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ENCYCLOPEDIE
DES
SCIENCES RELIGIEUSES
PARIS. - TYPOGRAPHIE TOLMER ET ISIDOR JOSEPH
me du Four-Saint-Germain, 43.
ENCYCLOPÉDIE
DES
SCIENCES RELIGIEUSES
PUBLIEE SOUS LA DIRECTION
F. LICHTENBEEGER
ANCIEN PROFESSEUR A LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
TOME I
PREFACE
AARON-AZYMITES
u Ottawa
PARIS
LIBRAIRIE SANDOZ ET FISCHBACHER
33, RUE DE SEINE, 33
1877
S»r\
If 77
PREFACE
L'Encyclopédie des sciences religieuses se propose d'offrir à
tous ceux qui s'intéressent à cet ordre de questions un moyen
facile de s'orienter et de connaître les résultats des travaux
contemporains. Elle désire présenter à ses lecteurs, sur chaque
sujet de quelque importance, un ensemble de faits aussi exact,
aussi complet et aussi succinct que possible.
Nous avons préféré le titre d'Encyclopédie à celui de Diction-
naire, bien que l'un et l'autre conviennent également à
l'œuvre telle que nous l'avons conçue. Elle renferme, en effet,
un grand nombre de courts articles qui définissent un sujet, le
délimitent, en esquissent les traits essentiels et en indiquent
les sources; ou bien encore elle renvoie le lecteur aux articles
plus étendus dans le cadre desquels le sujet désigné rentre
naturellement. Ce sont ces études de fond, embrassant l'en-
semble des sciences religieuses, qui assurent à notre recueil
son caractère encyclopédique.
it PRÉFACE
Nous disons sciences religieuses et non pas théologiques :
d'abord parce que notre entreprise s'adresse essentiellement au
public, plus nombreux parmi nous de jour en jour même en
dehors des cadres ecclésiastiques, qui demande à être initié et
associé aux recherches dont les théologiens de profession
avaient jadis le monopole ; et, ensuite, parce que le domaine
que nous embrassons est en réalité beaucoup plus étendu
que celui de la théologie proprement dite. Depuis que,
par une plus juste appréciation des termes, l'on commence
à distinguer, même dans le langage commun, entre la
religion et la théologie, cette dernière n'est plus considérée
comme la seule forme que revête le sentiment religieux,
et l'on s'occupe avec un intérêt croissant à en saisir et
à en étudier les manifestations partout où elles se pro-
duisent. Par une suite naturelle de cette évolution, la théo-
logie elle-même s'est entièrement renouvelée depuis cinquante
ans; s'inspirant du principe de la méthode historique, appli-
quée au domaine qui lui est propre, elle a pu, en utili-
sant largement les travaux des sciences auxiliaires et paral-
lèles et sans rien perdre de son originalité, agrandir beaucoup
son cadre.
On jugera de l'étendue considérable du champ que l'Ency-
clopédie embrasse par le nombre des articles qui y figurent. Ces
articles comprennent d'abord les diverses branches de la théo-
logie systématique, telles que la dogmatique, la morale, l'apo-
logétique, et la philosophie de la religion qui y confine : elles
jious présentent une ample moisson de termes à définir, de
notions à analyser et à préciser, de théories et de systèmes à
exposer, ce que nous ferons en restant autant que possible sur
le terrain de l'objectivité. Notre recueil a dû s'ouvrir également
aux articles qui concernent la théologie pratique, bien que la
place que nous avons pu leur offrir soit forcément plus res-
treinte : nous avons tenu à esquisser, du moins en traits rapides,
les principes et l'histoire du culte, de l'homilétique, de la caté-
PRÉFACE m
chétique et de tous les sujets qui rentrent dans le cadre de la
science pastorale. Mais c'est le vaste domaine de l'histoire qui
a fourni les matériaux les plus nombreux à Y Encyclopédie.
L'histoire des religions, d'origine toute récente, y trouvera
une large place. Grâce aux travaux remarquables que les der-
nières découvertes ont provoqués sur l'Egypte, la Phénicie,
l'Assyrie, la Perse, l'Inde, la Chine, venant succéder aux re-
cherches plus anciennes sur la Grèce, la Scandinavie et la Gaule,
il est possible, dès aujourd'hui, de tracer un tableau complet
du paganisme. Nous demanderons aux documents originaux de
nous faire connaître l'expression si variée et souvent si ingé-
nieuse que le sentiment religieux a trouvée chez les peuples qui
vivaient avant l'ère chrétienne ou qui sont placés en dehors de
l'action de l'Evangile. Toutefois, nous prévenons nos lecteurs
qu'ils devront chercher dans les études d'ensemble les noms
des divinités, des symboles et des usages religieux des diverses
mythologies païennes : notre table de matières, déjà si chargée,
eût été trop encombrée par les innombrables articles ou les
incessants renvois qu'une pareille nomenclature eût entraînés.
L'histoire des religions bibliques occupe naturellement, dans
Y Encyclopédie, la place d'honneur. On y trouvera l'explication
de tous les noms géographiques et historiques de l'Ancien et du
Nouveau Testament de quelque importance, l'analyse des prin-
cipales idées religieuses, une introduction critique détaillée de
chacun des livres canoniques et apocryphes, ainsi que des études
d'ensemble sur le canon, le texte, les versions, l'exégèse, la
propagation des saintes Ecritures et l'archéologie sacrée. Nous
n'avons pas négligé, cela va sans dire, l'histoire de l'Eglise : les
Pères, les docteurs scolastiques et mystiques, les ordres reli-
gieux, les missions, les sectes anciennes et modernes, l'époque
de la Renaissance et celle de la Réforme, la statistique religieuse
contemporaine, tant matérielle que morale, de chaque pays,
l'organisation particulière de chaque Eglise, seront l'objet d'ar-
ticles spéciaux. Il a, de même, été tenu grand compte de tout
n PRÉFACE
ce qui, dans le domaine du droit comme dans celui des lettres
et des arts, touche au développement des institutions ou des
idées religieuses.
L' Encyclopédie ne saurait avoir la prétention de ne présenter
aucune lacune. Tous ceux qui se sont occupés de travaux de ce
genre savent qu'il n'est pas possible, en ces matières, d'être
absolument complet. Le nombre de volumes fixé par les édi-
teurs pour cette publication nous imposait, à lui seul, la néces-
sité de nous restreindre et de faire un choix. Il existe d'ailleurs
sur diverses branches des sciences religieuses des dictionnaires
spéciaux que nos lecteurs consulteront avec fruit. Nous ne vou-
lons citer ici que la France protestante, cette œuvre monumen-
tale des frères Haag que M. Henri Bordier réédite et complète
en ce moment même d'une manière si heureuse. Nous osons
espérer toutefois n'avoir point d'omissions graves à nous repro-
cher, et nous nous engageons à réparer de notre mieux celles
que l'on voudra bien nous signaler.
La plus grande difficulté contre laquelle nous ayons eu à
lutter n'a pas été de tracer le cadre, mais de déterminer
l'étendue des articles, et surtout de contenir, dans les limites
prescrites, la bonne volonté et le zèle de nos collaborateurs.
On ne manquera pas de relever une certaine disproportion
entre les articles de notre recueil. Que l'on veuille bien ob-
server toutefois que, dans notre détermination, nous avons
dû nous laisser guider non-seulement par la nature du sujet,
mais aussi par la nouveauté des découvertes ou l'origina-
lité des appréciations. Tel personnage, telle localité, telle
notion, tel événement moins important ou moins connu
occupera peut-être plus de place que tel autre dont on
peut trouver partout la biographie, la description ou l'ana-
lyse. Une remarque analogue s'applique à la signature des
articles, que nous n'avons pas cru devoir inutilement pro-
diguer.
PRÉFACE v
Un écueil que nous nous sommes principalement appliqué à
éviter en embrassant une matière si étendue, c'est de n'être
jamais ni superficiel ni vague, et de ne remplacer nulle part
par des développements de rhétorique l'exposé sobre, précis et
substantiel des faits. Nous nous sommes interdit avec soin
la pompe banale des considérations oratoires. A cet effet,
nous nous sommes invariablement adressé aux hommes spé-
ciaux, faisant appel à tous ceux qui se sont occupés des
sciences religieuses et dont les travaux font autorité. La liste
complète des collaborateurs figurera, dans le dernier volume,
à côté de la table générale des matières.
L'Encyclopédie des sciences religieuses n'est pas destinée à
servir les intérêts d'un parti ou dune coterie; elle est l'œuvre
collective des diverses fractions du protestantisme de langue
française et des quelques hommes de bonne volonté qui, en
dehors de nos cadres, ont bien voulu se joindre à nous. Tout
en nous plaçant sur la base positive du christianisme et sans
compromettre en rien l'unité de notre œuvre, nous n'avons,
dans le choix de nos collaborateurs et dans la distribution des
matières, considéré que la valeur scientifique des articles.
Nous avons demandé à chacun l'impartialité et le respect des
convictions d'autrui, et nous avons prévenu que toute contro-
verse blessante serait sévèrement bannie de ce recueil.
Pour l'orthographe des noms propres, nous nous sommes
conformé à celle que l'usage a consacrée en France, nous
réservant d'indiquer, dans le courant des articles, celle qui
nous paraît préférable. A cet égard encore, de nombreux
renvois faciliteront les recherches du lecteur. Sauf en ce qui
concerne le latin, les citations de textes étrangers ont été, de
parti pris, évitées. Nous avons adopté pour les caractères
hébraïques un système de transcription simple et facile dont
nous avons recommandé l'emploi à tous nos collaborateurs.
Les indications bibliographiques ont été l'objet d'un soin spé-
vi PRÉFACE
cial : nous avons tenu à les donner aussi complètes et aussi
exactes que possible, en nous permettant d'ailleurs l'emploi des
abréviations en usage.
Pour la répartition et le classement des matières, nous avons
utilisé un grand nombre de dictionnaires et d'ouvrages spé-
ciaux. Nous mentionnerons tout particulièrement la Real-Ency-
clopœdie fur protestantische Théologie und Kirche de M. Herzog
(Hamb. et Gotha-, 1854-1868, 22 vol.), qui nous a inspiré l'idée
même de cette entreprise. Nous avons mis à profit, en maintes
circonstances, les travaux de nos devanciers; mais il va sans
dire que tous nos articles de fond sont des études absolument
originales, faites sur les sources elles-mêmes.
Unir l'ardeur du sentiment religieux, reconnu dans sa légi-
time et puissante influence tant individuelle que sociale, à
l'indépendance de la pensée, soumise aux lois inflexibles
de la science : tel est l'idéal qui s'impose aux hommes de
notre génération. Nous serions -heureux de leur aider à le
réaliser.
Parmi les lecteurs de ce recueil, les uns seront frappés
des conceptions tout à la fois grossières et subtiles, des
usages bizarres, des pratiques puériles et mesquines que
l'ignorance et la superstition des âges passés ont placés sous
le couvert de la religion • les autres reculeront effrayés devant
les hardiesses de la philosophie et de la critique historique
contemporaines : nous osons espérer toutefois que les uns et les
autres emporteront la conviction qu'il existe, au sein de l'huma-
nité, un fonds solide et persistant de vérité religieuse, qui seul
donne à la vie sa signification et son prix.
Plus ce siècle penche vers son déclin, moins nous sommes
inquiet sur i'issue de la crise qu'il traverse. Là où les esprits à
courte vue croient découvrir la tombe de la religion , nous
discernons les signes manifestes de son éternelle jeunesse. L'é-
tude critique des vieux documents et l'analyse sévère de la
. PRÉFACE vu
nature humaine nous la montrent plus belle dans son essence,
plus riche et plus variée dans ses manifestations, plus puissante
dans son action sur le monde. Que ses adversaires, comme aussi
certains de ses défenseurs, mieux informés les uns et les autres,
cessent donc de la confondre avec les formes et les systèmes
parasites qui, trop longtemps, ont voilé sa splendeur ! Ce sont
ces enveloppes poétiques et pittoresques parfois dans leur grâce
naïve, mais devenues gênantes à la longue, que le travail du
temps emporte; ce sont ces scories que le minerai en fusion
dépose au fond du creuset. L'or pur s'en est dégagé, et il n'y
a pas de risque qu'il se perde.
Dirons-nous toute notre pensée ? Notre pays nous paraît plus
particulièrement bien placé pour opérer ce triage, devenu né-
cessaire, entre ce qui dans la religion est destiné à périr et ce
qui doit demeurer. L'Angleterre, conservatrice par tempéra-
ment et par tradition, a compris le christianisme surtout par
son côté pratique : elle réalise d'une manière merveilleuse l'ac-
tivité charitable et missionnaire à laquelle l'Evangile nous
convie. Moins ferme et moins libre sur le terrain ecclésiastique,
mais plus hardie dans le domaine de la pensée, l'Allemagne,
avec son génie spéculatif et critique, a porté plus avant le flam-
beau des recherches en ce qui concerne les origines des religions,
les documents authentiques et la physionomie propre du chris-
tianisme. Mieux équilibrée et admirablement pondérée dans les
dons qu'elle a reçus en partage, la France, lorsqu'elle suit ses
meilleures inspirations, semble destinée à veiller sur le foyer
religieux où s'embrase et se réchauffe la foi de l'humanité.
Unissant la vaillance à la douceur, l'amour de la règle à la pas-
sion généreuse, elle a produit quelques-uns des plus beaux
types de la piété chrétienne.
C'est en vain, croyons-nous, que l'on essaye aujourd'hui de la
détourner de l'accomplissement de sa véritable mission. Elle n'é-
coutera pas les conseils de ceux qui lui disent de jeter par-dessus
bord toutes ses croyances ; elle suivra moins encore la voix de
vu i PRÉFACE
ceux qui voudraient lui persuader que le dernier mot de la re-
ligion a été prononcé au récent concile du Vatican. Elle réagira
aussi contre cette doctrine fataliste d'après laquelle la direc-
tion religieuse de l'humanité aurait passé, avec l'hégémonie
politique et sociale, des peuples de race latine aux peuples de
race germanique ou anglo-saxonne. Certes, nous ne demandons
pas à la France de se faire protestante, et nous laissons à
d'autres le soin de lui rappeler ce qu'elle a perdu en repoussant
la Réforme au seizième siècle et en proscrivant ses fils au dix-
septième. Qu'elle renoue simplement avec les propres traditions
de son passé et que, appliquant à son ancienne foi les méthodes
nouvelles, elle redevienne ce qu'elle a été jadis dans la fleur
de ses héros : le pays des fortes études, des mœurs austères et
de la propagande enthousiaste de l'Evangile !
ENCYCLOPÉDIE
DES
SCIENCES RELIGIEUSES
AARON jÀharôn, "Aapwv], frère aîné de Moïse et, par conséquent, fils
d'Amrâm et de Yokèbèd, de la tribu de Lévi (Nomb. XXVI, 59). Nous
ne savons rien de sa jeunesse. La première fois qu'il est question de lui
dans le Pentateuque (Exode IV, 14), il semble qu'il avait déjà la répu-
tation d'être un homme habile à manier la parole. Il ne fut guère que
l'interprète, la « bouche » (Exode IV, 16) de son frère dont il subit le
puissant ascendant. Nous le trouvons toujours à côté de Moïse, dont il
soutenait le bras à la bataille de Rephidim contre les Amalécites
(Exode XVII, 12). Une fois il est laissé à lui-même, et il autorise le
peuple à se faire un taureau d'or qui rappelait les idoles égyptiennes
f Exode XXXII, 1-6). Dans une autre circonstance, cédant à l'influence
de sa sœur Miryam, il cherche querelle à son frère parce qu'il a épousé
une femme Kouchite (Nomb. XII, 1 et ss.). Aaron paraît donc avoir été
d'un caractère faible et peu consistant. Il n'en fut pas moins, selon la
tradition consacré prêtre en même temps que ses fils (Exode XXIX, i
et ss. ; Nomb. VIII), et la prêtrise déclarée héréditaire dans sa famille.
Coupable, ainsi que Moïse, d'avoir douté de Jéhova aux eaux de Meri-
bah (Nomb. XX, 6-12), il ne put traverser le Jourdain et entrer dans le
pays de Canaan à la tête des Israélites. Il mourut sur le mont Hôr, dans le
voisinage de Pétra, etMoïse revêtit Eleâzâr, son fils, du costume sacerdo-
tal (Nomb. XX, 28).— Lafemme d'Aaron s'appelait Elisabeth (Elichèba).
Des quatre fils qu'il eut d'elle, Nâdâb, Abihou, Eleâzâr et lthâmâr, les
deux derniers seuls lui survécurent; les deux premiers étaient morts
pour avoir apporté devant Jéhova « un feu étranger » (Lév. X, 1, 2). —
Pour la critique de la vie d'Aaron, voir l'article Moïse.
ABADDON. Ce terme, qui vient du verbe hébreu 'âbad, «se perdre, »
signifiait primitivement la destruction; puis, dans la langue poétique,
il est devenu le synonyme du séjour de la mort, duCheol (Job XXVI, 6;
1
ABADDON — ABAISSEMENT
XXVIII, 22; Ps. LXXXVIII, 12; Prov.XV, 11). Dans l'Apocalypse enfin,
on le retrouve appliqué à « L'ange de l'abîme » (Apoc. IX, 11) qui com-
mande aux armées des sauterelles infernales; son nom, 'A6ascwv, est
rendu, en grec, par le mot 'Atcoàauwv , « le destructeur. »
ABAISSEMENT du Christ (Status exinanitîonis). La dogmatique dis-
tingue un double état dans l'existence du Christ : l'état d'abaissement
et l'état d'élévation. Elle se fonde principalement sur Phil. II, ;>-<>,
où la Vulgate traduit èxévoxjev pnvexinanivit. Dans ce passage, saint Paul
oppose l'existence terrestre du Christ, humble et misérable (lAOpçrj
oouXcu), à son passé et à son avenir glorieux. Son incarnation est dès
lors considérée comme un abaissement volontaire nécessité par notre
salut, riche en consolations et en encouragements pour ceux qui,
comme lui, portent la forme du serviteur, en attendant la gloire future
qui doit être manifestée. La Divinité étant toujours égale à elle-même
ne peut être ni abaissée ni élevée ; c'est donc le fait de revêtir la nature
humaine qui constitue l'abaissement du Fils de Dieu. Ainsi raisonnent
Calvin et les théologiens réformés : « Car, que veulent dire ces mots :
« Il a esté trouvé comme homme en figure, » sinon que pour un tems
sa gloire divine n'a point relui, mais seulement la forme humaine en
condition vile et basse » (Inst. chrest., II, 13, 2). Les théologiens
luthériens qui admettaient la communication réciproque des pro-
priétés des deux natures ne pouvaient sortir d'embarras qu'en en-
seignant que la nature humaine du Christ, quoique participant de la
majesté divine, vécut « presque toujours » dans un état de gloire ca-
chée et, par conséquent, d'abaissement sur la terre : « Bœc humanx
naturse majestas in statu humiliât ionis majore ex parte occultata et quasi
dissimulata fuit» (Form. conc, VIII, 65). Une controverse assez vive
s'engagea, en 1616, sur ce point, entre les théologiens souabes et les
théologiens hessois. Les premiers soutinrent qu'en vertu de la communi-
catio idiomatum, le Christ avait possédé la toute-présence et le gouver-
nement du ciel et de la terre, même dans son état d'abaissement et jusque
dans sa mort. Ils distinguent entre la xr^ctç, la possession des attributs
de Dieu, la xprlcic) l'usage, et la y.pu^tç, l'usage occulte. Les Hessois, de
leur côté, insistaient sur la xévojatç, c'est-à-dire le dépouillemeni
(voy. l'article Kenosis), l'abstention complète de l'usage. Les théolo-
giens saxons, à l'arbitrage desquels la décision fut soumise, donnèrent
raison à ces derniers, mais en accordant toutefois à leurs collègues de
Tubingue que, pour accomplir ses miracles, Jésus-Christ s'est servi de
la nature divine. — Les dogmatistes ont relevé deux éléments clans
l'état d'abaissement : l'élément négatif (yivwciç) qui consiste dans l'ab-
dication de l'usage de la majesté divine, et l'élément positif (Tarcsivcosu;)
qui consiste dans le revêtement de la forme de serviteur. Ils ont, de
plus, distingué jusqu'à sept degrés (gradus, modi, momenta) dans l'abais-
sement du Christ : la conception, la naissance, l'éducation, la fréquen-
tation des hommes (sanctissima ipsius consuetudo cum variis, etiam con-
temptissimis hominibus,plena molestiis, incommodis , periculis) , la passion,
la mort, l'ensevelissement; quelques-uns y ajoutent encore la circonci-
sion et la fuite en Egypte.
ABANDON - ABAUZIT 3
ABANDON. Lorsqu'il est dit, dans l'Ecriture sainte, d'un individu ou
d'un peuple que Dieu l'abandonne, cela signifie que, pendant un temps
plus ou moins long, il lui retire le sentiment de sa présence, l'assu-
rance de sa sollicitude paternelle, de sa protection bienveillante et
de son secours efficace, pour le laisser tomber dans le malheur et dans
la misère, en butte à ses convoitises ou en proie à ses ennemis. Cet
abandon s'applique aux incrédules, dans le but de les reprendre et de
les corriger (Deut, XXXI, 17 ; Jérém. Il, 19; Osée IX, 12 ; 2 Cor. IV, 4 ;
2 Tina. Il, 26), aussi bien qu'aux croyants afin de les éprouver et de les
exciter à redoubler de fidélité, de vigilance et de zèle (2 Chron. XXXI l,
31; JabXIÏÏ,24; Ps.LXIX,21; LXXXVIII, 6). — L'abandon du Christ sur
la croix (Matth. XXVII, 46, Cf. Pst XXII, 2) n'implique ni une séparation
essentielle avec le Père, ni un divorce momentané entre sa nature divine
et sa nature humaine, ni surtout Faction de la colère et de la malédic-
tion divines dont le Fils eût été l'objet, alors qu'il accomplissait l'obéis-
sance dans ce qu'elle avait de plus pénible. Vaincu par le double excès
de la douleur physique causée par la crucifixion et de la douleur mo-
rale résultant de la réprobation dont il était la victime de la part des
hommes, Jésus-Christ, en ce court et suprême instant de l'agonie,
n'a plus senti la puissance de l'amour divin : il n'a vu que les signes de
la colère, du châtiment et du jugement des hommes sous les effets
desquels il succombait.
ABANDONNEMENT, terme de droit ecclésiastique qui désigne l'acte
par lequel une personne déjà condamnée par le tribunal ecclésiastique
est livrée entre les mains des juges laïques. Les canons ont fixé à trois
les cas où le criminel devait être livré au bras séculier : l'hérésie, quand
il y a impénitence de la part du coupable ; le faux commis sur des
lettres du pape; la calomnie portée contre son propre évêque. — On se
sert aussi de ce terme pour désigner la cession d'un bénéfice, soit
expresse, par acte public, lors d'un mariage, d'un vœu monastique ou
d'un autre motif d'incompatibilité; soit tacite, par la non-résidence ou
la non-desserte.
ABARIM, proprement har ou hàré ha'abàrim, «les monts du
]>assage ? » peut-être aussi «du gué?» étaient situés en face de Jéricho,
de l'autre côté du Jourdain. Ils sont mentionnés parmi les étapes du
peuple hébreu (Nomb. XXXIII, 47) et dans le récit de la mort de
Moïse (voy. Nébo), Ils avaient pour sommet principal le mont Nébo.
Suivant Winer, cette chaîne s'étendait jusqu'au sud de la mer Morte où
l'on rencontre des montagnes appelées 'iyyé ha'abârim, à l'entrée
du pays de Moab (Nomb. XXI, 11 ; XXXIII, 44) ; mais cette hypothèse,
qui a été adoptée par Menke dans son atlas, est contestable; deux
groupes de montagnes différents ont fort bien pu porter un nom de ce
genre.
ABAUZIT (Firmin), savant genevois [1679-1767], était né à Uzès
d'une famille huguenote. Au moment de la révocation de l'édit de
Nantes, sa mère, femme distinguée, réussit, au travers de beaucoup de
péripéties, à l'arracher aux mains de l'évêque et à le faire fuir en 1689
à Genève, où elle le rejoignit. Après des études fortes et variées, Abauzit
4 ABAUZIT
voyagea en 1698 en Hollande et en Angleterre, et s'y lia avec plu-
sieurs savants, notamment Bayle et Newton. De retour à Genève, il s'en-
fonça dans la vie de cabinet, sans vouloir s'astreindre à aucune fonction
obligatoire. Voué au développement de la Bibliothèque publique, qui avait
été organisée en 1702, il en fut nommé bibliothécaire honoraire. Plus
tard, en 1727, la République lui accorda la bourgeoisie gratis. Sa longue
vie s'écoula dans le célibat, le travail assidu, la paix. Visité par tous les
passants distingués, consulté par les savants du pays et de l'étranger,
en correspondance suivie avec quelques-uns des plus grands, estimé el
aimé de tous, Abauzit était un sage au jugement de ses contempo-
rains. C'est ainsi que Rousseau l'a dépeint dans une note de la Nouvelle
Hèloise (5e P., lettre I) qui l'a immortalisé. Il l'appelle « un vrai
philosophe, le seul qu'il ait connu, » et le compare à Socrate et à
Gaton. Simplicité antique, grande modestie, bienveillance exquise, em-
pire sur lui-même, piété, Abauzit a en effettous les traits d'un sage chré-
tien. Gomme savant, il eût pu aspirer à une grande renommée. Il était
également versé dans les sciences exactes et les sciences historiques :
mathématiques, physique, astronomie, géographie, histoire, archéologie,
numismatique, langues anciennes, théologie, enfin, il a tout abordé
avec talent, car il avait à un haut degré les qualités de l'esprit scienti-
fique, une étonnante mémoire, une grande curiosité, une pensée péné-
trante et précise. Mais cette facilité, cette curiosité lui furent un piège.
Il dispersa ses recherches, émietta ses travaux. Et d'autre part sa pas-
sion pour l'indépendance, sa prudence, son manque d'ambition l'empê-
chèrent d'entreprendre et de produire une œuvre étendue et durable.
Il eut le tort de travailler en amateur. Aussi ne publia-t-il rien ; quel-
ques écrits confiés à ses amis virent le jour de son vivant. Après sa
mort, une partie de ses manuscrits furent détruits, d'autres laissés à la
Bibliothèque publique, d'autres enfin furent recueillis dans deux édi-
tions de ses Œuvres, l'une à Genève en 1770, l'autre à Londres et Ams-
terdam, 1770-1773, en deux volumes chacune. Le second est occupé par
des dissertations scientifiques diverses, le premier par des fragments de
théologie, dont le choix est plus varié et plus hardi dans l'édition de
Londres. C'est là que nous allons trouver le théologien. Abauzit appar-
tient à ce qu'il appelle les théologiens modérés par opposition aux rigi-
des. C'était la tendance dominante à Genève et ailleurs, au commence-
ment du dix-huitième siècle. Il abandonnait doucement la dogmatique
traditionnelle, pour se borner à la Bible, interprétée selon la méthode
critique el raisonnable. En dogmatique, il était unitaire. La plupart (10)
des fragments exégétiques du volume sont consacrés à la discussion des
passages favoris du trinitarisme. Christ est l'envoyé de Dieu, qui n'a
eu qu'une préexistence idéale, c'est le docteur et le martyr parfait.
En apologétique, Abauzit maintient la dualité de la religion natu-
relle et de la religion révélée, celle-ci venant confirmer et populariser
l'autre par des miracles. Dans la controverse, le savant réfugié, qui ne
s'est jamais un peu échauffé que contre les jésuites, eût pu être un
maître : sa Lettre à une dame de Dijon sur les dogmes de V Eglise romaine
est un petit chef-d'œuvre de polémique incisive et pourtant courtoise ;
ABATTZIT — ABBAD1E :,
mais c'est surtout dans la critique, qu'Abauzit excelle. Qu'on lise
les morceaux sur Daniel et l'Apocalypse. 11 donne de ces deux
livres l'interprétation tirée des faits contemporains. Quant à l'Apoca-
lypse, dans son Discours, il en discute la canonicité, en passant en revue
les témoins pour et contre dans les premiers siècles, et soumettant
Pères et conciles à un jugement très-mordant ; dans son Essai, il donne
de la vision une explication ingénieuse, la rapportant tout entière à
la destruction de Jérusalem et de la nation juive par les Romains, mais
sans aborder le problème du nombre 660. En résumé, Abauzit avait
l'étoffe d'un théologien et surtout d'un critique, et l'on peut regretter
qu'il n'ait pas votdu ajouter un grand nom de plus à la théologie pro-
testante de langue française. — Sources : les deux éditions des Œu-
vres d'Abauzit, de Genève et de Londres, avec les Eloges de Végobre
et Bérenger; Senebier, Histoire littéraire de Genève, tome III; la France
protestante, 2e éd., 1er vol., p. 2. Manuscrits à la Bibliothèque de Genève.
A. Bouvier.
ABBADIE (Jacques), né àNay (Béarn) en 1654, mort à Mary-le-Bone
près Londres le 6 octobre 1727, fut pasteur de l'Eglise française de
Berlin de 1680 à 1688, puis pasteur français à Londres jusqu'en
1609, enfin doyen deKillalow en Irlande jusqu'à sa mort. C'est surtout
comme apologiste et comme moraliste, c'est-à-dire par ses traités
sur la Vérité de la religion chrétienne et sur YArt de se connaître
soi-même qu'Abbadie s'est élevé au rang éminent qu'il occupe parmi les
théologiens réformés de langue française. Le Traité de la vérité de la
religion chrétienne parut en 1684 en deux volumes correspondant aux
deux parties de la démonstration que l'auteur y donnait du christia-
nisme. La 2e édition (1688) est augmentée de quelques chapitres ; ce sont,
dans la première partie, les chapitres IX, XIX et XX de la troisième
section, dans la deuxième partie, les chapitres I-VI de la troisième sec-
tion. Le livre s'ouvre (après l'épître dédicatoire) par une préface dans
laquelle l'auteur expose son objet et son plan. « La religion chrétienne,
dit-il, se fait sentir aussitôt qu'elle se fait connaître, » elle agit sur le
cœur en même temps qu'elle éclaire l'intelligence, et son action sur le
cœur est sa meilleure preuve pour ceux qui en ont fait l'expérience.
Cette preuve de sentiment ne peut que s'affaiblir en s'exprimant.
Toutefois, comme il ne faut pas laisser l'incrédulité triompher du silence
des chrétiens, l'auteur, en exposant les preuves qui s'adressent à l'intel-
ligence, essayera aussi de faire sentir aux incrédules la vérité du chris-
tianisme. Il emploiera pour cela successivement deux méthodes: par la
première il descendra de cette proposition : « 11 y a un Dieu » à cette au-
tre : « Jésus fils de Marie, est le Messie promis, » par la seconde, de ce
fait évident : « Il y a aujourd'hui des chrétiens dans le monde, » il re-
montera à cette première proposition : « Il y a un Dieu qui s'est révélé
par l'Evangile. » — Le point de vue de l'auteur est le point de vue intel-
lectualiste. Le christianisme étant conçu comme une doctrine révélée,
réconcilier cette doctrine avec la raison en est la preuve interne, établir
la réalité des miracles par lesquels la révélation se légitime, en est la
preuve historique. Le problème de l'apologétique est alors de présenter
G iBBADIfî
ces doux preuves de telle sorte qu'elles se fassent équilibre et se soutien-
nent mutuellement. (J'esl ce problème qu'a admirablement résolu
Abbadie en employant successivement pour démontrer le christianisme
deux méthodes inverses: celle de la première partie qui consiste à
faire succéder à la preuve interne la preuve historique, et celle
de la seconde, qui va de la preuve historique à la preuve interne;
plan ingénieux et compréhensif, qui lui a permis de présenter
deux fois les mêmes arguments sans se répéter et de manière à ce
que la seconde démonstration vienne confirmer ei compléter la pre-
mière. Ajoutons que les considérations historiques defla seconde partie
conservent aujourd'hui toute leur valeur. (Voyez en particulier les cha-
pitres où Abbadie établit la bonne foi des apôtres, l'impossibilité d'in-
venter une personnalité telle que celle de Jésus-Christ, la valeur et la
portée du témoignage de saint Paul, etc.) — Mais nous avons dit que
c'est la conception intellectualiste qui domine dans cet ouvrage, con-
ception qui avait déjà marqué de son empreinte les premiers essais de
systématisation de la pensée protestante. Abbadie parait avoir beau-
coup lu et médité Descartes et, sans avoir implicitement adopté toutes
ses opinions, il s'était pénétré de son esprit et épris de sa méthode.
C'est bien Descartes qu'il avait devant les yeux, quand dans sa préface
il annonçait l'intention de « confondre par les principes de la raison les
faux partisans de la raison humaine » et pour cela de « n'employer que
les preuves qui persuadent et de ne les presser qu'à mesure qu'elles
nous persuadent. » C'est encore Descartes qu'il imitait, quand, en
commençant la seconde partie, il disait : « Nous voulons bien pour
quelque temps douter de tout avec eux (les incrédules) et nous élevant
par degrés à la connaissance des faits qui établissent le christianisme,
ne recevoir les vérités qu'à mesure qu'elles nous paraîtront évidentes. »
Or si Descartes avait fait une distinction entre les vérités de foi et les
vérités déraison, ce n'est pas qu'il les regardât comme étrangères les
unes aux autres. C'est au contraire parce que, croyant la raison capable
de s'élever par ses propres forces à certaines vérités religieuses, telles
que l'existence de Dieu et la spiritualité de l'âme, il espérait, en démon-
trant ces vérités par des arguments rationnels, fournir une base solide à
la défense de la religion. Tel est le point de vue auquel s'est placé
Abbadie. Mais il n'a pas comme Descartes limité aux deux affirmations
de l'existence de Dieu et de la spiritualité de l'âme le contenu de la rai-
son, il y a ajouté la loi morale : importante addition, qui a imprimé à
son apologie un caractère par où elle rentre dans le grand courant de
la théologie réformée. Ce qu'il nous importe ici de remarquer c'est que
l'addition dont nous parlons n'a rien changé essentiellement au point
de vue intellectualiste d'Abbadie. Cette loi morale, en effet, il la conçoit
comme un ensemble de vérités faites pour régler la vie pratique. Il ne
descend pas jusqu'au principe, jusqu'au fait moral lui-même, jusqu'à
ce « tu dois » de la conscience individuelle que Kant devait si bien
appeler « l'impératif catégorique. » La preuve morale, pour Abbadie,
consiste donc non dans la réponse apportée par l'Evangile aux besoins
de pardon et d'affranchissement, mais dans l'accord de la raison et de
ABBAD1E 7
la doctrine révélée, sur les vérités essentielles de l'ordre religieux et
moral. Abbadie, il est vrai, sait fort bien que la religion révélée
venant réparer le désordre introduit par le péché dans la nature
humaine, contredira la raison obscurcie par les passions. Les mystères
de la doctrine chrétienne sont destinés à humilier l'esprit, comme les
préceptes sévères de la morale chrétienne à mortifier la chair, et d'ail-
leurs la contradiction n'est pas seulement entre l'Evangile et la nature,
elle est dans l'homme lui-même entre les passions et la raison, entre
le sens commun et la raison. Celle-ci, dans ses intuitions les plus
hautes, soutient donc contre l'homme pécheur la même guerre que
soutient aussi la religion chrétienne, et l'accord éclate dans la contra-
diction même qu'on avait signalée. Ici Abbadie rejoint un autre grand
écrivain de son temps, à qui revient l'honneur d'avoir le premier mis en
lumière, dans une intention apologétique, les contradictions intérieures
de la nature humaine. Nous avons nommé Pascal. L'auteur du Traité
de la vérité de la religion chrétienne a certainement connu et largement
mis à contribution les Pensées. Mais il ne faut pas chercher chez lui ce sen-
timent profond du déchirement de la conscience et des contradictions de
la raison qui caractérise Pascal. Il ne lui emprunte que Vidée de ces con-
tradictions et de ces déchirements et il la met bien posément en œuvre
dans le cours de son argumentation. Il doit aussi beaucoup à La Roche-
foucault dans le tableau qu'il trace des vertus humaines pour les oppo-
ser à celles qu'enfante la religion chrétienne. Gomme Fauteur des
Maximes, il montre l'amour-propre, sous ses deux formes essentielles,
la volupté et l'orgueil, donnant naissance à tous nos vices et toutes nos
vertus <( se perdant dans l'intérêt comme les fleuves dans la mer. »
Mais après avoir dit que la religion chrétienne ordonne, comme remède
à l'amour-propre, l'amour de Dieu, il montre mal comment elle nous
inspire cet amour et il semble faire consister tous les motifs de cette
morale évangélique dans la considération des promesses et des menaces
contenues dans la Bible, ainsi que des bienfaits de Dieu, entre lesquels
figure à son rang l'œuvre de Jésus-Christ. On voit que la preuve ne
change pas un seul instant de nature dans tous les développements
qu'elle reçoit, et que l'Evangile est partout, dans cet ouvrage, présenté
comme un supplément de lumières venant s'ajouter à celles de la raison,
comme un enseignement révélé venant rétablir les principes de la reli-
gion naturelle. — Et cependant, il y a dans cette apologie tout un courant
de pensées, par où elle échappe à l'intellectualisme pur et relève du
principe individualiste et moral de la Réforme. Abbadie n'a pu montrer
que la religion révélée était venue rétablir l'ordre de la nature et repla-
cer l'homme dans la voie de sa destination véritable, sans être conduit
a envisager plus ou moins la révélation comme une divine histoire et la
religion comme un rapport spirituel et vivant entre l'homme et Dieu.
De la à faire de Jésus-Christ le centre de la religion objective et à ramener
toute la religion subjective à l'acte par lequel l'âme saisit Jésus-Christ
comme son Sauveur, il n'y a qu'un pas. Ce pas notre auteur ne l'a pas
franchi. Mais le mouvement d'idées qui devait y aboutir, est très-sensible
dans plusieurs chapitres du Traité de la vérité de la religion chrétienne.
8 ABBADIE
Nous signalerons on particulier, dans la IIe partie, sect. Il, le chapitre sur
la divinité du Nouveau Testament. — En passant de ce premier grand
ouvrage d'Abbadie à ceux qui lui ont succédé, on éprouve une décep-
tion pénible. L'intellectualisme a deux issues opposées mais presque éga-
lement funestes: le rationalisme et un supranaturalisme sec et aride.
L'auteur du Traité de la vérité de la religion chrétienne ne pouvait ver-
ser dans le rationalisme, mais sa pensée religieuse paraît s'être de plus
en plus stérilisée en s'accentuant davantage dans le sens du supranatu-
ralisme. Le Traité de la divinité de Jésus-Christ publié en 1689 marque
sous ce rapport un progrès déplorable. Ce nouveau traité fut donné
par Abbadie comme le troisième volume de celui que nous venons
d'étudier. On comprend en effet qu' Abbadie ait senti que son apologie
du christianisme n'était pas achevée tant qu'il n'avait pas traité la ques-
tion de la personne même de Jésus-Christ, et Ton entrevoit comment il
aurait pu la résoudre, s'il fut demeuré fidèle à la méthode historique
et morale de sa seconde partie. Le Traité de la divinité de Jésus-Christ
n'est qu'un insipide corollaire de la démonstration contenue dans les
deux volumes du Traité de la vérité. « Les vérités essentielles du chris-
tianisme, dit Abbadie en commençant, sont tellement enchaînées,
qu'elles ressemblent à cet égard aux principes de la géométrie, dont les
uns servent comme de degrés pour descendre à la connaissance des au-
tres ! » Descendre, par voie de déduction, à la connaissance de la divinité
du Sauveur !... Encore Abbadie ne procède-t-il pas à cette déduction
directement, mais indirectement, par la méthode appelée en logique
.< preuve par l'absurde. » Jésus-Christ est Dieu, de même essence
avec le Père, ou bien il faut avouer : 1° que la religion mahoniétane esl
préférable à la religion chrétienne et que Jésus-Christ est inférieur à
Mahomet; 2° que le sanhédrin a été juste en faisant mourir Jésus et que
les Juifs ont eu raison de le rejeter; 3° que Jésus-Christ et les apôtres
nous ont trompés; 4° qu'il n'y a aucun rapport entre l'Ancien et le
Nouveau Testament ; 5° enfin que la religion n'est qu'un leurre et une
comédie ! Et chacun de ces points est compendieusement établi par
un procédé invariable : ce sont des citations indistinctement tirées des
Psaumes et des prophètes, des évangiles et des épîtres pour prouver que
Jésus-Christ a été annoncé, s'est donné lui-même et a été considéré par les
apôtres comme Dieu, de même essence avec le Père ! L'histoire a été
remplacée par le syllogisme et l'analyse morale a fait place à la plus
aride exégèse. — Abbadie redevient un véritable apologiste, dès qu'il
remet le pied sur le terrain moral ; l'auteur de Y Art de se connaître soi-
même, bien que supérieur sans nul doute à celui du Traité de la divi-
nité, reste encore fort en dessous de l'auteur du Traité de la vérité. Cet
ouvrage, écrit dans les années 1691-92 en Angleterre « au milieu du
bruit des armes, » est, dans la pensée dAbbadie, la première partie
d'une nouvelle démonstration de la vérité du christianisme, mais, en
réalité, il ne fait que reproduire les arguments insuffisants que nous
venons d'analyser. Quant à son système de morale, il n'en expose dans
ce livre que la moitié : « La morale, dit-il, étant à notre âme ce que la
médecine est à notre corps et ayant pour but de nous guérir de nos
ABBADIE 9
maladies spirituelles, elle doit s'appliquer principalement à deux cho-
ses : premièrement à connaître le mal et ensuite à chercher des remè-
des qui peuvent nous en procurer la guérison. Ces deux desseins par-
tagent la morale ; mais ils sont trop vastes et nous mèneraient trop
loin. Nous nous bornerons donc au premier, en attendant que la Provi-
dence nous donne les moyens de travailler sur l'autre. » C'est donc le
mal dont nous souffrons, ou notre corruption qu'Abbadie veut mettre à
découvert. Pour cela il devra montrer tout d'abord ce que l'homme de-
vrait être et ensuite ce qu'il est en réalité. Dans la première section
l'auteur s'attache à relever l'excellence et la noblesse de l'homme en
tant qu'être immortel, fait pour connaître Dieu et l'aimer et trouver en
Lui tout son bonheur; dans la seconde, il fait voir que la corruption de
l'homme consiste en ce que, étant immortel, il vit comme s'il avait sa tin
dans cette existence terrestre, et ayant Dieu pour bien suprême il s'atta-
che aux biens périssables de la vie présente. L'homme, d'après Abbadie,
a pour mobile unique et fondamental l'amour de soi ; car la recherche
du bonheur, que chacun reconnaît être le fond de toutes nos inclina-
tions, n'est pas autre chose que l'amour de nous-mêmes. Seulement cet
amour de nous-mêmes revêt un caractère bien différent selon que nous
nous considérons comme des êtres dont toute la destinée est enfermée
dans cette vie, ou, au contraire, comme des êtres appelés à vivre éter-
nellement. Dans ce second cas l'amour de soi est légitime, il est la
source de toutes les vertus. Dans le premier cas, il change de nom,
s'appelle l'amour-propre et devient la racine de tous les vices. Toute
la doctrine morale de Y Art de se connaître est résumée dans ces quel-
ques lignes. Il est difficile peut-être de faire exactement le départ du
vrai et du faux dans cette doctrine. On ne peut méconnaître en effet
que l'amour de nous-mêmes ne soit un fait fondamental de notre na-
ture: toute doctrine morale qui prétend le supprimer est par cela même
condamnée comme inhumaine. D'autre part, il n'est pas moins certain
que la notion vraie du devoir implique le désintéressement et que toute
doctrine qui tend à le réduire à l'intérêt bien entendu est par cela
même condamnée comme immorale. Entre ces deux principes opposés
qui nous sollicitent : le devoir et le bonheur, où est la conciliation ?
Abbadie répond: elle est dans l'amour pour Dieu. Cela est vrai, mais il
faut s'entendre. L'amour pour Dieu est, en effet, le suprême devoir et
le bonheur parfait. Mais si, dans cet amour, vous nous présentez le bon-
heur comme but et le devoir comme moyen, alors nous sentons que
l'ordre est renversé et la conscience proteste. Faites du bonheur au
contraire le moyen, et du devoir le but; concevez (par hypothèse) que
l'homme aime Dieu d'abord par besoin (sous l'impression toute vive
de l'amour de Dieu pour lui), et qu'il en vienne ensuite à l'aimer par
devoir, c'est-à-dire par le don libre et entier de lui-même, alors sans
doute il y a un moment dans la vie morale où il semble que la loi ab-
dique, mais c'est un moment de transition, et l'instant d'après, la loi
reparaît dans toute son inviolable majesté. Le tort d'Abbadie, c'est
d'avoir fait de ce moment transitoire un état définitif. Non pas qu'il
ait positivement nié le devoir. Mais il n'en a pas établi distinctement
10 AHRADIE
Tidée. Abbadie ne veut pas que l'homme soit égoïste, puisqu'il fait de
l'égoïsme l'essence même du désordre moral, et il sait bien qu'il n'y a
pas d'autre moyen de détruire l'égoïsme que de le remplacer par
1 amour pour Dieu. Mais cet amour pour Dieu, il n'en montre pas distinc-
tement les deux moments successifs : celui où il est la satisfaction en-
tière et définitive de l'amour de soi, et celui où il est la destruction de
cet amour de soi dans ce qu'il a de personnel et d'exclusif. Il dit, avec un
bonheur d'expression qu'il doit en partie à La Rochefoucault : « L'amour
de Dieu est le bon sens de l'amour de soi ; » mais il n'ajoute pas qu'une
fois tourné dans ce bon sens, l'amour de soi cesse d'être et devient
l'amour des autres ; et que c'est là l'ordre vrai, absolu, définitif, le pre-
mier moment de cet amour n'étant que le passage du désordre à l'ordre.
Reconnaissons d'ailleurs que ce problème de l'amour est l'écueil même de
la conception intellectualiste de l'Evangile. La philosophie de l'idée avait
beau faire, elle ne pouvait ni rendre compte de l'amour, ni lui faire sa
véritable place dans le système de la pensée et de la vie chrétiennes.
Ce qui manquait à Abbadie comme à toute la théologie de son temps pour
arriver à comprendre parfaitement l'homme et l'Evangile, c'est la no-
tion précise et vraie du devoir. — Abbadie comme prédicateur est
encore avant tout et constamment un apologiste. Ses sermons sont
pleins de vues historiques et morales d'une justesse et parfois d'une pro-
fondeur remarquables. Car il ne faut pas l'oublier : si Abbadie n'a su
complètement ni réaliser l'apologétique historique, ni systématiser la
morale chrétienne, il a eu, dans ces deux branches de la théologie, des
aperçus féconds qui expliquent l'impression produite par ses ouvrages
sur ses contemporains et qui lui assurent un rang éminent parmi les
penseurs de tous les temps. Or, on sait que c'est dans le sermon sur-
tout que les hommes d'une vraie portée aiment à semer leurs aperçus
les plus hardis et leurs pensées les plus intimes. Malheureusement nous
n'avons que onze à douze sermons d' Abbadie, et c'est évidemment une
bien minime partie de ses travaux comme prédicateur. Quant à la
forme de ses sermons, [on peut leur reprocher l'abus des divisions,
l'emphase, un ton trop constamment solennel, des fautes de goût et
des phrases enflées outre mesure d'épithètes accumulées et d'énuméra-
tions. Mêmes défauts dans les Panégyriques, sans les qualités de fond qui
relèvent les Sermons. — On ne s'étonnera pas que nous reconnaissions à
Abbadie comme polémiste un mérite hors ligne. Une dialectique serrée,
une connaissance approfondie des Ecritures, une exégèse toujours
saine et solide, un style nerveux, une parfaite convenance d'expression :
telles sont, avec un sérieux qui n'exclut pas à l'occasion un certain
enjouement, les qualités qui distinguent l'auteur des Réflexions sur la
présence du corps de Christ dans l'Eucharistie. On les retrouve, unies à une
grande mais un peu confuse érudition, dans le dernier important ouvrage
de notre auteur : le Triomphe de la Providence et de la religion, 4 vol. in- 1 2,
Amst. , 1723. Mais peut-être les pages les plus éloquentes qui soient sorties
de sa plume dans ce genre d'écrits, sont-elles quelques-unes des premières
du volume intitulé : Défense de la nation britannique, in-12, La Haye,
4693. — Sources à consulter: La France protestante, art. Abbadie, lree(
ABBADIE - ABBÉ 1 1
2e éditions. Essai sur la vie et les ouvrages d 'Abbadie, placé en tête (Tune
édition en 3 vol. de ses Sermons et panégyriques. Amst., 1760. Viguié,
Histoire de l'apologélique réformée. J. de Visme.
ABBAYE (abbafeia, abtria, abbatia) ou monastère de religieux ou de
religieuses régi par un abbé ou une abbesse. On distinguait entre les
abbayes royales, fondées et dotées par les rois, qui devaient rendre
compte de l'administration de leur temporel aux officiers du roi, et
entre les abbayes épiscopales qui n'étaient comptables qu'aux évéques.
Les abbayes furent supprimées en France en 1790, et leurs bâtiments
aussi bien que leurs revenus réunis au domaine de l'Etat ; mais
les catholiques, profitant de la liberté d'association dont l'Etat les
a laissés jouir, ont reproduit avec autant de fidélité que les tendances
nouvelles de la hiérarchie l'ont permis, l'ancienne organisation des
abbayes dont Solesmes est aujourd'hui un intéressant spécimen
(voy. Moines).
ABBÉ, ABBESSE. Le mot abbé, dérivé du syriaque, signifie père et
rappelle la nature de l'autorité que les porteurs de ce titre doivent
exercer sur leurs subordonnés. A l'origine, ce titre était étendu à tous
les solitaires qui, par leurs vertus et leur vie ascétique, avaient droit à
la vénération des fidèles. A partir du cinquième siècle, il fut restreint
aux supérieurs des monastères. Aujourd'hui, dans plusieurs pays, et
notamment en France, il est donné, comme un titre d'honneur, à
tous ceux qui portent l'habit ecclésiastique. L'élection des supérieurs
de monastères présentait de grandes variations : les uns étaient désignés
par tous ceux qui avaient droit de suffrage dans l'enceinte d'un monas-
tère, les autres par un chapitre provincial ou une autre autorité supé-
rieure : l'élection avait lieu soit à terme, soit à vie. Les abbés étaient
tenus de faire confirmer leur élection dans un délai de trois mois par
l'évêque ou par le pape : ils recevaient alors la bénédiction. Pour être
élu abbé, il fallait avoir vingt-cinq ans, être né d'un mariage légitime,
être instruit et capable d'instruire, observer la règle et se montrer zélé
pour la faire observer. La plupart de ces règles subsistent encore,
mais avec les modifications qu'amena inévitablement la concentration
des pouvoirs entre les mains d'un chef unique. De fait, l'évêque n'a
plus aujourd'hui qu'un pouvoir purement nominal sur les abbés régu-
liers qui, en réalité, dépendent de Rome. Les canons de l'Eglise placent
les abbés immédiatement après les évêques; certains d'entre eux siègent
dans les conciles œcuméniques, ont le droit de porter la mitre et le bâton
pastoral et exercent une juridiction quasi épiscopale. On distinguait entre
les abbés réguliers, astreints à résider dans leurs monastères et à porter
l'habit de leur ordre, et entre les abbés séculiers qui, tonsurés ou non
tonsurés, jouissant d'une partie ou de la totalité des revenus attachés à
leurs bénéfices, investis ou privés du droit de juridiction épiscopale, se
faisaient remplacer par des vicaires dans le gouvernement de leurs mo-
nastères. C'est aussi à cette catégorie qu'appartiennent les abbés de
cour, si nombreux au siècle dernier, qui n'étaient autres que des cadets
de famille, en expectative d'une abbaye qu'ils ne possédaient pas en-
core ou qui jouissaient de ses revenus, sans être jamais entrés même
12 ABBÉ — ABBON
dans les ordres mineurs. — Les abb esses, élues par les nonnes au scrutin
secret, doivent être issues d'un mariage légitime, Agées de quarante ans el
avoir accompli leurs vœux pendant huit ans. Elles reçoivent la bénédic-
tion de l'évêque qui leur remet la crosse et le pectoral. Elles exercent tous
les droits temporels et spirituels compatibles avec leur sexe ; le cas
échéant, elles se font suppléer par un vicaire. D'anciens canons leur
attribuent même le droit de siéger dans les synodes.
ABBON (saint) de Fleury, Abbo Floriacensis abbas, né près d'Orléans
de parents libres, entra de bonne heure à l'abbaye de Fleury. Les
études étant complètement éteintes en Angleterre, saint Oswald, arche-
vêque d'York, qui- avait étudié à Fleury, y envoya demander, en 985,
quelque savant moine pour instruire les religieux de l'abbaye de
Ramsey. Après s'être acquitté avec éclat de cette mission, Abbon revint
à Fleury, en 987, et fut élu abbé l'année suivante. Dès lors, il eut à sou-
tenir contre Arnoul, évêque d'Orléans, les droits de son couvent, qui
prétendait « dépendre uniquement du pouvoir royal. » Au concile de
Saint-Denis (995) , il prit la défense des moines contre les évêques, qui
voulaient exiger la dîme des moines et des laïques. Ceux-ci soulevèrent
la foule contre les évêques, qui furent frappés et dispersés. Accusé par
Arnoul d'être l'instigateur de cette émeute, Abbon adressa la même
année son Apologeticus à Hugues-Capet et à Robert; sa justification
est en même temps un plaidoyer en faveur des privilèges des moines.
En 991, l'abbé de Fleury avait assisté au concile de Saint-Baie, et, sans
craindre d'encourir la défaveur d'Hugues-Cape t, il s'était constitué le
défenseur d' Arnoul, archevêque de Reims, qui fut déposé par le concile.
Fnvoyé pour la seconde fois à Rome, en 996, par le roi Robert, qui lui
avait donné la mission d'obtenir la confirmation de son mariage, il fit
ratifier par Grégoire V les privilèges de son abbaye, et à son retour il
obtint de Robert le renvoi de sa femme Berthe, et fit sortir Arnoul de
Keims de sa prison. Honoré de l'amitié du pape et de la confiance du
roi, il rétablit l'ordre dans plusieurs couvents, à Marmoutier, à Mici, à
Saint-Père de Chartres; enfin, s'étant rendu à la Réole pour réformer le
couvent de ce lieu, soumis à Fleury, il fut tué d'un coup de lance, le
13 novembre 1004, dans une émeute des habitants soulevés par les
moines. Dès 1031, son office était célébré à Fleury et à la Réole. La vie
de ce célèbre abbé, restaurateur des lettres en Angleterre, et qui mé-
rita d'être appelé, en 1031, au concile de Limoges, « philosophe
illustre, et le maître le plus fameux de toute la France pour son auto-
rité dans toutes les choses de la religion et du siècle, » a été écrite par
son disciple, l'historien Aimoin, moine de Fleury. Ce remarquable mor-
ceau est imprimé dans Mabillon (AA. SS. o. Bened. ssec. YI, 1), et en
extrait dans Du Chesne, IV, Bouquet, X, etc; Migne, 139. Plusieurs de
ses épîtres se trouvent avec Y Apologeticus à la suite du Codex Canonum
de Fr. Pithou (P. 1687, fol.) Son Recueil de Canons, adressé à Hugues et à
Robert, a été publié par Mabillon (Vet. Anal., II, p. 248 et suiv.). Voyez
ses autres ouvrages dans Hist, lift, de la Fr., VII, p. 159 et suiv., Ma-
billon, AA. SS. Ben. I. L, p. 30 et suiv. Cf. Bull, des Comités histor.,
avr. 1849. Pardiac : Hisi. de Saint- Abbon. P. 1872. L'abbé de Fleurv a
ABBON - ABDIAS 13
été souvent confondu avec le poëte Abbon, moine de Saint-Germain,
(t après 923), auteur d'un poëme sur le siège de Paris par les Normands.
S. Berger.
ABBOT (Georges), né le 29 octobre 1562 à Guilford, après des études
brillantes dans sa ville natale, se rendit à Oxford, où il passa trente an-
nées d'une existence studieuse et s'éleva peu à peu aux plus hautes di-
gnités universitaires. La part active qu'il prit à la révision delà traduc-
tion de la Bible dans la commission instituée par le roi Jacques Ier, en
1604, et aux tentatives d'union entre l'Eglise presbytérienne d'Ecosse et
l'Eglise anglicane attirèrent sur lui les regards du souverain, qui le
nomma successivement dans le court espace de trois années évèque de
Lichfield en 1609, de Londres en 1610, et archevêque de Cantorbéry
en 1611 à la mort de Bancroft. Abbot sut conserver dans une époque
tourmentée un esprit calme, impartial, modéré. Tolérant envers les
puritains, plus attaché au fond qu'à la forme, inflexible dans les ques-
tions de morale sans craindre d'affronter la disgrâce, partisan convaincu
du sabbat rigide, il travailla à négocier le mariage de la princesse Eli-
sabeth avec rélecteur palatin Frédéric V et s'opposa au mariage du prince
royal avec une Espagnole. Adversaire inflexible des idées absolutistes et
ultra-hiérarchiques deLaud, qu'il avait condamnées dès 1603 à Oxford,
il fut victime des intrigues de cour et déposé sans jugement par ordre
de Charles 1er en 1628. Il mourut le 4 août 1633 à Cray don, dans un
âge avancé. Abbot a été l'un des chefs du parti latitudinaire également
opposé aux exagérations des puritains et aux excès de la haute Eglise.
11 favorisa les efforts tentés par Duraeus pour rapprocher les commu-
nions protestantes et entretint dans le même esprit une longue corres-
pondance avec le célèbre patriarche grec Cyrille Lucar. Il provoqua
en 1610 la publication à Londres, par Saville, des œuvres de Bradwar-
din. A. Paumier.
ABDIAS ['Obadyâh, cod. Vat. 'Occtaç, cod. Al. 'Acoiaç, Abdias], le
quatrième des petits prophètes dans le canon hébreu, le cinquième dans
le canon des Septante. Nous ne savons absolument rien de sa personne,
ce qui a porté plusieurs commentateurs à refuser de voir un nom pro-
pre dans le mot 'Obadyâh (serviteur de Jéhova), et à traduire le pre-
mier verset du livre : « Vision d'un serviteur de Jéhova. » Cette hypo-
thèse est insoutenable. L'oracle d'Abdias se compose d'un seul chapitre
et est dirigé contre les Iduméens sur lesquels Jéhova exercera bientôt ses
jugements (v. 1-9), parce que ce peuple-frère (v. 12) s'est montré hostile,
et n'a pu cacher sa joie au jour de la ruine de Juda (prise de Jérusalem,
enlèvement de captifs, etc., v. 10-14); mais les temps vont changer; les
lils d'Israël, avec l'aide de Jéhova, vaincront et soumettront leurs enne-
mis, y compris les Iduméens, et c'est Jéhova qui gouvernera leur em-
pire (v. 15-21). L'auteur a évidemment sous les yeux le spectacle delà
désolation présente de Juda. On ne peut guère songer à un autre événe-
ment qu'à la ruine de Jérusalem par Nébucadnetsar (586 av. J.-C), et
c'est en effet à cette date que la grande majorité des exégètes reportent
la date de la composition du livre d'Abdias (Bleek, Ewald, Kuenen, etc.).
Faire remonter cette date jusqu'au temps d'Osias, avec Caspari, Hœver-
lï AHD1AS — AIJEL
nick, Mengstenberg, est aussi inadmissible que de l'abaisser avec Hitzig
jusqu'au moment de la dévastation de la Palestine par Plolémée Lagu>
(312 av. J.-C.). Celte dernière hypothèse esl fondée principalement sur
la grande ressemblance qui existe entre Abdias, 1-9, et Jérémie XLIX,
7-22, qui lui aurait servi de modèle. Mais une élude attentive du texte
montre qu'aucun des deux n'a copié Faillir, et quils auraient plutôt suivi
l'un et l'autre un texte plus ancien (Ewald, Kuenen). Abdias du reste
n'est point un écrivain très-original, et, malgré le peu d'étendue de son
livre, on y relève plusieurs autres traces d'imitation. — Gaspari, der
Prophet Obadja, Leipz., 1842; Jœger, Ueber das Zeitalter Obadja' s,
Tub., 1837 ; Krahmer, Obscrvationes in Obadiam, Marb., 1833; Hende-
vverk, Obadjx oraculum inldumxos, Regiom., 1836; W. Seydel, Vatici-
nium Obadjœ, Lips., 1869, et les ouvrages généraux sur la critique et
l'exégèse de l'Ancien Testament. A. Carrière.
ABDIAS (voyez Apocryphes du Nouveau Testament).
ABDON [cAbdôn], Tune des villes des Lévites, située sur le territoire
de la tribu d'Ascer (1 Ghron. VI, 59). Dans une autre liste des villes
assignées aux Lévites (Jos. XIX, 28), on lit à la place de ce nom celui
celui d'fAbrôn; mais ce dernier mot doit être corrigé en 'Abdoii,
comme le prouvent du reste vingt manuscrits.
ABDON [cAbdôn, 'A6cu>v, Abdon], fds de Hillel, de Pirathon, dans le
pays d'Ephraïm, fut juge en Israël pendant huit ans (Juges XII, 13-15).
Aucun détail ne nous a été transmis sur sa judicature. Le seul rensei-
gnement que nous possédions à son sujet, savoir qu'il avait « quarante
fds et trente petits-fils montant soixante et dix ânons, » tendrait seule-
ment à nous le représenter comme un personnage riche et considérable.
Mais son nom, selon toute vraisemblance, doit être identifié avec celui
de Bedan (1 Sam. XII, 11), et alors Abdon, à côté de Gédéon, de Jephté
et de Samson, aurait joué un rôle important dans les guerres que sou-
tint Israël pour son indépendance avant l'établissement de la royauté
(voyez Bedan).
ABEL ['Abél]. Ce nom, qui devait signifier autrefois « prairie, » d'a-
près Gesenius (voy. pour l'opinion contraire, Hengstenberg, Pentateuquc
II, 319), a servi à former un certain nombre de noms de lieux. Les prin-
cipaux sont : 'Abél-Béth-Macakâh. Cette ancienne ville, « métro-
pole en Israël, » était située tout au nord de la Palestine, sur la roule
des invasions des rois de Syrie (1 Rois XV, 20) et d'Assyrie (2 Rois XV, 29 .
Un passage des Chroniques (1 Ghron. XVI, 4) lui donne le nom <f Abél-
Mayim. La sagesse de ses habitants était proverbiale (2 Sam. XX). Il
est probable qu'il faut la chercher dans 1 Ard-el-Huleh , au nord du lac
Mérom, soit à Abil (Robinson, III, 347) soit plus au sud (Stanley, Sinai
dan Pal., p. 390, note). 'Abél-Kerâmim, « le pâturage des vignes, »
à Test du Jourdain, non loin d'Aroer (Juges XI, 33). C'est l'Abila dans
laDécapole (Ptolémée, Géog?'.,V, 15, 22, Eusèbe, Onomast., s. v. 'A6=a, e(
Josèphe, Ant., XIX, 5. 1). On a trouvé à cette place des ruines portant le
nom d'Abila (Ritter, Pal., 1058). 'Abél-Mekhôlâh, dans la vallée du
Jourdain, non loin de Béth-Chean(l Rois IV, 12), nommée dans l'his-
toire de Gédéon (Juges VII, 22) et patrie d'Elisée (1 Rois XIX, 16-19)
ABEL — ABÉLARD 15
'Abél-Chitthim, ou hachchitthim (voyez Cliitthim). 'Abél-
Miçrayim (voyez Atad).
ABEL [Hèbèl, "A6sX], nom du second fils d'Adam tué par son frère
Gain (Gen. IV, 1-16). Abel, dont le nom signifie en hébreu « un souffle, »
<( une chose sans consistance, » était berger, c'est-à-dire nomade, pen-
dant que son frère cultivait la terre et par conséquent avait une demeure
fixe. Le sacrifice du premier ayant été agréé par Jéhova, et celui du
second n'ayant pas été accepté, Gain le laboureur entra dans une vio-
lente colère et tua Abel le berger , introduisant ainsi le meurtre
sur la lerre. Pour le sens du récit biblique, voyez l'article Histoire pri-
mitive de V humanité d'après la Bible. — Le sort tragique d'Abel a pro-
voqué la naissance de nombreuses traditions chez les Juifs (Eisenmen-
ger, Entdecktes Judenthum, I, 462, 832; Ersch et Gruber, Encyclop.,
s. v. Abel), les musulmans (Korân, sour.V; Hottinger, Hisl. orient., 2-4)
et les chrétiens (Ghrysostôme, Hom. in Gen., XIX ; Gedrenus, Bistoria,S) .
On montra à Pococke, à quelque distance de Damas, l'endroit où Gain
tua son frère et l'enterra; d'après la tradition rapportée par le voyageur
anglais et qui se trouve déjà dans le Korân et le Thargoum de Jonathan,
« il le porta quelque temps sur son dos, en pleurant, sans savoir qu'en
faire ; mais voyant un corbeau qui creusait un trou dans la terre pour
enterrer son camarade, il suivit son exemple et enterra son frère »
(Pococke, Voyages, éd. de Neuchâtel, t. III, p. 347). L'Eglise primitive,
d'après une parole de Jésus (Matth. XXIII, 35), honora Abel comme le
premier des martyrs. Il fut transformé en éon dans quelques sectes
gnostiques, et les abélites au temps d'Augustin, prétendant qu'Abel
avait vécu dans la continence, suivaient son exemple pour ne pas con-
tribuer à perpétuer le péché originel.
ABÉLARD naquit en 1079 au bourg du Pallet, près de Glisson (Loire-
Inférieure). Il reçut le nom de Pierre ; Abélard est un surnom qui ne lui fut
donné que plus tard, et dont le sens n'est pas encore bien expliqué. Son
père, Béranger, était un noble qui aimait les lettres ; il voulut que ses tils
reçussent toute l'instruction qu'on pouvait donner alors. Pierre montra de
bonne heure une grande ardeur pour l'étude, beaucoup d'ambition, et un
esprit subtil porté à la contradiction. Vers l'âge de vingt ans il se rendit
à Paris, où Guillaume de Champeaux enseignait dans l'école épiscopale
le réalisme le plus absolu. Abélard suivit ses leçons, et bientôt ouvrit
lui-même une école, d'abord à Melun, puis à Gorbeil, enfin en 1108 à
Paris même. G'est de cette année que date son influence. Il ne professa
d'abord que la philosophie ; combattant à la fois le nominalisme et le
réalisme, il disait que les universaux ne sont ni des choses ni des mots,
{nais des conceptions de notre esprit, qu'il n'existe que des individus
dont nul n'est en soi ni espèce ni genre, que les genres et les espèces
sont des produits de notre intelligence, des conceptions. Ge système
ontologique, auquel on a donné le nom de conceptualisme, n'est au
fond qu'une modification du nominalisme et a dû favoriser, comme ce
dernier, une critique plus indépendante. Se voyant admiré pour son ta-
lent dialectique, Abélard voulut aussi se faire un nom dans la théologie.
Pour jouir du droit d'enseigner cette science, il fallait avoir suivi les
16 ABÉLARD
leçons d'un maître; il partit donc pour Laon, où Anselme, doyen du
chapitre de cette ville, tenait une école théologique. Revenu à Paris, il
annonça des cours, qui bientôt attirèrent de nombreux élèves. Ce fut à
cette époque de ses plus grands succès qu'il apprit à connaître Héloïse.
la nièce d'un chanoine de Notre-Dame, nommé Foulques. Nous ne nous
arrêterons pas à cet épisode romanesque, qui a popularisé les noms des
deux amants ; il suffira de dire que leurs relations ayant été violemment
rompues, Héloïse entra au couvent d'Argenleuil, et qu'Abélard se fil
moine dans l'abbaye de Saint-Denis. Il n'y resta pas longtemps ; il rou-
vrit une école au prieuré de Maisoncelle en Champagne. A la demande
de ses élèves, il rédigea ses leçons sous le titre & lntroductio ad theolo-
giam. Dans cet ouvrage, qui traite principalement de la Trinité, Abélard
démontre que celle-ci n'est pas fondée nécessairement dans l'essence
même de Dieu, mais que néanmoins elle n'est pas contraire à la raison.
Ces principes le rendirent suspect d'hérésie. Cité devant un concile
réuni à Soissons en 1121, il n'obtint pas la permission de se défendre ;
il eut la faiblesse de jeter lui-même son Introduction au feu et de réciter
devant l'assemblée le symbole dit d'Athanase. Il fut remis à la garde de
l'abbé de Saint-Médard près de Soissons, mais le légat du pape l'auto-
risa à retourner à Saint-Denis. Là il excita la colère des moines, en
soutenant que le saint Denis, auquel on attribuait la fondation de l'ab-
baye, n'était pas Denis, le membre de l'Aréopage, converti par l'apôtre
Paul. Il dut s'enfuir, se retira dans un couvent à Provins, puis se bâtit,
non loin de Nogent-sur-Seine, un petit oratoire qu'il dédia à la Trinité:
il s'y cacha seul avec un clerc. Bientôt toutefois les écoliers y accou-
rurent enfouie; la maison dut être reconstruite et agrandie, elle devint
un couvent auquel Abélard donna le nom de Paraclet. Menacé de nou-
veau de persécution, il chercha un asile en Bretagne, au couvent de
Saint-Gildas. Ayant été informé que les religieuses d'Argenteuil venaient
d'être expulsées, il leur donna sa maison du Paraclet ; Héloïse en devint
abbesse, lui-même fut élu abbé de Saint-Gildas. Il voulut réformer les
mœurs de ses moines bretons, lutta vainement contre leur opposition,
et dut s'enfuir encore une fois. Caché quelque part en Bretagne, il
écrivit cette Historia calamitatum suarum, qui donna lieu à la corres-
pondance avec Héloïse. Il se rapprocha de Paris et vint peut-être à
Paris même ; dans cette période de sa vie il composa plusieurs traités
pour son ancienne amante, qui s'occupait d'études philosophiques et
théologiques ; en même temps il retoucha ceux qu'il avait rédigés
dans les années précédentes. Vers 1136, il reprit une dernière fois à
Paris son enseignement théologique. Le malheur et l'expérience n'a-
vaient refroidi ni sa hardiesse ni sa passion pour la dispute. Son habi-
tude de soulever sur chaque question le pour et le contre, donnait à ses
leçons un caractère raisonneur, qui leur ôtait cette autorité dogma-
tique que réclamait l'Eglise. Il se livrait en outre a des invectives contre
les moines et contre quelques prélats. Un moine cistercien, Guillaume,
tira de ses ouvrages une série de propositions qui lui paraissaient scan-
daleuses, et les communiqua à l'évêque de Chartres et à saint Bernard ;
on ignore ce que répondit l'évêque, mais l'abbé de Clairvaux dénonça
ABÉLARD 17
Abélard comme un ennemi de Dieu et du Christ. En 1140, on tint un
concile à Sens, en présence du roi Louis VII. Saint Bernard produisit
dix-sept propositions tirées des livres d' Abélard ; celui-ci refusa de ré-
pondre et quitta l'assemblée en déclarant qu'il ne reconnaissait d'autre
juge que le pape. Malgré cet appel au saint-siége, saint Bernard fit con-
damner quatorze des thèses incriminées : elles portaient pour la plupart
sur les droits de la raison en matière de foi, sur la Trinité et sur la ré-
demption. Innocent II confirma cette sentence, excommunia Abélard
comme fabricateur de dogmes pervers et agresseur de la foi catholique,
et ordonna de renfermer dans un couvent jusqu'à la fin de ses jours.
Quand cet ordre arriva en France, Abélard avait trouvé un asile au mo-
nastère de Gluny, où l'abbé Pierre le Vénérable l'avait reçu avec de
grands témoignages d'estime ; Pierre obtint même que saint Bernard
consentit à une sorte de réconciliation et que le pape, relevant le con-
damné de l'excommunication, lui permît de passer à Cluny le reste de
sa vie. Abélard se soumit aux conditions de son existence nouvelle ; mais
ses forces déclinaient de jour en jour ; pour les rétablir, Pierre l'enga-
gea à se retirer au prieuré de Saint-Marcel, près de Châlons-sur-Saône ;
il n'y vint que pour y mourir, le 21 avril 1142. — Nous n'avons à appré-
cier Abélard que comme théologien ; nous pouvons nous dispenser de
parler de ses ouvrages philosophiques. Parmi ceux qui sont consacrés à
la théologie, les plus importants sont, outre Ylntroductio ad theologiam
déjà citée, une Theologia christiana en cinq livres, un traité intitulé Sic
et non, un commentaire sur l'Epître aux Romains, et un traité de mo-
rale, Scito te ipsum. Le Sic et non est une espèce de préparation critique
à l'étude de la théologie ; c'est un recueil de passages contradictoires
des Pères sur cent cinquante-sept questions, précédé d'une introduction
où Abélard expose des principes par lesquels il a singulièrement devancé
son temps. Il commence par dire qu'il est fort difficile d'interpréter exac-
tement la Bible, et même d'expliquer les écrits des Pères. La difficulté
est double : d'abord la Bible n'a pas été écrite pour les savants, mais
pour le peuple, ce qui fait que bien souvent les savants ne la compren-
nent pas ; en second lieu, il y a des textes corrompus et un grand nom-
bre d'ouvrages apocryphes. Il faut donc rechercher si le passage d'un
Père dont on veut s'autoriser, n'a pas été rétracté par lui; il faut
admettre en outre qu'on trouve chez les anciens auteurs chrétiens bien
des choses qui ne sont que des réminiscences de leur érudition profane
ou qu'ils ont avancées sans y attacher beaucoup d'importance ; qu'ils
parlent quelquefois selon le sens apparent ou d'après les opinions de
ceux auxquels ils s'adressent ; que leurs contradictions s'expliquent
souvent par la diversité des sens qu'ils attachent au même mot ; qu'en
tout état de cause, il faut s'en rapporter aux témoignages les plus accré-
dités, et que pour ce qui regarde les passages dont on ne peut pas du
tout se rendre compte, il faut les abandonner en se disant, non que
l'auteur s'est trompé, mais que le texte dont on se sert est corrompu ;
il faut distinguer enfin entre les écritures canoniques de la Bible et les
ouvrages des Pères, ces derniers on doit les consulter, mais on n'est
pas tenu de les suivre. Toutes ces règles, si hardies, sont exposées avec
18 ABÉLARD
une grande réserve et entourées d'une foule d'autorités; leur but, sui-
vant Abélard, est d'exercer les jeunes gens à la recherche de la vérité.
Dans le Sic et non lui-même, il ne donne pour chaque question que les
arguments affirmatifs et les arguments négatifs ; il réservait le> solutions
à ses cours et à ses ouvrages dogmatiques. Quant au dogme, il le prend
tel qu'il est fixé par l'Eglise ; de même qu'Anselme, il le suppose élevé
au-dessus de toute discussion ; mais tandis qu'Anselme s'appuyait sur
Esaïe VII, 9 : si non credideritis , non permanebitis, Abélard en appelle
à l'Ecclésiastique XIX, 4 : qui crédit cito, levis est et minorabitur. An-
selme disait que pour comprendre il faut d'abord croire, Abélard pré-
tend que puisqu'on ne peut pas croire ce qu'on ne comprend pas, il
faut comprendre avant de croire. Anselme partait de la foi, Abélard
part du doute qui est pour lui prima sapientix clavis ; en un mot, s'il
admet que la raison a des limites, il admet aussi que dans les matières
qui sont de son domaine, elle est seule maîtresse, in omnibus his quœ
ratione discuti possunt, non est necessarium autoritatis judicium ; or, ce
qui peut être discuté, c'est en définitive toute la doctrine ecclésiastique.
En théorie il accepte le dogme comme incontestable, mais il ne le con-
sidère pas, comme le fait Anselme, comme étant la vérité absolue, il est
pour lui une sorte de problème qui peut être démontré par la raison,
tout aussi bien que celle-ci en démontrerait un autre, s'il était enseigné
par l'Eglise comme vérité. — Les doctrines dont il s'est le plus occupé sont
celles de la Trinité et de la Rédemption. Il démontre que la Trinité est
possible, qu'étant donnée elle n'a rien qui répugne à la raison ; se rat-
tachant à la conception de saint Augustin, il dit qu'en Dieu on distingue
la puissance, la sagesse et la bonté : la première engendre la seconde,
et des deux ensemble procède la troisième ; les trois personnes sont
distinguées entre elles par les trois propriétés, mais elle ne forment
qu'une essence, puisqu'il n'y a qu'un Dieu indivisible, à la fois puissance,
sagesse et bonté. Cela revient à dire que les trois personnes ne sont ainsi
que des personnifications de trois attributs divins, et que la notion
qu' Abélard se fait de la Trinité est nominaliste. Dans sa manière de con-
cevoir la rédemption, il se rapproche du rationalisme moderne. Il sou-
tient, il est vrai, que l'homme ne peut rien pour son salut sans la grâce,
et que l'incarnation est le plus grand bienfait de Dieu ; mais le but de
l'incarnation n'a été que de nous instruire. Dieu a passé sur la terre
pour nous enseigner, par ses discours et par son exemple, d'une ma-
nière plus précise une loi plus parfaite que l'ancienne, celle de l'amour;
à l'amour qu'il nous a témoigné doit s'allumer le nôtre ; c'est dans cet
amour de l'homme pour Dieu, provoqué surtout par le spectacle ou le
souvenir de la passion du Christ, que consiste l'effet de la rédemption.
La morale d'Abélard est en connexion intime avec sa manière d'envisa-
ger le christianisme ; elle est originale et elle a le mérite d'être fondée
sur l'étude de la conscience (scito te ipsum), mais elle est plus philoso-
phique que religieuse, car elle est toute subjective : la valeur de nos
actes ne consiste que dans l'intention ; extérieurement ils peuvent être
bons ou mauvais, mais s'ils sont faits sans intention bonne ou mauvaise,
ils sont indifférents. Le péché ne résulte que d'un consentement formel
ABÉLARD — ABELL1 10
de la volonté ; le désir, La concupiscence sont involontaires, ils ne nous
sont donc pas imputables. — Dans le monde catholique on a fait beaucoup
d'efforts pour défendre Abélard contre le reproche d'hérésie. Nous n'a-
vons ni à le justifier ni à le condamner ; il est pour nous un représen-
tant de la libre pensée philosophique bien plutôt qu'un théologien ; il
est devenu la victime d'une époque, où le respect de la liberté n'avait
pas encore pénétré dans les mœurs. Du reste, il n'a pas fait école ; il a
exercé son influence, moins par ses doctrines, que par sa méthode ; ses
doctrines étaient trop hardies pour trouver alors beaucoup de partisans,
mais la forme de son argumentation, procédant pu* sic et non, convenait
trop aux esprits, avides de subtilité, pour qu'elle n'eut pas dû être gé-
néralement, adoptée. — P. Abxlardi et Heloisse opéra, éd. A. Duchesne.
P., 1616, in-4°. Ouvrages non contenus dans ce recueil : Theologise chris-
tianx libri V, chez Martène et Durand, Thésaurus novorum anecdot., t.V,
p. 1156 et s. ; Ethica sive liber dictus scito te ipsum, chez Pez, Thésaurus
anecdot., t. III, p. 627 et s. ; Dialogus inter philosophum, judseum
et christianum, éd. Rheinwald, Berl., 1831; Epitome theologise chris-
tianx (ou Sententiœ, notes recueillies par un des auditeurs d'Abélard),
éd. Rheinwald, Berl., 1835. Ouvrages inédits d' Abélard, publiés par
Cousin (contenant pour la première fois le Sic et non), P., 1836, in-4°;
Sic et non, éd. Hencke et Lindenkohl (d'après un Ms. de Munich), Marb.,
1851. (Un traité adversus hœreses, dans le recueil de Duchesne, ne
parait pas être d'Ab.) — Comp. Hist. lit t. de la France, t. XII, p. 86
et s. ; Cousin, Fragments philosophiques, Abélard, 2e éd., P., 1840 ; Ch.
de Rémusat, Abélard, 2 vol., P., 1845, ouvrage capital. Goldhorn, De
sunimis principiis theologise abselardese. Leipz., 1836. Lewald, De operibus
Ab. qum e Codd. Mss. Cousin edidit. Heidelb. , 1839, in-i°. Frerichs, De Ab.
doctrina dogmatica et morali. Jena, 1827, in-4°. Bittcher, De Ab. theolo-
gia systematica, et Ueber das Werk Ab. Ethica. Naumb., 1843, 1844,
in-4°. Sur la philosophie d* Abélard, voy. aussi Hauréau, De la philosophie
sr-olaslique. P., 1840. T. I, p. 267 et s. Ch. Schmidt.
ABÉLÏENS, Abéloniens, Abélites, nom d'une secte qui parut dans le
diocèse d'Hippone, vers l'an 370, et que nous ne connaissons que par
une mention de saint Augustin (de Hseres., n° 87), qui lui-même n'a su
l'existence de ces hérétiques qu'après leur disparition. Ils prétendaient
suivre l'exemple d'Abel, qui, d'après eux, avait été marié, maisavait vécu
dans la continence. Chaque couple adoptait deux enfants, un garçon et
une fille qui étaient astreints à suivre la même règle. Walch [Ketzer-
gesch., I, 608) ramène les Abéliens à une ancienne secte gnostique ou
manichéenne, fondée sur le principe du dualisme.
ABELLI (Louis), né en 1603, d'abord curé à Paris, puis évêque de
Uhodez, démissionnaire en 1664, retiré à Paris au couvent de Saint-
Lazare, mort en 1691. Adversaire du jansénisme, il publia un traité
dogmatique, Medulla theologica, 1650 (souvent réimprimé depuis, en-
core 1839 à Mayence). C'est à cause de ce titre que, dans le Lutrin,
Boileau appelle l'auteur le moelleux Abelli. Parmi ses écrits, assez
nombreux, il convient de citer encore : Tradition de f Eglise tou-
chant la dévotion des chrétiens envers la sainte Vierge, 1652 et souvent;
20 ABELLI — ABGARE
Défense de la hiérarchie de V Eglise et de l'autorité du pape, 1659, in-4°;
et une Vie de saint Vincent de Paul, dont Abelli avait été l'ami, 1664,
in- 4°.
ABEN-ESRA, dont le véritable nom est Abraham ben R. Meir ben
R. Esra, célèbre rabbin espagnol qui vivait dans la première moitié du
douzième siècle. La date de sa naissance (à Tolède, vers 1093), et celle
de sa mort (à Rhodes, d'après d'autres à Rome, 1168 ou 1174) sont
incertaines. 11 fit de longs voyages en France, en Ralie, en Angleterre, en
Palestine et en Grèce, et cultiva toutes les sciences connues de son temps.
Ses coreligionnaires l'ont surnommé « le Sage. » Les plus importants de
ses ouvrages sont ses Commentaires sur r Ancien Testament (publiés
par Bomberg, Venise, 1526, plusieurs fois réimprimés et en grande
partie traduits en latin). L'exégèse d'Aben-Esra se distingue par l'ab-
sence d'explications allégoriques, une tendance presque rationaliste, et
une indépendance d'esprit rare à cette époque. Nous avons encore de
lui des ouvrages sur la grammaire, la morale, la géométrie, l'astrono-
mie, même quelques poésies (De Rossi, Dizionario storico degli autori
Ebrei; Wolff, Biblioth. Bebr., I, 71 et suiv.).
ABGARE [ Aêfapoç, Aii^apoç, "Av6apoç, Agbarus,Agabarus, en syriaque
Abgâr, Abgârâ (boiteux)], nom porté par plusieurs rois ou toparques
d'Edesse. Le plus connu d'entre eux est AbgarOukhâmâ (le noir),
quatorzième roi d'Edesse, contemporain d'Auguste et de Tibère, et qui,
d'après une ancienne tradition, aurait entretenu une correspondance
avec Jésus. Entendant parler des miracles accomplis par ce dernier à Jéru-
salem, et en concluant que Jésus était « Dieu descendu du ciel ou le Fils
de Dieu, » Abgarelui aurait écrit pour le prier de venir le guérir d'une
maladie dont il souffrait , il lui proposait en même temps de chercher à
Edesse un refuge contre les mauvais traitements des Juifs. Jésus répond
en félicitant Abgare « d'avoir cru sans avoir vu,» et lui dit qu'il ne peut
quitter Jérusalem où il doit achever son œuvre; mais, «après son
ascension, » il enverra au roi d'Edesse un de ses disciples qui le guérira
et prêchera l'Evangile à son peuple. Telle est, en substance, le contenu
des deux lettres reproduites par Eusèbe (H. E., III, 13), qui prétend les
avoir trouvées en langue syriaque dans les archives d'Edesse. Le même
historien ajoute que Thaddée, un des soixante et dix disciples, vint en effet
guérir Abgare et convertit ses sujets à la foi chrétienne. — Un siècle
après Eusèbe, la tradition se montre plus développée chez Moïse de
Khoren, historien arménien. Jésus n'envoie pas seulement une lettre à
Abgare, il lui fait remettre son image qui fut longtemps vénérée à
Edesse. Moïse de Khoren cite en outre deux lettres d'Abgare à Tibère,
où il raconte la mort et la résurrection de Jésus et demande la destitu-
tion de Pilate ; puis une réponse de Tibère qui dit avoir ordonné de
recevoir Jésus parmi les dieux et promet de châtier les Juifs d'une ma-
nière exemplaire (Moïse de Khoren, Histoire, 1. II, c. 33). Le portrait
authentique de Jésus, apporté à Abgare par son messager Hanan, est
montré aujourd'hui à Rome et à Gênes (W. Grimm, Die Sage vom Ur-
sprung des Christusbildes, Berlin, 1843). — La correspondance de Jésus
et d'Abgare a été rangée de bonne heure parmi les apocryphes (con-
ABGARE — ABIA 21
cile de Rome, 494), mais elle n'en continua pas moins de jouir d'une
grande autorité, et, même dans les temps modernes, des théologiens
comme Grabe, Gave, Parker, etc., proposèrent de la joindre au canon du
NouveauTestament. Plusieurs dissertations de epistola C hristi ad Abgarum
ont été écrites aux dix-septième et dix-huitième siècles (Frauendorff, 1696;
Dalhusius, 1699; J.-E.-C. Heine, 1759; J.-S. Semler, 1768, etc.). Il est
généralement admis que les lettres d'Abgare et de Jésus sont l'œuvre
d'un chrétien qui voulait donner à l'Eglise d'Edesse une ancienne et
glorieuse origine. Cependant une découverte récente vient de ranimer
la controverse en fournissant de nouveaux éléments à la discussion.
Moïse deKhoren cite le nom de l'écrivain contemporain d'Abgare qui au-
rait mis par écrit les faits dont il vient d'être question et déposé son
œuvre dans les archives d'Edesse; c'est Ghéroubna ou Léroubna. Or, en
1852, le P. Alishan trouva dans les manuscrits arméniens de la Biblio-
thèque nationale de Paris un ouvrage dont l'auteur se nomme aussi
Léroubna, qui contient la correspondance de Jésus et d'Abgare et
raconte l'histoire de la conversion des Edessiens par l'apôtre Addée
celiez Eusèbe : Thaddée). Peu de temps après, Gureton découvrit dans
deux manuscrits du British Muséum, datant du cinquième et du sixième
siècle, un long fragment de l'original syriaque dont l'arménien n'était
qu'une traduction, et en prépara une édition (Ancient syriac documents
relative to the earliest establishment of Christianity in Edessa , Lon-
dres, 1864; publié par M. Wright après la mort de Gureton). Le texte
arménien fut traduit par M. Emin (Langlois, Collection des Historiens de
r Arménie, t. I, p. 319 et suiv.) et par le P. Alishan (La lettre d'Abgare
ou Histoire de la conversion des Edesséens, par Laboubna, écrivain con-
temporain des apôtres, Venise, 1868). Enfin le texte syriaque complet,
trouvé dans les manuscrits de Saint-Pétersbourg, vient d'être publié
sous son vrai titre par M. G. Philipps (The doctrine ofAddai the apostle,
Londres, 1876). Le nom véritable de l'auteur est Laboubna, dont les
formes Léroubna et Ghéroubna ne sont que des altérations. — Le P. Ali-
shan, Cureton, Bickell (De re Syrorum literaria, Munster, 1871), Phi-
lipps admettent que ce curieux document remonte jusqu'au premier
siècle, mais contient un certain nombre d'interpolations de date posté-
rieure. Quant à nous, en attendant une étude critique à laquelle la Doc-
trine de l'apôtre Addée ne pourra manquer d'être soumise, nous esti-
mons avoir affaire à un apocryphe rédigé au quatrième, peut-être au
cinquième siècle, sur un texte plus ancien ou sur une tradition déjà
courante. Rien ne nous oblige donc d'admettre, conformément au
témoignage d'Eusèbe, qu'un échange de communications ait eu lieu
ri lire Jésus et un toparque de l'Osroène. A. Carrière.
ABIA ou ABIAM [Abiyâh, Abiyâhou, Abiyâm; 'Aêia, 'A&ou,
'Âêiaç; Abia, Abiam], roi de Juda, fils et successeur de Roboam, ne
régna que Irois ans (957-955 av. J.-G.). Nous apprenons par le pre-
mier livre des Rois (XV, 1-8) qu'il fit toute sa vie la guerre à Jéro-
boam, roi d'Israël, voulant sans doute ramener par la force les dix tri-
bus sous le sceptre de Juda ; mais aussi qu'il vécut « dans tous les
péchés de son père » et ne fut point un fidèle servi leur de Jéhova. Le
ABIA - ÀBILÈNE
péoit du livre des Chroniques est beaucoup plus détaillé et plus com-
plet (2 Chron. XIII), mais il est difficile de le regarder comme entière-
ment historique. Le discours pieux mis dans la bouche d'Abia
(v. 4-12), les chiffres de 400,000 hommes pour l'armée de Juda, de
SOI), 000 hommes pour l'armée d'Israël, la défaite complète de Jéro-
boam, qui « resta sans force tant que vécut Abia » (v. 20) : tout cela
s'accorde parfaitement avec le caractère de l'auteur des Chroniques et
sa tendance à glorifier le royaume du Sud, mais ne cadre pas sans
peine avec les données plus historiques que nous trouvons dans le livre
des Rois.
ABIATHAR [Ebyâthâr, 'ASiaBap], le seul des fils du prêtre Ahitné-
lech qui échappa au massacre de sa famille ordonné par Saiil el exéculé
par Doëg l'iduméen (1 Sam. XXII, 20). Il se réfugia auprès de David,
pour lequel il consulta plusieurs fois Jéhova au moyen de l'Ephod
(1 Sam. XXIII, 9; XXX, 7). Plus tard, nous le trouvons cité comme
grand prêtre à côté de Sadoc (2 Sam. XXII, 25). Resté fidèle à David
pendant la révolte d'Absaîon, il se rangea parmi les partisans d'Ado-
nias contre Salomon (1 Rois I, 7, 25). Lorsque ce dernier fut monté sur
le trône, Abiathar n'échappa à la mort qu'en considération des service.-,
qu'il avait rendus à David et fut envoyé sur ses terres à Anathot
(1 Rois, 26). Salomon le destitua de sa charge de grand prêtre et mit
Sadoc à sa place (1 Rois II, 27, 35), mais il dut garderie titre, car il est
encore nommé à côté de Sadoc 1 Rois, IV, 4. Cette double grande
prêtrise de Sadoc et d'Abiathar, sous David et sous Salomon, constitue
une difficulté historique qui n'est pas encore résolue d'une façon
satisfaisante : chacun d'eux représente une branche de la famille
d'Aaron, le premier, descendant d'Eléazar, le second, d'Ithamar.
1 Chron. XVIII, J6 et XXIV, 6, il faut corriger le texte et lire:
« Abiathar, fils d'Ahimélech ; » de même Abiathar est nommé au
lieu d'Ahimélech dans le second évangile (Marc II, 26) (voy. Ahi-
mélech).
ABIGAIL [Abigayil, 'Aêr^ai'a], femme de Nabal qui possédait de
grands troupeaux aux environs du Carmel. Elle était renommée pour
sa beauté. A l'occasion de difficultés entre son mari et David, elle mon-
tra tant d'adresse et de prudence qu'elle se concilia les bonnes grâces
de ce dernier (1 Sam. XXV). Après la mort de Nabal, David fit entrer
Abigaïl dans son harem et en eut un fils nommé Kileab (2 Sam. III, 3)
(voy. David).
ÂBÏLÈNE ou ÀBILA ^AêiXr^v^], contrée située en Cœlé-Syrie, entre
F Anti-Liban et Damas, et citée Luc III, I. Elle tirait son nom d'Abila,
sa capitale. Celle-ci était à 18 milles romains de Damas, et 38 (ou 32 >
d'Héliopolis ou Baalbec (voy. Itiner. Ant. et Tabula Peuting.). D'après
saint Luc, l'Abilène formait, en la quinzième année de Tibère, 28-29 a. D. ,
une tétrarchie entre les mains de Lysanias. Josèphe l'appelle "AéiXa rt
Âttèa&vtôu (An*., XIX, 5, 1), et Ptolémée presque de même (V, 15, § 22).
En l'an 37, l'empereur Caligula en fit présenta Hérode Agrippa. Certains
auteurs ont prétendu, mais sans raisons suffisantes, que le témoignage
de l'évangéliste était en désaccord avec celui de Josèphe. Suivant eux.
ABILENE — ABJURATION ?3
ce Lysanias aurait vécu cent ans plus tôt, sous Antoine et Çléopâtre, et
n'aurait jamais été tétrarque (voyez à ce sujet Wieseler : ChronoL
Synopsis der Evangel., p. 1 74-183, où la question est traitée à fond et à
peu près résolue). Il existe des ruines sur remplacement même indiqué
par les auteurs anciens pour Abila ; elles sont sur les bords du W.
Barada, à l'endroit où il quitte la montagne pour entrer dans la plaine
de Damas. Aujourd'hui encore, la tradition y place le tombeau d'Abel,
« Nebi Bab/L » On possède des monnaies avec le nom de Lysanias
qui en proviennent. Pocockey a même recueilli une inscription portant
A-jsav'cj TsTpâp/ou, mais on ne Ta pas revue depuis. On y a aussi trouvé
plus récemment des inscriptions latines. — Letronne, yowrw. des savants,
1827, p. 168; Orelli, Jnscr. Lat., 4997, 4998. Voy. pour le reste ;
Porter, Journ. of sacred literature, july, 1853, p. 248 ss.; Robinson,
Lat. bibl. res, p. 478-483. Ph. Berger.
ABÏMÉLECH [Abîmélèk, 'Aé^iXsyJ, nom porté par deux rois philis-
tins de Guérar. Le premier enleva la femme d'Abraham pour la mettre
dans son harem (Gen. XX), et la rendit a la suite d'un songe qui lui fut
envoyé par Dieu; puis il fit alliance avec Abraham (Gen. XXI, 22-32).
Le second figure dans une histoire à peu près semblable racontée au
sujet de Rebecca (Gen. XXVI, 1-11). Ces deux récits, auxquels il fout
joindre l'enlèvement de Sara par le roi d'Egypte (Gen. XII, 15), ne sont
vraisemblablement que les versions différentes d'un même fait. Il n'y a
pas de raisons suffisantes pour croire, avec quelques exégètes* que
le nom d'Abimélech (c'est-à-dire père du roi ou père-roi) était un titre
porté par tous les rois philistins.
ABÏMÉLECH, fils du juge Gédéon et d'une concubine sichémite, égor-
gea ses soixante et dix frères après la mort de son père (voy. Jotham),
et se fit proclamer roi par les habitants de Sichem (Juges IX) ; mais ses
sujets ne tardèrent point à se révolter, et Abimélech fut tué, en assié-
geant Tébés, par une meule qu'une femme lui jeta sur la tête du haut
d'une tour (voy. Juges).
ABISAG [Abîchag, 'AêtGày], jeune fille de Sunem qui fut intro-
duite dans le harem du roi David pour le soigner sur ses vieux jours
(1 Rois, I, 1-4). Après la mort de David, le prétendant Adonia la fit
demander pour femme par Betsabée, mère de Salomon; mais Salo-
mon prit ombrage de cette démarche qui coûta la vie à Adonia
(1 Rois II, 13-25).
ABÎSAI [Abîchaï, 'Aêscca], fils d'une sœur de David et frère de
Joab, était un des principaux officiers de David à qui il rendit de nom-
breux et éclatants services (1 Sam. XXVI, 6-12; 2 Sam. XVI, 9;
XX III, 2; XXI, 17). Le premier livre des Chroniques (XVIII, 12) attribue
ii Abisaï, et non pas à David (2 Sam. VIII, 13), la défaite de 18,000 Edo-
mites (ou Syriens) dans la vallée du Sel.
ABJURATION, serment par lequel un hérétique déclare renoncer à
ses erreurs et faire profession de la foi catholique. — Les législations mo-
dernes sauvegardent le droit pour chacun de changer de religion, tout
en veillant à ce que ce changement ne se fasse ni par contrainte ni par
ruse. Pour cela elles exigent certaines conditions d'âge, de maturité;
24 ABJURATION - ABLON
parfois aussi une année d'épreuve (annus discretionis), et même un cer-
tificat du pasteur de la religion que le nouveau converti veut quitter,
constatant qu'il a été placé, pendant un laps de temps déterminé, sous
l'influence de son ministère. Le changement de religion est, dans cer-
tains pays, rendu plus difficile pour les prêtres. En France, en Autriche,
comme dans la plupart des pays catholiques où l'Etat reconnaît le
charade?' indebilis du prêtre, celui-ci ne peut pas se marier, même après
son abjuration. La paix de religion de 1555 stipulait en outre que la con-
version d'un ecclésiastique au protestantisme entraînerait la perte de
son bénéfice {rcservatum ecclesiasticum). A ces exceptions près, la re-
nonciation aux droits, comme aussi l'affranchissement des devoirs
ecclésiastiques, par suite de l'abjuration, n'entraîne plus aujourd'hui la
perte des droits civils et politiques. — L'admission des nouveaux conver-
tis dans les Eglises protestantes a lieu à la suite d'une instruction plus
ou moins longue, d'un acte public ou privé de profession de foi et du
baptême pour les non-chrétiens : elle se marque par la réception à la
sainte Gène. Dans l'Eglise romaine, la cérémonie de l'abjuration propre-
ment dite est de rigueur pour être absous de l'excommunication,
sous le coup de laquelle chaque non-catholique se trouve, et pour être
réconcilié avec l'Eglise. L'évêque seul peut absoudre du crime d'hérésie
dans le ressort de son diocèse ; il peut néanmoins se faire remplacer
par un vicaire, dûment délégué à cet effet par le saint-siége (Concil.
Trident. Sessio XXIV, cap. VI de Reform.). Les canonistes distinguent
quatre sortes d'abjurations : 1° de formait, lorsque celui qui la pro-
nonce est notoirement reconnu comme hérétique; 2° de vehementi,
lorsqu'il y a forte présomption d'hérésie, comme par l'affirmation
explicite de deux témoins ; 3° de violenta suspicione, lorsque l'accusation
repose sur des paroles ou des actes qui paraissent au juge entachés
d'hérésie ; 4° de levi, lorsque le soupçon n'est que léger.
ABLEGAT, ab legatus, envoyé du pape, chargé en son nom de remettre
la barrette aux cardinaux nouvellement nommés. Cette remise se fait
d'une manière solennelle, en présence du souverain et des grands
dignitaires de l'Etat. Les ablégats appartiennent d'ordinaire aux familles
les plus illustres de Rome; ils sont autorisés, même s'ils n'ont pas en-
core reçu les ordres, à revêtir l'habit ecclésiastique : ils reçoivent alors
le titre de monsignor.
ABLON, petit village au bord de la Seine, en amont, sur la rive
gauche, est à quatre lieues et demie de Paris : il a dû une certaine
notoriété, dans les annales du protestantisme français, au choix dont il
fut l'objet lorsqu'on voulut désigner un lieu d'exercice aux réformés de
la capitale, par application du 33e des articles secrets annexés à i'Edit
de Nantes, le 2 mai 1598, en ces termes : « Sera baillé à ceux de la
religion un lieu pour la ville, prévosté et vicomte de Paris, à cinq lieues
pour le plus de ladite ville, auquel ils pourront faire l'exercice public
d'icelle. » La paix, dite de Monsieur, en mai 1576 (art. 4), avait permis
d'établir un prêche à Noisy-le-Sec, à quatre lieues de Paris ; mais c'était
le temps de la Ligue, peu commode à ceux de la religion. Depuis que
Henri IV s'était mis en possession de son trône et de sa capitale, ses
ABLON 25
sujets réformés avaient profité de la faveur d'un prêche toléré au Louvre
pour Madame, sa sœur. Enfin, en mai 1599, quand Madame, devenue
duchesse de Bar, était partie pour la Lorraine, on avait transporté
l'exercice à Grigny-sur- Seine, à cinq lieues de Paris (Josias Mercier,
l'illustre savant huguenot, était seigneur des Bordes et de Grigny). Ce
ne fut pas une petite affaire que la désignation d'un nouveau lieu
d'exercice aux réformés. Après les grandes colères qu'avait soule-
vées la promulgation de l'Edit de Nantes, vinrent les oppositions de
détail et les chicanes de toutes sortes pour en entraver l'exécution.
Dans ses lettres patentes, adressées au prévôt de Paris le 14 octobre 1599,
il fallut que le roi déclarât que la haute justice du fief d'Ablon lui
appartenait, et l'huissier à cheval du Châtelet, qui fut chargé d'en faire
la publication à Ablon le 12 novembre suivant, dut le signifier expressé-
ment à Messieurs du chapitre de l'Eglise de Paris, moyens et bas justiciers
de la seigneurie de Mons-sur-Orge et Ablon-sur-Seine (Arch. nat., S.
656). L'installation du culte réformé à Ablon dut être et fort simple et
très-prompte, mais les informations à ce sujet font défaut. On constate
seulement, par une mention du Journal de l'Estoile, que, dès le
dimanche 23 janvier 1600, « fust baptisé, au presche d'Ablon, un jeune
homme, âgé de 25 à 26 ans, qui n'avoitpas encore esté baptisé, pour ce
que son père et sa mère estoient anabaptistes. » Les Ephémérides de
Casaubon parlent du nouveau lieu de culte, pour la première fois, au
26 mars de cette année. Le 10 avril, Gasaubon s'y rend par un temps
affreux de neige et de grêle : c'est à peine si le coche de terre peut
accomplir le trajet. En mai, on le voit accompagner, à l'aller et au
retour, les présidents Dufresne-Ganaye et de Galignon, notables person-
nages. Ces voyages donnaient souvent lieu à des manifestations mal-
veillantes, à des rixes, qu'il fallait parfois réprimer, comme nous l'ap-
prend l'Estoile, au \ 6 juin 1601 et au 18 sept. 1605. Aller ainsi à près de
cinq lieues pour assister au culte public, y aller soit à pied, soit par le
coche de terre ou le coche d'eau du port Saint-Bernard, soit même,
comme cela arrivait quelquefois à Gasaubon et aux siens, dans le
carrosse de son honorable ami M. de Thou (6 janv. 1602), c'était
toujours, comme il le dit bien lui-même, une véritable expédition. Gela
devenait un péril quand il s'agissait d'y porter des enfants pour les y
faire baptiser (11 déc. 1600). Que d'appréhensions, de péripéties de tout
genre en s'embarquant pour cette odyssée d'un jour !... Aussi n'est-il
pas étonnant que, dès 1601, les députés des Eglises aient présenté
itérativement au roi un Cahier de plaintes et remontrances, où se lisait
cet article : « Et pource que les habitans de la ville de Paris et environs,
faisant profession et ayant Fexercice de la R. P. R. au lieu d'Ablon,
estans contraincts d'y faire porter leurs enfants pour estre baptisés, les
exposent en apparent danger de mort, tant pour la longueur et incom-
modité du chemin que à cause des grandes froidures de l'hyver et
chaleurs de l'été (dont il est advenu que plusieurs desdils enfants, jus-
ques au nombre de quarante, ont été l'hyver passé misérablement
esteints et suffoqués) , et que d'ailleurs les hommes sexagénaires,
femmes grosses, petits enfants, et les valétudinaires sont privés dudit
26 ABLON — ABLUTION
exercice, est Sa Majesté suppliée d'incliner paternellement aux très-
humbles remonstrances qui lui ont été faites par l'Eglise de Paris,
octroyant ledit exercice en quelque lieu plus proche et commode aux
dites personnes. » Mais la réponse du roi, en son conseil, fut, le 18 sep-
tembre : « Ne peut être rien changé en l'Edit. » Le dimanche 29 sept.
1002, eut lieu à Ablon le baptême d'un fils de Sully : la princesse
d'Orange (Louise de Coligny) était marraine. Le 20 janv. 1003, un carme
y « jeta son froc aux orties et fit profession de la religion. » (Cet ail
Etienne Lebrun, du couvent de Valenciennes. Son discours fut imprimé.)
L'Estoile mentionne encore le baptême d'un juif (20 juillet 1003); d'un
Turc, tenu sur lés fonts par Sully, qui lui donna son nom de Moxirni-
lîen (20 janv. 1004) ; ainsi que plusieurs autres conversions de moines,
parmi lesquelles il faut noter celle de Bertrand Davignon, cordelier,
dont la profession de foi (29 mai 1005), qui fut publiée, est remarquable.
11 était seigneur de Souvigné et devint pasteur de FEglise de Rennes.
Les Mémoires de Sully et la correspondance du duc de Caumont-
Laforce nous montrent ces seigneurs se rendant fréquemment à Ablon
et y faisant la cène avec leur famille. Là fut célébré (13 févr. 1005) le
mariage du duc de Rohan avec la fille de Sully, en présence de « bon
nombre de seigneurs et gentilshommes, que M. de Rosni traita au
chasteau d' Ablon. » Le 10 mars 1005, eut lieu à Ablon un synode pro-
vincial, présidé par un ministre de Paris, François de Lauberan, sieur
de Montigny. Dans un rapport qui se trouve au British Muséum [Mss.
Cotton), il est dit que « les ministres et anciens, secrétaires et adjoints,
ont employé une grande partie du temps à se censurer les uns les autres
en la doctrine, vie et mœurs, et ce avec beaucoup de liberté : qui
est une forme de convention mutuelle qu'ils observent en tous les
synodes provinciaux, surtout en la dissolution de vie et en la négligence
des pasteurs. » Le président de ce synode avait acquis, le 10 juin 1003,
la propriété du fief et seigneurie du chastel d' Ablon. Une sorte de
cantique ou complainte (rarissime) en 51 distiques, intitulée : Les
louanges cï Ablon,
Ablon, petit hameau, que ce bel œil du monde
Voit sur le bord de l'eau, près la Seine profonde
racontait naïvement aux fidèles les vicissitudes de cette période, qui
dura sept années. La considération du grand danger auquel étaient
exposés les enfants qu'on portait à Ablon, pour le baptême, finit par
l'emporter. Jusque-là, on s'était borné à tempérer par des exceptions la
rigueur de TEdit : l'Estoile nous apprend que, le dimanche 2-4 fév. 1003,
le roi avait autorisé « que le fils de M. du Gouldrai, conseiller en la
Cour, fût baptisé à Paris, sur la plainte et le rapport qu'on lui avoit fait
que plusieurs enfants qu'on port oit baptiser à Ablon, mouroient sans
baptême, à cause du long et mauvais chemin. » Les lettres patentes qui
transférèrent le lieu d'exercice à Charenton-Saint-Maurice sont du
1er août 1000. Charles Rbad.
ABLUTION. La propreté du corps a été envisagée par tous les peu-
ples, comme un symbole de la pureté de l'âme. De là, dans toutes les
ABLUTION - ABOULFARAGE 27
religions, des rites de purification (voy. cet article). — Le mot d'a-
blution, dans l'Eglise catholique, a un sens liturgique. Il indique le vin
et l'eau que le prêtre, immédiatement après la messe, verse soit dans
le calice, soil sur ses doigts pour les purifier, c'est-à-dire pour en
détacher les particules eucharistiques qui auraient pu y rester atta-
chées.
ABNER ['Abnér, 'Aêsvv^p], fils de Ner, qui était le frère de Kis, père
de Saùl (1 Sam. XIV, 50). Abner commandait les troupes de Saùl, et
lui resta fidèle jusqu'à sa mort; il proclama alors roi d'Israël Isboseth,
fils de Saûl, dont l'autorité fut reconnue par toutes les tribus, sauf celle
de Juda qui prit parti pour David (2 Sam. II, 8-10). Abner, battu par
Joab, général de David, tua le jeune frère de Joab , Azaël , qui le pour-
suivait (2 Sam. II, 12-28). Il perdit la confiance d'ïsboseth qui lui repro-
cha d'avoir eu des relations avec une concubine de Saùl (2 Sam. III,
7 et suiv.), ce qui, dans les idées du temps, paraissait impliquer des
visées à la couronne (voy. Abisag). Irrité de cette ingratitude, Abner
abandonna le parti d'ïsboseth pour passer du côté de David dont il reçut
un accueil favorable à Hébron (2 Sam. III, 20) ; presque aussitôt après
il fut traîtreusement assassiné par Joab qui vengeait ainsi la mort de son
frère Azaël (III, 27). Ne pouvant punir le trop puissant coupable, David
honora du moins la mémoire d'Abner, suivit son cercueil et composa
une élégie sur sa mort (2 Sam. III, 35 et suiv.).
ABOULFARAGE (Grégoire) naquit à Mélitène (aujourd'hui Malatia), en
Asie Mineure, en 1226; il eut pour père Aaron, médecin d'origine juive,
d'où le nom de Bar-Hebraaus (en syriaque Bar cEbrâyâ, fils de l'hébreu)
sous lequel il est généralement connu. De bonne heure familier avec les
trois langues arabe, syriaque et grecque, il étudia ensuite la philoso-
phie, la théologie et la médecine. En 1244 Aboulfarage alla habiter
Antioche, et mena quelque temps la vie d'anachorète dans les environs
de cette ville, puis à Tripoli de Syrie. Il avait vingt ans lorsqu'il fut
sacré évéque de Gouba, par le patriarche jacobite Ignace. Successive-
ment évèque de Lacabène et d'Alep, il devint en 1264 primat (ma-
phriân) des Jacobites d'Orient et garda cette haute dignité jusqu'à sa
mort arrivée en 1286, à Maraga, dans l'Azerbidjân. Bar-Hebrseus est un
des écrivains les plus féconds de la littérature syriaque ; le catalogue de
ses œuvres ne comprend pas moins de trente et un ouvrages dont plu-
sieurs très-importants. Il faut citer en première ligne sa grande Chro-
nique ou Histoire universelle depuis la création du monde, divisée en trois
parties; la première raconte l'histoire politique, et fut traduite en arabe
par fauteur lui-même (texte arabe publié par Pococke, Bistoria com-
pendiosa dynastiarum, Oxon., 1663, 2 vol. in-4°; texte syriaque, par
Bruns et Kirsch, Chronicon syriacum, Lips., 1788, 2 vol. in-4°) ; la se-
conde traite des patriarches d'Antioche; la troisième, des archevêques
de Séleuoie et des primats catholiques d'Orient. Ces deux dernières
parties, Uès-importantes pour l'histoire ecclésiastique de l'Orient, sont
actuellement en cours de publication (Grey. Barhcbrsei chronicon eccle-
iioêticum ediderunt J. B. Abbeloos et T. J. Lamyy Lov., 1878-1874).
M. l'abbé Martin nous a donné récemment les ÛEtit>rêÈ yi-annnaticales
28 ABOULFARAGE — ABRAHAM
d' Aboul' faradj (Paris, 1872, 2 vol.) dont nous ne connaissions qu'une
partie (Grammatica metrica, éd. Bertheau. Gœtt., 1843). Nous avons
également du même auteur des Scholies sur tous les livres de la Bible.
Pour plus de détails sur Bar-Hebraeus et ses ouvrages, voir Assemani,
Bibliotheca orientalis, t. I, p. 244 et suiv. ; Bickell, Compectw rei Syro-
rum literarix, Monast., 1871, in-8°. A. Carrière.
ABRABANEL (R. lsaac), appelé aussi Abarbenel ou Abravanel, né à
Lisbonne en 1437, d'une famille qui prétendait descendre de David,
mort, à Venise en 1508, fut en même temps savant rabbin et ministre
d'Alphonse V, roi de Portugal. Il tomba en disgrâce sous Jean II, suc-
cesseur d'Alphonse, et s'enfuit en Espagne où il travailla à rétablir les
finances de Ferdinand et d'Isabelle ; ce qui ne l'empêcha pas d'être
compris dans le décret d'expulsion qui frappa tous ses coreligionnaires
en 1492. Réfugié d'abord à Naples, il se rendit ensuite à Gorfou, puis à
Venise, où il contribua à aplanir des difficultés qui s'étaient élevées
entre le Portugal et la République. Abrabanel mourut dans cette der-
nière ville et fut enterré à Padoue. Malgré le rôle politique qu'il fut appelé
à remplir en diverses circonstances, Abrabanel est surtout connu par
ses ouvrages, et en particulier par ses Commentaires sur les livres de
l'Ancien Testament qui ont joui longtemps d'une grande autorité parmi
les Juifs. Les écrits d'Abrabanel trahissent souvent une violente hosti-
lité contre le christianisme (Wolf, Biblioth. hebr., III, 544; de Rossi,
Dizionario storico degli autori Ebrei ; Ersch et Gruber, Encyclopédie,
art. Abrabanel).
ABRAHAM ['Abraham, 'A6paâjji. , Abrahamus], appelé d'abord
Abram, fils de Thérach, descendant de Sem, le premier des pa-
triarches. La vie d' Abram, si Fon s'en tient à la rédaction cano-
nique de la Genèse et à l'interprétation qui a prévalu dans l'Eglise,
se partage en quatre phases distinctes, inaugurées chacune par une
intervention divine. La première période (Gen. XII-XIV) débute par
la vocation d" Abram et comprend son départ de Mésopotamie avec
Lot, son établissement en Canaan, son voyage en Egypte, la guerre
des rois alliés, la délivrance de Lot, l'entrevue avec Melchisédec. Le fait
central de cette période est la triple promesse faite par Dieu à Abram :
1° la bénédiction qui par lui s'étendra à toute la terre ; 2° une postérité
innombrable ; 3° la possession de Canaan. A l'entrée de la seconde pé-
riode (Gen. XV-XIX), la promesse se précise : Abram, malgré son grand
âge, verra naître un héritier de son sang. A la foi d' Abram, qui reçoit
sans hésiter le témoignage de Dieu, celui-ci répond par rétablissement
de l'alliance, pacte bilatéral ; mais Dieu seul a pris Finitiative, comme
Findique la cérémonie mystérieuse rapportée Gen. XV. L'union d' Abram
avec Agar et la naissance d'Ismaël retardent l'accomplissement de la
promesse, qui tombe dans la troisième période (Gen. XVII-XXI). Dieu
ratifie l'alliance en la plaçant sous la garantie de son nom d' 'Elchaddaï,
et la confirme en donnant à Abram le signe de la circoncision et en
changeant son nom d'Abrâm (père élevé) en celui d' Abraham (père
de multitude). La naissance d'Isaac, l'héritier des promesses, précédée
immédiatement par la destruction de Sodome et Gomorrhe et le séjour
ABRAHAM 29
d'Abraham au pays d'Abimélech, est bientôt suivie de l'exil d'Agar. La
quatrième période (Gen. XX1I-XXV) nous fait assister à l'épreuve que
Dieu impose à la foi d'Abraham et dont eelui-ci sort triomphant, à la
mort de Sarah, au mariage d'isaac avec Rébecca, et se termine par la
mort de notre héros. — Abraham marque une époque de transition im-
portante dans l'histoire de la révélation. Deux passages caractérisent sa
relation avec l'état de choses antérieur : c'est d'abord Gen. XIV, 18-24,
où est affirmée l'identité de Jéhova, Dieu d'Abraham, avec El- 'elyon,
le Très-Haut, Dieu de Melchisédec, qui représente la religion primitive
des Sémites. C'est ensuite le récit Gen. XXII qui condamne implicite-
ment les sacrifices humains, en usage chez les Cananéens. En même
temps qu'il ferme l'ère du monothéisme primitif, Abraham ouvre celle
des révélations positives. Il occupe le premier rang dans la série des
hommes de Dieu de l'Ancien Testament. A lui se rattachent directe-
ment et l'ancienne et la nouvelle alliance ; car s'il est, par le sang, le
père d'Israël, il est, selon l'esprit, le père de tous les croyants. Ce qui
lui donne cette place exceptionnelle, ce n'est pas son mérite person-
nel; sa figure, héroïque en sa simplicité patriarcale, présente des côtés
sombres, et de graves défaillances atténuent la grandeur de son carac-
tère (Gen. XII, 14-20, et XX). L'importance d'Abraham résulte tout
entière de sa foi (Gen. XV, 6). Cette foi, qui a pour objet la promesse
divine, implique l'obéissance (Gen. XVII, 1 ; XVIII, 19) et est avant tout
un acte moral de confiance en Dieu, le Tout-Puissant. Aussi est-elle
imputée à justice, c'est-à-dire qu'aux yeux de Dieu elle constitue in-
tègre celui qui la possède. La signification constante du terme justifier
dans l'Ancien Testament est : déclarer juste. L'effet de la justification
est le rapport intime qui s'établit désormais entre Dieu et Abraham :
celui-ci devient l'ami de Dieu (Esaïe XLI, 8; Jacques II, 23), et
comme tel est initié au secret des voies divines (Gen. XVIII, 17); de là
son nom de prophète (Gen. XX, 7); de là aussi son droit d'intercession
(Gen. XVIII, 23-33). — Le Nouveau Testament cite Abraham à de
fréquentes reprises. Les principaux passages sont Gai. III et Rom. IV,
où Paul appuie la doctrine de la justification par la foi sans les œuvres,
sur l'exemple d'Abraham. La contradiction entre ces textes et
Jacq. II, 21-24 n'est qu'apparente : Jacques, pour combattre de fausses
conséquences tirés de l'enseignement paulinien, s'attache à relever le côté
moral et pratique de la foi d'Abraham. L'épître aux Hébreux (XI, 8-12 et
17-19) accentue surtout, dans cette foi, l'élément de l'obéissance con-
fiante. D'autres textes enfin (Rom. IX, 6-9, et Gai. IV, 21-31) opposent
à la postérité charnelle d'Abraham ses descendants spirituels, seuls hé-
ritiers de la promesse (voir encore Matth. I, 1 et suiv.; XXII, 32;
Luc XIX, 9; Jean VIII, 33; Actes III, 25; Hébr. VII, 1 et suiv., etc.).
— Pour la critique de la vie d'Abraham, voir l'article Patriarches. —
Sources : J.-H. Heidegger, Historia sacra pair iar char um. Ed. 2. Amst.,
1688. Ch.-Th. Engelstoft, Historia populi Judaïci biblica usque ad occu-
pationem Palestine. Kop., 1832. A. -F. Holst, Scenen aus dem Leben
Abraham s. Chem., 1828. Th. Passavant, Abraham und Abraham' s
Kinder. Basel, 1848. B. Béer, Leben Abraham s nacli Au/fassung der
M) ABRAHAM - ABU AXA S
judischen Sage. Leipz., 1859. A. Bemstein, Kritiiche Unter8uchiM§
iïher den Ursprung der Sagen von Abraham, Imac, mal Jacob. BerL,
1871. En général, pour toutes les indications de sources, voir :
A. Kœhler, Lehrbuch der bibl. Gesch. A. T. Erl., 1875.
A. BoEGNEU.
ABRAHAM A SANCTA-CLARA,un des prédicateurs populaires de l'Al-
lemagne les plus renommés, bien qu'il soit loin d'être un orateur irré-
prochable. Il s'appelait Ulric Megerlé, était fils d'un paysan badois, reçu!
une instruction très-insuffisante, mais avait de l'esprit et de l'imagina-
tion. En 1022, il entra dans l'ordre mendiant des Augustins; c'est alors
qu'il prit le nom soiis lequel il est devenu célèbre. La réputation qu'il se
fit par l'originalité de ses sermons attira l'attention de l'empereur ; en
1669 il devint à Vienne prédicateur de la cour; comme tel il mourut
en 1700, âgé de soixante-sept ans. Il est de l'école des Olivier Maillard, des
Michel Menot, des Geiler de Kaisersberg, qu'on a coutume de qualifier de
prédicateurs burlesques, mais qui sont plus justement appelés prédica-
teurs populaires ; chez eux, à la fin du quinzième siècle et au commence-
ment du seizième, le retour à la langue vive, leste, imagée, du peuple, fut un
progrès sur la prédication ordinaire, aride dans la forme et hérissée d'éru-
dition ; à l'époque d'Abraham a Sancta-Clara ce genre ne se justifiait plus.
Son langage est aussi trivial, aussi grossier que possible ; mais il rachète en
partie ce défaut par une verve satirique incomparable ; ses invectives
ne ménageaient personne, pas même la cour; on pourrait extraire de
ses œuvres des morceaux qui compteraient parmi les satires les mieux
réussies. Mais on ne le prenait pas au sérieux, les grandes foules qu'il
attirait, venaient plutôt pour s'égayer que pour s'édifier ou se corriger.
Les nombreux recueils de ses sermons ont tous des titres figurés ; le
plus remarquable est celui qui traite de Judas l'archiscélérat [Judas der
Erzsckelm). Les anciennes éditions étant devenues très-rares, on en a
fait récemment de nouvelles ; nous citerons: Auserlesene Werke, 17 vol.,
Vienne, 1846; Ssemmtliche Werke, 20 vol., Passau, 1835-1854; Judas de?
Frzschclm, 7 vol., Passau, 1856.
ABRÂHA1ITES, déistes de la Bohême, qui, à la fin du dix-huitième
siècle, essayèrent de constituer une secte dans le district de Pardubitz,
Ils déclaraient professer la foi d'Abraham avant la circoncision, et ne
gardaient de la Bible que les dix commandements et l'oraison domini-
cale. Gomme ils ne voulaient se considérer ni comme juifs, ni comme
chrétiens, l'empereur Joseph II les exclut du bénéfice de son F dit de
tolérance (1784); il les fit déporter dans les provinces voisines et ordonna
d'enrôler les hommes dans les bataillons de frontière. La secte s'éteignil
prompt ement.
ABRAXAS. On désigne par ce mot des pierres plus ou moins précieu-
ses, de petite dimension, portant sur leurs deux faces et parfois sur la
tranche, de courtes inscriptions, des signes mystérieux ou des représen-
tations de personnages symboliques; l'une des plus fréquentes figure
un être ayant la tête d'un coq, le corps revêtu d'une cuirasse, tenant
d'une main un fouet, de l'autre un bouclier, et dont les jambes sont
remplacées par deux serpents. Beaucoup d'inscriptions sont en langue
ABRAXAS 31
grecque, d'an style souvent barbare; plusieurs en kople ou en quelque
autre langue orientale ; on rencontre aussi de longues séries de voyelles
diversement groupées, Oee, Aeu, eei, etc. Parmi les termes qui se retrou-
vent sur la plupart des gemmes (iao, semeseilam, chnoubi), celui qui a le
plus attiré l'attention des archéologues, c'est Abraxas ou Abrasax, qui
semble expliqué par un passage d'Irénée. L'évéque de Lyon, Refut. 1, 24,
parlant de la doctrine des Basilidiens dit : « Le chef des cieux (ou des mon-
des spirituels) est Abraxas, car il renferme 365 unités ; » c'est-à-dire en
additionnant la valeur arithmétique des lettres dont se compose ce mot,
on obtient le nombre 365, qui est le chiffre de la totalité des émanations
divines ; Abraxas, est donc, suivant Basilide, le nom du Dieu manifesté
ou de l'ensemble des manifestations du Dieu suprême. Cette indication,
que Théodore! confirme, a porté le premier savant qui s'occupa de ce
sujet, Jean Lheureux, chanoine de Tournay, mort en 4614, à attribuer
aux Basilidiens toutes les pierres gravées de ce genre ; son traité (Joan.
Macarîi Abraxas, seu Apistopistus, qux est antiquaria de gemmis basili-
dianis disquisitio) ne fut publié qu'en 1657 par Chiflet, chanoine de Tour-
nay, qui y joignit une dissertation : Abraxas proteus. Pignorius (1669),
Gorlaeus (1695), Capello (1702), Maffei (1707), Montfaucon (1722), Lip-
pert (1755), Kopp (1827), Walsh (1828), continuèrent dans cette voie,
publiant des descriptions plus ou moins exactes de pierres inconnues et
les accompagnant de conjectures fort aventureuses. J.-B. Passeri, vicaire
général de Pesaro ( Thésaurus gem. astri fer arum, cura Gori, 1750), rompit
avec la tradition et contesta que ces monuments aient appartenu aux
gnostiques. Bellermann (Ueber die Gemmem der Alten mit dem Abraxas
bilde, 3 progr., 1817-1819) revendiqua de nouveau le caractère gnos-
tique des Abraxas ; il essaya de les interpréter au moyen de l'hébreu
et du kopte, et donna le premier essai de classification; mais ce fut un
tableau si compliqué (les abraxoïdes et les abraxastes, ceux-ci divisés en
douze classes, dont chacune comptait des subdivisions) que l'auteur lui-
même ne put en faire un usage utile. J. Matter, dans la lre édition de son
Histoire du Gnosticisme, avait publié les spécimens les plus importants, et
la seconde édition devait être accompagnée d'un traité beaucoup plus
complet ; mais ce travail n'a point paru. Le professeur W. King (the
Gnostics and their remains, Londres, 1867) a pertinemment utilisé les tra-
vaux de ses prédécesseurs. Mais jusqu'ici l'explication des Abraxas n'a
pas été trouvée. Du moins quelques principes sont acquis pour l'étude
de ce domaine. Tout d'abord il importe de distinguer soigneusement
'Mitre trois sortes de pierres gravées, celles qui appartiennent exclusi-
vement au paganisme, celles qui furent à l'usage des chrétiens, et celles
qui ont servi aux sectes gnostiques et qui par conséquent renferment
des symboles empruntés aux deux catégories précédentes. La troisième
classe ne pourra être interprétée, et c'est ce qui retarde la solution du
problème, qu'après une explication satisfaisante des signes appartenant
aux deux premières. Alexandrie fut le foyer principal du gnosticisme,
e! ce sont les symboles égyptiens qui fourniront le plus de lumières ;
l'Asie Mineure ne vient qu'en seconde ligne et pour des monuments
d'une époque plus récente. De plus, les Abraxas ne paraissent pas don-
32 ABRAXAS — ABSALON
ner les grandes théories du gnosticisme, et ils ne nous instruisent pas
sur ce sujet au même degré que les écrits des Pères de FEglise. Ces
gemmes étaient entre les mains du vulgaire, des initiés inférieurs ; elles
servaient sans doute d'amulettes ou de talismans, et l'efficace en a
dû être parfois augmentée par la juxtaposition de symboles apparte-
nant à des systèmes différents. A. Matter.
ABRÉVIATEURS, officiers de la chancellerie romaine chargés de rédi-
ger, de transcrire et de taxer les brefs, bulles, décrets consistoriaux et
autres actes émanant de la cour pontificale.
ABRIL (Pedro Simon), savant espagnol né à Alcavaz vers 4530. 11 est
connu surtout par ses traductions d'auteurs grecs et latins et divers
travaux philologiques. Nommé à l'université de Saragosse professeur de
« latinité » et de rhétorique en 1583, c'est à cette époque à peu près
qu'il envoya à Philippe II un projet de réforme de l'enseignement des
sciences qui se distingue autant par l'élévation des vues et le bon sens
pratique que par la franchise et l'énergie avec lesquelles l'auteur
signale au maître tout-puissant les vices des méthodes pédagogiques et
la décadence du haut enseignement qui allait bientôt passer aux mains
de la société de Jésus. Simon Abril mourut vers la fin du seizième
siècle. Son discours à Philippe II imprimé d'abord en 1589 à Madrid,
avec une approbation du célèbre Luis de Léon, a été réédité par
A. de Castro dans la Bibliotheca de aulores espanoles de Rivadeneyra,
t. LXV, Madrid, 1873, p. 293-300. Sur la vie et les œuvres de Simon
Abril , voy. J.-A. Pellicer , Ensayo de una bibliotheca de traductores
espanoles. Madrid, 1778, p. 145-154, et J.-M. Guardia, Revue nationale et
étrangère du 25 octobre 1861.
ABSALON [Abchâlôm, 'AêsŒcaXcbpi., Absalon], troisième tils de David,
né à Hébron de Ma'akah, princesse syrienne, l'une des sept fem-
mes épousées par David avant son entrée à Jérusalem (2 Sam. III, -4).
Absalon était renommé pour sa beauté (2 Sam. XIV, 25). Le fils aine de
David et son successeur éventuel, Amnon, ayant déshonoré Thamar,
sœur d' Absalon, celui-ci fit tuer le coupable par ses serviteurs et s'en-
fuit en Syrie (2 Sam. XIII). Il y resta trois ans avant d'obtenir l'autorisa-
tion de rentrer à Jérusalem, et dut ensuite vivre encore deux ans dans
sa maison sans paraître devant le roi (XIII, 38 ; XIV, 28). Il se trouvait
alors l'aîné des fils de David, car Amnon avait été tué, et il n'est plus
question de Kileab (2 Sam. III, 3) qui sans doute était mort à cette époque.
Ce fut donc autour d'Absalon que se rallièrent les mécontents, en grand
nombre depuis que David avait organisé sur le modèle d'un empire orien-
tal l'ancienne république des Hébreux. L'ambition du jeune prince aidant,
une formidable insurrection se prépara, et il suffit qu'Absalon donnât le
signal en se retirant à Hébron, pour qu'il fût proclamé roi dans toutes
les tribus. Achitophel lui-même prit parti pour les rebelles. David jugea
que toute résistance immédiate était impossible, et quitta Jérusalem à
la tête de quelques fidèles et de ses vieux guerriers; mais, toujours
habile dans sa conduite politique, il laissa en arrière Husaï, qui devait
feindre d'embrasser la cause du prétendant pour l'empêcher de suivre
les conseils d'Achitophel (2 Sam. XV). Absalon entra à Jérusalem, et
ABSALON 33
pour affirmer aux yeux de tous qu'il se substituait à son père dans
l'exercice du pouvoir royal, il prit publiquement possession du harem
de David (voy. Adonia; comp. la conduite du faux Smerdis, Héro-
dote, III, 68), accomplissant ainsi la prophétie de Nathan (2 Sam. XII, 11).
Cependant Achitophel voulait immédiatement poursuivre le vieux roi,
avant qu'il eût le temps de rallier ses partisans ; Husaï, comprenant le
danger, détourna Absalon d'un pareil dessein et fit prévenir David
(XVII, 1-23). Dès lors l'insurrection perdait toutes ses chances de
succès. Achitophel s'étrangla (XVII, 23). David eut le loisir d'organiser
son armée, et, quand il fut attaqué dans la forêt d'Ephraïm, ses vieilles
troupes, malgré l'infériorité du nombre, eurent facilement raison des
masses indisciplinées que conduisait Absalon ; « le peuple d'Israël fut
battu par les serviteurs de David » (2 Sam. XVIII, 7). Absalon s'en-
fuit ; mais sa tête (sa chevelure, dit Josèphe, Antiq., VII, 10, 2) se trouva
prise dans les branches d'un grand térébinthe, sa monture fila sous lui,
et il resta suspendu ; Joab et ses écuyers le tuèrent malgré les recom-
mandations de David (XVIII, 9-15). La mort d' Absalon ne mit pas fin à
la révolte; David eut besoin de négocier et d'user de ruse pour rentrer
en possession de son royaume, ce qui prouve bien que la révolte de
son fils n'était pas seulement l'acte téméraire d'un jeune ambitieux.
— Le tombeau d' Absalon que l'on montre encore aujourd'hui dans la
vallée de Josaphat est de date relativement moderne, et n'a rien de
commun avec le monument dont il est question 2 Sam. XVIII, 18.
A. Carrière.
ABSALON ou Axel (1128-1201), né à Zélande, petit-fils du précep-
teur du duc Knud , après des études faites au collège danois de Paris et
des voyages dans divers pays de l'Europe, fut nommé, grâce à la pro-
tection du roi Waldemarler, évêque de Roeskilde, fonctions qu'il garda
jusqu'à sa mort, bien que le chapitre de Lunden, appuyé par la cour de
Rome, lui eût imposé de force le titre d'archevêque de Lunden et de
primat de Suède (1177). Absalon se distingua d'une part par ses connais-
sances, son éloquence « presque divine, » son zèle pour la vie monas-
tique et le célibat des prêtres ; de l'autre par le rôle politique et mili-
taire qu'il joua dans l'histoire du Danemark de son temps. Il défendit
l'indépendance de son pays contre l'empire d'Allemagne, dirigea plu-
sieurs expéditions par terre et par mer contre les Wendes et con-
tribua à achever la soumission et la conversion au christianisme de
l'île de Rugen, le principal et dernier rempart du paganisme dans
les pays de la Baltique. Le château d'Axelhuus fut construit sous sa
direction sur l'emplacement où s'éleva plus tard la résidence royale
de Copenhague. Défenseur énergique des droits de l'Eglise, en parti-
culier de celui de la dime, Absalon présida plusieurs conciles chargés
de régler les cérémonies du culte et de rédiger un bréviaire uni-
forme. On lui doit aussi un Code ecclésiastique de Zélande (1171),
ainsi que la rédaction par les moines de recueils de légendes et de
travaux concernant l'histoire du Danemark (voy. Saxonis Gramma-
tici Historié Danicœ libri XVI. Ilgen's, Zeitschr. fur histor. TheoL
1832. H. 1).
3
34 ABSIDE
ABSIDE ['A^iç (cintre, voûte), absis ou apsis, apside], parlie ordinai-
rement semi-circulaire qui termine une église, au delà du chœur. On dit
aussi chevet ou sanctuaire. Le mot apsis désignait chez les Romains des
annexes ou enfoncements, en forme de niche, de certains édifices civils,
notamment le tribunal (ou concha) des basiliques païennes, où siégeaient
les juges et les assesseurs; c'était la seule partie de l'édifice recouverte
d'une voûte en demi-coupole (d'où son nom). Les chrétiens des premiers
siècles ayant adopté le plan des basiliques pour celui de leurs églises,
l'hémicycle du tribunal devint le sanctuaire de Féglise, la partie la plus
sacrée, réservée au clergé, et fut désigné dès lors sous le nom de
presbyterium. L'abside était élevée de plusieurs degrés au-dessus de la
nef et du chœur (d'où son nom de apsis gradata ou pr^a), pavée en mar-
bres et richement décorée de peintures ou de mosaïques ; la voûte re-
cevait d'ordinaire l'image du Christ, s'enlevant sur un fond d'or.
Le sanctuaire était séparé du reste de l'église par des grillages ou
balustrades de marbre, cancelli, et des rideaux que l'on fermait pendant
la célébration d'une partie des saints mystères (disposition qui subsiste
encore aujourd'hui dans les églises consacrées au rite grec) . Il renfer-
mait sur le devant l'autel et dans le fond le trône épiscopal, cathedra;
un ou plusieurs rangs de bancs ou sièges en gradins, exedra, destinés
au haut clergé, garnissaient le pourtour de l'hémicycle. Plus tard, pen-
dant le moyen âge, le nombre des prêtres et des desservants allant en
croissant, le siège épiscopal et les stalles furent placés en avant de l'au-
tel, dans le chœur, et l'abside proprement dite ne renferma plus que le
maître-autel. ■ — L'abside n'est pas nécessairement semi-circulaire ; dès
l'origine il y en eut de carrées et plus tard de polygonales : beaucoup
d'églises normandes, la plupart des cathédrales anglaises et presque
toutes les églises cisterciennes ont le chevet carré. L'abside prin-
cipale est souvent flanquée de petites absides, disposées à l'extré-
mité des bas-côtés ou nefs latérales; dans l'église primitive elles
étaient closes par des tentures : on déposait dans celle de droite
(iupoôecnç, vestiarium) les vases précieux et les vêtements des prêtres,
dans celle de gauche (otcr/,ovr/.6v, evangelium) les livres sacrés et les
diplômes, ainsi que les offrandes des fidèles. C'est l'origine des
sacristies et des trésors. Plus tard ces absides devinrent aussi des
chapelles latérales renfermant un autel. Dans les grandes églises
du moyen âge, l'abside principale est entourée d'un bas-côté el
accompagnée souvent de chapelles rayonnantes, disposées en son
pourtour ; elles s'appellent chapelles absidales ou absidioles. Celle du
centre, la plus importante de toutes, est consacrée à la Vierge. Dans
les basiliques primitives, l'abside (ou le sanctuaire) était placée à l'oc-
cident, mais de bonne heure la disposition contraire devint générale. Un
certain nombre d'églises, notamment sur les bords du Rhin, ont deux
absides, l'une à l'orient, l'autre à l'occident. — On donne aussi
le nom d'abside aux châsses renfermant les reliques des saints, soit
parce qu'elles étaient placées dans le sanctuaire, soit parce qu'elles
affectaient souvent elles-mêmes la forme d'une voûte.
Emile Lichtenberger.
ABSOLU 35
ABSOLU, mot qui en philosophie désigne ce qui est suprême, comme
la religion l'exprime par h1 mot Dieu. L'esprit humain ne peut s'arrê-
ter à la simple perception des phénomènes dans leur immense diver-
sité ; un instinct invincible nous porte à chercher le lien qui les relie
entre eux, à ramener nos perceptions à des notions générales, soit en
groupant, au moyen de la classification, les êtres et les faits semblables
en unités collectives, soit en rattachant les effets à leurs causes et les
attributs à leurs substances. Nous nous élevons ainsi à la connaissance
de quelques principes, et faisant un pas de plus, nous nous efforçons de
remonter jusqu'à un principe premier. En procédant de la sorte, nous
n'avons pas seulement le sentiment de satisfaire à un besoin de l'esprit,
d'obéir à une loi de la pensée, nous avons la conviction de suivre la
voie légitime pour arriver à la connaissance de la réalité, à la vérité.
Qui dit vérité, dit que les lois de notre esprit et les lois de l'univers se
répondent; et quand il s'agit d'un objet que l'expérience sensible
n'atteint point, nous ne sommes pas pour cela réduits à l'ignorance,
si la raison, provoquée par l'expérience, affirme cet objet par un acte
normal, nécessaire, permanent. Tel est le cas pour l'absolu. Les systè-
mes qui n'admettent d'autres connaissances que celles acquises par nos
sensations, écartent comme chimérique la notion de l'absolu; mais par
là ils assument la tâche fort ardue de démontrer que la science soit
possible par le seul jeu de nos sens et sans l'intervention de l'esprit.
Quant aux philosophes qui admettent deux moyens de connaissance,
les sensations et la pensée,, ils sont d'accord pour reconnaître que l'ex-
périence sensible ne constate pas un principe suprême, mais que leur
raison est obligée de le statuer et qu'il est la base de toutes les opéra-
tions de l'esprit aussi bien que le fondement de tous les phénomènes
de la réalité. Ce premier principe est appelé l'absolu ; mot tiré du latin,
absolvere, absolution, c'est-à-dire dégagé, offrant tout d'abord une signi-
fication que les penseurs sont unanimes à proclamer : l'absolu est dé-
gagé de toute condition, de toute limite, indépendant, il ne subit au-
cune détermination qui lui soit imposée du dehors. Mais cette première
indication, qui nous dit ce que l'absolu n'est pas et qui nous fournirait
tout au plus une abstraction vide, inerte, sans rapport avec la réalité,
ne saurait nous suffire; il nous faut savoir ce que l'absolu est. Ici appa-
raissent les divergences; et comme la notion de l'absolu est le terme
utiel de tout système philosophique, il nous faudrait retracer l'his-
t oire de la philosophie pour expliquer les acceptions diverses que ce
mot a reeues et faire apprécier les progrès que la pensée a faits dans la
connaissance de son objet principal. Contentons-nous de quelques indi-
cations sommaires. Cette notion a jusqu'ici parcouru trois degrés. Le
premier, représenté parmi les modernes par Spinoza, c'est la notion de
L'être pin1 et simple, existentix absoluta a/fîrmatio, de la substance dans
son unité indivisible et infinie, dans son immuable identité ; mais une
leiie notion de la substance isolée de la notion de cause ne donne
qu'une unité monotone, une durée abstraite, et l'existence des choses
contingentes, multiples et du mouvement n'est pas expliquée. Aussi le
second degré, représenté par Leibnitz et Hegel, considère l'absolu
36 ABSOLU — ABSTEMES
comme cause ou activité, opérant un déploiement dont il est le principe
et la fin, se donnant l'existence à lui-même suivant une norme déter-
minée et parfaite ; mais s'il ne s'est pas donné cette norme , il n'est pas
réellement l'absolu. Le troisième degré (Schelling dans sa dernière pé-
riode et M. Secrétan) insiste sur la liberté de l'absolu; il est ce qu'il a
voulu être. Dès lors nous sommes en présence d'un dilemme : ou bien
ce libre arbitre n'a été déterminé par aucun motif, et alors c'est le pur
caprice, un acte aveugle ; ou bien l'absolu a voulu être parfait, l'exercice
de sa liberté a été raisonnable, un idéal s'est en quelque sorte imposé à
son choix, et alors c'est le déterminisme. Les philosophes hésitent
devant ces deux solutions, et M. Janet reconnaît « qu'il y a, au fond des
choses, un dernier terme où tout doit se confondre et s'identifier, au
delà de ce que nous pouvons connaître, un je ne sais quoi, que vous pou-
vez appeler liberté, volonté, l'absolu, mais ces noms ne représentent pas
une idée distincte ; la philosophie est impuissante à exprimer l'inexpri-
mable ; ce qui dépasse une certaine limite est du domaine de la poésie,
de la religion. » Il ne faut pas nous étonner si, dans la phase d'élabo-
ration que la philosophie traverse, la notion de l'absolu est l'objet d'un
débat, les uns penchant vers le déterminisme, les autres vers le libre
arbitre. Mais il y a lieu d'examiner si la conciliation de cette antinomie
n'est pas proposée par Nitzsch [System, § 61), qui considère l'absolu
comme suprême amour, l'amour étant tout ensemble le bien souverain
et la souveraine spontanéité. Du moins, par cette solution, l'idée philo-
sophique de l'absolu se trouve identifiée avec l'idée religieuse de Dieu,
tandis que Platon, saint Anselme, Descartes ne les ont rapprochées que
d'une manière imparfaite, de sorte qu'on a pu leur reprocher d'avoir
enseigné deux premiers principes. — Voy. Colani, Essai sw* l'idée de
V absolu, 1847. A. Matter.
ABSOLUTION. Les canonistes distinguent plusieurs genres d'abso-
lution dont les principaux sont : 1° l'absolution sacramentelle ou
la rémission des péchés faite par le prêtre au nom de Jésus-Christ
dans le sacrement de la pénitence (voy. cet article) ; 2° l'absolution
des censures ou des peines dont l'Eglise punit certains péchés ;
3° l'absolution de l'irrégularité ou de certains obstacles prévus par
l'Eglise qui empêchent de recevoir les ordres et d'en exercer les fonc-
tions.
ABSOUTE ou encensements et aspersions d'eau bénite qu'on fait
sur les corps qu'on enterre ou sur la représentation d'un mort
pendant le service qui se célèbre pour le repos de son âme. — Ce mot
désigae aussi la cérémonie qui se pratique dans l'Eglise romaine le
jeudi saint pour représenter l'absolution qu'on donnait aux pénitents
de la primitive Eglise en ce jour, nommé pour cette raison le jeudi
absolu.
ABSTEMES, du latin abstinere. On désigne sous ce nom les personnes
qui, ayant une répugnance invincible pour le vin, ne communient que
sous la seule espèce du pain. Les abstèmes ne peuvent être admis aux
ordres sacrés, le vin étant nécessaire à la célébration de la messe.
Le XXVIe synode réformé de Charenton décida que les abstèmes pou-
ABSTÈMES — ABYSSIN1E 37
vaient être admis à la cène pourvu qu'ils touchassent seulement la
coupe du bout des lèvres : tolérance qui fut vivement reprochée aux
calvinistes par les luthériens.
ABSTINENCE. Les moralistes recommandent cette vertu, en la pré-
sentant comme le côté négatif de l'ascétisme. Elle consiste à renon-
cer librement, par amour pour Dieu, à tout ce qui est contraire à
sa volonté, en particulier aux convoitises de la chair « qui font la guerre
à l'âme » (1 Pierre II, il). Parmi les instincts inférieurs de notre na-
ture qui empêchent le triomphe de l'esprit, ils désignent celui de la nour-
riture, celui de la génération et celui de la paresse (Nomb. VI, 2, 3 ;
Tob. VI, 19, etc.). L'abstinence est aussi prescrite comme un moyen
utile pour favoriser le recueillement, la prière et la lutte contre les
tentations (Matth. XXVI, 41; 1 Cor. VII, 5; IX, 25; 1 Pierre IV, 7), ou
pour prévenir le scandale que nous pourrions donner aux faibles
1 Cor. VI, 12; X, 23). L'Eglise catholique, en opposition avec le jeûne
qu'elle définit l'abstention complète de toute nourriture, a réservé le
terme d'abstinence [semijejunium) à la privation de la chair. Depuis les
Encratites [abstinentes) du deuxième siècle jusqu'aux teatotallers (tea-
total, rien que du thé) et aux sociétés de tempérance modernes, il s'est
toujours trouvé des chrétiens qui, soit individuellement soit collecti-
vement, ont fait porter le principe de l'abstinence sur tels ou tels
usages jugés, suivant les temps et les pays, particulièrement funestes
au développement de la vie chrétienne. Aujourd'hui, presque tous les
moralistes reconnaissent qu'une satisfaction bien réglée de nos instincts
naturels, un usage modéré et reconnaissant des biens d'ici-bas (1 Cor. III,
21, 22 ; 1 Tim. IV, 4) est plus conforme aux principes de l'Evangile et à
la réalisation de l'idéal chrétien que l'abstinence prise dans le sens ec-
clésiastique de ce mot.
ABYSSINIE (Religion de l'ancienne). Voyez Ethiopie.
ABYSSINIE (Eglise d'). Ce fut seulement vers le milieu du quatrième
siècle que le christianisme pénétra dans cette partie de l'ancienne Ethio-
pie, connue sous le nom d'Abyssinie ou de Habesch. Il n'y a rien de
vrai dans la tradition d'après laquelle les Abyssiniens seraient venus au
christianisme par l'intermédiaire du judaïsme. Ce qui a pu donner lieu
à cette croyance, ce sont les rapports fréquents qu'ils soutenaient de-
puis longtemps avec les Juifs et la pratique de certaines coutumes
telles que la circoncision ; mais la circoncision n'était pas particulière
au peuple d'Israël, elle se rencontrait aussi chez les autres peuples de
L'Egypte et de l'Arabie. On ne saurait davantage accorder une grande
valeur à cette autre tradition, qui s'appuyant sur le récit de la conver-
sion de l'eunuque éthiopien par le diacre Philippe (Actes VIII, 26-40)
voudrait attribuer à l'Eglise d'Abyssinie une origine apostolique. Il
d est dit d'ailleurs nulle part que cet ennuque fût originaire d'Abyssi-
nie. À défaut de renseignements précis, on peut du moins s'en tenir à
ce que raconte Kufin {Eût. eccl, I, 5, 9) et à ce que répètent après lui
Théodoret, Socrate et Sozomène. Vers l'an 330, sous le règne de Con-
Btantin, un philosophe païen nommé Métrodox , après avoir accompli
heureusement plusieurs voyages de découvertes, revint à Tyr, et ses
38 ABYSSINIB
récits excitèrent l'émulation d'un certain Merapius qui s'occupait vrai-
semblablement de commerce. Ce dernier, accompagné de son neveu
Frumentius et d'un autre jeune homme nommé GEdesius, entreprit à
son tour un voyage d'exploration; malheureusement il fut assailli
par un naufrage sur les côtes d'Ethiopie et il fut massacré ainsi que
l'équipage par les indigènes. Seuls, les deux jeunes gens furent épar-
gnés et conduits comme esclaves à Axum, capitale du pays; Fun fut
nommé gardien du trésor et l'autre échanson du roi. Ces dignités leur
furent conservées après la mort du monarque; ils profitèrent de leur in-
fluence pour introduire et propager la religion chrétienne à laquelle ils
appartenaient. GEdesius ne tarda pas à revenir à Tyr, mais Frumentius
alla demander au patriarche d'Alexandrie qui était alors Athanase, la
prêtrise et l'épiscopat. Pour lui donner une autorité plus grande, Atha-
nase lui conféra le titre de patriarche d'Abyssinie. Le nouveau roi et
son frère se laissèrent convertir et baptiser par Frumentius et dès lors le
christianisme fit de rapides progrès. La nouvelle Eglise d'Abyssinie ve-
nait de se constituer dans un moment oii la chrétienté tout entière était
agitée par la controverse arienne, et elle reçut le contre-coup de ces agi-
tations. Athanase, le plus fameux champion de la doctrine qui avait
triomphé au concile deNicée, se trouvant à son tour parmi les vaincus,
et chassé, à diverses reprises, de sa ville épiscopale, fut remplacé pen-
dant quelque temps par un patriarche arien qui essaya, en vain, d'agir
par Frumentius. Depuis Frumentius, le patriarche ou abuna (notre
père) d'Abyssinie fut régulièrement choisi et consacré par le pa-
triarche d'Alexandrie ; seulement Y abuna ne possédait pas le pouvoir
d'un patriarche, il n'en avait que le rang. Il devait être étranger au
pays et n'avoir jamais plus de sept évêques sous sa juridiction. Les
successeurs de Frumentius furent des moines de la haute Egypte ; ils
introduisirent dans le pays la vie monastique et neuf d'entre eux sont
honorés encore aujourd'hui, comme des saints. L'Eglise d'Abyssinie
prit parti dans les querelles sur les deux natures du Christ, elle se
rattacha à la doctrine d'Eutychès et fut englobée par conséquent dans
les anathèmes que le concile œcuménique de Chalcédoine (451) lança
contre le patriarche d'Alexandrie Dioscure et ses partisans accusés d'hé-
résie monophysite. Retranchés en Egypte et en Ethiopie, comme dans
une forteresse inexpugnable, les monophysites se séparèrent de plus en
plus du reste de la chrétienté. La conquête arabe rendit ce schisme
irrévocable, et ainsi se constitua ce que l'on appelle X Eglise copte. —
Aujourd'hui encore, l'Eglise d'Abyssinie a conservé son autonomie
ecclésiastique et possède son organisation particulière. Les églises
abyssiniennes n'ont rien de remarquable en fait d'architecture; elles
se trouvent en général situées sur les hauteurs et sont de forme
circulaire avec un dôme de chaume surmonté d'une croix de laiton ;
les murs sont peints en blanc et percés de quatre portes qui re-
gardent les quatre points cardinaux. A l'intérieur les parois sont dé-
corées de mauvaises peintures représentant la Vierge, les saints, les
anges et le diable. Les sculptures sont interdites. Un vestibule ou
parvis est destiné aux laïques ; puis viennent comme dans le temple
ABYSSINIE 39
juif le lieu saint et le lieu très-saint. On retrouve d'ailleurs dans
l'Eglise d'Abyssinie beaucoup d'usages juifs ; ainsi, outre la circon-
cision, la célébration du sabbat, l'interdiction de certaines viandes,
les jeûnes, l'arche d'alliance, etc. Nous avons vu qu'on peut expliquer
cela par les rapports anciens et fréquents des Abyssiniens avec les
juifs ; on pourrait ajouter que l'emploi presque constant de l'Ancien
Testament dans la liturgie et dans le chant a contribué à produire et à
entretenir ces imitations. Les deux sacrements chrétiens, le baptême et
la sainte Gène, sont célébrés dans l'Eglise d'Abyssinie. Le baptême est
administré ordinairement après la circoncision. La cérémonie consiste
en prière, exorcisme, immersion, bénédiction, présentation du nou-
veau-né aux quatre coins de l'horizon, insufflation, imposition des
mains, onction avec de l'huile consacrée. C'est la formule de Nicée qui
fait le fond de la liturgie dont on se sert à cette occasion. Quant à la
sainte Gène, elle est célébrée sous les deux espèces, avec du pain levé,
cuit dans l'église même; les prêtres communient tous les jours; les
simples fidèles à époques indéterminées. La confession existe; mais
on n'y participe qu'après l'âge de vingt-cinq ans. Avant cet âge on est
considéré comme innocent ou tout au moins comme un pécheur de
peu d'importance. A. Gary.
ABYSSINIE (Statistique religieuse). Population. On a évalué très-
diversement la population de l'Abyssinie. Les voyageurs du commence-
ment de ce siècle parlent de 4 à 6,000,000 de chrétiens abyssins, sans
compter les autres éléments. Les relations plus récentes se contentent
de chiffres beaucoup plus modestes. G. Rohlfs, par exemple, évalue la
population totale du pays à 1,600,000 âmes, d'accord en cela avec
Rùppel. Les calculs de Behm et Wagner, qui nous semblent les plus
probables, admettent pour le pays 3,000,000 d'habitants. Le plus grand
nombre est d'origine éthiopienne ; il y a aussi des Arabes, des Turcs, des
nègres (Gallas et autres) et beaucoup de Juifs. Formant autrefois un
empire dont le souverain s'appelait négus (roi) , le pays passe depuis
longtemps par de fréquentes révolutions qui en détruisent et en réta-
blissent alternativement l'unité. Les conquêtes des Egyptiens dans la
vallée du Haut-Nil en 4875 et 1876 ont modifié les frontières et les divi-
sions intérieures de la contrée, de telle sorte qu'on ne peut à l'heure
actuelle en parler avec certitude. — Divisions religieuses. La grande
majorité de la population appartient à l'Eglise d'Abyssinie; les mission-
naires catholiques et protestants ont réuni autour d'eux quelques rares
adhérents; les Juifs y forment un groupe puissant et nombreux; on
trouve encore dans le pays des mahométans et quelques païens. Nous
allons passer en revue ces diverses dénominations. 1<> L 'Eglise d Abys-
sine. La constitution est épiscopale. Son chef ou abîma (notre père)
réside ci Gendar. Pour éviter que son influence soit trop grande, on le
prend toujours parmi les étrangers. C'est généralement un moine copte ;
le patriarche d'Alexandrie jouit du privilège de le confirmer et de le
consacrer. L'abuna seul a le pouvoir de consacrer ; il le fait en soufflant
sur le candidat et en le marquant du signe de la croix. Le casuel qu'il tire
de ces consécrations forme le meilleur de son revenu ; il jouit en outre de
40 ABYSSINIE
quelques terres de médiocre étendue. Les subordonnés de Vabuna sont
a) les évêques et le clergé séculier, b) les docteurs et c) les moines. Les évo-
ques sont nommés par le souverain qui exerce, du reste, une influence
prépondérante sur toute l'administration ecclésiastique. Les prêtres
sont nombreux, mais fort ignorants; ils appartiennent généralement à
la classe inférieure de la population. Ils n'ont ni costume particulier,
ni privilèges spéciaux; leur distinction est, lorsqu'ils sortent, de porter
à la main une croix qu'ils donnent à baiser à ceux qu'ils rencontrent.
Une fois consacrés le mariage leur est interdit ; mais les unions con-
clues auparavant continuent à subsister. Ils ne reçoivent pas de traite-
ment et vivent dû produit de l'absolution et des funérailles. Ils sont pris
parmi les diacres et achètent leur consécration de Vabuna moyen-
nant deux sacs de sel. Les diacres en fonctions sont presque tous des
enfants ; mais il y en a un très-grand nombre d'autres ; car quiconque
sait lire et peut réciter le symbole de Nicée devient diacre de plein
droit. Au dernier degré de la hiérarchie on retrouve l'emploi de portier
emprunté aux anciennes Eglises. Gomme il est interdit à beaucoup de
personnes de pénétrer dans les temples, cette modeste fonction a conservé
sa raison d'être. A chaque Eglise est attaché de plus un administrateur
laïque de ses biens dont les attributions rappellent assez celles des patrons
dans quelques Etats de l'Europe. En dehors du clergé proprement dit, il
faut encore signaler les docteurs ou théologiens, gardiens de la science
et de la tradition. Leur subtilité dans la discussion est fort grande;
mais, si l'on en excepte la doctrine de la nature du Christ, leur savoir
est fort peu de chose. Les moines sont fort nombreux en Abyssinie. Ils
y forment deux ordres distincts. Le plus important, celui de Sainte-
Thècle, compte un grand nombre de couvents, dont quelques-uns fort
riches, et habités par des moines célibataires. Le chef de l'ordre, qu'on
appelle étchégué, réside à Bergameda et est après Vabuna le premier
personnage religieux du pays. Le second ordre monastique est celui
de Saint-Eustase. Les religieux qui le composent n'ont point de cou-
vents. Ils vivent, chacun avec sa famille, dans des huttes groupées au-
tour de leurs églises. Ils possèdent et héritent comme les autres
citoyens et laissent leurs biens à leurs enfants. Chaque groupe de
huttes est gouverné par un abbé. Celui de Mahela-Selesse est nomina-
lement le chef de l'ordre; mais en fait son pouvoir est fort restreint. Il
y a également des religieuses ; mais elles sont beaucoup moins nom-
breuses que les moines. — 2° Les catholiques romains sont très-peu
nombreux en Abyssinie. Ils avaient été les maîtres pendant quelques
années au dix-huitième siècle dans le beau temps de la puissance por-
tugaise. Le jésuite Alph. Mendès avait même revêtu de 1626 à 1632
la dignité à'abuna, mais une réaction du sentiment national entraîna
l'expulsion complète des catholiques. Ils ne sont revenus que vers le
milieu de ce siècle. Depuis 1847, l'Abyssinie forme dans la hiérarchie
romaine un diocèse que gouverne un vicaire apostolique. — 3° Le pro-
testantisme n'y a sérieusement travaillé que depuis 1830. La mission de
l'Eglise d'Angleterre, l'établissement de Crischona près de Baie et la
Société des Missions suédoises, y ont eu et y ont encore des établisse-
ABYSSINIE — AGACE 41
ments. Mais catholiques et protestants indigènes ne sont encore qu'une
imperceptible minorité. — 4° Les Juifs forment en Abyssinie une portion
considérable de la population. Leur nombre, fort exagéré autrefois, peut
être évalué à environ 250,000. Ils sont établis dans le pays depuis fort
longtemps, probablement depuis les conquêtes d'Alexandre. Les uns
vivent dispersés dans la contrée; les autres, réunis en corps de nation
dans les montagnes de Samen, se donnent à eux-mêmes le nom de
Falackas (exilés). Un prince de leur race les gouverne, et pendant un
temps, ils ont même dominé l'Abyssinie entière. — 5° Les mahométans
ei les païens sont peu nombreux, et pour la plupart étrangers. Mais, à
en croire certains voyageurs, l'islamisme serait en progrès dans le pays
et les succès de l'Egypte dans la dernière guerre ne peuvent malheu-
reusement qu'accélérer ce mouvement. — Bibliographie : Voyages de
Sait, Rùppel, Rohlfs, d'Abbadie, etc. Statistiques et journaux ecclésias-
tiques et géographiques divers. E. Vaucher.
ACACE (Acacius), dit le Borgne, disciple d'Eusèbe, succéda en 340 à son
maître sur le siège de Gésarée. Il fut un des principaux représentants de
l'arianisme strict. Condamné par le synode de Sardique (347) et déposé
de sa charge, il fut encore une fois destitué par le synode semi-arien de
Séleucie, en 359. Mais à cette occasion il se trouva en désaccord avec
les plus ardents de son parti; il avait été amené à reconnaître une cer-
taine ressemblance du Fils avec le Père quant à la volonté, tandis que
les anoméens (c'était ainsi que l'on appelait les ariens purs) soute-
naient que le Christ n'est pas même semblable à son Père. Les aca-
ciens déclarèrent à ce synode : « Nous rejetons le mot consubstantiel
comme étranger à l'Ecriture, et nous maudissons celui de dissemblable »
(to àvo^G'.ov. Epiph., Hser., 73, 23-25). En 363, dans un synode
qu'il tint à Antioche avec Mélèce, évêque de cette ville, et vingt-cinq
autres évêques, l'intrigant Acacius alla jusqu'à signer le symbole de
Nicée; néanmoins, dans une lettre synodale adressée à l'empereur
Jovien (Socrate, III, 25; Sozom., VI, 4>)} les évêques interprétèrent le
terme de homoousios ou consubstantiel par celui-ci: semblable en essence
(ojxo'.o; vm ous(av). Acacius mourut la même année. Il avait su assurer
à l'arianisme une puissante influence sur la cour impériale. Il a écrit,
parmi plusieurs ouvrages perdus, une vie d'Eusèbe son maître (Socr., II,
4, 39 ss. ; Sozom., IV, 23 ss. ; Théodoret, II, 8; Philostorge, IV, p. 496,
éd. Vales).
ACACE, ermite, puis à partir de 378 évêque de Bérée en Syrie, siégea
en 430 au synode du Chêne parmi les ennemis de Chrysostôme. Il avait
compté, comme tous les moines, parmi les plus ardents défenseurs de
la doctrine de Nicée. Homme vénéré pour son grand âge et pour son
caractère, il voulut, dans la querelle du nestorianisme, s'employer à
rétablir la paix, et ne sut que s'enrôler, à l'âge de cept dix ans, dans
le parti antiochien, opposé à Cyrille d'Alexandrie. Il reprit pourtant
son indépendance et se réconcilia avec Cyrille. Voy. Sozom., VII, 28;
Théodoret, IV, 27 ss.; Mansi, V, pass.
ACACE, patriarche de Constantinople depuis l'an 471, fut un défenseur
énergique de la doctrine de Ghalcédoine; il condamna, dans un synode
42 AGACE - ACADEMIES
tenu à Constantinople en 478, le monophysite [Pierre le Foulon, pa-
lliai ehe d'Antioche (Mansi, VII, e. 995 ss. et 4121). Mais ayant voulu
jouer le rôle de nioyenneur, il crut pouvoir engager l'empereur Zenon
à publier (482) l'édit de réconciliation qu'il appela Hénotikon, et dont
les monophysites se montrèrent encore moins irrités que le pape
Félix III. Ceiui-ci, dans un synode romain de 482, excommunia Acacius,
convaincu d'avoir aidé l'empereur à corrompre les légats du pape
(Mansi, VII, c. 1053 ss. 1108). La lutte violente soulevée par cette con-
damnation, et le schisme qui en fut la suite, ne cessèrent pas avec la
mort d'Acacius, arrivée en 483. Ce ne fut qu'en 519 que la cour de
Constantinople consentit à effacer le nom d'Acacius des diptyques de
l'Eglise et à rentrer à ce prix en communion avec l'Eglise romaine.
Voy. Evagrius, II, 11, III, 7, 9, 17 ss., et dissertation du P. Valois de
Acacio dans l'appendice à son édition de YHisl. eccl. d'Evagrius.
S. Berger.
ACADÉMIES des Eglises réformées de France (1561-1685). Les Eglises
réformées de France étaient à peine organisées qu'elles sentirent la né-
cessité de fonder des universités, ou, comme on les appelait alors, des
académies. Leurs futurs conducteurs spirituels ne pouvaient se préparer
à l'exercice du ministère évangélique que dans des écoles leur apparte-
nant en propre. Quelques jeunes gens allaient, il est vrai, faire des étu-
des de théologie dans des universités étrangères, principalement à Ge-
nève ; mais il aurait fallu y en entretenir un bien plus grand nombre, et
on ne le pouvait pas. Il convenait d'ailleurs que ces Eglises eussent en
elles-mêmes tout ce qui était indispensable à leur propre existence et
que leurs futurs pasteurs fussent élevés sous leurs yeux et sous leur
direction. D'un autre côté, il était utile de soustraire la jeunesse réfor-
mée qui se destinait aux professions libérales ou qui aspirait à une édu-
cation supérieure à celle qu'on rapportait des collèges, à l'influence du
clergé catholique qui était toute-puissante dans les universités établies
dans le royaume. Il fallait donc que dans les écoles réformées de hautes
études, on enseignât, en outre de la théologie, qui naturellement devait
en être la partie principale et essentielle, les lettres, les sciences, la
philosophie, la jurisprudence et la médecine. Des difficultés sans nom-
or e paraissaient rendre impossible la réalisation d'un semblable projet.
Il réussit cependant. Dans l'espace d'un demi-siècle, les réformés fran-
çais établirent huit académies ; deux d'entre elles, il est vrai, disparu-
rent, l'une en 1617 et l'autre en 1620; mais les six autres vécurent en-
core longtemps. C'était plus que les besoins des Eglises réformées de
France le demandaient ; dans quelques synodes nationaux on proposa
d'en réduire le nombre (Ayrnon, Synodes nation., t, I, p. 315 ; t. II,
p. 26) ; mais cette proposition fut toujours repoussée. L'enseignement
ne fut pas dans toutes aussi complet qu'on l'avait d'abord désiré ; mais
il n'y en eut aucune dans laquelle on ne fût en état de préparer conve-
nablement les étudiants au grade de maître ès-arts et au ministère évan-
gélique ; c'était là l'important ; le reste, je veux dire l'enseignement de
la jurisprudence et de la médecine, n'était qu'une affaire de luxe. Voici
le tableau de ces huit académies avec la date de leur fondation et celle
ACADÉMIES 43
de leur suppression : 1° Nîmes, fondée par le consistoire et le corps
municipal de cette ville en août 1561, supprimée en avril i664 (Bulletin,
II, 543-549, et III, 43-53 ; Hist. de l Eglise réformée de Nîmes, par
A. Borel, 2e édit., 1856, in- 12). 2° Orthès, fondée par Jeanne d'Albret en
1566, supprimée en 1620 [Bulletin, III, 280-292). 3° Orange, fondée
par Ludovic, comte de Nassau, en 1573. Cette principauté étant encore
indépendante en 1685, cette académie ne fut pas supprimée ; mais elle
s'éteignit bien lot après. 4° Sedan, fondée par Henri-Robert de La Mark
en 1573, el supprimée le 9 juillet 1681. 5° L'académie ^Montpellier fon-
dée par le consistoire de cette ville en 1596, et réunie à celle de Nîmes
en 1627 par le s5rnode national de Vitré (Aymon, Synodes nation., II, 122
ci 123). 6° Montauban, fondée en mai 1598 par le synode national de
Montpellier, transportée à Puylaurens en 1660 et supprimée le 5 mars
1685 {Bulletin, VI, 342-355 et 364-366, IX, 394-408. L'académie protest,
de Montauban, discours par Nicolas, 1872, in-8°). 7° Saumur, fondée
en même temps que la précédente, par le synode national de Montpel-
lier et supprimée le 8 janvier 1685 {Bulletin, I, 302-316). 8° Die, fondée
par le synode provincial du Dauphiné en octobre 1604, avec l'autorisa-
tion du roi, et supprimée le 11 septembre 1684 {Bulletin, V, 179-188,
et 299-308 ; Histoire de Yacad. protestante de Die, par E. Arnaud, 1872,
in-8°) . Toutes ces académies avaient à peu près la même organisation. On
prit en général l'académie de Genève pour modèle. Pour la connaître
dans ses traits essentiels, on peut avoir recours aux « Règlements
de 1600 pour l'académie de Montauban, » publiés dans le Bulletin,
IX, 394-408, aux « Statuts généraux faits au synode national d'Alais
en 1620 pour les académies des Eglises réformées de France » (Aymon,
Synodes nation., 11,209-212), et aux règlements faits au synode provincial
de Saverdun en 1678, pour l'académie transférée à Puylaurens en 1660
{Recueil des règlements faits par les synodes provinc. du Haut- Languedoc
et Haute-Guyenne, par A. Pujol, Castres, 1679, pet, in-8°, p. 121-135).
On pourrait aussi consulter avec fruit les règlements rédigés par Jean de
Serres en 1581 pour l'académie de Nîmes, publiés par Ménard dans son
Histoire de Nîmes, t. V. Preuves, p. 158 et suiv. Chaque académie se
gouvernait et s'administrait librement elle-même, d'après les règlements
qui la régissaient, et sous le contrôle des synodes nationaux aussi long-
temps qu'ils existèrent, et ensuite (1660-1685) sous celui du synode de
la province dans laquelle elle résidait. Elle nommait elle-même son
recteur ; elle présentait la liste des candidats aux chaires vacantes, et
par conséquent elle se recrutait en réalité elle-même; elle disposait
comme elle l'entendait des legs qui lui étaient faits, sans avoir à en
rendre compte à personne, etc., etc. Ni les synodes nationaux, ni les sy-
nodes provinciaux n'eurent jamais à signaler le moindre inconvénient
dans ce système de liberté. — Jusques en 1630, on ne remarque aucune
différence dans l'enseignement des différentes académies. La doctrine
calviniste dans toute sa rigueur y dominait également, et la controverse
avec l'Eglise catholique y était la grande préoccupation des esprits. Les
choses changèrent quelque peu de face bientôt après. La controverse
continua bien jusqu'à la fin à occuper une place considérable dans les
44 ACADÉMIES
leçons et dans les thèses des professeurs, dans les unes comme dans les
autres sans exception ; c'était un effet inévitable de la position des ré-
formés en France ; mais cette préoccupation s'associa, se subordonna
peut-être même à une autre, et les académies qui avaient jusqu'alors
vécu en bonne intelligence, commencèrent, sinon à se diviser, du moins
à se distinguer les unes des autres par des tendances dogmatiques quel-
que peu différentes. A Saumur, Caméron d'abord et après lui ses disci-
ples, Moïse Amyraut, Louis Gappel et Josué de la Place essayèrent, pour
la première fois en France, d'adoucir les aspérités de la théologie de
Calvin, et ce fut dans cette voie que marchèrent en général ceux qui
leur succédèrent dans les chaires de cette académie, entre autres Etienne
Gaussen (1655-1675) qui remplaça Josué de la Place. Cet essai souleva
une vive opposition à Sedan. Pierre Dumoulin (1626-1658) en particulier
n'eut pas assez d'anathèmes non-seulement pour les innovations salmu-
riennes, mais encore pour les hommes qui les avaient proposées. Samuel
Desmarets (1625-1632) ne fut pas un moins ardent défenseur du calvi-
nisme ; il est vrai que ce fut surtout en Hollande et contre les armi-
niens qu'il se laissa entraîner à une polémique ardente ; mais cet esprit
avait dû certainement se montrer dans son enseignement à Sedan. On
sait enfin avec quelle vivacité Pierre Jurieu, soit à Sedan (1674-1681),
soit plus tard en Hollande, s'éleva contre tout ce qui lui paraissait por-
ter la moindre atteinte à des doctrines devenues en quelque sorte tradi-
tionnelles dans la Réforme. A Montauban, on ne se rangea pas du côté
des nouveautés des professeurs de Saumur ; mais on n'eut pas pour elle
cette indignation et ces colères qui éclatèrent à Sedan. Ant. Garissoles
écrivit un gros volume contre la doctrine de Josué de la Place sur l'im-
putation du péché d'Adam, mais sans se permettre la moindre récrimi-
nation contre ce théologien, sans même le nommer, et comme s'il se
fût agi d'une doctrine anonyme, il y a plus, en passant sous silence ou
en adoucissant ce qu'il y a d'âpre ou de dur dans le système de Calvin.
Cette modération théologique, et si l'on peut ainsi dire, ce calvinisme
adouci se retrouvent, peut-être encore plus prononcés, dans les écrits de
Verdier (1645-1666), de Théophile Arbussy (1674-1682), d'Antoine Pé-
rès (1660-1685). Cette tendance théologique moyenne était bien certai-
nement celle de la grande majorité des Eglises réformées de France au
dix-septième siècle. C'est du moins ce qu'on est autorisé de conclure de
la modération que montra en 1637 le synode national d'Alençon dans
l'affaire de Testard et d'Amyraut (Aymon, Synodes nation., II, 571-576),
et du regret que manifesta en 1641 le synode national de Charenton de
voir continuer des discussions qu'il faudrait « ensevelir dans un perpé-
tuel oubli » (Aymon, Ibid., II, 663). L'académie de Nîmes suivit la
même voie que celle de Montauban ; elle refusa d'entrer dans la lutte,
et un synode du bas Languedoc, tenu en 1654 à Montpellier, jugea dan-
gereux d'agiter les questions irritantes qui se débattaient entre Saumur
et Sedan, et fit tous ses efforts pour étouffer les divisions qu'elles
avaient provoquées (Bulletin, X, 43-49). C'est dans cette théologie de
modération que l'enseignement de l'académie de Die paraît s'être tou-
jours maintenu. Etienne Blanc (1616-1650) avait pris part au rapport
ACADÉMIES - ACCOMMODATION 45
faii au synode nationa d'Alençon sur Tes tard et Amyraut, et ce rap-
port avait conclu à un arrangement amiable dans cette affaire. Les au-
tres professeurs de cette académie semblent avoir été animés de senti-
ments semblables. On sait du reste qu'à Die on mettait la piété et la
pratique des vertus chrétiennes au-dessus des abstractions sèches et
arides d'une théologie SCOlastique. Michel Nicolas.
ACCEPTANTS. On désigne sous ce nom ceux des jansénistes qui accep-
tèrent, sans réserve aucune, la bulle Unigenitus, lancée en 1713, par
Clément XI contre les doctrines de Jansénius et du Père Quesnel, en op-
position avec les Appelants qui déclarèrent faire dépendre leur accepta-
tion de la décision d'un concile œcuménique auquel ils en appelèrent
(voy. Jansénisme).
ACCOMMODATION. Dire que Dieu s'est révélé à l'homme, c'est dire
qu'il s'est mis à la portée de sa créature, et s'est accommodé à sa faiblesse
tout .ensemble intellectuelle et morale. De là à supposer que les organes
de la révélation divine ont fait des concessions aux préjugés de leur
époque, et, par condescendance, ont mêlé dans leurs enseignements
l'erreur avec la vérité, le passage est facile. On voit se produire chez les
Pères avec plus ou moins de hardiesse l'idée d'une accommodation de ce
genre. (V. Reinhard F.-V. : Utrum et quando possint oratores divini in
administrando suo munere demittere sese ad varias hominum opiniones.
Viteb., 1782. Réimprimé dans ses Opuscula Academica, vol. I, p. 475-
525. Carus Fr.-A. : Historia antiquior sententiarum ecclesise grsecx
de accommodatione Christo imprimis et apostolis tributa. Lips., 1793).
Mais c'est surtout dans la seconde moitié du dix-huitième siècle
que cette supposition a été formulée en théorie, et a commencé à
jouer un rôle considérable dans l'interprétation du Nouveau Testa-
ment. L'exégèse dite historique florissait. On ne croyait pas pouvoir
donner aux paroles de Jésus-Christ un sens qui dépassât celui qu'elles
auraient eu dans la bouche de tel autre docteur de son temps. Ainsi
compris, l'enseignement de Jésus-Christ présentait souvent des doctrines
qu'il ne semblait pas facile de justifier aux yeux de la raison. On levait
la difficulté en supposant que Jésus-Christ avait alors accommodé son
langage aux croyances erronées de ses auditeurs, comme fait un
maître prudent avec les enfants qu'il doit former. Restait à prouver que
la doctrine choquante avait été professée chez les Juifs, à quoi l'on pou-
vait toujours réussir dans une certaine mesure, en ramassant tout ce
qui y ressemblait plus ou moins dans Josèphe ou Philon, dans les Tar-
gums, dans le Talmud, etc. Semler auquel on a rattaché la théorie de
l'accommodation, en ce point comme en plusieurs autres, n'inventa pas
mais appliqua en grand et vulgarisa. Ce fut à propos des démoniaques
qu'il fit son premier emploi et son premier exposé de l'accommodation,
déjà essayée par d'autres [Diss. de Dxmoniacis quorum in Evangelio fit
mentio Halle, 1760. Umstsendliche Untersucliung der dsemonischen
Leute. Halle, 1762. Vorrede und Anhang zu dem Versuch einer bibli-
schen Dsemonologie. Halle, 1776. Farmer, Briefe an D. Worthington
«h. d. J);r/inonischen in der Evangelien mit Zusxtzen und einer Vorrede
den Begri/f der Inspiration zu bessern) . Depuis il usa largement du procédé.
46 ACCOMMODATION
Tous ceux. qui voulaient se débarrasser d'un enseignement biblique gê-
nant) sans rompre avec l'inspiration et l'autorité de l'Ecriture, se saisirent
avec empressement d'un moyen si facile de tout concilier, M cVsl ainsi
qu'on se mit à l'aise avec l'enseignement de Jésus-Christ ou de ses
apôtres sur sa dignité messianique, sur la résurrection et le jugement
dernier, sur l'expiation, sur le premier et le second Adam, sur l'autorité
de l'Ecriture, etc. Cette herméneutique ne fut pas sans rencontrer de l'op-
position. Dès le commencement, le chef de l'ancienne école de Tu-
bingue, Storr (né en 1746, mort en 1805), dans sa Dissert, de sensu histo-
rico et dans la préface de sa Dogmatique fit ressortir ce que l'accommo-
dation ainsi entendue avait de contraire à une interprétation véritable-
ment historique. Un débat assez vif s'engagea, qui se poursuivit jusque
dans les premières années de notre siècle. On peut voir en Bretschnei-
der (System. Entwickelung aller in der Dogm. vorkomm. Begriffe. 1819,
p. 138-1 M), l'indication de la plupart des ouvrages qui furent le fruit de
cette controverse. — On est loin aujourd'hui d'un tel débat : le point de
vue général a changé. On croirait plus facilement les auteurs sacrés capa-
bles de s'être trompés avec les hommes de leur temps que d'avoir voulu
les tromper pour les gagner : on a plus de respect pour leur caractère
et moins de confiance en leur absolue infaillibilité. L'accommodation
n'est pas absolument niée, mais elle ne joue plus qu'un rôle secondaire
et fort extérieur. On admet qu'il peut y avoir accommodation dans la
forme, c'est-à-dire que les auteurs sacrés ont-pu se servir d'expressions
ou de façons d'argumenter dont ils sentaient l'insuffisance, mais qui,
contenant dans leur imperfection une portion de vérité, étant familières
à leurs contemporains, devaient mettre à la portée de ceux-ci la doc-
trine nouvelle (Gai. III, 15 et ailleurs). Encore estime-t-on que dans
bon nombre de cas, les auteurs sacrés ont employé ces formes de lan-
gage ou de démonstration, simplement parce que ces formes, étant
celles de leur époque et de leur milieu, étaient par là même celles de
leur propre esprit. On admet des cas d'accommodation négative; les
auteurs sacrés n'ont pas attaqué de front et à la fois toutes les erreurs,
pas plus qu'ils n'ont exposé du premier coup la vérité tout entière. Ils
ont procédé par degrés, par méthode pédagogique (1 Cor. III, 1-2;
Hébi\ X, 11-14, etc.). Encore peut-on souvent supposer que, n'ayant
reçu pour leur propre compte la vérité que d'une manière graduelle
et successive, ils l'ont enseignée nécessairement de même façon aux
autres. On rejette toute accommodation positive. Personne n'admet au-
jourd'hui que Jésus-Christ ou ses apôtres aient jamais enseigné, pour se
faire mieux écouter, des doctrines qui étaient à leurs yeux des erreurs.
Une telle accommodation est contraire au sens manifeste des textes, et
par-dessus tout au caractère moral de Jésus-Christ et de ses disciples*
Descendre sur le terrain où se trouvent le juif et le païen pour les élever
jusqu'à Christ (1 Cor. IX, 20) ; laisser à la vérité le soin de dissiper, en
se développant, les erreurs régnantes (Matth.XIII, 33); ne présenter de
cette vérité que la part qui peut en être comprise et reçue (Jean XVI, 2 ;
Matth. XI, 6) : ce n'est point la même chose que de donner à dessein pour
vrai ce qu'on tient pour faux. Quand on la porte ainsi jusqu'à Une adhésion
ACCOMMODATION — ACHAB M
positive à l'erreur, l'accommodation va à fin contraire de son but qui est
de faire recevoir la vérité ; elle devient une simple question de morale, qui
doit être traitée dans le chapitre de la véracité, à l'article spécial du men-
songe dit officieux ou à bonne intention. On sait que les Jésuites, dans
leurs missions de la Chine et de l'Inde ont pratiqué l'accommodation
aux mœurs et aux croyances païennes, avec un tel excès qu'ils ont attiré
sur eux la condamnation du pape Benoît XIV. Toute leur casuistique
est, du reste, inspirée par la préoccupation de rendre la religion facile,
en accommodant ses exigences aux faiblesses de tous et au genre de
vie de chacun. On peut consulter pour les commencements histo-
riques de l'accommodation : G.-W. Meyer, Gesch. der Exégèse, 1809,
vol. IV, p. 158-352; vol. V, p. 510 et passim ; quant à la ques-
tion de fond, pour: Cellérier, Manuel d'herméneutique, 1862, p. 318-
342; contre: S. Lutz, BibL Hermeneutik, 1861, p. 338-346.
Charles Bois.
ACÉMÈTES ('Axoipi-uoi, qui ne se couchent pas), moines qui se re-
layaient par bandes, afin de continuer leurs psalmodies pendant le jour
et pendant la nuit. On fait remonter la fondation de leur premier mo-
nastère à saint Alexandre, sur les bords de l'Euphrate, à la fin du qua-
trième siècle; ils s'établirent à Constantinople et en divers autres lieux,
jusqu'à ce qu'au milieu du sixième siècle ils furent compris dans la
condamnation qui frappa Nestorius et ses doctrines auxquelles ils
avaient adhéré. Le roi de Bourgogne, Sigismond, fonda, en 515, une
association semblable à Agaunum (assiduum chorum).
ACHAB [Akh'âb, 'A^aiê], fils et successeur d'Omri, régna vingt-
deux ans sur Israël (917-897). C'était un prince d'un caractère faible,
irrésolu, qui se laissa entièrement dominer par sa femme Jésabel, fille
d'un roi de Sidon et entièrement dévouée aux cultes de Baal et d'Aché-
rah. Grâce à la protection de la reine, les divinités phéniciennes eurent,
à Samarie, des prêtres et des autels. Les prophètes de Jéhova furent
persécutés; mais ceux-ci, soutenus par une partie du peuple, résistè-
rent, et la lutte fut vigoureusement engagée contre le roi infidèle par
le prophète Elie qui fit massacrer à la fois quatre cent cinquante prêtres
de Baal (1 Rois XVIII, 40). Le même prophète alla menacer Achab
jusque dans son palais de Jizreël, dont il avait agrandi les dépendances
en y joignant la vigne de Naboth (1 Rois XXI, 1-16). Le règne
d' Achab fut troublé également par plusieurs guerres. La première,
dont le livre des Rois ne fait pas mention, était dirigée contre Moab
(inscription de Mécha) ; mais la plus importante fut celle que soutint
le roi d'Israël contre Ben-Adad, roi de Syrie, et ses alliés; elle com-
prend trois campagnes : une première fois, Achab mit en fuite les
Syriens qui assiégeaient Samarie (1 Rois XX, 1-21) ; l'année suivante, il
battit de nouveau Ben-Adad, et le fit prisonnier, mais lui accorda la
vie sauve, malgré les injonctions des prophètes de Jéhova (XX, 26-34);
les hostilités recommencèrent trois ans après, et Achab, allié avec
Josaphat, roi deJuda, marcha contre Ramoth de Galaad; mais, confor-
mément à ce qu'avait annoncé le prophète Michée, il fut tué, son armée
battue, et son cadavre ramené à Samarie (XXII, 1-38). •
48 AGHAIE — AGHÉRY
ACHAIE ('A/ata), primitivement le district nord-ouest du Péloponèse,
au temps des apôtres une province romaine qui comprenait l'Hellade et
le Péloponèse (Actes XVIII, 12, 1G; XIX, 21 ; Rom. XV, 26; 1 Thess. I,
7, 8; 2 Cor. IX, 2). Les Romains avaient donné, dans le langage
administratif, ce nom à la Grèce, parce que c'est au moyen de
la ligue achéenne qu'ils avaient soumis les autres Grecs (Pausan., VII,
xvi, 7). L'Achaïe, province sénatoriale, était gouvernée par des pro-
consuls.
ACHARD (Antoine) (1696-1772), appartient à une famille de réformés
originaire de Die qui vint se réfugier à Genève, à la suite de la révoca-
tion de l'édit de Nantes. Achard fut appelé à Rerlin pour y succéder
comme pasteur à David Ancillon. Il fut nommé membre de l'Académie
royale des sciences, inspecteur du collège et directeur de l'hospice
français. Homme d'érudition et orateur éloquent, il a publié des Ser-
inons dont quelques-uns ont été traduits en allemand. Les Mémoires de
l'Académie de Rerlin contiennent de lui divers traités philosophiques et
entre autres le plan d'une nouvelle métaphysique, inséré dans le
volume de 1747. Son fils, Frédéric-Charles Achard (1754-1821), fut
un chimiste très -distingué. C'est aussi à cette famille, dont une
branche s'est fixée à Marseille vers 1820, qu'appartient le célèbre
romancier Amédée Achard (1814-1875). Voy. la France protest.,
2*éd.,I, p. 30.
ACHAZ [Akhâz, 'A^aaÇ], fils et successeur de Jotham, monta sur le
trône de Juda, à l'âge de vingt-cinq ans (2 Rois XVI, 2 : « 20 ans, »
le texte doit être corrigé d'après les LXX et la Péchito). Il régna seize
ans à Jérusalem (740-724) et favorisa les cultes étrangers (2 Rois XVI,
2-4). A l'époque de la mort de Jotham, Retzin, roi de Damas, et Pécah,
roi d'Israël, faisaient déjà la guerre au royaume de Juda. Ils vinrent
assiéger Achaz dans Jérusalem, sans doute pour le forcer de s'unir à
eux contre les Assyriens, et, s'il refusait, mettre un autre roi à sa place
(« le fils de Tabeel, » Esaïe VII, 6). Ils remportèrent de grands succès,
s'emparèrent d'une partie du pays et enlevèrent même aux Judéens le
port d'Elath, sur la mer Rouge, qu'ils rendirent aux Edomites.
(2 RoisXVI,6:lireEdômim au lieu de Arômîm.) Le prophète Esaïe
soutint le courage des assiégés en promettant une délivrance prochaine
(VII, VIII), mais il ne put empêcher Achaz d'acheter, au prix des trésors
du temple et du palais, le secours de Thiglat-Pileser, roi d'Assyrie, qui
vint conquérir plusieurs provinces du royaume d'Israël (voy. Pécah).
Le roi de Juda devint par suite une sorte de vassal des Assyriens et dut
aller jusqu'à Damas rendre ses hommages à Thiglat Pileser; là il vit
un autel qu'il fit copier pour remplacer l'ancien autel du temple de Jéru-
salem (2 Rois XVI, 10-16). Ces divers événements sont racontés par le
livres des Chroniques d'une manière assez différente (2Chron. XXVIII),
mais la relation du livre des Rois semble plus historique. Achaz mourut,
laissant le trône à Ezéchias.
ACHÉRY (dom Luc d'), savant bénédictin, né à Saint-Quentin en 1609,
mort à Paris en 1685, entra dans la congrégation de Saint-Maur et
exerça, pendant quarante-cinq ans, les fonctions de bibliothécaire de
AGHÉRY — ACOSTA 49
l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Egalement distingué par sa piété
sincère et modeste et par son zèle littéraire infatigable, il collectionna,
mit en ordre et publia un nombre considérable d'œuvres inédites, parmi
lesquelles des chroniques, des vies de saints, des traités ascétiques, des
actes, des chartes et des lettres d'un certain prix. On peut dire qu'il
dressa un inventaire de toutes les richesses littéraires disséminées dans
les diverses abbayes de son ordre. Parmi ses publications nous citerons
la lre édition deYFpitre de Barnabas (Paris, 1645, in-4°); les Œuvres
complètes de Lanfranc de Cantorbéry (1648, in-f°) ; celles de Guibert
de Nogent (1651, in-f°); le Spicilegium veterum aliquot scriptorum,
qui in Gallix Bibliothecis, maxime Benedictorum, supersunt (1655-1677,
13 vol. in-4°, réimprimé, augmenté et mis en ordre par J. de la Barre,
en 1724-, 3 vol. in-f°); les Acta Sancto?*um ordinis S. Benedicti, pour
lesquels d'Achéry fournit les matériaux et dont Mabillon s'attribua tout
le mérite.
ACHIS [Akîch, 'Ayyjç, 'Ay^ouç], roi philistin de Gath, chez lequel
David, fuyant devant Saùl, se réfugia par deux fois. Une première fois
(1 Sam. XXI, 11-16), David fut obligé de contrefaire le fou pour échapper
à la vengeance des Philistins ; il fut mieux reçu lors de son second séjour
chez Achis (1 Sam. XXVII, 2; XXVIII, 2; XXIX, 1-11), qui lui donna la
ville de Tsiklag, l'admit dans son armée et lui confia même la garde de
sa personne. Achis, sur la demande de ses officiers et malgré les pro-
testations de David, le renvoya pourtant à Tsiklag au début de la cam-
pagne contre Israël, où Saùl et Jonathan devaient trouver la mort. On
ne peut dire si le roi de Gath Achis, dont il est question 1 Rois II, 40,
est le même que le protecteur de David, lequel se trouve appelé Abi-
mélech Ps. XXXIV, 1.
ACHITOPHEL [Akhîtophèl, 'AxwfyeX], dont les conseils, à une
certaine époque, jouissaient auprès de David du même crédit que la
« parole de Dieu » (2 Sam. XVI, 23), ne resta pas fidèle à son maître
jusqu'à la fin : entraîné probablement dans le mouvement de réaction
provoqué par la politique intérieure de David, il se rangea du côté
d'Absalon (2 Sam. XV, 31) ; puis, voyant que ses conseils n'étaient pas
suivis et augurant mal du succès de l'entreprise, « il regagna sa maison,
mit ordre à ses affaires et s'étrangla » (2 Sam. XVII, 23).
ACOLYTES ('AkoXouSoç, celui qui suit, qui accompagne). Ce nom
désignait, à partir du troisième siècle, dans l'Eglise d'Occident, les
jeunes clercs dont l'office était de faire les messages des évêques et
d'aider au service de l'autel. Le Pontificale romanum règle ainsi ces
dernières fonctions : « Ceroferarium ferre, luminaria ecclesiœ accendere,
vinum et aquam ad Eucharistiam ministrare. » Aujourd'hui, l'exercice
de ces fonctions a presque partout passé aux mains des sacristains et
des enfants de chœur, c'est-à-dire des laïques, mais le nom d'acolyte
est resté pour désigner le premier des quatre ordres mineurs de
l'Eglise.
ACOSTA (Gabriel, puis Uriel), né à Porto, vers la fin du seizième
siècle, de parents chrétiens d'origine juive, étudia avec ardeur dans sa
jeunesse la théologie et la jurisprudence (il est aussi appelé Uriel
i. 4
50 AGOSTA — ACRE
jvrista). Animé dune piété fervente, il se livrait à toutes les pratiques
de la dévotion; niais bientôt saisi par le doute, il crut devoir retourner
à la religion de ses pèies. Il quitta le Portugal avec sa famille qu'il avait
convertie, changea son nom de baptême Gabriel en celui d'Uriel, et
vint demeurer a Amslerdam, où il fit profession publique de judaïsme.
Acosta ne tarda pas à découviir que le judaïsme moderne s'écartait en
bien des points de la loi mosaïque, exprima hautement ses doctrines
antirabbiniques et s'attira ainsi l'anathème de la synagogue. Il écrivit
alors un livre contre l'immortalité de l'âme, où il comparait les tradi-
tions pharisiennes avec la loi écrite (Examen tradùionum phar/'s.
Vmst., 1023). Cet ouvrage fut réfuté par le médecin Sam. de Silva et
valut à son auteur d'être condamné à la prison par les tribunaux d'Ams-
terdam. En butte pendant près de quinze ans à des persécutions de
toute nature, devenu indiffèrent au judaïsme aussi bien qu'au christia-
nisme, il se résigna, pour obtenir quelque tranquillité, à faire amende
honorable et à subir le châtiment que la synagogue voudrait lui impo-
ser. Il désavoua publiquement ses eireurs, et, dépouillé jusqu'à la cein-
ture, attache à une colonne, il fut battu de verges; puis on le coucha
sur le seuil de la synagogue et les membres de la communauté lui mar-
chèrent sur le corps. Acosta ne put supporter une telle humiliation, et,
à la suite d'une tentative de meurtre contre son cousin qui l'avait dé-
cidé à se soumettre, il se tua d'un coup de pistolet (1611). On trouva
dans ses papiers une sorte d'autobiographie intitulée : Exempta?' vilse
humanse, qui a été publiée par le théologien protestant Limborch à la
fin de son Arnica cdlatio cum erudito judaeo de veritate retigionis chris-
tianse (Gonda, 1687, in-4°).
ACRE (SAINT-JEAN-D') [/Akkô, "Av.yw, "Ay.vj, Ptolémaïs, sur les
pylônes de Karnak, Aaka], port situé sur le golfe qui est au nord du
Garmel et à l'entrée de la petite vallée du même nom. Cette place a
toujours été d'une importance capitale, parce quelle dominait la vallée
de Jizreel et était la clef de la route de Damas. Aussi les Hébreux n'ont-
ils jamais réussi à s'en emparer; elle est citée (Juges I, 31) parmi les
villes qui n'ont pu être prises par eux, puis il n'en est plus fait mention
dans l'Ancien Testament, si ce n'est peut-être Miehee I, 10. Akko a
toujours appartenu à la Phénieie, comme le prouvent ses monnaies
(Gesenius, iSionvm., p. 296 ss.). Après Alexandre, elle passa aux Ptolé-
mees, à qui elle dut son nouveau nom de Ptolémaïs, puis à Antiochus
le Grand. Sous les Macchabées, elle devint la base d'opérations des Sy-
riens. Simon tâcha en vain de s'en emparer (1 Mac. V, 22); plus tard,
Alexandre Bala, pour se concilier Jonathan, ne sut mieux faire que de
la lui offrir (I Mac. X, 39). Après avoir été quelque temps indépen-
dante, elle tomba aux mains des Syriens, puis passa, avec toutes leurs
possessions, aux Romains. Ptolémaïs n'est mentionnée qu'une fois dans
le Nouveau Testament, à propos du dernier voyage de saint Paul à
Jérusalem (Actes XXI, 7), puis elle rentre dans le domaine de l'histoire
profane. Pourtant, dans les actes des conciles, on voit figurer à diffé-
rentes reprises des évêques de Ptolémaïs, l'un d'entre eux même parmi
les évêques de Phénieie. Elle est la dernière ville qui ait offert une
ACRE — ACTA SANGTORUM M
résistance sérieuse aux Sarrasins. Sa chute entraîna la perte du reste de
la Palestine (18 mai 1291). Pendant les croisades, elle avait changé son
nom d'Akka, qui lui avait été rendu par les Arabes en 638, contre celui
de Saint-Jean d'Acre, à cause d'une église fort importante que les che*
valiers de Saint- Jean y possédaient (voy. Josèphe, Antiq., Xll, 8, 2;
Xlïi, 12, 2 et passim; de Bel/a Jad., II, 10, 2; Wilken, Gesch. der Kreuz-r
ziïge, vol. II et VII; Reland, Pal. sub. voc. Acco; Rosenmuller, Bibl.
Alterlhum^hunde, II, 2. p. 60-66 et not. 139; Renan, Mission de Phéni-
cic, 752 SS.). Ph. Berger.
ACTA SANCTORUM. On comprend d'ordinaire sous le nom générique
<l \ctesdes saints, les écrits de nature très-diverse qui nous racontent
leur vie, leur mort, la translation de leurs reliques, les miracles accom-
plis par leurs vertus, en un mot toutes les œuvres hagiographiques. Ce
n'est toutefois que depuis la publication du grand recueil des Bollandistes
que le mot Acta a pris cette extension. Il était anciennement réservé
aux Ada martyrum et les autres œuvres portaient les titres de Viise,
Translationes, Miracula. L'expression Acta a en effet le sens spécial
et pour ainsi dire technique d'acte officiel, de procès-verbal juridique.
Elle ne devrait s'appliquer qu'aux documents relatant les poursuites
dont les chrétiens ont été l'objet et le supplice qu'ils ont subi. Les Acta
martyrum ont la prétention d'être des récits absolument authen-
tiques et véridiques des martyres chrétiens. C'est par un abus de lan-
gage et par une inexactitude grammaticale qu'on a confondu Acta
avec Actus et qu'on a donné à l'expression Actes des martyrs le
même sens qu'à Actes des apôtres (Actus apostolorum, faits et gestes des
apôtres).
I. Acta martyrum. La mort des martyrs a donné naissance à deux sortes
d'écrits ; les Actes proprement dits qui sont des récits plus ou moins déve-
loppés des persécutions et des supplices que les martyrs ont eu à endurer,
appelés d'ordinaire dans les textes anciens P.jssiones snnctorum, Gesta
tiartyrum, réunis fréquemment dans des recueils suivant l'ordre des
jours de l'année (ces recueils étaient appelés Paumnarh\ Passionaria,
Passionnaires) ; et les martyrologes (Martyrologia) ou catalogues des
martyrs classés aussi d'après les jours de l'année (de là leur nom de
Kalendariu) dans lesquels la sèche mention de la mort d'un martyr s'est
parfois peu à peu accrue par des remaniements successifs jusqu'à former
un récit plus ou moins développé et orné. Ce mot de martyrologe a
du reste rapidement perdu son sens primitif; on a compris dans les
martyrologes tous les saints, qu'ils fussent morts martyrs ou non; et
enfin martyrologe est devenu synonyme de nécrologe ou d'obituaire.
Quant aux Diptyques (Diptycha, tabellse rpisco/m'es, episcoporum, mor-
h'oram), ce n'étaient point à proprement parler des listes de martyrs,
mais de^ listes dressées pour chaque Eglise des évéques ou d'autres
personnages renommés pour leur sainteté et dont le nom était iu aux
offices. Cette inscription sur les diptyques fut le point de départ des
canonisations officielles. Chez les Grecs on appela Menologia les
martyrologes, et Menxa les offices des saints contenant un récit
du leur vie et de leur mort. — Il n'est pas probable qu'aucune
52 ACTA SANCTORUM
des compositions à la fois littéraires et édifiantes qui nous sont parve-
nues sous le nom d'Actes des martyrs remonte à l'époque des persé-
cutions et soit antérieure au quatrième siècle de notre ère ; soit que
les écrits de ce genre aient tous été détruits par les persécutions et en
particulier par celle de Dioctétien (Arnobe, Adversus nationes, IV, 36),
soit plutôt que pendant cette période militante on n'ait point eu le
temps de s adonner à ces exercices de style, et qu'on se soit con-
tenté de raconter les souffrances et la mort des martyrs dans des lettres
écrites par les Eglises persécutées aux frères des autres Eglises pour les
exhorter à suivre ces saints exemples et pour les encourager dans la foi.
Eusèbe nous a conservé plusieurs lettres de ce genre. Les persécutions
exercées sous Marc-Aurèle contre l'Eglise de Smyrne en 167 et contre
celle de Lyon en 177 nous sont racontées dans deux lettres adressées par
ces Eglises aux Eglises d'Asie et qui sont les deux plus anciens documents
de la littérature hagiographique (Histoire ecclésiastique, IV, 15, et V, 1).
Eusèbe cite également une lettre de l'évêque Denys d'Alexandrie sur les
martyrs d'Egypte (ibid.,VI, 31, 32). De nombreux écrits sur les martyrs
se trouvaient aussi dans des écrits d'un caractère plus général, tels par
exemple que les Commentaires d'Hégésippe (Eusèbe, Hist. eccl., III, 32) ou
les Lettres de Cyprien. Il semble de plus que dès le troisième siècle
chaque Eglise avait soin de tenir registre de ses martyrs, car Cyprien
recommande de bien noter le jour de leur mort pour pouvoir ensuite
les célébrer (Epistola 12; Eusèbe, Hist. eccl., VIII, 14). Ces mentions
étaient peut-être accompagnées de quelques mots sur leur vie ou leur
mort; mais il semble qu'il s'agisse ici plutôt de simples martyrologes.
Eusèbe dans son Histoire ecclésiastique ne fait pas mention d'Actes pro-
prement dits, et les Actes concernant les plus anciens martyrs, ceux de
saint Ignace, de sainte Symphorose, de sainte Félicité, de saint Justin, de
saint Symphorien, des saints Alexandre et Epipodius, ne sont évidem-
ment pas contemporains des faits qu'ils racontent. Aucun d'eux n'est
antérieur au quatrième siècle. Il ne faudrait cependant pas en conclure
que les faits qu'ils contiennent sont absolument faux, car les petites
sociétés persécutées conservent leurs traditions avec une singulière
ténacité, et l'on a pu par les inscriptions vérifier l'exactitude d'événe-
ments rapportés par des Actes évidemment apocryphes (Voy. pour les
Actes de sainte Félicité les observations de M. Leblant dans les Comptes
rendus de l'Académie des inscriptions, 1875, p. 138). C'est pendant les
quatrième, cinquième et sixième siècle que furent composés la plupart
des Acta martyrum. — Eusèbe de Césarée (267-338) est pour la littérature
hagiographique comme pour tous les autres genres de compositions
littéraires le maître des siècles postérieurs. Son Histoire ecclésiastique
est à vrai dire une histoire des martyrs ; le huitième livre en particulier
est tout entier consacré à la grande persécution de Dioclétien. Il avait
de plus composé un ouvrage spécial sur les anciens martyrs àp/aitov
{Aapîupwv auvayioYY] (Hist. eccl., IV, 15), qui a été perdu de bonne
heure et n'existait plus à la fin du sixième siècle (Grégoire le Grand,
Epist., VIII, 29). Ces récits sur les martyrs ont aussi revêtu la forme
poétique, par exemple dans le Peristephanon de Prudence (né vers 348),
AGTA SANCTORUM 53
qui se compose de quatorze hymnes en l'honneur des martyrs où il
raconte leur passion (Ed. Dressel, Leipzig, 1860). — Nous ne savons pas
à quelle époque l'usage s'introduisit de réunir les Actes des martyrs
suivant Tordre du calendrier dans les Passionnaires, mais il est pro-
bable qu'il remonte assez haut, car dès le quatrième siècle on lisait
dans les églises les Passions des saints (Concile de Carthage, 397, c. 47 ;
Attonis episcopi capitulare, c. 58; Canones saxonici jElfrici ad Vulfî-
num episc. c. 21; Epist. Buggx ad Bonifacium moguntinum episcop.;
Avîtus Viennensis ep., éd. Sirmond, II, 97). Quelques esprits prudents,,
comme le pape Gélase au concile de Rome de 494, essayèrent bien de
mettre le clergé en garde contre les innombrables falsifications qui sous
le voile de l'anonyme se glissaient dans ces œuvres hagiographiques, et
d'en interdire la lecture publique ; mais toutes les Eglises furent de l'avis
de saint Ferréol d'Uzès qui écrivait au chapitre 18 de sa Règle : « Gesta
martyrum, i. e. Passiones sanctorum fidelium, quodam compaginata
studio et sermone digesta sunt, tempore quo nobis diem migrationis
eorum anni meta cursus sui legibus représentât, recenseri in oratorio,
audientibus cunctis, omnino decernimus. » Cf. Du Cange, Glossarium,
\°Passionarius. De ces lectures publiques est venue l'expression de legenda
appliquée aux récits de la vie et de la mort des saints lus aux offices
(en grec auva^àpia); de là legendarius, fr. légendier. « Legendarius,
dit G. Durand dans son Rationale divinorum offtciorum, liv. VI, ch. I,
n° 29, vocatur liber ille, ubi agitur de vita et obitu confessorum, qui
legitur in eorum festis, martyrum autem in Passionariis. » — Les mar-
tyrologes, c'est-à-dire les simples listes de martyrs, classés d'après le
calendrier remontent comme nous l'avons déjà vu par les paroles de
Cyprien à une assez haute antiquité. A la fin du sixième siècle Grégoire
le Grand en parle en termes très-précis : « Nos autem psene omnium
martyrum distinctis per dies singulos passionibus collecta in uno codice
nomina habemus, atque quotidianis diebus in eorum veneratione Missa-
rum solennia agimus, non tamen in eodem volumine quis qualiter sit
passus indicatur, sed tantummodo nomen et dies passionis ponitur. »
Epist. VII, 29. Cf. Du Cange, v° Martyrologium. Dans le Chronographe
de 354 dont le manuscrit est à Vienne et qui a été publié par M. Momm-
sen [Abhandlungen der kgl. Sxchs. Gesellsch. der Wissenschaften in
Leipzig, I, 1850, p. 661) se trouve le plus ancien martyrologe connu et
daté. 11 est spécial à l'Eglise de Rome. Ruinart a publié dans ses Acta
martyrum (p. 541) deux martyrologes qu'il fait remonter l'un au
quatrième, l'autre au cinquième siècle, et qui sont spéciaux, le premier
à l'Eglise de Rome, et le second à celle de Carthage. Mais de très-bonne
heure les martyrologes cessèrent d'être particuliers à une Eglise et
continrent les noms des principaux martyrs sans distinction d'origine.
Tel était sans doute celui dont parle saint Grégoire, tels sont ceux qui
nous sont parvenus sous le nom de saint Jérôme, mais que rien n'auto-
rise à lui attribuer et qui d'ailleurs présentent dans les divers manuscrits
les plus grandes divergences. Le nom de saint Jérôme a été tout natu-
rellement appliqué à ces catalogues parce qu'il était pour l'Eglise latine
le plus éminent représentant des traditions ecclésiastiques et de la
AGTA 8ANCT0RUM
littérature sacrée (Ed. Fiorentini, Lucques, 1668 ; d'Achéry, Spicilegium,
II, 1-13; Martène, Thésaurus, III, 1547). A ce martyrologe se rattache le
Martyrologium Romanum vetustius seu parvum (publié par Valois à la suite
d'Eusèbe, Paris, 1631), in-f" et par H. de Roswev avee les martyrologes
d'Adon et de Baronius, Anvers, 16l3:in-f(,)et le Martyrologium Gellonense
(du monastère de Gellone) écrit vers 804 et F un des plus estimés fpubl. par
d'Achévy, Spicilcgium, XIII, 388, et par Sollerius, A A. SS., juin, t. VI).—
Pendant ce temps les martyrologes revêtaient au nord de l'Europe des
formes plus développées et accueillaient des traditions plus ou moins
légendaires. Le point de départ de cette nouvelle série est le martyro-
loge de Bède dont le texte primitif ne nous a pas été conservé, mais qui a
servi de canevas aux martyrologes plus étendus encore de Florus (sous-
diacre à Lyon au neuvième siècle ; édité dans les œuvres de Bède, dans
les A A. SS., mars, II, p. XIII; etc) ; de Wandalbert, moine à Prum vers
831, quia mis envers l'œuvre de Bède en l'amplifiant (d'Achéry, S pic?!., I,
303. Msà Paris. Bibl. nat. 2332); de Raban Maur abbé de Fulda (v.
845; Ganisius, Lectiones antiquse, 2e éd., II, 2, 314); d'Adon de Vienne
(859-874. Cf. supra Mort. Rom,, parv.); de Husward, moine de Saint-
Germain-des-Prés (875. Ed. Sollerius Al. SS., juin VI et VII); enfin de
Notker le Bègue, le maître de l'Ecole de Saint-Gall (f 912. Canisius, 2 éd.
II, 3, 89). — Quant au grand Martyrologe romain composé par Baronius
par ordre de Grégoire XIII et publié sous Sixte-Quint (Rome, 1586, in-f°)
ce n'est qu'une compilation pleine des plus graves erreurs. — Ruinart
a donné en 1689 une édition des Actes des martyrs qui fait encore
aujourd'hui autorité bien qu'il soit loin d'avoir poussé le scepticisme
critique assez loin : Actn primorum martyrum sincera et selfcta, ex Hbrii
cum cditis tnm manuscriptù collecta, <ruta vel emrndala, notisque et obser-
vationibus illustrata. Paris, 1689, in-f° ; réédité avec des additions à Ams-
terdam 1713, et à Vérone 1731. Une traduction française en a été donnée
par Drouet de Maupertuis, Paris, 1708, in-8". Ruinart a mis en tête de son
ouvrage une préface générale très-importante où il expose ses principes
de critiqué et réfute Dodwell qui dans ses Dissertations sur saint Cyprien
(1682) avait cherché à diminuer l'importance des persécutions contre
les chrétiens. Voyez aussi l'ouvrage de M. Aube, Histoire des persécu-
tions de l'Eglise jusqu'à la fin des Antonins, Paris, 1875, in-8°, qui
reprend la thèse de Dodwell. Pour la liste complète des martyrologes,
voy. Potthast, Bibliotheca hislorica medii sévi, 1, 436 ss. Pour la cri-
tique des martyrologes, voy. l'Introduction de Sollerius au Martyrolo-
gium Usuardi, dans lès A A. SS. juin VI; Piper, Die Kalendarien und
Martyrologien d<r Angelsachsen, Berlin, 1862, in-8j; et G. de Smet, ln-
troductio ad historinm eccies., Louv., 1876.
Iï. Acta. Sanctorum. La littérature biographique a pris avec le christia-
nisme un immense développement. Les écrivains païens ont sans doute,
surtout à l'époque impé;iale, écrit des biographies, et il suffit de rappe-
ler les noms de Suétone, Plutarque, Diogène Laerce, Philostrate; mais
la religion nouvelle, en détachant les chrétiens de tous les intérêts tem-
porels j en leur faisant considérer avec mépris les événements généraux
de la vie laïque et publique, donna une valeur infinie aux vertus et aux
AGTA SANCTORUM 55
actions individuelles des personnages religieux. Durant les premiers
siècles, la vie et la mort des prédicateurs et des martyrs étaient seules
dignes d'occuper l'attention des chrétiens ; plus tard, les moines, enfer-
més dans leur couvent, et même les prêtres d'une église épiscopale,
pouvaient rarement étendre leurs regards vers le monde extérieur, com-
prendre la vie politique et s'y intéresser. Ce qui les touchait, c'était le
souvenir des hommes saints et illustres dont la vertu leur servait de
modèle. Parla sainteté, par son union avec Dieu et l'Eglise, par la perpé-
tuité de son action sans cesse renouvelée dans les miracles qu'opé-
raient ses reliques, la vie de l'individu, la vie du saint acquérait une valeur
générale et durable. Sa vie, sa mort, ses miracles, composaient souvent
l'histoire tout entière d'un monastère ou d'une Eglise.— Cette littérature
biographique commence à l'origine même du christianisme. Les trois
premiers évangiles et les Actes des apôtres sont des écrits hagiographi-
ques,semblables à bien des égards à ceux du moyen âge. Mais en dehors
des écrits relatifs aux fondateurs mêmes du christianisme, les trois pre-
miers siècles ont été trop troublés pour qu'on se soit attaché à écrire
d'autres biographies, ou si on l'a fait pour quelques-uns, ces écrits se
sont perdus. C'est au sixième siècle que la littérature hagiographique
se développe tout à coup, à la fois en Orient et en Occident. Nous
retrouvons à son origine les noms des deux hommes qui sont les pères
de toute la littérature ecclésiastique du moyen âge, Eusèbe et saint
Jérôme. Nous avons perdu la Vie de saint Pamphile par Eusèbe
[H Ut. ecci, VI, 23; VII, 29); mais nous avons conservé les trois
Vies de saint Paul Ermite, de saint Hilarion, et du solitaire Malchus,
par saint Jérôme, qui avait aussi traduit du grec la Vie de saint
Antoine, par saint Athanase. Le nombre de Vies de saints alla rapi-
dement en augmentant, et bientôt on compose des recueils conte-
nant la vie d'une série de saints. Tels sont le Pamdisus d'Heraclides et
Y Histoire Lusiaque, Aausaïxov, par Pallade de Galatie, écrits au com-
mencement du quatrième siècle. L 'Histoire Inusiaque contient l'histoire
des ermites et moines d'Orient. Traduite par Rufin d'Aquilée (milieu du
quatrième siècle), sous le titre de Vitœ Patrum ou flistona eremitica,
elle eut une grande réputation au moyen âge, et jusqu'au dix-sep-
tième siècle (Ed. Héribert de Roswey, Anvers, 1615, in-f"). Un peu plus
tard, Jean Moschus (f v. 620), écrit une Vie des moines jusqu'à l'époque
d'Héraclius, sous le titre de Àsi^wv ou vsb; Tuapasico; {Bibl. Patrum, Pa-
ris, 1644, t. XÏV). En Occident, pendant ce temps, les Vies de saints se
multipliaient. En Gaule la première Vie de saint gallo-romain, celle de
saint Martin de Tours (f 397), est écrite par son disciple Sulpice-Sévère,
{AA. SS., juin, I. p. 162). Eugippius raconte la vie de son maître saint
Séverin, l'apôtre du Haut-Danube (t 482. Friedrich, Ki ckengesckichte
DeutS'/ilands,I); Ennodius, évêque de Pavie, nous conserve l'histoire de
saint Epiphane son prédécesseur (f 496. AA. SS. jaiv. II. 364). Ces
trois écrits ont un intérêt capital pour l'histoire du christianisme en
Gaule, en Rurgundie et en Allemagne ; à côté d'eux paraissent
une foule d'œuvres analogues , mais qui n'ont pour la plupart
qu'un intérêt d'édification. Telles sont les Vies de saints du poëte
56 AGTA SANCTORUM
Fortunat, mort évêque de Poitiers (v. 600. Opp. , éd. Luchi. Rome
1786, 2 v. in-4°). A côté et à la suite des Vies des saints nous voyons
apparaître de nouveaux écrits hagiographiques, qui racontent les trans-
lations des reliques des saints (Translationes) et les miracles accomplis
sur leurs tombeaux (Miracula). Les cinquième et sixième siècles con-
stituent pour l'hagiographie en Occident une première période pendant
laquelle la plupart des saints sont d'origine romaine, et prêchent l'E-
vangile dans les pays romanisés, et où leurs biographes appartiennent
presque tous au clergé séculier. Cette première période pourrait être
appelée romaine et épiscopale. Son représentant le plus éminent est
Grégoire de Tours (538-594). Dans la littérature hagiographique comme
dans la littérature historique, il est le modèle des écrivains du moyen
âge primitif ; il domine tous ceux qui viennent après lui par le nombre
comme par la valeur de ses œuvres. 11 n'est aucun genre d'écrit hagio-
graphique dont il n'ait laissé l'exemple. Ses Vitse Patrum sont un re-
cueil de vingt vies de saints ; son De gloria Martyrum est une col-
lection de Miracula et de Passiones se rapportant aux temps primitifs de
l'Eglise et à la mission en Gaule; son De gloria Confessorum et ses
quatre livres De Miraculis Martini sont des recueils de miracles ; enfin
son DeVirtutibus S. Juliani est unePassio, suivie d'une Translatio et de
Miracula (Gregorii Tur. opéra minora, éd. H. Rordier, 4 vol. in-8°, av. trad.
1857-1864, p. la Soc. d'Hist. de France). C'est le groupe d'œuvres le
plus remarquable qu'ait produit la littérature hagiographique. Après
cette période romaine et épiscopale, l'hagiographie prend un caractère
purement monastique. L'ordre de Saint-Renoît répand sur FOccident
ses colonies de moines et les envoie au delà du monde romain évangéliser
les barbares. Cette seconde période qui commence avec la Vie de saint
Renoît, par Grégoire le Grand (590-604), se prolonge en réalité à tra-
vers tout le moyen âge, car c'est désormais dans les monastères que se
réfugie ce qui reste de l'art d'écrire. On peut toutefois discerner encore
des époques et des courants divers. Pendant le septième siècle et le
commencement du huitième, la mission est presque entièrement entre
les mains des moines venus des Eglises celtiques d'Irlande et du pays
de Galles et de leurs disciples. Ce sont eux qui à la suite de saint
Colomban, de saint Gall, de saint Wandrille, créent partout, en
Gaule, dans le Jura, dans les Alpes, des monastères qui à leur tour en-
voient au loin des colonies nouvelles, et donnent au monde les plus
beaux exemples de la spiritualité pure et de la vie contemplative. C'est
grâce à ces missionnaires qu'on désigne du nom d'Irlandais que le sep-
tième siècle peut être appelé l'âge d'or des monastères. L'hagiographe
qui représente le mieux cette époque est Jonas, le disciple de saint
Colomban, l'auteur des Vies de saint Colomban, de saint Eustase, de
saint Attale, de saint Rertulf, de sainte Rurgondofare (Mabillon, AA.
SS. ord. S. Ben., II). L'influence des missions irlandaises ne se prolon-
gea guère au delà des temps mérovingiens. Le caractère spéculatif et
mystique des Celtes les poussa aux lointains pèlerinages et aux stu-
dieux travaux des scribes dans les monastères. Ils furent remplacés
dans l'apostolat par les Anglo-Saxons, d'un caractère plus énergique.
AGTA SANGTORUM 57
plus pratique, mieux discipliné, et qui étaient, comme leur premier
chef Augustin (f 608), étroitement attachés à l'Eglise de Rome, tan-
dis que les Irlandais avaient toujours conservé un fonds de fière et
naïve indépendance. C'est par les Anglo-Saxons que l'influence de Bède
se répandit sur le continent, c'est par eux que la Germanie païenne fut
amenée au christianisme. Leur parole fut le plus utile auxiliaire de
l'épée de Gharlemagne. Le vrai représentant de cette époque anglo-
saxonne fut saint Boniface (Winfrid f 755), le grand primat de Germa-
nie, le créateur des évêchés d'outre-Rhin, dont nous avons deux Vies
contemporaines, celle de Willibald (Pertz, Monwnenta Germanise, SS., Il,
331) et celle d'un anonyme de Maestricht (AA. SS., juin I, 4-77). A côté
de lui nous trouvons Wilfrid, Willibrod, Lullus, Willibald et Wunni-
bald, etc., etc. — A partir du neuvième siècle et du réveil littéraire sous
Charlemagne, l'hagiographie prend un caractère nouveau. Jusqu'à cette
époque on s'était contenté d'écrire la vie de personnages contempo-
rains ou morts depuis un temps relativement restreint, et ces récits,
sans être toujours d'une exactitude bien scrupuleuse, avaient du moins
un air de naïveté et de bonne foi A partir du neuvième siècle on con-
tinue sans doute à écrire les Vies des saints contemporains, et ces
Vies nouvelles ressemblent à celles des siècles précédents ; mais en
même temps on entreprend un travail tout nouveau de remaniement
des anciennes biographies ; on compose tant bien que mal les Vies des
saints qui n'avaient point eu de biographes contemporains, enfin on en
arrive à créer des saints dont la biographie est fabriquée de toutes
pièces sur des légendes populaires et aux frais de l'imagination de
l'hagiographe. Le plus souvent le but du remanieur est simplement de
donner une forme plus élégante à un écrit d'une époque barbare. C'est
ainsi qu'Alcuin refait la Vie de saint Waast. Presque toutes les Vies an-
ciennes ont subi des remaniements semblables, si bien qu'il nous en
est parvenu un très-petit nombre sous leur forme primitive. On les
détruisait ou on les laissait périr, leur préférant un récit plus élé-
gant, et de plus embelli le plus souvent d'une foule de détails et
de miracles d'invention toute récente. Il est souvent difficile de re-
connaître les Vies du septième et du huitième siècle sous les tra-
vestissements qu'elles ont revêtus du neuvième au treizième siècle.
D'autres fois les hagiographes étaient poussés par des mobiles moins
désintéressés que l'amour du beau style. Il s'agissait souvent d'a-
chalander de visiteurs et de pèlerins un sanctuaire trop peu fré-
quenté, ou d'assurer à une Eglise des droits de primauté sur les
diocèses environnants, ou de fournir à un monastère des titres de
propriétés perdus ou même imaginaires, au moyen d'un écrit d'as-
pect vénérable et d'un caractère sacré. C'est ainsi qu'on fabrique une
Vie de saint Dagobert III, soi-disant martyr à Stenay ; que Sigebert de
Gembloux (f 1112) écrit une Vie de saint Sigebert III, qui ne repose
sur rien d'authentique. Hincmar, pour appuyer ses prétentions ambi-
tieuses, compose une Vie de saint Rémi, qui est un chef-d'œuvre d'ha-
bile supercherie; les moines de Saint-Denis chassés en 885 de leur abbaye
par les Normands, et ayant perdu leurs titres de propriété, les remplacent
Îi8 AGTA SANCTORUM
en écrivant une Vitn Dn gober li régis qui est supposée écrite par un con-
temporain du roi. Un des principaux motifs qui poussèrent à la compo-
sition des Vies des saints apocryphes, fut le désir qui s'empara de toutes
les Eglises à partir du neuvième siècle, de faire remonter leur fonda-
tion jusqu'à l'époque apostolique. Cette manie sévit avec violence en
France et en Allemagne. De là les Vies de saint Denys l'Aréopagite de
Paris, celle de saint Trophime d'Arles, celle de saint Julien du Mans,
celles de saint Eucharius, Valerius et Maternus, les fondateurs des
Eglises de Trêves, de Cologne et de Tongres, etc., etc. Les théories
discréditées et pourtant toujours renaissantes, qui attribuent la fonda-
tion des Eglises de Gaule aux apôtres et aux soixante et dix disciples,
reposent toutes sur des légendes apocryphes de cette nature. Le on-
zième siècle fut l'époque la plus féconde en pieuses falsifications, et
Guibert de Nogent (t 1124), dans son curieux ouvrage de Piynoribus
sanclorwn, a signalé, avec une singulière vigueur, les supercheries aux-
quelles donnaient lieu les reliques et les écrits hagiographiques. En
même temps le nombre des Vies des saints contemporains allait tou-
jours en diminuant, comme le nombre des saints du reste, et l'on s'oc-
cupait surtout de compo er de beaux recueils des Vies les plus impor-
tantes, écrites en noble style, copiées sur grand parchemin, et d'une cal-
ligraphie irréprochable. Tous les monastères, toutes les Eglises possé-
daient de ces recueils et ils sont conservés aujourd'hui en grand nombre
dans nos bibliothèques. Les grands saints, comme saint Dominique,
saint Bernard, Otton de Bamberg, trouvent, il est vrai, des biographes
remarquables, mais qui n'ont plus la naïveté des temps primitifs. Saint
François seul, qui par sa vie rappelle l'époque apostolique, inspire un
livre exquis les Fioretti, où l'on retrouve le parfum des récits de Rufin
d'Aquilée et de Grégoire de Tours. — Au moment où l'hagiogra-
phie va s'é teignant au milieu de la platitude prosaïque du quator-
zième et du quinzième siècle, on réunit toutes les légendes en les
abrégeant dans des compilations destinées à être répandues à un
grand nombre d'exemplaires pour les besoins du culte ou de l'édi-
fication personnelle. Dès le dixième siècle, Wolfhard de Herrieden
avait réuni une série de légendes pour chaque jour de l'année (Ano-
nymus Haserensis. Monum. Germ. S8*, Vif); mais il n'avait fait
qu'un choix très-restreint. Jacques de Voragine, archevêque de Gênes
(f lv298), atteignit pour ainsi dire du premier coup la perfection du
genre. Sa Leyenda aurm ou Liber pavionali*, ou Hist.na Longobardico
(éd. Grœsse, Leipzig, 1850) eut immédiatement une immense réputation.
Elle fut imprimée dès que l'imprimerie eut été inventée. 11 y en eut quatre
éditions avant 157(5 ; et elle a été traduite dans toutes les langues de
l'Europe. Le Catalogua de Pierre de Natalibus (dei Nadali, t av. 1406)
est loin d'avoir eu la même popularité (Vicence, 1493, in-f°). — D'a-
près tout ce que nous venons de dire, on comprendra sans peine com-
bien il est difficile de critiquer avec certitude les écrits hagiographiques
et de les utiliser pour la connaissance de Fhistoire du moyen âge.
Sans parler des falsifications complètes, la plupart des Vies de saints
ne nous sont parvenus que défigurées par des remaniements sous les-
ACTA SANCT0R1UM w.)
quels il est presque mpossible de discerner l'œuvre primitive ; enfui
même lorsque celle-ci nous a été conservée, elle a souvent été écrite
avec une partialité qui lui ôte toute autorité, ou bien elle â été com-
posée par un auteur qui, n'ayant en vue que l'édification, a passé sous
silence, ou raconté inexactement les événements historiques contem-
porains, même ceux auxquels le saint a été mêlé. C'est ainsi que For-
tunat a laissé une Vie de saint Rémi, où il n'est pas question du baptême
de Clovis. Pourtant l'hagiographie a pour l'histoire du moyen âge une
importance capitale et il est impossible de la négliger. Tout d'abord il
est un certain nombre d'écrits hagiographiques qui contiennent des
récits historiques étendus et dignes de foi. C'est ainsi que les Miracula
S. Benedicti du moine André, sont notre principale source pour l'his-
toire de Robert et de Henri Ie*. De plus, même lorsqu'elles ne con-
tiennent pas des récits étendus, les Vies de saints, par des allusions
à des faits contemporains, permettent souvent de compléter ou
de contrôler les chroniqueurs. Elles sont en outre une mine infinie
de renseignements sur les mœurs, sur les institutions, sur la vie
sociale, sur les idées et les sentiments, sur l'architecture, sur le cos-
tume. Alors même qu'elles sont de pures fabrications d'une époque pos-
térieure, si elles sont sans intérêt pour le temps où a vécu le saint dont
elles parlent, elles peuvent être très-intéressantes pour celui où elles
ont été écrites. Enfin elles sont notre source la plus précieuse pour la
connaissance de la vie et des idées religieuses au moyen âge. Toute
l'histoire de l'évangélisation, des missions, des pèlerinages, des mo-
nastères, des Eglises est là; et la vie religieuse si importante à toutes
les époques est le fond même de l'histoire du moyen âge. L'histoire
ecclésiastique est intimement liée à l'histoire profane, elle la do-
mine ; et l'on ne peut rien comprendre à ces temps si obscurs sans
attacher une grande valeur aux récits hagiographiques. — Dès les
premiers temps de l'imprimerie et du réveil des études au quin-
zième et au seizième siècle, on se mit à recueillir et à publier
les Vies des saints. Mombiitius publia à Milan à la fin du quin-
zième siècle, un Sanctuarium (sans date, 1474? 2 vol. in-f>), où
les Vies des saints sont classées par ordre alphabétique. En 1551 Aloy-
sius Lipomanus, évêque de Vérone, commença la publication de son
Historia de vitts sanctorum (Rome, 1555-45(30. 8 vol. in-i°). Lipoman
n'avait donné que des remaniements latins de textes grecs ; le char-
treux Surius de Cologne reprit l'œuvre de Lipoman, la compléta par
loutes les Vies latines qu'il put. recueillir et les classa suivant l'ordre
du calendrier. La première édition, seule donnée du vivant de Surius,
1570-1575, ne forme que six volumes in-f *. La plus estimée est celle de
1018 donnée également à Cologne en H vol. in-R Toutes ces collections
n'étaient point faites dans un esprit scientifique. Aucun travail de cri-
tique n'accimpagnait les textes ; ceux-ci étaient recueillis au hasard
et les éditeurs ne se faisaient nul scrupule de les retoucher ou de les
abréger. C'est aux Jésuites d'Anvers que revient la gloire d'avoir les
premiers conçu le plan d'un recueil complet et critique des écrits
hagiographiques, et d'avoir poursuivi cette œuvre colossale pendant
OU AGTA SANCTORUM
plus de deux siècles, à travers des difficultés de tous genres. Héribert
de Roswey (et non Rosweyde) jeta les bases de l'entreprise en 1607
dans les Fasti sanctorum (Anvers, in-8°), reproduit plus tard dans le
1er vol. des Acta sanctorum paru en 1643 (Anvers, in-f°.), quatorze
ans après la mort de Roswey. Ce fut Jean Bolland, (d'où le nom de
Bollandùtes, voy. ce mot) qui continua l'œuvre, dont il publia cinq
volumes, et après sa mort (1665), il fut remplacé par Godefroid Hen-
schen (4600-1681) et Daniel Papebroch (1628-1714). Quarante-neuf vo-
lumes parurent jusqu'en 1773. Alors commença pour les Bollandistes,
à la suite de la suppression de l'ordre des Jésuites, une série de tribu-
lations qui ne les empêchèrent cependant pas de publier encore de 1773
à 1794 quatre nouveaux volumes. Complètement arrêtée par la Révo-
lution, la publication reprit en 1845 et elle comprend aujourd'hui
soixante volumes in-f° (Paris, Palmé), qui s'étendent jusqu'au 29 octobre.
Un volume supplémentaire, publié en 1875, comprend des additions et
une table générale des plus utiles composée par M. Rigollot. — La col-
lection des Acta Sanctorum est d'une valeur très-inégale. Elle ne devait
contenir que seize volumes, et elle en aura près de cent ; aussi le nom-
bre des documents admis pour les premiers mois de l'année a-t-il été
beaucoup moins grand que celui des documents recueillis pour les
derniers mois. Néanmoins, si les derniers volumes l'emportent sur les
premiers par l'abondance des matériaux, ils sont loin de les valoir pour
la sûreté et l'indépendance de la critique. On ne saurait à cet égard
trop louer la liberté d'esprit dont Henschen et Papebroch ont fait
preuve. Tls ont réduit à néant une foule de légendes, celles en particu-
lier sur les origines apostoliques des Eglises de Gaule, raillé sans pitié
les traditions vaniteuses des ordres religieux, tels que les Carmé-
lites qui prétendaient remonter au prophète Elie, poussé même par-
fois le scepticisme trop loin, comme il arriva à Papebroch quand il
prétendit, en 1675, dans son Propylseum ad Acta SS., que tous les
documents diplomatiques antérieurs aux Carolingiens étaient faux.
Les Acta SS. à cette époque méritèrent d'être mis à l'index par
l'Inquisition espagnole et furent même un instant menacés du même
sort à Rome. Cette époque de sévère et libre critique ne dura pas.
Dès le dix-huitième siècle, les Bollandistes tombèrent dans une in-
supportable diffusion ; ils enflèrent démesurément leurs préfaces , ac-
cueillirent avec crédulité les traditions les plus fabuleuses. Ces défauts
n'ont fait que s'accentuer de nos jours, et si les Bollandistes modernes
sont dignes de leurs prédécesseurs par leur infatigable activité, ils
n'ont presque rien conservé de leur esprit scientifique. Quant au choix
des textes et à la critique des manuscrits, elle a toujours beaucoup
laissé à désirer chez les Bollandistes, et ils n'ont guère fait à cet égard
de progrès depuis le dix-septième siècle. Le clergé catholique,
qui seul serait bien placé pour entreprendre un grand travail de
critique et de classement des écrits hagiographiques, en est aujour-
d'hui radicalement incapable, dans la servitude intellectuelle où il est
tenu, et ce sont les Jésuites eux-mêmes, qui, par des mobiles de poli-
tique ecclésiastique, imposent l'obligation d'accepter des légendes
AGTA SANCTORUM 61
dont leurs prédécesseurs ont démontré la fausseté. — Pendant que les
Bollandistes poursuivaient en Belgique leur œuvre gigantesque, en
France les Bénédictins de la congrégation de Saint-Maur entreprenaient
des travaux de tout genre sur la littérature ecclésiastique du moyen âge,
et apportaient à cette étude une intelligence plus profonde des traditions
religieuses, en même temps qu'une conscience scientifique plus scru-
puleuse. Dom Luc d'Achéry, D. Mabillon, D. Germain et D. Ruinart,
commencèrent en 4668 la publication d'un recueil des Acta sanctorum
ordinis S. Benedicti. Mabillon en fut le principal auteur et on considère
le recueil comme son œuvre. Cette collection s'étend jusqu'au dou-
zième siècle, et quoi qu'en dise le titre, elle contient des Vies d'une
foule de saints qui n'ont point appartenu à l'ordre des Bénédictins. Mais
Mabillon et ses collaborateurs se sont surtout attachés à ne publier que
des Vies offrant un véritable intérêt, à choisir les textes les plus anciens
et les plus corrects ; ils les ont de plus accompagnées de courtes et
excellentes préfaces. L'œuvre de Mabillon, par sa sobriété, sa précision,
sa méthode, est bien plus conforme que celle des Bollandistes à ce que
nous exigeons aujourd'hui d'une édition de textes. Le classement
adopté est plus scientifique. Tandis que les Bollandistes ont conservé le
vieil ordre des légendiers d'après le calendrier, les Bénédictins ont
adopté l'ordre chronologique et leur recueil est divisé en six siècles, de
500 à 1100. A côté de ces grandes collections et des nombreuses édi-
tions des Vies des saints, publiées dans les bibliothèques des Pères ou
dans les grands recueils historiques, tels que D. Bouquet, Pertz, etc.,
nous possédons encore un nombre considérable de collections spéciales
à un ordre religieux ou à un pays particulier. Les Vies des moines de
Gluny, des Cisterciens, des Dominicains, etc., sont réunies dans des
recueils dont les titres seront donnés aux articles consacrés à chacun
de ces ordres monastiques. Quant aux recueils spéciaux aux divers
pays, en voici les principaux : Ghesquière, Acta SS. Belgii selecta,
Bruxelles, 1783-94, 6 vol. in-f°. Fr. Van Heussen, Batavia sacra,
Bruxelles, 1714, 2 vol. in-f°. Chr. Brower, Sidéra illustrium et sancto-
rum virorum, qui Germaniam... ornarunt, Mayence, 1616, in-4'°. Rader,
Bavaria sancta et pia, Ingolstadt, 1581, 2 vol. in-f°; 3e éd., Munich,
1705, 4 vol. in-f°. Berthold, de Melk, Sancta et beata Austria, Vienne,
1750, in f°. Acta SS. Ungarise, 1733-44, 2 vol. in-f°. Balbinus, Bohemia
sancta, Prague, 1682, in-f°. J. Vastovius, Vitis Aquilonita, sive vitœ SS.
regni Sueci-Gothici, Upsal, 1708, in-4°. H. Wharton, Anglia sacra,
Londres, 1691, 2 vol. in-f°. Th. Messingham, Florilegium insulœ sanc-
torum seu vitx et acta SS. Btbernix, Paris, 1624, in-f°. J. Colgan, Acta
SS. Scotix seu Hibernise, Louvain, 1645-1647, 2 vol. in-f°. Farlati,
IUyricum sacrum. Venise, 1751-1819, 8 vol. in-f°. O. Caietan, Vitx SS.
Siculorum, Palerme, 1657, 2 vol. in-f°. H. Florez, Espana sagrada,
Madrid, 1747-1856, 48 vol. in-4°. La commission archéologique russe
publie une collection de Vies de saints dont la cinquième livraison a
paru. — En fait de travaux sur les Vies des saints nous ne possédons pres-
que rien. L'article Acta Martyrum, Acta Sanctorum, par Rettberg, dans
l'Encyclopédie de Herzog, est encore ce qu'il y a de plus complet sur le
g: acta sangtohum — actes des apôtres
sujet. M. Potlhasf donne dans la seconde partie de saBibliotheca historica
medii xm (Berlin, 1 802, et supplément, 18G(>, 2 vol. in-8°), une bibliogra-
phie complète des écrits hagiographiques, rangés par ordre alphabé-
tique des noms des saints. C'est un manuel indispensable et qui a rendu
inutile le Heiligmhxicon de Schmauss, Gœttingen, 1719, in-8°. Voy.
Wattenbach, Deutsckhmds G'scluchts-Quellen, 3e éd. I™ vol. Introd. et
4re partie. Tougard, lie ï histoire profane dans les Actes grecs des Bollan-
disles, Paris, Didot, 1874, in-8°. Gabriel Monod.
ACTE, ACTION. La théologie scolastique a distingué en Dieu, par
analogie avec ce qui se passe chez l'homme : 1° les actes de l'entende-
ment et ceux de la volonté; 2° les actes intérieurs (octus ad intra), tels
que celui par lequel Dieu se connaît et s'aime lui-même, et les actes
extérieurs (octus ad extra), tels que celui en vertu duquel il a créé le
monde ; 3° les actes nécessaires (Dieu se connaît et s aime nécessaire-
ment) et les actes libres (Il a librement créé le monde). De même, dans
l'œuvre de la rédemption, les dogmatiques ont distingué Y actus imma-
nens, en vertu duquel Dieu en lui-même est réconcilié avec l'homme,
et Yactvs forensis, par lequel il déclare à l'homme qu'il le regarde
comme justifié par la foi.— En ce qui concerne l'homme, la scolastique
fait une différence : 1° entre les actes humains (actus humanus), c'est-
à-dire accomplis avec réflexion et par conséquent imputables, et entre
les actes d'homme (actus hominis), c'est-à-dire les simples mouvements
instinctifs et spontanés dont l'homme n'est pas responsable; 2° entre
les actes naturels, accomplis sans le secours de la grâce, et les actes
surnaturels, seuls directement utiles au salut; 3° entre les actes de foi-,
témoignages de confiance en la parole de Dieu, les actes d'espérance,
témoignages de confiance en ses promesses, et les actes de charité,
témoignages d'amour pour Dieu, en retour de l'amour dont il nous a
aimés.
ACTES DES APOTRES (Upafee, Ilpiçsiç xûv êmotnêlw, Aeta ou
Actus apostolorum) est le nom générique servant à désigner, dès la plus
haute antiquité chrétienne, un grand nombre d'écrits de nature et
d'origine fort diverses, se rapportant à l'histoire réelle ou légendaire de
l'âge apostolique (voy. Apocryphes). Il est devenu de bonne heure et il
est resté le nom propre du livre canonique du Nouveau Testament
attribué à saint Luc, compagnon de saint Paul, bien que ce titre soit un
peu trop général et ne lui convienne pas parfaitement. Ce livre se rat-
tache au troisième évangile comme une seconde partie à la première
partie d'un même ouvrage (Actes 1, 1). De même que l'évangile, c'est un
éerit privé adressé au même Théophile que rien n'autorise à prendre
pour un personnage fictif ou symbolique ; on peut encore penser que
le prologue de l'évangile s'applique également aux Actes des apôtres
où l'écrivain achève de raconter ces choses « accomplies ou accrédi-
tées » dans la primitive Eglise (ttîrcXepcçopYjjjiivwv h ryh), dont il veut
donner à Théophile la pleine certitude (Ev. selon saint Luc I, 1^3),
En tout cas, l'identité d'auteur est hors de toute contestation sé-
rieuse. Elle a été établie et démontrée par MM. Zeller et Lecke-
busch au triple point de vue des idées dogmatiques, des procédés
ACTES DES APOTRES gg
littéraires de composition et du style; et les doutes que quelques es-
prits difficultueux ont pu émettre sont à l'heure présente entièrement
dissipés. Après avoir rappelé son premier écrit et les dernières paroles
de Jésus, entre lesquelles se détache, comme un programme au frontis-
pice du livre, cet ordre suprême laissé aux apôtres : « Vous serez mes
témoins et à Jérusalem et en Judée et en Samarie et jusqu'aux
extrémités de la terre » (Actes I, 8) ; après avoir raconté l'ascension du
Ressuscité à Béthanie, et donné une nouvelle liste des apôtres complé-
tée avec Matthias désigné par le sort, l'historien entre dans le cours et
la suite des événements avec le miracle de la Pentecôte et la fondation
de l'Eglise de Jérusalem. Il semble suivre à la lettre le programme
tracé par Jésus lui-même à ses disciples, et, préoccupé de faire éclater
le caractère universel du christianisme, il en suit pas à pas les con-
quêtes et les progrès ; il s'attache surtout à montrer cette marche en
avant, sans jamais s'arrêter ni revenir en arrière pour raconter la vie
ou les discussions intérieures de l'Eglise apostolique. Naturellement ces
questions intérieures se sont effacées ou ont même disparu à ses yeux
devant le but suprême et dominant auquel il regardait dès la première
ligne, et qu'il ne perd pas de vue un seul instant dans sa rapide narra-
tion. C'est de cette manière seulement que le plan du livre se fait com-
prendre ; il se divise de lui-même en trois grandes parties correspon-
dant aux grandes étapes qu'a parcourues la prédication de l'Evangile
sur cette longue route qui l'a portée de Jérusalem, la capitale du
judaïsme, à Rome, la capitale du monde. — La première partie (I, 1 ;
VIII, 1) raconte les succès de la prédication des apôtres à Jéru-
salem. Dès le début, le don miraculeux des langues symbolise les
destinées universelles de l'Evangile. Pierre fonde la première com-
munauté chrétienne qui n'est encore ni par le dogme, ni par les ha-
bitudes, ni par le culte, séparée du judaïsme et au sein de laquelle
un ardent mouvement de charité realise un moment la commu-
nauté des biens. Le chapitre V marque un progrès essentiel par la nais-
sance de luttes intérieures dans le sein de cette première Eglise,
l'institution des diacres et l'apparition d'Etienne, dont la prédication,
précédant et annonçant celle de saint Paul, met en conflit violent, pour
la première fois, le christianisme et le judaïsme. — La seconde partie va
de VIII, 1, à XV, 33. C'est une longue transition qui, par un progrès
bien gradué, porte l'Evangile de Judée en Samarie, de Samarie au
monde païen, jusqu'au moment où l'entrée des gentils dans l'Eglise,
présentée d'abord comme fait accidentel et isolé dans les conversions
de leunuque de la reine Candace et du centenier Corneille, est enfin
légitimée et régularisée par une décision du concile de Jérusalem. La
persécution où succombe Etienne disperse d'abord les chrétiens en Pa-
lestine et en Samarie. Philippe évangelise cette dernière province où se
rendent Pierre et Jean. Puis l'historien, qui avait déjà introduit Saul
comme persécuteur, raconte sa conversion aux environs de Damas ( IX)
Ce n'est pas Paul cependant, c'est Pierre, éclairé par une vision, qui ouvre
la voie a l'Evangile vers les païens, tandis que d'autres missionnaires le
portent jusqu'en Phénicie, en Chypre et à Antioche (X, XI). La persécu-
64 ACTES DES APOTRES
tion, au contraire, sévit en Judée, où Jacques, le fils de Zébédée, est tué
et Pierre mis en prison (XII). La première grande mission de Paul et de
Barnabas (XIII et XIV) a des succès plus grands encore, ces succès
provoquèrent les conférences de Jérusalem, dont le résultat fut de re-
connaître le droit des païens au royaume de Dieu et de les dispenser de
la circoncision. Ainsi la formation d'une chrétienté pagano-chrétienne
n'apparaît pas dans ce livre comme un acte révolutionnaire et violent
de Paul, mais comme la conséquence irrésistible et naturelle des pro-
grès de l'Evangile que FEglise mère de Jérusalem, après quelque résis-
tance, a fini par comprendre et accepter. — La troisième partie s'étend
jusqu'à la fin du livre lui-même (XV, 35; XXVIII, 31). Paul, dont la
personnalité • et le rôle grandissaient à chaque pas dans les cha-
pitres XIII et XIV, arrive maintenant au premier plan. Les missions
païennes ont trouvé en lui leur héros, et l'histoire des progrès de l'E-
vangile vers l'universalisme où il tend dès l'origine, se confond avec
celle de l'apôtre lui-même. Paul se sépare de Barnabas et de Marc
que son audace effrayait sans doute, et, dans un second voyage à tra-
vers la Galatie, l'Asie Mineure, la Macédoine et la Grèce, porte le
christianisme jusqu'à Corinthe, laissant derrière lui une série de com-
munautés chrétiennes nouvelles qui marquent comme les étapes de la
route parcourue (XVI-XVIII). Après une course rapide à Antioche, il
vient se fixer à Ephèse qui lui sert, pendant trois ans, de quartier gé-
néral et d'où il rayonne en Grèce et en Asie (XIX-XXI). Assiégé de
sombres pressentiments, il se rend encore une fois à Jérusalem ; il
n'échappe à la haine des Juifs que pour tomber entre les mains des
Romains. Mais cette captivité elle-même le conduira à Rome, but su-
prême où tendent ses désirs, comme aussi la narration de son histo-
rien. Après un emprisonnement de deux années à Gésarée et une
longue traversée retardée encore par un naufrage, Paul, enfin, arrive
dans la ville des Césars. L'auteur arrête ici son récit et conclut par une
citation du prophète Esaïe (Esaïe VI, 9), qui justifie le rejet de l'Evan-
gile par les Juifs et son acceptation par les païens. La brusque fin du
livre avant le martyre de Paul a étonné. On a pu conjecturer que l'au-
teur se réservait d'ajouter à ses deux premiers livres un troisième dis-
cours (ipiiov Xéfov), où il aurait raconté la fin de la vie de Paul et des
principaux apôtres. Ce n'est là qu'une supposition. Le livre est bien
fini; le plan que l'auteur se proposait est bien réalisé. Il peut poser
la plume. Si Théophile était un catéchumène que troublaient les ob-
jections et les attaques de la fraction pharisao-chrétienne, il doit être
à cette heure convaincu que la doctrine libérale qu'il a reçue est
la vraie, que l'universalisme évangélique répond bien à la volonté
divine et que Paul l'a réalisée, non sans luttes, mais en somme
dans un accord général avec les douze apôtres de Jésus-Christ et la
majorité de la primitive Eglise. Voilà comment il faut comprendre les
Actes et quelle part il faut faire à l'intention conciliatrice ou apologé-
tique qu'on leur a prêtée. Elle n'en saurait altérer essentiellement ni
le caractère ni la valeur historique. — Quant à l'histoire du livre, elle
reste fort obscure dans les commencements. Sans doute on peut dire
ACTES DES APOTRES 65
que l'ancienne Eglise n'a jamais eu le moindre doute sur l'authenticité
et la canonicité des Actes des apôtres. Les sectes qui les rejetaient le fai-
saient toutes par des motifs dogmatiques : les Ebionites et les Encra-
ntes Sévériens, en haine de Paul et de son universalisme ; les Mani-
chéens, qui, voyant dans leur chef Mani le vrai Paraclet, ne voulaient
pas admettre la descente du Saint-Esprit le jour de la Pentecôte; et
enfin les Marcionites, qui ne pouvaient tolérer les condescendances ou
les faiblesses de Paul à l'égard du judaïsme (Epiph., Hser., 30, 16;
Aug., De utilitate cred., 3; Tertullien, Adv. Marc, V, 2). Cepen-
dant ce n'est que chez Irénée et dans le canon de Muratori que,
pour la première fois, il est fait une claire mention de notre livre
comme d'un ouvrage de Luc. Toutes les traces qu'on en a cru
trouver dans Papias, Polycarpe, Ignace et Justin Martyr restent fort
douteuses. Sans doute les témoignages nombreux de la présence
et de l'autorité du troisième évangile au deuxième siècle doivent
profiter également aux Actes des apôtres, puisqu'il n'est rien de plus
certain que l'identité de l'auteur des deux livres. Il n'en est pas
moins vrai que le dernier ne semble pas avoir été populaire dans l'an-
cienne Eglise. Chrysostôme se plaint, dans sa première homélie sur les
Actes, non-seulement de ce que plusieurs en ignoraient l'auteur, mais
encore l'existence. Ce fait singulier s'explique si l'on songe à la nature
du canon ecclésiastique du deuxième et même du troisième siècle. 11
se divisait en deux parties : Y Evangile et Y Apôtre {instrurnentum evange-
licum, qui renfermait les quatre évangiles, instrurnentum opostolicum,
qui renfermait les épîtres). Les Actes des apôtres ne se trouvaient sans
doute ni dans l'une ni dans l'autre ; ils restaient isolés entre les deux
et devaient être lus moins souvent. Longtemps, dans l'antiquité et du-
rant tout le moyen âge, les Actes furent considérés comme le premier
chapitre de l'histoire de l'Eglise. A la Renaissance, on remarqua
qu'il y avait bien des lacunes dans la suite des événements, et que le
récit lui-même ne s'écartait guère des personnes de Pierre et de Paul.
Aussi, depuis Grotius, les regardait-on comme la double biographie
parallèle de ces deux fondateurs de l'Eglise chrétienne. Même à ce
point de vue restreint, l'ouvrage reste fort incomplet et ne s'explique
pas dans toutes ses parties. Ce n'est que de notre temps qu'on s'est
rendu un compte précis de la nature, de la tendance et du plan du
livre. Les discussions et les recherches commencèrent avec le livre si
original de Schneckenburger, professeur à Berne (184-1), sur le But
des Actes des apôtres. Ce savant mettait pour la première fois en pleine
lumière le parallélisme constant établi par l'auteur entre Pierre et
Paul, montrant qu'à un miracle ou à un discours de l'un dans la pre-
mière partie du livre, correspondaient toujours un miracle et un
discours analogues de l'autre dans la seconde. Baur et son école sont
partis de ces conclusions pour mettre en doute et anéantir la valeur
historique du récit de Luc. Ils ont essayé de montrer que non-seule-
ment il reposait sur des combinaisons artificielles et arbitraires, mais
qu'il avait un but dogmatique évident, que Pierre y parlait comme
aurait pu parler Paul et que Paul se conduisait comme aurait pu faire
r.i, ACTES DES APOTRES
Pierre, que l'auteur enfin avait voulu faire oublier les luttes ardentes
qui avaient divisé la première Église et les apôtres eux-mêmes et n'avait
dressé, du milieu du second siècle où il écrivait, qu'un tableau légen-
daire, pâle et sans vérité, de l'âge héroïque du christianisme. Sans
compter que les disciples de l'école de Tubingue n'ont jamais réussi
à se mettre d'accord sur la véritable tendance dogmatique des Actes
des apôtres, deux faits, mis en lumière par une critique moins préve-
nue et moins systématique, sont venus corriger ce qu'une telle concep-
tion avait d'excessif et de faux. Le premier, c'est que notre livre, étant
la continuation du troisième évangile, ne peut avoir ni une autre ten-
dance ni un autre caractère que ce dernier. Le second, plus décisif encore,
c'est que, pour écrire l'histoire apostolique comme pour écrire l'histoire
évangélique, loin de s'abandonner à son imagination, l'auteur a re-
cherché et mis soigneusement en œuvre des sources écrites ou orales
qu'on peut encore discerner. Son procédé littéraire est resté le même.
Le prologue de l'évangile nous montre un homme qui se rend assez
bien compte de la tâche d'un historien, qui n'aborde pas son œuvre
sans avoir considéré les moyens qu'il a de la remplir et procède avec
réflexion, choix et critique dans la comparaison et l'emploi des docu-
ments qui lui sont accessibles. En d'autres termes, l'auteur a déjà le
scrupule historique, et, pour l'évangile du moins, le résultat définitif a
répondu assez bien à ses efforts (voy. l'article Luc [évang. selon saint]).
L'étude attentive des Actes ne mène pas à une autre conclusion. Ici encore
l'auteur a inséré dans son récit des documents qu'il est difficile de bien
dégager, mais qu'il est aisé de reconnaître. La recherche et la discus-
sion de ces sources premières est le point le plus grave et le plus
curieux à la fois du problème que le livre des Actes pose à la critique
historique. Dans cette recherche comme dans bien d'autres l'impulsion
fut donnée par Schleiermacher. Depuis son livre sur les écrits de Luc
(Ueber die Schriften des Lucas, Berlin, 1817), l'évangile et les Actes ont
été disséqués de toutes les façons : on méconnaissait trop alors l'unité,
le plan réfléchi de l'ouvrage. Luc a eu des sources sans doute; mais
souvent il les a combinées, fondues dans un récit nouveau, et, dès lors
si Ion ne veut se perdre dans les minuties où toute décision devient
arbitraire, il faut s'en tenir à ce qui est évident. Or, dans les Actes des
apôtres, il est deux points où cette évidence se rencontre : d'abord, au
chapitre XIII; le verset 1er est évidemment un commencement nouveau.
Non-seulement il est sans lien avec le chapitre précédent, mais il est
impossible que ce verset soit de la même main qui avait déjà rédigé
XII, 24 et 25. Barnabas et Saul, dans le récit de Luc, sont toujours
nommés ensemble. Or au chapitre XIII, 1, nous trouvons une liste des
prophètes et docteurs qui enseignaient à Antioche où Barnabas est
nommé le premier, Saul le dernier et, entre eux, trois inconnus. Evi-
demment ce verset est indépendant absolument de XII, 25. C'est
dans le cours de ce même chapitre que Saul est pour la première fois
appelé Paul (XIII, 9). Il est donc assez clair que nous avons ici un do-
cument d'origine paulinienne qui racontait ce premier voyage de
l'apôtre en Chypre et en Pisidie et dont Luc a fait son profit. La préci-
ACTES DES APOTRES 67
sion et la sûreté des indications géographiques, le naturel et la vraisem-
blance du récit distinguent avantageusement ces deux chapitres de ceux
qui les précèdent. Il semble qu'à ce moment la tradition, toujours un
peu incertaine et colorée de reflets légendaires, fasse place à l'histoire
précise et positive. Cette remarque s'applique mieux encore à la fin du
livre des Actes, à cette partie où le récit devient direct et la troisième
personne est remplacée par la première. Le nous apparaît pour la pre-
mière fois XVI, 10-17, et revient XX, 5-15, XXI, 1-18, XXVII et
XX VIII, 16. Quel que soit l'auteur de ce fragment mystérieux, il pro-
vient sûrement d'un témoin oculaire. Je ne sais pas s'il est un autre
document dans toute l'antiquité plus exact, plus précis, plus sûr que
le récit du voyage contenu dans le chapitre XXVII. Quel est ce
iemoin oculaire? Il faut évidemment le chercher parmi les compa-
gnons de Paul. On a d'abord pensé à Timothée (Schleiermacher). Mais
cette hypothèse vient échouer devant le verset XX, 3, dont le sens
naturel s'impose à tout esprit non prévenu. Là sont nommés d'abord
trois Macédoniens, (Sopater de Bérée, Aristarque et Secundus de Thes-
salonique), puis deux Lycaoniens (Gaïus de Derbe et Timothée de
Lystre) et enfin deux personnes de l'Asie proconsulaire (Ty chique et
Trophime). « Ceux-ci, lisons-nous ensuite au verset 5, nous attendaient
à Troas. » Dès lors la personne qui parle au pluriel ne peut être con-
fondue avec Timothée. On peut en dire autant de Silas, nommé à la
troisième personne, XV, 40, puis dans le fragment XVI, 16-20, et qui
d'ailleurs disparaît du récit des Actes et probablement se sépare de
Paul à partir du XVIII, 5. 11 faut pour les mêmes raisons, écarter
Sopater, Aristarque, Secundus, Gaïus, Tychique, Trophime. Tous les
compagnons de Paul que nous connaissons avaient à ce moment
(XX, 4) été envoyés en avant. Quelle peut donc être la personne qu'il
avait gardée auprès de lui ; il ne reste que Luc. Quand on lit avec
attention les premiers fragments où le nous apparaît, on arrive à se
convaincre que l'auteur parle en Macédonien. Le nous commence pré-
cisément XVI, 4, pour cesser XVI, 17, au moment où Paul quitte Phi-
lippes et, chose digne de remarque, il reparaît XX, 5, au moment où
Paul revient pour la seconde fois dans cette ville. On prétend donc
avec raison que Luc était de ces parages, qu'il se serait joint à Paul à
Troas, et serait resté à Philippes jusqu'au moment où Paul revenant de
Corinthe, le reprit-avec lui. Le seul point sur lequel on discute encore
aujourd'hui est de savoir si ce journal de voyage, rédigé par Luc, a été
intercalé dans les Actes des apôtres par un auteur postérieur, qui aurait
profité de cette occasion pour mettre son ouvrage entier sur le compte
de cet homme apostolique, ou si Luc lui-même est bien réellement l'au-
teur du troisième évangile et du livre des Actes. MM. Hilgenfeld, Zel-
ler tiennent pour la première opinion. MM. Renan, Holzmann, Reuss
pour la seconde, et celle-ci paraît devoir triompher. L'auteur de l'évan-
gile et des Actes des apôtres a un style très-personnel ; il a une gram-
maire et un dictionnaire à lui, des tournures et des habitudes d'expres-
sion fort caractéristiques. Le témoin oculaire qui parle à la fin des Actes
«■si aussi un écrivain original. Constate-t-on quelques différences entre
b8 ACTES DES APOTRES
leurs deux manières? Aucune. Gomme on a prouvé, jusqu'à l'évidence,
par la simple comparaison du style, l'identité d'auteur de l'évangile et
des Actes, on peut prouver avec la môme force l'identité personnelle du
témoin qui dit nous, et de l'auteur du livre tout entier. En second lieu,
pour comprendre la fraude pieuse par laquelle l'évangile et les Actes
auraient été attribués à Luc, il faut faire composer ces deux livres au
plus tôt vers l'an 110 ou 120. Or il est certain que l'évangile existait alors
depuis longtemps, qu'il n'est pas très-postérieur à l'an 70, que les Actes
l'ont suivi de près, et qu'à ce moment, Luc vivant encore selon toute
vraisemblance, on ne pouvait abuser de son nom. Entre les hypothè-
ses imaginées,- celle de la pleine authenticité de nos deux écrits reste
encore après tout la plus sûre. De cette analyse critique des documents
mis en œuvre par Luc, se déduit bien plus sûrement que d'une tendance
dogmatique spéciale toujours difficile à préciser, la valeur historique du
livre des Actes. Il faut se garder avant tout d'un jugement sommaire et
d'ensemble. Les matériaux employés par l'auteur n'étaient pas tous de
même qualité ni de même valeur. On ne saurait mettre sur la même
ligne ni estimer au même prix le journal de voyage de la fin et les tra-
ditions quelquefois assez vagues et un peu merveilleuses du commen-
cement. Il faut distinguer entre ces éléments de provenance et de na-
ture fort diverses et appliquer à chacun sa mesure. Les données chrono-
logiques du livre comme celles de l'évangile sont discutables. Mais il ne
faut pas se hâter de condamner Luc. Les choses de cette époque nous
sont encore fort mal connues, et il s'est trouvé bien des fois que les dé-
couvertes de l'épigraphie ont donné raison à Luc contre Josèphe, le seul
historien qui puisse ici servir de contrôle. Nous n'avons malheureu-
sement aucun autre récit parallèle des premiers commencements de
l'Eglise, et l'on peut se demander si une histoire des apôtres, écrite du
point de vue galiléen de l'évangile de Matthieu, ne nous aurait pas mon-
tré en Galilée des commencements chrétiens qui compléteraient ceux
que Luc nous a dépeints à Jérusalem. Mais cette réserve faite, on doit
reconnaître que, de l'Apocalypse, de l'épître de Jacques et des autres
documents judéo-chrétiens, il ressort un tableau général de la vie, de
l'esprit et des mœurs des premiers chrétiens qui correspond fort bien
aux grandes lignes de celui que Luc a laissé. On ne peut enfin méconnaître
que, dans les premiers discours de Pierre, il n'y ait une esquisse de l'é-
vangile primitif, commençant au baptême de Jean et finissant à la ré-
surrection, et une conception de la personne et de l'œuvre du Messie
tout à fait originales, antérieures même à la tradition synoptique et
très-frappantes de simplicité et de vraisemblance (II, 22-36 ; III,
13-26; IV, 27-30; X, 34-43). Pour contrôler la dernière partie du
livre des Actes, nous avons les épîtres de Paul. De cette compa-
raison, il ressort avec évidence que la biographie de Paul d'après Luc
est loin d'être complète, que notre historien n'a pas tout su, et que
même entre ce qu'il a su, il a fait un choix approprié au but général
qu'il se proposait dans sa narration. Quelque agitée que nous apparaisse
dans les Actes la vie errante de Paul, elle a été en réalité bien plus tra-
versée, bien plus orageuse et pleine de douleurs et de disputes que son
ACTES DES APOTRES - ADAD 69
historien ne le dit. La simple énumération, faite 2 Cor. XI, 23-33, suffi!
pour montrer combien est incomplet le récit de Luc. De même dans le
chapitre Ier de cette même seconde épître, est rappelée une récente et
douloureuse épreuve de Paul en Asie qui eut sur sa vie et même sur sa
doctrine une influence décisive et dont rien ne donne l'idée dans les
Actes. La longue lutte de Paul et des judaïsants qui remplit ses quatre
grandes lettres y est également effacée. La dispute d'Antioche n'est pas
mentionnée; rien n'est dit sur le séjour de Paul en Arabie, et le récit
des conférences de Jérusalem (XV) ne laisse pas que d'offrir des diffi-
cultés rapproché de celui que Paul en a fait lui-même (Gai. 11, 1-11). De
ces faits, il résulte que, dans une histoire de la vie de Paul, il faut tou-
jours prendre pour point de départ et pour base les indications histori-
ques fournies par l'apôtre et corriger d'après elles ce que le récit de
Luc peut avoir de vague ou de défectueux. Mais cela dit, il faudra sou-
vent admirer combien la vie de Paul que nous donne Luc et celle qui
ressort des épîtresde cet apôtre, se rencontrent dans les grandes lignes
et dans les détails. En particulier, à partir du ch. XVI, où le récit de-
vient personnel et où l'auteur est entré dans l'intimité de Paul, sa nar-
ration peut être incomplète, mais elle est, dans ce qu'elle renferme,
singulièrement précise et fidèle. Les Actes des apôtres, tout en restant
soumis à la critique, n'en demeurent pas moins en somme un docu-
ment historique de la plus sérieuse valeur et d'autant plus précieux
qu'il est le seul qui nous reste sur une période de l'histoire et sur des
faits que nous avons tant d'intérêt à connaître. — La littérature exégétique
et critique dont ce livre a été l'objet est fort riche. En se bornant à l'es-
sentiel, il faut citer : Chrysostôme, Homil. in Acta apostolorum;Théoiphy-
lacte, Explicationes in Acta. ap.; QEcumenius, Commentaria inAct. apost.
et epist. Pauli et epist. cathol., et enfin des scholies tirées des manuscrits
A F D H. Dans les temps modernes, les travaux sont plus nombreux
encore : R. Simon. Hist. crû. du Nouveau Testament. Rotterdam, 1689.
W. Paley. Horx Paulinx, traduit en français sur la dixième édition.
Paris, 1821. En Allemagne, outre les nombreuses introductions au Nou-
veau Testament et les commentaires généraux, parus depuis Semler à
nos jours, les travaux spéciaux les plus remarquables sont ceux de
Schneckenburger, Ueber den Zweck der Apostelgeschichte, Bern., 1841;
de Baur, Paulus der Apostel. J.-C, lre édit., Stuttg., 1845; 2e édit.,
Leipz., 1867; de Zeller, Die Apostelgeschichte nach ihrem Jnhalt und
Ursprung kritisch untersucht, Stuttg., 1854; de Lekebusch, Die Compo-
sition und Entstehung der Apg., Gotha, 1854 (ces deux derniers ont
épuisé l'étude philologique et littéraire du livre). James Smith, Voyage
and shipwreck of st Paul, Lond., 1848. Gonybeare et Howsen, The Life
of st Paul, Lond., 1864 (dans ces deux livres la partie géogra-
phique est admirablement traitée). Renan, Les apôtres, introduction.
Paris, 1867. A. Sabatier.
ADAD [Hadad, 'ABàB, 'Apàd, 'Aoap, Hadad], divinité syrienne (d'a-
près Macrobe (Saturn., 1,23), le dieu du soleil ; d'après Sanchoniathon :
'Aowoo;, le roi des dieux), dont le nom, ou ses composés, a été porté par
plusieurs rois de Syrie (Nicol. Damasc, p. 293); l'Ancien Testamenl
70 ADAD — ADALBERT
connaît trois Ben-Iladad (fils d'Adad), rois de Damas (voyez ce mot).
— Le huitième des douze fils d'Ismaël (Gen. XXV, 30: Hadar, à corri-
ger d'après 1 Chron. I, 30. — Le quatrième et le huitième roi d'Edom
(Gen. XXXVI, 35, 39). —Nom d'un prince de !a famille royale d'Edom,
qui, ayant échappé au massacre des u mâles de l'Idumée » par Joab,
sous le règne de David, se réfugia efl Egypte, y fut bien reçu par Pharaon,
épousa une princesse du pays, et revint, après la mort de David, pour
essayer de recouvrer ses domaines; il fut «un adversaire de Salomon,»
guerroya contre Israël et «régna sur la Syrie» (d'après les Septante,
plus correctement : «sur l'Idumée»). Le texte 1 Rois XI, 14-25, où ces
événements sont racontés, est altéré et présente de graves difficultés
d'interprétation (Thenius, DieBB. der Kœnigé).
ADALBÉRON, archevêque de Reims (f 988). Voyez Reims.
ADALBERT de Prague. Le Bohème Adalbert (son nom tchèque était
Woytech), un des premiers missionnaires chrétiens en Pologne et en
Prusse, naquit vers 950, fut élevé dans l'école de la cathédrale de
Magdebourg, et nommé en 983 évêque de Prague. Cet évêché, fondé
dix ans auparavant par l'empereur Otton Ier, après la conquête de la
Bohême, devait servir avant tout à la germanisation du pays ; aussi la
position d' Adalbert devint-elle très-difficile. Déjà son prédécesseur,
Allemand d'origine, s'était attiré la haine des habitants ; Adalbert lui-
même, investi par l'empereur, se croyait obligé à servir les intérêts de
son suzerain, mais comme Bohême il ne pouvait se résoudre à trahir
ceux de sa nation. Deux fois il essaya, en se retirant à Rome, de se
soustraire à une situation qui tourmentait sa conscience, mais chaque
fois il dut se soumettre aux ordres de l'archevêque mayençais, qui
était alors le métropolitain de Prague. Ce ne fut qu'en 996 qu'il obtint
d'être déchargé de ses fonctions et autorisé à se consacrer à l'évangéli-
sation des païens de la Pologne et de la Prusse. Au printemps de 997
il arriva à Dantzig, y prêcha et y baptisa un certain nombre de per-
sonnes. Lors d'une tentative qu'il fit bientôt après sur les Côtes du
Frischhaff, les Prussiens le massacrèrent. Depuis lors il est vénéré
comme martyr et apôtre des Slaves.
ADALBERT, archevêque de Brème (1045-1072), ambitieux et dur,
plus occupé de politique que de piété, seconda les projets de domina-
tion de l'empereur Henri III sur l'Italie et sur les pays du Nord. Il fut
investi d'une sorte de patriarcat, indépendant de Rome, sur les douze
évêchés d'Allemagne, ainsi que sur ceux du Danemark et des Etats
Scandinaves. « Grâce à son infatigable activité, dit l'historien Adam,
Brème était devenue une seconde Rome, où affluaient les ambassadeurs
de tous les peuples du Nord, Islandais, Groenlandais, habitants des"
Orcades, pour demander des messagers de l'Evangile.» A la mort de
Henri III, toute cette domination fondée sur la violence s'écroula, mais
pendant la minorité de son fils Henri IV, Adalbert, secondé par l'arche-
vêque de Cologne, arracha la régence aux mains de l'impératrice
Agnès d'Aquitaine et gouverna tyranniquement l'Allemagne pendant
quatre ans (1062-1066). Une conspiration; ourdie par les ducs de Saxe.
les irréconciliables ennemis de l'archevêque de Brème, aux dépens
ADALBERT — ADAMITES 71
desquels il n'avait cessé d'agrandir son patrimoine, le renversa et le
força de se retirer dans son diocèse.
ADAM [Adam, 'ASâpt], nom du premier homme qui fut créé de la
poussière de Ta terre, adâmâh (cf. owTfyôwv et le rapprochement fait
par Varron entre homo-humus) ; mais cette étymologie, admise évidem-
ment par l'auteur du récit biblique (Gen. II, 7), n'est guère défendable
au point de vue philologique. Josèphe renvoie déjà à la racine âdam,
être rouge, et dit que le premier homme fut ainsi nommé à cause de la
couleur rouge de la terre encore vierge (Tuuppoç... xoiauiY] -yccp èatw yj
EapOévoç Y*l y.at àXrjÔivfi, Antiq., I, 1, 2); d'autres commentateurs se
bornent à en appeler à la couleur rouge du sol de la Palestine. L'expli-
cation la plus probable est celle qui regarde le mot Adam comme ayant
primitivement désigné une race particulière d'hommes (par opposition
à d'autres races diversement colorées [cf. Thargoum de Jonathan,
Genèse, II, 7 : «Dieu créa l'homme rouge, noir et blanc»]; âdam
est pris au sens collectif Gen. I, 26), et ayant été appliqué plus tard à
l'homme en général. Il n'est guère possible de retrouver dans ce mot
le sens de « beau, » « bien fait, » que certains critiques ont voulu y
voir (cf. Dillman, Genesis, p. 62). — Deux récits bibliques bien distincts
(Gen. 1, l-II, 3, et II, 4-IV) nous parlent d'Adam et des origines de l'es-
pèce humaine (voyez les articles Création et Histoire primitive de l'hu-
manité d'après la Bible). D'après le premier, Adam ou plutôt «l'homme »
est créé le sixième jour, immédiatement après les animaux qui de-
vront -lui être soumis ; la femme est créée en même temps ( « Il les
créa mâle et femelle, » Gen. I, 27). Suivant le second, Jéhova aurait
d'abord créé l'homme (II, 7) qu'il établit dans le jardin d'Eden (v. 8),
puis les plantes (v. 9), les animaux (v. 19), enfin la femme qu'il forma
d'une côte de l'homme (v. 21, 22). Ayant cédé aux instigations d'Eve
et mangé du fruit de l'arbre de la connaiss nce du bien et du mal
(Gen. II, 17), Adam se vit chassé par Dieu du jardin d'Eden et fut con-
damné à manger son pain à la sueur de son front (III, 17-19). Il eut de
sa femme trois fils, Gain, Abel et Seth (IV). Le premier document qui
reprend au chap. V, 1-5, nous dit en outre qu'il « engendra des fils et
des filles, » vécut neuf cent trente ans, et mourut. — Gomme auteur
de la chute et aussi comme type de Jésus-Christ (Rom. V, 14), Adam
a joué un grand rôle dans le développement de la théologie chrétienne.
L'imagination orientale a fait également une large place dans ses lé-
gendes à notre premier ancêtre (voyez d'Herbelot, Bibl. orientale;
Kisenmenger, Entdccktes Judenthum I, 84, 365, 830 ; II, 417 ; Weil,
Bibl. Legenden der Muselmsenner). A. Carrière.
ADAMITES. 1° Sectaires mentionnés par Epiphane et Théodoret.
Suivant Epiphane ils ont eu pour chef un personnage inconnu nommé
Adam ; ils ont condamné le mariage, et observé si rigoureusement la
chasteté, quoiqu'ils parussent nus dans leurs assemblées religieuses, que
toute infraction à cette règle était punie d'une excommunication per-
pétuelle. Ils ont cru faire revivre ainsi dans leur communauté, appelée
par eux paradis terrestre, l'état d'innocence des premiers hommes. Théo-
doret. au contraire, rapporte qu'ils ont eu pour chef Prodicus, disciple
72 ADAMITES
de Carpocrate, vivant au milieu du deuxième siècle, ce qui ferait des
Adamites une branche des Carpocratiens ; et il raconte que Prodicus a
également professé le principe de la communauté des femmes que les
Carpocratiens, suivant Clément d'Alexandrie, mettaient en pratique
dans leurs assemblées religieuses. La contradiction qui existe entre ces
deux témoignages, si toutefois celui d'Epiphane mérite créance, ne
peut être résolue que si l'on admet qu'ils se rapportent à deux sectes
distinctes, dont l'une, gnostique et immorale, aurait existé au deuxième
siècle , et l'autre ascétique et extravagante , aurait surgi du temps
d'Epiphane, vers la fin du quatrième siècle (Walch, Historié der
Ketzereien, I, 327. Bayle, Diction., art. Adamites). — 2° Sectaires
du treizième et du quatorzième siècle, appelés aussi Lucifériens, ré-
pandus en Autriche, en Bohême, dans le Brandebourg et jusque
dans les pays du Rhin, et formant une branche des Cathares. Ils en-
seignaient que Lucifer, le créateur de la terre, avait été injuste-
ment chassé du ciel, qu'il y remonterait un jour et en chasserait
à son tour l'archange Michel et ses compagnons, et qu'alors les
adorateurs de Lucifer seront seuls sauvés et régneront avec lui. Ils re-
jetaient l'Eglise et ses sacrements, surtout celui du mariage, et se li-
vraient à tous les excès que peut engendrer le culte du dieu de la ma-
tière. « Nous pouvons impunément pécher, disaient-ils ; ceux qui vonl
nus comme Adam et Eve, et satisfont leurs passions, font bien.» La
secte avait à sa tête douze ministres ou apôtres, qui communiquaient
avec les démons (Schmidt, Hist. des Cathares, Paris, 1849, I, 138 ss.). —
3° Sectaires de la Bohême au quinzième siècle, appelés aussi Picards par
le peuple, ce qui n'est sans doute qu'une forme corrompue du mot Bé-
ghards. La secte a été fondée probablement par des Béghards hérétiques
ou Frères du libre esprit, chassés de l'Allemagne et des Pays-Bas par
la persécution. Elle avait à sa tête un patriarche qu'on appelait Adam,
Fils de Dieu ou Père, et une femme qui portait le titre de mère de Dieu.
La communauté des femmes la plus entière régnait parmi ces héré-
tiques. L'homme présentait la femme de son choix au patriarche de la
secte, en disant : « Mon esprit s'est échauffé pour celle-ci » ; à quoi le
patriarche répondait: «Allez, croissez, multipliez! » De plus, ils consi-
déraient la nudité, surtout pendant les cérémonies du culte, comme le
signe extérieur de la perfection morale : « Nous n'avons pas, comme
Adam et Eve, trangressé la loi de Dieu, disaient-ils ; nous vivons dans
l'état d'innocence des premiers hommes avant la chute. Quiconque
fait usage d'habits, ne possède point la liberté. » En outre, ils n'admet-
taient pas la présence réelle dans la sainte Cène, et niaient toute supé-
riorité des prêtres sur les laïques. Etablis dans une île de la Luschnitz,
ils dérobèrent pendant quelque temps leurs excès aux yeux des po-
pulations. Un jour, pris du désir de s'enrichir par le pillage, ils allè-
rent porter la désolation dans les villages environnants. Ziska, informé
de ce fait, marcha contre eux en décembre 1421 ; il les força dans leur île,
et passa au fil de l'épée tous ceux d'entre eux qu'il prit en ce jour. D'au-
tres, saisis plus tard, marchèrent au supplice en riant et en chantant,
disant qu'ils ne tarderaient pas à vivre au sein de la félicité divine
ADAMITES — ADÉODAT 73
(Beausobre, Dissert. surlcsAdamites, chez Lenfant, Hist. de la guerre des
Eussites, etc., II, 110; et mon Hist. du panthéisme popul., Paris, 1875,
p. |i6)# — 40 Petite secte anabaptiste d'Amsterdam, composée de sept
hommes et de plusieurs femmes, ayant pour prophète un certain Die trich
le Tailleur, un visionnaire dont les prédications apocalyptiques, entre-
mêlées de descriptions du ciel et de l'enfer, exerçaient, une puissante
fascination sur l'esprit exalté de ses auditeurs. Le 12 février 1535, le
prophète parut dans l'assemblée armé d'un casque, d'une cuirasse et
d'une épée, prêcha et pria quatre heures durant, puis se dépouilla de
ses armes et de ses vêtements et les jeta au feu, en invitant les autres
membres de la secte à faire de même, affirmant que c'était un sa-
crifice agréable à Dieu de jeter au feu tout ce qui est terrestre pour
n'être plus revêtu que de vertus célestes. Puis, après quelques mo-
ments d'irrésolution, tous ces fanatiques sortirent de la maison et se
mirent à parcourir les rues en criant : « Malheur ! la vengeance di-
vine! » Arrêtés immédiatement par les bourgeois, ils refusèrent les ha-
bits qu'on leur offrait, en disant : « Il faut que la vérité soit nue. » Peu
de jours après, ils subirent le dernier supplice (Bayle, Diction., art.
Picards, note B). A. Jundt.
ADELBERT, chef du clergé frank à la cour de Garloman, fils de
Charles Martel. En possession d'une grande popularité, il s'était fait
consacrer évêque d'une manière irrégulière et sans avoir de diocèse.
Son histoire ne nous est connue que par les récits et les documents
produits par son implacable adversaire Boniface, l'apôtre de la Ger-
manie, dont il paraît avoir contrecarré les plans ambitieux. Il est
accusé d'une part d'avoir, sous l'empire d'un spiritualisme exagéré,
défendu les pèlerinages à Rome, blâmé la pratique du jeûne, interdit
la consécration des églises sur les noms des apôtres et des martyrs et
recommandé au peuple la célébration du culte en plein air, dans les
champs et auprès des sources. D'autre part, Adelbert aurait exploité la
crédulité du peuple par les supercheries les plus grossières, prétendant
guérir les malades par l'attouchement de reliques que lui auraient ap-
portées les anges, exhibant une lettre écrite par Jésus-Christ lui-même et
tombée du ciel entre ses mains, etc. Il est difficile de démêler la vérité
au milieu de ces accusations contradictoires. Boniface eut quelque
peine à faire condamner celui qu'il considérait comme son plus dange-
reux adversaire, tant le crédit dont jouissait l'évêque frank était consi-
dérable. Ce ne fut qu'avec l'avènement de Pépin le Bref, qui avait
intérêt à ménager la cour de Rome, que la sentence du synode de
Soissons (744), confirmée par le concile tenu à Rome (745), put être
exécutée. D'après une tradition conservée dans l'église de Mayence,
Adelbert, à la suite d'une controverse publique avec Boniface, aurait
été enfermé dans le couvent de Fulda et, après s'en être évadé et avoir
erré misérablement sur les bords du Rhin, aurait trouvé la mort par la
main d'un porcher.
ADÉODAT fut pape de 672 à 676. Il était Romain et avait été moine
à Saint-Erasme. Sa vie, attribuée à Anastase (Muratori, Script, rer.
ItaL, III, 1, p. 141 ss.), nous apprend qu'il fut un homme doux. On
Vt . ADÉODAT - ADIAPHORA
l'appelle quelquefois Adéodal 11, pour le distinguer du pape Deus-
dedit.
ADHÉMAR de Monteil, évêque du Puy, dirigea la première croi-
sade en qualité de légat du pape, prêcha, par sa parole et son
exemple, l'union entre les chefs, la constance au milieu des fatigues et
des périls et la pratique des vertus chrétiennes. Il mourut à Antioche
en 1098.
ADHÉMAR (D'), famille de gentilshommes languedociens qui en 1536
étaient encore de petits tenanciers de l'église cathédrale d'Uzès, mais,
dès la fin du siècle, fortement attachée aux principes de la Réforme,
elle s'est peu à peu élevée au premier rang dans sa province où elle
est aujourd'hui l'une des plus considérables et des plus fidèles protes-
tantes. On cite particulièrement le comte Claude d'Adhémar qui fut
arrêté au milieu de la nuit, en 4751, pour avoir fait baptiser ses deux
fils au désert, et qui écrivait à l'intendant par lequel il était retenu en
prison qu'un honnête homme, un bon citoyen, un fidèle sujet lui avait
paru devoir vivre sans rien craindre, mais que puisqu'il s'était trompé, il
invoquait ardemment « le grand scrutateur des cœurs, afin qu'il touche
celui de notre auguste monarque en faveur des infortunés protestants. »
L'intendant se récria sur « le ton fanatique » de tels sentiments. Mais
il n'eut pas le dernier mot, car M. d'Adhémar lui répondit que si
porter l'amour du prince et de la patrie au point de préférer le triste
état de protestant en France à celui de feld-maréchal dans le pays
étranger constituait le fanatisme, il en était atteint au suprême degré.
Plusieurs de ses parents, en effet, occupèrent de hautes fonctions
au service de l'Allemagne, mais le foyer de la famille est resté bien
français.
ADIAPHORA (du grec ààtacpopoç, indifférent). Les stoïciens, mettant le
bien uniquement dans la volonté et l'action, regardaient tout le reste
comme n'ayant en soi aucune valeur morale. Selon eux, la richesse, la
bonne renommée, le pouvoir, la durée, la santé même, tous les objets
extérieurs sur lesquels pouvaient se porter l'action de l'homme, n'é-
taient, à les considérer en eux-mêmes, ni bons ni mauvais. Parmi ces
choses, il y en avait que le sage était libre de préférer comme étant plus
rapprochées du véritable bien et pouvant servir davantage à le réaliser,
mais aucune ne méritait proprement le nom de bien ; quelquefois
moyens, jamais but, toutes formaient la classe nombreuse des choses
en soi indifférentes, adiaphora (V. Ritter, Hist. de la philos., lrepart.,
vol. III, p. 325-326, 350; Ravaisson, Essai sur le stoïcisme, p. 48-53). —
Ce terme a joué un grand rôle dans certaines controverses parmi les
protestants d'Allemagne. En 1548, Mélanchthon et quelques autres,
trouvant que l'intérim impérial d'Augsbourg demandait aux évangéliques
des concessions exagérées, proposèrent comme modus vivendi entre ca-
tholiques et luthériens ce qu'on appela l'intérim de Leipzig. On y accep-
tait la juridiction des évêques, la confirmation, l'extrême-onction, les
cierges, les jeûnes, les fêtes, même celle du corps du Christ, presque
tout l'ancien canon delà messe : c'étaient, disait-on, autant à' adiaphora,
de choses extérieures et indifférentes auxquelles il était permis de se
ADIAPHORA 75
soumettre pour conserver la paix et l'unité de l'Eglise. Cette condescen-
dance parut à plusieurs excessive, et une polémique assez animée s'é-
leva. Elle se poursuivit, même après la paix de religion d'Augsbourg,
jusqu'au moment où la Formule de concorde (1580) imposa sur ce point
comme sur d'autres ses déclarations conciliatrices. Ce symbole reconnut
que les cérémonies et les usages ecclésiastiques, n'étant pas ordonnés
par l'Ecriture, sont laissés à la liberté des Eglises, pourvu que la vraie
doctrine reste sauve : ce sont des adiaphora dans certaines limites qu'on
ne saurait déterminer à l'avance pour tous les cas. Mais on ajouta que,
dans les temps de persécution où l'on demande des fidèles un témoi-
gnage ferme et non équivoque, il ne faut pas céder aux ennemis de
l'Evangile, même dans les choses indifférentes (Conc. Form. art, X, de
reremoniis ecclesiasticis quse vulgo adiaphora vocantur). — Deux siècles
plus tard, toujours en Allemagne, s'éleva un nouveau débat sur les
adiaphora, mais dans un tout autre domaine. Ce fut Spener, l'auteur du
mouvement religieux connu sous le nom de piétisme, qui le provoqua.
Dans son dessein de réagir contre la légèreté des mœurs de son temps,
il condamna toute une série de délassements et d'habitudes qu'il jugeait
incompatibles avec le sérieux de la vie chrétienne, la danse, par exemple,
le jeu de cartes, le théâtre, le luxe de la table ou de la toilette, etc.
{TheoL Bedenken, 4 vol. 1700-4712; Letzte Theol. Bed.: 3 vol., 1711).
Une quantité de livres ou de brochures s'échangèrent entre les piétistes
qui étaient les rigoristes de l'époque et les orthodoxes qui en étaient
les relâchés. On peut en voir l'indication dans Walch, Einleitung in die.
Relig. Streit. der Luth. Kirche, V, p. 821-841. Des polémiques de dé-
tail se dégagea une question générale : Y a-t-il des actions moralement
indifférentes, qui ne soient ni commandées ni défendues? Les piétistes
le niaient, Les orthodoxes l'affirmaient. Cette question n'est point en-
core vidée : la discussion se continue avec moins de passion et plus de
science entre les moralistes de nos jours, et l'on rencontre parmi les
champions de l'une ou de l'autre thèse quelques-uns des plus grands
noms de la philosophie ou de la théologie. Non que personne soutienne
aujourd'hui qu'il puisse y avoir, dans la vie chrétienne, une seule action
indifférente, c'est-à-dire sans caractère moral, par conséquent sans au-
cun rapport avec la volonté de Dieu et avec la sainte vocation du
croyant. Tout le monde s'accorde à nier Yadiaphoron ainsi entendu.
Mais il est certaines actions qui, si le chrétien s'y décide, devront être
accomplies par lui sous le regard de Dieu, mais qui ne s'imposent pas à
sa conscience comme des devoirs, et qu'il se sent libre de faire ou de ne
pas faire. On ne dit pas qu'elles soient indifférentes ; on dit qu'elles sont
simplement permises. Telle est l'opinion de Chalibgeus (System der spe-
kvlntiwn Ethik, 1830, vol. I, p. 279-285), de Rothe ( Theol. Ethik, 1870,
vol. III, § 841), de Palmer (Moral des Christenthums, 206-329; Jahrb. f.
Deutsche TheoL 1860, p. 476-483; 1869, p. 698-705), de Martensen
(Christl. Ethik. Allg. Theil, 1874 , p. 579-582), de Wuttke (Handbuch d.
Christl. Siltenlehre, 1875, vol. I, p. 322-329), etc. Ces partisans du « sim-
plement permis » ont grand'peine à définir ce qui proprement le consti-
lue : il est impossible de résumer ici leurs conceptions et leurs arguments
70 ADIAPHORA - ADON
qui sont loin de concorder. Mais une même préoccupation leur est com-
mune : vouloir, pensent-ils, que le chrétien n'agisse jamais que sur un
commandement exprès de Dieu ou de sa conscience, ce serait détruire
en lui toute spontanéité, tout élan, et le jeter dans des scrupules sans
fin ; en fait, telle promenade, telle lecture, tel exercice ou telle jouis-
sance esthétique (musique, peinture, poésie), ne sont pas des devoirs
positifs, mais simplement des libertés permises au chrétien, à la seule
condition qu'il en use chrétiennement (t Tim. IV, 4). Palmer fait remar-
quer que l'héroïsme n'est pas commandé. Au contraire, Fichte (vol. IV
de ses œuvres, System d. Sittenlehre, p. 155 ss., 264 ss.), Schleier-
macher (vol. I de ses œuvres, Kritik d. bisher. Sittenlehre, p. 433-136,
surtout Ueber den Begriff d. Erlaubten, Philos, und vermisch . Schriftm, II,
p. 418-445), Wirth (System d. spek. Fthik, I, p. 116), Harless (Christl.
Fthik,fc édit. p. 160), Kœstlin (Jahrb. f. Deutsche TheoL, iSG9,Studien
ueber das Sittengesetz, p. 464-527), etc., soutiennent que tout dans la vie
morale doit se ramener à la volonté de Dieu, au devoir ; et que l'action
qui ne pourrait se justifier que par la libre préférence de l'agent devrai!
être considérée par lui non pas comme permise mais comme défendue4.
