivée.  D'un  autre  côté,  le  mythe  ne  se  pré- 
sente nulle  part  comme  le  fait  de  combinaisons  savantes  et  artificielles: 
il  a  été  toujours  et  partout  le  produit  spontané  de  l'imagination  exaltée 
par  quelque  sentiment  religieux.  Il  n'y  a  pas  plus  de  raison  de  voir, 
dans  le  culte  des  astres,  la  religion  primitive  dont  toutes  les  autres  ne 
seraient  que  des  transformations  diverses.  Cette  opinion  de  Dupuisest  en 


670  ASTRES  —  ASTRONOMIE 

opposition  avec  l'histoire.  On  sait  aujourd'hui  qu'à  côté  de  l'astrolàtrie, 
propre  aux  populations  de  laBabylonie,  de  la  Syrie,  de  la  Phénicie,  etc., 
il  existait  en  même  temps  une  religion  naturaliste  parmi  les  Indo-Eu- 
ropéens primitifs  ;  jusqu'à  présent  il  n'y  a  pas  la  moindre  preuve  que 
l'une  dérive  de  l'autre,  et  de  ces  deux  religions,  ce  n'est  pas  la  pre- 
mière qui  a  été  la  plus  féconde.  On  ne  saurait  refuser  à  Dupuis  le  mé- 
rite d'avoir  un  des  premiers  saisi  les  analogies  qui  se  trouvent  entre 
les  mythologies  des  divers  peuples  de  l'antiquité  ;  mais  de  son  temps 
on  manquait  encore  des  connaissances  nécessaires  pour  se  faire  une 
idée  exacte  des  origines  réelles  de  ces  analogies  ;  aussi  il  lui  est  arrivé 
bien  souvent  de  rapporter  à  l'astrolâtrie  ce  qui  était  en  réalité  une 
transformation  du  naturalisme  des  Indo-Européeus.  Il  est  tombé  dans 
des  méprises  bien  autrement  considérables,  quand  il  a  voulu  appliquer 
sa  thèse  au  judaïsme  et  au  christianisme,  dans  lesquels  il  n'a  pas  su 
reconnaître  une  famille  de  religions  tout  autre  que  celle  du  culte  des 
astres  et  du  culte  des  forces  de  la  nature.  De  cette  astrolâtrie,  dont  il 
prétend  faire  dériver  toutes  les  autres  formes  religieuses,  il  n'est  guère 
venu  jusqu'à  nous,  en  outre  des  préjugés  populaires  touchant  l'in- 
fluence de  la  lune  sur  les  végétaux,  que  l'institution  de  la  semaine  et 
sa  division  en  sept  jours.  —  Sources  :  Selden,  De  diis  syris  syntagmata, 
II,  1617,  dernière  édition  augmentée,  1672;  Mùnter,  Die  Religion  der 
Karthager,  Copenhague,  1816;  2e  édit.,  1821  ;  Guigniaut,  Religions  de 
l'antiquité,  t.  II;  F.-C.  Movers,  Die  Religion  und  die  Gottheiten  der 
Ph'nizicr,  Breslau,  1840;  Chwolron,  Ueber  die  Ueberreste  der  Alt- 
babyl.  Literatur,  1859;  Die  Sabier,  1856,  2  vol.;  Ueber  Thammuz, 
1860;  Hincks,  Assyrian  Mythology;  Felice  Finzi,  Ricerche  per  la 
studio  deir  antichita  assira,  Torino,  1872,  p.  433-554;  Rawlinson,  On 
the  assyr.  Mythol.  M.  Nicolas. 

ASTROLOGIE.  Voyez  Sciences  occultes. 

ASTRONOMIE  chez  les  Hébreux.  Les  anciens  Israélites,  d'après  le  té- 
moignage de  la  Bible,  ne  savaient  que  fort  peu  de  chose  du  ciel  étoile. 
Il  va  sans  dire  que  nous  ne  trouvons  chez  eux  aucune  trace  d'astrono- 
mie scientifique.  Tout  se  bornait  aux  observations  que  pouvait  faire  le 
pâtre  (Amos  V,  8)  conduisant  ses  troupeaux  sur  les  pâturages  et  les 
steppes  de  la  Palestine.  Les  patriarches  déjà  se  sentaient  attirés  par  la 
mystérieuse  splendeur  du  ciel  étoile  (Gen.  XXXVI,  9).  Ils  distinguaient 
le  soleil  et  la  lune,  en  raison  de  leur  dimension  et  de  leur  éclat,  des 
autres  étoiles,  et  les  appelaient  les  luminaires  célestes  (Gen.  I,  16)  ;  ils 
divisaient  le  temps  d'après  le  cours  de  la  lune,  et  célébraient  par  des 
sacrifices  et  des  banquets,  au  son  des  trompettes,  le  retour  de  la  nou- 
velle lune  (Nomb.  XXXIII,  11-25  ;  Es.  1, 13  ;  Ezéch.  XLVI,  1  ss.;  1  Chron. 
XXIII,  31  ;  2  Chron.  II,  4  ;  VIII,  13;  Esdras  III,  5).  L'ensemble  des  étoi- 
les était  appelé  l'armée  céleste  (çebâ  h  acharnai  m,  EsaïeXL,  26; 
Jérém.  XXXIII,  22,  etc.).  Cette  expression  comprend  le  plus  souvent 
aussi  les  anges.  Le  livre  de  Job,  qui,  dans  son  langage  poétique,  per- 
sonnifie les  étoiles,  comme  des  êtres  vivants  (XXXVIII,  7),  essaie  de  les 
distinguer  les  unes  des  autres  (IX,  9;  XXXVIII,  31  ss.).  Sont,  en  géné- 
ral, désignés  dans  la  Bible  :  1°  l'étoile  du  matin  (hélél,  Esaïe  XIV, 


ASTRONOMIE  -  ATAROTH  071 

12,  la  planète  Vénus)  donl  le  nom  signifie  brillante,  parée  que  son 
éclat  devait  frapper  les  regards  de  chacun  (Ecclésiastique  L,  6;  Apoc. 
II,  28;  XII,  16);  2°  les  Pléiades  (kimàh,  Job  IX,  9;  XXXVIII,  31; 
Amos  V,  8);  3°  l'Orion  (Jiesil  on  nephilâ,  Job  XXXVIII,  31;  Prov. 

Vil.  22)  <[ue  les  Hébreux  se  représentaient  comme  un  géant  enchaîné 
au  ciel  ou  montant  à  Tassant  contre  Dieu;  &°  la  grande  Ourse  (  *ach, 
Job  IX,  9)  avec  ses  trois  enfants,  c'est-à-dire  les  trois  étoiles  formant 
sa  queue  (Job  XXXVIII,  32)  ;  5°  le  Dragon  (nàkhâch,  Job  XXVI,  13) 
entre  la  grande  et  la  petite  Ourse;  6°  les  Gémeaux: '  (Aio<jxoupot,  Act. 
XXVIII,  11),  au  bord  de  la  voie  lactée.  Il  n'y  a  point  de  trace  dans  la 
Bible  d'une  division  en  planètes,  étoiles  iixes  et  comètes.  D'autres  peu- 
ples, tels  que  les  Phéniciens,  les  Chaldéens  et  les  Egyptiens,  dont  les 
s  plats  invitaient  particulièrement  à  l'observation  des  astres  et  dont 
les  occupations  la  rendaient  même  nécessaire,  surpassaient  de  beau- 
coup les  Hébreux  dans  leurs  connaissances  astronomiques.  —  Voyez" 
Ideler,  Untersuch.  ùb.  den  Ursprg  u.  die  Bedeutg  der  Sternnamen, 
Berl.  1809;  Neumann,  Zusammenstellg  aller  astrognost.  Benennung .  im 
A.  T.,  Bresl.  1819;  Winer,  Bibl.  Bealicorterb.,  II,  p.  609  ss. 

ASTRUC  (Jean)  [1684-1766],  célèbre  critique,  était  originaire  d'une 
famille  du  Languedoc.  Son  père,  pasteur  protestant  à  Sauve,  près 
d'Alais,  embrassa  le  catholicisme  à  la  suite  de  la  révocation  de  l'édit 
de  Nantes.  Astruc  étudia  la  médecine,  s'acquit  une  grande  réputation 
par  ses  connaissances  et  son  talent  d'exposition,*  fut  attaché  pendant 
quelque  temps  à  la  personne  du  roi  Auguste  de  Pologne,  ainsi  qu'à 
celle  de  Louis  XV,  et  devint  en  1743  professeur  à  la  Faculté  de  méde- 
cine de  Paris.  La  postérité  le  connaît  surtout  par  deux  ouvrages  qu'il 
a  composés  dans  sa  vieillesse  :  1°  Conjectures  sur  les  mémoires  originaux 
Aont  il  paroit  que  Moyse  s'est  servi  pour  composer  le  livre  de  la  Genèse, 
avec  des  remarques  qui  appuient  ou  qui  éclairassent  ces  conjectures7 
Bruxelles  (Paris),  l7o.'>,  in-12;  2°  Dissertations  sur  l'immatérialité  et 
l'immortalité  de  l'âme,  1755,  in-12.  L'auteur  (fui,  pour  éviter  le 
reproche  d'hérésie,  jugea  à  propos  de  faire  paraître  ses  Conjectures 
-'•Un  le  voile  de  l'anonyme,  soutient,  l'un  des  premiers,  l'opinion  que 
la  Genèse  n'est  qu'une  compilation  de  divers  fragments  écrits  par  des 
auteurs  inconnus,  en  partie  même  étrangers  au  peuple  hébreu,  que 
.Moïse  n'a  fait  que  ranger  dans  un  ordre  chronologique.  Il  se  fonde  sur 
les  relations  multiples  d'un  seul  et  même  fait,  sur  les  contradictions 
que  présentent  plusieurs  récits,  sur  les  noms  différents  donnés  à  Dieu 
dans  ces  fragments  (Elohim,  Jéhova,  etc.).  Nous  renvoyons  le  lecteur 
pour  l'examen  de  cette  opinion  à  l'article  Genèse.  Pue  traduction  alle- 
le  de  l'ouvrage  d'Àstruc  parut  en  178:5 ;  mais,  dès  17Vt,  une  ana- 
eritique  en  tut  donnée  par  les  Gelehrte  Ahz<<igen  de  Gœttingue 
(P.)  sept.)  et  par  Les  Relat.de  librisnovis,\\,\).  162  ss.,  attribuées  Tune 
et  l'autre  à  Michaëlis.  Voy.  ;mssi  :  Eichhorn,  Einl.  in 8  A.  T.,  1781, 
11.  g  'i  H).  ainsi  que  les  diverses  introductions  critiques  à  l'Ancien  Tes- 
tament; 

ATAROTH,  «  la  couronne  »,  nom  de  plusieurs  Localités  anciennes  et 
modernes  en  Palestine!.  Il  \  en  avait  deux  dans  la  tribu  d'Ephraïro, 


672  ATAROTH  —  ATHANASE 

Tune  au  nord,  sur  le  Jourdain  (Jos.  XVI,  7),  l'autre  (Atarothadar), 
près  de  la  frontière  de  Benjamin;  les  ruines  tVAtâra,  à  40  min.  S.-O. 
&"el-Bireh  (Beeroth),  répondent  sans  doute  à  cette  dernière.  Le  livre 
des  Chroniques  (1  Chr.  il,  54)  parle  aussi  d'un  Atamth  Beth  Joab  dans 
la  tribu  de  Juda;  eniin,  on  en  connaît  deux  à  Test  du  Jourdain 
(Nombr.  XXXII,  3,  34  et  35).  L'emplacement  du  premier  est  marqué 
par  les  ruines  d'Attârus  au  pied  du  mont  Attârus,  celui  du  second  est 
inconnu. 

ATERGATIS.  Voyez  Derceto. 

ATHALIE['Athalliâ],filled'Achab,  roi  d'Israël,  et  de  Jézabel.  Elle 
épousa  Joram,  roi  de  Juda.  Après  la  mort  de  son  lils  Achazia,  elle 
usurpa  le  trône  et  fit  égorger  tous  les  membres  mâles  de  la  famille 
royale  (pourtant  2  Rois  X,  13  ss.  il  est  question  de  frères  d'Achazia). 
Les  prêtres  parvinrent  à  soustraire  à  sa  fureur  son  petit-fils  Joas,  grâce 
au  concours  que  leur  prêta  la  princesse  Josabeth.  Joas  fut  élevé  dans  le 
temple  par  le  grand-prêtre  Joad  qui  le  fit  sacrer  roi.  Atlialie  fut  tuée 
dans  une  émeute  soulevée  par  les  prêtres,  après  un  règne  de  six  ans 
^884-878  av.  J.-C).  La  part  que  le  livre  des  Chroniques  attribue  aux 
lévites  dans  cette  révolution  est  sans  doute  exagérée  (2  Rois  XI  ; 
2Chron.  XX,  10;  XIII,  21). 

ATHANASE  (Saint),  né  à  Alexandrie  vers  la  fin  du  troisième  siècle, 
passa  probablement  quelques  années  de  sa  jeunesse  dans  le  désert  de 
la  Thébaïde,  auprès  "de  saint  Antoine,  dont  il  resta  l'admirateur  et 
l'ami  ;  puis  il  fut  ordonné  diacre  (vers  319)  par  l'évêque  d  Alexandrie, 
Alexandre.  Il  accompagna  celui-ci  au  concile  de  Nicée,  sur  les  décisions 
duquel  il  exerça  une  influence  prépondérante,  et'  il  lui  succéda  en  328. 
11  mourut  le  2  mai  373  à  Alexandrie,  après  avoir  été  cinq  fois  exilé  par 
l'autorité  impériale  (1°  par  Constantin,  335-338;  2°  et  3°  par  Constance, 
341-346  et  356-362;  4°  par  Julien,  en  363;  5°  par  Valens,  367),  pour  la 
fermeté  inébranlable  avec  laquelle  il  avait  maintenu  debout  la  doctrine 
de  Nicée  en  face  des  tendances  ariennes  de  la  cour  et  des  efforts  des 
empereurs  pour  amener  une  transaction  entre  l'orthodoxie  et  l'aria- 
nisme,  dans  l'intérêt  de  la  tranquillité  de  l'Etat.  De  là  son  surnom  de 
«  Père  de  l'orthodoxie  »  (voy.  les  détails  de  sa  biographie  dans  l'art. 
Arianisme) .  Athanase  combattit  l'hérésie  arienne  avec  l 'intolérance  natu- 
relle d'un  esprit  absolu  qui  voit  le  christianisme  tout  entier  mis  en  pé- 
ril par  la  négation  de  la  divinité  de  son  fondateur,  et  qui  attribue  di- 
rectement l'erreur  dogmatique  à  l'impiété  personnelle  de  ses  partisans. 
Véritable  représentant  de  la  tradition  et  de  l'unité  catholiques  au  qua- 
trième siècle,  défenseur  opiniâtre  de  la  liberté  de  l'Eglise  vis-à-vis  de 
l'ingérence  hostile  de  l'Etat  dans  les  affaires  religieuses,  il  a  joué  à  son 
époque,  en  Orient,  le  rôle  de  chef  spirituel  de  la  chrétienté,  que  les 
événements  devaient  faire  passer  dans  la  suite  entre  les  mains  des 
évêques  de  Rome.  Ses  ouvrages,  hormis  ses  deux  apologies  de  la  vé- 
rité chrétienne  intitulées  Contre  les  Grecs  et  De  l'incarnation  du  Dieu- 
Verbe,  qui  ont  paru  avant  le  commencement  de  la  querelle  arienne 
et  dont  la  seconde  contient  une  véritable  philosophie  de  la  religion, 
portent  la  marque  des  circonstances  au  milieu  desquelles  ils  ont  vu 


ATHANASE  673 

le  jour;   qu'ils  soient  historiques  ou  dogmatiques,  leur  tendance  esl 
toujours  apologétique  et  polémique.  Les  principaux  d'entre  eux  ont 
pour  titre  :   Circulaire  aux  évêques  (341);  Apologie  contre  les  ariens 
i entre  346  et  351);  Des  décrets  <h>  synode  de  Nicée  (entre  351  et  355)  ; 
Apologie  à  ^empereur  Constance;  Apologie  sur  sa  fuite;  Quatre  discours 
contre  les  ariens;  Histoire  des  ariens  écrite  pour  les  moines;  Des  synodes 
de  Rimini  et  de  Séleucie;  Quatre  lettres  à  Sérapion  sur  la  divinité  du 
Saint-Esprit:  Deux  livres  contre  Apollinaire  (entre  356  et  362)  ;  eniin  il 
reste   <le   lui  une  Vie  de  saint  Antoine,  écrite  pour  les  évêques  d'Oecir 
dent,  afin  de  taire  eonnaître  et   d'introduire  le  monachisme   oriental 
dans  cette  partie  de  l'empire  (entre  356  et  373),  une  Explication   des 
Psaumes  sans  date  connue,  et  des  Lettres,  parmi  lesquelles  un  certain 
nombre  de  lettres  pascales  renfermantdes  détails  biographiques  intéres- 
sants. —  Le  centre  de  la  théologie  d'Athanase  est,  comme  pour  l'école 
d'Alexandrie  à  laquelle  il  se  rattache,  la  notion  spéculative  du  Verbe. 
L'unité  de  l'univers  ne  peut  s'expliquer,  d'après  lui,  que  par  l'unité  du 
Créateur:  comment  une  multitude  de  dieux  indépendants  l'un  de  l'autre 
et   souvent   ennemis   entre  eux,  auraient-ils  pu  produire  une  œuvre 
aussi  harmonieuse  ?  Cet  être  plus  élevé  que  le  monde,  puisqu'il  le  di- 
rige, ne  peut  être,  d'après  le  but  même  qu'il  a  assigné  au  monde,  que 
le  Dieu  saint,  Père  de  Jésus-Christ.  L'ordre  parfait  qui  règne  dans  l'u- 
nivers montre  que  c'est  par  sa  Sagesse,  par  son  Verbe,  que  Dieu  a  créé 
et  organisé  toutes  choses.  C'est  à  l'image  du  Verbe  que  l'homme  a  été 
créé,  c'est-à-dire  il  a  reçu  dans  sa  nature  périssable    et  linie  l'em- 
preinte impérissable  et  infinie  du  Verbe,  grâce  à  laquelle  son  âme  pos- 
sède non-seulement  la  connaissance  de  Dieu  et  l'immortalité,  mais  en- 
core  la  faculté   de  s'élever,  dès  la  vie  présente,  au-delà   des   limites 
de  ce  inonde,  jusqu'à  la  conscience  de  son  union  parfaite  avec  Dieu 
(irpo?  ®£ov  y.y-xryr^'.;)  et  les  anges,  bienfaits  qu'elle  doit  à  la  grâce  di- 
vine, non  à  sa  nature  propre.  Le  monde  extérieur  porte  également  sur 
lui  l'empreinte  du  Verbe  :  aussi  l'àme  s'y  meut-elle  comme  dans  un 
domaine  qui  lui  est  familier  et  dans  lequel  elle  se  retrouve  elle-même. 
L'image  du  Verbe   unit   l'homme  à  la  fois  à  Dieu  et  au  monde;  c'est 
par  elle  que  la  véritable  intelligence  du  Créateur  et  des  créatures   lui 
est  ouverte.  Mais  l'homme  a  été  créé  libre;  en  outre,  Dieu  lui  a  donné 
une  loi  qui  devait  être  pour  lui  un  soutien  et  un  guide  dans  son  inex- 
périence. L'homme  savait  que  s'il  obéissait  à  cette  loi  il  bannirait  de 
-a  nature  la  contingence  qui  lui  était  propre  et  ferait  régner  en  elle  à 
jamais  tous  les  dons   contenus  dans  l'image  divine;  mais  que,  s'il  la 
transgressait,  il  se  priverait  à  jamais  de  ces  dons  et  tomberait  tout  en- 
tier au  pouvoir  de  la  contingence  inhérente  à  sa  nature.   Par  le  péché, 
l'homme  esl  déchu  de  la  hauteur  intellectuelle  et  morale  où  la  grâce 
de   Dieu  1  avait  placé;  la  connaissance  et  l'amour  de  Dieu  ont  disparu 
de  son  âme;  le  mal  est  apparu  dans  le  monde.  Dieu  n'a  point  créé  le 
mal;  l'homme  seul  l'a  inventé  :  aussi  n'a-t-il  pas  de  substance;  il  u'esl 
que  néant.   L'homme  depuis  lors  a  perdu  sa  liberté;  la  multiplication 
despéchés  lui  a  donné  un  désir  immodéré  de  pécher;  tout  a  été  boule- 
versé dans   sa  nature;  le  mal  lui  parait  être  le  bien;  au  lieu  d'être  le 


674  ATHANASE 

maître  de  l'univers,  il  en  est  devenu  l'esclave  :  il  en  a  fait  son  Dieu,  et 
il  est  allé  jusqu'à  représenter  la  divinité  sous  des  formes  matérielles.  Que 
fera  Dieu  en  présence  de  cette  ruine  du  genre  humain? D'un  côté,  il  ne 
peut  empêcher  la  loi  qu'il  a  établie  contre  le  péché,  la  mort,  d'avoir  son 
effet;  de  l'autre,  sa  bonté  infinie  l'empêche  d'abandonner  l'humanité  à 
sa  perte  ;  bien  plus ,  son  honneur  lui  fait  un  devoir  de  ne  pas  laisser 
anéantir  son  œuvre  par  la  malice  des  démons.  Il  a  pu  créer  le  monde  par 
un  signe  de  sa. main,  alors  que  sa  volonté  était  encore  la  seule  qui  exis- 
tât ;  il  ne  peut  le  sauver  par  un  simple  signe,  car  ce  serait  vis-à-vis  de 
l'homme  un  acte  de  violence,  dont  les  effets  ne  pourraient  même  être 
que  momentanés,  sans  présenter  aucune  garantie  contre  lé  retour  pro- 
chain du  mal  et  la  nécessité  d'un  nouveau  signe  dans  l'avenir.  L'homme 
pourra-t-il  se  sauver  lui-même  par  le  repentir?  Il  le  pourrait,  si  la  loi 
de  la  mort  n'existait  pas  :  la  résolution  de  ne  plus  pécher  pourrait,  en 
effet,  être  une  garantie  suffisante  contre  les  péchés  futurs  ;  elle  n'aboli- 
rait pas  les  péchés  passés  que  cette  loi  doit  punir,  au  nom  de  la  véra- 
cité de  Dieu.  D'ailleurs,  comment  cette  résolution  seule  rendrait-elle  à 
l'homme  les  dons  de  la  grâce  divine  qu'il  a  perdus?  Celui  qui  a  créé  le 
monde  peut  seul  le  sauver  :  «  quand  un  portrait  a  été  brisé,  il  ne  peut  être 
rétabli  que  par  la  présence  de  la  personne  même  qu'il  représentait.  » 
Il  est  donc  nécessaire  que  le  Fils  vienne  lui-même  dans  le  monde,  et  il 
le  peut,  carie  monde  est  sa  propriété;  il  peut  tout  aussi  bien  habiter 
dans  un  corps  humain,  partie  infime  de  l'univers,  que  dans  le  corps 
de  l'univers  même.  D'ailleurs,  quoique  contenu  tout  entier  dans  un 
corps  charnel,  il  n'en  cesse  pas  pour  cela  de  demeurer  dans  le  sein  du 
Père  et  d'animer  le  corps  de  l'univers;  ses  pensées,  en  effet,  ne  sont 
pas  de  simples  représentations  des  choses,  comme  celles  des  hommes, 
mais  des  forces  qui  agissent  réellement  sur  elles  et  en  elles.  Pour  ac- 
complir son  œuvre,  le  Fils  a  dû  s'incarner,  car  c'est  dans  le  corps  que 
le  péché  et  la  mort  ont  leur  siège  ;  c'est  dans  le  corps  que  la  vie  doit 
se  manifester  pour  les  combattre.  S'il,  était  venu  dans  l'éclat  de  sa 
gloire  céleste,  il  eût  pu  exciter  l'étonnement  et  l'admiration,  éblouir 
les  yeux,  mais  non  toucher  les  cœurs.  Comme  ce  n'est  pas  un  être 
d'un  ordre  supérieur  à  l'homme  qu'il  est  venu  sauver,  il  a  dû  se  faire 
en  tout  point  semblable  aux  hommes  et  vivre  au  milieu  d'eux,  afin  que 
ceux  qui  n'étaient  plus  capables  de  contempler  des  yeux  de  l'esprit  sa 
puissance  invisible  et  de  reconnaître  son  activité  dans  l'harmonie  de 
l'univers,  le  reconnussent  aux  œuvres  qu'il  accomplissait  tout  près 
d'eux.  En  tant  que  Dieu,  il  a  fait  des  miracles  et  donné  des  enseigne- 
ments sublimes  ;  en  tant  que  revêtu  d'un  corps  charnel,  il  a  été  sujet  à 
la  souffrance  et  au  changement  et  s'est  attribué  une  nature  moins  par- 
faite que  celle  du  Père.  Ces  deux  côtés  de  son  être  doivent  être  main- 
tenus et  distingués  avec  un  soin  égal  :  nier  l'un,  c'est  nier  l'utilité  de 
l'apparition  entière  de  Christ;  si  sa  chair  n'a  pas  été  une  vraie  chair, 
il  a  pu  tout  aussi  peu  sauver  le  monde  que  s'il  n'a  pas  été  le  vrai  Fils 
de  Dieu.  Son  œuvre  a  été,  d'un  côté,  de  rétablir  dans  les  hommes,  par 
son  séjour  terrestre,  l'image  immortelle  de  Dieu;  de  l'autre,  de  dé- 
truire le  péché  et  son  châtiment  par  sa  mort  et  sa  résurrection.   Pour 


ATHANASE  075 

racheter  les  hommes,  il  a  livré  son  corps  à  la  mort  ;  mais  parce  que  ce 
corps  avait  servi  de  demeure  au  Verbe  divin,  la  mort  n'a  pas  eu  le 
pouvoir  de  le  détruire  comme  les  autres.  Ainsi  s'est  opéré  un  double 
miracle  :  toute  l1  humanité,  dont  Christ  est  la  tête,  est  morte  avec  lui 
dans  son  corps;  et  la  mort  elle-même  a  été  anéantie  dans  le  corps 
du  Seigneur.  En  Christ,  toute  l'humanité  a  vécu,  souffert,  vaincu  la 
mort  et  célébré  sa  résurrection.  Les  hommes  ont  été  rétablis  par  lui 
dans  leur  communion  première  avec  Dieu;  une  vie  nouvelle  a  été 
créée  ici-bas,  toute  d'amour,  de  patience  et  d'abnégation;  l'idolâtrie 
a  été  abattue,  et  la  disparition  des  dieux  nationaux  a  amené  sur  la 
terre  l'unité  religieuse  en  réunissant  les  hommes  de  tous  les  pays 
<lans  l'adoration  d'un  même  Christ.  La  place  éminente  que  la  no- 
tion du  Fils  occupe  dans  cette  théologie  fait  comprendre  l'ardeur 
avec  laquelle  Athanase  a  combattu  le  principe  arien  d'après  lequel  le 
Fils  ne  serait  qu'une  créature  du  Père.  Selon  lui,  Christ  n'a  plus  aucune 
valeur  pour  la  conscience  chrétienne  s'il  n'est  pas  conçu  comme  égal 
au  Père,  quant  à  l'essence  et  quant  à  l'éternité,  c'est-à-dire  comme  en- 
gendré de  la  substance  du  Père.  La  doctrine  arienne  lui  paraissait 
incompatible  avec  la  notion  métaphysique  du  Père,  et  avec  celle  du 
Fils.  La  faculté  d'engendrer,  contenue  dans  le  mot  «  Père  »,  appartient 
ii«  '■< vssairement  à  la  substance  divine;  c'est  une  action  éternelle  et  im- 
manente de  la  substance  sur  elle-même  et  dans  laquelle  la  puissance 
créatrice  de  la  volonté  doit  avoir  son  fondement,  si  l'on  ne  veut  attri- 
buer à  la  volonté  une  énergie  productive  que  contredirait  l'inertie  de 
la  substance  qui  est  à  la  base  de  la  volonté.  Dieu  ne  crée  par  la  volonté 
qu'à  la  condition  d'avoir  engendré  par  la  substance,  ou,  comme  le  dit 
l'Ecriture,  il  ne  crée  que  par  l'intermédiaire  du  Fils.  Cette  génération, 
qui  a  son  principe  dans  le  fond  même  de  l'être  de  Dieu,  est  aussi  natu- 
relle à  Dieu  que  sa  bonté  et  sa  sainteté  :  les  catégories  morales  de  la 
liberté  et  de  la  contrainte  ne  lui  sont  plus  applicables.  C'est  donc  de  la 
substance  de  Dieu  que  le  Fils  est  engendré  d'éternité.  En  outre,  il  se- 
rait bien  indigne  du  Père  d'avoir  pour  Fils  une  créature  dont  le  nom 
figurerait  sur  la  même  ligne  que  le  sien  dans  la  formule  du  baptême 
établie  par  Christ,  et  d'avoir  eu  besoin,  soit  par  orgueil,  soit  par  fai- 
blesse, d'un  médiateur  créé  pour  créer  le  monde,  médiateur  dont 
la  création  eût  nécessité  elle-même  l'intervention  d'un  autre  média- 
!<'iu\  Si  le  Fils  est  une  créature,  il  est  indigne  du  nom  qu'il  porte; 
il  a  beau  être  la  première  créature  du  Père  et  se  distinguer  du  reste 
des  hommes  par  sa  pureté  morale,  il  ne  diffère  d'eux,  en  réalité,  que 
par  le  degré  et  non  par  la  substance.  S'il  n'est  appelé  Sagesse  que 
par  grâce,  parce  qu'il  a  plu  à  Dieu  de  lui  communiquer  une  sagesse 
qu'il  m-  possède  pas  substantiellement  en  lui,  il  peut  un  jour  perdre; 
ce  nom,  car  il  peut  désapprendre  ce  qu'il  a  appris.  De  plus,  il  ne  peut 
être  1<"  créateur  du  inonde,  car  il  est  contradictoire  de  placer  dans  une 
créature  le  principe  d'activité  auquel  elle  doit  sa  propre  existence: 
l'origine  du  monde  peste  «loue  sans  explication,  car  il  n'y  a  plus  de 
moyen  terme  entre  L'infini  et  le  fini.  Enfin,  la  révélation  et  la  rédemp- 
tion sont  également  impossibles.  Loin  de  les  unir  à  Dieu,  le  Fils  n'a 


676  ATHANASE 

pu  révéler  aux  hommes,  par  son  apparition,  que  la  distance  qui  les  en 
sépare  ;  la  connaissance  parfaite  du  Père  est  restée  aussi  étrangère  aux 
hommes  qu'elle  Test  au  Fils,  et  la  sainteté  de  Dieu  n'a  pu  être  mani- 
festée ni  aux  hommes  pour  les  purifier  ni  au  diable  pour  briser  sa 
puissance,  par  un  être  dont  la  nature  est  soumise  aux  mômes  change- 
ments que  la  nôtre.  De  même,  étant  lui-même  sujet  à  la  mort,  il  n'a 
pu  donner  sa  vie  pour* l'humanité;  notre  salut,  dont  il  est  le  fonde- 
ment, n'a  pas  .été  préparé  en  lui  d'éternité;  il  n'a  pu  pardonner  les 
péchés  et  donner  l'Esprit,  ce  qui  n'appartient  qu'à  Dieu;  le  péché  et 
la  mort  régnent  encore.  La  divinité  du  Saint-Esprit  a  été  pour  Atha- 
nase  la  conséquence  nécessaire  de  celle  du  Fils.  L'Esprit,  en  effet, 
renouvelle  et  sanctifie  les  âmes;  il  nous  met  en  communion  avec  le  Fils 
et  le  Père.  Comment  serait-il  une  créature,  qui  eût  elle-même  besoin 
d'être  sanctifiée  par  lui?  Le  Père  et  le  Fils  sont  en  lui  comme  il  est  en 
eux;  les  trois  personnes  sont  égales  et  consubstantielles,  tout  en  con- 
servant chacune  sa  propriété  particulière.  Loin  de  s'être  formée  suc- 
cessivement, comme  le  prétendent  les  ariens,  par  un  assemblage  de 
parties  hétérogènes,  ce  qui  ferait  supposer  qu'elle  a  été  autrefois  incom- 
plète et  imparfaite  et  qu'elle  est  encore  susceptible  ou  d'augmentation 
ou  de  diminution,  la  Trinité  forme  une  unité  indivisible  et  immuable. 
Les  ariens  niaient  l'existence  d'une  âme  humaine  en  Christ  et  rédui- 
saient l'incarnation  du  Fils  à  son  entrée  dans  un  corps  matériel,  afin  de 
pouvoir  attribuer  directement  au  Fils  toutes  les  imperfections  de  l'hu- 
manité. Athanase,  clans  son  ardeur  à  relever  sans  cesse  la  divinité  abso- 
lue du  Fils,  est  tombé  d'abord  dans  le  même  défaut  :  le  Verbe,  selon 
lui,  est  devenu  homme  en  revêtant  un  corps  charnel;  il  n'a  pas  connu 
les  souffrances  et  les  imperfections  inséparables  de  la  nature  humaine, 
car  l'âme  humaine,  seule  capable  de  les  ressentir,  faisait  défaut  chez 
lui.  C'est  par  accommodation  pour  nous  qu'il  s'est  attribué  parfois  cer- 
taines imperfections,  pour  nous  faire  entendre,  par  exemple,  qu'il  nous 
est  bon  d'ignorer  l'heure  de  la  fin  du  monde.  Athanase  s'est  approché 
ainsi,  sans  le  vouloir,  très-près  du  docétisme  :  quelle  certitude,  en  effet, 
avons-nous  que  cette  accommodation,  constatée  en  plusieurs  occasions, 
ne  s'est  pas  étendue  à  toute  l'apparition  humaine  du  Sauveur,  puisque 
tout  ce  qui  est  humain  lui  est  resté  tellement  étranger?  Vers  la  fin  de  sa 
vie,  cependant,  il  a  modifié  cette  manière  de  voir  dans  sa  polémique 
contre  l'apollinarisme  :  il  est  tout  aussi  nécessaire,  dit-il  alors,  d'attri- 
buer au  Christ  une  âme  humaine  qu'un  corps  humain,  sans  quoi  le  Christ 
n'aurait  pu  sauver  qu'une  moitié  delà  nature  humaine  et  non  l'homme 
tout  entier. — Quelque  progrès  qu' Athanase  ait  fait  faire  à  la  doctrine  de 
la  Trinité,  sa  conception  des  rapports  du  Fils  et  du  Père  n'est  pas  en- 
core complètement  débarrassée  de  certaines  notions  plus  anciennes  et 
plus  rudimentaires,  dont  la  présence  à  côté  de  formes  dogmatiques 
plus  développées  constitue,  d'après  Baur,  le  caractère  particulier  de  sa 
christologie.  D'un  côté,  il  affirme  que  le  Fils  n'est  ni  un  simple  attri- 
but du  Père  ni  une  partie  de  son  essence,  mais  un  sujet  parfaitement 
distinct  et  indépendant  du  Père;  de  l'autre,  il  répète  encore,  pour  se 
représenter  les  relations  de  ces  deux  personnes  divines,  les  vieilles  ima- 


ATIFANASE  G77 

ges  du  fleuve  qui  sort  de  sa  source,  des  rayons  qui  s'échappent  d'un 
foyer  de  lumière,  etc.,  images  tellement  indispensables  à  la  pensée 
chrétienne,  selon  lui,  que  sans  elles  il  est  impossible  de  se  faire  une 
idée,  même  lointaine,  de  l'être  divin;  il  ne  voit  pas  qu'il  réduit  ainsi 
le  Fils  à  n'être  plus  qu'un  simple  accident,  une  modification  de  la  sub- 
stance divine  qui  est  contenue  tout  entière  dans  le  Père.  La  doctrine 
de  l'émanation  physique  subsiste  encore  chez  lui  à  côté  de  celle  de  la 
génération  métaphysique  :  il  ne  réussit  à  se  représenter  la  diversité  des 
personnes  divines  qu'en  sacrifiant  leur  unité  substantielle;  et  pour  se 
représenter  celle-ci,  il  est  obligé  de  recourir  à  des  comparaisons  qui 
concentrent  toute  la  substance  divine  dans  le  Père  et  ne  laissent  au  Fils 
que  la  réalité  secondaire  et  dérivée  d'un  rayon  vis-à-vis  du  foyer  même 
de  la  lumière.  De  même  que  le  symbole  de  Nicée,  Athanase  affirme 
comme  également  indispensables,  au  point  de  vue  de  la  conscience 
chrétienne,  ces  deux  côtés  de  la  nature  du  Fils,  son  existence  au  sein  du 
Père  et  son  existence  comme  personne  distincte,  sans  parvenir  à  les 
concilier.  Aussi  ne  considère-t-il  pas  les  expressions  «  consubstantiel 
au  Père»  et  «engendré  de  la  substance  du  Père  »  comme  épuisant  com- 
plètement la  notion  de  l'être  divin  ;  ces  termes  sont  insuffisants,  dit-il, 
pour  exprimer  l'infinité  de  l'idée  de  Dieu;  ce  ne  sont  que  des  images 
imparfaites,  de  simples  tentatives  pour  définir  Dieu,  afin  d'arriver  à 
nous  en  faire  du  moins  une  idée  lointaine.  «  Que  le  fidèle  se  contente 
sur  ce  point  de  la  foi  de  l'Eglise  et  de  l'enseignement  donné  par  Jésus 
dans  les  paroles  de  l'institution  du  baptême;  etsi  les  chérubins  arrêtent 
son  regard  et  l'empêchent  de  pénétrer  plus  avant  dans  le  mystère  de 
l'être  divin,  qu'il  se  souvienne  que  le  Seigneur  a  dit  seulement  qu'il 
est  et  non  pas  qui  il  est.  C'est  une  folie  de  vouloir  atteindre  avec  la  rai- 
son humaine  ce  qui  dépasse  cette  raison.  »  Ce  n'est  donc  pas  sur  des 
démonstrations  métaphysiques  qu'Athanase  a  basé  sa  foi  en  la  Trinité; 
c'est  pour  lui  une  doctrine  de  l'Eglise,  que  l'Eglise  n'a  pas  inventée, 
mais  qu'elle  tient  du  Seigneur  pour  la  transmettre  aux  générations 
futures.  Les  fidèles  doivent  l'accepter  en  toute  humilité,  «  de  même 
que  les  apôtres  n'ont  pas  demandé  d'une  manière  insensée  au  Seigneur, 
lorsqu'il  leur  a  commandé  de  baptiser  au  nom  des  trois  personnes,  qui 
est  le  Fils,  qui  est  le  Saint-Esprit  et  comment  il  se  fait  qu'il  y  a  en  Dieu 
une  Trinité,  mais  se  sontcontentés  decroire  ce  qu'ils  avaient  entendu.  » 
La  foi  religieuse  d'Athanase  a  pour  fondement  l'Ecriture,  interprétée 
non  par  l'individu,  car  «  Satan  aussi  a  essayé  de  vaincre  Jésus  par  des 
passages  de  l'Ecriture,  »  mais  par  l'Eglise.  La  conscience  d'Athanase 
esl  avant  tout  ecclésiastique.  Selon  lui,  la  tradition  forme  un  tout  ho- 
mogène et  immuable  ;  aussi,  défend-il  de  rechercher  les  divergences 
qui  peuvent  exister  entre  les  Pères  sur  certains  points  de  doctrine  et 
recommande-t-il  de  relever  bien  plutôt  l'accord  qui  existe,  au  fond, 
entre  eux,  «  car  ce  sont  tous  des  Pères,  et  ils  sont  tous  morts  au  Sei- 
gneur. »  Avec  quelle  triomphante  ironie  ne  reproche-t-il  pas  aux  ariens 
d'accumuler  formules  sur  formules,  «  comme  si  la  foi  en  Christ  pou- 
vait dater  de  tel  on  tel  consulat,  »  au  lieu  de  s'en  tenir  à  l'unité  de  la 
foi  catholique,  hors  de  laquelle  il  n'y  a  que  confusion  des  langues!  C'est 


678  ATHANASE 

dans  cette  conscience  de  son  union  avec  l'Eglise  qu'il  a  puisé  non-seu- 
lement le  principe  de  sa  théologie,  mais  encore  celui  de  sa  vie  prati- 
que; c'est  elle  qui  a  donné  à  son  caractère  une  force  et  une  grandeur 
qui  ne  ressortent  que  plus  vivement  sur  le  fond  si  peu  digne  et  si  peu 
noble  en  général  des  mœurs  ecclésiastiques  de  son  temps.  —  Les  ouvra- 
ges dAthanase  ont  été  publiés  par  Bern.  de  Montfaucon,  Paris,  1698, 
3  vol.  in-folio,  et  par  Justiniani,  Padoue,  1777,  4  vol.  in-folio.  Voyezla 
littérature  à  la  fin  de  l'art.  Arianisme.  A.  Jundt. 

ATHANASE  {Symbole  d').  Ce  symbole  (abstraction  faite  des  articles 
de  condamnation  du  prologue  et  de  l'épilogue)  se  compose  de  deiiK 
parties.  La  première  expose  la  doctrine  de  la  Trinité  sous  la  forme  ri- 
goureuse qu'elle  revêtit^en  Occident  depuis  Augustin,  en  excluant  toute 
subordination  du  Fils  et  du  Saint-Esprit,  en  faisant  procéder  le  Saint- 
Esprit  du  Fils  comme  du  Père,  en  donnant  le  nom  de  seul  vrai  Dieu, 
non  pas  au  Père,  comme  au  principe  absolu  des  deux  autres  personnes, 
ni  à  la  divinité,  comme  à  l'élément  commun  des  trois  personnes,  mais 
à  la  Trinité  tout  entière,  considérée  comme  une  substance  en  trois  per- 
sonnes. La  seconde  partie  du  symbole  expose  la  doctrine  de  la  per- 
sonne du   Christ,    ou  de  l'incarnation   du  Verbe,    des  rapports    du 
divin   et  de  l'humain  en  Jésus-Christ,   d'une  manière  conforme  aux 
décrets  des  quatre  premiers  conciles  œcuméniques;  elle  y  joint  les  dé- 
clarations du  symbole  des  Apôtres  relatives  à  l'œuvre  de  Jésus-Christ.  Une 
légende  tardive  attribue  cette  exposition  de  la  foi  catholique  au  père 
même  de  l'orthodoxie,  à  saint  Athanase  qui  l'aurait  composée,  soit  pen- 
dant son  premier  exil  (336),  près  de  Trêves,  dans  une  citerne  desséchée, 
soit  pendant  son  second  exil  (340),  à  Rome,  en  vue  du  pape  Jules  Ier. 
Presque  tous  les  théologiens  protestants  (depuis  Voss,  Usher,  Pearson, 
Carpzov,  etc.),  et  beaucoup  desavants  catholiques  (à  partir  de  P.  Ques- 
nel,  Tillemont,  Montfaucon,  etc.)  rejettent  absolument  cette  tradition. 
Le  symbole  quicunque,  écrit  originellement  en  latin  (le  texte  grec  est 
criblé  de  variantes),  n'use  pas  de  la  terminologie  familière  à  Athanase, 
et  il  dépasse  sur  certains  points  la  pensée  de  ce  Père,  d'ailleurs  hostile 
à  l'idée  de  composer  un  autre  symbole  après  celui  de  Nicée.  Ajoutons 
que  ce  document  ne  se  trouve  pas  dans  les  plus  anciens  manuscrits  des 
œuvres  d'Athanase,  qu'il  n'est  pas  mentionné  dans  les  premiers  éloges 
de  ce  Père,  qu'il  n'est  pas  cité  dans  les  écrits  du  quatrième  et  du  cin- 
quième siècle,  et  qu'il  ne  joua  aucun  rôle  aux  conciles  de  Constanti- 
nople  (381),  d'Ephèse  (431)  et  de  Chalcédoine  (451).  —  Si  le  symbole 
quicunque  n'est  pas  d'Athanase,  à  quelle  époque,  dans  quelle  contrée 
et  par  quel  auteur  a-t-il  été  composé?  C'est  là  un  problème  des  plus 
complexes.  En  face  des  passages  des  écrivains  ecclésiastiques  qui  rap- 
pellent certains  articles  du  symbole  en  question,  il  est  souvent  difficile 
de  dire  où  est  l'original  et  où  est  la  citation.  Ajoutons  que  le  nom  de 
«  foi  d'Athanase  »  a  été  appliqué,  dans  ces  temps  reculés,  à  une  autre 
profession  de  foi  qui  différait  sensiblement  du  quicunque,  au  moins 
pour  la  forme.  Nous  devons,  enfin,  constater  que  notre  document  ac- 
tuel fut  précédé  d'une  foule  d'  «  expositions  de  la  foi  catholique  » 
assez  semblables  les  unes  aux  autres,  et  qui  furent  comme  autant  d'é- 


ATHANASE  670 

bauches  du  symbole  définitif.  Cola  dit,  voici  les  principales  données 
du  problème.  Les  écrits  authentiques  et  supposés  d'Augustin  (f  430) 
renferment  certaines  paroles  qui  se  retrouvent  plus  tard  presque  litté- 
ralement dans  le  quicunque.  Il  en  est  de  même  du  Commonitorium  de 
Vincent  de  Lérins  (434)  et  d'un  ouvrage  attribué  à  Vigile  deTapses(fm 
du  cinquième  siècle).  Comme  cet  évoque  africain  écrivit  plusieurs  fois 
sous  le  nom  des  anciens  Pères,  et  une  fois  au  moins  sous  celui  d'Atha- 
nase,  Quesnel  lui  imputa  la  rédaction  du  quicunque  ;  mais  cette  hypo- 
thèse, qui  est  encore  la  plus  répand  ue,   a  été    abandonnée  par  les 
critiques  les  plus  compétents.  Un  manuscrit  de  la  Bibliothèqu  ambro- 
sienne  de  Milan  renferme,  sous  le  titre  d1 Expositio  fidei  caiholicx  Fortu- 
nati,  l'explication  de  25  à  30  articles  du  symbole  quicunque  ;  Muratori 
avait  attribué  ce  traité  à  Venantius  Fortunatus,  évêque  de  Poitiers  de 
559  cà  609,   mais  cette  conjecture  est  très-hasardée,  et  le  Fortunatus 
dont  il  s'agit  peut  fort  bien  n'avoir  vécu  qu'au  huitième  siècle  au  plus 
tôt.  Un  Psautier  latin  aujourd'hui  conservé  à  Utrecht  reproduit  le  qui- 
cunque définitif,  sous  le  titre  de  Fides  catholica  :  Usserius  avait  fait 
remonter  ce  manuscrit  aux  environs  de  l'an  600,  mais  les  paléogra- 
phes  actuels  l'ont  rajeuni  de  deux  ou  trois  siècles.  Les  canons  des 
conciles  de  Tolède  de  589,633,  638,  675  et  693  renferment  (en  nombre 
croissant)  des  propositions  théologiques  et  christologiques  qui  se  trou- 
vent aussi  dans  notre  symbole  ;  ceux  du  concile  de  Latran  de  643  font 
•de  même,  sur  une  échelle  moindre  :  mais  ces  canons  ne  disent  rien 
d'un  symbole  quicunque,  et  ceux  du  concile  d'Autun  qui  parlent  de  la 
«  foi  de  saint  Athanase  »,  ne  furent  pas  décrétés  par  l'assemblée  tenue 
sous  la  présidence  de  saint  Léger  (f  678),  mais  par  un  concile  sans  doute 
postérieur.  Nous  arrivons  ainsi  à  une  Exposition  du  symbole  apostolique 
qui  existait  déjà  vers  730  à  Trêves,  où  un  voyageur  la  transcrivit,  et 
qui  renferme  la  substance  ou  le  texte  même  de  dix  articles  du  quicun- 
que; puis  à  un  discours  que  Paulin  d'Aquilée  prononça  en  791  au  con- 
cile de  Frioul,  discours  où  l'on  trouve  une  douzaine  des  propositions 
du  quicunque,  mais  sans  aucune  mention  de  ce  symbole  (dont  Ffoulkes 
attribue  la  composition  à  Paulin).   Viennent  ensuite  la  profession  de 
foi  de  Denebert,  évêque  de  Worcester  (796),  qui  contient  une  partie  de 
la  première  moitié  de  notre  document,  celle  de  Léon  III  (809),  qui 
renferme  la  substance  de  la  seconde  moitié,  et  celle  du  concile  d'Arles 
(813),  qui  reproduit  les  propositions  déjà  formulées  par  le  concile  de 
Tolède.  Au  reste,  entre  800  et  803,  Alcuin  avait  dédié   à  Charlema- 
gne  un  traité  sur  la  Trinité,  avec  une  profession  de  foi  de  sa  composi- 
tion,, en  grande  partie  tirée  de  saint  Augustin,  et  dont  le  prétendu  sym- 
bole d1  Athanase  parait  n'être  qu'un  résumé.  —  Le  quicunque  était  donc 
en  voie  de  formation  vers  la  linduhuitième  siècle,  époque  à  laquelleses 
«'•bauches  apparaissent  dans  les  collections  d'hymnes  et  de  prières; 
mais  il  n'était  point  encore  connu  dans  son  texte  définitif,  ni  surtout 
reçu  comme  l'œuvre  d'un  Père  de  l'Eglise.  C'est  seulement  vers  le 
premier  quart  du  neuvième  siècle  qu'un  fragmenl  de  ce  symbole  com- 
mence a  cire  attribué  à  Athanase  par  'les  hommes  tels  que  Théodulphe 
d'Orléans  (y  821),  Agobard  de  Lyon  (y.  820;,  Hatto  de  Baie  (évôq.  80o- 


680  ATHANASE 

823,  f  836),  Enée  de  Paris  (év.  863-877),  Ratramne  de  Corbie  (868)  et 
Ado  deVienne  (860-870).  Enfin,  dès  le  milieu  du  siècle,  le  «  discours 
d'Athanase  sur  la  foi  commençant  par  quicunque  vult,  etc.,  »  est  nette- 
ment invoqué  par  des  prélats  rattachés  de  quelque  manière  à  la  pro- 
vince de  Reims,  comme  par  Hincmar  de  Reims  (852),  auquel  Swainson 
paraît  attribuer  cette  fraude  pieuse,  Anschar  de  Hambourg  (865),  Adalbert 
de  Morinum  (871),   Riculphe  de  Soissons  (889)  et  Réginon  de  Prum 
(v.  906).  Charles  le  Chauve  possédait  aussi  (au  plus  tard  en  869)  le  texte 
du  quicunque  dans  son  magnifique  Psautier  illustré.  Le  symbole  d'A- 
thanase  s'établit  dès  lors  dans  les  collections  de  canons  ou  de  psaumes 
émanées  de  l'Eglise  gallicane,  et  il  ne  tarda  pas  à  se  substituer  à  toutes 
les  règles  de  foi  analogues.  La  nouvelle  formule  passa,  au  dixième  siè- 
cle, de  France  en  Italie  et  elle  îinit  par  prendre  place  dans  le  bréviaire 
romain.  On  lui  donna  (v.  1200)  le  titre  de  symbole  et  Ton  se  mit  à  la 
ranger  à  côté  du  symbole  des  Apôtres  et  de  celui  de  Nicée.  Le  quicun- 
que ne  figure,  cependant,  ni  dans  la  Profession  de  foi  du  concile  de 
Trente,  ni  dans  le  Catéchisme  romain,  ni  dans  le  canon  actuel  de  la 
messe.  Quant  aux  chrétiens  grecs,  ils  ne  connurent  le  symbole  qu'au 
onzième  ou  douzième  siècle  ;  ils  le  combattirent  assez  vivement  au  pre- 
mier abord,  ils  ne  s'en  servirent  jamais  sans  l'avoir  amendé  suri1  article 
de  la  procession  du  Saint-Esprit.  Le  quicunque  est  cité  dans  la  confes- 
sion de  foi  officieuse  de  Métrophane   Critopoulos   (1625),  il  figure  dans 
une  édition  privée  de  l' Horologion  grec  (Venise,  1787),  et  dans  quelques 
livres  de  piété  russes,  mais  il  n'a  jamais  été  admis  dans  les  livres  offi- 
ciels de  l'Eglise  d'Orient.  Les  Réformateurs,  qui  voulaient  respecter  les 
trois  symboles  œcuméniques,  ne  répudièrent  pasle  quicunque,  bien  que 
Calvin  l'admirât  beaucoup  moins  que  Luther.  Ce  symbole  fut  confirmé 
par  les  principales  confessions  de  foi  protestantes  du  seizième  et  du 
dix-septième  siècle,  sauf  la  Confession  d 'Augs bourg  et  celle  de   West- 
minster. L'Eglise  anglicane  alla  même  jusqu'à  le  faire  réciter  dans  l'of- 
fice public  de  toutes  les  grandes  fêtes.  Cependant,  lorsque  l'inauthenti- 
cité  de  ce  document  eut  été  prouvée  par  Voss  et  par  d'autres  encore,  la 
subtilité  de  ses  distinctions  et  la  dureté  de  ses  anathèmes  lui  suscitè- 
rent peu  à  peu  bien  des  attaques.  Il  en  a  jusqu'ici  triomphé  dans  quel- 
ques-unes des  Eglises  réformées  et  dans  la  plupart  des  Eglises  luthé- 
riennes, où  il  figure  encore  dans  les  formules  d'engagement  des  minis- 
tres. L'Eglise  épiscopale  des  Etats-Unis  l'a  fait  disparaître  de  sa  liturgie 
(1785),  et  celle  d'Irlande  a  cessé  de  faire  réciter  dans  son  culte  ses 
((  clauses  damnatoires  »  (1875).  Dans  l'Eglise  d'Angleterre,  un  parti 
nombreux  demande  que  la  lecture  de  ce  symbole  devienne  facultative 
pour  l'officiant,  ou,  du   moins,  que  ses  sentences  de  condamnation 
soient  supprimées.  En  1689  et  en  1875,  on  fut  sur  le  point  de  donner 
à  ce  parti  une  demi-satisfaction  en  insérant  dans  le  Prayer-book  une  dé- 
claration qui  atténuait  la  portée  des  «  clauses  damnatoires  »  du  sym- 
bole, mais  cette  réforme  a,  par  deux  fois,  échoué  au  port.  —  Sources  : 
Voss,    De    tribus    symbolis,  Amst.    1642;  Quesnel,    Opp.  Leonis  Ma- 
gni,  t.  Il,  diss.   14,  1675;  Tentzel,  Judicia  eruditorum  de  symb.  Ath. 
collecta,  Gotha,  1688;  Montfaucon,  Opp.  Athan.,  1698,  t.  II,  p.    719; 


ATHANASE  -  ATHÉISME  681 

Muratori,  Anecdota  làttna,  l(>98,  t.  II,  p.  222;  Speroni,  Dr  Symb. 
vulgo  S.  Athan.  diss.  I  et  II,  1750-51  ;  Waterland,  A  Critical  History 
of  the  Athanasian  Creed,  Camb.,  1721  ;  Sœrgel,  Paralipomcna  de 
Symb.  Ath.  ex  Waterland  excerpta,  Gœtt.,  1703;  Ffoulkes,  The 
Athanasian  Creed.  followed  bij  the  appendix  :  The  Athanasian  Creed 
reconsidered;  Swainson,  77te  Nicene  and  Apostles'  Creeds,  toqether 
with  an  Account  of  the  Growth  and  Réception  of  the  Sermon  on  the 
Fait  h  commonltj  called  the  Creed  of  St  Athanasius,  London,  1875. 

F.  Chaponnière. 
ATHÉISME  (de  à  pravitif  et  de  0ss;,  Dieu).    I.    Diverses  espèces  d'à- 
théisme.  Dans  l'acception  la  plus  large  du  mot,  être  athée  signifie  être 
sans  Dieu.  En  ce  sens,  il  va  plusieurs  manières  d'être  athée:  1°  On 
peut  être  athée  dans  sa   conduite.  C'est  cet  athéisme  pratique,  qu'on 
pourrait  aussi  appeler  l'athéisme  par  oubli,  que  Bossuet  caractérise 
en  ces  termes  :  «  Il  y  a  un  athéisme  caché  dans  tous  les  cœurs,  qui 
se    répand  dans  toutes   les    actions  ;   on    compte   Dieu   pour    rien  : 
on  croit  que,  quand  on  a  recours  à  Dieu,  c'est  que  les  choses  sont 
désespérées  et    qu'il  n'y  a   plus  rien   à   faire»    (Pensées   détachées). 
2°  Certains  savants  et  certains  philosophes  admettent  qu'il  y  a  des  hom- 
mes et  des  peuples  athées,  en  ce  sens  que  l'idée  de  Dieu  serait  absente 
de  leur  intelligence.  Cet  athéisme  pourrait  se  nommer  athéisme  d'igno- 
rance. La  réalité  n'en  parait  pas  bien  démontrée.  La  question  n'est  pas, 
bien  entendu,  de  savoir  si  toutes  les  intelligences  sont  capables  de  s'é- 
lever d'elles-mêmes  à  l'idée  du  vrai  Dieu  ;  à  ce  compte,  les  trois  quarts 
des  hommes,  peut-être  même  tous  les  hommes  seraient  athées  d'igno- 
rance ;  mais  on  se  demande  seulement  s'il  est  possible  que  certains 
hommes,  jouissant  d'ailleurs  des  facultés  ordinaires,  ne  se  forment 
aucune   conception  d'agents  doués  d'attributs  analogues  en   nature . 
mais  supérieurs  par  le  degré  à  ceux  de  l'humanité,  distribuant  des  biens 
et  des  maux,  châtiant  l'injustice  et  récompensant  la  vertu,  tels,  en  un 
mot,  qu'il  importe  de  s'attirer  leur  bienveillance  et  de  ne  pas  encourir 
leur  haine.  Or,  d'une  part,  l'analyse  psychologique  montre  que  l'homme 
ignorant  primitivement  la  nature  des  forces  qui  agissent  dans  le  monde, 
les  conçoit  et  ne  peut  pas  ne  pas  les  concevoir  sur  le  type  de  la  seule  force 
•  pi 'il  connaisse,  à  savoir  lui-même.  L'homme  est  donc  spontanément 
polythéiste,  et  la  Loi  des  trois  états,  l'un  des  principes  fondamentaux 
du  positivisme,  est,  sur  ce  point,  incontestablement  vraie:  la  première 
période  du   développement  intellectuel  de  l'humanité  est  bien   une 
période  théologique.  Au  contraire,  l'attribution  des  phénomènes  à  des 
causes  purement  physiques  ne  peut  être  qu'une   explication  tardive, 
savante,    accessible  seulement  à  quelques  esprits   cultivés.  D'autre 
part,  l'histoire.  La  géographie,  l'anthropologie  préhistorique  témoi- 
gnent dans    le   même    mus    <|ue   la  psychologie.  Quoi  qu'en  aient  pu 
dire  certains  historiensou  certains  voyageurs,  on  ne  connaît,  ni  dans  le 
présent  ni  dans  le  passé,  aucun  peuple,  aucune  tribu,  absolument  dé- 
pourvus de  toute  QOtion  de  la  divinité.  Les  sauvages  de  la  Terre  de 
Feu,  regardés  généralement  comme  occupant  le  dernier  degré  de  l'hu- 
t.  44 


682  ATHEISME 

manité,  «  semblent,  dit  Darwin  (  Voyage  autour  du  mondé) ,  considérer  les 
éléments  comme  des  agents  vengeurs  ;  »  c'est-à-dire  les  déilient.  C'est 
donc,  semble-t-il,  à  juste  titre  qu'un  éminent  anthropologiste,  M.  de 
Quatrefages,  après  avoir  recueilli  les  témoignages  de  toute  provenance, 
propose  de  définir  l'homme  «  un  animal  moral  et  religieux  ».  Rien 
n'est  moins  établi,  par  conséquent,  que  la  réalité  de  l'athéisme  d'igno- 
rance. 3°  On  peut  être  athée  par  principe.  C'est  de  cet  athéisme  spécu- 
latif que  nous  devons  ici  nous  occuper.  Nous  n'en  ferons  pas  l'histoire, 
car  l'athéisme  n'est  pas  un  système  philosophique,  mais  une  opinion 
particulière  qui,  bien  que  liée  logiquement  à  un  système  déterminé, 
peut  être  cependant  adoptée  par  des  partisans  de  systèmes  très-divers. 
L'athéisme  n'a  donc  pas  eu,  dans  lecoursdes  âges,  un  développement 
régulier  comme  le  spiritualisme,  par  exemple.  Les  spiritualistes  se  l'ont 
suite  les  uns  aux  autres,  chacun  reprenant  les  questions  au  point  où 
les  ont  laissées  ses  devanciers,  poursuivant,  corrigeant  et  développant 
leur  œuvre.  Les  athées  arrivent  à  l'athéisme  par  des  chemins  très- 
divers.  Us  n'ont  souvent  entre  eux  qu'un  point  commun,  la  négation 
de  l'existence  de  Dieu  :  ils  diffèrent  par  tout  le  reste,  même  par  les  rai- 
sons de  leur  négation.  L'histoire  de  l'athéisme  se  réduirait  donc  à  une 
série  de  notices  sur  les  athées.  Nous  nous  bornerons  ici  à  indiquer  ce 
qu'il  faut  entendre  avec  précision  par  athéisme,  quelles  sont  les  doc- 
trines que  l'on  peut,  à  juste  titre,  appeler  athées  et  enfin,  sur  quels 
arguments  principaux  les  athées  appuient  leur  négation. 

II.  De  V athéisme  spéculatif.  On  a  singulièrement  abusé  de  la  qua- 
lification d'athée.  Pour  être  accusé  d'athéisme,  il  a  suffi  souvent 
de  s'écarter  des  croyances  reçues  sur  la  divinité,  fussent-elles  les 
plus  erronées  et  les  plus  grossières.  Anaxagore  passa  pour  athée, 
lui  qui,  le  premier  parmi  les  philosophes  grecs,  reconnaissant  la  né- 
cessité d'une  Intelligence  ordonnatrice,  «  sembla,  dit  Aristote,  avoir 
seul  conservé  sa  raison  parmi  les  folies  de  ses  devanciers.  »  So- 
urate passa  pour  athée,  lui  qui  enseignait  qu'une  Providence  veille 
sans  cesse  sur  les  mortels  et  connaît  leurs  plus  secrètes  pensées.  Dans 
les  temps  modernes,  le  P.  Mersenne  comptait  dans  Paris  cinquante  mille 
athées.  Le  P.  Hardouin  range  Jansénius,  Descartes,  Arnaud,  Pascal, 
Nicole,  Malebranche,  etc.,  parmi  les  athées.  Que  d'outrages  n'a  pas 
valus  à  Spinoza  son  prétendu  athéisme!  Et  pourtant  ce  noble  pen- 
seur voit  dans  l'effort  de  l'homme  pour  s'unir  à  Dieu  le  principe  et 
la  fin  de  toutes  les  vertus,  et  c'est  avec  raison  qu'on  a  dit  de  lui  qu'il 
était  «  ivre  de  l'infini».  De  nos  jours  encore,  dans  les  entraînements 
de  la  polémique,  on  jette  souvent  ce  nom  d'athée  à  des  savants,  à  des 
philosophes  qui  le  repoussent  comme  une  calomnie.  Pour  se  préserver 
de  ces  injustices,  il  est  d'abord  nécessaire  de  séparer  les  hommes  des 
doctrines.  Qui  est  athée?  Celui-là  seul  qui  croit  l'être  et  qui  veut 
l'être.  Quelle  doctrine  est  athée  ?  Toute  doctrine  qui  mène  logique- 
ment à  la  négation  de  la  divinité.  Mais  les  hommes  ne  sont  pas  tou- 
jours logiques  :  souvent  ils  n'aperçoivent  pas  les  conséquences  de 
leurs  principes;  d'autres  fois  ils  les  reconnaissent  et  les  avouent,  mais 


ATHEISME  683 

ils  y  échappent  par  la  croyance  ou  la  religion.  Il  ne  suffit  doue  pas 
toujours,  pour  être  athée,  d'adopter  une  doctrine  alliée.  Gassendi,  par 
exemple,  est  tout  à  la  lois  épicurien  décidé  et  chrétien  sincère.  Si  un 
homme  esl  de  bonne  foi,  on  n'a  pas  le  droit  de  le  dire  athée,  tant  qu'il 
ne  convient  pus  de  l'être.  Quant  aux  doctrines,  plusieurs  sont  compa- 
tibles avec  F  athéisme,  mais  celle-là  seulement  sera  une  doctrine  athée 
qui  conduira  nécessairement  à  nier  l'existence  de  Dieu.  D'après  ce  cri- 
térium, à  quelle  doctrine  cette  qualification  d'athée  pourrait-elle  jus- 
tement s'appliquer?  Le  scepticisme  est-il  une  doctrine  athée  ?Non,  car  le 
doute  n'est  pas  une  négation.  Le  scepticisme  qui  passe  à  la  négation  se 
renie  soi-même.  Tout  vrai  scepticisme  s'abstient  de  se  prononcer  et  auto- 
rise par  conséquent  la  croyance,  la  foi,  l'espérance.  Or,  une  doctrine 
D'est  pas  athée  qui  permet  d'espérer  en  Dieu.  — Le  positivisme  est-il  une 
doctrine  athée?  Pas  davantage.  Le  positivisme  affirme  que  la  science 
humaine  ne  peut  dépasser  les  faits  et  les  lois.  Il  va  même  jusqu'à  refu- 
ser d'admettre  que  la  question  de  la  cause  première  soit  une  question 
ouverte  ;  car  il  est  déjà  anti-scientifique  de  poser  des  questions  que  la 
science  ne  peut  résoudre.  Mais  cette  question,  le  positivisme  lui-même 
la  poserait,  et,  qui  plus  est,  en  donnerait  une  solution,  s'il  niait 
T existence  de  Dieu.  Sans  doute  il  est  malaisé  de  se  tenir  dans  cette 
réserve  ;  sans  doute  les  positivistes  dépassent  sans  cesse  les  limites  par 
eux  assignées  à  la  connaissance,  pour  nier  l'existence  de  cette  cause 
dont  ils  ont  déclaré  qu'on  ne  pouvait  rien  savoir.  Mais  il  serait  injuste 
de  mettre  à  la  charge  d'une  doctrine  les  inadvertances,  les  mala- 
dresses, les  contradictions  de  tel  ou  tel  de  ses  partisans.  Or,  c'est  une 
contradiction  manifeste  de  poser  en  principe  que,  hors  les  faits  et  les 
lois,  nous  ne  pouvons  rien  connaître,  et  de  prétendre  ensuite  savoir 
que  Dieu  n'existe  pas.  —  Le  sensualisme  est-il  une  doctrine  athée?  Pas 
plus  que  les  précédentes.  Le  sensualisme  affirme  que  toute  idée  vient 
des  sens,  et,  par  suite,  que  tout  ce  que  l'homme  connaît  est  matériel 
ou  sensible.  Mais,  pour  être  une  doctrine  athée,  il  faudrait  qu'à  cette 
première  affirmation,  le  sensualisme  ajoutât  celle-ci  trop  manifestement 
téméraire  :  la  connaissance  humaine  est  la  mesure  de  la  réalité. —  Le 
panthéisme  est-il  une  doctrine  athée  ?  Non  encore,  s'il  s'agit  du  vrai 
panthéisme,  du  seul  qui  ait  droit  de  porter  ce  nom.  De  même,  en  effet, 
qu'il  ne  faut  pas  appeler  panthéisme  cet  idéalisme  radical  ou  théisme 
absolu,  qui  supprime  le  fini,  il  ne  faut  pas  non  plus  que  cette  qualifi- 
cation soit  usurpée  par  ce  naturalisme  pour  qui  l'infini  est  non  pas  le 
principe  éternel  dont  tous  les  êtres  périssables  sont  les  modes  ou  les 
émanations,  mais  l'ensemble  de  ces  êtres  même.  Cette  doctrine  est 
bien  véritablement  athée,  mais  son  vrai  nom  c'est  celui  de  matérialisme. 
Le  panthéisme  est  la  doctrine  qui,  reconnaissant  à  la  fois  l'existence 
du  Uni  attesté  par  L'expérience,  et  l'existence  de  l'infini  affirmé  par  la 
raison,  prétend  résoudre  les  difficultés  qui  résultent  de  leur  coexis- 
tence, en  faisant  de  ces  deux  termes  les  deux  faces,  les  deux  états,  les 
deux  moments  d'une  seule  et  même  réalité.  Par  là,  à  coup  sûr.  la 
notion  de  Dieu  est  singulièrement  altérée.  Tantôt  c'est  la  liberté 
divine  qui  est  supprimée;  tantôt  c'est  la  personnalité  qui  se;  trouve 


684  ATHÉISME 

compromise;  parfois  même,  c'est  l'existence  actuelle  de  Dieu  qui  est 
méconnue  :  car,  si,  dans  la  plupart  des  systèmes  panthéistes,  le  monde 
découle  de  Dieu  par  voie  d'émanation,  selon  d'autres  doctrines  pan- 
théistes, c'est  au  contraire  Dieu  qui  se  trouve  en  puissance  dans  le 
monde,  et  c'est  la  réalisation  graduelle  de  Dieu  qui  s'opère  par  les 
progrès  nécessaires  et  continus  de  l'univers.  Mais  quelque  graves  que 
soient  ces  conséquences,  on  ne  peut  dire  cependant  que  Dieu  soit 
complètement  absent  de  ces  systèmes,  puisque  c'est  son  action  partout 
présente  qui  fait  l'histoire  du  monde,  puisque  c'est  par  lui  ou  pour  lui 
que  tout  s'accomplit,  puisque  c'est  lui  qui,  comme  principe  ou  comme 
but,  comme  cause  efficiente  ou  comme  cause  finale,  est  le  moteur  uni- 
versel.—  A  vrai  dire,  il  n'y  a  qu'un  système  essentiellement  athée.  C'est 
celui  qui,  affirmant  l'existence  du  monde,  affirme  en  même  temps 
que,  pour  expliquer  le  monde,  il  est  inutile  de  recourir  à  Dieu  :  c'est 
le  matérialisme.  Il  est  vrai  que  les  épicuriens  admettaient  des  dieux. 
Mais  ces  dieux,  relégués  hors  du  monde  dans  une  éternelle  inaction, 
qui  ne  voit  que  leur  unique  raison  d'être  dans  le  système,  c'était  de 
protéger  les  épicuriens  contre  les  haines  de  la  foule?  Quant  au  matéria- 
lisme moderne,  n'ayant  plus  à  redouter  l'intolérance,  il  n'a  plus 
besoin  de  ces  précautions  ;  il  tire  donc  hardiment  les  conséquences  de 
ses  principes  et  déclare  sans  détours  que,  Dieu  étant  inutile,  il  est  inu- 
tile d'admettre  un  Dieu.  A  la  rigueur,  cependant,  on  pourrait  contester 
au  matérialisme  même  le  droit  de  se  dire  athée.  Le  matérialisme  pré- 
tend expliquer  les  choses  en  se  passant  de  Dieu  ;  mais  ces  explications 
supposent  presque  toujours  la  nécessité,  l'éternité,  l'infinité  du  monde. 
Or,  ce  monde  ainsi  conçu  diffère-t-il  beaucoup  de  la  substance  absolue 
des  théistes?  et  n'a-t-on  pas  eu  raison  de  dire  que  les  atomes  d'Epi- 
cure  sont  autant  d'absolus  distincts  et  indépendants,  autant  de  dieux 
auxquels  on  ôte  seulement  la  pensée  ?  Ainsi,  de  même  que  le  matéria- 
lisme, tout  en  niant  l'àme  au  profit  de  la  matière,  se  trouve  réduit 
cependant  pour  donner  de  cette  matière  une  notion  positive  à  emprun- 
ter à  l'àme  quelqu'un  de  ses  états,  quelqu'un  de  ses  attributs,  attendu 
que  nous  ne  connaissons  pas  la  matière  en  elle-même,  mais  seulement 
par  nos  propres  modifications:  de  même,  le  matérialisme,  tout  en 
niant  Dieu  au  profit  du  monde,  ne  peut  cependant  concevoir  l'exis- 
tence de  ce  monde  qu'en  lui  accordant  certains  attributs,  certaines  per- 
fections qui  semblent  le  propre  de  l'être  absolument  parfait.  Mais  de 
même  qu'il  ne  faut  pas  accuser  d'être  athée  celui  qui  ne  veut  pas 
l'être,  de  même  on  doit  laisser  à  ceux  qui  veulent  l'être  le  droit  de  se 
dire  athées. 

III.  Causes  de  l'athéisme.  Quelles  sont  maintenant  les  causes  de 
l'athéisme?  Ces  causes  sont  de  deux  sortes  :  ce  sont  ou  des  raisons  morales, 
ou  des  raisons  de  l'ordre  intellectuel  ;  des  sentiments  ou  des  arguments. 
Le  plus  souvent  ces  deux  causes  agissent  ensemble,  car  il  y  a  du  sensible 
et  de  l'intellectuel  dans  toutes  nos  croyances;  et,  d'une  part,  le  senti- 
ment cherche  toujours  à  se  fonder  sur  quelque  raison,  comme  aussi, 
d'autre  part,  nos  raisonnements  et  nos  preuves  nous  sont  le  plus  sou- 
vent suggérés  parle  sentiment.  —  Parmi  les  causes  morales,  voici  celles 


ATHÉISME  085 

qu'on  a  le  plus  souvent  signalées:  l°la  corruption  des  mœurs:  «  Nemo 
Deos  non  esse  crédit,  dit  Bacon,  nisi  cul  Dcos  non  esse  expedit.  » 
L'imputation  ainsi  généralisée  est  injuste,  mais  elle  est  certainement 
applicable  à  plus  d'un  athée;  2° T orgueil  et  le  désir  immodéré  d'in- 
dépenda/ice;  3°  L'accablement  et  le  désespoir  engendrés  par  l'adver- 
sité; 4°  les  révoltes  delà  conscience  en  présence  des  maux  de  toute  sorte 
et  particulièrement  de  l'injustice  impunie;  5°  l'orgueil  scientifique  qui 
prétend  tout  comprendre  et  tout  expliquer  sans  recourir  à  Dieu  ;  6°  l'es- 
prit d'hostilité  suscité  contre  les  croyances  religieuses  par  la  supersti- 
tion, le  fanatisme,  1  intolérance  qui  y  sont  trop  souvent  associés.  C'est 
cet  esprit  qui  anime  Epicure  et  ses  disciples  dans  l'antiquité,  et,  plus 
près  de  nous,  la  plupart  des  athées  du  dix-huitième  siècle. — Quant  aux 
raisons  scientiliques  de  l'athéisme,  elles  sont,  comme  on  va  le  voir, 
de  deux  sortes  :  elles  tendent  à  prouver,  les  unes  que  Dieu  est  inutile 
et  qu'on  peut  s'en  passer  ;  les  autres,  que  Dieu  est  impossible,  soit 
parce  qu'il  n'y  aurait  aucun  moyen  de  concevoir  ses  rapports  avec  le 
monde,  soit  parce  que  des  contradictions  sont  impliquées  dans  son 
essence.  Voici  les  principales  de  ces  raisons*:  1°  C'est  une  règle  essentielle 
de  méthode  de  s'en  tenir  autant  que  possible  aux  explications  les  plus 
simples,  «  les  moins  onéreuses  »,  et  de  ne  jamais  supposer  d'autres 
causes  que  celles  qui  sont  nécessaires  et  suffisantes  pour  rendre  compte 
des  effets.  Or,  aucune  des  choses  que  nous  connaissons  ne  nécessite 
pour  être  expliquée  une  cause  surnaturelle.  En  effet,  s'agit-il  d'abord 
de  Y  existence  du  monde?  Rien  ne  venant  de  rien,  on  est,  à  la  vérité, 
obligé  d'admettre  que,  si  quelque  chose  est,  quelque  chose  a  été  de 
toute  éternité;  mais  pourquoi  ce  quelque  chose  ne  serait-il  pas  le 
monde  lui-même,  ou  du  moins  les  éléments,  atomes  ou  forces,  dans 
!<•-<  [uels  le  monde  se  résout.  S'agit-il  du  mode  d'existence  de  l'univers? 
La  combinaison  d'éléments  d'où  résulte  le  monde  actuel  était  possible 
puisqu'elle  a  eu  lieu.  Et  quel  que  soit  le  nombre  total  des  combinai- 
sons possibles,  et  si  faibles  que,  par  suite,  les  chances  aient  été  en 
faveur  de  la  combinaison  actuelle,  cette  combinaison  a  pu  cependant 
se  réaliser  tout  comme  une  autre.  11  n'est  même  pas  étonnant  qu'elle  se 
soit  une  fois  réalisée  si  on  songe  que,  dans  l'éternité  qui  a  précédé, 
une  infinité  d'autres  combinaisons  ont  pu  se  réaliser  avant  elle.  D'ail- 
leurs, qu'on  prenne  les  choses  par  le  détail,  on  verra  que  les  causes 
naturelles  suffisent  à  rendre  compte  de  tout.  Harmonie  du  ciel,  révolu- 
tions régulières  des  astres,  mouvements  et  forme  de  la  terre,  distribu- 
tion de  l'air  et  des  eaux,  etc.,  tout  ce  qu'on  avait  attribué  d'abord  à  un 
art  divin  s'explique  par  le  jeu  naturel  des  forces  mécaniques.  Il  n'y  a 
pas  même  d'exception  à  faire  pour  les  êtres  organisés.  La  vie  n'est 
qu'une  succession  de  mouvements  qui  se  déterminent  les  uns  les  autres. 
Les  diverses  espèces  sont  le  produit  nécessaire  de  causes  aveugles 
comme  le  milieu,  l'habitude,  le  besoin, èla  concurrence  vitale,  l'hérédité. 
L'organisme  en  général  n'est  (ju'un  groupement  de  cellules  unissant 
leurs  actions.  Enfin,  la  cellule  organisée  se  forme  sans  doute,  spon- 
tanément, par  une  combinaison  d'éléments  inorganiques,  sous  l'in- 
fluence de  certaines  causes  encore  mal  connues,  il  est  vrai,  mais  qu 


686  ATHEISME 

seront  un  jour  mieux  déterminées.  Que  si  on  persiste,  malgré  tout, 
à  voir  dans  l'appropriation  des  organes  aux  fonctions,  dans  l'adapta- 
tion des  organes  aux  milieux,  et  dans  la  corrélation  des  organes  entre 
eux,  non  pas  de  simples  effets,  mais  des  fins  poursuivies  et  des  buts 
atteints,  pourquoi  n'accorderait-on  pas  à  la  matière  môme  «la propriété 
de  s'ajuster  à  des  fins  (Littré)  ».  Ainsi  partout  l'explication  scientifique 
remplace  l'hypothèse  religieuse,  et  la  science  peut  «  reconduire  Dieu 
bux  frontières,  en  le  remerciant  de  ses  services  provisoires  (Aug. 
Comte).  »  Tels  sont,  en  résumé,  les  arguments  ordinaires  des  matéria- 
listes. La  forme  seule  varie,  le  fond  est  resté  le  même,  depuis  Démocrite 
usqu'à  nos  jours  (voyez  l'article  matérialisme).  —  2°  Non  seule- 
ment rien  dans  l'univers  ne  prouve  que  Dieu  est,  mais,  au  contraire, 
il  y  a  dans  l'univers  des  choses  qui  prouvent  que  Dieu  n'est  pas  : 
ce  sont  les  maux  de  toute  sorte.  Si  Deus  est  unde  malum  ?  Admettre 
que  le  monde  est  l'œuvre  de  Dieu,  c'est  reconnaître  ou  qu'il  n'a  pas 
su,  ou  qu'il  n'a  pas  pu,  ou  qu'il  n'a  pas  voulu  empêcher  le  mal;  c'est 
avouer  un  défaut  ou  de  sa  sagesse,  ou  de  sa  puissance,  ou  de  sa  bonté; 
c'est  nier  sa  perfection  ;  c'est  dire  que  Dieu  est  et  qu'il  n'est  pas  Dieu 
(voy.  les  articles  Mal  et  Providence) .  — 3°  Non  seulement  ce  qu'il  y  a  de 
bien  dans  le  monde  ne  prouve  pas  que  Dieu  est,  non  seulement  ce  qu'il 
y  a  de  mal  dans  le  monde  prouve  au  contraire  que  Dieu  n'est  pas, 
mais  encore  l'impossibilité  de  concevoir  sans  contradiction  un  rapport 
quelconque  entre  Dieu  et  le  monde,  prouve  que  Dieu  ne  peut  pas  être. 
En  effet,  Dieu  et  le  monde  sont-ils,  comme  l'admet  le  dualisme,  deux 
principes  indépendants?  C'est  admettre  deux  infinis,  deux  existences 
absolument  nécessaires,  et  dont  l'une  cependant  est  un  obstacle  à  l'au- 
tre. Dieu  et  le  monde  ne  sont-ils  qu'une  seule  et  même  réalité?  C'est 
l'hypothèse  panthéiste  qui  se  présente  sous  deux  formes  opposées, 
tantôt  le  monde  étant  conçu  comme  une  émanation  ou  un  mode  de  Dieu, 
tantôt,  an  contraire,  Dieu  étant  conçu  comme  engendré  par  le  progrès 
du  monde.  Mais,  dans  le  premier  cas,  comment  expliquer  que  la  subs- 
tance infinie  et  parfaite  se  développe  par  des  modes  finis  et  imparfaits; 
et  dans  le  second  cas,  comment  expliquer  que  le  fini  et  l'imparfait  se 
fasse  soi-même  infini  et  parfait.  Dieu  est-il  enfin  une  cause  libre  qui 
donne  au  monde>  tout  ensemble,  l'être  et  la  manière  d'être  ?  C'est  la 
doctrine  de  la  création.  Mais  comment  comprendre  qu'une  chose  soit 
produite  de  rien?  Peu  importe  d'ailleurs  la  toute-puissance  de  la  cause 
productrice.  L'axiome  ex  nihilo  nihil  vaut  pour  une  puissance  infinie. 
11  n'y  a  que  ces  trois  hypothèses  possibles  sur  les  rapports  de  Dieu  et  du 
monde.  Aucune  n'est  soutenante,  par  conséquentDieunepeut pas  exister. 
—  4°  Non  seulement  l'existence  dumonde  est  comme  un  obstacle  à  l'exis- 
tence de  Dieu,  mais  F  essence  même  de  Dieu  est  aussi  un  obstacle  à  son  exis- 
tence. Par  Dieu,  en  effet,  on  entend  un  être  parfait.  Or  la  perfection, 
loin  d'être,  comme  le  pensait  Bossuet,  une  raison  d'être,  est  un  empêche- 
ment à  l'être.  En  effet,  «il  n'y  a  d'être  que  dans  l'individualité.  Or,  l'ex- 
périence, soit  externe,  soit  interne,  nous  atteste  que  l'individualité  est 
essentiellement  accidentelle,  variable,  éphémère.  Il  ny  a  rien  d'invariable, 
d'éternel,  que  le  genre,  l'espèce,  le  rapport,  toutes  choses  abstraites  qut 


ATHEISME  687 

n'existent  pas  dans  l'individu.  »  L'homme  parfait,  ranimai  parfait,  sont 
dos  notions  abstraites,  sans  objet  extérieur  ;  et  telle  est  aussi  F  Idée  su- 
prême. «  lin  y  a  pas  plus  de  raison  de  réaliser  cette  abstraction  que  les 
autres.  »  L'être  parfait  n'est  donc  et  ne  peut  être  qu'un  idéal  (voy. 
Vacherot,  La  Métaphysique  et  la  Science,  t.  II,  p.  187;  t.  III,  p.  234  ss.). 
Pour  la  critique  de  cette  théorie  voy.  P.  Janet,  la  Crise  philosophique, 
p.  136,  ss.;  Fouillée,  La  Philosophie  de  Platon,  t.  II.  p.  657  ss.  — 
5°  L'essence  de  Dieu  est  un  obstacle  à  l'être  non  seulement  parce 
qu'il  y  a  incompatibilité  entre  la  perfection  et  l'existence,  mais  encore 
parce  que  cette  essence  implique  en  elle-même  des  contradictions. 
Dieu,  c'est  l'être  infini.  Or,  l'idée  d'un  infini  actuel  est  contradictoire. 
L'infini,  en  effet,  c'est  ce  qui  est  plus  grand  que  toute  quantité 
donnée.  Il  suit  de  là  qu'aucune  quantité  donnée  ne  peut  être  infinie. 
Or,  que  seraient  par  exemple  l'Éternité  et  la  Toute-Science?  L'Eter- 
nité, possédée  actuellement  par  Dieu,  serait  une  quantité  infinie 
de  temps  ou  de  moments,  actuellement  donnée  et  réalisée;  et  la  Toute- 
Science  serait  une  quantité  infinie  de  connaissance  (tant  des  choses  pos- 
sibles que  des  choses  réelles)  actuellement  donnée  et  réalisée  ;  ce  qui  est 
contradictoire.  Il  ne  peut  donc  y  avoir  d'être  infini.  —  6°L'idée  d'un  être 
absolu,  à  son  tour,  est  ou  bien  contradictoire,  ou  tout  au  moins  irration- 
nelle. En  effet,  lorsqu'on  dit  que  Dieu  est  l'absolu,  l'être  par  soi,  on 
veut  dire  ou  bien  qu'il  est  sa  propre  cause,  ou  bien  qu'il  existe  sans 
avoir  besoin  de  cause.  Si  l'on  entend  que  Dieu  est  la  propre  cause  de 
son  être,  comme  ce  qui  est  cause,  est,  il  s'ensuit  que  Dieu  est  sans  être, 
qu'il  existe  sans  exister.  Si  l'on  entend  que  Dieu  pour  être  n'a  pas  be- 
soin de  cause,  on  renverse  un  des  principes  fondamentaux  de  la  raison. 
Il  ne  peut  donc  y  avoir  un  être  absolu.  —  7°  Dieu  est  impossible 
encore  parce  que,  outre  que  les  caractères  métaphysiques  d'infini 
et  d'absolu  impliquent  contradiction,  les  divers  attributs  moraux 
de  l'être  parfait  se  contredisent  entra  eux  et  s'entre- détruisent. 
((  Comment,  par  exemple,  la  puissance  infinie  peut-elle  toute  chose 
tandis  que  la  bonté  inlinie  est  incapable  de  faire  le  mal  ?  Gomment  là 
justice  infinie  inflige-t-elle  les  derniers  châtiments  à  tout  péché,  tandis 
que  la  miséricorde  infinie  pardonne  au  coupable  ?  Comment  la  sagesse 
infinie  connaît-elle  tout  l'avenir,  tandis  que  la  liberté  infinie  peut  tout 
luire  et  tout  éviter,  etc.?»  —  8°  Enfin  Dieu  est  impossible  parce  que  si 
ses  attributs  métaphysiques  impliquent  contradiction,  si  ses  attributs 
moraux  se  contredisent  entre  eux,  il  n'est  pas  moins  vrai  que  ses  at- 
tributs moraux  sont  en  contradiction  avec  ses  attributs  métaphysiques. 
En  effet,  les  attributs  moraux  se  résument  tous  dans  la  personnalité. 
Or,  1°  une  personne  n'est  telle,  que  par  une  pluralité  d'attributs:  que 
devient  alors  la  simplicité  de  Dieu?  2°  La  personnalité  suppose  la 
conscience,  et  la  conscience  suppose  elle-même  que  l'être  conscient  se 
distingue  d'un  être  étranger,  car  le  moi  ne  se  posequ'en  s'opposant  au 
non-moi.  Dieu,  pour  prendre  conscience  de  soi,  est  donc  soumisà  une 
condition;  par  suite,  s'il  est  conscient,  il  n'est  pas  absolu.  o}  Enfin 
Les  attributs  moraux  sont  autant  de  déterminations  positives, car  déter- 
miner c'est  limiter.  Par  exemple,  déterminer  nue  figure  dans  l'espace, 


688  ATHÉISME  -  ATHÉNAGORE 

c'est  enclore  une  portion  de  l'espace  dans  des  limites.  Donc  pour  être 
infini,  Dieu  devrait  être  indéterminé  ;  s'il  est  déterminé,  il  n'est  pas 
infini  ( voy.  pour  le  développement  de  ces  arguments  et  d'autres  du  même 
genre,  W.  Hamilton,  Fragments,  trad.  L.  Peisse;  Mansel,  The  limits  of 
Religions  Thought  ;  H.  Spencer,  Les  premiers  principes,  trad.  Cazelles, 
ch.  II;  Renouvier,  Essais  de  critique  générale,  Essai  I,  part.  IV;  Année 
philosophique,  2e  année,  L  Infini,  la  Substance  et  la  Liberté) .—  Principaux 
athées  :  Protagoras,  Hippon  (se  rattachant  à  l'école  ionienne),  Démo- 
crate, Diagoras  de  Mélos,  Epicure,  Lucrèce  (école  atomistique) ,  Théodore. 
Evhémire  (école  de  Cyrène),  Strabon  (école  péripatéticienne),  Lucien 
(école  sceptique).  Dans  les  temps  modernes:  Hobbes,  Lamettrie,  d'Hol- 
bach, Naigeon,  etc.  —  Conséquences  de  l'athéisme  (voy.  l'article  Morale 
indépendante).  —L'athéisme  est-il  une  erreur  plus  grande  que  F  idolâtrie? 
Une  société  d'athées  est-elle  possible  ?  (voy.  Diderot,  Encyclopédie. 
art.  Athée,  Athéisme;  Voltaire,  Dictionnaire  philosophique,  art.  Athée, 
Athéisme.— Il  existe  sur  l'athéisme  plusieurs  traités  spéciaux:  Théoph! 
Spizeln,  Scrutinium  Atheismi  historico-theologicum ,  in-8°,  Augs.,  1663; 
Buddeus,  Thés,  de  Atheismo  et  Superstitione,  in-8°,  Iéna,  1717  ;  Leclerc, 
dans  la  Bibliothèque  choisie,  Histoire  des  systèmes  des  anciens  athées. 
Voyez  aussi  F.  Bacon,  Opéra  moralia,  XVI  ;  Meditationes  sacrœ,  X;  De 
Augm.,  hvr.  I,  §  5;  Leibniz,  Confessio  naturœ  contra  atheistas,  éd.  Erd- 

^'P;4*).  E.RABIEE. 

ATHENAGORE,  Athénien,   enseigna  la  philosophie  dans  sa  patrie; 
converti  au  christianisme,  il  en  devint  un  des  plus  éloquents  défen- 
seurs. L  est  à  tort  que  Philippe  de  Sida,  auteur  peu  exact,  fait  de  lui 
le  fondateur  de   l'école  chrétienne  d'Alexandrie.   Dans  la  brillante 
apologie  qu'il  a  présentée  aux  empereurs  Marc-Aurèle  et  Commode,  et 
qu  il  a  intitulée  «  Supplication  en  faveur  des  chrétiens  »,  Athénagore 
parle  en  philosophe  aux  deux  empereurs  «  amis  de  la  sagesse  ».  Il  fait 
preuve  d'une  profonde  intelligence   des  religions  païennes,  et   son 
ivre  nous  a  conservé  plus  d'un  trait  intéressant  de  la  cosmogonie  an- 
îque.  En  élève  de  Justin,  il  rapporte  la  création  de  toutes  choses  «  au 
,      de  Dieu,  Verbe  du  Père  «  qui  est  l'idée  et  l'énergie  de  Dieu.  Dieu, 
étant  la  pensée  éternelle,  a  toujours  porté  le  Logos  en  lui-même,  car 
i  est  éternellement  raisonnable  ».  Athénagore  s'applique  à  justifier  les 
d '(wlrm  de  tr°iS  crimes  :  «l'athéisme,  lesfestins  de  Thyeste,  les  unions 
ULdipe.  »  Il  peint  en  de  beaux  traits  les  mœurs  chrétiennes,  et  mon- 
re  les  prophètes  inspirés  par  l'Esprit  qui  les  anime,  «  comme  une 
lute  reçoit  le  souffle  des  lèvres  du  musicien.  »  Athénagore  a  composé 
un  traité  de  la  résurrection  des  morts,  étude  de  pure  philosophie,  qui 
nous  a  ete  conservé.  Des  fragments  de  ses  écrits  ont  été  recueillis  par 
Methodius,  cité  par  Epiphane  {Haer.,  65)  et  Photius  (cod.  234).  Un  sieur 
*umée  a  publié,  en  1569,  sous  le  nom  d'Athénagore,  le  livre  Du  vray 
et  parfait  Amour,  imitation  assez  agréable  des  romans  grecs. — Voy.  les 
dissertations  deP.  Leyser  (Leipz.,  1736),  de  Clarisse  (Leyde,  1819)  et  de 
Mosheim  (Dissertatt. ,  vol.  I) .  Les  dernières  éditions  de  l'Apologie  sont  cel- 
les deL.  Paul,  Halle,  1856,  et  d'Otto,  dans  sa  collection,  1857  (avec  le  de 
^surr.).  s;  BERGER. 


ATHÈNES  689 

ATHÈNES  ('AOîJvaOî  du  nom  de  sa  vieille  déesse  Athéné,  capitale  de 
L'Attique  et  centre,  durant  toute  l'antiquité,  de  la  civilisation  grecque. 
Le  nom  d'Athènes  se  rencontre  pour  la  première  fois  dans  la  littéra- 
ture biblique  2  Maeh.  IX,  15,  et  reparait  Act.  XVII,  15;  XVIII,  1  et 
1  Tliess.  III,  1 .  Quand  Paul  la  visita,  vers  Tan  52  ou  53,  elle  était  bien 
déchue  de  son  rang  sous  l'écrasante  domination  romaine.  Elle  gardait 
encore  cependant,  jusque  dans  cet  esclavage,  son  prestige  et  sa  splen- 
deur extérieure.  Ses  grands  monuments,  le  Parthénon,  le  temple  de  la 
Victoire,  le  Pœeile,  l'Erechteum,  le  théâtre  de  Dyonisios  étaient  de- 
bout et  intacts.  Tout  un  peuple  de  statues  incomparables  lui  donnaient 
l'aspect  du  plus  riche  musée  de  l'univers.  La  vie  y  était  toujours  lé- 
gère, facile,  élégante  et  joyeuse.  Un  grand  abaissement  s'était  fait  dans 
les  esprits.  Les  écoles  étaient  encore  pleines  et  bruyantes.  Mais  aux 
grands  maîtres  de  la  philosophie  et  de  l'éloquence  avaient  succédé  les 
rhéteurs.  Le  génie  athénien  s'épuisait  dans  une  agitation  stérile.  Le 
mouvement  des  écoles  socratiques  était  fini.  La  renaissance  qui  se  lit 
sous  les  Antonins  n'avait  pas  encore  commencé.  A  ce  moment  inter- 
médiaire, nous  ne  rencontrons  dans  la  ville  pas  un  nom  célèbre  ou 
même  connu.  On  y  trouvait  encore  sans  doute  des  épicuriens,  des 
péripatéticiens,  des  stoïciens  qui  disputaient  ensemble  dans  tous  les 
lieux  publics;  mais  ce  n'était  plus  guère  entre  eux  que  de  vaines  joutes 
de  beau  langage,  amusement  frivole  d'une  culture  oisive.  Le  scepti- 
cisme avait  rapproché  et  presque  confondu  toutes  les  doctrines  clans 
un  éclectisme  littéraire,  dont  Ammonius  d'Alexandrie,  le  maître  de 
Plutarque,  sera  dans  le  siècle  suivant  le  représentant  le  plus  distingué. 
Deux  choses  avaient  seules  survécu  de  l'ancien  tempérament  athénien  : 
une  curiosité  avide  et  mobile  qui  poussait  tout  le  monde  sur  la  place 
publique  pour  y  recueillir  et  y  colporter  des  nouvelles  (Act.  XVII,  21  ; 
Démosth.,  PhiL,  I,4;Elien,  F.#.,V,13;scoliaste  de  Thucydide,  111,38; 
scol.  d'Aristophane,  Plutus,  v.  338),  et  un  zèle  de  dévotion  extrême. 
€hose  surprenante  mais  bien  constatée,  Athènes,  la  ville  des  philoso- 
phes, passait  dans  l'antiquité  pour  être  également  la  ville  la  plus  reli- 
gieuse du  monde.  Le  développement  de  la  culture  rationnelle  s'y  était 
fait  sans  nuire  en  aucune  façon  à  celui  du  sentiment  religieux.  Les 
vieux  cultes  y  étaient  encore  florissants.  On  raconte  que  Néron  n'osa 
point  y  entrer  par  crainte  des  Furies  qui  demeuraient  sous  l'Aréopage 
et  que  tous  les  parricides  redoutaient.  Iln'osa  pas  davantage  soutenir  la 
voix  du  héraut  qui,  au  début  des  mystères  d'Eleusis,  criait  que  les 
scélérats  et  les  impies  n'eussent  garde  d'approcher  (Suétone,  Néron, 
56,  34).  Les  témoignages  de  cette  dévotion  athénienne,  toujours 
vivante,  sont  fort  nombreux  (Act.  XVII,  16;  Strabon,  X,  471; 
Pausanias,  [,24,3;Elien,  1.//..W17;  Philostrate, ApolL,  VI,3;IV,  19; 
Lettre  de  Marc  Aurèle  à  Fronton,  III,  9).  C'esl  ce  caractère  religieux 
de-  Athéniens  qui  semble  avoir  le  plus  frappé  l'apôtre  Paul.  Il  remar- 
qua surtout  des  autels  dédiés  à  des  dieux  inconnus.  Ces  autels,  en 
effet,  paraissent  avoir  été  assez  nombreux  à  Athènes  et  dans  les  envi- 
rons (Pausanias,  1,2,4;  Philostrate, ApolL  VI,  [11,5;  Diogè.ne  Laerte,I, 
X,  110;  ÛEcuménius,  In  act.  apost.,  Paris,  1631;  saint  Jérôme,  In  lit. 


690  ATHENES 

1,12.)  Ces  autels  portaient  pour  inscription  :  'Ayvamco  Osa),  ou  au  pluriel,. 
#Tfva><rcoiç  Bsoiç  qu'il  faut  traduire  à  un  dieu  ou  à  des  dieux  inconnus, 
soit  que  ce  fussent  d'antiques  autels  demeurés  anonymes,  qu'on  ne 
voulait  pas  détruire  et  auxquels  dans  un  recensement  nouveau  on  aura 
mis  une  telle  épigraphe  faute  de  savoir  à  qui  ils  avaient  d'abord  été 
dédiés;  soit  que  les  Athéniens,  dans  leur  zèle  religieux,  craignant  de 
blesser  sans  le  savoir  ou  de  négliger  quelque  dieu  puissant  dont  ils 
ignoraient  encore  le  nom,  lui  aient  érigé  de  semblables  autels  pour 
mériter  sa  faveur.  Dans  tous  les  cas,  c'est  à  une  inscription  semblable 
que  Paul  naturellement  et  très-habilement  rattacha  le  discours  que  le 
livre  des  Actes  nous  a  conservé  et  qui  reçoit  de  ce  détail  même  un 
grand  caractère  d'authenticité.  Ce  discours,  d'après  saint  Luc,  aurait 
été  prononcé  à  l'Aréopage  (kiz>X^6\j^oi  ts  aùiou  êwl  tôv  "Apefov  Tuayov 
vfrayov,  Act.  XVII,  19).  Faut-il  entendre  ici  le  lieu  géographique,  la  col- 
line de  Mars,  située  un  peu  à  l'est  de  l'Acropole,  ou  l'antique  tribunal 
athénien  devant  lequel  le  prédicateur  aurait  été  amené  pour  exposer 
officiellement  sa  nouvelledoctrine?Ilest  difficile  de  le  décider.  L'Aréo- 
page avait  survécu  à  toutes  les  révolutions  politiques.  Il  conservait 
encore  sous  les  Romains  son  ancienne  organisation  (Valère  Maxim.,  II, 
VI,  3;  Tacite,  A nnales,  II,  55;  Aulu-Gelle,  XII,  7;  Nombreuses  inscrip- 
tions dans  le  Corpus  inscrip.  gr.).  Il  est  vrai  que  c'était  moins  un  corps 
judiciaire  qu'une  sorte  de  sénat  de  notables  auquel  ressortissait  tout 
ce  qui  concernait  les  mœurs,  l'édilité,  les  cultes,  l'enseignement  public 
dans  la  cité  (Lysias,  Areopagitica  oratio  pro  sacra  o/ea;Démosth.,  corc- 
tre  Néére  ;Œsohme,  contre  Timarque  ;  Gicer.,  épis  t.  ad  fam., Xlll,  1;  de 
Divin.,  I,  25;  Athné.,  IV, 64,  65  ;  VI,  46;  XIII,  21,  etc.).  Il  n'y  a  donc 
rien  d'invraisemblable  à  ce  qu'à  l'apparition  d'une  doctrine  nouvelle 
on  ait  invité  celui  qui  l'apportait  à  venir  faire  en  quelque  sorte  sa  dé- 
claration devant  un  tel  tribunal  ou  du  moins  à  l'endroit  où  il  tenait 
ses  séances.  La  scène  dans  les  Actes  ne  semble  pas  avoir  eu  de  carac- 
tère officiel.  Le  succès  de  la  prédication  de  Paul  dans  une  telle  ville  fut 
assez  mince.  Cette  première  rencontre  de  l'Evangile  avec  la  philosophie 
païenne,  malgré  les  habiles  ménagements  de  l'apôtre,  n'eut  rien  de 
bien  encourageant.  Il  est  très-remarquable  que  Paul,  dans  ses  nom- 
breuses courses,  ne  revint  pas  à  Athènes.  Quelques  personnes,  isolées 
seulement,  parmi  lesquelles  on  cite  Denys  l'Aréopagite  et  une  femme 
nommée  Damaris,  se  joignirent  à  lui.  Même  au  second  siècle,  l'Eglise 
d'Athènes  est  peu  solide  (Euseb.,  H.  F.,  IV.  23).  Le  paganisme,  inter- 
prété par  des  professeurs  éloquents,  dont  le  plus  célèbre  fut  Libanius, 
y  eut  une  renaissance  brillante  qui  dura  jusqu'à  la  fin  du  cinquième 
siècle.  Les  écoles  de  belles-lettres  et  de  philosophie  revirent  de  beaux 
jours,  Chrysostôme,  Basile,  les  deux  Grégoire  y  vinrent  étudier.  L'em- 
pereur Julien  s'appuya  sur  elles  dans  sa  tentative  de  ressusciter  les 
vieux  cultes  et  la  société  païenne  expirante.  Elles  furent  brutalement 
fermées  sous  Justinieh  (529).  A  partir  de  ce  moment,  Athènes  disparaît, 
pour  de  longs  siècles,  de  la  scène  du  monde.  A.  Sabatiee. 

ATHÈNES  (moderne).  La  ville  d'Athènes,  après  avoir  perdu  son  in- 
dépendance, passa  successivement  sous  la  domination  des  Romains, 


ATHENES  G91 

des  empereurs  de  Byzance,  des  Vénitiens,  des  Normands  et  des  Siciliens. 
Lors  de  la  prise  de  constantinople  par  les  croisés,  Athènes  échut  en 
partage  aux  Français  et  fut  érigée  en  duché  par  Boniface  de  Montferrat  ; 
le  sire  Othon  de  la  Roche  en  fut  nommé  le  premier  duc.  Les  Français 
perdirent  cette  ville  en  1312.  Elle  passa  alors  sous  la  domination  des 
Espagnols,  puis  elle  échut  à  la  famille  Acciaïoli  de  Florence.  Le  hui- 
tième prince  de  cette  maison  en  fut  dépossédé,  en  1456,  par  les  Turcs, 
qui  la  gardèrent  jusqu'en  1833.  Lorsque,  en  1834,  Athènes  fut  déclarée 
capitale  du  nouveau  royaume  hellénique,  cette  ville  célèhre,  après 
avoir  passé  par  tant  de  vicissitudes,  n'était  plus  qu'un  pauvre  village, 
qui  comptait  à  peine  4,000  habitants.  Quarante-deux  années  se  sont 
écoulées  depuis  lors,  et  cette  triste  ruine  s'est  transformée  en  une  belle 
ville,  on  peut  dire,  en  la  plus  belle  ville  de  l'Orient.  Athènes  a  main- 
tenant plus  de  50,000  habitants.  Entourée  de  quatre  collines  de  hau- 
teur inégale,  elle  contient  de  belles  maisons,  de  nombreuses  planta- 
tions, de  belles  places,  des  rues  spacieuses  et  de  larges  boulevards. 
Elle  est  ornée  d'antiquités,  dont  les  plus  importantes  sont  :  l'Acropole, 
le  temple  de  Thésée,  le  temple  de  Jupiter  Olympien  et  beaucoup  d'au- 
tres. On  y  remarque  de  magnifiques  monuments  publics,  tels  que  l'Aca- 
démie, l'Université,  l'Observatoire,  l'Ecole  des  Arts,  etc.  Il  y  a  à  Athènes 
vingt-trois  églises,  dont  les  plus  remarquables  sont  .-l'église  de  l'Annon- 
ciation, la  cathédrale  d'Athènes,  dont  on  a  posé  la  première  pierre 
en  1840 ,  l'église  de  Sainte-Irène,  l'église  de  Saint-Georges,  l'église  de 
Saint-Démétrius,  l'église  de  Saint-Philippe,  l'église  des  Saints-Théodores 
(une  des  plus  anciennes  et  des  plus  curieuses),  l'église  de  Zooclochos 
Pigi,  et  d'autres.  Dans  presque  toutes  les  églises,  la  messe  est  célébrée, 
les  dimanches  et  les  fêtes,  le  matin,  à  neuf  heures  l'hiver,  et  à  huit 
heures  en  été.  On  dit  aussi  la  messe  tous  les  samedis  dans  chaque 
église  et  souvent  les  autres  jours  de  la  semaine.  Dans  le  rite  grec  on  ne 
célèbre  qu'une  messe  par  église;  il  faut  excepter  toutefois  l'église  de 
Sainte-Irène,  dans  laquelle,  outre  la  messe  ordinaire,  on  en  célèbre  une 
pour  l'armée  à  six  heures  du  matin  en  été,  et  à  sept  heures  l'hiver.  La 
prédication  est  un  peu  rare,  faute  de  prédicateurs  suffisamment  exer- 
cés. Cependant  il  y  adeux  prédicateurs,  entretenus  par  le  gouvernement 
pour  prêcher  l'Aven t,  le  Carême  et  les  principales  solennités  tour  à 
tour  dans  les  différentes  églises.  Parmi  ies  prêtres  instruits  résidant  à 
Athènes,  on  compte  quelques  prédicateurs  libres,  qui  se  font  entendre 
soit  de  leur  propre  initiative,  soit  sur  l'invitation  du  Synode.  Les  égli- 
ses sont  fréquentées,  les  cérémonies  généralement  bien  suivies.,  surtout 
les  jours  de  grandes  fêtes.  Une  messe  est  célébrée  pour  la  reine,  à  onze 
heures  du  matin,  dans  la  chapelle  grecque  du  palais.  A  dix  heures,  un 
service  a  lieu  dans  la  chapelle  particulière  du  roi,  qui,  comme  on  sait, 
appartient  à  la  religion  luthérienne.  La  prédication  est  (donnée  en  alle- 
mand. La  colonie  russe  a  pour  église  Saint-Nicodème,  où  la  messe  est 
célébrée  en  langue  russe  à  dix  heures  du  malin.  Les  catholiques  ro- 
mains, au  nombre  de  iOO  environ,  ont  bâti,  il  y  a  quelques  années, 
une  fort  belle  église  sous  le  vocable  de  Saint-Denis.  La  messe  >  est 
célébrée  le  dimanche  à  dix  heures  et  demie.  Depuis  quelque  temps  le 


692  ATHENES 

catholiques  ont  à  Athènes  un  évoque.  L'église  Saint-Paul  appartient  à 
la  petite  communauté  protestante,  qui  s'y  réunit  les  dimanches  à 
onze  heures,  pour  le  service  et  la  prédication  en  langue  anglaise.  On 
compte  à  Athènes  plusieurs  missions  américaines,  ainsi  que  deux  sociétés 
bibliques.  Par  contre,  il  n'y  a  pas  de  juifs. — Athènes  est  non-seulement 
le  centre  de  la  vie  politique,  mais  aussi,  comme  dans  l'antiquité,  le 
centre  de  la  vie  intellectuelle  de  la  grande  famille  hellénique. De  toute  la 
Grèce,  un  trèsrgrand  nombre  de  jeunes  gens  viennent  à  Athènes  pour 
se  perfectionner  dans  les  lettres  et  dans  les  sciences.  L'Université  na- 
tionale, fondée  en  Tan  1837,  comprend  quatre  facultés  :  théologie,  droit, 
médecine  et  philosophie.  La  faculté  de  théologie  est  divisée  en  six 
chaires.  Tous  les  professeurs,  sans  exception,  ont  étudié  dans  les  univer- 
sités allemandes;  ils  sont  au  courant  du  mouvement  théologique  dans 
les  Eglises  protestantes  et  autres.  Ils  jouissent  d'une  assez  grande  li- 
berté scientifique  dans  leur  enseignement,  qui  comprend  l'encyclo- 
pédie théologique,  la  dogmatique,  la  théologie  morale,  la  théologie 
pratique,  l'interprétation  de  la  Bible,  l'hébreu,  l'histoire  de  l'Eglise  et 
l'éloquence  sacrée.  Ils  ne  portent  pas  cependant  atteinte  aux  dogmes 
fondamentaux  de  l'Eglise  grecque.  Le  nombre  des  étudiants  de  l'U- 
niversité est  d'environ  1300.  La  durée  des  cours  est  de  quatre 
ans,  et  c'est  seulement  après  ce  temps  qu'on  peut  se  présenter  aux 
épreuves  du  doctorat.  II  n'y  a  pas  d'examens  annuels.  Athènes  pos- 
sède quatre  gymnases  (collèges),'  cinq  écoles  helléniques  ou  prépara- 
toires aux  études  du  gymnase,  et  six  écoles  primaires  communales  : 
deux  pour  les  garçons  et  quatre  pour  les  filles.  L'enseignement  y  est 
gratuit,  ainsi  que  dans  l'Université.  Une  école  ecclésiastique,  dite  Ecole 
Rizaris,  du  nom  de  son  fondateur,  a  été  établie  en  l'an  1840.  Douze 
professeurs,  dont  la  plupart  sont  attachés  à  l'Université,  enseignent 
toutes  les  branches  qui  sont  nécessaires  pour  rendre  les  élèves  aptes 
au  ministère  sacré  qu'ils  sont  appelés  à  exercer;  mais  les  revenus  du 
clergé  étant  très-faibles,  la  plupart  des  jeunes  étudiants  refusent  d'em- 
brasser le  sacerdoce  et  se  répandent  comme  professeurs  dans  les  diffé- 
rents établissements  de  la  Grèce  et  de  l'Orient  ;  ils  rendent  ainsi  un 
grand  service  aux  intérêts  helléniques.  Athènes  possède  aussi  une  école 
de  filles,  dite  Arsakion,  du  nom  d'un  bienfaiteur  de  cet  établissement, 
le  plus  important  qui  existe  en  Orient  pour  l'éducation  des  filles.  Elle 
contient  plus  de  cinq  cents  élèves.  Enfin  il  y  a  à  Athènes  une  école 
militaire,  une  école  des  beaux-arts,  plusieurs  écoles  privées  pour  les 
deux  sexes,  un  nombre  considérable  d'établissements  de  charité,  de 
sociétés  savantes,  de  sociétés  pour  l'encouragement  des  études  grec- 
ques et  pour  l'instruction  du  peuple  en  Grèce  et  en  Orient. —  Athènes  est 
aussi  le  centre  du  gouvernement  de  l'Eglise  grecque.  Depuis  l'émanci- 
pation hellénique,  l'Eglise  grecque,  qui  jusqu'alors  avait  été  soumise 
au  patriarche  de  Gonstantinople,  s'est  constituée  d'une  manière  indé- 
pendante (le  27  juillet  1833).  Elle  est  gouvernée  par  un  synode  de  cinq 
membres  résidant  à  Athènes.  Ce  synode  est  composé  du  métropolitain 
d'Athènes,  qui  en  est  le  président  à  vie,  et  de  quatre  autres  évêques, 
qui  sont  choisis  par  le  gouvernement  et  qui  se  renouvellent  tous  les 


ATHENES  —  ATHOS  G93 

ans.  Les  séances  du  synode  ont  lieu  les  lundi,  mercredi  et  vendredi  de 
chaque  semaine,  de  huit  heures  du  matin  à  deux  heures  du  soir.  Un 
délégué  royal  (gasiXucoç  l-i-zz-zq)  assiste  à  ces  séances;  il  est  chargé  de 
contrôler  les  délibérations  et  de  défendre  les  intérêts  du  pouvoir  dans 
toutes  les  affaires  qui  regardent  Tordre  temporel.  Le  synode  a  plein 
pouvoir  dans  toutes  les  affaires  purement  ecclésiastiques.  Cependant 
ses  décisions  en  général  n'ont  de  valeur  qu'après  L'approbation  de  ce 
délégué.  L'Eglise  grecque,  quoique  se  gouvernant  elle-même,  est  néan- 
moins en  communication  dogmatique  avec  le  patriarche  de  Constan- 
tinople  et  avec  les  autres  Eglises  orthodoxes  (voy.  Eglise  grecque). 
L'instruction  du  clergé  se  ressent  malheureusement  encore  de  l'état 
précaire  de  la  société  elle-même.  Mais  à  mesure  que  s'effacent  les  tra- 
ces  de  l'ancienne  servitude,  de  notables  progrès  sont  réalisés,  qui  iront 
en  augmentannt  chaque  jour,  grâce  au  développement  de  renseigne- 
ment, grâce  aussi  au  généreux  concours  du  gouvernement,  non  moins 
qu'au  zèle  des  personnages  éminents  placés  à  la  tête  de  l'Université. 

IGN.  MOSHAKIS. 

ATHOS.  Entre  le  golfe  de  Salonique  et  le  golfe  de  Gontessa,la  pénin- 
sule chalcidique  projette,  vers  l'archipel,  trois  promontoires  d'égale 
longueur,  séparés  par  les  baies  profondes  de  Cassandra  et  de  Monte- 
Santo.  La  plus  orientale  de  ces  langues  de  terre,  celle  que  les  anciens 
appelaient  Acte  ('Ax,ttq),  est  une  étroite  arête  de  montagnes,  longue 
d'environ  60  kilomètres,  qui  s'élève  graduellement  depuis  l'isthme 
étranglé  où  elle  prend  naissance  jusqu'au  sommet  de  l'Athos,  Jiaut 
de  2,000  mètres.  Le  mont  Athos("A6a)çou  'Aywv  cpoç)  tire  son  nom  ou 
d'Athos,  fils  de  Neptune,  ou  d'un  géant  ainsi  appelé.  Chez  les  anciens 
le  mont  était  célèbre;  il  l'est  devenu  plus  encore  à  l'époque  byzantine 
et  dans  les  temps  modernes,  grâce  à  sa  nature  pittoresque,  aux  nom- 
breux moines  qui  l'habitent  et  à  l'importance  politique  et  religieuse  de 
ce  Vatican  de  l'Orient.  On  ne  sait  pas  exactement  à  quelle  époque  les 
moines  s'établirent  pour  la  première  fois  au  mont  Athos.  D'après  un 
manuscrit  grec  anonyme  et  sans  date,  trouvé  dans  un  des  monastères  de 
la  sainte  montagne  et  publié  à  Salonique  par  D.  Pistis  (Ileptypa^  îoropfe  tcu 
acfiou  opouç.  ûtcô  A.  lli--rn  1870),  c'est  sous  Constantin  qu'auraient  été 
bâtis,  sur  l'Athos,  les  premiers  couvents,  qui  furent  abolis  sous  Julien 
l'Apostat.  Cette  opinion  nous  parait  très-invraisemblable,  car  elle  n'est 
confirmée  par  aucun  historien.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'à  partir  du 
neuvième  siècle,  nous  trouvons  des  solitaires  sur  l'Athos,  et  que  le 
premier  couvent  fut  bâti,  non  loin  d'Hiérissos,  sous  Basile  le  Macé- 
donien, par  Jean  Colovos  (867),  à  qui  l'empereur  avait  donné  toute  la 
montagne  en  propriété.  Bientôt  le  mont  Atiios  fut  rempli  de  moines. 
Lorsque,  au  dixième  siècle,  les  Sarrasins  eurent  dévasté  le  bord  de  la 
mer,  les  moines  cherchèrent  un  refuge  sur  les  montagnes.  C'est  au 
dixième  siècle  ([n'ont  été  bâtis  les  couvents  les  plus  anciens, de Lavra, 
en  960,  par  Athanase  Athonite,  qui  réunit  le  premier  les  moines  vi- 
vant dans  les  montagnes  sons  uni;  règle  monastique  (tu7;ixcv),  d'iviron, 
de  Vatopédi,  de  Xéropotami,  d'Esphigmenou.  Gass  cependanl  soutient, 
avec  quelque  vraisemblance,  que  c'est  le  couvent  de  Xéropotami   qui 


694  ATHOS 

est  le  plus  ancien  (Zur  Geschichte  (1er  Alhos-Klôster \  p.  6,  Giessen,186o). 
Les  empereurs  byzantins,  en  particulier  Alexis  Comnène,  dont  plusieurs 
passèrent  leurs  derniers  jours  sur  cette  montagne,  lui  accordèrent  de 
nombreux  privilèges  et  en  augmentèrent  ainsi  la  population,  F  impor- 
tance et  la  sainteté.  Des  princes  slaves  vinrent  aussi  à  l'Athos  et  rivali- 
sèrent de  générosité  avec  les  empereurs  byzantins.  C'est  ainsi  que  s'ac- 
crut la  prospérité  de  l'Athos.  Comme  les  moines  vivaient  du  fruit  de 
leur  travail  et  que  les  anciens  solitaires  refusaient  de  travailler  pour  va- 
quer uniquement  à  la  contemplation  et  à  la  prière,  une  querelle  s'éleva 
entre  eux.  Pour  la  faire  cesser,  on  envoya  une  députation  à  F  empereur 
Jean  Zimiski  (969),  qui  obligea  les  solitaires  à  se  conformer  à  la  règle  des 
moines  de  Lavra.  Mais  plus  tard,  sous  Constantin  Monomaque  (1045), 
l'industrie  et  le  commerce  furent  limités,  et  dès  lors  on  chassa  du  mont 
Athos  toutes  les  occupations  bruyantes.  Parmi  les  solitaires,  les  uns  vi- 
vaient isolés,  les  autres  à  deux  ou  trois  ensemble.  Dès  le  commencement 
les  couvents  furent  divisés  en  deux  catégories  :  ceux  où  les  moines 
vivaient  indépendants,  et  qu'on  appelait  idiorhythmes  (tèwppuô^a),  et 
ceux  où  ils  vivaient  en  commun  sous  la  direction  d'hégoumènes,  etqu'on 
appelait  cénobies  (xoivoéta):  La  même  distinction  existe  encore  aujour- 
d'hui. Sous  Alexis  Comnène,  les  couvents  furent  déclarés  exempts  de 
tribut  et  placés  sous  la  juridiction  directe  des  empereurs.  Ils  avaient 
été,  à  l'origine,  sous  l'autorité  du  métropolitain  de  Salonique  et  de 
Tévêque  d'Hierissos  (Innoc,  epist.,  lib.  XIII,  39,  40  ;  XVI,  168,  cf. 
Gass,  ibid.,  p.  18).  Lorsque  les  croisés,  sous  Baudouin,  se  furent  em- 
parés de  Constantinople  et  y  eurent  fondé  l'empire  latin  (1204),  le 
mont  Athos  tomba  sous  la  domination  latine.  En  même  temps  Inno- 
cent III  essayait  en  vain  de  latiniser  le  principal  centre  monastique  de 
l'orthodoxie,  en  bâtissant  un  couvent  catholique  sous  le  nom  de  Mol- 
phinon.  On  voit  encore  aujourd'hui  les  ruines  de  ce  monastère.  Ce 
danger  fut  écarté  lorsque  Michel  Paléologue  fut  redevenu  maître  de 
Constantinople  (1261). Mais  cet  empereur  ayant  voulu,  par  des  raisons 
politiques,  traiter  de  l'union  des  Eglises  avec  le  pape  Urbain  II  (1263), 
les  moines  du  mont  Athos  souffrirent  des  persécutions  terribles 
comme  ennemis  de  l'union.  Ce  nouveau  danger  passa  à  son  tour  et  le 
mont  Athos  recommença  à  fleurir.  Du  treizième  au  quinzième  siècle  il 
atteignit  le  plus  haut  degré  de  sa  prospérité.  A  cette  époque  furent  bâ- 
tis les  nouveaux  couvents  d'Aghios  Dionysios,  Simopétra,  Castamo- 
nitou,  Roussico,  et  l'influence  morale  et  politique  des  moines  devint 
considérable.  Vivant  en  paix  avec  les  sultans,  favorisés  même  par  quel- 
ques-uns, comme  Sélim  le  Magnifique,  qui  rebâtit  Xéropotami,  et  enri- 
chis par  des  princes  serbes  et  valaques  et  par  les  tsars  de  Moscou,  leur 
nombre  ne  cessa  de  s'accroître,  et,  au  commencement  de  ce  siècle,  il 
atteignit  le  chiffre  de  10,000.  La  guerre  de  l'indépendance,  la  sécularisa- 
tion des  biens  ecclésiastiques  en  Moldo-Valachie  (1866),  d'où  les  moines 
tiraient  la  meilleure  partie  de  leurs  revenus,  dus  aux  legs  des  anciens 
voïvodes,  et  l'esprit  du  siècle  en  général,  arrêtèrent  leur  prospérité  et 
amenèrent  une  décadence  qui  se  continue  jusqu'à  ce  jour,  où  leur 
nombre  n'est  plus  que  de  5,000  environ.  Ils  sont  soumis  à  la  règle  de 


ATHOS  C95 

saint  Basile.  L'usage  de  la  viande,  du  tabac,  des  bains  est  inconnu  au 
moins  dans  les  cénobies.  Ils  portent  uniformément  une  robe  de  laine 
noire,  toute  la  barbe,  et  toute  la  chevelure  ramenée  en  nattes  sous  un 
bonnet  noir  déforme  cylindrique.  La  particularité  la  plus  ancienne  de 
leur  règle  est  la  prohibition  absolue  faite  à  toute  femme,  à  tout  enfant,  à 
tout  animal  femelle  de  pénétrer  sur  le  territoire  de  l'Athos.  Les  couvents 
sont  maintenant  au  nombre  de  vingt  sans  compter  le  Protaton,  où  se  réu- 
nissent les  députations  de  tous  les  autres  monastères  pour  délibérer  sur  les 
affaires  d'un  intérêt  général.  Ils  sont  soumis  à  la  juridiction  du  patriarche 
de  Constantinople,  mais  libres  dans  leur  administration  intérieure.  Sous 
la  dépendance  de  quelques  couvents  se  trouvent  lesskites  (cx^at),  où 
demeurent  les  solitaires  ou  les  ascètes,  qui  représentent  le  plus  haut 
degré  de  la  perfection  caloyérique.  Les  couvents  envoient  chacun  un 
député  à  l'assemblée  générale,  qui  siège  dans  la  petite  ville  de  Karyès  ; 
cette  assemblée  choisit,  parmi  ses  membres,  les  cinq  délégués  (eiuKruarat), 
qui  composent  Yépistasie  ou  conseil  exécutif  chargé  de  l'administration 
des  affaires  communes  ;  elle  élit  tour  à  tour,  dans  chaque  couvent,  et 
pour  un  an,leprotatos:  c'est  le  magistrat  suprêmede  l'Etat  monastique; 
il  est  chargé  de  promulguer  et  d'appliquer  les  décisions  de  l'assemblée 
et  du  conseil.  Une  taxe  payée  par  les  couvents,  à  raison  d'une  livre 
turque  (23  francs)  par  chacun  de  leurs  habitants,  constitue,  pour  ainsi 
dire,  le  budget  fédéral  mis  à  la  disposition  de  ce  gouvernement,  qui 
fonctionne  sous  la  haute  direction  du  patriarche  œcuménique.  Les 
couvents  payent  à  la  Porte  un  tribut  annuel  de  600  livres  turques 
(13,000  francs)  ;  le  caïmakan  chargé  de  lever  cet  impôt  réside  à  Ka- 
ryès ;  il  atteste,  par  sa  présence  fort  inoffensive,  un  lien  de  suzeraineté 
tout  nominal;  ce  fonctionnaire  et  les  quelques  gendarmes  albanais 
chrétiens  dont  il  dispose  sont  les  seuls  habitants  laïques  du  territoire. 
•Les  vingt  couvents  et  leurs  skites  sont  distribués  assez  inégalement  dans 
toute  la  presqu'île.  Les  couvents  d'origine  slave,  situés  au  nord  et 
dans  l'intérieur,  sont  :  Zographou,  Chilandari,  Simopétra,  Aghios  Pav- 
ios  et  Roussico.  Tous  les  autres  sont  d'origine  grecque  et  s'appel- 
lent Lavra,Caracalou,  Philotheou,  Iviron,  Stavronikita,  Koutloumousi, 
Pantocrator,  Vatopédi,  Esphigmenou,  Aghios  Dionysios,  Aghios  Grigo- 
rios,  Xiropotami,  Xénophou,  Dochiariou  et  Kastamonitou.  La  forme  de 
tous  les  monastères  est  un  carré  ou  un  trapèze,  compris  dans  une  en- 
ceinte de  hautes  murailles.  Dans  la  cour  intérieure  s'élève  l'église  prin- 
cipale, le  catholicon.  La  plus  ancienne  de  ces  églises  est  la  métropole 
de  Karyès,  dédiée  à  la  Vierge;  elle  remonte  au  dixième  siècle  et  repro- 
duit fidèlement  le  plan  de  Sainte-Sophie.  L'église  de  Chilandari  est  une 
des  plus  anciennes  après  Karyès  ;  elle  remonte  probablement  au  dou- 
zième siècle.  Les  autres  datent  du  treizième,  quatorzième  et  quin- 
zième siècle.  Dans  les  églises,  surtout  dans  celles  de  Karyès,  Lavra, 
Vatopédi  et  Dochiariou  se  trouvent  des  images  très-anciennes,  vrais 
chefs-d'œuvre,  dus  au  pinceau  du  fameux  Pansélinos,  le  Raphaël  de 
L'Athos,  qui  paraît  avoir  vécu  aux  premiers  temps  de  la  communauté. 
Bien  que  la  meilleure  part  des  richesses  de  l'Athos  ait  été  dispersée 
ou  détruite  à  la  suite  de  l'orage  qui  passa  sur  la  montagne  pendant  la 


G'JG  ATHOS  —  ATOMISME 

guerre  de  Y  indépendance,  il  reste  encore  dans  quelques  couvents,  sur- 
tout à  Lavra  et  à  Vatopédi,  des  trésors  inestimables.  Un  de  ces  trésors 
consiste  dans  les  riches  bibliothèques  de  l' Athos.  Il  y  a  peu  de  temps 
que  ces  bibliothèques  sont  ouvertes  aux  savants,  et  grâce  aux  recher- 
ches de  MM.  Mynoïde  Minas,  Langlois,  Sébastianof,  grâce  aux  excel- 
lents travaux  de  M.  Miller,  les  bibliothèques  des  monastères  sont 
maintenant  connues.  On  a  compté,  dans  les  couvents,  six  mille 
manuscrits,  datant  du  dixième  au  seizième  siècle.  Les  plus  anciens 
sont,  sans  exception,  des  copies  des  Evangiles  et  des  psaumes  ;  on  y 
trouve  aussi  des  œuvres  des  Pères  grecs  et  des  chroniques  byzan- 
tines. Il  nJy  a  que  très-peu  de  manuscrits  classiques.  C'estàXiropotami 
qu'on  trouve  une  collection  de  livres  très-précieuse,  qui  contient  de 
curieux  et  rares  ouvrages  du  seizième  siècle,  en  allemand  et  en  latin. 
Tandis  qu'autrefois  le  mont  Athos  était  le  dépôt  des  manuscrits  clas- 
siques et  ecclésiastiques  et  que  des  hommes  éruclits,  comme  Zonaras,  y 
vivaient  pour  étudier,  aujoud'hui  les  caloyers,  sauf  de  rares  excep- 
tions, se  trouvent  dans  une  ignorance  profonde.  Ce  n'est  que  sous 
Catherine  II  qu'Eugène  Boulgaris  (né  1716)  prit,  dans  le  mont  Athos, 
la  direction  de  l'école  Athoniade,  établie  par  Cyrille  Y,  patriarche  de 
Constantinople.  Elle  fut  d'abord  florissante,  mais  plus  tard  elle  a  été 
supprimée  par  suite  de  l'opposition  des  moines  ignorants  (Gass,  ibid., 
p.  44).  Depuis  lors  a  cessé,  presque  complètement, tout  mouvement  in- 
tellectuel. Remarquons  enfin  que,  depuis  quelque  temps,  il  y  existe  un 
antagonisme  profond  entre  les  moines  grecs  et  les  moines  slaves  ou 
russes.  Les  derniers,  au  nombre  de  800  environ,  occupent  le  grand  cou- 
vent de  Saint-Pantéleimon  et  les  deux  skites  de  Saint-André  et  du  pro- 
phète Elie.  Ils  obtiennent  toutes  les  facilités  matérielles  de  la  part  de  la 
Russie,  tandis  que  les  maisons  grecques  s'appauvrissent.  Toute  la  vie 
dont  r Athos  est  susceptible  s'est  concentrée  aujourd'hui  dans  cette 
lutte. —  Sources:  Jean  Comnène,  Descriptio  montisAtho  dans Montfaucon, 
Palœographie  grecque  ;  Me.  Grégoras,  Hist.  lib.  XIV,  édit.  de  Bonn  ;  P. 
Bellon,  les  Observations...  en  Grèce,  Paris,  1555;  Braconier,  Mémoires 
pour  servir  à  r  histoire  du  mont  Athos;  Pouqueville,  Voyage  dans  la  Grèce, 
tom.  I,  préf.,  Paris,  1820;  Griesbach,  Reisen  durch  Rumelien,  Gôtt., 
1841;  Fallmerayer,  Fragmente  aus  dem  Orient,  Stuttg.,  1845;  Didron, 
Annales  archéologiques,  I,  ss.;  Pischon,  Die  Mônchsrepublik  des  Berges 
Athos  ;  Raumer's  Histor.  Taschenbuch,  4  Folge  1,  1860;  Gass,  ouvrage 
cité  et  son  article  Athos-Berg,  dans  la  Real-ÈncycL  de  Herzog;  Miller, 
dans  le  Correspondant,  1866,  avril  ;  de  Vogué,  Syrie,  Palestine,  Mont- 
Athos,  Paris,  1876.  Ign.  Moshakis. 