Ils accusent l'opinion contraire de mener tout droit à la dangereuse dis-
tinction des « prœcepta eteonsilia » en morale, et aux œuvres suréroga-
toires. Il est bon de remarquer que si les derniers excluent absolument
de leur système de morale la catégorie du « simplement permis, » ils
n'excluent pas, en général, de la vie morale les actions que Ton prétend
ranger sous ce chef ; ils s'efforcent seulement de les rattacher à quelque
grand devoir. En quoi, ils arrivent plus ou moins à se rencontrer avec
leurs adversaires ; car, ceux-ci, tout en maintenant le « simplement
permis » dans la théorie, n'en affirment pas moins que le chrétien ne
saurait s'y livrer que sous le regard de Dieu, et, en quelque manière
pour le servir, ce qui est bien près de le faire par devoir. On comprend
du reste que, descendue sur le terrain de la pratique et des détails, la
discussion tombe aisément dans la casuistique comme au temps de
Spener : il s'agit de savoir jusqu'à quel point et par quelles raisons un
homme sérieux, un chrétien peut légitimer devant sa conscience la
danse, le jeu, les soirées, l'usage du tabac, le luxe, etc. En résumé,
saint Paul a posé le vrai principe (1 Cor. X, 31). Plus le chrétien avance
dans son développement moral et religieux, plus sa vie est pénétrée
jusque dans ses derniers détails de l'esprit du Christ et consacrée à
Dieu; plus aussi, il sent, selon un mot du grand apôtre, que tout
lui est permis, et, dans le même temps, moins il est porté vers ce
qui n'édifie ni ses frères ni lui même (Tite I, 15; 1 Cor. X, 23.
Cf. 1 Cor. VI, 12). La perfection suprême des enfants de Dieu, c'est
Dieu tout en eux et eux tout en Dieu : c'est aussi leur glorieuse
liberté. Charles Bois.
ADON, de Vienne. Originaire d'une famille noble du diocèse de Sens,
il fut d'abord moine, successivement dans les couvents de Ferrières et
de Prûm, célèbres alors pour leurs tendances littéraires. De retour d'un
voyage en Italie, il fut nommé en 859 archevêque de Vienne; il mourut
en 874, après avoir aidé, sous les papes Nicolas Ie* et Adrien II, à conso-
ADON — ADON1AS 77
lider en France l'autorité pontificale. Dans ses loisirs il s'était occupé
d'études historiques ; il avait écrit les vies de quelques saints, refait et
complété le martyrologe de Bède le Vénérable, et compilé une chroni-
que depuis l'origine du monde jusqu'à Charles-le-Chauve ; le fond de
cet ouvrage est emprunté à la chronique de Bède et aux autres sources
dont on disposait alors Paul Orose, Isidore de Séville, les Annales dites
de Lorsch (Annales Laurissenses) avec la continuation d'Eginhard, etc.
Dans la période chrétienne, l'idée dominante de Fauteur est celle de
l'unité et de la continuité de l'empire romain ; à Fimpératrice Irène se
rattachent aussitôt Gharlemagne et ses successeurs ; mais au-dessus de
l'empire est la papauté. — La meilleure édition du Martyrologium est
encore celle que donna Héribert de Roswey à la suite du Martyrolo-
gium romanum, Anvers, 1613; Paris, 1645, in-f°. Le Chronicon de
sex œtatibus mundi a été imprimé plusieurs fois, par exemple dans
la Bibl. Patrum maxima, t. XVI, p. 768, ss. Voy. Hist. lût. de la
France y t. V, p. 469 ss.
ADONAÏ, un des noms de la divinité dans l'Ancien Testament. Le sens
étymologique de cette appellation est « mon Seigneur, » plus exacte-
ment «ma Seigneurie» (pluriel d'abstraction); mais la valeur du
suffixe pronominal s'étant peu à peu affaiblie (comme dans le français
Monsieur), Adonaï n'a plus signifié que « le Seigneur. » Dieu prend lui-
même ce nom (Esaïe VIII, 7), qui est toutefois employé de préférence
dans le discours direct et les formules précatives. Les Juifs pro-
noncent Adonaï le tétragramme ineffable YHWH ; et, pour indiquer
cette lecture, les masorèthes ont combiné les voyelles du premier
mot avec les consonnes du second. La prononciation Jehovah, résul-
tant de cette combinaison, est donc un véritable barbarisme qui n'a
jamais été admis par les Juifs, et date seulement, parmi les chrétiens,
de la première moitié du seizième siècle (voyez Jehova). — Le mol
Adôn, avec le suffixe pronominal Adoni (d'où le grec "Aûgmç), signi-
fiant « Seigneur, » « mon Seigneur, » précède souvent les noms de
divinités sur les monuments phéniciens, et désigne même une divinité
particulière.
ADONIAS [Adôniyâh, 'Adôniyâhou, 'A&oviaç], fils de David et de
Hagguît, né à Hébron, le quatrième dans l'ordre de primogéniture, et
par conséquent l'héritier présomptif après la mort de ses trois aînés
(I Sam. III, 4). Vers la fin du règne de David, il afficha hautement ses
prétentions à la couronne et fut soutenu par quelques grands person-
nages (Abiathar, Joab) ; mais le grand-prêtre Tsadok, le prophète Na-
than et les guerriers de David appuyèrent le vieux roi qui avait promis
à Bethsabée que son fils Salomon lui succéderait. La tentative dAdonias
échoua et lui fut pardonnée (1 Rois I, 5-53). Il recommença, après la
mort de David, en demandant en mariage une concubine royale, Abisaï,
comme pour affirmer ses droits au trône. Salomon entra alors dans
une violente colère et fit tuer son frère (1 Rois II, 13-25). Abiathar
fut destitué et Joab mis à mort (1 Rois II, 26-35). Si Salomon ne mon-
tra point autant de clémence que son père, peut-être fut-il plus poli- .
lique.
78 AD0PT1AN1SME — ADOPTION
ADOPTIANISME, nom donné à la doctrine préconisée au huitième
siècle en Espagne, d'après laquelle Jésus homme aurait été fils de Dieu,
non par nature, mais par adoption. Quelques phrases de la liturgie mo-
zarabique et l'influence persistante des tendances ariennes dans l'Espa-
gne soumise à la domination maure expliquent la localisation de la
doctrine adoptienne dans ce pays, ainsi que cette controverse qu'on
peut considérer comme le dernier écho du grand conflit de l'aria-
nisme. Ce fut en tout cas une renaissance du nestorianisme con-
damné en 451 par le concile de Ghalcédoine, qui décréta l'unité de la
personne du Christ en stipulant en même temps la dualité de sa nature
divine et de sa nature humaine. Au huitième siècle, Elipand, archevê-
que de Tolède, et Félix, évêque d'Urgel, enseignèrent que le Christ, en
tant que Dieu, était en effet Dieu exnatura, mais qu'en tant qu'homme,
il était fils adopté de Dieu, unigenitus in natura, primogenitm in
adoptione et gratia. La querelle s'échauffant en Espagne, Charlemagne
crut devoir intervenir. Le siège d'Urgel faisait partie de l'empire frank,
tandis que le diocèse de Tolède obéissait politiquement aux rois
maures. Félix fut individuellement condamné à Ratisbonne (792), puis
à Rome, se rétracta et Fadoptianisme fut absolument rejeté par le con-
cile de Francfort en 794, comme contraire au dogme de l'unité de la
personne du Christ, qui s'est fait homme assumptione et non adoptione
carnis. Alcuin se distingua surtout dans cette controverse par l'habileté
subtile de son argumentation et l'âpreté de sa polémique. Au concile
d'Aix-la-Chapelle en 799, Alcuin décida Félix à se rétracter définitive-
ment, mais Elipand repoussa toute proposition de ce genre et sous la
protection musulmane put défier toute mesure de coercition. Félix fut
relégué à Lyon et mis sous la surveillance de l'archevêque Leidrad. Il y
mourut en 816 ou 818, laissant quelques écrits qui autorisent à penser
que ses rétractations avaient été imposées plus que consenties. Du reste
Fadoptianisme ne survécut pas à ses patrons espagnols. On doit toute-
fois signaler les sympathies que professèrent pour cette doctrine au
dix-septième siècle le jésuite Vasquez et le théologien protestant Ca-
lixte. Il y eut enfin au dix-huitième siècle une curieuse querelle entre
P. Constant, éditeur des écrits de saint Hilaire, et le jésuite Germonius
qui, en 1707, fit falsifier un manuscrit du Vatican des ouvrages de ce
père à l'endroit où celui-ci s'énonce d'une manière dont les adoptiens
pouvaient tirer avantage. — Pour l'histoire de fadoptianisme, outre les
histoires générales de l'Eglise et des dogmes, il faut surtout consulter
VHistoria Adoplianorum de Walch, Gœtt., 1755, et Y Histoire des Hérésies
du même, IX, 667. A. Réville.
ADOPTION (des enfants de Dieu). I. Ce mot de la langue juridique,
transporté par saint Paul dans la langue religieuse, ne se trouve que
dans les épîtres aux Romains (VIII, 15, 23), aux Galates (IV, 5) et aux
Ephésiens (I, 5); mais le fait que ce mot exprime, savoir la qualité
d'enfant de Dieu attribuée aux chrétiens, est fréquemment rappelé dans
le Nouveau Testament, en particulier dans les écrits de saint Jean. Ce
terme désigne soit l'acte de souveraine miséricorde par lequel Dieu
reconnaît pour ses enfants ceux qui ne l'étaient point par nature
ADOPTION 79
(cf. Exode II, 10), soit 1 état de ceux qui ont été les objets de cette
grâce. Le terme original que nos versions ont rendu par « adoption »
(oioÔeafa de uiôç, tiOtj^c) renferme ces deux sens. Saint Paul, en l'em-
ployant, a principalement en vue le second : la position nouvelle dans
laquelle se trouvent placés vis-à-vis de Dieu ceux qu'il a adoptés pour
ses entants, leur fdialitê. Celle-ci n'a été réalisée dans sa vérité absolue
qu'en Jésus-Christ qui est « le propre fils de Dieu » (Rom. VIII, 32;
Jean III, 16), non par adoption seulement (voy. : Adoptmnisme); mais,
dans un sens relatif, il y a, sur la terre, grâce à l'adoption divine, des
enfants de Dieu ou, comme les appelle plusieurs fois l'Ecriture, des
a fils de Dieu » (Matth. V, 9, 45; Luc VI, 35; XX, 36; 2 Cor. VI, 18).
Dans une acception générale, tous les hommes sont des enfants de Dieu,
puisqu'il est le Père du genre humain (Matth. XXIII, 9), mais le péché
ayant rompu ce lien primitif entre l'homme et Dieu et fait de nous
« des enfants de colère » (Ephés. II, 3), c'est désormais par un acte
spontané de la grâce divine, par l'adoption seule, que nous sommes
remis en possession du titre et des privilèges d'enfants de Dieu; « les
enfants de la chair » ne peuvent y prétendre (Rom. IX, 8). Déjà dans
l'ancienne alliance, tout un peuple avait été adopté de Dieu, comme
son peuple particulier (Exode XIX, 5); c'est à Israël qu'appartient
« Fadoption » laquelle fut, à son tour, la garantie des autres faveurs de
Dieu, à son égard : la gloire, les alliances, la législation, le culte, les
promesses (Rom. IX, 4). « Israël est mon fils, mon premier-né », dit
l'Eternel (Exode IV, 22). « J'ai appelé mon fils hors d'Egypte » (Osée XI, 1).
De son côté, le peuple s'écrie : « C'est toi, Eternel, qui es notre Père »
(Esaïe LXIII, 16). Seulement, dans l'Ancien Testament, c'est la nation
entière qui reçoit le nom de fils de Dieu, et qui en exerce les sublimes
prérogatives. Le moment vint où, sorti de l'âge de tutelle et de l'écono-
mie préparatoire, tout homme devait se sentir vis-à-vis de Dieu, à la
condition de la foi, dans un rapport de filialité personnelle. A tous les
croyants « a été donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jean I,
12). C'est là le fait chrétien, tel qu'on peut le saisir dans le cœur de
l'homme. — Il nous reste à voir comment s'opère cette adoption et
quels en sont les caractères. — II. a) La cause première de l'adoption
des enfants de Dieu est dans sa volonté miséricordieuse. De tous les
témoignages de l'amour de Dieu, c'est pour saint Jean le plus éclatant
(1 Jean III, 1). En effet, cet acte divin consiste non dans une déclaration
légale, ou dans le don fait aux chrétiens d'un nom nouveau, mais dans
une vie nouvelle, c'est-à-dire des facultés nouvelles et des forces nou-
velles que Dieu leur communique réellement, par grâce (Jacques I, 18);
ils sont nés, non du sang ou de la volonté de la chair, mais de Dieu
(expression propre à saint Jean : Jean I, 13; 1 Jean II, 29; 111,9; IV,
7: Y, 1, 4, 18) et par conséquent « d'en haut» (àvwQsv. Jean III, 3)*
L'adoption tst donc, de la part de Dieu, un enfantement spirituel véri-
table; il fait de nous des enfants, puis nous traite comme tels. Tout ce
qu'ils sont, les enfants de Dieu le doivent donc à l'amour tout-puissant
de leur Père céleste (Tite III, 4-7). De cette gratuité absolue de l'adop-
tion divine, plusieurs symboles de l'Eglise réformée concluent à son
<S0 ADOPTION
inamissibilité : « Ex immutabili electionis proposito Deus suos non eo
usque prolabi sinit ut gralia ado/jtionis excidant » (Can. Syn. Dordrecht,
v. 6). b) C'est en Christ que Dieu adopte ses enfants, car c'est en
lui que sont pardonnes leurs péchés qui s'élevaient, comme une bar-
rière, entre eux et lui. L'adoption a donc pour condition (non pour
cause) la foi en Jésus-Christ (Gai. III, 26). Quand le pécheur a été jus-
tifié par la foi, c'est-à-dire déchargé de l'accusation portée contre lui
par ses œuvres , et de la crainte de la condamnation que ces œuvres
avaient méritée, Dieu l'admet dans sa famille (2 Cor. VI, 18) (voy. l'art.
Justification). Le baptême est le signe extérieur de cette adoption
divine, c) Enfin, la garantie de l'adoption, inséparable de cette adoption
même, c'est le témoignage intérieur de l'Esprit de Dieu, appelé l'esprit
d'adoption, ou l'esprit filial (Rom. VIII, 15). « Parce que vous êtes fils
(fils adoptifs), Dieu a envoyé l'esprit de son Fils dans vos cœurs, lequel
crie abba, Père » (Gai. IV, 6). Les fils de Dieu sont « tous ceux qui sont
conduits par l'Esprit de Dieu. C'est cet Esprit qui rend témoignage à
notre esprit que nous sommes enfants de Dieu » (Rom. VIII, 14-16). —
III. Les caractères de la filialité peuvent se ramener aux suivants :
a) La paix. Elle est entretenue dans le cœur des enfants de Dieu en dépit
des épreuves et des secousses de la vie, par l'assurance inébranlable de
Famour de leur Père céleste (Rom. VIII, 31-39). Tous les événements
de la vie leur sont un témoignage de cet amour. « Les bénéfices que les
fidèles reçoivent journellement de la main de Dieu proviennent de son
adoption secrète » (Calvin, Instit., III, 24,4). De même, les afflictions
sont pour eux des avertissements paternels de la part de Celui « qui les
traite comme ses enfants, car quel est l'enfant que son père ne châtie
pas? » (Hébr. XII, 5-11). b) L'amour pour Dieu. Il se montre par l'ardent
désir d'entrer avec Dieu dans une communion toujours plus intime de
sentiments et de volonté, de ne point toucher à ce qui est impur
(2 Cor. VI, 17, 18), de tendre à la perfection, parce que notre Père
céleste est parfait (Matth. V, 48), en un mot « d'être ses imitateurs »
(Ephés. V, 1), comme un fils respectueux et dévoué cherche à marcher
sur les traces de son père, c) La liberté. Celle-ci n'est pas seulement
promise dans l'avenir; elle est réalisée dans le cœur de l'enfant de
Dieu : « Tu n'es plus esclave, mais fils » (Gai. IV, 6). L'âge de l'en-
fance qui est un temps d'esclavage (Gai. IV, 3) a fait place à l'âge de la
majorité. Ceux que Dieu a adoptés pour ses fils ont secoué le joug pro-
visoire, bien que salutaire, des tuteurs et des régisseurs (Gai. IV, 1,2).
Ils sont affranchis du péché et de la mort (Rom. VIII, 2) en même temps
que de la loi, et ont désormais un libre accès auprès du Père (Ephés. II,
18). Toute crainte a disparu (Rom. VIII, 15). « Si nous sommes enfants
de Dieu, dit Calvin, il nous induit et pousse par son Saint-Esprit à nous
retirer familièrement à lui, comme à notre Père. » d) L'espérance.
Bien que le chrétien soit dès à présent un enfant de Dieu, ce qu'il sera
n'a pas encore été manifesté (1 Jean III, 2). Il a devant lui un héritage
de pardon, de justice et de vie éternelle; parce qu'il est enfant, il est
aussi héritier de son Père céleste (Rom. VIII, 17). Cet héritage du salut,
impérissable et sans tache (\ Pierre I, 4), il le possède virtuellement,
ADOPTION - ADORATION 81
dès ici-bas, mais il n'a encore que les prémices de l'esprit; il attend
avec confiance la pleine réalisation de ses prérogatives filiales (Rom.
VIII, 23) et le moment où toutes choses seront à lui, en qualité de fils,
les choses futures, aussi bien que les choses présentes (1 Cor. III, 22).
« Celui qui vaincra héritera ces choses. Je serai son Dieu et il sera mon
fils » (Apoc. XXI, 7). Ce sera le dernier mot de l'adoption divine.
J. MONOD.
ADORATION, acte par lequel on rend à Dieu l'hommage qui lui est
dû. Le mot latin qui a passé dans notre langue (adoratio) paraît dérivé
de ad et os (oris) = bouche, la marque du plus profond respect dans
l'antiquité consistant à rapprocher la main de la bouche, pour jeter un
baiser. Job affirme « que son cœur ne s'est jamais laissé séduire jusqu'à
adresser les baisers de sa bouche à de fausses divinités » (Job XXXI,
26-28). On lit dans un Psaume : «Baisez le fils (c'est-à-dire rendez-lui
hommage), de peur qu'il ne s'irrite » (Ps. II, 12; cf. 1 Rois XIX, 18 ;
Osée XIII, 2). L'adoration répond à un besoin de l'âme, indéfinissable,
mais indestructible, celui de nous abaisse* dans le sentiment de notre
dépendance et de nos fautes en présence du Dieu souverain, notre
juge, de célébrer ses perfections et ses bienfaits, de nous affranchir des
liens terrestres pour entrer en communion avec Dieu et nous plonger
dans la contemplation momentanée de sa grandeur infinie enfin de
tout consacrer et de nous donner nous-mêmes à celui auquel tout ap-
partient (Michée VI, 6). Les caractères essentiels de l'adoration sont la
vénération et l'amour. Son contraire, c'est l'esprit profane. Elle est à la
base de la religion et répond au besoin le plus intime et le plus noble
de l'homme ; le propre de l'homme c'est d'être capable d'adoration.
Elle précède tout dogme, toute Eglise, tout culte, toute bonne œuvre.
Dans les Psaumes, dont un grand nombre sont des cantiques d'adora-
tion, la nature entière est fréquemment invitée à s'associer à l'adora-
tion du psalmiste (Ps. CXLVI1I, etc.). Esaïe décrit une scène d'adoration
céleste à laquelle il assista dans une vision (Esaïe VI, l-II; cf. Hébr. I, 6).
La vie du ciel consiste, sans doute, dans une adoration active et parfaite
(Apoc. V, 14; VII, II, 1%.—Dim seul doit être adoré (Matth. IV, 10;
Exode XX, 3 ; XXXIV, 14), et Dieu étant esprit, cette adoration doit être
spirituelle (Jean IV, 23). Toute adoration qui n'a pas Dieu pour objet
est un acte d'idolâtrie (voy. ce mot). L'idolâtrie était le plus grand
crime religieux que pût commettre le peuple d'Israël, puisqu'il est la
rupture même de l'alliance conclue entre Dieu et lui (Deut. XIII ; XIV,
2. Voyez encore l'adoration du veau d'or, Exode XXXII, 8; les constantes
dénonciations des prophètes contre ce crime, Esaïe XLII, 17 ; Osée XIII,
2, etc.; la description pleine d'ironie de la fabrication des idoles, Esaïe
XLIV, 8-20). Dans la troisième tentation de Jésus, celle où se concentra
tout l'effort du tentateur, Satan cherche à détourner sur lui-même, en
échange des richesses du monde, l'adoration due à Dieu (Matth. IV,
8,9). Si Jésus-Christ est adoré, c'est parce que «Dieu est en lui»
(2 Cor. V, 19; Matth. I, 23) ou parce que «le Père l'a souverai-
nement élevé» (Phil. II, 9-11; Jean V, 23). Exemples d'ado-
ration rendue à Jésus-Christ : les mages ( Matth. II, 2-11 ) ; un
i. 6
$2 ADORATION — ADRAMÉLEGH
lépreux (VIII, 2); les disciples (XIV, 33); une pécheresse (Luc
VII, 36-50); la sœur de Lazare (Jean XII, 1-8) ; Thomas (XX, 28) ;
les témoins de l'ascension (Luc XXIV, 52); Etienne (Actes VII, 59).
L'Eglise catholique-romaine adore Y hostie, parce qu'elle croit à la pré-
sence réelle de Jésus-Christ dans les espèces de la sainte cène. Dans la
cérémonie de la messe, le prêtre, après avoir consacré l'hostie, fléchit
le genou devant elle, puis la présente au peuple (élévation) qui se
prosterne à son tour (adoration). Cette adoration du Saint-Sacrement
fut introduite dans l'Eglise par le pape Honorius III, en 1217. Ainsi
s'explique aussi la génuflexion du peuple dans les rues, quand passe le
Saint-Sacrement. Les saints et particulièrement la Vierge sont aussi les
objets de l'adoration des fidèles dans l'Eglise romaine. Néanmoins ses
docteurs, depuis Thomas d'Aquin, distinguent cette adoration, appelée
culte de dulie (honneurs divins), de celle rendue à Dieu, à laquelle est
réservé le nom de culte de latrie (adoration proprement dite). On ap-
pelle culte d'hyperdulie les hommages rendus à la Vierge. Celle-ci est
l'objet d'une dévotion spéciafe appelée « l'adoration perpétuelle, » pra-
tiquée par certaines congrégations dont les membres se succèdent pour
adresser à Marie des prières qui ne sont jamais interrompues. Les
papes, après leur élection, reçoivent l'hommage des cardinaux dans une
cérémonie appelée l'adoration. L'adoration de la croix est une cérémo-
nie qui se pratique dans l'Eglise romaine le vendredi saint. Les
images et les reliques peuvent aussi devenir des sujets d'adoration (voy.
ces mots). La forme de l'adoration varie suivant les époques et
les pays. Son expression naturelle est la prière et le cantique, quelque-
fois un silence religieux, comme chez les Quakers ( « Que toute créature,
en ta sainte présence, s'impose le silence, et laisse agir ta voix I »
Corneille). Les signes de l'adoration sont tantôt le prosternement,
comme chez les Orientaux, tantôt la génuflexion (Jésus : Luc XXII,
41; saint Paul: Actes XX, 36), tantôt les mains levées vers le ciel
(Esaïe I, 15; 1 Tim. II, 8). Moïse (Exode III, 5) et Josué (Josué V, 15)
ôtent leurs chaussures, comme marque de respect devant Dieu. Jacob
mourant adora Dieu, en s'appuyant sur son bâton (Hébr. XI, 21; Gen.
XLVII, 31). Quelles que soient les formes, l'essentiel est qu'elles expri-
ment des sentiments de l'âme. Il n'y a d'adoration réelle que s'il y a
recueillement et componction intérieure. Dans un grand nombre d'E-
glises, la place faite à l'adoration, dans le culte, est manifestement in-
suffisante et bien différente de celle que lui avait faite l'Eglise des pre-
miers siècles. Cette place, il importe de la lui rendre et de trouver pour
l'adoration chrétienne une forme vraie qui se tienne à égale distance
du ritualisme catholique et de la froideur du puritanisme (voyez l'ar-
ticle Culte). J. Monod.
ADRAMELEGH [Adrammèlèk, 'ASpafjiXex] , fils et meurtrier de
Sennachérib, roi d'Assyrie, que lui et son frère Saresser assassinèrent
dans le temple de Nisroch (2 Rois XIX, 37 ; Esaïe XXXVH, 38), au
retour de sa désastreuse expédition de Jérusalem. Adramélech ne put
réussir à se faire proclamer roi et se réfugia en Arménie (Maspéro,
Hùtoirs anc. des peuples de l'Orient, p. 422). — Nom d'une divinité
ADRAMÉLEGH — ADRETS 89
assyrienne dont le culte fut apporté à Samarie par les habitants de
Sepharvaïm (2 Rois XVII, 31). Voy. Samarie.
ADRAMITTE ['ASpa^u-uisiov, 'ABpaparraov, etc., aujourd'hui Endra-
mit], port célèbre de Mysie, en Asie Mineure. C'est sur un vais-
seau de cette ville que saint Paul fut emmené de Césarée (izkom
'ASpajjLUTTYjvo), Actes XXVII, 2). C'est à tort que quelques savants ont
voulu trouver dans ce passage la mention de la ville d'Adrumetum,
dans la Byzacène, en Afrique (voir Shaw, Travels. Cf. Bùsching,
trdbeschr., V, 1, 91).
ADRETS (le baron des), gentilhomme dauphinois dont le nom de
famille était Beaumont (François de) et dont la trace, dans les san-
glantes discordes du seizième siècle, est restée plus brûlante que pure.
C'est l'un de ceux que les ennemis de la Réformation citent le plus
volontiers, lorsqu'ils veulent faire croire que violences d'une part pour
violences de l'autre, les deux partis se valaient et que les protestants
n'ont rien à reprocher aux catholiques en fait de cruautés. Ce men-
songe est fondé sur une complaisante confusion des faits de guerre avec
les assassinats juridiques ou les coups d'Etat, pareils à celui de la Saint-
Barthélémy, et sur l'oubli de la longanimité chrétienne avec laquelle les
huguenots ont tout souffert dans le plus humble silence depuis 1523
jusqu'au 16 mars 1560. Et même en ce qui concerne les sévices repro-
chés au baron des Adrets contre ses prisonniers de guerre, qu'il forçait
à se précipiter du haut des remparts, et contre les places emportées
d'assaut, il se défendait en répondant qu'il avait agi pour défendre les
siens et qu'il n'avait fait « la mauvaise guerre » que pour apprendre aux
catholiques à ne pas la faire. L'historien d'Aubigné lui demandant un
jour pourquoi « il avoit usé de cruautez mal convenables à sa grande
valeur. Nul, dit-il, ne fait cruautez en les rendant : les premières s'ap-
pellent cruautés, les secondes justice. » D'ailleurs jamais le baron des
Adrets ne trahit la parole donnée au vaincu, à la grande différence du
maréchal de Monluc et des autres capitaines pratiquant la doctrine des
restrictions mentales. Des Adrets, né en 1513, avait longtemps servi
dans les armées du roi, sous Lautrec et Brissac, principalement en
Italie lorsqu'en 1558, au siège d'une petite place du Piémont, il eut un
violent démêlé avec son chef immédiat, Charles d'Ailly. Les Guise pro-
tégeaient ce dernier et on lui donna tort. Alors il se jeta dans les rangs
militants du parti huguenot, sans qu'on sache bien sûrement s'il devint
protestant en cette circonstance ou s'il ne l'était pas déjà. Pendant
trois ans, à la tête de quelques milliers de religionnaires, il tint le Dau-
phiné, la Provence, le Lyonnais et le Languedoc sous la terreur qu'in-
spirait son épée : c'était un soldat merveilleux pour la décision ferme
et prompte, l'exactitude, la sobriété, l'étonnante célérité, avec le plus
brillant courage. Mais sa gloire fut de courte durée. Son orgueil cha-
touilleux se trouva blessé plusieurs fois, surtout lorsqu'au mois de
juillet 1562 le gouvernement de Lyon, dont il s'était emparé, fut
donné par le prince de Condé à un autre chef, Soubise. Au commen-
cement de 1563 ses anciens compagnons d'armes l'arrêtèrent comme
traître à leur cause et il n'échappa à un jugement que par le béné-
84 ADRETS - ADRIEN
fice de Tédit de pacification du 12 mars de la même année. Dès
lors, il devint un fidèle sujet du roi, servit dans l'armée catholique en
1567, mais sans éclat; sa fortune, comme sa foi, l'avait abandonné. Il
vécut toujours un peu suspect aux deux partis, refusa en 1577 de signer
la Ligue, fit encore une campagne en 1585 et mourut deux ans après
dans son château de la Frette. Il eut trois fils, de moins de valeur que
lui, et leur survécut à tous trois. H. Bordier.
ADRIANISTES. 1° Nom d'une secte qui n'a jamais existé. Eusèbe
(Hist. eccles. , 1. IV, ch. 22), mentionnant d'après Hégésippe diverses
sectes, ajoute : "08sv àiub toutwv MevavBpavscrai ; quelques manuscrits
portant fautivement le nom de 'Acpiavsrcou, Théodoret (Op., IV, p. 193)
en a conclu qu'il s'agissait d'une secte particulière qu'il fait dériver de
Simon le Magicien. — 2° On désigne aussi sous ce nom une secte qui
s'éleva en Hollande au milieu du seizième siècle. Elle se rattachait aux
doctrines anabaptistes, se recrutait surtout parmi les femmes, et, sous
le couvert de l'ascétisme, favorisait des mœurs assez relâchées. Son
chef était Adrien Hamstédius, né à Dordrecht en 1521 et mort à Bruges
en 1581.
ADRIEN (Publius jElim Adrianus), empereur romain. D'origine es-
pagnole et parent de l'empereur Trajan, il fut adopté par lui et lui
succéda en 117. De son règne date la fin de l'histoire des Juifs de Pa-
lestine. Il voulut d'abord rebâtir Jérusalem et en faire une ville
païenne. A cette prétention, ceux des Juifs qui avaient survécu au
siège de la ville par Titus et qui étaient restés en Judée se soulevèrent
une dernière fois, sous la conduite de Bar-Coziba, appelé aussi Bar-
Cocheba (voy. cet article). Adrien, pour en finir avec ce malheureux
peuple, envoya contre lui le général Julius Severus, qui, sans livrer
une seule grande bataille, dévasta le pays et changea la Judée en dé-
sert. Jérusalem fut reprise et encore une fois rasée. Une ville nouvelle
s'éleva sur ses ruines et fut appelée jElia (du nom de famille d'Adrien :
iElius). L'empereur ordonna de bâtir, sur l'emplacement de l'ancien
sanctuaire un temple à Jupiter Capitolin, et iElia reçut le surnom de
Capitolina. Il fut expressément interdit aux Juifs même de s'approcher
de la ville à une certaine distance. La Bévue historique, dirigée par
MM. Monod et Fagniez, a publié dans sa troisième livraison (juillet-sep-
tembre 1876) un travail important de M. Renan, intitulé : La Guerre
des Juifs sous Adrien, dans lequel le savant auteur révoque en doute le
siège et la destruction de Jérusalem sous cet empereur. Nous ren-
voyons le lecteur à cet article pour tous les détails de la lutte dont la
Palestine fut alors le théâtre. — Adrien s'intéressait aux progrès de la
science. Il avait aussi un profond amour de la justice, ce qui le rendit
plutôt favorable qu'hostile au christianisme. Il s'opposa aux massacres
des chrétiens par la populace et ordonna de ne condamner ceux-ci que
légalement. Aussi les Pères de l'Eglise ne Font-ils jamais rangé au
nombre des empereurs persécuteurs du christianisme. A la fin de
sa vie, il devint cruel et débauché. Il mourut à Baies le 10 juil-
let 438, après avoir adopté Antonin, qui lui succéda.
Edm. Stapfer.
ADRIEN — ADRIEN I«- 85
ADRIEN (Saint). Parmi les nombreux saints de ce nom, il con-
vient de mentionner saint Adrien et ses vingt -trois compagnons,
martyrisés à Nicomédie en Bithynie, vers Tan 310. Les actes de leur
martyre, rejetés par Tillemont (V, p. 508), sont considérés par les
Bollandistes (8 Sept. III) comme douteux. Le corps de saint Adrien
a été transporté au septième siècle à Rome dans l'église qui porte
son nom. — Saint Adrien, premier évêque de Saint-Andrews , souffrit
le martyre vers 870 avec ses compagnons dans l'île de May en
Ecosse, où une Eglise a longtemps conservé son nom (A A. SS., 4 mart.
I; Th. Mac-Lauchlan , The early scott. churck, Edinb., 1865, in-8°,
p. 293).
ADRIEN Ier, pape de 772 à 795. Il était Romain, issu d'une famille
puissante. Lorsqu'à la mort d'Etienne III il monta sur le trône de Saint-
Pierre, la papauté était sous le joug des Lombards. A l'heure même, il
rappela de l'exil les ennemis du roi Didier et exigea de ce prince l'exé-
cution des traités conclus avec son prédécesseur. De son côté, le roi
des Lombards désirait que le pape consentît à servir sa haine contre
Charlemagne, en sacrant les fils de Garloman. Ne pouvant l'obtenir, il
occupe le duché de Ferrare et menace Ravenne. Mais tandis qu'il
marche sur Rome, l'âme du parti lombard dans cette ville, le meur-
trier Paul Afiarta, est écarté de Rome par ruse, et mis à mort. Cepen-
dant Adrien invoquait le secours de Charlemagne. Au lieu de s'empres-
ser au secours du pontife, Charles négociait avec Didier. Le pape s'en-
ferme dans la ville, abandonne les basiliques de Saint-Pierre et de
Saint-Paul ; en même temps il lance l'anathème contre Didier, et lui
adresse de telles menaces, que le roi, rencontré à Viterbe par les envoyés
du pape, donne aussitôt l'ordre de la retraite. En septembre 773, Char-
lemagne pénètre en Italie par Genève et le mont Cenis. Jusqu'au pied
des Alpes, il a offert au roi des Lombards les conditions les plus
douces ; mais s'étant rendu maître du défilé des Cluses par un mouve-
ment habile, il poursuit Didier épouvanté, et le roi s'enferme dans
Pavie. La veille de Pâques de l'an 774, Charles entre à Rome, il est ac-
clamé comme patrice de la ville, il monte les degrés de Saint-Pierre en
en baisant toutes les marches. Le 6 avril, à la basilique de Saint-
Pierre, le pape engage Charles à renouveler la donation faite au saint-
siége, à Kiersy, par son père. Le biographe d'Adrien raconte que le roi
fit recopier la charte de Pépin par son notaire, il la signa avec les
grands de son royaume, et ce document fut déposé dans le tombeau de
saint Pierre. Cette « promesse de donation » mentionne la Corse, Luna,
Parme, Reggio, Mantoue, l'exarchat de Ravenne, Venise, l'Istrie, et les
duchés de Spolète et de Bénévent. De nombreux auteurs ont contesté,
soit le caractère historique de la donation de Charlemagne, soit son
identité avec la charte de Kiersy, et presque tous reconnaissent que
Charlemagne a dû se réserver la suzeraineté sur les territoires mêmes
qu'il promettait de rendre au pape, soit comme héritage de l'empire
romain, soit comme patrimoine de l'Eglise (voy. l'article Donations).
Pavie rendue, Didier alla mourir au couvent de Corbie ; Charlemagne
se fit désormais appeler roi des Francs et des Lombards, patrice de
86 ADRIEN I« — ADRIEN II
Rome. Charles tardait à remettre à Adrien les domaines reconquis sur
les Lombards. En réalité il ne témoigna guère en aucune occasion de
son zèle pour le pouvoir temporel du pape. Tandis que dès 774 l'arche-
vêque de Ravenne, Léon, poussé par une ancienne rivalité, s'em-
parait de l'Emilie et de la plus grande partie de l'exarchat, Charle-
magne fermait l'oreille aux plaintes du pape, et la mort même de Léon
(776) ne lui fournit pas une occasion de rendre justice au siège de
Saint-Pierre. En vain le pape, dans une lettre appartenant à l'an 777 ou
du moins antérieure à 781 (Cad. Car. ep. 49) lui rappelle sa promesse
et redemande ses Etats au roi des Francs, «afin que les peuples puis-
sent s'écrier : Quia ecce novus christ ianissimus Dei Constantinus imper a-
tor his temporibus surrexit. » Adrien croyait avoir trouvé dans le pa-
trice de Rome un protecteur; mais Charles prétendait avoir reçu, avec
les devoirs de cette charge, les droits du représentant de l'empire en
Italie. Longtemps appelé en vain par le pape, Charles se retrouve enfin
à Rome en 781, et le jour de Pâques de cette année le pape baptise son
fils Carloman, qu'il tient sur les fonts baptismaux en lui donnant le
nom de Pépin, et sacre les deux fils de Charlemagne, Louis et Pépin,
l'un roi d'Aquitaine, l'autre roi d'Italie. Depuis ce jour, Adrien appela
le roi des Francs « son compère » (spiritalis compater). Dans l'automne
de 786, Charles revint en Italie, en 787 il était à Rome. Arégise, gendre
de Didier, exerçait à Bénévent une sorte de pouvoir royal. Charles,
malgré le désir du pape, traite avec le prince de Bénévent, reçoit son
hommage, et exige de lui qu'il rende au pape Capoue et quelques do-
maines. Cette promesse, comme tant d'autres, fut toujours sans rece-
voir son exécution, et Adrien ne put pas davantage se faire livrer les
quelques villes de la Toscane dont Charles lui avait garanti la posses-
sion. Lorsqu'en 787 le deuxième concile de Nicée fut assemblé du con-
sentement d'Adrien pour traiter du culte des images, le pape s'empara
avec bonheur des décisions du concile, et pria Charlemagne d'en faire
reconnaître l'autorité. Le roi, au contraire (voy. Charlemagne), fort de
l'appui de l'Eglise anglo-saxonne, réfuta les décisions de Nicée dans
son Opus Carolinum, et réunit en 794 le concile de Francfort, qui con-
damna le culte des images. Un synode assemblé à Paris en 825 ne
craignit pas de blâmer ouvertement le pape Adrien et de rejeter sa
doctrine. La Vita Hadriani, attribuée à tort à Anastase, se trouve,
entre autres lieux, dans Murât ori, Scr. r. JtaL, III, 1. 179, et Vi-
gnoli, R. 1724, in-4°. Les Lettres d'Adrien à Charlemagne, recueillies par
ordre de Charles en 1791, dans le Codex Carolinus, sont imprimées dans
Muratori, l. I. III, 2, 194 ss. ; Bouquet, V, 544, ss.; Caj. Cenni, Mo-
num. dominationis pontificise, R., 1760, 2 vol. in-4°, et Jaffé, Bibl. rer.
Germ., III, Berl., 1867, in-8°. Voy. S. Abel : Papst Hodr. 1 (Forsch. z.
deutsch. Gesch., 1862) ; le même : Jahrb. d. fraenk. Reiches u. Karl. d.
gr., Berl., 1866,in-8°. S. Berger.
ADRIEN II, pape (867-872), fut élu peu de jours après la mort de
Nicolas Ier, et sacré le 14 décembre 867. Il était de la même famille d'où
étaient issus les papes Etienne IV et Serge II. Il avait été marié et avait
une fille. Homme aimé de toutes les classes, il avait déjà deux fois refusé
ADRIEN II — ADRIEN IV 87
le pouvoir papal, il l'accepta à l'âge de soixante-seize ans. Au moment
de son avènement, l Orient était agité par les querelles entre Photius,
patriarche de Constantinople, et la papauté. L'empereur Basile (voy.
Photius) avait rétabli Ignace en la place de Photius. Le pape, d'accord
avec lui, réunit en 869 un synode à Saint-Pierre pour la condamnation
de Photius. Dans Tune des allocutions qui furent lues à ce synode
(Mansi,XYI, 128 ss.), Adrien relève la hardiesse de son ennemi qui a
tenté de le déposer : « Romanum pontificem de omnium ecclesiarum
praesulibus judicasse legimus, de eo vero quemquam judicasse non
legimus. » Le huitième concile œcuménique, qui fut tenu à Constanti-
nople en l'an 869, subit l'influence du pape et rejeta Photius (Mansi, XVI,
p. 8 ss.). Dans son troisième canon (/. /. p. 157), ce concile se prononça
comme il suit au sujet des images : « La sainte image de Notre Seigneur
Jésus-Christ doit être vénérée à l'égal des saints évangiles ; et de même
les images de la sainte Vierge, des anges, des apôtres, des martyrs et
de tous les saints. » Dès le jour de son intronisation, Adrien avait fait
sa paix avec Lothaire II en admettant ses adhérents dans la communion
de l'Eglise. Lorsqu'en 869 Charles le Chauve prit possession de la Lor-
raine, le pape envoya deux ambassadeurs protester contre lui et il
interdit aux évêques de le soutenir. Les évêques et le roi ne tinrent
aucun compte de cette menace. Ce conflit se compliqua de la querelle
des deux Hincmar (voy. Hincmar). Hincmar de Reims, malgré la pro-
tection dont le pape couvrait son neveu Hincmar de Laon, le fait con-
damner au concile de Douzy (août 871). Par trois lettres adressées à
Charles-le-Chauve, aux grands et aux évêques de France (Mansi, XV,
850 ss.), Adrien avait jeté l'invective au roi Charles. Celui-ci, par une
lettre due à Hincmar [H. opp., éd. Sirmond, II, p. 701), ferma la
bouche au pape. Adrien mourut en décembre 872, mais le conflit entre
la cour de Rome et Charles le Chauve ne cessa que lorsqu'en 876,
Jean VIII son successeur accepta la condamnation du jeune Hincmar.
La vie d'Adrien II, par Pandulphe Pisan, est imprimée dans Mura-
tori III, 1, p. 261 ss. et ailleurs; ses lettres, dans Bouquet, VIII,
439 SS. S. Berger.
ADRIEN III, pape (884-885). On lui attribue, sans doute à tort, un
u Décret prescrivant l'ordination du pape hors de la présence des
ambassadeurs impériaux; » ce décret n'était pas connu avant le chro-
niqueur Martinus Polonus. Sa vie, par Pandulphe Pisan, est dans Mura-
tori, /. /., c. 310.
ADRIEN IV, pape (1154-1159). Le 4 décembre 1154, Adrien IV suc-
céda à Anastase IV. Il s'appelait Nicolas Breakspear, était fils d'un clerc
anglais, et, abandonné par son père, il avait mendié son pain. Recueilli
par les moines de Sainl-Ruf près Avignon, il fut en 1137 élu abbé de ce
couvent ; le pape Eugène III le fit cardinal-évêque d'Albano, et l'envoya
comme légat en Danemark et en Norwége. « Le siège pontifical, dit-il
aussitôt élu, est semé d'épines, le manteau papal est percé de toutes
parts, et si lourd qu'il accablerait l'homme le plus fort. » A peine
monté sur le trône, Adrien rencontre l'opposition des Romains qui,
conduits par Arnaud de Brescia, le somment de renoncer à l'adminis-
88 ADRIEN IV
tration temporelle et de l'abandonner au sénat élu par eux. Adrien,
chassé de Rome, met la ville en interdit. Le jeudi saint de l'an 1155,
le peuple ayant chassé le tribun, il rentre au Latran. Cependant
Barberousse pénètre en Italie, il tient la diète de Roncaglia près
Plaisance, le pape aussitôt lui envoie une ambassade amicale et lui de-
mande de lui livrer Arnaud; celui-ci est pendu et brûlé à Rome. Le
9 juin 1155, Adrien se décide à aller saluer le roi à Sutri, devant Rome;
mais Frédéric Ier ne lui tient pasl'étrier. Le pape exige et obtient l'hom-
mage qui lui est dû : à Nepi, le roi des Romains conduisit par la bride
la monture du pape. Frédéric parle aux Romains avec une éloquente
énergie, et, réconcilié avec Adrien, il se fait couronner par lui à Saint-
Pierre, le 18 juin 1155. Une émeute des Romains est réprimée et l'em-
pereur retourne en Allemagne. Bientôt Adrien IV se trouve en lutte
avec le roi de Sicile Guillaume 1er; assiégé dans Bénévent et pressé par-
les circonstances, il conclut, en 1156, un traité avec le roi Guillaume.
Les cardinaux gibelins le lui reprochent ; Frédéric Ier, qui convoite les
Deux-Siciles, en est irrité. Cependant, en 1157, à la diète de Besançon,
le pape envoie à l'empereur, par deux légats, une lettre hautaine :
« Souvenez-vous, lui dit-il, comment votre sainte mère l'Eglise vous a
accueilli, comment elle vous a comblé de dignités et* d'honneurs, vous
conférant volontiers, avec la couronne, les insignes de l'empire. Et nous
aurions été heureux que votre excellence pût recevoir encore de notre
main de plus grands bienfaits (bénéficia). » Le mot de bénéficia, traduit
par bénéfices, souleva un orage de colère au sein de la diète. Le cardinal
Roland de Sienne (plus tard Alexandre III) aggrava l'effet de cette lettre
en s'écriant : « De qui donc l'empereur tient-il l'empire, si ce n'est du
pape? » Déjà, à son voyage à Rome, Frédéric avait été offensé par la
vue d'un tableau qui représentait le couronnement de Lothaire, et portait
ces deux vers, où Fempereur était appelé « l'homme du pape : » Rex
venit ante fores , jurans prius Ur bis honores, Post homo fit Papse, sumit
quodante coronam. Dès lors, Frédéric fut l'ennemi du pape. Goldast a
publié une lettre adressée à Hillin, archevêque de Trêves, où l'empe-
reur déclare qu'il n'a pas été couronné par le pape ; il a pris lui-même
la couronne, il n'a reçu d'Adrien que l'huile sainte : et Fempereur pro-
pose à l'archevêque de Trêves de faire schisme. MM. Jaffé, Wattenbach
et Hefele ont démontré Finauthenticité de ce document. Frédéric mar-
che une seconde fois sur l'Italie, il y entre en juillet 1158 ; le pape, al-
lant au-devant de sa colère, lui donne, sans s'humilier, les explications
les plus satisfaisantes sur sa lettre : « Bénéfice ne signifie pas, chez
nous, fief mais bienfait... conférer veut dire imposer. » L'empereur se
contente de cette justification. A la diète de Roncaglia, en novembre
1158, il recevait le témoignage de la servilité des Italiens. Mais la ten-
sion entre Fempereur et le pape demeure. L'approche de la mort
(Adrien mourut le 1er sept. 1159 à Anagni) empêcha seule le pape
d'excommunier Barberousse. — Voy. R. Raby, Pope Hadrian IV,
Lond., 1849; H. Reuter, Gesch.Alex. /Y/,2*édit.,,L.,1860,p. 1 ss.; Hefele,
Conciliengesch.,\, p. 472 ss.^trad. fr.,VII,p. 328 ss.; Raumer, Hohenst.,
éd. III, t. II, p. 22 ss. La vie d'Adrien IV, recueillie par le cardinal d'Ara-
ADRIEN IV - ADRIEN VI 89
gon, Nicolo Roselli (f 1362), est l'œuvre du cardinal Boso, camérier
d'Adrien (f 1178). M. Watterich {Pontifie, roman, vitœ, L. 1862, II,
p. 323 ss.) l'a publiée avec tous les documents intéressant la vie de ce
pape. S. Berger.
ADRIEN V fut pape du 12 juillet au 18 août 1276 ; il s'appelait Otto-
boni Fiesco et était Génois.
ADRIEN VI. Adrien Dedel d'Utrecht, qui avait été successivement cha-
noine, vice-chancelier de l'université de Louvain, précepteur du petit-
fils de Maximilien, cardinal-évêque de Tortose, régent d'Espagne, fut
élu pape sans s'être porté candidat et sans être connu du conclave, le
9 janvier 1522 ; il fut nommé à la recommandation de Cajetan qui avait
entendu parler en Allemagne de sa science et de sa piété, par une ma-
jorité qui voulait être agréable à Charles V. Adrien toutefois ne se crut
pas obligé de servir la politique de son ancien élève et, dès son avène-
ment, il recommanda la paix à toutes les puissances de l'Europe et es-
saya de se placer en dehors et au-dessus des luttes qui divisaient la
chrétienté. Il se propose de combattre l'hérésie en Allemagne et en
Suisse, de réformer l'Eglise, de tourner les armes des chrétiens contre
les Turcs et de rendre au saint-siége le prestige qu'il avait perdu depuis
longtemps. Mais rien ne lui réussit et il ne fut même pas en état d'ob-
server la neutralité qu'il croyait indispensable au succès de ses projets.
A Rome, « qui était la source de tout le mal, » il rencontra une opposi-
tion insurmontable ; les abus de l'administration, le trafic des bénéfices,
des indulgences, des grâces étaient consacrés par un long usage : toute
la curie entra en lutte avec le pape et l'obligea de reculer. En Allema-
gne, la Réforme avait fait de rapides progrès depuis la diète de Worms,
et lorsque le cardinal Chieregati se présenta devant la diète de Nurem-
berg avec un bref pontifical engageant les Etats à procéder contre
Luther et à faire exécuter l'édit de Worms, les princes répondirent que
des mesures de rigueur provoqueraient la guerre civile. Chieregati eut
beau promettre au nom du pape de sérieuses réformes dans l'Eglise, la
diète ne voulut pas tenir compte de ces promesses ; elle formula les
cent doléances et réclama la réunion d'un concile libre dans une ville
d'Allemagne. Adrien accorde à Charles-Quint la dîme et les annates en
Allemagne sous la condition qu'il combattra les Turcs; mais l'empereur
ne peut pas se décider à tourner ses armes contre l'Orient par crainte de
la France. Le pape, après avoir eu la douleur de voir tomber Rhodes aux
mains des Ottomans, adhéra à la Ligue (3 août 1523), persuadé que
l'ambition remuante de François Ier faisait seule obstacle à la croisade.
Au moment où la guerre éclate en Lombardie, où les Français passent
le Tessin, Adrien découragé, méconnu des Romains, insulté par les car-
dinaux, meurt le 14 septembre 1523. Ce pape, malgré les intentions les
plus droites, les mœurs les plus pures, une science théologique très-
profonde, un amour éclairé des lettres (bonx litterx) qu'Erasme
se plaisait à constater, fut traité de tyran, de barbare, d'ennemi
farouche des Muses par un peuple habitué aux splendeurs païennes
du règne de Léon X. Il porta sur le trône pontifical l'autérité d'un as-
cète; mais Rome méprisa ses vertus maussades autant qu'elle avait ad-
90 ADRIEN VI — ADULTÈRE
miré les vices brillants de ses prédécesseurs. Son épitaphe, qui rap-
pelle une parole qu'il avait prononcée dans une heure de découra-
gement, résume bien l'impression qu'on éprouve en lisant sa bio-
graphie : Proh dolor ! quantum refert in quœ tempora vel optim
cujusgue virtus incidat. Adrien n'a nommé qu'un seul cardinal, son
conseiller Enkefort. — Voyez : Jovius, De vita Leonis X... Hadriani VI,
Flor., 1548, in-f°; Burmann, Analecla historien de Hadr. VI, Traj.
ad Rhenum, 1727, in-4°; Gregorovius, Geschichte der Stadt Rom,
t. VIII; A. de Reumont, Geschichte der Stadt Rom, t. III; H. Bauer,
Hadrian IV, Heidelb. , 1876; Hœller, Wahl und Thronbesteiguag
Adr. VI, Wien, 1872; Lanzk, Correspondenz des Kaisers Karl V,
Leipz., 1844; Gachard, Corresp, de Charles V et d'Àd. VI, Brux.,
1859; Ranke , Deutsche Geschichte, etc., t. II. Pour les plans de
réforme : Sarpi, Conc. Trident,, I, cap. XXII; Raynaldus, Annal, eccle-
siast., XI, 36 J (instruction donnée à Ghieregati); et Hœfler, Analecten
zur Geschichte Deutschlands und Italiens (mémoire sur l'état de l'Eglise
et sur les réformes remis à Adrien par iEgidius de Viterbe, général
des AugUStins). G. Léser.
ADULLAM ['Adoullam, 'OàoXXa^, 'ASouXXxpj], ancienne ville située
dans la plaine de Juda (Josué XV, 35). Après avoir été cananéenne
(Gen. XXXVIII, Josué XII, 15), elle fut fortifiée par Roboam (2 Chron.
XI, 7) et devint un des boulevards de la royauté (Michée I, 15). Elle
existait encore après l'exil (Néh. XI, 30). Cette longue résistance s'ex-
plique par les cavernes dont le pays était couvert et qui étaient déjà une
des retraites habituelles de David (I Sam. XXII, 1; 2 Sam. XXIII, 13).
Eusèbe et Jérôme l'ont confondue avec Eglon ; depuis on n'a pas
réussi à en fixer l'emplacement avec certitude (voy. Robinson, II,
p. 399).
ADULTÈRE. L'adultère est défendu dans le 6e commandement du
décalogue. N'était considéré comme tel, en vertu de la polygamie qui
régnait chez les Hébreux, que le commerce illicite d'un homme marié
avec une femme mariée ou fiancée. L'adultère était puni de mort. La peine
ordinaire était la lapidation (Deut. XXII, 20 ss.; Ezéch. XVI, 38 ; XXIII,
43 ss.) ou bien encore le bûcher (Gen. XXXVIII, 24; Lév. XX, 10 ss.).
La femme adultère y échappait, lorsque le mari consentait à lui accorder
une lettre de divorce. Lorsque le crime était commis dans les champs,
l'homme seul était condamné, car la loi supposait que la femme n'avait
pu appeler au secours ; lorsqu'un époux soupçonnait d'adultère son
épouse, il la conduisait devant le prêtre qui la jugeait (Nomb. III,
42 ss.). Un homme qui avait ravi l'honneur à une jeune fille était tenu
de l'épouser ou de payer une rançon au père (Exode XXII, 18; Deut. XXII,
25). Celui qui avait commis adultère avec une esclave pouvait s'acquitter
au moyen d'un sacrifice, l'esclave elle-même subissait un châtiment
corporel (Lév. XIX, 20 ss.).Les prophètes s'élèvent avec énergie contre
l'adultère (Jér. VII, 9; XXIII, 10; Osée IV, 2; Mal. III, 5, etc.); ils le
classent parmi les vices les plus abominables (Ezéch. XXXIII, 26), qui
rabaissent l'homme au rang de la bête (Jér. V, 8) et le rendent sem-
blable à l'idolâtre, qui est parjure, réprouvé de Dieu et livré à une
ADULTÈRE — ^EPINUS \.\\
passion que rien ne peut assouvir (Jér. III, 9; XIII, 27;Ezéch. XXI11, 47).
La débauche et la prostitution étaient d'ailleurs favorisées par le voi-
sinage des cultes voluptueux et lascifs de la Phénicie et de la Syrie.
L'image de l'adultère est fréquemment employée par les prophètes
pour désigner l'infidélité du peuple d'Israël à l'alliance jurée avec
Jéhova. — Le Nouveau Testament se montre plus sévère encore que
l'Ancien. Seul, l'adultère est admis par Jésus-Christ comme un motif de
divorce (Matth. V, 32); il l'étend au simple désir impur (Matth. V, 28).
De même les apôtres, qui représentent le corps comme le temple de
Dieu (I Cor. VI, 15), condamnent toute parole déshonnête (Ephés. IV, 29 ;
V, 3, 4) et appellent le jugement de Dieu sur le fornicateur (Hébr. XIII,
4; Gai. V, 19-21). L'Evangile, appliqué à extirper la racine de l'adul-
tère au fond des cœurs, ne s'occupe pas de la question de pénalité.
Jésus-Christ, qui ne veut pas la mort du pécheur mais son salut, ne ra-
tifie pas contre la femme adultère la sentence prononcée contre elle, et
ses adversaires, venus pour le tenter en le mettant en contradiction
soit avec la loi de Moïse soit avec la loi romaine, plus douce, n'osent
pas exécuter la première, puisqu'ils se sentent repris eux-mêmes dans
leur conscience. Le précieux fragment qui rapporte ce trait (Jean VIII,
1-11), bien qu'il ne fit point partie primitivement de l'Evangile selon
saint Jean (absence de lien avec le contexte ; ton, expressions et struc-
ture de phrases propres aux synoptiques plutôt qu'au quatrième évan-
gile; omission dans les plus anciens mss., bien que plus de cent cod. le
contiennent ; nombre extraordinaire de variantes dans le texte ; silence
d'Origène, de Chrysostôme, de Tertullien, de Cyprien, etc.), remonte
certainement à l'âge apostolique, et nous pouvons dire avec Calvin :
Nihil apostolico spiritu indignum continet (voy. Meyer : Krit. exeg.
Handb. ueb. das Eu. desJoh., Gœtt., 1862, p. 273 ss.). — Le Talmud
confirme, dans la procédure contre les adultères, les dispositions de la
loi mosaïque : « Filia Israélite, si adultéra, cum nupta, strangulanda,
cum desponsata, lapidanda » (Sanh., f. LI, 2). Les législateurs mo-
dernes n'ont point admis ces rigueurs ; le droit canonique est moins
sévère que le droit romain qui défend d'une manière absolue le mariage
entre adultères, même après la mort de la victime. Le concile d'An-
cyre ordonne le refus de la communion, même à l'article de la mort,
au prêtre qui a commis ce crime, et le 6e concile d'Orléans décrète
que tout clerc convaincu d'adultère serait déposé et enfermé, sa vie
durant, dans un monastère.
iENESIDEME, philosophe crétois, renouvela, vers la fin du premier
siècle avant Jésus-Christ, à Alexandrie la doctrine de Pyrrhon (voy.
Scepticisme).
iEPINUS (Jean), un des réformateurs allemands de second ordre.
Son nom allemand était Hœck ou Hoch ; il naquit en 1499 dans la marche
de Brandebourg, fit ses études à Wittemberg, essaya de prêcher les
principes évangéliques dans sa patrie, fut mis en prison, partit, après
sa délivrance, pour l'Angleterre, se rendit de là à Stralsund, et devint
en 1529 pasteur à Hambourg, où il mourut en 1553. Dans cette ville, il
consolida l'œuvre *de la Réforme par ses prédications et en 1551 par un
92 y-EPlNUS — AETLUS
remarquable règlement ecclésiastique et liturgique (Kirchen-Ordnung) .
En 1544 il fut engagé dans une controverse pour avoir dit, dans un
traité sur le seizième psaume, que pour Jésus-Christ la descente aux
enfers signifiait le degré le plus profond de son abaissement, le Seigneur
étant descendu pour souffrir et expier aussi les peines infernales. Cette
opinion fut attaquée par quelques-uns des collègues d'^Epinus ; selon
la coutume du temps, la querelle devint si violente que le magistrat
dut intervenir; il demanda l'avis de Mélanchthon; celui-ci conseilla
d'imposer silence aux deux parties, de pareilles disputes ne pouvant
que troubler les fidèles. Ce n'était en effet que du scolasticisme. La
querelle continuant, les plus impétueux des adversaires d'^Epinus furent
bannis. Lors de l'Intérim, iEpinus, d'accord avec les pasteurs et les
communautés de Hambourg, de Lùbeck et de Lùnebourg, s'éleva
contre les concessions que l'on exigeait des protestants; il publia à
cette occasion plusieurs écrits très-fermes, quoique d'un ton fort
modéré. Il se déclara de même contre la doctrine d'Osiander sur la
justification.
AERIENS. Aérius, presbytre à Sébaste dans la province du Pont
(355), s'éleva contre son évêque Eustathe qu'il accusait de détourner
les fonds destinés aux pauvres comme aussi de favoriser des tendances
hiérarchiques et des idées superstitieuses condamnées par l'Ecriture.
Rejeté de l'Eglise, il forma une secte que la persécution obligea de
célébrer le culte au milieu des champs et des bois. Aérius enseignait,
en se fondant sur la tradition apostolique, l'égalité des charges d'évêque
et de presbytre ; il interdisait, comme inutiles et dangereuses au point
de vue de la morale, les prières pour les morts ; bien que livré lui-
même aux pratiques de l'ascétisme, il combattait l'institution obliga-
toire du jeûne qu'en tant que sacrifice volontaire il préférait reporter
du mercredi et du vendredi au dimanche ; il condamnait aussi la cou-
tume juive de confondre la sainte Cène avec la Pâque, flétrissant du
nom d'antiquaires les fidèles attachés aux cérémonies prescrites par
l'Eglise. Cette secte était trop en opposition avec le courant des idées
régnantes pour pouvoir subsister longtemps. Epiphane {Hœres., LXXV)
dénonce Aérius comme un hérétique dangereux ; Mosheim, par contre,
(Kirchengesch.,ll, c. III, § 21) s'en est constitué l'apologiste : il voit en lui,
comme Neander (Kirchengesch., II, p. 492), un précurseur du protes-
tantisme.
AÉTIUS, chef intrépide et remuant de la secte des Anomiens (v. cet
article), surnommé l'athée (àOsoç) par l'ancienne Eglise, vécut vers le mi-
lieu du quatrième siècle. Il mena une vie errante et agitée qui le con-
duisit d'Antioche à Alexandrie et des déserts de la Thébaïde aux bords
du Bosphore, tour à tour étudiant et professant l'art de graver, la
médecine, la grammaire, la rhétorique, la philosophie. Défenseur
éloquent et convaincu de l'arianisme, proscrit, en péril de vie sous les
fils de Constantin, honoré de l'amitié de Julien l'Apostat qui lui fit don
d'une propriété dans l'île de Lesbos, diacre et évêque, mais sans dio-
cèse, ardent à disputer dans les synodes et les conciles, Aétius doit
avoir composé plus de 300 traités théologiques dont un seul, sur la
AÉTIUS — AFFRANCHIS 93
non-conception du Verbe, nous a été conservé par Epiphane {Haires.,
LXXVI, 40) qui le réfute. Il paraît avoir été surtout un dialecticien
habile et vigoureux.
AFFLICTIONS. Tandis que les adversités sont accueillies par l'incré-
dule avec une irritation peu déguisée ou avec une morne résignation
et deviennent pour lui un sujet de blasphème contre la Providence,
le pieux Israélite déjà les considérait comme faisant partie du plan
de Dieu pour le bien des hommes. A ses yeux, elles sont pour
le méchant le châtiment de ses fautes et un signe visible de la répro-
bation divine. Pourtant le juste aussi souffre beaucoup ici-bas, dans
son corps, dans ses facultés, dans ses biens, dans ses enfants, dans son
honneur; il est exposé aux embûches et aux violences de ses ennemis,
surtout lorsqu'il défend la cause de l'Eternel ; mais Dieu lui vient en
aide, le soutient, le console, le dédommage, ici-bas déjà, et si sa raison
bornée ne parvient pas à comprendre les desseins impénétrables de la
Providence, il trouve, dans sa foi, des motifs suffisants pour se soumettre
et bénir la main qui le frappe. Tel est, en résuméT la thèse développée
dans le livre de Job (V, 19; IX, 2, 38: XIII, 45; XIV, 6; XVII, 46;
XXXVI, 45, etc.) et dans beaucoup de Psaumes (XVI, 2; XXXIV, 20;
LXXVII, 44; LXXXVIII, 46, etc. Cf. 2 Sam. IV, 9; Esaïe XXV, 4;
XXX, 20; Hab. IV, 2). — Jésus-Christ affirme la même vérité : il
proclame heureux les affligés, en particulier ceux qui souffrent pour la
justice (Matth. V, 4, 40). Ses apôtres rappellent aux chrétiens que si
les souffrances peuvent être envisagées comme un châtiment pour les
péchés qu'ils ont commis et un avertissement en vue de ceux qu'ils
seraient disposés à commettre encore, elles sont le moyen que dans
son amour Dieu emploie de préférence pour garder les siens de toute
tentation et de toute rechute, pour purifier leur cœur, pour éprouver
leur foi et leur patience, pour les exercer à la miséricorde. Elles sont,
par excellence, l'instrument de la pédagogie divine. L'exemple des
prophètes, et surtout celui de Jésus-Christ, doit fortifier les affligés.
Tous les grands ouvriers de Dieu ont beaucoup souffert ici-bas. L'en-
trée dans le royaume des cieux et l'héritage de la gloire à venir
sont à ce prix. Aussi les apôtres exhortent-ils les chrétiens à con-
sidérer les afflictions comme le sujet d'une joie excellente (Actes IX, 6;
XIV, 22; Rom. V, 3; VIII, 48; 2 Cor. 1,5, 7; IV, 47; VII, 4; Col. I,
24; 2 Tim. III, 44; Hébr. XII, 5, 6; Jacq. V, 40; 4 Pierre III, 44;
V, 4, etc.).
AFFRANCHIS. Dans le passage Actes VI, 9, il est question d'une
synagogue des affranchis (AiêspTÎvoi) qui se serait trouvée à Jérusalem.
Une faut voir dans cette désignation assez obscure ni d'anciens esclaves
italiens qui se seraient convertis au judaïsme ( Vitringa, Grotius) ; ni des
affranchis juifs au service de maîtres juifs de la Palestine (Lightfoot) ;
ni une corruption du mot de AiougtÏvoi (Libystini) que ne porte aucun
manuscrit ; mais peut-être des Juifs originaires de Libertum, un district
inconnu de f Afrique proconsulaire (le catalogue du synode de Carthage,
en 444, fait mention d'un episcopus ecclesiz tibertinensis) , voisin de celui
de Cyrène et d'Alexandrie, nommés dans le contexte (Gerdes, De synag.
94 AFFRANCHIS — AFFRE
Libert., Gron., 1736); et plus vraisemblablement des Juifs conduits
sous Pompée comme prisonniers de guerre à Rome où ils auraient été
affranchis et d'où ils seraient revenus, peut-être sous, le coup de l'arrêt
d'expulsion promulgué par Tibère, et auraient formé l'une des 480 sy-
nagogues qui existaient à Jérusalem (Tacite, Annales, II, 85, 3. C'était
déjà l'opinion de Chrysostôme qui les appelle : 01 Po)|jj.!o)v dbiaXeùôepot,
Floderus : Disserl. de synag. Libert., Ups., 1767. De même : Winer,
Meyer, etc.).
AFFRE (Denis-Auguste), archevêque de Paris, était né en 1793 à Saint-
Rome (Aveyron). Neveu d'un professeur du séminaire de Saint-Sulpice
à Paris, il entra fort jeune dans cet établissement, qui était alors dirigé
parle vénérable Emery. En 1816, il fut chargé de l'enseignement de la
philosophie au séminaire de Nantes. Deux ans plus tard, la chaire de
dogme à Saint-Sulpice lui était confiée; mais l'ardeur qu'il mettait à sa
tâche l'obligea bientôt de prendre du repos. Il accepta l'humble poste
d'aumônier à l'hospice des Enfants trouvés, qui lui laissait assez de
loisirs pour fonder avec M. Laurentie un journal politique et religieux,
La France chrétienne, M. de Soyez, évêque du diocèse nouvellement
reconstitué de Luçon, l'appela en 1821 auprès de lui comme vicaire
général, et il put déployer ses talents administratifs et son infatigable
autorité. Mais à la suite d'un dissentiment avec son évêque, il fut investi
des mêmes fonctions à l'évêché d'Amiens. Il y publia son Traité de
V administration temporelle des paroisses, 1827 (3e éd. 1835), ainsi que
Y Essai historique et critique sur la suprématie temporelle des papes et
de l'Eglise, ouvrage destiné à combattre le système de Lamennais.
M. Aft're n'était pas ultramontain, mais il voulait l'alliance du trône et
de l'autel. Après la révolution de 1830, le clergé craignit que le nou-
veau gouvernement ne fut hostile à la religion catholique , et le vicaire
général, appelé à complimenterLouis-Philippe qui visitait Amiens (1831),
se contenta de le saluer comme prince, au lieu de se servir du terme
usité de Sire. En 1834, quelques désagréments le portèrent à demander
uncanonicat. L'archevêché de Paris étant devenu vacant (1840), par la
mort de M. de Quelen, légitimiste fortattaché à l'ancien ordre de choses,
le gouvernement désira que ces importantes fonctions fussent confiées
à un homme qui apporterait un esprit nouveau dans les rapports du
clergé et de l'autorité civile. Après quelques hésitations, il nomma
M. Affre. Celui-ci se consacra avec une grande fidélité à l'administration
de son diocèse ; mais les relations avec les pouvoirs laïques restèrent
tendues. Lorsque l'épiscopat réclama, au nom des catholiques, la
liberté de l'enseignement secondaire, l'archevêque de Paris prit une
grande part au débat, et, dans un mémoire sur l'enseignement philoso-
phique, il critiqua vivement les variations du chef de la philosophie
française, Cousin. La révolution de 1848 devait couronner sa carrière
par un acte héroïque. L'insurrection de juin se prolongeait; M. Affre
offrit au général Cavaignac d'adresser aux rebelles des paroles de paix.
Le chef du pouvoir exécutif lui représentant les dangers de cette en-
treprise, il repondit : « Ma vie est peu de chose, je la donne volontiers. »
U se rendit aux barricades, accompagné du représentant du peuple
AFFRE — AFGHANISTAN 95
Albert. Celui-ci, en costume d'ouvrier, tenait, au lieu du drapeau blanc
des parlementaires, une branche de verdure. Il demanda qu'on laissât
parler l'archevêque. La fusillade s'arrêta; Affre commençait son dis-
cours, quand un coup de feu, parti on ne sait d'où, le blessa au côté.
Un effroyable tumulte d'accusations réciproques retentit; mais la vue
de la victime défaillante unit les combattants dans un même sentiment
d'horreur, et la guerre civile était conjurée. Affre fut d'abord transporté
aux Quinze-Vingts; autour de lui on promettait de le venger : « Non,
dit-il, mon sang doit être le dernier qui ait coulé dans cette lutte. » Le
27 juin, il expirait à l'archevêché. Un décret de l'assemblée prescrivit
des funérailles solennelles. — Voy. Vie de Mgr Affre, par Mgr Cruice,
évêque de Marseille. A. Matter.
AFGHANISTAN (Statistique religieuse). Population. On a longtemps
attribué à l'Afghanistan une population de 8 à 14,000,000 d'habitants.
On ne l'évalue plus aujourd'hui qu'à environ 4,000,000 d'âmes. Les
Afghans, peuple nomade d'origine indo-germanique, en forment la
grande majorité. Il leur est arrivé la même chose qu'à bien d'autres
nations sur la surface du globe. Des savants bien intentionnés plutôt
que judicieux ont voulu, en se fondant sur quelques ressemblances de
mots et d'usages, voir en eux des descendants des dix tribus d'Israël.
Cette opinion est aujourd'hui abandonnée, aussi bien que celle qui les
faisait sortir de l'Arménie. On trouve encore dans le pays, principale-
ment dans les villes, des Tadjiks, des Parsis, des Hindous, des Arabes,
des Tatars et quelques Juifs. On ne pourrait sans témérité évaluer la
force numérique de ces divers éléments ; le pays est encore trop peu
connu pour cela. Longtemps soumis à la domination persane, l'Afgha-
nistan profita pour se rendre indépendant des troubles qui désolèrent
la Perse au milieu du siècle dernier. — Religion. Les Afghans appar-
tiennent à la religion musulmane; ils se rattachent à la grande secte
des Sunnites qui reconnaît la légitimité des trois premiers khalifes,
successeurs de Mahomet. Chose rare parmi les musulmans, ils sont,
dit-on, très-tolérants pour les autres religions et ne molestent nulle-
ment à cause de leurs croyances les Juifs et les Parsis qui habitent au
milieu d'eux. Leurs prêtres que l'on appelle mollahs ne jouissent pas
d'une grande influence. L'instruction publique est assez estimée;
chaque village possède une école dont le maître est payé par une con-
cession de terres. Quelques collèges dans les villes préparent les mollahs
à leur vocation ; mais ceux qui veulent pousser leurs études plus loin
vont chercher à «Boukhara une science supérieure à celle de leur pays.
C'est que l'enseignement des écoles afghanes est fort peu de chose et
qu'il n'empêche pas le peuple d'être plongé dans une profonde igno-
rance et dans toute sorte de superstitions. Les revenants, les rêves, les
devins, l'astrologie, les talismans jouent un grand rôle dans les croyances
populaires. Le Coran est la règle du droit civil, mais il s'en faut
bien qu'il soit toujours respecté, et quant à la justice pénale, la ven-
geance de l'offense en tient lieu le plus souvent. Aussi le pays est-il
encore en pleine barbarie, et il serait temps d'y faire briller enfin la
lumière de l'Evangile. Il n'y a rien de particulier à dire des Juifs et des
96 AFGHANISTAN — AFRIQUE
Parsis qui habitent la contrée. — Bibliographie : Voyages et géographies
de Forster, d'Elphinstone, de H. Pottinger, d'E. Stirling, de Masson,
d'Outram, de Perrin, de H. Wilson, etc.
AFRE (Sainte), patronne d'Augsbourg. Les actes de cette sainte
(M.Welser, lier. August. Vind. Commentarii, Fef. 1594-, in-4°; AA. SS.,
5 Aug. II) se composent de deux parties. D'après la Conversio, œuvre
légendaire et sans valeur, Afra (ou Affra), Cypriote d'origine, était me-
retrix, et consacrée au service de Vénus. Saint Narcisse, évêque de
Gerona en Espagne, s' étant réfugié dans sa maison, la convertit ainsi
que ses servantes. La Passio (publiée seule par Welser, Ven., 1591,
in-4°; Ruinart, et Friedrich, p. 427) contient un beau récit de sa mort :
Afra, autrefois lupanar ia, fut brûlée au bord du Lech par le juge Gaius
(304) ; sa mère Hilaria (ou Hilara), après avoir recueilli ses restes, fut
brûlée le même jour. Saint Fortunat, mort en 609 (De vita S. Martini,
l. A, éd. Luchi, R. 1786, I, p. 470), fait le premier mention du nom de
sainte Afre. Il s'adresse à son poëme et lui dit :
Pergis ad Augustam, quam Vindo Lycusque fluentant ;
(Var. : Virdo et Licca fluentant. La Wertach et le Lech).
Illic ossa sacrse venerabere martyris Afrse. (Var. : Virginis.)
Le culte de sainte Afre était donc célébré à Augsbourg dès le sixième
siècle. Rettberg [K. Gesch. Deutschl., I, 1846, p. 144 ss.), paraît avoir
prouvé que ce mot de meretrix ne se rencontre dans les martyrologes
qu'avec Adon (859), c'est-à-dire après l'époque où nous retrouvons les
Actes de la sainte, dont il fixe la date peu avant le milieu du neuvième
siècle (voy. aussi Tillemont, V). M. Friedrich, qui a retrouvé les Actes
entiers dans un manuscrit de la fin du huitième ou du commencement
du neuvième siècle [K. Gesch. Deutschl., 1867,1, p. 186 ss.), veut faire
remonter les Actes du martyre jusqu'au quatrième siècle. — Voy. PI.
Braun, Gesch. der h. Mart. Afra, Augsb., 1805,in-8°. Sur l'église et le
monastère de saint Ulrich et sainte Afra à Augsbourg, voy. Basil. SS.
U. et A. hist. descr., Aug., 1635, in-f°. PI. Braun, Beschr. der Dioc.
Augsb., I, Augsb., 1823.
AFRIQUE (Statistique religieuse). Nous allons passer rapidement en
revue toutes les parties de ce vaste continent et en indiquer la popula-
tion et, autant que possible, la proportion des divers groupes religieux
dans chaque contrée. — 1° Maroc. En prenant pour base le recensement
fait en Algérie en 1872 et les rapports des voyageurs les plus accrédités
sur la proportion de la population des deux pays, nous arriverons à
donner approximativement à l'empire du Maroc 6,080,000 habitants,
savoir, 5,370,000 pour la portion fertile du Nord ou Tell, et 710,000 pour
la région stérile du Sud ou Sahara. Plusieurs races occupent le pays,
les Maures, les Arabes, les Berbères, les nègres, tous mahométans et
formant la plus grande partie de la population. Les Juifs, proportionnel-
lement fort nombreux (300 à 350,000), descendent pour la plupart d'Is-
raélites que la persécution chassa d'Espagne ; il s'y trouve enfin quelques
centaines de chrétiens (6 à 800) établis presque tous à Tanger et catho-
liques-romains en majorité. — 2° Algérie. Le recensement de 1872
donne à l'Algérie une population totale de 2,416,225 habitants. Il compte
AFRIQUE 07
2, 125,052 musulmans, 233,733 catholiques, 6,000 protestants, 39,812
Israélites et 11,682 individus dont le culte n'a pu être constaté. L'article
spécial consacré à l'Algérie discutera ces chiffres et donnera plus de
détails en indiquant l'organisation des divers cultes. — 3° Tunisie. En-
viron 2,000,000 d'habitants (ou 1,250,000). Les mahométans des diver-
ses races qui peuplent le nord de l'Afrique forment le fond de la popu-
lation. Les juifs sont nombreux ; les évaluations varient entre 45,000
et 168,000; on compte environ 25,000 catholiques romains (ou 7,000),
Italiens et Maltais pour la plupart, 400 catholiques grecs et une cen-
taine de protestants. — 4° Régence de Tripoli. Des données fort incer-
taines font attribuer à ces contrées 1,150,000 habitants, savoir,
794,000 pour la Tripolitaine, 54,000 pour le Fezzan et 302,000 pour le
pays de Rarka. Presque tous sont musulmans. Les juifs y sont moins
nombreux que dans les autres Etats barbaresques ; mais on ne saurait
donner de chiffre à cet égard. 11 n'y a pour ainsi dire pas de chrétiens.
— 5° Sahara. La population de cette grande région appartient tout en-
tière à l'islamisme. En additionnant les chiffres que nous fournissent
pour ses différentes parties les voyageurs les plus autorisés, nous arri-
vons à un total nécessairement très-douteux de 3,672,000 âmes. —
6° Egypte et possessions égyptiennes. Jusqu'à ces derniers temps on at-
tribuait aux Etats du khédive environ 8,400,000 âmes. Le recensement
de l'Egypte proprement dite et les grandes conquêtes des années 1874
et 1875 dans l'intérieur de l'Afrique ont plus que doublé le chiffre pri-
mitif et fait admettre 16,921,757 habitants. L'Egypte propre comptait,
le 11 mars 1872, 5,271,757 habitants, la Nubie 1,000,000, le Darfour et
les autres possessions du khédive dans le Soudan 10,670,000 dont
5,000,000 pour le Darfour. La Nubie, le Darfour et le Soudan sont
exclusivement mahométans, sauf quelques communautés coptes et
quelques stations de missions sur les bord du Nil. Dans l'Egypte
proprement dite, les musulmans forment également la majorité. Les
coptes chrétiens sont au nombre de 150 à 200,000, ayant à leur tête le
patriarche d'Alexandrie qui réside au Caire. Malgré le travail des mis-
sionnaires catholiques et protestants, il n'y a guère, si l'on en excepte
les coptes, d'autres chrétiens que les étrangers, soit, 79,696 individus,
savoir, 34,000 catholiques grecs, 37,000 catholiques romains et 8 à
10,000 protestants. Les juifs sont au nombre de 8,000 (voy. cet article).
— 7° Abyssinie. Les 3,000,000 d'âmes qui peuplent l'Abyssinie se ré-
partissent ainsi que suit. Le christianisme monophysite est la religion
de 2,500,000 d'entre eux; 250 ou 300,000 professent le judaïsme ; le
reste se rattache à l'islamisme, au paganisme et à diverses Eglises chré-
tiennes (voy. cet article). — 8o Au sud de l'Abyssinie, le pays des
Gallas et la région du Nil-Blanc sont peuplés d'environ 15,000,000 d'ha-
bitants païens, parmi lesquels travaillent quelques rares missionnaires.
— 9° La péninsule de Somali est peuplée d'environ 8,000,000 de maho-
métans. — 10" Le Soudan moyen compte à peu près 33,800,000 habi-
tants musulmans, répartis dans les royaumes de Wadai, de Raghirmi,
de Rornou, de Sokoto, de Gando, deMassina, etc. —11° La Haute-Guinée
et le Soudan occidental, peuplés d'environ 43,600,000 habitants, sont
98 AFRIQUE
partagés a peu près également entre païens et musulmans, ceux-ci dans
l'intérieur du pays du côté du désert, ceux-là davantage sur les côtes et
dans les contrées voisines de la mer. Dans cette région, les possessions
françaises du Sénégal et de Garée renferment 215,941 habitants ; les co-
lonies anglaises de la Gambie, de Sierra- Leone, de la Côte d'Or et de
Lagos 633,400 ; la petite république nègre de Libéria 718,000. Les
chrétiens de toutes dénominations, tant Européens qu'indigènes, peuvent
être au nombre d'environ 350,000. Les nègres chrétiens forment une
partie considérable des habitants de Libéria ; le travail assidu de nom-
breux missionnaires en a amené un certain nombre à l'Evangile dans le
reste du pays. — 12° L'Afrique équatoriale est, au rapport des voya-
geurs, peuplée de 45,500,000 habitants, de race nègre, païens en grande
majorité. On compte cependant un certain nombre de mahométans dans
le nord et quelques chrétiens dans les stations missionnaires des côtes.
— 13° Zanzibar et pays environnants sur la côte orientale d'Afrique.
3,700,000 habitants mahométans et païens avec quelques chrétiens. —
14° Mozambique, Quilimane et autres possessions portugaises de la côte
orientale. 300,000 habitants païens, avec un certain nombre de catho-
liques européens et indigènes. — 15° Possessions portugaises de la côte
occidentale. 9,000,000 d'habitants païens, sauf 100 à 150,000 chrétiens
tant colons européens qu'indigènes convertis par les missionnaires. —
16° Cafrerie indépendante, royaumes indigènes de l'Afrique méridionale.
Environ 6,280,000 habitants. La masse de la population est encore
païenne ; mais c'est une des contrées du monde où les missions, protes-
tantes surtout, ont été le plus actives et le plus bénies ; une portion con-
sidérable des habitants de ces régions est aujourd'hui chrétienne. On
pourrait, je crois, sans exagération en évaluer le nombre à près de
300,000. — 17° La république du Transvaalz de 275 à 300,000 habitants.
Les dominateurs du pays, Hollandais d'origine, au nombre de 25 à
30,000, se rattachent à l'Eglise réformée. La population indigène, forte
de 250,000 âmes, est encore en grande majorité plongée dans les ténè-
bres du paganisme.— 18° Etat libre du fleuve Orange. 245,000 habitants,
savoir, 45,000 blancs protestants et environ 200,000 nègres, presque
tous encore païens. — 19° La colonie de Natal comptait, en 1871,
289,773 habitants. Les Européens sont presque tous protestants, le pa-
ganisme indigène est fortement entamé par les nombreux missionnaires
protestants et catholiques à l'œuvre dans le pays. — 20° La Cafrerie
britannique avec 86,201 habitants est dans le même cas. Les Européens
y sont peu nombreux. — 21° La Colonie du cap de Bonne-Espérance avait,
au recensement de 1871 , 436,381 habitants. Par suite de la grande émi-
gration de colons européens d'une part et du travail missionnaire de
l'autre, la majorité est rattachée au protestantisme. Cependant, il y a
encore dans quelques régions du pays passablement de païens. —
22° Les Iles de l'Océan Atlantique, îles du Cap-Vert, de San-Thomé, du
Prince, de Fernando-Po, d'Annobon, de Corisco, de l'Ascension, de
Sainte-Hélène et de Tristan d'Acunha sont toutes colonies des puissances
européennes. La population (129,219 habitants) est protestante à Sainte-
Hélène, catholique dans les autres. — 23° Madagascar, habitée par les
AFRIQUE 99
Howas de race malaise, les Sakalaves de race nègre et d'autres peupla-
des moins importantes, nourrit environ 5,000,000 d'habitants. Le paga-
nisme a disparu officiellement du pays, et sauf i 0,000 catholiques, les
habitants se rattachent à l'Eglise presbytérienne. Mais tout semble indi-
quer que chez beaucoup la conversion au christianisme a été seulement
extérieure, et le danger d'une réaction en faveur des erreurs anciennes
n'est pas encore écarté. — 24° Les îles de la Réunion, de Maurice, et des
Seychelles, la première française, les autres anglaises, ont une population
totale de 542,965 habitants. Descendants de colons européens et de
nègres esclaves, ils sont généralement catholiques. Les îles anglaises
contiennent un certain nombre de protestants. Le paganisme règne en-
core dans le cœur de bien des nègres extérieurement catholiques. ■—
25° Enfin les petites Iles africaines de l'Océan Indien, les Comores, Nossi-
Bè, etc., avec environ 80,000 âmes, sont habitées par une population
païenne encore dans sa masse, mais déjà fortement entamée par l'Evan-
gile. — Résumé : De ce qui précède, il résulte que la population de l'A-
frique s'élève environ à 207,500,000 habitants. Ce chiffre étonnera peut-
être quelques lecteurs. On trouve encore dans des livres récents la popula-
tion de ce continent taxée à 80 ou 100.000 000. Cette énorme différence
s'explique ainsi qu'il suit : le centre de l'Afrique, complètement inconnu
jusqu'à Livingstone et à quelques autres voyageurs contemporains, pas-
sait pour être presque désert. Les explorateurs récents, lorsqu'ils sont
parvenus à y pénétrer, ont trouvé au contraire que c'était une contrée
extraordinairement peuplée ; c'est pourquoi les évaluations nouvelles
vont quelquefois au triple et au quadruple des anciennes, et la population
totale de l'Afrique est comptée pour plus du double de ce que l'on disait
il y a vingt ans encore. Du reste, les procédés d'évaluation pour ces pays
encore si mystérieux laissent place à bien des erreurs. A l'exception de
l'Egypte, de l'Algérie, du Gap et des autres colonies anglaises et fran-
çaises, toutes les populations ne sont estimées que d'après les évalua-
tions nécessairement conjecturales des voyageurs, et bien des chiffres
subiront sans doute encore de grands changements. Pour le moment
nous sommes forcés d'adopter les nombres qui ont pour eux les princi-
pales autorités ; sauf deux ou trois exceptions nous avons pris les chif-
fres de Behm et Wagner dans les Mittkeilungen de Petermann, 1875,
cahier 41 des suppléments. Voyons maintenant comment les diverses
religions se partagent cette population. Les mahométans et les païens de
toutes dénominations se partagent à peu près également les habitants
de l'Afrique. Nous trouvons en effet J01,000,000de païens et 98 000,000
de mahométans. Il y a quelques années encore l'écart en faveur du pa-
ganisme était beaucoup plus considérable, mais l'activité missionnaire
des musulmans fait tous les jours de nombreuses conquêtes et la marche
de l'islam vers le sud est sûre et rapide. Les juifs sont dans le nord au
nombre de 7 à 800,000. Les diverses communions protestantes ont en-
viron 6,000,000 d'adhérents, dont plus des trois quarts sont les presby-
tériens de Madagascar. Les monophysites coptes et abyssins vont à
environ 2,700,000; 1,100,000 catholiques et 35,000 grecs complètent à
peu près pour tous les chrétiens africains le nombre de 10,000,000. —
100 AFRIQUE
Organisation ecclésiastique. Depuis le moment où le christianisme régna
clans le nord de l'Afrique jusqu'à la conquête musulmane, il y eut dans
Ci\ pays un grand nombre de diocèses. Le patriarche d'Alexandrie avait
sous lui neuf provinces métropolitaines : 1° Egypte I (métropole Dé-
ment ure, Hermopolis parva), 14 évêchés ; 2° Augustamniquc 1 (Péluse),
16 évêchés; 3° Augustamnique II (Léontopolis), 9évéchés; i° Egypte II
(Gabasa), 8évêchés; 5° Arcadie (Oxyrynchus), 9 évêchés ; 6° Thébaïde 1
(Antinoé), 10 évêchés; 7°Thébaïde H(Ptolémaïs), 10 évêchés; 8°Lybie 1
ou Penlapole (Ptolémaïs de Cyrénaïque), 11 évêchés ; 9° Lybie II ou
Marmarique (Dardanis), 8 évêchés, plus deux douteux. L'Ethiopie (mé-
tropole Auxunia) et les diocèses des Himiarites et d'Adulé ressortaient
probablement aussi du patriarche d'Alexandrie. Le patriarche de Car-
tilage avait sous lui un grand nombre d'évéques. Le P. Gams, bénédictin,
dans sa Séries episcoporum côtelés évéques de 715 sièges. Aujourd'hui
l'Eglise catholique compte en Afrique un certain nombre de diocèses
que nous allons énumérer : 1 archevêché, Alger; 12 évêchés, Gonstan-
tine, Oran, Ceuta, Congo et Angola, Saint-Denis, Santiago du Cap-Vert,
Maurice, Mozambique, Saint- Paul- de -Loanda, Natal, Tanger, San-
Thomé ; 9 vicariats apostoliques, Abyssinie, Alexandrie, Le Cap, Gra-
hamstown, Guinée, terre des Gallas, le Caire, Libéria et Monrovia,
Tunis ; 1 provicariat apostolique, Khartum, et 4 préfectures apostoli-
ques, Saint-Louis, Nossi-Bë, les îles Seychelles et Tripoli. L'Eglise épis-
copale d'Angleterre a des évêques au Cap, à Grahamstown, à Maurice,
à Natal, à Sainte-Hélène, à Sierra-Leone, et trois évêques missionnaires
dans l'Afrique centrale, au Niger et dans l'Etat libre du fleuve Orange,
en tout 9 diocèses. — Bibliographie. Les documents consultés sont trop
nombreux pour être tous indiqués ici. Citons seulement plusieurs rela-
tions de voyages, la statistique officielle de l'Algérie en 1873 et les pu-
blications de l'Institut géographique de Gotha. E. Vaucher.
AFRIQUE (Eglise d'). On a l'habitude de désigner sous ce nom l'ensem-
ble des Eglises chrétiennes qui s'étaient établies dans l'Afrique procon-
sulaire et qui y ilorissaient dans les premiers siècles de notre ère. Par
le rôle considérable qu'elle joua dans les controverses dogmatiques et
ecclésiastiques de cette époque, non moins que par la notoriété de ses
principaux représentants, l'Eglise d'Afrique a droit à une mention toute
particulière. Nous ne nous occuperons ici que de la première période
de son histoire, qui est naturellement close par l'invasion vandale et la
mort de saint Augustin (430). Les années qui suivirent furent pour
cette Eglise des années d'angoisses et de décadence; la conquête
arabe (698) acheva de la ruiner. — A l'époque où le christianisme y fut
introduit, le nord de l'Afrique était divisé, au point de vue politique, en
quatre provinces : Y Afrique proconsulaire proprement dite, la Numidie,
la Mauritanie Césarienne et la Mauritanie Tingitane. Au commencement
du quatrième siècle, on comptait six provinces au lieu de quatre. La
Mauritanie Tingitane avait été, il est vrai, réunie à l'Espagne, mais on
avait, en revanche, adjoint aux autres la province de Tripolis ; on avait
subdivisé l'Afrique proconsulaire en deux parties qui portaient les noms
de Zeuaitane et de Byzacène , et de la Mauritanie Césarienne on avait
AFRIQUE 101
détaché la Mauritanie Sitifienne. La Numidie seule restait ce qu'elle
était. Ces six provinces constituèrent, au point de vue ecclésiastique,
le diocèse d'Afrique. La métropole de ce diocèse, la ville qui devint le
centre du christianisme africain était Garthage. Détruite de fond en
comble, après la troisième guerre punique, elle ressuscita en quelque
sorte parla volonté de l'empereur Auguste (29 av. J.-C). Son déve-
loppement fut si rapide qu'elle ne tarda pas à reprendre son ancien
éclat. A côté d'elle on peut citer quelques villes plus ou moins célèbres :
Hippone, Tagaste, Madaure, Milène, etc. — Gomme la plupart des
Eglises, celle d'Afrique a essayé de se donner une origine apostolique.
La légende, s'einpârant du nom de Simon de Cyrène qui s'était acquis
une grande notoriété en portant la croix de Jésus (Matth. XXVII, 32) et
le confondant avec Simon le Zélote, un des douze apôtres, a fait de ce
dernier le premier missionnaire de l'Afrique ; elle a aussi prétendu que
saint Pierre aurait envoyé de Rome des légats apostoliques à Garthage.
Ce sont là des suppositions purement gratuites. Tertullien, qui fait
quelque part une énumération des Eglises ayant une origine aposto-
lique, passe sous silence l'Eglise d'Afrique à laquelle pourtant il apparte-
nait. Il est très-naturel de supposer que les rapports fréquents soutenus
par la capitale de l'empire romain avec l'Afrique proconsulaire contri-
buèrent, pour une grande part, à l'introduction du christianisme à Gar-
thage. Les commencements de l'Eglise d'Afrique sont obscurs. Le pre-
mier évèque dont il soit question est Optât de Garthage, qui est cité dans
le martyrologe de Perpétue et de Félicité (202). Cependant le christia-
nisme avait introduit comme une vie nouvelle dans le nord du conti-
nent africain, et sur ce sol un peu barbare était née toute une littéra-
ture. Tertullien, Gyprien, Augustin, et au-dessous d'eux Arnobe de
Sicca, Optât de Milène, Fulgence, etc., imprimèrent à la langue latine
un cachet tout particulier. Les trois premiers surtout jouèrent un rôle
considérable dans l'Eglise d'Occident par la part qu'ils prirent aux
luttes dogmatiques, ecclésiastiques et morales de leur temps. —
Avant d'aborder l'histoire dogmatique et morale de l'Eglise africaine,
rappelons rapidement quels furent ses rapports avec les derniers em-
pereurs romains. Un seul mot les résume : persécution. Dans l'es-
pace de quelques années, le christianisme avait acquis un dévelop-
pement si rapide au sein de l'Afrique proconsulaire qu'il était devenu
pour l'ancienne religion un rival dangereux; aussi, la population du
pays, qui sous le dehors d'une civilisation avancée avait gardé un grand
fonds de barbarie, exécuta-t-elle avec une ardeur sauvage les décrets des
empereurs . En 203, Septime-Sévère condamna formellement dans un
décret la propagation des doctrines nouvelles, et invita les magistrats à
faire, à cet égard, des enquêtes minutieuses. Le proconsul d'Afrique,
Saturnin, n'attendit pas ce décret pour sévir contre les chrétiens. Dès
l'an 200, douze chrétiens des deux sexes de la petite ville de
Scillita furent amenés à Garthage, interrogés et décapités. Deux ans
après eut lieu, encore à Garthage, le martyre de Perpétue et de Fé-
licité. En 211, sous Caracalla, nouvelle persécution, mais qu'il faut
attribuer moins à l'empereur qu'au proconsul Scapula. V Apologie de
102 AFRIQUE
Tertullien n'avait pas empêché la première persécution; sa belle Lettre
à Scapula ne diminua pas les rigueurs de la seconde. L'Eglise jouit
d'une sécurité relative sous Macrin, le meurtrier de Caracalla, et sous
Héliogabale (218); Alexandre-Sévère (222-235) lui fut même favorable.
Sous les empereurs suivants, en particulier sous Maximin le ïhrace
(235-338), la persécution se raviva; mais l'Eglise même d'Afrique ne fut
directement atteinte que sous Décius (2i9-251). Les rigueurs furent
telles que de nombreuses défections eurent lieu, et c'est alors que surgit
la grave question des chrétiens tombés, des lapsi, où se fit sentir d'une
façon particulière l'influence de saint Gyprien. Le pieux évêque n'était
pas à Garthage au moment où la persécution y sévissait. Comprenant
que l'heure du martyre n'avait pas encore sonné pour lui, il s'était ré-
fugié dans une retraite inconnue d'où il continuait à gouverner son
Eglise, l'exhortant par ses lettres et combattant avec succès le schisme
du prêtre Félicissimus que ses adversaires voulaient asseoir à sa place
sur le siège épiscopal. Quand il put reparaître au milieu des siens, il
trouva son troupeau affaibli et divisé. Beaucoup de ceux qui avaient
faibli voulaient rentrer en grâce. La question était délicate : on était
porté d'une part à une trop grande indulgence , tandis que d'autre part
on réclamait une sévérité excessive. Gyprien, unissant la fermeté à la
douceur, écrivit à ce sujet son traité De lapsis, dans lequel il déclare que
si ceux qui ont failli ne doivent pas être rejetés à toujours, il ne faut
cependant les admettre au pardon qu'après pénitence. Les empereurs
Gallus (251-253) et Valérien (253-260) continuèrent, quoique avec moins
de rigueur et de persistance, la politique de Décius; mais les quarante
années qui suivirent la mort de Valérien furent de nouveau pour
l'Eglise une période de tolérance et de calme. La terrible persécution
de Dioclétien et de ses associés (303-313) n'en dut paraître que plus
formidable. L'Eglise d'Afrique fut particulièrement éprouvée. C'était
surtout contre les Livres saints que les païens tournèrent leur fureur.
Le décret de Dioclétien portait entre autres que « les exemplaires des
Livres sacrés devaient être jetés au feu » (Eusèbe, H. i^VIlI, 2).
Beaucoup de chrétiens croyaient satisfaire à la fois à leur conscience et
à leur sécurité en livrant, au lieu des saintes Ecritures, des manuscrits
des livres hérétiques. On les appela tradùores. La plupart firent preuve
d'un courage héroïque : ainsi, Félice, évêque de Tabura, qui résista à
toutes les injonctions. L'édit de Milan (313) inaugura pour l'Eglise une
ère nouvelle ; le christianisme devenait religion d'Etat avec Constantin ;
mais l'Eglise d'Afrique ne devait pas connaître de sitôt la paix exté-
rieure ; le schisme des donatistes lui causa presque autant de dommage
que la persécution païenne. — Cela nous amène à parler de l'attitude
que cette Eglise prit dans les questions disciplinaires et morales. Dans
un excès de réaction contre la corruption de la société païenne, quel-
ques chrétiens se jetèrent dans un ascétisme outré, et cette tendance
donna naissance en particulier à la secte des montunistes et à celle des
nova tiens (voy. ces articles). Mais ce fut surtout contre le donatisme
que l'Eglise d'Afrique eut à lutter (voy. cet article). Comme les précé-
dents, les donatistes affichaient une rigueur disciplinaire excessive.
AFRIQUE 103
Malheureusement, au lieu de les abandonner à l'isolement auxquels ils
se condamnaient eux-mêmes, Constantin donna le premier, contre eux,
le signal des persécutions (314). Les donatistes se crurent en droit de
combattre la force par la force. Ils se liguèrent avec tout ce qu'il y
avait en Afrique de sujets opprimés, d'esclaves maltraités, de débiteurs
poursuivis, en un mot avec tous les ennemis jurés de l'ordre social.
A leur suite, les « circoncellions , » espèce de mendiants vagabonds,
armés, disaient-ils, pour combattre Satan, parcouraient les campagnes,
dépouillant les voyageurs, pillant les maisons, se livrant à toutes sortes
d'excès. Il était vraiment impossible de ramener ces furieux par la per-
suasion. Saint Augustin, qui s'y était d'abord essayé dans plusieurs con-
férences, finit par les abandonner à la rigueur des édits d'Honorius (412).
L'Etat, on le voit, intervenait de plus en plus dans le règlement des
affaires ecclésiastiques; l'Eglise cependant s'était organisée en dehors
de lui et possédait son gouvernement propre. Dans le principe tous les
fidèles étaient « prêtres et sacrificateurs, » mais peu à peu et par la
force même des choses le gouvernement spirituel se concentra entre les
mains d'un petit nombre. Ainsi naquit la distinction entre le clergé e(
les laïques. Au commencement du troisième siècle, Tertullien s'écriait
sans doute : « Nous laïques, ne sommes-nous pas aussi prêtres? » mais
déjà la hiérarchie était fondée et depuis le milieu du troisième siècle,
sous l'influence de saint Gyprien surtout, l'épiscopat obtint sur la prê-
trise une prééminence sensible. L'évêque de Carthage ne lutta pas avec
moins d'ardeur contre la primauté romaine et en plusieurs circon-
stances il maintint formellement son avis contre celui de Févêque de
Rome. Selon Cyprien, la décision d'aucun évêque ne pouvait prévaloir
dans l'Eglise catholique, qu'autant qu'elle était confirmée par le corps
épiscopal tout entier. Disons toutefois que le même Gyprien, sans
prendre expressément le nom de métropolitain de sa province, en joua
souvent le rôle. Les évêques de la Numidie, de la Mauritanie ou de la
Tripolitane se réunirent souvent en synodes généraux sous sa prési-
dence, et le siège épiscopal de Carthage finit par acquérir une sorte de
primauté de fait. Cet état de choses s'affirma surtout sous Aurèle, qui
fut évêque de Carthage de 392 à 429. L'évêque du chef-lieu de chacune
des six provinces dont se composait l'Eglise d'Afrique fut considéré
comme une sorte de primat, mais seulement dans le sens d'évêque du
premier siège (p?nmx sedis episcopus). Toutefois ce ne fut pas là pour
l'Eglise d'Afrique une règle absolue, et la dignité de primat fut souvent
attribuée non pas à l'évêque du chef-lieu, mais à celui dont l'ordination
était la plus ancienne. Cela n'empêcha pas l'Eglise de Carthage de con-
server la prépondérance et Aurèle, en particulier, ne laissa passer
aucune occasion de l'affirmer. Ego cunctarum ecclesiarum dignatione
Dei, utscitis, fmtres, sollicitudinem sustineo , dit-il au troisième concile
de Carthage, Ce pouvoir étendu était pourtant limité par le concile gé-
néral devant lequel étaient portées les affaires qui concernaient les
Eglises de toutes les provinces africaines. A l'époque d 'Aurèle ce con-
cile devait se réunir tous les ans, le 23 août; plus tard il fut décidé qu'il
ne serait convoqué que lorsque les circonstances l'exigeraient (Cad.
104 AFRIQUE
eccl. Afr., can. 95). Les décisions du concile général devaient être sans
appel et l'excommunication était la peine réservée à ceux qui tente-
raient de faire intervenir une autorité d'outre-mer. — Cet esprit d'in-
dépendance que l'on constate dans l'organisation ecclésiastique de
l'Eglise africaine, se retrouve en quelque mesure dans ses croyances
dogmatiques. D'une manière générale, elle se rattachait à la tendance
réaliste pratique par opposition à la tendance scientifique idéaliste re-
présentée par l'école d'Alexandrie. Tertullien qui fut d'abord son prin-
cipal docteur apparut sur la scène au moment où la doctrine chré-
tienne s'affirmait contre les sectes théosophiques. Les gnostiques, on le
sait, faisaient bon marché de la tradition et de la lettre. Tertullien
affirma au contraire qu'il fallait s'y asservir et que là même où elles
répugnaient le plus à l'intelligence humaine, leur apparente absurdité
était un titre de plus aux yeux de la foi. « Credo quia ineptum, » disait-il.
Les gnostiques essayaient de résoudre par les fantaisies de leur ima-
gination ces grandes questions de l'origine du monde et de l'existence
du mal ; ils avaient inventé à ce propos le système des émanations.
Tertullien, et avec lui l'Eglise d'Afrique, professe la création exnihilo,
par un acte absolu de la volonté de [Dieu, et l'existence de ce Dieu se
prouve par le témoignage de l'âme naturellement chrétienne. Dans son
réalisme outré, Tertullien allait jusqu'à attribuer un corps à Dieu. A
vrai dire, c'était là du matérialisme et ce matérialisme s'affirme ingénu-
ment dans ses idées sur la nature de l'âme humaine ; selon lui, l'âme
était corporelle et se propageait avec les corps; on a appelé ce système
le traducianisme . Le réalisme de l'Eglise d'Afrique ne s'affirma pas
moins en christologie, et le génie matérialiste de Tertullien n'était nulle-
ment embarrassé pour expliquer comment Dieu était devenu Père et
pour faire ressortir l'identité de substance du Fils et du Père. C'est Ter-
tullien également qui introduisit dans le langage théologique occidental
le mot de trinité pour désigner un Dieu triple quant aux personnes qui
le composent et un par la substance. Les disputes ariennes n'agitèrent
pas trop l'Eglise d'Afrique; cependant, par l'organe de saint Augustin,
elle dit son mot lors de la rédaction du dogme trinitaire, et fit ajouter,
en Occident, au symbole de Gonstantinople le fameux Filioque. Des
questions d'une nature plus pratique occupaient l'Eglise latine :
c'étaient celles qui concernent l'homme, les rapports de son libre
arbitre avec la grâce et les forces dont il dispose pour remplir les con-
ditions du salut. Nous n'avons pas à faire ici l'histoire de la controverse
pélagienne; il nous suffira de rappeler que saint Augustin fut le plus
infatigable et le plus implacable adversaire de Pelage et de Gœlestius. Il
les fit condamner par plusieurs conciles réunis en Afrique même, entre
autres par les conciles de Carthage de 412, 416 et 417. Si l'histoire de
l'Eglise d'Afrique peut se clore à la mort de l'illustre évêque d'Hip-
pone, son influence a persisté bien au delà. Grâce à lui, les doc-
trines de l'Eglise d'Afrique ont été pendant des siècles la norme de
la croyance des Eglises chrétiennes aussi bien catholique que pro-
testantes. — Voyez surtout Munter, Primordia ecclesias Africanz,
Hafn., 1829. A. Gary.
AGABUS - AGAPES 105
AGABUS ("Ayacoç, nom évidemment hébraïque, peut-être le même
que Khagab, Esd. II, 46), prophète chrétien de la primitive Eglise men-
tionné deux fois dans les Actes (XI, 28, et XXI, 10). La première fois à
Antioche, Agabus prédit une grande famine qui devait s'étendre à toute
la terre. On s'accorde assez à voir dans cette prédiction la famine qui
sévit particulièrement en Judée en l'année 44 et la quatrième du règne
de Claude (Josèphe, Ant. XX, 2, 6 ; Eusèbe, H. E., II, 8; Orose, VII, 6).
Plus tard, à Césarée, dans la maison de Philippe l'évangéliste, il prédit
encore par un acte symbolique la captivité de Paul à Jérusalem.
Agabus est l'unique prophète chrétien du Nouveau Testament dont le
nom ait été conservé. Mais, à cette époque, les hommes en qui revi-
vaient l'antique esprit et l'exaltation prophétique étaient nombreux
(Actes XI, 27; XXI, 9; 1 Cor. XII, 28; XIV, 29; Ephés. III, 5; IV, 11).
Les prophètes avaient même rang dans l'Eglise et venaient après les
apôtres.
AGAPES, du mot grec cc{&%^ qui, dans le Nouveau Testament, désigne
surtout l'amour fraternel. C'est le nom des repas mystiques que les
premiers chrétiens prenaient en commun et qui se terminaient par la
célébration de l'Eucharistie. Le mot revient souvent chez les auteurs
ecclésiastiques des quatre premiers siècles. On ne le trouve, dans ce
sens, qu'une fois dans le Nouveau Testament, Epître de Jude, 12. (La
leçon parallèle de 2 Pierre II, 13, que nous offrent les manuscrits A, C?
ne paraît pas être la bonne). Il est vraisemblable que le livre des Actes
fait allusion à ce repas fraternel quand il parle de l'habitude des chré-
tiens de rompre le pain en commun (Actes II, 42, 46, et XX, 7). Paul le
mentionne expressément et le nomme zupiaxcv Seîtcvov (1 Cor. XI, 20).
Cette expression en démontre l'origine chrétienne et ne permet pas d'y
voir une imitation ou un emprunt fait aux esséniens ou à quelque autre
secte juive ou païenne. L'agape est évidemment dans l'Eglise le sou-
venir et la répétition du dernier repas de Jésus avec ses disciples à la fin
duquel il institua la sainte Cène (Matth. XXVI, 8; 1 Cor. XI, 23). Voilà
pourquoi l'agape et la sainte Cène étaient séparées du culte public
dans la primitive Eglise et célébrées ensemble le soir (Actes XX, 7 ; Pline,
Epist., X,96). A Jérusalem, dans les premiers temps, ce repas mystique
avait lieu tous les jours. Mais un tel état de choses ne pouvait durer
qu'aussi longtemps que l'Eglise était peu nombreuse et que la charité y
produisait et y maintenait cette communauté de biens dont il est
question dans le livre des Actes. Plus tard les agapes n'eurent lieu
que le dimanche. Bientôt des abus et des désordres se produisirent
qui amenèrent des changements plus importants. Déjà Paul blâme
vivement la manière dont ces agapes se tenaient à Corinthe (1 Cor. XI,
21, 22). Il n'y reconnaît plus le repas du Seigneur. Ces festins ressem-
blaient trop à ceux qui suivaient les sacrifices païens. Au lieu de tout
mettre en commun , chacun mangeait ce qu'il avait apporté. Les uns
sortaient presque ivres, les autres ayant faim. Les riches semblaient
insulter par leur abondance à la misère des pauvres. Ajoutons que ces
agapes non-seulement donnèrent à l'autorité romaine l'occasion
d'appliquer à l'Eglise chrétienne les lois contre les hétairies ou corpo-
10G AGAPES - AGAPET I"
rations dont les membres se réunissaient en des banquets réguliers
(Pline, Episl., X, 97), mais encore par le seul fait qu'elles avaient lieu
dans l'intimité et la nuit, elles donnèrent lieu à toutes ces rumeurs
absurdes qui couraient dans le peuple sur le compte des chrétiens. La
distribution symbolique du corps et du sang du Christ devenait un
repas de chair humaine. Le baiser fraternel que se donnaient avant de
se sépare r les membres de la communauté se transformait en scènes
de débauches incestueuses. La lettre de Pline a démontré la fausseté de
ces calomnies. Mais il n'est que trop vraisemblable que les désordres
dont se plaignait Paul durent aller en augmentant dans les Eglises
d'origine païenne. Aussi en vint-on bientôt à séparer la sainte Gène de
l'agape et à la joindre au culte du dimanche matin. Nous trouvons cette
révolution accomplie à l'époque de Justin Martyr (140), qui nous donne
dans sa première apologie, une description du culte chrétien dont la sainte
Gène est déjà la partie centrale. A partir de cette séparation, la sainte
Gène et l'agape eurent des destinées bien contraires. La sainte Gène
acquit chaque jour une plus grande importance et une plus haute signi-
fication dans le culte, la doctrine et la vie de l'Eglise, jusqu'au sacrifice
de la messe et au dogme de la transsubstantiation. L'agape, au contraire,
privée de son élément capital, réduite à un simple banquet frater-
nel, dégénéra de plus en plus et perdit de son importance et de
son rôle dans la vie de l'Eglise. Sans doute Tertullien, avant la pé-
riode montaniste de sa vie, en fait le plus chaleureux éloge (Apo-
ioget., 39) et Julien l'Apostat recommande aux païens d'emprunter
cette coutume aux Galiléens; mais des voix de plus en plus nom-
breuses, inspirées par l'esprit ascétique envahissant l'Eglise ou par
les désordres moraux qu'amenaient ces agapes, s'élèvent contre elles
à partir du troisième siècle (Clément d'Alexandrie, Pœdag., II, 1:
Ghrysostome, Hom. XXYII in 1 Cor. XI; Augustin, Epist., 64). Du
temps de ce dernier, les agapes n'étaient guère plus que des repas
de charité que les riches donnaient aux pauvres. Sans les condam-
ner, plusieurs évêques, à l'exemple d'Ambroise de Milan, et plusieurs
conciles défendirent de les célébrer dans les Eglises (Concile de Gar-
thage, III, 391, c. 30). Avec le cinquième siècle, les agapes dispa-
raissent. Peut-être faut-il en voir des traces dans certaines habitudes
populaires et distributions faites aux pauvres en quelques pays, le
jour des Rameaux, le lundi de Pâques ou le jour de Noël.
A. Sabatier.
AGAPET Ier (saint) [Agapitus, Agapetus), Romain, fut pape de juin 535
à septembre 536. Envoyé à Constantinople pour négocier au nom du
roi des Ostrogoths, Théodat, menacé par Bélisaire, avec l'empereur
Justinien, il s'employa à combattre le monophysitisme et réussit à
mettre sa créature Mennas à la place du patriarche hérétique Anthime.
Dans une lettre adressée à l'évêque de Jérusalem, il célèbre son
triomphe en comparant le premier évêque d'Orient qui ait été sacré
par un pape à ceux qu'a institués saint Pierre. Il mourut à Constan-
tinople. Sa vie, attribuée à Anastase, est dans Muratori, Scr. r. Ital.%
III, i, p. lï28.Voy. Hefele, II, 741. Ses lettres se lisent dansMansi,YilJ.
AGAPET II — AGATHE 107
AGAPET II, Romain, fut pape de 946 à 955. Impatient du joug de In
pornocratie, il chercha un appui auprès d'Othon Ier. Dans le grave con-
flit des deux archevêques de Reims, dont l'un, Hugues de Vermandois,
était soutenu par son oncle Hugues le Grand, et l'autre, Artaud, par
Othon, protecteur du faible Louis d'Outre-mer, le pape s'était d'abord
prononcé pour Hugues. Il subissait l'autorité du fils de Marozia. Mais,
dès qu'il se sentit appuyé par le roi de Germanie, il excommunia
Hugues, et réunit en Allemagne le synode d'Ingelheim (948) pour dis-
poser de la France. Après le synode, il excommunia Hugues de France,
le rival d'Othon. Appelé en Italie par le pape, Othon le Grand ne put en-
core cette fois accomplir son œuvre, affranchir la papauté du joug du
parti qui la dominait, et prendre la couronne impériale (voy. Flodoard,
S. A., 946 ss. Les lettres du pape sont dans Bouquet, IX, 226 ss. et
dans Mansi, XVIII, 405 ss.).
AGAR [H agar, "Ayap], esclave égyptienne que Sara donna pour
concubine à Abraham, de qui elle eut un fils nommé Ismaël (Gen. XVI,
15). A partir de ce moment, Agar fut en butte aux mauvais traitements
de sa maîtresse, qui la fit renvoyer par Abraham (Gen. XXI, 9-21). Elle
se réfugia dans le désert avec son fils qui devint le père des Ismaéliens
ou Arabes (voy. Patriarches). Dans la tradition arabe, Agar devient la
femme légitime d'Abraham; elle habite la Mekke, et le fameux puits
Zemzem, dans l'enceinte de la Kaaba, n'est autre que la fontaine qui lui
fut montrée par Dieu (Gen. XXI, 19); Abraham reçut l'ordre de sacri-
fier Ismaël, etc. Voyez : d'Herbelot, Bibliothèque orientale; Weil., Bibl.
Legenden der Muselmœnner, p. 82 ss.
AGAREENS ou Agaréniens [Hag'rîm, Hag'riyîm, 'ÀYapaïoi, 'Ava-
p-rçvot, Agarei, Agareni], nom d'un peuple mentionné plusieurs fois
dans l'Ancien Testament comme s' étant trouvé en hostilité avec Israël
(1 Chron. V, 10, 19, 20; Ps. LXXXIII, 7). 11 est difficile de dire au
juste quel était ce peuple, dont le nom est vraisemblement dérivé
d'Agar, mais que le v. 7 du Ps. LXXXIII distingue bien des Ismaé-
liens. Eratosthène et Ptolémée connaissent des 'AypaToi au nord de
l'Arabie, et dans cette région se trouve encore une tribu arabe por-
tant le nom de Hadjar (Sprenger, Die alte Géographie Arabiens, 1875,
p. 288). C'est là probablement qu'il faut placer les Agaréens de la
Bible, plutôt que dans le pays de Hadjar, sur les bords du golfe
Persique.
AGATHE (sainte) , vierge et martyre sicilienne. Ses Actes latins
(A A. SS. 5 Feb. I) racontent sa passion, subie à Catane, sous Décius,
en Tan 251. Quintianus , consulaire, pour la conquérir, l'enferme
dans la maison d'Aphrodisia, matrone. Torturée, elle est guérie par
un ange ou un apôtre (saint Pierre). Les bourreaux traînent son
corps sur des charbons ardents et sur des fragments de poterie. Elle
meurt dans sa prison. Un ange, un jeune homme inconnu vêtu de
soie, suivi de plus de cent jeunes gens, place sur sa tombe une pe-
tite table de marbre avec ces mots : Mentent sanctam, spontaneum
honorem Deo , et patrise liberationem. D'après divers auteurs, cette
pierre, conservée à Crémone, porte les lettres : M. S. S. H. D. E.
108 AGATHE AGEN
P . L.). Après sa mort, les païens opposent le voile qui recouvrait
son corps aux laves qui descendent vers Catane, et la lave s'écarte. Ses
reliques sont à Rome, dans l'église de son nom, in Suburra; saint Am-
broise a composé la préface de l'office de sainte Agathe; le pape
Damase lui a consacré des vers élégants, saint Fortunat la nomme parmi
les vierges pures. Catane et Palerme se disputent sa naissance. Les
anciens bréviaires et les auteurs sont partagés en Ire l'une et l'autre
origine, les témoins les plus nombreux plaident en faveur de Catane.
Le bréviaire de Pie V décida en faveur de cette ville, mais le pape
Clément VIII, par une décision que Bolland loue comme dignitati
ecclesiœ romanse consenlanea, écrivit dans le bréviaire réformé : ....quam
Panormitani et Catanenses civem suum esse dicunt. Bolland et Potthast
(Bibl. hist. m. œvi, Berl., 1862, Suppl. 1868) citent les défenseurs de
l'une et l'autre ville (voy. Tillemont, III, p. 409 ss.).
AGATHON (saint), surnommé le Thaumaturge, fut pape de 678 à 682.
Il était moine sicilien. Le sixième concile œcuménique, réuni le 22 no-
vembre 680 au Trullum de Constantinople contre le monothélétisme,
fut préparé à Rome par un synode de 125 évêques, tenu à la fête de
Pâques de Tan 680 par Agathon. Les lettres dogmatiques du pape à
l'empereur Constantin Pogonat et au concile de Constantinople, sont,
avec les Actes du concile, dans Mansi, XI (voy. Hefele III, 227 ss., trad.
fr.? IV, 128 ss.). Le pape y proclame « deux volontés naturelles et
deux énergies naturelles, ainsi qu'il convient à un Dieu parfait et
à un homme parfait. » C'est par ce concile, réuni de l'autorité du
pape saint Agathon, que le pape Honorius fut condamné pour hé-
résie. C'est peut-être à l'effet de donner à la papauté une revanche
que le cardinal Deusdedit (1086) a fabriqué un décret d'Agathon, con-
servé dans Gratien {VDist. 19, c. 2), et adressé à tous les évêques de
la chrétienté, d'après lequel « toutes les dispositions du siège aposto-
lique doivent être acceptées comme si saint Pierre les avait confirmées
de sa bouche. » — Voy. sa vie attribuée à Anastase dans les Bollan-
distes (10 janvier, I) ; M. Schiavo, Dissert, storica dommat. délia patria
santtta e dottrina del ponte f. S. Agatone. Palermo, 1731, in-4°, éd. II,
1751, in -4°.
AGDE (Hérault) ['AfaBï), Agatha], évêché suffragant de l'archevêché
deNarbonne, supprimé en 1790. Saint Sever, vivant vers 450, en est le
premier évêque connu. Le concile d'Agde, tenu en 506 dans l'église
cathédrale de Saint-André, sous la présidence de l'archevêque Césaire
d'Arles, formulai canons qui ont tous trait à la discipline (Mansi,VIII,
323; Sirmond, Conc. Gallix, I, 161; Hefele, II, 631, trad. fi\, III, 254;
Gallia Chrisliana, VI).
AGEN [Aginnum], évêché suffragant de Bordeaux. Saint Caprais,
moine de Lérins (Caprasius), est le premier apôtre d'Agen; il fut mis à
mort en 303, après le martyre de saint Foy ; sa fête est célébrée le
20 octobre. Saint Phébade est le premier évêque de cette ville qui soit
connu (359). L'évêché, réuni en 1802 à Toulouse, a été rendu en 1823
à la province de Bordeaux. L'ancienne cathédrale de Saint-Etienne a été
démolie pendant la Terreur; l'église cathédrale, autrefois collégiale, de
AGEN — AGENAIS 100
Saint-Gaprais a été bâtie du onzième au seizième siècle sur les ruines
d'une première basilique fondée, suivant la tradition, par saint Dulcide,
qui fut évêque en 405 [Gallia Christiana,, II).
AGENAIS. La Réforme ne s'introduisit ostensiblement dans cette con-
trée, qui ressortit plus lard au synode de la Basse-Guyenne et forma
les deux colloques du Bas et Haut-Agenais , que lorsque Gérard Rous-
sel prit possession de l'abbaye de Clairac en 1530. Pourvu de ce béné-
fice par François Ier, favorable à cette époque aux idées nouvelles, le
célèbre réformateur donna aussitôt des conférences qui attirèrent une
foule de moines, lesquels quittèrent leurs couvents sur l'heure et pro-
pagèrent les doctrines réformées. Quatre ans plus tard, Calvin étant
venu visiter le savant et pieux Lefèvre d'Etaples, qui s'était retiré à
Nérae pour fuir la persécution, Roussel eut des entretiens avec lui tou-
chant l'organisation de l'Eglise, mais les deux docteurs ne purent
s'entendre. Calvin voulait « raser sur terre pour bâtir un nouvel édi-
fice, » tandis que Roussel désirait seulement restaurer ce qui existait
déjà ; de là l'éphithète de temporiseur que lui donnait volontiers le pre-
mier. Deux ans après (1536), les doctrines réformées furent professées
à Agen pour la première fois par le régent Philibert Sarrasin, «homme
docte, vertueux et craignant Dieu, » qui devint l'ami du célèbre Scali-
ger et le précepteur de son fils aîné. Bientôt suspect de « luthérerie, »
Sarrazin fut obligé de fuir pour ne pas être appréhendé au corps par
le conseiller Geoffroy de la Chassaigne, délégué par le parlement de
Bordeaux pour informer contre les partisans des idées nouvelles à
Agen. Scaliger lui-même, accusé de posséder des livres hérétiques,
(( d'avoir dit le carême n'être de l'institution ni de Christ ni des apô-
« très, ni la transsubstantiation article de foi sinon depuis le concile de
« Latran et finalement d'avoir mangé de la chair en temps prohibé, »
ne dut sa liberté qu'à la protection des amis qu'il comptait parmi le
parlement. Les autres luthériens d'Agen furent condamnés à « faire
amende honorable devant le grand temple, en chemise la torche au
poing » et à abjurer. En 1539 l'official de l' évêque d'Agen, plus sévère
que le parlement, condamna le moine jacobin Jérôme Vindocin, qui
avait fait le voyage de Genève, à être brûlé vif, supplice que le coura-
geux martyr endura avec une grande constance (4 fév.). Dans une autre
partie de l'Agenais, à Tonneins, en 1541, l'Allemand André Mélanchthon
et Jean Carvin d'Artois « tenaient des écoles et prêchaient. » Aymon
de la Voye faisait de même à Sainte-Foy. Le courageux confesseur
ayant appris qu'il était décrété d'arrestation par le parlement de Bor-
deaux ne chercha pas à fuir, « répondant à quelques amis particuliers
« qui le pressaient de sortir, que c'était le fait de mercenaires et faux
« prophètes. » Conduit à Bordeaux vers la Noël, il souffrit pendant
neuf mois « toutes sortes d'indignes et cruels traitements, » fut mis en
vain à la question extraordinaire pour dénoncer ses amis, convertit un
jeune carme qui était venu l'exhorter et marcha au supplice en chan-
tant le psaume CXIV (21 août 1542). Peyreton, archer d'Agen, et Nico-
las Charpentier, de Castelmoron, se virent également condamnés au
supplice du feu. Le parlement de Bordeaux ordonna encore, le 4 août
Î10 AGENAIS
1542, de poursuivre contre plusieurs personnages « accusés d'être
« sectateurs et auteurs de certaines doctrines contraires à la foi de
« l'Eglise catholique, » et Paul Denserville, « convaincu de blasphème
« séditieux et perturbateur de la foi catholique, » fut condamné à la
même époque à faire amende honorable au devant de l'église Saint-An-
dré de Bordeaux et à « être brûlé vif et son corps mis en cendres
« en face du palais du parlement. » Le 7 mai 1556, Arnaud Mo-
rtier, de Saint-Emilion, et Jean de Gazes, de Libourne, furent égale-
ment brûlés vifs à Bordeaux en vertu d'un arrêt du parlement qui,
du même coup, défendit à son de trompe « l'impression et vente des
« Pseaumes et du Nouveau Testament en français. » En 1558 Pierre Sau-
bin, conseiller au présidial d'Agen, accusé de luthéranisme, fut con-
duit à Bordeaux, « où il endura beaucoup d'inhumanités, mais tant y
« a que finalement il en échappa par une amende pécuniaire et ne
« laissèrent les petites assemblées de passer outre ». Cependant le
timide Gérard Roussel, qui avait été promu, dès 1536, à l'évèché
d'Oléron en Béarn par la reine Marguerite de Navarre, fut bientôt
distancé par ses partisans, qui organisèrent des Eglises évangéliques.
C'est ce que fit en particulier son propre vicaire général, le bénédictin
Aymeric, qui devint le premier pasteur de Clairac. Son exemple fut
suivi et Pon vit peu à peu se fonder diverses Eglises, à la tête des-
quelles furent ptacés des ministres venus de la Suisse. Les documents
de l'époque mentionnent François le Guay, dit Boë Normand, et Vi-
gneaux, pasteur à Bordeaux en 1558 ; Oudet Nott, à Castelmoron, en
1561 ; Jean Voirin et Jacques Fontaine, « tous deux de grande doctrine
et piété, » à Agen en 1560. Voirin était doué d'une vive éloquence et on
dut lui livrer les églises des Jacobins et de Saint-Phébade d'Agen, pour
contenir les nombreux auditeurs avides de l'entendre. Un synode provin-
cial, assemblé à Bordeaux en 1561 et qui compta AO pasteurs, donna un
corps à toutes ces Eglises. Le parlement irrité rendit un arrêt sévère, qui
ordonnait l'arrestation de tous les « prêcheurs » et faisait défendre à
toute personne d'aller les ouïr sous peine de mort. En même temps, il
envoya des commissaires dans la sénéchaussée d'Agen « à l'effet d'in-
« former contre les hérétiques. » ayant eu soin de leur donner pour
escorte une compagnie de soldats à sa solde. Un grand nombre d'évan-
géliques furent arrêtés et pendus, leurs assemblées dissoutes par les
soldats et leurs lieux de réunion démolis. Comme on pouvait s'y
attendre, il y eut des représailles regrettables de la part des évangéli-
ques et le feu de la discorde fut allumé dans tout le pays. Le féroce
maréchal de Montluc, qui s'intitulait « le boucher royaliste, » et reçut
plus tard des félicitations du pape pour ses exécutions, vint, sans mis-
sion officielle d'abord, puis avec une commission en règle du roi,
prêter main-forte au parlement, et le sang coula de toutes parts. Les
guerres de religion, qui surgirent ensuite, ne contribuèrent pas peu à
augmenter le nombre des massacres des protestants (celui de Penne,
en 1562, est resté célèbre), et les condamnations juridiques se multi-
plièrent à l'infini. L'édit de Nantes ouvrit une ère de prospérité et de
paix pour les Eglises agenaises. Elles eurent cependant à souffrir des
AGENAIS - AGENDE 111
trois nouvelles guerres de religion du dix-septième siècle. Clairacfut pris
en 1021 et pillé, et le consul Denys, le ministre Laffargue et le procureur
dé même nom pendus. Plusieurs autres périrent noyés. On rasa com-
plètement les fortifications de Monheurt qui étaient en fort bon état.
En 1622, Tonneins fut à son tour incendié. Après ces événements, les
Eglises de l'Agenais jouirent paisiblement de leur droit d'exercice
jusqu'aux approches de la révocation, alors qu'elles furent interdites
les unes après les autres et virent leurs temples rasés et leurs conduc-
teurs spirituels bannis. Nous citerons parmi les pasteurs agenais les plus
distingués de cette époque, Primerose, Gigord et Garissoles. L'Agenais
demeura sans pasteurs, mais non sans souffrir, pendant de longues an-
nées. Ce n'est qu'en 1740 que les assemblées du désert y prirent une cer-
taine importance. En 1745, elles étaient présidées parle pasteur Ollivier,
dit Jean de Loire, et en 1754 par le jeune et courageux Grenier de
Barmond, qui déploya la plus grande activité dans son œuvre. A partir
de cette époque et malgré le schisme fâcheux de Laune, dit Dubois,
qui avait accepté, en 1761, la vocation des Eglises de Tonneins, Nérac
et autres, mécontentes de certaines décisions des synodes, les Eglises de
l'Agenais ne cessèrent de s'affermir jusqu'à la Révolution, à travers des
alternatives de persécution et de tolérance, fruit de la versatilité des
idées de la cour. A l'époque de la réorganisation des cultes, l'Agenais,
dont a été fait le département de Lot-et-Garonne, fut divisé en cinq
consistoires : Tonneins (avec 3,500 protestants en 1870), Clairac (3,200),
Nérac (1,500), Lafitte (2,700) et Castelmoron, embrassant plus de 160
communes habitées par des protestants. (Voyez Bèze, Hist. ecclés.;
Alph. Lagarde, Chronique des Eglises réformées de l'Agenais, 1870).
E. Arnaud.
AGENDE. Bien que ce mot, dans son sens ecclésiastique, n'ait jamais
été jusqu'ici usité en France et qu'il ne figure à ce titre dans aucun de
nos dictionnaires, il est d'un usage si courant dans l'histoire religieuse
de l'Allemagne qu'il nous a semblé devoir lui faire une place ici, d'au-
tant plus que nous ne possédons en français aucun terme qui y cor-
responde exactement. Le mot agende n'a jamais eu qu'une signification
fort restreinte : il désignait l'office des morts en neuf leçons chez les
Chartreux (voyez Littré, Dictionnaire); il aurait aussi, d'après M. Littré,
désigné quelquefois l'administration municipale, mais ce sens n'est nul-
lement établi, et la seule citation de Bossuet que M. Littré apporte à
l'appui, et que nous n'avons pu retrouver dans le livre XV de \ Histoire
des variations, d'où elle serait tirée, nous paraît avoir une tout autre
signification. Le mot latin agenda, usité chez les plus anciens auteurs
et toujours au pluriel, désigne le culte public en général et la messe en
particulier, car on disait couramment missas agere pour célébrer la
messe. Ainsi, dans les Actes du second concile de Carthage, sous Céles-
tin Ier, can. 9 : In quibusdam locis sunt presbyteri qui, cum plurimis in
domiciliis agant agenda, ainsi dans la lettre d'Innocent Ier (f 417) à
Decentius : Quem morem vel in consecrandis mysteriis, vel in cxteris
agexdis arcanis teneat; et dans la règle de Saint-Benoît : Csetens vero
age.ndis ultima pars ejus orationis (dominiez) dicitur ut ab omnibus res-
11? AGENDE
pondeatur : Sed libéra nos a malo. Le moi agenda diei désigne souvent
aussi l'office du jour. De là à désigner sous le nom & agenda un livre
indiquant l'ordre à suivre dans les offices, la transition était facile.
D'après Daniel, auquel nous empruntons la plupart de ces renseigne-
ments, le mol agenda, pris dans ce dernier sens, apparaît pour la pre-
mière fois en 1287, chez Jean de Janua, qui l'emploie en désignant par
là liber baplisrnatis vel benedictionis. — Dans les premiers siècles, il est
presque certain que l'Eglise n'a pas voulu consigner par écrit les
formes liturgiques de son culte, mais qu'elle les a conservées par la
tradition orale avec les autres éléments de ce qu'on appelait disciplina
arcani (voyez l'article Liturgie). On ne voulait pas qu'elles pussent
tomber entre les mains des païens. Qu'on se rappelle qu'on attendait
le moment du baptême pour communiquer au néophyte le texte de
l'oraison dominicale et du symbole de la foi. La partie de la Liturgie
qui fut probablement écrite le plus anciennement fut ce qu'on appela
les Diptyques, ou tablettes sur lesquelles on inscrivait les noms de
ceux pour lesquels on priait à l'office public, car ces noms ne pou-
vaient guère être conservés par la mémoire (voir Martigny, Dictionnaire
des antiq. chrétiennes, art. Diptyque). Plus tard, l'extension de la litur-
gie primitive et les prières qui se rapportaient aux diverses fêtes de
l'année rendirent nécessaire la rédaction de ses diverses parties. On
appela en Occident ces manuscrits libelli. Ils ne contenaient au début
que les parties variables des liturgies (voir la très-intéressante publica-
tion de Mone, Lateinische und griechische Messen aus dem zweiten bis
sechsten Jahrhundert). Ensuite on rédigea le tout, comme nous le
voyons dans les manuscrits les plus anciens des sacramentaires ro-
mains. Mais le savant Muratori affirme que dans tous les manuscrits
qu'il a vus antérieurs à l'an 1000, les parties variables de la liturgie
sont toujours écrites sur un autre cahier que celui qui renferme le ca-
non de la messe. Ces différents livres durent se multiplier avec le
temps, car il devait y en avoir un pour chacune des cérémonies que le
prêtre accomplissait. C'est ainsi que, dans le moyen âge, nous voyons
qu'on se sert des livres liturgiques suivants : Manuale, Obsequiale, Bene-
dictionale, Sacerdotale, Ordinatorium, qui tous reçoivent le nom d'/l-
genda. Ils furent parmi les premiers livres que l'imprimerie servit à ré-
pandre. Ainsi, en 1513, nous voyons paraître à Mayence Y Agende de
l'archevêque Uriel; en 1551, au même lieu, une nouvelle Agende de
l'archevêque Sébastien, etc., etc. Peu à peu, et surtout après l'édition
officielle du Rituale romanum, sous Paul V, le mot agende est adopté
par l'Eglise luthérienne, et il ne conserve plus dans l'Eglise romaine
que le sens de rituel, qui finit par l'y remplacer. — La Réformation dut
créer une forme de culte conforme à son esprit. En 1523, Luther pu-
bliait un écrit sur l'ordre à suivre dans le culte public. En 1524 parais-
sait à Wittemberg une Formula ?nissx et communionis pro ecclesia Vuit-
tembergensi ; en 1526, un ouvrage tout semblable en langue vulgaire,
Deudsche Messe und ordnung Gottis diensts. Luther y ajoutait des formu-
laires pour le baptême et le mariage. Ces différents formulaires étaient
peu à peu réunis et publiés dans chaque Etat sous le titre de Kirchen-
AGENDE 11 à
nrdnung ou à'Agende. Ils déterminaient l'ordre plus ou moins complet
du service divin, en réunissant, comme dans le Common prayer book
anglican, des éléments qui se trouvaient dispersés dans les divers offices
de l'Eglise romaine; et comme l'épiscopat n'existait plus en qualité de
ministère distinct chez les luthériens, ils faisaient aussi des emprunts
au Pontifical, par exemple pour les services de confirmation et d'ordi-
nation, et aussi aux livres de droit canon pour certains cas de disci-
pline. Ils sont tous écrits en langue vulgaire, quoiqu'ils aient conservé un
grand nombre d'appellations, latines. Nous pouvons citer, parmi les plus
anciennes agendes protestantes, celle du grand-duché de Prusse, 1§25
{Lande sordnung des Herzogthums Pi^eussen) ; celle de Brunswick, rédigée
par Poméranus en 1528 ; celle de Hambourg, 1529; de Gœttingue, 1530 :
de Lubeck, 1531, etc. La multiplicité des Etats dont était alors composée
l'Allemagne favorisa la diversité des formes liturgiques. Parmi tant de
formulaires, on peut distinguer trois familles principales : les agendes
luthériennes, celles qui ont plutôt une direction catholique, celles qui
ont été inspirées par l'esprit calviniste. Parmi les agendes plus stricte-
ment luthériennes, on doit citer en première ligne celle qui fut publiée
en 1533, par Osiander et Brenz, pour le Brandebourg et le territoire de
Nuremberg, et celle du duc Henri de Saxe en 1539, celle du Mecklem-
bourg en 1552. Parmi celles qui sont restées plus fidèles à la tradition
catholique, celle de Joachim II en 1540. Parmi les calvinistes, celles
du Wurtemberg, du Palatinat, de Bade et de l'Alsace, en particulier
celle du duc Christophe de Wurtemberg publiée en 1553. La plupart
de ces agendes subsistèrent sans modification sensible jusqu'au milieu
du dix-huitième siècle, où l'influence de plus en plus prédominante du
rationalisme se fit sentir dans la liturgie comme dans le chant d'église.
Alors on vit paraître dans les prières publiques toute la phraséologie de
l'esprit nouveau, les termes philosophiques de vertu, de raison, de lu-
mière, etc. ; les corrections se multiplièrent dans une direction en gé-
néral très-prosaïque et plate. La grande inspiration de la foi chrétienne
avait disparu, et l'on s'éprenait d'enthousiasme pour des nouveautés
qui nous semblent aujourd'hui singulièrement vieillies. Dans les autres
Eglises protestantes, le dix-huitième siècle vit s'accomplir des transfor-
mations de même nature. Les Eglises réformées avaient, il est vrai,
attaché beaucoup moins d'importance à la liturgie que les Eglises lu-
thériennes. Zwingle avait laissé une très-grande liberté à cet égard. Ubi
publiée precandi raos recipietur, avait-il dit dans son ouvrage De can.
missœ. prœf., p. 176, utetur quœlibet eccl. quibus placebit orationibus,
modo sint ad regulam verbi Bel formate. Calvin s'était exprimé dans le
même sens (voir à l'article Liturgie tout ce qui concerne l'histoire
de ce sujet). Cependant l'Eglise réformée, soit helvétique, soit calvi-
niste, et cette dernière dans ses diverses branches, avait conservé quel-
ques éléments liturgiques qui subirent au dix-huitième siècle la même
modification que nous observons chez les luthériens. L'Eglise anglicane
au contraire fut préservée de ces déviations par son attachement à son
antique liturgie. — Notre siècle a vu s'accomplir une véritable révolu-
tion liturgique, en ce sens que la plupart des agendes dont nous parlons
114 AGENDfi
ont été l'objet de révisions successives qui ont l'ait disparaître les effets
de l'influence du dix-huitième siècle et se sont inspirées de l'esprit des
Ecritures et de l'antiquité chrétienne. La nouvelle agende prussienne
mérite surtout notre attention par les luttes ardentes qu'elle a soule-
vées. Il convient donc que nous en retracions sommairement lhistoire.
En 1798, Frédéric-Guillaume III, sous l'influence du théologien Sack,
se décida à réformer la liturgie de son royaume et nomma dans ce but
une commission composée de théologiens réformés et luthériens, tels
que Hacker, Teller, Zœllner, Gonart, Meierotto et Sack. Ce travail de-
vait évidemment se faire dans le sens des idées régnant à la fin du dix-
huitième siècle, c'est-à-dire du rationalisme de la période de YAufklœ-
rung. Il fut arrêté par les guerres qui bouleversèrent alors l'Allemagne,
et lorsqu'il fut repris, à la suite de la défaite de la France en 1815, le
roi était revenu lui-même, sous l'influence des circonstances doulou-
reuses qu'il avait traversées, à des idées chrétiennes positives. Il était
douloureusement affecté de l'anarchie des idées qui régnait dans l'Eglise
protestante, et il jugeait que l'établissement d'une liturgie bien faite
était un des moyens les plus efficaces d'y remédier. On voit dans ses
lettres publiées par Eylert (Characlerzùge aus dem Leben Friedrich
Wilhdm III) à quel point cette idée le préoccupait; il sentait qu'une li-
turgie devait, pour réussir, se garder de trop improviser, de trop sacri-
fier au goût contemporain et qu'il fallait qu'elle puisât largement aux
grandes sources de l'antiquité chrétienne. C'est sous cette influence que
parut en 1816 une liturgie pour l'Eglise de la cour et de la garnison à
Potsdam et à Berlin dont l'auteur resta inconnu, ce qui fait qu'on y vit
l'œuvre personnelle du roi lui-même. Elle fut assez vivement critiquée
dès son apparition par Schleiermacher ; cette critique stimula le roi qui
travailla directement à une révision de ce premier essai, en s'inspirant
davantage encore des traditions du seizième siècle. L'édition nouvelle
fut soumise à l'examen des consistoires qui l'accueillirent de façons fort
diverses, et dont quelques-uns y firent une assez violente opposition. Le
roi voyant que les arguments qu'on lui opposait étaient souvent con-
tradictoires et que la discussion, en se prolongeant, ne ferait que s'en-
venimer, résolut d'agir d'une manière autoritaire en usant de son droit
de summus episcopus, de premier évèque de l'Eglise. Il fit donc paraître
en 1822 Y Agende ecclésiastique pour la chapelle royale et pour la cathé-
drale. Il fit cadeau de cette liturgie à chacune des Eglises qui se décla-
raient prêtes à l'adopter, en l'accompagnant d'une lettre autographe.
Deux théologiens distingués, Augusti et Ammon, se prononcèrent ou-
vertement en faveur de Y agende nouvelle. Mais bientôt arriva un flot de
protestations ; on vit paraître des écrits anonymes, ou publiés sous des
noms empruntés, tels que celui de P aci ficus Sincerus (Schleiermacher):
Sur le droit liturgique des princes protestants en Allemagne, Gœt-
tingue, 1824. Le roi prit une part personnelle au débat en publiant un
écrit anonyme sous le titre suivant : Luther et V Agende ecclésiastique
prussienne de 1822. Cet écrit est dirigé surtout contre les vieux luthé-
riens qui trouvaient que la liturgie nouvelle portait atteinte à leur doc-
trine sur la sainte Cène. En 1824, le ministère envoya aux consistoires
AGENDE — AGGÉE 115
une nouvelle édition de YAgende en leur demandant de se prononcer
pour ou contre : deux tiers d'entre eux se décidèrent à l'accepter
(5,243 Eglises sur 7,782). Le 4 juillet 1825, une circulaire officielle
somma les récalcitrants de prendre un parti. Une controverse violente
s'engagea à ce sujet. Douze prédicateurs de Berlin, et Schleiermacher à
leur tête, envoyèrent leur protestation. Le gouvernement décida le
2 juin 1826, que tout pasteur appelé à desservir une Eglise devait s'en-
gager à adopter la liturgie nouvelle à moins que l'on ne pût prouver
que cette Eglise conservait son ancienne agende approuvée par les au-
torités du pays. Bunsen, alors représentant de la Prusse à Rome, rédi-
gea pour la chapelle de l'ambassade prussienne dans cette ville une
liturgie tout à fait conforme à la nouvelle agende prussienne, et dont la
préface fut écrite par le roi. Le 10 janvier 1829, la nouvelle agende
prussienne fut introduite dans les Eglises évangéliques du grand-duché
de Bade. La nouvelle agende prussienne a été en butte à des attaques
passionnées partant des points de vue les plus opposés. Le parti des
vieux luthériens lui a reproché son caractère rationaliste, et d'autre
part on a prétendu qu'elle avait pour but de ramener l'Eglise évangé-
lique au catholicisme. Ce qui lui a nui surtout, c'est qu'elle a été con-
sidérée à juste raison comme le moyen pratique de réaliser dans le
culte Tidée de l'Eglise évangélique unie (voyez l'article sur ce sujet),
œuvre de conciliation des réformés et des luthériens à laquelle on
pourra toujours reprocher son origine toute officielle et gouvernemen-
tale. Mais cette liturgie considérée en elle-même est après tout un mo-
nument remarquable : la doctrine en est scripturaire, et elle contient
de remarquables éléments empruntés à l'antiquité chrétienne. Cepen-
dant de bons juges, Daniel entre autres, critiquent la sécheresse de sa
forme ; ils trouvent que le style manque souvent d'ampleur et de ma-
jesté. Malgré ces remarques, on ne peut nier qu'elle n'ait été le point
de départ d'un véritable mouvement de réforme du culte évangélique.
On en retrouve la trace et l'influence dans les agendes qui ont paru
depuis; dans l'agende pour l'Eglise évangélique luthérienne de
Russie (1832), dans la liturgie du duché de Nassau (1843) ; dans le livre
d'Eglise (Kirchenbuch) du royaume de Wurtemberg (184-3) ; d'autres
essais du même genre ont été publiés dans d'autres parties de l'Alle-
magne et la question a été souvent mise à l'ordre du jour des confé-
rences pastorales. On peut citer, parmi les œuvres individuelles les plus
remarquables faites dans ce genre : la Liturgie luthérienne de
Pasig (1851) ; YAgende de Lœhe (1844) ; celle de Stier (1852) ; celle de
Pétri, destinée à l'Eglise du Hanovre (1852) ; celle de Th. Hugues, écrite
au point de vue réformé. — On peut consulter sur l'histoire des Agendes
des Eglises allemandes l'article de Daniel, dans YEncycl. de Herzog;
Bockelmann, Teutsche Bibliotheca Agendarum, 1736 ; Richter, Evange-
lische Kirsckenordnungm des 16ten Jahrunderts, 1846; Kliefoth, Litur-
gische Abhandiungen, 1854: Falck, Aktenstùcke betreffcnd die neuePreus-
sischc Agende, KM, 1827. Eug. Êersier.
AGGÉE [Khaggaï, 'Ày^aTo;, Aggxus], dont le nom signifie «celui
qui célèbre une fête, » ou mieux encore « celui qui est né pendant la
116 AGGÉE — AGIER
fête (des tabernacles), » est le dixième des petits prophètes d'après
l'ordre suivi par le texte hébreu et la version des Septante. Contempo-
rain de Zorobabel, qu'il accompagna peut-être à son retour de l'exil,
Aggée exhorte le peuple et ses chefs à continuer la réédification du
temple commencée peu de temps après l'arrivée à Jérusalem (538
av. J.-C), mais arrêtée par suite de l'opposition des Samaritains. Son
livre se compose de quatre oracles, tous datés de la seconde année de
Darius, fils d'Hystaspe (520 av. J.-C). S'adressant à Zorobabel et à
Josué, le prophète reproche au peuple d'habiter des maisons lambris-
sées pendant que le temple de Jéhova est en ruines ; c'est à cela
qu'il faut attribuer la famine dont le pays souffre actuellement (I, 1-11 }.
L'appel d' Aggée produisit son effet, et vingt-trois jours après les tra-
vaux du temple furent repris (1, 12-15). Mais ceux qui avaient vu l'an-
cien temple de Salomon devaient trouver bien mesquine la nouvelle
construction (comp. Esdras, III, 12) ; le prophète les console en annon-
çant que la gloire du second sanctuaire dépassera celle du premier
(II, 1-9). Jusqu'à présent le peuple étant impur, ses offrandes l'étaient
également, et Jéhova l'a châtié par de mauvaises récoltes ; mainte-
nant va s'ouvrir l'ère des bénédictions (II, 10-19). Aggée prédit enfin
que dans la catastrophe générale, qu'il attend dans un bref délai
(II, 6, 7), Jéhova gardera et protégera Zorobabel (H, 20-23). Il
n'existe aucune raison pour mettre en doute la composition de ces
quatre oracles par un prophète du nom d'Aggée et aux dates fixées
par le livre lui-même. Mais sur la personne du prophète, nous ne pos-
sédons aucun renseignement. Peut-être, ainsi que le suppose Ewald,
était-il de ceux qui avaient vu l'ancien temple de Salomon. Le
livre d'Esdras le cite, à côté de Zacharie, fils de Iddo, comme ayant
prophétisé au sujet de la reconstruction du temple (V, 1, VI, 14).
Dans l'antiquité chrétienne, quelques-uns, se fondant sur une mau-
vaise interprétation du passage I, 13, regardèrent Aggée comme un
ange qui n'aurait eu que l'apparence d'un corps (comp. Jérôme, Comm.
ad Agg., I, 13). Aggée joue un certain rôle dans les traditions talmu-
diques ; on lui attribue des prescriptions sur l'intercalation du mois
d'Adar, l'autorisation d'écrire la Loi en caractères assyinens, la permis-
sion d'offrir des sacrifices en l'absence de temple, la découverte de
l'endroit où se trouvait l'ancien autel, etc. (Hamburger, Real-Encyclop.
fur Bibel und Talmud, s. v. Haggai). La version des Septante, Yltala,
la Peschito inscrivent les noms d'Aggée et de Zacharie en tête de plu-
sieurs psaumes. — Littérature : Peu de travaux récents ; Kœhler,
Nachexilische Proipheten, B. I ; Haggai, 1860. A. Carrière.
AGIER (Pierre-Jean), né à Paris en 1748, fils d'un procureur au par-
lement, devint magistrat et janséniste comme son père. Envoyé en
1789 aux états généraux comme député suppléant du tiers état de
Paris, il s'enthousiasma pour une réforme de la situation du clergé ; la
constitution civile votée par l'Assemblée nationale fut entièrement
conforme à ses opinions. Dans un ouvrage qu'il publia en 1800, en
2 vol. : Traité sur le mariage dans ses rapports avec la religion et les
lois nouvelles de la France, il démontre avec talent la légitimité du
AGIER — AGNEAU DE DIEU 117
mariage civil. Devenu juge à la cour d'appel de Paris, puis président de
ce tribunal, il se livra, sous la Restauration, à des travaux théologiques,
dont antérieurement déjà il s'était occupé. A l'âge de quarante ans il
avait appris l'hébreu, pour pouvoir étudier l'Ancien Testament dans le
texte original: en 1809 il avait fait paraître une traduction des Psaumes,
2 vol.; de 18:20 à 1823 il donna les prophètes « avec des explications et
des notes critiques, » M vol. De même que d'autres jansénistes, il
était préoccupé de l'avènement du Seigneur ; ses études sur les pro-
phètes n'avaient dû lui servir qu'à mieux comprendre l'Apocalypse;
des Commentaires sur ce livre, 1823 ; des Vues sur le second avènement
de Jésus-Christ, 1818; un ouvrage intitulé Prophéties concernant Jé-
sus-Christ et /'Eglise éparses dans les livres saints, font preuve d'une
piété sincère et un peu mystique ; sous le rapport scientifique, leur
importance est médiocre. Agier mourut à Paris en 1823.
AGNEAU DE DIEU (6 à\Lvbq xou ôeoïï). Cette expression, appliquée à
Jésus-Christ par Jean-Baptiste (Jean 1, 29), lui fut suggérée soit par
l'image dont le prophète Esaïe(LIlI, 7 ; cf. Matth. VIII, 17 ; Actes VIII,
32 ; 1 Pierre II, 22 ss.) se servit pour désigner le serviteur de Dieu qui
soutire innocemment pour son peuple, soit par l'agneau pascal que les
Israélites immolaient en souvenir de la délivrance d'Egypte. Le terme
'z zïjpfaw TV à-xapTiav tou xca^ou doit se traduire de préférence par
- enlever » et non point par « porter» (les Septante emploient toujours
le verbe yépeiv pour exprimer ce dernier sens) ; mais l'un de ces actes
implique l'autre : on ne peut enlever le péché qu'en le portant. C'est
bien l'idée d'une victime qui se trouve exprimée par cette image : au-
tre chose est de savoir si c'est une victime expiatoire, cette idée
étant étrangère à la conception d'Esaïe, comme aussi à l'institu-
tion de l'agneau pascal. Il faut rappeler, en effet, que, dans le céré-
monial lévitique, les agneaux étaient réservés aux sacrifices non
d'expiation, mais de purification (Lév. V, 1-6 ; XIV, 12 ; Nomb. VI,
12). L'Apocalypse appelle Jésus-Christ, àpvCov, qui est la forme diminu-
tive de à[j.vcc, sans doute pour marquer son extrême douceur et sa fai-
blesse apparente, en opposition avec son adversaire le lion ; l'auteur le
représente (V, 6), dans un cercle formé par les vieillards et les anges
autour du trône de Dieu ; il porte sept cornes et sept yeux, symboles
de la toute-puissance et de la toute-science du Fils de Dieu, bien que
les traces de son immolation soient demeurées visibles. — Dès l'ori-
gine, l'Eglise chrétienne se servit, de préférence, du symbole de
l'agneau pour représenter Jésus-Christ; d'ordinaire une croix orne
ta tête, tandis que, dans le pied droit de devant ou contre l'épaule, est
placée une houlette recourbée, au bout de laquelle flotte une bannière,
signe de la victoire. Ailleurs, le Père céleste lui tend la couronne du
lein d'un nuage de feu ou bien encore l'agneau apparaît entouré d'une
guirlande de laurier. On le retrouve sur les sarcophages et les mosaï-
ques des «-lises, entouré de douze ou de six agneaux qui représen-
ttjit les apôtres, ou encore debout sur une colline des flancs de la-
quelle s'échappent quatre fleuves où s'abreuvent des brebis*. Le concile
de Constantinople, Quinisextum (692), défendit ces sortes de représen-
118 AGNEAU DE DIEU - AGNES
talions. L'image de l'agneau, dit-il, était bonne pour Jean-Baptiste qui
n'avait saisi que l'ombre des biens dont nous nous sommes approprié
la réalité ; il convient aujourd'hui de représenter le Christ dans la
plénitude de la stature humaine que le Verbe divin a voulu honorer en
s'abaissant jusqu'à la revêtir, et qu'à son exemple nous devons hono-
rer dans nos corps. La cour de Rome, après quelques hésitations, sanc-
tionna cette décision, sans s'y conformer dans la pratique, comme le
prouve l'exemple du pape Serge III, qui fit confectionner un magni-
fique agneau en or et en pierres précieuses.
AGNES (Sainte), vierge et martyre romaine (f vers 304). Saint
Ambroise en a fait l'éloge dans un admirable morceau (De virgi-
7iibus lib. 1, c. 2; cf. de lapsu virg. c. 3; Enarr. in Ps. CIV ; lib, I
officiorum, c. 4); saint Augustin (sermo 273 et 354), saint Jérôme
(ep. 130 ad Demetriadem) se sont inspirés de son martyre ; le pape Da-
mase (carmenQ) l'a chantée; Prudence (Peristephanon hymnus 14,
édit. Arevalo), lui consacre un hymne très -élégant. Les Actes de
cette martyre (A.A. SS. 21 jan. Il), qui prétendent être l'œuvre de
saint Ambroise, racontent comment, âgée de treize ans (saint Am-
broise, De virg., dit : de douze ans) et revenant de l'école, elle fut
aimée par le fils du préfet de la ville, Symphronius. Celui-ci, pour
triompher de sa résistance, l'enferme dans un mauvais lieu. Mais ses
cheveux croissent par miracle et la vêtissent, un ange de Dieu l'envi-
ronne de lumière. Le jeune homme est frappé de mort à sa vue,
mais il est ressuscité par sa prière. Agnès est jetée dans le feu qui se
divise et consume le peuple, et Aspasius, vicaire du préfet, qui s'est
retiré confondu, lui fait trancher la tête. Elle est enterrée sur la Via
Numentana, dans le champ de ses parents; sa sœur Emérentienne est
« baptisée de son sang » auprès du tombeau de sainte Agnès, et Con-
stance, fille de Constantin, reine et vierge, est guérie au même lieu.
L'église de S. Agnese, à Rome, sur la place Navone, est bâtie sur
l'emplacement du cirque où elle mourut ; et celle de S. Agnese fuori
le Mura, sur son tombeau. C'est dans cette basilique, élevée, d'après
la tradition, par Constantin, rebâtie par Honorius Ier, et plusieurs fois
restaurée, que tous les ans, le 21 janvier, on bénit les agneaux dont la
laine sert à faire les palliums que le pape offre aux archevêques. L'a-
gneau devint en effet de bonne heure le symbole de sainte Agnès. Le
nom à'Agne, Agnes, Agnen (frprç), seule forme qui soit ancienne, est un
nom grec, mais le nom d Bagne était connu de l'antiquité romaine.
Saint Augustin en tire une gracieuse allégorie en disant : « Agnes latine
agnam significat ; grsece castam. Erat quodvocabatur, merito coronabatur
(sermo 273). Il n'est pas besoin des Actes, en vain défendus par
D. BdiVÏoXim. (Atti de l mar t. di S. Agnese, R., 1858, in-f°, trad. par l'abbé
Materne, P., 1864, in-8°), pour établir le caractère antique et populaire
de sa légende. S. Berger.
AGNÈS (la Mère) [1593-1671], fille de l'avocat et sœur du théologien
Antoine Arnauld, coadjutrice de sa sœur, la mère Angélique, abbesse
de Port-Royal, a été persécutée pour son attachement au jansénisme,
et a laissé deux écrits : Y Image de la religieuse parfaite, 1665, et les
AGNÈS — AGOBARD 110
Constitutions de Part-Royal, 1669. M. Faugère a publié un recueil de
ses Lettres en 1858 (voyez l'article Port-Royal).
AGNOÈTES. On appelle ainsi un parti qui, au sixième siècle, s'était
formé parmi les monophysiles égyptiens et qui, pour résoudre la ques-
tion du rapport du Savoir humain et du savoir divin en Jésus-Christ, pré-
tendait que le Seigneur ne nous aurait pas été semblable si, en certaines
choses, il n'avait pas montré une ignorance, constatée d'ailleurs par les
évangélistes. Lé chef du parti était un des diacres d'Alexandrie, Thémis-
lius. Le parti contraire éludait la difficulté en disant que, si Jésus-Christ
a eu l'air de ne pas tout savoir, il ne l'a fait que pour s'accommoder à la
nature humaine. Les agnoètes ou thémistiens furent frappés d'ana-
thème par le patriarche monophysite Théodotius. On les retrouve en-
core au huitième siècle, quoique le pape Grégoire le Grand eût à son
tour condamné leur doctrine.
AGNUS DEI, nom donné à de petits objets en forme de médaille, ayant
d'un côté limage de l'agneau, un des plus anciens symboles du Christ,
de l'autre celle de quelque saint. Suivant Guillaume Duranti (Rationale
divinorum officiorwn, lib. VI, cap. 79), ils sont faits de cire provenant
du cierge pascal et mêlée à de l'huile consacrée (saint-chrême). On en
connaît aussi qui sont en métal ou en pâte d'oublié. On leur attribuait
des vertus miraculeuses : c'étaient des amulettes, qui devaient préser-
ver celui qui les portait de toutes sortes de maux. L'auteur qui vient
d'être cité, et qui a vécu au treizième siècle, assure qu'ils garantissent
contre la foudre et les tempêtes. Le pape Urbain V (1362-1370), qui
envoya quelques agnus dei à l'empereur grec, les fit accompagner de
vers léonins par lesquels on apprend qu'ils nous empêchent de périr par
l'eau ou par le feu, qu'ils procurent à la femme enceinte un heureux
accouchement, qu'ils détruisent même le péché. Jadis le pape les dis-
tribuait chaque année le dimanche après Pâques; aujourd'hui, la distri-
bu lion ne se fait plus que la première année de chaque pontificat, et
ensuite tous les sept ans.
AGOBARD, d'origine espagnole, né en 779, élevé et consacré prêtre à
Lyon, éluévêque de cette ville en 816, fut un des hommes les plus
éclairés du siècle carlovingien. D'un caractère ardent et décidé, il prit
une part active aux luttes entre Louis le Débonnaire et ses fils. S'étant
déclaré contre l'empereur, et celui-ci ayant été relevé de sa pénitence,
il s'enfuit en Italie. Le concile de Thionville (835) le somma de compa-
raître pour se justifier; comme il ne vint pas, on le destitua. En 837, il
put reprendre possession de son siège, qu'il continua d'occuper jusqu'à
sa mort, en 840. Nous n'avons pas à nous arrêter à ceux de ses écrits
qui se rapportent à sa vie politique. Comme théologien, Agobard s'est
distingué parle zèle et le bon sens avec lesquels il s'est prononcé contre
plusieurs erreurs et superstitions de son temps. Il a réfuté l'étrange
doctrine de l'adoptianisme, dont un des auteurs, l'ancien évêque Félix
(1 I pgel, s'était retiré à Lyon. Il a combattu le culte des images, contre
lequel protestait toute l'Eglise franque depuis Charlemagne; il l'a com-
battu avec une vivacité qui rappelle celle de Claude de Turin et qui lui
fait dire : « Sanc/orum imagines..., omni génère conterendpe et usgvr ad
120 AGOBARD - AGREDA
pulverern sunt eradendœ, cum non Mas fieri Deus jusserit, sed tiumanus
sensus excogitaverit. » Elles ne sont qu'une cause d'idolâtrie, un retour
au paganisme (Liber contra eorum super stitionem, qui picturis et imagi-
nibus sanctorum adorationis obsequium deferendum putant). 11 a écrit
contre le préjugé populaire qui attribuait à certaines gens le pouvoir de
soulever des tempêtes, contre l'opinion qu'on pouvait éloigner des épi-
démies en faisant des dons aux églises, contre le duel judiciaire, sanc-
tionné par les lois germaniques, contre les épreuves par l'eau et par le
feu. Il s'est plaint de certains abus que commettaient les juifs, de l'état
d'abjection auquel était réduit le clergé, des grands qui pillaient les
biens de l'Eglise et usurpaient ses droits. Il existe aussi de lui quelques
ouvrages liturgiques, notamment un traité De correctione antiphonarii ;
il veut éliminer du chant tout ce qui n'est pas pris de la Bible. — Ago-
bardi opéra, éd. Pap. Masson, Paris, 1605, in-4°; édition plus complète
par Baluze, Paris, 1666, 2 vol. in-8°, reproduits dans la Bibl. Patrum
Maxirna, t. XIV; voy. Hist. littéraire de la France, t. IV, p. 567 ss. ;
Ampère, Hist. litt. de la France avant le douzième siècle, Paris, 1840,
t. III, p. 175 ss. ; Hundeshagen, De Agobardi vita et scriptis, Giessen,
1831.
AGONISANTS, congrégation fondée à Rome, en 1586, par Ca-
mille de Lellis et confirmée par le pape Sixte V, dans le but
d'assister les mourants dans leurs maladies, même en cas de peste,
et de prier ou faire prier pour les condamnés à mort. Répandue à la
tin du seizième siècle dans toutes les parties de l'Italie et même en
Espagne, cette congrégation a vu peu à peu diminuer le nombre de
ses maisons de novices et de professes, ainsi que ses hospices; elle a
son siège principal à Rome, près de l'église Sainte-Madeleine, où réside
son général.
AGREDA (Marie de Jésus) joue un certain rôle dans l'histoire du dogme
de l'immaculée conception. On lui attribue, en effet, un livre intitulé :
Mis! ici, Ciudad de Dios (Madrid, 1670) dans lequel il n'est question que
des grâces et des prérogatives que cette situation toute spéciale aurait
values à la Vierge Marie. On y raconte que Marie, si elle l'avait voulu,
aurait pu parler dès le jour même de sa naissance; on la représente
comme la souveraine du monde et on la met sur le même rang que
Dieu lui-même. Marie d'Agreda appartenait à l'ordre des franciscains;
elle fut, depuis 1627, supérieure du couvent de l'Immaculée Conception
d'Agreda en Espagne. Les franciscains présentèrent son livre comme
le produit d'une révélation divine ; ce ne fut pas ainsi pourtant qu'il fut
d'abord considéré. Non-seulement on mit en doute que Marie d'Agreda
en fût l'auteur, mais encore la Sorbonne déclara que la Mistica Ciudad de
Dios était un ouvrage scandaleux, et lïnquisition en interdit la lecture à
Rome, en Espagne et en Portugal. En 1730, les franciscains portèrent
la chose devant le pape Alexandre VIII, qui demanda avant tout une
preuve irrécusable de l'authenticité du livre. Malgré ces jugements dé-
favorables et ces hésitations papales, les idées contenues dans cet ou-
vrage ont fait leur chemin dans l'Eglise catholique, et les légendes qui
v sont racontées sont devenues des articles de foi,
AGRICOLA 121
AGRICOLA (Rodolpho), Huesmann, un des premiers restaurateurs des
études en Allemagne, naquit en 1443 de parents pauvres, au village de
Bafloo près de Groningue ; il reçut sa première instruction dans l'excel-
lente école des Frères de la vie commune àZvvoll, où Thomas A Kem-
pis fut un de ses maîtres. II compléta ses connaissances par un séjour
de plusieurs années aux universités de Louvain et de Paris et par de
longs voyages en Italie, où il apprit le grec et un latin plus classique.
Appelé à Heidelberg pour concourir au relèvement des études, il y en-
seigna la rhétorique et la philosophie; en même temps il se fit donner
par un juif des leçons d'hébreu. De retour d'un nouveau voyage en Ita-
lie, il mourut à Heidelberg en octobre 1485, à peine âgé de quarante-
deux ans, laissant des écrits assez nombreux, des traductions du grec,
des discours, des poésies, des lettres. Son ouvrage principal est le
traité De inventione dialectica, en trois livres; c'est par ce traité qu'il a
préparé la réforme de renseignement philosophique. Dans les écoles du
temps, la dialectique était devenue le plus compliqué et le plus stérile
des arts; Agricola la simplifie et la ramène à un but plus pratique, en
montrant qu'elle ne doit enseigner que les moyens de trouver des argu-
ments et de les exposer. En 1529 et dans les années suivantes, Jean
Sturm professa ces principes dans des cours faits à Paris; l'université
s'en offusqua, elle se plaignit de ce qu'au lieu de suivre Aristote on
suivait Agricola. Ces plaintes n'empêchèrent pas Ramus, un des audi-
teurs de Sturm, de s'approprier la méthode du savant Hollandais. —
Rud. Agricole opéra, Cologne, 1539, 2 vol. in-4°; le traité De inven-
tione dialectica parut plusieurs fois séparément, voy. Tresling, Vita et
mérita Rud. Agr., Groning., 1830; Bossert, De Rud. Agr. litterarum in
Gerrnania restitutore, Paris, 1865.
AGRICOLA (Jean), né à Eisleben en U92, s'est fait un nom dans
l'histoire de la Réformation par ses opinions particulières sur la loi
mosaïque, et par son empressement à servir l'électeur de Brande-
bourg, qui voulait le maintien des cérémonies du catholicisme. Il n'a
pas été cupide, comme on Ta prétendu, mais entêté et vaniteux.
Après avoir étudié à Wittemberg et rempli diverses fonctions dans cette
ville et à Francfort, il fut appelé en 1525 à la direction d'une école
nouvellement établie à Eisleben, où il devint aussi prédicateur. Lors-
qu'en 1527 parurent les articles de Mélanchthon sur la Visitation (in-
spection) des Eglises de la Saxe, dans lesquels l'auteur recommandait de
ne pas prêcher seulement la foi, mais aussi la repentance qui doit la
précéder, et d'expliquer par conséquent ledécalogue, Agricola trouva
que ce principe portait atteinte à la doctrine de la justification par la
foi seule: il soutint l'abrogation pleine et entière de la loi, et prétendit
que le sentiment de la repentance ne peut être inspiré que par l'an-
nonce de La grâce. Dans une conférence à Torgau, Luther l'amena.
non pas à renoncer à son opinion, mais au moins à ne plus l'exposer
d une manière agressive. Cependant, devenu professeur de théologie à
Wittemberg en 1530, Agricola renouvela ses attaques dans quelques
thèses sur la loi de Moïse ; cette loi, disait-il, est devenue superflue,
attendu que tout vient uniquement de la foi. Il montra un tel mépris
m AGRICOLA — AGRICULTURE
du décalogue, qu'en 1538 Luther soutint et publia contre lui plusieurs
disputations, pour établir le vrai rapport entre la loi et la grâce ; il
donna à la doctrine d'Agricola le nom d'antinomisme, qui lui est resté.
Engagé dans un procès pour avoir diffamé Luther, Agricola se rendit à
Berlin, où l'avait appelé l'électeur Joachim II, comme prédicateur de
la cour. De là il envoya à Wittemberg une sorte de rétractation, mais
n'oublia pas sa rancune contre Mélanchthon et Luther. Joachim était
grand amateur de cérémonies ; quand Charles V songea à régler provi-
soirement la situation religieuse de l'empire, il lui fut facile de gagner
ce prince et son prédicateur pour un projet qui obligerait les protes-
tants à rétablir un certain nombre de coutumes catholiques. Agricola,
flatté de jouer un rôle dans cette affaire, consentit au sacrifice de
quelques-uns des principes les plus importants de la Réforme. Le
15 mai 1548, Y Intérim fut proclamé devant la diète d'Augsbourg; les
électeurs du Brandebourg et du Palatinat furent les seuls princes évan-
géliques qui le signèrent sans protestation. Dans la controverse qui
éclata en 1548 sur la nécessité à' œuvres bonnes, Agricola revint à ses
opinions sur l'abrogation de la loi ; selon lui, il ne fallait plus parler
d'œuvres dans aucun sens, autrement on renonce à l'Evangile. Il
mourut en 1566. Outre des traités théologiques et des sermons, il
existe d'Agricola un curieux recueil de proverbes, publié d'abord en
bas-allemand à Magdebourg, 1528 ; puis en haut-allemand à Haguenau
et à Zwickau, 1529. Ces premières éditions contiennent 300 pro-
verbes; la dernière, Wittemberg, 1592, en a 749. Enfin on a d'Agricola
une traduction allemande de Y Andria de Térence, 1544. — V. Kordes,
Agricoles Schriften mœglichst vollstxndig verzeichnet, Altona, 1817 ;
Nitzsch, De anlinomismo Agricole, 2 vol. Witt., in-4°, et une disser-
tation, sous le même titre, de Wewetzer, Stralsund, 1829, in-4°.
Ch. Schmidt.
AGRICULTURE dans la Bible. Les Hébreux, tant qu'ils menèrent la
vie nomade, ne s'occupèrent que fort peu de cultiver la terre. Ils
durent envisager d'abord ce travail comme quelque chose d'avilissant,
indigne d'une race libre. La vie pastorale leur semblait plus noble, et,
dès le début de la Genèse, nous voyons que Dieu préfère l'offrande
d'Abel, le berger, à celle de Caïn, le laboureur (Gen. IV, 2-5). Du reste, si
l'homme doit « tirer avec labeur sa nourriture de la terre » (Gen. III,
17, 18), c'est à cause de la malédiction divine qui suivit la première
désobéissance. Les Hébreux se livrèrent cependant avec succès à l'agri-
culture dès que, renonçant à la vie errante, ils eurent trouvé des de-
meures fixes dans le pays de Canaan. Ils n'eurent qu'à suivre l'exemple
des populations dépossédées par eux et qui depuis longtemps exploitaient
les richesses du sol fertile de la Palestine (Deut. VIII, 8 ; voyez
l'énumération des tributs payés à Touthmosis III par les anciens
Cananéens. M. Duncker, Gesch. des Alterthums, I, p. 253, 4e éd.). Une
transformation complète s'opéra ainsi en Israël, et exerça une influence
considérable sur le développement religieux et politique du peuple
hébreu. — Les Israélites cultivèrent surtout le froment , l'orge ,
l'épeautre, etc. ; Salomon pouvait livrer annuellement à Hiram, roi de
AGRICULTURE - AGRIPPA DE NETTESHE1M t<>3
Tyr. en échange des bois de cèdre et de cyprès destinés à la construc-
tion du temple, 20,000 kors de froment (1 Rois V, 25). La vigne et l'oli-
vier formaient également un des grands éléments de richesse du pays.
A l'époque de la moisson, qui s'ouvrait le second jour de la fête de
HAque (Lév. XXIII, 9-44)* au mois des épis (âbîb), l'allégresse éclatait
partout (Esaïe, IX, 2), et quand venait le moment des vendanges, qui
devaient être terminées avant la fête des Tabernacles (fin des récoltes),
les vignes et les pressoirs retentissaient de cris joyeux pour lesquels la
Bible a un mot particulier (hédâd, Jér. XXV, 30 ; XL VIII, 33, etc.). —
De nombreuses prescriptions légales se rapportent à l'agriculture, mais
«'Iles sont d'origine relativement moderne (voyez les articles Année sab-
batique et Législation mosaïque). Quant aux détails techniques sur les
procédés de culture des Hébreux, voir W. Smith, Dictionary of the
Bible, s. v. Agriculture ; Munk Palestine, p. 359 ss., et les manuels
d'archéologie biblique. A. Carrière.
AGRIPPA I et IL Voyez Hérodes (les).
AGRIPPA CASTOR est signalé par Eusèbe (ffist. Eccles., IV, 7) et par
Jérôme (Devir. illustr., c. 21) comme l'un des adversaires les plus
Bavants du gnosticisme du deuxième siècle. Il réfuta les attaques que
Basilides avait dirigées contre le christianisme en citant des prophètes
qui n'ont jamais existé, et lui reprocha d'avoir autorisé ses disciples
comme étant des choses sans importance, à manger de la viande sacri-
fiée aux idoles et à renier la foi pendant la persécution. Il nous est
impossible de juger de la valeur de cet écrit : Kaià BajiXetcou Stef/oç,
par l'analyse confuse qu'en a faite Eusèbe.
AGRIPPA DE NETTESHEIM (Henri-Cornélius), un des plus originaux
et des plus inconstants de ces aventuriers littéraires, dont l'époque
de la Renaissance a produit un si grand nombre. Il faudrait un
espace dont nous ne pouvons pas disposer ici, pour raconter le
roman de sa vie. Né en 1486 à Cologne, il mourut en 1535 à Grenoble,
après avoir séjourné tour à tour en France, en Espagne, en Angleterre,
en Italie, en Allemagne, dans les Pays-Bas, s'occupant de tout, de mé-
decine, d'astrologie, de magie, d'alchimie, de droit, de philosophie, de
théologie, tantôt emprisonné pour ses opinions trop téméraires, tantôt
jouissant de la faveur des princes, attiré par la Réformation, mais trop
égaré dans ses rêveries pour l'accepter. Nous ne dirons quelques mots que
de ses deux ouvrages principaux, De occulta philosopltia, et De incerti-
tudine et vanitate scientiurum et artium utque excellentia verbi Dei dicla-
matio. Dans le premier, se rattachant à quelques philosophes italiens
ainsi qu*à Reuchlin , dont à Dôle il avait expliqué publiquement le
traité De verbo miri/îco, Agrippa veut élever la magie à la hauteur d'une
science, qui compléterait toutes les autres ; il admet que nos connais-
sances dérivent soit de la nature, qui a donné lieu cà la philosophie
hermétique et cabalistique, soit de la révélation qui est contenue dans
l'Ecriture: sur ce principe il élève une théosophie qui, selon lui,
explique tous les mystères de la création visible et invisible. Le traite
De la vanité des sciences semble être le contraire de la philosophie
occulte : autant dans celle-ci Agrippa paraît enthousiaste et convaincu.
124 AGRIPPA DE NETTESHEIM — AHIJA
autant il paraît sceptique dans l'autre ; après avoir voulu savoir tout,
il est arrivé à la conclusion, qui sert d'épigraphe au livre : nîhil scire,
felicissima vif a. Nihil scire. c'est renoncer au vain savoir des hommes,
pour ne connaître et aimer que Dieu. Mais ce qui le fait parler ainsi,
c'est moins le découragement d'un homme qui a perdu ses illusions,
que l'indignation qu'il éprouve en voyant la manière dont la plupart
des sciences étaient enseignées en son temps. Le traité est en réalité
une declamalio très-vive et le plus souvent très-juste contre les mé-
thodes qui rendaient tout savoir incertain ; il attaque même incidem-
ment le monachisme et certaines pratiques du culte. En peu d'années
le livre eut sept éditions et fut traduit en plusieurs langues. La faculté
de théologie de Louvain l'ayant censuré, Agrippa publia une Apologia
adversus calumnias... sibi per aliquos Lovanienses theologistas inten-
fatas, 1533. Les œuvres complètes ont paru en 2 vol. à Lyon, en 1550
et en 1660. Voy. sur lui : Dictionnaire philosophique, Paris, 1844, t. 1,
p. 33 SS. Ch. Schmidt.
AGUIRRE (Joseph Saënz d') [1630-1699], bénédictin, professeur de
théologie à Salamanque, secrétaire de l'inquisition, fut nommé cardi-
nal par Innocent XI, en récompense des services qu'il rendit à la cour
de Rome par sa Defensio cathedra Sancti Pétri contra quatuor pro-
positiones cleri gallicani, Salam., 1683, in-f°. On a, en outre, de lui
une Collectio maxima conciliorum omnium Hispanise et novi or bis cum
notis et dissert ationibus , Rome, 1693, 4 vol. in-f°, qui contient des
documents importants pour l'histoire politique et religieuse de l'Es-
pagne, ainsi qu'une Theologia S. Anselmi, Rome, 1690, 3 vol. in-f°.
restée inachevée. Rossuet, son adversaire, a dit : « Le cardinal d'A-
guirre est la lumière de l'Eglise, le modèle des mœurs, l'exemple de la
piété. »
AGUR [Agour], nom d'un sage inconnu auquel est attribuée la col-
lection de sentences et d'énigmes qui forme le chap. XXX du livre des
Proverbes (v. 1 : Paroles d'Agur, fils de Jaque, prophétie, oracle donné
par l'homme à Ithiel, à Ithiel et à Uchal, » suivant la version de Perret-
Gentil). Mais la traduction ordinaire de ce passage, rendu déjà tout
autrement par les Septante et la Vulgate, n'est guère acceptable (Hitzig,
Theol. Jahrb. de Zeller, 1844 p. 283; Bertheau, der Prediger, introd.,
§ 2; Kuenen, Hist.-Krit. onderzoek naar het ontstaan en de verzameling
van de boeken des S. 0., III, p. 65 ss.). Hitzig corrige le texte et traduit :
« Paroles d'Agur, fils de celle à qui Massa obéit, » c'est-à-dire de la reine
de Massa; Agur deviendrait ainsi un frère de Lemuel (Prov. XXXI, 1).
Geiger est le seul qui de nos jours ait défendu l'ancienne explica-
tion donnée par Jérôme et Raschi, et d'après laquelle Agur (de la
racine àgar, rassembler) serait un nom symbolique de Salomon,
Voyez Proverbes (livre des).
AHASVÉRUS. Voyez Juif -Errant.
AHIJA [Akhiyâh etAkhiyâhou, 'A/y.a, Achias], prophète de Silo,
qui vivait vers la fin du règne de Salomon et sous Jéroboam. Ce fut lui
qui prédit à Jéroboam le schisme des dix tribus et son avènement au
trône d'Israël (1 Rois, XI, 29-39; XII, 15). Mais, après le schisme,
AHIJA — AILLV 1 fe
Jéroboam s'étanl rendu coupable des mêmes crimes d'idolâtrie que
Salomon, Ahija prophétisa la ruine de la nouvelle dynastie et reçut
avec une extrême dureté la femme du roi d'Israël qui était venue le
consulter au sujet de sou fils malade (I Rois XIV, ]-\H). Voir Schisme
des dix tribus,
AHIMÉLECH [Akhîmèlèk, 'Ay^iXs*/, Achimelech], nommé aussi
Ahija, Akhiyàh, Ay.i, Achias (1 Sam. XIV, 3-18), était un arrière-
petit fils d'Eu* et exerçait les fonctions de prêtre à Nob, dans la tribu
de Benjamin, quand David vint se réfugier auprès de lui (1 Sam. XXI,
I et ss.). Il l'accueillit, lui donna à manger les pains sacrés et lui remit
répée de Goliath. C'est pourquoi Saùl le fit massacrer avec tous les
prêtres de Nob, au nombre de quatre-vingt-cinq (1 Sam. XXII, 19).
Abiathar seul échappa à la mort.
AÏ, Aïath. Voyez Haï.
AILLY (Pierre d'), de Alliaco, né en 1350, destiné à jouer un rôle
eminent dans les graves complications ecclésiastiques de son époque,
entra à l'âge de vingt-deux ans au collège de Navarre, un des plus
savants de la capitale. Il se distingua de bonne heure par son talent
dialectique ; se rattachant au nominalisme, il se réserva une certaine
indépendance dans l'examen des questions logiques et psychologiques,
mais traita aussi, dans ses leçons sur le Maître des sentences et dans
ses disputations, une foule de problèmes de peu d'importance. Il es-
saya, sans trop y réussir, de combiner avec la théologie scolastique le
mysticisme ; celui-ci, tel qu'il l'expose, est plus allégorique et ascé-
tique que réellement contemplatif. En 1380, il obtint le grade de doc-
leur eu théologie; dans un discours qu'il prononça à cette occasion
sur l'éloge de l'étude des Ecritures saintes, il dit, entre autres, que dans
les paroles de Jésus-Christ, Malth. XVI, 18, la pierre sur laquelle l'Eglise
est fondée est la Bible, que saint, Pierre et ses successeurs ne peuvent
pas être ce fondement, à cause de leur infirmité humaine. Il fit des
cours sur le Nouveau Testament ; dans une de ses leçons, il distingua
entre l'Eglise universelle et l'Eglise romaine, qui n'est qu'une « Eglise
particulière ; » il démontra que cette dernière n'avait pas nécessaire-
ment la primauté, que tout autre évêque pouvait être le chef de la
chrétienté. Ces principes obtinrent l'assentiment de l'université qui, lors
du schisme, employa son autorité auprès des rois et des papes, pour ren-
dre à l'Eglise la paix. C'est pendant le schisme que s'ouvrit pour d'AilIy
une carrière, dans laquelle il s'acquit une grande célébrité. Dès 1381, il
fit devant le régent, au nom de l'université, une harangue pour deman-
der un concile universel, comme unique moyen de terminer la scission
qui divisait et troublait l'Eglise; en ce moment toutefois il n'admettait
pas encore qu'un pareil concile eût une autorité supérieure à celle du
pape. En 1383, il obtint, une prébende canoniale dans l'église de Noyon ;
l'année suivante il devint recteur du collège de Navarre, où il eut pour
disciples Gerson et Nicolas de Clémanges. Les dominicains de Paris
ayant attaqué la doctrine, non encore officielle, de l'immaculée con-
ception, la Sorbonne prononça la censure contre un des moines ; celui-
ci en appela a Clément, VII. L'université fit partir pour Avignon d'Ailly,
126 AILLY
accompagné du jeune bachelier Gerson ; d'Ailly défendit la doctrine
critiquée par les frères, et soutint le principe, aujourd'hui condamné,
que dans ces questions le souverain pontife n'avait pas seul le droit
de la décision, qu'il appartenait aussi aux docteurs de la théologie
a cîrca ea qu% sunt fidei doctrinaliter definire. » Clément confirma la
sentence et les droits de l'université. En 1389, d'Ailly fut élu chancelier
de ce corps; bientôt après, Charles VI le prit pour confesseur et aumô-
nier ; il devint en outre archidiacre de l'église de Cambray et trésorier
de la Sainte -Chapelle de Paris. — Le nouveau pape d'Avignon,
Benoît XIII, ne négligea rien pour gagner un homme aussi considérable
que le chancelier de la grande université. D'Ailly, espérant qu'un pape
soutenu par la France finirait par l'emporter sur son rival et qu'ainsi le
scandale du schisme prendrait fin, réussit à faire reconnaître Benoît par
l'université et par la cour. Pour se l'attacher encore d'avantage, le pape
lui confia successivement les évêchés du Puy et de Cambray (1397-
1398). L'acceptation de ces faveurs semblait accuser un abandon de
ses principes et le rendre moins décidé quand il s'agirait de prendre des
mesures énergiques contre les papes ; aussi trouva-t-il désormais des
adversaires dans l'université. Il se démit de ses fonctions de chancelier,
qui furent données à Gerson. Cependant il usa de son influence à
Avignon, pour obtenir une résolution propre à relever en France l'en-
seignement théologique ; Benoît XIII décida que dans chaque église
cathédrale il y aurait un chanoine théologal, chargé de faire des cours ;
cette institution, pour laquelle d'Ailly fut publiquement remercié par
la Sorbonne, n'eut pas encore de résultat. Voulant rester étranger aux
entreprises contre Benoit, d'Ailly se retira dans son évêché de Cambray ;
quand il rentra dans la lutte, il rencontra d'abord des difficultés, qui le
découragèrent au point qu'un moment il eut l'intention de ne plus se
mêler des affaires générales. Il fallut les lettres les plus pressantes de
Gerson et de Clémanges pour le décider à rester leur coopérateur. Un
concile universel était alors le vœu général de l'Eglise ; d'Ailly à son
tour ne voyait plus d'autre remède. En 4409, se réunit le concile de
Pise ; d'Ailly prit part à ses délibérations, mais exerça peu d'influence,
il était encore trop hésitant sur la question de la suprématie du concile.
De retour à Cambray, il s'occupa de travaux astronomiques et cosmogra-
phiques. Jean XXIII le nomma cardinal; en 1414, il remplit pour
le pape la mission de légat en Allemagne. Le 5 novembre de cette
année s'ouvrit le concile de Constance ; d'Ailly y arriva le 17. Son
influence fut plus décisive qu'à Pise. Ce fut sur sa proposition que,
contrairement au parti ultramontain, on résolut de voter par nation
au lieu de voter par tête. -D'Ailly renouvella la demande d'une abdica-
tion (cession) volontaire des trois papes, comme moyen le plus légal
et le plus pacifique de terminer le schisme ; voyant qu'on ne l'ob-
tiendrait pas, il passa outre et proclama enfin la maxime que le
concile universel est supérieur aux papes et qu'il peut les destituer.
Le 1er novembre 1416, il produisit des canones reformandi ecclesiam ;
quelque temps après il donna lecture d'un tractatus de ecclesix,
concilii generalis, romani pontificis et cardinalium autoritate; il y expo-
ailly — aïn 1-::
sait ce qu'il appelait la vérité catholique sur la matière : le pape est
jwr* nuturali, divino et canonico, soumis au concile universel, auquel on
peut en appeler de lui, et qui peut le juger et le condamner ; s'il ne
cède pas, le concile doit procéder comme si le saint-siége était vacant.
L'assemblée, adoptai)! ces principes, défendus aussi par d'autres mem-
bres, déposa Benoît Xlll. D'Ailly, au lieu de se joindre à ceux qui de-
mandaient qu'avant d'élire un nouveau pape, on fit des décrets de
réforme, se joignit au parti qui obtint la priorité pour l'élection ponti-
ficale. 11 ae reconnaissait au concile que le droit de juger le pape ; un
pape régulièrement élu devait rentrer dans la plénitude de son pou-
voir. 11 était moins avancé dans sa théorie ecclésiastique que souvent
on le suppose : la nécessité d'une situation, qui semblait désespérée,
avait seule pu le faire pencher vers la suprématie du concile ; mais cette
suprématie ne devait s'exercer qu'en cas de schisme ou d'indignité no-
toire d'un pape ; en tout le reste, le souverain pontife gardait ses droits.
I >' Ailly est un de ceux qui ont empêché le concile de Constance de dé-
créter une réforme sérieuse des abus. Il faut ajouter qu'ayant été un
des commissaires chargés de l'examen des doctrines de Jean Huss, il vota
pour la condamnation. Mécontent de l'issue du concile, bien qu'il y eût
contribué lui-même, il s'en retourna à Gambray. Martin Y l'envoya
comme Légal à Avignon, d'où il dirigea toute l'Eglise française dans
l'intérêt du siège apostolique. Il mourut en 1420. — Ses ouvrages sont
assez nombreux; il n'en existe pas encore d'édition complète; ceux qui
traitent de philosophie, de théologie, d'astronomie, de cosmographie,
ont été publiés séparément ; un recueil intitulé Tractatus et sermones,
Strasb., 1490, in-f», ne contient qu'un petit nombre de pièces. Ses écrits
relatifs au schisme sont disséminés dans l'édition des œuvres de Gerson,
par Dupin, et dans la Historia concilii C onstantiensis de von der Hardt.
— Voy. sur d'Ailly les notices de Launoi [Historia gymnasii Navarr.,
dans les Opéra Launoii, t. IV, P. l,p. 508 ss.), de Dupin (Gersonia-
na, t. I, p. XXXVII ss., des œuvres de Gerson), de Bayle dans son
Dictionnaire ; Paul Tschakert, Pctrus Alliacenus de ecclesia quid docuerit
et quid pro va prxstiterit, Breslau, 1875; id., Der Cardinal Peter von
Ailly und die beiden ihm zugeschriebenen Schriftm a de difficultate re for-
mat'onis in conciho univursali, » und « Monita de nécessita te reformandi
ecclesiam in cavité et in membris, » dans les Jahrb. f.deutsche Theol.,
T. 20, livr. II. Cet écrivain démontre, par une discussion très-judicieuse,
que ces deux traités, attribués à d'Ailly par von der Hardt, ne peuvent
pas être de lui. Ch. Scumidt.
AIN [Ayin], « l'œil, » nom des sources, en hébreu, par opposition
aui puits (Bèêr). Un grand nombre de noms de lieux commençaient
ainsi. Le plus souvent ce sont des villages (En-Dor, En-Guedi, En-Rim-
njoii ou de simples sources (En-Roguel, près de Jérusalem, Josué XV,
7 : \\ III. 16). Quelquefois le mot Ain est employé seul, avec ou sans
article ; il est fort difficile de dire dans ce cas si c'est un nom propre
ou une simple indication locale (voy. 1 Sam. XXIX, i « Aïn près de
Jizreel, » et Nomp. XXXIV, 11). Quel était cet Aïn à l'ouest de Ribla,
qui devait marquer la frontière d'Israël au nord ? Suivant Robinson et
i2è AIN — AIX-LA-CHAPELLE
Knobel, ce serait la source de l'Oronte ; la plupart des anciens com-
mentateurs hésitent à faire monter aussi haut la frontière, même
théorique, de la Palestine, et se rabattent sur Tune des sources du
Jourdain. Voyez Robinson, Lat.bibl. m., p. 542-546; Rosenmuller,
Schotia in Vet. Test. IL; Knobel, Kurzgef. Excg. Handb., Numeri IL
AIRE (Landes) [Vicus Julii ou Civitas Aturensium, Adura, Ayre],
évêché connu depuis 506, suffragant de l'archevêché d'Eauze, puis rat-
laché à Auch après la destruction d'Eauze et celle de Vicus Julii, par
les Normands, au neuvième siècle. Supprimé en 1790 et réuni à celui
de Bayonne, l'évêche d'Aire fut rétabli en 1823 [pallia chr., I).
AIX en Provence (Bouches-du-Rhône) [Aquœ Sextix], métropole de
la Seconde Narbonnaise, archevêché connu depuis 417, ayant pour
suffragants, avant 1790, les évêchés d'Apt, Riez, Fréjus, Gap, Sisteron,
et aujourd'hui ceux de Marseille, Fréjus, Digne, Gap, Ajaccio, Alger et
Nice. L'université d'Aix fut fondée en 1413 ; une faculté de théologie
catholique y a été établie en 1802 ; elle a été supprimée, faute d'élèves,
en 1876. Un synode provincial, réuni à Aix en 1585, interdit de rebapti-
ser « sous condition » les calvinistes nouveaux convertis (Hardouin, X).
L'église cathédrale de Saint-Sauveur, relevée vers 1060, fut consacrée
en 1103 ; le chœur date de 1285, la nef principale du quatorzième siè-
cle. Le baptistère est romain (Gallia chr., I).
AIX-LA-CHAPELLE [Aachen, Aquis, Aquisgranum (754), Ais]. Char-
lemagne éleva à Aix, sur le modèle de Saint- Vital de Ravenne, l'église
octogone de Notre-Dame, qui fut terminée en 796, d'après le moine de
Saint-Gall (Pertz, Scr., II, 744). Sur sa demande, le pape Adrien Ier lui
avait envoyé, en 787, pour cette église, huit colonnes de marbre tirées
du palais de Théodoric à Ravenne. Le chœur date du quatorzième
siècle. On croit qu'Anségise fut employé à sa construction. Charlema-
gne réunit à Aix de nombreux synodes. Celui de 789 (le capitulaire
est dans Pertz, Leg., I, 53) décida la réforme des mœurs du clergé. Au
grand synode de 799, Alcuin obtint la rétractation de Félix d'Urgel,
promoteur de l'adoptianisme. Les deux « synodes pour l'examen des
évêques et des clercs » (nov. 801 et oct. 802) décrétèrent une réforme
dans les mœurs des prêtres (Pertz, //., 87 ss. 105 ss); celui de 811 et
surtout le synode tenu en sept. 813 s'occupèrent des trois ordres, clergé,
moines., laïcs (Pertz, Leg. II, 552). Un grand synode réuni à Aix en 809
se prononça en faveur de la procession du Saint-Esprit et du Filioque.
Sous Louis le Débonnaire, deux célèbres synodes furent assemblés après
les grands placites d'Aix, en 816 et 817. Les décrets de celui de 817 sur la
réforme des clercs et des nonnes, en grande partie rédigés par Amalaire
de Metz et par Benoît d'Aniane, sont une application à toute l'Eglise
franque de la règle que Chrodegang avait formulée pour son clergé
(Pertz, Leg., I, 200 ss.). Ce décret fut complété par un statut pour les
moines et par un autre relatif aux évêques. Les nombreux synodes,
toujours associés aux placites d'Aix, s'occupèrent encore plus souvent
des divisions de l'empire que de la réforme du clergé. Aix fut évêché,
suflragant de Malines, sous la domination française, de 1802 à 1814. —
(Voyez Rettberg, K. Gesch. DeutsckL, poss., et l'article du même auteur
AIX-LA-CHAPELLE - AKIBA W.)
dans l'Encyclopédie de M . Herzog. Les synodes d'Aix sont tous relatés dans
Mansi, XIII et XIV, el Hardouin, IV, et en particulier dans Hartzheim,
Conc. Germ., I ei 11, Col., 1759; les capitulaires sont dans Baluze, Capi-
tol., et surtout dans Pertz, Monum. Germ., \\\,Leges, I; voy. Binteiim,
Deutsche Concilier*, et Hefele, III, IV, trad. fr., V, pass'wt.
AJALON [Ayâlôn, pays des cerfs, aujourd'hui lâlo], un peu au
nord de la route de Jérusalem à Jaffa, à 25 kilomètres environ de la
première, esi célèbre par un vieux chant qui racontait la victoire de
Josué sur les Amorrhéens (Josué X, 12) :
Soleil, arrète-toi sur Gabaon,
Et toi, lune, sur le val d' Ajalon ;
Et le soleil s'arrêta, et la lune se tint en place,
Jusqu'à ce qu'Israël eût puni ses ennemis.
Ajalon était située sur les contre-forts des monts d'Ephraim, à l'entrée
d'une des vallées qui descendent vers la plaine de Saaron. Malgré la
victoire de Josué, Israël ne réussit pas à s'en emparer (Juges I, 35 ;
comp. Josué XIX, 42). C'est par là que, plus tard, Jonathan poursuivit
les Philistins, après avoir surpris leur camp à Mikmach, le jour qu'il
trempa son bâton dans un rayon de miel (1 Sam. XIV, 31). Pendant
les guerres des maisons d'Israël et de Juda, Ajalon formait frontière et
semble avoir appartenu tantôt aux uns, tantôt aux autres (cf. 1 Chron.
VIII, 13). Roboam la fortifia (2 Chron. XI, 10), mais les Philistins pro-
fitèrent des premières attaques de P Assyrie contre Juda pour s'en em-
parer de nouveau sous Achaz (2 Chron. XXVIII, 18). Ajalon est ci-
tée parmi les villes qui furent données aux Lévites (Josué XXI,
24; 1 Chron. VI, 69). Il ne faut pas la confondre avec un autre
Ajalon, lieu de sépulture du juge Elon, dans le territoire de Zabulon
(Juges XII, 12). —Voyez Robinson, III, p. 279; Stanley, S. et P.,
p. 210.
AKIBA Ben Joseph (R.), un des principaux docteurs juifs de la fin du
premier siècle de notre ère et du commencement du second. On a peu
de renseignements certains sur sa jeunesse. Ce qui est raconté de son
origine païenne et de sa première condition presque servile, l'histoire
de son amour pour la fille de son maitre, qui n'aurait consenti à l'épou-
ser que si lui, simple berger, parvenait à se faire admettre parmi les
docteurs, le récit de la profonde misère où il serait tombé après son
mariage, tout cela doit être rangé sans doute parmi les légendes des
t<'inps postérieurs. Quoi qu'il en soit, Akiba enseignait la loi avant la
fin du premier siècle et groupait autour de lui un nombre considérable
de disciples. Jamais aucun docteur n'avait obtenu de succès pareils, et
li tradition, en le nommant le restaurateur de la loi, comme Esdras,
el en Le comparant à Moïse, va jusqu'à lui donner douze mille et même
vingt-quatre mille élèves. Akiba est un des quatre tanaïtes qui firent
ensemble Le voyage de Rome (voy. Derenbourg, Hist. de la Palestine,
I, 336). Il fit également d'autres voyages parmi les Juifs de la dispersion,
et prépara, dans la mesure de ses forces, la terrible insurrection à la
tête de laquelle se; mit Bar-kochba (tils de l'étoile). Ce fut Akiba qui
donna au chef des insurgés (appelé Ben-Koziba) le nom sous lequel il
130 AKIBA — ALAGOQUE
est généralement connu, en lui appliquant le verset Nomb. XXIV,
17 : « une étoile (kôkâb) s'élance de Jacob. » On ajoute même qu'il
s'écria en le voyant : « Voici le Messie. » Emprisonné par les Romains,
dès le début de la révolte (132), comme un des plus dangereux agita-
teurs, Akiba trouva moyen de rester en relation avec ses disciples et de
répondre aux questions qu'ils lui posaient. Mais quand les Romains,
vainqueurs de Bar-kochba, étouffèrent les derniers restes de l'insurrec-
tion dans des flots de sang, il fut une des premières victimes. Livré aux
bourreaux qui devaient le faire mourir au milieu d'atroces tortures,
Akiba expira en répétant la profession de foi israélite : « Dieu est uni-
que. » Il n'avait jamais rempli de fonctions officielles. On ne peut
guère exagérer l'effet produit sur les contemporains par l'enseignement
d'Akiba, et son école exerça une influence considérable sur l'interpré-
tation du Pentateuqueet les études rabbiniques dans les siècles suivants.
Ses procédés exégétiques lui permettaient « d'abriter sous la parole du
Pentateuque toutes les halachot, toutes les décisions rabbiniques. »
Selon l'expression du Talmud, « il tirait de chaque coin ou angle des
lettres des boisseaux entiers de décisions. » « Son système d'interpré-
tation, dit M. J. Derenbourg, ne connaît pas les limites que l'usage de
la langue établit... Tout mot qui n'est pas absolument indispensable
pour rendre l'intention du législateur, ou pour établir le rapport logi-
que entre les diverses parties de la même proposition ou entre les dif-
férentes propositions qui composent une loi, est destiné à élargir ou à
restreindre le cercle de cette loi, à y faire entrer ce que la tradition
ajoute, à en retrancher ce que la tradition exclut. » Akiba n'est point le
premier qui ait compris de la sorte les textes sacrés, et il eut de nom-
breux successeurs, aussi bien chez les chrétiens que chez les juifs. —
Voyez Derenbourg, Histoire de la Palestine, I, 384 ss.; Hamburger, Real-
Encyclopédie fur Bibel und Talmud , s. v. Akiba. A. Carrière.
ALAGOQUE (Marie), que l'Eglise catholique appelle aujourd'hui la
bienheureuse Marguerite-Marie, est surtout célèbre pour avoir fondé la
dévotion au Sacré-Cœur de Jésus. Elle naquit le 22 juillet 1647 dans le
village de Lauthecourt, diocèse d'Autun, fut baptisée le 25 juillet et eut
pour marraine Madame de Saint-Amour, qui lui donna son prénom de
Marguerite. D'après ses biographes, dès l'âge de quatre ans, elle aurait
fait vœu de perpétuelle chasteté. A huit ans, elle perdit son père et fut
mise en pension par sa mère chez les religieuses urbanistes de Cha-
rolles. Sa piété était si grande qu'elle put faire sa première communion
à neuf ans. A la suite d'une cruelle maladie, elle se consacra à la Vierge
et prit dès lors le prénom de Marie. Le 25 mai 1671, Marguerite Ala-
eoque entra au couvent de la Visitation de Paray -le-Monial ; elle y pro-
nonça les vœux solennels le 6 novembre 1672. A partir de ce moment,
les hallucinations auxquelles elle était en proie devinrent de plus en
plus fréquentes; elle avait des entretiens presque continuels avec Jé-
sus; elle le voyait, le touchait, portait sa croix et sa couronne d'épi-
nes, éprouvait les souffrances de sa passion. Ce fut en 1675 qu'elle s'i-
magina entendre le Seigneur lui demandant que le premier vendredi
après l'octave du Saint-Sacrement fût consacré à une fête particulière
ALACOQUE - ALAIS 131
en l'honneur de son cœur. La première fête du Sacré-Cœur eut lieu dix
ans après, en 1685, au couvent de Paray. Les austérités exagérées et les
macérations avaient usé la santé de Marie Alacoque; elle mourut le
17 octobre 1690. Le 24 juin 1864, Pie IX fit publier le décret qui per-
mettait de précéder à sa béatification. Marie Alacoque a laissé quelques
petits écrits dont le plus connu est intitulé:/,» dévotion au cœur de
Jésus Voir J. Joseph Langue!, La vie de la vénérable mère Marguerite-
Marie, Paris, 1729; l'abbé Daras, Vie de la bienheureuse Marguerite-
Marie, Paris, 1S75).
ALAIN. Il existe un certain nombre d'ouvrages philosophiques et théo-
logiques, les uns en prose, les autres envers, qui passent pour être
écrits par un docteur du moyen âge nommé Alain; on mentionne en
outre plusieurs personnages qui ont porté ce nom, principalement Alain
de Lille, De insulis, Alain, évêque d'Auxerre, Alain, du Puy, De podio.
Tous les trois sont peu connus ; il est arrivé qu'on les a confondus en-
semble, et qu'on a fait des biographies de l'un en y mêlant des détails
empruntés à celle des autres et en partie légendaires. Tout cela est
encore fort obscur. Ce qui semble être le plus probable, c'est qu'Alain,
de Lille en Flandre, a vécu au douzième siècle, qu'il a enseigné à Paris,
qu'il s'est fait moine cistercien et qu'il a passé une partie de sa vie en
Angleterre. <>n lui a donné, sans trop de raison, la qualification de doc-
t.'ir universel. Ses ouvrages les plus importants sont : un traité dog-
matique en cinq livres, De arte catholiese fidei, où il procède suivant la
méthode mathématique, en commençant par des définitions et en po-
sant ensuite des théorèmes qu'il démontre et dont il tire des corollaires ;
un poëme allégorique et moral, Anti-C laudianus sivede officio viri boni
et perfecti; un autre poëme, mêlé de prose, Planctus nature, plaintes
sur la corruption des contemporains. Il convient peut-être de lui attri-
buer aussi sept livres d'Fxplanationes in prophetiam Mer Uni Britanni.
Une Summa quadripartita contra hxreticos (les Albigeois), Waldenses,
jwisos et paganos, dédiée au comte Guillaume de Montpellier et se tra-
hissant comme écrite dans la France méridionale, est plutôt l'œuvre
d Alain du Puy, dont on a retrouvé aussi, parmi les manuscrits de la
bibliothèque d'Avranches, un traité moral. La Summa est une source
précieuse pour la connaissance des doctrines albigeoises et vaudoises.
— Alani opéra omnia quse reperiri potuerunt, éd. G. de Visch, Anvers,
1654, in-f°. Le traité Zte arte fidei, qui ne se trouve pas dans ce recueil,
té publié dans les Anecdota de Pez, t. I, p. II, p. 476 ss.; Hisl. lût.
de la France, t. XVI, p. 396 ss., on il ne faut se méfier que des
combinai sens biographiques; Dupuy, Notice sur la vie, les écrits et les
duci, met d'Alain de Lille, 18o0 (extrait des Mémoires de la Société des
'le Lille), et du même, Alain de Lille, Etudes de philosophie
HolaUique, Lille, 1859. M. Dupuy croit pouvoir attribuer à Alain de
Lille tous les ouvrages qui portent le nom d'Alain. Ch. Schmidt.
ALAIS Gard Wlcstum, Alest]. I. L'église collégiale de Saint- Jean-
Baptiste à Uaisfut, en 161)4, érigée en évêché suffragant de Narbonne,
use du grand nom lue de « nouveaux catholiques, » dont il y avait,
mm qu'exposèrent, en 1693, devant l'archevêque de Narbonne les
i;|-2 AL AIS
témoins de L'enquête, « 50,000 dans les vallées des Cévennes, outre
40,000 qui sont à Nîmes et dans les environs. » L'évêché fut supprimé
en 1790 [Gallia chr., VI).
II. La Réforme, déjà connue dans les Cévennes avant 1560, s'y
répandit, à cette époque, avec une extrême rapidité. Plusieurs Egli-
ses furent « dressées » dans le pays, suivant l'expression de Bèze,
notamment à Alais, qui était la capitale des Cévennes et dont l'Eglise
fut organisée, sinon fondée, par Robert Maillard, pasteur de Mialet.
Les guerres de religion survinrent peu après, et les protestants s'em-
parèrent de la ville, dont ils chassèrent aussitôt les catholiques (1567,
2e guerre). Ce fut sans succès qu'ils tentèrent de la prendre en 1569
(3e guerre). Après la Saint-Barthélémy, ils ne purent la conserver que
quelques semaines (1572, 4e guerre); mais trois ans après, soutenus
par le maréchal de Damville, qui s'était mis à la tête du parti des Poli-
tiques dans le midi, ils s'en saisirent de nouveau et la gardèrent plus
longtemps (1575, 5e guerre). Pendant la Ligue, Alais eut à souffrir de
la défection momentanée de Damville, mais, à partir de la conférence
de Fleix (1580), elle jouit de la plus grande tranquillité. L'Eglise cica-
trisa ses blessures. Un synode général très-important s'y assembla en
1620 dans la rue Fabrerie, n° 54. Il édicta un règlement général à l'u-
sage des académies réformées du royaume et confirma les décisions du
synode de Dordrecht. Malheureusement les trois nouvelles guerres
religieuses du dix-septième siècle (1621-1629) vinrent encore la troubler.
Les protestants de la ville embrassèrent le parti du duc de Rohan, qui
les visita plusieurs fois; mais, ne pouvant soutenir une lutte inégale, ils
finirent par se rendre au roi Louis XIII qui les assiégea en personne
(16 juin 1629). Quelques années après, en 1632, la comtesse d' Alais,
Charlotte de Montmorency, qui avait épousé la querelle de Marie de
Médicis et de Gaston d'Orléans, adversaires du cardinal de Richelieu, fit
soulever Alais contre le roi, mais la religion fut étrangère à cette ré-
volte, et les protestants, comme corps, n'y prirent aucune part. A dater
de cette époque et jusqu'à la révocation de l'édit de Nantes, l'Eglise
d' Alais fut paisible. Elle ressortissait au colloque d'Anduze et au synode
des Cévennes. Sa population était supérieure en nombre à la popula-
tion catholique et desservie par deux pasteurs. Son temple, vaste et
commode, situé rue Peyrolerie, fut démoli en octobre 1685. Après
la révocation, des assemblées du désert furent présidées dans les envi-
rons d'Alais par de hardis prédicants, comme Fulcrand Rey, Vivens,
Poujol et autres. La guerre des Camisards (1702-1704) amena plusieurs
fois près d'Alais le célèbre Cavalier, qui livra aux flammes l'antique
abbaye de Cendras. Les travaux pacifiques d'Antoine Court et de ses
compagnons, Durand, Crotte, Hue, Vesson et Arnaud succédèrent à
cette époque troublée. La plupart de ces pieux missionnaires mouru-
rent martyrs de leur foi, notamment Arnaud, jeune ministre plein
d'espérance, qui périt sur le gibet à Alais le 22 janvier 1718. Quinze ans
plus tard, le pasteur Claris aurait été de même exécuté à Alais, mais
il put s'échapper de sa prison. Sous l'épiscopat de Vivet de Montclus
(1744-1755), les protestants du diocèse d'Alais eurent particulièrement
ALAIS - ALBE 133
à souffrir de la part de ce prélat intolérant, qui voulait que L'Etat or-
donnât aux protestants de faire réhabiliter, dans l'Eglise romaine et à
bref délai, leurs mariages et Leurs baptêmes sous dos peines très-sévères
en cas de désobéissance. Le célèbre pasteur de Nîmes, Paul Rabaut,
répondil avec beaucoup de force et de modération à la lettre de l'évè-
qne. (Mi trouve connue pasteur à Alais, de 1752 à 1760, Ghalon dit La-
tour, qui eul à lui ter contre la trop grande complaisance avec laquelle
les membres les plus influents de son Eglise tapissaient les devantures
de leurs maisons les jours de procession. Après lui (nous ne savons si
ce fut immédiatement), l'Eglise fut desservie par le pasteur Jean-Pierre
Roche, que le gouvernement confirma dans son poste, après la loi de
germinal an X. A cette époque, Alais devint le chef-lieu d'un consis-
toire important. En 1870, cette Eglise comptait 6,500 protestants. —
<\. Bèze, Histoire ecclésiastique ; Gh. Coquerel, Histoire des Eglises du
Désert] Recherches historiques sur la ville d? Alais, 1860; Correspondance
médite des deux Chirons). E. Arnaud.
ALBAN (Saint) [Albon], premier martyr de l'Angleterre, fut mis à
mort à Vérulam dans la persécution de Dioclétien (302), après avoir
donné l'hospitalité à un clerc (Bède, Hisl. Eccl., 1, 6 ; AA. SS.,
22 Juin, IV). La plus ancienne mention du nom de ce saint est
dans saint Gildas (583) et dans saint Fortunat. De prétendus actes
anglais, que l'on dit avoir été composés vers 590, appellent le clerc
Amphibale, mais il n'y faut voir qu'une paraphrase du récit de Bède.
Le nom d'Amphibalus paraît être né d'un jeu de mots (Henschen,
1. 1. SS. /./.). Le roi Offa a construit en 793 près des ruines de Vérulam
le célèbre couvent de Saint-Albans, supprimé par Henri VIII (Tille-
mont, V, 508; Monast. anglic, II, p. 178; Atkinson, Saint- Auban,
L, 1876).
ALBAN (Saint), martyr de Mayence. Raban Maur, dans son martyro-
logue, raconte qu'il vint de l'île de Namsia (Naxos?), sous Théodose,
à Milan avec saint Théoneste et saint Ours ; envoyés par saint Ambroise
I archer en Gaule, ils moururent, saint Ours à Aoste, saint Théoneste
ei siint Alban à Mayence. Goswin, chanoine de Saint-Martin de Mayence
vers 1072), a composé une vie de saint Alban, publiée par Ganisius dans
se- Lectiones antiqux (Ingolst., 1601). (V. AA. SS^ 24 Juin, IV). D'après
les documents les moins anciens, saint Alban a porté sa tête jusqu'au
lieu de sa sépulture. L'église de Saint- Alban, à Mayence, apparaît en
7:>s. Elle fut rebâtie en 805 sur l'ordre de Gharlemagne, qui la desti-
nait a la sépulture de son épouse Fastrade ; le couvent nous est connu
depuis 895, il devint un puissant chapitre noble, qui fut ravagé en 1552
(Reuter, Albansgulden, M., 1790; Rettberg, K. Gesch. DL, I. p. 211
et 582).
ALBE I ■'( rnando Alvarez de Toledo, duc d'). Ge célèbre capitaine, fds
de Garcia Alvarez de Toledo et de Beatriz Pimentel, naquit, d'après
Herrera, en 1508. Il commença de bonne heure sa carrière militaire
les auspices de son grand-père Fadrique Alvarez de Toledo. Il
la a la prise de Fontarabie (1524) : il prit une part active à la cam-
pagne de Hongrie contre Soliman (1532) et à l'expédition de Tunis
134 ALBE
(1535), il dirigea en partie l'armée de Charles-Quint, dans ses cam-
pagnes contre les protestants allemands en 1545 et 1546. Les seuls
épisodes de sa vie qui intéressent directement l'histoire religieuse sont
ses négociations diplomatiques avec le pape Paul IV en 1556, et son
gouvernement des Pays-Bas de 1567 à 1573. Le duc fut chargé par son
souverain de demander satisfaction des violences commises par l'ordre
de Jean-Pierre Garaffa, qui venait d'être élevé au pontificat, sur les
partisans de l'Espagne à Rome ; il devait défendre le royaume de
Naples que le pape avait déclaré indépendant de la couronne d'Espagne,
protester contre la demande d'excommunication prononcée contre
Charles-Quint et Philippe II par le fiscal du pape dans le consistoire du
28 juillet 1556, et obliger le pontife à renoncer à l'alliance française.
Les deux lettres qu'il écrivit au pape et au collège des cardinaux après
son arrivée à Naples avec son armée, le 21 août 1556, témoignent d'une
intention sérieuse de ne pas entrer en guerre ouverte avec le saint-
siège dans un moment où les discussions entre le roi catholique et le
pape pouvaient avoir de si graves conséquences. Le duc y proteste de
son dévouement au saint-siége en indiquant toutefois que l'intention
de son souverain est de retirer à tout prix les armes des mains du pon-
tife ennemi de l'Espagne. On sait comment se termina cette campagne,
comment le duc de Guise, envoyé par Henri II en Italie, fut obligé de
revenir en toute hâte pour couvrir Paris qu'on croyait à la veille d'être
assiégé par les Espagnols qui venaient de remporter la victoire de
Saint-Quentin. Les portes de Rome s'ouvrirent devant le général es-
pagnol qui y entra en conciliateur et donna à ses officiers les ordres
les plus sévères pour faire respecter la ville éternelle et la mettre à
l'abri d'un nouveau sac. A partir de 1558, le duc d'Albe prit une part
très-active dans le gouvernement de Philippe II et devint un des mem-
bres les plus influents de son conseil d'Etat ; il s'y occupait surtout de
questions militaires et sur ce point ses avis étaient presque toujours
écoutés. Lorsque, vers la fin de l'année 1566, Philippe II se décida à
inaugurer une politique de répression absolue contre ses sujets des
Pays-Bas et à retirer des mains de Marguerite de Parme le gouverne-
ment de ces provinces, il n'hésita pas longtemps à fixer son choix sur
le capitaine illustre dont il connaissait les talents militaires, l'inflexibi-
lité de caractère et le dévouement sans bornes. En renonçant à se
rendre lui-même au milieu de ses sujets, en leur envoyant comme gou-
verneur l'homme qui parmi tous ses ministres leur était le plus anti-
pathique, Philippe II inaugurait une politique dangereuse, mais parfaite-
ment logique. Le roi, qui dans la Péninsule se refusait à toute espèce
de concession en matière de religion, qui traitait ses sujets espagnols
avec la dernière rigueur, ne pouvait pas admettre dans une province de
ses Etats des principes de tolérance religieuse dont les effets n'auraient
pas tardé à se faire sentir au cœur même de la monarchie. Les années
de domination du duc d'Albe aux Pays-Bas comptent parmi les plus
tristes de l'histoire de ces provinces. La création du conseil des troubles,
l'exécution des principaux chefs de la révolution, en un mot la dureté
de cœur et la cruauté du général espagnol ont rendu son nom odieux
ALBE — ALBER 135
et en oui t'ait le synonyme de tyran Sanguinaire. Toutefois, quelque
part de responsabilité personnelle qu'il lui incombe dans ces répres*
lions, il est juste de remarquer qu'il n'était que l'exécuteur de la vo-
lonté du maître. Philippe II, décidé à renoncera la politique de modé-
ration suivie jusqu'alors par Marguerite, chargea le duc de prendre
le contre-pied de la ligne de conduite suivie auparavant, et les lettres
du souverain à son agent prouvent qu'il ne lui laissa pas, bien souvent,
choisir les moyens d'obtenir les résultats qu'il désirait. Sans doute il
est regrettable pour la mémoire du duc que les circonstances l'aient
place en présence d'hommes agités de sentiments qu'il ne comprenait
. t qu'il Se sentait tenu de comprimer par le fer et le feu; aussi
pai lagora-t-on l'opinion du cardinal de Granvelle qui, en apprenant sa
mort, écrivait de lui : « C'étoit'un grand personnage; mais je voudrois
qu'il n'eut oneques vu les pays d'embas, pour tout respect. » A partir
de 1574, après son départ des Pays-Bas, où il fut remplacé par le grand
commandeur de Gastille, Luis de Requesens, le duc d'Albe n'a plus à
la cour qu'un rôle assez etfacé. Il encourut même la disgrâce de
Philippe II, en 1579, à l'occasion d'un mariage de son fils Fadrique : le
duc fut exilé et son fils emprisonné. En 1580 le roi rappela cependant
son vieux serviteur pour le mettre à la tête de l'armée qui devait envahir
le Portugal. Ce fut la dernière campagne du duc; il mourut le 12 dé-
cembre 1582, à l'âge de soixante-quatorze ans, suivant d'autres de
soixante-seize ou soixante-dix-sept ans. — Bibliographie : J. A. de
Vera y Figueroa, Résultas de la vida de D. Fernando Alvarez de Toledo,
in-4-°, s. 1. n. d.; P. Ant. Ossorio, Ferdinandi Tôle tant Albœ dueis vita et
res gestse, Samanticae, 1669, 2 t. in-8°; J. V. de Rusîant, Historia de
Fernando Alvarez de Toledo, Madrid, 175! , 2 t. in-4°. Ces trois ouvrages
sont des panégyriques. Sur le gouvernement du duc d'Albe aux Pays-
Bas, voy. toutes les histoires de la domination espagnole dans ces
provinces, et surtout les deux premiers tomes de la Correspondance de
Philippe 11 sur les affaires des Pays-Bas, publ. par M. Gachard, puis la
Coleccion de documentos ineditos para la historia de Fspaïia, t. IV, VII
et VIII. Morel-Patio.
ALBER (Matthieu), Albérus, un des premiers réformateurs du Wur-
temberg, un de ceux qui, avec Brenz, ont fait prévaloir en ce pays,
voisin de la Suisse, le type luthérien. Né à Reutlingen en 1495, il fit ses
études a Tubingue et à Fribourg, fu! consacré prêtre à Constance et ap-
prit- comme prédicateur dans sa ville natale, où il commença aussitôt a
prêcher les principes de la Réforme. En 1524 il fut cité devant Pévêque
de Constance : sur son refus de comparaître, le prélat l'excommunia et
frappe Reutlingen de l'interdit ; une sentence du tribunal auliquede Rol-
weil aggrava ces peines, en mettant au ban de l'empire les habitants et
leur prédicateur. On ne se laissa pas intimider; Alber continua son
œuvre. Traduit devant le tribunal d'Esslingen, il se détendit si bien, qu'a-
près trois ioUTS de débats on le laissa repartir en liberté. Il sutempêcner
l'arrivée d'anabaptistes, et maintenir l'ordre pendant les troubles des
paysans. Par une lettre du 16 novembre 1524, qui est un document
important dans l'histoire de la discussion sur la sainte Gène. Zwingle
136 ALBER — ALBERT LE GRAND
essaya d'amener Alber à sa manière de concevoir le sacrement, mais
Alber se déclara pour celle de Luther et y resta fidèle. Quand, lors
de l'Intérim, il dut quitter Reutlingen, le duc de Wurtemberg l'appela
comme prédicateur à Stuttgard. Il resta dans cette position jusqu'à sa
mort en 1570. Il a laissé peu de livres; le principal de ses écrits est un
catéchisme pour la jeunesse de Reutlingen.
ALBERT, dit LE GRAND (Albertus Magnus), un des docteurs qui, au
treizième siècle, ont illustré l'ordre des dominicains. Fils d'un comte de
Bollstaedt, il naquit vers 1193 à Lauingen, en Souabe. A Paris il étudia
la philosophie, à Padoue les mathématiques et la médecine. Dans cette
dernière ville le général des frères prêcheurs, Jordan, le décida à entrer
dans l'ordre et à se vouer à la théologie. Plus tard, il enseigna avec un
grand éclat dans divers couvents, entre autres dans ceux de Strasbourg
et de Cologne, et depuis 1245 à Paris; en 1254 il fut élu provincial
d'Allemagne, occupa pendant quelque temps la charge de prédicateur
de la cour pontificale, magister sawi palatii, dut accepter en 1260, sur
les instances du pape, l'évêché de Ratisbonne, mais n'y resta que trois
ans ; il résigna sa dignité et rentra dans son couvent de Cologne, où il
mourut en 1280, âgé de quatre-vingt-sept ans. Aucun des docteurs du
moyen âge n'a possédé autant de connaissances qu'Albert, aucun n'a
écrit autant de livres que lui; ses œuvres, publiées à Lyon en 1651,
remplissent 21 vol. in-f° ; la seule énumération des titres occupe douze
pages dans les Scriptores ordinis prœdical., de Quétif et Echard, t. I,
p. 171 ss. Ses contemporains lui ont décerné, à meilleur droit qu'à
Alain de Lille, le titre de Docteur universel; sachant tout ce qu'on pou-
vait savoir alors, il représente en quelque sorte l'encyclopédie du trei-
zième siècle. La prodigieuse étendue de sa science lui procura même le
privilège de passer pour sorcier ; quand il fut mort, la légende s'empara
de son histoire ; on raconte une foule d'anecdotes sur le pouvoir ma-
gique qu'il aurait exercé. Ses livres sont consacrés à la logique, à la
métaphysique, à la psychologie, à la morale, à la physique ou histoire
naturelle, à l'astronomie, à la médecine, à la théologie. Dans tout ce
qu'il a écrit, on retrouve Aristote; c'était Aristote qu'il expliquait dans
ses cours; c'est à lui qu'il se rattache, au point qu'on a pu par dérision
le qualifier de Simia Aristotelis. Il a même pris comme étant de ce
philosophe ce qui n'appartenait qu'à ses commentateurs arabes, qu'on
venait d'introduire dans le monde latin ; de là ce mélange de notions
platoniciennes et néoplatoniciennes avec celles du péripatétisme, dont
on est frappé dans beaucoup de ses livres, mais qui a été tout à fait in-
conscient chez lui. Dans sa théologie on ne peut signaler que fort peu
d'idées originales; il a eu de la patience et de l'érudition, mais il a
manqué de génie. S'il a un mérite c'est d'avoir osé, comme l'avait déjà
fait Alexandre de Halès, revenir à Aristote, dont au commencement du
siècle l'Eglise avait défendu l'étude; ce mérite est très-relatif, car en
appliquant la méthode et les idées d'Aristote à la théologie, Albert
a rendu à cette dernière un service qui lui a peu profité. On rencontre
chez lui quelques-uns des éléments du mysticisme, et les mystiques du
quatorzième siècle le citeront souvent dans leurs écrits; mais ces élé-
ALBERT LE GRAND — ALBERT DE MAYENCE i:î7
ments ne sont pas le fruit de sa méditation personnelle, ils faisaient
partie de la tradition scolastique elle-même, ils venaient de Pseudo-
Denis, qui passait pour un Père authentique et, orthodoxe et sur lequel
Albert a même écrit un commentaire. Jamais, dans ses ouvrages théo-
logiques, il ne résout los questions par la spéculation, il les résout
iheologice, c'est-à-dire d'après l'autorité des Pères ; « quand il s'agit des
choses de Dieu, dit-il, la foi vient avant l'intelligence, les autorités avant
le raisonnement ». Les dogmes par eux-mêmes sont l'expression de la
vérité divine, mais on peut en démontrer la rationabilité, car il est im-
possible qu'il y ait désaccord entre la raison et la révélation. C'est là le
principe fondamental de la théologie scolastique. Les principaux ou-
vrages théologiques d'Albert le Grand sont une Summa theologise, des
commentaires sur les sentences de Pierre le Lombard, sur différents
livres de la Bible et sur l'Aréopagite. 11 se forma une école d'albertistes,
qui propagea surtout ses principes philosophiques; en théologie, son
disciple le plus célèbre fut Thomas d'Aquin. — Voy. Bist. lit t. de la
France, t. XIX; Rousselot, Etudes su?' la philosophie dans le moyen âge,
Paris, 1841, t. II, p. 178 ss. ; Hauréau, De la philosophie scolastique,
t. Il, p. 1 SS. Ch. Schmidt.
ALBERT DE MAYENCE, fds de l'électeur Jean de Brandebourg, naquit
en 1490. Nommé en 1513 archevêque de Magdebourg et administrateur
de l'évêché d'Halberstadt, il devint en outre, en 1514, archevêque de
Mayence, primat de Germanie et électeur du saint-empire; en 1518 il
fut élevé à la pourpre romaine. Gomme par suite de trois vacances suc-
cessives (1505, 1508, 1513), Mayence avait, en moins de huit ans, payé
trois fois le pallium, Albert ne fut nommé à ce siège qu'à la condition
d'acquérir son pallium à ses propres frais. Il dut emprunter 30,000 du-
cats aux fameux banquiers Fugger d'Augsbourg, et, pour les rembour-
ser, il obtint de Léon X la ferme de la vente des indulgences en Alle-
magne. L'instruction qu'il rédigea pour cet effet tient 40 pages in-
quarto, d'une impression très-serrée; c'est un chef-d'œuvre de
raffinement et de cynisme, pour exploiter les vivants et les morts. Le
dominicain Jean Tetzel s'y conforma si bien, qu'il provoqua les 95 thèses,
qui furent le premier acte de la Réformation (31 oct. 1517). Luther les
envoya à Albert, accompagnées d'une lettre où l'humilité monacale
s'allie à une noble hardiesse. Celui-ci n'y répondit point et ne prit au-
cune part officielle au débat ; mais la vente fut enrayée et le cardinal ne
put empêcher la Réforme de pénétrer dans ses diocèses de Magdebourg
et d'Halberstadt. « Brocanteur de l'empire, » il se fit payer fort cher sa
voix et ses intrigues pour l'élection de Charles-Quint (1519). Lorsque
Luther fut enfermé à la Wartbourg, Albert voulut reprendre son pro-
ductif trafic ; mais le réformateur lui écrivit aussitôt, le menaçant, s'il
nt- ^ arrêtait, de livrer à la publicité sa « réprimande publique » Contre
l Id<>le de Balle. La réponse de l'archevêque fut humble et soumise.
«... Je me conduirai désormais comme il convient à un prince pieux...
Je sais qu'il n'est rien de bon en moi, sans la grâce de Dieu, et que je
ne suis, par moi-même, qu'un vil et infect fumier... Je souffre volon-
tiers une réprimande fraternelle et chrétienne... » (21 déc. 1521). On
138 ALBERT DE MA YENCE — ALBERT DE BRANDEBOURG
conçut un moment l'espoir de gagner le prélat à la Réforme: il avait
ouvert la cathédrale de Mayence à la prédication évangélique de Capiton
et donné l'hospitalité h Ulric de Hutten; Luther, qui pourtant ne par-
tagea jamais cette illusion, l'engagea (1525) à se marier et à séculariser
son électorat ; mais le cardinal n'avait pas le caractère assez fortement
trempé pour une aussi grande entreprise. Il aimait et protégeait les
lettres et les sciences et ne manquait pas d'une certaine culture. Libéral
et fastueux, doux et bienveillant, il a été un Léon X allemand, proté-
geant les arts religieux, ornant les églises, collectionnant des reliques
et se plaisant à dire : Dilexi decorem domus Dei. Il eût volontiers con-
senti à une réforme disciplinaire et scientifique, dans le sens de son
ami Erasme; mais, comme Léon X, il était frivole et corrompu, privé
de tout sens moral et manquant absolument de convictions religieuses.
C'est lui qui appela le premier les jésuites en Allemagne. Il mourut à
Mayence, le 24 septembre 1545. Ch. Pfender.
ALBERT DE BRANDEBOURG, premier duc de Prusse, était le troisième
des dix fils du margrave Frédéric. Né le 17 mai 1490, il entra le 13 fé-
vrier 1511 dans l'ordre teutonique dont il devint grand maître le jour
suivant. A l'exemple de son prédécesseur, il refusa de prêter serment
à son oncle Sigismond, roi de Pologne; la guerre éclata en 1519. Après
des alternatives de succès et de revers, Albert, qui n'était pas un grand
capitaine, dut se résigner (1521) à une trêve de quatre ans, et céder à la
Pologne onze villes avec leurs territoires. Pour obtenir l'appui de
l'Allemagne, il se rendit (1522) à la diète de Nuremberg, et c'est dans
cette ville qu'il fut amené à la connaissance de l'Evangile par les pré-
dications d'André Osiander, « son père spirituel. » En 1524, il vit
Luther à Wittemberg, et le réformateur lui conseilla « de répudier la
règle absurde et confuse de son ordre, de se marier et d'ériger la
Prusse en duché. » Le prince sourit et ne répondit rien ; mais ce
conseil lui plut. Resté en rapport avec Luther, devenant chaque jour
plus ferme dans sa foi, voyant d'ailleurs qu'il n'avait aucun secours à
espérer de l'Allemagne et sûr de l'approbation de son peuple, Albert
prêta serment à Sigismond, le 10 avril 1525, et sécularisa les biens de
l'ordre. Déjà la Réforme avait pénétré dans la Prusse, sous les auspices
de l'évêque de Samland, George de Polenz (depuis 1523), assisté de Jean
Brismann et de Paul Speratus. Dès 1526, elle fut établie dans tout le
duché, sauf l'Ermland. Sur le conseil de Luther, Albert se maria, le
24 juin 1526, avec Dorothée, fille du roi Frédéric Ier de Danemark, la-
quelle, « si elle n'avait été qu'une pauvre servante, n'aurait pu être
plus humble, plus fidèle et d'un amour plus inaltérable. » Quelques
chevaliers de l'ordre, qui avaient refusé d'accepter la sécularisation,
se joignirent à ceux de l'Allemagne et élurent grand maître Walter
de Cromberg. Albert fut cité devant l'empereur , sous l'accusation
d'apostasie et de spoliation. Malgré les efforts du roi de Pologne, il fut
mis au ban de l'empire (1531). En 1534, il entra dans la ligue de Smal-
calde. Il travailla constamment à améliorer l'état des églises et des
écoles ; il eut une correspondance suivie avec les hommes principaux
de la Réforme (tels que Luther, Mélanchthon,Camerarius, Bugenhagen,
ALBERT DE BRANDEBOURG - ALBRET n«.)
Jonas. Brenz, Spalatin, Osiander et autres) et avec les savants les plus
célèbres de sou temps. Luther l'appelle principem Evangelio studio-
gi&imum, heroem inclyfum, nu' douât inn est eodem spiritu ut cogitet quar
principe digna stmt. ÈD l-Vri, il fonda l'université de Kœnigsberg ;
jamais il ne voulut Consentir à introduire l'Intérim dans ses Etats. La
vieillesse d'Albert fut attristée par des intrigues politiques et des dis*
putes religieuses (sur le baptême contre Gnapheus; sur la justification
par la foi contre Osiander). Fatigué, brisé, voyant son fils infirme de
corps et d'esprit et incapable de régner, mené par un favori escroc et
faussaire, Paul Scalich, il se vit enlever toute autorité par une com-
nii>sion polonaise que soutenait la noblesse; son confesseur, Jean
Punk, fut décapité et plusieurs de ses conseillers condamnés. Albert
mourut le 20 mars 1568, âgé de soixante-dix-huit ans, après avoir
régné cinquante-sept ans, dont quarante-trois comme duc de Prusse
(Bock, Leben des Margrafen Albrecht ; Voigt, Geschichte Preussens).
Ch. Ppender.
ALBI (Tarn) [Civitas Albigensium, Albiga, Albia], jadis évêché suffra-
gant de l'archevêché de Bourges, connu depuis le cinquième siècle
depuis 1678 archevêché, ayant pour sufFragants, avant 1790, les évêchés
de Cahors, Castres, Mende, Rodez et Vabre, et depuis 1822 ceux de
Cahors. Mende, Perpignan et Rodez. En 1790, Albi redevint simple
évêché, lequel fut supprimé de 1802 à 1822. Un synode, réuni à Albi
en 1254, renouvela les prescriptions de celui de Toulouse (1229), en
organisant l'inquisition dans toutes les paroisses (Mansi, XXIII, 829 ss. :
Hefele, VI, p. 40 ss., trad. fr., VIII, p. 461 ss.). L'église cathédrale
de Sainte-Cécile, en briques, est un remarquable modèle d'église for-
tifiée. Elle a été construite de 1282 à 1512. L'église collégiale de
Saint-Salvi (treizième siècle) conserve le nom d'un saint évêque, mort
en 584 (Gallia chr., I; d'Auriac, Hist. de la cathédr. et des évêques
d'Albi, 1858).
ALBIGEOIS. Voyez Cathares.
ALBIZZI (Barthélémy), moine franciscain, plus connu sous le nom
latin de Bartholomœus Albicîus Pisanus, est l'auteur du Liber conforma
tatum sancti Francisci cum Christo, ouvrage dont la première édition
parut, vers la fin du quinzième siècle, à Venise, sans date et sans nom
d'imprimeur, et qui a été réimprimé depuis en divers lieux avec des
changements et sous différents titres. L'auteur y a recueilli sans discer-
nement et reproduit, avec une exagération que son enthousiasme
pour la mémoire du fondateur de son ordre ne suffit pas à excuser,
toutes les légendes, même les plus bizarres, relatives à saint François
d'Assise. Outre quelques recueils de sermons, on attribue encore à
Albizzi un Liber con for mi tatum Virginis Marix cum Christo, Med.,
1496, in-4°, plein des mêmes exubérances d'une piété mystique unie à
une imagination désordonnée.
ALBRET (Maison d'j. Cette maison, Tune des plus illustres du midi
de la France, tirait son nom de la petite ville d'Albret, aujourd'hui
Lalait, et eut pour chef Amanieu, sire d'Albret, mort en 1060. La sirie
d'Albret comprenait une partie du territoire dont on a formé les dé-
140 ALBRET
parlements du Gers et des Landes. Jean II d'Albret, ayant épousé
en 1484 Catherine de Foix, héritière du trône de Navarre, ce royaume
fut acquis à la maison d'Albret, qui régna dès lors sur la Haute-
Navarre (Pampelune, Estella, Tudela, Olite, San Guesa), la Basse-
Navarre (Saint-Jean-Pied-de-Port), leBéarn (Pau, Orthez, Oleron, Lescar,
Navarreins), le comté de Foix (Foix, Pamiers, Tarascon, Mazères) et la
sirie d'Albret (Nérac, Mont-de-Marsan, Tartas). Le mariage de Henri II
d'Albret avec Marguerite de Valois, sœur de François Ier et veuve du
duc d'Alençon, et celui de sa fille Jeanne d'Albret avec Antoine de
Bourbon apportèrent de plus à la couronne de Navarre les duchés de
Vendôme, d'Alençon et de Berry, les comtés de Marie, du Perche,
d'Armagnac, de Rodez, de Gomminges , etc., et quelques autres
seigneuries, mais ce ne fut qu'une faible compensation de la perte de
la Haute-Navarre ou Navarre espagnole, dont s'était emparé Ferdinand
le Catholique, roi d'Aragon, avec l'appui du pape Jules II, qui avait
excommunié Jean IL — Les membres les plus connus de la maison
d'Albret sont les suivants : Arnaud, vicomte de Tarbes, grand chambel-
lan de Charles V; Charles, son fils, connétable en 1402, du parti d'Ar-
magnac et tué à la bataille d'Azincourt (1415); Jean II, déjà nommé,
prince d'un esprit médiocre, d'un caractère insouciant et crédule. C'est
sous lui que s'opéra le démembrement de la Navarre (1512). Catherine
de Foix, sa femme, ne lui ressemblait en aucune manière. Elle était
pleine de courage et de résolution. Jean, qui vivait dans la mollesse,
n'avait rien fait pour défendre la Haute-Navarre et il s'enfuit de Pam-
pelune à l'approche de l'armée du roi d'Aragon. Indignée, Catherine
refusa de le suivre, en s' écriant : « Allez, vous avez été Jean d'Albret
et vous redeviendrez Jean sans royaume. » Plus tard elle lui disait
souvent : « Don Jean, si nous fussions nés, vous Catherine et moi
Don Jean, nous n'eussions pas perdu la Navarre. » Henri II, fils et
héritier de Jean, n'avait que quatorze ans quand il perdit sa mère
(1517), qui l'avait fait élever avec le plus grand soin. Il parut tout
d'abord fort supérieur à son père. Brave, magnifique, il s'exprimait
avec grâce et facilité. Aidé de Lautrec, général de François Ier, il re-
conquit la Navarre espagnole, mais il ne put la conserver et cette pro-
vince fut perdue à jamais pour sa couronne. Il n'en demeura pas moins
fort reconnaissant envers le roi de France du concours qu'il lui avait
prêté, combattit courageusement à ses côtés à Pavie (1525) et partagea
son triste sort. Ses sujets réunirent 31,000 écus d'or pour sa rançon,
mais Charles-Quint, n'ayant pas trouvé la somme suffisante, Jean de
Gassion, qui l'avait apportée du Béarn, s'en servit pour corrompre les
geôliers de son maître et réussit à le faire évader. Pour prix du dévoue-
ment et de la valeur de Henri II, François Ier lui accorda la main de sa
sœur Marguerite (24 janv. 1527). L'âge des deux époux était assez dis-
proportionné. La nouvelle reine avait trente-cinq ans et son mari vingt-
quatre seulement. Marguerite fut accueillie avec joie par les Navarrais,
car elle apportait une grande alliance, un domaine considérable et, ce
qui frappe plus encore les multitudes, beaucoup d'affabilité et de grâce.
Secondant puissamment son mari dans le gouvernement de ses Etats,
ALBRET 141
ils s'appliquèrent ensemble à organiser une bonne police et à protéger
ragrieulture el l'industrie. Us construisirent également le magnifique
château de l'an. Marguerite, qui penchai! vers les idées luthériennes,
les favorisa tir toul son pouvoir à sa cour. Ce fut auprès d'elle que se
réfugia Clément Marot, compromis dans l'affaire des placards, Calvin
(1534), le savant et infortune Etienne Dolet, le pieux professeur Lefèvre
d'Etaples qu'elle pourvul de l'abbaye de Clairac, et Gérard Roussel,
qu'elle til nommer évoque d'Oleron. Egalement passionnée pour les
lettres, elle accueillit avec empressement plusieurs écrivains et littéra-
teurs, tels que Des Perriers, Claude Gruget, Antoine Du Moulin, Jean de
la Haye (Silvius) et d'autres encore. Le roi de Navarre, homme naturel-
lement rude, ne comprenait pas cette communion morale et intellec-
tuelle que Marguerite entretenait avec ces hommes d'élite et lui en
témoigna un jour un tel mécontentement qu'il la souffleta en lui disant :
« Madame, vous voulez trop savoir. » Marguerite néanmoins parvint à
le ramener à des sentiments plus chrétiens et plus doux, et on le vit
chanter comme la reine les psaumes de Marot, écouter le prêche et
assister à la célébration de la Cène. François Ier étant mort sur ces
entrefaites, Marguerite en eut un tel chagrin qu'elle ne lui survécut
que deux ans. Elle mourut en 1549, vivement regrettée de ses sujets
et également de son mari, qui avait apprécié à la longue ses rares
qualités d'esprit et de cœur. Quant à ce dernier, il nourrissait toujours
T espoir de recouvrer la Haute -Navarre. Par sa sage administration, il
s'était ménagé d'importantes ressources sans pressurer son peuple, et
allait tirer l'épée quand il mourut en Gascogne, âgé seulement de
cinquante-deux ans. Ses sujets le pleurèrent, car sous la rudesse de
son caractère « il portait, dit Th. Muret, le cœur d'un souverain, la
« conscience de ses devoirs royaux, le vrai sentiment populaire, la rigide
« droiture d'un bon justicier qu'aucune considération n'arrêtait. » Il
eut de Marguerite quatre enfants, trois filles et un fils, dont un seul
survécut, Jeanne. Née le 7 janvier 1528, Jeanne d'Albret n'était
âgée que de deux ans et quelques mois quand François Ier, qui
avait sacrifié à l'Espagne parle traité deCambrayles intérêts de la mai-
son de Navarre et craignait que Henri II ne se rapprochât de son an-
cienne ennemie, exigea que la future héritière du trône de Navarre fût
élevée sous ses yeux au château de Plessis-les-Tours. Cette contrainte
toutefois ne nuisit en rien à l'éducation de la jeune princesse dont
tous les maîtres furent choisis par sa mère. Douée de beaucoup d'intel-
ligence, d'une heureuse mémoire et d'une raison supérieure, la jeune
tille tit de rapides progrès dans ses études et apprit non-seulement
le fiançais, le béarnais et l'espagnol, mais encore le latin et le grec.
Quand elle eut douze ans, François 1er., poussé encore par des vues
politiques, la maria contre son gré et celui de ses parents avec le duc
Guillaume de Clèves et de Gueldre, ennemi de Charles-Quint (15 juil-
Ift 1540). Ce mariage de pure forme et tout politique fut annulé par
1«' pape trois ans après, à la suite des revers et de la défection du duc
de Clèves. François [« reprit alors un projet qu'il avait conçu précé-
demment, celui de marier Jeanne avec Antoine de Bourbon, duc de
442 ALBRET
Vendôme, pour qui du reste elle avait un secret penchant et dont elle
était aimée. Henri II souleva d'abord quelques objections tirées de la
prodigalité bien connue d'Antoine, mais il finit par céder (20 oct. 1548)
sur la promesse que lui fit François Ier de s'employer de tout son
pouvoir à le rétablir dans ses Etats de delà les monts. Jeanne perdit
successivement deux fils, mais elle eut le bonheur d'en conserver un
troisième qui naquit à Pau le 13 déc. 1553 et devint le roi Henri IV.
Le jeune prince fut élevé comme un enfant béarnais. On le plaça en
nourrice à la campagne et, comme il était d'une constitution robuste,
il acquit une grande vigueur, en même temps que se développèrent
chez lui le courage et cette vivacité qui ne l'abandonnèrent jamais. Son
grand'père se plaisait à dire qu'il serait un lion généreux. Jeanne eut
encore deux filles, mais une seule survécut, Catherine, née le 7 fév. 4659.
Dès après la mort de Henri II d'Albret, dont elle était l'unique héritière,
le roi de France Henri II, qui voulait la dépouiller de ses domaines, lui
offrit, en échange de leur cession, des terres équivalentes situées dans
l'intérieur de la France, mais elle sut parer habilement le coup et
abrita son refus derrière la répugnance insurmontable des états géné-
raux de son royaume, qu'elle convoqua à cet effet et qu'elle avait eu
le soin de gagner d'avance à sa cause. Gomme Marguerite sa mère,
Jeanne favorisa la Réforme. Son mari fit de même et allait plus loin
encore, car il ne voyageait jamais sans son aumônier. Cette conduite
rendit Jeanne suspecte à la cour de France, mais, douée d'une énergie
supérieure à son sexe, elle demeura ferme dans sa foi et repoussa
toutes les tentatives que fit le cardinal Georges d'Armagnac pour in-
troduire l'inquisition dans ses Etats. Après l'entreprise d'Amboise, son
mari fut arrêté et une armée espagnole se mit en marche pour envahir
ses domaines, mais la mort de François II changea subitement la face
des choses. Antoine de Rourbon fut nommé lieutenant général du
royaume et fit venir à Paris sa femme et ses enfants. Ce bonheur fut
de courte durée. Habilement circonvenu et flatté dans les plus viles
passions, Antoine renia sa foi, se mit à la tête du parti catholique et
« tout ce que les larmes de sa femme purent obtenir de lui, dit
Varillas, fut d'aller dans sa principauté de Réarn vivre à la calvi-
niste » (juil. 1562). Jeanne n'eut garde de s'y soustraire. Elle fit venir
une vingtaine de ministres, qui parlaient le basque et le béarnais,, pour
annoncer l'Evangile à ses peuples dans les deux langues, transforma
les églises en temples et les monastères en écoles, employa les revenus
ecclésiastiques au soulagement des pauvres et à l'entretien des pasteurs,
et transféra l'académie de Lescar à Orthez et y appela des professeurs
distingués. Mais où elle dépassa les limites et ne comprit point les condi-
tions de la liberté, c'est lorsqu'elle défendit l'exercice public de la
religion romaine dans ses Etats. La mort d'Antoine de Rourbon
(17 nov. 1562), qui ne fut sincèrement pleuré que par elle, ne changea
rien à ses desseins, et elle sut préserver ses Etats des atteintes des
deux premières guerres de religion. Mais ses ennemis ne sommeillaient
point. Le cardinal d'Armagnac, poussé par le pape Pie IV, lui écrivit
de revenir à la religion de ses pères. Sur son refus, le souverain pontife
ALBRET — ALCANTARA 143
la cita à Comparaître devant le tribunal de l'inquisition (28 sept. 1S83).
Mais Gharles IX, inslrnit des faits et, conseillé par le chancelier de
L Hospital, fit des représentations au pape, qui consentit à révoquer sa
bulle. La troisième guerre de religion ayant éclaté (25 août 1568),
Jeanne ne pu! plus compter sur la protection du roi de France et se vit
obligée de chercher un asile à la Rochelle avec son fds Henri de
Navarre qui, à dater de cette époque, ne quitta plus les armées protes-
tantes. Bile-même prit une vive part à la lutte, engageant toutes ses
pierreries pour la soutenir, relevant le courage des chefs lorsqu'ils
étaient trahis par la victoire, visitant les hôpitaux, pansant les blessés,
déployant une activité surhumaine pour refaire des armées et trouvant
au milieu de ses occupations viriles le temps de composer des écrits
en faveur de la cause, d'encourager les lettres et de broder d'admi-
rables tapisseries, qui sont restées célèbres. Ses sujets avaient été sou-
levés par l'ordre de Charles ÏX, mais son lieutenant Montgomméry ,
qu'elle envoya en Béara, fut assez heureux pour remettre toutes choses
en leur ancien état. La paix ayant été signée en août 1570, Gharles IX
mit tout en œuvre pour attirer Jeanne et son fils à la cour. Douée d'une
rare perspicacité et d'une connaissance profonde des hommes et des
choses, la reine de Navarre était remplie de sombres pressentiments,
mais obsédée par le roi, qui lui offrit sa sœur Marguerite pour femme
ion fds et l'éventualité d'une déclaration de guerre à l'Espagne, qui
lui permettrait de ressaisir ses domaines de delà les monts, elle finit par
t et. après être retournée dans ses Etats, elle arriva à Paris en mai
l.*)7w2. Elle n'y était que depuis quelques semaines quand elle mourut
d'une manière presque subite à l'âge de quarante-quatre ans (9 juin 1572).
bavila, l'Etoile, d'Aubigné, les Mémoires de Gharles IX, Olhagaray
et d'autres graves historiens assurent qu'elle fut empoisonnée. Elle
montra à ses derniers moments la plus entière soumission à la volonté
(!•• Dieu. Dans son testament, qu'elle dicta d'un esprit ferme et lucide,
elle supplie son fils de persévérer dans la religion évangélique et « d'y
conformer ses mœurs, » lui recommande de servir de père à sa sœur
Catherine, d'aimer le prince de Gondé comme son frère, et le fait son
héritier universel. Elle prie en même temps le roi et la reine mère de
prendre ses enfants sous sa garde et de leur permettre le libre exercice
de leur religion. Enfin elle termine en instituant le cardinal de Bour-
bon, son beau-frère, et l'amiral Goligny ses exécuteurs testamentaires.
« Ainsi mourut cette reine, dit d'Aubigné, n'ayant de femme que le
L'âme entière aux choses viriles, l'esprit puissant aux grandes
affaires, le cœur invincible aux adversités. » — Voyez Haag, La France
l>rol<:stauh:; Théod. Muret. , But. de Jeanne d'Albret, etc., 1862.
E. Arnaud.
ALCANTARA (Ordre d'). La fondation de cet ordre est attribuée à
quelque- < iicvalicrs de Salamanque qui, l'an 1156, se mirent à guer-
royer contre les Maures aux environs de Giudad-Kodrigo sur la frontière
de Portugal, ayant i leur trie un nomme Don Suero. Pour renforcer
les liens de l«ur compagnonnage ils se décidèrent à fonder une associa-
tion utilitaire et religieuse a l'imitation de L'ordre du Temple et de
144 ALCANTARA — ALCUIN
l'Hôpital. Ils obtinrent à cet effet l'approbation de leur évêque diocé-
sain D. Ordofîo qui leur donna une règle tirée de la règle de Citeaux.
Le nouvel ordre s'intitula d'abord San-Julian del Perero du nom d'un
ermitage situé sur les bords de la Coa, à huit lieues de Giudad-Rodrigo,
auprès duquel les frères avaient construit un fort. En 1217, le roi
Alphonse IX ayant conquis la ville d'Alcantara sur les Maures en fit
donation à D. Martin Fernandez, maître de Calatrava, qui, dans l'impos-
sibilité de tirer parti de cette donation, la céda aux chevaliers de San-
Julian del Perero qui dès lors prirent le titre de chevaliers d'Alcantara.
Le but de l'ordre, tel qu'il fut défini par les bulles d'Alexandre III et
de Gélestin III, était la défense de la foi chrétienne contre les infidèles,
en particulier contre les musulmans d'Espagne. Les chevaliers faisaient
les trois vœux d'obéissance, de pauvreté et de chasteté. Plus tard ils
furent autorisés à se marier, mais ils eurent en revanche à défendre le
dogme de l'immaculée conception de la Vierge. En 1494, les rois catho-
liques, Ferdinand et Isabelle, par un accord passé avec le grand maître
Juan de Zuniga, attribuèrent à la couronne la maîtrise de l'ordre d'Al-
cantara, comme ils l'avaient fait deux ans auparavant pour les deux
autres ordres militaires de Calatrava et de Santiago. Dès lors les affaires
de l'ordre furent administrées par le pouvoir royal, aidé du conseil
spécial des ordres militaires. Après l'occupation française du com-
mencement de ce siècle, l'ordre d'Alcantara perdit le peu d'importance
que lui avaient assuré jusqu'alors ses propriétés territoriales. Ce n'est
plus maintenant qu'une décoration militaire. — Bibliographie : Difini-
ciones y establecimientos de la orden y cavalleria d'Alcantara, Madrid,
1609, in-f° (il y a une édit. antérieure de 1569 et une édition augmentée
de 1662) ; Privilégia selectiora militise sancti Iuliani de Pereiro
(hodie de Alcantarà) cisterciensis ordinis, etc., opéra Dris Fr. Ioannis
Galderon de Robles, Matriti, 1662, in-f°; Coronica de la orden de
Alcantarà que en su principio se llamo de San Julian del Pereiro y de
Truxillo, por el licd0 D. Fr. Alonzo de Torres ; 2 t. in-f°, s. 1. n. d. Cet
ouvrage ne mène l'histoire de l'ordre que jusqu'en 1516.
ALCHIMIE. Voyez Sciences occultes.
ALCUIN, ou, comme il aimait à s'appeler, Albinus, naquit vers 735 à
York ; il suivit l'école attachée à la cathédrale de cette ville et dirigée
par le prêtre Aelbert, qui était renommé pour son savoir. Quand
Aelbert, qu'il accompagna lors d'un voyage à Rome pour y chercher
des manuscrits, fut devenu archevêque d'York, il lui succéda dans la
direction de l'école. En 780, à la mort d'Aelbert, le nouveau prélat
Eanbald, désirant avoir le pallium, chargea Alcuin d'aller le demander
au pape. En revenant de Rome, en 781, le savant anglo-saxon se ren-
contra à Parme avec Charlemagne, qu'il avait déjà vu dans une occa-
sion précédente. Le roi, qui aimait à attirer en France des hommes
instruits pour lui aider à relever le clergé et la nation de leur ignorance,
l'invita à s'établir auprès de lui. Il y consentit ; dès 782 il vint à la cour
avec quelques-uns de ses disciples. Il devint, selon l'heureuse expres-
sion de M. Guizot, le ministre intellectuel de Charlemagne, qui
pour le retenir lui donna l'abbaye de Ferrières, et celle de Saint-Loup à
ALCUIN 445
Troyes. Il dirigea les études du roi et l'instruction de ses enfants et de
quelques jeunes nobles. Ce fut sous son inspiration qu'en 787 Charle-
magne adressa aux évêques francs une lettre-circulaire, pour leur
recommander de prendre des mesures pour répandre les connaissances
littéraires, comme première base des connaissances théologiques. Après
un nouveau séjour en Angleterre, Alcuin entreprit, sur le vœu du roi, la
réfutation de L'adoptianisme qui, venu d'Espagne, avait trouvé quel-
ques partisans dans la France méridionale. Au concile de Francfort
de 7'.)'», où fut traitée aussi cette question, il parut comme délégué de
l'Eglise anglicane ; ses ouvrages contre les adoptiens sont écrits avec
modération, et non sans une certaine sagacité théologique. Dans les
discussions provoquées en France par les canons du concile de Nicée
de 7S7. qui avait rétabli le culte' des images dans l'Eglise grecque,
Alcuin fut un des adversaires les plus décides de cette superstition ; il
concourut à toutes les décisions qui furent prises pour l'écarter. Lors
de son retour en Angleterre, il assista au concile qui se prononça
contre l'adoration des images ; elle fut rejetée de même par le concile
de Francfort de 794 dont il vient d'être parlé. Ce n'est qu'à propos
de la conversion des Saxons que Gharlemagne ne suivit pas les avis de
son conseiller ; Alcuin, supérieur en ceci au roi et au siècle, aurait
voulu qu'on envoyât en Saxe des missionnaires instruits et charitables
pour instruire les habitants, au lieu d'imposer à ceux-ci le baptême
par la force. En 796, il demanda l'autorisation de quitter la cour et les
affaires ; il put se retirer dans l'abbaye de Saint-Martin de Tours, que
Gharlemagne lui conféra et qui était une des plus riches du royaume ;
elle avait sur ses domaines plus de 20,000 colons et serfs. Dès lors, il
s'occupa surtout de l'école de Tours, à laquelle il imprima une direc-
tion qui en fit pendant longtemps une des plus savantes du pays.
Comme les livres manquaient en France et que le peu qu'on en avait
était très-incorrect, Alcuin envoya un de ses disciples en Angleterre
pour en rapporter des manuscrits meilleurs. Il corrigea lui-même le
texte corrompu de la Vulgate, et fit faire des travaux semblables pour
d'autres ouvrages ; à mesure qu'une révision était faite, on en trans-
mettait des copies aux principales églises et abbayes ; c'est ainsi que
se formèrent alors quelques bibliothèques assez considérables. Alcuin
mourut en 804. Ses écrits, assez nombreux, témoignent de l'étendue
de ses connaissances, tout en n'étant en partie que des compilations ;
mais à cette époque les compilations mêmes avaient leur utilité : avant
de faire du nouveau, il fallait renouer la tradition interrompue par
plusieurs siècles de barbarie. Outre des traités de grammaire, de
rhétorique, de dialectique, pour les écoles, Alcuin a laissé des Vies de
quelques saints, des dissertations sur diverses questions théologiques,
des explications de livres de l'Ancien et du Nouveau Testament, des
poésies qui, malgré l'imperfection du style, contiennent de beaux pas-
es, enfin des ld tics qui sont de la plus haute importance pour l'his-
toire deson temps. —Alcuini. opéra, éd. Duchesne, Paris, 1 G 1 7 , in-f° ;
une édition plus complète fut donnée par l'abbé Frobénius,Ratisb.,d 777,
2 vol. in-f°. Voy. Hist. Utt. de la France, t. IV, p. 529 ss.; Commentaiio
F. 10
116 ALCUIN — ALES
de vita Alcuini, dans le 1er vol. de Téd. de Frobénius; Lerentz, Leben
Alcuins, Halle, 1829. Ch. Schmidt.
ALDEGONDE (Sainte) [Aldegundis], abbesse fondatrice de Maubeuge,
est née en 630 à Goursolre, en Hainaut, de race royale. Son père se
nommait Walbert, sa mère Bertile. Elle refusa le mariage. Sainte
Waudru (Waldetrudis), sa sœur, était mariée à Madelgaire ou saint
Vincent ; ce dernier passa la fin de sa vie au monastère de Hautmont,
et sa femme se retira au couvent de Mons. Elle invita sa sœur à la
rejoindre. Les vertus de sainte Aldegonde, les visions qu'elle eut, et les
miracles qu'elle fit, sont racontés dans ses Actes, qui sont simples et
non sans charme (AA. S S., 30 jan., II). Elle mourut vers 684, après
avoir donné ses biens au couvent de bénédictines qu'elle avait fondé à
Maubeuge (Malbodium ou Melbodium), et qui, sécularisé au treizième
siècle, devint un chapitre noble qui fut dispersé en 1791. Son testa-
ment, publié parCh. bu.\i\iev(Rech. sur le Hainaut, Brux.? 1865, in-8°,
p. 268), porte des traces évidentes de faux. — Voy. A. Triquet : Som-
maire de ta Vie de sainte Aid., Tournay, 1641, in-8° ; nouv. édit. avec
notes de A. Estienne, Maubeuge, 1837, in-12.
ALÉANDRE (Jérôme) serait peu connu sans le rôle qu'il a joué en
Allemagne dans les premières années de la Réformation. Il naquit en
1480 à Motta, petite ville sur les frontières du Frioul et de l'Istrie ; il
étudia la médecine et la théologie, et s'acquit la réputation d'être un
bon humaniste ; comme tel il enseigna pendant quelque temps à l'uni-
versité de Paris. Il entra au service de l'évêque de Liège, qui l'envoya
à Rome pour solliciter pour lui le chapeau de cardinal ; Léon X, auquel
il plut par ses connaissances littéraires, le retint et le nomma biblio-
thécaire du Vatican. En 1520 il fut un des membres de la commission
qui rédigea la bulle d'excommunication contre Luther ; le pape le
chargea, avec le docteur Eck, de la faire exécuter en Allemagne. Au
commencement de l'année suivante il parut comme nonce à la diète
de Worms, prononça contre Luther un discours qui dura trois heures,
et fut un des promoteurs et auteurs de l'édit qui mit le réformateur au
ban de l'empire. Malgré la défense impériale, Ulric de Hutten et d'au-
tres publièrent contre Méandre des pamphlets très-vifs. En 1523, on le
trouve dans les Pays-Bas, conseillant les mesures les plus violentes
contre les partisans de la Réforme. Clément VII le récompensa de ses
services par l'évêché de Brindisi. Il remplit encore plusieurs missions
pour la cour de Rome, fut élevé en 1538 au rang de cardinal et mou-
rut en 1542.
ALEMBERT (d'). Voyez Encyclopédie (Dictionnaire de 1').
ALEP. Voyez Helbon.
ALES (Alexandre) ou Alesius, né à Edimbourg en 1500 et mort à
Leipzig en 1565, occupe un rang estimable parmi les théologiens luthé-
riens du seizième siècle. Il était chanoine de Saint- Adrews, lorsque la
lecture des écrits de Luther, et plus encore ses relations avec Patrik
Hamilton, qui confirma sa foi par son martyre, le détachèrent du catho-
licisme et le décidèrent à embrasser les principes de la Réforme. Em-
prisonné pendant un an sur des soupçons d'hérésie, Aies parvint à
ALÈS — ALEXANDRE LE GRAND 147
s évader et serendil en Allemagne, auprès deLuthèr et dé IMélanchthoh
(1532), dont il devinl le fidèle compagnon d'oeuvre. Son premier écrit
est une Epistola contra decrvtUm quotundafh Episcoporum in Scotia
(1533), dan- laquelle il revendique pour les laïques le droit de lire la
Bible dans une langue qui leur esl Familière. Le doeteur Cochlée ayant,
sur l'instigation des evèques écossais et du roi Jacques V, combattu
eetle opinion, s'attira une verte réplique de la part de notre théologien
s onsw ad Cocklsèi calurtiniûs). Henri VIH d'Angleterre s'étant, sur
entrefaites, décide à rompre avec la cour de Rome, son conseiller
Oaniner appela Aies à une chaire de l'université de Cambridge (1542) ;
mais il dut se retirer, au bout de peu de temps, devant l'opposition
qu'il rencontra de la part des catholiques. Une discussion avecl'évèque
de Londres sur la valeur des sacrements donna lieu à une nouvelle
brochure: De aUthbritaté Verbi bei\itl%. Obligé de quitter l'Angle-
terre où il ne se sentait plus en sécurité, Aies professa successivement
la théologie à Francfort-sur-FOder et à Leipzig. 11 publia un certain
nombre de commentaires (saint Jean, Timothée, Tite, Romains),
des traités dogmatiques sur la justification et sur la Trinité, ainsi que
des brochures de controverse. 11 soutint avec Major la nécessité des
bonnes œuvres pour le salut, et traduisit sur la demande de Cranmer,
le Commun prayer Book en latin. Aies, Fami de Mélanchthon, était un
espril à la fois terme et conciliant. Dialecticien habile et savant judi-
cieux, il lit preuve, dans les luttes où il fut mêlé et dans les colloques
religieux auxquels il prit part, d'un vif désir de rapprocher les diverses
fractions du protestantisme, sans toutefois rien céder des droits de la
Write (V. Thomas, Oratio deAlesio, Leipz., 1683).
ALET (Aude) [Civitas Aletensium, Flectum, Electa, Alerta), autrefois
monastère de bénédictins, fondé en 813 (cœnobium loti Electi), évêché
suffragant de Narbonne de 1318 à 1790. Nicolas de Pavillon fut évêque
d'Alet de 1637 à 1677 (Gallia chr.y VI).
ALEXANDRE, surnommé LE GRAND, fils de Philippe, roi de Macédoine
et conquérant de l'Asie, monta sur le trône en 336 et mourut à Baby-
lone en 323 avant Jésus-Christ. Nous n'avons point à faire ici Fhistoire
«le ses expéditions et de ses exploits. Il ne touche à notre sujet que par
le fait de sa visite à Jérusalem, que raconte Josèphe (Antiq.jnd., XI,
vin. 3-6 , et qui a donné matière à bien des contestations. Le récit de
Josèphe, confirmé dans ses grands traits parles traditions rabbiniques et
samaritaines Derenbourg, Hist. de la Palestine, ï, M ss.), a probable-
ment un fond réel ; mais les détails de l'entrevue du grand-prêtre
Jaddus avec le roi macédonien semblent appartenir plutôt au domaine
légende qu'à celui de l'histoire. Quoi qu'il en soit, Alexandre attira
un grand nombre de Juifs à Alexandrie, et c'est de son règne que
datenl les commencements de l'influence grecque en Palestine. On
quels furent les résultats de ce contact de la religion
de Jéhova avec lé paganisme hellénique. L'empire d'Alexandre est
clairement désigné dans le livre de Daniel (il, VII, VIII). D'après le
1" livre des MaccabéeS (l, 6), il fut partagé parle conquérant lui-même
Entre ses généraux et ses compagnons d'armes, renseignement qui
148 ALEXANDRE LE GRAND - ALEXANDRE II
n'est point en parfait accord avec le témoignage des auteurs grecs et
latins (Quint e-Curce, Arrien, Plutarque).
ALEXANDRE BALA, originaire de Rhodes, s'étant fait passer pour le
fils d'Antiochus IV Epiphane, usurpa, en 152 avant J. -G., le trône de
Syrie, après avoir renversé Démétrius Soter, avec l'appui de Ptolémée
Philométor, roi d'Egypte, d'Attale, roi de Pergame, et d'Ariarthe, roi
de Cappadoce. Il s'était aussi allié avec le Maccabéen Jonathan
(1 Macc. X, 1 ss.), qu'il nomma gouverneur et général en chef de la
Judée. Alexandre régna pendant près de six ans, livré à la paresse et à
la débauche. Au bout de ce temps, Ptolémée s'étant tourné contre lui
et ayant envahi la Syrie, l'usurpateur, battu, dut fuir en Arabie où il
fut assassiné (1 Macc. XI, 17). Démétrius Nicator, fils de Démétrius
Soter, occupa alors le trône de son père (voy. Justin, XXXV; Appian.
Syr., LXV1I ; Liv., Epit., L ; Diod. Sic, Eclog., XXXII).
ALEXANDRE JANNÉE. Voyez Asmonéens (les).
ALEXANDRE Ier (Saint), pape ou plutôt presbytre de l'Eglise de
Rome. Irénée (flœr., III, 3, 3) et Augustin (Ep. 53) le placent entre
Evariste et Sixte. D'après Eusèbe (Hist. ecct., IV, 1, 4), il fut évêque de
Rome de 108 à 118, et non, comme l'on compte ordinairement, de
109 à 119; d'après la Chronique d'Eusèbe, il occupa le siège épiscopal
de 103 à 114, et d'après le Catalogue libérien de 109 à 116. Suivant les
Actes de son martyre (A A. SS., 3 Mai, I), il fut mis à mort en l'an 117,
avec saint Eventius et saint Théodule, sur la Via Nomentana ; mais ces
Actes sont évidemment inspirés sinon par le Livre pontifical (530), du
moins par le Catalogue léonin (après 440). M. Lipsius (Chronol. derrœm.
Bisch. bis z. 4ten Jhh. 18<ï9, p. 169) estime que nous n'avons pas de
raisons pour douter de l'existence de ce personnage; mais il ne croit
pas qu'il se soit conservé aucune tradition dans l'Eglise de Rome
touchant l'époque de son installation, la durée de son ministère et l'an-
née de sa mort. — Voy. Tillemont et Pagi ; Aube, Hist. des persécutions,
P., 1875, p. 284 ss,
ALEXANDRE II, pape (1061-1073). Nicolas II étant mort le 27 juillet
1061, le parti impérial envoya auprès de Henri IV une députation char-
gée de l'inviter à intervenir dans l'élection du pape. Le jeune roi
réunit autour de lui les évêques lombards, et dans un synode assem-
blé à Râle, F évêque de Parme, Gadalous, est élu et prend le nom
d'Honorius IL Déjà, le 1er octobre 1061, Anselme, évoque de Lucques,
natif de Baggio près Milan, élu par tous les cardinaux-évèques, avait été
sacré sous le nom d'Alexandre IL L'impératrice Agnès envoie, pour
frayer les voies à l'antipape, un homme rusé et sans scrupules, Benzo,
évêque d'Aîba. Benzo s'établit avec la faveur du peuple dans la cité Léo-
nine, quartier de la noblesse, Alexandre est battu près du Vatican, et
le sénateur Gensius reçoit Gadalous dans le château Saint-Ange, tandis
que le pape occupe le Gapitole. Cependant Godefroy, duc de Toscane,
se présente devant Rome, et, sous prétexte de conciliation, il invite les
deux partis à attendre la décision de la cour impériale Au même mo-
ment, l'archevêque de Cologne, Annon, s'emparait du jeune prince, et
réléguait l'impératrice dans un couvent. Le 27 octobre 1062, Annon
ALEXANDRE II — ALEXANDRE 113 149
réuni! un synode à Augsbourg. Le cardinal Pierre Damien, ardenl liil-
debrandiste, a écrit L'histoire de ce concile. Le synode ne sut prendre
aucune résolution, néanmoins Annon fait rentrer Alexandre à Rome.
Le jeune Henri IV esl tiraillé entre Annon et l'archevêque de Brème,
\dalberl, favorable à l'antipape. Celui-ci reprend la cité Léonine e1
Saint-Pierre, el son parti semble triomphant. Cependant Cadalous esl
abandonné des siens. L'antipape, retenu prisonnier par Censius dans le
chat (Mil Saint-Ange, s'enfuit seul, après avoir payé rançon. A ce mo-
ment, raconte Bonizo, Annon, « voulant réconcilier le sacerdoce el
l'empire, » vint à Home reprocher à Alexandre d'avoir accepté la tiare
sans L'agrément du roi des Romains. Hildebrand lui répondit que les
décrets des Pères excluaient l'empereur du choix des papes. En effet,
L'élection d'Alexandre II avait inauguré un droit nouveau. Nicolas II,
dans un concile de 1059, avait donné aux seuls cardinaux le droit
d'élire le pape, « sauf l'honneur et la révérence de notre bien-aimé fils
Henri. » Mais le fait de cet entretien paraît douteux. Le concile de
Mantoue, assemblé à la Pentecôte de Fan 1061 par Annon, convoque
les deux papes. Alexandre seul y paraît; il se justifie par serment des
reproches de trahison et de simonie, et il est solennellement proclamé.
Honorius, dont les partisans ont tenté d'envahir le concile, est excom-
munie. Alexandre ne fut seul maître que lorsqu'en 1066 l'archevêque
de Brème fut précipité du pouvoir. Le parti hildebrandien et populaire
en Lombardie, la Pataria, dont le chef Arialdo venait d'être massacré,
releva la tête; le pape, vainqueur des Normands avec l'aide du duc de
Toscane, mourut le 21 avril 1073. Disciple d'Hildebrand, qui lui suc-
céda, il avait osé citer Henri IV à comparaître devant lui. — Le livre de
Bonizo, ad Amicum, la lettre bouffonne de Benzo, ad Heinricum IV, la
Vie d'Alexandre, par le cardinal Boso, résumée de Bonizo, et qui a
été publiée sous le nom du cardinal Nicolas d'Aragon (Murât., Scr.,
III, 1), etc., se trouvent dans Watterich, Pontificum Rom. vùœ.
L., 1864, in-8°, I. Voy. Gregorovius, IV, 121 ss.; Hefele, IV, 784 ss.,
trad. franc., VI, 409 ss. ; Giesebrecht, Ann. altah., 1841, et Gesc/t.
der Kaiserzeit, III, 66 ss. S. Berger.
ALEXANDRE III, pape (1139-1181). Roland Bandinelli, évéque de
Sienne, chancelier de l'Eglise de Rome, fut, à la mort d'Adrien IV, élu
le 7 septembre 1 159 par la majorité des cardinaux. Deux voix seulement
>•' déclarèrent pour Octavien Maladetti. L'antipape se fait introniser
-<>u> le nom de Victor IV. Roland est assiégé neuf jours dans Sainl-
Pierre par les Victorins, soutenus par les ambassadeurs impériaux.
Mais le peuple de Rome se déclare pour lui; sacré à Nimfa, il prend
le nom d'Alexandre 111. Le roi de France, l'ordre de Gîteaux, celui des
Chartreux, la bastille. l'Aragon, la Hongrie, les Normands d'Italie, se
déclarent pour lui. L'empereur convoque à Pavie un prétendu concile
général, mais ce synode, réuni le 5 février en présence de Victor, se
montre partagé. Renaud de Dassel, archevêque élu de Cologne, excite
au schisme L'empereur e1 les prélats, Frédéric [«"tient retrier a Victor.
L'Allemagne, la Bohême, le Danemark et la partie impériale de la Bour-
gogne son! les seuls pays ou l'antipape soit reconnu. Les Cisterciens sont
150 ALEXANDRE II] - ALEXANDRE IV
bannis d'Allemagne. Dès le 24 mars 1160, Alexandre se sent assez fort
pour excommunier Frédéric, Octavien et les fauteurs du schisme.
Henri II et Louis Vil se réconcilient en mai 1160, et l'Angleterre et la
France, dans les synodes de Neufmarché, de Beauvais el de Toulouse,
reconnaissent le pape légitime. Menacé par les avant-coureurs de l'em-
pereur, Alexandre, à la fin de 1161, quitte l'Italie et se réfugie à Mont-
pellier, où il est reçu en triomphe. Le 17 mai 1162, il réunit dans cette
ville un concile national. L'ordre de Gluny tient pour le schisme.
Louis VII, intimidé par Barberousse, consent à se rencontrer avec
l'empereur sur le pont de Saint-Jean-de-Losne ; l'entrevue n'eut pas
lieu. Alexandre tient un concile à Tours, le 19 mai 1163 (Mansi, XXI);
Renaud de Dassel et l'abbé de Gluny sont excommuniés. Renaud fait ré-
gner la terreur en Italie. Victor était mort le 20 avril 1164; l'archevêque
de Cologne fait élire Guy de Grema (Pascal III). Mais le nouvel antipape
est abandonné, et, rappelé par les Romains, Alexandre III rentre dans
Rome le 23 novembre 1165. La diète de Wurtzbourg (1165) se déclare
pour Pascal, et, en 1166, Henri II, irrité contre le pape qui protège
Becket, prête l'oreille aux insinuations de Renaud et menace de se
séparer d'Alexandre. Barberousse marche une seconde fois sur lTtalie
(1167), les Romains sont battus, Alexandre s'enfuit à Bénévent. Mais
après avoir fait sacrer Pascal à, Rome, l'empereur est chassé par une
peste terrible, dont Renaud de Dassel tombe victime. Les Lombards
opposent à l'empereur les murs de paille d'Alexandrie, pendant que
Pascal est relégué dans le Transtevère. Pascal était mort le 20 septem-
bre 1168, on élut en hâte l'indigne Jean de Struma, Galixte III. Barbe-
rousse traverse les Alpes pour la troisième fois, il est battu à Legnano,
et au traité d'Agnani (1176) il promet de reconnaître Alexandre. Au
concile de Venise, présidé en 1177 par le pape, l'empereur jure la paix.
Le 20 août 1178, Galixte se jette aux pieds d'Alexandre. Quelques schis-
matiques élisent aussitôt, contre le gré de l'empereur, Landone (Inno-
cent III); ce dernier antipape se vit enfermer dans un couvent, et le
schisme prit fin en janvier 1180. Alexandre III mit plusieurs rois
à ses pieds, il châtia sans pitié Henri H, le meurtrier de Th. Becket
(1170). En 1179, il réunit à Rome le 11e concile œcuménique
(Mansi, XXII) ou 3e concile du Latran, et fit décréter par cette assem-
blée Télection du pape par les seuls cardinaux, à la majorité des deux
tiers des voix. Il mourut le 30 août 1181. — La Vie d'Alexandre, par le
cardinal Boso, son ami (t 1178), recueillie dans la collection du cardinal
d'Aragon (Muratori,&cr., III, 1), est imprimée dans Watterich, /. /., II.
Voy. H. Reuter, Gesch. Alex,, III (1845), éd. II, 3 vol., LS60-64; Gre-
gorovius, IV, 526 ss; Hefele, V, 501 ss., trad. fr., VII, 359 ss.; Papen-
cordt, p. 269 ss.; Raumer, éd. III, t. II, 84 ss. S. Berger.
ALEXANDRE IV, pape (1254-1261). Renaud, évoque d'Ostie et de Vel-
letri, fut élu à Naples le 12 décembre 1254, et sacré sous le nom
d'Alexandre IV. 11 était natif du diocèse d'Anagni et appartenait à cette
famille des Conti, qui avait produit deux grands papes ennemis des
Hohenstaufen ; il était neveu de Grégoire IX et parent d'Innocent III.
Il continua la politique d'innocent IV. Tout son pontificat se passa
ALEXANDRE IV — ALEXANDRE VI 151
dans des luttes incessantes contre Manfred, roi do Sicile, auquel il
iya en vain d'arracher son royaume, et les Romains, dont le grand
Brancaleone, sénateur et capitaine du peuple, était le chef redouté. Le
tribun mourut en 1258, et sa tête fut placée en trophée sur une
colonne de marbre. Pendant ces guerres, la détresse des popula-
tions til surgir la redoutable manifestation des flagellants qui, vers
i960, malgré le pape et les princes, parurent aux portes de Home.
Associé aux Gibelins, Manfred s'allie aux villes d'Italie, et le faible
Alexandre IV meurt dans rabattement à Viterbe, le 25 mai 1261, après
un long exil à Anagni. — Voy.- sa vie par Bernard Guy, Muratori,
Scr.t III. 1, j). 592 s., et Bouquet XXI, 698; Haynaldi contm. Baron.
s. a., 1354; Gregorovius, V, 301, ss.; Raumer, Hokenst., III, 324 ss.;
IV, *2l(i ss. (3e édit.); Hefele, VI, 7, trad. fr.,VIII, 426 ss.; Papencordt,
p. 307 ss.
ALEXANDRE V, pape (1409-U10). Le concile de Pise avait, le 5 juin
1409, excommunié et déposé Benoît XIII et Grégoire XII; Balthazar
i, qui se réservait pour de meilleurs temps, fit élire un vieillard de
soixante et dix ans, homme « de mœurs pures et de volonté faible. » Pie-
tro Filargo (ou Philargi), franciscain, archevêque de Milan et cardinal,
était natif de Candie; il avait été mendiant et était sans neveux.
Benoît XIII, le pape de Perpignan, était reconnu à Naples, en Frioul,
ep Hongrie, en Bavière, le roi des Romains était pour lui, Grégoire XII
u avait, dans son obédience, que F Aragon et l'Ecosse. Alexandre op-
pose au roi de Naples Louis d'Anjou, accouru à Pise. Balth. Gossa et
Louis d'Anjou, alliés aux Orsini, assiègent Rome, et Malatesta, leur
rai, s'empare de la ville soulevée aux cris de : Viva lo popolo e la
ml Alexandre mourut avant d'avoir eu le temps de se rendre, de
Bologne où Gossa le retenait, à Rome où l'appelait le peuple. Le bruit
public accusa B. Gossa, son successeur, de sa mort. 11 n'avait rien fait
pour la réforme de l'Eglise « dans son chef et dans ses membres, » qu'il
avait juré d'accomplir. — Sa biographie, par Thierry de Niem, se
trouve dans le traité De se hismate, Ub. III, éd. Basil, 1566, p. 181 ss.
\ . riatina(f U81), Vita Alex. V, dans ses Vitse Pontif.; Gregorovius, V,
p. MOI ss.; Papencordt, p. 459 ss.; Hefele, VI, 892,VII, 1 ss., trad. fr., X,
p. 291 ss.
ALEXANDRE VI. Roderigo Lanzol ou Lenzuoli, fils d'un modeste
gentilhomme, Jofré, et d'Isabelle Borgia, sœur de Galixte III, naquit à
Xativa, près de Valence, en 1431 ; il prit le nom de famille de sa mère
et arriva immédiatement aux plus hautes positions dans l'Eglise par la
protection de son oncle. Evêque de Valence, cardinal, vice-chancelier
de 1 Eglise, légat du pape en Espagne, il eut occasion, jeune encore,
de faire apprécier son habileté, d'étudier l'administration, de connaître
!• I ressources financières des Etats pontificaux et surtout de s'enrichir.
A la moi I d'Innocent VIII, Roderigo, qui avait été candidat une pre-
mière fois eu i is i, réussit à se faire élire en achetant les suffrages de
les cardinaux, sauf cinq qui refusèrent de vendre la tiare aux eu-
es 11 aoul 1 i'.ei Le nouveau pape, malgré le mystère dont il avait
enveloppé sa vie privée, avait une réputation détestable; ses premiers
152 ALEXANDRE VI
actes justifièrent les craintes que son élection avait fait naître. Il
comble sa famille de biens et d'honneurs, accorde la pourpre à un de
ses neveux, l'archevêché de Valence à son fils César; dès Tannée sui-
vante, César est créé cardinal avec le frère de la maîtresse du pape. Il
était évident pour tous qu'Alexandre VI, dominé par ses passions,
n'avait qu'une pensée, c'était de fonder une nouvelle dynastie au profit
de sa famille au cœur de l'Italie divisée, et que, pour arriver à son but,
il ne reculerait devant aucun crime. Quoi qu'on ait dit, Alexandre VI
n'est qu'un médiocre politique et ne possède de ce que ses contempo-
rains appellent la virtu que la sceleratezza ; il n'a souci ni des intérêts
du saint-siége ni de l'indépendance de l'Italie ; il hésite entre l'Espagne
et la France, entre Milan et Naples, alors que Charles VIII franchit les
Alpes, sous prétexte d'aller combattre les Turcs ; il ne sait à quel parti
s'arrêter. Le roi de France, après de longues négociations, promet de
respecter les droits du pape et entre dans Rome en maître, et en
ennemi plutôt qu'en allié. Il y demeure plus d'un mois, sollicité par les
cardinaux ennemis d'Alexandre VI de convoquer un concile , de ré-
former l'Eglise, de déposer le pape ; il était plus d'une fois près de
céder à ces conseils, et, s'il l'eût fait, « toutes gens de cognoissance
et de raison l'eussent tenu, comme dit Comines, à une bonne grande
et très-saincte besogne » (liv. VII, ch. 12). Alexandre VI, effrayé surtout
par la menace du concile, se résigne à traiter, à livrer plusieurs forteres-
ses à Charles VIII et à lui remettre pour six mois le sultan Djem ; il
s'engage, en outre, à ne plus être contraire au roi et à lui accorder
l'investiture de Naples, sauf réserve des droits d'autrui (janv. 1495).
Deux mois après, le pape décida la grande Ligue entre Venise, Ludovic,
l'Espagne et l'Empire, et s'enhardit jusqu'à publier un monitoire par
lequel il somme Charles VIII de poser les armes sous peine d'excom-
munication. — L'échec et la retraite des Français permettent à
Alexandre VI de s'occuper des affaires intérieures de ses Etats et de
commencer contre les barons maîtres du patrimoine de Saint-Pierre,
de la campagne de Rome, des marches de la Romagne, cette guerre
d'extermination qui a rendu exécrable le nom des Borgia. Louis XII,
dès son avènement, recherche l'appui du pape ; César qui, dans l'inter-
valle, avait renoncé à l'état ecclésiastique pour lequel il n'avait pas de
goût et s'était fait relever de ses vœux, se rend en personne à la cour
de France pour y porter les bulles de dissolution du mariage de Jeanne
et une promesse d'alliance, et reçoit pour prix des complaisances de son
père, le duché de Valentinois et la main de Charlotte, sœur de Jean
d'Albret. Les Français se rendent maîtres de Milan et aussitôt Alexandre
déclare tous les vassaux de l'Eglise dans la Romagne et dans les
Marches, déchus de leurs droits, sous le prétexte qu'ils n'avaient pas
payé leurs redevances, et une armée de 8,000 hommes fournie en partie
par Louis XII et payée par le pape entre en campagne. Imola, Sinigaglia,
Faenza tombent au pouvoir de César, qui est proclamé duc de la
Romagne (1500-1501). Les Colonna, les Savelli sont dépouillés de leurs
biens ; la trahison livre Urbino et Camerino aux Borgia, la Toscane
elle-même est menacée. Louis XII, effrayé de l'ambition de César,
ALEXANDRE VI 153
arrête sa marche victorieuse, prête l'oreille aux plaintes des ennemis
d'Alexandre VI ; mais César réussi! à gagner George d'Amhoise en
lui promettant la tiare et à rassurer le roi par des proteslations de
dévouement. La conjuration des barons et des condottieri allait tout
Compromettre; déjà l'armée de César avait été battue, et lui-même,
entérine dans Imola, semblait perdu lorsque l'intervention énergique
de Louis XII force les conjurés à poser les armes. Les condottieri, trop
confiants, signent des traités séparés avec César, qui se débarrasse de
ses ennemis par le poison ou par le glaive (c'est ce qu'on appelle la
tragédie de Sinigaglia), tandis qu'Alexandre VI fait mourir à Rome ou
jeter en prison tous ceux que son fils lui a désignés. A ce moment,
Home et le pape lui-même tremblent devant César aux mains duquel
le domaine du saint-siége, conquis et soumis presque tout entier
allait passer avec le titre de roi de la Romagne et des Marches ; les
Borgia se disposaient à abandonner Louis XII vaincu pour s'unir à
L'Espagne victorieuse, lorsqu'un accident bien commun sous le règne
d'Alexandre VI ruina tous leurs projets. Le pape mourut empoisonné
par le cardinal Adrien; César faillit mourir (dépêche de l'ambassadeur
de Venise, en désaccord avec le Diarium de Burchard), et le conclave,
pendant la maladie de ce dernier, eut le courage de choisir un pape
qui n'était pas du parti des Borgia. « J'avais tout prévu, disait le fils
d'Alexandre VI à Machiavel, sauf le cas où je serais malade à la mort
de mon père » [Prince, ch. VII). — Nous n'avons pas à nous occuper
des crimes domestiques qui ont épouvanté Rome sous le pontificat
d'Alexandre VI, ni des meurtres ordonnés par César pour faire dis-
paraître ceux qui mettaient obstacle à son ambition ou dont la fortune
tentait sa cupidité; qu'il suffise de dire que parfois Alexandre fut le
complice de son fils et que toujours il le laissa foire ou lui pardonna.
De toutes les accusations portées contre Alexandre VI, une seule peut-
être a été inventée par la calomnie : des poètes et après eux des chro-
niqueurs malveillants ont parlé en termes peu voilés des rapports
incestueux qui auraient existé entre Lucrèce et son père et de la jalou-
sie de César; on sait aujourd'hui qu'il n'en est rien (Roscoë, Vie de
Léon X, et Gregorovius, Lucrèce Borgia) et que Lucrèce ne mérite pas
l'horrible réputation qu'on lui a faite. — Alexandre VI, qui avait été
pendant plus de trente ans vice-chancelier de l'Eglise, avait étudié h
fond l'administration financière et connaissait mieux que personne les
ressources et les procédés de la curie : devenu pape, il tira des bénéfices,
des grâces , des indulgences , des sommes considérables ; il vendit
toutes les charges et toutes Les dignités, prit des annates doubles, se
réserva deux ou trois dîmes. Occupé comme il était d'intrigues politi-
ques, du soin d'établir sa famille, il n'a guère marqué dans l'histoire
des dogmes et de la constitution de l'Eglise; il convient toutefois de
citer deux ouvrages publiés avant exaltation (Glossœ, Roder ici P or tuen-
opi m régulas Cancellariae et constitutiones lnnoc. VIII de
beneficiis, Rom», 1487; et Cfgpeus defensionis fidei, S. R. E. Argent.),
et de rappeler que le premier d'entre les papes il a déclaré officielle-
ment qu'il pouvait délivrer du purgatoire, qu'il a étendu et renouvelé
i. 11
151 ALEXANDRE VI - ALEXANDRE VII
les attributions et les pouvoirs de l'inquisition (Raynaldus, 1498, n° 25),
qu'il est intervenu, comme aurait pu faire un grand pontife du moyen
âge, entre le Portugal et la Castille, et qu'il a tracé sur le globe une ligne
au delà et en deçà de laquelle devaient s'arrêter les découvertes et les
possessions de ces deux pays. Il n'a guère été que l'ennemi politique de
Savonarole et, dans ses négociations avec la seigneurie de Florence au
sujet du réformateur dominicain, il a obéi, soit en cédant, soit en mena-
çant, à des considérations purement temporelles. — Sources : Raynaldi
(Oderici), Annales ecclesiastici Romx, 1667; Stefano Infessura, Diario
Romano (ap. Muratori et Eccard) ; Burchardi, Diarium, (ap. Leibnitz,
Eccard), publié en partie par Gennarelli, Flor., 1854; Guicciardini,
htoria d'Italia, lib. I-VI; Gregorovius, Geschichte der Stadt Rom;
A. de Reumont, idem ; Gherrier, Histoire des guerres de Charles VIII ;
Gordon, Histoire du pape Alexandre VI et de son fils César, trad. en
français, Amsterdam, 1732; Tomasi, Vita di Cesare Borgia ; Gregoro-
vius, Lucrezia Borgia, 1874, trad. française, chez Sandoz et Fischba-
cher, Paris, 1876 ; P. Villari, Savonarole et son temps, trad. Gruyer,
Paris, 1874. G. Léser.
ALEXANDRE VII, Fabio Ghigi, cardinal et secrétaire d'Etat, élu pape
le 8 avril 1655, avait assisté en qualité de nonce aux négociations du
traité de Westphalie, et fut depuis cette époque en mauvais termes avec
Mazarin et la cour de France. Mazarin voulait traduire le cardinal de
Retz devant les tribunaux ordinaires ; il en demanda l'autorisation au
pape, mais celui-ci, quoiqu'il traitât Retz de brouillon, fit tant de diffi-
cultés pour régler la forme des poursuites et le choix des juges, que le
ministre français ajourna le projet. Un peu plus tard, le traité des
Pyrénées fut signé sans que le pape eût été consulté ; enfin l'affaire des
gardes corses qui avaient insulté l'ambassadeur de France, Créqui, mit
aux prises Louis XIV et le pape. Le roi, repoussant la médiation de la
reine Christine récemment convertie, fait occuper le comtat d'Avignon
et le Venaissin, dirige des troupes au delà des Alpes, exige des satis-
factions qu'Alexandre hésite à lui accorder. Après avoir sollicité en vain
les souverains catholiques de se liguer en sa faveur, il se résigne à
souscrire le traité de Pise, 1664, et à envoyer le cardinal-neveu à Fon-
tainebleau avec les satisfactions demandées. Alexandre, adversaire dé-
claré des jansénistes, avait insisté auprès d'Innocent X, pour qu'il con-
damnât formellement leur doctrine; dès après son avènement, il
impose le formulaire rédigé par les évoques français, repousse les ten-
tatives de conciliation de l'évêque de Comminges et du président du
parlement de Toulouse. Les jansénistes signent le formulaire avec cette
réserve que les cinq propositions condamnées ne se trouvaient pas dans
Jansénius. La paix ne fut conclue qu'en 1668 sous le pontificat de
Clément IX. En 1685, il donna une bulle contre les censures que la
Sorbonne avait faites des erreurs de Jacques Vernant et d'Amédée Gui-
ménius. Le parlement s'unit à la Sorbonne et interdit dans tout le
royaume la bulle pontificale sur la demande des gens du roi. Alexandre
fait défense par des bulles d'écrire ou de prêcher contre l'immaculée
conception de la sainte Vierge et d'écrire sur la matière de l'attrition ; il
ALEXANDRE VII - ALEXANDRE D'ALEXANDRIE 155
aise saint Thomas de Villeneuve et saint François de Sales. Son
administration donna lieu à dos plaintes fréquentes; il écrasa d'impôts
la population, enrichil ses neveux, embellit et rebâtit plusieurs quar-
tiers de Rome, acheva le collège de la Sapience, et éleva la belle co-
lonnade de la place de Saint-Pierre. Il mourut le 22 mai 1667. — Voyez
A. de Reumont, Geschichte der Stadt Rom\ Berlin, 1867-71, 3vol.in-8°;
Pallavicino (card. Sforza), Délia vita di Alessandro Vil, opéra inedita,
1839, 2 vol. in-8°; Ranke, Die rœmichen Pxpste, passim; Desmarais,
ire des démêlés de la cour de France avec la cour de Home, 1707;
Relation de tout ce qui se passa entre le pape Alexandre et le roi de
France, Col., 1G70; les historiens du jansénisme. G. Léser.