ATOMISME,  système  métaphysique  d'après  lequel  les  principes  élé- 
mentaires de  toutes  choses  seraient  des  particules  indivisibles  de  ma- 
tière et  le  vide.  Strabon  et  Sextus  Empiricus,  rapportant  une  opinion 
du  stoïcien  Posidonius,  attribuent  l'invention  des  atomes  à  un  Phéni- 
cien, Moschus.  Bayle  a  fait  justice  de  cette  assertion.  Le  témoignage 
de  Posidionius  ne  peut  être  reçu:  Cicéron,  son  disciple,  l'accuse  de 
substituer  à  l'histoire  des  fables  de  sa  façon.  Toutefois  l'idée  d'a- 
tome ne  semble  pas  d'origine  hellénique:  un  philosophe  indien.  Kanada, 


AT0M1SME  G97 

compose  le  monde  matériel  de  particules  insécables.  Cependant  son 
système  diffère  de  l'atomisrne  proprement  dit,  tel  qu'il  fut  professé  <mi 
(irèce  par  Leucippe  et  Démocrite,  sur  deux,   points   principaux:  ses 
atomes  n'ont  pas  (pie  des  propriétés  géométriques  et  mécaniques,  ils 
sont  doués  dé  qualités  sensibles;  en  outre  il  reconnaît  l'existence  d'une 
intelligence  infinie,  distincte  du  monde  matériel.  Leucippe  et  Démo- 
crite  sont   les  vrais  auteurs  du  système  atomistique  rigoureusement 
conçu  et  enchaîné.  «  Leucippe  et  son  compagnon  Démocrite,  dit  Aris- 
tote,  admettent  pour  principes  des  choses  l'être  et  le  non-être,  le  plein 
et   le   vide.  »   Qu'est-ce   d'abord  que  l'être?  La  division  d'un  corps 
étendu  ne  peut  aller  à  l'infini.  Les  indivisibles,  éléments  communs  de 
tous  les  corps,  sont  l'être  véritable,  un  en  lui-même,  mais  répété  un 
nombre  indéfini  de  fois.  Ces  atomes  sont  éternels,  absolument  pleins, 
immuables,  sans  qualités  sensibles,  telles  que  le  chaud,  le  froid,  le 
sec,  l'humide.  Ils  n'ont  entre  eux  que  des  différences  géométriques  de 
forme  et  de  grandeur;  ils  sont  en  nombre  infini.  Qu'est-ce  maintenant 
«pie  le  non-être?  Le  non-être  n'est  pas  une  abstraction,  mais  l'inter- 
valle ou  vide  qui  sépare  les  divers  groupes  de  corpuscules,  et  les  cor- 
puscules d'un  même  groupe.  Le  vide  n'a  d'autre  propriété  que  l'é- 
tendue, une  étendue  infinie  dans  tous  les  sens.  Tl  est  la  condition  du 
mouvement.  Puisque  toute  chose  est  composée  d'être  et  de  non-être,  de 
plein  et  de  vide,  chaque  chose  nait  quand  plusieurs  atomes  se  réu- 
nissent, meurt  quand  ils  se  dissocient,  s'accroît  quand  le  nombre  ou 
les  intervalles  en  augmentent,  diminue  quand  ce  nombre  ou  ces  inter- 
valles se  resserrent.  Quant  aux  propriétés  des  choses,  elles  ne  peu- 
vent être  que  celles  qui  dérivent  de  leurs  éléments.  Les  choses  sont 
donc,  comme  ces  éléments,  dépourvues  de  qualités  sensibles;  le  chaud, 
le  froid,  le  blanc,  le  noir,  etc.,  ne  sont  que  nos  manières  de  sentir  les 
propriétés   et  les  différences  géométriques  des  corps.  Les  propriétés 
essentielles  sont  au  nombre  de  trois  :   Êucrpoç,  o'.y.()':;rn  tpcxYj,  la  forme, 
l'ordre  de  distribution,  et  la  situation  des  atomes  constitutifs.  Les  dif- 
férences réelles  des  choses  sensibles  sont  donc  purement  mathéma- 
tiques  et   intelligibles:    hors  de   là,   tout  est  apparence.  Maintenant 
comment  se  produisent  la  naissance  et  la  mort,  l'accroissement  et  la 
diminution  des  choses?  C'est  par  le  mouvement.  L'origine  d'un  mou- 
vement donné  est  un  mouvement  antérieur,  et  ainsi  de  suite  à  l'infini. 
Le  mouvement  est  éternel.  Il  n'est  pourtant  pas  l'œuvre  du  hasard. 
Tout  ce  qui  arrive  dans  le  monde  est  déterminé  nécessairement  par 
des  lois  antérieures.  Cette  nécessité  mécanique  est  la  raison  des  choses 
et  la  Providence  du  monde.  Démocrite  admettait  trois  espèces  de  mou- 
vements:  le  mouvement   par  choc,  le   mouvement  oscillatoire  et    le 
mouvement  circulaire  ou  tourbillon.  Les  deux  derniers  dérivent    du 
premier.  Puisque,  outre  leur  constitution  géométrique,  les  atomes  n'ont 
rien  en  eux,  lf  mouvement  qui  les  entraine  doit  leur  être  extérieur; 
la   cause   de   tout   mouvement  est  donc  un  choc.  De  ces  impulsions 
incessamment    répétées    dans  le  vide  naît   pour   chaque   atome  une 
sorte   de   trépidation   oscillatoire  :    de  l'ensemble   de  ces  oscillations 
naît   le   tourbillon    universel .    qui   emporte   dans  le    vide    infini    la 
I.  •      45 


698  ATOMISME 

masse  infinie  de  la  poussière  cosmique.  Quoi  qu'on  ait  prétendu,  Dé- 
mocrite n'attribuait  pas  de  pesanteur  aux  atomes.  Pour  lui,  tout  mou- 
vement naît  d'une  impulsion  extérieure  à  l'atome,  et  non  pas  d'une 
force  intérieure.  Que  peut  être  l'âme  dans  ce  système,  sinon  un  corps? 
Ce  corps  est  composé  d'un  nombre  infini  .d'atomes  sphériques.  Les 
fonctions  de  l'âme  ne  sont  que  les  mouvements  de  ces  atomes.  Ces 
fonctions  sont  au  nombre  de  deux:  la  vie  et  la  pensée.  Toute  pensée 
est  une  sensation.  Toute  sensation  est  un  changement.  Le  changement 
en  général  résulte  ou  bien  de  la  substitution  les  uns  aux  autres  d'atomes 
de  forme  différente,  ou  d'une  modification  dans  l'ordre  et  la  situation 
des  éléments.  Le  premier  de  ces  deux  modes  de  changement  est  im- 
possible dans  l'âme.  Composée  d'atomes  sphériques,  elle  ne  saurait, 
sans  cesser  d'être  elle-même,  recevoir  des  atomes  de  forme  différente, 
fteste  le  second  mode  de  changement:  les  atomes  de  l'âme  peuvent  se 
combiner  d'un  nombre  infini  de  manières;  chacune  de  ces  combinai- 
sons est  une  sensation  qui  disparaît  aussitôt  que  change  l'ordonnance 
de  la  combinaison.  Dans  toute  sensation  il  faut  distinguer  la  matière  et 
la  forme,  pour,  employer  des  expressions  modernes  qui  rendent  bien 
la  pensée  de  Démocrite.  La  forme  est  notre  œuvre;  la  matière  est  ex- 
térieure à  nous.  Nous  croyons  percevoir  dans  les  objets  des  qualités 
contraires;  pourtant  elles  n'existent  pas  hors  de  nous,  et  la  preuve, 
c'est  que  ce  qui  semble  doux  à  l'un  est  amer  pour  l'autre.  Mais  il  y  a 
quelque  chose  d'objectif  dans  la  sensation;  nos  diverses  sensations 
correspondent  aux  différences  géométriques  des  corps.  Si  nos  sen- 
sations, bien  que  revêtues  par  nous  d'une  forme  subjective,  n'en 
correspondent  pas  moins  à  quelque  chose  d'objectif,  elles  sont  pro- 
voquées par  un  objet  extérieur.  Or,  l'âme  est  un  corps,  et,  dans  l'ato- 
misme,  toute  action  d'un  corps  sur  un  autre  a  lieu  par  contact.  C'est 
donc  par  le  contact  que  l'extérieur  agit  sur  l'intérieur.  Tous  nos  sens 
sont  des  espèces  de  toucher.  Mais  les  objets  sentis  ne  sont  pas  toujours 
en  contact  immédiat  avec  les  sens  ;  alors  la  perception  a  lieu  par  le 
moyen  des  images  ou  des  idoles  émanées  des  corps.  Rien  n'est  plus 
obscur  que  la  théorie  des  émanations.  Cette  théorie  paraît  pourtant  avoir 
été  élucidée  dans  un  récent  opuscule  (L.Liard,Z>e  Democritophilosopho> 
Paris,  1873).  Le  ràledeY  image  est  d'imprimer  un  ébranlement  aux  atomes 
de  l'âme,  et  de  les  placer  ainsi  dans  un  ordre  qui  correspond  à  l'ordre 
même  des  éléments  du  corps  représenté.  D'après  cela ,  que  peut  être 
l'image?  Un  corps  détaché  du  corps  représenté?  Mais  pour  produire  en 
nous  l'ébranlement  qu'y  eût  produit  le  corps  d'où  elle  émane,  il  fau- 
drait qu'elle  fût  une  réduction  rigoureusement  exacte  de  ce  corps. 
Comprend-on  qu'un  corps  laisse  couler  de  lui,  à  chaque  instant,  de 
pareilles  réductions?  11  est  probable,  au  contraire,  que  l'émanation  telle 
que  l'entendait  Démocrite  est  un  mouvement  qui  se  transmet  de  l'ob- 
jet jusqu'à  l'âme  par  l'intermédiaire  de  l'air.  Théophraste  semble  le 
dire  :  ((L'image,  écrit-il,  ne  se  forme  pas  directement  dans  la  pupille, 
mais  l'air  qui  sépare  le  voyant  du  vu  reçoit  une  empreinte.))  Qu'est  cette 
empreinte,  sinon  le  mouvement  même  du  corps,  qui  se  communique  de 
proche  en  proche  jusqu'à  l'œil?  —  Plus  tard,  Epicure  reprit  en  l'altérant 


ATOMISME  699 

profondément  la  physique  atomistique  de  Démocrite.  Pour  Démocrite, 
tout  mouvement  est  le  résultat  d'un  choc;  la  série  des  causes  et  des  ef- 
fets est  par  suite  infinie.  Epicure,  à  la  suite  d'Aristote,  nie  qu'il  puisse 
en  être  ainsi.  Il  s'arrête  à  l'atome  lui-même,  dans  lequel  il  place  une 
force  capable  de  produire  le  mouvement,  la  pesanteur.  Attribuer  ainsi 
à  chaque  élément  une  puissance  intime  capable  d'en  produire  et  d'en 
expliquer  le  mouvement ,  c'était  en  un  sens  corriger  et  compléter  le 
système;  mais  en  même  temps  c'était,  en  un  autre  sens,  y  introduire 
un  principe  de  contradiction  et  de  ruine.  La  direction  de  la  pesanteur 
est  uniforme  et  constante  ;  les  atomes  suivront  donc  tous  des  chemins 
parallèles;  tombant  comme  des  gouttes  de  pluie  dans  le  vide  infini,  ils 
ne  se  rencontreront  jamais.  Et  comme  les  corps  et  le  monde  naissent  du 
rapprochement  des  atomes,  le  monde  ne  naîtra  jamais,  à  moins  que  les 
principes  de  toutes  choses  n'échappent  un  instant  à  la  loi  même  de  leur 
être.  Epicure  l'a  vu;  aussi  accorde-t-il  aux  atomes,  par  une  concep- 
tion anti-scientifique ,  la  faculté  de  dévier  de  la  direction  fatale  où  les 
entraine  la  pesanteur.  Quand  se  fit  cette  exception  à  la  règle?  En  quel 
temps,  en  quel  lieu  les  atomes  ont-ils  décliné?  Epicure  ne  le  dit  pas.  Il 
n'y  a  pas,  en  effet,  de  loi  assignable  à  la  violation  de  la  loi.  Ce  n'est 
pas  gratuitement  qu'Epicure  introduit  dans  le  monde  ordonné  de  Dé- 
mocrite ce  principe  de  discorde.  Il  subordonne  la  physique  à  la  morale. 
Pour  lui,  le  souverain  bien  est  le  calme  profond  de  l'âme.  Le  seul 
moyen  de  l'acquérir  et  de  le  conserver,  c'est  de  se  mettre  hors  d'at- 
teinte des  causes  extérieures  d'agitation.  Comment  y  parvenir,  si  le 
mouvement  se  communique  des  atomes  des  corps  aux  atomes  de  l'âme 
d'une  manière  nécessaire?  si  nous  ne  pouvons  dévier  un  peu  pour  évi- 
ter les  coups  qui  nous  menacent?  Si  l'âme  n'est  pas  libre,  le  bonheur 
est  un  rêve.  Mais  on  ne  saurait  donner  la  liberté  aux  seuls  atomes  de 
L'âme  et  la  refuser  aux  autres;  il  faut  donc  que  les  atomes  aient  le  pou- 
voir de  se  soustraire  à  la  loi  inhérente  à  la  force  qui  les  anime. —  Au  dix- 
septième  siècle,  l'atomisme  d'Epicure  a  été  repris  par  Gassendi.  De  nos 
jours,  les  inductions  de  la  physique  corpusculaire  conduisent  beaucoup 
de  savants  à  des  thèses  voisines  de  celles  qu'enseignait  Démocrite.  C'est 
une  vérité  acquise  à  la  science  que  les  phénomènes  extérieurs  sont  de 
nature  mécanique  :  aux  différences  qualitatives  de  nos  sensations ,  cor- 
respondent hors  de  nous  des  différences  quantitatives  de  forme,  de 
grandeur,  de  mouvement  et  de  nombre.  C'est  par  le  mouvement  des 
particules  élémentaires  que  l'on  explique  les  phénomènes  physiques  et 
chimiques  de  la  nature.  Certains  savants,  tels  que  le  P.  Secchi,  pous- 
sant jusqu'au  bout  les  données  de  la  science,  voient  dans  le  monde 
matériel  un  système  purement  mécanique,  composé  d'éléments  géomé- 
triques homogènes,  savoir  les  atomes  d'éther,  et  ils  expliquent  les  dif- 
férences des  corps  par  les  divers  modes  de  groupement  de  ces  atomes. 
—  Plus  réservés,  d'autres  savants,  sans  se  prononcer  sur  la  constitution 
de  l'univers  entier,  ne  craignent  pas  d'avancer  que  les  corps  sont  for- 
més d'atomes;  autrement,  disent-ils,  la  loi  des  proportions  définies  et 
des  proportions  multiples  ne  se  comprendrait  pas.  Si  les  éléments  des 
corps  n'étaient  pas  finis  et  indivisibles,  on  n'aurait  pas  des  séries,  aux 


700  ATOMISME 

termes  nettement  séparés,  comme  la  série  des  composés  oxygénés  de 
l'azote,  mais  de  l'un  de  ces  termes  à  l'autre,  il  y  aurait  une  infinité 
d'intermédiaires.  La  -chimie  moderne  explique  les  phénomènes  autre- 
fois rapportés  à  la  force  mystérieuse  de  l'affinité  par  X atomicité.  «  Les 
atomes  des  divers  corps  simples,  dit  M.  Wurtz  ,  ne  sont  pas  doués  des 
mêmes  aptitudes  de  combinaison  les  uns  à  l'égard  des  autres  ;  ils  né 
sont  pas  équivalents  entre  eux  :  c'est  ce  qu'on  nomme  l'atomicité ,  et 
cette  propriété  fondamentale  des  atomes  est  liée,  sans  doute,  aux  divers 
modes  de  mouvement  dont  ils  sont  animés.  Lorsque  ces  atomes  se  com- 
binent entre  eux,  leurs  mouvements  ont  besoin  de  se  coordonner  réci- 
proquement, et  cette  coordination  détermine  la  forme  des  nouveaux 
systèmes  d'équilibre  qui  vont  se   former,  c'est-à-dire  des  nouvelles 
combinaisons.  »  —  Cependant,  beaucoup  de  bons  esprits  parmi  les  philo- 
sophes et  parmi  les  savants  ne  regardent  pas  la  théorie  des  atomes 
comme  le  dernier  mot  de  la  science  de  la  nature.  On  peut  accorder 
que,  en  fait,  la  division  des  corps  n'est  jamais  poussée  dans  la  nature 
au-delà  d'un  certain  volume  minimum;  c'est  ce  qui  semble  résulter 
des  lois  des  combinaisons  chimiques.  Mais  parce  qu'ils  ne  sont  jamais 
divisés,  ce  n'est  pas  à  dire  que  ces  Corpuscules  ne  soient  pas  essentiel- 
lement divisibles;  et  parce  qu'ils  sont  donnés  comme  éléments  dans 
toutes  les  combinaisons,  ce  n'est  pas  à  dire  qu'ils  ne  soient  pas  eux- 
mêmes  composés.  En  effet,  l'étendue,  c'est  partes  extra  partes;  toute 
étendue,  si  petite  qu'on  la  suppose,  est  répétition  ,  multiplicité.  Toute 
étendue  est  donc  divisible  ,  et  aucune  chose  étendue  n'est  dernier  élé- 
ment. L'élément  véritable,  c'est  ce  qui,  n'ayant  aucune  partie,  c'est-à- 
dire  aucune  étendue,  constitue  l'étendue  par  sa  répétition  et  sa  multi- 
plicité. Quel  peut  être  cet  élément,  sinon  la  force?  Les  derniers  com- 
posants des  corps  ne  sont  donc  pas  de  petits  solides  continus,  mais  des 
unités  simples,  sans  étendue,  des  centres  de  force ,  des  monades  dyna- 
miques. Il  y  aurait  lieu,  d'après  cette  théorie,  de  reconnaître  deux  sortes 
d'atomes  :  les  atomes  chimiques,  masses   de   matière  extrêmement  pe- 
tites ,  qui ,  quoique  composées,  ne  souffrent  en  fait  jamais  de  division 
de  la  part  des  forces  extérieures,  qui  ne  pourraient  être  divisées  sans 
destruction  de  la  nature  même  du  corps,  et  qui,  dans  toutes  les  combi- 
naisons chimiques,  jouent  le  rôle  d'éléments;  et  les  atomes   métaphy- 
siques ou  monades,  centres  indivisibles  d'action  qui  forment  les  atomes 
chimiques  en  se  groupant  à  distance,  et  en  se  disposant  par  des  forces 
propres  en  différents  systèmes  polyédriques.  Parmi  les  partisans  de 
la  théorie  dynamique  de  la  matière ,  il  faut  citer  Leibniz,  Boscowich, 
Ampère,  Cauchy,  Poisson,  Faraday,  sans  parler  des  contemporains. 
—  Consulter,  outre  les  historiens  de  la  philosophie,  Ritter,  Brandis, 
Zeller,    J.-F-W.  Burchard,   Democriti    philosophie  de    sensibus  frag- 
menta,   Minden,    1830;     Papencordt,    De   atomicorum  doctrina,  Be- 
rol.,    1832;   Lafaist,   Dissert,   sur  la  phil.    atomistique,   Paris,   1833; 
F.  Heimsœth,  Democriti  de  anima  doctrina,  Bonnae,  1835;F.-G.-A.Mul- 
lach,  Quœstionum  democritearum  spec,  Berol.,  1835-42,  et  Democriti 
operum  fragmenta ,  Berol.,  1843;  L.  Liard,  De  Democrito  philosopho, 
Paris,  1873;   J.-C.  Orellius,  Epicuri  fragmenta  librorum  11  et  XI  de 


ATOMISME  —  ATTICUS  701 

nafwa,  voluminibus  jiapyraeeis  ex  llerculano  erutis  reperta,  etc., 
Leipzig,  1818;  Herculanensium  voluminum  qux  super sunt,  Naples, 
1793  à  1855;  T.  Lucretius,  De  natura  rerum;  Cicéron,  De  Finiôus, 
liv.  I  et  II;  P.  Gassendi,  De  vita ,  moribus  et  doctrina  Epicuri, 
Lyon,  1647,  et  Syntagma  philosophie  Epicuri)  La  Haye,  1655; 
G. -F.  Schœmann,  Schediasma  de  Epicuri  (heologia,  ind.  scfwl.,  Greifs- 
wald,  lS()'t;  Ampère,  Bibliothèque  de  Genève,  1832;  Annales  de  chi- 
mie, 1835;  Poisson,  Mém.  de  l'Acad.  des  se,  t.  VIII,  p.  305  et  p.  398; 
Annales  de  chimie  et  de  physique,  t.  XXXVII-XXXIX,  passim,  et  Journal 
de  l'Ecole  polytechnique,  20e  cahier;  de  Saint-Venant,  ing.  des  ponts 
et  ch.,  Sur  la  question  de  savoir  s'il  existe  des  masses  continues ,  et  sur  la 
nature  probable  des  dernières  particules  des  corps,  Paris,  1844,  chez  Cari- 
lian  Gœnry;  Hirn,  Conséquences  philosophiques  et  métaphysiques  de  la 
thermodynamique,  Paris,  Gauthier-Villars  ;  AYurtz,  Histoire  des  théories 
chimiques  et  Dictionnaire  de  chimie ,  Paris;  tMagy,  De  la  science  et  de  la 
nature,  Paris,  1865.  E.  Rabier. 

ATTALIE  ( 'ArcaXeia),  port  de  mer  de  la  Pamphylie,  à  l'embouchure 
du  petit  fleuve  Katarrhakt,  bâti  par  Attale  Philadelphe,  roi  de  Pergame 
(Strabon,  XIV,  4,  2),  existant  encore  sous  le  nom  d'Adalia  ou  (ÏAntali. 
L'apôtre  Paul  traversa  cette  ville  dans  son  premier  vovage  de  mission 
(Act.  XIV,  25). 

ATTERBURY  (François),  né  à  Milton,  dans  le  comté  de  Buckingham, 
en  1062,  fit  ses  études  à  Westminster  et  à  Christ -Collège,  Oxford.  Il 
devint  maître  es  arts  en  1687,  et  ne  tarda  pas  à  se  signaler  par  sa  po- 
lémique contre  l'Eglise  romaine  et  par  son  enthousiasme  pour  Luther. 
Successivement  chapelain  de  Guillaume  III  et  de  Marie,  et  en  1702  de 
la  reine  Anne,  il  fut  élevé  au  siège  épiscopal  de  Rochester  en  1713.  La 
mort  de  la  reine,  survenue  en  1714,  brisa  ses  espérances  d'avenir  et 
décida  de  sa  destinée.  Accueilli  avec  froideur  par  Georges  P'r,  qui  le  sa- 
vait sympathique  au  Prétendant,  non-seulement  il  refusa  de  signer  l'acte 
de  loyauté  des  évèques,  mais  encore  il  entama  avec  les  rebelles  une  cor- 
respondance qui  amena  sa  déposition  en  1722.  Il  mourut  en  exil,  à 
Paris,  le  15  février  1731.  11  entretint  une  correspondance  active  avec 
un  grand  nombre  d'hommes  éminents  de  son  temps,  en  particulier 
avec  Pope.  Il  a  joui,  jusqu'à  nos  jours,  d'une  grande  réputation  comme 
prédicateur.  On  a  de  lui  quatre  volumes  de  sermons  et  d'essais  (Voy. 
Dodridge,  on  Preaching;  Brown,  Encyc.  of  relig.  knowledge,  1841). 

ATTICUS,  originaire  de  l'Arménie,  patriarche  de  Constantinople  de- 
puis 40(),  mort  en  425,  défendit  avec  zèle  la  cause  de  l'orthodoxie 
contre  le?  ariens  et  les  pélagiens.  Il  était  accessible  pourtant  à  des  sen- 
timents conciliants.  Grâce  à  lui,  le  nom  de  Ghrysostôme  fut  rétabli 
sur  les  diptyques  de  l'Eglise  de  Constantinople  et  un  décret  d'amnistie 
promulgué  contre  ses  disciples,  les  johannites.  Il  accueillit  les  chré- 
tiens qui  fuyaient  la  persécution  des  Sassanides  et  détermina  l'empe- 
reur Arcadius  à  refuser  aux  rois  de  Perse  leur  extradition.  On  a  de  lui 
des  lettres  sur  V Incarnation  et  l'Aumône,  ainsi  qu'un  traité  sur  la  Fi  iel 
un  autre  sur  la  Virginité,  écrits  pour  les  lilles  d'Arcadius  (Voy.  Socrate, 
Hist.eccL,  VI,  20;  VII,  2;  VIII,  27;  Nicéphore,  Hitt.  te  cl.,  XIV,  26). 


Î02  ATTON  —  AUBE 

ATTON,  évoque  de  Verceil,  mort  en  960,  est  F  un  des  représentants 
les  plus  éclairés  et  les  plus  courageux  de  l'épiscopat  du  dixième  siècle, 
îl  adressa  au  clergé  de  son  diocèse  une  lettre  de  pressuris  ecclestasticis, 
dans  laquelle  il  s'élève  contre  l'immixtion  des  princes  dans  les  affaires 
de  l'Eglise,  en  particulier  dans  les  élections  des  évêques,  contre  les  abus 
commis  avec  les  bénéfices  ecclésiastiques,  «  vnde  meretrices  ornantw\ 
ecclesiœ  vastantur,  pauperes  tribulantur  » ,  et  contre  les  duels  judiciaires, 
auxquels  les  prêtres  eux-mêmes,  inhabiles  à  manier  les  armes,  ne  pou- 
vaient échapper.,  alors  pourtant  que  cette  coutume  barbare  était  im- 
puissante à  décider  de  la  justice  ou  de  l'injustice  d'une  cause.  On  a 
encore  d'Atton  un  traité  de  morale,  Polypticus  seu  perpendiculum, 
quo  noxia  redar guère  et  honesta  sancire  débet,  mélange  de  conseils 
pratiques  et  de  réflexions  mystiques;  un  commentaire  des  Epitres  de 
saint  Paul,  composé  de  citations  empruntées  aux  Pères  de  l'Eglise;  des 
sermons  et  un  recueil  de  canons,  publié  sous  le  titre  de  :  Statuta  eccle- 
siœ Vercellensis.  Un  certain  nombre  de  ces  écrits  ont  été  insérés  par 
d'Achéry  dans  son  Spicilegium  veter.  aliq.  scriptor.,  P.,  1655,  VIII.  Le 
comte  Buronti  de  Verceil  en  â  publié,  en  1768,  une  édition  complète  en 
2  vol.  in-fol. 

ATTRIBUTS  de  Dieu.  Voyez  Dieu. 

ATTRITION.  Ce  terme,  inconnu  à  l'Ecriture  et  aux  Pères,  a  été  intro- 
duit dans  la  théologie  scolastique  au  treizième  siècle  (voy.  P.  Morin,  De 
pœnitentia,  VIII,  2,  n°  14)  pour  désigner  la  contrition  imparfaite  ou  la 
douleur  qui  naît  de  la  considération  de  la  laideur  du  péché  et  de  la 
crainte  du  châtiment,  «  vel  ex  turpitudinis  peccati  consideratione,  vel  ex 
gehennœ  et  pœnarum  metu.  »  Mais  l'attrition  est-elle  suffisante  pour  pro- 
voquer un  véritable  repentir?  Un  débat  s'est  élevé  à  ce  sujet.  On  dési- 
gne sous  le  nom  mal  sonnant  d'attritionnaires  ceux  qui  soutiennent 
qu'une  crainte  servile  (s^ans  nul  motif  d'amour  de  Dieu)  des  peines 
éternelles  ou  seulement  des  maux  temporels  suffirait  pour  justifier  le 
pécheur  dans  le  sacrement  de  la  pénitence.  Le  concile  de  Trente 
(Sessio  XIV,  c.  4)  a  décidé  contre  eux  que  l'attrition  n'est  suffisante 
que  si  elle  exclut  la  volonté  de  pécher  et  renferme  l'espérance  du  par- 
don, «  si  voluntatem  peccandi  excludat  cum  spe  veniœ.  »  Les  défenseurs 
de  l'attrition  soutiennent  que  l'on  ne  saurait  penser  au  bienfait  du  par- 
don sans  ressentir  un  mouvement  de  reconnaissance  pour  le  bienfai- 
teur, et  que,  d'ailleurs,  la  crainte  du  châtiment  et  l'amour  naturel  de 
soi,  en  tant  qu'ordonnés  par  Dieu,  peuvent  à  la  rigueur  être  considérés 
déjà  comme  un  commencement  d'amour  de  Dieu.  La  théologie  protes- 
tante a  repoussé,  à  juste  titre,  ces  distinctions  oiseuses  :  «  De  contri- 
tione  prsecidimus  Mas  otiosas  et  infinitas  disputationes,  quando  ex  dilec- 
tione  Dei,  quando  ex  timoré  pœnse  doleamus  »  (Apol.  Confess.  Augvsl., 
165).  —  Voyez  l'article  Pénitence. 

AUBE  {alba,  tunica,  camisia),  tunique  blanche  qui  descend  jusqu'aux 
pieds  et  que  les  ministres  de  l'autel  portent  dans  la  célébration  de  la 
messe.  La  couleur  blanche  marque  soit  le  renouvellement  par  le  Saint- 
Esprit,  soit  l'innocence  delà  vie,  soit  l'éclat  dont  brillent  les  anges.  Les 
Grecs,  à  cause  de  sa  longueur,  l'appelaient  icoNjpTfjç,  les  Latins,  talaris.  On 


AUBE  —  AUBERLEX  703 

La  désignait  aussi  sous  le  nom  de  tunicajucwnditaMsjindmnentumlxlitise. 
Un  décret  de  la  congrégation  des  rites,  du  1*>  mai  ISli),  proscrit  l'usage 
des  toiles  <le  coton  pour  les  aubes,  qui  doivent  être  en  lil  de  lin  ou  de 
chanvre.  —  Voyez  l'article  Costume  sacerdotal. 

AUBERLEN   (Charles-Auguste),   né  en    182£  dans  une  modeste  et 
pieuse  famille  d'instituteur,  près  de  Stuttgard,  fit  ses  études  au  sémi- 
naire de  Blaubeuren  et  à  l'université  de  Tubingue.   Après  un   double 
vicariat,  dont  l'un  aux  côtés  de  Hofacker,  et  un  voyage  scientifique  en 
Allemagne  et  en  Hollande,  il  enseigna  la  théologie  à  Tubingue  et,  à  partir 
de  1851, en  qualité  de  professeur  extraordinaire,  à  l'université  de  Baie. 
Miné  par  la  maladie,  il  mourut  en    18Gi  dans  la  pleine  maturité  de 
l'âge  et  du  talent.  Par  sa  tendance  d'esprit  et  par  ses  écrits,  Auberlen 
appartient  à  cette  remarquable  école  de  théologiens  souabes  qui  cher- 
chent à  unir  la  hardiesse  d'une  pensée  nourrie  des  enseignements  de 
la  Bible  au  mysticisme  d'une  piété  saine  et  originale.  Dans  sa  jeu- 
nesse, sous  l'influence  des  idées  de  Gœthe  et  de  Hegel,  le  jeune  étu- 
diant avait  poursuivi  l'idéal  d'une  culture  humanitaire,  affranchie  de  la 
conception  théiste  du  christianisme;  mais,  grâce  à  la  puissante  influence 
de  Beck  et  de  Rothe,  il  s'était  détourné  du  panthéisme  pour  chercher 
dans  la  Bible  la  solution  des  problèmes  qui  le  tourmentaient.  Auberlen 
utilisa  les  loisirs  de  son  premier  vicariat  pour  étudier  à  fond  la  théoso- 
phie  d'Oetinger,  ce  penseur  wurtembergeois  si  étrange  et  si  profond, 
et  exposa  ses  idées  avec  toute  la  lucidité  qu'elles  comportent  {Die  Theo- 
sopliie  Oetingers  nach  ihren  Grundzûgen,  Tiïb.,  1847);  puis  il  se  tourna 
vers  Bengel  et  lui  demanda  le  secret  de  son  réalisme  biblique,  vers  le- 
quel son  esprit,  fatigué  des  abstractions  creuses  delà  sagesse  moderne, 
se  sentait  de  plus  en  plus  attiré.  Dans  un  ouvrage  qui  causa  quelque 
sensation  (Der  Prophet  Daniel  u.  die  O/fenbarung  ,/ohannis,  Basel,  1854, 
2e  éd.,  1857),  il  rompit  nettement  avec  les  vues  courantes  de  l'école 
libérale.  S" inspirant   des  enseignements   symboliques  du  mystérieux 
prophète  de  l'exil  et  du  voyant  passionné  de  Pathmos,  Auberlen  traça 
les  linéaments  d'une  philosophie  de   l'histoire  d'après  la  Bible.  A  la 
théorie  d'un  progrès  indéfini,  destiné  à  embrasser  l'humanité  tout  en- 
tière pour  l'amener  à  la  perfection,  il  opposa  l'idée  d'une  séparation 
de  plus  en  plus  tranchée  du  royaume  de  Dieu  et  du  royaume  du  monde, 
qui  amènera  une  lutte  suprême  couronnée  par  le   dernier  jugement. 
Rendu  attentif,  par  la  correspondance  de  Schleicrmacherct  parles  confé- 
rences apologétiques  auxquelles  il  prit  part,  à  la  nécessité  de  dissiper 
les  préjugés  que  les  hommes  élevés  dans  les  idées  modernes  nourris- 
sent contre  la  foi  chrétienne,  Auberlen  entreprit  un  ouvrage  sur  !a 
révélation  divine  qu'il  ne  lui  fut  malheureusement  pas  permis  d'a- 
chever {Die  gôttliche  Offenbarung,  Fin  apolog.  Versuch,  Basel,  1861.  Le 
commencement  du  second  volume  a  paru  après  sa  mort,  en   1864). 
L'auteur  s'applique  à  justifier  la  conception  dû  surnaturel  sur  laquelle 
reposent  la  Bible  el  les  dogm<  s  chrétiens.  A  cel  effet,  il  se  propose  de; 
soumettre  les  documents  bibliques  â  un  examen  historique  et  critique 
dégagé  de  toute  prévention.  Prenant  pour  point  de  départ  les  épitres 
incontestées  de  saint  Paul,  elles  que  la  critique  «le  l'école  «le  Baur 


704  AUBERLEN  —  AUBERY 

elle-même  regarde  comme  authentiques,  et  remontant  d'elles  par  une 
série  de  déductions  ingénieuses  aux  Evangiles  et  aux  écrits  de  l'Ancien 
Testament,  il  montre  que  Ton  ne  saurait  expliquer  les  événements  que 
ces  écrits  rapportent,  tels  que  l'existence  même  des  communautés 
apostoliques,  leurs  dons  exceptionnels,  leur  propagande  couronnée  de 
si  rapides  succès,  la  conversion  de  saint  Paul,  etc.,  etc.,  sans  admettre 
une  intervention  divine  spéciale,  suspendant  ou  modifiant,  en  vue 
d'un  but  déterminé,  le  jeu  ordinaire  des  lois  de  la  nature.  La  deuxième 
partie  de  l'ouvrage  renferme  une  exposition  historique  pleine  d'inté- 
rêt des  diverses  tendances  et  écoles  religieuses  qui  se  sont  produites  en 
Allemagne  depuis  la  Réformation,  ainsi  que  des  services  qu'elles  ont 
rendus  ou  des  entraves  qu'elles  ont  apportées  à  la  défense  du  christia- 
nisme. La  troisième  partie,  dont  nous  ne  possédons  qu'une  simple 
ébauche,  contient  une  étude  dogmatique  de  la  révélation  chrétienne 
.^Ile-même.  Auberlen  avait  "un  talent  remarquable  de  prédicateur 
{Zehn  Predigten,  Basel,  1855),  de  conférencier  (Schleiermacher,  Fin 
Charakterbild,  1859;  Zehn  Vortrœge  sur  Verontwortung  des  christl. 
Glaubens,  1861)  et  d'écrivain.  Son  style  est  clair,  simple,  plein  de  chaleur 
et  d'une  beauté  presque  classique  ;  sa  parole  était  toute  vibrante  d'une 
émotion  intérieure  soutenue  par  de  fortes  convictions  ;  aussi  l'action 
exercée  par  Auberlen  à  Bàle,  et  au  dehors,  était-elle  considérable,  et  sa 
mort  prématurée  causa-t-eile  partout  les  plus  vifs  regrets. 

F.   LlCHTENBERGER. 

AUBERTIN  (Edme)  (1596-1652),  savant  réformé  du  dix-septième  siècle. 
Pasteur  à  Paris  depuis  1627,  il  fut  dénoncé  pour  avoir  demandé  à  un 
catholique  converti  s'il  renonçait  à  «l'abominable  sacrifice  de  la  messe», 
et  obligé  de  se  soustraire,  pendant  quelque  temps,  par  la  fuite,  aux 
poursuites  de  la  justice.  Son  traité  de  Y  Eucharistie  de  l'ancienne  Eglise, 
(2e  édit.,  Genève,  1633,  in-fol.),  traduit  aussi  en  latin,  est  un  des  meil- 
leurs ouvrages  de  controverse  du  temps  (voy.  France prolest.,  2e  édit., 
1,  p.  434  sb.). 

AUBERY  (Jacques),  lieutenant  civil  au  Chàtelet  de  Paris.  11  porta 
courageusement  la  parole  en  faveur  des  victimes  de  Cabrières  et  de 
Mérindol,  en  1551,  devant  la  grand'chambre  du  Parlement,  en  Qualité 
d'avocat  général  du  roi  (voy.  1°  Histoire  de  l'exécution  de  Cabrières  et 
Mérindol  et  d'autres  lieux  de  Provence,  Paris,  1645,  in-4  ;  2°  aux  ar- 
chives nationales  de  France,  cote  U,  828,  le  registre  du  Parlement  de 
Paris,  intitulé  :  Pluidoyez,  arrestez,  avec  proceddures  sur  le  faict  de  ceux 
de  Cabrières  et  Mérindol,  de  Provence,  depuis  l'an  ï$r±0jusquen  l'an  1554  ; 
3°  l'éloge  du  plaidoyer  d'Aubery  dans  le  deuxième  livre  des  épitres 
du  chancelier  de  l'Hospital,  septième  épitre).  — J.  Aubery  fut,  en  1555, 
investi  des  fonctions  d'ambassadeur  extraordinaire  en  Angleterre, pour 
y  traiter  de  la  paix. 

AUBERY  (Benjamin),  seigneur  du  Maurier,  petit-neveu  de  Jacques 
Aubery.  Un  respect  tout  naturel  pour  d'honorables  traditions  de  fa- 
mille, et  un  sentiment  du  devoir,  d'autant  plus  énergique  qu'il  dérivait 
des  inspirations  d'une  sincère  piété,  portèrent  Dumaurier  à  aborder  la 
carrière  d'homme  d'Etat.  Il  eut,  en  1589,  à  27  ans,  le  bonheur  d'être 


AUBERY  705 

accueilli  comme  secrétaire  par  Duplessis-Mornay,  près  de  qui  il  reçut, 

pondant  quatre  années  consécutives,  les  féconds  enseignements  d'un 
pieux  et  noble  cœur,  d'une  intelligence  d'élite  et  d'une  expérience 
consommée.  Le  disciple  répondit  dignement  par  son  développement 
personnel  et  par  sa  vive  gratitude  aux  directions  du  maitre  éminent 
dont  la  bonté  paternelle  lui  ménagea,  au  dehors,  l'accès  d'importantes 
fonctions.  A  dater  de  1593,  Dumaurier  remplit  pendant  plusieurs  an- 
nées lOi lice  d'intendant  du"  duc  de  Bouillon  et  celui  de  son  chargé 
d'affaires  auprès  de  Henri  IV.  Devenu,  plus  tard,  l'un  des  secrétaires 
de  Sully,  il  fut  employé  dans  des  négociations  délicates,  entre  la  France 
et  le  duc  de  Bouillon,  qui  aboutirent  à  la  soumission  de  celui-ci,  et  fut 
choisi,  en  1607,  pour  l'accomplissement  d'une  mission,  à  la  fois  finan- 
cière et  politique,  relative  aux  intérêts  des  Provinces-Unies  des  Pays- 
Bas.  Lorsque  Sully,  encourant  en  1611,  sous  un  nouveau  gouverne- 
ment, une  disgrâce  imméritée,  dut  se  séparer  de  ses  secrétaires,  il 
donna  des  encouragements  à  Dumaurier  et  lui  présagea  un  brillant 
avenir.  En  1613,  Dumaurier  fut  appelé  aux  fonctions  d'ambassadeur 
de  France  dans  les  Provinces-Unies,  fonctions  antérieurement  exercées 
avec  distinction,  surtout  par  de  Buzenval,  intime  ami  de  Duplessis- 
Mornay,  et  par  le  président  Jeannin.  Elevé  à  la  forte  et  noble  école  de 
Duplessis-Mornay,  Dumaurier,  par  ses  antécédents,  par  ses  sentiments, 
par  son  caractère,  se  rapprochait  singulièrement  de  de  Buzenval  :  aussi 
s'attacha-t-il  à  continuer  ses  traditions  recommandables,  sans  perdre  de 
vue.  (Tailleurs,  celles  de  Jeannin.  —  La  promotion  de  Dumaurier  à  un 
poste  élevé  froissait  divers  intérêts,  et  transformait  en  détracteur  plus 
d'un  ambitjeux  déçu  dans  ses  poursuites  et  ses  prévisions.  De  là  surgi- 
rent pour  le  nouvel  ambassadeur  certaines  difficultés,  aggravées,  au 
sein  de  la  société  néerlandaise,  par  les  préventions  et  les  calomnies 
dont  il  fut  l'objet.  11  s'agissait  de  dissiper  les  unes,  d'anéantir  les  au- 
tres, de  concilier  à  un  homme  essentiellement  honorable  l'estime  des 
honnêtes  gens,  en  le  faisant  connaître  tel  qu'il  était,  et  d'assurer  au 
représentant  de  la  France  le  respect  que  devait  imposer  sa  haute  situa- 
tion. Ce  triple  but  fut  efficacement  atteint  par  l'influence  de  Louise  de 
Coligny,  princesse  douairière  d'Orange,  qui  soutint  Dumaurier  de 
toute  l'autorité  de  son  crédit  et  de  son  inépuisable  bonté.  Les  senti- 
ments de  gratitude  envers  cette  femme  éminente,  qui  débordent  dans 
un  écrit  émané  de  Dumaurier,  n'honorent  pas  moins  le  protégé  que  la 
protectrice.  Dumaurier  s'acquitta  dignement  de  ses  fonctions  diploma- 
tiques dans  les  Provinces-Unies.  Il  y  avait  contracté,  de  même  qu'en 
France,  de  nobles  amitiés;  et  certes,  si  jamais  homme  fit  preuve  d'une 
sincère  fidélité,  en  fait  de  sympathie  et  d'affection,  ce  fut  bien  lui.  11 
n'exagérait  rien  quand  il  écrivait  à  Hotman  :  «  Ceux  qui  me  connais- 
sent cautionneront  toujours  que  je  suis  de  ferme  tenue  là  où  je  me 
suis  voué.  »  L'histoire  atteste,  à  l'honneur  de  la  mémoire  de  Du- 
maurier. tout  ce  qu'il  veut  devrai  dans  ce  généreux  accent  de  son 
aine,  car  elle  allie  à  son  nom,  désormais  inséparable  des  noms  de  Van 
Olden  Barneveld  et  de  Grotius,  ses  dignes  amis,  le  souvenir  d'un  dé- 
vouement sans  réserve,  qu'une  inébranlable  affection  pouvait  seule 


706  AUBERY 

inspirer.  Ce  souvenir  est  vivant  pour  quiconque  étudie  à  fond  les  di- 
verses phases  de  ia  lutte  qui  s'engagea  entre  les  arminiens  et  les  go- 
maristes.  Des  hommes  égarés  par  de  coupables  passions  mêlèrent  à  la 
question  religieuse,  en  la  déplaçant  de  sa  base,  des  questions  gouver- 
nementales sous  le  poids  desquelles  ils  s'efforcèrent  de  la  comprimer  ; 
la  liberté  religieuse  fut  sacrifiée  à  la  prétendue  religion  d'Etat,  et  de 
sanglantes  immolations  signalèrent  le  triomphe  du  bras  séculier.  Une 
triple  accusation  d'atteinte  aux  libertés  publiques,  de  provocation  à  la 
révolte,  et  de  haute  trahison,  avait  été  dirigée  contre  Barneveld  et 
Grotius  ;  on  leur  imposa  pour  juges  des  commissaires  dont  la  plupart 
avaient  intérêt  à  les  condamner.  D'accord  avec  la  princesse  douairière 
d'Orange,  qui  ne  cessa  de  lui  prêter  son  généreux  concours,  Dumau- 
rier  prodigua  aux  deux  accusés  les  preuves  d'un  infatigable  dévoue- 
ment. Chez  lui  l'énergie  de  l'amitié  rehaussait  les  actives  et  fermes 
démarches  de  l'homme  public  :  mais  les  efforts  auxquels  se  livrèrent 
la  princesse  et  l'ambassadeur  de  France  pour  sauver  les  jours  de  Bar- 
neveld échouèrent  contre  la  haine  implacable  des  ennemis  de  ce  grand 
citoyen.  Grotius  n'échappa- à  une  condamnation  capitale,  que  pour  être 
incarcéré  dans  la  forteresse  de  Louvestein.  Rentré  en  France,  Dumau- 
rier  quitta  la  politique  active,  en  1624,  et  partagea  son  temps  entre  de 
tendres  soins  donnés  à  sa  nombreuse  famille  et  le  culte  des  lettres. 
Dans  la  vie  publique,  de  même  que  dans  la  vie  privée,  il  demeura  fi- 
dèle à  la  devise  qu'il  avait  adoptée  :  Cœleskm  cogita.  Les  sentiments  de 
piété  qui  l'animèrent  dans  le  cours  d'une  carrière  honorablement 
accomplie  s'étaient  fortifiés  avec  les  années ,  et  la  principale  recom- 
mandation qu'au  déclin  de  ses  jours  il  adressa  à  ses  enfants,  se  ré- 
suma en  ces  lignes,  si  belles  dans  leur  simplicité  :  «  J'exhorte  mes  en- 
«  fants  de  méditer  à  bon  escient  et  souvent  les  singulières  grâces  que 
<(  Dieu  leur  a  départies,  non-seulement  en  leur  donnant  l'estre,  mais 
«  aussi  le  bien-estre  ;  les  ayant  daigné  faire  naistre  en  son  Eglise,  in- 
«  struire  en  sa  parole,  et  rendre  participants  de  ses  promesses....  qu'ils 
«  lisent  et  méditent  souvent  la  parole  de  Dieu,  fuians  comme  un  très- 
«  dangereux  écueil  de  s'embarrasser  en  questions  subtiles  et  curieuses 
«  des  théologiens,  qui  par  leurs  dissensions  et  controverses  ont  beau- 
«  coup  plus  destruit  qu'édifié  le  christianisme  et  la  piété...  c'est  pour- 
ce  quoi  je  renvoyé  mes  enfants  au  conseil  de  saint  Paul,  de  scavoir  à 
«  sobriété,  leur  suffisant  embrasser  très-simplement  par  foy  un  seul 
((Jésus  et  iceluy  crucifié.»  Dumaurier  mourut  en  1036,  à  l'âge  de 
soixante-dix  ans.  —  Yoy.  sur  Dumaurier  :  1°  Vie  dePh.Mornay,  Leyde, 
1647,  in-4;  2°  Mém.  et  corresp.  de  D.-Momay,  Paris,  1624-25,  12  v. 
in-8;  3°  Mém.  de  Sully,  Paris,  1788,  6  v.  in-8;  4°  Mém.  pour  servir  à 
rhist.  de  Hollande,  etc.,  par  Louis  Aubery,  chev.  seign.  du  Maurier,  Pa- 
ris, 1688,  in-8;  5°  Hist.  de  Louis  XIII,  par  Levassor,  Amst.,  1762,  6  v. 
in-4  ;  6°  Aubery  du  Maurier,  Etude  sur  Vhist.  de  la  Finance  et  de  la  Hol- 
lande (1566-1636),  par  M.  H.  Ouvré,  Paris,  1853,  in-8;  7°  Etude  hist. 
sur  la  correspond,  de  Dumaurier  avec  Hotman  de  Villiers,  Bull.  Soc» 
d'hist.  du  protest,  franc.,  15e  année,  p.  401  à  413,  et  497  à  510. 

j,  Delaborde. 


AUB1GNÉ  707 

AUBIGNÉ  (Théodore-Àgrippad')',  brave  soldat,  savant  et  fécond  écri- 
vain, fidèle  serviteur  d'Henri  IV,  mais  huguenot  incorruptible,  agrandi 
dans  l'estime  publique  au  fureta  mesure  que  par  le  bénéfice  du  temps 
il  a  été  lu  davantage  et  mieux  compris.  Il  naquit  près  Pons,  en  Sain- 
tonge,  le  8  février  1552.  Son  père,  Jean  d'Aubigné,  était  (Tune  famille 
bourgeoise  de  Loudun,  mais  homme  très-entendu,  très-lettré,  licencié 
es  lois  et  juge  de  la  seigneurie  de  Pons,  qui  avait  acquis  du  bien  et 
fini  par  prendre  place  parmi  la  petite  noblesse  de  la  Saintonge.  De 
plus,  il  avait  fait  un  beau  mariage  en  se  mariant  dans  une  riche  famille 
bourgeoise  de  Blois,  avec  une  jeune  et  savante  calviniste,  Mlle  Cathe- 
rine de  Lestang,  qui  lisait  saint  Basile  dans  le  texte  grec  et  qui  lui 
apporta  en  dot  la  seigneurie  des  Landes  près  de  la  petite  ville  de  Mer. 
Malheureusement  Théodore-Agrippa  causa  la  mort  de  sa  mère  en 
venant  au  monde.  Dès  que  l'enfant  eut  quatre  ans,  son  père  lui  amena 
de  Paris  un  précepteur  qui  commença  par  le  mettre  au  latin,  au  grec 
et  à  l'hébreu  tout  ensemble.  Ce  terrible  magister  qu'il  ne  garda  guère 
plus  d'une  année  était  Jean  Cottin,  qui,  peu  après  l'avoir  quitté,  fut 
brûlé  vif,  à  Rouen,  comme  un  hérétique  des  plus  dangereux  (en  1559). 
Trois  autres  précepteurs  succédèrent  à  celui-ci,  qui  suivaient  les  mêmes 
méthodes  et  dont  le  second,  Jean  Morel,  eut  un  frère  brûlé  aussi 
comme  hérétique.  Le  troisième  est  resté  célèbre  clans  les  lettres:  c'était 
Mathieu  Béroalde.  Plein  de  feu  et  d'intelligence,  l'enfant  mit  à  profit 
toutes  ces  levons,  en  sorte  qu'il  était,  dès  son  premier  âge,  un  vrai  fils 
de  la  Réforme  par  la  solidité  de  l'instruction  comme  par  la  hauteur 
des  idées.  Le  père  auquel  il  devait  tant  de  soins  lui  donnait  l' exemple; 
pour  le  caractère.  Il  avait  pris  très-activement  part  à  la  conjuration 
d'Amboise  et  tout  homme  de  loi  qu'il  était,  endossant  la  cuirasse  dès 
la  première  prise  d'armes,  il  joignit  l'armée  de  Condé.  Quelques  jours 
après  l'affaire  où  près  de  douze  cents  huguenots  furent  exécutés  de 
sang-froid,  il  passait  à  cheval  par  cette  ville  avec  son  fils  et  une  petite 
troupe  de  compagnons,  quand  apparut  devant  eux  une  potence  au 
sommet  de  laquelle  étaient  rangées  un  certain  nombre  de  têtes  encore 
reconnaissables.  A  cet  aspect  il  ne  put  s'empêcher  de  s'écrier:  «  Ils 
ont  décapité  la  France,  les  bourreaux!  »  et  posant  la  main  sur  le  front 
de  l'enfant,  il  lui  dit:  «  Il  ne  faut  pas  (pie  lu  épargnes  ta  vie  après  la 
mienne,  pour  venger  ces  chefs  pleins  d'honneur,  ou  tu  auras  ma 
malédiction.  »  Et  lui-même,  en  effet,  s'épargna  si  peu  que  deux  années 
après  (1562),  il  mourait  des  suites  d'un  coup  de  lance  reçu  pendant 
le  siège  d'Orléans.  Un  de  ses  beaux-frères,  nommé  Aubin  d'Abeville, 
juge  de  la  seigneurie  d'Archiac,  devint  le  curateur  de  l'orphelin  et 
l'envoya  étudier  quelques  années  à  Genève  et  à  Lyon.  En  1567,  Théo- 
dore-Agrippa revint  en  Saintonge,  tout  nourri  de  i^nr,  de  latin,  voire 
d'hébreu,  écrivant  en  vers  aussi  couramment  qu'en  prose,  ayant 
feuilleté  les  Pères  de  l'Eglise,  effleuré  la  philosophie,  goûté  [es  mathé- 
matiques et  mémeessayé  ce  qui  ('-lait  alors  la  quintessence  scientifique, 
de  la  magie;  mais  M  tenait  toute  la  science  pour  peu  de  chose  auprès 
de  ses  visées  de  gentilhomme  <-t  de  sa  passion  pour  le  métier  des 
armes.  Il  avait   quinze  ans.  Le  curateur,  très-opposé  à  cette  ambition 


70«  AUBIGNÉ 

prématurée,  renfermait  au  moins  pendant  la  nuit,  de  peur  qu'il  ne 
s'échappât,  et  par  surcroit  de  précaution  faisait  enlever  ses  habits  le 
soir.  Le  jeune  homme  sauta  par  Ja  fenêtre  et  s'embaucha,  demi-nu, 
dans  une  troupe  de  soldats  huguenots  qui  passaient.  Une  lieue  plus 
loin  on  rencontra  une  bande  de  papistes  :  la  disperser  fut  l'affaire  d'un 
moment  ;  d'Aubigné  y  gagna  une  arquebuse,  et  ce  ne  fut  qu'à  Jonzac 
qu'on  l'habilla.  Il  fit  ainsi,  dans  les  rangs  obscurs,  la  seconde  et  la 
troisième  guerre  de  religion  (septembre  1567  —  août  1570),  mais 
quoiqu'il  raconte  avec  complaisance  ses  premiers  exploits,  qu'il  ait 
assisté  à  divers  combats,  notamment  à  Jarnac  et  la  Roche-Abeille  (1569), 
qu'il  ait  même  eu  le  grade  d'enseigne  dans  la  compagnie  du  capitaine 
d'Asnières,  il  ne  comptait  pas  encore  comme  homme  de  guerre.  C'est 
seulement  en  1573  que  son  rôle  devient  plus  sérieux,  dans  ce  court 
intervalle  où  Henri  IV,  tenu  comme  prisonnier  à  la  cour  après  n'avoir 
échappé  aux  assassins  qu'à  condition  de  se  montrer  bon  catholique, 
feignait  de  se  rapprocher  des  Guise,  et,  pour  détourner  les  soupçons, 
prenait  part  soit  à  leurs  plaisirs  soit,  chose  plus  grave,  à  leurs  opéra- 
tions militaires.  C'est  à  ce  moment  que  d'Aubigné  entra  au  service  du 
prince  qui  avait  pu  le  connaître  lorsqu'ils  étaient  jeunes  garçons  tous 
deux  et  que  ce  dernier,  n'étant  encore  qu'héritier  présomptif  de  la 
Navarre,  visitait  quelquefois  les  sires  de  Pons  et  d'Archiac  dans  leurs 
châteaux.  Tous  deux,  en  1574,  n'avaient  guère  plus  de  vingt  ans. 
D'Aubigné  imita  de  tout  point  le  jeune  maître  auquel  il  venait  de  se 
donner,  mais  il  eut  le  mérite  spécial,  et  des  plus  importants,  de  le 
décider  à  rompre  son  indigne  servitude  pour  s'enfuir  et  se  mettre  à  la 
tête  du  parti  (8  février  1576) .  Il  était  aux  gages  du  roi  de  Navarre  à 
titre  d'écuyer  de  son  écurie  et  fit  avec  distinction  les  trois  mois  de 
campagne  qui  suivirent,  puis  celle  qui  dura  du  mois  de  janvier  au 
mois  de  septembre  1577.  Au  bout  de  ce  temps,  l'écuyer  trouva  qu'on 
n'avait  pas  une  assez  haute  idée  de  son  mérite,  et  il  prit  brusquement 
congé.  11  tira  vers  le  Poitou  dans  l'intention  de  vendre  son  bien  et 
d'aller  offrir  son  épée  à  quelque  prince  protestant  d'Allemagne.  Mais 
en  passant  à  Saint-Gelais,  près  Niort,  une  jeune  fille  qu'il  vit  à  la 
fenêtre,  Mlle  Suzanne  de  Lezay,  le  toucha  par  sa  beauté  ;  il  s'arrêta 
dans  ce  château,  y  trouvant  deux  compagnons  d'armes,  les  sieurs  de 
Saint-Gelais  et  de  La  Boulaye  ;  il  se  laissa  aisément  persuader  de  les 
accompagner  dans  quelques  coups  de  main  à  faire  à  l'entour,  et  ainsi 
trouva-t-il  son  Allemagne  dans  cette  halte  charmante.  11  guerroya  donc 
de  nouveau  comme  chef  de  partisans,  mais  pas  toujours  avec  bonheur, 
car  dans  une  entreprise  malheureuse  dirigée  par  ses  amis  et  lui  contre 
Limoges,  il  resta  prisonnier.  Le  roi  de  Navarre,  quoique  bien  pauvre 
lui-même,  fournit  une  partie  de  la  rançon.  Cette  générosité  ramena 
l'écuyer  qui  reprit  son  service  auprès  de  lui  et  le  suivit  de  nouveau 
dans  tous  les  incidents  de  sa  vie  guerrière,  sans  oublier  toutefois 
Mlle  de  Lezay.  Le  mariage  était  difficile  à  cause  de  l'inégalité  des 
conditions,  car  non-seulement  la  jeune  fille  était  d'une  très-noble 
famille,  mais  elle  était  héritière  de  biens  considérables,  notamment  de 
la  baronnie  de  Surimeau  et  de  la  belle  terre  de  Mursav.  L'adroit  Henri, 


AUBIGNE  709 

charmé  sans  doute  de  payer  sans  bourse  délier  un  serviteur  exigeant, 
l'appuya  vivement  et  par  écrit  et  de  vive  voix,  en  sorte  que  le  mariage 
se  conclut  (6  juin  1583).  La  guerre  se  ralluma  en  1585:  en  15&7,  à  la 
bataille  de  foutras,  d'Aubigné  prit  le  rang  de  maréchal  de  camp.  Sur 
la  lin  de  l'année  suivante,  les  troupes  du  roi  de  Navarre  s'étant 
emparées  de  l'importante  forteresse  de  Maillezais,  à  quelques  lieues  de 
laquelle  étaient  situés  les  biens  de  sa  femme,  il  en  obtint  le  comman- 
dement, avec  la  secrète  volonté  de  s'y  établir  pour  toujours.  Il  prit 
encore  part  au  combat  d'Arqués  (1589),  à  la  bataille  d'Ivry  (1590)  ;  il 
eut  P honneur,  car  c'était  une  grande  preuve  de  la  confiance  que  sou 
caractère  inspirait,  de  garder  à  Maillezais  le  roi  de  la  ligue,  Charles  de 
Bourbon,  l'oncle  et  le  prisonnier  d'Henri  IV.  Enfin  en  1593,  lorsque 
son  maître  eut  accompli  son  abjuration,  d'Aubigné,  qui  l'avait  prévue 
et  dès  longtemps  détestée,  quitta  la  cour  pour  se  confiner  à  Maillezais. 
Peu  de  temps  après,  il  eut  un  violent  chagrin  :  sa  femme  mourut 
(1596).  C'est  alors  que  son  activité,  qui  s'était  tournée  depuis  long- 
temps vers  les  lettres,  s'employa  plus  particulièrement  aux  affaires 
de  la  religion.  11  parut  dans  les  assemblées  protestantes,  et  celles-ci  le 
choisirent  souvent  pour  les  représenter  à  la  cour  ;  il  s'y  distinguait  par 
sa  parole  véhémente,  par  l'énergie  avec  laquelle  il  blâmait  les  timides, 
les  courtisans,  les  fauteurs  de  la  politique  des  intérêts,  et  soutenait 
âprement  celle  des  principes  ;  il  paya  de  sa.  personne  jusqu'à  soutenir 
des  disputes  en  public  contre  des  docteurs  catholiques  et  contre  un 
évêque  sur  des  matières  de  théologie.  Henri  IV,  qui  achetait  volontiers 
les  hommes,  ne  put  jamais  le  gagner.  Aussi  était-il  fort  mal  en  cour 
durant  les  dernières  années  du  règne.  La  régence  de  Marie  de  Médicis, 
après  la  mort  du  roi,  lui  fut  encore  plus  défavorable,  et  craignant  d'être 
sérieusement  inquiété  il  résolut  de  chercher  hors  de  France  «  le  chevet 
de  sa  vieillesse  et  de  sa  mort.  »  N'ayant  pu  s'entendre  avec  les 
ministres  du  roi  pour  leur  remettre  à  juste  prix  sa  forteresse  de  Mail- 
lezais (c'était  un  usage  du  temps,  usage  qui  semblait  renouveler  l'épo- 
que des  empereurs  carlovingiens),  il  la  vendit  au  comte  de  Rohan  qui 
était  alors  gouverneur  de  la  province  du  Poitou,  mais  qui  avait  surtout 
à  ses  yeux  le  mérite  d'être  le  chef  du  parti  protestant  (mai  1619).. 
L'année  suivante,  compromis  dans  de  nouveaux  troubles,  il  allait  être 
arrêté  lorsqu'il  disparut  subitement  et  par  une  fuite  rapide  gagna 
Genève,  où  il  était  sain  et  sauf  le  1er  septembre  1620.  Les  Genevois 
et  leurs  alliés  de  la  Suisse  l'accueillirent  avec  joie  et  lui  rendirent 
mille  honneurs.  Son  premier  soin  fut  d'acheter  sur  les  terres  de  la 
République  une  petite  terre  seigneuriale,  la  baronnie  de  Crest,  dont  il 
fit  reconstruire  le  château.  C'est  là  qu'il  passa  paisiblement  les  dix 
dernières  années  de  sa  vie,  principalement  occupé  de  la  révision  et  de 
la  réimpression  de  ses  ouvrages.  Sa  famille  était  restée  en  France  dans 
ses  terres  de  Surimeau  et  de  Mursay,  qu'en  père  avisé  il  avait  partagées 
entre  ses  deux  gendres  et  son  fils,  avant  d'être  atteint  par  les  arrêts 
de  confiscation  prononcés  contre  lui.  Il  avait  aussi  un  fils  naturel,  né 
quelques  années  après  la  mort  de  Suzanne  de  Lezay,  mais  il  le  tenait 
à  distance.  Son  seul  effroi,  dans  sa  retraite,  était  la  solitude  et  l'aban- 


710  AUBIGNE 

don.  Il  y  pourvut  sagement  en  se  remariant  (au  mois  d'avril  1623), 
bien  qu'il  eût  alors  71  ans  sonnés,  avec  une  bonne  et  respectable 
dame  genevoise  qui  en  avait  55,  Renée  Burlamacchi,  veuve  de  César 
Balbani,  deux  familles  également  réfugiées  à  Genève  par  attachement 
à  une  sainte  religion.  Il  acheva  paisiblement  alors  ses  travaux  litté- 
raires jusqu'à  ce  qu'il  mourut  doucement,  et  chrétiennement,  après 
une  courte  maladie,  le  9  mai  1630.  Il  laissa  deux  filles,  mariées,  l'une 
à  un  honorable  gentilhomme,  Benjamin  de  Valois,  sieur  de  Villette, 
l'autre  à  un  de  ses  compagnons  d'armes,  Josué  de  Caumond,  sieur 
d'Adde,  dont  les  descendants  possèdent  encore  aujourd'hui  la  terre  de 
Surimeau,  et  un  fils,  Constant  d'Aubigné,  dont  la  vie  déplorable  ne 
fut  qulune  suite  de  désordres  et  de  misères.  Constant  fut  le  père  de  la 
célèbre  marquise  de  Maintenon  et  de  Charles  comte  d'Aubigné,  en  qui 
la  descendance  directe  s'éteignit,  l'année  1703.  —  C'est  surtout  comme 
écrivain  que  Théodore-Agrippa  d'Aubigné  justifie  l'éclat  qui  entoure 
aujourd'hui  son  nom.  A  dix-huit  ans  il  avait  composé  ses  premiers  vers 
pour  la  fille  du  seigneur  de  Talcy,  l'un  des  voisins  de  sa  terre  des 
Landes  ;  il  en  avait  fait  un  recueil  qu'il  avait  intitulé  Le  printemps, 
mais  ils  n'ont  été  imprimés  que  tout  récemment  (parles  soins  de 
M.  Ch.  Read,  1874).  On  a  aussi  publié,  longtemps  après  sa  mort,  deux 
très-vifs  pamphlets  de  sa  plume  :  La  Confession  du  sieur  de  Sancy,  le 
Divorce  satyrique  de  la  reine  Marguerite  et  des  Mémoires  de  sa  vie.  Ce 
n'est  que  sous  le  voile  de  l'anonyme  qu'il  donna  lui-même  au  public, 
en  1617,  un  autre  pamphlet  ou  roman  satyrique  plein  d'esprit  et  de 
crudité:  Les  Avantures  du  baron  de  Fœneste.  Ses  véritables  titres  litté- 
raires sont  deux  ouvrages  d'une  tout  autre  valeur  :  Les  Tragiques  et 
Y  Histoire  Universelle.  Les  Tragiques  sont  un  poëme  de  9,000  vers, 
qu'il  avait  commencé  en  1577,  étant  dans  son  lit  en  danger  de  mort, 
par  suite  de  ses  blessures,  et  dans  lequel  il  dépeint  les  princes  catho- 
liques, les  juges  qui  leur  obéissent,  les  bûchers  de  l'Inquisition,  les 
combats  répondant  aux  supplices,  toutes  les  misères  poignantes  de  son 
temps  et  la  prochaine  vengeance  de  Dieu  qui  menace  les  oppresseurs 
et  consolera  les  victimes.  C'est  l'épopée  du  calvinisme.  Le  poëme  est 
rude,  le  langage  heurté,  parfois  obscur,  les  vers  rauques,  mais  le  sujet 
est  toujours  grandiose  et  le  souffle  du  poëte  infatigable.  D'Aubigné 
avait  pris  la  sage  précaution  de  n'y  point  mettre  son  nom  lorsqu'il 
l'imprima  pour  la  première  fois  en  1616.  Il  en  donna  une  seconde 
édition  à  Genève  (1623).  De  nos  jours  nos  plus  doctes  éditeurs  se  sont 
évertués  à  en  publier  successivement  trois  éditions  nouvelles  (Lud. 
Lalanne,  1857;  Mérimée  et  Read,  1872;  Réaume  et  Caussade,  1876). 
'L'Histoire  Universelle  est  la  mise  en  scène  du  même  sujet  chanté  dans 
les  Tragiques,  mais  en  prose  ;  c'est-à-dire  que  les  exagérations  et  les 
fureurs  de  la  poésie  y  sont  remplacées  par  la  froide  vérité,  l'exactitude 
scrupuleuse,  la  recherche  du  détail.  L'auteur  rédige  seulement  le  récit 
de  ce  qu'il  a  vu  de  ses  yeux  et  de  ce  qu'il  a  su  par  les  mémoires  que 
d'autres  lui  ont  fournis.  Aussi  son  récit  est-il  borné  aux  limites  de  sa 
yie  ;  il  commence  à  Tan  1550  et  finit  à  la  mort  d'Henri  IV,  1610.  Il  lui 
a  donné  le  titre  d'Universelle  parce  que  d'espace  en  espace  il  introduit 


AUBIGNE  —  AUDIËNS  711 

dans  cette  histoire  un  chapitre  où  sont  résumés  les  principaux,  événe- 
ments contemporains  dont  l'Europe  est  le  théâtre.  Ce  livre  a  le  défaut 
des  rapports  écrits  par  un  témoin  oculaire;  les  premiers  plans  sont 
grossis  et  les  petits  incidents  où  l'auteur  figurait  en  personne  y  pren- 
nent une  importance  qui  dépasse  la  juste  proportion.  Mais  d'Auîngné 
es!  de  bonne  foi  ;  il  comprend  à  merveille  la  dignité  de  l'historien,  le 
respect  dû  à  la  vérité,  et  en  même  temps  il  manie  la  plume  avec  le 
talent  d'un  grand  artiste.  Avec  ses  allures  de  huguenot  renfrogné,  il 
déchue  en  commençant  qu'il  ne  veut  pas  qu'on  voie  son  livre  courir, 
comme  tant  d'autres,  précédé  d'une  dédicace,  «  sale  de  flatteries  impu- 
dentes »,  et  conséquent  avec  ses  habitudes  il  se  place  sous  le  plus  noble 
des  patronages:  il  dédie  son  Histoire  à  la  postérité.  Or,  ce  qui  semble 
d'abord  n'avoir  été  qu'une  boutade  est  devenu,  par  le  simple  bénéfice 
du  temps  qui  s'écoule,  un  trait  prophétique.  D'Aubigné  ne  fut  pas  lu 
au  dix-septième  siècle,  il  était  trop  huguenot  ;  encore  moins  au  dix- 
huitième,  il  était  trop  abstrus  dans  son  vieux  style  ;  aujourd'hui  les 
éditeurs  se  disputent  l'honneur  de  le  réimprimer.  Mais  ce  qu'il  y  a  de 
plus  remarquable,  c'est'  qu'à  chaque  édition,  à  chaque  étude  nouvelle 
dont  ses  œuvres  sont  l'objet,  sa  probité  d'historien  devient  plus  mani- 
feste. —  Sources  :  Mémoires  de  d'Aubignê,  avec  une  préface  par 
Lud.  Lalanne,  Paris,  1854  ;  La  famille  d'Aubignê,  par  Th.  Lavallée, 
1853;  Sainte-Beuve,  Cause?ies,  juillet  1854;  La  France  protestante, 
2e  édit.,  t.  1,  p.  460-550.  H.  BÔedier, 

AUBUSSON  (Pierre  d')  [1423-1503],  grand  maître  de  l'ordre  de  Saint- 
Jean  de  Jérusalem,  se  distingua  d'abord  en  Hongrie,  au  service  de  l'em- 
pereur Sigismond,  contre  les  Turcs  ;  il  soutint  ensuite,  dans  l'île  de- 
Rhodes,  en  1480,  un  siège  auquel  Mahomet  II  employa  100,000  hom- 
mes, et  que  les  Turcs  furent  obligés  de  lever  après  des  pertes  considé- 
rables. En  récompense  de  ces  services,  Innocent  VIII  nomma  d'Au- 
busson  cardinal,  bien  qu'il  ne  fût  pas  prêtre.  A  la  fin  de  sa  vie,  il  devait 
commander  une  nouvelle  croisade  contre  les  Turcs;  mais  l'entreprise 
ne  s'exécuta  pas. 

AUCH  [Civitas  Ausciorum,  Auscius,  Auxis,  Aux]  eut  un  évêché  au 
moins  depuis  500.  Auch  reçut  le  titre  d'archevêché  lorsque  l'antique 
Eauze  (Elusa),  la  métropole  de  la  Novempopulanie,  dont  saint  Paterne 
avait  été  évêque  à  la  fin  du  troisième  siècle,  eut  été  dévastée  vers  845 
par  les  Normands.  Dès  lors,  nous  voyons  l'archevêque  d'Auch  prendre, 
malgré  les  prétentions  de  celui  de  Bourges,  le  titre  de  primat  d'Aqui- 
taine. En  1789,  ce  siège  avait  pour  suffragants  ceux  de  Dax,  Lec- 
toure,  Comm inges,  Conserans,  Aire,  Bazas,  Tarbes,  Oloron,  Lescars  el 
Bayonne.  En  1817,  l'archevêché,  supprimé  en  1790,  fut  rendu  à  Aneh 
avec  la  juridiction  sur  Aire,  Tarbes  et  Bayonne.  Plusieurs  synodes  fu- 
rent tenus  à  Auch  de  1008  à  1308.  La  cathédrale  de  Sainte-.Maric,  bâtie 
en  1483,  terminée  en  1662,  est  Tune  des  plus  belles  du  midi  de  la 
France  (Gallia,  i:  Brugelles,  Chronique  dudioc.  d'Auch,  Toul.,  1746). 

AUDIENS.  Àudius  était  un  laïque  pieux  et  austère  qui  vivait  en  Méso- 
potamie vers  le  milieu  du  quatrième  siècle,  il  s'éleva  avec  force  contre 
la  cupidité  et  les  mœurs  impures  du  elergé  de  son  temps,  déserta  les  as- 


712  AUDIENS  —  AUGER 

semblées  du  culte  et  provoqua  ainsi  son  excommunication.  Une  foule 
de  mécontents,  tant  laïques  que  prêtres,  se  groupèrent  autour  de  lui 
et  le  forcèrent  à  recevoir  la  consécration  épiscopale.  Il  fut  banni  en 
Scythie  et  recruta  des  adhérents  parmi  les  Golhs  établis  aux  bords  de 
la  mer  Noire.  La  secte  des  audiens  s'éteignit  à  la  lin  du  cinquième  siè- 
cle. Il  est  diiïicile  de  déterminer  exactement  en  quoi  a  consisté  leur  héré- 
sie. Epiphane  {Hœres.,  70),  qui  en  parle  avec  une  grande  modération, 
attribue  à  un  manque  de  culture  intellectuelle  leur  conception  un 
peu  grossière,  très-empreinte  d'anthropomorphisme,  de  Dieu  qu'ils  se 
représentaient  avec  une  figure  humaine  à  la  ressemblance  de  laquelle 
Thomme  fut  créé  (Gen.  I,  26).  On  ne  sait  trop  ce  qui  a  pu  motiver  l'ac- 
cusation de Théodoret (Hist.  eccl.,  IV,  10;  Hieret.  Fabul.,YV,  9),  qui  leur 
prête  la  doctrine  de  l'éternité  des  ténèbres,  du  feu  et  de  l'eau.  On  leur 
reprochait  aussi  de  célébrer  la  Pàque  à  la  manière  des  juifs  et  de  don- 
ner l'absolution  sans  exiger  la  pénitence  canonique.  L'ascétisme  des 
aûdiens  contribua  à  favoriser,  dans  la  Mésopotamie  et  la  Scythie,  le 
progrès  des  institutions  monastiques  (voy.  aussi  Augustin,  Hœres.,  50; 
Neander,  Kirchengeschichte,  III,  p.  985). 

AUDIN  (Vincent),  libraire  et  homme  de  lettres,  né  à  Lyon  en  1793, 
f  1851.  Il  avait  étudié  au  séminaire  de  l'Argenlière  et  s'était  fait  recevoir 
avocat.  M.  Audin  est  l'auteur  des  Guides-Richard  et  d'un  grand  nombre 
de  brochures  politiques.  1/ Histoire  de  la  Saint- Barthélémy,  qu'il  publia 
sous  le  voile  de  l'anonyme  en  1826  (Paris,  in-8°),le  lit  accuser  d'impar- 
tialité envers  les  protestants.  Le  même  reproche  ne  sera  jamais  adressé 
à  ses  grands  ouvrages,  Y  Histoire  de  Luther  (3  vol.,  1839)  et  Y  Histoire 
de  Calvin  (2  vol.,  1841),  auxquels  il  ajouta,  en  1847,  une  Histoire  de 
Henri  VJJJ,  et,  en  1851,  une  Histoire  de  Léon  X. 

AUDRY  (Sainte)  [yEtheldritha,  Edilthryda,  Edeltrude],  fille  du  roi 
anglo-saxon  Anna,  observa  son  vœu  de  chasteté  dans  les  deux  mariages 
que  la  politique  la  contraignit  de  contracter.  Wilfrid,  évêque  d'York, 
prononça  son  divorce  avec  Egfrid,  prince  de  Northumbrie,  et  la  fit  ab- 
besse  du  couvent  d'Ely  (Elia  ou  Helia),  qu'elle  avait  fondé,  en  671, 
dans  la  petite  île  du  même  nom,  après  s'être  retirée  d'abord  dans  l'ab- 
baye de  Coldingham.  Audry  se  distingua  par  ses  vertus  ascétiques  et 
mourut,  en  679,  d'une  maladie  contagieuse  qu'elle  avait  contractée  en 
soignant  une  de  ses  sœurs.  L'abbaye  d'Ely,  qui  appartenait  aux  béné- 
dictins, fut  détruite  par  les  Danois  en  870,  rétablie  en  970  et  érigée  en 
évêché  par  le  pape  Pascal  II  en  1109.  —  Voyez  Anglia  sacra,  I  ;  Bède, 
Hist.  d'Anglet.;  Mabillon,  Aclasanct.  Ord.  Ben.,  etc. 

AUGER  (Edmond),  jésuite,  était  né  en  1530,  dans  la  Brie.  Rentra,  en 
1550,  dans  la  Compagnie,  qu'il  servit  avec  éclat.  En  1562,  étant  tombé, 
à  Valence,  entre  les  mains  de  des  Adrets,  il  fut  sauvé  de  la  potence  par 
la  pitié  des  ministres.  Le  18  juillet  1563,  il  célébrait  «  la  résurrection 
de  la  messe  »  à  Lyon;  la  même  année, il  composa,  dans  cette  ville,  son 
célèbre  Catéchisme  français.  Adversaire  journalier  de  Viret ,  il  écrivit 
et  prêcha  contre  lui  sans  relâche,  avec  le  minime  Jean  Ropitel  et  le  sa- 
vant jésuite  Possevin;  en  1565,  il  réussit  à  le  faire  bannir  comme  étran- 
ger, le  P.  Southwell  prétend  qu'il  convertit  à  Lyon  40,000  religion- 


AUGER  —  AUGSBOURG  713 

naires.  Le  Père  Emond  s'illustra  par  son  dévouement  lors  de  la  peste 
de  Lyon.  Il  fut  depuis  L57S  confesseur  d'Henri  III  ;  mais,  ayant  déplu  à 
la  Société  par  son  indépendance  vis-à-vis  de  la  Ligue,  il  fut  envoyé  à 
Rome  en  1591.  et  mourut  dans  le  voyage,  à  Côme  (Voy.  sa  Vie,  par  le 
Père  Bailly,  Paris,  1652,  in-8°,  et  par  le  Père  Dorigny,  Lyon,  1716,  et 
Avignon,  1828,  in-8°;  V Historiographie  de  la  Compagnie;  Sotvellus, 
Bibl.  S.  J.:  de  Backer,  Bibl.  de  la  Comp.de  Jésus,  1869-76,  in-f°). 

AUGSBOURG  (Confession  d').  D'après  la  lettre  impériale  du  21  jan- 
vier 1530,  qui  convoquait  les  Etats  allemands  à  Augsbourg,  chacun  des 
deux  partis  religieux  devait  y  exposer  «son  opinion  »,  afin  que,  par  un 
examen  paisible  des  erreurs  réciproques,  on  pût  arriver  au  redresse- 
ment des  griefs  et  au  rétablissement  de  l'unité.  Pour  se  préparer  à  cette 
exposition,  rélecteur  Jean  de  Saxe  lit  rédiger  parles  théologiens  de 
Wittemberg  les  articles  dits  de  Torgau  ;  Mélanchthon  reçut  la  mission 
de  leur  donner  «  une  forme  »,  pour  que  le  prince  pût  les  présenter  de- 
vant la  diète.  L'électeur,  accompagné  de  quelques  savants,  au  nombre 
desquels  était  Mélanchthon,  arriva  à  Augsbourg  le  2  mai;  Luther,  qui 
était  encore  au  ban  de  l'Empire,  dut  s'arrêter  au  château  de  Cobourg. 
Pendant  le  voyage,  Mélanchthon  avait  écrit  le  premier  projet  de  l'œuvre 
dont  il  était  chargé  ;  il  avait  pris  pour  base  les  articles  de  Schwabach 
pour  les  doctrines,  et  ceux  de  Torgau  pour  les  institutions  et  les  cou- 
tumes. Son  intention  avait  été  de  faire  «une  sorte  d'apologie»,  mais 
quand  il  apprit  à  Augsbourg  que  l'empereur  ne  voulait  pas  de  longue 
disputation,  il  choisit  la  forme  plus  simple  et  plus  précise  d'une  confes- 
sion de  foi.  Il  écrivit  à  un  ami  :  «  J'ai  procédé  avec  le  plus  grand  soin; 
il  ne  me  semble  pas  qu'on  puisse  s'exprimer  avec  plus  de  modération  ; 
j'ai  été  plusdouxque  ne  le  méritait  la  haine  de  nos  adversaires;  je  n'ai 
voulu  réunir  que  les  choses  les  plus  importantes.  »  Dans  la  situation 
difficile  où  se  trouvait  alors  le  parti  protestant ,  Mélanchthon  était  le 
seul  capable  de  formuler  la  Confession;  il  fallait  défendre  la  doctrine 
évangélique  contre  le  reproche  d'hérésie  et  la  représenter  comme  celle 
de  la  vraie  Eglise  universelle  ;  il  fallait  dévoiler  avec  une  extrême  ré- 
serve les  erreurs  et  les  abus  du  catholicisme,  et  faire  tout  cela  dans  un 
langage  intelligible  aussi  pour  les  laïques,  sans  équivoques  et  sans  sub- 
tilités scolastiques.  Il  n'y  avait  que  Mélanchthon  qui  pût  remplir  cette 
tâche.  Luther  lui-même,  auquel  l'électeur  communiqua  la  Confession, 
lui  répondit  :  «J'ai  lu  l'apologie  de  maître  Philippe,  elle  me  plaît,  je 
n'ai  rien  à  y  changer  ni  à  y  corriger  ;  aussi  bien  cela  ne  me  convien- 
drait-il pas,  car  je  ne  sais  pas  marcher  à  pas  si  doux;  fasse;  le  Seigneur 
qu'elle  produise  beaucoup  de  fruit;  c'est  notre  espoir  et  notre  prière.» 
—  Dans  l'origine, la  Confession  ne  devait  être  que  cellede  L'électeur  de 
Saxe;  mais  sur  l'observation  du  margrave  Georges  de  Brandebourg 
qu'il  serait  bon  de  présenter  une  déclaration  commune,  elle  fut  com- 
muniquée aux.  autres  Etats  protestants,  qui  l'acceptèrent*  après  quel- 
ques discussions  ;  on  n'exclut  que  ceux  que  l'on  qualifiait  de  sacra- 
mentaires.  Le25juin,  le  vice-chancelier  saxon  en  donna  lecture  (levant 
la  diète.  L'impression  fut  grande;  plusieurs  catholiques  mêmes  l\ 
frappés  de  La  vérité  de  ce  qu'ils  venaient  d'entendre  exposer  avec  tant 
i.  46 


7U  AUGSBOURG 

de  modération;  les  protestants,  de  leur  côté,  dans  la  conscience  d'avoir 
proclamé  leur  foi  devant  tout  l'Empire,  se  sentirent  plus  intimement 
unis  entre  eux  et  pins  fortifiés  contre  les  dangers  qui  pouvaient  les 
menacer  encore.  Spalatin  put  dire  avec  raison  :  «En  ce  jour  s'est 
accomplie  une  des  plus  grandes  choses  que  le  monde  ait  vues.»  Ils 
s'étaient  attendus  à  ce  que  l'empereur  demandât  aussi  des  catholi- 
ques une  exposition  écrite  de  leur  opinion;  cette  attente  fut  trompée. 
Charles  V  chargea  une  commission  de  vingt-cinq  docteurs  de  rédiger 
une  réfutation  de  l'ouvrage  protestant.  Ces  docteurs  travaillèrent  si 
vite  que,  dès  le  13  juillet,  ils  présentèrent  leur  confutation;  ils  v 
avaient  joint  une  longue  liste  d'erreurs  et  d'hérésies  tirées  des  écrits 
de  Luther.  C'était  un  gros  volume  de  200  feuillets,  indigeste,  confus, 
plein  d'invectives,  bien  différent  de  la  Confession  si  claire  et  si  mo- 
dérée des  protestants.  L'empereur  refusa  la  pièce;  il  demanda  qu'on 
l'abrégeât  et  qu'on  en  fit  disparaître  les  passages  trop  injurieux.  Après 
qu'elle  eut  été  remaniée,  on  en  donna  lecture  devant  la  diète  ;  Charles  Y 
lit  déclarer  qu'il  la  trouvait  orthodoxe,  catholique  et  conforme  à  l'Evan- 
gile, qu'il  exigeait,  des  protestants  l'abandon  de  leur  confession  suffi- 
samment réfutée,  et  que  s'il  s'y  refusaient,  il  ferait  son  devoir  de  dé- 
fenseur de  l'Eglise  romaine.  Leur  réponse  fut  naturellement  négative. 
De  crainte  d'une  rupture  immédiate,  on  recourut  alors  à  des  manœu- 
vres pour  les  ébranler  et  les  désunir  ;  on  tint,  sans  plus  de  résultat,  des 
conférences  sur  quelques  articles  de  la  Confession.  Des  deux  côtés,  on 
finit  par  se  convaincre  qu'on  ne  pouvait  rien  céder.  Charles  V  ne  vou- 
lut point  recevoir  V apologie  écrite  par  Mélanchthon;  le  17  novembre, 
il  fit  proclamer,  comme  recès  de  la  diète,  la  sommation  aux  protes- 
tants de  se  mettre,  dans  un  délai  de  six  mois,  d'accord  avec  l'Eglise, 
le  pape,  l'empereur  et  les  autres  princes  de  la  chrétienté.  Telle  fut 
l'issue  de  la  diète  de  1530,  issue  en  apparence  funeste  pour  les  protes- 
tants ;  mais  ceux-ci  avaient  désormais  leur  confession,  dont  il  faut  dire 
maintenant  quelques  mots. —  Dans  le  préambule,  ils  renouvelaient  leur 
appel  à  un  concile  chrétien  et  libre,  et  pour  le  cas  qu'ils  avaient  si  bien 
prévu  où  la  diète  ne  rétablirait  point  l'union  et  la  paix,  leur  protesta- 
tion contre  tout  ce  qu'elle  pourrait  entreprendre  contre  eux.  La  Con- 
fession elle-même  se  compose  de  deux  parties,  dont  la  première  expose 
en  vingt  et  un  articles  les  doctrines,  et  dont  la  seconde  s'occupe  des 
institutions  et  des  cérémonies.  Les  articles  dogmatiques  traitent  succes- 
sivement de  la  trinité,  du  péché  originel,  de  la  personne  et  de  l'œuvre 
de  Jésus-Christ,  de  la  justification  par  la  foi  seule  sans  aucun  mérite 
des  œuvres,  des  moyens  de  grâce,  des  œuvres  comme  fruits  de  la  foi, 
de  l'Eglise,  qui  est  fondée  sur  la  prédication  du  pur  Evangile  et  sur 
une  administration  des  sacrements  conforme  à  leur  institution ,  mais 
qui  n'a  pas  besoin  partout  des  mêmes  cérémonies  ;  du  mélange  des  bons 
et  des  méchants  dans  l'Eglise;  du  baptême,  qui  doit  aussi  être  donné 
aux  enfants;  de  la  sainte  Cène,  dont  il  est  dit  :  «  Le  corps  et  le  sang  de 
Christ  y  sont  véritablement  présents,  et  ils  y  sont  administrés  à  ceux 
qui  la  reçoivent,  sous  les  espèces  du  pain  et  du  vin;  »  de  la  confession, 
de  la  repentance,  de  l'usage  des  sacrements,  qui  ne  sont  pas  seulement 


ÀUGSBOURG  715 

des  signes  extérieurs  et  qui  ne  justifient  non  plus  ex  opère  opérait);  du 
gouvernement  de  L'Eglise,  des  rites,  du  pouvoir  civil ,  de  la  venue  de 
Jésus-Christ  pour  juger  le  monde;  du  libre  arbitre  que  l'homme  pos- 
sède pour  mener  une  vie  extérieurement  juste  et  honnête,  mais  qui  est 
incapable  de  faire  les  choses  de  Dieu  sans  l'assistance  de  la  grâce;  de 
l'origine  du  péché,  qui  est  ramenée  au  diable  ;  de  la  foi  et  des  bonnes 
œuvres;  enfin,  du  culte  des  saints.  Dans  la  partie  où  il  est  parlé  des 
institutions,  la  Confession  justifie  les  protestants  d'avoir  changé  cer- 
taines coutumes,  qui  n'étaient  que  des  traditions  humaines  :  ils  ont 
rétabli  la  sainte  Cène  sous  les  deux  espèces,  aboli  le  célibat  des  prêtres, 
supprimé  quelques  abus  et  erreurs  concernant  la  messe ,  ainsi  que  ré- 
numération détaillée  des  péchés  lors  de  la  confession,  l'obligation  de 
jeûner,  les  vœux  monastiques,  l'autorité  temporelle  des  évèques  et  leur 
autorité  spirituelle  quand  ils  veulent  imposer  des  choses  contraires  à 
l'Evangile.  Dans  tout  le  document,  les  doctrines ,  quoique  exposées 
d'une  manière  qui  laisse  à  désirer  sous  le  rapport  de  la  logique,  sont 
ramenées  au  principe  fondamental  de  la  Réformation,  celui  de  la  justi- 
iication  par  la  foi  ;  ce  principe  sert  de  mesure  pour  apprécier  les  céré- 
monies et  les  institutions.  Dogmes  et  rites  doivent  être  rétablis  d'après 
la  norme  de  ce  qui  a  été  vu  et  pratiqué  dans  l'Eglise  ancienne ,  sans 
renversement  brusque  de  l'ordre  existant;  c'est  pourquoi  on  se  déclare 
prêt  à  maintenir  la  juridiction  des  évêques,  pourvu  qu'ils  l'exercent 
dans  un  esprit  conforme  à  la  parole  de  Dieu.  D'un  bout  à  l'autre,  la 
Confession  manifeste  la  certitude  que  ceux  qui  l'acceptent  sont  d'ac- 
cord avec  l'Eglise  catholique  véritable  ;  pour  prouver  cet  accord ,  on 
rappelle  les  anciens  symboles  œcuméniques,  on  cite  des  Pères,  on 
ajoute  à  chaque  article  la  déclaration  qu'on  rejette  les  erreurs  con- 
traires. Dans  la  doctrine  de  la  grâce,  l'opinion  primitive  de  Luther  et 
de  Mélanchthon  est  abandonnée  ;  dans  celle  de  la  sainte  Cène,  on  a  mi- 
tigé la  formule  de  Luther  telle  qu'elle  se  trouve  dans  les  articles  de 
Schwabach;  le  pape,  enfin,  que  les  articles  de  Torgau  laissaient  encore 
subsister,  tout  en  le  rangeant,  en  quelque  sorte ,  parmi  les  adiaphora, 
n'est  plus  mentionné  du  tout.  ïl  faut  observer  encore  qu'en  plusieurs 
points,  la  Confession  porte  le  cachet  d'une  œuvre  temporaire,  adaptée 
aux  circonstances  du  moment  :  l'empereur  est  exhorté  à  faire  la  guerre 
aux  Turcs;  les  protestants  se  défendent  contre  l'accusation  de  faire 
cause  commune  avec  les  anabaptistes  ;  et  ils  offrent  aux  évêques,  comme 
il  vient  d'être  dit,  des  concessions  que  bientôt  après  ils  retireront.  Ce 
caractère  temporaire  n'empêche  la  Confession  d'Augsbourg  ni  d'être 
un  des  faits  les  plus  importants  dans  le  développement  normal  de  la 
Réfonnation,  ni  d'avoir  une  valeur  permanente;  dans  son  ensemble, 
elle  est  un  des  témoignages  les  plus  simples  et  les  plus  corrects  de  la  foi 
évangélique.  —  11  n'était  dans  l'esprit  ni  de  l'auteur  ni  des  signataires 
de  la  faire  recevoir  immédiatement  comme  livre  symbolique  par  tous 
les  protestants  d'Allemagne.  Elle  ne  le  devint  que  peu  à  peu  par  la 
forci;  des  circonstances.  Imprimée  une  première  lois,  en  latin  et  en 
allemand,  en  1531  (on  u'a  jamais  vu  d'édition  de  1530),  elle  avait  paru 
depuis  à  plusieurs  reprises;  elle  avait  encore  si  peu  un  caractère  ofli<  ici, 


716  AUGSBOURG 

qu'en  1540  Mélanclithon  la  remania  en  quelques  points  ;  il  développa 
davantage  certaines  parties  pour  mieux  faire  ressortir  la  différence  entre 
le  protestantisme  et  le  catholicisme,  il  mitigea  plusieurs  expressions,  il 
intercala  un  passage  sur  la  nécessité  de  la  prédication  de  la  repentance, 
et  surtout,  dans  l'espoir  d'un  rapprochement  avec  les  Suisses,  il  rem- 
plaça l'article  sur  la  sainte  Cène  par  celui-ci  :  (dis  (les  protestants)  en- 
seignent qu'avec  le  pain  et  le  vin  sont  véritablement  distribués  le  corps 
et  le  sang  de  Jésus-Christ  »  ;  la  formule  «  ceux  qui  enseignent  le  con- 
traire» est  supprimée.  Au  colloque  de  Worms  de  1541,  le  docteur 
Eck  lit  remarquer  ces  changements,  mais  dans  l'Eglise  protestante  on 
n'y  fit  pas  encore  attention,  même  Luther  ne  s'en  offusqua  point.  Aussi 
longtemps  que  vécut  Mélanclithon ,  cette  editio  variata  ne  rencontra 
aucune  contradiction  ;  on  cite  jusqu'à  des  luthériens  très-rigides  qui 
s'en  servirent  sans  scrupule.  Cène  fut  qu'en  1561  que  Flacius  la  signala 
comme  trop  favorable  aux  calvinistes.  Comme  à  la  réunion  tenue  cette 
même  année  à  Naumbourg,  on  signa  la  Confession  de  nouveau ,  on  prit 
l'habitude  de  la  considérer  comme  règle  de  foi  dans  la  plupart  des 
Eglises  d'Allemagne  qui  se  rattachaient  à  Luther  ;  on  inséra  dans  les 
constitutions  ecclésiastiques  des  articles  exigeant  des  théologiens  l'en- 
gagement de  s'y  conformer,  h"1  editio  invariata  ayant  été  prise  pour  base 
de  là  Formule  de  concorde  et  jointe  à  cette  déclaration,  c'est  elle  qui 
devint  depuis  ce  moment  le  principal  livre  symbolique  de  l'Eglise  qui 
s'appelle  d'après  son  nom,  et  qui  fait  bien  de  la  conserver. 

Ch.  Schmidt. 
AUGrSBOURG  (Intérim  d').  Après  la  guerre  de  Schmalkaide,  Charles  V 
songea  à  rétablir  en  Allemagne  l'unité  religieuse  ;  mais  tout  victorieux 
qu'il  fût,  il  comprit  qu'il  lui  serait  impossible  de  supprimer  purement 
et  simplement  le  protestantisme.  A  la  diète  d'Augsbourg,  ouverte  en 
août  1547,  les  princes  le  prièrent  de  régler  provisoirement  les  affaires 
de  la  religion,  jusqu'à  ce  que  le  concile  de  Trente  eût  achevé  son 
œuvre.  11  entra  dans  ces  vues.  L'évêque  de  Naumbourg,  Jules  de  Pflug, 
avait  préparé,  d'accord  avec  Michel  Helding,  suffragant  de  Mayence, 
un  projet  d'union  et  de  réforme,  faisant  aux  protestants  quelques  con- 
cessions, tout  en  maintenant  le  catholicisme  dans  ce  qu'il  avait  de  plus 
essentiel.  On  gagna  pour  ce  projet  l'électeur  Joachim  de  Brandebourg 
et  son  prédicateur  Jean  Agricola;  on  espérait  obtenir  aussi  l'assenti- 
ment du  Strasbourgeois  Bucer,  mais  celui-ci  refusa  toute  coopération. 
Le  travail  fut  soumis  à  l'empereur  qui,  après  l'avoir  fait  réviser  par 
quelques  théologiens  espagnols,  le  communiqua  aux  Etats  protestants, 
comme  un  moyen  commode  de  fixer  un  ordre  de  choses  provisoire. 
Malgré  les  objections  qu'on  y  fit,  il  fut  proclamé  comme  loi  de  l'empire, 
le  15  mai  1548  ;  c'est  là  ce  qu'on  appelle  Y  Intérim  d'Augsbourg,  destiné 
à  régler  par  intérim,  jusqu'aux  décisions  du  concile  de  Trente,  la  situa- 
tion des  protestants.  Il  se  compose  de  vingt-six  articles.  Parmi  ceux  qui 
se  rapportent  aux  dogmes,  le  plus  important  est  celui  de  la  justifica- 
tion. Le  concile  avait  déjà  formulé  cette  doctrine,  et  bien  que  Charles  V 
nJeût  pas  encore  reconnu  ses  décrets,  ces  derniers  n'avaient  pas  pu 
manquer  d'être  pris  en  considération  par  des  théologiens  catholiques. 


AUGSBOURG  717 

La  manière  dont  la  justification  est  définie  dans  l'Intérim  est  donc 
essentiellement  catholique  et  ne  se  rapproche  qu'en  apparence  de  la 
conception  protestante.  Dans  les  articles  concernant  la  charité  et  les 
bonnes  œuvres  prédomine  également  la  doctrine  catholique;  il  est 
même  parlé  d'œuvres  surérogatoires,  non  exigées  par  les  commande- 
ments de  Dieu.  Quant  à  l'Eglise,  l'Intérim  lui  attribue  le  pouvoir  d'in- 
terpréter l'Ecriture,  il  maintient  l'autorité  de  la  tradition  et  la  supré- 
matie du  pape,  les  sept  sacrements,  l'invocation  de  la  Vierge  et  des 
saints,  les  jeûnes,  etc.  Il  ne  tient  compte  des  circonstances  qu'en  ce  qui 
concerne  le  mariage  des  prêtres  et  la  sainte  Cène,  sous  les  deux 
espèces;  on  déplore  ces  innovations,  mais  on  reconnaît  qu'on  ne  pour- 
rait les  abolir  sans  provoquer  des  troubles;  on  les  tolérera  jusqu'à  ce 
que  le  concile  en  aura  décidé.  Comme  ce  règlement  ne  devait  pas  lier 
les  Etats  catholiques,  l'empereur  donna,  le  14  juin,  aux  évêques  une 
formula  reformationis,  les  invitant  à  faire  disparaître  les  abus.  Chez  les 
protestants  l'Intérim  souleva  une  indignation  à  peu  près  générale  ;  pen- 
dant la  diète  même,  la  plupart  des  Etats  en  refusèrent  l'acceptation  ;  les 
électeurs  Joachim  de  Brandebourg  et  Louis  du  Palatinat  furent  les 
seuls  qui  le  signèrent  sans  protester.  Dans  les  villes  libres  de  l'Alle- 
magne méridionale,  on  ne  put  l'imposer  que  par  la  force  des  armes, 
et  là  même  il  ne  fut  introduit  que  pour  la  forme.  Les  principaux  adver- 
saires se  réfugièrent  à  Magdebourg,  qui  devint  le  foyer  d'une  énergique 
opposition;  il  en  partit  des  pamphlets  et  des  satires  contre  l'œuvre 
impériale,  qualifiée  d'œuvre  du  diable.  Sur  les  délibérations  qui  eurent 
lieu,  en  Saxe,  voir  l'article  Intérim  de  Leipzig.  Ch.  Schmidt. 

AUGSBOURG  (Paix  d').  Le  traité  de  Passau  de'  1552  n'avait  établi  en 
Allemagne  qu'une  paix  provisoire.  Ce  ne  fut  qu'à  la  diète d'Augsbourg 
de  1555  ([ne  l'on  s'occupa  de  la  conclusion  d'une  paix  définitive. 
Charles  Y  lui-même  n'y  assista  point;  il  ne  put  se  résigner  à  être  pré- 
sent personnellement  à  des  négociations  qui  devaient  ruiner  les  projets 
de  toute  sa  vie;  persistant  dans  son  système  d'unité  ecclésiastique,  ne 
pouvant  consentir  à  aucun  prix  à  la  liberté  du  protestantisme,  mais 
comprenant  que  la  nécessité  était  trop  impérieuse,  il  voulut  au  moins 
rester  étranger  au  changement  devenu  inévitable.  Il  donna  à  son  frère 
plein  pouvoir  de  tout  décider,  sans  attendre  ses  propres  résolutions. 
Dans  la  diète,  présidée  par  le  roi  Ferdinand,  les  protestants  commen- 
cèrent  par  demander  une  paix  stable,  qui  ne  pût  plus  être  remise  en 
question  par  les  décrets  dogmatiques  d'un  concile  ou  par  les  sentences 
d'un  pape.  Après  de  longs  débats,  on  tomba  d'accord  sur  ce  point  ;  les 
Etats  catholiques,  fatigués  des  longues  discordes,  n'avaient  aucun  inté- 
rêt à  les  prolonger.  On  s'entendit  aussi,  sans  trop  (h;  peine,  sur  l'exer- 
cice de  la  juridiction  épiscopale;  les  prélats,  qui  sentaient  que  l'ordre 
de  choses  établi  depuis  plus  de  trente  ans  ne  pouvait  plus  être  changé 
sans  compromettre  la  paix,  que  tout  le  monde  désirait',  consentirent  a 

renoncer  à  leur  juridiction  dans  les  territoires  protestants,  et   se  COn- 

tentèrenf  de  la  déclaration  que  les  chapitres  catholiques  ne  seraient 
pas  expulsés  des  villes  qui  avaient  adhéré  à  la  réformation.  On  s'enten- 
dit également  sur  les  biens  ecclésiastiques  ;  il  fut  stipulé  que  ceux  de 


718  AUGSBOURG  —  AUGURES 

ces  biens  qui  étaient  déjà  sécularisés  ou  employés  à  des  usages  protes- 
tants, ne  seraient  plus  rendus  à  l'Eglise  catholique.  Les  vraies  difficul- 
tés ne  s'élevèrent  que  quand  on  aborda  les  questions  d'avenir.  Les 
protestants  demandèrent  que  la  paix  fût  aussi  garantie  à  ceux  des  Etats 
qui  plus  tard  adhéreraient  à  la  confession  d'Augsbourg  ;  les  prélats 
protestèrent  avec  tant  de  vivacité  qu'on  ne  put  s'accorder  qu'en  disant 
en  termes  généraux  et  vagues-  que  personne  ne  serait  molesté  à  cause 
de  cette  confession  ;  on  s'abstint  de  préciser  une  époque.  On  voulut 
savoir  ensuite  ce  qui  adviendrait  si  des  évêques,  qui  tous  alors  étaient 
aussi  seigneurs  temporels,  se  déclaraient  pour  le  protestantisme.  La 
solution  la  plus  simple  eût  été  de  dire  que  dans  ce  cas  les  prélats  cesse- 
raient de  remplir  des  fonctions  ecclésiastiques  et  qu'ils  ne  garderaient 
que  leur  pouvoir  séculier.  Mais  les  catholiques,  se  souvenant  de 
l'exemple  de  l' archevêque-électeur  Herrmann,  de  Cologne,  craignirent 
qu'en  accordant  cette  liberté  il  n'arrivât  un  jour  que  le  nombre  des 
électeurs  catholiques  fût  diminué.  Comme  on  ne  réussit  point  à  s'en- 
tendre, la  décision  fut  abandonnée  au  roi  Ferdinand  qui,  pour  satis- 
faire les  catholiques,  leur  donna  une  déclaration,  connue  sous  le  nom 
de  Réservation  ecclesiasticum  et  insérée  dans  le  recès  même  de  la  diète  ; 
elle  portait  que  si  un  prélat  devient  protestant,  il  perdra  sa  dignité 
avec  tous  les  bénéfices  qui  y  sont  attachés.  Pour  contenter  les  protes- 
tants, qui  réclamèrent  contre  cette  réserve,  Ferdinand  leur  donna  éga- 
lement une  déclaration,  publiée  comme  recès  spécial  et  disant  que  les 
sujets  protestants  des  princes  ecclésiastiques  ne  seraient  pas  inquiétés 
par  leurs  souverains.  Le  recès  de  la  diète  fut  publié  le  25  sep- 
tembre 1555,  il  a  reçu  le  nom  de  Paix  d'Augsbourg.  Les  principaux 
articles  sont  les  suivants  :  les  États  catholiques  de  l'empire  s'engagent 
à  ne  plus  attaquer  les  protestants  pour  cause  de  religion,  ils  leur  laisse- 
ront pleine  liberté  dans  leurs  territoires  ;  les  protestants,  de  leur  côté, 
s'engagent  à  laisser  les  catholiques  professer  leur  culte  ;  aucun  Etat  ne 
tentera  d'amener  à  sa  religion  les  sujets  d'un  autre  ;  il  est  permis  aux 
sujets  d'un  Etat  catholique,  qui  se  convertissent,  d'émigrer  avec  leurs 
familles  et  leurs  biens  dans  un  Etat  protestant.  La  paix  d'Augsbourg 
ne  fonda  pas  la  liberté  des  consciences,  elle  ne  reconnut  que  celle  des 
territoires  ;  le  souverain  a  le  choix  entre  la  confession  d'Augsbourg  et 
le  catholicisme,  mais  la  religion  des  sujets  doit  dépendre  de  celle  du 
souverain  ;  la  formule  du  système  est  cujus  regio  hujus  religio.  Le  seul 
grand  résultat  fut  de  reconnaître  l'indépendance  ecclésiastique  des 
Etats  protestants.  Ch.  schmidt. 

AUGURES  et  ARUSPICES.  Il  ne  se  prenait  à  Rome  aucune  mesure  de 
quelque  importance  concernant  les  affaires  publiques,  avant  de  s'être 
assuré  qu'elle  avait  l'approbation  des  dieux.  Les  augures  et  les  arus- 
pices  étaient  chargés  de  le  constater,  et  c'est  ce  qu'ils  faisaient  en  ac- 
complissant certaines  cérémonies  réglées  par  une  sorte  d'art  sacré, 
venu,  à  ce  qu'on  disait,  de  l'Etrurie,  cette  mater  omnis  superstitionis. 
comme  l'appelait  Yalère  Maxime.  Ce  n'était  pas  seulement  à  Rome 
qu'on  prétendait  diriger  les  affaires  publiques  d'après  la  volonté  des 
dieux.  Chez  presque  tous  les  autres  peuples   de  l'antiquité,  il  y  eut 


AUGURES  —  ÀUGUSTI  719 

également,  sous  dos  dénominations  diverses,  des  prêtres  investis  de 
fonctions  semblables  à  celles  des  augures  et  des  aruspices  (Heyne, 
Opuscula,  III,  159  et  ^:\  ss.).  A  Rome,  et  sans  doute  aussi  en  bien 
d'autres  lieux,  l'art  des  augures  et  des  aruspices  fut  bien  souvent, 
entre  les  mains  de  ceux  qui  dirigeaient  les  affaires  de  l'Etat,  un 
facile  moyen  d'agir  sur  l'opinion  publique.  Faudrait-il  en  conclure 
que,  dans  le  principe,  des  chefs  habiles,  sentant  combien  il  leur  serait 
avantageux  de  rendre  les  dieux  complices  de  leurs  actes,  auraient 
jugé  utile  «.rétablir  une  classe  de  prêtres  spécialement  consacrés  à  la 
recherche  et  à  l'interprétation  de  la  volonté  divine?  Ce  serait  quelque 
peu  téméraire;  une  explication  semblable  serait  bien  insuffisante;  elle 
se  heurterait  en  outre  à  une  foule  de  difficultés.  Il  n'y  a  qu'un  seul 
moyen  de  se  rendre  un  compte  satisfaisant  de  l'origine  et  de  l'exis- 
tence de  cette  institution  de  prêtres,  interprètes  des  signes  par  lesquels 
les  dieux  manifestaient  leur  volonté  aux  humains;  c'est  d'en  chercher 
les  causes  dans  les  idées  religieuses  propres  aux  temps  et  aux  lieux 
où  elle  a  pris  naissance.  Toute  institution,  en  effet,  qui  se  retrouve  à 
la  fois  chez  plusieurs  peuples  différents  et  ne  disparait  ou  ne  se  mo- 
difie profondément  qu'à  la  suite  d'une  révolution  radicale  dans  la 
manière  de  sentir  et  de  penser,  ne  peut  avoir  sa  raison  que  dans 
les  mœurs,  les  préjugés,  les  superstitions  et  les  croyances  des 
hommes  au  milieu  desquels  elle  s'est  établie.  Les  collèges  d'augures  et 
d'aruspices,  et,  en  général,  de  prêtres  chargés  de  fonctions  analogues, 
ne  font  pas  exception  à  cette  loi  générale.  Dans  l'âge  héroïque  de 
l'antiquité,  on  ne  croyait  pas  seulement  que  les  dieux  n'abandonnent 
jamais  les  familles  et  les  cités  qui  les  invoquent  comme  leurs  protec- 
teurs ;  on  était  encore  persuadé  que  ces  dieux  tutélaires  ont  toujours 
soin,  chaque  fois  que  la  nécessité  s'en  fait  sentir,  de  leur  donner  des 
avertissements  salutaires.  Ces  avertissements,  il  fallait  les  reconnaître 
dans  les  signes  qui  en  sont  l'expression  visible,  et  ces  signes,  il 
fallait  les  interpréter.  Une  classe  spéciale  de  prêtres  était,  par  consé- 
quent, nécessaire;  elle  se  fonda  naturellement  par  la  force  même  des 
choses.  M.Nico  as. 

AUGUSTI  (Jean-Chrétien-Guillaume)  [1772-1841]  descendait  d'une 
famille  juive  établie  en  Saxe.  Son  père  était  pasteur  protestant.  Lui- 
même  professa  la  théologie  à  léna,  à  Breslau,  à  Bonn,  et  exerça  à  Co- 
blence  la  charge  de  conseiller  consistorial.  Compilateur  plutôt  que  sa- 
vant, écrivain  plus  fécond  que  judicieux,  Augusti  se  montra  très-libre 
dans  sa  critique  de  la  Bible  et  très-étroit  dans  sa  manière  de  défendre 
le  dogme  ecclésiastique.  Ses  commentaires  ont  vieilli  connue  la  plupart 
de  ses  écrits,  mais  quelques-uns  d'entre  eux  renferment  des  matériaux 
Utiles  recueillis,  non  sans  labeur,  dans  les  sources  originales.  Ce  sont 
ses  ouvrages  sur  l'archéologie  chrétienne  {Denkwùrdigkeiten  ans  der 
christl.  Archœologie,  Leipz.,  1817-31,  12  vol.,  Lehrbuch  tirs  christl. 
Alterthums,  L819,  Handb,  der  bibl.  Arch.,  lN:!(i-:{7>  qui  ont  été  le  plus 
appréciés.  <>n  peul  citer  aussi  son  histoire  des  dogmes  (Dogmenge- 
schichte,  1805,  .">  éd.,  1835),  sa  Chrestomathia  patristica  (1812,  ï  vol.), 
son  édition  des  Loti  communes  de  Biélanchthon  (1821),  etson  Corpus  U- 


720  AUGUSTI  —  AUGUSTIN 

brorum  symbolicorum,  qui  in  ecclesia  reformatorum  auctoritatem  publicam 
obtinuerunt  (Elberf.,  1827,  2e  éd.,  Leipz. ,  1840).  Augusti  a  soutenu,, 
contre  Schleiermacher,  les  droits  du  prince  en  matière  de  liturgie. 
Son  idéal  était  l'Eglise  d'Etat,  tel  que  la  Prusse  Ta  réalisé  depuis. 