ALEXANDRE VIII, Pierre Ottoboni, Vénitien, élu pape le 6 octobre
1689, -ici1 aux efforts de M. de Chaulnes, ambassadeur de France,
qui voulait « procurer à la chrétienté un pape plus sage. » Louis XIV
s'empresse, aussitôt après l'avènement d'Alexandre VIII, d'offrir
iiclon des franchises de l'ambassade, la restitution du comtat
d'Avignon, une transaction au sujet de la régale. Alexandre se montre
plus exigeant qu'Innocent XI; il demande avant de traiter que la cour
de France désavoue la déclaration de 1673, les quatre articles et que
ivêques qui avaient assisté à l'assemblée de 1682 et qui n'avaient
;»u obtenir encore leurs bulles d'institution fassent une sorte de
rétractation (innovata in comùiis disait, au sujet des opinions gallicanes
de l'assemblée de 1682, le texte de la lettre d'excuse proposée par
Alexandre). Après avoir consulté les archevêques, la cour de France
rejette ces conditions ; Alexandre tient bon, et sur son lit de mort il
fait lire devant les cardinaux le bref : Inter multipliées, qui déclare
nuls et de nulle valeur les quatre articles et redit royal touchant la
le. Ce bref est. connu en France en même temps que la mort du
pape ; Louis XIV ne veut pas qu'il en soit tenu compte, persuadé
qu'Alexandre en le publiant « n'avait pas bien su ce qu'il faisait. »
(Croissy à de Harlay, ap. Depping, IV, 154). Un décret du 14 août 1690
proscrivit l'erreur du Péché philosophique enseignée à Dijon par le jé-
suite Musnier. Alexandre mourut le 1er février 1691. — Voyez Durand de
Maillane, les Libertés de V Eglise gallicane ; Gérin, Recherches historiques
■'assemblée de 1682, Paris, 1876 ; Loyson, L'assemblée du clergé de
ic.N-2, Paris, 1870; Phillips, Das Regalienrecht in Frankreich, Halle,
1873 ; Journal de Dangeau, années 1689-1690.
ALEXANDRE (Saint), patriarche d'Alexandrie, élu en 311. Dans un
vèques, il condamna Arius (320), et dans une lettre
encyclique, il exposa et réfuta les dogmes des ariens (Socr., I, 6, et
dans Athanasii opp., éd. Bened., I, 1 p. 397 ss.). Il écrivit au
pape Silvestre une lettre qui ne s'est conservée qu'en extrait dans la
du pape Libère à Constantin. Une longue lettre d'Alexandre à
indre de Constantinople, reproduite par Théodoret (I, 2 ss.), dans
i'Hf l'auteur expose prolixement la doctrine orthodoxe, et formule
un Credo ou se trouve le mot de Beoréxoç et où l'article du Saint-Esprit
est développe longuement, paraît être apocryphe (voy. Semler dans
Km introd. aux Polémiques de Baumgarten, III, 1764). Constantin
156 ALEXANDRE D'ALEXANDRIE —ALEXANDRE DE HALÈS
écrivit à Alexandre une lettre dédaigneuse (Eusèbe, Vita Const., II,
61 ss.); Sev. Binius, et après lui presque tous les auteurs, ont supposé
que cette lettre avait été falsifiée par un des Eusèbe. Heinichen dans
son édition d'Eusèbe {éd. II, Melet. 25), combat cette opinion. Suivant
les calculs ordinaires, Alexandre mourut le 18 avril 326, cinq mois
après le concile de Nicée auquel il avait pris une part active ; mais
d'après un document syriaque publié en 1848 par Cureton [the f estai
Letlers of Athanasius, cité par Hefele, ï, 429, trad. fr., I, 437), sa mort
n'arriva que le 17 avril 328. — Voyez Epiph. ; Bser. , 69 ; Socr. , I, 5 ss. 15 ;
Sozom., I, 15 ss.; II, 17; Théod., I, 2 ss. 26; AA. SS., 26 Febr., III
(voir aussi l'article Arianisme).
ALEXANDRE, élu patriarche de Gonstantinople en 317. Défenseur
de la doctrine orthodoxe, il prit part au concile de Nicée. Il mourut en
340, heureux de ne pas voir Arius réintégré dans l'Eglise et l'hérésie
victorieuse.
ALEXANDRE DE HALÈS (Halésius), ainsi appelé du couvent anglais où
il avait reçu son instruction. Il enseigna la théologie à Paris, et mourut
en 1245. Ilestle premier des docteurs scolastiques qui ait utilisé pour la
théologie, outre la dialectique d'Aristote, sa physique, sa psychologie,
sa métaphysique. Il forme la transition entre ceux qu'on appelait sen-
tentiaires, parce qu'ils s'étaient bornés à exposer les sentences ou pas-
sages dogmatiques des Pères, et les théologiens plus systématiques.
Mais en introduisant dans le système de nombreux éléments aristotéli-
ciens, il l'a encombré d'une foule de matières étrangères. Il est aussi
le premier qui dans la discussion du pour et du contre, du sic et non,
ne laisse plus subsister aucune incertitude, La Summa universx theolo-
gix est un commentaire sur Pierre le Lombard; chez ce dernier il y a
encore des questions indécises, sur lesquelles il n'ose pas se prononcer;
Alexandre de Halès résout tous les problèmes ; il donne d'abord les
arguments dont la conclusion est : videtur quod sic, puis il leur oppose
ceux qui aboutissent au videtur quod non; enfin il se déclare pour l'un
ou pour l'autre, soit en invoquant une autorité, soit en faisant une nou-
velle distinction. Quant aux Pères, il n'admet pas qu'il puisse y avoir
entre eux le moindre désaccord ; tout au plus diffèrent-ils par le point
de vue. La forme de sa Somme est on ne peut plus scolastique ; il a un
talent de faire des distinctions subtiles qu'on ne rencontre chez aucun
des docteurs précédents ; chacune des quatre parties de la Somme est
divisée en un certain nombre de questions, chaque question en membra,
chaque membre en articles, et en cas de besoin ceux-ci sont divisés en
paragraphes. Cette méthode fut adoptée par la plupart des scolastiques
postérieurs. Parmi les questions qu'il soulève, il y en a déjà qui dé-
notent une curiosité peu théologique. A cause de l'apparente rigueur
avec laquelle il résout et démontre tout, il a reçu le nom de doctor irre-
fragabilis. Un commentaire sur la métaphysique d'Aristote et une
Summa de virtutibus qu'on lui a attribués, ne sont pas de lui. — La
Ire éd. de la Summa parut à Venise, 1475, in-f° ; la meilleure est celle
de 1576, également à Venise, 4 vol. in-f°. Voy. Hist. litt. de la France,
t. XVÏÏI ; Hauréau, De laphil. scol., t. Ier, p. 423 ss. Ch. Schmidt.
ALEXANDRE NEGKAM — ALEXANDRE I" 157
ALEXANDRE NECKAM [Necham, Nequam], grammairien cl théolo-
gien anglais, né à Saint-Alban en 1 1 r>T , professeur à l'université de
Paris entre 1 180 et 1 187, chanoine, puis abbé de Ghichester; il mourut
en 1217. Comme poète, il esl connu par ses vers sur la vie monastique,
imprimés dans diverses éditions de saint Anselme, et par l'intéressante
description du monde intitulée Jmus divin» sapientim (Bibl. nat., ms.
lai.. U8l'»7. Ses nombreux ouvrages sur la Bible, dont plusieurs,
comme son Elucidarium bibliothecx et ses commentaires, existent en
manuscrit en Angleterre, mériteraient une sérieuse étude. — Voy. Baie,
Script, maj. Brit., 1557, I, 275; Pits, De rébus aagL, 1619, I, 298; du
Boulay, II, pass.; Cave, Script, ecclcs., Il, 280; Hist. lût. delà Fr., XVIII,
521 : Th. Wright, Biogr. Brit.} II, 449; le même, Ancient vocabulariex,
1857, p. 98.
ALEXANDRE NEVSKY (+ 1 263), héros et saint russe, fils de Jaroslav II,
grand prince de Vladimir. Il devint, en 1238, grand prince de Novgo-
rod, et remporta, en 1240, sur les Suédois aux bords de la Neva une
vie toire signalée, qui lui valut le surnom de Nevsky. Il combattit avec
succès les chevaliers allemands de Livonie et les Lithuaniens. Il se fit
donner par le khan des Tartares l'investiture de la principauté de Vla-
dimir et sut obtenir de lui l'établissement d'un évéché sur les bords du
Don. 11 résista avec constance aux efforts que fit le pape Innocent IV
pour le rattacher à l'Eglise latine. En 1724, Pierre le Grand fit trans-
porter ses restes de Vladimir à Saint-Pétersbourg, dans le couvent qu'il
avait élevé en 1715 sur le lieu de sa victoire. Il est le sujet d'un grand
nombre de chansons et de légendes.
ALEXANDRE Ier, czar de Russie, né le 23 décembre 1777, monté au
trône le 24 mars 180J, mort le 1er décembre 1825. L'éducation d'A-
lexandre fut, dans: ses premières années, exclusivement laissée à sa
mère, l'impératrice Marie, femme d'un grand cœur, d'une haute intel-
ligence ; son précepteur, César de Laharpe, développa également les
côtés enthousiastes de sa nature, ses aspirations passionnées vers
l'idéal. Son avènement au trône donna en tout domaine le signal de
\astes réformes dont plusieurs ne parvinrent jamais à leur complète
réalisation. Les grands événements qui se succédaient sans interrup-
tion en Europe firent sur Pâme ardente, facilement excitable du czar
une profonde impression. Des missionnaires moraves avec lesquels il
entretenait d'étroits rapports, lui montrèrent, dans la lutte avec Napo-
léon, la victoire des armées russes, l'accomplissement merveilleux de
prophéties contenues dans l'Ecriture sainte. « L'incendie de Moscou,
ia un jour Alexandre, a éclairé mon âme. » L'exaltation reli-
gieuse du czar contribua pour une large part à surexciter le patriotisme
de -"o peuple, a transformer en une guerre sainte la lutte contre Napo-
Depuis 1831 , Alexandre s'abandonna complètement à ses ten-
dances mystiques. Il visita en 1815 Jung Stilling à Stuttgart, appela
Gossner à Saint-Pétersbourg, correspondit avec Baader et Ober-
lin. Madame de Krûdener, qu'il rencontra pour la première fois en 1815
i Heilbronn, devint son guide spirituel. Il se fit expliquer par elle l'Ecri-
ture sainte, assista aux pieux conventicules tenus à Eïeidelberg el à
158 ALEXANDRE I*r
Paris, réclama pour le triomphe de sa politique l'efficacité de ses prières.
Ce fut sous l'inspiration de Madame de Krûdener, à l'instigation d'A-
lexandre, que le roi de Prusse, les empereurs de Russie et d'Autriche
conclurent à Paris, le 26 septembre 4815, le traité dit de la Sainte-
Alliance; les autres souverains de l'Europe ne tardèrent pas à s'y ral-
lier à l'exception du roi d'Angleterre, du pape, du sultan. Les signa-
taires s'engageaient au nom de la très-sainte Trinité à prendre pour
seule norme de leur conduite, soit vis-à-vis de leurs propres sujets,
soit vis-à-vis des nations étrangères, les préceptes de l'Evangile; tous
les peuples, malgré les divergences de race, formaient une grande
famille dont. l'unique souverain était Jésus-Christ. Alexandre se mon-
trait très-vivement préoccupé, à cette époque, d'une réunion entre les
différentes confessions chrétiennes, « II y a dans le christianisme, di-
sait-il à Joseph de Maislre, un principe supérieur à nos confessions
particulières, qui en constitue l'essence. Commençons par combattre
l'incrédulité, le véritable mal dont nous devions nous préserver. Lorsque
l'Evangile sera pratiqué par tous, un grand pas sera déjà accompli. Je
crois, je suis même certain qu'un jour toutes les confessions chré-
tiennes seront réunies en un seul faisceau. C'est notre devoir que de
préparer, de hâter ce bienheureux moment. » Le libéralisme d'Alexan-
dre se refroidit à la suite des mouvements populaires qui éclatèrent
simultanément dans plusieurs provinces de son empire (1820-1822) :
ses précédentes aspirations à la fraternité universelle lui parurent dan-
gereuses, du moment qu'il les sut partagées par les francs-maçons; il
pratiqua toujours davantage le système de compression qui fut le plus
clair résultat de la Sainte-Alliance. Madame de Krûdener perdit peu a
peu toute influence ; il vit en elle une prophétesse, une visionnaire et
ne lui pardonna pas sa propagande en faveur des Grecs; en 1822 il lui
intima, par une lettre autographe, l'ordre de quitter Saint-Pétersbourg.
Les questions religieuses occupèrent Alexandre jusqu'à sa mort; la
maladie, les tracas du gouvernement, la peur des conjurations le jetè-
rent dans un mysticisme toujours plus sombre, une dévotion toujours
plus mélancolique. — Alexandre combattit au sein de l'Eglise grecque la
superstition et le fanatisme; il fut aidé dans cette tâche par quelques
prélats distingués, entre autres le patriarche de Moscou, Philarète. Les
Académies nouvellement créées de Saint-Pétersbourg et de Moscou con-
tre-balancèrent l'influence traditionaliste de Kiew et répandirent, dans
une certaine mesure, les idées de la théologie allemande. Une solide
instruction fut donnée aux ecclésiastiques dans les séminaires; des
écoles furent fondées jusque dans les villages; les popes furent affran-
chis du knout et des autres châtiments corporels. Toute contrainte
cessa pour les dissidents [Durchoborzi) qui, sous Paul 1er, avaient été
traités avec une extrême rigueur; Alexandre, par sa bienveillance et la
sagesse de ses mesures, convertit des sectaires jusque-là réputés dan-
gereux en honnêtes et paisibles sujets qui peuplèrent de florissantes
colonies les bords du Dnieper, les steppes de la Crimée. Dans les années
qui précédèrent immédiatement la Sainte-Alliance, Alexandre se mon-
tra favorable au protestantisme. Sur un vœu formellement exprimé par
ALEXANDRE Ier — ALEXANDRIE 159
lui, une Société biblique se constitua à Saint-Pétersbourg par les soins
du ministre de l'instruction publique, le prince Galitzin, et de l'ambas-
sadeur anglais, lord Gathcarl (ukase du 11) janvier 1813). Des représen-
tants des plus grandes familles flrenl partie du comité; le métropolitain
de Moscou e! l'évoque catholique de Podoltsk comptèrent parmi les plus
Eélés promoteurs. Une nouvelle traduction des livres saints en langue
russe d'abord, puis dans tous les idiomes parlés à la surface de l'em-
pire fui entreprise sous les auspices du saint-synode; un édit fut adressé
à tous les gouverneurs de province pour qu'ils protégeassent les agents
de la Société biblique. Le peuple accueillit favorablement ces derniers
et plaça la Bible à côté des images les plus vénérées. Plus tard, les pro-
grès furent entravés par la jalousie des popes ; quelques expressions
mal comprises des livres saints, qui donnèrent lieu à de fâcheux malen-
tendus, éveillèrent la défiance de l'autorité. Mal vue pendant les der-
nières années du règne d'Alexandre, la Société fut supprimée peu après
sa mort (1826). Alexandre encouragea également les missionnaires de la
Société de Baie qui, à partir de 1816, se rendirent dans le sud de la
Russie, soit pour visiter les communautés nestoriennes et les colonies
allemandes fondées sous Catherine II, soit pour convertir les païens et
les musulmans. Leur activité fut paralysée par la jalousie du clergé
russe et le mauvais vouloir de Fadministration; le czar, qui personnel-
ul leur était favorable, dut remettre en vigueur la loi qui contrai-
gnait les nouveaux convertis à entrer dans le giron de l'Eglise grecque.
Les juifs furent, pendant tout le règne d'Alexandre, traités avec bien-
veillance : le gouvernement s'efforça, par des dons en terre, de mettre
un terme à leur vie errante; ceux qui abjurèrent la religion de leurs
;s en furent récompensés par Fexemption des impôts. Alexandre
témoigna, au commencement de son règne, d'une bienveillance exces-
sive pour les jésuites. Le général de l'ordre, le Père Thaddeus Brzo-
zowski, se flatta un moment de concentrer entre ses mains tout ren-
seignement de la jeunesse russe. Le collège de Polotzk fut investi des
mêmes privilèges que les universités nationales, les écoles des Révé-
rends Pères affranchies de la surveillance de l'Etat. Les jésuites gâtè-
rent une situation aussi avantageuse par l'indiscrétion de leur prosély-
tisme. Plusieurs jeunes gens de famille noble, parmi leurs élèves, furent
convertis, au mépris des lois de l'empire, entre autres le propre neveu
du ministre de l'instruction publique, le prince Paul Galitzin.* Un ukase
du 1er janvier 1816 interdit aux Révérends Pères le séjour de Saint-Pé-
•ourg et de Moscou. Gomme cette leçon, loin de ralentir leurs in-
trigues, leur donna un nouveau stimulant, ils furent expulsés de tout
tpire par l'ukase du 23 mars 1820. L'Eglise catholique en Pologne
n'eut point à souffrir de ces mesures. Varsovie fut érigée en archevêché,
Sandomir et Sanow en évechés par la bulle Ex imposita nobis du 30 juin,
l'ukase du 27 novembre 1818. E. Strœhlin.
ALEXANDRIE (Ecole juive d'). La ville d'Alexandrie fut fondée
en 332 par Alexandre de Macédoine. 11 en dressa lui-même le plan et
en confia l'exécution au célèbre architecte macédonien Démocrate.
Peuplée principalement par des familles venues de la Grèce, elle fut
160 ALEXANDRIE
une ville grecque de mœurs et de langage ; mais les grands avantages
qu'elle allait offrir au commerce, et qui ne pouvaient échapper à des
yeux exercés, y attirèrent presque aussitôt un grand nombre de Juifs,
auxquels Alexandre accorda les mômes droits qu'aux Grecs. Par sa
position, en effet, aussi bien que par les nouveaux rapports que l'éta-
blissement d'un grand empire grec dans le centre de l'Asie allait for-
cément faire naître entre cette partie du monde et l'Europe, Alexan-
drie était destinée à devenir le plus grand marché qui eût jamais existé
sur la terre. En fondant cette ville à laquelle il donna son nom,
Alexandre de Macédoine avait peut-être été déterminé par le désir et
le besoin d'assurer des communications faciles et rapides entre la
Grèce et le nouvel empire qu'il allait former dans l'Asie centrale. Mais
il entra certainement aussi dans ses plans d'en faire le centre du com-
merce entre l'Orient et l'Occident, et le point de rencontre où pour-
raient se pénétrer et peut-être se fondre ensemble les civilisations
jusqu'alors si différentes de l'Asie et de l'Europe ; on rapporte du
moins qu'il caressait ce projet d'une fusion plus ou moins intime des
peuples de l'une et de l'autre de ces deux parties du monde, probable-
ment dans l'intérêt de sa domination en Orient, mais peut-être aussi
en vue du bonheur des hommes. Quoi qu'il en soit, Alexandrie fut
bientôt une immense ville industrielle et commerciale. La fabrication
du verre, du papyrus, des étoffes de lin y occupait des milliers de
bras, et ses vaisseaux sans nombre répandaient sur toutes les côtes de
la Méditerranée les riches produits de l'Arabie et de l'Inde, et y appor-
taient au retour des marchandises recueillies dans les ports de l'Occi-
dent et aussitôt expédiées dans les différentes contrées de l'Asie. Après
la mort d'Alexandre, les Ptolémées, restés maîtres de l'Egypte, appe-
lèrent de la Grèce à Alexandrie, devenue la capitale de leur royaume,
des savants, des philosophes, des artistes. Ils leur assurèrent une exis-
tence brillante, les comblèrent d'honneurs et mirent à leur disposition
des écoles splendides, des bibliothèques d'une richesse inouïe, des ob-
servatoires, des jardins botaniques, en un mot tout ce qui peut contri-
buer au développement des grands travaux de l'esprit. Par là, cette
ville, déjà la métropole de l'industrie et du commerce, devint aussi, et
pour des siècles, le plus illustre centre des lettres, des sciences et des
arts. — Les Juifs, qui formaient une partie considérable de la popula-
tion d'Alexandrie, ne s'y étaient établis que dans l'intention de se livrer
au négoce, pour lequel leur race avait une rare aptitude. Ils ne tar-
dèrent cependant pas longtemps à s'intéresser au grand mouvement
littéraire et philosophique qui avait pris une si large place dans cette
ville. Mis en présence de tant d'éléments de culture intellectuelle qui
leur étaient restés à peu près inconnus dans leur petit monde de la
Judée, ils en subirent l'influence, peut-être sans même s'en douter, et,
tout en restant fidèles à leurs croyances monothéistes, ils furent en-
traînés dans le mouvement général du monde civilisé, et perdirent peu
à peu l'étroitesse d'esprit et bien des préjugés qu'ils tenaient de leur
éducation première. A la seconde génération, ils eurent oublié leur
langue nationale et ne connurent et ne parlèrent que le grec. Il fallut
ALEXANDRIE 161
leur traduire dans roi le langue la Loi (le Pentateuque). Dos derniers
temps du troisième siècle au commencement du premier avant l'ère
chrétienne, un certain nombre de Juifs alexandrins, prenant sans doute
Thucydide pour modèle, entreprirent d'écrire en grec l'histoire de leur
nation. Les noms de quatre ou cinq d'entre eux sont parvenus jusqu'à
nous, Alexandre Polyhistor, qui vivait du temps de Sylla (90 à 80 ans
av. J.-C), et qui, selon toutes les apparences, était lui-même d'origine
juive, tMi parlait dans son ouvrage sur les Juifs. Cet ouvrage a péri ;
mais Eusèbe (Prxpar. evangelica, IX, 17-39) en cite de nombreux frag-
ments dans lesquels il est question de ces historiens judéo-alexandrins
(voyez aussi Clément d'Alex., Strom., I, et Josèphe, Contr. Apion, 1, 23).
Pendant la même période, d'autres Juifs s'exercèrent dans la poésie
grecque, Ezéchiel composa des tragédies bibliques dans lesquelles il
employa l'ïambe d'Eschyle et de Sophocle, poètes tragiques qu'il avait
pris évidemment pour modèles. Philon (différent de Philon le philoso-
phe et de Philon l'ancien mentionné par Josèphe Contr. Apion, I, 23) fit
un poëme sur Jérusalem, etThéodote,un Samaritain, à ce qu'il semble,
un poëme dans lequel il célébrait la gloire de Sichem, selon lui la ville
sainte de la famille d'Israël. Ce qu'on sait de ces poètes et de ces histo-
riens n'est pas de nature à donner une haute idée de leurs talents litté-
raires. Mais enfin, et c'est ce qu'il suffit de montrer ici, leurs ouvrages
sont une preuve manifeste que les Juifs alexandrins ne restèrent pas
étrangers à la culture des Grecs, qu'ils en étudièrent les œuvres et qu'ils
s'efforcèrent de les imiter. — C'est surtout la philosophie grecque qui
fit une profonde impression sur leurs esprits. Us ne purent voir sans
étonnement l'accord de cette philosophie, sur les points les plus essen-
tiels de la religion, avec les grandes doctrines du judaïsme. Platon,
Aristote et les stoïciens proclament l'unité de Dieu aussi hautement
que Moïse. Comme lui, ils enseignent que la pratique du bien moral
est la condition indispensable du bonheur aussi bien des peuples que
des individus. Il est permis de croire que leur étonnement ne fut pas
sans être accompagné de quelque secret dépit. Ils étaient habitués à
se représenter tous les hommes, en dehors de la famille d'Israël,
comme des adorateurs de faux dieux, de vaines idoles de pierre et de
bois ; ils se croyaient seuls en possession de la connaissance du vrai
Dieu, du Dieu unique ; c'est sur cette croyance qu'ils fondaient leur
supériorité sur toutes les autres nations. Et voilà que tout d'un coup
ils découvrent qu'il y a eu, qu'il y a encore, au milieu des peuples
païens, des hommes qui, comme eux, font profession de monothéisme.
Leur sentiment religieux en aurait été peut-être singulièrement
troublé, s'ils n'avaient presque aussitôt trouvé une explication propre
a mettre en paix leur conscience. Dans leur ignorance de l'histoire
• •t dan- la naïveté de leur foi, ils se persuadèrent que les philosophes
grecs avaient emprunté aux écrits de Moïse des principes et des
doctrines si contraires à l'idolâtrie et au polythéisme des peuples
auxquels ils appartenaient par leur naissance. Ce sentiment ne s'effaça
jamais de leur esprit. D'Aristotmle à Philon et de Philon à Numénius
d'Apamée, tous les Juifs qui se sont familiarisés avec la philosophie
162 ALEXANDRIE
grecque, répètent unanimement que Platon est un Moïse parlant grec.
L'orgueil national ne fut pas certainement étranger à la naissance
de cette opinion. Les Juifs hellénistes se trouvèrent heureux de se
venger du mépris trop peu dissimulé des Grecs à leur égard, en leur
affirmant que leurs plus célèbres philosophes avaient puisé leurs
plus belles doctrines à la source pure de la révélation hébraïque. On
peut croire cependant que dans le principe elle leur fut suggérée par
l'admiration qu'ils éprouvèrent pour une philosophie si voisine, dans
ses traits les plus caractéristiques, de leurs propres doctrines religieu-
ses, et surtout par le besoin de se prouver à eux-mêmes qu'ils pou-
vaient s'en servir pour expliquer leurs livres saints, sans la moindre
crainte d'introduire dans cette explication des éléments étrangers,
puisqu'elle n'était qu'un emprunt fait à ces livres saints eux-mêmes.
— Les Juifs alexandrins s'attachèrent surtout à la philosophie plato-
nicienne. Le sentiment religieux dont elle est empreinte lui valut cer-
tainement cette préférence. On peut croire que de bonne heure ils l'étu-
dièrent et s'en pénétrèrent. On trouve en effet des souvenirs de cette
philosophie dans la traduction grecque du Pentateuque. Dès les pre-
miers mots de la Genèse, on reconnaît dans l'auteur de cette traduction
un homme habitué au langage platonicien. La terre que Dieu vient
de créer, encore désordonnée et confuse, d'après le texte hébreu, est
dans la version grecque, une terre invisible et sans forme, àopaicc *m\
&taTaaxeûftar6ç (Gen. I, 2). Le traducteur alexandrin n'aurait-il pas
entendu par là le monde intelligible, y.ôa\Loq voyjtoç, qui, d'après Platon,
a précédé la formation du monde sensible, y,6qxo<; aicÔYjTéç ? Et n'au-
rait-il pas cru que, dans les deux écrits de la création du monde qui se
trouvent l'un dans Gen. I, 1-11, 111, et le second dans Gen. II, 4-25,
Moïse avait voulu décrire dans le premier la création du monde intel-
ligible et dans le second celle du monde sensible ? On semble autorisé
à le supposer, quand on compare encore la traduction grecque et le
texte hébreu de Gen. II, 5. M. Daehne (Geschicht. Darstellung der
jud.-alexandr. Religionsphilosophie, II, 15-16, 27 et ss., 33 et ss.) et
M. Franck (La Kabbale, 3e part., chap. 3) indiquent quelques autres
traces de préoccupations philosophiques dans la version grecque des
Septante. Je renvoie le lecteur à ces deux remarquables ouvrages; ce
que j'ai dit de la traduction grecque de Gen. I, 2 et II, 5, me paraît
suffire ici, à la rigueur, pour nous convaincre que dès le commence-
ment du second siècle avant Père chrétienne, et peut-être même plus tôt
la philosophie platonicienne était familière aux Juifs d'Alexandrie. —
La Sapience (la Sagesse de Salomon), livre apocryphe de l'Ancien Testa-
ment, présente des traces bien autrement marquées de cette philoso-
phie. La création et le gouvernement du monde y sont attribués à la
Sagesse (VII, 12 ; VIII, 1 ; le nom de Logos lui est donné IX, 1 ; XIII, 12),
qui y est personnifiée sous des traits plus prononcés (VII, 22 ; VIII, 5 ;
IX, A et 9) que dans les Proverbes, l'Ecclésiaste et l'Ecclésiastique. Cette
doctrine semble inspirée par le discours que, dans le Timée, Platon
fait adresser par Dieu aux dieux fils de Dieu (les dieux seconds, l'en-
semble du monde intelligible). L'auteur de ce livre pense, avec le
ALEXANDRLE | 83
philosophe athénien, que le corps corruptible appesantit l'âme, que la
maison d'argile dans laquelle elle est renfermée ici-bas arrête le libre
lcuII is IX, 18). H croit, comme lui, à la préexistence des
âmes I VU, I : Vil!, 10 et 20); doctrine qui se lie à la précédente. Enfin,
comme lui encore, il admet quatre vertus et les désigne par les mêmes
noms (VI1J, 7), ce qui écarte toute supposition d'une coïncidence for-
tuile. — Clément d'Alexandrie el Eusèbe de Gésarée parlent d'un phi-
losophe juif, nommé Aristobule (est-ce l' Aristobule de 2 Macc, 1, 20),
qui vivait à Alexandrie, vraisemblablement pendant le règne de Ptolé-
Philométor (481-445 av. J.-G.). Il raconte qu'il avait composé un
ouvrage (probablement intitulé : 'E^y^ctî-ç ty); Mwuaéwç YpaçYjç, Expli-
tation du livre de Moïse), qui était une interprétation allégorique du
Pentateuque. Dans un des fragments qui en ont été conservés (ce frag-
ment faisait partie du prologue de cet ouvrage), Aristobule annonce
lui-même qu'il n'est pas de ceux qui s'en tiennent à la lettre des Ecri-
tures, et que c'est en cherchant ce qu'il y a plus profond dans ce qui y
est exposé, qu'il va essayer, autant qu'il sera en lui, d'en expliquer le
contenu. Que trouva-t-il sous la lettre des écrits mosaïques ? Un en-
semble de doctrines en complète harmonie avec la philosophie grecque :
cela ressort de presque tous les fragments qui nous restent de son ou-
unis dans YAlfgem. Biblioth. d'Eichhorn, V, 253-259). Ce n'est
il est vrai, pour faire part de cette intéressante découverte à ses
'igionnaires, qu'il composa cet ouvrage ; il paraît s'être uniquement
proposé de prouver aux païens éclairés de son temps, non pas seule-
ment que le mosaïsme ne le cède en rien à la sagesse des Grecs, mais
encore et surtout que les écrits de Moïse, antérieurs à ceux des poètes
el des philosophes de la Grèce, étaient la source à laquelle ils avaient
puisé les uns et les autres leurs meilleures pensées et leurs plus belles
ries. On ne saurait en douter quand on voit que, pour compléter sa
démonstration, en l'appuyant sur de prétendus faits historiques, il
n'hésita pas à inventer des fables pleines d'invraisemblance et à com-
mettre des fraudes pieuses, fort nombreuses, à ce qu'il semble. Pour
prouver que les Grecs avaient pu connaître les écrits de Moïse, il affirma
que, bien avant la version des Septante, il existait en Egypte une tra-
duction grecque de ces écrits, et pour prouver qu'ils les avaient réelle-
ment connus, il interpola et même fabriqua de toutes pièces des poésies
[ues, dans lesquelles il inséra des allusions trop transparentes et
par cela même d'une extrême maladresse, à l'histoire des patriarches
Moïse (Valkenaer, Diatribe de Aristobulojudxo. Ludg. Batav., 1806,
D'après les anciens écrivains ecclésiastiques, Aristobule aurait
un philosophe péripatéticien. Sur quoi se fondait-on pour lui donner
dénomination? On ne saurait le dire; mais à en juger d'après les
quelques sentiments philosophiques qu'il émet dans les fragments
qu'on a de son ouvrage, c'est bien plutôt au platonisme qu'à l'aristo-
télisme qu'il le rattachait. On voit en effet qu'il admettait entre Dieu et
onde un être divin intermédiaire qu'il appelle parfois la sagesse,
el plus souvent la puissance ou la vertu divine, OsTa c'Jvaw.- (Eusèbe,
ngiel.} VII, U; Mil, 0 et 40; IX, 6; XIII, 12). C'est là
164 ALEXANDRIE
une doctrine caractéristique et essentielle du platonisme, tandis qu'elle
est entièrement étrangère à la philosophie péripatéticienne. Ajoutez que
la méthode d'interprétation allégorique dont il fait un si grand usage
se comprend bien mieux chez un disciple de Platon que chez un dis-
ciple d'Aristote. L'interprétation allégorique du Pentateuque, comme
instrument ou, si le mot pouvait s'appliquer à un procédé aussi peu
scientifique, comme méthode, et la théorie d'un être divin intermédiaire,
comme doctrine fondamentale, tels sont les deux traits essentiels
qu'Aristobule légua à la théosophie alexandrine. Elle se développa après
lui sur cette double base. Philon en fut la plus parfaite expression (voir
ce nom). Mais, d'Aristobule à Philon, bien d'autres Juifs alexandrin
cultivèrent cette théosophie et interprétèrent allégoriquement les tra-
ditions hébraïques. Eclipsés par Philon, ils ne nous ont pas, il est vrai,
légué même leurs noms; leurs écrits, s'ils en composèrent, ne sont
pas parvenus jusqu'à nous. Quand on voit celui-ci combattre certaines
explications allégoriques qui avaient été proposées, nous ne savons par
quel théosophe juif, ni à quelle date, on ne peut douter en effet qu'il
n'ait eu bien d'autres prédécesseurs qu'Aristobule (Philon, Allegor. Leg.,
XL VII, 1 et 2, à propos d'une interprétation allégorique de l'arbre de vie).
— En outre des ouvrages cités dans cet article, consultez sur l'école
juive d'Alexandrie : Gfrœrer, Philo und die alexandrimiche Théosophie
(publié aussi sous le titre : Krithche Geschichte des Urchristenthums),
Stuttg., 1831, 2 vol. in-8. Hausrath, J\ 'eûtes tament. Zeitgeschichte, t. II,
p. 126-148. Schenkel, Bibellexicon, t. I, p. 85 ss. M. Nicolas.
ALEXANDRIE (Ecole philosophique d'). Elle naquit au commence-
ment du troisième siècle, et vécut jusqu'en 529, les écoles d'Athènes,
son dernier refuge, ayant été fermées alors par Justinien qui en donna
les biens à quelque corporation monastique. Le caractère essentiel en
est le mysticisme extatique. Cette manière de penser avait été étran-
gère aussi bien aux Grecs qu'aux Latins. Elle fut introduite dans le
monde gréco-latin par des hommes d'origine orientale, attirés à Alexan-
drie par la renommée de ses écoles, et sur lesquels le platonisme pro-
duisit une profonde impression. Ce qui les séduisit dans cette philoso-
phie, ce fut, non pas seulement son caractère religieux et théocratique,
mais encore et surtout certaines expressions mystiques dont Platon
s'est servi, et ses mythes sur la préexistence de l'âme et sa chute dans
un corps mortel. Des esprits non prévenus n'y auraient vu que des
images brillantes, et les auraient expliquées par les principes ration-
nels de sa dialectique, comme d'ailleurs Platon en donne lui-même
l'exemple dans le Ménon à la fin de la scène de l'esclave, et dans bien
d'autres passages de ses écrits. Des hommes pleins de souvenirs de la
sagesse orientale y virent les doctrines chères à leur pays, et crurent
devoir expliquer d'après ces doctrines tout ce que Platon enseigne sur
les procédés logiques de la raison dans la recherche de la vérité. Le
mysticisme idéal du philosophe athénien fut transformé par là en un
mysticisme extatique. Les premiers Pères de l'école alexandrine n'au-
raient certainement pas évité l'erreur que je viens de signaler ; ils y
auraient été inévitablement entraînés par leur imagination orientale et
ALEXANDRIE 165
leurs préoccupations religieuses. Il faut reconnaître toutefois quelle
leur fui transmise par la théosophie judéo-alexandrine. Il est grande^
menl vraisemblable qu'ils ne connurent d'abord le platonisme que par
ce que celle-ci leur en apprit. Le nom et les écrits de Philon restèrent
probablement inconnus à Plotin comme à Ammonius Saccas ; mais
les ouvrages de Numénius d'Apamée, un philonien qui avait dépouillé
la théosophie judéo-alexandrine de sa forme juive, se lisaient dans
l'école de Plotin (Porphyre, Vie de Plotin, § 14). Celui-ci fut même
accusé de s'être approprié les sentiments du philosophe d'Apamée
(Porphyre, Vie de Plotin, % 17). L'accusation était injuste ou du moins
d'une exagération manifeste ; cependant le fait seul qu'elle ait pu
t't re portée, prouve qu'il y avait des traits de ressemblance, peut-être des
liens de parenté entre les deux doctrines. Les Judéo-Alexandrins livrèrent
ainsi à Ammonius et à Plotin un platonisme déjà transformé en un
mysticisme extatique, et quand ceux-ci, Plotin du moins, abordèrent
l'étude des écrits de Platon, ce fut avec des idées préconçues et un
système arrêté. Ils ne laissèrent pas pour cela de se regarder comme
les héritiers et les disciples légitimes de Platon (d'où le nom de
néoplatonisme sous lequel on désigne également l'école philoso-
phique d'Alexandrie). Grâce à l'autorité du philosophe athénien, cet
ensemble complexe de conceptions transcendantes qu'on présente,
faute de mieux, sous le nom vague et indéterminé de sagesse orientale,
envahit le monde gréco-latin, que les malheurs du temps n'avaient que
trop disposé à ces doctrines énervantes. Il est à peine nécessaire de dire
qu'on a cherché avec curiosité la provenance des divers éléments
orientaux dont se compose la doctrine de l'école alexandrine. L'état
encore imparfait de nos connaissances des religions et de l'histoire des
différents peuples de l'Orient n'a pas encore permis d'arriver à des
résultats d'une précision suffisante. C'est des travaux des orientalistes
qu'il faut attendre des renseignements satisfaisants. Déjà M. Lassen a
attiré l'attention sur les étonnantes analogies de la doctrine de Plolin
avec le bouddhisme (le Nirvana et les moyens d'y atteindre). Ce serait,
dans tous les cas, peine perdue que de consulter sur cette question les
Alexandrins. Ils ignoraient les origines de leurs philosophâmes ; ils
s'inquiétaient même très-peu de savoir d'où ils venaient. Tout ce qulls
pourraient nous apprendre, c'est qu'ils les tenaient de la sagesse orien-
tale, et, pour en être persuadé, on n'a pas besoin de leur témoi-
gnage. Il est manifeste en effet que ni la théorie des deux fois nés,
(Ennéade I, 1. III, § 1; 1. VIÏÏ, §§ 13 et 14; Ennéade II, 1. IX, §§ 4
et 9), ni celle de l'extase, sous une forme quelconque (Porphyre,
I ie de Plo( m, § 23), ni celle de la simplification comme moyen de
s'unir au divin Ennéade V, 1. XIII, § 17; VI, 1. VII, §§34 et 35), ni
celle de l'absorption de l'individu dans le sein d'une unité absolue
ade 11. 1. V, § 12; VI, 1. VII, § 3;> ; IX, § 11), ni la conception
d un principe premier dans lequel il n'y a ni pensée, ni volonté, ni
Mouvement, ni vie, ni activité d'aucune espèce (Ennéade V, 1. III,
S 13; \ i. I. VII, §§ 35-42), doctrines qui forment le fond du système
alexandrin, n'ont point d'antécédents dans la philosophie grecque, et
106 ALEXANDRIE
répugnent au plus haut degré au génie de la Grèce. — Le fondateur
de cette école fut Ammonius Saccas (portefaix), mort à Alexandrie
en 242. Il avait probablement appartenu d'abord à quelqu'une des sectes
gnostiques si nombreuses alors dans cette ville; Porphyre dit qu'il
avait été chrétien (Eusèbe, Hist. eccl, VI, 19) ; mais il ne paraît pas
avoir fait de distinction entre les gnostiques et les chrétiens (Vie de
Plotin, § 16). Arrivé à Fâge de raison, il abandonna les opinions dans
lesquelles il avait été élevé dès sa naissance, pour se livrer à la culture
de la philosophie ou, pour mieux dire, de ce qu'il prenait pour la philo-
phie. La lecture des écrits de Numénius ou de quelque autre philonien
ne fut peut-être pas étrangère à cette conversion. Mais c'est à Plotin
(né à Lycopolis dans la haute Egypte en 205 et mort dans la Campanie
en 270), que revient l'honneur d'avoir donné à la doctrine d'Ammo-
nius, son maître, tous les développements logiques qu'elle comportait
et de l'avoir exposée par écrit en cinquante-quatre traités, dont Por-
phyre retoucha le style et qu'il publia sous le titre d'Ennéades (Neu-
vaines). Voyez la Notice bibliographique à la fin de la préface de la trad.
franc, des Ennéades de Plotin, par M. Bouillet. Paris, Hachette, 1857-
1861, 3 vol. in-8°. La philosophie de Plotin est cette doctrine de la
délivrance de l'âme, que professent les zoghis de l'Inde et les suffistes
de l'Asie centrale, qui forme le fond du Dhyâna des bouddhistes, que
Eckart et Tauler prêchèrent sur les bords du Rhin au quatorzième
siècle, et qui se retrouve, sous une forme populaire, dans les écrits de
sainte Thérèse et dans ceux de Madame Guyom Le point de départ de
Plotin, comme d'ailleurs celui de tous les autres mystiques extatiques,
est un très-vif sentiment des misères de tout genre qui assaillent
l'homme ici-bas. Le moyen le plus sûr de se délivrer de ces misères,
conséquences inévitables des conditions de l'existence humaine, c'est
de rentrer, par delà les intermédiaires qui nous en séparent actuelle-
ment, dans le sein du principe premier, duquel tout est sorti. Telle
est la fin que nous devons nous proposer. « Le but auquel l'homme
aspire, dit-il, ce n'est pas de ne point faillir, c'est d'être Dieu » (En-
néade I, 1. II, § 6). Pour que la délivrance soit complète, il faut que
Dieu soit le repos absolu. Sur les traces de Platon (Timée, XLI, A.-D,
Henri Martin, Etudes sur le Timée de Platon, t. I, p. 110 et 112), et
comme l'avaient fait Philon et Numénius, Ammonius Saccas n'avait
admis qu'un Dieu premier et un Dieu second. Plotin jugea nécessaire
de remonter plus haut. Le Dieu premier d' Ammonius était l'Intelli-
gence, par conséquent un être pensant; mais penser suppose nécessai-
rement une dualité, celle du sujet et de la pensée, et aussi un travail :
ce ne pouvait être là le Dieu premier. S'unir à ce Dieu premier d' Am-
monius, ce n'aurait été que changer les agitations humaines pour les
agitations divines ; on aurait sans doute gagné au change ; mais cela
ne suffisait pas à Plotin : c'est après le repos absolu qu'il soupirait.
Il bannit donc loin du Dieu véritablement premier, toute action, toute
pensée. Simplifier ainsi le principe premier, c'était en faire une simple
abstraction, moins que cela, un venerabile divinum nihil. Mais Plotin
était de ces âmes pour lesquelles le non-être est préférable à l'être.
ALEXANDRIE 167
Aussi est-il d'avis que le principe qui est supérieur à l'Intelligence
(c'est-à-dire l'Un, le principe premier) n'a pas besoin de se voir
Ennéade V, 1. 111, § 10), que tout ce qu'on peut en dire, c'est qu'il
n'esl aucune chose : que quelque chose qu'on en affirme, on le parti-
cularise [Ennéade V, livre III, § 13); que Dieu n'est pas en mouve-
ment ; qu'il ne vit pas, mais qu'il est supérieur à la vie [Ennéade V,
1. 111, § 35); qu'on ne peut dire de lui : Il est ceci ou cela [En-
néade V, 1. V, § 6), Telle est d'ailleurs la doctrine à laquelle doit
aboutir logiquement le panthéisme, et le système de Plotin est un
système panthéiste. Maintenant il est à peine nécessaire de dire ce que
L'homme doit faire pour arriver à l'union avec Dieu. Il faut d'abord
séparer l'âme du corps, puis l'âme proprement dite de l'âme sensible,
pleine de passions et de désirs [Ennéade V, 1. I, § 12; 1. III, § 9);
il faut aller plus loin encore, se dépouiller de tout acte de réflexion,
de sa propre conscience, de sa personnalité, c'est-à-dire s'anéantir,
tt quand il ne nous reste plus que (ce qui est Dieu lui-même en
nous, nous lui sommes unis, puisque rien ne nous distingue de lui
J:nnéade I, 1. II, § -4; Ennéade V, 1. V, § 7). En attendant que
par le cours naturel des choses, l'âme, ainsi préparée, soit séparée
définitivement du corps par la mort, l'homme peut déjà ici-bas jouir
momentanément de l'union avec Dieu. C'est l'affaire de l'extase, et
l'extase est l'effet de la simplification, ou de la suspension momenta-
née de la pensée, de la volonté, de la conscience et de la personnalité.
Porphyre nous apprend que, pendant les six années qu'il passa avec
Plotin, celui-ci eut quatre fois le bonheur de s'unir avec le Dieu
suprême, non pas virtuellement, mais par un acte réel et ineffable, et
il ajoute avec modestie que pour lui il n'a goûté ce bonheur qu'une
seule fois [Vie de Plotin, § 23). Au point de vue d'une saine philo-
sophie, on ne peut s'empêcher de porter un jugement sévère sur ce
système [Hist. crit. de l'école d'Alexandrie, par M. Vacherot, III, 243).
Sous le spécieux prétexte de délivrer définitivement l'homme de ses
maux, il renverse l'ordre naturel des choses, mettant le non-être an-
us de l'être, et déclarant la vie un mal et l'anéantissement un
bien (Ennéade I, 1. VII, § 3). Il serait cependant injuste de ne
Caire porter en grande partie la responsabilité de ses erreurs au
temps qui le vit naître. On ne trouverait en aucune autre époque un
concours de circonstances plus propres à pousser une âme honnête au
désespoir et à exalter presque jusqu'au délire le sentiment mystique
qui, après tout, est une partie constitutive de la nature humaine.
D'un autre côté, on ne saurait méconnaître le caractère héroïque dont
système est empreint et qui force l'admiration de ceux-là même
qui le tiennent pour une aberration de la raison. On ne peut voir, sans
mu, <i« !S hommes d'un esprit élevé et d'une haute moralité
enir une lutte continuelle avec les instincts les plus prononcés de
notre nature, travailler avec une sombre énergie à leur propre anéan-
ment, et aspirer à la mort avec plus d'ardeur que l'immense
majorité des hommes a la conservation de leur existence. — Après
Plotin « I ses disciples immédiats, l'école alexandrine tomba dans
168 ALEXANDRIE
une décadence protonde. Porphyre (233-304) vécut assez pour en
être témoin. Il essaya de l'arrêter; ce fut probablement dans cette
intention qu'il composa sa Lettre à Anébon (imprimée en tête du De
mysteriis jfigyptiorum de Gale) ; effort superflu : l'âge héroïque de
cette école ne pouvait durer plus longtemps. A partir de Jamblique
(mort en 333), les doctrines essentielles du système de Plotin sont
oubliées et remplacées par un amas de vulgaires superstitions. Ne se
sentant plus capables de s'élever par leurs propres efforts jusqu'à la
vue du principe premier, et bien moins encore jusqu'à l'union avec
lui, les néoplatoniciens dégénérés déclarent que le Dieu suprême est
inaccessible de même qu'il est ineffable. Leurs prétentions se bornent
à se mettre en rapport avec les dieux subordonnés, et encore non par
un travail intellectuel et moral, mais par des évocations magiques.
L'âme, trop faible pour monter jusqu'à eux, leur demande de des-
cendre jusqu'à elle. « L'enthousiasme, nous dit Fauteur du De mysteriis
jfâgyptiorum (III, § 7), n'est le fait ni de l'âme ou de quelqu'une de ses
facultés, ni de l'intelligence ou de ses opérations. Le ravissement en
Dieu n'est pas une œuvre humaine : Dieu en est Tunique auteur; il
l'opère par lui-même, seul, et sans que l'âme et le corps y soient pour
rien. » Les Alexandrins du quatrième et du cinquième siècle sont si
bien convaincus de leur impuissance et par suite de l'impuissance de la
raison humaine en général, qu'ils rapportent toutes nos connaissances
à une révélation. A les en croire, Hermès Trismégiste aurait enseigné
aux hommes, de la part des dieux, l'écriture, le calcul, la géométrie,
la physique, en un mot, toutes les sciences et tous les arts, et en même
temps la religion et la philosophie, qui ne sont qu'une seule et même
chose sous deux aspects différents. La religion est la philosophie pré-
sentée sous une forme allégorique et symbolique, et la philosophie
est la religion dépouillée de ce vêtement extérieur et entendue dans
son sens véritable et réel. L'une est pour la foule ignorante, incapable
de comprendre la vérité divine dans sa pureté, et qui, pour n'être pas
exposée à la profaner par des conceptions grossières, doit s'en tenir
à des symboles et des allégories ; l'autre est la part des esprits élevés
qui peuvent saisir le véritable sens des choses. Ce n'est pas toutefois
que ceux-ci aient pu par quelque effort de leur raison soulever les
voiles de l'allégorie qui couvrent la révélation ; s'ils en connaissent le
sens caché, c'est que Hermès le fit connaître lui-même à des initiés qui
à leur tour l'ont transmis à leurs successeurs. La série de ces hommes
privilégiés est ce que les Alexandrins appellent la chaîne hermétique.
Les Orphée, les Pythagore, les Platon, tous les sages de l'antiquité
en forment les anneaux ; les Alexandrins en font eux-mêmes partie, et
sont par cela même des inspirés de Dieu. — Proclus (412-485), qui fut le
philosophe de ce néoplatonisme dégénéré, entreprit de donner une forme
scientifique à cet amas de futiles imaginations. U Institution théologique,
qui est, avec sa Théologie platonicienne, le plus important de ses ouvrages,
est écrite more geomelrico. Chaque chapitre commence par l'énoncé
d'une proposition et en présente ensuite une sorte de démonstration.
Cette affectation de rigueur scientifique ne saurait nous tromper.
ALEXANDRIE 169
Proclus manque d'espril philosophique; il est l'homme de la tradition
ei de la révélation; il fonde sa prétendue philosophie sur les livres
d'Hermès, auxquels il associe les poèmes orphiques et les oracles
chaldaïques. La foi en ces écrits (les uns fabriqués et les autres arrangés
par les Alexandrins eux-mêmes d'après leurs propres croyances) est,
selon lui, L'unique source de la connaissance de la vérité divine (Theol.
phi ion., I, 25-29). Il était plein de dévotion pour tous les dieux du
paganisme; il se donnait lui-même pour un hiérophante universel; il
Be croyait inspiré (Von haut. Les dieux, h ce qu'il prétendait, commu-
niquaient avec lui en songes. En réalité, tous les Alexandrins, depuis
Jamblique, sont, non des philosophes, mais des soutiens et des apolo-
gistes du paganisme mourant. Plotin, Porphyre et ses autres disciples
étaienl sans doute attachés aux anciennes religions païennes; mais
s'ils ne négligèrent pas à l'occasion de^ donner un sens rationnel aux
antiques mythologie*, ils n'en firent pas leur constante préoccupation.
Depuis Janiblique, au contraire, l'école alexandrine n'a qu'une seul0
pensée, qu'un seul désir, la restauration des anciennes croyances, et
ds espèrent y réussir en soutenant qu'elles seules, comme le dit Pro-
clus, retirenl les âmes de l'ignorance et du mal et sont capables de
les unir aux dieux. Celte différence entre les deux âges de l'éceh
d'Alexandrie est tellement manifeste qu'elle frappa même quelques-
uns des néoplatoniciens. «Les uns, dit Olympiodore dans son Com-
mentaire sur le Phédon, donnent le premier rang à la philosophie,
comme Porphyre, Plotin et beaucoup d'autres ; les autres à la religion,
comme Jamblique, Syrius, Proclus et tous les hiératiques (Cousin,
Fragments philosophiques, Phil. ancienne, 2e édit., 1840, p. 543.
Voyez aussi dans ce volume sur le symbolisme des Alexandrins,
î 1-543, et sur les néoplatoniciens du quatrième siècle, p. 210-242).
défenseurs du paganisme furent naturellement des adversaires
du christianisme. Il est étonnant que. seulement trois d'entre eux,
Porphyre, l'empereur Julien et Proclus, aient écrit contre la religion
nouvelle. Leurs ouvrages ne sont pas parvenus jusqu'à nous ; mais
en connaît des extraits plus ou moins étendus par les anciens
vains ecclésiastiques (celui de Porphyre, par Eusèbe, Hist. ce-
clés., VI, 19, et Démonst. évang., III, G, et Augustin, Cité de Dieu, XIX,
23 ss., celui de Julien par la réfutation qu'en a faite Cyrille d'Alexan-
drie, et celui de Proclus par le Contra Procli de mundi xternitatc, de
Jean Philopon). — L'inimitié de l'école philosophique d'Alexandrie
pour le christianisme n'empêcha pas quelques Pères de l'Eglise., entre
s Basile le Grand et son frère Grégoire de Nysse, de tenir Plotin
pour un philosophe éminent et d'étudier ses écrits. La Calechetica
de celui-ci esl pleine de souvenirs des Ennêades (Trad.de Uouillet,
13, 360, 385 et 386), et YOraiio de Spiritu sancto de ce-
lui-la a la fi'i du cinquième livre de son Contra Enomium) contient un
long • qui esl presque en entier emprunté à Plotin (Ennéade V,
i. I. § 2 : Trad. de Bouillet, I. III, p. 638-644, et pour d'autres imi-
tations, Ibid., I. I, p. lui, note 1, et LV, la note; t. III, p. 474, 572,
656. Sur le même sujet, A. Jahn, Basilius magnus platoni-
i. 12
170 ALEXANDRIE
zans, 1838). Augustin lui-même ne sut pas voir la différence radicale
qui se trouve entre le néoplatonisme de Plotin et le véritable christia-
nisme. Il est persuadé que les Alexandrins n'auraient eu à changer
que quelques mots et quelques-unes de leurs opinions pour devenir
chrétiens (paucis mutalis verbis atque sententiis christiani fieront. De
vera religione, cap. IV, § 7). Dans son épîlrc à Dioscore, § 21, il re-
produit ce sentiment presque dans les mêmes termes (M. iiouillet,
dans les notes qui accompagnent sa traduction des Ênnéades, a
recueilli avec autant de science que de patience, tout ce qui^ dans les
écrits d'Augustin, a trait à ses rapports avec le néoplatonisme. On en
trouvera l'indication dans la Table générale des matières, t. III,
p. 6G1-663). Jusqu'à ce moment les écrivains chrétiens n'avaient
fait des emprunts qu'à Plotin et à quelques écrits de Porphyre ; au
commencement du sixième siècle, un écrivain inconnu, peut-être un
néoplatonicien converti au christianisme, ou, ce qui semble plus vrai-
semblable, un chrétien séduit par la philosophie alexandrine telle
qu'elle s'enseignait alors à Athènes, habilla à la chrétienne le système
de Proclus, le compléta par une application de ses conceptions hié-
rarchiques aux choses ecclésiastiques, et, attribuant ces divers opus-
cules à Denys l'Aréopagite (Actes XVII, 34), les lança dans le monde
chrétien. Ces écrits soulevèrent au premier moment une vive opposi-
tion ; ils finirent par en triompher. Traduits en latin au neuvième siècle
par Jean Scot Erigène, commentés pendant le moyen âge à l'égal des
saintes Ecritures, ils ont été pendant longtemps le manuel des mys-
tiques extatiques chrétiens (L. Monte t, Des livres du Pseudo-Denys,
Paris, 1848, in-8°). — Voyez la notice bibliographique donnée dans la
dernière édition du Dictionnaire des Sciences philosophiques , Paris,
Hachette, 1875, page 32. Michel Nicolas.
ALEXANDRIE (Ecole chrétienne d'). Le christianisme fut porté à
Alexandrie dès le premier siècle par Marc l'évangéliste, le fidèle com-
pagnon de saint Pierre, après le martyre de celui-ci pendant la persécu-
tion de Néron (Eusèbe, H. E., II, 16). La religion nouvelle se développa
rapidement dans la ville et dans toute la conlrée environnante, et y
forma l'une des Eglises les plus considérables de la chrétienté primi-
tive; elle devint promptement l'un des foyers les plus actifs de la piété
et de la science évangélique. Cette Eglise, la vraie métropole de FOrient
chrétien, depuis que Jérusalem n'était guère plus qu'un grand nom,
dut son caractère particulier aux circonstances au milieu desquelles
elle grandit. Les questions de gouvernement intérieur la préoccu-
pèrent beaucoup moins que les Eglises occidentales, bien plus tour-
nées vers la pratique et l'organisation, dont elles avaient le génie.
Longtemps fidèle à l'antique constitution de l'Eglise, l'évèque ne fut à
Alexandrie, jusqu'au premier tiers du troisième siècle, que le repré-
sentant, le délégué des anciens, primas inter parcs, comme on en peut
juger par ce texte non contesté de saint Jérôme : Alexandrix usque ad
Heraclam presbyteri semper unurn ex se electum in excelsiori gradu col-
latum episcopum nominabant (saint Jérôme, Ep. ad Evang. Oper., t. IV,
p. 802). La constitution de l'ancienne Eglise d'Alexandrie a été retrou-
ALEXANDRIE 171
vée avec des caractères certains d'authenticité dans les Constitutions
langue copte, dont le manuscrit a été découvert par
Tattam (voir Bunsen, Analecta antenicœna, vol. II, p. 451-477). Ce pré-
cieux document fail revivre sous nos yeux l'Eglise de Clément et d'Ori-
gène, avec le libéralisme large et élevé qui présida à son gouverne-
menl jusqu'à l'épiscopal de Démétrius et l'exil d'Qrigène. Nous y
trouvons aussi 1rs renseignements les plus précieux sur l'institution la
plu-- caractéristique de Cette Eglise, l'école des catéchètes. On peut
dire que c'esl à Alexandrie que la théologie chrétienne a pris nais-
e, du moins son enseignement méthodique et approfondi. S'adres-
sant à des hommes pour la plupart cultivés, héritiers de toute la
ce du paganisme, l'Eglise d'Alexandrie devait, pour les gagner à
•. établir la supériorité de celui-ci sur tout ce qui l'avait pré-
cédé, en cherchant aussi à dégager des superféiations parasites les
pierres d'attente de l'édifice nouveau, soit dans la culture du passé,
soit dans t'àme humaine elle-même, faite pour la vérité et la vie divine.
Une telle tâche était considérable et demandait plus que le simple et
i témoignage rendu à la foi chrétienne; ce témoignage ne ces-
sait pas d'ailleurs d'être le moyen le plus efficace de gagner les
simples el les ignorants, les souffrants et les méprisés, car ils n'étaient
point négligés par cette grande Eglise, malgré sa vocation spéciale;
ne n'hésitait pas à se glorifier de ce qui était un sujet de scandale
aux yeux de Celse, en reconnaissant hautement, malgré les railleries
!i adversaire, que le christianisme s'est en effet préoccupé de tous
-'daignes de la philosophie païenne, de la femme, de l'esclave et
même du brigand (Origène contre Celse, liv. III, c. 49). C'est donc sans
aucun exclusivisme, et en répudiant les dédains de l'Académie ou du
Portique pour les esprits non cultivés, que l'Eglise d'Alexandrie fonda
un enseignement doctrinal plein de hardiesse et de profondeur. Elle y
fut amenée par le simple accomplissement de sa mission, en suivant
l'exemple de saint Paul, « de se faire tout à tous. » Pour répondre aux
besoins des prosélytes qui sortaient du Serapeum, il fallait concilier l'idée
chrétienne avec la haute culture antique, du moins dans ce que celle-ci
avail de légitime, et combattre les erreurs qui la corrompaient. Ces er-
s ne venaient pas seulement du dehors, mais encore du dedans. Il
'allait se défendre sans cesse contre l'hérésie, spécialement contre le
-iicisme, si plein de séduction, grâce au symbolisme ingénieux par
lequel il recouvrait d'un voile chrétien le vieux fond de la métaphysique
païenne. 11 avail trouvé à Alexandrie le terrain le plus favorable à sa
tnde; c'est là que Basilides et Valentin avaient développé leur
?no<c tout ensemble poétique et subtile, dont les Philosophoumena
non> 0*1 rendu la trame et l'enchaînement par des textes complets et
k -rient la lumière dans les informes et obscurs fragments
«ée i t Epiphane (voir les Philosophoumena, édition
Dunker et Sehrfedewin, Gœtt., 1889, liv. V, VI et VII). Telles sont
et les nécessités qui expliquent la fondation de l'é-
des catéchètea. Ce l'ut bientôt une institution véritable qui eut
aon nom (tg m? 'AXft&tôpetcev cicar/.aXsïov, Eusèbe, H. jE\,V, 10; xb xyjç
172 ALEXANDRIE
y.a.vffitfi<setùq Bi&xraaXeîov, ld., VI, 6; Comp. Sozom., //. E., III, 15;
Phot. Codex, 118, Catcchisandi magislerium ; Rufin, //. #.,11, 17). L'école
des catéchètes était en relation directe avec l'Eglise elle-même, aussi
fut-elle placée sous son gouvernement régulier; l'évêque fui chargé de
désigner ses maîtres (Eusèbe, II. E.,V1, 3). Il ne pouvait en être autre-
ment, car elle ne devait jamais se confondre avec un simple établisse-
ment scientifique; elle était destinée, avant tout, à préparer les prosé-
lytes au baptême qui, à cette époque, était principalement administré
aux adultes, le baptême des enfants, déjà en usage, étant l'exception et
non la règle, ou du moins ne déterminant pas le caractère essentiel du
sacrement. L'Eglise ne voulait ouvrir sa porte qu'à des adhérents ca-
pables non-seulement de l'honorer, mais encore de la gouverner, puis-
que tout son gouvernement reposait en définitive sur l'élection des
fidèles. Elle demandait les plus sérieuses garanties à ses néophytes, et
c'était au Ccitéchuménat à les lui fournir. Aussi était-il réglé avec le
plus grand soin clans l'Eglise d'Alexandrie, comme on en peut juger
par le document copte publié par Tattam. Il devait durer trois ans (xp(a
eiYj y.arr^stcOw, Const. Ecc. Egypt., II, 42). Le candidat au catéchu-
ménat subissait un examen préliminaire sur sa conduite pour qu'on s'as-
surât de sa sincérité {Const. Egypt., II, 40). Toute infraction aux bonnes
mœurs, toute connivence avec l'idolâtrie suffisait pour l'écarter, môme
comme disciple, afin qu'il fût bien établi que quand il s'agit de la vérité
chrétienne le savoir n'est rien sans la pureté du cœur, qui seul voit Dieu
(Matth. V, 8). En ce qui concerne le mode d'enseignement, il n'avait
aucune solennité oratoire. Il commença par être privé. Les catéchu-
mènes se pressaient dans la demeure du catéchiste, souvent jusque
dans les heures avancées de la nuit à cause de leur aflluence (Eusèbe,
H. E., VI, 3). Plus tard il eut lieu en public, le matin avant la célébra-
tion du culte proprement dit (Const. Egypt., II, -40), mais à ses grands
jours il était plutôt un entretien qu'une exposition, afin de mieux s'ap-
proprier aux divers degrés de culture, à l'Age, au sexe de ses audi-
teurs. « Nous avons appris, dit Origène, comment il faut répondre à
chacun. Il en est parmi nos auditeurs qu'il faut se contenter d'exhorter
à croire, mais il en est d'autres que nous persuadons par des demandes
et des réponses (cî èpwr/jaewv y.al àicoxpicetov). Sur chaque point nous
varions nos arguments» (Orig., Contre Celse, VI, 10; Comp. Eusèbe,
H. E., VI, 8; Glém., Strom., 1, i, 18). «Gardons-nous, disait Clément
d'élargir nos phylactères par amour de la vaine gloire. Un seul dis-
ciple suffit au sage » (Strom., 1, 10, 48). La littérature grecque, surtout
la philosophie, était mise à profit, sans, scrupule, pour préparer les
voies à l'Evangile (Glém., Strom., I, \, 16). L'enseignement, simple et
populaire au début, devenait en se développant de plus en plus la vraie
gnose chrétienne, sans jamais ressembler à la gnose hérétique, car il
ne cessait pas d'être pénétré de sève morale; il était présenté comme
inséparable de la sainteté, et son terme était la contemplation de Dieu
(Glém. Alex., Strom., II, 18, 77; V, 1, 3, 13). Rien ne ressemblait
moins à l'ésotérisme philosophique que cette gnose; elle n'était qu'un
degré plus avancé de connaissance auquel tous pouvaient parvenir, un
ALEXANDRIE 173
simple développement de la foi. Celle-ci posait le fondement, et la
gnose se bornait à construire l'édifiée. La foi était le commencement;
la gnose l'achèvement Glém'., Strom., VII, 10, 51). I! semble que cet
enseignemenl supérieur fui surtoul destiné à ceux qui n'étaient plus de
simples catéchumènes el qui donnaient une quatrième année à leur
instruction religieuse (Clém., Strom., II, 18, 96). Ceux qui voulaient à
leur tour devenir maîtres après avoir été diseiples ne se contentaient
pas de ces quelques années; ils s'attachaient pour un temps indéter-
miné au chef de l'école des catéchètes. C'est ainsi que Clément avait
ét< formé par Panténus (Eusèbe, H. E., VI, 11), Origène par Clément
Eusèbe, //. E.,Xl, 19), et Héraclas et Denys par Origène. Rien ne
préparai! mieux les futurs directeurs de l'école que de collaborer à la
tâche de leur maître, sous ses yeux. On se tromperait pourtant si
l'on établissait une ligne de démarcation trop tranchée entre les deux
enseignements. Les catéchumènes d'Alexandrie, pour la plupart, avaient
besoin d'une exposition large et approfondie de la vérité chrétienne.
On voit par la constitution apostolique copte, complétée par certains
fragments des autres constitutions apostoliques, que le cours de trois
années comprenait la théodicée, la christologie, la morale chrétienne
avec des développements sur l'histoire delà révélation (Const. Egypt.,
Il, Ui, i": ld.. I, Yo\ Const. ajjost.,11, 57). La charge de catéchiste,
bien que dépendant de l'évêque, n'était point réservée exclusivement à
des membres du clergé,; les laïques pouvaient en être revêtus, comme
le prouvent l'exemple d'Origène et le texte suivant : 'Ev.yXr^ia.Gir^ wv,
eits Xarxéç (Const. Egypt., II, 44). L'enseignement était rémunéré par
les dons volontaires des fidèles, tout, en étant souvent gratuit en fait
par le généreux désintéressement de maîtres qui suivaient l'exemple
du grand Alexandrin (Eusèbe, II. E., VII, 3). Si la surintendance ap-
partenait à un seul docteur, il est certain qu'il était assisté, car Clément
a enseigné en même temps que Panténus (Eusèbe, H. E., VI, 11). —
C'est ce dernier qui fut le vrai fondateur de l'école des catéchètes,
et non Atbénagoras, comme Philippe de Sida l'a prétendu sans aucune
espèce de fondement historique (voir le fragment de Philippe de Sida
reproduit par Dodwell : Dissertatio inlren., Oxon., 1689, p. 488-497).
Tour à tour attaché aux doctrines stoïciennes et au platonisme modi-
fia de <tm temps, Panténus était admirablement préparé à revêtir dans
l'Eglise d'Alexandrie la tâche de catéchiste. 11 suffit de rappeler que ses
successeurs lurent Clément et Origène pour donner l'idée du dévelop-
pemenl qu'avait pris l'école au commencement du troisième siècle. Ce
pas le moment de résumer la doctrine de ces grands maîtres.
Nous nous bornerons à déterminer d'après l'ensemble de leurs écrits
i.- caractère général de l'enseignement de l'école chrétienne d'Alexan-
drie, qui fut porté par eux à son plus haut degré de puissance et de spi-
ritualité. Bien qu'il ne fût pas exempt de subtilité et qu'il reposât sur la
icience la plus vaste, comme on pouvait l'attendre d'hommes qui pos-
Bédaienl tout<- la culture de leur temps, il était plein de sève religieuse.
On peul voir par Y Exhortation aux gentils, de Clément, à quel point
tout cet enseignemenl était ramené à la personne vivante du Verbe,
174 ALEXANDRIE
qui n'avait rien de la froide abstraction du \6yoq de Philon. Il cherchait
son point d'appui dans la conscience et la volonté, faisant appel au di-
vin qui est dans l'homme pour comprendre et saisir le divin qui le do-
mine et dont il procède, selon cette belle parole de Clément : To c^otov
tw 6[xoiu> (Strom.,, V, 1, 43). « Le semblable doit être perçu par le sem-
blable. » L'histoire des religions et des philosophies était appelée en
témoignage des aspirations meilleures du cœur humain, sans aucune
concession aux erreurs mortelles qui les avaient altérées. Flambeaux
pâlissants destinés à s'éteindre devant l'Orient céleste, les grandes phi-
losophies avaient à leur manière préparé l'avènement de l'Evangile.
La doctrine de Justin Martyr sur le Verbe spermatique avait reçu à
Alexandrie ses plus riches compléments. La morale était empreinte
de la plus haute spiritualité ; elle occupait une place d'honneur
dans cet enseignement qui voulait faire des saints, et non simplement
des docteurs. Au point de vue dogmatique, il se perdait souvent dans
un idéalisme nuageux et tombait dans tous les dangers de l'exégèse
allégorique favorisée par la théorie du triple sens. Il n'en demeure pas
moins l'un des plus parfaits modèles de la grande apologétique morale
que Pascal devait ressusciter bien des siècles plus tard. Cette apologie
avait aussi pour elle le sceau du martyre. Plus d'une fois Origène ac-
compagna jusqu'au cirque ceux- qu'il avait instruits et qu'il brûlait de
suivre au supplice (Eusèbe, H. E.,Y1, 3). Après son départ d'Alexandrie,
qui précéda sa double et injuste condamnation provoquée par l'évêque
Démétrius, bien plus pour son libéralisme ecclésiastique que pour ses
hardiesses dogmatiques, Origène eut pour successeur d'abord Héraclas,
puis quand celui-ci eut été élevé à l'épiscopat, Denys d'Alexandrie, le
grand et sage modérateur de l'Eglise de son temps. Après Denys, l'his-
toire de l'école chrétienne d'Alexandrie devient assez obscure. Eusèbe
mentionne comme ses successeurs Achillas, dont nous ne connaissons
que le nom (Eusèbe, H. E., VII, 32), et Pierrius (Phot. Codex, 418).
Philippe de Sida nomme après eux Théognostus et Sérapéon (loc. cit.).
D'après Théodoret {H. E., I, 1), Arius aurait quelque temps accepté la
charge de catéchiste. Didyme l'aveugle l'aurait remplie un long espace
de temps dans le cours du quatrième siècle (Sozom., //. E., III, 15;
Rufin, H. E., II, 4). Rhodon fut le dernier catéchiste d'Alexandrie, car
depuis le départ pour Sida de son disciple Philippe, qui lui avait quel-
que temps prêté son concours, cette grande école, déjà bien déchue,
cessa de se survivre. Elle n'avait plus en face d'elle pour la stimuler
un foyer de science philosophique; la culture païenne, étouffée à son
tour, ne provoquait plus par ses attaques des réponses vigoureuses et
savantes, et l'hérésie tombait sous le coup des pénalités civiles. Les
conciles généraux remplaçaient la libre discussion par les décrets
appuyés par la force. Le catéchuménat des adultes devenait l'excep-
tion après avoir été la règle. Une orthodoxie sévère condamnait dans
Origène le plus noble usage de la liberté de la pensée chrétienne et la
meilleure gloire de l'école d'Alexandrie. Les discussions des nestoriens
et des monophysites développaient le côté subtil de l'esprit alexan-
drin, en le détournant des voies larges et fécondes des grands caté-
ALEXANDRIE — ALFRED LE GRAND 175
chistes du troisième siècle. Los préoccupations de l'Eglise qui avait
Fondô la théologie chrétienne se partagèrent dos lors entre lo dogma-
tisme sec de Cyrille ef l'ascétisme dos premiers moines» Elle ne devait
plus échapper aux querelles interminables sur los doux natures jus-
qu'au jour où la conquête musulmane viendrait les interrompre,
comme plus tard à Bysance, en refoulant dans l'intérieur du pays cette
chrétienté copie dont les débris^nous ont conservé plus d'un précieux
iment. A vrai dire, la grande époque de l'école chrétienne d'A-
lexandrie ne dépassa pas le milieu du troisième siècle, il ne lui avait
pas fallu un siècle pour laisser après elle une trace ineffaçable dans le
champ de la pensée religieuse. — Matter, Essai historique sur l'école
d'Alexandrie, 1, 273; Redepenning, Origenes, eine Darstellung seines
Leèens ttnd seiner Lehre, Bonn, 1841; E. de Pressensé, Histoire des trois
première siècles de l'Eglise chrétienne, vol. III et IV; Guericke, De schola
qiue Alexandrie floruit catechetica, Halle, 1824; Mœhler, Patrologie,
vol. I. E. de Pressensé.
ALFARABI. Voyez Arabes (Philosophie des).
ALFRED LE GRAND, petit-fils d'Egbert, qui le premier (en 800) avait
réuni sous son autorité les royaumes de l'Octarchie anglo-saxonne,
était né en 849. Lorsqu'il fut élevé sur le trône en 871, l'Angleterre se
trouvait dans la situation la plus critique. Depuis trente-six ans déjà
ses cotes étaient infestées par des hordes de pirates danois qui, re-
montant les fleuves, portaient la dévastation dans ses campagnes,
pillaient les villes, les églises, les monastères, brûlaient ou massacraient
tout ce qui leur résistait, menaçaient enfin de replonger le pays dans
le chaos de barbarie païenne dont il venait à peine de sortir. Alfred,
aux prises dès son avènement avec ces farouches ennemis, ne répondit
pas d'abord aux espérances que sa valeur et ses talents avaient fait
concevoir. Voyant son royaume épuisé par leurs continuels assauts, il
essaya de pactiser avec eux; ce qui ne fit qu'accroître leur audace. Les
Danois avançant toujours envahirent l'une après l'autre les principales
provinces. Alfred lui-même, attaqué dans le Wessex, faillit tomber
entre leurs mains. Fugitif, abandonné des siens, il passa six mois dans
la cabane d'un pauvre berger habitant un district marécageux sur les
frontières du pays de Cornouailles. L'adversité retrempa son caractère.
int par quelques amis, il combina avec eux un nouveau plan d'at-
taque. Sous le costume d'un barde, il pénétra dans le camp des Danois;
après avoir reconnu leurs forces, étudié leurs dispositions, il fait avertir
ixons de se tenir prêts pour une action décisive. A l'appel du roi
qu'ils croyaient perdu pour eux, ils accourent pleins d'enthousiasme;
■-ual convenu ils fondent avec impétuosité sur les Danois, les
• ii déroute, les poursuivent jusque dans leur camp, où ils les
tiennent bloqués, et les forcent à demander la paix. Alfred, tout vic-
torieux qu'il était, ne pouvait espérer de chasser ni de détruire un
mi qui occupait le pays depuis tant d'années.' Mais si, après lui
avoir fait sentir la puissance de ses armes, il pouvait le décider à re-
noncer à ses mœurs barbares, à se vouera l'agriculture et à embrasser
la religion du vainqueur, le but serait atteint, l'Angleterre serait paci-
176 ALFRED LE GRAND — AL-GAZEL
fiée. Les Danois se soumirent à ces conditions. Pendant leurs- longues
migrations, éloignés de leurs prêtres, ils avaient eu le temps d'oublier
leurs idoles, et ne demandaient qu'à échanger une vie de périls et de
hasards contre une existence plus paisible. Ils suivirent sans hésiter
leurs chefs au baptême; Alfred leur servit de parrain et leur assigna
pour résidence la province de Northumbrie. Après cet acte de poli-
tique tout à la fois généreuse et habile, il put consacrer au bien de son
peuple les quinze années de paix qui suivirent sa victoire. En môme
temps qu'il fortifiait l'entrée des rivières navigables, et créait une ma-
rine qui lui permit (de 893 à 890) de repousser de nouvelles attaques
des pirates du Nord, il assura l'ordre intérieur en réorganisant les tribu-
naux et leur donna pour règle un code de lois encore apprécié de nos
jours. Enfin, il mit sa noble ambition à ramener l'Angleterre au degré
de lumière et de civilisation d'où les invasions l'avaient fait déchoir, à
l'élever même sous ce rapport à un degré qu'elle n'avait pas encore
atteint. Les impressions qu'il avait reçues à Rome dans deux pèleri-
nages où son père l'avait conduit dans son enfance, plus tard à la cour
de France, où subsistaient encore les traditions du règne de Charle-
magne, l'éducation qu'il avait reçue par les soins de la reine Judith sa
belle-mère, Alfred mit tout cela à profit pour le développement intel-
lectuel et religieux de son peuple. Il releva les églises et les monas-
tères, rétablit les écoles qui y étaient attachées, appela auprès de lui
les hommes distingués par leur savoir, apprit d'eux le latin à l'âge de
quarante ans, et traduisit lui-même, pour en répandre la lecture chez
ses sujets, plusieurs livres de la Bible, les Méditations de. saint Au-
gustin, les Consolations de la philosophie, par Boèce , Y Abrégé historique
d'Orose, V Histoire ecclésiastique de Bède, enfin le Pastoral de Grégoire
le Grand, dont il offrit un exemplaire à chacun de ses évêques. Tant de
travaux, après les luttes incessantes du commencement et de la fin de
son règne, achevèrent d'épuiser le faible tempérament d'Alfred. Il
mourut en 900 ou 901, décoré par son peuple du titre de Grand qui ne
lui a jamais été contesté. Il fut pour l'Angleterre un autre Gharlemagne,
qui, sur un théâtre moins vaste et moins brillant, avec des vues moins
étendues, fit admirer des mœurs plus pures, des sentiments plus
humains, une âme plus élevée, des vertus guerrières enfin, qui ne furent
jamais souillées par d'injustes conquêtes. E. Chastel.
ALFRIC, savant bénédictin, sorti du couvent d'Abingdon, chanoine
de Winchester et archevêque de Gantorbéry (994), est le prélat le plus
marquant de l'Eglise anglo-saxonne depuis Augustin. Il consacra sa
vie à relever le culte, à instruire et à moraliser le clergé placé sous ses
ordres. Nous avons de lui un Glossarium, imprimé à Oxford en 1659,
une grammaire, une anthologie connue so.us le nom de Colloquia, un
Homiliarium, une liturgie, une traduction et des commentaires sur les
livres historiques de l'Ancien et du Nouveau Testament, et un recueil
de canons, publié en 1737 à Londres sous le titre de Concilia Magnse
Britannica et Hibernise (voy. Edw. Rowei Moresi de Aelfrico archiepis-
copo Commentarium, éd. Thorkelin. 1789, in-4°).
AL-GAZEL. Voyez Arabes (Philosophie des).
ALGER — ÀLGERIli; 177
ALGER ou plutôt AUGER DE LIÈGE [Algerus Leodiensis], théologien
et canoniste, fui diacre el écolâtre dans sa pairie, et se retira on 1121
a c.luny où il nionriil vers M 32, regretté de Pierre le Vénérable (Biùl.
Ciuniac, p. 793 ss. ; cf. 1175, 127 i. (>n a de lui un recueil de droit
canon intitulé De la Miséricorde et de la Justice (Martène, V, 1019), qui
parai! une tlt^s sources deGratien, el un traité du Sacrement du corps et du
sauf/ de Jésus-Christ^ publié par Erasme en 1530 (Bibl. Pair. Lagd^XXÏ,
251), dans lequel il établi! que la communion sous les deux espèces
est l'essence du sacrement et où il semble suivre Guitmond. On a public
de lui un Traité du libre arbitre et un opuscule sur le Sacrifice de la
. M. Huiler (Beitrsege , etc. Munster, 1802, in-8°) lui attribue,
d'après un manuscrit de la Bibliothèque nationale (lai. 3881), un Liber
sententiarum, recueil important de doctrine et de discipline. Nicolas de
Liège a ('m rit la Vie d'Auger (Martène, /. /.). Voyez Richter, Beitrœge,
L, 1834 : liist. Litt. de la Ft\, XI, 158 (2e éd.) ; Aligne, 180.
ALGÉRIE. (Statistique ecclésiastique). Le recensement de 1872 attri-
bue aux possessions françaises du nord de l'Afrique une population de
2,446,225 âmes. Sur ce nombre, 2,125,052 professent la religion mu-
sulmane: il y a 39,812 israéliles, 233,733 catholiques, 0,00(5 protes-
tants et'10 à 12,000 individus dont le culte n'a pu être constaté. Il
convient d'examiner à part chacune de ces confessions et de voir quelle
i. t'ii Algérie, l'organisation. Nous commençons par la religion de
la majorité. — 1. Musulmans. Par la capitulation d'Alger, le 4 juil-
1830, le gouvernement français garantissait aux indigènes le libre
exercice de leur culte. Cet engagement a été plus que tenu; l'islamisme
a tle reconnu en Algérie, au même titre que les divers cultes reconnus
en France. L'administration lui accorde même une sorte de protection
et interdit aux ministres des cultes chrétiens toute propagande et tout
prosélytisme. Après la grande famine de 1868, l'inépuisable charité de
\Lr Lavigerie, archevêque d'Alger, avait recueilli un grand nombre
d'orphelins musulmans. Lorsque leur âge permit de les instruire des
choses religieuses, ce fut dans la religion catholique qu'on les éleva.
La susceptibilité de quelques indigènes s'en trouva froissée et le maré-
chal de Mac-Mahon, alors gouverneur général, crut devoir écrire à
Mgr d'Alger pour le rappeler à l'observation catégorique de la capitu-
lation de 1830, ou plutôt de l'interprétation qu'en donne l'adminis-
tration. Toutefois cette faveur officielle ne porte pas bonheur aux
mahométans algériens. Leur population diminue constamment depuis
■ uiquête, et ils semblent condamnés à dépérir,, si une force nou-
velle n<> vient leur rendre une vie nouvelle, et quelle autre force
que l'Evangile sérail capable d'accomplir ce miracle. Mais il serait
temps, car la décadence est rapide : -2,700,000 en 1801; 2,400,000
• ■M 1866; 2,125,000 en 1872. La dernière période a été éprouvée
par le choléra, la famine el l'insurrection, de sorte que là on s'explique
la diminution. Mais la première période (1801-1860) a été normale
il.- tous points el aucune cause extérieure ne peut rendre compte
de ce recul. Dans l'état actuel, les 2,125,052 mahométans se ré-
partirent ainsi entre les provinces : Alger, 757,908; Oran, 411,874;
178 ALGÉRIE
Constantine, 955,270. Les autorités religieuses varient de province à
province. Les musulmans de la province d'Alger ont à leur tête un
muphti maléki assisté de deux muphtîs hanéfis et de six ruuphtis; à Oran,
un muphti de lre classe a pour aides trois muphtîs de 2e classe. A Con-
stantine enfin, les autorités sont un muphti maléki, un muphti hanêfi et
vingt et un imams. — II. Israélites. Les juifs se répartissent ainsi que
suit entre les trois provinces : Alger, 12,037 ; Oran, 18,393 ; Constan-
tine, 9,382; total, 39,812. L'ordonnance royale du 9 novembre 1845
avait institué un consistoire algérien siégeant à Alger et deux consis-
toires provinciaux à Oran et à Constantine. L'autorité du consistoire al-
gérien s'étendait sur toute la colonie; celle des consistoires provinciaux
s'exerçait respectivement dans la circonscription de leurs provinces.
Un décret du 16 septembre 1867 a supprimé le consistoire central algé-
rien et créé un consistoire provincial au chef-lieu de chacune des trois
provinces. Chaque consistoire est composé du grand-rabbin de la
circonscription et de six membres laïques élus, lesquels choisissent l'un
d'entre eux pour président. Chaque consistoire a en outre un représen-
tant auprès du consistoire central qui siège à Paris. Il nomme un dé-
légué à chacune des synagogues de sa circonscription. — III. Catho-
liques. Répartition par provinces : Alger, 94,558; Oran , .79,296 ;
Constantine, 59,879. Le 9 août 1838, Alger fut érigé en évèché. L'ac-
croissement considérable de la population chrétienne engagea le gou-
vernement français et le saint-siége à élever le siège d Alger à la dignité
de métropole avec deux évêchés suffragants à Oran et à Constantine.
L'archevêché d'Alger comprend le chapitre de Saint-Philippe d'Alger
avec 8 chanoines titulaires, le grand séminaire diocésain de Kouba,
tenu par les lazaristes, le petit séminaire de Kouba, le collège Saint-
François-Xavier, dirigé par les jésuites, le petit séminaire indigène de
Saint-Laurent d'Olt, le grand séminaire de la mission du Sahara et du
Soudan à la Maison-Carrée, 7 succursales de lre classe, 74 succursales
de 2e classe, 26 vicariats rétribués par l'Etat et 20 prêtres auxiliaires.
Le diocèse d'Oran comprend le chapitre de Saint-Louis d'Oran avec
3 chanoines titulaires, 5 succursales de lre classe, 62 succursales de
2e classe, 13 vicariats rétribués par l'Etat et 12 prêtres auxiliaires.
Le diocèse de Constantine comprend le chapitre de Notre-Dame des
Sept-Douleurs de Constantine avec 4 chanoines titulaires, un sémi-
naire diocésain et un petit séminaire à Sainte-Hélène, 5 succursales
de lre classe, 53 succursales de 2e classe, 17 vicariats rétribués par
l'Etat et 15 prêtres auxiliaires. — IV. Protestants. La conquête fran-
çaise amena naturellement un certain nombre de protestants en
Algérie ; il fallut pourvoir à leurs besoins religieux. En 1839, un pasteur
fut nommé à Oran ; cette création fut suivie par d'autres et il devint
nécessaire de les grouper et de les organiser. Aux termes d'un décret
du 14 septembre 1859, les Eglises protestantes de la colonie furent
administrées par des conseils presbytéraux sous l'autorité supérieure
d'un consistoire siégeant à Alger. Cet état de choses a été changé par
un second décret, en date du 12 janvier 1867, dont voici les principales
dispositions : Il est institué un consistoire provincial au chef-lieu de
ALGÉRIE — ALLÉGORIE 179
chacune des trois provinces algériennes; les laïques élus, en nombre
double de celui dos pasteurs, sont choisis par partie égale dans l'Eglise
réformée et dans celle de la confession d'Augsbourg. La présidence du
consistoire est annuelle et élective; elle appartient tour à tour aux pas-
teurs réformés el luthériens. Les conditions d'éligibilité, la durée
des fonctions el les attributions sont du reste les mêmes que pour
consistoires français, sauf que les membres appartenant à l'une
do> confessions ne participent pas aux actes qui intéressent exclu-
sivement l'autre confession, tels que nominations de pasteurs, élec-
tions de délégués à des synodes, de professeurs de théologie, etc.:
pour le reste, l'union administrative est complète; ajoutons toute-
foi-- que les provinces luthériennes relèvent de l'inspection ecclésias-
tique de Paris. Les pasteurs sont au nombre de 18:9 pour l'Eglise
de la confession d'Augsbourg, et 9 pour l'Eglise réformée. Le re-
censement de 1872 donne pour les protestants le chiffre de 6,006;
nous croyons qu'il était déjà alors au-dessous de la vérité, et l'émigra-
tion alsacienne a dû l'augmenter depuis dans une proportion assez
considérable. Parmi les établissements religieux protestants en Algérie,
nous citerons l'orphelinat de Dely-Ibrahim, le poste d'évangélisation de
Miserghin, un poste d'évangéliste espagnol, et un missionnaire parmi
les israélites. —Budget des cultes. Nous n'avons pas d'éléments pour
miner dans le budget des cultes la part qui revient à l'Algérie ;
nous pensons qu'elle doit être de 800,000 à 1,000,000 de fr. Dans le
budget des communes pour 1872, nous trouvons sous la rubrique : Dé-
pense des cultes, 176,837 fr. aux dépenses ordinaires et 1,256 fr. aux
dépenses extraordinaires. Rien ne nous permet de faire dans ces chiffres
la part qui revient à chaque culte. — Bibliographie. Statistique géné-
rale de l'Algérie. Années 1867 à 1872. Imprimerie nationale, 1874. La
France ecclésiastique pour 1876, etc. E. Vaucher.
ALLATIUS ou ALLACCI (Léon), savant grec, né à Chio en 1586, mou-
rut en 1699 à Rome, où il était bibliothécaire du Vatican. Il publia un
grand nombre de textes classiques, et fut l'auteur de divers écrits de
théologie, dans lesquels il s'applique, non sans parti pris, à démontrer
>rd inaltérable de l'Eglise grecque avec celle de Rome, à laquelle
il s'était rallié. Nous mentionnerons : De eccl. occid. et orient, perpétua
couseasionc, Col., 1648, in-4°; Grsecia orthodoxa (recueil d'auteurs grecs
favorables à l'Eglise romaine), Rome, 1652-59, 2 vol. in-4°; De utriusq.
de purgatorio consensioîie, Rome, 1655, in-8; De process.Spiritus S.,
Rome, 1658, in-12 (en grec); Viadicix synodi Ephes. deprocess. Sp. S.,
, 1661, in-8.
ALLEGORIE. On nomme ainsi en rhétorique un trope ou une figure
de style, par laquelle on dit une chose et l'on en fait penser une
autre, en sorte que le discours du commencement à la fin et dans
tnui orties a un double sens. L'allégorie est très-voisine de
la parabole. Mais elle s'en distingue en ce qu'une analogie géné-
suffit pour constituer celle-ci, chaque trait du récit n'ayant pas
ni d'avoir un sens particulier ou une application spéciale: ce
qui doit être le cas dune allégorie bien faite. Il résulte de là que
180 ALLÉGORIE
la parabole plus simple, plus naturelle, est plus ancienne; que l'al-
légorie, œuvre plus artificielle et plus délicate, suppose plus de ré-
flexion ou un état philosophique plus avancé. L'histoire de la brebis du
pauvre que Nathan raconte à David coupable est une belle parabole ;
le psaume LXXX contient une parfaite allégorie. La différence signalée
ici est si juste que la parabole, à son tour, peut être interprétée comme
une allégorie. L'histoire du bon Samaritain ne devait d'abord mettre en
lumière qu'une idée morale : «Celui-là est notre prochain qui a besoin
de nous. » Au moyen âge, elle devint l'histoire mystique de la destinée
humaine. Le pauvre blessé, c'est l'homme; les voleurs sont les esprits
du mal. La route de Jérusalem à Jéricho représente celle de la vie. Le
lévite et le sacrificateur sont la loi et les prophètes; le bon Samaritain,
c'est Jésus; l'auberge, c'est l'Eglise, etc. — L'allégorie, comme la pa-
rabole, fut un mode d'enseignement cher aux Orientaux. Elle se ren-
contre dans la prédication des prophètes à1 côté d'actes symboliques
qui ne sont que des allégories en action, dans les apocalypses où ce
style à double entente a sa place toute naturelle. Dans le Nouveau
Testament elle est plus rare. Jésus ne l'a pas employée. L'auteur du
quatrième évangile, par un effet de sa méditation intense, semble bien
par moments- élever la parabole jusqu'à l'allégorie et le miracle jus-
qu'au symbole (Jean X, XV). Mais la parabole primitive se laisse encore
reconnaître. L'allégorie n'apparaît guère dans le Nouveau Testament
que comme moyen d'interpréter l'Ancien (Gai. IV, 24 ss. ; Rom. VII, 1-5 ;
1 Gor.V, 7 ; Hébr. III, 6 ; IX, 8, etc.). Ce procédé d'interprétation a joué
un rôle capital dans l'histoire des doctrines religieuses. Les Orientaux
ne l'ont point inventé ; l'interprétation allégorique est un fruit de la
subtilité de l'esprit grec. Déjà du temps de Socrate et de Platon, les
philosophes, scandalisés de la conduite des dieux et des déesses de
l'Olympe, expliquaient allégoriquement les poëmes d'Hésiode et d'Ho-
mère. Les stoïciens d'abord, les néoplatoniciens et les gnostiques plus
tard se distinguèrent par leur habileté à trouver dans les mythes anciens
les vérités cachées de la philosophie de la nature. Quand les Juifs
d'Egypte entrèrent en contact avec la sagesse grecque, leur premier
souci fut de concilier cette philosophie avec leurs révélations mo-
saïques. Ils prétendirent que les Grecs avaient jadis connu le Penta-
teuque et en avaient tiré leurs doctrines. Aristobule d'abord (160 av.
J.-C.),Philon ensuite (40 av. J.-G.), les retrouvaient toutes dans l'Ancien
Testament par l'interprétation allégorique. Les quatre fleuves du Pa-
radis devenaient les quatre vertus cardinales de Platon ; Abraham parmi
les Ghaldéens, c'était l'âme enfermée dans le monde des sens. La vraie
patrie de Jacob était la parole de Dieu à laquelle l'homme doit toujours
revenir ; Esaù représentait l'appétit grossier de la chair, etc. Toute
l'histoire d'Israël devenait ainsi une allégorie métaphysique ou morale.
De l'Egypte ces habitudes d'interprétation passèrent de très-bonne
heure en Palestine, chez les esséniens, qui auraient bien pu y arriver
tout seuls par leur tendance mystique, et chez les rabbins qui ne se
privent pas non plus de ces commodes ressources. Il ne faut pas douter
que Paul n'y fût devenu très-habile à l'école de Gamaliel. De là viennent
ALLÉGORIE — ALLÉLUIA 181
le traces que nous en trouvons encore dans ses épîtres. 11 devait en
faire un bien plus grand usage dans sa prédication. Les Pères de l'E-
glise trouvaient l'Evangile dans l'Ancien Testament de la même ma-
nière que Philon y trouvait le platonisme. A cet égard l'école chré-
tienne d'Alexandrie est la fille directe de l'école juive qui l'avait
précédée. La méthode allégorique reste attachée au nom d'Origènë,
parce que ce grand esprit a essayé de la fixer et de la définir en en
donnant les principes el les règles. A ses yeux l'Ecriture était un orga-
nisme semblable à l'organisme humain. Comme dans l'homme nous
découvrons trois principes : le corps matériel, l'Ame vitale, l'esprit di-
vin ; de même l'Ecriture a trois sens liés ensemble mais distincts et
correspondant à ces trois degrés : le sens littéral, le sens moral ou
psychique, et le sens métaphysique ou divin. Ce dernier ne peut être
atteint et dégagé que par l'interprétation allégorique (voy. l'art. Her-
méneutique). Cette méthode tout à fait arbitraire a disparu de l'exégèse
scientifique. On ne la rencontre plus guère que dans les homélies des
prédicateurs. A. Sabatier.
ALLEGRI (Grégoire), compositeur de musique sacrée de la famille du
Corrége (Antonio Allegri). Né à Rome vers 1560, élève de Jean-Marie
Nanini, il fut d'abord attaché comme chantre compositeur à la cathé-
drale de Fermo. En 1029, le pape Urbain VIII le nomma chapelain-
chantre de la chapelle pontificale, dont il resta membre jusqu'à sa mort,
en 1052. Il était, selon André Adami, d'un caractère excellent et d'une
charité exemplaire, visitant chaque jour les prisonniers pour leur dis-
tribuer tout ce qu'il avait. Allegri est Fauteur d'une foule de concerts
et de motets à deux, trois et quatre voix, mais il doit principalement sa
réputation au Miserere à deux chœurs (l'un à quatre voix, l'autre à cinq)
qu'il composa sur la demande du pape et qui se chante encore aujour-
d'hui à la chapelle Sixtine pendant la semaine sainte. Ce morceau d'une
glande simplicité est à peu près incompréhensible à la lecture. Il ne
produit son effet que s'il est chanté selon la tradition du maître, et ce
n'est guère qu'à Rome qu'on en possède le secret. Alors il émeut puis-
samment par la profondeur de sa mélancolie et sa tristesse religieuse
d'une suavité particulière. La réputation de ce chant célèbre le fit con-
sidérer en quelque sorte comme sacré. Il était défendu sous peine d'ex-
communication d'en prendre ou d'en donner copie. Cependant Mozart
l'écrivit de mémoire après l'avoir entendu deux fois. Plus tard, le doc-
teur Burney se le procura et le publia à Londres en 1771. Le- Miserere.
d'Allegiï est resté le morceau classique du genre. Il est le seul avec
celui de Thomas Bai et de l'abbé Baini que l'on exécute pendant les
trois matinées dites des ténèbres à la chapelle Sixtine. Si Allegri
n'atteint pas au sublime de Palestrina, il se distingue par un art accom-
pli dans L'ordonnance des voix et un rhythme heureux qui fait ressortir
les p iroles. Il a su introduire dans la musique religieuse quelque chose
de la morbidesse, de la grâce et de l'émotion, que son parent plus
illustre le Corrége a su mettre dans la peinture à fresque. E. Schuré.
ALLÉLUIA [hallelou-iah, àXXvjXoufo], deux mots hébreux qui signi-
fient : Louez ù Seigneur, Cette foi-mule liturgique se trouve un grand
182 ALLÉLUIA - ALLEMAGNE
nombre de fois dans les psaumes. D'après le rituel fixé par le Talmud,
on chantait dix-huit fois par an, dans le culte public et en particulier
pendant le repas pascal, le grand hallel, c'est-à-dire une composition
musicale qui comprend les psaumes GXïII à GXVIII, commençant ou finis-
sant tous par le mot alléluia, et qui déjà dansla version alexandrine porte
l'inscription : 8Xkt\koulaL ; on entonnait plus fréquemment encore le petit
hallel (Ps. CXV, 1-13; CXVI, 1-1 1). — Bans la liturgie de l'Eglise catho-
lique, on donne le nom d'alléluia à un ou plusieurs versets des psaumes
chantés pendant l'office de la messe entre répitre et l'évangile, c'est-
à-dire au graduel (voy. cet article). Le mot alléluia qui les termine
marque le degré culminant de l'adoration : les dernières syllabes ré-
sonnent en longues modulations, comme une jubilation qui ne peut
finir. L'Eglise grecque mêla l'alléluia à toutes ses cérémonies ; il fut in-
troduit dans l'Eglise latine par saint Jérôme ; mais, encore du temps de
saint Augustin (Fp., 119), il ne figurait que dans la liturgie du jour de
Pâques. C'est Grégoire Ier qui ordonna qu'on le chanterait toute l'année,
et cette coutume s'est conservée jusqu'à ce jour. Le chant de l'al-
léluia n'est supprimé que dans l'office et dans la messe des morts,
ainsi que pendant le carême ; par contre, la liturgie de la messe du
samedi après Pâques jusqu'au dimanche de la Pentecôte renferme
jusqu'à quatre alléluias consécutifs. Sidoine Apollinaire rapporte que
les rameurs entonnaient à haute voix l'alléluia pour s'exciter à la
manœuvre.
ALLEMAGNE. (Statistique ecclésiastique). 1. Les plus importants des
Etats de l'Allemagne auront leurs articles spéciaux dans le cours de
l'ouvrage. Pour eux, nous nous bornerons ici à des chiffres et à un
renvoi. Pour les Etats moins considérables, nous entrerons dans quel-
ques détails de plus, et nous terminerons par quelques indications géné-
rales. — \ . Royaume de Prusse et duché de Lauenbourg (v. l'art. Prusse),
24,691,058 habitants (1871) : 16,041,215 protestants; 3,268,309 catho-
liques romains; 1,565 catholiques grecs; 52,338 membres de sectes
chrétiennes; 325,565 Israélites; 85 ressortissants d'autres cultes; 4,410
individus dont le culte n'a pu être constaté. — 2. Royaume de Bavière
(v.^^'ère), 4,813,450 habitants (1871): 1,342,592 protestants; 3,464,314
catholiques romains ; 246 catholiques grecs; 5,207 membres de sectes
chrétiennes; 50,662 israélites ; 15 ressortissants d'autres cultes; 364 in-
dividus dont le culte n'a pu être constaté. — 3. Royaume de Saxe
(v.Saxe), 2,551,244 habitants (1871) : 2,493,556 protestants ;. 53,642 ca-
tholiques romains ; 554 catholiques grecs ; 4,339 membres de sectes
chrétiennes; 3,357 israélites; 19 ressortissants d'autres cultes; 777 indi-
vidus dont le culte n'a pu être constaté. — 4. Royaume de Wurtemberg
(v. Wurtemberg), 1,818,539 habitants (1871) : 1,248,860 protestants;
573,542 catholiques romains; 3,857 membres de sectes chrétiennes:
25,373 israélites ; 3 ressortissants d'autres cultes; 166 individus dont
le culte n'a pu être constaté. — 5. Grand-duché de Bade (v. Bade)'.
1,461,562 habitants (1871) : 491,008 protestants; 942,560 catholiques
romains; 182 catholiques grecs; 2,083 ressortissants de sectes chré-
tiennes ; 15,703 israélites ; 2 ressortissants d autres cultes ; 24 individus
ALLEMAGNE 183
dont le culte n'a pu être constate. — 6. Grand-duché de Hesse,
852,894 habitants : 585,399 protestants ; 238,080 catholiques romains;
18 catholiques grecs; 3,855 membres de sectes chrétiennes; 25,373 is-
raélites; 3 ressortissants d'autres cultes; 166 individus dont le culte n'a
pu être constaté. Les protestants hessois étaient pour la plupart, (4 10,000)
luthériens: les 175,000 autres réformés. Les deux confessions ont été
unies en 1822 dans la province de la Hesse-Rhénane, peu après dans les
deux autres. L'union y a produit ses effets ordinaires et jamais l'Eglise
ne s'est relevée du rationalisme où elle croupit depuis longtemps.
L'acte d'union reconnaissait comme base de l'Eglise la sainte Ecriture
et les confessions de foi des deux Eglises sur les points où elles
étaient d'accord, laissant pleine liberté pour les doctrines où il y
avait désaccord et nommément pour la sainte Cène. Après plusieurs
essais malheureux de constitution, on s'est arrêté vers 1835 à l'or-
ganisation suivante : l'autorité suprême de l'Eglise est le ministère
de l'intérieur et de la justice. Le consistoire central de Darmstadt est
placé sous les ordres du ministre. Il se compose d'un président laïque,
de 5 conseillers (3 ecclésiastiques et 2 laïques) et d'un nombre indé-
terminé d'assesseurs et de membres extraordinaires. Depuis quelques
années, un synode élu est placé à côté du consistoire. Le pays est
partagé en trois diocèses avec autant de surintendants, l'un d'eux avec
le titre de prélat fait partie de la chambre haute du grand-duché. Au-
dessous des surintendants sont 30 doyens nommés pour cinq ans par le
consistoire. Les uns et les autres font dans les paroisses des visitations
périodiques. Dans chaque paroisse le pasteur est assisté d'un conseil où
siègent avec lui le bourgmestre, deux membres élus et un nombre
variable d'assesseurs. La faculté de théologie de Giessen et le sémi-
naire de prédicateurs de Friedberg préparent les pasteurs à leurs fonc-
tions. Les catholiques romains dépendent du siège de Mayence. Il
comprend en Hesse 16 doyennés et 152 paroisses avec environ 250 prê-
tres. Chaque Eglise a son conseil d'Eglise organisé de la même façon
que dans l'Eglise protestante. Les vieux-catholiques ont réussi à se
constituer dans quelques villes. Parmi les sectes chrétiennes, la plus
importante est celle des mennonites qui compte un millier d'adhérents.
Les juifs, assez nombreux, ont à Mayence et à Worms d'importantes
synagogues. — 7. Le grand-duché de MecklembourgSchwérin peuplé
de 557,734 habitants (1871), contient 553,492 protestants, \ ,336 catho-
liques romains, 2 catholiques grecs, 96 adhérents de sectes chrétiennes,
2,945 israélites, 1 membre d'une autre religion et 25 individus dont
le culte n'a pu être constaté. L'immense majorité de la population est
luthérienne. Le grand-duc est le chef suprême de l'Eglise et a sous
lui un consistoire, qui exerce en son nom l'autorité ecclésiastique;
5 surintendances, 38 prépositures forment les autorités intermédiaires ;
leurs attributions sont presque entièrement réduites à l'examen des
questions administratives; 296 paroisses avec 327 pasteurs et 470 Eglises
forment le ressort du consistoire. La ville de Rostock et ses environs
forment un petit consistoire particulier. Les deux Eglises de la cour à
érin et Ludwigslust son! sous la direction immédiate du souve-
184 ALLEMAGNE
rain. La faculté de théologie de Rostock préparc les pasteurs à leur
ministère. — 8. Le grand-duché de Saxe-Weimar avec 286,183 ha-
bitants (1871) renferme 275,492 protestants, 9,404 catholiques romains,
53 catholiques grecs, 108 membres de sectes chrétiennes, 1,120 is-
raélites et 6 ressortissants d'autres cultes. Les luthériens, au nombre
de 205,000, dépendent d'un conseil central ecclésiastique présidé parle
ministre de la maison grand-ducale ; 2 surintendants généraux à Weimar
et à Eisenach et 293 pasteurs pourvoient aux besoins religieux du pays..
Depuis bien longtemps le rationalisme y règne en maître souve-
rain. Les réformés, au nombre de 10,000, ont quelques pasteurs. Les
catholiques, avec 10 prêtres, dépendent de l'évéehé de Paderborn
(Westphalie).. L'université d'Iéna a une faculté de théologie protes-
tante. — 9. Le grand-duché de Mecklembourg-Strèlitz est peuplé de
96,982 habitants, dont 96,329 protestants, 167 catholiques romains,
I membre d'une secte chrétienne et 485 israélites. Les habitants luthé-
riens assortissent au consistoire deNeu-Strélitz, composé d'un directeur
laïque, d'un conseiller ecclésiastique qui est en même temps surin-
tendant et d'un assesseur ecclésiastique. Un synode consultatif y a été
joint en 1839. Sept districts ont à leur tête autant de pasteurs préposés.
Environ 60 paroisses desservent le pays. La principauté de Ratzebourg
a sa commission consisloriale particulière avec 8 pasteurs sous sa direc-
tion. — 10. Le grand-duché d' Oldenbourg avait, en 1871, 314,591 habi-
tants, dont 240,962 protestants, 71,027 catholiques romains, 941 mem-
bres de sectes chrétiennes, 1,475 israélites, 1 ressortissant d'autres
cuites et 53 individus dont le culte n'a pu être constaté. Les protestants
sont en grande majorité luthériens ; à leur tête est un consistoire et un
surintendant général; chaque district a son surintendant. Les réformés,
au nombre de 2,300, ont leur surintendant particulier. Les catho-
liques ont un doyen général, vicaire de l'évêque de Munster; ceux de
la petite principauté de Bickerfeld dépendent de l'évêché de Trêves.
— 11. Le duché de Brunswick avec 312,170 habitants (1871) comptait
302,989 protestants, 7,030 catholiques, 574 membres de sectes chré-
tiennes et 1,171 israélites. Les protestants sont presque tous luthériens.
Le duc est chef de l'Eglise ; l'administration est dirigée sous ses ordres
par le consistoire de Wolfenbutteî, au-dessus duquel se trouvent 6 surin-
tendants généraux, 30 surintendants et 253 pasteurs. L'Eglise de Bruns-
wick a conservé plus peut-être qu'aucune autre les anciennes fêtes et
les anciennes coutumes. Mais là aussi le rationalisme a passé et fait des
ravages, moins profonds peut-être qu'ailleurs, mais sensibles néanmoins.
Le séminaire de Wolfenbutteî forme au ministère les candidats sortant
de Gœttingue. Les réformés, peu nombreux, ont une Eglise à Brunswick.
II y a une centaine de mennonites dispersés dans le duché. Les catholiques
ont trois paroisses : à Brunswick, Wolfenbutteî et Helmsia3dt. L'évêque
de Hildesheim (Hanovre) en est le diocésain. — 12. Le duché de Saxe-
Meiningen, 187,957 habitants (1871), dont 181,964 protestants, 1,566 ca-
tholiques romains, 1 catholique grec, 175 membres de sectes chré-
tiennes, 1,625 israélites, 18 ressortissants d'autres cultes et 2,610 indi-
vidus dont on a négligé de constater le culte. L'Eglise luthérienne, qui
ALLEMAGNE 185
comprend la presque totalité de la population, a le duc pour chef légal.
Un consistoire exerce sous lui l'autorité en matière ecclésiastique. Le
rationalisme es! entièrement le maître. Les réformés, au nombre de 350,
ne son! pas groupés en paroisses. — 13. Le duché de Saxe-Altenbourg ,
142,122 habitants (1871), dont 141,901 protestants, 193 catholiques
romains, 2 catholiques grecs, 16 membres de sectes chrétienrîes et
10 israélites. C'est l'Etat de l'Allemagne où les protestants sont propor-
tionnellement le plus nombreux , tous luthériens de confession , mais
malheureusement fort rationalistes. Un consistoire et un surintendant
général dirigent sous l'autorité du duc les 130 pasteurs du pays. Les
quelques catholiques du pays dépendent, comme ceux des autres duchés
de Saxe, de l'évêché de Wurzbourg. — 1 4. Le duché de Saxe-Cobourg-
Gotha, 74,339 habitants (1871), dont 172,786 protestants, 1,263 ca-
tholiques romains, 76 membres de sectes chrétiennes, 210 israélites,
4 ressortissant d'autres cultes et 3 individus dont le culte n'a pu être
constaté. Les luthériens, rationalistes pour la plupart, ont un consistoire
et un synode. Les réformés sont au nombre d'environ 3,000. — 15. Le
duché à'Anhalt, 203,437 habitants (1871), dont 198,107 protestants,
3,378 catholiques romains, 56 membres de sectes chrétiennes, 1,896 is-
raélites. L'union y a été introduite de 1820 à 1827. Depuis 1863, où les
trois duchés ont été réunis en un, il n'y a plus qu'un seul consistoire,
avec 144 pasteurs et 4 surintendants. L'Eglise catholique a 2 prêtres à
Dessau et 1 à Gœthen, dépendant de l'évêque de Bautzen. — 16. La
principauté de Schivarzbourg-Rudolstadt, 75,523 habitants (1871), dont
75,294 protestants, 104 catholiques romains, 2 catholiques grecs,
4 membres de sectes chrétiennes et 119 israélites, — et 17. la principauté
de Sc/nvarzbourg-Sondershausm,<J~, 191 habitants (1871) dont 66,824 pro-
testants, 176 catholiques romains, 5 membres de sectes chrétiennes et
186 juifs, ont une constitution consistoriale et sont peuplées de luthé-
riens. La vie religieuse est beaucoup plus avancée dans la seconde que
dans la première. — 18. La principauté de Waldeck, 56,224 habitants
(1871), dont 54,055 protestants, 1,305 catholiques romains, 30 membres
de sectes chrétiennes, 834 israélites. La grande majorité appartient à
l'Eglise luthérienne ; le consistoire d'Arolsen la dirige sous l'autorité du
prince. Les réformés sont peu nombreux. — 19 et 20. Les deux princi-
pautés de Reuss, ayant ensemble 134,126 habitants (1871) dont 133,680
protestants, 337 catholiques romains, 4 catholiques grecs, 37 membres
de sectes chrétiennes, 339 israélites et 9 individus dont le culte n'a pu
être constaté. Les protestants sont presque tous luthériens. Il y a aussi
dans le pays quelques mennonites. — 21. La principauté de Schaum-
bourg-fJppe, 32,059 habitants (1871) dont 31 ,21 1 protestants, 386 catho-
liques, 23 membres de sectes chrétiennes, 351 israélites et 83 individus
dont le culte n'a pu être constaté. Les luthériens qui forment la majo-
rité sont régis par le consistoire de Bùckebourg. Les reformés, au nom-
bre de 4,000 environ, ont une paroisse à Bùckebourg ; elle forme avec
la paroisse réformée de Brunswick et 4 paroisses hanovriennes le ressort
d'un synode. — 22. La principauté de Lippe-Detmold avec 111,135 habi-
tants (1871), dont 107,462 protestants, 2,638 catholiques et 1,035 is-
i. 13
186 ALLEMAGNE
raélites. La majorité de la population est réformée de confession et
dépend du consistoire de Detmold. Les luthériens sont au nombre
d'environ 8,000. — 23. La ville libre de Lùbeck est peuplée de 52,158 ha-
bitants (1871), dont 51,085 protestants, -400 catholiques romains,
8 catholiques grecs, 96 membres de sectes chrétiennes, 565 israélites
et 4 individus dont le culte n'a pu être constaté. La grande majorité
appartient à l'Eglise luthérienne. Un consistoire en partage avec le
sénat l'administration. Les réformés, au nombre de 300 environ, ont
une communauté dans la ville. — 24. La ville libre de Brème a
122,402 habitants (1871), dont 118,103 protestants, 3,550 catholiques,
284 membres de sectes chrétiennes et 465 israélites. La population
protestante compte environ cinq huitièmes de luthériens et trois
huitièmes de réformés ; mais ces derniers, les anciens habitants de la
ville, ont longtemps opprimé les premiers, venus du dehors. Aujour-
d'hui le rationalisme s'est emparé des uns et des autres, à peu d'excep-
tions près. 11 y a à Brème une Société de Missions. — 25. La ville libre
de Hambourg compte 338,974 habitants (1871) dont 306,553 protestants,
7,748 catholiques romains, 23 catholiques grecs, 3,143 membres de sectes
chrétiennes, 13,796 israélites, 22 ressortissants d'autres cultes, et 7,689
dont le culte n'a pu être constaté. Les luthériens sont au nombre d'en-
viron 300,000. Les paroisses de la ville ont chacune un pasteur et
3 diacres (pasteurs), de plus 12 diacres et 24 sous-diacres laïques. Les
diacres et sous-diacres des cinq paroisses forment le conseil des cent
quatre-vingts, les diacres seuls, le conseil des soixante qui a la part prin-
cipale à l'administration et au gouvernement de l'Eglise, et les trois plus
anciens diacres de chaque paroisse, le conseil des anciens. La banlieue
compte 19 pasteurs. Les réformés, au nombre de 5,000, ont trois pa-
roisses, allemande, française et anglaise. Les mennonites sont environ
au nombre de 1,000. La paroisse catholique relève directement du
pape, qui en délègue l'administration à Févêque de Munster. La majo-
rité de la population de Hambourg est malheuseusement tombée dans
le rationalisme. — 26. V Alsace-Lorraine (v. Alsace), 1 ,549,738 habitants
(1871), 270,699 protestants, 1,235,097 catholiques, 2,132 membres de
sectes chrétiennes, 40,928 israélites, 731 individus dont le culte n'a pu
être constaté. — La population totale de l'empire était en 1871 de
41,058,792 habitants, dont 25,581,623 protestants, 14,867,600 catho-
liques romains, 2,660 catholiques grecs, 79,496 membres de sectes chré-
tiennes, 51 2,160 israélites, 176 ressortissants d'autres cultes et 16,980 in-
dividus dont le culte n'a pu être constaté.
II. Après avoir été longtemps, au point de vue extérieur des choses
religieuses, un pays de tranquillité et presque d'immobilité, l'Allemagne
est devenue tout à coup la terre du changement et du désordre. Depuis
longtemps la nation avait, dans son ensemble, perdu le sens et l'amour
des réalités supérieures. Portée par les événements à la tête des affaires,
surexcitée par les canons du concile du Vatican, affolée par les victoires
de 1866 à 1871, la bourgeoisie nationale-libérale transporta dans les
rapports de l'Etat et de l'Eglise le froid utilitarisme dont elle était ani-
mée, tandis que le gouvernement obéissait à cette tendance à tout
ALLEMAGNE 187
absorber et à tout dominer, qui a toujours été uu des traits distinctifs
de la monarchie prussienne. Nous n'avons pas à entrer dans le. détail de
la lutte que le nouvel empire a entreprise contre Rome et qui, jusqu'à
ce jour, a causé peut-être plus de dommage à l'Eglise protestante qu'à
L'Eglise catholique; noliv rôle de statisticien se borne à donner des dates
et des laits. Immédiatement après la proclamation du dogme de l'infail-
libilité, les protestations commencèrent en Allemagne. Dès le 22 juillet
1870, la plupart des professeurs de l'université de Munich se déclarent
contre L'infaillibilité; le 27, le professeur Michaëlis de l'Académie de
Braunsberg lance un pamphlet contre le pape qu'il accusait d'hérésie;
le 9 août, Le gouvernement bavarois interdit la publication des déci-
sions du concile, avant qu'ait été accordé le placetum regium; le 18,
l'archevêque de Munich publie les décisions sans se préoccuper du
placet et, le 31 , les évèques allemands réunis à Fulda prennent la déter-
mination de se soumettre au décret de l'infaillibilité que la plupart
d'entre eux avaient repoussé dans le concile. Le 12 octobre a lieu à
Fulda une assemblée catholique qui proteste contre la spoliation du
pape par l'Italie. — 4 novembre. Pétition des évèques et chanoines de
Posen et de Gulm demandant à la Prusse d'intervenir en faveur du
pouvoir temporel du pape. Cette pétition est remise au roi à Versailles
par le comte Ledochowski, archevêque de Posen. — 22 novembre. Le
prince évêque de Breslau suspend trois professeurs de théologie,
MM. Baltzer, Heinkens et Weber qui refusent de reconnaître l'infailli-
bilité. — 2i novembre. L'archevêque de Cologne suspend le curé Tan-
germann, pour le même motif. — A- décembre. Le gouvernement saxon
défend la lecture de la lettre pastorale de l'évêque Forweck qui défend
les intérêts pontificaux. — 28 et 30 décembre. Le ministre des cultes
prend parti pour l'université de Berlin contre l'archevêque de Cologne
et déclare que ce dernier a dépassé la mesure de son autorité et qu'un
changement dans le règlement concernant les fonctions de professeur
à la faculté de théologie catholique ne peut avoir lieu sans le consente-
ment de TEtat. Tous ces événements se passent encore pendant la
guerre et les ultramontains y sont évidemment les agresseurs. Mais
bientôt la situation change. Le 13 juillet 1871, les vieux-catholiques de
Bavière réunis à Munich s'adressent au gouvernement pour demander
que l'Etat reconnaisse aux prêtres excommuniés le droit d'exercer des
fonctions ecclésiastiques» — 5 juillet. L'évêque d'Ermeland excommunie
le curé Wollmann. — 14 juillet. Le prince-évêque de Breslau excom-
munie le curé Kaminski. — 21 juillet. Le gouvernement maintient en
fonctions le curé Wollmann. — 22 juillet. Une lettre pastorale de
L'évêque d'Ermeland proteste contre cet abus de pouvoir. — 23 juillet,
le gouvernement accorde une église au curé Kaminski pour y célébrer
le culte vieux-catholique. — 29 juillet. Le Dr Dœllinger, chef des vieux-
catholiques bavarois, est élu recteur de l'université de Munich. — 27 août.
_\;. de Luis, ministre des cultes de Bavière, expose en réponse à l'arche-
vêque dr; Munich que l'Eglise doit être soumise en tout aux lois de l'Etat.
— 22-24 septembre. Congrès de vieux-catholiques à Munich. — 18 octo-
bre. Le roi répond aux évèques prussiens que les lois de, l'Etat régleront
188 ALLEMAGNE
d'une manière satisfaisante les droits et les devoirs de chacun dans
l'Etat.— 30 octobre. Les évêques affirment leur sympathie pour l'ordre
menacé des jésuites. — 15 novembre. Le Reichstag adopte la proposi-
tion Lasker qui étend la compétence de l'empire dans toutes les ques-
tions de droit civil. — 23 novembre. Première délibération au parlement
sur la proposition du gouvernement bavarois relative à la répression
des abus commis en chaire. Discours du ministre de Lutz sur l'anta-
gonisme de l'Eglise catholique et de l'Etat moderne. — 28 novembre.
Adoption de cette proposition. — 17 janvier 1872. Démission de M. de
Mùhler, ministre des cultes de Prusse. II est remplacé par le Dr Falk.
— 8-10 février. Délibération du Landtag prussien sur la loi de sur-
veillance des écoles. Discours de MM. Falk et de Bismarck qui dé-
noncent les agitations cléricales. — 14 mai. Discours de M. de
Bismarck sur le refus du pape d'agréer le cardinal de Hohenlohe
comme plénipotentiaire allemand auprès du saint-siége. — 14-19 juin.
Discussion au parlement de la loi relative aux jésuites. 181 voix contre
93 les livrent à l'arbitraire du gouvernement. — 4 juillet. Un arrêté du
ministre des cultes interdit les associations religieuses dans les établis-
sements supérieurs d'enseignement. — 5 juillet. Promulgation de la loi
qui exclut du territoire de l'empire la Société de Jésus et les congréga-
tions qui lui sont affdiées. — 8 juillet. Manifeste de la Société des
catholiques allemands de Mayence contre la loi sur les jésuites et contre
ia nouvelle politique de l'empire. — 28 août. Arrêté du ministre des
cultes étendant l'usage de la langue allemande aux écoles polonaises.
Dans le courant du mois, on a commencé à exécuter la loi contre
les jésuites. La dissolution des établissements existants donne lieu à
Mayence, à Essen et dans d'autres endroits à des protestations, à une
grande agitation et même à quelques désordres. La surexcitation de la
population catholique augmente de jour en jour. — 12 septembre.
L'évêque d'Ermeland refuse de participer à la fête du centenaire de la
réunion de la Prusse occidentale à la monarchie. — 22-26 septembre.
Conférence des évêques allemands à Fulda. Ils publient un mémoire
dans lequel ils prennent parti pour le pape contre l'empire. — ■
22-26 septembre. Congrès des vieux-catholiques à Cologne, présidé par
le professeur de Schulte, de Prague. — 25 septembre. L'évêque
d'Ermeland est privé de son traitement. Le gouvernement fait sa-
voir à l'évêque que cette mesure a été prise à cause de la diver-
gence de ses opinions sur ses devoirs envers l'Etat et les principes
fondamentaux de la monarchie. Protestation de l'évêque. — 30 dé-
ombre. En réponse à l'allocution du pape contre l'empire alle-
mand, le chargé d'affaires d'Allemagne auprès du saint-siége reçoit
Tordre de prendre un congé. — 7 février 1873. Le président de la
chambre des députés de Prusse, M. de Forkenbeck, fait savoir que tous
-les évêques prussiens ont adressé à la chambre une lettre collective
pour la prier de rejeter les projets de loi concernant l'instruction, la no-
mination et le pouvoir disciplinaire des ecclésiastiques. — 24-25 février.
Lors de la discussion du budget des cultes, les députés de Saucken,
Mùller et Yirchow, se prononcent contre le maintien du conseil supé-
ALLEMAGNE 189
rieur ecclésiastique comme contraire à la constitution. — 26 février.
M. Falk relève les assertions de M. de Gottberg qui considère les nou-
velles lois scolaires comme une violation de la constitution. — 1er mars.
M. Falk parle énergiquement contre les attaques des ultramontains.
Les articles 15 et 18 de la constitution sont modifiés conformément
aux désirs du gouvernement. — 17 mars. La chambre des députés de
Prusse vote en dernière lecture, et selon les désirs du gouvernement,
la loi concernant les limites dans lesquelles doivent s'appliquer les
moyens de discipline ecclésiastique. — 23 avril. Première discussion du
projet de loi concernant le mariage civil. — 11 août. Le docteur
Reinkens élu évêque des vieux-catholiques est consacré en Hollande
par levèque de Deventer. — 3 septembre. Réponse négative de l'em-
pereur à une lettre du pape du 7 août qui demande une modifica-
tion de la politique ecclésiastique allemande. — 19 septembre. L'Etat
reconnaît î'évêque Reinkens en qualité d' évêque des vieux-catholiques.
— 20 décembre. La chambre des députés prussienne vote par 208 voix
contre 110 la loi concernant l'introduction du mariage civil obligatoire.
— 29 janvier 1874. La chambre des députés accorde à I'évêque vieux-
catholique un traitement de 16,000 thalers. — 6 mars. Le Dr Eber-
hard, évêque de Trêves, est arrêté et conduit en prison par suite de
son opposition aux lois ecclésiastiques. — 14 avril. Le tribunal des
affaires ecclésiastiques prononce la destitution du comte Ledochowski,
archevêque de Posen. — 4 mai. Promulgation de la loi concernant la
défense de remplir illégalement des fonctions ecclésiastiques. — 6 mai.
Clôture de la discussion concernant l'administration des évêchés catho-
liques vacants. La loi est adoptée, le 9, par 257 voix contre 95. — 10 juil-
let. L'évêque Martin de Paderborn déclare qu'il ne se soumettra pas
au jugement du tribunal pour les affaires ecclésiastiques. — 21 juillet.
A la suite de l'attentat de Kullmann contre le prince de Bismarck, le
directeur de police de Berlin ordonne la clôture provisoire de toutes les
associations catholiques à Berlin ; en même temps le ministre ordonne
aux autorités de surveiller sévèrement les associations analogues en
province. — 22 août. L'évêque Ketteler de Mayence invite ses diocé-
sains à ne pas célébrer la fête de Sedan, parce que cette victoire a été
également une victoire remportée sur FEglise catholique. — 6-8 sep-
tembre. Congrès des vieux -catholiques à Fribourg en Brisgau. —
7 septembre. L'évêque Martin de Paderborn est invité par le président
suprême de Wesphalie à se démettre de ses fonctions ; il s'y refuse et
publie une lettre pastorale qui le fait condamner, le 21, à quatre mois
de détention dans une enceinte fortifiée. — 12 décembre. Arresta-
tion du député et journaliste catholique Majunke. — 49 décembre. Le
Journal officiel de l'empire publie une dépêche de M. de Bismarck du
1 i mai 1872 concernant l'élection du prochain pape. — 5 janvier 1875.
Le tribunal des affaires ecclésiastiques prononce la destitution de
l'évêque Mai lin de Paderborn. L'évêque est interné, le 19, à la forte-
resse de Wesel. — 25 janvier. Le Reichstag adopte par 207 voix con-
tre 72 la loi sur le mariage civil obligatoire dans tout l'empire. —
28 janvier. Les évêques bavarois adressent une protestation contre Fin-
190 ALLEMAGNE — ALLEN
troduction de cette loi. — 4 février. Saisie et interdiction des mande
ments des évêques de Metz et de Strasbourg. — 5 février. Une ency-
clique du pape encourage les évêques allemands dans leur résistance.
— 16 février. Discussion sur la loi sur l'administration des biens des
paroisses catholiques. — 24 février. Saisie des journaux ayant reproduit
l'encyclique du 5 février. — 2 mars. Le pape adresse aux évoques
allemands une lettre collective dans laquelle il les remercie de leur
déclaration contre la dépêche du prince de Bismarck sur l'élection du
prochain pape. — 4 mars. Le gouvernement dépose sur le bureau de
la chambre un projet de loi portant suppression des allocations fournies
par l'Etat aux ecclésiastiques catholiques. — 14 mars. Le ministre des
affaires étrangères invite l'ambassadeur d'Allemagne à Rome à appeler
l'attention du gouvernement italien sur les dangers qui résultent pour
les autres Etats des privilèges garantis au pape. — 16 mars. Première
lecture de la loi supprimant, les allocations au clergé catholique.
Discours passionné de M. de Bismarck. — 2 avril. Conférence des évêques
à Fulda. Ils protestent contre la loi supprimant les allocations. Cette
loi est votée définitivement le 6 avril. — 15 avril. Note remise à la
Belgique concernant l'immixtion de sujets belges dans la politique
religieuse allemande. — 27 mai, Le gouvernement bavarois défend les
processions à l'occasion du jubilé du pape. — 29 mai. Le président
supérieur de Westphalie invite Eévêque de Munster à résigner ses fonc-
tions. — 4 juin. Le gouvernement badois interdit aux processions de
sortir des églises. — 10 juin. Le prince-évêque de Breslau est condamné
à 2,000 marcs d'amende pour avoir excommunié le curé Kick... — Biblio-
graphie. Tous les renseignements contenus dans cet article sont em-
pruntés aux actes et documents officiels. E. Vaucher.
ALLEN (Guillaume), surnommé le cardinal anglais, l'un des plus
grands adversaires de la réformation anglaise au temps d'Elisabeth,
naquit à Rossai, comté de Lancastre, en 1532, et fit ses études au
collège d'Orick, à Oxford, 1547. Il fut un des plus violents ennemis du
réformateur Cranmer, et son zèle lui assura un avancement rapide
sous le règne de Marie la Sanglante, qui le nomma chanoine d'York,
en 1558. Sacrifiant sa patrie à son zèle pour l'Eglise de Rome et pour
les jésuites, il se réfugia à Louvain, en 1560, et commença la publica-
tion de ses pamphlets et traités, dont l'un renferme la défense du
dogme du purgatoire. Rentré secrètement en Angleterre en 1565, son
audace le fit découvrir et il n'échappa qu'avec peine aux soldats en-
voyés contre lui. Après un court séjour à Malines, il fondia en 1568,
à Douai, un collège de jésuites, qui compta bientôt cent cinquante
élèves et douze professeurs, pépinière des agents secrets envoyés
chaque année en Angleterre pour affermir la foi des catholiques
et provoquer des prises d'armes contre le gouvernement d'Elisabeth.
Chassé de Douai par les menaces de la diplomatie anglaise, Allen
transporta son école à Reims, sous la protection de l'archevêque
Charles de Guise, cardinal de Lorraine, et releva pendant quelques
années l'antique prestige universitaire de cette métropole (voy. Flo-
doard, Hist. de Reims). Le pape Grégoire XIII le nomma chanoine et
ALLEN — ALLIANCE 191
lui confia la mission de fonuYr dos écoles semblables à Rome et à
Madrid. Allen multiplia les brochures dans lesquelles il déclare, entre
autres, déchus de leurs droits naturels les parents et les souverains
hérétiques. L'un de ces traités parut en français à Lyon. Les jésuites
Person et Gampien se tirent les propagateurs de ses écrits en Angle-
terre, et provoquèrent de la part d'Elisabeth une résistance qui se ma-
nifesta par le supplice de nombreux disciples d'Allen. Celui-ci encou-
ragea les efforts de Philippe II et de son armada. Son manifeste de 1588
souleva une réprobation unanime en Angleterre. Elevé par le roi
d'Espagne au siège de Malines avec droit de résidence- à Rome, Allen
y vécut jusqu'en 1594, année de sa mort, au sein d'une opulence et
d'une faveur, qu'il employa jusqu'à la fin, quoi qu'on en ait dit, au
service des ennemis du gouvernement de son pays. — Voy. L. Ranke,
Die rœmischen Pxpste, Berlin, 1852; Lingard, History of England,
VOl. VI SS. A. Paumier.
ALLEN ('Guillaume), éminent quaker et philanthrope du commence-
ment du siècle, né à Londres, le 29 août 1770. Dès l'âge de quatorze
ans il fit preuve des plus grandes aptitudes scientifiques, auxquelles se
joignait une piété profonde développée par sa mère, et dont nous
avons de nombreux témoignages dans son diairc ou journal, qui em-
brasse une période de cinquante années. Pendant sa longue carrière,
qui prit fin le 30 décembre 1843, William Allen fit sur le continent
huit voyages et visita la Hollande, l'Allemagne, les Etats du Nord, la
Russie, la Suisse, la France, l'Espagne et POrient. Il entretint des re-
lations suivies avec les philanthropes de son temps, Krafft, de Stras-
bourg, Oberlin, de Gérando, l'abbé Gautier, etc. Dans deux entrevues il
plaida auprès de l'empereur Alexandre la cause de la paix et de l'hu-
manité. Il n'est pas de question sociale qu'il n'ait abordée : éduca-
tion par la fondation d'écoles populaires ayant la Bible pour base,
d'écoles du dimanche et de colonies agricoles; caisses d'épargne
pour le peuple; amélioration du sort des prisonniers par des visites
et surtout par la fondation d'un reformalory dont il posa la pre-
mière pierre le 20 janvier 1816 ; abolition de la peine de mort.
Il poursuivit avec un zèle infatigable l'abolition de la traite des nègres.
Pour assurer au peuple des lectures saines et instructives, il publia des
traités, des journaux, entre autres, le Philanthrope, encouragea les
aiers travaux de la Société des Livres religieux de Toulouse, ré-
digea des articles populaires sur l'épargne, la vaccine, la méthode
i>ter, plaida tour à tour la cause des Vaudois du Piémont, des
Grecs, des Irlandais. Membre zélé de la Société des Amis, au sein de
laquelle il remplit les fonctions les plus élevées, chef d'un grand éta-
blis9emen( industriel, il fit des cours scientifiques à Guy's hospital, à la
Société des sciences de Londres, dont il devint membre, sur la pro-
position d'Humplney Davy. Marié trois fois, il eut la douleur de sur-
vimc a presque tous les membres de sa famille. — Voy. Biofjr. de
W. Allen, par de Pélice, Toulouse, 18(3*.). A. Paumier.
ALLIANCE. Cette expression est prise au propre et au figuré, pour les
principes et pour les doctrines, comme pour les individus. La Bible
192 ALLIANCE
s'en sert très-souvent avec des acceptions diverses dont voici les prin-
cipales. Par ce mot elle désigne : 1° des rapports entre des individus
(Gen. XIV, 13; 2 Chron. XVIÏI, 1); 2° des rois avec les peuples et
des peuples avec les rois, qu'ils appartiennent ou qu'ils n'appartiennent
pas à la même cause (2 Chron. XXIII, 16 ; Exode XXXIII, 12) ; 3° l'union
d'un homme et d'une femme, par le mariage (Mal. II, 14) ; 4° l'union
des cœurs par l'amitié (1 Sam. XVIII, 3). Mais c'est surtout de l'alliance
de Dieu avec les hommes que la Bible nous parle fréquemment. Comme
un roi s'unit avec ses sujets, Dieu fait alliance avec les hommes. Tan-
tôt cette alliance est conclue avec des individus : Abraham (Gen. XV, 18) ;
Phinées, (Nomb. XXV, 13); Lévi (Mal. II, 4; Nomb. III, 11, 12);
d'autres fois c'est avec un peuple qui, pour ce motif, prend le nom
de peuple de Dieu (Exode XIX). Comme dans toute alliance il y a tout
au moins deux parties contractantes, ici ceux entre qui se passe le
contrat sont l'Eternel et le peuple. Dieu promet assistance et protec-
tion, Israël promet obéissance et soumission : « Je serai votre Dieu et
vous serez mon peuple, je vous donnerai des lois et vous les observerez »
(Lév. XXVI, 12). Cette alliance fut conclue à Sinaï, par l'intermédiaire
de Moïse, qui en est appelé le médiateur, et le peuple fit cette promesse
à Moïse : « Nous ferons tout ce que l'Eternel a dit. » Bien qu'il soit parlé
de beaucoup d'alliances que Dieu a faites avec des hommes, toutes se
rapportent à l'alliance mosaïque dont elles ne sont que des parties
intégrantes, comme qui dirait les branches d'un arbre ou les membres
qui constituent un corps ; elles se rattachent à celle-ci qui est appelée
par excellence, l'alliance (berit). Comme elle est fondée sur la loi,
c'est-à-dire sur la manifestation que Dieu a faite de sa volonté, elle est
appelée Y alliance de la justice. Cette alliance fut promulguée avec un
éclat dont on peut lire la description dans le XXIVe chapitre du livre
de l'Exode. Cette loi écrite dans un livre appelé livre de l'alliance
(séphèrhabberit) dut être renfermée dans une arche appelée arche
de V alliance (aron berit) , et Moïse ayant pris une partie du sang des
taureaux qui avaient été offerts en sacrifice, le répandit sur le peuple
en disant : a Voici le sang de l'alliance que l'Eternel a faite avec vous. »
Cette alliance fut renouvelée à l'extrémité du désert (Deut. XXIX).
Comme l'alliance faite à Noé, lors du déluge, et avec Moïse, lors de la
sortie d'Egypte, avait eu un signe, l'arc-en-ciel et l'agneau pascal,
l'alliance conclue avec le peuple d'Israël dut être rappelée à chacun
de ses membres par la circoncision. « Tout mâle parmi vous sera cir-
concis » (Gen. XVII, 10), et cette alliance est appelée pour ce motif
l'alliance de la circoncision (Actes VII, 8). — Cette alliance dont il est
si souvent parlé dans l'Ancien Testament n'était pour ainsi dire que
la figure et la préparation d'une autre qui devait la développer et la
remplacer (Jér. XXXIII, 31-37). « Les jours viennent, dit l'Eternel, que
je traiterai avec la maison d'Israël et la maison de Juda une alliance
nouvelle. » Cette alliance est mise en parallèle avec celle de Sinaï, ses
lois seront écrites dans les cœurs et non sur des tables de pierre ; elle
sera fondée sur le pardon des péchés, et elle aura pour cause la bonté
de l'Eternel qui est aussi certaine et invariable que les lois qu'il a don-
ALLIANCE - ALLIANCE ÉVANGÉLIQUE 103
nées à la nature en créant l'univers. Cette alliance à intervenir sera
une alliance de paix qui ressemblera à celle de Noé dans ce sens que
si, dans la première, Dieu promet qu'il n'enverra plus les eaux pour
détruire la terre, dans la seconde il promet de ne plus s'irriter et as-
sure qu'il maintiendra son amour (Esaïe LIV, iO). Cette alliance sera
pour tous les peuples et non pour un peuple seulement. Toutes les na-
tions de la terre seront bénies en Abraham (Gen. XIÏ, 3); le Rédemp-
teur, le Messie promis viendra de Sion (Esaïe LX, 20), et, comme le dit
Siméon, il sera la lumière des nations et la gloire du peuple d'Israël
(Luc II, 32). L'Eternel sera fidèle, alors même que les hommes ne le
seraient pas; il punira ceux qui l'offenseront, mais il ne retirera pas sa
bonté (Ps. LXXXIX, 35). Cette alliance de grâce, préparée par la pré-
dication de Jean-Baptiste et fondée par Jésus-Christ, prend le nom
d'alliance nouvelle (•?) jweivy] Aiaôr;/,-/)). Jésus-Christ en est le médiateur
comme Moïse fut le médiateur de l'ancienne. Elle est supérieure à la pré-
cédente par le sacerdoce exceptionnel de son fondateur et par son éten-
due, puisque les gentils seront appelés à y prendre part comme les Juifs.
Les conditions sont la repentance et la foi. Au reste, elle se rattache à
l'ancienne par la forme comme par le fond. L'Evangile sort de la loi,
le salut vient des Juifs, l'alliance nouvelle fut instituée pendant qu'on
célébrait l'ancienne pâque. La sainte Cène est destinée à perpétuer le
souvenir de la mort du Christ, comme la célébration de la pâque juive
devait conserver le souvenir de la sortie d'Egypte. Il n'est pas jusqu'à
la victime du sacrifice qui ne fasse ressortir le rapport qui existe entre
les deux. Jésus est appelé l'agneau sans tache qui ôte les péchés du
monde; et son sang, comme celui des victimes anciennes, doit être
répandu sur le peuple, mais d'une autre façon : «Prenez, mangez, ceci
est mon corps ; buvez, ceci est mon sang, le sang de la nouvelle
alliance... Le sang du Christ purifie de tout péché... Si vous ne mangez
ma chair et si vous ne buvez mon sang, vous n'aurez point de part avec
moi. » — Le mot àu&fptv), qui signifie alliance, signifie aussi testament.
Cette dernière traduction a prévalu pour désigner le volume sacré,
tandis que la première avait obtenu la préférence chez nos pères du
seizième et du dix-septième siècle. C'est pourquoi nos Bibles impri-
mées, il y a deux cent cinquante ans, portent les noms d'Ancienne et
de Nouvelle Alliance, tandis que les modernes paraissent sous les titres
d'Ancien et de Nouveau Testament. Les Bibles hébraïques ne le portent
pas. Cette innovation remonte à la traduction des Septante. Ces inter-
prètes ont écrit : Y) rSkcàcL AtaO/j^Y). Ph. Corbière.
ALLIANCE ÉVANGÉLIQUE. I. La fondation et les premiers développe-
ments de l'alliance évangélique appartiennent déjà à l'histoire. Depuis
plu- de quarante ans, en effet, dans diverses contrées de l'Europe et de
l'Amérique, des chrétiens distingués par leur science ou par leur piété
cherchaient les moyens de manifester, d'une manière extérieure, l'u-
nité fondamentale qui existe entre les chrétiens évangéliques, à quelque
dénomination qu'ils appartiennent. En Suisse, le professeur Louis
Gaussen ; en Allemagne, le docteur Kniewel, de Dantzig ; en France,
les pasteurs Fisch et Frossard ; en Angleterre, les Rev. Steward, de
194 ALLIANCE ÉVANGÉLIQUE
Liverpool, James, de Birmingham, et Liefchild, de Londres; aux
Etats-Unis, les docteurs Schmucker et Patton, ou publiaient des écrits
sur ce sujet ou invitaient leurs frères à des réunions de prières desti-
nées à la fois à proclamer et à provoquer l'union qui existe entre tous
les chrétiens. En février 184-3, une immense assemblée se réunit à
Londres, dans la grande salle du Centenary-Hall, et décida pour le mois
de juin suivant un meeting d'alliance dans Exeter-Hall. Les hommes
les plus éminents de leurs communions respectives prirent part à cette
convocation qui fut un pas décisif dans la voie du rapprochement.
L'Ecosse ne demeura pas étrangère à ce généreux mouvement. Déjà,
en 1842, l'Eglise presbytérienne d'Ecosse avait nommé un comité
chargé de nouer des communications fraternelles avec les autres Eglises
chrétiennes. La disruption de 1843 ne fit qu'accentuer ce besoin d'u-
nion, et, en juillet de la même année, naquit dans une grande solen-
nité destinée à commémorer l'anniversaire bi- centenaire de West-
minster, le projet d'une vaste conférence qui réunirait, des contrées
les plus lointaines, les chrétiens décidés à se tendre une main d'asso-
ciation. Cette pensée germa dans les cœurs. Aussi, lorsqu'elle fut for-
mulée par le docteur Patton, d'Amérique, en une proposition positive
de convoquer cette assemblée dans la métropole de l'Angleterre, elle
produisit à peine quelque étonnement. Un comité écossais proposa,
dans un appel du 5 août 1845, qu'une réunion préliminaire se tînt à
Liverpool pour discuter les bases d'une grande conférence œcuménique.
Deux cent seize personnes, appartenant à vingt dénominations diffé-
rentes, répondirent à cette invitation et siégèrent ensemble à Liverpool
du 1er au 3 octobre. Une série de résolutions furent arrêtées, et un
comité provisoire fut chargé de préparer pour l'année suivante, à
Londres, une assemblée universelle des chrétiens évangéliques. — Le
19 août 1846, la grande salle de Freemason's-Tavern s'ouvrit aux délé-
gués de cinquante dénominations ou Eglises différentes. Presbytériens
et congrégationalistes réformés, épiscopaux, luthériens, baptisles, wes-
leyens, calvinistes, méthodistes, moraves, etc., étaient représentés
par neuf cent vingt pasteurs ou laïques venant de toutes les contrées
de la Grande-Bretagne, de presque tous les Etats de l'Union américaine,
de la France, de la Suisse, de l'Allemagne, de la Belgique, du cap de
Bonne-Espérance, de l'Inde même. Des hommes jouissant dans leurs
Eglises d'une grande autorité siégeaient dans ce congrès chrétien. Du
continent on y voyait les pasteurs et professeurs Tholuck, Ad. Monod,
de Laharpe, Fisch, L. Bonnet, Barth de Calw, Marriot, Treviranus,
Kuntze, etc.; d'Angleterre et d'Ecosse, les Rev. Baptiste Noël, Bic-
kerstheth, Gummigham, Candlish, Angell James, King, Liefchild,
John Henderson, sir Culling Eardly Smith ; d'Amérique, les docteurs
Cox, Patton, Baird, Schmucker, etc. La conférence de Londres, qui
revendiquait le caractère d'une assemblée constituante, discuta et vota
dans dix-neuf séances, du 19 août au 2 septembre, une série de résolu-
tions, que l'on peut grouper autour des quatre chefs principaux :
1° formation de l'alliance ; 2° base de l'alliance ; 3° objet de l'alliance;
4° organisation de l'alliance. Les discussions auxquelles ces divers
ALLIANCE ÉVANGÉLIQUE 195
pointa donnèrent lieu furent toutes empreintes de franchise et de cordia-
lité. Il fut bien établi qu'il ne s'agissait ni de fonder une confédération
d'Eglises, une Eglise nouvelle, ni d'opérer, une fusion dos Eglises, mais
de proclamer l'unité essentielle de V Eglise de Dieu dans la diversité de
ses manifestations extérieures. C'est du reste ce qu'expriment nettement
les résolutions votées le second jour (voyez : E van g elical alliance, 1840,
Report of the proeeedings, p. AÀ, î>4, (U). Sans vouloir arrêter une base
doctrinale absolue, il importait cependant que l'assemblée signalât les
grandes vérités de la foi qu'elle considérait comme le fondement de
l'union de ses membres. Le but de l'alliance, comme on l'a dit (L. Bon-
net , L Unité par le lien de la paix et de l'esprit, p. 47), était de confesser
la vérité aussi bien que de cultiver la charité, et pour cela elle devait
confesser sa foi (Report, p. 77 ss.). Il fut en outre distinctement en-
tendu : 1° que ce court résumé, comprenant les principales doctrines
évangéliques, ne doit nullement être regardé comme une confession de
foi, dans le sens ecclésiastique, et que son adoption ne doit point être
considérée comme présumant le droit de fixer les limites de la frater-
nité chrétienne, mais qu'il est destiné simplement à indiquer la classe
de personnes qu'il est désirable, généralement parlant, de voir entrer
dans l'alliance; 2° qu'il ne faudrait pas conclure du choix qu'a fait
la conférence de certains points de doctrine à l'exclusion de certains
autres, ni que les premiers constituent le corps entier des vérités im-
portantes, ni que les autres soient indifférents {Report, p. 170). Il
restait à la conférence à définir l'objet et l'organisation de l'alliance
qu'elle venait de fonder. Elle le fit en termes émus : « Comme la pro-
position de travailler à l'union, disent les minutes de la conférence
(Sessions XI, XII, XIII;, émane principalement d'un sentiment univer-
sel parmi les chrétiens, celui de leur coupable négligence pratique du
« nouveau commandement » de notre Seigneur à ses disciples : Aimez-
vous les uns les autres; comme les membres de l'alliance désirent con-
fesser avec douleur la part qu'ils ont prise à ce péché, le premier
objet de l'alliance doit être de rendre plus profonde dans le cœur de
ses propres membres, et, par leur influence, de répandre parmi tous
les disciples de Jésus-Christ cette conviction de péché que l'Esprit de
Dieu semble maintenant réveiller en tout lieu dans l'Eglise ; afin que,
s'humiliant de plus en plus devant le Seigneur, tous se sentent pressés,
en toute occasion convenable, de confesser leur culpabilité à cet égard,
et d'implorer par les mérites et l'intercession de leur Sauveur le pardon
des offenses passées, aussi bien que la grâce divine, qui peut seule les
conduire à mieux cultiver cet amour des frères, enjoint à tous ceux
qui, aimant le Seigneur Jésus, sont liés par là même à s'aimer les uns
les autresb, pour l'honneur de la vérité qu'ils professent. Le grand objet de
l'alliance évangélique doit être de contribuer à manifester autant que
possible l'unité qui existe parmi les vrais disciples du Christ. » Dans le but
d'avancer eel objet, on décida que l'alliance recevrait, sur les progrès
delà vraie religion dans toutes les parties du monde, les informations
que des frères chrétiens seront disposés à leur communiquer; à cet
efifef une correspondance serait établie avec ces frères chrétiens de
196 ALLIANCE ÉV ANGÉLIQUE
divers pays, particulièrement avec ceux qui peuvent se trouver dans des
difficultés ou des persécutions pour la cause de l'Evangile, afin de leur
offrir les encouragements de la sympathie et de réveiller l'intérêt pu-
blic en leur faveur. Comme moyens subordonnés d'atteindre le môme
grand objet, l'alliance devait s'efforcer d'exercer une influence salu-
taire sur les progrès du protestantisme évangélique, sur la lutte contre
l'incrédulité, le romanisme et telles autres formes de superstition,
d'erreur et de mondanité, en particulier contre la profanation du jour
du Seigneur. La question d'organisation, la plus simple de toutes,
semblait-il, faillit briser l'alliance qui venait d'être conclue. On était
alors fortement préoccupé en Angleterre et aux Etats-Unis de la sup-
pression de l'esclavage, et quand iLs'agit de déterminer les conditions
requises pour faire partie de l'alliance, un ministre baptiste de Londres,
le Rev. Hinton, demanda que les propriétaires d'esclaves en fussent
exclus. Les délégués américains déclarèrent à la conférence qu'ils ne pou-
vaient assumer vis-à-vis de leur pays la redoutable responsabilité de cet
amendement, et l'on allait se séparer, lorsque, après d'ardentes prières,
on résolut de laisser à chaque branche le soin et la liberté de son orga-
nisation intérieure , sans engager par là la responsabilité des autres
branches. Le royaume -uni de la Grande-Bretagne et de l'Irlande,
— les Etats-Unis d'Amérique, — la France, la Belgique et la Suisse
française, — le nord de l'Allemagne, — le midi de l'Allemagne et la
Suisse allemande, — l'Amérique anglaise, — les Indes occidentales,
furent désignés comme devant former sept grandes branches qui en-
tretiendraient entre elles une correspondance officielle, dans la vue
de coopérer et de s'encourager mutuellement dans leur commun
objet, et l'on renvoya jusqu'à une autre conférence générale les
détails de l'organisation définitive de l'alliance évangélique qui venait
d'être fondée. L'assemblée de Londres ne se sépara pas avant d'avoir
voté une série de résolutions générales ou conseils destinés à exhorter
les membres de l'alliance au support, à la bienveillance et à l'esprit
de pardon. Elle invita en particulier « tous les ministres de l'Evangile,
tous les rédacteurs de publications religieuses, et tous ceux qui exercent
quelque influence sur les diverses dénominations chrétiennes, à veiller
davantage sur ces péchés du cœur, de la langue ou de la plume envers
les chrétiens appartenant à d'autres Eglises, et à répandre avec plus
de zèle autour d'eux un esprit de paix, d'union et d'amour. » Ainsi
fut fondée l'alliance évangélique. — Les années qui suivirent la confé-
rence de Londres furent des années de semailles. En Grande-Bretagne
et sur le continent, quelques associations se formèrent, mais l'Amé-
rique n'accueillit pas l'alliance à cause de la question de l'esclavage, et
l'Allemagne s'y montra ou hostile ou indifférente. En France et en
Suisse, elle fit peu de progrès. La base dogmatique arrêtée à Londres y
parut aux uns trop étendue, à d'autres, pas assez affirmative. Deux ou
trois de ses articles touchaient à des points controversés entre chré-
tiens, et laissaient en dehors des membres vivants du corps du Christ ;
aussi, après de longues discussions dans les divers comités de la branche
française, celle-ci abandonna, en 1854, la base première et lui sub-
ALLIANCE ÉVANGÉLIQUE 197
stitua les principes fondamentaux suivants qui, dès lors, leur ont servi
de drapeau : « La branche française de l'alliance évangélique admet au
nombre de ses membres tous les chrétiens qui, voulant vivre dans
l'amour fraternel, expriment l'intention de confesser avec elle, confor-
mément aux Ecritures inspirées de Dieu, leur foi commune au Dieu
Sauveur : au Père, qui les a aimés et qui les justifie par grâce, par la
foi en son Fils ; au Fils, qui les a rachetés par son sacrifice expiatoire,
et au Saint-Esprit, Fauteur de leur régénération et de leur sanctiiication,
un seul Dieu béni éternellement, à la gloire duquel ils désirent con-
sacrer leur vie. » On en était à ce temps des petits et difficiles commence-
ments, lorsque l'Angleterre se prépara à réunir dans sa capitale la
première exposition universelle de l'industrie. La pensée de profiter de
cette assemblée des peuples, pour convoquer en même temps à Londres
une sorte de congrès fraternel, sans caractère officiel, fut formulée, en
mai 1850, par le pasteur R.-H. Herschell, et trouva aussitôt un écho
sympathique, même au delà des mers. Le plan se mûrit, des invitations
nombreuses furent envoyées au près et au loin, et sur la proposition du
docteur Baird, de New- York, il fut résolu qu'on demanderait à des
hommes bien qualifiés des mémoires sur l'état religieux de leurs pays
respectifs. L'assemblée considérable qui se trouva réunie le 20 août 1851 ,
dans la grande salle de Freemason's-Tavern, où, cinq ans auparavant,
l'alliance avait été fondée, prouva que l'arbuste pour être frêle encore
était destiné à devenir un grand arbre qui couvrirait la terre de ses
branches. La France, la Suisse, FAllemagne, la Belgique, la Hollande, la
Suède, la Pologne, l'Italie, les Etats-Unis, le Cap, les Indes, Tunis, Alger,
la Chine, la Syrie, comptaient à cette assemblée cent quatre-vingt-six
représentants. Les sessions de la conférence durèrent du 20 août au
3 septembre. Un puissant esprit de fraternité anima toutes ses délibé-
rations; un vivant intérêt pour le règne de Dieu fut excité par cette
vaste revue de toutes les Eglises; la cause des conférences œcumé-
niques de l'alliance fut gagnée par ce premier essai, et Ton se sépara
avec l'espérance d'un prochain revoir. Dès lors, Paris en 1855, Berlin
en 1857, Genève en 1861, Amsterdam en 1867 et New- York en 1873,
ont eu leur congrès de l'amour chrétien. Chacune de ces grandes assises
de l'alliance a été une victoire en faveur de son principe. Partout elles
se sont légitimées par les bienfaits qu'elles ont laissés à leur suite. Ces
diverses conférences, dans le détail desquelles nous ne pouvons entrer,
ne se sont pas bornées à entendre des travaux de statistique religieuse ;
les questions les plus actuelles et les plus importantes pour l'Eglise et
pour fa société y ont été abordées et discutées : à Paris, la liberté
religieuse; à Berlin, le sacerdoce universel des chrétiens et le droit
de manifester sa foi; à Genève, l'observation du jour du repos, la
condition des classes laborieuses, le scepticisme moderne, l'union de
la doctrine et de la vie; à Amsterdam, l'école et la Bible, le prin-
cipe de la société moderne et le principe chrétien, la morale indé-
pendante, la philanthropie chrétienne, les missions et la civilisation;
a New-York, l'union des chrétiens, la prédication dans les temps ac-
tuels, le christianisme et ses adversaires, la vie chrétienne, le christ ia-
198 ALLIANCE ÉVANGÉLIQUE
nisme et les gouvernements civils. Tous ces travaux, fruits de re-
cherches ou de méditations approfondies, ont été publiés dans le
compte rendu des diverses conférences, et répandus par la voie des
journaux sur toute la face de la terre. — Ces congrès de l'alliance, en
attirant sur elle l'attention des peuples et des gouvernements, lui ont
permis de poursuivre, d'une manière efficace, l'un des buts importants
qu'elle s'était proposés dès sa formation : celui de la protection des
minorités religieuses et des individus chrétiens. Dès 1847, le comité de
Paris demandait au pape et obtenait la libération du docteur Achilli,
enfermé dans le château Saint- Ange, pour avoir distribué la Bible ; il
intercédait sans succès, il est vrai, auprès du roi de Suède en faveur du
pasteur NilssOn, persécuté dans son pays pour avoir, par motif de
conscience, abandonné l'Eglise nationale. En 4855, une députation
solennelle se rendait auprès du duc de Toscane et préparait l'élargisse-
ment des époux Madiaï condamnés à la peine des travaux forcés, pour
avoir embrassé « la religion évangélique ou du pur Evangile. » En 1863,
des démarches plus retentissantes encore auprès de la reine d'Espagne
firent commuer, en la peine de l'exil, la condamnation aux galères pro-
noncée contre Matamoros et ses compagnons de foi. Indépendamment
de ces faits, l'alliance a fait entendre sa [voix, à Gonstantinople, pour
obtenir la liberté de religion aux chrétiens soumis au joug ottoman ; en
Perse, en faveur des nestoriens ; à Berlin, en Suède et en Suisse, en
faveur des baptistes persécutés ; à Saint-Pétersbourg, pour conserver
aux chrétiens de l'Esthonie et de la Livonie leur confession religieuse ;
en Afrique et dans la Nouvelle-Calédonie, en faveur des missionnaires
français et anglais entravés dans leur œuvre, etc., etc. Fidèle gardienne
des droits de la conscience, l'alliance évangélique, toujours prête à les
sauvegarder, est devenue dans le monde une institution respectée. Elle
exerce auprès des gouvernements une influence à laquelle aucune Eglise
isolée ne saurait prétendre. — Si des faits extérieurs nous passons à
la vie intérieure des diverses dénominations religieuses, nous voyons
que l'action de l'alliance s'y est aussi fait sentir. Les réunions de prières
convoquées par elle depuis 1857, pour la deuxième semaine de janvier,
ont beaucoup contribué au rapprochement des chrétiens. Des œuvres
nombreuses d'évangélisation, de mission, d'éducation ou de relèvement
se sont constituées dans son esprit et ont mis en contact des hommes
qui jusque-là s'ignoraient et se combattaient. Sans ébranler la notion
d'Eglise, elle a rappelé qu'au-dessus des Eglises particulières règne la
grande Eglise des rachetés de Jésus-Christ. La controverse a pris un
caractère plus modéré. Bien des pierres de scandale ont été écartées ;
l'alliance tend à devenir de plus en plus, ce que Vinet disait du chris-
tianisme, « une école de respect mutuel. » Aujourd'hui, grâce à ces
bienfaits, par lesquels elle s'est légitimée, l'alliance compte des asso-
ciations qui représentent son principe dans presque tous les pays où le
christianisme s'est établi. Les branches de langue anglaise ont pris
un développement considérable des deux côtés de l'Atlantique ; la
branche française qui ne comprend plus que la France et la Belgique
(la Suisse formant, depuis le 28 octobre 1875, une branche séparée),
ALLIANCE ÉVANGÉLIQUE 199
compte aussi dos conquêtes. L'Allemagne, PItalie, l'Espagne, l'Orient
voient se multiplier les organisations de district. La Chine et le Japon
sont aussi ouverts à L'alliance. Il peut paraître désirable que l'alliance
évangélique s'affirme un jour par quelque grande œuvre commune.
Pour l'heure, elle poursuit celle que saint Paul qualifie d'œuvre par
excellence, celle de « l'amour. » L. R.ttffet.
II. La guerre de IS70-71 entre la France et l'Allemagne amena un
dissentiment sérieux entre les chrétiens des deux pays, au point de
rompre le lien de l'alliance évangélique qui les unissait les uns aux
autres. Au mois d'octobre 4871, une grande conférence de protestants
d'Allemagne eut lieu à Berlin, dans le but d'examiner le profit spirituel
que l'on pouvait tirer des faits glorieux accomplis avec l'aide de Dieu
pendant la guerre. A cette conférence assistaient trois délégués du
comité de .Neuchatel qui crurent devoir profiter de cette occasion
pour faire une tentative de rapprochement entre ceux que les événe-
ments politiques venaient de diviser. Ils se chargèrent d'une lettre des
chrétiens d'Allemagne à leurs frères de France, dans laquelle les
premiers, déplorant profondément les maux et les souffrances que la
guerre avait inévitablement amenés, exprimaient l'espoir qu'une récon-
ciliation pourrait avoir lieu dans un avenir prochain. Le comité de
l'alliance évangélique de Paris répondit à cette démarche par une
lettre en date du 10 mai 1872 dont nous reproduisons la fin. Après
avoir constaté que la principale cause de la rupture se trouvait
dans le fait de l'annexion à l'empire allemand de F Alsace-Lorraine au
mépris de la volonté expresse de ses habitants, fait approuvé et glorifié
par toute la presse évangélique allemande ; qu'il n'était pas possible de
se réunir de nouveau autour d'une formule dogmatique, alors qu'on
différait profondément sur une question de morale et de la morale la
plus élémentaire ; que l'on ne pourrait d'ailleurs songer à défendre
ensemble le droit des consciences en Suède, en Italie, en Espagne, en
Russie, pendant que des milliers de consciences en Alsace et en Lor-
raine étaient impitoyablement torturées, la lettre concluait ainsi :
« Lorsque l'Eglise chrétienne, laissant tomber de ses mains le flambeau
de la justice, met contre elle la conscience humaine, non-seulement
elle déshonore, autant qu'il est en elle, le nom de son chef, mais encore
• llr se condamne elle-même, au sein du monde, à une impuissance
justement méritée. Malheur, en particulier, à notre glorieuse Réforme,
m entre ses fils il ne s'en levait point aujourd'hui pour déclarer que
lacté de violence accompli en Alsace et en Lorraine par une nation en
majorité protestante est pour eux et pour leur cause un opprobre bien
lourd à porter!..'. Quoi qu'il en soit, le droit est le droit, la justice est
la justice, l'Evangile est l'Evangile, et sans vouloir porter un jugement
sur la foi de frères, à nos yeux déplorablement égarés, nous avons le
devoir de dire a ces frères lorsqu'ils reviennent à nous : Vous avez
déchiré devant Dieu et devant les hommes la charte qui nous unissait,
car la première des alliances évangéliques, c'est celle de l'Evangile et
de la justice! » Vu nouvel essai de réconciliation, tenté au congrès de
New-York en 1873, n'aboutit pas davantage; les délégués français, et
200 ALLIANCE ÉVANGÉLIQUE — ALLUT
parmi eux le seul délégué que l'Alsace évangélique eût envoyé au delà
de l'Océan, protestèrent énergiquement contre l'interprétation que les
journaux américains avaient donnée à la poignée de main que le docteur
Christlieb, de Bonn, dans un moment d'effusion, avait arrachée à M. le
pasteur Fisch. Le 43 juin 1876 enfin, le comité de l'alliance évangé-
lique de Paris repoussa à l'unanimité, comme inopportune, la propo-
sition qui lui était faite par le comité de Londres de convoquer une
conférence œcuménique à Paris, à l'occasion de l'exposition universelle
de 1878, ne pouvant consentir à fraterniser, par-dessus l'Alsace en
deuil, avec ceux qui n'avaient rien fait pour modifier la situation
exposée dans la lettre du 10 mai 1872.
Ouvrages à consulter : L. Bonnet, L'Unité de V Esprit par le lien de la
paix, Paris, 1847; Conf. on Christian Union. Narrative of the proceed. of
the meetings hold in Liverpool, oct. 1845 ; Evangelical alliance, lie port of
the proceed. of the Conf. held at London, 1846; Jean Monod, Conf. de
VAll. êvangél. à Londres, 1851 ; G. Monod, Conf. de chrétiens évang. de
toute nation à Paris, 1855; J. Monod, Conf. de chrétiens évang. de toute
nation à Berlin, 1857 ; D. Tissot, Les Conférences de Genève, 1861, 2 vol. ;
Cohen -Stuart, Evangelische Alliantie, Amsterdam, 1867, 3 vol.;
Ph. Schaaf et Irenaeus Prime, History, Essays, etc. of the sixth gen.
Conf. of the Evang. AU. held in Neiv-York, 1873 ; Herzog, Real E ne y-
klopxdie, art. Evangelische Allianz; Decoppet, Paris protestant, art.
Alliance évang., etc., etc.
ALLIX (Pierre), un des écrivains les plus érudits et les plus féconds de
l'ancienne Eglise réformée de France. Il était natif d'Alencon, fit ses
études à Saumur et à Sedan, et fut nommé en 1670 pasteur de Cha-
renton, où ses sermons attiraient de nombreux auditeurs. Après la ré-
vocation de l'édit de Nantes, il passa en Angleterre, où Jacques II lui
permit d'ouvrir une église pour les réfugiés, à condition que le culte
fût célébré d'après le rite anglican. La réputation qu'il acquit par sa
science lui procura en 1690 un canonicat à Salisbury, et de la part des
universités de Cambridge et d'Oxford des diplômes de docteur en théo-
logie. On le chargea même de la rédaction d'une histoire générale des
conciles, qui devait former 7 volumes in-f°, mais qui ne parut point, si
tant est qu'A^.\ l'ait réellement entreprise et achevée. Il mourut
Londres en 1717, âgé de soixante-seize ans. Ses nombreux ouvrages, en
français, en anglais et en latin, témoignent d'une vaste érudition théo-
logique. De même que beaucoup d'autres de ses compatriotes réfor-
més, dont les malheurs du temps avaient exalté l'imagination, il croyait
à un prochain retour de Jésus-Christ ; dans un de ses traités il en fixa
même la date pour 1720, au plus tard pour 1736. Dans deux autres ou-
vrages, il essaya de prouver contre Bossuet que les albigeois n'ont pas
été dualistes, mais identiques avec les vaudois; il a beaucoup contribué
à perpétuer cette erreur dans l'Eglise réformée de France. V. Haag,
France protestante, t. I, p. Ql ss.
ALLUT (Jean), courageux camisard qui, après s'être héroïquement
battu dans les Cévennes, fit sa soumission définitive en 1706 et se retira
d'abord à Genève, puis en Allemagne et en Angleterre, avec quelques
ALLUT — ALPHA ET OMÉGA 201
compagnons d'infortune. Mais la plupart des malheureux composant ce
groupe d'exilés emportaient avec eux cette exaltation nerveuse et mala-
dive dont beaucoup de camisards étaient atteints, résultat de la lutte
prodigieuse qu'ils avaient soutenue. Ils continuèrent à prophétiser à
l'étranger comme dans leurs montagnes ; ils tinrent des assemblées, re-
crutèrent des adeptes et publièrent de petits livres ascétiques, comme
ceux-ci : « Discernement des ténèbres jfpar invitation aux créatures de
Dieu d'entrer dans l'arche de grâce qui se bâtit aujourd'hui » (par Jean
Allut, Elisabeth Charras et Henriette Allut). Rotterdam, 1710, in-8°;
« Cri d'alarme ou avertissement aux nations, 1712, précédé d'un avertis-
sement de l'esprit du Seigneur, prononcé de la bouche de Jean à Allut
Leipsick, 1712. » On les renvoya d'Allemagne; à Londres le consis-
toire de l'Eglise française les condamna comme impies et faux pro-
phètes ; dès lors l'oubli s'étendit sur eux.
ALMOHADES, c'est-à-dire en arabe unitaires, secte et dynastie de
princes maures qui régnèrent sur l'Afrique occidentale et sur l'Espagne
au douzième et au treizième siècle. Voyez Maures.
ALOGIENS. Nous n'avons que des renseignements très-incomplets sur
ces hérétiques, qui vécurent en Asie Mineure vers Tan 160. Epiphane
(Hœres., LI, LIV, 3) leur donne ce nom, par une sorte de jeu de mots, à
la fois parce qu'il trouve leur doctrine déraisonnable et parce qu'ils re-
poussaient la doctrine du Logos. S'appuyant sur les Synoptiques, ils
contestaient l'autorité du quatrième évangile dont ils attribuaient la ré-
daction à Gérinthe. Ils ne paraissent pas d'ailleurs avoir formellement
nié la divinité de Jésus-Christ ; ils admettaient sa naissance surnaturelle,
et le sévère Epiphane, dans un autre passage, n'hésite pas à leur déli-
vrer un certificat d'orthodoxie [Hœres., XLIV, 4 : xà ha r^Tv wwreùçiv
Soxouai) ; ils se bornaient à rejeter la doctrine du Verbe qu'ils trouvaient
empreinte de gnosticisme. On a prétendu que les alogiens reprochaient
aussi à l'évangile selon saint Jean sa doctrine du Paraclet, à cause de
l'abus qu'en avaient fait les montanistes. Ce qui est certain, c'est que,
dans leur opposition contre le montanisme, ils repoussaient l'idée de la
permanence des charismes, en particulier de l'esprit prophétique dans
l'Eglise (V. Trénée, III, c. 2), comme aussi la doctrine du chiliasme et
le livre de l'Apocalypse qui la favorise. En l'absence de données plus
explicites, il est impossible de déterminer si les alogiens ont plutôt in-
cliné vers les doctrines monarchistes qui identifient le Christ avec le
s, ou vers celles de Théodoret et d'Artémon qui le rabaissent au
d'un simple homme. Une seule chose est attestée chez eux : l'aver-
sion pour une spéculation qui leur semble propre à engendrer un mys-
I icisme dangereux. — Voy. Merkel : Ilist. krit. Aufklxrg dcr Strcitigk. der
Aloger ùb die ApokaL, 1782; Heinichen./><?A%/5,Lips., 1829; Neander,
Kirchengesch.,1, 3, p. 6G7 ss. ; Dorner, Entwklgsgesch. der Lehre der
Person C'hr., I, 500 ss.
ALPHA ET OMÉGA. (A vm O). Cette expression que l'Apocalypse
applique trois fois (I, 8; XXI, 6; XXII, 13) au Christ est empruntée à
Esaïe XLIV, G (cf. XLIII, 10). L'emploi de la première et de la dernière
lettre de l'alphabet est la traduction apocalyptique de ces mois: « Je
i. 14
202 ALPHA ET OMÉGA - ALSACE
suis le commencement et la fin, le premier et le dernier. » C'est l'idée
de la divinité, non -seulement quant à la durée mais aussi quant à la
puissance, que saint Jean exprime dans le prologue de son évangile par
ces mots : llav-a g-.' auxoïï è-févexo (1 , 3). D'après le gnostique Marcus, le
Christ se serait appelé a et w, pour préfigurer le Saint-Esprit sous la
forme de la colombe, vu que la valeur en chiffres de l'a et de !'<*>, c'est-
à-dire 801, est égale à la somme en chiffres des lettres du mot irepur-
rspi. Plusieurs interprètes de l'Apocalypse ont adopté ce jeu d'esprit
puéril. L'ancienne Eglise voyait dans ces deux initiales un témoignage
de la divinité de Jésus-Christ : c'est à ce titre que nous les trouvons sur
les monuments chrétiens, presque toujours combinés soit avec le mo-
nogramme du Christ, soit avec la croix (voy. les intéressants détails
donnés par Piper dans la Real-Encycl. de Herzog, I, p. 1).
ALPHÉE fAXfcatoç), père de l'apôtre Jacques le Mineur (Matth. X, 3
et parai.) et par conséquent époux de Marie, mentionnée Marc XV, 40,
comme la mère de Jacques et de Joses. D'après Jean XIX, 25, on a
voulu faire de cette Marie la sœur de la mère du Christ, et alors Alphée
ou Klopas aurait été le beau-frère de Joseph. Mais c'est là une erreur.
Dans Jean XIX, 25, d'après les meilleurs manuscrits, il faut voir men-
tionnées quatre femmes et non trois, divisées en deux couples opposés,
et traduire le passage ainsi : « Près de la croix de Jésus se tenaient sa
mère et la sœur de sa mère (Salomé ?), Marie la femme de Klopas, et
Marie de Magdala. » En tout cas il ne faut pas douter, malgré les appa-
rences, de l'identité du nom d'Alphée et de Klopas ou Kléopas
(Luc XXIV, 18). Ce sont deux transcriptions grecques différentes, d'un
même nom très-fréquent dans le Talmud, Klialipaï ou Khaliphaï. La
double manière de l'écrire en grec vient de la double manière de pro-
noncer le Khet hébreu. On en trouve de nombreux exemples dans la
version des Septante ('Âfyatbç = Khaggaï, etc.). Il est question,
(Marc II, 14) d'un autre Alphée, père de Lévi (Matthieu), qui ne peut
être confondu avec le précédent.
ALSACE. T. (1517-1648). La Réformation en Alsace eut comme par-
tout ailleurs ses précurseurs. Ce furent principalement des sectes, qui,
comme les vaudois, s'étaient émancipées plus ou moins du joug de
l'Eglise romaine. On a souvent exagéré l'importance de ces réformateurs
avant la Réforme : ce reproche s'adresse surtout au chroniqueur alsa-
cien Speckle, auquel nous devons le plus de renseignements de ce
genre. Dans ses Colleclanées, où il expose les doctrines religieuses de
ces sectes, il veut en faire des partis foncièrement protestants. C'est là
un anachronisme que l'historien ne doit point perdre de vue. Déjà au
onzième siècle l'Eglise romaine rencontra en Alsace des velléités d'op-
position. La voix puissante de moines fanatiques y mit bientôt fin
et le pontife de Rome trouva presque toujours auprès de l'évêque de
Strasbourg et du clergé d'Alsace un dévouement inaltérable. L'op-
position se maintient seulement au sein des sectes et des confréries
pieuses, qui à cette époque se formèrent dans la vallée du Rhin.-
Speckle nous parle des vaudois, qui au commencement du trei-
zième siècle avaient à Strasbourg de nombreux adhérents. Les domi-
ALSACE 203
nicains les persécutèrent el plusieurs d'entre eux furent brûlés. Si
même beaucoup de détails, que communique le chroniqueur, devaient
être des amplifications, il n'en peste pas moins acquis que les vaudois
s'étaient répandus jusqu'en Alsace. Le quatorzième siècle vit surgir
le plus grand nombre de sectes réformatrices. On les classe ordinai-
rement en deux groupes : les sectes dont la tendance était plutôt
spéculative el mystique, &* celles qui étaient plus dirigées du coté
de la vie pratique. Les premières sont surtout connues sous le nom
des Amis de Dieu : leur représentant principal en Alsace est le pré-
dicateur Jean Tauler. A la même époque une autre secte comptait
à Strasbourg beaucoup d'adhérents : elle rejetait l'autorité souveraine
du pape, le culte de Marie, etc. Elle avait ses prêtres, nommés Winkler;
plus tard nous la voyons en rapports directs avec les hussites ; nous
possédons même les actes du procès d'an de ces hussites qui était venu
à Strasbourg et qui y fut brûlé (voyez Rœhrich, Mit/hcilungen, I; Jung,
Timothem, II). L'état dans lequel se trouvait alors l'Eglise avait fait
naître ces sectes. Ses charges étaient souvent données à des hommes
qui ne les méritaient nullement .; prêtres et moines étaient générale-
ment dune ignorance absolue. Le culte était devenu une comédie; les
indulgences, la vente de reliques et d'autres abus achevaient, ici comme
ailleurs, la décadence de l'Eglise. — En Alsace, la bourgeoisie des villes
n'avait cessé d'aspirer à l'indépendance politique ; ce fut elle aussi qui
peu à peu se mit à rechercher l'indépendance religieuse. C'est ainsi que
nous voyons à Strasbourg le magistrat, Pierre Schott, créer de ses
propres fonds une place de prédicateur à la cathédrale pour un théo-
logien distingué. Le premier qui reçut cette place importante fut
le docteur Jean Geiler, né à Schaffhouse en 1445 et élevé à Kay-
sersberg, en Alsace. C'est à ce nom que se rattachent les premiers
efforts sérieux en vue d'une réformation de l'Eglise. Du haut de la
chaire, Geiler ne cessa de censurer les mœurs dissolues, tant des digni-
taires de l'Eglise que des simples prêtres et moines; sa prédication
populaire et originale eut un immense retentissement; l'empereur
Maximilien fut souvent au nombre de ses auditeurs. Mais jamais Geiler
n'attaqua l'autorité du pape; la vraie source de tous les abus lui resta
cachée; mais il n'en jeta pas moins des semences qui devaient porter
plus tard leurs fruits. Il n'avait pas été seul dans son œuvre ; des amis
éclaires l'avaient soutenu : Pierre Schott, l'ammeister de Strasbourg,
aux vues larges et libérales; Sébastien Brandt, le satirique de l'époque;
Wimphelkig, le savant modeste, l'ami et le conseiller de Maximilien Ier,
le maître de Jacques Sturm. Ce dernier nom nous rappelle un autre levier
de la Réforme en Alsace, la Renaissance. La célèbre école de Schlettstadt,
organisée par Louis Dringenberg, entre 1550-80, devint une pépinière
d'hommes savants et distingués, qui saluèrent avec joie les premières
lueurs de la Réformation, mais qui plus tard s'en éloignèrent. Ce qui
activa le plus Les progrès de l'émancipation intellectuelle et religieuse
fut l'invention de l'imprimerie. L'Alsace a l'honneur d'en avoir été le
berceau. Ce lurent les horaires et les imprimeurs qui répandirent les
premiers la semence de la Réformation. Jean Knobloch imprima en
204 ALSACE
1519 des écrits de Luther; d'autres suivirent son exemple. Un autre
libraire, Wolfgang Capiton, se mit plus tard exclusivement au service de
la Réformation. Bien que l'édit de Worms et un bref du pape Adrien VI
eussent défendu la lecture de livres hérétiques, ces hommes courageux
n'en continuèrent pas moins leur œuvre. Peu à peu, beaucoup de
bourgeois furent gagnés aux nouvelles doctrines, et le jour vint où
même du haut de la chaire elles furent annoncées. Le premier prédi-
cateur évangélique que l'histoire mentionne fut Pierre Wickgram, de
Remiremont, prêtre de l'église Saint-Pierre-le-Vieux (1520). Depuis
1521 ses prédications eurent beaucoup de retentissement. Comme Gei-
ler, il ne fut d'ailleurs qu'un sévère censeur de mœurs. Nous omettons
d'autres noms, pour arriver à l'homme que l'on regarde avec raison
comme le réformateur de Strasbourg : maître Matthieu Zell, né en
1477, à Kaysersberg. Il avait fait ses études à Erfurt et à Fribourg, et
fut appelé en 1518 comme prédicateur de la chapelle Saint-Sauveur, à
la cathédrale. Depuis 1521, il se mit à prêcher dans le sens de la Réfor-
mation. Dès l'abord, il devint le protecteur du peuple, et ses prédications,
qui de jour en jour devenaient plus courageuses, lui firent un grand
nombre d'adhérents. La bourgeoisie et le conseil le soutinrent contre
tous ses détracteurs. En 1523, l'évêque Guillaume III de Hohenstein fit
rédiger contre Zell vingt et un chefs d'accusation auxquels le réforma-
teur répondit par un livre devenu le premier document de la Réforme
en Alsace : « Christ lie he Vcrantivortung ùber Artikel ihm vom Bischœffli-
chen Fiscal daselbs entgegengesetzt und ira rechten ùbergeben. » Dans l'in-
tervalle, d'autres prédicateurs influents s'étaient rangés du côté de
Zell: Symphorien Pollion, le successeur de P. Wickgram, et plus tard
prédicateur à l'église Saint-Martin; Wolfgang Capiton (Kœpfel), né en
1-478 à Mayence, depuis 15 J 2 pasteur à Bruchsal et à Baie, depuis
1520 prédicateur à la cour du prince - évoque Albert de Mayence,
et en 1523 prévôt de Saint-Thomas. Capiton, qui avait salué la Réfor-
mation avec joie, n'aimait pourtant point des procédés trop audacieux.
Mais l'influence de Zell fut décisive; et le prévôt de Saint-Thomas
se mit bientôt, au grand étonnement des bourgeois, à prêcher coura-
geusement les doctrines évangéliques. Un autre appui de Zell fut le
prêtre Martin Bucer, né à Schlettstadt en 1491. D'abord moine do-
minicain, Bucer étudia la théologie à Heidelberg; la lecture d'Erasme
et de Luther l'enthousiasma pour l'œuvre de la Réformation. Le
brave chevalier de Sickingen le protégea contre les persécutions des
dominicains ; mais la guerre de Sickingen avec l'évêque de Trêves força
bientôt Bucer à se retirer en Akace. Après avoir prêché quelque temps
à Wissembourg, il vint à Strasbourg; Zell l'accueillit à bras ouverts et
le fit prêcher plusieurs fois ; sa parole eut du succès et la bourgeoisie
lui devint favorable. A ces trois hommes vint s'adjoindre Gaspard Hédion,
d'Ettlingen (en Bade), né en 1494. Ami de Capiton, de Zwingle, de
Luther, et successeur de Capiton, à Mayence, Hédion accepta avec joie en
1523 la place de prédicateur à la cathédrale. Ce furent là les hommes
que l'on appelle avec raison les réformateurs de Strasbourg. Ils se com-
plétaient l'un l'autre et leurs efforts réunis assurèrent à l'œuvre de la
ALSACE 205
Réforme une victoire décisive. Zell était l'homme du peuple; Capiton, le
savant e1 le théologien; Bucer, l'homme d'Eglise et le fin diplomate
voyez la biographie de Bucer etde Capiton par M. Baum). Les appuis que
la Réformation trouva au sein de la bourgeoisie ne furent pas moins
importants. Beaucoup de conseillers s'y étaient rattachés; nous ne
mentionnerons que le plus éminent d'entre eux, Jacques Sturm de
Sturmeck, que ses contemporains appelaient la lïeur de la noblesse alle-
mande. 11 était né en J 489 ; ses maîtres furent Geiler et Wimpheling. Il
se destina à la carrière politique et depuis 1524, époque à laquelle il
entra au conseil, son influence devint prédominante. Jusque-là le con-
seil s'était tenu réservé, mais il ne put garder à la longue un silence
absolu. Le 1er décembre 1523, il reconnut le bon droit des prédicateurs
evangéliques par une ordonnance, dans laquelle il était dit : Dorénavant
on ne devra prêcher au peuple chrétien que le saint Evangile et la doc-
trine divine et tout ce qui sert à l'accroissement de l'amour de Dieu et
du prochain, publiquement et librement. Le premier pas était fait vers
un changement radical dans l'Eglise. D'autres le suivirent ; quelques
prêtres se marièrent ; malgré la colère de l'évêque, leur acte fut re-
connu légitime. En 1523, le conseil ordonna que les prêtres de-
vaient être reçus bourgeois de la ville. Bientôt après, il se chargea de
la nomination des pasteurs des différentes églises; le premier pasteur
nommé fut Martin Bucer à l'église Saint e-Aurélie. Depuis 1524, on n'em-
ploya plus que le titre de « ministres de la Parole. » Une réforme du
culte devint également nécessaire ; les pasteurs l'entreprirent et en 1524
parut la première Kirchenordnung sous le titre de : « Teutsche Mess ivie
sy<' yetzundt zu Strassburgk gehalten wûrf. » D'autres écrits réformateurs
parurent à la même époque : ils étaient en partie provoqués par les at-
taques injurieuses de deux moines fanatiques : Conrad Treger et le
docteur Thomas Murner. Ce dernier est une des figures les plus origi-
nales de Tépoque; génie sauvage et indiscipliné, il fut tour à tour le dé-
fenseur ardent et l'impudent détracteur de l'œuvre de la Réformation.
— De sérieux dangers vinrent entraver ce développement si rapide. En
Alsace comme en Allemagne la Réformation fit éclater une crise, qui
se préparait depuis longtemps. On sait combien à cette époque le
peuple était opprimé; lorsque la voix des réformateurs réveilla le
désir de l'émancipation, une révolte générale ne tarda pas à éclater.
Elle commença dans le Sundgau, se répandit dans toute la Haute-Alsace
jusqu'en 1525; la Basse-Alsace fut également le théâtre d'une révolte
générale des paysans. Le conseil de Strasbourg, qui avait déjà su réta-
blir la paix dans le pays de Bade, essaya aussi de s'interposer en
Alsace. Les trois premiers prédicateurs furent envoyés dans le camp
des insurgés. Mais on ne put rien faire ; il fallut chercher ailleurs du
secours. Le duc Antoine de Lorraine offrit ses troupes et entreprit
L'expédition terrible, dont les péripéties sont trop connues pour que
nous les racontions ici. La paix se rétablit en Alsace; les paysans
étaient réduits à une impuissance complète. Depuis ce temps, la mai-
son d'Autriche persécuta les protestants dans ses possessions alsa-
cienne. A Strasbourg se montrèrent bientôt de nouveaux ennemis.
200 ALSACE
Beaucoup d'anabaptistes, attirés par l'esprit tolérant des prédicateurs
de Strasbourg, s'étaient retirés dans cette ville, parmi eux le turbu-
lent Garlstadt. Leurs prédications excitèrent beaucoup de troubles ;
elles attiraient les fanatiques et en engendraient de nouveaux. Le con-
seil lança un mandat contre eux ; les anabaptistes continuèrent leurs
manœuvres; un instant toute l'œuvre de Zell et des siens fut compro-
mise. Le conseil dut mettre violemment fin à tous ces troubles et peu
à peu la ville fut délivrée de ces agitateurs. Toutes ces entraves n'em-
pêchèrent point la consolidation de l'œuvre de la Réforme. A Strasbourg,
la bourgeoisie s'était peu à peu rangée entièrement du côté des prédi-
cateurs et réclamait une sanction définitive du nouvel ordre de choses.
L'abolition de la messe fut réclamée de toutes parts ; la diète de 1526
avait été favorable aux protestants; en 15:28, à la suite d'un colloque,
la ville de Berne avait passé au protestantisme. Malgré les députations
réitérées du conseil impérial siégeant à Spire, le conseil ne put résister
aux demandes de la bourgeoisie, et le 20 février 1529 une majorité de
484- voix contre 94 décida l'abolition de la messe. On sait que bientôt
après, à la suite de la. diète de Spire (1519), des dangers bien autre-
ment sérieux vinrent menacer les protestants. Jacques Sturm ? qui
avait été l'un des signataires de la fameuse protestation de Spire,
chercha à les conjurer, en réunissant les deux partis qui déchiraient
l'Eglise et dont la division empêchait toute action commune. Les pré-
dicateurs de Strasbourg l'assistèrent dans ces efforts. Le colloque
de Marbourg, qui devait amener une entente réciproque, ne fit qu'en-
venimer l'animosité. On pouvait s'attendre à ce que l'attitude coura-
geuse du conseil de Strasbourg excitât la colère de Fempereur. Stras-
bourg s'était lié plus étroitement aux villes suisses et allemandes par la
confédération du Burgrecht. A la diète d'Augsbourg, à laquelle assista
Jacques Sturm, on ne chercha qu'une chose : l'union des protestants.
Les députés de Strasbourg n'étaient point d'accord avec JVIélanchihon
dans ce qu'il disait de la sainte. Gène dans sa confession; ils consen-
tirent cependant à signer cette dernière, mais on ne le leur permit
point. Ils durent rédiger une autre confession : Bucer et Capiton s'en
chargèrent. Elle fut signée par les députés des quatre villes : Stras-
bourg, Constance, Memmingen et Landau; elle est connue dans l'his-
toire sous le nom de Confessio Tetrapolitana et resta en vigueur jus-
qu'en 15i8. L'influence de Strasbourg n'en devint que plus grande:
et il est à reconnaître, comme le titre le plus beau de ses diplo-
mates et de ses prédicateurs, qu'ils n'usèrent de cette influence que
pour la paix de l'Eglise. L'àme de tout ce mouvement était Jacques
Sturm. Cette noble figure nous apparaît ici clans toute sa grandeur.
Grâce à son influence et à celle de Bucer et de Capiton, les partis se rap-
prochèrent, si bien que Strasbourg fut reçu dans la ligue de Smalcalde
(1532). Les rapports entre Luther et les théologiens de Strasbourg de-
vinrent dès lors plus étroits; enfin, en 1536, la Concorde de Wittem-
berg fut conclue de part et d'autre. La situation politique était
aussi devenue plus supportable depuis la paix de Nuremberg (1532).
Mais peu à peu l'horizon s'assombrit de nouveau; en 1546 éclata la
ALSACE -207
guerre de Smalcalde. Jacques Simm fui naturellement du côté des
confédérés protestants. L'empereur étail décidé à punir sévèrement
lous ceux qui avaient refusé de reconnaître le concile de Trente. On
sait combien les premiers événements de cette guerre furent malheu-
reux pour les protestants : les villes du Sud se virenl bientôt abandon-
nées par leurs allies cl réduites à se soumettre à l'empereur. Jacques
Sturm se décida à chercher du secours auprès du roi de France Henri II.
Cependant on ne put éviter un acte de soumission à l'empereur. Bientôt
après, la diète d'Âugsbourg décréta l'Intérim : Strasbourg l'accepta après
avoir longtemps résisté, parce que l'intérêt politique l'exigeait, Bucer
el ses collègues, qui n'avaient en vue que les intérêts religieux, ne se
soumirent point : Bucer se retira en Angleterre. Les catholiques occu-
pèrent de nouveau la cathédrale; des députés furent envoyés à Trente,
entre autres l'historien Sleidan. On sait comment tout à coup Maurice
de Saxe fit prendre aux affaires politiques une autre tournure. Stras-
bourg se réconcilia avec l'empereur, qui visita même encore une fois la
ville ; et lorsque la diète d'Augsbourg se réunit, les protestants purent
espérer beaucoup d'avantages. Cependant on ne fit que confirmer le
statu quo. Strasbourg ne fut point content; les prédicateurs entreprirent
une guerre à outrance contre l'évêque et le conseil, pour obtenir l'aboli-
tion complète de l'Intérim. Ils remportèrent enfin, en 1552, la victoire, et
Strasbourg resta une ville protestante. — Il est temps de voir quel fut le
de la Réformation dans les autres parties de l'Alsace. On sait que ce
pays était à cette époque morcelé en une foule de petits Etats : villes im-
périales, possessions de l'empereur, des princes palatins, du landgrave
deHesse, des comtes de Hanau et de Wurtemberg, d'évêques et d'abbés,
de familles françaises, etc. Dans chaque ville et chaque territoire le
sort de la Réformation dépendait de la situation politique. Pour plus de
détails, nous renvoyons aux ouvrages de Rœhrich, ainsi qu'aux mono-
graphies de MM. Lerse etRochoil pour Golmar, Erichson pour Kaysers-
berg, Drion pour Sain te -Marie -aux -Mines, Jœger pour Haguenau,
F. Jung pour Wissembourg, etc. Dans les endroits dépendant de Stras-
bourg, la Réformation se répandit rapidement. Elle fut accueillie
avec transport dans les villes impériales : à Mulhouse, ce furent Au-
gustin Kraemer et Nicolas Prugner qui, depuis 1522, prêchèrent l'Evan-
gile; à Wissembourg, la Réforme fut étouffée violemment dès 1525;
à Haguenau, où résidait le bailli impérial, les nouvelles idées péné-
trèreni avec peine; à Schlettstadt, les humanistes opposèrent plus de
tance qu'on aurait pu croire; les possessions des princes palatins
furent plus accessibles à la Réforme. Dans les parties de l'Alsace appar-
tenant a l'archiduc d'Autriche, elle eut à surmonter bien plus de diffi-
cultés; il en fut de même dans la seigneurie de Ribeaupierre et dans
les terres du duc de Lorraine. Dans bien des villes, comme à Golmar,
le magistral n'osait protéger ouvertement la Réformation. Les événe-
ment politiques racontés plus haut changèrent la situation de bien
des Eglises; Dans les possessions des princes palatins, la Rélornia-
tion s'affermit de pins en plus. Le seigneur de Ribeaupierre, Egenol-
phe III, embrassa aussi le protestantisme. Il s'affermit également dans
208 ALSACE
le territoire des comtes de Hanau-Lichtenberg. A Wissembourg,
Munster, etc., il resta victorieux; à Haguenau même il le fut un
instant, mais la guerre de Trente ans et les jésuites arrêtèrent ses pro-
grès. A Colmar, la Réforme fut solennellement reconnue en 1575.
Beaucoup de seigneurs alsaciens avaient embrassé le protestantisme,
comme ceux d'Andlau, de Rathsamhausen , de Landsperg, d'Ober-
kirch. — Aussi longtemps que vécurent les réformateurs de Stras-
bourg, les divisions confessionnelles ne pénétrèrent point dans les
Eglises protestantes de l'Alsace. Grâce à l'esprit tolérant et vraiment
évangélique des Sturm, des Bucer, etc., Strasbourg était devenu, dans
cette première période de notre histoire, le centre de la Réformation.
Cet esprit malheureusement cessa bientôt d'animer les représentants de
l'Eglise de Strasbourg : l'intolérance dogmatique et l'étroitesse confes-
sionnelle devinrent leur signe distinctif. Comment s'opéra ce change-
ment? En l'an 1555, tous les héros de la Réformation avaient quitté
la scène : Zell, Bucer, Sturm s'étaient rapidement succédé dans la
tombe. Ceux qui les remplacèrent n'étaient point de leur taille. La
paix d'Augsbourg n'avait eu en vue que l'Eglise luthérienne : c'est
cette dernière seule que l'on cherche dorénavant à défendre et à
fortifier. Après lai mort de Sturm, le président du cohvent ecclésias-
tique de Strasbourg, le pasteur Jean Marbach, devint l'apôtre fana-
tique d'une sèche orthodoxie. Le culte, d'abord si simple, fut surchargé
d'éléments liturgiques ; la prédication, envahie par la polémique, ne
servit plus à l'édification des fidèles. L'école seule résista à ce mouvement
rétrograde : et ici, c'est à Jean Sturm que revient l'honneur d'avoir
conservé les traditions libérales de ses devanciers. Sur l'instigation de
Jacques Sturm, les réformateurs de Strasbourg avaient fondé une école
supérieure d'enseignement ; les professeurs étaient en même temps
membres du chapitre de Saint-Thomas. Des bourses, un pensionnat
(couvent de Saint-Guillaume) et une bibliothèque complétaient cette
institution. Quelques réfugiés d'Italie avaient été recueillis au nombre
des professeurs, parmi eux le savant Pierre Martyr Vermigli; des
réfugiés français trouvèrent aussi un asile à Strasbourg et plusieurs
d'entre eux professèrent à la nouvelle école ; nous ne nommerons que
Calvin, qui fut aussi le premier pasteur de la petite paroisse fran-
çaise à Strasbourg. Jean Sturm fut l'organisateur de toutes ces insti-
tutions. Il avait été à Paris avec Sleidan ; les persécutions le poussèrent
à Strasbourg. Il y devint le premier directeur du gymnase créé par
Jacques Sturm. Admirateur passionné de l'antiquité classique, il releva
ces études et les organisa sur une vaste échelle. Aussi l'école de Stras-
bourg devint-elle le rendez-vous de la jeunesse studieuse de tous les
pays (voyez l'ouvrage de M. Schmidt sur la vie et les travaux de Jean
Sturm). Sturm était aussi un défenseur zélé de la cause protestante ; il
aimait ces nobles et braves huguenots et ne désespéra jamais de la vic-
toire du protestantisme en France. Un conflit entre l'école et l'Eglise
était inévitable. Peu à peu la lutte prit un caractère sérieux. Pierre
Martyr dut quitter Strasbourg;, un autre savant italien, Jérôme Tanchi,
eut une longue querelle avec Marbach au sujet de la prédestination et
ALSACE 209
dut partir: la paroisse française cessa d'exister. Depuis 1571, une que-
relle théologique divisait Marbach et Sturm. En 1577, une nouvelle con-
fession de foi, la Formula eoncordix, avait été signée; elle devait être
un fort rempart entre luthériens et calvinistes. Marbach et son collègue
Pappus, non moins célèbre par son fanatisme, remplirent Strasbourg de
leurs cris et de leurs injures; ils parvinrent même jusqu'à obtenir la
destitution de Sturm. La Formula concordix ne fut pourtant pas
adoptée: mais le but des Marbach et des Pappus n'en fut pas moins
atteint : à la fin du seizième siècle, l'orthodoxie froide et intolérante
régnait à Strasbourg. — A la même époque le catholicisme s'était
relevé pour recouvrer ce qu'il avait perdu. On sait que le nouvel ordre
des jésuites s'était mis au service du pape, pour le seconder dans cette
œuvre. En Alsace, les jésuites furent appelés en 1580 par l'évêque Jean
de Manderscheid. Le premier collège fut établi à Molsheim ; dès 1614,
nous les voyons àEnsisheim, en 1604 déjà, à Haguenau. Le chapitre de
la cathédrale comptait parmi ses membres des amis de la Réformation.
Une lutte ne tarda point à éclater; à la mort de Jean de Manderscheid
en 1692, les protestants élurent le margrave de Brandebourg, Jean-
George, et les catholiques le cardinal Charles de Lorraine. Il en résulta
une guerre de dix ans, connue sous le nom de guerre épiscopale ou des
évêques. La ville s'était rangée du côté de Jean-George, qui de plus était
soutenu par la ligue de Torgau et par Henri de Bourbon. C'est en 1604?
seulement que, grâce à l'intervention de Henri IV, la paix fut conclue.
Elle fut malheureuse pour les protestants ; le cardinal de Lorraine de-
vint évêque de Strasbourg et le chapitre n'eut plus d'éléments hétéro-
gènes dans son sein. Le successeur de Charles, Léopold de Bavière, père
de Ferdinand II, fut la cause de nouveaux malheurs pour l'Alsace. Il
était impliqué dans la guerre de la succession de Juliers-Clèves. Le pays
fut dévasté ; Henri IV devait mettre fin à la guerre et relever l'union
protestante, lorsqu'il tomba sous le fer du régicide. Une guerre décisive
était inévitable. Ce fut la guerre de Trente ans. Dès 1621, l'Alsace
devint le théâtre de la guerre. Le comte de Mansfeld fit une expédition
en faveur de l'union protestante; mais Strasbourg, qui dès 1621 avait
quitté l'union, ne le soutint point. La ville conclut la paix avec l'empe-
reur, qui en retour éleva son école au rang d'université. Bientôt après
les protestants eurent à subir une série de persécutions; à Colmar, ils
furent même bannis. En 1628, on proclama redit de restitution ; des me-
sures énergiques furent prises pour l'exécuter. Cette réaction antipro-
testante ne manqua point d'exciter une haine ardente contre l'empereur
et le conseil. A la même époque Richelieu arrivait au pouvoir. On con-
naît sa politique; Strasbourg lui tendit une main amie : les Suédois, sous
la direction du général Horn, eurent bientôt soumis toute l'Alsace.
Cette invasion des Suédois est pour l'Alsace un fait de sinistre mémoire.
En 1634, on appela les troupes françaises : Richelieu accorda l'Alsace à
Bernard de Saxe-Weimar, qui de 1635 à 1638 conquit le pays. Il gou-
verna l'Alsace pendant quelques mois : après sa mort les Français occu-
pèrent le pays. Bientôt la paix longtemps désirée fut conclue. L'Alsace
Strasbourg excepté, passa à la France. Le pays était épuisé : pour le
210 ALSACE
repeupler, on y envoya beaucoup d'étrangers du Palatinat et de la
Suisse, la plupart calvinistes: c'est là l'origine de beaucoup de paroisses
réformées. Nous renvoyons pour plus de détails sur celte époque aux
articles de M. Reuss, dans YAlsatia de 1862, et de M. Rœhrich, dans ses
Mittheilungen, vol. 2, ainsi qu'aux ouvrages généraux. — L'histoire de la
Réformation en Alsace a été traitée surtout par deux savants: M. Rœh-
rich a écrit une Histoire de la Reformations en 3 vol. , et des Mittheilungen,
en 3 vol. ; M. Jung a écrit un volume de Beitrœge zu der Geschichte der
Re formation. Le vicomte Marie-Théodore de Bussière a écrit plusieurs
ouvrages sur l'histoire de la Réformation en Alsace {Histoire de réta-
blissement du protestantisme en Alsace; Histoire du développement du
protestantisme, etc.) dans un sens tout à fait catholique et avec beaucoup
de partialité. Nous avons indiqué dans le cours de l'article les monogra-
phies les plus importantes. Alb. Courvoisier.
II. (16-48-1789). Lors de la réunion de l'Alsace à la France, le respect
de la liberté de conscience n'avait pénétré encore ni dans les mœurs
ni dans les lois. Aussi le gouvernement de Louis XIV fit-il de fréquents
efforts, sinon pour détruire le protestantisme dans les provinces nou-
vellement acquises, du moins pour Fentraver et pour favoriser les pro-
grès de la religion catholique. Dès 1662, une ordonnance royale pres-
crivit de ne distribuer qu'à des catholiques les terres et habitations
abandonnées pendant les guerres ; aux nouveaux propriétaires, il fut
fait remise, pendant six ans, de tout impôt, et on leur permit de pren-
dre gratis dans les forêts du domaine le bois pour la reconstruction des
maisons ruinées. Cette mesure avait pour but d'attirer dans l'Alsace,
dont plusieurs parties étaient presque dépeuplées, une nouvelle popu-
lation catholique. La plupart des édits publiés contre les huguenots
furent enregistrés au conseil souverain d'Alsace ; par ce fait, ils deve-
naient applicables aux protestants du pays, tant luthériens que calvi-
nistes, malgré le traité de Westphalie qui leur garantissait la liberté de
leur culte. Nous citerons entre autres les déclarations sur l'âge auquel
il était loisible aux enfants mineurs de changer de religion, sur les
moyens de subsistance à leur fournir par les parents, sur la défense des'
mariages mixtes, sur les peines auxquelles s'exposaient les pasteurs qui
recevaient dans leurs églises des catholiques convertis ou non. Par la
capitulation de Strasbourg, 30 septembre 4681, il fut stipulé que la
ville garderait le libre exercice de sa religion et la propriété de ses
biens ecclésiastiques ; la cathédrale seule dut être rendue aux catho-
liques ; dès le mois d'octobre, l'évêque François Egon de Furstenberg en
prit possession : il fit frapper en souvenir une médaille, contre laquelle
protesta le magistrat. En 1664, la France conclut avec l'empire une
trêve de vingt ans ; elle s'engagea de nouveau à laisser aux luthériens
et aux réformés d'Alsace leur entière liberté ; en vertu de cet engage-
ment, la révocation de l'édit de Nantes ne fut pas enregistrée au conseil
souverain ; mais les agents du roi n'en continuèrent pas moins à pro-
téger le catholicisme au détriment du protestantisme. Déjà en 1683
Fintendant de la Grange avait exempté ceux qui se convertiraient de
toute charge de guerre pendant trois ans ; une ordonnance de 1685
ALSACE m
accorda aux mêmes trois ans pour l'acquittement de leurs dettes; en
1688, on autorisa les catholiques-, quand ils voulaient se faire recevoir
bourgeois, à ne payer que le liées des droits usités. Ce qui fut plus
grave encore, car ce fut une violation flagrante de la capitulation de
Strasbourg, ce fui une deelaration royale du <*> avril 1087, voulant que
les charges ci emplois qui donnaient entrée au magistral ou qui en
dépendaient, tan! dans la ville que dans les seigneuries, fussent rem-
plies alternativement par des proteslantset des catholiques; le nombre
de ces derniers étant encore très-restreint, on se borna d'abord à ne
leur allée 1er que le quart des places ; mais dans le cours du dix-huitième
siècle on s'en tint strictement à l'alternative. En 1683, les jésuites, qui
avaient déjà plusieurs maisons en Alsace, s'établirent aussi à Stras-
bourg. Le séminaire fondé par l'évéque, le collège royal, l'université
catholique, transférée en 1701 de Molsheim à Strasbourg, furent confiés
à leur direction. Ils devinrent les agents les plus actifs delà propagande
catholique dans la province. A leur tête était le professeur Jean Dèz,
homme instruit et habile: en 1687, il publia un livre, intitulé : Réunion
des protestants de Strasbourg à l'Eglise romaine; on en attendait un
grand succès, mais il n'en eut aucun auprès des Strasbourgeois. Un
colloque entre des jésuites et le professeur de théologie Bébel eut le
résultat ordinaire de ces conférences; chacune des deux parties garda
son opinion. Les missions catholiques furent plus heureuses dans les
campagnes ; plusieurs villages furent entièrement ramenés au catho-
licisme. Un édit de 1686 avait ordonné de ne plus instituer que des
maires catholiques. En 1684, on avait prescrit que, dans chaque com-
mune possédant deux églises, les protestants n'en garderaient qu'une
seule, et que là où il n'en existerait qu'une, elle serait partagée entre
les deux cultes, de manière que les catholiques eussent la jouissance
du chœur ; il suffisait à cet efiet qu'il y eût dans le village sept familles
professant la religion du roi ; seulement « pour obvier aux abus qu'on
pourrait faire de ce règlement, » on voulut bien ne pas compter au
nombre des sept familles « les passagers ou les simples valets, tels
que chasseurs, pâtres et autres gens sans domicile fixe. » Ce fut là
l'origine des églises simultanées, dont il existe encore plusieurs en
Alsace. — La fameuse déclaration de Louis XV, du 14 mai 1724, con-
tinuant la révocation de l'édit de Nantes et de toutes les ordonnances
rendues pour en assurer l'exécution, fut enregistrée, sur Tordre exprès
du roi, au conseil souverain d'Alsace, mais il fut impossible de l'ob-
server; on se vit même obligé de faire savoir officiellement qu'elle ne
s'étendait pas aux luthériens. Ceux-ci toutefois ne cessaient de se
méfier des arrière-pensées du gouvernement ; leur méfiance fut pleine-
ment justifiée par un règlement du 1er mars 1727, provoqué surtout
par l'évéque cardinal de Hohan,qui s'était plaint de certaines coutumes
protestantes comme étant des abus préjudiciables à la religion ef.au
( kergé catholiques. Le règlement qui dut être suivi dans toute la pro-
vince et qui, a cet ell'ct, lut enregisl ré au conseil souverain, ordonnait
aux proleslanK quand ils rencontreraient un prèlro portant le sainl-
sacremeni. de s'agenouiller ou de se retirer; il demandait la cessation
21? ALSACE
du culte protestant dans les églises mixtes les jours où elles étaient
visitées par l'évêque, l'observation rigoureuse des fêtes romaines, l'édu-
cation catholique des enfants illégitimes, « attendu que le roi seul est
en droit de leur tenir lieu de père. » Quelques-unes de ces prescrip-
tions n'étaient que le renouvellement d'ordonnances plus anciennes,
qu'en Alsace on avait laissé tomber en désuétude ou qu'on n'y avait
pas même introduites. Les réclamations qu'élevèrent les protestants
ne furent pas écoutées. Ce ne fut qu'à partir du ministère du duc de
Choiseul que le gouvernement se montra un peu plus libéral ; les
protestants d'Alsace ne furent plus molestés que par des fonctionnaires
subalternes. On contesta aux pasteurs le droit d'entrer dans les prisons
et les hôpitaux militaires ; on songea même un moment à introduire
dans l'université, à la seule exception de la faculté de théologie, la
même alternative qu'on avait fait prévaloir dans les fonctions civiles ;
on maintint surtout les ordonnances sur l'éducation catholique des
bâtards; il existe de nombreux dossiers, allant jusqu'à l'année 1782,
sur l'enlèvement d'enfants protestants. On se vantait enfin des conver-
sions que Ton faisait; il y en eut qui firent quelque bruit, d'autres
furent obtenues on ne sait comment ; deux volumes in-folio contenant
des noms de convertis alsaciens, de 1682 à 1778, ressemblent singu-
lièrement aux listes qu'avant la révocation de l'édit de Nantes on avait
eu coutume de mettre sous les yeux de Louis XIV. — Cette situation
dura jusqu'à l'édit de tolérance de Louis XVI. Elle avait diminué la
force politique du protestantisme, mais elle ne l'avait pas empêché de
se conserver ; il s'était consolidé plutôt par la nécessité de se défendre
contre les entreprises d'un pouvoir absolu et fanatique. Dans la faculté
de théologie de Strasbourg on ne peut citer au dix-huitième siècle
aucun nom illustre ; les professeurs étaient des hommes érudits, mais
trop préoccupés de controverse ou de simple édification pour faire
avancer la science. Dans le dogme ils étaient fidèles à la tradition
orthodoxe luthérienne. Quand les piétistes et les frères moraves com-
mencèrent à se répandre en Alsace, on les combattit avec une extrême
véhémence ; le professeur Frœreisen entre autres publia une brochure
sous ce titre : Portrait de deux imposteurs, Mahomet etZinzendorf, singe
du premier. A plusieurs reprises parurent des arrêtés contre les con-
venticules. En 1759, il fut même défendu aux pasteurs de Strasbourg
et de ses dépendances de rien publier sans l'autorisation du convent
ecclésiastique. Cependant la vie religieuse était généralement floris-
sante ; dans peu de villes le culte était plus fréquenté qu'à Strasbourg
et à Colmar; l'Eglise d'Alsace eut quelques pasteurs dont elle se sou-
viendra toujours avec respect; l'un d'entre eux, Oberlin, s'est acquis
une célébrité européenne. — Les réformés seuls manquaient en Alsace
de liberté. Ils avaient contre eux, outre l'intolérance du gouvernement,
les scrupules des luthériens. Ils possédaient des églises à Sainte-Marie-
aux-Mines, à Bischwiller et dans deux ou trois villages ; dans d'autres
localités ils se réunissaient dans des maisons particulières. Ceux de
Strasbourg étaient obligés de se rendre à Wolfisheim, qui dépendait
alors des landgraves de Hesse-Darmstadt, comtes de Hanau. En 1788,
ALSACE 213
ils s'adressèrenl d'abord au magistrat, puis au gouvernement de
Louis XVI, pour être autorisés à célébrer leur culte dans l'intérieur
même de la ville ; la permission leur fut aeeordée, à condition que la
maison de réunion ne trahît par son extérieur « ni un temple ni mémo,
un édifice publie » et qu'elle n'eût pas de cloches. Ils élevèrent alors le
bâtiment qui leur sert encore aujourd'hui. — Les édits, etc., relatifs
aux protestants sont disséminés dans le recueil intitulé : Ordonnances
d'Alsace, Golmar, 1775, 2 vol. in-f°; V. Kiefer, Le Gouvernement français
et les protestants d'Alsace, 1648-1697, Strasb., 1868; Charles Bœgner,
L Eglise protestante de Strasbourg dans ses rapports avec l'Eglise catho-
lique, 1681-1727, Strasb., 1851. Divers articles de Rœhrich, dans le
t. 11 de ses Mittheilungen aus der Geschiclite der evangelischen Kirche
des Elsasses, Strasb., 1855. Ch. Schmidt.
111. (1789-1876). La révolution de 1789 fut accueillie avec un vif en-
thousiasme en Alsace. Les protestants la saluèrent comme devant ouvrir
une ère nouvelle dans laquelle la liberté de culte, qui leur était garantie
par le traité de Westphalie, ne serait plus entravée par des mesures
administratives empreintes d'un esprit marqué d'hostilité. Un Cahier de
doléances (Rœhrich, MittheiL, III, -444) fut envoyé à l'Assemblée natio-
nale par les magistrats et consistoires protestants des villes d'Alsace pour
réclamer la confirmation des anciennes garanties, la restitution des
biens possédés en l'année 1624, la réglementation du culte simultané
dans les églises où il avait été introduit, et la participation par moitié
aux places, dignités, charges et emplois publics de la province. En
même temps, le professeur Koch fut délégué à Paris pour appuyer ces
réclamations auprès des autorités compétentes. Des décrets du 47 août
et du 10 décembre 1790 exemptèrent de la vente des biens ecclésiasti-
ques, ceux des protestants des deux confessions d'Augsbourg et helvé-
tique habitant l'Alsace, ainsi que ceux des pays deBlâmont, deBelmont,
d'Héricourt et de Ghaletot, parce que. ces biens, sécularisés depuis
longtemps, étaient exclusivement destinés à l'entretien du culte et d'é-
tablissements d'instruction publique, auquel ils avaient peine à suffire.
Un décret spécial, rendu le 8 mai 1791, étendit cette exemption aux
biens de la fondation de Saint-Thomas, principalement affectés à l'en-
tretien de l'université protestante de Strasbourg. Lorsque l'armée des
alliés menaça la frontière de l'Est, l'Alsace envoya ses bataillons de
volontaires pour la couvrir : bien qu'allemande encore de mœurs et de
langue, elle était française de cœur, et ce fut surtout pendant ces mé-
morables années où ses fils combattirent sous le drapeau tricolore pour
défendre l'indépendance de la France et ses libertés récemment con-
quises, que le lien qui rattachait l'ancienne province de l'empire à sa
nouvelle patrie devint plus intime. Le règne de la Terreur même ne put
le relâcher. L'ordre de fermer les églises fut donné au mois d'octo-
bre 1793, et peu de localités purent s'y soustraire : pendant plus d'une
année le culte public fut interrompu. Les vases d'église, les ornements
de la chaire el de l'autel avaient été offerts ou confisqués pour les ser-
vices publics; le convent de Strasbourg avait spontanément décidé de
faire collegialiter à la patrie le sacrifice des boucles d'argent que ses
211 ALSACE
membres portaient à leurs chaussures. Les églises furent converties en
hôpitaux, en magasins de fourrages et parfois même en étables. Des
commissaires du gouvernement révolutionnaire parcouraient les cam-
pagnes pour faire fondre les cloches et brûler les livres sacrés trouvés
sur les autels. Les pasteurs furent invités à renier la foi chrétienne, et
ceux d'entre eux qui s'y refusèrent se virent arrachés à leurs troupeaux
et incarcérés. Le nombre des défections fut peu considérable, et beau-
coup de pasteurs déployèrent, dans cette circonstance; une fermeté qui
commandait le respect même à leurs persécuteurs. On peut dire qu'en
général, les protestants, comme les plus éclairés, les plus modérés et
les plus riches- des citoyens de l'Alsace, eurent le plus à souffrir pen-
dant la Terreur. La correspondance du pasteur Blessig, détenu pendant
onze mois dans le séminaire épiscopal de Strasbourg qui avait été con-
verti en prison, est remplie de détails curieux (voy. Edel, Monatsblsetter
fur die Blessig-Stiftung, 1847-4850, 4.- vol.). — Au milieu de ces se-
cousses qui agitèrent le pays pour le transformer, il devint nécessaire
de réorganiser l'Eglise protestante d'Alsace sur des bases nouvelles. Le
convent ecclésiastique de Strasbourg s'était, dès le mois de septem-
bre 1789, retrempé dans des élections presbytérales faites d'après un
mode très-large, et il avait adressé une Encyclique aux communautés
de la province pour les exhorter à la concorde et à la paix. Divers pro-
jets d'organisation surgirent pour mettre fin à l'anarchie que la ruine
de l'ancien régime avait provoquée. Des débats auxquels ils donnèrent
lieu, et des négociations qui furent entamées avec le premier Consul et
son ministre Portalis, sortit la fameuse loi du 18 germinal an X. Elle
fut accueillie avec une vive faveur, parce qu'elle assurait aux protes-
tants l'existence légale, le salaire de l'Etat, et qu'elle donnait satisfac-
tion au besoin d'unité administrative ; le sentiment religieux, d'ailleurs
peu ardent à ce moment, ne réclama ni contre ce qui, dans les condi-
tions électorales, était de nature à le blesser, ni contre les dispositions
qui compromettaient gravement l'indépendance et l'autonomie de l'E-
glise. La loi de germinal prenait pour base l'Eglise consistoriale, com-
posée d'une moyenne de six mille âmes, dispersées sur un territoire
plus ou moins étendu et réparties dans une ou dans plusieurs paroisses,
avec un nombre indéterminé de pasteurs et une représentation laïque
qui variait de six à douze. Ces anciens devaient être nommés pour la
première fois par les vingt-cinq pères de famille les plus imposés au
rôle des contributions directes ; dans la suite, le consistoire devait lui-
même désigner un nombre égal de notables chargés de pourvoir, de
concert avec lui, aux réélections et aux vacances. Les pasteurs étaient
nommés par le consistoire, et cette nomination était soumise à l'appro-
bation du gouvernement, qui se réservait aussi la faculté de les desti-
tuer. Un certain nombre de consistoires formaient une inspection, à la
tête de laquelle se trouvaient un inspecteur ecclésiastique et deux in-
specteurs laïques, chargés d'exercer une certaine surveillance sur les
Eglises de leur ressort. Au-dessus des assemblées d'inspection, la loi de
germinal plaçait un consistoire général, composé d'un président laïque,
de deux inspecteurs ecclésiastiques nommés à vie par le gouvernenient,
ALSACE :i:,
et d'un député Laïque nommé par chaque inspection également à vie.
Dans L'intervalle de ses sessions, d'ailleurs .non périodiques, une com-
mission de cinq membres devait, sous le nom alors en vogue de direc-
toire, s'occuper de L'expédition des affaires courantes. Toutes les mo-
difications dans Les catéchismes, dans les formulaires Liturgiques, dans
la confession de foi, dans la discipline ecclésiastique étaient d'aiUe»BS
subordonnées à L'approbation du gouvernement, et ne pouvaient même
pas être disculées sans son agrément. L'université protestante de
Strasbourg lut convertie en Académie ou séminaire protestant par dé-
cret du 30 lloréal an XI, et complétée en 1818 par une faculté de
théologie. — Celle organisation, sorte de compromis entre le type luthé-
rien, plus autoritaire, et le type réformé, plus démocratique, dans ses
traits essentiels, subsiste en Alsace encore aujourd'hui. De 1830 a 1850,
diverses lenlatives furent faites auprès du gouvernement pour y intro-
duire quelques éléments plus libéraux, mais elles échouèrent, moins
encore par suite du mauvais vouloir de l'autorité civile que par le dé-
faut d'entente chez les protestants eux-mêmes. Le décret du 26 mars
1852, rendu dictatorialement par le prince-président après le coup
d'Etat, apporta à la loi de germinal quelques changements importants.
Il donna une sanction légale aux conseils presbytéraux qui, de fait,
existaient déjà à peu près partout; de plus, les élections devaient être
faites par le suffrage universel. Sont électeurs tous les membres portés
au registre paroissial qui sont âgés de trente ans au moins et qui ont
deux ans de résidence. Les conseils presbytéraux des chefs-lieux con-
sistoriaux reçurent 'le titre de consistoires, le nombre des conseillers
presbytéraux fut doublé, et chaque conseil presbytéral sectionnaire y
envoya avec son pasteur un délégué laïque. Le consistoire supérieur
devait comprendre deux députés laïques par inspection, tous les inspec-
teurs ecclésiastiques, un professeur du séminaire délégué par ce corps,
le président du directoire et un commissaire du gouvernement, ce qui
donnait à celte assemblée plus d'un' tiers de membres, tous fonction-
naires, nommés par l'Etat. Le consistoire supérieur devait se réunir au
moins une fois par an. Quant au directoire, il fut composé de cinq
membres, dont trois nommés par l'Etat. C'est entre ses mains qu'était
remise la nomination des pasteurs, celle des inspecteurs, des profes-
seurs du séminaire et du gymnase; il avait de plus le droit d'autoriser
ou d'ordonner, par mesure disciplinaire, le passage d'un pasteur d'une
cure à l'autre. Ces dispositions, qui renforçaient le principe de centra-
lisa ion et concentraient l'autorité dans l'Eglise entre les mains d'un
corps à peu près irresponsable, étaient en opposition flagrante avec les
vœux des Eglises et les principes fondamentaux du protestantisme.
N'était-il pas dérisoire de mettre l'élément électif et le suffrage univer-
sel ii l;i base de la constitution ecclésiastique, alors qu'on annulait
complètement faction des conseils locaux, en bornant leur rôle à la
surveillance des intérêts matériels et à la gesliondes finances? « Le
testantisme, pouvait justement dire M. de Montalembert, comme insti-
tution, a Laissé réduire au rang (Tune section de L'administration civile
ses Eglises officielles, docilement enchaînées dans l'antichambre de
216 ALSACE
l'Etat. » Le directoire sentait fort bien le vice de sa position, car il
interdit avec une vivacité extraordinaire toute discussion des articles
de ce décret, si notoirement contraire aux légitimes aspirations des
fidèles. Le consistoire supérieur, d'abord résigné, essaya dans la suite
de lui arracher quelques concessions, notamment en ce qui con-
cerne la nomination des pasteurs. Il fut faiblement soutenu par l'opi-
nion publique, qui, après avoir accueilli avec stupeur le décret de
4852, prit le parti funeste de se désintéresser des choses de l'Eglise.
Pourtant l'opposition, commencée par le courageux auteur des Gra-
vamina, imprimés à Baie et distribués par la poste, grandit chaque
année et chercha à réveiller les communautés de leur indifférence,
et à leur donner la conscience de leurs droits et de leurs devoirs
(voyez surtout les brochures de M. le pasteur Mettetal). — Au
printemps de Tannée 1870, une campagne sérieuse de tous les partis
coalisés avait été ouverte pour battre en brèche la constitution de
1852, lorsque survinrent les événements désastreux qui, en renversant
ses auteurs, changèrent le sort politique de l'Alsace. Annexée à l'em-
pire d'Allemagne par le traité de Francfort, malgré les protestations
unanimes de ses représentants, elle conserva ses institutions ecclésias-
tiques, un instant menacées par la pieuse ingérance du gouverneur,
M. de Bismarck-Bohlen, aidé du commissaire extraordinaire, M. Fabri,
inspecteur des missions à Barmen. La conquête allemande détacha des
Eglises de la confession d'Augsbourg d'Alsace les inspections de Mont-
béliard et de Paris, qui en faisaient partie depuis la réorganisation des
cultes en 1802; de plus, tandis que sur 1,235,097 catholiques, l'Alsace
n'en perdit que 11,936 (moins de 1 pour 100), sur 270,099 protestants,
20,001 (plus de 14 pour 100) optèrent pour la France. Ajoutez-y les
départs en vue d'échapper au service militaire allemand : en 1873,
479 jeunes gens de moins de dix-sept ans; en 1874, 735; en 1875,
811 ont demandé des permis d'émigration, sans parler du grand nom-
bre de ceux qui se sont passés de cette autorisation. Ainsi réduite,
l'Eglise luthérienne d'Alsace-Lorraine forma cinq inspections, celles
du Temple-Neuf, de Saint-Thomas, de Bouxwiller, de Wissembourg, de
la Petite-Pierre et de Colmar, avec 38 consistoires, 191 paroisses et
211 pasteurs titulaires. Un décret récent vient d'en créer une sixième,
celle de Saint-Guillaume, formée de cinq consistoires, détachés des
deux premières inspections. Les anciens vices de la constitution ecclé-
siastique ont survécu au changement du régime et des personnes : ni
l'autorité du directoire n'a été limitée, ni des garanties sérieuses n'ont
restitué à l'électorat paroissial sa dignité. De plus, tandis que dans nos
Eglises de France les étrangers, après deux années de résidence, sont
admis à être portés sur le registre électoral, un décret du gouverne-
ment impérial allemand a enlevé leurs droits électoraux à tous les étran-
gers (lisez Français) résidant en Alsace. En vertu d'une disposition libé-
rale, émanée du consistoire supérieur, les communautés sont aujourd'hui
consultées sur le choix de leurs pasteurs ; mais le directoire conserve le
droit de les nommer et de les déplacer sans avoir égard à ces vœux.
En somme, s'il faut en croire le témoignage de l'un de ses membres
ALSACE '217
les plus compétents ei les plus impartiaux, le eonsistoire supérieur
jouit de moins de liberté que du temps de l'administration française
(Amtl. Sammlg., XXIX, p. 55). Quant à l'Eglise réformée, elle compte
en Alsace-Lorraine cinq consistoires, ceux de Strasbourg, de Bischwiller,
de Sainte-Marie-aux-Mines, de Mulhouse et de Metz, avec 26 paroisses
et 34 pasteurs titulaires. Une tentative récente de créer un lien com-
mun entre eux, par le moyen d'une organisation synodale, a échoué
devant le mauvais vouloir de l'autorité politique. Il y a en outre, en
Alsace, deux communautés de luthériens séparés à la suite de dissenti-
ments de doctrine ou de discipline ecclésiastique, une station de frères
moraves, un petit troupeau méthodiste.qui dépend de l'Eglise métho-
diste américaine, et quelques communautés évangéliques libres sans
lien avec des Eglises du dehors et sans action sur celles de la province.
— Nous ne dirons que peu de mots de la vie intérieure des Eglises
d'Alsace. Son histoire se rattache étroitement à celle des Eglises sœurs
qui l'entourent, comme au courant général des idées qui agitent le
protestantisme contemporain dans des directions contraires. Les pa-
roisses alsaciennes ont subi, dans une large mesure, l'influence du ra-
tionalisme au commencement du siècle; elles ont aussi participé, bien
qu'un peu tard, au mouvement du réveil; l'union et la séparation con-
fessionnelles ont rencontré des partisans dans leur sein, comme aussi
la tendance critique et l'école radicale. Bien qu'on Tait tentée, une sta-
tistique exacte parait difficile à établir. Les divers partis en Alsace ont
traversé des périodes de luttes très-vives, suivies de temps d'apaise-
ment et d'acalmie; ce qui est certain, c'est qu'aucun d'eux ne saurait
revendiquer pour lui ni le monopole de la vie et de l'activité reli-
gieuses, ni celui des individualités marquantes. Nous trouverons l'oc-
casion, dans ce recueil, de citer les noms les plus célèbres en ce qui
concerne les morts: pour les vivants, ils sont dans la mémoire de cha-
cun. Les sessions annuelles du consistoire supérieur ont été l'arène la
plus en évidence des débats ecclésiastiques. Des discussions animées s'y
sont produites à propos de l'introduction des livres de cantiques, des
catéchismes, des formules liturgiques , des nominations ou des destitu-
tions de pasteurs ou de professeurs, de l'ouverture ou de la fermeture
des paroisses, de noms indûment rayés des registres électoraux. En thèse
générale, le parti libéral s'est trouvé en majorité, sans pourtant que
Ton puisse lui reprocher d'avoir abusé de son pouvoir ou d'avoir cher-
ché à faire passer des mesures trop radicales. 11 y a, dans les Eglises
d'Alsace, un esprit très-conservateur, même chez les esprits les plus
igës de l'ancienne dogmatique. Le respect des traditions, des cou-
tumes, parfois aussi l'amour de la routine et de la commodité, le désir
de garder les positions acquises y sont pour beaucoup : ni le radicalisme
ni le puséysme ne recruteront jamais qu'un petit nombre d'adeptes dans
les rangs du cierge ou des fidèles alsaciens. Par contre, depuis une
vingtaine d'années, un certain luthéranisme strict y a fait des progrès
sensibles, bien que Ton constate que, dans les derniers temps, il a
beaucoup perdu, sinon de son exclusivisme, du moins de son âpre l'é.
Les piétistes. par contre, tendent à disparaître et à se fusionner soit
nS ALSACE
avec les luthériens, soit avec les hommes du tiers-parti. La vie reli-
gieuse n'est pas en progrès depuis l'annexion à l'Allemagne. Le rôle que
les organes de l'Eglise évangélique d'outre-Rhin ont joué pendant la
guerre de 1870 n'a pas rapproché des sanctuaires ceux qui déjà n'étaient
que trop tentés de s'en tenir éloignés; de plus, les rapports unanimes
des inspecteurs constatent avec douleur les éléments de démoralisation
que les immigrés allemands, par leur indifférence religieuse et l'irrégu-
larité de leurs mœurs, ont apportés dans les paroisses. La mendicité,
l'ivrognerie et la propagation de la littérature légère ont augmenté
dans une notable proportion. — Le culte public en Alsace, fidèle à ses
anciennes traditions, a conservé un juste milieu entre la trop grande
sécheresse du puritanisme réformé et le ritualisme catholique auquel,
dans d'autres pays, les Eglises protestantes sont parfois tentées de faire
des emprunts. La prédication est, en thèse générale, simple et nour-
rie, plus fortement biblique et moins oratoire qu'en France, plus pra-
tique que dans beaucoup de localités en Allemagne. Les études théolo-
giques sont cultivées avec succès en Alsace. Tout le monde sait l'éclat
jeté par la faculté de théologie et le séminaire protestant de Strasbourg,
et la part importante qu'ils ont eue au mouvement scientifique inau-
guré en France par la Revue de théologie et de philosophie chrétiennes
(1850-1869. 32 vol.). Ces établissements sont on ne peut mieux placés
pour servir d'intermédiaires entre la science allemande et la science
française, et pour sauvegarder ce trait particulier de la piété alsacienne,
qui est d'unir à un sentiment religieux profond, sobre et réservé dans son
expression, une indépendance réelle d'esprit et une vive répulsion pour
tout ce qui touche à Fintolérance. L'énumération serait trop longue
des ouvrages d'histoire, de critique et de philosophie religieuses, pu-
bliés dans les deux langues par des savants alsaciens, parmi lesquels on
compte plus d'un modeste pasteur de campagne. Le décret du 1er mai
1872, qui créa l'université de Strasbourg avec une dotation de plus
d'un million de francs par an, supprima le séminaire protestant comme
corps enseignant; par un autre décret du 29 novembre 1873, l'admi-
nistration des biens de Saint-Thomas, à laquelle le gouvernement fran-
çais n'avait point touché, bien qu'il fut maintes fois sollicité de le faire
par les meneurs du parti catholique (voyez en particulier : Notices sur
les fondations administratives par le séminaire protestant de Strasbourg ,
Strasb., 1854), fut confiée à un corps nommé en conformité avec les
règlements antérieurs à 1789. Disons aussi que le nombre des étudiants
en théologie, depuis l'annexion, a diminué de plus d'un tiers. Les amis de
l'ancienne école fondée par Jean Sturm et qui, sous le nom de Gymnase
protestant, a jeté un si vif éclat, déplorent de lui voir perdre de jour en
jour le caractère qui constituait son originalité. Grâce à son enseigne-
ment solide et large, fécondé par la combinaison heureuse des méthodes
françaises et allemandes, et grâce aux principes de forte pédagogie
sur lesquels elle reposait, cette école était à la fois la pépinière où se re-
crutait le corps pastoral alsacien et un foyer de haute culture intellec-
tuelle d'où est sortie toute une élite d'hommes éminents dans toutes
les branches; aujourd'hui, sans égard pour les sentiments d'une popu-
ALSACE — ALTENSTEIN M9
latiun qu'il froisse, et sans fruit pour l'Eglise donl l'esprit, lui est de-
venu étranger, cet établissement, entre les mains de ses nouveaux di-
recteurs, tend à devenir un simple lycée allemand. Pour compléter
ce tableau, nous dirons que l'Alsace déploie une louable activité
dans le champ drs icuvres religieuses. Elle ne possède pas moins de
38 associations de mission intérieure | sociétés de charité, ouvroirs,
orphelinats, patronage des détenus, établissements de diaconesses,
asiles, etc.), 5 sociétés bibliques et d'evangelisation, 5 sociétés pour les
missions parai les païens et les juifs, 5 caisses pour les pasteurs émé-
rites et les veuves de pasteurs. Sa libéralité est bien connue, en France
surtout où, pour les «euvres et les intérêts les plus divers, on s'est ha-
bitue de longue date à compter sur elle. Les Eglises d'Alsace ont plusieurs
conférences pastorales, ainsi qu'une société de propagande évangélique
et une union protestante libérale qui, chaque hiver, organisent des confé-
rences très-suivies sur des sujets d'ordre religieux. Parmi les organes
de la presse périodique, nous citerons les suivants dont les titres in-
diquent suffisamment la tendance : Ehsess. evangel. Sonntagsblatt (de-
puis 1863), le Progrès religieux (depuis 1868), Evangel. luther. Fric-
densbote (depuis 1871), Evangel. prot. Kirchenbote (depuis 1872). —
Sources, outre les feuilles ci-dessus mentionnées : Recueil officiel des
actes du consistoire supérieur et du directoire de l'Eglise de la confess.
d'Augsb. en France (20 vol.), et Amtl. Samnilg. der Acten des Ober-
Cons. u. des Direct, der K. A. C. in Els.-Lothr., qui y fait suite; Buob,
Manuel d'un code ccclés. à rasage des deux Eglises prot. de France, P.,
1855: E. Lehr, Dictionnaire iï administrât . eccl., P., 1809; Evangel.
Kirchenkalender fur Elsas.-Lothr., herausgeg. von C. Boegner, !873,
1875-1877, 2 vol.; Archiv der Stras-sb. Pastoral-Conferenz, Strassb.,
1847-70, 0 vol. ; Beitrxge zu den theol. Wissenschaften, herausgeg. von
Keuss u.Cunitz, Jena, 1851,0 vol.; (Maeder), Oie protest. Kirche Frankr.
1787-1840, herausgeg. von Gieseler, Leipz., 1848, 2 vol., avec de nom-
breux documents et pièces à Tappui (il s'en trouve, parmi les papiers
du vénérable président du consistoire réformé de Strasbourg, mort en
1873, un grand nombre d'autres, classés et annotés, qui offriraient faci-
lement les matériaux de deux autres volumes) ; Kienlen, Franzœs. re-
form. u. luther. Kirche im 19 /en Jhh., dans la lleal-Encyclop. de Her-
zog., IV, p. 547 ss.; enfin des articles publiés par le signataire de cet
article dans la Revue ehrê tienne, X, p. 103 ss.; XVI, p. 471 ss.; p. 559 ss.;
XVII, p. 232 ss.; XXiï, p. 1 ss.; XXIll, p. 042 ss.
F. LlCHTENBERGER.
ALSTED Jean-Henri), théologien réformé, fut professeur de philoso-
phie el de théologie à Herborn, puis à partir de 1029 à l'université
récemmenl fondée de Weissenburg en Transylvanie ; il mourut dans
celte ville en Î038. 11 avait élé envoyé au synode de Dordrecht par
l'Eglise du Nassau. Parmi les nombreux ouvrages de cet écrivain infa-
tigable, nous nous contenterons de citer son Enct/clo/nvdia, 2 vol., Herb.,
1030, iu-f", réimprimée a Lyon en A vol. in-f°, 1649.
ALTENSTEIN Charles, baron de Slein-Allenstein),' né le 7 octobre
1770 a Ansbach, dans la principauté de Bayreutb qui appartenait alors ;i
220 ALTENSTEIN
la Prusse. D'abord conseiller au commissariat des guerres et des domai-
nes dans sa ville natale, appelé en 1792 à Berlin par le prince Harden-
berg, il suivit Frédéric-Guillaume 111 à Kœnigsberg après la catastrophe
de 1806 et reçut en 1808 le portefeuille des finances, en 1813 il fut
nommé gouverneur de la Silésie, en 1817 ministre de l'instruction
publique. Le talent supérieur avec lequel il dirigea ce département dont
il était le premier titulaire (l'instruction publique, qui avait fait jusqu'a-
lors partie du ministère de l'intérieur, fut constituée depuis 1817 en un
service spécial sous le nom de ministère de l'instruction, des affaires
ecclésiastiques et médicales, Ministerium fur die g eist lichen , Unter-
richts-und Medicinalangelegenheilen) lui valut l'estime de toutes les per-
sonnes compétentes ; aujourd'hui encore sa mémoire est entourée de
la reconnaissance universelle. La loi de 1819, qui régla tous les stades
de l'enseignement depuis l'école primaire jusqu'à l'université et dont
les dispositions les plus essentielles sont demeurées jusqu'à maintenant
en vigueur, fortifia le principe de l'obligation dont un siècle de pratique
avait démontré l'excellence (introduit par un édit de Frédéric Ier en 1713) ;
son adoption fut décrétée pour la Westphalie et les provinces rhénanes
malgré l'opposition du clergé catholique. Si grande que fût à cette
époque la pénurie du trésor, Altenstein laissa lors de sa retraite
120 gymnases et 30,000 écoles pour .16 millions d'habitants environ. Les
universités ne furent pas traitées avec moins de sollicitude. En 1809,
Altenstein, quoiqu'il eût le portefeuille des finances, avait été lors de
l'érection de l'université de Berlin l'un des plus dévoués collabora-
teurs de G. de Humboldt ; le 18 octobre 1818 il inaugura, pour les pro-
vinces nouvellement réunies à la Prusse, l'université de Bonn. En fidèle
disciple de Hegel, il donna dans les programmes académiques la place
d'honneur à l'enseignement de la philosophie, appela son maître à
l'université de Berlin et l'investit d'une véritable juridiction sur tout le
mouvement intellectuel. Dans le domaine théologique et ecclésiastique,
Altenstein s'inspira surtout des vues de Schleiermacher. Parmi les pro-
fesseurs éminents nommés sous son ministère , il convient de citer :
Tholuck à Halle, Liïckeet Bleek à Bonn. Gesenius et Wegschéider furent
maintenus dans leurs charges malgré les dénonciations de la Gazette
évangélique (1830); l'université de Berlin fut illustrée par l'enseigne-
ment de Schleiermacher, de Neander, de Marheinecke. Altenstein pré-
sida, sans être libre de les diriger complètement selon ses vues, aux
grands événements qui dans la première moitié du dix-neuvième siècle
s'accomplirent au sein de l'Eglise protestante de Prusse : l'Union (1817),
l'Agende (1822), les divers essais de constitution. Il s'efforça en toute
circonstance de faire prévaloir les vues progressives de Schleiermacher,
mais ne put triompher des préventions de Frédéric -Guillaume III et du
mauvais vouloir du parti féodal. Il aurait désiré entre autres pour l'Eglise
protestante une réelle autonomie, l'introduction dans son intégrité du
régime synodal. L'Agende lui répugnait à cause du maintien de formules
surannées et de la part excessive faite à l'élément liturgique. Dans les
controverses qui suivirent et qui amenèrent le schisme des' vieux-luthé-
riens, Altenstein, malgré la divergence des vues dogmatiques, plaida la
ALTENSTEIN — ALTING 22i
cause de la liberté de conscience el aurail voulu qu'on procédai contre
les communautés dissidentes avec moins de rigueur. Ses relations avec
l'Eglise romaine fonl moins d'honneur à sa perspicacité: il subit tou-
jours davantage l'influence d'un de ses conseillers, L'ultramontain
Schmedding, el se laissa entraîner par un amour excessif de la paix à
des concessions regrettables. Il réussit, il est vrai, après le congrès de
Vienne à empêcher la signature d'un concordat entre la Prusse et le
saint-siége : la bulle De salule animarum (16 juillet 1821) n'en reconnut
pas moins à ce dernier des privilèges excessifs pour la direction des
séminaires et la nomination des évèques. Le conllit, dit des mariages
mixtes, occupa Altenstein dès son entrée au ministère; il se flatta par
ses négociations avec l'archevêque de Cologne, Spiegel, et le pacte du
5 mai 1830, de lui avoir donné une solution définitive, mais les événe-
ments ne tardèrent pas à lui montrer la vanité de ses espérances. Une
faute plus grave encore fut commise par la nomination au siège vacant
de Cologne du baron de Droste-Vischering (29 mai 1830); le nouvel
élu engagea avec le cabinet de Berlin une guerre violente qui ne fut
officiellement terminée que par son arrestation (20 novembre 1837).
Les professeurs hermésiens de Bonn, après avoir été soutenus par le
gouvernement prussien, furent abandonnés par lui à la vengeance de la
curie romaine (1837). Altenstein mourut le 14 mai 1840. Tous les
contemporains s'accordent à reconnaître la hauteur de ses vues, l'éten-
due de ses connaissances, son absolu dévouement k la chose publique ,
la sûreté et l'agrément de son commerce. E. Strœhlin.
ALTHAMER(André) [1498-1 564], plus connu sous le nom de Brentius
du lieu de sa naissance dans la Souabe, savant philologue et théologien,
embrassa les principes de la Réforme et fut appelé en 1528 par le mar-
grave George de Brandebourg, dont il devint le conseiller favori, à di-
riger les Eglises protestantes du pays d'Ansbach et de Silésie. Il s'appli-
qua principalement à l'exégèse grammaticale de la Bible et à la caté-
chétique. Nous citerons, parmi ses ouvrages, son Diallage,siveconciliatio
locorum Scripturee, qui prima facie inter se pugnare videntur, Nuremb.,
1528, sa Sylva biblicorum nominum, 1530., dictionnaire des noms pro-
pres qui se trouvent dans la Bible; ses Annotationes in S . Jacobi Episto-
l'uii et son catéchisme, intitulé : Dasist Unterricht zum christl. Glaicben,
wie man die Jugend lehrenu. ziehensoll, in Fragweis u. Antwort gestellt.
Item etlidte gemeine Colleclen od. Gebete fur gemeines Ànliegen der Chris-
tenheit. » Niïr. 1528.
ALTING (Henri), théologien réformé, naquit en 1583 à Embden en
Frise, où son père était pasteur. Après avoir fait des études à Gronin-
gue et a llerborn, il devint le précepteur de Frédéric, prince électoral
palatin, qu'il accompagna à l'université de Sedan et plus tard en Angle-
terre. En 1613 il devint professeur de théologie à Heidelberg, assista au
synode de Dordrecht, dut s'enfuir de Heidelberg lors du siège de la ville
par Tilly en S<»-2-2. obi in I en 1(327 une chaire théologique à Groningue,
el mourut en celle ville en 1644. Durant une vie agitée, il avait montré,
non-seulemenl un grand savoir, mais la patience et le courage d'un
chrétien. Il avait écrit beaucoup de livres, mais n'en avait publie qu'un
m ALTING - AMALÉGITES
seul, en 1618, sur quelques opinions du théosophe allemand Jacques
Bœhme. Ses autres ouvrages ne parurent qu'après sa mort, parles soins
de son fils Jacques, professeur de théologie à Groningue, mort en 1(597.
Les œuvres du père, 3 vol. in-f°, 1662, contiennent sous le titre de
Loci communes une dogmatique, desproblematica theologica, et une expli-
cation du catéchisme de Heidelberg. En 1701 on publia sa Historia ec-
clesise palatinœ, et en 1841 son Katecketischen Unterricht des Pfalzgrafen
Friedrich (éd. Lewald, Heidelb.), qui n'est pas le moins intéressant de
ses écrits. Ceux de son fils Jacques, qui était savant en hébreu et qui
avait étudié les rabbins, remplissent 5 vol. in-f°, Amsterdam, 1687. —
V. les articles de Bayle dans son dictionnaire.
ALYPE (Saint), compatriote, disciple et ami de saint Augustin, pas-
sionné comme lui pour les plaisirs du monde et particulièrement pour les
jeux du cirque, mais intègre et loyal, s'attacha à son maître avec une in-
violable fidélité, le suivit dans ses pérégrinations, partagea ses doutes et
ses erreurs, reçut le baptême en même temps que lui dans l'église de
Milan par les mains d'Ambroise et l'accompagna, avec Nébride, dans sa
retraite à Tagaste. Il fut nommé évêque de cette ville en 394. Le mar-
tyrologe romain fait mention de lui au 13 août. — Voy. saint Augustin,
Confess., "VI, 7-10; IX, 6 etpassim ■; Fpist. 22-25.
ÂMALAÎRE (Amalarius). Ce qu'on sait de sa vie est incomplet et in-
certain ; il fut prêtre dans le diocèse de Metz, et mourut vers 837. En
816 il écrivit, sur l'ordre de Louis le Débonnaire, un Liber vitse clerico-
rum, composé de passages des Pères sur les devoirs du clergé. Ses
ouvrages principaux sont consacrés à la liturgie ; ils sont très-utiles
pour la connaissance du culte au commencement du neuvième siècle.
Pour les composer, Amalaire avait fait des voyages à Tours, au cou-
vent de Gorbie et même à Rome ; il avait recueilli des informations et
comparé des manuscrits. Ses quatre livres de ecclesiasticis offïciis, dédiés
à l'empereur, contiennent une description de tout ce qui se rapportait
au culte, des offices depuis le dimanche de la Septuagésime jusqu'à la Pen-
tecôte, des divers grades de la hiérarchie et des vêtements sacerdotaux,
de la messe et du chant des heures. L'ouvrage se distingue par le soin
avec lequel Amalaire s'efforce de rechercher les origines des choses
liturgiques ; mais son interprétation allégorique lui fit commettre des
erreurs, dont quelques-unes furent déjà remarquées par ses contempo-
rains. Dans le traité de ordine antiphonarii il blâme, sans raison, la
réforme du chant ecclésiastique proposée par Agobard. Ses Eclogse de
officio missœ sont une explication mystique de la messe. Le Liber vitse
clericorum est imprimé dans les collections des conciles de Sirmond, de
Labbe, etc.; les Èclogx, dans les Capitularia deBaluze, t. II, p. 1352 ss.;
les deux autres ouvrages liturgiques chez Hittorf, Collatio scriptorum de
divinis o/ficiis, Col. 1568, in-f", et dans la Bibl. PP. Max., t. XIV. —
V. Hist. litl. de la France, t. IV, p. 531 ss.
AMALÉCÎTES. Tribu de bédouins qui habitait le pays situé entre la
mer Morte, l'Egypte et l'Arabie Pétrée (Nomb. XIII, 29; 1 Sam.
XXVII, 8; Eusèbe; Jos., Anl., II, 1, 2; III, 2, 1), et sans doute aupara-
ravant jusque dans la montagne d'Ephraïm (Juges V, 14; XII, 15). La
AMALÉCITES 223
Bible connaît deux traditions différentes à Lems sujet : ils sont établis
ail sud-ouest «le la mer Morte au temps <r.\l>rahain (Gen. XIV, 7), ot
l'oracle de Balaam les appelle les « princes des nations; » au contraire.
Gen. \\\YI, Là, Kl (cf. i Chron. [, 3(>) Amalek est le pelil-fils d'Esaii. 11
faut remarquer cependant que sa mère, Timna (l'Escarpée), est une
Horite, et qu'ainsi Amalek pourrait peut-être se rattacher par elle aux
populations primitives de la Palestine. Amalek se trouve également
associé à un autre nom sous lequel on serait tenté de reconnaîtra les
Adites, une des tribus qui ont joué le plus grand rôle dans l'histoire des
Arabes primitifs. Une des femmes d'Esaii, grand-père d'Amalek, s'ap-
pelle Adah (Gen. XXXVI, 12); clans un passage même (v. 16), les Ama-
lécites sont appelés les Benè-Adah. Or, d'après la tradition arabe, Ad,
père des Adites, était fils d' Amalek et petit-fils de Cham. 11 est difficile
de méconnaître, entre ces deux séries de faits, une certaine parenté.
Nous croyons en trouver la confirmation dans la prophétie de Balaam
qui concerne Amalek. En effet, le second vers en est obscur à cause du
mot Adi dont on ne sait que faire; il devient clair au contraire si on
y voit un nom propre et si Ton traduit : Amalek est le prince des na-
tions, mais sa postérité, Ad, sera anéantie. — Les Amalécites étaient
Les ennemis jures d'Israël : « guerre de Jéhovah contre Amalek, de
génération en génération, » disait un vieux proverbe. L'Exode raconte
que, lors de l'invasion des Hébreux, ils furent battus par Moïse à Raphi-
dim : cette victoire fut consignée par écrit, et un monument élevé pour
en perpétuer le souvenir (Ex. XVIÏI, 8-16; comp. Deut. XXV, 17-19).
Du temps des Juges, on les voit s'allier successivement à tous les enne-
mis des Hébreux, aux Ammonites (Juges III, 13), aux Madianites et aux
Benê-Kedem (Juges VI, 3 ; VII, 12) ; les Israélites trouvèrent des défen-
seurs dans Gédéon, Saùl et David dont les exploits contre les Amalécites
sont restés populaires. Ce n'étaient toutefois, de part et d'autre, que
des guerres d'embuscades et de surprises (1 Sam. XV, 5; XXVII, 8;
XXX, 1-18) ; mais, dès que le pouvoir fut consolidé entre les mains de
David, les Amalécites disparurent (2 Sam. VIII, 12). Leurs derniers dé-
bris furent anéantis par la tribu de Siméon sous Ezéchias (1 Chron.
IV, 43). Cette disparition si prompte tient à deux causes : les Amalécites
étaient déjà un peuple vieux lors de l'invasion des Hébreux ; et puis,
ils paraissent ne jamais avoir eu d'organisation sociale ; ce n'étaient
que des hordes nomades (gedoud); ils arrivaient montés sur des cha-
meaux, avec leurs troupeaux et leurs tentes, et disparaissaient empor-
tant tout sur leur passage. Il n'est question qu'une fois d'une ville
d'Amalek d Sam. XV, a). A diverses reprises, on rencontre de leurs
rois portant le nom d Agag ; on a même pensé que c'était un titre hono-
rifique, pourtant cela est douteux. Les Arabes en parlent comme d'une
tribu encore puissante au temps de Nebucadnetzar; mais ce renseigne-
ment, comme toutes leurs légendes sur les patriarches, est fort sujet
à caution. - Voyez : d'ilerbelot, Bibl. or. s. v. Amlak; Aboulféda, Ilist.
ùl.,\). lTSss.; Micûaelis, SpiciL, I, 170. J. van Iperon. Hist, crit Edom.
et Amelacitarum , Leovarden, 17(>8: Noeldeke, Uebcr' dia Amalekiter ,
Gœtt., 1864, in-8°. i>h. Bkrc
224 AMAN — AMAURY
AMAN [Ha m an], premier ministre du roi de Perse Assuérus. Le
livre d'Esther (III, 10 ss.) l'accuse d'avoir voulu faire périr tous les
Juifs de l'empire persan par haine contre Mardochée ; arrêté dans ce
projet par la reine, il serait tombé en disgrâce auprès du roi qui l'aurait
fait périr (Esth. VII, 10). —Voyez Esther.
AMAND (Saint), Amandus, un des missionnaires chrétiens du sep-
tième siècle, était originaire d'une ancienne famille romaine de l'Aqui-
taine. Il entra de bonne heure au service de l'Eglise ; ardent et coura-
geux, il se consacra à la conversion des païens. On dit qu'il prêcha
l'Evangile aux populations basques des Pyrénées et aux Slaves des bords
du Danube. Son principal champ d'activité fut l'ancien pays des
Francs, le long de la Meuse et de l'Escaut. Les Francs, établis dans la
Gaule, tout en étant devenus chrétiens, semblaient avoir oublié que
beaucoup de leurs contemporains étaient encore païens. A partir de
626 on trouve Amand aux environs de Gand, luttant contre les diffi-
cultés que lui opposaient la superstition et la haine du peuple ; enfin il
convertit un homme riche, Bavon, avec l'aide duquel il put établir deux
couvents, Blandinium (Blandigny) eXGandavum (plus tard Saint-Bavon).
Ces deux maisons et une troisième, Elnon, près de Tournay (plus
tard Saint- Amand), devinrent dès lors le centre de sa mission. De
647 à 649 il fut évêque de Maestricht, mais, ne réussissant pas à disci-
pliner ses prêtres grossiers et incultes, il reprit son œuvre parmi les
païens de la contrée. Il passa ses dernières années au couvent d'Elnon.
La date de sa mort est incertaine ; un de ses anciens biographes la place
en 661. La légende lui attribue une foule de miracles.
AMASA [cAmâsâ, 'A^saaat], fils d'Abigaïl, sœur de David, et d'un
certain Jithra ou Jether, commanda l'armée envoyée par Absalom
contre son père et essuya une défaite complète ; gracié par David, il
remplaça Joab à la tête de l'armée et reçut la mort de sa main
(2 Sam. XVII, 15 ss., 25 ; XVIII; XIX, 13; XX, 4 ss., 8 ss.).
AMASIAS ['Amaçyâh, 'A^scaCaç, 'A^actaç], roi de Juda, fils et
successeur de Joas (838-809 avant J.-C), fit le procès aux meurtriers
de son père (2 Rois XIV, 5 ss.), défit les Edomites, qui avaient récem-
ment secoué le joug du royaume de Juda (2 Rois XIV, 7), attaqua le roi
Joas d'Israël, éprouva une défaite complète et fut fait prisonnier : Jéru-
salem fut prise, ses murailles démolies en partie et ses trésors pillés.
Amasias, remis en liberté, régna pendant quinze ans après la mort de
Joas d'Israël et mourut assassiné (2 Rois XtV, 17).
AMAURY, natif de Bène, près de Chartres, enseigna la philosophie,
puis la théologie à l'université de Paris. Sa thèse, que « tout chrétien
est tenu de croire qu'il est membre de Christ et qu'il a souffert réelle-
ment avec Christ le supplice de la croix, » ayant été censurée par
l'université et condamnée par le pape en 1204, Amaury la rétracta,
mais mourut de chagrin bientôt après, sans laisser d'ouvrages. Son
système a été un panthéisme semblable à celui de Scot Erigène, dont
Amaury a visiblement subi l'influence. Dieu, selon lui, est l'être infini
qui se manifeste à lui-même en revêtant les formes des créatures.
Essence absolue de tout ce qui existe, il est encore le principe formel
AMAURY 225
du monde en tant qu'il est l'intelligence qui conçoit et réalisé les types
éternels dos choses. Toutes les créatures sont émanées de Dieu et
doivent rentrer dans l'unité divine. L'àme remonte en Dieu par la con-
templation et L'amour; « elle perd alors son propre être et reçoit l'être
de Dieu : désormais elle n'est plus une créature ; elle ne voit plus,
n'aime pins Dieu: elle est Dieu même, l'objet de toute contemplation
et de tout amour. » La thèse incriminée présente eette même idée
sous la forme biblique de l'union de l'Ame avec Christ, empruntée à
1 Cor. XII, 27, et exprimée sous une forme paradoxale. — La doctrine
d'Amaurv s'était répandue dans le peuple. De ces principes métaphy-
siques les amalriciens déduisirent bientôt, pour les appliquer dans la
vit4 pratique, des conséquences morales qui étaient restées bien loin de
l'esprit idéaliste d'Amaury : « L'homme en qui habite le Saint-Esprit
ne pèche plus ; il peut impunément commettre tous les péchés, car
c'esl l'Esprit même de Dieu qui agit par lui. » Pour justifier cette
doctrine, ils la présentèrent comme une nouvelle et dernière révéla-
tion de Dieu aux hommes, en adoptant les idées apocalyptiques de
Joachim de Flore : « Le Père s'est manifesté dans l'Ancien Testament
sous la forme des lois mosaïques ; le Fils s'est manifesté dans le Nou-
veau Testament sous la forme des sacrements ; le Saint-Esprit se mani-
festera à son tour et abolira les rites évangéliques comme Jésus a aboli
les lois de Moïse. » Aussi les sectaires, s'attribuant la mission de pré-
parer l'avènement du règne du Christ, commencé déjà dans leur secte,
condamnèrent l'usage des sacrements et la participation aux cérémo-
nies du culte. Selon eux, la résurrection des morts devait inaugurer
l'ère nouvelle, et ils entendaient par ce mot la diffusion du Saint-Esprit
dans les cœurs des fidèles, assurant qu'eux-mêmes étaient ressuscites.
Ils annonçaient que de grandes calamités précéderaient cette résurrec-
tion : « Dieu visitera les peuples, les princes et surtout les prélats par
toutes sortes de fléaux. Le pape est l'Antéchrist, Rome la Babylone
d'impureté. Finalement tous les royaumes de la terre seront soumis
au roi de France, » chef visible de cette théocratie de l'Esprit. En 1209
la secte avait envahi les diocèses de Paris, de Langres, de Troyes et de
Sens. Elle était composée de clercs et de laïques et paraît avoir possédé
une certaine organisation intérieure : il est du moins fait mention de
réunions religieuses dans lesquelles la description de ravissements
colotcs était accueillie avec faveur, et de l'institution de sept prophètes,
organes spéciaux du Saint-Esprit. La propagande trop zélée de l'un de
ces prophètes révéla l'existence de la secte à l'archevêque de Paris. Le
synode de Paris de l'an 1209 condamna dix des hérétiques, dont neuf
clercs, a la peine du bûcher. L'un d'eux, avant de mourir, affirma « que
nul incendie, nul supplice ne pouvait l'affecter, parce qu'il était Dieu,
en lanl qu'il possédait l'existence. » Le même synode flétrit la mé-
moire (1 Amaury, ei ordonna que son corps fût extrait du cimetière où
il reposait, ei enseveli dans une terre non consacrée. — Voyez : En-
gelhardt, Amalrich v. Bena, dans ses Kirchengesch., Abhandlungen,
Erl., 1832, j>. -2.')1 : Hahn, Amalrich v. Bena, dans les Theol. Stud. u.
Krit., 1846, I, p. 1 Si ; Knenlein, Amalrich v. Bena u. David v. Dînant,
226 AMAURY - AMBOISE
IàùL, 1847, Iï, p. 271; Hauréau, De la plril. scolast., 1, p. 391; et mon
Hist. du panthéisme popul., etc., p. 20. A. Jundt.
AMBOISE (Conjuration a"). Les protestants français avaient, sous les
règnes de François Ier, de Henri II, et durant la première partie de
celui de François II, traversé la phase du martyre : uniquement
préoccupés du soin d'affirmer leur foi et d'en démontrer la sainteté,
dans les cachots et au milieu des bûchers et des tortures, ils avaient
héroïquement affronté la mort, sans qu'une seule fois l'idée leur fût
venue de s'abriter sous l'égide d'un principe de droit public supérieur
aux lois, aux juges et aux bourreaux qui les frappaient impitoyable-
ment. Le jour vint où un homme de foi et de haute intelligence,
Coligny, voulut inaugurer pour eux une phase nouvelle, celle de la
revendication pacifique, mais ferme, du principe de la liberté de
conscience et de culte, consacré par les enseignements de Jésus-
Christ. Dans une mémorable conférence tenue à La Ferté-sous-
Jouarre, où la question religieuse dominait la question politique, il
soutint énergiquement la nécessité de ne recourir qu'à la seule force
morale et qu'aux voies de la légalité, tant pour affranchir d'un pouvoir
tyrannique la France et une royauté débile, que pour fonder le régime
de la liberté religieuse, Des esprits impatients et aventureux, substi-
tuant au droit strict la force, l'emportèrent sur l'opinion émise par
Coligny. L'amiral se retira, en déclinant d'avance toute responsabilité
quant aux mesures agressives qui seraient adoptées, et inébranlable-
ment résolu à poursuivre pacifiquement la consécration légale et
l'application de la plus précieuse des libertés publiques à conquérir.
L'opinion qui avait prévalu dans la conférence de La Ferté conduisit au
tumulte d'Amboise. S'il n'est pas possible de retracer ici les nombreux
détails qui se rattachent à la conception et à l'exécution de ce complot,
il est opportun du moins de lui restituer son véritable caractère, que
la partialité de certains narrateurs a sciemment altéré. Ce fut, ainsi
qu'un pieux écrivain (M. Lutteroth, Hist. de la Ré for m. en Fr., p. 191)
l'a judicieusement qualifié, un complot d'honnêtes gens. En effet, il fui
l'œuvre, non de vulgaires conjurés, animés de viles passions, mais
d'hommes, généralement recommandables , qu'exaspéraient, d'une
part, la longue série de supplices infligés à d'innocentes victimes, et,
de l'autre, l'asservissement de la royauté par les Guises. Ces hommes
aspiraient, comme protestants, à l'anéantissement d'un régime de
compression religieuse, comme Français et royalistes, au renversement
des tyrans de la nation et des dominateurs de la royauté. Munis de
l'avis, combattu d'ailleurs par Calvin, de plusieurs théologiens et ju-
risconsultes, ils se décidèrent à une prise d'armes, légitimée, à leurs
yeux de même qu'à ceux de leurs conseils, par la direction que leur
imprimerait un prince du sang. Deux chefs leur étaient nécessaires,
l'un apparent, l'autre secret, jusqu'au moment où les circonstances
exigeraient la révélation de sa personnalité prépondérante. Le premier
fut un gentilhomme d'ancienne maison, Godefroy de Barry, seigneur de
La Renaudie ; le second, le prince de Condé. Tandis que celui-ci demeurait
intentionnellement dans l'ombre et à l'état de chef muet, La Renaudie,
A. M BOISE 227
doue'' d'habileté, d'intrépidité; ée persévérance, recruta des partisans et
leur assigna, à Nantes, pour le l<r février ir>60, un rendez-vous auquel
ils vinrent exactement. Là, protestant de son respect et de son dévoue-
ment pour le roi et la famille royale, « il harangua les assistants,
nieslanl les raisons et tes passions de si bonne grâce, qu'il tira d'eux
un sonnent solennel. Ils advisèrent qu'il falloit commencer par une
requeste qu'il ferai présenter par personnes simples et sans armes, sur
le refus de laquelle ils espéroient se saisir de ceux de Guise dedans
Hlois. se prostèrnet aux pieds du roi, et de là déclarer le prince pour
leur chef si administrateur du royaume. Après ils firent eslection de
ceux qui dévoient rallier les forces de divers endroicts » (d'Aubigné,
///'st. Btfittr., liv. H, chap. XV). Quelque limitée que soit la présente notice,
uniquement destinée à caractériser le tumulte d'Amboise, sans en
exposer les péripéties, elle ne peut pas cependant taire les motifs qui,
fondés ou non, déterminèrent une prise d'armes. Les voici tels que l'un
des principaux acteurs de ce drame, le loyal baron de Gastelnau, les
signala au duc de Nemours : « Ni lui, ni ses associés ne vouloient
attenter aucune chose contre la majesté du roy : mais au contraire ils
es love ni armez pour maintenir sa personne et la police de son
royaume. Ils vouloient remonstrer à Sa Majesté les machinations et
délibérations secrètes de ceux de Guyse contre sa grandeur, leur vio-
lence manifeste contre les subjects, l'oppression faite par eux contre sa
justice de ses estats, des lois et coustumes de son royaume. En telle
nécessité, ils vouloient entretenir le nom de fidèles subjects qu'ils
avoient acquis de si longtemps, et pour autant qu'ils se sentoient
obligez de faire ce qui est oit nécessaire pour la conservation de leur
prince. Leurs armes ne s'adressoient aucunement contre le roy, mais
contre lesdicls de Guyse, qui leur estoient ennemys, lesquelz empes-
choient avec violence que aucun eust accès au roy, sinon ceux qu'il
leur plaisoit. Ils s'estoient donc armez, afin que si besoing estoit, ils
peussenl, malgré lesdicls de Guyse, se faire voye jusques à la majesté
du roy, là où estans, ils scavoient bien l'honneur et la révérence qu'ils
luv devoyent porter » (le prés, de Laplace, Comment., in-f°, 52). Ces
paroles concordent avec un passage remarquable d'un mémoire rédigé,
en 159i, par Th. de Bèze, sur les guerres de religion {Bull, de la Soc.
d'hlst . du prote$t: f)\, ann. 1872, p. 31). Les Guises, auxquels le com-
plot avait été secrètement dénoncé, organisèrent les moyens de le
déjouer. Ils conduisirent le roi de Blois à Amboise, où eux et lui
sciaient plus en sûreté, et ils concentrèrent des troupes sur divers
points. Voulant réduire à l'impossibilité d'agir les trois personnages
(jn ils redoutaient le plus, Goligny, Dandelot et Gondé, ils les firent
appeler officiellement a Amboise. Tous trois s'y rendirent; les deux
premiers, sans défiance, forts qu'ils étaient de la netteté de leurs sentir
ments <■! de leurs vues: le dernier, avec une témérité qui équivalail à
L'abdication de son rôle de chef ultérieur de l'action, en temps voulu;
abdication qui compromil gravement le succès de l'entreprise, fidèle
à sa résolution de ne demander qu'a la force morale la consécration de
toute mesure tendant, soit à établir la liberté religieuse, soit au moins
228 AMBOISE — AMBON
à en préparer les bases, par la répudiation immédiate du régime de
l'intolérance, l'amiral, en pleine cour, « donna le conseil d'apaiser la
multitude qu'on craignoit par quelque édict qui suspendit la persécu-
tion des réformez. Cet édict fut faict » [d'Aubignè, liv. Il, ch. XV).
Informé de la découverte du complot, La Renaudie, sans se décourager,
marcha avec les siens sur Amboise. Le succès échappa à ses efforts : il
périt en combattant. La plupart de ses partisans furent massacrés;
d'odieuses exécutions, commandées par les Guises et accomplies sous
leurs yeux, ensanglantèrent le château d 'Amboise et ses alentours. Le
souvenir de toutes les lâches atrocités commises en cette circonstance
pèsera à jamais, de tout le poids du déshonneur, sur le nom de ces
néfastes Lorrains, hostiles à la liberté religieuse, à la France et à la
royauté, dont les passions dominantes furent l'ambition, la haine et la
soif de vengeance. — Voyez sur le tumulte d' Amboise : 1° Régnier de
Laplanche, Hist. de V Estât de France, éd. de 1576, p. 125 à 135 et 155
à 254; 2° le prés, de Laplace, Comment, de V est. de la relig., etc., éd. de
1565, fo 49 à 58; 3° Th. de Bèze, Hist. eccl.^éd. de 1580, t. I, p. 249 à
273; 4° Grespin, Hist. des Martyrs, éd. de 1608, p. 516 à 520; 5° Galvin,
Corresp. lat., 1560-1561, et Corresp. franc., t. II, p. 382 à 391 ; 6° La Po-
pelinière, ffist., éd. de 1581, t. I, f° 162 ss.; 7° d'Aubignè, Hist. vniv.,
éd. de 1616, p. 91 à 95; 8° Mém. de Condé, éd. de 1743, t. 1, p 320 à
334 ; 9° de Thou, Hist. unie, éd. fr. de 1740, t. II, p. 753 à 788 ; 10° Mém.
de Michel Castelnau, éd. de 1731, t. I, liv. I, ch. VIII, IX, X, XI; 11» art,
de M. Mignet, dans le Journal des Savants, ann. 1857, p. 412 à 423 et
469 à 481 ; 12° H. Lutteroth, La Réform. en Fr., 1859, p. 188 à 200;
13° Puaux, Hist. de la Réf. fr., 1859, t. Il, p. 24 à 36. J. Delaborde.
AMBOISE (Françoise d'), fille de Jacques d' Amboise, seigneur de
Bussy et de Resnel, et d'Antoinette d' Amboise. Du mariage de Françoise
avec René de Glermont, seigneur de Saint- Georges, naquirent Antoine
l'aîné, marquis de Resnel, et Antoine le jeune, dit le moine de Bussy.
D'une seconde union, contractée avec Charles de Groy, comte de
Seninghen et de Porcien, Françoise n'eut qu'un enfant, Antoine de
Croy, prince de Porcien (voy. cet article). La comtesse de Seninghen
fut, à l'instigation d'Anne de Montmorency, poursuivie au criminel,
comme ayant favorisé l'évasion de son cousin le duc d'Arschot, prison-
nier de guerre. La poursuite tourna à la confusion du connétable. En
1558, la comtesse, haut placée à la cour, y fit une profession ouverte
de protestantisme qu'elle soutint avec persévérance. En 1561, notam-
ment, on la vit ouvrir, à Paris, l'accès de son hôtel à une assemblée
religieuse « qui fut faite, la veille de la Toussaint, devant les yeux de
tout le monde, et remparée de la présence du prévost des mareschaux
et de leurs archers, pour empescher qu'il n'y eust émotion du peuple »
(OEuvr. d'Est. Pasquier, t. II, p. 87). Cette assemblée fraya la voie aux
prédications qui, bientôt après, se firent au Patriarche et à Popincourt.
— Il existe quelques lettres de Françoise d'Amboise à laBibl. nat., f. fr.
Vol. 3196 à 3632.
AMBON [de àyiwv (éminence), ambio (j'entoure), ou ambo (deux)],
meuble élevé placé dans le chœur des anciennes basiliques chrétiennes.
AMBON — AMBROISE 229
Les ambons, ambçnes, étaient ordinairement au nombre de doux,
disposés l'un en face de L'autre : celui de droite (au sud) avait la
tonne d'un pupitre ou lutrin de forme carrée, auquel on montait par
un seul escalier et d'en les diacres lisaient l'épître et les livres des
prophètes; celui de gauche (au nord), plus élevé, était une sorte de
tribune ou chaire, de forme polygonale, accessible par un double
escalier, cl servait à la lecture de l'évangile et aux prédications. Près de
lui, sur l'un des piédestaux de la balustrade, se dressait un petit pilier
ou une colonnette torse, supportant le cierge pascal. Les ambons
étaient habituellement en marbre avec incrustations et décorés de mo-
saïques. On en voit de beaux exemples à Rome, dans les basiliques
Saint-Clément, Sainte-Marie in Cosmedin et Saint-Laurent-hors-les-
-Murs. A partir du quatorzième siècle ils sont remplacés par la chaire et
le Julie voyez ces deux mots).
AMBROISE (Saint) fut le représentant le plus éminent de l'esprit et
des tendances hiérarchiques de l'Eglise d'Occident du quatrième siècle,
et en même temps un des écrivains ecclésiastiques latins les plus in-
fluents. Toutes les circonstances dans lesquelles il se vit placé contri-
buèrent également à lui faire obtenir une des places les plus marquées
dans l'histoire des prétentions sacerdotales, telles qu'elles s'accentuè-
rent de plus (Mi plus à partir de cette époque. On s'accorde assez géné-
ralement à le croire né à Trêves, vers 340. Son père, issu d'une famille
consulaire distinguée, avait été préfet du prétoire dans les Gaules et
comme Ici placé à la tète de l'administration des trois provinces les
plus considérables de l'empire d'Occident. Toute la famille professait le
christianisme ; la sœur d'Ambroise avait même fait vœu de virginité
et exerça une grande influence sur les idées religieuses de son frère.
Après avoir perdu son père de bonne heure, Ambroise jeune encore,
arriva rapidement, par la faveur de l'empereur, au poste de gouverneur
d'une grande partie de l'Italie. Les circonstances, qui brusquement
amenèrent Ambroise à échanger les hautes fonctions politiques qu'il exer-
çait, contre le siège épiscopal de Milan, même avant d'avoir encore reçu
le baptême, sont enveloppées d'obscurité. Le récit que son biographe
Paulin en a conservé, montre le caractère légendaire dont beaucoup
d'autres de ses narrations portent l'empreinte. Les orthodoxes et les
ariens se disputaient la succession de l'évèque Auxentius qui venait de
m urir, en 374-, quand au milieu de l'agitation, la voix de Dieu se fit
entendre par la bouche d'un enfant et entraîna les deux partis à pro-
clamer avec enthousiasme Ambroise comme évoque de Milan. Toute
résistance de sa part fut inutile; l'empereur confirma son élection avec
joie. !1 entra dans l'exercice de sa charge sacerdotale en donnant tous
ses biens a l'Eglise et aux pauvres. L'austérité tout exceptionnelle de la
vie qu'il adopta, les jeûnes et les autres pratiques ascétiques qu'il s'im-
posa à partir de ce jour, caractérisent l'idée qu'il se faisait de la sain-
teté chrétienne. Le parti des ariens jusqu'alors très-influent à Milan
n'eut pas a se féliciter d'avoir contribué avec tant d'empressement
à l'acclamer comme évêque. Ambroise lui fit une guerre sans répit,
malgré le puissanl appui dont il jouissait auprès de plusieurs membres
230 AMBR01SE
de la famille impériale. Du reste, les autres hérétiques, tels que les
maniehéeus, les joviniens, les apollinaristes, ne lardèrent pas plus à se
ressentir du zèle d'Ambroise pour la foi orthodoxe. Dans la poursuite
de ce but, il ne craignait pas de résister ouvertement même aux exi-
gences du pouvoir politique, quand celui-ci essayait d'obtenir de lui
une concession quelconque en faveur des sectaires. Lorsque Valenti-
nien, à l'instigation de sa mère Justine, lui demanda (385) de céder
aux ariens une petite église, située hors des portes de la ville, il lui
répondit : « L'église appartient à Dieu, l'empereur n'a aucun droit
à la demander. » Le peuple s'ameuta en faveur de l'évêque. Un ser-
mon que prononça celui-ci, rempli d'insinuations à l'adresse de l'impé-
ratrice mère, ne contribua pas à calmer l'effervescence. « L'empereur,
disait-il, n'est que membre de l'Eglise et n'est pas placé au-dessus
d'elle. » Plutôt que de livrer l'héritage du Christ, il se déclarait prêt
à subir la mort. Quand on lui envoya l'injonction de sortir de la ville, il
répondit par le refus d'obéir, alléguant que ce serait abandonner
son Eglise au moment du danger. Les contestations se prolongèrent
jusqu'à ce qu'au moment suprême le ciel intervînt, en faisant découvrir
les reliques de deux martyrs, saint Gervais et saint Protais, dont les
miracles remplirent le peuple catholique d'un tel enthousiasme que la
cour jugea à propos de ne pas pousser les choses à bout. Ambroise lui-
même a laissé le récit de ces faits, dans ses lettres XX et XXII. La cour
avait encore d'autres raisons de ne pas rompre avec ce prêtre énergique
et influent. On se méfiait des plans secrets de l'usurpateur Maxime, qui,
il y avait quelques années, s'était emparé des Gaules et auprès duquel
Ambroise avait alors déjà rendu de notables services au jeune Valenti-
nien. On savait que le tyran méditait toujours une irruption en Italie.
Ambroise dut se charger de la mission difficile de l'engager à renoncer
à ces projets. Nous possédons encore le rapport que l'évêque présenta à
l'empereur du mauvais succès de ces négociations et de la manière dont
il affronta le courroux du conquérant. Mais celui-ci bientôt après suc-
comba devant les armes de Théodose, venu au secours de Valentinien.
Ambroise ne tarda pas à gagner un grand ascendant sur l'esprit de cet
empereur et la manière dont il en usa peint encore son caractère.
Antérieurement déjà (385) il était entré en conflit avec le paganisme
mourant, lorsque les partisans de celui-ci, ayant pour représentants
Symmaque, le préfet de Rome, et plusieurs membres du sénat,
avaient essayé de regagner une position politique dans l'Etat pour le
culte des anciens dieux, en demandant à Valentinien le rétablissement
solennel de l'autel de la Victoire au Capitole. Ambroise se sentit appelé
au nom de l'Eglise à élever sa voix contre un pareil acte de reconnais-
sance publique des faux dieux. Son influence l'emporta. Les écrits publiés
à cette occasion, de part et d'autre, sont plus remarquables comme
échantillons caractéristiques de l'esprit et de la rhétorique de l'épo-
que, que par la force de l'argumentation, En 388, les païens renouve-
lèrent leurs efforts auprès de Théodose, mais Ambroise triompha de
nouveau et les lois par lesquelles l'empereur chercha à amener la sup-
pression totale de l'ancien culte dans les différentes parties de l'empire
AMimoisE m
paraissent avoir été écrites on partie iu moins sous l'inspiration de
hévêque. Son hnftdlérance se déploya aussi à plusieurs occasions contre
les juifs. Néanmoins cette inteïérance chez lui n'alla jamais jusqu'à lui
faire méconnaître les lois de l'humanité. C'est une justice que l'histoire
doil lui rendre. Des le commencemenH de son épiscopal on le vil pro-
tester solennellement contre les persécutions sanglantes qui avaient élé
dirigées contre les priscillianislos. Mais un t'ait devenu bien plus célèbre
nous le montre comme l'interprète et le défenseur courageux des senti-
ments d'humanité vis-à-vis de l'empereur lui-même. Dans une émeute
survenue à Thessalonique à propos d'une course de chars, un général,
Bdthéricus, avait perdu la vie et Théodose, pour punir ce méfait,
ordonna le massacre de plusieurs milliers d'habitants. Ambroise lui
adressa une lettre dans laquelle il lui exposa toute la cruauté de cet
acte, et la nécessité d'une réparation éclatante et d'une réconciliation
publique avec Dieu en se soumettant aux pénitences de l'Eglise. Malgré
toutes les instances du prince, Ambroise maintint son excommunication
et ne lui accorda l'absolution, qu'après qu'il eût fait preuve d'un repentir
sincère. Les historiens ne sont pas d'accord dans tous les détails de
leurs récits, aussi a-t-on jugé très- diversement la conduite des deux
hommes, places l'un vis-à-vis de l'autre dans cette occurrence. Mais le
fait principal, attesté par les lettres d' Ambroise, ne saurait être révo-
qué en doute. Théodose, du reste, n'en conserva pas moins, jusqu'à sa
fin, envers l'évoque de Milan, l'estime et l'amitié qu'il lui avait toujours
témoignées. Celui-ci ne survécut que deux ans à peu près à l'empe-
reur; il mourut en 397. — L'activité littéraire d'Ambroise ne fut pas
moins grande que son activité ecclésiastique et politique. On l'a même
surnommé le Cicéron chrétien, et ce nom, bien que trop pompeux,
désigne du moins en quelque mesure son caractère comme orateur, en
tant que la plupart de ses écrits appartiennent au genre oratoire :
;ont, en effet, des discours ou bien des livres qu' Ambroise com-
posa en y fondant et en y remaniant des sermons et des homélies
qu'il avait débités soit aux catéchumènes, soit aux autres membres de
son Eglise. Celaient les Pères Alexandrins, et surtout Basile le Grand,
Grégoire deNazianze et Grégoire deNysse qui lui servaient de modèles :
ce lut leur goût pour l'explication mystique et allégorique des textes
et des récits sacrés qu'il s'appropria et qu'il poussa jusqu'à l'excès.
Aussi les nombreux livres qu'il composa sur des sujets tels que le para-
dis terrestre ou la création du monde, l'histoire de Caïn et d'Abel,
l'aiclie de Noé, Abraham, Isaac, De Jacob et vita bca/a, De interpellatkmc
Job cl David, etc., n'ont-ils plus guère d'autre intérêt, qu'à nous faire
connaître le genre de spéculations auxquelles se livrait l'esprit ascé-
tique et religieux de ces temps. D'autres écrits ont pour sujet la vir-
ginité, le célibat, la sainteté de la vie monacale. L'ouvrage qui reste
le plus digne de remarque est celui qui porte le titre De officiîs minis-
trorum; c'est une imitation du traité de Cicéron de officiis, entreprise
au point fie vue de l'écrivain ecclésiastique du quatrième siècle. Les
cinq livres De fide contiennent plutôt une longue polémique dirigée
contre l'arianisme qu'un exposé dogmatique. On se tromperait du reste
232 AMBROISE — AMBROISIEN (CHANT)
en cherchant chez Ambroise de l'originalité dans les idées. 11 ne fut
qu'un rhéteur chrétien, écrivant dans le goût de l'époque. Ses Oraisons
funèbres, qu'il composa à l'occasion de la mort du malheureux empe-
reur Valentirtien II et de celle de Théodose le Grand, sont les discours
qui méritent le plus d'être nommés. En outre ses Lettres présentent de
l'intérêt pour l'histoire du temps, ainsi que pour la connaissance du
caractère et de la vie d' Ambroise. A vrai dire, la seule de ses produc-
tions littéraires à laquelle on puisse attribuer une valeur réelle, ce sont
les quelques hymnes qui nous sont restées de lui. Elles tiennent une
place importante dans l'histoire de la poésie religieuse de l'Eglise
d'Occident. Il fût amené à les composer, comme il dit lui-même,
dans l'intérêt de l'orthodoxie vis-à-vis de l'arianisme. Mais quel que
fût le motif qui les lui inspira, Ambroise doit être regardé comme
ayant introduit dans la liturgie de l'Eglise l'usage de ce genre de poé-
sie. Saint Hilaire, déjà avant lui, doit avoir composé des hymnes en lan-
gue latine, mais sans trop de succès à ce qu'il paraît. Elles tombèrent
dans l'oubli. Ce ne fut qu' Ambroise qui mit en vogue ces chants reli-
gieux. L'évêque Isidore de Séville rapporte (O/fic. eccl., I, c. 6) : Hila-
rius, episcopus Pictaviensis, hymnorum carminé floruit primus : post
quem Ambrosius, Mediol. ep., copiosius in huiusmodi carminé claruisse
cognoscitur, atque inde hymni ex eius nomine Ambrosiani vocanlur, quia
eius tempore primum in ecclesia Mediolanensi celebrari cœperunt, cuius
celebritatis devotio dehinc per totius Occidentis ecclesias observa tur. Parmi
une trentaine de ces poésies portant le nom d' Ambroise, la critique n'en
reconnaît que quatre comme authentiques : un cantique du matin, un
autre du soir, une prière à chanter à la troisième heure du jour et enfin
un cantique de Noël. Le célèbre Te Deum laudamus ne date que d'un
siècle après la mort d'Ambroise. La meilleure édition des œuvres d'Am-
broise est celle des Bénédictins (Par., 1686, 2 vol. in-f°). La plupart des
biographies d'Ambroise ne sont que des écrits panégyriques. Les au-
teurs qui peuvent être consultés avec le plus de fruit sont Ghaufepié,
Schroeckh, Gibbon, Ebert, Gesch. der chr. lat. Lit. Leipz. 4874.
E. Cunitz.
AMBROISE LE CAMALDULE [1378-1431], né à Portico, près de Flo-
rence, général et réformateur de son ordre, légat d'Eugène IV aux con-
ciles de Baie, de Ferrare et de Florence, s'est surtout distingué par sa
connaissance de la langue et de la littérature grecques. Il dirigea habi-
lement les négociations entamées par Eugène IV en vue de l'union de
l'Eglise grecque et de l'Eglise latine, traduisit en latin un grand nombre
de Pères grecs, composa des Vies de saints, un traité sur la sainte Gène,
ainsi qu'une relation de sa visite d'inspection des couvents de son ordre
en Italie. Ses lettres et ses harangues, recueillies par Mabillon,, ont été
publiées à Florence en 1759 par Gannetus sojs le titre de S. Ambr.
Camald. Epistolx et orationes.
AMBROISIEN (Chant). Ce que l'on sait sur ce sujet se réduit à
quelques données très-peu précises et peu sûres. 11 paraît avéré
qu' Ambroise, évêque de Milan, de même qu'il donna une impulsion
toute nouvelle à la poésie religieuse latine par les hymnes qu'il com-
AMBR0IS1EN (CHANT; — AME 233
posa, fut aussi l'auteur d'une réforme importante dans le chant, tel
qu'il se pratiquait dans l'Eglise d'Occident. Le témoignage le plus an-
cien et le plus authentique sur ce sujet nous est fourni par saint
Augustin, qui, à la fin du 1. IX, ch. VI de ses Confessions, raconte la
vive impression que, lors de son baptême par saint Ambroise, produi-
sirent sur lui les hymnes et les cantiques chantés à l'église, et combien
son àme se sentait remplie d'une ardente piété. Il ajoute ensuite, au cha-
pitre suivant, que depuis un an seulement, l'Eglise de Milan avait adopté
ce moyen d'édification en l'empruntant aux Eglises d'Orient : Tune hyrnni
et palmi ut canerentur secundum morem orientaliumpartium instilutum est.
Et il rapporte que cette pratique était observée dans presque toutes les
Eglises du monde. Paulin, qui faisait lui-même partie du clergé d'Am-
broise, dans sa biographie de cet évêque, en décrivant cette innova-
tion, la désigne plus particulièrement comme ayant consisté dans le
chant kantiennes, c'est-à-dire de cantiques dont les strophes étaient
alternativement chantées par deux chœurs ou bien aussi par un chœur
et le peuple. Ambroise, dans un passage de son Hexaèmêvon, insiste
expressément sur la participation de toute la communauté, hommes et
femmes, vierges et jeunes gens, au chant de l'Eglise, ce qui précisé-
ment constituait une partie essentielle de l'innovation qu'il introduisit.
Antérieurement ce n'était qu'un chœur composé d'ecclésiastiques,
les cantores, qui chantait. Il parait en outre que ce chant jusqu'alors
n'avait consisté qu'en une espèce de récitation plus ou moins monotone.
Ambroise, par contre, doit avoir adopté le chant plus varié et plus
mélodieux qui, par l'influence surtout de certains partis hérétiques,
avait prévalu dans l'Eglise de Syrie et s'était ensuite répandu dans tout
l'Orient. On marqua davantage le rhythme des vers, en même temps
qu'on s'appropria certains airs populaires, de manière à remplacer la
simplicité sévère et monotone des premiers siècles par ce qu'on appela
plus tard le chant figuré, avec ses modulations et ses mélodies capables
d'élever et d'entraîner, sans toutefois blesser la gravité exigée par le
caractère du lieu et du culte. La nature du citant ambroisien nous est
expliquée par ce que l'on rapporte sur les abus mêmes auxquelles il
donna lieu, en tant que saint Grégoire crut devoir réprimer les modu-
lations trop théâtrales et empreintes d'une mollesse efféminée qui,
peu à peu, prirent le dessus dans le chant ecclésiastique, en les rem-
plaçant par un genre plus grave et plus solennel, appelé depuis du
nom du pape qui en fut l'auteur, le chant grégorien ou le plain-chant.
— Voy. Gerbert, de Cantu et Musica sac?-a, 1. 1, etc., S.-Blas., 111 1, in-4°.