AUGUSTIN  (Saint)  [Aurelius-Augustinus].  —  I.  Dans  ses  Confessions, 
écrites  vers  Fan  400,  Augustin  a  raconté  l'histoire  de  sa  propre  vie 
jusqu'à  la  mort  de  sa  mère,  en  387,  sous  la  forme  d'une  prière  continue 
dans  laquelle  il.  dévoile  sans  pitié,  sous  le  regard  de  Dieu  seul,  les  pen- 
sées les  plus  secrètes  qui  ont  agité  son  cœur  jusqu'à  l'âge  de  trente-trois 
ans,  trouvant  un  plaisir  amer  à  opposer  ses  égarements  intellectuels 
et  moraux  à  l'action   constante  de  la  grâce  divine  dans  sa  vie,  à  s'hu- 
milier lui-même  absolument  pour  laisser  toute  gloire  à  Dieu.  Augustin 
naquit  à  Thagaste,enNumidie,lel5  novembre  354.  Son  père,  Patricius, 
l'un  des  décurions  du  municipe  de  Thagaste,  homme  violent  et  sensuel,, 
fut  gagné  au  christianisme  en  371,  l'année  de  sa  mort,  par  la  piété  et 
la  douceur  de  sa  femme  Monique,  chrétienne  de  naissance,  et  qui  fut  le 
véritable    modèle    d'une   épouse  et  d'une  mère  chrétienne.   De  la 
sorte,  Augustin  a  rencontré  dans  la  maison  paternelle  la  lutte  entre 
les  deux  religions  qui  devait  devenir  le  drame  de  sa  propre  vie.  Image 
fidèle  de  ses  parents,  il  joignait  à  un  tempérament  fougueux  une  grande 
sensibilité   de   cœur  et  de  profonds  instincts   de  piété.  Il  avait  un 
frère,  Navigius,  et  une  sœur  dont  le  nom  est  resté  inconnu.  Augus- 
tin fut  envoyé  de  bonne  heure  à  l'école  ;  son  père  ambitionnait  pour 
lui  quelque  brillante  carrière,    surtout  celle  de  rhéteur,   et  sa  mère 
considérait    les    études    scientifiques    comme    «    pouvant    mener    à 
Dieu  ».  L'étude  de  la  grammaire,  de  l'arithmétique  et  du  grec,   tout 
le  côté  formel  de  l'enseignement,  rebuta  son  esprit  porté  vers  la  pensée 
concrète.  Par  contre,  l'étude  des  auteurs  classiques  lui  procura  de  vives 
jouissances;  Virgile  devint  sa  lecture  favorite  :  les  malheurs  de  Didon 
lui  arrachèrent  des  larmes.  Cependant  la  difficulté  qu'il  avait  à  com- 
prendre le  grec  «  versait  du  fiel  sur  la  douceur  des  légendes  fabuleuses 
d'Homère  ».  C'est  ainsi  que,  pendant  cette  période  de  romantisme,  il 
s'est  complu  au  «  vin  de  l'erreur  »,  développant  son  cœur  et  son  intel- 
ligence par  ce  «  butin  abominable  fait  sur  le  passé  »,  par  l'étude  des 
poètes  païens,  qui  n'est  «  qu'un  sacrifice  offert   aux  anges   déchus  », 
acquérant  des  connaissances  philologiques  dont  il  devait  dire  un  jour 
qu'elles  ne  s  associent  que  trop  bien  à  la  perversité  du  cœur  :  «  Re- 
garde, Seigneur,  comme  les  enfants  des  hommes  observent  avec  soin 
les  règles  du  langage  et  comme  ils  négligent  les  règles  immuables  du 
salut  éternel  !  Pécher  contre  les  lois  de  la  grammaire  leur  est  un   plus 
grand  scandale  que  pécher  contre  ta  loi  en  haïssant  leur  semblable  !  » 
Instruit   dès  l'enfance  par  sa  mère  des  vérités    de  l'Evangile,   il  fut 
reçu  bientôt  au  nombre  des  catéchumènes.  Les  impressions  religieuses 
qu'il  reçut  à  cette  époque  demeurèrent  gravées  d'une  manière  ineffa- 
çable dans  son  âme  ;  elles  constituèrent  en  lui  comme  une  seconde  et 
meilleure  nature,  dont  l'influence  fut  longtemps  combattue  et  refoulée 
par  celle  du  monde,  mais  qui  n'en  continua  pas  moins  à  subsister  en 
lui  d'une  manière  latente,  élevant  la  voix  à  tout  moment  pour  le  se- 


AUGUSTIN  721 

couer  de  sa  torpeur  et  ne  lui  permettant  jamais  ni  de  se  laisser  gagner 
entièrement  à  Tune  des  doctrines  philosophiques  du  paganisme,  à 
cause  de  l'absence  du  nom  de  Jésus-Christ  qu'il  continuait  involontai- 
rement à  vénérer,  ni  de  se  perdre  sans  retour  dans  le  péché,  car  il  ne 
put  jamais  y  trouver  la  satisfaction  parfaite  qu'il  y  cherchait,  ce  qui 
lui  lit  dire  :  «  Dieu  a  partout  mêlé  au  péché  une  amertume  salutaire 
par  laquelle  il  ramène  à  lui  ceux  qui  se  sont  détournés  vers  une  perni- 
cieuse jouissance.  »  Pour  continuer  ses  études  littéraires ,  Au- 
gustin fut  envoyé  à  l'école  plus  importante  de  Madaure,  petite 
ville  située  près  de  Thagaste,  et  où  le  christianisme  n'avait  encore 
guère  pénétré.  Le  culte  païen  avec  ses  cérémonies  obscènes  parait  y 
avoir  exercé  une  influence  funeste  sur  l'àme  d'Augustin,  car  de  retour 
à  Thagaste  à  F  âge  de  seize  ans,  il  commença  à  se  livrer  à  la  débauche 
avec  toute  l'ardeur  de  sa  nature  africaine,  malgré  les  supplications  de 
sa  mère.  Après  la  mort  de  son  père,  il  se  rendit  à  Carthage  (371)  pour 
y  terminer  ses  études,  grâce  surtout  à  la  générosité  d'un  riche  citoyen 
de  Thagaste,  son  parent  éloigné.  11  y  étudia  les  écrits  d'Aristote,  la  géo- 
métrie, les  mathématiques,  la  logique,  la  musique,  l'astrologie  et  sur- 
tout la  rhétorique,  dans  laquelle  il  ne  tarda  pas  à  se  distinguer,  tour- 
menté qu'il  était  par  le  désir  d'acquérir  la  gloire  et  de  s'élever  aux 
honneurs.  Il  s'associa  à  un  certain  nombre  d'étudiants  tapageurs  qui 
s'appelaient  eux-mêmes  «  démolisseurs  »  (eversores),  et  partagea  leur 
existence,  non  sans  éprouver  par  moments  une  répulsion  secrète  contre 
les  excès  dont  il  était  le  complice.  En  372,  il  prit  une  concubine  qu'il 
garda  treize  ans  ;  elle  lui  donna  l'année  suivante  un  fils,  que,  dans  un 
élan  instinctif  de  piété,  il  appela  Adeodatus  (Dieudonné).  Le  théâtre 
exerça  également  sur  lui  un  puissant  attrait.  Il  y  cherchait  «des  images 
de  sa  propre  misère  et  une  nourriture  pour  le  feu  qui  consumait  sa 
poitrine  »  ;  le  spectacle  du  malheur  d'autrui  lui  inspirait  une  émotion 
superficielle,  par  laquelle  il  ne  se  croyait  que  trop  aisément  dispensé 
d'une  compassion  véritable  et  active  pour  son  prochain,  par  suite  du 
caractère  fictif  des  infortunes  qu'il  voyait  représentées.  Au  milieu  de 
cette  existence  agitée,  Augustin  fut  amené  par  ses  études  à  lire  un 
ouvrage  (aujourd'hui  perdu)  de  Cicéron,  intitulé  fJo?iensius,  qui  l'en- 
traina  «  vers  l'amour  de  la  sagesse.  »  Poussé  par  le  souvenir  de  ses 
émotions  enfantines,  il  chercha  d'abord  la  sagesse  dans  l'Ecriture. 
«Elle  me  parut  indigne  d'être  comparée,  pour  la  majesté  du  style,  aux 
ouvrages  de  Cicéron.  Ma  rhétorique  prétentieuse  lut  choquée  de  sa 
simplicité,  et  ma  raison  ne  put  comprendre  son  enseignement.  Je  refu- 
sai de  m'humilier  devant  die,  car  je  me  considérais  comme  grand 
dans  mon  arrogance.  »  Avant  de  revenir  à  la  Bible,  Augustin  devait 
essayer  «le  conquérir  la  vérité  par  les  seules  forces  de  son  intelligence 
subjective,  et  reconnaître  la  nécessité  d'une  révélation,  objective,  par 
l'expérience  de  l'inutilité  de  ses  efforts. —  Rebuté  par  la  formeel  par  le 
contenu  de  l'Ecriture,  <-t  rejetant  en  général  comme  «  légendes  de 
femmes  la  religion  que  sa  mère  lui  avait  enseignée,  Augustin  se 
tourna  vers  le  manichéisme^  dont  les  représentants  étaient  fort  nom- 
breux dans  cette  partie  de  l'Afrique,  séduit  qu'il  ('tait  par  la  promesse 


722  AUGUSTIN 

d'être  amené  à  la  possession  de  la  vérité  par  la  seule  voie  de  la  raison  ' 
philosophique.  Il  était  attiré  en  outre  par  le  rôle  important  que  Jésus- 
Christ  jouait  dans  la  théologie  des  manichéens,  ce  qui  l'amenait  à  con- 
sidérer celle-ci  comme  la  forme  supérieure  et  authentique  du  christia- 
nisme, et  par  la  solution  qu'elle  donnait  au  problème  du  mal,  solution 
qui  permettait  de  nier  la  responsabilité  humaine  sans  faire  de  Dieu 
l'auteur  du  mal,  puisqu'elle  attribuait  ce  dernier  à  un  principe  éternel, 
distinct  de  Dieu  et  de  l'âme.  Il  resta  dans  la  secte  depuis  sa  dix-neu- 
vième jusqu'à  sa  vingt-huitième  année  en  qualité  de  simple  auditeur, 
et  s' il  ne  se  fit  pas  recevoir  dans  la  catégorie  plus  élevée  c^es  élus,  c'  est  que  la 
doctrine  manichéenne  ne  put  jamais  le  contenter  absolument,  quelque 
attrait  qu'il  éprouvât- pour  elle,  et  quelques  efforts  qu'il  fit  même  pour 
la  répandre  parmi  ses  amis.  Revenu  à  Thagaste,  Augustin  eut  la  dou- 
leur de  perdre  un  de  ses  amis  d'enfance,  qu'il  avait  réussi  à  convertir 
au  manichéisme,  et  qui,  revenu  de  son  erreur,  mourut  dans  la  foi  chré- 
tienne. Augustin,  ne  pouvant  rester  à  Thagaste,  où  tout  lui  rappelait 
celui  qu'il  venait  de  perdre,  repartit  pour  Carthage,  où  il  continua  son 
enseignement.  Il  emportait  dans  son  âme,  comme  un  aiguillon,  le  sou- 
venir de  la  fin  de  son  ami  et  celui  des  prières  de  sa  mère,  dont  il 
n'avait  pas  craint  parfois  dJoffenser  la  douleur  en  tenant  en  sa  présence 
des  propos  qu'elle  devait  considérer  comme  blasphématoires.  Poussé 
par  le  désir  d'illustrer  son  nom,  il  prit  part  un  jour,  en  sa  qualité  de 
rhéteur,  à  un  concours  de  poésie,  et  eut  le  bonheur  d'être  couronné  en 
plein  théâtre,  aux  applaudissements  de  la  foule,  par  le  proconsul  Vindi- 
cianus,  qui  ne  tarda  pas  à  l'honorer  de  son  amitié.  Vers  la  même  époque, 
il  composa  son  premier  ouvrage  intitulé  Bu  beau  et  du  convenable  (De pul- 
chro  et  apto) ,  qui  paraît  avoir  contenu  une  exposition  de  la  doctrine  ma- 
nichéenne des  deux  substances,  considérées  surtout  au  point  de  vue  des 
impressions  esthétiques  d'harmonie  et  de  désaccord,  et  des  sentiments 
moraux  d'attraction  et  de  répulsion,  d'affection  et  de  haine  que  l'àme  en 
reçoit.  Depuis  quelque  temps  Augustin  s'occupait  d'astrologie;  de  nom- 
breuses prédictions  faites  au  moyen  des  astres,  qui  s'étaient  réalisées, 
entre  autres  celle  de  son  triomphe  dans  le  concours  institué  par  Vin- 
dicianus,  avaient  fait  sur  lui  une  vive  impression  et  lui  avaient  inspiré 
une  foi  entière  en  cette  science,  qui  le  familiarisa  avec  les  mouvements 
des  astres,  si  bien  que  bientôt  il  ne  vit  plus  autre  chose  que  de  pures  fantai- 
sies dans  les  mythes  cosmologiques  dont  les  manichéens  étaient  si  tiers. 
Les- membres  de  la  secte,  auxquels  il  exposa  ses  doutes,  l'adressèrent  à 
leur  principal  docteur,  l'évêque  manichéen  Faust  de  Milevis.  Celui-ci 
ne  put  répondre  à  ses  questions.  Ce  fut  un  coup  décisif  porté  à  sa  foi 
manichéenne.  Depuis  ce  moment  les  objections  se  présentèrent  en 
foule  à  son  esprit.  Il  n'ignorait  pas  que  plusieurs  d'entre  les  élus  ne 
méritaient  guère  leur  réputation  de  sainteté.  Bien  souvent  il  n'avait 
su  que  répondre  à  son  ami  Nébridius,  quand  cet  adversaire  du  dua- 
lisme manichéen  lui  démontrait  que  c'est  nier  l'incorruptibilité,  c'est- 
à-dire  l'absoluité  de  Dieu,  que  d'admettre  le  mélange  d'une  partie  de 
sa  substance  lumineuse  avec  les  ténèbres,  à  la  suite  d'une  lutte  dans 
laquelle  Dieu  aurait  été  vaincu  par  le  principe  mauvais  et  dont  on  ne 


AUGUSTIN  723 

saurait  expliquer  L'origine  à  moins  de  croire  que  Dieu  ait  été  obligé  de 
L'accepter  parce  qu'il  était  le  plus  faible.  Enfin,  le  sentiment  de  la  res- 
ponsabilité morale  commençait  à  se  faire  jour  en  lui,  sentiment  que  la 
prédication   d'Ambroise    devait  encore  vivifier  dans  la  suite.  Sans 
rompre  ouvertement  avec  la  secte,  Augustin  cessa  d'en  partager  les 
doctrines.  Plus  ses  espérances  avaient  été  vives,  plus  sa  déception  fut 
grande  :  «  Je  me  lis  à  l'idée  que  trouver  la  vérité  était  impossible;  la 
tempête  des  pensées  qui  s'entrecroisaient  dans  mon  âme  me  poussa  du 
côté  des  nouveaux  académiciens  »,  c'est-à-dire  vers  le  scepticisme.  «  Je 
cherchais  à  empêcher  mon  esprit  d'accepter  n'importe  quelle  doc- 
trine; partout  je  craignais  de  rencontrer  un  précipice;  le  doute  me 
tuait  de  plus  en  plus.  »  —  Dans  l'intervalle,  Augustin  s'était  rendu  à 
Rome,  espérant  trouver  dans  la  capitale  de  l'empire  une  position  plus 
lucrative  et  plus  brillante  et  des  étudiants  plus  intelligents  et  plus 
rangés.  Monique  fut  inconsolable  :  elle  ignorait  que  Dieu  se  servirait 
précisément  de  cette  séparation,  qu'elle  lui  demandait  d'empêcher  au 
nom  du  salut  de  son  fils,  pour  exaucer  la  prière  de  toute  sa  vie,  car 
Augustin  courait  sans  le  savoir  au-devant  de  sa  conversion.  Il  n'eut 
pas  à  Rome  le  succès  qu'il  attendait  :  les  étudiants  quittèrent  un  jour 
son  école   pour  celle  d'un  autre  rhéteur,  sans  même  lui  payer  ses 
leçons.  Recommandé  à  Symmaque,  préfet  de  la  ville,  par  les  mani- 
chéens, dans  la  société  desquels  il  continuait  à  vivre  «  jusqu'à  ce  qu'il 
se  fût  présenté  quelque  doctrine  meilleure,  »   il  fut  envoyé  à  Milan, 
comme  professeur  d'éloquence,  après  un  discours  d'essai  qui  lui  con- 
cilia tous  les  suffrages.  A  Milan,  Augustin  suivit  régulièrement  les  pré- 
dications d'Ambroise,  uniquement  d'abord  pour  en  étudier  la  forme 
oratoire.  Peu  à  peu  cependant  son  attention  fut  attirée  par  le  fond  même 
des  discours  ;  les  idées  chrétiennes  commencèrent  à  pénétrer  à  son 
insu  dans  son  âme.  Il  fut  surtout  frappé  de  la  facilité  avec  laquelle 
Ambroise  écartait,  par  la  méthode  allégorique,  tout  ce  qui  l'avait  tant 
choqué  autrefois  dans  l'Ancien  Testament;  et  il  apprit,  non  sans  une 
joie  secrète,  que  l'Eglise  n'avait  jamais  enseigné  que  Dieu  eût  un  corps 
comme  nous;  ({n'en  général  la  doctrine  chrétienne  à  laquelle  il  devait 
ses  premières  émotions  religieuses  n'était  pas  aussi  grossière  qu'on  le 
lui  avait  représenté.  Les  progrès  rapides  du  christianisme  et  la  diffu- 
sion universelle  des  Ecritures  s'imposaient  à  son  esprit  comme  un 
signe  manifeste  de  la  Providence  que  là  seul  est  le  salut;  et,  tout  en 
demandant  encore,  dans  sa  défiance  contre  toute  doctrine  religieuse., 
une  démonstration   mathématique   des  vérités   de  l'Evangile,    il   ne 
pouvait    s '«  mpêcher  de    reconnaître  que  la  foi   n'avait  jamais   été 
absente  de  sa  vie  spirituelle  et  qu'il  lui  devait  un  certain  nombre  de 
vérités, telles  que  L'existence  de  Dieu,  qu'il  avait  toujours  admises  sans 
preuves.  Sa  pensée  cependant  se  heurtait  toujours  encore  au  dogme  de 
L'incarnation  du  Verbe,  et  sur  tout  à  la  notion  d'un  Dieu  immatériel.  Les 
objections  de  Nébridius  L'avaient  bien  amené  à  rejeter  Le  dualisme  des 
manichéens, mais  non  leur  matérialisme.  Il  avait  senti  la  nécessité  d'ad- 
mettre L'unité  du  principe  du  monde,  mais  il   ne  parvenait  encore  à 
se   représenter  ce  principe  que  sous  la  forme  (Tune  substance  maté- 


724  AUGUSTIN 

rielle  remplissant  tout  l'espace,  ou  d'un  océan  dans  lequel  l'univers 
nagerait  comme  une  immense  éponge.  Depuis  lors,  une  nouvelle  ques- 
tion le  tourmentait  :  puisque  le  mal  n'est  pas  un  principe  éternel,  et 
qu'il  n'existe  qu'un  seul  principe  absolument  bon  dont  l'univers  est 
imprégné  comme  une  éponge  est  imprégnée  d'eau,  d'où  vient  le  mal? 
Monique  était  venue  rejoindre  son  fils  à  Milan.  Le  changement  qu'elle 
constata  en  lui  la  surprit  fort  joyeusement.  Nébridius  et  un  autre  ami 
d'Augustin,  ALypius,  qui  avait  été  son  disciple  à  Tliagaste  et  à  Car- 
tilage, l'avaient  également  suivi  par  affection  en  Europe.  C'est  dans 
ce  cercle  intime,  auquel  n'avaient  pas  tardé  à  se  joindre  quelques 
nouveaux  membres,  que  se  passait  l'existence  d'Augustin.  Il  atteignit 
ainsi  sa  trentième  année.  Rien  ne  saurait  décrire  l'agitation  qui  régnait 
alors  dans  ses  pensées  et  les  luttes  que  se  livraient  dans  son  cœur  les 
deux  natures  qui  se  disputaient  sa  conquête.  Parfois  il  prenait  la  réso- 
lution de  revenir  à  la  foi  de  son  enfance  et  de  s'arracher,  par  un  effort 
énergique,  à  l'empire  de  ses  passions;  mais  le  souvenir  des  jouissances 
dont  il  allait  se  priver  et  le  retour  de  ses  rêves  ambitieux  réduisaient 
à  néant  ses  plus  belles  résolutions.  C'est  ainsi  qu'il  décida  un  jour  de 
mettre  fin  aux  relations  illégitimes  qu'il  entretenait  depuis  si  long- 
temps ;  il  garda  son  fils  auprès  de  lui,  et  renvoya  en  Afrique  sa  concu- 
bine, qui  passa  le  reste  de  sa  vie  dans  une  retraite  profonde.  Il  avait 
formé  le  dessein  de  se  marier.  Mais  comme  le  mariage  ne  devait  avoir 
lieu  que  dans  deux  ans  à  cause  de  la  jeunesse  de  sa  liancée,  il  n'eut 
pas  la  force  de  persévérer  dans  sa  bonne  résolution  et  prit  -une  nou- 
velle concubine.  Le  sentiment  de  sa  misère  morale  l'accablait.  «  Toi 
seul,  ô  mon  Dieu,  tu  sais  combien  j'ai  souffert  alors  !  »  La  lecture  de 
quelques  écrits  platoniciens  ou  néoplatoniciens  (Augustin,  comme  plus 
tard  le  moyen  âge,  n'a  guère  distingué  ces  deux  tendances)  imprima  à 
cette  éqoque  une  direction  nouvelle  àsa  pensée.  Le  platonisme  la.  puriln 
pour  toujours  du  vieux  levain  matérialiste  et  la  familiarisa  avec  une  con- 
ception purement  spirituelle  de  la  divinité.  En  même  temps  il  lui  permit 
de  comprendre  la  présence  du  mal  clans  le  monde  en  lui  enseignant 
que  le  mal  n'est  qu'une  privation  ou  une  diminution  du  bien,  c'est-à- 
dire  en  réduisant  sa  réalité  objective  à  une  simple  différence  de  degré 
dans  le  bien.  Ce  qui  recommandait  surtout  cette  doctrine  aux  yeux 
d'Augustin,  c'est  la  ressemblance  extérieure  qu'elle  présentait  avec  le 
christianisme.  11  crut  y  trouver  la  notion  chrétienne  du  Verbe  ;  mais  il 
n'y  rencontra  ni  le  nom  ni  la  notion  du  Verbe  incarné,  de  Jésus-Christ, 
pas  plus  qu'il  ne  les  avait  trouvés  chez  Cicéron  et  les  philosophes 
sceptiques;  et  c'est  pourquoi  le  platonisme  ne  réussit  pas  davantage  à 
lui  procurer  uneentière  satisfaction.  Il  lui  reprochait  surtout  de  le  laisser 
désarmé  dans  la  lutte  contre  ses  mauvais  instincts,  et  d'être  muet  sur  le 
chapitre  de  la  pénitence  et  de  la  rédemption.  C'est  dans  cette  dispo- 
sition d'esprit  qu'il  se  remit  à  lire  les  Ecritures,  surtout  les  épitres  de 
Paul.  Il  y  trouva  non-seulement  ce  que  les  écrits  platoniciens  lui  pa- 
raissaient contenir  de  vrai,  mais  encore  ce  qui  manquait  absolument  à 
ceux-ci,  le  spectacle  vivant  de  l'amour  de  Dieu  secourant  les  hommes 
dans  leurs  misères,  les  larmes  de  la  repentance  et  la  joyeuse  certitude  du 


AUGUSTIN  725 

pardon  des  péchés.  L'émotion  qu'il  en  ressentit  l'ut  augmentée  par  le 
récit,  fort  instructif  pour  lui,  que  lui  lit  de  la  conversion  du  rhéteur 
Victoriuus  un  vieil  ecclésiastique  nommé  Simplicianus,  qu'il  était  allé 
visiter.  Lui  aussi  sentit  naître  dans  son  cœur  un  immense  désir  de  se 
donner  entièrement  à  Dieu  ;  mais  sa  volonté  était  encore  trop  faible 
pour  faire  résolument  le  sacrifice  de  son  ancienne  existence.  Il  avait 
cependant  le  pressentiment  (pie  Dieu  allait  accomplir  en  lui  l'œuvre  si 
longuement  préparée  ;  redevenu  catéchumène,  il  attendait  ce  moment 
avec  angoisse,  et,  pour  le  hâter,  il  visitait  assidûment  les  églises.  Nous 
renvoyons,  pour  les  détails  de  sa  conversion  (sept.  386),  à  l'admirable 
récit  qif  Augustin  en  a  fait  lui-même  dans  ses  Confessions.  Peu  de  semaines 
après,  il  se  démit  de  ses  fonctions  de  professeur  d'éloquence,  et,  suivi 
de  ses  amis  dont  la  conversion  avait  accompagné  la  sienne,  il  se  retira 
dans  la  maison  de  campagne  que  l'un  d'eux,  nommé  Verecundus,  pos- 
sédait à  Cassi  (Cassiciacum),  près  de  Milan.  Auparavant  déjà,  ses  amis  et 
Jui  avaient  formé  un  jour  le  projet  de  mettre  leurs  biens  en  commun 
et  de  vivre,  loin  des  bruits  du  monde,  d'une  vie  contemplative,  à  la 
façon  de  certains  sages  du  paganisme.  Mais  la  présence  de  l'élément 
féminin  qu'Augustin  et  '  quelques  autres  eussent  introduit  dans 
l'association,  avait  fait  échouer  le  projet.  Maintenant  ce  rêve  se  réalisa 
sous  la  l'orme  chrétienne  de  la  vie  monastique.  Après  la  prière  du 
matin,  les  solitaires  de  Cassi  se  promenaient  soit  dans  la  campagne, 
soit  sous  un  portique,  en  se  livrant  à  des  entretiens  religieux  qui  ont 
fourni  à  Augustin  la  matière  de  ses  premiers  écrits  chrétiens,  entre 
autres  des  Soliloques,  du  traité  De  V Immortalité  de  l'âme  et  des  Ti%ois 
livres  contre  les  Académiciens  ;puis  ils  prenaient  leurs  repas  en  commun. 
Pendant  les  fêtes  de  Pâques  de  l'année  387,  Augustin  se  fit  baptiser 
par  Ambroise  avec  son  ami  Alypius  et  son  fils  Adeodatus,  qu'il  devait 
perdre  peu  de  temps  après. 

IL  Ici  commence  la  seconde  partie  de  la  vie  d'Augustin.  Cette  partie 
se  divise  en  deux  périodes  bien  distinctes,  séparées  par  l'année  391 
dans  laquelle  il  commença  à  exercer  des  fonctions  dans  l'Eglise.  Sa 
conversion,  préparée  par  le  platonisme,  s'était  faite  sous  l'influence  de 
l'Ecriture  et  surtout  de  l'ascétisme  monacal.  Il  n'avait  pas  seulement 
renoncé  à  l'amour  illégitime  et  aux  rêves  ambitieux,  mais  encore  à  son 
projet  de  mariage,  à  sa  carrière  de  professeur  et  en  général  à  la  société 
des  hommes.  Cette  période  contemplative  peut  être  appelée  aussi  pé- 
riode platonico-chrétienne,  car  la  théologie;  (pie  l'on  rencontre  dans  ses 
ouvrages  de  cette  époque  est  un  mélange  intime  de  la  doctrine  chré- 
tienne et  des  idées  platoniciennes  dont  son  esprit  était  imbu  aumoment 
de  sa  conversion.  A  la  période  de  l'inaction  et  de  J;i  spéculation 
mystique,  succéda  celle  de  l'activité  pratique  et  des  controverses  dog- 
matiques, la  période  ecclésiastique  ou  spécialement  augustiniennet 
qui  dura  jusqu'à  sa  mort.  Pendant  la  première,  il  ne  songea  qu'à  son 
propre  salut;  pendant  la  seconde,  il  travailla  avant  tout  à  celui  des 
autres.  Après  un  court  .-('•jour  à  Milan.  Augustin  et  ses  amis  résolurent 
de  revenir  à  Thagaste  pour  «  se  consacrer  entièrement  à  Dieu  ».  A 
Ostie,  Monique tomba  subitement  malade  et  mourut,  àl' âge  de  cinquante- 


726  AUGUSTIN 

six  ans  (387).  On  connaît  cet  entretien  immortel  sur  les  félicités  de  la 
vie  future,  dans  lequel  son  âme  et  celle  de  son  fils,  unies  enfin  dans 
une  même  prière,  avaient  franchi  ensemble  la  limite  où  «  commence  et 
où  finit  la  parole  humaine  »,  pour  porter  dans  un  moment  d'extase 
«les  prémices  de  l'esprit  »  dansle  temple  de«  l'inépuisable  plénitude  » 
où  Dieu  prononce  sa  parole  au  milieu  d'un  silence  éternel.  La  mort 
de  sa  mère  modifia  quelque  peu  le  plan  de  voyage  d'Augustin  ;  il  resta 
dix  mois  à  Rome,  et  pendant  ce  temps  il  composa  son  premier  traité 
de  polémique  contre  les  manichéens,  intitulé  Des  mœurs  de  V Eglise 
catholique  et  des  mœurs  des  manichéens.  Puis  il  passa  en  Afrique  avec  ses 
amis.  Arrivé  à  Thagaste,  il  donna  une  partie  de  ses  biens  à  l'Eglise  de 
cette  ville,  et,  à  l'exemple  de  saint  Antoine,  il  vendit  l'autre  et  en  dis- 
tribua le  prix  aux  pauvres.  11  ne  se  réserva  que  la  jouissance  viagère 
d'une  maison  de  campagne  dans  laquelle  il  reprit  avec  ses  amis  le  genre 
de  vie  de  Cassi.  Les  solitaires  possédaient  tout  en  commun  ;  la  prière, 
les  études  scientifiques,  la  contemplation  religieuse  et  quelques  travaux 
des  champs  étaient  leurs  seules  occupations.  La  grande  activité  litté- 
raire qu'Augustin  commença  à  déployer  à  cette  époque,  l'austérité  de 
sa  vie  et  la  profondeur  de  sa  piété  rendirent  son  nom  célèbre  dans 
toutes  les  Eglises  de  la  province.  Souvent  les  fidèles  venaient  le  con- 
sulter dans  sa  retraite.  Un  jour,  il  fut  appelé  à  Hippone  (Hippo 
Regius)  par  un  officier  impérial,  désireux  d'apprendre  à  connaître 
le  christianisme  sous  sa  direction.  L'évêque  de  cette  ville,  Valérius, 
avait  besoin  d'un  presbytre  actif  et  instruit  pour  soutenir  la  lutte 
contre  les  donatistes  fort  nombreux  dans  la  localité.  Il  exprima  ce 
désir  à  sa  communauté  pendant  qu'Augustin  était  présent  dans  l'église. 
Aussitôt  les  fidèles  présentèrent  celui-ci  à  l'évêque  comme  le  presbytre 
qu'il  demandait.  Le  trouble  d'Augustin  fut  grand  ;  c'est  avec  frayeur 
qu'il  songea  à  la  lourde  responsabilité  qui  allait  peser  sur  lui.  Il  pria 
donc  l'évêque  de  lui  accorder  quelques  mois  pour  se  préparer  à  son 
ministère.  Ce  délai  écoulé,  il  vint  à  Hippone  (391).  —  Les  écrits  composés 
par  Augustin  depuis  sa  conversion,  et  parmi  eux  surtout  le  traité  De 
la  vraie  religion  écrit  à  Thagaste,  nous  font  connaître  l'état  de  sa  pensée 
pendant  cette  première  période.  Il  admettait  comme  principe  du 
monde  une  essence  purement  spirituelle,  Dieu  conçu  comme 
l'unité  idéale  de  la  vérité,  de  la  beauté  et  du  bien  absolus,  et  renfer- 
mant en  lui  les  types  éternels  et  parfaits  des  créatures  périssables  et 
imparfaites.  La  matière  a  été  créée  par  Dieu  ;  elle  est  le  principe  de 
limitation  qui  rend  possible  la  réalisation  de  ces  types  dans  l'espace  et 
dans  le  temps.  Le  monde  visible  est  de  cette  manière  une  imita- 
tion nécessairement  imparfaite  du  monde  invisible.  De  là  vient  aussi 
le  double  aspect  sous  lequel  il  se  présente  au  point  de  vue  moral  : 
d'un  côté  il  est  bon,  en  tant  qu'il  participe  au  monde  idéal  et  par  lui 
à  l'être,  c'est-à-dire  en  tant  qu'il  possède  en  général  l'existence;  de 
l'autre,  il  est  mauvais  en  tant  qu'il  n'est  pas  le  monde  idéal  lui-même, 
l'être  dans  sa  pureté,  et  que  par  conséquent  il  participe  à  l'opposé  de 
l'être,  au  non-être,  c'est-à-dire  en  tant  qu'il  existe  d'une  manière  par- 
ticulière. Le  mal  ne  peut  pas  être  une  substance,  car  qui  dit  substance 


AUGUSTIN  727 

dit  bien;  il  n'est  qu'un  degré  Inférieur  du  bien.  Pris  en  eux-mêmes  et 
comparés  entre  eux,  les  objets  terrestres  sont  beaux  et  bons;  leur  im- 
perfection n'éclate  que  lorsqu'on  les  compare  à  leurs  types  éternels. 
Si  les  créatures  visibles  ne  sont  bonnes  qu'autant  qu'elles  peuvent 
l'être  en  raison  de  leur  nature  matérielle,  l'âme,  grâce  à  sa  nature 
purement  spirituelle,  possède  la  propriété  d'être  bonne  en  vertu  d'une 
libre  détermination  de  sa  volonté.  Sortie  bonne  des  mains  du  Créa- 
teur, il  ne  tenait  qu'à  elle  de  rester  telle  et  de  continuer  à  jouir  du 
spectacle  du  monde  idéal  dont  Dieu  l'avait  gratifiée  :  elle  s'est  libre- 
ment détournée  de  Dieu,  l'être  absolu,  pour  se  complaire  à  l'être  rela- 
tif des  créatures.  Au  lieu  d'aimer  les  créatures  en  tant  qu'elles  reflètent 
la  perfection  divine,  au  lieu  d'aimer  Dieu  dans  les  créatures,  elle  les  a 
aimées  en  elles-mêmes,  elle  a  aimé  en  elles  la  forme  périssable,  le  non- 
être.  Pourquoi  s'est-elle  déterminée  de  cette  manière?  c'est  ce  que  nul 
ne  saurait  dire.  La  chute  du  premier  homme  a  fait  naître  tous  ses 
descendants  avec  une  certaine  inclination  au  mal,  car  c'est  la  nature 
humaine  elle-même  qui  a  péché  en  Adam.  L'âme  cependant  peut 
vaincre  cette  inclination,  la  liberté  lui  reste  et  avec  elle  la  responsabilité. 
«  Le  péché  est  si  bien  un  mal  volontaire,  que  s'il  n'était  pas  volontaire  il 
ne  serait  point  péché.  »  La  convoitise  et  l'orgueil  sont  les  deuxformesdu 
péché  ;  par  elles,  l'âme  s'attache  à  l'être  relatif  au  dehors  d'elle  et  en 
elle.  La  chute  de  l'homme  a  jeté  le  trouble  dans  la  création.  Pour  rétablir 
l'ordre,  Dieu  a  institué  le  châtiment  du  péché,  la  souffrance.  L'harmo- 
nie de  l'univers  serait  détruite,  en  effet,  si  le  mal  restait  impuni,  si  Dieu 
ne  précipitait  pas  le  pécheur  au  degré  inférieur  de  l'être  où  il  a  mérité  de 
vivre.  En  punissant  les  hommes,  Dieu  répare  incessamment  le  trouble 
porté  dans  son  œuvre  par  leur  liberté.  La  présence  du  bourreau  et  de 
la  courtisane,  loin  d'être  une  souillure  dans  le  grand  tableau  de  la 
création,  s'y  justifie  parfaitement  au  point  de  vue  de  l'ensemble.  Le 
supplice  des  damnés  contribue  à  la  beauté  de  l'univers  d'un  côté,  parce 
qu'il  fait  mieux  ressortir,  par  contraste,  la  félicité  des  bons  ;  de  l'autre, 
parce  qu'il  est  une  manifestation  de  la  justice  divine.  Le  but  dernier 
de  la  souffrance  dans  le  plan  divin  est  d'être  une  école  pour  les  âmes 
déchues,  et  de  servir  à  leur  relèvement.  Pour  détourner  les  âmes 
de  l'amour  des  choses  terrestres,  et  leur  présenter  un  moyen  de  re- 
monter à  lui,  il  était  nécessaire  qu'il  se  révélât  à  elles,  c'est-à-dire 
qu'il  manifestât  devant  elles  les  trésors  du  monde  invisible  qu'elles 
avaient  oubliés  pour  ne  plus  songer  qu'aux  créatures  visibles.  La 
sagesse  ou  la  loi  suprême  de  l'univers,  en  qui  habite  le  monde  invi- 
sible, a  dû  s'incarner  et  vivre  au  milieu  de  nous,  pour  nous  mon- 
trer par  ses  enseignements  le  chemin  du  retour  vers  Dieu  et  ga- 
gner notre  cœur  à  l'amour  des  biens  célestes.  Augustin  incline  ici 
visiblement  vers  une  conception  impersonnelle  de  la  nature  du  Fils, 
très-voisine  de  l'idée  néoplatonicienne;  en  d'autres  passages  il  re- 
pète au  sujet  de  la  Trinité  les  définitions  de  Nicée.  Cette  révélation 
objective,  QOUS  l'acceptons  par  la  foi,  ou  par  la  conviction  intime  de  sa 
vérité,  sans  preuve  rationnelle.  .Nous  sommes  conduits  à  l'accepter  par 
la  souffrance  morale  que  nous  éprouvons  véritablement  quand  nous 


728  AUGUSTIN 

vivons  loin  de  Dieu,  et  par  la  certitude  intérieure  que  nous  avons  de 
retrouver  par  ce  moyen  notre  bonheur  perdu.  Après  que  la  révéla- 
tion divine  objective  a  détaché  nos  pensées  du  monde  extérieur,  la 
raison  subjective  achève  l'œuvre  de  notre  rédemption  parle  moyen  de 
la  contemplation  religieuse.  Rentrée  en  elle-même,  l'âme  retrouve  le 
monde  idéal  dont  la  vue  causait  autrefois  son  bonheur,  et  dont  la 
connaissance  n'est  pour  elle  qu'un  ressouvenir.  C'est  dans  cette  pré- 
sence en  nous  du  monde  impérissable  des  idées,  présence  tantôt  clai- 
rement perçue,  tantôt  obscurcie  par  le  péché,  que  réside  le  principe  de 
notre  immortalité.  L'àme  remonte  ainsi  à  sa  dignité  première;  elle 
s'élève  au-dessus  d'elle-même,  c'est-à-dire  au-dessus  des  formes  de  son 
existence  particulière,  pour  ne  plus  vivre  que  de  la  jouissance  ineffable 
de  l'être  infini.  Non  qu'elle  puisse  jamais  arriver  à  connaître  Dieu  ab- 
solument: comment  une  créature  finie  comprendrait-elle  l'infini? 
«  Elle  ne  saurait  mieux  connaître  Dieu  qu'en  ne  le  connaissant  pas.  » 
Elle  le  connaît  cependant  dans  une  certaine  mesure,  non  en  tant  qu'il 
est  en  lui-même,  mais  en  tant  qu'il  est  le  principe  du  monde,  l'unité 
idéale  des  types  éternels  de  l'univers.  L'àme  s'est  ainsi  élevée  des  ob- 
jets extérieurs  vers  les  réalités  qu'elle  porte  en  elle,  et  de  ces  réalités  à 
la  vérité  suprême.  La  révélation  extérieure,  c'est-à-dire  l'apparition  histo- 
rique de  Jésus  et  la  lettre  des  Ecritures,  n'est  que  l'initiatrice  de  ce  mou- 
vement; elle  s'accommode  à  la  faiblesse  de  notre  esprit  pour  lui  pré- 
senter dans  ses  préceptes  et  ses  récits  la  nourriture  légère  qu'il  est 
seule  capable  de  supporter,  en  attendant  que,  fortifié  par  elle,  il  prenne 
de  lui-même  son  vol  vers  sa  céleste  patrie.  Désormais  la  contingence 
n'existe  plus  pour  l'àme  ;  elle  ne  voit  en  toutes  choses  que  l'universel, 
le  divin  ;  elle  contemple  en  elle  la  loi  suprême  du  monde;  elle  est  elle- 
même  cette  loi.  A  ces  hauteurs  divines,  les  créatures  terrestres  ne  vous 
sollicitent  plus  ;  elles  nous  sont  devenues  indifférentes.  Tous  les  hommes 
nous  sont  également  chers  ;  les  liens  de  la  famille,  les  affections  parti- 
culières n'existent  plus  pour  nous;  la  mort  des  nôtres  ne  nous  affecte 
plus.  Les  souffrances  d'autrui  ne  nous  émeuvent  point;  nous  les  consi- 
dérons de  si  haut  que  leur  vue  n'a  plus  rien  qui  nous  afflige.  La  vie 
éternelle  en  Dieu  a  commencé  pour  nous;  les  quatre  vertus  cardinales 
(de  Platon),  la  tempérance,  le  courage,  la  justice,  la  prudence  régnent 
en  nous,  car  nous  sommes  détachés  de  tout  ce  qui  est  transitoire,  dis- 
posés à  tout  souffrir  pour  Dieu,  soumis  à  sa  seule  volonté,  et  habiles  à 
discerner  ce  qui  contrarie  et  ce  qui  favorise  notre  union  avec  Dieu.  Le 
corps  aussi  participera  un  jour  à  ce  renouvellement  de  l'àme:  il  ressus- 
citera dans  sa  beauté  et  sa  pureté  primitives  ;  il  ne  sera  plus,  comme 
ici-bas,  un  fardeau  et  un  obstacle  pour  l'âme;  il  sera  devenu  impérissa- 
ble et  incorruptible.  Toutes  les  âmes  déchues  atteindront-elles  ce  but 
suprême?  Augustin  l'affirme  dans  son  traité  Des  mœurs  de  l  Eglise  ca- 
tholique, etc.  Ailleurs,  au  contraire,  il  enseigne  que  les  pécheurs  qui 
auront  persisté  dans  leur  attachement  au  non-être  resteront  éternelle- 
ment plongés,  après  leur  mort,  dans  les  ténèbres  de  la  non-connais- 
sance de  Dieu.  A  la  base  de  ce  système,  se  trouve  le  principe  «  que  la 
philosophie  (platonicienne)  est  la  sœur  de  la  religion  chrétienne  ;  »  il 


AUGUSTIN  729 

n'a  manqué  à  Platon,  suivant  Augustin,  que  de  connaître  le  Christ, 
pour  se  déclarer  son  disciple.  —  En  39o,  Valérius,  craignant  que  le 
choix  de  quelque  Eglise  du  voisinage  en  quête  d'un  évêquenelui  enle- 
vât Augustin,  et  désirant  conférer  à  celui-ci  l'autorité  qu'il  était  digne 
d'exercer  dans  sa  communauté,  partagea  avec  lui  les  fonctions  et  le 
titre  d'évêque  d'Hippone.  A  la  mort  de  Valérius,  Augustin  resta  seul 
chef  de  cette  importante  Eglise  (396).  La  communauté  monastique  de 
Thagaste  avait  suivi  son  fondateur  à  Hippone,  où  quelques  membres 
s'étaient  adjoints  à  elle,  entre  autres  Possidius,le  futur  biographe  d'Au- 
gustin. Elle  futpour  la  Xumiclieunepépinièred'hommesd'Eglise;ilen  sor- 
tit une  dizained'évéques,  qui  ne  manquèrent  pasde  fonder  à  leurtour  dans 
leurs  diocèses  des  établissements  analogues.  C'est  parmi  les  membres  de 
cette  communauté  qu'Augustin,  devenu  évoque,  recruta  de  préférence 
son  clergé.  Il  introduisit  le  même  genre  de  vie  parmi  ses  presbytres  et 
ses  diacres,  disant  que  Dieu  et  son  Eglise  devaient  leur  suffire  ;  non 
qu'il  eût  contraint  personne  à  renoncer  contre  sa  volonté  à  toute  pro- 
priété personnelle  ;  mais  il  ne  conférait  de  fonctions  dans  son  diocèse 
qu'à  ceux  qui  s'engageaient  à  vivre  avec  leurs  collègues  et  avec  lui 
dans  une  entière  communauté  de  biens.  C'est  dans  cette  famille 
spirituelle  qu'il  venait  se  reposer  des  luttes  et  des  labeurs  de  son 
ministère.  Il  fonda  pareillement  plusieurs  monastères  de  femmes  ;  à  la 
tête  de  l'une  de  ces  maisons  se  trouvait  sa  sœur,  devenue  veuve.  La 
plus  grande  simplicité  régnait  dans  sa  demeure,  transformée  en  cou- 
vent. Pendant  les  repas,  qui  étaient  pris  en  commun,  l'un  des  ecclésias- 
tiques faisait  une  lecture  ou  bien  l'on  s'entretenait  de  sujets  religieux.  Le 
sexe  féminin  était  absolument  proscrit  de  la  maison  ;  Augustin  lui- 
même  ne  parlait  à  une  femme  qu'en  présence  d'un  ecclésiastique.  Sa 
charité  était  inépuisable.  Pour  soulager  les  misères  des  pauvres,  il 
n'hésitait  pas  à  devenir  «  un  mendiant  pour  les  mendiants  »,  et,  dans 
les  temps  difficiles,  à  faire  fondre  ses  vases  sacerdotaux,  à  l'exemple 
d'Ambroise.  Désormais  il  se  consacra  tout  entier  au  bien  spirituel  des 
fidèles.  La  prédication,  dans  laquelle  il  excellait,  devint  son  activité 
favorite.  Faire  vivre  les  fidèles  en  Christ,  et  y  vivre  avec  eux  :  tel  était 
le  but  de  son  ministère  pastoral.  La  spéculation  philosophique  fut 
reléguée  à  l' arrière-plan;  la  défense  des  intérêts  de  l'Eglise,  le  main- 
tien et  le  développement  de  sa  doctrine  en  face  de  l'hérésie,  tant 
ancienne  que  nouvelle,  devinrent  sa  constante  préoccupation.  Sa  pensée 
désormais  ne  flottera  plus  incertaine  entre  les  rêveries  platoniciennes 
et  les  doctrines  du  christianisme  ;  elle  se  mouvra  sur  le  terrain  positif 
de  la  dogmatique  ecclésiastique,  et  c'est  en  elle  que  la  tradition 
théologique  de  l'Occident  et  de  l'Afrique  en  particulier,  tempérée 
quelque  peu  dans  son  réalisme  par  quelques  restes  importants  de  la 
philosophie  de  Platon,  trouvera  sa  suprême  expression  et  revêtira  une 
forme  capable  de  devenir  h;  point  de  départ  d'un  mouvement  dogma- 
tique nouveau.  Augustin  travailla  avec  un  zèle  infatigable  au  rétablis- 
sement de  l'unité  extérieure  de  l'Eglise.  Pour  combattre;  L'hérésie,  il 
ne  négligea  aucun  des  moyens  que  lui  inspirait  sa  charité,  ou  que  le 
danger  de  l'Eglise  parut  justifier  à  ses  yeux.  Il  essaya  de  ramener  les 
i.  47 


7S0  AUGUSTIN 

dissidents  par  ses  prédications,  par  des  entretiens  privés,  par  des  col- 
loques publics,  par  la  réfutation  écrite  de  leur  doctrine,  et,  quand  tous 
ces  moyens  furent  inutiles,  il  n'hésita  pas  à  donner  son  assentiment 
aux  mesures  violentes  que  les  synodes  africains  demandèrent  à  l'em- 
pereur de  prendre  contre  eux,  et  plus  tard  à  les  réclamer  lui-même 
dans  ces  assemblées  où  sa  voix  était  prépondérante,  et  à  les  justifier 
théoriquement  dans  ses  écrits.  —  Il  continua  sa  polémique  contre  les 
manichéens.  A  Malliana,  petite  ville  près  d'Hippone,  il  destitua  le 
sous-diacre  Victorinus  qui  faisait  secrètement  partie  de  la  secte,  et  il 
le  fit  chasser  de  la  ville.  En  404,  il  eut  avec  un  manichéen  du  nom  de 
Félix  deux  discussions  publiques  à  Hippone,  à  l'issue  desquelles  Félix 
se  déclara  vaincu  et  abjura  l'hérésie.  Son  principal  ouvrage  de  con- 
troverse contre  eux  furent  les  Trente-trois  livres  contre  Faust,  écrits 
(vers  400)  en  réponse  à  un  traité  de  ce  dernier  dans  lequel  il  concluai 
au  rejet  de  l'Ancien  Testament,  et  n'accordait  au  Nouveau  qu'une 
valeur  relative,  comme  ayant  été  falsifié  par  l'esprit  charnel  des  pre- 
miers chrétiens.  En  395,  au  moment  de  son  entrée  dans  l'épiscopat, 
il  composa  contre  le  déterminisme  de  la  théologie  manichéenne  un 
livre  intitulé  Du  libre  Arbitre.  A  un  essai  de  conversion  tenté  sur  lui 
par  un  certain  Secundinus  qui  avait  lu  à  Rome  quelques-uns  de  ses 
traités  polémiques,  il  répondit  par  son  dernier  ouvrage  contre  les 
manichéens,  le  Livre  contre  Secundinus  (405).  Ces  ouvrages  firent 
perdre  à  la  secte  un  terrain  considérable  ;  l'hérésie  manichéenne  était 
définitivement  vaincue.  —  Les  ariens  n'avaient  jamais  été  nombreux 
en  Afrique  ;  au  commencement  du  cinquième  siècle  ils  avaient  presque 
entièrement  disparu.  Il  y  avait  cependant  à  Carthage  un  fonctionnaire 
impérial,  nommé  Pascentius,qui  était  arien.  Augustin  essaya  vainement 
de  le  convertir  par  des  entretiens  privés;  et  la  proposition  qu'il  lui  fit 
d'une  discussion  publique  fut  rejetée.  Plus  tard  un  arien  du  nom 
d'Elpidius  lui  envoya  un  traité  accompagné  d'une  lettre,  dans  laquelle 
il  essayait  de  le  convertir  à  son  hérésie.  Augustin  ne  répondit  pas. 
Mais  lorsqu'en  418  il  reçut  un  nouveau  traité  arien,  avec  prière  de  le 
réfuter,  il  écrivit  son  Livre  contre  le  discows  des  ariens.  Neuf  ans  plus 
tard,  lors  de  la  guerre  du  gouverneur  Boniface  contre  les  troupes 
impériales,  envoyées  pour  le  punir  de  sa  révolte,  l'évêque  arien  des 
Goths  qui  servaient  dans  l'armée  impériale,  Maximin,  fut  envoyé  à 
Hippone  pour  négocier  la  paix  avec  Boniface.  Augustin  profita  de  la 
présence  de  Maximin  à  Hippone  pour  essayer  de  réfuter  la  doctrine 
arienne  dans  une  discussion  publique  avec  celui-ci,  et  comme  la  dis- 
cussion n'eut  point  de  résultat,  il  la  fit  suivre  de  ses  Deux  livres  contre 
Maximin,  évêque  des.  ariens  (427).  Il  avait  exposé  ses  propres  idées  sur 
la  question  dans  ses  Quinze  livres  sur  la  Trinité  (400-416),  dans  les- 
quels il  donna  à  la  doctrine  de  la  Trinité  son  expression  complète  et 
définitive.  —  Dans  sa  lutte  contre  les  donatistes,  Augustin  a  été  le 
représentant  de  l'Eglise  d'Afrique  tout  entière.  Ce  parti,  qui  vivait 
séparé  de  l'Eglise  depuis  un  siècle  environ,  et  dont  les  représentants 
extrêmes,  les  circoncellions,  se  permettaient  les  plus  grandes  atrocités 
au  détriment  des  fidèles,  était  un  danger  manifeste  pour  l'Eglise,  dont 


AUGUSTIN  731 

il  ébranlait  L'autorité  dans  l'esprit  des  populations.  Augustin  essaya 
d'abord  de  ramener  ces  fanatiques  par  la  voie  de  la  persuasion.  Pré- 
dications, entretiens  privés,  eolloques  publies,  entre  autres  celui 
qu'il  eut  à  Tuburcinium  avec  l'évêque  donatiste  de  cette  ville, 
Fortunius,  tout  fut  inutile.  En  403,  le  synode  de  Cartilage  pro- 
posa d'instituer  une  conférence  générale  des  évèques  donatistes  et 
orthodoxes,  dans  le  but  de  rendre  la  paix  à  l'Eglise.  Les  donatistes 
repoussèrent  cette  proposition.  L'année  suivante,  il  fut  question  au 
synode  de  Cartilage  de  lois  pénales  à  demander  à  l'empereur  contre 
les  hérétiques.  Augustin  et  quelques  autres  membres  du  synode  se 
prononcèrent  contre  ce  projet.  11  fut  cependant  exécuté.  Sollicité  par 
la  fraction  des  évèques  africains  qui  voyait  le  salut  de  l'Eglise  dans 
la  répression  violente  de  l'hérésie,  Honorius  publia  en  405  des  édits 
très-sévères  contre  les  donatistes.  Dans  l'intervalle,  l'opinion  d'Au- 
gustin s'était  modifiée  :  non-seulement  il  ne  protesta  pas  contre  «l'édit 
d'union  »,  mais  il  le  justifia  même  théoriquement  dans  sa  Lettre  à 
Vincent,  l'un  des  évèques  opprimés.  Par  ordre  impérial,  un  colloque 
général  entre  les  évèques  des  deux  partis  eut  lieu  en  411  à  Cartilage, 
sous  la  présidence  d'un  commissaire  d'Honorius,  Flavius  Marcellinus, 
un  ami  d'Augustin.  Le  donatisme  fut  déclaré  vaincu,  et  poursuivi 
désormais  comme  crime  public.  Honorius  publia  contre  lui  des  édits 
de  plus  en  plus  rigoureux,  qui  amenèrent  peu  à  peu  la  ruine  de  l'hé- 
résie. Augustin,  une  fois  entré  dans  la  voie  des  violences,  ne  s'arrêta 
plus.  Il  alla  jusqu'à  se  permettre  à  plusieurs  reprises  de  stimuler  le 
.zèle  des  gouverneurs,  quand  la  persécution  se  relâchait.  Un  côté  plus 
noble  de  sa  lutte  contre  les  donatistes  fut  la  réfutation  théorique  de 
leur  doctrine,  à  laquelle  il  consacra  un  grand  nombre  d'écrits,  depuis 
le  Psaume  des  donatistes  (393)  jusqu'à  son  ouvrage  Contre  les  lettres  de 
Gaudentius  (420).  Citons,  entre  autres,  les  Sept  livres  sur  le  Baptême 
(406),  et  le  traité  De  l'unité  de  l'Eglise  (411).  — Plus  importante  encore 
fut  la  lutte  d'Augustin  contre  les  pélagiens,  lutte  qui  eut  pour  théâtre, 
non  pas  une  seule  province  de  l'empire,  mais  le  inonde  chrétien  tout 
entier.  Augustin  n'avait  pas  assisté  au  synode  de  Carthage,  qui  avait 
excommunié  Cœlestius  (411),  mais  il  avait  approuvé  pleinement  cette 
sentence.  En  416,  lorsque  Paul  Orose  apporta  d'Orient  la  nouvelle 
que  des  deux  synodes  de  Jérusalem  et  de  Lydda,  le  premier  avait 
laissé  à  l'évêque  de  Rome  Innocent  le  soin  de  juger  de  l'orthodoxie 
de  Pelage,  et  que  le  second  avait  prononcé  son  acquittement,  les  synodes 
de  Carthage  et  de  Milevis  renouvelèrent,  sous  l'influence  d'Augustin, 
la  condamnation  de  la  doctrine  pélagienne,  et  l'évêque  Innocent,  auquel 
ils  liront  part  de  leur  décision,  confirma  cette  condamnation.  Zosime, 
son  successeur,  essaya  de  revenir  sur  cette  sentence;  niais  la  fermeté 
avec  laquelle  le  synode  de  Carthage  de  l'an  417  maintint  debout  la 
décision  d'Innocent,  lui  lit  suspendre  son  jugement  jusqu'après  nouvel 
examen.  En  US  le  synode  de  Carthage;.  composé  de  plus  de  deux  cents 
évèques,  reconnut  l'augustinisme  comme  la  doctrine  de  l'Eglise 
d'Afrique,  et  obtint  d'Honorius  la  promulgation  dédits  de  persécution 
contre  les  pélagiens.  Cette  attitude  de  L'empereur  décida  Zosime  non- 


732  AUGUSTIN 

seulement  à  condamner  la  doctrine  de  Pelage,  mais  encore  à  envoyer 
à  tous  les  évèques  d'Orient  et  d'Occident  une  circulaire  dans  laquelle 
il  les  invitait  à  adhérer  à  cette  sentence  sous  peine  de  déposition  et 
d'exil.  Dix-huit  évoques  italiens,  parmi  eux  le  représentant  le  plus 
systématique  du  pélagianisme,  Julien  d'Eclanum,  furent  bannis. 
De  nouvelles  lois  impériales,  publiées  en  419  et  en  421,  achevèrent  la 
ruine  du  pélagianisme.  L'àme  de  tout  ce  mouvement  théologique  et 
ecclésiastique  fut  Augustin.  Pour  combattre  l'hérésie  pélagienne,  il  a 
produit  toute  une  littérature.  Parmi  ses  écrits  les  plus  marquants  dans 
cette  controverse,  nous  trouvons  :  son  premier  ouvrage  sur  le  pélagia- 
nisme, intitulé  De  la  culpabilité  et  du  pardon  des  péchés  (421)  ;  ses  traités 
De  la  nature  et  de  la  grâce  (415),  Du  péché  originel  (418),  les  Cinq  livres 
contre  Julien  (421),  et  le  remarquable  ouvrage  Contre  Julien,  commencé 
en  428  et  resté  inachevé.  Aux  moines  d'Adrumète,  que  sa  doctrine  de 
la  prédestination  avait  choqués,  Augustin  écrivit,  pour  lever  leurs  scru- 
pules, les  deux  traités  De  la  grâce  et  du  libre  arbitre  et  De  la  réprimande 
et  de  la  grâce  (427).  Enfin,  pour  gagner  complètement  à  sa  doctrine  les 
moines  semipélagiens  de  Marseille,  il  leur  envoya  en  429  deux  ouvrages 
intitulés  :  De  V élection  des  saints  et  Du  don  de  persévérance  (voy.  les 
articles  Donatis?ne,  Pélagianisme,  Semipélagianismé) . —  Le  même  synode 
de  Carthage  de  Tan  418,  qui  soutint  si  énergiquement  raugustinisme 
contre  les  tendances  pélagiennes  de  Zosime,  rendit  dans  l'affaire  du 
presbytre  Apiarius  de  Sicca,  que  son  évêque  avait  excommunié,  et  qui 
en  avait  appelé  à  Rome  de  ce  jugement,  une  sentence  qui  montre  bien 
avec  quel  soin  jaloux  l'Eglise  d'Afrique  tenait  à  conserver  son  autono- 
mie vis-à-vis  de  Rome  :  tout  ecclésiastique  qui  en  appellerait  «  au  delà 
des  mers  »  d'une  sentence  prononcée  contre  lui  par  son  évêque  devait 
être  excommunié.  Augustin,  en  présence  et  sous  l'influence  de  qui  fu- 
rent rédigés  les  canons  restés  célèbres  de  ce  synode,  doit  être  certaine- 
ment considéré  comme  l'un  des  représentants  les  plus  distingués  de  cet 
esprit  d'indépendance  qui  a  animé  son  Eglise  en  face  de  l'ambition 
naissante  des  évoques  romains. —  Outre  ses  nombreux  traités  de  contro- 
verse, Augustin  écrivit  un  certain  nombre  d'ouvrages  exégétiques,  tels 
qu'une  Harmonie  des  Evangiles  (400),  une  explication  de  l'Epître  aux 
Romains  (391),  de  la  Genèse  (401-415),  de  l'Evangile  de  Jean  (416),  etc. 
Il  exposa  sa  doctrine  sous  une  forme  systématique  dans  son  Manuel  à 
Laurentius  (421),  et  il  l'appropria  à  l'enseignement  de  la  jeunesse  dans 
sa  Manière  de  catéchiser  les  ignorants  (vers  400).  Dans  son  traité  De  la 
Doctrine  chrétienne  (397-426),  il  développa  les  principes  de  l'interpréta- 
tion de  l'Ecriture  et  de  l'homilétique  pastorale.  En  outre  il  composa  le 
chef-d'œuvre  de  l'apologétique  ancienne,  les  vingt-deux  livres  delatïté 
de  Dieu  (413-426).  Enfin,  il  reste  de  lui  environ  400  sermons  et  270  let- 
tres. Le  souvenir  des  modifications  successives  que  sa  pensée  avait  su- 
bies depuis  le  commencement  de  son  activité  littéraire,  le  décida  vers  la 
fin  de  sa  vie  à  passer  en  revue  dans  ses  Rétractations  (427)  la  longue 
série  de  ses  ouvrages  pour  corriger  les  erreurs  dans  lesquelles  il  avait 
pu  tomber,  et  écarter  les  contradictions  qui  pouvaient  exister  entre  des 
œuvres  appartenant  à  des  époques  différentes  de  son  développement.  Il 


AUGUSTIN.  733 

y  énumère,  dans  l'ordre  chronologique,  93  ouvrages  divisés  en  232  li- 
vres; un  certain  nombre  d'entre  eux  n'existent  plus;  d'autres,  posté- 
rieurs à  l'année  i27,  ne  figurent  pas  dans  ce  catalogue. 