E. Cunitz.
AME. Avant que l'homme entreprît une étude scientifique des organes
el des fonctions de son corps, ses recherches se portaient déjà sur cette
autre partie de son être dont l'activité ne se peut expliquer par les com-
binaisons des molécules organiques et que nous désignons par le mot
âme. Socrate, en rappelant l'antique parole : Connais-toi toi-même,
avait en vue non fanatomie, mais la psychologie, et indiquait la con-
dition première de la vraie science. Aussi la philosophie grecque
constata plusieurs des attributs et des facultés de notre vie intérieure,
i. 16
234 AME
les diverses formes de son activité, penser, sentir, vouloir, sa supério-
rité sur le corps, ses vertus et ses vices, son immortalité, tandis que
les écoles étaient divisées sur d'autres points importants : le mode de
formation de nos connaissances, la nature et l'origine de l'âme, son
unité ou sa multiplicité. Le christianisme imprima une impulsion
féconde à ces recherches, non-seulement par les enseignements des
textes sacrés, notamment sur les rapports de l'âme avec Dieu, qui
constituent un des éléments essentiels de la vie psychique (v. J.-T. Beck,
Umriss der bibl. Seelenlehre, d843; Delitzsch, System der bibl. Psychol.,
2e éd., 1862); mais de plus la religion évangélique adonné à ces inves-
tigations un intérêt plus puissant. Elle est éminemment morale, et
l'objet principal de ses préoccupations, c'est le relèvement de l'homme,
son rétablissement dans la justice et la sainteté. Par là les problèmes
psychologiques furent envisagés à un point de vue nouveau. L'existence
même de l'âme ne fut plus simplement constatée par le témoignage du
sens intime (témoignage qui pourrait, comme celui des sens extérieurs,
être sujet à l'illusion) ; mais impliquée dans le fait de notre responsa-
bilité, imposée par le verdict de la conscience morale qui nous impute
le mérite ou le démérite de nos actes (v. l'art. Conscience). On com-
prend dès lors que tout ce qui tenait aux conditions de la vie religieuse
et morale ait été, de la part des Pères et des docteurs, l'objet d'une
affirmation catégorique, sanctionnée par le suffrage de toutes les
Eglises. La liberté de l'âme fut maintenue fermement, et si le libre
arbitre fut quelquefois refusé à l'homme dans son état de déchéance,
du moins on enseigna toujours que l'homme, dans son état primitif,
avait possédé la vraie liberté et qu'il la retrouvait dans l'économie chré-
tienne (v. les art. Liberté, Déterminisme, Prédestination). L'idée d'une
vie future était trop intimement liée à celle du compte que nous
avons à rendre de nos œuvres, pour qu'un débat pût s'engager sur ce
point ; mais bien des opinions purent se produire sur les conditions
de cette seconde existence (v. Immortalité, Eschatologie, Résurrection,
Anéantissement des âmes)* De même la matérialité de l'âme fut com-
battue, en tant qu'elle pouvait amoindrir notre responsabilité. Par
contre, d'autres questions, d'un ordre plus spéculatif, restèrent livrées
aux discussions des diverses écoles. En ce qui concerne l'essence même
de l'âme, les unes purent professer des degrés ou des éléments
divers (trichotomie), tandis que d'autres affirmaient sa simplicité (di-
chotomie); mais lorsque le panthéisme voulut enseigner qu'il n'y a
qu'un seul esprit, une âme identique et indivisible dans tous les indi-
vidus, le sentiment chrétien s'éleva contre cette intrusion de l'aver-
roïsme. De même, si l'on fut unanime pour affirmer que l'âme humaine
est une création spéciale et immédiate de Dieu, on se divisa sur la
question de l'origine des âmes individuelles (v. Traducianisme , Créatia-
nisme, Préexistence) ; la seule doctrine qui ne soit pas parvenue à se
faire jour, est celle de la métempsycose. S'il y eut ainsi bien des
discussions entre les écoles chrétiennes, c'étaient la dignité même de
l'âme et ses intérêts les plus sacrés qui faisaient l'objet du débat, soit
entre Pelage et Augustin, soit entre les thomistes et les scotistes, les
AME 235
catholiques e! les protestants, les jansénistes; el les jésuites.— A partir du
dix-septième siècle, la psychologie se dégagea de l'autorité de l'Eglise
et devint une science indépendante, .Malheureusement, le rénovateur
même de la philosophie, Descartes imprimait à ces éludes une direc-
tion fâcheuse, en professant une différence si profonde entre l'âme el
le corps, la substance pensante et la substance étendue, qu'il ne
pouvait y avoir de rapports entre eux et que toute action de l'un sur
l'autre était l'effet dîme intervention directe de la Divinité. Tel eus
[Essa s sur le nature de Thomme, 1777) ramena l'attention des philo-
sophes sur le sentiment, qu'il considéra, sinon comme la force fonda-
mentale, qui demeure insaisissable, du moins comme la faculté la plus
intime, celle qui entre la première en activité. Si les enseignements
profonds et subtils de Kant furent de bonne heure contestés, du moins
le rôle primordial qu'il assignait à la volonté devait ouvrir une voie
nouvelle à l'étude de l'àme. L'école hégélienne n'a point produit de
découvertes notables en ce domaine, mais elle a contribué à revendi-
quer les droits de la raison dans l'acquisition de la connaissance. De nos
jours, les travaux psychologiques ont pris une extension plus grande
que jamais. D'une part, les diverses écoles philosophiques ont été te-
nues de formuler chacune sa notion de l'âme ; les unes s'attachant à
maintenir et à développer renseignement spiritualiste (v. Garnier,
Traité des fac. de l'âme, 1865; Waddington, De rame hum., J862;
J.-H. Fichte, Psychologie, 1864) ; d'autres cherchant à expliquer tous
les phénomènes de la vie intérieure par des actions physiologiques ou
même mécaniques. Du moins l'accord semble s'être établi sur un
point, c'est de ne plus chercher le siège de l'àme dans quelque organe
spécial du corps. De plus les phénomènes de la vie inconsciente ont été
mieux étudiés; on ne considère plus l'activité de l'âme comme res-
treinte à ce que nous révèle le sens intime ; au delà du cercle lumineux
où se meut le moi conscient et libre, on reconnaît une activité spon-
tanée, instinctive, exerçant une influence considérable sur nos actes
volontaires. Enfin une science nouvelle est née, la psychophysique, que
son nom désigne suffisamment et qui a déjà produit des découvertes
considérables. D'autre part, la théologie évangélique, amenée par L'in-
fluence de Schleiermacher à se préoccuper davantage de l'élément
subjectif de la religion, s'est attachée à réunir en un corps de doctrine
les enseignements de l'Ecriture sainte et ceux de la philosophie chré-
tienne ou profane. Elle a accueilli, sans prévention aveugle, les décou-
vertes des sciences nouvelles et les hypothèses de leurs champions
exclusifs, parce qu'elle espérait y trouver quelques éclaircissements
utile- -m- noire rang, notre rôle dans la nature et sur ce qu'on a par-
fois appelé le réalisme biblique v. les Dogmatiques de Martensen,
Thomasius, etc.; les art. Geist , d'Auberlen, et Seele, de Gœschel, dans
Herzoy'ê Encyclop.). Ces travaux consciencieux ont permis de constater
que le- problèmes les plus élevés de la psychologie, celui de la solida-
rité (pu unit les âmes dans leur déchéance el dans leur relèvement.
celui des rapports avec Dieu ici-bas el dans l'éternité, celui de l'essence
Uéme de noire aine, demandent pour être approfondis, qu'on vienne
236 AME — AME DU MONDE
se placer sous la lumière de l'Evangile. — Pour la signification des
noms hébreux nèphèch, roua h, nechàmâh, et leurs correspon-
dants en grec, voir l'art. Dichotomie. A. Matter.
AME DU MONDE. On dit quelquefois : l'âme de la France, l'âme de la
Grèce. Cette expression n'est-elle qu'une image poétique, ou bien
désigne-t-elle une réalité distincte ? La question prend des proportions
plus considérables dans la philosophie de la nature, où le spectacle de
l'harmonie, de l'homogénéité de l'univers peut suggérer la pensée que
le monde serait un grand organisme vivifié par une âme semblable à
l'âme humaine. Platon est le premier qui ait explicitement professé
cette doctrine. Encouragé par l'enseignement de Pythagore d'un feu
central, principe de la vie dans le monde, et par le polythéisme grec
qui déifiait les forces de la nature, il crut avoir trouvé l'explication des
rapports du souverain bien, dans son idéalité pure, avec la matière.
L'âme du inonde, d'après lui, est une puissance intermédiaire, réunissant
la vertu éternelle, indivisible de l'intelligence et la nature changeante,
divisible de ce qui est corporel ; plus ancienne que le monde sensible,
elle est le principe de toute forme, de tout ordre, de toute sensibilité,
de toute vie ; c'est d'elle que les âmes individuelles tirent leur origine
et leur nourriture (v. H. Martin, Etudes sur le Timée, ï, p. 346 ss.). Le
stoïcisme fit un pas de plus, il professa le pur panthéisme ; la divinité
ne fut plus transcendante ; la matière et Dieu, le passif et l'actif furent
les deux éléments inséparables d'un organisme dans lequel Dieu était
le principe vital. Mais l'école d'Alexandrie revint à la doctrine de
Platon; pour Plotin (Enn. III), l'âme du monde participe par sa nature
de l'éternité simple, pure et parfaite de l'intelligence, mais par son
activité elle donne naissance au temps, à l'étendue et contient le
inonde, comme l'intelligence contient l'âme et l'Un contient l'intelli-
gence. Peut-être faut-il voir un écho de ces pensées philosophiques
dans le livre de la Sapience aux chap. VII, 24; VIII, 1 ; XII, 1 : « Ton
esprit incorruptible est en tout » (v. Comment, de Grimm, 1860).
Quelques Pères de l'Eglise crurent devoir, dans un intérêt apologé-
tique, faire un rapprochement entre cette idée de l'âme du monde et
la doctrine du Saint-Esprit, entre autres saint Basile et saint Grégoire
de Naziance (Or. XXXVII). Mais Origène déjà protestait que l'Ecriture
seule a donné la notion de la subsistance du Saint-Esprit (de Princ. ,1,3).
Abélard est le seul docteur qui, au moyen âge, ait renouvelé cette assi-
milation (Theol. chr., I, Martene, Thés., 1176) : « Platonis verba de
anima mundi diligenter discutiamus, ut in eis Spiritum S. integerrime
designatum esse agnoscamus. » A partir du quinzième siècle, l'antique
philosophême reparut, d'abord avec la renaissance de la philosophie
platonicienne, puis par l'influence de la théosophie. Agrippa de
Nettesheim adapte aux dogmes chrétiens toute une philosophie éma-
natiste, où le monde est un organisme vivant, dont l'âme, douée de rai-
son, « est vita quœdam unica, omnia replens, omnia perfundens, omnia
colligans et connectens, ut unam reddat totius mundi machinant » (de
occulta Philosophia, II, 57; 1510). Amos Goménius, dans un ouvrage
qui a pour but de délivrer les sciences naturelles du joug de la sco-
AME DU MONDE — AMEN 237
lastique aristotélicienne (Physicx ad Lumen dtvinum reformandse syr
nopsis, L635), reconnaît trois principes : la matière (tohou wâbôhou),
l'esprit de Dieu (planant sur L'abîme et qui est la vie universelle), la
force, la lumière (principe supérieur); et cet exemple a trouvé des
imitateurs chez les Ihéosophes. Mais la philosophie proprement dite n'a
pas accueilli cette doctrine. Schelling, au moment où il se séparait de
Fïchte, publia dans un traité : L Ame du monde, une hypothèse delà phy-
sique supérieure pour expliquer l'organisme universel, 1798 (3e éd., 1809).
L'âme du monde, d'après lui, est cette force primordiale et constante qui
se manifeste dans l'électricité, dans la lumière comme dans les fonc-
tions physiologiques, vie universelle qui s'individualise dans les êtres
particuliers et s'élève, dans les conflits des forces expansives et attrac-
tives, jusqu'à la conscience de soi-même et à la pensée. Cette esquisse
poétique devait, avec d'autres travaux de sa phase de philosophie de la
nature, se transformer en une doctrine nouvelle, le système de l'iden-
titié. Jusqu'ici l'observation de la nature n'a fourni aucun indice qui
nous conduise à statuer une âme de l'univers. Du moins M. Fechner
n'a guère réuni d'adhérents pour son affirmation [Einige Jdeen zur
Schœpfungs-imd Entwickelungs-Geschichte der Organismen, 1873) que
les mouvements cosmiques des corps célestes diffèrent beaucoup des
mouvements moléculaires des corps inorganiques sur cette terre, tandis
qu'ils offrent une grande ressemblance avec les mouvements molécu-
laires des corps organiques, d'où nous devons conclure que l'univers
est un organisme dont l'âme est Dieu et que partout l'organique est
antérieur à l'inorganique. De son coté, la théologie chrétienne ne se
sent pas autorisée par lès passages qu'on a invoqués (Gen. I, 2;
Ps. XXXIIÏ, 6; 1 Cor. XII, 6) à admettre que l'impulsion imprimée par
le Créateur à sa création se concentre en un foyer conscient, et la piété
se refuse à reconnaître un tel intermédiaire entre l'âme humaine et son
Dieu Sauveur. A. Matter.
AMEN (âmén, £(jufjv), dérivé du verbe hébreu aman (appuyer),
exprime moins un serment qu'une affirmation énergique, une puis-
sante confirmation de la vérité, un consentement formel donné à ce
qui précède ou à ce qui suit, surtout si le mot, répété deux fois, acquiert
la force d'un superlatif. La traduction française : Ainsi soi t-il ! est très-
exacte. Dans l'Ancien Testament cette expression est employée soit
comme simple sceau d'une convention (Deut. XXVII, 15-26), soit
comme ternie d'adjuration dans la bouche du juge (Nomb. V, 19;
cf. Matth. XXVI, 63), soit comme péroraison solennelle des louan-
de Dieu (Ps. XLI, 14; LXXII, 19; LXXXIX, 53; CVI, 48), soit
connue réponse à un vœu- de prospérité (Jér. XI, 5; XXVIII, G;
Tob. IX. 1-2; cf. 2 Cor. I, 20). Dans le Nouveau Testament nous trou-
vons 1<" mol amen fréquemment dans la bouche de Jésus (Matth. V,
18, 26; \ I, -2, :>; Jean I, 51; III, 5, I l, etc.) pour donner à son lémoi-
gnage plus de force, ou bien à la fin d'une prière ou d'une lettre
(Matth. VI. L3; Rom. XVI. 21; Apoc. XXII, 20, .21). Jésus-Chrisl lui-
même est appelé (Apoc. III, 14) ô 'Ajjufjv, c'est-à-dire le témoin incor-
ruptible et pleinement fidèle de la vérité. Déjà dans la synagogue
238 AMEN — AMENDES
(Néh. VITI, 6), comme aussi dans les réunions de culte de l'Eglise
apostolique (1 Cor. XIV, 16), les fidèles avaient l'habitude de marquer
leur accord avec le contenu de la prière que le rabbin ou le pasteur
avait prononcée, en répétant en haute voix : Amen, amen. Cette cou-
tume s'introduisit et se fixa dans les liturgies de l'Eglise grecque et de
l'Eglise latine. Elle ne peut se légitimer qu'à la condition d'être, dans
le culte, l'expression du sentiment libre et spontané de la commu-
nauté.
AMENDES. Ce mot qui provient, par corruption, du latin emendare,
signifie proprement ce qui enlève la faute (mendum), et, par consé-
quent, au sens religieux, ce qui efface sinon le péché, du moins la
coulpe, — une réparation, une expiation. On distingue Y amende hono-
rable et Y amende pécuniaire. La première consiste dans le sacrifice de
l'honneur, dans l'aveu public et humiliant imposé au coupable : c'est
ainsi que, dans l'ancienne Eglise, ceux qui avaient renié leur foi pen-
dant les persécutions (les lapsi) ne pouvaient être relevés de l'excom-
munication qu'en confessant leur faiblesse devant l'assemblée des
fidèles. Théodose Ier à Milan, 390, Louis le Débonnaire à Attigny, 822,
et à Soissons, 833, Henri IV d'Allemagne à Canossa, 1077, Raimond VII
de Toulouse à Notre-Dame de Paris, 1229, nous fournissent d'autres
exemples de ce genre de pénitence. De l'Eglise, l'amende honorable
passa dans la législation civile mais en conservant, du moins sous sa
forme la plus solennelle, un certain caractère religieux. Le condamné
était conduit par le bourreau sur la place publique, généralement au
parvis d'une église, tête nue, pieds déchaux, tenant en main un cierge
de cire jaune, ayant devant et derrière un écriteau qui mentionnait le
crime à expier. En France, cette peine (abolie en 1791) frappait entre
autres les blasphémateurs, et elle fut subie en 1766 par le chevalier de
la Barre, à qui on trancha ensuite la tête; son écriteau portait ces
mots : a impie, blasphémateur et sacrilège, exécrable et abominable. »
L'inscription tenant lieu de la confession repentante du condamné,
cette peine n'avait plus aucune valeur morale et n'était qu'une torture.
Le nom d'amende honorable s'applique encore à une prière litur-
gique dans laquelle le prêtre, en son nom et au nom des fidèles,
demande pardon à Dieu des injures faites à sa majesté par ceux qui la
blasphèment. En 1864, à propos de la publication de la Vie de Jésus
de M. Renan, l'évèque de Marseille jugea à propos de donner à ce
genre d'amende honorable une solennité inaccoutumée. — Si l'amende
honorable est d'origine ecclésiastique, l'amende pécuniaire remonte à
la législation civile et païenne. L'Eglise ancienne ne la connut point,
car on ne saurait citer ici les amendes infligées aux donatistes par l'em-
pereur Honorius après que saint Augustin eut invoqué le bras séculier
contre ces sectaires quelque peu socialistes. Il fallut une longue pé-
riode de décadence pour que l'argent fût admis à jouer un rôle dans la
discipline chrétienne. Outre une lente dégénérescence du principe
évangélique, il fallut une influence étrangère presque irrésistible.
D'une part, dès le quatrième siècle, en partie, grâce à l'enseignement
de 1 evêque d'Hippone, on arriva à une notion grossière de la pénitence
AMENDES 239
qui, pour chaque péché, exigeai! une réparation spéciale ; puis peu à
peu dans les siècles suivants, par un développement tout naturel,
l'arbitraire laissé au prêtre pour la détermination des peines se trouva
limité et remplacé par une législation traditionnelle, par un vrai code
pénal {lihri pœnitentiale», neuvième siècle). Mais dans le droit des
Germains, des Francs saliens, par exemple, tous les crimes et les
délits contre les personnes et les propriétés se réparaient au moyen
de compensations en argent soigneusement réglées (wehrgeld) : ce prin-
cipe ne pouvait régner dans la vie civile sans pénétrer dans la discipline
ecclésiastique. D'ailleurs puisque, en vertu du même principe barbare,
la peine, la réparation est quelque chose d'extérieur, de matériel, on
peut évidemment substituer une peine à une autre peine, troquer un
mode de réparation contre un autre. Tout péché est coté, il a son
taux, et le pécheur a le droit de le racheter, à son choix, de diverses
manières qui sont équivalentes, par des privations qu'il s'impose, par
des prestations qu'il promet d'accomplir, et enfin, ce qui est le plus
simple, par un don en argent. Tel est le principe qui règne à peu près
sans partage dès le onzième siècle. Le confesseur a-t-il ordonné un
jeûne pendant un temps déterminé ? Ce jeûne se rachète (redimere est
le terme technique) au moyen d'une somme également déterminée.
A-t-on fait le vœu d'un pèlerinage périlleux et lointain? A-t-on pris la
croix? On se fait relever de ce vœu moyennant une somme à débattre.
Toute pénitence s'estime en sous et deniers, toute pénitence se laisse
transformer en amende pécuniaire. L'amende qui, tantôt a son tarif
réglé à l'avance et tantôt est arbitraire, est le dernier mot de la disci-
pline catholique. L'austère Pierre Damiani, lui qui ne quittait jamais les
cilices ni les chaînes de fer (f 1072), n'hésite pas à voir dans ce sys-
tème une juste application de l'Ecriture : Divitim hominis redemptio ejus
(Prov. XIII, 8). Comme c'est par indulgence que l'Eglise permet e
choix entre les divers modes de pénitence, l'amende ne tarda pas à
prendre aussi ce nom d'indulgence, que Tetzel devait rendre si fameux
lorsqu'il mit en vente « pour un quart de florin, ainsi qu'il s'exprime
dans ses affiches, des papiers qui conduisent saine et sauve l'àme divine
et immortelle vers sa patrie céleste. » En établissant ce système de
compensations ou d'amendes, l'Eglise cessait en réalité d'être chré-
tienne puisque le christianisme repose tout entier sur l'idée que, le
péché venant du dedans, la seule réparation possible consiste dans la
transformation du cœur. En outre les amendes, payées soit en argent,
soit en donation déterres, soit en cession de droits féodaux, soit en
fondations d'églises, de chapelles et de couvents, profitent presque
toutes à l'Eglise, rarement aux pauvres; l'Eglise se place donc dans
eette situation profondément immorale de vivre du produit des péchés.
— Au sein du protestantisme, les amendes ont été généralement
abolie* des le seizième siècle. Là où on les a conservées plus ou moins
longtemps dans certaines parties de l'Eglise luthérienne), elles n'ont
jamais eu que le caractère d'une pénalité sociale;. on les infligeail non
pour des pécftés niais pour des délits commis envers l'Eglise, ainsi
pour le scandale public causé par le travail du dimanche ou pour des
240 AMENDES — AMÉRIQUE
fraudes dans les déclarations de l'état civil confié aux pasteurs. Ce
qu'il faut blâmer ici, ce n'est pas une fausse notion de la pénitence
mais une confusion du domaine civil et du domaine religieux. Nous en
dirons autant, en le déplorant très-vivement, des diverses pénalités,
amendes en nature ou en prestations, introduites çà et là par des mis-
sionnaires protestants : si elles n'égarent pas les consciences, elles
mettent du moins l'Eglise dans une position très-fausse. T. Çolani.
AMÉRIQUE. (Statistique religieuse.) Chaque Etat de l'Amérique aura
son article particulier. Nous nous bornerons dans un court résumé
à indiquer pour chaque pays la population et la répartition des habi-
tants entre les divers cultes. — I. Amérique du Nord. 1° Groenland,
9,922 habitants dans les établissements danois (1871), dont 377 Euro-
péens et 9,545 indigènes. Environ 500 indigènes indépendants. En tout
10,422, dont environ 9,000 protestants convertis par les missionnaires
danois et les moraves. — 2° Terre-Neuve, 161,386 habitants, protes-
tants en majorité.— 3° Canada et Amérique anglaise, 3,631,813 habitants
recensés en 1871, plus les Indiens évalués officiellement à 126,679 têtes.
Les Indiens sont païens. Dans le reste de la population on compte
1,522,489 catholiques, 2,019,853 protestants et 1,115 juifs. — 4° Iles
Bermudes, 15,309 habitants (1871) protestants. — 5° Saint-Pierre et
Miquelon, 4,750 habitants catholiques. — 6° Etats-Unis, 38,925,598 ha-
bitants (1870). La majorité de la population appartient à diverses
Eglises protestantes, dont l'article Etats-Unis donnera le détail. Il y a
environ 3,000,000 de catholiques, 60,000 mormons, 50,000 juifs et
300,000 Indiens païens. — 7° Mexique, 9,158,247 habitants (1872),
presque tous catholiques. Les Indiens mêmes le sont généralement de
nom. — Total pour l'Amérique du Nord : 52,034,219 habitants, dont
à peu près 14,000,000 de catholiques et 37,000,000 de protestants. —
II. Amérique centrale et Indes occidentales, 7,026,100 habitants, dont
6,000,000 de catholiques dans les républiques de l'Amérique centrale
et aux Antilles, et 1,000,000 de protestants aux Antilles. — III. Amé-
rique méridionale. 1° Brésil, 10,196,238 habitants (1872), presque tous
catholiques. Il est impossible d'évaluer le nombre des Indiens. —
2° Guyane, 300,000 habitants environ, 15,000 catholiques, 80,000 pro-
testants, 200,000 païens. — 3° Venezuela, 1,784,194 habitants (1873),
en grande majorité catholiques. — 4° Colombie, 2,774,000 âmes, catho-
liques, à l'exception de 126,000 Indiens païens (1870). — 5° Equateur,
environ 1,300,000 habitants, dont 1,100,000 catholiques et 200,000 sau-
vages païens. — 6° Pérou, 3,199,000 habitants. Ce chiffre officiel en
1871 est probablement beaucoup trop élevé. La population est catho-
lique. — 7° Bolivie, 2,000,000 d'habitants catholiques. — 8° Chili,
2,074,000 habitants, catholiques, si l'on en excepte 70,400 Araucans
païens. — 9° République Argentine, 1,531,319 habitants (1869), dont 50 à
60,000 protestants. — J0° Gran Checo, Pampas Argentines, Patagonie et
Terre-de-Feu, environ 300,000 habitants païens. — 14? Uruguay, 400,000
habitants, catholiques, sauf 5 à 6,000 protestants. — 12° Paraguay,
221,079 habitants (1873), en général catholiques. — 13° Iles Falkland,
803 habitants protestants. — Total pour l'Amérique du Sud :
AMÉRIQUE — AMÉRIQUE CENTRALE 241
25,386,800 habitants, dont 23*500,000 catholiques et environ «50,000
protestants. — La population de l'Amérique peut donc être évaluée à
84,449,019 habitants, don! 44,000,000 de catholiques, 38,000,000 de
protestants, el à peine 2,000,000de païens. E. Vauchbr.
AMÉRIQUE CENTRALE. (Statistique ecclésiastique.) On connaît sous
le nom d'Amérique centrale un groupe d'Etats situés au sud du
Mexique, sur le continent américain. Ces contrées, colonisées au sei-
zième siècle par des Espagnols, restèrent sous la domination de leur
mère pairie jusqu'au grand mouvement d'indépendance qui, vers 1820,
priva l'Espagne et le Portugal de presque toutes leurs colonies améri-
caines. Le 21 septembre 1821, le pays se déclara indépendant de
l'Espagne el se joignit à la république du Mexique. Au bout de peu de
temps il s'en sépara (1er juillet 1823), et forma une confédération de
l'Amérique centrale, qui fut constituée en 1824. Des divergences d'in-
térêl tirent dissoudre la confédération en 1839. Depuis lors, les divers
Etats qui la composaient ont vécu dans des rapports, quelquefois
amicaux, plus souvent hostiles; mais quoique chacun d'eux ait désor-
mais sa vie indépendante, la communauté d'origine et de destinée ont
fait conserver l'habitude de les voir comme un tout et de les appeler
Amérique centrale. Leurs destinées religieuses sont du reste assez
semblables. La population primitive composée d'Indiens de diverses
races a perdu peu à peu du terrain, qu'ont occupé les colons européens
et les nègres, leurs esclaves. Avec les Espagnols, le catholicisme s'y im-
planta et l'inquisition y fleurit longtemps sans partage. La déclaration
d'indépendance amena une réaction, dont l'Eglise eut souvent à
souffrir. En 1831 les ordres monastiques y furent supprimés, à l'excep-
tion des Bethléémites, et les moines des couvents dissous furent in-
corporés au clergé séculier. En 1835 les couvents de femmes furent
menacés à leur tour, et ne purent subsister qu'en consentant à une
visite annuelle de l'autorité civile, destinée à s'assurer qu'aucune reli-
gieuse n'est retenue dans la maison contre son gré. Les corporations
enseignantes, qui seules avaient longtemps échappé aux rigueurs du
pouvoir, en sont depuis quelques années atteintes. Les catholiques
forment la majorité de la population. Ils avaient en 1840, dernière
année pour laquelle nous ayons pu nous procurer des chiffres,
243 cures, 4 postes de missions et 716 églises. Les Indiens païens sont
encore assez nombreux dans l'intérieur. Il n'y a que peu de protestants.
La tolérance religieuse est complète dans tous les Etals. Les deux
universités de Léon et de Guatemala donnent l'enseignement supérieur.
Voici maintenant ce que nous pouvons dire de particulier de cha-
cune des cinq républiques de l'Amérique centrale. — I. Guatemala,
1,190,754 habitants (1872). L'archevêque de Guatemala est métropo-
litain de toute l'Amérique centrale. La création de l'évêché date du
l.s décembre 1534; il fut érigé en archevêché le 16 décembre 1743.
Le budget de IS7I porte sous une seule rubrique (cujtes et instruction
publique une dépense de (.)9,100 dollars. Les blancs, créoles et métis,
au nombre de 360,608, sont presque tous catholiques, ainsi que la
pluparl des 830,146 Indiens. Les protestants (anglo-américains, anglais
242 AMÉRIQUE CENTRALE - AMIENS
et allemands) sont en très-petit nombre. — 2. Cosla-Rica, 185,000 ha-
bitants (1870), forme le diocèse de San-José de Cosla-Rica, érigé en
1850. La masse de la population est hispano-américaine et catholique.
7,000 mulâtres et 3,000 Indiens sont également catholiques. H y a
environ 12,000 Indiens sauvages et païens. On évalue le nombre des
protestants à 1,000 et celui des Chinois à 600. — 3. Honduras,
351,700 habitants, forme le diocèse de l'évéque de Comayagua, érigé
le 6 septembre 1539. — 4. San-Salvador, 600,000 habitants. Le chef
des catholiques est l'évéque de San-Salvador, dont le siège fut créé le
28 septembre 1842. Le budget des cultes était en 1871 de 8,688 dollars.
— 5. Nicaragua, 250,000 habitants. Evêché de Nicaragua érigé le
26 février 1531. La population catholique se compose de 90,000 la-
dinos, descendants des colons européens, 100,000 Indiens métis,
20,000 Indiens civilisés, 8,000 nègres. Le reste se compose d'Indiens de
diverses races, aborigènes, Zambos, Mosquites, Aztèques et Caraïbes,
encore païens. — Il faut rattacher géographiquement à l'Amérique
centrale la petite colonie du Honduras britannique peuplée de 24,710 ha-
bitants (1871), dont 377 blancs et 24,333 hommes de couleur; un tiers
à peu près de la population se rattache au protestantisme. L'Eglise
anglicane y a un évêque missionnaire. E. Vaucher. .
AMES (Guillaume), Amésius, né en 1576, étudia à Cambridge la
théologie. Puritain rigide, il ne put obtenir un ministère dans l'Eglise
anglicane ; il se rendit en Hollande , où le commandant des troupes
auxiliaires anglaises à la Haye lui confia les fonctions d'aumônier.
Quand eut commencé la controverse entre Gomar et Arminius, il publia
contre ce dernier plusieurs écrits pour la défense du système calviniste.
Lors du synode de Dordrecht parut un traité anonyme sur la servitude
de l'Eglise en Angleterre ; le gouvernement de ce pays crut, à tort, que
Fauteur était le puritain Ames. Il perdit sa place d'aumônier, mais
les Etats généraux lui accordèrent une subvention , pour qu'il pût
s'établir à Dordrecht et assister le président du synode de ses connais-
sances. En 1622 il fut nommé professeur de théologie à l'université de
Franeker; appelé en 1633 comme prédicateur à l'Eglise anglaise de
Rotterdam, il mourut avant d'être entré en fonctions. Ses écrits sont
en partie polémiques — contre les Remontrants et contre le cardinal
Bellarmin, — en partie dogmatiques. Ils parurent en 1658 à Amsterdam
en 5 vol. in-12. Ce qui constitue l'originalité d'Ames, c'est qu'il
a été un des premiers à relever le côté pratique de la théologie ; son
ouvrage principal, Medulla theologise, est divisé en deux parties, dont
la première expose les dogmes calvinistes orthodoxes, tandis que la
seconde traite la morale au point de vue strictement puritain. Ames
n'admet point de morale indépendante ou purement philosophique ;
le vrai bien n'existe que par la religion, la science qui l'enseigne ne
peut donc être qu'une partie de la théologie. — Voyez sa biographie
par Mat. Nethenus, prof, à Utrecht, en tête de l'édition de 1658.
AMIENS [Samarobriva, Ambianis, Ambianum], éveché suffragant de
l'archevêché de Reims (il fut rattaché à Rouen en 1790, et dépendit de
Paris de 1802 à 1822); on le fait remonter à saint Firmin, martyrisé
AMIENS — AMIS DE DIKU ->', 3
d'après Tillemont, en 287 (AA. SS., 25 sept., VII). L'histoire de ce
sainl évêque orne le chœur de la splendide cathédrale gothique, dédiée
à Notre-Dame, qui tut réédifiée de 1220 a 1288 par Itoberl de Luzarches
sous l' évêque Evrard de Fouilloy et ses successeurs. Les lours datent
de 13(j(). — Galli*, X ; Dflire, Hist. de la ville et du dioc. d'Amiens, 1757,
2 vol. in-i°; Gorblet, Uagiogr. du dioc. d'Amiens, 1809-76, 5 vol.
AMIS DE DIEU. Le terme d'Amis de Dieu se rencontre fréquemment
dans dos traités mystiques de la seconde moitié du quatorzième siècle,
appartenant à l'Alsace, à la Suisse, à l'Allemagne méridionale. Tauler,
Suso et d'autres entendent par là des personnes qui, troublées par la
confusion ecclésiastique et politique du temps, et par les calamités qui
frappaient les peuples, cherchaient la paix de l'âme dans un complet
abandon à Dieu ; ceux qui se consolaient ainsi par une soumission sans
réserve à la volonté divine, s'appelaient Amis de Dieu en s'appliquant
les paroles du Seigneur à ses disciples (Jean XV, 15). Il y en avait dans
des couvents et dans des béguinages; on en trouvait parmi les nobles,
les bourgeois, les paysans. Çà et là ils se réunissaient pour former des
associations qui entraient en rapport les unes avec les autres; des
prêtres et des moines y entretenaient la vie pieuse, soit en y prêchant,
soit en y communiquant des traités en langue vulgaire. Dans quelques
documents du moyen âge le même nom d'Amis de Dieu est aussi donné
aux Yaudois. Dans un sens plus spécial il servait à désigner une société
plus ou moins secrète qui, sans se séparer de l'Eglise pour devenir sec-
taire, s'était proposé le rétablissement de l'union des hommes avec
Dieu, par la propagation des doctrines du mysticisme. A sa tête était
un laïque, qui, dans les documents contemporains, n'est qualifié que de
(( grand Ami de Dieu dans XOberland, » et qui très-probablement s'est
appelé Nicolas de Bâle. Son histoire, telle qu'on la connaît surtout par
ses propres écrits, est mêlée d'éléments fantastiques, dont il n'est pas
toujours facile de dégager la réalité. Il suffit ici dédire que ce qui carac-
térisait cet homme extraordinaire , c'était un désir enthousiaste de
communication immédiate avec Dieu, une foi sans réserve aux visions
et aux rêves, une confusion inconsciente de ce qui se passait dans son
âme avec des faits extérieurs, une grande austérité morale, un ardent
amour des hommes. Pour devenir Ami de Dieu, il fallait selon lui, moins
le renoncement aux choses terrestres, que le renoncement à la volonté
personnelle; toutes choses ne doivent être contemplées qu'en Dieu, en
elles-mêmes , elles sont indifférentes, mais vues en Dieu elles sont
bonnes; la souffrance même est une grâce, et, non-seulement celle du
:orps, mais aussi celle de l'âme; le véritable Ami de Dieu ne fait pas
d'efforts pour résister aux tentations du doute, pas même à celles de la
concupiscence, il les accepte comme des grâces passives, il se souvient
de sainl Paul, auquel Jésus-Christ a dit : «Ma grâce te suffit, car ma
vert u manifeste sa force dans l'infirmité » (2 Cor. XII, 9). Nicolas de Mâle
acceptait le catholicisme, avec ses formes et ses dogmes; il ne s'éloignait
de la coutume générale qu'en demandant une communion Ires-fré-
quente pour les laïques. 11 voulail que les Amis de Dieu ne s'isolassent
pas lin monde, ils devaienl se dévouera la conversion de leurs contenu-
244 AMIS DE DIEU
porains, et cette mission n'était pas seulement celle des prêtres, elle
appartenait aussi aux laïques illuminés. Plein de ces idées, Nicolas s'as-
socia de bonne heure à quatre compagnons. Pendant quelque temps
il vécut à Baie ; de là il se rendit à Strasbourg, où il gagna le domi-
nicain Tauler et le négociant Rulmann Merswin, qui le prirent pour
« directeur à la place de Dieu. » Il engagea Merswin à faire l'acquisition
d'un couvent abandonné et à le céder à l'ordre de Saint-Jean, avec les
membres duquel il resta en correspondance. En 1356, après le tremble-
ment de terre qui ravagea Baie, il écrivit un appel aux chrétiens pour
les exhortera la'pénitence ; il l'envoya à Tauler, qu'il revint visiter dans
sa dernière maladie. En 1367 il se retira avec ses compagnons sur une
montagne, non loin d'une ville. En réunissant les diverses données
qu'on trouve sur cette émigration, nous sommes arrivé à la conclusion
que la ville était Lucerne et la montagne le groupe du Pilate. Un savant
allemand, M. Preger, de Munich, croit que c'est plutôt en Alsace, dans
les Vosges, qu'il faut chercher la retraite des Amis de Dieu. Notre sup-
position, au contraire, vient d'être confirmée par les recherches d'un
historien suisse, M. Lùtolf, de Lucerne. En 1377, Grégoire IX étant
revenu d'Avignon à Rome, Nicolas et un de ses compagnons se rendirent
auprès de lui pour lui faire des représentations sur l'état de la chré-
tienté ; d'abord il se méfia d'eux, mais finit par les écouter, et les ren-
voya avec des privilèges pour leur établissement. Quand éclata le
schisme, ils se réunirent, en mars 1379, sur une montagne près d'une
chapelle taillée dans le roc ; ils auraient voulu partir pour prêcher, mais
Nicolas raconte qu'ils reçurent de la Trinité l'ordre d'attendre encore
un an. Après cette année ils se retrouvèrent au même endroit, cette fois
au nombre de treize ; il y avait parmi eux des frères venus de Hongrie
et d'Italie. Nicolas écrit au commandeur de la maison de Saint-Jean, de
Strasbourg, que par une lettre tombée du ciel ils avaient appris que Dieu
donnait au monde encore trois ans de répit, que, si dans cet intervalle
les hommes ne se convertissaient pas, la colère divine éclaterait sur eux
et qu'alors les Amis de Dieu devaient se disperser « aux cinq coins du
monde. » Après ce délai de trois ans, en 1382, on perd leurs traces; on
peut admettre qu'ils exécutèrent ce qu'ils croyaient être l'ordre de
Dieu, ils partirent pour prêcher la repentance. D'après le dominicain
Nider, Nicolas de Baie et deux de ses compagnons furent brûlés à Vienne
en Autriche; en 1393 le bénédictin Martin de Mayence, de l'abbaye de
Reichenau, eut le même sort à Cologne pour s'être soumis à Nicolas de
Bâle ; peu auparavant d'autres Amis de Dieu avaient été condamnés à
Heidelberg. Gomme les écrits du « grand Ami de Dieu dans YOberland »
ne renferment rien de décidément hérétique , on a pensé qu'il ne
convient pas de j l'identifier avec Nicolas de Bâle. Nous ne tenons pas à
notre opinion, nous sommes prêt à la modifier dès qu'on nous fournira
des raisons suffisantes; mais comme au moyen âge il ne fallait pas
beaucoup pour être livré à l'inquisition, nous continuons de croire que
TArni de Dieu visionnaire, prédicateur enthousiaste de la pénitence, et
au surplus laïque, a pu être prie pour un beghard et qu'il a bien été
e Nicolas brûlé à Vienne. Après la mort de Rulmann Merswin, les
AMIS DE DIEU — AMIS DES LUMIERES 245
johannites de Strasbourg firent des tentatives pour trouver la retraite
des Amis de Dieu; ils ne la cherchèrent pas en Alsace, niais en Suisse,
et toujours en vain. L'existence de cette association est un des faits les
plus curieux du quatorzième siècle; elle avait des ramifications en
Lorraine, en Hongrie, en Italie ; le chef exerçait une influence consi-
dérable sur des chevaliers, des moines, des religieuses, et même sur des
personnes qui ne l'avaient jamais vu; le commandeur de la maison de
Saint-Jean, de Strasbourg, et le maître de l'ordre en Allemagne, qui ne
savaient pas même son nom, ne décidaient rien sans le consulter par
l'intermédiaire de Merswin. — Voyez Nicolaus von Basel, Leben und
ausgcwxhlte Schriften, von G. Schmidt, Wien, 18(5(5. Ch. Schmidt.
AMIS DES LUMIÈRES (Lichtfreundè). Ce ne fut d'abord qu'une appel-
lation railleuse de leurs adversaires; eux-mêmes se nommèrent « Amis
protestants, » « Communautés libres » (Freie Gemeinden), lorsqu'ils se
furent constitués en associations distinctes. Leur mouvement propre-
ment dit éclata en 1841, mais ne fut que la continuation de la lutte
entre l'orthodoxie luthérienne et le vieux rationalisme. 11 eut pour
principal foyer la province de Saxe et s'étendit à l'ouest sur les duchés
d'Anhalt, le Hanovre, l'électorat et le landgraviat de Hesse, à l'est sur
le royaume de Saxe, le Brandebourg, la province de Prusse, la Silésie.
Un fait insignifiant détermina une explosion depuis longtemps prévue.
Parmi les tableaux exposés pendant le printemps de 1841, à Magdebourg
s'en trouvait un qui représentait une famille de cultivateurs agenouillés
dans une foret devant le crucifix. Un pasteur d'Halberstadt qui appar-
tenait à la tendance rationaliste, Sintenis, en prit occasion pour s'élever
contre une pratique idolâtre; il fut sévèrement réprimandé, menacé
môme de destitution par le surintendant de la province, l'évêque
bnesecke. Plusieurs de ses collègues se prononcèrent en sa faveur et
tinrent une série de réunions qui furent fréquentées par un nombre
toujours croissant d'auditeurs (Gnadau, 29 juin 1841; Halle, Magdebourg,
automne 1841; Leipzig, Kœthen, 1842); elles durent être convoquées
en plein air lorsqu'il atteignit plusieurs centaines. Parmi les principaux
chefs du mouvement, il convient de citer outre Sintenis, d'Halberstadt,
Uhlich, de Magdebourg; Fischer, de Leipzig; Kœnig, d'Anderbeck; Balt-
zer, de Nordhausen; Wislicenus, Niemeyer, Francke, Duncker, Eberty,
de Halle. Leur valeur morale l'emportait de beaucoup sur leurs capacités
intellectuelles ; c'étaient pour la plupart de dignes pasteurs , des
hommes convaincus et dévoués qui auraient désiré une évolution
libérale au sein de l'Eglise protestante, mais qui manquaient de clarté
et de rigueur dans les idées, de culture scientifique. La piété et le dé-
sintéressemenl d'Uhlich n'ont été mis en doute par aucun historien
impartial. La partie négative de leur œuvre conta moins de peine
aux Amis protestants que la partie positive. Ils tombèrent aisément
d'accord pour dépouiller de toute autorité religieuse les articles des
Livres symboliques qui leur paraissaient contraires à l'Ecriture libre-
ment interprétée et à la saine raison, pour supprimer dans l'Agende
tous les rites qui leur semblaient entachés de superstition. Par contre,
sur tous les points importants de la dogmatique, leurs idées demeurèrent
246 AMIS DES LUMIERES
très-vagues ; ils se bornèrent à reproduire les thèses quelque peu banales
de l'ancien rationalisme. Les Amis protestants s'occupèrent, dans leurs
conférences, du côté pratique de leur œuvre : ils s'associèrent aux tra-
vaux de la Société de Gustave-Adolphe, créèrent dans chaque commu-
nauté une réunion d'édification et d'instruction pour les jeunes gens el
les adultes, multiplièrent les bibliothèques populaires, publièrent sous
la direction du pasteur Fischer, de Leipzig, un journal : Feuilles pour
l'édification chrétienne des Amis protestants, qui compta bientôt plus de
4,000 abonnés, firent dans la nouvelle organisation une large part à
l'élément laïque. Effrayé de ces succès, le parti orthodoxe combattit ses
adversaires par tous les moyens dont il disposait. Ses plus ardents cham-
pions furent le professeur Guericke, de Halle, et les rédacteurs de la
Gazette évangélique. Les critiques qu'ils adressèrent aux Amis protes-
tants, perdirent beaucoup de leur autorité à cause des perfides insinua-
tions dont elles étaient accompagnées, de l'amertume et de la véhé-
mence du langage, du constant appel au bras séculier. Des procès
d'hérésie furent intentés à Kœnig, Uhlich, Wislicenus, à la demande des
pasteurs orthodoxes de leurs consistoires respectifs. A ces accusations,
les Amis protestants répondirent par la déclaration de Kœthen (Pente-
côte 1849), où ils flétrissaient la partialité du ministre des cultes
(Eichhorn) et les calomnies de la Gazette évangélique. Les « jeunes hé-
géliens, » qui s'étaient alliés à eux par haine de l'Eglise, l'emportèrent
au sein de leurs réunions sur le parti modéré. Wislicenus lut, dans la
conférence de Kœthen, un rapport Ecriture ou Esprit (Schrift oder
Geist), dans lequel il prenait au sens littéral toutes les déclarations de
la Bible el lui substituait l'autorité de l'Esprit entendu dans le sens du
radicalisme panthéiste. Ses expressions furent habilement exploitées par
ses adversaires. D'un parti religieux au sein de l'Eglise protestante, les
Amis des lumières inclinèrent toujours davantage à devenir une associa-
tion de rationalistes, de libres penseurs. L'intervention de l'autorité
civile envenima encore le différend. Le gouvernement saxon interdit
aux Amis protestants de se réunir sous aucun prétexte; Frédéric-Guil-
laume IV, à l'instigation d'Hengstenberg, leur appliqua les dispositions
les plus rigoureuses de la loi sur les clubs politiques et menaça de desti-
tution tous ceux de leurs membres qui appartenaient aux écoles ou au
clergé. Dès que l'heure de la persécution eut sonné, les classes éclairées,
la bourgeoisie, les ouvriers, bref tous ceux que mécontentait l'ordre de
choses actuel, et qui professaient les idées démocratiques, se pronon-
cèrent ouvertement en faveur des victimes. Les municipalités de Berlin,
de Breslau, de Kœnigsberg demandèrent au roi de garantir à tous ses
sujets une pleine liberté de conscience et le supplièrent de résister aux
suggestions d'un parti « qui mettait l'Union en péril et dont les vues reli-
gieuses répugnaient à l'immense majorité de la nation. » Quatre-vingts
ecclésiastiques de Berlin et du Brandebourg, qui comptaient parmi les
disciples les plus modérés de Schleiermacher, conseillèrent également
la tolérance envers les Amis des lumières et profitèrent de l'occasion
pour réclamer une plus complète autonomie des communautés vis-à-vis
de l'Etat. Toutes les démarches furent inutiles et ne servirent qu'à attirer
AMIS DES LUMIERES 247
sur leurs auteurs le courroux du monarque. Frédéric-Guillaume IV pro-
céda avec une extrême rigueur contre des hommes dans lesquels il
voyait des hérétiques dangereux. Les Amis protestants furent contraints
de se séparer de L'Eglise établie et de se constituer, à leurs risques et
périls, en libres associations. Wisiicenus avait été suspendu de ses fonc-
tions après sa conférence : Ecriture ou Esprit? (12 juillet 1845) ; Rupp
fut destitué à lûenigsberg*, pour avoir prêché contre le symbole d'Atha-
nase, Baltzer à Nordhausen, pour avoir refusé délire le symbole des apô-
tres. Uhlich à Magdebourg, pour if avoir pas voulu souscrire aux formules
favorites du vieux-luthéranisme. « Nous restons ce que nous étions
auparavant : des chrétiens évangéliques, » se serait écrié ce dernier
après son expulsion. La première communauté qui se constitua fut
celle de Kœnigsberg (16 janvier 1846); la plus nombreuse, celle de
Halle (novembre 184-7), qui compta jusqu'à 5,000 adhérents. Afin de
grouper ces membres épars, Uhlich essaya d'instituer des conférences
annuelles, mais elles n'aboutirent à aucun résultat. Le principe indivi-
dualiste fut poussé jusqu'à ses plus excessives conséquences; chaque
communauté régla selon son bon plaisir ses rapports avec l'Etat, son
organisation intérieure, ses questions de dogme. La conférence de
Nordhausen (6-8 septembre 18-47) remplaça le symbole des apôtres par
la formule : « Je crois en Dieu et en son royaume éternel, tel qu'il a
été introduit dans le monde par Jésus-Christ,» mais n'en rendit l'adoption
obligatoire pour aucune communauté. Afin d'obvier à leur isolement,
les Amis des lumières cherchèrent à s'unir aux « catholiques alle-
mands. » Une première tentative avait été déjà faite en 1845 au moyen
d'une lettre que la communauté de Halle avait adressée à Ronge pour
l'assurer de ses sympathies. Poursuivies en octobre 1849, à la confé-
rence d'Halberstadt, les négociations aboutirent à un accord complet
entre les deux parties après le concile de Leipzig-Kœthen. Protestants
et catholiques se confondirent en une « association religieuse des com-
munautés libres. » A l'Eglise et au sacerdoce ils substituèrent comme
moyens de salut : l'esprit, l'amour, la libre association ; le seul lien
entre les différents groupes fut « la liberté de l'esprit humain qui se
manifestait par des actes moraux, » pour traduire littéralement une
formule inspirée par la phraséologie hégélienne. A vrai dire, l'identité
était complète entre les deux mouvements : mêmes aspirations géné-
reuses, même amour vague de la liberté, même haine de la superstition
et de la contrainte intellectuelle, même absence de culture scientifique,
même confusion entre la sphère politique et le domaine religieux. La
révolution de 1848 acheva de transformer en apôtres du socialisme, de
la démocratie avancée, des hommes qui s'étaient d'abord proposé la
réforme de L'Eglise protestante. La situation légale des Amis protes-
tants s'était déjà améliorée en Prusse avec l'édit du 30 mars 1847,
qui garantissait aux dissidents la plénitude de leurs droits civils et poli-
tique- : ils Curent expressément reconnus en 1848, par un article des
Droits fondamentaux et obtinrent en Prusse la commune jouissance des
églises évangélkraes, pourvu qu'ils s'arrangeassent avec les munici-
palités. De nouvelles associations se fondèrent à Danlzig, à Berlin, à
248 AMIS DES LUMIERES — AMMON
Dresde, à Nuremberg, etc,; mais elles revêtirent un caractère trop
exclusivement politique pour que leur existence fût de longue durée.
Les Amis des lumières payèrent cruellement ces faveurs passagères
de la révolution. Après le triomphe du parti conservateur leurs assem-
blées furent fermées comme tous les autres clubs, eux-mêmes pour-
suivis comme des fauteurs de troubles , de criminels démagogues.
Depuis 1851, ils perdirent en Saxe et en Hesse leur existence légale; en
Prusse leurs associations, après avoir été tracassées par la police, excom-
muniées par le consistoire supérieur, furent enfin dissoutes en 1856,
parce que « sous le manteau de la religion elles ne traitaient que de
matières politiques. » Ce fut en vain que la chambre des députés pro-
testa contre cet acte d'intolérance et que M. de Bunsen intervint
publiquement en faveur des sectaires; Frédéric-Guillaume IV demeura
inflexible. Un moment suspendues par M. de Bethmann-Hollweg (1859),
ces lois oppressives furent remises en vigueur par M. de Mùhler (1862).
La persécution n'a pas réussi à galvaniser un mouvement qui avait tou-
jours manqué de force vitale; les quelques communautés qui n'ont pas
été englouties par la tempête de 1850, traînent une existence misérable
malgré le dévouement de quelques-uns de leurs adeptes. Plusieurs né-
gations des Amis des Lumières furent provoquées par le fanatisme,
l'hypocrisie, l'étroitesse intellectuelle de leurs adversaires ; on n'en est
pas moins forcé de reconnaître qu'ils furent incapables de substituer
aux anciennes formules un principe religieux durable. Le faible prestige
dont les entouraient leurs souffrances a disparu depuis que la liberté d'en-
seignement et d'association a été de nouveau garantie en Prusse, avec
l'avènement au ministère de M. Falk (1872). — Voyez Brockhaus, Con-
versations Lexicon, VI ; Nippold, Neueste Kirchengeschickte, 1868 ; Kampe,
Geschichte der religiœsen Beivegung der neuen Zeit, 1856 ; Zschiesche,
Die protestantischen Freunde. Eine Selbstkritik, 1846. E. Strœhlin.
AMMIEN MARCELLIN, né à Antioche, mort vers 410, est l'auteur
d'une histoire de l'empire romain (Ilerum gestarum libri XXXI), qui
s'étendait de l'an 96 à l'an 378, mais qui ne nous est conservée qu'à
partir de l'an 353. Ammien était païen, mais l'impartialité avec la-
quelle il loue les mœurs des chrétiens, la constance des martyrs et la
simplicité de la religion chrétienne, révèle un de ces philosophes du
quatrième siècle qui, repoussés du christianisme par le spectacle de ses
divisions, respectaient néanmoins en lui le culte du perpetuum ?iumen,
du Dieu unique. Cl. Chifflet, dans sa dissertation De A. M. Vita, etc.,
Louvain, 1627 (reproduite dans l'édition de Gronovius, Leyde, 1693,
in-4°, et dans celle des frères Valois, Paris, 1681, in-f°), a pu soutenir
qu' Ammien était chrétien. Dernière édition critique, par Gardthausen,
Leipz., 1874 s., 2 vol. in-1'8.
AMMON, AMMONITES. C'est par erreur qu'on appelle Ammon le fils
né de l'inceste de Lot avec sa fille cadette; la Genèse le nomme Ben-
eAmmi (Gen. XIX, 38); il est frère puîné de Moab et père des Benê-
e Ammon. Benê-cAmmôn signifiant proprement « les enfants d' Am-
mon, » on a pensé qu'ils devaient descendre d'un homme nommé
'Ammon; mais benê correspond au latin gens, il signifie tribu; on
A M MON 249
disâil les Benê-Ammon comme les Benê-Kedem ou les Beni-Mzab. De
Benê-Ammôn nous avons fait les Ammonites, d'après Josèphe et la
version alexandrine du Pentateuque; dans l'Ancien Testament, l'eth-
nique eAmmôni (F Ammonite) s'applique exclusivement aux individus;
on ne rencontre que deux fois le pluriel 'Ammônim (Deut. II, 20;
1 Rois XI, 5 . Les textes assyriens connaissent les Ammonites sous le
nom de BU- Amman. Les Benê-Ammon sont donc une tribu très-proche
parenle des Moabites; ils sont sans cesse nommés ensemble (Juges X, 6;
2 Chron. XX, 1; Soph. II, 8), parfois même leurs pays sont confondus
(Deut. 11. 19). Suivant la tradition (Deut. II, 20), les Benê-Ammon
avaienl chassé les Zamzummim, une ancienne peuplade de géants, et
leur avaient pris le pays situé entre l'Arnon et le Jabboq (Juges XI, 13),
à l'exception des villes qui bordent la mer Morte; d'accord avec le livre
de Josué, l'inscription de Mésa nous apprend que ces villes Jahac, Dibon,
Medeba, etc., appartenaient aux Moabites (Cl. Ganneau, la Stèle de Dhi-
ban, p. 12 ss.). — L'invasion des Amorrhéens obligea les Benê-Ammon à
reculer vers le nord-est, derrière le Jabboq, qui formait une frontière
naturelle (Deut. III, 16; Nomb. XXI, 24) et qui était défendu par leur
capitale, Rabbâ (Deut. III, i 1 ; Amos 1, 14) ; mais ils ne renoncèrent jamais
à leurs prétentions sur la rive droite de l'Arnon (Juges XI, 14-23) ; du
jour où les Hébreux s'en furent emparés, ils ne cessèrent pas de les
leur disputer, les armes à la main. Il y eut toujours entre les deux na-
tions une inimitié d'autant plus implacable qu'elles se tenaient de plus
près. Les Benê-Ammon profitèrent de la période d'anarchie qui suivit
la conquête pour opprimer les tribus établies sur la rive gauche du
Jourdain; ils tentèrent même de traverser le fleuve (Juges III, 13).
Jephté en débarrassa le pays momentanément (Juges XI, 32; XII, 2).
Le premier exploit militaire de Saùl fut de les battre (1 Sam. XI, 11;
XIV, 47). David, qui n'avait pas épousé les haines de la maison
d'Ephraïm, vécut d'abord avec eux en bonne intelligence; mais, sen-
tant que leur soumission était nécessaire à la sûreté de son empire, il
profita d'une insulte faite à ses ambassadeurs pour écraser les Benê-
Ammon (2 Sam. VIII, 12; X; XII, 26), prit leur capitale et la cou-
ronne de leur dieu Milkom. — Salomon aima des Ammonites (1 Rois
XI, 1 ; comp. Nétiém. XIÏI, 23); la mère de Roboam, Nacama, en était
une (1 Rois XIV, 31; 2 Chron. XII, 13). A partir du schisme, les hostilités
recommencèrent. On peut consulter, pour toute cette période, à côté des
textes bibliques, les inscriptions cunéiformes; elles nous ont fait con-
naître jusqu'à présent trois rois ammonites : Baasa, fils de Rokhob, sous
Salmanazar II, Sanibi, sous Tiglat-Pilezer, et Puduilu sous Sennachérib
el Essarhaddon, tous trois tributaires (voy. Schrader, Die Keilinschr.
h das A. 7\, p. ;>2 ss.). On peut pourtant se demander si le premier
D esl pas !<• même que Baasa, roi d'Israël, second successeur de Jéro-
boam. D'après les sources juives, les Benê-Ammon attaquèrent de nou-
veau l',i<»\aumedeJudasousJosaphat(a.914ss.), furent battus (2 Chron.
X V i . <-i devinrenl tributaires sousOsias (2 Chron. XXVI, 8) et sous son
fils Jotham no'.i ss. H 7:>8 ss.; comp. 2 Chron. XXVII, 5). Mais, dès
q u'israél fui aux pi i& >s avec les Assvriens, leurs haines se réveillèrent. Ils
i. 17
250 AMMON
se mirent à saccager le pays de Gaîaad (Amos 1, 13) et insultèrent les dix
tribus lorsqu'elles s'en allaient en captivité (Soph. 11, 8). Appuyés sur
les Chaldéens, dont ils étaient tributaires après l'avoir été des Assyriens
(Jérém. XXVII, 3), ils s'emparèrent de la rive gauche du Jourdain (Jé-
rém. XLIX, 1 ss.), et quand les Chaldéens fondirent sur la Judée (2 Rois
XXIV, 2), ils s'unirent à eux (Ezéch. XXI, 33; XXV, 2 ss.). Plus tard,
poussés par la nécessité, les Juifs se réfugièrent à l'est du Jourdain
(Jérém. XL, 11 ; XLI, 15) ; mais quand ils voulurent se relever, le roi des
Ammonites fit assassiner Gedalja, leur chef (Jérém. XL, 14). Aussi les
prophètes sont-îls pleins de menaces contre les Benê-Ammon (voy. plus
haut), et le Deutéronome (XXIÏI, 3) contient-il l'interdiction de jamais les
recevoir dans la communauté. Néanmoins, après l'exil, les mariages entre
les deux peuples continuèrent comme par le passé ; mais les prêtres con-
damnaient ces pratiques (2 Chron. XXIV, 26; Esdras IX, 1), et la race
ammonite resta hostile à la nouvelle société. Ces dispositions persistèrent
jusque sous les Maccabées (1 Macc. V, 1 ss.). Sous les Romains, les Benê-
Ammon furent englobés dans la décapole; déjà les Ptolémées avaient
changé le nom de Rabbâ, leur capitale, contre celui de Philadelphe.
Néanmoins, du temps de Justin Martyr (Tryph., p. 272), ils étaient en-
core nombreux, et, d'après M. CL Ganneau (/. /.), on les retrouve encore
aujourd'hui à Test du Jourdain. 11 ne nous est rien resté de la littérature
des Benê-Ammon; mais leur langue, autant qu'on peut en juger d'après
celle de Moab, était presque de l'hébreu. Les noms propres ont une cou-
leur fortement hébraïque : Na'amâ, Nakhach, Baasa (?), Paduel (Puduilu).
Du reste, les Benê-Ammon paraissent n'avoir pas eu grande culture; ils
avaient vis-à-vis de Moab une infériorité réelle qu'exprime l'histoire de
leur origine. On ne trouve pas chez eux de traces de civilisation comme
chez les Moabites (Esaïe XV; XVI; Jérém. XL VIII). Ils ont toujours été
repoussés à la limite du désert, où ils menaient une vie de maraudeurs
(1 Sam. XI, 2; Amos I, 13; Jérém. XLI, 6, 7; 2 Sam. X, 1-5); et n'ont
jamais réussi à s'emparer des places fortes qui bordaient la mer Morte.
Ils avaient pourtant une capitale , Rabbâ, fortifiée et entourée peut-
être de travaux pour les eaux (2 Sam. XI, cf. Inscr. de Mésa, lin. 22-23).
Voici la liste de ceux de leurs rois que l'on connaît aujourd'hui :
Nakhach, contemporain de Saùl ; Khannoun ben Nakhach, contemporain
de David ; Rokhob (?) ; Ba'asa ben Rokhob (?), sous Salmanazar II ; Sanibi,
sous Tiglat-Pilezer (744-726) ; Puduilu, sous Sennachéiïb (704-681) et
Assarhaddon (681-662); Ba'alich, du temps de Gedalja; enfin, 1 Macc.
V, 6, nous trouvons cité un chef ammonite du nom de Timothée. Les
Benê-Ammon adoraient Molok ou Milkom; il était leur dieu national,
comme Kamoch celui de Moab. Une fois même on trouve Kamoch cité
à la place de Molok, sans doute par erreur (Juges XI, 24). Molok, qui
était primitivement un terme honorifique, avait fini par désigner un
aspect spécial de la divinité; c'était le soleil consumant; on lui faisait des
sacrifices humains, et les Juifs faisaient passer par le feu leurs enfants
en son honneur. Il avait une tente sacrée où l'on portait son idole,
ornée d'une couronne avec une pierre précieuse au milieu (2 Sam. XII,
30; comp. Amos V, 26). David se vantait de l'avoir prise et de l'avoir
AMMON 251
mise sur sa tête, comme Mésa se vantail (ravoir pris l'Ariol. Il y a donc
pour la religion, comme pour les mœurs ««I la langue, un parallélisme
constanl entre les Ammonites el les Hébreux, mais cette ressemblance
riait puremenl dans les formes, et les Ammonites n'ont jamais rien eu
de ce qui a l'ail la grandeur d'Israël. Pn. Berger.
AMMON ou AMOUN (Saint), anachorète, contemporain et ami de
sain! Antoine. 11 se maria à l'âge de vingt-deux ans avec une jeune fille
de parents nobles ef riches, mais non sans avoir exigé d'elle le vœu de
continence, qu'ils observèrent pendant dix-huit ans. Après la mort de
sa femme, Ammon se retira au fond d'une gorge sauvage de montagne
dans le désert de Nitrie, réunit autour de lui quelques disciples, fonda
un couvent et mourut en 356, âgé de soixante-deux ans. Son nom ne se
trouve pas dans le Martyrologe romain; mais le Ménologe grec place
sa fête au A octobre (Sozom., I, 12; Socr., IV, 23; VitœPatrum, II, 30).
AMMON (Christophe-Frédéric von) [1766-1849], originaire de la Fran-
conie, après avoir professé la théologie à Erlangen et à Gœttingue,
remplit à Dresde la charge de premier prédicateur de la cour et de
membre du consistoire supérieur. Esprit cultivé, d'un savoir plus
étendu que profond, caractère souple, orateur abondant, Ammon pré-
sida, pendant près d'un demi-siècle, aux destinées de l'Eglise protes-
tante de la Saxe. 11 essaya de couvrir d'un vernis d'élégance le plat
rationalisme auquel il était attaché, et montra comment on pouvait
concilier les vues les plus subversives de tout christianisme avec la sou-
mission la plus respectueuse à l'autorité des livres symboliques. En
1817, le prélat saxon, dans une brochure qui causa un véritable scan-
dale (Bittere Arznei fur die Glaubmsschw sèche der Zeit), s'étant avisé de
soutenir Harms, l'intrépide restaurateur du vieux luthéranisme, s'at-
tira de la part de Schleiermacher une verte réplique qui lui ferma la
bouche. Les ouvrages d' Ammon sont de peu d'importance. Sa Biblîsclie
Théologie, 1792 (2e éd. 1801), n'est qu'un recueil diffus des Dicta pro-
bantia dont se sert la dogmatique, expliqués, il est vrai, d'après les
principes de l'interprétation historique, mais jugés d'après « le sain bon
sens, » ce critère suprême de l'école rationaliste. Il nie les miracles et
les prophéties, et définit Jésus-Christ : « le seul Messie moral; » c'est en
vertu de sa haute moralité qu'il a pu fonder une religion nouvelle.
Jésus, d'après Ammon, se serait du reste intentionnellement environné
d'uni' sorte de « clair-obscur allégorique. » On retrouve les mêmes
vues, mais accommodées à la terminologie officielle, dans son manuel
de dogmatique (Sumrha Iheologica, 1803; 4e édition, 1830) et dans son
traité de morale (Sittenlehre, 1795; 5e éd., 1823). Sa pensée apparaît
débarrassée de tous ses voiles dans un ouvrage intitulé : Fortbildung des
Christenihums zur Weltreligion. Fine Ansicht der hœhern Dogmatik,
I vol., 1836-38 : c'est un plaidoyer déclamatoire el superficiel en faveur
du rationalisme le plus vulgaire. Dans la chambre des députés, don! il
étail membre, ainsi que dans une brochure devenue célèbre (Die
gemischten kl/en. 1839), Ammon a pris chaudement la défense des ma-
riages mixtes. (Voyez son panégyrique par un de ses admirateurs ano-
nymes, Chr. F. von Ammortnach Lebett, Ansicktehu. Wirken, 1850).
252 AMMONIUS SACCAS - AMORRHÉENS
AMMONIUS SÀGCAS, philosophe alexandrin, qui paraît avoir, dans sa
jeunesse, exercé la profession de portefaix et qui mourut vers Tan 241
après Jésus-Christ. 11 est reconnu comme le fondateur de l'école néo-
platonicienne d'Alexandrie. Mais il n'écrivit point, et le plus éminent
de ses disciples, celui qui fut dans son école ce que Platon avait été
dans l'école de Socrate, Plotin ne cite jamais, dans les Ennéades, ni les
paroles ni le nom du maître. L'engagement que quatre de ses élèves,
Plotin, Longin, Herennius, Origène, le païen, avaient d'abord pris de ne
pas publier ses leçons, porte à croire qu'Ammonius avait une doc-
trine ésotérique'qui ne devait être communiquée que par la tradition
orale. Cependant quelques indications fournies par des écrivains posté-
rieurs nous permettent de discerner les caractères de cet enseigne-
ment. Ammonius, inspiré par une pensée de synthèse et d'éclectisme
qui s'imposait aux philosophes du second siècle, s'efforça de concilier
les deux grands systèmes de la Grèce, le platonisme et le péripatétisme,
apportant à cette œuvre un esprit religieux, un mysticisme, qui le fit
considérer par ses disciples comme un inspiré de Dieu, un théodidacte.
Ce caractère de piété explique l'intérêtqueClémentd'Alexandrie, Origène,
Héraclas (qui mourut évoque d'Alexandrie en 274) prenaient à sa philo-
sophie, et, au quatrième siècle, Eusèbe de Césarée, dans son Hist.
eccl., VI, 19, le confondit avec un chrétien du même nom, auteur d'un
ouvrage intitulé : l'Harmonie de Moïse et de Jésus. — Voyez les historiens
de l'école d'Alexandrie, J. Simon, 1845; Vacherot, 1846; Matter, 2e éd.,
1848.
AMOLON ou AMULON (Amolo), disciple d'Agobard et son successeur à
l'archevêché de Lyon en 840, est l'un des représentants les plus éclairés
de l'Eglise franque à l'époque carlovingienne. Dans sa Lettre' à Theut-
balde, évêque de Langres, à l'occasion de prétendus miracles qui se
seraient accomplis sur la tombe de saint Bénigne à Dijon, il s'élève avec
force contre les abus auxquels donne lieu le culte des reliques :
mieux vaut suivre paisiblement les offices divins et profiter des grâces
qui en découlent que de rechercher avidement des manifestations
extraordinaires de la puissance divine. Amolon combat les doctrines de
Gotescalc dans un opuscule sur la Grâce et la Prédestination ; il sou-
tient que Dieu ne prédestine personne à la condamnation. Son Traité
contre les Juifs, publié par le P. Chifflet en 1656, sous le nom de
Raban-Maur, auquel il l'attribuait à tort, dénote un esprit très-prévenu
et animé des sentiments de la plus vive intolérance. Une édition com-
plète des ouvrages d'Amolon a été publiée par Baluze, Paris, 1666, et
reproduite dans la Bibliotheca Fatrum Maxima, t. XIII et XIV.
AMON ['Amôn, 'Aj/^v], roi de Juda, fils et successeur de Manassé
(641-639 av. J.-C), favorisa l'idolâtrie autant ou plus que son père, et
périt victime d'une conjuration ourdie dans sa maison, mais désapprou-
vée par le peuple (2 Rois XXI, 19 ss., et 2 Chron. XXXIII, 21 ss.).
AMORRHÉENS [en hébreu toujours ha'Emorî. Les Septante tradui-
sent d'une façon assez inexacte par le pluriel 'Ajwfpaîot d'où nous avons
fait Amorrhéens ; Josèphe n'emploie jamais que la forme géographique
'ApLupî-aç, 'Adopta]. Suivant Io. Simonis et Ewald, ce nom vient de la
AMORRHÉENS 253
racine 'Amar « être élevé o el désigne les habitants de la montagne par
opposition aux Cananéens ou habitants de la plaine. A quelle race
appartenaient les Amorrhéens? Amos en fait des géants (II, 9, comp.
Dent. I, 28). D'après la généalogie de la Genèse (X, 16), c'étaient des
Cananéens, frères des Hélions (Khétas) et des Jébusites à côté desquels
ils sont constamment nommés dans l'Ancien Testament. Ils devaient
être unis aux Hébreux par des liens fort anciens, dont Ezéchiel nous a
conserve le souvenir (XVI, 3, 45) ; mais dans la bouche d'Ezéchiel cette
parenté était un reproche à l'adresse d'Israël, et les Hébreux n'ont
jamais cessé d'insister sur la différence qu'il y avait entre eux et les
Amorrhéens (2 Sam. XXI, 2). Nous ne croyons donc pas qu'on soit en
droit, avec Knobel {Vœlkei'tof. der Gen., p. 201 ss.), de considérer les
Amorrhéens comme une tribu purement sémitique. On ne peut pas da-
vantage n'y voir qu'une désignation locale (Smith, Dict. of the B., s. v.)
ne s'appliquant à aucune tribu en particulier. La vérité est que les Hé-
breux, leur étant plus directement opposés, ont pu souvent en exagérer
l'importance et étendre ce nom à tous les Cananéens qu'ils avaient en
face d'eux. Si haut que l'on remonte, on trouve les Amorrhéens établis
au sud de la Palestine, dans ce qui fut plus tard la montagne de Juda;
Hatsatson Thamar leur appartient (Gen. XIV, 7); Mamré l'Amorrhéen
dresse sa tente auprès de Hébron (XIII, 18). Le rapport des premiers
espions hébreux nous montre les Amorrhéens occupant la montagne
avec les Jébusites (Nomb. XIII, 29) ; elle a continué longtemps à s'appe-
ler de leur nom (Deut. I, 7; XIX, 20). De l'autre côté du Jourdain, les
Amorrhéens refoulèrent les Ammonites, et s'emparèrent de tout le terri-
toire compris entre le Jabboq et l'Arnon (Deut. TV, 46-49). Ils y avaient
deux royaumes : au nord celui de Basan, la terre des géants, avec Edréi
et Salca (Deut. III, II), dont le roi légendaire, Og, avait un lit de fer de
neuf coudées (comp. Josué XIII, 12) ; au sud, celui de Galaad qui avait
pour capitale Hesbon. Les Amorrhéens du sud s'étendirent même, sous
leur roi Sihon, aux dépens de Moab et lui prirent les villes de Dibon,
Nofak et Medeba (Nomb. XXI, 26 ss.). Ces guerres nous sont racontées
dans un vieux chant que nous a conservé le livre des Nombres (XXI, 27-
30). Lors de l'invasion des Juifs, les Amorrhéens du sud les arrêtèrent et
les défirent à Horma (Nomb. XIV, 39; Deut. I, 41 ss.). Ceux de l'est leur
fermèrent aussi le passage ; mais Moïse battit Sihon à Jahaç (Nomb. XXI,
13-21; Deut. II, 26 ss. ; Juges XI, 13), puis Og à Edréi (Deut. III, 11 ss.;
Nomb. XXI, 33), et donna leur pays aux tribus de Gad, de Ruben et à
une parti.' de celle de Manassé. Josué à son tour battit, les Amorrhéens
de Palestine ligues contre lui (ch.X), mais sans réussir à leur enlever leurs
villes Juges I, 34, 35; III, 5; 1 Sam. VII, 14). Voilà ce que nous appren-
nent le l'entateuque, Josué et le livre des Juges. Il faut croire que, une
toi- les Hébreux établis en Palestine, les Amorrhéens se confondirent
avec les autres peuplades cananéennes, car on n'en rencontre plus que
de rares débris 2 Sam. XXI, ± Josué !X, 15-19) et il n'en est plus ques-
tion que cômmed'un Bouvenir du passé (1 Rois IX, 20; 2 Ghron. VÏII, 7),
Il n'est nullemenl t'ait mention des mœurs ni de la religion des Amor-
rhéens; on a voulu en conclure qifils n'avaient, pas une existence
254 AMORRHÉENS - AMOUR
propre , mais à tort. Nous n'en savons pas davantage sur les Hétiens,
dont l'importance comme peuple nous est attestée par les documents
égyptiens. Si la poésie que nous avons rapportée est bien amorrhéenne,
leur langue était presque identique à l'hébreu. En dehors de là, nous
ne possédons qu'un seul mot de leur Langue : On lit, Deut. LU, 8 : « Les
Sidoniens appellent l'Hermon Sirion, et les Amorrhéens Sénir. » Com-
parez Deut. IV, 48. Ph. Berger.
AMORTISSEMENT, terme juridique qui désigne les mesures restric-
trives prises par les gouvernements, vis-à-vis des Eglises et des commu-
nautés religieuses, en ce qui concerne l'acquisition et la possession des
biens temporels. L'accumulation des propriétés dans une seule main,
morte pour ainsi dire (manus mortua) , parce qu'elle les retirait du
domaine des transactions publiques, jetait un trouble profond dans l'éco-
nomie sociale et justifiait dès lors l'intervention de l'autorité civile.
L'Eglise catholique n'a jamais reconnu ce droit, les biens de mainmorte
appartenant, d'après elle, à Dieu quant à la propriété, au clergé quant
à la dispensation et à l'administration, à l'Eglise ou aux pauvres quant
à l'usufruit. Elle n'a cessé de prolester contre les lois toujours plus nom-
breuses édictées, à partir du treizième siècle, dans presque tous les pays,
soit pour contenir le zèle des fidèles disposés à faire des legs et des do-
nations à l'Eglise, en limitant la valeur des biens immeubles ou la somme
du capital légués ; soit pour introduire des laïques dans l'administration
des biens ecclésiastiques ou même pour détourner ces biens de leur
usage primitif en les sécularisant (voyez l'article Biens ecclésiastiques).
AMOS [cAmôs, 'Ajjwîx;], prophète hébreu du commencement du hui-
tième siècle, du temps d'Osias, roi de Juda et de Jéroboam II, roi d'Israël,
parla surtout contre le royaume des dix tribus et, à l'occasion, contre le
royaume de Juda (ch.IVet V), et contre les peuples voisins, les Syriens,
les Philistins, les Phéniciens, les Edomites, les Ammonites, les Moabites
(ch. I et II). Il était natif de Thékoa, dans la tribu de Juda, et avait été
berger. Par ses vives attaques contre l'idolâtrie et la dépravation du
royaume du Nord auxquelles il rattachait de terribles menaces^ il sou-
leva contre lui les prêtres de Béthel, qui réclamèrent de Jéroboam son
expulsion. Plus énergique dans son blâme et plus précis dans ses
menaces que Joël auquel il se rattache, Amos prédit que le châtiment
réservé au peuple de Dieu sera l'entière destruction du royaume et
l'exil (( au delà de Damas » (V, 25; VII, 7-9, 17). Ces malheurs auront
pour résultat d'opérer un triage entre les bons et les méchants, et de
préparer pour Israël une ère nouvelle de splendeur, de réconciliation
entre les deux royaumes et de domination sur les peuples voisins (IX,
8-11). — Voyez Steeg : Revue de théol., 3e série, II, p. 77 ss.
AMOUR. De tous les termes du langage religieux, celui-ci est le plus
étendu et le plus caractéristique. L'amour est le contenu essentiel et le
signe même de la religion chrétienne. C'est elle qui a fait entendre
cette parole suprême qui domine les temps, les religions et les diverses
théologies : « Dieu est amour » (1 Jean IV, 8). Dieu se donnant à
l'homme, afin que l'homme, en retour de cet amour gratuit, se donne
librement à Dieu, tel est, sous sa forme la plus concise, le fait chrétien :
AMOUR 255
a Nous l'aimons parce qu'il nous a aimés le premier » (1 Jean IV, 19);
c'esi dans ce double don que se concentre la force propre du christia-
nisme. Qui dit amour dit un acte volontaire et conscient lequel s'exerce
d'une personne sur une autre personne et qui tend à les unir, sans les
confondre. En effet, l'amour suppose nécessairement deux termes:
un sujet qui aime et un objet qui est aimé. 11 ne peut donc y avoir
amour qu'autant qu'il y a deux êtres distincts en présence; l'amour
cesse au point précis où, de part et d'autre, s'efface la personnalité; il
fait place alors à une fusion sans caractère et sans vie. Par conséquent,
ni le panthéisme qui identifie Dieu et le monde, ni le déisme qui les
Sépare par un abîme, ne peuvent parvenir à une notion vraie de la
relation que l'amour établit entre Dieu et l'homme. Or ce n'est qu'à la
condition de posséder cette notion que l'on peut comprendre la nature
el l'action de l'amour. On ne le connaît qu'en remontant à sa source,
c'est-à-dire jusqu'à Dieu. L'amour ne rehausse pas seulement ses autres
perfections; il en est la base et la racine. Dieu est amour; l'amour est
son être même; connaître l'amour dans sa réalité puissante et sainte,
c'est connaître Dieu. Là est l'explication première de toutes choses :
Dieu est le Père du genre humain et de la création ; celle-ci procède
de lui, c'est-à-dire de sa volonté qui n'est autre que son amour
(Ps. GXXXVI, 4-9). «Dieu étant bon, dit Platon, n'est point avare de
ses dons ; il a voulu que toutes choses fussent aussi excellentes que
possible » (Timée). Les calamités qui désolent la terre, les guerres qui
l'ont ensanglantée, les inégalités choquantes que nous y rencontrons
à chaque pas, bien qu'elles posent devant notre intelligence les plus
redoutables problèmes, n'ébranlent pas le principe fondamental que
nous venons de poser, en dehors duquel il n'y a que trouble pour le
cœur et incertitude pour l'esprit; il persiste sous les douleurs de
l'existence, comme le soleil sous les nuages. Cette affirmation de
l'amour de Dieu n'est pas non plus affaiblie par la considérai ion des
rétributions divines qui atteignent les méchants, car l'indignation de
Dieu contre le mal, désignée dans l'Ecriture sainte sous le nom de
« colère de Dieu, » loin d'être un signe de sa malveillance, est encore
un témoignage de son ardente et sainte charité qui poursuit le pécheur
au sein de son péché, pour lui en faire goûter l'amertume, l'y arracher
et le rendre à sa vraie vocation, en le rendant à la sainteté ; « la joie
n'esl semée que pour ceux dont le cœur est droit » (Ps. XGVII, 14). —
L'amour de Dieu qui a précédé toutes ses œuvres et qui, seul, est la
raison d'être de la création, est aussi celle de ses voies providentielles,
car Dieu n'est pas moins magnifique en moyens qu'admirable en conseil
Esaïe XXVIII, 29), et l'histoire entière, à la considérer de près, est la
réalisation successive et souvent mystérieuse de ses desseins d'amour.
Vax effet, L'histoire nous présente, d'un côté, l'élection divine d'un
peuple qui ;'s| mis a part, au sein de l'humanité, comme peuple de
Dieu (Deut. IV. 20; Actes XV, 14), celui dont l'Eternel se déclare
L'époux Esaïe LIY, 5), el qu'il soumet à une éducation spéciale parla
lui, le culte el l'enseignemenl des prophètes, pour qu'il soit un peuple
saint (Deut. XXVI, 11), ; de l'autre coté, elle nous fait assister aux desti-
256 AMOUR
nées multiples des nations païennes que Dieu laisse marcher « dans
leurs propres voies » (Actes XIV, 16) et tenter toutes les expériences
de la vie, à la seule lumière de leur conscience et de la nature
(Rom. I, 20; II, 15), afin qu'elles aussi, fatiguées de leurs efforts sté-
riles, se tournent vers Celui « qui aime les peuples » (Deut. XXXIII, 3)
et qui offre la paix à ceux qui sont loin, comme à ceux qui sont près
(Esaïe LVII, 19). Enfin, quand l'homme, par son égoïsme et la révolte
de sa volonté, s'est placé en dehors des conditions du bonheur, en rom-
pant le lien filial qui l'unissait à son Dieu, alors l'amour de Dieu, loin
de se lasser, persévérant à tout espère?* de sa créature coupable et
égarée (1 Cor. XIII, 7), s'est déployé sous la seule forme qui convienne
à notre état actuel de condamnation, savoir sous forme de miséricorde,
dans la rédemption. La rédemption se rattache si intimement à la
création que, sans elle, le but de la création ne serait pas atteint,
puisque c'est par la rédemption qu'est réalisée la pensée d'amour du
Créateur à l'égard de sa créature ; c'est elle qui renoue entre rhomme
coupable et le Dieu saint le lien vivant que Dieu avait établi et que le
péché avait brisé. La miséricorde de Dieu n'a pas été un simple senti-
ment de sympathie pour l'homme tombé ; elle est apparue dans l'his-
toire et s'est traduite en un acte, bien plus, s'est manifestée dans une
personne, savoir en Jésus- Christ : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a
donné son Fils » (Jean III, 16; Rom. V, 8). C'est en lui que l'amour de
Dieu est devenu accessible à tous; en effet, dans la nature et dans
Thistoire, les traces de cet amour ne sont point partout également vi-
sibles ; on dirait qu'il se montre et se cache tour à tour ; mais en
Jésus-Christ et dans son œuvre rédemptrice, telle que l'Evangile nous
la fait connaître, l'amour de Dieu éclate sans lacune ni obscurcisse-
ment ; à moins de résistance volontaire, le plus ignorant, mis en pré-
sence de Jésus-Christ, ne peut pas ne pas sentir qu'il est placé directe-
ment sous l'influence de l'amour de Dieu (1 Jean IV, 9), car Jésus-
Christ c'est Dieu cherchant l'homme pécheur et le ramenant de son
égarement, comme un berger cherche sa brebis perdue, ou comme un
père court au-devant de son enfant rebelle et repentant (Luc XV, 4, 20).
Ce témoignage de l'amour divin est tel que l'apôtre Paul y voit la
garantie de tous les autres (Rom. VIII, 32). L'amour véritable ne
s'exerce que sur des êtres capables de le sentir et d'y répondre ; aussi
n'est-il dans l'humanité pécheresse aucun cœur assez large ni assez
pur pour s'ouvrir tout entier à cette action d'en haut ; chez tous elle
rencontre une résistance égoïste plus ou moins grande ; il faut donc,
pour contempler l'amour dans sa perfection, considérer les rapports de
Dieu non avec des pécheurs, mais avec Jésus-Christ, le type accompli
de l'humanité ; ces rapports sont ceux d'une union absolue (Jean XIV,
10). L'amour éternel de Dieu pour son Fils (Jean X, 17; XVII, 24;
Matth. III, 17) auquel correspond l'amour de Jésus pour son Père
(Jean XIV, 31), voilà l'idéal de l'amour. En outre, Jésus-Christ qui
aime son Père d'un amour infini aime également les hommes que son
Père aime; il les appelle à lui (Matth, XI, 28), meurt pour eux (Jean X,
11) et leur donne la vie éternelle (Jean X, 28). Son amour pour les
AMOUR 251
hommes est l'amour de Dieu pour eux, se manifestant dans un cœur
humain (Rom. VIII, 35-39). — Quiconque croit à l'amour de Dieu
l'aime en retour. Ce devoir déjà prescrit aux fidèles de l'ancienne
alliance (Deut. XI, I, 13; XXX, 10; Josué XXÏI, 5) a reçu sous la
dispensation évangélique une sanction nouvelle et s'appuie désormais
sur de nouveaux motifs. L'amour de Dieu pour l'homme, tel est le
centre el h1 principe de la doctrine chrétienne; l'amour réciproque de
l'homme pour Dieu, tel est le centre et le principe de la morale chré-
tienne. Ce sentiment, en eiï'et, exerce une intluence décisive sur la di-
rection de toute la vie : « Sans l'amour, nous ne sommes rien »
(1 Cor. XIII, 2). En outre, c'est un fait confirmé par l'expérience géné-
rale, non-seulement des mystiques, mais de tous les hommes religieux,
que nous ne pouvons connaître Dieu qu'à la condition de l'aimer.
Dieu, l'être absolu, n'étant pas l'absolu, au sens abstrait et métaphy-
sique, étant, avant tout, l'être absolument bon, l'intelligence seule ne
suffit pas pour nous mettre en communion avec lui; il y faut l'élan du
cœur, la sympathie, l'amour ; aimer c'est connaître, c'est du moins se
préparer à connaître. Voilà pourquoi les païens n'ont pas connu Dieu ;
ils le craignaient ; ils ne l'ont point aimé. On a demandé si nous devions
aimer Dieu uniquement pour ce qu'il est et pour les avantages spirituels
qui nous en reviennent. Ainsi posée, la question est oiseuse, puisque Dieu
a voulu qu'en l'aimant nous fussions heureux, et même que nous ne le fus-
sions réellement qu'à la condition de l'aimer ; l'homme d'ailleurs ne peut
jamais se désintéresser de son propre bonheur. L'amour a ce caractère
particulier qu'il est le foyer vivant où se rencontrent le devoir dans ce
qu'il a de plus impérieux, la liberté dans ce qu'elle a de plus noble et la
félicité dans ce qu'elle a de plus parfait. De l'amour pour Dieu découle
nécessairement l'amour pour le prochain. Jésus a résumé la loi et les
prophètes dans ce double devoir de l'amour de Dieu et du prochain
(Matth. XXII, 40), et ce qu'il a enseigné sur ce point, il l'a lui-même
réalisé dans sa vie, tellement que l'amour de Dieu et l'amour du pro-
chain en ont été le fond même et la trame constante. A son exemple,
ses disciples doivent s'aimer entre eux, comme étant les membres d'un
même corps dont Christ est le chef (1 Cor. XII, 27). D'une part, le chré-
tien est soumis à la loi générale qui veut qu'aucune vie sociale ne soit
possible sans l'amour; l'homme solitaire est réduit à l'impuissance :
unus nullus; tous nous avons besoin, ici-bas, les uns des autres ; d'autre
part, le chrétien trouve dans l'amour de Dieu envers lui des motifs plus
élevés et plus pressants que cet attrait mutuel e^ naturel pour aimer
ses frères; aussi son amour pour eux ne souffre-l-il ni exceptions
Luc X, ^(.>, 37), ni limites .Matth. VI, 14), à la condition qu'il soit su-
bordonne a l'amour pour Dieu (Luc XIV, 20). La félicité à venir con-
sûtera dans une communion toujours plus intime avec Celui que nous
aimons déjà, bien que nous ne le connaissions encore que par la loi
l Pierre 1,8), et que nous le verrons un jour tel qu'il est (1 Jean 111,2).
11 se trouvera alors que l'amour qui a été, dès le commencement
("'ii. I, !). la raison première de l'activité divine el la seule explica-
tion de toutes les dispensations de Dieu a travers l'histoire, sera aussi
258 AMOUR — AMPÈRE
le dernier mot de ses voies envers nous et la consommation même du
salut, lequel, dans son développement suprême, sera a Dieu tout en
tous » (1 Cor. XV, 28). J. Monod.
AMOURS (Gabriel d'), ministre doué à la fois d'une parole séduisante
et d'un bouillant courage de soldat. Il était né à Paris dans une famille
de gentilshommes de Normandie et seigneur de Mallart. Après avoir
étudié la théologie à Genève (1559-62), il exerça le saint ministère à
Paris, où il n'échappa que par une sorte de miracle au massacre du
24 août 1572. Il parvint à gagner la Suisse, et au mois d'avril 1573 il
était déjà nommé pasteur d'une petite ville du comté de Neufchâtel où
il resta jusqu'en 1584. Les pasteurs du comté l'avaient choisi pour
président dès 1575 et son pays d'adoption tenait tellement à le garder
qu'après l'avoir refusé, en 1579, à Théod. de Bèze qui le demandait
pour la Rochelle, les Neufchâtelois refusaient également de le rendre
à Paris. Il fallut cependant céder à une aussi juste requête et G. d'A-
mours reprit, en octobre 1584, les fonctions qui lui appartenaient dans
sa ville natale. Henri IV l'attacha à sa maison et il suivit ce prince dans
ses nombreuses expéditions militaires jusqu'après la bataille dlvry
(août 1591). Il se fit surtout remarquer à Goutras, où, après avoir pro-
noncé la prière et béni l'armée, il mit l'épée à la main et se jeta des
'premiers sur les rangs ennemis. En 1591, il rentra imprudemment à
Paris au plus fort des fureurs de la Ligue et passa quelque temps sous
les verrous de la Bastille.' Redevenu libre, il fut appelé à desservir
l'Eglise de Saint-Jean d'Angely et fut de nouveau l'objet des mêmes
discordes qui l'avaient tourmenté et honoré dans le pays de Neufchâtel :
les Eglises de Paris, de Lyon, de Barbezieux, de Châtellerault et la
princesse Catherine, sœur du roi de Navarre, se le disputaient sans que
Saint-Jean d'Angely voulût se résigner à le perdre. Le synode de Jar-
geau, 1601, mit lin à toutes les querelles en faveur de Ghâtellerault où
le digne ministre acheva sa carrière. Gabriel d'Amours joua aussi un
beau rôle auprès de Henri IV pour le retenir dans la foi protestante. Il lui
écrivait énergiquement ; « Vous voulez estre instruict par les evesques
de l'Eglise romaine, ce dit-on? 0 que vous n'estes pas le roy qu'il faille
instruire ; vous estes plus grand théologien que moi qui suis vostre mi-
nistre. Vous n'avez faulte de science, mais vous avez un peu faulte de
conscience... » Et dans la même lettre (de Saint-Jean d'Angely,
20 juin 1592), il lui écrivait avec un esprit charmant : « Si vous
escoutiés Gabriel Damours, vostre ministre, comme vous escoutés Ga-
brielle vostre amoureuse, je vous verrois toujours roy généreux et
triomphant. » Ce ministre vraiment parisien mourut vers 1608.
H. BORDIER.
AMPÈRE (André-Marie), naquit à Lyon en 1775. Son père, ancien né-
gociant, s'étant bientôt après retiré dans le village de Polémieux, le
jeune André, déjà doué d'une insatiable avidité de connaître, s'instruisit
en lisant tous les livres de la bibliothèque paternelle, et notamment
Y Encyclopédie de Diderot et d'Alembert. En 1793, le père, qui avait
conservé les fonctions de juge de paix pendant l'insurrection de Lyon,
périt sur l'échafaud. Son fils, accablé de douleur, ne put être arraché
AMPERE 259
à un anéantissement stupide que par la lecture des lettres de Rousseau
sur la botanique; puis 1rs poètes Latins L'enthousiasmèrent. Un mariage
qui comblait ses vœux l'amena à professer la physique à l'Ecole cen-
trale de Bourg. L'attention des savants t'ul attirée sur lui par un travail
de liante analyse, Considérations mathématiques sur la théorie du jeu.
Mais la mort de sa femme (1803), quoique acceptée avec une soumis-
sion religieuse, porta son esprit vers un nouvel ordre d'investigations,
la philosophie. Appelé à Paris, en 1805, comme répétiteur d'analyse à
l'Ecole polytechnique, il entra en relation avec Cabanis et Destutt de
Tracy, les représentants du sensualisme de Condillac. Toutefois, se
sentant plutôt attiré vers Maine de Biran qui devait bientôt guider la
philosophie française dans une voie nouvelle, il se joignit à une société
philosophique qui se réunissait chez lui et dont faisaient partie Stapfer,
le docteur Bertrand, Loyson, Cousin. Ampère eut le mérite de devancer
Maine de Biran dans l'étude de l'activité volontaire du moi. 11 pencha
même un moment pour le subjectivisme de Kant; mais ses vastes con-
naissances le préservèrent du scepticisme du philosophe allemand, et
il enseigna la vérité de nos conceptions objectives. Du moins l'étude de
Kant lui fit mieux apprécier le rôle de la raison et de l'induction spon-
tanée dans l'acquisition de nos connaissances des objets extérieurs,
tandis que Maine de Biran négligeait de faire à l'intelligence sa part
Légitime. Successivement nommé professeur à l'Ecole polytechnique,
inspecteur général de l'Université, membre de l'Institut, il faisait à la
Sorbonne (1819-1820) un cours de philosophie sur la classification des
faits intellectuels, quand une expérience d'QErstedt, prouvant la dépen-
dance réciproque des phénomènes magnétiques et électriques, imprima
subitement une nouvelle direction à ses recherches et le conduisit à la
théorie qui l'a rendu célèbre, celle des lois de l'électro-dynamisme et
en particulier de Félectro-magnétisme. En même temps, il s'occupait
de zoologie, et dans son cours du collège de France il se prononçait,
comme Geoffroy Saint-Hilaire, pour le système de l'unité de composi-
tion des corps organisés. Une découverte de Gay-Lussac sur les pro-
portions simples qu'on observe entre le volume d'un gaz composé et
ceux des gaz composants lui suggéra une théorie nouvelle sur la struc-
ture atomique des corps inorganiques. Mais à partir de 1829, il s'était
plus spécialement consacré à une œuvre qui avait déjà plusieurs fois
attiré son esprit encyclopédique : c'était une classification de toutes les
connaissances humaines, œuvre souvent remaniée et qui aurait subi
Lieu des transformations encore, si la mort n'était venue interrompre
travaux (4836). Ampère avait commencé un grand nombre d'ou-
ges, mais la fougue de son génie ne lui permettait pas de les ache-
ver: r ;'est dans ses cours, dans ses conversations, qu'il épanchait les
rien. te science. Ses œuvres philosophiques ont été publiées
par M. Barthélémy Saint-Hilaire en un volume intitulé : Philosophie des
deux Ampère^ 1866; on y trouve des fragments d'un mémoire composé
m lS0:j, des Lettres h Maine de Biran et une notice de J.-J. Ampère :
Introduction à la Philosophie de mon père. Au milieu de ses immenses
tra\ aux et de ses relations avec tous les savants de l'Europe, Ampère avait
2G0 AMPERE - AMRI
conservé la candeur, l'exquise sensibilité de ses premières années, et si
sa bonhomie provoqua quelques sourires, la noblesse de son caractère
et sa piété lui concilièrent le respect de tous ceux qui le connurent
plus intimement. La publication récente de sa correspondance a con-
firmé l'appréciation sympathique que Sainte-Beuve donnait dans la
Revue des Deux Mondes en 1837. — Voyez sur André-Marie, dans la Bio-
graphie universelle, nouv. éd., Fart. Ampère, de M. Et. Arago, et dans le
Dictionn. des Sciences philos., 2e éd., Fart, de M. Th. -H. Martin. — Son
fils, Jean-Jacques Ampère, successeur d'Andrieux au collège de France,
mort en 1874, s'est plus spécialement consacré à des travaux de littéra-
ture et d'histoire. A. Matter.
AMPHILOQUE (Saint), originaire de la Cappadoce, ami de Basile le
Grand et de Grégoire de Naziance, d'abord rhéteur et avocat, se retira
dans le désert d'Oziales, où il se livra aux pratiques de l'ascétisme. En
374, il fut nommé archevêque d'Iconium, métropole de la Lycaonie,
et, en cette qualité, prit part au second synode œcuménique de Con-
stantinople (381) et présida en 383, à Side, un synode qui condamna
les messaliens. Adversaire décidé des ariens, Amphiloque demanda à
l'empereur Théodose de leur défendre d'exposer leurs principes dans
les réunions publiques. Les actes des conciles d'Ephèse et de Chalcé-
doine citent de lui de longs passages contre Nestorius et Eutychès.
Saint Jérôme parle d'un Traité du Saint-Esprit, qu'Amphiloque lui
aurait lu et dans lequel il aurait défendu son égalité de substance avec
le Père et le Fils. D'autre part, il s'éleva contre le culte des images,
flagellant la piété de ceux qui multipliaient les portraits des saints au
lieu d'imiter leur conduite. Ses écrits ont été publiés par le P. Combe-
fis, Paris, 1644, in-f°; mais leur authenticité a été fortement contestée,
à l'exception d'une lettre synodale, écrite pour défendre la doctrine
orthodoxe de la Trinité. — Voyez Gotelier, Monum. eccL, t. II, et Dom
Geillier, Hist. gêner, des auteurs sacrés et eccl., t. VII, p. 307 ss.
AMPOULE (Sainte), fiole autrefois conservée à Saint-Remy de Reims,
et qui contenait l'huile avec laquelle ont été sacrés, depuis 1179, tous
les rois de France (Henri IV fut sacré à Chartres avec l'huile de la
Sainte Ampoule de Marmoutier, relique de Saint-Martin de Tours).
Hincmar raconte dans sa Vie de saint Remy (A A. SS., 1. Oct. I; cf.
Opp. I, 744, Sirmond) que l'ampoule fut apportée du ciel par une co-
lombe au sacre de Glovis. Depuis le dixième siècle, la colombe fut
remplacée dans la tradition par un ange. Brisée le 7 octobre 1793 par
le représentant Ruhl. la Sainte Ampoule a été refaite en 1823. On ne
peut écarter d'Hincmar le soupçon d'avoir inventé cette légende dans
l'intérêt de Charles le Chauve, couronné roi de Lorraine en 869. —
Voyez G. Marlot, le Théâtre d'honneur, Reims, 1643, in-4° ; J.-J. Chifflet,
De Ampulla Remensi, Anvers, 1651, in-f°; Godefroy, le Cérémonial fran-
çois, Paris, 1649, I, in-f°; P. Tarbé, Trésors des Eglises de Reims, Reims,
1843, in-4°.
AMRI [cOmri, "A^êpil, roi d'Israël (928-918 av. J.-C), commandait
l'armée du roi Ela quand celui-ci fut assassiné. Appelé au trône par
l'armée, il se défit successivement de Zimri, meurtrier d'Ela, qu'il ré-
AMRI - AMSDORF 261
duisii dans Thirtsa, el de Thibni, prétendanl appuyé par le peuple. Il
transporta le siège de la royauté de Thirtsa à Samarie, qu'il bâtit, et
doit avoir éprouve des dommages dans une guerre avec Ben-Hadad, roi
de Syrie (1 Rois XVI, 16-28). La fixation de la durée de son règne pré-
sente quelques difficultés.
AMSDORF Nicolas d'), un dos premiers amis et collaborateurs de
Luther, s'est t'ait, non sans cause, la réputation d'avoir été un homme
véhément el obstiné. Son caractère ne manque pas de noblesse; ce qui
lui a manqué c'est la modération. Il naquit le 3 décembre 1483, d'une
famille noble de la Saxe. Il fit ses études à Leipzig et à Wittemberg, où
il devint chanoine du chapitre de la Toussaint et licencié en théologie.
Dès que Luther eut affiché ses thèses, il s'attacha à lui de cœur et d'âme;
il l'accompagna au colloque de Leipzig et à la diète de Worms. Nommé
en 152 i pasteur à Magdebourg, il introduisit définitivement en cette ville
la Réformation; il l'introduisit de même dans des villes voisines, avec
fermeté, mais sans garder toujours dans ses actes la mesure désirable.
Trop fidèle disciple de Luther, attentif aux moindres symptômes d'une
déviation de la doctrine, ou plutôt de la lettre du réformateur, il se
brouilla avec Mélanchthon et désapprouva la concorde de Wittemberg,
de 1536, tout luthérienne qu'elle fût. Dans la même année, GasparCru-
ciger s'étant servi de la formule bona opéra non quidemesse causant effi-
cientem salut is, sed tamen causam sine qua non, Amsdorf écrivit à Luther
pour lui signaler cette opinion comme une erreur ; elle était mal ex-
primée, mais au fond elle revenait à ceci : Les bonnes œuvres ne pro-
duisent pas le salut, qui ne vient que par la foi, mais comme elles sont
le fruit de la foi justifiante, on doit conclure de leur absence à celle de
la foi ; en ce sens, elles sont une condition du salut. En 1540, Amsdorf
assista aux conférences de Haguenau et au colloque de Worms ; en
15 il il fut à celui de Ratisbonne, où l'électeur Jean-Frédéric l'avait
envoyé pour surveiller Mélanchthon dont il se méfiait; il devait aviser
à ce que dans aucun article on ne s'écartât de la doctrine de Luther.
L'évèque de Naumbourg étant mort en janvier 1540, le chapitre élut le
prévôt Jules de Pflug, catholique instruit et modéré. L'électeur, qui
considérait l'institution de l'évèque comme un droit régalien, cassa
l'élection et nomma Nicolas d'Amsdorf, en chargeant un laïque de l'ad-
ministration du temporel. Amsdorf fut installé par Luther lui-même,
le 2<> janvier 1542, comme premier évoque luthérien. Mais il rencontra
des difficultés de tout genre ; le chapitre lui fit de l'opposition, l'empereur
lf menaçait, l'électeur ne le soutenait que mollement, son autorité
épiscopale était presque nulle ; à la fin, toutefois, il put organiser les
paroisses et les écoles de son diocèse conformément aux articles publiés
en 15-27 pour la Visitation de la Saxe. Lors de la diète de Spire, juin
1544, L'électeur reçut communication du projet de Bucer et de Mé-
lanchthon pour la réformation de Cologne; trouvant qu'en plusieurs
points il g' écartait de la « pure doctrine, » il le remit à Amsdorf;
celui-ci en écrivil une censure très-vive qu'il envoya à- Wittemberg; le
livre, disait-il. était obscur et ambigu, notamment dans les articles du
libre arbitre et de la sainte Gène. Luther fut du même avis. Poussé par
262 AMSDORF — AMSTERDAM
lui et par Amsdorf, l'électeur refusa tout appui à l'archevêque Herrmann,
de Cologne. Lors d'une visite qu'Amsdorf eut, en ioM, de Luther, il
l'excita à publier contre les Suisses cette Brève confession du Saint-
Sacremmt, où ils sont qualifiés de meurtriers des âmes. Adversaire
décidé de l'Intérim, Amsdorf se réfugia à Magdebourg où il devint,
avec Flacius, un des chefs du parti qui s'opposait aux concessions qu'en
Saxe et ailleurs on proposait de faire au catholicisme. Plus tard, il obtint
une position de surintendant à Eisenach. En 1551 il attaqua la propo-
sition de Georges Major : les bonnes œuvres sont nécessaires au salut,
par laquelle Major voulait dire que personne n'obtient le salut par des
œuvres mauvaises ni sans des œuvres bonnes. En 1554 il s'éleva contre
son collègue, Juste Ménius, surintendant à Gotha, qui professait la même
opinion. Dans cette querelle^ il alla jusqu'à publier un traité : Dass die
Propositio gute Wercke sind zur Seligkeit schsedlich eine rechte wahre
christliche Propositio sey, 1559 , in-<4°. Il entendait par ces bonnes
œuvres nuisibles celles par lesquelles on croit pouvoir mériter le salut.
Les théologiens qu'il combattait ne voulaient pas non plus de ces
œuvres ; la controverse tout entière n'était qu'une logomachie ; Flacius
lui-même et les luthériens les plus orthodoxes du dix-septième siècle
ont blâmé l'exagération de la formule d'Amsdorf. Celui-ci était l'ad-
versaire intraitable des philippistes ou disciples de Mélanchthon. Il con-
courut à l'établissement de l'université d'Iéna, fondée par les ducs de
Saxe pour faire concurrence à celle de Wittemberg ; il écrivit la préface
de l'édition des œuvres de Luther qu'à Iéna on opposa à celle de Wit-
temberg ; il fit appeler Flacius comme professeur de théologie ; de
concert avec lui, il excita les théologiens saxons à se séparer de Mé-
lanchthon lors du colloque de Worms, de 1557; l'année suivante il
écrivit contre le synergisme du professeur Pfeffinger, de Leipzig, et
publia une récusation du recès de Francfort. Sur la fin de sa vie, en
1564, il lui arriva, à lui ardent luthérien, d'être attaqué par Tilmann
Hesshus, qui se prétendait plus luthérien que lui. Hesshus, ayant été
renvoyé de Magdebourg à cause de sa violence, Amsdorf approuva cette
mesure; il se vit engagé par là dans une polémique, où, de part et
d'autre, on prodigua plus d'injures que d'arguments. Il mourut
en 1565. Ch. Schmidt.
AMSTERDAM, capitale du royaume des Pays-Bas, à l'embouchure de
l'Amstel, qui a donné son nom au hameau de pêcheurs d'où est sortie
la ville commerçante, si justement grande par l'activité qu'elle a dé-
ployée dans tous les domaines. Son origine ne remonte pas au delà de la
fin du douzième siècle; son commerce prit un rapide élan dans le sei-
zième, après qu'elle eut accueilli les juifs, expulsés de Portugal et de l'Es-
pagne. Lorsque après la chute d'Anvers, elle eut formé dans le commence-
ment du dix-septième siècle de puissantes colonies en Afrique, en Asie
en Amérique, Amsterdam se trouva être, pour quelque temps, la métro-
pole du commerce du monde. Mais nous n'avons à parler ici que du
rôle qu'elle a joué dans l'histoire religieuse. La piété mystique qui se
manifesta en Europe après les croisades, et qui dans le quatorzième siècle
se développa dans les Pays-Bas avec un caractère pratique, sous le nom
AMSTERDAM 203
de « dévotion moderne, » par l'influence des Frères de la vie commune,
fui aussi très en faveur à Amsterdam, el donna naissance à une littéra-
ture d'édification fort recherchée. Au quinzième sièele, la ville ne comp-
luit pas moins de vingt-cinoj couvents. Le magistrat craignant le pouvoir
envahissant du clergé, et voyant avec déplaisir le tiers de la ville entre
1rs mains de corporations exemptes des charges publiques, finit par
s'opposer à cotte multiplication. La Réforme importée à Amsterdam, dès
les premières années du seizième siècle, par des négociants allemands, y
trouva des adhérents toujours plus nombreux parmi les classes commer-
çantes et industrielles. Mais elle se vit bientôt enveloppée dans la défaveur
qu'encourut le fanatisme séditieux des anabaptistes, qui causa de grands
troubles, nécessita de sanglantes répressions et augmenta chez les familles
puissantes leur aversion instinctive pour tout mouvement révolutionnaire.
Bien plus et plus longtemps qu'ailleurs, le magistrat d'Amsterdam fut
hostile à la Réforme. La tolérance à laquelle il se vit contraint vers le
milieu du siècle fut remplacée par de nouvelles rigueurs, lorsque la
fièvre iconoclaste, qui saisit en 1566 le bas peuple protestant des Pays-
Ras, se fut manifestée aussi à Amsterdam. Grand nombre de réformés
* migrèrent, d'autant plus que la ville, toujours gouvernée par l'aristo-
cratie, refusait de se joindre aux mesures qui préparaient l'abjuration du
roi d'Espagne comme souverain des Pays-Ras. Et lorsque enfin, en fé-
vrier 1578, Amsterdam jugea devoir s'associer à ce mouvement, elle sti-
pula expressément l'exercice exclusif du culte catholique dans ses murs
et n'accorda aux réformés qu'un lieu de sépulture, avec une liberté res-
treinte de tenir des assemblées religieuses hors de son enceinte. Mais les
émigrés étant rentrés et les réformés, qui comptaient parmi eux un
grand nombre d'hommes notables, ayant vainement tenté d'obtenir du
magistrat des conditions plus favorables, ils opérèrent, trois mois plus
tard, une révolution civile, qui sans faire verser une goutte de sang mit
entièrement la ville en leur pouvoir. Dès ce moment Amsterdam devint
et est demeurée la ville essentiellement réformée, où jusqu'à la révolu-
tion de 1795 les seuls réformés étaient admis à l'exercice des fonctions
publiques, mais hospitalière du reste pour les cultes de toute dénomi-
nation. Nous allons succinctement les passer en revue. — 1 . Les réformés
ont conservé leur supériorité numérique dans des proportions égales à
l'accroissement considérable de la population. Rs sont actuellement au
nombre d'environ 160,000 âmes, dont à peu près 50,000 membres com-
muniants. Desservie par 28 pasteurs (l'un prêche en allemand), la com-
munauté célèbre son culte dans 10 temples et quelques succursales;
6 d<' ces temples ont été bâtis après rétablissement de la Réforme; on
vienl de décider la construction d'un temple de plus. Les exercices du
< iill. . ii temps ordinaire, 23 à 25 le dimanche et -4 sur semaine, bien
qu'inégalement fréquentés, réunissent parfois des assemblées de 4 à5, 000
fidèles. Au nombre des institutions de bienfaisance que la communauté
i fondées et entretient, on distingue un orphelinat où sont recueillis
environ 150 enfants des deux sexes; un très-grand hospice pour la vieil-
. habit e par près de 1,000 hommes et femmes; et 7 écoles diaco-
oales, où environ 2,000 enfants pauvres reçoivent l'instruction. —
264 AMSTERDAM
2. Après qu'Amsterdam se fut déclarée pour la Réforme en 1578,
elle vit affluer dans ses murs un nombre très-considérable de réfugiés
des provinces flamandes et wallonnes, qui venaient de retomber sous
la domination de l'Espagne, et oii la Réforme, après avoir pris un déve-
loppement même plus grand que dans le nord, fut alors complètement
étouffée. Les Flamands, qui parlaient le néerlandais, s'associèrent à la
communauté établie. Mais la langue des Wallons étant le français, il
fallut pour eux un établissement à part; ils y avaient d'autant plus de
droits, qu'ils étaient les plus anciens réformés et que c'était au milieu
d'eux qu'était née la confession de foi et la forme d'Eglise calviniste,
qui l'une et l'autre venaient d'être définitivement adoptées par la nou-
velle république. On les laissa ainsi se constituer comme communauté
ivalionne réformée, associée aux autres communautés wallonnes, qui
s'établirent en môme temps et par les mêmes causes dans les principaux
endroits des Pays-Bas septentrionaux, et qui formèrent ensemble un res-
sort synodal, partie intégrante de l'Eglise réformée des Provinces-Unies.
Le temple wallon d'Amsterdam, bien que déjà trois fois agrandi pendant
le dix-septième siècle, ne s'en trouva pas moins complètement insuffi-
sant, lorsqu'à la suite de la révocation de l'édit de Nantes, en 1685, des
milliers de réfugiés vinrent s'établir à Amsterdam. Le magistrat accorda
alors à la communauté wallonne un second temple, qui lui fut enlevé il
est vrai, lorsqu'au commencement de ce siècle la propriété des temples,
jusqu'alors domaine de la ville, fut cédée aux communautés religieuses,
mais que la communauté wallonne remplaça par un temple nouveau,
de sorte que le culte wallon ou français s'exerce toujours dans deux
édifices. La communauté, desservie par quatre pasteurs, compte environ
3,500 âmes. Elle possède un hospice pour l'éducation ou l'entretien d'une
centaine d'orphelins et de personnes âgées, de plus trois écoles pour
300 enfants pauvres, avec une institution secondaire pour les former à
une profession qui les mette en état de gagner leur vie. — 3. On connaît
les troubles ecclésiastiques et politiques, nés au commencement du
dix-septième siècle des disputes dogmatiques. Proscrits et persécutés
d'abord, les pasteurs arminiens ou remontrants essayèrent bientôt de
rallier leurs adhérents. Dès 1621 le magistrat d'Amsterdam refusa de
s'y opposer, bien qu'il en fût vivement sollicité ; et en 1628, malgré
lesédits contraires et une violente opposition ecclésiastique, il autorisa
les assemblées religieuses des remontrants. En 1634 , ceux-ci fon-
dèrent un séminaire. Le célèbre Episcopius en fut le premier profes-
seur; il accueillit comme ami et eut pour successeur Etienne de
Courcelles, théologien distingué, bien connu dans les Eglises de France,
qui Pavaient déposé pour ses opinions arminiennes. Le séminaire qui a
continué de fleurir et de compter parmi ses professeurs des hommes
illustres, a été transféré il y a peu d'années à Leyde. La belle biblio-
thèque théologique est restée à Amsterdam. La communauté des re-
montrants compte aujourd'hui plus de 1,200 âmes; elle a son temple à
elle et est desservie par deux pasteurs. — -4 et 5. Les Anglais et Ecossais
presbytériens forment aussi depuis 1607 une communauté, possédant un
temple et desservie par un pasteur. Elle ressortit du synode de l'Eglise
AMSTERDAM 265
réformée des Pays-Bas. La communauté anglaise épiscopale, qui s'est
établie et a obtenu un temple vers 1700, dépend de l'Eglise épiscopale
d'Angleterre qui la pourvoit d'un pasteur. — (> et 7. C'étaient les adhé-
rents de Luther qui, les premiers, avaient introduit la Réforme à Am-
sterdam. Mais le calvinisme avait prévalu. Le principe de la liberté des
cultes étant alors encore fort loin d'être admis, les luthériens, déjà nom-
breux lorsqu'en 1578 la ville se déclara réformée, n'obtinrent cette
liberté qu'après quelques années, à titre de privilège, dans l'intérêt du
commerce. L'accroissement rapide de la population pendant le dix-sep-
tième siècle augmenta considérablement la communauté. Bientôt leur
temple, bien que bâti pour des assemblées de 5 à 6,000 fidèles, ne leur
suffisant plus, il fallut en construire un second, presque également vaste.
Vers la fin du dernier siècle, une partie de la communauté se sépara de
l'autre, à la suite de discussions dogmatiques, et forma une Église à
part, sous le nom cY F g lise luthérienne rétablie (c'est-à-dire sur la base
des doctrines de Luther). Elle compte environ 9,000 âmes et est desservie
par quatre pasteurs. Indépendamment d'un vaste temple que la commu-
nauté s'est bâti, elle possède un orphelinat, qui sert en même temps de
second lieu de culte. L'autre ou 1 'ancienne communauté luthérienne, forte
toujours de près de 30,000 âmes, a six pasteurs, dont un pour la prédi-
cation allemande. Un vaste hospice abrite 250 vieillards et environ
120 orphelins. — 8. Les mennonites ou baptistes ont eu à Amsterdam
'plusieurs établissements de nuances assez divergentes, qui ont fini ce-
pendant par se réunir dans une seule communauté, comptant pour le
moins 4,000 âmes. Desservie par trois pasteurs, elle a son temple et ses
institutions de charité. De même que les remontrants, les luthériens et
les mennonites des Pays-Bas ont fondé à Amsterdam des séminaires où
se forment leurs pasteurs respectifs. Ces deux dernières institutions n'ont
point quitté la capitale et continuent d'y fleurir. La bibliothèque théo-
logique des mennonites est très-remarquable et complète. — 9. La
Réforme l'ayant emporté à Amsterdam sur le catholicisme, l'ancien
persécuté ne devint pas persécuteur. Les catholiques furent traités avec
une grande tolérance. Avant le milieu du dix-septième siècle, les catho-
liques jouissaient déjà du libre exercice de leur culte dans l'intérieur des
églises et avaient obtenu l'autorisation d'en bâtir. Les prêtres, même
ceux de l'ordre des jésuites, étaient admis, sauf l'obligation de déclarer
quils ne reconnaissaient pas aux papes le droit de délier les sujets du
sérmenl de fidélité à leurs souverains. Les jansénistes, persécutés en
France et dans les Pays-Bas espagnols, entre autres le célèbre Quesnel,
trouvèrent à Amsterdam un asile. Aussi le nombre des catholiques ro-
mains augmenta-t-il en proportion de la population. Vers la fin du dix-
huitième siècle ils possédaient vingt-deux lieux de culte, qu'ils s'occu-
penl d'embellir plutôt que d'augmenter, depuis que l'état de minorité
ou les maintenait Le pays réformé, a cessé, et que l'égalité des citoyens,
Bans distinction de culte, a passé dans les mœurs et dans la constitution
de l'Etat. Leur nombre est d'environ 00,000, divisés en paroisses des-
servies par cinquante ecclésiastiques. Ils possèdent de grands et beaux
établissements de bienfaisance, tant pour l'enfance et la jeunesse que
i. 18
266 AMSTERDAM
pour l'âge avancé. — 10. A côté des catholiques romains, on distingue
dans les Pays-Bas, les anciens épiscopaux, dits aussi jansénistes, c'est-
à-dire les catholiques, qui, ayant refusé de souscrire en 4703 et 1713 aux
condamnations papales de la doctrine de Jansénius, ont maintenu l'an-
cien archevêché d'Utrecht, supprimé ou interdit à cette époque par le
pape, et ont continué d'en nommer les archevêques en vertu du droit du
chapitre, droit et nomination que la cour de Rome ne cesse de déclarer
nuls et non avenus. La communauté janséniste d'Amsterdam possède
deux églises. — 11. Les juifs, tant ceux de Pologne et d'Allemagne, que
ceux du Portugal et d'Espagne, persécutés chez eux et attirés par le
commerce et la tolérance, s'établirent en nombre à Amsterdam, surtout
après sa révolution religieuse de 1578. Ils ne tardèrent pas à y obtenir
le libre exercice de leur culte. Les juifs portugais, au nombre d'environ
3,500, possèdent une grande et belle synagogue. Spinoza était un des
leurs. Les juifs allemands, bien plus nombreux, environ 30,000, ont
huit synagogues, dont la principale surtout est un bel édifice. Les insti-
tutions pour les pauvres et pour l'enseignement sont nombreuses, bien
entretenues et bien dirigées. — 12. Dans le dernier siècle, l'Eglise armé-
nienne ou perse avait à Amsterdam un temple et l'Eglise grecque, ainsi
que les quakers, des lieux de culte, qui subsistent toujours, mais où le
service religieux ne se célèbre plus. — 13. Le mouvement religieux qui,
sous le nom de réveil, s'est manifesté dans la première moitié de ce
siècle dans la France et la Suisse protestantes, s'est fait sentir aussi en
Hollande et a donné naissance à Amsterdam à plusieurs communautés
dissidentes, autorisées par l'Etat. La plus ancienne et la plus considé-
rable, qui se désigne d'une manière spéciale comme Eglise chrétienne
réformée, a trois lieux de culte, et est desservie par trois pasteurs. Elle
tient à un corps organisé d'Eglises, établies dans tout le pays, qui a son
synode spécial et son école de théologie à Kampen (Over-Yssel). — Après
la large tolérance religieuse pratiquée à Amsterdam depuis la Réforme,
la parfaite égalité des cultes proclamée à la suite de la révolution poli-
tique de 1795 n'a pas eu de peine à entrer dans les mœurs. Protestants
de toute dénomination, catholiques et juifs siègent et travaillent ensemble
dans la magistrature, dans les chambres législatives, dans les cabinets
ministériels, dans toutes les administrations et associations commer-
ciales, industrielles et statistiques. La différence des rites et des croyances
n'influe à divers degrés que sur les relations personnelles ou de société.
Du reste, l'esprit religieux, qui, au milieu de toutes les évolutions des
idées, s'est maintenu en Hollande, n'est pas le moins vivant à Amster-
dam. Les tendances conservatrices et progressistes qui divisent le pro-
testantisme, et qui existent là comme ailleurs, font sentir, et vivement
quelquefois, leur présence et leur action au sein des communautés
ecclésiastiques. L'une et l'autre comptent parmi leurs représentants des
hommes d'une grande valeur scientifique et religieuse, qui, malgré les
tiraillements inséparables de la lutte, conservent à celle-ci le caractère
d'un débat utile et sérieux. La fréquentation du culte, bien qu'elle ne
soit plus ce qu'elle était autrefois, est plus assidue qu'en mainte autre
grande ville protestante de l'Europe. Quelquefois les vastes temples suffi-
AMSTERDAM 267
sent à peine pour contenir 1rs auditoires qui se pressent autour des pré-
dicateurs, surtout des orthodoxes, mais aussi des libéraux. Amsterdam
est le centre et le chef-lieu de l'activité de la Société biblique néerlan-
daise, celle œuvre protestante à laquelle concourent des théologiens et
des laïques de tous les cultes el de toutes les tendances. Elle est connue,
entre autres, par les éludes linguistiques qui se poursuivent sous ses aus-
pices dans l'archipel des Indes asiatiques, et dont plusieurs travaux litté-
raires et traductions bibliques dans les différents dialectes des langues
malaie, javanaise, el celle des Bataks, sont déjà le fruit. L'esprit reli-
gieux et philanthropique se voit encore, en dehors des institutions ecclé-
siastiques, dans l'œuvre d'un grand nombre d'associations particulières,
soit qu'elles exercent leur action dans les établissements publics, soit
qu'elles poursuivent leur but par le moyen de fondations expresses.
Dans la vaste prison cellulaire, bel édifice bien aéré, le relèvement
moral des prisonniers est l'objet de soins constants et bien organisés,
qu'une société spéciale continue au prisonnier après son relâchement.
La grande maison de travail , lieu de détention pour les vagabonds ,
asile et occasion d'un travail rémunéré pour le pauvre, ainsi que l'orphe-
linat civique, destiné aux orphelins de ceux qui ont droit de bour-
geoisie (actuellement environ 175 enfants), reçoivent également des
soins religieux appropriés aux besoins de leurs habitants. Il en est de
même des deux maisons d'aveugles, destinées l'une à l'éducation des
enfants, l'autre à faire apprendre un métier aux adultes, de celle des
sourds-muets, de plusieurs maisons de santé, dont une spécialement
affectée aux enfants, une autre aux ophthalmiques , établissements
qui servent aussi à former des sœurs de charité (gardes-malades) tant
protestantes que catholiques, de l'asile pour les pénitentes, d'un autre
pour mettre les jeunes filles à l'abri de la séduction : autant de fonda-
tions, qui, de même que les crèches et les diverses sociétés de patro-
nage, sont des institutions de la charité privée. Bref, la bienfaisance
des Amsterdammois est universellement connue. Il est peu de pays de
l'Europe dont il ne lui vienne des appels réitérés et rarement infruc-
tueux pour des besoins religieux et sociaux. — Si Fesprit de sagesse
pratique qu'entretient le commerce se montre à Amsterdam dans son
lii>loire religieuse, il se voit aussi dans ses institutions pour la diffusion
d'utiles lumières. La « dévotion moderne des Frères de la vie com-
mune, » qui dans le quatorzième et le quinzième siècle exerçait au sein
des Pays-Bas son action bienfaisante, faisait prendre aussi à cœur l'en-
seignement, tant primaire que supérieur. Amsterdam vit ainsi se mul-
tiplier ses écoles paroissiales et particulières, où l'enfance et la jeunesse,
tout en apprenant avant tout ce qu'il fallait pour prendre part au culte
et aux rites ecclésiastiques, recevaient aussi, et dans une mesure crois-
s'"11'- '''" connaissances nécessaires pour la vie sociale en rapport avec
la diversité des rangs et des professions. Elle est la première ville dès
Pays Bas septentrionaux où se tonna, en 1450, un collège pour les hautes
études, par les soins de la riche et respectable famille des Eggerts,
dont I un des chefs avait consacré, vers 1400, une partie de sa vaste for-
tune à bâtir ! église neuve, qui est devenue et demeurée le temple prin-
268 AMSTERDAM
cipal de la ville. Ce collège, d'après les lettres de fondation, devait être
organisé « à la manière de la faculté de théologie de Paris, » et être
pourvu de chaires de philosophie, d'histoire ecclésiastique, de dogma-
tique et de morale. Il fut enrichi bientôt d'une bibliothèque, qui s'est
confondue depuis avec la bibliothèque publique. Le collège s'éteignit au
milieu des troubles du siècle suivant. Mais avec lui ne s'éteignit pas à
Amsterdam le besoin de favoriser les hautes études. Après que la ville
eut accompli et consolidé sa révolution ecclésiastique et politique, elle
fonda en 1632 son athénée ou école illustre et y créa successivement
des chaires pour un enseignement universitaire, histoire, littérature,
géométrie et navigation, médecine, jurisprudence, théologie. L'école
eut eu pour premiers professeurs l'illustre Galilée et Hugo Grotius, si le
grand âge du premier lui avait permis de se rendre dans la ville qui eût
été heureuse de lui faire oublier les persécutions de son ingrate patrie,
et si de puissantes inimitiés n'avaient pas empêché Grotius d'occuper la
chaire qu'Amsterdam s'empressait de lui offrir. Vossius et Barlaeus,
expulsés de leurs chaires de Leyde, pour cause d'arminianisme, furent
parmi les premiers professeurs de l'athénée. Ils y eurent pour collabo-
rateur et pour successeur David Blondel, appelé de France, où il avait
été également en butte à des animosités dogmatiques. Les chaires n'ont
cessé d'être occupées par des savants du premier ordre. Parmi ceux qui
y ont enseigné pendant la dernière centaine d'années, les noms de
Cras et de Kemper, de Schultens, Willmet et van Heugel, de Camper,
Kemwardt, van Swinden, Vrolik, de Wyttenbach et van Lennep, hono-
rés dans le monde savant, continueront d'aller à la postérité. L'athénée,
tout en offrant aux divers séminaires indiqués ci-dessus un précieux
moyen de compléter leur enseignement, est du reste une école prépara-
toire ou succursale universitaire pour la nombreuse jeunesse d'Amster-
dam et pour les étudiants du dehors, qui désirent profiter des ressources
scientifiques de la capitale, Toutefois, l'école n'ayant pas le droit de con-
férer les grades, les étudiants sont obligés d'aller les demander ailleurs :
inconvénient qui s'est fait toujours plus vivement sentir et en vue duquel
une loi récente vient d'ouvrir à l'athénée la voie où il pourra obtenir le
rang d'université avec le jus promovendi. La constitution néerlandaise
exigeant qu'il soit donné « partout de la part de l'Etat un enseignement
primaire qui satisfasse aux besoins, » cet enseignement est aussi à Am-
sterdam l'objet de soins très-étendus. Indépendamment du gymnase ou
école latine, qui date du seizième siècle, la ville a fondé un grand
nombre d'écoles publiques. Dans 28 des 56 écoles actuelles l'enseigne-
ment se donne gratis à \ 0,000 enfants pauvres. Les 28 autres, où l'ensei-
gnement est approprié aux besoins des classes aisées, sont visitées par
environ 6,000 enfants. Le corps enseignant compte environ 600 institu-
teurs et institutrices, supérieurs et aides, choisis avec soin parmi des
candidats diplômés L'enseignement public étant destiné aux enfants de
tous les cultes doit servir d'après la loi « à former les enfants aux vertus
chrétiennes et sociales, mais s'abstenir du reste de tout ce qui pourrait
heurter les convictions religieuses divergentes. » C'est là ce qui met les
écoles publiques en défaveur chez plusieurs qui désirent pour leurs
AMSTERDAM — AMULETTE 260
entants un enseignement en rapport avec les doctrines de leurs Eglises
respectives. C'est l'un dès motifs qui font qu'à côté des écoles publiques,
les écoles particulières (fondées en partie par des associations religieuses,
protestantes et catholiques) continuent d'être nombreuses et bien fré-
quentées. Elles sont au nombre de 135, où près de 850 instituteurs et
institutrices donnent renseignement gratis à environ 8,000 enfants, et
l'enseignement payant à au delà de 9,000. 11 y a 120 salles d'asile. —
Voyez Amsterdam, beschreeven daor Jan Wagenaur, 1760, 10 vol.; Per
Gouw, Amstelodameana, 1871, 2 vol. etc. J. J. Mounier.
AMULETTE, mot venant du latin, amoliri, écarter, amolimentum, et
qui désigne un objet préservant des sortilèges, du mauvais œil, des
maux que les puissances invisibles peuvent faire subir aux hommes.
L'amulette était efficace aussi pour guérir les maladies, même pour les
prévenir: c'est pourquoi dans les temps anciens et au moyen âge encore,
les remèdes étaient partagés en deux classes : les rationnels, c'est-à-dire
ceux où l'on pouvait se rendre compte de l'effet médical, et les physi-
ques, ceux qui renfermaient des causes occultes. Parmi les substances
jouissant d'une telle vertu, on comptait diverses pierres précieuses (no-
tamment le jaspe), l'ambre jaune (usité sous forme de collier pour les
enfants), certaines parties du corps des animaux, des coquillages, des
plantes, des figurines de pierre ou de métal. La vertu de ces substances
était rehaussée par des inscriptions, des symboles astrologiques ou reli-
gieux, qui établissaient une relation plus manifeste entre l'amulette et
la puissance protectrice; parfois on se contentait de graver sur la
gemme le nom d'un dieu; souvent on y ajoutait une courte invocation
et le nom de la personne qui devait être protégée. A l'époque de l'em-
pire romain, on ne s'adressa plus que rarement aux dieux de la Grèce et
de l'Italie; on préférait recourir aux divinités orientales, et il importait
de les invoquer dans la langue de leur pays; traduite en quelque autre
idiome, la formule eût été sans valeur; du reste, pourvu que les syl-
labes de l'incantation fussent exactement reproduites, il n'était pas
nécessaire que le sens en fût compris. Ces formules inspiraient même
d'autant plus de respect, qu'elles étaient plus mystérieuses. Ephèse
surtout était renommée pour la rédaction de ces lettres sacrées; comme
exemple nous citerons les cinq mots qu'Hésychius nous a conservés :
A ski, Kataski, Lix, Tetrax, Damnameneus • on ne sait si les quatre pre-
miers mots appartiennent à quelque langue inconnue ou s'ils étaient,
dès l'origine, privés de toute signification; quant au cinquième, il
désigne un des trois Dactyles, inventeurs de la métallurgie et fondateurs
des initiations de Samothrace. L'orthographe des mots dut être fréquem-
ment altérée par des graveurs qui en ignoraient le sens. Parmi ces
termes magiques, le plus répandu fut Abracadabra, qu'on disposait de
diverses manières; ce terme semble dérivé de deux mots sémitiques:
baraCj bénir, et dabar, parole : peut-être faut-il y joindre le mot ab, père;
plusieurs archéologues 1" niellent en relation avec le mol abraxas (voyez
et- mol . — Le prophète Esate, III, 20, déclare aux femmes israélites que
l'Eternel leur ôtera leurs amulettes, Lekhachîm. Le mot, qui en chal-
déen désignai! la boucle d'oreille, Kadichah, montre que cet ornement
270 AMULETTE — AMYOT
avait un caractère sacré. Les phylactères (Matth. XXIII, 5), ces bandes
de parchemin sur lesquelles étaient écrits des passages des saintes
Ecritures et qu'on attachait au bras gauche, au front, étaient souvent
considérés comme des préservatifs. Du moins cet usage s'autorisait de
Moïse (Deut. VI, 8; XI, 18) ; mais les Juifs avaient d'autres amulettes
encore, et le Talmud défend de les porter au jour du sabbat (Sabb.,
VI, 2). En général, les amulettes, de même que la superstition, se ren-
contrent chez tous les peuples de la terre, et quoique le christianisme
en ait bien diminué le prestige, ce serait une illusion de croire qu'ils
aient disparu de nos contrées. — Voyez Becker et Marquardt, Handbuch
der rœm. Alterthùmer, 4e partie, 1856; Grotefend, art. Amulet, dans
Encycl. d'Ersch et Gruber. Ce qui distingue l'amulette du talisman,
c'est que le premier écarte le mal, tandis que le second procure le
SUCCès. A. Matter.
AMYOT (Jacques), né à Melun en 1513, mort à Auxerre en 1593. Ce
n'est ni comme précepteur du roi Charles IX, ni comme évêque, ni
comme grand aumônier de France, ni comme délégué au concile de
Trente, ni comme érudit, ni comme écrivain original que nous plaçons
ici Amyot. Il a traduit Plutarque, disons mieux, il a donné Plutarque à
son siècle : voilà le titre qui le recommande à notre attention. Cette
traduction qui, vers le dix- septième siècle, était sévèrement jugée (par
Bachet de Méziriac, un des Quarante), et qui renferme en effet bien
des erreurs et des inexactitudes, eut cet immense mérite qu'elle mit
d'emblée à la portée d'un grand nombre de lecteurs un des grands écri-
vains les plus intéressants, les plus accessibles de l'antiquité, celui de
tous qui était le plus propre à agir sur les esprits. Bien peu de gens
alors savaient le grec. Montaigne, si habile latiniste, l'ignorait ; voici en
quels termes il témoigne à Amyot sa reconnaissance : « Je donne avec
raison, ce me semble, la palme à Jacques Amyot sur tous nos écrivains
français, non-seulement pour la naïveté et pureté du langage... ; mais
surtout, je lui sais bon gré d'avoir su tirer et choisir un livre si digne et
si à propos, pour en faire présent à son pays. Nous autres ignorants
étions perdus, si ce livre ne nous eût relevés du bourbier : sa merci
(grâce à lui), nous osons à cette heure et parler et écrire ; les dames en
régentent les maîtres d'école : c'est notre bréviaire. » C'est la traduction
d'Amyot que la noble Jeanne d'Albret mit aux mains de son fils ado-
lescent, et trente ans plus tard, voici en quels termes Henri IV parlait
de ce précepteur muet, mais efficace : «Plutarque me sourit toujours
d'une fraîche nouveauté. L'aimer, c'est m'aimer, car il a été l'insti-
tuteur de mon bas âge. Ma bonne mère, à qui je dois tout, et qui avait
une affection si grande de veiller à mes bons déportements, et ne voulait
pas, se disait-elle, voir en son fils un illustre ignorant, me mit ce livre
entre les mains, encore que je ne fusse à peine plus un enfant de ma-
melle. Il m'a été comme ma conscience et m'a dicté à l'oreille beaucoup
de bonnes honnêtetés et maximes excellentes pour ma conduite et pour
le gouvernement des affaires. » On sait ce que c'était que la cour des
Valois : le chroniqueur des dames du temps, Brantôme, nous apprend
qu'au milieu des intrigues et des divertissements de tout genre « les
AMYOT 271
princesses de la maison de France, entourées de leurs gouvernantes el
filles d'honneur, s'édifiaient grandement aux beaux dits des Grecs et des
Romains, remémoriés par le doux Plutarchus. a Le doux Plutarchus,
ne l'esl que dans Amyot, car, comme le dit fort bien Montaigne, qui
avait pu lire des traductions latines plus fidèles, c'est un « auteur
épineux et ferré. » On pourrait multiplier les témoignages, mais à
quoi bon? Sans Amyot, Plutarque fût resté peut-être aussi inconnu du
public que Diodore de Sicile ou. Athénée. La première édition de la
traduction d'Amyot parut chez Vascosan, en 1559; la seconde, fort
améliorée, en 1565; la troisième, en 1567. A dater de cette époque, il
en parut une édition nouvelle presque tous les ans, jusqu'en 1620, sans
parler des contrefaçons faites à l'étranger, notamment en Hollande,
ou des traductions faites sur cette traduction. Il n'y a peut-être pas
d'ouvrage au seizième siècle , qui ait eu vogue pareille. — t 11 serait
puéril de reprocher à Amyot les anachronismes, les fausses couleurs
dont sa traduction est pleine. Cette constante appropriation de l'anti-
quité aux mœurs et aux habitudes des contemporains ne choquait
point alors; on peut même assurer qu'elle était indispensable. Elle mé-
nageait, pour ainsi dire, la transition; elle comblait à moitié l'abîme
qui sépare le monde antique du monde moderne, les sociétés païennes
des sociétés chrétiennes. On sait avec quelle ardeur on se portait alors
vers les trésors de l'art et de la sagesse antiques, si récemment mis au
jour. Dans leur impatience de les communiquer aux lecteurs, les érudits
publiaient souvent la traduction avant le texte même. Quand le Plu-
tarque d'Amyot parut, les lacunes, si nombreuses encore, furent comme
comblées; on put croire que l'on possédait enfin la substance même
et famé du monde gréco-romain, antérieur au christianisme. Plutarque
n'est ni un penseur, ni un écrivain de génie, ni même un artiste remar-
quable. C'est un érudit d'une mémoire merveilleuse, mais un érudit
qui rapporte tout à l'enseignement moral. Son érudition, allongée
encore, pour ainsi dire, par la traduction complaisante et traînante
d'Amyot, fournit à toutes les classes de lecteurs des matériaux d'une
incroyable variété. Politiques, capitaines, courtisans, princes, savants,
historiens, philosophes, hommes et femmes, chacun y trouva pâture à
son goût. Mais c'est surtout l'influence du moraliste qui fut décisive. Il
n'y avait alors ni théâtre, ni littérature courante et populaire qui pût
donner quelque aliment aux esprits. L'enseignement moral qui résultait
de la prédication était présenté sous une forme barbare, et que de
questions il laissait de côté! La traduction d'Amyot mit comme en cir-
culation une morale simple, familière, pratique, accessible à tous. Ce
fut une nouveauté d'une bien efficace séduction. En même temps que
le- réformés, en répandant l'Evangile, renouvelaient et agrandissaient
l'horizon de la conscience humaine, Plutarque, présenté par Amyot,
révélail les enseignements d'une sagesse que lesdernieis el ies meilleurs
esprits du monde ancien avaient pour ainsi dire mûrie et comme
rendue <li^nr d'un voisinage avec l'Evangile, L'imagination de Plutar-
que, naturellement religieuse et empreinte d'un certain platonisme,
ouvrit des perspectives brillantes ou consolantes aux âmes qui, sans se
272 AMYOT
détacher du christianisme, ne craignaient pas d'aller puiser à d'autres
sources. Tel traité rappelait les enseignements de la religion, les argu-
ments de la théologie, aboutissait à la démonstration de vérités ana-
logues à celles du dogme, et cependant restait l'œuvre d'un écrivain
qui n'avait pas connu l'Evangile : je veux parler du livre sur les retarde-
ments de la vengeance divine, sur lequel s'abattit avec son instinct de
justicier implacable, le comte Joseph de Maistre. Mais ce qui frappa et
charma particulièrement les lecteurs du seizième siècle, ce fut cette
douceur unie, cette humanité sereine, cette sympathie, au véritable
sens grec, de l'auteur pour les faibles, pour la femme, l'enfant, l'es-
clave, les animaux. Les traités sur le mariage , sur l'éducation des
enfants, furent traduits et publiés à part, je ne sais combien de fois.
Dès que Amyot eut donné le goût de son auteur, chacun y puisa ce qui
était le plus à sa convenance. Le petit livre qui indiquait les moyens de
distinguer le véritable ami du flatteur fut un des plus répandus. Il est
d'une vérité éternelle, et chacun peut en faire son profit. Ainsi se forma
et s'épancha comme un courant de morale humaine, familière, pra-
tique, très-voisine de la nature, et qui tempérait heureusement l'âpreté
parfois féroce de cette grande époque. — Plus vive encore, sans doute,
fut l'influence exercée parles Vies parallèles. La traduction d' Amyot fit
revivre tout à coup les plus purs exemplaires de la vertu antique, qui
était avant tout énergie et force. Ce fut comme l'aliment que récla-
maient, qu'attendaient ces hommes indomptables qui imprimèrent à
la seconde moitié du seizième siècle une si violente allure. L'héroïsme
païen prend la place de l'héroïsme chrétien; l'idéal moral semble
retourné. Humilité, douceur, oubli des injures, ces vertus inconnues
aux personnages de Plutarque, on aurait grand'peine à les découvrir
chez les catholiques, chez les protestants du seizième siècle. De part et
d'autre il y a des fanatiques ; de part et d'autre on semble se modeler
sur les héros de Rome et d'Athènes. On se pénètre des leçons, des exhor-
tations dont Plutarque se plaît à relever telle parole, tel acte magna-
nime ou terrible. On sait par cœur, on répète à tout propos les apo-
phthegmes qu'il a recueillis pieusement ; on se prépare à son école à
souffrir pour le parti que l'on sert, à sceller de son sang les opinions
qui sont plus chères que la vie. C'est encore grâce au Plutarque d'Amyot
que certaines idées un peu vagues de liberté politique, accompagnées
d'une violente haine contre le despotisme, commencèrent à se faire jour
dans une société si profondément monarchique. Plutarque a pour les
tyrans, pour ceux qui ont usurpé le pouvoir dans une cité libre, une
aversion mêlée de dégoût, qui à tout moment fait explosion. En toute
occasion il prêche la tyrannoctonie, ou meurtre du tyran. Un de ses
griefs contre la philosophie d'Epicure, c'est qu'elle n'a jamais armé le
bras d'un Brutus. Nous retrouvons la théorie complète de l'insurrection
contre le despotisme telle que la glorifiait Plutarque, dans l'éloquent
pamphlet de la Boëtie, le Contrun ou de la Servitude volontaire. Il ne
serait pas malaisé de découvrir dans les déclamations furibondes des
prédicateurs de la Ligue, des traces sensibles de cette doctrine qui se
confondit bientôt avec le régicide. Le pauvre Amyot qui avait mis ces
AMYOT — AMYRAUT 273
armes aux mains dos furieux, bien innocemment, il est vrai, l'ut par eux
outragé, menacé, ruiné, excommunié même et sommé d'anathématiser
son bienfaiteur d'abord, Henri III, puis le futur roi de France, Henri IV.
En ces circonstances difficiles, il ne se conduisit pas en héros de Plu-
tarque; il tant bien l'avouer : le cœur chez lui était médiocre; mais ce
n'est pas toujours celui qui a sonné la charge qui la mène le plus vail-
lamment. A défaut de son traducteur, Plutarque trouva d'autres dis-
ciples. Ce n'est pas rabaisser les La Noue, les Coligny, les d'Aubigné,
les Duplessis-Mornay, les l'Hospital et bien d'autres nobles caractères
que de les rattacher à Plutarque. Ce n'est pas lui qui les a faits fout
entiers, car ils étaient chrétiens, mais ils lui doivent quelque chose.
Paul Albert.
AMYRAUT (Moïse). Pour bien comprendre l'œuvre et le système de
cet illustre théologien, il est nécessaire de se rendre compte du mou-
vement intérieur du protestantisme français au dix-septième siècle. La
prédestination calviniste fut le dogme central de la théologie réformée
à ses origines, en même temps que l'inspiration et la véhémente énergie
de l'Eglise dans sa période du martyre. Ce dogme, il ne faut pas s'y
méprendre, avait jailli des profondeurs de la conscience chrétienne, et
le milieu terrible et exceptionnel, où il se développa, ne fit que lui
donner un relief plus tragique et plus saisissant. La piété ardente et
intense du calvinisme s'exprima, dans la pensée et dans la vie, sous
cette forme de la prédestination. L'âme tourmentée du péché, mais
heureuse du pardon de Dieu, dans la joie de la communion avec Jésus-
Christ, sentait profondément et en même temps réclamait avec énergie
l'assurance de son propre salut. Cette assurance intime,, profonde, qui
se confondait avec l'assurance de sa propre existence, aucun homme
ne saurait la donner, aucun témoignage du dehors ne pourrait la pro-
duire, ni le prêtre, ni le sacrement, ni la hiérarchie, ni rien au monde
d'extérieur. Dieu seul fonde cette assurance, Dieu seul rend ce témoi-
gnage, c'est sa volonté miséricordieuse qui agit souverainement. Or
cette volonté, qui se manifeste dans le salut du racheté, a de tout
temps été immuable et parfaite. De toute éternité un décret de Dieu a
donc fondé mon salut. Ce n'est plus moi qui parle, qui agis, qui vis,
c'est Dieu en moi. De là la force surhumaine du calvinisme. Ces
hommes étaient des élus, ils se sentaient faisant l'œuvre de Dieu; ils
étaienl scellés de son sceau, prédestinés à l'œuvre sainte. De là cette
prodigieuse vie avec une doctrine qui, superficiellement considérée,
et .nt fataliste et aboutissait à l'anéantissement de la liberté. C'est qu'en
effet la prédestination, dans sa première vigueur, loin d'être une néga-
tion de l'individualité, en était au contraire l'affirmation excessive. C'était
la conscience saisie et de part en part pénétrée de Dieu, si bien qu'elle ne
peut être disjointe de lui. C'est le subjectivisme le plus mystique et le plus
audacieux. Dieu m'a élu, m'a prédestiné, je le sais; cet acte de Dieu se
passe en moi, c'est le témoignage de Dieu en moi qui emporte ma vie
dans le sens du salul et de la sainteté; mais c'est par le sens intime,
c'est par ma propre perception spirituelle, c'est par le leslimonhtm spi-
ritus sa/ic(i, c'est à la lumière de ma raison et de mon cœur que je lis
274 AMYRAUT
le décret éternel de Dieu et que je sens son action souveraine. Au fond,
la prédestination, c'est la pénétration, l'envahissement, l'immanence
agissante de Dieu dans l'homme. Tant que la vie mystique et héroïque
de la première période inspira le dogme de la prédestination, il était
sans danger. Mais dès que la vie se retira du dogme, la formule seule
resta, elle demeura vide, et logiquement elle aboutissait au fatalisme et
à la destruction de la liberté. Le décret éternel et souverain de Dieu,
prédestinant absolument les uns au salut, les autres à la damnation,
portait un coup mortel, par voie de conséquence théologique, à la
doctrine de la liberté. C'est alors, au commencement du dix-septième
siècle, que nous voyons apparaître un mouvement contre la doctrine
de la prédestination et en faveur de la liberté morale. Le mouvement
est plus particulièrement accusé en Hollande (voy. l'article Arminia-
nisme), mais partout, et surtout en France, nous voyons se produire
une tendance analogue. Elle eut pour siège l'école de théologie de
Saumur. Tandis que les écoles de Montauban et de Sedan restaient
plus attachées à la doctrine du passé, l'école de Saumur devint le foyer
d'une tendance plus libérale. Fondée par Duplessis-Mornay, l'école
de Saumur semble s'être toujours inspirée de l'esprit élevé, large et
indépendant de ce grand chrétien. L'Ecossais Gaméron, qui professa
pendant quelques années à cette académie, exerça une influence sé-
rieuse dans le sein de la doctrine arminienne. Les professeurs illustres,
qui portèrent très-haut le renom de Saumur et dont nous aurons à
parler plus tard, enseignèrent dans ce môme sens. Mais l'homme qui
exposa et défendit avec le plus d'éclat à cette époque les principes libé-
raux fut sans contredit le professeur Moïse Amyraut. — Il était admi-
rablement préparé pour cette œuvre. Sa famille était une famille très-
ancienne et fort distinguée d'Orléans. Il naquit en septembre 1596,
dans une petite ville de Touraine, à Bourgueil, la même année et dans
la même contrée que Descartes. Il fut par sa famille destiné au bar-
reau : son père espérait le voir un jour remplacer son oncle dans la charge
de sénéchal. Le jeune homme, avec de belles facultés et un amour
ardent du travail, alla donc à Poitiers étudier le droit et il prit rapide-
ment sa licence (1616). Plusieurs de nos grands théologiens réformés
ont commencé leur carrière par l'étude du droit, et cette science n'a
pas été sans influence sur leur développement. Les idées de justice, de
devoir, de responsabilité, idées fortement creusées en elles-mêmes
et suivies dans leur évolution historique, ont certainement préparé
Amyraut à la lutte qu'il devait soutenir contre le fatalisme et la roideur
du système orthodoxe et lui ont donné ce goût et ce souci de la liberté
morale qui inspirent tous ses écrits. Mais une vocation irrésistible,
pour laquelle il eut à lutter auprès de sa famille, l'entraînait vers le
ministère évangélique. La lecture de Y Institution chrétienne de Calvin
avait fait sur son esprit une impression profonde, et malgré bien des
obstacles et sur les pieux conseils de son compatriote, le pasteur Bou-
chereau, il alla étudier la théologie à Saumur. Dans ce milieu de piété,
de savoir et d'indépendance, il développa fortement et grandement
ses dons naturels : c'est là qu'il trouva son maître et son ami, le pro-
AMYRAUT 27S
faneur Caméron, à la personne e1 h la doctrine duquel il se donna de
tout cœur et donl il fui le disciple aime. 11 débuta dans le ministère à
Saint-Aignan, dans le Maine, où il ne resta que dix-huit mois. Il fut
appelé a Saumur même pour remplacer Baillé, nommé à Charenton.
En même temps, le conseil académique lui demandait d'être professeur
en théologie, dans cette école où il était naguère élève. Il accepta, et,
bien que les Eglises de Rouen et de Tours eussent prié le synode de
leur accorder Amyrant comme pasteur, le synode ne put les satisfaire,
parce que d'après la jurisprudence établie le synode devait avoir plus de
souci des intérêts des académies que des Eglises. Amyraut entra offi-
ciellement dans le professorat en 1633. En même temps que lui arri-
vaient à l'école de Saumur deux maîtres illustres, Louis Cappel et Josué
de La Place. Ces trois professeurs, éminents par la science, animés du
même esprit, liés d'une amitié étroite et vraiment touchante, jetèrent
sur l'académie de Saumur un lustre extraordinaire, si bien que de tous
les pays étrangers les réformés venaient étudier à cette école floris-
sante. « Outre leur grand savoir, dit Bayle, et non sans malice, il
y avait entre ces trois professeurs une sympathie merveilleuse qui a
produit une concorde pleine d'édification et de bonheur, et d'autant
plus digne de louange qu'elle est une rareté fort difficile à trouver en
pays académique. » Amyraut fut, jeune encore, entouré d'un respect
universel. En 1631 il fut député au synode national de Charenton et
chargé par le synode de haranguer le roi en lui présentant le cahier
des plaintes. Il parla au roi debout, tandis que les députés du dernier
synode lui avaient parlé à genoux. L'affaire n'était pas simple, le synode
avait prié Amyraut de la mener à bien, et il y mit tant de fermeté et de
prudence que l'audience fut accordée suivant les désirs du synode et
d' Amyraut, et que Richelieu fut vivement frappé des qualités hors
ligne du professeur de Saumur. — Ce fut à cette époque qu'éclata la
grande querelle théologique, qui mit en émoi tout le protestantisme
du dix-septième siècle et dont Amyraut fut le promoteur et le héros.
Le système théologique d'Amyraut a un nom dans l'histoire. Il s'appelle
l'universalisme hypothétique. Il s'agit de bien déterminer le sens et la
portée du système, d'en marquer la place entre le calvinisme et l'armi-
nianisme, et d'en saisir les conséquences au sein de l'Eglise réformée
de France. L'universalisme hypothétique est une réaction pleine de
mesure contre l'étroitesse du dogme calviniste, solennellement con-
tinué à Dordrecht et approuvé d'une façon générale par les synodes
<1 Mais et de Charenton. C'est une revendication honnête, plusieurs
diront timide, des droits de la liberté morale. Amyraut n'est pas un
réformateur aux allures tragiques, c'est un homme de conciliation
tempérée. Il ne fera pas éclater le moule du vieux dogme, son ambi-
tion se borne a l'élargir dans la mesure du possible. Le vieux dogme
('-tait le particularisme. Il disait : « Dieu ne veut pas sauver Ions les
hommes, de toute éternité il a prédestiné ceux-ci à la damnation,
ceux-là au salui. ci irrévocablement ceux-ci sont les ('lus, ceux-là les
réprouvés, tel est le décret de Dieu. » Cette forme roide, blessante,
avait été plus accentuée encore à Dordrecht, sous prétexte de relever
276 AMYRAUT
les droits de Dieu, et les cœurs et les esprits, qui ne se sentaient pas du
nombre des élus, se laissaient aller au découragement et au désespoir
et accusaient, non sans raison, la doctrine orthodoxe de faire de Dieu
un maître tyrannique, prenant plaisir au malheur de ses créatures. La
tentative et l'effort d'Amyraut sont en ceci que d'emblée, au premier
plan, il place l'universalisme : Dieu veut sauver tous les hommes. Le
système rassure aussitôt la conscience et la pensée. Il est vrai que
bientôt après Amyraut retire ce qu'il semblait avoir donné. Oui, il y a
en Dieu une volonté générale que tous les hommes soient sauvés : mais
de fait cette volonté générale demeure inefficace; car les hommes,
plongés dans le péché, de par la corruption persistante de la race,
n'entrent pas dans ce plan de Dieu et immanquablement sont exclus du
salut. Tous seraient donc perdus de fait, mais il y a en Dieu, à cause de
sa miséricorde, une volonté particulière, par laquelle il a résolu d'en
sauver au moins quelques-uns. Ce qui donc est vraiment réel, efficace,
c'est la volonté particulière, le particularisme, le décret spécial de
Dieu. Au contraire ce qui n'aboutit pas, ce qui semble être purement
pour le décor du système, c'est la volonté générale que tous soient
sauvés, c'est l'universalisme, c'est une volonté non pas decreti, mais
prœcepti, c'est une invitation vague, et à laquelle la pauvre créature ne
peut efficacement répondre à cause du péché originel. Voilà donc
l'universalisme hypothétique : c'est l'universalisme en ce sens qu' Amy-
raut pose ce grand fait tout d'abord que tous sont appelés au salut ;
mais cet universalisme est hypothétique, sub conditione fidei; et mal-
heureusement cette foi, condition du salut, ne peut naître dans l'âme
à cause du péché, et pour qu'elle soit produite, c'est-à-dire pour
qu'elle aboutisse efficacement au salut, il faut la volonté particulière,
le décret spécial et prédestinateur de Dieu. Parti de l'universalisme, le
système retombe dans le particularisme. D'autres fois Amyraut, et
c'est toujours la même pensée maîtresse revenant sous des formes
différentes, distingue la grâce objective et la grâce subjective : la grâce
objective, c'est l'annonce du salut pour tous, d'une manière générale,
vague, l'appel de Dieu offrant le pardon et la vie à tous les âges et à
tous les siècles : mais cette grâce objective est absolument inefficace,
car tous les hommes sont corrompus et immanquablement refusent le
salut. L'autre grâce, au contraire, la grâce subjective, est la grâce effi-
cace, décisive, qui donne le salut, et c'est cette grâce que Dieu, dans
sa miséricordieuse volonté particulière, accorde aux élus. En réalité
donc, l'universalisme, tel que le présente Amyraut, est purement pla-
tonique, idéal, il ne sauve et ne peut sauver personne. Le particula-
risme, la prédestination spéciale, voilà qui est réel, décisif, et qui en-
traîne le salut ou la perdition. C'est là le point intéressant, essentiel du
système d'Amyraut, l'union du particularisme réel et de l'universalisme
idéal. On trouvera peut-être que le système n'est pas riche de consé-
quences pratiqués et qu'en somme, puisqu'il faut toujours revenir au
particularisme, il n'y a pas grand gain pour la liberté. Ce serait une
erreur : bien que, nous l'avouons sans détour, l'universalisme d'Amy-
raut demeure in abstracto, sans effet, il y a cependant deux choses qui
AMYRAUT 277
recommandent cet essai de conciliation : la première, c'est le fait que
l'universalisme est pose avec fermeté, avec persévérance : c'est beau-
coup qu'en ces temps soupçonneux ces mots gratiauniver salis, redernp-
tio et vocatio universalis, mots décriés par les puissants du jour,
retentissent comme un appel à la liberté de tous; la seconde c'est la
place qu'Amyraul donne à l'universalisme : il est au frontispice, il
frappe d'abord les regards, involontairement on le considère comme
le point essentiel, en tout cas c'est un honneur pour un système théo-
Logique de proclamer, dut-on bientôt se rétracter ou se contredire,
l'appel miséricordieux du Père céleste à tous ses enfants. — D'après ce
que nous venons d'exposer, la place du système est indiquée entre le
calvinisme de Dordrecht et l'arminianisme. C'est un essai de médiation
entre les deux : Amyraut déclare ne point accepter l'arminianisme
et veut être fidèle à la doctrine du passé. L'arminianisme posait l'uni-
versalisme et résolument combattait et écartait la grâce particulière
du dogme orthodoxe. Amyraut pose aussi l'universalisme, mais pour-
quoi? non pas pour écarter absolument la grâce particulière, mais
bien pour la faire accepter, pour la rendre plus tolérable, pour pouvoir
la défendre avec quelque succès devant des adversaires qui n'avaient
pas de peine à en montrer les conséquences détestables au point de
vue de la liberté morale. Les manuscrits de famille dont Bayle s'est
servi pour écrire la vie <T Amyraut racontent une anecdote qui éclaire
ce dessein du professeur de Saumur et ses préoccupations à cet
égard. A Bourgueil, clans un diner chez l'évêque de Chartres, un
catholique romain de qualité engagea avec Amyraut une discussion
sur la prédestination et, bien que porté vers le protestantisme, il
exprima vivement, de concert avec l'évêque, tous ses scrupules sur le
dogme terrible de l'élection. Ces objections firent beaucoup réfléchir
Amyraut qui essaya de dissiper les doutes et de présenter le dogme
calviniste sous un jour adouci. Ce récit reflète bien la situation géné-
rale et explique les desseins et les efforts d'Amyraut. Il a voulu
élargir et tempérer le vieux dogme par une revendication prudente et
ferme de l'appel universel de Dieu et des droits de la responsabilité
personnelle. Les conséquences du système d'Amyraut furent, à notre
sens, considérables. La théologie protestante française en a profondé-
ment ressenti la salutaire influence. Somme toute, ces « nouveautés, »
comme on appelait alors ces doctrines plus larges, sauvèrent bien des
murs du désespoir et des esprits du doute et de l'incrédulité. La
France réformée marcha plus particulièrement dans ces voies plus
évangéliques et plus libérales. C'est dans notre pays que ces principes
modérés pénétrèrent profondément les esprits, les Eglises et les écoles,
et il me parait facile de prouver cette assertion par les quatre considé-
ration^ suivantes : 1. Sans doute Amyraut eut en France des ennemis,
qui attaquèrent vivement sa doctrine, puisqu'à diverses reprises il dut
comparaître comme accusé devant les synodes. Citons les plus impor-
tants, les Rivet, le pasteur Vincent, delà Rochelle, et. surtout le vieux
et vénérable Du Moulin : mais d'un côté il nous est doux de savoir qu'à
la grande édification de l'Eglise Amyraut eut la joie de se réconcilier
278 AMYRAUT
personnellement avec les adversaires les plus acharnés de son système ;
et de l'autre la doctrine et la personne d'Amyraut eurent des admi-
rateurs passionnés , non pas les moins importants , dans l'Eglise,
Daillé, Blondel, Du Bosc, Mestrezat, Claude, Le Faucheux, etc. —
2. Le mouvement de Saumur est très-spécialement français et n'est
pas une importation étrangère. A partir de 1623, par ordre de Louis XIII,
il fut interdit aux étrangers d'exercer en France la charge pastorale :
le corps des pasteurs se recruta donc exclusivement dans les univer-
sités françaises , tandis qu'auparavant beaucoup avaient étudié au
dehors, et c'est, dans le sein même de l'Eglise réformée française que
prit naissance le mouvement antiprédestinatien et qu'il se développa
sous l'influence de Saumur et d'Amyraut. — 3. Les adversaires persé-
vérants, obstinés du système d'Amyraut sont à l'étranger, en Hollande
et en Suisse. Il n'y a qu'à lire les lettres adressées au synode d'Alençon
contre Amyraut; celles de Hollande sont supportables, ce sont des
approbations données au traité de Rivet contre Amyraut ; mais la lettre
compendieuse de Genève, signée de Turretin, Tronchin, Prévôt et Pau-
leint, fait une pénible impression, c'est une dénonciation en règle.
« Nous donnons aussi les louanges qui sont dues à ces dignes personnes
qui ont sonné l'alarme les premiers et qui ont combattu ces dogmes, de
même qu'à ceux qui ont apporté les eaux de la modération pour
éteindre le feu de ces controverses, lesquels en mettant l'appareil à la
plaie se sont servis des lénitifs propres pour en éloigner les symptômes
les plus dangereux, réservant à une main plus puissante, c'est-à-dire à
votre suprême assemblée, l'extinction totale de ce brandon et l'entière
guérison de cette maladie ; c'est pourquoi nous vous supplions de vous
servir de toute votre autorité, et d'employer tous vos soins pour sauver
ce qui peut être sauvé, et de recouvrer ce qui semble perdu, sans vous
écarter de la charité et de la vérité, ni user d'une malheureuse conni-
vence qui pourrait être fatale» (Aymon, t. II, p. 609). La Suisse fut
tellement intraitable, malgré les explications et les supplications des
théologiens français, qu'elle lança, en 1675, onze ans après la mort
d'Amyraut, et uniquement contre les nouveautés de Saumur, la fa-
meuse Formula consensus ecclesiarum helveticarum, que rédigea Hei-
degger. — 4. Enfin il est vrai que des principes plus larges avaient
pénétré au sein de l'Eglise, que les synodes nationaux ne condamnèrent
pas la doctrine d'i^nyraut. Ces discussions sont fort au long rappor-
tées dans le livre d'Aymon (Voir aussi dans le Bull, de la Soc. de
VHist. du prot. fr., XIII, p. 39, un manuscrit sur la grande affaire
de MM. Testard et Amyraut, et les notes instructives de M. le pasteur
Corbière : ce journal sommaire de ce qui s'est passé à Alençon ne
s'écarte d'ailleurs pas du récit donné par Aymon). Au synode d'Alençon
(27 mai au 9 juillet 1637), Amyraut et son ami Testard, pasteur de
Blois, éminent disciple de Caméron, furent cités à comparaître et les
accusations et les dénonciations de près et de loin ne firent pas défaut.
Il est extrêmement intéressant de lire ces discussions fort vives. Les
motifs de l'arrêt, comme nous dirions aujourd'hui, sont longuement
développés ; ils méritent d'être étudiés, ils donnent la physionomie et
A M Y HAUT -279
1rs allures de la discussion. Je cite le passage significatif: « Ensuite de
quoi, expliquant leurs sentiments, touchaiil le but universel de la mort
de Jésus-Christ, ils déclarèrent que Jésus-Christ est mort pour tous Les
hommes suffisamment : mais qu'il était mort efficacemertl pour les dus
seulement ; el que par conséquent son Intention était de mourir pour
tous les hommes, quanl à la suffisance de sa satisfaction, mais pour les
élus seulement, quant à la vertu el efficace vivifiante et sanctifiante;
c'est-à-dire que la volonté de Jésus-Christ était que le sacrifice de sa
croix fût d'un prix et d'une valeur infinie, et très-abondamment suffi-
sant pour expier les péchés de tout le monde; que cependant l'efficace
de sa mort appartient seulement aux élus; tellement que tous ceux
qui sont appelés par la prédication de l'Evangile à participer par la foi
aux effets et fruits de cette mort, étant invités sérieusement, et Dieu
daignant leur accorder tous les moyens extérieurs nécessaires pour
venir à lui, et leur montrant tout de bon et avec toute la sincérité de
sa parole ce qui lui est agréable; s'ils ne croient pas en notre Seigneur
Jésus-Christ, mais périssent dans leur obstination et incrédulité, cela
ne vient point du défaut de la vertu ou de la suffisance du sacrifice de
Jésus-Christ, cela ne vient pas non plus de ce qu'ils n'ont pas été appelés
et invités sérieusement à la foi ou à la repentance, mais la faute. en est
en eux. » Quant au dispositif du jugement, il est des plus significatifs.
Testard et Amyraut exposèrent amplement leur système, donnèrent
toutes les explications demandées; au cours de la discussion ils furent
invités à la modération, à la prudence, on les pria de ne pas faire abus
de certains mots malsonnants, et finalement, c'est la conclusion de
toute l'affaire, « le modérateur leur donna la main d'association de la
part de cette assemblée et on les renvoya honorablement. » L'affaire
fut reprise au synode de Charenton (26 décembre 1644 au 26 janvier
1645) ; de nouvelles plaintes avaient été portées contre Amyraut, mais
les esprits, paraît-il, avaient fait du chemin depuis Alençon. Voici le
jugement de ce synode : « Cette assemblée étant très- satisfaite de l'ex-
plication et du sens qu'ils donnèrent à la doctrine de ces livres, laquelle
s'accordait fort bien avec celle du synode d' Alençon ; et jugeant qu'il
valait beaucoup mieux ensevelir dans un perpétuel oubli toutes les
plaintes qui avaient été portées par l'une et l'autre partie; cette assem-
blée renvoya avec honneur ledit sieur Amyraut en l'exhortant de s'ac-
quit 1er courageusement et joyeusement de son office de pasteur et de
professeur en théologie » (Aymon, II, p. 663). Enfin le dernier synode
national tenu ù Loudun (10 novembre 1659 au 10 janvier 4660) donna
une preuve de son estime et de sa confiance à Amyraut en le chargeant
de publier une nouvelle et définitive édition de la Discipline des Eglises,
travail dans lequel il pourrait être aidé par quelques collègues. Il n'est
plus question ni de nouveautés, ni d'hérésies, ni d'accusations. La con-
cIumoii a tirer des faits que nous venons d'exposer, c'est que le mou-
vement libéral de Saumur était essentiellement français et que le sys-
tème d Amyraut, essai de médiation entre le vieux dogme calviniste
et l'arminianisme, répondait aux besoins des esprits à cette époque
dans notre Eglise. Les principaux ouvrages d 'Amyraut, qui exposent ou
280 AMYRAUT
qui défendent son système dogmatique sont les suivants : Thèses salmu-
viennes. Syntagma thesium theol. in acad. Salrn. var. tempor. disput. :
dans ce recueil il y a soixante-deux thèses d'Amyraut; Traité de la
prédestination,- 1634 : c'est le traité qui provoqua la grande dis-
cussion; Echantillon de la doctrine de Calvin sur la prédestination,
1634 ; De la justification, 1638 ; De Providentia Dei in malo, 1638 ;
Defensio doctrine Calvini de absoluto reprobationis decreto, 1641 ; Dis-
sertât, theolog. quatuor, 1645; Exercitatio de gratia universali, 1646;
Declaratio fidei contra errores arminian., 1646; Disput. de libero arbitrio,
1647 ; Spécimen animadv. in exercit: de gratia univers, 1648 ; De mysterio
trinitatis, 1661 ; In orat. domin. exercitatio, 1662 ; In symbol. apost.
exercitatio, 1663. — Le bruit et l'éclat de la lutte provoquée au dix-
septième siècle par l'universalisme hypothétique d'Amyraut ne doivent
pas nous faire oublier les éminents travaux du professeur de Saumur
dans les autres branches de la théologie. Un des premiers ouvrages
d'Amyraut est âon apologétique, Traité des religions contre ceux qui les
estiment indifférentes, 1631. Le livre se divise en trois parties, « dont la
première servira de degré à la seconde et la seconde à la troisième. » Il
y a trois classes de personnes qui professent que les religions sont in-
différentes : les épicuriens qui admettent un Dieu mais nient la provi-
dence, les philosophes qui admettent la providence mais nient la
révélation, enfin, les troisièmes admettent la révélation mais « n'esti-
ment pas que cela oblige à suivre une forme de religion certaine et dé-
terminée : secte de gens inconnue des anciens et née de nos temps. »
La première partie du Traité des religions établit la providence contre
les épicuriens; la seconde établit contre les philosophes la nécessité
d'une révélation, nécessité basée sur notre infirmité naturelle et sur
l'universel désir d'un secours extraordinaire de Dieu. Enfin la troi-
sième partie démontre l'excellence de la révélation chrétienne. La
preuve capitale, c'est l'expérience personnelle : une religion est de
Dieu quand elle donne la paix et la sanctification. Autour de cette
preuve se groupent des « marques » secondaires et préparatoires qui
sont : a) l'accord de la révélation avec les données de la conscience ;
b) l'antiquité ; c) l'harmonie dans la Bible ; d) la préoccupation de la
gloire de Dieu; e) le moyen assuré de réconciliation, « le pont pour re-
nouer la communication entre Dieu et nous ; » f) les faits extraordi-
naires, miraculeux, l'établissement providentiel, etc. Or il y a quatre
religions qui se donnent comme révélées, « la païenne, la mahométane,
la juive, la chrétienne. » Amyraut montre qu'il n'y a « qu'une religion
au monde à laquelle toutes ces marques conviennent et qu'elles ne
peuvent se trouver qu'en elle seule. » Il conclut à l'excellence de la ré-
vélation chrétienne. Cette rapide analyse de l'apologétique d'Amyraut
suffit pour en montrer l'esprit. Décidément c'est l'élément intime et
moral qui pénètre cette œuvre. Une place très-secondaire est accordée
aux faits purement extérieurs, même surnaturels. En revanche la mé-
thode est toute interne : « Or prendrai-je la meilleure partie de mes
raisons des mouvements de notre nature et de la conscience sans
m'étendre dans ces longues disputes... » et la preuve est toute morale :
AMYRAUT >S1
« semblablement (comparaison avec un remède dont on a éprouvé les
bons effets), la meilleure connaissance qu'on saurait avoir de la révéla-
tion de la vérité céleste, en ce point, serait par l'épreuve de la conso-
lation qu'elle apporte aux âmes des hommes et par son efficace à les
repurger de cette corruption de péché de laquelle, si nous ne nous en
plaignons, nous sommes plus que ladres et insensibles. » — Amyraut
acquit aussi une grande célébrité comme moraliste. Son grand ouvrage,
La Morale chrétienne, fut beaucoup lu et apprécié et plaça très-haut le
nom de son auteur. Le livre est dédié à M. de Villarnoul, digne héritier,
par la piété et par la science, de son aïeul Duplessis-Mornay. C'est ce
gentilhomme qui avait inspiré à Amyraut l'idée de ce livre, qui l'avait
détourné des controverses vaines et qui avait fortement insisté pour la
prompte exécution de ce travail. « D'autant, lui dit Amyraut dans sa
préface, que M. Diserote (le pasteur attaché à la famille) vous avait dit
que je m'étais proposé de faire une morale chrestienne, dans laquelle
j'édifierais sur les fondements de la nature les enseignements qui nous
ont été donnés par la révélation, peu s'en faut que vous ne me conju-
rassiez de laisser ou de différer au moins toute autre méditation, pour
m'appliquer à celle-là... Vous ne me laissâtes point que vous n'eussiez
tiré de moi la promesse de m'adonner à cet ouvrage au plus tôt. »
Amyraut avait même espéré pouvoir composer son ouvrage au château
même de M. de Villarnoul, où il aurait trouvé, en même temps que le
calme, l'exemple vivant des vertus chrétiennes et domestiques, ce qui lui
eût été « une aide merveilleuse; » mais les devoirs de sa charge l'empê-
chèrent de jouir de l'hospitalité qui lui avait été si fraternellement et si
instamment offerte. Le livre se divise en quatre parties. Dans la pre-
mière, l'auteur « a dessein d'expliquer quelles instructions la nature
donnait au commencement aux hommes pour les former à suivre la
piété et la vertu. » C'est une étude de psychologie morale, la constata-
tion des principes et des instincts innés, la recherche de ce que la na-
ture nous dit au commencement sur le souverain bien, sur Dieu, sur
nos devoirs. Dans la seconde partie, c'est l'étude de l'homme moral
après le péché : « la nature n'est pas demeurée en sa première consti-
tution et le péché l'a précipitée de la simplicité de son intégrité dans la
misère de la condition en laquelle nous voyons toutes choses » : de là
nouvelles relations et nouveaux devoirs. En troisième, il y a eu en
Israël une révélation spéciale, « il est comme absolument nécessaire
que j'examine quelle est la mesure de la révélation dont les Juifs ont
surpassé les gentils. » Et enfin la dernière partie est consacrée à la mo-
ral»' chrétienne proprement dite et l'auteur explique admirablement
comment la morale chrétienne se lie aux principes antérieurs en les
complétant et en les transfigurant : « dans cette dernière partie je trai-
terai de ce que la révélation chrétienne a ajouté à toutes les dispensa-
lion> précédentes pour l'accomplissement des vertus, de sorte qu'en
ayant tiré la première idée des pures institutions de la nature, et y
ayant un- de plus les nouveaux traits que le changement qui y est arrivé
nous a fournis, et puis ayant imbu et coloré ce tableau des belles
choses dont les livres de l'ancienne alliance fournissent les enseigne-
i. 10
282 AMYRAUT
ments, j'en rehausserai l'éclat par les instructions et les exemples du
Nouveau Testament, et donnerai par ce moyen autant que je pourrai à
l'éthique des chrétiens toute la perfection dont la nature humaine est
capable en cette vie. Or, encore que toutes les autres parties de mon
ouvrage seront considérables en elles-mêmes, parce qu'elles contien-
dront les commencements et les progrès de cette souveraine perfection
à laquelle l'homme doit monter, si est-ce que la dernière est le but au-
quel elles tendent, je ne craindrai donc pas de leur donner à toutes ce
nom de morale chrestienne, d'autant qu'on y en verra les principes et
les fondements, sans quoi l'éthique du christianisme n'aurait pas un
corps assez complet ni d'une assez ferme consistance. Et néanmoins ce
sera proprement à la dernière que cette appellation conviendra, parce
qu'on y trouvera parachevé ce que les autres n'auront qu'ébauché, au-
tant que la mesure de la révélation l'aura pu permettre en chacune. »
Les citations que nous venons de donner sont fort remarquables. C'est
pour la première fois qu'un vrai système de morale est établi. On en
voit aussi l'esprit large, humain, scientifique en même temps que pieux
et évangélique. Le même principe intime, libéral, indépendant est à la
base de ce grand travail. Dans les développements il y a sans doute
bien des répétitions, des longueurs, des inutilités, des détails peu inté-
ressants : mais en somme c'est une belle et bonne œuvre et qui encore
aujourd'hui instruit et édifie. — Les travaux exégétiques d'Amyraut sont
considérables. Il ne faut pas chercher naturellement dans ces explica-
tions des livres saints les vues profondes, vraiment historiques, que la
critique moderne a mises à notre portée. Mais d'un côté les paraphrases
d'Amyraut sont pénétrées de l'esprit nouveau qui soufflait à Saumur.
On sait comment, par les remarquables travaux de Louis Gappel sur la
Bible et surtout sur l'Ancien Testament, l'idée de l'inspiration littérale,
la bibliolatrie, perdait du terrain dans les esprits pour faire place à la
vraie et salutaire conception de l'inspiration morale et religieuse, qui
laissait aux écrivains sacrés leur liberté et leur individualité. D'un autre
côté les paraphrases d'Amyraut sont des explications particulièrement
édifiantes et l'élément de la sanctification n'est jamais pour lui séparé
de l'élément de la connaissance. Ses principaux ouvrages exégétiques
sont: Paraphrases sur CEpître aux Romains, 1644; Sur VE pitre aux
Galates, 1645; Observations sur les E pitres aux Coloss. et aux Thessal.,
3645; Paraphrases sur VE pitre aux Hébreux et aux Philippiens, 1646;
Epîtres catholiques, 1646; Corinthiens, 1647; Sur l'Evangile de Jean,
1651 ; Sur les Actes, 1654; Paraphrasis in Psahnos Davidis, 1662; Consi-
dérations in cap. VU ad Rom., 1648; Exposition des chapitres VI et
VI II de l'E pitre aux Rom. et du chapitre XV de la lre aux Corin-
thiens, 1659. — Amyraut fut aussi un orateur chrétien d'une rare puis-
sance. Ses prédications produisaient un grand effet et elles avaient un
long retentissement même chez les catholiques et dans les plus hautes
régions, surtout à la cour. Les plus grands seigneurs de l'époque ne
manquaient jamais l'occasion de l'entendre. Il y a dans ses discours de
la vie, de l'éloquence, de la sagesse, un fin jugement. « Il avait autant
de facilité pour la plume que pour la langue, nous dit Bayle, et c'est
AMYKAt T 283
beaucoup dire; car il avait un ilux (le bouche merveilleux tant en latin
qu'en français, tant pour les leçons de théologie que pour les sermons.»
Voici les sermons qui restent de lui imprimés : Six sermons de la na-
ture, étendue , nécessité, dùpensation et efficace de l'Evangile, 1636;
Deux sermons sur la justification et la sanctification, 1648; Sermons
du voyle de Moïse, 2 Cor. III, 13 à 16; Le mystère de piété, expliqué
en quatre sermons, 1651; Un sermon sur Hébr. VI, 14; Sermon sur
2 Tint. III, 12, prononcé à Charenton, 1645; Cinq sermons prononcés
à Charenton. 1658; Le tabernacle ou sennons sur Hébr. IX, 1 ss. —
L'activité littéraire d'Amyraut était infatigable. En histoire il a publié
la Vie de François La Noue depuis le commencement des troubles religieux
en 1560 jusqu'à sa mort, Leyde, 1661, ouvrage pour lequel la critique
s'est montrée sévère. 11 a composé aussi un poëme, Apologie de saint
Etienne à\ses juges, poëme qui lui valut une méchante affaire; il fut
accusé d'avoir parlé avec irrévérence du Saint-Sacrement; il s'en expli-
qua dans un écrit spécial et trouva un défenseur dans Daillé. Dans le
domaine ecclésiastique ses ouvrages sont nombreux. Il était l'homme
de la sagesse et de la conciliation ; il redoutait tout ce qui pouvait com-
promettre le progrès pacifique delà théologie et de l'Eglise. Les excen-
tricités dogmatiques lui causaient de l'irritation. Il attaqua vivement
un ardent chiliaste, de Launay, avocat au parlement de Paris, dans un
livre intitulé : Du règne de mille ans ou de la prospérité de l'Eglise,
1654. Une controverse s'engagea sur ce sujet, il y eut réponse et ré-
plique jusqu'en 1656. Il ne supportait pas non plus patiemment les
opinions extrêmes en fait de gouvernement de l'Eglise et il combattit
les idées de ceux qui, dans le protestantisme français, se montraient
partisans des doctrines des indépendants d'Angleterre (Du gouverne-
ment de r Eglise contre ceux qui veulent abolir l'usage et V autorité des
synodes). Quant à la situation des protestants vis-à-vis du pouvoir
établi, Amyraut professe le plus profond respect pour l'autorité royale,
il conseille la lutte « par la patience, les larmes et la prière; » il justifie
du mieux qu'il peut les guerres religieuses du passé et en somme il se
déclare pour l'obéissance (Apologie pour ceux de la religion, 1647, et
Discours de la souveraineté des ?^ois, 1650). Cependant, dès que la con-
science est engagée, Amyraut conseille la résistance absolue. Un arrêt
du conseil d'Etat ordonna de tendre les maisons le jour de la Fête-Dieu.
Amyraut dit au sénéchal qu'il avait bien toujours conseillé la soumis-
sion aux puissances, « mais qu'il n'avait jamais entendu cela à propos
de semblables choses qui intéressent la conscience. » Un grand désir
de paix et de conciliation était dans l'esprit d'Amyraut. Devant les ou-
verture* très-directes qui lui furent faites de la part de Richelieu sur
sod grand dessein de réunir les deux Eglises, romaine et réformée, il n'y
eul pas d'hésitation de la part d'Amyraut et il comprit aussitôt que la
m était irrémédiable. -Mais en présence de l'Eglise romaine qui
reprochait souvent aux Eglises prolestantes leurs divisions, Amyraut
eut la grande et pieu» ambition (l'unir dans la même Eglise les luthé-
riens el les réformés. 11 lit dans ce sens de louables efforts et il donne
dans ses Livres dai conseils qui sont toujours de saison, ceux-ci, par
284 AMYHAUÏ
exemple, que l'union ne doit pas se faire à coups de majorité, à coups
de protocoles, mais bien par le respect mutuel, par la pénétration bien-
veillante des sentiments et des idées, par la fréquentation des mêmes
cultes dans un même désir d'édification (De secessione ab Ecclesia ro-
mana, deque ratione pacis inter evangelicos in religionis negotio consti-
tuendœ, disputatio, 1647; Eïpyjvixbv, sive de ratione pacis in religionis
negotio inter evangelicos constitutuendx consilium, 1662). — Les vertus
privées et domestiques du chrétien, du pasteur et du père inspirèrent
un respect universel. On lit, écrites de la main d'Amyraut sur la garde
d'un exemplaire de son Traité des religions, ces lignes touchantes à
propos de ses deux enfants, dont il mentionne et consigne les noms :
« Je recommande ces deux petits enfants à la grâce et à la bénédiction
de Dieu et à la tendre bonté de leur mère, à laquelle je laisse ce gage
de mon entière affection, étant comme je pense au lit de la mort. »
Son fils fut un avocat distingué au parlement de Paris. Sa fille, qui
épousa Bernard d'Haumont, mourut dix-huit mois après son mariage.
Très-grande douleur dans la famille. Gomme consolation à tous, et
surtout en regard de sa femme, Amyraut publia un intéressant et tou-
chant traité, Discours sur l'état des fidèles après la mort, 1646. La charité
d'Amyraut était inépuisable ; pendant les dix premières années de sa
vie il donna aux pauvres les revenus de sa charge, il s'intéressait aux
catholiques comme aux protestants : on cite de lui des traits d'une gé-
nérosité vraiment rare. La piété d'Amyraut put se manifester avec sim-
plicité et avec grandeur à son lit de mort, où il conserva toute sa liberté
d'esprit et où il put adresser les discours les plus édifiants et donner
de beaux témoignages de sa foi. Il mourut le 8 janvier 1664. — L'in-
fluence exercée par Amyraut sur son Eglise et même sur son temps fut
très-sérieuse. On peut voir en détail dans Bayle les marques étonnantes
de considération qui lui furent données par les personnages les plus
considérables, Richelieu, le maréchal de Brezé, le maréchal de la Meil-
leraie, le président Le Goux de la Berchère, les intendants de la pro-
vince d'Anjou, plusieurs prélats, et surtout par Mazarin. Il savait le
monde, et sa parfaite urbanité, qui donnait un charme à sa science et à
ses hautes vertus, continua à faire estimer et respecter le nom protes-
tant dans les sphères élevées de la société de l'époque. Quant aux ré-
formés, ils avaient pour Amyraut une confiance, un respect et une
admiration sans bornes. Les protestants étaient fiers de lui, ils aimaient,
en même temps que ses talents éclatants, sa sagesse, sa fermeté et son
indépendance, et ils sentaient qu'il y avait en lui la double vertu, qui
doit être le désir et l'effort de toute Eglise chrétienne, l'attachement à
la tradition et la passion du progrès. La gloire dont il jouissait était
telle qu'en certaines occasions, comme au synode de Loudun, elle lui
fut plutôt contraire « comme s'il eût été un grand arbre, qui faisait
ombre aux petits et qu'il fallait abaisser. » — Voir sur Amyraut : Bayle,
Dictionnaire historique; Schweizer, Real-Encycl. de Herzog; Haag,
France protestante. Les ouvrages d'Amyraut sont très-rares, heureuse-
ment surtout ceux de moindre étendue ; je n'ai pas indiqué dans les
citations le nom du lieu d'impression, parce que, sauf exception c'est
AMYRAUT — ANABAPTISTES 285
toujours Saumur, ville qu'Amyraut habila toute sa vie. Voyez aussi
Bull, de la Soc. de l ilisl. du prat. fr.} mentions et renseignements
presque dans lous les volumes; Saigey, M. Amyraut, thèse soutenue à
Strasbourg, 1849; Viguié, Hist. de iapolog. dans VEgl. réf. fr, 1858;
Walch, Histor. und Iheol. Fini, in die Beligionsstreitigkeiten ausserh.
der lut It. Kirchc, ïéna, 1733; Sehweizer, Thcol. Jahrb., 4852.
A. Viguié.
ANABAPTISTES, ceux qui rebaptisent les adultes passant dans leur
société religieuse, parce qu'ils regardent comme illégitime ou nul le
baptême administré dans l'Eglise chrétienne aux petits enfants. C'est le
nom qui fut donné aux ardents sectaires du seizième siècle, dont la
puissance, un instant redoutable, sombra dans la tragique catastrophe
de Munster, et qu'il faut soigneusement distinguer des Baptistes des
temps qui suivirent, aussi pacifiques et respectables que les anabaptistes
furent intraitables et souvent scandaleux. Le baptisme n'est pas simple-
ment sorti de l'anabaptisme, on doit dire plutôt qu'il s'en est dégagé et
purifié. Les anabaptistes sont, avec les sociniens, bien qu'à un titre tout
différent, les radicaux de la Réforme. Ce grand mouvement religieux
doit sa puissance et sa réalisation à la convergence de trois éléments
qui y cherchèrent simultanément satisfaction et l'y trouvèrent dans une
certaine mesure ; 1° Les protestations de la raison, déjà plus éclairée
qu'au moyen âge, contre les superstitions ecclésiastiques ; 2° le besoin
de posséder une religion intérieure, rattachant personnellement et
directement l'âme fidèle à Dieu ; 3° la nécessité sentie de changer les
institutions religieuses existantes, pour mettre en harmonie l'Eglise et
la vie chrétienne collective avec cette tendance à la fois rationnelle et
mystique. Les sociniens abondèrent dans le sens rationnel, aux dépens
de la piété intérieure et mystique; les anabaptistes poussèrent jusqu'à
l'extravagance le principe de l'individualisme mystique et, sous prétexte
d'assurer la réforme religieuse , aspirèrent à renverser avec l'ordre
ecclésiastique la société politique et civile elle-même. — C'est avec la
Guerre des paysans qu'on voit surgir l'anabaptisme en Allemagne. On
s'est trompé quand on a dit qu'elle avait été engendrée par la réforme
religieuse. Avant même qu'il fut question de Réforme, depuis le milieu
du quinzième siècle, il y avait eu de fréquents soulèvements de paysans
dans les campagnes allemandes contre les abus du régime impérial et
féodal. Les années 1513, 1514, 1517, avaient été particulièrement mar-
quées par des mouvements de ce genre dans le Wurtemberg, dans l'é-
vêché d'Augsbourg, en Carinthie, etc. Les sympathies populaires pour
la Réforme, contrariées par la noblesse et le clergé, donnèrent un
aliment nouveau à ce feu mal éteint, et cette coïncidence amena en
divers lieux une sorte de mélange où des tendances sociales révolution-
naires sejoignirentàdes prétentions de réforme religieuse radicale. Parmi
Les partisans les plus emportés de la Réforme commencée par Luther
on avait vu se prononcer surtout les « prophètes de Zwickau, » qui, en
1.V21, faillirent par leur hâte intempestive compromettre la grande
œuvre à ses débuts. Parmi eux on distinguait Thomas Munzer, pasteur
destitué de Zwickau, qui répandait en Thuringe des doctrines d'un mys-
286 ANABAPTISTES
ticisme exalté. Il rabaissait l'autorité de l'Ecriture bien au-dessous de
l'inspiration individuelle. Il prêchait une sorte de divinisation de
l'homme chez qui Dieu incarnait son Fils par le fait même qu'il lui
communiquait intérieurement son Verbe éternel. Il blâmait le baptême
des enfants comme contraire à l'institution divine, assimilait le mariage
des époux non convertis à un véritable concubinage, prétendait fonder
le royaume de Dieu sur l'égalité de tous et la communauté des biens;
enfin, il sommait les princes d'adhérer à la nouvelle constitution so-
ciale, s'ils ne voulaient pas qu'on la leur imposât par la force. En même
temps, il poursuivait Luther d'attaques violentes et grossières. Il dut
bientôt quitter la Thuringe (1524), et se rendit sur la frontière suisse, à
Waldshut, où il continua d'agiter les populations. Autour de Zwingle,
qui lui-même avait hésité quelque temps sur la question du baptême
des petits enfants, il y avait aussi des impatients et des emportés (icono-
clastes), qui fournirent à Thomas de nombreux adhérents. Bientôt l'a-
nabaptisme, qui n'avait été d'abord qu'un élément accessoire dans ses
doctrines, devint la devise et le signe de ralliement du parti soulevé par
ses prédications. Cette agitation religieuse, déjà menaçante pour l'ordre
social établi, ne tarda pas à s'allier à l'agitation révolutionnaire de l'Al-
lemagne du sud. En 1525, une insurrection bientôt formidable s'étendit
rapidement de Kempten (Bavière) en Souabe, en Franconie, en Alsace.
Les paysans révoltés réclamaient une réforme complète de l'Eglise et
de l'Etat, le droit d'élire et de déposer les pasteurs, la réforme des
impôts, de la justice, l'abolition des privilèges de chasse et de pêche, etc.
Luther, tout en reconnaissant la légitimité de plusieurs griefs, blâma
leur prise d'armes et, terrifié par leurs excès, finit par approuver qu'on
procédât par la force contre cette insurrection. Malheureusement, la
répression fut sanglante et souvent atroce. En Suisse, c'est-à-dire à
Zurich, à Bâle, à Schaffouse, à Saint-Gall, des mouvements analogues
furent réprimés, d'abord avec une certaine douceur, mais bientôt par les
moyens les plus rigoureux. La peine de mort fut comminée contre les ana-
baptistes qui eurent, eux aussi, leurs confesseurs et leurs martyrs. Pen-
dant cette lutte acharnée l'anabaptisme avait toujours plus étendu son
programme dogmatique et mystique. Toute la société terrestre, dans
l'Etat comme dans l'Eglise, étant désespérément corrompue, il fallait
tout reconstituer ab ovo sous la direction des prophètes inspirés de
Dieu. Un vrai chrétien devait se refuser à toute fonction civile ou mili-
taire. Le serment lui était d'ailleurs interdit. L'esprit divin émancipait
les régénérés de toute obligation d'obéissance aux autorités constituées.
La grâce de Dieu, en délivrant le régénéré du péché et de ses suites, le
rendait impeccable, lors même qu'en apparence il s'abandonnait encore
à la transgression. C'était, en un mot, là théocratie sous forme de gou-
vernement des inspirés que l'anabaptisme prétendait établir. Il com-
promit par des extravagances les progrès de la Réforme, servit d'épou-
vantail aux partisans de la réaction religieuse et de l'immobilisme
politique et même nuisit longtemps, par l'impopularité qui s'attacha à
tout ce qu'il avait enseigné ou prétendu, aux doctrines, discutables sans
doute, mais très-honnêtes et très-pacifiques qui furent par la suite
ANABAPTISTES -jst
réunies sous le nom de Baptistne (v. ce mot). Thomas Miïnzer continuait
à Mulhouse, en 1525, son œuvre dissolvante, lorsque la bataille de /*'
Frankenhausen (45 mai), noya l'insurrection des paysans dans un fleuve
de sang. Mùnzer et son compagnon Pfeifer furent faits prisonniers, et
tandis que ce dernier affronta courageusement le supplice, Mùnzer
faiblit, reçut la communion sous la forme catholique et fut porté presque
sans connaissance sur l'échafaud. — Mais l'anabaptisme écrasé en Suisse
et dans l'Allemagne du sud, releva la tête aux Pays-Bas où il fut ré-
pandu par un disciple de Mùnzer, Melchior Hoffmann, qui se fixa à
Emden et fît des prosélytes à Amsterdam, à Harlem et à Leyde. L'un
d'eux, le boulanger Jean Matthiesen, de Harlem, qui se prétendait
Enoch revenu sur la terre, se lia d'amitié avec un jeune tailleur de
Leyde, Jean Beukelszoon, qui joignait à une grande beauté physique
une éloquence naturelle fort remarquable. Tous deux, fuyant les édite
rendus contre les novateurs, se rendirent à Munster, en Westphalie
(1533). Dans cette ville, où, malgré les efforts de l'évêque Franz de
Waldeck, la Réforme s'était établie victorieusement sous la direction
du prédicateur Bernard Rottmann (1529-1533), se réfugièrent une foule
d'anabaptistes néerlandais et allemands. Bientôt les ardentes prédications
des deux prophètes trouvèrent faveur auprès des habitants ; Rottmann
lui-même finit par se joindre à eux, ainsi qu'un certain Knipperdolling,
bourgeois notable, qui avait adopté à l'étranger les idées anabaptistes et
qui souleva la classe inférieure contre la noblesse, le clergé et les riches.
Un signe caractéristique de cette révolution anabaptiste, c'est le profond
mépris des « inspirés » pour les livres et la science humaine. La plupart
des bourgeois aisés furent bannis et les anabaptistes, sous la direction
de leurs prophètes, se virent à même de constituer une théocratie selon
leur idéal. Sur l'autorité de prétendues révélations, la communauté des
biens et la polygamie furent décrétées, tous ceux des habitants qui re-
fusèrent d'adhérer à la foi nouvelle furent pillés et expulsés en plein
hiver, sept diacres nommés pour répartir entre les fidèles les biens des
bannis ; puis, sur l'ordre de Jean de Leyde, tous les meubles et objets
de luxe, les sculptures, les tableaux, tous les livres, à l'exception de la
Bible, furent brûlés sur la place publique. Cependant l'évêque Franz
de Waldeck avait réuni une petite armée pour tâcher de reprendre la
ville (avril 1534). Une sortie heureuse des assiégés commandés par le
prophète Matthiesen inspira à celui-ci une telle confiance qu'il se fit
fort de disperser l'armée épiscopale avec une troupe de trente hommes
choisis, il périt avec ses compagnons dans la rencontre qui suivit, et
Jean de Leyde se vit sans rival possible à la tête de la ville anabaptiste,
d'autant plus que Rottmann continuait de l'appuyer sans réserve.
Bientôt, assisté de douze anciens élus qui ne juraient que par lui et
rendaient la justice au nom d'un code emprunté littéralement à l'Ancien
Testament, il concentra dans sa main tous les pouvoirs. C'était selon
lui L'inauguration du royaume millénaire du Christ, annoncé par l'Apo-
oalypse, ef il voulut être le roi de la nouvelle Sion. Des révélations
prophétiques vinrent encore à point nommé confirmer ce vœu ambi-
tieux, et .Jean >•• til couronner vn grande pompe, avec le titre du « Roi
288 ANABAPTISTES
juste du nouveau Temple, » Rottmann ayant désigné, toujours en suite
de révélations directes, les noms des principaux officiers de la couronne.
Lui-même fut « le porte-parole, » Knipperdolling le lieutenant, Krech-
ting, un autre inspiré, le chancelier, etc. Jean portait au cou une
chaîne d'or, à laquelle était suspendu un globe. Trois fois la semaine il
paraissait sur la place publique, tandis que Knipperdolling se tenait un
peu plus bas, l'épée nue à la main. Quand il parcourait la ville, deux
enfants le précédaient, portant, l'un l'Ancien Testament, l'autre une
épée, et tous les passants devaient s'agenouiller. Sa prétention haute-
ment avouée était de faire la conquête du monde entier, et pour pré-
parer ce grand événement, il fit partir de Munster vingt-huit apôtres qui
devaient annoncer son règne dans toutes les directions. A Fexception
d'un seul, tous ces malheureux furent arrêtés et exécutés en divers
lieux comme rebelles. Le roi-prophète donnait d'ailleurs l'exemple de
la polygamie. Se fondant sur l'exemple de David et de Salomon, il s'était
entouré d'un harem de quinze femmes, qu'il gouvernait à l'orientale.
Lui-même trancha la tête publiquement à Tune d'elles qui avait osé
blâmer sa conduite. 11 est facile de comprendre qu'un pareil régime et
de pareils exemples engendrèrent un état sans nom de violences ,
d'excès, de débauches de tout genre. Mais l'autorité de Jean restait
toute-puissante, soit par la terreur qu'il inspirait, soit surtout par le
fanatisme qu'il avait su faire partager à la ville entière où personne ne
doutait que bientôt des triomphes incomparables succéderaient à la
situation précaire où le blocus de plus en plus rigoureux les condam-
nait. En effet, quand il fut devenu plus évident que Févêque était hors
d'état de réduire la ville défendue par une population de forcenés, les
princes de l'empire se décidèrent à des mesures énergiques. Ce fut sur-
tout Philippe, le landgrave de Hesse, qui se chargea de l'entreprise.
Depuis le mois d'avril 1535 son armée bloqua étroitement Munster, où
la famine sévissait déjà. Deux transfuges fournirent à ses soldats le
moyen de pénétrer, le 24 juin, à Fintérieur des murs et, malgré la
résistance désespérée des assiégés, la ville fut prise. A peine un tiers
des habitants échappa à la rage des vainqueurs. Jean et ses principaux
officiers furent pris et jetés dans les fers. Lui, Knipperdolling et Krech-
ting repoussèrent avec hauteur les propositions du landgrave qui voulait
les amener au repentir. On crut d'une bonne politique de les promener
enchaînés de lieu en lieu, à travers des populations qui les insultaient
et les maudissaient. Enfin, le 23 janvier 1536, ils furent livrés à l'épou-
vantable supplice de la mort par « les tenailles brûlantes. » Leurs restes
informes furent jetés dans une corbeille de fer que l'on hissa tout au
haut de la tour de Saint-Lambert de Munster pour servir d'avertissement
à quiconque serait tenté de les imiter. Tel fut le lugubre dénoûment
de la tragédie de l'anabaptisme. Il ne se releva jamais, sous cette forme
délirante et scandaleuse, de sa sanglante catastrophe. Les débris de
l'anabaptisme primitif, dispersés en Allemagne, furent pourchassés,
livrés aux bourreaux, excepté dans les Etats du landgrave qui se con-
tenta de les bannir. — Sources : Mélanchthon, Die Historié von Th.
Mùntzer, 1525; Strobel, Leben, Schriften und Lehren Thomx Mùntzers,
ANABAPTISTES — ANANIAs o89
1795; Ranke, Deutsche Gesch. imZeitalt. der Reform., vol. II et III;
Spanheim, De origine Anabapt., Lugd, 1643; Ant. Corvinus, Zte mz'si-
rabili... Anabapt. obsidione (ce Corvinus fut l'un des théologiens que
le landgrave de liesse envoya à Jean de Leyde prisonnier, pour rame-
ner à résipiscence) apud Schardtum, t. II; Original-Actenstùcke de?'
Mùnst. Wiedertxufer-Gesch.j Francf., 1808; IL Jochmus, Mûnstersche
Gesch. Legenden und Sagen, 1826; Schlosser, Weltgesch. fur das
deustche 1 o//r, vol. XII; Bullinger, Der Wiedertœufer Ursprung, 1560;
C. A. Cornélius, Die Niederlœndischen Wiedertœufer wœhrend der Bela-
gerung Munsters, publications de l'Académie royale de Bavière, 1869;
Gieseler, Kirchengesch., III, 1, p. 196 ss.; F. Ch. Baur, Kirchengesch .
der neueren Zeit, p. 70 ss., et en général les histoires de la Réforme.
A. RÉVILLE.
ANACHORÈTES (àvaxwp-rçTYjç, de àvaywpéw, je me retire), ceux qui se
retirent du monde pour vivre dans la solitude. Dès le troisième siècle
il est fait mention de chrétiens qui fuient la société. Les causes n'ont
pas été chez tous les mêmes : les uns n'ont cherché qu'un asile pour se
dérober aux persécuteurs; d'autres, dégoûtés de la corruption du
monde païen, ont cru devoir éviter un état de choses qui les blessait et
qu'ils se sentaient, incapables de corriger ; d'autres encore se sont
retirés, soit pour expier ainsi leurs péchés, soit pour se vouer en paix
à la contemplation, soit pour obéir à des conseils évangéliques pris
dans le sens le plus littéral. Les premiers anachorètes connus se ren-
contrent en Egypte et en Palestine. Leur genre de vie ne tarda pas à
être considéré comme procurant un mérite supérieur. Ceux qui habi-
taient le désert reçurent le nom d'ermites (Ipv^oç, désert). Il y en
eut dans tous les pays chrétiens. Le concile de Constantinople de 692
décréta que, pour devenir anachorète, il fallait d'abord passer un temps
d'épreuve dans un monastère; Charlemagne, au contraire, voulait que
tous les ermites de ses Etats entrassent dans des couvents. Néanmoins
on en trouve pendant tout le moyen âge ; çà et là il y en a encore
aujourd'hui.
ANACLET I (Saint), pape ou plutôt presbytre romain de la fin du
premier siècle. Les listes grecques, Irénée {Hœr., III, 3, 3), la Chronique
d'Eusebe et Y Histoire ecclésiastique du même auteur (III, 13, 15) placent
AvéyxXijTOç entre Lin et Clément; la Chronique le fait régner de 79
à 86, YHist. eccl. de 79 à 91. Augustin (Ep. 53), Optât [de Schism.
Donat., II, 3) et tous les catalogues latins jusqu'au sixième siècle,
nomment au contraire Anacletus entre Clément et Evariste. Le Cata-
logue Libérien de 354 est le premier à intercaler Cletus (77-83) entre
Clément et Anaclitus (84-95); le livre des papes (530), qui place Clé-
ment entre Clet et Anaclet, suit néanmoins le môme calcul. On peut
affirmer que le nom de saint Clet était inconnu avant le milieu du
troisième siècle (Lipsius, Chronol. der rœm. Bisch., Kiel, 1869). On
trouve dans Pseudo-Isidore et dans Gratien de fausses décrétâtes au
nom d' Anaclet. Voyez Colombier, Rev. des Quest. Hist., 1876, avril.
ANACLET II, antipape (1130-1138). IToyez Innocent IL
ANANIAS ('AvxvÉaç, nom propre hébreu, Khananeiah, Jérém.
290 ANANIAS — ANASTASE LE SINAÏTE
XXVIII, 1; Daniel I, 6, 7). Dans les Actes des apôtres se rencontrent
trois personnages de ce nom : 1° Un Juif chrétien de la première Eglise
de Jérusalem dont la femme était Saphira. Tous deux furent punis
d'avoir menti au Saint-Esprit en dissimulant le prix véritable des biens
qu'ils avaient vendus pour venir l'apporter aux pieds des apôtres
(Actes V, 1 ss.). 2° Un Juif chrétien, de Damas, homme fort considéré
qui rendit la vue à Paul en lui imposant les mains et sans doute lui
donna les premiers enseignements évangéliques (Actes IX, 10 et
XXII, 10) ; 3° enfin un grand prêtre juif (Actes XXXIII, 2) devant lequel
comparaît Paul, prisonnier, et qui, en ordonnant de le souffleter,
provoqua de sa part cette rude apostrophe : « Dieu te frappera, mu-
raille blanchie! » On trouve des renseignements sur ce dernier dans
Josèphe (Ant., XX, 6, 8, 9). Il était fils de Zébédée et obtint le grand
pontificat sous le procurateur Gumanus : il fut envoyé à Rome pour se
défendre devant l'empereur Claude au sujet d'actes de violence dont il
était accusé. Il redevint vraisemblablement grand prêtre, ou du moins
en remplit les fonctions un peu avant le départ du gouverneur Félix,
mais pour peu de temps. Il fut tué au commencement de la guerre
juive (Josèphe, de bell. Jud., II, 17, 19).
ANASTASE I (Saint), pape (398-402), était Romain. Il condamna, en
399, Rufin et les origéniens. Saint Jérôme, qui clans plusieurs de ses
lettres parle de lui avec éloge, cite, dans son Apologie contre Rufin,
une lettre d'Anastase à Jean, évêque de Jérusalem (401), où ce pape
s'oppose à Rufin. Le concile de Carthage, en 401, rendit témoignage à
son zèle à combattre le donatisme. Il bâtit la basilique de Saint-Cres-
centienne (voy. Henschen, dans AA. SS., 27 Apr., III; Muratori, Scr.,
III, 1, 115, Baronius et Pagi; ses lettres se lisent dans la collection
de Coustant, Paris, 1721, in-f°).
ANASTASE II, pape (496-498), était Romain. Le clergé se souleva
contre lui ; on l'accusait d'avoir sans le conseil des évêques et du
clergé reçu dans sa communion Photin, diacre de Thessalonique, et
de méditer en secret la réhabilitation d'Acacius. « Il mourut misérable-
ment » (Amaury Auger, dans Muratori, III, 2, 43). Voyez, sur son
orthodoxie, Baronius, à l'année 497. La lettre de félicitation écrite par
le pape à Glovis, lors de sa conversion, se trouve dans d'Achéry et dans
Mansi, VIII, 193.
ANASTASE III, pape (911-913), était Romain; il régna sous la por-
nocratie.
ANASTASE IV, pape (Conrad, évêque de Sabine), était Romain et
régna de 1153 à 1154. Il eut des égards pour Frédéric Barberousse. Il
releva le Panthéon (Sainte-Marie la Ronde). Voyez sa vie, par le card.
Boso, dans Watterich, II, 321 ; ses lettres, dans Bouquet, XV, 655 ss.
ANASTASE, antipape en 855. Voyez Benoît 111.
ANASTASE LE SINAÏTE, moine du mont Sina et prêtre, vivait vers
l'an 680. Il sortit souvent de sa solitude pour combattre les acéphales,
les séveriens et les théodociens d'Egypte et de Syrie. Il nous reste de
lui : 1) V'Oori^éq ou dux vise ado. Acrphalos (gr. et lat. éd. J. Gretser,
Ingolstadt, 1606, in-4°); 2) Les èpwiYjcstç xal àitoxpfeeiç, questions et
ANASTASE LE SINAÏTE — ANATHEME 201
réponses, où il répond à cent cinquante-quatre questions différentes
d'exégèse, de dogmatique, de morale et d'ascétisme. Cet ouvrage est
nourri de la doctrine des Pères (gr. et lat., éd. J. Gretser, Ingolstadt,
1617, in-i°). 3) Les Anagogicx contemplationes in Hexaëmeron, lib. XII.
Les onze premiers de ces livres ne sont conservés qu'en latin dans la
Magna Bibl Pair., Colon., 1618, t. VI et dans la Max. Bibl. Pair.,
t. IX. Le douzième livre est publié en grec et en latin par Allix, Lond.,
1682, in-4°. 4) Trois sermons De hominis creatione a Deo ad imag. et
simil. suam (A. Maji, Coll. nova veter. script., t. VII). Il ne faut pas con-
fondre Anastase le Sinaïte avec un autre écrivain ecclésiastique, aussi
nommé Anastase, créé patriarche d'Antioche en l'année 561, qui, ayant
résisté aux édits de Justinien contre les aphthardocètes, fut exilé en 570
et qui, rappelé sous Maurice, occupa paisiblement son siège jusqu'à sa
mort, arrivée le 21 avril 599.
ANASTASE LE BIBLIOTHÉCAIRE, abbé d'un couvent romain et pro-
bablement bibliothécaire du Vatican, est l'un des écrivains les plus
savants du neuvième siècle. Il fut envoyé au huitième concile œcumé-
nique de Constantinople qui condamna Photius ; il en traduisit en latin
les actes, ainsi que ceux du septième concile. On a de lui une Historia
ecclesiastica chronographia tripartita, P., 1649, in-f°, et on lui a long-
temps attribué le Liber ponti/îcalis, source importante pour l'histoire
des papes et qui contient leur biographie jusqu'à Nicolas Ier (voy. cet
article). Anastase mourut en 886.
ANASTASIE (Sainte), veuve et martyre. Elevée dans la foi chrétienne
par saint Chrysogone, elle fut mariée à un païen, torum mentita infir-
mitate declinans. Devenue veuve après avoir demandé à Dieu la mort de
son mari, elle suivit son maître à Aquilée, où il fut martyr, et assista
les confesseurs. Elle fut décapitée à Grado (304), et son corps fut porté
de Zara à Sirmich, puis à Constantinople. Ses actes, conservés par Mé-
taphraste et antérieurs à Bède (Surius, 25 déc), sont étranges. Voy.
Tillemont, V, et Baillet, Vies des Saints, III.
ANATHEME (àvaôs^a ou selon la forme attique àvaÔY^a, ce qui répond
dans les Septante au mot hébreu Chère m) se disait des objets con-
sacrés à Dieu et suspendus à la voûte ou aux murs d'un temple pour
être exposés à la vue des fidèles (Luc XXI, 5); mais, comme l'on expo-
sait aussi les objets odieux, comme la tête d'un coupable ou d'un
ennemi, ses armes, ses dépouilles, le mot chèrèm ou anathème a été
appliqué aux personnes ou aux choses que l'on entendait retrancher de
la société, vouer à la colère divine, à l'entière destruction, à l'éternelle
damnation. C'est ainsi que Moïse voue à l'anathème les villes des
Cananéens qui ne se rendront pas aux Israélites, ainsi que ceux qui
adoreronl de faux dieux (Exode XXII, 19; Deut. IX, 26); Saul pro-
nonça 1 anathème contre quiconque mangerait quelque chose avant le
coucher du soleil, dans la poursuite des Philistins (1 Rois XIV, 24) ;
Judith offre à Jéhova les armes d'Holopherne pour anathème (Judith
XVI, 23). D'après une prescription du Lévitique (XXVII, 28, 29), tout ce
qu'un possesseur a voué à l'anathème, soil homme, soit animal, soit
pièce de terre, ne pourra plus être racheté, mais devra être consacre à
292 ANATHEME — ANCIENS
la destruction. Dans le Nouveau Testament, saint Paul affirme que per-
sonne ne peut dire de Jésus qu'il est anathème, s'il parle par l'Esprit
de Dieu (i Cor. XII, 3) ; il déclare anathème tous ceux qui n'aiment
point le Seigneur Jésus-Christ (1 Cor. XVI, 22) ; il prononce la même
sentence contre ceux qui annoncent un autre Evangile que le sien
(Gai. I, 8) ; par contre, il exprime le vœu de pouvoir être anathème lui-
même pour sauver ses compatriotes, les Israélites, de la perdition où
les expose leur aveuglement (Rom. IX, 3). — Dans l'Eglise catholique,
Tanathème est la forme de l'excommunication majeure, lancée par le
pape, par un concile général ou par un évêque ; il ajoute à l'excommu-
nication ordinaire la séparation formelle du corps de la société et du
commerce des fidèles. C'est la peine réservée ordinairement aux héré-
tiques. Tous les conciles et la plupart des symboles œcuméniques ont
adopté la formule : Anathema su. Dans l'acte d'abjuration, l'hérétique
est également tenu de dire anathème à l'erreur qu'il abjure.
ANATHOT [eAnâthôth], ville lévitique (1 Rois II, 26), située dans la
tribu de Benjamin (Jos. XXI, 18; 1 Chron. VI, 60; Néhém. XI, 32), sur
la grande route qui se dirige du Nord vers Jérusalem, dont elle était
éloignée de trois milles romains d'après Eusèbe et Jérôme (Ad Jerem.,
I, 1), de 20 stades (c'est-à-dire un peu moins), d'après Josèphe (Ant.,
X, 7). Anathot était la patrie du prophète Jérémie (Jérém. I, 1; XI, 21 ;
XXIX, 27; XXXII, 7).
ANATOLE (Saint) [AvaioXtoç] , évêque de Laodicée, succéda à saint
Eusèbe, Alexandrin comme lui. Il était « parvenu au faîte » de toutes
les sciences, et l'on dit qu'il avait été mis à la tête de l'école aristotéli-
cienne dans sa ville natale; il paraît, d'après la vie dTamblique par
Eunape, avoir été le maître de ce philosophe. Lorsque Alexandrie fut
assiégée par les Romains, en 269, il prêcha la reddition, et ne pouvant
l'obtenir, il fit sortir de la place les bouches inutiles, et sauva ainsi la
vie à presque tous les assiégés, « et d'abord à ceux de l'Eglise. » Eusèbe,
qui rapporte ces faits (Hist. eccl., VII, 32; voy. les notes d'Heinichen),
cite plusieurs ouvrages de lui, et reproduit ses canons sur la Pâque
{AA.SS., 3/w/., I).
ANATOLE (Saint), patriarche de Constantinople (f 458). Il était
Alexandrin. Son attitude au concile de Macédoine le fit suspecter d'eu-
tychianisme, et le pape saint Léon, dans plusieurs de ses lettres, ex-
prime des doutes à cet égard. L'éminent critique de Baronius, Pagi, et
Tillemont (vol. XV), défendent son orthodoxie contre Baronius (ad a.
451); les Bollandistes (3 JuL, I) reconnaissent qu'Anatole fut un saint
de seconde grandeur.
ANCIENS chez les Hébreux. 11 est déjà question d'anciens, faisant
fonctions de représentants du peuple israélite, en Egypte (Exode III,
16; IV, 29; XII, 21; cf. XVII, 5; XVIII, 12). Moïse en choisit soixante et
dix (ou soixante-douze), pour former un collège qui devait l'assister
dans la direction des affaires (Nomb. XI, 16; cf. Exode XXIV, I, 9). A
partir de ce moment nous trouvons sans cesse des anciens qui repré-
sentent tantôt le peuple en son entier, tantôt une tribu, tantôt une ville,
et à l'occasion prennent part aux sacrifices ou président aux fêtes
ANCIENS — ANG1LL0N 293
(I Rois VIII, 1 ; 1 Chron. XV, 25; 2 Chron. V, 2-4). Chaque ville pos-
sédait un collège d'anciens qui y remplissait les fonctions judiciaires
et de police, et siégeail aux portes (Deut. XIX, 22; XXI, 2, 19; XXII,
15 ss. : XXV, 8; Josué XX, i; Ruth IV, 11). Les anciens subsistèrent à
côté des rois comme représentants de la nation (1 Sam. III, 17; V, 3;
VIII, 4 ss.; XV, 30, XVII, 4; 2 Sam. XIX, 11; 1 Rois XX, 7; 2 Rois X,
ir>; XXIII, I; I Chron. XXI, 16). Cette organisation résista à l'exil
Jérém. XXIX, 1; Esdras X, 8, 14), et s'accrut en importance sous la
domination des princes étrangers (1 Macch. I, 26; VII, 33; XII, 6, 35;
XIII, 36; XIV, 9, 20; 2 Macch. I, 10; IV, 44) ; elle reçut sa dernière
sanction, en ce qui touche les anciens de la nation, dans l'institution du
sanhédrin (voy. cet article).
ANCIENS chez les chrétiens. Voyez Presbytérien (Système).
ANCILLON, famille de Metz, déjà influente au quatorzième siècle,
convertie au protestantisme dès les premiers jours de la Réforme,
établie en Prusse depuis la révocation de l'édit de Nantes. Le premier
de ses membres dont parlent les annales du protestantisme, président à
mortier dans une des cours les plus importantes du royaume, fit vo-
lontairement le sacrifice de sa charge pour embrasser les croyances
huguenotes. Son fils, Georgin Ancillon, fut un des fondateurs de l'Eglise
de Metz; son petit-fils, Abraham, un jurisconsulte éminent. De cet
Abraham Ancillon et d'Esther Marsal naquit à Metz, en 1617, le
célèbre prédicateur David Ancillon . Après avoir étudié la théologie à
Genève sousDiodati, Tronchin, Spanheim (1633-164J), il fut consacré
ministre parle synode de Charenton (1641) et placé aussitôt après à la
tête de l'Eglise de Meaux. Son talent pour la prédication, la douceur
de son caractère, sa piété solide et éclairée lui gagnèrent tous les cœurs;
les catholiques eux-mêmes ne purent lui refuser leur estime. Pendant
un voyage qu'il fit à Metz (1652), les membres du consistoire furent si
charmés de son éloquence qu'ils le nommèrent au premier poste
vacant. Ancillon demeura dans sa ville natale jusqu'à la révocation de
Tédit de Nantes (1685). Toutes les démarches auprès de Louis XIV en
faveur des réfugiés messins ayant échoué, Ancillon et ses trois col-
lègues profitèrent de la faculté qui leur était laissée de s'expatrier
dans l'espace de quinze jours. Après avoir exercé pendant quelques
mois les fonctions pastorales à Hanau et à Francfort, il fut appelé à
Berlin, comme prédicateur de l'Eglise française et de la cour, par le
iinmd-électeur qui professait une admiration toute particulière pour
son caractère et son talent. Les réfugiés de la colonie de Berlin trou-
vèrent en lui un père qui s'occupa d'eux jusqu'à sa mort (1692), avec
la plus tendre sollicitude, le plus infatigable dévouement. David An-
cillon jouit auprès de ses contemporains, comme orateur de la chaire,
d'une grande réputation; il est à regretter que, par excès de modestie,
il n'ait laisse publier qu'un seul de ses sermons, prêché à Metz un jour
déjeune: les Larmes de saint Paul (Paris, 1676). Son ouvrage le plus
connu est un Traité polémique contre la tradition romaine, résumé
d'une dispute qu'il avail eue en 1657, à Metz, avec le Dr Bédaciez
évêque dAoste et Miffragant de l'évêque de Metz. — Charles Ancillon,
294 ANGILLON
fils aîné de David, né à Metz en i659, jurisconsulte et historien, étudia
le droit à Marbourg, à Genève, à Paris (167 4-1679), 'et s'établit comme
avocat dans sa ville natale. Au moment de la révocation de l'édit de
Nantes, ses concitoyens le choisirent pour leur délégué à Versailles,
mais il ne put obtenir de Louvois que les réformés messins passassent
l'hiver dans leur patrie. Lui-même accompagna son père dans l'exil et
fut accueilli avec distinction par l'électeur Frédéric-Guillaume, qui le
nomma «juge et directeur de la colonie de Berlin, » puis, après la re-
traite de son oncle, Joseph Ancillon, «juge de tous les Français réfugiés
dans le Brandebourg. » La droiture, l'impartialité, le tact dont il fit
preuve dans ces difficiles fonctions, lui acquirent l'entière confiance de
Frédéric Ier qui le chargea de plusieurs missions importantes en Suisse
(1695), et auprès du margrave de Bade-Durlach (1697). Aux capacités di-
plomatiques Charles Ancillon joignit celles de l'historien, du pédagogue.
En 1687, le roi lui donna la surintendance de « l'Académie des nobles »
à Berlin, une institution modèle sur laquelle devaient se régler les
établissements du même genre dans les provinces; en 1699, il remplaça
Puffendorf comme historiographe royal. Les relations intimes qu'il
entretenait avec quelques-uns des penseurs les plus distingués de son
temps, entre autres avec Leibnitz, lui permirent de jouer un rôle im-
portant lors de la fondation et des premiers débuts de l'Académie de
Berlin. Charles Ancillon fut un fécond écrivain; quelques-uns de ses
écrits possèdent encore aujourd'hui une réelle valeur. Le plus intéres-
sant est Y Histoire des Français réfugiés dans les Etats de S. A. F. de
Brandebourg (Berlin, 1690), qui contient de précieux détails sur l'orga-
nisation, les droits, les mœurs de la colonie naissante. Les Réflexions
politiques par lesquelles on fait voir que la persécution des réformés est
contre les véritables intérêts de la France (Cologne, 1685), attribué à
tort par Bayle à Sandras de Courtilz, et Y Irrévocabilité de redit de
Nantes (Amsterdam, 1688) se recommandent par la hauteur des vues,
la modération du langage. — Frédéric- Auguste-Luc (1698-1758), et
Louis- Frédéric Ancillon (1740-1814), fils et petit-fils de Charles Ancillon,
furent tous deux pasteurs de l'Eglise française de Berlin. Le second
d'entre eux a laissé des discours patriotiques (1793), des oraisons fu-
nèbres, un éloge de Saumaise, un Discours sur les caractères qui,
outre l'inspiration, assurent aux livres saints la supériorité sur les livres
profanes (1782).' — Jean-Pierre-Frédèric Ancillon, fils de Louis-Frédéric,
né à Berlin, le 30 avril 1767, se destina d'abord à la carrière ecclé-
siastique. A son retour de Genève où, à côté de la. théologie, il s'était
livré à des études historiques, il fut nommé pasteur de l'Eglise fran-
çaise du Werder, à Berlin, et professeur d'histoire à l'Académie mili-
taire. Un discours qu'il prononça, en 1791, à Bheinsberg, devant le
prince Henri, le mit en relations suivies avec la cour. Ancillon se démit
en 1801 de ses fonctions pastorales et professorales, pour se consacrer
à l'éducation du prince royal. Des juges compétents, Varnhagen von
Ense {Journal, t. I, Feuilles pour servir à V Histoire de Prusse) et M. de
Treitschke {Annales prussiennes, avril 1872), lui ont reproché envers
son élève une complaisance qui dégénéra souvent en faiblesse. Ancillon,
ANC1LL0N — ANC VUE 295
par son manque de décision et l'incohérence de ses vues historiques, ne
pouvait qu'exercer une fâcheuse influence sur un esprit aussi nuageux,
au— i agité, aussi fantasque que celui de Frédéric-Guillaume IV. La car-
rière de l'administration, une fois qu'elle se fut ouverte devant lui,
l'amena rapidement au faite des honneurs. Nommé, en J 8 J 4, conseiller
de légation par le prince Hardenberg, il devint successivement, en
1817, conseiller d'Etat, en 1818, directeur de la section politique au
ministère des affaires étrangères, en 1831 enfin, président du même
ministère. La conduite politique d'Ancillon ne justifia point les espé-
rances qu'avait suscitées son avènement. A l'extérieur, il se contenta
d'exécuter docilement les ordres du prince de Metternich; à l'inté-
rieur, il s'efforça uniquement de complaire au parti féodal et fut l'opi-
niâtre adversaire des plus modestes réformes. Le grand œuvre de la
Prusse pendant cette période, la fondation du Zollverein, se fit entière-
ment en dehors de sa participation. Ancillon mourut à Berlin, le
19 ami 1837; quoique marié trois fois il ne laissa pas d'enfants. La va-
leur littéraire d' Ancillon, estimée très-haut de son vivant, paraît au-
jourd'hui singulièrement surfaite. Ses écrits philosophiques, La foi et la
science dans la philosophie (Berlin, 1824) ; Pensées sur l'homme, ses rap-
ports et ses intérêts (Berlin, 1829), ne s'élèvent pas au-dessus d'un spiri-
tualisme vulgaire et trahissent un manque complet d'originalité et de
vigueur dans la pensée. — David Ancillon II le jeune, deuxième fils
de David Ancillon, né à Metz en 1670, prédicateur distingué, succéda à
son père dans les fonctions qu'il remplissait à l'Eglise française et à la
cour. Son habileté, sa discrétion lui permirent de remplir avec succès
plusieurs missions importantes. En 1700-1701, il entreprit pour Fré-
déric Ier un voyage diplomatique en Angleterre, en Hollande, en
Suisse, et régla selon les vœux de son maître la question de Neuchâtel;
en 1709, il fut chargé d'une nouvelle mission en Pologne et en Hongrie.
David Ancillon mourut à Berlin en 1723. — Voir pour les anciens An-
cillon : Erman et Beclam, Mémoires pour servir à l'histoire des réfugiés
français dans les Etats du roi, 1782-1799; pour Charles Ancillon:
Bartholmess, Hist. philos, de VAcad. de Prusse, Paris, 1850; pour
J. -P. -Frédéric Ancillon : Mignet, Notices et portraits, II; Varnhagen von
Ense; H. de Treitschke; Robert de Molli, Hist. et littérat. des sciences po-
lit., I; pour tous les membres de la famille Ancillon : France protest.,
-' éd., P., 1870, p. 210 ss. ; Brockhaus, Conversât ions -Lexicon, I;
Biographie allemande générale, publiée par la commission historique de
l'Académie des sciences de Munich, t. I, 3e livr., Leipz., 1875.
E. Strœiilin.
ANCYRE ["AYv.jpa, actuellement Angora], capitale de la Galatie. Un
synodfl r< uni dans cette ville aussitôt après la défaite de Licinius, et
probablement en 314, formula vingt-cinq canons de discipline relatifs
aux lapii, etc. Mansi, 11; Houth, Reliqwx sacrœ, III; voy. Hefele, édit.
I, vol. I, p. ISS, Irad. h-., p. 194). Un synode semi-arien fut tenu à An-
cyre, ru :;:>*, et présidé par Basile, évêque de cette' ville (Epiphane,
//.-//■., LXXIH, -2 w»; Mansi, 111; voy. Hefele, /. /., p. (>5i ss., trad. fr.,
U, p. 58 ss.;. Les ariens, dans un synode convoqué à Aneyre, en 375,
296 ANGYRE — ANDELOT
destituèrent plusieurs évêques orthodoxes, et parmi eux Grégoire de
Nysse (Hefele, /. I, p. 717, trad. fi\, II, p. 124).
ANDELOT (François de Goligny, sieur d'), quatrième fils du maréchal
de Ghâtillon et de Louise de Montmorency. Il fit, en 1542, avec Gas-
pard de Coligny, son frère, ses premières armes dans le Luxembourg,
en qualité de porte-guidon de son oncle maternel, de La Rochepot.
Prenant part à la campagne de Flandres, en 1543, il concourut brillam-
ment, ainsi que Gaspard, à la défense de Landrecies, et, comme lui, se
distingua, en 1544, à Gérisoles et à Garignan. Il figura à la camisade
de Boulogne, et, plus tard, joua un rôle actif dans l'expédition d'Ecosse.
Il venait alors d'épouser Claude de Rieux, qui appartenait à Fune des
grandes familles de la Bretagne. En 1549 et 1550, au cours des négocia-
tions relatives à la restitution de Boulogne à la France, il servit d'inter-
médiaire entre le roi et les plénipotentiaires français dont les deux
principaux étaient de La Rochepot et Gaspard de Goligny. Envoyé en
Italie en 1551 , il y fut fait prisonnier et enfermé au château de Milan, d'où
il entretint pendant plusieurs années une intéressante correspondance
avec sa famille et le maréchal de Brissac. « Je vous suplye de penser,
écrivait-il à son oncle, le connétable, combien je porte de desplaisir,
non pour les rigueurs et fassons deshonnestes dont me usent ceulx de
ce chasteau, tant comme pour le regret de me veoir si mal fortuné
que tant d'occasions et de temps se passent en m'ôtant le moïen d'ac-
compagner tant de gens de bien, lesquelz journellement s'employent à
faire service au roy » (B. N., f. fr., 3122, 55). L'étude de l'Ecriture
sainte et de divers livres de piété, à laquelle d'Andelot se livra pendant
sa captivité, fit de lui un disciple de la Réforme. Rendu à la liberté par
la trêve de Vaucelles, en 1556, il devint colonel-général de l'infanterie
française ; et s'associa, en 1557, aux héroïques efforts de son frère, dans
la défense de Saint-Quentin, y fut pris sur une brèche qu'il disputa à
l'ennemi jusqu'à la dernière extrémité, s'échappa bientôt à travers
mille dangers et contribua puissamment à la prise de Calais. Stimulé
par les basses insinuations des Guises, le roi lui reprocha sa franche
adhésion à la religion réformée, s'emporta contre lui, et le fit incarcérer
à Melun. Babou de Labourdaisière, ambassadeur de France à Rome,
écrivit, à ce sujet, au connétable : « Dernièrement, le pape me déclara
qu'il s'ébayssoit grandement comme Sa Majesté ne faisoit aucun compte
de punir les hérétiques de son royaume, et que l'impunité de M. d'An-
delot donnait une très-mauvaise réputation à Sa Majesté, devant la-
quelle ledit sieur d'Andelot avoit confessé d'estre sacramentayre, et que
si on l'eust mené tout droict au feu, comme il méritoit, oultre ce que
Fon eûst faict chose très-agréable à Nostre Seigneur, le royaulme de
France fûst demeuré longtemps nect d'hérésie» (B. N., f. fr., 3J32, 44).
D'Andelot, à la suite d'un acte de regrettable condescendance, se releva
de toute la hauteur de ses convictions chrétiennes, les proclama de
nouveau, et n'en fut pas moins réintégré dans ses fonctions, lors de la
paix de Gateau-Cambrésis. Si, sous François II, dans les assemblées de
Vendôme et de Laferté, il opina pour l'adoption de mesures énergiques
en faveur des protestants, du moins ne prit-il aucune part à la conju-
ANDELOT - ANDORRE -.17
ration d'Amboise, qu'il désavoua (B. N., f. fr., 20, 507, 88: 20, nos.
150 . Sa correspondance avec le duc d'Etampes, en 1561 notamment,
atteste sa vive sollicitude pour les protestants de Bretagne. Lorsque
éclata la première guerre de religion, il facilita l'entrée des chefs réfor-
més dans Orléans; amena d'Allemagne, où les princes protestants
Pavaient bien accueilli (voy. sa lettre du 28 août 1562, Arch. de Berne,
Frankreich, 1551 bis 1569); un corps de troupes qu'il y avait levé;
assista à la bataille de Dreux, défendit avec énergie Orléans, dont la
garde lui avait été confiée par Coligny; et, lors de la paix d'Amboise,
en 1563, se retira successivement à Châtillon-sur-Loing, à Taulay et
ailleurs. En 1564, après un veuvage de trois ans, il épousa, en se-
condes noces, Anne de Salm. A la suite de la seconde guerre de
religion, à laquelle il avait pris une part active, il demeura dans ses
terres. Lors de la troisième guerre, il se signala à Pamprou. à Jazer-
neuil. à Jarnac, suivit Coligny à Saint-Jean d'Angély, à Saintes, et
succomba dans cette dernière ville, le 7 mai 1569. Le 10 juin suivant,
son frère, Odet de Châtillon, écrivait à l'électeur palatin (voy. Kluckhohn,
Briefe Friedrich des Frommen, II, 1, p. 334): «M. d'Andelot, par
la machination des papistes, voire des plus grands, a esté empoisonné,
comme il est apparent, tant par Fanatomye qui a esté faicte de son
corps après sa mort, que aussi par le propos d'un Italien qui s'est
vanté, devant ladite mort, à plusieurs, tant à Paris qu'à la court, d'avoir
donné ledict poison et demandé récompense d'un si généreux acte,
aussitost qu'il aveu que la nouvelle en fut sceue et publiée; comme
pareillement, en plusieurs endroicts de la France et mesme au camp
de Monsieur, frère du roy, il estoit connu, devant que ledit seigneur
d'Andelot rat aucunement malade, qu'il debvoit mourir vers le com-
mencement du mois de mai. » L'éloge de d'Andelot se résume dans ces
simples lignes, que Coligny adressait, de Saintes, le 18 mai 1569 (Mém.,
1665, in-32), à ses enfants et à ceux de son frère": « Vous estes heureux
d'estre fils ou nepveux d'un si grand personnage, que j'ose assurer
avoir esté très-fidèle serviteur de Dieu et très-excellent et renommé
capitaine... et puis dire avec vérité que personne en France ne l'a
surpassé en la profession des armes... Certes je n'ay point connu
d'homme, ny plus équitable, ny plus amateur de piété envers Dieu...
Je me propose ses grandes vertus pour exemple ; suppliant très-hum-
blement Oieu et Nostre Seigneur que je puisse partir de ceste vie
aussy pieusement et heureusement que je l'ay veu mourir. »
J. Delaborde.
ANDELOT (Charles d'), fils de l'amiral Gaspard Coligny et de Char-
lotte de Laval. Voyez Coligny.
ANDORRE (République d'). Ce petit Elat, situé dans une vallée des
Pyrénées, cuire la France et l'Espagne, est peuplé d'environ 12,000 ha-
bitants. Depuis la suppression de l'Etat de l'Eglise, c/est le seul point
de l'Europe où la souveraineté civile appartienne encore, en partie
du moins, a une autorité religieuse. En effet, la république a pour
suzerains la France et L'évêque d'Urgel qui nomment chacun uji
viguier, l'une des principales autorités du pays. Un tribut est payé
i. 20
298 ANDORRE -^ ANDREA
aux deux suzerains, un an 960 francs à la France, et l'année sui-
vante 891 francs à l'évoque cPUrgel. Les habitants sont tous catho-
liques. Les vacances de cures qui se produisent sont, pendant quatre
mois de l'année, à la nomination directe de Féveque d'Urgel et, pen-
dant les huit autres mois, à la nomination du pape, sur la proposition
de Féveque.
ANDRÉ ('Avopé?4, viril, nom d'origine grecque, mais qui se retrouve
chez les Juifs à partir de l'époque des Séleucides. Dio. Gass., LXVIII, 32).
Frère de Pierre, un peu plus jeune sans doute, originaire de Bethsaïda,
mais habitant Capernaùm et exerçant comme lui le métier de pêcheur,
l'apôtre André aurait été d'abord disciple de Jean-Baptiste, et se serait,
sur l'indication de celui-ci, attaché à Jésus à qui il aurait amené son
frère (Jean ï, 41-43). Au contraire, d'après Matthieu IV, 18-19, Pierre et
André auraient été tous deux à la fois arrachés à leurs barques et à
leurs fdets par un appel de Jésus. On concilie ces deux indications en
disant qu'il s'agit d'abord de leur première rencontre avec Jésus et
ensuite de leur vocation apostolique , que celle-ci suppose même
celle-là. André parait avoir été, bien qu'un peu en seconde ligne, du
cercle intime de Jésus (Marc XIII, 3; Jean XII, 22). On ne peut rien
dire de son caractère, à moins qu'on ne veuille le déduire de la signifi-
cation de son nom. Ni les Actes des apôtres, ni les E pitres de Paul ne
parlent de lui. Diverses légendes ecclésiastiques se sont attachées à son
nom. D'après la plus ancienne (Eus., H. E., III, 1), il aurait évangélisé
le pays des Scythes. C'est pour cela que les Russes en ont fait leur
patron. Il serait ensuite revenu en Grèce, en Asie Mineure et en Thrace.
D'après les actes apocryphes qui portent son nom (voir art. Apocryphes),
le proconsul de l'Achaïe Œges l'aurait fait crucifier à Patras. Il serait
resté trois jours attaché à une croix en forme d'un X, et aurait expiré
avant le premier jour des calendes de décembre. L'Eglise célèbre sa
fête le 30 novembre.
ANDRÉiE (Jacques) est surtout connu par la part qu'il prit à l'établis-
sement de la Formule de concorde de l'Eglise luthérienne. Il a été un
théologien savant, actif, doué d'un remarquable talent d'organisation
et d'une grande autorité morale. Il naquit en 1528 à Waiblingen,
dans le Wurtemberg, où son père était maréchal ferrant. Il fit ses études
à Tubingue et devint d'abord pasteur à Stuttgard. Après avoir rempli,
depuis 1553, les fonctions de surintendant à Gœppingen, introduit
ou consolidé la Réformation dans quelques contrées voisines, accompa-
gné le duc Christophe à diverses diètes et assisté au colloque de Worms,
il fut envoyé à celui de Poissy, mais arriva trop tard pour participer
aux discussions. Nommé professeur à Tubingue et chancelier de cette
université, il fut invité à plusieurs reprises à servir de médiateur et
d'arbitre dans des querelles théologiques. En 1570, il fit une tournée
d'inspection dans le comté de Montbéliard, qui dépendait alors du
Wurtemberg. Le duc Christophe, affligé de la division qui régnait
dans l'Eglise d'Allemagne, où l'on se disputait sur plusieurs doc-
trines avec une animosité de jour en jour croissante, chargea Andrése
de faire une tentative de conciliation. Andréa? fit à cet effet de
ANDRÉiE 9?9
nombreux voyageai visita les cours si WÉ universités, mais ne ren-
ooïitra d'abord que de la méfiante chez les uns cl de l'opposition chez
d'autres. Il ne se laissa pas rebuter. 11 publia six sermons « sur les
principales erreurs du lemps, » concernant la justification, les bonnes
œuvres, le pèche originel, les adiapliora, la différence entre la loi et
l'Evangile, la personne de Jésus-Christ. Les deux plus renommés théo-
logiens de L'Allemagne du Nord, Martin Ghemnitz, pasteur à Brunswick,
et David Chy trams, professeur à Rostock, auxquels il envoya cet opus-
cule, en leur proposant de le prendre pour formule de concorde, trou-
ve! enl que la forme de sermons était peu propre à ce but. Il en fit un
exh ait qui, en 1574, fut approuvé par les théologiens du Wurtemberg
(Concordia suevica), et bientôt après, avec quelques modifications, par
ceux de Brunswick (Concordia suevica-saxonica). Ce fut un premier ache-
minement vers une concorde plus générale. En mai 1576, sur l'invitation
de l'électeur Auguste de Saxe, plusieurs savants, du nombre desquels
fut André») se réunirent au château de Torgau ; ils élaborèrent un
projet, qui, en 1577, reçut sa forme définitive (voy. Formule de con-
corde). En 1580, Andréa? eut à Montbéliard un colloque avec Théodore
de Bèze, sur la sainte cène, la personne de Jésus-Christ, la prédesti-
nation et quelques autres points. Les actes en furent publiés en latin
el (Mi français. Après plusieurs voyages en Allemagne et en Suisse, dans
l'intérêt des affaires protestantes, Andréa? mourut le 7 janvier 1590.
Ch. Schmidt.
ANDRÉiE (Jean-Valentin), petit-fils de Jacques Andréa?, dont il vient
d'être parlé. Né en 1586 à Herrenberg, dans le Wurtemberg, il devint
en 1614 diacre à Vaihingen. En 1620, il fut appelé comme pasteur à
Galw, où il resta jusqu'en 1639 ; il y montra, pendant les misères de la
guerre de Trente ans, un courage et un dévouement dignes des plus
grands éloges. Depuis 1639 prédicateur de la cour, en 1650 prélat à
Bebenhausen, et en 1654 à Adelberg, il mourut en cette dernière année
à Stuttgard. Il s'est distingué autant par son activité pastorale que par
quelques ouvrages, destinés à dévoiler et à combattre les rêveries des
alchimistes, si nombreux en Allemagne à la fin du seizième et au com-
mencement du dix-septième siècle. Le scolasticisme qui s'était intro-
duit dans la théologie protestante avait provoqué une réaction mys-
tique, qui s'était manifestée sous des formes diverses; chez Valentin
V\ eigel et chez Jacques Bœhme le mysticisme était devenu une théoso-
phie, donl beaucoup de personnes se servaient pour chercher la pierre
philosophale el les moyens de faire de l'or ; d'autres étaient revenus
a fhéophraste Paracelse. Andréa?, qui à des connaissances très-variées
joignait infiniment d'esprit, se proposa de se railler de ces superstitions.
Dans sa jeunesse, il écrivit un livre intitulé : Die chymûche Hochzeit
Chrtstiani Rosenkreutz, anno 1459 (les noces chimiques de chrétien
Ros Crois en 1459), sorte de roman, racontant les aventures d'un per-
Êctif nommé Kose-Croix, qui est invité aux noces d'un roi
inconnu el qui la est initié* aux mystères d'une société de magiciens et
d'alchimistes; c'ési dans ce livre que paraît pour la première fois le
nom de Rose-Croix, emprunta san> doute à deux des principaux sym-
300 ANDRÉtë — ANDREWS
boles des adeptes de la philosophie hermétique. Cet ouvrage ne circula
d'abord qu'en manuscrit. Vers 1610 il s'en répandit un autre : Allge-
meine und General Reformation der ganzen weiten Welt beneben der
Fama fraternitatis des lœblichen Orden des Rosenkreutz. Ce fut encore
une mystification; le livre fut imprimé en 1614; la seconde édi-
tion, 1615, est augmentée d'une Confession oder Bekanntnusz der
Societxt Rosenkreutz, an die Gelehrten Europa's. La Hochzeit ne parut
qu'en 1616 à Strasbourg. Dans la Réformation générale, les sept sages
de la Grèce et quelques philosophes romains délibèrent sur les moyens
d'améliorer le monde ; la Confession expose les principes de la soi-disant
société. Ces livres, dont le but était de persifler les amateurs de la
magie et de la théosophie, produisirent un effet immense. Tout le monde
les prit au sérieux; les mystiques et les alchimistes se mirent à la re-
cherche de l'ordre des Rose-Croix, qui n'existait nulle part ; des théo-
logiens luthériens soupçonnèrent une manœuvre calviniste contre
l'orthodoxie. La nouvelle se répandit aussi en France ; en 1623 on afficha
à Paris un placard , annonçant l'arrivée des Rose-Croix , sauveurs du
monde ; Gabriel Naudé, qui à cette occasion se montra sceptique au
bon endroit, se railla de la chimère importée d'Allemagne, dans une
brochure pleine de sens : Instruction à la France sur la vérité de l'his-
toire des frères de la Rose-Croix. Andréas lui-même, voyant qu'au
lieu de faire disparaître la superstition, il l'avait alimentée, publia
divers écrits où, tout en conservant parfois la forme allégorique et
satirique, il exhortait ses contemporains à renoncer « à cette curiosité
dangereuse » qui veut sonder tous les mystères, à sortir de « ce chaos, »
à renverser « cette tour de Babel élevée contrairement à la volonté de
Dieu. » Comme quelques enthousiastes fondèrent en effet un ordre de
Rose-Croix, il lui opposa une Société évangélique, ayant pour objet « de
remettre Jésus-Christ en son lieu et de détruire les idoles. » En général,
il fit des efforts pour relever dans son pays la vie religieuse ; adversaire
aussi décidé du formalisme de l'orthodoxie du temps que des extra-
vagances des théosophes, il chercha à rétablir un christianisme plus
vivant et plus simple. On lui a reproché différentes hérésies, mais sa
mémoire n'a pas souffert de ces reproches. V. Burk, Verzeichniss aller...
Schriften... J. V. Andrex. Tubing. 1793 (catalogue de cent numéros,
mais incomplet); Hossbach, Andrex umd sein Zeitalter. Berlin, 1819.
Ch. Schmidt.
ANDREWS (Lancelot) [1565-1626], évêque de Westminster, est l'un
des représentants les plus distingués de l'anglicanisme sous les règnes
d'Elisabeth et de Jacques 1er. Il soutint, d'une part, les droits de la
royauté en matière de réforme ecclésiastique contre Bellarmin (voy. le
traité : Sur le droit des princes, et la réplique : Tortura Torti, sivead
Matthxi Torti librum responsio. Lond., 1609, in-4°, à la brochure dans
laquelle le savant cardinal, sous le pseudonyme de Matthieu Tortus,
avait cherché à réfuter l'ouvrage de Jacques Ier sur la Prérogative
royale) ; d'autre part, il combattit les vues des presbytériens en matière
d'organisation, de discipline et de doctrine, en particulier sur l'Eu-
charistie. Il prit une part importante à la révision de la traduction de
ANDREWS - ANDROUET DU CERCEAU M)\
la Bible ordonnée par Jacques Ier en 1(504, et publia un certain nombre
de manuels de piété e( de sermons (voy. surtout son Recueil d' œuvres
posthumes, Lond., 1057, in-f°).
ANDRONIQUE, gouverneur d'Antioche sous Antiochus Epiphane,
pendant que ce dernier faisait une campagne en Asie Mineure, fit périr,
sur les incitations de Ménélas, l'ancien grand prêtre Onias, alors exilé
(2 Macchab. IV, 31 ss.). L'historicité de ce récit semble avoir été con-
testée sans fondement sérieux.
ANDROUET DU CERCEAU, nom d'une dynastie d'artistes qui com-
mence vers le milieu du seizième siècle avec Jacques Androuet, fils
d'un cabaretier de Paris qui avait pour enseigne un cerceau d'or. Il
naquit vers 1515. On ne sait d'ailleurs rien sur sa vie, si ce n'est qu'il
travailla au château et à l'église de Montargis et qu'il était cité par ses
contemporains comme un architecte de premier ordre en même temps
qu'il était un huguenot fidèle. Il mourut hors de France, à Annecy,
vers 1585, laissant pour souvenir de lui une quinzaine de beaux ouvrages
de gravure, dont le premier fut une carte du Maine, publiée en 1539, et
le plus célèbre un recueil gravé en deux volumes in-f°, Des plus excellents
bastiments de France (1576 et 1579). — Baptiste, fils de Jacques et son
élève, entra au service de Henri III en 1575, en qualité de l'un des qua-
rante-cinq gentilshommes de sa chambre, et fut le seul huguenot admis
à cet office, « pour ce que ce petit homme pourtrait (dessinoit) fort
bien et mieux qu'homme de France » (Mém. de Nevers), talent auquel
Henri III était on ne peut plus sensible. Les mémoires que nous venons
de citer ajoutent : « Ledit du Cerceau a bien fait pénitence en sa
charge, ayant plus fait de dessins de monastères, églises, chapelles,
oratoires et autels pour dire la messe, que jamais architecte en France
en ait fait en cinquante ans. » Il eut le double honneur de commencer
la construction du Pont -Neuf à Paris (1578) et de succéder à Pierre
Lescot dans la direction des travaux du Louvre. Les réclamations des
catholiques obligèrent à la fin le roi de le congédier, car il aima mieux
abandonner son art que sa religion, et se retira, sur la fin de 1585,
dans une habitation qu'il venait de se bâtir sur les terrains du Pré aux
Clercs (aujourd'hui occupés par les maisons de la rue Bonaparte entre
les rues Jacob et Visconti). Il y mourut en 1602. — Jacques, frère de
Baptiste, « architecte des bastiments du Roy, » continua la grande
galerie du Louvre (1595-1609) et mourut en 1614. — Jean, fils de
Baptiste, devint architecte du roi en 1617, reconstruisit, avec deux
autres architectes, en 1639, le pont au Change et fut le créateur, vers
le même temps, de plusieurs somptueux édifices de Paris : les hôtels
de Sully, de Bellegarde et de Bretonvilliers. — On trouve encore dans
la même famille un autre Jacques, architecte, mort en 1644; un Moïse,
commissaire de l'artillerie; un Paul, graveur distingué, vers 1660; un
Jacques du Cerceau, sieur des Bardillières, orfèvre, marié à Charenton
m 1661; un autre Paul, dessinateur, marié en 1691 ; un Guillaume-
Gabriel, dessinateur du roi, en 1710. Mais la famille, qu'on voit ainsi
déchoir peu a peu de son premier éclat, avait abandonné le protestan-
tisme en 1685, à la Révocation. II. Bordjkr.
302 ANDUZE
ANDUZE. Cette Eglise, qui faisait partie de la province ecclésiastique
des Gévennes et était le chef-lieu du colloque de ce nom, entendit pour
la première fois la Réforme de la bouche du cordelier Nicolas Ramondy,
chargé de prêcher dans cette ville le carême de 1547. La population
accueillit sa parole avec joie ; le prieur, au contraire, en conçut une
grande irritation et se laissa aller à souffleter en pleine sacristie le
cordelier en présence des consuls ; après quoi il le dénonça à l'inqui-
siteur de Toulouse. Dix ans s'écoulèrent après cet événement; vinrent
ensuite des ministres de Genève qui réunirent des assemblées si consi-
dérables que le roi Henri II crut ne pouvoir mieux en arrêter le cours
qu'en faisant escorter d'une armée les commissaires du parlement de
Toulouse, chargés de poursuivre les évangéliques (3 juillet 1557). Beau-
coup de ces derniers furent jetés en prison et plusieurs autres brûlés,
au nombre desquels l'infortuné cordelier Claude Rozier, qui avari-
ce prêché le carême passé dans la présente ville d'Anduze et découvert
les abus de la papauté. » Ses cendres étaient à peine refroidies quand
le bouillant Guy de Morange, natif de Clermont, accourut de Genève
pour continuer son œuvre et par son éloquence persuasive gagna à la
Réforme une grande partie de la population. Il eut pour successeur
Pasquier Boust, sous le ministère duquel l'Eglise fut définitivement
organisée (1560). Sauf trois familles, la ville entière embrassa la Ré-
forme. L'expédition sanglante du comte de Villars, lieutenant-général
du roi dans la province, suspendit bien pour un moment l'exercice de
la religion nouvelle dans la cité, mais elle fut impuissante à ramener
celle-ci au catholicisme, qu'elle abandonna pour toujours. Les huit
guerres de religion qui troublèrent ensuite la France épargnèrent
Anduze, qui n'en prit pas moins part à la lutte, soit en envoyant de
forts contingents de troupes aux armées huguenotes, soit en se mettant
elle-même en état de défense. Sitôt après la promulgation de l'édit de
Nantes, l'Eglise d'Anduze, qui avait déjà agrandi son temple en 1590,
en construisit un nouveau en 1600. L'édifice avait 520 mètres carrés et
pouvait contenir 2,000 auditeurs. Un second pasteur fut appelé et un
collège fondé. Les trois nouvelles guerres religieuses du dix-septième
siècle troublèrent momentanément cette prospérité. Pendant la pre-
mière (1621-1622), Anduze reçut la visite du duc de Rohan, qui ordonna
l'établissement de grands travaux de défense. Durant la seconde guerre
(1625-1626), ce fut en quelque sorte malgré elle que Rohan l'engagea
dans la lutte. Il n'en fut pas de même pour la troisième (1627-4629),
qu'elle épousa avec une extrême ardeur. Quand la paix fut faite, elle
eut à subir des vexations de toutes sortes jusqu'à sa suppression, en
1685. Des légions de moines s'abattirent sur elle, une garnison lui fut
imposée, son consulat devint, par ordre, mi-parti et plus tard exclu-
sivement composé de catholiques (bien que ceux-ci ne fussent que
100 sur 3,500 réformés), la maison consulaire et le cimetière durent
être cédés à ces derniers, le collège fut fermé, de nombreuses con-
damnations furent prononcées en 1683 contre ceux qu'on soupçonna
d'avoir consenti au projet de Claude Brousson, bien que le consistoire
l'eût formellement désapprouvé; les dragons enfin couronnèrent
ANDUZE - ANE 303
Pieuvre on affamant, ruinant et maltraitant la ville de toute façon. Les
assemblées du désert, présidées dans les environs d'Anduze par le pro-
posai martyr Fulcrand Hey, suivirent de près la révocation de redit
de Nantes. Après lui surgirent les prédicants el les petits prophètes,
puis la terrible guerre des camisards, qu'Anduze n'osa pas ostensible-
ment favoriser, et qui la ruina, car elle fut obligée de payer les dégâts
que les camisards commirent sur les catholiques dans ses environs, et
de supporter une grosse part des dépenses de l'armée royale. Le pas-
leur du Vivarais, Durand, tint des assemblées près d'Anduze en 17t(>.
En 17v2i, elle eut pour pasteur Rivière, et le célèbre Antoine Court
présida une nombreuse assemblée dans son ressort en 1728. Les persé-
cutions ne lui furent pas épargnées. Un grand nombre de jeunes filles
fuient jetées dans des couvents, des amendes considérables infligées
aux personnes qui assistaient aux assemblées du désert et aux parents
qui n'envoyaient pas leurs enfants à la messe ou au catéchisme, ces
assemblées elles-mêmes dispersées à coups de fusil, et les pasteurs, grâce
aux dénonciations du traître Soulier, poursuivis avec acharnement,
mais heureusement sans succès. Les persécutions diminuèrent ensuite
et cessèrent complètement en 1764. Les protestants purent alors célé-
brer leur culte à l'entrée de la ville, et un cimetière leur fut octroyé,
même avant ledit réparateur de 1787. A l'époque de la réorganisation
des cultes, Anduze devint le chef-lieu du consistoire de ce nom et
comprit huit communes dans son ressort, dont plusieurs ont été con-
verties depuis en Eglises particulières, savoir, Générargues, Tornac,
Ribaute et Bagard. La population protestante totale du consistoire était
en 1870 de 8,260 âmes (voy. Hugues, But. de VEgl. réformée d'Anduze,
2e éd., 1864). E.Arnaud.
ANE (Fête de Y), Au moyen âge, la fête de l'âne était célébrée dans
plusieurs villes de France ; c'étaient des représentations plus ou moins
dramatiques, qui avaient leurs rituels particuliers. A Rouen, la fête
avait lieu pendant l'Avent ; le peuple se rendait en procession à la ca-
thédrale ; là paraissaient d'abord Moïse et les prophètes. Virgile et les
Sibylles, tous annonçant la venue d'un Sauveur; le personnage prin-
cipal était l'âne de Balaam; un prêtre, caché entre ses jambes, faisait
également des prédictions. A Béarnais, le but de la fête, fixée au 14 jan-
vier, était de rappeler la fuite en Egypte. Une jeune fille, tenant un
entant et montée sur un âne richement décoré, était conduite depuis
la cathédrale jusqu'à l'église de Saint-Etienne, où elle assistait à la
messe; le répons de l'Introït était Hinham; entre les diverses parties de
l'office on chantait une prose moitié latine, moitié française, dont voici
lei derniers yen :
A mon dicas asine liez va! hez va! hez va hez!
Jam satur de gramine, Bialx siro asnes, car allez,
Amen amen itéra, Belle bouche, car chantez.
mare vetera.
La messe terminée, <• Sacerdos hinhannabit »au lieu de dire missa §tt;
et le peuple, au lieu de dire Dec gratiai, « tw respondebit hinham. »
A Sens, la cérémonie était à peu près la même ; à la porte de la cathé-
304 ANE — ANÉANTISSEMENT DES AMES
drale on chantait des vers qui prouvent assez qu'il s'agissait avant tout
d'un divertissement : « Lseta volunt — quicunque colunt — asinaria
festa. » Plusieurs évoques essayèrent en vain de faire disparaître ces
cérémonies profanes; il fallut un ordre du Parlement pour les suppri-
mer (voy. Ducange, Gloss,, éd. Henschel, t. III, p. 255; Du Tillot, Mé-
moires pour servir à V histoire de la fête des Fous. Lausanne, 1741,
in-4°, p. 14).
ANEANTISSEMENT DES AMES, locution théologique qui serait plus
claire si l'on disait : anéantissement de certaines âmes; aussi, préfère-
t-on souvent l'expression : immortalité conditionnelle. En d'autres
termes, les âmes ne sont pas toutes, et par leur nature même, immor-
telles; toutes, il est vrai, sont appelées à recevoir l'immortalité; mais
tandis que les unes Facquièrent en s' attachant à Dieu, source de la vie
impérissable, les autres, en se tenant éloignées de Dieu, se condamnent
elles-mêmes à l'anéantissement. Cette doctrine paraît avoir été déjà
connue des Egyptiens, qui auraient estimé que les châtiments n'étaient
pas éternels, qu'ils devaient être terminés par une seconde et définitive
mort, tandis que les âmes pures continueraient de cultiver avec bon-
heur les champs d'Osiris. Le stoïcisme enseigna de même que le sage
seul survivrait à la destruction universelle. Plusieurs écoles gnostiques,
entre autres celle de Yalentin, distinguèrent entre les pneumatiques,
qui participent de la nature immuable du plérôme, et les hyliques, les
âmes charnelles, qui, selon la déclaration d'Esaïe, XL, 6, périront avec
la matière. En Afrique, Arnobe, vers 303, formula explicitement la
doctrine de l'anéantissement des méchants, C. Genl. II, 14: « Les âmes
sont de qualité intermédiaire, pouvant, ou périr, si elles ignorent Dieu,
ou être délivrées de la destruction, si elles s'appliquent à ses menaces
et à ses indulgences ; c'est la vraie mort, ne laissant pas de résidu, lors-
que les âmes qui ne connaissent pas Dieu sont consumées par un feu
cruel. » Cet enseignement fut aussi adopté par quelques sociniens qui
niaient à la fois l'éternité des peines et Fapocatastase ou rétablissement
final de tous les réprouvés. De nos jours, l'immortalité conditionnelle a
été professée avec de nouveaux développements, et elle a rencontré des
partisans en Angleterre et en Amérique (voy. E. Petavel Olliff, La fin du
mal et V anéantissement graduel des impénitents, 1872 ; Edward White,
Life in Christ : a study of the Scripture doctrine on the nature of man
and the conditions of human Immortality, 1875). Cette doctrine s'appuie
sur trois ordres d'arguments : d'une part, elle est d'accord avec la science
biologique pour reconnaître que l'âme, à cause de son intime union
avec l'organisme, n'est point capable, une fois séparée du corps, de
subsister seule; la vie future suppose une intervention de Dieu. Puis,
l'immortalité obligatoire impliquerait l'éternité des peines; or, le cœur
humain éprouve une invincible répugnance à admettre des peines qui
ne finissent jamais et ne conçoit pas la possibilité de les concilier avec
la miséricorde et la sagesse de Dieu. Enfin, la disparition du mal et des
méchants est enseignée par la Bible, 1 Cor. XV, 28 : « Dieu sera tout en
tous;» le salaire du péché, c'est la mort, la mort avec l'acception reçue
dans tant de passages où l'Apôtre nous invite à faire mourir le péché; la
ANÉANTISSEMENT DES AMES — ANGELICO 305
mort elle-même n'aura plus d'empire, elle rejoindra Satan dans l'abîme
d'anéantissement que l'Ecriture appelle le lac de feu et de soufre
(Apoe. XX, 14). A ces arguments, on a objecté que les sciences natu-
relles n'ont pas qualité pour nous donner une notion suffisante de
l'Ame ; que les passages invoqués demandent à être complétés par d'au-
tres, tels que, Apoc. XIV, 11; XX, JO : « Ils seront tourmentés aux
siècles des siècles; » Matth. XV, -46: « Ceux-ci s'en iront aux peines
éternelles, mais les justes à la vie éternelle: » et l'on a demandé si cette
doctrine n'autorisait pas les âmes égarées à concevoir un nouveau
genre de suicide, par la pensée que, plus elles s'enfonceraient dans le mal,
plus rapide et moins douloureuse serait la mort définitive. — Une telle
question ne peut être tranchée seule et sans tenir compte d'autres élé-
ments encore de la vérité chrétienne (possibilité d'une conversion au
delà du tombeau, connexité de la grâce et de la liberté, etc.); c'est
dans l'article Eschatologie que ces divers éléments seront unis en une
doctrine générale et complète. A. Matter.
ANGELICO (// Beato Fra Giovanni) [1387-1455], le peintre des anges,
dit aussi da Fiesole, du lieu de sa naissance. Avec le quinzième siècle se
manifeste, en Italie, une puissante réaction contre les procédés de la
peinture du moyen âge. On ne craint plus de copier la nature, d'étudier
H de reproduire les formes corporelles, d'imiter la réalité en donnant
au coloris plus de vigueur, à la perspective plus de relief. Presque isolé
parmi ses contemporains, Fra Angelico continue à suivre les traditions
du moyen âge, qu'il incarne dans ses œuvres avec un rare bonheur.
Nous n'avons point de détails sur sa vie, qui paraît s'être écoulée,
presque tout entière, entre les murs d'un couvent de dominicains, où
il entra fort jeune et où il resta, refusant tous les honneurs qu'on lui
offrait. Il a laissé une grande réputation de sainteté. On disait de lui
« qu'il travaillait en priant et qu'il priait en travaillant, » Son âme,
d'une pureté et d'une douceur exquises, se reflète dans l'expression in-
comparable de suavité qu'il a su donner à ses figures. On peut dire
qu'un souffle céleste les anime. Sans doute, le talent de Fiesole manque
de variété, et son horizon, somme toute, est assez étroit : il n'a point
|)>'i;it la vie active et la lutte tragique des passions; il paraît ignorer le
mal et les ravages qu'il exerce. Son Christ a la majesté, il n'a pas l'é-
nergie qui convient au « Fils de l'homme ; » ses madones se distinguent
par la grâce, l'humilité, la sérénité pleine d'abandon de leur visage et
de leur maintien, mais elles ne semblent pas vivre de notre vie. Où
Angelico excelle, c'est dans la peinture des anges, précisément parce
qu ils ne doivent avoir rien de terrestre. L'impression, à coup sûr do-
minante, que produisent ces tableaux, c'est celle d'une paix de l'âme,
« qui surpasse toute intelligence. » Nous apprenons par eux de quelle
manière 1<' royaume des cieux se reflétait dans les âmes pieuses vers la
tin du moyen ftge. Ajoutez qu'Angelico se distingue, au point de vue
artistique, par la finesse de l'exécution, la richesse cl la fraîcheur du
coloris, la noblesse des groupes et des attitudes, l'expression « person-
nelle » donnée aux têtes. L'Académie de Florence possède un certain
nombre de ses tableaux, parmi lesquels on remarque surtout un Cou-
306 ANGELICO - ANGÉLIQUE
ronnement de la Vierge. Le même sujet est reproduit sur un tableau
dans l'église de Santa Maria Novella, à Florence, et sur un autre qui se
trouve au Musée du Louvre. On cite aussi les peintures murales du cou-
vent de Saint-Marc, à Florence, en particulier une Crucifixion du plus
grand style, plainte douloureuse de toute l'Eglise réunie au Calvaire
dans la personne des apôtres, des grands saints, docteurs et fonda-
teurs d'ordres religieux, ainsi qu'une Apparition de Jésus ressuscité à
Marie-Magdeleine. Nous signalerons également le Christ en croix, avec
Marie et Jean à ses pieds, dans la salle du chapitre du couvent San
Domenico à Fiesole, de même qu'une représentation du Jugement der-
nier, dans la chapelle de la Madone du dôme d'Orvieto, et des épisodes
de la Vie de saint Etienne et de saint Laurent, dans la chapelle du pape
Nicolas V, au Vatican. Pourtant Angelico réussit mieux dans les minia-
tures que dans les grands tableaux, où il révèle une certaine timidité.
Nous citerons tout particulièrement la Vie de Jésus-Christ en trente-
cinq tableaux à l'Académie de Florence. Les restes de Fra Angelico
furent ensevelis à S. Maria sopra Minerva, à Rome. Lui-même fut béa-
tifié quelques années après sa mort. F. Lichtenberger.
ANGÉLIQUE (la Mère), dont le vrai nom était Jacqueline-Marie Ar-
nauld, naquit à Paris, en 1591. Elle appartenait à la famille des Arnauld,
originaire d'Auvergne, comme la famille des Pascal. Elle était fille
d'Antoine Arnauld, avocat à Paris, qui avait eu vingt enfants, dont dix
moururent en bas âge. Jacqueline et sa sœur Jeanne, encore enfants,
obtinrent, par le crédit de leur grand-père Marion, avocat général, la
possession de deux abbayes, celle de Port-Royal (voy. cet article) et
celle de Saint-Cyr. Jacqueline prit le voile à huit ans, et s'installa, à
onze ans, comme abbesse à Port-Royal, sous le nom de la mère Angé-
lique. Après une période d'indifférence religieuse, elle se sentit troublée
dans sa conscience, et eut un moment la pensée de renoncer à une
vocation qui lui avait été imposée sans son consentement. Ces agitations
intérieures ne s'apaisèrent que dans une conversion décisive, dont deux
prédicateurs furent tour à tour les instruments. La mère Angélique,
pleinement consacrée à Dieu, fut frappée du relâchement de la disci-
pline à Port-Royal et en médita la réforme. Elle l'entreprit malgré les
plus grands obstacles et rétablit, dans toute leur rigueur, les règles
monastiques, en particulier celle de la clôture, qu'elle opposa avec un
courage inflexible à son propre père, M. Arnauld, dans la fameuse
journée du Guichet, 25 septembre 1603. De Port-Royal, la réforme se
propagea dans un grand nombre de monastères du même ordre. Angé-
lique l'établit, avec beaucoup de peine, à Maubuisson, où le retour
inattendu de l'abbesse expulsée, madame d'Estrées, amena les scènes les
plus violentes. Une fois sa tâche accomplie dans ce monastère, elle,
revint à Port-Royal , ramenant avec elle, de Maubuisson, un grand
nombre de religieuses sans fortune dont elle acceptait généreusement
la charge. Port-Royal devenant trop étroit pour recevoir toutes les sœurs
qu'y attirait une discipline sérieuse, la mère Angélique se transporta,
avec toute sa communauté, dans une maison du faubourg Saint-Jacques,
aujourd'hui l'hospice de la Maternité, qu'on appela Port-Royal de
ANGÉLIQUE - ANGÉLITES 307
Paris. C'est alors qu'elle se plaça sous la direction religieuse de Saint-
Cyran, qui fui le père spirituel de Port-Royal, comme elle en avait été
la mère. Elle avait enfin trouvé, selon ses propres expressions, l'homme
« duquel la force d'esprit dans la vérité allait accabler le sien. » En même
temps que Saint-Cyran avait la direction des religieuses de Port-Royal,
il attirait, par l'ascendant de sa piété et de son génie, les Lancelot, les
le Maistre, les de Sacy, qui furent les premiers solitaires et allèrent
s'établir à Port- Royal des Champs. La mère Angélique, après vingt-
deux ans de séjour à Paris, ramena ses religieuses dans cette première
retraite : les femmes occupèrent le monastère et les hommes montèrent
sur la colline, à la maison des Granges. Ce fut la plus belle période de
Port-Royal : la mère Angélique exerça une influence bénie sur un grand
nombre de femmes distinguées, qui étaient attirées par ce foyer de vie
spirituelle, madame de Guéméné, Marie deGonzague, reine de Pologne,
madame de Sablé, Jacqueline Pascal, etc. La guerre de la Fronde fut
pour elle une occasion d'exercer envers les blessés, les pauvres, les
paysans, une admirable charité. Lorsque vint pour Port-Royal la
période de la lutte théologique et de la persécution, la mère Angélique
montra la plus noble fermeté. Laissant la théologie aux docteurs, elle
soutint les âmes qui lui étaient confiées, par le calme imposant que lui
inspirait sa grande maxime : a Mourir à tout, s'attendre à tout. » Tandis
qu'elle répondait sans frayeur au lieutenant civil Daubray, elle écrivait
à son frère Arnauld, condamné en Sorbonne : « Si on efface votre nom
d'entre ceux des docteurs, il n'en sera que mieux écrit. dans le Livre de
Dieu. » Elle assista, déjà minée par la maladie, à la dispersion des soli-
taires, à la fermeture des écoles de Port-Royal, au renvoi des novices et
des postulantes, présage de persécutions plus violentes. Mais elle eut le
bonheur de ne pas voir la destruction et la profanation de Port-Royal.
Elle mourut dans une humilité profonde, le 6 août 1661, à l'âge de
70 ans. La mère Angélique a laissé plusieurs écrits : Les Mémoires pour
servir à l'histoire de Port-Royal, dont une grande partie lui est due,
plusieurs recueils de lettres, des Entretiens et Conférences, etc. Elle fut
une belle âme, un grand caractère, un esprit d'élite, et, avant tout, une
des femmes les plus sérieusement chrétiennes de son siècle.
Ernest Dhombres.
ANGÉLITES ou adorateurs des anges. Epiphane [contra octoginta
hxreses Qpui, P., 1712, p. 420) a entendu parler de cette secte, mais
n'en >ail rien de positif. Ce nom leur aurait été donné, soit parce qu'ils
-iiiifiii que le monde a été créé par les anges, soit parce qu'ils
prétendaient mener une vie semblable à celle des anges, soit parée
qu'ils haletaient une localité appelée Angelina, à l'est de la Mésopo-
tamie Sainl Augustin (de Jhvres., c. XXXIX) se rallie à la seconde
opinion, bien que, * 1 i I —il, ces hérétiques puissenl aussi avoir été appelés
ainsi, parce qu'Us affirmaient avoir peçu leur connaissance des choses
divines par l'intermédiaire des anges. Nicéphore {ttrer. hist., 1. XV1Ï1,
e. IL rapporte que c'étaient (les sabelliens qui se réunissaient à Alexan-
drie, dans an lieu mnniuv. Agelius ou Angelius. 11 est plus probable d'ad-
inelhc. avec la plupart des historiens modernes, que cette désignation
308 ANGÉL1TES - ANGENNES
était un surnom satirique donné aux gnostiques, à cause de leur doc-
trine des Eons.
ANGELUS, prière instituée par le pape Jean XXII, en 1316, en l'honneur
de la sainte Vierge et pour remercier Dieu du mystère de l'Incarnation.
Elle se compose de trois versets bibliques, de trois Ave Maria et d'une
oraison, par laquelle on demande à Dieu sa grâce et son salut éternel
par les mérites de Jésus -Christ. Le premier verset commence par ces
mots : Angélus Domini, d'où son nom. Elle s'appelle aussi le Pardon,
parce que plusieurs papes y ont attaché des indulgences spéciales. Pour
avertir les fidèles de réciter cette prière, Louis XI, désireux de plaire à
celle que dans son familier langage il appelait sa bonne dame, sa petite
maîtresse, sa bonne amie, ordonna de sonner la cloche trois fois par jour,
le matin, à midi et le soir. Cet usage s'est conservé dans beaucoup de
localités jusqu'à ce jour.
ANGELUS SILESIUS. Le vrai nom de ce poëte et polémiste catholique
était Jean Scheffler. Il naquit en 1624 à Breslau de parents protestants ;
il étudia la médecine à Strasbourg, à Leyde et à Padoue. Pendant son
séjour en Hollande, il lut les ouvrages de Jacques Bœhme, qui firent
une impression profonde sur son esprit naturellement porté au mysti-
cisme. En 1649, un prince allemand se l'attacha comme médecin. Il se
dégoûta du protestantisme, qu'il ne connaissait que sous la forme d'une
orthodoxie aride et querelleuse ; en 1653, à Breslau, il se convertit à
l'Eglise catholique ; c'est à cette occasion qu'il prit le nom d'Angelus.
Quelques mois auparavant, il avait été nommé médecin de la cour im-
périale. Un peu plus tard, il fut consacré prêtre et entra dans l'ordre
des franciscains. Non content d'avoir changé de religion, il devint un
des adversaires les plus passionnés du protestantisme ; il s'engagea
dans des controverses avec des luthériens et des réformés. Il fit lui-
même un recueil de ceux de ses traités polémiques qui lui semblaient
les plus décisifs; ce recueil parut dans l'année même de sa mort, 1677,
sous le titre de Ecclesiologia, un vol. in-f°. Si Angélus n'avait laissé que
ces écrits, il serait probablement oublié, mais il a fait mieux, il a été
poëte ; on a de lui quelques volumes de poésies religieuses, dont plu-
sieurs ont été adoptées comme cantiques par les protestants. Le senti-
ment qui anime ces vers est si pur, ils respirent une piété si intime, si
étrangère à toute rancune confessionnelle, ils forment un tel contraste
avec la violence des traités de controverse, qu'on a douté parfois de
l'identité du théologien Scheffler et du poëte Angélus. Mais chez un
caractère impressionnable, inquiet, ballotté entre les besoins de son
cœur chrétien et les nécessités de sa position de converti, les contra-
dictions ne doivent pas nous étonner; le polémiste et le poëte n'ont pas
pu se mettre d'accord ; c'est le poëte qui révèle le mieux la person-
nalité sympathique de cet étrange écrivain (voyez surtout Kahlert,
Angélus Silesius, Breslau, 1843). Ch. Schmidt.
ANGENNES (D') de Montlouët, Rambouillet et autres lieux. Ces noms
rappellent le plus élégant des souvenirs littéraires du dix-septième
siècle, l'hôtel de Rambouillet, avec la société charmante qui s'y réunit
pendant près d'un demi-siècle, donnant le ton à l'esprit français et aux
ANGENNES — ANGERS 309
Ici tirs françaises, sous les auspices de trois générations de dames
d'Angennes. Une partie de cette famille célèbre fut protestante. François
d'Angennes, marquis de Montlouët, était allé et avait probablement
étudié à Genève dans sa jeunesse; il y fut inscrit sur le registre des
nouveaux habitants, le 3 avril 1559. Catherine de Médicis l'attacha
comme chambellan à la personne de son quatrième fils, le duc d'Alen-
çon. Ce n'est qu'en 1587 qu'on commence à le trouver mentionné
parmi les capitaines huguenots, mais il fut dès lors de toutes les expé-
ditions importantes de Henri IV, devint un de ses maréchaux de camp,
conduisit diverses opérations en personne et se distingua à la bataille
dlvry, où il fut blessé (1590). La conversion de son maître n'altéra
point son dévouement et en même temps nos Eglises le choisirent en
mainte circonstance comme leur délégué et l'un de leurs plus fidèles
protecteurs ; il vivait encore en 1611. — Jacques d'Angennes de Mont-
louët, proche parent du précédent, faisait partie de la maison de Gaston
d'Orléans et reçut le contre-coup de la mauvaise fortune et de la mau-
vaise conduite de ce prince. Retiré dans sa maison patrimoniale, à
Meaux, il fit de cette demeure le rendez -vous où les protestants des
enviions traitaient leurs principales affaires. On cite de lui un beau
trait : Un de ses amis, parrain d'une de ses filles,, lui avait légué
10,000 livres; il comprit cette disposition comme signifiant qu'il avait
été choisi par le testateur comme simple dépositaire, et transmit la
somme au consistoire de son district. Cet honnête homme fut inhumé
à Charenton en 1658. A la révocation, plusieurs dames d'Angennes se
réfugièrent soit dans le canton de Vaud, soit à Berlin ; d'autres furent
enfermées au couvent des Nouvelles-Catholiques, à Paris. La branche
vaudoise a encore aujourd'hui des représentants. H. Bordier.
ANGERS (Juliomagus, Andegavis, Andegavum), évêché suftragant de
Tours, connu depuis l'évèque Talaise (453). Saint Aubin en était
évêque en 538, il mourut en 550 ; saint Fortunat a écrit sa vie (Mabil-
lon ; Bollandistes, 1er mars); saint Maimbœuf (Magnobodus) occupa
l'évêché vers 609, il mourut vers 660 ; Jean de Rély fut évêque d'Angers
de 1491 à 1 499. De 1790 à 1802, Angers fut dépendant de Rennes. La
cathédrale de Saint-Maurice fut consacrée en 4030, la nef a été élevée
en 1150, les tours datent du seizième siècle. On remarque les an-
ciennes églises de Saint-Serge et de la Trinité. Angers posséda une
école épiscopale devenue une célèbre université, et un collège fondé
en 1031. Un synode provincial fut tenu à Angers, en 453, sous la pré-
sidence de Léon de Bourges; il publia douze canons relatifs aux mœurs
des clercs et des laïques (Mansi, VII; Sirmond, Conc. gall., I; Hefele, II,
661, édit. I, trad. fr. , III, 181). Jean de Montsoreau, archevêque
de Tours, réunit en 1279 à Angers un autre synode, où l'on con-
fn nia plusieurs anciens décrets et on en ajouta cinq nouveaux sur
l'excommunication, etc. (Mansi, XXIV; Hefele, VI, 179, trad. fr.
IX, 9-2). l'n synode fut tenu à Angers en 1365, sous l'archevêque
Simon de Tours; nous en possédons trente-quatre capitula relatifs
aux droits des prêtres, etc. (Mansi, XXVI; Hefele, /. /., 618, trad.
fr., /. /., 603). Un synode réuni dans la même ville en I UN dlar-
310 ANGERS — ANGES
douin, IX) ajouta aux décrets du précédent quelques canons de dis-
cipline (Gallia, XIV). Voir Tresvaux, Hist. de VEgl. d'Angers. 1858. —
Voyez, pour la Réforme à Angers, l'article Anjou.
ANGES (m al aluni, à^ekoi, messagers ou envoyés). La Bible appelle
ainsi des êtres célestes supérieurs à l'homme, destinés à exécuter les
ordres de Dieu. Ces êtres, organes de la volonté divine, nous sont re-
présentés comme n'agissant jamais de leur propre gré, mais toujours
comme instruments employés à réaliser les desseins de Dieu dans l'his-
toire des individus et des peuples. La Genèse ne parle pas de la création
des anges ; mais elle suppose leur existence avec le nom primitif
(elohîm) donné par les Hébreux à leur Dieu (Gen. I, 26; 111,^22, cf.
IX, 7). Ce nom implique en effet une pluralité d'êtres célestes agissant
avec Dieu lors de la création. D'après nos documents bibliques, les
anges ont donc existé avant la création du monde (Job XXXVIII, 7). Il
ne faudrait pas toutefois conclure du fait que le nom û! Elohîm appliqué
aux anges en même temps qu'à Dieu, comme cela résulte clairement
de plusieurs textes des Septante dont nous retrouvons deux cités dans
Tépître aux Hébreux (I, 6 ; II, 7), implique partout dans l'Ancien Tes-
tament le sens mentionné ; c'est-à-dire désigne à la fois Dieu et les êtres
célestes qui exécutent sa volonté. Il ne faudrait pas non plus s'imaginer
que les anciens Hébreux n'ont pas fait une distinction nette entre Dieu
et les anges qui ne sont jamais l'objet de leur culte. Le nom collectif
elohîm, là où il est employé dans ce sens, indique seulement l'étroit
rapport qu'ils établissaient entre Dieu et les êtres supraterrestres
organes de sa volonté. De là le nom benê haelohhn (Job I, 6), benê
elohîm (Job XXXVIH,7), benê êlîm (Ps. XXIX, 7) (fils de Dieu), donné
ordinairement aux anges, nom qui caractérise leur nature, leur ori-
gine ou encore leur étroite parenté avec Dieu qui les a créés, plutôt
que leur caractère moral. La théologie juive les a appelés pour ce motif :
« la famille d'en haut)) (Eph. III, 15). Il est possible cependant que
les benê haeloîm dont parle le récit de la Genèse (VI, 2), et qui
s'unirent aux filles des hommes pour engendrer des géants, ne soient pas
des anges, mais simplement des descendants pieux de Seth. En tous
les cas, ce récit ne peut guère être consulté avec fruit pour la question
que nous examinons. Pour désigner leur perfection morale, l'Ancien
Testament donne aux anges le nom de « saints » (kedôschîm) (Ps.
LXXXIX, 6; Job V, 2; Dan. IV, 10). Mais cette perfection est envisagée
comme purement relative ou dérivée (Job IV, 18; XV, 15). Quant à la
nature des anges, elle est caractérisée par le nom que leur donne
l'épître aux Hébreux qui les appelle Tuvsu^axa (esprits), c'est-à-dire êtres
revêtus d'un organisme spirituel, différant des êtres corporels animés
d'ici-bas. L'Ancien Testament, il est vrai, ne connaît pas cette désigna-
tion, car dansPs. C1V, -4, les rouchoth (vents) ne sont pas dès anges et
le harouach dont il est question 1 Rois XXII, 21 n'est que l'image
visionnaire de Fesprit prophétique. Mais en donnant aux anges le nom
d'elohîm ou de benê eiohim l'Ancien Testament leur attribue par
là même une nature supraterrestre ; de sorte que les formes corporelles
sous lesquelles il les représente ne sont pour lui que les formes sous
ANGES 311
Lesquelles ils se manifestent aux hommes. Le judaïsme avant l'exil ne
donne pas de nom aux anges (cf. lien. XWll, 30; Jugés XIII, 18). Il ne
parle que des keroiibîm et des seraphim, qu'il ne faut pas confon-
dre avec les benê . elohim, car ils forment une classe d'êtres célestes
à part (voir l'article Chérubins). Ces êtres diffèrent des anges parleurs
formes dans les descriptions que nous en donne l'Ancien Testament. Ils
sont de plus ailés, tandis que les anges sont dépeints sous la simple
tonne humaine. Gè ne fut que plus tard que l'art chrétien leur a
attribué des ailes, en se fondant sur l'interprétation inexacte que la
Yulgate donne d'un passage du livre de Daniel (IX, 21). Les êtres cé-
lestes qui environnent Dieu dans les visions prophétiques ou les descrip-
tions poétiques de l'Ancien Testament portent du reste seuls le nom de
malàchim (messagers). Ils exercent les mêmes fonctions que « les fils
de Dieu ou les fils du ciel » de la mythologie indoue, les angiras, qui
ont donné naissance au mot «yysXoç. Les anges ne sont pas, comme on
l'a prétendu en se fondant sur certains passages de l'Ancien Testament
(Ps. CIV, 4; Josué V, 4), de simples personnifications des forces delà
nature, car ils servent d'intermédiaires à Dieu dans l'histoire de l'huma-
nité, et non pas seulement pour produire des phénomènes physiques. Au
reste, l'Ancien Testament distingue entre des interventions médiates
et des interventions immédiates de Dieu ; les premières ont partout un
caractère surnaturel, les secondes, celui de la libre action de la grâce
(Ps. XGI, 1 1 ss. j. Tous les documents bibliques sont unanimes à admettre
l'intervention des anges dans les événements de ce monde. — L'angéologie
des Juifs s'est certainement enrichie sous l'influence de croyances non
judaïques ; mais l'étude impartiale des progrès de cette doctrine dans
les documents bibliques constate que ces progrès doivent être attribués
plutôt encore à un développement indépendant qu'à une action venue
du dehors. Ce qui prouve le mieux qu'il en est ainsi, c'est l'histoire
très-succincte que nous retracerons des apparitions d'anges dans l'An-
cien Testament. Au premier rang de ces apparitions, il faut placer
celle qui confirme l'alliance contractée par Jéhova avec Abraham
(Gen. XV). Ici, il est parlé d'un « ange de Jéhova » (maleach Jahve)
qui reparait souvent dans l'histoire primitive d'Israël. La nature de cet
ange n'est pas définie bien nettement, de telle façon qu'on ne sait trop s'il
est une créature spéciale ou une simple apparition de Jéhova lui-même
sous forme d'un ange. Cependant, la première manière de voir semble la
plus conforme à la vérité, car déjà, à l'époque des Rois (2 Sam. XXIV,
ii>: '2 Rois XIX, 35), les angélophanies se précisent et les anges sont
clairement caractérisés comme des créatures supérieures. Il en est de
même dans les visions des prophètes (Zach.,l, 12; 111,2), où l'ange de
Jéhova, qui est manifestement le même que celui des patriarches et
de Moïse, se distingue explicitement de Jéhova et se subordonne à lui.
Q en est de même enfin de «l'ange de l'alliance» (maleach haberith)
(Malachie III, 1), qu'il ne faut pas identifier avec Jéhova, car cet ange
est le messager qui est envoyé par Jéhova, par conséquent un ètrt
distinct, dans doute l'ange de Jéhova du temps dé Moïse s'appelle « M
face de Jéhova » (Exode XXX, 14; Deut. IV, 37); mais il ne peut èlre
312 ANGES
question ici de l'aspect même de Jéhova qui donnait la mort (Gen.
XXXII, 31), et ne put pas même être le privilège d'un Moïse ou d'un
Elie (Exode XXX, 20). Il s'agit donc là, comme ailleurs, d'un ange qui
est la manifestation indirecte de Jéhova (Exode, XXII 20), de l'ange
qui est appelé « l'ange de la face » (maleach panav) par Esaïe
(LXIII, 9). Cet ange se donne, il est vrai, les noms de Jahve,
d'Elohîm et d'El (Gen. XVIII, 33; XXXII, 25; XXXI, 13), parce
que le nom de Dieu est « en lui. » Mais il est aussi peu Dieu en per-
sonne que l'ange de l'Apocalypse (XXII, 13), qui se nomme l'Alpha et
l'Oméga, tout en refusant catégoriquement l'adoration du voyant et
en se disant compagnon de service comme lui. — Dans le livre de
Josué, l'ange qui apparaît à Josué devant Jéricho se donne le titre de
« prince (sar) de l'armée céleste » (Jos. V, 15). C'est à cette désigna-
tion que se rattache sans doute la doctrine d'une hiérarchie céleste qui
se développa plus tard dans la théologie juive. Les anges, en effet, ne
furent pas seulement divisés, depuis l'exil, en catégories distinctes, mais
aussi classés par rang de dignité. Dans l'Apocalypse de Daniel, nous
voyons en effet à la tête des légions innombrables qui se tiennent de-
vant Dieu et qui le servent (VII, 10) des « princes » ou des chefs d'anges
(sarîm rischonîm) qu'on a appelés archanges. L'un de ces «princes»
porte le nom de Michaël (V, 13, 21), un autre celui de Gabriel
(VIII, 15). La théologie postérieure compte sept archanges). Le livre
de Tobie (VII, 15) nomme le troisième Raphaël. Le livre de Henoch,
le quatrième livre d'Esdras et le targoum de Jonathan nous font con-
naître les trois autres : Uriël, Raguël et Serakiël. Cette doctrine a
pu se former en contact avec la doctrine persane des sept « princes de
la lumière » ou amschaspands (amësha-çpento) ; mais déjà le prophète
Ezéchiel (IX, 2) mentionne six esprits supérieurs qui se tiennent devant
Jéhova, et la mythologie assyrienne de Babylone parle de « grands sei-
gneurs » (nun-galene en langue accadienne) qui se prosternent devant
la divinité (Lenormant : Etudes accadiennes, 1874, II, p. 140 ; Schrader
Hœllenfahrt der Istar, p. 100, 1874). M. Lenormant ne voit dans ces
« grands seigneurs » personne d'autre que les archanges célestes eux-
mêmes. En tous les cas, la tradition rabbinique (Bosch haschana, 56)
de la Mischna et le midrasch Bereschilh rabba (4) font provenir les
noms des mois et des anges de Babylone, et les recherches ultérieures
de la critique nous apprendront si, à côté de l'influence que la re-
ligion de Zoroastre a pu exercer sur l'angéologie des Juifs (cf. (As-
modi et Kohut, Ueber die jûdische Angeologie in ikrer Abhœngig-
keit vom Parsismus, 1866), il ne faudra pas admettre une influence
plus directe, de l'antique religion sémitique accadienne lors de l'exil et
avant lui. — Dans Daniel, les archanges n'apparaissent encore que dans
le domaine visionnaire. Leur aspect est majestueux et éblouissant. Ils
portent le vêtement sacerdotal céleste, et leur éclat est celui des pierres
précieuses, leur visage resplendit, leur regard est de flamme, leur voix
égale le tonnerre (X, 5 ss.). Dans le livre de Tobie, Raphaël est le com-
pagnon de voyage du jeune Tobie et ressemble à un autre homme.
Dans l'épître de Jude, Michaël protège le cadavre de Moïse contre
ANGES 313
Satan, d'après une légende relatée par Y Assomption de Moïse. Dans
l'évangile de Luc, enfin, Gabriel apparaît dans le domaine sensible et
en songe aux personnages du premier chapitre. D'après le livre de
Daniel, les archanges étaient considérés comme anges protecteurs de
certaines nations ou de certains empires (Dan. IV, 10). Aussi Michaël est
désigné comme le protecteur et le défenseur d'Israël (XII, 1). Tel est
aussi le rôle du préposé des soixante-dix gardiens (anges) du livre de
Henoch (LXXXIX, 61), et qui n'est autre que l'archange lui-même.
Cependant, d'après un autre texte de Daniel (X, 12-13), Michaël n'est
que l'assistant d'un plus grand que lui qui protège Israël. En tous les cas,
la notion des anges protecteurs des nations ressort clairement du livre de
Jésus ben Sirâch (XVII, 14; cf. Deut. XXXII, 8, dans les LXX). Il semble
résulter enfin de deux textes du Nouveau Testament (Matin. XVIII, 10;
Actes XII, 15) que Jésus et ses contemporains admettaient des anges
protecteurs pour chaque homme en particulier (cf. Schmidt dans
Ilgen, Denkschrift, I, p. 24). La doctrine d'un jugement final exercé
sur les anges qui ont failli à leur mission repose sur celle des anges
protecteurs. Cette doctrine, à laquelle le prophète Esaïe semble déjà
faire allusion (XXIV, 21-23), est surtout développée dans l'Apocalypse
de Henoch (XC, 20 ss.). Le jugement exercé sur les anges semble
même frapper le soleil, la lune et les étoiles (Esaïe XXIV, 23). Nous
voyons du reste ici comme ailleurs l'étroit rapport qui existe, dans les
documents bibliques, entre le monde des anges et celui des astres. L'un
et l'autre porte le nom d' « armée céleste » (Deut. XVII, 3 ; 1 Rois
XXII, 19). Les anges et les astres paraissent même confondus (Néh.
IX, 4) et dans le livre de Job (XXXVIII, 7) les « étoiles du matin, »
c'est-à-dire les étoiles qui datent du matin de la création, sont pa-
rallèles et synonymes des a fils de Dieu. » Le nom deZebaoth donné
à Jéhova du temps des rois désigne Dieu comme le Dieu des armées
célestes qui impliquent à la fois les astres et les anges. Enfin, les anges et
les étoiles forment une seule et même armée (Zaba) dans Esaïe (XL, 26;
cf. Juges I, 20). 11 ressort de ces observations que le monde des étoiles,
comme celui des anges, a joué, pour la théologie juive, un rôle im-
portant dans la lutte des principes contraires du bien et du mal qui
embrasse l'univers et se concentre sur la terre. Cette croyance, qui
semble appartenir à la forme païenne de l'antique religion sémitique,
subsiste dans la religion révélée de l'Ancien Testament, qui n'a pas
rejeté en bloc tous les éléments de la religion primitive des Sémites,
mais les a souvent purifiés et confirmés. Nous n'avons pas à traiter
ici la question de la chute des anges, qui sera abordée dans l'ar-
ticle sur les démons. Nous dirons simplement que, si une décou-
verte récente du célèbre Smith (le déchiffrement de la légende
assyrienne sur la création) se confirmait, le serpent tentateur de la
Genèse (ch. III) aurait trouvé son explication historique dans la chute
de l'archange dont parle cette légende, et il ne serait plus nécessaire
de faire provenir le récit biblique de la doctrine persane sur Ahrinian,
qui sous forme de serpent dévaste le paradis et corrompt la création
non entachée de mal. L'angéologie de l'Ancien et du Nouveau Tesla-
i. 21
314 ANGES
ment se distingue essentiellement de celle de la théologie rabbiniqu**
qui porte le caractère des superstitions les plus bizarres et les plus
monstrueuses (cf. Brecher, Transcendentale Magie im Talmud, 1850;
Gfrœrer, Das Jahrhundert des Heits, I, p. 352-424). Cette angéologie
diffère aussi totalement des conceptions helléniques sur les « esprits
éthérés » d'un Heraclite ou d'un Pythagore (cf. Diogène de Laërte,
IX, 7; VIII, 21), ou d'un Philon et d'un Plutarque qui parlent de
« forces » et d' « âmes privées de corps , » car un esprit sans corps ou
sans organisme corporel est une conception absolument étrangère
aux écrivains de la Bible. — Dans l'Eglise chrétienne des siècles qui
suivirent l'âge apostolique, la doctrine des anges devint un sujet de
prédilection pour la dogmatique des Pères. On ne formula pas, il est
vrai, de dogme précis à leur sujet, mais on précisa leur mission spéciale
et on rejeta la doctrine gnostique d'une participation des anges à la
création. En présence du gnosticisme avec ses théories sur les émana-
tions et les éons, on accentua le caractère de créature des anges et
leur nature corporelle, tout en leur attribuant des organes supérieurs
à ceux de l'homme. La croyance aux anges protecteurs se rattacha en
partie à celle des génies protecteurs du paganisme. On ne trouve
aucune trace d'un culte des anges dans l'Eglise catholique, jusque
vers le milieu du troisième siècle, quoique déjà l'épître aux Golossiens
(II, 18) parle d'une OpYjcjxsux tûv ^éXtov, et qu'un passage de Justin
martyr (Apol. I, c. 6) semble faire allusion à un culte pareil. Ce culte
naquit en réalité dans l'Eglise sous l'impulsion que lui donna l'évêque
de Milan Ambroise (f397). Le synode de Laodicée fut obligé de dé-
fendre l'angéolâtrie au milieu du quatrième siècle. Cette défense et le
témoignage de Théodoret nous prouvent que ce culte s'était propagé
un peu partout, mais surtout dans certaines contrées de l'Orient.