III.  Le  système  théologique  d'Augustin,  pendant  la  première  période 
de  sa  vie.  sVst  formé  surtout  sous  l'influence  de  deux  facteurs  :  l'ex- 
périence  personnelle  de  l'action  de  Dieu  dans  la  vie  de  l'homme  et  la 
lutte  contre1  les  ténèbres.  Tout  entier  à  la  spéculation  mystique  et  à  l'as- 
eéiisme  monacal,  Augustin  n'avait  pas  songé  jusqu'alors  à  traduire  en 
dogmes  les  données  de  son  expérience  religieuse;  l'entrée  dans  la  vie 
pratique  lit  lever  les  germes  qui  sommeillaient  dans  son  âme.:  «  Je  suis 
devenu  plus  sage  dans  les  premiers  temps  de  mon  épiscopat,  alors  que 
j'ai  compris  et  enseigné  que  le  commencement  de  la  foi  est  un  don  de 
Dieu.  »  D'un  autre  côté,  la  controverse  si  variée  qu'il  a  eu  à  soutenir  a 
été  un  puissant  stimulant  pour  son  esprit  éminemment  dialectique. 
Contre  les  manichéens,  il  a  continué  à  soutenir  les  théories  platoni- 
ciennes sur  Dieu  et  le  mal  ;  aux  ariens,  il  a  opposé  la  doctrine  de  Nicée, 
à  laquelle  il  a  donné  son  couronnement  spéculatif;  il  a  combattu  les 
pélagiens  par  sa  conception  du  péché  originel  et  de  la  prédestination, 
et  les  donatistes  par  sa  notion  de  l'Eglise  visible.  Quelques  éléments 
disparates  que  la  réfutation  d'hérésies  aussi  opposées  ait  nécessaire- 
ment introduits  dans  sa  pensée,  ii  faut  néanmoins  reconnaître  que  son 
enseignement  a  enrichi  la  théologie  ecclésiastique  dans  tous  les  do- 
maines auxquels  il  a  touché.  Son  originalité  et  sa  profondeur  se  révè- 
lent surtout  dans  l'anthropologie  et  la  sotériologie  qui,  pour  cette  rai- 
son, ont  reçu  plus  spécialement  le  nom  d'augustinùme.  Résoudre  les 
problèmes  de  la  morale  chrétienne  semble  avoir  été  à  cette  époque  la 
tâche  particulière  de  l'Eglise  d'Occident,  comme  celle  de  l'Eglise 
d'Orient  avait  été  de  résoudre  ceux  de  la  théologie  métaphysique. 
Voici  les  traits  principaux  de  ce  système  :  Dieu  est  l'essence  suprême, 
l'être  en  soi.  Toute  détermination  positive  de  Dieu  détruirait  son  ab- 
solùité;  mi  peut  dire  de  Dieu  ce  qu'il  n'est  pas,  et  non  ce  qu'il  est. 
La  substance  de  Dieu  est  la  sainteté.  Par  cela  même  il  se  trouve 
placé  dans  un  double  rapport  vis-à-vis  du  pécheur.  D'un  côté  sa  jus- 
tice lui  commande  de  punir  le  péché,  son  antithèse;  de  l'autre,  son 
amour  ne  lui  permet  pas  de  laisser  sans  pardon,  le  pécheur,  sa 
créature.  La  justice  et  la  grâce  sont  les  deux  éléments  constitutifs  de 
la  sainteté  (dualisme  moral  qu'aucune  idée  intermédiaire  ne  con- 
cilie et  d'où  provient  la  dureté  de  la  doctrine  de  la  prédestination, 
Baur).  Dieu  est  non-seulement  substance  absolue,  mais  encore  sujet 
absolu,  il  se  connaît  lui-même;  or  «  tout  objet  qui  est  connu  est  limité 
par  la  compréhension  du  sujet  qui  le  connaît.  L'infini  tout  entier  est 
donc  lui-même  fini  d'une  manière  ineffable,  car  il  n'est  pas  incompré- 
hensibleàsa  proprescience.  »  Dieu  n'est  donc  passeulement  l'infini,  mais 
encore  l'unité  de  l'infini  et  du  fini.  Si,  en  eilet,  le  fini  n'était  pas  une 
propriété  inhérente  à  l'être  infini  de  Dieu,  par  suite  de  l'opposition  de 
sujet  et  d'objet  que  fait  naître  dans  l'être  infini  la  connaissance  qu'il  a 
de  lui-même,  l'être  infini  n'eût  pas  pu  devenir  le  principe  de  l'univers 
tel  qu'il  es!  constitué.  Les  différentes  relations  dans  lesquelles  l'e 


734  AUGUSTIN 

absolu  entre  avec  lui-même  en  se  pensant  sont  exprimées,  suivant  Au- 
gustin, dans  la  théologie  ecclésiastique  sous  le  nom  des  personnes  di- 
vines :  conception  originale  et  hardie  de  la  Trinité,  qui  devait  exercer 
une  grande  influence  sur  la  forme  de  ce  dogme  au  moyen  âge,  et  jus- 
que dans  les  temps  modernes.  La  mémoire,  l'intelligence  et  la  volonté 
ou  l'amour  sont  les  moments  particuliers  du  procès  de  la  pensée  di- 
vine. La  mémoire,  le  moment  du  Père,  est  la  pensée  réfléchie  sur  elle- 
même  pour  entrevoir  sa  propre  essence;  l'intelligence,  le  moment  du 
Fils,  est  la  pensée  objectivée  à  elle-même  par  l'acte  de  l'esprit  qui  (su- 
jet) s'est  perçu  lui-même  (objet)  comme  être  pensant,  ou  la  pensée  deve- 
nue parole  ;  la  volonté  ou  l'amour,  le  moment  du  Saint-Esprit,  est  la 
conscience  du  sujet  d'être  un  avec  l'objet,  ou  la  conscience  de  l'esprit 
d'être  identique  à  lui-même  :  le  sujet  prend  plaisir  à  l'existence  de 
l'objet;  il  l'aime,  car  il  se  retrouve  en  lui,  et  réciproquement.  Ces  trois 
termes  sont  inséparables  ;  chacun  d'eux  renferme  les  deux  autres.  De 
cette  manière,  la  subordination  est  absolument  bannie  de  la  Trinité. 
L'Esprit  procède  du  Père  et  du  Fils,  car  il  est  indistinctement  appelé 
Esprit  du  Père  et  Esprit  du  Fils.  S'il  procédait  du  Père  seul,  il  en  ré- 
sulterait entre  le  Père  et  le  Fils  une  différence  incompatible  avec  la  no- 
tion de  leur  consubstantialité.  Cependant,  c'est  dans  le  Père  que  réside 
le  principe  premier  de  la  procession  de  l'Esprit,  car  si  le  Fils  pos- 
sède le  pouvoir  de  faire  procéder  de  lui  le  Saint-Esprit,  c'est  du  Père 
qu'il  l'a  reçu  avec  le  don  de  la  divinité.  Ainsi  est  achevée,  quant  à 
l'égalité  du  Fils  et  du  Père,  l'œuvre  d'Athanase  et  des  grands  conciles 
du  quatrième  siècle  ;  seulement,  n'est-ce  pas  au  détriment  du  Saint- 
Esprit,  que  l'Eglise  d'Orient  faisait  procéder  du  Père  seul,  pour  le  pla- 
cer sur  la  même  ligne  que  le  Fils?  La  création  est  l'œuvre  de  la  Tri- 
nité entière;  elle  est  une  activité  inhérente  à  l'être  même  de  Dieu.  Le 
monde  cependant  n'est  pas  éternel,  sans  quoi  il  serait,  non  pas  créé, 
mais  engendré  comme  le  Fils.  Par  contre,  Dieu  n'a  pu  le  créer  par 
caprice  à  un  moment  quelconque  du  temps  et  à  un  point  quelconque 
de  l'espace,  car  le  créateur  et  la  créature  ne  peuvent  se  concevoir  l'un 
sans  l'autre,  et  d'ailleurs  le  temps  et  l'espace  n'existent  que  s'il  existe 
des  êtres  capables  de  se  modifier  et  de  se  mouvoir,  c'est-à-dire  des 
créatures.  Le  monde  n'a  donc  pas  été  créé  dans  le  temps  et  l'espace, 
mais  avec  le  temps  et  l'espace;  sans  être  éternel  et  absolu,  il  est  sans 
commencement  et  sans  limites;  l'éternité  s'est  relevée  en  lui  sous  la 
forme  du  temps  infini.  De  même,  il  est  fini  en  tant  qu'il  tire  son  ori- 
gine du  néant,  et  il  est  infini  entant  qu'il  est  la  manifestation  des  types 
éternels  qui  existent  dans  l'intelligence  divine.  Non  que  le  néant  du- 
quel il  est  créé  soit  le  non-être  absolu,  l'ennemi  irréconciliable  de 
l'existence  ;  c'est  le  non-être  relatif,  qui  existe  aussi  en  Dieu,  et  qui  est 
susceptible  de  s'unir  à  l'être  pour  former  l'être  relatif  et  fini.  Dire  que 
le  monde  a  été  créé  du  néant  par  l'intermédiaire  du  Fils,  c'est  dire 
qu'il  est  la  réalisation  des  idées  divines  sous  une  forme  relative.  — 
L'homme  a  été  créé  par  Dieu  dans  un  état  remarquable  de  perfec- 
tion intellectuelle  et  morale.  Son  âme,  sortie  des  mams  de  Dieu,  pos- 
sédait l'image  divine  ou  «  l'intelligence  raisonnable  »  par  laquelle  il 


AUGUSTIN  735 

dominait  sur  le  reste  de  la  création.  Adam  a  eu  en  partage  «la  science 
la  plus  parfaite  »  ;  les  plus  intelligents  des  hommes  d'aujourd'hui  sont 
à  côté  de  lui  ce  que  les  tortues  sont  à  côté  d'oiseaux.  Sa  volonté  était 
parfaitement  libre;  il  observait  la  loi  de  Dieu  avec  «  les  forces  spirituelles 
les  plus  grandes  et  les  plus  intactes».  Créé  dans  la  «justice»  et  dans  la 
«  sainteté  de  la  vérité,»,  il  n'avait  pas  seulement  la  possibilité  de  la 
bonne  volonté,  mais  la  bonne  volonté  elle-même.  Sa  raison  régnait  sur 
la  sensualité.  Il  avait  la  «  possibilité  de  ne  pas  pécher  »,  et  la  persévé- 
rance dans  le  bien  devait  changer  cet  état  en  «l'impossibilité  de  pécher». 
Son  corps  était  constitué  dans  «l'immortalité  mineure»,  le  pouvoir  de 
ne  pas  mourir,  qui  devait  devenir  «  l'immortalité  majeure,  »  l'impos- 
sibilité de  mourir.  Adam,  en  désobéissant  à  Dieu  librement  par  or- 
gueil, a  perdu  sa  perfection  première;  sa  liberté  s'est  changée  en  une 
«  impossibilité  de  ne  pas  pécher  »  ;  la  sensualité  a  obtenu  la  prédomi- 
nance sur  sa  raison  ;  la  mort  physique  est  survenue.  Il  ne  lui  est  resté 
que  la  «justice  civile»,  et  la  possibilité  d'être  sauvé  un  jour,  parce  que 
l'image  de  Dieu  n'a  pas  été  anéantie  en  lui,  mais  seulement  corrompue, 
La  concupiscence  ou  l'attrait  sexuel,  qui  dans  la  nature  primitive  de 
l'homme  n'était  pas  un  mal,  est  devenue  le  mal  central  delà  nature 
humaine,  depuis  qu'elle  a  usurpé  l'empire  sur  la  raison.  Dans  cet  état 
la  nature  humaine  est  transmise  par  la  génération,  qui  est  un  acte  impur, 
(réminiscence  manichéenne),  car  elle  est  le  siège  delà  concupiscence. 
Le  mal  héréditaire  devient  ainsi   mal  originel;  bien  plus  il  devient 
péché  originel,  car  le  genre  humain  tout  entier,  ayant  été  contenu 
«dans  les  lombes  d'Adam»  d'après  Rom.  V,  12  (in  quo  omnes  peccave- 
runt,  d'après  la  version  latine),  a  péché  directement  en  Adam,  et  le 
péché  du  premier  homme  est  personnellement  imputable  à  tous  les 
descendants  d'Adam.  La  concupiscence,  châtiment  du  premier  péché, 
est  considérée  à  son  tour  par  Dieu  comme  péché  ;  elle  est  la  mère  du 
péché,  car  c'est  par  elle  que  les  pécheurs  engendrent  dans  le  péché  de 
nouveaux  pécheurs.  Le  péché  originel  se  transmet  par  le  corps.  Quant 
à  la  question  de  son  extension  à  l'âme,  Augustin  incline  tantôt  vers  le 
traducianisme,  attiré  par  la  facile  solution  qu'il  y  trouverait  pour  ce 
problème,  tantôt  pour  le  créatianisme,  effrayé  des  conséquences  qu'au- 
rait la  doctrine  précédente  pour  la  nature  de  l'âme:  en  dernière  ana- 
lyse, il  avoue  son  ignorance  sur  ce  point  devant  le  silence  des  Ecritu- 
res, et  il  se  contente  de  constater  dans  l'âme  la  présence  du  péché  ori- 
ginel à  propos  du  plaisir  qu'elle  éprouve  lors  de  la  génération.  L'usage 
ecclésiastique  du  baptême  des  enfants  est  pour  lui  la  preuve  de  l'exis- 
tence en  eux  du  péché  originel  :  de  quoi  purifierait-on  sans  cela  ceux 
qui  n'ont  pas  encore  commis  de  péchés?  Dans  son  esclavage,  l'âme  ne 
peut  plus  vouloir  que  ce  que  la  chair  lui  suggère;  toute  sa  «liberté» 
désormais  consiste  à  faire  volontairement  le  mal;  c'est  dans  ce  sens 
qu'il  est  encore  question  chez  elle  de  «liberté»,  car  elle  est  restée  le 
sujet  responsable  des  péchés  qu'elle  commet.  Ailleurs  Augustin  ensei- 
gne qu'elle  est  libre  du  bien,  c'est-à-dire  privée  de  la  possibilité  de  le 
luire  Le  salut  de  l'homme  est  donc  l'œuvre  de  Dieu  seul.  —  Dieu  nous 
sauve  par  sa  grâce,  qui  nous  pend  la  volonté  et  In  possibilité  de  faire  le 


736  AUGUSTIN 

bien  en  nous  inspirant  l'amour  de  Dieu  et  le  principe  de  cet  amour,  la 
foi.  La  possibilité  historique  de  notre  salut  est  la  victoire  remportée 
sur  le  diable,  au  moyen  du  libre  arbitre,  par  Jésus-Christ,  né  sans  le 
péché  originel,  puisqu'il  a  été  conçu  par  la  Vierge  sans  concupiscence. 
La  vie  du  Seigneur  a  été  pour  nous  une  «école  de  moralité»  ;  sa  mort 
a  été  la  rançon  de  notre  délivrance  d'entre  les  mains  du  diable,  à  qui 
un  décret  de  la  toute-puissance  divine  n'aurait  pu  nous  arracher,  puis- 
que le  péché  originel  lui  avait  conféré  un  droit  de  possession  sur  nous. 
La  foi  est  l'assimilation  subjective  de  l'œuvre  rédemptrice  et  sanctifiante 
du  Seigneur.  La  justification  par  la  foi  ne  consiste  pas  seulement  dans 
la  rémission  de  nos  péchés,  mais  encore  dans  le  don  de  l'amour  de 
Dieu  qui  nous  rend  capables  d'accomplir  la  justice.  «Dieu  justifie  l'im- 
pie, c'est-à-dire  il  le  rend  juste.  »  La  grâce,  qui  opère  la  foi,  est  une 
«infusion  de  l'amour  de  Dieu  dans  les  cœurs.»  Pour  justifier,  la  foi 
doit  se  manifester  par  les  œuvres  de  l'amour,  appelées  pour  cette  raison 
«mérites»,  quoiqu'elles  soient  des  «dons de  Dieu  »,  comme  provenant 
de  la  grâce.  L'accès  n'est  donc  pas  entièrement  fermé  à  la  doctrine 
des  œuvres  pies.  La  foi  est  dans  l'homme  le  commencement  d'une  vie 
nouvelle.  Tout  ce  qui  ne  provient  pas  de  la  foi  est  péché.  Avant  le 
christianisme  il  n'y  a  eu  de  vraie  piété  que  sous  l'influence  anticipée 
du  principe  chrétien.  Les  vertus  des  païens  n'ont  été  que  des  apparences 
de  vertu.  Par  contre,  les  fidèles  de  l'ancienne  alliance  ressusciteront  avec 
le  Christ,  parce  qu'ils  sont  devenus  membres  de  son  corps  par  la  foi  en 
sa  venue  future.  La  grâce  n'attend  pas  la  bonne  volonté  de  l'homme 
pour  agir;  elle  est  «prévenante»,  car  elle  produit  cette  volonté.  Quand 
elle  est  produite,  la  volonté  a  besoin  d'être  soutenue  dans  ses  résolu- 
tions par  la  «grâce  coopérante»,  et  aidée  par  la  «  grâce  subséquente» 
à  terminer  une  œuvre  qu'elle  aura  pu  commencer.  La  grâce  agit  d'une 
manière  «irrésistible  et  invincible»  ;  aucune  dureté  de  cœur  ne  l'arrête, 
car  c'est  précisément  pour  changer  les  cœurs  de  ;  pierre  en  cœurs  de 
chair  qu'elle  est  donnée.  L'action  de  la  grâce  n'est  pas  universelle 
comme  celle  du  péché  originel  ;  elle  est  restreinte  par  la  prédestina- 
tion divine  à  un  certain  nombre  de  chrétiens,  que  Dieu  a  choisis  avant 
la  création  du  monde,  en  vertu  d'un  «  décret  libre  et  absolu»,  afin  de 
manifester  en  eux  son  amour,  de  même  qu'il  manifeste  sa  justice  par 
le  châtiment  des  réprouvés.  La  foi  des  fidèles,  loin  d'être  le  motif  de 
leur  prédestination  en  vertu  de  la  prescience  de  Dieu  (comme  Augustin 
l'avait  cru  avant  395),  n'en  est  que  le  résultat.  Le  nombre  de  ceux  que 
Dieu  arrache  ainsi  à  la  «masse  de  perdition»,  est  égal  à  celui  des  anges 
déchus  dont  ils  prendront  la  place  dans  la  cité  céleste.  Ils  ne  peuvent 
point  périr,  car  ils  ont  reçu  le  «don  de  la  persévérance  » .  Les  chrétiens 
qui  n'ont  pas  reçu  ce  don  peuvent  présenter  pendant  quelque  temps  le 
spectacle  d'une  vie  sainte;  ils  ne  tardent  pas  à  déchoir  et  meurent  dans 
l'infidélité.  Dieu  les  a  mêlés  aux  élus  pour  effrayer  ceux-ci  et  les  préser- 
ver de  toute  fausse  sécurité.  En  ne  sauvant  que  certains  hommes,  Dieu 
n'est  pas  injuste,  car  il  ne  fait  qu'abandonner  les  autres  au  juste  châtiment 
qu'ils  ont  mérité  par  leur  péché.  Augustin  ne  se  sert  généralement  du 
mot  prédestination  qu'à  propos  des  élus  ;  en  quelques  passages  cependant 


AUGUSTIN  787 

il  dit  (|uc  les  réprouvés  sont  «prédestinés à  la  damnation,  au  châtiment, 
à  la  mort  éternelle  » ,  jamais  :  au  péché.  Cette  doctrine  ne  rend  pas  inutiles 
renseignement  et  les  réprimandes  de  l'Eglise,  car  c'est  par  des  instru- 
ments humains  que  la  grâce  agit;  elle  ne  supprime  pas  les  efforts  indi- 
viduels: c'est  en  les  voyant  couronnés  de  succès  que  nous  apprendrons 
que  nous  sommes  élus.  Augustin  recommande  de  ne  toucher  à  ce  point 
dans  la  prédication  qu'avec  la  plus  grande  prudence,  de  peur  d'engen- 
drer chez  l'homme  l'inertie  morale;  nous  devons,  selon  lui, aimer  tous 
nos  frères,  et  vouloir  que  tous  soient  sauvés. —  L'Eglise  est  le  corps  de 
Christ  ;  mais  tout  ce  qui  se  trouve  en  elle  n'appartient  pas  à  la  vraie  Eglise, 
de  même  que  des  humeurs  malignes  ne  font  pointpartie  du  corps  dans 
lequel  elles  séjournent.  Il  faut  distinguer  entre  le  «  vrai  corps  de  Christ 
et  le  corps  apparent  ;  bien  des  gens  vivent  avec  l'Eglise  dans  la  commu- 
nion des  sacrements,  qui  ne  vivent  pas  dans  l'Eglise.»  Ce  qui  constitue 
le  droit  de  cité  dans  l'Eglise  est  ici  évidemment  la  prédestination.  La 
polémique  contre  les  donatistes  modifia  cette  conception  si  spiritua- 
liste.  Pour  maintenir  la  catholicité  de  l'Eglise,  Augustin  en  atténua 
autant  que  possible  l'imperfection,  au  moyen  de  l'idée  platonicienne  du 
mal.  La  présence  des  méchants  dans  l'Eglise  n'estqu'un  accident  qui  ne 
modifie  pas  la  substance  de  l'Eglise.  L'Eglise  visible  est  donc  la  vraie 
Eglise,  car  «  celle-ci  ne  peut  être  que  celle  qui  est  répandue  sur  toute  la 
terre,  qui  remonte  aux  apôtres  par  la  succession  non  interrompue  des 
évèques.  »  La  substance  de  l'Eglise  terrestre  (Matth.  XIII,  38:1e  champ, 
c'est  l'Eglise;  pour  les  donatistes,  c'est  le  monde)  est  la  même  que 
celle  de  l'Eglise  céleste,  délivrée  de  cet  accident  :  la  différence  entre 
les  deux  Eglises  ne  réside  que  dans  la  manière  d'être.  L'Eglise  a  le 
droit  de  contraindre  les  hérétiques  à  rentrer  dans  son  sein,  car  le  Sei- 
gneur lui-même  a  dit  :  «  Contraignez-les  d'entrer  »  (Cogite  intrare, 
Luc  XIV,  23)  ;  Paul  a  été  frappé  de  cécité  pour  être  amené  à  la  foi  et  il 
a  lui-même  livré  un  homme  à  Satan  pour  le  salut  de  son  âme.  Tout 
dépend  de  l'intention  dans  laquelle  le  châtiment  est  inlligé.  L'Eglise  a 
même  le  droit  de  réclamer  dansée  but  l'intervention  impériale,  et  l'em- 
pereur a  reçu  de  Dieu  le  glaive  pour  punir  les  crimes,  dont  le  plus 
grave  est  assurément  le  meurtre  des  âmes  par  l'hérésie.  —  La  majesté 
de  l'Eglise  et  de  sa  tradition  avait  exercé  à  Milan  une  grande  iniluence 
sur  l'esprit  d'Augustin,  en  même  temps  qu'il  se  sentait  attiré  par  ren- 
seignement de  l'Ecriture.  Aussi  trouvons-nous  chez  lui  le  principe  ca- 
tholique et  le  principe  protestant  exprimés  avec  une  force  égale  : 
«  Je  ne  croirais  pas  à  l'Evangile  si  l'autorité  de  L'Eglise  ne  m'y  pous- 
sait, »  et  de  l'autre  enté  :  «  La  foi  est  ébranlée  dès  (pie  l'autorité  des 
Ecritures  vacille.  )>  Il  vante  «  l'humilité  et  la  profondeur  »  des  Ecri- 
tures; pour  les  interpréter,  il  faut  d'abord  les  aimer,  c'est-à-dire  aimer 
Dieu  en  elles  ;  dans  ce  «as.  une  erreur  d'exégèse  n'est  pas  un  mensonge 
pernicieux,  car  L'interprétation,  quoiqu'inexacte,  ne  dévie  pas  de  La 
«  règle  de  charité  i  générale.  L'exégèse  devra  taire  ressortir  les  quatre 
points  suivants  :  L'enseignement  dogmatique,  Le  fait  historique,  La  pro- 
phétie, Le  précepte  moral.  Tout  en  maintenant  rigoureusement  Le  sens 
historique  des  textes,  il  donne  une  large  place  à  L'interprétation  allégo- 


738  AUGUSTIN 

rique,  d'après  la  parole  du  Seigneur  :  «Frappez,  et  Ton  vous  ouvrira  ». 
Son  originalité  consiste  précisément  dans  F  union  intime  des  deux  mé- 
thodes. L'inspiration  absolue  des  auteurs  sacrés  exclut  toute  erreur  de 
leur  part;  elle  n'a  cependant  pas  anéanti  leur  individualité.  Tout  en 
étant  la  main  que  dirigeait  Christ,  la  tête,  chacun  d'eux  a  écrit  plus  ou 
moins  longuement  «  selon  ses  souvenirs  et  ses  dispositions  particu- 
lières »;  la  «  coopération  de  leur  travail  personnel  n'a  pas  été  inutile  ». 
D'accord  avec  la  décision  du  synode  de  Garthage  de  l'an  397,  Augustin 
rangeait  les  apocryphes  de  l'Ancien  Testament  au  nombre  des  livres 
canoniques.  Les  miracles  bibliques  ne  le  choquaient  pas  ;  «  ils  dépassent 
non  la  nature  elle-même,  mais  la  connaissance  que  nous  en  avons  ».  Il 
admettait  la  continuité  du  don  des  miracles  dans  l'Eglise,  mais  vou- 
lait que  les  fidèles  ne  fussent  tenus  de  croire  que  ceux  dont  ils  auraient 
été  témoins.  —  Les  moyens  d'action  de  la  grâce  sont,  outre  l'Ecriture, 
les  sacrements,  dans  lesquels  il  convient  de  distinguer  les  vérités  internes 
des  signes  extérieurs  destinés  à  les  exprimer,  et  présentant  pour  cette 
raison  une  certaine  analogie  avec  ces  vérités.  Les  sacrements  de  F  An- 
cien-Testament ont  promis  le  Sauveur;  ceux  du  Nouveau-Testament  le 
donnent  :  la  différence  entre  eux  réside,  non  dans  F  idée,  mais  dans  le 
signe  ;  non  dans  la  substance,  mais  dans  l'accident  susceptible  de  chan- 
gement. Quoique  nécessaires  pour  affirmer  l'unité  et  le  principe 
de  l'Eglise,  ils  ne  sont  pas  indispensables  :  ce  serait  une  «  servitude 
charnelle  »  que  de  prétendre  que  la  sanctification  est  impossible  sans 
eux.  Le  baptême  et  la  cène  sont  les  «  sacrements  constitutifs  de  l'E- 
glise ».  Le  baptême  enlève  la  «  culpabilité  »,  non  «  l'actualité  »  du 
péché  originel  ;  il  efface  les  péchés  commis  depuis  la  naissance  et  con- 
tient virtuellement  la  rémission  des  péchés  ultérieurs.  Les  enfants  non 
baptisés  sont  damnés,  les  païens  vertueux  de  même  ;  seulement,  leur 
damnation  est  plus  légère.  La  condition  de  l'efficacité  du  baptême 
est  la  foi.  Pour  les  enfants,  Augustin  admet  soit  une  «  infusion  oc- 
culte de  la  grâce  en  eux  »,  si  bien  que  certains  éléments  de  la  foi  se 
trouveraient  déjà  dans  les  enfants,  soit  une  substitution  de  la  foi  de 
l'Eglise  entière,  représentée  par  les  parents,  à  la  foi  que  l'enfant  n'a 
pas.  Après  la  réponse  affirmative  des  parents,  l'enfant  reçoit  avec  fruit 
le  sacrement,  auquel  il  «  n'oppose  pas  le  verrou  d'une  pensée  con- 
traire ».  Dans  la  cène,  le  pain  et  le  vin  sont  des  «  ligures  du  corps  et 
du  sang  de  Christ  ».  Augustin  appelait  «  un  crime  et  une  honte  » 
l'idée  (exprimée  par  les  Juifs,  Jean  Yi,  52)  d'une  manducation  char- 
nelle de  son  corps.  C'est  avec  le  corps  spirituel  de  Christ  que  le  fidèle 
entre  en  communion  dans  la  cène.  Les  croyants  le  mangent  «  inté- 
rieurement »,  les  incrédules  «  extérieurement  »,  c'est-à-dire  le  simple 
signe.  Augustin  donne  encore  le  nom  de  sacrements  à  l'exorcisme  et  à 
l'imposition  des  mains  qui  accompagnaient  le  baptême,  au  mariage  et 
à  l'ordination,  à  laquelle  il  attribue  déjà  un  caractère  aussi  indélébile 
qu'au  baptême.  —  Il  admet  la  possibilité  d'un  purgatoire,  ou  d'une 
purification  par  le  feu,  «  dans  une  demeure  cachée  »,de  certaines  âmes 
qui  n'ont  mérité  complètement  ni  la  damnation,  ni  la  vie  éternelle;  les 
prières,  la  célébration  de  la  cène,  les  aumônes  et  d'autres  exercices  de 


AUGUSTIN  739 

piété  pratiqués  à  leur  intention  par  les  survivants,  pourront  améliorer 
leur  destinée.  Lors  de  la  résurrection  finale,  notre  corps,  devenu  spi- 
rituel, tout  en  restant  une  chair  réelle,  sera  rétabli  avec  une  quan- 
tité de  matière  équivalente  à  celle  qu'il  avait  dans  la  vie  terrestre; 
toutes  les  difformités  en  seront  bannies.  D'après  un  passage,  la  stature 
du  corps  ressuscité  sera  celle  que  l'homme  avait  ou  aurait  eue  vers  sa 
trentième  année,  l'âge  de  Christ  lors  de  sa  résurrection.  Le  monde  fi- 
nira par  un  vaste  embrasement,  dont  les  élus  n'auront  pas  à  souffrir, 
car  ils  vivent  dans  les  parties  supérieures  de  l'univers  où  la  flamme  ne 
peut  les  atteindre.  La  félicité  des  bons  consistera  dans  la  contem- 
plation de  Dieu  au  sein  de  la  cité  divine.  Le  supplice  des  méchants  sera 
éternel,  comme  celui  des  démons.  Augustin  admet  des  degrés  différents 
dans  la  vie  éternelle,  comme  dans  la  damnation  ;  seulement,  il  ignore 
en  quoi  ils  consistent.  —  La  méthode  dialectique  d'Augustin  est  contenue 
dans  le  principe  célèbre  :  «  La  foi  précède  l'intelligence.  »  Le  contenu 
objectif  de  la  révélation  chrétienne  doit  être  d'abord  perçu  par  la  foi, 
avant  de  devenir  le  point  de  départ  du  travail  de  l'intelligence,  couron- 
nement de  la  vie  spirituelle.  Dans  son  apologie  du  christianisme,  inti- 
tulée la  Cité  de  Dieu,  il  a  décrit  l'évolution  du  royaume  du  bien  à  tra- 
vers les  phases  successives  de  l'histoire  religieuse  du  monde,  jusqu'au 
triomphe  de  l'Eglise  chrétienne  lors  du  jugement  dernier.  Augustin 
mourut  à  Hippone,  le  28  août  430,  à  l'âge  de  76  ans,  pendant  le  troi- 
sième mois  du  siège  de  cette  ville  par  les  Vandales.  L'Eglise  d'Afrique 
entière  devait  le  suivre  bientôt  dans  la  tombe.  Avant  de  s'adresser  au 
christianisme,  il  avait  traversé,  pour  les  vaincre,  toutes  les  formes  de 
la  sagesse  païenne.  Pour  montrer  quelle  influence  il  a  exercée  comme 
théologien  et  comme  homme  d'Eglise  dans  les  siècles  futurs,  il  suffit 
dédire  que  la  scolastique,  le  monachisme,  l'inquisition,  le  mysticisme 
et  la  théologie  de  la  réformation  se  rattachent  directement  à  lui.  Placé  sur 
les  confins  du  monde  ancien  et  du  monde  nouveau,  il  renferme  déjà  en 
germe  les  deux  formes  que  le  christianisme  devait  revêtir  au  moyen  âge 
et  au  seizième  siècle.  C'est  ce  qui  lui  donne  son  importance  extraordi- 
naire dans  l'histoire  du  christianisme. —  Sources  :  S.  Aur.  Augustini  Opp. 
ornnia,  publiés  par  les  bénédictins  de  Saint-Maur,  2e  édit.,  Paris,  1863, 
XI  vol.  in-f°  ;  Traductions  françaises  :  la  Cité  de  Dieu,  par  Saisset,  Pa- 
ris, 1835  ;  les  Confessions,  par  Janet,  Paris,  1857  ;  les  Soliloques,  par 
Pélissier,  Paris,  1853  ;  les  Lettres,  par  Poujoulat,  Paris,  1858  ;  le  Ma- 
nuel, par  d'Avenel,  Jtennes,  1861;  Poujoulat,  II ist.  de  iïaint  Augus- 
tin, Paris,  1843;  Naville,  Saint  Augustin,  Etude  su?'  le  développement  de 
sa  pensée  jusqu '//  r époque  de  son  ordination,  Genève,  1872;  Ebert,  Gescli. 
d.  latein.  Literat.,  Leipz.,  1874,  1,  203  ss  ;  Bindemann,  D<'r  h.  \ugus- 
tinus,  Berl.,Leipz.,  Greifsw,  1844-1869,2  tomes  en  4  vol.  ;  Neander, 
AUgem.  Gesck.  der  christl.  Religion,  Hamb.,  1852,  11,1  et  2:  Bœhrin- 
ger,  Die  Kirche  Chr.  u.  ihre  Zeugen,  Zurich,  1845,  I,  3,  (.)(.)  ss.  ;  Baur, 
1  orles.  i'b.  d.  Ûogmen'gesch.,  Leipz. ,  1866, 1,2;"Flotes  (abbé),  Etudes  sttr 
Saint  Augustin,  son  génie,  son  âme,sa  philos,,  Montpellier,  1861  ;  Nour- 
risson, La  Philos,  de  Saint  Augustin,  Paris,  1865;  Bersot,  Dorir.de  Saint 
Augustin  sur  la  liberté  et  In  Providence,  Paris,  1843;  Wiggers,  Vers.  e. 


740  AUGUSTIN  —  AUGUSTLNK 

pragm.  Darstell.  d.  Augustinismus.  u.  Pelagian^Uumb.,  1833  ;  Schmidt, 
Augustins  Lehre  v.  d.  Kirche,  Jahrb.  f.  deut.  Theol.,  1861;  Ribbeck, 
Donatus  u.  Aug.,  Elbf.,  1858;  Schneegans,  Appréc.  de  Saint  Augustin, 
d'après  ses  trâv.  sur  l'herméneutique,  Strasb.,  1848;  Nitzseh,  Augustins 
Lehre  vom  Wunder,  Berlin,  1865;  Van  Goens,  De  Aur.  August.  apo- 
logeta,  sec.  libb.  de  Civitate  Dei,  Amstel.,  1838.  A.  Jundt. 

AUGUSTIN,  moine  italien,  abbé  d'un  couvent  de  Tordre  de  Saint- 
Benoît,  à  Rome,. dans  les  dernières  années  du  sixième  siècle.  Nous  ne 
possédons  aucun  détail  sur  sa  naissance  et  sa  famille,  il  est  célèbre 
pour  la  part  importante  qu'il  prit  dans  la  conversion  des  Anglo- 
Saxons.  Le  pape  Grégoire  Ier  avait  eu  la  pensée  de  se  consacrer  à  cette 
mission.  Il  en  remit  la  direction  à  Augustin,  qui  obéit,  malgré  les  dan- 
gers que  les  Francs  lui  faisaient  pressentir.  Débarqué,  en  597,  avec 
quarante  moines  dans  File  de  Tlianet,  il  obtint  une  audience  du  roi 
Ethelbert,  de  Kent,  déjà  favorablement  disposé  pour  l'Evangile  par 
l'influence  de  la  reine,  princesse  franque  chrétienne.  Les  succès  du 
missionnaire  furent  aussi  brillants  que  rapides.  Le  roi  Ethelbert,  après 
avoir  reçu  le  baptême  avec  dix  mille  de  ses  sujets,  créa  en  sa  faveur  le 
siège  archiépiscopal  de  Cantorbéry  et  se  soumit  aux  pratiques  les  plus 
minutieuses  du  rit  romain.  Serviteur  dévoué  de  la  papauté,  Augustin 
travailla  à  détruire  les  derniers  vestiges  de  l'indépendance  de  l'antique 
Eglise  bretonne  ou  culcléenne,  qui  succomba  dans  cette  lutte  inégale, 
malgré  le  zèle  et  le  talent  du  célèbre  Dinooth,  abbé  de  Bangor.  A  sa 
mort,  presque  toute  l'Angleterre  était  gagnée  à  la  foi  chrétienne  et 
étroitement  rattachée  au  siège  de  Rome.  —  Voyez  Bède,  Historia  eccl. 
gentis  angl.;  Rapin  deThoyras,  Hist.  d'Angl.,  La  Haye,  1729,1,216-225; 
Palgrave,  trad.  Licquel,  Hist.  des  Ang.-Sax.,  Rouen,  1836;  Piper,  Zeu- 
gen  der  Wahrheif,  II ,  340,  ss.  A.  Paumier. 

AUGUSTINS  (Ordre  des).  On  sait  que  saint  Augustin  n'a  fondé  aucun 
ordre;  comme  prêtre,  et  plus  tard  comme  évêque  d'Hippone,  il  vécut, 
avec  ses  clercs,  dans  une  maison  où  il  avait  introduit  la  communauté 
des  biens  ;  cela  ne  dura  que  jusqu'à  sa  mort.  Au  moyen  âge,  à  une 
époque  qu'il  est  encore  impossible  de  déterminer  exactement,  on  re- 
cueillit dans  plusieurs  de  ses  écrits,  notamment  d'une  lettre  à  sa  sœur 
et  de  quelques-uns  de  ses  sermons  de  moribus  clericorum,  des  passages 
dont  on  ht  une  règle,  qu'on  appela  celle  de  saint  Augustin;  elle  ne  pa- 
raît pas  avant  le  onzième  siècle.  Vers  le  milieu  du  huitième,  F  évêque 
Ghrodegang,  de  Metz,  introduisit  parmi  les  prêtres  de  sa  cathédrale  la 
vie  canonique;  ce  fut  l'origine  des  chapitres,  dont  les  membres  (cha- 
noines) habitaient  ensemble  une  maison  commune.  Dès  la  lin  du 
dixième  siècle,  la  plupart  des  chapitres  se  sécularisèrent,  c'est-à-dire 
que  les  chanoines  renoncèrent  à  la  vie  commune  pour  demeurer  cha- 
cun dans  une  curia  particulière.  Cent  ans  plus  tard,  il  s'opéra  une  réac- 
tion contre  ce  relâchement  de  la  discipline  primitive.  En  1091,  dans  le 
diocèse  de  Passau,  en  1095,  dans  celui  de  Toul,  en  1143,  à  Strasbourg, 
on  fonda  des  collèges  de  chanoines  réguliers,  ainsi  appelés  parce  qu'ils 
adoptèrent  Urègle  de  saint  Augustin.  Ces  exemples  trouvèrent  de  l'imi- 
tation en  plusieurs  pays.  Ce  qui  distinguait  les  chanoines  réguliers  des 


AUGUSTINS  —  AUMONE  741 

séculiers,  c'est  qu'il  leur  était  interdit  d'avoir  des  possessions  person- 
nelles, qu'ils  vivaient  en  commun  sons  un  abbé  ou  prieur,  et  qu'ils 
n'étaient  pas  rattachés  à  une  église  cathédrale  ou  autre;  ils  se  distin- 
guaient des  moines  par  un  régime  moins  sévère,  par  la  faculté  qu'ils 
avaient  de  devenir  curés  paroissiaux,  et  en  ne  pas  formant  un  ordre 
ayant  à  sa  tête  un  supérieur  général.  Une  de  leurs  maisons  les  plus  cé- 
lèbres a  été  l'abbaye  de  Saint-Victor,  fondée  à  Paris  par  Guillaume  de 
Champagne.  Avec  ces  chanoines  réguliers  de  saint  Augustin,  il  ne  faut 
pas  confondre,  comme  on  le  fait  trop  souvent,  les  frères  ermites  de  saint 
Augustin.  Au  treizième  siècle,  il  existait  en  Italie  un  grand  nombre  de 
petites  congrégations  d'ermites,  sous  des  noms  divers  et  suivant  des 
observances  diverses.  En  121ti,  Innocent  IV  les  réunit  en  un  ordre  sous 
la  règle  de  saint  Augustin.  En  12o6,  ils  tinrent  une  assemblée,  où  ils 
élurent  un  maître  général  et  se  partagèrent  en  plusieurs  provinces  ;  le 
pape  confirma  ses  mesures  et  exempta  l'ordre  de  la  juridiction  des  évê- 
ques.  Ces  ermites  augustins  étaient  des  moines  mendiants  comme  les 
dominicains,  les  franciscains  et  les  carmes.  Ils  finirent  par  avoir  des 
couvents  très-nombreux,  dont  plusieurs,  entre  autres  celui  de  Paris,  re- 
levaient directement  du  siège  apostolique.  Ils  étaient  si  persuadés  que 
saint  Augustin  était  leur  fondateur  que,  lorsque,  dans  les  premières  an- 
nées du  seizième  siècle,  l'humaniste  alsacien  Wimpheling  démontra 
que  l'évèque  d'Hippone  n'avait  pas  été  moine,  ils  en  portèrent  plainte 
jusque  devant  la  cour  de  Rome.  C'est  à  ces  augustins  mendiants  qu'a 
appartenu  Luther.  Au  seizième  siècle,  on  introduisit  une  réforme 
dans  quelques  couvents  du  Portugal,  de  l'Espagne,  de  la  France, 
de  l'Autriche,  en  les  soumettant  à  des  règles  plus  sévères;  ceux 
qui  les  acceptèrent  furent  appelés  augustins  déchaussés.  Enfin  il  y 
avait  des  religieuses  augustines  et  un  tiers-ordre  de  pénitents  laïques. 

Ch.  Schmidt. 
AUMONE.  11  est  naturel  à  l'homme  d'avoir  pitié  de  l'homme.  Aussi, 
trouve-t-on  le  devoir  de  l'aumône  recommandé  dans  les  religions  les 
plus  diverses,  et  pratiqué  jusqu'à  un  certain  point  chez  les  peuples  les 
plus  grossiers.  Et  comme  il  est  non  moins  naturel  à  l'homme  de  remplacer 
le  sentiment  intérieur  par  l'acte  extérieur,  et  de  donner  à  Dieu  ses  biens 
plus  facilement  que  soi-même,  l'aumône  a  pris  souvent  d'autant  plus 
d'importance  que  l'on  se  préoccupait  moins  de  spiritualité.  Le  boud- 
dhisme mérite  d'être  cité  au  premier  rang  parmi  les  doctrines  reli- 
gieuses qui  ont  fait  à  leurs  fidèles  un  devoir  de  l'aumône;  sous  son 
influence,  les  distributions  de  secours  ont  atteint  parfois  un  déploie- 
ment colossal  dans  l'Inde  (voy.  Le  Bouddha  et  sa  religion,  par  B.  Saint- 
Hilaire,  p.  88,  270,  28o).  L'Ancien  Testament  recommande  dans  de 
nobles  termes  le  devoir  de  l'aumône  (Dent.  XV,  7-11;  Lév.  XIX,  10; 
Deut.  XXIV,  10-21).  La  pitié  pour  le  pauvre  est  un  des  traits  de  l'idéal 
du  sage  (lob  XXIX,  12-10;  XXXI,  10-20;  Prov.  XIX,  17,  XXII,  9, 
XXVIII,  27),  de  l'homme  pieux  (Ps.  XXXVII,  21,  26,  GXII,  0),  de  la 
brave  femme  (Prov.  XXXI,  20).  Les  prophètes  ont  opposé  ce  devoir  de 
bienfaisance  au  formalisme  de  leur  temps  (Esaïe  LVIU,  7;Ezéch.  XVIII, 
7).    Les   Apocryphes,  produits   d'une  époque   où   la  vie   religieuse  se 


742  AUMONE  —  AUMONIER 

pétrifiait  en  pratiques  et  en  préceptes  de  détail,  ins  stent  fréquemment 
sur  le  devoir  de  l'aumône,  mais  on  dirait  presque  à  les  lire  qu'il  faut 
la  faire  moins  par  pitié  pour  le  malheureux  que  par  calcul  :  elle 
éloigne  l'adversité  et  délivre  du  péril  (Tob.  IV,  10;Ecclésiaste,  111,32, 
XXIX,  15,  18)  ;  elle  préserve  delà  mort  (Tob.  IV,  11,  XIII,  9),  elle 
expie  les  péchés  (Tob.  XII,  9;  Eccl.  9,  III,  31).  La  prière,  le  jeûne, 
l'aumône  font  la  substance  de  la  vie  pieuse  (Tob.  XII,  8).  Aumône  est 
synonyme  de  justice  (Tob.  XII,  9;  Matth.  VI).  Ce  point  de  vue  est 
à  beaucoup  d'égards  celui  qui  règne  dans  l'Eglise  catholique.  Il  y 
avait  au  temple  de  Jérusalem  un  tronc  où  l'on  pouvait  déposer  ses  au- 
mônes sans  être  vu,  tandis  que  les  dons  pour  le  culte  étaient  jetés  dans 
des  vases  appelés  trompettes,  parce  qu'ils  en  avaient  la  forme  et  peut-être 
le  retentissement.  Les  aumônes  en  argent  étaient  recueillies  dans  les 
synagogues  le  jour  du  sabbat  ;  dans  la  semaine,  des  collecteurs  allaient 
de  maison  en  maison  chercher  les  dons  en  nature.  Le  Nouveau  Testa- 
ment présente  plusieurs  préceptes  (Luc  III,  11  ;  XII,  32;  XVI,  9; 
Matth.  V,  42  ;  1  Tim.  VI,  18  ;  Hébr.  XIII,  16,  etc.)  et  plusieurs  exemples 
(Marc  XII,  41-44;  2  Cor.  VIII,  IX;  Rom.  XV,  26-27)  relatifs  à  l'au- 
mône. EJle  doit  être  faite  sans  ostentation  (Matth.  VI,  1-4),  de  bon 
cœur,  avec  joie  (2  Cor.  VIII,  12;  IX,  7;  Rom.  XII,  8),  propor- 
tionnellement à  ce  qu'on  possède  (1  Cor.  XVI,  2;  2  Cor.  VIII,  12),  à 
tous,  sans  se  détourner  de  personne  (Matth.  V,  42),  surtout  aux  frères 
en  la  foi  (Gai.  VI,  10).  Dieu  y  prend  plaisir  (Hébr.  XIII,  16)  ;  il  récom- 
pensera même  un  verre  d'eau  froide  (Matth.  X,  42),  et  l'aumône  amasse 
un  trésor  dans  le  ciel  (Luc  XVIII,  22,  cf.  Luc  XVI,  9;  Matth.  XXVIII,  35- 
40).  Mais  les  plus  grandes  aumônes  ne  sont  rien  si  on  ne  les  fait  pas  par 
amour  pour  Dieu  et  pour  ses  frères  (1  Cor.  XIII,  3).  Le  plus  grand  exem- 
ple, c'est  Jésus-Christ  (2  Cor.  VIII,  9).  L'invitation  de  vendre  tous  ses 
biens  revient  deux  fois  dans  les  Synoptiques.  La  première  fois,  c'est 
une  invitation  adressée  personnellement  au  jeune  riche  pour  des  rai- 
sons qu'il  n'est  pas  difficile  de  découvrir  (Luc  XVIII,  22  et  les  Parai.); 
la  seconde  fois  (Luc  XII,  33),  la  teneur  des  paroles  est  générale,  mais 
on  doit  y  voir  une  de  ces  façons  de  parler  aiguës  et  fortes,  familières  à 
Jésus,  qui  prend  souvent,  pour  formuler  une  vérité  morale,  l'exemple 
le  plus  extrême  de  sa  réalisation.  Il  faut  en  retenir  l'esprit  plutôt  que 
la  lettre  (voy.  Godet,  Comment,  sur  saint  Luc ,11,  p.  124,  251  ss.).  Quant 
à  l'influence  de  l'aumône  sur  celui  qui  la  reçoit,  c'est  une  question  à 
réserver  pour  l'art,  sur  le  soin  des  pauvres. — Voyez  Th.  Rivier,  La 
Libéralité  chrétienne,  1874;  L.  Larnac,  L  Art  de  donner,  1874.    Ch.  Bois. 

AUMONIER  (eleemosynarius).  Ce  titre  ecclésiastique  est  pris  dans 
diverses  acceptions.  Dans  les  anciennes  abbayes  et  les  anciens  prieurés, 
il  désignait  le  religieux  qui  était  chargé  de  faire  les  aumônes  du  revenu 
affecté  à  cet  effet.  A  partir  du  treizième  siècle  on  appelait  ainsi  les  offi- 
ciers chargés,  à  la  cour  des  rois  de  France,  de  la  distribution  des 
aumônes,  et  bientôt  aussi  de  la  réglementation  des  offices  dans  les  cha- 
pelles royales  et  de  la  direction  supérieure  de  tout  le  clergé  de  la  cour. 
Depuis  le  quinzième  siècle,  nous  trouvons  même  un  grand  aumônier, 
qui  prend  le  titre  d'aumônier  de  France  et  qui  est  d'ordinaire  revêtu 


AUMÔNIER  —  AURÉOLE  743 

de  la  pourpre  romaine.  Il  avait  le  droit  de  proposer  les  candidats  pour 
les  évêchés  et  pour  d'autres  bénéfices  vacants,  et  jouissait,  à  ce  titre, 
d'une  grande  influence.  Cette  dignité  de  grand  aumônier,  qui  avait 
disparu  depuis  La  Révolution,  fut  rétablie  par  une  bulle  de  Pie  IX,  du 
31  mars  1857,  en  faveur  de  Napoléon  III.  Elle  n'a  pas  été  rétablie 
depuis  sa  chute. —  On  donne  aussi  le  nom  d'aumôniers  aux  prêtres  ou 
aux  pasteurs  qui  sont  à  la  suite  d'un  régiment,  sur  un  vaisseau,  dans 
des  places  fortes,  dans  les  hospices  et  dans  les  prisons,  pour  s'acquit- 
ter des  fonctions  de  leur  ministère  selon  les  besoins  spirituels  de  ceux 
auprès  desquels  ils  sont  spécialement  placés.  Cette  institution,  dont  le 
maintien  est  vivement  réclamé  par  l'Eglise  catholique  et  par  cer- 
taines Eglises  protestantes,  ne  peut  se  justifier  que  dans  les  endroits 
•et  les  circonstances  où  l'action  du  clergé  local  ne  peut  pas  s'exercer 
d'une  manière  efficace,  comme  sur  les  champs  de  bataille,  sur  mer  et 
dans  les  concentrations  militaires,  pénitentiaires,  hospitalières  ou 
autres,  éloignées  de  tout  culte  régulièrement  établi.  Partout  ailleurs  elle 
risque  de  favoriser  une  propagande  indiscrète  et  intolérante  et  va  à  ren- 
contre de  son  but. 

AUNIS.  Voyez  La  Rochelle. 

AURAN,  AÙRANITIDE.  Voyez  Hauran. 

AURÉLIEN  (Lucius  Domitius  Aurelianus),  empereur  romain ,  monta 
sur  le  trône  en  270.  Ancien  soldat,  la  guerre  fut  à  l'état  presque  per- 
manent sous  son  règne.  La  plus  remarquable  fut  celle  qu'il  lit  à  Zéno- 
bie,  reine  de  Palmyre.  Après  un  siège  terrible,  la  ville  fut  'prise  et  la 
reine,  qui  avait  refusé  de  se  rendre,  fut  faite  prisonnière.  Aurélien  se  lit 
décerner  à  Rome  un  triomphe  magnifique,  où  Zénobie  enchaînée 
marchait  derrière  son  char.  Elle  fut,  du  reste,  traitée  avec  douceur  et 
finit  ses  jours  à  Tibur,  dans  une  villa  qui  lui  avait  été  donnée.  Les 
chrétiens  n'eurent  point  à  se 'plaindre  d'Aurélien,  au  moins  pendantla 
première  partie  de  son  règne.  Plus  tard,  il  rendit  contre  eux  de  sévères 
édits,  mais  ils  ne  furent  publiés  qu'après  sa  mort.  Aurélien  périt  assas- 
siné en  275,  après  cinq  ans  de  règne. 

AURÉOLE  (Gloria,  JVùnôus,  Awvola),  que  l'on  fait  dériver  de  lau- 
reus,  désigne  le  cercle  de  lumière  avec  lequel  on  représente  les  person- 
nages que  l'on  veut  honorer  d'une  manière  particulière.  Les  païens 
déjà  entouraient  d'un  nimbe  lumineux  la  tête  de  leurs  héros  ou  de 
leurs  dieux;  les  empereurs  romains  sont  revêtus  de  ce  signe  glorieux 
sur  des  statues  et  des  monnaies.  Sur  les  sarcophages  des  catacombes, 
Dieu  et  Jésus-Christ  apparaissent  entourés  de  l'auréole;  mais  ce  n'est 
qu'à  partir  du  quatrième  siècle  que  cet  usage  devint  général.  L'auréole 
de  Dieu  le  Père  prend  la  forme  d'un  triangle,  celle  du  Christ  repré- 
sente un  cercle  sur  le  fond  duquel  se  détache  une  croix  ;  le  Saint- 
Esprit  est  figuré  par  une  colombe  entourée  de  rayons  lumineux.  Dans 
les  miniatures  du  moyen  âge,  la  main  divine  qui  sort  de  la  nuée  porte 
elle-même  l'auréole  ;  celle-ci  orne  aussi  le  front  des  figures  embléma- 
tiques, telles  que  l'agneau,  le  lion,  l'aigle,  etc.,  et  jusqu'à  la  tête  de 
Satan  lui-même.  L'art  postérieur  distingue  entre  le  nimbe,  qui 
entoure  lu  tête  des  saints  personnages,  et  l'auréole  qui  enveloppe  leur 


744  AUREOLE-—  AUTEL 

apparition  tout  entière  (voy.Didron,  Jconogr.  chrét.,p.  27  ss.;  Mùnter, 
Sinnbilder  u.  Kunstvorst.  der  ait.  Ch?'ist.,  Il,  p.  20  ss.). 

AURIFABER.  Il  y  a  eu  au  seizième  siècle  deux  théologiens  protes- 
tants allemands  du  nom  d'Aurifaber  (Goldschmidt).  Le  seul  qui  nous 
intéresse  est  Jean,  qui  naquit  vers  1519,  probablement  à  Weimar. 
Depuis  1537,  il  étudia  à  Wittenfoerg  ;  en  1551  il  devint,  après  diverses 
péripéties,  prédicateur  du  duc  Jean-Frédéric  de  Saxe.  Disciple  dévoué 
de  Luther,  dont  pendant  quelque  temps  il  avait  été  le  commensal  et 
aux  derniers  moments  duquel  il  avait  assisté,  il  se  rangea  du  côté  de 
Flacius,  prit  part  à  toutes  les  controverses  avec  les  philippistes,  etc., 
et  à  toutes  les  mesures  pour  assurer  le  triomphe  du  luthéranisme 
orthodoxe.  Il  mourut  en  1575  comme  pasteur  à  Erfurt.  Il  fut  un  des 
éditeurs  des  œuvres  de  Luther  dont  l'impression  fut  commencée  à 
Iéna  en  1555  ;  en  1564  il  publia,  pendant  un  séjour  à  Eisleben,  deux 
volumes  d'écrits  allemands  de  Luther,  qui  manquaient  dans  les  éditions 
d'Iéna  et  de  Wittenberg;  en  1566  suivirent  les  Tischreden  (propos  de 
table)  du  réformateur  (Eisleben,  in-folio,  et  souvent  depuis;  aussi  dans 
les  œuvres  de  Luther  de  Walch,  f.  22).  Pour  composer  ce  recueil,  il 
se  servit  de  notes  que  lui  remirent  plusieurs  anciens  disciples  de 
Luther;  il  y  ajouta  ses  souvenirs  personnels;  il  voulait,  dit-il,  qu'au- 
cune des  miettes  ne  fût  perdue.  Il  ne  faut  y  chercher  ni  de  l'ordre  ni 
de  la  critique,  pas  même  de  la  discrétion.  Quelques-uns  des  propos 
sont  apocryphes,  d'autres  auraient  pu  être  omis  sans  inconvénient; 
mais  en  somme  l'ouvrage  reproduit  une  image  fidèle  de  Luther  tel 
qu'il  a  vécu  dans  l'intimité.  Si  parfois  on  peut  regretter  l'empresse- 
ment d'Aurifaber  de  rapporter  toute  parole  tombée  de  la  bouche  de 
son  maitre,  il  faut  reconnaître  aussi  qu'il  a  conservé  une  foule  de 
pensées  justes,  de  vues  profondes,  de  conseils  utiles.  —  Il  existe  une 
traduction  anglaise  (Londres,  1652)  ;  une  française  a  été  donnée  par 
M.  Gust.  Brunet  (Paris,  1844).  Ch.  Schmidt. 

AUSTRALIE.  Voyez  Océanîe. 

AUTBERT,  apôtre  du  Nord,  originaire  d'une  famille  noble  établie  à 
la  cour  des  rois  carlovingiens,  fut  élevé  au  couvent  de  Corbie.  Envoyé 
avec  Ansgar  dans  le  monastère  de  Corvey  sur  les  bords  du  Weser, 
il  accompagna  celui-ci  dans  les  voyages  de  mission  qu'il  entre- 
prit en  Danemark,  à  la  suite  du  roi  Harald.  C'était  pour  le  pieux  béné- 
dictin un  véritable  sacrilice,  car  il  préférait  la  vie  contemplative  de 
l'ascète  à  la  vie  active  du  missionnaire.  Autbert,  après  deux  ans  de  tra- 
vaux, se  vit  obligé  par  la  maladie  de  retourner  à  Corvey.  Il  y  mourut 
en  829.  Voyez  l'article  Anschaire. 

AUTEL  (du  latin  altare,  plate-forme  élevée ,  lieu  haut) ,  table  sainte 
en  bois,  briques,  pierres,  marbre  ou  métal,  ou  simple  tertre  gazonné, 
destiné  chez  les  différents  peuples  à  recevoir  les  offrandes  ou  sacrifices 
à  la  divinité,  prescrits  par  le  culte  de  leurs  diverses  religions.  —  Les 
autels  des  peuples  de  l'antiquité  étaient  de  nature  très-diverse  :  les 
dolmens  des  Celtes  sont  des  tables  grossières  formées  par  un  bloc  de 
pierre  non  taillé  posant  horizontalement  sur  deux  pierres  verticales  et 
creusé  parfois  en  bassin,  avec  rigole  d'écoulement  pour  le  sang  des 


AUTEL  745 

victimes  ;  les  autels  de  feu  des  Perses  el  des  Assyriens  étaient  en  terre 
et  dressés  sur  le  sommet  d'une  colline  ou  d'un  tertre  artificiel;  chez 
les  Hébreux,  Yautel  des  holocaustes,  plaeé  en  avant  du  sanctuaire,  était 
en  terre  ou  en  pierres  brutes,   maintenues  par  un  châssis  en  bois  de 
sétim;  Yautel  des  parfums,  plaeé  dans  le  Lieu-Saint,  était  en  bois  pré- 
cieux recouvert  de  lames  d'or;  les  autels  des  Grecs  et  des  Romains 
avaient  une  forme  ronde  ou  carrée,  étaient  construits  en  bois,  pierre 
ou  bronze,  et  se  trouvaient  placés  dans  lacelladu  temple,  sous  le  péri- 
style et  dans  l'enceinte  du  péribole. —  Les  autels  chrétiens  sont  toujours 
rectangulaires,  plus  longs  que  larges,  placés  à  l'orient  de  l'église,  dans 
le  sanctuaire  et   sur  une  plate-l'orme  élevée  de  plusieurs   degrés  au- 
dessus  du  sol  de  la  nef  et  du  chœur  ;  ils  servent  à  la  célébration  de  la 
messe,  de  la  Sainte-Cène,  de  la  confirmation,  du  mariage;  on  y  récite 
des  prières  en  général,  et  en  particulier  les  prières  pour  les  morts  ;  leur 
forme  participe  de  celle  de  la  table  (mensa  sacra),  en  souvenir  de  la 
table  où  le  Christ  institua  la  Sainte-Cène,  et  de  celle  du  cercueil  (tumba), 
en  souvenir  des   sarcophages  des  martyrs,   sur  lesquels  les  premiers 
chrétiens  avaient  coutume  de  célébrer  leur  culte.  Les  autels  de  l'église 
primitive  étaient  en  bois  et  se  pouvaient  transporter  ;  ils  avaient  la 
forme  d'un  coffre  creux  que  l'on  dressait  au-dessus  de  la  tombe  d'un 
martyr  ou  sous  lequel  l'on  plaçait  des  reliques.  En  l'an  517,  le  concile 
d'Epaone  prescrivit  que  les  autels  seraient  toujours  en  pierre,  ou  tout 
au  moins  recouverts  d'une  tablette  en  pierre  assez  grande  pour  recevoir 
le  crucifix,  le  calice  et  l'hostie;  cette  tablette  (que  l'on  appela  pierre  de 
consécration)  fut  marquée  de  cinq  croix  et  devait  être  consacrée  par  un 
évêque  ou  par  un  prêtre  ayant  reçu  spécialement  du  pape  le  pouvoir 
consécrant.  Depuis  lors  les  autels  chrétiens  furent  faits  généralement 
en  pierre  ou  en  marbre,  avec  incrustations  de  mosaïques  et  de  pierres 
rares,  avec  revêtements  en  ivoire  ou  en  métaux  précieux;  ils  sont  ou 
bien  pleins,  ou  bien  creux,  de  telle  manière  que  la  tablette  consacrée 
repose  soit  sur  une  colonne  centrale,  soit  sur  trois,  quatre  ou  cinq 
piliers  ou  colonnettes  isolées,  soit  plus  souvent  sur  des  parois  pleines, 
décorées  de  pilastres  ou  de  colonnes  engagées,  reposant  sur  un  socle 
commun  et  couronnés  par  une  frise  et  un  bandeau  saillant.  La  forme 
et  la  décoration  de  l'autel  varient  d'ailleurs  selon  les  transformations 
du  style  architectural  aux  différentes  époques  del'histoire  et  selon  le  déve- 
loppement des  arts  plastiques  (sculpture,  peinture,  orfèvrerie)  qui  concou- 
rent à  son  ornementation. — Dans  les  basiliques  chrétiennes  du  cinquième 
au  neuvième  siècle  l'autel  est  placé  à  l'entrée  del'abside,  au-dessusde  la 
crypte  renfermant  les  reliques  d'un  saint  martyr  ;  il  est  entouré  de 
quatre  colonnes  reliées  par  des  architraves  ou  des  arcs  et  supportant 
SOil  un  toit,  soit  un  dais  en   forme  de  coupole,  terminé  par  une  croix  : 
t\<>  rideaux  OU  courtines  {tetravela)  en  soie  ou  t;>Mis  précieux,  glissant 
sur  des  tringles  disposées  entre  les  colonnes,  entourent  ce  petit  édicule 
qu'on  appela  ciborium  et  dont  la  voûte  porta,  par  suspension,   le   vase 
(pastof thorium,  ciborium)  contenant  les  saintes  hosties,  auquel  ondonna 
souvent  la  forme  d'une  colombe.  Plus  tard  ce  vase  l'ut  remplacé  par 

ne  lampe  et  les  hosties  lurent  renfermées  dans  un  custode  colonne  ou 
i.  M 


746  AUTEL 

tourelle  octogonale  en  métal,  suspendue  à  une  crosse  placée  en  avant 
ou  au-dessus  d'une  sorte  de  dossier  que  Ton  disposa  à  la  partie  anté- 
rieure de  l'autel;  ces  dossiers   ou  retables  d'autel  reçurent  à  partir  du 
douzième  siècle  une  décoration  de  plus  en  plus  importante,  dont  le  crucifix 
forma  le  centre,  et  caractérisent  les  autels  de  la  période  romane.  Pendant 
la  période  ogivale,  vers  le  quinzième  siècle,  on  remplaça  le  custode  par 
une  petite  tour  fixe,  disposée  dans  le  milieu  du  retable  d'autel,  sur- 
haussé à  cet  effet  ;  ce  petit  édicule  de  marbre,  de  menuiserie  ou  d'or- 
fèvrerie, destiné  à  renfermer  le  ciboire  et  les  hosties  consacrées,  et 
qu'on  appela  plus  tard  tabernacle,  n'était  pas  toutefois  placé  toujours 
sur  l'autel  même;  on  en  trouve  d'isolés  ou  adossés  contre  les  murs  ou 
piliers  du  sanctuaire.  Le  retable  et  le  tabernacle  étaient  destinés  de 
plus  à  supporter  et  à  masquer  une  chasse  ou  un  reliquaire,  cachés  sou- 
vent par  des  volets  en  menuiserie  (triptyques)  richement  décorés  et  cou- 
verts de  peintures.  La  Renaissance  développa  outre  mesure  l'architec- 
ture des  autels  et  de  leurs  retables,  multiplia  les  statues  et  les  tableaux, 
reprit  le  ciborium  ou  le  remplaça  par  le  baldaquin  (dais  suspendu  à  la 
voûte  du  sanctuaire),  et  vers  le  dix-septième  siècle,  donna  volontiers  à 
l'autel  la  forme  même  du  sarcophage.  De  nos  jours  toutes  ces  formes  sont 
employées,  selon  le  style  de  l'édifice  destiné  à  renfermer  l'autel;  celui-ci 
doit  toujours  contenir  des  reliques  ;  il  est  recouvert  de  plusieurs  nappes 
d'autel  superposées  en  lin  fin,  et  porte,  outre  le  reliquaire  et  le  saint 
ciboire,  des  croix,  des  chandeliers,   des  coupes,  des  vases  pleins  de 
fleurs,  des  bannières,  etc.  —  Les  églises  primitives  n'avaient  qu'un 
seul  autel,  mais  le  nombre  des  autels  dans  une  même  église  augmenta 
promptement  ;  outre  le  maître-autel,  ordinairement  isolé,  placé  dans  le 
sanctuaire,  soit  au  fond,  soit  à  l'entrée  de  l'abside,  soit  à  l'intersection 
de  la  nef  et  du  transept,  il  y  eut  des  autels  secondaires  adossés  aux  murs 
terminant  les  collatéraux  ou  disposés  dans  les   chapelles   latérales  et 
absidales. — L'église  catholique  distingue  quatre  sortes  d'autels  :  Y  autel 
fixe  (altare  fixum)  construit  à  demeure  dans  l'église,  dont  il  ne  sort 
jamais;  Y  autel  portatif  {altare  itinerariurn)  qui  est  mobile  et  dont  on  se 
sert  en  voyage,  auprès  des  malades,  ou  pendant  les  processions  ;  Y  autel 
isolé  {ara  insularia),  qui  n'est  adossé  ni  contre  un  mur,  ni  contre  un 
pilier;  et  X  autel  privilégié  (ara  prœrogativa),  auquel  le  pape  a  accordé 
soit    une    indulgence    plénière,    soit    des   indulgences  particulières. 
L'église  grecque  n'a  qu'un  seul  autel  consacré,  en  bois,  placé  derrière 
la  clôture  (iconostasis),  qui  sépare  la  nef  du  sanctuaire  ;  elle  remplace 
les  autels  portatifs  par  des  linges  bénits  appelés  antimense.  Les  églises  pro- 
testantes n'ont  également  qu'un  seul  autel;  ilala  forme  d'une  table  mo- 
numentale (table  de  communion),  simple  d'ailleurs  et  sobre  d'ornements, 
recouverte  d'une  nappe  d'autel  et  portant  la  Bible,  et  parfois  un  calice 
et  une  capsule  pour  les  hosties,  ou  bien  encore  un  crucifix.  Il  est  élevé  de 
plusieurs  marches  au-dessus  du  sol  de  l'église,  où  il  n'a  pas  de  place  bien 
déterminée.  Les  premiers  protestants  l'ont  parfois  soudé  à  la  chaire, 
qu'ils  disposaient  au  centre  d'une  sorte  de  retable  d'autel; aujourd'hui 
il  est  toujours  isolé,  le  plus  souvent  à  proximité  de  la  chaire,  mais  placé 
parfois  aussi  dans  une  autre  partie  du  temple.  —  Voyez  pour  les  autels 


AUTEL  —   AUTORITE  747 

chrétiens  en  général  :  J.-A.  Thiers,  Dissert,  ecclés  sur  les  princ.  autels 
des  église^  Paris,  L688;  L.  Ferraris,  Prompta  bibliotheca.  ai*  mot  Alt  are; 
J.  kreuser,  Der  christl.  AUar,  Brixen,  1809  ;  Yiollet-le-Duc,  Dlci 
raison,  de  tarchit^  I,  p.  18,  Paris,  L867  :  Dr.  And.  Schmidt,  Der 
christ.  Altar  und sein Schmuck,  Ratisb*.  IS7 1.  E.  Lichtenberger. 