Théodoret et saint Augustin protestent principalement contre l'invoca-
tion des anges que le pape Grégoire III lui-même désapprouvait. Mais les
empereurs et les évoques, en encourageant la consécration des temples
dédiés aux anges, favorisaient par là même, malgré leurs déclarations
dogmatiques, la croyance populaire que les anges pouvaient entendre
et exaucer les prières. Un écrit de Pseudodenys (De hierarchia cœlesti),
universellement consulté dans la suite, divisa les anges en trois ordres
ou neuf classes. Ce Linné de l'angéologie apprit à l'Eglise, en se fon-
dant sur certains textes (Eph. 1, 21 ; III, 10; Col. I, 16) où il est question
de ôp£vcii,dex'JptG'ï7]TEç, d dp^al, d'i^ousCai et de âuvàjjustç, qu'il existait un
premier ordre composé des ôpévoi, des xepovôly, et des espaça, un
second composé des èÇouafai, des xupibirjTsç et des ouvà^eiç, et un
troisième formé par les àp^ai, les àffl&ffékoi et les à^zkoi. Mais déjà
Basile le Grand et Grégoire de Nazianze avaient admis diverses catégories
d'anges. Quant aux nouvelles déterminations dogmatiques qui en-
richirent l'angéologie pendant cette période, elles concernent la date
de leur création placée par Grégoire III avant la création du monde,
et par saint Augustin au premier jour de cette création. On examina
aussi la question de savoir si les anges étaient doués comme les
hommes d'une volonté libre et capables de péché. On admettait gé-
ANGES 3|S
uéralemenl qu'il en était ainsi avant la chute, niais on différait sur la
possibilité constante de la tentation chez les anges après la première
et tragique défaite. Grégoire de Xazianze et Cyrille de Jérusalem
croyaient à cette possibilité. Saint Augustin et Grégoire le Grand la
niaient. Au treizième siècle, lors du synode de Latran (1215),
Innocent III lit formuler le dogme que les anges étaient des êtres spiri-
tuels créés sans tache. Quant aux déterminations précises sur leur
mission, sur leurs rapports avec Dieu et les hommes ou avec la ré-
demption, elles fuient laissées à la libre spéculation de chacun. Lors
de la Réforme du seizième siècle, la doctrine de l'existence des anges
et des démons subsista comme doctrine scripturaire dans l'Eglise pro-
lestante comme dans l'Eglise catholique. Cette dernière continua
à enseigner l'invocation des anges, rejetée comme antiscripturaiie
par l'Eglise protestante. Pendant le règne de la critique et de la spé-
culation philosophique du dix-huitième siècle, la foi à l'existence et à
la mission d'êtres célestes supérieurs à l'homme fut sensiblement
ébranlée et devint plus ou moins étrangère à la théologie. Les théo-
logiens supranaturalistes, qui continuèrent à admettre les anges par
respect pour la Bible, ne surent guère que faire d'eux et les logèrent
dans les étoiles ; les visions hardies d'un Swedenborg leur substi-
tuaient les âmes glorifiées des hommes dans l'autre monde. De nos
jours beaucoup de théologiens sont revenus à l'enseignement bi-
blique. Rothe lui-même n'a pu se passer des anges dans son grandiose
système, et tout le monde connaît la parole qu'il a prononcée sur son lit
de mort. Martensen (Dogm. p. 121) admet une grande variété d'esprits
célestes, différant par le degré de leur nature spirituelle et de leur
caractère personnel. Mais la spéculation chrétienne ne dépasse pas
ces limites. Sans doute la critique moderne a pu considérer l'exis-
tence des anges comme incompatible avec la science et le système
de Copernic, et reléguer ces êtres célestes dans le domaine de la
poésie ou de Fart. Il n'en reste pas moins vrai qu'on ne peut dé-
montrer, au point de vue du théisme, l'impossibilité ou même l'invrai-
semblance de l'existence d'êtres supérieurs à l'homme, employés au
service de Dieu et de son règne. Voyez l'article Mondes (Pluralité des).
— La question des anges de l'ancien hébraïsme, du judaïsme après l'exil
et de l'Eglise chrétienne a été l'objet d'une grande variété de travaux.
parler des commentaires et des ouvrages de théologie biblique
qui abordent incidemment cette question, nous mentionnerons seule-
ment pour le judaïsme le livre de M. Nicolas, Des doctrines religieuses
<!<>s Juifs, 3« edit. 186$, p. 237-261, et l'ouvrage de Langen, Pa
AêAettihum in PoJestina zur Zeit Christi, 1860, p. 297-329. Pour l'an-
géologie de l'Eglise chrétienne, on peut consulter Suicer, Tliesaur. s. v.
>.;■;:/ s.;; Gotta, Dix/mtationes, II, 1762; Schmidt, Bist. dogm. de angehs
tutelaribuè, dans llgens, IlisL tkeol. Abhandl., I., p. 21-27; Gaab,
Abhandl. zur Dêgmen$e$cà. der xltest. grieck. Kircke, Î790, p. 97-136:
l 'steri, Der finulin. Lehrbegriff, te édif., suppl. 3, p. 421 ss. ; Carpzov,
1 ariahistor. anfelic. ex Epiphano etaliorum velcrum m&numentis erula,
1772; Keil. Opusc. aco.deiuieay II, p. 568 ss. A. Wainaz,
316 ANGILBERT - ANGLETERRE
ANGILBERT (Saint) [Anghelpertus , Angilbertus] , poëte et homme
d'Etat (f 814), fut secrétaire et ministre de Charlemagne, qui le chargea
de diverses missions en Italie, et dont il signa le testament. Il entra, en
791, au couvent de Saint-Riquier (Centula) et en devint abbé en 794. Il
eut de Berthe, fdle de Gharlemagne, née en 780, deux fils, dont l'un
fut l'historien Nithard. On sait par Eginhard que l'empereur ne con-
sentit jamais au mariage de ses tilles. Elève d'Alcuin, Angilbert composa
un élégant poëme sur le voyage de Charlemagne auprès de Léon III
(799), imprimé dans Pertz, Scr. II, 391 ; cf. Migne, 99. — Voyez Mabillon,
AA. SS. Ord. Ben. Ssec. IV , 1, p. 91 ss. ; AA. SS. BolL 18 Feb. III;
Hisl. Litt. de la Fr., IV, p. 414 ss.; Wattenbach, Deutschlands Geschichts-
quellen, édit. II, p. 117 ss.; Gorblet, Hagiogr. I, p. 102.
ANGILRAM, évêque de Metz de 768 à 791, abbé de Senones et archi-
chapelain de Charlemagne, a joué un certain rôle dans l'histoire de
l'épiscopat franc. On lui attribue la continuation de la Chronique de
Frédégaire et la collection d'un certain nombre de décrets sur les
rapports des évêques avec le pouvoir civil. Voyez Décrétâtes (Fausses).
ANGLETERRE (La Réformation d'). Quoique les abus du système ca-
tholique romain, au moyen âge, se fussent fait sentir en Angleterre
comme ailleurs, et que plusieurs de ses rois en eussent supporté impa-
tiemment le poids, il s'en fallait bien qu'au commencement du seizième
siècle, la nation anglaise fut, comme on l'a prétendu, la première et la
mieux préparée pour une réforme religieuse. Bien plus séparée qu'elle
ne l'est aujourd'hui des nations du continent, elle n'avait suivi que
d'assez loin le mouvement intellectuel et religieux qui s'accomplissait
chez les principales d'entre elles. « Un trait caractéristique de l'esprit
ecclésiastique en Angleterre, dit Lechler [Joli. Wicliff, t. I), c'est que,
jusque après le milieu du quatorzième siècle, aucune division, aucune
secte ne s'était produite en dehors de la forme occidentale romaine du
christianisme, aucune hérésie n'était apparue sur le sol anglais. »
Wiclef lui-même, ainsi que Luther le remarquait, « ne s'était attaqué
d'abord qu'à la vie et non à la doctrine. » La simonie, les empiétements,
les exactions de la papauté, la mondanité du clergé, les dérèglements
des moines, étaient à ses yeux les plus tristes plaies de l'Eglise, et
c'est avec l'appui de la royauté, de la noblesse et du parlement, qu'il
les avait combattues. Ce n'est que plus tard que son opposition avait
revêtu un caractère plus positivement religieux. Au moyen de pré-
dicateurs itinérants qu'il envoyait munis de quelques fragments tra-
duits des livres saints, il fit annoncer l'Evangile au peuple, tandis
que lui - même, dans sa chaire professorale et dans ses écrits , le
commentait à l'usage des savants, et combattait les abus ecclé-
siastiques en ruinant les doctrines qui leur servaient de base. Mais,
faussement accusé par le clergé de menées démagogiques, il vit se
courner contre lui les pouvoirs qui l'avaient d'abord soutenu, et qui,
dès lors, le sacrifièrent aux haines sacerdotales. Le statut de l'an 1400,
qui condamnait les hérétiques au bûcher, fut dirigé spécialement contre
les lollards, ses disciples. Depuis le supplice [du noble lord Cobham
(1417) le wicléfisme, proscrit comme levain de sédition, disparut du
ANGLETERRE 317
sein des classes supérieures, et fut réduit à se cacher dans les derniers
rangs de la population ouvrière. Ce n'était non plus qu'assez tard que
les lumières de la Renaissance avaient pénétré en Angleterre. Erasme
les y apporta un des premiers (1498 et 1509) ; il y laissa des amis et des
disciples, entre autres Thomas More et Jean Colet, qui s'inspirèrent,
l'un de sa verve sarcastique, l'autre de son zèle pour la littérature sacrée,
mais ils lui demeurèrent bien inférieurs pour l'esprit et férudition. Ce
ne tut que depuis le règne d'Elisabeth que la culture des lettres fut
véritablement encouragée en Angleterre; jusque-là elles n'y avaient
qu'assez péniblement végété, et, en tout cas, n'y avaient rendu que de
médiocres services à la cause religieuse (Hallam, Hist. de la littérature
en Europe, c. II-IV, p. 347-8 et passim). Rien n'y rappelle, même de
bien loin, l'activité de la presse théologique en Allemagne, les travaux
bibliques d'Erasme, de Reuchlin, de Staupitz, les écoles fondées par les
Amis de Dieu et les Frères de la vie commune, ni les pieuses méditations
des mystiques allemands, ni la lutte vaillante des humanistes du même
pays contre les inquisiteurs de Cologne, ni les savants écrits des trois
théologiens des bords du Rhin auxquels est demeuré le titre honorable
de « réformateurs avant la Réforme. » Quant aux classes populaires,
((il est faux de soutenir, dit M. Rrewer {Revue hist., 1876, t. I,
p. 293), qu'elles commençassent alors à se livrer avec ardeur à l'étude
de la Bible. » Les écoles monastiques, en effet, chargées de leur édu-
cation, ne les y avaient guère préparées, et il leur manquait, pour y
suppléer, des traductions des livres saints publiées dans leur propre
langue. Tandis que, même avant la version de Luther, quatorze éditions
de la Bible allemande et quinze de la Bible flamande avaient été épui-
sées, et que, depuis lors, treize éditions du Nouveau Testament avaient
paru en langue flamande de 1522-1520 (Hallam, ibid., c. VI, p. 385), la
première version anglaise, celle de Tyndale, composée à TIeidelberg,
ne fut publiée qu'en 1526 à Anvers, ne put pénétrer que clandestine-
ment en Angleterre, et y fut proscrite dès son introduction. Enfin, la
situation politique du pays, au commencement du seizième siècle,
semblait exclure également toute possibilité d'un changement prochain
dans les affaires de l'Eglise. La noblesse et la bourgeoisie anglaises,
épuisées par cinquante ans de guerres civiles, manquaient de cette
vigueur, de cet élan qui, ailleurs, avaient si puissamment secondé la
Réforme. La royauté, au contraire, à l'isue des guerres des deux Roses,
fixée enfin dans la maison de Tudor, était sortie de cette crise, plus forte
que jamais ; elle profitait de la lassitude de la nation pour étendre indé-
finiment son pouvoir, et le second des Tudor, Henri VIII, idolâtré du
peuple, voyait les deux chambres du Parlement rivaliser envers lui de
passive et servile obéissance. Or, ce prince, le plus absolu de tous ceux
de -on temps, était alors l'un des plus fidèlement dévoués à la foi
catholique. Destiné du vivant de son frère aîné à entrer dans les ordres,
pour occuper un jour le siège de Cantorbéry, il avait conservé sur le
trône l'exacte observation des pratiques de l'Eglise. Il éleva aux plus
hautes dignités du royaume le cardinal Wolsey, légat du Saint-Siège.
Dès le commencement de son règne (1509) il mit en pleine vigueur les
318 ANGLETERRE
anciens édits contre l'hérésie, et ne laissa aux lollards d'alternative
qu'entre l'abjuration et le bûcher. La nouvelle du schisme de Luther
l'enflamma d'indignation. Il pressa l'Electeur palatin d'extirper de ses
Etats cette peste redoutable, de faire brûler l'hérésiarque s'il ne voulait
s'amender, et dans son dépit de ne pouvoir lui-même le châtier comme
il l'eût voulu, il mit à profit ce qu'il avait acquis d'érudition théolo-
gique pour publier contre lui (1522) un violent libelle, dont le pape le
récompensa par le titre de « défenseur de la foi. » Enfin, apprenant que
les écrits de Luther commençaient à se répandre dans son royaume, il
enjoignit aux autorités civiles de prêter main-forte aux évêques pour la
recherche et la répression des hérétiques (1521), et ce nouveau décret
fut exécuté avec assez de rigueur pour obliger maints lettrés, jus-
qu'alors partisans de la Réforme, Th. More entre autres, à déserter sa
cause, tandis que Fish et Tyndale durent se condamner à un perpétuel
exil. Mais l'emportement que ce despote déployait alors au service de
l'Eglise devait un jour se tourner contre elle, lorsqu'elle viendrait à
contrarier ses fougueuses passions. Marié depuis dix-huit ans avec
Catherine d'Aragon, veuve de son frère aîné, il s'avisa tout à coup que
cette union avec sa belle -sœur, bien qu'autorisée par le pape Jules 11,
était contraire aux canons de l'Eglise, et que, par suite, les droits de sa
fille Marie, alors seule héritière de sa couronne, pourraient un jour être
contestés. Ces tardifs scrupules s'expliquèrent bientôt. Henri s'était
épris d'amour pour Anne Boleyn, jeune dame d'honneur de la reine,
et depuis ce moment n'aspirait plus qu'à rompre le lien qui le séparait
d'elle. Mais, pour ce divorce, une nouvelle autorisation du Saint-Siège
était nécessaire, et la proche parenté de Catherine d'Aragon avec l'em-
pereur Charles-Quint rendait cette dispense difficile à obtenir. Le car-
dinal Wolsey se chargea de lever les obstacles. Par deux fois, cet
ambitieux prélat venait de briguer la tiare, et deux fois l'empereur lui
avait fait préférer d'autres candidats. Le divorce projeté lui parut propre
à servir sa vengeance. En 1527, le pape Clément VII, brouillé avec
Charles-Quint, était bloqué par lui au château Saint-Ange ; Wolsey con-
seille au roi de saisir ce moment pour lui présenter sa requête, en lui
promettant son secours en échange du service qu'il attend de lui.
Clément lui fait pressentir en effet une réponse favorable. Mais à peine
délivré et réconcilié avec l'empereur, craignant de sa part de nouvelles
hostilités, n'osant ni accorder ni refuser ce que le roi lui demande, il
remet le jugement de la cause à son légat, qui se rend à Londres, et,
de concert avec Wolsey, s'efforce d'engager la reine à consentir à
son divorce et à se retirer dans un couvent. Sur le refus péremptoire
de Catherine et son appel au Saint-Siège, Clément évoque l'affaire à
son tribunal, espérant toujours, à force de lenteur, lasser la constance
du roi. Henri perdait patience, mais ne savait que résoudre, lorsqu'un
docteur de Cambridge, Cranmer, lui suggéra un expédient : « De quoi
Sa Majesté s'embarrasse-t-elle? C'est ici une question de droit cano-
nique, toute par conséquent du ressort de la science. Que Sa Majesté
fasse consulter les principales universités d'Europe, et si la pluralité des
voix déclare la non-validité du mariage de Henri avec Catherine, le
ANGLETERRE ;M0
Saint-Siège ne pourra refuser de le casser. » Le roi goûte cet avis. Il
fait prendre, et payer, partout où il en est besoin, l'avis favorable dos
docteurs, le transmet au pape en le sollicitant de nouveau de rompre
s<»n mariage, OU de l'autorisera prendre une seconde femme; et comme
le pape louvoie et diffère encore, et engage Wolsey dans ses tergiver-
sations, Henri, après s'être prémuni par de sévères menaces contre
Ion le résistance de son clergé, ôte les sceaux à Wolsey, nomme Cranmer
au siège primatial de Cantorbéry, fait prononcer par lui son divorce
avec Catherine, et célébrer, secrètement d'abord, puis publiquement,
son mariage avec Anne Boleyn (1534). Si Clément eût été libre alors
dans ses déterminations, il eût cherché sans doute, par des voies conci-
liantes, à prévenir le schisme qui se préparait et déjà s'annonçait par
des mesures assez graves. Mais, pressé par les cardinaux dévoués à
L'empereur, il somme le roi, sous peine d'excommunication, de re-
prendre sa légitime épouse. Aussitôt, sur l'ordre de Henri, le Parlement
et les évèques eux-mêmes déclarent que le pontife romain n'a aucune
autorité à exercer dans le royaume, transportent au roi le titre de chel
suprême de l'Eglise d'Angleterre, avec le droit exclusif de nommer les
prélats, interdisent tout appel au siège de Rome, et font prêter à tous
les ecclésiastiques le serment de reconnaître la suprématie spirituelle
du monarque. Jean Fisheret Th. More, qui seuls ont osé s'élever contre
ce décret, payent de leur tête leur courageuse résistance. Le schisme
ainsi consommé, de nouveaux actes d'hostilité ne tardèrent pas à s'en-
suivre. Les ordres religieux, qui dépendaient immédiatement delà cour
de Rome et formaient sa milice la plus puissante et la plus dévouée,
ont embrassé avec ardeur son parti, et ne cessent d'exciter contre le
roi le fanatisme populaire. Ainsi provoqué, Henri ordonne, en 1535,
une visite générale des couvents du royaume. Les .commissaires, qui
connaissent ses intentions, présentent au Parlement un tableau, véri-
dique en partie, mais exagéré, des irrégularités et des désordres qu'ils
vont découverts. Sur leur rapport, le Parlement supprime près de
quatre cents monastères de second ordre, et déclare leurs biens con-
fisqués au profit de la couronne, sauf une pension viagère réservée aux
religieux dépossédés, mais qui ne leur fut que très-irrégulièrement
payée. Ces moines, réduits alors à mendier sur les grands chemins, les
pauvres qui ne trouvent plus à la porte des couvents l'aumône habi-
tuelle, les paysans qui occupaient leurs terres à des baux avantageux,
et qui s'en voient expulsés, s'ameutent sur divers points du royaume,
marchent en masse sur Londres, vociférant des menaces contre le roi.
Leur troupe es! dispersée, leurs chefs sont mis à mort, et Henri prend
occa-i n de cette révolte pour ordonner l'abolition définitive de tous les
couvents el la saisie de leurs biens. Les revenus de ces biens, fort supé-
iiein de la noblesse, étaient alors ('values à plus de 300, 000 liv.
sterling. On coi i-qua également ceux des ordres militaires, puis les
dîmes, les aimâtes, enfin, tout ce que les papes percevaient dans le
royaume. Henri, pour détourner de lui le reproche de cupidilé sacrilège,
avait d'abord annoncé L'intention de consacrer à des usages pieux ces
dépouilles de l'Eglise. Ses largesses en ce genre se réduisirent à l'érer-
320 ANGLETERRE
tion de six nouveaux évêchés et à la fondation de quelques écoles et
collèges. La plus grande partie servit à grossir son propre trésor, à
enrichir ses favoris, à doter une nouvelle noblesse qui fût tout entière
à sa dévotion. Le reste, mieux employé, fut consacré à divers services
publics, réparation déports, construction de forts sur les côtes, accrois-
sement de la flotte, travaux qui plus lard furent mis à profit pour fonder
la puissance maritime de l'Angleterre. En cinq ans, la confiscation des
biens monastiques fut complète. A la nouvelle de ces spoliations ,
Paul III publia, en 4538, une bulle fulminante où le ci-devant « défen-
seur de la foi » était frappé d'excommunication, son royaume mis à
l'interdit, ses sujets excités à la révolte, tous les princes catholiques
invités à exécuter cet arrêt ; et le cardinal Pôle fut chargé à cet effet
d'une mission auprès des cours de France et d'Espagne. Cette coalition
dont Henri se voyait menacé ne laissa pas de lui causer de l'inquiétude.
Déjà précédemment, pour faire oublier aux puissances catholiques le
supplice de Fisher et de Th. More, il avait par compensation publié un
nouvel édit contre l'hérésie, et des protestants non moins respectables,
Bilney, Bilefield, avaient été condamnés à périr dans les flammes. A
plus forte raison, dénoncé au monde chrétien comme impie, comme
sacrilège, crut-il devoir donner de nouveaux gages de son attachement
à la foi catholique. En 1539, il fit dresser par une réunion de prélats,
et adopter par les deux chambres, un bill en six articles, affirmant le
dogme de la présence corporelle dans la Gène, la suffisance de la com-
munion sous une seule espèce, l'obligation du célibat ecclésiastique, la
perpétuité des vœux, le maintien des messes privées, enfin l'utilité et
la nécessité de la confession. Quiconque prêchait ou disputait contre
le premier article devait être brûlé et ses biens confisqués; toute oppo-
sition aux articles suivants emportait la peine de la confiscation et de
la potence ; puis, afin de bien marquer l'intention qui lui avait dicté ce
décret, au même poteau où furent liés quatre catholiques qui avaient
nié la suprématie royale, Henri fit attacher trois luthériens qui s'étaient
prononcés contre le bill, et tandis que les premiers furent d'abord
étranglés, les derniers furent brûlés vifs. L'année suivante, en exécution
du même édit, plus de cinq cents personnes furent emprisonnées. L'ap-
proche même de la mort ne mit pas un terme aux cruautés de Henri.
Sur le soupçon de quelques relations que Catherine Parr, sa dernière
femme, aurait entretenus avec des protestants accusés de nier la pré-
sence réelle, il fit mettre en prison plusieurs d'entre eux, torturer et
brûler une jeune femme attachée au service de la reine; peu même
s'en fallut que celle-ci ne courût risque de la vie pour s'être hasardée à
discuter contre lui la question du sacrement. Ces actes barbares don-
nent un suffisant démenti à ceux qui, s'obstinant à considérer Henri VIII
comme protestant, ne veulent voir dans la Réformation d'Angleterre
que l'œuvre d'un capricieux et exécrable despote. Mais ils n'autorisent
guère davantage ceux qui nient au contraire qu'il ait en rien contribué
à cette révolution, et veulent en attribuer tout l'honneur à la nation
elle-même. Nous avons déjà vu combien cette nation y était imparfai-
tement préparée. Quant au monarque, il n'y avait rien en lui assurément
ANGLETERRE 321
(1 un réformateur; jamais la pensée d'épurer la foi ni les mœurs de son
peuple n'aborda son esprit. En rompant avec Rome, il ne voulut que
secouer un joug qui lui pesait. Mais en s1 affranchissant, il affranchit de
fait son Eglise; il en fit un établissement national; il renversa l'obstacle
qui bien longtemps encore eût empêché la vérité d'y pénétrer, et invo-
lontairement ouvrit la brèche qui donnait aux vrais réformateurs accès
dans la place. Combien de princes dont les actes aboutissent à de tout
autres tins que celles qu'ils se sont proposées! a Ce qu'ils ont pensé en
mal, dit Burnet, Dieu le fait tourner en bien. » Henri eût-il été le plus
ardent adversaire du catholicisme, pouvait-il lui porter des coups plus
funestes qu'en lui ôtant son chef, en dispersant sa milice, en confisquant
ses biens, et en dotant de ces biens une noblesse intéressée à sa ruine ?
Il n'en eût pas tant fallu à François Ier pour changer radicalement
l'avenir religieux de la France. Qu'après tout cela, Henri VIII crûl
pouvoir, avec le sang de quelques réformés, recimenter un édifice dont
il avait sapé les fondements, abattu les colonnes, enlevé le faîte, c'étail
de sa part une grossière illusion. Lui-même, pendant qu'il subissait
l'ascendant d'Anne Boleyn, de Jeanne Seymour, celui de Cranmer et
de Cromwell, avait, sans y songer, frayé plus d'une voie à la Réforme.
Ses dispositions testamentaires en ouvrirent une plus sûre et plus large
encore. — Des six femmes qu'il avait successivement épousées, et dont
il avait répudié deux et fait mourir deux autres, il ne lui restait, à sa
mort, en 1547, que trois enfants: Marie, fille de Catherine d'Aragon;
Elisabeth, fille d'Anne Boleyn ; Edouard, fils de Jeanne Seymour. En
confirmant par son testament l'acte de 1544, qui réhabilitait ses deux
filles précédemment déshéritées, il désigna comme son successeur im-
médiat son fils Edouard, encore mineur, sous la tutelle de ses deux
oncles maternels, dont l'un, le duc de Somerset, nommé par le conseil
de régence protecteur du royaume, était, sans doute à l'insu de Henri,
dévoué à la cause de la Réforme. Encouragé par Calvin, soutenu par
le Parlement et la nouvelle noblesse, il maintint, au bénéfice de son
pupille, l'acte de suprématie royale. Le jeune prince, protestant comme
sa mère, élevé, sous la direction de Cranmer, par des hommes aussi
éclairés que pieux, remarquablement doué lui-même sous le rapport
du caractère et de l'intelligence, applaudit k toutes les mesures ré-
formatrices décrétées en son nom. Dès la première année de son
règne les six articles de sang furent abolis, ainsi que les anciens édits
portes contre les wicléfites. Une visite régulière des églises fut instituée
au moyen de commissaires qui partout durent se faire accompagner
<1< prédicateurs zélés. La Bible en anglais et les paraphrases d'Erasme
furent introduites dans chaque paroisse; les images furent enlevées des
églises, les processions interdites, le célibat obligatoire aboli, l'office
du Saint-Sacrement réformé ; enfin ce qui restait d'anciennes fondations
monastiques tut confisqué à la requête et au profit de la noblesse. Ce
fut l'occasion de nouveaux soulèvements populaires qui ne purent être
réprimer qu'à l'aide d'une armée. Un incident plus grave fut la disgrâce
de Somerset, queWarwick, son collègue, par de faux rapports, fit con-
damner à mort comme coupable de haute trahison (1552). Mais la réac-
322 ANGLETERRE
lion catholique dont cette mort devint le signal fut de courte durée;
Warwick, bien que protestant douteux, n'osa défaire entièrement
l'œuvre de son prédécesseur. Ce qui avait jusqu'alors le plus man-
qué en Angleterre , c'était un nombre suffisant de théologiens et
de pasteurs capables d'édifier par la parole et par l'exemple. En 1549,
Bucer, Fagius et après eux Calvin remarquaient avec surprise com-
bien le clergé anglais , uniquement occupé du rituel , presque ja-
mais de l'enseignement et de la prédication, était peu propre à
faire avancer la Réforme, en sorte qu'on était obligé d'envoyer les
jeunes gens destinés à l'Eglise étudier sur le continent. Le retour de
Coverdale, Rogers, Hooper, docteurs distingués, fugitifs sous Henri VIII,
permit de combler en partie ce déficit. La persécution qui sévissait en
ce temps-là sur le continent y contribua d'une manière encore plus
efficace. Il se forma à Londres des congrégations de protestants réfu-
giés de presque tous les pays. A leur tête on distingue Bucer et Fagius,
eux-mêmes menacés par Yinterim de Charles-Quint, le Polonais Laski,
les Italiens Bernardin Ochino, Pierre Martyr Vermigli, l'Ecossais Jean
Knox, qui fut nommé chapelain d'Edouard VI. Accueillis par le jeune
roi, appelés, pour la plupart, à enseigner dans les universités d'Oxford
et de Cambridge, ces docteurs étrangers imprimèrent à la Réforme
anglaise un élan plus déterminé, une direction évangélique plus pro-
noncée. Cranmer, stimulé par leur exemple, fit instituer par la cour
six chapelains, dont quatre devaient parcourir le royaume en évangé-
listes; de concert avec Ridley, il publia un recueil de douze homélies
sur la foi et le devoir, destinées à être lues dans les assemblées du
culte. La liturgie et le code ecclésiastique furent revisés, un nouveau
catéchisme fut rédigé ; une confession de foi en 4°2 articles, réduits
plus tard à 39, fut dressée en 1552 dans le sens calviniste et présentée
à la signature de tous les membres du clergé. Tels étaient les progrès
accomplis dans l'espace de six ans, lorsque Edouard VI mourut en
1553 dans sa seizième année, au moment où, comme protestant et
comme roi, il faisait concevoir les plus belles espérances, et laissa le
trône à Marie, sa sœur aînée, qui y apporta de tout autres dispositions.
— Longtemps spectatrice indignée des humiliations infligées à Catherine,
sa mère, traitée elle-même en fille illégitime par les Anglais schismati-
ques et par son propre père, qui était allé, dit-on, jusqu'à projeter
sa mort, irritée contre son frère qui, non content de la gêner dans
l'exercice de son culte, avait voulu l'exclure du trône au profit de Jane
Grey, petite-nièce de Henri VIII, Marie n'avait oublié aucun de ces af-
fronts. Son fanatisme, déjà très-âpre, fut encore envenimé par ses di-
recteurs et les gens de sa cour. Outre le clergé qui, malgré sa soumis-
sion apparente, était encore en grande majorité attaché à l'ancien ordre
de choses, elle avait dans ses intérêts la vieille noblesse, jalouse de la
nouvelle, le bas peuple des villes et surtout celui des campagnes, qui es-
pérait d'elle le rétablissement des couvents. Enfin, comme pour mieux
s'engager dans les voies de la réaction, elle accepta, en 1554, contre le
vœu exprès de ses sujets, la main de Philippe II, futur héritier du trône
d'Espagne et déjà mortel ennemi du nom protestant. Aussi la vit-on
ANf.UTEHRE 323
proinptement oublie!' les promesses de tolérance qu'elle avait faites au
commencement de son règne. Les prêtres mariés furent immédiate-
ment chassés du pays, les chaires protestantes partout fermées. Un
nouveau Parlement composé à son gré abrogea toutes les ordonnances
schismatiques de ses prédécesseurs; par le ministère du cardinal Pôle,
l'Angleterre fut solennellement réconciliée avec la cour de Rome, la
suprématie royale abolie, la messe rétablie. Bientôt, comme il fallait
s'y attendre, les violences commencèrent. Marie y préluda par le sup-
plice de Jane Grey; elle épargna Elisabeth, il est vrai, mais en la
[(laçant sous une étroite surveillance. Près d'un millier d'Anglais,
parmi lesquels une foule de docteurs ou d'étudiants en théologie, durent
s'exiler, des milliers d'étrangers transporter ailleurs leur industrie. Les
cachots se remplirent de protestants, les chefs les plus illustres du
parti, Cranmer, Latimer, Hooper, trois ou quatre cents de leurs coreli-
gionnaires, qui, à leur exemple, refusèrent d'abjurer, périrent les uns
sous la hache, le plus grand nombre sur le bûcher. Déjà même sur les
instances du pape, de Gardiner et Bonner, ses dignes suppôts, l'inquisi-
tion allait être établie, lorsque, en 1558, Marie mourut sans enfants,
haïe de ses sujets, délaissée par son mari, et désespérée de la perte de
Calais que la France venait de reconquérir. — Sa sœur Elisabeth, appelée
à lui succéder, trouva le peuple anglais plus mur pour la Réforme.
Grâce à la version de Tyndale , largement répandue sous le règne
d'Edouard, l'Evangile était mieux connu; le frappant contraste des
deux règnes précédents avait fait ressortir l'excellence de la foi protes-
tante; et quel témoignage éloquent que celui que venaient de lui rendre
tant de confesseurs et de martyrs ! Le sentiment national ne plaidait pas
moins en sa faveur. Deux fois, par les intrigues de princesses catholi-
ques, l'Angleterre s'était vue menacée de plier sous un joug étranger,
par Marie ïudor sous celui de l'Espagne, par Marie de Lorraine, régente
d'Ecosse, sous celui de la France. Le patriotisme d'Elisabeth, au con-
traire, son caractère énergique, sa haute intelligence, son amour pour
les lettres, promettaient au pays une ère glorieuse d'indépendance et de
grandeur. Soutenue ainsi par l'élite de son peuple, tandis qu'un pontife
impérieux lui contestait effrontément ses droits, dès 1560 étroitement
alliée avec l'Ecosse, qui, sous les auspices de l'intrépide Jean Knox, ve-
nait d'accomplir sa révolution à la fois politique et religieuse, Elisabeth
consacra son règne long et heureux à faire triompher, chez elle et aussi
loin que -étendit son influence, la cause de la Réformation. Elle y
•••H— il d 'autan! mieux qu'elle y travailla avec circonspection et pru-
dence. L'ancien culte comptait encore de nombreux adhérents dans les
tevées; elle ne les repoussa point brusquement de ses conseils,
d en maintenant, entourés de clauses sévères, les actes de supré-
matie cl d'uniformité, elle les mitigea dans l'application, en sorte que,
an inoins pendant les dix premières années de son règne, sa conduite
envers les partis dissidents put passer pour de la tolérance. Bile jugea
de même qu'une réforme aussi radicale que celles de Zwingle et de
Calvin, vers I* squelles son frère avait incliné, conviendrai! mal aux ha-
bitudes eî an tempérament de son peuple. Naturellement amie elle-
324 ANGLO-SAXONS — ANGLETERRE
même de la dignité et d'une certaine pompe dans le culte, elle conserva
de la liturgie, des rites et de la constitution de l'ancienne Eglise, tout
ce qui, sans trop s'écarter de l'esprit protestant, s'harmonisait avec le
caractère aristocratique de son gouvernement, et semblait propre à for-
tifier l'autorité de la religion sur les masses. Le Parlement, toujours
docile, ratifia sans hésiter les ordonnances d'Elisabeth, et, à l'exception
des évêques, qui refusèrent presque tous le serment de suprématie,
l'immense majorité du clergé y donna son adhésion plus ou moins sin-
cère. Depuis ce moment, la Réformation peut être considérée comme
définitivement établie en Angleterre. Elle avait, comme on vient de
le voir, passé par trois phases distinctes. Sous Henri VIII elle s'était à
peu près bornée à la rupture avec Rome. Tandis qu'ailleurs les réformes
avaient amené le schisme, ici le schisme avait précédé les réformes.
Celles-ci n'avaient proprement commencé que sous Edouard VI, en se
modelant plus ou moins sur celles de Genève et de la Suisse; jusqu'à ce
que, sous Elisabeth, mieux assorties au génie de la nation et à la poli-
tique de la reine, elles se fondirent en ce système mixte où le régime
épiscopal et un rituel demi-catholique se trouvent juxtaposés à un
dogme calviniste mitigé. — Sources à consulter : Strype, Annals of
Réf. et eccles. memorials; Collier, Eccles. hist. of Gr. Britain; Burnet,
Hist. de la Réformation d'Angleterre; Bonnechose, Hist. d'Angleterre;
Lingard, id.\ Merle, Hist. de la Ré format., t. V, ss. ; J.-J. Tayler, Reli-
gious life of England; Herzog, Real-Encycl. , art. England; etc.
E. Chastel.
ANGLETERRE (Statistique ecclésiastique). Voyez Britanniques (Iles).
ANGLICANISME. Voyez Eglise anglicane.
ANGLO-SAXONS (Conversion des). Depuis que les Romains avaient
achevé la conquête du midi et de l'est de la Grande-Bretagne et, par
les murailles d'Adrien et d'Antonin le Pieux, l'avaient mise à couvert
des incursions des Pietés et des Scots, la civilisation romaine, introduite
sous le gouvernement d'Agricola (77-85), s'y était par degrés conso-
lidée. L'établissement de colonies de vétérans, le développement de
l'agriculture et du commerce, la fondation de villes nombreuses,
l'extinction graduelle, puis la destruction violente de la corporation des
druides, y avaient préparé les voies au christianisme, qui, vers la fin du
second siècle, y avait été apporté d'Orient, soit directement, soit par
l'intermédiaire des villes commerçantes de la Gaule. Les persécutions
de Dioctétien n'en avaient que momentanément arrêté l'essor ; bientôt
l'administration douce et tolérante de Constance Chlore, le zèle chré-
tien de son épouse Hélène, enfin la faveur déclarée de Constantin, leur
fils, avaient rendu à l'Eglise la paix d'abord, puis la liberté. En 314,
trois évêques bretons siégeaient déjà au concile d'Arles ; du temps de
Théodose, la Bretagne en comptait environ une trentaine : chaque ville
un peu importante avait le sien, et ces dignitaires ecclésiastiques, par
le crédit qui s'attachait à leur caractère, exerçaient même dans les
affaires civiles une certaine autorité. Mais, sous les faibles successeurs
de Théodose, l'ébranlement de la domination romaine fit sentir à
l'Eglise bretonne, ainsi qu'à bien d'autres, ses funestes contre-coups.
ANGLO-SAXONS 325
Pour tenir tête aux nations germaniques, qui de tous côtés pénétraient
jusqu'au cœur de L'empire, Honorius fut obligé, en 409, de rappeler ses
légions de la Bretagne. Aussitôt les Pietés et les Scots forcèrent le rem-
part qui les contenait, et se répandirent dans les provinces du midi.
Abandonnés à eux-mêmes et incapables de résister à ce torrent, les
Bretons appelèrent à leur aide des barbares plus redoutables encore.
Depuis deux siècles déjà avaient paru dans les mers du Nord les pirates
saxons, connus sous le nom de « rois de la mer. » Avec leurs barques
légères, ils croisaient le long des côtes, remontaient les fleuves, se ré-
pandaient dans les campagnes, et ne les quittaient que gorgés de butin.
A plusieurs reprises déjà, ils avaient fait des descentes en Bretagne.
En 449, ils y reparurent au nombre de neuf mille, sous la conduite de
deux chefs, Hengistet Horsa, qui se disaient descendants d'Odin. Le roi
breton Vortiger implora leur secours, leur promettant, s'ils l'aidaient à
repousser les Pietés, de leur abandonner l'île de Thanet. Mais, aussitôt
ce service rendu, les Saxons deviennent exigeants : ils demandent la
cession d'un nouveau territoire. Sur le refus de Vortiger, ils s'allient
avec les Pietés et s'emparent de la province de Kent, qu'ils érigent en
royaume sous le sceptre d'Hengist. En 477, un nouveau chef saxon dé-
barque dans les provinces du midi, en chasse les Bretons, et y fonde le
royaume de Sussex. Dix-huit ans après, Cerdie fonde de même le
royaume de Wessex ; plus tard encore un autre chef, celui d'Essex.
Après les Saxons, qui avaient ainsi baptisé de leur nom chacune de leurs
conquêtes, les Angles émigrés du Schleswig, encouragés par leur exem-
ple, débarquent à leur tour (537) sur la côte orientale, livrent aux Bre-
tons de nouveaux combats, et sur leur territoire établissent les royaumes
de Mercie, d'Estanglie, et deux autres compris ensemble sous le nom
de Northumberland; en sorte que, vers la fin du sixième siècle, l'île
entière, à l'exception de l'Ecosse et du pays de Galles, se trouva sou-
mise aux rois de l'octarchie anglo-saxonne, qui, sur les ruines de la civi-
lisation romaine, y firent prévaloir leur langage, leurs usages, leurs
mœurs, et enfin leur idolâtrie nationale. Ces conquérants, en effet,
branche de la grande confédération des Saxons et des Angles, qui s'é-
tendait des embouchures de l'Elbe à celles du Rhin, ne s'étaient point
trouvés, avant leurs invasions, comme les Goths, les Francs et même les
Lombards, en contact suivi avec des nations chrétiennes. Ils apportaient
dos contrées du Nord la seule religion qui y fut alors connue, le poly-
théisme germanique ou Scandinave (Turner, t. T, p. 127 ss.), et se ven-
gèrent sur le culte chrétien delà longue résistance que les Bretons leur
avaient opposée. Les églises furent démolies, les monastères pillés et
brûlés, les troupeaux dispersés, les prêtres massacrés au pied des au-
tels, La plupart des Bretons échappés au carnage se réfugièrent en
Ecosse, dans le pays de Galles, dans les monastères de l'Irlande, ou dans
PArmorique gauloise. Ceux, en petit nombre, qui restèrent dans le pays,
abattus, découragés par la servitude, comme l'avoue leur historien Gil-
<la<, ne tentèrent lien pour la conversion de vainqueurs farouches dont
ils ne parlaient point la langue et sur lesquels ils ne pouvaient exer-
cer aucun ascendant (Bède, I, 22). Ce n'était pas non plus de l'Ecosse
326 ANGLO-SAXONS
ni de l'Irlande, on la foi chrétienne venait à peine de pénétrer et où le
nom saxon était abhorré, que pouvait partir une telle tentative. Le
christianisme semblait donc détruit sans ressource en Angleterre (Blum-
hardt, t. Il, p. 177, 241; Mitman, Lai. Christ., t. II, p. 55 ss.), lors-
qu'une circonstance fortuite attira sur ce pays la sollicitude du pape
Grégoire le Grand. N'étant encore que simple moine à Rome, il remar-
qua un jour sur le marché aux esclaves quelques adolescents dont la
physionomie l'intéressa. Il s'informa de leur pays et de leur religion, et
apprit que c'étaient de jeunes Angles amenés de Bretagne et dont la
nation était encore païenne. Il supplia aussitôt le pape Pelage de l'en-
voyer en mission dans ce pays. Bientôt élevé lui-même au souverain
pontificat, il ne put accomplir son projet ; mais il ne le perdit point de
vue. En attendant que ces jeunes esclaves, qu'il fit élever à Rome dans
un couvent, fussent en état d'aller évangélisër leur pays natal, il y en-
voya un de ses anciens collègues, le moine Augustin, suivi de quarante
autres missionnaires. Le moment était favorable : des relations com-
mençaient à s'établir entre l'octarchie saxonne et le royaume des
Francs. Ethelbert, roi de Kent, venait d'épouser Berthe, fille de Garibert,
princesse chrétienne, qui s'était réservé dans le palais du roi païen le
libre exercice de son culte. Débarqués en 597 dans l'île de Thanet, Au-
gustin et ses compagnons firent annoncer au roi leur arrivée et le but
de leur voyage. Le roi, favorablement prévenu par son épouse, les
accueillit, autorisa leur prédication, les invita même à résider à Gan-
torbéry, où il se chargea de leur entretien et leur accorda l'usage d'une
vieille chapelle jadis consacrée à saint Martin de Tours. Là, leur genre
de vie simple et austère, la mystérieuse solennité de leur culte et le
crédit visible dont ils jouissaient auprès de la reine, firent impression
sur les Saxons, qui, dès la même année, reçurent le baptême au nombre
de dix mille. Informé de ces heureux débuts, Grégoire décerna à Au-
gustin le titre de primat de l'Eglise anglaise, lui envoya de nouveaux
collaborateurs, exhorta pathétiquement la reine à travailler comme
sainte Hélène à la conversion de son époux, le roi lui-même à recon-
naître les grâces du vrai Dieu, en détruisant dans son royaume le culte
des idoles. Son vœu ne tarda pas à être exaucé, quant à la pleine li-
berté, au moins, qui fut laissée aux efforts des missionnaires. Le
royaume de Kent occupait alors le premier rang dans l'octarchie an-
glo-saxonne, son chef Ethelbert soutenait avec les autres familles roya-
les de nombreux rapports d'intérêt, d'affection ou de parenté, que les
compagnons d'Augustin surent heureusement mettre à profit. C'est
ainsi que le roi d'Essex, neveu d'Ethelbert, reçut avec faveur les mis-
sionnaires Mellitus et Justus ; que Redwald, roi d'Estahglie, dans une
visite qu'il fit à celui de Kent, se déclara chrétien ; qu'Edwin, un de ses
successeurs, en épousant la fille d'Ethelbert aux mêmes conditions que
celui-ci avait épousé Berthe, accueillit à sa cour Paulin en qualité d'au-
mônier de la reine, promit, comme Clovis, de se faire baptiser si le
Dieu des chrétiens le rendait vainqueur de ses ennemis ; qu'enfin, après
avoir pris l'avis de son conseil, il accomplit le vœu avec toute sa no-
blesse et deux mille de ses sujets, et persuada aux deux fils de Red-
ANC.I.O-SAXONS r,->7
wald de suivre son exemple ; en sorte que le christianisme se propagea
dans tout le royaume d'Estanglie. Oswaldet Oswy, son frère, exercèrent
dans la Northumbrie Le même ascendant qu'Elhelberl dans le royaume
de Kent. Penda n'obtint ta main de la tille d'Oswy que sous la condi-
tion de se convertira la foi chrétienne, et son beau-frère Alfred se fit
comme lui baptiser avec tous ses comtes et ses chevaliers. L'idolâtrie
anglo-saxonne ne se laissa pas cependant vaincre sans résistance. Etroi-
temenl liée aux vieilles moeurs de la nation, elle repoussa autant
qu'elle le pul le joug de la discipline chrétienne. Le fils d'Ethelbert
lui-même, Eadbald, furieux de ce que le missionnaire Laurent voulait
r empêcher d'épouser sa belle-mère, renvoya les ecclésiastiques de sa
cour, retourna au paganisme et y ramena plusieurs de ses sujets, bap-
tisés en même temps que lui. Après la mort de Sabaret, roi d'Estanglie,
ses fils expulsèrent. Mellil us, qui voulait les empêcher de profaner la
mainte cène. Souvent aussi, pendant les guerres fréquentes que se li-
vraient les différents Etats, maints princes qui se disputaient la préémi-
nence, ou qui voulaient s'agrandir aux dépens de leurs voisins, s'ar-
maient du fanatisme païen encore vivace chez les tribus les plus
barbares ; il en résultait des réactions violentes qui paralysaient, par-
fois même détruisaient l'œuvre des missionnaires. C'est ainsi qu'Edwin,
dans son enfance, avait eu beaucoup à souffrir des cruautés du païen
Ethelfrid qui lui disputait le trône de Northumbrie ; il finit par trouver
la mort dans un combat qui lui fut livré par Penda, roi païen de Mer-
cie, <ll qui eut pour conséquence la dévastation de deux royaumes ei
des cruautés sans nombre exercées contre les chrétiens. Mais à mesure
que la population saxonne prenait racine dans le pays, et en fermait
l'accès à de nouveaux envahisseurs, ses mœurs s'adoucissaient par de-
grés ; le besoin de la paix se faisait mieux sentir ; les âmes, moins ru-
des, moins grossières, devenaient plus accessibles à la prédication
évangélique. L'esprit saxon, ditïurner, acquérait ce degré de maturité
qui ne pouvait plus s'accommoder des absurdités du paganisme, et
s'ouvrait aux intluences d'une religion plus pure. On en eut la preuve
dans le conseil tenu par le roi Edwin, où l'un des grands de sa nation
démontra d'une manière expressive l'impuissance de leur ancienne re-
ligion pour résoudre l'énigme de la vie et la nécessité de s'en instruire
dm- la religion du Christ. L'avis d'un prêtre saxon fut encore plus dé-
cisif. Après avoir entendu le missionnaire Paulin expliquer la nature et
le culte du vrai Dieu : « Jusqu'à ce jour, dit-il, je ne savais ce que j'a-
: plus j'examinais noscroyances idolâtres, plus j'en reconnaissais
l'erreur. Maintenant j'adople sans hésitation celles qu'on nous expose
et dont la vérité et les bienfaits resplendissent à mes yeux. 0 roi !
hâte-toi de faire brûler ces temples que nous avons si follement véné-
rés. — Qui l'oserait ? demanda un des assistants. — Moi! répliqua-t-il, »
«t s'élançanl -m- le cheval du roi, il courut au temple des idoles, en fil
lf tour en brandissant sa lance, et ordonna à ses collègues d'y mettre le
feu. Ce coup hardi trancha La question; le peuple, tout à l'heure ef-
frayé, applaudit; et le roi, sa noblesse et un grand nombre (le ses su-
jets reçurent en même temps le baptême. Le farouche Penda lui-même
328 ANGLO-SAXONS
sur la fin de sa vie sentit s'adoucir la haine qu'il avait vouée au chris-
tianisme, et qui l'avait rendu meurtrier de cinq rois. Il permit dans ses
Etats la profession et la prédication de l'Evangile. A sa mort, la Mercie
se trouva presque entièrement convertie. Les mêmes influences aidè-
rent le christianisme à se répandre dans les autres royaumes ; en sorte
que, cent cinquante ans après l'établissement des Anglo -Saxons en
Bretagne et soixante-cinq ans après l'arrivée des premiers missionnaires
romains, le christianisme s'y trouvait rétabli. Il ne l'était point cepen-
dant exactement sous la forme qu'il avait chez les Bretons et qu'il con-
servait encore dans le pays de Galles. Les Bretons l'avaient reçu d'Orient,
par conséquent avec certains rites, certains usages différents de ceux
qu'Augustin avait apportés de Rome. Ainsi, sans parler de diversités
insignifiantes dans le costume des prêtres ou dans les observances du
carême, les Bretons célébraient la Pâque le même jour que les Juifs,
permettaient le mariage aux ecclésiastiques d'ordre inférieur, etc.
Grégoire le Grand, dans son projet de mission, ne paraît pas s'être beau-
coup préoccupé de ces différences ; et c'est injustement, selon nous,
que, le jugeant d'après un trop grand nombre de ses successeurs, on
n'a voulu voir, dans le zèle qu'il déploya pour la conversion de l'An-
gleterre, que l'effet d'une politique ambitieuse et intéressée, comme
s'il se fût proposé avant tout d'asservir ce pays à la domination de
Home, et de substituer violemment le rite romain au rite breton. Les
vues de l'éminent pontife étaient plus grandes et plus généreuses. Au
milieu du chaos où la chute de l'empire latin avait plongé l'Europe en-
lière et où le christianisme et la civilisation semblaient également en
péril, Rome, qui seule en Occident n'était point restée au pouvoir des
barbares, Rome, pourvue encore de tant de ressources, et dont l'anti-
que renom imprimait partout le respect, avait une mission protectrice
à exercer envers toutes les Eglises ; c'était à elle à les secourir là où
elles étaient menacées, à les relever là où elles étaient tombées, à les
fortifier les unes par les autres en les groupant autour d'elle-même
en un seul faisceau. Le christianisme avait succombé dans tout une
partie de la Grande-Bretagne, il s'agissait de l'y rétablir ; Rome seule
alors en manifestait le désir, et en avait le pouvoir. Ce fut là l'objet de
la noble ambition de Grégoire, et non la gloriole mesquine de soumet-
tre une Eglise de plus à son joug. Après sa mort, il est vrai, lorsque les
Saxons voulurent étendre leur domination sur les Bretons du pays de
Galles, l'ambition d'Augustin se tourna aussi de ce côté. Soutenu, dit
Bède (II, 2), par le roi Ethelbert, il convoqua à une conférence les évê-
ques et les docteurs bretons, et les invita fraternellement à évangéliser
de concert avec lui la nation saxonne. « Si vous m'accordez trois choses,
leur dit-il, la célébration de la Pâque en son temps, le baptême selon
le rite romain, et la prédication aux Saxons, nous passerons sur tout le
reste. » Offensés par ses airs de hauteur, ils ne se rendirent point à sa
demande. « Eh bien ! leur dit-il, si vous ne voulez enseigner aux
Saxons le vrai chemin de la vie, vous trouverez la mort par leurs
mains. » Cette prédiction s'accomplit, ajoute Bède ; car, après la mort
d'Augustin, Ethelbert, indigné de leur obstination, excita contre eux un
ANGLO-SAXONS — ANGOUMOIS 329
roi de Deira, encore attaché au paganisme. Les Brelons turent vaincus ;
douze cents moines du couvent gallois de Bangor, qui étaient venus le
soutenir par leurs prières, furent massacrés, et leur monastère réduit
en cendres. Les Bretons, soumis par la force aux Anglo-Saxons, durent
se plier au rituel romain. Plus tard, dans le synode de Whitby (664),
où la même question fut agitée, et où un missionnaire saxon soutint
avec ardeur la cause de Rome, le roi Oswy, apprenant que Jésus avait
promis à saint Pierre et à ses successeurs les clefs du royaume des
deux, déclara qu'il y aurait folie à braver l'ordre établi par le vicaire
du Christ. L'intluence des papes ne cessa dès lors de s'accroître dans
toute l'Angleterre; le pèlerinage de Rome devint de mode chez les
princes anglo-saxons. Plusieurs même s'y retirèrent pour passer le reste
de leurs jours dans ses couvents. L'unité romaine acheva de se fortifier
sous l'influence de Théodore, que le pape Vitalien éleva en 667 à l'arche-
vêché de Cantorbéry et qu'il chargea d'organiser définitivement l'Eglise
anglo-saxonne. Natif de Tarse en Gilicie et longtemps moine à Rome,
versé par là également dans les lettres grecques et latines, Théodore con-
tribua beaucoup au développement de la science dans les monastères
bénédictins qu'il fonda. C'est de là que sortirent en foule des mission-
naires qui allèrent répandre le christianisme dans les contrées encore
païennes du nord de l'Europe d'où leurs ancêtres étaient issus, et dont
ils parlaient encore la langue. Nommons à leur tête Winfried, l'apôtre de
l'Allemagne, si célèbre sous le nom de Boniface, fondateur des Eglises
de Thuringe et de tant d'autres que, dans son zèle pour l'unité ecclé-
siastique, il plaça sous la suzeraineté de l'évêque romain. — Sources à
consulter: Beda, Hist. eccles. gent. Anglorum; Collier, Eccles. history
of England ; Turner, History of the Anglo-Saxons ; Blumhardt, Histoire
de l'établissement du christianisme, T. II; Lingard, Hist. cT Angleterre ;
Bonnechose, Hist. d'Angleterre ; Thierry, Hist. de la conquête d'Angl.
par les Normands; Mitman, Latin Christianity, t. IL E. Chastel.
ANGOULEME [Inculisma, Fcolisma, Engolisma, Engoleime], évêché
sutfragant de Bordeaux. Saint Ausone, vivant au troisième siècle, est
cité comme l'apôtre et le premier évêque d'Angoulême; il est fêté
comme martyr, le 11 juin. Dynamius, nommé par Grégoire de Tours,
est le premier évêque dont l'existence soit certaine. L'église cathédrale
de Saint-Pierre (douzième siècle) fut dévastée, l'église et le monastère
de Saint-Ausone furent rasés par les calvinistes en 1568 (voy. Chaumet,
les Protestants et la cathédr. d'Angoulême, Ang. 1869). Saint Cybar
Eparchiùs), reclus, mort en 581, dont un couvent conserve le nom, est
le pal ion de la ville ; il est fêté le 1er juillet {Gallia, II).
ANGOUMOIS. Cette province (Charente), dont Angoulème était la ca-
pitale et qui forma, avec l'Aunis, la Saintonge et les îles, un même ar-
rondissemenl synodal, fut visiléeen 1532 par Calvin qui fuyait la persé-
cution. Le fui iir réformateur trouva un asile dans la maison de Louis
du Tillet, chanoine d'Angoulême et curé de Claix. C'est là que, n'ayant
pas encore rompu avec la communion de Rome, il posa les premiers
fondements de sa célèbre Institution chrétienne et se lia d'amitié avee
l'abbé de Bussac, Charles Girault d'Auqueville, Antoine Chaillon, prieur
i. 22
330 ANGOUMOIS
de Bouteville et autres, avec lesquels il se réunissait fréquemment
dans la maison de Girac, près d' Angoulême. 11 composa même des exhor-
tations que du Tillet fit lire au prône à Angoulême et dans les paroisses
environnantes. Quelque temps après il retourna à Paris, mais fut con-
traint presque aussitôt de reprendre le chemin d' Angoulême. Cette fois
il était surveillé et fut réduit à se cacher à Saint-Saturnin, puis dans les
grottes de la Roche-Corail (1534). Poursuivi jusque dans cette dernière
retraite, il partit pour Bade avec du Tillet, qui malheureusement ne
persévéra pas dans ses premières opinions. Le séjour de Calvin dans
l'Angoumois porta ses fruits. Dès 1536 Villefagnan comptait des parti-
sans des idées nouvelles, et, neuf ans plus tard (1545), ils formèrent à
la Rochefoucauld un parti assez puissant. Quelques madones furent bri-
sées dans cette dernière localité et donnèrent lieu à des poursuites di-
rigées contre deux ecclésiastiques, Jean et Elie, et les nommés Pierre
Tachier et Guillaume Bouhier qui furent arrêtés. A dater de cette épo-
que, la Réforme, indirectement favorisée par les exactions de toutes sor-
tes auxquelles étaient en butte les malheureux habitants des campagnes
de l'Angoumois, s'étendit beaucoup dans cette province. Elle recruta
de nombreux adhérents parmi les descendants des Sarrasins et des
Visigoths, qui avaient toujours manifesté une grande opposition aux
doctrines et à la hiérarchie romaines. Diverses Eglises furent fondées,
Cognac en 1556 (Pierre Combes, pasteur), Hiersac en 1560, Montignac
en 1563 (Fériol, pasteur), Châteauneuf en 1563 (Bordier, pasteur), Se-
gonzac avant 1560 (François Gabard, pasteur), Saint-Claud en 1547
(Destampes, pasteur, Guillaume Oubert, diacre), la Rochefoucauld avant
1566 (Hog, pasteur), Vertueix avant 1562 (Prévost, pasteur en 1566),
Jonzac avant 1567 (Cochois, pasteur), Jarnac, vers 1561, Tonnay-Cha-
rente en 1560 (Noël Magnan, pasteur), Saint-Surin (le notaire Jean Frère
Jean, prêcheur ; Léopard, pasteur en 1561 ; Sorain, pasteur en 1562),
Aubeterre (Bouchard, pasteur en 1562), Chalais, Barbezieux, la Roche-
beaucour, Villefagnan, etc. Dès 1560 ces diverses Eglises avaient tenu un
synode provincial à Jarnac, où elles affirmèrent leur union. Pour ce qui
est de la capitale de l'Angoumois, le parti protestant y devint tout-
puissant en 1558. L'année suivante une Eglise régulière y fut fondée
sous le ministère de Jean de Voyon, allié aux meilleures familles d' An-
goulême. Emprisonné à la tour du Châtelet à Paris, ses parents obtin-
rent sa délivrance à la mort de François II, et il reprit son ministère,
qu'il continua jusqu'à l'édit de janvier. En son absence l'Eglise avait été
desservie par le pasteur Dumont. — Pendant la première guerre de re-
ligion (avril 1562-19 mars 1563) Angoulême et les principales places de
l'Angoumois furent enlevées par les protestants, mais, la fortune de
leur parti étant devenue chancelante sur les bords de la Loire, les dé-
fenseurs d' Angoulême se rendirent après quinze jours de siège. On leur
promit la vie sauve, mais cette clause ne fut pas respectée, et le cruel
laRochefoucauld-Marthon, qui commandait les catholiques, commit les
plus grands excès dans la ville. Il en fut de même à Cognac. Pendant la
troisième guerre de religion (25 août 1568-8 août 1570), Angoulême et
toutes les autres places de l'Angoumois tombèrent de nouveau aux
ANGOUMOIS - ANHALT 331
mains des protestants qui, à la paix, n'obtinrent pas le droit d'exercer
leur religion dans la province. La Saint-Barthélémy occasionna de nom-
breux massacres dans l'Angoumois. A l'époque de la Ligue le duc d'E-
pernon, qui tenait le parti du roi de Navarre et était gouverneur de la
province, se réfugia à Angouième pour se mettre à l'abri des ligueurs,
mais il se trompa en quelque sorte d'adresse, car ces derniers l'assailli-
rent trois fois dans le château, et ils fussent sans nul doute parvenus à
le massacrer sans l'approche d'un gros escadron de cavaliers hugue-
nots. Quand la Ligue eut été abattue dans la province, les protestants
recommencèrent leurs assemblées publiques. Ceux d'Angoulême cons-
truisirent un temple à Pontouvre , et les pasteurs de la Rochefoucauld,
Saint -Même et Segonzac furent rétribués par Henri IV. Les guerres reli-
gieuses du dix-septième siècle vinrent troubler de nouveau les Eglises
angoumoises, mais l'orage, une fois passé, elles reprirent leur première
prospérité. Leurs pasteurs les plus distingués furent pour cette époque
Pacard, Gommarc et Daillon. La révocation de l'édit de Nantes livra
l'Angoumois aux convertisseurs et aux missions bottées. Les dragons
parcoururent le pays en tous sens, recevant les conversions par milliers
et domptant les opiniâtres par la force et la souffrance. D'un autre côté,
les prisons se remplirent de nombreux confesseurs et spécialement le
château d'Angoulême. Le commerce des papiers, si florissant jusque-là à
Angoulême et dans les environs, fut anéanti par l'émigration, et la Ro-
chefoucauld, ville riche et considérable à cette époque, perdit ses tan-
neries si renommées. On ne trouva même plus assez de gens pour culti-
ver les vignes, et le commerce des eaux-de-vie en fut gravement atteint.
La première assemblée du désert de l'Angoumois fut présidée, dans la
nuit du 9 novembre 1716, àTouzac, par Jean Berthelot, prédicant du
Poitou, condamné dans cette dernière province par contumace aux
galères l'année précédente. Le lieutenant criminel d'Angoulême le con-
damna à son tour à mort. Le premier moment d'effroi passé, Berthelot
reprit ses prédications (1719), puis rentra dans le Poitou. 11 eut pour
successeur un prédicant venu des Gévennes, nommé Chapelle, qui fut
trahi et emprisonné en Saintonge. Plus tard apparaît le pasteur Gibert
l'aine, qui ne dut qu'à la vitesse de son cheval de ne pas être pris à la
suite d'une assemblée et fut condamné à mort par l'intendant de la
Rochelle (14 juil. 1756). En 1763 il conduisit en Angleterre une colonie
de réfugiés protestants, et périt en 1774 dans une assemblée surprise à
Saint-Just en Saintonge. Le nombre des pasteurs s'étant beaucoup accru
dans l'Angoumois par suite des progrès de la tolérance, les Eglises de
Cftte province furent desservies dès 1761 par un pasteur spécial, nommé
Martin : faveur dont elles jouirent jusqu'à la Révolution. Après le con-
cordat ces mêmes Eglises formèrent le consistoire de Jarnac, qui comp-
tait 4,000 protestants environ en 1870.— Voyez : Bèze, Uist. ecclés.; Bu-
jeaud, Chroniq.prot. de VAnçjoum., 1860; Goguel, 1534-1836, But. et
statistiq. des Egl, réf. de la Charente, 1836. . E. Arnaud.
ANHALT (La Réformation dans les duchés d'). A l'époque de la Ré-
formation la maison d'Anhalt était divisée en deux branches représen-
tées, l'une, par le prince Wolfgang, l'autre, par les trois fils mineurs du
332 ANHALT — AN1GET
prince Ernest. Wolfgang est une des plus héroïques figures du seizième
siècle. Né le 1er août 1492, il fit la connaissance de Luther à la diète de
Worms (1521) et se montra dès ce moment favorable à la Réforme.
L'année suivante Luther vint, à sa demande, prêcher àZerbst, dont les
bourgeois se prononcèrent pour l'Evangile. En 1529, Wolfgang signa la
protestation de Spire, et en 1530 la Confession d'Augsbourg ; il fit alors
à Eck cette réponse qui le caractérise : « Notre cause est bonne, car
c'est la cause de Dieu et Dieu la soutiendra. Mais sachez bien, monsieur le
docteur, que, si vous nous suscitez une guerre, vous trouverez aussi de
notre côté des hommes. » Wolfgang pleura auprès du lit de mort de
Luther, entra dans la ligue de Smalcalde et tira l'épée contre Charles-
Quint. Dépossédé et mis au ban de l'empire après la bataille de Muhl-
berg (1546), il quitta son palais en chantant le cantique de Luther. Mau-
rice de Saxe contraignit plus tard l'empereur à lui restituer ses domai-
nes. En 1561 Wolfgang protesta à Naumbourg contre les changements
introduits par Mélanchthon, dans la Confession d'Augsbourg ; en 1564,
il abandonna ses États à ses cousins et se retira dans la vie privée, à
Zerbst, uniquement occupé de l'Eglise, des écoles et d'œuvres de cha-
rité. Il mourut en 1 566. L'autre branche d'Anhalt était représentée par
les jeunes princes Jean, George et Joachim, placés sous la tutelle de
leur pieuse mère Marguerite et sous l'influence de leur parent George
de Saxe, l'ardent ennemi de Luther. Hostiles à la Réforme jusqu'en 1530,
leurs dispositions furent modifiées par la lecture de la Confession d'Augs-
bourg et de l'Apologie ; mais ce n'est qu'en 1532 qu'ils se prononcèrent
ouvertement pour la Réformation, et ce fut, comme dit Luther, non
sine magno periculo, magnis principibus contrarium suadentibus, insuper
etiam minantibus. Ils appelèrent à Dessau l'ami de Luther, Nicolas
Hausmann, dont le réformateur disait: « Quod nosdocemusi illevivit.»
Luther resta en correspondance avec les trois princes, surtout avec
George, surnommé le Pieux, dont il dit : « Le prince George a plus de
piété que moi; si celui-là ne va pas au ciel, je n'y irai pas non plus. »
Entré dans les ordres, George fut d'abord chanoine à Naumbourg, puis
prévôt du chapitre de Magdebourg ; en 1544 il devint évêque évangéli-
que de Mersebourg ; il mourut à Dessau, le 17 octobre 1553, à l'âge de
quarante-six ans. A la fin du seizième siècle, par suite des disputes pro-
voquées par la Formule de Concorde, la Confession réformée fut intro-
duite dans le duché d'Anhalt-Dessau. Au commencement de notre siècle
(1820 àBernbourg; 1827 à Dessau) on y établit l'Union (Beckmann,
Hist. des Fùrstenthums Anhalt; G. Schubring, Die Einfùhrung der réf.
Confession in Anhalt; Lie. Schmidt, Georg v. Anhalt, dans Meurer,
Altvseter der luth. Kirche. 1 V. Ch. Pfender.
ANÏCET (Saint) [Avimjtoç], évêque de Rome. Le livre des papes dit
qu'il était originaire d'Emésa en Syrie. Hégésippe, contemporain d'Ani-
cet (Eusèbe, H. E., IV, 22), Irénée {Hœr., III, 3, 3) et les Grecs le pla-
cent entre Pie et Soter ; la Chronique d'Eusèbe le fait régner de 152 à
153, l'Histoire ecclésiastique de 157 à 168, ou plutôt de 156 à 167. Tous
les Latins, jusqu'au sixième siècle, nomment, par une erreur évidente,
Pie après Anicet. M. Lipsius (Chronol. d. rœm. Bisch., p. 186 ss.) admet
AN1GET - ANIMISME 333
qu'il succéda à Pie entre les années 154 et 156, et mourut en 166 ou
167. Polycarpe vint à Rome vers 160, mais ne put s'entendre avec Ani-
cet au sujet de la célébration de la Pâque (Jrén., Hser., III, 3, 4 ; Eusèbe
H. E '., V, 24). On a inséré. dans le Pseudo-Isidore et dans Gratien de
fausses décrétâtes sous le nom de ce pape.
ANIMAUX purs et impurs (Lévit, XI, 1-31, cf. v. 46 ss. , Deut.
XIV, 1-19). Les diverses catégories d'animaux impurs sont, d'après ces
textes, les quadrupèdes ruminants qui n'ont pas la corne du pied fendue
de part en part, les serpents, les reptiles en général et la plupart des
insectes, les animaux aquatiques n'ayant ni nageoires, ni écailles et un
certain nombre d'oiseaux. Le rédacteur jéhoviste du Pentateuque fait
observer cette distinction par Noé (Gen. VII, 1 ss.). Voyez Histoire na-
turelle de hi Bible et Loi mosaïque.
ANIMISME, doctrine qui attribue la vie de notre corps à une action de
l'a me. celle-ci ayant deux modes de fonctionnement, l'un spirituel, pro-
duisant les pensées, les volitions, l'autre organique, produisant l'inner-
vation, la nutrition, en un mot, tous les phénomènes de l'ordre matériel.
L'harmonie qui relie entre elles toutes les parties du corps humain sug-
géra de bonne heure la pensée que les diverses fonctions obéissent à une
énergie dominante, en qui se concentre l'unité de l'individu ; mais jusque
dans les temps modernes cette énergie fut, plus ou moins vaguement,
considérée comme distincte de l'âme raisonnable et immortelle. Au dix-
septième siècle, les progrès récents des mathématiques et de la chimie
inspirèrent la théorie iatromécanicienne (Descartes, Leibnitz), qui pré-
tendait expliquer par des actions mécaniques toutes les manifestations
de la vie, tandis que la théorie iatrochimique (Sylvius de Le Boë) les ex-
pliquait par des fermentations, distillations et autres actions chimiques.
Stahl (Theoria medica, 1707) fut le premier qui professa nettement
l'animisme, le formulant dans sa rigueur extrême : l'âme forme, fait son
corps. Cet enseignement renfermait deux erreurs que les animistes ac-
tuels ont répudiées. D'une part, il prétendait que cette action exercée
par l'âme était consciente, intentionnelle, puisque l'âme est essentielle-
ment raisonnable et intelligente ; on a reconnu qu'il existe, même dans
les faits de l'ordre spirituel, une activité inconsciente, une spontanéité
instinctive, qui, pour précéder la réflexion, n'en est pas moins juste et
vraie ; à plus forte raison, faut-il ranger dans le domaine de la sponta-
néité inconsciente l'action exercée par l'âme sur le corps, si intense
ou si faible qu'on veuille la concevoir. De plus Stahl se représentait
l'âme comme le premier moteur d'une machine ; il juxtaposait deux
entités, dont l'une, principe de l'unité, était dépouillée de son expansion
légitime, tandis que l'autre, organisme sans force organisante, était une
construction compliquée, sans unité réelle. L'école de Montpellier
(Barthez, Bordeu) essaya de rapprocher les deux entités en proclamant
t.- vitalisme, qu'on a appelé doctrine du double dynamisme, plaçant au-
dessous de l'âme un principe vital distinct, qui régit les actes de la vie
organique, principe indéfinissable du reste, pareequ'il échappe et s'éva-
nouit lorsqu'on veut le saisir. La doctrine des propriétés vitales, formu-
lée parBichat, fut une transformation du vitalisme; elle rattacha direc-
334 ANIMISME — ANJORRANT
tement les manifestations de la vie aux propriétés des divers tissus dont
se compose le corps humain ; la vie se trouvait par là décentralisée et
fortement incarnée dans les différents organes. Depuis lors les biologistes
se sont partagés entre deux tendances. L'une, l'école de la méthode
exclusivement expérimentale, a marché dans la voie de décentralisation
ouverte par Bichat : le corps humain est une association ; l'unité élé-
mentaire, le vrai individu, c'est la cellule ; « il n'y a rien de plus dans
l'organisme total que ce qu'il y a dans les cellules ou dans la substance
intercellulaire ; le seul résultat du rapprochement harmonique de toutes
les cellules en tissus, organes, appareils, est de combiner les actions cel-
lulaires existantes, d'en former un tout synergique, un concert. »
(Y. le cours de M. Cl. Bernard, Revue scientif., avril 1876.) L'écueil de
cette tendance, c'est de s'absorber dans la multiplicité des détails. A ses
yeux, l'animisme est une notion métaphysique, nuisible à la science.
L'autre tendance veut réagir contre les excès de l'analyse ; elle affirme
que les cellules vivent par la vie du corps entier, c'est-à-dire par l'unité
première et créatrice dont elles procèdent ; le caractère dominant de
tout ce qui vit est l'unité ; l'organisme est l'unité se manifestant, l'unité
extériorisée, l'individualité étant incarnée au même titre dans chacune
des cellules (V. plusieurs art. de M. Chauffard dans le Correspondant,
25 oct. 1873, 25 mai 1874, 25 fév. 1875). On conçoit que cette école
compte des animistes à des degrés divers. Il est naturel que des philo-
sophes, des théologiens, partant non de l'observation externe, de la pé-
riphérie, mais de l'observation interne, se soient aussi prononcés pour
la doctrine de l'animisme ; ils ne prétendent pas pour cela expliquer le
mystère de cette action de l'âme sur l'organisme ni suppléer à l'expéri-
mentation pour tout ce qui concerne l'anatomie et la pathologie, mais
ils estiment que le rapprochement harmonique des cellules vivantes doit
avoir une cause, vivante aussi, et que l'animisme est le système qui sau-
vegarde le mieux les caractères respectifs de ces deux substances dis-
tinctes el inséparables, l'âme et le corps, qui constituent notre être
complet. — Voy. A. Lemoine, Le Vitalismeet l'Animisme de Stahly 1865;
Fr. Bouillier, Le Principe vital et /' Ame pensante , 2e édit. 1875.
A. Matter.
ANJORRANT. Une famille de ce nom avait pour chef, à la fin du quin-
zième siècle, un avocat du roi à la cour des comptes, Louis Anjorrant,
seigneur de Claye et de Souilly, dans la Brie. Un demi-siècle après,
Jean et Renaud, fils de Louis, étaient l'un président, l'autre conseiller au
parlement de Paris et partisans plus ou moins déclarés de la Réforme.
Renaud l'embrassa d'un tel zèle, qu'il abandonna ses fonctions pour se
retirer à Genève, où il fut reçu habitant en 1554, bourgeois en 1556,
et membre du grand conseil de la République en 1570. Il mourut le 25
août 1572. Jacob Anjorrant, son fils, né à Genève en 1566, étudia le
droit, entra au grand conseil en 1593, et se consacra tout entier au ser-
vice de la République. Il était négociateur excellent. Depuis 1593 jus-
qu'à 1629, il se passa peu d'années où il ne fût envoyé en mission à l'é-
tranger, tantôt en Hollande, en Allemagne, en Angleterre, en Ecosse,
pour quêter au profit de la seigneurie et des Eglises, tantôt à la cour de
ANJORRANT — ANJOU 335
France pour défendre ses compatriotes et déjouer les influences perfides
qui s'agitaient sourdement contre Genève. En 1610, Henri IV accorda,
sur sa requête, une pension annuelle de 72,000 livres auxGenevois, pour
soudoyer leur garnison. Le 14 mai, au matin, le diplomate alla pren-
dre son audience de congé et remercier le roi qui se disposait à entrer
en campagne contre les armées catholiques d'Autriche et d'Espagne, et
qui lui dit : « Assurez messieurs de Genève que je ne quitterai jamais
mes anciens serviteurs, et encore que vous ne soyez mes sujets, je vous
maintiendrai comme si j'étais votre père. » Quelques heures après Henri
tombait sous le poignard de Ravaillac. Jacob Anjorrant fut élu dix fois
syndic de Genève et sept fois lieutenant de police et justice. On peut le
citer comme un modèle de ces anciens magistrats genevois, dignes par
leurs moeurs austères, leur capacité, leur dévouement à la patrie, de
gouverner une glorieuse république. Il mourut à quatre-vingt-un ans.
— En 1636 la seigneurie de Glaye appartenait encore à une descendante
des Anjorrant s du parlement de Paris, Jeanne Anjorrant, femme de
Daniel de Tissard. Gomme tous les seigneurs protestants ayant haute
justice, ils jouissaient du droit de faire célébrer le culte dans la cha-
pelle de leur château ; mais comme tous aussi ils eurent à subir les
vexations sans nombre suscitées pour leur arracher cette modeste li-
berté. Les persécutions judiciaires entamées contre eux à cet effet
commencèrent en 1636 et ne se terminèrent qu'en 1668, par la sup-
pression du droit de célébrer le service religieux dans la seigneurie de
Glaye. h. Bordier.
ANJOU. La Réforme pénétra de bonne heure dans l'Anjou. Dès 1523,
les vicaires généraux du diocèse d'Angers interdisaient la lecture des
ouvrages de Luther, et l'évêque François de Rohan renouvelait la
même défense Tannée suivante. Mais ce ne fut qu'en 1547 que les
idées nouvelles gagnèrent véritablement du terrain dans l'Anjou. La
ville d'Angers, en particulier, qui était le siège d'une université et peu-
plée de moines et de prêtres, les reçut avec avidité, grâce à la faveur
que leur accordait son évêque Jean Ollivier, « homme de bon savoir et
de gentil esprit, » dit Bèze. Il y eut des assemblées de prières et des
prédications, mais elles furent bientôt découvertes, et François Fardeau,
ii le Royer, Jean de la Vignole, Denis Saureau et Guillaume de
Ren, convaincus d'y avoir assisté, furent condamnés à mort et exécutés.
suppliées devinrent le germe de nouveaux progrès, et neuf ans plus
lard (4555), une Eglise était fondée à Angers sous la direction du savant
•ur Jean de Pleur, envoyé par les ministres de Genève, et grâce
aux soins de François le Maçon, pasteur à Paris et natif d'Angers. Une
era ration » suivit de près cet heureux événement. Le roi, à la
demande des chanoines d'Angers et d'autres catholiques de marque,
1 Rémy Àmbroise, président au parlement d'Aix, et l'inquisiteur
thieu Ory pour foire le procès aux évangéliques. Huit d'entre eux
\\ \ 'Tiiti-s. De tour nombre se trouvèrent les minisires Pierre de
et Jean Rabec. Le premier revenait de faire ses études à
ève et à Lausanne. Moulé sur le bûcher, et bien qu'on lui eût coupé
la langue, il « invoqua plusieurs fois à haute voix et intelligiblement
336 ANJOU
Jésus-Christ au grand éionnement de tous les assistants » (22 mai 1556).
Jean Rabec, ancien cordelier et écolier des seigneurs de Berne à Lau-
sanne, périt également par le feu en chantant le psaume LXXIX
(24 avril). Trente-quatre autres luthériens, qui purent heureusement
prendre la fuite, furent condamnés à être brûlés vifs par contumace.
L'Eglise abattue, mais non détruite, se releva deux ans après (1558) par
la présence et l'exemple de d'Andelot, frère de Coligny, « lequel,
accompagné de Gaspard Marcel, ministre de Paris... y fit prêcher par
trois fois à porte ouverte en son logis. » Le pasteur Nicolas Gorre dit
Daniel, qui vint peu après se mettre à la tête de l'Eglise, put exercer
« fidèlement sa charge pendant près de deux ans, faisant les exhorta r
tions de nuit, quelquefois en la ville, quelquefois aux champs, par les
blés et par les bois. » 11 fut remplacé par Ambroise de la Plante, dit le
Balleur, qui administra la Gène le lendemain de Pâques (1560). Son
successeur, Charles d'Albiac du Plessis, la donna en septembre. Sous le
ministère de ces deux pasteurs, l'Eglise s'accrut d'un grand nombre de
membres sortis principalement des rangs de la noblesse. Mais elle fut
de nouveau dispersée par le duc de Montpensier, qui arriva à Angers
avec des troupes pour châtier à la fois les évangéliques et les gentils-
hommes enclins à la Réforme, qui avaient assisté en armes à l'assemblée
des états de la province et occasionné quelques troubles (Journée des
mouchoirs). Trois partisans des idées nouvelles furent mis à mort : un
gentilhomme, un sergent et un charron. La mort du roi François II
changea la face des choses. Charles IX, qui lui succéda, fit cesser toutes
les poursuites dirigées contre les évangéliques d'Angers, qui rappelèrent
aussitôt leur ministre et reprirent leurs assemblées. Elles se tinrent
dans les bois, puis dans l'intérieur de la ville. Irrités de leur audace,
les moines excitèrent contre eux les catholiques, qui tuèrent un des
leurs par mégarde, le prenant pour un huguenot. L'heureux édit de
janvier 1562 mit fin à ces persécutions, et les évangéliques tinrent dé-
sormais leurs assemblées dans les faubourgs de la ville. — La première
guerre de religion fut fatale à l'Eglise d'Angers. Les protestants s'em-
parèrent de la ville par surprise (5 avril 1 562) , mais ils ne surent pas la
conserver. Puygaillard, lieutenant du duc de Montpensier, se glissa
dans le château, dont ils avaient négligé de se saisir, et se rendit peu
après maître de la ville. Le duc y entra bientôt lui-même et institua
une sorte de cour martiale, qui mit à mort quatre-vingt-huit réformés.
Beaucoup d'autres excès se commirent au nom des catholiques, et
finalement tous les gens suspects de près ou de loin de luthéranisme
furent expulsés de la ville. La soumission d'Angers entraîna rapidement
celle de tout le pays d'Anjou, qui ne comptait pas du reste beaucoup
de réformés. Le fait d'armes le plus remarquable de la lutte fut la dé-
fense héroïque du château de Rochefort par le capitaine huguenot
Desmarais, que Montpensier eut la basse cruauté de faire périr sur la
roue après sa reddition. A la paix, les réformés furent autorisés par des
commissaires royaux à se réunir dans les faubourgs de Baugé, mais ils
continuèrent leurs assemblées à Cantenay, village voisin d'Angers.
Pendant les autres guerres de religion aucune contrée de l'Anjou ne
ANJOU 331
tomba au pouvoir des huguenots. Ils traversèrent la province en 1568,
sous la conduite de dAndelot, qui se dirigeait vers la Rochelle, mais
sans s'y arrêter et essayer de la conquérir. Elle demeura donc entière-
ment livrée à l'influence des catholiques. Aussi ne faut-il pas s'étonner
que la Saint-Barthélémy y ait fait de nombreuses victimes. Ce fut le
duc d'Anjou, frère du roi, qui ordonna lui-même l'ordre des massacres
à Saumur et à Angers. Dans cette dernière ville, trois pasteurs furent
mis à mort : la Rivière, de Goulaine et Delaunay. Pendant la dernière
guerre de religion (1685), le prince de Condé tenta, mais inutilement,
d'enlever de vive force Angers, et, après l'assassinat du duc de
Guise (1588), cette cité embrassa chaudement le parti des ligueurs.
Henri III eut bien vite triomphé de ces derniers par l'envoi d'un ré-
giment aux ordres du maréchal d'Aumont, mais il n'eut pas le même
succès sur les autres points du royaume. La Ligue triomphait partout
et le roi n'était plus reconnu que dans cinq places. Dans cette extré-
mité, il s'allia avec le roi de Navarre et lui livra Saumur, dont le gou-
vernement fut confié au vertueux Duplessis-Mornay. De cette petite
ville, jusqu'alors ignorée, ce dernier fit une puissante citadelle, un
grand centre de population, un foyer de science et le siège de l'une
des plus célèbres académies réformées du dix-septième siècle. Après
l'assassinat d'Henri III (2 août 1589), Angers et Saumur furent les deux
seules villes de l'Anjou qui reconnurent le nouveau roi. Toutes les places
secondaires de la province s'y refusèrent. Alors commença une lutte
acharnée qui dura neuf années entières. Les troupes royalistes, con-
duites par la Rochepot, lieutenant-général du roi, dans l'Anjou, et
Puycharic, gouverneur du château d'Angers, furent souvent battues
par les bandes ligueuses de Bois-Dauphin et des trois frères Saint-
Offange, qui avaient fait du château de Rochefort un véritable repaire
de brigands. La conversion d'Henri IV au catholicisme et sa marche
victorieuse sur l'Anjou achevèrent de ruiner le parti ligueur dans la
province, et tous ses chefs firent leur soumission les uns après les
autres (1598). Ce fut à Angers, dans une des salles du couvent des
Jacobins, que les articles de redit de Nantes furent définitivement
arrêtés. Le roi les signa deux jours après dans cette dernière ville
(13 avril). Les protestants de l'Anjou eurent le droit de célébrer leur
culte dans une dizaine de lieux, et les plus prospères de leurs Eglises
furent Angers, Saumur, Baugé, Craon, Mirebeau et Bourgueil. On doit
citer comme les plus distingués de leurs pasteurs : Louis Gappel,Gomar,
Amyraut, la Place et d'Huisseau, qui furent en même temps d'éminents
professeurs de théologie de la savante université protestante de Saumur.
Les Eglises de l'Anjou, jointes à celles du Maine et de la Touraine,
formèrent au dix-septième siècle trois colloques distincts et un arrondis-
sement synodal. La révocation de l'édit de Nantes les ruina com-
plètement, et elles ne paraissent pas s'être relevées pendant la période
du Désert. Nous n'avons retrouvé du moins aucune de leurs traces.
Aujourd'hui l'Anjou, qui a servi à former le département de Maine-et-
Loire, ne renferme que deux Eglises rattachées au consistoire de
Nantes, Angers et Saumur, encore sont-elles de création récente
338 ANJOU — ANNE
voyez Bèze, Hist. ecclés.; Ern. Mourin, La Réforme et la Ligue en
Anjou, 1856.) E. Arnaud.
ANNAT (François), jésuite, né à Rodez en 1590. On prétend qu'il
s'appelait Canard (en latin anas). Il devint provincial de son ordre
et fut pendant seize ans, depuis 1654, le confesseur indulgent de
Louis XIV; il mourut à Paris en 1670. Le P. Annat employa son crédit
à obtenir d'Innocent X la condamnation des Cinq Propositions et con-
sacra son érudition à combattre le miracle de la sainte Epine {Le Rabat-
joie des Jansénistes, P., 1656, in-4°) et à réfuter les premières Provin-
ciales (La Bonne Foi des Jansénistes en la Citation des Auteurs,1?., 1656,
in-4°). C'est à lui que Pascal adressa, comme réponse, sa dix-septième
et sa dix-huitième Lettre. Ses opuscules latins sur la grâce ont paru à
Paris en 1666, en trois volumes in-4°.
ANNATES (Annatœ, annalia, annum vectigal vacantis benefîcii). On
désigne sous ce nom le revenu annuel ou, pour dire plus juste, une
certaine portion du revenu annuel d'un bénéfice vacant, redevable au
Saint-Siège. L'origine de cette redevance est très-ancienne. Dès le sixième
siècle, les canons de l'Eglise autorisaient les évêques et les abbés à
percevoir la moitié ou même la totalité du revenu de la première année
des bénéfices qu'ils conféraient aux prêtres ordonnés par eux. On dési-
gnait aussi cet impôt sous le nom de servitia communia, qui devait dé-
guiser sans doute ce qu'il pouvait avoir de blessant pour la délicatesse
de celui qui en jouissait. A mesure que la papauté, de plus en plus
considérée comme la source exclusive des grâces dans l'Eglise, confis-
quait à son profit le droit de l'ordination épiscopale, elle réclama aussi
celui de percevoir les annates de tous les bénéfices vacants. En Italie,
en Allemagne et dans d'autres pays, ce droit lui fut accordé dès le. qua-
torzième siècle ; en France, elle le reçut par le concordat conclu à Bo-
logne, en 1516, entre François Ier et Léon X. Les efforts des conciles pour
réformer cet abus et remplacer les annates par un subside fixe restèrent
absolument infructueux ; ce n'est que de nos jours que le Saint-Siège
s'est vu contraint de renoncer à ce privilège. En France, le décret du
4 août 1789 a supprimé les annates. Dans les autres Etats catholiques,
les gouvernements les ont remplacées par des taxes fixées et consenties,
d'accord avec la chancellerie romaine, à titre de remise gracieuse,
selon l'importance de l'évêché ou de l'abbaye à pourvoir (voy. l'article
Bénéfices). — Thomassin, De veter. et nova Ecclés. disciplina, III, 1. II,
c. 56; Alexander, Hist. ecclés., ssec. XV et XVI, diss. IX, De annatis,
art. 3.
ANNE [Khannâh, "Avva]. — 1° Femme d'Elkana et mère de Samuel
(1 Sam. I; cf. II, 21).— 2° Femme de Tobie (Tob. I, 9; II, 1, 19). —
3° Veuve âgée habitant Jérusalem, fille de Phanuel, le prophète, qui se
trouvait au temple lorsque Marie vint y présenter l'enfant Jésus, dans
lequel Anne reconnut et salua le futur Messie (Luc II, 36).
ANNE ("Avva; dans le Nouveau Testament, 'Avavoç dans Josèphe,
deux transcriptions grecques du même mot hébreu Khan an), nom
d'un grand prêtre juif, contemporain d'Auguste et de Tibère et chef
d'une nombreuse et riche famille sacerdotale, dont l'influence fut loue-
ANNE 339
temps prépondérante à Jérusalem avant et après la mort de Jésus.
A des intervalles plus ou moins longs, dans l'espace de soixante ans,
sept membres de cette famille obtinrent la charge de grand prêtre. Fils
d'un nommé Sel h, et probablement d'origine extrapalestinienne, Anne
devint le chef du vieux parti sadducéen et semble en avoir incarné
l'esprit légal, conservateur, froidement cruel, s'alliant à une grande
habileté politique, qui lui permettait de plaire aux Romains, sans perdre
la confiance du peuple. Il devint grand prêtre après le recensement de
Quîrinus (6 ap. J.-G.) et le resta pendant huit années environ, jusqu'au
commencement du règne de Tibère (Jos., Ant. XVIII, 2, 1 et 2; XX, 9, 1;
B. «/., V, 12, 2). Nous ne savons rien de ce long pontificat, sinon qu'avant
une fête de Pâques (an 8 ou 9?) les Samaritains souillèrent le temple en y
répandant des ossements humains. Fidèle aux prescriptions traditionnelles
et légales, Anne fit fermer le temple au peuple pendant la fête, interdic-
tion et interruption unique dans l'histoire du culte lévitique (v. Deren-
bourg, Essai sur V histoire et la géographie de la Palestine, p. 359). Dé-
posé par le gouverneur romain Val. Gratus, il n'en resta guère moins
puissant et honoré jusqu'à la fin de sa vie. Cinq de ses fils et son gendre
obtinrent les fonctions de grand prêtre et semblent les avoir exercées
sous sa tutelle (Eléazar, 16-17 ap. J.~C. — Joseph Caïphe, gendre d'Anne,
18-36. — Jonathan et Théophile, 36-37. — Matthias, 43, et enfin Anne
Junior, 63. — Un petit-fils d'Anne, Matthias, fut encore nommé grand
prêtre par le peuple au commencement du siège de Jérusalem). Honorée
par le judaïsme, cette famille a gardé dans la tradition chrétienne un
sinistre renom, parce qu'elle s'est trouvée l'adversaire de la famille de
Jésus, et semble l'avoir poursuivie avec une haine acharnée. C'est Anne
et son gendre Gaïphe qui ont fait mourir Jésus et lapider Etienne; c'est
son fils Théophile qui a pris les premières mesures violentes contre les
chrétiens; enfin, c'est son fils Anne qui, trente ans après, faisait encore
exécuter le frère de Jésus, Jacques le Juste. Tels sont l'esprit et la tra-
dition de cette famille que traduit fort bien le mot de Gaïphe, rapporté
par Jean, à propos de Jésus : « Il vaut mieux qu'un homme périsse que
tout le peuple. » Anne vécut longtemps; son influence était prépondé-
rante dans le Sanhédrin, qui même, si nous en croyons une tradition
talmudique, aurait, quarante ans avant la ruine du temple, transporté
le lieu de ses séances dans les Khaneioth ou bazars du mont des Oliviers,
propriété particulière de sa famille. C'est là probablement que Jésus a
comparu et a été jugé (voy. Derenb., Essai sur l'hist. et la geog. de la
Palest., p. 465). Plus tard, Anne y eut, au dire de Josèphe, un magni-
fique tombeau, qui fut détruit avec le temple de Jérusalem. Ces détails
font comprendre pourquoi dans nos Evangiles le nom d'Anne est pres-
que toujours associé à Caïphe et même cité souvent le premier ; il ne
faut pas davantage s'étonner de lui voir porter le titre de grand prêtre,
bien qu'il n'en exerçât plus les fonctions, car il est certain que ceux qui
avaient occupé ce haut rang en conservaient le titre honorifique et
même certains privilèges durant toute leur vie (Jos. B. </., II, 12, 16;
IV, 3, 7 et 9; Vita, 38). Néanmoins, deux passages de Luc ont droit de
nous surpendre: Luc III, 2, et Act. IV, 6, où Anne, nommé avant
340 • ANNE — ANNEAU
Caïphe, a seul le titre de grand prêtre et semble être présenté comme
en remplissant les fonctions. Il y a là, soit une erreur historique, soit
une expression inexacte que le grand renom et l'influence souveraine
d'Anne rendent fort concevable. On a bien essayé de montrer qu'Anne,
en ce moment, aurait eu la présidence ou la vice-présidence du San-
hédrin, ce qui expliquerait l'épithète; mais cette conjecture est dé-
mentie par les faits ; car tous s'accordent à démontrer qu'à cette époque
la charge de grand prêtre et la présidence du Sanhédrin ne furent
jamais séparées. • A. Sabatier.
ANNE (Sainte), mère de la Vierge Marie. Le Protévangile de Jacques,
le Pseudo -Matthieu et l'Evangile de la Nativité de Marie racontent la
poétique légende de son union avec Joachim (Tischendorf, éd. II, 1876).
Epiphane [User. 78) et Grégoire de Nysse nous révèlent les premières
traces de son culte; Jean de Damas, dans sa première homélie sur la
Nativité de la Vierge, lui adresse d'ardentes invocations. Justinien, au
témoignage de Procope, fit bâtir, vers 550, l'église de son nom à Cons-
tantinople. Le culte de sainte Anne fut long à s'introduire en France.
Gerson, dans son sermon sur la Nativité de la Vierge ( Opp. III,
1352), résume en cinq vers la généalogie compliquée des trois ma-
riages de sainte Anne avec Joachim, Gléophas et Salomas ; elle eut
de ces trois époux les trois Marie, qui épousèrent Joseph, Alphée et
Zébédée. Lorsque Le Fèvre eut publié, dans la deuxième édition de son
livre sur Marie-Madeleine, son traité De una ex tribus Maria (P., 1518,
in-4°), et qu'Agrippa l'eut suivi dans la lice [De B. Annse monogamia ac
unico puerperio, 15] 9), les sorbonistes prirent feu pour la défense de la
trinuba et tripara; Beda se distingua par son livre De nepotibus B. Annse
(P. , 1529, in-4°). La trigamie de sainte Anne dont Eck, dans ses sermons, se
fit encore le défenseur, n'est pourtant plus soutenue aujourd'hui par per-
sonne, elle est abandonnée par le jésuite Guper (AA.SS., QSjul.YÏ). Le
culte de sainte Anne a été réglé en 1584, par une bulle de Grégoire XIII;
elle est vénérée en Orient le 9 septembre, et dans l'Eglise latine, le
26 juillet. Son principal sanctuaire est à Auray, en Bretagne. L'Eglise
a condamné, en 1677, le Napolitain Imperiali qui avait avancé que sainte
Anne avait été mère sans cesser d'être vierge. Cette hérésie n'est pour-
tant point opposée à la tendance du culte de sainte Anne. S. Berger.
ANNEAU. L'anneau, chez les Hébreux comme chez les Egyptiens et
les Perses, servait principalement de sceau ; il était un signe d'honneur
(Jérém. XXII, 24; Aggée II, 24; Esaïe XI, 21 ; Luc XV, 23), ou une
des marques de la souveraine autorité (Gen. XLI, 42 ; Esth. III, 10;
VIII, 2; Dan. VI, 17). Il se donnait aussi comme gage de fidélité, lors
des fiançailles (Gen. XXXVIII, 18). Les premiers chrétiens l'ornaient de
symboles variés, tels que deux colombes, une ancre et un poisson, un
serpent roulé autour d'une croix, image de la durée infinie et du carac-
tère indissoluble de l'union. Tertullien (Apolog. VI) parle de Yunicus
digitus, quem sponsus oppignorasset pronubo annulo ; Clément d'Alexan-
drie (Pœdag., 1. III, c. XI), par contre, rapporte que les femmes à
Alexandrie recevaient de leurs époux un anneau d'or, non comme un
objet de parure, mais pour mettre sous scellés ce qui devait être plus
A&NEA11 — ANNÉE ECCLÉSIASTIQUE 311
spécialement gardé dans le ménage. Au septième siècle encore et jus-
qu'au neuvième, l'anneau était le signe des fiançailles (Isidorus, De ofjfic.,
1. II, c. XIX : Quod in primis negotiis annulus a sponso sponsx dutur). Ce
n'est que plus tard qu'il joua un rôle dans la bénédiction nuptiale.
D'après le Rituale romanum, le prêtre, après avoir béni l'anneau, le re-
met à l'époux qui l'attache au quatrième doigt de l'épouse, parce que
ce doigt a une veine qui correspond avec le cœur (Isidorus, 1. c. : Quarto
digito annulus inseritur, quod in eo vena quœdam, ut fertur, sanguinis
ad cor usque perveniat). Dans l'Eglise grecque, le prêtre offre un anneau
d'or à l'époux et un anneau d'argent à l'épouse ; mais aussitôt le para-
nymphe les échange et remet l'anneau d'or à l'épouse et l'anneau d'ar-
gent h l'époux. Dans les églises protestantes, l'échange des anneaux en-
tre les deux époux par l'intermédiaire du pasteur officiant a prévalu,
comme signe de l'union qu'ils contractent et de la fidélité qu'ils se pro-
mettent mutuellement. — L'anneau fait aussi partie des ornements
d'un évèque. Il est le triple symbole de sa souveraineté, de sa confir-
mation dans la foi, de son union spirituelle avec l'Eglise, son épouse
(Bocquillot, Traité hist. de la liturgie sacrée, P., 1701, p. 168); l'anneau
cardinalice et l'anneau abbatial ont la même signification. Le pape porte
lui aussi un anneau, appelé annulus piscatorius, parce que le sceau est
revêtu de l'empreinte de saint Pierre, pêcheur. Il lui servait à sceller les
brefs apostoliques, au moyen d'une cire rouge ou verte, que remplace
d'ailleurs aujourd'hui un sceau imprimé à encre rouge.
ANNECY [Anessiacus] fut, à partir de 1535, le siège de l'évêché de
Genève. Saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantai y sont en-
terrés dans l'église de la Visitation. Le siège épiscopal de Genève, sup-
primé en 1801, ayant été rétabli en 1819 et réuni à celui de Lausanne,
Annecy fut, en 1822, érigé en évêché, et devint suffragantde Chambéry
{Galliriwi).
ANNÉE chez les Hébreux. L'année chez les Israélites était une année
lunaire de 354 jours 8 heures 48 minutes 38 secondes, composée de
12 mois, alternativement de 29 et de 30 jours et à laquelle on adjoignait
de temps en temps un mois intercalaire pour rétablir son rapport avec
l'année solaire. Elle commençait au mois d'Abib ou Nisan (Lév. XX11I,
34; XXV, 9 ; Nomb. IX, Il ; 2 Rois, XXV, 8; Jérém. XXXIX, 2), con-
formément à l'ordre de Moïse (Exode XII, 2), en relation avec la sortie
d'Egypte (Exode IX, 31) et le printemps. La distinction de l'année reli-
gieuse avec l'année civile commençant au mois de Tisri (automne) sem-
ble postérieure à l'exil (EsdrasIII, 1 ss. ; Néh. VII, 73; VIII, 1 ss.).
ANNÉE ECCLÉSIASTIQUE. Les premiers chrétiens observaient le cycle
traditionnel du calendrier juif. Dans les communautés issues du paga-
nisme, aucune règle particulière n'était établie : l'année religieuse se
confondait avec l'année civile. Pourtant, dès l'origine, la célébration
des fête* <l,,riiennes (voy. cet article) détermina dans les idées et dans
les mœurs une impulsion qui, en s'accentuant, donna naissance à tout
un organisme original qu'il est intéressant d'étudier. Aux deux pre-
mières grandes fêtes, celle de Pâques, en l'honneur de la résurrec-
tion de Jésus-Christ, et celle de Pentecôte, en mémoire de la des-
342 ANNEE ECCLESIASTIQUE *
cente du Saint-Esprit, vinrent se joindre, au troisième siècle, celle
de l'Epiphanie et de Noël, précédées et encadrées comme les pré-
cédentes de semaines et de jours plus spécialement consacrés à so-
lenniser les hauts faits qu'elles rappelaient. L'histoire de l'ordre pro-
videntiel du salut s'incrusta de la sorte, pour ainsi dire, dans la vie
habituelle des chrétiens, et le retour des saisons ramena périodique-
ment des anniversaires destinés à populariser des souvenirs vénérés. La
révélation de l'amour divin, dans les phases progressives qu'elle a par-
courues, marqua de son empreinte l'année terrestre et la força de se
plier à ses convenances : c'était comme la main de l'éternité qui réglait
en la sanctifiant la marche du temps. L'Eglise ajouta bientôt les fêtes
de ses martyrs et de ses saints à celles qui rappelaient la mémoire de
son chef, et la superstition non moins que la foi trouva intérêt à les mul-
tiplier, en les distribuant, sans méthode et sans choix, dans tout le cours
de l'année civile. La vie entière du chrétien devenait ainsi une représen-
tation symbolique du royaume des cieux, et chaque jour ramenait, dans
leur cadre invariable, les anniversaires de l'ordre spirituel, ajoutés ou
substitués à ceux que les populations avaient empruntés aux phénomènes
de la nature ou aux coutumes consacrées par les traditions nationales. —
Pendant longtemps la date du commencement de l'année ecclésiastique
n'avait point été officiellement et uniformément fixée. La plupart des
Eglises, soit en Orient, soit en Occident, avaient continué à la placer,
avec la Synagogue, au lundi de Pâques, qu'Eusèbe encore (Hist. eccL
VTI, 32) désigne sous le nom de Tupohoç jjlyjv, et dont Ambroise (De mys-
ter., c. Il) dit : « Pascha est enim vere aani principium, primi mensisexor-
dium, novella germinum reparatio ac tetrx hiemis nocte discussa, primi ve-
rts restiiuta jucunditas.» Cet usage eût sans doute prévalu, n'eut été le dé-
sir de se distinguer nettement des Juifs, sans pour cela commencer l'année
avec les anciens Romains le 1er mars ou, selon la coutume postérieure,
leler janvier. Ajoutons que, de ces usages, celui que l'on avait hérité de la
Synagogue était le moins commode, parce que de toutes les fêtes celle
de Pâques était la plus mobile. Dans certaines Eglises d'Italie et d'Alle-
magne on avait adopté, sans raison particulière, soit l'époque du
solstice d'hiver (25 décembre), soit celle de l'équinoxe du printemps
(anciennement le 25 mars), et l'on datait en conséquence a nativitate
ou ab onnuntiatione s. a conceptione. L'Eglise grecque choisit et garda,
on ne sait trop pourquoi, le 1er septembre. La date qui l'emporta
en Occident fut celle qui fixe le commencement de l'année ecclé-
siastique au premier dimanche de l'Avent, c'est-à-dire au quatrième
dimanche avant Noël. C'est aux nestoriens qu'elle est empruntée, à
une époque toutefois où le souvenir de l'hérésie nestorienne s'était
déjà effacé. S'il faut en juger par l'introduction des péricopes (voy. cet
article), adoptées d'abord dans les Eglises franques, c'est vers le
sixième ou septième siècle au plus tôt que cette coutume s'introduisit,
et encore ne se généralisa-t-elle pas tout de suite, comme aussi le
cycle des fêtes et des temps fériés de l'année ne se compléta que peu
à peu, attendu que la fête de la Trinité, par exemple, ne fut célébrée
qu'à partir du quatorzième siècle. L'Eglise luthérienne, fidèle à son
ANNÉE ECCLÉSIASTIQUE 343
principe de conserver de la tradition de l'Eglise tout ce qui n'est pas
contraire à l'Ecriture, distingue encore jusqu'à ce jour, pour les besoins
le la vie religieuse et du culte, l'année ecclésiastique de l'année civile;
L'Eglise réformée, au contraire, dans son désir de reproduire en tous
points exactement le type apostolique, n'avait maintenu, à l'origine,
que la célébration du dimanche, en abandonnant le choix des sujets et
(les textes de la prédicat ion à la volonté de l'officiant. De nos jours, elle
a reconnu que ce procédé de légitime réaction contre la multiplicité des
fêtes et une distinction judaïque des temps de l'année était trop radical.
En effet, dans la pratique, à moins de tomber dans le désordre de l'arbi-
traire, il est impossible de ne pas plier le culte public, et ce qu'on pour-
rait appeler la gamme de l'édification chrétienne, aux exigences de l'an-
née ecclésiastique, marquée par le retour périodique des grandes fêtes.
— L'année ecclésiastique se divise en deux moitiés à peu près égales ; la
première, semestre Domini, contient les trois cycles des grandes fêtes dont
chacune rappelle un des faits les plus mémorables pour le chrétien. Elle
s'ouvre par la période de YAvent embrassant les quatre dimanches qui
précèdent Noël ; elle se lie aux fêtes pascales par le temps de la Passion
qui comprend les dimanches de la Septuagésime (neuvième avant Pâ-
ques), de la Sexagésime, de la Quinquagésime ou Esto mihi (Ps. XXXÏ,
3), qui, en Allemagne par exemple, est le premier dimanche du carême,
tandis qu'en France c'est le sixième dimanche avant Pâques, aussi ap-
pelé lnvocavit (Ps. XCI, 15). Suivent les dimanches de Beminiscere
(Ps. XXV, 6), (VOculi (Ps. XXV, 15), de Lxtare (EsaïeLIV, 1; LVI, 1),
de Judica (Ps. XLIII, 1) et des Bameaux (Matth. XXI) qui ouvre la
grande semaine (hebdomas magna) . Le jeudi saint (dies viridium, Ps. XXIII,
2, ou cœna Domini), le vendredi et le samedi saint (sabbatum s/mctum)
précèdent le dimanche de Pâques ou la fête de la résurrection du Sei-
gneur que l'Eglise considéra de bonne heure comme la corona et caput
omnium festivitatum. La grande joie de Pâques se reporte sur les six di-
manches suivants (Quasimodo geniti, 1 Pierre II, 2, ou dominica inalbis,k
cause des vêtements blancs que revêtaient les néophytes ce jour-là;
Misericordias Domini, Ps. LXXXIX, 1; Jubilate, Ps. LXVI, 1; Cantate,
Ps. XCVIII, 1; Bogate vocem jucunditatis , Esaïe XLV1II, 28; Exaudi,
Ps. XXVII, 7), et se prolonge pendant une période de 50 jours, qui com-
prend aussi la fête de l'Ascension, jusqu'à la Pentecôte. Le dimanche de
la Trinité, qui la suit, clôt la première moitié de l'année ecclésiastique.
La seconde, semestre Ecclesix, destinée plus particulièrement à rappeler
au chrétien les diverses phases de l'appropriation du salut, comprend
tous les dimanches qui viennent après celui de la Trinité : leur nombre
varie de ±1 à -27, suivant que Pâques est célébré ou plus tard ou plus
tôt vus . l'article Calendrier). — Sources : Lisco, Das christl. Kirchen-
jahr, Beti., ISiO; Piper, Kirchenrechnung, Berl., 1841; idem, Evangel'
Kalender. Einl. fur 1850 u. 1851 ; Fr. Strauss, Das evangel. Kirchenjahr
in $ein. Zmtmmtnkang dargest., Berl., 1850; Bobertag, Das evangel.
KirclwHjuhr, Brcsl., 1853; Ilcizog's Beal-Encyklop.' IV, 378 ss. ; VU,
643 ss. ; Alt, Der christl. Cultus, llte Abtheil., 2e édit., Berl., 1858.
F. LlCHTENBERGKR.
344 ANNÉE SABBATIQUE — ANNONAY
ANNÉE SABBATIQUE (eécc^atixbç ou ca6êaxixbç èviauxbç. Jos., Ant.,
IV, 10). La législation mosaïque, pour augmenter la fécondité du sol
palestinien, avait prescrit (Lév. XXV, 1-8) que chaque septième année
serait une année de chômage tant pour les champs que pour les vigno-
bles. Ce qui poussait naturellement des grains de la moisson précédente
ou des ceps non émondés était considéré comme bien commun. L'agri-
culteur étant privé de son revenu, cette année-là, les créanciers ne
devaient pas non plus poursuivre le recouvrement de leurs créances
(Deut. XV, 1 ss.); d'après le Talmud, toutes les dettes devaient être
complètement acquittées. C'est à tort que l'on a prétendu que les es-
claves d'origine israélite étaient libérés dans l'année sabbatique. Les
passages Exode XXI, 2; Jérém. XXXIV, 14 ss. disent que cet affran-
chissement devait avoir lieu d'une manière régulière la septième année
de l'esclavage (cf. Josèphe, Ant., XVI, 1). L'institution de l'année
sabbatique n'a guère été observée qu'après l'exil (Néh. X, 31 ; 1 Macc.
VI, 49, 53); si elle avait des avantages incontestables au point de vue
agronomique, elle ne préservait pourtant pas le pays de la famine
(1 Macc. VI, 49, 53; Jos., Ant., XIV, 16).
ANNONAY. Les premières prédications de la Réforme furent faites
dans cette ville dès 1528 par un cordelier, docteur en théologie, nommé
Etienne Machopolis, qui avait eu le privilège d'entendre Luther lui-
même en Allemagne. Il s'éleva tant en public qu'en particulier contre
les superstitions de l'Eglise romaine, notamment contre les reliques des
saintes Vertus, qui étaient en grande vénération dans la ville. Bientôt
obligé de fuir, il eut pour successeur un moine du même ordre, nommé
Etienne Rénier, « qui, dit Bèze, fit encore mieux; à raison de quoi
étant emprisonné, il persévéra jusqu'à la fin, scellant la vérité de son
propre sang à Vienne, où il fut brûlé vif avec une singulière constance.
Après lui continua le maître des écoles du lieu, nommé Jonas, homme
de grande érudition et piété, lequel, ayant fait en prison bonne et entière
confession, en fut retiré par le moyen de quelques amis ; de quoi étant
irrité, l'archevêque fit saisir et conduire à Vienne environ vingt-cinq
personnes, où quelques-uns moururent de langueur et mauvais traite-
ments, étant les autres finalement délivrés par une manière de grâce,
en payant certaines amendes. » En 1539, on sévit plus sévèrement contre
André Berthelin qui, se rendant à la foire de Lyon et n'ayant pas voulu
s'agenouiller devant une image, fut brûlé vif à Annonay pour ce seul
motif. Quelques années plus tard (1546), François d'Angy, arrêté à son
retour de Genève, fut également brûlé vif. Le bienheureux martyr fit
une mort triomphante. « Courage, mes frères, s'écriait-il sur le bûcher»
je vois les cieux ouverts et le Fils de Dieu qui s'apprête pour me rece-
voir. » Paroles qui encouragèrent à tel point les assistants que plusieurs
d'entre eux confessèrent sur l'heure et tout haut leur foi, et que qua-
torze ans plus tard la Réforme était dominante dans la ville et dans les
environs. A dater de cette époque les événements se succèdent rapide-
ment. Le 6 mars 1561, les sacramentaires abattent toutes les croix de la
ville et des faubourgs ; le 15, ils renversent les autels, brûlent les images
des églises et font prêcher leur ministre sur la place publique. L'année
ANNONAY — ANNONCIADES 345
suivante (mai) le **nltt^ catholique est suspendu, deux pasteurs sont ap-
pelés, Pierre Raillet, ancien maître d'école de Sanci, près Genève, et
Pierre Bellot (ou Boullod), et la garde de la ville confiée à Sarras, capi-
taine du trop célèbre baron des Adrets. — La première guerre de reli-
gion ayant commencé peu après, le duc de Nemours, qui venait de
s'emparer de Vienne, envoya contre Annonay le féroce Saint-Chamond,
qui saccagea la ville et passa au lil de l'épée tous ceux qui l'avaient
défendue (oct. 1502). Le comte de Grussol,qui était le chef des religion-
oaires en Languedoc, la reprit bientôt après (18 déc.) ; mais Saint-
Chamond, s'en étant de nouveau emparé, l'incendia en partie, rasa ses
murailles, mit à mort un grand nombre de ses habitants et laissa com-
mettre à ses soldats une foule d'excès au mépris de la capitulation, au
bas de laquelle il avait apposé sa propre signature. A la paix, Annonay
ayant été choisi comme lieu d'exercice pour la sénéchaussée de Beau-
caire et de Nîmes, les protestants de la ville célébrèrent leur culte dans
la maison de Gonnet-Merle, au faubourg delà Récluserie, sous la direc-
tion du pasteur Raillet, revenu de son exil (20 août 1564). Pendant les
sept autres guerres de religion qui suivirent, la ville d'Annonay fut de
nouveau prise et reprise par les catholiques et les protestants, mais elle
demeura finalement au pouvoir de ces derniers (17 juil. 1574). Les
réformés annonéens jouissaient en paix de l'exercice de leur religion, sous
le régime de redit de Nantes, quand le seigneur de Boulicu leur défendit
de s'assembler. Sans s'arrêter à cette interdiction, l'Eglise députa un de
ses membres à Louis XIII qui, reconnaissant la justice de la cause des
réformés, les maintint dans leur droit d'exercice. Les deux pasteurs les
plus distingués d'Annonay pendant cette période furent Le Faucheur
et de Vinay. Le premier était un des orateurs sacrés les plus remar-
quables de son temps et fut appelé à desservir l'Eglise de Paris ; le
second, un controversiste habile qui, après avoir exercé son ministère
en Dauphiné, fut placé à la tête de l'Eglise d'Annonay, où il eut une
dispute théologique célèbre, qui dura trois mois, avec le jésuite Marti-
necourt. Les actes en ont été publiés à Genève par de Vinay, en 1626.
— La révocation de redit de Nantes porta un rude coup à l'Eglise d'An-
nonay, qui ne fut visitée désormais qu'à de rares intervalles, par les
pasteurs du désert du Vivarais. Elle fut pourtant assez heureuse pour
avoir uu pasteur en propre, en 1773, Abraham Chiron, né à Genève de
endants de réfugiés dauphinois. Zélé, capable, laborieux, Chiron
mit l'Eglise sur le meilleur pied; mais, vu de très-mauvais œil par les
catholiques, à cause de sa nationalité, et perpétuellement en butte à
leurs injures, il passa au service de l'Eglise de Beaumont près Valence,
en 1787. A L'époque delà réorganisation des cultes, Annonay, qui faisait
partie du synode du Vivarais aux dix-septième et dix-huitième siècles,
fut rattaché au consistoire de Lamastre, puis à celui de Saint-Péray.
En L870, l'Eglise comptait 2,200 unies. — Voyez: Bèze, Hist.eccUs.
Achille Gamon, Mémoires, //àt. remarquai), des persécut. de l'Eglise réf.
de la ville d'Annonay advenues en l'an 1635; E. Arnaud, Notice sur les
eontrov. relig. en Dauphiné. E. Arnaud.
ANNONCIADES. — 1° L'ordre des religieuses de la Bienheureuse Vierge
i. 23
346 ANN0NCIADE3 — ANOMÉENS
Marie, appelées de l'Annonciade ou des dix Vertus de Notre-Dame, fut
fondé à Bourges parla Bienheureuse Jeanne de Valois, femme répudiée
de Louis XII, et fut confirmé en 1501. Elles étaient soumises à Tordre
de Saint François. Saint-Ambroise, àPopincourt, était à Paris l'église des-
Annonciades de France (Hélyot, VII, 339). — 2° L'ordre des Annonciacles
célestes, ainsi appelées à cause de leur habillement bleu céleste, fut
fondé à Gênes en 1602 par la Mère Victoire Fornari, et définitivement
établi en 1605; elles ajoutaient aux quatre vœux celui de clôture perpé-
tuelle (Hélyot, IV, 297).
ANNONCIATION, message de Fange Gabriel à la Vierge Marie pour
lui annoncer le mystère de l'Incarnation (Luc î, 26-38). C'est aussi le
nom de la fête que l'Eglise catholique a instituée pour célébrer ce sou-
venir. Elle a lieu le 25 mars (voir l'article Jésus).
ANOMÉENS, nom donné aux partisans de l'arianisme rigide, qui
cherchèrent à profiter de la victoire momentanée du semi-arianisme
ou eusébianisme sous Constance (337-361) et du zèle arien de Valent
(364-378) pour assurer à leur doctrine les avantages d'une position
officielle et dominante. Le concile de Nicée (325) avait condamné l'a-
rianisme en décrétant Vhomoousie ou l'identité d'essence du Fils et
du Père. Les semi-ariens ou eusébiens (ainsi nommés d'Eusèbe de Ni-
comédie, leur principal organe) lui opposèrent llwmœousie, la simili-
tude ou l'analogie d'essence. Les ariens purs, sous la direction d'Aetius
d'Antioche, d'Acacius de Césarée et d'Eunomius de Cappadoce, insis-
tèrent sur l'idée que le Fils était créé et, par conséquent, d'une autre
essence que le Père. Leur parti était puissant dans l'entourage de
Constance et réussjt à faire décider par le deuxième concile de Sirmium
(357) qu'il fallait s'abstenir de toute mention d'homoousieou d'homœou-
sie. L'année d'après, le concile d'Ancyre et un troisième concile de
Sirmium se prononcèrent, au contraire, en faveur du semi-arianisme.
Après quoi la formule équivoque, consentie par les ariens purs, d'a-
près laquelle « le Fils est semblable au Père comme les saintes Ecri-
tures le disent et l'enseignent » fut admise par le concile de Rimini
pour l'Occident et celui de Séîeucie pour l'Orient (359). Mais une défi-
nition aussi vague n'était pas de nature à apaiser les différends qui se
prolongèrent sous les successeurs de Constance. L'intolérance arienne
de Valens, en rejetant les semi-ariens du côté des partisans du dogme
de Nicée, hâta la victoire définitive de l'orthodoxie consacrée sous
Théodose. Eunomius, disciple et ami d'Aetius, fut îe plus distingué de ces
derniers défenseurs de l'arianisme. Doué d'un grand talent de parole
et logicien très-serré (ce qui lui a valu, à tort selon Ritter, la réputation
d'un partisan déterminé d'Aristote), il s'appuyait surtout sur la notion
d'absolu pour nier toute pluralité et toute différence dans l'Etre divin..
Sa réputation fit que l'on désigna son parti sous îe nom d'eunomiens,
puis, dans une intention hostile, sous ceux û'anoméens, qui semblait
impliquer l'antinomisme ou l'absence de loi, et d1 exoukontéens (gens
de rien, par allusion à la formule arienne d'après laquelle le Fils avait
été créé de nihilo). De la même manière on transformait le nom de son
ami Aetius en celui iVatheos, athée, Son Exposition de la foi se trouve-
ANOMEENS — ANSCHAIRE :;I7
rhuisFabricius {Bibl. 6rr.,vol. VIII), ainsi que son A pologie. — Ouvrages
•i consulter: outre Théodoret, Philastorgius, Sozomène et Basile, Baur,
Dreicinigkeit, I; Dorner, Enhvickelungsgeschichte d. Lehre v. d. Person
Chri&ti, I; Ritter, Histoire de la Philosophie chrétienne, II, traduit de
l'allemand par Trullard, 1844* a. réville.
ANOMIENS. Voyez Antinomisme.
ANSCHAIRE (Saint) [Ansgarius], d'origine franque, surnommé l'apôtre
du Nord, et digne de ce nom. Il naquit en 801 en Picardie; encore enfant il
tut admis au monastère de Corbie. Quand ce couvent établit, en 822, sa
colonie de Corvey, sur le Weser, pour la conversion des Saxons, Ans-
chaTre y devint le directeur de l'école. Humble et courageux, il était
prêt à tous les sacrifices. Déjà Charlemagne avait conçu ridée de fon-
der sur les frontières de son empire des évêcliés, d'où le christianisme
pourrait être apporté aux nations étrangères encore païennes. C'est
ainsi qu'en 787 il avait appelé comme évêque à Brème l'Anglo-Saxon
Willehad, qui pendant quelque temps avait été missionnaire en Frise
et en Saxe. Hambourg devait être le centre de cette Eglise du Nord.
Louis le Débonnaire, dans les commencements de son règne, perdit de
vue ces projets de son père; il n'y fut ramené que par une occasion en
apparence accidentelle, après qu'en 822 l'archevêque Ebbon de Reims
eut fait, sans résultat, une tentative de prédication chrétienne en
Danemark. Le roi danois Harald, détrôné, étant venu demander l'appui
à l'empereur et s'étant fait baptiser à Mayenceen 826, Louis résolut de
le faire accompagner par un missionnaire. L'abbé de Corvey lui dési-
gna Anschaire. Celui-ci, âgé de vingt-cinq ans, accepta la charge péril-
leuse; avec le frère Autbert il suivit le roi qui, tout baptisé qu'il était,
les maltraita brutalement pendant le voyage. Dans le Jutland ils instrui-
sirent quelques jeunes gens, qui devaient les assister ; mais ainsi que
Harald lui-même, ils furent obligés de quitter la contrée. Louis le Dé-
bonnaire, auquel on avait rapporté qu'en Suède on désirait connaître
l'Evangile, chargea, vers 830, Anschaire et le frère Wittmar de partir
pour ce pays ; ils y trouvèrent des chrétiens réduits en esclavage par
les pirates; Anschaire convertit quelques indigènes, dont l'un fit même
bâtir une église. Après dix-huit mois de séjour il revint à Aix-la-Cha-
pelle. C'est alors que Louis, reprenant le projet de Charlemagne, éri-
gea pour Anschaire l'archevêché de Hambourg; l'acte de fondation est
daté d'Aix-la-Chapelle, le 15 mai 834 ; il fut confirmé par une bulle de
Grégoire IV. Mais les chrétiens y étaient rares et le diocèse très-
étendu ; il devait comprendre tout le pays au nord de l'Elbe, le Dane-
mark et la Suède; dans toute cette contrée si vaste il n'y avait encore
que quatre églises. Pour assurer à Anschaire les moyens de vivre et
d'entretenir les prêtres, l'empereur lui accorda le couvent de Thurholt
en Flandre. 11 en fut privé de nouveau lors du partage de l'empire,
Thurholt appartenant à la portion de Lothaire. En outre, la ville de
Hambourg tut saccagée en 837 par les Normands; l'église, les livres
d' Anschaire et tout son avoir devinrent la proie des flammes; pour
rester dans le voisinage il construisit le couvent de Thamelsloh, où il
s'établit. En 8&$, Hambourg fut pille une seconde fois. Louis le Ger-
348 ANSCHAIRE — ANSÊGISE
manique unit alors cet archevêché avec l'évêché de Brème, qui était
vacant ; il engagea Anschaire à se fixer dans cette dernière ville, moins
exposée. L'archevêque de Cologne, qui jusque-là avait été le métropo-
litain de Brème, souleva des difficultés; elles furent aplanies lors d'un
concile tenu à Mayence en 847 ; Anschaire fut installé comme arche-
vêque de Hambourg-Brème; en 858, Nicolas Ier le confirma en exigeant
de lui, pour lui et ses successeurs, le serment d'obéissance au Saint-
Siège et à ses décrets; la création de Louis le Germanique fut ainsi su-
bordonnée à la papauté. Anschaire établit le christianisme dans le
Schleswig ; il fit des essais pour le répandre parmi les Slaves de l'Est. Il
se dévoua surtout à faire cesser le trafic des esclaves ; parmi ses propres
chrétiens il y en avait qui vendaient de leurs coreligionnaires à des
païens ; en général l'évangélisation était encore toute extérieure. Mal-
gré les efforts d'Anschaire, le peuple restait païen dans ses mœurs.
En 835, il avait envoyé en Suède le moine Gaubert, qui bientôt fut
chassé. En 848, il retourna lui-même dans ce pays, où il obtint d'une
assemblée nationale l'autorisation de prêcher l'Evangile ; il le fit pen-
dant deux ans; quelques-uns de ses disciples continuèrent cette œuvre,
mais il fallut encore plus d'un siècle et demi pour faire disparaître le
paganisme Scandinave. Anschaire mourut le 3 février 865. Il avait
écrit le journal de ses missions; malheureusement il paraît qu'il
n'existe plus. On n'a de lui qu'une courte biographie du premier évêque
de Brème Willehad. La sienne fut écrite par son disciple et successeur
le Flamand Rimbert ; destinée aux moines de Corbie, elle est pleine de
récits de visions et de miracles ; néanmoins elle donne une image fidèle
du caractère et de l'activité d'Anschaire, dont la douceur, la simplicité,
la charité, le désintéressement avaient inspiré du respect même à ceux
des païens qui refusaient le christianisme. Ch. Schmidt.
ANSE (Rhône) [Ansa Paulini]. Il se tint dans cette ville en 994, 1025,
1070, 1076, 1100 des synodes peu importants. Le dernier fut réuni
en 1299 ou plutôt en 1300 sous la présidence de l'archevêque Henri
de Lyon, et s'occupa de la discipline (Mansi, XXIV, 1218; Hefele, VI,
338).
ANSÊGISE (Saint) [Ansigùus, Ansegisus], abbé de Saint-Germer de
Flay (807), de Luxeuil (817) et de Saint-Wandrille ou Fontanella (823).
Il assista Eginhard dans sa construction du palais d'Aix-la-Chapelle
et enrichit grandement la bibliothèque des couvents qu'il dirigea. Il
recueillit en quatre livres les Capitulaires de Charlemagne et de ses
fils (789-817). Cet important ouvragé, qui fut continué avec moins
d'honnêteté par Benoît, diacre de Mayence, a été publié par Baluze,
P., 1677, 2 vol. in-f°, et Pertz, Mon. leg., I, p. 256 ss. La vie de saint
Waubert, abbé de Luxeuil, écrite par Adson, abbé de ce couvent au
dixième siècle, le mentionne comme l'auteur de cette collection (AA.
SS.,%mai,l,ip. 280) . Il mourut en 833. Sa vie se trouve dans les gestes des
abbés de Fontanelle (Pertz, Mon. Scr., II, p. 293 ss. ; d'Achéry, Mabillon
et les Bollandistes, 20 Juil., V). Voy. Hist. litt. de la Fr., IV, 509.
ANSÊGISE [Ansegisilus, Ansegisus], abbé de Saint-Michel de Beauvais,
fut élu en 871 archevêque de Sens. Le pape Jean VIII le nomma, en 876,
ANSEGISE — ANSELME 349
primat des Gaules et de Germanie et vicaire apostolique, et lui donna
le droit de convoquer les synodes. Les évêques, réunis la même année
au synode de Ponthion, ne se soumirent à ce décret, malgré les ins-
tances de l'empereur et des légats, « qu'en réservant les droits et les
privilèges des métropolitains. » Hincmar, l'instigateur de cette résis-
tance, écrivit contre lui son traité de Jure Metropolitarum (éd. Sir-
mond, II, 719). Anségise mourut en 883; il ne jouit que sur son
épitaphe du titre de secundus papa, que lui donne la chronique d'Odo-
ranne, moine de Sens (Bibl. Hist. de V Yonne, 1863,11, a. 883). Voy.les
Annales de saint Berlin, par Hincmar (éd. Dehaisnes, P., 1871, in-8°,
a. 876); Gallia chrisiiana, XII, 25 ss.; Lettres de Jean VIII, Bouquet,
VIL $59 ss. ; Mansi, IX. S. Berger.
ANSELME (Saint) fut l'on des hommes les plus remarquables de
l'Eglise au onzième siècle. Né en 1033 dans la petise ville d'Aoste
au sein d'une noble et riche famille alliée aux. comtes de Maurienne,
il se fit remarquer dès son enfance par son goût pour l'étude et
par la vivacité de ses sentiments religieux. La vie du cloître l'atti-
rait ; mais son père, qui avait pour son lils de toutes autres ambitions,
contraria cette vocation monastique. Toutefois, après quelques années
données aux affaires et aux plaisirs du monde, le jeune Anselme
sentit se réveiller en lui, avec une ardeur nouvelle, ses aspirations
premières. Il résolut de quitter sa famille et sa patrie pour aller cher-
cher au loin un asile où il pût se consacrer à Dieu. Après avoir par-
couru la Bourgogne et la France, il arriva en Normandie et entra
comme novice dans le monastère de Sainte-Marie du Bec, où il enten-
dit les. leçons de l'un de ses compatriotes, Lanfranc, qui en était alors
le prieur. Il prononça ses vœux en 1060, et devint successivement
prieur en 1063 et abbé en 1078. Anselme déploya dans l'exercice de
ses fonctions beaucoup de zèle et de talent. L'instruction des novices,
la direction des études des moines et celle de leurs consciences, la dis-
tribution des aumônes, le soin des malades, l'administration générale
des affaires du couvent, voilà les devoirs entre lesquels il partageait
son temps. Au milieu de ces occupations si diverses, et tout en obser-
vant avec la plus rigoureuse exactitude les pratiques d'une règle mo-
nastique très-sévère, Anselme trouvait encore des loisirs pour l'étude
et les méditations solitaires, et pour la correction des manuscrits pré-
cieux, dont il faisait faire des copies destinées à enrichir la bibliothèque
du couvent. Sa piété, sa douceur, l'exquise délicatesse avec laquelle
il savait manier les hommes et parler aux consciences, lui gagnaient les
cœurs de tous ceux dont il était le guide spirituel. Grâce à lui, le mo-
nastèredu Bec acquit une grande réputation. Les novices et les audi-
teurs y affluaient de toutes parts, et les donations pieuses venaient,
d'année eu année, en accroître les richesses. Les soins de l'administration
des biens que possédait la communauté en Angleterre, obligèrent sou-
vent Anselme à [tasser |<> détroit. Lanfranc, qui, après avoir été son
maître, étail resté son ami, occupait alors le siège de Cantorbéry.
Anselme lui lit de fréquentes visites; il eut ainsi l'occasion de se faire
connaître du roi Guillaume le Conquérant et de son lils Guillaume le
350 ANSELME
Roux, en même temps qu'il se conciliait par ses vertus l'estime du
clergé et V affection du peuple. Aussi, lorsqu'en 1089 la mort de Lan-
franc laissa vacant le premier siège d'Angleterre, Anselme fut-il désigné
par F opinion unanime du peuple et du clergé comme son successeur.
Guillaume le Roux tarda longtemps à pourvoir à l'évêché vacant, dont
il percevait les riches revenus. Ce n'est qu'au bout de quatre ans que
le roi, malade alors et préoccupé du salut de son âme , crut devoir céder
aux réclamations du clergé dont les intérêts étaient en souffrance, et
appela Anselme au siège de Cantorbéry. Celui-ci, cependant, refusait
l'épiscopat. Il se sentait plus fait pour l'étude et pour la vie solitaire
que pour les devoirs d'une charge aussi lourde. La situation, d'ailleurs,
était difficile, et il prévoyait des luttes dont s'effrayait son caractère
pacifique. C'était le temps où la question des investitures allumait la
guerre aux quatre coins de l'Europe. Les abus contre lesquels le pape
Grégoire YII avait protesté avec tant d'énergie étaient plus criants en-
core en Angleterre que partout ailleurs. Guillaume le Conquérant avait
eu pour politique de disposer des bénéfices ecclésiastiques en faveur
des seigneurs et des prêtres normands qui l'avaient suivi en Angleterre.
Il pensait par là affermir sa conquête et donner à son pouvoir de plus
fortes racines dans le pays. Guillaume [II, son successeur, était un
prince jaloux de ses prérogatives royales et amoureux du pouvoir
absolu. Violent et débauché, il opprimait l'Eglise et affectait le plus
profond mépris pour les remontrances que lui adressaient les prêtres.
Il disposait des charges ecclésiastiques au gré de ses caprices ; il en
investissait des hommes incapables ou indignes, afin de s'en faire des
créatures, ou bien il les laissait vacantes pendant de longues années
pour s'en approprier les revenus. Les liens qui rattachaient l'Eglise
d'Angleterre au siège de Rome étaient d'ailleurs fort relâchés ; le de-
nier de Saint-Pierre ne se payait pas; l'autorité des légats apostoliques
était souvent méconnue. Enfin, l'Angleterre n'avait pas encore reconnu
le nouveau pape Urbain II, et affectait de garder une sorte de neutralité
entre l'antipape Clément et lui. Anselme avait déjà reconnu Urbain II
comme seul pape légitime. Il était de ceux qui applaudissaient aux
efforts de Grégoire XII et des papes formés à son école, pour l'affran-
chissement et la réforme de l'Eglise, et il était décidé à tout faire pour
le triomphe des principes défendus par la papauté. Aussi hésitait-il à
accepter ces périlleuses responsabilités de l'épiscopat. On ne put vaincre
ses refus que par une sorte de violence. Ses appréhensions ne furent
que trop justifiées. A peine avait-il pris possession de son siège (1093)
que les conflits qu'il avait prévus éclatèrent. Ce fut d'abord à l'occasion
du pallium, signe de sa nouvelle dignité, qu^il ne voulait recevoir que
des mains d'Urbain II; ce fut ensuite à propos des investitures et des
revenus que le roi prétendait retenir. Guillaume, qui l'avait pris en
haine, chercha vainement à le faire déposer par une assemblée d'é-
vêques et de barons. Anselme ayant demandé l'autorisation d'aller à
Rome pour consulter le pape sur les questions qui étaient un sujet de
querelles entre le roi et lui, cette permission lui fut accordée, mais on
ajouta que s'il quittait l'Angleterre, il cesserait d'être considéré comme
ANSELME 351
évéque par le roi. Anselme partit (1097) et il ne put rentrer en Angle-
terre qu'à la mort de Guillaume le Roux (1100). Pendant son séjour en
Italie, il assista à deux conciles s celui de Bari et celui de Rome, où
lurent renouvelées les sentences d'excommunication prononcées contre
les princes qui conféraient des investitures ecclésiastiques et contre les
clercs qui les recevaient de leurs mains. Au concile de Bari, Anselme
soutint avec éclat, contre les députés de l'Eglise grecque, la doctrine
des latins touchant la procession du Saint-Esprit. Le discours prononcé
au concile devint plus tard un traité en forme qui a été conservé parmi
les œuvres d'Anselme : De processione S. Spiritus contra Grœcos liber.
Le successeur de Guillaume II, Henri Ie1 Beauclerc, rappela Anselme et
lui lit le meilleur accueil. Mais la lutte ne tarda pas à éclater de nou-
veau à l'occasion des investitures et des réformes que l'archevêque
avait décrétées dans un synode tenu à Londres peu de temps après son
retour. Anselme dut prendre une seconde fois le chemin de l'exil.
Après un nouveau voyage à Rome, où il fut accueilli avec une faveur
marquée par le pape Pascal II, il vint se fixer à Lyon auprès de l'ar-
chevêque Hugues, son ami. Le roi, cédant aux instances de la reine
Mathilde, consentit à un rapprochement. Une entrevue eut lieu au
monastère du Bec. On convint de supprimer la cérémonie de l'investi-
ture, occasion de la querelle. C'était là une victoire pour Anselme et
pour le Saint-Siège. Mais le roi, tout en'renonçant à conférer l'investi-
ture, conservait le droit dénommer aux bénéfices vacants, ce qui laissait
la porte ouverte à tous les anciens abus. Anselme rentra en Angleterre
en 1100 et y exerça paisiblement jusqu'à sa |mort (1109) la charge
épiscopale. Lu second synode de Londres, où fut reprise l'œuvre inter-
rompue de la réforme, et une lutte victorieusement soutenue contre
l'archevêque d'York, qui contestait les droits du siège de Cantorbéry à
la primatie, remplirent les dernières années de son épiscopat. — Anselme
ne fut pas seulement un .grand évéque, il fut aussi un grand théologien.
On peut le considérer comme le père de la théologie scolastique. Le
premier il en a formulé le principe et tracé le programme. J\o?i quxro
mtel/t'gere ut credam, sed credo ut intelligam. Nain qui non crediderit,
non experietur^ et qui experlus non f lient, non intelliget (ProsL, c. I, De
fide triait., c. II). La foi doit précéder l'intelligence. L'expérience des
choses divines rend seule possible la science des choses divines. Tout
l'effort du théologien doit tendre à justifier rationnellement et à orga-
niser diine matière systématique les vérités enseignées par la révélation
et crues par l'Eglise. Anselme n'a rempli qu'une partie de ce vaste
programme, et il n'a appliqué son principe (fides quxrens inteltectum)
qu'à certains points particuliers de la foi. La doctrine de Dieu et de
la Trinité, celles de l'incarnation et de la rédemption furent l'objet
préféré de ses méditations cl la matière de ses principaux ouvrages.
Dans le Monologhtm, Anselme, pour répondre à un désir que lui avaient
soii\eiif exprimé les moines du Bec, entreprend de.démonlrer parla
•eule force du raisonnement, et .sans faire appel à l'autorité de* saintes
Ecritures, l'existence de Dieu et le mystère de la Trinité. Toutes
tes choses, dit-il, qui ont en elles quelque bonté, quelque vérité et
352 ANSELME
quelque perfection, ne sont ce qu'elles sont qu'autant qu'elles parti-
cipent à la bonté, à la vérité et à la perfection suprêmes. De même,
tout ce qui est n'existe que par le fait d'un être qui existe souveraine-
ment et par lui-même. Cet être souverain, qui est aussi la bonté, la
vérité et la perfection souveraines, c'est Dieu. On reconnaît là les prin-
cipes réalistes qu'Anselme avait empruntés à saint Augustin. Anselme,
comme d'ailleurs tous les scolastiques, se lit le défenseur du réalisme,
et attaqua les principes nominalistes, comme conduisant logiquement à
l'hérésie ( De fide trinitatis et de Incarnatione Verbi contra blasphemias
Roscelini). — Dans le Proslofjium, Anselme ramène à des termes encore
plus simples la démonstration de l'existence de Dieu. C'est toujours la
preuve ontologique, mais elle prend pour point de départ l'idée de
l'être parfait telle que la conçoit notre esprit. Cette idée est l'idée d'un
être tel que l'on ne peut rien concevoir de plus grand (aliquid quo
nihil majtis cogitari possit). Il faut nécessairement que cet être existe
hors de l'intelligence; autrement, on pourrait en concevoir un autre
existant à la fois dans l'intelligence et dans la réalité, lequel serait plus
grand que lui, ce qui est contraire à la définition de l'être parfait. Il est
donc hors de doute que l'être parfait existe à la fois dans l'intelligence
et dans la réalité, et il faut être insensé pour dire qu'il n'y a point de
Dieu (Prosl., c. II ). L'argumentation d'Anselme fut attaquée par un
moine de Marmoutiers, nommé Gannilon ( Liber pro insipiente adver-
sus Anselmiin Proslogio ratiocinationem) . Gannilon accusait Anselme de
confondre deux choses fort distinctes : le esse in intellectu et le esse in re.
De ce que nous avons l'idée d'une chose, il ne s'ensuit pas nécessaire-
ment que cette chose existe. Anselme répondit à son tour (Liber apolo-
geticus contra Gannilonem respondentem pro insipiente). Il s'attache à
montrer que F idée de Dieu est une idée nécessaire que nous ne pouvons
pas ne pas concevoir comme ayant un objet réel , tandis qu'il n'en est
pas ainsi des idées des choses contingentes qui peuvent indifféremment
être ou n'être pas. C'est dans le Monologium qu'Anselme expose sa
théorie de la Trinité. Dieu, dit-il, est intelligence, mémoire et amour. Il
se connaît et il se parle éternellement lui-même ; il ne peut se connaître
sans se souvenir de lui ; et il ne peut se souvenir de lui et se connaître
sans s'aimer. La mémoire de Dieu, c'est le Père; son intelligence et sa
Parole, c'est le Fils ; son amour, c'est le Saint-Esprit. Et le Saint-Esprit
procède à la fois du Père et du Fils parce que l'amour procède à la fois
de la mémoire et de l'intelligence. — Le plus remarquable des traités
d'Anselme est le Cur Deus Homo, dans lequel la nécessité de l'incarna-
tion et de l'expiation est rationnellement démontrée. Étant donné,
d'une part, Dieu avec ses éternels attributs de sainteté et d'amour, et,
de l'autre, le péché de l'homme avec sa gravité infinie , la rédemption
n'était possible que par l'incarnation et la mortdu Fils de Dieu. Refuser
à Dieu ce qui lui est dû, voilà en quoi consiste le péché. Il constitue
donc une grave offense à la majesté et à l'honneur de Dieu, en même
temps qu'il trouble l'ordre universel que Dieu lui-même a établi. Il
faut que le péché soit puni ou qu'il soit expié, autrement l'honneur de
Dieu serait compromis et l'ordre de l'univers demeurerait troublé
ANSELME 353
L'expiation vaut mieux, que le châtiment, parce qu'elleestun hommage
volontaire rendu au droit de Dieu que le châtiment sanctionne d'une
manière toute passive. L'expiation est d'ailleurs nécessaire pour que
les hommes soient sauvés, et Dieu veut qu'ils soient sauvés pour qu'ils
aillent occuper dans la cité eéleste les places laissées vides par les anges
déchus (I, c. L6). Mais l'expiation n'est possible qu'à certaines con-
ditions. Il faut offrira Dieu, en réparation du péché, quelque chose qu'on
ne lui doive pas déjà par simple devoir d'obéissance. 11 faut offrir à
Dieu plus qu'il ne lui a été refusé par la désobéissance, afin de réparer
ainsi l'outrage que lui a infligé cette désobéissance elle-même ( 1, c. 11 ).
11 faut enfin que la valeur de l'offrande soit infinie pour compenser la
gravité infinie et le nombre infini des offenses commises (I,c. 20 et 21).
Ces conditions, l'homme est incapable de les remplir. Il n'a à offrir à
Dieu comme pécheur que ce qu'il lui doit déjà comme homme : car
l'homme doit à Dieu tout ce qu'il est et tout ce qu'il a (omne quod est,
omne quod habet, omne quod potest, débet ). Quand il aura tout donné à
Dieu, il n'aura fait que son devoir, et il ne lui restera rien à offrir en
compensation de son péché et en réparation de l'outrage qu'il a fait à
Dieu par son péché même. Il ne peut d'ailleurs offrir quelque chose
d'un prix infini, quelque chose de plus précieux que tout ce qui n'est pas
Dieu (aliquid quod superet omne quod non Deusest). 11 n'y a rien, en effet,
qui soit au-dessus de tout ce qui n'est pas Dieu, excepté Dieu lui-même.
Dieu seul peut donc accomplir la satisfaction exigée. Et comme c'est
l'homme qui doit cette satisfaction, il faut qu'elle soit accomplie par
un Dieu fait homme (II, c. 6). Ce Dieu fait homme, c'est le Fils qui a
pris la nature humaine en naissant de la Vierge Marie. Mais comment
Jésus-Christ a-t-il accompli la satisfaction sans laquelle les hommes ne
pouvaient être sauvés? Ce n'est pas par son obéissance, car il devait à
Dieu cette obéissance comme homme, et il ne pouvait l'offrir en répa-
ration des péchés des hommes. C'est par sa mort, qui a été de sa part
un sacrifice volontaire. Jésus-Christ, en effet, ne devait pas mourir. La
mort n'était pas pour lui une nécessité naturelle puisqu'il était le Fils
de Dieu; elle n'était pas davantage le châtiment inévitable du péché,
puisqu'il était parfaitement saint. Sa morta été absolument volontaire:
il a donné sa vie comme une libre offrande faite à l'homme et à la
gloire de Dieu. Et cette offrande est d'un prix infini, car cette vie est
une vie sainte et une vie divine; c'est là justementee quelque chose de
l>lu> précieux que tout ce qui n'est pas Dieu, exigé pour la réparation
du péché. Une telle vie, volontairement sacrifiée au milieu des souf-
rances d'une telle mort, c'est plus que l'équivalent des péchés des
hommes, quels qu'en soient le nombre etla gravité. Vitam {C hristi) tam
sublimem, tam pretiosam apertissime probasti ut sufficere possit adsolven-
dum quod pro peccatis totiusmundi debetur , et plus in infinitum (II, c. 17).
Anselme ajoute que, par sa mort volontaire, Jésus-Christ a mérité une
récompense que Dien ne peut lui refuser sans injustice. Or, connue
Dieu ne |»nit rien donner à son Fils (pie son Fils Dépossède déjà, il lui
donne le salut des hommes : c'est là son salaire et sa récompense.
— Parmi les autres ouvrages d'Anselme, nous citerons : De casudiaboli;
354 ANSELME — ANSPACH
Liber de conceptu virginali et originali peccato ; Tractatus de concordia pre-
scientiœ et prœ destinations s necnon gratix Dei cum libero arbitrio. Ajoutez
à ces écrits théologiques des Homélies, des Méditations , des Elévations
(Orationes) et de nombreuses lettres dont quelques-unes offrent un
véritable intérêt historique. La meilleure édition des œuvres d'Anselme
est celle qui a été publiée à Venise en 1746 par Gabriel Gerberon
(2 vol. in-fol). Sa vie a été écrite pour la première fois par Eadmer,son
disciple et son ami. — Sources: Franckh, Ansehn von Cantorbery, 1842;
Masse, Anselm von Cantorbery, 1854 ;Ch. de Rémusat, Anselme de Can-
torbery, 2e édit., 1868; Bouchitté, Le rationalisme chrétien à la fin du
onzième siècle, 1842. Voir aussi H. Ritter, Die christL Philosophie,
vol. I, et Baur, Die Lehre von dtr Versœhnung ; Die Lehre von der Drei-
einigkeit und Menschwerdung Christi. F. Bonifas.
ANSELME DE LAON (Anselm us ou Ansellus Laudunensis), appelé le
docteur des docteurs par Jean de Salisbury, peut être considéré comme
le restaurateur des études théologiques en France au onzième siècle.
On croit qu'il fut élève de saint Anselme, au couvent du Bec. Il en-
seigna à Paris entre 1076 et 1089, et fut jusqu'en 1117 écolâtre de
l'Eglise de Laon ; plus tard il fut nommé doyen et archidiacre, mais il
refusa plusieurs fois l'épiscopat pour se consacrer tout entier à l'en-
seignement. Il professa avec un grand éclat aux côtés de son frère
Raoul. Guillaume de Champeaux, Gilbert de la Porée, furent ses élèves.
L'école de Laon, à l'instar de celle de Paris, attira bientôt des jeunes
gens de tous les pays de l'Europe. Abélard vint s'y asseoir, mais il ne
sut pas goûter les leçons d'Anselme qu'il accusait d'être aussi verbeux
que peu sensé, de faire plus de fumée que de feu et de produire des
feuilles et non des fruits : il le traite de « figuier stérile» {Hist. calam,
suarum,G. 3). Outre de nombreux commentaires (il parait que l'on doit
lui attribuer celui sur saint Matthieu, qui est imprimé sous le nom de Guil-
laume de Paris, celui sur le Cantique des cantiques et l'Apocalypse, attri-
bué à Anselme de Cantorbery, et celui sur les épitres de Paul, placé sous
le nom d'un moine de Bourd ieu) , il a publié la fameuse Glose marginale
et interlinéraire du Psautier, imprimée dans toutes les éditions de la
Bible où se trouve la Glose ordinaire de Walafride le Louche (voy. ce
nom), depuis l'édition sans lieu ni date (Bâle, vers 1480), jusqu'à celle
d'Anvers, 1634. Anselme a fait des efforts évidents pour ramener
l'exégèse au sens de la lettre (voy. du Boulay, passim; Hist. litt. de la
Fr., 170). S. Berger.
ANSPACH, margraviat de 300,000 habitants situé dans la Franconie
centrale, qui, depuis le quatorzième siècle, appartenait aux Hohenzol-
lern, burgraves de Nuremberg. Cette petite principauté devint un des
premiers foyers de la Réforme allemande au seizième siècle. Dès le
1er octobre 1524, la Diète déclara au margrave Casimir qu'elle enten-
dait professer le pur Evangile et le pria de réformer les abus qui
s'étaient introduits dans l'Eglise, en particulier dans la célébration de
la messe. Mais ce fut surtout, sous le règne de George, frère de Casi-
mir (1527-1543), que le nouvel état de choses se consolida. Ce prince,
d'une piété et d'une fermeté sans égales, ordonna une visite générale
AXSPACH — ANTECHRIST 355
des Eglises, avec l'injonction d'abolir toutes les cérémonies papales,
contraires aux vingt-trois articles adoptés dans la convention de Schwa-
baCh (1528). 11 prit pari à la célèbre protestation de Spire et fut l'un
des principaux signataires de la Confession d'Augsbourg. Brenz rap-
porte de lui une parole courageuse : « Plutôt que de me laisser ravir la
Parole de Dieu et de renier mon Dieu, dit le margrave George à
Charles-Quint, je m'agenouillerais devant Votre Majesté Impériale et je
nie laisserais couper la tête. » A quoi, l'empereur doit avoir répondu
dans le dialecte bas-allemand : « Et lœver Fœrst, nit Kop ab, nit Kop
ab )) (Non, cher prince, pas la tête, pas la tête). Pourtant la réforme
ne fut introduite complètement dans le margraviat d'Anspach qu'à la
suite de la publication de PAgende de 1533, rédigée par Andr. Osian-
der et par Brenz, et qui servit de norme à la plupart des agendes
ecclésiastiques des autres principautés protestantes. Un grand nombre
de couvents furent supprimés et leurs biens sécularisés : parmi eux le
célèbre couvent de Heilsbronn qui, transformé en gymnase, devint un
foyer intellectuel important pour toute l'Allemagne méridionale. —
Sources: Lith, Erlxuter. der Reform. Gesch. von Ansbach, 1733; Lœhe,
Erinnerungen aus de?* Réf. -Gesch. von Eranken, 1847 ; Hartmann, Real-
Eneykl. de Herzog, I, p. 357 ss.
ANTECHRIST ou mieux Antichrist ('AvTfypwroç), le dernier et grand
adversaire du Messie. La doctrine de Y Antéchrist est une doctrine
apocalyptique qui a historiquement les mêmes origines et s'est déve-
loppée de la même manière que la littérature apocalyptique elle-
même. C'est dire qu'elle appartient à la dernière époque de l'histoire
d'Israël. La première définition nette qu'on en rencontre se trouve dans
le Targum de Jérusalem à Nomb. XI, 26; Deuter. XXXIV, 2; Esdr. IX, 1,
et dans le Targum de Jonatham à Esaïe XI, 2. Mais elle a ses racines
dans les livres de l'Ancien Testament, et spécialement dans la manière
dont les prophètes se représentaient les choses finales. L'ère mes-
sianique ne devait venir qu'aprèsune grande bataille dans laquelle le
peuple de Dieu triompherait de tous ses ennemis. Quand la cause de
Jéhova fut représentée et personnifiée dans la figure même du fils de
David, du Messie, il était naturel de donner aussi à l'armée du mal un
chef, à la cause diabolique un représentant. De là, l'idée de cet être
étrange, moitié homme et moitié démon, qui a reçu le nom de P Anté-
christ. Mais cette personnification ne s'est faite que lentement etPAnte-
christ a pris tour à tour plusieurs figures. Déjà Ezéchiel (XXXVIII et
XXXIX) nous montre à la fin des temps le roi Gog, venant du pays de
Magog, pour livrer au peuple d'Israël la suprême bataille aprèslaquelle
apparaîtra le règne messianique. Gog est resté la représentation sym-
bolique de toutes les puissances et de toutes les idolâtries païennes qui
s .-lèveront aus derniers jours contre la nouvelle Jérusalem. Les atroces
persécutions d'AntiochusEpiphanes vinrent plus tard donner l'occasion
de personnifier (Pnnc manière pins nette et d'arrêter. dans un type his-
torique cette image encore vague et flottante. L'Antéchrist apparaît
avec tous ses traits essentiels au chapitre XI du livre de Daniel, et ces
traits sonl ceux d'Antiochus Lui-même. Cette description de Daniel
356 ANTECHRIST
devint le type de toutes les autres et resta très-populaire chez les Juifs
et chez les premiers chrétiens. On en retrouve les traces profondes
dans les discours eschatologiques des Evangiles (Matth. XXIV, 15 et
passîm), dans les épîtres de Paul (2 Thess. II, 3), dans l'Apocalypse
de Jean (Apoc. XVI et XVII). Mais, dans ce dernier livre , la ligure
de l'Antéchrist s'est encore enrichie ou transformée. Néron a pris d&ns
les imaginations chrétiennes la place d'Antiochus et a paru être la
suprême personnification des puissances mauvaises, le véritable Anté-
christ. Le caractère de ce prince, ses crimes et ses débauches, l'incen-
die de Rome, l'horrible persécution des chrétiens, tout devait porter
l'Eglise primitive à voir dans les déportements de ce César les marques
d'une méchanceté surnaturelle et diabolique. Comme on attendait le
retour prochain du Christ, le règne de Néron ne pouvait être que cette
période laissée au triomphe apparent du mal sur la terre avant l'appa-
rition glorieuse du Messie, qui devait renverser tout cet empire de
l'Antéchrist du souffle de sa bouche. La révolte des Juifs, le siège de
Jérusalem, vinrent tout à la fois exalter et confirmer cette attente et ces
prévisions. Aussi quand la nouvelle se répandit que Néron détrôné,
fugitif, s'était tué, les chrétiens, et avec eux presque tout l'Orient,
refusèrent de croire à sa mort. On se disait qu'il avait été seulement
blessé, mais qu'il avait été guéri et s'était retiré chez les Parthes d'où
il allait revenir à leur tête pour châtier Rome (Suéton., Nero, 57).
Aussi plusieurs faux Nérons parurent-ils en Orient et y causèrent une
grande émotion. Ces rumeurs effrayantes ont laissé des traces dans
l'Apocalypse où l'Antéchrist est très-clairement représenté sous les
traits de Néron (XIII, XVII), et même expressément désigné sous ce
nom par le chiffre cabalistique aujourd'hui sûrement expliqué de 666,
c'est-à-dire Néron César (voy. art. Apocalypse). A côté de cette image
de l'Antéchrist, reflet du caractère de Néron, nous trouvons dans
l'Apocalypse un second élément qui vient s'y ajouter et la compléter ;
nous voulons parler du faux prophète, du prophète de l'erreur qui
séduit les habitants de la terre et les pousse à adorer la Rête (Apocal.
XIII, 14, 15). Cette prophétie menteuse est l'antithèse de l'enseignement
authentique du Christ, comme la puissance de la Bête est l'antithèse
du règne et de l'autorité du Messie. C'est surtout sous ce second aspect,
que Jésus, dans les Evangiles, a montré la puissance séductrice qui se
manifestera dans les derniers temps et contre laquelle il met ses disci-
ples en garde. Il parle même de plusieurs faux Christs qui feront de
grands prodiges pour séduire les élus eux-mêmes. Cette même notion
devient plus abstraite et plus générale eneore dans les épitres de Jean.
Il est question ici de plusieurs Antechrists qui ne sont pas autre chose
que des docteurs hérétiques. L'idée de l'Antéchrist se confond avec
celle de l'hérésie (1 Jean II, 18, 22; IV, 3; 2 Jean 7). Le type de
cet enseignement d'erreur c'est Balaam, l'Anti-Moïse. Aussi les faux
docteurs sont-ils représentés comme les successeurs de Balaam
(2 Pierre II, 15; Apocal. II, 6, 14, 15; Targum de Jonath. à Esaïe XI,
4). — Dans la notion de l'Antéchrist conservée par la tradition ecclé-
siastique se retrouvent ces deux éléments : hostilité contre le Christ et
ANTECHRIST — ANTHROPOLOGIE :\bl
>o\\ Eglise, et i'au\ enseignement. Aussi a-t-on appliqua à la (ois la
qualification d'Antéchrist et aux princes persécuteurs et aux héré-
siarques. Que n'a pas su découvrir dans les symboles de l'Apocalypse
L'exégèse subtile de l'esprit sectaire! Au VIIIe siècle on s'accorda à y
reconnaître Mahomet et le mahométisme. Plus tard, au moyen âge et
après la Réforme, les sectes rebelles à L'Eglise romaine y virent la
papauté. Dans les temps modernes, Hengstenberg et son école voient
L'essence de l'Antéchrist dans l'union du radicalisme politique et du
despotisme césarien qu'ont personnifié Napoléon et sa dynastie. Mais
toutes ces interprétations, arbitraires autant qu'ingénieuses, de l'Apoca-
lypse ne sont que des fantaisies sans caractère ni valeur scientifiques.
A. Sabatier.
ANTÈRE (Saint) ['Av-spwç, Àntheros, Anterus], évêque de Rome, ré-
gna du 21 novembre 235 au 3 janvier 236. Son épitaphe a été retrou-
vée au cimetière de Saint-Calixte (Rossi, Borna Sotterranea, II, p. 55).
Il n'est pas certain qu'il ait souffert le martyre.
ANTHOINE (Nicolas), pauvre homme dont l'exaltation religieuse
égara l'esprit et dont l'histoire offre un lamentable exemple des excès
qu'on peut commettre au nom de la foi. Il naquit au commencement
du dix-septième siècle en Lorraine, à Briey, dans une famille catho-
lique, étudia d'abord à Luxembourg, puis à Trêves et à Cologne chez
les jésuites. Ses études terminées, il éprouvait des doutes sur la reli-
gion qu'on lui avait enseignée, et pour les éclaircir il consulta divers
pasteurs, notamment Paul Ferry, de Metz. Ces pourparlers l'amenèrent
à embrasser le protestantisme et même à se rendre à Sedan, puis à
Genève pour étudier la théologie et s'élever à la profession pastorale.
Cependant, en scrutant assidûment la Bible, il lui sembla qu'on avait
attribué bien légèrement à Notre Seigneur, qui l'avait bien prompte-
nient accepté, le rôle de Messie marqué par les prophéties. Il résolut
alors d'embrasser loyalement le judaïsme, et se rendit à Metz pour ob-
tenir son admission dans la Synagogue. Mais les juifs de Metz le ren-
voyèrent prudemment à ceux de Venise, ne voulant point s'attirer de
mauvaise affaire, et ceux de Venise à ceux de Padoue. Voyant les obs-
tacles se dresser sous ses pas, et pressé d'ailleurs par l'indigence, il
revint à Genève, reprit ses allures de protestant fidèle, se fit nommer
régent au Collège, puis ministre du saint Evangile dans un synode de
Bourgogne tenu à Gex, enfin pasteur à Divonne.
ANTHROPOLOGIE, science de l'homme. Si l'on prenait ce mot à la
lettre, rien de ce qui concerne l'homme ne serait étranger à l'anthro-
pologie, qui embrasserait, dans son immense domaine, l'anatomie et la
physiologie, la médecine, l'ethnologie, la linguistique, l'archéologie,
l'histoire, la politique, la législation, la morale, la psychologie, l'es-
thétique, etc., c'est-à-dire un champ d'études beaucoup trop vaste
pour que Le savant le mieux doué pût se flatter de l'approfondir.
Aussi est-on convenu de donner à ce mot un sens plus restreint, dési-
gnant une science <pii, empruntant aux autres les résultats les plus
importants de leurs investigations, se propose de nous donner les no-
tions essentielles sur la nature de l'homme et de l'humanité. Pour
358 ANTHROPOLOGIE
constituer l'anthropologie, il y a donc un choix à faire et une coordi-
nation à établir entre les matériaux fournis par les sciences spéciales,
choix et coordination qui varient selon le point de vue où Ton se
place. Les savants, à cet égard, se partagent entre deux écoles : Tune
affirmant que l'essence de l'homme, son principe constitutif, c'est
l'esprit; l'autre soutenant que la vie humaine puise dans l'organisme
ses forces et [sa raison d'être : deux tendances qui ne sont pas en tous
points exclusives Tune de l'autre, mais qui aboutissent nécessairement
à des conclusions différentes. Parmi les penseurs qui, tout en tenant
grand compte des faits organiques, reconnaissent dans la vie spiri-
tuelle la dignité spéciale et la nature intime de l'homme, nous men-
tionnerons : tout d'abord le fondateur même de cette science, Platner
(Anthr. med. et philos., 1772) ; Maine de Biran (Nouveaux essais d'An-
thropologie, publiés par E. Naville, 1859), qui voit l'homme partagé
entre les sollicitations des sens et celles de l'esprit, ne trouvant
l'unité intérieure qu'en s'identifiant avec Dieu par l'amour; J. H.
Fichte (Anthropologie, 3e éd., 1876), qui atteste une pénétration com-
plète du corps par l'âme et un rapport intime de l'âme avec son créa-
teur comme constituant la vie normale de l'homme. Dans cette caté-
gorie, il nous faut ranger aussi les ouvrages qui se placent au point de
vue biblique (General von Rudloff, Lehre vom Menschen auf Grund
der gôttl. Off., 2e édit., 1863) ou dogmatique (H. Wichart, Metaphys.
Anthrop., 1844,2 vol., dont le second est consacré aux sept sacrements
dans leurs rapports avec l'organisme humain). L'autre tendance se
préoccupe plus exclusivement des faits de l'ordre sensible ; à ses yeux,
l'anthropologie, c'est l'histoire naturelle de l'homme. Cette école,
plus jeune que la précédente, compte cependant un bien plus grand
nombre d'adhérents. En 1859, M. P. Broca fonda à Paris la première
Société d'anthropologie; depuis lors ces associations se sont assez mul-
tipliées pour pouvoir tenir, dans diverses capitales de l'Europe, des
congrès internationaux qui ont chaque fois attiré un immense con-
cours de savants et de gens du monde. Deux questions principales ont
été et sont encore vivement débattues dans ces réunions : d'une part
la place de l'homme dans la nature, la distance qui le sépare des ani-
maux supérieurs ; les uns enseignant qu'il y a moins de différence
entre l'homme et les singes anthropomorphes qu'il n'y en a entre ces
mêmes anthropomorphes et les singes qui viennent immédiatement en
dessous d'eux ; les autres revendiquant pour l'homme un règne spé-
cial. Dans ce problème se trouve renfermée la solution d'une autre
question : Est-ce graduellement, par une évolution dont le point de
départ, fut l'existence animale, que l'homme s'est élevé à la vie hu-
maine, ou bien a-t-il été dès l'abord constitué dans sa nature actuelle?
Le second problème, c'est celui de l'époque où l'homme apparut sur
cette terre, problème à la fois géologique, dans quelle couche de
l'époque quaternaire ou même tertiaire trouve-t-on les premières
traces d'un squelette ou de produits de l'industrie humaine ; et chro-
nologique, combien de siècles se sont écoulés depuis la constitution de
cette couche? A ces recherches s'en rattachent uu grand nombre d'au-
ANTHROPOLOGIE 359
très, comprises pour la plupart dans le champ de l'archéologie préhis-
torique. Par là cette anthropologie se rapproche de l'ethnographie
(par ex. : Th. Waitz, Anthropologie der Natur-Vôlker,k\o\., 1859-1872);
c'est aussi par là qu'elle dépasse la sphère des sciencesnaturelles.MM.de
Quatrefageset Pruner-Bey considèrent la religiosité comme un caractère
distinctif du règne humain. M. G. Gerland (Xnlhropolog . fieitraegey
1875), darwinien dans ses prémisses, constate cependant une diffé-
rence spécifique entre l'animal et l'homme, l'immortalité de l'âme,
la nécessité d'une religion et la légitimité du christianisme comme
seule vraie religion. Si cette science nouvelle n'a pas encore de limites
nettement tracées, ni de principes définis, elle a cependant mis en
lumière une multitude de faits du plus haut intérêt et largement com-
pensé les emprunts qu'elle avait dû taire à ses sœurs aînées. —
Y. Revue d'Anthropologie dirigée par P. Broca; Gazalis de Fondouce,
Revue préhistorique . — Pour une autre acception du mot anthropologie,
v. Anthropomorphisme. A- Mattee.
ANTHROPOMORPHISME, mot tiré du grec et qui signifie: la forme
humaine érigée en type; et, dans le langage théologique : l'attribution
à Dieu d'une forme semblable au corps humain. C'est seulement aux
degrés inférieurs du polythéisme que nous trouvons une assimilation si
totale de la divinité et de la créature ; au sein des nations chrétiennes,
on ne pourrait citer qu'un ou deux exemples de cette notion grossière
(\. \udicns). Mais on rencontre dans les Saintes Ecritures un grand
nombre d'anthropomorphismes partiels, c'est-à-dire de passages men-
tionnant la main de l'Eternel (77 fois dans l'Ancien et le Nouveau Tes-
tament), son bras (32 fois), ses yeux (22 fois), sa face, ou d'expressions
similaires, telles que le trône de Dieu, son marchepied. Nous y rencon-
trons aussi desant/wopopathismes, c'est-à-dire des expressions attribuant
à Dieu les sentiments, les émotions de l'homme, l'angoisse (Es. LXIII,9),
le repentir (1 Sam. XV, 11). D'autre part, l'Eternel, par la bouche d'E-
saïe, dit à son peuple : « A qui me feriez-vous ressembler? » La loi du
Sinaï interdit toute image de la Divinité. En ce qui concerne les an-
thropopathismes, dans le récit môme où Dieu parle de repentir, le
prophète dit: « 11 ne se repentira point, car il n'est pas homme pour
se repentir » (1 Sam. XV, 29). Ces expressions doivent donc être prises
dans un sens figuré. Un tel langage symbolique pouvait être une accom-
modation à la pensée encore peu développée du peuple israélite ; mais
rait une erreur de n'y voir que des fictions excusables; le rôle du
symbolisme est plus important. Jésus-Christ se sert du langage figuré
pour enseigner les vérités les plus élevées; ainsi, il exprime les rap-
ports qui unissenl le fidèle à son Sauveur en disant: « Je suis le cep et
vous êtes tes sarments. » C'est que les réalités les plus profondes sont
inexplicables, indéfinissables; dans tous les domaines de la science,
en chimie, en biologie comme en métaphysique, nous constatons
qu ici-bas nous ne connaissons le fond de rien. Cependant, il importe
que nous tenions compte de ces réalités, et si nous ne pouvons les voir
directement, dans leur essence intime, nous pouvons les concevoir par
analogie, par une comparaison m11'1 nous permet de saisir une partie
360 ANTHROPOMORPHISME
de la vérité. Or, le premier terme de comparaison qui s'offre à L'esprit,
ce que nous connaissons encore le mieux, c'est nous-mêmes. Un tel
recours à l'analogie est surtout légitime en ce qui concerne notre no-
tion de la divinité, puisqu'un des premiers enseignements de l'Ecriture
sur Dieu et sur l'homme, c'est que Dieu créa l'homme à son image ;
quelle que soit la distance qui sépare la créature de son créateur, et la
distance plus grande qui sépare l'homme pécheur du Dieu trois fois
saint, tant que l'homme n'est pas devenu un être d'une autre es-
pèce, il nous faut reconnaître que la pensée divine subsiste et qu'il y a
dans l'homme une ressemblance de Dieu. Cette conviction est confir-
mée par un fait solennel : quand Dieu voulut se révéler dans une mani-
festation suprême, il apparut sous une forme humaine, en Jésus qui a
dit: « Celui qui m'a vu a vu mon Père. » Dès lors, la nature et la vie
humaines nous font comprendre la nature et l'activité divines ; mieux
nous nous connaîtrons, mieux nous connaîtrons notre Dieu ; il y a dans
notre science de Dieu un élément profondément humain, un inévitable
anthropomorphisme, ce mot étant pris non plus dans un sens matériel
et symbolique, mais dans un sens spirituel et doctrinal. La légitimité
d'un tel anthropomorphisme a été contestée ; on a cru mieux rendre
hommage à la grandeur de Dieu en revenant au principe des Eleates :
«L'Etre est si grand que nous n'en pouvons rien dire qui soit digne de
lui ; nous ne pouvons ni le connaître, ni le concevoir, ni le nommer. »
Spinoza ne voulait pas qu'on supposât en Dieu un entendement ni une
volonté, même infinis (voir Ethique, part. I, prop. 17 et 32). L'idée de
la personnalité de Dieu fut déclarée un anthropomorphisme, c'est-à-
dire un abaissement de la majesté divine. Comment ne pas s'aperce-
voir que c'est là un hommage dérisoire? qu'un tel Etre indéterminé
ne diffère pas du non-être? Et si notre intelligence ne l'avait pas dis-
cerné, notre piété ne nous en avertirait-elle pas? Car elle ne peut sou-
tenir de rapports réels et vivants avec une abstraction logique. L'ex-
périence est donc d'accord avec la révélation pour attester la vérité de
l'anthropomorphisme doctrinal ; d'accord aussi pour en marquer le
rôle et par conséquent les limites. On peut objecter l'inconvénient, le
danger d'un pareil rapprochement. Mais on ne saurait faire ce même
reproche aux anthropomorphismes symboliques des Ecritures ; le but
des expressions figurées qu'elles emploient est évident : c'est de rendre
plus saisissable à notre esprit l'activité de Dieu, ses pensées, sa sollici-
tude, de rapprocher le Père de ses enfants, pour que ses enfants se
rapprochent de lui. Tels sont aussi les anthromorphismes de Pâme
croyante ; ils varient selon les degrés de la piété ; dans la mesure où
l'àme se détache du monde, se sanctifie, elle a une intuition plus vive
et plus vraie de Dieu, intuition cependant imparfaite encore (1 Cor.
XIII, 12), et qui ne fera place à la vue directe qu'au jour où nous serons
transfigurés (2 Cor. V, 7; IJean III, 2). Malebranche cédait à une il-
lusion de métaphysicien quand, parlant de Y anthropologie (terme qui
alors désignait l'anthropomorphisme), il disait: « Comme l'Ecriture
est faite pour les simples comme pour les savants, elle est pleine d'an-
thropologies » ; indiquant par là qu'à ses yeux les savants pourraient
ANTHROPOMORPHISME — ANTIENNE 361
se passer d'anthropologies. La science religieuse doit, il est vrai, épu-
rer la notion divine, écarter les enveloppes qui retiendraient l'àme à
un degré intérieur de la vie religieuse, mais elle doit aussi maintenir
les traits essentiels, les mettre vivement en lumière, et, dans ce travail,
elle confirme toujours plus le mot de Jacobi : Dieu, en créant l'homme,
a théomorphisé; c'est pourquoi 1 nomme anthropomorphise nécessai-
rement (V. Image divine). A. Matter.
ANTIBES (Alpes-Maritimes) [Antipolis], évéclié d'abord dépendant
d'Aix, puis d'Embrun, et connu depuis 506. Saint Armentaire
(vers 451) est vénéré comme premier évêque d'Antibes, mais son exi-
stence n'est pas certaine. En 1244, Innocent IV, à cause de la dépopu-
lation du pays, transféra l'évêché d'Antibes à Grasse (Gallia, III).
ANTIDICOMARIANITES ou Antidicomarites , Antimarianites , Anti-
mariens, c'est-à-dire adversaires de la Vierge. Ils soutenaient que la
Vierge n'avait pas continué de vivre dans un état de virginité, mais
qu'elle avait eu plusieurs enfants de Joseph. Epiphane (Hœres. 78) cite
un long écrit qu'il adressa à ces hérétiques pour les persuader de reve-
nir de leur erreur. On les place tantôt en Arabie, où commençait alors
à se produire la dévotion superstitieuse dont la Vierge était l'objet,
tantôt à Rome, où saint Jérôme aurait victorieusement réfuté leurs
chefs, Helvidius et Jovinien. On s'accorde à dire qu'ils ont vécu à la
tin du quatrième siècle.
ANTIENNE (Anttphonœ, du grec ovtj ?g>v^). On désignait par là
le chant alternatif de deux, chœurs dans l'église. On affirme que les
psaumes étaient originairement chantés parmi les Juifs de telle sorte
qu'une partie de l'assemblée disait une strophe et l'autre partie la
strophe suivante. Cela semble avoir déterminé la composition de cer-
tains psaumes où il y a évidemment deux personnages en présence,
dont chacun prend la parole tour à tour. Voyez, par exemple, le
psaume XCI. On ne peut pas prouver que les Juifs chantassent ainsi
les psaumes, mais il est certain que ce chant antiphonaire s'intro-
duisit de très-bonne heure dans l'Eglise chrétienne. Socrate (Hist.
eccl. II, 8) en attribue l'introduction à Ignace d'Antioche, c'est-à-
dire qu'il la fait remontera l'an 116 de notre ère; il est vrai que
l'assertion de Socrate n'est pas appuyée de preuves, et qu'il affirme
qu'Ignace aurait introduit ce chant après l'avoir entendu exécuter par
des anges en l'honneur de la Trinité. Théodoret, par contre (Hist.
.. H, 24), attribue cette introduction à deux moines, Flavien et Dio-
dore, qui vivaient sous Constantin (337-361). Basile le Grand, dans son
Ep. 63, ad Neocœs., dit : «Tantôt l'assemblée, divisée en deux parties,
(liant" en alternant, tantôt l'une des parties entonne et l'autre la suit. »
li ne faut donc pas confondre les antiphones avec les répons. Kaban
liaur {delnst. cleric, I, 33) indique déjà clairement cette différence :
i< Dans les répons, dit-il. un seul dit un verset et le chœur répond,
tandis que dans les antiphones deux chœurs se répondent. » Peu à
peu. cependant, le mot antienne désigna uniquement le verset qui pré-
cède l'intonation du psaume (Amalar., IV, 7). verset qui convient à la
fête que l'on célèbre ; il désigne aussi ceux qu'on chante à l'introït,
362 ANTIENNE — ANTILLES
aux invitatoires et aux processions. On appelle aniiphonairele livre qui
contient les introït et les autres antiennes de toutes les messes de Tan-
née qui sont chantées par le chœur. Grégoire le Grand est le principal
auteur de l'antiphonaire romain ; il en avait composé la musique ou du
moins il mettait le plus grand soin à son exécution.
ANTILIBAN. Voyez Liban.
ANTILLES (Statistique ecclésiastique). On appelle Antilles ou Indes
occidentales les îles situées dans l'Océan atlantique entre les deux Amé-
riques. Découvertes les premières de toute F Amérique par Christophe
Golomb et ses premiers successeurs, elles ont toutes passé entre les
mains des Européens et presque toutes les puissances maritimes en
eurent leur part ; aujourd'hui encore elles, sont dans cet état de divi-
sion, et ce monde insulaire, évidemment destiné à former un tout, est
sous les maîtres les plus divers. Une seule, Saint-Domingue, est indé-
pendante et forme deux républiques rivales. Les autres sont soumises
aux lois de l'Espagne, de l'Angleterre, de la France, des Pays-Bas, du
Danemark et de la Suède. Le population primitive, les Caraïbes, a été
entièrement exterminée. [Les Antilles sont donc habitées maintenant
uniquement par des immigrants, descendants des colons européens, et
de nègres, leurs esclaves. Chaque île a pris le caractère de la nation
qui l'a colonisée, et c'est pourquoi la différence n'est guère moindre
aujourd'hui entre les Antilles espagnoles et les Antilles anglaises
qu'entre l'Espagne et l'Angleterre. Il est, par suite, impossible de les
considérer comme un tout, et il faut voir l'état religieux de chaque
île en particulier. Les Antilles forment un immense arc de cercle dont
la direction générale est du nord-ouest au sud-est. Nous commençons
notre course au nord-ouest : 1° Iles Lucayes ou Bahama, Caïcos et Tucks,
appartenant à l'Angleterre, 43,885 habitants (1871). Cet archipel forme
dans l'Eglise anglicane le diocèse de Massan qui avait, en 1818, 11 cures
et 19 pasteurs. Les baptistes et les wesleyens y ont quelques mission-
naires qui travaillent parmi les nègres qui, dans toutes les Antilles, ne
sont guère chrétiens que de nom, et ont tout au plus quelques formes
extérieures de la religion. — 2° Cuba. Cette grande île, la reine des Antilles,
appartient à l'Espagne, à qui une insurrection fomentée par les Etats-Unis
s 'efforce depuis de longues années de l'arracher . La population peut en être
évaluée à 1,399,871 habitants, savoir: 763,176 blancs, 238,927 nègres
libres, 363,288 nègres esclaves, et 34,480 coolies chinois (1872). La masse
delà population est catholique et forme deux diocèses : l'archevêché de
Santiago de Cuba (évêché le 28 avril 1522, archevêché le 25 dé-
cembre 1803) et l' évêché de la Havane (10 septembre 1787). Il y avait
dans l'île, en 1838, 76 cures, 19 vicariats et 57 annexes. Le clergé se
composait de 644 prêtres séculiers, 245 moines et 116 religieuses. Il y
a quelques protestants parmi les étrangers. Les coolies chinois seuls ne
sont pas chrétiens. — 3° La Jamaïque et les îles Cayman, anglaises,
510,877 habitants (1871). La grande majorité de la population est pro-
testante. L'Eglise anglicane a pour chef l'évêque de la Jamaïque ; le
clergé se compose de 3 archidiacres, de 18 recteurs et 78 pasteurs. La
population étant nègre presque entièrement (392,707 nègres et
ANTILLES 363
100,346 mulâtres, contre 13,101 blancs), il y a grande place pour le
ravail des missions. Aussi de nombreuses sociétés y sont à V œuvre;
on y trouve des missionnaires moraves, wesleyens, baptisles anglais,
I sbytériens unis d'Ecosse, de la société de Londres, do la société
américaine des Missions, baptistes de la Jamaïque, méthodistes libres
unis, etc. Les catholiques ont également à la Jamaïque un évôché créé
le 10 janvier 1837. — \° La grande ile de Saint-Domingue est la seule
di - Antilles (|tii soit aujourd'hui indépendante. La partie occidentale,
autrefois française, forme la république de Haïti. La partie orientale,
{ancienne colonie espagnole, l'orme la République dominicaine ou de
Saint-Domingue. La république de Haïti est peuplée de 572,000 âmes. Les
irais quarts sont nègres, le reste mulâtre; il n'y a pas pins de 600 blancs.
La religion officielle est le catholicisme, dont le chef est l'archevêque
de Port-au-Prince (érection du 16 septembre 1861). Quatre évêchés
suflragants ont été érigés en môme temps aux Caves, au Cap Haïtien,
aux Gonaïves et à Port-de-Paix ; mais ils n'ont jamais été occupés. Du
reste, les habitants sont de fait, sinon en droit, retombés dans le paga-
nisme et l'Eglise y est fort persécutée. Quelques missionnaires protes-
tants, baptistes et wesleyens, cherchent à apporter l'Evangile à ces
malheureux. La République dominicaine a une population de blancs et
<le mulâtres qu'on peut évaluer à 250,000 âmes. L'archevêque de
•San-Domingo (évôché le 13 août 1513, archevêché 1547) est le chef
spirituel des catholiques, quifforment à peu près toute la population.
— 5° Porto-Rico est une grande ile espagnole et catholique peuplée de
-587,327 habitants, dont 329,994 blancs et 257,333 nègres libres (l'es-
clavage ayant été aboli en 1873). L'ile forme un évôché catholique,
celui de Porto-Rico, créé eu 1513. — 6° Les Antilles danoises (Saint-
Thomas, Saint-Jean et Sainte-Croix) font partie du groupe des iles
Vierges. La population, protestante en majorité, est de 37, 700 habitants.
II y a quelques milliers de catholiques et trois paroisses anglicanes. —
7° Les autres iles Vierges sont anglaises, avec les îles voisines de Saint-
Christophe^ Antiguey Nevis, la Rarbade, Anguille, Montserrat et la Do-
minique, et peuplées de 120,131 habitants. Elles forment le diocèse
anglican d'Antigue, avec 2 archidiacres et 31 recteurs et pasteurs. Les
catholiques, assez nombreux, ont un évôché au Roseau (Dominique),
créé le 30 avril 1850. Il y a dans ces îles des missionnaires moraves,
wesleyens, presbytériens unis et de la Société pour la propagation de
I Evangile. — 8° L'ile suédoise de Saint-Rarthélemy a 2,898 habitants.
La plupart sont protestants, quelques centaines catholiques; il y a un
iionnaire wesleyen. — 9° La Guadeloupe est française. En y çoîti-
aanl les petites îles qui en dépendent, la population était, en 1872,
163,600 habitants, dont 120,000 nègres et 600 coolies. La population
est catholique. Le diocèse; de la Basse-Terre, créé le 27 septembre 1850,
ède un collège diocésain dirigé par les Pères du Saint-Esprit et du
L-Cœur de Marie. H forme 2 archiprêtres, 11 doyennés, 43 pa-
ses avec 90 prêtres séculiers. Les Frères de l'instruction chrétienne
Ploërmel dirigent %1 écoles communales et 2 externats. Les Sieurs
institutrices <!.■ Saint-Joseph de Cluny oui 1 pensionnat, :* externats et
m ANTILLES — ANTINOMISME
21 écoles communales. Les sœurs hospitalières de Saint-Paul de Chartres
desservent 12 hôpitaux, hospices et infirmeries. Il y a quelques protes-
tants avec un missionnaire wesleyen dans la dépendance de Saint-
Martin. — 10° La Martinique, autre grande île française, est peuplée
de 156,799 habitants (1872), dont environ 100,000 nègres et 600 coo-
lies. Elle forme l'évêché catholique de Saint-Pierre et F ort-de -France,
érigé le 27 septembre 1850. Il renferme 2 collèges dirigés par les Pères
du Saint-Esprit et du Saint-Cœur de Marie, 9 doyennés, 39 paroisses,
avec 73 prêtres, séculiers. Les Frères de l'instruction chrétienne de
Ploërmel, les sœurs de Saint-Joseph de Cluny, les sœurs de Saint-Paul
de Chartres et la congrégation des Filles de Notre-Dame de Délivrance
y ont des établissements. — 11° Les îles anglaises de Sainte-Lucie,
Saint-Vincent, la Barbade, la Grenade, les Grenadines, Tabago et la
Trinité ont une population fortement mélangée de catholiques et de
protestants (393,716 habitants en 1871). Les catholiques dépendent du
diocèse de Port-d'Espagne (Trinité), créé le 30 avril 1850. L'Eglise an-
glicane a 1 évoque à la Barbade, avec 2 archidiacres et 85 recteurs et
curés. Des missionnaires moraves, wesleyens et presbytériens unis
évangélisent la population noire de ces îles. — 12° Enfin, les Antilles
hollandaises (Curaçao, etc.) ont 39,150 habitants, catholiques en majorité.
E. Vaucher.
ANTINOMISME, théorie contraire au principe de la loi. Jésus avait dé-
claré que la loi religieuse, morale et rituelle, sous laquelle les Juifs
vivaient, était imparfaite (Matth. V, 17, 20) et devait être accomplie. A
l'observance littérale et servile de ses nombreuses prescriptions, il pré-
férait Fintention droite, pieuse, humaine comme principe de conduite,
ï amour actif de Dieu et du prochain comme mobile directeur de la vie
(Marc XII, 28-34). L'apôtre Paul ht de l'antithèse de la loi et de la foi
le fondement même de son enseignement chrétien. Il démontra que la
loi indique bien ce qui doit être fait, mais qu'elle ne procure aucune force
pour le faire et sert plutôt de miroir où nous pouvons contempler notre
laideur morale qu'elle ne contribue à nous améliorer. Au contraire, la foi,
en nous unissant de cœur et d'àme avec le Christ, au point que notre vie
se fond avec la sienne, nous communique un nouveau principe de vie qui
détermine nos sentiments et nos actes dans le sens de la pureté, de la
confiance en Dieu et de la charité. Dès lors, notre obéissance est vou-
lue, joyeuse et libre, se distinguant ainsi de la soumission timorée à
des ordres qu'on exécute par crainte, c'est-à-dire mal ou pas du tout,
ou bien avec lesquels on ruse, observant leur lettre, mais en trahissant
leur esprit (par exemple, celui qui fait l'aumône par calcul et non par
miséricorde, I Cor. XIII, 3). Il n'entrait, toutefois, dans l'idée ni de
Jésus ni de Paul de condamner la loi comme mauvaise et pernicieuse
en elle-même ; ils la subordonnaient seulement à un principe supé-
rieur. Mais, dans sa polémique contre les partisans obstinés dk; a loi
juive, Paul put se servir d'expressions (par exemple, Rom. IV, 15;
Y, 20), dont on abusa pour rabaisser la loi au rang des choses mau-
vaises, infernales, qu'il y avait du mérite à nier, à combattre, en pre-
nant le contre-pied de ce qu'elle ordonnait. De là, un antinomisnie
ANTINOMISME 305
dont on trouve déjà peut-être quelques traces dans l'Apocalypse
II. 14, 20). Ce fut surtout dans les sociétés gnostiques (voy. l'article
Gnosttctsmé) que cette exagération de la doctrine paulinienne prévalut
el donna lieu à des théories qui tendaient à absoudre l'immoralité chez
les pneumatiques ou hommes de l'esprit. Mais le gnosticisme fut vaincu
par l'ancien catholicisme, qui, de plus en plus, s'écarta du principe
évangélique de la subordination de la loi à la foi et à la grâce divine,
el finit, dans le catholicisme complet, par faire dépendre entièrement
le salut des âmes de l'observation des préceptes, des rites, des œuvres
extérieures, indépendamment du sentiment, de l'intention, delà con-
version intérieure et réelle. On sait que cet ergisme , ou doctrine du
salut par l'accomplissement mécanique des œuvres, engendra la doc-
trine des Indulgences, d'après laquelle l'Eglise peut reporter le mérité
des œuvres surérogatoires sur les pécheurs qui consentent à acheter
le ciel à certaines conditions, et que l'application scandaleuse de
cette théorie fut le point de départ de la Réforme du seizième siècle.
Les réformateurs revinrent à l'enseignement évangélique en opposant
la justification par la foi au salut par les œuvres. Mais c'était toujours
dans l'idée que la foi, moyennant la grâce de Dieu, inspirait au vrai
chrétien le désir et lui procurait la force du bien. Mais, dans les empor-
tements de la polémique, il arriva parfois à Luther de dépasser ses
propres sentiments, en appelant, par exemple, la loi « une parole de
perdition et de malédiction », en disant qu'il n'y a plus de « comman-
dement de contrainte, et qu'un peuple qu'on veut encore effrayer ou
contraindre au nom de la loi ne mérite plus le nom d'un peuple chré-
tien ». Parmi ses premiers partisans, il y eut des théologiens qui, tels
qu'Agricola d'Eisleben, érigèrent en théorie dogmatique ces expres-
sions hyperboliques et qui ouvrirent un feu nourri d'attaques violentes
contre Luther et Melanchthon, parce qu'ils rendaient à la loi, au com-
mandement divin, sa place légitime dans la vie chrétienne. Agricola
ne voulait entendre parler que de la foi pure et simple, indépendam-
ment de toute condition morale, comme fondement du salut. Une con-
férence qui eut lieu à Torgau, en 1527, entre Melanchthon et Agricola,
apaisa pour un temps cette guerre intestine. On s'accorda à reconnaître
que la repentance est comprise dans la foi, entendue dans son sens
général. Luther s'était catégoriquement prononcé en faveur de Melan-
chthon. Mais, en 1537, Agricola renouvela cette controverse à Witteni-
berg et poussa son point de vue jusqu'au paradoxe : « Es-tu débau-
ché, adultère, garnement, en un mot pécheur? Si tu crois, tu es sur le
chemin du salut... Tous ceux qui ont commerce avec Moïse doivent
aller au diable, à la potence, avec Moïse. » Luther, directement atta-
qué, répondit que la loi était légitime en son temps et à sa place;
qu elle servait à éclairer, à effrayer la conscience, et qu'alors l'Evan-
gile apportait la parole de grâce et de régénération. La dispute s'enve-
nima, et Luther ne ménagea pas les gros mots à son adversaire,
[/affaire allait être portée devant la justice électorale, quand l'appel
d' Agricola, comme prédicateur à Berlin, lui donna une autre tour-
pure (1540). Déféranl aux conseils <U> l'électeur de Brandebourg, Agri-
S6C ANTINOMISME
cola publia une espèce de rétractation, reconnaissant qu'en effet la îob
devait servir à la manifestation du péché, par conséquent à l'aire naître
la repentance dans le cœur du coupable, et il se réconcilia avec
Luther. Après la mort du grand réformateur, F un de ses plus ardents
partisans, Flacius, publia une édition nouvelle du dernier et du plu*;
violent des écrits de Luther contre Agricola, en y joignant une préface-
(jui contenait certaines paroles très-acerbes que peu de temps avant sa
uort Luther aurait énoncées devant plusieurs témoins au sujet du pré-
dicateur de Berlin. Agricola se tut, mais, en 1562, un sermon qu'il fit
sur Luc VII, 37-49 (La Pécheresse aux pieds de Jésus) ranima la con-
troverse et donna lieu à des traités pro et contra aussi injurieux que
scolastiques. Agricola mourut en 1566. Mais il avait trouvé des sou-
tiens parmi les luthériens d'Allemagne, entre autres Amsdorf, disciple-
et ami de Luther, qui allait jusqu'à dire que « les bonnes œuvres sont
nuisibles au salut », et le prédicateur Otto> de Nordhausen, qui pré-
tendait que ce que le chrétien avait de mieux à faire, c'était d'ignorer
la loi, que la prédication évangélique n'en devait pas parler, etc. La
Formule de concorde (1577) condamna les antinomiens, adversarii legis,
qui prxdicationem legis ex ecclesia explodunt , et affirmant non ex legeT
sed ex solo Evangelio peccata arguenda et contritionem docendam esse*
Depuis lors, l'antinonisme disparaît de la scène théologique propre-
ment dite. Cependant, on le voit de temps à autre reparaître au sein de
sectes obscures, par exemple, chez quelques baptistes anglais en i689r.
ou dans les partis ultra-mystiques, tels que celui du quiétisme
(Madame Guyon). Soit qu'on rabaisse trop l'idée de la loi en tant qu'é-
lément indispensable du développement social ou moral, soit qu'on
l'annulle en s'abandonnant, sans réserve, aux voluptés du mysticisme,
ou risque toujours de fournir des prétextes et un semblant de justifi-
cation à la licence des mœurs. On a pu même voir, en Europe et en
Amérique, de scandaleuses conséquences de ce dénigrement s'étaler
avec un véritable cynisme dans quelques conventicules où une exalta-
tion religieuse mal dirigée aboutissait à l'oubli des règles élémentaires
de la morale. Mais de telles extravagances sont du ressort de la méde-
cine et de la police plus que de la théologie. — Pour bien comprendre
la controverse antinomisle et sa véritable portée, il ne faut pas s'arrê-
ter au fait qu'à l'origine il s'agissait uniquement de la loi mosaïque
dans ses rapports avec l'Evangile. Les principes, mis en regard l'un
de l'autre, vont plus loin que ces rapports historiques, et la loi
mosaïque peut, sans modifier essentiellement la nature du conllit, se
changer en loi morale abstraite. Il reste toujours à se demander si, non
pas au point de vue social qui se borne à fixer les relations intéressant
l'ordre régulier de la société, mais au point de vue de la religion et de
la morale individuelles qui ont des prétentions plus hautes, le précepte
pur et simple, Y impératif suffit pour amener l'homme à la sanctifica-
tion et le régénérer quand il est corrompu. Nous pensons que l'expé-
rience confirme la thèse évangélique d'après laquelle l'homme a
besoin d'un mobile intérieur qui lui fasse prendre le ma) en horreur
et aimer fortement le bien. C'est alors qu'il accomplit avec aisance et
ANTINOMISME — ANTIOOHE 86?
avec joie ce que la loi ordonnait sans doute, mais ne pouvait obtenir
de sa faiblesse et de ses répugnances. D'une part, les prédicateurs de
l'Evangile, en développant cette profonde vérité philosophique et reli-
gieuse, doivent prendre garde à ne pas favoriser l'antinomisme en
décriant la loi qui pourtant subsiste avec ses exigences imprescripti-
bles. D'autre part, la libre pensée philosophique devrait se rendre
mieux compte qu'elle ne le l'ait la plupart du temps de tout ce qu'il y
a de fondé dans cette dialectique dusentiment chrétien qui part de la loi
pour se réfugier dans la foi, mais afin de revenir mieux armé, plus con-
liant, dans la grande lutte morale nécessaire à l'accomplissement de la loi.
Sans doute il faut connaître le bien, mais pour le faire, il faut l'aimer, et
la loi par elle-même n'inspire pas l'amour. A. eéville.
ANTIOCHE. Au moment où cette ville prend un rôle dans l'histoire
du christianisme, c'était une grande cité, la troisième de r empire*
romain (Rome et Alexandrie étaient les deux premières), et comp-
tait plus de 500,000 habitants (Jos. B. J. III, 2, 4, Comp. Strab.
XVI, 2, 5). Fondée l'an 300 avant Jésus-Christ par Séleucus, l'un des
généraux d'Alexandre, qui l'avait baptisée du nom de son père,
agrandie et embellie par ses successeurs, et surtout par Antiochus
Kpiphanes, elle était restée la capitale du royaume des Séleucides
jusqu'au moment de la conquête romaine et avait atteint déjà à cette
époque le plus haut degré de' splendeur. Le site d'Antioche avait
d'ailleurs été bien choisi; c'est un des plus agréables et des plus
pittoresques du monde. Bâtie sur les bords de l'Oronte, à l'endroit où
viennent finir brusquement les embranchements du mont Casius,
elle était en communication avec la mer par une large route et par le
fleuve lui-même que pouvaient remonter les plus grands vaisseaux.
Le mur d'enceinte, gravissant des rochers à pic, formait, sur la croupe
onduleuse des monts presepie surplombant sur la ville, une couronne
dentelée d'un merveilleux effet. Ces remparts, détruits une première
fois, reconstruits par Justinien, subsistent, en partie, encore aujour-
d'hui. Ils enfermaient une étendue immense, où l'on voyait des
collines de sept cents pieds de haut, des vallons profonds, des
torrents, des cascades, et au milieu de tout cela, des jardins délicieux,
de fraîches retraites, des bois de myrtes, de lauriers, de platanes, avec
des pelouses couvertes des plus fines fleurs et du plus frais gazon. Les
ait s de la civilisation avaient rivalisé avec la nature pour faire
d'Antioche l'une des plus belles villes du monde. Ses palais, ses bains,
ses théâtres, ses temples, étaient innombrables. Une savante symétrie
avait aligné les rues. Des statues admirables ornaient les carrefours;
h n superbe Corso de trente-six stades de longueur, formant deux
galeries rouvertes soutenues par des colonnes avec une large avenue
au milieu, traversait la ville d'un bout à l'autre. En un mot, il y avait
tout ce qui pouvait plaire au goût des Grecs de la décadence et à
L'imagination féerique de l'Asie, à ceux qui cherchaient la richesse et
à ceux qui demandaient des plaisirs. Aussi, rien de plus étrange, de
plus bizarrement mêlé, que L'immense population qui s'agitait dans
tes quatre parties de la ville et dans ses faubourgs. C'était connue un
368 ANTIOCHE
raccourci des deux paganismes de l'Orient et de rOccident. En haut,
le monde romain officiel et une aristocratie d'origine grecque qui
avait superposé la philosophie épicurienne et la mythologie de la
Grèce sur les coutumes et les religions orgiostiques de la Syrie; en
bas, une populace sans nom, sans patrie, insouciante, émeutière,
avilie et livrée à toutes sortes de superstitions et de métiers infâmes.
C'était le paradis des magiciens, des mimes, des charlatans et des
imposteurs de toute nature et de tout étage. Le luxe était inouï; les
mœurs, d'une licence effrénée. Les vices de deux mondes s'exagé-
raient en s'y mêlant et faisaient d'Antioche la sentine de l'empire
romain. — Des l'origine, les Juifs, attirés par le commerce et les ordon-
nances libérales du fondateur de la dynastie des Séleucides, y
formèrent une colonie nombreuse, possédant les mêmes droits que les
Grecs et ayant un ethnarque particulier (Jos. Ant. XII, 3, 1 ; XIV, 12,
6; B. J. II, 18, 5; Contra Apion. II, 4, Comp. avec Act. VI, 5). Une
Eglise chrétienne s'y forma de bonne heure, recrutée parmi les Juifs
et surtout parmi les prosélytes païens (Act. XI, 19, 22, 26). Un esprit
tout différent de celui qui régnait dans l'Eglise de Jérusalem, s'y
manifesta dès le principe. Les Juifs et les païens se fondirent ici pour
la première fois dans une même communauté. Le christianisme prit
une claire conscience de sa mission universelle. C'est là qu'il se sépare
nettement du judaïsme avec lequel on le confondait au début, et reçoit
son nom propre et distinct, le nom qu'il a gardé dans l'histoire
(voy. art. Chrétiens). Aussi, dans cet âge primitif, Antioche rivalisa
avec Jérusalem. C'est la ville de Paul comme celle-ci est le point
d'appui des Douze. C'est le foyer des grandes missions dans le monde
grec et romain. Et, après la ruine des Eglises de Judée, elle fut la
première métropole de l'Eglise chrétienne. Dans la formation de la
hiérarchie ecclésiastique, ses évêques, élevés à la dignité de patriarches,
prirent rang à côté de ceux d'Alexandrie, de Rome et de Constanti-
nople. Plusieurs conciles ou synodes s'y réunirent : un premier contre
les novatiens, en 252; trois autres au sujet des luttes soulevées par Paul
de Samosate, évêque de cette Eglise, qui fut déposé en 269 ; un grand
nombre enfin, durant les disputes des ariens et des monophysites.
Antioche donna son nom alors à une école importante et originale
d'exégèse et de théologie (voir plus loin). — Détruite par les Perses au
milieu du sixième siècle, elle fut rebâtie par Justinien, mais acheva de per-
dre son importance religieuse après l'invasion musulmane. Les croisés
de Godefroi de Bouillon s'en emparèrent en 1098 ; et elle devint un ins-
tant le centre d'une principauté féodale attribuée à Boëmond de
Tarente. Elle ne tarda pas à être reprise par les musulmans, et fut
enfin saccagée et détruite par l'armée du sultan d'Egypte Bibors
en 1269. Aujourd'hui, sur l'immense emplacement de l'ancienne cité,
entre des ruines grandioses, s'élève une petite ville de 7,000 habitants
qui porte encore le nom d'Antakieh. — Pour l'histoire d'Antioche, les
documents sont nombreux dans l'antiquité. Aux notices de Pline, de
Strabon,de Josèphe,de Pausanias, il faut joindre Y Antiochichus deLiba-
nius, les Homélies de Chrysostôme, la très-curieuse description du chro
ANTIOCHE . 3C9
nographe byzantin Malala, etc. Au moyeu âge, on a la Tabula Syrïx d'Al-
bufeda et quelques indications dans les autres géographes arabes. Dans Les
temps modernes, Cellarius,.iVoftAtâ orbis antiqui; Pococke, Beschretbung
des Morgenlands, Erl., 1771; Otfried Millier, Antiquit. Anliochenœ, Gœll..
1839; Renan, les Apôtres, p. 215-242, etc. A. Sabatier.
ANTIOCHE DE CARIE, située au bord du fleuve Méandre (Stra-
bon, XIII, ï, 15; Pline, Hist. Nat., V, 2i)), siège d'un évéché où plu-
sieurs synodes lurent tenus en 367 et 378, à propos des disputes
ariennes.
ANTIOCHE DE PISIDIE (-pcç tyj iuc<HS!a)ou Antioche-Gésarée (Act. Xlli,
14-SO; 2 Tim. III, 11; Strabon, XII, 7, 14 ; Pline, H. iV., V, 24,) ville im-
portante dans le Taurus, visitée par Paul, dans son premier voyage
missionnaire. L'Eglise d'Antioche de Pisidie, comme celle de Lystre,
d'Iconie et de Derbe doit être comptée parmi les Eglises de la Galatie
à qui P apôtre adressa son épitre aux Galates (voir Waddington,
Explication des inscriptions de Lebas, tome III, p. 337 et 349 ; Perrot,
Exploration de la Galatie, p. 194 et ss. ; Renan, Saint Paul, p. 48).
ANTIOCHE (Ecole d'). L'école d'Antioche a été moins étudiée, aussi
est-elle moins bien connue que l'école d'Alexandrie. Et cependant son
importance, pour être moindre à certains égards que celle de sa
célèbre rivale, est considérable. On peut même affirmer sans exagéra-
tion ([ue, aussi longtemps que nous n'en posséderons pas une histoire
exacte et complète, notre connaissance du mouvement des idées
religieuses de théologiques au sein de l'ancienne Eglise, reste>:a
nécessairement insuffisante. C'est ce que Munter, le premier, a eu le
mérite de comprendre et de chercher à mettre en lumière en
esquissant les destinées de l'école d'Antioche, en énumérant les
travaux de ses principaux docteurs et en signalant les caractères
distinctifs de leur théologie (Ueber die Antiochenische Sckule, von
U. F. Munter. Archiv fur alte undneue Kircliengeschichte , von Siicudlin
u. Tzchirner, 1813, B. I. H. 1). Malheureusement, l'exemple du savant
évêque danois n'a pas été ou a été peu suivi jusqu'à ce jour, et,
malgré la publication d'un certain nombre de monographies intéres-
santes, la lacune que nous avons indiquée n'a pas été comblée. En
attendant qu'elle le soit, nous devons nous borner à soumettre à nos
lecteurs quelques-uns des points les plus essentiels ou les plus discutés
de cet important sujet. Et d'abord, quelle signification précise
convient-il d'attacher à cette dénomination & école d'Antioche? Est-il
possible d "entendre par là, en prenant le mot dans son sens propre,
une institution régulièrement organisée d'enseignement religieux et
théologique, une sorte de séminaire qui aurait été fondé vers la fin du
troisième siècle, dans la capitale de la Syrie, sur le modèle de réta-
blissement qui llorissait déjà à Alexandrie? Des présomptions, qui ne
><>nt pas sans force, peuvent être alléguées en faveur de cette manière
de voir, l'ai; ses origines, l'école d'Antioche se rettache à une époque
du développement extérieur et spirituel de l'Eglise où le besoin de
fondations de ce genre se faisait vivement sentir. Est-il probable qu'une
« . aussi considérable que celle d'Antioche par sa position, par son
370 ■ ANTIOCHE
antiquité, par la science et la renommée de plusieurs de ses évêques, ait
négligé de se pourvoir d'un moyen aussi précieux de progrès intérieur
et d'influence au dehors? D'un autre côté, on peut se demander si des con-
sidérations de ce genre sont suffisantes pour prévaloir contre l'absence
de témoignages directs et positifs. L'histoire, qui nous a légué la liste
ininterrompue des maîtres de l'école d'Alexandrie, ne nous a rien
transmis de pareil, relativement à Antioche. Bien plus, nulle part elle
ne fait mention d'une école théologique qui aurait fleuri dans cette
dernière ville. .Le seul fait que nos renseignements nous permettent
d'aflirmer, c'est que, parmi les personnages considérables par leur foi
ou par leur science qui résidèrent à divers titres dans l'Eglise
d'Antioche, quelques-uns appliquèrent leur savoir au développement
de l'instruction théologique au sein de son clergé. Si Eusèbe ne
mentionne pas expressément un enseignement du presbytre Dorothée,
dont il vante d'ailleurs la science et particulièrement la connaissance
de la langue hébraïque (H. E., VII, 32), il nous informe par contre
que le martyr Lucien ouvrit à Antioche une école (H. iï7., VIII, 11 ; IX, 6) ;
il compta parmi ses disciples, Eusèbe de Nicomédie, Maris de Chalcé-
doine, Théognis de Nicée. Nous savons aussi que, vers le milieu du
quatrième siècle, Flavien, d'abord presbytre et plus tard évêque
d'Antioche, s'appliqua à l'instruction des anciens de son Eglise et fut
un des maîtres de Diodore de Tarse. Celui-ci, à son tour, n'étant
encore que presbytre dans la même ville, donna à de jeunes ecclé-
siastiques, jusqu'au moment où il devint évêque de Tarse (378), un
enseignement destiné à les préparer au service de l'Eglise. Rappelé à
Antioche pour y remplir les fonctions de l'épiscopat, il eut pour
disciples, Théodore de Mopsueste et Chrysostôme. On a lieu de croire
que, vers la même époque, Théodore de Mopsueste, qui avait déjà
reçu l'enseignement de Flavien et de Diodore de Tarse, assista aux
leçons de l'archimandrite Cartérius dans un couvent d'Antioche ou
des environs. Enfin, il est fort probable que le même Théodore, qui
fut presbytre d'Antioche avant d'être évêque de Mopsueste (392),
appliqua ses vastes connaissances à l'enseignement; le fait que
Nestorius fut son disciple, semble nous autoriser à admettre qu'il
enseigna dans la capitale de la Syrie. Tels sont les faits auxquels
s'arrêtent les informations que nous possédons. Avons-nous le droit
d'aller au delà et de transformer ces œuvres qu'elles nous présentent
comme tout individuelles, inspirées par l'initiative privée et à
quelques égards indépendantes les unes des autres, en une institution
permanente, oflicielle, dont les docteurs cités auraient été en quelque
sorte les fonctionnaires autorisés? Nous ne le pensons point, parce que
le silence de l'histoire sur ce point ne saurait être interprété comme
un accident et qu'il s'explique par les circonstances spéciales dans
lesquelles se trouva l'Eglise d'Antioche. La création et le déve-
loppement d'un établissement tel que l'école d'Alexandrie se com-
prennent au sein de la tranquillité intérieure dont nous voyons jouir
cette ville jusqu'au grand éclat des controverses trinitaires ; mais il est
difficile de se représenter une fondation de ce genre naissant et
ANTIOCHE 371
surtout se maintenant au milieu des Luttes dogmatiques qui, à partir
de la seconde moitié du troisième siècle, troublèrent si profondément
et presque sans interruption l'Eglise d'Antioche. On sait que ce fut
dans la capitale de la Syrie que se réunirent les trois synodes qui
jugèrent et condamnèrent l'hérésie de Paul de Samosate (269), et un
peu plus tard quelques-unes des assemblées où la question arienne fut
débattue avec le plus de violence; on sait enfin quel fut le rôle de
l'Eglise d'Antioche dans les controverses nestoriennes et euty-
ehlennes. Mais, si les données précises de l'histoire ne doivent pas
être dépassées, il n'importe pas moins de n'en pas diminuer la réelle
portée. Or, ce dont elles témoignent avec une évidence incontestable,
que, à une certaine époque et pendant longtemps, Antioche fut
le (entre et comme la capitale intellectuelle d'un mouvement théolo-
gique considérable. Bien plus, en rattachant les uns aux autres, par le
lieu spirituel de maître à disciple, les représentants les plus célèbres
de ce mouvement, elles nous obligent à attribuer à ceux-ci des
principes communs, une théologie empreinte d'un même esprit, en
d'autres termes, à affirmer l'existence d'une école d' Antioche dans le
sens large et figuré du terme. Au fond, ce fait n'a été nié par
personne. Personne n'a contesté que, à un certain moment, il n'y ait
eu en Syrie une école théologique originale, à laquelle ses caractères
propres et son importance aient mérité une place entre la théologie
pratique et réaliste de l'Occident et la théologie spéculative et idéaliste
des Alexandrins. Seulement quelques historiens ont éprouvé des
scrupules à la désigner par une dénomination qui n'en fait pas assez
ressortir, suivant eux, la tendance distinctive et l'extension géogra-
phique. Gieseler, par exemple, lui a préféré le terme d'Ecole syrienne
/ustorico-exégétique (Kirch. Gesch., I, 2, p. 34, 4e édit.). Toutefois, on a
généralement passé outre sur ces scrupules, et la désignation tradi-
tionnelle a été maintenue. Nous croyons, pour notre part, que celle-ci
est suffisamment justifiée par l'histoire. — On a quelquefois désigné
Origène, sinon comme le fondateur de l'école d'Antioche, du moins
comme le père spirituel de sa théologie. Il est certain que l'œuvre du
célèbre docteur d'Alexandrie renferme les germes, les linéaments
généraux et présente même, dans certains domaines, les premiers
modèles de la théologie de notre école. Mais l'affirmation (pie nous
avons en vue a besoin dïêtre précisée; car, formulée en ces termes
généraux, elle dit trop ou trop peu. Trop, si l'on oublie que la
personnalité d 'Origène est de celles qui font époque dans l'histoire, de
telle sorte que parmi les écoles des siècles suivants, il n'en est pas
une. même parmi les plus opposées, qui ne puisse légitimement, à un
certain degré, m- réclamer de lui, et (pie, en particulier, l'influence
qu'il exerça sur la nouvelle école d'Alexandrie, fut pour le moins
égale à celle qui lui est attribuée sur l'école d'Antioche. Trop peu. si
on se laisse entraîner par le désir de signaler les antécédents de cette
dernière jusqu'à en méconnaître l'originalité réelle et profonde; trop
peu encore si Ton borne ;i ses débuts, au lieu de' retendre au déve-
loppement tout entier de sa théologie, l'action des idées de son
372 ANTIOCHE
illustre prédécesseur. On peut sans doute être tenté d'attribuer à
Origène la gloire d'avoir fondé la science exégétique, lorsqu'on se
rappelle son étude et sa connaissance des langues originales de
l'Ecriture, ses importants travaux critiques, le soin avec lequel il
s'appliqua à établir le sens grammatical et historique du texte sacré
(Ernesti, Opuscula philologica crilica. De Origene, interpretattonis libro-
rum S. S. grammatkx auctore). Mais on n'en est pas moins obligé de
constater qu'il compromit gravement les résultats de son œuvre réfor-
matrice et contribua plus que personne à maintenir au sein de l'Eglise
les plus fâcheuses pratiques du passé, en reconnaissant à certains écrits
une autorité dont les avaient indûment revêtu des préoccupations reli-
gieuses ou dogmatiques, en réduisant outre mesure le rôle de l'Ecri-
ture dans la construction du dogme, enfin et surtout en élevant l'inter-
prétation allégorique à la hauteur d'un principe et d'une théorie her-
méneutique. La nouvelle école d'Alexandrie et l'école d'Antioche se
partagèrent sa succession. La première fut une école dogmatique; elle
s'appropria la tendance spéculative et mystique du maître. L'école
d'Antioche fut avant tout une école exégétique et critique, et son
originalité propre, aussi bien que son honneur le plus incontestable,
fut d'entrer et de marcher avec résolution dans la voie nouvelle
ouverte par Origène. C'est chez elle qu'on vit, pour la première fois,
l'intérêt pour l'étude de l'Ecriture l'emporter sur l'attrait de la
spéculation religieuse. Si les renseignements de l'histoire, relatifs aux
deux presbytres qui passent généralement pour les fondateurs de
notre école, sont malheureusement très-incomplets, ils nous four-
nissent cependant sur leurs études et sur leurs travaux, quelques
informations précieuses à recueillir. Eusèbe nous dit de Dorothée
(f vers 290) qu'il s'était adonné à l'étude de la langue hébraïque et
qu'il était très-versé dans les lettres sacrées {H. F., VII, 32). Jérôme
vante les travaux de Lucien (f 311) sur les livres saints, et il men-
tionne le fait que de son temps encore il existait des exemplaires des
Ecritures appelés lucianea (Catal. script, eccles.). Les deux hommes que
nous venons de nommer s'occupèrent-ils de travaux exégétiques
proprement dits? Fondèrent-ils la méthode d'interprétation qui fut
pratiquée et développée par leurs successeurs? C'est ce que nos
documents ne nous disent pas. Ernesti a cru pouvoir attribuer ce
dernier honneur à Eusèbe d'Emèse (Opusc. Iheolog.), et Munter à un
contemporain d'Eusèbe, un peu plus âgé que lui, Théodore d'Hé-
raclée (l. c, p. 13) qui suivant le témoignage de Jérôme , écrivit
plusieurs commentaires dans lesquels il s'attacha de préférence à
l'interprétation historique. Quant à Eusèbe d'Emèse, que son long
séjour à Antioche nous autorise à rattacher à notre école , nous
savons que, dans son explication des prophètes, il repoussa abso-
lument l'interprétation allégorique et s'en tint au sens historique,
ne rapportant au Christ que celles des prophéties où il est question
directement et exclusivement du Messie — Mais , pour apprendre
à connaître aussi complètement du moins que cela nous est possible
aujourd'hui, les caractères de la nouvelle exégèse, il faut arriver à
ANTIOCHE 373
♦
Diodore de Tarse (f 394), el à Théodore de Mopsueste (f 428). Ces
deux docteurs peuvent en être considérés comme les représentants
classiques, soit à cause de la rigueur et du développement avec les-
quels ils l'appliquèrent dans leurs nombreux commentaires, soit
parée que les premiers ils en exposèrent la théorie dans des écrits
spéciaux. Les témoignages de l'antiquité sont unanimes à affirmer
qu "ils s'attachèrent , dans leur interprétation de l'Ecriture, à fixer
le sens du texte sacré au moyen de la philologie (tyïku) tô Ypàp[AaTt)
et de l'histoire (xarà tyjv l<jrop(av) et s'abstinrent avec le plus grand
soin de toute explication allégorique (Socrat., H. E., VI, 3; So-
zom., H. E. VIII, 2 ; Photius, Bibl. cod. 38). A l'exception de quelques
fragments dont l'importance est à peu près nulle, et l'authenticité
douteuse , il ne nous reste de Diodore de Tarse que le titre
de l'ouvrage qu'il écrivit pour définir sa méthode exégétique, la
caractériser nettement en face de la méthode opposée et la justifier des
attaques auxquelles elle commençait à être exposée. Ce titre: t(ç Scacpopà
Qeuplzç Jtal *k'kiftQpl<zq, peut paraître étrange et même obscur, mais nous
pensons qu'il s'explique par la terminologie de l'époque (Socrat.,
ibidem; Sozom., ib.; Greg. Naz., /force/., 42). Ernesti a montré que Dio-
dore désignait par le mot âXXiffopla tous les passages de l'Ecriture
où l'Esprit divin annonce typiquement les actes et les faits de la vie de
Jésus, et par le mot 6ea)p(a l'interprétation dans laquelle l'esprit
humain se donne libre carrière pour expliquer les choses visibles par-
les invisibles. Il parait donc que Diodore ne poussait pas l'application
de ses principes herméneutiques au point de renfermer l'idée reli-
gieuse dans la lettre pure ou de refuser à certains noms, à certains
personnages et à certains faits de l'Ancien Testament un caractère
typique. Il aurait cru, sans doute en le faisant, briser entre les deux
alliances un lien qu'il prétendait maintenir. A côté de passages qui
sont des prophéties proprement dites, qui se rapportent exclusive-
ment et directement au Christ, et qui doivent être expliqués littéra-
lement et historiquement, il en admettait d'autres beaucoup plus
nombreux qui ne doivent s'entendre de la personne du Sauveur que
dans un sens mystique quoique réel. Mais il voulait qu'on distinguât
nettement les uns des autres et qu'on ne confondit pas le sens immé-
diat du texte qui s'impose à l'interprète scientifique avec les images et
les réflexions que le sentiment religieux inspire au lecteur chrétien.
Ces principes Eurent-ils ceux de Théodore de Mopsueste? L'affirmative
Semble avoir en sa faveur le fait dûment établi que ce docteur fut le
disciple et le continuateur de Diodore. Il est vrai que quelques-uns de
ses adversaires l'accusèrent d'avoir nié entre les deux testaments tout
rapporl prophétique. Mais nous sommes en état, au moyen des
fragments de ses commentaires qui nous sont parvenus, de nous
convaincre de la fausseté de cette accusation, laquelle d'ailleurs se
trouve démentie par le témoignage peu suspect de Léontius, deBysanze
(Canisius, Lectiones antiquœ, tom. I, p. 577 ss.). En outre, tout en
rejetant l'idée que les- prophètes, et même le Logos auquel il attribue
leur inspiration, aient eu en vue autre chose que le sens historique de
374 AXTIOCHE
la prophétie, Théodore ne songeait, pas plus que son maître, à refuser
à un certain nombre de passages de l'Ancien Testament une significa-
tion typique. Ce qui est possible et même probable, c'est que la polémique
de Théodore fut plus vive et plus amère que ne l'avait été celle de ses
prédécesseurs. Recommandée par l'exemple d'Origène, et puisamment
favorisée par les circonstances de l'époque, Y interprétation allégorique
n'était pas seulement restée la méthode favorite des nouveaux Alexan-
drins. Elle était devenue de plus en plus la méthode dominante et en
quelque sorte l'herméneutique reconnue par l'Eglise. Un conflit ne
pouvait manquer d'éclater entre les deux exégèses opposées. Rien ne
nous est pavenu du livre (Adversus allegoi'icos ou de allegoriaet hisloma)
que Théodore composa pour défendre les principes de son école. Mais
ses commentaires témoignent qu'il rendit amplement sarcasmes pour
sarcasmes et injures pour injures. Si les Antiochiens étaient accusés de
ne pas savoir s'élever de la turpitudo litterœ ad décorera intelligentix
spiritalis (Hieronym., ad Amos, 2), Théodore traita lésai légoristes
de conteurs de fables, de radoteurs, de mauvais plaisants et de fous.
A vrai dire, l'œuvre propre de l'école d'Antioche finit avec Théodore
de Mopsueste. Après lui, Jean Chysostôme, son ami et son contempo-
rain, et Théodoret son disciple, cherchèrent une voie intermédiaire
entre les deux camps opposés. Mais comme dans cette entreprise ils
se laissèrent déterminer bien moins par des vues scientifiques que par des
influences de diverse nature, il est difficile de reconnaître chez eux une
méthode arrêtée. Bien plus, il leur arriva parfois d'énoncer des prin-
cipes opposés à ceux de l'école à laquelle ils appartenaient (Ghysost.
In Ps., 46). — L'école d'Antioche étant avant tout une école de critique
et d'exégèse, c'est dans le domaine des études scripturaires qu'il
convient de chercher la manifestation, à la fois la plus fidèle, la plus
complète et la plus caractéristique de l'esprit dont elle fut ani-
mée. Quant aux idées christologiques des Antiochiens, pour être bien
comprises et appréciées, elles ne doivent pas être détachées du tableau
général des débats auxquels elles donnèrent lieu. Toutefois, nous ne
saurions nous dispenser d'indiquer, en quelques mots, le lien intérieur
qui nous parait rattacher leurs conceptions dogmatiques à leurs prin-
cipes herméneutiques. A cet égard, il est un fait qui donne déjà à
réfléchir : c'est celui du parallélisme remarquable qui apparaît entre
les rapports de l'école d'Antioche vis-à-vis d'Origène et des Alexan-
drins sur les deux terrains de l'exégèse et delà dogmatique, rapports à
la fois de dépendance et de réaction vis-à-vis du premier, rapports
d'opposition vis-à-vis des seconds. On discerne, en effet, dans la doc-
trine christologique d'Origène, deux courants qu'il semble difficile de
réunir dans un lit commun. On le voit d'un côté affimer contre ledocé-
tisme gnostique la réelle humanité de Jésus en distinguant nettement
cette humanité de la nature divine du Logos, en lui attribuant un
principe psychique, semblable par son essence à celui des autres
hommes, en en faisant le siège exclusif des affections du corps et des sen-
timents de l'âme. D'un autre côté, entraîné par le désir d'exalter la
personne du Sauveur, il se montre disposé à admettre une pénétration
ANTIOCHE ; 375
tle son humanité par la nature divine, une communication des attri-
buts du Logos à son àme et à son corps, au point de lui accorder le
pouvoir de changer sou apparence extérieure ; il semble justifier ainsi
l'accusation de docétisme que portèrent en effet contre lui Jérôme et
Gennadius. Or, de ces deux tendances opposées, Tune fut suivie et
développée par les Alexandrins, l'autre par les Antiochiens. Le par-
tage fut-il arbitraire? Non, sans doute ; il est impossible de ne pas près-
sentir que chacune des deux écoles s'appropria des idées du maître,
celles qui répondaient le mieux à ses propres aspirations. Un examen
quelque peu attentif ne tarde pas à confirmer cette présomption.
Si les théologiens d'Alexandrie avaient préconisé l'interprétation
allégorique, c'est que, répugnant de s'arrêter aux conditions humaines
de la révélation, ils s'étaient attachés avec une prédilection exclusive à
son origine divine, à l'esprit qui en avait inspiré les pages sacrées:
la Parole de Dieu, l'Ecriture avait, à leurs yeux, tous les attributs de la
divinité, l'unité sublime, la profondeur infinie ; les ressources inépui-
sables de l'allégorisme suffisaient à peine à découvrir toutes les richesses
des textes mystiques. Au contraire, c'est pareeque, sans voir l'inspira-
tion des livres sacrés, ils y distinguaient l'élément humain de l'élément
divin et voulaient conserver au premier toute sa valeur et toute sa réa-
lité, que les Antiochiens professaient la nécessité, pour comprendre
l'Ecriture, d'en étudier avec soin le sens grammatical et historique et
faisaient de ce travail le premier devoir de l'exégète. Au fond de ces
deux méthodes, il y avait, on le voit, deux conceptions différentes,
et, en une certaine mesure, opposées des rapports de Dieu et de
l'homme. Mais la question des rapports de Dieu et de l'homme
est la question fondamentale, celle de l'essence même du christia-
nisme comme de toute religion. Il était, par conséquent, inév-
table que la divergence des deux écoles apparût sur d'autres do-
maines encore que celui des études scripturaires, et particulièrement
que le jour où l'Eglise aborderait le problème christologique, cha-
cune d'elles fût conduite à en formuler une solution conforme à ses
principes herméneutiques. Et, en effet, tandis que les Alexandrins
(Athanase et les trois Cappadociens) attribuaient à la personne du
Christ une seule nature, la nature divine du Logos ({ii'av çuaiv tou OecO
Xcrpu ereffaRpxeojjiivTQv), et réduisaient son humanité à une simple forme
dont le Logos s'était enveloppé pour manifester son être (èvaapxeodiç
tcj Xo^ou), les docteurs d'Antioche, Diodore de Tarse et Théodore de
Mopsueste, protestèrent contre cette négation de la vraie humanité de
Jésus et proclamèrent la dualité essentielle de son être, en. statuant
entre la nature divine et la nature humaine une union (auvàçeia) qui, si
intime et profonde qu'elle fût, laissait à chacune d'elles sa parfaite
réalité. Diodore de Tarse enseignait que, s'il ne saurait être question de
deux lils, il ne fallait pas assigner les mêmes attributs au Logos et à
l'homme Jésus. Ce que Marie a enfanté, ce n'est pas le Logos, mais un
homme semblable à nous en toutes choses, quoique beaucoup plus
excellent que nous. Le Logos ayant habité chez les hommes une lois
seulement pour un temps annoncé dans les prophètes, mais constam-
376 ANTIOOHE — ANTIPAPE
ment et pleinement, il est permis de transporter au Fils de Marie le
nom et l'adoration qui appartiennent au Fils de Dieu, à la condition,
toutefois, que Ton ne perde pas de vue le soin de distinguer Tune
de Fautre. Le Logos divin, dit Théodore de Mopsueste, s'est choisi
(eiXYjçe), pour s'unir avec lui par un mode mystérieux (auv^ev âa-jTO))
dans la race d'Abraham et de David, un homme parlait, semblable
quant à la nature à ceux dont il descendait. Cet homme, en vertu de
son union indissoluble avec la nature divine (kyko^axoq Trpcç tyjv Suèv
çtaiv auvàsia), a été élevé par le Logos au ciel où il est adoré avec lui.
Il n'y a pas deux fils ou deux seigneurs; il n'y a qu'un seul Seigneur
Jésus-Christ, le Fils de Dieu uni à l'Homme-Jésus, lequel, par suite de
cette union, est devenu participant de la divinité et de la dignité du
Fils de Dieu. L'école d'Antioche ne survécut pas à la condamnation
dont elle fut frappée, dans le jugement de ces deux plus illustres repré-
sentants, à l'occasion des controverses nestorienne et eutychienne. Il
faut descendre jusqu'au seizième siècle pour retrouver, dans l'exégèse
de la christologie réformée, quelques-unes des idées qui caractérisèrent
sa théologie. Dandiran.
ANTIOCHUS (les), rois de Syrie. Plusieurs de ces souverains ont été
en relation avec le peuple d'Israël.; — 1° AntiochusIII,le Grand, succes-
seur de son frère Séleucus II sur le trône de Syrie en 224 avant Jésus-
Christ, échoua dans une première guerre avec l'Egypte, à laquelle
il dut abandonner la Cœlésyrie, la Phénicie et la Palestine, mais rega-
gna ces provinces dans une guerre avec Ptolémée Y, Epiphanes. A la
suite de ces victoires, les Juifs jouirent sous son règne, terminé en 187,
d'une grande liberté. — 2° Antiochus IV, Epiphanes, second fils du pré-
cédent, occupa le trône en 175, entreprit quatre expéditions contre
l'Egypte pour maintenir la possession de la Cœlésyrie et de la Phénicie.
Au retour de la seconde (170), il commit des violences sur les Juifs de
Jérusalem et pilla le Temple; après la quatrième (168), il envoya un
corps d'armée dévaster la même ville, entreprit d'imposer aux Juifs
la religion grecque, et substitua au culte juif celui de Jupiter, dans le
Temple même. La révolte des Machabées s'ensuivit. Epiphanes mourut
en 163 dans une expédition en Perse. Son nom est resté pour les Juifs
le symbole de l'exécration. — 3° Antiochus V, Eupator, fils et successeur
dû précédent (163-161 av. J.-C), poursuivit la guerre contre les révol-
tés juifs, etlivra bataille à Judas Machabée avec lequel il finit par conclure
ta paix.— 4° Antiochus VI, 0£oç, fils d'Alexandre Balas, emporta le trône
sur Démétrius Nicator (145), et se concilia l'appui de Jonathan et de Si-
mon ; ilfut tuépar Tryphon, qui convoitait la couronne (143 av. J.-C).
— 5° Antiochus VII, Sidétès, second fils de Démétrius Ier, reprit le trône à
l'usurpateur'Tryphon (138), conclut un traité d'amitié avec le prince juif
Simon, puis rompit avec lui, vint assiéger en personne Jérusalem, et fit
avec Jeanllyrcan une paix onéreuse. Il entreprit avec ce dernier une ex-
pédition contre les Parthes dans laquelle il perdit la vie (130 av. J.-C).
ANTIPAPE. On donne ce nom à ceux qui prétendaient se faire recon-
naître pour souverains pontifes, au préjudice d'un pape élu légitime-
ment. Les auteurs comptent vingt-neuf antipapes.
ANTIPATER — ANTITRINITAIRES 377
ANTIPATER. Voyez Hérodes (les).
ANTIPHONAIRE. Voyez Antienne.
ANTITAGTES (àvTtTaaaetjôai, s'opposer), nom commun à plusieurs
sectes gnostiques qui enseignaient le mépris de la loi morale dont l'au-
teur est le Démiurge. Dieu a créé le inonde bon; le principe mauvais
qui y a été introduit et <jui réside dans la matière ne saurait être vaincu
qu'en le forçant à épuiser tout son venin. Aussi, ces hérétiques préten-
daient-ils anéantir le corps en se livrant à la débauche la plus effrénée.
C'est ainsi qu'ils entendaient rentrer dans l'état d'innocence d'où
L'autorité malfaisante de la loi les avait tirés : c'est le gnosticisme dans ses
conséquences les plus exagérées. La nature violemment outragée par
l'ascétisme, auquel d'ordinaire il aboutit, cherche à prendre sa re-
vanche, et la pensée complaisante formule scientifiquement ces désirs
malsains (voy. Clément d'Alexandrie, Strom., 111; Saint Augustin,
ffœres., 18).
ANTITRINIT AIRES , adversaires du dogme de la Trinité. Ce dogme
enseigne que Dieu existe en trois personnes distinctes, le Père, le Fils,
le Saint-Esprit, chacune possédant des attributs qui la distinguent des
deux autres, sans toutefois que cette distinction détruise l'unité de la
Divinité ou fasse tort à leur complète égalité. De ces trois personnes, le
Kils s'est incarné pour notre salut et est devenu à la fois vraiment
homme comme il est toujours vraiment Dieu. Telle est la notion de la
Trinité consacrée par le symbole Quicumque, qui, depuis le huitième
siècle, passe pour le document officiel et définitif du dogme trinitaire
dans les Eglises grecque , romaine , anglicane et protestante. On dis-
tingue le plus souvent, dans l'histoire du dogme, par ce nomd'antitri-
nitaires les théologiens et les partis qui, au temps de la Réforme, pous-
sèrent jusqu'à la négation motivée de la Trinité la révolte contre le
dogme traditionnel. Dans les premiers siècles du christianisme, le dogme
de la Trinité était en voie de formation, n'avait pas encore reçu sa forme
stéréotypée et pouvait être conçu de plusieurs manières. 11 nous faut
renvoyer aux articles Trinité, Ckristologic, Arianisme etc., pour l'histoire
des doctrines plus ou moins éloignées de celle qui finit par prévaloir dans
l'Eglise. De même dans les temps modernes, on désigne par le nom
& Unitaires (voir ce mot), des Eglises et des tendances, se rattachant en
partie au Sucinianisme dont nous parlons plus loin, mais en réalité très-
distinctes de cette forme la plus systématisée de toutes celles que l'an-
titrinitarisme revêtit aux seizième et dix-septième siècles. Le présent
article se borne donc aux antitrinitaires de l'époque de la Réforme.
I. Les prédécesseurs des Servet. La Réforme a été déterminée essentiel-
lement par les besoins de la conscience chrétienne qui se sentait blessée
par les abus de l'Eglise romaine, surtout à l'égard- des moyens de salut.
C'est pourquoi autant elle fut hardie, tranchant dans le vif, en tout
ce qui concernait i«'s sacrements, la justification, les conditions du
salut, autant elle se montra respectueuse el même timorée vis-à-vis d( >
doctrines consacrées par la tradition, qui n'avaient pas uw rapport
aussi direct avec la question du sa lut, et. comme il arrive d'ordinaire
dans les révolutions, ses directeurs tendirent plutôt à exagérer qu'à
378 ANTITRINITAIRES
restreindre les scrupules conservateurs de ce qui ae touchait pas
à ce qui était pour eux l'arche sainte. Cependant ils ne pouvaient
empêcher leur rupture audacieuse avec l'autorité traditionnelle d'é-
veiller et, en un sens, de légitimer un esprit d'examen qui devait
s'attaquer successivement à tous les éléments de l'enseignement sé-
culaire de l'Eglise. L" 'humanisme érudit et littéraire, qui avait fourni
à la Réforme tant d'arguments et tant d'alliés, pouvait tout aussi bien,
avec Erasme, reculer devant les conséquences d'une bataille défi-
nitive avec Rome que pousser avec les antiînnitaires à des réformes
plus radicales encore que celles qui triomphaient à Wittemberg et à
Genève. Dès les premières années de la Réforme, nous trouvons en
effet, çà et là, des individus impatients des limites où l'action des réfor-
mateurs voulait se renfermer et qui donnent parfois la main aux ana-
baptistes (v. ce mot), d'autres fois n'ont rien de commun avec ce parti
de l'illumination et de la révolution sociale. Par exemple, nous devons
signaler : 1° Conrad in Gassen, Wurtembergeois, exécuté à Bàle en 1529,
pour crime de blasphème contre la divinité et la naissance miraculeuse
de Jésus-Christ. — 2° L. Hetzer, dcThurgovie, J. Denck, de Nuremberg,
J. Kantz, de Worms, qui parcoururent l'Alsace vers 1526-1528 en
prêchant contre la Trinité et la divinité du Christ. Hetzer, d'abord zélé
disciple de Zwingle, puis passé à l'anabaptisme, ramené de cette dange-
reuse accointance par son ancien maître et par OEcolampade, s'était lié
ensuite avec l'érudit J. Denck, et avait travaillé avec lui à une version
des prophètes hébreux, appréciée des savants, entre autres de Capiton,
de Strasbourg, qui le reçut chez lui. Mais la couleur «judaïsante» de
cette version et certaines excentricités d'allure et de conduite forcèrent
les théologiens de Strasbourg à rompre avec les deux hébraïsants qui
s'associèrent J. Kantz et répandirent une doctrine revenant en termes
généraux à ceci : que Dieu est absolument un; qu'il n'existe en Dieu
aucune triplicité de personnes; que Jésus-Christ n'a pas préexisté per-
sonnellement à sa venue sur la terre ; que son œuvre rédemptrice se
résume dans l'exemple qu'il a laissé et la révélation de l'amour divin
qu'il a opérée. Denck insistait toutefois sur l'idée du Verbe éternel,
éclairant tout homme, parole intérieure de Dieu dans nos âmes. Repous-
sés d'Alsace, ils se rendirent, Hetzer à Constance où il fut condamné à mort
peu de temps après son arrivée (1528) sous l'inculpation d'immoralité,
Denck à Bàle, où OEcolampade le protégea par estime pour son caractère
et son savoir, mais où il mourut bientôt de la peste. — 3° Sébastien
Franck, de Donauwœrth, en Souabe, idéaliste, qui ne voyait dans le
Christ visible que l'image et le symbole du Christ spirituel, invisible,
qui est tout en tout, qui pénètre 3a création, qui réside dans la con-
science humaine, qui révèle le Créateur absolument un dont il dérive.
— 4° Claudius de Savoie (Allobrox ou Sabandus), qui enseigna à Berne,
en 1534, l'unité absolue de Dieu, combattit la préexistence personnelle
du Fils et ramena le Saint-Esprit au rang des créatures. Après une vie
errante et agitée, et bien qu'il eut rétracté publiquement ses opinions
à Lausanne, en 1537, on le retrouve, par la suite, en Allemagne,
s'efforçant de les répandre de nouveau. On ignore comment il finit. —
AXTITRINITATRES 379
:; ./. Campanus, de Juliers, qui, vers K>2S, à Wittemberg, se fait
remarquer par son opposition au dogme trinitalre, parcourt Longtemps
l'Allemagne centrale, retourne dans sa patrie, où il jouit quelque
temps d'une grande popularité; mais ses prédictions concernant la lin
prochaine du monde soulèvent contre lui le peuple des campagnes, et
il meurt en prison, vers 1574, dans un état, paraît-il, de complète
démence. Il avait consigné ses vues dans un écrit intitulé : destitution
et amélioration de l'Ecriture sainte et divine, obscurcie depuis des siècles,
avec la permission de Dieu, par des doctrines et des docteurs pernicieux
(en allemand). 11 existe encore de lui, aussi en allemand, un écrit inti-
tulé : Contre tout le monde, d'après les apôtres. Il voulait, non pas une
trinité, mais une dualité divine. Ce n'est pas un liomme individuel,
mais Adam et Eve dans leur dualité inséparable qui auraient été créés
à l'image de Dieu. Le Fils est l'élément féminin, par conséquent subor-
donné de la Divinité où le Père représente le principe masculin, actif
et productif. Le Saint-Esprit n'est pas une personne, mais l'esprit
commun au Père et au Fils et leur action à tous deux sur l'homme. —
6° D. Joris, de Delft, né en 1501, banni de sa patrie pour anabaptisme.
Il fut évêque anabaptiste à Delft, et, après avoir en vain cherché un
refuge en Frise, il se fixa, en 1544, à Bâle sous le pseudonyme de
J. von Bruck et comme membre apparent de l'Eglise réformée. Un
certain nombre de ses partisans l'y avaient, toutefois, rejoint et on ne
sut qui il était réellement qu'après sa mort (1556). En 1559, son corps
fut déterré et brûlé après un procès en règle. Il repoussait comme con-
tradictoires les doctrines de la Trinité et de l'incarnation du Fils-Dieu,
disait-il, révélé à nous par le moyen de trois hommes spécialement
choisis, Moïse, Jésus, Elie, ou bien Adam, Jésus et David. Mais aucun
d'eux ne doit être identifié avec le Christ de l'esprit, qui n'est autre
que la volonté, la parole et la nature même de Dieu. La rédemption
s'opère par l'incitation du modèle donné par le Christ terrestre en qui
le Christ de l'esprit habita pour nous laisser un type de la vraie vie
spirituelle. Ce que Jésus et les apôtres ont fondé n'est, toutefois, qu'un
fragment, qu'une ébauche de l'édifice qui doit être achevé. Bientôt
viendra un nouveau Christ-David, un homme de Dieu, qui portera à sa
perfection l'œuvre commencée et longtemps gâtée par les hommes. On
a mainte fois soupçonné Joris, qui ne pécha jamais par excès de
modestie, d'avoir cru, sans oser le dire ouvertement, qu'il pouvait
bien être cet homme prédestiné. A cette attente d'une transformation
prochaine et radicale des choses s'associaient des vues révolutionnaires
tout à la fois très-ascétiques et très-licencieuses. Au fond, le vieil ana-
baptiste était resté fidèle au type de sa secte. Il a laissé de nombreux
traités en langue hollandaise, dont le plus remarquable esi intitulé :
Livre miraculeux \ Wonderèoek)* — Si, dans ce groupe d'antitrinilaires
allemands ou néerlandais, nous avons à constater l'influence fréquente
de la vieille mystique germanique, nous allons voir le rationalisme
critique prévaloir dans les doctrines et les partis originaires de l'Europe
méridionale, où V humanisme fut le principal ferment du mouvement
armateur. Parmi les protestants italiens réfugiés en Suisse, on dis-
380 ANTITRINITAIRES
tingue : 1° Francesco le Calabrais, Titiano et surtout Camillus Renalus,
originaire de Sicile, en Suisse depuis 1542, qui s'accordent dans une
doctrine d'un subjectivisme complet, annulant l'incarnation objective
du Fils et ramenant à la persuasion intérieure du salut le rapport nor-
mal de Thomme avec Dieu. — 2° Bernardin Ochino, ex-franciscain, natif
de Sienne, réfugié à Genève en 1542. Après une vie errante en Alle-
magne et en Angleterre (sous la reine Marie) , toujours fuyant devant
la persécution, il s'établit à Zurich comme professeur de langue italienne
et se lia d'amitié avec son compatriote, L. Socin, dont nous parlons
plus bas. Ses vues sont exposées dans son Catéchisme (1561) et surtout
dans ses Dialogues (1563), où il attaque le dogme de la Trinité par des
arguments scripturaires, en même temps qu'il lui enlève les appuis que
la théologie scolastique lui fournissait en faisant de ce dogme une sorte
de corollaire de l'incarnation et de la rédemption. Grand partisan
de l'inspiration individuelle, il admettait que dans certains cas, par
exemple la polygamie , l'inspiré devait écouter ses directions plutôt
que les préceptes de la parole écrite, et prétendait le prouver par des
exemples bibliques. Banni de Zurich, il recommença sa vie errante à
travers l'Allemagne et la Pologne, et, chassé encore de ce dernier pays,
ii mourut en 1564 à Schlachau en Bohême. — 3° Mattheo Gribaldo,
Piémontais, établi près de Genève sur le territoire bernois. Selon lui
l'unité divine du Père et du Fils n'était autre chose que la participa-
tion à la même nature divine abstraite, comme l'apostolat commun
de Paul et d'Apollos, disait-il, forme l'unité de ces deux personnes.
Mort en prison à Berne , en 1566. — 4° Jean- Paul Alciati, aussi
piémontais, réfugié à Genève, enseigna l'infériorité du Fils. Gomme
l'Eglise italienne semblait incliner vers l'adoption de ces idées anti-
trinitaires, Calvin provoqua une conférence (1558), où la question fut
publiquement discutée, et qui aboutit à la rédaction d'une confession
de foi orthodoxe que tous les membres s'engagèrent à maintenir.
Alciati se retira d'abord à Zurich, puis en Pologne. Mort à Dantzig en
1565. — 5° Valentin Gentélès, de Cosenza en Calabre, avait signé cette
confession avec répugnance et se crut forcé, en conscience, de spécifier
ses vraies opinions. Gentélès, au fond, revenait à l'arianisme ; pour
lui, Dieu le Père était essentiator, le owtoôsoç, Fils essentiatus et Dieu en
sous-ordre ; puis, il niait la dualité des natures dans le Fils incarné et
voulait que le Fils se fût fait chair au sens absolu de ce mot. Menacé
de la peine du feu, Gentélès prit peur, se rétracta et fut constitué pri-
sonnier sur parole dans Genève ; mais il crut pouvoir enfreindre cet
engagement, passa par Lyon, Grenoble, revint en Suisse, où il fut
arrêté par l'autorité bernoise, obtint avec peine sa mise en liberté,
se rendit en Pologne, et enfin retourna se fixer auprès de son ami Gri-
baldo. C'est là qu'il fut repris par le gouvernement bernois. Transporté
à Berne, jugé et décapité le 10 septembre 1556 comme blasphémateur
et parjure. — 6,J Fr. Stancaro, de Mantoue, réfugié aussi en Suisse,
puis après une vie agitée en Pologne, où il mourut en 1574, chercha
surtout à écarter de l'essence divine tout ce qui, dans l'œuvre de la
rédemption, pouvait en compromettre l'immutabilité. Son antitrini-
ANTITRINITAIRES 38i
tarisme serésouten fin do compte dans mi nestorianisme très-accentué.
— En Pologne, où nous voyons les antitrinitaires chercher si souvent
leur refuge, tout un parti imbu de leurs tendances s'était formé à la
cour et dans la noblesse, alors et pour le temps, très-instruite. Nous
trouvons, parmi les théologiens antitrinitaires de ce pays, Pierre Gone-
sius (Goniadzki), pasteur à Wengrow, dont les idées ottrent une grande
analogie avec celles de Servet (voy. plus loin); Grégoire Pauli, pasteur
près de Gracovie ; Statorius et son disciple Remigius Chelimki, etc. Il
s'ensuivit un schisme parmi les protestants polonais qui devint défini-
tif eu 156*5. Les antitrinitaires se divisèrent eux-mêmes en partisans et
adversaires de la préexistence de Jésus-Christ. Franz Davidis, d'origine
saxonne, poussa jusqu'au bout les conséquences des prémisses posées
en contestant la légitimité de l'adoration du Christ, non pas comme
l'ancienne théologie réformée quatenus mediator , mais quatenus
homo (1568). L'histoire de l'antitrinitarisme polonais se confond de-
puis lors avec celle du socinianisme, dont il nous reste à décrire les
doctrines. Cependant il nous faut revenir sur nos pas pour résumer
avec un peu plus de détail l'histoire de Servet, qui, le premier, orga-
nisa les idées antitrinitaires en un système complet, et qui dut, à sa
mort sur le bûcher, une réputation que sa théologie obscure et em-
brouillée ne lui aurait probablement pas procurée.
IL Michel Servet naquit en 1509 ou 1511 à Yillanueva en Aragon (d'où
le nom de Villeneuve, sous lequel il se fit connaître en France), étudia le
droit à Toulouse, où il apprit à connaître la Bibleet la lut avec ardeur, en
compagnie de quelques condisciples. Il parait avoir ensuite voyagé en
Italie et en Allemagne, comme attaché à la suite de l'empereur Charles-
Quint (il règne plus d'une variante dans ses propres déclarations sur
cette partie de sa vie). En 1530, on le voit fixé à Bàle, où il s'occupa
de théologie et surtout de spéculation religieuse. Déjà ses vues, incon-
ciliables avec le dogme de la Trinité, lui attirèrent les remontrances
d'OEcolampade, ce qui ne l'empêcha pas de publier son traité intitulé :
De Trinitatis crroribus libri VII (1531), qui causa un grand scandale
en Allemagne et en Suisse. L'édition fut autant que possible saisie à
Bàle et anéantie. Lui-même dut se rétracter dans l'ouvrage qu'il fit
paraître l'année d'après, Dialogorum de Trinitate libri IL De justifia
regni Christi capitula IV. Mais il ne condamna son premier traité que
pro forma, comme prématuré, et, quant au fond, il développa bien
plus qu'il ne retira ses principales thèses. Sans qu'on en puisse claire-
ment deviner la cause, ce second écrit eut peu de retentissement. Ser-
ve! se rendit alors à Paris sous le nom de Villeneuve, s'adonna à la
médecine, aux mathématiques et à l'étude du néo-platonisme. C'est là
qu'il aurait t'ait la connaissance de Calvin, qui aurait dès lors conçu de
L'antipathie contre lui. En 1534 il passe à Orléans, puis va se fixera
Lyon où il exerce la profession de correcteur d'épreuves et édite quel-
que travaux scientifiques, tels que la Géographie de Ptolémée revue et
annotée d'après Pirkeimer. En 1537, on le retrouve à Paris , ensei-
gnant les mathématiques, s'occupanl toujours de médecine, publiant
son traité des sirops, Siruporum Ratio (1537), el joignant à des divina-
382 ANTITRINITAIBES
lions étonnantes (celle par exemple de la circula lion du sang-, comp.
Christ. Restù., p. 06 ss.), des superstitions astrologiques, partagées, il
est vrai, par bien d'autres esprits éminents du même temps. Mais la
Faculté de médecine , irritée par le ton acerbe de sa polémique, le
dénonça au Parlement. Il perdit son procès, et, en 1538, il quitta Paris,
non toutefois sans y avoir acquis le diplôme de docteur. Il visita alors
plusieurs localités du midi, Avignon, Charlieu, séjourna encore quel-
que temps à Lyon, et en 1540 se rendit à Vienne enDauphiné, où l'appelait
l'un de ses anciens auditeurs de Paris, l'archevêque Palmier. C'est là
qu'il passa douze ans de tranquillité matérielle, médecin recherché,
favori de l'archevêque et du clergé. Néanmoins il continuait ses études
érudites, il faisait paraître à Lyon une édition nouvelle de la version
latine de la Bible, de Santés Pagninus (1542), avec quelques notes de
lui où l'on remarque la tendance à rapporter à des événements con-
temporains des prophètes, les prédictions ordinairement expliquées
par leur rapport avec l'histoire évangélique. Il correspondait avec Viret
et avec Calvin, et leur exposait ses idées. Bientôt Calvin se -fâcha et
le ton avec lequel Servet censurait la réforme genevoise n'était pas de
nature à l'apaiser. Dès 1546, Calvin le considérait comme très-dange-
reux pour l'Eglise. Servet lui offrait de venir conférer avec lui à Ge-
nève. Calvin ne voulait pas le prendre au mot. Si venerit, écrivait-il à
Farel, modo valeat mea autoritas, vivurn exire nunquam patiar. Enfin
il se décida à publier sdiChî'istianismi Restitutio (1553) avec ces initiales
M. S. V. (734 pages in-8°). Il combat le dogme de la Trinité comme
aboutissant autrithéisme, comme constituant un «cerbère tricéphale»;
il n'admet qu'une triplicité de révélation. Dieu est la substance infinie
de toutes choses et de toutes formes, Substantif pelagus infinilum om-
nia essentians... ipsa rerum universitas, en lui-même purement incom-
préhensible. Mais il a voulu se révéler, et il s'est révélé sous trois
modes, la parole, le Christ et Y esprit. La parole ou le Yerbe est
le monde idéal, la lumière incréée, omnium imagines... in sapientia
ipsa, ut in archetypo mundo vere lucentes... In luce omnia consistunt ,
l'homme et le Christ futur y compris. Pour que ce Christ prévu, pré-
déterminé, apparût, le monde et son histoire étaient nécessaires. C'est
ainsi que le monde a été fait par (per) le Christ et en vue de sa venue en
chair. Mais comme de toute parole provient un souffle, de même,
du Verbe créateur émane Y esprit , l'âme du monde , qui anime
aussi les hommes et fait leur respiration. Cet esprit procédant
par des productions encore imparfaites (Adam , la loi , les pro-
phètes , les figures de l'ancienne alliance), a trouvé sa parfaite
expression en l'homme Jésus, dans la naissance duquel la subs-
tance du Verbe ou de la Lumière incréée a tenu lieu de la semence
paternelle. Les vrais éléments supérieurs, le feu, l'air et l'eau (selon
une théorie de la génération particulière à Servet), se sont unis à la
matière terrestre dans le sein d'une Vierge ; d'où suit que la nature
corporelle du Christ est aussi divine que son âme. Caro ipsa Christi,
qualis erat in sepulcro, formam substentialem habuit divinam... Habet caro
illa in se substantiam vere divinam de cœlo. Grâce à cette incarnation ou
ANTITRINITAIRES 383
plutôt à cette sarcogenhe, l'esprit, troisième mode révélateur de Dieu,
sYs! trouvé pour ainsi dire affranchi de tout ce qui le limitait et l'obs-
curcissait. Il nous vient du Christ, délivré depuis la résurrection de
tout ce <|iii pouvait encore, même en Jésus vivant de la chair terrestre,
troubler sa pensée. Spiritus sanctus est ipse oris Christi halitus. Il im-
plante dans L'homme la nature divine et la vraie immortalité. Au
chapitre de la sotériologie, Servet est beaucoup moins spéculatif et ori-
ginal. Il reste dans le vague OU bien il émet des théories arbitraires,
celle par exemple d'après laquelle le péché mortel n'est imputable
qu'après l'âge de vingt ans. Il se prononce fortement contre le bap-
têrae des enfants, detestanda abominatio . On ne doit recevoir le baptême
qu'à trente ans, à l'exemple de Jésus. Les bonnes œuvres, le jeûne, la
prière, l'aumône, la confession volontaire procurent un degré supé-
rieur de sainteté, épargnent ou adoucissent les feux du purgatoire (que
Servet voulait maintenir). Ce livre fit scandale. Un gentilhomme fran-
çais, réfugié à Genève, Guillaume de Trie, se défendit contre les re-
proches d'un sien parent de Lyon, demeuré catholique, en déclarant
qu'on ne souffrirait pas à Genève des écrits blasphématoires, comme
celui qu'un certain Villeneuve ou Servet avait publié à Vienne, en terre
épiscopale. Cela prouve qu'à Genève, on avait reconnu l'auteur, mal-
gré ses précautions. On procéda contre Servet, il y eut visite domici-
liaire et comme on ne trouvait pas de preuves formelles, de Trie ob-
tint, non sans peine, de Calvin, communication de vingt-quatre lettres
<!<■ Servet et de quelques autres pièces accusatrices. Servet fut déféré à
l'inquisition de Lyon et ne dut qu'à de puissantes protections et
à l'argent de pouvoir s'échapper de sa prison. Son procès n'en fut pas
moins continué, et le 17 juin 1553 il fut condamné au supplice du feu.
Il fut en effet brûlé en effigie à Lyon par la justice inquisitoriale. Servet
voulut se rendre alors en Italie, à Naples, où il comptait exercer la
médecine. Pour cela, il se rendit à Genève, où il commit l'inconcevable
imprudence de rester tout un mois dans une auberge. Mais à la lin, il
fut reconnu, dénoncé, et Calvin le lit arrêter. L'acte d'accusation,
rédigé par Calvin, contenait trente-huit articles concernant ses antécé-
dents et ses doctrines. Sa contenance fut hardie et il trouva un appui
dans Philippe Berthelier, chef du parti libertin (voy. ce mot) de Ge-
nève. Calvin crut alors qu'il devait intervenir dans le procès. L'atti-
tude de Servet n'en devint que plus audacieuse. Il se modéra toutefois
en voyant que son affaire prenait une mauvaise tournure. On lui ac-
corda une discussion avec Calvin devant le Conseil; mais là, Servet
changea -on système de défense, contesta la compétence du tribunal
et de I Eglise de Genève et en appela au jugement d'autres Eglises.
Toutefois, il demanda avec instance qu'où ne le livrât pas à la justice
inquisitoriale de Valence, qui réclamait son extradition. Le duel entre
lui et Calvin reprit sa première animosité. Le parti libertin, hostile à
Calvin. - agitait en sa laveur, et Servet, dans ses remont rances, accu-
sai! violemment son redoutable adversaire, qui, de son rôle, ne le
ménageai! pas, allait jusqu'à exprimer l»> vœu que Calvin fût banni de,
Genève et qu'on prît sur son avoir do quoi l'indemniser, lui Servet, de
384 ANTITRINITAIRES
tout ce qu'il avait perdu. En octobre, arrivèrent les préavis des-
Eglises suisses, tous défavorables à Servet. Celui de Berne, surtout,
poussait aux mesures de rigueur. Après délibération, Calvin et ses col-
lègues se prononcèrent pour la peine de mort, mais en émettant le vœu
que la supplice du feu lui fût épargné, en tant qu'aggravation cruelle
et inutile. Les efforts tentés par le syndic Perrin, adversaire de Calvin,
en faveur du malheureux Espagnol furent vains, et, conformément à la
loi impériale, il fut condamné à mourir sur le bûcher. Bien qu'accablé
et demandant grâce, bien que visité par Farel et Calvin sur sa demande,
il persista dans ses convictions, et le 27 octobre 1553 il subit son ter-
rible supplice, peut-être le plus funeste des démentis que la Réforme
se soit infligés à elle-même. Avec lui mourut sa doctrine en tant que
dogmatique organisée et systématisée. Ce mélange de vues spéculatives,
panthéistes, matérialistes, critiques et catholiques ne pouvait gagner
beaucoup d'adhérents; à peine trouve-t-on parmi les antitrinitaires de
marque un ou deux partisans des idées de Servet. Mais sa critique né-
gative du dogme trinitaire devait se retrouver bientôt, dégagée de son
entourage métaphysique, sous la plume de théologiens de sens plus
rassis et plus sobre. Nous voulons parler des Sociniens.
III. Les Sociniens. Lelio Socini ou Socin naquit à Sienne, en 1525,
d'une famille de juristes. Il quitta l'Italie en 1547, déjà gagné aux idées
protestantes, voyagea beaucoup, se lia avec Melanchthon et se iixa défi-
nitivement à Zurich. Erudit, très-curieux de vérité religieuse et d'un
tour d'esprit plus critique et rationaliste que mystique, il correspondait
avec beaucoup de théologiens renommés, entre autres avec Calvin, et
leur exposait ses cloutes sur certains points de doctrine, tels que la
résurrection de la chair, la prédestination, la personnalité du Saint-
Esprit et la divinité du Christ. Calvin finit par s'irriter de ces hardies-
ses; Bullinger l'exhorta à plus de réserve. Son caractère, très-doux et
très-estimé, ses vertus privées le protégèrent contre l'intolérance théo-
logique. Lui-même, d'ailleurs, avait peu de goût pour les grands éclats.
Des malheurs domestiques, les persécutions dont sa famille fut victime
en Italie, la confiscation de ses biens patrimoniaux ordonnée par l'In-
quisition assombrirent la fin de sa vie, qui se termina prématurément
en 1562. Mais il put laisser à son neveu, Fauste Socin, ses manuscrits
où il avait accumulé ses notes érudites et tâché de systématiser ses idées.
Fauste Socin, né à Sienne en 1539, allié par sa mère aux Piccolomini,
se voua comme son oncle à l'étude du droit, puis à la théologie. En
1559, la persécution l'envoya à Lyon, où il séjourna trois ans, puis à
Zurich. Il correspondait depuis plusieurs années avec son oncle, qui
voyait en lui un successeur capable de répandre ses idées avec succès.
Il s'imprégnait encore plus de ses idées en lisant ses manuscrits. Tou-
tefois, de 1562 à 1574, il resta à la cour de François de Médicis dans les
charges et les honneurs, jusqu'à ce que, ne pouvant supporter plus long-
temps cette existence incompatible avec ses études favorites et ses con-
victions, il allât se fixer à Bàle, où il vécut obscurément, tout occupé
d'élaborer son système de doctrines. C'est alors (1578) qu'il reçut du
médecin Blandrata (George Biandrata, né à Saluées 1515. médecin de
ANTITRINITAIRE» 385
la cour de Pologne sous Sigismond Fr, puis de la veuve du prince de
Transylvanie, Jean Zapolya; il était ensuite retourné à Genève, avait
pris part au mouvement antitrinitaire qui se termina par le départd'Al-
ciati, s'était enfui avec ce dernier, et, après avoir joué un rôle important
parmi les antitrinitaires de Pologne, était revenu en Transylvanie en
qualité de médecin du prince Jean Sigismond, 1563), l'invitation
de le rejoindre pour combattre les vues plus radicales de Dàvidis (voir
plus haut). En 1579, il quitta la Transylvanie et se rendit en Pologne,
où son oncle avait séjourné deux fois et laissé une excellente réputa-
tion. 11 ne tarda pas à y devenir le chef du parti antitrinitaire et, jusqu'à
sa mort (iliOi), il travailla à l'organisation de ce parti en Eglise consti-
tuée. Il contribua, par son influence et ses écrits, à la dégager des
excentricités anabaptistes qui s'y étaient glissées. Plus d'une fois il dut
supporter les mauvais traitements des catholiques fanatisés. En 1594,
des militaires, en 1598, malgré son état de maladie, des étudiants de Cra-
covie usèrent contre lui d'une odieuse brutalité. Ses papiers et ses livres
furent brûlés sur la place publique. Il persévéra toutefois jusqu'à sa fin
et put même en mourant se féliciter d'avoir fondé Y Eglise des freines
polonais, plus connue sous le nom d'Eglise socinienne de Pologne. Ses
écrits forment les deux premières sources de la Bibliotheca Fratrum
Pohnhrum} Amsterdam, 1056, 8 tomes. En mourant, il laissa inachevé
le catéchisme de Rakow ou Catéchisme socinien qui fut terminé par
quelques uns de ses disciples (1605 en polonais, 1608 en allemand,
1609 en latin, éditions latines plus récentes de 1665, 1680, 1684) et
qui passe pour le résumé officiel de la doctrine socinienne. — Quand F.
Socin mourut, il y avait en Pologne un nombre considérable de com-
munautés sociniennes, composées surtout de membres de la noblesse.
Rakow était leur centre universitaire et comptait les étudiants par
milliers. Parmilessocinienséminentsdesseixièmeet dix-septième siècles
nous devons citer Valentin Schmalz, de Gotha, mort en 1622 ; J. Vœl-
kel, longtemps secrétaire de Socin, mort en 1618; Christophe Ostorodl,
mort en 1611; surtout et au premier rang, Jean Crell (Grellius) né en
1590, à Helmerschein, en Franconie, professeur à Rakow depuis 1613,
puis pasteur au même lieu de 1621 à 1631, année de sa mort, il a
beaucoup écrit. Ses œuvres forment les tomes III et IV de la Biblioth.
Emir. Polon:.Oii peut encore citer Jonas Schlichting de Bukovitz (1592-
1616 i, auteur de commentaires sur le Nouveau Testament, André Wis-
sowath, descendant desSociusducôté maternel (1608-1678), SamaclCrell,
petit-fils de Jean, mort en 1747 à Amsterdam, Daniel Zwicher, auteur
de VIremcum frenteorum, recherche des conditions de la paix entre
toute» Les confessions chrétiennes, qui lit grand bruit, mort à Amster-
dam en li>7S, etc. En général, on peut dire que le socinianisme compta
peu d'hommes supérieurs par l'éclat du talent et de la renommée,
mais en revanche un très-grand nombre de partisans érudits, de mérite
réel, bien qu'obscur. Ce fut une théologie bourgeoise et dont l'action
fut bien plus sensible connue ferment gagnant invisiblement beaucoup
de théologiens et de pasteurs dans Les grandes Eglises constituées que
sous la forme d'Eglise distincte. Au dix-septième siècle, les dépositions
386 ANTITRINITAIRES
de pasteurs et de professeurs sous l'inculpation de socinianisme sont
fréquentes, et elles sont loin d'avoir atteint tous ceux dont les opinions
auraient pu motiver ces mesures rigoureuses. En Pologne, le socinianisme,
quelque temps si florissant, succomba sous la réaction inaugurée par
Sigismond III, le roi jésuite. La populace, fanatisée par les excitations
des disciples de Loyola, démolit à Lublin et à Rakow, les temples socl-
niens (1627). Un crucifix lapidé par quelques étourdis de Rakow servit
de prétexte, bien qu'ils eussent été punis et chassés de l'université, à
une série de manœuvres qui aboutit à la suppression de cette célèbre
école (1638). Les sociniens furent exclus du bénéfice de « l'Acte de
tolérance», Tune des bases de l'Etat polonais, par la raison qu'ils
étaient, non en dedans, mais en dehors de la religion. Ils furent exclus
aussi de la conférence religieuse de Thorn en 1646, et sous Jean Casimir
(roi depuis 1648) le socinianisme fut mis au ban de l'Etat. Les éclits
de 1658 et de 1661 renforcèrent encore les mesures prises contre ses
partisans, et ceux qui ne voulurent pas se soumettre durent s'expatrier.
Ce fut ensuite le tour des autres protestants polonais. En Allemagne, il
y eut , particulièrement à Altorf , plusieurs mouvements sociniens et,
avec la permission de l'électeur Charles-Louis, une Eglise socinienne
s'organisa à Mannheim. Mais bientôt le prosélytisme des sociniens
parut dangereux, le droit d'établissement leur fut retiré en 1666, et
et ils durent se disperser. Quelques communautés sociniennes s'orga-
nisèrent ensuite sous la tolérance du gouvernement de Brandebourg
dans quelques localités peu connues, Lyck, Rhein,.Iohannisbourg, mais
.n'y purent mener qu'une existence précaire, et elles s'éteignirent peu
à peu, d'autant plus facilement que les transformations intérieures des
Eglises protestantes rendirent de plus en plus leur schisme inutile. Il
en fut de même dans les Pays-Bas où , malgré les édits rendus à plu-
sieurs reprises contre la propagation des écrits sociniens, les idées
sociniennes se répandirent beaucoup, se rattachant souvent à l'armi-
nianisme et au baptisme, mais sans former une communion distincte.
Il pénétra aussi en Angleterre et en Amérique où il prépara les voies
aux Eglises qui se formèrent dans ces deux contrées sous le nom
d'Unitaires. En général on peut dire que l'ancien socinianisme a sombré,
en tant que système suigeneris, sous les évolutions modernes de la pensée
religieuse, mais que beaucoup de ses idées et de ses critiques se retrouvent
de nos jours dans l' Unitarisme anglo-américain etdaus les vues communes
à la tendance connue sous le nom de protestantisme libéral. Il faut toutefois
faire exception pour ce qui concerne la Transylvanie où le socinianisme
dut à l'influence deBlandradade pouvoir s'organiser paisiblement (depuis
1571) et où, bien que diminué en nombre, comme tout le protestan-
tisme hongrois à la suite des persécutions terribles dirigées par les
jésuites et soutenues par l'intolérance des Habsbourg, supprimé sous
Charles YI, reconstitué sous Joseph II (1782), il compte encore 50,000
adhérents, organisés par consistoires sous la surintendance d'un évêque.
Leur centre le plus important est à Clausenbourg, et ils sont en relations
suivies avec les unitaires d'Angleterre et d'Amérique. —Pour apprécier
utilement le socinianisme , il faut le comprendre au point de vue de
ANTITRIXITAIRES ;i87
son temps. C'est en deux mots on rationalisme supranaturaliste. il
cherche surtout à ramener les doctrines chrétiennes à des conceptions
conformes aux exigences de la raison , mais en même temps, il croit à une
révélation surnaturelle contenue dans la Bible, étayée sur le miracle et
L'inspiration divine des livres saints, et par conséquent il s'ingénie à inter-
préter l'Ecriture sainte de manière que ses enseignements soient tou-
jours et en tout d'accord avec la raison. Or, cette raison n'étant autre
que la raison socinienne, il en résulte nécessairement un grand arbi-
traire dans son exégèse, qui pourtant surplus d'un point a devancé les
résultats de la critique moderne. D'après le socinianisme , la religion
chrétienne est la voie révélée par Dieu pour obtenir le salut. Jésus est
le révélateur, parce qu'il a prouvé son autorité par ses miracles, et
qu'il a pu nous révéler la vie éternelle ainsi que la rémunération qui
nous attend ; d'autre part, il a aboli les préceptes et .cérémonies du
mosaïsme, conservé et complété les lois morales. L'homme par lui-
même n'a aucune connaissance de Dieu, il ne peut l'obtenir que par
révélation extérieure. C'est la Bible et à proprement parler le Nouveau
Testament qui la lui fournit (l'Ancien n'a guère de valeur qu'au point
de vue historique, et est subordonné au Nouveau). Les livres qui le
composent ont été écrits par des hommes divino spiritu impulsi eoque
dictante, du moins quant aux doctrines. La raison est l'organe par le-
quel nous devons en démêler le vrai sens, puisqu'elle nousaété donnée
pour discerner le vrai du faux et que le sens réel de l'enseignement
révélé ne peut lui être contraire. Par conséquent, tous les dogmes con-
traires à la raison doivent d'avance être considérés comme non-scrip-
turaires. Dieu s'est révélé dans son unité, sa justice, sa sagesse et sa
puissance. 11 sait tout ce qui peut être su (omnia scibilia) , et, par consé-
quent, il ignore les actes procédant du libre arbitre humain jusqu'au
moment où ils sont accomplis; mais dans sa sagesse et sa toute-puis-
sance il maintient sa volonté, réalise son plan de justice, châtie la
transgression et n'en reste pas moins le Maître souverain. Sa justice et
sa bonté ne sont jamais en conflit. C'est aussi bien par miséricorde que
par justice qu'il punit et récompense. La doctrine de la Trinité est
contraire à la raison : 1° parce qu'elle enseigne l'existence de trois per-
sonnes divines sans pouvoir rétablir d'une manière acceptable l'unité de
Dieu qu'elle nie, et que, dans les vains efforts de la théologie tradition-
nelle pour échapper à cette conséquence, elle tombe fatalement ou dans le
trithéisme ou dans le modalisme (réduction des personnes divines àde
simples modi existendi); 2° parce qu'en attribuant à chaque personne di-
vine des propriétés distinctes, elle introduit l'imperfection dans la nature
divine, puisque les propriétés distinctes de l'une manquent aux
deux autres; 3° parce que l'idée génération est inapplicable à l'Être
divin et suppose la profonde subordination de l'être engendré qui ne
tire pas son existence de lui-même; i°parce qu'au chapitre de L'incar-
nation du Fils, vrai homme et vrai Dieu, elle aboutit à stipuler l'exis-
tence d'une seule personne ayant deux natures, personnelles toutes les
deux, de sorte que le Christ est à la fois infini <;t fini, parfait et impar-
fait, impassible et souffrant, impeccable el tenté, prié et priant, etc*
388 ANTITRIMTAIRES
Cette doctrine n'est pas moins contraire à l'Écriture, qui insiste par-
tout sur l'unité rigoureuse de Dieu. Les trois termes de la trilogie
chrétienne, Père, Fils, Saint-Esprit, correspondent à trois éléments
essentiels de la dispensation chrétienne, niais non à la métaphysique
trinitaire. Le passage des trois témoins (I Jean V, 7) n'est pas authen-
tique, et quand il est dit que le Père et le Fils sontim, cette expression
ne doit s'entendre que de leur accord en volonté, en intention et en
action. De même, les passages du quatrième Evangile et des épitres, qui
semblent attribuer au Fils l'œuvre de la création, impliquent simple-
ment qu'il est l'auteur de la dispensation chrétienne et de l'ordre de
choses qu'elle inaugure. Du reste, plusieurs sociniens inclinèrent à
admettre l'existence d'une matière informe, préexistant à la création,
parce que l'idée d'une création de nihilo leur paraissait contradictoire.
L'homme a été créé à l'image de Dieu, c'est-à-dire souverain des créa-
tures antérieures à lui en vertu de son esprit et de sa raison. Il est
mortel de nature; l'immortalité est un don qui lui est communiqué du
dehors {l'arbre de vie). Il naquit ignorant et innocent, non parfait
comme le prétend le dogme traditionnel des origines. La justice est
une perfectio voluntaria, non naturalis. Il pécha librement, parce qu'il
était ignorant et plus sensuel que raisonnable (le socinianisme ne paraît
pas s'être aperçu qu'il revenait ainsi au déterminisme qu'il combattait
si vivement). Mais cette première faute n'a enlevé à Adam et à sa pos-
térité ni la liberté de choix ni l'imputation purement individuelle des
transgressions ultérieures. L'imputation du premier péché à ceux qui
ne l'ont pas commis est contraire à la raison, à la justice divine et à
l'Ecriture bien interprétée. Toutefois, l'homme privé des fruits de
l'arbre de vie retomba dans sa mortalité naturelle, et la mauvaise habi-
tude du péché engendra une dépravation qui devint héréditaire. Le
Christ a reçu de Dieu le pouvoir de nous donner autant et plus que ce
que le péché nous fait perdre. Il est en lui-même punis homo, mais
au-dessus de tous les autres hommes par les qualités superéminentes
dont il est en possession. C'est en ce sens qu'il est Fils unique, Parole
ou plus précisément porteur de la parole de Dieu. Avant de commen-
cer son ministère de salut, il a été transporté miraculeusement au ciel
(Jean III, 13, 31 et passages analogues) pour recevoir la communica-
tion de la vérité éternelle. Enfant du miracle, né d'une vierge (sur ce
point, toutefois, il y eut dissidence dans l'école socinienne, dont une
partie rejeta la naissance miraculeuse et révoqua en doute l'authenti-
cité de Matth. I et II), il s'éleva par sa complète obéissance jusqu'à la
sainteté parfaite et à la ressemblance avec Dieu. C'est pourquoi Dieu
lui soumit toutes choses; il a reçu plein pouvoir sur la création, et,
en ce sens, il a droit aux honneurs divins (sur ce point encore les soci-
niens les plus décidés, à l'exemple deDavidis, se séparèrent de Socin),
mais toujours in Dei patins gloriam. Il a donc réalisé la volonté de
Dieu, qui était que l'immortalité nous fût accordée et que ses condi-
tions nous fussent enseignées. Par là, il est notre sauveur. Il nous a
révélé cette vérité divine et nous communique ce don précieux du ciel
où il règne depuis son ascension. Ses commandements nous indiquent
AXT1TRINITAIRES — ANTOINE 389
la voie à suivre pour l'obtenir; ses promesses nous fournissent le
mobile qui doit nous exciter à les remplir. Il n'a ordonné qu'un rite,
la Sainte-Cène, simple mémorial de sa mort. Le baptême des enfants,
en tant que vieille coutume, D'est pas absolument condamnable, mais
il n'a ni efficacité ni Légitimité scripturaire. La mort de Jésus est, avec
sa sainteté et ses miracles, la preuve de la vérité de sa doctrine. Elle
agit sur nous comme exemple et lui confère le droit d'exiger de nous
la même soumission dans l'épreuve. Elle était, d'ailleurs, indispensa-
ble à sa résurrection, qui nous a démontré la réalité de la vie future et
qui est ainsi caput et tanquam fundamentum totius fidei et salutis nostrœ.
Par conséquent, le socinianisme rejette l'idée de la mort du Christ
comme opérant un changement dans les dispositions divines et conci-
liant en Dieu la justice et l'amour ; il trouve cette idée irrationnelle,
antibiblique et dangereuse. La mort du Christ est de sa part Un acte
de dévouement nécessaire à notre salut (dans le sens précité) ; c'est
pourquoi le Nouveau Testament lui reconnaît une si haute importance.
Le corps actuel n'est pas destiné à la vie future. Nous recevrons des
corps spirituels (I Cor. XV) dans lesquels nous jouirons de la vie éter-
nelle. Les impies et les méchants seront, au contraire, la proie de la des-
truction et du néant. Conformément à l'ensemble du système, le Saint-
Esprit n'est pas une personne divine, mais l'influence par laquelle Dieu
éclaire et soutient les hommes disposés à l'obéissance en scellant en
eux l'assurance de sa fidélité, de sa puissance et de son amour.
Nous nous abstenons de tout commentaire sur ce système à la fois si
original et si prosaïque, si rationaliste et si peu philosophique, si hardi
et si mesquin, mais où se trouvent les germes de tant d'idées et de
critiques devenues depuis aussi puissantes que largement répandues. —
Sources : outre la Bibhotheca Fratrum Polonorum et le Catéchisme déjà
mentionnés, il faut citer Fock, Der Socinianismus nach seinem histo-
rischen Verlauf und nach seinem Lehrbcg ri ff, Kiel, 1847; F. Trechsel,
Die protestant. Antitrinitarier vor F. Socius, Heidelberg, 1839 et 1844:
A. Réville, Histoire du dogme de la Divinité de J.-C, 2e édition, p. 138
ss.j 1876; les chapitres correspondants des histoires du dogme ou
de l'Eglise dans Gieseler, Hase, Hagenbach, Baur, Dreieinig keit und
Menschwerdung Gottes, vol. III, 46-183, 1843; Geschichte der christl.
Kirche, vol. IV, 449-463, 1863; Bayle, Dictionnaire, I, art. Blandrata.
— Sur Servet, Dorner, Entwickelungsgesch. der Lehre v. d. Person
Christ i, vol. II. p. 649 ss.; Trechsel, M. Servet und seine Vorgxnger,
Heidelberg, 1839; Killet, Relation du procès criminel intenté à Genève
en 1553 contre M. Servet d'après les documents originaux, Genève, 1844;
Dictionnaire «le Chauffepié; E. Saisset, Rev. des D. Mondes, 1848.
A. RÉVILLK.
ANTITYPE. Voyez Type.
ANTOINE (Saint) uaquit au village de Coma, sur les confins de la
Thébaïde. Vers ^70 il entendit dans une église la lecture de la péricope
du jeune homme riche, auquel Jésus-Christ dit de vendre ce qu'il pos-
sède et de le suivre (Luc XYI1I, 22). Prenant cette parole à la lettre.
Antoine, qui était jeune <'l riche, vendit ses biens et en distribua I'' pro-
390 ANTOINE
duit aux pauvres* en n'en gardant qu'une faible part pour son entretien
et pour celui desa sœur. Quelque temps après il entendit, pendant le culte,
cette autre parole du Seigneur: Ne soyez point en souci pour le lende-
main (Matth. VI, 34) ; aussitôt il se dépouilla de cequ'il s'était réservé et
se retira loin de son village, pour vivre du travail de ses mains. Bientôt
il chercha une solitude plus profonde encore. Séparé du monde, se
faisant une fausse idée du renoncement chrétien, voulant étouffer en
son cœur les sentiments même les plus légitimes, il fut en butte à des
tentations cle toute sorte; il était tourmenté par des visions tour à tour
séduisantes ou effrayantes; pour s'en défaire il s'imposait les privations
les plus dures. Dans sa biographie, écrite par Athanase, ces luttes sont
représentées sous des formes fantastiques, exagérées encore par la
légende postérieure. En 311 il vint à Alexandrie, pour encourager les
chrétiens lors de la persécution sous Maximin ; le préfet lui ordonna de
quitter la ville. Beaucoup de gens, enthousiasmés par son exemple, le
suivirent au désert pour mener la même vie ascétique; son ermitage
devint le centre de beaucoup d'autres. Plusieurs fois il essaya de se
soustraire à la foule de ceux qui sollicitaient ses conseils, ainsi qu'à
celle des visiteurs qui venaient par caravanes pour voir un homme aussi
respecté pour sa sainteté. On dit qu'en 325, âgé de près de cent ans, il
reparut à Alexandrie pour combattre l'arianisme. Chez lui le besoin de
solitude avait été trop vif pour qu'il eût pu devenir le chef d'une con-
grégation monastique; mais les nombreux ermites, groupés autour de
lui, représentaient le monachisme dans son germe, de sorte qu'on a pu
l'appeler le père de cette institution. Une règle qu'on attribue à saint
Antoine n'est pas authentique; on n'a conservé de lui que quelques maxi-
mes, où se révèle un esprit supérieur et une âme pleine de l'amour de
rjjeu Ch. Schmidt.
ANTOINE (Ordre de saint). Lors d'une maladie qui, vers la fin du
deuxième siècle, sévissait dans le midi de la France et que le peuple
appelait le feu de saint Antoine (ailleurs on lui donnait le nom de feu
sacré, feu de Dieu, feu de la Vierge), Gaston, un noble dauphinois,
fonda à Vienne en 1095, en reconnaissance de la guérison de son fils,
un hôpital et une confrérie laïque pour soigner les malades ; il prit pour
patron saint Antoine. En 1228, Honoré III confirma l'institution comme
ordre monastique ; Boniface VIII donna aux frères la règle dite de saint
Augustin et la qualité de chanoines réguliers. L'ordre se répandit en
France, en Italie, en Allemagne, où dans beaucoup de villes il fonda
des hôpitaux. Le supérieur de celui de Vienne portait le titre de grand-
maître. Dans leurs tournées les Antonins recevaient en offrande des
porcs ; le porc était un des attributs de saint Antoine, probablement
par allusion à ses tentations dans le désert et aux pourceaux des démo-
niaques (Matth. VIII, 30 ss.). Au dix-huitième siècle l'ordre fut uni à
celui de Malte.
ANTOINE DE PADOUE, célèbre comme prédicateur franciscain, naquit
à Lisbonne en 1195 de parents nobles, fut reçu à l'âge de quinze ans dans
une maison de chanoines réguliers, mais entra en 1220 dans l'ordre
des frères-mineurs. Après une tentative infructueuse de prêcher le
ANTOINE — ANTONIN 301
christianisme en Afrique, il se rendit auprès de François d'Assise,
qui l'engagea à étudier la théologie; il enseigna ensuite cette science
dans plusieurs couvents de France et d'Italie. Plus tard il se voua à La
prédication; il produisait des impressions profondes, quoique passa-
gères, sur les foules qui l'éooutaîèrtt ; il ne ménageait ni les grands ni
le clergé ; un instant il ébranla même le farouche et incrédule tyran
Ëzzelin de Koniana; aux prêtres il reprochait dépendre les choses sain-
te: en revanche, il convertit quelques Cathares. 11 était si ardent à
remplir sa mission qu'un jour, les hommes refusant de l'entendre, il
prêcha, suivant la légende, aux poissons, comme saint François avait
prêché aux oiseaux. Dans son Ordre il voulait la rigide observation de
la règle de la pauvreté, tandis que Elie de Cortone, le deuxième maître-
général, demandait que cette sévérité lut mitigée. Il obtint du pape la
destitution d'Elie, mais dès 1236 celui-ci fut réélu. Antoine était mort
dès 1231 à Padoue, après avoir été pendant quelque temps provincial
de la Romagne. L'année après sa mort il fut canonisé. A Padoue on
bâtit en son honneur une église magnifique; son mausolée est une
œuvre d'art aussi belle que celui de saint Dominique à Bologne; les
traités mystiques et ascétiques, au contraire, qu'il a laissés, sont de
peu d'importance (publ. à la suite de ceux de saint François, éd. Wad-
ding, Anvers, 1623, 4°). Les sermons qu'on a imprimés sous son nom,
ne sont que des canevas. Ch. Schmidt.
ANTOINE DE BOURBON, roi de Navarre. Voyez Bourbons (les).
ANTON (Paul) [1661-1736], l'ami deFranckeet son collègue à l'uni-
versité de Halle, fut l'un des représentants scientifiques les plus distin-
gués du piétisme naissant. Son soin constant fut de rompre avec les
traditions de la scolastique protestante et de donner à l'enseignement
de la théologie un caractère pratique. Son colhgiûm antitheticum,
publié par Schwentzel en 1732, montre sous quel aspect nouveau il
envisageait la polémique: la source de l'hérésie, d'après lui, doit être
cherchée dans le cœur, bien plus que dans la raison. Anton était animé
d'une piété saine, zélée et compatissante (voyez: Denkmal des Herrn
l'uni Anton dans la Sammlung auserlesener Matericn zum Bau des Rci-
tàes Gottes, Halle 1731).
ANTONIN LE PIEUX (Titus Aurelius Fulvius Antonius), empereur
romain, adopté par Adrien, lui succéda et régna de 138 à 161. Son
règne fut un des meilleurs de l'histoire. Il s'écoula paisiblement et ne
présente pas de faits saillants à mentionner. La christianisme prit sous
Antonin un*' rapide extension. Lui-même, après avoir entendu l'apo-
de Justin martyr, protégea les chrétiens et défendit de rien inno-
ver contre eux. 11 ne considérait pas leur culte comme illégal. L'admi-
nistration d'Antonin fut à bien des égards ce qu'aurait été celle d'un
empereur chrétien ; il évita toujours La guerre, et il alla jusqu'à fonder
des orphelinats de jeunes tilles. Il mourut à Loriumen 161, après avoir
adopté Marc-Aurèlé et l'avoir désigné pour son successeur.
ANTONIN (Saint de Florence où il naquit et mourut (1389-1459).
Jean Dominici, des Frères prêcheurs, l'admit dans cet ordre à seize
ans, quoiqu'il eût exigé, dit-on, que !" jeune postulant sût par cœur
392 ANTONIN — AOSTE
le Décret de Gratien. Nul, en tout cas, ne se pénétra mieux de L'esprit
de ce recueil apocryphe. Nommé archevêque de Florence par Eugène IV
(1446), il resta dominicain sur son siège, aussi zélé pour la suprématie
papale que ses prédécesseurs (voyez Zarabella) Pavaient été pour la
liberté de l'Église. « Quelques-uns ont cru, avoue la Vie des Saints,
qu'il pouvait avoir porté trop loin l'autorité du pape. » Ses services ne
lurent pas méconnus. Nicolas Ier interdit tout appel de ses jugements,
Pie II assistant, contre l'usage, à ses [obsèques, accorda le jour même
une indulgence de sept ans à qui visiterait son tombeau, et soixante-
trois ans plus tard Adrien VI le canonisa. Il a laissé deux grands ouvra-
ges souvent imprimés aux quinzième et seizième siècles : la Summa
kistojnalis ou Chronica tripartita, compilation inexacte et peu judicieuse
des principaux événements depuis l'origine du monde jusqu'en l'année
1458, et la Summa theologica, arsenal où plusieurs défenseurs du sacer-
doce ont puisé des armes contre l'Empire. Aussi le P. Mamachi l'a-t-il
réédité à Venise en 1751. Sa Summa confessionalis ou Manuel à V usage
des Confesseurs, imprimée dès 1473, embarrasse quelque peu ses pané-
gyristes à cause de sa morale singulièrement accomodante. Citons enfin,
parmi ses nombreux opuscules, des Notes sur la donation de Constantin
et un Traité sur l'excommunication. Antonin assista au concile général
convoqué par le pape Eugène IV à Florence, et prit une part impor-
tante à la discussion du projet d'union entre l'Eglise latine et l'Eglise
grecque. Il se fit remarquer aussi par sa bienfaisance et par le dévoue-
ment qu'il montra pendant la peste de 1448 et le tremblement de terre
de 1453 (voy. Act. Boll., I, p. 311 ss.). P. Rouffet.
ANVERS [Andoverpis , Antverpia, Antwerpen, anc. ail. Antorf).
Saint-Amand (f 647) est donné comme le premier apôtre de ce pays,
où saint Eloi, évêque de Nimègue et de Tournai, paraît avoir ensuite
prêché l'Evangile. L'évêché, suffragant de Malines, fut créé en 1559
par Granvelle pour combattre la Réforme (Gallia, V), et supprimé
en 1801. L'église de Notre-Dame, bâtie en 1422, achevée en 1518,
fut incendiée en 1533; la tour et le chœur avaient été seuls épargnés.
Le 19 août 1566, elle fut pillée par les Gueux; Marnix lui-même
blâma cet acte de violence. Le premier synode des Eglises wallonnes
se réunit à Anvers le 26 octobre 1566; Marnix y obtint l'adhésion
des Eglises au calvinisme, et leur fit adopter la confession belge. An-
vers,- assiégée en 1584 par Alexandre de Parme, et défendue par Mar-
nix, capitula le 17 août 1585 (voy. Brief récit de V estât de la ville
d'Anvers, etc., 1585, dans les œuvres de Marnix). Cette ville est cé-
lèbre par les travaux de l'imprimeur Plantin (f 1589) et par les ins-
titutions scientifiques qu'y fondèrent les jésuites, ainsi que par beau-
coup de belles publications (voy. Mertens, Gesch. van Antw. 2 vol.).
AOD [Éhoud, 'Awo], juge d'Israël, originaire de la tribu de Benjamin,
tua le roi des Moabites Eglon auquel les Israélites étaient restés assu-
jettis pendant dix-huit ans, défit les Moabites sur le territoire d'Ephraïm
et assura par là à ses concitoyens le repos pendant quatre-vingts ans.
(Juges III, 15-30).
AOSTE. Cette capitale d'une des plus jolies vallées alpestres se
AOSTE 393
trouve inopinément appelée, par la plume d'un de nos écrivains de
talent, à figurer dans les souvenirs qui s'attachent à la vie du grand
réformateur français. Dans un mémoire lu d'abord à l'Académie des
sciences morales ci politiques sous ce titre: Calvin au val d'Aoste (1801) ,
puis inséré dans les Récits du XVIe siècle (1864), M. Jules Bonnet a
vivement intéresse les lecteurs en racontant une tentative malheureuse
que Calvin aurait laite en 1536 pour évangéliser les Valdostains. Après
avoir corrigé à Baie la dernière épreuve de son Institution ckrestienne,
Calvin lit un voyage à Ferrare, pour saluer de loin l'Italie, disait-
il. et pour présentée ses hommages pleins de reconnaissance à la
duchesse de Ferrare, Renée de France, la douce protectrice des réfor-
més français. 11 resta peu de temps à Ferrare. Pourchassé par l'In-
quisition italienne, il rentra en France, se rendit dans sa ville natale,
à Noyon, pour régler des affaires de famille, y passa environ un mois
et | nojetait d'aller se retirer à Strasbourg, mais obligé à de longs circuits
par la présence d'armées en campagne, il se trouvait dans, les premiers
jours de juillet , à Genève, où les adjurations de Farel le retinrent.
C'est dans ce voyage de retour, entre Ferrare et Noyon, que se place-
rait l'épisode d'Aoste. Calvin n'en dit pas un mot et n'y fait pas la
moindre allusion dans les vingt volumes in-4° d'oeuvres et de corres-
pondances qu'il nous a laissés. Mais comment révoquerait-on le fait en
doute, quand on voit encore aujourd'hui, sur la place publique d'Aoste,
une colonne monumentale qui fut élevée en 1541, cinq ans après
L'événement et sur laquelle sont gravés ces mots : Hanc Calvini fuga
erexit anno MDXLI. Religionis constantia reparavit anno MDCCXL1 ;
quand on montre encore aux abords de la ville la ferme de Calvin, le
pont de Calvin, la fenêtre de Calvin, et quand un grave personnage du
pays décrivit, à la lin du dix-septième siècle ou au commencement du
dix-huitième, « une Chronique d'Aoste » , dans laquelle il raconte en détail
la tentative et la déconvenue du prédicateur. L'auteur de cette Chronique
décrit une assemblée du Conseil des Etats du Val d'Aoste qui eut lieu,
en effet, le 28 février 1536 dans un moment bien critique pour cette
partie du Piémont que travaillaient des prédicants venus de Genève,
tandis que s'avançaient des troupes de Berne et de France qui, huit
jours après (6 mars), envahissaient les terres du duc de Savoie. Le
Conseil prit la résolution de soutenir énergiquement son prince et
d'expulser tous les fauteurs d'hérésie. Des procès -verbaux authen-
tiqiies attestent le fait, mais sans prononcer le nom de Calvin. Or,
nu savant critique, M. Albert Rilliet , a démontré qu'il faut rayer de
L'histoire, comme étant pure fiction, tout l'épisode de Calvin au val
d'Aoste. Dans une « Lettre à M. Merle d'Aubigné» (40p. in-8°, Genève,
mai L864), il a démontré que Calvin était encore à Bàle, occupé de
l'impression de son ouvrage au moment où ces événements se pas-
saient, et que, Loin d'avoir déjà fait son voyage à Ferrare, à La date
du 28 février, il ne quitta Bàle pour le fairequevers Le milieu (h1 mars.
Cette preuve de L'erreur parait sans réplique, bien que L'auteur des
Récits du XVIe siècle ait maintenu avec beaucoup d'habileté ses affir-
mations (dans 1«' Bulletin de l" Soc. de l'kist, du protestantisme, t. Mil,
I. 26
394 AOSTE — APATHIE
p. 183). Cette erreur,vraimentremarquable, s'explique sans grand'peine.
La voix populaire est singulièrement prompte à mêler le faux au vrai ;
des ministres genevois étaient venus en 1536 prêcher l'Evangile dans
la vallée ; pour le peuple d'Aoste, ce fut bientôt le plus illustre qui était
venu, et le chroniqueur de Tannée 1700, ou environ, recueillit de bonne
foi les bruits vagues du pays qu'il enregistra comme laits authentiques.
M. Rilliet pense que ce fut en 1741 lorsqu'on réédita la colonne qu'on
inventa la date de 1541 qui formait précisément le centenaire. Cette
supposition nous parait inutile. Nous croirions plutôt que le monument
primitif fut élevé, en effet, en 1541, et qu'il portait bien cette date, mais
que ses constructeurs avaient préparé, sans le vouloir, une mystifica-
tion historique et formé la base de la fausse tradition tout entière en
mettant sous le nom du plus grand hérétique du moment, la défaite
de l'hérésie, Calvini fuga. H. Bordier.
APATHIE, littéralement : absence de passions. Ce mot a deux accep-
tions bien différentes. Dans le langage ordinaire, il désigne un engour-
dissement de l'âme, une diminution de la vie morale, impliquant
l'indifférence à ce qui devrait intéresser l'esprit, et l'insensibilité à ce
qui devrait émouvoir le cœur. L'apathie peut être suggérée par le
tempérament, mais elle est coupable, parce qu'elle s'est développée
à la suite d'un refus persévérant d'agir, et si elle préserve des fautes
qui exigent quelque effort, elle est cependant une des formes les plus
tristes de l'égoïsme, une répudiation de ce qui constitue la dignité
humaine, un abaissement vers la vie végétative. — En philosophie, la
signification de ce mot est tout autre : il désigne l'absence d'émotions
considérée comme une vertu. Le stoïcisme veut que la raison seule
nous guide dans l'accomplissement de ce qui est juste; le sentiment
ne doit jamais y prendre aucune part; nous acquérons l'indépendance
en étouffant la sensibilité ; non-seulement les douleurs du corps et les
souffrances de l'âme ne doivent plus avoir de prise sur nous, mais il
faut nous interdire les émotions de l'amour; le sage assistera les mal-
heureux, mais il serait indigne de lui d'éprouver de la sympathie
(Epitect., Enchir., 16; M. Anton., VII, 43). Tandis que l'apathie était
pour les stoïciens un moyen d'accomplir austèrement le devoir, elle
était, aux yeux du pyrrhonisme, une conséquence du doute universel ;
puisque le vrai et le faux, le bien et le mal ne sont que des apparences,
il ne nous reste qu'à ne plus nous émouvoir de rien et à goûter une
parfaite tranquillité (Cic, AcacL, 11,42). Le christianisme ne veut com-
primer aucune des puissances de l'âme, et la vie du Sauveur, telle que
l'Evangile nous la présente, n'offre pas la plus lointaine analogie avec
l'apathie philosophique. Toutefois le renoncement aux joies et aux
agitations du monde, qui est inséparable de la vie chrétienne, n'a pas
toujours été bien compris; l'idée que Clément d'Alexandrie se fait du
vrai sage rappelle la morale stoïcienne; et, à diverses époques, ceux
qui aspiraient à une vie supérieure professèrent une indifférence com-
plète, qui, si elle avait été pratiquée strictement, aurait amené non une
expansion, mais un amoindrissement du cœur humain (voy. entre au-
tres Fart. Quiélisme). A, Matter.
APELLES — APITEK 395
ÀPELLES. disciple de Mareiôn, vivait à Rome à la fin du second siècle.
L'raftofcnce dos systèmes gnostiques qull subit pondant un séjour à
Alexandrie et l'ascendant qu'avaîi su prendre sur lui une vierge, qui
se disait inspirée, du nom de Phîlumène, t'amenèrent à apporter à la
doctrine de son maître quelques modifications importantes. C'est à tort
(]iio Tortullion (Prœscript. //.v/Wîc, e. 30) suspecte sa moralité; elle est
Suffisamment attestée parle docteur orthodoxe Hliodon (Euseb.; Hist.
errl.. V. 13), son adversaire, qui en parle comme d'un homme qui
jouissait de l'estime générale. Apelles n'enseigne pas comme Marc ion
l'existence de deux principes actifs et coéternels; il admet un seul
Dieu, cause de soi-même et souverainement bon. Au-dessous de lui, il
place un nombre indéterminé d'anges ou d'esprits, principes person-
nels de la révélation divine. Tels sont, en particulier, Y angélus indy fus,
créateur du monde et des justes, et Y angélus igneus, créateur des mé-
chants et tentateur des bons. Le premier, qui répond au Démiurge,
après avoir créé le monde, fut saisi de remords à la vue des imperfec-
tions et des maux sans nombre qu'il renfermait, et obtint par ses priè-
res que Dieu envoyât son Fils sur la terre, afin de corriger son œuvre.
D'après Apelles, ce n'est pas la matière, substance aérienne créée par
Pespril supérieur, mais la chair, œuvre de l'esprit du feu, qui est le
siège du mal. Aussi Jésus-Christ a-t-il eu, non comme le voulait Marcion,
un corps apparent seulement, mais un corps formé, comme celui des
anges dans l'Ancien Testament, de la matière pure, empruntée aux di-
verses couches aériennes qu'ila traversées on descendant sur la terre, et
dont il leur a restitué les éléments en remontant au ciel. L'auteur des
Philosophoumena (X, 20) cite deux ouvrages d'Apelles, l'un, intitulé
ipcwepwfretç, qui contenait une exposition de la doctrine révélée à lui par
Philumène ; le second, auKkôyeGpoi, destiné à relever les contradictions
de l'Ancien Testament. Apelles entendait se réserver le droit de faire un
triage dans les écrits scripturaires qui, d'après lui, renferment des élé-
ments divins et d'autres, inspirés par l'esprit du feu. Jérôme (Proœm.
ad Mat th.) et Bède (Init. commentai', in Luc.) parlent, à tort sans doute,
d'un Evangelium Ape/lis. Ahodon dit que, dans sa vieillesse, Apelles,
désabusé des spéculations gnostiques, est revenu à la simplicité de la
foi chrétienne, tout en avouant qu'il se sentait incapable d'en démontrer
scientifiquement lavérité(voy.Epiph., /fores., 44 ; Augustin, Haeres, 23;
Eusèbe, tfist. eccl., V, 13 ; Neander, Kirchengesch.l. p. 535, ss.
APÏÏ.EK [Àfèqà, lieu fort, citadelle]. — !. Ville du Liban, attribuée
par le livre de ïesué (XIII, 4 ; XIX, 30) à la tribu d'Asser. Elle se trou-
vait aux sources du fleuve Adonis et était célèbre par son temple de
Vénus. Le temple fui détruit par ordre de Constantin (Eusèbe, Vita
Const., 5, 55 ; Sozomène, 11, 5), mais la ville a conservé son nom jus-
qu'aujourd'hui. Afka est située au milieu des montagnes, sur la route
deByblos à Baalbek. Elle domine un amphithéâtre de verdure au fond
duquel bondit le Nahr Ibrahim (Adonis), au milieu des pins et des
noyers. D'un côté se trouve la grotte «Ton sort le fleuve, de l'autre,
-m' une plate-forme, on aperçoit les mines <lu temple (Socin, Guide en
Palestine^ p. 539). Les Grecs avaienl attaché à cet endroil le mythe
396 APHEK — APOCALYPSE
de Vénus et d'Adonis. Suivant Reland (Palœst., p. 572) , l'Aphaca
des auteurs classiques est beaucoup trop au nord pour être l'Aphekdu
livre de Josué. Mais il se trompe. Apliek est nommée expressément
(Jos. XIII, 4) à côté de la grotte de Sidon, du territoire de Byblos, du
Liban et de Baal Gad.On la retrouve en outre (Jug. I, 31), sous le nom
d' Afîg, parmi les villes dont les Hébreux ne purent s'emparer. Elle
est donc du nombre de celles qui sont toujours restées en dehors des
frontières réelles de la Palestine. — Il faut en distinguer : 2. La ville
d1 Aphek près de laquelle Ben Hadadfut battu par Achab (IRois XX, 26).
Gesenius (Thés:, s. v. Apliek) place cette dernière à Test de la mer de
Tibériade, sur remplacement du château-fort d'Apheca cité par Eu-
sèbe, Fîq ou Afîq chez les historiens arabes. Afiq était au milieu de
défilés célèbres, sur la route qui mène de Damas à Naplouse et à Jéru-
salem. Winer n'admet pas cette identification, qui parait pourtant à
peu près certaine. — 3. Un ou deux endroits connus par des combats
entre les Hébreux et les Philistins. L'un deux, mentionné dans l'his-
toire de la mort de Saûl (1 Sam XXVIII, 4; XXIX, I), semble avoir été
dans la vallée de Jézréel ; l'autre, célèbre par la mort des filsd'Hélietla
prise de l'arche (1 Sam., IV, 1), était près d'Ebenézer. Il est possible
que ces deux endroits ne fassent qu'un en réalité. — Le livre de
Josué (XII, 18) mentionne enfin un roi d'Aphek dans la liste des rois
vaincus par Josué. — Il y avait aussi, dans la montagne de Juda
une ville nommée Afêqâ, mais elle s'écrivait différemment des autres
(Jos. XV, 53). Ph. Beegek.
APHTHARTODOGÈTES. Une scission se produisit, vers l'an 535, parmi
les évèques monophy sites que Justin Ier avait déposés et dont la
plupart s'étaient réfugiés à Alexandrie. Tandis que Sévérus, patriar-
che d'Antioche, enseignait, avec l'Eglise orthodoxe, que le Fils, en
s'incarnant, avait revêtu un corps semblable au nôtre, Julien, évêque
d'Halicarnasse, soutenait au contraire que ce corps, doué à la fois
d'impassibilité et d'incorruptibilité, n'avait été assujetti à aucun besoin,
pas même à celui de la faim et de la soif ; qu'il avait été incapable de
ressentir la douleur; qu'il était identique en tous points avec celui que
le Christ avait porté après la résurrection. Protégée sous le règne de
Justinien , la secte des aphthartodocètes (dbOapCbç, oovlto), connue
aussi sous le nom de julianistes, ou de phantasiastes (le corps du Christ
un savrac^a, un fantôme), s'éteignit rapidement après sa chute (voy.
Severus, Liber adJulian. Episc. Ha lica?-n., dans ieSpicileg. nwz.,X, 169;
Gieseler, Comm. qua Monophysitarum variœ de Christi persona opiniones
illustrant w\ Gotting., 1835).
APION, célèbre grammairien et rhéteur d'Alexandrie, député par les
Alexandrins à Caligula pour se plaindre des Juifs. Il ne reste de ses
écrits que des fragments, en particulier ceux qu'on trouve chez Josèphe,
contra Apionem, qui a cherché à le réfuter (voy. Alexandrie, Juifs d').
APOCALYPSE ou Révélation de saint Jean. Ce livre, le dernier du
recueil du Nouveau Testament, est le chef-d'œuvre d'un genre litté-
raire, né au sein du peuple juif de ses espérances messianiques et qui
a particulièrement fleuri, après l'exil, aux époques de grande perse-
APOCALYPSE 397
cution (voy. Apocalypses juives). Après les Juifs ou parallèlement avec
eux, les premiers chrétiens, qui attendaient eux aussi à bref délai
le retour visible et triomphant de leur Maître, ne Pont pas cultivé
avec moins de succès et d'ardeur, se servant des mêmes calculs, des
mêmes procédés de composition et des mêmes symboles. Aussi les
trois premiers siècles virent-ils paraître un grand nombre d'apoca-
lypses chrétiennes. Une seule, celle de Jean, a été admise dans le
canon du Nouveau Testament non sans opposition et sans contro-
verse. — Longtemps on s'est trompé sur la nature et la signification
de ce livre en voulant y découvrir l'histoire anticipée du monde et
de L'Eglise depuis Jésus-Christ jusqu'à la lin des temps. De nos jours,
la méthode historique, qui a résolu sans peine tant de problèmes, a
retrouvé la clef de ce livre mystérieux. Chose singulière, cet ouvrage,
qui passait pour le plus obscur de la Bible, est peut-être celui sur
lequel règne la plus grande unanimité d'explication parmi les théo-
logiens modernes. On est généralement d'accord en effet sur le lieu
et la date précise de sa composition, sur sa signification générale,
sur les idées qui l'ont inspiré et le but qui y est poursuivi. Le nom
de l'auteur même ne ferait pas de difficulté, si cette question n'était
liée à celle de l'authenticité du 4° Evangile, énigme non encore résolue.
Pour bien comprendre ce livre, il ne faut pas le séparer des autres
apocalypses ni du genre spécial auquel il appartient. Ces apocalypses,
avons-nous dit, apparaissaient surtout aux moments de crise et de per-
sécution. Plus l'épreuve était terrible, plus les cioyants persécutés se
persuadaient que la délivrance promise et attendue était proche. Le
triomphe de l'impiété réclamait la vengeance de Jéhova. Le livre de
Daniel avait paru au milieu des persécutions exercées par Antiochus
Épiphanes, l'apocalypse d'Hénoch aux temps troublés de JeanHyrcan;
de même l'apocalypse de Jean est sortie des convulsions qui agitèrent
la Judée de l'an 07 à Pan 70 et amenèrent la destruction de Jérusalem.
Cependant rien ne serait plus erroné que de se représenter un tel
livre comme le produit spontané et désordonné de l'état de vision et
d'extase. Que l'auteur ait été un voyant, il nan faut pas douter. Mais à
côté de l'illumination, il faut faire très-grande la part de la réflexion,
de la subtilité d'esprit, de l'étude et même de Pimitation littéraire. Il
est ('vident, par exemple, que Jean a beaucoup lu Daniel et le meta
profit. Notons que les auteurs d'apocalypses sont les contemporains des
rabbins, non des anciens prophètes. Ceux-ci obéissaient à une inspi-
ration autrement libre et puissante. Mais, quand cette grande source
jaillissante d'éloquence et de poésie tarit après l'exil, on vit alors la
réflexion théologique succéder à l'inspiration prophétique. On se mit à
étudier minutieusement les anciens oracles, à calculer les jours et les
heures qui (levaient s'écouler avant la délivrance promise, à marquer
les phases successives de cet avenir glorieux, à interroger les événe-
ments, à observer les signes précurseurs, à combiner les nombres
sacrés. Ainsi se forma peu à peu toute une science particulière, avec
des procédés mystérieux, une rhétorique étrange, un symbolisme
bizarre que l'imagination enflammée par les persécutions mit eu œuvre
398 APOCALYPSE
dans les apocalypses, créations étranges où l'exaltation de la loi et l'at-
tente fiévreuse se joignent aux combinaisons les plus étudiées, à la
symétrie la plus savante, aux allégories les plus ingénieuses. Telle est
en particulier notre Apocalypse ; le ton lyrique de certains morceaux ne
doit pas faire oublier le plan très-réfléchi et très-étudié de l'ensemble. On
n'en saurait donner une meilleure idée qu'en la comparant à ces vieilles
cathédrales gothiques, contemporaines elles aussi d'une théologie
scolastique raffinée, œuvre d'une inspiration religieuse très-puissante,
mais où, malgré la multiplicité des colonnes, des chapelles et des sculp-
tures, malgré la "bizarrerie des formes symboliques qui se détachent
de toutes parts, monstrueuses et mêlées comme dans un chaos, règne
au fond cependant l'architecture la plus savante et la symétrie la plus
soutenue. La cathédrale et l'apocalypse sont les produits d'époques
analogues et d'un même génie religieux. Si l'image de la croix est à la
base de l'architecture gothique, le nombre sept est à la base de la
construction de l'Apocalypse de Jean. Ce chiffre ou ses éléments revien-
nent partout. La révélation entière se compose de sept grandes visions;
elle est dédiée aux sept Eglises d'Asie; le livre qui renferme les secrets
de l'avenir est fermé de sept sceaux, auxquels succèdent les sept trom-
pettes, puis les sept coupes. Jérusalem sera livrée aux Gentils pendant
trois ans et demi, ce qui est la moitié de sept. La grande prostituée est
assise sur sept collines. La bête a sept têtes, etc., etc. Il faut se rap-
peler toutes ces ingénieuses combinaisons pour ne pas se méprendre
sur le caractère du livre. — Quant à son contenu, on n'en peut donner
ici qu'une analyse sommaire. Le titre indique fort bien la nature et
l'intention de l'ouvrage : (< Révélation de Jésus-Christ (génitif subj.),
que Dieu lui a donnée pour qu'il montrât à ses serviteurs ce qui doit
arriver très-pi^ochainement . » 11 est étrange que ces derniers mots n'aient
pas mis en garde les exégètes qui ont voulu chercher dans l'Apocalypse
l'histoire d'un long avenir. Après une première vision, qui n'est qu'une
préface à la révélation elle-même et les sept lettres adressées aux
Eglises d'Asie Mineure, le Voyant est ravi au ciel (IV, 1). En
face du trône de Dieu, entouré des quatre chérubins représentant la
création entière et de vingt-quatre vieillards représentant l'Eglise, est
apporté un livre fermé de sept sceaux qui renferme les secrets de l'his-
toire. A mesure que chaque sceau est brisé, une partie de cette histoire
apparaît. Le sixième sceau nous mène probablement au moment où vit
et écrit Pauteur. L'avenir commence avec le septième. Nous sommes
dans l'attente : qu'apportera-t-il ? A ce point du drame, Pauteur
s'arrête. Une pause intervient. C'est un temps de préparation pendant
lequel un ange va par le monde marquer au front les serviteurs de
Dieu pour qu'ils soient épargnés dans les suprêmes catastrophes
(VII- VIII). Le septième sceau à son tour est ouvert, mais il n'amène
pas le dénoûment; il introduit sept anges armés chacun d'une trom-
pette. Les sept trompettes sonnent tour à tour et dénoncent les châti-
ments qui doivent précéder la lin suprême. Ici se pose une délicate
question : La révélation des trompettes fait-elle suite aux révélations
des sept sceaux, ou n'est-elle qu'un nouveau développement du même
APOCALYPSE .399
thème qui sera repris encore km t'ois dans l'image des sept coupes?
K u d'autres tonnes, avons-cous une succession ou bien une récapi-
t dation? Cette dernière opinion nous parait la plus probable. L'auteur
développe dans l'image dc> trompettes ri des eoupesles mômes signes,
les mêmes douleurs qui doivent amener la lin. Ce sont comme des
reprises de plus en plus menaçantes: Après la sixième trompette, un
nouveau moment d'arrêt, intervient. De même que les élus, après le
sixième sceau, ont été marqués au iront pour être épargnés, de même
maintenant le Voyant reçoit Tordre de mesurer le temple et le parvis
qui doivent être sauvés, tandis que Jérusalem pendant trois ans et demi
sera abandonnée aux païens (VIII-XI). La septième trompette, parallèle
an septième sceau, ne fait qu'introduire un nouvel acte du grand drame.
Une femme parait qui a le soleil pour vêtement, la lune à ses pieds et
un diadème de douze étoiles sur la tête. Elle met au monde un entant
que poursuit la bête aux sept têtes et aux dix cornes. L'enfant est sauvé
dans le ciel; la femme se cache au désert (Xl-XII). Le prophète
revoit la bête aux sept têtes et aux dix cornes montant de la mer.
lue des sept têtes est blessée à mort. Mais elle est guérie, à la stupéfac-
tion de la terre entière. Suit un autre monstre nommé le faux prophète,
qui a la forme de l'agneau et le langage du serpent, séduit les hommes
et leur fait adorer la première bête. Le chiffre de celle-ci est3(|ç=666.
« Que celui qui a de l'intelligence, ajoute l'auteur, calcule le nombre de
la bête, car c'est le nombre d'un homme, le nombre de son nom »
(XIII, 17-18). Le Messie apparaît une première fois comme un fils
d'homme, assis sur un nuage blanc, ayant une couronne d'or sur la
tête et, dans la main, une faucille tranchante, signe que la moisson est
prête (XVI). Les anges, tenant les sept derniers fléaux, expression su-
prême de la colère divine, apparaissent. Ces fléaux sont représentés
pai' sept coupes de colère que les anges viennent tour à tour verser sur
la terre. Les cinq premières sont une série de formidables bouleverse-
ments dans la nature. A la sixième, l'Euphrate est desséché et les rois
de l'Orient envahissent l'empire; ligués avec la bête blessée et guérie
et avec les dix cornes, qui représentent les dix proconsuls, ils marchent
contre Rome et rangent leur armée en bataille à Harmagedôn (nom
mystérieux, ville de Neggido ou Rome la grande). La septième coupe
versée sur la terre consommera la ruine de Rome, la grande Babylone.
Le prophète voit une femme assise sur sept collines, c'est la grande
\ ille qui domine sur tous les rois de la terre. Elle est enfin détruite et
pillée par les rois armés contre elle; dans le ciel retentit un terrible
(liant de triomphe sur la chute de cette ville, la grande prostituée qui
l'es! enivrée du sang des martyrs (XVII-XIX). La bête, blessée et guérie,
a triomphé et règne. Mais la porte du ciel s'ouvre encore une fois et,
sur un cheval blanc, le .Messie fait son entrée dans le monde. 11 anéantit
la puissance de la bête et la jette dans la fournaise ardente. Satan,
l'ancien serpent, est lié pour mille ans. Le Messie ressuscite alors ses
élus qui régneront avec lui sur la terre pendant cette période millé-
naire de milleniuun au terme de laquelle Satan sera de nouveau dé-
eliainé. Il DOUSaen encore une fois le monde païen, (iog et Magog,
400 APOCALYPSE
contre Jérusalem. Mais il sera vaincu à son tour et précipité avec la
bête dans le gouffre de l'enfer. Viennent enfin la résurrection générale,
le jugement dernier, le renouvellement des cieux et de la terre, la des-
cription de la nouvelle Jérusalem où les élus goûteront les joies de
T éternité. Des avertissements solennels, analogues à ceux qui ouvraient
le livre, lui servent de conclusion.
La clef de cette révélation se trouve dans les chapitres XIII et XVII
qu'il suffit de comparer et de lire avec attention pour être transporté
dans le milieu historique et au moment précis où écrivait Fauteur. Lui-
même a pris soin d'attirer notre attention sur ce point par des avertisse-
ments répétés (XIII, 18, XVII, 7, 9). Il prend la peine de soulever un ins-
tant le voile de ces figures symboliques et de les faire connaître par des* ex-
plications très-claires. « Voici, lui dit l'ange qui lui montre la vision de la
grande prostituée, je vais te révéler le mystère de la femme et de la bête
qui la porte, ayant sept têtes et dix cornes » (XVII, 7). D'ailleurs cer-
taines de ces figures sont si nettes et si transparentes, qu'il est impossible
de s'y méprendre. La femme revêtue de la lumière du soleil (XII), qui a un
diadème de douze étoiles et enfante le Messie, c'est évidemment l'Israël
croyant d'où le Messie est sorti et qui se continue dans l'Eglise persécu-
tée. Dans la prostituée dont le nom mystique est la grande Babylone
(XVII, 9), qui règne sur la terre et sur la mer, et est assise sur la bête
aux sept têtes et aux dix cornes, qui s'est enivrée du sang des martyrs,
et reste la mère de toutes les abominations païennes et de toutes les im-
puretés, il est aisé de reconnaître la ville de Rome. La bête, c'est l'empire
romain. Les sept têtes sont les sept collines sur lesquelles la capitale
de l'empire est assise. Mais, ajoute l'auteur, ce sont aussi sept rois
(•/.al PaaiXéïç èxTa etaiv, XVII, 9 et 10), c'est-à-dire sept empereurs,
l'empereur étant vraiment la tête de l'empire. Si les sept têtes repré-
sentent l'empire dans sa durée, les dix cornes le représentent dans son
étendue; ces dix cornes sont les dix proconsuls, qui n'ont qu'une seule
pensée, celle de la tête et gouvernent avec elle. Des sept empereurs,
cinq sont déjà tombés, c'est-à-dire sont morts; le sixième règne à
l'heure présente, le septième n'est pas encore venu, mais ne régnera
pas longtemps. Ces indications sont si claires qu'on ne comprend guère
qu'elles aient été jamais méconnues. Les cinq empereurs tombés sont :
1° Auguste, 2° Tibère, 3° Caligula' 4° Claude, 5° Néron. Le sixième,
régnant à l'heure où écrit l'auteur, c'est donc Galba qui occupa le
trône de Juillet 68 à janvier 69. On prévoyait déjà qu'Othon le
remplacerait et ne régnerait pas longtemps ; car chaque jour grandit
la rumeur populaire qui annonce le retour de Néron. L'Apocalypse
a donc été écrite dans les derniers mois de 68. Il est vrai qu'on peut se
demander si Jean a considéré comme de véritables empereurs Othon et
Vitellius, qui disparurent sans avoir eu le temps de faire partout recon-
naître leur autorité. Faisons la part à cette incertitude et contentons-
nous de dire qu'en tout état de cause l'Apocalypse a été écrite après la
mort de Néron (juin 68), et avant la prise de Jérusalem par Titus (70).
Si nous reprenons les indications de l'auteur, on verra comment se
vérifie dans le détail l'exactitude de ce premier résultat. L'empire se
APOCALYPSE 401
personnifiant dans L'empereur, il ne faut pas s'étonner que le hui-
tième empereur, l'Antéchrist attendu, soit à son tour représenté
comme la bête elle-même. « Et la bête, dit notre auteur, «fui
était, qui n'est plus, sera le huitième » (XVII, 11). Mais, ajoute-t-il,
ce huitième empereur, a été déjà l'un des sept premiers. C'est la tête
qui avait été blessée à mort, et dont la blessure a été guérie (XIII, 3).
Le monstre, jeté dans l'abîme, va reparaître au grand étonnement du
monde entier et réunira bientôt une armée de partisans. Avec les rois
de l'autre côté de l'Euphrate et les dix proconsuls de l'empire qui se
prononceront en sa faveur, il marchera contre Rome et se vengera d'elle
en la détruisant. Est-il possible de s'y méprendre et de ne pas recon-
naître Néron? Mais, dira-t-on, comment un homme de sens rassis a-t-il
pu annoncer le retour de Néron comme huitième César, alors qu'il
était du nombre des cinq premiers disparus? Que veut-il dire en le
représentant comme la bête qui est blessée et qui est guérie, qui était
et qui n'est plus, et va bientôt remonter de l'abîme? A cette question
les historiens romains nous donnent une claire réponse. Tacite et
Suétone nous racontent en effet que le bruit se répandit surtout en Orient,
sous le règne de ses successeurs, que Néron vivait encore. On disait
tout bas que ses meurtriers ne l'avaient pas tué , mais seulement griè-
vement blessé, qu'il s'était réfugié chez les Parthes, d'où il allait
bientôt revenir, suivant une antique prophétie, pour régner sur l'Orient
et détruire Rome. Au moment même où Jean écrivait à Patmos, un
aventurier ressemblant de visage à Néron se faisait passer pour lui en
Asie Mineure et dans les îles de l'Archipel et y causait la plus grande
agitation (Suétone, Nero, 5*7 et 38; Tacite, HisL, I, 2; II, 8-9; Dion
Chrysostôme, Orat., XXI; Livres sibyllins, V, v. 33; VIII, v. 71; Sul-
pice Sévère, Hist., II. Ce dernier écrivain, en rapportant cette légende,
la met précisément en rapport avec Apocal. XIII, 3). — L'auteur de
l'Apocalypse partagea cette croyance générale en l'appropriant à ses
espérances de chrétien. L'Eglise, en effet, avant le retour du Messie,
attendait la venue de l' Anti-Messie (2 Thess., II, 3). Quoi de plus natu-
rel pour les chrétiens, tremblant encore de l'horrible persécution de l'an-
née 04, que de voir cet Antéchrist dans le prince qui semblait avoir
résumé en sa personne tous les vices et toutes les cruautés, dans cet
incendiaire de Rome, ce meurtrier de sa mère, ce roi de la populace,
que l'enfer même n'avait pu retenir et qui ne pouvait reparaître d'une
façon si prodigieuse que pour accomplir son grand rôle d'ennemi de
Dieu et de l'Eglise? La dernière épreuve à laquelle cette explication
reste soumise achève de la continuer. L'auteur n'a pas donné le nom
propre <!<• L'Antéchrist; mais il l'a indiqué par un nombre, selon les pro-
céd( s cabalistiques du temps. Le nombre de ce nom est 006. A la lin du se-
cond siècle, la signification de ce chiffre n'était pas encore tout à fait
oubliée. Quelques-uns y savaient encore lire le nom deNéron. Mais plus
tard, le sens dece passage se perdit en même temps que celui du livre tout
entier. La polémique acheva d'égarer l'exégèse. Les protestants se sont
rattachés a une interprétation qui date d'Irénée et, dans le nombre 666,
ont trouvé le mot Lateinos, c'est-à-dire le pape. Les catholiques y ont
402 APOCALYPSE
lu par contre Lutheranos et présenté le docteur Martin Lulher comme
la béte de Y Apocalypse. Les piétistes anglais, allemands et suisses ont su
y découvrir le nom de Buonaparte, etc. etc. Plusieurs savants à la fois,
en 1835, parmi lesquels MM. Beuss à Strasbourg, Hitzig à Heidelberg,
Benory à Berlin, Fritzsche à Halle, ont retrouvé la véritable interpréta-
tion. En écrivant en lettres hébraïques le nom de Néron César, on
obtient exactement le nombre 666. d = 50 ; 1 = 200 ; 1 = 6 ; d = 50 ;
p = 100; D = 60; 1 = 200: total 666. Et si on écrit Nero, forme latine, en
supprimant le noun final, on obtient encore 616, chiffre qui correspond
à la variante de quelques manuscrits occidentaux. Nous ne pou-
vons poursuivre cette explication historique des symboles de l'Apoca-
lypse. Quelques-uns ne sont pas moins clairs que ceux que nous venons
d'indiquer, d'autres- restent plus obcurs, soit parce que les allusions de
Fauteur nous échappent, soit parce qu'ils sont la libre création de son
imagination poétique. Il ne faut pas en effet méconnaître le côté idéal
de l'Apocalypse. Vouloir, comme certains exégètesl'ont tenté, trouver la
désignation d'un événement local et particulier, dans chaque image
des sept sceaux, des sept trompettes, des sept coupes, c'est tenter
une entreprise irréalisable où la place est laissée trop grande à l'arbi-
traire et à la subtilité. D'ailleurs ce que nous avons dit suffit pour
déterminer le sens générai et la portée du livre. On se demandera
plutôt comment, en l'an 68, notre auteur a pu arriver à croire que
la fin du monde était imminente. On le comprendra sans peine en
se rappelant, d'un côté, les discours eschatologiques mis dans la bouche
de Jésus par nos trois premiers évangiles et en particulier le chapi-
tre XXIV de Matthieu, et de l'autre, l'état de la Judée et du monde romain
en général à cette époque. Jésus a certainement prédit à ses disciples
la destruction de Jérusalem et son retour glorieux. 11 a pu ne pas join-
dre ces deux événements ; plusieurs indices permettent de le supposer ;
mais il" n'est pas moins certain que ses disciples les ont considérés
comme devant être simultanés. Cette confusion caractérise même les
discours eschatologiques qu'ils nous ont rapportés. Toute la primitive
Eglise (et Jean, Paul, Pierre ne font pas d'exception) a cru à un pro-
chain retour du Maître crucifié. Est-il donc étonnant que le prophète
de Patmos, en voyant Jérusalem perdue, ait attendu à bref délai la réa-
lisation des promesses de Jésus? Que l'on songe à la situation dans
laquelle on se trouvait. L'Eglise avait déjà terriblement souffert; elle
ressentait ces douleurs de l'enfantement (wowsç), cette affliction su-
prême (OXiç'iç) que Jésus avait données comme les signes précur-
seurs de son avènement. La ville sainte était serrée de près par
les armées romaines et la communauté chrétienne de Jérusalem avait fui
de l'autre côté du Jourdain, à Pella. En même temps toutes sortes de
fléaux, depuis quelques années, sévissaient sur les peuples: des famines,
des pestes, des guerres atroces, des tremblements de terre; des phé-
nomènes effrayants dans le ciel et sur la terre se succédaient sans relâ-
che (voy. Renan, Antéchrist, pages 321-339). Tout ce qu'avait prédit
Jésus-Christ se réalisait d'une manière terrible. Le spectacle qu'offrait
l'empire romain n'était pas moins extraordinaire. Néron est tombé ,
APOCALYPSE m
mais personne na croit à sa mort. L'empire semble rester vacant; et
de toutes parts éclatent des symptômes d'une conflagration universelle.
Les deux Flaviens sont menaçants en Palestine; Mucianus s'agite en
Syrie, Vitellius en Germanie; Othon s'élève à Home. Ces signes de dis-
solutionir échappent pas.au Voyant de Patmos et due croit pas hasarder
beaucoup en annonçant que les cornes de la béte vont bientôt se tour-
ner contre la bête elle-même pour la détruire. A toutes ces circonstances
ajoutez maintenant la rumeur grandissante du retour imminent de
.Néron à la tête des Parthes. Quelle contre-partie du rôle du Christ, (pie
cette résurrection de l'homme de péché! Quelle antithèse diabolique!
L'Antéchrist a paru une première l'ois et, comme le Christ lui-
même, il a été frappé à mort, il est descendu dans Fabime; comme
lui il revient pour achever son rôle, réaliser son idéal, grouper autour
de lui toutes les forces de Fidolàtne et du péché, et livrer au peuple
de Dieu et à son chef la suprême bataille dans laquelle il sera vaincu.
Quel devait être F effet d'une telle vision sur une imagination aussi
ardente que celle de Fauteur de FApocalypse? Sans doute, Jean s'est
trompé; le Christ n'est pas revenu; le monde a suivi son cours. Mais
ajoutons que Jean ne s'est trompé ni plus ni moins que Paul au chapi-
tre XV de sa première épitre aux Corinthiens, que les rédacteurs de nos
évangiles et toute la première génération des chrétiens. Son erreur a été
celle de son époque, et il y aurait injustice à la lui reprocher plus qu'à ses
contemporains. — Il resterait à déterminer la tendance dogmatique et la
valeur religieuse et morale de FApocalypse. Nous avons en elle, sans
contredit, un produit de ce que Fou a appelé le judéo-christianisme
primitif par opposition à la tendance plus libérale de Paul. Mais on est
allé trop loin quand, après Baur, M. Volkmar (Commenlar zur Offenbarung
Johannis,\Wi), M.Ui\genie\d(Histo?'ich-h'?'itische Einleitung in das N.
Testament, 1875) et d'autres exégètes de la même école y ont décou-
vert une violente polémique contre Paul et ses disciples. Le faux prophète
du chapitre XIII, 11-12, qui ressemble à un agneau et parle comme le dra-
gon, qui séduit les hommes et les pousse à adorer la bête, ne serait pas
autre que l'auteur de l'épitre aux Romains, déclarant que toute auto-
rité vient de Dieu et prêchant l'obéissauce aux pouvoirs établis
(Rom. XIII, 1-6). De même, ce serait encore la tradition de Paul et ses
adhérents que l'auteur poursuivrait sous le nom des Nicolaïtes, des
partisans de Jézabel, dans les lettres aux Eglises d'Asie (Apoc. II, 6, 9,
14, 20, etc.). Ces rapprochements ne paraîtront que spécieux à des
esprits libres. Ces mêmes savants se sont également trompés sur le
vrai caractère de l'Apocalypse en parlant, comme ils l'ont fait, du ma-
térialisme religieux, du fanatisme juif, des conceptions étroites et gros-
sières de SOB auteur. Ils ont eu le tort de prendre à la lettre les descrip-
tions el les symboles apocalyptiques. Ils ont oublié que c'est là un lan-
gage qu'il faut comprendre et traduire;, une rhétorique dont le propre
est de cadber les idées abstraites sous des images matérielles. Si l'on
ireitf tenir compte de cette sorte d'expression plastique et creuser sous
tas symboles, oo trouvera efeez cotre auteur une dogmatique el un genre
de [piété d'un spiritualisme aussi éle\é que celui de la plupart des
404 APOCALYPSE
écrits du Nouveau Testament. Tout le monde connaît, par exemple, la
description fastueuse de la nouvelle Jérusalem descendant du ciel,
représentée comme une grande ville carrée, ayant 12,000 stades de
tour, 3,000 stades de chaque côté et 144 coudées de hauteur, avec
12 portes glorieuses. Prendra-t-on cette description et ces chiffres à la
lettre? Ne voit-on pas que ces nombres en particulier sont des multi-
ples de douze et expriment simplement la plénitude, la perfection
atteinte de l'Israël de Dieu? Au même endroit, la Jérusalem céleste est
représentée comme une femme, comme la fiancée de l'agneau
(Apoc. XXI, 9), et l'auteur se rencontre ici avec saint Paul (cf . Eph. V,
32 et 2 Cor. XI, 2). De même, au chapitre IV, il compare la vision de
Dieu sur son trône à la vision éblouissante d'une pierre de jaspe et de
sardoine. Allons-nous dire qu'il se représente Dieu comme une grande
pierre brillante? Trouverez-vous ailleurs une notion du Dieu suprême
plus sévèrement spiritualiste (cf. IV, 9)? Même observation sur son
prétendu particularisme juif. Il donne à l'Eglise le nom d'Israël; il
précise le chiffre des élus à 144,000 (12,000 de chacune des douze tri-
bus). Mais immédiatement il ajoute que cette foule est recrutée de toute
race, de toute tribu, de toute nation et de toute langue (VII, 9). En
donnant à ce nouveau peuple de Dieu le cadre théocratique et le nom
d'Israël, il se rencontre encore avec Paul (Rom. I, 16; Gai. IV, 28;
Phil. III, 3), et avec l'auteur de l'épître aux Hébreux. Sans doute, il
considère le monde païen comme le royaume du démon ; mais Paul
n'en parle pas autrement (2Gor. VI, 14; 1 Cor. VI, 6; Gai. II, 15, etc.).
La christologie de l'Apocalypse et la doctrine de la rédemption qui
s'y appuie sont bien plus rapprochées des doctrines analogues de Paul
que de celles de l'épître de Jacques. Le Christ y est appelé l'Alpha et
l'Oméga, le premier-né des morts, le Logos de Dieu. Il est l'Agneau
immolé dont le sang a effacé les péchés et blanchi les robes des élus, etc.
(Apocal. I, 5, 17; V, 9-14; VII, 14; XIX, 11, 13, etc., etc. Gomp. avec
Rom. VIII, 29; Col. I, 15; 1 Cor. V,7; Rom. III, 25, etc., etc.). Enfin,
nous trouvons dans tout le cours de l'Apocalypse une série d'images
familières où s'exprime une piété intime et douce, un mysticisme chré-
tien qui rapproche beaucoup cet ouvrage de la première épître de Jean
et du quatrième Évangile (II, 7, 17; Comp. Év. de Jean VI, 3-35;
Apoc. III, 17-20; VI, 1-14; Comp. 1 Jean I, 7; Apoc. XXI, 6; Comp.,
Év. de Jean VII, 37). Citons, pour terminer, ce seul passage qui donne
le vrai ton de la piété de l'auteur : « Voici l'habitation de Dieu avec les
hommes : il plantera sa tente avec eux. Ils seront son peuple, et Dieu
lui-même habitera avec eux comme leur Dieu. Il séchera toute larme
de leurs yeux. La mort ne sera plus, ni l'affliction, ni les lamentations,
ni la fatigue. Les choses anciennes sont passées. Voici, je fais toutes
choses nouvelles (Comp. 2 Cor. V, 17). Je suis l'alpha et l'oméga, le
commencement et la fin. A celui qui a soif, je donnerai gratuitement
de l'eau de la vie; celui qui vaincra héritera de ces choses. Je serai son
Dieu; il sera mon lils (XXI, 3-7) ». Trouvera-t-on une plus tendre et
plus belle page dans les épitres de Paul ou dans l'Evangile de Jean? —
Sans doute, c'est une difficile question de savoir si cet Evangile et
APOCALYPSE 405
r Apocalypse peuvent avoir été écrits par le même auteur; mais il est
certain que ces deux ouvrages, nés dans la même région de l'Asie
Mineure, malgré les différences qui les séparent, restent unis par un
mystérieux lien de parenté. Quoi qu'il en soit, l'auteur de l'Apocalypse
se nomme lui-même Jean, esclave de Jésus-Christ (1, 1), frère des
autres chrétiens, leur compagnon d'épreuve, qui, ravi en esprit un
dimanche dans l'île de Patmos, a reçu la révélation qu'il adresse aux
Eglises (I, 9-1 lï. Patmos est une île à l'ouest d'Ephèse, à six heures de
navigation environ, la première escale pour les vaisseaux allant de
cette ville à Home (voy. Patmos). On a tort de se la représenter comme
un désert. Elle était, au contraire, à cette époque fort peuplée et très-
commerçante. Quelles circonstances avaient amené Jean dans ce lieu?
Nous P ignorons. Les mots dont il se sert (I, 9), B'.à tov Xc^ov tou ôsoj xûù
-r;> [Aopruptav 'It^oj, sont malheureusement trop vagues. En tout cas, il
faut écarter la légende d'une déportation, car l'île de Patmos n'a jamais
été un lieu d'exil ou une prison. Peut-être le disciple de Jésus fuyait-il
quelques menaces des Juifs ou des autorités romaines d'Ephèse; peut-
être y était-il venu simplement pour prêcher l'Evangile. Bien qu'il ne
résulte pas du passage cité plus haut que l'Apocalypse ait été nécessai-
rement écrite à Patmos, elle a vu le jour dans ces parages. On est
frappé, en la lisant, du grand nombre d'images empruntées par l'au-
teur à la mer, à la vie maritime et au commerce d'un port de mer. Il
parle souvent des marchands et des gens qui naviguent sur les grandes
eaux. Il entend leurs chants, il énumère leurs marchandises (XVIII, 13).
Il ne décrit pas directement la chute de Rome, mais il rend l'émotion
que la ruine de cette ville a causée parmi les marins et les gens de tra-
fic. « Les marchands pleurent sur elle et sont dans le deuil, les marins
poussent des cris en voyant monter la fumée de l'incendie qui la
dévore » (XVIII, 15-20). Mais en même temps on ne peut douter que l'au-
teur ne soit un Palestinien d'origine, un Juif de mœurs et d'idées que
le spectacle du monde païen révolte. Tout ce qu'il voit, tout ce qu'il
entend, l'idolâtrie universelle, les statues des dieux et des princes, les
noms blasphématoires d'Augustus, de Divus donnés aux empereurs,
jusqu'à l' effigie qui est sur les monnaies romaines, excitent son indi-
gnation et appellent ses anathèmes. Cette caractéristique semble bien
convenir à celui que Jésus un jour a surnommé « le fils du tonnerre», à
L'apôtre Jean. La plus ancienne tradition ecclésiastique, représentée par
Papias (d'après un Comment. d'André, évèque deCésarée, qu'on trouve
dans quelques éditions des œuvres de Chrysostôme, édit. de Francfort,
tome II. page 175), par Justin martyr (Dial.c. Tryph,c. 81),parMéliton,
qui avait écrit un livre sur l'Apocalypse (Eusèb., //. F., IV, 2(>; par Jé-
rôme. De ru-, illustr.j c. 24), par Irénée (Haeres.,lY, 20, 11), et Tertullien
(DeprxscripL, c. 33; Contra Marcionem, III, 14, etc.), témoigne eu faveur
de cetteorigineapostolique.il est vrai que plus tard nous rencontrons des
opinions contraires. L'Apocalypse devint suspecte à un grand nombre
de docteurs de L'Eglise grecque, à cause des espérances millénaires
qu'elle entretenait. Les aloges l'attribuaient à Cérinthe comme aussi
le quatrième Evangile; Denys d'Alexandrie, à Jean le presbytre; Eusèbe
40C APOCALYPSE
semble incliner à cette opinion (H. E., III, 39). Mais les motifs dogma-
tiques qui Font suscitée sont trop apparents pour qu'elle puisse contre-
balancer les témoignages cités plus haut. Cette question ne peut se ré-
soudre isolément : elle tient à celle de l'origine du quatrième Evangile.
L'apôtre Jean peut-il avoir, même à des époques éloignées, écrit les deux
ouvrages? Nous devons renvoyer la discussion de ce problème littéraire
à l'article Jean. — Quanta la fortune du livre au sein de l'Eglise chré-
tienne, elle a été fort diverse avec les temps, les lieux et les hommes.
L'intelligence, nous l'avons dit, s'en perdit de très-bonne heure. Si
quelques écrivains comme Sulpice Sévère, l'évêque Yictorin de Petau
(mort en 303) la commentent encore avec un sentiment assez juste, le
plus grand nombre, à partir d'ïrénée, cessent d'y rien comprendre et
restent dans l'embarras. En Orient, le livre fut considéré par quelques-
uns comme apocryphe. La Peschito ne l'avait pas accueilli; Origène
hésite; Denys d'Alexandrie le repousse; Eusèbe le classe parmi les
antilégomènes {H. #., VII, 25). Chrysostôme n'a pas d'homélies sur
l'Apocalypse. Auprès de l'Eglise latine, elle ne rencontre pas la même
défaveur. Elle avait déjà pris dans le canon une position trop forte pour
qu'il fût possible de l'en expulser. Après Jérôme et Augustin, elle est
tenue pour canonique, et l'on eut recours aux tours de force de l'exé-
gèse la plus vertigineuse pour résoudre les objections et trouver un
sens au livre. Avec Joachim de Flore (douzième siècle), nous entrons
dans l'océan des imaginations et des interprétations arbitraires (Expositio
in Apocalyp.). Elles n'ont plus cessé jusqu'à nos jours. A l'époque de
la Réformation, l'Apocalypse redevint embarrassante, parce qu'elle
restait inintelligible. Luther s'est exprimé très-librement sur l'Apoca-
lypse dans la préface qu'il a mise à sa traduction (voy. surtout la pre-
mière édition; dans les suivantes, les expressions ont été adoucies).
Calvin a été moins audacieux, mais il n'a pas commenté le livre de
Jean. Ce n'est que de nos jours, et grâce à la critique historique, que
l'Apocalypse, en s'expliquant, a repris la place élevée qui lui appartient
parmi les livres sacrés. Autant elle était obscure et rebutante quand on
la considérait comme un recueil d'oracles abstraits où chacun pouvait
trouver le reflet de ses rêves , autant elle devient lumineuse et belle à
qui sait comprendre le temps où elle a paru et la foi qui l'a produite.
Sans doute les calculs de l'auteur se sont trouvés erronnés. Mais les
pensées religieuses qui sont à la base du livre sont éternelles. L'Apo-
calypse a été précieuse à tous les persécutés, parce que c'est un livre
de consolation et d'espérance ; c'est la protestation triomphante des
martyrs contre les bourreaux, du bien et de la vérité contre le men-
songe, de la foi contre les peines de la vie présente et contre la mort.
Voilà pourquoi tant de paroles de l'Apocalypse sont restées chères à
l'Eglise : avertissements solennels qui la réveillent, effusions tendres
qui la consolent et la relèvent, promesses qui l'encouragent. Aussi
a-t-elle eu raison de garder ce beau livre, le dernier mot de l'antique
prophétie d'Israël, dans le recueil du Nouveau Testament. — Biblio-
graphie. La littérature exégétique et critique suscitée par l'Apocalypse
est à peu près infinie. Pour l'histoire des interprétations apocalyptiques,
APOCALYPSE — APOCALYPSES JUIVES J07
nous renvoyons simplement le lecteur à l'ouvrage capital de Lùcke •
Vertuek mtef rol/st . Einleitttng in dit O/fc/ibcrungJoh. und m die gesam-
7/Ue apocalypt . Litteratur, 1' édit., Bonn, 1832 ; 2e édit., 18fté. 11 y faut
ajouter les introductions générales au Nouveau Testament depuis
Richard Simon jusqu'à Hilgent'eld. Pour les ouvrages spéciaux mo-
dernes, nous les rangeons en deux classes : Commentaires de l'école
prophétique traditionnelle, et commentaires de l'école historique. Les
principaux de la première sont : Hoffmann, Weissagung und Erfïd-
lung, lSï'i ; Hengstenberg, Die Offenbarung des heiligen Johannes,
2 vol., Berlin, 1819-1851 ; Ebrard, Die Offenbarung Johannis er/dœrf,
1853, (dernier volume du commentaire d'Olshausen sur le Nou-
veau Testament); Auberlen, De?' Prophet Daniel und die Offenbarung
Johannis, 2e édit., 1857; Rougemont, la Révélation de St Jean expliquant
l'histoire, 1806; Gaussen, Daniel le prophète, 1850. Nous tenons pour
condamné définitivement le système d'interprétation de ces divers
auteurs. On peut plus utilement consulter parmi les ouvrages de la
seconde classe : De Wette, Kurzgefasste Erklœrung de?' Offenbarung
Johannis, 1848 (dernier volume de son commentaire sur le Nouveau
Testament) ; Evvald, Die Johanneischen Schriften ûbersetzt und erklœrt,
2 vol., 1862; Bleek, Vorlesungen ûber die Apokalypse, 1862; Diister-
diek, Kritisch-exegetisclies Handbuch ûber die Offenbarung Joliannis
(dernier volume du commentaire de Meyer sur le Nouveau Testa-
ment, 2e édit., 1865) ; Reuss, Histoire de la théol. apostolique, 3° édit.,
1864 ; du même, article Joli, Apocalypse dans l'Encyclopédie d'Ersch
et Gruber, tom. 22 ; Kienlen, Commentaire historique et critique sur
l'Apocalypse de Jean, Paris, 1870; Volkmar, Commentar zur Offenba-
rung Johannis, 1862; Renan, l'Antéchrist, 1873. A. Sabatier.
APOCALYPSES JUIVES. Parmi les nombreux livres apocryphes de 1' An-
cien Testament, qui ont joui d'une autorité canonique auprès d'une ou
plusieursEglises chrétiennes, on en distingue, sous le nom d' apocalypses
(révélations), un certain nombre qui présentent ces trois caractères princi-
paux: l°Ces livres se donnent comme le produit d'une communication
céleste adressée à l'écrivain dont ils portent le nom; 2° ces livres sont
supposés oupseudépigraphes, c'est-à-dire que la révélation qu'ils contien-
nent s'abrite du nom et de l'autorité d'un personnage considérable appar-
tenant au passé et que l'auteur réel se dissimule sous le patronage de
ce nom vénéré; 3° ces livres sont principalement consacrés à l'expo-
sition de l'avenir du peuple juif, ou, en d'autres termes, leur con-
tenu est essentiellement messianique et eschatologique. Le livre cano-
nique de Daniel, remontant, suivant l'opinion généralement admise
aujourd'hui, au temps de la persécution d'Antiochus Epiphanes (aux
environs de L'an 166 avant J.-C), offre, surtout dans sa seconde partie
(chap. Vil-XIl). le modèle du genre : il présente , en effet , au plus
haut degré Le triple caractère, apocalyptique, pseudépigraphe et escha-
tologique, que nous avons marqué (voyez Daniel). Les apocaplvses.
ainsi définies, constituent dono nue branche de la littérature pseu-
dépigraphe juive, qui prit un développement extraordinaire aux envi-
rons de L'ère chrétienne. Nous renvoyons à l'article Pseudépigraphesdt
408 APOCALYPSES JUIVES
l'Ancien Testament, pour l'appréciation générale et l'origine de cette
œuvre considérable, l'article Apocryphes de l'Ancien Testament trai-
tant de ces livres seuls, que la Vulgate a joints au canon, à L'exemple
des Septante, qui ne se trouvent pas dans le texte hébreu, et auxquels Tu-
sage a réservé de préférence le nom d'apocryphes ou de deutéro- cano-
niques. — Les lignes suivantes feront mieux saisir la nature toute parti-
culière des écrits dont nous nous occupons dans le présent article.
« L'écrivain apocalyptique couvre ses écrits du nom d'un personnage
ancien , tel que Daniel , Hénoch , Noé , Adam , Esdras , et met dans la
bouche de son prête -nom le tableau des destinées futures de son
peuple, à partir, bien entendu, du moment où celui-ci a vécu. L'auteur
du livre dit de Daniel déroulera l'histoire à venir d'Israël à partir de
l'exil, l'auteur du livre d'Hénoch remontera au-delà du déluge, etc. Il
est en général très-facile de retrouver la date où ont été composés ces
livres pseudépigraphiques , soit par les préoccupations particulières à
l'auteur et qui trahissent son époque , soit — et c'est là un procédé
d'un emploi parfaitement sûr, — par la manière dont sont présentés
les événements historiques , selon qu'ils appartiennent, — pour l'au-
teur réel , — au passé , au présent ou à l'avenir. La description du
passé (lequel est déjà un futur pour l'auteur supposé, pour le grand
personnage du passé, Daniel, Moïse ou tel autre) se conforme à ce que
nous savons de l'histoire ; celle du présent se distingue en général par
ses détails et par l'exactitude des renseignements ; celle de l'avenir ne
consiste qu'en vagues généralités. Il ne planerait donc jamais aucun
doute sur la date de composition des apocalypses, si l'auteur, pour
compléter l'illusion introduite par le pseudonymat, ne déguisait la
clarté de ses récits du passé ( qui sont, encore une fois , censés des pré-
dictions) par l'adoption d'une typologie parfois assez compliquée,
quelque claire qu'elle dût être aux contemporains. Tel roi sera désigné
par un lion, telle dynastie par un ours, tel empire par un aigle, etc.
Sauf des cas exceptionnels , la connaissance que nous avons de l'his-
toire nous permet de soulever ces voiles plus \o\i moins transparents »
(Maurice Vernes , Histoire des idées messianiques, Paris, 1874, p. 26,
note 2). Consultez, outre cet ouvrage, Michel Nicolas, Des doctrines reli-
gieuses des Juifs, Paris, 1860, chap. V; et en allemand, Lùcke, Versuch
einerv. Einleitung in die Offenbarung desJohannes,^ édit., Bonn, 1848,
vol. I.; et Hilgenfeld, Die jùdische Apocalyptik , Iéna, 1857. — Nous
traiterons ci-dessous des trois livres suivants : 1° L'Apocalypse (ou
livre) d'Hénoch, 2° L'Apocalypse (ou IVe livre) d' Esdras, 3° L'Apoca-
lypse de Baruch , renvoyant à l'article Pseudépigraphes pour les écrits
(fui appartiennent moins directement au type ci-dessus défini, ou ne
ne nous sont parvenus que sous une forme incomplète. Plusieurs
poèmes d'origine juive, contenus dans le recueil des oracles sibyllins,
forment une division à part de l'apocalyptique juive ; il en sera traité
dans l'article Sibyllins (Livres).
I. Apocalypse (ou Livre) d'Hénoch. Cet ouvrage, après avoir joui
d'une grande autorité auprès des Eglises orientales , comme l'atteste
une citation dans l'épître canonique de Jude (v. 14 et 15), et des
APOCALYPSES JUIVES 409
fragments recueillis par des écrivains ecclésiastiques , avait complète-
ment disparu , quand on Ta retrouvé , à la fin du siècle dernier, dans
la Bible abyssinienne en une traduction éthiopienne. La langue origi-
nale semble avoir été l'hébreu ou araméen, au moins pour la plus
grande partie du livre, et le lieu d'origine la Palestine. M. Dillmann
eo a publié une édition critique en 1851 (Liber Henoch , SEthiopice),
bientôt suivie (1853) d'une traduction en allemand, avec introduction
et commentaires (Bas Ihœh Henoch ùbersetzt und erklàrt). Cette œuvre
considérable, — elle ne comprend pas moins de 81 pages in-8° d'une
impression compacte dans la traduction de Dillmann, — est divisée en
cinq livres, plus une introduction et une conclusion , et cent dix cha-
pitres. Elle se donne dès l'abord pour une révélation du Voyant He-
noch sur le jugement à venir du monde. Le livre I (chap. 6 à 36)
raconte la chute des anges, leur commerce avec les filles des hommes
et prédit le châtiment qu'ils encourront avec la race humaine corrom-
pue. Suit la description de deux voyages accomplis par Henoch , sous
la conduite d'anges , au travers du ciel et de la terre , avec explication
des mystères du monde tant visible qu'invisible, qui lui furent dé-
voilés. Le livre II (chap. 37 à 71) se compose de trois paraboles sur
les choses du royaume céleste et l'avenir messianique , dont la nature
et le ton tranchent complètement sur le reste du livre , sauf des frag-
ments appartenant vraisemblablement à une Apocalypse de Noé, au-
jourd'hui perdue, qui s'y trouvent mal à propos intercalés. Le livre III
( chap. 72 à 82,) est consacré à des notions astronomiques et physi-
ques. Le livre IV (chap. 83 à 91) se compose de deux visions qui
donnent un aperçu général de l'histoire juive jusqu'à l'inauguration
de l'ère messianique. (La principale de ces visions (chap. 85 à 90),
qui offre un haut intérêt, est traduite in extenso d'après l'allemand de
Dillmann dans mon Histoire des idées, p. 79-108). Le livre V et dernier
contient principalement des exhortations morales. M. Dillmann a sou-
tenu l'unité d'origine du livre entier dans son ouvrage ci-dessus men-
tionné; cependant, après les travaux d'Ewald, de Kôstlin et d'autres
savants, il s'est rangé à l'opinion, généralement admise aujourd'hui, qui
distingue les livres I,1II-V du livre II. Toutefois, àl'encontre de Lùcke,
Kôstlin, Hilgenfeld , etc., et à l'exemple d'Ewald, il donne la priorité
au livre II, dont il place, avec ce dernier savant, la composition dans
les premiers temps des Asmonéens; un peu plus tard, sous le règne
d'Hyrcan, viendraient se placer les livres I, III-V. Les fragments noa-
chiques, intercalés dans le livre II, seraient seuls postérieurs, ainsi que
h- remaniement qui a donné au livre sa forme actuelle. Ces résultats
sont adoptés par la plupart des critiques en ce qui touche les livres
I. III -Y. que Ton assigne avec une sûreté suffisante aux environs de
Tan 1 10 avant l'ère chrétienne, d'après des allusions très-précises con-
tenue dans la vision des chapitres 85-90. L'accord est loin de s'être
fait sur la date du livre II que Lùcke et Kôstlin, entre autres, rappor-
tent an temps dHérode le Grand, et dont le caractère général semble,
en eflfet . trahir une époque postérieure à celle assignée an corps de
l'ouvrage. M. Hilgenfeld, allant plus loin, a revendiqué pour le livre 11
i. 27
410 APOCALYPSES JUIVES
mie origine purement chrétienne. Cette manière de voir, contre la-
quelle il n'a pas été produit d'arguments externes décisifs, a été
défendue par ce savant avec une grande vigueur dans sa Jàdkche Ajjoca-
lyptik. MM. Colani {Jésus- Christ et les croyances messianiques, 2e édit.,
Strasbourg, 1864) et Vernes (ouvrage cité), Pont reproduite après
lui. D'après ces critiques, les allusions au Messie, désigné couramment
sous le nom de « fils de l'homme », sont trop précises pour pouvoir
être mises sur le compte d'une prévision prophétique. Sa personne est
introduite directement comme familière au lecteur, et sous une forme
qui rappelle les préoccupations de la seconde ou troisième génération
de l'Eglise chrétienne, se consumant dans l'attente impatiente du re-
tour de Jésus-Christ, actuellement au ciel, d'où il va venir exercer ses
jugements sur les persécuteurs du troupeau fidèle. Il résulte de cela
que le livre d'Hénoch doit être considéré comme une compilation , à
la base de laquelle se trouvent deux ouvrages distincts , sans parler
d'additions secondaires, et que l'origine juive du moindre de ces deux
ouvrages est fortement contestée.
II. Apocalypse d'Esdras.Vlm heureux que la masse de ses congénères
pseudépigraphes, ce livre , généralement connu sous le nom de
IVe d'Esdras, nous a été conservé de tout temps dans une traduction
latine défectueuse, il est vrai, à la fois tronquée et surchargée, que
reproduisent beaucoup d'éditions de la Vulgate. Le texte latin, traduit
«du grec, dans lequel l'ouvrage a été écrit et dont il ne s'est conservé
que deux fragments, a été établi critiquement d'après plusieurs
manuscrits et la comparaison des versions syriaque, éthiopienne,
arabe et arménienne par Volkmar {fias vierte Bach Esra etc. Tûbin-
gen, 1863) , Hilgenfeld (Messias Judœorum etc. Lipsiae, 1869) et
Fritzsche (Libri V. T. pseudepiyraphi selecti, Lipsise, 1871). M. Bensly
a récemment découvert dans un manuscrit de la bibliothèque d'A-
miens, provenant de Corbie, le texte latin d'un fragment important
qui avait été retranché partout ailleurs- et que les derniers éditeurs
avaient reproduit d'après les traductions orientales (The missing
fragment of the latin translation of the fourlh book of Ezra, discovered
and edited... by R. L. Bensly, Cambridge, 1875). Les chapitres I— II et
XV-XVI delà Vulgate n'appartiennent pas à l'ouvrage primitif. — L'apoca-
lypse d'Esdras comprend sept visions que le scribe de ce nom, restaura-
teur du canon sacré d'après la tradition juive, est censé recevoir la
trentième année de la destruction de Jérusalem (par Nébucadnetzar)
dans la ville de Babylone. On y reconnaît d'emblée les préoccupa-
tions des cercles juifs après la destruction de Jérusalem par Titus, à
la lin du premier siècle. La révélation divine déroule aux yeux du
Voyant tous les secrets de l'avenir, la destruction de l'empire romain
et la fondation définitive du royaume messianique sous des symboles
assez transparents. Les allusions contenues dans ces visions (particu-
lièrement la cinquième) font assigner à cet ouvrage la date du dernier
quart du premier siècle, que confirme le caractère général du livre, et
même des dernières années de ce siècle. Le livre est remarquable par
la science de la composition et l'élévation de la pensée. On peut le
APOCALYPSES JUIVES — APOCRISAIRE 411
considérer comme le pendant juif de l'apocalypse canonique. Lé
dédain de la chronologie (Esdras, placé au sixième siècle avant J.-C.)
prouve combien peu d'importance on attachait, même dans les cercles
1rs plus instruits, à une exactitude rigoureuse, tandis que le choix de
ce nom indique an milieu de scribes et de lettrés en même temps que
la date fictive établit une étroite corrélation avec les circonstances du
moment.
III. Apocalypse de Barueh. Cette œuvre importante, dont on con-
naissait depuis deux siècles la dernière partie, à savoir une lettre de
Barueh adressée aux neuf tribus et demie, a été récemment décou-
verte par Ceriani en une traduction syriaque, dont ce savant a donné
une édition latine (Milan, 1806); elle a été, depuis, étudiée par Langen
(Bonn, 1807) et rééditée en latin par Fritzsche dans ses Libri V. 71
psettdepigrapkt (p. 80-131). Elle offre de grandes analogies avec
l'apocalypse d'Esdras. De même que Barueh, après la destruction
chaldéenne de Jérusalem, avait pleuré les maux de son peuple, Pseudo-
Baruch déplore la destruction de Jérusalem par les Romains. Mais une
voix céleste le console et ranime en lui l'espérance. Le Messie viendra
bientôt et établira son empire sur les ruines de celui de Rome. Suivra
le jugement général où chacun recevra selon ses œuvres. Le livre
trahit la plume d un juif, qui a vécu peu de temps après la prise de
Jérusalem par Titus, sans qu'on puisse préciser la date. La langue
originale a été le grec; le livre ne manque pas de mérite littéraire et
est un document important de Pétat des esprits au sein des commu-
nautés juives à la fin du premier siècle de Père chrétienne. (Pour les
les autres œuvres apocryphes, placées sous le nom de Barueh, voyez
PseudépigrapkeSj etc.). Le livre d'Hénoch doit être consulté dans la
traduction allemande de Dillmann; Papocalypse d'Esdras et de
Barueh le seront avec commodité dans Pédition de Fritzsche. La
traduction française de ces deux premiers ouvrages, donnée par
Pabbé M igné dans son Dictionnaire des apocryphes (1856-58), est trop
défectueuse pour qu'il soit permis d'y recourir. Maurice Vernes.
APOCRISAIRE (de a-cy.p'.vcy.a'., je réponds) ou responsalis. On appelait
ainsi les ambassadeurs que les patriarches ou même les évêques et
les monastères entretenaient à Constantinople pour y traiter les
affaires courantes avec la cour impériale. Justinien (Novell., L, c. 2)
rendit un décret pour défendre aux évêques de faire des absences pro-
longées de leur diocèse, sans un ordre exprès de sa part; il ajoute
qu'ils doivent se l'aire représenter auprès de lui par leurs apocrisaires,
qui répondent ainsi aux nonces que la cour de Rome entretient auprès
des princes catholiques. Aussi longtemps (pie le patriarchat de Rome
dépendait de Pempire d'Orient, il avait son apocrisaire à Constanti-
nople. Ces fonctionnaires, versés dans les questions de droit ecclésias-
tique, étaient d'ordinaire choisis parmi les diacres. Ils avaient aussi la
charge d'introduire les métropolitains et les évêques qui se présentaient
devant l'empereur. Ce titre lut également donné an grand aumônier
ou chapelain de la cour des rois francs, qui devait prendre connais-
sance de toutes \r> affaires ecclésiastiques (Hincmar : De ordine palatù\
412 APOCRISAIRE — APOCRYPHES
XV, 14). Voyez Bingham : Origines eccles. or the antiq. of the christ,
church, Lond., J708, 1. III, c. 13, § 6.
APOCRYPHES DE L'ANCIEN TESTAMENT. La traduction grecque
de l'Ancien Testament, connue sous le nom de version des Septante,
contient un certain nombre de livres qui ne font pas partie de la Bible
hébraïque, et, de plus, Daniel et Esther ont, dans cette traduction,
plusieurs passages qui ne sont pas dans le texte hébreu. (Il en est de
même de la Vulgate). Ces livres et ces additions forment ce qu'on
appelle les apocryphes de l'Ancien Testament, dénomination qui leur
a été donnée pour les distinguer des écrits qui composent la Bible
hébraïque, et qui sont désignés sous le nom de : Livres canoniques de
l'Ancien Testament. Dans les traductions de la Bible en langues mo-
dernes, faites sur les textes originaux (l'hébreu pour l'Ancien Testament
et le grec pour le Nouveau), les livres apocryphes, quand ils y sont con-
tenus, sont réunis ensemble et occupent une place à part, soit à la fin de
l'Ancien Testament, soit à la lin du Nouveau. Il en est autrement dans les
manuscrits et dans les éditions de la version des Septante (et de la
Vulgate). Ils y sont placés indistinctement parmi les livres canoniques.
Par exemple, dans l'édition stéréotype de Leipzig, 1824, in-8°, l'Esdras
apocryphe se trouve après le deuxième livre des Chroniques et avant
l'Esdras canonique; Tobie et Judith, entre Néhémie et Esther; la
Sapience et l'Ecclésiastique après le Cantique des Cantiques et avant
les douze petits prophètes ; Baruch, après Jérémie et avant les Lamenta-
tions; la Lettre de Jérémie, après les Lamentations et avant Ezéchiel;
enfin les livres des Machabées viennent après Daniel qui, lui-même, suit
Ezéchiel. Rien ne les distingue, par conséquent, des livres canoniques ;
les uns et les autres sont mis sur la même ligne. De ces livres apocry-
phes, les uns ont été écrits en grec et les autres en hébreu, ou plus pro-
bablement en araméen, langue mêlée qu'on parlait en Judée depuis le
retour de la captivité de Babylone. On n'a ceux-ci que dans une traduc-
tion grecque; les textes originaux ont, à ce qu'il semble, disparu
depuis longtemps. Sauf pour l'Ecclésiastique, on ne sait ni à quelle
date ni par qui ont été composés ceux dont le texte original était en
hébreu ou en araméen, ni par qui ni à quelle date ils ont été traduits
en grec. On ignore également les dates de la composition et les noms
des auteurs de ceux dont le grec est la langue originale. Tout ce qu'on
peut assurer, c'est qu'ils sont tous (aussi bien les hébreux que les
grecs) postérieurs à l'époque d'Antiochus Epiphanes, et antérieurs à
Tère chrétienne ; ce dernier point a été cependant contesté, entre autres
pour la Sapience, mais, à vrai dire, sans des raisons valables. A quelle
époque, pour quels motifs et de quelle manière ces livres ont-ils été
introduits dans la version des Septante ? On manque entièrement de
données historiques sur ces différents points ; on en est réduit à des
conjectures ; et cependant il serait du plus grand intérêt de savoir à
quoi s'en tenir là dessus, ne fût-ce que pour pouvoir se représenter
avec quelque exactitude l'idée que les Juifs alexandrins se faisaient de
leurs livres saints. Malgré ces obscurités, les apocryphes de l'Ancien
Testament ont encore une valeur considérable au point de vue histo-
APOCRYPHES 413
pique. Comme ils ont été composés, les uns dans la Judée, et les autres
à Alexandrie, et que chacune de ces deux catégories porte naturelle-
ment l'empreinte du milieu dans lequel elle a pris naissance, ces
livres fournissent à L'historien des renseignements précieux sur les
tendances intellectuelles et les croyances religieuses et morales, aussi
bien des Juifs palestiniens que des Juifs alexandrins, pendant les deux
ou trois siècles antérieurs à l'ère chrétienne. — I. Apocryphes de l'An-
cien Testament, écrits originairement en hébreu ou en araméen : 1° Le
premier livre des Machabées est un récit des événements accomplis
dans la Judée de 17o à 135 avant Jésus-Christ. Malgré quelques erreurs
et des exagérations qu'explique le sentiment patriotique, il l'emporte
en exactitude sur toutes lesautresproductions historiques de cette époque.
Josèphe paraît en avoir fait usage dans ses Antiquités hébraïques, XII
et XIII. Luther le jugeait digne de prendre place dans le Canon. Ce
livre fut probablement écrit après la mort de Hyrcan (XVI, 23). 2° La
Sagesse de Jésus, lils de Sirac (l'Ecclésiastique, nom sous lequel ce
livre fut désigné de bonne heure parmi les chrétiens, parce qu'on en
faisait fréquemment la lecture dans leurs assemblées), est un recueil
de préceptes moraux, fait à l'imitation du Livre des proverbes. Ces
conseils ne sont pas tous d'une morale bien élevée; il en est même
dans lesquels l'intérêt bien entendu tient un peu trop de place; mais
en somme, les intentions de l'auteur sont droites et pures; son âme
s'émeut au spectacle des misères humaines; il éprouve un touchant
sentiment de pitié pour le pauvre, le faible, le délaissé (IV, 1-11 ; VII,
20, 21, 35, 36; XIII, 25-27, etc.) ; il est sur le seuil du christianisme,
en recommandant le pardon des offenses (XXVIII, 2; XVIII, 13, etc.).
Ce recueil est l'œuvre d'un juif de Jérusalem, versé dans la connais-
sance des écrits de sa nation. Il vivait du temps du souverain sacrifica-
teur, Simon fils d'Onias. Cette indication ne suffit pas cependant pour
nous donner une date précise; il y a eu, en effet, deux souverains
sacrificateurs qui ont porté le nom de Simon fils d'Onias, l'un qui
mourut en 292 avant Jésus-Christ, et l'autre qui vivait en 217
avant Jésus-Christ. Duquel des deux est-il ici question? probable-
ment du second ; on ne 'saurait cependant l'affirmer positivement. Ce
recueil fut traduit en grec par le petit-fils de l'auteur, pendant un
séjour qu'il fit à Alexandrie sous le règne de Ptolémée Evergète. Nous
rencontrons encore ici la même difficulté ; il y a eu aussi deux E ver-
getés, l'un 2't7-222 avant Jésus-Christ, et l'autre 170-10(5 avant Jésus-
Christ. Duquel des deux parle le traducteur ? Si l'on admet que le
Simon, fils d'Onias, dont Jésus fils de Sirac fut le contemporain, est
celui qui vivait en 217 avant l'ère chrétienne, il faudra aussi admettre
que < "<st sous le règne d'Evergète II que le traducteur grec se trouvait
à Alexandrie. 3° Tobie n'est qu'une fiction dans laquelle on a voulu
imiter, mais sans grand succès, le poëme de Job. L'unique intérêt
qu'il ait pour nous, c'est de nous donner quelque idée des supersti-
tions des Juifs de la Palestine à cette époque, et probablement aussi de
ceux de la Babylonie, touchant les anges et les démons. 4° Le livre
de Judith a été inspiré par le sentiment patriotique. L'héroïne (Judith,
414 APOCRYPHES
la juive) est la personnification de la race d'Israël. L'auteur de cette
fiction n'a su éviter ni les invraisemblances, ni les erreurs historiques
et géographiques. 5° Enfin les cinq chapitres qui forment le livre de
Baruch ne sont qu'une assez pauvre imitation des écrits des anciens
prophètes et plus particulièrement de ceux de Jérémie. — II. Apocryphes
de l'Ancien Testament, composés en grec : 1° La Sagesse de Salomon
(dans la Vulgate Liber Sapientiœ, et dans les traductions françaises,
La Sapience) est un livre qui, par lui-même, a une certaine valeur
littéraire et qui. nous fait connaître l'influence que le platonisme avait
exercée sur les Juifs alexandrins (voy.ce qui a été dit sur ce sujet dans
V Ecole juive d'Alexandrie). Il fut peut-être écrit pour servir de réfuta-
tion aux doctrines sceptiques et matérialistes de l'Ecclésiaste. Il faut en
placer la composition entre 145 et 117 avant Jésus-Christ, dans tous
les cas avant le règne de Ptolémée Phiscon. 2° L'Esdras apocryphe,
appelé tantôt le Ier Esdras et tantôt le IIIe, est tout simplement une
traduction grecque de l'Esdras canonique, dans laquelle on a inséré,
sans doute dans l'intention de compléter ce livre, deux chapitres du
second livre des Chroniques (XXXV, et XXXVI, 1-21), qui forment le
chapitre Ier de l'Esdras apocryphe, un passage de Néhémie (VII, 73 et
VIII, 1-12) placé à la fin de l'Esdras apocryphe (IX, 37-55), et le récit
des sentences des trois jeunes hommes qui veillaient à la garde du
roi Darius (Esdras apocryphe, III et IV), récit qui est vraisemblable-
ment un conte populaire répandu parmi les Juifs. Ce livre n'a pas été
admis dans la Vulgate; mais il y est d'ordinaire imprimé, avec la
prière de Manassé et le IVe Esdras (qui est considéré, non comme un
apocryphe, mais comme un pseudépi graphe de l'Ancien Testament), sous
forme de supplément, après le Nouveau Testament, avec cette remarque
qu'il ne me semble pas inutilede rapporter ici : nOratioManassx, necnon
libriduo, quisub libri tertii et quarti Esdrœ nomine circumferuntur , hoc in
loco, extra scilicet serium canonicorum librorum, quos sancta Tridentina sy-
nodus suscepit, etpro canonicissuscipiendos decrevit, sepositi sunt , ?iep?*o?*sus
iaterirent, quippe qui a nonnullis sanctis Patribus interdum citantur, et in
aliquibus Bibliis latinis tam manmcriptis quam imjjressis reperiuntur. »
3° Le second livre des Machabées, bien inférieur au premier, se donne
lui-même pour un abrégé des écrits de Jason de Cyrène sur les Juifs
(11, 20). Les diverses lettres, contenues dans XI, 16-38, sont pro-
bablement authentiques ; tout le reste n'est qu'un tissu de déclama-
tions, de récits, d'aventures sans la moindre vraisemblance, et d'er-
reurs historiques et chronologiques. 4° La Lettre de Jérémie forme
d'ordinaire le chapitre VI du livre de Baruch ; dans quelques ma-
nuscrits et quelques éditions des Septante, ainsi que dans la Vulgate, elle
est placée après les Lamentations, dont elle forme alors le chapitre V.
5° Faut-il placer la Prière de Manassé au nombre des apocryphes de
l'Ancien Testament? Certainement non, si on n'entend par apocryphes
de l'Ancien Testament que les pièces propres à la version des Septante.
L'auteur des Constitutions apostoliques, qui vivait vers la fin du
troisième siècle, parait l'avoir traduite du latin en grec ; et depuis, elle
a été parfois insérée dans les Septante, après le verset 13 duXXXÏIIe cha-
APOCRYPHES 415
pitre du second livre des Chroniques. Cette prière fut, à ce qu'il
semble, composée par un chrétien, probablement en latin, et pour
compléter ce qui est dit 2 Chron., XXXIII, 13, et surtout 18. 5° Les
passages ajoutés au livre <le Daniel dans les Septante, sont : a. le
cantique des trois jeunes gens dans la fournaise, qui y a été mis après
le 23e verset du chapitre 111 ; b, Thistoire de Bel et du Dragon, qui en
forme le chapitre XIV, et c. l'histoire de Suzanne, qui en est le
chapitre Ier, dans quelques éditions, et le XIIIe dans d'autres et dans la
Vulgate. 6° Les additions au livre d'Esther, dans les Septante, sont
répandues en différents endroits de la traduction grecque. De Wette,
dans son Einleit. in das aile Testament (6° édit., p. 298), a donné le
tableau de la place qu'elles occupent dans les Septante et la Vulgate.
Jérôme les réunit et les mit à la fin de ce livre dans sa traduction. Ils
sont également réunis et placés parmi les apocryphes de l'Ancien
Testament, sous letitre d'Aclditionsaulivred'Esther, dansles éditions des
Bibles protestantes qui contiennent ces livres. — Voyez les Introduct. de
Berthold, de De Wette, de Jahn; Eichhorn, Einleit. in die apokrypJ^.
Schriflen des A. T., 1795, in-8°; Kurzgef. exeget. Handbuch zu den
Apokryph. des A. T., par G. F. Fritzche et W. Grimm, Leipz.r
1851-18(30, G vol. in. -8°, ainsi que les articles Canon, Propagation de la
Bible, Apocalypses juives et Ppeudépigraphes de l'Ancien Testament.
Michel Nicolas.
APOCRYPHES DU NOUVEAU TESTAMENT. On comprend, sous ce
nom, toute une littérature d'écrits en partie perdus, en partie conservés,
d'évangiles, d'actes d'apôtres, d'épitres, d'apocalypses qui, par leur
merveilleux le plus souvent fantastique, leurs tendances hérétiques
ou sectaires et leur origine postérieure , se distinguent nettement
des ouvrages accueillis dans le recueil du Nouveau Testament. Ce
ternie d'apocryphe se trouve défini par la notion contraire de
canonique (voy. art. Canon). Le Sens étymologique du mot n'est pas
douteux: (à-bv.p'jooc, caché). Ce qui est plus discuté, c'est la raison
qui a fait appliquer cette désignation à une telle littérature. Dans l'an-
tiquité classique, le terme kr.lv.pozq désignait des livres tenus secrets à
cause de leur contenu qu'il fallait dérober au vulgaire, ou bien des livres
d'une origine occulte, la plupart du temps attribués faussement à des
auteurs anciens; ce qui a fait que ce terme a, de bonne heure, emporté
une nuance de blâme et de discrédit. Irénée l'applique déjà à des écrits
hérétiques^ qui prétendaient usurper la place et l'autorité des canoni-
ques. Les Pères de l'Eglise des troisième et quatrième siècles sont loin
de le prendre toujours en un sens si rigoureux. Origène donne ce nom
à des écrits privés, ayant cours seulement chez quelques sectes ou lus
dans les maisons, par opposition aux. livres officiels de l'Eglise lus dans
le eidte public {Lettre à Afncanus sur l'histoire de Suzanne, Cômm. sur
Matthieu, an ch. Xllh. Entre? les «écrits homologoumènes du Nouveau
Testament qui, dès le second siècle, formèrent le premier noyau
d'un recueil canonique et les livres hérétiques condamnés comme
oeuvres d'imposteurs, se trouve jusqu'autemps d&ieroi&eet d'Augustin
une classe; moyenne et flottante de livres diversement appréciés et
416 APOCRYPHES
acceptés dans certaines régions de l'Eglise universelle : antilégomènes,
livres ecclésiastiques, pseudépigraphes, d'usage plus ou moins général
et fort goûtés du peuple. Dans cette classe, il se lit peu à peu un travail
de séparation, un triage, à la suite duquel les uns furent placés dans le
canon sacré, et les autres rejetés parmi les apocryphes. En s'étendant
ainsi, la notion des livres apocryphes s'adoucit et s'appliqua en général
aux écrits d'origine ou d'autorité simplement douteuses. Cette notion
est déjà arrêtée dans saint Augustin. « Omittamus igitur, dit ce Père,
earum scripturarum fabulas, quœ apocryphœ nuncupantur, eo quod eorum
occulta orig o non claruit Patribus suntmulta sub nominibus et alio-
rum prophetarum et recentiora sub nominibus apostolorwn ab hœreticis pro-
feruntur quœ omnia nomine apocryphorumab auctoritate canonica diligenti
examinatione remota sunt » {Civit. Dei, XV, 23). Nous traiterons ici de
tous les livres apocryphes qui sont en rapport quelconque avec l'his-
toire évangélique et le contenu du Nouveau Testament. Nous écartons
les livres attribués à des personnages de l'ancienne alliance, lesquels,
bien que d'origine chrétienne, comme le Testament des douze patriar-
ches, l'Ascension d'Isaï, etc., affectent la forme prophétique et appartien-
nent aux pseudépigraphes de l'Ancien Testament. Cette littérature apo-
cryphe a été trop longtemps dédaignée. Si elle ne nous apprend à peu
près rien sur les choses primitives qu'elle prétend raconter, en revan-
che elle est une source inappréciable de renseignements sur les mœurs,
les goûts, les idées régnantes des époques où elle s'est formée. Son
influence d'ailleurs, pour être plus cachée, n'a guère été moins pro-
fonde que celle des écrits canoniques sur l'imagination populaire. Elle
a été la nourriture du peuple chrétien'pendant 1400 ans. Elle a laissé
des traces nombreuses dans la liturgie, dans le culte et les dogmes de
l'Eglise catholique. C'est là qu'il faut aller chercher les sources de l'art
chrétien au moyen âge. Elle a donné les types qu'ont illustrés la sculp-
ture et la peinture religieuse, et qu'on a vu représentés sur la scène
dans les mystères. Aussi ne faut-il pas s'étonner du zèle avec lequel la
science historique les a recueillis. La première collection qui a été faite
est celle de Michel Néandre au seizième siècle : Apocrypha, hoc est nar-
rationes de Christo, Maria, Joseph cognatione et familia Christi extra Bi-
bliam apud veteres tamen Grœcos scriptores, patres historicos et philo-
logos reperla, descripta, exposita et édita grœco-latine a M. Neandro
Sorasiensi, Bàle 1564 et 1567. Elle fut réimprimée sans grand change-
ment par Grynœûs (1569) et par Glaser (1614). Mais l'étude critiquedes
apocryphes n'a commencé en réalité qu'avec J. A. Fabricius, dont le
Codex Apocryphus Novi Te s tamenti parut d'abord à Hambourg en 1703,
et s'enrichit à chaque édition suivante, 1719 et 1743. Le théologien an-
glais Jérémias Jones ne fit que reproduire le travail de Fabricius dans
son livre, A neiv and fu II Met ho d of the canonical aulhority of the new
Testament, London, 1726 et 1798. Plus tard un évêque danois, André
Birch, entreprit de continuer l'œuvre de Fabricius; il ne parvint qu'à
publier quelques fragments sous ce titre: Auctuarium Codicis apocryphi
NoviTestamentiFabriciani, Copenhague, 1804. On peut signaler encore
pour mémoire les essais plus ou moins heureux de Henke, Kleuker et
APOCRYPHES 417
J. Schmidt. En France, en ÎTIM, sous la rubrique de Londres, parut
une Collection d'anciens évangiles ou monuments despremiers siècles du
christianisme, tirés de Fabricius, Grabius et autres savants par l'abbé B.
(l'abbé Bigex, l'un des secrétaires de Voltaire). Elle se retrouve dans
les œuvres complètes de ce dernier. Mais le vrai continuateur de Fabri-
cius fut Tliilo, professeur à Halle, dont le Codex Apoeryphus parut en
1832. Les textes avaient été revus avec soin'sur les manuscrits. Des intro-
ductions et des notes étendues les accompagnent. Malheureusement
r œuvre de Tliilo est restée incomplète. Le premier volume devait être
suivi d'un second que la mort Ta empêché de donner. C. Tischendorf,
à son tour, s'est appliquée la même tâche et a publié trois recueils: Acta
apostolorum apocrypha (ÏSbilfApocrypha Evangelia (1853, 2eédit. 1876)
<it Apocalypses (1866) . Une traduction française des évangiles apocryphes a
paru à Paris en 1849 et 1863, due à M. Gustave Brunet. Mentionnons
enfin le savant Dictionnaire des apocryphes de l'abbé Migne, 2 vol.,
Paris, 18o6.
I. Evangiles. Le nombre de ces évangiles, s'il était scrupuleusement
dressé, dépasserait la soixantaine. Il est vrai que l'analyse critique les
réduit considérablement et les ramène à quelques types primitifs qui
sont allés se développant et se diversifiant à l'infini. Leur origine tient
à deux causes qui ont le plus souvent agi de concert: l'intérêt dogma-
tique qui poussait certaines sectes à donner par ces livres supposés
une base historique à leurs doctrines particulières, et le travail spontané
et naïf de l'imagination populaire qui crée partout les mythes et les légen-
des, et ne pouvait pas ne pas se donner carrière sur les époques inconnues
de la vie de Jésus et les orgïnes de sa famille. Aucune de ces productions,
même sous leur forme primitive, ne remonte au-delà du second siècle;
toutes sont postérieures à nos évangiles canoniques dont elles ne sont
que des développements légendaires ou des modifications arbitraires.
Aucun des évangiles hérétiques adoptés par les nombreuses sectes des
quatre premiers siècles ne nous est parvenu. Les légendes, au contraire,
sur Marie, Joseph, Jésus enfant, Jésus aux enfers, etc., nées souvent
dans le même milieu et enfantées par le même esprit, ont été conser-
vées dans des rédactions postérieures expurgées de toute hérésie et
appropriées à l'orthodoxie catholique. Quand on lit aujourd'hui les
recueils de cette littérature apocryphe, on se trouve, comme pour les
l tes des Saints, en présence d'un travail séculaire de compilation, de
remaniements, d'enrichissements qui a duré jusqu'au milieu du moyen
âge. Chaque période de l'Eglise a laissé des traces plus ou moins dis-
tinctes dans les diverses rédactions de ces légendes primitives. Chose
singulière, en les suivant jusqu'à leur origine, on rencontre un nom
propre, Leucius Carinus, un hérétique du second siècle, à qui la tradi-
tion l<s rattache comme à leur auteur principal. Mais qu'est-ce que ce
personnage? Tantôt il parait double, tantôt unique; son nom varie infi-
niment. Les Pères Le nomment : Leucius, Lucius, Lenthius, Lenticius,
Leontius et quelquefois Séleucus. Il est impossible d'en dire quoi que
ce soit de certain (voy. Beausobre, Histoire du Manichéimie,tom. 1, liv.n,
pag. 339425, édit. d'Amsterdam, 1734). Les plus anciens des
418 APOCRYPHES
évangiles apocryphes que nous possédons encore sous des formes
diverses sont : 1° L'Evangile de Nicodème. Cet ouvrage, composé
de deux parties fort distinctes, Tune et l'autre plus anciennes,
ne remonte pas sous sa forme actuelle au delà du sixième siècle. La pre-
mière partie n'est pas autre chose qui un ancien apocryphe connu déjà
de Justin Martyr et de Tertullien, sous le nom d'ActaPilati et en très-
grande faveur dans toute l'antiquité (Just., lrc ApoL, 35 et 48; Tertul.,
Apolog 21). Ajoutons à ce propos qu'au nom dePilate se rattache toute
une littérature apocryphe qu'on trouvera dans Thilo ou dans Tischen-
dorf: Narratif Jostphi Arimathiensis, Vindicta Salvatoins, Anaphora
Pilati, Paradosis Pilati, Epistola PUati, Responsum Tiberii ad Pilatum,
Mors Pilati. Lettre de Lentulus à Tibère avec un célèbre portrait de
Jésus. La seconde partie de l'Evangile de Nicodème est le récit de la
Descente de Jésus aux enfers, mis dans la bouche de Leucius et de
Carinus deux morts ressuscites au moment de la mort de Jésus, et
qui vécurent quelque temps à Arimathée. Il se pourrait bien que l'au-
teur de ce morceau fut l'héritique Leucius Carinus dont nous avons
parlé, qu'un rédacteur latin de notre Evangile aura dédoublé et dont il
aura ensuite fait les deux noms des deux fils du vieillard Siméon res-
suscites par Jésus. Cette descente aux enfers est, au point de vue
littéraire, le plus beau morceau de tous les apocryphes. C'est une
composition purement poétique dont Milton n'a pas dédaigné de
s'inspirer. Pour les" divers textes grecs et latins de l'Evangile de
Nicodème, voyez les belles recherches de Tischendorf dans ses Evan-
gelia apocrypha. 2° Le Protévangile de Jacques, connu de Grégoire de
Nysse, d'Epiphane et d'Origène. Peut-être même Clément d'Alexan-
drie et Justin martyr l'ont-ils possédé sous une forme primitive. Il en
existe encore plus de cinquante manuscrits dans le plus grand nombre
desquels manque le nom de saint Jacques, frère de Dieu. Le pape Inno-
cent Ier l'attribuait à Leucius (Inn. ad Exup., Epistol. III, cap. 3). Le récit
commence avec la naissance de la vierge Marie et va jusqu'à l'exécu-
tion de Zacharie qui, au moment du massacre des Innocents à Béth-
léhem, meurt plutôt que de livrer son fds Jean aux soldats d'Hérode.
3° V Evangile de Thomas n'est pas moins ancien, si du moins ce que
nous en possédons encore appartient au même écrit qu'Origène et
Irénée connaissaient sous le nom « d'Evangile de Thomas». C'était une
production gnostique adoptée par les marcosiens et les ophites. Elle
contient l'histoire de l'enfance de Jésus, histoire fort scandaleuse par
les impertinences, les violences cruelles et l'orgueil pédantesque de
l'enfant Jésus. Elle s'arrête à la visite au temple de Jérusalem. De cet
ouvrage grec sont issues des rédactions latines et arabes. On en trouve
des traces dans le Coran. De ces deux sources premières (Protévangile
et Evangile de Thomas) découlent probablement tous les suivants.
4° L' Evangile du Pseudo- Matthieu, ou livre de la naissance de la bien-
heureuse Marie et de l'enfance du Sauveur, publié pour la première
fois en entier par Tischendorf et qu'on a quelquefois confondu avec le
Protévangile de Jacques. 5° LJ Evangile de la Nativité de Marie, souvent
identifié avec le précédent n'a paru qu'au sixième siècle. 6° UEvan-
APOCRYPHES 41D
gile arabe de l'enfance du Sauveur, qui existe aussi dans des manus-
crits syriaques, étaii lu surtout par les nestoriens, les chrétiens de
saint Thomas et l'Eglise copte. La relation latine que nous en avons encore
ne remonte pas au delà du douzième siècle, bien que l'ouvrage lui-
même soit beaucoup plus ancien. 7° UHistme du charpentier Joseph
est une série de prédication composée en Egypte versle sixième siècle
avec la matière des récits précédentsetqui devaitêtrelue dans les Eglises
au jour de la fête de ce personnage. Elle existe encore en copte et en
arabe. 8° De la nmrt au du déport de Marie (De àormitmm rel transita
Marias), apocryphe mentionné dans le décret de Gélase.9° La naissance
dr Marie [Vi^nx Map-.a), apocryphe gnostique qui ne nous est connu que
par Epiphane. 10° Les grandes et petites iuiemajaiions de Marie, autre
écrit gnostique perdu. Nous ne pouvons compter parmi les apocryphes
les histoires de Jésus non moins légendaires, qui ont eu cours parmi
les Juifs au moyen âge, comme les Toledolh leschuah (éditées par
Wagenseil, en 1681, sous le titre de Je/a ignea Satanœ), et les fables
recueillies dans le Talmud. — D'une tout autre nature étaient les évangiles
des anciennes sectes chrétiennes, dont quelques-uns, commaY E vangile
des Hébreux, pouvaient être aussi anciens que nos évangiles canoniques.
C'est une seconde classe d'apocryphes dont malheureusement il ne reste
rien. L'orthodoxie catholique qui les a condamnés les a également fait
disparaître et a privé ainsi la critique historique de précieuses ressour-
ces. On peut dire que, dans les premiers temps, chaque secte avait son
Evangile; mais il ne faut pas se représenter ces évangiles comme des
ouvrages toujours différents. Ce n'étaient souvent que des variantes
d'un même écrit mises sous des noms divers. Les plus anciens de ces
évangiles perdus sont : 1° \J Evangile selon les Htèèreuœ, qui nous est
assez bien connu par Jérôme, Eusèbe, Origène, Clément d'Alexandrie.
C'était l'Evangile des nazaréens, chez lesquels Jérôme le découvrit en
langue araméenne et le copia. Il le prit même un moment pour l'ori-
ginal de notre Matthieu grec, auquel il était généralement parallèle. Au
dire d'Eusèbe, Papias et Hégésippe s'en seraient servis; l'auteur des
lettres d'Ignace et Justin le connaissaient. On a plusieurs fois essayé de
le reconstituer avec les citations que les Pères en ont faites. La dernière
et la plus complète de ces restitutions est celle de M. Hilgenfeld {!\ro-
vunt Tt'shiuK'iiiaiu extra canmem receptum^ fase. IV, Lipsise, 1860). Plu-
sieurs théologiens, Lessing, Baur, Hilgenfeld, l'ont regardé comme 'le
plus ancien des évangiles et comme la source de notre Matthieu actuel.
Lue comparaison plus exacte des deux textes, partout où elle est pos-
sible, a démontré la fausseté de cette conjecture. Il est probable (pie
cet évangile fut rédigé au commencement du second siècle dans quelque
ville de ia Palestine d'après une l'orme antérieure de notre Matthieu pour
l'usaue des judéo-chrétiens stricts. Voilà pourquoi la secte des naza-
réens n'en voulut jamais accepter d'autres. 2° {/Evangile des Ebio-
niies q -était pas au tue, chose qu'une version de celui des Hébreux, s'eToi-
gnant encore plus de notre Lvangilecanonique sous l'influence d'idées
dogmatiques plus accusées. 3° L'Evangile de» Douze parait n'avoir été
qu'une appellation différente de ce môme évangile, en tête duquel se
420 APOCRYPHES
trouvait la liste des douze apôtres dont le témoignage devait garantir la
vérité "du récit tout entier. 4° L Evangile de Barthélémy d'après Eusèbe
ne serait que l'Evangile de Matthieu, porté dans les Indes par cet apôtre.
§° h3 Evangile de Pierre, mentionné par Origène, Eusèbe, Jérôme, Théo-
doret, ne s'écartait non plus de l'Evangile de Matthieu que par des mo-
difications dans le sens d'un gnosticisme judaïsant. De nos jours on a
voulu y voir la source de notre Marc actuel, à cause d'une tradition
assez répandue qui fait de Marc l'interprète de Pierre. Cette conjecture
est abandonnée. 6° Non moins ancien et non moins vénéré était Y Evan-
gile des Egyptiens, issu d'un gnosticisme ascétique. On en trouve quel-
ques citations dans la deuxième lettre de Clément Romain et dans les
Stromates de Clément d'Alexandrie. Chaque grande école gnostique
avait aussi son Evangile, mais c'était le plus souvent un de nos Evan-
giles canoniques modifié. Ainsi les Evangiles de Basilide, de Cérinthe,
de Carpocrate n'étaient que des versions altérées de notre Matthieu;
celui d'Apelles et deMarcion dérivaient de Luc. Le Diatessa?*on de Tatien
était une compilation de nos quatre Evangiles remaniés peut-être sur
quelques points. Les Valentiniens se servaient de nos évangiles cano-
niques qu'ils savaient interpréter dans le sens de leurs idées. Ce qu'ils
appelaient Y Evangile de Vérité ou Y Evangile de perfection, n'était que
le recueil dogmatique de leurs idées. On rencontre encore des Evan-
giles sous les noms de Philippe, deBarnabas, de Thaddée que les Pères
caractérisent comme des ouvrages hérétiques sans les faire connaître.
11 paraît même avoir existé un Evangile de Judas Iscariot, en usage
dans la secte des Caïnites. Les Manichéens avaient aussi un Evangile de
vie (evangelium vivum) et un autre évangile appelé Y Evangile du bois-
seau (evange lion modion, Marc IV, 21). Il est question encore d'un Evan-
gile d'Eve, etc., etc. Dans la même classe de ces écrits doivent être ran-
gés Y Evangile éternel (Apoc. XIV, 16) sorti de la cellule d'un moine au
treizième siècle, Y Evangile de Jacques le Majeur, trouvé en Espagne en
1595 et condamné en 1682 par le pape Innocent XI, Y Evangile de
saint Jean dont se servaient les Cathares, Y Evangile des Templiers, œu-
vre d'un spinoziste du 18e siècle. Ces deux derniers ont été recueillis
dans le Codex apocryphus de Thilo. On voit que cette littérature apo-
cryphe n'a jamais cessé. Car à elle appartiennent encore toutes ces
lettres de Jésus ou de la Vierge Marie, apportées du ciel par des anges
et dont se nourrit, jusque de nos jours, la superstition populaire.
II. Actes des apôtres. Ces actes, non moins nombreux que les
Evangiles, présentent les mêmes caractères. Ils forment en réalité
le premier chapitre de la Légende des Saints, dans laquelle d'ailleurs ils
ont été généralement admis. Ils doivent leur origine aux mêmes causes
que les Evangiles; ils proviennent presque toujours d'une source hé-
rétique. Le nom de Leucius Carinus revient encore ici comme l'auteur
principal. Mais , de même que les Evangiles , ils ont subi une série de
transformations jusqu'à la fin du moyen âge. Par exemple, les Actes
de saint André ont été connus d'Eusèbe, d'Epiphanes et attri-
bués au même hérétique Leucius. Ils remonteraient donc au second
siècle. Mais dans la version que nous avons aujourd'hui , nous re-
APOCRYPHES 421
trouvons le symbole de Nicée, la messe, le dogme de la transubstantia-
tion avec les termes et les formules officielles de Y orthodoxie catho-
lique. Tels qu'ils sont, ils ne remontent pas au-delà du neuvième
siècle. 1° Les Histoires apostoliques du Pseudo-Abdias (Historix apos-
toliccv Pseudo-Abdiœ) , d'après la préface, auraient été écrites en hébreu,
parAbdias, un disciple de Jésus-Christ, institué, par les apôtres, évêque
de Babylone, ensuite traduites en grec par Eutrope, son disciple, et enfin
mises [en latin par Julius Africanus. Tout cela n'est qu'un tissu de
fables. Il est probable qu'Abdias dont le nom doit couvrir toutes ces lé-
gendes est le même que Thaddée que les Syriens appellent Addée , et
qui est resté le patron des Eglises de Syrie. Quant au contenu du livre,
nous n'y trouvons qu'une mauvaise version d'Actes apostoliques plus
anciens*! de Thomas, d'André, de Jean, etc.), faite par un moine d'Occi-
dent fort ignorant vers le sixième ou septième siècle. 2° Les Actes de Paul
et de Théclée {Acta Pauli et Theclœ) sont un roman assez intéressant par
endroits, sur les voyages et les prédications de Paul et son amie sur les
côtes méridionales de l'Asie-Mineure, composé au second siècle par un
prêtre d'Asie en l'honneur de Paul. Mais la fraude pieuse ne plut pas
aux chefs de l'Eglise, et le prêtre fut solennellement déposé de sa
charge pour se l'être permise. 3° Les Actes de Pierre et de Paul sont men-
tionnés dès le troisième siècle. De ce vieux livre est venu le récit que
nous possédons encore sur le martyre des deux apôtres à Rome. Les
mêmes légendes se retrouvent dans deux autres apocryphes dont l'un
des deux est attribué à Marcellus, un prétendu disciple de Paul et
l'autre à Linus, évêque de Rome. 4° Les Actes de saint Jean (Acta Jo-
hannis), connus d'Eusèbe, de Clément d'Alexandrie , acceptés par les
manichéens , sont un des plus anciens et des plus curieux apocryphes.
Citons encore o° les Actes d'André, dont nous avons parlé ; 6° les Actes de
Philippe et les Actes du même apôtre en Grèce qui sont un complément
des premiers ; 7° les Actes de Barnabas; 8° les Actes d'André et de Matthias
dans la ville des anthropophages; 9° les Actes et le martyre de Matthieu;
10° les Actes de Thomas; 11° la Fin de Thomas (Consommatio Thomœ), qui
sont la principale source du Pseudo-Abdias, et paraissent fort anciens;
12° le Martyre de Barthélémy , dont Zoëga a publié deux fragments; 13°
les Actes de Thaddée qui racontent la mission de cet apôtre auprès du
roi d'Édesse, Abgar; l'i0 les Actes de Pierre et d'André récemment dé-
couverts et édités par Tischendorf ; 15° les Actes de Paul et d'André dont
un fragment a été donné par Zoëga, etc. A cette longue liste, il convien-
drait peut-être d'ajouter le fameux roman des Homélies Clémentines ou
Recoynitiones, dirigé surtout contre Paul qui s'y trouve représenté et
poursuivi par Pierre sous la figure de Simon le Magicien , et aussi les
deux ouvrages perdus qui ont servi de source à l'auteur de ce roman. La
Prédication de Pierre (K^puf\ux Ilrrpsy) et les Voyages de Pierre (IlepfoSoc
Qéxpou), inspirés par un judéo-christianisme fort étroit.
III. Epures apocryphes. Celte classe est moins nombreuse et moins
intéressante que Les deux précédentes. En premier lieu, nous rencon-
trons la Lettre de Jésus-Christ à Abgar, roi d'Edesse, conservée par
Eusèbe et dans les Actes de Thaddée (voy. art. Abgar). Nous pas-
422 APOCRYPHES
sons les nombreuses lettres de Marie à ses adorateurs anciens et mo-
dernes. Mentionnons deux Lettres de Pierre à Jacques qui se trouvent
dans les Homélies prétendues de Clément et appartiennent à cette litté-
rature pseudo-clémentine. Quelques passages des épîtres de saint Paul
ont donné lieu à quelques fausses lettres de cet apôtre. Ainsi dans
Coloss. IV, 16, il est question d'une Lettre aux Laodicéens, qui peut être
notre épître actuelle aux Ephésiens ou bien est entièrement perdue.
On a essayé de la remplacer par une production apocryphe de 20 ver-
sets qui existait déjà du temps de Jérôme. De même, le passage de
1 Cor. V,9, a donne naissance à un échange de Lettres entre Paul et les
Corinthiens, conservées en langue arménienne et publiées pour la pre-
mière fois en 1715. On trouve ces lettres apocryphes en français dans
le Dictionnaire des apocryphes de l'abbé Migne. Le fragment connu
sous le nom de Canon de Muratori mentionne encore une Lettre de
Paul aux Alexandrins. Enfin toute cette littérature a son couronne-
ment dans la fameuse Correspondance de Paul et de Sënèque, mention-
née d'abord par Jérôme et tenue pour authentique pendant le moyen
âge. On compte six lettres de Paul à Sénèqueet huit lettres deSénèque
à Paul. Ces rapports entre le philosophe et l'apôtre n'ont d'autre
point de départ que le passage des Actes des apôtres XVIII, 12, où est
racontée la comparution de Paul devant Gallion, le frère de Sénèque.
Dans l'histoire apocryphe de Prochore {Narratio Prochori de Sancto
Johanne) , se rencontre encore une Epître de Jean à un hydropique .
Enfin si, comme on le croit, Y Epître de Barnahas n'est pas authentique,
elle trouverait ici sa vraie place.
IV. Apocalypses. Les premiers chrétiens ne se sont pas servis
du genre apocalyptique avec moins d'ardeur que les Juifs. Ils ont
mis plusieurs apocalypses chrétiennes sous les noms de patriar-
ches ou de prophètes de l'Ancien Testament et des Sybilles dont il sera
question ailleurs (voy. art. Pseudépigraphes). Parmi celles qui por-
taient des noms chrétiens, les Pères, à côté de l'Apocalypse de saint
Jean, parlent d'une Apocalypse de saint Pierre qui jouit dans les pre-
miers siècles d'une grande autorité. Le Canon de Muratori la men-
tionne avec quelques doutes sur son authenticité. Clément d'Alexan-
drie la commentait dans ses Hypotyposes. Dans certaines Eglises de la
Palestine, elle était lue annuellement aux jours de jeûne. Nous en
avons quelques fragments qui décèlent un esprit judaïsant très-
exalté. Il existe encore en arabe une seconde Apocalypse de Pierre.
L Apocalypse de Paul, dont Eusèbe a parlé, était d'un tout autre
caractère. C'est l'œuvre d'un gnostique anti-judaïsant. On la croyait
perdue, lorsque dans ces derniers temps, Tischendorf l'a découverte
et publiée. Elle a pour point de départ le ravissement de Saint-Paul
(2 Cor. XII, 1-8). Il est probable qu'il existait un autre écrit du
même genre, issu de la même donnée, connu sous le nom d'Ascension
de saint Paul. A partir du onzième siècle, il est encore question d'une
seconde Apocalypse de Jean, publiée également par Tischendorf,
ouvrage absolument sans valeur. Dans le décret du pape Gélase, il est
fait mention d' Apocalypses de saint Thomas et de saint Etienne. Enfin,
APOCRYPHES — APOLL1NA1 RE m
éans les manuscrits sahidiques de la Bibliothèque nationale à Paris, se
trouvent une Apocalypse de Barthélémy, et, parmi les manuscrits grecs,
un autre apocryphe, la Descente au.r enfers de la Vierge Marie, dont
rien encore n'a été publié. — On peut ranger enlin parmi les apocry-
phes certains livres d un caractère dogmatique ou ecclésiasti(iue, qui,
•dans rancienne Eglise, avaient une grande autorité et qu'on taisait
remonter jusqu'aux apôtres. Les Constitutions apêsteiiques, les Doctrines
des apôtres fAtàocgoii xôv «rcoaréXwv) dont ont parlé Eusèbe etAthanase,et
<lont M. Ililgeiit'eld a donné des fragments dans son JSovum Testamen-
tum extra canonem (iasc. IV), auxquelles il faut ajouter la Didascalia
npostnlorinn, éditée et traduite du Syriaque par M. de Lagarde (i85â)»
Parmi les manuscrits découverts dans la Bibliothèque du couvent du
Saint-Sépulcre, M. Bryennius annonce qu'il a trouvé une \ioxyrt twv
i-s—cAojv, qui sera bientôt publiée. — Les apocryphes ont été P objet
d'études nombreuses dans les deux derniers siècles. On peut con-
sulter, outre les diverses collections mentionnées plus haut, la Bi-
blwthèque ecclésiastique de Du Pin ; les Mémoires de Tillemont sur PHis-
toire ecclésiastique ; Y Histoire critique des Livres du Nouveau Testa-
ment de Richard Simon; une très-longue et très-savante dissertation
dans Y Histoire du Manichéisme de Beausobre ; un Mémoire sur les ou-
vrages apocryphes, inséré dans le recueil de PAcadémie des inscrip-
tions, tome XXYII, de Burigny; Kleuker, Ueber die Apocryphen des
y. T., Hambourg, 1798; Xitzsch, De apocryph. Evang . in explicando
canonico usu et abusu, Viteb., 1804; Tischendorf, De Eu. apocryph,
origine et usu disquisitio historica critica, quam prannio aureo dignam
censuit societas Hagana, Hagœ, 1851 ; B. Hoffmann, Ltben Jesu nach
den Apocryphen-, de Pressensé, dans sa Vie de Jésus, Paris, 1866; Michel
Xicolas, Evangiles apocryphes, Paris, 1866, etc. A. Sabatier.
APOLLINAIRE (Saint) [K\x2<o; ' XrS/^y.^oz], évêque d'Hiérapolis ,
présenta à Marc-Aurèleune apologie, dans laquelle se trouve rapporté le
miracle de la legio fulminea; il écrivit aussi cinq livres contre les Gen-
tils, deux livres sur la vérité, et un livre contre Phérésie naissante de
Montanus (Eusèbe, Hist. Eccl.,l\, 27; V,o; saint Jérôme, de Viris, 26;
Photius, cod. 14). Rufin et Nicéphore (Hist. EccL, IV, 23) ont cru pou-
voir attribuer à Apollinaire un écrit anonyme contre le montanisme :
ce livre est certainement postérieur. Sérapion, cité par Eusèbe (V, 19),
a conservé quelques mots du traité d'Apollinaire contre Montanus.
Nicéphore </. /. 11) et quelques manuscrits d'Eusèbe, mais non les
meilleurs, lui attribuent encore deux livres contre les Juifs. On trouve
dans la prélace de la Chronique Pascale (éd. Ducange, p. 6; éd. Din-
dorf, !.. p. 13), deux passages d'Apollinaire sur le jour de la mort du
Christ, «!<>iit Tillemont a, à tort, contesté l'authenticité, et qui ont
joué un grand rôle dans les controverses relatives au quatrième
Evangile.
APOLLINAIRE , évoque de Laodicée, iils d'un grammairien chré-
tien, .'tait lui-même professeur d'éloquence (Soc, II, 46 ; III, 16;
Sozom., V,1S; Vl,25). il s'employa tout entier à combattre l'arianisme.
C'est pour désarmer Phérésie qu'il conçut le système de christologio
424 APOLLINAIRE — APOLLONIUS
qui a gardé son nom. Sa doctrine ne nous est connue que par les
réfutations de Grégoire de Nysse dans son Antirrheticus, de Grégoire
deNaziance, dans ses épitres à Glédonius et à Nectaire, d'Athanase dans
ses deux livres contre les apollinaristes, d'Epiphane (Hœ?\, 77) et de
Théodoret {Hser. Fab., 4, 8; dialogue 3), ainsi que par les fragments de
ses ouvrages qu'A. Mai a publiés dans le volume YJI de sa Collectio
nova. Quel est, disait Apollinaire, le siège du moi dans l'homme? N'est-
ce pas l'esprit, le vcuç, ce principe de la conscience et du libre ar-
bitre ? Accorder à la nature humaine du Christ le vouç, Y esprit et
la raison, c'est mettre en lui , comme le prétend l'arianisme , deux
personnes, deux êtres complets : « Ils seraient deux, l'un, Fils de Dieu
par nature, et l'autre par adoption. » Reconnaître à l'humanité du
Christ un esprit raisonnable et libre, c'est également ouvrir la porte au
péché, car « il n'y a pas d'homme complet sans péché ». Il faut donc
admettre que le Christ a eu un corps humain et une âme humaine,
l'âme étant ce principe de vie qui est commun à tous les êtres animés ;
mais la place du voue, de l'esprit humain , a été tenue en lui par la
nature divine du Fils de Dieu. On le voit, emporté par le désir de
confondre en une seule personne les deux natures du Christ, l'évêque
de Laodicée a sacrifié l'intégrité de sa nature humaine à l'unité de son-
être. Les deux Grégoire l'accusent d'avoir recherché cette unité de
Dieu et de l'homme jusqu'avant le temps : «La nature humaine du
Christ, lui fait dire Grégoire de Naziance, est antérieure aux siècles,
elle fait partie de son essence ». Grégoire de Nysse va jusqu'à lui
attribuer d'avoir enseigné « que la divinité est passible ». « Ce
n'est, aurait-il dit, que si le Christ a souffert et est mort comme
Dieu, qu'il a pu triompher de la mort. » Les meilleurs historiens estiment
que les Cappadociens ont attribué au maître les propos de ses disciples :
quoiqu'il en soit , nous ne pouvons voir en ces extrêmes que
la conséquence naturelle de sa pensée. Le monophysitisme devait
sortir du même courant. La querelle soulevée par Apollinaire fut
pour l'Eglise une occasion d'affirmer l'humanité entière du Sau-
veur. Dès 362, un synode réuni à Alexandrie se prononçait contre une
doctrine semblable* à la sienne ; les synodes romains, convoqués par
Damase en 374, 376, 380, condamnèrent hautement l'évêque de
Laodicée : « Si le Christ, dit le synode de 374, s'est uni à un homme
incomplet, notre salut est incomplet» (Mansi, III; Hefele, I, 705 ss.). —
Voy. les dissertations de Basnage (Utrecht, 1687) et de Wernsdorft
(Witenb., 1694, puis 1719) ; Dorner I, 976 ss. S. Bekgee.
APOLLINE (Sainte) [Apollonia], vierge et presbytù (diaconnesse ?)
d'Alexandrie, subit le martyre en 249, sous Décius. Denys d'Alexan-
drie, dans une lettre à Fabien, évêque d'Antioche, conservée par
Eusèbe (VI, 41), raconte sa passion. Les bourreaux la souffletèrent et
brisèrent ses dents ; menacée du bûcher, elle s'y précipita, peut-être
pour échapper à de nouveaux outrages (A A. SS., 9 Feb . II).
APOLLONIUS DE THYANES , magicien et philosophe, vécut au pre-
mier siècle de notre ère et reçut après sa mort des honneurs divins
dans sa ville natale. Tels sont les seuls détails authentiques que nous
APOLLONIUS — APOLLOS 425
possédions sur lui. Il avait, dit-on, laissé des mémoires qui furent
remis à F impératrice Julie Domna, femme de Septime Sévère, en 194.
Celle-ci confia ces mémoires à Philostrate qui écrivit la vie d'AppoI-
lonius. Cette biographie if a aucune valeur historique. Philostrate fait
de son héros un thaumaturge accompli dont la vie est remplie de pro-
diges, en même temps qu'il nous offre en lui le type idéal du pythago-
ricien parfait. Ascète austère, il connaît toutes les sciences et toute la
sagesse humaine et il passe sa vie à prêcher cette sagesse ; toute la
grandeur et toute la puissance du monde antique se concentrent dans
sa personne et sont résumées dans ses prédications. Il se présente aux
hommes en véritable réformateur du paganisme et il veut cette réfor-
mation par le syncrétisme. On s'explique aisément le but de Philos-
trate ; il voulut montrer, sans doute, à l'instigation de Julie Domna,
< [ue le paganisme était capable de produire des hommes aussi remar-
quables, soit par leur vie morale, soit par les prodiges qu'ils accomplis-
saient, que le fondateur du christianisme lui-même. Il voulait montrer
aussi qu'en réunissant ce que l'antiquité a offert de plus parfait on
obtient une doctrine qui n'est pas inférieure à celle de l'Evangile. Il y
a, dans cet essai du sophiste, une preuve curieuse de l'influence im-
mense qu'exerçait sur les masses, à cette époque, la personne du
Christ. Philostrate voulait précisément combattre cette influence crois-
sante et arrêter la décadence du paganisme. Il se proposait donc un
but pratique, et cette forme prise par l'opposition aux progrès de la foi
chrétienne nous montre bien quelle puissance morale celle-ci possé-
dait alors. Les efforts de Philostrate furent en partie couronnés de
succès. Il n'arrêta pas les progrès du christianisme, mais il créa à
Appollonius de Thyanes une véritable divinité. Hiéroclès qui, cent ans
plus tard, fut l'auteur de la persécution des chrétiens sous Dioclétien,
compara ouvertement, dans un de ses ouvrages, Apollonius avec le
Christ, et Eusèbe, en le réfutant, admet, d'une manière générale, la
vérité du récit de Philostrate. Les habitants de Thyanes dédièrent
un temple à Apollonius ; ceux d'Ephèse lui élevèrent une statue,
et Alexandre Sévère plaça son image à côté de celle de Jésus-Christ.
Edm. Stapfer.
APOLLONIUS, savant écrivain, qui vivait en Asie Mineure au com-
mencement du troisième siècle, est connu par un ouvrage (insigne et
mm volumen, dit Jérôme dans son Calai, de script, ecci., c.XL) contre
les montanistes dont il ne reste qu'un fragment conservé par Eusèbe
[Hist. eccl., Y, 18). Il leur reproche les vices les plus graves et tourne en
ridicule leurs prophéties. Nicéphore l'a confondu avec Apollonius, séna-
teur romain, dont Eusèbe (V, 21) nous raconte qu'il fut dénoncé comme
chrétien par son esclave sous l'empereur Commode, et qu'après avoir
prononcé devant le Sénat une défense éloquente (XoYea)6a(b)v dntdkoyzm),
il eut la tête tranchée, en même temps que son dénonciateur, confor-
mément aux lois romaines qui réglaient les rapports des maîtres et des
esclaves, fut condamné à avoir les cuisses brisées, ce qui «Hait le sup-
plice le plus ignominieux.
APOLLOS ( 'AwoXXwÇj abréviation du nom grec 'AtcqXXcovicç). Il est spé-
28
426 APOLLOS — APOLOGÉTIQUE
cialement question de cet ami et collaborateur de saint Paul à Corinthe et
à Ephèse, dans deux passages du Nouveau Testament (1 Cor. I-IÏI et
Act. XVIII, 2i ; XIX, 1) d'où se dégage une très-belle et très-intéressante fi-
gure. Apollos était un juif originaire d'Alexandrie où il n'avait pu rester
étranger à l'influence de la philosophie religieuse de Philon. Il était, nous
disent les Actes, éloquent , très-versé dans les Ecritures, puissant dans les
controverses, d'une originalité dépensée etd'une indépendance de carac-
tère qu'il sut défendre et garder môme à côté de l'irrésistible influence
de la pensée du grand apôtre. Il ne devint jamais entièrement son dis-
ciple. Il travailla à côté de lui et même il semble à Corinthe avoir con-
quis momentanément une autorité presque égale. Nous ne savons point
comment il avait été amené à l'Evangile ; mais, en tout cas, ce ne fut
pas comme Paul, par une conversion subite. D'après le récit des Actes,
il ne connaissait, quand il vint à Ephèse, que le baptême de Jean.
Aquilas et Priscille achevèrent son éducation chrétienne, c'est-à-dire,
sans doute, l'initièrent à ce que Paul appelait un Evangile entièrement
fondé sur la croix et la résurrectiou du Christ et indépendant de toute
tradition et de toute attache juives. Néanmoins l'enseignement d'Apol-
os ne se confondit jamais avec celui de Paul. D'un côté, il parait s'être-
moins séparé du judaïsme, et de l'autre avoir fait dans sa théologie une
part plus grande à la philosophie alexandrine. C'est ce que Paul fait
entendre quand il blâme dans son épître aux Corinthiens (1 Cor. ï,
17; II, 1-3) cette sagesse mondaine, ces discours pathétiques, cette rhé-
torique savante qui semblent vouloir ajouter quelque chose d'humain
à la puissance de la croix du Christ toute nue. Dans tous ces passages,
il est évident que l'apôtre fait allusion à Apollos et au parti qui, dans
l'Eglise de Corinthe, se groupait autour de son nom. Cependant ces
légères différences n'allèrent jamais jusqu'à des froissements. Apollos,
dont l'humilité semble avoir égalé laf'erveur et le talent, fut sans doute le
premier à' donner raison aux avertissements sévères de Paul. Dans la
seconde lettre aux Corinthiens, le parti d 'Apollos disparaît entièrement
et l'apôtre ne se trouve plus qu'en face des judaïsants, ses irrécon-
ciliables adversaires. Paul le nomme son frère (1 Cor. XVI, 12) ; il aurait
voulu l'envoyer à Corinthe , mais il ne put le décider. Apollos passa
les années 57 et 58 à Ephèse ou dans les environs. Son nom revient
encore une fois à la fin de l'épitre à Tite ; puis nous perdons entièrement
ses traces. Luther a voulu lui attribuer l'épitre aux Hébreux. Ce n'est
qu'une conjecture. Mais autant qu'on peut se représenter la théologie
d'Apollos, elle ne devait pas différer beaucoup de celle de cette épitre.
A. Sabatiee.
APOLOGÉTIQUE, APOLOGIE. — I. Principes. L'apologétique est la
science qui établit les principes d'après lesquels la vérité de la religion
chrétienne doit être démontrée et défendue contre les attaques de ses
adversaires. Elle se distingue de l'apologie, qui est cette démonstration
et cette défense elles-mêmes. On a contesté l'utilité de l'apologétique,
non moins que son caractère scientifique. Longtemps ignorée ou dédai-
gnée, cette branche de la théologie est cultivée avec prédilection aujour-
d'hui; pour ce qui concerne les apologies, elles encombrent le marché
APOLOGÉTIQUE li>7
de la librairie, particulièrement en Allemagne, ce qui ne Laisse pas que
d'être un symptôme inquiétant. Si les attaques contre le christianisme
u'étaient pas si multiples et si sérieuses, la défense ne déploierait pas tant
d'efforts. Quoi qu'il en soit, ni les défauts communs à beaucoup df apo-
logistes, tels que la crédulité, l'inexactitude-, l'exagération, la partia-
lité, les sophismes, le ton déclamatoire, les invectives contre les adver-
saires, ni la difficulté de la tache en elle-même, ne sauraient être
invoqués contre L'apologétique, bien qu'ils expliquent les préventions
dont elle est L'objet. Nous croyons que les défauts que nous venons d'énu-
mérer peuvent être évités; quant à la difficulté, elle tient à la nature
même de la toi chrétienne qui repose, en grande partie, sur des expé-
riences intérieures et implique une certaine direction de la volonté. Per-
sonne ne réussira jamais à démontrer mathématiquement la vérité de la
religion chrétienne, dont le caractère même est l'inévidence; seulement,
cet inconvénient, l'apologétique le partage avec d'autres sciences, avec
la philosophie et avec l'histoire, par exemple: elles aussi reposent sur
des recherches et des observations qui ne sont possibles qu'à celui qui,
par une application sérieuse et prolongée, s'y est spécialement pré-
paré, et, dans la plupart des cas, elles lui procurent des probabilités
plutôt que des certitudes. Dans le fond, la tâche de l'apologétique est de
mettre en lumière les principes sur lesquels la théologie repose comme
science et se distingue de la philosophie. Ces principes découlent d'une
analyse rigoureuse de la foi chrétienne destinée à mettre en lumière les
deux laits fondamentaux qui la constituent, l'un d'ordre psychologi-
que, le péché ou l'impuissance de l'homme à réaliser par lui-même,
sans un secours divin, sa destinée terrestre; l'autre, d'ordre histori-
que, la manifestation de la grâce divine dans la personne de Jésus-
Christ et dans le plan providentiel du salut auquel elle est liée. L'apo-
logétique exige donc des aptitudes de réflexion philosophique, comme
aussi une certaine familiarité avec les procédés de la critique historique,
et pour le moins une connaissance précise de ses résultats. Elle fait for-
cément des emprunts à toutes les autres branches de la théologie, sans
pour cela se confondre avec elles. Schleiermacher, dans son Encyclo-
pédie, la place, avec la polémique, en tête de renseignement théologique,
sous le nom de théologie philosophique; d'antres l'identifient soit avec
les prolégomènes de la dogmatique, soit avec la philosophie de la reli-
gion ; d'autres encore, la considérant comme un art plutôt que comme
une science, la relèguent dans la théologie pratique. Peu importe le
rang qu'on lui assigne, pourvu que l'on soit bien au clair sur la nature
de son objet, sur son étendue et sur ses limites. Le contenu de l'apolo-
[ue est Le témoignage rendu par la conscience chrétienne à la vérité
morale et historique du christianisme. Le foyer sur lequel elle dirige
son attention principale est le sentiment religieux, tel qu'il vibre au
fond de notre conscience, et qui se trouve être Le produit à la fois d'un
élément objectif, L'action de Dieu, et d'un élément subjectif, l'action de
L'homme. La dualité de principes qu'implique cette constatation est
irréductible en un certain sens, parce que jamais lnomme ici-bas
n'arrivera à connaître et à posséder pleinement Dieu; mais elle tend à
428 APOLOGETIQUE
se résoudre dans une unité toujours plus harmonieuse, à mesure que la
foi ou la vie religieuse devient plus parfaite, c'est-à-dire à mesure que
l'homme réussità mieux comprendre et à s'assimiler d'une manière plus
complète la grâce divine : Credo ut intellîgam. Nulle science plus que
l'apologétique n'a besoin de se pénétrer de la vérité de cet adage. De plus,
l'action de Dieu dans la conscience du chrétien étant déterminée par
certains faits historiques, il s'ensuit que l'effort de l'apologiste devra
se porter sur ces faits, ainsi que sur les documents qui les rapportent,
afin d'en constater l'authenticité et d'en saisir le véritable caractère. — Ce
qui a surtout nui à la considération de l'apologétique comme science,
c'est la difficulté de disposer et de grouper d'une manière organique
les matériaux dont elle se compose. Longtemps on s'est servi de la
division en preuves internes (accord du christianisme avec la raison
ou avec la conscience) et en preuves externes (faits extraordinaires ou
miraculeux qui ont précédé ou accompagné le christianisme); mais
cette division nuit au but même que se propose l'apologétique. Le
caractère surnaturel du christianisme ne pouvant être déterminé dans
la première partie, il peut paraître que son essence consiste dans son
accord avec la raison, d'où il s'ensuit que l'élément humain, c'est-à-
dire subjectif, devient non-seulement le sensorium et le critérium,
l'organe qui perçoit et apprécie l'élément divin, mais sa norme, le juge
qui lui confère sa valeur et son autorité. Et, d'autre part, les faits sur-
naturels étant considérés comme possédant en eux-mêmes une vertu
démonstrative, indépendamment de leur accord avec la raison, il
pourrait sembler que l'essence du christianisme consiste dans ce
caractère surnaturel, ce qui serait également inexact. En tous les cas,
ces deux manières de concevoir le christianisme ne peuvent se com-
biner que d'une manière extérieure et artificielle et ne justifient que
trop l'opposition du point de vue rationaliste et supranaturaliste que
l'apologétique doit précisément prendre à tâche de vaincre par une
saine exposition des principes théologiques fondamentaux. D'autres
auteurs ont commencé l'apologétique par une analyse critique de l'idée
de la révélation, c'est-à-dire par rémunération des signes d'après les-
quels on doit juger la vérité et la réalité d'une révélation divine; puis,
dans une seconde partie, ils ont montré l'accord des idées et des faits
révélés dans le christianisme avec ces signes. Cette division repose sur
la pensée juste qu'il faut commencer par rattacher l'œuvre apologéti-
que à des principes généralement admis; mais, d'une part, cette
méthode est insuffisante aussi longtemps que l'analyse critique de
l'idée de la révélation est purement philosophique, au lieu d'être elle-
même le résultat d'un accord reconnu et démontré entre le principe
chrétien et la pensée scientifique, et, d'autre part, cette méthode pré-
suppose, sans nécessité, que l'essence du christianisme est d'être une
révélation, ce qui est loin d'être prouvé. D'autres encore ont divisé
l'apologétique en une partie générale qui expose l'accord du christia-
nisme avec la nature humaine, et en une partie spéciale qui montre
comment les diverses idées religieuses se sont réalisées dans le chris-
tianisme; mais ces deux parties empiètent sans cesse l'une sur l'autre,
APOLOGÉTIQUE 429
et, au fond, traitent le même sujet par les deux bouts contraires. Ce
qu'il y a peut-être de préférable, c'est de suivre la méthode génétique
ou organique. On commencerait par une analyse précise du sentiment
religieux tel qu'il se produit dans la conscience humaine, avec les
conditions particulières qui nous sont faites ici-bas, savoir les inces-
sante;» contradictions au milieu desquelles nous nous mouvons, les pro-
blèmes insolubles qu'elles imposent à notre esprit et les profonds mys-
tères dont elles nous enveloppent. On chercherait ensuite d'où vient à la
conscience la lumière qui la guide, et où le sentiment religieux, chez
ce ix dans lesquels il est le plus pur et le plus ardent, puise sa force.
Par un examen comparatif des diverses religions et par une étude
approfondie des temps qui ont précédé le christianisme, on sera amené
à s'arrêter à ce dernier, aux manifestations particulières qui l'ont pré-
cédé, préparé et introduit dans le monde, à l'histoire de sa propaga-'
tion, aux causes diverses qui ont tour à tour favorisé, compromis et
arrêté ses triomphes, aux fruits qu'il a produits soit chez les individus, soit
dans la société, à la lumière qu'il a projetée sur les problèmes qui nous
agitent, à la manière dont il entend résoudre les contradictions de notre
nature, et nous expliquer ou nous faire accepter les mystères qui nous
entourent de toute part. L'apologiste sera ainsi, par la force même des
choses, conduit à ramener tous ces effets et cette action, naturelle
dans la marche qu'elle suit, surnaturelle ou inexpliquée dans sa
cause, à la personne même du fondateur de la religion qui porte son
nom. Jésus-Christ, en effet, nous donne la clef du christianisme. Dans
la mesure où l'analyse humaine réussira à surprendre le secret de sa
nature et de cette communion exceptionnelle et unique avec Dieu qui
a été la source de la sainteté de sa vie comme de la vérité et de l'auto-
rité de son enseignement, elle pourra décrire aussi ce que c'est que
l'inspiration, la révélation, le miracle, la prophétie, tous les éléments
dits surnaturels qui n'accompagnent pas seulement le christianisme,
mais qui, en un sens, le constituent. Et alors, par un dernier effort,
s'élevant plus haut encore, des causes secondes à la cause première, de
la sphère du contingent à celle de l'absolu, l'apologiste verra briller,
entouré d'une lumière incomplète sans doute, mais, à tout prendre,
provisoirement suffisante, l'idée ou l'image même de Dieu, la source
de toute vie et de tout salut dans le monde. Cette méthode, que l'on
pourrait aussi appeler thétique, parce qu'elle développe purement et
simplement l'objet de la foi chrétienne, en n'ayant égard aux objec-
tions ctaux critiques qu'au fur et à mesure qu'elleles rencontre sur son
chemin, est à peu de chose près celle de la dogmatique, bien que le
plan et l'ordre suivi par cettedernière science soient différents, comme
aussi le nombre et l'étendue des matériaux : l'apologétique laisse à
la dogmatique tout ce qui est secondaire et ne prend que ce qui
est fondamental, et cela moins au point de vue de l'exposition systé-
matiquedela foi qu'à celui de la défense des principes du christianisme.
On pourrait également dire avec Nitzsch, que l'apologétique est la
théologie des laïques : c'est une dogmatique populaire qui court au
plus pressé, à savon? la recommandation du christianisme auprès de
430 APOLOGÉTIQUE
ceux qui en doutent. Serait-il trop téméraire d'ajouter, eu égard à ce
que nous voyons se produire autour de nous et en particulier aux
méthodes que la science préconise aujourd'hui, que l'apologétique est
peut-être la forme que la dogmatique revêtira dans l'avenir ?
II. Histoire. L'histoire de l'apologétique peut se diviser en cinq pé-
riodes, d'une richesse et d'une valeur scientifique inégales. En en énu-
mérant, par ordre et dans leur lien organique, les productions les plus
marquantes, nous prévenons le lecteur que la plupart d'entre elles
seront l'objet d'articles spéciaux dans le cours de cette publication.
Première Période. 1. Orient. La première opposition faite contre le
christianisme fut celle des Juifs. Jésus-Christ, défendant sa. mission
divine et repoussant les reproches qui lui étaient adressés par les scribes
et les pharisiens, fut son propre apologiste (Jean V, 16 ss.; VII, 16 ss.,
etc.). Toute la prédication des apôtres porte essentiellement un caractère
apologétique (voy. entre autres Actes XVII, 22 ss. ; XXII, 1, ss., etc.) ;
ils recommandent d'ailleurs aux chrétiens d'être prêts à rendre compte
de leur foi avec douceur et respect vis-à-vis de tout le monde (I Pierre
III, 15). Dans la suite, ceux d'entre eux qui se montrèrent plus particu-
lièrement qualifiés furent chargés de porter cette défense, soit sous forme
juridique devant les tribunaux , soit sous forme scientifique à l'adresse de
la société cultivée, soit sous forme populaire en présence de la foule.
Les défenses juridiques précèdent les apologies savantes. Il s'agissait
de repousser les attaques d'athéisme, d'immoralité, de superstition,
d'hostilité ou d'indifférence politique qui se reproduisaient sans cesse
avec les exagérations les plus incroyables. La plupart du temps, les
apologistes se bornent à les réfuter par le simple exposé des faits, en
insistant sur les vertus des chrétiens, l'héroïsme des martyrs et la pro-
pagation rapide du christianisme. La lutte devint plus difficile, lors-
que du terrain des faits elle fut portée sur celui des idées et que l'on
se trouva en présence d'adversaires philosophiques. Les écrivains chré-
tiens étaient peu habitués à manier l'arme de la dialectique; ils avaient
des conceptions étroites ou erronnées qui tenaient à leur éducation et
à leur culture première, soit juive, soit païenne ; ils n'employaient pas
toujours les meilleurs arguments et se livraient souvent à une polé-
mique passionnée. Vis-à-vis des Juifs, ils se bornaient à montrer
l'accomplissement des prophéties de l'Ancien Testament dans le Nou-
veau, mais se livraient à des interprétations allégoriques hasardées et
obéissaient aux règles d'une exégèse arbitraire. Ils découvraient, dans
la nature, des symboles des doctrines révélées et ne dédaignaient pas
d'invoquer, en face des païens, les enseignements de leurs sages ou
les oracles de leurs devins. Tous les écrits de cette première période
portent plus ou moins le caractère apologétique : de là, l'absence de
rigueur scientifique et de distinction tranchée entre les diverses bran-
ches de la théologie, compensée, il est vrai , par l'unité et la puis-
sance de vie religieuse qui marque la plupart des produits littéraires
de ce temps. Il faut distinguer, dans les écrits consacrés à la défense
du christianisme pendant les trois premiers siècles, ceux que l'on peut
considérer comme des pétitions adressées aux empereurs romains, qui
APOLOGÉTIQUE 4'M
sont de simples' 'plaidoyers, él ceux qui présentent une apologie rai-
sonnée et approfondie de la vérité chrétienne. Dans la première caté-
gorie viennent se ranger les apologies adressées paiTévèque Quadratus
d'Athènes et le philosophe Aristide à l'empereur Adrien (12(>), et que
nous ne possédons plus; celles (le Miltiade, de Méliton de Sardes, de
Claude Apollinaire, évèque d'Hiérapolis, adressées à Marc-Aurèle; les
deux apologies de Justin Hartyr dédiées à Antonin et à Marc-Aurèle
(138-139; I()0-1()()). dont la seconde renferme des digressions philoso-
phiques complètement étrangères aux. débats du prétoire; celle d'Athé-
nagore à Marc-Aurèle (177) ; celles de Tatien le Syrien et de Théophile,
évoque dAntioche. Pour ce qui concerne les apologies savantes, M. de
Pressensé (Bût. des /mis prem. siècles de VEgl. chr., vol. IV: Les Apolo-
f/ish's) croit pouvoir les diviser en trois classes : 1° Les apologistes qui,
admettant une affinité profonde entre le christianisme et la conscience
humaine, cherchent des témoignages et des preuves de cette affinité
dans le développement historique de l'humanité ; 2° les apologistes qui
n'en appellent qu'aux instincts naturels du cœur humain; 3° ceux qui
accablent d'outrages l'àme humaine, l'anéantissent et l'avilissent, pour
l'amener, par le dégoût et le désespoir, à recourir au divin rédemp-
teur. Les brillants écrivains de l'école d'Alexandrie se rattachent à la
première classe. Clément, dans son Exhortai ion aux Gentils (Xc^o; izpz-
Tps-7-.yiç t.zzç EWrftx;), dans son traité de morale intitulé T.xioxybr(Q; et
dans ses mélanges de philosophie religieuse ( —po^rreT;) établit victo-
rieusement le néant du paganisme, l'immoralité de ses mythes et le
rôle pédagogique de sa philosophie, en tous points semblable à celui
que la loi mosaïque a joué chez les Juifs. 11 marque en traits heureux
les limites de la raison, la part des facultés intuitives et des détermina-
tions morales dans nos connaissances religieuses et la manière vrai-
ment organique dont la yvmj'.ç se développe de la Tj.sv.q. Par contre,
Clément néglige complètement la preuve historique, se bornant à faire
comparaître la personne vivante du Christ devant la conscience éclai-
rée par la foi et qui ne tarde pas à percevoir en lui le Verbe ou l' In-
telligence parfaite dont l'intelligence humaine n'est qu'un pâle reflet.
ûrigène, dans son livre Contre Celse (vers 2ri<5), complète l'œuvre de
son maitre, en répondant à la fois aux attaques des juifs et à celles des
païens. 11 défend contre les premiers la loyauté des chrétiens accusés
d'avoir falsilié leurs livres sacrés, la grandeur morale du Christ, qui
éclate surtout dans son humiliation et son abaissement, et la réalité de
sa résurrection, attestée par la publicité même de son supplice. Il jus-
tilie contre les païens l'abandon des coutumes nationales contraires à
la morale éternelle, les innovations du culte qui réalisent un progrès
dan» la spiritualité, l'obéissance des chrétiens aux lois de l'Etat, si
différente de la servilité, la légitimité des diversités dans l'Eglise, dé-
rivées du respect de l'individualité, l'obscurité et la basse condition de
la plupart des chrétiens qui attestent la sollicitude de la religion nou-
velle pour les déshérités de la terre, la simplicité de la doctrine chré-
tienne qui constitue sa supériorité sur la philosophieel qui est le secret
de sa puissance, Pfssuraooe ekifn que donne la foi qui, loin d'inter-
432 APOLOGETIQUE
dire l'examen, le provoque. Origène, lui aussi, n'accorde qu'une im-
portance secondaire à la preuve du miracle qui, d'après lui, ne tire sa
valeur que de son caractère moral : il s'attache de préférence aux ar-
guments tirés des conquêtes rapides du christianisme et de ses effets
sur la société, ainsi qu'à la preuve interne, à savoir la réponse satis-
faisante donnée à tous les véritables besoins de l'âme. — 2. En Occident,
nous trouvons d'abord Y Octave de Minutius Félix (vers 190), dialogue
spirituel et éloquent, dans lequel l'auteur combat avec succès le scep-
ticisme frivole de son temps, en insistant plutôt sur les principes géné-
raux du théisme que sur les doctrines particulières de l'Evangile; puis,
Y Apologeticus (200) de Tertullien, adressé aux magistrats de l'empire
pendant la persécution des chrétiens sous Septime Sévère, au sujet de
l'illégalité de leur condamnation, rendue plus odieuse par l'impunité
qui couvre les crimes de leurs accusateurs. Le puissant rhéteur de Car-
tilage écrivit, en outre, un ouvrage apologétique plus considérable Ad-
versus gentes, et surtout un remarquable traité De testimonio animie
naturaliter christianx, dans lequel il établit que la religion de Jésus-
Christ répond aux aspirations les plus vraies de notre être moral, en
protestant contre le paganisme qu'il accuse de dégrader la nature hu-
maine et d'obscurcir le témoignage de la conscience par ses vices gros-
siers non moins que par sa culture raffinée et corrompue. Tertullien
n'invoque l'autorité des Ecritures qu'en seconde ligne. Dieu, pour
nous rendre capable de pénétrer d'une manière plus complète et plus
sensible ses pensées et ses volontés, a ajouté au témoignage de l'âme
celui des lettres saintes. Les Disputationum adversus gentes libri VII
d'Arnobe (vers 303) dénotent une connaissance superficielle du chris-
tianisme et ne se distinguent que par une polémique violente contre le
paganisme, dont ils dévoilent les hontes cachées avec une incomparable
richesse d'informations. Le traité de Cyprien De idolorum mnitate
est emprunté en grande partie à Y Octave de Minutius Félix; dans ses
Libri III testimoniorum adversus Judxos, il établit par de nombreuses
citations que la réjection des Juifs, comme le mystère de la personne
et de l'œuvre du Christ, a été prédite par leurs propres livres sacrés.
Lactance. dans son traité De mortibus persecutorum, invoque en faveur
du christianisme la mort violente de ses ennemis les plus fameux.
Saint Augustin, dans les dix premiers livres de son ouvrage De civitate
Dei, réfute les accusations des païens qui reprochent au christianisme
de favoriser la décadence extérieure et la dissolution intérieure de l'em-
pire romain; dans les douze derniers, il démontre, en regard de l'inu-
tilité des solutions qu'offre le paganisme pour cette vie et pour la vie
future, la valeur des doctrines chrétiennes, tant pour le salut des indi-
vidus que pour le bonheur de la société. Dans ses Libri VII historiarum
adversus paganos, Orose tourne contre la religion païenne les reproches
adressés aux chrétiens. (Voyez pour toute cette première période, outre
l'ouvrage déjà cité de M. de Pressensé, Tzschirner, Geschichte der
Apologetik, Leipz., 1805, dont le premier volume seul a paru, et le
livre de l'abbé Freppel, Les Apologistes du IIe siècle, Paris, 1860).
Deuxième Période. Lorsque le christianisme, devenu religion de
APOLOGÉTIQUE 433
l'Etat, se vit en possession du pouvoir et de persécuté se fit persécu-
teur, l'effort de la lutte se tourna contre les hérésies, et l'apologétique
lit place à la polémique. Restaient, il est vrai, indépendamment des
sectaires et des Libres-penseurs qui se cachaient dans leurs rangs, les
juifs et les mahoinétans : mais l'Eglise préféra, pour les combattre,
l'appui du bras temporel aux armes de l'esprit. On trouve bien encore
de temps à autre des œuvres apologétiques, telles que la Summa catho-
licae fidei contra gentiles de Thomas d'Aquin, qui contient une théorie
curieuse des rapports entre la raison et la révélation empruntée à la
philosophie scolastique, mais ces œuvres, en général, font preuve d'une
grande faiblesse dans l'argumentation et d'une profonde ignorance
en matière philologique et historique. La seule exception à cette règle
qui puisse être signalée est la Pugio fidei adversus Mauros et Judœos de
Raymond Martini (1278). A la suite du discrédit dans lequel la scolas-
tique ne tarda pas à tomber, grâce à la renaissance des études classi-
ques, l'abîme qui commençait déjà à séparer la philosophie et la
théologie s'agrandit chaque jour. Au milieu de ce réveil de libre pen-
sée, qui eut pour premier théâtre l'Italie, d'autant plus hostile à la foi
chrétienne qu'elle souffrait davantage des abus que Rome commettait
en son nom, nous voyons se produire plusieurs apologistes de la reli-
gion méconnue et travestie. Parmi eux, nous citerons Marsile Ficinqui,
dans son traité De religione christiana (1475), cherche à concilier la
doctrine du Christ avec celle de Platon ; Jérôme Savonarole qui, dans
son Triumphus crucis seu de verilate fidei (1497) , relève surtout les
effets moraux et les applications pratiques du christianisme ; Louis
Vives qui, dans son livre De veritate religionis christianx (1543), essaie
de démontrer qu'une foi sincère n'exclut pas des recherches spécu-
latives indépendantes.
Troisième Période. Survint la Réformation; mais, s'attachant à
signaler l'altération plus encore que la négation de la vérité chré-
tienne dans le cours des siècles, elle s'occupa, elle aussi, de polé-
mique plus que d'apologétique : elle combattit les erreurs dans
l'Eglise et non celles du dehors. L'Eglise réformée de France eut
pourtant l'honneur de produire deux œuvres marquantes : c'est
d'abord le traité De la vérité de la religion chrétienne contre les athées,
épicuriens, païens, juifs, mahumédistes et autres infidèles (1579-81) de
Duplessis-Mornay, écrit au sortir d'une longue et terrible maladie
causée par une tentative d'assassinat, publié d'abord en français à An-
vers, puis traduit en latin et dédié à Henri IV. L'auteur ne se livre à
aucune attaque contre ses adversaires, mais il expose la vérité d'une
manière calme et sereine, bien qu'avec un peu de lenteur et de lour-
deur. Il déclare vouloir se servir d'arguments et de témoins, par où il
entend, d une part, des raisonnements assez subtils, puisés dans la
scolastique, sur des principes premiers indémontrables et que chacun
trouve ru soi-même, et, d'autre part, le témoignage emprunté à la
conscience et à L'histoire, c'est-à-dire à l'antiquité et au consentement
universel. Mornay trouve trois marques principales «le la vraie religion :
1° le vrai Dieu connu et adoré en Israël, tandis que les païens adorent
434 APOLOGÉTIQUE
les démons ; 2° le service de Dieu et ses commandements positivement
enseignés dans la Parole de Dieu, et « les choses les plus admirables
en nos Écritures » confirmées par les païens ; 3° le moyen de récon-
ciliation et le principe de vie pour accomplir ces commandements
manifestés en Israël, principalement dans le Messie promis et venu
en Jésus- Christ, dont l'Evangile contient l'histoire et la doctrine.
On doit de même citer avec éloge l'ouvrage d'Amyraut, Traité des
religions contre ceux qui les estiment indifférentes (1631), dirigé à
la fois contre les épicuriens qui nient la Providence, contre les phi-
losophes qui nient la révélation et contre les adversaires d'une
religion « certaine et déterminée. » A côté des preuves secondaires
tirées de l'antiquité de la religion révélée, de l'harmonie qui existe
dans la Bible et des faits extraordinaires qui ont marqué rétablisse-
ment du christianisme, Amyraut signale la marque capitale de la divi-
nité de notre religion, qui est d'être une source de paix et de sanctifi-
cation, et d'offrir à l'homme le moyen assuré de se réconcilier avec
Dieu. Comme Duplessis-Mornay et conformément au courant le plus
généreux des doctrines réformées , l'illustre professeur de Saumur
assigne ainsi à la preuve interne ou expérimentale la place d'honneur
dans son apologétique. (Voyez Yiguié, Histoire de l'apologétique
dans l'Eglise réformée, 1858). A partir du milieu du dix- septième
siècle , notre science se développe avec une vigueur nouvelle ,
grâce au nombre et à la valeur croissante des adversaires , en
profitant d'ailleurs du progrès marqué des études philosophiques
et historiques. C'est Hugo Grotius qui ouvre la série des apolo-
gistes modernes , avec son traité De veritate religionis christianx
(1627), traduit bientôt dans toutes les langues de l'Europe et de l'Asie.
Il l'avait primitivement écrit dans le but de fournir aux navigateurs
parmi les peuples mahométans et païens une arme pour se défendre
contre les attaques de leur foi ; mais l'ouvrage trouva plus de lecteurs
dans les cercles des lettrés et des savants. Dans six livres, l'auteur
montre successivement avec plus de clarté dans la forme que de profon-
deur dans les idées : 1° l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme
établie par les miracles ; 2° Jésus-Christ, la divinité de sa vie, la réalité
de ses miracles, ainsi que la supériorité de sa religion, prouvées par la
vérité de sa doctrine, la pureté de sa morale, la spiritualité de son
culte, sa propagation rapide, son extension et sa durée ; 3° l'authenti-
cité du Nouveau Testament et la véracité de ses auteurs , attestées par
l'accord de ses diverses, parties, les miracles, les prophéties, ainsi que
-les témoignages contemporains et postérieurs qui plaident en leur fa-
veur; 4° la réfutation des religions païennes; 5° celle du judaïsme;
6° celle du mahométisme. Les renseignements utiles, les aperçus ingé-
nieux, les considérations sagaces abondent dans ce livre qui fut pendant
longtemps l'arsenal où les défenseurs du christianisme puisaient de
préférence leurs armes, mais le plan est diffus, les véritables difficul-
tés sont à peine entrevues et l'argumentation est absolument vieillie.
Nous en dirons autant de l'ouvrage érudit publié par Huet, évéque
d'Avranches, sous le titre de Démonstratif) evangeliea (1679) et dédié ad
APOLOGETIQUE 435
s</-ctussi»im/t Delphinum (le lils de Louis XIV), dont il était précepteur,
de concert avec Bossuet. L'auteur prétend démontrer les quatre axio-
mes suivants,: 1° Kst authentique tout livre qui est regardé comme tel
par les contemporains et les générations suivantes ; 2° Est vraie tonte
histoire qui expose les faits tels qu'ils sont racontés dans les livres
contemporains; 3° Est vraie toute prophétie qui annonce des faits con-
tinués par les événements; i° Tout don prophétique vient de Dieu.
H net en conclut précipitamment que tout ce que L'Ecriture dit de Jésus
comme étant le Christ doit être vrai, et que toutes les religions païennes
sont issues des écrits mosaïques dont elles empruntent jusqu'aux noms
propres pour désigner leurs dieux. Les Pensées de Pascal (éditées
avec de graves altérations par les docteurs de Port-Royal, en 1669, et
publiées pour la premières l'ois d'après le manuscrit original en 1844, par
M. Faugère, sur les indications de M. Cousin) ouvrirent à l'apologétique
une voie nouvelle. Sans parler de l'incomparable beauté du style et de
rémotion continue qui anime ces fragments, dont il n'est pas difficile de
découvrir le lien et de recomposer le plan, l'effet produit par cette
démonstration de la vérité de la religion chrétienne résulte de la mé-
thode que Pascal se proposait d'employer. Au lieu de prouver d'abord ou
L'existence de Dieu, comme Grotius, ou l'authenticité de la Bible, comme
Huet, pour de là déduire la divinité de Jésus-Christ et la conformité de
son enseignement avec le témoignage de notre raison et de notre cons-
cience, l'auteur des Pensées suit la voie inverse : il va de l'homme à
Jésus-Christ et de Jésus-Christ à la Bible et à Dieu, cédant à la preuve
interne le pas sur la preuve externe et la démonstration spéculative. Il
trace un tableau d'une sombre magnificence de la nature humaine, de
ses contradictions, de cet inconcevable mélange de grandeur et de
misère qui, selon lui, ne s'explique que par le fait de la chute et ne se
résout que par l'union avec Jésus-Christ, en qui tous les éléments con-
traires viennent se fondre en une unité harmonieuse. Pascal, toutefois,
n'entendait pas sacrifier la preuve historique : seulement ce qui nous
reste de cette seconde partie de son œuvre est beaucoup plus faible que
la première, et serait complètement à refaire aujourd'hui. Ajoutons
aussi que les Posées de Pascal n'eurent presque pas de retentissement au
(1 i x-septième et au dix-huitiéme siècle, tant l'esprit et la méthode qui carac-
térisent cette ébauche de génie leur étaient étrangers: ce n'est (pie dans le
nôtre que nous retrouverons leur influence. Le protestantisme français
produisit, vers le déclin du grand siècle, l'apologie remarquable
de Jacques Abbadie {Traité de lu vérité de la religion chrétienne,
1684), qui, dans une forme achevée mais d'après un plan trop com-
pliqué pour être heureux, s'élève d'abord de l'idée de Dieu à la
nécessité d'une révélation et à sa réalité historique; puis, dans une
seconde partie, part de ce l'ait qu'il y a aujourd'hui des chrétiens
dans Le inonde, pour examiner leur foi, remonter à son origine, cons-
taler qu'elle repose sur une histoire, cela plus simple et la plus admirable
du monde, i qui est rapportée par un livre dont l'autorité découle
principalement de la personne de son liéms. La preuve interne est bien
abordée, car AJtaddie se propose de nous montrer les divers rapporta
136 APOLOGÉTIQUE
qui existent entre la religion chrétienne et la conscience; mais ce carac-
tère, fortement accusé au point de départ, la corruption naturelle de
riiomme, et au point d'arrivée, sa sanctification, Test beaucoup moins
dans le chemin qui conduit de l'un à l'autre. L'auteur s'échappe atout
instant hors du terrain de la conscience dans le domaine de la pensée
pure ou dans celui des considérations historiques générales.
Quatrième Période. Jusqu'au dix-huitième siècle, le règne de l'auto-
rité en matière religieuse avait été à peu près incontesté. L'Eglise, aux
yeux du catholique, la Bible, pour le protestant, garantissaient sou-
verainement la vérité des doctrines qu'elles enseignaient et la nécessité
des pratiques qu'elles prescrivaient : l'Etat prêtait d'ailleurs à l'établis-
sement ecclésiastique un appui intéressé, et l'absence de liberté dans
les lois, de tolérance dans les mœurs était un frein, à tout prendre con-
sidérable, à la révolte du moins extérieure. Pourtant bien avant l'heure
où les attaques contre le christianisme allaient pouvoir se produire au
grand jour de la publicité, les doutes et les défections intérieures
avaient détaché des croyances officiellement reçues un nombre tou-
jours grandissant d'esprits. Le progrès lent mais continu des sciences
naturelles et de l'histoire des religions comparées, bien qu'elles fussent
encore^à l'état d'enfance, hâtèrent ce mouvement que la philosophie,
assez superficielle mais très-entreprenante, du dix-huitième siècle pré-
cipita. Sa forme religieuse est le déisme, puissamment favorisé par
l'affaiblissement général de la piété et la décadence marquée des études
théologiques. Il prétendait être une religion, tout en méconnaissant le
caractère propre du sentiment religieux et en professant une haine
amère contre le christianisme. Né en Angleterre, il trouva de nombreux
adhérents en France et étendit également son influence sur l'Allema-
gne. A côté du déisme se développa, dans un esprit d'opposition encore
plus décidé, le matérialisme. Pour être équitable envers ses représen-
tants, il faut tenir compte du milieu dans lequel ils vivaient. L'or-
thodoxie officielle, grâce aux violences dont elle s'était rendue com-
plice et aux hypocrisies qu'elle encourageait et couvrait de son manteau,
avait perdu tout prestige : elle était impuissante à arrêter le flot montant
de l'incrédulité, souvent plus honnête et plus vertueuse que ce qui se
produisait sous le nom de foi ; de son côté le sensualisme était une réac-
tion naturelle contre l'idéalisme exagéré dans lequel, à ses débuts, était
tombée la philosophie spiritualiste. Il ne faut pas oublier enfin que les
déistes et les libres-penseurs de ce temps défendaient l'idée de la tolé-
rance, tandis que, dans la plupart des pays, les représentants del'Eglise
y étaient radicalement opposés. La faiblesse des ouvrages apologétiques
du dix-huitième siècle explique également la rapide propagation des
doctrines contraires. Presque aucun d'entre ses défenseurs n'a saisi le
christianisme dans son essence : tantôt ils font des concessions et même
des emprunts regrettables à leurs adversaires; tantôt ils s'obstinent à se
maintenir dans des positions absolument intenables. — 1. Ce qui dis-
tingue les apologistes du christianisme en Angleterre, cette patrie du
déisme, c'est le common-sense qui, comme on l'a dit, garde des grandes chu-
tes, mais ne préserve pas toujours de la médiocrité, de la confiance aveugle
APOLOGÉTIQUE 437
à accepter, sans les contrôler, les prémisses d'un raisonnement, et du
manque devigueurdans la critique. Nous nommerons parmi eux :John
Locke (Beasonableness of ehristianity, 1693), qui cherche à prouver la
divinité du christianisme par les effets produits par sa doctrine, en niant
la preuve du miracle comme inutile et attaquable par la critique;
Leland [The advantage and necessity of tke Christian recelai ion from tke
state of religion in the ancient heathen world, 1764), qui montre, par
l'insuffisance des doctrines philosophiques et religieuses du paga-
nisme, la nécessité ou du moins la grande probabilité d'une révélation,
qu'il trouve dans le christianisme, qui contient tout ce qui man-
quait aux anciens; Joseph Butler (The analogy of religion natural and
revealed (o (he constitution and course of nature, 1734), qui relève avec
bonheur la preuve interne, en établissant contre les déistes que si,
par la forme, le christianisme est une religion révélée, il est iden-
tique par le fond avec la religion naturelle, c'est-à-dire absolument
conforme à la saine raison et sympathique à tous ses progrès ; Jenyns
(A vieia of the internai évidence of the Christian révélation, 1776), qui,
avec une grande force de raisonnement, tire de la prétendue imperfec-
tion de la morale chrétienne une preuve de son excellence et de sa
divinité; Lardner (The credibility of the Gospel history , 1741-69, 19
vol.), qui déploie une érudition prodigieuse dans l'exposition des
preuves externes, en particulier des témoignages des auteurs contem-
porains rapportés dans le Nouveau Testament, ainsi que de ceux des
Pères des quatre premiers siècles et des écrivains ecclésiastiques
des siècles postérieurs ; William Paley (A vieiv of the éviden-
ces of ehristianity, 1794, 2 vol.), qui s'applique à déterminer
les caractères auxquels on peut reconnaître les prophéties et les
miracles, et les raisons qu'on peut alléguer en leur faveur, en mon-
trant que le surnaturel n'est pas plus invraisemblable qu'une ré-
vélation divine elle-même, et en forme le complément obligé. —
En France, la défense fut beaucoup plus faible qu'en Angleterre. Les
études, au sein du catholicisme, avaient singulièrement dégénéré;
Port -Royal n'était plus, et la révocation de l'édit de Nantes avait rejeté
hors des frontières ceux des théologiens, protestants qui auraient pu
soutenir avec quelque succès le choc du déisme et de l'incrédulité.
Pourtant, l'un de ses plus grands écrivains, J.-J. Rousseau, défendit
les droits du sentiment religieux contre les sarcasmes des encyclopé-
distes et le iin persifflage de Voltaire ; la Profession de foi du Vicaire
savoyard, qui valut à Y Emile sa condamnation, fournit en somme plus
d'arguments aux défenseurs qu'aux adversaires du christianisme.
L'abbé Guénée (Lettres de quelques Juifs portugais], allemands et polo-
nais u M . de Voltaire, 1769) releva les nombreuses inexactitudes et les
impardonnables légèretés déjà critique dirigée contre l'Ecriture sainte par
Voltaire qui, par une contradiction significative, avait exclu les Juifs de
la tolérance qu'il prêchait. Genève, ce foyer ardent de lumières etde vie
religieuse, qui, au commencement du dix-huitième siècle, avait échangé
L'ancienne orthodoxie calviniste contre un christianisme plus rationnel,
fournit plusieurs apologistes distingués ; nous ne citerons que Jacob
438 APOLOGETIQUE
Yernet {Traité de la vérité chrétienne, 1730-1788, 10 vol., tiré avec des
modifications importantes des thèses latines [de Turretin et trahissant
d'une édition à l'autre, un rapprochement plus marqué vers le déisme),
qui relève surtout le côté moral du christianisme et proclame « la
grande utilité » d'une révélation pour dégager la religion natu-
relle des nuages dont Terreur et la corruption humaine Font enve-
loppée, et pour rétahlir la connaissance du vrai Dieu, prescrire son
vrai culte, fonder une bonne morale, éclairer la vie future, Dieu for-
tifiant la parole des.hommes chargés de cette mission par des signes ex-
térieurs, dans le but d'attirer sur eux l'attention des croyants; et Charles
Bonnet {Recherches philosophiques sur les preuves du christianisme ,
1770), qui accorde une grande valeur à la preuve des miracles ren-
dus possibles, selon lui , par une prédétermination spéciale des lois
de la nature, [et destinés à servir de lettres de créance aux envoyés de
Dieu, qui n'en sont pas moins obligés de confirmer le caractère de
leur mission, au xyeux de la raison humaine, par la vérité de leur doc-
trine.— 3. Mais, c'est Y Allemagne surtout qui fut riche en apologistes
depuis la publication des Fragments de Wolfenbuttel de Samuel Reimarus
(1778), qui causèrent une profonde sensation, en révélant les doutes
qu'une foule d'esprits distingués professaient sur la divinité de Jésus-
Christ. Tous, sans doute, n'allaient pas aussi loin que l'auteur des Frag-
ments, qui représentait Jésus comme ayant voulu fonder un royaume tem-
porel par la tromperie, et s'appuyait sur la faiblesse des procédés d'har-
monistiquepour accuser nos évangélistes de falsification intentionnelle.
Les débats sur la nécessité, la possibilité et la réalité d'une révélation que
cette publication provoqua, et auxquels Lessing prit une part active, mon-
trèrent combien il était urgent de déterminer nettement l'essence du chris-
tianisme dans ses rapports avec le sentiment religieux en général : tâche
que le rationalisme du dix-huitième siècle, avec son manque de sens his-
torique et de sens religieux, était incapable de remplir, et que, dès lors, il
légua au nôtre. Parmi les apologistes allemands, assez faibles la plupart,
nous nommerons : Jérusalem {Betrachtungen ûber die vornehmsten Wahr-
heilen der Religion, [1773-79), qui essaie de concilier la foi et la morale
chrétiennes, dépouillées de leur caractère distinctif , avec la philoso-
phie de Wolf ; A. von Haller (Briefe ûber einige Einwùrfe noch leben-
der Freigeister ivider die Offenbarung, 1774-77, 3 vol.), qui , dans un lan-
gage élevé et ému, oppose son expérience personnelle de la vérité de
la religion chrétienne aux objections des libres-penseurs ; Noesselt
{Vertheidigung der Wahrheit u, Gottlichkeit der christ lichen Religion,
1769), qui défend la vérité du christianisme contre les athées, les
sceptiques, les déistes et les indifférents, en montrant que la raison ne
saurait s'élever par elle-même à la connaissance de la vraie religion, et
qu'ainsi une révélation revêtue d'une vertu surnaturelle est très-vrai-
semblable , très-possible et très-utile ; Less (Beweis der Wahrheit der
christlichen Religion, 1768), qui réduit à trois les preuves vraiment
décisives en faveur de la divinité du christianisme : celle qui se tire de
ses effets intérieurs et extérieurs ; la preuve des miracles racontés dans
le Nouveau Testament ; celle qui est basée sur les prophéties de
APOLOGÉTIQUE !;;:>
Jésus-Christ ; fteinhard (Versuek àber éen Plan Jem, 1770), qui l'onde
la divinité de la religion chrétienne sur le caractère pur et sublime die
son fondateur et le plan qu'il avait Corme pour le bonheur eu genre
humain ; Rosensmùller (Hïètoriseker Beweis dër Wahrheit (1er christhehen
Religion, 1771), qui relève surtout la preuve tirée des prophéties : dans
des livres manifestement anciens et authentiques, il a été prédit un
temps où la connaissance et le culte du vrai Dieu se répandraient chez
les nations païennes, et cela par un homme signale* d'avance de telle
manière que Ton ne pourrait le méconnaître lorsqu'il paraîtrait ; Wi-
zeinnann (Die Geschichle Jesu nac/t dem Maltkxus, als Selbstbeweis ihrer
Zuverlsessigkeû, 1789), qui trouve dans l'histoire de Jésus-Christ, telle
qu'elle est racontée dans les Evangiles, un tel caractère de vérité qu'il
croit pouvoir démontrer par là la divinité du christianisme ; Kleuker
(Nette Prûfangu. Erkl&rtmg de?' vorzûgUchsten Beweise fur die Walirheii
ii. deii gott lichen Uvsprung des Ckristenthums, ivieder Off'enbaruny àber-
kaupt, 1787-94), qui fait reposer lui aussi la divinité du christianisme sur
la vérité de l'histoire évangélique, en établissant que le christianisme est
un fait, et que, par conséquent, sa crédibilité doit être établie par des
faits dont l'authenticité est à l'abri de toute contestation ; Toellner
(Versuch eines Beweises der christlichen Religion fur Jedermann, 1774),
qui, d'après le même point de vue, essaie de démontrer que l'histoire
évangélique n'est pas impossible, puisqu'elle est vraisemblable, que ses
auteurs ont été bien informés et sont de bonne foi. 11 affirme que
les miracles sont la seule preuve convaincante pour le peuple, et que
c'est d'ailleurs celle à laquelle Jésus-Christ lui-même en a le plus fré-
quemment appelé.
Cinquième période-. L'influence exercée par le mouvement philosophi-
que moderne sur l'apologétique fut très-considérable. Kant,en montrant
que toutes les vérités empruntées au domaine de la raison pratique sont
fondées sur la conscience et sur la volonté, indiquait nettement le ca-
ractère moral de la vérité religieuse, et son siège, la conscience. C'est
à lui, plus qu'à ses illustres successeurs, que Ton doit une distinction
lumineuse entre le domaine de la philosophie et celui de la religion,
bien qu'il ait méconnu quelques caractères essentiels de cette dernière.
Grâce au réveil de la vie religieuse, bien des âmes firent une expérience
plus vive et plus directe de la puissance du christianisme, tandis que,
de leur côté, les progrès de la critique historique déterminèrent une
révision sévère des preuves externes. L'apologétique gagna en solidité
et en rigueur scientifique, à mesure que Ton se convainquit que ce
ne sofit ni des doctrines ni des faits isolés qui constituent l'essence du
christianisme, dont la constatation est d'ailleurs indépendante de la
canonicité de tous les écrits bibliques et de leur inspiration littérale,
niais qu'elle réside dans la personne de Jésus-Christ, comprise dans sa
puissante originalité. En enchaînant d'une manière organique les divers
arguments destinés à établir la vérité de la religion chrétienne, on
porte une Lumière bien plus vive dans le sujet traité, qu'en présentai!!
ces preuves séparées lés unes des autres, sans unité et sans lien. Deux
circonstances, au surplus, concourent, en dëpil du sérieux et de l'ha-
440 APOLOGETIQUE
bileté grandissante déployés par l'attaque, à faciliter la tâche actuelle
de l'apologétique. Dans les pays où des Eglises chrétiennes réussissent
non-seulement à se maintenir, mais à prospérer et à s'étendre sans
l'appui de l'Etat et où, par conséquent, aucune considération d'intérêt
temporel n'explique l'attachement aux croyances religieuses, il s'établit
tout naturellement une forte présomption en faveur de la vérité et de
la puissance des doctrines sur lesquelles elles reposent. D'autre part,
en présence du transformisme, cette doctrine grandiose et rigoureuse-
ment logique née des progrès récents des sciences naturelles, la raison
moderne décidera, en connaissance de cause, si la nouvelle conception
du monde qui doit remplacer la conception ancienne, présente moins
de contradictions ou de mystères à l'intelligence, au cœur et à la con-
science de l'homme que le dogme chrétien qu'il aspire à détrôner. Si,
malgré ces incontestables avantages, l'apologétique ne jouit pas en-
core, dans le domaine scientifique, de toute l'estime à laquelle elle
a droit, cela tient à ce que, trop souvent, ceux qui la cultivent ne sont
pas à la hauteur de leur mission. Le nombre des apologies médiocres
est légion, tandis que les ouvrages de valeur sont fort rares. Or, rien ne
jette plus de défaveur sur une branche du savoir humain que de la voir
habituellement traitée d'une manière insuffisante, comme rien ne nuit
plus au crédit du christianisme et delà religion en général, que la fai-
blesse des arguments ou la déloyauté des procédés par lesquels on
cherche aies défendre. — 1. Parmi les nombreuses apologies du christia-
nisme qui ont paru dans ce siècle en Angleterre, nous n'en citerons
que quatre qui représentent assez bien les divers courants que l'on
peut remarquer dans la théologie anglaise. Thomas Chalmers (The
évidence and authority of ' Christian révélation, 7e édit., 1824), après avoir
démontré que l'homme est incapable par lui-même de découvrir les
voies de Dieu, abandonne la preuve interne et appuie ia vérité du
christianisme sur la force du témoignage extérieur. Dans une pre-
mière partie, l'auteur établit l'authenticité des divers écrits dont se
compose le Nouveau Testament ; il fait ressortir, dans la seconde,
les marques internes d'honnêteté et de sincérité que l'on peut recueil-
lir dans ces compositions mêmes ; dans la troisième , il présente
la situation connue et l'histoire des auteurs de ces livres comme preuves
suffisantes de leur véracité ; dans la quatrième, enfin, il produit des
témoignages additionnels et subséquents qui viennent à l'appui du
récit des auteurs originaux. La crédibilité des témoins : tel est le point
sur lequel se concentre tout l'effort apologétique de Chalmers avec
une érudition qui laisse beaucoup à désirer et une absence d'esprit
critique qui ôte aujourd'hui presque toute valeur à son ouvrage.
Toute autre est la méthode de Thomas Erskine (Remarks on the inter-
nai évidence of the thruth of revealed religion, 5me édit. , 1821). Il
n'aborde pas même l'examen des preuves externes. Dans la révé-
lation, il distingue les préceptes moraux et les dogmes; pour les
premiers, il y a nécessairement accord entre la loi naturelle et la
loi révélée ; quant aux dogmes, la raison nous dit elle-même qu'en
face des grands mystères qu'ils nous présentent, la raison doit
APOLOGÉTIQUE 441
abdiquer et se soumettre, vu qu'elle est incompétente pour les expliquer,
comme aussi pour expliquer la vie humaine sans eux. Elle a néanmoins
le droit d'examiner s'ils proclament la sainteté de Dieu et s'ils ont
pour but la régénération de l'homme : ce qui est essentiellement le cas
pour les dogmes chrétiens ; de plus, ces dogmes reposant tous sur des
vérités morales, en rapport avec la nature de l'homme, leur accepta-
tion exige des dispositions de l'àme qui leur soient conformes. Pour
croire, il faut incliner le cœur vers les objets de la foi. De son côté,
M.Isaac Taylor (The restoration of belief,l$&$) a une confiance inébran-
lable et illimitée dans la preuve tirée du surnaturel. Dans une pre-
mière étude, il insiste sur l'héroïsme des martyrs, sur l'introduction
dans le monde d'un principe nouveau de vie morale et sur le rapport
de ce principe avec la foi des chrétiens au surnaturel; il examine,
dans une seconde dissertation, l'idée du miracle dans le Nouveau
Testament, en montrant que l'apostolat s'exerçait essentiellement par
le miracle qui constitue, à son tour, un des éléments fondamentaux du
caractère de Jésus. La troisième partie est consacrée à l'étude des
effets du christianisme. L'auteur établit que Jésus-Christ a régénéré la
société humaine dont il est, en conséquence, aussi devenu le bienfai-
teur temporel ; il a sauvé les âmes en expiant les péchés de l'humanité
sur la croix ; il a triomphé de l'enfer et de Satan. Taylor conclut que
le miracle est nécessaire pour que la vérité religieuse, morale et
sociale fasse son chemin dans le monde. Enfin nous nommerons
l'ouvrage anonyme de M. Seeley (Ecce homo. A survey of the life and
work of Jésus-Christ, 8e édit., 1867), qui a causé une immense sensation
et a été traduit dans plusieurs langues. L'auteur laisse de côté la
question du surnaturel qui est indépendante, selon lui, des desti-
nées du christianisme; il néglige, de même, l'examen des témoi-
gnages, de peu de valeur, qui sont postérieurs à l'âge apostolique.
Concentrant tous ses efforts sur la personne même de Jésus, c'est-à-
dire du Fils de l'homme, idéal de l'humanité, telle que nous la pré-
sentent les évangélistes, Seeley essaie d'expliquer tous les effets
que le Christ a produits par la puissance de l'esprit d'amour dont
il était animé. Le moyen employé fut l'établissement d'une com-
munauté librement formée de tous ceux qui se sentaient attirés vers
lui. et dont tous les membres devaient être attachés par les liens les
plus étroits, au fondateur lui-même d'abord, puis les uns aux autres.
Jésus donna à cette société, si imparfaitement réalisée dans l'Eglise
chrétienne, le nom de royaume des cieux et s'en déclara le roi, le
législateur, le juge. C'est à cette simple démonstration (pie l'auteur de
VEcce hùmo réduit le rôle des défenseurs actuels du christianisme. —
8. En tête des apologistes contemporains, en France^ convient de pla-
cer Chateaubriand (Le Génie du christianisme, 1802), dont l'œuvre, plus
brillante que solide, a dû tout son succès au moment où elle apparais-
sait et à la magie du style dont elle <ist revêtue. Chateaubriand s'ap-
plique à démontrer l'excellence «lu christianisme dans le domaine de
la littérature, de Tari, de la science et de la morale : mais ce dernisr
poinl de vue est sans cesse sa< rifié aux précédents et, au lieu de saisir
i. 29
442 APOLOGÉTIQUE
cette religion dans son essence, il ne fait qu'en analyser les effets,
en insistant même de préférence sur ceux qui tiennent à elle par des
côtés purement extérieurs. Toute la doctrine chrétienne , selon
Chateaubriand, repose sur l'idée du mystère et culmine dans celle du
sacrement. Les meilleurs chapitres sont ceux dans lesquels Fauteur
traite des rapports du merveilleux [avec la poésie et des harmonies de
la religion chrétienne avec les scènes de la nature. La partie consacrée
au culte renferme des vues souvent bizarres sur la symbolique chré-
tienne. L'évêque d1Hermopolis,Frayssinous(/>e/e«se^w christianisme ou
Conférences sur la religion, 1825), expose d'abord les vérités delà religion
naturelle, comme «une préface utile» à celles de la religion révélée ; il
examine ensuite Futilité du culte et l'importance des principes reli-
gieux comme fondement de la morale et de la société. Abordant ensuite
son véritable sujet d'une manière tout extérieure et sans lien organique
avec la précédente partie, il étudie la valeur du témoignage et discute
la possibilité et la réalité du miracle, pour établir l'autorité de Moïse
et des Evangiles; puis, après avoir exposé le mystère de l'incarnation,
il traite successivement, mais d'une manière assez superficielle, de la
religion considérée dans ses mystères, dans sa morale et dans son
-culte. Une série d'objections sur des sujets particuliers sont reléguées
à lalin de l'ouvrage. Le Pape (1817) et les Soi?'éesde St-Pétersbourg (1821),
du comte J. de Maistre, ouvrent la série des apologies sorties de l'école
ultramontaine dont les productions les plus caractéristiques sont, sans
contredit, Y Essai sur l'indifférence en matière de religion (1820, 4 vol.)
de Lamennais et les Etudes philosophiques sur le christianisme (1851)
de M. Aug. Nicolas. Soumise à l'examen de la raison individuelle,
toute certitude cesse. Nos sens, notre instinct, notre raison : tout nous
trompe. Sur les ruines du scepticisme absolu, Lamennais édifie l'E-
glise, armée de l'autorité absolue. Nous n'avons pas à juger d'après
nos lumières naturelles, mais à adopter les décisions de l'autorité;
Lamennais admet le fait historique de l'autorité, qu'il appelle la raison
générale, sans se demander comment il s'est produit. L'autorité est
parce qu'elle est; elle n'a pas à donner des raisons de son existence.
Il n'y a jamais eu qu'une seule religion sur la terre qui s'est révélée
successivement sous plusieurs formes, les fausses religions n'en sont
qu'une altération. Lamennais ne s'occupe pas du contenu dogmatique
-de la religion, mais il prêche la soumission des individus comme des
Etats à l'Eglise, et montre que la tolérance et la liberté des cultes
conduisent à l'athéisme. M. Nicolas professe, lui aussi, un dédain
profond des faits historiques, bien qu'il se montre très-préoccupé des
conséquences sociales de la vérité religieuse. La révélation seule
indique le rapport des hommes avec Dieu et des hommes entre eux. Le
christianisme surnaturel est contraire à la raison naturelle. La raison
appliquée au dogme chrétien en dérange l'équilibre. Il faut que la
vérité soit soustraite à l'examen de la raison, qu'elle soit confiée à la
garde d'une autorité, surnaturelle comme le christianisme lui-même.
Toute interprétation exige la connaissance adéquate de son objet. Le
.Siirnaturel, qui est le propre de la révélation, implique clone le surna-
APOLOGÉTIQUE 443
lurel dans Tarent de son interprétation. L'interprétation de la vérité
divin* ne peut être qu'une révélation continue dont l'organe est l'Eglise,
infaillible dans son chef. Toute hérésie gravite vers le panthéisme et
manifeste des tendances socialistes. Plus que dans ces œuvres d'une
logique rigoureuse jusqu'à l'absurde et animées d'une défiance incu-
rable à l'endroit de l'àme humaine et de la société moderne, l'apolo-
gétique chrétienne trouve à glaner dans les conférences du Père Lacor-
daire, dans les ouvrages philosophiques du Père Gratry, dans les
discours et les brochures du comte de Montalembert et de toute cette
brillante phalange d'écrivains aujourd'hui disparus ou, comme le
Père Hyacinthe, rejetés qui, faisant appel aux nobles instincts de l'âme
humaine même déchue, demandaient que la vérité chrétienne, seule
capable de les satisfaire, se lit librement accepter par elle. Pourtant l'école
catholique libérale n'a produit aucune œuvre apologétique complète.
Nous pouvons en dire autant de notre théologie protestante de
langue française. Elle compte des apologistes fort distingués, tels que
Samuel Vincent (Méditations religieuses, 1839), Diodati (Essai sur le
christianisme envisagé dans ses rappoi^ts avec la perfectibilité de l'être
moral, 1830); F. de Rougemont (Christ et ses témoins, 1856); A. de Gas-
parin (Les Ecoles du doute et l'Ecole de la foi, 1853) ; Jalaguier (Le
témoignage de Dieu, base de la foi chrétienne, 1851); Guizot (Méditations
sur l'essence de la religion chrétienne, 1804-68, 4 vol.) ; MM. Ernest
Naville (La Vie éternelle, 1861; Le Pbre céleste, 1866; Le problème du
mal, 1868); Ch. Secrétan (Recherches sur la méthode, 1857; La raison
et le christianisme, 1863) ; A. Bouvier (Le Chrétien ou l'homme accom-
pli) ; E. de Pressensé (Le Rédempteur, 1854 ; Discours religieux, 1859);
Ed. Schérer (La Critique et la Foi, 1850); F. Pécaut (Christ et la
conscience, 1859) ; A. Coquerel fils (La Conscience et la Foi, 1867), et
beaucoup d'autres, mais aucun d'eux n'a réuni dans une œuvre
d'ensemble, et comme en un faisceau, les diverses preuves qui peuvent
être invoquées en faveur du christianisme, en les coordonnant d'une
manière organique et d'après un procédé rigoureusement scientifique.
La même remarque s'applique au plus illustre d'entre eux, Alexandre
Vinet,dont tous les ouvrages, même les plus étrangers par leur nature à
ce but, ont une tendance apologétique (voy. surtout ses Discours, ses
Essais de philosophie morale, ses Etudes sur Pascal, etc.), et qui a
exercé une puissante influence sur le développement de la théologie
protestante française et déterminé son meilleur courant. Vinet plaça
hardiment la preuve interne en tête de l'apologie chrétienne : c'est fcu
fond de la conscience que le débat doit se vider, et l'homme n'est
sérieusement convaincu s'il n'est vaincu. Tout d'ailleurs, malgré les
apparences contraires, promet la victoire, car « l'homme est fait pour
Jésus-Christ, comme Jésus-Christ est fait pour l'homme » ; à une
condition toutefois, c'est que leur rencontre se fasse dans la liberté.
\ elle de tenter, dans le domaine intérieur de l'àme comme sur le
terrain extérieur de l'association ecclésiastique, ce que la foi d'autorité
%\ i montrée impuissante à réaliser. Ajoutons que, depuis Vinet, la
preuve historique, qu'il avait trop négligée, a été reprise à nouveau,
444 APOLOGÉTIQUE
et les travaux de l'école critique, quelque négatifs que puissent
paraître leurs résultats, ont contribué puissamment à lui rendre tout
son éclat et toute sa solidité. — 3. L1 Allemagne , dans le champ de l'apo-
logétique comme dans tous les autres, a fourni de beaucoup les œuvres
les plus nombreuses et les plus remarquables. A la tête des défenseurs
contemporains de la religion chrétienne, se place Schleiermacher
(Reden ùber die Religion an die Gebildeten unter ihren Verœehtern,
1799). Son but est d'expliquer aux hommes du monde quelle est
l'essence de cette religion qu'ils dédaignent et qu'ils repoussent sans
l'examiner. A cet effet, il la débarrasse de toutes les surcharges qui la
défigurent et, pour en saisir le caractère intime, il s'applique à
décrire les expériences sur lesquelles elle repose. La religion n'est ni
la croyance en certains dogmes, ni la pratique de certaines maximes
de morale ; elle est un sentiment, celui de notre absolue dépendance,
qui provoque la réflexion et détermine l'activité de l'homme, tout en
le poussant à se réunir à ceux qui sentent comme lui. En revendiquant
pour la conscience religieuse la primauté sur les autres facultés de
l'homme, Schleiermacher a réduit à leurs vraies limites les prétentions
du rationalisme et du dogmatisme ; sur les ruines de l'ancienne apolo-
gétique, avec ses arguments aprioristiques, ses affirmations boiteuses
et ses coups d'autorité, il a posé les solides assises de l'apologétique
moderne qui fait avant tout appel à la conscience et croit n'avoir
gagné la victoire que lorsqu'elle a porté la conviction au centre même
de notre individualité. Sans nous arrêter aux ouvrages moins impor-
tants de Franke (Entwurf einer Apologelik der christlichen Religion r
1817), de Sack (Christliche Apologelik, 1829), de Steudel {Grundzùge
einer Apologetik fur das Christenthtim,i830), de Stirm (Apologie des
Christenthums fur gebildete Léser, 1836; 2e édit., 1856), nous signale-
rons les deux importantes études d'Ullmann (Sùndlosigkeit Jesu, lreédit.T
1833; Das Wesen des Christenthums, lrc édit., 1845). Dans la première,
De la Sainteté parfaite de Jésus, il part du fait du péché, commun à
tous les hommes. Il en montre l'absence dans le développement moral
de Jésus, discute le témoignage des apôtres et le propre témoignage
du Christ sur ce point, ainsi que les objections élevées tant contre la
réalité que contre la possibilité de ce fait exceptionnel, pour montrer
ensuite les conclusions que l'on peut en tirer, tant relativement à laper^
sonne de Jésus-Christ qu'en ce qui concerne la place qu'il occupe dans
l'histoire de l'humanité. Dans son Essence du christianisme, Ullmann
fait voir que le caractère distinctif de la religion chrétienne, ce n'est
ni sa doctrine, ni sa morale, ni même sa vertu rédemptrice, mais la
nature particulière et la valeur exceptionnelle de son fondateur, dans
sa personnalité aussi véritablement divine qu'humaine et complète-
ment une avec Dieu. A la base du christianisme se trouve un organisme
spirituel parfait, une personne vivante qui met ses forces et ses dons
au service de la société humaine, et qui tend invinciblement à se
l'assimiler pour en faire un royaume de Dieu. L'orthodoxie, dans les
écrits deM. Tholuck (Gespraiche ùber die vornehmstenGlaubensfragen der
Zeit, 1846, etc.), le rationalisme moderne, dans ceux de M. Hanne( For-
APOLOGÉTIQUE — APOSTASIE 445
hœfe zitut Glauben oderdas Wunder des Christenthums im Einklange mit
Vernunft u. Natur, 1850-51, 2 vol., etc.), ont trouvé des apologistes
ingénieux el abondants. Parmi les défenseurs du christianisme les plus
récents. -nous citerons Auberlen (Die gœttlliche Offenbarung, 1861-64,
wi vol.). qui part des faits énoncés dans lesépitres de saint Paul com-
munément regardées, même par la critique la plus avancée, comme
authentiques, et de là remonte à ceux que l'apportent les Evangiles,
les prophètes et les écrits attribués à Moïse, pour prouver la réalité de
la révélation ; M. Luthardt (Apologetische Vortrœge ûber die Grundwahr-
heiten des Christenthums, 1861k ; id. Ueber die Heikwahrheitèn desChris-
tenthums, 1807), qui, se basant sur les contradictions de notre être, re-
monte pour les résoudre, directement à Dieu, à la révélation, à la
personne de J.-C. et au développement du salut dans l'humanité ; M. de
Zezschwitz (Die Apologie des Christenthums nach Geschichte u. Lehre,
1866), qui, par une méthode heureuse, mêle la preuve interne et le
témoignage historique et démontre que la meilleure justification du
christianisme est son histoire, en particulier celle de son avènement ;
il examine, à l'aide de textes habilement choisis, si le monde pouvait
se passer de la religion de Jésus, et, après avoir analysé les systèmes
par Lesquels on prétend la remplacer, il en appelle à la conscience et
fait confirmer par son témoignage la vérité des doctrines fondamenta-
les de l'Evangile; M. Delitzsch (System der christlichen Apologetik, 1869)
suit une marche inverse. Il montre d'abord que le christianisme, dans
son essence, est identique avec le témoignage de la conscience hu-
maine, réfutant ainsi la part d'erreur et confirmant la part de vérité
de toutes les religions et de toutes les philosophies humaines ; il établit
ensuite la réalité historique du christianisme avec sa préparation dans
l'Ancien Testament et son accomplissement dans L'histoire de l'Eglise;
M. Erbrard (Apologetik. Wissenschaftliche Rechtfertigung des Christen-
thums, 1874, 2 vol. ) adopte le même plan, en s'appliquant d'une manière
particulière à relever l'erreur de la théorie de Darwin et de tous les sys-
tèmes qui mettent en péril la liberté de Dieu ou celle de l'homme ;
enfin les ouvrages de MM. Held (Jésus de?- Christ, 1865), Dusterdiek
(Apologetische Beitrœge, 1865), Steinmeyer (Apologetische Beitrœge,
1871 1. Baumstark (Christliche Apologetik auf anthropologischer Grun-
dlage, 1872i, Grau (Ursprûnge u. Ziel unserer Culturentwicklung . Fine
[pologie des Christenthums Vom Standpunkt der Vœlkerpsychologie, 1864.
'■'> édit., L875), etc., etc. La théologie catholique allemande a produit
deux ouvrages d'apologétique qui ne sont pas sans valeur, celui de
Divv (Die Apologetik a/s wissenschaftliche Naehweisung der Gôttlich-
heit des Christenthums in seiner Ercheinung, 1 8.'J8 ) et celui de Hettin-
ger i ipologie des Christenthums, 3e édit., L869, 2 vol.), ainsi qu'une
bonne histoire de l'apologétique de M. 'W erner (Geschichte der apologeti-
schen u. polemischen Literatur der christl. Théologie,* 1861-67, 5 vol.>.
P. Ljchtenhkrgek.
APOSTASIE, APOSTAT. An sens étymologique du mot, apostasie se
dit de L'acte qui consiste à se tenir à l'écart, et plus spécialement à
s'écarter d'une opinion que L'on avait suivie jusqu'alors: d'où l'idée
446 APOSTASIE
de résistance et de révolte. Le terme apostatare ou apostare, que Ton
rencontre dans la langue de la basse latinité, signifie mépriser ou violer
n'importe quoi. L' Encyclopédie de Diderot et le Dictionnaire de la
Conversation citent à ce propos cette loi d'Edouard le Confesseur : Qui
leges apostatabit terrœ suœ, reus sit apnd regem, quiconque viole les
lois de son pays est coupable de lèse-majesté. En général, on entend
par apostasie tout changement de religion et particulièrement l'aban-
don de la foi chrétienne : c'est dire qu'on attache à ce mot une idée de
blâme et même d'infamie. Quand on veut flétrir quelqu'un qui a modi-
fié ses croyances, on le traite d'apostat, et cependant l'apostasie est
quelquefois un devoir de conscience. Quitter une opinion que l'on
croit fausse pour une autre que l'on croit vraie n'a rien que de légi-
time; le mal consiste à renier, par intérêt ou par peur, une opinion ou
une cause dont on ne peut s'empêcher de reconnaître la justesse au
fond de son cœur. C'est à tort, d'ailleurs, qu'on a qualifié d'apostats
certains personnages historiques, tels que l'empereur Julien, par
exemple. Julien dit Y Apostat ne fut point un apostat; il avait reçu une
éducation pour le moins aussi païenne que chrétienne; il n'avait été
chrétien que de nom et uniquetnerit par la volonté de son oncle Cons-
tantin, qui désirait en faire un moine; la religion qu'il préférait et qu'il
entendait pratiquer, c'était la religion païenne; il n'avait donc pas eu
à changer de sentiments et ne mérite pas l'accusation d'apostasie. — ■
L'Eglise a réglementé avec soin tout ce qui concerne l'apostasie; elle
distingue : 1° Yapostasia a monachatu, c'est-à-dire l'acte qui consiste à
déserter un ordre religieux dans lequel on avait fait profession et que
l'on quitte sans une dispense légitime; 2° Yapostasia a clericatu, com-
mise par un prêtre qui renonce à son caractère sacerdotal ; 3° Yapos-
tasia perfidiœ, c'est-à-dire la défection totale de celui qui abandonne la
foi chrétienne. Chacun de ces cas d'apostasie est l'objet de nombreux
commentaires dans le droit ecclésiatique et donne lieu à des pénalités
diverses. Le concile de Chalcédoine frappe déjà d'anathème les deux
premières sortes d'apostasie; plus tard, on les fait tomber sous le coup
de l'excommunication, et ceux qui s'en rendent coupables sont privés
de tous les privilèges qui s'attachaient à leur état. Il est enjoint aux
évêques de mettre la main sur les apostats qui se trouvent dans leur
diocèse et de leur infliger une amende et même la prison, jusqu'à ce
qu'ils reviennent à résipiscence. Le dernier cas d'apostasie est le plus
grave de tous; aussi l'Eglise lui a-t-elle réservé toutes les rigueurs, et.
même, les trouvant insuffisantes, a-t-elle fait appel aux lois civiles.
Tous les édits concernant les hérétiques et les schismatiques sont diri-
gés contre cette classe d'apostats. Aujourd'hui, que l'on tend de plus
en plus à la séparation du temporel et du spirituel, il est rare que
l'apostasie soit considérée comme un délit civil; mais, il n'y a pas cent
ans encore, un catholique qui, en France, abandonnait sa religion pour
embrasser le protestantisme, pouvait être puni par l'amende honora-
ble, le bannissement perpétuel et la confiscation de ses biens, en vertu
de plusieurs édits du temps du règne de Louis XIV. Le protestantisme
a eu, lui aussi, à s'occuper de l'apostasie. Il eût été bien extraordinaire
APOSTASIE — APOSTOLIQUE 447
que les nombreuses persécutions dont il [a été victime n'eussent pas
produit chez lui des apostats. Lorsqu'on parcourt la longue liste des
forçats pour la loi, on trouve cette qualification d'apostat jointe au nom
de quelques-uns d'entré eux; ceux que les tourments endurés amenèrent
ainsi à abjurer sont plus à plaindre qu'à condamner; mais on ne sau-
rait avoir la même indulgence pour les gentilshommes qui abandonnè-
rent la cause de la Réforme quand elle parut nuisible à leurs intérêts-
Quoi qu'il en soit, le temps n'est plus où l'apostasie puisse être consi-
dérée comme la suprême flétrissure, et, de nos jours, la société civile
ne rejette de son sein pas plus le Rév. Newmann que le P. Hyacinthe,,
pas plus le comte de Stolberg que lord Northcote ou le marquis de
Bute. A. Gary.
APOSTOLIQUE (Age). On entend par âge apostolique ou siècle apos-
tolique la période de temps qui s'est écoulée depuis la première Pente-
côte (an 30) jusqu'à la mort de saint Jean, que la tradition place vers
l'an 100. C'est la première période de l'histoire de l'Eglise chrétienne,,
celle qui fut remplie par l'œuvre des Apôtres (xoy. ce mot). Le christia-
nisme naissant se répandit parmi les Juifs d'abord et ensuite parmi les
païens. Nous traiterons donc successivement du Judaïsme et du Paga-
nisme au premier siècle de notre ère. — I. Le Judaïsme, Les Juifs de
l'âge apostolique avaient dans le monde trois grands centres religieux;
Babylone, Alexandrie et la Palestine. Nous n'avons point à parler ici
des Juifs de Babylone ; ils ne semblent pas avoir eu de rapport avec
les premiers chrétiens, et, du reste, leurs doctrines religieuses ne
di lieraient pas de celles de leurs compatriotes de Jérusalem. Quant aux.
Juifs d'Alexandrie, leurs idées exercèrent, au contraire, une influence
immense sur la religion chrétienne, et nous renvoyons le lecteur, pour
tout ce qui les concerne, à l'article spécial qui leur est consacré.
Nous ne traiterons donc que du judaïsme de Palestine. Hérodt
le Grand, qui était mort au moment de la naissance de Jésus-Christ,
avait laissé son royaume à ses trois fils, sortes de lieutenants des
Romains, qui se l'étaient partagé : Antipas eut la Galilée et la Pérée ;
Philippe , la Gaulonite et la Batannée ; Archelaûs régna à Jérusa-
lem. Jésus-Christ n'avait encore qu'une dizaine d'années lorsque
Archelaûs fut déposé par Auguste, et la Judée fut réunie à la Samarie
et à ridumée, déjà annexées à la Syrie, où Quirinius (Publius Sulpi-
cius . personnage bien connu, était légat impérial. C'est alors que com-
mença à Jérusalem cette suite de procurateurs dont la résidence offi-
cielle était Césarée, mais qui venaient passer à la ville sainte tout le
temps des grandes fêtes : Coponius, Marcus Ambivius, Annius Rufus,
Valérius Gratus, Pontius Pilatus. Après lui (34),Hérode Agrippa parvint
à reconstituer le royaume de son aïeul; mais à sa mort (44), la Judée
retomba de nouveau au pouvoir des procurateurs : Guspius Fadus,
Tibère Alexandre, Cumanus, Félix, Festus, etc. — La religion pro-
fessée par les habitants de la Palestine était l'antique religion de
Moïse, restaurée par Esdras, transformée par la Synagogue et plus
ou moins modifiée par l'hellénisme. Depuis l'exil, le Juif différai!
totalement de l'ancien Hébreu. Le monothéisme était accepté par le
448 APOSTOLIQUE
peuple entier; tous étaient fidèles ; plus de guerres civiles, plus de tri-
bus rivales, plus d'idolâtrie ni d'impiété. A un profond attachement
aux traditions nationales, les Juifs joignaient une grande puissance de
réflexion et d'analyse. Ils avaient créé une véritable théologie qui, pen-
dant le siècle apostolique, avait atteint le plus haut point de son déve-
loppement. Le judaïsme était arrivé à sa maturité : son œuvre s'ache-
vait. Les dernières conséquences des principes posés autrefois par
l'antique hébraïsme étaient tirées, et les divers partis, alors existants, les
mettaient en pratique chacun à leur manière. Précisons d'abord l'in-
fluence de l'hellénisme en Palestine : elle était réelle. Malgré la haine
que le Juif orthodoxe professait pour tout ce qui était grec, Antiochus
Épiphane, avait imposé les idées grecques, et il avait bien fallu les subir.
Elles étaient éminemment envahissantes. 11 y avait même un parti grec
à Jérusalem. Il va sans dire qu'il était détesté. Il subsistait néanmoins,
et les Juifs d'Alexandrie y avaient leur synagogue (Act. VI, 9). Quant
aux systèmes philosophiques de la Grèce, ils avaient fait leur appa-
rition en Palestine deux cents ans environ avant Jésus-Christ. Mais les
écoles de Jérusalem y étaient restées très-opposées. C'est des profon-
deurs de l'Ancien Testament que les docteurs de la loi tiraient toute
leur théologie. Pour eux, la Thorah renfermait toute la science, et elle
seule jouissait d'une autorité incontestée. Cette idée était bien contraire
aux tendances rationalistes de l'esprit grec. Nous allons passer en revue
les diverses doctrines de la théologie juive, telles qu'elles étaient expo-
sées dans les écoles de Jérusalem. — L'idée de Dieu était, chez les Juifs
du premier siècle, d'une grandeur incomparable. La foi en un Dieu uni-
que était dans toutes les classes de la société la base indestructible du
sentiment religieux. Il était interdit de prononcer le mot sacré Jahveh,
et, dans les lectures publiques, le lecteur le remplaçait par le mot
Adonaï (le Seigneur) ; chez les Samaritains, on lisait : le nom « Schimah ».
Ce Dieu absolu, abstrait, esprit pur, n'en était pas moins un Dieu
vivant et personnel. La théologie cherchait à concilier cette idée à la
fois concrète et abstraite de la Divinité. Le Dieu-Esprit, qui est loin
des choses créées et du monde où règne le mal, s'est communiqué au
monde; il a parlé aux hommes, et un grand nombre de passages bibli-
ques lui supposent des sentiments humains et des passions humaines.
Comment expliquer cette contradiction? Pour sauvegarder la foi en la
spiritualité de Dieu et l'authenticité des passages de la Loi où Jahveh
nous est représenté parlant à Moïse et aux prophètes, les Juifs ensei-
gnèrent que ce n'était pas Dieu lui-même qui apparaissait aux patriar-
ches, mais « sa Gloire » (Schechina) ou sa Parole (Memra). Ils ne son-
geaient point encore à un Dieu second, et ils ne distinguaient point la
Memra et la Schechina de l'essence divine. Ils ne voulaient que conci-
lier les Ecritures avec leur doctrine : Jahveh ne peut apparaître à une
créature humaine. Mais peu à peu ils se trouvèrent amenés à distinguer
de lui cette gloire ou cette Parole par laquelle il se communique au
monde ; et de l'idée de la sainteté de Dieu, poussée à ses dernières limites,
sortit la doctrine du médiateur ou de la Parole de Dieu. — Le Verbe. Au
premier siècle, les Juifs distinguaient expressément un Etre intermé-
APOSTOLIQUE 419
diaire entre l'Eternel et l'humanité. C'était le développement Logique
de la doctrine de la sagesse de Dieu dont l'Ancien Testament parlait
déjà. Les Targoums d'Onkelos et de Jonathan renferment plusieurs pas-
sades où Tidée du Vérité, telle qu'on la professait en Palestine à cette
époque, est soigneusement exposée. C'est la Parole qui a créé le monde
et Ta mis en ordre. Elle conserve toutes choses, règne sur le peuple et
intercède auprès de Dieu pour lui. Elle sait tout ce qui se passe sur la
terre. C'est par elle que Dieu a l'ait alliance avec les hommes. Moïse
se tenait entre Elle et le peuple élu. (Targ. Onkel, sur Gen. I, Ti ;
Deut. XXXIII, 27; Deut. IV, 5; Deut. V, 5, etc.; Targ. Jonath., sur
Esaïe LIX, 17 et suiv.; sur Esaïe XXXVIII, 7; XL, 15, etc.). Il résulte
de plusieurs passages des Targoums que la Parole reste en relation
étroite avec l'essence divine. Il reste entre Dieu et son Verbe un lien
indissoluble et mystérieux. Celui-ci n'est jamais placé d'une manière
très-nette au-dessous du Dieu unique et vrai (voir en particulier Targ.
Onkel, sur Genèse XXVIII, 13 et 21, et sur Lévit. XXVI, 30, et Targ.
Jonath., sur Esaïe I, 14; XLII, 1). Ce développement d'une doctrine
du Verbe qui se faisait à côté du développement des idées sur le Messie
n'avait rien de commun avec elles. L'idée de l'incarnation était tout à
fait étrangère à l'esprit juif; mais, plus tard, les deux courants devaient
se rencontrer et contribuer, chacun pour -sa part, à la formation du
dogme de la divinité du Christ. — Les Anges. La théologie juive du
premier siècle ne reconnaissait pas seulement un être intermédiaire
entre Dieu et les hommes, mais plusieurs auxquels elle donnait le
nom d'Anges. C'était là une antique croyance remontant au temps des
Hébreux. Ceux-ci peuplaient les espaces célestes d'êtres supérieurs qui
vivaient parfaitement heureux dans l'extase et la prière. Le contact des
Juifs avec les Perses, pendant la captivité de Babylone, leur donna
l'occasion de préciser leur angélologie et de lui donner une forme
savante et compliquée. Ils crurent, comme les Perses, à sept Esprits
supérieurs qu'ils appelaient les archanges et qui formaient le conseil
de Jahveh. Ils se tenaient devant le trône de l'Eternel ; ils étaient sa
garde d'honneur et setrovaient au premier rang de l'armée céleste. Les
noms de six d'entre eux nous ont été conservés : Gabriel, Michael,
Raphaël, Uriel, Jérémiel, Sealthiel. Ilschantent jour et nuit leslouanges
de Jahveh et ne descendent sur la terre que dans des circonstances
exceptionnelles (voir Daniel VII, XII; Tobie, passait; Luc I, 19).
Au-dessous des archanges se placent les anges inférieurs dont le
nombre est indéterminé, et d'autant plus nombreux que leur di-
gnité est moindre. Ceux-là étaient les anges proprement dits (les
messagers) et se trouvaient remplir auprès des hommes la fonction
d'anges gardiens (Act. XII, 15; Matth. XVIII, 10). Ils étaient mi-
nistres de l'assistance divine (Hébreux I, 14), et, à la mort, ils por-
taient l'âme du juste dans le sein d'Abraham (Luc XVI, 22).
Non-seulement chaque homme avait son ange, mais chaque nation
avait le sien (Daniel X). Enfin, les éléments, comme le veut.
le feu, l'eau, avaient aussi leurs anges (Livre d'Enoch, LX, 16 et
suiv.). — Les Démons. Les démons sont mentionnés ça et là dans
450 APOSTOLIQUE
l'Ancien Testament; mais la démonologie juive ne date que des deux
siècles qui ont précédé l'ère chrétienne. Les Juifs n'ont cru définitive-
ment à un prince des démons qu'après être entrés en contact avec les
Perses. Mais leur doctrine des démons est toujours restée vague et atté-
nuée par l'inébranlable monothéisme inhérent à leur race. Ils sen-
taient parfaitement que s'ils précisaient l'idée d'un chef des mauvais
esprits, ils créaient une puissance du mal, opposée à Dieu, puissance
du bien, et devenaient dualistes. Le chef des démons n'est appelé Satan
que dans le Nouveau Testament. Les documents juifs contemporains de
l'ère chrétienne l'appellent Asmodée (Tobie III, 8; VIII, 3); Béliar
(Orac. sybill., III, 61). Le nom Beelzebut se trouve dans plusieurs pas-
sages du Nouveau Testament. Les démons sont nés, dit le livre d'Enoch
(XV, 8 et suiv.) du mariage des anges déchus avec les filles des hom-
mes ; « les fils de Dieu » dont parle le chapitre VI de la Genèse étaient,
d'après lui, des anges déchus. Leurs fils, les démons, habitent les airs ou
les déserts et les endroits inhabités (Test., Benjamin, § 3; Tobie VIII, 3).
Ils viennent de là pour tourmenter les hommes. Ils sont cause de leurs
maladies, et leur pouvoir ne s'étend pas seulement sur le corps, mais
sur l'âme. Ils peuvent « induire en tentation » (Matth. VI, 13). Ils
exercent leur influence sur les pensées des hommes et sur leur destinée
(Jos., B. </., VII, 6, 3). La folie surtout était considérée comme une
possession. Chasser les démons était une œuvre de bienfaisance à laquelle
se livraient les écoles de la Palestine. Josèphe nous explique en détail com-
ment on s'y prenait (Jos., Ant. Jud., VJII, 2, 5; B. «/., VII, 6, 3). On
prononçait certaines formules magiques, on se servait d'une racine
appelée baaras, que l'on approchait du nez du possédé. Le grave Josèphe
affirme avoir été témoin d'une guérison de ce genre. Il ne faut pas con-
fondre les démons avec les anges déchus. Ceux-ci, qui sont, nous l'avons
dit plus haut, leurs pères, ne vivent pas en liberté dans les airs. Ils
expient leur crime dans les tourments, chargés de lourdes chaînes et de
pierres énormes et sont sous les montagnes, dans une vallée de feu
dont les éruptions volcaniques nous révèlent l'existence (Livre
d'Enoch, X, 4, 12; LXVII, 7). Cette foi aux démons avait au premier
siècle une grande puissance. On découvrait partout de mauvais esprits;
le monde invisible trahissait chaque jour leur présence; sans cesse on
croyait voir arriver la catastrophe finale qui annoncerait le Messie; rien
d'étonnant que cette époque ait été fertile en visions et en apparitions
surnaturelles. Tout ce qui sortait tant soit peu de l'ordinaire était attri-
bué à des puissances occultes. — L'Homme. L'anthropologie juive est
toujours restée pauvre, et les questions de la liberté humaine, de la
prescience divine, de l'immortalité de l'àme et de la résurrection du
corps n'ont jamais été officiellement et définitivement résolues. La
haute idée que le Juif se faisait de la dignité humaine reposait sur son
invincible orgueil national. Il refusait de croire que le péché originel
ait eu pour lui la moindre conséquence. Les pécheurs, c'étaient les
païens. Le livre d'Enoch (voir ch. GVIII) nie formellement la doctrine
du péché originel. Le IVe livre d'Esdras est seul à l'enseigner, et il en
parle sous l'influence des idées qui fermentaient alors dans la jeune
APOSTOLIQUE 151
société chrétienne. La gravité du péché étant méconnue, la question du
salut, au sens tragique de ce mot, ne se posait même pas. On était
justifié par les œuvres de la Loi (Honi. 111, 20), L'essentiel était de
pratiquer exactement toutes les abstinences, d'observer les jeûnes, de
célébrer les [êtes. La pauvreté avait une valeur morale. Les basses
classes passaient pour être seules composées de vrais patriotes aimés
<le Dieu, et les riches, que Ton appelait volontiers de « mauvais riches»,
ne se faisaient pardonner leur opulence qu'en faisant largement
L'aumône; celle-ci était un mérite important; elle expiait les péchés
(Tobie XII, 9). La foi en la résurrection à venir était de formation
récente et n'était défendue que par l'école pharisienne. L'Ancien Tes-
tament, qui plaçait la récompense du juste sur la terre, n'avait point
eu l'occasion de parler de vie future, et lorsque le matérialisme eut
l'ait invasion en Palestine, la piété s'affaiblit. Le parti sadducéen refusa
ducroire en la spiritualité et en l'immortalité de l'àme ; une réaction pro-
voquée par les pharisiens, se produisit contre cette tendance. Une vie fu-
ture où les hommes de bien seraient récompensés fut énergiquement affir-
mée (Eccl. XL VIII, o). On ne pensait pas d'abord « aux méchants », et on
crut pendant longtemps qu'il n'y aurait pas d'avenir pour eux. Plus tard,
on changea d'avis ; ils auraient aussi leur vie future et y subiraient le châti-
ment de leurs fautes. L'ancienne opinion subsista néanmoins, et toutes
deux étaient enseignées pendant le siècle apostolique. Les Evangiles
parlent de la résurrection des « justes » (Luc XIV, 14 ; Josèphe aussi,
Ant. Jud., XVIII, 1, 3; B. «/., II, 8, 14; Saint Paul affirme celle de tous,
« tant des justes que des injustes » (Act., XXIV, 15). Remarquons,
de plus, que, pour les Juifs palestiniens, le corps et l'âme étaient
étroitement unis. Pour ceux qui croyaient à la vie future, l'homme,
après la mort, entrait dans un état provisoire sur lequel on n'avait point
de données. La mort, disait l'Ancien Testament, n'a pas été voulue de
Dieu ; elle n'est que le châtiment du péché, qui a eu pour conséquence
de corrompre l'homme et de séparer ce que Dieu a fait pour être unis,
l'âme et le corps. Cette séparation est un châtiment : l'âme ne vivra
donc plus tard que si elle a un corps, et on ne distinguait pas la ques-
tion de l'immortalité de l'âme de celle de la résurrection du corps.
Nous n'insisterons pas davantage sur une question que le lecteur trou-
vera traitée à l'article de l'eschatologie juive. Il en est de même des
espérantes messianique, la plus importante des doctrines juives de
l'âge apostolique et qui est traitée dans un article spécial. Nous ne par-
lons pas non pins de la Bible des Juifs de Palestine au premier siècle.
— L'ensemble des doctrines que nous venons d'exposer formaità Jéru-
salem l'objet d'un d'un enseignement religieux. Cette ville possédait
des écoles de pharisiens ou écoles des docteurs de la Loi. En l'ace
des pharisiens s'élevait le parti des sadducéens. Enfin, la tendance
ascétique, puissante alors en Palestine, avait produit diverses nia-
nifestations de la pensée religieuse, dont les ésséniens, d'une part,
et Jean-Baptiste, de L'autre, étaient les divers représentants. L'au-
torité religieuse était représentée par le Sanhédrin (voy. ces mots).
L'histoire du judaïsme du premier siècle nous fait assister au spectacle
452 APOSTOLIQUE
de la décadence d'une religion nationale. Le judaïsme est usé, vieilli,
il marche à sa ruine. Avant la fin de l'âge apostolique, en 70, il suc-
combe, et on peut dire qu'il s'est détruit lui-même. Cette nation est
arrivée à un tel degré d'exaltation en toutes choses que son existence
est devenue impossible. L'égoïsme du Juif, sa haine du genre humain,
son orgueil sont à leur comble ; comme peuple, il ne peut subsister,
et nous prévoyons déjà, dans ses doctrines exagérées et dans les
partis qui le divisent, l'explosion de rage et d'impuissance qui abou-
tira à la destruction de Jérusalem et à la dispersion des enfants
d'Israël. Avec saint Paul, le christianisme franchit les limites que
voulaient lui imposer les Douze ; il sort de la Palestine et d'Antioche,
où ceux-ci l'avaient prêché, et il se répand dans l'empire. Il s'y
trouve d'abord en présence des Juifs disséminés (rqç Staorcopoç),
car c'est dans leurs synagogues que les missionnaires chrétiens prê-
chaient d'abord la foi nouvelle. Les Juifs disséminés étaient très-
nombreux et exerçaient dans certains centres une grande influence.
Les Romains leur laissaient le libre exercice de leur religion et ils
jouissaient de plus de liberté que les autres sectateurs de religions
étrangères dont le culte n'était que toléré. La loi romaine donnait aux
Juifs le droit de tenir partout leurs assemblées religieuses, et, dans
toutes les grandes villes, il y avait une synagogue ou maison de prières
où la Loi et les Prophètes étaient lus et expliqués chaque jour de sabbat,
le plus souvent en grec. Quand la communauté juive ne possédait pas
de synagogue, elle se réunissait hors de la ville, à portée d'un cours
d'eau pour les ablutions (Act. XVI, 13). Ces réunions n'étaient point
interdites aux païens et les femmes les fréquentaient volontiers. En
général, les Juifs disséminés étaient très-ardents à la propagande, et
ils obtenaient un certain nombre de conversions. Parmi les païens
convertis, les uns s'appelaient prosélytes de la Porte et les autres pro-
sélytes de la Justice (voy. ces mots). Ceux-ci, qui étaient aussi connus
sous le nom de 8£ose6eiç ou ço6otfji£vol tov 0eov, restaient toujours in-
férieurs aux Juifs de naissance qui , à l'apparition du royaume de Dieu,
devaient être les premiers à jouir des bénédictions promises.
IL Le paganisme. Parlons maintenant du paganisme et de l'empire
romain considéré dans son ensemble, et disons ce qu'il était lorsque
saint Paul le parcourut dans ses grands voyages missionnaires. Ici, il ne
s'agit plus, comme pour le judaïsme, d'une théologie proprement dite;
nous caractériserons l'ensemble de la situation politique, sociale, religieuse
et philosophique du monde païen au premier siècle. — Etat politique.
L'empire romain comprenait presque tout le monde connu des anciens.
On l'appelait rt oixoupli). Il renfermait une grande partie de l'Europe, le
nord de l'Afrique et toute l'Asie orientale. Cette immense étendue de
territoire était entre les mains de l'empereur de Rome. Deux langues y
étaient partout comprises: le grec et le latin. On conçoit immédiatement
quelle prodigieuse facilité de communications créait cette unité politique
et cette unité de langage. En Orient, le grec dominait; les conquêtes
d'Alexandre le Grand l'avaient introduit en Asie Mineure. Nous avons vu
que les Juifs eux-mêmes n'avaient pu, malgré d'héroïques efforts, s'op-
APOSTOLIQUE 45;:
poser à l'introduction de l'hellénisme en Palestine. En Occident, à Rom.'
surtout, les classes cultivées parlaient grec et on le comprenait, nous
Pavons dit, dans tout V empire. Quant au latin, il resta toujours la langue
officielle de la législation et de Tannée. L'empire était divisé en provin-
ces dont Pempereur se partageait le gouvernement avec le sénat. Les
provinces impériales étaient, sous Auguste, au nombre de neuf: la Lusi-
tanie (N.-O. de l'Espagne), la Tarraconaise (anc. Espagne citérieure),
l'Aquitaine, la Celtique ou Lyonnaise, la Belgique, la Dalmatie ou Illyrie,
la Syrie (comprenant la Phénicie et la Judée, qui y fut annexée, nous l'a-
vons vu, six ans après Jésus-Christ), la Cilicie et l'Egypte. C'étaient les pro-
vinces frontières qui exigeaient une surveillance spéciale et avaient une
grande importance militaire. Elles étaient administrées, sauf l'Egypte
qui n'avait qu'un préfet, par des légats ou propréteqrs, sortes de gou-
verneurs militaires choisis par l'empereur. Au-dessous du légat, un
procurateur était chargé de percevoir les impôts. Dans les provinces
importantes, le propréteur avait avec lui un sous-gouverneur qui réunis-
sait les administrations de la guerre, de la justice et des finances. C'étaient
là les fonctions que remplissait Ponce Pilate; il n'était que procurateur,
mais avait le pouvoir d'un préteur. Les vingt-cinq légions tenaient
garnison dans les provinces impériales, et l'empereur les avait directe-
ment sous ses ordres. Les provinces sénatoriales étaient au nombre de
onze : la Sicile, la Sardaigne et la Corse, l'Espagne Bétique, la Narbon-
naise, la Numidie, la Crète, l'Achaïe, la Macédoine, l'Asie, la Bithynie
et Chypre. Elles étaient administrées par des proconsuls désignés par
le Sénat. Ces proconsuls, avant d'être nommés, devaient avoir rempli
à Rome même d'importantes fonctions et y avoir exercé au moins la
préture. Sous leurs ordres était placé un questeur qui percevait les
impôts. Les fonctions de fermiers d'impôts (publicanus) étaient confiées
aux chevaliers romains. Cet empire, ainsi organisé et administré, n'é-
tait en réalité qu'un vaste gouvernement militaire, et le nom d'impe-
rator (général) donné au César de Rome se trouvait être d'une grande
vérité. Voici les noms des empereurs romains qui se succédèrent de la
mort d'Auguste (14) à l'avènement de Trajan (98) : Tibère (14-37), Ca-
ligula (37-41), Claude (41-54), Néron (54-68), Galba (68-69), Othon (69,
3 mois), Vitellius (69, 8 mois), Yespasien (69-79), Titus (79-81), Domi-
tit'ii (81-96), Nerva (96-98). — Etat social. La population vivait dans la
servitude. C'était d'abord aux peuples conquis que Rome avait imposé
sa direction et ses lois. En outre, le monde était rempli d'esclaves. Pen-
dant le siècle apostolique, le nombre des esclaves était au moins égal à
e<-hii de la population libre. On trouvait des maîtres assez riches pour
en posséder cinq mille, dix mille, et jusqu'à vingt mille. Tout leur était
livré, ei ce n'était pas seulement le service proprement dit qui leur
était demandé; l'agriculture était entre leurs mains et ils étaient char-
gés de l'éducation des enfants. Ils se recrutaient par la guerre, par le
commerce (il en venait de toutes les parties de l'empire) et aussi par
la naissance. La loi romaine était envers les esclaves d'une horrible
cruauté; leur maître disposait d'eux comme il l'entendait, il pouvait les
mettre en croix pour le pins l'utile motif; s'ils devenaient vieux, s'ils
454 APOSTOLIQUE
tombaient malades, il lui était permis de les abandonner dans une ile du
Tibre. Le Romain n'avait, en général, nul souci de la dignité humaine.
Le propriétaire seul avait une individualité. L'esclave était sa chose,
et l'homme qui ne possédait rien était sans valeur. Cependant il ne
faudrait pas juger de l'état social des esclaves au premier siècle d'après
la cruelle législation qui les régissait. Il arrive souvent que l'homme
vaut beaucoup mieux que les lois qu'il promulgue ; et tout permet de
supposer que les maîtres étaient ordinairement plus indulgents et plus
doux que ne le demandait la loi. L'esclave des villes prenait parfois
une grande influence sur l'esprit de son maître. On sait le rôle que
jouèrent les affranchis dans la société romaine sous l'empire. Il faut
ajouter que la religion les protégeait, et ils lui rendaient cette protec-
tion en étant très-dévots. Enfin, de Cicéron à Sénèque (et c'est préci-
sément de cette époque que nous parlons), les recommandations des
philosophes aux maîtres en faveur de leurs esclaves sont de plus en
plus pressantes. Sénèque parle quelquefois comme le ferait un chrétien.
Les gladiateurs, en particulier, qui étaient les plus malheureux de
tous, excitaient sa compassion. Il condamnait absolument les jeux du
cirque. « Homo, écrivait-il, res sacra homini » (Epist., 15, 33). A côté
des esclaves venaient les pauvres ; c'est parmi eux que s'est recruté le
christianisme naissant ; malheureusement on ne les connait qu'imparfai-
tement. Tout porte à croire qu'ils étaient aussi très-dévots [et très-atta-
chés au culte de leurs pères. Rien d'étonnant qu'un grand nombre ait
facilement accepté l'Evangile. C'est toujours parmi les personnes déjà
croyantes qu'une religion nouvelle est accueillie. Elle ne réussit point
avec les sceptiques et les indifférents. Voilà pourquoi l'Evangile a trouvé
le plus grand nombre de ses disciples dans les basses classes, en même
temps qu'il soulevait parmi elles les plus violentes haines. Il faut ajou-
ter qu'une religion parlant à l'âme de consolation et lui offrant une
compensation aux peines de la vie devait trouver un accès facile dans
les classes souffrantes. Le christianisme prêchait la liberté spirituelle, et
montrait à la conscience humaine les limites que le despotisme des
Césars ne pouvait dépasser. Enhn, il ne faut pas oublier que les pauvres
formaient déjà entre eux des associations ou collèges avec lesquels les
premières Eglises chrétiennes n'étaient pas sans offrir quelque analo-
gie. Ces collèges étaient nés du besoin, si naturel chez les faibles, de
mettre leurs forces en commun. On s'associait quand on avait le même
métier, quand on était loin de Rome et qu'on voulait remplacer la
patrie absente ; parfois le voisinage était seul l'occasion d'un rappro-
chement et de la fondation d'un collège. Le gouvernement des Césars
ne pouvait être favorable à des associations aussi indépendantes; il
craignait, non sans raison, de les voir dégénérer en sociétés secrètes, et
Auguste supprima tous les collèges qui lui semblaient dangereux.il en
subsista néanmoins un grand nombre, et les collèges de l'âge aposto-
lique prirent une importance considérable parce qu'ils devinrent surtout
des collèges funéraires. Un sénatus-consulte vint même les autoriser
solennellement à prendre ce titre, et leur principal souci fut de procu-
rer à leurs membres une sépulture honorable. On comprend ce qu'il
APOSTOLIQUE 455
v avait de consolant pour le pauvre, dont la vie n'était qu'un long et
douloureux esclavage, à penser qu'après sa mort il ne serait pas oublié
et que sa tombe serait respectée. Les chrétiens s'empressèrent de pro-
fiter de cette touchante coutume ; la tolérance accordée aux collèges
funéraires leur fut très-utile et ils cherchèrent à leur ressembler pour
faire respecter non-seulement leurs tombes, mais aussi leurs agapes
fraternelles, qu'ils instituèrent à l'image des repas pris en commun par
les membres des collèges. Il va sans dire que la différence fondamentale
des deux associations était dans le sentiment religieux qui semble avoir
été peu développé dans les collèges. Il n'y a pas grand'chose à dire
des classes élevées de la société païenne au premier siècle. Des richesses
immenses y étaient accumulées. La noblesse avait perdu tout ce qui
avait fait autrefois sa force, elle n'avait plus d'initiative et ne prenait
aucune part au gouvernement. Le sénat ne savait plus que servir. De
cette absence d'occupations sérieuses résultait une profonde immora-
lité. Les meilleurs étaient encore ceux dont les devoirs de société et de
politesse absorbaient la vie tout entière. Les lettres restaient la conso-
lation et le charme de quelques esprits rares et délicats, qui savaient
s'en contenter; mais, en réalité, il régnait sur toute cette société polie
un immense ennui, un profond dégoût de la vie. Tous s'adonnaient
aux flatteries les plus basses et les plus viles envers le maître. La
famille était, dans la société païenne, et surtout à Rome, une insti-
tution beaucoup plus respectée qu'on ne le croit généralement. La
femme n'était point une esclave, comme on l'a prétendu; elle jouissait
dans son intérieur dune réelle et légitime autorité. L'atrium, avec
ses dieux lares et ses trésors, lui était confié. Elle élevait elle-même ses
enfants, au moins jusqu'à un certain âge. Au premier siècle, les
femmes prirent une grande influence, même en dehors de la famille.
Elles se mêlaient souvent aux intrigues politiques et religieuses.
Les superstitions trouvaient auprès d'elles l'accès qu'elles y trouvent
si souvent. Quanta l'enfant, sa condition était moins douce; il est
certain que le père avait le droit absolu de le mettre à mort s'il le
trouvait trop faible ou s'il était difforme; et s'il n'usait pas souvent
de ce droit odieux, toujours est-il qu'il ne lui fut enlevé que sous
les empereurs chrétiens. — La religion de l'âge apostolique est avant
tout la religion romaine. Elle avait pénétré dans tout l'empire
et la plupart des religions étrangères s'étaient modifiées sous son in-
Quence. C'est d'elle qu'il faut presque uniquement s'occuper lorsqu'on
étudie le paganisme du premier siècle. Or, à cette époque, sous les
règnes d'Auguste et de ses successeurs la religion romaine était dans
un (Hat florissant. Au scepticisme des derniers temps de la République
avait succédé un véritable réveil religieux. Le temps où Cicéron écri-
vait que deux augures ne pouvaient se regarder sans rire était bien
passé. La loi aux vieilles doctrines avait reparu et si on se souvenait
encore des vers de Lucrèce, c'était pour en blâmer l'esprit irréligieux.
Horace lui-même l'ait semblant de croire; et il est [tennis (le supposer
qu'à certains moments de, sa vie il a cru véritablement. H est certain
que. du vivant de Sénèque, il y avait plus (h; foi religieuse dans les
456 APOSTOLIQUE
cœurs que du temps de Cicéron. Ce qui caractérise ce réveil des vieilles
croyances, ce n'est pas seulement un retour à la foi du passé, c'est
surtout la création d'un dogme nouveau qui donnait à tout l'ensemble
des traditions nationales une extraordinaire vitalité. Nous voulons
parler du dogme de l'apothéose impériale, et, pour le dire en passant,
il serait difficile d'imaginer une preuve plus éclatante de l'état de cor-
ruption et d'avilissement où était tombé le monde antique que celle-là:
décerner la divinité à un Néron et à un Caligula! Après la création de
cette doctrine étrange, la religion romaine s'est arrêtée épuisée. L'apo-
théose des empereurs a été sa dernière création, celle qui couronnait et
achevait son système. Sous Auguste, un ternple fut élevé à la majesté
impériale. Auguste lui-même eut assez de bon sens pour empêcher
que les honneurs divins lui fussent décernés de son vivant à Rome
même. Mais, aussitôt après sa mort, on lui dédia des temples, il eut ses
fêtes et son collège de prêtres. Caligula fut adoré comme dieu pendant
son règne ; il se fit construire un temple et appeler Optimus Maximus.
Sur ses monnaies il porte une auréole. Vespasien ne toléra ni temple,
ni prêtres; il disait spirituellement pendant sa dernière maladie et
sentant la mort approcher : « Voilà que je deviens dieu. » Mais il fut
seul parmi les empereurs à se moquer de l'apothéose impériale. Domi-
tien, au contraire, prit son rôle tellement au sérieux qu'il commençait
tous ses édits par la formule : Dominus et deus noster... jubet. Si ridi-
cule que nous paraisse aujourd'hui cette divinité décernée à des fous
furieux ou à des imbéciles, comme l'étaient quelques-uns de ces pre-
miers empereurs, il ne faut y voir que la conséquence naturelle de la
religion romaine (Horace, Odes, 4 e livre, Ode 14e; Ovide, Metam.y
livre XV). C'était, comme nous l'avons dit, sa dernière création. Elle
avait fait son temps et ne pouvait plus que disparaître en étant remplacée.
Les Romains, en faisant [la conquête du monde, étaient entrés en con-
tact avec des peuples qui professaient tous des religions fort différentes
de la leur. Leur premier principe avait été de respecter absolument
les croyances des nations qu'ils avaient conquises. C'était par esprit
politique qu'ils montrèrent cette tolérance bienveillante à l'égard des
cultes des provinces. Elle leur était, au reste, bien facile : pour celui qui
ne croit pas à l'existence d'un Dieu unique, il n'y a pas de faux dieux.
Les Romains croyaient d'avance aux divinités des nations qu'ils sou-
mettaient. On raconte qu'à la prise de Jérusalem les soldats furent pris
d'une sorte de crainte superstitieuse et n'osèrent pas d'abord pénétrer
dans le temple, et nous savons par Josèphe (Ant., XVIÏI, 3) que, avant
Pilate, les procurateurs n'avaient jamais permis de porter dans les
rues de Jérusalem les étendards qui avaient l'image de l'empereur. Il
n'y eut à cette tolérance que deux exceptions nécessitées par la poli-
tique, l'une à Cartilage, l'autre dans les Gaules. L'intolérance étant
inconnue des religions antiques, le prosélytisme l'était aussi ; et les
cultes avaient une tendance à s'unir entre eux et à se mêler. Si le
culte de Rome, s'était répandu avec les conquêtes romaines, si
partout où les vétérans avaient fondé des colonies, ils avaient établi la
religion romaine, à l'inverse, les cultes des provinces avaient étô
APOSTOLIQUE 457
introduits à Rome; en Italie, on trouvait toutes les religions pratiquées.
Les Romains austères, comme Tacite (Ann., 15, W, déploraient cette
confusion. Elle n'en subsistaitjpas moins et on rencontrait jusque dans
la Gaule des temples de la déesse égyptienne Isis. C'est en vain qu'Au-
guste et Tibère avaient publié de sévères édits contre les cultes étran-
gers (Suét., Tibère, cil. XXX; Tac, Ami., 2,85). La superstition crois-
sante était très-favorable à ces religions pleines de mystères qui
venaient de l'Orient et où la magie et l'astrologie jouaient un grand
rôle, comme dans le culte] syrien. Les Romains, du reste, eurent tou-
jours grand soin de faire perdre aux' cultes locaux leur signification
politique. Avec la liberté et l'indépendance politique devait disparaître
le sens véritable du culte national. Au premier siècle, les oracles, celui
de Delphes par exemple, n'avaient plus d'intérêt général. Ils ne par-
laient plus que pour les particuliers. Celui de tous ces cultes de pro-
vinces qui était le plus répandu était certainement celui des Grecs. La
foi aux douze grands dieux de la Grèce florissait, avec des modifica-
tions locales, en Asie Mineure, en Sicile, dans l'Italie du Sud. Là elle
avait ses oracles, ses jeux sacrés et ses mystères; mais nulle part, même
en Grèce, elle n'avait gardé sa pureté primitive. En Asie Mineure, elle
s'était mêlée aux croyances de l'extrême Orient. La Syrie aussi était pres-
que entièrement hellénisée. La langue sémitique n'était plus parlée que
dans les basses classes. Les cultes de Baal et de Moloch et les sacrifices
humains étaient depuis longtemps abolis. Cependant la grande déesse
Astarté avait toujours son temple où la servaient plus de cent prêtresses.
L'empereur Héliogabale sera plus tard prêtre d'Héiios et voudra intro-
duire le culte d' Astarté dans tout l'empire. En Egypte, l'influence de
l'hellénisme était aussi très-puissante. Dans la plupart des villes, à
Alexandrie en particulier, s'élevaient des temples grecs. Les prêtres de
la vieille religion égyptienne avaient perdu leur prestige et n'avaient plus
le monopole de la science. Ils n'étaient que de simples sacrificateurs,
mais leur culte était toujours célébré. Isis, Osiris, Anubis avaient leurs
temples, leurs sphinx et leurs animaux sacrés. Il y avait encore un bœi>î
Apis àMemphis. Sile christianisme et le judaïsme étaient soigneusement
exclus de cette fusion générale de toutes les religions et de cette tolé-
rance universelle, c'est qu'il fallait pour en jouir faire des concessions
et ces deux religions n'en faisaient pas ; nul ne songeait à s'étonner d'en-
tendre parler d'un Dieu nouveau; mais on voulait que les Juifs et les
chrétiens reconnussent les dieux déjà adorés. Ceux-ci n'y consentirent
a aucun prix, et voilà pourquoi on les accusait de « détester le genre
humain » (Tacit., A/m., 15, H). La fermeté de ce principe ne nuisait
pas à leur propagande. Toute croyance venue de l'Orient avait un
grand charme et exerçait à Home et sur les femmes surtout une
influence énorme. Celles-ci recherchaient les émotions religieuses, et le
culte juif, en particulier, avec son Dieu unique, ses rêves de domina-
tion universelle et son repos sabbatique était volontiers accueilli et
pratiqué. —Il nous reste à parler de la philosophie. Elle aussi avait pris
une rapide extension à la chute de la République. Elle apprenait à
r homme a raisonner sa toi. à se rendre compte de ce qu'il croyait et
i. 30
458 APOSTOLIQUE
elle contribua puissamment à répandre la croyance en l'unité de Dieu,
en enseignant que c'était une même divinité que tous les peuples ado-
raient sous des noms divers. Elle achevait un grand travail préparé
pendant des siècles et tirait d'admirables conséquences pratiques des
doctrines spiritualistes restées jusque-là dans les livres. Cicéron, cin-
quante ans avant Jésus-Christ, proclamait déjà de grands principes aux-
quels Sénèque acheva de donner leur plein développement. La philo-
sophie telle qu'elle est exposée dans ses écrits enseigne l'unité de Dieu
et l'immortalité de l'àme. Le corps est pour l'âme une prison et la
mort sera le commencement de la véritable vie. Les hommes, même
les esclaves, sont tous semblables et peuvent arriver à la vertu. Chacun
doit faire du bien à son prochain et aimer, non-seulement ses conci-
toyens, mais tout le genre humain. Nous ne nous arrêterons pas à discu-
ter les prétendus rapports de Sénèque et de saint Paul. Il est prouvé que
Sénèque n'a point connu le christianisme, et cependant nous le voyons
dans ses écrits plaindre sincèrement les esclaves et réprouver avec
énergie les combats de gladiateurs. Derrière l'insouciance superficielle
du beau monde , on découvre ainsi un grand nombre d'esprits sé-
rieux, qui, comme Virgile, le pieux Virgile, une des âmes les plus éle-
vées de l'antiquité païenne, pressentent la religion nouvelle. Le stoï-
cisme était le système généralement adopté par les philosophes ; mais
c'était un stoïcisme moins farouche que celui qui l'avait précédé et
auquel n'était point étranger ce sentiment de faiblesse qui saisit l'âme
quand elle se connaît elle-même et lui fait chercher un point d'appui
en dehors d'elle. La philosophie de l'âge apostolique préparait douce-
ment les voies à la doctrine du péché telle que le christianisme l'en-
seignera. Il faut ajouter qu'elle s'était faite populaire. Les philosophes
s'habituaient à parler, à être orateurs aussi persuasifs et aussi éloquents
que possible. Sous Tibère, leurs écoles étaient pleines ; c'est là que se
forma Sénèque, le plus grand orateur de son temps. Tel était le monde
antique quand les apôtres commencèrent leur prédication évangélique.
Il achevait son développement en toutes choses et sa vie touchait à sa
fin. Suivant la profonde parole de l'Ecriture : « Le temps était accom-
pli. » L'antiquité était impuissante à changer elle-même de condition.
Les masses restaient, par la force de l'habitude, soumises aux prêtres ;
mais les besoins religieux des âmes n'étaient point satisfaits. Un nou-
veau principe de vie allait se répandre et le monde était prêt à le rece-
voir. L'espèce de fermentation religieuse dans laquelle vivaient les es-
prits servit plus le christianisme que n'aurait pu le servir P indiffé-
rence de l'époque de Cicéron. — Bibliographie. Les seuls documents
originaux que nous possédions pour l'histoire des Juifs au pre-
mier siècle sont les Pseudépigraphes et les Apocalypses juives parues.
à cette époque, les Targoums d'Onkelos et de Jonathan, les Livres
du Nouveau Testament, les écrits de Josèphe et le Talmud. Parmi
les ouvrages modernes qui traitent cette question on peut consulter :
Schneckenburger, Vorlesungen ùb. N. T. Zeitgeschichte; Langen, Das
Judmthum in Palœstina zur Zeit Christi; Gfrœrer, Das Jahrhundert des
Heils; Hausrath, Die Zeit Christi; Nicolas, Des doctrines religieuses des
APOSTOLIQUE 45fr
Juif» pendant les deux siècles antérieurs ù l'ère chrétienne. Pour l'his-
toire romaine du premier siècle, nous citerons, outre les documents
originaux, Suétone, Tacite, Sénèque, etc. et les histoires générales, (h.
N'hmidt, Essai histor. s//?' la soc. cw. dans le monde rom. et sur satrans-
fort*, parle Christian.. Strasb., 1S53 ; Mœurs romaines du règne d'Au-
(juste à la fin des Antonins, par L. Friédlaender, traduction libre de Ctu
Vogel, 4 vol., in-8; La fictif/ ion romaine d Auguste aux Antonins, par
Gaston Boissier, 2 vol. in-8. Voir pour la bibliographie complète l'ou-^
vrage de Schneckenburger. Ef>M. Stapfer.
APOSTOLIQUE. On donnait, dans les premiers siècles du christia-
nisme . ce nom aux. Eglises fondées par les apôtres ou censées fondées»
par eux (Jérusalem, Antioche , Alexandrie, Home, etc.); même on
rétendait souvent à toutes les Eglises , moins à cause de la conformité
de ieur doctrine avec celle des Eglises qui étaient apostoliques par leur
fondation que parce que les évoques se considéraient indistinctement
comme les successeurs des apôtres et basaient leur autorité sur cette
succession. Depuis le septième siècle, ce titre fut exclusivement réservé
au siège de Rome (Greg. Magn., Ep., 37), les trois patriarchats d'Orient
étant tombés entre les mains des musulmans et la suprématie de saint
Pierre sur les autres apôtres étant généralement reconnue (Rupert., De
divin, offic, I, 27). Le concile de Reims (1049) déclara que le souverain
pontife de Rome était le seul primat apostolique de l'Eglise universelle.
De là ces expressions si usitées, siège apostolique, nonce apostolique,,
vicaire apostolique, notaire apostolique, bref apostolique, etc. — On
réserve le nom de Pères apostoliques à ceux des disciples immédiats des-
apôtres auxquels l'Eglise a attribué des écrits dont un certain nombre
sont considérés aujourd'hui comme inauthentiques, ou du moins dont
l'authenticité est douteuse. On les divise en deux classes, suivant qu'ils
se rattachent à Paul, comme Barnabas, Clément de Rome et Hermas r
ou à Jean, comme Ignace ,Polycarpe et Papias (voy. ces articles). On a
cessé de comprendre Denys l'Aréopagite parmi les Pères apostoliques..
Les meilleures éditions de ces Pères sont les suivantes : 1° S. S. Pa\rum
qui temporibus apôstolicis floruerunt opéra, éd. J. B. Cotelerius, Paris,.
lt)72; 2e éd., Amst.,1724, 2 vol. in-f0.; 2° S. S. Patrum apostolic. opéra
genfoin*, éd. R. Russel, Lond., 1746, 2 vol. in-8°; 3° Clementis Rom.,
S. ff/italii, S. Pohjcarpi, patrum apostoL qine supèrsurii,, éd. Jacobson,.
Oxon., 1838. 2 vol. ; 4° Patrum apost. opéra, éd. C. J. Hefele, Tub., 1839 :
->e «'•<! . I8'i7; 5° Codex N. T. deuterocanonieus s. patres apostolici, éd.
Muralto, Turici, 1847, in-12. — Voyez Nickel : Die apostoL Vaeter, in
4 wtscher Uehersetzung, Berl. 1858 ; Hilgenfeld : Dieapùsiôl. Vxter, Halle,
1853. — Le titre de Rois apostoliques fut accordé aux rois de Hongrie
par Sylvestre II, pour récompenser Saint-Etienne (999-1003) d'avoir
conquis ceroyaumeàla foi chrétienne. Il fut renouvelé par Clément XIII,
en 1758, en faveur de la maison d'Autriche-Hongrie.
APOSTOLIQUES, nom d'une secte italienne du Seizième siècle
Gérard Begafelli, un simple ouvrier d'Alzano^près de Panne, fut poussé,
par la vue d'un tableau représentant les apôtres, à imiter leur \i<
pauvre et errante, qui formait un contraste si saisissant avec la mon-
460 APOSTOLIQUE — APOTRE
danilé du clergé. Sa prédication trouva, à partir de 1260, un écho
puissant surtout parmi le peuple. Il rêva de former une société plus
libre que ne Tétaient les associations religieuses de son temps, no-
tamment Tordre des franciscains, dans lequel, on ne sait pour quel
motif, il iTavait pu être admis. Point de vœux, point de règle, point de
loi, mais le seul lien tout spirituel de Tamour, à Tinstar des congré-
gations apostoliques : tel était Tidéal que Segarelli poursuivait. Pour le
reste, il s'accommodait aux doctrines et aux usages de TEglise, n'ayant
même pas conscience d'une opposition contre elle et s'abstenant de
toute polémique. La réforme des mœurs paraît avoir été le thème habi-
tuel de ses discours. Ce n'est qu'en 1280 que la secte des apostoliques
attira l'attention de Tévêque de Parme. Surveillé d'abord , puis banni ,
enfin emprisonné, Segarelli fut brûlé vif en 1300. Dulcin,le fils naturel
d'un prêtre, lui succéda, appela le peuple aux armes et succomba dans
une croisade qui fut prêchée contre lui. Il subit en 1307 le même sort
que son prédécesseur (voy. l'article Dulcin); mais la secte des aposto-
liques ne s'éteignit pas avec lui. De nombreux conciles et synodes en
Italie , en France , en Allemagne et même en Angleterre , pendant tout
le cours du quatorzième siècle , ont cru devoir s'élever contre ses doc-
trines et prononcer l'excommunication contre ses membres, confondus
d'ailleurs souvent avec d'autres sectaires du même genre, dont les ten-
dances étaient moins pures et les mœurs moins irréprochables que
paraissent l'avoir été celles des frères apostoliques. — La biographie de
Segarelli se trouve dans une chronique rédigée par Salimbenus de
Adam, moine franciscain , mais qui n'a jamais été publiée. Fr. Pegna,
jurisconsulte italien , en a inséré des fragments dans les notes dont il a
enrichile Directorium inquîsitionis de Nicolas Eymericus, ed.Venet., 1595.
Voyez aussi : Mosheim, Versuch eine?* Ketzergeschichte, 1er vol., et Nean-
der, Ktrchengeschtchte, V, 844 et ss.
APOTRES (àxorcôXoç, apostolus). Ce mot a un sens général qui a permis
de l'appliquer aux délégués des Eglises primitives, aux missionnaires,
aux fondateurs de communautés nouvelles (2 Cor. VIII, 23; 1 Cor. XVI,
3; Rom. XVI, 7. Actes XIV, 4* 14), et un sens particulier et restreint
aux douze disciples que Jésus, par un acte spécial, choisit et institua
apôtres pour prêcher la bonne nouvelle du Royaume dans les villes de
la Palestine, et continuer son œuvre après sa mort (Matth. X et parall.
XVI, 13 et parall. ; XXVIII, 18-20 et parall.). Cette mission fut précédée
pour les Douze d'unassez long temps d'initiation et de préparation passé
dans l'intimité et la familiarité de Jésus. Le Seigneur trouva ses premiers
disciples dans son entourage de Capernaûm, probablement dans des
familles amies de la sienne et qu'il connaissait, et fréquentait depuis
longtemps. Ce furent d'abord deux frères, fils de Jonas le pêcheur, An-
dré et Pierre; ensuite les deux fils de Zébédée, pêcheur également, mais
d'une fortune et d'un rang un peu plus élevés, auxquels se joignit quel-
ques jours plus tard un commis aux péages de la douane, Lévy-Mat-
thieu. Ces disciples, et Philippe dans les premiers temps, formèrent
la compagnie habituelle de Jésus. Le cercle ne tarda pas à s'élargir.
Enfin, après avoir dans le sermon sur la montagne exposé, d'une façon
APOTRES 401
plus solennelle encore la nature et les lois du royaume de Dieu qu'il
voulait inaugurer, Jésus choisit dans son entourage immédiat, parmi
ceux qui Tavaient le mieux compris, douze hommes pour aller répéter
partout ce qu'ils avaient entendu, en leur donnant le pouvoir de guérir
les malades et de chasser les démons (Marc III, 14 et s. et parall.). Pour
la caractéristique de chacun de ces douze apôtres, nous renvoyons le
lecteur aux articles spéciaux qui leur seront consacrés. Ici nous ferons
simplement observer que Jésus s'arrêta à ce nombre douze, à cause du
nombre officiel des douze tribus d'Israël à qui leur message était d'abord
destiné. Chacune d'elles devait avoir son représentant dans le collège
apostolique. C'est la même raison qui fit compléter la liste après la trahi-
son et l'exclusion de Judas (A et. I, 15-26). Pierre est toujours à la tête
du groupe et semble le représenter dans les circonstances solennelles.
C'était une nature passionnée, toute de premier mouvement, expan-
sive et fervente, mais d'une volonté peu constante, et d'un esprit où
l'intuition première et l'inspiration enthousiaste l'emportaient sur la
réflexion et la délibération raisonnée. En un mot il avait tons les côtés
attachants et tous les défauts de ces sortes de tempéraments. C'est lui qui
porte la parole au nom des Douze, qui le premier et le plus rapidement
trouve la réponse attendue par le Maitre (Matth. XVI, 17; Jean VI, 68).
Mais c'est aussi lui qui s'attire parfois les réprimandes les plus sévères
et qui reniera son maitre devant une servante. Ses retours et ses re-
pentirs étaient aussi prompts que ses défaillances ; aussi garda-t-il jus-
qu'à la fin le rôle éminent que son âge, son intimité avec Jésus et son
caractère lui avaient spontanément donné. Quand Jésus crut le moment
venu de faire entendre son appel à toute sa nation, il envoya ses apô-
tres deux à deux prêcher, dans les villes et les bourgades, que le règne
de Dieu allait venir. Voilà pourquoi dans les listes que les synoptiques
nous ont laissées, leurs noms se présentent dans un ordre générale-
ment le même et forment des couples qu'il est facile de discerner.
Simon Pierre était accompagné de son frère André ; les deux fils de
Zébédée marchaient ensemble ; Philippe était l'associé de Barthélémy ;
Thomas celui de Matthieu ; Jacques, fils d'Alphée, était avec Thaddée ;
et enfin allaient de concert deux disciples venus de plus loin, Simon
le Zélote et Judas, l'homme de Kerioth, petite ville de Judée. L'appa-
rition de ces messagers dans les hameaux, les villages et les villes, dut
avoir tout ensemble quelque chose de simple et de surprenant. Ils arri-
vaient sans bourse à la ceinture, sans souliers aux pieds, sans provi-
sions, suis bâton à la main pour se défendre, comme chargés d'un
pressant message, ils ne devaient saluer personne en chemin (Voy.
Matth. X, et parall.). Suivant la coutume orientale, le voyageur qui
rencontrait une personne de connaissance, s'arrêtait à la saluer céré-
monieusement* en portant une main de la poitrine au front, et en pla-
çant l'autre dans la main droite de son ami : aussi recommandait-on
aux gens chargés d'une commission pressante de ne saluer personne
(2 Rois IV, 29). L'effet de cette première mission tut considérable. Ces
semailles devaient lever plus tard; Le nom de Jésus, renfermé jusque-
là dans un étroit rayon, tut partout prononcé, sous le toit des plus
462 APOTRES
humbles demeures et jusqu'à la cour d'Hérode Antipas, qui crut à
une résurrection de Jean-Baptiste (Marc VI, 14). Les apôtres revin-
rent heureux et enthousiasmés. Jésus partagea leur joie : « Je voyais,
leur répondit-il, Satan tomber du Ciel comme un éclair. Voici, je vous
ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions
et sur toutes les forces de l'ennemi, et rien ne vous pourra nuire.
Cependant ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont assu-
jettis, mais bien de ce que vos noms sont écrits dans les cieux. » En
même temps, ajoute saint Luc Jésus tressaillit de joie et remercia Dieu
de ce qu'ayant caché ces choses aux sages, ils les avaient révélées aux
humbles et aux petits (Luc X, 23). Cependant le maître n'eut pas tou-
jours avec ses disciples la même satisfaction. Si l'amour le plus pur inspire
tous ses rapports avec eux, il n'a que trop souvent l'occasion de se
plaindre de leur sens grossier et charnel. Il leur reproche, à diverses
reprises, leur inintelligence, leur incrédulité, leur impatience, leur
pusillanimité, leurs rivalités, leurs ambitions terrestres (Marc IX, 19;
IV, 13, 40; VI, 52; VII, 17 ; VIII, 17-21 ; IX, 6, 34; X, 24, 32, 35; XIV,
40). Surtout à la fin on peut constater une divergence de plus en plus
sensible entre les dispositions du Maître qui se prépare à la mort,
et les espérances matérielles de ses apôtres qui attendent un éclat
imminent de sa puissance et de sa gloire messianiques Aussi la ca-
tastrophe qui met fin à la vie de Jésus, les jette-t-elle dans la con-
sternation et la stupeur. La crainte les disperse un moment ; ils laissent
à des étrangers et à des femmes le soin d'assister Jésus à sa dernière
heure et d'ensevelir son corps. Les apparitions du Ressuscité rele-
vèrent leur courage et leurs espérances. Un grand changement se
fit en eux ; la foi inébranlable que leur Maître était vivant et allait
revenir, devint le ressort de leur apostolat nouveau et la puissance
qui fonda l'Eglise. Le premier soin des apôtres, en reprenant con-
science de leur mission, fut de remplir la place laissée vide parmi
€ux par le traître Judas. Pierre, à ce propos, développa les conditions
«et les marques essentielles de la charge apostolique. « Il faut, dit-il,
qu'entre ceux qui ont été avec nous pendant toute la vie de notre Sei-
gneur Jésus, depuis le baptême de Jean, jusqu'au jour où le Seigneur
a été enlevé, nous en choisissions un qui soit témoin avec nous de sa
résurrection. » Deux disciples furent présentés remplissant ces condi-
tions, Barsabas Juste et Matthias. Puis le sort décida entre les deux can-
didats. Matthias fut désigné (Act. I, 15-26). Le miracle de la Pentecôte
n'eut pas lieu, comme on le croit communément, pour les apôtres seuls.
Mais il n'y a pas lieu de douter que les principaux d'entre eux furent
les organes les plus puissants de cet esprit chrétien qui fit alors sa pre-
mière explosion et devait rester l'àme de l'Eglise. Incertains, irrésolus,
timides jusque-là, les apôtres dès ce moment se montrent remplis d'en-
thousiasme et d'une indomptable énergie. Leur mission était double :
diriger l'Eglise naissante de Jérusalem et faire l'œuvre missionnaire.
A ce double égard, la tradition catholique a défiguré le véritable état
des choses en introduisant , dans ces premiers temps de libre spon-
anéité, les%idées de légalité, de hiérarchie, de délibérations officielles
APOTRES 468
qui ont prévalu dans la suite. Jamais nous ne voyons le Collège aposto-
lique délibérer officiellement sous la présidence de Pierre. Dans la di-
rection de l'Eglise, Jacques, le frère du Seigneur, qui n'était pas apô-
tre, exerce une influence prépondérante à coté de Pierre et de Jean, et
tous les trois passaient pour les «colonnes)) de l'Eglise (Gai. II, 1-11).
Quant à l'œuvre missionnaire. Paul pourra dire justement qu'à lui seul il
a plus l'ait que touslesautr.es ensemble. Malgré quelques tentatives iso-
lées de Pierre sur le sol du paganisme, les Douze, fidèles au mandat
qu'ils avaient reçu, se regardèrent longtemps comme spécialement
envoyés auprès du peuple d'Israël (sjayyÉA'.cv rrtç TCeptTopjçGal. H, 7). En
dehors de ce que les Actes des apôtres ont raconté, nous ne savons à
peu près rien de leurs œuvres ni de leurs destinées. La fable d'après
laquelle', au moment de quitter Jérusalem, ils se seraient partagés
le monde connu et auraient, avant de se séparer, fixé l'essence de
la foi chrétienne dans le Symbole dit des Apôtres, n'a pas l'ombre
d'un fondement. Il en faut dire autant de toutes les autres légendes
recueillies par Eusèbe et les écrivains ecclésiastiques ou développées
dans les Actes apocryphes qui virent le jour dans les âges suivants. Les
apôtres durent rester à Jérusalem, tant que ce séjour leur fut possible.
Les persécutions les dispersèrent et les jetèrent malgré eux sur des
routes nouvelles et inconnues. Jacques, le frère de Jean, périt décapité
sur l'ordre d'Hérode Agrippa aux environs de l'an 44 (Act. XII, 1).
Jacques; le frère du Seigneur, qui peut-être lui succéda en qualité
d'apôtre, fut lapidé à Jérusalem en 62 ou 63. Pierre sortit de la Pales-
tine. Nous le trouvons vers l'an 55 à Antioche, d'où il put se rendre à
Corinthe et à Rome. Jean quitta Jérusalem vraisemblablement au
moment où éclata la guerre juive (65 ou 66), et exerça son ministère
à Ephèse et dans l'Asie Mineure. Les autres s'évanouissent dans une
impénétrable obscurité. Il ne faut pas seulement accuser l'histoire de
négligence et d'oubli. Ce silence absolu doit avoir aussi quelque raison
dans l'humble rôle qu'ils ont joué. Ils n'ont eu, extérieurement du
moins, qu'une assez faible part dans les destinées de l'Eglise et dans la
propagation du christianisme. La tradition a certainement surfait leur
activité et leur importance. Est-ce à dire que Jésus en les choisissant
s'était trompé ou qu'ils n'ont pas répondu à ses espérances? Nulle-
ment. Mais on est dans l'illusion, quand on s'imagine que Jésuis les
avait choisis pour faire exclusivement son œuvre. Il a su, quand il en
a eu besoin, trouver d'autres ouvriers et d'autres missionnaires, comme
Paul, Apollos et tant d'autres. Jésus, en établissant le collège apostoli-
que, nom lait plutôt tonner un noyau résistant, le germe d'où se déve-
lopperait 1 Eglise. Si tous ses premiers apôtres n'ont pas été indivi-
duellement des hommes de grande pensée ou de grande; initiative,
dans leur ensemble, ils n'en ont pas moins rempli la destination qu'il
leur avait assignée. Ils représentent avant tout, dans la religion nou-
velle, l'élément fixe et traditionnel. C'est par eux que l'Eglise tient au
Christ historique, au Jésus des Evangiles. Ils ont d'abord détendu
l'originalité de la toi chrétienne contre le judaïsme dont ils se sont
lentement détachés, et ensuite Us ont préservé le caractère positif, le
464 APOTRES
contenu réel de l'Evangile contre le flot du gnostieisme et de la sagesse
païenne qui menaçaient de le dissoudre et de le submerger. Ils sont
le premier anneau et le plus nécessaire dejcette longue chaîne qui,'
sans se rompre, traverse les siècles et fait la permanence du christia-
nisme. Voilà ce qu'a de vrai l'idée catholique de la succession aposto-
lique, si du moins on ne veut pas trop la presser et lui attribuer un
caractère extérieur et officiel qu'en réalité elle n'a jamais eue. Cette
exposition historique permet en même temps de faire la critique de
la notion dogmatique de l'apostolat. On a l'habitude d'attacher à l'a-
postolat les prérogatives de l'autorité du don des miracles et de
l'inspiration. Mais ces choses ne sont pas aussi étroitement liées qu'on
le pense. Sans doute ce titre d'apôtre dans la primitive Eglise pesait d'un
grand poids; il n'y a qu'à voir avec quelle jalousie saint Paul l'invoque
et le défend dans presque toutes ses épitres. Mais précisément à propos
de ce dernier se pose une grave question : Paul avait-il le droit de le
prendre? On a vu, dans le discours de Pierre pour l'élection du rem-
plaçant de Judas, quelles conditions paraissaient essentielles à remplir.
Il fallait avoir suivi Jésus durant tout son ministère et avoir été témoin
de sa résurrection. Il est évident que Paul ne les remplissait pas com-
plètement. 11 en appelait au succès extraordinaire de sa prédication,
à ses révélations, à ses visions. Cela pouvait-il suppléer ce qui lui man-
quait ? Ne nous étonnons pas que son autorité apostolique ait été violem-
ment niée par ses adversaires. C'était même là le point vif de cette lon-
gue controverse avec le parti judéo-chrétien. Si l'on s'en tient à une
interprétation juridique et formaliste, il est difficile de ne pas donner
raison aux adversaires de Paul. Mais cette conclusion inévitable prouve
précisément combien ce point de vue est faux et étroit. Qui donc fut à
un plus haut degré apôtre de Jésus-Christ que saint Paul? Sa personne,
son rôle et son œuvre sont la preuve que ces hautes prérogatives de
l'autorité etde l'inspiration demeurent indépendantes de l'apostolat ma-
tériel et du nombre douze qui l'exprime. En fixant ce chiffre, qui lui
était d'ailleurs occasionnellement indiqué par la constitution de l'an-
cien Israël, Jésus n'a pas voulu enchaîner la liberté de l'esprit de Dieu.
Le catholicisme suivant son principe, a surtout relevé le caractère offi-
ciel de l'apostolat réalisé dans les Douze, tandis que le protestantisme
s'est particulièrement réclamé de saint Paul. En face des Douze, le
treizième apôtre représente en effet la liberté de l'inspiration reli-
gieuse, l'autonomie de la foi et de la pensée. A. Sabatieb;
APOTRES (Actes des). Voyez Actes des Apôtres.
APOTRES (Concile des). Par ce terme historiquement assez inexact,
on désigne les conférences racontées, Actes XV, qui eurent lieu vers
l'an 50 à Jérusalem entre Paul et Barnabas d'un côté, et les apôtres de
l'autre, au sujet de la position dans l'Eglise des païens convertis. Ces
derniers étaient devenus très-nombreux dans la communauté chrétienne
d'Antioche. Des membres de celle de Jérusalem vinrent y jeter un
grand trouble en voulant leur imposer la circoncision et en leur disant
que sans elle ils ne pouvaient être sauvés. Paul et Barnabas s'oppose-
Tent à leurs prétentions. La discussion fut très-vive. On résolut de
APOTfiES 465
la porter à Jérusalem. Là, devant l'Eglise, les anciens et les apôtres
assemblés, les deux missionnaires racontèrent leurs grands suc-
cès à Antioche et en Pysidie. Les pharisa30-chrétiens firent valoir
les exigences de la loi mosaïque. Pierre se mit du côté de Paul et
conseilla de ne pas imposer aux païens un joug intolérable. Jacques,
tout en approuvant le discours de Pierre, lit quelques réserves, et pro-
posa le compromis qui fut accepté et rédigé dans une lettre officielle
pour être porté à la connaissance des nouvelles Eglises. Les païens
étaient dispensés de la circoncision. On les engageait seulement à
observer les préceptes dits « noachiques », auxquels étaient soumis les
« prosélytes de la porte », et qui étaient nécessaires pour rendre possi-
bles leurs rapports avec leurs frères juifs : s'abstenir des viandes sacri-
fiées aux idoles, du sang, des bêtes étouffées, et de la fornication,
(mariages prohibés par la loi de Moïse ou mœurs licencieuses de la
vie païenne). Tel est le récit des Actes des Apôtres. Dans répitre aux
Galates (II, 1-11), Paul nous a laissé une relation assez différente de ces
mêmes conférences. Comme Fauteur, dans cette épître, songe surtout
à démontrer et à garantir l'indépendance de son apostolat, son récit
est plus personnel. Il ne dit rien de la délégation qu'il aurait reçue de
l'Eglise d'Antioche ; en venant à Jérusalem, il a surtout obéi à une
révélation intérieure. Il parle ensuite moins des délibérations publiques
et officielles que de ses entretiens particuliers avec Pierre, Jacques et
Jean, qui passaient pour être les colonnes de l'Eglise et auxquels il
exposa avec soin l'Evangile qu'il prêche aux païens. Il confirme le
récit des Actes sur deux points essentiels : le premier, c'est qu'il ne
rencontra ni hostilité ni mauvais vouloir de la part des apôtres qui ne
trouvèrent rien à reprendre ou à ajouter à sa prédication, et lui don-
nèrent la main d'association, en lui laissant la mission parmi les Gen-
tils, tandis qu'ils gardaient celle des Juifs ; le second, c'est que l'oppo-
sition faite à l'entrée libre des païens dans l'Eglise fut le fait de gens
que les Actes appelaient des pharisœo-chrétiens et que lui nomme ((des
faux-frères intrus ». Il ajoute qu'ils auraient voulu contraindre Tite,
son disciple, à se faire circonscire ; mais ils n'y réussirent pas. Enfin,
Paul ne dit pas un mot du compromis dont parlent les Actes ni des pré-
ceptes recommandés officiellement aux pagano-chrétiens ; il termine,
au contraire, en disant que les apôtres ne lui recommandèrent qu'une
chose, de se souvenir des pauvres de Jérusalem, ce qu'il n'a jamais
oublié de faire. On voit, par ce double résumé, à la fois les harmonies
et les divergences des deux relations. Ces divergences qui* dans d'au-
tres documents, ne seraient pas très-étonnantes, ont paru ici plus
graves. Désireux d'éviter entre des écrits également vénérés, jusqu'à
l'apparence même d'une contradiction, quelques théologiens ont pré-
tendu que ces deux relations ne concernaient pas le même voyage et
«.m pensé que celui dont parle Paul, Gai. II, 1, devait être identifié
avec celui d'Acte* M. 30, et non avec celui du chapitre XV (Eusèbe,
Calvin. Kuinœl, Keil, etc.). Deux raisons doivent faire écarte» cette
conjecture : d'abord une raison chronologique. Le voyage mentionné
Actes XI, 30, ;i '-U lieu trop toi pour concorder avec celui de Gai. Il, 1,
466 APOTRES
qui d'après l'indication de Paul lui-même ne s'est effectué que q uatorze ou
même dix-sept ans après sa conversion. En second lieu, si, déjà à l'époque
du premier voyage, l'entente dont parle l'épître aux Galates était in-
tervenue entre Paul et les apôtres de Jérusalem, les conférences et le
compromis racontés au XVe chapitre des Actes n'auraient plus de rai-
son d'être. Il faut donc maintenir, sous les différences secondaires des
deux récits, l'identité générale des faits. Mais ces différences elles-
mêmes ne peuvent-elles pas s'expliquer par la différence des points
de vue des deux rapporteurs ? Luc fait de l'histoire générale et est
amené à donner aux conférences de Jérusalem un caractère officiel
qu'elles n'eurent peut-être pas autant qu'il le dit. Paul défend une
cause personnelle et devait négliger par cela même tout ce qui restait
étranger à sa démonstration. Dès lors, les différences signalées se con-
cilient assez facilement. Elles se réduisent à trois : 1° D'après Actes XV, 2,
Paul et Barnabas sont envoyés à Jérusalem par l'Eglise d'Antioche;
d'après Gai. II, 1, Paul y va poussé par une révélation intérieure. Les
deux choses, loin de s'exclure, s'appellent l'une l'autre. D'abord, il
est certain que l'Eglise d'Antioche, agitée par des discussions violentes,
a dû délibérer sur lés moyens d'y mettre un terme. D'un autre côté,
l'apostolat de Paul n'était pas moins intéressé dans ces débats. Après
des hésitations et des luttes intérieures, il dut bien vite arriver à la
conviction que le seul moyen de fermer la bouche à ses adversaires
était de leur enlever l'autorité des apôtres de Jérusalem derrière
laquelle ils se retranchaient. Monter à Jérusalem, c'était pour lui, dès
lors, obéir à une claire indication de Dieu. En allant y plaider
la cause de l'Eglise d'Antioche, c'était la sienne au fond qu'il allait dé-
fendre. 2° Les Actes des Apôtres parlent de conférences publiques et
officielles devant l'Eglise, L'épître aux Galates d'entretiens privés. Le
but spécial que poursuit saint Paul explique encore cette différence.
Préoccupé de la liberté et des succès de ses missions futures, il devait
tenir surtout à se mettre d'accord avec les Douze. Il ne voulait pas
avoir couru en vain ; dans la polémique qu'il soutient contre les Gala-
tes, le règlement de la querelle d'Antioche n'avait aucune importance
et ne pouvait lui servir. La question était devenue bien plus profonde :
il s'agit en Galatie de son autorité apostolique niée, de son désaccord
avec les premiers apôtres du Christ. Voilà pourquoi il ne rappelle que
ces entretiens avec Pierre, Jacques et Jean. Mais on a d'autant plus de
tort à parler ici de contradiction, que Paul, loin de nier la délibération
publique devant les anciens et les frères assemblés, la rappelle formel-
lement et la distingue de ses conférences particulières avec le chef
de l'Eglise (Gai. II, 2). 3° La vraie difficulté n'est pas dans ces minces
détails, elle est tout entière dans le silence absolu que Paul garde dans
Pépître aux Galates et dans toutes les autres sur le compromis et le
décret officiel qui furent, d'après les Actes, le résultat des conférences
de Jérusalem. La raison du but particulier de l'épître aux Galates,
que nous avons invoquée pour écarter les difficultés précédentes, n'est
pas applicable à cette dernière. Au contraire, puisque des docteurs
judaïsants venaient encore, au nom des apôtres, imposer la circonci-
APOTRES 407
sion aux Galates convertis et renouveler la tentative qui avait échoué
à Antioche, il semble que Paul n'avait rien de mieux à faire, pour les
confondre, que de rappeler une décision officielle qui avait solennelle-
ment dispensé les païens de cette obligation. Le silence étonnant de
Paul pourrait donc autoriser la critique à regarder comme apocryphe
•ce fameux décret de Jérusalem. La rédaction elle-même de ce décret,
et de la lettre qui raccompagne, est trop semblable au style habituel
de l'auteur du livre des Actes, pour ne pas éveiller les soupçons. D'un
autre côté, le compromis intervenu à Jérusalem répond trop bien à la
situation générale telle que nous la connaissons; trop de raisons graves
militent en sa faveur, pour que, si la forme officielle que saint Luc lui
a donnée reste contestable, il n'y ait pas, au fond de son récit, le sou-
venir d'un fait authentique et réel. Ce fait se dégage en effet d'un
examen plus attentif du décret lui-même et des causes qui Pont amené.
Les quatre prescriptions qui le composent n'ont pas été choisies arbi-
trairement et ne doivent pas être comprises comme une restriction
apportée à la liberté des païens convertis. Avant PEglise,la Synagogue
juive les avait imposées aux païens qui se rapprochaient du judaïsme
pour adorer le vrai Dieu, et qu'on nommait les prosélytes de la porte.
On appelait ces prescriptions noachiques, parce qu'on les trouvait dans
le commandement donné à tous les enfants de Noé, avant l'institution
de la loi mosaïque, et que dès lors ils devaient s'étendre à tous les
hommes (Gen. IX, 4, développé dans Lé vit. XVII et XVIII). Le sang
de toute bête égorgée devait être offert à l'Eternel, parce que, d'après
la théologie juive, la vie de tout être vivant était dans son sang, et que
tout être appartient à Dieu. De là, la défense de manger d'aucune vic-
time offerte aux idoles, puisque ce sacrifice est la négation même du
Dieu unique et de ses droits imprescriptibles. La même raison faisait
interdire de manger le sang ou même la viande des animaux dont le
sang n'avait pas été auparavant soigneusement répandu. Quant à la
dernière prescription, concernant les souillures charnelles, on peut la
ramener au même principe. Il s'agit ici évidemment des unions prohi-
bées par la loi entre proches parents ou d'actes immoraux contre na-
ture, parce que ce sont là précisément des souillures mêmes du sang
qui est la propriété sacrée de l'Eternel. Il ne s'agit donc point, dans
lé décret de Jérusalem, de devoirs moraux, mais de prescriptions reli-
gieuses, spécialement fondées sur ce principe de la théologie juive que
nous avons rappelé, à savoir que la vie réside dans le sang. Si les
rabbins et le Talmud ont étendu plus tard jusqu'à sept le nombre de
ces prescriptions noachiques, en y ajoutant le blasphème, le vol et le
meurtre, la résistance aux autorités légitimes, c'est une modification
postérieure des mômes idées qu'on peut négliger. Le point important,
c est de constater ici que l'Eglise de Jérusalem, en rappelant ces pres-
criptions, ne faisait rien d'arbitraire ni de nouveau, mais qu'elle imitait
la Synagogue et assimilait les païens convertis en face du royaume
messianique, aui prosélytes de la porte également incirconcis en face
du corps du peuple d'Israël. En leur reconnaissant la même situation,
il était naturel de leur recommander les mêmes devoirs. Comment en
468 APOTRES
était-on venu à ce résultat? La chose s'explique le plus aisément du
monde. La primitive Eglise fut d'abord composée exclusivement de
juifs de naissance. Les conversions exceptionnelles de quelques païens
isolés ne soulevèrent pas de difficultés sérieuses. Mais quand leur nom-
bre s'accrut, comme à Antioche, jusqu'au point de devenir la majorité,
la situation changea. Deux questions se posaient inévitablement : une
question dogmatique, quelle valeur restait à la circoncision et à la loi
mosaïque en général dans l'Eglise nouvelle? Une question pratique,
comment maintenir la communion et des rapports intimes entre les
chrétiens païens et les chrétiens juifs? Le compromis de Jérusalem évi-
tait de trancher la première, et ne visait à résoudre que la seconde.
Les prescriptions que l'on y rappelait devaient d'ailleurs être déjà
généralement observées par le nouveaux convertis. On sait que Paul et
Barnabas, dans leurs courses missionnaires, se rendaient d'abord à la
synagogue des juifs, qui leur fournissait, dans le monde païen, un point
de départ naturel pour leur œuvre et leur prédication. Dans ces syna-
gogues, au culte juif, ils trouvaieut partout un assez grand nombre de
prosélytes de la porte, des païens pieux qui aimaient à se rattacher à la
tradition juive. C'est évidemment parmi ces prosélytes que l'Eglise
naissante fit ses premières recrues du paganisme. Mais ils obser-
vaient déjà ce que nous avons appelé les préceptes noachiques. Les
leur recommander, ce n'était donc rien leur imposer de nouveau ni
d'extraordinaire, c'était les confirmer seulement dans une manière de
vivre et des habitudes qu'ils avaient prises depuis longtemps et qui
devinrent l'usage général de toutes les Eglises à la fin du premier siè-
cle. Dans cette liaison historique, le décret de Jérusalem perd sans
doute beaucoup de son importance, mais du moins il est très-conceva-
ble. Le conflit d'Antioche eut cette solution, parce qu'il n'en pouvait
avoir d'autre. Elle fut acceptée des pagano-chrétiens, parce qu'elle ne
gênait en aucune manière leur liberté. Paul non plus n'avait rien à y
objecter ; certainement, lui-même se soumettait à toutes ces prescrip-
tions et les faisait observer dans les Eglises qu'il fondait. S'il ne men-
tionne pas le décret de Jérusalem, il admet le point de vue général qui
Ta inspiré, et dans les épitres aux Corinthiens, il met en garde de
la même façon les chrétiens contre la participation aux sacrifices païens
et contre les unions illicites (1 Cor. V, 20; V, 1, etc.). Il ne faut pas
douter non plus que Paul n'est partagé cette croyance générale de son
peuple, que la vie était dans le sang, que le sang était chose sacrée, et
qu'il fallait s'en abstenir. On retrouve les mêmes prescriptions dans
l'Apocalypse de Jean (II, 20-24). Sur ce point, il n'y avait aucune di-
vergence entre l'apôtre des Gentils et les Douze, et l'on comprend que
Paul pouvait s'y associer sans arrière-pensée et affirmer en même temps
que ceux-ci n'avaient rien ajouté à son Evangile, que la liberté des
pagano-chrétiens était sortie des débats de Jérusalem. Mais on peut
dire que, réduit à ces proportions, le décret en question n'a plus
qu'une faible portée. On se demande même s'il y avait là matière à un
décret officiel, et si tout ne se borna pas à une simple exhortation fra-
ternelle. On comprend, en tous cas, que Paul le néglige dans ses polé-
APOTRES 469
iniques. S'il avait coûté peu de peine à obtenir, c'est <pf il entrait peu
avant dans la question en litige. Il facilitait la communion sociale entre
les chrétiens juifs et les chrétiens païens ; mais il laissait intacte la
question de principe. Il ne pouvait prévenir le conflit, qui, dès ce
moment, alla s'aggravant en s'envenimant entre Paul et les judaïsants.
Il était même susceptible de deux interprétations contraires qui ne
devaient pas tarder à se trouver en présence. Les deux partis, avec une
égale bonne foi, durent s'en prévaloir. Paul était satisfait d'avoir, pour
le moment, sauvegardé, dans la pratique, la liberté de ces nouvelles
Eglises. Les judaïsants se croyaient autorisés à regarder les pagano-
chrétiens comme des prosélytes de la porte du christianisme, et ils ne
pouvaient pas ne pas essayer de faire de ces prosélytes de la porte des
prosélytes de la justice. De là cette contre-mission organisée par eux
dans toutes les Eglises du paganisme pour y corriger et achever l'œuvre
de Paul, contre-mission dont les grandes épitres de Paul gardent des
traces si vives et si douloureuses. On peut enfin apprécier exactement
cette conférence de Jérusalem que la tradition, à tort, a considérée comme
un concile apostolique. Dans l'histoire du christianisme primitif, elle
n'est qu'un moment transitoire, une trêve, un compromis momentané
entre deux tendances hostiles dont elle suspendit un instant, mais ne
pouvait pas empêcher l'inévitable conflit. En se bornant à régler les
difficultés pratiques, en laissant au temps et à Dieu le soin de décider
entre les principes rivaux, les apôtres du moins firent preuve d'une
modération et d'une sagesse que malheureusement les autorités ecclé-
siastiques venues après eux n'ont pas su imiter. — On a beaucoup écrit
sur ces conférences de Jérusalem. Citons seulement Neander, Hist. du
siècle apostolique; Bauer, Paulus, 2e édit., I, p. 119 ss. ; Ritschl, Die
Entstehung der altkath. Kirche, 2e édit., 1857, p. 128 ss.; Reuss, Histoire
de la théologie apostolique, 3e édit., I, en divers endroits; du même, un
article de la Revue de Théol. de Strasbourg ; de Pressensé, Histoire des
trois premiers siècles, I, p. 457 ss. ; E. Renan, Saint Paul, 1869, p. 57 ss.;
Sahatier, Y Apôtre Paul. Esquisse d'une histoire de sa pensée, Stras., 1870,
p. 126 ss. ; Commentaires généraux sur le Nouveau Testament de deWette
et Me ver. A. Sabatiek.
APOTRES (Symbole des). Le Credo reçutle nom de Symbole (cù^oâcv,
signe distinctif), parce qu'il était, au début, comme le mot d'ordre ou
le serment de fidélité du soldat de Jésus-Christ, comme le signe de recon-
naissance de l'initié aux mystères chrétiens, comme le billetd'entrée de
l'invité au banquet spirituel de l'Eglise. Il reçut le nom d1 apostolique
parcequ'il entendait maintenir, contre les novateurs, l'enseignement
primitif et unanime des apôtres. Une fausse interprétation du titre
d xxoffmXixov, et une assimilation erronée du mot de 7J;^cAov au mot de
/r (collât io, assemblage) donnèrent lieu plus tard à la légende de la
rédaction du symbole par les apôtres eux-mêmes. Rufin (+ 410), pré-
cédé s'il- ce point par Ambroise (+397), raconta qu'avant de se séparer
pour aller prêcher L'Evangile à toutes les nations, les apôtres avaient
arrêté en commun les termes du symbole afin de donner une règle à
leur propre enseignement et à la croyance des fidèles. L'auteur inconnu
470 APOTRES
des sermons De tempore (cinquième siècle ou commencement du
sixième), renchérissant sur cette première donnée, affirma que chacun
des douze apôtres avait prononcé à son tour, sous l'impulsion du Saint-
Esprit, l'un des articles du Credo. Cette idée de la composition textuelle
du symbole par les apôtres a été plus tard consacrée par le Catéchisme
romain; elle a néanmoins été abandonnée par plus d'un théologien
catholique (dès Laurent Valla et Erasme), comme par presque tous les
savants protestants modernes. — Le symbole apostolique est sorti, par
une espèce d'épanouissement graduel, de la profession de foi que les
néophytes chrétiens étaient appelés à faire au moment de leur baptême.
A la lin du premier siècle, ce Credo, qui se rattachait à la déclaration
de Jésus , rapportée par Matth. XXVIII, 19, était probablement conçu
en ces termes : « Je crois au Père , au Fils et au Saint-Esprit. » Cette
formule s'accrut peu à peu d'un certain nombre de déterminations et
d'additions également empruntées à l'enseignement des apôtres, et qui
furent jointes au Credo, les unes dans un but purement didactique et
explicatif, les autres, en plus grand nombre, dans une intention polé-
mique, et afin de prémunir les fidèles contre les hérésies de l'époque.
Telle fut l'origine du symbole. L'obscurité qui plane sur l'histoire et
sur la chronologie de son développement provient du fait que l'Eglise se
fit longtemps scrupule de confier au papier le texte de la profession de
foi baptismale, de peur de révéler ce mot d'ordre sacré à des personnes
profanes ou hostiles. De là une absence de renseignements directs à
laquelle on ne peut remédier que très-imparfaitement au moyen d'in-
ductions et de combinaisons toujours hypothétiques. Ce qu'il y a de
certain, c'est qu'on prit d'assez bonne heure, dans l'Eglise, l'habitude
de rattacher aux linéaments fournis par la formule du baptême une
sorte de sommaire des faits et des doctrines évangéliques, sommaire
dont le contenu était analogue à celui du symbole actuel et auquel on
donnait le nom de règle de foi (régula fidei, xavwv ty;ç ùXrfîziaç, etc.).
On peut, ce nous semble, découvrir les premiers vestiges ou les pre-
miers germes de la règle de foi dans Ignace (écrivant peu après 100),
dans Polycarpe (vers 120), dans Hermas (vers 150 au plus tard), et
surtout dans Justin (138 ou 139 et 147). Elle s'étale, en tous cas, au
grand jour , chez Irénée (178-202 ; Contra H aères., t. I, c. 10, § 1;
t. III, c. 4, § 2), chez Tertullien (185-240; De velandis virgin., § 1 ;
Contra Praxeam, § 2, De prœscr. haer., §3) et chez Origène (210; De
principiis, 1 1, § 4). Ces écrivains ecclésiastiques entendent nous don-
ner, dans ces divers passages, un résumé de la doctrine traditionnelle-
ment conservée, dès le siècle apostolique, au sein de l'Eglise orthodoxe
universelle, et ils voient dans ces articles de foi la norme de l'enseigne-
ment des docteurs et le critère de la croyance des fidèles, le fondement
immuable de l'instruction à donner aux catéchumènes, et l'invincible
boulevard de la résistance à opposer aux hérétiques. Dans cette repro-
duction de la doctrine consacrée, ils s'attachent essentiellement à com-
battre les diverses écoles gnostiques, qui plaçaient, soit entre Dieu et le
monde, soit entre Dieu et le Christ une longue série d'émanations , qui
faisaient du créateur ou démiurgue un être méchant ou borné , et qui ,
APOTRES 471
voyant dans la matière la source du mal, ne voulaient pas d'un Christ
qui fut réellement avenu en chair». — La règle de foi existait, dans
l'Eglise, à l'état de conscience générale, et de tradition orale: elle
demeurait donc assez flottante et indéterminée dans sa forme. Les
diverses relations que les Pères nous en donnent sont loin d'être iden-
tiques. En ce qui concerne le nombre , l'étendue et l'ordre de succes-
sion des divers articles, ces formules varient, non-seulement d'auteur à
auteur, mais, chez le même auteur, de traité à traité, et dans le même
traité, de page à page. Cependant, on y retrouve toujours certains termes
stéréotypés, certaines phrases consacrées qui se rencontrent aussi dans le
symbole des apôtres, et le contenu doctrinal en reste, au fond, toujours
semblable à lui-même , et toujours étroitement apparenté à celui du
Credo, qui est d'ailleurs plus simple et plus court. Cela étant, le pro-
blème des rapports de la règle de foi et du Credo baptismal a reçu des
solutions diverses. Aux yeux de certains auteurs , les différentes rédac-
tions de la règle de foi , ne seraient que des paraphrases individuelles
du symbole des apôtres, lequel aurait déjà existé de toutes pièces au
commencement ou au milieu du deuxième siècle. Suivant d'autres , le
symbole des apôtres ne serait que la fixation postérieure et sommaire
des vérités traditionnelles dont la règle de foi aurait été le premier
véhicule. Nous croyons, pour notre part, que la règle de foi et la pro-
fession de foi baptismale se développèrent simultanément, avec action
cl réaction de l'une sur l'autre. La règle de foi, qui était plus flottante,
et qui concernait surtout les docteurs, s'enrichissait la première ; mais,
lorsqu'une de ses déterminations avait pris corps dans la profession de
foi des simples fidèles , la règle de foi se hâtait de s'appuyer sur ce
nouveau rameau du Credo baptismal. La règle de foi fut ainsi comme
l'eau mère dans laquelle le symbole des apôtres se cristallisa peu à
peu autour des trois branches maîtresses de la formule du baptême.
Ce travail de formation graduelle échappe presque entièrement à l'œil
de l'historien. Il n'a laissé dans les documents que de rares vestiges ,
et ces vestiges doivent être interprétés avec beaucoup de prudence, vu
l'usage simultané, dans plusieurs des Eglises d'alors, de deux formules
symboliques, l'une plus longue et l'autre plus courte. Vers 138 ou 139,
Justin (Ie Apologie , c. 61) semble faire entendre que le Credo baptis-
mal nommait Dieu « le Père et Maître de toutes choses» , rappelait (pie
Jésus-Christ avait été «cruxifié sous Ponce Pilate», et mentionnait la
« rémission des péchés». Entre 178 et 202, Irénée (Adv. Haer., t. I,
c, 9, § ï ) «lit que le chrétien « reçoit à son baptême la règle invariable
de la vérité, au moyen de laquelle il peut facilement distinguer la saine
doctrine de l'hérésie.». Entre 185 et 202, Tertullien nous apprend (De
prasàr. ehaer^e. 30) qu'on pouvait reconnaître au symbole (tessera) d'une
Eglise <•<■ que cette Eglise enseignait; il nous déclare (De coronâ militis,
v. 3) que le néophyte était plongé trois fois dans l'eau, « répondant
quelque chose de plus que ce que le Seigneur avait déterminé dans
l'Evangile »\ il nous Informe enfin [De hnptismo, c. 5) que la 8 men-
tion de l'Eglise » figurait dans cette profession de foi à côté de celle du
Père, du Fils et du Saint-Esprit. Vers 250, Cyprien (Ep. ad Janua*>
472 APOTRES
rium, ad Magnum) nous apprend que le symbole baptismal de Car-
tilage renfermait cette question : « Crois-tu à la rémission des péchés
et à la vie éternelle par la sainte Eglise? », formule qui ne parait pas
avoir été usitée ailleurs qu'en Afrique. A la même époque, Novatien
(De Trinùate, seu de Régula fidei) paraît avoir sous les yeux un sym-
bole qui renfermait, sinon toutes les phrases, du moins toutes les idées
du symbole actuel, à l'exception des deux articles de la descente aux
enfers et de la communion des saints. Nous réussissons enfin à
mettre la main sur le texte même de deux symboles qui paraissent
avoir été employés dès le. troisième siècle, ou, au plus tard, dès le commen-
cement du quatrième. Ce Credo, conservé dans les Canons de l'Eglise
copte, et qui était usité à Alexandrie (Bunsen, Antenicaena, III, 91-93)
et le Credo insère dans les Constitutions apostoliques (1. 7, c. 42), et
dont on se servait probablement en Asie Mineure et à Antioche. L'un
et l'autre sont conçus dans un style périodique et présentent des dé-
veloppements théologiques étrangers au symbole vulgaire, mais ils en
embrassent presque toutes les propositions. Les seuls articles du Credo
définitif qui manquent à ces deux professions de foi sont la descente
aux enfers et la communion des saints ; le symbole copte omet, de plus,
les articles de la création, de la résurrection et de la vie éternelle. —
Nous arrivons ainsi au quatrième siècle. En 325, le concile œcuménique de
Nicée émit un nouveau formulaire doctrinal qui fut encore développé,
en 381, par le premier concile de Constantinople. Ce nouveau symbole
qui n'était, au fond, qu'une détermination théologique du Credo (dont
il reproduisait toutes les thèses, sauf la descente aux enfers et la com-
munion des saints) remplaça partout la règle de foi orale comme règle
d'enseignement (norma docendorum) . Dans l'Eglise d'Orient, plus dog-
matique que celle de l'Occident, le symbole nicéno-constantinopolitain
fut également substitué au symbole apostolique comme profession de
foi baptismale (norma credendorum) . Cette révolution, qui était déjà en
voie d'accomplissement lors du concile de Laodicée (364), était con-
sommée lors du second concile de Constantinople (553). A partir de ce
moment, l'ancien Credo tomba peu à peu en oubli chez les Grecs; lors
du concile de Florence (1438), ils en ignoraient même l'existence.
L'Eglise d'Occident préféra conserver pour l'usage baptismal le sym-
bole primitif. Ses docteurs firent toutefois subir au Credo latin bien des
remaniements successifs. Ils le complétèrent, d'une part, en y trans-
portant certains articles empruntés aux formules orientales [création,
vie éternelle, mot de catholique) ; ils le simplifièrent, de l'autre, en éli-
minant les redites, les détails accessoires, les déterminations trop sco-
lastiques. Le principal auteur de cette révision du symbole parait avoir
été Saint-Angustin (430). Il employait, vers la fin de sa vie, notre Credo
vulgaire, moins les deux articles de la descente aux enfers et de la
communion des saints et deux ou trois expressions d'importance se-
condaire. Le Père de l'Eglise exalte, d'ailleurs, le symbole des apôtres
comme s'il était tombé de la bouche même de Dieu : le Credo est, à
ses yeux, le fondement de la foi, sa source la plus pure ; le chrétien
doit le réciter sans cesse comme une sorte de formule magique. Au com-
APOTRES 473
agencement du cinquième siècle, le symbole jouissait, dans l'Eglise la-
tine, d'un crédit universel: il servait partout de base à l'instruction chré-
tienne, il figurait partout dans la cérémonie du baptême (Léon le Grand,
pape de 140-461, Ep. ad Flavianum). Cependant, sa forme était loin
d'être définitivement arrêtée. Il devait encore s'accroître, dans le cou-
rant du cinquième et du sixième siècle, de ses deux articles les plus
récents : la descente aux enfers, qui parait d'abord dans le symbole
présenté par les ariens au concile de Rimini, en 359, puis dans le sym-
bole cité par Rufiii, comme étant, vers Tan 400, celui de l'Eglise
d'Aquilée, et la communion des saints, qui ligure pour la première fois
dans les sermons lloc et 131e De Ternpore, écrits, au plus tôt, dans la
première moitié du cinquième siècle. La rédaction actuelle du symbole
ne prévalut que lentement. Ce ne fut pas avant le septième siècle
qu'elle fut adoptée en Italie, pas avant le neuvième qu'elle se lit
accepter dans les Eglises frankes. Depuis les réformes liturgiques
opérées par Charlemagne, elle fut introduite dans les Heures cano-
niales, et les psautiers dont le nouvel empereur d'Occident fit faire un
grand nombre de copies paraissent avoir été le principal instru-
ment de sa diffusion. Quant à l'Espagne, elle conserva jusqu'au on-
zième siècle sa liturgie mozarabique qui, suivant plusieurs critiques,
ne renfermait que le symbole de Nicée et de Gonstantinople (voir
pourtant Migne, Patrolog., t. LXXXV, p. 385). Les derniers articles du
symbole des Apôtres, ceux qui se groupent autour de la foi au Saint-
Esprit ou à l'Eglise sont juxtaposés sans lien visible, formulés au
moyen de substantifs abstraits, et, par là môme, susceptibles d'inter-
prétations assez variées. Le protestantisme primitif les accepta dans un
sens assez différent de celui que leur avait donné le catholicisme ro-
main. Plusieurs critiques affirment que l'explication grossièrement réa-
liste de ces articles est la seule qui soit historique, et, partant, légitime.
Cette manière de voir est, selon nous, trop extrême. L'article relatif à
la sainte Eglise universelle fut primitivement dirigé contre des héré-
tiques qui répétaient la doctrine des apôtres eux-mêmes, et contre des
schismatiques qui isolaient de la communion d'excellents chrétiens.