AUTO  DA  FÉ  (potfug.),  actus  fidei,  publication  des  sentences  pronon- 
cées par  l'inquisition  contre  des  hérétiques.  Comme  cette  publica- 
tion était  précédée  d'un  sermon  sur  la  foi  catholique,  on  trouve  aussi 
pour  tout  l'ensemble  de  Pacte  le  terme  de  Se?-mo  publions  defide.  D'or- 
dinaire, l'acte  avait  lieu  un  dimanche  :  de  grand  matin,  les  condamnés, 
vêtus  de  robes  diverses,  suivant  le  degré  des  châtiments,  étaient  con- 
duits sur  une  place  publique  devant  une  église  ;  les  magistrats  civils 
prêtaient  le  serment  d'exécuter  les  sentences.  Après  quoi  un  moine 
faisait  le  sermon,  puis  on  proclamait  les  jugements;  les  condamnés  qui 
abjuraient  étaient  soumis  à  des  pénitences,  ceux  qui  refusaient  l'abju- 
ration et  les  relaps  étaient  solennellement  remis  au  bras  séculier.  On  se 
rendait  à  l'endroit  réservé  au  supplice;  les  condamnés  à  mort  portaient 
des  robes  sur  lesquelles  on  voyait  des  flammes  et  des  diables;  les  bû- 
chers étaient  allumés  en  présence  du  clergé,  des  moines,  de  la  foule, 
des  magistrats,  et  souvent  des  princes  (voy.  Limborch,  Historia  inquisi- 
tionîs,  Amst.,  L692,  in-fol.,  p.  367  ss.). 

AUTORITÉ  en  matière  religieuse.  Y  a-t-il,  oui  ou  non,  une  autorité 
en  matière  de  foi,  et,  si  oui,  quelle  est-elle?  La  solution  de  ce  pro- 
blème dépend  de  la  définition  que  Ton  donne  de  ce  mot.  —  I.  Si  l'au- 
torité est  «  tout  ce  qui  détermine  une  action  ou  une  opinion  par  des 
considérations  étrangères  à  la  valeur  intrinsèque  de  l'ordre  intimé  ou 
de  la  proposition  intimée  »  (E.  Scherer,  De  l'autorité  en  matière  de  foi, 
Revue  de  théol.,  I80O,  I,  p.  66),  il  est  naturel  et  légitime  de  la  mettre 
en  opposition   avec   l'idée   même  de  la  foi,  c'est-à-dire  avec  l'expé- 
rience personnelle  des  choses  religieuses,  et  de  déclarer  que  l'autorité 
perd  nécessairement  tout  le  terrain  que  gagne  la  foi.  Conçue  de  cette 
manière,  l'autorité  ne  saurait  avoir,  en  effet,  pour  l'individu  qu'une 
valeur  transitoire  et  pédagogique.  Placé  sous  la  tutelle  de  l'autorité  par 
sa  naissance,  par  son  éducation,  par  l'empire  qu'exercent  sur  lui  les 
habitudes  et  les  préjugés,  le  milieu  social,  par  le  besoin  qu'il  a  de  s'ap- 
puyer sur  la  tradition  et  sur  le  témoignage,  l'individu,  qui  porte  en 
lui  1* impérieux  penchant  à  tout  contrôler,  à  tout  soumettre  au  juge- 
ment de  son  expérience  et  à  ne  rien  retenir  qui  n'y  soit  conforme, 
tend  par  toutes  les  puissances  de    son   être  à  s'affranchir  de  celte 
tutelle,    "!    !<•   jour   de   son  émancipation,  de  sa  majorité  spirituelle, 
coïncide  avec  la  tin  du  règne  de  l'autorité.  Mais  les  choses,  en  matière 
religieuse,  ne  se  passent  pas  précisément  ainsi.  Nous  ne  voyons  pas 
seulement  en  présence  deux  facteurs  dont  l'un,  la  loi  d'autorité,  cède 
invinciblement  1<-  pas  à  l'autre,  l'expérience  personnelle  :  il  y  a  un 
troisième  facteur,  que  la  définition  précédente  néglige  el  qui  pourtanl 
joue  un  rôle  prépondérant  .dans  le  réveil  et  dans  le  développement  de 
ia  vie  religieuse,  c'est  Dieu.  —  IL  La  véritable  autorité  en  matière 
religieuse,   c'est  une  puissance  supérieure  qui    s'impose  à  nous  eu 


748  AUTORITE 

vertu  même  de  son  caractère  et  devant  laquelle,  convaincus  par  des 
arguments  décisifs,  nous  nous  inclinons  librement.  Existe-t-il  une 
puissance  pareille  ?  Là  est  toute  la  question.  —  1°  Avec  un  grand  nombre 
on  pourrait  être  tenté  de  répondre  :  Oui,  elle  existe,  et  son  nom 
est  la  conscience,  qui  est  Tunique  et  souveraine  autorité  en  matière 
religieuse.  Ce  qui  tout  d'abord  paraît  justifier  cette  assertion,  c'est 
le  caractère  impératif  de  ses  arrêts,  reconnu  presque  par  tous  les  hom- 
mes, même  par  ceux  qui  se  révoltent  contre  eux.  Mais  ces  arrêts 
n'ont  ce  caractère  que  parce  que  la  conscience  est  le  lieu  de  la 
rencontre  de  l'individu  avec  la  puissance  supérieure  par  laquelle  il  a 
«  la  vie,  le  mouvement  et  l'être  »  (Actes  XVII,  28),  et  qui  manifeste 
sa  présence  par  l'approbation  ou  la  condamnation  dont  elle  accom- 
pagne nos  actes,  disons  mieux,  qui  apparaît  sous  la  forme  d'une 
loi  à  laquelle  nous  sommes  tenus  d'obéir.  En  analysant  avec  soin  les 
phénomènes  de  la  conscience,  nous  sommes  frappés  de  leur  caractère, 
je  ne  dirais  point  passif,  mais  essentiellement  réceptif.  La  conscience 
ne  crée  pas  la  vérité  ou  le  bien,  elle  le  perçoit  et  le  constate  :  elle  est 
avant  tout  un  critérium,  un  sensorium,  le  forum  devant  lequel  les  véri- 
tés ou  les  biens  d'ordre  supérieur  sont  tenus  de  produire  leurs  titres. 
Dans  ce  sens,  il  est  exact  de  dire  qu'une  vérité,  un  bien,  un  de- 
voir n'est  vérité,  bien,  devoir  pour  moi,  c'est-à-dire  ne  m'oblige  qu'en 
tant  que  je  l'ai  reconnu  pour  tel  et  que  je  me  le  suis,  pour  ainsi  dire, 
assimilé.  C'est  avec  raison  que  l'on  affirme  par  C3nséquent  que  la  foi 
d'autorité  est  une  foi  incomplète,  entachée  d'imperfection  et  qui  doit 
disparaître  pour  faire  place  à  une  foi  fondée  sur  une  expérience  per- 
sonnelle, sur  un  contact  direct  et  vivant  avec  son  objet.  Mais  la  con- 
science n'est-elle  qu'une  faculté  réceptive,  qui  atteste  l'existence  d'une 
loi  à  laquelle  je  suis  obligé  de  me  soumettre?  En  aucune  façon.  Nous 
croyons  que,  sérieusement  interrogée,  elle  proclame  aussi  l'existence 
d'une  puissance  supérieure,  sous  l'action  incessante  de  laquelle  je  me 
trouve  placé,  et  que  nous  appelons  Dieu.  Dieu  se  manifeste  à  la  con- 
science en  l'éclairant  et  en  la  vivifiant,  comme  le  soleil  se  manifeste  à  la 
terre  en  dissipant  les  nuages  et  les  brouillards  qui  l'enveloppent  et  en 
les  tondant  au  contact  de  sa  chaleur.  La  conscience  est  un  lieu  qui, 
comme  notre  globe,  a  besoin  d'être  éclairé  et  réchauffé  par  un  foyer, 
placé  au-dessus  d'elle,  qui  possède  ce  qui  lui  manque.  Sans  doute,  il 
est  possible  à  l'homme  de  regarder  cette  puissance  supérieure  qui  se 
manifeste  à  sa  conscience  comme  une  illusion,  comme  le  produit  de 
l'imagination  qui  prend  ses  désirs  pour  des  réalités  et  qui  transporte 
sur  un  être  fictif  toutes  les  perfections  dont  nous  sommes  nous- 
mêmes  privés.  Mais  quoi  qu'il  en  soit,  Dieu  n'établit  pas  son  autorité 
au  dedans  de  nous  par  des  arguments  qui  puissent  se  séparer  de 
l'expérience  même  de  son  action.  L'existence  de  Dieu  ne  dépend 
pas  de  la  conscience  que  j'ai  de  lui,  comme  le  veut  le  panthéisme; 
toutefois  Dieu  n'existe  pour  moi  que  lorsque  je  le  sens  agir  dans  ma 
conscience.  Il  est  donc  inexact  ou  impropre  de  dire  que  c'est  la  con- 
science qui  est  l'autorité  souveraine  en  matière  religieuse  :  c'est  Dieu 
qui  parle  dans  ma  conscience,  qui  l'illumine  et  l'inspire.  —  2°  Mais 


AUTORITE  749 

l'homme  n'est  pas  soûl  avec  sa  conscience  ici-bas.  Il  appartient  à  une 
société  qui  a  un  passé  et  qui,  dans  le  cours  de  son  histoire,  a  recueilli 
et  concentré  les   manifestations  divines  en   un   faisceau   pour  leur 
donner  une  force  plus  grande.  Aussi  beaucoup  d'esprits,  et  parmi  eux 
des  penseurs  et  des  docteurs  fort   distingués,  placent-ils  le  siège  de 
l'autorité  en  matière  religieuse  dans  une  institution,  chargée,  d'après  le 
plan  de  Dieu,  d'en  être  le  dépositaire  et  le  garant  infaillible.  L'2fy/ûe, 
pour  la  majorité  des  chrétiens,  est  cette  institution.  Par  son  origine,  par 
les  promesses  qui  lui  sont  faites,  par  son  enseignement  qui  n'a  jamais 
varié  et  qui,  en  tous  les  cas,  n'a  fait  (tue  développer  dans  le  cours  des 
siècles  la  vérité  qu'il   portait   en   germe,    par   ses  cérémonies  impo- 
santes et  uniformément  réglées,  par  ses  représentants  revêtus  de  grâces 
spéciales,  par  son  organisation  merveilleuse  qui  lui  assure  le  triple 
caractère  de  l'unité,  de  la  sainteté  et  de  l'universalité,  l'Eglise,  disent 
ces  chrétiens,  dispose  de  moyens  suffisants  pour  faire  reconnaître  son 
autorité;  surtout  depuis  que,  conséquente  avec  son  principe,  une  de 
ses  fractions  les  plus  importantes,  l'ultramontanisme,  a  compris  que 
l'autorité  de  l'Eglise  ne  serait  vraiment  souveraine  et  indiscutable  que 
lorsqu'elle   aurait   été   transférée  des   conciles,  avec  leurs  majorités 
incertaines,  leurs  sessions  intermittentes,  leurs  débats  périlleux,  aux 
papes,  regardés  comme  infaillibles,  lorsque,  illuminés  par  le  Saint- 
Esprit,    ils   parlent  ex  cathedra  aux  fidèles.    Mais  Ton   ne   s'est  pas 
aperçu  qu'à  mesure  que  l'Eglise  usurpait  ainsi  toute  l'autorité,  la  con- 
science, méconnue  dans  ses  droits  et  parfois  outragée  dans  ses  arrêts, 
abdiquait.    Chaque  jour  aggrave  le  divorce   entre  les   manifestations 
de  Dieu  dans    l'individu   et  l'institution  à   laquelle   il  doit  se   sou- 
mettre ;  aussi  la  révolte,  secrète  ou  ouverte,  se  propage,  l'abandon 
grandit.    On   ne  discute  plus   seulement    la    valeur   intrinsèque  des 
doctrines  et  des  préceptes  de  l'Eglise  ;  on  examine  la  nature  de  ses 
prétentions,   on  vérifie  l'origine  de  ses  titres,  et,  de  cette  épreuve, 
son   autorité    sort  gravement  compromise    et    même   complètement 
ruinée.  —  3°  Le  protestantisme,    non    pas  à  ses  débuts  et  dans    sa 
période  créatrice,  mais  dès  ses  premières  luttes  avec  les  illuminés  et 
d'autres  sectaires,  plaça  le  siège  de  l'autorité,  non  dans  une  institution  — 
il  avait  rompu  avec  l'Eglise  —  mais  dans  un  livre.  La  Bible  fut,  à  ses 
yeux,  l'expression  authentique  et  vraiment  classique  des  manifestations 
de  Dieu  au  sein  de  l'humanité.  Elle  présente,  en  effet,  la  vérité  reli- 
gieuse dans  la  variété  à  la  fois  et  dans  l'unité  de  ses  aspects,  et  son 
témoignage  apparaît  plus  parfait  encore  lorsqu'on  l<i  compare  à  celui 
des  autres  documents  religieux  que  nous  possédons  :  les  meilleurs  et 
les  plus  appréciés  sont  ceux  qui  se  sont  le  plus  inspirés  du  souffle  de 
celui  que  nous  appelons  avec  raison  le  livre  par  excellence.  Mais  les 
théologiens  du  dix-septième  siècle,  et  ceux  qui,  encore  aujourd'hui, 
marchent  sur  leur  trace,  compromirent,  par  leur  théorie  de  l'inspira- 
tion, l'autorité  de  la  Bible  qu'ils  prétendaient  servir.   En  la  traitant 
comme  un    code  rabbinique,  ('gaiement  inspiré  dans  chacun    de    ses 
articles,  même  dans  ceux  qui  n'ont  aucun  rapport  avec  la  vie  Reli- 
gieuse, en  revendiquant  pour  elle  l'infaillibilité,  môme  dans  les  que»- 


750  AUTORITE 

tions  d'histoire  naturelle  ou  de  chronologie,  et  en  retendant  jusqu'aux 
mots  et  aux  points-voyelles,  ils  provoquèrent  la  critique  et  facilitèrent 
son  œuvre.  L'esprit  qui  vivifie  revendiqua  et  reconquit  ses  droits  sur 
la  lettre  qui  tue.  On  constata  qu'en  réalité  la  Bible  n'est  pas  la  révé- 
lation elle-même,  qu'elle  n'en  est  que  le  document.  Si  la  liqueur  est 
divine,  le  vase  qui  la  renferme  est  de  terre.  La  Bible,  sans  doute,  est 
inspirée  par  l'Esprit  de  Dieu,  mais  à  des  degrés  différents;  elle  n'est, 
d'ailleurs ,  dans  ses  parties  les  plus  importantes,  que  la  tradition  orale 
lixée  et  stéréotypée;  ni  ceux  qui  l'ont  recueillie,  ni  ceux  qui  ont  formé 
le  canon  sacré,  ni  ceux  qui  ont  copié  le  texte,  ni  ceux  qui,  chaque  jour, 
l'interprètent  n'ont  été  et  ne  sont  infaillibles.  Pas  plus  que  l'Eglise,  l'Ecri- 
ture ne  peut  revendiquer  pour  elle  une  autorité  absolument  souveraine. 
Le  protestant,  en  un  sens,  est  même  plus  embarrassé  que  le  catholique. 
Avec  sa  théorie  du  sacerdoce  universel  et  du  libre  examen,  il  ne  peut 
empêcher  que  l'on  n'ébranle  chaque  jour  l'autorité  de  la  Bible,  que 
l'on  ne  discute  ses  titres,  que  l'on  ne  juge  son  contenu,  et  ce  n'est 
qu'en  vertu  d'une  illusion  pieuse  que  tant  d'âmes,  et  parmi  elles  sou- 
vent les  meilleures,  se  croient  aveuglément  soumises  à  l'autorité  de 
l'Ecriture ,  alors  qu'en  réalité  elles  se  montrent  très-libres  vis-à-vis 
d'elle  et  que,  dans  l'usage  qu'elles  font  des  livres  saints  pour  leur  édifi- 
cation ou  leur  culte  de  famille,  elles  opèrent  un  triage,  selon  les  lu- 
mières de  leur  esprit  ou  selon  les  besoins  de  leur  vie  religieuse.  — i°  A  y 
regarder  de  près ,  la  Bible  emprunte  son  autorité  au  témoignage  in- 
comparable et  pleinement  suffisant  qu'elle  rend  à  la  personne  de 
Jésus-Christ.  Nos  réformateurs  déjà  disaient  qu'ils  se  soumettaient 
à  l'Ecriture,  en  tant  qu'elle  prêche  Jésus-Christ.  Son  image  s'impose  à  la 
conscience  comme  la  manifestation  visible  de  Dieu  la  plus  parfaite.  Une 
force  divine  souligne  ses  paroles.  Et  nous  ne  parlons  pas  d'un  Christ 
idéal,  produit  perfectible  de  la  conscience  religieuse,  et  dont  l'image, 
dès  lors,  n'aurait  qu'un  caractère  purement  subjectif  et  essentiellement 
variable.  Il  s'agit  du  Christ  historique,  qui  est  apparu  au  sein  de 
l'humanité,  qui  a  vécu  parmi  nous  et  dont  ses  témoins  ont  contemplé 
la  gloire,  «  une  gloire  pleine  de  grâce  et  de  vérité  »  (Jean  I,  14)  ;  il 
s'agit  de  la  puissance  spirituelle  qui  découle  de  lui,  et  qui  est  la  source 
de  toute  lumière ,  de  toute  force  et  de  toute  vie  dans  la  chrétienté. 
Sans  doute,  il  appartient  à  la  critique  de  contrôler  les  documents  qui 
nous  ont  transmis  cette  image;  mais,  dès  à  présent,  l'origine  et 
l'histoire  de  l'Eglise  sont  là  pour  attester  sa  réalité  objective.  Nous 
trouvons  un  triple  avantage  à  reconnaître  Jésus-Christ  comme 
l'autorité  souveraine  en  matière  religieuse.  11  nous  fait  mieux  com- 
prendre la  Bible,  qu'il  remplit  pour  ainsi  dire  de  son  esprit,  et  davan- 
tage aimer  l'Eglise  qui  doit  reproduire  son  image  et  en  perpétuer  le 
souvenir  sur  la  terre.  Par  l'intermédiaire  de  Jésus-Christ,  il  s'établit 
entre  l'âme  et  Dieu  un  contact  plus  direct,  plus  vivant,  plus  sanctifiant  : 
à  travers  son  cœur  nous  sentons  mieux  battre  le  cœur  de  notre 
Père  céleste.  Jésus-Christ  communique  enfin  à  ceux  qui  veulent  réso- 
lument marcher  sur  ses  traces,  en  l'acceptant  pour  leur  maître  et 
leur  sauveur,  cette  puissance  de  rayonnement  et  de   propagande  par 


AUTORITÉ  -  AUTRICHE-HONGRIE  751 

laquelle  le  monde  sera  vaincu,  c'est-à-dire  transformé.  L'autorité  de 
J&us-Chrisl  en  matière  religieuse,  attestée  par  tous  ceux  qui  s'appro- 
chaient de  lui  avec  un  esprit  non  prévenu  (Matth.  VII,  29),  se  légitime  le 
mieux  par  ce  mot  de  Pierre  qui,  s'adressant  à  son  maître,  lui  dit  ■  «  A 
qui  irions-nous?  Tu  as  les  paroles  de  la  vie  éternelle  »  (Jean  VI  68)  et 
par  cet  autre  mot  de  Jean-Baptiste,  qui  exprime  le  vœu  naturel  de  tout 
hommeen  face  du  Christ  :  «  Il  faut  qu'il  croisse  et  que  je  diminue  » 
«•Iran  111  30).  —  Noyez,  sur  cette  question,  les  prolégomènes  des  ou- 
vrages de  dogmatique,  en  particulier  Schleiermacher,  Der  christl. 
Giaube,  Berl.,  1835,  [,  p.  67  ss.  :  Ebrard,  Christl.  Dogmatik,  Kbnigsb., 
1851,  I,  p.  25  ss.  :  Martensen,  Christl.  Dogmatik,  Berl.,  1856,  I  ,  p  26 
ss.  :  Schenkel,  Die  Christl.  Dogmatik,  Wiesbaden,  1858,  I,  p.  77  ss  ■ 
Kahnis,  Die  luther.  Dogmatik,  Leipz.,  1861,  I,  p.  650  ss.  ;  Rothe,  Zur 
Dogmatik,  Gotha,  1863;  Schweizer,  Die  christl.  Glaubemlehre ,  Leipz  , 
1863,1,  p.  104  ss.;  Biedermann,  ChristL  Dogmatik,  Zûr  ,  1869 
p.  10^2  ss.,  etc.,  etc.  F.  Lichtenbergeb. 

AUTRICHE-HONGRIE  (Statistique  ecclésiastique).  —La  monarchie 
austro-hongroise  comptait,  au   31    décembre  1869,  35,904,435  habi- 
tants, dont  20,394,980  dans  les  pays  autrichiens,  et  15.509,455  dans 
les  dépendances  de  la  couronne  de  Hongrie.  Cette  population  se  rat- 
tache aux  races  les  plus  diverses.  On  estime  que  l'empire  renferme 
environ  9,200,000  Allemands,  6,400,000  Tchèques  et  Moraves,  5,500,000 
Magyares,   3,000,000  de  Ruthènes,  3,000,000  de  Serbes  et    Croates 
2,900,000 Roumains,  2,500,000  Polonais,  1,400,000 Israélites,  1,200,000 
Slovènes,  600,000  Italiens,  150,000  Bohémiens,  25,000  Bulgares,  10,000 
Arméniens,  etc.,  etc.  —  Les  cultes  y  sont  aussi  divers  que  les  races. 
Voici  les  chiffres  officiels  de  1869:  —  1.  Catholiques  du  rite  latin:  Autri- 
che. 16,395,675;   Hongrie,  7,558,558,  total  23,954,235,  ou  66  p.  100 
de  la  population  de  l'empire.  —  2.  Catholiques  grecs-unis  :  Autriche, 
2,342,168;  Hongrie,  1,599,628,  total  3,941,796,  oulll/2p.l00.-3.  Ca- 
tholiques arméniens-unis  :  Autriche,  3,U0;  Hongrie,  5,133.  tôt.  8,279. 
—  4.  Luthériens  :.Autriche,.252,327;  Hongrie,  1,113,508,  total  1,365,835, 
ou  \  p.  100.  -  5.  Réformés  :  Autriche,  111,935;  Hongrie,  2,031,243, 
total  2,143,178,  ou  6  p.  100.  — 6.  Grecs  orientaux:  Autriche.  461,511  • 
Hongrie;  2,589,319; total  3,050,830,  ou  8  1/2  p.  100.  —7.  Arméni< 
orientaux  :  Autriche,  1.208;  Hongrie,  646;  total  1,854.—  8. Unitaires  : 
Autriche,   2i8;  Hongrie,  51,822;    total  55.070.  -  9.   Autres   se. 
chrétiennes   :    Autriche,    4,172;    Hongrie,    2,734;    total    6,906.  - 
W.  Israélites  :  Autriche,  822,220;  Hongrie,  553,641  ;  total   1,275.861, 
ou  1  p.  100.  —  11.  Autres  cultes  non  chrétiens  :  Autriche,  370;  Hon- 
gr  e,223;  total  593.  En  résumé,  les  catholiques  romains  formentles  2/3 
de  la  population  :  les  grecs-unis  à  Rome  un  peu  plus  de  1   10  :  les  pro- 
testants, tant  luthériens  que  calvinistes,  I  10  ;  les  orientaux  un  peu  moins 
(l('  l'IO;  les  :  m  peu  moins  de   12  1000.  Nous  allons  exami- 

ner chacune  de  ces  confessions  en  particulier.  —  1.  Eglise  catholique 
romaine.  L'Eglise  catholique  a  longtemps  joui  de  grands  privilèges 
dan»  les  Etats  de  la  maison  d'Autriche.  Joseph  [Iles  restreignit  consi- 
dérablement à  la  tin  du  siècle  dernier;   mais  la  politique  des  empe- 


752  AUTRICHE-HONGRIE 

reurs  qui  lui  succédèrent  tendit  à  rétablir  ces  privilèges  dans  les  rap- 
ports des  catholiques  et  des  adhérents  d'autres  cultes,  tout  en  mainte- 
nant soigneusement  les  droits  par  lesquels  l'Etat  pouvait  avoir  prise 
sur  la  cour  de  Rome.  Pendant  toute  la  première  moitié  du  dix-neu- 
vième siècle,  c'est  dans  ce  sens  que  se  développa  en  Autriche  la  cons- 
titution de  l'Eglise  catholique.  Dans  toute  la  partie  occidentale  de  l'em- 
pire, le  catholicisme  était  seul  reconnu  ;  les  autres  confessions  jouis- 
saient tout  au  plus  d'une  tolérance  intermittente.  Dans  les  provinces 
orientales,  d'autres  cultes  partageaient  les  mêmes  privilèges  ;  mais  là 
même  où  elle  était  la  moins  favorisée ,  une  entière  égalité  lui  était 
assurée  avec  les  autres  religions  reconnues  par  l'Etat.  Les  prélats  fai- 
saient partie  des  diètes  provinciales,  comme  évêques  dans  la  plupart 
des  pays,  comme  membres  de  la  noblesse  en  Galicie,  en  Hongrie  et 
en  Transylvanie.  Mais  s'ils  étaient  assez  puissants  pour  opprimer  les 
dissidents,  les  prélats  ne  l'étaient  pas  assez  pour  causer  des  embarras 
au  gouvernement.  L'empereur  en  avait  la  nomination  (droit  qu'il  a 
conservé  jusqu'à  aujourd'hui)  ;  la  seule  exception  était  pour  les  arche- 
vêques d'Olmûtz  et  de  Salzbourg,  qui  étaient  élus  par  leur  chapitre  ; 
pour  les  évêques  de  Lavant  et  de  Seckau,  qui  étaient  nommés  par  l'ar- 
chevêque de  Salzbourg,  et  enfin  pour  l'évêque  de  Gurk,  que  choisis- 
saient alternativement  l'empereur  et  l'archevêque  de  Salzbourg.  Les 
bulles  de  la  cour  de  Rome  et  les  mandements  épiscopaux  ne  pouvaient 
être  publiés  dans  l'empire  qu'avec  l'autorisation  impériale.  Les  ecclé- 
siastiques n'étaient  soumis  à  la  juridiction  de  leur  évoque  que  pour  le 
spirituel.  En  cas  d'appel  au  pape,  la  permission  de  l'empereur  était 
nécessaire  pour  qu'il  y  put  être  donné  suite;  et  même,  en  ce  cas,  le 
saint-siége  devait  déléguer,  pour  juger  l'appel,  un  évêque  autrichien. 
Telle  était  la  situation,  lorsque  l'écrasement  des  éléments  révolution- 
naires, après  1848,  amena  un  changement  dans  la  politique  du  gou- 
vernement autrichien.  Pour  suivre  le  système  de  compression  à  ou- 
trance qu'il  avait  adopté,  il  dut  rechercher  comme  auxiliaire  l'appui 
du  haut  clergé  :  de  là  nombre  de  concessions  importantes.  Dès  le  mois 
d'avril  1850,  un  décret  de  l'empereur  dispensa  les  bulles  et  les  man- 
dements de  la  nécessité  de  l'autorisation  ;  et  enfin,  le  18  août  1855,  fut 
signé  un  concordat  qui  donnait  à  l'Eglise  catholique  d'immenses  pri- 
vilèges. Le  premier  article  garantit  dans  tout  l'empire  à  la  religion 
catholique  romaine  tous  les  droits  et  les  privilèges  qu'elle  prétend 
tenir  de  l'institution  divine  et  des  lois  canoniques,  et  les  articles  sui- 
vants contiennent  les  développements  et  les  applications  de  ce  prin- 
cipe. Le  mécontentement  fut  grand  dans  tous  les  cercles  libéraux,  et 
lorsque  l'empire  fut  revenu  à  une  constitution  plus  libérale,  une  série  de 
lois  apportèrent  successivement  de  profondes  modifications  à  cet  acte  du 
pouvoir  absolu.  La  plus  importante  de  ces  lois,  votée  en  avril  1868, 
établissait  le  mariage  civil  et  reconnaissait  la  parfaite  égalité  de  toutes 
les  croyances  religieuses.  Aujourd'hui,  la  religion  catholique  romaine 
est  encore  officiellement  la  religion  de  l'Etat;  mais  elle  a  perdu  tout 
ce  que  ses  privilèges  avaient  d'oppressif,  et  les  autres  cultes  jouissent 
dune  pleine  liberté.  Les  quatre  lois  de  janvier  1874  règlent  dans  un 


AITRICIIE-HONGRIE  753 

sens  tout  favorable  à  l'Etat  les  rapports  de  l'Eglise  et  du  pouvoir 
civil.  —  L'empire  est  divisé  en  5't  diocèses,  dont  53  ont  leur 
siège  sur  son  territoire  :  11  archevêchés,  41  évêchés  et  1  vicariat 
général.  On  trouvera  dans  quelques  documents  des  chiffres  plus  élevés 
(57  et  même  59  évêchés)  ;  F  erreur  provient  d'une  confusion  entre  les  dio- 
cèses catholiques  romains  et  les  diocèses  grecs  et  arméniens  unis, 
dont  il  sera  question  plus  tard ,  et  aussi  du  maintien  dans  le  compte 
d'évêchés  supprimés,  comme  ceux  dWibo  et  d'Ossero,  en  Dalmatie,  ou 
réunis  à  d'autres,  comme  celui  de  Bacs,  en  Hongrie,  OU  celui  de  Mar- 
easea.  en  Dalmatie,  etc.  Voici  la  liste  que  nous  avons  dressée  (les  arche- 
vêchés sont  en  lettres  italiques;  leurs  suffragants  les  suivent  immédia- 
tement; la  date  entre  parenthèses  est  celle  de  la  fondation).  Vienne 
(évêché,  juin  1178;  archevêché,  1er  juin  1722),  Sankt  Pœlten  (28  jan- 
vier 1784),  Linz  (28  janvier  1784);  Salzbourg  (vers  536),  Brixen  (vers 
992  :  le  siège  existait  à  Seben  depuis  deux  siècles  et  demi),'  Trente 
(vers  381),  Seckau  (22  juin  1218),  Gurk  (6  mars  1072),  Lavant  ou 
Sankt Àndrae  (10  juin  1228),  et  le  vicariat-général  de  Feldkirch  pour  le 
Vorarlberg;  Gorùz  (6  juillet  1751,  réduit  au  rang  d'évêché  de  1787  à 
1830),  Laïbach  (9  septembre  1402,  archevêché  de  1788  à  1807), 
Trieste  et  Capo  d'Istria  (vers  524),  Parenzo  et  Pola  (les  deux  sièges, 
remontant  au  sixième  siècle,  ont  été  réunis  le  25  avril  1826),  Yeglia 
(vers  Tan  1000);  Prague  (évêché,  23  mars  973  ;  archevêché,  30  avril 
1344),  Leitmeritz  (30  avril  1344),  Kœnigsgraetz  (10  novembre  1664), 
Budweiss  (26  septembre  1785  ;  quelques  paroisses  de  ce  diocèse  sont 
sur  territoire  prussien)  ;  Olmûtz  (évêché  vers  960,  archevêché  6  octo- 
bre 1777),  Brunn  (5  décembre  1777);  Léopol  (28  août  1412,  existait 
à  Halics  depuis  cinquante  ans),  Przemysl  (18  janvier  1353),  Tar- 
now  (1783);  Zara  (évêché  vers  381,  archevêché  1146),  Cattaro  (vers 
880),  Lésina  (1147),  Raguse  (vers  830),  Sebenico  (1er  mai  1298),  Spala- 
tro  (troisième  siècle ,  archevêché  pendant  de  longs  siècles)  ;  Marcana 
Gran  (vers  Tan  1000),  Stuhlweissenbourg,  ou  Albe  royale  (16  juin 
1777),  Raab  (vers  Tan  1000),  Neusohlen  (13  mars  1776),  Neutra  (vers 
1031),  Fùnfkirchen  (vers  Tan  1000),  Steinamanger  (23  juin  1777), 
Waitzen  (vers  1052),  Veszprim  (vers  Tan  1000);  Erlau  (vers  Tan  1000), 
Kaschau  (10  août  1804),  Rosenau  (13  mars  1776,  vicariat  apostolique 
de  1756  à  1776),  Zips  (13  mars  1776),  Szathmar  (12  août  1804);  Ka- 
locza  et  Bacs  (évêché  vers  Tan  1000,  archevêché  1094),  Csanad  (vers 
1037),  Transylvanie  (vers  Tan  1100,  révêque  réside  à  Karlsbourg), 
Grosswardein  (vers  1100);  Knin  Agram  (vers  1085,  archevêché  en  mars 
1853),  Deokowar  (vers  1233),  Mitrowicz  (Sirmium  très-ancien),  Zengg 
(vers  1150);  De  plus,  nue  partie  de  la  Silésie  autrichienne  dépend  du 
diocèse  de  Breslau.  Les  couvents  et  les  ordres  religieux  sont  encore. 
assez  nombreux.  Cependant,  ils- le  sont  moins  qu'au  siècle  dernier; 
un  grand  nombre  furent  sécularisés  sous  Joseph  II,  et,  dans  notre 

siècle,    il   a   encore  disparu    près  de  .'{00  ;il>l>ayes   et   plus   de    500  COU~ 

vents.  Km  dresser  la  liste  est  chose  fort  difficile,  les  renseignements 
étant  incohérents  et  souvent  contradictoires.  .Nous  avons  dû  renoncer 
à  constater  le  nombre  des  personnel  qui  vivent  dans  ces  établissements 


754  AUTRICHE-HONGRIE 

religieux.  Les  chiffres  que  Ton  donne  à  cet  égard  sont  sans  aucune 
valeur  ;  la  préoccupation  politique  les  enfle  ou  les  réduit  suivant  le  but 
que  s'est  proposé  leur  premier  auteur.  Les  seuls  chiffres  auxquels  on 
puisse  s'arrêter  sont  ceux-ci  :  il  y  a  dans  les  provinces  allemandes  43 
abbés  ayant  dotation,  en  Hongrie  22  abbés  ayant  dotation  et  124  abbés 
titulaires,  41  prébendes  ayant  dotation,  et  29  prébendes  titulaires  ;  en 
Transylvanie,  3  abbés  titulaires  et  plus  de  150  monastères  et  couvents  ; 
en  Galicie,  70  monastères.  Une  portion  considérable  du  sol  appartient 
à  ces  établissements.  Les  documents  font  défaut  pour  établir  le  nom- 
bre des  maisons  ecclésiastiques.  —  2.  Les  Catholiques  grecs-unis,  au 
nombre  de  près  de  4,000,000.  Ce  sont  des  chrétiens  orientaux  qui  ont 
reconnu  l'autorité  du  pape  et  accepté  l'adjonction  du  filioque  dans  le 
symbole.  Ils  ont  conservé  leur  ancienne  liturgie  ;  le  mariage  des  prêtres 
est  autorisé  parmi  eux  ;  la  communion  se  donne  aux  fidèles  sous  les 
deux  espèces.  Ils  habitent  presque  toutes  les  provinces  orientales  de 
l'Empire,  la  Galicie,  la  Hongrie,  la  Transylvanie,  la  Croatie,  les 
contins  militaires.  Les  grecs-unis  de  Galicie  forment  les  diocèses  de 
Leopol  rite  grec-ruthène  (évêché  1597,  archevêché  25  septembre  1808) 
et  de  Przemysl  (1595;  un  schisme  de  80  ans  désola  ce  diocèse  au 
dix-septième  siècle).  La  Transylvanie  ressort  de l'archevêque  de  Fogaras 
rite  grec-roumain  (évêché  3  février  1821,  archevêché  16  novembre 
1854).  L'Eglise  grecque  unie  de  Hongrie  est  gouvernée  par  l'évêque 
de  Lugos  (18  novembre  1854) ,  suffragant  de  Fogaras,  et  par  les  évêques 
d'Eperies  (22  septembre  1830),  de  Munkacs  (1771)  et  de  Grosswardein 
(1777),  qui  dépendent  de  l'archevêque  catholique  romain  de  Gran. 
Du  même  métropolitain  dépend  également  l'évêque  de  Kries  en 
Croatie  (1751).  Il  nous  a  été  impossible  d'établir  la  liste  des  couvents 
grecs-unis  de  l'empire.  Les  séminaires  de  Leopol  et  de  Fogaras  forment 
tous  les  prêtres  grecs  unis  de  la  monarchie.  —  3.  Les  Catholiques 
arméniens -unis,  au  nombre  de  8,279,  sont  à  peu  près  dans  la  même 
position  que  les  grecs-unis  par  rapport  à  l'Eglise  romaine.  Ils  ont  un 
archevêque  à  Leopol  uni  à  l'Eglise  catholique  en  1535,  séparé  d'elle 
en  1551,  et  réuni  d'une  manière  définitive  en  1624.  L'empereur  le 
Choisit  parmi  trois  candidats  que  lui  présente  le  clergé.  A  cette 
confession  appartient  l'ordre  célèbre  des  mékhitaristes  qui  a  une  abbaye 
générale  à  Vienne  et  trois  autres  maisons  dans  l'empire  à  Kloster- 
neubourg,  à  Trieste  et  à  Elisabethenstadt.  — Les  protestants  autrichiens 
ont  été  pendant  longtemps  traités  différemment  dans  les  différentes 
parties  de  la  monarchie.  Très-nombreux  pendant  le  seizième  siècle,  ils 
furent  persécutés  et  diminuèrent  peu  à  peu  à  partir  du  règne  de 
Ferdinand  IL  L'édit  de  tolérance  de  Joseph  II  (31  octobre  1781)  leur 
rendit  quelque  liberté.  En  Transylvanie,  en  Hongrie,  en  Galicie,  ils 
jouirent  de  droits  presque  égaux  à  ceux  des  catholiques  ;  dans  la 
plupart  des  autres  provinces,  les  entraves  continuèrent  à  être  nom- 
breuses ;  dans  quelques-unes,  leur  culte  restait  absolument  interdit  ; 
dans  le  Tyrol,  par  exemple,  une  partie  des  habitants  du  Zillerthal  ayant 
embrassé  en  1835  la  foi  évangélique,  furent  contraints  d'émigrer 
et  se  retirèrent   dans  la   Silésie  prussienne.    Le   concordat   de   1855 


AUTRICHE-HONGRIE  7:»:> 

rendit  la  situation  plus  difficile  encore,  mais  la  constitution  de  1867 
leur  accorda  dans  tout  l'empire  la  plus  complète  tolérance.  L'au- 
torité supérieure  commune  aux  Luthériens  et  aux  réformés  des  pro- 
vinces cisleithanes  est  le  consistoire  de  Vienne.  Jusqu'en  1867,  le 
président  laïque  de  ce  corps  était  nécessairement  catholique.  Les 
membres,  luthériens  et  réformés,  forment  deux  sections  qui  s'oc- 
cupent chacune  des  affaires  particulières  à  sa  confession,  et  se  réunis- 
sent pour  traiter  les  affaires  communes.  Le  consistoire  est  du  reste 
plutôt  un  corps  politique  qu'ecclésiastique;  il  représente  davantage 
l'Etat  vis-à-vis  de  l'Eglise  que  l'Eglise  vis-à-vis  de  l'Etat.  L'ensei- 
gnement supérieur  est  donné  par  la  faculté  de  théologie  de  Vienne 
fondée  en  1820.  et  qui,  par  une  exception  singulière  et  un  reste  de 
l'ancienne  inégalité,  ne  fait  pas  partie  de  l'Université.  Beaucoup  de  pas- 
teurs autrichiens  font,  du  reste,  leurs  études  en  Allemagne,  ce  qui  n'est 
autorisé  que  depuis  18i0.  La  partie  transleithane  de  la  monarchie  a 
dépendu  du  consistoire  de  Vienne  jusqu'à  la  séparation  des  deux 
pays  ;  elle  en  est  sans  doute  détachée  depuis  lors.  Mais  nous  n'avons 
pu  nous  procurer  de  renseignements  à  cet  égard.  Voici  maintenant 
quelques  chiffres  officiels  :  4.  Luthériens,  1,365,853  (1869),  10  surin- 
tendances, 8(U  paroisses,  2,156  annexes.  Ces  chiffres  remontent  à 
vingt  ans;  nous  n'avons  pu  nous  en  procurer  de  plus  récents.  Surin- 
tendances :  1.  Basse-Autriche,  Styrie-Ilïyrie  ;  2.  Haute-Autriche; 
3.  Bohème;  4.  Moravie  et  Silésie;  5.  Galicie;  6.  Hongrie  en  deçà  du  Da- 
nube; 7.  Hongrie  au  delà  du  Danube;  8.  de  la  Montagne  (en  Hongrie); 
9.  de  la  Theiss  (en  Hongrie)  ;  10.  Transylvanie.  L'organisation  de  ces 
diverses  surintendances  est  assez  variée.  Nous  en  réservons  le  détail 
pour  les  articles  spéciaux  à  ces  provinces.  Les  paroisses  élisent  en 
général  leurs  pasteurs  et  leurs  instituteurs;  elles  ont  aussi  à  pourvoir 
à  leur  traitement.  Les  surintendants  sont  proposés  par  l'Etat  qui  leur 
donne  une  subvention.  Les  membres  du  consistoire  sont  des  fonction- 
naires et  l'Etat  les  rétribuer  Au  point  de  vue  religieux,  les  Eglises 
luthériennes  de  l'Autriche  sont  bien  déchues  de  leur  ancienne  foi, 
et  le  rationalisme  y  règne  à  peu  près  en  maître.  —  5.  Réformés, 
2,143,178  (1869),  8  surintendances:  1.  Autriche,  Carinthie,  Carniole 
et  littoral;  2.  Bohême;  3.  Moravie  et  Silésie;  4.  Hongrie  en  deçà  du 
Danube;  :\.  Hongrie  au  delà  du  Danube;  6.  Hongrie  en  deçà  de  .la 
Theiss;  7.  Hongrie  au  delà  de  la  Theiss;  8.  Transylvanie.  Les  rapports 
avec  l'Etat  sont  en  général  réglés  de  la  même  façon  que  pour  les 
luthériens.  L'organisation  varii  de  province  à  province.   Leur 

état  religieux  est  en  général  meilleur  que  celui  des  luthériens, 
sectes  protestantes  sont  peu  nombreuses;  les  documents  uous 
font  défaut  pour  en  parler.  —  0.  Grecs  orientaux,  3,050,830  (1869), 
établis  presque  ton-  dans  les  provinces  orientales.  Le  chef  spirituel  de 
leur  communion  dans  la  monarchie  est  l'archevêque  de  C<n-I<»ritz< 
dans  l'Esclavonie.  Les  évêchés  de  Czernowitz,  en  Bukowine, 
et  d" Hermanmtadt .  en  Transylvanie,  ont  été  depuis  quelques 
années  transformés  en  archevêchés.  Les  autres  évêques  sont  aiw  de 
T.  mesvar,  d'Arad.  de  Versecz,  de  Carlsi  idt,  de  Pakracz,  de  Neusacz  et 


756  AUTRICHE-HONGRIE  —  AUTUN 

d'Ofen  en  Hongrie,  et  celui  de  Sebenico  pour  l'Istrie  et  la  Dalmatie. 
Leurs  prêtres  font  leurs  études  dans  les  séminaires  de  Carlowitz  et  de 
Czernowitz.  Depuis  1875,  l'Université  de  Czernowitz  a  une  Faculté  de 
théologie  grecque  orientale  avec  quatre  chaires  :  i.  Théologie  pratique 
et  systématique  ;  2.  Histoire  et  droit  ecclésiastiques  ;  3.  Ancien  Testa- 
ment; 4.  Nouveau  Testament.  Elle  compte  de  plus  deux  professeurs 
extraordinaires  et  un  agrégé  (novembre  1876).  —  7.  Arméniens  orien- 
taux, 1,854  personnes  à  Vienne  et  dans  les  comitats  de  Neusohi  et  de 
Bacs  en  Hongrie.  —  8.  Unitaires  ou  Sociniens,  55,070,  établis  en 
Transylvanie  où  ils  forment  une  Eglise  reconnue  par  l'Etat.  Comme 
nous  aurons  à  en  reparler  à  l'article  Transylvanie,  nous  nous  conten- 
terons de  noter  ici  que  leurs  autorités  ecclésiastiques  sont  un  consis- 
toire et  un  surintendant  général  résidant  tous  deux  à  Klausenbourg. 
Le  surintendant  est  assisté  d'un  notaire  général  et  d'un  orateur  géné- 
ral. Le  nombre  des  paroisses  était,  il  y  a  quelques  années,  de  104  des- 
servies par  120  pasteurs;  ceux-ci  font  leurs  études  au  collège  de 
Klausenbourg.  —  Quant  aux  Israélites,  très-nombreux  en  Autriche-Hon- 
grie, à  notre  grand  regret,  nous  n'en  pouvons  rien  dire  de  certain.  —  Les 
dépenses  des  cultes  sont  couvertes  pour  la  plus  grande  partie  par  les 
revenus  des  biens  ecclésiastiques  qui  sont  très-considérables.  La  part 
contributive  de  l'Etat  portée  au  budget  de  la  partie  cisleithane  de  l'em- 
pire était  en  1876  de  4,069,415  florins  aux  dépenses  ordinaires,  et  de 
1,089,078  florins  aux  dépenses  extraordinaires,  soit  environ  13,000,000 
de  francs,  y  compris  le  crédit  supplémentaire  de  600,000  florins  accordé 
par  la  loi  du  18  mars  1876.  Dans  les  pays  delà  couronne  de  Hongrie,  il 
y  a  pour  les  cultes  et  pour  l'enseignement  des  fonds  spéciaux  dont  nous 
n'avons  pas  les  comptes  sous  les  yeux.  lia  été  attribué  en  outre  à  ce  minis- 
tère une  somme  de  3,924,200  florins  au  budget  de  1876.  495,848  florins 
étaient  de  plus  portés  pour  le  même  objet  au  budget  spécial  de  la 
Croatie  et  de  l'Esclavonie.  —  Bibliographie  :  Almanach  de  Gotha  1877 
et  années  précédentes;  Maurice  Block,  Annuaire  de  l  Economie  poli- 
tique et  de  la  Statistique,  1876  et  années  précédentes;  Frederick  Martin, 
The  Staatesmans  fear  Book;  Hof  und  Staatshandbuch  des  Kaiserthvms 
Œsterreich  1877  ;  Statistisches  ,/ahrbuch  der  œsterreichischen-wngarischen 
Monarchie  fur  das  Jalir  1874  ;  Brachelli  ,  Hunfalvi ,  Prasch ,  Schmitt, 
etc.,  Statistiques  de  la  monarchie  austro-hongroise  ou  de  quelques-unes 
de  ses  parties,  etc.,  etc.  E.  Vauchee. 

AUTUN  [Augustodunum  ,  Flavia  Aïduorum)  fut,  dit-on,  évangélisée 
par  les  saints  Bénigne,  Andoche  et  Thyrse,  envoyés  par  Polycarpe. 
Saint  Symphorien,  converti  par  saint  Bénigne,  a  donné  son  nom  à  une 
abbaye  dont  saint  Germain  de  Paris  (f  576)  fut  le  premier  abbé.  Saint 
Amateur  passe  pour  avoir  été  le  premier  évoque  de  la  cité  éduenne  ; 
saint  Martin,  dont  une  abbaye,  fondée  par  Brunehaut,  porte  le  nom, 
est  donné  comme  son  successeur.  Saint  Rhétice,  qui  vivait  en  314,  fut 
un  des  plus  grands  évêques  de  la  Gaule.  Saint  Léger  (f  678;  voyez  ce 
nom)  illustra  le  siège  d'Autun.  Les  évêques  de  cette  ville  ont  joui  de 
grands  privilèges  dans  la  province  de  Lyon.  Leur  cathédrale,  Saint- 
Ladre  (1178),  a  remplacé  une  autre  église,    dédiée  à   saint  Nazaire. 


,      AUTUN  —  AUVERGNE  7;>7 

Autun  possédait  encore  les  abbayes  de  Saint-Jeaii-le-Grand  (fondée 
avant  589)  et  de  Saint-Andoche.  11  s'y  tint  (des  synodes  au  septième 
siècle,  puis  en  1077  et  1094.  —  Voy.  Cl.  Saulnier,  Autun  chrétien, 
1686,  in-V  :  (Gagnard),  Jfist.  de  VEg>.  d'A.,  1774,  in-8°  ;  Gallia,  IV. 

AUVERGNE.  Dés  1535,  un  chanoine  de  Clermont  surprit  dans  cette 
ville  un  cciit  luthérien  et  le  dénonça  au  chapitre,  qui  ordonna  aussi- 
tôt une  perquisition  chez  les  ecclésiastiques  et  officieux  de  sa  juridic- 
tion, punit  très  sévèrement  tous  ceux  d'entre  eux  qui  se  trouvèrent 
nantis  de  livres  «  sentant  mal  de  la  foi  ».  Cinq  ans  plus  tard  arrive  à 
issoire.  autre  ville  de  l'Auvergne,  un  moine  jacobin  d'Allemagne,  les 
vêtements  tout  en  lambeaux.  Il  raconte  aux  consuls,  à  qui  il  avait 
demandé  un  secours  de  route,  les  grands  événements  survenus  en  Aile- 
magne  à  la  suite  des  prédications  de  Luther,  et  leur  expose  avec  un  tel 
.((tut  de  conviction  les  doctrines  nouvelles,  que  les  consuls,  contre- 
mandant  sur  l'heure  un  cordelierde  Clermont  à  qui  ils  avaient  confié  le 
soin  de  prêcher  le  carême  dans  leur  ville,  le  chargent  lui-même  de  cette 
tache.  Ses  prédications,  bien  que  généralement  goûtées,  soulevèrent 
néanmoins  de  l'opposition  de  la  part  de  certaines  personnes  qui,  faisant 
venir  secrètement  le  cordelier,  parvinrent,  au  moment  où  son  collègue 
prêchait,  à  le  faire  violemment  descendre  de  la  chaire  en  le  frappant 
avec  le  manche  d'une  croix.  Pendant  ce  temps,  le  cordelier,  posté  sur 
les  degrés  de  la  chaire,  traitait  le  jacobin  de  menteur  et  d'hérétique. 
Ce  dernier  partit  pour  Genève,  mais  sa  parole  convaincue  et  les  nom- 
breuses lettres  qu'il  écrivit  à  Issoire  portèrent  des  fruits  et  deux  cents 
personnes  environ  se  convertirent  aux  idées  nouvelles.  L'un  d'eux, 
Jean  Bruguière,  de  Fernoël,  receveur  des  cens,  fut  arrêté  et  conduit 
sons  bonne  escorte  à  Paris.  Le  Parlement  l'ayant  condamné  à  être  brûlé 
vil  à  Issoire  (3  mars  1547),  il  y  fut  ramené  et  subit  la  mort  avec  une 
héroïque  constance.  «  Il  ne  fut  vu  remuer  ni  ouï  crier.  »  Son  supplice, 
du  reste,  produisit  une  telle  impression  sur  les  assistants  que  l'inquisi- 
teur romain  Matthieu  Urry,  les  officiers  du  roi  et  le  bourreau,  saisis 
d'une  grande  terreur,  prirent  la  fuite  avant  la  fin  de  cette  scène  tra- 
fique. Peu  après,  les  Issoiriens  convertis,  devenus  de  plus  en  plus 
nombreux,  firent  venir  un  ministre  de  Genève,  nommé  Annet  Dé- 
>auches,  qui  tint  plusieurs  réunions  dans  des  caves  et  fut  arrêté  par  les 
consuls,  puis  condamné  à  mort  et  pendu.  Le  fameux  édit  de  jan- 
vier 1562  permettant  aux  luthériens  de  se  réunir  dans  les  faubourgs 
<i»s  villes,  ceux  d'Issoire  appelèrent  de  Genève  l'éloquent  ministre  Guy 
de  Moranges,  auquel  ils  adjoignirent  bientôt  André,  Lecourt,  cellérier 
converti  de  l'abbaye  d'Issoire,  et  les  prédicateurs  Duïau  et  Georges 
Laurent.  Moranges  passa  peu  après  an  service  de  l'Eglise  d'Auriilac,  el 
l'ut  remplacé  à  Issoire  par  Sébastien  Tyran.  Pour  ce  qui  est  des  protes- 
tants d'Auriilac,  après  avoir  temporisé  longtemps  et  s'être  d'abord 
assemblés  de  nuit  pour  l'exercice  de  leur  culte,  ils  venaient  enfin 
d'obtenir  un  ministre  et  un  prêche  (1561), quand  600  fanatiques,  com- 
mandés par  François  Channeil  et  Louis  de  Brezon,  pénètrent  dans  la 
ville  et  se  mettent  en  devoir  de  massacrer  tous  les  luthériens  qu'ils 
rencontrent  sur  leur  passage.  Les  meurtriers  étaient  décidés  à  ne  lais- 


758  AUVERGNE  —  ALXERRE   , 

ser  survivre  aucun  partisan  des  idées  nouvelles,  lorsqu'un  conseiller 
au  parlement  de  Paris  fut  député  en  hâte  à  Aurillac  pour  arrêter  le 
cours  de  leurs  tueries.  — Les  guerres  de  religion  qui  survinrent  bientôt 
après  portèrent  un  rude  coup  au  protestantisme  auvergnat.  La  des- 
truction totale  d'Issoire,  leur  boulevard,  les  ruina  pour  longtemps  (1577). 
Cette  Eglise  était  desservie  pour  lors  par  les  pasteurs  Dupré  et  Béran- 
gier,  auxquels  était  venu  s'adjoindre  le  ministre  Romileur,  qui  avait 
quitté  le  Languedoc.  Dupré  fut  pendu  après  la  prise  de  la  ville  et  son 
corps  livré  aux  plus  vils  outrages.  Les  commissaires  chargés  d'assurer 
l1  exécution  de  Fédit  de  Nantes  en  Auvergne,  se  partagèrent  sur  la  ques- 
tion de  savoir  si  l'exercice  de  la  religion  réformée  pouvait  être  permis 
à  Issoire  et,  en  attendant  la  décision  du  roi,  à  qui  le  procès-verbal  de 
partage  fut  envoyé,  le  commissaire  protestant,  qui  était  le  fils  du  célè- 
bre pasteur  de  Ghandieu,  crut  pouvoir  autoriser  provisoirement  cet 
exercice  dans  la  ville.  Mais  le  gouverneur  de  l'Auvergne,  Charles  de 
Valois,  s'y  opposa  de  la  façon  la  plus  formelle.  Le  conseil  privé  du  roi 
donna  gain  de  cause  au  commissaire  catholique,  et  les  protestants 
furent  réduits  à  s'assembler  secrètement  et  de  nuit  dans  des  lieux 
écartés.  Louis  XIII,  plus  juste  qu'Henri  IV,  leur  permit  en  1621  de  se 
réunir  à  Parentignat,  terre  du  roi,  située  à  une  lieue  d 'Issoire.  La  révo- 
cation de  l'édit  de  Nantes  affaiblit  et  ruina  plusieurs  villes  et  hameaux 
de  l'Auvergne,  qui  étaient  peuplés  de  protestants,  notamment  Marsac, 
Luziîlat,  Job,  Saint-Floret,  Mayres,  Ennezat  et  Maringues.  Dans  cette 
dernière  ville,  le  jour  même  de  la  publication  de  l'édit  révocatoire, 
.«  Mgr  l'évêque  et  Mgr  l'intendant  y  étant,  le  jour  de  Saint-Simon, 
«  disent  les  archives  municipales,  on  jeta  par  les  fenêtres  du  temple 
«  les  livres,  pupitres  et  affiches  qui  se  trouvèrent  dans  ledit  temple;  fut 
«  l'accoudoir  du  pasteur  Lachomette,  ministre  audit  Maringues...  brûlé 
((  au-dessous  de  la  grande  salle  avec  joie  et  applaudissement  de  tous 
«  nos  bons  et  chers  frères  chrétiens  apostoliques  romains».  Les  Eglises 
d'Auvergne  paraissent  n'avoir  été  rattachées  à  aucun  synode  provincial 
sous  le  régime  de  l'édit  de  Nantes,  vraisemblablement  à  cause  de  leur 
éloignement  et  de  leur  petit  nombre.  Depuis  le  Concordat  elles  ont  fait 
partie  du  consistoire  de  Lyon,  puis  de  celui  de  Saint-Etienne.  Il  n'y  a 
de  pasteur  qu'à  Clermont-Ferrand,  ce  poste  n'a  même  été  créé  qu'en 
1827.  —  Voyez  Bèze,  Histoire  ecclésiastique  ;  A.  Imberdis,  Hisf.  des 
guerres  relig .  en  Auvergne,  1855.  E.  Aknald. 

AUXERRE  (Autessiodurum,  A  Itissiodorwn) ,  évêché  suffragantde  Sens. 
11  a  été  supprimé  en  1790,  et  son  titre  a  été  donné  à  l'archevêché  de 
Sens.  Saint  Pèlerin,  martyr  à  Baugy  (16  mai), paraît  en  avoir  été  le  pre- 
mier évêque  (258-304)  ;  saint  Valérien,  évêque  d'Auxerre  (f  366), 
assista  en  347  au  concile  de  Sardique.  Saint  Germain  (voyez  ce  nom) 
fut  sacré  en  418;  il  mourut  le  31  juillet  448  à  Ravenne.  Son  corps, 
ramené  à  Auxerre,  fut  déposé  dans  la  chapelle  de  Saint-Maurice,  qu'il 
avait  fondée  en  422,  et  qui  devint  la  célèbre  abbaye  de  Saint-Germain. 
Sur  son  tombeau,  Clotilde  éleva  une  basilique  dont  la  crypte  (neu- 
vième siècle)  contient  les  tombeaux  des  évêques  d'Auxerre.  L'abbaye 
de  Saint-Germain  possédait  au  neuvième  siècle  une  célèbre  école.  Elle 


AUXEREE  —  AVENT  759 

fut  dévastée  en  1567  par  les  protestants.  La  partie  conservée  de  L'église 
date  du  treizième  au  quatorzième  siècle.  Un  synode,  tenu  en  578  à 
Auxerre,  prit  plusieurs  décisions  importantes  sur  La  messe  et  les  sacre- 
ments. Un  autre*  synode  se  réunit  dans  cette  ville  en  1098.  L'église  cathé- 
drale de  Saint-Etienne,  fondée  à  la  fin  du  quatrième  sièele,  montre  une 
crypte  de  1030;  elle  fut  rebâtie  de  1215  au  seizième  sièele.  —  Voy.  Le- 
beuf,  Mém.  sur  AujLcn-e,  Paris,  1743,  in-4«,  2  vol.;  2e  édit.  continuée, 
1848-55,  \  vol.  ;  Duru,  Bibl.  hist.  deV  Yonne;  Gallia,  XII.         S.  Berger. 

AVARES  (Le  christianisme  chez  les).  Au  sixième  siècle,  les  Avares, 
peuple  d'origine  tartare,  s'emparèrent  de  la  Dacie,  de  la  Pannonie  et 
de  la  Dalmatie,  et  repoussèrent  les  Slaves  vers  l'ouest.  Le  siège  épisco- 
pal  de  Salzbourgeut  la  charge  de  leur  conversion,  ministère  longtemps 
infructueuxet  troublé  parla  jalousie  des  Eglises  d'Aquilée  et  de  Passau. 
Lorsqu'en  791  Charlemagne  eut  mis  ces  peuples  sous  sa  domination, 
l'archevêque  Arnon  (f  821)  put  remporter  de  grands  suecès  dans  son 
apostolat.  En  796,  Tudun,  prince  des  Avares,  reçut  à  Aix  le  baptême 
avec  sa  suite,  et  en  797,  son  peuple  jura  d'accepter  le  christianisme 
et  demanda  des  missionnaires.  Mais  dès  le  neuvième  siècle  le  nom  des 
Avares  disparait  de  l'histoire. 

AVE  MARIA.  La  prière  appelée  Salutation  angélique  n'apparaît  nulle 
part,  à  côté  du  Pater  et  du  Credo,  avant  le  milieu  du  onzième  siècle  ;  à 
cette  époque,  Pierre  Damien  mentionne  un  clerc  qui  la  récitait  tous  les 
jours.  Ce  ne  fut  qu'au  treizième  siècle  que  l'usage  de  Y  Ave  devint 
général  dans  l'Eglise.  Eudes  de  Sully,  qui  fut  évêque  de  Paris  depuis 
1196,  recommande  de  joindre  cette  prière  au  Notre-Père  et  au  Credo. 
L'abbé  Hériman  de  Tournay  racontait,  vers  1130,  qu'une  comtesse  d'A- 
vesnes  avait  obtenu  un  miracle  grâce  à  l'habitude  qu'elle  avait  de  réciter 
chaque  jour  vingt  Ave  debout,  vingt  prosternée,  vingt  à  genoux;  elle 
ajoutait  aux  paroles  de  l'ange  (Luc  1,28)  ces  mots  inusités  auparavant: 
«  Et  le  fruit  de  vos  entrailles  est  béni.  »  Ce  ne  fut  que  sous  Sixte  IV, 
après  1471,  que  l'usage  s'introduisit  de  compléter  la  Salutation  par  les 
mots  :  «  Jésus  Christus.  Amen.  »  En  1508,  on  commença  à  ajouter  à 
Y  Ave  la  prière  :  «  Sainte  Marie,  mère  de  Dieu,  priez  pour  nous,  »  et 
bientôt  après,  sous  l'influence  des  franciscains  et  du  catéchisme  de 
Canisius,  l'usage  s'établit  de  terminer  cette  invocation  par  les  mots  : 
«  Aujourd'hui  et  à  l'heure  de  notre  mort.  Amen.  »  Thomas  de  Can- 
timpré,  dominicain  (f  1263),  fait  le  premier  mention  de  la  coutume  de 
réciter  trois  l'ois  cinquante  Ave  :  c'est  l'origine  du  rosaire.  L'usage  de 
sonner  la  cloche  deYAve  Maria  au  coucher  du  soleil  remonte  au  quator- 
zième siècle.  Saint  Vincent  Ferrier,  dominicain  (f  1419),  a  introduit  la 
coutume  de  réciterun  Ave  après  le  texte  du  sermon.—  Voyez  Mabillon, 
A  A.  SS.Ben.8XC.  V.prœf.fp.LKX\l;Bmier'\m9I)enkwûrd.,  VII,  1,  123. 

s.  Berger. 