L'expression : « Je crois la rémission des péchés par la sainte Eglise»
ne fut employée que dans une seule contrée et à une seule époque ;
elle était d'ailleurs dirigée, selon toute apparence, contre ces rigoristes
(jui refusaient à l'Eglise le droit de réintégrer dans son sein les chré-
tiens tombés dans l'apostasie aux jours de la persécution. Quant à
l'article de la communion des saints, les sermons De Ternpore l'en-
tendent bien, quelque part, dans le sens des relations actuelles de
l'Eglise militante avec l'Eglise triomphante, qui intercède pour la pre-
mière , mais ils semblent lui donner ailleurs une signilicatiou
beaucoup plus modeste, quand ils parlent, soit de la communion qui
existe; sur la terre entre tous les vrais croyants, soit de la communauté
des dons de L'Esprit dans la vie future. Dans une instruction sur le
baptême, composée sous Charlemagne, Magnus, archevêque de Sens,
accompagne encore la mention de la communion des saints de la glose
suivante : « savoir, la réunion des saints en Christ ». L'article de la
i. 31
474 APOTRES
résurrection de la chair, l'un des plus anciens du symbole, ne combattait,
à l'origine, que les païens et les gnostiques qui niaient absolument la
réunion future de l'âme à un corps matériel. Le symbole de Constan-
tinople parle simplement de résurrection des morts, et les deux termes
de chair et de corps paraissent avoir été employés assez indifféremment
par les docteurs les plus anciens (voy. 1 Glem., ad Cor., c. 26). Enfin,
l'article plus discuté encore de la descente aux enfers entend établir que
l'àme de Jésus s'est rendue, entre la mort et la résurrection de son
corps, dans le .séjour intermédiaire des trépassés. L'ancienne Eglise ,
qui était unanime sur la réalité de cette descente /n'était pas du tout
d'accord sur son but. Quant à l'intention dans laquelle cet article fui
inséré au symbole, il est impossible delà déterminer aujourd'hui. L'opi-
nion la plus répandue, c'est que l'Eglise voulut attester par là l'humanité
parfaite du Christ contre les apollinaristes et les monophy sites. En ré-
sumé, nous pouvons dire qu'à part deux ou trois articles contestés, toutes
les thèses proclamées par le symbole des Apôtres ont été proclamées
d'une voix unanime par l'Eglise orthodoxe du deuxième et du troisième
siècle. Le Credo actuel nous présente donc, sous une forme consa-
crée par le temps, et à peu près adéquate, le minimum de foi qui,
dans ces premiers âges, était universellement exigé des docteurs et des
néophytes chrétiens qui n'appartenaient pas aux sectes judaïsantes ou
gnostiques. — De là la haute valeur que les Eglises occidentales ont tou-
jours attribuée à cet antique document. L'Eglise catholique romaine l'a
conservé dans sa liturgie baptismale et l'a introduit dans son catéchisme
officiel. Les Réformateurs, frappés de la sobriété toute scripturaire de
ce symbole primitif, s'y rattachèrent avec empressement, en se bornant
à substituer à l'interprétation antérieure de certains articles une inter-
prétation plus biblique. Les Eglises anglicane, luthériennes et réformées
( nous ne comprenons pas sous ce dernier vocable les presbytériens, les
indépendants et lesbaptistes anglo-américains) déclarèrent à^l' envi, dans
leurs confessions de foi, qu'elles recevaient ce symbole «parce qu'il
était conforme à la Parole de Dieu ». Elles mirent presque toutes le
Credo à la base de leurs catéchismes ; la plupart d'entre elles le firent
mentionner par le ministre , ou même réciter par les parrains ou par
les catéchumènes, dans les cérémonies du baptême et de la confirma-
tion ; beaucoup d'entre elles le firent figurer dans le culte ordinaire du
dimanche, ou, du moins, dans le service de la communion. La. Liturgie
de Genève (la plus usitée dans les Eglises réformées de langue française )
le plaça, jusqu'à 1861, dans le formulaire du baptême, et le fit passer,
en 1743, de l'office des jours de Ja semaine à celui du dimanche. Au
sein du protestantisme, des tendances assez diverses se sont successive-
ment réclamées, dans le cours des temps, du symbole des Apôtres. Les
syncrétistes du dix-septième siècle cherchèrent à en faire une charte
d'union entre catholiques et protestants. Les latitudinaires du dix-
huitième siècle s'en servirent comme d'une arme contre le dogmatisme
orthodoxe. Dans notre siècle, quelques traditionalistes (tels que Delbrùck
et Boll en Allemagne, Grundtvig en Danemark) ont proposé de substituer
le Credo à l'Ecriture , comme règle suprême de la foi et comme base
APOTRES — APPEL 175
fondamentale de l'Eglise. En revanche, les partisans du réveil dit
méthodiste, suivant, sur ce point comme sur d'autres, les traces du
non-conformisme anglo-américain, n'ont attribué que peu de valeur à
un symbole où la nature et l'œuvre du Christ ne sont pas nettement
définies, où la voie du salut n'est pas même indiquée, et où toute la
partie subjective du christianisme (justification, régénération, sanctifi-
cation , communion avec Dieu ) est presque entièrement passée sous
silence. Dans les pays de langue française, les Eglises libres nées du
Réveil ne font en général aucun usage de ce document. Mais c'est dans
un camp tout différent que le symbole des Apôtres a trouvé ses prin-
cipaux adversaires. Le libéralisme moderne, ennemi du surnaturel, s'est
récemment élevé avec force contre la place donnée au Credo dans les
liturgies protestantes. De là une controverse qui, après avoir éclaté
d'abord en Allemagne, vers 1845 (Amis des lumières), n'a pas tardé à
se propager en Suisse et en France. Par suite des efforts des libéraux,
l'usage liturgique du symbole a été rendu facultatif dans deux ou trois
Etats de l'Allemagne , dans quelques cantons de la Suisse , et dans plu-
sieurs consistoriales de France. Mais les orthodoxes défendent en général
avec ardeur ce monument dans lequel l'ancienne Eglise a consigné sa
foi en un rédempteur surnaturel , et sans nier que ce vieil édifice pré-
sente quelques fissures , ils se montrent peu disposés à l'abandonner
avant d'avoir pu transporter le trésor qu'il renferme dans un édifice
nouveau, mieux abrité contre le vent du siècle. — Sowces : Les diverses
relations du Credo ont été recueillies dans les collections de Walch
Bibliotheca symbolica vêtus, Lemgovv, 1770; d'Aug. Hahn, Bibliothek
der Symbole und Glaubensregeln der opostolisch. kath. Kirche, Breslau,
1842; de Heurtly, Harmonia symbolica, etc., Oxford, 1858, et deC. L.
Caspari, Ungedruckte, unbeachtete und ivenig beachtete Quellen zur Ge-
schichte des Taufsymbols und der Glaubensregel, 3]vol., Christiania, 1866,
69 et 75. L'histoire du symbole a été étudiée dans une foule d'écrits.
Nous nous bornerons à citer les anciennes dissertations latines de Vos-
sius, Amst., 1642; Usserius, 1647; ^Yitsius, 1697; King, 1706; J. B.
Kiesling, Lips., 1753; les mémoires français récents de MM. A. Bris-
set, Strasb., 1831,1 Bonnef on, Montauban , 1858; Kayser, Revue de
Théologie de Strasbourg, 1855, p. 153; Grawitz, Montpellier, 1864;
et Viguié, Ximes, 1864; sept conférences de A. Coquerel fils, His-
<lii Credo, Paris, 1869; enfin et surtout les savantes monogra-
pbies de M. Michel Nicolas, Symbole des Apôtres, Paris, 1867; et de
.M. Swainton, The Nicene and Apostles Creed, Lond., 1875.
F. Chapoxnièee.
APPEL. H y a lieu de recourir à l'appel lorsqu'on croit que la sen-
tence a été mal rendue quant au fond, et qu'un autre juge prononcera
différa mment. Nous allons parler successivement de l'appel au pape, au
futur concile, el de l'appel comme d'abus.— ï° Appel au Pape. Jus-
qu'au quatrième siècle, il u'est pas question de la supériorité de puis-
sance ou de juridiction de l'évêque de Rome. Les lois ecclésiastiques
émanent, soit des empereurs, soit «les conciles. Aucun évêque ne
reconnaît tenir son éveché de la faveur du siège apostolique , mais
476 APPEL
tous disent qu'ils tiennent leur pouvoir d'En haut et qu'ils sont les
' ambassadeurs de Jésus-Christ. Si quelques-uns sont divisés entre eux,
ce n'est pas au Saint-Siège, c'est aux autres évêques de la même pro-
vince, réunis en conseil, qu'ils en appellent. Mais déjà dans ce siè-
cle, l'importance chaque jour croissante du siège de Rome, l'a-
dresse de certains prélats romains, le zèle inconsidéré de quelques
évêques, l'imprévoyance des empereurs, tout contribue à élever au-
dessus des autres l'évêque de Rome, et à lui donner d'injustifiables
privilèges. Le cinquième canon du concile de Nicée (325), selon les vrais
principes, avait permis aux ecclésiastiques ou aux laïques qui se croi-
raient injustement excommuniés, de porter leur plainte au concile de
la province. La dangereuse innovation au profit de l'évêque de Rome
a lieu au concile tenu à Sardique (Illyrie) en 437, Un certain évêque
Osius, propose, si l'un de ces collègues dans l'épiscopat croit avoir été
condamné injustement, de soumettre l'affaire en dernier ressort, au
jugement de l'évêque de Rome : « Osius episcopus dixit : Si vobis placet,
Sanctî Pétri ?nemo?'iam honoremus, ut scribatur romano episcopo... Quse
decreverit conftrmata erunt. » Et les Pères réunis ont le tort d'accepter
sans réflexion ce qu'on leur propose. « Synodus respondit : P lacet. » Il
faut dire à l'honneur des évêques d'Afrique qu'ils ne cessèrent de pro-
tester contre ce nouvel usage. Dans la suite, on étend considérable-
ment et l'on exagère encore ce droit d'appel. L'abus devient évident
avec les Fausses Décrétales qui permettent à tout le monde de s'adresser
au pape directement, sans passer par les degrés inférieurs de juridic-
tion. Aussi le même livre contient-il déjà de nombreuses explications
données aux évêques, sur les cas où ils doivent permettre ou refuser
l'appel à Rome, et en particulier cette curieuse déclaration du pape
Grégoire VIII: « Est-ce malice des plaideurs ou défaillance de ma part?
toujours occupé d'affaires de médiocre importance, je n'ai pas le temps
de veiller aux grands intérêts de la religion. » Et il a soin d'établir, sur
ia matière, des règles qui font réellement de l'appel au pape, l'excep-
tion. Le troisième concile de Latran, réuni en l'année 1179, apporte
au pourvoi en cour de Rome de nouvelles restrictions, et dans le même
but ; le quatrième, 1215, exige que le plaideur qui croit devoir faire
appel, consulte son juge même et lui fasse connaître ses motifs. Enfin,
le concile de Bàle, dans sa vingtième session (1435) condamne à l'amende,
en dehors des frais et dépens, celui qui aura fait appel à tort. Les divers
décrets de ce concile sur la question de l'appel, sont ainsi résumés et
appliqués dans la pragmatique de Charles Vil: « Entre autres fut accepté
le décret de causis, lesquelles toutes furent délaissées au jugement de
l'ordinaire en France. Et en cas d'appel sujet à ressort au siège de
Rome, par juges délégués du pays aux parties de France, plus ou
autant en puissance ordinaire que déléguée, avec défenses de n'en tirer
aucun du pays de France en cour du pape, pour occasion quelconque,
fors pour aucunes y mentionnées. » — 2° Appel au futur Concile. L'his-
toire ecclésiastique nous donne d'assez nombreux d'exemples de ces
sortes d'appels. Us étaient interjetés par des princes, des villes, ou
même des particuliers qui refusaient de se soumettre aux jugements
APPEL 477
portés contre eux par la cour de Rome. Ces refus étaient devenus fré-
quents, surtout dans les années qui suivirent le concile de Bàle. Le pape
Pie II qui venait de défendre vigoureusement la cause des conciles géné-
raux contre Eugène IV, mais qui devait, quelques années plus tard, en
1463, publier une rétractation solennelle de tout ce qu'il avait écrit,
étant évêque, en faveur du concile de Bàle, choisit ce moment-là, 1459,
pour réclamer ce qu'il lui plaisait d'appeler les droits du Saint-Siège,
par la bulle « Execrabilis ». Il insiste sur le ridicule qu'on se donne en
faisant appel à un futur concile, c'est-à-dire à ce qui n'a pas d'existence
actuelle et se trouve incertain à tel point qu'on ne peut dire quand cela
sera. « Nonnulii spù'itu rebellionù imbuti, ad futurum consilium provocare
pr assumant. . . l 'alentes hoc pestiferum virus a Christi ecclesia proculpellere,
hujusmodi provocationes damnamus, tanquam erroneas et detestabiles re-
probamus. » Malgré la bulle, l'appel au futur concile ne fut pas aban-
donné. L'empereur Frédéric II, dans ses démêlés avec le pape Gré-
goire IX, avait, le premier, donné l'exemple, en 1239. Durant le schisme
d'Occident les cas deviennent fréquents. En 1393, Boniface VIII ayant
entrepris sur les droits temporels de la couronne de France, les Etats
assemblés, le roi, le clergé, en appellent à un futur concile général.
L'Université, plusieurs fois, repousse le jugement des papes, entre
autres de Benoit XI, de Pie II, de Léon X. Les gallicans surtout défen-
dent et conservent avec soin le droit d'appel au futur concile. Pour
eux, c'est une conséquence de la déclaration de 1682. Puisque le ju-
gement du pape n'est pas irréformable, si le consentement de l'Eglise
n'intervient, il faut toujours que l'on puisse appeler, du pape, à
l'Eglise universelle. Les jansénistes, sur ce point, avaient les mêmes
principes. La légitimité de l'appel au futur concile fut reconnue par un
pape. Le concile de Bàle, dans l'une de ses premières sessions, ayant
eu à juger un appel de ce genre, le pape Eugène IV vint ensuite et,
dans la seizième session, il approuva tout ce qui avait été fait dans les
«essions précédentes. — 3° Appel comme d'abus. C'est une plainte contre
le juge ecclésiastique, lorsqu'on prétend qu'il a excédé son pouvoir, ou
entrepris en quelque manière que ce soit contre la juridiction sécu-
lière. Ce genre d'appel date de la pragmatique de saint Louis. Dans le
moyen âge, l'histoire religieuse de la France n'est remplie que par la
longue énumération des interdits qui portaient l'agitation dans les pro-
vinces. Ce que Louis IX voulut, ce fut que l'autorité ecclésiastique ne
pût faire exécuter ses sentences que par la puissance civile, celle-ci
examinant si elles étaient justes. L'appel comme d'abus ne se relevait,
in conséquence, qu'en cour souveraine et, d'ordinaire, en Parlement.
Il pouvait être aussi relevé au Conseil du roi et au Grand Conseil, par
ceux qui y avaient leurs causes commises. La nouvelle procédure ima-
ginée par saint Louis servit admirablement la cause de la liberté. C'est
derrière ce rempart que s'éleva ce qui fut appelé plus tard, les droits,
franchises el privilèges <!<• l'Eglise gallicane. Aussi les plaintes des évê-
ques ne cessent-elles de se faire entendre. L'Editde L695, sousLouisXIV,
qui donne dans certains cas aux ecclésiastiques l'exécution provisoire
des condamnations prononcées, n'est qu'un faible remède aumalqu'ils
478 APPEL — APPENZELL
prétendent signaler. Au dix-huitième siècle, c'est une guerre d'arrêts
entre le Parlement et le clergé, les parlements allant quelquefois jus-
qu'à prononcer sur des questions de doctrine et de discipline ecclésias-
tiques, et même sur l'administration des sacrements. De nos jours
encore, le clergé n'est pas réconcilié avec l'appel comme d'abus. Na-
guère, en 1845, monseigneur Affre, archevêque de Paris, publiait un
livre pour en demander la suppression. Cependant la législation, sur
la matière, n'a plus rien de vague aujourd'hui. Nous pouvons citer la
loi organique du 18 germinal an X, art. 6 : « Il y aura recours au Con-
seil d'Etat dans tous les cas d'abus de la part des supérieurs et autres
personnes ecclésiastiques. Les cas d'abus sont: l'usurpation ou l'excès
de pouvoir, la contravention aux lois et règlements de la République,
l'infraction aux règles consacrées par les canons reçus en France, l'at-
tentat aux libertés, franchises et coutumes de l'Eglise gallicane, et toute
autre entreprise ou tout procédé qui, dans l'exercice du culte, peut com-
promettre l'honneur des citoyens, troubler arbitrairement leur con-
science, dégénérer contre eux en oppression, ou en injure, ou en scan-
dale public. » D'après le décret du 25 mars 1813, les cours impériales
devaient connaître des appels comme d'abus , mais l'ordonnance
du 29 juin 1814 les rendit au Conseil d'Etat. Deux appels comme d'abus
ont eu lieu en 1865. Le gouvernement impérial ayant interdit, comme
portant atteinte aux lois fondamentales de la France, la lecture d'une
partie de l'Encyclique du 8 Décembre 1864, et àwSyllabus errorum, deux
prélats, monseigneur de Dreux-Brézé, évêque de Moulins, et monsei-
gneur Mathieu, cardinal-archevêque de Besançon, ne tinrent pas compte
de cette défense. Les décrets rendus contre eux, le 8 février, contenaient
ce qui suit: «. Le Conseil d'Etat entendu, il y a abus dans le fait d'avoir
donné lecture en chaire de la partie de la Lettre-Encyclique dont la
réception, la publication et la mise à exécution, n'ont pas été autorisées
par nous dans l'empire français. » — (Voy. Acta conciliorumet Epistolas
summorum ponfificum, par le Père Harduin, Paris, 1875, 12 vol. in-f. ;
Antiquœ collectiones decretalium cum Antonii Augustini notis, 1 vol. , 1609 ;
Traité des droits et des libertés de V Eglise gallicane, par Pithou, 1731,
4 vol. in-f° ; Droit public ecclésiastique français, par Dupin , Paris 1860.
Jules Aeboux.
APPELANTS, nom donné aux évêques et autres ecclésiastiques qui
avaient interjeté appel au [futur concile de la bulle Unigenitus, lancée
par le pape Clément XI, en 1713, contre le livre du Père Quesnel (voy.
Jansénisme).
APPENZELL (Histoire religieuse et statistique ecclésiastique). Pen-
dant tout le moyen âge, la riche abbaye de Saint-Gall compta le pays
d'Appenzell parmi ses dépendances. Mais dès 1521 la Réformation y
pénétra et y lit de nombreuses conquêtes. Dès 1524, la plus grande
partie du pays était gagnée au mouvement. Mais les éléments de résis-
tance étaient encore assez forts pour empêcher toute organisation
durable. Les mesures prises en 1526 et 1529 ne purent tenir longtemps,
et ce ne fut qu'en 1544 qu'on avisa enfin à une constitution synodale
définitive. Cependant les portions catholiques d'Appenzell n'avaient pas
APPENZELL — APT 479
accepté le changement, et, après bien des tiraillements et bien des luttes,
il fallut en venir à une mesure radicale. Allié des cantons suisses dès
U11, Appenzell était lui-même devenu canton en 1513. En 1597, on
divisa le pays en deux, et tout en restant un dans ses rapports avec les
Suisses, il forma désormais deux républiques, celle des Rhodes exté-
rieures qui fut protestante, et celle des Rhodes intérieures, catholique.
Depuis lors chacune d'elles a son histoire religieuse séparée. Les
Rhodes intérieures ont 11,909 habitants (1870) dont 1 1,720 catholiques,
188 réformés et 1 individu appartenant à une secte chrétienne. Les pa-
roisses sont au nombre de dix et ressortissent de l'évêché de Saint-
(iull. Le Cirand-Conseil possède [le droit de collature et délivre aux ec-
clésiastiques le titulum mensse. Il y a dans le pays des franciscains et
des capucins. Le recensement de 1870 attribue aux Rhodes extérieures
48,720 habitants. C'est de beaucoup le canton rural le plus peuplé de
la Suisse. On y compte 46,175 réformés et 2,338 catholiques. Les sectes
chrétiennes y ont 171 habitants, le judaïsme 22. La constitution du
3 octobre 1858 contient plusieurs articles se rapportant à l'organisa-
tion religieuse. Art. 3. Le Grand-Conseil est chargé de veiller à la
prospérité de l'Eglise et de l'école... Le Grand-Conseil établit les com-
missions et administrations d'Eglise, d'école... Dans la règle, chacune
de ces commissions et administrations devra compter au moins un
membre de la commission d'Etat. Art. 6. Le tribunal matrimonial est
composé de six membres du Grand-Conseil et de trois ecclésiastiques
en fonction dans le pays. Il est nommé chaque année par le Grand-Con-
seil. Art. 7. Le synode se compose des sept fonctionnaires nommés
par la Landsgemeinde, des pasteurs en fonction dans le pays, et de tous les
citoyens de la profession ecclésiastique, admis par le synode et qui ont
même qualité pour siéger. Le synode se réunit ordinairement une fois
l'an, alternativement àTrogen et à Hérisau.Il nomme pour une année,
librement et dans son sein, le doyen qui dirige le synode. Les compé-
tences du synode sont déterminées par un statut dont les dispositions de-
vront être agréées par le Grand-Conseil. Art. 15. La religion évangélique
réformée est la religion du pays. Il est expressément recommandé à
tous les protestants d'assister régulièrement au service divin, de s'appro-
cher de la Sainte-Cène et de célébrer dignement les dimanches et fêtes.
Ces jours-là, cesseront tous les travaux qui pourraient empêcher l'édi-
fication et déranger le service religieux. Le libre exercice du culte ca-
tholique est garanti selon l'art. 44 du pacte général. Les paroisses au
nombre de 19, avec 20 pasteurs, ont à leur tête un conseil de paroisse
composé de 7 à 24 membres , élus par tous les paroissiens. Ceux-ci
élisent roulement leurs pasteurs et peuvent, s'ily a lieu, les soumettre à
nVI.< tion. Les traitements des pasteurs varient entre 954 et 2121 francs.
Le rationalisme règne en maître dans le pays. — Bibliographie1: Alma-
naelis officiels; Finskr, Kirchliche Statistik der réf. Schweiz.
E. Vauchek.
APT (Yaucluse) [Apta Julio] a possédé jusqu'à la Révolution un
»'v<viié sufragant d'Aix. Ses évéques portaient le titre de prince». La
cathédrale, qui fut restaurée en 991 et en 1050, était autrefois sous le
480 AQUAVIVA — AQUILA
vocable de Notre-Dame et de saint Castor (ce saint fut évêque d'Apt
vers 419, il est fêté le 21 septembre), mais elle a pris le nom de Sainte
Anne, dont elle contient les reliques. Saint Auspice, martyr, dont la
la tradition fait un sénateur romain, est cité comme le premier évêque
d'Apt (2 août). Un synode fut tenu dans cette ville en 1365 (Mansi,
XXVI; Hefele, VI, 619; tr. fr.,IX,605; Gallia,!; Boze, Htst.de l'Eglise
d'Api, Apt, 1820, in-8).
AQUAVIVA (Claude), Napolitain, fils du duc d'Atri, entra en 1567, à
vingt-cinq ans, dans la Société de Jésus, et il en fut le général de 1581
jusqu'à Tannée 1615, où il mourut. Son histoire se confond avec celle
de la Compagnie, qui doit à l'habileté de son général, poussée jus-
qu'au génie, rétablissement de sa puissance en Europe et particulière-
ment en France. Aquaviva se vit attaquer avec passion par son Ordre
même, et Mariana se fit l'organe de la haine des Espagnols contre lui ;
mais il sut sortir victorieux de la grande Congrégation de 1592, con-
voquée pour sa ruine. Le meurtre d'Henri IV l'obligea de publier un
décret « contre la pernicieuse doctrine d'attenter aux sacrées personnes
des rois », mais il ne faisait que défendre de prêcher publiquement le
régicide, et il avait lui-même approuvé une édition du trop fameux
livre de Mariana. On doit à Aquaviva les Industrie pro super ioribus, con-
seils pour la direction de la Compagnie (1606), et la célèbre Ratio stu-
diorura, qui fut rédigée de son autorité en 1584 ; ses épitres ont été im-
primées en 1615 avec celles des autres généraux. — Voy. l'Historio-
graphie de la Société, pars V, par les PP. Sacchini et Jouvency et
Southwell, Bibl. soc. Jesu.
AQUILA et PRISCILLE ('AxùXaç; Ilptaxa, dimin. Iïpitr/iXXa, noms
d'apparence et probablement d'origine latine = Aquila etPrisca, Pris-
cilla), couple apostolique que nous trouvons attaché à la personne et à la
cause de Paul, à partir de l'arrivée de ce dernier à Corinthe dans son
second voyage missionnaire (Act. XVIII, 23). Le métier manuel qu'ils
exerçaient, le même que celui de Paul, ij>«jvo7uotoç (faiseur de tentes), a
été sans doute la cause de leurs premières relations. L'apôtre les fait
saluer dans plusieurs de ses épitres (Rom. XVI, 3; 1 Cor. XVI, 19;
2 Tim. IV, 19). Juif de naissance et originaire du Pont, Aquila s'était
d'abord établi à Rome, qu'il dut quitter à la suite d'un édit de Claude,
expulsant tous les Juifs de cette ville. C'est en arrivant à Corinthe
qu'il rencontra Paul; il partit avec lui et l'accompagna jusqu'à Ephèse
(Act. XVIII, 18) , où il demeura avec sa femme. Apollos y fit leur
connaissance et fut initié par eux à la doctrine de Paul (Act.
XVIII, 24). Si Rom. XVI appartenait réellement à l'épître aux Ro-
mains, il faudrait admettre qu' Aquila et Priscille étaient retournés à
Rome et y avaient précédé Paul. Mais comme il est probable que nous
avons ici les derniers feuillets d'une autre épître adressée à Ephèse ou
àf une Eglise d'Asie, et que, d'ailleurs, d'après 2 Tim. IV, 19, ils pa-
raissent encore être à Ephèse, il est vraisemblable qu'ils n'auront plus
quitté cette ville. La fin de leur vie est inconnue.
AQUILA ('AxùXaç), traducteur grec de l'Ancien Testament, né à Si-
nope, dans la province du Pont, était un prosélyte juif. C'est la seule
AQUILA 481
particularité certaine que nous connaissions de la vie, d'ailleurs assez
obscure, de cet auteur (Iren., adv. H;vr.,\\\, 24; Euseb., H is t. ceci., Y,
8; Dem., Evang., VII, 1; Hieron., Ep. ad Pammach. Calai, script,
ceci., c. 54). D'après Epiphane (De ponderibus et mensuris, c. 15),
Aquila fut instruit dans la religion chrétienne à Jérusalem, où il reçut
même le baptême; mais s'étant ensuite livré à l'astrologie judiciaire, il
fut excommunié. Par ressentiment contre les chrétiens, il embrassa le
judaïsme, apprit l'hébreu et traduisit en grec l'Ancien Testament à
l'usage des Juifs. Ce rapport d'Epiphane n'est pas authentique. La ver-
sion très-littérale d'Aquila (Orig., Ep. ad Jul. Afric.) fut la première,
qui suivit celle des Septante. Elle parut probablement sous Adrien
vers 130 (Justin, Dial. c. Tryph., c-71). Cette version n'est pas favorable
aux chrétiens. On remarque , en effet , plusieurs passages interprétés
avec une partialité malveillante dans un sens contraire à la doctrine
chrétienne (Hieron., Ep. ad Pammach.; cf. Justin, Dial. c. Tryph. ,
c. 71;Epiph., De pond, et mens., c. 15; Iren., adv. Hxr. ,lll,c. 24). Une
preuve évidente de ce fait, c'est que les Juifs préféraient cette ver-
sion à celle des Septante (Aug., De civ. Dei, XV, 23). Aquila a-t-il,
comme on Ta dit, fait une deuxième édition corrigée de son ouvrage?
Cela n'est pas probable. On a tort de confondre Aquila avec le Targu-
miste Onkelos. Il ne nous reste de cette traduction que quelques mor-
ceaux conservés par Flaminius Nobilis, Drusius et Montfaucon. On les
trouve dans Dath, Opuscula, Lips., 1746. Ign. Moshakis.
AQUILA [Adler] (Gaspard) naquit à Augsbourg,le 7 août 1488. Pen-
dant un séjour en Italie il eut des rapports avec les humanistes les plus
célèbres ; il se lia d'amitié avec Erasme, à Rome, où son éloquence le
lit nommer prédicateur. En 1515, il fut chapelain dans l'armée de son
ami Fr. de Sikingen, qui lui confia plus tard l'éducation de ses enfants.
Devenu, en 1516, pasteur àJenga,prèsd'Augsbourg, il se maria et pro-
pagea, l'année suivante, les thèses de Luther. L'évêque d'Augsbourg
le lit enfermer dans un cachot souterrain, et il n'échappa à la mort
que par l'intervention de la reine de Hongrie, Marie, sœur de Charles-
Quint. Il alla à AVittemberg, où il suivit les cours de Luther et de Mé-
lanchthon, et devint magister en 1521. Il y enseigna l'hébreu, aida
Luther dans sa traduction de la Bible, et jouit de l'estime et de l'affection
du réformateur, qui disait : « Si l'on perdait la Bible, je la retrouverais
chez Aquila. » En 1527, il fut prédicateur à Saalfeld, où il s'appliqua
surtout à l'organisation des écoles. Il devint surintendant du cercle de
Thuringe et assista en 1530 à la diète d'Augsbourg; il eut avec son
collègue Jacob Sîegelune controverse ardente sur la doctrine de la Loi;
Luther, qui rétablit la paix entre eux, écrità Menius en 1539: Aquitain
memini ita fuisse zelotendecalogi, ut inde Moses appellaretur . Après la mort
du réformateur, il consola son Electeur dans sa captivité, s'éleva forte-
ment contre L'Intérim et s'attira ainsi la colère de Charles-Quint, qui
omit 5,000 florins à qui le lui livrerait mort ou vif. Il put s'échap-
per, lui comme, en 1550, doyen à Smalcalde, et en 1552, quand l'élec-
teur redevint libre, il reprit sa place à Saalfeld; il assista, eu 1557,
à l'inauguration de L'Université d'Iéna, devint membre du consistoire
482 AQUILÉE — ARABES
de Weimar, et mourut peu après, le 12 novembre 1560. Il a publié des
sermons et des écrits polémiques contre l'Intérim. On a réimprimé onze
sermons pour les enfants (Kurze aber zur Seligkeit hochnœthige Frage-
stùcke der ganzen christlichen Lehrè). Ch. Pfendee.
AQUILÉE [en allemand: Aglar], célèbre patriarcliat. Cette puissante
Eglise, qui faisait remonter son origine à saint Marc, ne craignit pas de
se poser en rivale de Rome. Dès 381, un synode, réuni à Aquilée, sous
la direction d'Ambroise, pour la condamnation de l'arianisme, recon-
nut à saint Valérien, l'évêque de cette ville, l'autorité de métropolitain.
En 557, l'archevêque Paulin prit le titre de patriarche dans un synode
tenu à Aquilée. Cette assemblée osa s'élever contre les décisions que le
concile de Constantinople avait prises dans la querelle des trois chapi-
tres. Ce fut le signal d'un schisme de cent cinquante ans. Favorisé par
les Lombards, qui étaient ariens, le schisme ne cessa qu'en 698, lors-
que les rois des Lombards se furent rapprochés de Rome. Après la
. chute de l'empire lombard, les patriarches d 'Aquilée soutinrent con-
stamment les empereurs contre les papes. En 606, afin de s'éloigner de
Grado où le pape avait créé un évêché rival d'Aquilée, ils avaient pris
résidence près de Cividale ; ils s'établirent ensuite dans cette dernière
ville, à Udine. Parla conquête vénitienne de 1420, le patriarcliat d'Aqui-
lée perdit ses possessions temporelles; en 1752, il fut partagé en deux
archevêchés, ceux de Goerz et d'Udine. — Voy. de Rubeis, Monum.
Eccl. AquiL, Arg., 1740, in-f°; Ugheili, Ital. Sacra^; Czoernig, Goerz,
1873, Vienne, in-8.
ARABES (Philosophie religieuse des). L'historien Ritter a dit avec
beaucoup de justesse que la philosophie fut seulement un épisode dans
la vie des Arabes; les écrits de leurs savants eurent pour rôle principal
de transmettre aux nations de l'Occident l'aristotélisme, dans un mo-
ment où ce système pouvait donner une puissante impulsion aux tra-
vaux des docteurs scolastiques. — Des discussions religieuses s'élevèrent
de bonne heure au sein de l'islamisme; elles étaient provoquées par la
diversité des populations soumises brusquement à la loi nouvelle et par
le caractère éclectique du Coran, qui avait fait bien des emprunts au
judaïsme ainsi qu'au christianisme. Il y eut donc, avant même que les
Arabes fussent initiés aux spéculations de la Grèce, des sectes ou écoles
qui cherchaient à systématiser l'enseignement du texte sacré. Tels
furent les Kadntes (Kadr, pouvoir, libre arbitre), qui n'admettaient pas
que Dieu décrétât les actions mauvaises ; les oeuvres bonnes ou mau-
vaises procèdent donc de la volonté de l'homme : « Les choses sont
entières », disaient-ils. Leurs adversaires, les Djabarites (Djaba?% con-
trainte), étaient plus orthodoxes, en affirmant le fatalisme; mais ils
insistèrent sur l'unité de Dieu, au point de refuser à l'Eternel des attri-
buts distincts. Une autre secte s'éleva contre eux, celle des Cifatites-
(Ci fat, attribut), qui prit à la lettre les anthropomorphismes du Coran.
Les diverses écoles prétendaient être fidèles à la révélation; aussi
désigna-t-on sous le nom de Calam (parole) cette science dogmatique,
et les docteurs qui la professaient furent appelés Motecallemin. Vers la fin
de la dynastie des Ommiades, il se forma au sein du Calam une branche
ARABES 483
plus libérale, celle des Motazales (dissidents), qui comptèrent vingt
subdivisions, unies toutefois par quelques principes communs : l'unité
de Dieu n'admet pas la diversité des attributs (doctrine desDjabarites);
en vertu de la transcendance de Dieu, les actions des hommes ne sont
pas déterminées, nous sommes responsables de nos actes (doctrine des
Kadrites); puisqu'il n'y a pas deux Etres éternels, le Coran ne saurait
être incréé; les connaissances nécessaires au salut peuvent être acquises
par les seules lumières de la raison, avant comme après la révélation,
en sorte qu'elles sont obligatoires pour tous les hommes. Ces ensei-
gnements, combattus par le Calam orthodoxe, furent exclus de l'isla-
misme. Cependant les discussions qu'ils provoquèrent avaient exercé
les docteurs à la dialectique et fait surgir une foule de problèmes aux-
quels le Coran ne fournissait pas de solution. — Plusieurs califes de la
dynastie des Abassides, notamment Al-Mamoun (813-833) et Al-Mo-
tawackel (847-861), encouragèrent les travaux scientifiques, fondèrent
des bibliothèques, ouvrirent des écoles et favorisèrent la traduction des
écrits des Grecs. Les traités de médecine excitaient le plus d'intérêt, et
dans le cours de cette histoire, nous remarquons une intime soli-
darité entre la médecine et la philosophie ; tandis que les Motecalle-
min cumulaient la théologie et la jurisprudence, les philosophes
furent médecins. En seconde ligne venaient les ouvrages de physique,
de mathématique, d'astronomie, qui devaient aider aux calculs astro-
logiques. Ces traductions furent, pour la plupart, faites par des chré-
tiens et des juifs de la Syrie ou de la Chaldée ; fort peu de philosophes
arabes connurent les textes originaux. Dans la pensée des Grecs, toutes
les connaissances étaient reliées par une science centrale, la philosophie,
et les Arabes furent ainsi amenés à s'enquérir des spéculations de
l'hellénisme. Ce fut vers Aristote que leur prédilection se porta; Platon
ne leur fournissait pas d'aussi abondants matériaux pour l'étude de la
nature, et une partie seulement de ses œuvres fut mise à la portée des
Arabes. Toutefois, en même temps qu'on s'appropriait les travaux du
Stagirite, on traduisait aussi les commentaires de savants appartenant
à une période postérieure, celle du syncrétisme alexandrin, Yhagoge
de Porphyre, les écrits d'Alexandre d'Aphrodisée, de Thémiste, de
Philopon, et la pensée d'Aristote ne fut entrevue de la plupart des
Arabes qu'au travers des interprétations néoplatoniciennes ; mais Aris-
tote n'en demeura pas moins le maitre incontesté. D'autre part, comme
oji ne pouvait attaquer ouvertement l'autorité du Coran, la tâche des
philosophes fut compliquée par la nécessité d'accorder, de la manière
là plus plausible, les saints enseignements avec la doctrine philosophique.
— Nous avons peu de renseignements sur le plus ancien des philo-
sophes,^ IrMendi; né d'une famille princière, à la lin du huitième siècle,
il étudia à Bagdad, àBassora; il doit avoir possédé toutes les sciences
de la Grèce et de L'Orient, Il ouvrit la voie en traduisant, sur le texte
Original) les écrits d'Aristote; il les commentait par là il mérite d'être
considéré comme le patriarche de la philosophie arabe. Environ un
siècle plus tard. Fartibi (.t/-), né à Farab, dans le Turkestan, étudia la
philosophie à Bagdad : à Barran, il eut pour maitre de logique un mé-
484 ARABES
decin chrétien nommé Jean; après avoir vécu à la cour d'un prince
d'Alep, il fut un des professeurs les plus éminents de Damas, où il
mourut en Tan 950. Quoiqu'il ait commenté les ouvrages d'Aristote,
notamment r Organon, et qu'il ait montré une grande prédilection pour
la logique, Farabi s'occupa aussi de Platon; il publia une étude com-
parée des deux philosophes, et le fond de sa pensée fut néplatonicien :
L'univers est une émanation de Dieu à des degrés divers, jusqu'à la
matière première qui constitue la limite inférieure de l'existence; les
choses corporelles ne sont que des idées troublées et confuses ; il faut
nous élever du sensible au [principe divin, et cela au moyen de la
spéculation, notre intellect s'unissant à cette puissance universelle qui
s'appelle l'intellect actif, de manière à acquérir la science absolue.
Nous trouvons déjà chez Farabi cette doctrine qui sera professée par
tous les péripatéticiens arabes, que les événements de cette terre sont
régis par les mouvements des constellations ; ces sphères célestes sont
les causes secondes par lesquelles Dieu entre en rapport avec le monde
sublunaire ; l'astrologie devient ainsi un chapitre de la métaphysique.
Si notre intellect est admis à s'unir au principe éternel, l'àme, par
contre, impuissante à concevoir les idées abstraites, ne peut prétendre
à l'immortalité; du reste, ce point de doctrine reste obscur chez la
plupart des philosophes arabes. De plus, il est probable que Farabi
partagea la prédilection des néoplatoniciens pour les doctrines orien-
tales; Ritter pense qu'il s'adonna à la contemplation mystique prati-
quée par les Soufis (voy. ce mot). Pour la doctrine de Farabi, voir son
traité : Fontes quœstionum, publié dans les Documenta philosophix ara-
fyum, de Schmœlders, 1836. Avicenne (Ibn-Sina), né en 980, dans la
province de Bokhara, montra de bonne heure de grandes dispositions
pour l'étude; il suivait, entre autres, les leçons de médecine d'un chré-
tien, Isa ben-Yahya, puis mena une vie orageuse, jouissant parfois de
la faveur des princes, parfois poursuivi comme criminel et jeté dans les
prisons, trouvant le temps de composer plus de cent ouvrages, et hâtant sa
fin par des excès de tout genre; il mourut à Hamadan en 1037. Outre son
Canon de médecine, qui fut commenté jusqu'au dernier siècle dans
quelques académies de l'Occident, il rédigea une grande Encyclopédie
en dix-huit volumes, intitulée al Schefa (guérison),dontil fit un abrégé:
al Nadjah (délivrance), imprimée à Rome, 1593. Les divers écrits phi-
losophiques qui ont été traduits en latin sont tirés de ces deux ouvrages
(voy. Fédit. de Venise : Avicennœ peripatetici philosophi ac medicorum
facile primi opéra... nuper quantum ars niti potuit per canonicos
emendata, 1495). Pour la logique et la classification des sciences, Avi-
cenne élucide et complète Aristote. Plus fidèle au maître que ne l'avait
été Farabi, Ibn-Sina considère la matière non comme la limite extrême
des émanations, mais comme la condition des existences sublunaires,
le support de tous les êtres qui sont simplement possibles, matière qui
n'est que passive mais qui subsiste par elle-même. Mais Avicenne aussi
cherche à combler l'abîme entre l'Eternel immuable et les êtres con-
tingents par des intermédiaires, les intelligences des sphères célestes,
qui ne naissent ni ne périssent, qui, n'étant que possibles par elles-
ARABES 485
mêmes, reçoivent de leurs rapports avec la cause première la qualité
d'êtres nécessaires. La cause première étant l'unité absolue, ne peut
avoir pour effet que l'unité, et cependant de cette unité émane une
sphère environnante qui est composée, puisque son intelligence a pour
objet la cause première et elle-même ; cette sphère agit sur une deuxième,
et ainsi de suite jusqu'aux degrés inférieurs où la vie est moins intense
et dont les êtres sont changeants, périssables. Tandis que la connais-
sance de Dieu ne porte que sur les choses universelles, car s'il connais-
sait les contingentes, il y aurait changement dans sa pensée, dans son
essence, la connaissance des choses particulières est accordée sinon aux
intelligences des sphères célestes, du moins à leurs âmes, douées d'une
faculté d'imagination dont les objets se multiplient à l'infini. L'obser-
vation des choses visibles ne nous procure que des notions de l'ordre
sensible ; mais en s'y appliquant avec méthode et en se purifiant des
désirs et des passions terrestres, notre âme se prépare à recevoir l'in-
tellect actif, le moteur divin qui illumine immédiatement notre intelli-
gence et nous procure la connaissance des principes supérieurs ; la
véritable perfection de l'âme rationnelle, c'est de devenir un monde
intellectuel dans lequel se reflètent les substances spirituelles, la cause
première, la forme de tout ce qui est. Il y a même des âmes qui n'ont
besoin d'aucune étude préliminaire pour recevoir ces communications
de l'intellect actif; tels furent les prophètes. Du reste, Avicenne déclare
qu'il a exposé sa vraie doctrine dans un ouvrage qui est perdu, le Livre
de la philosophie orientale; nous ne pouvons juger dans quelle mesure
ce livre complétait ou modifiait la doctrine exposée dans les deux En-
cyclopédies. Avicenne a dû surtout sa renommée à son rôle d'inter-
prète d'Aristote; c'est à ce titre qu'il a, selon l'expression de Brucker
(Hist. crû. phil. III, p. 88), « régné jusqu'à la Renaissance chez les
Arabes comme chez les chrétiens, non pas seul, il est vrai ». La philo-
sophie était arrivée à son apogée dans l'islamisme oriental ; elle provo-
qua une réaction énergique sur le terrain même delà spéculation. Algazel
(Al-Gazali), né en 1038, dans le Khoraçan, après avoir professé à Bag-
dad, fit le pèlerinage de la Mecque, puis se consacra tour à tour à l'en-
seignement et à la vie contemplative; il mourut l'an 1111. Après avoir
vainement cherché la vérité dans les divers systèmes de philosophie,
il la trouva enfin dans le mysticisme des Soufis. Son scepticisme lui
inspira deux ouvrages: Y un, Makacid al falasi 'fa (tendance des philo-
sophes), fut un exposé de la logique, de la métaphysique et de la
physique péripatéticiennes, surtout d'après Avicenne; cet ouvrage fut
traduit en latin audouzième siècle, sauf l'introduction, où l'auteur déclare
qu'avant d'aborder la réfutation des philosophes, il veut présenter im-
partialement leurs doctrines. Le second, Tehafot al falasifa (destruction
des philosophes), démontre l'erreurdes philosophes, quand ils affirment
r éternité de la matière et du monde; quand ils se flattent de prouver
l'existence de Dieu et son unité; quand ils enseignent que la cause
première est un être abstrait, sans attributs, ne connaissant pas les
choses particulières, dont le gouvernement serait livré aux âmes des
sphères ; quand ils nient la résurrection des morts, le paradis et l'enfer.
486 ARABES
Dans ses traités de morale et de dévotion, Algazel montre que c'est non
par la science mais par la voie pratique, en nous unissant à Dieu dans
le pur amour, que nous arrivons à l'illumination, qui nous permet de
contempler Dieu, toutes les choses universelles et particulières ; c'est
la voie dans laquelle nous précédèrent les prophètes et les saints. Ces
écrits lui valurent le surnom d'Ornement de la religion, de Preuve
de l'islamisme. Les écrits ésotériques d'Algazel ne parvinrent même
pas en Espagne ; nous ne savons jusqu'à quel point il adopta l'idée de
l'absorption de Dieu et le panthéisme de certaines sectes de l'Orient. Il
déclare que c'est dans la société des Soufis qu'on trouve, dans sa plus
grande sincérité, la triple croyance en un seul Dieu, en son prophète
et au jugement dernier; mais le soufisme a largement pratiqué le
système de l'accommodation aux doctrines officielles. Avec Algazel, la
première période de la philosophie arabe, celle des écoles de l'Orient,
est close. — En Espagne, la philosophie commença par réagir contre
l'enthousiasme d'Algazel, en revenant à l'étude de la nature. Avempace
(Ibn-Badja) , né à Saragosse à la lin du onzième siècle, vécut à Séville, où
il jouit de la faveur des princes Almoravides, et mourut l'an 1138. Il
écrivit des commentaires sur Aristote, une Lettre sur le véritable but
de V existence humaine, qui est de s'approcher de Dieu et de s'unir à
lui, union qui se réalise non par l'exaltation mystique, mais par la
connaissance, par la conjonction qui s'établit entre notre intellect et
l'intellect actif ; un secours qui vient d'en haut est nécessaire à cet
effet. Un autre livre, le Régime du solitaire, c'est-à-dire du sage qui
s'isole des influences mauvaises de la société, contient le tableau d'un
Etat parfait, où les juristes et les médecins seront inutiles. Tofaïl
{Ibn-), né en Andalousie au commencement du douzième siècle, fut vizir
et médecin de Yousouf, deuxième roi de la dynastie des Almohades; il
mourut à Maroc en 1185. Le seul ouvrage conservé de lui est un roman
philosophique, Hay Ibn-Yakdhan (le vivant, fils du vigilant); c'est
encore un solitaire. Hay, né par une sorte de génération spontanée,
dans une île déserte, et nourri par une gazelle, s'instruit seul et arrive
à discerner dans la variété des objets, la matière et la forme, et au-
dessus de cette terre, les sphères célestes et l'agent universel, le seul
vrai être, qui unit tout. L'intelligence humaine, incorporelle, vraie
substance, ne naît ni ne périt; elle est appelée à se dégager des choses
visibles et du trouble des sens, pour s'identifier, par le seul exercice
de la méditation, avec l'être suprême ; ici le mysticisme reprend ses
droits, mais avec plus de sobriété que chez Algazel. A cinquante ans,
Hay voit arriver un pieux musulman qui lui fait connaître l'islamisme,
et les deux solitaires constatent que si l'on écarte les images et les
symboles du Coran pour pénétrer jusqu'au sens intime, la religion et
la philosophie enseignent la même vérité. Ce livre fut traduit en latin
par E. Pococke, Philosophus autodidactus, 1671, et en plusieurs langues
modernes. Âverroës (Ibn-Roschd) naquit à Cordoue au commencement
du douzième siècle; fils et petit-fils de jurisconsultes éminents, il exerça
les fonctions de cadi à Séville et à Cordoue ; il avait été présenté par To-
faïl à Yousouf et jouit de la faveur de ce prince; mais sous son succès-
ARABES 487
seur, il partagea les persécutions qu'encoururent les philosophes;
cependant Ibn-Koschd rentra en grâce à la cour de Maroc et il mourut
dans eette ville en 1198. Il s'appliqua à ramener toutes les sciences au
principes du Stagirite : « car aucun de ceux qui ont vécu depuis Aris-
tote n'a rien pu ajouter à ce qu'il a dit qui fut digne d'attention ». Il
écrivit sur les œuvres du maître des commentaires réitérés, qui ont
été divisés en grands, moyens et paraphrases, et quoiqu'il ne sût pas
le grec, il pénétra plus avant qu'aucun de ses prédécesseurs dans la
pensée de son guide. C'est par la science, non par la contemplation ni
par la pratique des vertus, que nous arrivons à la vérité; car la science
est une participation de la pensée pure, qui domine tout au moyen de
l'intellect actif, puissance formative qui a son siège dans le ciel, et à
un degré plus rapproché de nous, dans l'orbite de la lune. L'intellect
actif ne peut rien faire de rien, il dégage seulement de la matière les
formes qui y sont latentes. Pour Ibn-Roschd, la matière éternelle n'est
pas seulement une possibilité indifférente et indéterminée, elle con-
tient virtuellement les germes de toutes les existences. L'homme aussi
a dans sa nature une disposition première qui, par elle-même, n'a
aucune forme déterminée, mais qui peut percevoir toutes les formes,
qui y est même prédisposée; c'est l'intellect passif ou matériel. Mis en
mouvement, excité à la spéculation par l'intellect actif, notre intellect
passif est élevé au rang d'intellect acquis; il comprend les formes ou
les'substances séparées (Albert le Grand les définit : substances sépa-
rées du lien de toute matière corporelle, si simple qu'elle soit), c'est-
à-dire les esprits supérieurs, le ciel, un être animé qui ne nait ni ne
périt, qui communique aux choses sublunaires le mouvement qu'il a
reçu de la chose première et du désir qui le porte vers ce premier
moteur, vers la pensée pure. Tandis que la pensée et les notions géné-
rales sont impérissables, notre intellect matériel, qui n'est pas une
substance mais une simple disposition, est destiné à périr avec notre
corps. Gomme Tofaïl, Ibn-Roschd démontra l'identité de cette doctrine
avec le Coran; il réfuta le scepticisme d'Algazel dans un ouvrage,
Tehafot al Tekafot, où il affecta un grand zèle pour la foi musulmane,
mais sans faire illusion à personne. La doctrine d'Averroës fut la sys-
tématisation la plus complète et la plus rigoureuse du péripatétisme
arabe. Ses œuvres furent proscrites ; elles auraient disparu si les rab-
bins d'Espagne et de Provence ne les avaient traduites en hébreu, ou
même recopiées en caractères hébraïques ; ce furent eux aussi qui les
traduisirent en latin (édition de Venise, 11 volumes in-folio, 1552). Pour
les chrétiens, Averroës fut le type de l'irréligion; il fut réfuté par
Albert le Grand (FJbellus contra eos qui dicunt quod post séparât ionem
ex omnibus animalibus nonremanel nisi intelleetus unus et anima una),
saint Thomas d'Aquin et les principaux docteurs (voir E. Renan, Aver-
roê*et?Averroùtne, 1852; Marc Huiler, Averroës, Philosophie oder Theol.
aus dem arab. ubers. 1876). — Les rigueurs contre les philosophes avaient
commencées Orient, provoquées surtout par la secte fanatique des
Ascharites; en Espagne, La dynastie des Almohades s'inspira de leur
zèle; si, à Bagdad, les ouvrages de philosophie furent brûlés, à Séville,
488 ARABES
Ben-Habib fut mis à mort pour s'être adonné à ces études coupables. Au
quinzième siècle, l'historien arabe Makrizi donnait encore une expression
à cette horreur de la philosophie : c< La doctrine des philosophes causa
à la religion des maux plus funestes qu'on ne le peut dire ; la philoso-
phie ne servit qu'à augmenter les erreurs des hérétiques et à ajouter à
leur impiété un surcroît d'impiété. » Cependant, pour repousser les
enseignements de l'aristotélisme, le Calam avait dû se transformer, se
compléter, en prenant un caractère plus scientifique. Parmi les diverses
nuances de ce dogmatisme devenu plus systématique, les Ascharites
devinrent pour quelque temps l'orthodoxie dominante. Au dixième siècle,
Al-Aschari, après avoir été l'un des principaux docteurs du Motaza-
lisme, répudia publiquement ses erreurs à Bassora et reconnut la
préexistence du Coran, les attributs de Dieu, la prédestination des
actions humaines. Les Ascharites n'admettaient qu'une cause première
et niaient les causes secondes ; rien ne surgit, rien ne périt par une loi
de la nature; Dieu crée à chaque instant tous les phénomènes successifs,
les atomes mêmes qui composent les corps. Prenant exactement le
contrepied de la doctrine aristotélicienne, les Ascharites firent des em-
prunts au système atomistique de Démocrite ; mais ils y ajoutèrent
l'action incessante de Dieu. Aucun phénomène ne dure deux instants;
s'il paraît durer, c'est que Dieu crée continuellement. Lorsque l'homme
écrit, Dieu crée quatre accidents qui ne se tiennent par aucun lien de
causalité : la volonté de mouvoir la plume, la faculté de la mouvoir, le
mouvement de la main, celui de la plume. Les attributs négatifs ou
privations sont des accidents réels produits par le Créateur; le repos,
l'ignorance, la mort sont incessamment créés dans certains êtres, aussi
bien que la vie, l'activité, la connaissance dans d'autres. Cependant,
par une inconséquence inévitable, on admit une certaine part de l'homme
dans la production de ses actes. Puis, lorsque la philosophie ne fut plus
considérée comme un péril, ce mouvement dogmatique dut naturelle-
ment s'apaiser et se ralentir. — Du huitième au douzième siècle, la philo-
sophie arabe a brillé d'un vif éclat, mais sans exercer une action ap-
préciable sur la civilisation musulmane. Une des causes de cet insuccès,
ce fut son point de départ : elle avait emprunté à la Grèce non-seule-
ment les mathématiques et la médecine, mais la logique, la métaphy-
sique, la psychologie avec la distinction de l'intellect actif et passif;
elle déploya une patience infatigable, une merveilleuse habileté à élaborer
les matériaux reçus, à introduire quelques principes néoplatoniciens
dans le cadre aristotélique, de manière à construire un vaste système
dont les diverses parties se trouvaient reliées par d'ingénieuses expli-
cations. Mais elle ne parvint ni à surmonter les contradictions intérieures
de la pensée première, le dualisme de la forme et de la matière, ni à se
dégager d'un panthéisme rationnel chez les uns, mystique chez
quelques autres; à une spéculation qui appartenait au passé, elle n'ap-
porta pas d'élément nouveau, puisé dans l'âme des peuples nouveaux;
elle n'eut rien de créateur ; pour les populations musulmanes, elle
demeura une étrangère suspecte. Elle eut une philosophie de la nature,
une cosmologie; elle n'eut pas à proprement parler de philosophie de
ARABES — ARABIE 489
la religion, et cela parce que le modèle sur lequel elle se régla, la phi-
losophie grecque, dans sou antagonisme vis-à-vis de la religion du
pays, n'avait songé à constituer une telle science. Le Calam non
plus n'a posé les bases d'une philosophie de la religion, parce que le
Coran ne le comporte pas. Si la philosophie de la religion doit tenir
compte des aspirations de la pensée chez tous les peuples, elle ne re-
cueille cependant que des enseignements négatifs chez les Arabes; ce
n'est pas là qu'elle trouve les principes et les jalons essentiels dont elle
a besoin pour devenir une vraie science. — Voir Ritter, Gesc/i. der Phi-
losopln<\ tomes 7 et 8 ; les articles de M. S. Munk, dans le Dictionnaire
des sciences philosophiques ; Dieterici, die Philosophie der Araber, ira
A~° Jahrh. nach den Schriften der lautern Druder, 8 volumes, 1858-1876.
A. Mattee.
ARABIE (Religion de l'ancienne). — - I. Origines. Le mot arabe est
assez récent. Pendant longtemps, les Hébreux ne l'ont pas connu ; ils
appelaient « enfants du Levant » Bené Qedem, les Bédouins qu
erraient dans le désert compris entre la mer Morte et l'Euphrate (Job
I, 3; Jug. VI, 3,33; VII, 1 ; VIII, 10; 1 Rois IV, 30), et leur pays « le
Levant », Qedem (Gen. X, 30;Nombr. XXII, 7), « la terre du Levant »,
Ereç Qedem (Gen. XXV, 6) ou « la terre des enfants du Levant »,
Ereç benê-Qedem (Gen. XXIX, 1). Les voisins immédiats des
Hébreux avaient chacun leur nom particulier. Le mot arabe n'appa-
raît guère qu'à l'époque de la captivité et avec un sens très-différent de
celui que nous lui donnons aujourd'hui. On le rencontre pour la pre-
mière fois dans Esaïe XXI, 13 ; M. Reuss pourtant (les Prophètes, I,
p. 294) lit en cet endroit : Be êreb, et traduit : oracle au soir (comp,
Jér. XXV, 24; Ezéch. XXVII, 21; 2 Ghron. IX, 14); il est synonyme
de « désert » ; sa forme ethnique, 'Ar âb î, désigne les habitants de
la contrée située au sud-ouest de la Palestine, et que les auteurs plus
anciens assignent aux descendants d'Ismaël. De là vient qu'on le trouve
associé au nom d'autres tribus de la péninsule arabique, à Dedan,
Thema, Buz (Jér. XXV, 23), à Cédar (Ezéch. XXVII, 21) et même aux
Philistins. Dans un seul passage (2 Ghron. XXI, 16) il semble désigner
les habitants de l'Arabie méridionale (voy. Gesenius: les., vol. I,
p. 673, et Thésaurus, p. 1066, a). Les renseignements des auteurs an-
ciens nous amènent aux mêmes résultats. Les Egyptiens n'emploient
pas le nom d'Arabes ; mais ils distinguent très-nettement les Arabes
du Nord de ceux du Sud ; ils appellent le sud de l'Arabie, le pays de
Pount (Pceni, Puni), l'Arabie Pétrée, au contraire, le pays des Shasous,
e V>t-à-dire des « pillards », (Hyq-Shous«. le roi des Shous » ;Maspero,
///s/, anc. des peuples de l'Orient, p. 171 ss.). Sur les inscriptions cu-
néiformes, Lorsque l'Arabie apparaît, c'est avec le même sens très-
Limité (Schrader : Keilinschr. u. dos A. T., p. 06). Ce sont également
les Arabes du Nord qu'Hérodote (111,4-7, 107 ss.) semble désigner sous
ce nom. An contraire, à partir de Ptolémée, l'Arabie désigne toute la
péninsule qui a gardé ce nom jusqu'aujourd'hui. — Ptolémée divise
L'Arabie en trois parties : Arabie Heureuse, Arabie Déserte et Arabie
Pétrée. Cette division n'est pas connue de la plupart des auteurs
î. 32
490 ARABIE
anciens; mais elle est fondée jusqu'à un certain point clans la nature
du sol, et on la retrouve déjà dans le livre de la Genèse, quoiqu'il
n'emploie nulle part ces trois dénominations. L'Arabie Pétrée, ainsi
nommée de sa capitale Petra, en hébreu Sel a, « la Roche », forme
comme un seuil à l'entrée du désert. Petra est à 892 mètres au-dessus
du niveau de la mer. Par la configuration de son sol aussi bien que par
les mœurs et la langue de ses habitants, elle tient le milieu entre la
Syrie et l'Arabie ; à l'ouest elle embrasse la presqu'île de Sinaï et va
rejoindre l'Egypte. A l'est de l'Arabie Pétrée, entre le golfe Elanitique
et l'Euphrate, s'étend à perte de vue le désert, el Badieh. Tout ce qui
est au sud s'appelait autrefois Yaman, « la droite » ; le même mot
signifiant en arabe droit et heureux, on en a fait l'Arabie Heureuse.
Les géographes arabes modernes ont repris cette division, mais en
limitant l'Yémen au sud de l'Arabie. L'Arabie Heureuse comprend en
effet plusieurs parties. Le centre est un immense plateau (Nedjed) , où les
déserts alternent avec les pâturages ; c'est la patrie du chameau et du
cheval arabe. La côte Tihâma est stérile et rocailleuse jusqu'à l'Hedjaz
(alHigaz, (de milieu») ; l'Hedjaz lui-même est une mer de sable. Mais,
plus au sud, le pays est riche et bien arrosé et fait comprendre le nom
d'Yémen qu'on lui a donné par une sorte de jeu de mots géographi-
que ; l'Yémen étend ses châteaux-forts jusque sur le plateau qui s'abaisse
en cet endroit. Sur la mer des Indes, « la côte de l'encens» court depuis
l'Hadramaut jusqu'à l'Oman ; enfin les bords du golfe Persique forment
le district à' El Bahreyn, presque inconnu des auteurs anciens, et qui
n'est guère fréquenté, maintenant encore, que par des pêcheurs
d'huîtres; la connaissance de cette région serait pourtant d'une grande
utilité pour l'intelligence des origines de la civilisation arabe. — On ne
peut faire aucun fondement sur tout ce que les Arabes racontent tou-
chant leurs origines. Pendant longtemps on a cru que leurs généalogies
et leurs traditions relatives aux patriarches remontaient à une haute an-
tiquité ; aujourd'hui il est avéré qu'elles sont empruntées directement
aux récits des Juifs; les Arabes ont pris aux traditions juives sur les
patriarches tout ce qui les concernait de près ou de loin et ont comblé
l'intervalle qui les en séparait par des histoires et des généalogies fic-
tives. La Genèse est notre source à peu près unique pour la connaissance
des origines du peuple arabe. Les principaux passages à consulter sont:
Ch. XXI, histoire d'Agar et d'Ismaël; XXV, Généalogie des enfants d'A-
gar et de Céthura; X, liste généalogique des enfants de Noé. D'après le
Ch. XXI, les Arabes sont les frères aines des Hébreux ; l'histoire d'Isaac
et d'Ismaël exprime très-clairement cette idée.Ismaël n'est pas l'enfant
de la promesse, il est le fils de l'étrangère, Agar, mais il est le pre-
mier-né d'Abraham, qui le reconnaît pour son fils, et Dieu le prend
sous sa protection. Le nom même d'Ismaël rappelle par sa forme celui
d'Israël. Les Arabes sont donc aussi grands qu'on peut l'être sans être
les héritiers légitimes ; on sent au ton du récit que ce sont des frères :
« Et Dieu fut avec l'enfant, et il grandit, et il demeura dans le désert,
et il devint adulte, et il fut tireur d'arc. » Cette description ne s'applique
pas à toutes les tribus indistinctement. Les enfants d'Ismaël formaient
ARABIE 491
douze tribus, comme les enfants d'Israël, avant leurs Nassis et leurs
campements : Cédai*; Duma, Kedma, Nebayot, etc., ce sont les Arabes
du désert; le chapitre XXV, v. 12, ss. nous dit expressément leurs
noms, et il ajoute : C'est à l'Orient de tous leurs frères qu'ils s'éta-
blirent. Le même chapitre énumère encore d'autres tribus arabes qui
sont parentes au même degré des Hébreux, mais sans leur tenir d'aussi
près. Ce sont les enfants d'Abraham et de Céthura. Le plus connu est
Ifadian (Midiân). Si Ton s'obstine à chercher dans ces généalogies
des noms d'hommes, on se trouve en présence de difficultés inextrica-
bles, car, quelques années plus tard, on trouve des caravanes de
Madianites parcourant le désert; au contraire si on y voit, comme les
noms mêmes l'indiquent, des tribus rattachées par des liens de parenté
plus ou moins étroits, les généalogies de la Genèse sont de la plus
haute valeur. Les autres enfants de Céthura portent les noms de peu-
plades qui habitent pour la plupart entre l'Hedjaz et l'Arabie Pétrée;
l'un d'eux même, Jocsçan, y figure comme père de Saba et Dedan.
Peut-être faut-il confondre ces derniers avec deux tribus du mêmenom,
les plus célèbres de l'Arabie du Sud, que la table généalogique du
ch. X rattache à Joctan, petit-fils de Sem, et à Cousch. 11 est vrai que
divers passages (Jér. XXV, 23; XL1X, 8; Ezéch. XXV, 13) où Dedan
est cité à côté d'Edom, feraient croire qu'une scission s'était opérée
parmi les enfants de Saba et de Dedan, une partie d'entre eux étant
i. stés au Nord, l'autre ayant émigré au Sud; le même l'ait se retrouve
chez les Amorrhéens, les Hetiens et chez presque toutes les populations
cananéennes de la Palestine; mais si c'étaient des tribus différentes,
elles avaient la même origine, qu'exprime leur descendance commune
de Jocsçan ou Joctan, les deux noms se confondent. Nous avons donc
affaire, en tous cas, à deux traditions différentes, dont l'une rattache
i Joctanides à Céthura, l'autre en fait des descendants immédiats
de Sem. Les Arabes du Nord ne sont pas les seuls que connaisse la
Genèse. Longtemps avant Abraham, dans l'histoire des fils de Noé,
on trouve la mention de peuplades fixées au sud de l'Arabie et qui
doivent représenter la population primitive de la péninsule. La table
généalogique du ch. X leur assigne deux origines différentes. Au
verset 7, elle les fait descendre directement de Sem, par Joctan
(Yoqtân), aux versets 26-30, elle les rattache à Cousch, fils de
Cham. Saba (Chebâ'), le grand royaume qui occupait le centre de
l'Yémen, se retrouve sur les deux généalogies; pourtant, ces deux gé-
i éalogies ne coïncident pas dans toute leur étendue; la première, qui
fait des Sabéens des descendants de Cousch, cite à côté de Saba, d'autres
noms sur lesquels on a beau cou p discuté ( voyez Ophir, Havila), mais qui
appartiennent tous au Sud; elle suit une ligne qui va du golfe Persique,
et peut-être de l'Inde, à l'Ethiopie en passant par Saba; l'autre, qui rat-
tache les Sabéens à Sem par Joctan, part du centre de l'Arabie pour
aboutira la Limite extrême de l'Yémen, à Zafari ; la géographie de cette
dernière région est encore sémitique; le nom même que Ptolémée donne
à toute cette côte, Sachalites sinus, n'est, suivant une conjecture ingé-
nieuse de M. Renan, que le mot arabe pour désigner le rivage, c'est le
492 ARABIE
Sahcl. Il semble donc que ces deux généalogies nous mettent en pré-
sence de deux courants dépopulations différents, l'un couschite, l'autre
sémitique, qui se sont rencontrés au sud de l'Arabie. — Les auteurs
arabes ne connaissent pas cette distinction; ils rapportent tout ce qui
est dit dans la Genèse de Cousch et de Joctan à un seul ancêtre qu'ils
appellent Khaktan; mais ce nom semble n'être qu'une déformation
du nom de Joctan. On peut s'étonner de voir appeler Couschite un peu-
ple de langue sémitique ; mais la civilisation des Sabéens et leur orga-
nisation sociale lesrattacbentàBabylone beaucoup plutôt qu'à l'Arabie
propre. Peut-être d'ailleurs n'est-ce pas le seul exemple d'un peuple
couschite ayant adopté une langue sémitique: l'Ethiopie et, à l'extré-
mité opposée de la péninsule arabique, les Phéniciens semblent pré-
senter le même phénomène. La Mecque est isolée au centre de l'Arabie.
Jusqu'à Diodore de Sicile, les auteurs anciens l'ignorent; la Genèse elle-
même parle très-peu des habitants de THedjaz. On a voulu en conclure
que le sanctuaire de La Mecque était de date récente et qu'il n'avait
été fondé qu'un siècle à peine avant l'ère chrétienne. M. Dozy (Die
Israëliten zu Mekka, Leipzig, 1864 , in-8) est arrivé à un résultat tout
opposé; suivant lui, le culte de La Mecque n'est pas arabe , mais juif;
La Mecque a été fondée par les siméonites. De bonne heure, la tribu
de Siméon disparaît entièrement de l'histoire du peuple juif ; elle parait
avoir émigré, en partie du moins, vers le sud (1 Chron. IV, 24-43).
M. Dozy croit que c'est elle qui, sous le nom de Djorhoum, a battu les
Minéens et conquis l'Hedjaz. Le nom même de La Mecque, Macoraba ,
« la grande bataille», aurait perpétué le souvenir de cette conquête.
Ce fait nous paraît hors de proportion avec la cause qu'on lui assigne.
Il nous paraît aussi étrange de dire que la tribu de Siméon a conquis le
centre de l'Arabie , que d'attribuer la conquête de l'Egypte aux Hébreux
ou de confondre les fils de Jacob avec les Hyksos. L'étymologie même
qu'on donne du nom de La Mecque est très-contestable. Néanmoins,
deux faits importants subsistent : 1° la disparition subite de la tribu
de Siméon (voyez Israël), 2° les traces profondes d'une influence juive
au centre de l'Arabie ; on les retrouve dans les noms propres, dans les
pratiques religieuses et jusque dans les traditions relatives aux deux
Djorhoum et en général aux populations successives qui se sont dis-
puté La Mecque. L'émigration juive avait déjà commencé lors de la
conquête de Jérusalem par Nébucadnezar (Jér. XL, 11), depuis elle n'a
fait qu'augmenter; à l'époque de Mahomet, l'Arabie était pénétrée
d'éléments juifs; il faut même en tenir grand compte dans la recherche
des origines de l'islamisme.
IL Religion. 1. Sabéens. On appelle en général royaume himyarite le
puissant royaume qui occupait le sud-ouest de l'Arabie, et la langue qu'on
y parlait , la langue himyarite : cette expression est abusive. Ce nom
est celui d'une dynastie qui est arrivée au pouvoir à une époque très-
récente. Le nom national, le seul connu avant l'ère chrétienne, est Saba.
Les Sabéens occupaient le détroit de Bab-el-Mandeb, et se trouvaient
ainsi en relation directe avec l'Egypte, et en possession du commerce
de la mer Rouge. Ils avaient pour capitales dans les temps anciens,
ARABIE 493
Ssàna et Marc!), la Mariaba des auteurs classiques qui est appelée
Saba dans la Bible. À l'est, la limite au pays était marquée par un
port important, Sefàrâ, air'o ird'hui Zafari, non loin déMirbàt. Une autre
ville du même nom se trouvait dans l'intérieur des terres, aux environs
deSsâna. L'Une d'elles, le port, suivant F resnel [Lettres sur V histoire des
Arabes, IV, p. 17 et ss.), fut pendant assez longtemps la capitale des
rois himyarites. Le royaume de Saba était très-riche. La relation
du voyage de la reine de Saba (1 Rois X, 1, 12) et le tableau du com-
merce de Tyr (Ezéch. XXVII) en l'ont venir l'or, les pierres pré-
cieuses, les parfums (comp. Ps. LXX1I, 15 et Es. VI, 20; LX, 6). Une
partie de ces trésors provenaient du sol de l'Arabie; la plupart des
auteurs anciens font du Hadramaut la patrie de l'encens, qui était
l'objet du commerce peut-être le plus important de l'antiquité; l'encens
était le luxe des rois et les dieux en vivaient (Hérod. III, 107; Strabon,
XVI. 768, 778, 782; Plin., H. N., XII, 30 s.; Diod. Sic, III, 45, 46).
Mais la richesse de l'Yémen devait tenir en partie aussi à son com-
merce extérieur. En quelque endroit que Ton place Ophir et Havila, il
est certain que Ton trouve cités, parmi les objets que la flotte du roi
lliram en rapportait à Salomon, des produits de l'Inde : des dents
d'éléphant, des paons, des singes. Les mêmes détails se retrouvent
sur les bas-reliefs du temple de Deir-el-Bahari, qui retracent la con-
quête du pays de Pount par les Egyptiens. Saba était, en effet, l'entre-
pôt de l'Orient, et elle tenait, dans l'antiquité, la clef de la route de
Suez. A côté des Sabéens, Pline et Ptolémée citent une foule d'autres
peuplades constituées en royaumes indépendants, mais toutes avaient
le même caractère ; les bas-reliefs de Deir el Bahari représentent les
habitants du pays de Pount comme une race brune dont les traits res-
semblent à ceux de la population d'Egypte. Le peu que nous savons
des mœurs des Sabéens les distingue non moins nettement des Arabes
du Nord. Suivant Strabon (VI, 708), le régime des castes était en vigueur
chez eux; il régnait dans le sein de la famille une sorte de commu-
nisme. La monogamie sémitique leur était entièrement inconnue; au
contraire, on retrouve chez eux des traces de polyandrie. Peut-être
faut-il attribuer à la même conception du rôle de la femme la présence
de reines sur le trône (bas-reliefs de Deir-el-Bahari, 1 Rois X). On trouve
également chez les Sabéens la circoncision établie de toute antiquité
(Comp. Knobel, Vœlkertafel, p. 234 et ss.). Leur organisation politique
était celled'un peuple sédentaire. Un roi entouré de grands vassaux ou
cayls; ceux-ci étaient les chefs des tribus et formaient une féodalité
redoutable ; ils vivaient dans des châteaux-forts dont on voit encore les
ruines. Ces ruines témoignent d'une architecture puissante et qui res-
semble à celle de Babylone. Le caractère même des inscriptions est mo-
numental; les lettres sont liantes et carrées. La langue qu'elles nousont
révélée commence à être connue, grâce aux travaux de F resnel, Arnaud
et, dans ces derniers temps, de MM. Osiander, Halévy et Prœtorius. Le
sabéen forme, avec l'éthiopien ou ghez, qui en dérive, une des bran-
ches de la famille sémitique, la pins éloignée peut-être. L'alphabet se
rattache au phénicien, quoique de très-loin. La grammaire est sémiti-
494 ARABIE
que, mais avec des particularités qui la rapprochent de l'égyptien ancien
et du copte; par d'autres côtés, au contraire, elle ressemble au phéni-
cien (Renan, Histoire des langues sémitiques, livr. IV, ch. I, p. 305 ss.).
Vekhili et les autres dialectes parlés actuellement au sud de l'Arabie
s'écartent encore beaucoup plus des langues sémitiques proprement
dites; toutefois, on ne doit se servir, en ces matières, des dialectes
modernes qu'avec une grande réserve. — La religion des Sabéens est
pleine d'obscurités. Tout ce que nous en savons nous la représente
comme une religion sidérale ; les noms qui reviennent constamment
sur les inscriptions sont : Almaqah, Attar, Hôbas, C hams, S ïn.
On reconnaît à première vue Vénus (htar), le soleil (Chemech), la lune
(Sin), mais avec des particularités qui rattachent la religion des
Sabéens à celle des Babyloniens et qu'il importe de noter. Attar est la
forme assyrienne de la divinité qui s'appelait Astarté chez les Phéniciens.
Le fait est encore plus frappant pour ChamsetSîn. Le soleil est, pour les
Sabéens, une divinité femelle; la lune, au contraire, un dieu mâle.
D'autres noms, comme Almaqah, Hobas, sontencore à expliquer. Peut-être
quelques-uns de ces noms divins sont-ils de simples titres honorifiques.
Ces dieux n'étaient pas adorés partout indifféremment, ils avaient chacun
leurs sanctuaires dont ils portaient le nom précédé d'une particule
nobiliaire. On disait Almaqah dou Hai*ân (Almaqah de Haràn) ; souvent
la diversité des sanctuaires opérait une scission dans la personne
divine; on adorait Almaqah dou Naaman à côté (V Almaqah dou Harôn.
Ces attributs semblent même avoir été assez puissants pour faire oublier
parfois le nom propre de la divinité ; il est une déesse qui ne porte
jamais d'autre nom que celui de Bat Baadnam (la dame du Sanctuaire?).
Ce titre rappelle singulièrement des noms comme celui de la « dame
de Byblos)), Baalat Gebel, usités dans la religion phénicienne, et plus
encore celui de cette déesse retrouvée récemment à Cartilage et qui
s'appelle Baalat Hahedrat, « la déesse du Sanctuaire ». Voilà ce que
les inscriptions nous apprennent de cette religion qui est devenue
célèbre sous le nom de sabéisme et que les anciens historiens arabes
nous dépeignent comme le type des religions sidérales ; elle était en-
core en vigueur au temps de Mahomet et l' islamisme ne l'a jamais
entièrement détrônée (Palgrave, Narrative of a years journey trough
C en frai and E 'as ter n Afrika, t. II, p. 258). A côté du soleil et de la
lune, les Sabéens adoraient les planètes; certaines tribus les ado-
raient toutes, d'autres une seule. Ils adoraient aussi certaines con-
stellations ou certaines étoiles, les Pléiades et Sirius (voy. Krehl,
p. 7,ss.). Tous ces cultes particuliers variaient beaucoup d'une tribu à
l'autre'; chacune avait ses astres protecteurs et ses idoles. Ces idoles
n'étaient pas des statues, mais des pierres dressées, le plus souvent
noires, dans lesquelles se personnifiaient les puissances sidérales; elles
portaient des noms dont le sens nous échappe et qui étaient peut-être
déjà incompréhensibles pour leurs adorateurs ; quelques-unes avaient
une grande célébrité : telles étaient celles* de Lahm et de Gudàm, de
Saïd, d'Oukaïsir et de Fuis. La plupart des exemples d'un culte ana-
logue cités par Krehl se rapportent à des tribus himyarites; néan-
ARABIE 495
moins on peut en suivre Ks traces jusqu'à La Mecque où nous re-
trouverons quelques-unes «les idoles les plus célèbres. Est-on en droit
pour cela d'identifier la religion des Mecquois et celle des Sabéens? La
question a été résolue dans des sens différents. 11 est certain qu'il y
avait (Mitre elles des rapports constants. Mareb, Amràn, Tebàla, etc.
avaient leurs pèlerinages on Ton se rendait de très-loin, et d'autre part
les Sabéens allaient en masse à celui de La Mecque. Enfin, le culte des
arbres, quoique moins répandu, se retrouve aussi chez les Sabéens,
accompagné de devins, de magiciens et de toutes les superstitions qui
s'y rattachent d*habitude.
2. Arabes. C'est dans le désert qif il faut chercher les Arabes pro-
prement dits. L'Ancien Testament les appelle successivement Benê-
Qedem, Kcdar, Arah, Ncbayot, mais tous ces noms éveillaient la mémo
idée dans l'esprit des Hébreux, celle de la vie pastorale et nomade, et
désignaient la même race; Jérémie définit les Arabes ce tous ceux qui se
rasent les tempes; » le môme trait de mœurs est rapporté par Héro-
dote (III, 8). Les Arabes vivaient groupés par familles et par tribus; les
familles avaient à leur tête des Clieiks (anciens), les tribus des Emirs
(chefs) ou des « princes » dans le langage de l'Ancien Testament. Leurs
richesses consistaient dans leurs chameaux, et dans leurs troupeaux
d'agneaux, de béliers et de boucs qu'ils vendaient aux T\ riens
(Es. XXVII, 21; Jér. XLIX, 284). Les Arabes se divisaient en no-
mades et sédentaires. Les sédentaires avaient des villes et menaient
une vie plus douce, mais ils ont toujours été tenus en un certain dé-
dain par les tribus bédouines. L'Arabe véritable, c'est le Bédouin, qui
vit sous la tente (Ps. LXXII, 8; Gant, I, 5), est bon tireur d'arc et un
peu pillard (Es. XXI, 16, 17; Job I, 15). — C'est au sein de cette popu-
lation que s'est développée la littérature admirable de fraîcheur et de
jeunesse des Moallakât, du Kilab-cl-Ykd, du Kitab-el-Agâni et des di-
vans. Ces récits d'aventures ne datent que des premiers siècles de notre
ère, mais ils dépeignent un état social qui, par bien des côtés, rappelle
celui des Hébreux au temps des Juges. Ce sont des guerres de tribu à
tribu, illustrées par des exploits individuels; on se bat pour un cheval,
un couple de chameaux, un palmier. On retrouve partout, dans ces
combats, à coté de beaucoup de barbarie, la noblesse des Arabes, leur
générosité et le respect de la femme. Souvent le vainqueur chante
un»' complainte sur l'ennemi qui vient de mourir, comme David sur
Âbner. En général, dans ces petits poèmes les vers alternent avec la
l»i •<»>.■; l'ancienne littérature hébraïque nous offre le même mélange:
de petits discours exprimant en quelques vers la situation de l'au-
teur h M« rattachanl à un récit. Les vers doivent être antérieurs à la
prose. C'est an même genre qu'appartiennent les discours senten-
ciriix et l'antique sagesse de Tliemài). célèbre déjàdn temps de Job. Le
livre de .lob n'est pas arabe, mais il est certainement le témoin le pins
ancien que nous ayons de la vie du désert. — La langue des Moallakât
et du Kitab-el-Agâni est arabe. Sans doute elle contient bien des tours
et des mots qu'on ne retrouve pas dans l'arabe actuel, mais le méca-
nisme grammatical est celui de l'arabe littéral, il ne faut pas en tirer
496 ARABIE
de conséquences exagérées relativement à la langue que parlaient les
nciens Aarabes ; l'altération insensible qui transforme peu à peu les
langues se poursuit aussi dans les monuments écrits; néanmoins, on
peut dire qu'il n'existait, entre l'arabe ancien et l'arabe classique,
d'autre différence que celle qui résulte d'un degré plus ou moins grand
d'archaïsme. Nous en avons un indice dans les inscriptions nabathéen-
nes gravées sur les rochers du Sinaï; ce sont des graffiti tracés par des
pèlerins tant païens que chrétiens des premiers siècles du christianisme ;
or cette langue, où l'on sent du reste une certaine influence araméenne,
s'explique sans autres ressources que l'arabe; les noms propres sont
formés par les mêmes procédés et les radicaux eux-mêmes présentent
une grande analogie avec ceux de l'arabe. Nos connaissances -sur la
religion des anciens Arabes ont quatre sources différentes : les auteurs
classiques, les anciens auteurs arabes, la tradition et l'épigraphie. Les
sources arabes présentent une grande cause d'obscurité: l'arabe n'a
pas de mythologie; les historiens ne donnent guère que des noms divins,
presque partout les légendes ont disparu. Les auteurs grecs suppléent
en quelque mesure à cette lacune. Le passage classique sur cette
matière se trouve clans Hérodote III, 8. Les Arabes, dit-il, croient qu'il
n'y a qu'un seul Dieu, Dionysos, et Ourania. Ils appellent Dionysos
Orotal et Ourania Alilat. Ailleurs (1, 131), parlant du même sujet, il dit :
les Arabes appellent Aphrodite Alitta. Ces renseignements sont con-
firmés par Arrien (Exp. Alex., Vil, 20), Strâbon (p. 741), et Origène
(contra Cels. V, 37) ; ces auteurs s'accordent à reconnaître aux Arabes
deux divinités seulement, la première qu'ils appellent Ouranos, Zens
ou bien Ourania, la seconde qui est Dionysos. Il ressort de ces diffé-
rents passages que les Arabes adoraient Uranie, la grande déesse céleste
qu'on retrouve avec des noms différents dans toutes les religions
de l'Asie occidentale, et un Dieu qui correspondait au Dionysos des Grecs.
Un autre fait important, c'est que, sauf chez Hérodote, Uranie est toujours
placée en premier et parfois mise aumasculin.il est plus difficile de dire
à quels noms arabes correspondent les deux mots, sans doute assez défigu-
rés, d'Orotal et Alilat. Pour le second, la difficulté peut être résolue. La
forme parallèle Alitta, citée par Hérodote, nous prouve qu'il s'agit
de la déesse Allât bien connue par les anciens auteurs arabes (Osiander,
Zeitschr. der D. Morg.Ges., VII, p. 482). Le premier est plus obscur ; on
croit pourtant bien y voir la racine Or « lumière » qui sert parfois à dé-
signer le soleil. Une parole de Job, à laquelle on n'a pas fait attention,
nous paraît presque décisive; dans sa justification il s'écrie (XXXI, 28):
« Si jamais j'ai regardé le soleil {Or) qui brillait, ou la lune {Yarêakh) dans
sa marche resplendissante ! » Les pratiques auxquelles Job fait allusion
doivent être celles qui régnaient autour de lui. La lune (Y a r ê a k h) est Ou-
rania, peut-être Or est-HY Ourotal d'Hérodote? La théologie des inscrip-
tions nabathéennes est,'en apparence, beaucoup plus variée; on y trouve,
soit seuls, soit en composition, des noms comme Kharat, Al-Sohari, Yarê
akh, Allât, mais, en les regardant de près, on voit que ce sont des noms dif-
férents qui désignent les mêmes divinités. Kharatest un des noms dusoleil
connu en hébreu sous la forme Kheres; Al-Sohari, Yarêakh désignent la
ARABIE 497
lune et se confondent par conséquent avec Allât. On trouve encore à°au-
tresnoms divins, mais qu'il faut prendrecomme des désignations locales
ou des titres honorifiques plutôt que comme des noms propres dési-
gnant dos divinités distinctes. Peut-être laut-il en dire autant d'un Dieu
connu dès longtemps des Grecs et des Arabes, mais dont on n'a pas
encore trouvé L'explication, Dusarès; par sa forme, il rappelle les titres
divins tels que Dou Harân, que Ton rencontre dans rYémen. Enfin, on
trouve encore en composition dans des noms d'hommes le nom du Dieu
El. Etait-il réellement différent des dieux que nous avons examinés, et
ceux qui le portaient étaient-ils les adeptes d'une religion strictement
monothéiste ? ou bien n'était-ce pas la forme arabe de Dionysos, le nom
propre d'Ourotal? Si cela était, la religion des Arabes se ramènerait tout
entière, comme l'ont affirmé les anciens, à deux divinités, El ou. Allah
ei Allât? En tous cas, elle était excessivement simple et la multipli-
cité des noms locaux seule put taire croire à une richesse mythologique
qui n'était pas dans l'esprit des Arabes. Les Arabes du Nord paraissent
avoir eu des bétyles, c'est-à-dire des pierres et des arbres sacrés ,
comme leurs voisins, mais la plupart des renseignements des anciens
sur ce culte se rapportent aux Arabes du Sud ou à La Mecque. La Mec-
que était le centre du pèlerinage peut-être le plus célèbre dans l'anti-
quité. On y adorait une pierre noire qui était placée au centre delaKaaba
et représentait Saturne, suivant certains auteurs. Ce n'était pourtant
pas la seule idole de La Mecque. Dans le mur même de la Kaaba, était
encastrée une autre pierre qui avait une ligure humaine (?) et qu'on
appelait Hobal. Enfin, autour du temple et de la ville se dressaient des
cippes qui avaient chacun leur nom. Telles étaient les idoles de Mônât,
d'Al-Lât, les sept pierres de la vallée de Mina qui représentaient les
sept planètes, et les statues d'Isaf et de Naïla, peut-être Adonis et
Aphrodite. A chacune de ces pierres se rattachaient une série d'expli-
cations mythologiques, mais le sens véritable de la plupart d'entre
elles et leur rapport avec la religion arabe restent une énigme. Peut-être
ont-elles, en partie du moins, une origine étrangère.
\\\. Histoire. L'histoire de l'Arabie se réduit à très-peu de chose : nous
passerons sous silence tout ce que les Arabes racontent du premier et du
deuxième empire des Adites, ainsi que de la première et de la seconde
Djorhoum. Ces récits légendaires renferment encore trop d'obscu-
rité pour qu'on puisse en parler ici. On traitera séparément des tribus
qui ont été en rapports directs avec les Hébreux (voy. Madianites, Naba-
théens). Les Arabes du Nord n'eurent pendant bien longtemps que des
rapports très-éloignés avec Isiaél; ils ne paraissent guère que dans le
deuxième livre des Chroniques ; le ch. XVII, v. 11, nous les montre
tributaires de Josaphat; sous son fils Joram (XXI, 16) ils. s'allièrent aux
Philistins contre Israël, mais Hozias les repoussa (XXVI, 7); les deux
derniers passages du reste sont d'une exactitude douteuse. A plusieurs
reprises, les prophètes les menacent de l'épée de l'Assyrie : prophéties
contre Cédar (Jér. XLIX, 28ss.;comp. XXV, 23s.), contre Duma (Es,
XXI, 11-12 , contre l'Arabie (v. Llss.; voyez pourtant, au sujettes deux
dernière», prophéties, Reuss : les Prophètes, p. 293-4). En effet, pendant
498 ARABIE
deux siècles, ils furent exposés aux invasions des Assyriens. Ils ne repa-
raissent plus jusqu'à r époque des Machabées. Pendant la guerre d'in-
dépendance et jusque sous les Hérodes, ils jouèrent un assez grand
rôle, tantôt comme mercenaires des Syriens, tantôt comme alliés des
Juifs (1 Mac. V, IX, XI, XII, passim; Jos., Antiq., XIII, 13, 3, 15, 4;
XIV,1, 4. 2, 1; XV,4. let 4.5, 1-3; XVIII, 5, 1; Bell.Jud.,1, 6, 2). Les
Nabathéens même se constituèrent en royaume indépendant et acquirent
une assez grande célébrité sous la dynastie des Arétas (voyez : Naba-
théens). La domination impériale et le contact de l'Occident donnèrent
naissance en Arabie Pétrée et dans le Hauran à une civilisation arabo-
romaine, qui jeta un vif éclat et dont les ruines et les inscriptions de
f»almyre nous attestent la grandeur ; c'est une architecture grecque,
avec des noms en grande partie arabes (voyez : Waddington, Inscrip-
tions grecques et latines de la Syrie; de Vogué, Syrie centrale). Mais
les Romains ne pénétrèrent pas jusqu'en Arabie Déserte, ou du moins
leur domination n'y fut jamais que nominale. On y voit paraître, au
quatrième et au cinquième siècle, une tribu dont le nom devait
occuper, quelques siècles plus tard, une si grande place dans l'histoire
d'Occident, les Saraceni. Peut-être faut-il y voir, avec M. Renan, une
dernière transformation des Benê Kedem , les premiers habitants de
l'Arabie Déserte : Zêrakh signifie « l'Orient ». — L'Arabie du Sud a
toujours vécu de sa vie propre. Sous la dix-huitième dynastie égyp-
tienne, elle fut conquise par la princesse régente Hatsatsou, sœur de
Thoutmès III. Mais, dès la vingtième dynastie, les Egyptiens la perdi-
rent définitivement. Depuis lors elle fut tout entière au commerce
de la mer Rouge. A partir du huitième siècle, les Assyriens tournè-
rent leurs armes de son côté. Les campagnes de Sennachérib lui
avaient soumis le Hedjaz et le Nedjed ; son fils Assarhaddon pénétra
jusqu'aux frontières du royaume sabéen (681 et 072). Méthodius nous
a conservé le récit de cette campagne d'après Bérose. Mais ce ne fut
qu'une conquête passagère. Il en est de même de la grande expédition
de Nabuchodonosor qui avait pour but de ruiner, au profit du golfe
Persique, le commerce de la mer Rouge rétabli par Psammétique et
Neko. Il pénétra jusque près d'Aden, mais ne put s'y maintenir. Cent
ans après, le royaume d'Yémen était aussi florissant qu'il ne l'avait
jamais été. C'est aux siècles suivants qu'il faut sans doute rapporter
les grandes constructions dont les ruines couvrent l'Yémen, et les in-
scriptions qu'on y trouve. A une époque qu'on ne peut déterminer,
une dynastie, qui avait pris pour capitale Himyar, supplanta l'ancien
empire sabéen et imposa son nom à toutle pays. Ses rois s'appelaient Tob-
baa. Elle dura jusqu'à l'invasion éthiopienne. La dernière période de l'his-
toire d'Arabie qui s'étend de la conquête éthiopienne à Mahomet est très-
obscure. La conquête extérieure se mêle à l'introduction du christianisme
et à l'émigration toujours plus nombreuse des Juifs du côté de Médine.
— Sommes : Les principaux ouvrages à consulter sont : Sources indi-
gènes, Abulfeda, Historia Ante-Islamica, éd. Fleischer, Lispsia?, 1831,
"n-4°; Kitàb el Agûni: il n'a jamais été traduit, mais on en trouve de
"ort longs extraits dans Caussin de Perceval et Fresnel (voy. plus bas).
ARABIE 499
Sources étrangères : Pour la géographie, nous nous bornerons à indi-
quer Niebuhr , Beschreibung von Arabien, Kopenhagen, 1772, 1 vol.
in-4°; le même, Reisebeschreibung nach Arabien usw., Kopenhagen,
177't, 3 vol. in-4°; et Ritter, Erdkunde, Arabien, Berlin, 1846-7, 2 vol.
in-8"; eu y joignant pour la géographie ancienne : Sprenger, die dite
Géographie Ara/siens, Bern, 1875, in-8°. Pour l'ethnographie, r ou-
vrage fondamental est : Caussin de Perceval, Essai sur l'histoire des
Arabes avant l'islamisme, Paris, 1847-1848, 3 vol. in-8° ; on trouve
aussi un grand nombre de renseignements sur l'Arabie du Sud dans
Fresnel, Lettres sur l'histoire des Arabes, I-1V, Paris, 1836-7 (les trois
dernières sont des extraits du Journal Asiatique). La langue et la litté-
rature ont été étudiées d'une façon générale par E. Renan, Histoire
'1rs langues sémitiques, livre IV, ch. 1 et 2, 2e édit. , Paris, 1858. Pour
fa religion, en dehors de Y Histoire des langues sémitiques, voir Renan,
Nouvelles Considérations sur le caractère général des peuples sémitiques et
en particulier sur leur tendance au monothéisme, Journ. Asiat. , 1859;
Sprenger, Bas Leben Mohammeds, Berlin, 1856, in-8°; Krehl, Ueber die
Religion der vorislamischen Araber, Leipzig, 1863, in-8°; Dozy, Die
Israeliten zu Mekka, Leipzig et Haarlem, 1864, in-8°. Les généalogies
de la Genèse sont étudiées en détail dans tous les commentaires.
Oh peut en rapprocher les travaux de Lassen, Indische Alterthums-
kunde, t. I, Bonn, 1847, et t. II, p 572ss., Bonn, 1849, in-8°, et du baron
d'Eckstein, Athenœum français, 1854, p. 486 s., sur les Couschites et
les Arabes primitifs. L'Yémen et les inscriptions sabéennes (himyari-
tes) forment l'objet de toute une littérature. Ses périodes principales
sont marquées par les mémoires suivants : Fresnel, Lettres sur l'Ara-
bie, 1837; le même: Pièces relatives aux inscriptions liimyarites, décou-
vertes par M.Arnaud. Journ. Asiat., 1845; Osiander, Zeitschr. der. D.
Morgenl. Ges., t. VII (1853) ; Studien uber die Vorisl. Religion der Ara-
ber, ibid., t. X (1856) ; Zur himjarischen Alterthumsu. Sprachkunde, etc. ;
Halevy, Rapport sur une mission archéologique dans le Yémcn. Journ.
Asiat., 1872; Idem, Etudes sabéennes, ibid., 1873; Prœtorius, Zeit-
schr. d. D. Morg., Ges., t. XXVI (1871) et ss.Pour Palmyre, le Haurân,
les Nabathéens, les Arabes du Sinaï, voir Lepsius, JEgypt.Dcnkmaeler;
Waddington, Inscr. grecques et latines de la Syrie, Paris, 1870, in-4°;
de Vogué, Syrie centrale, Paris, 1869, in-4°; Lévy, Zeitschr. der D.
Morgenl. Ges., XIV, 1860; Blau, ibidem; Wetzstein, Reisebericht uber
ffauràn und die Trachonen, et Renan , Sur quelques noms arabes qui
figurent dans les inscriptions grecques de l'Auranitide. Bulletin archéol.
français, sept. 1856. L'histoire de l'Arabie dans son ensemble n'a été
I objet d'aucun travail. Le seul résumé que Ton en possède se trouve
dans Lenormant, Manuel d'histoire ancienne de V Orient, Paris, 1869,
tome III. ph.Beeqeb.
^ ARABIE (Le christianisme en). Saint Paul raconte dans l'épître aux
Galates (I, 17), qu'il se rendit après sa conversion en Arabie. Il ne peut
guère > avoir de doute sur le sens des paroles de L'apôtre ; la significa-
tion du mot Arabie dans L'antiquité et la mention de Damas qui vient
aussitôt après, nous obligent à chercher la retraite de l'apôtre dans quel-
500 ARABIE
qu'une des villes des Nabathéens. Les légendes qui rattachent à saint
Paul l'introduction du christianisme en Arabie n'ont d'autre source
que ce passage et ne méritent aucune créance ; il faut sans doute porter
le même jugement sur la légende d'Abgare; néanmoins il est certain
que le christianisme se répandit de très-nonne heure dans ces contrées.
La Nabathée, Edesse, Bostraont été au nombre des premiers pays conquis
au christianisme. Les inscriptions grecques et latines rapportées de la Syrie
centrale par M. Waddington en fournissent la preuve éclatante. Arnobe
(Adv.ge?ites, II, 50) parle des progrès du christianisme du côté du désert,
et le concile de Nicée mentionne cinq évêques de la province d'Arabie,
ceux de Bostra, de Philadelphie, d'Hestbon, de Dionysas et de Con-
stantia. Plus tard, au concile de Chalcédoine, en 451, jil yen eut jusqu'à
18, sans compter ceux des villes arabes qui ne faisaient pas partie de
la province romaine. Mais l'histoire du christianisme dans l'Arabie
du Nord se confond presque avec celle des hérésies. Dès l'an 244,
Origène ramène à la foi orthodoxe Berylle, évêque de Bostra, qui
était antitrinitaire. Quelques années après (250), il revient en Arabie
pour combattre des hérétiques, suivant lesquels l'àme mourait avec le
corps et devait ressusciter avec lui. Les empereurs chrétiens, qui
voyaient dans le christianisme une arme contre les Persans, cherchèrent
à le répandreen Arabie. Vers 350, Constance y envoya un missionnaire,
AnanesThéophilus; mais le christianisme, au lieu de se développer, décrut
avec la puissance romaine en Orient, et ne laissa derrière lui que des
hérésies ; c'est dans ces contrées que se sont développées les sectes des
nestoriens et les monophysites. Le christianisme a pénétré au sud de
l'Arabie par une voie toute différente. En dehors du martyre de Bar-
thélémy, qui n'a aucune valeur historique, et des détails que rapporte
Eusèbe à ce sujet, il n'est fait aucune mention de chrétiens dans l'Ara-
bie du Sud jusqu'au règne de Constantin. C'est sous cet empereur que
se place l'histoire de Frumentius, qu'on a rapportée tantôt à l'Abyssi-
nie, tantôt à l'empire himyarite (voy. Abyssinie). Sous le règne de
Constance, Theophilus Indus entreprit un voyage missionnaire dans
l'Yémen, y lit de nombreuses conversions et fonda trois Eglises.
Assemanni le considère comme un arien ; il est certain, en tous cas,
qu'à dater de cette époque, le christianisme est implanté dans l'Arabie
du Sud. Ses progrès furent arrêtés par la persécution d'un prince
himyarite, Dzou-Nowas, excité par les Juifs dont il avait embrassé la
religion. Mais le massacre des chrétiens à Nedjràn attira les représailles
des Abyssins déjà convertis au christianisme. Ceux-ci envahirent
l'Yémen et ne laissèrent que des ruines derrière eux. Toute cette con-
quête de l'empire himyarite par les rois d'Abyssinie est sujette à bien
des réserves, mais deux faits sont certains. Le premier, c'est que sous
l'influence de ces invasions qui venaient du Sud, les populations jocta-
nites furent refoulées vers le Nord ; l'autre, que les progrès du christia-
nisme armé provoquèrent de la part des Juifs et des Arabes , princi-
palement des Koréischites établis aux environs de La Mecque, une
résistance puis une réaction violentes. Les années qui suivirent pourtant
furent favorables aux progrès du christianisme. Sous la direction
ARABIE 501
habile et prudente de saint Gregentius, évêque de Zafar, il se répandit
rapidement; mais une expédition imprudente du prince Abrahah contre
La Mecque compromit tous les succès qu'on avait obtenus. L'armée
chrétienne fut écrasée dans les défilés qui entourent La Mecque par les
Koréischites, conduits par Abd-al-Motalleb, le grand-père de Mahomet.
Abrahah mourut de ses blessures, et les Persans appelés par les Himya-
rites s'emparèrent de la domination de tout le sud de l'Arabie. L'année
même de la défaite du prince Abrahah naissait Mahomet. — L'histoire
du. christianisme en Arabie a été étudiée par Thomas Wright, Early
Christianity in \rabia, Lond., 1855, in-8". Ph. Berger.
ARABIE (Statistique religieuse). Les données sur la population de
l'Arabie sont naturellement fort incertaines. 11 y a vingt ans, on
parlait de douze à quatorze millions d'àmes. Les voyages récents ont
fait considérablement réduire ce chiffre, et Ton ne peut guère évaluer
aujourd'hui cette population à plus de quatre ou cinq millions d'habi-
tants. Berceau de l'islamisme, l'Arabie est restée entièrement musul-
mane. Mais tous ses habitants n'appartiennent pas à la même secte, et
il y a entre eux des différences considérables. Les Bédouins, descen-
dants des anciens Arabes, forment environ les neuf dixièmes de la
population. Le voyageur Burton distingue parmi eux trois races
distinctes : 1° Arab-el-Aribali, descendants des habitants primitifs du
pays et resserrés dans le sud-ouest de la péninsule ; 2° Redschdi, venus
de Mésopotamie, environ 2200 ans avant notre ère, et occupant la plus
grande partie du pays, et enfiu 3° Arab-el-Mustarrabah ou Ismaélites,
établis surtout dans la presqu'île du Sinaï. A côté des Bédouins, vivent
quelques Juifs, des banians de l'Inde, des nègres, des Abyssins et des
Turcs. On distingue aujourd'hui sept régions principales dans le pays :
1° le Bahr-el-Tor, presqu'île du Sinaï, dontles habitants appartiennent àla
secte des Sunnites, qui reconnaissent la légitimité des trois khalifes, suc-
cesseurs de Mahomet ; 2° le Hedjaz, sur la côte de la mer Rouge, avec
environ 60,000 habitants. C'est le berceau de l'islamisme. Là sont les
deux villes saintes, La Mecque et Médine ; là ont lieu les grands pèleri-
nages des musulmans, et c'est de cet usage que vient le nom même
de la contrée (Hedjaz, pays des pèlerinages). Les habitants sont
Sunnites; quelques Juifs, Rechabites, sont établis parmi eux; 3°1VF-
men à la pointe sud-ouest du pays, peuplé de 50,000 âmes; le voisi-
nage de l'Afrique, dont l'Yémen n'est séparé que par le détroit de
Bab-el-Mandeb, fait qu'il y a dans le pays passablement de nègres et
d'Abyssins, ces derniers, chrétiens monophysites. La population arabe
elle-même doit s'être mélangée avec ces émigrants, comme le prouve
la couleur presque noire des habitants ; on rencontre encore quelques
Juifs; 4° VHadramaout forme la côte méridionale de l'Arabie; sa
population, sunnite, peutêtre évaluée à 800,000 âmes; 5° YOiuan ap-
partient en majeure partie à l'imam de Mascate, que l'on appelle
aussi sultan <l<- Zanzibar. Formant l'extrémité sudvest de l'Arabie,
tourné vers L'Inde, en rapports politiques avec la côte orientale
d'Afrique, L'Oman est à la fois une des parties les plus peuplées de
l'Arabie (environ i,o(J8,000 habitants), et l'une de celles où les étran-
502 ARABIE — ARANDE
gers sont les plus nombreux. Il se rattache aux croyances sunnites; 6° le
Lahsa ou Barein, sur le golfe Persique, a été conquis en majeure partie
par les Turcs. La population soumise à la Porte s'élève à 102,477 ha-
bitants, de la secte des chiytes, qui rejettent les trois premiers khalifes
et considèrent le quatrième, Ali, comme le légitime successeur de Maho-
met; 7° enlin le Nedjed, dans l'intérieur du pays, est un immense pla-
teau où dominent presque entièrement les Wahabites. Cette secte, qui
rejette, comme une idolâtrie, toutes les marques d'adoration à Mahomet
et aux saints de l'Islam, a été fondée vers le milieu du dix-huitième
siècle. Ils s'emparèrent de presque toute l'Arabie et semblaient destinés
à de grandes destinées, lorsque le vice-roi d'Egypte, Méhémet-Ali, les
repoussa dans le Nedjed, où ils sont restés depuis lors. Le voyageur
Palgrave évalue leur population à 1,133,000 âmes. Pour terminer avec
l'Arabie, il faut encore signaler la colonie anglaise d'Aden dans l'ïé-
men, peuplée de 19,289 habitants. Les mahométans y sont en majo-
rité, les Juifs y forment également une fraction importante de la popu-
lation. Il y a 3 à 4,000 catholiques, sous la direction d'un préfet apos-
tolique. L'Eglise anglicane y entretient un chapelain qui relève de
l'évêque de Bombay. E. Vauchee.
ARABIENS ou ARABIQUES (Arabici, ©vr/co^x/frat) , nom d'une secte
qui s'éleva en Arabie au commencement du troisième siècle et qui fut
victorieusement combattue par Origène dans un synode tenu en
l'an 246. Ces hérétiques enseignaient que l'âme naissait et mourait
avec le corps, mais qu'elle ressuscitait en même temps que lui
(Eusèbe, Hist. eccl., Yl, 37; Augustin, De hœres., c. 38; Nicéphore,
Hist., Y, 23; Jean Damascène, Hœres., 99 ; voy. aussi Walch, Hist. der
Ketzereien, Leipz., 1764, p. 167).
ARAD ('Arâd), l'une des villes royales des Cananéens, au nord du
désert de Juda (Jos. XII, 14; Jug., I, 16). C'est certainement le nom
de cette ville que l'on retrouve, Nombres XXI, 1 et XXXIII, 40. Eusèbe
et saint Jérôme la placent à l'entrée du désert de Kadès, à vingt milles
romains au sud de Hébron. D'accord avec leurs renseignements, Ro-
binson (II, 101, 201, 202) l'identifie avec Tell-Arôd, une colline cou-
verte de ruines, qui est située à huit lieues au sud de Hébron, sur le
versant de la mer Morte.
ARAM. Yoyez Syrie.
ARANDE (Michel d'), natif des environs de Tournay, fut, vers 1520,
un des jeunes gens auxquels Lefèvre d'Etaples communiquait ses
convictions, moitié mystiques, moitié réformatrices. Lorsqu'en 1521,
Lefèvre, soupçonné d'hérésie, se retira auprès de l'évêque Briçonnet
de Meaux, Michel l'y suivit avec Guillaume Farel et Gérard Roussel.
L'évêque leur permit de prêcher. Michel se rendait parfois à Paris,
auprès de la princesse Marguerite, chez laquelle, dans des réunions
intimes, en présence du roi et de sa mère, il expliquait la Bible. En
décembre 1521, Marguerite écrivit à Briçonnet que, par la bouche de
maître Michel, « l'esprit du Seigneur frappait des âmes enclines à le
recevoir ». Un an après, l'évêque ayant demandé son retour, elle lui
exprima, au nom de Louise de Savoie, le désir qu'il pût achever « de
ÀRANDE — ARARAT Ô03
lui lire L'Ecriture; louez Dieu qu'il ne perd pas son temps ». On sait
que ces dispositions de la cour ne durèrent point ; lors de la réaction
catholique, en 1523, le mystique Briçonnet, intimidé, détendit de prê-
cher les idées nouvelles. En 1524, Marguerite s'attacha Michel d'Arande
comme aumônier ; il raccompagna à Lyon, où il prêcha, ainsi qu'à
Màcon. Impliqué dans le procès des hérétiques de Meaux, il se réfugia
à Strasbourg où se trouvaient déjà Lefèvre et Roussel. Après le retour
de François Ier, il reprit ses fonctions auprès de Marguerite, qui, en
1525, lui lit obtenir l'évêché de Saint-Paul-Trois-Ghàteaux, en Dau-
phiné. Dans une lettre à la reine de Navarre, 22 mai 1528, Capiton le
dépeint comme grave, éloquent, singulièrement pieux, évêque plein de
zèle, mais ayant égard au temps; on ne pouvait pas le qualifier en de
meilleurs termes ; il était pieux comme la princesse ; mais, grâce à son
mysticisme, il se pliait, comme elle, aux circonstances.
ARARAT, montagne d'Arménie sur laquelle s'arrêta l'Arche. Dans le
récit biblique, ce nom désigne une chaîne de montagnes plutôt qu'un
sommet isolé; il est dit, Gen. VIII, 4, que l'Arche s'arrêta sur les
monts Ararat; c'est dans le même sens que l'emploie le Livre des
Rois (2 Rois XIX, 37; Comp. Es. XXXVII, 38); Jérémie (Ll, 27) lui
donne une acception peut-être encore plus large ; dans les inscriptions
cunéiformes, c'est le nom même de l'Arménie [Ararti, Urarti ; Menant,
Syllabaire assyrien, t. I, p. 119). L'Ararat était inconnu des Grecs et
des Romains; néanmoins, son emplacement n'est pas douteux; c'est la
contrée montagneuse située au centre de l'Arménie, entre les lacs Van
et Ouroumiah et d'où sortent, à l'est, l'Araxe, au sud, le Tigre et l'Eu-
phrate. Elle s'appelait ainsi dès une époque fortancienne. On trouve ce
l'ait mentionné pour la première fois dans Moïse de Khorène (I, 15, 16).
La tradition babylonienne diffère un peu de la tradition biblique. D'après
le récit du déluge, retrouvé par G. Smith (Chaldaean account of ihe
Genesis, p. 270), l'Arche s'arrêta sur les monts Nizir; on ne sait où
il faut les chercher au juste; suivant Smith (II, p. 237), ce serait à Test
du Tigre; Bérose, qui doit être l'écho de la même tradition, dit
expressément qne le pays où aborda Xissuthrus était l'Arménie, et
il ajoute qu'une partie du navire resta sur les monts Gordiens, %pbç tÇ>
zzv. xw KopSuaiwv; ces monts, qui ont donné leur nom au Kurdis-
tan, ferment la vallée du Tigre, et ont l'air de former une barrière
infranchissable ; on conçoit que les habitants de la Mésopotamie
les aient choisis pour y fixer la légende de l'Arche. Nicolas de Damas,
qui raconte la même histoire, la rapporte au mont Baris , au nord
(in Minyas; mais cette opinion, qu'on ne retrouve pas ailleurs, doit
provenir d'une erreur; aussi, a-t-on proposé depuis longtemps de
corriger Bapiç en Macr-c, qui est le nom actuel de l'Ararat.En somme, la
tradition biblique et la tradition babylonienne sont assez voisines, car
les monls du Kurdistan limitent le plateau d'Arménie du côté du sud.
On a supposé que Le nom de l'Ararat avait voyagé, comme celui de
l'Olympe, du moût Ida, etc., et qu'il avait désigné primitivement une
montagne située beaucoup plus à L'est (voy. Gen. XI, 2), l'Aryà-
ratha, dans l'Hindou-Kouch, au nord de l'Himalaya (Lenormant, Frag.
504 ARARAT — ARBALESTE
cosmog. de Bérose, p. 302 ss.) ; mais les preuves font peut-être défaut.
La plupart des anciennes 'versions de la Bible, Aquila, Symmaque,
Théodotion, la Vulgate , ainsi, que les auteurs occidentaux, Eusèbe,
saint Jérôme, Tliéodoret, traduisent le mot Ararat par l'Arménie;
au contraire, les versions orientales y substituent les monts Gordiens;
mais elles ont dû suivre , en ce point , la tradition babylonienne ,
tandis que les versions occidentales se rattachent à la tradition biblique.
Seule, la version samaritaine place Y Ararat dans Pile de Ceylan. Les
Arméniens modernes ont localisé, plus encore que le récit biblique,
tout ce qui a trait à l'histoire du déluge. Suivis en cela par les Euro-
péens, ils désignent plus spécialement comme étant l'Ararat un pic
majestueux, couvert de neiges éternelles, qui s'élève de la plaine de
l'Araxe, en face d'Erivan, et qui est appelé Massis par les indigènes,
Agndagh par les Turcs, Kuhi-Nuli (montagne de Noé) par les Perses.
Derrière lui s'élève une montagne conique, moins élevée : c'est le petit
Ararat. Parrot est le premier qui en ait fait l'ascension (Beise zum Ara-
rat, Berlin, 1834j. L'Ararat a été depuis visité et décrit par presque
tous les voyageurs. Ph. Beegee.
ARBALESTE (Charlotte), fille de Guy Arbaleste, seigneur de La
Borde, vicomte de Melun, président à la Cour des comptes, et de Made-
leine Chevalier. Mariée à dix-sept ans, en 1567, à Jean de Par, sei-
gneur de Feuquères , officier distingué , elle le perdit en 1569. La
jeune veuve, lors de la Saint-Barthélémy, s'échappa de Paris, à travers
mille dangers, et se réfugia à Sedan, où bientôt vint résider Duplessis-
Mornay. Charlotte « consolait son exil en honorable réputation entre
toutes personnes, en la crainte de Dieu, lecture de sa parole et autres
louables exercices, fort eslonguée des pensées de mariage ». Cepen-
dant Mornay ayant recherché la main de Charlotte, dans la conviction
« qu'ez adversités qu'il avoit à traverser en la profession qu'il faisoit,
il ne pouvoit être plus dignement assisté que d'elle, » et une affection
profonde s'étant établie entre les deux jeunes gens, ils furent, d'accord
avec leurs plus proches parents, liancés l'un à l'autre. Engagé, loin de
Sedan, dans une expédition militaire, au cours de laquelle il fut fait
prisonnier, Mornay eut la joie de se voir tiré cle captivité, moyennant
rançon, par la chaleureuse intervention de sa fiancée. Ce fut alors qu'à
la demande de celle-ci, il composa le Traité de la vie et de la mort. Le
3 janvier 1576, Mornay épousa Charlotte. Basée sur des sentiments dont
la sainteté n'apparut jamais mieux que sous le coup d'austères épreuves,
leur union devint l'un des plus purs modèles du mariage vraiment
chrétien. — Non moins bonne mère qu'épouse fidèle, Charlotte Arba-
leste n'avait cessé d'entourer de sa sollicitude éclairée et de sa ten-
dresse les enfants que Dieu lui avait donnés; ayant honorablement marié
ses filles, elle voyait s'ouvrir, pour le seul des quatre fils qui lui eût été
conservé, un noble avenir, lorsque cet excellent jeune homme, pieux,
tendre, vaillant, périt, à l'âge de vingt-six ans, le 25 octobre 1605, à
l'assaut de la ville de Gueldre. De quelle indicible émotion n'est-on
pas saisi à l'ouïe de ces paroles d'une mère angoissée? « Un jeudi,
24 novembre, sur le soir, M. Duplessis, sachant bien qu'il ne pouvait
ARiJALESTE 505
déguiser son visage, se résolut qu'il fallait mêler nos douleurs ensem-
ble, et d'entrée : « Ma mie, me dit-il, c'est aujourd'hui que Dieu nous
« appelle à l'épreuve de sa foi et de son obéissance; puisqu'il Ta fait,
« c'est à nous à nous taire ; » auxquels propos, douteuse déjà quej'étois
et alangourie de longue maladie, j'entrai en pâmoison et convulsions;
et je perdis longtemps la parole, non sans apparence d'y succomber, et
la première qui me revint fut : La volonté de Dieu soit faite!... Nous
sentîmes arracher nos entrailles, retrancher nos espérances, tarir nos
desseins et nos désirs ; nous ne trouvions, un long temps, que dire l'un
à l'autre, que penser en nous-mêmes, parce qu'il était seul, après
Dieu, notre discours, notre pensée... Nous voyions qu'en lui, Dieu
nous arrachait tout, sans doute pour nous arracher ensemble du monde,
pour n'y tenir plus à rien, à quelque heure qu'il nous appelle, et, entre ci
et là, estimer son Eglise notre maison, notre famille propre, convertir
tout notre soin vers elle. » A peu de temps de là, madame de Mornay
terminait ainsi ses Mémoires, admirable monument d'amour conjugal
et de tendresse maternelle : « Le 21 d'avril 1606, arriva le corps de
nostre pauvre fils, qui fut porté au temple de l'Eglise réformée et là
mis en son repos, au lieu destiné par nous à cest effet; ordonnant,
selon que Dieu nous appellera, d'y estre posés après et auprès de lui,
puisqu'il a voulu qu'il y soit pour prémices, afin qu'en le grand jour,
tous ensemble, par la grâce de Dieu en Jésus-Christ, son bien-aimé,
nous ressuscitions en sa gloire. Et icy esl-il raisonnable que ce même
livre finisse par lui, qui ne fut entrepris que pour lui décrire notre péré-
grination en ceste vie, et puisqu'il a plu à Dieu, il a eu plus tôt et plus
doucement fini la sienne ; aussi bien, si je ne craignais l'affliction de
y\. Duplessis, qui, à mesure que la mienne croit, me fait sentir son
affection, il m'ennuierait extrêmement à le survivre. » Au moment où.
sur cette terre, leurunion touchait à son terme, les deux époux, tenant
leurs regards haut élevés vers les célestes régions du revoir éternel,
consignèrent dans le préambule d'un testament, fait en commun, -ces
touchantes paroles : « Nous devons à Dieu grâces infinies de ce
qu'ayant à passer une vie pleine d'amertumes, pour la profession de
sa sainte vérité, il luy a plue, pour les adoucir, nous donner l'un à
l'autre; à moy, Philippes, une très-chère Charlotte, douée abondam-
ment de sa connaissance et craincte, à laquelle je dois ce tesmoignage,
si je ne veux estre ingrat à Dieu, qu'en mes travaux, traverses, souf-
frances, nés pour sa sainte cause, jamais elle ne m'a esté en surcharge,
toujours au contraire en consolation, et de parole et d'effeet, se résol-
vant contre l'affliction, nonobstant ses maladies ordinaires, pour
m'appuier, à mesure qu'elle croissoit; à moy, réciproquement, Char-
lotte, mon très-honoré Philippes, duquel j'av reçue tant d'instructions
au salut <lc mon ame, «le consolations d'esprit en mes maux, de soula-
gemenl en mes douleurs, de douceurs en mes amertumes, ne se lassant
nv ennuyant jamais de porter et supporter ave<2 moy les croix que Dieu
avoit chargées sur moy, et me les pendre, en tant qu'il pouvoit. suppor-
tables, par bon ressentiment et secours assidu, que je «lois protester
que toutes autres bénédictions temporelles ne m'ont rien esté à l'égal
i. 33
50G ARBALESTE — AKBUSSY
de celie-cy, et qu'après la connoissance que Dieu m'a miséricordieuse-
mcnt donnée de mon salut en son seul fils, de rien je ne l'ay tant loué,,
ny de tout le reste ensemble, que de m'avoir si heureusement adressée,
en la pérégrination que j'avois à passer en ceste vie. » Pieusement rési-
gnée, mais brisée par la douleur, la mère chrétienne suivit de près, au
tombeau, le fils bien-aimé dont la mort avait arraché à Philippe de
Mornay cette exclamation déchirante : « Je n'ai plus de fils, je n'ai
donc plus de femme. » Rien de plus touchant que le récit authentique
des derniers moments de madame de Mornay ; il se termine par ces -
mots : « En toute ceste agonie, M. Duplessis ne l'abandonna point, et
quand, ou pour prier Dieu pour elle, ou crever de douleur, il s'en,
retiroit en quelque coin de la chambre, elle le demandoit et aussitost
luy tendoit la main, tesmoignant par quelque mot que la douleur qu'il
sentoit pour elle lui estoit plus sensible que la sienne propre; particu-
lièrement, la recommandante Dieu avec très-ardentes paroles ; il la pria,
aussy de le prier pour luy en ses dernières heures, puisqu'il estoit ré-
duit à la survivre, sans toutesfois la laisser jusqu'au dernier soupir».—
(Voir sur Charlotte Arbaleste : 1° Vie de Philippe de Mornay, 1vol. in-4,.
Leyde, 1647 ; 2° Mémoires de madame de Mornay, publiés par la Société
de l'Histoire de France, 2 vol. in-8°, Paris, 1868-69; 3° Mémoires et
Correspondances de Duplessù-Momay, 12 vol. in-8°; Paris, 1824-25;
4° Etudes historiques sur madame Duplessis-Mornay et sur Philippe de
Mornay (Bulletin de la Société d'Histoire du Protestantisme français,,
t. Il, p. 649 à 666 et t. XVII, p. 232 à 246 et p. 257 à 279).
J. Delaboede.
AR-BRISSEL ou Arbrisselles (Robert d') (1047-1117), originaire du.
village de ce nom (Arbre sec), dans le diocèse de Rennes, d'une fa-
mille obscure, après avoir assisté son évêque en qualité d'administra-
teur et enseigné la théologie à Angers, se retira dans la forêt de Graon
et mena une vie de solitaire et de pénitent. Sa prédication puissante et
incisive réunit bientôt autour de lui une multitude d'hommes et de
femmes. Il éleva deux monastères, celui de la Roc (de rota) en 1096 et
celui de Fontevrault (forts Ebraldi) en 1106, qui devint même le siège
d'un ordre particulier, confirmé par une bulle du pape Calixte II, en
1119 (voy. Mabillon : Annales Ord. S. Betted., V, p. 314 ss., 424 ss.
ainsi que l'article Fontevrault).
ARBUSSY ou Arbussi. Quatre pasteurs, de la même famille , ont
porté le même nom. Deux d'entre eux, Théophile et Joseph, étaient fils
de Pierre Arbussi, bourgeois de Montauban, et de Suzanne, fille de
Théophile Bérauld , qui était fils du célèbre Michel Bérauld. —
1° Théophile Arbussi, né à Montauban le 8 juillet 1614, fut pasteur
successivement à Sorèze, 1637; à Milhau, 1644; etàRevel, 1663. Nommé
professeur de théologie à l'Académie dePuylaurens, en 1673, il mourut
dans cette ville, en 1681. On a de lui un sermon sur Genèse XLIX, 10?.
prêché à Loudun pendant le temps du synode national (Saumur , 1660^
in-8°), et sa thèse inaugurale De libero arbitrio, Podiolauri, 1674, in-4°
de 39 pag. — 2° Joseph Arbussi, son frère, né à Montauban le 27 avril
1624, fut pasteur à Sorèze en 1645 et l'année suivante à Montauban^
ARBTJSSY — ARCHE 507
En 1653 il fut nommé professeur d'hébreu à L'Académie de eette ville.
L'inconsistance et la légèreté de son caractère- soulevèrent contre lui
une très-vive opposition (Aymon, Syn. nat.,XX\, 754-758). Après avoir
été pasteur pendant quelques années à Bergerac, et de 10()fi à 1666
à Mines, il fut obligé de quitter cette Eglise où il avait mis ledésordre.
Il alla alors à Paris et se lit catholique. En 1675 il retourna à Montau-
ban, et. en L689, il fut nommé avocat-général à la Cour des aides de
cette ville. Il mourut le 5 avril 1091. On a de lui : Lettre à tous les fi-
dèles des Eglises réformées de France, Montaub., 1057, in-4°; Sermon
pour l'ouverture du Synode des Eglises réformées de la Basse-Guienne,
Bergerac, 1003, in-8°; Déclaration contenant les moyens de réunir les
protestants dans l'Eglise cathoL, Paris, 1670, in-8°. — 3° Les deux sui-
vants sont iils de Théophile Arbussi. L'aîné, appelé Théophile, comme
son père, naquit à Milhau vers 1085. 11 fut pasteur à Calmon, 1080, et
à Puylaurens, dès la fin de 1081 à 1074. Il se réfugia alors en Suisse et
ensuite en Hollande. 11 fut pasteur des nobles à la Haye, où il resta jus-
qu'à la fin de ses jours. — 4° Antoine Arbussi, frère puîné du précé-
dent, faisait ses études de théologie à Puylaurens au moment de la ré-
vocation de Tédit de Nantes. Réfugié en Hollande , il fut pasteur à
Franecker, 1703, à Utrecht, 1707, et à Amsterdam, 1713. Il enseignait
la théologie dans cette ville en 1718. On a de lui Juste idée de la grâce
immédiate, ou Réponse à la critique de la doctrine de Jurieu, la Haye,
1089, in-12. contre les Essais de théologie sur la Providence et la grâce,
d'Isaac Papin. Michel Nicolas.
ARCHE DE L'ALLIANCE [Arôn haberith, xi ^hq^q StaôVjxvjç ou
t:j uiapTupfou, circa testimonii], coffret sacré dans lequel étaient enfermées
le tables de la Loi (Exode XXV, 10 ss. ; XXXVII 1 ss. ; Deut. X, 1 ss. ;
Josèphe, A nL, III, 0). D'après Hébr. IX, 4, l'arche renfermait également
une corbeille remplie de manne (Exode XVI, 33) et la verge fleurie
d'Aaron (Nomb. XVII, 10), mais ce fait est positivement contredit par
1 Rois VIII, 9, et par Josèphe, qui ignore l'existence même d'une pa-
reille tradition. L'arche, longue de deux toises et demie sur une toise et
demie de large et de haut, était en bois d'acacia, recouverte à l'intérieur
et à l'extérieur de lames d'or lin et le bord supérieur entouré d'une
guirlande d'or. Sur le couvercle (kaporèth, de kaphar, couvrir, qui
>.ms doute a été confondu avec kiphèr, expier, d'où la traduction delà
Septante £Xa<rcVjpiov, et celle de la Vulgate, 'propitiatorium), qui était éga-
lement en or et, d'après une tradition rabbinique, en or massif , étaient
représentés deux chérubins en or, les ailes étendues, la face tournée
l'un contre L'autre : c'est à cet endroit que les Israélites se iiguraient
Jéhova présent et pendant des oracles (Exode XXV, 22; Nomb. XII, 89;
Ps. XCiX, 1, etc). Aux deux côtés du coffret étaient fixés quatre anneaux
en or, par lesquels passaient les perches en acacia destinées à porter
l'arche et qui devaient y rester en permanence (Exode XXV, 15), aiin
que les porteurs n'eussent pas à la toucher (2 Sam. VI, 0). L'arche (-tait
habituellement déposée dans la partie la pins sainte du tabernacle
on (lu temple ; parfois pourtant on l'emportait dans les expéditions
militaire-, comme un gage sensible de la protection divine 1 1 Sain. IV,
08 ARCHE — ARCHEOLOGIE
3 ss.; cf. XIV, 18), et de cette manière elle fut prise un jour par les Phi-
listins (1 Sam. V, ()), qui la restituèrent quelque temps après (1 Sam.
VI, 19). Nul ne pouvait ni la voir ni la toucher : c'est pour ce motif
qu'elle était enveloppée d'une housse pendant la marche à travers le
désert (Nomb. XII, 17-20), et que Huza, qui y porta la main, mourut
subitement (2 Sam. VI, 6) . Vraisemblablement l'arche périt lors de la des-
truction du temple de Salomon. D'après une tradition, reproduite
2 Machab. II, 4 ss., le prophète Jérémie, sur Tordre de Jéhova, aurait
caché l'arche dans une grotte de la montagne de Pisga, avant la prise
de Jérusalem par Nabuchodonosor, mais le prêtre, témoin du fait, n'au-
plus pu retrouver l'endroit (voy. Ambroise, de Offic, III, 17; Werns-
dorf, de fîde Maccab . p. 183 ss.). De récents commentateurs ont affirmé,
sans preuves, que l'arche se serait trouvée au nombre des objets sacrés
emportés par Nabuchodonosor à Babylone (2 Chron. XXXVI, 10), et
que Cyrus l'aurait restituée aux Israélites (voy. Buxtorf, de Arca fœder.
c. 22; Carpzov, Disput. academ., p. 48 ss.). Quoi qu'il en soit, dans le
temple recontruit après l'exil, le sanctuaire était absolument vide
(Josèphe, de Bdlo jud.,\, 5). Les rabbins parlent d'une nuée qui enve-
loppait constamment l'arche, comme le symbole de la présence de
Jéhova (voy. Othon, Lexic. rabb.,\). 678 ss.). Cette fable s'appuie sur un
passage du Lévitique (XVI, 2) où il est question du nuage d'encens pro-
duit par le prêtre qui officiait. Les Juifs modernes ont dans leurs syna-
gogues une espèce d'arche qu'ils regardent comme une représentation
de celle de Moïse : c'est un coffre ou une armoire dans laquelle ils
renferment leurs livres sacrés. D'autres peuples de l'antiquité, notam-
ment les Egyptiens, avaient des coffrets semblables dans lesquels ils
renfermaient leurs idoles et d'autres objets sacrés. — Voyez : Reland,
Antiq. sacr., I., c. 5, p. 19 ss. ; Plutarque, de Isideet Osir. , VII, p. 446;
Buxtorf, Lexicon ckald. ; Winer, Bill. Reahvœrterb., etc.
ARCHE DE NOÉ. Voyez Noé.
ARCHÉLAUS. Voyez Hérodes (les).
ARCHÉOLOGIE BIBLIQUE. Il n'est pas tout à fait facile de rendre
compte de la valeur de ce terme, parce qu'il a été employé dans diffé-
rents sens, et que, à vrai dire, il en comporte plusieurs. Le mot archéo-
logie signifie proprement connaissances ou science des choses anciennes,
et comme la Bible est une chose ancienne, tout ce qui tient au code
sacré, ou ce qui peut se dire de lui et de son contenu pourrait rentrer
{ans l'archéologie biblique. Cependant ce n'est pas dans cette signifi-
ition large et pour ainsi dire illimitée que ce terme est employé. On
ne l'applique point à l'élément spirituel, aux idées religieuses et mora-
les, aux croyances, à l'enseignement,' qui sont la chose essentielle dans
l'Ecriture. On le restreint toujours à ce que nous pourrions appeler
l'élément matériel, les faits concrets, en général à ce qui dans les textes
se rapporte à la nature physique des pays, aux institutions et à la
vie domestique et sociale des peuples et des personnes qui y sont
nommés. Mais cette première restriction ne suffit pas encore pour
préciser le sens dans lequel le mot d'archéologie biblique est habituel-
lement employé de nos jours. On a coutume d'éliminer du cadre de
ARCHEOLOGIE 509
cette science l'histoire proprement dite, c'est-à-dire le récit des évé-
nements qui sont racontés dans l'Ancien et dans le Nouveau Testament,
ou auxquels il y est fait allusion. Et pourtant il parait que les savants
grecs qui ont créé le terme d'archéologie ont , avant tout , songé
à cet élément particulier comme convenablement représenté par
lui. Ainsi deux célèbres historiens , Denys d'Halicarnasse et Fla-
vius Josèphe, Tout mis en tête de leurs grands ouvrages, dont l'un
racontait l'histoire de Home depuis l'origine de la ville, l'autre celle
des Israélites depuis le commencement du monde. Le titre se justifiait
par le fait que tous les deux remontaient jusqu'aux temps les plus re-
culés qu'ils pouvaient embrasser, mais ils racontaient des faits suc-
cessifs, dont ils poursuivaient la série jusqu'à l'époque contemporaine.
Or c'est précisément ce caractère, propre à toute histoire, de s'occuper
de faits successifs, qui engagea les auteurs modernes à exclure de leurs
ouvrages d'archéologie ce qui pouvait être le sujet d'une narration
progressive, pour n'y faire entrer que ce qui avait le caractère de la
stabilité. Il n'y a que bien peu d'écrivains qui n'aient pas tenu compte
de cette règle (J. Jahn, Biblische Archxologie, Vienne, 1797 ss., 5 vol.;
Munk, Palestine, P., 1845). Il est vrai que la condition sociale d'un
gouvernement, ses mœurs, sont également variables, surtout quand il
s'agit d'un espace de temps aussi considérable que celui qui s'est
écoulé entre l'époque des patriarches et celle des apôtres. Cependant
la variabilité est moins grande dans cette sphère que dans l'autre, et
en tout cas on peut dire que chaque forme, une fois donnée, a eu une
durée suffisante pour pouvoir être considérée en quelque sorte comme
relativement stationnaire. L'archéologie biblique serait donc la science
ou la connaissance des faits matériels (en allemand : Realien), men-
tionnés dans la Bible, en tant qu'ils sont censés avoir été permanents
[tendant un certain laps de temps. Voici, cependant une aui,re remarque
préliminaire plus importante encore. La Bible, comme chacun sait, ne
parle pas seulement des Israélites. Ceux-ci ayant toujours été en rapport
avec d'autres peuples, Egyptiens, Cananéens , Assyriens, Chaldéens, Per-
ses, Grecs, Romains, les auteurs sacrés sont sans cesse amenés à
parler de choses qui appartiennent à une sphère autre que celle qui fait
I objet principal et essentiel de leurs écrits. Qu'il s'agisse de religion,
de lois, de coutumes, d'arts, ou autres choses pareilles, le lecteur de la
Bible rencontre presque à chaque page des notices ou des allusions qui
lui rappellent ou représentent une civilisation plus ou moins différente
decelleque la nation israélite a développée dans son propre sein et
d une manier».' indépendante. L'archéologie biblique, si l'on veut
prendre l'adjectif dans son acception rigoureuse, doit parler de tout cela,
car elle doit et veut faire connaître et expliquer tout ce qui dans
l'Ecriture sainte, d'un bout à l'autre, n'est ni enseignement ni récit
historique. Elle doit et veut être, avec la philologie biblique ou la connais-
sance des langues dont les écrivains sacrés se sont servis et avec J'isago-
gique ou l'histoire de la littérature biblique , l'une des sciences
auxiliaires de l'exégèse ou de l'explication des textes. Pour compren-
dre, par exemple, le livre des Actes des apôtres, il ne faut pas seule-
510 ARCHEOLOGIE
ment savoir ce que c'était que le sanhédrin, ou une synagogue, ou la
circoncision, ou le jeûne, ou lenasiréat, ou un pharisien, ou un hellé-
niste, ou toute autre chose qui tient aux institutions religieuses ou civi-
les des Israélites ; on y rencontre des proconsuls, des préteurs, des
tribuns militaires, des centurions, des légions, des cohortes, des asiar -
ques, des magiciens, des stoïciens, des épicuriens, l'aréopage et la
Diane d'Ephèse, toutes choses étrangères à la civilisation du peuple
hébreu. On voit par ce seul exemple combien les choses à expliquer,
même dans le cadre restreint que nous avons tracé plus haut, sont
variées et disparates. Gomment peut-on faire avec tous ces détails une
science, c'est-à-dire un tout bien coordonné, dont les éléments soient
ramenés à quelque fait fondamental et logiquement disposés ? De fait,
les savants ont dû reconnaître sans hésiter qu'il n'y a pas moyen de
réunir tous ces éléments en un faisceau homogène, en d'autres termes
de les systématiser. On a donc dû recourir à d'autres méthodes pour
atteindre le but, et pour faire servir à l'interprétation des textes
les connaissances variées concernant l'antiquité et indispensables à
quiconque en aborde la lecture sans instruction préalable. Quelquefois
on se contente d'enregistrer, sans aucun ordre rationnel, ce qu'il y a
à dire sur chaque passage qui a besoin d'une explication archéo-
logique, en suivant le texte pas à pas, sauf à éviter les répétitions super-
flues au moyen de renvois. Cette méthode n'est pas scientifique, elle
est peu propre à orienter le lecteur, parce qu'elle éparpille au plus
haut point ce qui gagnerait à être combiné et exposé dans son
ensemble. Aussi ne la mentionnons-nous ici que pour être complet ,
car elle n'arrive pas à constituer ce qui mériterait le nom d'une ar-
chéologie biblique. Comme exemple, nous citerons l'ouvrage de E.F. C.
Rosenmûller, V Orient ancien et nouveau, L., 1818, 6 vol. (allem.). Bien
plus fréquemment on a choisi la forme du dictionnaire. Là, du moins,
on a pu éviter, dans une certaine mesure cet éparpillement que nous
venons de signaler, en évitant de faire trop d'articles de détail ou
plutôt en ayant soin d'en composer un grand nombre qui facilitaient
les aperçus généraux, et dans lesquels on renvoyait aux spécialités qui
s'y l'apportaient. Cette méthode est beaucoup plus commode que
l'autre, mais elle n'est guère plus scientifique : elle taille des pierres,
mais elle n'en fait pas un édifice. (Dom A. Calmet, Dictionnaire de la
Bible, P. > 1730, in-fol. ; Winer, Bibl. Reahvœrterbuch, 3e éd . , 1847, 2 vol. ;
Aug. Bost, , Dictionnaire de la Bible fi. 1849, 2 vol. ; Sehenkel, Bibellexicon,
L., 1869 ss., 5 vol.). Ces ouvrages comprennent toujours aussi des arti-
cles d'histoire. On a aussi essayé la forme populaire et attrayante
que Barthélémy a choisie pour l'enseignement des antiquités grecques
dans son Voyage d'Anacharsis /(Strauss) Hélons Wallfahrt nach Jérusa-
lem 109 Jahre vom der Geburt Christi, Eibf., 1820, 4 vol. Cependant il
y a moyen de faire de l'archéologie une véritable science, c'est-à-dire
un ensemble de connaissances groupées autour d'un fait unique et
disposées dans un ordre rationnel. Mais c'est à condition qu'on
n'y fasse rentrer que ce qui regarde directement et exclusivement le
peuple israélite, en d'autres termes qu'au lieu d'une archéologie bi-
ARCHÉOLOGIE 511
bliquc on construise une archéologie hébraïque. C'est de celle-ci que
nous parlerons dans le reste de cet article. — Les divers auteurs qui ont
traité cette science ont adopté deux cadres de différentes dimensions, dans
lesquels ils ont compris les matières à traiter. Les uns vont fait entrer
la géographie, de sorte que le tableau de la vie nationale du peuple
se composait essentiellement de deux parties, dont l'une s'occupait de
ce qui tient à la nature (de la Palestine) considérée indépendamment de
l'action de l'homme, L'autre de ce qui est du fait de celui-ci. I) autres,
au contraire, et c'est le plus grand nombre, excluent la première
partie et sebornent à la seconde. Nous accordons que cette dernière
forme de la science justiiie davantage le titre sous lequel elle est plus
généralement comme, surtout quand on l'applique à d'autres sphères
ou nationalités. En effet, on parle (Y antiquités grecques ou romaines, et,
quand on se sert de ce terme, personne ne songe à autre chose qu'aux
formes de la vie domestique et sociale de tel ou tel peuple. Cependant
l'autre cadre n'est pas seulement plus riche, il est aussi plus utile pour l'en-
seignement pratique, par exemple, dans un cours académique; car il y a
bien des choses dans les mœurs et usages des hommes qui ne se com-
prennent bien qu'autant qu'on connaît le milieu naturel dans lequel
ils ont vécu. Voilà pourquoi on a proposé quelquefois de réserver le
titre d' antiquités pour le cadre étroit, et celui Cl archéologie pour celui
qui comprend aussi la géographie ancienne et physique de Canaan, y
compris la faune et la iïore du pays, entant qu'il en est l'ait mention
dans la Bible (voy. Géographie et Histoire naturelle de la Bible). Les an-
tiquités proprement dites peuvent être systématisées d'après différentes
combinaisons, et presque chaque auteur en a imaginé ou adopté une
autre. 11 est superflu d'en énumérer ici un plus grand nombre. Nous
nous bornerons à tracer, en quelques lignes, m\ tableau qui aura le
double avantage d'être très-simple et d'assurer à chaque élément une
place convenable, sans en omettre aucun. Nous rangeons toutes les ma-
tières à traiter sous quatre rubriques générales : 1° la Maison, ou les an-
tiquités domestiques; 2° Y Etatyoi\\e* antiquités politiques; \\° Y Eglise,
OU les antiquités sacrées; 4° Y Ecole, ou les antiquités littéraires. La pre-
mière partie comprendra les chapitres suivants : 1° la famille (naissance,
mariage, funérailles) ; 2° Y habitation (lentes, maisons, ameublement,
ustensiles) ; 3° Y habillement (y compris tout ce qui tient à la toilette) ;
V' la nourriture (objets de consommation, cuisine, repas); o" la be-
sogne domestique (chasse, pèche, entretien du bétail, agriculture, arts
niques). La secondepartie s'occupera de tout ce qui concerne les
rapports mutuels des hommes dans un cercle plus étendu que celui de
la famille. Il y sera question successivement : 1° de la formation de
ociété par V agglomération de la population (hameaux, villages,
villes) ; "2 des relations paisibles entre les individus (hospitalité, poli-
. etc.); 3°dés relations hostiles (brigandage, guerre, armes, fortifi-
cations, poliorcétique); 1° du commerce (objets et moyens; poids et me-
sures, argent, navigation); 5° du calendrier; 6° de la constitution (patriar-
cale, démocratique, monarchique, administrative, impôts); 7°des/ow
(droit civil, droit «le cité . propriété, hérédité, divorce, esclavage, lois
512 ARCHÉOLOGIE
pénales, instruction criminelle, tribunaux). Dans la troisième partie
qui doit traiter de tout ce qui est relatif au culte, il conviendra de dis-
tinguer les usages antérieurs à la promulgation de la loi écrite et
indépendants d'elle, et les institutions dites mosaïques, telles qu'elles
sont contenues dans le Pentateuque et qu'elles furent consolidées et
officiellement mises en pratique après l'exil. Dans ces deux sections, il
sera question des lieux où se célébrait le culte, des personnes qui y
présidaient, des époques qui lui étaient consacrées, enlin des actes dans
lesquels il consistait (sanctuaires, prêtres, fêtes, sacriiices). Sous cette
dernière rubrique, sont comprises diverses manifestations du sentiment
religieux d'origine fort ancienne, mais conservées etréglées plus tard par le
code, telle que la circoncision, les vœux, les oracles, etc. A la pre-
mière section reviendra ce qu'il y a à dire sur le polythéisme des
Israélites, sur les représentations symboliques du dieu national, sur les
sanctuaires locaux, bocages, hauts-lieux, sacrifices extra-légaux, fêtes
astronomiques, économiques et des saisons, etc. Dans la seconde, se pla-
cera tout ce qui est relatif à la hiérarchie lévitique, ses castes ou grades,
le costume des prêtres, la description du temple et de son mobilier, les
l'êtes théocratiques, les dîmes et autres redevances sacrées, etc. Enfin,
à la quatrième partie reviendra : 1° tout ce qui rentre dans la sphère
des arts libéraux (écriture, musique, poésie, sciences naturelles, astro-
nomie, médecine); 2° ce qui se rapporte a Venseigement, soit populaire
{synagogues), soit scientifique (écoles des prophètes et des rabbins), —
Nous ajouterons encore quelques mots sur les sources auxquelles on
peut puiser la connaissance de ces divers éléments de l'archéologie
hébraïque. Pour d'autres peuples, Egyptiens, Assyriens, Grecs, Ro-
mains, l'un des principaux moyens d'information, et même le plus di-
rect et le plus sûr, ce sont les monuments qu'ils ont légués à la posté-
rité. Ce moyen manque à peu près complètement pour l'antiquité
hébraïque. Les plus anciennes constructions (ou plutôt ruines) qu'on
trouve encore en Palestine, appartiennent à une époque beaucoup
trop récente pour entrer ici en ligne de compte. Il n'y a que la crédu-
lité des pèlerins, exploitée par une industrie intéressée, qui puisse se
faire illusion à cet égard. Tout ce qu'on'peut citer avec certitude, ce sont
quelques médailles datant des derniers temps de l'histoire nationale ; puis
les bas-reliefs de F arc-de-triomphe de Tite-Vespasien à Rome, qui repré-
sentent les objets enlevés lors du sac du temple de Jérusalem: enfin,
une stèle récemment découverte, avec une inscription du roi moabite
Mésa, remontant à 900 ans avant Jésus-Christ. 11 se pourrait que les
fouilles entreprises de nos jours sur une plus grande échelle, et surtout
à Jérusalem, même, amenassent d'autres découvertes encore, mais il est
peu probable qu'elles aient d'autres résultats que d'étendre nos con-
naissances topographiques. Les monuments étrangers, notamment ceux
de Ninive, dont on vient de déchiffrer les inscriptions avec beaucoup
de succès, pourront contribuer à élucider certains faits historiques et à
en préciser les dates, mais ils ne nous apprendront rien relativement
aux antiquités proprement dites. La principale, et à beaucoup d'égards
l'unique source à consulter au sujet des antiquités hébraïques , ce
ARCHEOLOGIE 513
seront toujours les livres uY l'Ancien Testament. Il est vrai que ces
livres ont été écrits dans un tout autre but que celui de transmettre à
la postérité des renseignements du genre en question, mais comme ils
portent à un haut point l'empreinte du temps où ils ont été composés,
ils contiennent une telle masse d'informations, tantôt directes, tantôt
indirectes, sur toutes les sphères de la vie nationale que nous avons
énumérées plus haut, que pour un grand nombre de détails, ils suflisent
pleinement et fournissent tous les traits nécesssaires pour en tracer le
tableau complet. Les écrits du Nouveau Testament, les Evangiles et les
Actes des apôtres contiennent également des données qu'on peut mettre
à profit, quoique dans une proportion très-médiocre. Nous accorderons
unv valeur comparativement très-inférieure à d'autres documents litté-
raires qu'on cite d'ordinaire parmi les sources de l'archéologie. L'his-
torien Josèphe, en tant qu'il touche aux matières qui rentrent dans le
cadre de cette science, ne nous apprend guère que ce que nous savons
plus directement et aussi exactement par les textes sacrés mêmes. Le
philosophe Pliilon, dominé par le besoin de découvrir ses propres con-
ceptions sous la lettre du code mosaïque, en travestit plutôt l'esprit
et la forme et ne saurait être un guide toujours sûr dans l'exploration
de l'antiquité. Les compilateurs du Talmud, essentiellement hommes
de la tradition, auraient été assez bien placés pour combler les lacunes
de notre savoir archéologique, malgré la distance qui les sépare des
temps bibliques, s'ils avaient eu l'esprit critique nécessaire pour bien
distinguer ce qui était la règle récente ou contemporaine de ce qui
revenait aux générations antérieures; en les suivant sans précaution,
on s'expose facilement à reporter à une haute antiquité ce qui
ne s'est produit que dans la suite des siècles, voire même à prendre
pour des faits liistoriques.ee qui, chez eux, est de la pure théorie
d'école. Enfin, les auteurs classique* ne s'occupent que bien peu des
juifs, dont ils ne connaissent l'histoire ancienne que par ouï-dire et
sous une forme tellement altérée, que leurs récits sont pour nous un
sujet d'étonnement et même de dégoût (Tacite, liv. V des Histoires;
Justin, liv. XXXY1), et quant aux mœurs et croyances du peuple hébreu,
elles sont pour eux plus souvent un objet de raillerie que de sérieuse inves-
tigation. Il n'y a que Strabon et Pline l'Ancien qui fournissent des rensei-
naents utiles sur la géographie et sur l'histoire naturelle de la Terre-
Sainte ; à eux se joignent les géographes arabes. On peut encore con-
sulter avec fruit les relations de voyage en Orient, quand elles sont
écrites par des hommes intelligents et instruits, et non par de simples
touristes ou pèlerins. Il va sans dire que dans cette classe d'ouvrages
on puisera surtout des notices du genre de celles que nous venons
de relever en dernier lieu. Cependant, comme la vie domestique dé-
pend en -rande partie du climat et d'autres conditions physiques à
peu près invariables, on comprend que bien des usages qu'on remar-
que aujourd'hui dans ces contrées autorisent des conjectures sur ce
qui peut avoir existé autrefois, et les coïncidences avec les mœurs
actuelles el celles que constatent les textes, sont quelquefois très-frap-
pantes. — Il sera hors de propos d'enregistrer ici les innombrables mono*
514 ARCHEOLOGIE
graphies publiées, surtout depuis le dix-septième siècle, sur toutes les
parties et sur les moindres détails qui rentrent dans le cadre de la
science de F archéologie hébraïque- Nos lecteurs les trouvent d'ailleurs
indiquées dans les ouvrages généraux et notamment dans les diction-
naires mentionnés plus haut. Aujourd'hui les manuels les plus répan-
dus sont, outre ceux déjà nommés , parmi les catholiques : Scholz ,
Handbuch der bihl. Archéologie, Bonn, 1834; Gaire, dans le tome 11 de son
Introd. aux livres de l'Ancien et du Nouveau Testament, Paris, 1843 ;
\id\ï\\o$,Handb..d. hebr.Alterthihner,W\iisier, 1840; Ailloli, Handb. der
bibl. Alterthumskunde, Landsh., 1844, 2 vol. avec lig. Parmi les protes-
tants : De Wette, Lehrbuch der kebr. jùdischen Archéologie, 1814, 4e éd.,
1864 ; Pareu, Antiquilas hebra'ica breviter descripta, Traj., 1832 ; Keil,
Handb. der bibl. Archœologie, Frkf., 1858, 2 vol. Un grand nombre de
dissertations et d'opuscules plus anciens ont été réunis dans le Thesavrus
antiquitatum sacrarum d'Ugolini, Ven., 17(54, 24 vol. in-f°.
Ed. Reuss.
ARCHÉOLOGIE CHRÉTIENNE. Le terme d'archéologie est employé dans
des acceptions assez différentes. Rigoureusement parlant, il désigne la
science des choses anciennes, des antiquités, c'est-à-dire des choses qui
ont existé jadis et qui, à un certain moment, ont été modifiées ou ont dis-
paru: telles sont les institutions politiques, les formes sociales, les coutu-
mes civiles, les pratiques judiciaires et religieuses, les beaux-arts, les
moyens employés par l'industrie ou l'agriculture, etc. Dans ce sens,
il existe une archéologie des Hébreux, des Egyptiens, des Grecs, des
Romains, etc. ; elle comprend tout ce qui se rapporte à la vie de ces
peuples, abstraction faite des événements historiques ; elle a pour but
de faire revivre l'image de civilisations éteintes. S'il fallait donner au
terme cette extension, on ne pourrait pas parler d'archéologie chré-
tienne. 11 faut exclure tout d'abord tout ce qui n'est pas en rapport
direct avec la religion, savoir : l'industrie, le commerce, les lois poli-
tiques et civiles, etc., il resterait ainsi le culte et les institutions ecclé-
siastiques. Enelïet, suivantquelquesauteurs, l'archéologie doit embrasser
Yxm et les autres; mais ni l'un ni les autres ne sont encore devenus des an-
tiquités ; les protestants, il est vrai, en ont rejeté quelques parties, mais
comme ces parties sont encore en vigueur à côté d'eux, on n'a pas
le droit de les reléguer dans la catégorie de ce qui a cessé d'exister.
Pour cette raison, on a proposé de restreindre l'archéologie aux origines
du culte et des institutions ; c'est ce qu'ont fait — pour ne citer que
les auteurs principaux — l'anglais Bingham, le premier qui ait réuni
dans un grand ouvrage intitulé : Origines ccclesinsticcV or the antiquities
of the Christian church (Londres, 1708 et ss., 8 vol.; 2e éd., 1726,2vol.
in-f°;trad. en latin par Grishow, Halle, 1724 ss., 10 vol. in-4°) les
matériaux nécessaires à l'étude de cette science ; après lui surtout
Augusti , dans ses Denkicurdigkeiten ans der christUchen Archéologie,
(Leipzig, 1817, ss., 10 vol.), Rheinwald, dans sa kirchliche Archœo-
logie (Berlin, 1830), Bcehmer, dans sa Christ lie h- Kirchliche Alterihums-
wissenschaft (Breslau, 1836, 2 vol.) , Guericke, dans son Lehrbuch der
christlich-kirchlichen Archxlogie (Leipzig, 1847); et, parmi les catholi-
ARCHEOLOGIE 515
ques, notamment Mamachi, dans ses Originum et antiquitatum ckristia-
narum fiftrî XX, Homo, 1749. ss., 9 vol. in 4°, et l'abbé Martigny, dans
son Dictionnaire des antiquités chrétiennes, Paris, 1865. Tous ces ou*
vrages sont très-utiles, mais ne s'occupent que des relations sociales,
des mœurs, des institutions religieuses et des formes liturgiques des
chrétiens des premiers siècles, en un mot, ils ne traitent que des ori-
gines. Or, l'histoire de ces origines est inséparable de l'histoire géné-
rale de l'Eglise, elle en est même une des parties les plus importantes.
Et puis où est la limite des origines? Les uns la placent au commencement
du quatrième siècle, d'autres au commencement du sixième; Tune des
dates est aussi arbitraire que l'autre. Il y a des rites liturgiques qui
n'ont été établis que fort tard au moyen âge, et il y a des institutions
qui sont allées continuellement en se développant. On peut déta-
cher de l'histoire générale de l'Eglise une histoire spéciale du culte, et
même, si Ton veut, une histoire spéciale des institutions, mais ce ne
sera plus de l'archéologie. Quelques-uns des auteurs qui viennent
d'être nommés, tels que Augusti et l'abbé Martigny, ont combiné aussi
avec l'étude des coutumes et des institutions celle des monuments de
l'art; d'autres excluent cette dernière absolument; Rheinwald dit
qu'en taisant rentrer dans l'archéologie, telle qu'il l'entend, l'histoire
de l'art, on y mêle mal à propos une matière étrangère; Guericke pré-
tend que cette histoire suppose des connaissances techniques et esthé-
tiques qu'on ne peut pas exiger d'un théologien. C'est là une erreur,
dont aujourd'hui on tend à revenir de plus en plus. Par la raison que
l'exposition des mœurs et des institutions des chrétiens des premiers
siècles ne doit pas être séparée de l'histoire générale de l'Eglise, on
commence à prendre le mot d'archéologie dans le sens spécial d'his-
toire de l'art chrétien pendant la période où cet art a été sous la dé-
pendance des règles et des traditions ecclésiastiques; l'archéologie
chrétienne sera la description et l'explication des monuments religieux
depuis les premiers temps de l'Eglise jusqu'à la lin du moyen âge.
Envisagée à ce point de vue, elle touche à l'histoire du culte, à celle
de la vie religieuse, et même à celle des dogmes, mais elle a pourtant
un caractère bien déterminé, elle s'occupe effectivement de choses
qui sont devenues des antiquités; les monuments, il est vrai, existent
encore; beaucoup d'entre eux servent mêmeencore au culte, mais l'es-
prit <jui les a produits n'est depuis longtemps plus le même. Dans 1rs
temps modernes, quelques artistes, passionnés pour le romantisme, ont
tenté de revenir aux types du moyen âge; mais ils n'ont fait que de
i imitation, la plupart de leurs œuvres sont des anachronismes. La Re-
naissance d'une part et la Réformation de l'autre ont amené un chan-
gement qui a fermé le passé et qui rend, sinon impossible, du moins
peu désirable un retour à l'art archaïque. C'est dans ce sens d'his-
toire de l'art ecclésiastique jusqu'à la fin du moyen âge, qu'il faut
comprendre l'archéologie chrétienne. Pour mieux encore en fixer
les limites, il convient de la restreindre aux monuments des arts qui
s'adressent à l'organe de la vue, savoir de l'architecture, delà sculpture
et de la peinture dans ses diverses formes. — En définissant ainsi
516 ARCHÉOLOGIE
le but de r archéologie, on en fait pressentir en môme temps l'in-
térêt pour les laïques et Futilité pour les théologiens. Pour autant
que Part a été au service de l'Eglise, il importe que celui qui veut
connaître l'histoire de l'Eglise sous toutes ses faces connaisse aussi les
monuments de l'art ecclésiastique, les idées dont ils sont la représen-
tation visible et les diverses lins auxquelles ils étaient destinés. Pen-
dant une série de siècles, les conceptions et les sentiments religieux
des fidèles se reflètent dans les œuvres des architectes, des sculpteurs
et des peintres. IL y a une longue période durant laquelle les arts ne
sont pratiqués que par des clercs et des moines ; même quand ils pas-
sent entre les mains des laïques, ils restent jusqu'à la fin du moyen
âge sous l'empire d'une tradition qui détermine les formes générales
et qui dicte le choix des sujets, tantôt suivant les besoins du culte, tan-
tôt suivant des coutumes devenues de bonne heure officielles ; on peut
dire que, pendant tout ce temps, les arts ont été une des principales
manifestations de la vie de l'Eglise. Dans bien des cas, ils nous révè-
lent, mieux que les livres des Pères et des docteurs, la conception
populaire des doctrines et des faits du christianisme. D'ordinaire, on
ne s'informe que des opinions des théologiens; mais n'est-il pas fort
important de savoir aussi celles du peuple? C'était pour le peuple sur-
tout qu'étaient destinés les monuments de l'art; dans les siècles où les
images ont dû être la Biblia laicorum et où l'imagination a exercé un si
grand pouvoir, elles nous montrent comment on s'est figuré les choses
religieuses. Elles ont contribué sans doute à propager des erreurs;
mais, par là même, elles nous font pénétrer davantage au fond de la
vie chrétienne de cette période. Comme les œuvres de l'art n'ont pas
dû servir seulement aux théologiens, elles nous donnent en quelque
sorte la mesure des croyances et des habitudes religieuses des masses.
Bien des sujets, qui pour les savants n'étaient que des symboles, étaient
aux yeux des ignorants la représentation de la réalité même ; on ne
distinguait pas l'idée de la forme; en voyant, par exemple, la Trinité
figurée par une bête à trois visages, combien de laïques n'ont pas dû
croire qu'en effet cela correspondait à la vérité ! Les monuments artis-
tiques ont donc un intérêt qui n'est pas moindre que celui des docu-
ments écrits; ils complètent ces derniers, souvent même ils les rempla-
cent; il y a des époques et des contrées pour la connaissance desquelles
les documents écrits sont rares, mais il en est resté des monuments
qui peuvent nous éclairer sur les idées et les tendances religieuses de
ceux qui les ont exécutés. Enfin, l'art a été de tout temps au service
du culte; pour comprendre les monuments, il ne faut pas les séparer
des actes et des coutumes liturgiques. On a dit avec raison que l'esprit
d'une religion se révèle tout entier dans les productions artistiques des-
tinées au culte de ceux par lesquels cette religion est professée. Toute
communauté religieuse^ besoin de lieux spéciaux pour ses réunions ;
dans tout culte il y a, dans des proportions plus ou moins considéra-
bles, un élément symbolique, lequel, pour être représenté, réclame le
concours des arts; pour l'accomplissement, enfin, des actes liturgiques,
il faut des vases, des meubles, des objets divers qui, à leur tour, seront
ARCHEOLOGIE 517
des œuvres d'artistes. Dans l'Eglise protestante, il est vrai, l'élément
symbolique occupe une moindre place que dans le catholicisme; les
actes liturgiques sont moins nombreux et plus simples; mais, à r excep-
tion de quelques petites sectes qui professent un spiritualisme exagéré,
personne ne soutiendra que le culte protestant peut se passer absolu-
ment de Fart. Quand une communauté jouit de sa liberté et qu'elle est
animée d'une vie religieuse intense, il ne lui suffit pas, pour ses actes
d'adoration de se réunir dans un local qui ne satisferait qu'aux besoins
les plus ordinaires de la convenance et des lois acoustiques; ce qui se
rapporte au culte, à l'expression des sentiments les plus élevés qui
puissent remplir l'âme humaine, ne doit pas seulement répondre tout
juste à son but le plus prochain, il convient aussi que cela représente
ce but sous les formes les plus dignes. Pour le choix de ces formes, il
n'y a pas de secours plus efficace que l'étude historique des monu-
ments des temps passés, non pour les imiter servilement, mais tantôt
pour y puiser des motifs d'inspiration nouvelle, tantôt pour appren-
dre à ne pas appliquer à un culte des formes qui sont propres à un
culte différent* L'archéologie chrétienne a ainsi une utilité pratique
directe pour les pasteurs et les administrateurs laïques des Eglises.
S'agit-il, par exemple, de la reconstruction ou de la restauration d'un
édifice religieux ou du renouvellement des objets servant au culte, le
pasteur surtout ne peut exercer son influence légitime qu'en fondant
son avis autant sur la connaissance des besoins liturgiques que sur
celle des rapports entre les idées artistiques et les idées religieuses ;
cette dernière connaissance ne s'acquiert pas seulement par des spécu-
lations théoriques, il faut qu'elle s'éclaire par l'histoire. Si les protestants
étaient un peu plus archéologues, on entreprendrait' moins souvent des
restaurations faites avec aussi peu de goût que d'intelligence, on laisserait
se perdre ou se détériorer moins de choses précieuses, on ne verrait pas
bâtir pour notre culte des églises gothiques ou des églises qui n'ont pas de
style du tout. — Il suit de tout ce qui vient d'être dit que l'archéologie
chrétienne a un caractère essentiellement théologique; elle n'est pas une
simple affaire de curiosité pour des antiquaires amateurs; elle a sa place
marquée comme partie intégrante de la science. On atort de dire qu'elle
suppose des connaissances techniques ou des aptitudes artistiques, et
oui- sans cela l'étude en est impossible; elle peut s'en passer sans
aucun inconvénient, car son domaine est tout autre; pour juger de
la convenance liturgique d'une église ou de la valeur religieuse d'un
tableau, on n'a pas besoin de savoir par quels procédés architec-
toniques on a bâti la première ni comment on a mêlé les couleurs
pour peindre le second; on n'a pas même besoin de demander si une
œuvre répond en tout point à l'idéal du beau; les premières questions
joudre sont : quelles sont les idées que les monuments mani-
festent, et quel est le but auquel ils ont servi? L'archéologie est donc
autre chose qu'une simple branche de l'histoire de l'art en général;
cette histoire s'occupe en première ligne de la forme, de la manière
de la traiter et des moyens employés pour réaliser les idées; elle ne
peut pas négliger de parler aussi de l'art religieux et de l'influence
518 ARCHÉOLOGIE
des croyances religieuses sur les conceptions artistiques, mais ce
ne sera là pour elle qu'un point de vue secondaire ; le point de vue
technique et esthétique, le degré de conformité entre les monuments
et l'idéal , tels sont les premiers objets de l'histoire de l'art. Mais
l'élément esthétique n'épuise pas les éléments ecclésiastiques et re-
ligieux; l'intérêt du théologien est moins sollicité par la forme
et par les procédés d'exécution, que par les sujets, par les idées
ou les faits que les œuvres sont destinées à représenter. Ce qui
pour l'historien ' de l'art est la chose principale n'est plus pour
l'archéologue qu'une chose accessoire ; il étudie les monuments
dans leurs rapports avec le culte et avec les manifestations de la
vie religieuse ; quelle que soit leur perfection ou leur rudesse, ils
ont pour lui la même valeur. Cependant lui aussi ne pourra pas
négliger de prendre en considération le côté esthétique ; il existe une
relation intime entre l'état de l'art aux différentes époques et les
tendances religieuses ou la culture intellectuelle des peuples. Il faut
ajouter, du reste, que l'âge relatif de beaucoup de monuments ne
peut être déterminé que par l'étude des procédés mis en œuvre ou par
l'examen de certaines formes qui n'ont pas une signification direc-
tement religieuse; l'archéologie chrétienne, tout en ne pas attachant à
ces matières une importance prépondérante, ne peut donc pas
entièrement les ignorer. Les objets qui rentrent dans sa sphère sont
indiqués par la nature même de son but : les lieux de culte, depuis
les catacombes et les plus anciennes basiliques jusqu'aux cathédrales
gothiques, les autels, les baptistères, les chaires, les sépultures, les
vases sacrés, les crucifix, les ornements de tout genre, les vitraux, les
livres et les vêtements liturgiques, etc. A la description de ces objets
s'ajoute l'iconographie, comprenant les images, sculptées ou peintes,
empruntées à l'histoire biblique et à celle des saints, aux objets et aux
phénomènes de la nature, à l'histoire profane, à la mythologie
ancienne et aux fables du moyen âge. Parmi les images, il y en a qui
rappellent simplement des faits, d'autres représentent des allégories
ou des symboles, d'autres encore ne sont que des ornements. Dès son
origine, l'art chétien a eu, dans quelques-unes de ses parties, un
caractère symbolique, qu'il a conservé pendant toute la durée du
moyen âge. Mais ce caractère appartient-il à toutes les figures, souvent
bizarres et grotesques, que l'on rencontre sur tant d'œuvres? Il y a là
un écueil que plus d'un savant n'a pas su éviter; supposant à priori
que toute image que l'on voit sur un monument religieux doit avoir
par cela même un sens religieux, on a attribué des intentions pro-
fondes à des sujets qui' ne sont que des ornements décoratifs ou des
caprices nés de la libre fantaisie des artistes. L'interprétation icono-
graphique est moins difficile qu'on le pense; en se servant des auteurs
liturgiques du moyen âge on peut presque toujours arriver au vrai,
mais quand il s'agit du symbolisme, il faut user d'une réserve extrême;
autrement on s'expose à des aventures singulières; il n'y a pas seule-
ment des archéologues catholiques qui se sont laissés égarer ainsi par
leur imagination, il y en a aussi de protestants. Une partie enfin qui,
ARCHEOLOGIE 519
sans rentre:- directement dans l'archéologie, lui est à pou près indis-
pensable, est répigraphie chrétienne, l'étude des inscriptions. Elle a
de rimportance surtout pour les premiers siècles; les pierres portant
des épitaphes ou des signes chrétiens, ne fussent-elles que des
fragments, révèlent souvent L'existence de fidèles dans des lieux où
ni l'histoire ni la légende ne signalent d'anciennes communautés.
Depuis qu'on s'est mis à recueillir ces inscriptions, on a constaté,
mieux qu'on n'a pu le l'aire encore. la marche et l'extension du
christianisme à une époque sur laquelle les historiens ne répandent
pas toujours une lumière suffisante. — L'archéologie chrétienne, telle
que nous l'avons définie, est une science relativement moderne. Dans
la seconde moitié du seizième siècle, deux Italiens furent les premiers
à étudier quelques monuments du christianisme; Onofrio Panvinio, de
l'ordre des ermites de saint Augustin, découvrit les basiliques de
Rome, et le chevalier de Malte, Antoine Bosio. les catacombes. Ils
donnèrent l'impulsion à une série de recherches analogues, mais
qui, pendant longtemps , restèrent bornées à l'Italie. Plus tard r
Les savants bénédictins français de la congrégation de saint Maui%
notamment Mabillon, Montfaucon, Ruinart, s'occupèrent à leur tour,
mais plutôt accidentellement qu'ex professa, des monuments de l'art
ecclésiastique et tachèrent d'en démontrer l'utilité pour une connais-
sance approfondie de l'antiquité chrétienne. Leurs études ne furent
-encore que préliminaires; elles furent loin d'exciter l'intérêt général.
Ce n'est que dans notre siècle que l'art chrétien est devenu l'objet
d'investigations plus sérieuses; il en est parlé dans tous les grands
ouvrages sur l'histoire de l'art; il existe, sur les monuments des
divers pays et sur une foule de questions de détail, des monographies,
dont plusieurs sont des travaux très-considérables ; chaque jour
apporte son contingent nouveau. En outre, pour soustraire certaines
œuvres à la destruction et pour en faciliter l'étude, on a formé des
musées où l'on réunit soit les originaux soit des reproductions des
objets les plus intéressants; déjà, en 17o6, le pape Benoit XIV établit
le musée chrétien du Vatican ; en 1854, Pie IX en fit ouvrir un second
au palais du Latran. Le musée de Cluny à Paris, le musée germanique
à Nuremberg, les collections commencées à Bàle, à Berlin, à Co-
penhague, tous destinés à rassembler des objets d'art du moyen âge,
contiennent aussi une foule de pièces relatives à l'Eglise et à ses
coutumes. Cependant, malgré ce mouvement imprimé aux études
archéologiques, nous ne possédons pas encore d'ouvrage qui embrasse
tout L'ensemble de la science. Les manuels les plus utiles sont celui de
M. de Gaumont: Abécédaire ou rudiment d 'archéologie , 5e éd., Paris,
1867, et celui du pasteur Henri Otte, Handbuch der kirchlichen Kunst-
A chœologie des deutschen Afittelalters, 4° éd., 2 vol., Leipzig, 1868;
mais le premier n'est consacré qu'à la France, le second ne traite
que de L'Allemagne. Le professeur Piper, qui en 1847 a publié les
deux premiers volumes d'une Mythologie undSymbolikderchristlichen
Kunst (Weimar), dont on attend encore la suit!', a fail paraître aussi
une Einleitung zitr monumentales Théologie, Gotha, 1868. Pour ce que
520 ARCHEOLOGIE
nous appelons archéologie chrétienne, il propose le nom de théologie
monumentale ; il veut montrer comment les idées théologiques ont été
exprimées et rendues populaires par le moyen des arts, ou déduire des
monuments de tout genre une dogmatique, une morale, une histoire,
une exégèse monumentales. Nous recommanderons encore le Manuel
d'épigraphie chrétienne d'après les marbres de la Gaule, par M. Edmond
Le Blant, Paris, 1869. — L'archéologie chrétienne doit se diviser en deux
grandes périodes, dont la première s'étend depuis les origines jusque
vers le commencement du dixième siècle ; elle se partage en deux
époques : la première comprend les cinq premiers siècles, l'âge pri-
mitif, où le génie chrétien, encore plus ou moins sous F influence des
traditions païennes, cherche en tâtonnant à se créer des formes
nouvelles ; la seconde est marquée en Orient par l'apparition du style
byzantin, apparition suivie d'une décadence rapide ; en Occident, les
progrès sont peu sensibles, mais déjà on entrevoit, à côté de quelques
influences orientales, les premières tentatives de modifier les types
légués par l'antiquité. La deuxième grande période est celle du moyen
âge; c'est celle où les arts, affranchis des règles classiques, mais
assujettis aux coutumes de l'Eglise, arrivent comme arts catholiques
au plus haut degré de leur perfection. Là aussi on distingue deux
époques : celle du style roman et celle du style gothique ; les particula-
rités caractéristiques de ces styles ne se remarquent pas seulement
dans l'architecture, elles sont également empreintes aux productions
des sculpteurs et des peintres. Dans l'âge roman on se rattache encore
aux traditions latines, mais on y introduit un élément nouveau, l'élé-
ment fantastique. ; les arts ne sont pratiqués en général que par des
moines ; les écoles et les ateliers sont dans les couvents ; Rome est le
foyer commun, où l'on cherche les règles et les types, mais dans ces
limites, il y avait une large place pour les divergences nationales et les
créations individuelles; aussi l'art roman offre-t-il, malgré la commu-
nauté des traits principaux, une variété extrême, aussi bien dans la
succession chronologique de ses œuvres, que dans les différences de
peuple à peuple. L'art gothique, au contraire, témoigne d'une rupture
à peu près complète avec les anciennes traditions ; il poursuit, dès sa
première apparition, une idée nouvelle; les artistes cessent de s'ins-
pirer des modèles romains ; les arts sortent de l'enceinte des couvents,
ils deviennent le patrimoine des laïques, et ceux-ci, tout en s'étant
affranchis de certaines coutumes, créent un style qui se reproduit
partout d'une manière presque identique ; c'est qu'ils sont dominés
par l'esprit catholique du moyen âge, tel qu'il s' était développé par
suite d'une foule de circonstances ecclésiastiques et politiques. L'art
nouveau ne se contente plus, comme l'avait t'ait l'art roman, de la
communauté des caractères généraux, il s'empare de tout, il ne laisse
plus de place à la variété des différences nationales ou des conceptions
individuelles; il est l'art du catholicisme et en même temps celui
des laïques, dans une période où, sous le rapport ecclésiastique, tou
était ramené à l'uniformité; l'art roman avait été celui des couvents
et en même temps celui des nationalités occidentales. Depuis la tin du
ARCHÉOLOGIE — ARCHEVÊQUE 521
moyen âge on ne revient pas seulement aux principes et au goût du
monde antique, l'art, s'émancipant de la tutelle de l'Eglise, devient
de plus en plus L'expression d'idées personnelles; il n'est plus de
préférence au service du culte; à partir de ce moment il cesse d'être
du domaine de l'archéologie. Ch. schmidt.
ARCHER ou L'archer (Jean), né à Bordeaux en 1516, avait fait de
fortes études. Aussi, au lieu de devenir, comme il y semblait destiné,
curé de quelque village de Guyenne, on le trouve transporté de bonne
heure en Suisse et exerçant, en 1543, les fonctions pastorales à La Neu-
veville, dans le pays de Bàle. En 1552, il passa dans le comté de Neuf-
châtel en qualité de pasteur de Cortaillod et, toujours sous l'influence
de ses souvenirs de jeunesse, il fit imprimer à la même époque, à Bàle,
un gros volume in-folio contenant le recueil de : Canons de tous les
conciles jusqu'au pontificat du pape Eugène IV (1431). Les pasteurs,
ses collègues, ne goûtèrent nullement cette publication et il fut obligé
d'en faire une sorte de rétractation sous le coup des critiques amères
qu'elle avait suscitées. Ce n'était cependant pas qu'il fût encore attaché
a' ix doctrines romaines, mais il joignait à une conduite pure et sévère
un esprit indépendant et difficile. Sébastien Castalion lui avait inspiré
une estime particulière et l'amitié qu'il ne cessa de témoigner à ce
théologien condamné par les réformateurs de la Suisse, le desservait
fort auprès de ceux-ci. Il quitta brusquement sa chaire en 1563 pour
accepter celle de Héricourt, dans le comté de Montbéliard, et il eut
L'honneur de rendre la réforme définitive dans ce pays. Mais il y prit
aigrement part aux luttes religieuses qui l'agitèrent, soutenant d'un
zèle fougueux les luthériens contre les calvinistes, et garda un rôle
actif dans les polémiques jusqu'à la lin de sa vie, en 1588 (voy. France
protest. 2e édit. I). H.Bordieb.
ARCHEVÊQUE, chef ou premier des évêques d'une province ecclésias-
tique. C'est au concile de N\cée(Cons. Nie, can. 6) quece titre (àpy^e-
~;-v.z-zz) purement honorifique apparaît pour la première fois; il
est donné à des évêques de grandes villes (a;. -rpoka'., primœ, fjwqTpoTuo-
Xeiç) qui jouissaient d'une considération particulière. Il fut réservé
d'abord à ceux des dignitaires de l'Eglise qui avaient sous eux plu-
sieurs métropolitains ou évêques (Isidorus, EtymoL, lib. VII, c. 12 :
Archiepiscopus grœco dicitur vocabulo, quod sit summus episcoporumr
tenet enim vicem apnstolicam etprœsidet tam metropolitanis quant ceteris
episcopis). Plus tard il fut étendu à tous les métropolitains et, en Occi-
. devint la dénomination usuelle. L'étendue des droits archiépis-
copaux a varié. Les évêques, au moyen âge, étaient considérés comme
les simples suffragants des archevêques, « quia suffragantur Ar-
)i$copo in officto episcopah ». Bien qu'ils eussent la même puis-
e spirituelle et la même dignité pontificale que les évêques, les
archevêques avaient le droit de conlirmer leur élection, de les consacrer,
de leur faire observer les canons et les constitutions de l'Eglise, de
leur de»nander des rapports, et même de les citer en personne devant
leur tribunal, d'inspecter leurs diocèses et leurs séminaires, de conié-
les bénéfices au cas où les évêques auraient négligé d'y pourvoir
i. 34
522 ARCHEVÊQUE — ARCHIPPE
dans le temps prescrit par les canons, de nommer les grands vicaires
pour les diocèses vacants, si huit jours après la vacance les chapitres
des cathédrales n'y auraient pas pourvu, de convoquer et de présider les
conciles provinciaux, de publier leurs décrets, de veiller à ce que les
évoques résident dans leur diocèse , de corriger et de réformer leur
jugement par la voie de l'appel. De plus, la forme de leur consécration
différait: ils recevaient seuls le pallium; seuls ils avaient le droit de
faire porter la croix haute devant eux, sauf en la présence du Souve-
rain Pontife ou -de ses légats ; seuls enfin ils pouvaient officier pontiti-
calement dans toute Pétendue de leur ressort. Mais à mesure que le
pouvoir des papes et celui des princes grandit, les évêques cher-
chèrent à s'affranchir d'un contrôle d'autant plus gênant qu'il s'exer-
çait à une distance moins grande. Cette tentative se produisit déjà au
concile de Trente, qui fit dépendre l'exercice de quelques-uns des
droits archiépiscopaux de l'assentiment du concile provincial (Trident.
Conc, sess. XXIV, cap. 2 et 3 de reform.). Aujourd'hui, comme à l'ori-
gine, dans la plupart des pays, l'archevêque, dans la hiérarchie, soit
catholique soit protestante (Angleterre, Danemark, Suède), n'a plus
qu'un droit de préséance purement honorifique sur les évêques, ses
ressortissants. (Voyez Thomassin, Vêtus ac nova Ecclesiœ disciplina,
p. I, lib. I, c. 3; p. II, lib. I, c. 5; p. II, lib. II, c. 55; Mast, Dogmat.
histo?\ Abhandl. ùb. die rechtl. Stellg dei- Erzbischùfe in der cathoL
Kirche, Freib., 1847.)
ARCHIDIACRE , d'abord le premier des diacres, puis l'aide et le sup-
pléant de l'évêque, délégué par lui à des fonctions toujours plus nom-
breuses et plus importantes, telle que l'éducation et l'instruction du
clergé, le soin des pauvres, l'administration des biens et le droit de juri-
diction sur le diocèse. C'est à partir du quatrième siècle que le pouvoir
des archidiacres commence à grandir; il atteint son apogée au treizième
siècle, où ces fonctionnaires, entourés de subordonnés indépendants de
l'autorité épiscopale (officiâtes), se gèrent en véritables maires du
palais, ambitieux et parfois tout-puissants. Depuis lors, une réaction se
produit. Evêques et synodes à l'envi réunissent leurs efforts pour res-
treindre les droits des archidiacres et les contenir dans de justes limites.
Aujourd'hui, le titre même a disparu, à peu près partout, pour faire
place à celui de vicaire général. (Voyez Thomassin, Vêtus et nova Eccl.
disciplina, p. I, Y ib. II, c. 20; Pertsch, Abhandl. von dem Ursprunge
de' Diakonen, Hildesh., 1743'.
ARCHIMANDRITE (àpxwv -rtç y.x>opzq,prœfectus cœnobii), proprement
le chef du bercail (^avcpa) des brebis du Christ. Ce nom a été donné, à
partir du cinquième siècle, en Orient, aux supérieurs des couvents, et
parfois aussi, mais plus rarement, aux prélats que l'on voulait honorer
d'un titre particulièrement recherché. L'Eglise grecque l'a conservé
jusqu'à ce jour. Dans l'Eglise latine, les archevêques et les abbés pré-
posés à plusieurs couvents l'ont porté parfois.
ARCHIPPE ("Ap7'.7:TCoç), disciple de saint Paul, et, à ce qu'il paraît, l'un
des directeurs de l'Eglise de Colosses, en rapport intime avec Philémon
(Col. IV, 17; Phil. 2). Les Pères de l'Eglise en ont fait le premier
ARCHIPPE — ARCHITECTURE 523
évêque de cette ville. D'après une légende sans fondement, il aurait
été l'un des soixante-dix disciples de Jésus et serait mort martyr.
ARCHIPRÊTRE, le premier des prêtres. Ses fonctions regardent la
célébration de l'office divin et l'administration des sacrements. On dis-
tingue deux sortes d'archiprêtres, ceux de la ville, qui remplacent
Pévêque absent, et ceux de la campagne, qui sont délégués par reve-
nue pour veiller à l'administration d'un certain nombre de paroisses
rurales. Ces derniers étaient absolument subordonnés aux archidiacres,
et même les premiers n'étaient indépendants d'eux que pour l'exercice
de leurs fonctions intérieures.
ARCHITECTURE RELIGIEUSE des peuples de l'antiquité. L'histoire
constate que, chez tous les peuples, l'architecture religieuse est la pre-
mière à se développer. Elle a pour tâche, non-seulement d'élever des
monuments destinés à servir de demeure à la Divinité, à renfermer
son image et les objets nécessaires à son culte et à réunir, pendant cer-
taines heures et pour certaines cérémonies, ses serviteurs et ses fidèles,
mais encore de donner une forme tangible, concrète aux aspirations
morales de ceux qui élèvent le temple, de traduire leurs idées reli-
gieuses, de les affirmer, de les glorilior, d'attester leur puissance et
leur sincérité. Egalement en honneur chez tous les peuples, elle variera
selon leur origine, selon le climat et la nature du sol, selon les habi-
tudes sociales, selon le caractère particulier de chaque religion, selon
les relations enfin qui existent entre les trois facteurs principaux de
toute religion : la divinité, les prêtres et les fidèles. Elle produira ainsi
tour à tour le temple, la pagode, la synagogue, la basilique, la mos-
quée, l'église. L'influence de l'origine se fera sentir dans certains
traits caractéristiques de l'architecture, selon que les peuples auront
été primitivement pasteurs, chasseurs ou nomades, et qu'ils auront
habité en premier lieu la tente, la cabane, ou la caverne creusée dans
le roc, selon les relations aussi qui se seront établies entre eux et les
peuples voisins ; le climat influera sur la grandeur et la disposition des
ouvertures et principalement sur la forme des toits ; la nature du sol
déterminera celle des matériaux, marbre, pierre, brique ou bois, qui
entreront dans la composition de l'édifice sacré et contribueront à sa
décoration ; les habitudes sociales modifieront certaines de ses parties,
s" il doit servir de lieu de conservation pour les trésors et les archives
de la nation, de lieu d'asile et de refuge pour les criminels, de lieu de
réunion pour d'autres buts encore que le culte proprement dit, s'il
doit enfin marquer au loin le centre de la cité; le caractère particulier
de chaque religion s'y traduira par la forme et la nature des détails
architectoniques et des symboles qui s'y trouveront reproduits, par la
prédominance accordée aux dimensions en longueur, en largeur et en
hauteur, prédominance qui correspond à des sentiments et à des états
de l'âme divers; les relations enfin qui existent dans toute religion
entre la divinité, 1rs prêtres et les fidèles seront marquée; dans le plan
même de l'édifice, dans ses dispositions générales, dans les moyens de
communication entre les diverses parties dont il se compose, dans la
place assignée dans l'ensemble à chacun de ces trois facteurs essentiels,
524 ARCHITECTURE
Les monuments religieux de chaque peuple sont donc de véritables
livres, et l'architecture qui les a élevés une écriture où celui qui sait la
déchiffrer retrouvera les pensées, les croyances, les aspirations, les
habitudes physiques et morales, l'état politique môme des peuples qui
Tout formée. Chaque fois que pendant une suite d'années ou de siècles
une civilisation aura produit une série de monuments présentant les
mêmes dispositions intérieures et les mêmes caractères extérieurs, elle
î>ura formé un style nouveau et ce style sera accusé principalement
dans les édifices religieux, parce qu'ils donnent satisfaction aux be-
soins les plus pressants, les plus intimes et en même temps les plus
élevés de tous les peuples. Chaque fois que Ton verra changer les
formes de F architecture, la civilisation aura été renouvelée; dans les
époques de transition L'architecture sera flottante, hésitante, et lorsque
les monuments d'un peuple ou crime époque manqueront d'origina-
lité, l'on peut être assuré que ses idées religieuses sont dépourvues de
caractère et de vitalité.
I. Hindous et Egyptiens. Les monuments religieux de l'Inde, le berceau
de l'humanité, et ceux de l'Egypte, l'un des plus puissants foyers de civili-
sation antique, sont les plus anciens parmi ceux qui présentent un style
bien déterminé. Différents par les détails, ils ont dans leurs dispositions
principales la plus grande analogie. Elle s'explique par la similitude
du climat, de la nature du sol, de certaines traditions communes, sans
que l'on soit amené à conclure à une influence directe de l'une des
architectures sur l'autre. La latitude, et par suite la température, sont
à peu près les mêmes ; ce que le Nil est pour l'Egypte, l'Indus, le
Gange, le Brahmapoutra le sont pour l'Inde ; la fertilité du sol est
également prodigieuse ; le lotus et le palmier sont abondants dans les
deux pays et forment ici comme là l'un des motifs de sculpture les
plus caractéristiques; les habitants de l'une et de l'autre contrée
avaient commencé par habiter des cavernes et par se creuser des de-
meures dans le roc, puis par se construire dans la plaine des habita-
tions légères faites en terre et en roseaux. Aussi leurs premiers tem-
ples sont-ils des excavations gigantesques pratiquées dans la roche vive,
et lorsque plus tard ils ont élevé en rase campagne leurs édifices reli-
gieux, ils leur ont conservé des formes rappelant la disposition pre-
mière. Les Egyptiens comme les Hindous croyaient à la métempsy-
chose, à un retour des hommes sur la terre, après leur mort; ils
étaient gouvernés les uns et les autres par une théocratie, fondée sur
la suprématie absolue de la caste des prêtres sur celle des soldats et
des laboureurs. L'architecture portera donc de part et d'autre le même
caractère de force, desévérité, de domination et de stabilité. — La reli-
gion des Hindous est un panthéisme mystique, mêlé à un sens profond
pour les énergies de la nature ; la divinité est dans tout et partout et
se manifeste aux hommes en d'innombrables incarnations. Les prêtres
qui l'enseignaient au peuple étaient les seuls dépositaires de la science
et leur pouvoir était sans limites ; les règles de l'architecture étaient
rédigées en sanscrit et ignorées de la masse du peuple qui, sous la di-
rection des prêtres, élevaient les temples gigantesques consacrés à la
ARCHITECTURE 525
divinité. Ces temples ou pagodes devaient donner au peuple l'impres-
sion de L'immensité infinie en même temps que celle du mystère im-
pénétrable ; aussi leur dimension en longueur est-elle plus accusée que
toutes les autres. Leur plan, peu régulier en général, comprenait de
vastes salles, peu élevées, dont le plafond massif repose sur des piliers
courts et trapus, dont les lignes parallèles s'étendent indéfiniment ; ces
salles principales, dont les murs extérieurs et intérieurs portent par-
tout les images incrustées des nombreuses incarnations de Brahm, sont
accompagnées de sanctuaires particuliers, de galeries, de bassins pour
les ablutions, de temples des reliques, de salles pour les pèlerins, d'ha-
bitations étendues pour les prêtres et précédées de portes monumen-
tales. Toutes ces parties de l'édifice sont surchargées de sculptures
fantastiques, de ligures de dieux aux bras multiples, d'éléphants et
d'autres animaux sacrés, et cette répétition continuelle des mêmes mo-
tifs prescrits par une tradition immuable, engendre la monotonie. Les
plus remarquables de ces temples, comme ceux de File de Ceylan, de
Bénarès, d'Eléphanta et d'Ellora, sont des excavations creusées dans le
roc, gigantesques travaux de patience, où l'industrie et l'art n'ont que
peu de part et dont l'exécution a dû coûter un nombre considérable
d'années, peut-être des siècles. D'autres, comme ceux de Jagernaut et
de Tiruvalur, s'élèvent librement, sous forme pyramidale, au moyen
de pierres immenses apportées de loin et assemblées avec soin. On
trouve également dans l'Inde un grand nombre d'édifices à coupoles
et à minarets; ils ont été construits par les musulmans, et leur style n'a
rien de commun avec celui des constructions primitives des Hindous
(voy. L. Langlès, Mon. anc. et mod. de VHindoustan, 2 vol., Paris,
1821; J. Fergusson, Handbook of arcliit., vol. 1, London, 1855). —
La religion des Egyptiens était un polythéisme des plus compliqués ;
tandis que les prêtres, qui gouvernaient le peuple d'une manière ab-.
solue, adoraient un grand nombre de dieux, auxquels ils donnaient
allégoriquement des ligures d'animaux, le peuple en vint à adorer les
animaux eux-mêmes. Peuple et prêtres avaient d'ailleurs au plus haut
degré le culte des morts et le mépris de la vie; les habitations terres-
très étaient construites avec économie, les temples et les tombeau*, au
contraire, d'une manière somptueuse et durable. Leur position géogra-
phique au milieu des déserts, et les dogmes de leur religion, interdi-
saient également aux Egyptiens toute relation, tout commerce avec les
peuples étrangers. De là un art plus fermé, plus original, plus tradi-
tionnel encore que celui des Hindous ; la dimension prédominante est
crllc de la largeur, qui donne l'impression de la durée. Les temples
égyptiens sont élevés sur une terrasse dominant la plaine et tournés
vers I'- Nil: leurs lignes générales sont simples et majestueuses; les
murs ('-pais sont disposés en talus et n'ont point d'ouvertures. Une
porte gigantesque, flanquée de deux pylônes, marque rentrée «le l'édi-
fice sacré, auquel conduisent des avenues (le sphynx, d'animaux fan-
tastiques accroupis dans l'attitude du repos; !<■ temple lui-môme com-
prend plusieurs rouis entourées de portiques et des sallesdont les toits
plats -ont supportés par des colonnes serrées, courtes et robustes. Tandis
52& ARCHITECTURE
que le sol des cours et des salles qui se succèdent monte par degrés, le
plafond s'abaisse et l'image du dieu se dresse dans le plus reculé des-
sanctuaires, sombre et bas, plein de mystère et inaccessible au peuple.
De colossales figures symboliques en gardent l'entrée et les murs inté-
rieurs et extérieurs du temple, ainsi que les colonnes et les frises, sont
recouverts de séries innombrables de caractères sacrés ou d'hiérogly-
phes, entaillés dans la pierre et coloriés des couleurs les plus vives, ra-
contant l'histoire de la nation égyptienne et de ses dynasties royales.
Ces constructions sont faites en matériaux énormes, transportés à de
grandes distances par des armées d'ouvriers, mis en place et taillés
avec le plus grand soin, sous la direction des prêtres. Ils témoignent
d'un art développé et original ; ils frappent et imposent ; ce qui leur
manque, c'est le sentiment individuel, ce souffle de liberté qui anime
la pierre et la fait parler. Les plus beaux temples de l'Egypte sont
ceux de Karnak, de Louqsor, de l'île de Philae et de Dandour en
Nubie ; ceux de Thèbes et d'Ipsamboul sont des excavations dans le
genre des grands temples hindous (voy. Description de l'Egypte, publ.
par ordre du gouvernement, Paris, 1809-1810; Gau, Antiq. de la
Nubie, Paris, 1823, Stuttgart, 1822; C. R. Lepsius, Denkm. von Aegyp.
und Bthiop., Berlin, 1849).
II. Perses et Assyrims. Les peuples qui, dès l'antiquité la plus re-
culée, ont habité les vastes plaines situées entre P Indus et PEuphrate,
n'ont point élevé de monuments religieux durables. Babylone, Ninive,
Persépolis offrent encore des ruines considérables, mais ces ruines sont
celles de palais et de tombeaux, non de temples. Comparée à la religion
des Egyptiens et des Hindous, celle des Perses était claire et simple.
Basée, d'après les enseignements de Zoroastre sur le dualisme de la
lumière ou du bien (Ormuzd), et des ténèbres ou du mal (Ahriman),
son culte consistait uniquement dans l'adoration de la divinité de la
lumière, au moyen de grands feux allumés sur des autels dressés pri-
mitivement au sommet des montagnes, plus tard sur des pyramides
élevées artificiellement. — Les Assyriens et les Babyloniens rendaient
un culte aux astres et leur dieu principal était Baal ou Belus, personni-
fication du soleil. La tour de Babel, si célèbre dans les Livres saints,
était un temple de Bélus. Elle s'élevait sous la forme d'une pyramide à
la base carrée d'un stade(environ 190 mètres) de largeur et de hauteur ;
elle se composait de huit étages placés en retraite les uns sur les autres
et reliés au moyen d'escaliers extérieurs; sur la plate-forme supérieure,
qui était le sanctuaire, on avait dressé pour la divinité un lit magni-
fiquement décoré et une table d'or; là aussi se trouvait l'observatoire
d'où les prêtres chaldéens étudiaient les révolutions des astres. L'inté-
rieur de la pyramide renfermait plusieurs chapelles et des chambres
où étaient conservées les archives de la nation. Le temple de Bélus,
comme la plupart des édifices élevés dans ces pays pauvres en maté-
riaux de construction durables, était entièrement construit en briques
cuites et crues et décoré de bas-reliefs en argile, rehaussés d'un enduit
coloré. Des statues et des revêtements en métaux précieux complé-
taient sa décoration (voy. Botta et Flandin, Monuments de Ninive,
ARCHITECTURE 527
Paris, 1849 ; Vaux, Niniveh and Persepolis, an Irist. sketch of Assyria
and Persia, London, 1830).
111. Phéniciens et Hébreux. Placés géographiquement entre les
civilisations égyptienne et assyrienne, les peuplades établies en Phé-
nicie et en Palestine ne sont pas, à en juger par les monuments qu'elles
ont laissées, arrivées à un degré de culture comparable à celui de leurs
voisins. 11 n'est rien resté, pour ainsi dire, des édifices religieux qu'elles
ont élevés, et les descriptions de ces édifices que donne la Bible sont si
confuses et si incomplètes, qu'il est dfficile de s'en faire une représen-
tation exacte. Essentiellement actifs et nomades, adonnés au commerce
et à l'industrie, aussi portés à voyager et à trafiquer que les Egyptiens
Tétaient peu, les habitants des côtes phéniciennes n'avaient pas l'esprit
tourné vers les longs et patients travaux de l'architecture. — Plus indus-
trieux et plus artistes que les Hébreux, les Phéniciens bâtissaient beau-
coup et étaient renommés pour leur habileté dans certains arts eons-
tructifs et plastiques ; mais ils travaillaient de préférence les bois, les
métaux, les étoiles, et n'ont rien produit de durable. Leur religion, un
naturalisme grossier, ne les portait pas vers les entreprises de longue
haleine. Leur divinité principale, adorée sous les noms de Baal,Moloch
et Àdonaï, recevait des sacrifices humains, et son culte était célébré en
plein air, sur les montagnes et dans des enceintes sacrées, grossière-
ment disposées au moyen de grandes pierres assemblées sans art et
sans régularité. Il est fait mention cependant de temples de Baal élevés
à Tyr, à Sidon et à Gadès, en Espagne; mais on n'a aucun renseigne-
ment précis sur leurs dispositions (voy. Mo vers, Bas phœniz. Alter-
thum, 2 vol., Berlin, 1849-50). — Les Hébreux avaient avec les Phéni-
ciens des rapports de voisinage nombreux et constants. Quoique leur
religion, un monothéisme relativement élevé, fût bien différente de celle
de leurs voisins, leur architecture religieuse a dû nécessairement s'ins-
pirer de la leur. Un peuple nomade, errant, comme l'avait été long-
temps celui des Israélites, n'avait pu, en effet, se créer un style d'ar-
chitecture propre. Ils n'avaient pu songer jusque-là à élever des tem-
ples et ne connaissaient d'ailleurs qu'un sanctuaire, l'arche d'alliance
renfermant les tables de la loi, qu'ils transportaient avec eux dans leurs
migrations et à laquelle ils construisaient des abris temporaires en bois
et en étoffes (voy. l'article Arche). Aussi lorsque Salomon voulut bâtir
dans Jérusalem un temple à Jéhova, dût-il s'adressera son voisin, le roi
de Tyr, Hiram, pour obtenir de lui non-seulement des matériaux de
construction, puisque la pierre de taille et les bois précieux manquaient
dans le pays, mais encore des ouvriers capables et des architectes chargés
de diriger les travaux. Le roi de Tyr lui accorda les uns et les autres, et
un de ses meilleurs architectes du nom d'Hiram, ou Adoniram, eut la
surveillance générale de l'entreprise. La Bible renferme plusieurs des-
criptions, en partie contradictoires, de ces travaux considérables; leur
étendue et leur confusion même prouvent combien peu les écrivains
d'alors étaient familiarisés avec les œuvres de l'architecture (1 Boit
V- VII ; 2 Chron. II-IV; Ezéchiel XL-XLII). Le temple.de Salomon,
après son achèvement, se composait d'une partie centrale comprenant
528 ARCHITECTURE
le Saint des Saints et le lieu Saint, précédés d'un porche à l'occident et
entourés au]sud, à l'orient et au nord , de trois étages de chambres; cette par-
centrale était située au milieu de trois cours ou parvis carrés, concen-
triques et destinés, le premier aux prêtres, le second aux Israélites et le
tie troisième aux étrangers ou Gentils. On pénétrait par trois portes dans
le plus extérieur de ces parvis, celui des Gentils ; il était entouré d'un
vaste portique s'étendant sur les quatre côtés du carré et s'ouvrant sur
des logements divers, des chambres de gardiens, des boutiques pour les
marchands de colombes et d'objets destinés au culte, de salles à manger
pour les pèlerins, etc. Du parvis des Gentils, trois autres portes condui-
saient dans le parvis des Israélites; là se trouvait une double colonnade
desservant les habitations des prêtres, des sacrificateurs et des musi-
ciens ; l'autel des holocaustes se dressait dans cette cour, qui commu-
niquait par trois autres portes avec le parvis des prêtres. Celui-ci, élevé
de huit marches au-dessus des autres, n'en était séparé que par un mur
formé de trois assises de pierre et d'une corniche en bois de cèdre; il
renfermait, en avant et à gauche du sanctuaire, dix bassins d'airain pour
laver les objets destinés aux holocaustes, et la mer d'airain, chef-
d'œuvre d'Adoniram, vaste cuve d'airain posée sur douze taureaux,
où se purifiaient les sacrificateurs. Un vestibule, précédé d'un escalier
et de deux colonnes d'airain, donnait accès au lieu Saint, qui renfer-
mait dix chandeliers à sept branches, la table des pains de proposition
et l'autel des parfums. 11 était séparé par une porte à deux battants en
bois d'olivier du Saint des Saints, qui était plus petit et plus bas que le
lieu Saint (selon le mode égyptien), et absolument obscur, « l'Eternel
habitant les ténèbres » (2 Chron. VI, 1). Ce sanctuaire, formant un cube
de vingt coudées (oulOm,50 dans tous les sens), renfermait l'arche d'al-
liance, gardée par deux chérubins en bois d'olivier recouvert d'or,
hauts de dix coudées, dont les ailes se touchaient et s'étendaient jus-
qu'aux deux parois du sanctuaire; celles-ci étaient décorées avec une
magnificence inouïe, recouvertes d'un lambris en bois de cèdre,
rehaussé de fleurs, de palmes, de coloquintes et de chérubins en lames
d'or; le parquet lui-même était en planches de cyprès lamées d'or. Les
chambres, disposées en trois étages sur trois côtés du lieu Saint et du
Saint des Saints recevaient les archives, le trésor public, les objets du
culte, vases, coupes, plats, ustensiles, lustres, encensoirs, instruments
de musique, habits sacerdotaux, etc., en nombre si considérable, qu'il
est fait mention de plusieurs milliers d'objets sacrés transportés par
Nabuchodonozor à Babylone et rendus plus tard aux Juifs par Gyrus
(Esdras I ss,). Les murs extérieurs de toute la construction étaient
en pierre de taille, les revêtements intérieurs en bois précieux, la cou-
verture en terrasse ; quant au style de l'ensemble et des détails, il par-
ticipait sans doute à la fois de celui des temples égyptiens et de celui
des palais assyriens. Le peuple, on le voit, n'était pas admis dans les
sanctuaires, où seuls les lévites pouvaient entrer, et dont les dimen-
sions, comparées à celles des temples égyptiens et hindous, sont peu con-
sidérables. Le temple de Salomon fut détruit et reconstruit à plusieurs
reprises. Hérode le Grand le restaura avec la dernière magnificenc,
ARCHITECTURE 529
dans le style romain. Titus accomplit la prédiction du Christ et le dé-
truisit de fond en comble (voy. Josèphe, les Antiquités judaïques;
Hirt, der Tempel von Salomu, 1S^>; de Saulcy, Hist. de V Art judaïque;
Thenius, Die Bûcher der Kœmge, Leipzig, 1849). Le temple de Salomon
était autrefois le seul lieu de culte public delà Palestine; on s'y ren-
dait de partout pour les sacrifices, les jours de grandes fêtes religieuses.
Les autres prescriptions du culte s'accomplissaient dans la maison, sous
l'autorité du père de famille. Après la captivité de Babylone, Esdras
institua des synagogues pour la lecture et l' interprétation de la loi en
public; c'étaient à la fois des lieux de prédication et de discussion, des
écoles et des tribunaux. Plus tard, après la dispersion du peuple juif,
ce mot désigna le local consacré à la célébration du culte. Ces temples
modernes des Juifs sont généralement simples, ne renferment point
d'images et sont décorés seulement par des sentences tirées de l'Ecri-
ture sainte; les sexes y sont séparés, les femmes occupant d'habitude
les galeries supérieures de l'édilice. Une arche d'alliance renfermant
un ou plusieurs exemplaires de la loi, est placée du côté de l'Orient.
Ces monuments religieux, par suite de l'état de dispersion de la nation
juive, n'ont aucun style particulier et se rattachent, par leur architec-
ture extérieure, au style des édifices religieux en usage dans les diffé-
rents pays où les Israélites se sont établis. La synagogue de Francfort
et celle construite tout récemment à Paris (rue de la Victoire) comptent
parmi les plus belles.
IV. Grecs et Romains. Il était réservé aux peuplades établies sur les
rives privilégiées de la Grèce et de l'Italie de faire faire à l'archi-
tecture un pas décisif et de donner à leurs monuments religieux, ce
qui manquait à ceux des civilisations qui avaient précédé la leur : la
beauté parfaite. Certes, les temples de la vallée du Nil étaient pleins de
grandeur et de sombre majesté; ceux de l'Inde frappaient l'imagi-
nation par leur étendue , par la quantité prodigieuse de travail
humain qu'ils représentaient; le temple de Bélus, à Babylone, s'élevait
dans les airs à une hauteur que jamais édifice construit par la main
des hommes n'avait atteinte et n'a atteinte depuis; celui de Salomon
devait éblouir par la magnificence inouïe de sa décoration intérieure,
mais une chose faisait défaut à toutes ces merveilles et les empêchait,
malgré leurs dimensions prodigieuses et le luxe des matériaux
employés, d'être de véritables œuvres d'art. C'est l'unité dans l'en-
semble, l'harmonie dans les détails, la science des proportions justes
entre les diverses parties de l'édifice. — Ces proportions justes dans
1 architecture, les Grecs allaient les trouver. Aussi actifs, aussi indus-
trieux que les Phéniciens, doués d'un génie clair, simple et mesuré,
aimant la vie et sachant user de ses joies avec modération, d'une race
forte ci belle, admirablement équilibrée et propre à la fois aux entre-
prises guerrières et aux travaux fructueux de la paix,. favorisés d'ail-
leurs par la nature et le climat, ainsi que par leur situation géogra-
phique, les (.jvc-, ont atteint un degré de culture inconnu avant eux.
Leur polythéisme était peu élevé, mais plein de grâce et «le poésie;
leurs dieux n'étaient point des abstractions, des êtres vagues et insai-
530 ARCHITECTURE
sissables ; c'étaient moins encore des monstres difformes et hideux :
ils n'avaient rien d'effrayant ni de terrible. Personniiications de toutes
les forces de la nature, ils avaient la figure humaine dans sa perfection
idéale, étaient doués de passions tout humaines et se mêlaient volon-
tiers à la vie des hommes ; ils habitaient d'ailleurs le sommet d'une
montagne voisine, entre la Thessalie et la Macédonie, sur les frontières
mêmes de la Grèce. Comme ils étaient doués néanmoins de facultés
supérieures à celles des hommes et qu'ils pouvaient leur nuire ou leur
être utiles, il convenait de leur rendre un culte, d'implorer leur assis-
tance, et de s'appliquer à gagner leur faveur. On leur bâtissait donc
des temples dans lesquels on plaçait l'image du dieu et devant cette
image, on brûlait des parfums, on apportait des sacrifices, on récitait
des invocations : culte simple et familier, qui se passait pour ainsi
dire d'intermédiaires. Jamais programme aussi favorable ne s'était
présenté à l'architecte chargé d'élever un monument à la divinité ; il
réunissait les trois conditions essentielles d'un bon programme :
clarté, simplicité, liberté. Il s'agissait d'élever au dieu une demeure
digne de lui, belle intérieurement et extérieurement, de grandeur
moyenne, proportionnée qu'elle devait être à ses dimensions tout
humaines; à l'ombre du sanctuaire destiné à la divinité, il fallait
disposer une pièce où l'on plaçait le trésor public et les archives de la
cité, confiés à la garde des dieux ; tout autour, une enceinte sacrée,,
découverte, fermée de murs et parfois précédée d'un portique, rece-
vait la foule des fidèles. Les architectes grecs ont admirablement
rempli ce programme. Le sanctuaire (b vooç) destiné à abriter Ja statue
du dieu est ordinairement un rectangle allongé, rarement carré ou
rond ; il communique par une large porte avec le vestibule (é rcpovaoç)
ouvert du côté de l'extérieur; derrière le sanctuaire, est le dépôt des
trésors et archives (5 ôrciaôcîofjioç) . Autour de l'édifice, plus encore pour
la beauté que pour l'utilité, s'étend un simple ou double portique
(o icepiffruXoç). L'ensemble du monument s'élève sur un soubassement
formé de trois gradins ou marches en retraite les unes sur les
autres. Devant ces marches, dans l'enceinte sacrée (xo Tépevoç) est placé
l'autel des sacrifices. C'est dans la disposition des portiques que se
révèle tout l'art des Grecs. Leurs temples et leurs maisons avaient été
construits primitivement en bois, et se composaient, comme toutes
les constructions faites au moyen du bois, de poteaux dressés vertica-
lement et reliés par des poutres horizontales ; leur architecture, tout en
se développant et en employant des matériaux plus beaux et plus
résistants, conserva les traditions de cet art primitif. Comme les troncs
d'arbre, les colonnes de leurs portiques étaient moins larges au
sommet qu'à la base; elles étaient munies dans le haut, d'une tablette
carrée (qui forma le chapiteau) destinée à recevoir les poutres ou
architraves qui les reliaient ensemble horizontalement ; sur ces archi-
traves, vinrent apparaître (sous forme de triglyphes) les têtes des
poutres transversales qui unissaient la colonnade au mur de l'édifice ;
l'espace, vide d'abord, entre les triglyphes, fut fermé par la suite par
une dalle (métope) ornée de sculptures en bas-relief et de peintures,,
ARCHITECTURE 531
et l'ensemble dos triglyphes et i\i>> métopes tonna la i'rise; enfin une
corniche saillante couronna le tout et reçut L'extrémité des poutres de
la charpente du toit. Celui-ci, doucement incliné, à deux versants,
était accusé sur la face principale et sur la l'ace postérieure par des
frontons, dont le tympan était encore orné de statues et bas-reliefs.
L'ensemble «le cette décoration, résultant de la construction même,
constitue ce qu'on appelle un ordre d'architecture et des proportions
fixes, non certes rigoureuses, mais cependant constantes, furent
établies entre les dimensions en hauteur et en largeur des colonnes et
celles des entablements qui les couronnent. C'est dans ce juste
rapport de tous les membres de la construction entre eux et de
chacun deux avec le tout, de manière à les ramener aux harmo-
nieuses proportions de la beauté humaine, que réside la supériorité de
l'art grec sur tous les autres. Les Grecs employaient d'ailleurs trois
ordres différents: Tordre dorique, mâle et robuste, sobre d'ornements,
employé de préférence pour les temples de Jupiter, de Junon, de
Neptune, d'Hercule, etc.; l'ordre ionique, dont la colonne plus svelte
est surmontée d'un chapiteau aux angles arrondis en forme de cornes
de bélier ou de volutes, et dont la frise sans triglyphes supporte une
corniche plus légère, était réservé d'ordinaire aux temples d'Apollon,
de Diane et de Cérès; Tordre corinthien enfin, plus gracieux et plus
riche encore, avec son chapiteau complique, orné de feuilles d'a-
canthe mêlées à des feuilles d'eau et couronnées par des enroule-
ments et de petites volutes d'angle, était consacré à Vénus et à
Bacchus. Les moulures de ces derniers ordres étaient couvertes
d'ornements en forme d'oves, de rangées de perles, de raies de cœur,
de palmettes. Non-seulement les temples étaient construits en maté-
riaux précieux, en marbres magnifiques, mais ils brillaient encore
des couleurs les plus éclatantes, répandues à profusion sur les arêtes
des colonnes, sur les moulures des entablements, dans les fonds
derrière les bas-reliefs des métopes et des frises et derrière les statues
des frontons; l'or, l'argent et le bronze entraient également dans
leur décoration, sous la forme de clous saillants, de boucliers fixés
sur les architraves, de vases, de trépieds disposés aux angles et au
sommet des frontons. La statue du dieu elle-même était en marbre, en
ivoire ou en un métal précieux, et lesanctuaire était orné à profusion de
trophées, de tables d'or, d'autels et de tableaux. C'était en quelque
sorte un musée national, le sanctuaire des arts et des illustrations de
la cité. Aussi L'amour des Grecs pour leurs temples était-il passionné,
el partout où s'établissaient leurs colonies, ils élevaient des édifices
sacrés semblables à ceux de la mère-patrie. Les principaux temples
doriques dont les ruines sont encore debout, sont : le Parthénon, sur
r Acropole d'Athènes, le temple de Thésée, dans la même ville, celui
de Jupiter Panhéllénien dans l'ile d'Egine, les temples de Sélinonte
el de Syracuse, en Sicile, et ceux de Paestum, dans la Grande-Grèce;
parmi les temples ioniques, les plus célèbres sont ceux de TAsie-
Nineure, le temple de Diane à Ephèse, celui d'Apollon à Didyme et les
temples de Minerve Poliade à Priene et à Athènes. Le temple de
532 ARCHITECTURE
Jupiter Olympien, à Athènes, est le seul d'ordre corinthien grec dont
des restes soient conservés. Il date du deuxième siècle avant Jésus-
Christ, tandis que les plus anciens temples doriques remontent au
sixième siècle avant notre ère (voy. Stuart et Revett, Les antiq.
d'Athènes, traduit de l'anglais, 4 vol., Paris, 1808; Beulé, YArchit.
au siècle de Pisistrate {Revue d'archit., 15e et 16e année, Paris). — Les
Romains, qui ont emprunté aux Grecs leur religion et qui n'avaient
ni le goût ni le loisir d'inventer des formes nouvelles pour la célébrer,
leur ont emprunté de même leur architecture religieuse et leurs
ordres. Ils ont fait subir néanmoins quelques modifications à la dispo-
sition générale des temples. Les portiques latéraux et postérieurs sont
d'habitude supprimés et un seul portique {porticus) profond s'élève
sur la face principale, en avant du sanctuaire (cella). L'ordre corin-
thien, plus riche que les autres, est employé de préférence, et la pente
du fronton et du toit devient plus sensible que chez les Grecs. Les
temples perdent en grâce et gagnent en magnificence. Situés ordinai-
rement sur le forum, auquel ils servent de décor, ils sont exhaussés
sur un soubassement élevé formant piédestal tout à l'entour de l'édi-
fice, auquel on accède par un grand escalier occupant toute la largeur
de la façade. Du reste, les temples ne sont plus chez les Romains,
l'édifice unique comme chez les Egyptiens, ou principal comme
chez les Grecs. Les besoins religieux diminuent chez eux, en même
temps qu'augmentent ceux de la vie civile et militaire. Tout absorbés
par la conquête du monde, par l'administration de leur vaste empire,
par les soucis journaliers de la politique, leur activité sur le terrain
de l'architecture se manifeste surtout par la construction d'aqueducs
gigantesques, de basiliques, d'amphithéâtres, de thermes et d'autres
édifices d'utilité publique ou de récréation. Moins artistes que les
Grecs, moins riches qu'eux aussi en matériaux de prix, leur esprit
pratique a fait taire néanmoins un pas considérable à l'architecture.
Les premiers, ils ont donné à la voûte et à l'arcade, un emploi
judicieux, presque prédominant, dans leurs constructions. Ayant
besoin d'espaces couverts d'une grande étendue, et n'ayant pas à leur
disposition des pierres suffisamment longues pour pouvoir porter
horizontalement d'un mur ou d'un pilier à l'autre, ils imaginèrent les
premiers de se servir de pierres plus petites, taillées en forme de
coins et disposées en claveaux ou voussoirs sur un demi-cintre, de
façon à se maintenir réciproquement et à pouvoir porter des charges
considérables, sans se disjoindre. Grâce à cet emploi ingénieux de la
pierre et de la brique, ils purent couvrir de larges ouvertures au
moyen d'arcades reposant sur des piliers carrés ou piédroits, et de
grandes surfaces rectangulaires ou circulaires, au moyen de voûtes en
berceau continu ou en coupole, s'appuyant sur des murs épais
s'opposant à leur poussée. Mais, tout, en faisant le plus grand usage de
l'arc plein-cintre, les Romains n'ont pas su lui donner une expression
artistique ; ils le considéraient comme une nécessité fâcheuse, un
artifice de construction, et n'eurent pas l'idée d'en faire un motif de
décoration. Ils s'en servaient, comme d'un esclave, dans les subslruc-
ARCHITECTURE 533
lions des amphithéâtres, dans la construction des aqueducs immenses,
dans la couverture de leurs grandes salles des thermes, mais chaque
fois qu'ils voulaient décorer un édifice, ils faisaient appel aux ordres
grecs, et lorsqu'ils ne pouvaient éviter d'accuser l'arcade à l'extérieur,
ils la combinaient avec les colonnes et les entablements grecs, d'une
façon souvent peu harmonieuse et contraire aux principes des deux
systèmes de construction. Dans les temples, l'arcade et la voûte ne
trouvèrent que peu d'emploi; elle n'apparurent jamais au dehors, et
leur rôle se borna à couvrir intérieurement les portiques et parfois la
relia. Rome présente encore les ruines d'une grande quantité de temples
romains, mais un plus grand nombre d'entre eux a disparu, et leurs
matériaux ont servi à édifier les premières basiliques chrétiennes.
Parmi ceux qui ont conservé quelques restes de leur ancienne splendeur,
nous nommerons ceux de Vespasien, de Jupiter Stator, d'Antonin et
de Faustine, de Vénus, ainsi que le Panthéon d'Agrippa, si toutefois
cet édifice a été un temple, et non une salle de thermes, comme le
croient plusieurs auteurs. L'Italie possède un grand nombre d'autres
temples romains, et partout où les légions romaines ont pénétré, des
temples se sont élevés à côté des amphithéâtres et des basiliques. En
Espagne, en Afrique, en Istrie, jusqu'à Palmyre et à Balbeck, on
retrouve des colonnes corinthiennes ayant fait partie de temples
considérables. En France, la Maison-Carrée de Nîmes offre l'un des
exemples les mieux conservés de ce genre d'édifices. C'était un
temple consacré à Auguste. On le voit, grisés par leur puissance, les
empereurs romains en étaient venus à se croire les égaux des dieux
et leurs peuples leur élevaient des temples et les adoraient. Les dieux
s'en allaient, et, tandis que disparaissait toute croyance, l'empire
romain, et avec lui la civilisation et l'architecture romaines mar-
chaient à une égale décadence. Les temps étaient propices pour
réclosion d'une religion, d'une civilisation et d'une architecture
nouvelles (voy. Canina, Gli edifîzi di Borna anfica, 1840).
Emile Lichtenberger.
ARCHITECTURE CHRÉTIENNE. Le christianisme est la plus grande
révolution morale que l'humanité ait traversée. Issu de la religion des
Hébreux à une époque où la société antique, plongée dans le matéria-
lisme, s'éloignait de ses dieux, il fut une protestation énergique du
sentiment religieux contre le formalisme et le scepticisme qui régnaient
partout et se partageaient le monde alors. Aux divinités mystérieuses
des peuples de l'Asie et de l'Egypte, aux dieux trop familiers des Grecs
el des Romains, au redoutable Jéhova des Juifs, il opposa un Dieu
unique, Dieu de bonté, de pardon et d'amour. A côté du précepte de
I amour de Dieu il plaça celui de l'amour du prochain, proclamant
ainsi L'égalité la plus complète de tous les hommes devant la justice de
Dieu. Entre Dieu et les hommes il n'admit qu'un seul intermédiaire:
le Christ, fondateur de la religion nouvelle, fils de Dieu, sauveur de
l'humanité. Ses prêtres lurent les disciples, les fidèles, tous ceux qu
avaient la foi; son culte était la prière, et, dans l'esprit du Christ, la
prière individuelle et solitaire plutôt que la prière collective récitée en
534 ARCHITECTURE
commun. Une seule cérémonie était, non pas prescrite par le Christ,
mais instituée par ses premiers disciples : celle de la Sainte-Cène qui,
par un repas symbolique, devait rappeler aux fidèles leur Sauveur et
son sacrifice, et les raffermir dans leur communion avec Dieu le père
et le fils. A une religion aussi pure, aussi spirituelle, il ne fallait point
de temples, dans le sens antique. Le sanctuaire ne pouvait plus être
une image plus ou moins grossière de Dieu ou une arche d'alliance en
bois ou en métal précieux: c'était le cœur de l'homme régénéré, pu-
rifié par la loi. C'est là qu'habitait Dieu désormais; c'est là que l'homme
devait se mettre en relation avec lui. Le temple, c'était l'homme lui-
même. La comparaison de l'homme à un édifice sacré est fréquente
chez les apôtres (1 Pierre II, 5; Ephés.ll, 20), et Origène répond à
Celse, qui lui reproche que les chrétiens n'ont point de temples:
« Ils n'ont point de temples en pierres, mais des temples vivants. »
Tout, d'ailleurs, était bon pour les lieux de réunion des premières
communautés chrétiennes, car « où il y a deux ou trois personnes
assemblées en mon nom, j'y suis au milieu d'elles », avait dit le
Christ (Matth. XVIII, 20). Une salle quelconque, assez vaste pour
renfermer la communauté, assez bien disposée pour que chacun
de ses membres pût entendre les lectures faites, devait suffire aux
besoins de ce culte simple et fraternel. Lorsque vinrent les persécu-
tions, par une réaction naturelle, les chrétiens attachèrent d'autant
plus de prix à ces réunions, qu'elles devenaient plus difficiles, plus
périlleuses. On dut faire choix d'une maison se distinguant aussi peu
que possible, à l'extérieur, des maisons voisines et s'y rendre en
secret ; là où la conformation du sol le permettait, comme à Rome et à
Naples, on se réunit dans des lieux souterrains, les catacombes ; on y
portait les corps des martyrs tombés pour la foi, et la cérémonie de la
Sainte-Cène était célébrée sur le tombeau même du martyr, qui devint
ainsi le premier autel chrétien. Du jour enfin où Constantin, par son
édit de Milan en 313, permit au christianisme de sortir des catacombes,
de célébrer librement son culte et de faire ouvertement de la propa-
gande, une ère nouvelle commença pour la religion du Christ et l'ar-
chitecture chrétienne prit naissance. Il s'agissait maintenant, après de
longues années de luttes, de souffrances, de persécutions, d'affirmer
hautement sa foi, de lutter à ciel ouvert avec le paganisme qui n'était
pas vaincu encore, d'achever, par un prosélytisme ardent, la vic-
toire complète cle la religion nouvelle, et, pour aider à tout cela,
d'élever à côté des temples païens des édifices consacrés au culte du
vrai Dieu. Mais déjà, pour disposer ces édifices, les conditions n'é-
taient plus les mêmes que deux siècles auparavant. Les communau-
tés étaient devenues plus nombreuses ; une sorte d'hiérarchie s'était
établie parmi les fidèles : chaque communauté choisissait ses diacres
et ses sous-diacres, spécialement chargés de la célébration du culte, et
toutes les communautés d'un même diocèse nommaient à l'élection
un évêque, successeur des apôtres. Le concile de Nicée organisa
l'Eglise catholique et jeta les bases d'un système qui devait enlever
de plus en plus aux fidèles l'administration de l'Eglise, pour la
ARCHITECTURE 535
mettre tout entière entre les mains du clergé. L'édifice destiné à abriter
la communauté chrétienne ne devait pas d'ailleurs servir à la seule
célébration du culte; il devait être en même temps un lieu de réunion
pour la discussion de toutes les affaires communes intéressant les
fidèles; on s'y occupait délections, d'œuvres de charité, d'instruction
et de discipline ; c'était en un mot, réunis dans une seule enceinte, le
temple des païens et la synagogue des Hébreux. La disposition des
temples grecs et romains, au sanctuaire sombre et de petite dimension,
ne pouvait convenir à une pareille destination ; les chrétiens, à peine
sortis des catacombes, ne pouvaient d'ailleurs improviser pour leurs
édifices religieux des formes nouvelles. Avec le temps, le dogme nou-
veau devait amener nécessairement une rénovation de l'art; mais une
pareille transformation exige le travail de plusieurs siècles, et il s'agis-
sait de donner satisfaction à des besoins pressants. Les architectes
chrétiens durent donc se résoudre à emprunter aux Romains celui des
édifices de la vie civile, dont la disposition convenait le mieux aux
besoins de leur culte et à s'approprier de même les éléments construc-
tifs et décoratifs de leur architecture. La basilique romaine fut reconnue
comme l'édifice le plus propre à se prêter à la célébration du culte
chrétien. Elle n'était, chez les Romains, qu'une sorte de prolongement
du forum, destiné à la réunion des commerçants, à la discussion et aux
jugements des affaires ; elle se composait d'ordinaire d'une grande
salle rectangulaire, presque toujours à ciel ouvert, entourée de porti-
ques couverts à une ou deux rangées de colonnes sur les quatre côtés,
et accompagné sur l'un des petits côtés d'un vestibule ou portique
extérieur en communication avec la voie publique, et sur l'autre d'un
tribunal de forme carrée ou, plus souvent, semi-circulaire, élevé de plu-
sieurs degrés au-dessus du sol de la basilique et d'où les juges ren-
daient leurs arrêts. Cette distribution put, sans grandes modifications,
être conservée pour les basiliques chrétiennes ; l'espace central et ses
portiques furent assignés à la communauté, les pénitents et les caté-
chumènes trouvèrent place dans le vestibule ou portique extérieur, et
le clergé s'installa dans le tribunal ou l'abside. La difficulté était de
couvrir ce grand édifice, car si chez les païens le peuple pouvait être
laissé à découvert en dehors du sanctuaire, il n'en était plus de
même chez les chrétiens qui, étant temples eux-mêmes, devaient
entrer dans le lieu saint et y être abrités. A Rome, on couvrit
tout L'espace central, ainsi que les portiques latéraux, d'une charpente
en bois, après avoir élevé sur les colonnes des portiques des murs
percés de fenêtres, donnant des jours directs à la salle centrale. A
Byz race, au contraire, où Constantin avait transporté le siège de l'em-
pire on préféra la voûte et on chercha de bonne heure les meilleures
combinaisons pour voûter, le plus solidement et le plus éeonomique-
ment possible, les grands espaces destinés à la réunion des fidèles. A
Rome, où l'on avait sous les yeux et sous la main, de nombreux
édifices de Style romain, on se servit de ces matériaux et l'on continua
à bâtir dans <•-■ même style. A Byzance, où l'on n'avait ni celle res-
source, ni ces exemples, l'architecture n'emprunta aux Romains que
536 ARCHITECTURE
leur principe constructif de la voûte et de l'arcade et trouva prompte-
ment des formes décoratives nouvelles. C'est ainsi que dès les pre-
miers siècles de l'ère chrétienne se manifesta, dans l'architecture
religieuse, ce contraste entre l'Orient et l'Occident, antérieur à l'Eglise
et qui devait sous peu, sur le terrain religieux, amener un schisme
dans l'Eglise. Le développement de l'architecture chrétienne fut
absolument différent en Orient et en Occident et il convient de diviser
dès l'abord l'étude de cette architecture, en deux parties distinctes.
A . Architecture chrétienne de ïOrient. La translation du siège de
l'empire à Byzance, dans une ville relativement petite et d'origine
nouvelle, doit être considérée comme un fait favorable à la prompte
éclosion d'un style nouveau pour l'architecture religieuse des chré-
tiens. Dès le principe, ils furent à Byzance plus nombreux que les
païens et on y construisit plus d'églises que de temples. Ne subissant
pas l'influence des chefs-d'œuvre de l'architecture antique, les chré-
tiens d'Orient purent s'affranchir plus rapidement des formes païennes
et chercher avec plus de liberté les dispositions convenant le mieux
à leurs édilices religieux. On se trouvait d'ailleurs sur ce sol grec, où,
malgré la conquête, le sentiment cle l'art était demeuré plus pur et
plus vivace qu'à Rome. N'ayant pas sous la main les innombrables
colonnes des portiques et péristyles païens qui, à Rome, étaient
enlevées aux édifices qu'elles décoraient primitivement, pour être
replacées et combinées à nouveau pour la construction des églises, les
architectes de Constantinople durent renoncer bientôt au système
des colonnes et recourir à celui cle la voûte qui, tout en employant des
matériaux de dimensions restreintes, avait l'avantage cle leur per-
mettre cle couvrir cle plus vastes espaces. La disposition principale de
la basilique romaine, qui s'adaptait si bien aux exigences du culte
nouveau, fut appliquée à Byzance comme à Rome, et, ici comme là,
l'édifice religieux se composa d'une grande salle centrale, destinée à
la communauté, précédée à l'occident d'un vestibule ou narthex pour
les catéchumènes et terminé à l'orient par une abside semi-circulaire
pour le clergé. L'autel fut placé en avant de l'abside, sur la limite du
sanctuaire, ou fc^x et de l'espace occupé par la communauté. Seu-
lement, tandis qu'en Occident ce dernier espace prit dès le commen-
cement une forme rectangulaire oblongue et fut divisé en plusieurs
allées par de longues rangées de colonnes, comme dans la basilique
romaine, on s'attacha de préférence en Orient, à donner à cette partie
principale cle l'édifice une disposition concentrique autour d'un
point central, c'est-à-dire une forme carrée, octogonale ou ronde, et à
la recouvrir d'une voûte en coupole extradossée, s'élevant librement
dans les airs. Cette forme avait le grand avantage de mieux réunir la
communauté, de la rapprocher du clergé, et de lui assigner clans
l'édifice la place qui lui revenait, la place d'honneur, accusée au loin
par la coupole. Au quatrième et cinquième siècle, la forme de la basi-
lique romaine fut, il est vrai, employée fréquemment en Orient; la
plupart des églises élevées par Constantin à Byzance, à Bethléhem, à
Jérusalem, présentaient la disposition oblongue de ces édifices. Mais
ARCHITECTURE 537
cette forme ne prévalut pas, et dès le cinquième siècle on préféra la
forme ronde ou polygonale, employée pour certains temples romains,
comme ceux de Vénus, à Rome et à Tivoli. Mais, à moins d'élever des
coupoles gigantesques, comme celles du Panthéon, il fallut, pour
gagner de la place, percer le mur circulaire et le faire porter par des
colonnes simples ou doubles, placées en cercle au nombre de huit ou
douze et reliées par des arcades; on obtenait de la sorte, outre l'espace
central, des bas-côtés, où la communauté pouvait s'étendre. Bientôt
on établit deux étages superposés de ces colonnes, afin d'avoir des
galeries supérieures, réservées aux femmes. Puis on s'efforça de dimi-
nuer de plus en plus le nombre des colonnes ou piliers, qui gênaient
la vue. et Ton créa enfin ce type de l'église grecque, qui trouva sa
réalisation complète dans l'église de Sainte-Sophie, élevée au sixième
siècle par Justinien à Constantinople. Quatre piliers massifs furent
établis aux angles d'un vaste carré et réunis par de puissants arcs en
plein-cintre; des arêtes intérieures de ces piliers s'élancèrent, en
encorbellement sur le vide, des voûtes triangulaires appelées pen-
dentifs, qui firent la' transition entre la forme carrée du plan et un
grand cercle horizontal qui devint la base de la coupole. Des demi-
coupoles vinrent contre-buter ce dôme central et fermer les arcs sur
lesquels il s'appuyait; elles couvrirent quatre nefs ou bras d'une croix
grecque formée par les prolongements des quatre arcades principales.
L'une ilf ces nets, à l'occident, reçut l'entrée principale précédée d'un
portique ou narthex, la nef opposée renferma le sanctuaire, et les nefs
latérales furent coupées, dans leur hauteur, par des galeries réservées
aux femmes ; enfin des couronnes de petites fenêtres cintrées furent
percées à la base de la coupole centrale et des petites coupoles laté-
rales. A cette forme nouvelle, on adapta des détails d'architecture
nouveaux : des colonnes à chapiteaux cubiques ou en forme de pyra-
mide tronquée, reliées par des arcades, des fenêtres cintrées, souvent
géminées, c'est-à-dire réunies deuxàdeux sous un grand arc commun,
enfin une ornementation s 'inspirant des arts de l'Orient, des sculp-
tures peu saillantes formées d'entrelacs, de galons, de rangées de
perles, de feuillages fantastiques, et un goût très-prononcé pour les
"mosaïques brillantes à fond d'or et les incrustations de métaux
précieux. Un style nouveau était né, qu'on appelle le style byzantin,
dont l.s traits caractéristiques sont la coupole sur pendentifs placée
au centre d'une croix grecque, à quatre branches à peu près
égales, et l'emploi de coupoles multiples. Ce style fut définitive-
ment adopté par L'Eglise grecque lors de sa séparation d'avec l'Eglise
latine, et ne subit que de légères modifications depuis le sixième
siècle jusqu'à l'époque contemporaine. A l'extérieur , se manifesta
une tendance de plus en plus prononcée à élever et à multiplier
les coupoles. A la coupole centrale, on avait adjoint d'abord quatre
coupoles plus petites disposées sur les quatre branches de la croix
grecque : on en ajouta d'autres encore, par la suite, sur les angles for-
més entre les extrémités de ces branches et sur le narthex. Ces cou-
poles, au li u de reposer directement sur les pendentifs, furent sur-
/. 35
538 ARCHITECTURE
haussées et élevées sur des murs ou tambours cylindriques percés de
grandes fenêtres. La Russie, en s'appropriant le style byzantin, changea
la forme des coupoles pour les approprier à son climat, et leur donna
les courbes les plus diverses en les recouvrant de lames d'or à l'exté-
rieur. Un changement assez important se fit également à l'intérieur vers
le dixième siècle. Tandis que, dans l'Eglise latine, la cérémonie de la con-
sécration de l'hostie se faisait toujours en présence de tous les fidèles,
l'Eglise grecque la déroba à leurs yeux et ne permit plus qu'aux seuls
prêtres d'être les témoins du miracle sans cesse renouvelé de la trans-
formation du pain et du vin en chair et en sang du Christ. Le sanc-
tuaire fut donc fermé par une cloison richement décorée, qui s'appela
iconostasis, d'après les images des saints dont on eut coutume de l'or-
ner ; plusieurs portes mettaient le sanctuaire en communication avec
le reste de l'église. Les arts plastiques subirent, en Orient, une déca-
dence complète ; l'immobilité dans la doctrine engendra la monotonie
dans l'ornementation, dans la reproduction des symboles et des figures
des saints; on se borna à copier et à répéter servilement les types
prescrits par la tradition, et l'art du dessin s'éloigna déplus en plus de
la nature, pour se complaire dans le conventionnel. Le type de l'archi-
tecture byzantine resta toujours Sainte-Sophie de Constantinople ; un
grand nombre d'édifices en Grèce et en Russie furent élevés d'après
le même principe ; l'un des plus vastes d'entre eux est la cathédrale de
Salonique. Saint-Marc à Venise et Saint-Front à Périgueux furent
construits sur un plan identique, presque copié sur celui de Sainte-
Sophie, mais les détails de ces deux édifices n'appartiennent pas au
style byzantin proprement dit (voy. Salzenberg, Altclirist. Baudeak.
von Constantinopel, Berlin, 1854; Alb. Lenoir, De V architect . byzan-
tine, Bévue d'archit., lre année, p. 7 et 65, Paris, 1840). L'architure des
chrétiens d'Orient exerça une influence prépondérante sur celle des mu-
sulmans. Mahomet était né peu d'années après la mort de Justinien, et
la religion qu'il avait fondée vers le milieu du septième siècle, se pro-
pagea au moment même où l'architecture byzantine venait d'atteindre
son complet développement. Le culte qu'elle prescrivit consiste essen-
tiellement en des prières répétées cinq fois par jour, dans la lecture
du Coran, source de toute loi et de toute science, code à la fois religieux,
civil, moral et politique, dans le pèlerinage obligatoire de La Mecque
enfin, que chaque musulman dut faire une fois au moins dans sa vie.
Les parties indispensables à tout édifice religieux consacré à ce culte
étaient donc : une grande cour destinée aux ablutions qui, selon le
Coran, devaient précéder tout acte de foi, un grand espace couvert
(mihrab) pour les prières, un sanctuaire (maksourah) où l'on renfer-
mait le Coran, une chaire (mimbar) d'où les prêtres (ulémas) faisaient
aux fidèles la lecture et les commentaires du livre sacré, enfin une ou
plusieurs tours élevées (minarets), d'où le muezzin annonçait aux fidè-
les [l'heure de la prière. Les Arabes, peuple nomade et peu avancé
dans les arts constructifs, étaient moins capables encore que les chré-
tiens d'improviser un style nouveau pour leur religion nouvelle ; ils
s'inspirèrent donc, pour leurs mosquées, des édifices religieux des
ARCHITECTURE 539
-chrétiens, <|u"ils rencontraient au fur et à mesure que leurs conquêtes
s'étendaient plus loin. Les premières mosquées qu'ils construisirent
rappellent les dispositions principales des basiliques chrétiennes. Elles
comprennent, dans une vaste enceinte rectangulaire, une ou plusieurs
cours dont la dernière renferme la fontaine des ablutions, et est entourée
d'ordinaire d'une double rangée de portiques sur trois de ses laces.
Sur la quatrième, celle regardant l'Orient, ces portiques se prolongent
en une série d'allées ou de nefs parallèles, de hauteur égale, séparées
par des piliers ou des colonnes, empruntées parfois à d'anciens monu-
ments romains et chrétiens, et couvertes au moyen d'un plafond en
charpente formant terrasse ; des minarets élancés sont placés aux
angles de la cour ou de l'enceinte extérieure dont la muraille
élevée isole la mosquée du reste du monde. C'est la disposition
que présentent plusieurs des grandes mosquées du Caire, celles d'Ël-
Touloun, d'El-Moyed, celle d'Amrou (fondée en 640 par le lieutenant
d'Omar), ainsi que la célèbre mosquée de Cordoue (fondée en 780) aux
dix-neuf grandes nefs séparées par des rangées de trente-quatre
-colonnes chacune. Mais cette disposition primitive fut bientôt aban-
donnée, lorsque les Arabes se trouvèrent en contact avec l'architecture
byzantine, si conforme à leur génie et à leurs goûts orientaux. Dès
lors, la plupart de leurs mosquées furent construites sur le modèle de
Sainte-Sophie de Constantinople, qu'ils venaient de convertir elle-
même en mosquée. Les mosquées d'Hassan, au Caire (1356), de Soli-
man (15d6), et d'Achmet (1610), à Constantinople, sont des imitations
de l'église deJustinien. Cependant, pour les détails, leur architecture
s'était séparée de celle des chrétiens et avait donné naissance à un style
caractéristique que l'on désigna sous le nom de style arabe et dont les
traits principaux sont : des murs extérieurs à peu près nus, percés de
rares ouvertures et souvent couronnés de créneaux ; des toits en terrasse,
dominés par des coupoles aux formes renflées et allongées et par des
minarets à plusieurs étages ornés de balcons; l'emploi presque exclusif
de l'arc outre-passé ou en fer à cheval, dont le cintre est plus élevé
que la moitié du diamètre et qui se présente tantôt sous la forme plein-
cintre, tantôt sous la forme ogivale ; des arcades découpées et des tym-
pans ajourés; des colonnes sveltes et fréquemment accouplées, cou-
ronnées par des chapitaux cubiques ornés d'entrelacs; des voûtes en
pendentifs d'une disposition particulière, composéesde petits fragments
de plâtre affectant la forme de segments de coupole, de petits triangles
spliériques, déniches ou cellules d'abeilles en miniature, agencées et
combinées de manière à faire ressembler le dessous des voûtes aux
stalactites d'une grotte; une ornementation tine et serrée, recouvrant
toutes les surfaces et se composant uniquement d'arabesques, c'est-à-
dire de dessins peu saillants, de fleurons et d'entrelacs ingénieusement
combinés, se répétant géométriquement et rehaussés de couleurs
brillantes et de dorures; l'absence de toute reproduction de la ligure
humaine ou d'une figure animale; enfin, l'introduction dans l'orne-
mentation de longues inscriptions en caractères contiques, tirées du
Coran et disposées dans les encadrements des portes d'entrée. Le style
540 ARCHITECTURE
arabe, lui aussi, n'a subi que peu de modifications, surtout depuis le
quinzième siècle. (Voy. Pascal Coste, Architecture arabe ou monuments
du Caire, Paris, 1837 ; Girault de Prangey, Essai sur l'architecture des
Arabes en Espagne, en Sicile et en Barbarie, Paris, 1811).
B. Architecture chrétienne de l'Occident. Tandis qu'en Orient l'ar-
chitecture chrétienne, n'empruntant aux Romains que leur principe
constructif de la voûte, fit de ce principe des applications nouvel-
les et s'affranchit promptement des formes décoratives de l'art grec
et romain, pour constituer, dès le sixième siècle, un style nouveau, les
chrétiens de l'Occident conservèrent plus longtemps, dans leurs monu-
ments religieux, les traits caractéristiques de l'architecture romaine.
Toutefois, pour être plus lent, le développement de l'art chrétien en
Occident n'en suivit pas moins une marche progressive constante ;
pratiqué par des populations plus actives, plus libres, plus mobiles,
plus avides de perfectionnement, occupant d'ailleurs des pays divers de
latitude et de civilisation , il arriva à des résultats inconnus à l'art
oriental et le dépassa en variété. Tandis qu'en Orient on avait trouvé
rapidement un style caractéristique que l'on conserva presque intact
jusqu'au siècle présent , l'on marcha en Occident de progrès en
progrès , en plusieurs étapes successives , formant autant de pério-
des distinctes.
I. Style latin. Jusqu'au neuvième siècle, les édifices religieux chrétiens
de l'Occident présentèrent ce mélange des deux principes constructifs de
la voûte et de la plate-bande posant sur colonnes, propre à l'architec-
ture romaine ; plusieurs de ces édifices sont même composés presque
entièrement de fragments de colonnes, de chapiteaux et d'architraves
enlevés à des monuments païens. Un seul changement important
s'opère dans l'emploi des matériaux. Les pierres de grande dimen-
sion devenant de plus en plus rares et leur mise en place de plus en
plus dispendieuse et difficile, l'on remplaça les longues architraves
qui réunissaient les colonnes horizontalement par des arcs plein-cintre,
posant directement sur les chapiteaux des colonnes. C'était l'affran-
chissement de l'arcade traitée en esclave par les Romains, et un pre-
mier pas dans la voie où les Byzantins s'étaient engagés résolument
dès le cinquième siècle. Mais là s'arrête l'innovation; pour l'exécution,
pour la science de la construction, pour la finesse dans les détails, les
architectes de l'Occident restèrent bien en arrière de leurs prédéces-
seurs romains et de leurs voisins byzantins. Du quatrième au neuvième
siècle , la forme des édifices consacrés au culte, tout en conservant
les dispositions générales de la basilique romaine, subit plusieurs mo-
difications importantes. Les chrétiens avaient besoin d'une place en
avant de l'édince, destinée aux pénitents et aux catéchumènes toujours
plus nombreux, qui n'avaient pas le droit de pénétrer dans l'église
elle-même pendant les offices. On établit donc en avant de la façade
principale une cour, atrium, narthex, prenant d'ordinaire toute la lar-
geur de l'édifice et entourée de portiques sur les quatre côtés. Au cen-
tre de cette cour on plaça un bassin pour les ablutions. Plus tard,
lorsque les loi? romaines qui défendaientl'ensevelissement clés morts dans
ARCHITECTURE 541
l'enceinte de la citéfurent tombées en désuétude, l'atrium devint le cime-
tière des membres delà communauté; le commun dos fidèles fut enterré
dans la cour, les tombeaux des évoques furent placés sous les portiques.
De cet atrium on pénétrait par plusieurs portes dans la partie princi-
pale de l'édifice, ayant la l'orme d'un rectangle allongé et composé
d'un espace central couvert, entouré de galeries basses sur les quatre
côtés. Mais dès les premières années déjà Ton supprima les deux gale-
ries qui, dans la basilique romaine, s'étendaient sur les petits côtés du
rectangle et dont les colonnes cachaient, depuis rentrée, la vue du
tond de rédifice. Or ce fond de la basilique en était précisément Tune
des parties les plus importantes, celle où siégait le clergé, où était placé
l'autel, celle qu'il importait de voir distinctement de toutes les parties
de l'église. A la place de la. rangée de colonnes que Ton enleva devant
le sanctuaire on disposa un grand arc plein-cintre reliant les deux murs
des colonnades latérales, que Ton appela arc triomphal, arcus triom-
phalis. De bonne heure aussi, on établit sur les portiques latéraux des
galeries supérieures, qui furent destinées aux femmes et qui s'ou-
vraient sur l'espace central par un second étage de colonnes placé sur
celles du rez-de-chaussée et supportant le mur percé de fenêtres qui
recevait la toiture en charpente apparente qui couvrait la salle princi-
pale. Cette partie essentielle de l'édifice, destinée à la communauté, est
désignée par Eusèbe du nom de vaôç, nef, vaisseau, et ce nom est de-
meuré à toutes les parties de l'église accessibles aux fidèles. Dans le
fond se trouvait le tribunal, ffrjy.a, sacrarium, sanctuarium, commu-
nément désigné sous le nom d'abside, de forme semi-circulaire, ex-
haussé de plusieurs marches au-dessus du sol de la nef, et voûté en
demi-coupole; on y plaça, dans l'axe, le trône de l'évêque, et des deux
côtés, sur un gradin semi-circulaire, les sièges des prêtres et des diacres.
Des deux côtés de l'abside on ménagea de petites pièces ou sacristies, pour
le dépôt des livres sacrés et des archives et la garde des ustensiles
nécessaires au culte. En avant du sanctuaire était placé Y autel, disposé
le plus souvent sur une crypte souterraine renfermant les reliques d'un
saint martyr et surmonté d'un petit édicule en forme de temple ouvert,
le ciborium. Dans la partie de la nef, enfin, qui s'étendait devant l'autel,
on disposa une enceinte destinée aux sous-diacres et au chœur des
chantres (d'où lui vint le nom de chœur, appliqué aussi plus tard à
toute la partie postérieure de l'église), entourée d'une balustrade, ou
chancela cancelli, et renfermant deux pupitres ouambons pour la lecture
de l'Evangile et des Epitres. En dehors de la basilique, soit dans
l'atrium, soit sur l'un des côtés, s'élevait un petit édifice, de forme
carrée, octogonale ou ronde, qui servait à la célébration du baptême :
c'était le baptistère. A mesure que les communautés augmentèrent, le
besoin de nouvelles modifications se lit sentir. Des changements ayant
été introduits dans le système des pénitents, el le nombre des catéchu-
mènes allant en diminuant, à mesure que celui des fidèles admis dans
l'Eglise allait en croissant, l'atrium ou narthex fut supprimé et Ton
n'en conserva que le portique placé en avant de la façade et occupant
toute sa largeur. Le nombre des nets augmenta et l'ut port'.' à cinq,
542 ARCHITECTURE
pour les grandes basiliques, au moyen de deux nouvelles rangées de
colonnes disposées parallèlement aux autres. Enfin l'espace réservé au
clergé et aux desservants étant devenu insuffisant, il fallut songer à
agrandir le chœur situé en avant du sanctuaire; on y établit, entre
Tare triomphal et le mur du fond, une nef transversale, qui embrassa
toute la largeur de l'édifice et fut l'origine des transepts. On était arrivé
de la sorte à donner au plan de la basilique la forme d'une croix latine;
cette disposition n'avait pas été recherchée dans le principe et elle
n'apparut bien franchement que plus tard, dans la période romane,
lorsque les transepts firent saillie sur les murs latéraux de la nef et
lorsque l'abside s'allongea. Mais dès lors on s'attacha à développer
cette forme symbolique de la croix latine et à l'accuser, non-seulement
dans le plan de l'édifice, mais à l'extérieur. Au troisième et au qua-
trième siècle enfin , lorsque l'usage des cloches pour appeler les
fidèles à la prière se fut répandu, on disposa des clochers en forme de
tours carrées, percées de plusieurs étages de fenêtres cintrées, soit en
avant, soit au côté de la basilique, soit dans une position complètement
isolée de l'église. Grâce à ces modifications successives, on était arrivé,
tout en conservant les formes anciennes, à édifier des monuments im-
portants, nouveaux par leurs dispositions et susceptibles d'une riche
décoration. Celle-ci ne manqua point. Le marbre, le porphyre rouge,
le granit rose et gris, la serpentine verte, furent employés pour les
colonnes et les pavements ; les murs du sanctuaire et la voûte de l'ab-
side furent revêtus de mosaïques brillantes présentant sur un fond
d'or les images du Christ et des saints ; la charpente elle-même des
plafonds reçut des peintures et une décoration ou l'or jouait un rôle
important ; les matériaux les plus précieux enfin servirent à la con-
fection du mobilier installé dans le choeur et dans le sanctuaire. La plu-
part des édifices religieux de l'Occident de cette époque furent élevés
d'après ce type latin ; les plus importants et les mieux conservés sont
ceux de Rome même ; l'ancienne église de Saint-Pierre fut démolie au
sixième siècle, mais les basiliques de Saint-Paul -hors-les-murs , de
Sainte-Agnès, de Saint-Clément et un grand nombre d'autres, sont
debout encore. Les basiliques de Torcello et de Parenzo offrent des
dispositions analogues. Les édifices de Ravenne forment la transition
entre les basiliques latines et les églises byzantines. Des exceptions, en
Occident, sont Saint-Etienne-le-Rond , à Rome, qui a une nef circu-
laire entourée de plusieurs bas-côtés, et le dôme d'Aix-la-Chapelle, con-
struit beaucoup plus tard par Gharle magne et où déjà l'influence byzan-
tine se fait sentir dans la forme octogonale du plan et dans les détails
de l'architecture. Mais si, par la suite, l'architecture d'Orient s'ap-
propria certains détails du style byzantin, elle resta fidèle, en général,
à la forme de la basilique latine, et le plan polygonal ou circulaire, avec
une coupole centrale sur pendentifs, y resta toujours l'exception
(voy. Bunsen, Die Basil, des christ L Roms, Rome, 1843; Hûbsch, Die
altchristl. Kirchen, etc., Carlsruhe, 1863 ; F. A. Quast, Die altchristl . Bau-
werke zu Ravenna, Berlin, 1842 ; A.Lenoir, Archit. chrét. de l'Occident,
Revue d'archit., lre année, p. 257, Paris, 1840).
ARCHITECTURE 543
II. Style roman. La basilique latine, malgré les grands espaces qu'elle
offrait à la communauté chrétienne et la richesse de la décoration
qu'elle était susceptible de recevoir, avait un grave inconvénient : sa
couverture au moyen d'une charpente apparente mettait, en cas d'in-
cendie, toutes ces splendeurs à la merci des flammes. La plupart des
basiliques élevées par Constantin et ses successeurs furent à plusieurs
reprises la proie du feu et nécessitèrent des restaurations continuelles.
On dut donc chercher un moyen d'écarter complètement le bois de la
couverture des édifices destinés au culte ; la voûte seule pouvait le rem-
placer. Mais les traditions romaines de la construction au moyen de
voûtes s'étaient presque complètement perdues en Occident, et il fallut
de longs tâtonnements pour les retrouver et les adapter aux disposi-
tions nouvelles des basiliques. Du cinquième au dixième siècle , les
invasions des barbares avaient couvert de ruines le sol de l'Italie; les
Gaules, la Germanie, plongées encore dans la barbarie, commençaient
néanmoins à embrasser la religion nouvelle. Partout on voulut élever
des églises, et après avoir commencé par imiter les formes de la basi-
lique latine en les appropriant aux habitudes locales et aux matériaux
dont on pouvait disposer, on s'ingénia, par des moyens divers, à rem-
placer la couverture en bois par des voûtes solides mettant l'édifice
sacré à l'abri du feu du ciel et des incendies. Les premiers essais
furent malheureux ; dans le courant du dixième siècle d'ailleurs, cette
ardeur de construction fut enrayée et paralysée par la frayeur qui, à
rapproche de l'an 1000, s'empara des populations et leur fît attendre
la fin du monde. Lorsque cette échéance redoutée fut heureusement
franchie, la construction des églises prit partout un essor nouveau, et
le onzième et le douzième siècle virent s'élever dans tout l'Occident,
depuis les rives d'Espagne et de Sicile jusqu'en Ecosse et sur les côtes
de la Norvège, des édifices religieux en grand nombre. Un fait consi-
dérable favorisa leur érection et l'éclosion d'un style nouveau ; ce fut l'éta-
blissement de couvents nombreux et de nouveaux ordres religieux. Ces
couvents furent le refuge des hommes de science et de paix, et pen-
dant plusieurs siècles l'architecture redevint un art tout religieux, prati-
qué presque exclusivement par les moines et sous leurs ordres directs. Le
style nouveau qui résulta de ces efforts, et qui prit naissance vers le
dixième siècle, presqu'en môme temps, sur un grand nombre de points
tort éloignés les uns des autres, présente dans les différents pays où il fut
appliqué, des caractères bien divers, mais aussi certains traits com-
muns qui le distinguent du style latin qui venait de finir et du style
gothique qui allait commencer. Ces traits communs sont: l'affranchis-
sement complet des ordres romains avec leurs colonnes à proportions
ûxes <t leurs entablements à trois divisions; une tendance prononcée à
remplacer partout la toiture apparente par des voûtes; l'emploi à peu
près exclusif de l'an- plein-cintre pour les portes, les fenêtres, les arca-
des el les voûtes; des colonnes soit isolées, soit plus fréquemment
Réunies en piliers, aux bases munies de pattes ou griffes à leurs angles,
aux fûts sans proportions déterminées, tantôt trapus, tantôt élancés,
aux chapiteaux, non plus uniformes, mais variés de disposition et lus-
544 ARCHITECTURE
tories de figures diverses mêlées à des entrelacs et recevant directement
les retombées des arcades; des moulures robustes et une ornementa-
tion mêlée d'éléments byzantins et d'éléments locaux; la disposition
sous les corniches, à la place des frises antiques, de petites arcatures
sur corbeaux, consoles ou colonnettes légères, formant parfois des ga-
leries aveugles ou destinées à la circulation; l'emploi fréquent de l'al-
ternance dans la disposition des piliers et dans celle des matériaux;
enfin le plan en croix latine presque généralement adopté pour les
grandes églises. Des modifications importantes furent apportées, en
différentes contrées, au plan de la basilique latine. La nef transversale
ou transept, qui avait été une exception, devint la règle à peu près par-
tout; certaines églises en eurent même deux, l'un à l'orient et l'autre
à l'occident, ou tous les deux à l'orient, ce qui donna à l'église la forme
de la croix de Lorraine ; de plus les transepts eurent des saillies plus
ou moins accusées sur les nefs latérales et leurs murs extérieurs furent
percés de portes d'entrée. La nef centrale s'éleva généralement au-
dessus des nefs latérales, ou bas-côtés ; dans certaines régions cepen-
dant les trois nefs furent tenues à la même hauteur. Les galeries supé-
rieures, destinées aux femmes, furent souvent supprimées ou enlevées
au culte et remplacées par un simple triforiurn percé de jours éclairant
les combles des bas-côtés. Le chœur fut prolongé au delà du transept
et l'abside principale percée de fenêtres; deux autres absides, pour-
vues d'un autel, furent établies dans l'axe des bas-côtés; parfois aussi,
surtout au douzième siècle, les bas-côtés prolongés au delà des tran-
septs, firent le tour de l'abside principale et reçurent une couronne de
chapelles absidales rayonnantes, ou absidioles. Ailleurs il y eut deux
absides, l'une à l'orient, l'autre à l'occident, et les transepts eux-mêmes
reçurent souvent des chapelles en forme d'absides carrées ou semi-
circulaires. Enfin, tandis que dans certaines contrées, comrras en Italie,
les clochei^s et les baptistères continuèrent à être des édifices distincts
de l'église, placés à ses côtés ou devant elle, ils furent réunis ailleurs
au corps de l'église et soudés de plus en plus avec l'édifice principal.
Les clochers furent disposés d'ordinaire symétriquement dans les en-
coignures formées par les transepts et les murs prolongés des bas-
côtés cependant ils furent placés aussi sur la façade occidentale, dans
l'axe lorsqu'il n'y en avait qu'un, sur les premières travées des bas-
côtés lorsqu'ils étaient au nombre de deux; enfin un grand clocher
central de forme carrée ou polygonale s'éleva souvent à l'intersection
de la nef principale et du transept au-dessus d'une coupole, sur pen-
dentifs, construite selon le mode byzantin. Quant aux systèmes em-
ployés pour voûter les différentes parties de l'édifice, ils furent nom-
breux et très-divers. Tandis que dans certaines* contrées on couvrit la
nef principale d'une voûte en berceau continu, renforcée par des arcs-
doubleaux et contre-butée par des demi -berceaux établis suivies
nefs latérales, ailleurs on couvrit la nef unique d'une série de cou-
poles sur pendentifs ; cependant la forme qui prévalut presque par-
tout fut celle de la voûte d'arête, d'abord sans nervures et puis avec
des nervures. Plusieurs colonnes de la nef furent réunies en un
ARCHITECTURE 545
pilier <>t placées aux quatre angles d'un cawé , avec celles qui leur
luisaient l'ace de l'autre côté de la nef; des aies plein-cintre les réu-
nirent parallèlement et perpendiculairement à Taxe principal, puis
d'autres arcs furent bandés sur la diagonale du carré, de manière à se
couper au-dessus du centre, et l'espace compris entre ces six arcs fut
rempli par des voûtes triangulaires en maçonnerie plus légère. Tout
le poids de la voûte se trouva de la sorte reporté sur les portions des
murs latéraux élevées au-dessus des piliers, et il fallut renforcer ces murs
et les consolider au moyen de contreforts extérieurs, peu saillants en-
core. — Grâce à cette grande diversité dans les plans mêmes des édifices
et dans les systèmes employés pour les couvrir, grâce aussi aux dille-
rences résultant du climat et des matériaux employés, les églises de
style roman sont loin de présenter cette uniformité que Ton rencontre
dans les édifices antiques et même dans ceux de style byzantin et de la
période latine. La variété, tout au contraire, fut extrême et certaines
églises romanes du Midi sont plus éloignées des églises élevées sur les
bords de la Baltique, par exemple, que les temples égyptiens ne Té-
taient des temples grecs. Partout où un édifice religieux important fut
construit , il servit de type aux églises de moindre importance qui
s'élevèrent dans les environs, et une école particulière prit nais-
sance qui produisit un certain nombre de monuments présentant
les mêmes caractères. Voici les principales de ces écoles. En Italie :
V école lombarde qui a produit les dômes de Modène, de Parme, de
Plaisance, les églises Saint-Ambroise, à Milan, Saint-Zénon,à Vérone et
Saint-Michel, à Pavie, et qui se distingue par ses larges façades, ses chœurs
élevés au-dessus de vastes cryptes, ses porches à colonnes soutenues par
des lions et ses grands baptistères isolés de forme ronde ou polygonale
(voy. Osten. Mon. de la Lombardiè)\Y êcoU fiisaneqiù, outre le dôme, le
baptistère et le campanile de Pise, a élevé de nombreuses églises à
Lucques, Pise , Pistoja , Livourne, etc., et qui se rapproche plus que
toute autre de la forme latine, avec laquelle elle s'est bornée à combiner
certains éléments byzantins, tels que la coupole sur pendentifs et l'al-
ternance dans la couleur des assises (voy. Hohault de Fleury, Mon.
de Pise au moyen âge, Paris, 1866) ; Y école sicilienne, qui, dans la cathé-
drale de Monréalé et la chapelle palatine de Palerme, trahit des influen-
ces arabes en mêlant, à des colonnes corinthiennes et à des mosaïques
byzantines, Tare en ogive des mosquées du Caire et les voûtes en sta-
lactite des palais mauresques (voy. Hittorff et Zanth, Arch. mod.de la
Sicile, Paris, 1835). En France, Y école normande fut une des premières
à Be développer et à trouver promptement des dispositions heureuses;
ses églises sont voûtées en arête et ont généralement, outre les deux
clochers de la façade, terminés par des flèches massives, une grosse
tour sur la croisée, à l'intersection des nefs; les églises de TAbbaye-aux-
Hommes et de l'Abbaye-aux-Dames à Caen ont servi de types à la plu-
part des églises normandes (voy. Pugin, Ant. archit. de la Normandie,
Liège, 1855 : Y écok auvergnate, qui a (-levé Notre-Dame du Port àCler-
mont et a laquelle se rattache la grande église de Saint-Sernin à Tou-
louse, se distingue par ses voûtes eu berceau, ses vastes absides à
546 ARCHITECTURE
bas-côtés pourtournaiits et à chapelles rayonnantes, et l'emploi de maté-
riaux de couleurs variées dans Y ornementation des façades extérieures
(voy. Gailhabaud, Mon. anc. et mod., vol. II, Paris, 1865); Y école bour-
guignonne a construit les églises considérables des abbayes de Cluny et
de Vézelay et se fait remarquer par ses clochers nombreux, ses grands
porches, ses doubles transepts et la finesse de son ornementation
(voy. Yiollet-le-Duc, Dict. raisonné de 1'archit., vol. I,p. 258 ss., Paris,.
1867) ; Y école provençale, dont les œuvres principales sont les cathé-
drales d'Avignon et de Valence et l'église Saint-Trophime à Arles, se
reconnaît aux réminiscences romaines qui s'y rencontrent et qu'expli-
quent les nombreuses ruines d'édifices romains dont le sol de la Pro-
vence est encore couvert (voy. Kevoil, Arch. romane du midi de la
Finance , Paris, 1873); enfin Y école du Périgord, s'inspirant de Saint-
Front de Périgueux, a élevé, outre la cathédrale d'Angoulême, un cer-
tain nombre d'églises à coupoles byzantines, et se distingue par une or-
nementation fantastique répandue à profusion sur les façades (voy.
Verneilh, YArchit. byzanl. en France, Paris, 1852). En Allemagne la
grande école rhénane a couvert de ses dômes et de ses églises les deux rives-
du Rhin; les dômes de Mayence, Spire, Bonn, Worms, Bamberg, la belle
église de l'abbaye de Laach, les églises des Saints-Apôtres et de Sainte-
Marie-au-Capitole de Cologne présentent, presque toutes, deux absides,
deux coupoles centrales, de nombreuses tours élancées, des chapiteaux
cubiques et des arcatures à jour sous les corniches principales (voy.
Boisserée, Mon. d'archit. du septième au treizième siècle, dans les contrées
du Rhin inf., Munich et Stuttgart, 1842); Y école westphalienne, qui a
élevé les dômes de Sœst et de Paderborn, est remarquable par ses clo
chers massifs occupant toute la largeur de la façade occidentale, ses
basiliques couvertes en charpente et ses églises à trois nefs de largeur
et hauteur égales (voy. Lùbke, die mittelalt. Kunst in Westphalen);
Y école saxonne qui a conservé plus longtemps que toutes les autres les
traditions de la basilique latine, et dont les deux églises de Hildesheim sont
les monuments principaux (voy. Puttrich, Denkm.der Bauk.des Mittel.
in Sachsen) ; enfin Y école prussienne, qui se distingue par des formes
simples et l'emploi exclusif de la brique ou du granit (voy. F. Y. Quast,
zur Charakter. des ait. Ziegelbaues in der Mark Brandeburg , im gL
Kunstblatt, 1850). L'Angleterre se rattache directement à l'école nor-
mande; ses grandes cathédrales (Winchester, Ely, Norwich, Peterbo-
rough) ont de vastes cryptes et souvent des absides carrées (voy. Brit-
ton, Cathedral antiquities). Les Pays-Bas, la Suisse, l'Espagne se
rattachent également à l'une ou l'autre des écoles françaises, et l'Au-
triche enfin s'inspire tantôt des écoles allemandes, et tantôt des écoles
italiennes. Le nombre des édifices chrétiens élevés dans tout l'Occident
pendant la période romane est, on le voit, considérable et il en est
parmi eux qui, sous le rapport de l'heureuse disposition de toutes les
parties, de la majesté et de l'austérité de l'ensemble, peuvent passer
pour de véritables chefs-d'œuvre de l'art chrétien. Ils avaient toutefois
un défaut commun : ils étaient sombres. Les arcades plein-cintre et les
lourdes voûtes de leurs nefs exigeaient des murs épais, capables de
ARCHITECTURE 547
résister à leur poussée et percés, pour n'être point affaiblis, d'ouver-
tures peu Larges, oe laissant entrer que peu de jour dans L'intérieur de
L'église. Un nouveau progrès était doue possible et il devait être réalisé
dans la période suivante.
III. Style gothique. Ce qui frappe tout d'abord lorsqu'on com-
pare une église gothique à une église romane, c'est combien la pre-
mière est plus claire, plus élevée «pie la seconde. Plus de clarté, plus
d'élévation ! tel est bien Le but que semblent avoir poursuivi les con-
structeurs delà lin du douzième siècle, but bien conforme aux tendan-
ces d'une époque de foi puissante et agissante, d'une foi pressée du
besoin de s'affirmer, de s'étendre, de marcher à la conquête du monde,
dune foi qui, avec un enthousiasme fiévreux, entreprend les croisa-
des qui n'aboutirent point, et la construction d'innombrables cathé-
drales qui, la plupart, demeurèrent inachevées. Mais ce besoin de
clarté et d'élévation n'était pas le seul qui s'imposait aux architectes
d'alors; d'autres conditions avaient surgi qui les obligèrent à perfec-
tionner, à modifier en partie, les dispositions suivies jusqu'à ce joui*.
Pour bien apprécier ces conditions nouvelles, il faut se reporter à l'état
politique, social et religieux dans lequel se trouvait, à cette époque, le
pays qui vit naître et se développer rapidement le style d'architecture
nouveau. 11 est hors de contestation aujourd'hui que c'est l'Isle-de-
France qui est le berceau du style improprement appelé gothique (les
iiotlis y sont absolument étrangers), que les uns ont dénommé, bien à
tort, germanique, que d'autres appellent avec plus de raison ogival (du
nom de l'ogive qui y joue un rôle essentiel) et que Ton eût pu dési-
gner très-justement sous le nom de style français. En effet, tandis que
partout ailleurs les édifices de transition sont rares, clair-semés, et que
le style gothique apparaît subitement, comme une importation étran-
gère, on peut, en France, dans cette partie du domaine royal baignée
par la Seine, l'Oise, la Marne et leurs affluents, suivre sur de nom-
breux monuments les essais, les tâtonnements divers qui ont précédé
i'éclosion du style nouveau et les phases diverses qu'il a traversées
depuis l'époque de sa constitution définitive jusqu'à celle de sa déca-
dence. Or risle-de-Frarice, dans la seconde moitié du douzième siè-
cle, était travaillée par un mouvement social considérable; la féoda-
lité militaire et monastique était battue en brèche parla royauté et le
clergé régulier , aidés dans cette œuvre par la bourgeoisie naissante ;
les trilles, en s'agrandissant, s'affranchissaient de la domination du
château el de L'abbaye, la nationalité française se constituait. Profon-
dément religieuses, pénétrées d'une foi naïve et exaltée, ces popula-
tions urbaines, au fur et à mesure qu'elles se groupaient, sentirent le
besoin de mettre leur cité et leurs franchises nouvelles sous la protec-
tion de Dieu et d'élever des monuments qui fussent à la foisdes témoi-
gnages visibles de leurs croyances spirituelles et la marque de leur
affranchissement temporel. De là cette quantité considérable d'églises
cathédrales qui lurent fondées, à la fois, sur tous les points (fu domaine
royal, et qui. de même que les basiliques autrefois, n'étaient pas des-
tinées seulement à la célébration des offices divins, mais devaient servir
548 ARCHITECTURE
en môme temps de lieux de réunion pour de grandes assemblées poli-
tiques et judiciaires. Les évêques encouragèrent ce mouvement qui
allait enlever aux abbayes, pour la leur donner à eux, la direction
spirituelle des masses urbaines. Pour élever les édifices nouveaux, ils
prirent leurs architectes non dans les confrérie? ou ordres religieux,
où ils se recrutaient presque exclusivement pendant la période romane,
mais parmi cette population laïque qui se montrait si empressée à
donner ses trésors et ses bras pour l'édification de ces églises et qui,
plus d'une fois, se porta tout entière sur les chantiers des cathédrales,
naissantes, pour aider de ses mains à construire la maison de Dieu.
Aussi, pour la|première fois dans l'histoire de l'architecture chrétienne,
voit-on apparaître les noms de quelques-uns de ceux qui, sous la direc-
tion des évêques, ont construit ces grandes églises vraiment populai-
res : Robert de Luzarches à Amiens, Pierre de Montereau à Paris.
Erwin de Steinbach à Strasbourg, Etienne de Bonneuil à Upsal, etc.
La tâche de ces artistes était considérable. 11 s'agissait d'édifier des
nefs déplus en plus vastes pour les fidèles, de. donner plus de dé-
veloppement encore au chœur, afin qu'il pût contenir le clergé tou-
jours plus nombreux, depuis les évêques jusqu'aux curés et aux desser-
vants; outre l'autel principal, il fallait disposer des autels secondaires pour
la Vierge et pour les saints, dont le culte allait croissant à mesure que
leur nombre augmentait ; il était de plus nécessaire de ménager des
moyens de communication faciles entre toutes les parties de l'édifice
afin de permettre à la foule des fidèles de circuler partout et de se
porter à ses autels de prédilection; il fallait enfin éclairer d'une lumière
abondante toutes les parties de l'église et imprimera l'ensemble du
monument ce caractère d'aspiration vers le ciel, de détachement des
choses de la terre, qui était le trait dominant de la foi de cette époque.
Les architectes français de la fin du douzième siècle se montrèrent à la
hauteur de leur tâche. La disposition en longueur de la basilique fut
en général conservée, ainsi que la forme de la croix latine qui toutefois
n'apparut plus que dans le tracé des hautes nefs. La nef centrale, les
transepts et le chœur eurent une largeur égale et furent élevés à la
même hauteur et éclairés toujours par des jours directs; la crypte sous le
chœur fut définitivement supprimée et quelques marches seulement éle-
vèrent le sanctuaire au-dessus du reste de l'édifice; uneou deux rangées de
bas-côtés ou nefs latérales accompagnèrent le vaisseau principal et pour-
tournërent parfois les transepts, presque toujours le chœur, qui se
terminait par un polygone de trois, cinq ou sept côtés; sur ces bas-
côtés s'ouvraient des chapelles latérales et, correspondant aux travées
de l'abside, des chapelles rayonnantes, où trouvèrent place les autels
secondaires ; une chapelle principale, placée dans le grand axe de l'édi-
fice, derrière le maître-autel, fut consacrée à la Vierge; des tombeaux,
des épitaphes garnirent les murs latéraux de ces chapelles ; la chaire
fut placée contre l'un des piliers de la nef, sur le côté, vers les tran-
septs ; le siège épiscopal et les stalles du clergé furent disposés sur les
côtés du chœur, formé par le prolongement de la nef au delà des tran-
septs, et en avant du maître-autel ; un buffet d'orgues pour accompa-
ARCHITECTURE 549
gner le chant fut dressé sur une tribune disposée soit au-dessus de
l'entrée principale, soit transversalement à l'entrée du chœur (et appelée
dans ce cas jubé); les cloches turent installées dans deux grandes tours,
disposées symétriquement sur les premières travées des bas-côtés, de
manière à encadrer la façade occidentale; des tours semblables accom-
pagnèrent parfois la façade des transepts ; la grande tour centrale qui,
dans beaucoup d'églises romanes, était placée à l'intersection des nefs,
fut en général supprimée et remplacée par une flèche légère en char-
pente. Toutes les parties de l'édifice étaient voûtées suivant le principe
que l'on avait commencé à appliquer déjà à la lin delà période romane,
c'est-à-dire de façon à reporter au moyen d'arcs diagonaux tout le
poids des voûtes sur les piliers et sur les points correspondants des
murs latéraux, que Ton fortifia au moyen de contreforts extérieurs de
plus en plus saillants. L'arc en ogive, formé dedeux segmentsde cercle
se coupant à angle aigu, servit de base à toutes ces voûtes et fut bientôt
exclusivement employé. Il avait le grand avantage de permettre de
poser des voûtes d'arête, non -seulement sur des espaces carrés ou
à côtés sensiblement égaux , comme pendant la période romane,
mais aussi sur des travées rectangulaires à côtés inégaux ; il suffisait
pour cela de rendre plus aigus les arcs jetés sur les petits côtés
de manière à ce que le point d'intersection de leur ogive arrivât sen-
siblement à la même hauteur que celui des arcs des grands côtés.
L'arc en ogive avait cet autre avantage de posséder, par sa construc-
tion même, une force de portée beaucoup plus considérable tout en exi-
geant des dimensions beaucoup plus faibles, et par suite des points
d'appui plus légers. Tout le poids des voûtes supérieures se trouvant
ainsi, grâce à l'ogive, diminué et complètement reporté sur les piliers
intérieurs et sur les contreforts extérieurs, reliés à eux par des arcs-
boutants, il devenait possible de réduire les dimensions des piliers et
d'ouvrir largement les murs latéraux de la nef et des bas-côtés. Les
fenêtres devinrent promptement si grandes qu'il fallut les diviser par
des menaux verticaux, réunis dans le haut par des ogives et des rosa-
ces; de grandes rosaces pareillement subdivisées furent posées dans les
pignons des façades, au-dessus des portails d'entrée. La lumière
devint alors si vive qu'il fallut en atténuer l'éclat, et la peinture sur
verre vint justeà point pour tamiser cette clarté trop abondante. Bientôt
ces vitraux sur Lesquels l'art des peintres verriers retraça- l'histoire
du Christ et la vie des saints, devinrent l'un des ornements les plus
importants de l'église. La sculpture d'ailleurs ne resta pas en ar-
rière rt seconda merveilleusement l'architecture et la peinture. Elle
dressa d< -s statues sur les montants des grands portails, sous les ogives
des galeries, dans les tabernacles dont on orna les contreforts; elle
couvrit de bas-reliefs symboliques les tympans et les voussures des
port.-, les clôtures des chapelles et du chœur; renonçant complètement
aux éléments empruntés à l'ornementation antique ou byzantine, elle
s'attacha à reproduire les types de la flore indigène et recouvrit de ses
crochets, de ses feuilles enroulées, de ses trèfles et de ses fleurons, non-
seulement les corbeilles des chapiteaux et les grandes moulures des
550 ARCHITECTURE
frises et des corniches , niais les rampants des pignons et les gables
aigus que Ton éleva au-dessus des portes et des fenêtres et jusqu'aux
pinacles et clochetons qui terminèrent les contreforts, auxquels ils ser-
virent à la fois de décoration et d'amortissement. Il n'y eut plus
bientôt une seule surface de l'édifice qui ne fût refouillée, travaillée par
la main de l'artiste et obligée de concourir au but commun : la glori-
fication de la foi. — Né vers la fin du douzième siècle, le style nouveau
se développa pendant le cours du treizième siècle, et au commencement
du siècle suivant déjà il avait atteint son apogée ; l'art chrétien avait
trouvé une expression nouvelle et complète, dépouillée cette fois de
tout emprunt païen et répondant parfaitement, comme disposition et
comme forme, aux besoins religieux de l'époque. Dédain du corps et
aspiration de l'àme vers le ciel , telle était la devise delà foi d'alors ;
sacrifice des formes extérieures au bénéfice de l'effet intérieur et ten-
dance à l'élévation donnée à toutes les parties tant extérieures qu'in-
térieures del'édifice,c'est à-dire prédominance des lignes verticales surles
horizontales, tel est aussi le principe fondamental de l'architecture reli-
gieuse du treizième au quinzième siècle. La grandeur même de l'idéal qui
inspira ses œuvres fut cause de sa prompte décadence. A force de vouloir
toujours subordonner la matière à l'idée et escalader le ciel, on finit
par tenter l'impossible; on n'étudia les règles de la construction que
pour les tourner ou les braver, les propriétés des matériaux que pour
essayer jusqu'à quelle limite on pouvait les dompter ; on voulut avant
tout frapper les imaginations, éblouir, émouvoir les âmes; on créa des
difficultés pour le plaisir de les vaincre, et l'artifice remplaça l'art véri-
table. La sculpture, d'ascétique, devint grimaçante, l'ornementation,
de légère, puérile; les voûtes trop audacieuses s'écroulèrent, les
piliers trop réduits s'écrasèrent, les flèches trop élancées furent ren-
versées par le vent ou frappées par la foudre. Dès la fin du quin-
zième siècle la décadence était générale, et dans le cours du siècle
suivant le style gothique fut abandonné presque partout, après avoir
régné en maître pendant trois siècles dans toute la chrétienté et
l'avoir couverte de monuments en partie admirables, mais la plupart
inachevés.* — Les caractères des édifices gothiques sont sensiblement les
mêmes dans les différents pays où ce style a été adopté ; aussi la dis-
tinction par écoles y est-elle beaucoup moins facile que pour la période
romane. Au lieu de la division par régions on a adopté, pour la classi-
fication des églises gothiques, la division par époques correspondant
aux périodes de formation, d'apogée et de décadence du style; on dis-
tingue ainsi trois époques principales ';. 1° le gothique primaire ou à lan-
cette (de la fin du douzième au commencement du quatorzième siècle),
auquel on doit les cathédrales de Paris, Reims, Amiens, etc.; 2° le go-
thique secondaire ou rayonnant (quatorzième siècle), dont les œuvres
principales sont les cathédrales de Strasbourg et de Cologne; 3° le gothi-
que tertiaire ou flamboyant (quinzième siècle), qui a élevé la cathédrale
et l'église Saint-Ouen à Rouen. Parti de l'Ile-de-France, le style gothi-
que s'est répandu avec une rapidité surprenante dans toute la France
(cath. de Rordeaux, de Lyon, de Narbonne, etc.), en Espagne (cath.
ARCHITECTURE 55J
<le Burgos, de Tolèdei de Séville, etc...), inais surtout en Allemagne
(cath. de Vienne, d'Ulm, d'Halberstadt, églises de Nuremberg, etc...),
et en Angleterre (cath. d'York, de Liehfield, d'Ely, abbaye de West-
minster, etc.). L'Italie (dômes de Sienne, d'Orvieto, de Milan) n'en a
adopté les formes et le principe qu'avec répugnance et y a mêlé fré-
quemment des réminiscences antiques ou romanes. C'est d'elle que
•devait partir le mouvement qui détrôna le style gothique, pour le rem-
placer par une nouvelle et dernière formelle l'art chrétien (voy. Yiollet-
ie-Dtic , Diction, de F architecture , I, p. 106, Paris, 1807; F. Kugler,
Gesch. dcrgothischr/i Baukunst, Stuttgart, 1859; Pugin, Exemples of go-
thic archit., London, 1838, etc.).
IV. Style <ie la Renaissance. L'Italie, même dans les édifices où elle
semblait adopter le plus franchement le style gothique, n'avait jamais
•entièrement renoncé à l'arc plein-cintre. Il apparaît avec persistance
dans les monuments italiens de la fin du quatorzième siècle, accompa-
gné déjà de réminiscences antiques très-caractérisées ; dans le cours
du quinzième siècle, la réaction contre l'architecture ogivale prend le
dessus et l'arc brisé est définitivement écarté. Cette révolution en archi-
tecture avait été précédée et préparée par une révolution dans les
lettres et dans les sciences : on s'était jeté avec un goût marqué dans
l'étude de l'antiquité, de sa littérature, de sa mythologie, de ses monu-
ments, et l'on se prenait d'enthousiasme pour les chefs-d'œuvre qu'elle
avait produits; on était las du spiritualisme exagéré du moyen-âge et
on revint à apprécier les formes extérieures des choses indépendam-
ment du beau idéal. A côté de ce retour vers le passé, on avait le senti-
ment très-vif que bien des choses étaient à changer dans l'état social
et religieux du présent: un esprit de rénovation et de réforme souillait
aussi bien sur les artistes que sur les savants et les théologiens. La foi
religieuse du grand nombre allait d'ailleurs en diminuant d'intensité,
a mesure que les mœurs de la noblesse et du clergé allaient se perver-
tissant ; la religion devenait de plus en plus affaire de pratiques exté-
rieures, de cérémonies toutes matérielles que l'on s'attachait à rendre
aussi imposantes, aussi pompeuses que possible. A un pareil relâche-
ment dans les mœurs et les croyances religieuses, joint à un esprit de
libre recherche et de réaction contre les pratiques de l'ascétisme et de
la superstition, devait correspondre une transformation dans l'archi-
tecture. Les dispositions générales des édifices religieux ne furent guère
modifiées; toutefois on revint avec prédilection vers le plan en forme
de crois grecque, avec une grande coupole sur la partie centrale, et on
supprima, surtout en Italie, les clochers et, par suite, la tendance ver-
tical.' des façades extérieures de l'éditice. Les voûtes en arête furent
( onservées, mais on les surbaissa et on les couvrit de culs-de-lampe et
d.- pendentifs; la voûte en berceau continu reparut et on la divisa
eu compartiments réguliers ornés de rosaces et de sculptures diverses ;
la voûte eu coupole enfin l'ut péri' ectionnée en ce sens (pour la première
fois par Brunelleschi à Florence) que pour les grands dômes, ou super-
posa deux coupoles dont l'une terminait l'édifice intérieurement et dont
l'autre tout en abritant la première, donnait à la partie centrale une
552 ARCHITECTURE
silhouette extérieure plus belle et plus élancée. Mais c'est dans les for-
mes générales et dans les détails de la décoration que le changement fut
le plus profond. On revint franchement aux ordres antiques, avec leurs
colonnes à proportions fixes et leurs entablements, aux frontons bas,
aux feuilles d'acanthe et à une ornementation toute conventionnelle.
Malheureusement, au lieu de puiser l'inspiration aux sources de l'art,
en Grèce, on la chercha dans les monuments de l'architecture romaine,
que l'on avait sous les yeux et qui trop souvent étaient des œuvres de
décadence et de mauvais goût; c'est ainsi que l'on emprunta à cer-
tains édifices du Bas-Empire les frontons courbes ou brisés, dont la
Renaissance devait faire par la suite un si fâcheux abus. Par contre,
l'ornementation fut en général d'un goût délicat et la sculpture couvrit
toutes les surfaces lisses des pilastres, des frises et des voûtes, d'une
profusion d'arabesques où des rinceaux de fleurs, des guirlandes de
fruits s'enroulent ingénieusement autour de gracieux candélabres ou
de vases finement profilés, entremêlés d'emblèmes chrétiens et mytho-
logiques, de têtes humaines, de génies ailés, moitié anges, moitié
amours, et d'animaux fantastiques. La peinture enfin vint couvrir de
ses fresques éclatantes les grands pleins de l'architecture et contribuer
puissamment à la rénovation du goût artistique. — Le quinzième et le
commencement du seizième siècle virent s'élever, à Rome et dans
toute l'Italie, un nombre considérable d'églises conçues dans le style
nouveau (voy. Letarouilly, Edif. deRomeynoderne, Paris, 1857;J.Burck-
ckhardt, Gesch. der Renaissance in Italien, Stuttgart, 1868). Construits
avec un grand luxe de matériaux et d'après les dessins d'artistes tels
que Bramante, Raphaël, Michel-Ange, Palladio, Serlio, etc., ces édifices
purent éblouir et charmer les yeux et donner satisfaction d'ailleurs à la
religion tout extérieure de l'époque, mais ils n'en présentent pas moins
des contradictions flagrantes, provenant de combinaisons malheureuses
de l'art antique et des traditions chrétiennes, et de l'absence de cet
accord intime et parfait entre les nécessités constructives et la décora-
tion extérieure, qui est une des conditions essentielles d'un art élevé
et complet. Le style de la Renaissance atteignit son apogée en Italie,
avec le dôme de Saint-Pierre à Rome. Il passa dans le courant du
seizième siècle en France (église Saint-Eustache à Paris ; abside de
Saint-Pierre à Caen), en Allemagne (église de Wolfenbùttel) et dans
les autres pays de l'Europe. Il eut, en général, dans chacun de ces
pays, un caractère particulier résultant de son mélange avec les formes
et les détails du style ogival, qui l'avait précédé, et subit d'ailleurs les
influences locales les plus diverses. En dehors de l'Italie, on éleva en
somme, avant le dix-septième siècle, peu d'églises et ce fut l'architec-
ture civile surtout qui s'empara et profita du style nouveau ; celui-ci
créa toutefois un grand nombre d'objets mobiliers, autels, chaires,
stalles, fonts baptismaux, buffets d'orgues, etc., qui sont des chefs-
d'œuvre de grâce et de finesse. Avec le dix-septième siècle la Renais-
sance italienne, strictement classique, s'introduisit presque en tous pays
et l'on éleva partout des imitations de Saint-Pierre de Rome ; à Paris,
le dôme des Invalides et l'église du Val-de-Grâce ; à Londres, l'église
ARCHITECTURE 553
Saint-Paul; à Vienne, L'église Saint-Charles-Borromée. En même temps
une uouvelle révolution s'opérait en Italie ; Tordre des jésuites s'emparait
du style de la Renaissance, le dépouillait de sa grâce et de sa richesse
et le transformait en une architecture lourde, sèche, pauvre et pom-
peuse tout ensemble, à laquelle on donna le nom de style des jésuites
et qui lit, à la suite de cet ordre, le tour de l'Europe.
V. Le dix-neuvième siècle a inauguré dans le domaine de l'architec-
ture chrétienne, de même que dans celui des sciences, des lettres et
de l'art en général, une ère nouvelle, ère de recherches, de critiques,
de restaurations, de découvertes incessantes. Pour la première fois
depuis (jue les hommes bâtissent, depuis qu'ils élèvent des temples
à la Divinité, on a repris et l'on fait revivre, non-seulement l'une des
formes de l'art employées précédemment, comme à l'époque de la
Renaissance, mais toutes ces formes à la fois. On a étudié patiemment,
consciencieusement, l'architecture de tous les peuples, dans tous les
temps, et tandis que les uns relevaient avec un soin minutieux les tem-
ples de l'Egypte, de la Grèce et de Rome, d'autres exploraient avec
passion les cathédrales du moyen âge pour découvrir les règles et les
principes qui avaient présidé à leur construction. Puis, ces études faites,
l'on a construit des monuments religieux dans tous les styles connus,
chrétiens et non chrétiens. C'est ainsi que Paris a vu s'élever, dans ce
siècle, des églises de style gréco-romain (la Madeleine), latin (Saint- Vin-
cent-de-Paul), byzantin (l'église russe), roman (Saint-Ambroise), gothi-
que (Sainte-Clotilde) et de la Renaissance (la Trinité). Le caractère
essentiel de l'architecture religieuse contemporaine est donc l'éclectisme.
Ce caractère vraiment nouveau dans l'histoire de l'architecture est-il
l'indice que le cycle des inventions en matière d'architecture est épuisé,
et que l'humanité ne construira plus désormais que d'après l'un des
types consacrés par les traditions successives, ou n'est-il que le trait
précurseur d'une période de préparation, d'élaboration d'un style nou-
veau? L'avenir seul pourra donner une réponse à cette question. La
Réformation et l'extension du protestantisme, il faut le dire en termi-
nant cette étude, n'ont eu jusqu'à ce jour d'autre influence sur l'archi-
tecture chrétienne que d'en entraver le développement. Les premiers
protestants, de même que les premiers chrétiens, furent trop absorbés
par les luttes qu'ils eurent à soutenir pour leur foi, pour attacher une
grande importance à la bonne disposition des localités dans lesquelles
ils célébrèrent leur culte. Là où ils étaient les maîtres, ils s'installèrent
tant bien que mal (plutôt mal que bien) dans les églises catholiques, se
bornant à supprimer les ornements et emblèmes en contradiction avec
leurs croyances ou qui étaient de nature à les choquer; toutefois, ils
déplacèrent, partout où la chose était possible, la chaire pour la mettre
à l'endroit de l'église où le prédicateur fût le mieux vu et entendu par
les fidèles. Lorsqu'ils eurent à élever des églises nouvelles, ils les liront
en général simples et sévères, s'en tenant aux dispositions en usage
pour les églises catholiques, en se bornant à diminuer l'emplacement
réservé dans celles-ci au chœur. On a reproché avec quelque raison au
protestantisme de s'être emparé des formes de la religion qu'il venait
i. 36
554 ARCHITECÏ URE
combattre et de l'art que le catholicisme avait su créer et développer à
son image, et, partant de là, on a accusé le protestantisme d'impuis-
sance ou de dédain en matière d'art. Il n'est que juste cependant de
faire remarquer que le protestantisme, au début, n'entendait point
renverser le catholicisme, mais simplement le réformer; qu'il combat-
tait, non la tradition de l'Eglise catholique en elle-même, mais les abus
qui s'y étaient introduits peu à peu, et que s'il prêcha avec conviction
un retour vers les croyances et les pratiques du christianisme de l'Eglise
primitive, il n'a jamais entendu répudier ce que l'Eglise chrétienne a
produit de grand et d'élevé depuis sa fondation jusqu'à l'époque de la
Réformation. Le temps a fait défaut, d'ailleurs, au protestantisme pour
donner la mesure de son génie créateur dans le domaine de l'architec-
ture religieuse; trois siècles, dont deux de luttes et de persécutions,
sont peu de chose pour l'invention d'un style nouveau. Ce n'est qu'après
quatre siècles de tâtonnements que les chrétiens ont élevé leurs pre-
mières basiliques, bien imparfaites encore au point de vue de l'art; les
architectes des périodes romane et ogivale ont procédé par le dévelop-
pement lent et progressif des formes traditionnelles ; la Renaissance
enfin n'a fait que reprendre et rajeunir des éléments empruntés à l'anti-
quité païenne. Des essais divers ont été tentés au siècle dernier, mais
surtout de nos jours, pour donner aux temples protestants des formes
et des dispositions répondant parfaitement au caractère et aux exigences
du culte protestant. L'un des premiers et des plus célèbres est celui
réalisé au commencement du dix-septième siècle par Jacques de Brosse,
artiste distingué et zélé protestant, dans son temple de Gharenton. Ce
temple devait avoir le plan des basiliques antiques et les formes de
l'architecture classique la plus sévère; il a été détruit après la révoca-
tion de l'édit de Nantes, et Jacques de Brosse n'a guère trouvé, depuis,
d'imitateurs ; les dessins imparfaits (fui en ont été conservés ne permettent
pas, d'ailleurs, de juger de la valeur artistique de son œuvre. Les
grandes guerres de la fin du siècle dernier et des premières années du
dix-neuvième siècle n'ont pas été favorables à la construction d'églises
nouvelles ; mais depuis le milieu de ce siècle, il se fait un travail con-
sidérable dans ce sens. Un certain nombre de temples protestants ont
été élevés; la plupart, il est vrai, de dimensions restreintes. Presque
tous les architectes chargés de les édifier ont adopté le style gothique
ou celui de la Renaissance et la disposition, légèrement modifiée, des
églises catholiques à trois nefs ; on a simplement diminué ou supprimé
complètement le chœur, rétabli et agrandi les tribunes et transporté la
chaire à l'extrémité de la nef centrale, soit dans l'axe principal du
temple, derrière l'autel, soit de côté à sa proximité. Cette disposition,
convenable pour des églises peu considérables, devient fâcheuse pour
des temples d'une certaine grandeur ; les fidèles, placés à l'extrémité
d'une longue nef, n'entendent que très-imparfaitement la voix du pré-
dicateur parlant à l'autre bout, et la moitié des auditeurs assis dans les
bas-côtés ou sur les tribunes ne peuvent ni voir ni entendre convena-
blement le pasteur, caché à leurs yeux par les colonnes ou piliers qui
divisent les nefs et soutiennent les tribunes et les voûtes hautes. Or,
ARCHITECTURE — ARCHIVES 555
s'il est une condition essentielle d'une bonne disposition d'un temple
protestant, c'est assurément celle-ci : que tous les iidèles puissent voir
et entendre commodément le pasteur qui lit et interprète la Bible. Cette
condition n'est qu'imparfaitement remplie dans les temples de Mul-
house et de Bàle (de style gothique) et ne le sera guère mieux sansdoute
dans Le Temple-Neuf de Strasbourg, que Fonachève en ce moment (1870)
sur remplacement de l'ancienne église des Dominicains, et qui devra
contenir environ deux mille fidèles. Dans le concours qui a eu lieu à
Strasbourg, à l'occasion de cette reconstruction, et dans celui plus
important qui a été ouvert à Berlin, en 1869, pour l'érection d'un
dôme protestant, quelques idées nouvelles se sont produites. La dispo-
sition centrale (celle d'une nef circulaire, carrée ou polygonale, voûtée
en coupole et accompagnée de tribunes pratiquées dans des absides ou
bras peu profonds correspondant aux côtés du polygone) a trouvé un
grand nombre d'adeptes, qui l'ont revêtue de formes soit romane-
byzantines, soit ogivales, soit de la Renaissance. Quelques-uns des con-
currents enfin, pour grouper encore davantage les fidèles autour de
leur pasteur, ont adopté une disposition rappelant celle des salles de
cours ou de concerts. Ce n'est pas le lieu ici de discuter laquelle de ces
dispositions est la plus convenable aux temples protestants, ni, en géné-
ral, si une disposition-type a chance d'être adoptée par le protestan-
tisme, pas plus que de rechercher si une forme. d'architecture nouvelle
pourra être inventée encore. Il convient seulement de rappeler que la
condition première et indispensable pour l'éclosion et le développe-
ment d'un style d'architecture vraiment original est la formation d'un
grand courant d'idées et de besoins communs. Si l'architecture chré-
tienne doit produire un jour de nouveaux chefs-d'œuvre capables de
rivaliser avec ceux du passé et de les surpasser, il faut que les com-
munautés chrétiennes sortent de l'état de dispersion et de division
où elles se trouvent aujourd'hui, et qu'unies dans une même aspira-
tion, entraînées par une foi et une ardeur égales, elles marchent de
nouveau ensemble vers un but commun. (Ouvrages à consulter : Rey-
naud, Traité d'archit., 2e vol., p. 171, Paris, 1867; Bourassé, Arçhéol.
ch?-é tienne, Tours; Lùbke, Gesch. der A rchit., Leipzig, 1870; Hope, Hist.
de rarckit., trad. de l'anglais par Baron, Paris, 1839, etc.).