AVEMPACE.  Voyez  Arabes  (Philosophie  religieuse  des). 

AVENT  (adventuë,  avènement)  est  un  temps  consacré  par  L'Eglise 
pour  se  préparer  à  célébrer  dignemenl  la  fête  de  la  naissance  du  Sau- 
veur. On  donnait  autrefois  ce  nom  à  la  fête  même  de  la  naissance  de 
Jésus-Christ;  mais,  depuis  plusieurs  siècles,  il  est  devenu  propre  aux  trois 
ou  quatre  semaines  qui  précèdent  cette  tête.  I/Avent  est  le  commence- 


760  AYENT— AVICEBRON 

ment  de  Tannée  ecclésiastique.  L'origine  de  cette  institution  ne 
remonte  en  aucun  cas  au  delà  de  celle  de  la  fête  elle-même,  qui  n'eut 
lieu  qu'au  quatrième  siècle.  Toutefois,  Durandus  (/ta^Vmafc  divin,  offic, 
II,  6)  ne  fait  que  rapporter  une  tradition  très-répandue  lorsqu'il  l'attribue 
à  l'apôtre  saint  Pierre.  On  a  voulu  trouver  les  premières  traces  de  la 
célébration  de  l'Avent  dans  le  titre  de  deux  homélies  de  l'évêque 
Maxime  de  Tours  (f  420),  De  adventu  Domini  ;  mais  le  mot  adoentus 
avait  alors  un  sens  ou  plus  restreint  ou  plus  large.  On  peut  signaler, 
avec  plus  de  raison,  le  passage  suivant  d'un  sermon  de  Gésaire 
d'Arles  (*J*  542)  :  Quia  natalis  Domini  imminet,  bonis  operibus  adornati 
nosper  Christi  adjutoriumprxparemus,  eleemosynas  pauperibus  erooemus, 
iracundiam  vel  odium  de  cordibus  nostris  respuamus.  Le  concile  de 
Lérida  (524)  prescrit  de  ne  point  célébrer  de  mariages  ab  abventu 
Domini  usque  post  Epiphaniam,  coutume  qui  s'est  conservée  jusqu'à 
ce  jour  dans  la  plupart  des  Eglises.  Le  temps  de  l'Avent  doit  être  con- 
sacré au  jeûne,  à  l'oraison,  à  la  pratique  des  bonnes  œuvres.  Le  synode 
de  Tours  (567)  prescrit  le  jeûne  quotidien  pour  les  moines  ;  celui  de  Milan 
(581)  ordonne  aux  laïques  déjeuner  les  lundis,  mercredis  et  vendredis.  Le 
Gloria  in  excelsis  Deo  est  remplacé  dans  la  messe  par  un  simple  Benedi- 
camus  Domino  ;  le  jeu  de  l'orgue,  longtemps  supprimé  pendant  l'Avent, 
ne  fut  rétabli  que  par  une  déclaration  du  saint-siége  du  14  août  1753; 
les  tableaux  des  églises  sont  voilés,  les  autels  et  les  murs  recouverts  de 
draps  violets,  ce  qui  est  assez  étrange,  attendu  que  le  sentiment  domi- 
nant pendant  cette  période  doit  être  la  joie  et  non  le  deuil.  La  durée  de 
l'Avent  n'est  pas  la  même  partout.  Primitivement,  elle  paraît  avoir  em- 
brassé quarante  jours,  en  souvenir  du  jeûne  de  Jésus-Christ  dans  le  désert. 
On  faisait  commencer  l' A  vent  à  la  Saint-Martin ,  le  1 1  novembre .  L' Officium 
ambrosianum  de  Milan  en  marque  le  commencement  au  14  novembre, 
date  qui  a  été  conservée  par  l'Eglise  grecque.  L'Eglise  catholique  s'est 
contentée  de  la  période  des  cinq  dimanches  qui  précèdent  Noël,  dont  le 
premier  ou  plutôt  le  cinquième  s'appelle  prœparatio  adoentus.  L'Eglise 
luthérienne  a  retranché  ce  dimanche  préparatoire,  mais  elle  est  restée 
fidèle  à  la  tradition  catholique,  et  a  même  gardé  les  anciennes  péricopes, 
ce  qui  se  justifie  moins,  vu  que  quelques-unes  d'entre  elles  n'ont  qu'un 
rapport  très-indirect  avec  la  venue  de  Jésus-Christ,  ou  ne  parlent  pas 
de  son  premier  mais  de  son  second  avènement.  L'Eglise  réformée,  ou 
bien  a  rompu  avec  une  coutume  qu'elle  ne  trouvait  pas  sanctionnée 
par  l'Ecriture,  ou  bien,  ce  qui  semble  préférable,  n'en  a  conservé  que 
ce  qui  est  en  harmonie  avec  les  sentiments  que  l'approche  de  la  fête 
de  Noël  doit  réveiller  dans  tout  cœur  chrétien. 

AVERROËS.  Voyez  Arabes  (Philosophie  religieuse  des). 

AVICEBRON.  M.  Munk  a  prouvé  que  ce  philosophe,  connu  au  moyen 
âge  comme  auteur  d'un  livre  intitulé  Fons  vitœ  de  materia  unioersali, 
n'est  autre  qu'Ibn-Gebirol,  un  juif  né  à  Malaga,  qui  vécut  à  Saragosse 
vers  l'an  1045  et  qui  composa  des  commentaires  allégorisant  l'Ancien 
Testament  et  des  hymnes  mystiques  qui  furent  admises  dans  la  litur- 
gie des  synagogues.  Avicebron,  partant  des  principes  d'Aristote,  ensei- 
gnait que  le  monde   est  constitué  au  moyen   de  deux   éléments,  la 


ÀVICEBRON  —  AVIGNON  701 

matière  et  la  tonne.  Mais  il  y  a  une  matière  spirituelle  aussi  bien 
qu'une  matière  corporelle,  et  leurs  différences  ue  sont  que  des  déter- 
minations d'une  même  matière  universelle.  Il  y  a  de  même  une  forme 
universelle.  La  diversité  que  l'on  constate  parmi  les  êtres  résulte  des 
degrés  divers  que  comporte  l'union  de  la  l'orme  et  de  la  matière.  Au 
sommet  de  toutes  choses,  cette  union  est  absolue,  intelligence  univer- 
selle, principe  de  toute  existence;  au-dessous,  viennent  les  échelons 
successifs  de  la  matière  de  moins  en  moins  dominée  par  la  forme.  Au- 
dessus  de  l'intellect  suprême,  il  y  a  l'unité  pure,  abstraite,  Dieu; 
mais  si  cette  unité  est  distincte  du  monde,  elle  est  aussi  dans  le  monde, 
en  tant  (pie  chaque  être  consiste  dans  l'union  de  deux  éléments.  A  ce 
panthéisme  émanatiste  est  adapté  un  principe  qui  doit  servir  d'inter- 
médiaire entre  l'unité  abstraite  et  le  inonde,  la  volonté,  qui  parait 
sauvegarder  la  liberté  divine;  mais  le  livre  qu'Ibn-Gebirol  avait  consa- 
cré à  ce  principe  est  perdu,  et  les  indications  que  donnent  les  frag- 
ments connus  du  Fons  vitas  sont  trop  vagues  pour  qu'on  puisse  discerner 
comment  l'auteur  accordait  les  deux  parties  opposées  de  sa  philoso- 
phie. La  doctrine  d'Avicebron  paraît  avoir  été  peu  discutée  parmi  les 
Arabes  et  les  Juifs.  Chez  les  chrétiens  elle  fut  l'objet  de  vives  préoccu- 
pations. Les  panthéistes  du  treizième  siècle,  Amaury  de  Bène,  David 
de  Dinant,  ont  des  enseignements  semblables.  Albert  le  Grand,  saint 
Thomas  et  d'autres  docteurs  la  combattent  avec  vivacité,  tandis 
qu'elle  est  accueillie  avec  sympathie  par  Roger  Bacon,  Duns  Scot  et 
surtout  Giordano  Bruno.  —  Y.  Munk,  Mélanges  de  philosophie  juive  et 
arabe,  1857.  A.  Matter. 

AVICENNE.  Voyez  Arabes  (Philosophie  religieuse  des). 
AVIGNON.  L'histoire  religieuse  de  cette  ville  ne  commence  qu'au 
treizième  siècle.  A  cette  époque,  Avignon  était  une  puissante  république 
qui  épousa  avec  ardeur  la  cause  des  Albigeois  et  la  résistance  passion- 
née des  peuples  du  Midi  aux  idées  et  aux  hommes  du  Nord.  S'étant  at- 
tiré les  anathèmes  de  la  papauté  à  cause  du  massacre  du  comte  de 
Baux,  son  podestat,  qui  s'opposait  au  concours  que  la  cité  voulait  prê- 
ter au  comte  de  Toulouse,  elle  fut  prise,  rasée  et  ruinée  par  le  roi  de 
France  Louis  VIII  (12  septembre  1226). Pendant  le  grand  schisme  d'Oc- 
cident, les  papes  résidèrent  dans  ses  murs  (1309-1377)  et,  tout  en  l'em- 
bellissant, contribuèrent  singulièrement  à  la  corrompre.  Au  témoignage 
de  Pétrarque,  qui  y  connut  la  célèbre  Laure  de  Sade,  rien  n'égalail  sa 
magniiieence  que  sa  dépravation.  De  retour  à  Rome,  le  saint-siége, 
resté  maître  d'Avignon  et  du  comtat  Venaissin  qui  y  était  attenant,  fit 
gouverner  la  contrée  par  un  légat,  auquel  fut  adjoint,  en  temps  de 
trouble,  un  commandant  militaire,  comme  cela  eut  lieu  au  moment  <\i-, 
guerres  de  religion.  La  Réforme  pénétra  à  Avignon  de  fort  bonne 
heure.  Les  écrits  de  Luther  s'y  introduisirent  avanl  1522  et  vinrent 
éclairer  d'un  jour  nouveau  la  sombre  cellule  du  pieux  el  éioquenl 
Lambert  d'Avignon.  Le  célèbre  franciscain  répandit-il  ses  doctrines 
avant  de  partir  pour  l'Allemagne,  en  l522?C'estee  qui  ne  lui  fui 
guère  possible,  car  il  étail  surveillé  de  près,  et  les  brochures  luthé- 
riennes qui   l'amenèrent  à  la  foi  furent  saisies  dans  sa  cellule  et  jetées 

'«  4!J 


762  AVIGNON 

au  feu.  Plusieurs  années  après,  en  1540,  un  libraire  étranger,  établi  à 
Avignon,  ayant  mis  en  vente  des  Bibles  latines  et  françaises,  les  prélats 
qui  s'étaient  réunis  en  concile  dans  cette  ville  pour  poursuivre  l'exé- 
cution du  sanglant  arrêt  rendu  par  le  parlement  de  Provence   contre 
les  vaudois  de  Mérindol,  lui  firent  faire  son  procès  et  demandèrent  au 
j  uge  de  le  condamner  au  feu.  Ce  dernier,  qui  voulait  lui  sauver  la  vie, 
le  conjura  de  faire  amende  honorable  et  de  reconnaître,  dans  les  pré- 
lats qui  l'accusaient,  de  vrais  pasteurs  de  l'Eglise  de  Jésus-Christ,  mais 
le  libraire  ayant  répondu  qu'ils  étaient  plutôt,  à  ses  yeux,  des  sacrifica- 
teurs de  Bacchus  et  de  Vénus,  le  juge  ne  put  l'absoudre.  Il  fut  con- 
damné à  mort  et  brûlé  le  jour  même  avec  deux  Bibles  suspendues  à 
son  cou.  Ce  supplice  ayant  excité  de  grands  murmures  parmi  le  peu- 
ple, les  prélats  firent  crier  le  lendemain  à  son  de  trompe,  dans  les  rues 
de  la  ville,  que  tous  ceux  qui  seraient  détenteurs  de  livres  français 
ayant  trait  à  la  Sainte-Ecriture,  auraient  à  les  rapporter  à  des  commis- 
saires spéciaux.  Dix-sept  ans  après  (1557),  deux  étudiants,  convaincus 
d'hérésie,  furent  condamnés  à  faire  amende  honorable  au-devant  des 
portes  de  toutes  les  paroisses  d'Avignon  et  à  être   enfermés,  leur  vie 
durant,  en  jeûnant,  au  pain  et  à  l'eau,  trois  jours  la  semaine.  Ces  ri- 
gueurs n'empêchèrent  pas  les  principes  de  la  Réforme  de  se  propager 
rapidement  à  Avignon  et  dans  tout  le  comtat  Venaissin,  et  il  fallait 
qu'en   1560  leurs  partisans  fussent  déjà  assez  puissants  pour  que  le 
libraire   Trophime  des  Rivers  osât  y  faire  paraître  la  Juste  complainte 
des  fidèles  de  France  contre  leurs  adversaires  papistes  et  autres  (40  pag. 
in-8°),  où  l'cm  disait,  après  avoir  décrit  les  mœurs  scandaleuses  des 
prêtres  :  «  Sitôt  que,  devant  eux  ou  les  leurs,  vous  ouvrez  la  bouche 
pour  dire  un  seul  mot  de  Dieu  à  bon  escient  et  en  révérence,  vous  êtes 
soupçonnés,  voire  accusés  d'être  luthériens  et  hérétiques...  Nous  som- 
mes voirement  venus  nous  assembler  auprès  d'eux  et  entre  eux  pour 
renverser,  non  pas  l'Eglise  catholique  et  chrétienne  (comme  ils  s'effor- 
cent de  le  faire  accroire  au  poure  simple  peuple) ,  mais  bien  la  leur, 
c'est-à-dire  la  romaine,  non  pas  celle  toutefois  à  laquelle  écrivait  Paul 
et  à  laquelle  nous  nous  conformons  le  plus  que  nous  pouvons,  mais 
bien  la  papale,  c'est-à-dire  la  partiale  et  épicurienne,  soit  qu'on   re- 
garde la  doctrine,  soit  qu'on  regarde  à  leurs  mœurs  et  façons  de  faire 
tant  en  public  qu'en  privé.  »  Quand  le  célèbre  capitaine  Montbrun,  du 
Dauphiné,  eut  porté  la  guerre  dans  le  comtat  Venaissin  (1560),  les  ha- 
bitants d  Avignon  prirent  des  mesures  importantes  pour  la  sûreté  de 
leur  ville.  Ils  établirent  un  conseil  de  guerre,  renforcèrent  leurs  trou- 
pes de  deux  compagnies,  mirent  en  place  quarante-deux  pièces  d'ar- 
tillerie de  divers  calibres,  creusèrent  leurs  fossés  plus  profondément  et 
chassèrent  toutes  les  personnes  suspectes  d'hérésie,  si  bien  que  le  baron 
des  Adrets,   qui  ne   reculait  pourtant    devant  aucun  obstacle,  n'osa 
pas  attaquer  la  ville  (1562).  Quand  la  première  guerre  de  religion  fut 
terminée,  le  maréchal  de  Vieilleville,  commissaire  exécuteur  de  l'édit 
de  paix  pour  les  provinces  du  sud-est  de  la  France,  vint  à  Avignon 
pour  mettre  un  terme  aux  troubles  du  comtat.  Il  y  parvint.  Les  hu- 
guenots furent  confiés  à  la  garde  du  vice-légat  et  de  Fabricio  Ser- 


AVIGNON  -  AVI  LA  763 

belloni,  général  des  troupes  pontificales,  mais  ceux  d'entre  eux  qui 
habitaient  Avignon  avant  la  guerre  n'eurent  pas  le  droit  d'y  rentrer 
(1563).  Les  jésuites  s'établirent  L'année  suivante  dans  la  ville  et  en  au- 
raient été  chassés  violemment  sans  le  secours  de  la  garnison y  car  le 
peuple  s'était  imbu  de  l'idée  qu'ils  apportaient  avec  eux  une  inquisi- 
tion d'un  nouveau  genre.  Le  roi  Charles  IX,  qui  visita  Avignon  peu 
après,  ne  voulut  pas  accorder  aux  protestants  du  comtat  la  liberté  de* 
conscience  dont  on  jouissait  dans  le  reste  du  royaume,  le  pape  n'ayant 
rien  voulu  céder  sur  ce  point.  Le  vice-légat,  allant  plus  loin  encorer> 
déclara,  en  1569,  tous  les  biens  des  protestants  du  comtat  confis- 
qués au  profit  de  la  chambre  apostolique.  Ces  biens,  évalués  au-delà  i 
de  i00,000  écus,  leur  lurent  rendus  quelques  aimées  plus  tard  (1572), , 
mais  à  la  condition  qu'ils  seraient  régis  par  des  procureurs  catholiques 
Cependant  Avignon  était  très-convoitée  par  les  huguenots.  L'amiral 
Coligny,  qui  s'était  dirigé  vers  le  midi  de  la  France  après  la  désastreux 
bataille  de  Moncontour,  avait  résolu  de  s'en  emparer,  pour  s'en  faire 
une  base  d'opérations  dans  le  Midi,  mais  toutes  ses  tentatives  échouèrent 
devant  la  vigilance  des  habitants  (1571).  Huit  autres  tentatives  ou  con- 
spirations, de  1571  à  1581,  ne  réussirent  pas  mieux,  et  Avignon  ne 
tomba  jamais  aux  mains  des  huguenots.  La  ville  ne  prit,  du  reste,  au- 
cune part  aux  troubles  de  la  Ligue  et,  heureuse  de  réparer  ses  rumes, 
elle  garda  la  neutralité  entre  les  royalistes  et  les  guisards,  dont  les 
luttes  ensanglantèrent  la  Provence.  Les  nouvelles  guerres  religieuses 
du  dix-septième  siècle  ne  la  troublèrent  point,  mais  Louis  XIV,  mé- 
content de  la  cour  de  Rome  à  diverses  époques,  la  ht  saisir  par  ses 
soldats  (16(33  et  1689).  Pour  le  même  motif,  Louis  XV  s'en  empara 
en  1768  et  ne  la  restitua  que  sept  ans  plus  tard.  Elle  était  l'asile  de 
tous  les  banqueroutiers  et  malfaiteurs  fugitifs  du  royaume.  La  révolu- 
tion française  eut  son  contre-coup  à  Avignon.  Il  s'y  forma  un  parti 
français  qui  l'emporta  sur  le  parti  ultramontain,  mais  non  sans  de 
graves  excès,  et  la  ville  fut  réunie  à  la  France  (14  septembre  1791). 
Deux  ans  après,  elle  devint  le  chef-lieu  du  département  de  Vaucluse, 
qui  fut  formé  de  l'ancien  comtat  Venaissin.  A  l'époque  de  la  réorgani- 
sation des  cultes,  les  Eglises  protestantes  de  Vaucluse  furent  groupées 
en  un  consistoire  qui  eut  pour  chef-lieu  Lourmarin.  Un  culte  régulier 
l'ut  établi  à  Avignon  en  1813,  mais  l'Etat  ne  reconnut  officiellement  le 
poste  qu'eu  1833.  L'Eglise  comptait,  en  1870,  de  quatre  à  cinq  cents. 
protestants.  — Voyez  P.  Justin,  Hist.  des  guerr.  excit.  dans  le  comtat 
Venaissin... par  les calvinist.  du  XVIe  siècle,  1782;  Barjavel,  Dict.  hist... 
du  dépari,  de  Vaucluse,  i$rki  ;  Granget,  abbé,  Hist.  du  diocèse  d'Avi- 
gnon, 1862.  E.  Arnaud. 

AVILA  (Juan  de).  Ce  grand  prédicateur  espagnol  naquit  en  1500  à 
Almodovar  del  Campo,  ville  du  diocèse;  de  Tolède.  Après  avoir  étudié 
;i  Alcala  de  Henares  SOUS  la  direction  du  grand  théologien  Domingo 
de  Soto,  il  lut  pris  d'un  vit'  désir  de;  passer  on  Amérique  pour  y  prê- 
cher l'Evangile.  11  se  serait  embarqué,  si  1rs  instances  d'un  savant 
prêtre  de  Sévtlle,  Ferdinand  de  Contreras,  et  de  L'archevêque  lui  même,. 
Alonso  Manrique,  n'étaient  pas  parvenues  à  lui  faire  abandonner  son. 


764  AVILA  —  AVITUS 

projet.  Il  resta  donc  en  Andalousie  dont  il  parcourut,  pendant  bien  des 
années,  les  villes  et  les  villages  en  prêchant.  Le  procès  que  lui  intenta 
Tinquisition  de  Séville  pour  quelques  opinions  soi-disant  hérétiques  et 
dont  il  sortit  sans  encombre,  ne  lit  qu'augmenter  son  zèle  et  qu'accroî- 
tre sa  réputation.  De  cette  brillante  époque  de  sa  carrière,  il  lui  resta  le 
surnom  (Y apôtre  de  l'Andalousie.  Juan  de  Avila,  qui,  comme  prédicateur, 
s'inspirait  des  procédés  de  saint  Paul,  dont  il  pratiquait  continuelle- 
ment les  écrits,  appartient,  par  ses  œuvres  de  théologie  et  de  morale,  à 
la  grande  école  mystique  espagnole.  Ses  deux  principaux  ouvrages  sont 
les  Cartas  espirîtuales  et  un  traité  de  morale  chrétienne,  adressé  à  une 
dame,  Sancha  Carrillo,  et  auquel  le  prédicateur  a  donné  pour  titre  les 
mots  Audi,  filia,  du  Ps.  XLIV.  Juan  de  Avila  mourut  à  Montilla,  le 
10  mai  1569.  —  Sources  :  Vida  del  vénérable  maestro  Juan  do  Avila, 
predicador  apostolico  del  Andalucia,  par  F.  Luis  de  Granada,  t.  III, 
p.  450  à  487  des  œuvres  de  Luis  de  Granada  publiées  par  Uibadeneyra  ; 
Vida  del  vénérable  siero  de  Dios,  maestro  Juan  de  Avila,  par  Luis  Munoz, 
Madrid,  1635,  4°.  Cette  biographie  est  plus  détaillée  que  la  première. 
La  liste  des  ouvrages  de  Juan  de  Avila  et  une  notice  étendue  de  sa  vie 
se  trouvent  dans  N.  Antonio,  Bibliotheca  hispana  nova,  t.  I,  639-642. 
Voy.  aussi  P.  Rousselot,  Les  Mystiques  espagnols,  Paris,  1867,8°. 

Morel-Fatio. 

AVIS,  ordre  militaire  du  Portugal,  fondé  après  la  prise  cl'Evora, 
vers  1147,  par  le  roi  Alphonse  Ier  de  Portugal.  Les  premières  constitutions 
de  Tordre  lurent  rédigées  en  1162  conformément  à  la  règle  de  Citeaux 
et  approuvées  en  1204,  par  Innocent  III.  En  1211,  Alphonse  II  fitdona- 
tion  à  Tordre  de  la  ville  d'Avis,  d'où  il  a  tiré  son  nom  actuel.  L'ordre 
d'Avis  se  réunit  bientôt  à  Tordre  de  Galatrava,  et  les  deux  associations 
maintinrent  .eur  union  jusqu'à  la  lin  du  seizième  siècle;  à  partir  de  cette 
époque,  *e  premier  ordre  a  recouvré  son  existence  indépendante.  En 
1550,  la  grande  maîtrise  de  Tordre  d'Avis  devint  la  propriété  des  rois 
de  Portugal. 

AVITUS  (Saint  Avit).  Alcimus  EcdiciusAvitus,  natif  de  Vienne,  d'une 
ancienne  famille  de  patriciens  gallo-romains,  devint,  en  490,  évêque 
de  sa  ville  natale  et  mourut  comme  tel  en  523.  Comme  à  cette  époque 
la  Gaule  possédait  encore  quelques  écoles  florissantes,  il  avait  reçu 
une  bonne  instruction  classique  et  théologique.  Vienne,  était  sous  la 
domination  des  Bourguignons,  qui  étaient  ariens;  Avitus  ne  négligea 
rien  pour  gagner  le  roi  Gondebaud  au  catholicisme  ;  il  lui  adressa  des 
lettres  dans  lesquelles  on  regrette  de  trouver  trop  d'adulation.  Après 
la'conversion  de  Clovis,  Avitus,  espérant  que  ce  chef  mettrait  lin  à 
Tarianisme,  lui  écrivit  :  «  Votre  foi  est  votre  victoire.  »En  449  il  assista, 
à  Lyon,  à  une  conférence  entre  des  ariens  et  des  catholiques,  en  présence 
de  Gondebaud;  il  n'y  réussit  pas  à  convertir  ce  prince.  Il  réussit  mieux 
auprès  de  son  fils  Sigismond,  sous  le  règne  duquel  il  présida,  en  517, 
le  concile  d'Epaone  dans  le  Valais,  qui  régla  la  situation  de  TEglise  ca- 
tholique dans  le  royaume  de  Bourgogne.  Il  a  laissé  un  poëme  :  De 
mundi  principio  et  aliis  diversis  conditionibus.  Cet  ouvrage,  imitation 
assez  heureuse  des  anciens, contient  quelques  beaux  passages;  on  en  a 


AVITUS  —  AYMON  705 

comparé,  non  sans  raison,  les  trois  premiers  livres,  qui  traitent  de  la 
création  de  l'homme,  de  la  chute  et  de  ses  suites,  au  Paradis  perdu  de 
Milton.  Le  IVe  et  le  Ve  livres  sont  consacrés  au  déluge  et  au  passage  de 
la  mer  Rouge;  on  y  ajoute  parfois,  comme  \T,  un  poème  adressé  par 
Avitus  à  sa  sœur  Fuscina,  De  conwlatoria  laude  virginitatis.  Les  lettres 
d'Avitus  aux  rois  francs  et  bourguignons,  à  quelques  évêques  de  la 
Gaule  et  à  ceux  de  Constantinople,  de  Rouen,  de  Jérusalem,  sont  im- 
portantes pour  Thistoire  de  l'époque.  —  Yoy.  Aviti opéra,  éd.  Sirmond, 
Paris,  1643;  Hist.  litt.de  la  France,  Ut,  p.  122;  Guizot,  Hist.  de  la 
civilisation  en  France,  Paris,  1829,  II,  p.  199;  Ampère,  Hist.  lût. 
de  la  France  avant  le  douzième  siècle,  II,  p.  193  ss. 

AVRANCHES  {civitas  Abrincatum,  Abrincae),  évêché  suffragant  de 
Rouen,  connu  depuis  l'évêque  Nepus  (511).  Saint  Sever  (1er  lévrier)  et 
Saint  Pair'^atemMs^dontFortimata  écrit  la  vie  (A  A.  SS.,  16  avril)  fu- 
rent évêques  d'Avranches  au  sixième  siècle.  En  708,  saint  Michel  appa- 
rut à  l'évêque  saint  Aubert  (AA.  SS.,  18  juin)  et  lui  ordonna  de  lui 
élever  une  église  sur  le  Mons  Tumba;  l'église  de  Saint-Michel-au-Péril- 
de-la-Mer  fut  dédiée  en  709,  et  en  966  Richard  Ier  de  Normandie  y  éta- 
blit des  moines.  Lanfranc  tint  son  école  à  Avranches  de  1010  à  1042. 
Le  synode  d'Avranches,  réuni  en  1J72  au  couvent  de  Sa vigny,  entendit 
les  excuses  du  meurtrier  de  Becket.  La  cathédrale  de  Saint-André  fut 
élevée  au  douzième  siècle,  et  reconstruite  par  l'évêque  Louis  de  Bour- 
bon (1485-1510).  Le  siège  d'Avranches,  illustré  par  Huet,  fut  supprimé 
en  1790  et  réuni  à  Coutances  (Gallia,  XI). 

AYMON  (Jean)  [1661-1720],  né  catholique,  dans  une  bonne  famille 
du  Dauphiné,  fut  élevé  pour  la  prêtrise.  Il  réussit  d'abord  dans  cette 
(arrière,  mais  ni  assez,  ni  assez  vite  au  gré  de  son  âme  ambitieuse  et 
inquiète.  Il  avait  fait  ses  premières  études  au  collège  de  Grenoble,  puis 
l  avait  été  apprendre  à  Turin  la  théologie  et  la  philosophie  ;  il  fut  même 
à  Rome,  et  il  obtint  le  titre  de  docteur  en  droit  canon.  Nommé  aumô- 
nier de  l'évêque  de  Saint-Jean -de-Maurienne,  bien  qu'il  n'eût  pas  en- 
core l'âge  canonique,  il  composa,  pour  venger  une  injure  récente  de 
son  patron  contre  la  cour  romaine,  un  pamphlet  où  les  secrets  et  les 
hontes  du  saint-siège  étaient  hautement  dénoncés.  S'étant  réfugié  en 
pécheur  contrit  et  repentant  auprès  du  cardinal  Le  Camus,  évêque  de 
Grenoble,  qu'il  n'avait  pas  ménagé  dans  ces  révélations,  il  eut  le  talent 
de  se  faire  recommander  par  lui  à  Rome  où  il  fut  nommé  protonotaire 
«lu  pape,  et  devint  un  petit  personnage  à  la  cour  apostolique  (1687). 
Ce  u'était  pas  encore  assez  pour  son  ambition.  Il  fit  ce  Eaux  calcul  que, 
dans  l«-s  conjonctures  politiques  où  l'on  se  trouvait,  alors  que  l'exé- 
cution implacable  donnée  par  Louis  XIV  à  la  révocation  de  l'édit  de 
Nantes  remplissait  le  monde  d'émotion  et  apportait  aux  pays  protes- 
tants des  foules  réfugiées  pour  la  religion, il  pourrait,  lui  qui  tenait  dans 
<a  main  tous  les  secrets  de  Rome,  jouer  un  grand  rôle  parmi  les  protes- 
tants. 11  était  à  Lyon,  lorsqu'il  partit  inopinément  pour  la  Suisse,  el  se 
mit  en  mesure  d'abjurer  la  croyance  romaine.  En  réponse  à  une  Lettre 
excellent.'  <lu  cardinal  Le  Camus,  il  publia  un  petit  livre  intitulé  :  Méta- 
morphoses delà  religion  romaine,  etc.,  La  Haye,  1700.  précédé  par  une 


766  AYMON 

Approbation  des  professeurs  et  ministres  de  Berne,  et  terminé  par  une 
série  de  diplômes  obtenus  jadis  à  Rome  par  Fauteur,  et  qu'il  a  l'audace 
de  produire  comme  exemples  des  prévarications  romaines.  Installé  en 
Hollande,  à  La  Haye,  l'ancien  dignitaire  papal  est  devenu  ministre  pro- 
testant à  l'âge  de  quarante  ans;  mais  c'est  comme  professeur  de  mathé- 
matiques qu'il  pourvoit  à  ses  besoins;  il  s'est  marié;  enfin  il  est,  à 
partir  de  l'an  1700,  et  probablement  en  récompense  de  son  petit  livre, 
pensionné  par  les  Etats-généraux.  Vers  1703-1704,  il  s'occupe  des  pro- 
jets, si  souvent  débattus,  de  la  réunion  des  deux  Eglises  en  publiant  un 
volume  intitulé  :  «.Lettre  du  sieur  Aymon,  cy-devant  prélat  domestique 
du  pape  Innocent  XI,  à  tous  les  archiprêtres,  curez,  vicaires  et  autres  du 
clergé  séculier,  au  sujet  de  quelques  propositions  qui  luy  ont  été  faites  par 
M.  l'abbé Bidal...  sur  la  réunion  des  deux  religions.  »  Cetouvrage  ne  fit 
-sans  doute  aucun  bruit.  Mais  le  nom  de  l'abbé  Bidal,  agent  de  France  à 
Hambourg  pour  affaires  concernant  la  religion,  devait  servir  à  Aymon. 
A  la  fin  de  1705,  il  résolut  en  effet  d'aborder  un  nouveau  et  plus  bril- 
lant théâtre.  Il  écrivit  au  garde  de  la  Bibliothèque  du  roi  à  Paris,  pour 
le  prier  d'offrir  en  son  nom  à  Sa  Majesté  un  précieux  herbier  qu'il 
venait  d'acheter  à  Leyde,  en  échange  de  quoi  il  ne  demandait  ni 
faveur,  ni  pension  ;  il  sollicitait  seulement  un  passeport  pour  venir  à 
Paris,  ayant  en  tête  de  sérieux  desseins  pour  le  service  du  roi.  Le  pai- 
sible et  savant  bibliothécaire,  Nicolas  Clément,  ne  répondant  guère  à 
cette  première  ouverture,  reçut  bientôt  lettres  sur  lettres  de  ce  corres- 
pondant qu'il  ne  connaissait  pas.  Il  ne  s'agissait  plus  d'herbier,  mais 
de  certains  secrets  dont  le  roi  serait  touché.  Clément  se  laissa  séduire 
et,  au  mois  d'avril  1706,  Aymon  était  à  Paris.  Quelques  jours  après, 
M.  de  Pontchartrain  reçut  de  lui  deux  mémoires,  dans  l'un  desquels 
il  découvrait  au  roi  divers  projets  qui  s'ourdissaient  en  Hollande  (les 
•deux  nations  étaient  alors  en  guerre),  principalement  des  inventions 
de  nouveaux  projectiles  et  des  complots  de  camisards  et  autres  protes- 
tants ;  dans  l'autre  mémoire  il  signalait  en  termes  généraux  le  «  liber- 
tinage, les  désordres  de  tout  genre,  les  énormes  attentats  »  auxquels  se 
livraient  en  Hollande  les  pasteurs  et  leurs  troupeaux  réfugiés.  L'arche- 
vêque de  Paris,  le  cardinal  de  Noailles,  récompensa  ces  révélations  en 
désignant  le  séminaire  des  missions  étrangères  pour  servir  de  logis  au 
pécheur  repentant,  qui  devait,  dans  cette  paisible  et  sainte  retraite, 
préparer  son  retour  à  la  véritable  Eglise  et  composer  à  loisir  ses  utiles 
pamphlets.  Mais  ce  fut  là  tout.  Il  faut  reconnaître  qu'en  ce  temps  où 
l'on  tenait  bureau  ouvert  pour  acheter  les  consciences,  Aymon  pou- 
vait justement  se  plaindre  de  ne  rien  recevoir.  Un  beau  jour  il  partit, 
emportant  un  manuscrit  grec  sur  le  dernier  concile  de  Jérusalem, 
ainsi  que  plusieurs  autres  pièces  importantes  qu'il  avait  dérobés  à  la 
Bibliothèque.  Clément  perdit  le  procès  qu'il  lui  intenta  à  La  Haye  où 
le  déprédateur,  rentré  en.  grâce  auprès  du  gouvernement  hollandais, 
s'était  réfugié.  Aymon  fut  rétabli  dans  sa  pension,  et  il  continua  pai- 
siblement le  cours  de  ses  travaux  littéraires,  en  y  reprenant  le  rôle 
d'ennemi  de  Borne.  Parmi  eux  nous  ne  relèverons  que  sa  collection  des 
Synd.es  nationaux  des  Eglises  re formées  de  France,  La  Haye,  1710,2  vol. 


AYMOX  —  AZYMITES  767 

in-'i°.  Une  prétendue  seconde  édition  (La  Haye,  1736)  est  la  même 
avec  simple  réimpression  d'un  nouveau  titre.  La  préface  apprend 
que  les  actes  dont  l'ouvrage  se  compose  ont  été  imprimés  sur  la  copie 
(l'un  exemplaire  authentique  envoyé  par  le  synode  de  Gharenton  à 
David  Le  Leu  de  Wilhelm,  président  du  Conseil  souverain  et  de  la 
Cour  féodale  de  Brabant.  C'est  la  seule  collection  de  ces  actes  que  nous 
ayons;  niais  c'est  une  simple  compilation,  dans  laquelle  il  n'y  a  de  l'au- 
teur que  la  mise  en  ordre  et  Timpression.  Aymon  mourut  vers  Î720, 
sans  qu'on  ait  aucun  renseignement  sur  la  manière  dont  il  termina  cette 
carrière  véreuse.  —  Voyez  France  protestante,  2e  édit.,  I,  p.  615  ss. 

H.    BORDIER. 

AZAÏS  (Pierre-Hyacintlie),  né  à  Sorèze  en  1766,  vécut  à  Pans,  où  il 
jouissait,  sous  la  Restauration,  d'une  réputation  de  philosophe  qui  ne 
s'est  pas  maintenue,  et  mourut  en  1845.  Son  système  fut  son  œuvre 
personnelle,  quoiqu'il  offrit  bien  des  affinités  avec  l'école  sensualiste. 
11  se  proposa  de  rattacher  à  une  même  loi  et  à  une  même  cause  tous 
les  faits  de  la  nature  et  de  l'humanité.  L'expansion  est  le  mode  unique 
de  l'action  universelle;  chaque  être  se  dilate  incessamment,  et  il  se 
dissoudrait,  s'il  ne  rencontrait  la  dilatation  des  corps  environnants. 
L'équilibre  universel  résulte  de  ce  quela  somme  de  ces  actes  de  répres- 
sion conservatrice  est  égale  à  la  somme  des  actes  d'expansion.  Au 
moyen  de  cette  loi,  Azaïs  se  flatte  d'expliquer  tous  les  phénomènes 
de  l'ordre  physique,  de  l'ordre  organique  et  de  l'ordre  intellectuel,, 
moral  et  politique,  l'esprit  étant,  dans  ce  troisième  ordre,  considéré 
comme  un  corps  et  les  idées  comme  des  corpuscules.  Dans  notre  vie 
morale,  nous  retrouvons  les  deux  opérations  opposées  et  solidaires; 
que  l'expansion  soit  faible  ou  forte,  la  compression  sera  proportion- 
nelle; les  grandes  joies  appellent  les  grandes  douleurs  ;  pour  chacun 
la  somme  de  son  bonheur  est  égale  à  celle  de  son  malheur  :  système  de 
compensation  qui  n'autorise  ni  l'optimisme  ni  le  pessimisme,  et  qui 
devrait  conclure  à  la  résignation.  La  cause  première  de  cette  action 
incessante  est  appelée  Dieu,  et  son  équité  est  démontrée  par  l'équi 
libre  des  biens  et  des  maux  dans  chaque  destinée  particulière.  Des  nom- 
breux ouvrages  d' Azaïs,  nous  ne  citerons  que  V Explication  universelle^ 
()  vol.,  1826.  —  V.  Damiron,  liât,  de  /a  pHiL  en  France  au  XI JP  siècle, 
tome  I.  A.  Matteb. 

AZARIAS,  roi  d'Israël.  Voyez  Ozias. 

AZYMITES.  Ce  fut  vers  1053  que  le  patriarche  de  Constantinople, 
Michel  Caerularius,  inventa  d'appliquer  ce  surnom  aux  chrétiens  occi- 
dentaux, qui  se  servaient  de  pain  azyme  pour  la  Sainte-Cène.  Les  Latins 
répondirent  par  l'injure  de  fermentaires  (voy.  ces  mots  dans  Ducange). 
Par  un  rapprochement  singulier,  nous  retrouvons  ■  lie/  les  historiens  <!<■ 
la  première  croisade,  <-t  «mi  premier  lieu  dans  ie  Tudebode  abrégé^  le 
nom  <l"  izymites  comme  celui  d'une  tribu  de  Sarrasins. 


ERR4TA 


âge  Ligne 
13       22 


40 
41 
50 

52 

55 

58 

94 

100 

101 

107 

108 

110 

113 


114 
115 
120 

128 
157 

157 
178 
187 
203 
209 
213 


10 
14 
40 
3:; 
22 
26 
17 
31 
41 
21 
48 
28 
13 
44 
8 
19 

23 
9 
14 
42 
43 
14 
6 

43 
3 

28 
41 

18 
29 
30 


Au  lieu  de 
Craydon 
1622 
1700 

dix-huitième 
xai 
1611 
Gonda 
VI,  31,  32 
quatrième 
1576 
autorité 
Zeuaitane 
Milène 
S.  A. 
Saint  Foy 
de   Gazes 
Brandebourg 

calvinistes 
Conart 
les  Eglises 
1730 


pas 


312  ss 
sim 

352  22et2; 

354  19 

—  32 

—  33 

—  38 

375       18 

—  36 

—  37 
37G         8 


—       1' 


Lisez 
Croydon 
1662 
1709 
dix- septième 

Xtl' 

1647 

Gouda 

VI,  41,  42 

cinquième 

1476 

activité 

Zeugitane 

Milève 

sub  anno 

Sainte  Foy 
de  Cazes 

Brandebourg  - 

pach 
calvinisantes 
Couart 

quelques  Eglises 
1661 


Ans> 


AlexandreVIII  Alexandre  VII 

retrancher  :       Alger 

après  laus  div.  sap.,  ajouter  :  publiée 

par  Wright,  1863. 

1813 

assisté  de 


1831 

retrancher  : 

Berlin 

1550 

1692 

Belmont 

Chaletot 
[  Angéologie 
)  Angéolâtrie 
Gannilon 
retrancher  : 


Bonn 
1450 
1592 
Clémont 
Châtelot 
Angélologie 
Angélolâtrie 
Gaunilon 
plus  tard,  jusqu'à  mais. 


retrancher  :     marginale  et 

retrancher  :     du  Psautier 

avant  170,  ajouter  X  et   retrancher 

la  signature 
sans  voir  sans  nier 

Xoyou    (rsaapxeo- 

iv<rafzeo(7i;  &yffàpxci>9i; 

ô.yïcio<.(noq   Kçoç 

TîjV  ojïv  â/tîip'.dTo;  rso;  tyjv  ôîlav 

(Tjvàsia  (Tuyâseia 

delachristolo- 


Page  Ligne        Au  lieu  de 


402 

419 
420 
421 
424 
425 

445 

459 


gie 

et  la  christ 

ologie 

392 

27 

647 

vers  661 

393 

8 

décrivit 

écrivit 

394 

7 

réédita 

réédifla 

3?9 

30 

Meggido 

Neggido 

468 
471 
472 
478 
481 
482 
516 
519 
580 
583 
587 
592 
596 
598 
600 
613 
625 
629 
630 


460       25 


Benory  Benary 

^=6  ;  D~50  1=6  ;  2=z 50 
Maçna  Mapla; 

modion  modiou 

Théclée  Thècle 

Thyanes  Thyane 

7oYîo)9a9/jV  âzo- 

Erbi-ard  Ebrard 

Ajouter  :  6°  Patrum  <tpostol.  opéra, 
edit.  Alb.  Dresse!  Leipz.,  1857  ; 
edit.  II  Tischendorfiana,  1863 
(  d'après  le  Sinaïticus  )  ;  7°  Nov. 
Testam.  extra  canonem  receptum, 
edit.  Ad.  Hilgenfeld,  1866  ;  8°  Pa- 
trum apostol.  opéra,  edit.  post 
Dresselianam  alteram  tertia,  edid., 
Gebhardt,  Harnack,  Zahn,  Bips. 
1875  ss.  Pendant  le  cours  de  cette 
dernière  publication,  encore  ina- 
chevée, la  découverte  par  M. 
Bryennius  d'un  important  manus- 
crit, dont  ce  savant  a  extrait  les 
Epitres  de  Clément,  imprimées  en 

1875  à  Constantinople,  a  déter- 
miné MM.  Gebhardt  et  Hilgen- 
feld   à   refondre    entièrement,    en 

1876  ,  leurs  éditions  de  Clément. 
M.  Bryennius  promet  également 
la  publication  des  Epitres  de  Bar- 
nabas  et  d'Ignace,  ainsi  que  celle 
de   la  Doctrine  des  Douze  Apôtres. 

La  chronique  de  Salimbenus  a  été 
publiée  à  Parme  en  1857,  in-f°, 
et  va  paraître  en  un  texte  plus 
complet  par  les  soins  de  M.  Clédat. 


eliaer 


n'est 

praso 

et 

1875 

Borne 

avant 

bête 

découvrit 

homœousie 

àôvô[MCio; 

quatrième 

Hugouin 

Fhôgarmâh 

Méchathirites 

Danœnus 

Casinius 

des  Sages 

ou 

l'ascète 


n'ait 

prœscr.  /<«?, 
est 
1715 
Berne 
àUdine  ajouter  :  pi- 
tête 
décrivit 
homooasie 


deuxième 
Hugonin 
Thôg  trmàh 
Méchitharistes 
Dana?r, s 
Canisius 
des  Juges, 
en 
l'ascétisme 


TABLE  DES  MÀTIÈEES 


Préface î 

Aaron 1 

Abaddon 1 

Abaissement 2 

Abandon 3 

Abandonnement 3 

Abarini 3 

Abauzit 3 

Abbadic 5 

Abbaye 11 

Abbé,  Abbesse Il 

Abbon 12 

Abbot 13 

Abdias,  le  prophète 13 

Al  h  lias,  v.  ApocrypJtcs . 

Abdon,  la  ville 14 

Abdon,  le  juge 14 

Abel,.la  ville 14 

Abel,  flls  d'Adam 15 

Abélard 15 

Abéliens 19 

Abelli 19 

Abcn-Esra 20 

Abgare 20 

Abia  ou  Abiam 21 

Abiathar 

Abigaïl 22 

Abilêne 22 

Abimélech,  Le  roi 23 


Abimélech,  le  juge 23 

Abisag 23 

Abisaï 23 

Abjuration 23 

Ablégat 24 

Ablon 24 

Ablution 26 

Abner 27 

Aboulfarage 27 

Abrabanel 28 

Abraham 28 

Abraham  a  Sancta  Clara 30 

Abrahamites 30 

Abraxas 30 

Abréviateurs 32 

Abril 32 

Absalon,  fils  de  David :  32 

Absalon,  primat  de  Siu'de. ...  33 

Abside 34 

Absolu 35 

Absolution 38 

Absoute 36 

Abstèmes :;,i 

Abstinence 37 

Abyssinie  ancienne,  \ .  Ethiopv  . 

Abyssinie  (Eglise,  d') :;~ 

Abyssinie  Btatist.  ecelés.)  —  :'-'•, 

\i îace,  Le  Borgne 41 

Acace,  L*ennite H 


770  TABLE 

Acace,  le  patriarche 

Académies  des  Eglises   réfor- 
mées de  France 

Acceptants 

Accommodation 

Acémètes 

Achab ' 

Achaïe 

Achard  

Achaz 

Achéry 

Achis 

Achitophel 

Acolytes 

Acosta 

Acre  (Saint-Jean  d') 

Acta  Sanctorum 

Acte,  Action 

Actes  des  Apôtres 

Adad 

Adalbéron,  v.  Reims. 

Adalbert  de  Prague 

Adalbert  de  Brème. 

Adam 

Adamites 

Adelbert 

Adéodat 

Adhémar  de  Monteil 

Adhérnar  (d1) 

Adiaphora 

Adon 

Adonaï 

Adonias 

Adoptianisme 

Adoption 

Adoration 

Adramélech 

Adramitte 

Adrets  (des) 


DES  MATIERES 


41 

42 
45 
45 

47 
47 
48 
48 
48 
48 
49 
49 
49 
49 
50 
51 
62 
62 
69 

70 
70 
71 
71 
73 
73 
74 
74 
74 
76 
77 
77 
78 
78 
81 
82 
83 
83 


Adrianistes 84 

Adrien,  empereur 84 

Adrien  (saint) 85 

Adrien  Ier.... 85 

Adrien  II 86 

Adrien  III 87 

Adrien  IV 87 

Adrien  V 89 

Adrien  VI 89 

Adullam 90 

Adultère 90 

/Enésidème 91 

/Epinus 91 

Aériens 92 

Aétius 92 

Afflictions 93 

Affranchis 93 

Affre 94 

Afghanistan 95 

Afre  (sainte) 96 

Afrique  (satist.  relig.) 96 

Afrique  (Eglise  d1) 100 

Agabus 105 

Agapes 105 

Agapet  Ier 106 

Agapet  II 107 

Agar 107 

Agaréens 107 

Agathe  (sainte) 107 

Agathon 108 

Agde 108 

Agen 108 

Agenais 109 

Agende 111 

Aggée 115 

Agier 116 

Agneau  de  Dieu 117 

Agnès  (sainte) 118 

Agnès  (la  mère) 118 


TABLE  DES 

Agnoètes ng 

Agiras  Dei H9 

Agobard ng 

Agonisants l-jo 

Agreda  (Marie  d') 120 

Agricola  (Rodolphe; 12] 

Agricola  (Jean) 122 

Agriculture  dans  la  Bible 122 

Agrippa  Ier  et  II,  v.  Hérodes. 

Agrippa  Castor 123 

Igrippa  de  Nettesheim 123 

Aguirre 124 

Agur 124 

Ahasvérus,  v.  Juif  errant. 

Ahija 124 

Ahimélecb 125 

Aï,  v.  Hai. 

Ailly  (d1) 125 

Ain.. 127 

Aire 128 

Aix 128 

Aix-la-Chapelle 128 

Ajalon 129 

Akiba 129 

Alacoque  (Marie) 130 

Alain 131 

Alais 131 

Alban  (saint),  d'Angleterre  . . .  133 

Alban  (saint),  de  Mayençe 133 

Albe  (dned") 133 

Alber 135 

Albert  le  Grand 136 

Albert  de  Mayence 137 

Albert  de  Brandebourg 138 

Albi 131) 

Albigeois,  \ .  Cathares. 

Albizzi 13'.» 

Albrct  (maison  d*  139 

Alcantara  (ordre  d1  143 


MATIERES  771 
Alchimie,  v.  Sciences  occultes, 

Alcuin 1  !  l 

Aldegonde  (sainte) 1  46 

Aléandre 146 

Alembert  (d'),  v.  Encyclopédie. 
Alep,  v.  Eelbon. 

Aies 140 

Alet 147 

Alexandre  le  Grand 147 

Alexandre  Bala 148 

Alexandre  Jannée,v.  A$moné(  ns. 

Alexandre  Ier  (saint) lis 

Alexandre  II 148 

Alexandre  III 149 

Alexandre  IV 150 

Alexandre  V 151 

Alexandre  VI 151 

Alexandre  VII 154 

Alexandre  VIII 155 

Alexandre  d'Alexandrie 155 

Alexandre  de  Constantinople.  150 

Alexandre  de  Halès 156 

Alexandre  Xeckam 157 

Alexandre  Nevsky 1 57 

Alexandre  Ier,  le  czar 157 

Alexandrie  (école  juive) 1 50 

Alexandrie  (école  philosophi- 
que)    104 

Alexandrie  (école  chrétienne).  170 
Alfarabi,  v.  Arabes. 

Alfred  le  Grand 175 

Alfric l"o 

Al-Gazel,  v.  Arabes. 

Alger  on  Auger  de  Liège 177 

Algérie 177 

Allatius  en  AUacci 179 

Allégorie 170 

Allegri 18] 

Alléluia 181 


772  TABLE  DES 

Allemagne 182 

Allen,  le  cardinal 190 

Allen,  le  quaker 191 

Alliance 191 

Alliance  évangélique 193 

Allix 200 

Allut \ 200 

Almohades 201 

Alogiens 201 

Alpha  et  Oméga 201 

Alphée 202 

Alsace , 202 

Alsted 219 

Altenstein 219 

Althamer 221 

Alting 221 

Alype 222 

Amalaire 222 

Amalécites 222 

Aman 224 

Amand  (saint) 224 

Amasa 224 

Amasias 224 

Amaury 224 

Amboise  (conjuration  d1) 226 

Amboise  (Françoise  d1) 228 

Ambon 228 

Ambroise  (saint) 229 

Ambroise  le  Camaldule 232 

Ambroisien  (chant) 232 

Ame 233 

Ame  du  monde 236 

Amen , 237 

Amendes 238 

Amérique 240 

Amérique  centrale 241 

Ames 242 

Amiens 242 

Amis  de  Dieu 243 


MATIERES 

Amis  des  lumières 245 

Ammien  Marcellin 248 

Ammon,  Ammonites 248 

Ammon,  l'anachorète 251 

Ammon,  le  théologien 251 

Ammonius  Saccas 252 

Amolon., 252 

Amon 252 

Amorrhéens 252 

Amortissement , . .  254 

Amos 254 

Amour 254 

Amours  (Gabriel  d1) 258 

Ampère 258 

Amphiloque 260 

Ampoule 260 

Amri 260 

Amsdorf 261 

Amsterdam 262 

Amulette 269 

Amyot 270 

Amyraut 273 

Anabaptistes 285 

Anachorètes 289 

Anaclet  Ier 289 

Anaclet  II,  v.  Innocent  H. 

Ananias 289 

Anastase  Ier 290 

Anastase  II 290 

Anastase  III 290 

Anastase  IV 290 

Anastase,  v.  Benoit  III. 

Anastase  le  Sinaïte 290 

Anastase  le  Bibliothécaire 291 

Anastasie  (sainte) 29  ] 

Anathème 291 

Anathot 292 

Anatole  de  Laodicée 292 

Anatole  de  Constantinople 292 


TABLE  DES 

Anciens  chez  les  Hébreux 292 

Anciens  chez  les  chrétiens 293 

Ancillon 293 

Ancyre 295 

Andelot  (François  d') 296 

Andelot  (Ch.d'),  v.  Coligny. 

Andorre 297 

André 298 

Andréa?  (Jacques) 298 

Andrése  (Jean-Valentin) 299 

Andrews 300 

Andronique 301 

Androuet  du  Cerceau 301 

Anduze 302 

Ane  (fâtedel') 303 

Anéantissement  des  âmes 304 

Angelico  (Fra) 305 

Angélique  (la  Mère) 300 

Angélites 307 

Angélus 308 

Angélus  Silesius 308 

Angennes  (d1) 308 

Angers 309 

Anges 310 

Angilbert 316 

Angilram 31G 

Angleterre  (la  Réformation  d1)  316 

Angleterre  (statist.  ecclés.) . . .  324 
Anglicanisme, v.  E<jl. anglicane. 

Anglo-Saxons 324 

Angoulôme 329 

Angoumois 329 

Anhalt 331 

Anicet 332 

Animaux    purs  et  impurs) 333 

Animisme :::;:; 

Anjorrant 334 

Anjou 335 

Annal :;:!S 


MATIERES  773 

Annates :;:>s 

AJ»ie . ;!;>s 

Anne,  le  grand-prêtre 338 

Anne  (sainte) 340 

Anneau 341 

Annecy 34] 

Année  (chez  les  Hébreux) 341 

Année  ecclésiastique 341 

Année  sabbatique 344 

Annonay 344 

Annonciades 345 

Annonciation 346 

Anoméens 34f> 

Anomiens,  v.  Aritinomisme . 

Anschaire 347 

Anse 348 

Anségise  (saint) 348 

Anségise  de  Sens 348 

Anselme  (saint) 349 

Anselme  de  Laon 354 

Anspach 354 

Antéchrist 355 

Antèrc 357 

Anthôine 357 

Anthropologie 357 

Anthropomorphisme 359 

Antibes 361 

Antidicomarianites "('>1 

Antienne j  361 

Antiliban,  v.  Liban. 

Antilles 362 

Aniinomisme 364 

Antioche :;,;7 

Antioche  de  Carie 369 

Antioche  de  Pisidie 369 

Antioche  (Ecole  d') 369 

Antiochus  (les)...' 376 

Antipape :!7,i 

Antipater,  v.  Rendes. 


774  TABLE  DES 

Antiphonaire,  v.  Antienne, 

Antitactes 377 

Antitrinitaires 377 

Antitype,   v.  Type. 

Antoine  (saint) 389 

Antoine  (Ordre  de  saint) 390 

Antoine  de  Padoue 390 

Antoine  de  Bourbon  ,v.  Bourbons. 

Anton 391 

Antonin  le  Pieux 391 

Antonin  (saint) 391 

Anvers 392 

Aod 392 

Aoste 392 

Apathie 394 

Apelles 395 

Aphek 395 

Aphthartodocètes 396 

Apion 396 

Apocalypse ;:96 

Apocalypses  juives 407 

Apocrisaire 411 

Apocryphes  de  TA.  T 412 

Apocryphes  du  N.  T 415 

Apollinaire  cTHiéra-polis 423 

Apollinaire  de  Laodicée 423 

Apolline  (sainte) 424 

Apollonius  de  Thyane 424 

Apollonius 425 

Apollos 425 

Apologétique 426 

Apostasie,  Apostat 445 

Apostolique  (Age) 447 

Apostolique 459 

Apostoliques 459 

Apôtres 460 

Apôtres  (Actes  des),   v.  Actes. 

Apôtres  (Concile  des) 464 

Apôtres  (Symbole  des) 469 


MATIÈRES 

APPel 475 

Appelants 4;g 

Appenzell 478 

APt 479 

Aquaviva 480- 

Aquila  et  Priscille 480 

Aquila  de  Sinope 480 

Aquila  d'Augsbourg 481 

Aquilée 482* 

Arabes  (Philosophie  religieuse)  482 

Arabie  (Religion  de  F  ancienne)  489 

Arabie  (le  christianisme  en) . . .  499 

Arabie  (statist.  relig.) 501 

Arabiens 50£ 

Arad 502 

Aram,  v.  Syrie. 

Arande  (Michel  d1) 502 

Ararat... 503 

Arbaleste  (Charlotte) 504 

Arbrissel 506 

Arbussy 506 

Arche  de  l'Alliance 507 

Arche  de  Noé,  v.  Noê. 
Archélaùs,  v.  Hérodes. 

Archéologie  biblique 508- 

Archéologie  chrétienne 514 

Archer 521 

Archevêque 521 

Archidiacre 522 

Archimandrite 522" 

Archîppe 522 

Archiprêtre 523 

Architecture   religieuse 523- 

Architecture  chrétienne 533 

Archives 555 

Archontiques 555 

Arétas 556- 

Argens 556 

Argentine  (République) 556- 


Argob,  v.  Eauran . 

Argovie 557 

Ariani  me 559 

Arias  (le  Porc) 588 

Àriel,  v.  Moab. 

Arimathée 588 

Aristarque 588 

Aristée 588 

Aristide 588 

Aristobule,  juif  alexandrin 589 

Aridobulelet  II,  v.  Asmnnccns. 

Aiï  totélisme 589 

Arlo: 592 

Armée  (chez  les  Hébreux) 593 

Arménie  (ancienne) 596 

Arménie  (les  Eglises  d1) 597 

Arminianisme 599 

Ar-Moab,  v.  Moab. 

Arnaud   Henri) 605 

Arnauld  de  Brescia GOG 

Ariiaukl  (Antoine) 608 

Arndt G10 

Arno G12 

Arnobe 613 

AruoM  Geoffroy) 013 

Arnold  ^Thomas) 014 

Arnon 616 

Arnoul. 017 

Arnoux 017 

Arocr 017 

Arphaxad 017 

Arra- 618 

Arsène  (saint) 018 


LWBLE  DES  MATIÈRES 

)    Artois 

Asa 

Asapb 

Asburv 


An  •'■ui'  de  Constantinople 618 

Art  chrétien 01. s 

Artaxerxes 621 

Artémon 021 

Articles  de  loi 622 

Articlesorganiques,  \.<Concvrdat. 


Ascalon 

Ascension  de  J.-C 

Ascétisme 

Aschérah,  v.  Phénicie. 

Asdod 

Aséité 

Aser 

Asiarques 

Asie 

Asie-Mineure 

Asile 

Asima,  v.  Syrie. 

Asiongaber 

Asmodée 

Asmonéens 

Assassins 

Assemani 

Assemblées  du  clergé  de  France. 
Assemblées  du  désert,  v.  Désert. 

Asser 

Assidéens,  v.  Çhasidim. 

Associations  catholiques 

Assomption 

Assuérus 

Assur 

Assyrie 

Astaroth,  v.  Bosra. 
Astarté,  v.  Phénicie. 

Astier  (Gabriel) 

Astier  (Jean-Pierre) 

Astres  (Culte  des) 

Astrologie,  v.ScUfiu  s  occulti  >. 
Astronomie  (chéries  Hébreux). 

Astruc 

i  Ataroth 


623 
624 
624 

024 
625 
625 

028 

033 
633 
034 
034 
035 
030 
637 

038 
039 
639 
640 
G48 
049 

059 

050 
655 

G57 
057 

057 


668 
668 

008 

670 

071 
071 


776  TABLE  DES 

Atergatis,  v.  Berceto. 

Athalie 672 

Athanase 672 

Athanase  (Symbole  d1) 078 

Athéisme 681 

Athénagore 688 

Athènes  (ancienne) 689 

Athènes  (moderne) 690 

Athos 693 

Atomisme 696 

Attalie , 701 

Atterbury •.  701 

Atticus 701 

Atton 1*702 

Attributs  de  Dieu,    v.  Dieu. 

Attrition 

Aube 

Auberlen , 

Aubertin 

Aubery  (Jacques) 704 

Aubery  (Benjamin) 704 

Aubigné 707 

Aubusson 711 

Auch 711 

Audiens 711 

Audin 712 

Audry 712 

Auger 712 

Augsbourg  (Confession) 713 

Augsbourg  (Intérim) 716 

Augsbourg  (Paix) 717  1 

Augures  et  Aruspices. 718 

Augusti 719 

Augustin  (saint) 720 


702 

702 
703 
704 


MATIÈRES 

Augustin,  le  moine 740 

Augustins  (Ordre  des) 740 

Aumône 741 

Aumônier 749 

Aunis,  v.  La  Rochelle. 

Auran,  Auranitide,  v.  Hauran. 

Aurélien • 743 

Auréole 743 

Aurifaber 744 

Australie,  v.  Oeéanie. 

Autbert 744 

Autel 744 

Auto  da  fé 747 

Autorité. 747 

Autriche-Hongrie 751 

Autun 756 

Auvergne 757 

Auxerre 758 

Avares 759 

Ave  Maria 759 

Avempace,  v.  Arabes. 

Avent 759 

Averroës,  v.  Arabes. 

Avicebron 760 

Avicenne,  v.  Arabes. 

Avignon 761 

Avila 763 

Avis  (Ordre    d') 764 

Avitus 764 

Avranches 675 

Aymon 765 

Azaïs 767 

Azarias,  v.  Ozias. 

Azymites 767 


/SCIENCES 

m    rel    O 

V  STUDIES 


La  Bibliothèque 

Université  d'Ottawa 

Échéance 


The  Library 

University  of  Ottawa 

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