Emile Lichtenbebgeb.
ARCHIVES. Dès les temps les plus anciens, les églises et les abbayes
avaient un lieu spécial pour y conserver les titres et chartes, les régis-
des ordinations, des provisions, des collations ou autres actes
émanés des evêques ou de leurs vicaires. Dans l'Eglise grecque, le
conservateur des archives s'appelait 6 7a?xo?yXa; : c'était d'ordinaire
un docteur en droit canon qui, sous l'autorité de l'évêque, exerçait en
même temps les fonctions de juge. Varchivarius, dans l'Eglise latine,
pouvait aussi cumuler d'autres charges avec la garde des documents.
I..' concile de Rouen, en 1881, et une bulle de. Sixte V de 1587 ordon-
n. mil formellement la création d'archives partout où il n'en existe pas.
ARGHONTIQUES, nom d'une secte gnostique qui, sous le règne
d'Antonin le Pieux, s.- détache de la branche des valentiniens. D'après
556 ÀRCHONTIQUES — ARGENTINE
Epipliane (Hœres.,bO) et saint Ausgustin (Hseres., 20), ils enseignaient que
le monde forme une « symphonie », composée de sept cieux dont cha-
cun est gouverné par un créateur particulier qu'ils appelaient archonte
(àp70jv) et dont la mère commune est Photine, la lumière incréée.
L'archonte du ciel inférieur, Zabaoth, le créateur de la terre, a donné
naissance au Diable qui est le Dieu des Juifs et qui lui-même, dans un
commerce incestueux avec Eve, a engendré Caïn et Abel, embrasés
l'un contre l'autre d'une violente jalousie à cause de leur coupable
amour pour leur sœur. Seth, le seul fils légitime d'Adam, fut enlevé
par la Sophia céleste et ses anges et, après avoir séjourné pendant
quelque temps dans le monde supérieur pour n'être pas tué, revint
sur la terre, refusant l'adoration à Zabaoth, son créateur, et ne servant
que la Sophia et le souverain Dieu bon. Seth et ses sept fils ont rédigé
des livres (âiroxaXu^eiç) que les archontiques prétendaient posséder et
d'après lesquels ils réglaient leurs croyances et leur culte. Ils rejetaient
les sacrements et niaient la résurrection, les puissances célestes ayant
besoin des âmes pour leur nourriture ; ils aspergeaient les cadavres
d'eau et d'huile, ce qui les faisait tout aussitôt disparaître (voy. Baur,
Diechristl. Gnosis, p. 201).
ARÉTAS, nom commun à plusieurs rois de l'Arabie Pétrée. La Bible
en mentionne deux, le premier contemporain du grand prêtre Ja-
son et du roi Antiockus Epipliane (2 Machab. V, 8) ; le second,
gendre du roi Hérode Antipater. Celui-ci, ayant gravement offensé le
roi d'Arabie en répudiant sa fille pour épouser Hérodias, sa belle-
sœur, Arétas lui déclara la guerre et le défit complètement. Hérode
ayant mandé cet événement malheureux à Rome, Vitellius, gouverneur
de la Syrie, reçut l'ordre de marcher contre le prince arabe pour le
châtier. Mais Vitellius ayant été rappelé à Rome par la mort de l'em-
pereur Othon (an 37), Arétas profita de l'inaction de ses troupes pour
occuper momentanément Damas et imposer un gouverneur à cette
riche ville de commerce (2 Cor. XI, 32; Josèphe, Antiq., XVIII, 5, 1-3).
ARGENS (Jean-Baptiste de Boyer, marquis d') naquit en 1704, à
Aix, en Provence ; après une jeunesse dissipée, il se rendit en Hollande,
où il publia des écrits irréligieux, Lettres juives, chinoises, cabalisti-
ques, Philosophie du bon sens. Frédéric II le nomma chambellan et
directeur de son académie. Accablé d'infirmités, il se retira en Provence
où il mourut en 1771. Ses livres, qui jouirent d'une vogue momenta-
née, n'offrent plus d'intérêt; ce sont des romans d'une moralité à
peine équivoque ou de prétendus traités philosophiques qui plaident
avec une prolixité aimable et une érudition hâtive la cause du maté-
rialisme.
ARGENTINE (République) (Statistique ecclésiastique). La Républi-
que Argentine ou de la Plata se compose de quatorze provinces et de
quatre territoires. La population en est, d'après le recensement de
1869, de 1,531,359 habitants. Colonisées par les Espagnols, ces vastes
régions firent longtemps partie de la vice-royauté du Pérou et formè-
rent, à partir de 1776, celle de Buenos- Ayres. En 1810, elles se révol-
tèrent contre leur métropole et en 1816 proclamèrent leur indépen-
ARGENTINE — ARGOVIE 557
dance. Des luttes sanglantes signalèrent longtemps son existence.
Maîtres tour à tour, les unitaires et les fédéralistes se succédaient au
pouvoir et modifiaient d'après leurs idées la constitution du pays. Le
président Rosas, à la tête desiiauchos, population sauvage des Pampas,
y domina longtemps. Après sa chute en 1832, l'Etat se divisa en deux,
et Buenos-Ayres se sépara de la Plata; l'unité a été rétablie en 1859.
C'est un des pays du monde où l'émigration est la plus considérable.
Les Italiens surtout s'y portent en grand nombre. Il n'y a pas moins
de 221,993 étrangers dans le pays, et dans le nombre beaucoup de
protestants. 11 n'existe malheureusement pas de chiffres à cet égard.
Mais d'après la nationalité de tous ces étrangers, on voit que les pro-
testants doivent être au bas mot 50 à 60,000. Quelques pasteurs anglo-
américains et allemands desservent les communautés. Quant aux catho-
liques, ils sont répartis dans cinq diocèses, l'archevêché de Buenos-Ayres
(érigé en 1582 comme évêché, archevêché le 4 mars 1866) et les évê-
ches de Parana (1859), de Cordova (1570), de Cuya (13 octobre 1834) et
de Salta (23 mars 1806). La constitution a accordé, en 1825, la tolérance
à tous les cultes; en 1834, une loi autorisa les mariages mixtes, en
décrétant que tous les enfants qui en naîtraient seraient catholiques.
L'Etat s'empara des dimes du clergé et les consacra en partie au salaire
des prêtres, en partie à l'entretien des écoles et des établissements
de bienfaisance. Les couvents ont été supprimés; on ne laissa sub-
sister qu'une maison de franciscains et deux couvents de femmes.
Depuis lors, on a laissé revenir les dominicaines. Le budget des cultes
pour 1874-1875 est de 239,924 pesos fuertos (1,223,612 fr.). Chaque*
province a de plus ses dépenses particulières pour les cultes. La seule
pour laquelle nous ayons un chiffre, est celle de Buenos-Ayres, qui
consacra à cet objet, dans son budget de 1874, 839,000 pesos moneda
corriente (4,295,680 fr.). — Bibliographie : Ahnanach de Gotha, années
1834 à 1876; The Stalesman, yearbook 1876; P. Gams, Séries episcopo-
rii m, etc. E. Vaucher.
ARG0B. Voyez Hauran.
ARGOVIE {Histoire religieuse et statistique). L'Argovie a formé jusqu'en
1415 une partie des Etats du duc d'Autriche. Le duc Frédéric ayant été alors
mis au ban de l'Empire, les cantons suisses furent chargés de l'exécution.
Berne s'empara d'une portion du pays; les anciens cantons possédèrent
en commun le reste du territoire. La Réformation s'introduisit sans
difficulté dans les possessions des Bernois. Le reste du pays eut à
souffrir de grandes luttes et resta partagé entre les deux confessions.
1 événements de 1798 rendirent son indépendance au pays qui
tonnait les deux cantons d'Argovie et de Bade, réunis en un seul en 1803.
Les catholiques furent rattachés à l'évêché de Bàle, les réformés eurent
un conseil d'Eglise. L'une et l'autre Eglise eurent, pendant les temps
qui suivirent et jusqu'à nos jours, la vie assez difficile. L'intervention
du pouvoir civil dans les questions ecclésiastiques, dans les affaires des
couvents, dans L'ordre intérieur des Eglises, fut souvent violente, et la
main du pouvoir séculier l'ut d'autant plus lourde que, dans un canton
où catholiques et protestants se balancent presque, le caractère mixte
558 ARGOVIE
de l'autorité lui ôte toute sympathie et toute intelligence pour les
affaires cl 'Eglise. Aussi l' Argovie est-elle sans doute encore destinée à bien
des luttes, chaque parti voulant dominer et aucun n'étant assez puissant
pour faire taire l'opposition. — La constitution du 11 mars 1852 con-
tient les articles suivants : 4. — Pour être admissible à une fonction éta-
blie par la constitution, il faut être laïque. 12. — La liberté de conscience
est inviolable. Le culte catholique et le culte évangélique réformé son
garantis. L'exercice illimité du culte est garanti aux adhérents des deux
cultes. Les paroisses ont le droit de triple présentation pour la nomi-
nation à leurs pasteurs. Les décrets et les rapports des deux cultes à
l'égard de l'Etat sont déterminés par des lois protectrices, et, pour ce
qui concerne le culte catholique, par les concordats voulus. Il y aura
rachat autant que faire se pourra et le plus tôt possible et attribution
à l'Etat de tous les droits de collature qu'il n'exerce point, à l'excep-
tion de ceux exercés par les communes sur les bénéfices locaux. L'état
de la fortune des deux Eglises sera constaté par actes authentiques.
53. — Le conseil exécutif a la haute surveillance des administrations des
Eglises, des bénéfices ecclésiastiques et des confréries, ainsi que des
fondations. Par l'art . 82, le conseil communal est chargé de l'administra-
tion des biens d'Eglise. Le recensement de 1870 constate en Argovieune
population de 198,873 habitants dont 107,703 réformés, 89,180 catholi-
ques, 44^ membres de sectes chrétiennes et 1,541 israélites. Les catho-
liques dépendent de l'évêque de Bàle dont la résidence est à Soleure.
Ils ont été fort éprouvés par la passion populaire. Les couvents ont été
supprimés en 1841 ; il y en avait à ce moment six, deux d'hommes et
quatre de femmes, peuplés d'environ 180 personnes et possédant une
fortune évaluée à 7,248,171 fr., sans compter les revenus médiats.
Depuis quelques années, le mouvement vieux-catholique a pris dans le
pays une importance assez considérable. L'absence de documents
officiels ne permettra pas jusqu'au prochain recensement (1880) de
citer des chiffres authentiques. En tous cas, ils doivent être assez nom-
breux, et la petite ville d'Olten est le centre de leurs réunions. C'est
là eDcove que tout récemment l'Eglise chrétienne catholique suisse a
procédé à l'élection de son évêque. L'Eglise réformée est divisée en
deux chapitres ou décanats. Le chapitre d'Aarau et Zofingue avec
23 paroisses, 25 pasteurs et 2 auxiliaires, et le chapitre de Lenzbourg
et Brugg avec 25 paroisses, 25 pasteurs et 2 auxiliaires. Les autorités
ecclésiastiques sont : 1° le chapitre général du clergé réformé dont le
caractère est purement consultatif ; 2° le conseil ecclésiastique composé
d'un membre du gouvernement président, de trois ecclésiastiques et de
trois laïques ; 3° les classes ou chapitres, ayant chacun à leur tête un
doyen nommé par le gouvernement. Faire des visitations dans les
paroisses est la principale tâche des fonctionnaires des classes ; 4° le
conseil de paroisse, composé du pasteur et des autorités municipales de
la paroisse. A ces anciennes autorités est venu se joindre depuis quel-
ques années un synode mixte, qui, le 1er septembre 1869, a décidé par
57 voix contre 42 de modifier la liturgie dans le sens libéral. Les
pasteurs sont nommés, dans la plupart des paroisses, par le Conseil
ARGOVIE — ARIANISME 559
•d'Etat, sur la proposition de la paroisse. Quelques paroisses seules
choisissent directement leur pasteur, faisant en cela usage d'un droit
antique. Les traitements des pasteurs varient entre 1714 et 2857 fr. Le
catéchisme de Heidelberg, revisé en ISU, est encore généralement suivi,
quoique l'esprit actuel ait bien changé. L'ancienne liturgie bernoise a
servi de base à la liturgie argovienne. Les principales sociétés sont les
sociétés bibliques, de secours parmi les protestants, pastorales, de bien-
faisance. 11 existe aussi une caisse des veuves de pasteurs. Les moraves
sont assez nombreux, mais sans organisation; les baptistesont quelques
adhérents. Mentionnons encore les Israélites au nombre de 1541 avec
deux synagogues, à Endingen et Lengnau. — Bibliographie : Annuaires
et almanachs officiels, textes de lois; G. Finsler, Kirchl. Statistik der re-
form . Sch trriz . B. Vauchek.
ARIANISME, hérésie relative à la divinité de Jésus-Christ. Elle naquit
en Egypte au commencement du quatrième siècle, se répandit surtout
en Orient où elle se maintint pendant quatre-vingts ans environ, et du
cinquième au septième siècle fut importée en Occident par les invasions
des barbares. Son histoire comprend quatre phases principales.
I. Arius, originaire de Lybie, eut pour maitre le presbytre Lucien,
fondateur de la célèbre école d'Antioche et partisan de Paul de Samo-
sate. d'après une lettre d'Alexandre, évêque d' Alexandrie. Il était très-
versé dans la dialectique et d'une tendance" d'esprit éminemment
intellectualiste. Dans les premières années du quatrième siècle, il devint
diacre de L'Eglise d'Alexandrie; mais lorsqu'éclata le schisme de
Mélétius (306), il fut excommunié par l'évêque Pierre d'Alexandrie
pour s'être rangé du côté des dissidents. Après la mort de Pierre ( 311 ),
il se réconcilia avec son successeur Achillas , et obtint de lui la dignité
de presbytre. Plus tard, sous l'épiscopat d'Alexandre , successeur
d'Achillas , il marcha , d'après Athanase , sur les traces du presbytre
Colluthus, son contemporain. Celui-ci s'opposait aux empiétements de
l'autorité épiscopale sur celle des presbytres, comme Mélétius, évêque
de Lycopolis avait résisté au pouvoir croissant du métropolitain d'A-
lexandrie sur les évêques provinciaux ; et il avait consacré des presbytres,
entre autres un nommé Ischyzas , comme Mélétius avait consacré des
évêques. Nous ne savons jusqu'à quel point Arius poussa dans le
domaine ecclésiastique son hostilité envers Alexandre; l'opposition
qu'il manifesta contre lui vers la même époque sur le terrain dogma-
tique eut un retentissement bien autrement considérable. L'évêque
Alexandre soutint un jour, dans une assemblée de son clergé, que la
doctrine de la Trinité n'exclut pas celle de l'unité de Dieu. Arius
exprima un avis contraire : « Si le Père a engendré le Fils, le Fils a
commencé à exister; il y avait donc un temps où le Fils n'existait pas;
le Fils tire son existence du néant. » Alexandre , tout en admettant la
subordination du Fils au Père (d'après Jean XIV, 28), parce que,
disait-il, Le Père seul existe par lui-même, tandis que le Fils tire son
être du Père; et, tout en reconnaissant que la nature du Fils engendré
occupe une place intermédiaire entre le Père non engendré et les
créatures, n'en enseignait pas moins l'éternité et la divinité du Fils. H
560 ARIANISME
écrivit à Arius de revenir à la foi catholique ; et comme Arius s'effor-
çait de répandre ses vues dans^ les rangs du clergé et du peuple, il
réunit à Alexandrie un synode, qui l'excommunia (321). Arius avait
gagné à sa cause un certain nombre d'évêques étrangers , entre autres
Eusèbe de Nicomédie, Eusèbe de Césarée, Paulin de Tyr, etc. Après
que sa rupture avec Alexandre fut devenue définitive , il constitua le
parti qu'il avait en Egypte en une Eglise particulière. En 322 il fut
obligé de quitter la ville , chassé par l'évêque Alexandre , comme il le
raconte lui-même dans la lettre qu'il écrivit de Palestine à Eusèbe de
Nicomédie, tant pour se plaindre des violences dont il avait été l'objet ,
que pour déterminer à sa façon le sens des propositions qu'il avait
énoncées à Alexandrie. Eusèbe invita Paulin de Tyr et plusieurs autres
évêques à écrire à Alexandre, ainsi qu'il l'avait fait lui-même en 321,
pour le prier de réadmettre Arius dans l'Eglise. Alexandre resta inflexi-
ble. Pour être plus près de son protecteur, Arius se rendit à Nicomédie;
c'est là sans doute qu'il écrivit son ouvrage intitulé Thalia (© aXsia, ban-
quet) dont Athanase a conservé quelques fragments, et qui paraît avoir
contenu , entremêlées à l'exposition dogmatique , des poésies en style
populaire sur les différents points de sa doctrine. L'on raconte, en effet,
que les ariens se servaient de ce livre comme d'un recueil de chants
pendant leurs repas. Pour mieux répandre ses idées parmi le peuple ,
Arius ne dédaignait pas de recourir à ce genre littéraire , témoin les
chansons qu'il composa pour les pêcheurs, les bateliers, les meuniers
et les voyageurs. De Nicomédie , il essaya de se réconcilier avec
Alexandre; dans la lettre qu'il lui écrivit à cet effet, il ne renonçait à
aucune de ses doctrines , mais il s'efforçait de les présenter sous les
apparences les plus orthodoxes possible. Ce fut peine perdue. Alors les
évêques de son parti réunirent en Bithynie, sans doute à Nicomédie
même, un synode dont ils opposèrent l'autorité à celle du synode
d'Alexandrie. Ils y rédigèrent une circulaire, pour prier les évêques de
continuer à entretenir la communion ecclésiastique avec Arius et ses
partisans, et d'intercéder en leur faveur auprès d'Alexandre. Peu de
temps après un synode, réuni en Palestine, permit aux ariens de
recommencer à célébrer publiquement le culte, mais leur recommanda
en même temps de redoubler d'instances auprès d'Alexandre pour
obtenir de lui leur réadmission dans l'Eglise. La querelle gagnait peu
à peu tout l'Orient. Le peuple même commençait à se passionner pour
ces questions de métaphysique ; déjà les païens tournaient en ridicule,
dans leurs théâtres, la doctrine de la Trinité. Plus tard, la confusion
était devenue si générale, que l'on a pu dire qu'il n'y avait plus de
localité où l'on n'entendît les discussions les plus animées sur les rapports
du Père et du Fils, jusque dans les boutiques des marchands. —C'est
vers cette époque que Constantin, devenu seul maître de l'empire, se
déclara ouvertement pour le christianisme. L'Evangile lui paraissait
offrir une base autrement solide à sa domination que le paganisme
vieilli et battu en brèche. La religion n'était pour lui qu'un moyen de
gouvernement. Comme en sa qualité d'empereur il était le pontifex
maximus de la religion de l'Etat, il résolut d'étendre sur la religion
ARIANISME 561
nouvelle l'autorité souveraine que ee titre lui conférait sur le paga-
nisme. Le but constant de ses efforts fut désormais de sauvegarder
l'unité de l'Eglise dans sa doctrine et dans son organisation, caria paix
religieuse lui paraissait être la condition indispensable de la tranquillité
politique. Craignant donc de voir les ariens lui susciter en Orient les
mêmes difficultés que lui causaient les donatistes dans la province
d'Afrique, il ne prit conseil que de la raison d'Etat qui lui prescrivait
d'étouffer cette querelle aussi vite que possible, sans se soucier de l'in-
térêt que pouvait avoir l'Eglise à ce qu'une discussion de cette impor-
tance suivit son cours libre et régulier. Il écrivit donc à Alexandre et à
Arius, qui était revenu à Alexandrie, «de lui rendre des jours tran-
quilles et des nuits sans soucis», et puisqu'il ne pouvait les forcer de
penser de même sur « une question qui ne méritait pas tant de discus-
sions», de «contenir du moins leur bavardage vis-à-vis du peuple»,
alin de ne pas l'amener, par le spectacle de leur querelle, «soit à des
blasphèmes, soit à des divisions». L'évêque Hosius, de Cordoue, qui,
depuis de longues années, vivait à la cour et jouissait de la confiance de
l'empereur , fut chargé de porter cette lettre en Egypte et en même
temps d'apaiser, si possible, le différend. Il réunit dans ce but un con-
cile à Alexandrie. Son contact avec Athanase, diacre de l'Eglise d'A-
lexandrie et conseiller d'Alexandre, parait avoir exercé une certaine
influence sur lui et précisé ses idées sur la Trinité dans un sens défa-
vorable à Arius, car nous le rencontrons désormais parmi les adver-
saires de celui-ci. Voyant que ni sa lettre, ni la mission conciliatrice
d'Hosius n'avaient eu le résultat désiré, Constantin résolut de terminer
la querelle en la soumettant au jugement de l'Eglise entière. Il pro-
fessait, extérieurement du moins, un si grand respect pour l'autorité
des conciles, qu'il allait jusqu'à reconnaître la voix de Dieu même dans
les décisions d'une nombreuse assemblée d'évêques. Cela ne devait pas
l'empêcher d'intervenir dans le débat en faveur de la doctrine dont le
triomphe lui paraissait répondre le mieux à ses intérêts; et, dans le cas
où la discussion n'aboutirait pas à une entente complète, c'était un
prétexte pour imposer aux dissidents l'opinion de la majorité et réta-
blir par la force l'unité de l'Eglise. Il convoqua donc le premier con-
Cile œcuménique à Nicée. Alexandre, de même qu'Arius, n'y comptait
qu'un nombre assez restreint de partisans; la grande majorité des
évêques n'avait pas apporté d'opinions bien arrêtées sur les divers
points du débat et occupait une position mal définie entre les deux
minorités hostiles. Elle représentait assez exactement l'état des esprits
avant la naissance de la querelle arienne. Dans le fonds commun des
opinions émises pendant les deux siècles précédents, chacun des
évêques de cette majorité avait choisi celles qui lui paraissaient tra-
duire le plus fidèlement l'enseignement de l'Ecriture. Il en était résulté
dans ce parti, dont les tendances étaient à la fois moins positives que
celles (I Athanase et moins négatives que celles d'Arius, une certaine
variété d'opinions, assez bizarres parfois, et destinées en vertu même
de leur peu de profondeur, à s'effacer devant l'une des deux grandes
doctrines qui allaient se trouver en présence. Le temps et la libre
562 ARIANISME
discussion eussent seuls pu rendre ce dénoûment vraiment durable et
fécond pour l'Eglise : malheureusement, l'empereur venait de placer
la majorité du concile dans la nécessité de se prononcer immédiate-
ment sur une question aussi grave et aussi peu mûre encore. Aussi
n'est-il pas étonnant que cette majorité ne soit pas restée fidèle plus
tard à sa décision première, qu'elle ait obéi pendant de longues années
à l'influence changeante des circonstances, et qu'elle ne se soit appro-
prié que lentement cette même doctrine qu'elle avait contribué à éta-
blir à Nicée, surtout si l'on songe qu'en l'établissant elle a cédé tout
autant à la pression qui lui venait des régions officielles , qu'à l'élo-
quence d'Athanase. — Le concile s'ouvrit le 19 juin 325. Arius, secondé
par les deuxEusèbe, exposa et défendit sa doctrine dans des confé-
rences privées , puis dans plusieurs séances publiques ; il trouva un
adversaire infatigable en la personne d'Athanase , qu'Alexandre avait
amené à Nicée, et qui était appuyé dans la discussion par Marcel d'An-
cyre et Hosius. Pour clore le débat, on proposa de s'en tenir à la simple
déclaration que « le Fils est issu du Père». C'était une tentative de
conciliation : mais Athanase et ses amis combattirent cette formule
comme trop vague, car «on peut également dire des créatures qu'elles
sont issues de Dieu, en tant qu'elles n'ont pas en elles-mêmes le prin-
cipe de leur existence», et ils réussirent à faire adopter parle concile la
rédaction suivante : « le Fils est issu de la substance du Père » . Gomme les
ariens se montraient disposés à signer également cette formule, « puis-
qu'on peut dire dans un certain sens que toutes les créatures sont issues
de la substance divine», Athanase et ses partisans proposèrent de dire :
« le Fils est consubstantiel (o^ocSzicc) au Père », afin de couper court aux
interprétations tortueuses des ariens par une expression qui ouvrait un
abîme entre la nature unique du Fils et celle des créatures. Cette
expression devait devenir le mot d'ordre de l'orthodoxie. Les ariens
la rejetèrent comme étrangère à l'Ecriture, comme entachée de sabel-
lianisme et comme ayant été condamnée pour ce dernier motif par le
concile d'Antioche de l'année 269. Athanase et ses amis répondirent
que sans doute le terme même ne se trouve pas dans l'Ecriture, mais
que le sens est parfaitement biblique; et qu'en le condamnant, les
Pères du concile d'Antioche n'en avaient pas voulu interdire en général
l'usage, mais n'avaient fait que flétrir l'interprétation erronée qu'en
avait donnée Paul de Samosate, alors qu'il avait présenté ce mot
comme la vraie formule du sabellianisme. Depuis lors , ce terme avait
été employé, notamment par Denis d'Alexandrie, pour désigner l'unité
de la substance divine, sans préjudice pour la distinction despersonnes;
«'est dans ce sens qu'Athanase venait d'en recommander l'adoption
aux membres du concile. Tout dépendait de la manière dont se pro-
noncerait le parti qui formait le centre de l'assemblée. Les deux mino-
rités s'efforcèrent de l'attirer chacune de son côté. Eusèbe de Césarée
proposa dans ce but une confession de foi , conçue en termes parfaite-
ment orthodoxes, d'une signification assez vaste cependant pour
que les hommes de toutes les opinions, depuis Arius jusqu'à
Athanase, pussent s'en accommoder. Christ y était appelé « le
APJANISME 568
Verbe de Dieu, Dieu issu de Dieu, Lumière issue de la Lumière,
Vie issue de la Vie, le Premier né de toute la création , engen-
dré par le Père avant tous les temps». Le sabellianisme seul y
était expressément condamné; la doctrine de la consubstantialité
s'y trouvait passée sous silence. Comme la sentence du synode d'An-
tioche avait rendu cette doctrine plus ou moins suspecte, la confession
d'Eusèbe avait des chances sérieuses de succès. C'est par l'opposition
«le l'empereur que cette suprême tentative de conciliation devait
échouer. Constantin, en efïet, intervint à ce moment dans la discussion.
11 déclara qu'il ne trouvait rien à reprocher à la confession d'Eusèbe,
sinon qu'il y manquait la chose capitale, le mot «consubstantiel. » Ho-
sius et ses amis, à la prière desquels il venait sans doute de prendre
part aux débats, lui avaient même suggéré, parait-il, l'argument théolo-
gique suivant, qui, tombant de la bouche du maître de l'empire, ne
pouvait manquer de produire son effet sur la majorité des évêques :
« Par ce terme il n'est nullement question d'attribuer à la substance
divine des affections corporelles, car une nature spirituelle, immaté-
rielle, ne peut éprouver des souffrances physiques. Cette expression
est. seulement destinée à bannir de la notion du Fils toute idée de
ressemblance avec les créatures » : c'est-à-dire que pour comprendre
laconsubstanlialitéduPèreetdu Fils, il n'est pas nécessaire d'admettre
une division de la substance divine en deux parties, d'après l'analogie
des êtres matériels qui ne participent à la même substance qu'en vertu
de la divisibilité de la matière. En outre, Constantin, pour se donner
le plaisir de faire à sa manière une leçon de théologie aux évêques as-
semblés, ajouta à cette argumentation purement négative une explica-
tion positive des rapports du Fils et du Père : « Le Fils a existé avant
tous les temps, car avant d'avoir été engendré il a déjà existé virtuel-
lement dans le Père ; le Père a donc toujours été Père, comme le Fils a
toujours été virtuellement Roi et Sauveur. » Nous doutons que Hosius
et ses partisans aient été fort satisfaits d'une théorie qui réduisait l'é-
ternité du Fils à une simple possibilité d'existence, sans réalité con-
crète : cette manière de voir, inspirée à l'empereur par la culture néo-
platonicienne de son esprit, se rapprochait de très-près de l'arianisme ;
elle passa inaperçue. Le résultat de ces longues discussions fut le rejet
de la confession d'Eusèbe comme trop vague, et l'adoption du symbole
dit de Nicée, rédigé, d'après Athanase, par Hosius lui-même : « Nous
croyons en un seul Seigneur, Jésus-Christ, le Fils de Dieu, le Fils
unique engendré du Père, c'est-à-dire de la substance du Père, Dieu
issu de Dieu et Lumière issue de la Lumière, vrai Dieu issu du vrai
Dieu, engendré et non fait, consubstantiel au Père, etc. » La formule
se terminait par la condamnation des principales propositions d'Arius.
Eusèbe de Césarée eni la faiblesse de signer ce symbole. Dans la lettre
qu'il adressa peu de temps après à son Eglise, il eut recours à des
sous-entendus pleins d'équivoque et à des interprétations sophistiques
des expressions du symbole pour justifier une conduite qui lui avait
été dictée, assurait-il, par le désir de rendre la paix à l'Eglise. A l'en-
tendre, les mots« consubstantiel au Père » signifiaient seulement (pie le
564 APJANISME
Fils ne ressemble en rien aux créatures, mais est semblable en tout
point (xaxà rcavTa Tpoiuov bjJLOtoç) au Père seul, de la substance duquel il a
été engendré et non d'une substance étrangère ; de plus, il est vrai de
dire, selon lui, que le Fils n'a pas été « fait » par le Père, car ce n'est
que des autres créatures, de celles qui ont été faites par le Fils, qu'on
peut dire qu'elles ont été faites ; enfin, s'il a condamné les propositions
d'Arius : « le Fils est créé du néant ; il y a eu un temps où le Fils
n'était pas ; le Fils n'a pas existé avant d'avoir été engendré, » c'est
parce qu'elles ne sont pas scripturaires, et parce que le Fils a existé
« avant son incarnation ». L'exemple d'Eusèbe trouva de nombreux
imitateurs, si bien qu'à la fin il ne resta plus du côté d'Arius que cinq
évêques, dont plusieurs avaient été ses condicisples à l'école d'An-
tioche : Eusèbe de Nicomédie, Théognis de Nicée, Maris de Chalcé-
doine, Théonas de Marmarica et Secundus de Ptolémaïs. Lorsque
Constantin eut déclaré qu'il punirait de l'exil ceux des évêques qui
refuseraient de signer le symbole, les trois premiers se soumirent ; les
deux autres furent destitués et bannis. Arius lui-même fut exilé en Illy-
rie. Ses écrits durent être livrés aux autorités et brûlés ; l'empereur
défendit sous peine de mort déposséder en cachette de ses livres. Leur
adhésion tardive à la formule de Nicée ne sauva cependant pas Eu-
sèbe de Nicomédie et Théognis de la colère de Constantin. Avant la fin
de l'année 325, l'empereur les fit destituer par un synode convoqué à
cet effet, et les exila en Gaule, parce qu'ils avaient reçu chez eux
quelques délégués des mélétiens, qui traversaient la Bithynie pour se
rendre à Constantinople. Ces délégués étaient venus pour exposer à
Constantin les griefs que nourrissaient contre le parti de l'évêque
Alexandre ceux des mélétiens qui n'avaient pas voulu accepter les
propositions conciliatrices que le concile de Nicée avait faites à Mé-
létius et ses adhérents, pour faire cesser leur schisme. Les évêques
de cette fraction extrême voulaient bien, il est vrai, conserver leurs
charges, comme le concile le leur avait accordé, mais refusaient
d'ouvrir leurs églises à l'évêque d'Alexandrie. Leurs envoyés furent
mal reçus à la cour ; l'empereur leur enjoignit de se conformer
strictement aux volontés clu concile de Nicée. La victoire de l'or-
thodoxie était complète ; malheureusement elle était ternie non-seu-
lement par la part qui revenait à l'influence personnelle de l'em-
pereur dans cette défaite de l'hérésie, mais encore par les mesures
de répression que Constantin avait prises contre Arius et ses amis.
Déjà l'hérésie était déclarée crime public. — D'après les sources men-
tionnées plus haut, la doctrine d'Arius a été la suivante : « Il existe
un seul Dieu, non-engendré, éternel. Ce Dieu n'a pas toujours été Père;
il y a eu un temps où il ne l'était pas. 11 a engendré un Fils, c'est-à-dire
il l'a créé du néant (èç cjy. cv-wv). Le Fils n'est pas égal au Père ; il ne
participe pas à son essence et à son éternité, car, à moins de cesser
d'être Fils, il ne peut posséder une essence non-engendrée, ce qui in-
troduirait en Dieu deux essences non-engendrées. Il n'est pas même
semblable au Père, car il est engendré de nature et né dans le temps ;
il est une créature, une œuvre du Père, et comme tel il a commencé à
ARIAXISME 565
exister: il y a eu un temps ou il n'était pas. Il est de nature complète-
ment étrangère au Père et d'une substance différente de la sienne
(ï-=pzÙ7'.zz). C'est par la libre volonté du Père que le Fils a été engen-
dré et non de la substance du Père, car la substance divine ne pour-
rait engendrer qu'une substance égale à elle-même, c'est-à dire non-
engendrée. Le Père est incompréhensible au Fils, ainsi qu'à toutes
les créatures ; ce qui a commencé à être ne saurait comprendre ce qui
est sans commencement. Le Fils ne connaît le Père que dans une cer-
taine mesure, autant qu'une créature peut le connaître; il ne connaît
même pas sa propre substance. Ce n'est pas en vue de lui-même,
mais en vue de nous que le Fils a été créé; son existence est su-
bordonnée à celle des autres créatures. Quand Dieu a voulu nous
créer, il a d'abord créé un être qu'il a appelé la Parole, la Sa-
gesse, afin de nous former par lui. Si Dieu n'avait pas voulu
nous créer, le Fils n'aurait pas été créé. Le Fils participe aussi
peu à la perfection morale de Dieu qu'à ses attributs métaphysiques;
e» tant que créature, il possède une nature susceptible de changements;
il est libre de rester bon ou de se tourner vers le mal, comme l'a fait
le diable. Aussi est-il improprement appelé la Parole et la Sagesse
de Dieu, car il a été fait lui-même par la Sagesse qui se trouve en Dieu
et par la Parole avec laquelle Dieu a fait toutes choses. Il faut distin-
guer en Dieu deux Sagesses et deux Paroles; le Fils a été appelé par
grâce la Parole et la Sagesse de Dieu, parce qu'il a obtenu en partage la
Parole et la Sagesse que Dieu possède en lui. En lui-même il n'est pas
vrai Dieu; il n'a été appelé ainsi que par grâce: il ne possède même de
nature rien de divin, et n'a aucun avantage sur les autres tils de Dieu
ou créatures; c'est par pure grâce que le Père l'a adopté pour son Fils.
D'où lui est venue cette distinction? Dieu l'a choisi parmi toutes les
créatures à cause de la pureté morale de sa vie: ou plutôt prévoyant
que par sa libre détermination le Fils resterait dans la voie du bien,
Dieu n'a pas attendu qu'il eût réellement vaincu le mal pour lui com-
muniquer la gloire divine, mais il la lui a donnée d'avance, au mo-
ment de sa création. C'est par la libre volonté de Dieu, et non en vertu
de sa propre nature, que le Fils est ce qu'il est : par la volonté sage de
Dieu il est devenu la Sagesse du Dieu sage. » Après avoir ainsi abaissé
le Fils, Arius le relève jusqu'à la similitude avec le Père; il essaye de
concilier les intérêts de la religion avec les nécessités de la dialectique
en rendant au Fils, à titre de dons gratuits de Dieu, quelques-unes des
perfections qu'il lui a refusées tantôt. Il l'appelle une créature parfaite
et immuable, Fils unique, Dieu parfait ; il affirme que si le Fils n'a pas
existé avant d'avoir été créé, il a du moins existé avant tous les temps,
car le temps n'a commencé qu'avec la création du monde ; et il pousse
l'équivoque et la subtilité jusqu'à prétendre que la formule « le Fils
est créé du néant » signifie seulement que le Fils n'est pas une partie
de Dieu, et qu'il ne tire pas son existence d'une matière déjà existante.
Sa conclusion « -M que s'il existe actuellement une Trinité, il n'y avait
primitivement qu'unité on Dieu, et que les personnes de la Trinité
sont infiniment séparées les unes des autres par le rang qu'elles occu-
566 AllIANISME
peut et par la nature de la substance dont elles sont composées : le
Père règne sur le Fils comme son Dieu; le Saint-Esprit n'est que la pre-
mière créature du Fils, comme le Fils est la première créature du Père.
Cette doctrine a pour base le vieux dualisme païen entre l'infini et
le fini : le Père demeure renfermé dans l'absoluité de son être, sans se
communiquer à personne, pas même au Fils. Ce dualisme n'existe pas
seulement dans la Trinité entre le Père et le Fils, mais jusque dans la
nature même du Père entre sa substance, organe de sa manifestation
infinie, et sa volonté, instrument de sa manifestation relative. Les con-
séquences religieuses et morales de cette manière de voir sont l'impos-
sibilité d'une révélation de Dieu et d'une rédemption de l'humanité
dans le christianisme, et en dernière analyse l'affranchissement com-
plet de Thomme vis-à-vis d'un Dieu qu'il ne connaît pas, et, puisque
ce Dieu refuse de descendre jusqu'à lui, sa propre déification par la
voie de la liberté morale absolue (Baur).
j$ II. La doctrine d 'Arius ne formait pas un tout homogène ; elle réunissait
sans les concilier deux notions contradictoires, celle de la différence sub-
stantielle du Père et du Fils et celle de leur ressemblance. Aussi les esprits
auxquels elle était offerte, ont-ils retenu de préférence Tune ou l'autre
manière de voir, suivant leurs dispositions particulières. Déjà avant 325,
Eusèbe de Nicomédie, dans sa lettre à Paulin de T yr, et, peu après le con-
cile de Nicée, Eusèbe de Césarée avaient énoncé l'opinion que le Fils est
semblable au Père. Cette idée fut présentée plus tard sous la forme plus
scientifique de la ressemblance substantielle du Père et du Fils (ojaôiqiS-*
ffioç). On peut donc dire que les partisans d' Arius se divisèrent dès
l'origine en deux groupes : les ariens stricts, chez lesquels la doctrine
de la ressemblance du Fils et du Père n'était qu'une concession faite
à l'intérêt de la religion et une inconséquence destinée à disparaître
bientôt ; et les ariens modérés, qui professaient précisément cette doc-
trine et qui la conservèrent après 325, tout en se soumettant extérieure-
ment à la formule de Nicée. Ces derniers reçurent plus tard le nom de
semiariens. Les ariens stricts jugèrent prudent, après leur condamna-
tion, de cacher leurs doctrines extrêmes et de s'allier aux ariens mo-
dérés contre leur ennemi commun, Athanase. L'unité du parti arien se
trouva ainsi constituée pour quelque temps. Dirigé par d'habiles poli-
tiques, le parti issu de la fusion de ces deux tendances, et désigné
communément sous le nom d'eusébiens, d'après ses deux principaux
chefs, oubliera ses propres divisions pour ne plus songer qu'à gagner
à force d'intrigues la faveur impériale, et à dominer à son tour dans
l'Eglise. Plus tard, quand la victoire sur l'orthodoxie aura rendu cette
alliance moins nécessaire, la tendance extrême renaîtra de son efface-
ment momentané ; les deux fractions, restées seules dans la lice, s'y
combattront à leur tour avec des chances diverses, jusqu'à ce que,
épuisées toutes deux par cette lutte intestine, elles soient contraintes
de céder définitivement la place à la doctrine de Nicée. — En 328 mou-
rut Alexandre. Athanase, quoique simple diacre, fut désigné comme son
successeur par les évêques d'Egypte et de Lybie réunis en synode, et
sur les instances tumultueuses du peuple. 11 notifia son élection à
AHIAXISMK 567
Constantin, qui La confirma. Au dire des ariens, il n'aurait été nommé
que par une minorité de sept évêques, qui faillirent au serment qu'ils
avaient prêté, ainsi que leurs collègues, de ne choisir qu'un évoque qui
convint à tous les partis. La même année, un nouveau changement se
produisit dans la politique ecclésiastique de Constantin. La sœur de
L'empereur, Constantia,lui avait recommandé à son lit de mort d'écou-
te- Les avis d'un presbytre à qui elle avait accordé sa confiance, et qui
était dévoué à l'arianisme. Ce presbytre n'eut sans doute pas de peine
à démontrer à Constantin que le concile de Nicée n'avait pas rendu la
paix à l'Eglise, et que ee résultat ne serait pas atteint aussi longtemps
qu'un parti jouirait exclusivement de la faveur impériale; que d' ail-
leurs l'opinion d'Ârius n'était pas bien éloignée au fond de celle que
L'empereur lui-même avait énoncée au concile. Arius fut rappelé de
l'exil (328), et reçu avec bienveillance par Constantin. Il lui remit une
confession de foi rédigée presque entièrement en termes scripturaires
qu'ariens et orthodoxes pouvaient indifféremment signer. L'expres-
sion « consubstantiel au Père » y manquait ; Christ était simplement
appelé « le Fils engendré avant tous les temps ». Arius y exprimait le
vœu d'être réadmis dans la communion de l'Eglise par les « pieux
efforts » de Constantin, et engageait l'empereur à mettre un terme à
ces « oiseuses discussions ». Quand les deux évêques exilés apprirent
Le retour d'Arius, ils écrivirent une lettre à leurs collègues, qui se trou-
vaient sans doute assemblés à ce moment en synode, pour les prier
d'intercéder en leur faveur auprès de l'empereur, disant qu'ils ne
S'étaient jamais rendus coupables d'aucune hérésie, qu'à Nicée ils
avaient signé le symbole parce qu'ils avaient « bien pesé et bien com-
pris la signification du mot consubstantiel », et que s'ils n'avaient pas
signé l'appendice renfermant la condamnation d'Arius, c'est parce
qu'ils avaient été persuadés par la lecture de ses écrits et par ses dé-
clarations verbales qu' Arius au fond n'admettait pas lui-même les pro-
positions qu'on lui attribuait. Ces explications ambiguës parurent suf-
fisantes à l'empereur et aux évêques : Eusèbe de Nicomédie et Théo-
gnis de Nicée furent rappelés (328). Aussitôt les hostilités commen-
cèrent. A peine revenu dans son diocèse, Eusèbe de Nicomédie de-
manda à Athanase de recevoir Arius dans l'Eglise. Sur son refus, il
obtint de Constantin une lettre enjoignant à l'évêque d'Alexandrie de
lever l'excommunication qui pesait sur Arius, sous peine de déposition
et d'exil. Athanase demeura inflexible : « L'Eglise, répondit-il, ne peut
ivoir dans sa communion un hérétique qui combat le Christ. »
L'empereur, quelque irrité qu'il pût être de cette désobéissance, ne
donna pas suite à ses menaces. Les ariens avaient compris que tout
progrès de leur part se heurterait infailliblement à l'opposition d'Atha-
• ; ils résolurent de l'éloigner à tout prix du siège d'Alexandrie. Ils
pouvaient provoquer sa destitution par l'empereur, en le chargeant
d'un crime politique, OU même d'un crime de droit commun ; ou bien
ils pouvaient Le taire déposer par un synode en l'accusant d'un délit
ecclésiastique : ils employèrent l'un et l'autre moyen, et, pour être plus
gûrs du succès, ils s'allièrent à ceux des mêlé tien s qui avaient perse-
568 ARIANISME
véré dans le schisme, et ils les chargèrent d'attaquer à découvert la po-
sition de leur ennemi commun, en se réservant prudemment de les
appuyer auprès de l'empereur. Les évoques Eustache d'Antioche,
Asclepas de Gaza, Eutrope d'Andrinople, comptaient parmi les adver-
saires les plus déterminés d'Arius : pour priver Athanase de leur ap-
pui, Eusèbe de Nicomédie et Théognis de Nicée élevèrent contre eux,
au concile d'Antioche, entre autres accusations, celle de sabellianisme,
et les tirent destituer et remplacer J)ar les ariens. Ce fut le prélude du
combat. En 330, les mélétiens accusèrent Athanase auprès de l'empereur
d'avoir imposé aux Egyptiens un impôt de toile, destinée à la confection
d'habits sacerdotaux. Deux presbytres d'Alexandrie, Apis et Macarius,
qui se trouvaient par hasard à la cour, n'eurent pas de peine à démontrer
la fausseté de cette allégation. Les ennemis d' Athanase formulèrent
aussitôt de nouvelles accusations contre lui : il avait envoyé, disaient-
ils, une caisse pleine d'argent à un rebelle du nom de Philumenos, et
dans l'une de ses tournées de visite il avait laissé son presbytre Maca-
rius briser la coupe sacrée, renverser l'autel et brûler les livres saints
dans le lieu de culte qu'Ischyras avait ouvert dans un petit village de
la province de Maréotis, et dans lequel celui-ci avait continué à accom-
plir des actes sacerdotaux, quoique le synode tenu en 324 par Hosius
à Alexandrie eût invalidé les ordinations faites par Colluthus. Athanase
fut mandé à Nicomédie ; il y resta de 331 à 332, dans une situation
assez pénible. A la lin cependant il réussit à établir si bien son inno-
cence, que l'empereur lui donna à son départ une lettre pour le clergé
et le peuple d'Alexandrie, dans laquelle il l'appelait un évêque vrai-
ment digne de ce nom. Pour réparer ce double échec, les mélétiens
aggravèrent encore leurs accusations : ils allèrent jusqu'à prétendre
qu' Athanase avait tué un de leurs évêques, Arsenius, qu'il lui avait
coupé la main droite pour s'en servir à des actes de sorcellerie , et
comme preuve de ce qu'ils avançaient, ils montraient cette main enfer-
mée dans une boîte. Quanta Arsenius lui-même, ils l'avaient caché dans
un de leurs couvents de la Thébaïde. Bientôt cependant, apprenant
qu' Athanase avait envoyé un diacre à sa recherche, ils lui firent quitter
l'Egypte; Arsenius vint à Tyr, où il fut reconnu par l'évêque de cette
ville et obligé d'avouer son identité. Constantin avait chargé un de ses
officiers de faire une enquête sur ce meurtre, et avait signifié à Atha-
nase de se tenir prêt à comparaître devant son tribunal. Quand il apprit
qu'Arsénius avait été découvert à Tyr, sa colère se tourna contre les
mélétiens ; il écrivit à Athanase une lettre très-flatteuse, dans laquelle
il lui promettait que si ses ennemis renouvelaient leurs calomnies, il
entendait présider lui-même le procès qui leur serait intenté, et qu'il
les punirait non suivant les lois de l'Eglise, mais suivant celles de l'Etat.
Au moment où la faveur impériale paraissait se tourner définitivement
du côjé d'Athanase, Ischyras et Arsenius écrivirent à l'évêque d'Alexan-
drie £our implorer son pardon et obtenir de lui leur réadmission dans
l'Eglise; l'évêque Jean, le successeur de Mélétius à Lycopolis, qui diri-
geait le parti des mélétiens depuis la mort de ce dernier, écrivit une
semblable lettre, en l'adressant, non à Athanase, mais directement à
ARIAXISME 569
Constantin, ce qui caractérise bien le but dans lequel ces personnages
avaient jugé à propos de faire acte de pénitence. Sur le refus d'Atha-
nase de les recevoir dans L'Eglise avant la tin de leur vie et sans doute
aussi à la nouvelle d'un nouveau changement dans les dispositions de
l'empereur à l'égard d'Athanase, ils retirèrent leur rétractation et'
revinrent à leur ligne de conduite antérieure. En effet, les eusébiens
avaient si bien réussi dans l'intervalle à circonvenir Constantin, que
les mélétiens purent non-seulement élever contre Athanase de nou-
velles accusations, telles que d'avoir été irrégulièrement élu, de s'être
rendu coupable d'actes de violence dans son diocèse, et même d'avoir
mené une conduite immorale, mais qu'ils osèrent encore renouveler
leurs anciennes accusations, et l'histoire d'Ischyras et celle d'Arsénius,
dont l'examen, disaient-ils, avait été très-superficiel, témoinlefaux Arsé-
nius qu' Athanase avait fait paraître à Tyr. Se défiant de la clairvoyance
de l'empereur, ils obtinrent même que ce nouveau procès serait jugé
non pas devant lui mais devant un synode. Grâce à l'habileté avec
laquelle ils s'étaient jusqu'à présent effacés dans la lutte, les eusébiens
allaient devenir les arbitres entre Athanase et les mélétiens. Mais Atha-
nase, devinant leurs menées, refusa de comparaître devant le synode
de Césarée (334), où « ses accusateurs devaient être ses juges ». Cette
conduite indisposa fort l'empereur contre lui, et donna une singulière
force aux insinuations des eusébiens, qui le représentaient comme un
évêque indocile, orgueilleux et obstiné, dont la présence dans l'Eglise
était incompatible avec la tranquillité publique. Par décret de l'empe-
reur, un nouveau synode se réunit à Tyr (335). Il était composé à l'ori-
gine d'environ soixante évêques, presque tous orientaux; les eusébiens
y formaient la majorité, et dans leur nombre se trouvaient Ursacius de
Singidunum, en Pannonie, et Yalens de Mursa, en Mœsie, dont la con-
duite ultérieure devait donner le spectacle de la plus scandaleuse ver-
satilité. Les deux Eusèbe y dominaient. L'empereur s'y fit représenter
par un de ses officiers, appelé Denis. Athanase refusa le nom de synode
à une assemblée « dirigée par un officier impérial, et dans laquelle
les évêques sont introduits par le notaire de l'empereur et non par
un diacre de l'Eglise »; et il ne se rendit à Tyr que sur un ordre
formel de Constantin. Il s'y fit accompagner par quarante-neuf évê-
ques égyptiens de son parti, dans l'espoir de contrebalancer ainsi
la puissance de ses adversaires. L'identité d'Arsénius fut reconnue
d'une manière définitive par le synode; de plus la femme de mau-
vaise vie, avec laquelle Athanase devait avoir entretenu des relations,
introduite dans rassemblée des évêques et invitée à désigner Athanase,
se trompa et désigna unpresbytredunomdeTimothée.Résolusà ne pas
laisser échapper la dernière arme redoutable qu'ils eussent entre leurs
mains, les eusébiens décidèrent d'envoyer en Egypte une commission
chargée de s'enquérir des actes de violence qu' Athanase devaitavoir com-
mis dans l'administration de son diocèse. Cette commission se composait
des adversaires les plus décidés d'Athanase. Ischyras devait La guider
dans ses recherches; Athanase et Marcarius, au contraire, durent
rester à Tyr. Des évoques égyptiens du synode remirent à leurs
i. 37
570 ARIANISME
collègues et au représentant de Constantin une protestation énergique
contre cette ((conspiration». Arrivés à Alexandrie, les commissaires
refusèrent d'entendre les dépositions des partisans d'Athanase; ils
admirent, par contre, le témoignage d'apostats et même celui de
païens. Ils n'étaient, en effet, pas venus pour démêler soigneusement
Vêlement de vérité, qui, vu le caractère énergique et absolu d'Atha-
nase, pouvait se trouver sous telle des accusations élevées contre lui,
des exagérations et des calomnies que la malveillance y avait ajoutées.
Le clergé orthodoxe d'Alexandrie et celui de la province de Maréotis
envoyèrent des lettres de protestation contre cette manière d'agir, aux
membres du synode de Tyr et au gouverneur de l'Egypte, avec prière
d'en communiquer le contenu à l'empereur. Sur la lecture du rapport
qui lui fut présenté, le synode de Tyr prononça la destitution
d'Athanase. Il lui fut défendu même de séjourner à Alexandrie, de
peur que sa présence n'y occasionnât des troubles. Cette sentence fut
rendue publique par une circulaire dans laquelle était énumérée une
série de méfaits dont Athanase devait avoir été eonvaincu, entre
autres sa conduite envers Ischyras, son refus de comparaître à Césarée
et de se soumettre aux décisions du synode de Tyr, les tumultes qu'il
aurait provoqués dans cette dernière assemblée et les paroles outra-
geantes qu'il y aurait adressées à certains évêques. Avant de quitter
Tyr, les évêques du synode reçurent les mélétiens dans la communion
de l'Eglise; puis ils se rendirent à Jérusalem, ils levèrent l' excom-
munication prononcée contre Arius et ses amis, après avoir assisté à
la consécration de l'église (tue Constantin avait fait bâtir dans cette
ville. C'est sur l'invitation directe de l'empereur que l'assemblée de
Jérusalem venait de se déclarer aussi ouvertement contre les décisions
de Nicée : dans la lettre qu'il avait écrite aux évêques pour les engager
à réadmettre dans l'Eglise Arius et ses amis, « qui en avaient été
retranchés récemment par envie », il avait rendu témoignage lui-
même de l'orthodoxie d'Arius, qu'il assurait avoir interrogé et dont
les réponses l'avaient satisfait ; la confession de foi qu'Arius lui avait
remise dans cette circonstance se trouvait jointe à sa lettre. Il n'était
plus fait mention, dans ces négociations, de la doctrine de Nicée.
Athanase était revenu à Alexandrie avant le retour de la commission
d'enquête à Tyr. Quand il apprit sa condamnation, il se rendit à
Constantinople et pria l'empereur de lui accorder en sa présence un
débat contradictoire avec ses ennemis. La demande était trop équi-
table pour pouvoir être refusée : Constantin ordonna aux membres du
synode de se rendre immédiatement de Jérusalem à Constantinople.
Mais les eusébiens, redoutant les révélations que la minorité ortho-
doxe eût pu faire devant l'empereur, surent empêcher, suivant
Athanase, le synode entier de se transporter dans la capitale, et tirent
en sorte qu'il n'y vint qu'une simple délégation synodale, de laquelle
ils étaient sûrs. En outre, craignant que le procès ne se rouvrît dans
les conditions défavorables où il s'était trouvé autrefois, ils recou-
rurent à une nouvelle accusation de nature essentiellement politique,
qu'ils savaient devoir produire son effet sur l'esprit de l'empereur ;
AlilANISME 571
« Athanase a empêché les blés d'Egypte d'arriver à Constantinople. »
Constantin, dans sa colère, exila Athanasc à Trêves (335). Les eusé-
biens présents à Gonstantinople songèrent à poursuivre l'avantage
obtenu. Ils s'adjoignirent un certain nombre de leurs collègues, et
tinrent un synode dans la capitale, malgré les efforts de révoque de
cette ville, Alexandre. Marcel d'Ancyre, qui, dans sa polémique
contre l'évêque arien Astérius, s'était permis quelques expressions
entachées de sabellianisme, et dont le procès avait été déjà commencé
à Jérusalem, fut destitué et excommunié. Ordre fut donné de brûler
les copies de son livre. Rien ne s'opposait plus à l'admission solen-
nelle d'Arius dans l'Eglise. Cette cérémonie ne pouvant avoir lieu à
Alexandrie, à cause du puissant parti qu'y possédait Athanase, les
eusébiens résolurent de la célébrer dans la capitale même de l'empire.
La veille du jour fixé, un samedi, l'évêque Alexandre se rendit à
l'église, en compagnie de deux presbytres dont l'un était Macarius, et,
s'agenouillant devant l'autel, il adressa à Dieu, au dire d'Athanase, la
prière suivante : « Si Arius doit être reçu demain dans l'Eglise,
enlève-moi auparavant de ce monde ; mais si tu as pitié de ton Eglise,
et je sais que tu en as pitié, n'abandonne pas ton héritage à la ruine
et à la honte, et ôte Arius de cette terre, afin que l'hérésie et l'impiété
n'entrent pas avec lui dans l'Eglise». Le soir de ce même jour, Arius
traversait la ville en compagnie d'Eusèbe de Nicomédie et de quelques
amis, quand il fut obligé de se retirer dans une latrine publique où il
fut trouvé mort peu d'instants après (336). Le lendemain, Alexandre
célébra les louanges de Dieu, « non qu'il se fût réjoui de la mort
d'Arius, mais parce qu'il voyait dans cet événement un jugement du
Seigneur même ». — Dans la lutte entre l'arianisme et l'orthodoxie, la
question de principes avait si bien prévalu sur la question de
personnes, qui peut-être n'en avait pas été complètement absente à
l'origine; en outre, tant d'éléments divers s'étaient ajoutés successive-
ment au fond premier du débat, que les deux auteurs de la querelle
disparurent l'un après l'autre, sans que leur mort exerçât une
influence quelconque sur l'issue de la lutte. Constantin mourut le
22 mai 337, après avoir été baptisé par Eusèbe de Nicomédie. Ses
trois fils se partagèrent l'empire et continuèrent la politique ecclé-
Mastique de leur père. En Orient, Constance se prononça pour
l'arianisme; en Occident, Constantin II et Constant se déclarèrent
pour l'orthodoxie. Dans leur entrevue à Sirmium, en Pannonie, les
trois frères décidèrent que les évêques bannis seraient rappelés (338).
Sa j i^ doute les deux Césars d'Occident comptaient s'attacher les
Orthodoxes d'Orient par une mesure dont ceux-ci devaient surtout
profiter. En automne 338, Athanase revint à Alexandrie. Il avait reçu
pour les habitants de cette ville (sujets de Constance) une lettre du
César des Gaules, Constantin II, dans laquelle celui-ci le comblait
d'éloges, et racontait que Constantin I"r n'avait exilé Athanase que
pour l«- soustraire aux mains sanguinaires de ses ennemis, et que,
vers la lin de -;t vie, il avait même eu l'intention de le rappeler dans
son diocèse. Quoi qu'il en ><>it, Constantin 1er n'avait pas désigné de
572 ARIANISME
successeur à Athanase. Ce retour de fortune, dû à la pression exercée
sur Constance par des princes étrangers, ne fut pas de longue durée
pour les orthodoxes. Les ariens s'en prirent d'abord à l'évêque Paul,
de Constantinople, partisan d'Athanase, banni peu d'années aupara-
vant pour élection vicieuse, et revenu en 338 dans son diocèse. Ils le
chassèrent une seconde fois de son siège et lui donnèrent comme
successeur Eusèbe de Nicomédie. Puis ils reprirent leurs intrigues
contre Athanase, en plaçant à côté de lui, comme évêque des ariens
d'Alexandrie, un ancien ami d'Arius, nommé Pistus. Athanase, de
son côté, sentant la nécessité de repousser solennellement les accusa-
tions qui pesaient sur lui, réunit à Alexandrie un synode de quatre-
vingts évêques égyptiens, où fut rédigée, sous forme de circulaire, une
apologie complète de sa conduite (340) . La même année, Constantin II fut
battu et tué à Aquilée par Constant; l'Occident n'avait plus qu'un seul
maître. L'évêque de Rome y occupait une position prédominante ; de
son attitude dépendait celle de la majorité des évêques latins : aussi
ariens et orthodoxes rivalisèrent-ils d'efforts pour le gagner à leur
cause. Le premier acte du grand drame avait eu Nicée pour théâtre;
le deuxième, Alexandrie; le troisième devait se dérouler autour de
Rome, et le dernier autour de Constantinople.
III. Les envoyés des eusébiens rencontrèrent à Rome ceux d' Atha-
nase, et comme ils eurent le dessous dans les discussions qu'ils engagè-
rent avec eux en présence de l'évêque Jules, ils s'écrièrent, pour sortir
d'embarras, qu'ils se faisaient forts de soutenir leurs accusations devant
un synode que l'on devait convoquer à Rome. Jules s'empressa d'ac-
cepter le rôle d'arbitre que les ariens venaient de lui offrir à la légère :
rien ne pouvait mieux lui convenir que le droit de réviser les décisions
de tous les synodes tenus" par les Orientaux depuis 325. Comprenant,
mais trop tard, la maladresse qu'ils avaient commise, les eusébiens ten-
tèrent de rendre d'avance inutile l'œuvre du synode de Rome en re-
nouvelant au synode d'Antioche (341), la destitution d' Athanase, sous
prétexte qu'il avait repris possession de son siège sans l'autorisation d'une
assemblée ecclésiastique. Marcel d'Ancyre eut le même sort. Quatre
confessions de foi, conçues dans l'esprit du semiarianisme , furent
proposées au synode par plusieurs de ses membres et adoptées par lui.
La première était rédigée en termes purement bibliques. La deuxième,
qui venait du presbytre Lucien d'Antioche et fut simplement approu-
vée par le synode, appelait Christ « le Fils engendré avant tous les
temps, Dieu issu de Dieu, l'indivisible issu de l'indivisible, l'unique
issu de l'unique, le parfait issu du parfait, l'immuable image de la
divinité, de l'essence et de la volonté du Père » ; d'après elle, les
personnes trinitaires ne sont pas des noms sans réalité, mais de vraies
personnes «selon le rang et la majesté». La troisième, rédigée par
Théophronius, était encore plus explicite : « Christ est Dieu parfait,
engendré du Dieu parfait avant tous les temps, qui a toujours existé
auprès du Père comme une hypostase réelle». La quatrième se
rapprochait assez de la formule de Nicée, mais il y manquait, comme
dans les trois autres, les termes de « consubstantiel au Père » ; comme
ARIAXISME 573
celles-ci, élit' n'attribuait au Fils qu'une éternité relative, «avant tous
les temps 0 et n'enseignai! pas explicitement la génération du Fils de
la substance du Père; comme elles, elle se terminait par la condamna-
tion des propositions d'Arius et de Sabellius, c'est-à-dire que ces
confessions s'assignaient elles-mêmes une position intermédiaire entre
L'arianisme strict et l'orthodoxie nicéenne, que certains esprits consi-
déraient comme menant inévitablement au sabellianisme. Secondé par
Le gouverneur d'Alexandrie, le Cappadocien Grégoire, que le synode
avait désigné comme successeur à Athanase, prit violemment posses-
sion de son diocèse pendant les fêtes de Pâques (341), et contraignit
Athanase à quitter la ville. Celui-ci, après un court séjour dans les
environs d'Alexandrie, pendant lequel il retraça dans une éloquente
circulaire les actes de sauvagerie qui avaient marqué l'arrivée de
Grégoire, se rendit à Rome, accompagné de deux moines, qui furent
pour Flialie une apparition d'un genre tout nouveau. Le synode
convoqué par l'évêque Jules se réunit en 342. Il se composait de
cinquante évèques, tous occidentaux : Athanase, .Marcel et Paul furent
déclarés innocents et réconciliés avec l'Eglise. Les eusébiens s'étaient
excusés de ne pas venir, en disant que les évèques occidentaux ne
pouvaient rien changer aux décisions de leurs précédents synodes.
Athanase resta en Italie ; il mit à profit son séjour pour raffermir
L'épiscopat latin dans la foi de Aicée. La même année, mourut Eusèbe
de Constantinople, la vraie tète du parti arien, Fàme de toutes les
intrigues ourdies contre Athanase ; il avait su prendre sur Constance
le même ascendant qu'il avait déjà possédé sur Constantin. Après des
luttes sanglantes qui nécessitèrent l'intervention de l'empereur, les
ariens réussirent à écarter Paul, qui était revenu, et à faire prévaloir
leur candidat, Macédonius. Eusèbe de Césarée, le savant historiographe,
était mort quelques années auparavant, et avait été remplacé par
son disciple Acacius. Malgré les efforts tentés à Antioche par
les eusébiens pour se donner une apparence d'orthodoxie aux
yeux de Constant et de l'épiscopat latin qu'ils savaient encore assez
peu imbu des doctrines de Nicee, aucune de leurs quatre confessions
n'obtint l'assentiment du synode de Rome. Les eusébiens essayèrent
parer cet insuccès en tenant un nouveau synode à Antioche (343).
Une nouvelle confession de foi, de tendance également semiarienne et
appelée La longue confession ([j.x/.zzz-:yz;), y fut rédigée. «Quoique su-
bordonne au Père, disait-elle, le Fils a cependant été engendré du Père,
par la volonté du Père, avant tous les temps; il est de nature (çucei) Dieu
véritable et parlait, égal au Père en toutes choses; et il a été tel de tout
temps, b Sont rejetées les opinions suivant lesquelles il y aurait dans
la Trinité trois Dieux ou bien une seule personne, et suivant lesquelles
le Fila aurait existé idéalement comme Parole immanente au Père avant
d'exister d'une manière réelle comme Parole manifestée, ou bien au-
rait été engendré nécessairement par le Père, ou bien aurait été créé
du néant. Arius, qui était uc.it réconcilié avec l'Eglise, n'y est point
nommé à côté de Sabellius, Marcel et Paul de Samosate, quoique ses
doctrines j -oient condamnées comme les Leurs. Une députation d'évè-
574 ARIANISMB
ques fut chargée de porter ce document en Italie : il leur fut répondu
qu'on n'entreprendrait pas un nouvel examen des questions déjà tran-
chées par le concile de Nicée, à la formule duquel on devait s'en tenir.
Les évêques latins résolurent de porter remède à une situation aussi
déplorable. Comme les lettres que Constant avait écrites sur leurs ins-
tances à son frère, pour demander le rappel des évêques exilés, étaient
restées sans effet, ils prièrent Constant de s'entendre avec Constance en
vue de la convocation d'une assemblée générale des évêques de l'em-
pire, chargée de mettre lin à toutes les querelles pendantes. Les deux
souverains convoquèrent en 347 ce concile à Sardica, en Illyrie. Il y
vint environ 170 évêques, dont 70 Orientaux. Pendant que ces der-
niers traversaient la Thrace, ils apprirent que leurs collègues déjà pré-
sents à Sardica avaient admis Àthanase, Paul et Marcel, sur la conduite
ou la doctrine desquels le synode devait se prononcer, à siéger dans
l'assemblée avec voix délibérative. Ils envoyèrent de Philippople des
députés pour demander que les évêques en question quittassent le
synode jusqu'après l'examen de leur affaire ; puis ils continuèrent leur
voyage. Sous cette question de formalité judiciaire se cachait la ques-
tion bien autrement grave de savoir si les décisions des précédents
synodes orientaux seraient prises ou non en considération par les évê-
ques occidentaux, si l'Eglise d'Orient allait subir ou non la prédomi-
nance de l'Eglise d'Occident. A Sardica les Orientaux renouvelèrent
leur demande, et, pour gagner du temps, proposèrent d'ordonner de
nouvelles enquêtes dans les diocèses des évêques incriminés. Mais les
Occidentaux leur déclarèrent qu'ils ne pouvaient exclure de l'assem-
blée des évêques dont plusieurs synodes, notamment celui de Rome,
avaient constaté l'innocence ; que d'ailleurs ils considéraient tous les
synodes tenus depuis 325 comme nuls et non avenus, et regardaient le
concile de Sardica comme le continuateur de celui de Nicée. De même
ils jugèrent de nouvelles enquêtes inutiles, puisque les accusés étaient
présents. Sur ce refus, les Orientaux quittèrent Sardica à l'exception de
deux d'entre eux, qui tenaient pour Athanase, et revinrent à Philip-
pople où ils se constituèrent en synode particulier. Ils commencèrent
par signer la quatrième confession d'Antioche pour prévenir toute accu-
sation d'hérésie; puis ils renouvelèrent l'excommunication d' Athanase,
de Marcel et de Paul, et frappèrent de la même sentence les principaux
membres du synode de Sardica, entre autres Jules et Hosius. Pendant
ce temps le synode de Sardica, sous la présidence de Hosius, déclara
qu'il s'en tiendrait strictement à la formule de Nicée, sans addition ni
commentaires, proclama l'innocence d'Athanase et de ses deux amis et
excommunia les chefs du parti arien, entre autres Acacius, Ursacius et
Valens. En outre il adopta plusieurs canons qui ont une haute impor-
tance dans l'histoire du droit ecclésiastique. Une grande effervescence
s'était emparée des esprits. A Andrinople, l'évêque Lucius, accusé
d'avoir jeté aux chiens les hosties consacrées par les ariens, fut exilé,
tandis que dix de ses partisans furent décapités. Les deux évêques orien-
taux restés à Sardica, furent également exilés. A Alexandrie, le gouver-
neur reçut de l'empereur l'ordre de surveiller les ports, pour saisir
ARIANISME 575
Athanase ci le mener au supplice, s'il se présentait; bientôt après. Vé~
vêque Grégoire, qui avait essayé depuis sou arrivée cPextirper r ortho-
doxie de sou diocèse, tut assassine dans uneéineute populaire.— Partie
d'une communauté d'Egypte, la division religieuse s'était étendue sur
tout L'empire. La rupture était consommée entre Home et Constanti-
nople. Une tentative de conciliation n'eût pu venir que de L'autorité
impériale; malheureusement les deux Césars étaient aussi divisés parla
religion que par la politique. Tout dépendait de savoir qui des deux
frères parviendrait à imposer à l'autre ses préférences théologiques.
Constance étant alors en guerre avec les Perses, son frère crut l'occa-
sion favorable, et lui écrivit de reconnaître les décisions de Sardica et
de rappeler les évêques bannis, le menaçant, s'il refusait, de ramener
lui-même Athanase à Alexandrie. Constance crut prudent de céder sur
le second point. Athanase se défiait sans doute de cette faveur inatten-
due, car il fallut trois lettres de Constance pour le décider à quitter
Àquilée et à venir à Constantinople où l'empereur le reçut av^c tous
les dehors de la bienveillance. En passant par la Palestine, il décida
Maxime de Jérusalem à réunir dans cette ville un synode, qui, réglant
son attitude sur celle de l'empereur, proclama l'innocence d' Athanase.
Ursacius et Valens, qui avaient été exilés à leur retour en Occident,
pour le rôle qu'ils avaient joué à Sardica, jugèrent prudent de se ré-
concilier avec lui. Dans une lettre à l'évêque Jules, ils reconnurent la
fausseté de toutes les accusations élevées contre son protégé; en outre
ils s'adressèrent directement à Athanase pour lui demander son pardon.
Celui-ci, pendant ce temps, était rentré en triomphe à Alexandrie (348).
L'enthousiasme du peuple s'était manifesté d'une bien singulière ma-
nière : beaucoup de jeunes gens et de jeunes filles s'étaient voués à la
vie monacale, qu' Athanase estimait très-haut; d'autres avaient fêté le
retour de leur évêque par des actes de charité extraordinaires. En 350
Constant fut assassiné par Magnence. Cet usurpateur disputa pendant
trois ans l'Occident à Constance. Celui-ci, occupé en outre par la guerre
contre les Perses, crut nécessaire de ménager pendant ce temps Atha-
nase et les orthodoxes. Cependant au synode de Sirmium (351) les évê-
ques orientaux préludèrent aux hostilités qui ne devaient pas tarder à
se rouvrir, en condamnant un disciple de Marcel, Photin de Sirmium,
pour crime de sabellianisme. La confession adoptée par ce synode re-
produit les doctrines de la « longue formule. » L'année suivante mou-
rut I évéque Jules; son successeur, Libérius, n'avait pas sa force de
caractère. Athanase venait de perdre en deux ans ses deux plus puis-
sants soutiens. Les ariens tirent un nouvel essai pour gagner l'évêque
de Home. Depuis son retour, Athanase s'était efforcé de détruire l'œu-
\iv de l'évêque George, et de rendre à des orthodoxes la direction des
Eglises d'Egypte. 11 fut accusé auprès de Libérius d'avoir outrepassé ses
droits dans cette circonstance. Cité à Rome pour se justifier en vertu
du droit d'arbitrage dans les querelles entre évêques que le synode de
Sardica avait reconnu à l'évêque Jules, il refusa d'y comparaître, et Li-
bérius l'excommunia. Cependant, quand il eut reçu la lettre de justi-
fication qu' Athanase avait fait rédiger par un synode d'évêques égyp-
576 ARIANLSME
tiens convoqué à cet effet, et surtout quand il eut vu combien d'évêques
latins prenaient fait et cause pour l'évêque d'Alexandrie, Libérius se ré-
concilia avec Athanase. — Parla défaite et la mort deMagnence, l'arien
Constance devint seul maitre de l'empire (353). Aussitôt il jeta le mas-
que. Par son ordre, un synode d'évêques occidentaux et orientaux se
réunit la même année à Arles. Les Occidentaux, pour détourner le coup
dont Athanase était menacé, proposèrent de s'occuper d'abord des
questions dogmatiques, pensant gagner ainsi du temps et jeter la
division dans les rangs de leurs ennemis. Mais les Orientaux, qui te-
naient la haute main dans l'assemblée, grâce à l'appui de l'empereur,
déclarèrent qu'ils n'étaient pas venus pour se livrer à des discussions
théologiques ; Constance, de son côté, publia un décret dans lequel il
menaçait de l'exil tous ceux qui ne consentiraient pas à la condamna-
tion d'Athanase. Tous les évêques, y compris les deux délégués de Li-
bérius, se soumirent, à l'exception de Paulin de Trêves, qui fut banni
en Phrygie. L'Orient venait de conquérir la suprématie sur l'Occident.
Espérant que leurs affaires se rétabliraient dans une autre assemblée,
les évêques latins, à leur tête Libérius, prièrent l'empereur de convo-
quer un nouveau synode général. Cette assemblée se réunit à Milan (355).
Les Occidentaux y étaient en grande majorité. Eusèbe de Vercelli, chef
du parti orthodoxe, renouvela la proposition de commencer par la ques-
tion de dogme, et comme elle fut acceptée, il mit aux voix l'adoption
pure et simple de la formule de Nicée. L'évêque Denis de Milan s'ap-
prêtait à la signer, quand Yalens, qui s'était hâté ainsi qu'Ursacius de
retirer sa rétractation après la mort de Constant, lui arracha la plume
de la main. 11 s'ensuivit un grand tumulte auquel le peuple prit part,
ce qui nécessita la translation du synode dans le palais même de l'em-
pereur. Là, les Orientaux produisirent, par ordre de Constance, une
formule qui enseignait que le Fils est subordonné au Père et qu'il ne
lui est pas co-éternel, n'étant pas non-engendré comme lui. Malgré les
représentations de l'empereur, les Occidentaux, appuyés par le peuple,
rejetèrent cette formule comme arienne. Alors on coupa court aux dis-
cussions dogmatiques pour s'occuper des nouvelles accusations qui
avaient été élevées contre Athanase, entre autres celle d'avoir favorisé
Magnence, ce qui constituait un crime de haute trahison. Athanase pro-
teste dans ses écrits avec la plus grande énergie contre cette imputa-
tion. Les évêques latins eurent beau représenter à l'empereur que les
nouvelles accusations n'avaient pas été convenablements examinées, et
que les anciennes étaient suffisamment réfutées par la rétractation d'Ur-
sacius et de Yalens, Constance déclara qu'il se portait lui-même pour
accusateur contre Athanase, et que sa volonté valait bien un canon de
FEgiise; et il ajouta que les membres du synode avaient à excommu-
nier Athanase, ou bien à se rendre eux-mêmes en exil. Tous les évê-
ques obéirent, excepter Lucifer de Cagliari, Eusèbe de Vercelli, Denis
de Milan et les délégués de l'évêque de Home, qui furent bannis en
Orient. Hosius et Libérius, qui étaient restés dans leurs diocèses, refu-
sèrent également de se soumettre; ils furent amenés devant l'empereur,
qui essaya vainement de les gagner ; Hosius dut rester à Sirmium, et
ARIAXISME 577
Libérius fut conduit à Bérée, en Syrie. La victoire de L'Orient sur l'Oc-
cident était complète. Athanase n'avait pas quitté l'Egypte depuis 349.
Il essaya d'apaiser l'empereur par une députation chargée de réfuter
les accusations produites à Milan; ce fut en vain. Craignant de provo-
quer des troubles, Constance n'osa cependant exécuter immédiatement
la sentence du dernier synode; il préféra user de ruse et envoya à Atha-
nase Tordre de se rendre à Constantinople. Athanase, après avoir con-
sulté son Eglise sur ce qu'il devait faire, resta à Alexandrie. Constance
se décida alors à joindre la violence à la ruse: sur son ordre, le com-
mandant des légions d'Egypte, Syrianus, entra dans la ville avec des
troupes. Le peuple aussitôt, devinant ses projets, se souleva contre lui.
Syrianus, pour l'apaiser, déclara solennellement qu'Athanase n'avait
rien à craindre; mais quelques semaines plus tard, il attaqua brusque-
ment, pendant la nuit, à la tête de o,000 hommes, l'église dans laquelle
Athanase présidait au culte. Un combat s'engagea dans l'intérieur du
temple : Athanase demeura sur son siège, refusant de fuir au milieu
du danger commun, et s'il ne périt pas dans le tumulte, c'est qu'il fut
en levé de sa place et emporté hors de l'église par quelques moines.
D'odieux excès suivirent cet acte de violence. Un misérable du nom de
Grégoire, originaire de Cappadoce comme l'évoque arien précédent,
avait été désigné comme successeur d'Athanase; il fit peu de temps
après son entrée dans la ville, entouré d'une escorte de soldats. Le
peuple demeura tranquille. Une persécution systématique fut organisée
dans toute l'Egypte contre les partisans d'Athanase. La peine du fouet,
le bannissement et le travail des mines attendaient les ecclésiastiques
qui restaient fidèles à leur foi etàleur évêque ; en même temps parut un
décret de Constance, enjoignant à tous les évêques de l'empire de rompre
la communion ecclésiastique avec Athanase. Celui-ci, après s'être caché
pendant quelques jours dans une maison d Alexandrie, se rendit chez les
ermites de la haute Egypte, ses zélés partisans. Un jour, pris du désir
d'aller se justifier devant l'empereur, il se rapprocha d'Alexandrie;
mais, apprenant qu'on continuait à le chercher très-activement, il rentra
dans le désert. Là il déploya une activité littéraire remarquable; ses
principaux ouvrages virent le jour pendant son troisième exil ; il continua
à combattre l'arianisme avec la plume, la seule arme qui lui restât
encore.
IV. L'arianisme avait atteint son apogée. La persécution sévissait en
Orient contre les défenseurs de la foi de Nicée. Athanase et son parti pa-
raissaient définitivement vaincus. Alors éclatèrent dans le parti arien les
divergences dogmatiques, dont le besoin d'une action commune con-
tre un même adversaire avait seul retardé jusqu'alors l'apparition.
En 365, était arrivé à Alexandrie un certain Aëtius, autrefois diacre
à Antioche, el qui avait été obligé de renoncer à ces fonctions et de
quitter la ville à cause des dissensions que sa présence aurait produites
dans cette communauté, si elle s'était prolongée. Cet Àëtiusavaiteu au
synode de Sirmium (351) nue discussion avec Basile d'Ancyreel Eusta-
che de Sébaste, dans laquelle l'avantage lui était resté grâce à sa con-
naissance de la philosophie d'Aristote. A Alexandrie, où l'évêque
578 ARIANISME
George lui rendit ses fonctions de diacre, il provoqua avec son disciple
Eunomius la renaissance de l'arianisme strict. Cette tendance à laquelle
s'adjoignirent principalement Acacius de Césarée, Eudoxiusd'Antioche,
Ursacius et Valens, ne fut cependant jamais représentée dans le parti
arien que par une minorité assez petite, à cause des conséquences
irréligieuses auxquelles elle aboutissait. Les ariens stricts reçurent
d'après leur doctrine les noms d'anoméens et d' ' exoukontiens (ôvé^oioç,
s; eux ovxwv), et d'après leurs principaux chefs ceux d" eunomiens,
d'acaciens. Ariûs avait défini Dieu, dans le sens platonicien, comme
l'être en soi, incompréhensible même au Fils, mais il avait ajouté que
le Fils arrive cependant à connaître Dieu dans une certaine mesure,
car le Père se révèle à lui par grâce. Cette dernière thèse fait défaut
chez Aëtius : il s'est plu à élargir encore l'abîme qu'Arius avait ouvert
entre l'être absolu du Père et l'être relatif du Fils. D'après lui, le Dieu
non engendré ne peut pas engendrer, car ce serait communiquer sa
substance non engendrée à un être engendré, et faire naitre dans le
temps ce qui existe déjà de toute éternité; d'ailleurs, l'idée de géné-
ration éveille des idées trop grossières pour qu'on puisse l'appliquer à
Dieu. Le Fils a donc été créé par la volonté du Père; il n'a pas existé
avant d'avoir été créé ; sa substance est différente (èTcpoùatoç, à^6[xoioq)
de celle du Père. Le Fils ne ressemble au Père que par son activité
(par la volonté, suivant Acacius), c'est-à-dire par la puissance de créer
qu'il partage avec le Père et qui constitue sa divinité, car elle l'élève
au-dessus du niveau ordinaire des créatures. Il n'existe donc en Dieu
ni Père, ni Fils; le Verbe est en lui-même tellement différent de Dieu,
qu'il ne le connaît même pas : plus il s'efforce de connaître Dieu, plus
Dieu se cache devant lui. Après avoir ainsi abaissé le Fils bien plus
que ne l'avait fait Arius, et au point de s'attirer le surnom d'athée,
Aëtius élève l'homme et ses facultés jusqu'à la similitude avec Dieu,
sans se préoccuper de la contradiction qu'il peut y avoir entre cette
thèse et la précédente. Dans son rationalisme outré, il proclame, d'après
la méthode philosophique d'Aristote, l'intelligibilité absolue de Dieu : « Je
connais Dieu aussi bien que moi-même; la faute en est à l'homme, si son
intelligence obscurcie par de mauvaises pensées n'est plus capable de
comprendre Dieu. » Suivant Eunomius, « Dieu ne connaît pas mieux
son essence que nous ne la connaissons ». Pour Aëtius et son disciple
la compréhension parfaite de la substance divine consistait, en effet,
dans la notion même de l'être en soi (ày£Tr/]Gi%) que le Père seul
possède. Quant au Saint-Esprit, il n'était pour eux, comme pour Arius,
que la première créature du Fils. Les eunomiens n'administraient le
baptême que par une seule immersion. La majorité du parti arien, à
sa tête Basile d'Ancyre, Eustache de Sébaste, Euzojus, Auxentius de
Milan, continua à représenter la tendance plus modérée qui s'était
exprimée dans les formules d'Antioche de 341 et 343. Ces semiariens
('Hjjuapeioij ariens à demi) rejetaient comme sabellienne la doctrine de
l'unité substantielle du Père et du Fils [p\Kooûisioq = TawTootaioç), et comme
irréligieuse celle de leur différence substantielle (sTspouaioç). D'après eux,
le Fils, engendré du Père avant tous les temps et par la volonté du Père,
ARIANISMB 579
et non créé du néant, possède une substance semblable à celle du
Père (ojjloioç kot' oùaiav, àjjwiotiaioç), mais qui ne lui est pas égale, car elle
n'esl pas non-engendrée (àrfèwrpoç) comme elle. Le Filsôccupe decette
manière une position [intermédiaire entre Dieu et les créatures : de
même qu'il a été homme sans être identique aux hommes par rapport
au péché, de même il est Dieu sans être identique à Dieuquantà L'être
en soi (ÔY£vvT|(7(a) et L'éternité absolue. L'incohérence et le peu de
profondeur de ces opinions dogmatiques, qu'Athanase a fort bien rele-
vées quand il a comparé ironiquement la ressemblance du Père et du
Fils dans ce système à la ressemblance de l'argent et de l'étain, résid-
aient de la fausse position qu'occupait ce parti entre les exigences de
la philosophie et celles du sentiment religieux. Les semiariens se
payaient de mots en pensant éviter de la sorte le principe de la diffé-
rence substantielle du Père et du Fils, qui restait à leur insu la base de
leur doctrine. Cette cause intérieure de faiblesse amènera la défaite et
la dissolution de leur parti. Trompés et vaincus, après quelques succès
passagers, par la minorité turbulente des ariens, ils tenteront de se
rapprocher des orthodoxes, et comme ceux-ci leur demanderont de
reconnaître le symbole de Nicée, le moment de la crise sera arrivé :
les uns seront amenés par le sentiment chrétien ou par l'intérêt à
..' » epter la foi orthodoxe; les autres accentueront davantage leur hos-
tilité contre la doctrine de Nicée et s'adjoindront au parti de l'aria-
nisme pur. Ce furent les ariens qui provoquèrent cette scission. Sous
prétexte de rétablir la paix dans l'Eglise, ils réussirent, grâce à la
faveur dont Ursacius et Valens jouissaient auprès de l'empereur, à faire
adopter par le deuxième synode de Sirmium (357) la déclaration sui-
vante : « Comme les termes de substance, consubstantialité, similitude
de substance choquent beaucoup de fidèles, il n'en doit plus être fait
mention, d'autant plus qu'ils ne sont pas scripturaires. Le mode de la
génération du Fils dépasse l'intelligence humaine; seuls, le Père et le
Fils le connaissent. Cependant, il est hors de doute que le Père est plus
grand que le Fils, car le Fils l'a dit lui-môme. » Hosius, âgé de plus
de cent ans, et Libérius, dont deux ans d'exil avaient lassé la patience,
signèrent cette formule et la condamnation d'Athanase, pour pouvoir
rentrer dans leurs diocèses. Hosius mourut l'année suivante en regret-
tant amèrement cet acte de faiblesse. Quant à Libérius, il informa
lui-même l'empereur du changement de ses dispositions, et comme la
lettre de rappel tardait à venir, il pria les évoques orientaux et môme
l rsacius et Valens d'intercéder pour lui auprès de Constance : il leur
déclara qu'il n'avait protégé Athanase que par égard pour son pré-
décesseur Jules, que, depuis lors, Dieu lui avait fait comprendre la légi-
timité de la condamnation d'Athanase, qu'il avait rompu toute com-
munion avec lui et signé de grand cœur la « formule catholique de
Sirmium ». Pendant cette capitulation de ses principaux chefs, lYpis-
copat latin, réuni à Agen, protestait de son dévouement à la doctrine
de .Nicée. Enhardis par Le succès, les ariens placèrent par ruse un des
Leurs, Eudoxius, sur le siège d'Antioche, chassèrent leurs adversaires
de cette ville, .-t. s'y ('fuit réunis en synode (358), envoyèrent à Ursa-
580 AIUANLSME
cius et à Valens une lettre de félicitations pour l'habileté avec laquelle il
avait amené l'Occident à la vraie foi. Irrités de ces menées audacieuses,
les semiariens se réunirent à Ancyre (358) et condamnèrent à la
fois rhomœousie orthodoxe et l'hétérousie arienne, après avoir affirmé
leur doctrine propre de rhomœousie. Puis ils envoyèrent trois délé-
gués à Sirmium pour informer l'empereur des décisions qu'ils venaient
de prendre. Ces délégués réussirent si bien à gagner Constance à leur
manière de voir, qu'ils obtinrent qu'un nouveau synode (le troisième)
serait tenu à Sirmium (358) par les évoques encore présents dans cette
ville. Telle était alors la versatilité des esprits, que, pour plaire à l'em-
pereur, les ariens rejetèrent la confession qu'ils avaient faite à Sir-
mium Tannée précédente, et en adoptèrent une autre qui proclamait
l'homœousie du Père et du Fils. Ursacius et Valens la signèrent, ainsi
que Libérius, qui devint aussi aisément semiarien, qu'il était devenu
arien strict. Les semiariens abusèrent de leur victoire : ils représentè-
rent leurs adversaires auprès de Constance non-seulement comme des
hérétiques, mais encore comme des gens dangereux au point de vue
politique, qui devaient avoir entretenu des intelligences avec le neveu
de l'empereur, Gallus, exécuté peu auparavant par ordre de Constance.
Aëtius avait, en effet, joui pendant quelque temps de la faveur de
Gallus. Dans une lettre à l'Eglise d'Antioche, l'empereur se prononça
en faveur du semiarianisme et ordonna à l'évoque Eudoxius de quitter
la ville. 11 bannit de même les autres chef s de l'arianisme strict, au nom-
bre de dix-sept. Mais le triomphe des semiariens fut de courte durée.
Le parti vaincu avait à la cour des défenseurs trop habiles pour qu'il
dût rester longtemps en disgrâce. Ursacius et Valens réussirent à dé-
montrer à l'empereur que sa politique de persécution religieuse nuisait
à la sécurité de l'empire, et ils lui inspirèrent le dessein de rendre
la paix à l'Eglise par le moyen d'un nouveau synode et d'une nouvelle
formule. Les évêques bannis furent rappelés, et le synode fut convoqué
à Nicée. Mais les ariens , pour ne pas avoir à combattre tous leurs
adversaires à la fois, insinuèrent qu'il serait trop difficile et trop coû-
teux de réunir tous les évêques dans une seule ville et firent ainsi
échouer le plan d'un synode unique. Constance décréta que les Occiden-
taux se réuniraient à Rimini., et les Orientaux àSéleucie,en Isaurie.Une
quatrième formule, adoptée à Sirmium, par les évêques encore présents
dans cette ville, devait servir de base aux délibérations des deux assem-
blées. Il y était dit que le terme de substance (et par conséquent aussi
tous ses composés) ne devait plus être employé à propos de Dieu comme
n'étant pas scripturaire, et que « le Fils est semblable au Père en toutes
choses, comme le disent les Saintes Ecritures ». Cette dernière propo-
sition, ajoutée sur l'ordre exprès de l'empereur, semblait donner gain
de cause aux semiariens, qui n'avaient consenti assurément à la sup-
pression du mot substance, ousia, que pour atteindre par là le mot
d'ordre de l'orthodoxie, et celui de l'arianisme, tout eh maintenant
debout leur propre doctrine, puisque la similitude de substance fait
évidemment partie de la similitude «en toutes choses». Les ariens, de
leur côté, s'applaudissaient de l'interdiction de ce terme, car ils y
AttlANISME 581
voyaient implicitement renfermée celle de tous les symboles orthodoxe s
el semiariens qui le contenaient; et ils se retranchaient derrrière les
mots « comme le disent les Saintes Ecritures » pour pouvoir interpré-
ter à leur façon la thèse semiarienne qui précède. Chaque parti s'ima-
ginait avoir obtenu l'avantage sans rien céder lui-même; on avait
cherché réciproquement à se tromper : la victoire devait appartenir
aux plus habiles. —Le synode de Rimini s'ouvrit le premier (359), sous
la présidence de l'évêque orthodoxe de Cartilage, Restitutus, et la sur-
veillance d'un officier de l'empereur. Ce dernier avait ordre de ne
laisser partir les évêques que lorsqu'ils se seraient entendus sur les
questions qui leur seraient soumises. Sur quatre cents évêques, quatre-
vingts étaient ariens. Les orthodoxes, qui formaient la majorité, repous-
sèrent la quatrième formule de Sirmium, et condamnèrent comme héré-
tiques toutes les formules faites depuis 325; ils signèrent le symbole
de Nicée et déclarèrent que l'expression de substance devait rester en
usage. Ursacius et Valens, avec un certain nombre de leurs amis,
furent excommuniés. Mais les dix délégués, qui devaient annoncer ces
décisions à l'empereur, furent prévenus à la cour par les ariens, si
bien que Constance leur ordonna de demeurer à Andrinople jusqu'à
son retour, et il partit pour la guerre contre les Perses. Les menaces
de l'empereur, une attente de six mois, et la considération que la foi
orthodoxe n'était pas réellement atteinte par le rejet d'un terme non
scripturaire, amenèrent ces délégués à composition : ils signèrent
à Nice, en Thrace, une formule rédigée par Ursacius et Valens, et sem-
blable à la quatrième formule de Sirmium, si ce n'est qlffe* l'interdic-
tion prononcée contre le terme de substance était encore étendue à
celui d'hypostase, et que les mots « en toutes choses » y manquaient.
Les évêques de Rimini détruisirent leur propre ouvrage et acceptèrent
presque tous cette formule. Ils écrivirent même à l'empereur pour le
remercier de leur avoir enseigné à ne plus se servir de termes étran-
gers à l'Ecriture et choquants pour les fidèles, et pour lui déclarer
qu'ils rejetaient l'expression de consubstantielle comme indignede Dieu,
parce quelle ne se trouve pas dans la Bible. Le synode de Séleucie
commença quelque mois plus tard (359). Il se composait de cent cinq
semiariens, de quarante ariens et de dix orthodoxes, parmi lesquels se
trouvait Hilaire, de Poitiers, que Constance avait exilé en Phrygie après
Le synode de Milan. Un officier impérial assistait aux séances. Les ariens
ouvrirent hardiment la discussion sur la base de la quatrième formule
Sirmium, et cherchèrent à réfuter la doctrine semiarienne en décla-
rant que deux substances peuvent être identiques ou différentes, mais
non semblables : à l'appui de cette thèse, ils lurent un sermon pro-
noncé autrefois par Aëtius à Antioche, où il était dit qu'il n'existe à
proprement pari. m- en Dieu ni Père ni Fils, sansquoi il faudrait admet-
tre que Dieu a une femme et des organes de génération ; et que le
Verbe, loin de ressembler à Dieu, ne le connaît même pas. Cette lecture
provoqua un grand tumulte dans l'assemblée. Effrayés de ces consé-
quences extrêmes du principe arien, les semiariens se rapprochèrent
des orthodoxes et se déclarèrent prêts à signer le symbole de Nicée si
582 AKIANISME
Ton en retranchait le mot « consnbstantiel ». Cette attitude des semia-
riens décida les ariens à quitter la séance et à envoyer le lendemain
au synode une lettre, dans laquelle, cachant leurs véritables opinions
de peur d'un désastre, ils se déclaraient prêts à signer la deuxième
formule d'Antioche de Tan 241 ; ils continuaient, il est vrai, à rejeter
comme non scripturaires les mots d'ordre de l'orthodoxie et dusemia-
rianisme, mais ils condamnaient « ceux qui disent que le Fils est
dissemblable (ôvo^oioç) au Père », et confessaient d'une manière équi-
voque que le' Fils est semblable (o^oioç) au Père. Interrogé dans la
séance suivante, sur ce qu'il entendait par ces derniers mots, Acacius
déclara que le Fils ressemble au Père non par l'essence, mais par la
volonté. Alors le tumulte recommença et l'on dut lever la séance. Les
ariens ne reparurent plus. Restés seuls, les semiariens et les ortho-
doxes excommunièrent les principaux chefs des ariens et s'entendi-
rent pour signer la deuxième formule d'Antioche. Mais les délégués
qu'ils envoyèrent à l'empereur furent également prévenus par les
ariens et trouvèrent l'empereur mal disposé à leur égard. Pour lui
dévoiler les vraies doctrines des ariens, ils lui présentèrent le sermon
d'Aëtius: les ariens, réduits à détourner l'orage sur .une seule tête afin
de sauver tout leur parti, déclinèrent toute responsabilité quant aux doc-
trines contenues dans cet écrit, et le présentèrent comme l'œuvre per-
sonnelle d'Aëtius, qui fut exilé en Phrygie. Rentrés en faveur auprès de
Constance, grâce à ce stratagème, ils tendirent à leur tour un piège à leurs
adversaires. I/empereur, sur leurs conseils, demanda aux délégués semia-
riens de condamner le terme d'homœousie, et, comme ils s'y refusèrent, il
s'irrita contre eux comme il s'était irrité contre Aëtius et déclara qu'il
exilerait tous les membres du synode qui ne rejetteraient pas cette
expression. Ces menaces eurent l'effet désiré : le synode semiarien de
Séleucie capitula, comme l'avait fait le synode orthodoxe de Rimini, et
reconnut la quatrième formule de Sirmium. Cela n'empêcha pas Con-
stance de bannir peu de temps après les principaux chefs des semiariens,
sous divers prétextes suggérés par les ariens et de donner leurs sièges
à ceux-ci. Eudoxius remplaça Macédonius à Constantinople ; Eunomius
devint évêque de Cyzique. La minorité arienne, excommuniée dans les
deux assemblées, avait fini par triompher, à force d'intrigues, des deux
majorités hostiles, après les avoir isolées Tune de l'autre. Cette victoire
fut encore consolidée au synode de Constantinople (360), auquel assista
Ulphilas. La formule signée à Nice et à Rimini y fut adoptée, et, par
ordre de Constance, expédiée dans toutes les provinces, avec obligation
pour les évêques de la signer, sous peine de bannissement. Il s'ensui-
vit une confusion générale. Cependant, le succès des ariens n'était, au
fond, qu'illusoire aussi longtemps qu'ils étaient obligés, pour le faire
durer, de cacher leurs vraies doctrines. Eunomius tenta le premier de
jeter le masque. Il s'en suivit une sédition à Cyzique. Eudoxius, chargé
par Constance de l'examen de l'affaire, fut obligé de sacrifier son ami,
comme il avait sacrifié Aëtius : il le destitua. L'année suivante, l'occa-
sion de se révéler sous leur vrai jour parut plus favorable aux ariens.
Le successeur d'Eudoxius à Antioche, Mélétius, s'était subitement con-
ÀRIÀNIS&E 588
verti à l'orthodoxie el avait été exilé en Arménie, après le synode de
Constant inople. Son successeur, l'arien Euzojus, convoqua un synode
à Autioehe, dans lequel les ariens se crurent assez sûrs du succès pour
proposer la suppression des mots « semblable au Père » dans la for-
mule de Rimini, comme on y avait supprimé déjà les mots « en toutes
choses », et ils soutinrent aiidaeieusement «pie le Fils est dissemblable
(àsvéîiiioç) au Père non-seulement quant à l'essence, mais aussi quant à
la volonté, et qu'il a été vvcr du néant. Sur la demande des semiariens,
comment, avec de telles opinions, ils avaient pu si souvent appeler le
Fils « Dieu issu de Dieu; » ils répondirent (pie saint Paul avait bien dit
que toutes les créatures sont issues de Dieu; que, d'ailleurs, ils n'avaient
admis la ressemblance du Fils et du Père que sous la réserve « selon
l'Ecriture ». Malgré leurs efforts, le synode ne consentit pas à la sup-
pression demandée. Déjà ils avaient pris toutes leurs mesures pour
inciix réussir dans une nouvelle assemblée convoquée à Nicée, quand
Constance mourut subitement (361), après avoir été baptisé par Euzo-
jus.— Julien rappela tous les évèques bannis. L'influence de la cour sur
les affaires de l'Eglise ayant complètement cessé, tous les partis profi-
tèrent de la liberté religieuse qui leur avait été accordée pour formuler
leurs doctrines et excommunier leurs adversaires. Une foule de synodes
turent réunis, tant en Occident qu'en Orient; la vie ecclésiastique,
longtemps comprimée, se réveillait partout. Au synode de Paris (361), les
évêques latins, à leur tète Hilaire de Poitiers, se constituèrent les défen-
seurs de la toi orthodoxe, déclarèrent nul et non avenu ce qu'ils avaient
fait à Rimini et envoyèrent une lettre synodale aux semiariens d'Orient
dont Hilaire parait avoir gardé un bon souvenir, pour combattre chez
eux le préjugé d'après lequel la doctrine de l'homoousie mènerait au
sabellianisme : « Nous entendons seulement exprimer, par le terme de
cousu bstantiel, que le Fils a été réellement engendré de Dieu, qu'il
possède avec le Père une seule et même essence, et qu'il n'est ni une
créature ni un fils adoptif », et pour établir une entente avec eux sur
un terrain commun : « Nous pouvons bien tolérer l'expression « sem-
blable quant à la substance » ( ouoiofooç) , pourvu qu'on entende par
là <pie le vrai Dieu ressemble au vrai Dieu ». Athanase était rentré en
triomphe à Alexandrie (362). Il y tint un synode, auquel assistèrent
quelques évèques occidentaux revenant de l'exil, entre autres Lucifer
de Gagliari; Ton y discuta la question de la réadmission dans l'Eglise
<i évêques qui avaient signé l'une des dernières confessions ariennes.
Sur l'avis d' Athanase, on convint d'user d'indulgence à leur égard et de
leur demander seulement de confesser la doctrine de Nicée, de maudire
l'hérésie arienne et « l'hérésie de ceux qui disent (pie le Saint-Esprit
est une créature et qu'il est d'une substance différente de celle du Fils. »
A ces conditions, ceux des évèques qui n'avaient t'ait (pie céder par
faiblesse pouvaient reprendre possession de leurs sièges; ceux, au con-
traire, qui avaient été les fauteurs de l'hérésie ne pouvaient plus obte-
nir que la réconciliation avec l'Eglise. Lesynode se proposa également
de rétablir l'union dans le parti orthodoxe d'Antioche. Mélétius, en
effet, n'avait pas réussi à rallier autour de lui tous les adhérents de
584 ARIANISME
l'ancien évêque Eustache; un certain nombre d'entre eux avaient
formé un parti distinct, sous la direction du presbytre Paulin. Ceux-ci
reprochaient à Mélétius de placer dans la Trinité trois « hypostases »
et une « substance », termes que le symbole de Nicée avaient employés
comme synonymes (ScrcTsasswç 'r\ oùçr(aç) ,car « hypostase » est la traduc-
tion exacte du latin substantia (Hosius était latin). A la place d' «hypos-
tases », ils disaient « personnes » (::pc:7a)7:a). Mélétius cependant, loin
d'incliner par cette expression vers l'arianisme, ne faisait que se con-
former à l'usage de la langue orientale dans laquelle « hypostase »
signifie « personne ». Au lieu de dissiper ce malentendu, Lucifer, que
le synode avait envoyé à Antioche, approuva les mélétiens de s'en tenir
strictement à la lettre du symbole de Nicée et nomma Paulin évêque
d'Antioche. La lutte devait encore continuer pendant cinquante ans
entre les partisans des deux évêques. Ce même Lucifer, trouvant trop
douces les conditions imposées par le synode d'Alexandrie aux évêques
qui avaient fait profession d'arianisme, se sépara de ses collègues, et,
poursuivant avec ses adhérents le rêve d'une Eglise complètement pure,
forma le parti clés lucifériens qui persévéra dans le schisme jusqu'après
la mort de son fondateur. La querelle arienne venait de s'enrichir
d'une nouvelle question dogmatique, celle de la place du Saint-Esprit
dans la Trinité. Personne n'avait encore songé à la soulever jusqu'à
présent, tant la controverse sur la nature du Fils avait préoccupé les
esprits. Le synode d'Alexandrie décida que la substance du Saint-Esprit
est inséparable de celle du Père et du Fils, et qu'il n'y a qu'une seule
divinité dans la Trinité. En 363, Julien ordonna subitement à Athanase
de quitter Alexandrie. S'était-il rendu coupable d'attaques contre le
paganisme, qui était la religion de l'empereur, ou bien le zèle même
avec lequel il s'efforçait de consolider l'Eglise et sa doctrine au milieu
de l'anarchie ecclésiastique et théologique qui régnait alors, l'avait-il
rendu odieux à Julien? 11 partit pour la Thébaïde ; mais, dès l'année
suivante, le successeur de Julien, Jovien, qui était orthodoxe, le rappela.
Se réglant sur les dispositions de l'empereur, les semiariens se rap-
prochèrent des orthodoxes : le symbole de Nicée fut adopté par le synode
d'Antioche (364), mais on laissa à la dérobée une porte ouverte au
semiarianisme, en déclarant que, par le terme de consubstantiel
(ôjjiooiîoiûç), on avait voulu exprimer que le Fils est né de la substance
du Père et qu'il lui est semblable d'après la substance (ofAOtcuoioç), et
en passant sous silence la divinité du Saint-Esprit. — A Jovien succédèrent
en Occident l'orthodoxe Yalentinien,en Orient l'arien Valens (364). Le
caprice théologique de ce dernier rendit aux ariens une domination
qu'ils n'avaient plus exercée depuis la mort de Constance. Espérant
que les semiariens se rendraient à ses désirs et adopteraient les doctrines
ariennes, il réunit un synode à Lampsaque ; mais au lieu de la fusion
qu'il attendait, la majorité semiarienne décida le rejet absolu de la for-
mule de Rimini et l'adoption de la deuxième formule d'Antioche avec
la déclaration que « le Fils est semblable au Père en toutes choses » .
Valens, après avoir exhorté une dernière fois les semiariens à s'enten-
dre avec Eudoxius et ses amis, envoya les principaux d'entre eux en
AIUÀNISME 585
exil. Dans cette extrémité, les semiariens résolurent de chercher un
appui en Occident auprès d<^ orthodoxes. Ils envoyèrent à Valentinien
et à Libérius une députât ion avec des lettres, dans lesquelles ils décla-
rent qu'ils étaient toujours restés fidèles à la foi de Nicée et qu'ils
condamnaient les hérésies deSabellius, de Paul de Samosate et d'Arius,
et surtout la formule de Rimini. Gomme ils avaient prudemment recom-
mandé à leurs délégués d'éviter toute discussion dogmatique, Libérius
et d'autres évèques latins furent trompés par les apparences et répon-
dirent aux Orientaux qu'ils les recevaient comme frères dans leur com-
munion. Fondée en Occident sur la dissimulation, cette alliance entre
le semiarianisme et l'orthodoxie ne pouvait durer en Orient que par
l'équivoque. Au synode de Tyane (367), dans lequel les délégués ren-
dirent compte de leur mission, Ton fut obligé, pour éviter une rupture,
de recourir à une formule semblable à celle de Tannée 364. Sentant la
nécessité de consolider leur union avec les orthodoxes d'Orient pour
s'assurer d'une manière durable les sympathies des orthodoxes d'Occi-
dent, les semiariens convoquèrent, dans ce but, un synode à Tarse;
mais Yalens, irrité de ces menées, fit échouer le synode en bannissant
tous les évèques qui étaient revenus de l'exil sous Julien. Athanase
quitta pour la cinquième et dernière fois Alexandrie (367) et demeura
caché plus de quatre mois, non loin de la ville, dans le tombeau de
son père. Les séditions populaires qui éclatèrent à Alexandrie pendant
mps, décidèrent Yalens à laisser Athanase reprendre possession de
son siège. Il n'y fut plus inquiété jusqu'à sa mort (373). Evêque pen-
dant quarante-cinq ans, il en avait passé vingt en exil. Il a rempli vis-
à-vis du pouvoir impérial et de l'hérésie le rôle que les papes devaient
remplir dans la suite. Véritable représentant de l'unité de l'Eglise à une
époque où l'autorité de Rome était encore dans son enfance, il a pré-
servé la doctrine de l'Eglise de tout alliage étranger, et il a défendu,
non le principe de la liberté de conscience, mais celui de la liberté de
L'Eglise catholique, acceptant déjà tacitement que la puissance civile se
mette au service de l'Eglise, mais ne souffrant jamais qu'elle la domine.
En paix avec les Goths depuis 369, Valens était entré depuis lors de
plus en plus dans la voie des persécutions. Les orthodoxes avaient
envoyé quatre-vingts délégués à Nicomédie pour se plaindre à l'empe-
reur des violences commises à Constantinople parjles ariens sur Eva-
is, successeur d'Eudoxius; Yalens lit placer ces délégués sur un
b tteau qu'on incendia à la sortie du port. Mélétius d'Antioche, Pelage
de Laodicée, Cyrille de Jérusalem, Barsôs d'Edesse furent exilés; un
I nombre d'évêques furent déposés, entre autres Grégoire de
Nysse. A Antioche et à Edesse, des scènes de carnage suivirent le départ
des évèques. Des troubles sanglants éclatèrent à Alexandrie lors de
rentrée de l'évêque arien Lucius et de l'expulsion de Pierre, qu'Atha-
avait désigné comme son successeur. Enfin, un édit ordonna de
rechercher les moines dans leurs solitudes et de les enrôler dans les
armées. C'est en vain que Valentinien exhorta son frère à la modéra-
tion. Un i hilosophe païen. Thémislius, lui adressa même un appel ana-
logue, en lui citant l'exemple des païens qui ne se persécutent point
i. 38
58C ARIANISME
entre eux, car « ils savent que la divinité prend plaisir à la diversité
des opinions ». Pendant ce temps, l'orthodoxie triomphait en Occident
sous Valentinien. Damase, successeur de Libérius, tint à Rome deux
synodes qui excommunièrent Ursacius, Yalens et Auxentius de Milan.
Un synode réuni en Illyrie destitua six évoques ariens, confessa la doc-
trine de Nicée, défendit d'interpréter désormais le terme de « consub-
stantiel » par celui de « semblable d'après la substance », et étendit au
Saint-Esprit la consubstantialité du Père et du Fils. Pareille décision
fut prise à Iconium, au milieu des persécutions de Yalens : « Quicon-
que lit avec intelligence la confession de Nicée, y trouvera un ample
enseignement sur le Saint-Esprit; ce qui y est dit du Père et duFils s'ap-
plique aussi à l'Esprit, puisqu'aucune nature étrangère ne peut être jointe
à Dieu dans la Trinité. Les paroles de Jésus instituant le baptême mon-
trent bien qu'il y a en Dieu trois hypostases et une seule divinité. Ne
pas ranger l'Esprit sur la même ligne que le Père et le Fils, ne pas l'ho-
norer autant qu'eux, c'est pécher contre l'Esprit. » — Valentinien avait
deux fils, Gratien et Valentinien IL Le premier lui succéda en Occident
(375) ; il était orthodoxe décidé. Le second demeura sous la tutelle de
sa mère Justine, zélée arienne. La mort de Valens (378) fit de Gratien le
seul maître de l'empire. Il rappela tous les évêques bannis sous Valens
et publia un édit de tolérance qui accordait la liberté religieuse à tous
les partis, excepté aux manichéens, aux photiniens, aux eunomiens. Les
semiariens relevèrent la tête, et, ne jugeant plus nécessaire de voiler
leurs doctrines pour conserver l'alliance des orthodoxes, ils condam-
nèrent, au synode d'Antioche en Carie (378), le terme de consubstan-
tiel et proclamèrent leurs doctrines particulières. L'année suivante,
Gratien s'adjoignit Théodose, auquel il abandonna l'Orient. Lui-même
se rendit en Occident, où Ambroise de Milan venait de faire élire un
évêque orthodoxe àSirmium, malgré les efforts de Justine. L'influence
qu'Ambroise exerça bientôt sur lui le détermina à révoquer son édit
de tolérance dans cette partie de l'empire. L'orthodoxie nicéenne fut
désormais en Occident, jusqu'à l'époque des invasions, la seule forme
légale du christianisme. En Orient, Théodose, après une trêve momen-
tanée nécessitée par la guerre des Goths, publia en 380 un édit portant
que « tout le monde est tenu d'accepter la foi enseignée par les évêques
Damase de Rome et Pierre d'Alexandrie, et de confesser [la divinité
du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Ceux qui refuseront de se sou-
mettre seront considérés comme hérétiques et infâmes et recevront les
punitions qu'ils méritent, suivant la justice de Dieu et celle de l'empe-
reur. L'arianisme était poursuivi comme crime public ; le dogme de
Nicée était devenu la religion de l'Etat. L'année suivante, une nouvelle
loi défendit aux hérétiques de toutes les catégories de célébrer leur
culte dans les villes ; leurs églises devaient être remises aux orthodoxes.
Théodose appela au siège de Constantinople Grégoire de Nazianze, qui
était, avec ses deux compatriotes Rasile de Césarée et Grégoire de Nysse,
le plus ferme appui de l'orthodoxie en Orient depuis la mort d'Atha-
nase. Pour consolider définitivement la victoire de l'orthodoxie tant en
Orient qu'en Occident et terminer la querelle sur le Saint-Esprit par
ARTANISMB 587
une décision irrévocable de l'Eglise, Théodqse convoqua le quatrième
concile oecuménique à Constantinople (381). Les semiariens, au nom-
bre de trente-six. que Ton invita à signer le symbole de Nicée, comme
ils Payaient fait dans leur lettre à Libérais, et à confesser la consubstan-
tialité du Fils et du Saint-Esprit, quittèrent le synode en déclarant que,
plutôt que d'y consentir, ils deviendraient ariens. Ils reçurent le nom
d'ennemis du Saint-Esprit (•rçveuparoijwr/ot) , Le concile confirma le sym-
bole de Nicée et décida que le Saint-Esprit procède du Père et qu'il doit
être adoré et honoré comme le Père et le Fils. Deux ans plus tard,
Théodose lit un dernier essai de conciliation entre les orthodoxes et les
ariens des deux tendances au synode de Fonstantinople (383). Tous les
partis lurent invités à lui remettre un exposé de leurs croyances. La
confession d'Eunomius a été conservée; elle développe dans toute leur
crudité les maximes de Farianisme strict. Cette tentative échoua, et les
persécutions recommencèrent pour durer jusqu'à l'extirpation de
L'hérésie arienne. Les ariens furent privés des droits de citoyen, et les
magistrats furent rendus personnellement responsables de l'exécution
des ('(lits publiés contre eux.L'arianisme se releva une dernière fois en
Occident, après la mort de Gratien. Pendant l'absence de l'usurpateur
Maxime, Justine accorda, au nom de son fds mineur, la liberté reli-
gieuse aux ariens et remit en vigueur la formule de Rimini ; mais elle
échoua, devant la fermeté d'Ambroise, dans son dessein d'introduire
l'hérésie dans l'Eglise de Milan; révoque et les fidèles préférèrent pas-
rois jours et trois nuits dans la principale église de la ville, plutôt
que de la laisser envahir par les soldats de l'impératrice, postés aux
portes. L'arrivée de Maxime, qui était orthodoxe, et la fuite de Justine
1 ■• son fils, mirent fin à celle résurrection éphémère de l'hérésie. En
Orient, Arcadius rendit plus sévères encore les lois publiées par son
père contre les ariens. Il leur défendit de tester, de recevoir des legs,
- anplir n'importe quelles fonctions publiques ou ecclésiastiques;
îles officiers spéciaux furent chargés de rechercher les hérétiques,
d'envoyer leurs prêtres en exil et de confisquer les maisons où ils se
réunissaient. Ces rigueurs amenèrent peu à peu la disparition de l'héré-
sie. D'ailleurs, à la cause extérieure de sa ruine se joignit une cause
intérieure non moins efficace : Farianisme épuisé s'émietta en une
foule de petites fractions rivales qui s'excommuniaient entre elles à
propos des questions les plus oiseuses. A Constantinople, par exemple,
pose lança l'anathème sur la question de savoir s'il convient de donner
à Dieu le nom de Père avant ou après la génération du Fils. La 'par-
ution, loin de rendre au parti arien une partie de sa cohésion pre-
re, ne fit que hâter sa dissolution. La pensée des docteurs chrétiens,
dégoûtée de ces discussions stériles, s'était tournée depuis un certain
tps vers de nouveaux problèmes. — Les sources de Farianisme sont
le mieux indiquées dans Kurtz, Lehrbuch der Kirchengesck., 1, 144,
llitau, 1874. Ouvrages catholiques : Maimbourg, llist. de l'Arian., Pa-
ris, 107:; ; Hefele, Coneiliengeich^ F 227 ss., Fribourg, 180;; ; Moehler,
Alhaa. (L Gr. u. s. Zeit (2" édit.), Mayence. 18U, trad. en français par
P, Cohen, Paris, 1840, et analysé dans la Revue '/es- Deux-Mondes par
588 APJANISME — ARISTIDE
Lherminier, juin, 1843. Ouvrages protestants : (Starck), Versuch e.
Gesch. d. Arianism., Berlin, 1783; W'alch, Histor. d. Kelzereien, II, 385,
Leipzig, 1762; Dorner, Entivickelunysgesch. d. Lehre v. d. Person Chr.f
I, part. 2 et 3, Stuttg., 1845; Baur, Vorles. ub. d. christ Dogmengesch.,
I, 1, 487 ss. ; I, 2, 139 ss., Leipzig, 1866; Lehre von d. Dreieinigh.,
1,320, Tubing., 1844; Ritter, Gesch. d. christl. Philos., II, 18 ss.,
Hamb., 1836; Boehringer, D. Kirche Chr. u. ihre Zeugen, I, 2, 1-121,
Zurich, 1842; Athanasius u. Arius, Stuttg., 1874. A. Jundt.
ARIAS (Francisco) naquit à Séville en 1535. A vingt-sept ans il en-
trait dans la compagnie de Jésus dont il devint un des membres les
plus zélés. Après avoir passé une dizaine d'années à Valence, il se ren-
dit à Rome en 1593 pour y défendre, dans la congrégation de l'Ordre,
les intérêts de la province d'Andalousie, puis il revint à Séville où il
passa le reste de sa vie. Il mourut le 23 mai 1605. Par ses doctrines
Arias appartient à l'école mystique. François de Sales recommande la
lecture des ouvrages d'Arias pour se préparer à la vie dévote. — La liste
des traités d'Arias a été donnée par N. Antonio, Bibliotheca hispànâ
nova, t. I, p. 403-404.
ARIEL, divinité des Moabites. Voyez Moab.
ARIMATHÉE ('Ap^aôau), patrie de Joseph d' A rimathée (Matth. XXVII,
57; Luc, XXIII, 51 ; Jean, XIX, 38). Suivant saint Luc, elle était située
en Judée ; il est probable néanmoins qu'elle ne fait qu'un avec la cé-
lèbre Rama, lieu de naissance de Samuel (1 Sam. I, 1, 19), 'Ap(j.a-
6ai[j. chez les LXX, 'Ap^aOa chez Josèphe (Ant., V, 10. 2), et avec la
place forte de Ramathem ( 'Vz[xxH\j.) , citée dans les guerres desMachabées
(1 Mac. XI, 34). Voyez Rama.
ARISTARQUE , Macédonien, originaire de Thessalonique, accompa-
gna l'apôtre saint Paul dans ses voyages et partagea sa captivité à Césa-
rée (Actes XIX, 29 ; XX, 4 ; Coloss. IV, 10). Les Grecs prétendent qu'il
l'ut évoque d'Apamée, en Syrie, et décapité en même temps que Paul,
à Rome, sous Néron.
ARISTÉE ('Ap'.jTaïcç) est, d'après Josèphe, un prosélyte juif d'Alexan-
drie, qui se qualilie lui-même d'officier des gardes de Ptolémée Phila-
delphe. Il composa une histoire delà version des Septante (Arïsteœ his-
toria, LXXII, int. ex rec.Eld. de Parchum, Francof., 1618, in-8°, Oxon.,
1692, in-8u) sous la forme d'une lettre adressée à son frère Philocrate.
Le caractère légendaire de cette histoire a été reconnu d'abord par
L. de Vives, et puis par les meilleurs critiques, parmi lesquels Salméron,
Scaliger, et surtout Humphrey Hocly (De bibliorum textibus origina-
libus, versionibus yrœcis et latina vulgata, 1. IV; Oxon., 1705). Voyez
l'article Bible, Versions de l'Ancien Testament.
ARISTIDE, apologiste. Eusèbe (IV, 3) nous apprend qu'il était con-
temporain de Quadratus et qu'il présenta à l'empereur Adrien (en 131)
une apologie de la foi chrétienne. Saint Jérôme (de Viris, 26) dit qu'il .
était Athénien. Son apologie, qui était fort répandue au temps d'Eusèbe,
était encore en honneur à Athènes au commencement du moyen âge.
Nous lisons, en effet, dans le Vieux martyrologe publié par Roswey, et
dansAdon ci Usuard qui copient ce document (3 octobre), que le mar-
ARISTIDE — ARIST0TÉL1SME 589
tyre de Denys l'Aréopagite à Athènes était rapporté dans ce livre ;
Etienne LeMoyne (Var. $ac?\, Leyde, 1685, in-4°, II, 155 ss.) a vu
dans un autre martyrologe romain qu'Aristide enseignait dans soif
apologie « que Jésus-Christ est le seul Dieu ». Cet important ouvrage
est perdu, bien que des moines grecs aient assuré à un voyageur (de la
Guilletière, Athènes anc. et nouv., P., 1675, in-8°. p. 146) qu'il était
conservé au couvent de Médelli (Pentéli ?), à six milles d'Athènes,
ARISTOBULE, juif alexandrin, de race sacerdotale, précepteur de
Ptolémée Evergète, prédécesseur de Philon, s'occupa comme lui de
spéculations philosophiques sur la création et les rapports du monde
terrestre avec le monde divin (Eusèbe, Praepar, evang., 607). Son exé-
gèse allégorique s'appliquait aux livres sacrés des Juifs comme aux
poèmes des païens (les Mythes o?-phiques entre autres), dans lesquels il
prétendait retrouver les doctrines hébraïques. Quelques auteurs (Lut-
terbeck. X. T. Lekrbegriff, I, p. 407 ss.) lui ont attribué le livre apocry-
phe connu sous le nom de la Sagesse de Salomon.
ARISTOBULE I et IL Voyez Asmonéens.
ARISTOTÉLISME. Au premier siècle de l'ère chrétienne, la doctrine
d'Aristote ne comptait que peu d'adhérents dans les écoles de philo-
sophie. etl'Eglise naissante devait éprouver encore moins de sympathie
pour elle que le paganisme. Cette doctrine cependant était spiritualiste ;
si Aristote voit partout les êtres composés de deux éléments irréducti-
bles, la matière et la forme, ce qui implique le dualisme, l'élément
primordial est en définitive la forme, c'est-à-dire la pensée. De plus,
Aristote combat le polythéisme ; de l'observation des choses sensibles,
il sélève à la notion de l'intelligence pure, être unique, absolument
indépendant, logiquement antérieur et supérieur au monde, seul digne
d'être appelé le Bien ou Dieu. Mais une telle notion de l'intelligence
pure est , chez le Stagirite, fort abstraite et subtile : Dieu est la
pensée se pensant elle-même, n'ayant d'autre substance et d'autre objet
qu'elle-même; « sa pensée est la pensée de la pensée» (Métapk., XII, 9);
un acte plutôt qu'un être pensant, et un acte si complet que toutes les
possibilités ou puissances y sont réalisées et qu'il demeure toujours
identique, invariable. Cette pensée, absorbée dans la contemplation
• d'elle-même, ne pense pas le monde, ne le porte pas dans son intelli-
gence, elle ne s'abaisse pas à gouverner les choses ; l'ordre universel
résulte d'un élan spontané qui porte tous les êtres vers le mieux, vers
le Bien; Dieu est le régulateur universel, ouplutôt le but immobile, et la
nature entière obéit à une impulsion nécessaire qui amène chaque degré
de I échelle des êtres vers le degré immédiatement supérieur, depuis le
minéral jusqu'aux constellations, qui sont plus rapprochées que nous
de la divinité. Le divin se retrouve donc partout {Ethic. Mcom, 7. [4),
mais dans une mesure partout diverse, dans la mesure où chaque être
a accompli son mouvement ascensionnel de l'enveloppement à l'état
épanoui, de la possibilité à la réalité, de la matière a la forme, de la
nature à l'esprit. Dieu et le inonde, éternels tous deux, sont distincts
mais inséparables, comme la perfection et le perfectionnement ; en
d'autres termes, le système d'Aristote est un panthéisme rationnel; le
590 ARLSTOTELISME
philosophe qui a constitué la logique et proclamé les lois de la pen-
sée a conçu un système conforme à son génie, système plus en-
' cyclopédique et plus méthodique que celui de Platon, mais qui répond
moins aux aspirations les plus élevées de l'âme. Ce Dieu qui n'est pas
même une volonté libre ne saurait nous aimer ni devenir un père pour
nous, comme aussi nous ne devons songer à devenir ses enfants ; à ce
compte, la personnalité humaine est amoindrie, nous no sommes que
des atomes un peu plus avancés que d'autres dans la voie du progrès
universel. Nos rapports avec Dieu ne consistent que dans nos méditations
des vrais principes, qui sont le bien, le divin. La notion du mal et du
péché est réduite à celle d'une imperfection qui est sans cesse et natu-
rellement réparée. — Ces indications suffisent pour expliquer l'atti-
tude des premiers Pères. D'une part ce fut une opposition vive. Irénée
(II, 4, 5) reproche aux gnostiques de vouloir introduire dans les cho-
ses de la foi « la subtilité et la sophistique qui est le propre de l'aristo-
télisme ». Tertullien {Deprœscript.) s'écrie : « Les hérésies sont armées
par la philosophie ; misérable Aristote ! qui a enseigné aux hérétiques
la dialectique ingénieuse à construire et à détruire. » D'autre part
les Pères, qui sont plus équitables à l'égard de la philosophie grecque,
n'adoptent pas le système du Lycée. Justin martyr , dans le pas-
sage de Y Apologie (II , 13) où il revendique comme chrétiennes les
vérités exprimées par les païens, fait mention de Platon, des stoïciens,,
des poètes, mais non des péripatéticiens ; la Confutalio\dogmatum quo-
rundam Aristotelis, attribuée à ce Père, est du troisième siècle. Clément
d'Alexandrie (Strom. I, 7) reconnaît une instruction préparatoire donnée
par la philosophie grecque, et par là il entend, « non le système des
stoïciens, ni celui de Platon, d'Epicure, d'Aristote, mais un choix de
tout ce qu'ils ont enseigné de conforme à la justice et àla vérité;» il s'agit
non d'un éclectisme constitué en un système défini, pareil à celui que
le néoplatonisme allait formuler, mais d'un emploi judicieux de toutes
les ressources qu'offraient les méditations des sages de la Grèce. L'in-
fluence principale appartint d'abord au platonisme et au néoplatonisme.
Mais lorsque, à partir du quatrième siècle, l'Eglise se préoccupa de pré-
ciser et de fixer le dogme, on recourut aux définitions et à la dialec-
tique d'Aristote ; par là ses principes aussi furent introduits dans la-
théologie ; au quatrième et au cinquième siècle, les hérétiques ouvrirent
la voie ; au sixième, les catholiques les suivirent. Eunomius, le chef
des ariens stricts, combattait l'homoousie en se fondant sur les notions
péripatéticiennes de la substance, de l'énergie, du mouvement, et le
péripatétisme était encore assez en défaveur pour qu'on le lui repro-
chât vivement. L'Eglise monophysite de la Syrie s'appuya sur Aristote.
"Le docteur de cette Eglise, Jean Philopon, invoquait la Stagirite pour
poser en principe que l'hypostase et la nature sont une même chose ;
dès lors il n'y a eu qu'une seule nature en Christ, sinon on lui attri-
buerait deux hypostases ; et si, dans la Trinité, on reconnaît trois hy-
postases, il faut aussi reconnaître trois natures, ce qui mène au trithéisme.
Ce furent les nestoriens et les monophysites qui traduisirent les œu-
vres d'Aristote dans les langues orientales (voy. Arabes). D'autre
ARISTOTELISME 591
part, le Traité de la nature de Ihommede Févêque Némésius, vers 421
marque la période où les théologiens ayant systématisé les principes
essentiels, portent leur attention vers ce domaine commun à la fois aux
sciences sacrées et profanes; Némésius, dans son livre, cherche à imiter
le procédé cTAristote, la revue critique des opinions diverses. Enfin au
huitième siècle, Jean de Damas, qui résume l'enseignement de l'Eglise
grecque, consacre la première partie de sa Source de la sagesse à la
dialectique ; la physique et la psychologie de cet ouvrage sont emprun-
tées à Aristote. — Dans l'Eglise latine, l'aristotélisme fut transmis aux
écoles par les traductions et les commentaires de Boëce et de Cassio-
dore ; ce fut un enseignement incomplet, ne comprenant que les tra-
vaux sur la logique, et de plus mitigé par un éclectisme platonisant.
Isidore de Séville, qui donne dans son deuxième livre des E tymologies
une dialectique inspirée par Aristote, Bède ie vénérable, Raban Maur
sont les représentants de ce syncrétisme timide. Plus tard les deux ten-
dances se séparèrent ; l'école du Bec (Lanfranc, saint Anselme) fut plus
augustinienne ; l'école de Tours (Bérenger) penchait pour l'aristoté-
lisme. Mais lorsque, vers le milieu du douzième siècle, les œuvres
métaphysiques d'Aristote furent introduites par Pintermédiaire des
docteurs arabes et juifs, les autorités ecclésiastiques repoussèrent une
doctrine qui apparaissait sous de tels auspices; en 1210, le concile
provincial de Paris condamna les Ubri naturales, 1235; le légat étendit
cette condamnation aux ouvrages de métaphysique, 1231 ; Grégoire IX
réprouva les ouvrages de physique « jusqu'à ce qu'ils aient été
examinés et purgés de tout soupçon d'hérésie». On imputait à Aristote
les erreurs d'Amalric de Bène et de David de Dinant, accusation in-
juste, car elles se rattachaient plutôt à Avicebron. En 1240, nouvelle
condamnation par Guillaume, évêque de Paris. Quoique les ordres
religieux, qui devaient être les plus fermes soutiens de l'aristotélisme,
amendé, il est vrai, eussent été admis, en 1256, à enseigner dans l'uni-
versité de Paris, Etienne, évêque de cette ville, renouvela en 1276 les
anciennes décisions, et l'Université publia, en 1290, une Collectio de
variis erroribus philosophorum et primo de Aristotele. Mais en 1322, après
la canonisation de Thomas d'Aquin, tous ces arrêts furent retirés. Ce
turent trois grands docteurs, le franciscain Alexandre de Haies, les
dominicains Albert le Grand et Thomas d'Aquin, qui introduisirent le
péripatétisme dans l'université qui exerçait l'hégémonie sur les écoles
latines. Le Stagirite devait être seulement prxcursor Chrùli in rébus na-
turalibus ; mais il est malaisé de distinguer l'ordre naturel de l'ordre
de la foi. Le platonisme continuait à être médité parles mystiques sous
Le patronage de Richard et de Hugo de Saint-Victor, et leur disciple
Gautier, Contra manifestas hœreses, réunissant Pierre le Lombard et Abé-
lard dans une même accusation, reprochait aux docteurs scolastiques
d'être tous uno spùntu aristotelico afflatos. Ce fut le mérite de saint
Thomas de chercher à concilier le mysticisme et la science, d'unir dans
une même conception Aristote et Platon. Dans le grand débat du réa-
lisme et du Dominalisme, les deux opinions extrêmes des Universalia
ante res (réalisme), et des Universalia post res (nominalisme), ne furent
592 APJSTOTELLSME — ARLES
soutenues que par un nombre restreint de docteurs ; la plupart et les
plus considérables se décidèrent pour les UniversaUa in rébus, et cette
solution leur était fournie par Aristote. Avec Duns Scot et dans les
luttes qui s'élevèrent entre Thomistes et Scotistes, l'influence de la
dialectique d'Aristote ne pouvait que grandir. — Lorsque les écoles
philosophiques de la Grèce vinrent se réfugier en Italie, elles y conti-
nuèrent leurs luttes, Chrysoloras, Plethon, le cardinal Bessarion, sou-
tenant la supériorité de Platon, Georges de Trébizonde , secrétaire de-
Nicolas V, celled'Aristote. Mais tandis que le platonisme s'accommo-
dait aux dogmes et aux dignités de l'Eglise, l'aristotélisme n'eut qu'un
petit nombre de docteurs reconnus pour orthodoxes, Hermolaùs Bar-
barus, patriarche d'Aquilée, Gennadius, patriarche de Constantinople.
L'assertion de Marsile Ficin (Prœf. Platon) : » les deux sectes aristoté-
liciennes, l'alexandréenne et l'averroïque, sont unies pour renverser
de fond en comble toute religion » semblait justifiée par les hardiesses
de Pomponace, à peine voilées d'une apparence de soumission à
l'Eglise, et par le panthéisme de Cardan, de Césalpin et de Vanini.
La réforme, pleine de respect pour saint Augustin, se défia d'abord
d' Aristote, le maitre de la vieille scolastique, et Luther disait : « Mon
avis serait que les livres de la physique et de la métaphysique, de Lame
et de l'éthique d'Aristote, fussent entièrement mis de côté, ainsi que
les commentaires de ces livres, qui n'apprennent rien. » Plus tard il
s'exprima sur Aristote avec plus d'égards. Mélanchthon composa, d'après
les œuvres duStagirite, des ouvrages cle philosophie qui furent adoptés
pour l'enseignement dans l'Allemagne protestante et y assurèrent à Aris-
tote un empire nouveau. L'action de Théodore de Bèze fut semblable
pour les Eglises réformées. Les attaques de Ramus contre Aristote fu-
rent adoptées par les arminiens, par plusieurs hommes éminents de
l'Allemagne, mais repoussées par Scaliger, par l'université de Genève,
et donnèrent lieu, dans les pays protestants, à un débat long et confus;
il préparait du moins les esprits à la philosophie nouvelle que Descartes
devait inaugurer. Dans les pays catholiques, les jésuites maintinrent
fermement la scolastique et Aristote ; l'enseignement de la philosophie
de Ramus fut interdit par l'université de Paris (1024-1639). Toutefois
d'éminents disciples de Descartes, Malebranche, Bossuet, Fénelon,
avaient peu à peu fait prédominer, dans le clergé de France, une phi-
losophie platonicienne ; l'ontologïsme en était l'expression la plus vive,
et cette doctrine a été professée jusqu'à nos jours par le cardinal Gerdil.
Mgrs Baudry, Maret, Hugouin; mais dans ces derniers temps, les efforts
des Kleutgen, Sanseverino, Tongiorgi, Prisco, et la transformation qui
s'est accomplie dans les hautes régions du clergé, ont rétabli dans
l'enseignement des séminaires l'autorité de l'Aristote scolastique (voy.
Kim, Metaph. Untersuchungen : die Gotteslehre des Aristoleles und das
Christenthum , 1875. A. Mattee.
ARLES [Arelate], archevêché. On rapporte que saint Trophime, or-
. donné par saint Paul premier évèque d'Arles, y apporta l'Evangile.
Grégoire de Tours raconte, mais sans preuves, qu'en l'an 250 cet
évèque fut envoyé en Gaule avec saint Sernin ; il est fêté le 29 décem-
ARLES — ARMÉE 593
bre. Son nom a été donné an onzième siècle à l'église Saint-Etienne,
célèbre par son cloître. L'évêque Marin paraît avoir présidé le célèbre
concile d'Arles, ce « concile général des Eglises de l'Occident », qui
tut convoqué par Constantin et réuni en 314. 11 fut fréquenté par trente-
trois évêques et se prononça contre le donatisme. On sait que le con-
cile pria le pape de promulguer ses décrets (voy. Mansi II ; Collect.
concit Galliae, I, 1781); Hefele, I, 170; tr. fr. I, 177). On verra ailleurs
la vie des trois grands évêques d'Arles, de saint Honorât, le fondateur
Àw monastère de Lérins (f v. 429), de saint Hilaire, son iils spirituel,
qui, mort en 449, fut enterré dans l'église de Saint-Honorat, élevée
aux Aliscamps (Elysii campi), de saint Césaire (501-542). Arles doit à
Hilaire un séminaire, que cet évèque avait fondé sous le nom de Con-
grcgatio, et à Césaire le couvent de Saint-Césaire, ou plutôt de Saint-
Jean. Sainte Cassaria, sœur de l'évêque, donna à ce couvent la règle
que son frère avait rédigée. Dès Tan 401, au synode de Turin, les
évêques d'Arles et de Vienne se disputaient la primauté ; en 417, le
pape Zozime, en mémoire de la conversion des Gaules par saint Tro-
phime, nomma Patrocle d'Arles son vicaire en Gaule, et lui donna le
pouvoir de métropolitain sur la province de Vienne et les deux Nar-
bonnaises. En 450, le conflit recommença devant saint Léon, et le pape
partagea la province viennoise entre les deux archevêchés, ne laissant
à Vienne que les Eglises de Valence, de Tarentaise, de Genève et de Gre-
jioble; en 462, le pape Hilaire reconnut Léontius d'Arles comme primat
des Gaules* Depuis lors l'archevêque d'Arles eut autorité sur les évê-
chés de Marseille, de Saint-Paul-Trois-Chàteaux, de Toulon, d'Orange,
et, jusqu'en 1475, d'Avignon. En 507, Arles fut conquise parThéodoric.
Césaire sut commander le respect au vainqueur. On appelle deuxième
concile d'Arles celui qui fut tenu en 443 ou 453 ; il traita de la disci-
pline ; le troisième concile fut présidé par l'archevêque Ravennius,
vers 455; en 524, à l'occasion de la dédicace de la basilique de Sainte-
Marie, Césaire réunit le quatrième concile d'Arles ; le cinquième eut
lieu en 554. On en trouvera l'histoire dans le livre de Hefele, de même
que les faits du synode semiarien de 353, de celui de 475, qui justifia
les semi-pélagiens, et ceux du synode tenu en 813 par ordre de Char-
lemagne, de celui qui, en 1260, condamna Joachim de Flores, et du
synode provincial de 1275. Arles a perdu, en 1801, le pallium et la
mitre (Duport, //. del'Eg. d'A., p. 1690; Gallia,[). S. Bergkr.
ARMEE chez les Hébreux. Elle ne se composait, à l'origine, que d'in-
fanterie (Nomb. XI, 21; 1 Sam. IV, 10; XV, 4), bien qu'ayant à
lutter contre les peuples voisins qui se servaient de cavalerie (Jos. XI,
9; Jug. IV, 3; V. 22; 1 Sam. X, 18) et de chars garnis de fer (Jos.
XVII, L6; Jug. I, 19; IV, 3; V, 22; 1 Sam. XIII, 5). Cette circonstance,
et le théâtre souvent éloigné de la guerre déterminèrent Salomon
à adjoindre à son armée de la cavalerie qu'il distribua dans les villes
(1 Rois IX, 19; X. 26) et que ses successeurs renforcèrent souvent
... troupes auxiliaires tirées de l'Egypte (Esaïe XXXI, 1; XXXVI,
9; 2 Rois XVIII, 24). La loi obligeait chaque citoyen au service mili-
taire de vingt à cinquante ans (Nomb. 1. 3;XXVÏ,2;2€hron. XXV, :>;
594 ARMEE
cf. Josèpbe, Antiq., III, 12, 4), mais elle admettait des exemptions
(Deut. XX, 5). Une guerre éclatait-elle, chaque tribu fournissait un
nombre proportionnel d'hommes armés (Nomb. XXXI, 2, ss.; Jos.VII,
3; Jug. XX, 10); l'ennemi envahissait-il brusquement le territoire, la
nation se levait en masse, au son de la trompette ou par le moyen de
signaux érigés sur les montagnes et de messagers envoyés dans toutes
les directions (Jug. III, 27; VII, 24; Jérém. IV, 5, ss.; Ezéch. VII, 14;
Jug. VI, 35, etc.). L'armée était divisée en corps de 1,000, de 100 et de
50 hommes (Nomb. XXXÏ, 14; Jug. XX, 10; 1 Sam. VIII, 12; 2 Rois I,
9) qui avaient chacun leur chef (2 Rois I, 9; XI, 4; 2 Chron. XV, 5).
Des corps plus grands sont mentionnés (1 Chron. XXVII, 1, ss.;
2 Chron. XXV, 5). Le général en chef formait, avec les commandants
des corps, l' état-major et le conseil de guerre (1 Chron. XIII, 1 ss.) et
avait à diriger, en temps de paix, le service du dénombrement mili-
taire (2 Sam. XXIV, 2 ss.); toutefois, en campagne, le roi conduisait
lui-même l'armée. Les milices hébraïques ne portaient pas d'uniforme
et étaient obligées de s'entretenir elles-mêmes, bien que Jug. XX, 10
mentionne déjà des commissaires des vivres. Les soldats portaient les
mêmes armes que les autres peuples : le bouclier oval en bois, recou-
vert de cuir, attaché à l'épaule pendant la marche (2 Sam. I, 21 ; Esaïe
XXI, 5) et recouvert d'une housse (Esaïe XXII, 6); le casque en airain
(1 Sam. XVII, 5; 1 Mach. VI, 36); la cuirasse en airain, formée d'é-
caillés, qui couvrait la poitrine et le ventre (1 Sam. XVII, 5, 38; 2 Chron.
XXVI, 14) ; les cuissards, également en airain (1 Sam. XVII, 6) ; et,
comme armes offensives , le glaive à deux tranchants , attaché ,
dans un fourreau, à un ceinturon et porté au côté gauche (1 Sam. XVII,
39; 2 Sam. XX, 8; Ezéch. XXI, 3; 1 Chron. XXI, 27; Jug. III, 16; Prov.
V, 4) ; la lance (2 Sam. XXI, 16) et le javelot (Jos. VIII, 18, 26; i Sam.
XVII, 6) en bois, garnis d'une pointe en airain (2 Sam. XXI, 16); l'arc,
l'arme habituelle de tir des Hébreux, en bois ou en airain, porté dans
un fourreau en cuir (Gen. XXI, 20; 1 Sam. XXI, 3; 2 Sam. XXII, 35;
Ps. XVIII, 35; Hab.III, 9); les flèches, faites de jonc, étaient parfois em-
poisonnées (Ps. XVIÏI, 3; Job VI, 4), parfois enveloppées de matières
inflammables et allumées (Pr. VII, 14 ; cf. Eph. VI, 16) ; la fronde, pour
l'infanterie légère, fabriquée en cuir ou d'un mélange de laine, de
joncs et de poils (2 Rois III, 25; 2 Chron. XXVI, 14; Jug. XX, 14), ser-
vait aussi lors des sièges. La force numérique de l'armée des Hébreux
atteignait parfois des chiffres très-élevés, ce qui n'a pas lieu d'étonner
si l'on se rappelle qu'il s'agit de levées en masse (1 Sam. XI, 8; XV,
4; 1 Chron. XXV11, 1, ss.); pourtant certains chiffres, en particulier
ceux du livre des Chroniques (1 Chron. XXI, 5 ss.; 2 Chron. XIII, 3;
XIV, 8; XVII, 14; XXVI, 12 ss.), paraissent exagérés. — C'est sous le
roi Saiil que nous trouvons les premières traces d'une armée perma-
nente, forte de 3,000 hommes, levés dans toutes les tribus et complétés
par des engagements volontaires (1 Sam. XIII, 2 ss.; 52; XXIV, 3). Da-
vid suivit cet exemple. Indépendamment de la garde du corps (Kréthi,
ceux qui tirent, et Pléthi, ceux qui courent), chargée de fournir,
même pour les affaires civiles, les bourreaux et les courriers royaux
ARMEE 595
(2 Sam. XV. 13; XX, 7; 1 Rois I, 38,44; II, 25, 34; 2 Chron. XXX, 6),
David organisa une armée nationale qui de vart mettre surpied chaque mois
une division de 24,000 hommes pour le service actif (1 Chron. XXVII,
i ss.). Ses successeurs conservèrent cette institution, devenue néces-
saire depuis que les Hébreux se trouvaient à chaque instant impliqués
dans les guerres que se livraient leurs puissants voisins (1 Mois IV,' 26;
2 Chron. XVII, 14 ss.; 2 Rois XI, 4; 2 Chron. XXV, 5, XXVI, Il ss.; 2Rois
I, 9 ss.). La solde des troupes était vraisemblablement payée en nature.
Après L'exil, Tannée fut réorganisée sous les Machabées : des corps de
troupes étrangères y furent enrôlés, de même que des Israélites accep-
tèrent le service militaire dans les armées égyptiennes (i Mach. III, 55;
XIV, 32; X, 36; cf. Josèphe, Antiq., XIII, 8, 4; XIII, 10, 4; XIV, 1, 6).
Hérode le Grand n'avait presque que des mercenaires dans son armée;
on y voyait même des Germains (Jos., Antiq., XVII, 8, 3; B. </., II, 1,
2> ; elle combattit plusieurs fois à côté des légions romaines dont elle
avait adopté l'organisation, l'armement et la tactique (1. c). Depuis
l'occupation de la Judée par Rome, Césarée, la résidence du procura-
teur, avait une garnison romaine (Actes X, 1), qui envoyait de forts
détachements à Jérusalem à l'époque des grandes fêtes, pour y veiller
au maintien de Tordre (Actes XXI, 31 ; Jos., B. J., II, 12, 1). — Nous
n'avons que des données fragmentaires sur la manière des Hébreux de
faire la guerre. On consultait la volonté divine avant d'entrer en cam-
pagne (Jug. XX, 27 ss.; 1 Sam. XIV, 37; XXIII, 2; 1 Rois XX, 6 ss. ;
2 Chron. XVIII, 4 ss.). Lorsque l'armée se trouvait en présence de l'en-
nemi, un sacrifice était ordonné (1 Sam. VII, 9; XIII, 8 ss.); un prêtre
ou le général en chef lui-même haranguait les soldats (Deut. XX, 1 ss.;
2 Chron. XX, 20) ; puis les trompettes donnaient le signal de l'attaque
(Nomb. X, 9; 2 Chron. XIII, 12) qui se faisait avec des clameurs reten-
tissantes (1 Sam. XVII, 52; Esaïe XLII, 13; Amos I, 14; Jérém. L, 42;
Ezéch. XXI, 22). Tannée était d'ordinaire divisée en trois bandes, le
centre et les deux ailes (Jug. VII, 1 Sam. XI, M, 2 Sam. XVIII, 2;
1 MaCh. V, 33); le combat avait toujours lieu corps à corps. La trom-
pette donnait le signai de la retraite (2 Sam. II, 28; XVIII, 16; XX, 22).
Parfois on cherchait à surprendre l'ennemi par des attaques soudaines
(Jug. VII, 16 ss.), par des surprises préparées avec habileté (Jos. Mil,
2-12; Jug. XX. 36 ss. ; 1 Sam. XV, 5), en tournant les lignes ennemies
(2 Sam. V, 23); on se servait, à cet effet, d'espions (Jos. VI, 22; Jug.
MI. 1<> ss.; i Sam. XXVI, 4; 1 Mach. V, 38; XII, 26). Les camps
avaient probablement une forme circulaire (1 Sam. XYII,20; XXVI, 5);
ils étaient gardés avec soin par des avant-postes (Jug. VII, 19; 1 Mach.
XII. 27). Tes prisonniers étaient traités durement; on pillait les guer-
riers morts (I Sam. XXXI, S; 2 Mach. VIII, 27), on tuait (Jug. IX, 45;
2 Sam. XII, 31; 2 Chron. XXV, 12), on mutilait (Jug. I, 6 ss.;
1 Sam. XI, 2) on on réduisait en esclavage les vivants (Deut. XX, 14);
on éventrait même les femmes et on égorgeait les enfants (2 Rois XV,
16; VIII, 12; Esaïe XIII, 16; Amos 1, L3; Osée X, 14; XIV, i; Néh. III,
10; 2 Mach. \, 13). Tes villes conquises étaient parfois incendiées ou
détruites (Jug. IX. fc5; l Mach. V, 28; X, 84), les sanctuaires païens
596 ARMÉE — ARMENIE
ruinés (1 Mach. V, 08 1, le pays ravagé {ï Ghron. XX, 1; 2 Rois III, 19;
Judith II, 17). La victoire était célébrée par des cris de joie, des chants
de triomphe, des danses (Jiig. V; 1 Sam. XVIII, 6 ss. ; 2 Sam. XX; Jug.
XVI, 2; 1 Mach. IV, 24); souvent on érigeait des trophées (1 Sam. XV,
12; 2 Sam. VIII, 13). Les armes conquises étaient déposées dans le
temple (2 Rois XI, 10; 1 Ghron. X, 10). Des distinctions, des cadeaux
et même de l'argent étaient distribués aux vainqueurs (2 Sam. XXIII,
8; Jos. XV, 16; 1 Sam. XVII, 25; X VIII, 17; 1 Chron. XI, 6; cf. Jos.,
Antiq.,XFf, 15,4).
ARMÉNIE, région de hauts plateaux et de montagnes, dont l'Ararat
forme le principal massif et qui renferme le cours supérieur de l'Eu-
phrate, du Tigre et de l'Araxe, ainsi que le lac de Van. D'après leurs
traditions, consignées dans Y ouvrage de Moïse de Khorène, les Armé-
niens descendraient de Haïg qui aurait secoué le joug de Bélus et quitté
Babylone pour s'établir dans la vallée supérieure, à laquelle son fils
Arménag aurait donné son nom. Les mêmes généalogies connaissent
aussi un Aram. Les Arméniens se désignent eux-mêmes de préférence
sous le nom de Haïasdans et leur pays sous celui de Haïgasan, ratta-
ché au nom fabuleux de Haïg. Les habitants primitifs de l'Arménie
paraissent, d'après ces récits, avoir appartenu à la race kouschite ou
sémitique, représentée par les souvenirs attachés à Haïg. Sur ce premier
fond vint, un peu plus tard, se superposer la véritable nation armé-
nienne, de souche indo-européenne. A cette seconde immigration se
rattache le nom d'Arménag. La Bible désigne l'Arménie sous le nom
de Fhôgarmàh, rangé parmi les petits fils de Japhet et les fils de Gomer
(Genèse X, 3), conformément à la situation géographique et aux affi-
nités de race, et sous celui d'Ararat, qui semble plus approprié à*[la
partie orientale de cette région. Ezéchiel (XXVII, 14) fait allusion à
l'élève et au commerce des chevaux qui faisaient la principale richesse
du pays. C'est sur les monts Ghaldéens ou Gordyens, formant la
limite méridionale de l'Arménie, que la tradition babylonienne fait
échouer le vaisseau de Xisuthrus, et c'est sur le mont Ararat que s'ar-
rête, d'après la Bible, l'arche de Noé; la tradition hébraïque rattache
également à ces hautes régions l'origine des Israélites comme celle des
Ismaélites et des Edomites. On remarquera aussi que l'Arménie a été
souvent considérée comme correspondant à la description du jardin
d'Eden, à cause des deux fleuves (sur quatre) dont elle renferme le
haut cours. Les A-raméens (Syriens) ont été à plusieurs reprises rap-
prochés des Arméniens : on a invoqué à cet effet le texte d'Amos (X, 7),
qui fait venir les Syriens (Aram) de Kir, c'est-à-dire des bords du fleuve
Kour, au nord-est de l'Arménie, ce qui concorde avec l'origine ci-
dessus mentionnée de plusieurs nations sémites ; le rapport des deux
noms, confirmé par la présence d'un Aram , dans la tradition rap-
portée par Moïse de Khorène; enfin la place occupée par Aram dans
la table généalogique de la Genèse (X, 22). — L'Arménie, successive-
ment soumise par le premier grand empire chaldéen, par l'Egypte, par
l'Assyrie pendant les quatre siècles de sa première splendeur, alliée
puis vassale des Mèdes, ensuite de l'empire persan, enfin d'Alexandre,
ARMENIE 597
a subi dans sa religion, comme dans sa vie politique, le contre-coup
des événements auxquels elle a été mêlée. La religion primitive fut la
mythologie de la race aryenne dont les Arméniens forment un des
rameaux ; le contact avec les populations mésopotamiennes et en parti-
culier les liens politiques qui rattachèrent l'Arménie pendant plusieurs
siècles à l'empire assyrien eurent pour effel d'y introduire les croyances
et les rites du naturalisme assyro-babylonien (voyez Assyrie). Les ado-
rations populaires curent pour principaux objets la déesse Anahid
(l'Anat ou Ànaïtis des Chaldéo-Assyriens), puis Sbantarad, Vahakn et
Nané, dieux guerriers correspondant à Mérodoch, Nergal et Adar-Sam-
dan. Il faut joindre à ces personnages divins, connus par Moïse de Klio-
rène, ceux qui nous sont révélés par les inscriptions cunéiformes, Baga-
barta ou Bagamazda (lecture douteuse), qui parait avoir joué le rôle
d'un dieu suprême, et Haldia, la divinité spéciale du pays de Van. Le
pillage de son principal sanctuaire, situé à Mussassir, est représenté
dans les bas-reliefs de Khorsabad ; la légende de Sémiramis était égale-
ment répandue. On ne saurait déterminer l'influence exercée par le
magisme des Mèdes, mélange du mazdéisme , du sabéisme et des
croyances propres aux tribus touraniennes. Tigrane, allié de Gyrus
(sixième siècle av. J.-C), embrassa la religion de Zoroastre et la pro-
pagea dans ses Etats, où elle devint bientôt prédominante, mais en se
combinant avec quelques restes du polythéisme assyrien.
il. Vernes.
ARMÉNIE (Eglise d'). Il est très-vraisemblable d'admettre que l'Ar-
ménie, contrée voisine de la Syrie et de E Asie-Mineure, reçut de bonne
heure la visite des missionnaires chrétiens. Toutefois, on ne trouve
guère à l'origine de l'Eglise arménienne que des légendes ou des
traditions assez confuses. Ainsi , s'il fallait en croire un historien
arménien, Moïse de Khorène , qui composa son histoire d'Armé-
nie vers 460, ce serait à la suite de la correspondance d'un roi
d'Edesse, Abgare (voir ce nom) avec Jésus que l'Evangile aurait été
introduit en Arménie ; l'apôtre Thaddée en aurait été surtout [le plus
ardent propagateur. Barthélémi, Jude, et môme Thomas sont cités à
côté de lui et ont leur place dans les martyrologes grec et arménien.
Quoi qu'il en soit, la foi chrétienne était déjà assez répandue dans le
pays, lorsque parut le véritable apôtre de l'Arménie, saint Grégoire
rilluminateur. Avec lui commence vraiment la période historique de
l'Eglise arménienne. Grégoire était Arsacide d'origine et issu des rois
parthes. Son père, Anak, avait assassiné à la chasse Chosroës le Grand,
roi d'Arménie, à l'instigation d'Ardaschid Ier, roi de Perse, qui con-
voitait la possession de l'Arménie. Ghosroës, en rendant le dernier
soupir, ordonna de mettre à mort Anak et toute sa famille. Grégoire,
échappé à ce massacre, fut emmené, âgé de douze ans seulement, à
Césarée de Gappadoce où il fut recueilli chez le frère de sa nourrice <'t
élevé dans les croyances de l'Evangile. Parvenu à l'âge d'homme, il se
maria avec la fille d'un prince arménien, mais les deux époux ne tar-
dèrent pas ;i se séparer, d'un commun accord, pour se vouer tout
entiers a Dieu. Grégoire se rendit en Arménie et essaya de réparer le
598 ARMENIE
crime de son père Anak en y prêchant le christianisme. C'était alors
Biridate qui occupait le trône. Ce prince, qui s'était d'abord montré
très-cruel à l'égard de Grégoire, fut gagné à la foi chrétienne par la
constance du saint et l'aida puissamment dans la fondation du monas-
tère d'Edehmiadzin (c'est-à-dire descente du F ils unique), qui est encore
aujourd'hui le chef-lieu de l'Eglise arménienne; c'est là que depuis
l'an 301 ou 302 se trouve le siège patriarcal du catholicos ou chef de
cette Eglise. Grégoire avait d'ailleurs fondé aussi un grand nombre
d'évêchés en Arménie et avait appelé à leur tête plusieurs évêques et
prêtres grecs. Il mourut peu de temps après la réunion du concile de
Nicée, en 325, où il avait envoyé son fils Aristacès qui adopta, au nom
des Eglises d'Arménie, la discipline et les cérémonies décrétées par ce-
concile, ainsi que son symbole de foi. Les décrets des deuxième et
troisième conciles œcuméniques furent également acceptés sans diffi-
culté par ces Eglises; mais il n'en fut pas de même pour le concile de
Chalcédoine en 451, qui fut l'occasion d'un schisme. Ce concile avait
été réuni, comme on le sait, pour combattre la doctrine d'Eutychès
connue sous le nom de monophysisme. L'Arménie, alors en guerre avec
les Perses, n'avait pu être représentée à cette assemblée ; lorsque les
décisions lui en furent connues, elle les discuta longuement, et en 482,
quelques évêques grecs et syriens, réunis à Edesse, les rejetèrent solen-
nellement. En 491, le patriarche Papguên se déclara contre le concile
de Chalcédoine et ainsi fut consommée la séparation des Eglises grecque
et arménienne. Depuis lors, l'Eglise d'Arménie a conservé son organi-
sation particulière et son autonomie ecclésiastique. Au moyen âge, un
certain nombre d'Arméniens, chassés de leur pays par les incursions
des Turcs et des Mongols, émigrèrent en différents pays, dans l'Ana-
tolie, en Egypte, dans l'Inde, à Constantinople, dans quelques villes
du midi de la Russie et jusqu'en Pologne. Le pape Innocent XII, sur la
fin du dix-septième siècle, essaya de les faire rentrer dans le giron de
l'Eglise catholique, mais ses missionnaires n'eurent de succès qu'auprès
d'une partie des habitants de Trébizonde, Erzeroum, Alep, et de quel-
ques villages dans les environs de ces villes. On trouve cependant en
Pologne quelques Arméniens « unis », sans parler de ceux qui sont éta-
blis à Venise dans le couvent fondé en 1717 par le célèbre Mechithar
(voir cet article), et qui, sous le nom de méchathiristes, ont eu quelque
renom dans l'histoire littéraire. On compte aujourd'hui environ
100,000 Arméniens « unis ». — Il nous reste à dire quelques mots de la
doctrine et de l'organisation ecclésiastique de l'Eglise arménienne. La
doctrine arménienne se trouve formulée tout au long dans un « Exposé
de la foi de l'Eglise arménienne » que rédigea le patriarche Nersès, dit
Schnorhali (le gracieux), sur l'ordre de l'empereur Manuel Comnène,
en 1166. Le Credo est à peu près celui de Nicée, avec une tendance
plus ou moins monophysite en christologie ; on y fait procéder le Saint-
Esprit du Père seul et non du Père et du Fils, comme dans l'Eglise
d'Occident. Le péché originel est affirmé; on déclare que le Christ seul
peut nous sauver et que le salut est acquis à l'homme au moyen du
baptême. Les sacrements d'ailleurs sont tous considérés comme des
ARMENIE — ARMINIANISME r,99
moyens essentiels de salut ; on en reconnaît sept, ainsi que dans les
Eglises grecque et romaine. Les saints, Marie à leur tête, sont honorés
et considérés comme des médiateurs entre Dieu et riiomme. On prie
pour les morts et pour le pardon de leurs péchés, maison n'admet pas
de purgatoire et on repousse les indulgences. L'organisation ecclésias-
tique de l'Eglise d'Arménie repose *\\v une hiérarchie à trois degrés:
L'épiscopat, le sacerdoce et le diaconat. L'épiscopat lui-même se subdi-
vise en trois degrés: archevêque, évêque et archimandrite ou variobed
(docteur). Les vartobeds sont des espèces de moines théologiens qui se
vouent en général à la prédication. Ce n'est qu'un archevêque qui
peut être élu cat/wlicos, c'est-à-dire chef suprême de l'Eglise armé-
nienne. Les prêtres et les diacres, avant leur ordination, devront avoir
contracté mariage ; mais une l'ois veufs, ils n'ont plus la liberté de se
remarier. S'ils veulent parvenir à un rang plus élevé, il faut qu'ils em-
brassent la vie monastique. Le clergé, dans son ensemble, se par-
tage en deux classes distinctes: le clergé noir et le clergé blanc. Les
évèques et les archimandrites constituent le clergé noir; les prêtres et
les diacres appartiennent au clergé blanc. Les églises arméniennes
rappellent à peu près les églises grecques, dans leurs dispositions inté-
rieures. L'autel, tourné toujours vers l'orient, est placé sur une
estrade élevée, nommée Pêne, le Berna des Grecs. L'iconostase ou cloi-
son à laquelle sont attachées les saintes images, n'est pas avancée
comme chez Grecs, mais elle est sur la même ligne que l'autel. Les
églises sont surmontées de la croix, qui est toujours tournée vers
l'orient. L'Eglise d'Arménie possède une littérature assez riche; sa ver-
sion de la Bible est remarquable par la fidélité et l'élégante simplicité
du style ; elle fut faite, en 403, par l'inventeur même de l'alphabet
arménien, le pieux et savant Mesrob, avec le concours du patriarche
saint Saliag. — Voyez: Histoire, dogmes, traditions et liturgie de l'Eglise
arménienne orientale, etc., ouvrage traduit du russe et de l'arménien,
par Dulaurier, Paris, 1839. A. Gary.
ARMINIANISME. La Réforme calviniste, qui prévalut en France, dans
les Pays-Bas, en Angleterre et dans une partie de l'Allemagne, fut pro-
fondément religieuse, en ce sens qu'elle ne recula devant rien pour
-affirmer les thèses les plus absolues du sentiment religieux, la souve-
raineté sans partage de Dieu, sa toute-puissance, sa prescience, la libre
dispensation de sa grâce. Tout ce qui semblait subordonner la souve-
raineté divine à un arbitraire humain quelconque, lui faisait l'effet d'une
impiété. Elle aimait à enseigner aux lidèles que leur salut ne dépendait
ni de leur volonté vacillante, ni du pouvoir usurpé d'un sacerdoce quel-
conque, mais de la volonté toute-puissante et immuable de Dieu qui, de
toute éternité, avait élu dans sa bonté souveraine ceux qu'il voulait
rendre participants de ses grâces et du salut éternel. La dogmatique cal-
viniste ressemble ainsi très-souvent à une prière figée sous forme de doc-
trine théologique. On peut remarquer, en elïet, que lès idées ou les sen-
timents qu'elle formule avec tant de rudesse sont aussi naturels dans
la bouche de L'homme qui adore et qui prie qu'ils choquent aisément
le bon sens vulgaire et la raison pratique. Le besoin de fonder l'assu-
600 A11MINIANISME
rance du salut sur une base qui tût hors de la portée de tout arbitraire
humain fut la véritable origine du dogme calviniste de la prédestina-
tion. Nous le trouvons formulé en ces termes dans l'article 16 de la Con-
fessio Belgica, qui, d'ailleurs, a ses correspondants dans la plupart des
symboles réformés (Conf, de la Rochelle, art. 12) : « Nous croyons que
Dieu, après que toute la postérité d'Adam se fut ainsi précipitée dans la
perdition et la ruine par la faute du premier homme, se montra tel qu'il
est, savoir miséricordieux et juste : miséricordieux, en délivrant et en
sauvant de cette perdition ceux que, dans son conseil éternel et immuable,
il a élus et mis à part selon sa bonté gratuite en Jésus-Christ, sans aucun
égard à leurs œuvres ; juste, en laissant les autres dans la chute et la
perdition dans laquelle ils s'étaientprécipités eux-mêmes. » Ce dogme de
la prédestination avait donc pour prémisses : 1° la chute et la corrup-
tion de l'humanité solidaire de la faute commise par son premier an-
cêtre; 2° la corruption totale de la postérité d'Adam, de sorte que,
devant Dieu, il n'y avait aucune différence de mérite entre un homme
et un autre ; 3° l'idée qu'en Adam nous nous étions tous individuellement
rendus coupables de la transgression originelle. Dieu donc, qui aurait
pu en toute justice, ces prémisses une fois admises, laisser tout le genre
humain dans sa corruption et dans son malheur éternel, n'avait mani-
festé que de la bonté en retirant ceux qu'il avait élus de toute éternité,
pour des motifs de lui seul connus, du gouffre de la perdition et en y
laissant les autres. Cette exposition du dogme calviniste primitif était
nécessaire pour bien comprendre l'origine et le développement de
l'arminianisme. On saisit tout cle suite les objections qu'une fois la
première ferveur refroidie, la réflexion venant à s'attaquer à ce dogme
majestueux et terrible, le sens commun ne pouvait manquer d'alléguer
contre une doctrine qui reportait sur Dieu lui-même l'arbitraire qu'on
prétendait avoir enlevé aux pouvoirs humains. N'en résultait-il pas
immédiatement que la grâce de Dieu était offerte et même imposée à
un certain nombre d'hommes sans qu'on pût concevoir le motif de cet
immense privilège, tandis qu'elle demeurait étrangère et même refusée
à tous les autres, et cela en vertu d'un décret immuable de la volonté
divine? — Arminius (Jacques) ou Harmensen naquit, vers 1560, à^Ou-
dewater (Vieille-Eau, d'où le surnom qu'on lui a parfois donné de Vete-
raquinas). Il était le hls d'un simple coutelier. Il perdit son père de
bonne heure, mais ses heureuses dispositions intéressèrent en sa faveur
quelques personnes riches qui le firent étudier. C'est ainsi qu'il fut suc-
cessivement étudiant à Utrecht, à Marbourg, à Rotterdam et à Leyde, où il
profita des leçons du savant Danœnus, et à Genève, où il entendit Théo-
dore de Bèze. Il visita aussi l'Italie et Home, d'où il revint profondément
scandalisé. A Bàle, où il séjourna à l'âge de vingt-deux ans, on voulait
déjà lui conférer le doctorat en reconnaissance de son mérite transcen-
dant, mais il refusa par modestie. En 1588, il fut nommé pasteur à
Amsterdam, et ne tarda pas à s'y faire une grande réputation comme
prédicateur. Dans cette ville, un laïque, Dirick Kornhert, avait déjà
attaqué, non sans succès, le dogme calviniste de la prédestination. Le
consistoire chargea Arminius de le réfuter. En même temps, il y avait
ARMIXIAX1SME tJOI
conflit entre les pasteurs de Delft, infràlapsaires (affirmant que la pré-
destination divine n'avait eu lieu qu'après la chute) et lés supralapsaires
(voulant que la chute elle-même rentrât dans le plan divin). Arminius
se prononça en faveur des premiers, et c'est pendant qu'il se livrait à
cet examen qu'il sentit naître en lui des doutes sur la légitimité du
dogme lui-même de la prédestination. Il inclina depuis lors vers l'idée
que la grâce de Dieu était offerte à tous les hommes, et que, par consé-
quent, le motif déterminant de son acceptation ou de son rejet devait
être cherché dans l'homme lui-même. Son savant ami Junius, profes-
seur à Leyde, partageait son opinion, ainsi que le pasteur de La Haye,
Uytenbogaert. On le voit aussi s'opposer à une exigence du parti cal-
viniste rigide qui voulait obtenir des Etats une décision qui eût astreint
tous les pasteurs à renouveler chaque année leur serment d'adhésion à
la Confession de foi. En 1603, il fut nommé professeur à Leyde, en rem-
placement de Junius qui venait de mourir. Là, il se rencontra avec son
collègue Gomar qui tenait pour le calvinisme rigide et qui ne tarda pas
à l'attaquer comme pélagien. Arminius riposta qu'il fallait se garder
du pélagianisme, mais aussi du manichéisme qui sépare l'humanité en
deux parts sans rapport commun, l'une appartenant à Dieu, l'autre au
diable, et qu" il était impie de faire de Dieu l'auteur du péché. Un
synode en 1606, une conférence en 1608 ne purent mettre un terme au
débat qui s'envenimait toujours plus, lorsqu'Arminius mourut en 1609.
Ses écrits furent réunis et publiés à Leyde en 1629; sa Biographie fut
rédigée par Gaspard Brandt, lils de l'historien (1724). Les germes
d'indépendance vis-à-vis du calvinisme rigide qu'il avait semés firent
que son nom resta à la tendance qui se dégagea après lui et sous son
impulsion au sein de l'Eglise réformée des Pays-Bas. Le trait caracté-
ristique de cette tendance fut l'opposition au dogme de la prédestina-
tion, et, par conséquent, une opposition de plus en plus systématique
à l'autorité de la Confession de foi, ainsi qu'une grande liberté dans
l'interprétation des livres saints. La controverse pour et contre la pré-
destination avait déjà, quand Arminius mourut, dépassé l'enceinte des
écoles pour se propager dans la population néerlandaise. Si l'on veut
en bien comprendre l'importance et la vivacité, il faut se rappeler que,
dans la masse du peuple, trois choses étaient solidaires et inséparables :
l'indépendance nationale, le calvinisme et l'orangisme; l'oligarchie
bourgeoise et républicaine, au contraire, tout en tenant beaucoup à
cette indépendance nationale qu'elle avait tant contribué à faire triom-
pher, était anti-orangiste et médiocrement attachée au calvinisme pur.
On voit d'ici comment, dans les Pays-Bas, la controverse théologique
se compliqua très-vite d'une lutte politique. —Pour se justifier des accu-
sations outrageantes dont il était l'objet dans les chaires et les pam-
phlets du temps, le parti arminien adressa aux Etats de Hollande et
d'Ouest-Frise, en 1610, une Remonstrance (de là le nom de Bernons-
trants) dan- laquelle, tout en se tenant au plus près des doctrines cal-
vinistes en général, il stipulaitque Dieu avait prédestiné au salut «ceux
qui croient en son Fils Jésus-Christ et qui persévèrent jusqu'à la fin
dans cette loi et dans l'obéissance qu'elle commande; que Jésus-Christ
i. 30
602 ARMINIANISME
était mort pour tous ceux qui s'approprient ses mérites par la foi ;
que la grâce n'était pas irrésistible, bien qu'elle fût absolument indis-
pensable et qu'il fallait décider uniquement, d'après l'Ecriture, si cette
grâce était ou non amissible ». Ce dernier point fut, toutefois, modi-
fié en 1611, en ce sens que la perte de la grâce, une fois obtenue, fut
déclarée possible. L'esprit de ces articles était évidemment de faire
dépendre de l'acceptation volontaire de l'homme le salut offert à tous,
et, par conséquent, il était directement opposé au dogme calviniste qui
déclare que le salut dépend purement et uniquement de la volonté
divine. Les adversaires du parti arminien opposèrent à ce manifeste
une contre-remonstrance conçue en termes très-vifs. Les Etats, où domi-
nait encore l'influence de Barneveld et du parti républicain, défendi-
rent, en 1614, qu'on discutât ces questions irritantes et voulurent impo-
ser la tolérance. Le célèbre Grotius, sympathique aux idées arminiennes,
les appuya de toute son influence. Mais le parti populaire et orangiste
refusa de se soumettre; bientôt l'influence du prince Maurice, déjà
illustre par ses victoires, devint prépondérante, et il fut décidé qu'un
synode général, où seraient invités des représentants de toutes les
Eglises réformées, serait tenu à Dordrecht pour trancher définitivement
la question. À la tête du parti arminien on remarquait Episcopius
(Simon Biscop), né à Amsterdam en 1583, professeur à Leyde, où il
avait remplacé Gomar fixé désormais à Middelbourg; c'est lui qui,
assisté de douze autres théologiens remonstrants, dut défendre devant
le synode les opinions anti-prédestinatiennes. Le synode lui-même se
composait de cinq professeurs en théologie, trente-six pasteurs et vingt
anciens. On y remarquait les députés des Eglises réformées du Palati-
nat, de la Hesse, de Suisse, de Genève, de Nassau, de Brème, d'Angle-
terre et d'Ecosse, Les Eglises de Brandebourg et d'Anhalt (celle-ci ne
jouissait pas d'une réputation d'orthodoxie suffisante) ne furent pas
représentées; le gouvernement de Louis XIII n'autorisa pas l'Eglise de
France à y envoyer ses députés. — Le synode se constitua le 13 novem-
bre 1618. Jean Bogerman, pasteur à Leuwarde, calviniste zélé, fut élu
président, et les remonstrants furent cités à comparaître. C'est ainsi que
fut résolue la question préalable de savoir s'ils conféreraient avec le
synode sur le pied de l'égalité ou si d'avance ils seraient traduits à la
barre comme des accusés tenus à se défendre. Ce dernier avis prévalut.
Après quelques hésitations, Episcopius et ses amis consentirent à com-
paraître ; mais leur langage hardi, la fierté de leur attitude irritèrent la
haute assemblée. Dans la cinquante-septième séance (14 janvier 1619),
ils furent expulsés du synode comme menteurs et trompeurs. Les diver-
gences de vues qui se manifestèrent ensuite parmi les membres du
synode sur les questions de l'élection, du supralapsarisme et du fonde-
ment du salut ne les empêchèrent pas de s'unir dans une réprobation
unanime de l'arminianisme. Les canones synodici confirmèrent et déve-
loppèrent le dogme de la prédestination absolue, de manière à ne pas lais-
ser la plus mince ouverture à la participation de l'homme à l'œuvre de
son salut (voy. surtout cap. I, art. 7 et 10). Les remonstrants, qui fai-
saient dépendre l'efficacité de la vocation divine adressée à tous les
AlîMIXIANISME 60$
hommes de la disposition soumise ou rebelle que chacun d'eux présen-
tait à Faction divine (Art.fiemonstr., I ; Confessto Remonstr., XVII, 3, 'i,
7. Si, furent condamnés comme perturbateurs de l'Eglise, profanateurs
et déclarés déchus de toute fonction ecclésiastique. La réaction orangiste
aidant, il s'éleva contre eux une véritable persécution. Ëpiscopius dut se
réfugier dans les Pays-Bas espagnols, puis en France, à Paris et à Rouen,
où il y eut pendant quelques années une communauté de remonstrants
réfugiés, reconnue et protégée par le pouvoir royal. La mort de Barne-
veld sur l'échafaud (13 mai 1619), la condamnation de Grotius à la
réclusion perpétuelle (à laquelle il échappa en s1 évadant grâce au dévoue-
ment ingénieux de sa femme), bien que motivées par des raisons politi-
ques, ne s'expliquent bien que par leur connexion avec la réaction
orangiste et antiarminienne qui sévit sur les adversaires du calvinisme
pur. Deux cents pasteurs environ furent déposés et ceux qui ne voulu-
rent pas se soumettre, bannis. Cependant l'opinion du pays et du gou-
vernement revint quelques années après à des idées plus tolérantes. On
trouva que le synode avait procédé avec trop de rigueur, et les remons-
trants réuesirent à se disculper du reproche, qui leur avait été si fatal,
d'être hostiles, en tant que parti religieux, à la maison d'Orange. En 1625,
la mort de Maurice et le stathoudérat de son frère Henri servirent leur
cause en ce sens que, d'abord tolérés, ils obtinrent, depuis 1630, le droit
de s'établir en tous lieux et d'ériger des églises et des écoles à côté de
celles de l'Etat réformé-calviniste, qui seules pouvaient être visibles
(de là, aux Pays-Bas, le grand nombre d'églises catholiques, menno-
nites, remonstrantes, cachées dans des pâtés de maisons). Toutefois
le nombre des arminiens ou remonstrants , assez considérable au
premier moment, ne s'accrut pas ou plutôt il tendit toujours plus à
diminuer, au point que de nos jours il ne s'élève guère à plus de
huit mille âmes réparties en 21 communautés. Mais il faut ajouter
que la cause de cette diminution doit être bien moins cherchée dans la
disparition graduelle des idées arminiennes que dans le l'ait tout
opposé de leur infiltration graduelle, et aujourd'hui pour ainsi dire géné-
rale, au sein de l'Eglise réformée dans les Pays-Bas et dans les autres
pays. L'Eglise réformée de France s'associa pourtant par une
déclaration solennelle (synode national d'Alais, 1620) aux décrets et
aux articles de Dordrecht, mais les mesures rigoureuses qui fuient
prises pour en assurer le maintien ne purent empêcher, en France
plus qu'ailleurs, le levain de l'arminianisme de pénétrer nos Eglises
et nos écoles protestantes, ainsi que le prouvèrent bientôt Vuniuer-
salisme d'Amyraut et la tendance générale de l'école de San mur (v. les
art. Amyraut et Saumur).. Les remonstrants de Hollande furent donc
essentiellement un foyer d'indépendance vis-à-vis du calvinisme pur,
et L'influence de leurs savants théologiens fut toujours considérable.
Ils usèrent de la liberté qui leur fut rendue, en £630, pour hunier à
Amsterdam un séminaire, avec deux professeurs. L'un de théologie,
l'autre de philosophie. A côté d'Episcopius (f L643), l'auteur de la
Confessio Remomtrantium en vingt-cinq chapitres et <Vi\\\c fnstitulio
iheologica très-érudite en quatre livres, professeur à Amsterdam depuis
604 ARMINIANISME
1634, nous distinguons son ami Uyte'nbogaert (f 1644), qui traduisit
la Confessio en hollandais, composa un catéchisme et contribua beau-
coup par ses écrits à procurer à son parti la liberté civile et religieuse.
Il faut citer ensuite parmi les représentants les plus notables de la
même tendance, outre le fameux Grotius, CurceUaeus (Courcelles),
successeur cTEpîscopius dans la chaire professorale d'Amsterdam
(f 1645); Limborch (-J- 1714), dont la Theologia christiana (1686) passe
pour le meilleur exposé de la théologie arménienne; Jean Le Clerc
ou Clericus, d'origine française et genevoise, mort en 1736, qui se
rattacha à l'Eglise remonstrante pour jouir d'une plus grande liberté
scientifique, professa aussi à Amsterdam et compta parmi les érudits les
plus laborieux et les plus féconds de son temps ; Jacob Wetstein, de
Bàle, éminent critique, également professeur remonstrant à Amster-
dam, mort en 1754. Dans notre siècle, l'arminianisme néerlandais a
compté dans ses rangs plusieurs hommes remarquables, parmi lesquels
nous citerons le professeur et célèbre prédicateur Abraham des
Amorie van der Hoeven (f 1855), précédé dans la tombe par son fils,
pasteur à Utrecht, éloquent prédicateur aussi, poète et théologien dis-
tingué; puis M. C.-P. Tiele, actuellement professeur remonstrant
à Leyde, où la chaire de théologie remonstrante a été transférée
en 1873, très-estimé comme orateur religieux, de plus et tout
spécialement par ses savants travaux sur l'histoire comparée des an-
ciennes religions. — Comme cela résultait presque nécessairement de
leur position de parti persécuté et de protestants au sein même du
protestantisme, les arminiens, après leur rupture, se virent amenés à
étendre à d'autres dogmes qu'à celui de la prédestination et de l'élec-
tion leur opposition au calvinisme primitif. Ceux de la chute, de la
rédemption, de la Trinité, de l'inspiration des Ecritures ne tardèrent
pas à être dans leurs écoles l'objet de modifications notables. On peut
le voir surtout dans les écrits d'Episcopius, de Limborch et de
Le Clerc. Il y a même lieu de penser qu'une des grandes raisons qui
animèrent les théologiens de Dordrecht d'un zèle si âpre contre les
remonstrants, fut la prévision que la réforme dogmatique réclamée par
eux, sur un point spécial, entraînerait des conséquences bien plus
graves encore. Derrière rarminianisme, on voyait surgir le socinia-
nisme. En fait, plusieurs arminiens ne furent guère que des sociniens
timides, et le parti dans son ensemble se montra de bonne heure plus
tolérant que les Eglises orthodoxes pour les hommes et les vues du
socinianisme. Cependant les théologiens les plus accrédités de l'armi-
nianisme prirent toujours soin de se distinguer des sociniens. C'est
plutôt l'arianisme et le semipélagianisme qui ressortent de leurs sys-
tèmes théologiques. Aujourd'hui, sauf exceptions individuelles, les-
remonstrants des Pays-Bas se rattachent généralement au mouvement
du protestantisme libéral. — Sources : Uytenbogaert, Histoire de l'E-
glise, de l'an 400 jusqu'au synode de Dordrecht, en hollandais, 1619 ;
rééditée en 1647; Limborch, Relatio historié a... controversiarmm infœde-
rato Belgio, 1715; G. Brandt, Historia reformationisbelgicœ, 1671-1704;
llcgenboog, Histoire des Remonstrants, en hollandais, 1774; trad.allem.
ARMINIANISME — ARNAUD 605
en 1781 ; Ypey et Dermout, Histoire de V Eglise réformée néerlandaise,
en holl., 1819-1827. A. réville.
AR-MOAB. Voyez Moah.
ARNAUD (Henri) était un modeste pasteur du Dauphiné, d'une piété
exemplaire. Il n'avait jamais t'ait parler de lui, et avait quitté son
Eglise et son pays pour devenir pasteur dans les vallées vaudoises
du Piémont, lorsque la tyrannie de Louis XIV était devenue intolé-
rable. 11 avait déjà plus de quarante ans alors, et lui-même ne se dou-
tait pas sans doute que dans sa mâle poitrine battait le cœur d'un
héros comparable aux guerriers antiques. Louis XIV obligea le duc de
Savoie à proscrire de ses Etats les religionnaires, comme il avait fait
lui-même; c'était en 1686. Arnaud dut s'expatrier de nouveau avec
trois mille pauvres gens des vallées, restes pitoyables d'une. population
de quinze mille âmes décimées par la misère et les massacres. Ils avaient
trouvé refuge en Suisse et en Allemagne. L'énergie dont Arnaud avait
donné mille preuves dans ce rude voyage tourna vers lui le cœur de
tous ses compagnons. Tous étaient dévorés dans l'exil par un amer re-
gret de leurs chères montagnes. Il osa concevoir le projet de lesy réin-
tégrer de force. C'était la plus téméraire audace, mais il avait en Dieu
cette foi que rien ne trouble, rien n'arrête. Durant plus de deux années
il mûrit son plan, et, par une belle nuit du milieu d'août 1689, tous les
Vaudois valides, venus un à un des diverses parties de la Suisse, et
même d'Allemagne, se trouvèrent rassemblés en silence dans la forêt
de Prangins sur les bords du Léman. Ils étaient près de neuf cents. On
traverse aussitôt le lac sur quelques mauvaises barques, on aborde la
rive savoyarde près d'Yvoire et l'on se met rapidement en marche à
travers les terres du duc, enlevant des otages et des guides pour les
relâcher à l'étape suivante, et sans commettre le moindre désordre. Ils
passent à Sallanches, atteignent les hautes montagnes, culbutent près
du fort d'Exilles quelques compagnies françaises de celte frontière qui
voulaient leur barrer le passage et, le 27 août, après onze jours de
fatigues et de dangers inouïs, ils arrivent, demi-morts de faim, au
premier village des vallées vaudoises, La Balsille. Les troupes piémon-
taisrs et celles du roi de France s'unirent pour leur donner la chasse;
mais Arnaud déploya la valeur et les talents d'un militaire consommé;
il repoussa tous les assauts, jusqu'à ce qu'un allié sur lequel il avait
bien compté, l'hiver, vint forcer les assaillants à le laisser en repos
jusqu'au printemps. Le 30 avril, l'ennemi reparut. 11 fut repoussé de
nouveau. Voulant en finir à tout prix, le général français commença
ww siège en règle et lit transporter des canons sur les sommets voisins du
camp vaudois, qui semblait inévitablement perdu. Ils avaient compté
sans la toi d'Arnaud, (pie le découragement ne pouvait atteindre. Par
une sombre nuit, il se laissa glisser, suivi de tous les siens, au fond de
précipices impraticables, et le lendemain, comme les assiégeants étonnés
'cherchaient ;i s'assurer si la place était véritablement déserte, ils aper-
çurent les indomptables religionnaires postés sur les cimes lointaines.
La politique mit fin tout à coup à cette lutte trop inégale Le due df
Savoie passa du parti de la France an parti d'Allemagne et laissa
60G ARNAUD — ARNAULD
la paix à ses sujets vaudois. Arnaud reprit ses pacifiques devoirs de
pasteur des vallées. Huit ans après (1698), un nouveau changement de
la cour de Turin lui lit reprendre le chemin de l'exil. On l'accueillit
avec respect en Allemagne et en Angleterre; il s'établit définitivement
au presbytère de l'église de Schonberg, en Wurtemberg, au centre d'un
troupeau de deux mille de ses frères réfugiés; il y publia (1710) une
Histoire de la glorieuse rentrée, et il y rendit paisiblement à Dieu son
âme admirable, le 8 septembre 1721, à l'âge de quatre-vingts ans. —
Voyez r Israël dès Alpes, par A. Muston (1851), et Biographie du Bau-
phiné, par Rochas (1856). H. Bordier.
ARNAULD DE BRESCIA. Faute, de documents suffisants, il est impos-
sible, à l'heure qu'il est, d'écrire de ce célèbre agitateur ecclésiastique
et politique une biographie qui ne présente pas de lacunes. Plusieurs
écrivains ont essayé de les combler, soit par d'anciennes relations dont
rien ne garantit l'exactitude, soit par des tableaux de fantaisie; au lieu
de faire l'histoire d'Arnauld, on a fait ainsi son roman; c'était inu-
tile, car ce qu'on sait de son œuvre est assez précis pour en donner
une idée. La date de sa naissance est inconnue ; il se voua à la carrière
ecclésiastique ; comme jeune homme il remplit à Brescia, qui était sa
patrie, les fonctions de lecteur. Plus tard on le rencontre en France,
parmi les disciples les plus dévoués d'Abélard. Il se fit moine comme
son maître. Revenu dans sa ville natale, où une partie de la population
était mécontente de Févêque, il attira l'attention par son éloquence et
par la simplicité de ses mœurs. Saint Bernard, quand il fut devenu son
persécuteur, disait encore de lui: «Plût à Dieu que sa doctrine fût
aussi pure que sa vie est austère ; il ne mange ni ne boit, mais a faim
et soif des âmes. » Il voulut tenter une réforme morale, sans toucher
aux dogmes. L'Eglise lui semblait déchue; il voyait que, par les
richesses, et l'usage mondain qu'il en faisait, le clergé avait perdu son
autorité sur le peuple; il en concluait que la cause de la décadence
était la possession de biens temporels; pour se relever, évêques, prê-
tres et moines devaient revenir à la pauvreté des temps apostoliques;
ce n'est qu'à des laïques qu'il fallait conférer les domaines relevant du
pouvoir séculier, le clergé se contenterait des offrandes des fidèles,,
renoncerait au luxe et aux plaisirs, et reprendrait ainsi son influence
spirituelle. Où Arnauld avait-il puisé ces doctrines? On a fait à ce sujet
des suppositions diverses. Suivant les uns, il n'aurait fait que tirer des.
conséquence pratiques de l'enseignement d'Abélard; d'autres l'ont mis-
en rapport avec les cathares ou avec les henriciens; d'autres ont
même découvert chez lui du gnosticisme. Aucune de ces hypo-
thèses ne peut invoquer en sa faveur des témoignages historiques.
Chaque fois que parait un novateur, il n'est pas nécessaire, quand on
n'en a pas la preuve, de le rattacher à quelqu'un dont il aurait subi
l'ascendant et dont il ne serait que le continuateur. Arnauld a pu trou-
ver dans sa conscience^ froissée par la situation ecclésiastique de
l'Italie, assez de motifs pour se former sa doctrine spontanément. Cette
doctrine s'offrait pour ainsi dire d'elle-même, dès qu'on faisait une
comparaison entre le présent et l'Eglise primitive; il y a peu de sectes
ARNAULD 607
du moyen âge qui iraient protesté contre les richesses du clergé et
voulu rétablir la vie apostolique; dans un moment de détresse, le
pape Pascal II, lui-même, fut d'avis que les évoques devaient se dé-
pouiller de leurs possessions et de leur souveraineté temporelles; les
ordres mendiants, à leur origine, chercheront à leur tour à reproduire
Y idéal de la pauvreté du Christ et de ses disciples, pour conquérir
ainsi une influence que les prêtres séculiers risquaient de perdre.
A Brescia, les idées d' Arnauld rencontrèrent de l'écho dans le parti hos-
tile à l'évêque. Celui-ci, Manfred, porta contre Arnauld une accusation
d'hérésie devant le concile de Latran de 1139; il n'est pas dit que cette
assemblée condamna formellement ses principes; la seule chose que l'on
sache, c'est qu'Innocent II lui imposa silence. Il est vrai qu'Otton
de Freisingén rapporte qu'il avait enseigné aussi des erreurs touchant
la sainte cène et le baptême des enfants; mais aucun autre historien ne
lui reproche des erreurs dogmatiques ; Otton lui a attribué des opinions
qu'on imputait alors à presque tous les adversaires de l'Eglise; il a pu
s'y croire autorisé par le fait que le même concile de 1139 se pro-
nonça contre les henriciens, au nombre des hérésies desquels il y en
avait au sujet des deux sacrements. Arnauld revint en France; s'il en
faut croire saint Bernard, il y fut rappelé par Abélard qui, en juin 1140,
avait à se défendre devant le concile de Sens. On sait qu'il ne se dé-
fendit pas, mais qu'il en appela au pape. Un rescrit de ce dernier, du
mois de juillet, ordonnait d'enfermer le maître et le disciple, Goliath
et son écuyer, comme disait l'abbé de Clairvaux, chacun séparément
dans un monastère. Arnauld put se retirer en Suisse où, pendant quelque
temps, l'évêque Herrmann de Constance le prit sous sa protection. Saint
Bernard écrivit à ce prélat plusieurs lettres pour lui dénoncer « ce lion
rugissant, cet ennemi de la croix de Christ »; il devait le [bannir, ou
mieuxencoreTemprisonner. Arnauld trouva unasile auprès du légat, Guy
deCastellis, ancien disciple ûï Abélard; l'abbé de Clairvaux, quand il en
fut informé, avertit le légat qu'il compromettait la dignité de ses fonc-
tions, qu'il résistait aux commandements du pape et de Dieu, en ac-
cueillant un homme aussi dangereux, «qui a la tête de la colombe et le
dard du scorpion ». Guy abandonna-t-il Arnauld ? On l'ignore ; pour plu-
sieurs années les renseignements nous manquent. — En 1145, Arnauld
vint à Home, où depuis deux ans le peuple était en pleine révolution
contre la papauté temporelle. Il crut le moment venu de réaliser ses
idées; il ne voulut plus seulement ramener le clergéà la pauvreté, mais
rétablir la liberté et l'ancienne gloire de la ville. Dans leur enthou-
siasme facile, les Romains acceptèrent les plans républicains du tribun
réformateur: plus de pouvoir temporel du pape, gouvernement de
Rome par un Sénat élu par le peuple, alliance libre avec l'empereur.
En 1452, le parti modéré réussit à rappeler Eugène III, qui d'abord
avait reconnu le régime populaire, mais que les troubles incessants
avaient obligé de se réfugier en France. Arnauld resta dans la ville;
Eugène mourut peu de mois après. Le nouveau pape Adrien IV exigea
Péloignemenl du tribun, mais le Sénat la refusa. Un cardinal ayant été
été tué. Adrien frappa Rome de l'interdit. L 'exécution de cette sentence
608 ARNAULD
effraya le peuple; Arnauld dut quitter la ville; arrêté à Otiicoli, il fut
délivré par quelques barons qui lui donnèrent un refuge dans un châ-
teau. Le pape, quand il fit conclure par ses délégués un traité de paix
avec Frédéric Barberousse, qui marchait sur Rome, voulut que le roi s'en-
gageât à lui livrer Arnauld de Brescia; Frédéric donna Tordre de se
saisir d'un des nobles qui le protégeaient, sur quoi les autres l'abandon-
nèrent. Le préfet de Rome le lit pendre ; le cadavre fut brûlé et les cendres
jetées dans le Tibre, afin d'empêcher qu'elles fussent recueillies comme
celles d'un martyr. Ce fut la fin de la république romaine. Arnauld
laissa quelques disciples, qui continuèrent de professer ses opinions en
Italie. En 1184, Lucien III condamna au concile de Vérone des héré-
tiques arnoldîstes, sans mentionner leur doctrines; vers 1190, Bona-
cursus les mentionna dans un discours prononcé à Milan contre les
cathares ; il leur reprochait de prétendre que pro malitia clericorum sa-
cramenta ecclesiœ esse vitanda. Des auteurs postérieurs leur attribuent
des erreurs dogmatiques, dont l'histoire ne sait rien. On peut douter
qu'ils aient formé une secte. Ils sont nommés dans la loi de Frédéric II
contre les hérétiques, 1224; très-probablement le rédacteur de la loi a
pris le nom dans le décret de Lucien III, afin de ne rien oublier. De la
loi le nom passa dans les bulles de quelques papes, ainsi que dans les
ouvrages de quelques écrivains allemands du treizième siècle; rien ne
prouve qu'à cette époque il y ait eu en Allemagne des arnoldistes.
— Voy. Kœler, D. Arnoldo Brixiensi, Gœtting., 1742; Bert, Essai sur
A. de B., Genève, 1856; Guibal, A. de B. et les Hohenstauffen, ou la
question du pouvoir temporel de la papauté au moyen âge, Paris, 1868;
Clavel, A. de B. et les Romains du douzième siècle, Paris, 1868; Andro di
Giovanni de Castro, Arnoldo di Brescia e la revoluzione romana del
douzo secolo, Livorno, 1875. Je ne cite que pour mémoire Francke
À. von B. und seine Zeit, Zurich, 1825; c'est un roman sans critique et
mal écrit. Ch. Schmidt.
ARNAULD (Antoine), surnommé le grand Arnauld. Pour comprendre
ce surnom donné à un homme médiocre, dont les œuvres innombra-
bles sont aujourd'hui aussi oubliées qu'illisibles, il faut se reporter aux
querelles théologiques du dix-septième siècle, aux puériles disputes sur
la grâce. Né à Paris le 6 février 1612, Arnauld était le vingtième et
dernier enfant de l'avocat Antoine Arnauld. Dix d'entre eux seulement
vécurent, dont neuf entrèrent en religion ; le dixième aurait sans doute
fini de même s'il n'eût été tué au siège de Verdun. Antoine suivit les
cours de la Sorbonne et devint docteur en 1641 ; il se dépouilla alors
de tous ses biens en faveur du monastère de Port-Royal, puis fut ordonné
prêtre. Deux ans après, il publia son livre De la fréquente Communion,
écrit sous l'inspiration de M. de Saint-Cyran. Depuis Y Introduction à la
vie décote, de saint François de Sales, aucun traité de dévotion n'avait
fait plus de bruit. Les deux ouvrages ne se ressemblaient cependant ni
pour le fond ni pour la forme; l'évêque de Genève avait montré l'onc-
tion et les charmes du catholicisme, Arnauld en présentait le côté
sévère, terrible, dans un style clair, froid, géométrique, mais pur et
dépouillé de la fadeur, de la subtilité alambiquée qui régnaient alors
ARXAULP 609
dans le domaine théologique. Les orages qui suivirent l'apparition de
ce volume s'expliquent assez par son origme. La marquise de Sablé
avait un directeur jésuite, la princesse de Guémené se soumettait aux
conseils de M. de Saint-Cyran. La première pressa la seconde d'aller au
bal un jour qu'elle avait communié; celle-ci refusa, alléguant la défense
de son directeur, et le règlement de conduite que M. de Saint-Cyran avait
remis à madame de Guémené passa ainsi entre les mains des jésuites.
De là une lutte théologique à laquelle furent mêlés l'Université, le Par-
lement et la Sorbonne. C'était le début de la grande querelle du jansé-
nisme. En 1610 avait paru l'Augustinus de l'évêque d'Ypres, Jansénius,
un énorme volume écrit en latin et où des fragments extraits des œu-
vres de saint Augustin sont mis en ordre et disposés de manière à for-
mer un système théologique complet sur la grâce. Une deuxième édi-
tion fut publiée en 1643, et Ton préluda par des escarmouches à une
guerre qui allait durer près d'un siècle. Enfin, en 1649, le syndic Cor-
net dénonça à la Faculté de théologie cinq propositions hétérodoxes
extraites de l'Augustinus. Arnauld prit la plume et soutint que les cinq
propositions n'existaient pas dans l'ouvrage de Jansénius. Les réfuta-
tions, les réponses, les manifestes, les libelles, les considérations, les
factums commencèrent à pleuvoir de toutes parts. Un jésuite, Jean de
Labadie. ayant passé à Port-Royal, puis étant devenu protestant, les
jésuites écrivirent que « le jansénisme était le grand chemin qui mène
au calvinisme ». Arnauld et ses amis se défendirent avec une inépuisa-
ble fécondité. Les jésuites attaquaient les jansénistes sur leur foi, les
jansénistes attaquèrent les jésuites sur leur morale. Tous les ouvrages
publiés au cours de cette lutte sont ensevelis dans un juste et profond
oubli; il est donc superflu d'en rappeler les titres; quant aux cinq
propositions, causes de tout ce bruit, elles sont d'une compréhension
difficile pour des esprits du dix-neuvième siècle. Figuraient-elles,
d'ailleurs, réellement dans l'Augustinus? Peut-être, mais incognito,
suivant la spirituelle expression du comte de Gramont, que Louis XIV,
par une malice cruelle, avait chargé de lire le volume pour les y cher-
cher. Enfin, Rome prononça; une bulle d'Innocent X condamna les
cinq propositions. Cerveau « de toutes parts borné et barré en ses
perspectives », dit M. Sainte-Beuve, Arnauld courba la tête. Malgré les
conseils des protestants, qui, éclairés par l'intérêt de leur cause, criaient
aux jansénistes : « Bon gré, mal gré, vous voilà hérétiques tout comme
nous; on vous (liasse, sortez avec nous; vous êtes bien et dûment con-
damnés selon les règles de Rome»; malgré les remontrances de Pascal,
Arnauld se soumit, et de ce jour le jansénisme fut perdu. Ce fut jus-
tice, dit avec raison M. Sainte-Beuve. Arnauld, au reste, continua à
'•crire. Du fond de sa retraite, il multipliait ses attaques contre les
jésuites, publiait des réflexions sur l'éloquence, une grammaire, un
traité de logique, un règlement pour l'étude des belles-lettres et jusqu'à
.des éléments de géométrie. 11 combattait Descartes et Malebranche, tra-
duisait le Nouveau Testament, commentait saint Augustin, niellait sa
plume infatigable au service des religieuses de Port-Royal el de tous les
- qui réclamaient son appui, au besoin la tournait contre eux, con-
610 ARNAULD
tre Pascal et Nicole, même contre son protecteur Innocent XL L'ac-
commodement appelé la paix de l'Eglise (1668) fut accepté parArnauld
qui promit de garder désormais le silence. Il fut alors présenté au
nonce, puis au roi et accablé par eux de compliments et d'éloges. Mais
sa dévorante activité, sa passion maladive pour la controverse ne lui
permettaient pas le repos. Réconcilié avec le catholicisme, il se mit à
combattre les protestants et publia contre eux plusieurs volumes sans
valeur, parmi lesquels on peut citer : Réponse générale à M. Claude,
1671, in-8°; Renversement de la morale de Jésus- Christ par les calvi-
nistes, 1672, in-4°; l'Impiété de la morale des calvinistes, 1675, in-4°;
Remarques sur une lettre de M, Spon, 1680., in-8°; le Calvinisme con-
vaincu de nouveaux dogmes impies, 1682, in-8°. Si Arnauld se fût borné
à attaquer le protestantisme, il eût pu espérer une vieillesse à peu près
tranquille ; mais son esprit inquiet en disposa autrement. L'affaire de
la Régale, la mort de la duchesse de Longueville, qui lui avait donné
asile dans son hôtel, l'ordre de quitter le faubourg Saint-Jacques for-
cèrent Arnauld de se retirer à Fontenay-aux-Roses, puis de se réfugier
hors de France, à Mons. Il n'y put rester, et erra, dès lors, de ville en
ville, sans demeure fixe, toujours écrivant, toujours controversant jus-
qu'à sa mort, qui arriva le 6 août 1694. Les ouvrages d'Arnauld ont
été réunis en 42 volumes in -4°. Prédicateur éloquent et passionné,
Arnauld n'était point écrivain : « Jamais, dit M. Sainte-Beuve, jamais
peut-être une seule fois dans ses quarante-deux volumes in-quarto, jamais
une expression qui attire et qui fixe, qui reluise ou se détache, qui fasse
qu'on y regarde et qu'on s'en souvienne, une expression qui puisse
s'appeler de talent! S'il est lumineux, c'est d'une lumière uniforme et
qui ne va pas au rayon. Il n'a pas, que je sache, rencontré un de ces
hasards de plume qui n'arrivent qu'à un seul. » En somme, la vraie
gloire de cet homme, dont l'activité fut le principal mérite, est d'avoir
engagé Pascal à écrire les Provinciales, Ce n'est pas assez pour justifier
le surnom de grand Arnauld, sous lequel il est toujours désigné. Pen-
dant tout le cours d'une vie qui dura quatre-vingt-deux ans, Arnauld
s'agita, parla, prêcha, lutta, fut poursuivi, se cacha, écrivit près de
cent quarante volumes, dont pas un n'est lisible aujourd'hui. Son
ardeur maladive, sa déplorable fécondité lui permirent d'ébranler, de
remuer son temps, et expliquent un surnom que beaucoup de ses con-
temporains ont pu croire mérité. Alf. Franklin.
ARNDT (Jean), auteur du Vrai christianisme, naquit à Ballenstsedt
(Anhalt), le 27 décembre 1555. Dès sa jeunesse, il se nourrit des écrits
des mystiques catholiques (saint Bernard, Thomas a Kempis, Tauler,
la Théologie allemande). Dans une maladie qui mit ses jours en péril,
il fit vœu, s'il guérissait, de renoncer à l'étude de la médecine, à
laquelle il se .destinait, et de se consacrer entièrement au service du
Seigneur. Il tint parole. Il étudia la théologie aux universités d'Helms-
taedt (1576), de Wittemberg (1577), de Strasbourg et de Baie (1579).
Revenu en 1581 à Ballenstaedt, il y fut prédicateur auxiliaire et institu-
teur. En 1583, il devint pasteur au village de Badeborn, où son sou-
venir s'est perpétué jusqu'à nos jours. Mais le duc Jean-Georges d'An-
ARNAULD 611
hait inclinait vers le calvinisme; voulant l'imposer aussi à ses sujets, il
interdit l'usage des images dans les églises et de la formule de l'exor-
cisme dans la liturgie du baptême. Arndt, refusa d'obéir. Il fut des-
titué et expulsé, malgré les réclamations réitérées de son troupeau.
Il lut appelé à Quedlimbourg, où il exerça le ministère au milieu
de circonstances très-difficiles, et où, pendant la peste de 1598; qui
enleva plus de 3,000 personnes, il montra un dévouement héroïque
et une charité infatigable; il n'en fut pas moins persécuté et abreuvé
d'amertume. En 1599, il devint pasteur à Brunswick, où il publia le
premier livre de son Vrai christianisme. Le succès de l'ouvrage fut si
grand, qu'il excita la jalousie de ses collègues. Les divisions politiques
vinrent encore envenimer les haines religieuses, de sorte que la vie et
l'activité d'Àrndt, dans cette ville, ne furent qu'un long martyre. En
1()07, Arndt fut enfin délivré de cette «fournaise ardente», et ses
ennemis eux-mêmes furent obligés de rendre hommage à sa piété ; le
surintendant Wagner inscrivit dans les actes du ministère ce témoi-
gnage : Vir placidus, candidus, pius et doctus. Appelé à Eisleben, il y
rencontra une véritable sympathie , et put enfin publier, en 1609,
les quatre livres de son Vrai Christianisme. En 1611, il alla comme
prédicateur de la cour et surintendant à Celle (Lunebourg), et il y resta
jusqu'à salin (II mai 1621). Arndt a publié, en outre, des sermons sur
Les Evangiles et sur le Petit catéchisme de Luther, une explication du
Livre des Psaumes, et un recueil de prières: Petit Jardin du Paradis ; il
a aussi réédité Y Imitation de Jésus-Christ et le Traité de la Théologie
allemande. Ce qui caractérise sa piété, c'est qu'elle est, avant tout,
vivante et pratique, tenant compte du sentiment et exerçant une discipline
sévère sur (d'homme intérieur». Ce caractère a fait défaut à presque
toutes les productions théologiques de son siècle, et ne se trouve guère
que dans les cantiques. Aussi , pendant presque toute sa vie, Arndt
fut-il en butte aux persécutions et aux attaques les plus violentes :
« Non, jamais je n'aurais cru, dit-il, qu'il y eût de si méchants hommes
parmi les théologiens. » Sa bienfaisance et son goût pour la mystique
médicale de Paracelse le firent accuser d'avoir découvert la pierre phi-
losophai et l'art de faire de l'or. On suspecta son orthodoxie; il fut
accusé de toutes les hérésies, et sa mort même ne désarma pas ses
ennemis. Vu prédicateur de Dantzig, Jean Corvinus, s'écria duhautde la
chaire : « One Satan le récompense pour ses ouvrages ; pour moi, je ne
voudrais pas aller après ma mort là où est Arndt. » Le professeur de
rl ubingue, Lucas Dsiander, découvrit dans les écrits d'Arndt des erreurs
" papistiques, monachiques, enthousiastes, pélagiennes, calvinistes.
schwenkfeldiennes, flaciennes et weigeliennes ». Arndt a toujours voulu
rester tidèle a la doctrine de son Eglise; il l'a déclaré encore sur son lit
de mort. Mais dans un siècle où fleurissait le dogmatisme, il a insisté
surtout sur la sanctification. Seulement, comme aux universités il
avait suivi. plus assidûment les coins de médecine (in.- ceux de théo-
logie, il a manqué parfois de précision et de clarté et a semblé
accentuer la sanctification au détriment de la justification. Il déclare,
du reste, lui-même qu'il a un modus docendi mysticus. o Cette ma-
012 ARNAULD — ARNO
nière d'enseigner, dit-il, est fort nécessaire aujourd'hui que la foi s'est
éteinte et que la charité s'est refroidie dans les hommes». Arndt a eu
pour mission « de dire à ses contemporains que, pour être un bon
luthérien, il faut être avant tout un bon chrétien, c'est-à-dire un
enfant de Dieu ayant une foi vivante (Kahnisj ». Son Vrai Christia-
nisme respire un mysticisme sain et essentiellement scripturaire. C'est
un enseignement simple, calme, sans éclat, s'adressant surtout à la
conscience et à la volonté et conduisant insensiblement, mais toujours
plus profondément, dans le mystère de la piété. La doctrine de la justi-
fication par la foi s'était pétriliée, chez la plupart des théologiens du
temps, dans des formules scolastiques. Arndt s'appliqua à la vivifier de
nouveau en accentuant la doctrine johannique delà foi qui met l'homme
en communion de vie avec Dieu par Jésus-Christ. De même que l'homme
a perdu l'image de Dieu en Adam, ainsi il doit être renouvelé à cette
image en Jésus-Christ. Voilà la pensée fondamentale du livre. Arndt
lui-même nous expose, du reste, sur la fin de sa vie, le but qu'il s'est
proposé : « Voici ce que j'ai voulu, écrit-il : d'abord, détourner les
étudiants et les pasteurs de cette théologie étroite et batailleuse qui
menace de nous ramener à la scolastique ; ensuite, conduire les âmes
de la foi morte à la foi vivante, de la science pure et de la théorie à
une piété pratique et féconde ; montrer enfin ce que c'est que la vraie
vie chrétienne, inséparable de la vraie foi et ce que signifie cette parole
de l'apôtre : ((Je ne vis plus moi-même, mais Christ vit en moi ! » Mon
intention n'était donc point de présenter Christ uniquement comme un
exemple, ainsi que font les moines, mais d'augmenter la foi en Christ
et de lui faire porter des fruits, afin que nous ne fussions pas trouvés
stériles aufjour du jugement ». Le Vrai Christianisme a acquis la plus
grande popularité et a exercé une influence durable sur la piété des
protestants de langue allemande. Spener, qui appelait Arndt « le père
des croyants », portait sur lui ce jugement enthousiaste : « Je mets
Luther au premier rang, parce que Dieu a fait par lui une œuvre plus
grande et surtout plus éclatante ; mais immédiatement après lui, je place
Jean Arndt, et encore ne sais-je pas si ses écrits ne sont pas destinés
par Dieu, à accomplir une œuvre aussi considérable que celle de Luther
même. » « Celui qui ne goûte pas ce livre, disait le surintendant
Glassius, a décidément perdu tout appétit spirituel. » Dès M) 15, on le
réimprimait en Suisse; en 1687, on le trouvait déjà répandu dans l'Eglise
catholique, traduit en latin, sans nom d'auteur. Le comte de Zinzen-
dorf en a publié une traduction française, dédiée au cardinal de Noailles,
Paris, 1725, 3 vol. in-8°. Ch. pj^ender.
ARNO (Aar, Ara, Aquila), l'un des représentants les plus distingués
de l'Eglise carlovingienne, est originaire du diocèse de Freisingen en
Bavière. Ordonné prêtre en 776, il se retira dans le couvent d'Elnon,
en Flandre, où il fut élu abbé en 782; mais, trois ans après, il revint
dans sa patrie et fut nommé évêquede Salzbourg par le duc Tassillon.
11 revint de Rome en 798 avec la dignité d'archevêque et de métropo-
litain de Bavière que Charlemagne avait obtenue pour lui du pape
Léon III. Diplomate habile, il fut chargé de missions importantes, tant
AKNO — AllXOLD 013
auprès dû siège de Rome que pour la conversion des Slaves el des
Avares. Il défendit avec zèle les droits de son archevêché contre les évê-
ehés plus anciens d'Aquilée et de Passa u. Alcuin l'estimait pour sa
science, tout en regrettant que la politique absorbât la majeure partie
de son activité. Il ne nous reste d'Arno, qui mourut en 82i, qu'un
Congestum où Indicuius, relevéminutieux des biens acquis par l'Eglise de
Bavière depuis sa fondation par saint Rupert jusqu'au moment de son
incorporation dans l'empire frank. Il se trouve inséré dans le Thésau-
rus monument, eecles. de Casinius. Les notices qu'il renferme sont un
document précieux pour l'histoire des Eglises d'Allemagne (voy. Rett-
berg, Kirehengeschichte Deutschlands, Gœtt., 1848, II, p. 238 ss.).
ARNOBE , rhéteur à Sicca en Afrique, écrivit au commencement du
quatrième siècle, sous le titre de Dispuiationes odversus gentes, une
apologie du christianisme, qu'il avait d'abord combattu. Cet ouvrage,
dont le style est déclamatoire et souvent obscur, renferme des rensei-
gnements précieux sur la décadence du paganisme ; il est important,
en outre, comme étant un des premiers où l'on montre la faiblesse des
efforts que faisaient les philosophes pour justifier la religion populaire
par une interprétation soit historique, soit allégorique des mythes. Mais
la polémique d'Arnobe est trop violente et ses propres conceptions
religieuses manquent de profondeur. La théologie africaine était si réa-
liste qu'elle ne pouvait pas se figurer un esprit sans corps; on trouve
cette tendance chez Tertullien ; on la retrouve chez Arnobe et chez
Lactance, qui passe pour avoir appris chez lui la rhétorique. La pre-
mière édition de son apologie parut à Rome en 1543 ; la meilleure est
celle de Reiffîersheid,Yienne, 1875; voy. de Pressensé, /Jistoire des trois
premiers siècles de l'Eglise, IV p. 487ss. — Un autre Arnobe que, pour
le distinguer de l'apologiste, on appelle le Jeune, a vécu au neuvième
siècle en Gaule; il est l'auteur d'un commentaire allégorique des
psaumes, écrit dans le sens du semipélagianisme. (Bibl. PP. Max VIII
p. 238 ss.)
ARNOLD (Geoffroy), né en 1660, dans une petite ville de la Saxe,
étudia la théologie à Wittemberg, où régnait un luthéranisme qui, sous
la raideur des formes scolastiques, avait perdu sa force vitale. Arnold,
qui avait de profonds besoins religieux, se sentit peu attiré par l'en-
seignement universitaire ; il se mit à lire des auteurs mystiques et à
étudier l'histoire de l'Eglise. Venu à Dresde en 1689, il entra en rap-
port avec Spener. Deux de ses premiers écrits consacrés, l'un, à l'his-
toire des martyrs {Erstes Marterthum, Halle, 1695, in-12°), l'autre à
la vie des chrétiens primitifs (Erste Liebe, Francf., 1696, in-f°), lui
valurent un appel comme professeur d'histoire ecclésiastique à l'uni-
versité de Giessen. Il n'y resta qu'un an, se sentant incapable de lutter
efficacement contre une corruption qui lui semblait irrémédiable ; tou-
tes ses tendances le poussaient vers le séparatisme. Rentré dans la vie
privée, a Quedlinbourg, il publia-un livre sur le mystère de la sagesse
divine (Dos Gehmrmm dergôttlichen Sophia, 1700), où il exposa quel-
ques idées an inoins fort singulières. Il acheva aussi son ouvrage prin-
cipal : / npartheyùche Kirchrn-vnd Ketzeïhistorie von Avfang des neuen
SU ARNOLD
Testaments bis aufs Jahr 1688, 2 vol. in-f°, 1698 et 1700. A cause de
ses opinions il fut entraîné dans des controverses violentes; pour s'y
soustraire, il accepta une place de prédicateur que lui offrait une prin-
cesse de Saxe-Eisenach ; dès 1704, sur son refus de signer la Formule
de concorde, il fut banni comme hérétique et fauteur de troubles.
Le roi de Prusse, Frédéric Ier, auquel il avait dédié sa grande histoire et
qui, en récompense, lui avait donné le titre d'historiographe royal, l'ap-
pela comme pasteur et inspecteur à Werben dans le Brandebourg ; en
1707 il vint dans la même qualité à Terleberg, où il mourut en 1714.
A ses ouvrages déjà cités il faut ajouter une Historia et descriptio theo-
logix mysticœ, Francf., 1702, quelques recueils de sermons, quelques
traités soit de polémique, soit d'édification, quelques cantiques, parmi
lesquels il y en a de très-beaux. C'est à ses travaux historiques qu'il
doit avant tout sa réputation. Ceux sur les martyrs et sur les mœurs
des anciens chrétiens sont surannés ; mais sa Unpartheyische Kirchen-und
Ketzerhistorie garde encore un certain intérêt. Le mot impartial ajouté
au titre ne doit pas être pris à la lettre; personne n'était moins fait
pour être impartial que G. Arnold ; il ne veut l'être qu'envers ceux
que l'orthodoxie condamnait comme hérétiques ou fanatiques ; ses sym-
pathies sont toutes pour les séparatistes. Il juge, avec une sévérité sou-
vent méritée, l'intolérance des catholiques et des protestants ; mais, de
son côté, il n'est pas moins exclusif ; il prend trop passionnément la
défense de quiconque avait fait opposition à une Eglise établie. Il n'est
pas piétiste comme Spener, il est mystique et considère le mysticisme
comme la seule vraie théologie ; c'est cette théologie qu'il s'applique à
découvrir dans l'histoire de l'Eglise; indifférent aux dogmes, il veut
prouver que, dès le commencement, l'élaboration dogmatique a été la
cause principale de la décadence ; la Réformation, qui aurait dû être
un retour pur et simple au christianisme primitif, n'a pas rempli com-
plètement son but; les sectaires^et les mystiques sont des représentants
plus fidèles de la piété que les orthodoxes ; aussi développe-t-il avec pré-
dilection leurs doctrines, au point que dans son grand ouvrage le sei-
zième et le dix- septième siècle prennent à eux seuls plus de place que
les quinze autres ; cette partie est aussi celle qui est encore aujourd'hui
la plus importante, car Arnold y a réuni des extraits de livres, dont
les uns sont devenus très-rares et dont d'autres sont tout à fait introu-
vables. — Yoy. G. Amolds gedoppelter Lebenslauf, wovon der eine von
ihm selbst projektirt und aufgesezt worden, 1716,4°; Colerey, Historia
G. Arnoldi, Wittemb, 1718 (aussi en allemand); Knapp, Biographie
von G. A., comme préface d'une nouvelle édition de la Erste Liebe,
Stuttg., 1849 (le même a aussi publié les Geistliche Liederd'A., Stuttg.,
1844) ; Ad. Riff, G. A., l'historien de l'Eglise, Strasb., 1847.
Ch. Schmidt.
ARNOLD (Thomas) , pédagogue et théologien anglais, né le 1 3 juin 1795
à West-Cowes dans l'île de Whight; orphelin de père à l'âge de six ans,
il fut élevé par sa tante maternelle, missDelafield. En 1807 on l'envoya
à l'Ecole de Winchester, et en 1811 il devint élève du Corpus Christi
Collège, à Oxford. C'était un jeune homme timide, réservé, doué d'une
ARNOLD C>15
mémoire remarquable et d'un goût assez vif pour la poésie. Après
quatre ans d'études, il l'ut nommé fellow au collège Oriel, etun peu plus
tard il obtint le prix dit « du chancelier ». En décembre 1818 il fut
ordonné diacre et se maria le 20 août 1820. Un an auparavant il s'était
établi à Laleham sur les bords de la Tamise avec sa mère, sa tante et sa
sœur; il y resta neuf ans, s'occupant de huit ou neuf jeunes gens qu'il
préparait aux universités. A Laleham son caractère se forma, une singu-
lière élévation de nature, un sens moral délicat qui n'excluait pas
l'énergie de la volonté, une piété sans étalage mais se mêlant à toutes
ses pensées et inspirant toute sa conduite, tels étaient les principaux
traits de sa personnalité; déjà il se distinguait par ses talents pédago-
giques; en même temps il préparait son édition de Thucydide, réunis-
sait, en étudiant Niebuhr, les premiers matériaux de Y Histoire romaine
à laquelle il travailla toute sa vie, et prêchait de temps à autre dans
l'église du village ; ses premiers sermons, publiés en 1828, ont été prêches
à Laleham. Elu directeur (headmaster) de la célèbre école de Rugby, il
se fit consacrer pasteur, obtint les deux grades de bachelier et de
docteur en théologie et au mois d'août 1828 entra en fonctions. Là se
passèrent quatorze années ; comme pédagogue il fut un véritable réfor-
mateur; il voulait que Rugby fût une école chrétienne, ou comme il
disait a school of Christian gentlemen; dans ce but il choisissait ses
maîtres avec le plus grand soin, il développait chez les élèves les plus
âgés le sentiment de leur responsabilité envers les plus jeunes, lui-même
entretenait avec eux des rapports personnels et fréquents ; aussi
exerça-t-il sur ses élèves et par eux sur une portion importante de la
société, anglaise une influence remarquable. Un de ses plus puissants
moyens d'action était les sermons, très-courts du reste, qu'il adres-
sait à l'Ecole réunie au service du dimanche. Leur collection forme
o volumes publiés en 1828-32-34-41. Il élargit aussi le cadre des études
en y introduisant l'histoire, les langues modernes, la philosophie et
l'étude de la Bible. Malgré les travaux multiples que lui imposait la
direction de son école, il ne se désintéressait pas des affaires nationales;
à défaut d'un livre que sa fin prématurée ne lui a pas permis de publier,
c'est dans des brochures de circonstance, dans des lettres et dans quel-
ques fragments qu'il faut chercher les divers éléments de son système.
Il part de cette idée qu'une société nationale tend à réaliser le but le
plus élevé de l'homme, et comme pour les chrétiens ce but est le bien-
être religieux et moral, l'Etat et l'Eglise ne sont, dans un pays chrétien,
qu une seule et même société (voy. Fragment on the church). De là
découlent une série de conséquences: tout d'abord il y a union profonde
entre les sciences politiques et les sciences religieuses; le christianisme
ne saurait être restreintaux individus, il doit être appliqué directement
aux affaires sociales et déterminer les principes d'un bon gouverne-
ment. C'est par là que Thomas Arnold est original : placé en dehors
de tout parti ecclésiastique el politique, il a toujours revendiqué les
droits de la conscience chrétienne (voy. sa brochure intitulée : the
Christian duty of conceding the daims of the roman calholic, 1828); les
questions sociales l'ont occupé beaucoup plus et les questions ecclé-
61G ARNOLD — ARXON
siastiques beaucoup moins qu'elles n'occupent la plupart des théolo-
giens, et cela parce que, comme il voulait à Rugby une école chrétienne,
il voulait pour l'Angleterre une nation et un gouvernement chrétiens.
Partisan déclaré de l'Eglise anglicane, il demandait qu'elle eût un
caractère aussi national que possible ; dans ce but il conseillait de
développer l'activité laïque, de raviver l'institution des diacres et de
faire rentrer dans le giron de l'Eglise les dissidents, sans du reste exiger
d'eux aucun compromis touchant aux principes (voy. Principles of
church Reforma 833). Enfin, repoussant toute notion purement séculière
de l'Etat, il repoussait également toute notion cléricale de l'Eglise;
aussi fut-il un des adversaires les plus décidés de l'école d'Oxford,
autrement dit du parti high church (voy. à la fin de son 3e vol. de sermons,
un appendice sur la doctrine de la succession apostolique et l'introduction
du 4e vol.) Gomme théologien on le range parmi les initiateurs de
l'école latitudinaire (broad church); et en effet, bien qu'il soit resté
fidèle au christianisme positif, il appartient à cette école plutôt qu'à
toute autre par sa théologie large, humaine, ennemie du dogmatisme et
de l'esprit sectaire et surtout par son idéal qui a été de comprendre toute
une société dans les cadres d'une môme Eglise et non pas de grouper
autour d'une doctrine spéciale un certain nombre de professants ; par
ce point de vue il s'éloigne beaucoup de Yinet et se rapproche de
Rothe. Ajoutons qu'Arnold a été très-tolérant à l'égard de la critique
et que, tout en attribuant à la Bible une importance capitale, il n'a
jamais formulé de théorie précise sur l'inspiration et la révélation (voy.
à la fin de son 2e vol. de sermons, un essai sur la vraie interprétation des
Ecritures et deux sermons sur Y interprétation des prophéties é 1839) . Après
une période de luttes, l'opinion publique lui était devenue complète-
ment favorable. Sur ces entrefaites la place de professeur d'histoire
moderne à Oxford étant devenue vacante, elle lui fut proposée ; sans
quitter ses fonctions de Rugby, il l'accepta (1841). Mais il ne put que
débuter dans cet enseignement. Le 12 juin 1842 il mourut subitement
d'une maladie de cœur, à l'âge de 47 ans. La principale source à con-
sulter est : The life and correspondence of Thomas A?*)k)ld D. B., by
Arthur P. Stanley, 7e édition, London, 1852. Ce livre a été publié en
allemand sous une forme abrégée. Fkédéric Dumas.
ARNON [Arnôn, aujourd'hui Wâdi-Modjeb], nom d'un torrent qui
se jette dans la mer Morte, à l'est, et qui formait la frontière des
Moabitesetdes Amorrhéens (Nombr.XXI, 13, 15;!XXII,30; Deut.11,24,
36; 111,8 ss. ; IV, 48; JosuéXII, 1, 2; Jug. XI, 13 ss., etc.). A partir de
la conquête de Canaan, la possession de la ligne de l'Arnon fut l'objet
de guerres constantes entre les Hébreux, les Moabites et les Ammonites
(voyez : Ammon, comp. aussi 2 Rois X, 33; Es. XVI, 2; Jér. XLYIII,
20). L'Arnon coulait au fond d'un ravin entouré de hauteurs très-es-
carpées (Jug. XI, 2o; Nombr. X11I,| 29; XXI, 28), et il était traversé
par une route que défendait la ville d'Aroer. Saint Jérôme (Onomast.) a
donné de ce passage une description qui n'a pas cessé d'être exacte; il
l'appelle : locum vallis in prœrupta demersœ satis horribilem et periculo-
sum. On y voit encore les ruines d'un ancien pont ; cette construction
ARNOX — ARPHAXAD 617
est d'époque romaine, mais la route était beaucoup antérieure. Elle
est déjà mentionnée dans Esaïe (XVI, 2) et dans l'inscription de Mésa
(voyez Aroër).
ÀRNOUL ou Arnulph (Saint), évêque de Metz, naquit, en 580, de
parents illustres; il servit dans les armées de Théodebert II et exerça
les fonctions de major domus à la cour des rois d'Austrasie. Bien que
laïque et marié, il fut désigné par le peuple, en 614, pour occuper le
siège vacant de Metz. Sa femme Dode prit le voile et se retira dans un
couvent de Trêves; l'un de ses tils, saint Cloud, lui succéda à l'évêchtf
de Metz ; l'autre, Anségise, épousa la fille de Pépin de Landen et fut le
père de Pépin d'Héristal. Arnoul était le principal conseiller de
Clotaire II et de Dagobert. Il se retira dans une solitude près de Remire
mont et mourut en 640 (voy. Acta sanctorum, Juill., t, IV; Mabillon
Act. SS. Ordin. Bened., t. II).
ARNOUX(leP.), jésuite, né à Riom, entra dans la Compagnie en 1592,
à Page de dix-sept ans. II dirigea avec succès les maisons de Grenoble
et de Toulouse. En 1617, à la mort du Père Cotton, il fut nommé prédi-
cateur et confesseur de Louis XIII et se mit aussitôt à prêcher, devant
le roi, contre la confession des Eglises réformées. On racontera, h l'ar-
ticle Dumoulin, les querelles qu'il eut à cette occasion avec les minis-
tres de Gharenton. Arnoux perdit sa place en 1621; il mourut, en 1636,
provincial de Toulouse. On assure qu'il était devenu fou (voy. Sotvel-
lus, Bibl. Scriptor.S. J.).
AROER [ 'A r ô ê r, une seule fois A r e ô r (Jug. XI, 26), aujour-
d'huLlra£r« ruines »], ville située sur lesbords de PArnon (I)eut. II, 36;
III, 12; IV, 48; Jos. XII, 2; XIII, 16, 20) et qui appartenait aux Moa-
bites (Jér. XLVI1I, 10). Aroër commandait la route qui traverse l'Ar-
non et qui reliait Dibon à Rabba. Du temps de saint Jérôme, on en
voyait encore les ruines usque hodie, in vertice montis, super rîpam
torrentis Arnon; ces ruines sont celles d'Araïr qui dominent la route
de l'Arnon. La route, que tous les voyageurs attribuent aux Ro-
mains, était certainement beaucoup plus ancienne. Nous lisons, en
effet, dans l'inscription de Mésa (1. 26 ) : « C'est moi qui ai construit
Aroër et c'est moi qui ai fait la route de l'Arnon ». Il n'y a aucune
raison de révoquer en doute l'affirmation du roi de Moab. Peut-
être, en ce qui concerne Aroër, s'est-il borné à la reconstruire. On doit
noter pourtant qu'Aroër n'est pas citée parmi les villes moabites
(Nomb. XXI, 27, 30); elle semble donc être d'une époque relativement
récente. I! faut en distinguer une ville du même nom située dans les
environs de Habitat Ammon, sur le territoire de (lad et mentionnée
(Jos. Xm, 25; Nombr. XXXIÏ, 34; 2 Sam. XXIV, S et Jug. XI, 33),
la même, suivant Gesenius, à laquelle Esaïe (XVII, 2) l'ait allusion.
Enfin, un endroit du pays de Juda (2. Sam. XXX, 23). celui sans dont"
d'où étaienl originaires deux capitaines de David, Sçamah et Jéliiel, lil.-
de llntaiu l'Aroérite I Chr. XI, H>. Ph. Beb<
ARPHAXAD [Arphakchad, 'ApçaÇaS ], descendanl de Sera
(Gen. X. 22. 2Y), que les commentateurs, suivant L'analogie des autres
noms, regardera comme L'ancêtre d'un peuple et mettent en ia]
618 ARPHAXAD — ART
avec une province septentrionale de l'Assyrie, appelée Arrapachitis ..
Josèphe (Antig., I, 6, 4), suivi parBochart, Michaëlis, Yater et d'autres,,
fait descendre deluilesChaldéens.Le livre de Judith (I, 15) mentionne
également un roi mècle de ce nom.
ARRAS [Atrebatum, civitas Atrebatensium, Atrecht], Saint Vaast {Ve-
dastus), qui enseigna la religion à Clovis, en fut le premier évêque ;
saint Remy l'avait établi, il mourut vers 540, le 6 février (voy. CorbleL
Hagzogr., IV, I ss.). On croit que saint Yedulphe, troisième évêque de
Cambrai et cT Arras (f 580), transporta le siège épiscopal à Cambrai.
Dès lors, et jusqu'en 1093, Arras n'eut d'autres évêques que ceux de
Cambrai. En 1025, des hérétiques manichéens, disciples de l'Italien
Gundulphus, s'étaient montrés près d' Arras; un synode, réuni par
l'éveque Gérard (Mansi,XIX; //e/î?/e,IV,648),les contraignit d'abjurer.
Rétabli par Urbain II, l'évèché a" Arras resta suffragant de Reims jus-
qu'à l'érection de Cambrai en métropole (1559) : de 1802 à 1841, il a
appartenu à la province de Paris. Grauvelle fut évêque d'Arras de
1538 à 1561. On conservait dans l'ancienne cathédrale de Notre-Dame
construite de 1030 à 1396, la Sainte-Chandelle, ainsi que la Sainte-
Manne, tombée du ciel au temps de saint Jérôme. En l'an III, cette
église fut vendue à charge de démolition. La spacieuse église de Saint-
Vaast, élevée en 1755, fut, en 1814, affectée à la cathédrale. La célèbre
abbaye de ce nom avait été fondée en 687 par l'éveque saint Aubert;
Thierry III en releva l'église en expiation du meurtre de saint Léger
(Dict. d'Expilly; Gallia, III). S. Berger.
ARSÈNE (Saint), diacre romain, renommé par sa science et par sa
piété fut choisi par l'empereur Théodose, sur la recommandation de
l'éveque Damase, comme précepteur de ses fils. Par vénération pour
le caractère d'Arsène, il leur enjoignit d'écouter ses leçons debout.
A l'âge de 40 ans, Arsène se retira dans les solitudes d'Arabie, puis
dans celles de la Haute et de la Basse-Egypte, pour y vivre dans l'aus-
térité et les mortifications. Saint Jérôme l'appelle une des principales
colonnes delà vie solitaire. Il mourut en 445, à l'âge de 95 ans, et d'après
d'autres de 120 ans. On a de lui une Exhortation aux moines que le
P. Combefis a publiée dans sa Graxco latinœ Patrum biblioth. npv.Aue—
tor., P., 1672, in-8, et des Sentences ou Maximes, au nombre de qua-
rante-quatre., recueillies par ceux qui vivaient avec saint Arsène, et
publiées par Cotelier dans ses Monument. eccLgrœc. t. I, p. 353.
ARSÈNE, patriarche de Constantinople, abbé du monastère de Nicée,
en Bithynie, puis moine au couvent du Mont-Athos, fut choisi par
'empereur Théodore Lascaris comme tuteur de son fils Jean (1259).
Il s'éleva contre l'usurpateur Michel Paléologue, qui avait ordonné
d'aveugler l'héritier légitime avec un fer rouge, et le fit excommunier.
Maître de Constantinople, Michel convoqua un synode qui destitua
Arsène. Il termina ses jours en 1264 dans l'île de Proconèse, où il avait
été exilé. On a de lui des Ecclcs. Grxc. Monumenta, publiés par Cote-
lier, Paris, 1631, in-4, et une Synopsis divinorum canonum, publiée par
Justellus, Bibliotheca juris canonici veteris, P., 1661, t. II, p. 749.
ART CHRÉTIEN. L'art est-il compatible avec le christianisme ? C'est
ART 619
là moins une question de principes qu'une question de faits. Placé sur
ce terrain, le débat semble bien vite tranché. Seul, le moyen âge nous
révèle la présence d'un arl chrétien, enfermé, il est vrai, dans d'assez étroi-
tes limites, mais reconnaissante néanmoins à un certain nombre de signes
caractéristiques. Cela étant, il paraîtrait plus juste de parler d'un art
byzantin, d'un art gothique ou catholique, que d'un art chrétien. En
effet, l'Eglise des trois premiers siècles, comme aussi le protestantisme,
que nous regardons, Tune dans le passé, l'autre dans le présent,
comme les formes les plus élevées et les plus authentiques de l'esprit
chrétien, quel art ont-ils produit, et ne sont-ils pas, en un sens, ré-
fractaires à l'idée même de l'art? Nous trouvons bien, à en juger par
les découvertes que nous ont ménagées les fouilles des catacombes, les
embryons d'une peinture chrétienne dans les images allégoriques qui
décorent les caveaux mortuaires ; mais, sauf l'expression particulière
du visage humain, qui n'est, d'ailleurs, que fort rarement représenté,
toute la symbolique de l'Eglise primitive vit d'emprunts faits au paga-
nisme, de même que, dans l'érection ou dans l'appropriation de leurs
premiers édifices religieux, ce sont des bâtiments païens qui ont servi
de modèles aux chrétiens. De son côté, l'art protestant, partout où il
triomphe de l'hostilité puritaine et des répugnances calvinistes, ne fait
que reproduire, avec des modifications plus ou moins heureuses, les
divers types qui l'ont précédé. Il n'y a point encore, et il n'y aura vrai-
semblablement jamais, d'architecture, de sculpture et de peinture
essentiellement protestantes. On en conclut que le christianisme, dans
sa forme authentique, est trop spiritualiste pour se prêter aux incarna-
tions de l'art : religion tout intérieure, il se distingue précisément des
autres cultes en ce que, dans l'intérêt même de l'adoration « en esprit
et en vérité », il réprouve et bannit le symbole matériel auquel, trop
facilement, se rattache quelque idée superstitieuse et qui, sans le vou-
loir, provoque l'altération du sentiment religieux. Confondre l'émotion
esthétique que produit la contemplation du beau et l'émotion reli-
gieuse qui naitde la communion avec Dieu, semble à d'excellents chré-
tiens, fort bons juges en cette matière, chose si facile et si périlleuse,
qu'ils estiment qu'il vaut encore mieux, à tout prendre, se passer de
l'art (lue de risquer quelque défaillance de la piété et une rechute cer-
taine dans le paganisme. Et ce qui tend à confirmer leur opinion, c'est
que lf moyen âge, qui a créé un art chrétien, n'a pas évité cet écueil :
du joui- ou il a réussi à s'affranchir du joug que faisait peser sur lui
l'ascétisme, il est retombé dans la divinisation de la matière. L'ascé-
tisme : telle est, en effet, l'inspiration toute-puissante à laquelle le
moyen âge chrétien obéit. Que Ton étudie avec attention ses édifices
religieux, en particulier ceux du style ogival, que l'on analyse les sta-
tues ides saints ou des personnages bibliques, ainsi que les rares pro-
ductions de la peinture religieuse de cette époque, on retrouvera par-
tout l'expression, pour ainsi dire stéréotypée d'une piété mystique, ne
connaissant qu'une seule passion, celle de la mortification de l;i chair
et du détachement du monde : è'esl moins encore la spiritualisation de
l'art que sa négation. De là, ce quelque chose de heurt*', de tourmenté,
320 ART
de douloureux que présentent toutes les créations du moyen âge. Des
que, avec la Renaissance, la chrétienté essaye de soulever ce linceul
de la mort qui l'enveloppait, l'art cherche à s'émanciper à son tour
et trouve ses meilleures inspirations dans l'imitation des chefs-d'œu-
vre du paganisme et dans l'étude de la nature reproduite d'après
eux. La conclusion rigoureuse de cet examen des faits semble donc
être celle-ci : ou l'art chrétien est pénétré de l'idéal ascétique du
moyen âge ou il ne l'est pas, et l'on serait tenté de luijappliquer cette
parole de Jésus-Christ : «Mon royaume n'est pas de ce monde.» — Mais
la piété chrétienne ne se confond pas avec l'ascétisme. Jésus-Christ,
intercédant pour les siens, disait à son Père : « Je ne te prie pas de les
ôter du monde, mais de les préserver du mal » (Jean XVII, la).
Ce n'est pas la mutilation mais la restauration de l'homme que l'Evangile
se propose, et, dès lors, aucun des éléments qui constituent notre être
ne doit être sacrifié. La contemplation du beau, envisagé comme la
splendeur du vrai, joue un rôle dans notre éducation morale; celle-ci ne
sera complète que lorsque toutes les sphères de notre activité comme
de notre pensée auront été pénétrées de l'idéal chrétien et assujet-
ties aux desseins du royaume de Dieu, selon cette remarquable
parole de saint Paul : « Toutes choses sont à vous, mais vous êtes à
Christ et Christ est à Dieu » (1 Cor. III, 22). On peut dire, dès lors,
qu'un vaste champ s'ouvre aux inspirations de l'art chrétien. Il n'est
pas difficile de signaler en quoi il différera de l'art païen. Jamais la
matière ou la forme ne seront pour lui le but de ses créations ; il les
considérera, ainsi que le corps lui-même, comme l'habitation, le temple
de l'hôte divin dont il a charge de reproduire les impressions. Tou-
jours la dignité de ce « roseau pensant » reluira sous la splendeur des
formes. Mais l'expérience de dix-huit siècles ne nous autorise-t-elle pas
à conclure que, dans le domaine du beau, surtout en ce qui concerne
les arts plastiques, l'idéal de l'art antique ne sera pas dépassé ? Sans
nul doute, par suite des conditions particulières de son sol, de son cli-
mat, de sa race et de sa civilisation, la Grèce nous présente, au point
de vue de la forme artistique, soit dans l'architecture, soit dans la
sculpture, des types d'une pureté de lignes, d'une harmonie de pro-
portions, d'un mélange heureux de grâce et de force, qui ne cesseront
de déjouer et de confondre les efforts de l'art moderne. A cet égard
on peut dire que les arts plastiques, dès cette première et charmante
éclosion sur notre sol européen, ont acquis un degré de perfection qui
ne pourra plus être, sinon atteint, du moins dépassé, et qui, dans cette
sphère particulière, constitue le type immortel du beau. Mais le beau
ne réside-t-il que dans la pureté des lignes et dans l'harmonie des pro-
portions? L'expression n'est-elle rien, et j'entends, non pas seule-
ment l'expression d'un type convenu, mais l'expression dans la ri-
chesse inépuisable et l'infinie variété de l'individualité humaine. Nous
croyons que l'antiquité conservera une supériorité incontestée dans
les arts qui, comme l'architecture, et, en un certain sens, la sculpture,
ne comportent pas, grâce au but qu'ils poursuivent et à la matière dont
1s disposent, un riche développement de 3 'expression individuelle :
ART — ARTEMON 621
c'est une idée collective que réalise, dans le marbre ou dans l'airain,
le ciseau de l'artiste, et il ne pourra guère faire autre chose que de
puiser dans le trésor des traditions du passé. Mais, par contre, partout
où l'expression individuelle des pensées et des sentiments de l'âme
joue un rôle capital, comme dans la peinture ou dans la poésie, l'art
moderne pourra essayer de rivaliser avec l'art antique. N'oublions pas
que c'est le christianisme, en réalité, qui a affranchi l'individu, et qui,
par cela même, a donné ou refait une âme à chacun, non-seulement
au héros et au sage, mais au plus déshérité comme au plus coupable,
que dis-je, à la nature inanimée elle-même qui, sous le pinceau de l'ar-
tiste ou sous la lyre du poète moderne, se colore de nos impressions
individuelles, reflète nos joies et nos tristesses et semble vivre de notre
propre vie. C'est dans la musique, cet art par excellence des temps
présents et futurs, que l'âme, éprise de* l'idéal, épanche ou retrouve
avec le plus de fidélité ses inspirations diverses. Les formes impalpa-
bles de cet art presque divin n'empruntent rien à la plastique antique
et, dans ses vibrations, tour à tour douces et graves, les sentiments de
l'âme humaine, y compris le plus élevé de tous, le sentiment religieux
palpitent et résonnent avec la grâce souveraine du beau. — Voy. les
articles Architecture, Sculpture, Peinture, Poésie, Musique religieuse.
F. LlCHTENBEEGER.
ARTAXERXÈS [Arthachschaschthâ, en persan, grand ou puis
sant roi], nom ou plutôt titre de plusieurs rois de Perse dans l'Ancien
Testament. — 1. Celui qui est mentionné EsdrasVI, 7-8 paraît avoir été
le faux Smerdis, qui monta sur le trône par une conspiration des prê-
tres, comme prétendu fils de Cyrus et frère cadet de Cambyse (552 av
J.-C), mais ne régna que huit mois. Sous son règne, les travaux de la
réparation des murs de Jérusalem furent interrompus (Esdras IV, 23, 24).
— 2. La plupart des commentateurs estiment avec Josèphe (Antiq.,Xl.
5-6) que celui dont parle Esdras VII, 1, 11 est Xerxès, successeur de
Darius Hystaspe, qui permit, dans la septième année de son règne
(479 av. J.-C), à Esdras d'aller en Judée avec sa colonie, et lui donna
l'autorité la plus étendue. D'autres, au contraire, le confondent avec
Darius Longuemainjdont il est question Néh. II, 1 ; V, 14 ; XIII, 6, qui,
dans la vingtième année de son règne (444 av. J.-C), autorisa son
échanson, Néhémie, à retourner à Jérusalem et à en rebâtir les mu-
railles.
ARTÉMON vécut à Rome à la fin du deuxième siècle. Il enseignait que
Jésus-Christ était un simple homme, qui ne s'était pas trouvé avec Dieu
dans un rapport particulier. Pour appuyer son opinion, il invoquait
l'autorité des prophètes, qui n'avaient annoncé qu'un Messie purement
humain, celle des apôtres qui n'ont entendu la divinité du Christ qu'au
>ens moral, et le témoignage de Jésus-Christ lui-même qui s'était de
préférence appelé le Fils del'homme. C'est à cause de sa vertu que Jésus a
mérité d'être divinisé. Artémon retient sa sainteté parfaite et même sa
naissance surnaturelle. Les artémon i te s soutenaient que leur doctrine
était plus ancienne que celle <lu Verbe, el qu'elle avait toujours étéen-
seignée â Rome jusqu'à l'avènement de l'évoque Zéphyrin. Leursadver-
622 ARTEMON — ARTICLES
saires les accusaient d'avoir puisé leur rationalisme dans l'étude d'Eu-
clide, d'Aristote et de Théophraste, et d'avoir appliqué à l'exégèse
biblique les principes d'une critique arbitraire, reproche que les arté-
monites ne manquent pas de retourner contre les orthodoxes. Con-
damnée par les conciles de Nicée, d'Ephèse et de Ghalcédoine, l'hé-
résie d'Artémon conserva des partisans jusqu'à la fin du troisième
siècle (voy. Eusèbe, Hist. eceL, V., c. 28; Théodor., Hœret. Fab., II,
c. 4 ; Neander, Kirchengesch., I, p. 664 ss., et Dorner, Entwiklungsge&ch.
der Lehre von der Person Christi, I, p. 508 ss.)|ont discuté d'une manière
intéressante les rapports qui existaient entre l'hérésie d'Artémon et celle
de Théodose de Byzance.
ARTICLES DE FOI. Ce terme est employé dans des sens différents.
Dans les traités de scolastique, les articuli désignent simplement les sous-
divisions des qumstiones; au seizième siècle, les Eglises de la Réforme se
sont servies de ce mot pour désigner certaines confessions de foi (les
articles de Smalkalde, ceux de Torgau, les trente-neuf articles de l'Eglise
anglicane, les neuf articles du synode de Dordrecht, etc.). Hollaz,
Quenstedt et les dogmatistes protestants du dix-septième siècle ont
compris sous ce nom l'ensemble des vérités révélées unies entre elles
par un lien organique (telles que le sont les articulations de la main).
Ces vérités sont déterminées, par l'Eglise, d'après les saintes Ecritures.
Depuis Hunnius (Aiàjy.e^tç, De fundamentali dùsensu doctrinx Lutheranx
et Calvim'x, Vit., 1626, 1663), qui y a été poussé dans un intérêt de po-
émique, les dogmatistes ont établi entre les articles de foi une série de
distinctions plus ou moins subtiles, soit en ce qui .concerne leur ori-
gine ou provenance (principe formel), soit en ce qui regarde leur objet
ou but (principe matériel). A. I. Les articuli puri qui ne s'appuient que
sur le seul témoignage de la Bible : ce sont les mystères proprement
dits ou les doctrines chrétiennes qui dépassent la raison humaine.
11. Les articuli mixti sont ceux qui, bien qu'également contenus dans la
Bible, peuvent néanmoins être reconnus par la lumière naturelle de la
raison. B. I. Les articuli fondamentales, subdivisés eux-mêmes : 1° en
piimarii, dont la connaissance est absolument nécessaire pour être sauvé,
et 2° en secundarii dont l'ignorance n'est pas un obstacle absolu au sa-
lut, mais dont la négation ou la contestation peut en ébranler l'assu-
rance. Les articuli primarii se divisent eux-mêmes: a. en constiiutivi,
qui donnent d'une manière immédiate naissance à la foi, et b. en con-
servativi, qui servent de fondement aux précédents, soit qu'ils parais-
sent nécessaires pour en démontrer la vérité (antécédentes), soit qu'ils
découlent logiquement de leur affirmation (conséquentes). II. Les arti-
culi non fondamentales sont ceux qui ne sont pas nécessaires au salut et
sur lesquels des divergences peuvent, à la rigueur, se produire, à con-
dition toutefois que la vérité d'aucun article fondamental n'en soit
ébranlée. Telles sont, par exemple, la doctrine de la chute de certains
anges, celle de l'Antéchrist, celle de l'origine des âmes, etc. — Malgré leur
subtilité, ces distinctions n'ont pas été inutiles au développement de la
science religieuse: d'une part, elles ont habitué l'esprit humain à dé-
mêle:, dans la masse confuse des dogmes, les vérités essentielles, le
ARTICLES — ARTOIS G23
principe souverain el générateur, en vertu duquel L'ensemble du sys-
tème doit être constitué; de l'autre, elles ont contribué à populariser
cette idée essentiellement moderne que tous les dogmes n'ont pas la
même importance au point de vue religieux, qu'il est possible et même
légitime d'admettre certaines divergences dans l'exposition des systè-
mes dogmatiques et d'user en pratique de tolérance et de respect vis-
à-vis de ceux clie/ Lesquels ces divergences se manifestent. Le rationa-
lisme, depuis Semler, a abandonné L'usage de ces distinctions. A ses
veux, tous les articuh fidei sont mixtiau si Ton veut puri, mais clans
un sens opposé à celui desliunnius et des Qucnstedt, puisque c'est la toi
purement subjective qui en est la source commune, soit qu'elle les puise
directement dans la raison, soit qu'elle les tire delà Bible, au moyen de
l'interprétation rationnelle. Cette subjectivité qui leur est propre leur
enlève le caractère d'absolue nécessité qui donnait une importance
pratique à la distinction entre les articles fondamentaux et ceux qui
n'étaient pas considérés comme tels. Quelques dogmatistes moder-
nes maintiennent la distinction entre les doctrines essentielles et les
doctrines secondaires, et, parmi les premières, entre celles qui sont
universellement proclamées par toutes les Eglises et celles qui sont
spéciales à telle ou telle communion particulière. Mais la ligne de dé-
marcation entre ce qui est essentiel et ce qui est secondaire sera tou-
jours difficile à tracer. Dans un système bien organisé tout se tient, et
en ce qui concerne l'idée ou le principe qui est à sa base, l'auteur peut
avoir dépassé ou négligé la somme des vérités que d'autres regar-
dent comme fondamentales. — Voy. les prolégomènes des ouvrages
de dogmatique, et en particulier Hase : Hutterus redivivus, 7e édit.,
Leipz., 1848, p. 22 ss.
ARTICLES ORGANIQUES ou loi du 18 germinal an X (8 avril 1802).
Voyez Concordai.
ARTOIS. Dans cette province se manisfesta, dès le moyen âge, une
vive opposition à l'Église romaine. En 102o, un grand nombre de ca-
thares furent emprisonnés à Arras; ils semblèrent céder devant la per-
sécution, mais leur nombre ne lit qu'augmenter. Au milieu du dou-
zième siècle, l'évêque Frumald les trouva si nombreux, qu'embarrassé
de les combattre, il ne sut qu'exprimer son chagrin à Alexandre III,
qui se borna à recommander la surveillance la plus active. En 1182,
une violent*- persécution éclata; beaucoup de personnes de toutes con-
ditionsjpérirent sur le bûcherou furent privées de leurs biens. L'Église
cathare se retira de nouveau dans l'ombre, mais son influence demeura
grande; un écrivain de ce pays, Evrard deBéthune, consacra un traite
spécial à réfuter ses doctrines. Il est probable que les enseignements
i\*-> vaudois se substituèrent peu à peu à ceux des cathares dans ce»
contrées comme dans le reste .de la France, car c'est sous le oom de
vaudois que nous retrouvons des chrétiens persécutés plus tard dans
L'Artois. En 1460, l'inquisition en lit brûler plusieurs à Arras; mais ils
se trouvèrent si nombreux et si influents qu'on ne put les poursuivre
tous. Soixante ans après, fa Réformation éclata, et l'ut là. comme
leurs, accueillie par les \audois. On sait, d'une manière positive, que
624 ARTOIS — ASBURY
telle fut l'origine de l'Église de Wanquetin, près d'Arras. Dans cette
ville, le protestantisme ne put pas s'implanter, mais il s'étendit dans
les environs et dans d'autres parties de la province. Après la révoca-
tion de l'édit de Nantes, la plupart des protestants de l'Artois émigrè-
rent, et lors de la restauration du culte protestant, on ne retrouva plus
que quelques petites Églises pour lesquelles un pasteur fut placé à Wan-
quetin , puis un autre à Arras. Une Église, de formation récente, a été
établie à Boulogne. Ed. Monnier.
ASA ['A sa, 'Aaa], fils et successeur d'Abia, roi de Juda, régna de
955 à 914 avant Jésus-Christ. Il chercha à extirper l'idolâtrie, sans épar-
gner sa mère adonnée au culte des faux dieux (I Rois XVI, 12 ss.),
augmenta et régla les revenus du temple (V, 15) et fortifia le culte de
Jéhova par une cérémonie imposante à laquelle assistèrent môme des
habitants d'Israël (2 Chron. XV, 8 ss.). Les affaires militaires occupèrent
une partie considérable de son règne. Il augmenta le nombre des places
fortes, ainsi que l'effectif de l'armée (2 Chron. XIV, 6 ss.), et entreprit
une guerre heureuse contre le roi d'Israël Baasa, au sujet de la forte-
resse de Rama dont il s'empara et qu'il détruisit à l'aide de troupes
syriennes (I Rois XV, 16-22 ; 2 Chron. XVI, 1-6). Cette alliance avec
le roi de Syrie attira à Asa les reproches du prophète Hanani, qui expia
sa courageuse franchise par la mort (2 Chron. XVI, 7 ss.). Le livre des
Chroniques parle seul d'une campagne dirigée contre Zéraph, roi
d'Ethiopie, avec des détails qui rendent ce récit assez invraisembla-
ble (2 Chron. XIV, 9 ss.).
ASAPH ['A sâph, 'Acaç]. 1° Nom d'un chroniqueur sous le règne
d'Ezéchias (2 Rois XVIII, 18; Esaïe XXXVI, 3). — 2° Maitre-chantre et
poète de la cour du roi David, originaire d'une famille lévitique et
honorée du surnom de Voyant (1 Chron. XV, 17 ; XVI, 5 ; 2 Chron.
XXIX, 30, etc.). On lui attribue la composition de douze psaumes
(L;LXXIII-LXXXIII), dont la plupart, toutefois, paraissent appartenir
à une époque postérieure. Ses descendants héritèrent de ses dons et
de sa charge (2 Chron. XX, 14; EsdrasII, 14; 111,10; Néhem. VII, 41).
ASBURY (Francis), né près de Birmingham le 20 août 1745, fut le
principal fondateur de l'Eglise méthodiste épiscopale des Etats-Unis.
Fils de paysan, il ne reçut qu'une culture première insuffisante, qu'il
compléta en grande partie par un travail personnel et par de
nombreuses lectures. Il fut amené de bonne heure à la foi par le
ministère des évangélistes itinérants de Wesley. A dix-sept ans il
commença à prendre la parole dans les réunions de culte, et il n'avait
que vingt-un ans lorsqu'il quitta tout pour devenir l'un des helpers
de Wesley. Quelques années plus tard, à la conférence de 1770, il s'of-
frit pour la mission d'Amérique, et Wesley, qui avait reconnu en lui
de grandes qualités, accepta ses services. En 1772, il lui confia, avec le
titre d'assistant, la direction de l'œuvre américaine, et, lorsque la Ré-
volution eut brisé le lien qui rattachait les colonies à l'Angleterre, il
lit d'Asbury (1784) le premier évêque résidant de l'Eglise méthodiste
épiscopale des Etats-Unis (voy. l'article Eglise méthodiste épiscopale).
Quoique inférieur à Wesley par la culture et par les talents, Asbury fit
ASBURY — ASCENSION 625
en Amérique une œuvre aussi profonde et plus étendue que la sienne
en Angleterre. Gomme lui, il était à la fois organisateur de premier ordre,
et évangéliste incomparable. Pendant près d'un demi-siècle, il parcou-
rut sans relâche la contrée en voie de colonisation , prêchant tous les
jours, voyageant, le plus souvent à cheval, à raison de deux mille lieues
par année, et servant de trait d'union entre les Eglises des Etats de
î* Atlantique et celles qui surgissaient de tous côtés dans les prairies et
les forêts de l'Ouest. Il lit de son Eglise une armée fortement orga-
nisée et disciplinée militairement, et il sut faire passer le zèle qui le
consumait dans l'âme de ses frères. Sous sa direction, l'Eglise métho-
diste des Etats-Unis prit une extension rapide ; elle venait de naître
lorsqu'il arriva en Amérique, et quand il mourut en 1816, elle comptait,
211,000 membres. Durant son long épiscopat, Asbury conféra l'ordina-
tioff à 4,000 pasteurs environ. — Sources: les Histoires du Méthodisme
américain de Bangsetde Stevens;W.P. Strickland, The Pioneer Bishop,
the Life and Times of Francis Asbury. Matth. Lelièvee.
ASCALON ['Achqelôn, 'AradcXcov*, 'AcxaXeoviov ] , Tune des cinq
villes confédérées des Philistins, située sur le bord de la mer, à 16 milles
au nord de Gaza et à 53 de Jérusalem. Elle n'appartint jamais aux Hébreux;
un passage du Livre des Sages (1, 18) pourrait faire croire qu'elle fut prise
par la tribu de Juda, mais cela est démenti par le verset suivant.
Ascalon possédait un antique sanctuaire de la déesse ichthyomorphe Der-
ceto (Ato-galis), dont le culte était dans un rapport étroit avec celui de
sa fille Sémiramis (Aphrodite-Urania). A côté du temple était un bassin
où l'on élevait des poissons sacrés (Hérod. 1, 103; Diod. II, 3). Les ban-
des de Scythes qui pénétrèrent jusqu'à la frontière d'Egypte, en 625,
pillèrent, en passant, le temple d' Ascalon. Pour les punir, la déesse les
frappa d'une maladie secrète. Ascalon resta jusque sous les Romains
une ville libre (Pline, H. N., o, 14). Hérode le Grand, qui y était né,
l'embellit beaucoup, bien qu'elle ne lui appartint pas; après sa mort,
elle devint la résidence de sa sœurSalomé (Jos., Bell. Jud., I, 21, 11 ;
Ant., XVII, 11, o).Al'époque chrétienne, elle fut le siège d'un évêché.
Le premier évêque connu est de 315. On en trouve ensuite jusque vers
93040. Au douzième siècle, l'évêché fut transporté à Bethléhem. Asca-
lon possédait de riches jardins et des eaux délicieuses; elle était célèbre
pour son vin et ses échaloltes (ascalonia). Aujourd'hui encore on voit
sur son emplacement de grandes ruines au milieu d'un amphithéâtre
de (<»lli]]cs(|ui regardelamer ( G uérin, Descr. delaFalest., II, p. 135ss.;
Tobler,3le Wanderung, 18o7,p. 35 ss.; Socin, Handb., p. 339 ss.).
Ph. Bergek.
ASCENSION DE JÉSUS-CHRIST. Le livre des Actes des Apôtres rap-
porte que Jésus-Christ, quarante jours après sa résurrection, fut élevé
au ciel, aux yeux de ses disciples (I, 3-11). L'évangile selon saint
Luc raconte, avec moins de détails, le même l'ait. L'évangile selon
saint Marc le mentionne brièvement, mais dans un morceau (XVI,
9-20) qui est aujourd'hui généralement considéré comme un appen-
dice étranger à la composition primitive de cet évangile. Le premier et
le quatrième évangile sonl muets sur le lait de l'ascension de .Jésus-
626 ASCENSION
Christ, bien qu'ils renferment, le dernier surtout, plusieurs récits se
rapportant à des apparitions de Jésus-Christ à ses disciples, après sa
résurrection. On s'est appuyé sur le silence de deux évangiles touchant
l'ascension de Jésus-Christ, pour nier la réalité de ce fait (Strauss.
Nouvelle vie de Jésus, II, p. 402, traduction Nefftzer et Dollfus). Cette con-
clusion ne nous paraît pas légitime, car: 1° Elle repose sur une notion
inexacte de la nature des évangiles dont aucun n'a la prétention de
raconter toute l'histoire de Jésus-Christ. S'il fallait faire une exception
à cet égard, ce serait pour saint Luc (I, 3), lequel contient préci-
sément le récit de l'ascension. 2° Saint Matthieu et saint Jean admettent
tous deux une seconde vie terrestre de Jésus-Christ. Comment se serait,
pour eux, terminée cette vie sinon par l'ascension? 3° Nous trouvons
dans saint Jean la mention anticipée du fait de l'ascension (voir XX,
17 et surtout VI, 62, passage où il est évidemment question d'un
fait extérieur, visible). 4° La littérature apostolique suppose l'ascension
de Jésus-Christ (voir Actes II, 32 et 33 ; Eph. II, 6, et de nombreux
passages tels que I Pierre 111,22; Eph. IV, 10; I Tim. III, 16; Heb. IX.
24), où le caractère visible de l'ascension de Jésus-Christ n'est pas
directement affirmé, mais doit se déduire du rapprochement avec la
nature de sa résurrection et de son retour dans la gloire, dont le carac-
tère visible n'est pas contestable, au point de vue du témoignage apos-
tolique. — On a cru voir une contradiction entre le récit de Luc et celui des
Actes touchant la question du lieu où le fait de l'ascension s'est passé. Luc
s'exprime ainsi à ce sujet : « Il les mena ensuite dehors jusqu'à Béthanie
(ttoç etç ByjSoviov), puis élevant ses mains, il les bénit » (XXIV, 50).
D'après les Actes, les disciples, après avoir été témoins de l'ascension,
s'en retournèrent à Jérusalem de la montagne dite des Olivier
(I, 12). Mais ces mots elç Byj^avtav ne désignent pas nécessairement
Béthanie même ; ils peuvent grammaticalement s'appliquer à la contrée
de Béthanie (comp. Matth. XXI, 1), à laquelle appartenait le mont des Oli-
viers (voir F. Bovet, Voyage en terre sainte, 3,ncédit. p. 203). La question qui
se rapporte au temps où il faut placer l'ascension offre plus de difficulté.
D'après les Actes le fait eut lieu quarante jours après la résurrection. Luc
ne marque point de date à cet égard; toutefois, comme il place le récit de
l'ascension immédiatement après celui d'une apparition du Christ,
laquelle eut lieu le jour de sa résurrection , et qu 'il ne sépare les deux récit
que par l'adverbe conjonctif oà (XXIV,' 50), on en a conclu que d'après
Luc l'ascension avait eu lieu le même jour que la résurrection. On a
raisonné de même à l'égard de saint Marc (XVI, 19). Meyer (Kri-
tisch-Exegetischer Kommentar ub. dus N. J7., vol. I, 2mo part, p. 612
5e édit.), s'appuyant sur ces données, croit reconnaître au sujet de
la date de l'ascension deux traditions dans l'Eglise primitive :Jd'unepart
LucetMarc, de l'autre les Actes. Ce théologien n'hésite pas, d'ailleurs, à
préférer la dernière de ces traditions, quiapourelle, indirectement, l'au-
torité de Marc et de Paul, par la manière dont ils racontent les appa-
ritions du Christ ressuscité à ses disciples. Meyer n'insiste pas d'ailleurs
sur le chiffre de 40 jours, qu'il prend pour un chiffre rond. Il s'appuie,
en particulier, à ce sujet, sur un passage de l'épître de Barnabas, d'après
ASCENSION G27
lequel L'ascension du Christaurail eu lieu, sinon le même jour que la ré*
surrection, an moins (d'après un sens possible de ce passage), comme la
résurrection, un premier jour de la semaine : « Nous célébrons, écrit
Barnabas, dans la joie, ce huitième jour dans lequel Jésus est ressuscité
<ies morts et, après s'être manifesté, est monté aux cieux. » D'autres
théologiens estiment que l'ascension de Jésus-Christ a eu lien le même
jour que sa résurrection (en particulier Kinkel, TàeoL Stud. u. Krit.,
1841, p. | oi)7 ss., et (ireve, die Hninnclfahrt unseres Herrn Jesu
Christii ete. Man., 1868, in-8°). Il nous semble qu'on a singulière-
ment exagéré la portée des différences qu'offrent nos documents à
- < t égard. C'est entre les Actes et Marc que l'apparence de contradic-
tion est la plus forte, mais on sait l'obscurité qui plane sur l'origine
de l'appendice de Marc. Quant au récit de Luc, la particule 51 qui le
lie à ce qui précède peut indiquer un tout autre rapport que celui de
succession, surtout immédiate. Il serait d'ailleurs assez singulier que
Lue et les Actes ayant (d'après Meyer lui-même) un même auteur, ces
deux Ivres fussent en contradiction sur le point qui nous occupe. En
résumé nous ne voyons dans nos documents évangéliques rien qui ne
confirme pleinement la doctrine traditionnelle de toutes les Eglises
chrétiennes touchant le faitde l'ascension de Jésus-Christ. — L'ascension
de Jésus-Christ est d'ailleurs une conséquence de sa résurrection.
Ecarter celle-là tout en conservant 'celle-ci, c'est aboutir aux consé-
quences les plus étranges (voy. Godet, Coin, sur l'Ev. de saint Luc, II,
p. 444) . Aussi la plupart des théologiens qui ont nié la réalité de l'ascen-
sion nient-ils également celle de la résurrection et, le plus souvent aussi,
celle du surnaturel chrétien. Citons, à cet égard, quelques exemples
récents. Pour Strauss, l'ascension est un mythe né du besoin de savoir
comment avait pris lin le nouvel état du Christ, ressuscité dans les visions
de quelques-uns de ses disciples. Ce mythe avait d'ailleurs ses éléments
tout prêts dans certains récits de l'Ancien Testament tels que ceux de
l'ascension d'Hénoch etd'Elie (II, p. 402). L'explication de M. Renan
est des plus simples: « Quand les visions devinrent plus rares on se plia
à une autre imagination. On se figura Jésus comme entré dans la
gloire et assis à la droite du Père. « Il est monté au ciel », se dit-on
(Les apôtres,]*. 54). Schenkel s'exprime ainsi sur les apparitionsde Jé-
sus après sa mort: «Ses apparitions furent le reflet que sa sainte image,
jusque-là voilée, projetait enfin dans l'àme de ses disciples » [Carac-
terbildJesu, p. 254 de la traduction française). Il ne s'explique pas
autrement sur l'ascension (voy. aussi, dans le même ordre d'idées,
Ëwald, Gesch. des apost. ZeitaHers; Keim, Gesck. Jesu von Nazara,
'■> vol., etc.). Rothe a sur les apparitions du Christ et son ascension
un point de vue tout spécial que l'on trouve exposé notamment dans
sa dogmatique (11. p. 139). Les documents évangéliques sont d'une
grande sobriété relativement au mode de l'ascension. D'après le récil
des Actes .lesus lut élevé aux yeux de ses disciples et une nuée le dé-
robe à leurs yeux. D'après Luc, « comme il les bénissait, il se sépara
d'eux et lut élevé au ciel. » Le mot ciel (Matth. XVI, :{) désigne dans
le langage du Nouveau Testament tantôt le ciel étoile, tantôt le do-
628 ASCENSION — ASCETISME
mairie supra-sensible où Dieu règne sans partage (Matth. VI, 10; voy.
l'article Ciel). Nos divers récits de l'ascension se plaçant surtout au
point de vue de l 'apparence , il est probable que presque partout, sinon
partout, le mot ciel doit y être pris dans le premier de ces deux sens.
Il n'en est pasmoins vrai que, pourtoutl'ensembledenosdocumentsévan-
géliques, Jésus, aprèsavoir disparu aux yeuxdeses disciples, rentra dansle
domaine où le règne de Dieu est une absolue réalité. L'objection que Ton
a faite à la possibilité de l'ascension au point de vue du système de Co-
pernic, lequel a détruit l'ancienne notion d'un ciel placé au-dessus de la
terre, est aussi puérile que l'était cette notion elle-même. Nous touchons
ici aux contins de deux ordres, dont l'un tombe sous nos sens et dont
l'autre leur échappe, en lui-même et dans les conditions d'existence
qui y sont réalisées. Cela nous oblige à une grande réserve. Le corps
de Jésus- Christ, élevé au ciel, est son corps glorifié, c'est-à-dire son
corps ancien élevé aux conditions d'une vie absolument spirituelle
(voir sur l'apparition de Jésus glorifié à saint Paul, mentionnée 1 Cor.
XV, 8, l'article Résurrection de J.-C). D'après la doctrine luthérienne
stricte, représentée par la Formule de concorde, le corps glorifié de Jé-
sus-Christ serait présent partout (voy. l'article Ubiquité). Les réfor-
més, d'aCcord en cela avec les catholiques, n'admettent pas l'ubiquité
du corps glorifié du Christ (voy. Calvin, Institution chrétienne, liv. II,
ch. XVI, § 14). L'ascension de Jésus-Christ est le couronnement né-
cessaire de son œuvre rédemptrice. En lui, l'humanité, victorieuse de
la mort a été restaurée et glorifiée (Eph. II, 6). On ne saurait nier
l'importance doctrinale de l'ascension du Christ, qu'en se plaçant au
point de vue d'un idéalisme aussi contraire aux sentiments primor-
diaux de notre nature qu'àl'esprit de l'Ecriture sainte. R. Hollard.
ASCÉTISME. Ce mot n'a point encore été adopté par l'Académie
française, mais il a pris droit de cité dans les sciences morales et théo-
logiques. Il nous vient du grec, où le verbe àsyio) et ses dérivés se
disaient du régime particulier et des exercices systématiques par les-
quels les athlètes entretenaient leur vigueur et se préparaient au com-
bat. Les stoïciens, pour arriver à l'ataraxie, les néo-platoniciens, pour
atteindre Dieu, s'imposèrent une rigoureuse discipline. C'étaient des
athlètes spirituels : le philosophe fut appelé àjxrjTYjç, son genre de vie
gioç àr/.YjTr/.6ç, et sa demeure àsy.Yjr^ptov . Ces expressions passèrent na-
turellement dans la langue des chrétiens, qui sont appelés "aussi au re-
noncement et à la lutte (1 Cor. IX, 24-27). On finit par les appliquer
spécialement aux moines de l'un et de l'autre sexe (owxiQTUiéç âv/jp,
àaxi^Tpià) vivant dans des cellules (i7y.rtv.v:rt fcaXtSftrj) et dans des mo-
nastères (àffwjT^ptov). Leur genre de vie fut l'àV/r^iç. De là le mot
« ascétisme » qui désigne d'une manière générale un système de vie tout
composé d'abstinence et de mortifications. La Grèce a donné le mot,
mais c'est l'Inde qui a présenté la chose même dans sa réalisation
la plus complète. Pour le brahmanisme comme pour le bouddhisme,
l'existence individuelle est un mal qu'il faut détruire pour se perdre
dans Brahma ou s'anéantir dans le Nirvana : arriver à ne plus sentir,
ni penser, ni vouloir, c'est le but suprême. Le moyen, c'est une sorte
ASCÉTISME G29
de suicide progressif, systématiquement organisé, s'attaquant non-
seulement à la vie du corps, mais à celle de Famé : privation de nour-
riture, de sommeil, d'abri, de vêtements; séparation delà famille et
de la société; recherché de la souffrance sous toutes les formes; extinc-
tion de toute affection, de tout désir, de toute pensée, les ascètes de
l'Inde se sont montrés effroyablement inventifs et résolus (voy.
Bochînger, La Vie contemplative, ascétique et monastique citez les Indous
<et chez les peuples bouddhistes, Strasb., 1831; Pfïeiderer, Die Religion,
II, p. 197, 202-204, 219-223 ; Wuttke, Geschichte desHeùlent/iums, etc.).
Ces terribles pratiques étaient la conséquence des croyances fondamen-
tales de ces religions : le panthéisme et le nihilisme doivent logique-
ment conduire ou à la licence ou à l'ascétisme effrénés. On en peut
dire autant, quoique à un moindre degré, de toute doctrine dualiste,
attribuant un côté plus ou moins considérable de l'existence au prin-
cipe mauvais. — L'hébraïsme, par son affirmation sur l'origine de
toutes choses (Gen. I, 1, 31), par son enseignement caractéristique sur
le lien qui doit unir dans ce monde même la justice et la prospérité, le
péché et la souffrance, a rompu avec toute espèce de panthéisme et de
dualisme, et l'on se tromperait fort si l'on voyait dans les lois de
pureté, dans le vœu dunazaréat, dans le jeûne de certaines journées, des
marques d'ascétisme. La signification de ces usages est tout autre.
C'est plus tard seulement que, sous des influences étrangères, les
esséniens, les thérapeutes et surtout Philon (De vita coniemplativa)
firent entrer les pratiques ascétiques proprement dites dans le judaïsme.
Rien n'est plus contraire à l'ascétisme que le fond même de la doc-
trine morale, comme les prémisses métaphysiques de l'Evangile : non-
seulement il maintient avec l'hébraïsme la création de toutes choses
par un Dieu saint et bon ; mais, en annonçant l'incarnation de la
Parole éternelle qui était avec Dieu, qui était Dieu, il réhabilite en
quelque sorte l'existence terrestre et la matière même. Il fait d'ailleurs
dépendre l'entrée dans le royaume de Dieu de la nouvelle naissance
opérée par l'Esprit, et cette action régénératrice de l'Esprit est promise
à la foi qui est un lien tout moral de l'àme avec Dieu ou Christ (Jean
III, 3-8; Rom. VIII; 2 Cor. V, 17, etc.). Il résume la vie sainte tout
entière dans l'amour de Dieu et des hommes; il proclame le néant des
observances extérieures (Matth. XV, 11; Coî. II, 20-23) et le droit de
L'enfant de Dieu à user de toutes choses avec actions de grâces (1 Tim.
IV, \\ Rom. XIV, 1-20; 1 Cor. X, 25-36; Act. X, 15). Le corps lui-
même est mis en honneur ; dès à présent, temple de l'Esprit et membre
du Christ '2 Cor. V, 15-19), il est destiné à la gloire de la résurrection
(1 Cor. XV). Aussi, doit-il être respecté (2 Cor. VI, 13-20) et toute souf-
france ou privation qu'on lui imposerait arbitrairement est condamnée
(Col. II, 23). La chose seule uécessaire, c'est le développement de
L'homme intérieur (Eph. III, 10-17), et l'Esprit qui anime le chrétien
u'esl pas un esprit de servitude, de scrupule et de tristesse, c'est un
espril de liberté et de joie (Rom. VIII, 15; 2 Cor. III, 17; Jean XV, 11;
Philipp. III. 1: IV. 'i ss.; I Pierre !. 3-9, etc.).— Cependant le christia-
nisme a présenté un développement d'ascétisme qui peut se comparer
630 ASCETISME
à celui de l'Inde, qui le rappelle parfois, jusque dans le détail, d'une
façon singulière (Zœckler, Krit. Gesch.der Askese, 1863). On ne doit pas
chercher l'explication de ces ressemblances dans une influence posi-
tive de l'Inde qui se serait exercée sur la chrétienté par l'intermédiaire
des gnostiques et des néoplatoniciens. Il y a là des causes plus pro-
fondes : d'une part , la nature humaine qui est partout la même ;
de l'autre, certains côtés de la vie chrétienne qui peuvent aisément
être tournés à l'ascétisme. Il ne manque pas, en effet, de déclarations
dans l'Evangile, où la vie nouvelle est présentée comme un renonce-
ment total (Matth. XVI, 24), un dépouillement absolu (Matth. XIII, 44, 46;
MarcX, 21, 29-30; Eph. IV, 21-22, etc.), une mort (Col. III, 5; Matth. X,
38, etc.) : expressions énergiques qui rappellent celles des bouddhistes et
ont fait dire à Schopenhauer que la profonde vérité du christianisme, c'est
sa]négation delà volonté de vivre, fondement de l'ascète. Il est vrai que la
ressemblance n'est qu'extérieure, qu'une différence infinie sépare les
deux morales comme les deux métaphysiques ; le boudhiste meurt
pour n'exister jamais plus; le chrétien meurt pour revivre ; le premier
détruit en lui toute vie ; le second détruit la vie fausse et mauvaise et
la remplace par la vie véritable (Matth. XVI, 25; Rom. VI, 4-14,
23, etc.). Le but de celui-ci, c'est la vie éternelle ; le but de celui-là, c'est
le néant. Il n'en reste pas moins vrai que le renoncement et l'abs-
tinence doivent jouer un grand rôle dans la vie du chrétien. S'il ne
croit pas que ce monde soit l'œuvre d'un mauvais principe, il sait que
sa patrie véritable est ailleurs, que le mal règne sur la terre et que la
tentation y est partout. S'il ne croit pas que l'existence individuelle
soit, un malheur ou une souillure, il sent en lui un vieil homme qu'il
faut anéantir avec ses convoitises (Gai. V, 24). Il connaît sa faiblesse et
n'ignore pas qu'il doit s'entourer de précautions et fuir le danger.
Sans doute, tout, en un sens, lui est permis, mais tout ne l'édifie pas
(1 Cor. X, 23). Jésus-Christ commande de sacrifier même un bien légi-
time et cher, s'il est une occasion de chute (Matth. V, 29-30; XVIII,
8-9) ; il donne à entendre qu'il y en a qui sont appelés, pour le service
de Dieu, à quitter leur famille (Luc IX, 59-62) , à vendre leurs biens,
à ne jamais se marier (Matth. XIX, 12, 21). Saint Paul, l'apôtre
de la grâce toute gratuite, a déclaré que, pour son propre compte,
il usait d'abstinence, il matait son corps et le tenait captif (1 Cor. II,
25-27), et il adresse aux chrétiens de son temps des conseils de sobriété
et de discipline personnelle d'autant plus significatifs et frappants
qu'il revendique, on sait avec quelle généreuse ardeur, la liberté des
enfants de Dieu (Gai. V, 13-16 ; 1 Thess. V, 6-8; Rom. XIII, 14, etc.).
Si l'on va au fond de cet apparent ascétisme, après avoir écarté les
exhortations à éviter le péché proprement dit, on voit bientôt ou qu'il
s'agit de vocations spéciales entraînant des sacrifices exceptionnels, ou
que les renoncements demandés sont des précautions contre la fai-
blesse humaine. Ni dans un cas ni dans l'autre, il n'est question d'un
degré supérieur de perfection et de mérite. On comprend que, vivant
au milieu d'une société livrée à toutes les corruptions, les chrétiens des
premiers temps aient donné une attention particulière à ce côté austère
ASCETISME 631
de renseignement évangélique ; qu'Usaient senti tout à la fois le besoin
de protester, par une abstention bien caractérisée, contre la légèreté et
la corruption païennes, el de se garder eux-mêmes contre la contagion
environnante et contre leur propre fragilité ; qu'ils aient été enfin
amenés à être et à se glorifier d'être les vrais philosophes et les vrais
ascètes. 11 y aura toujours, dans une vie sérieusement chrétienne au
milieu d'un monde profane, une attitude de réserve sévère et d'austé-
rité. Mais il arriva que ce qui devait être un moyen seulement fut érigé
en but. Comme il est plus facile de détruire que de transformer et de
travailler au dehors qu'au dedans, on porta tout l'effort de la piété à
dépouiller l'existence et à martyriser le corps. On mit la perfection
dansée qui était précaution prudente ; donc, signe d'imperfection et
de faiblesse. On se fit un mérite de ces privations et de ces souffrances
volontaires <pie le grand apôtre avait condamnées. On les offrit à Dieu
comme une compensation ou une expiation des fautes commises. On
s'en arma comme d'un droit assuré aux plus hautes récompenses du
ciel. Dès lors, ce fut à qui inventerait pour soi-même ou pour sa com-
munauté les plus pénibles mortifications. Une guerre implacable fut
déclarée à la nature humaine, même dans ce qu'elle a de légitime, de
noble, de divin. On prit à tâche de se dépouiller et de s'anéan-
tir, comme si Dieu se faisait gloire de régner sur des morts. L'héroïsme
qui est en puissance au fond des grandes âmes, au fond de toute âme
chrétienne, se porta avec une sorte d'enthousiasme aux renoncements
et aux mortifications, comme il s'était porté en d'autres temps au mar-
tyre. Il y eut même des époques où des populations entières furent
saisies d'une fureur de pénitence corporelle et violente (voy. Fla-
ge lie rats). On était singulièrement éloigné de la spiritualité évangé-
lique, et non pas au profit de la vraie piété et de la vraie moralité. La
Réformation proclama la grande doctrine de la justification par la foi,
et, par ce seul coup, elle renversa cet échafaudage de pénitences exté-
rieures et méritoires. Gardons-nous cependant de l'entendre comme si
les réformateurs avaient oublié les exemples et les leçons apostoliques
que nous rappelions tout à l'heure. Il serait facile de citer des paroles
<!' Luther et de Calvin reconnaissant l'utilité et le droit, non pas d'une
discipline méritoire imposée du dehors, mais d'une discipline appro-
priée par chacun à son état spirituel et n'ayant d'autre valeur comme
d'autre but que de fortifier et de garantir la fidélité. C'est à ce titre
que le jeûne, par exemple, fut admis par les deux réformateurs
(Lut lier. KL Catech., art. $;Ausleg. d. Bergpredigt, XLIII, p. l(,)3-202;
Tùchreden, etc. ; Calvin, Inst., IV, c. 2, § 15-19). Le piétisme, et, à
son origine, le méthodisme revinrent à ce point de vue scripturaire.
En somme, la chrétienté évangélique rejette tout ascétisme qui serait
imposé du dehors comme une règle uniforme, <|ui aurait pour but de
mutiler L'être humain et pour efiet de l'asservir, qui prétendrait con-
stituer un degré supérieur de perfection et un mérite. Elle admel que
le chrétien doit exercer sur lui-même une discipline plus ou moins ri-
goureuse, <'ii vue de prévenir Les reculs el d'assurer le progrès de sa
vie spirituelle. Cesl ce que quelques-uns ont appelé « ascétique » en
632 ASCETISME
revenant au sens étymologique et premier du terme. La plupart des
systèmes évangéliques de théologie morale ont fait une place dans
leurs cadres à l'ascétique. Il s'est trouvé cependant des théologiens
pour contester la légitimité de cette façon de procéder. Ils font obser-
ver que le chrétien doit toujours, partout et immédiatement, faire son
devoir et qu'il ne saurait avoir du temps de reste pour apprendre à
le faire ; qu'après tout la plus sûre manière et môme l'unique de se
rendre vertueux:, c'est de pratiquer la vertu ; que cette prétendue ascé-
tique ou bien ne serait qu'une forme vide, un exercice sans objet et
tout arbitraire ; ou, si elle avait quelque contenu ou quelque valeur,
ne présenterait que des devoirs et rentrerait dans la partie de l'éthique
où les devoirs sont exposés (cf. Schleiermacher, Grundlinien einer Kri-
tikder bisher. Sîttenlehre, p. 429 ss.; Rothe, Theol. Ethik, III, §861; Gass,
der sittliche Werth des Asketischen./ahrb. f. d. Theol. , XVIII, H. 2). Tan-
dis que les catholiques faisaient la part principale et première à l'ascétique
dans leur morale, les luthériens ne lui en accordaient aucune, étant plus
préoccupés de la foi que de ses œuvres, ou ne voulant pas connaître
d'autres moyens de développer la vie sainte que la Parole de Dieu, les
sacrements et la prière. Les réformés, fidèles à leur point de vue éthi-
que, tenaient en réelle estime ce que Calvin avait appelé les aides
(adminiculd) de la vie chrétienne (lnstit. , III, c. 6-8; IV, c. 12).
Le piétisme lit pénétrer leur point de vue dans le luthéranisme.
Toutefois, de nos jours encore, des théologiens luthériens ont cru
devoir maintenir l'attitude ancienne (Vilmar, von Oettingen et, en par-
tie, Wuttke). Par contre, la liste serait longue des théologiens pro-
testants et des philosophes qui ont admis, sinon le terme, du moins la
chose : Kant, Schopenhauer, Wirth , Daub , Reinhard, Stasudlin, de
Wette , Baumgarten-Crusius, Nitzsch , Harless, Palmer, Schmid , etc.
A le bien voir, peut-être y a-t-il dans ce débat une question de forme
plutôt qu'une question de fond. On peut remarquer que les théologiens
qui évitent de nommer l'ascétique ou ne la nomment que pour la re-
jeter, ne manquent pas de la faire reparaître sous un autre nom ou
sans nom dans divers endroits de leur exposition. Personne ne nie
que ce ne soit un devoir pour le chrétien de travailler à son propre
développement religieux et moral (1 Tiin. IV, 7, 14-16). L'éducation
que reçoit l'enfant n'est longtemps qu'une ascétique, un exercice des-
tiné à former l'homme en lui. Or, le chrétien est toujours, quant à sa
vie spirituelle, plus ou moins un enfant qui a besoin de tutelle et d'é-
ducation (cf. Rothe,/. c. , § 862). Seulement, c'est lui-même qui
doit se tenir en tutelle et faire sa propre éducation sous le contrôle et
la direction du Saint-Esprit. Le but de cette éducation doit être de former
l'homme nouveau, indépendant de toutes choses, maître de lui-même,
consacrant joyeusement son corps et son âme au service de Dieu. Cette
ascétique n'a rien d'arbitraire; elle n'est pas seulement une préparation
au devoir, elle est un devoir, Rothe la range à bon droit dans ce qu'il
appelle Selbstpfîichten, devoirs personnels. A mesure que le chrétien croît
en maturité et en force, certains procédés éducatoires, certaines précau-
tions protectrices deviennent moins nécessaires; et, au terme glorieux du
ASCETISME — AS l ÉTÉ G33
développement, il ne restera de ces moyens que ceux gui, parties essen-
tielles de la vie sainte, étaient but en même temps que moyens. Disons, en
terminant. que L'ascétique ainsi comprise a naturellement deux par-
ties, Tune négative, l'autre positive. Dans la première, on peut ranger
les moyens (Tugendmùtel) suivants : la connaissance et l'examen de
soi-même, le recueillement, la solitude, la vigilance, l'abstinence (qui
est ici le renoncement à ce qui est permis, pour éviter la tentation,
pour exercer la volonté), etc. Dans la seconde, on peut mettre la cul-
ture de soi-même (connaissances religieuses, exercice de la volonté, etc.),
la recherche des bonnes compagnies, la lecture de la Bible, celle des
bons livres, le culte public, les sacrements, la prière, etc. Pour assu-
rer de la suite dans cette éducation de soi-même, on conseille une sage
distribution des heures de la journée qui lasse leur part à l'activité et
au repos, à la vie extérieure et au recueillement, à l'examen de soi, à
la prière, etc. Il est évident que Ton ne peut donner ici une règle gé-
nérale et imposer à tous la même distribution des heures, les mêmes
abstinences, les mêmes exercices (cf. Rothe, /. c. p. 463-526 ; Nitzsch,
System der christl. Lehre, § 159-164) . Charles Bois.
ASCHÉRAH, nom d'une divinité phénicienne. V oyez Phénicie.
ASDOD ['A c h d o d/AÇwcoç, Azotus, « citadelle »], ville maritime des Phi-
listins et Tune de leurs cinq capitales. Asdod se composait, comme
Gaza et Jamnia, de deux villes, Tune sur la route de Damas, l'autre sur
la mer. On voit encore le monticule où doit avoir été sa citadelle ; au
bas, un misérable village porte le nomd' Esdûd. On y adorait Dagon, le
dieu poisson (1 Sam. V; 1 Mac. XIV, 4). C'est dans cette ville que
fut transportée tout d'abord l'Arche après la mort des lils d'Héli.
Mais ses habitants furent frappés d'une maladie honteuse. Asdod
semble avoir payé tribut à Salomon (1 Rois IV, 24). Sous Hozias, les
Juifs s'en emparèrent (2 Chron. XXVI, 6); la comparaison des livres
de Josué et des Juges ne permet pas de croire qu'ils l'aient oc-
cupée antérieurement déjà (Jos. XIII, 3; XV, 47; Jug. I, 18-20).
Asdod eut, du reste, beaucoup à souffrir, à cause de sa position, des
guerres entre l'Assyrie et l'Egypte. Elle fut assiégée et prise par un
général de Sargon, vers 715 (Es. XX, 1), et, cent ans après, par Psam-
métique (Hérod. II, 157). Jérémie pouvait parler des « ruines d'Asdod »
(XXV, 20; cf. Soph. II. 4). Enfin, elle fut prise deux fois et finale-
ment détruite par les Machabées (1 Mac. V, 68; X, 84). Les Romains la
relevèrent, et elle passa aux mains des Hérode (Jos., Bell. Jud., I, 7, 7;
Ant. XIV, :;. :}; XVIî, S, 1). On y trouve l'apôtre Philippe prêchant
l'Evangile (Act. VIII, 40); plus tard, elle devint le siège d'un évêché ;
Oïl connaît cinq de ses évèques, de 325-536. Sur la langue et la popu-
lation d'Asdod, voyez Xéh. XIII, 23 ; Zach. IX, 6. Ce mélange de popu-
lations provenait en partie; du système de déportation pratiqué par les
Assyriens, mais aussi de l'étendue du commerce maritime d'Adod. — •
Voyez : Reland, Pal. s. v. Azotus, Tobler, iJritte Wandeimuj, p. 2.*>
ss.;Socin, Pal., p. 331. Ph. Berger.
ASÉITÉ ou existence pur soi-même. L'origine de ce tenue théologi-
que doit sans doute être cherchée dans llilaire de Poitiers {Tract, in
r. il
G34 ASEITE — ASIARQUES
Ps. 2) : « lpse est, qui quod est non aliunde est : in sese est, secum est,
a se est, suus sibi est et sibi ipsi omnia est ». Lactance déjà (Divin.
Inst., II, 8) avait dit : « Ex se ipso procreatus, ex se ipso est et ideo
talis est qualern esse voluit ». Saint Jérôme (Epist. ad Ephes., 3) ex-
prime la môme pensée : « Deus ipse qui origo suœque causa substan-
tiœ est » ; et saint Anselme (Monol, 6) : « Summa substantia ad esse
perducta est non per aliquid ; per se ipsam et ex se ipsa est quidquid
est » . Cette doctrine a été plusieurs t'ois reproduite par les théologiens
des divers âgés, par J. Gerhard (t. I. 1. III, 117) : « Deus non kabet
esse ab alio participatum, sed est a se ipso et per se ipsum ». L'expres-
sion aséité de Dieu signifie donc la négation de toute dépendance, de
toute détermination subie, de toute nécessité d'avoir telle ou telle na-
ture, et l'affirmation que la nature de Dieu est telle qu'il Ta voulue et
parce qu'il l'a voulue, que Dieu possède l'être par lui-même; non que
l'on puisse concevoir une période, un moment où Dieu, n'ayant pas
encore cette nature, se la serait donnée, ce qui appliquerait à l'absolu
les conditions de temps et de changement auxquelles les créatures sont
assujetties ; au contraire, en Dieu la cause et l'effet sont intimement
unis : Dieu est souveraine liberté, non pas possibilité vide et indéter-
minée, mais volonté en acte, action. Les docteurs, en imaginant ce mot,
n'ont fait que formuler ce qui est plus ou moins implicitement contenu
dans la piété chrétienne, dans la conviction que nous devons croire en
Dieu seul, et qu'il n'y a pas de puissance supérieure à lui. Tel est aussi
l'esprit de nos saints livres (Rom. XI, 36 ; Es. LXIV, 6 ; Exod. III, 14). Mais
si la religion se contente d'une telle affirmation sous sa forme concrète, le
rôle de la philosophie est de la soumettre à ses procédés d'analyse et
de dialectique, œuvre qui est notamment accomplie avec beaucoup de
profondeur dans la Philosophie de la liberté par M. Secrétan (t. I,
leç. XV et XVI). — Voyez les art. Absolu et Dieu. A. Mattee.
ASER ['A c h é r], deuxième fils de Jacob et de sa concubine Silpa,
la servante de Léa (Gen. XXX, 13; XXXV, 26), chef d'une des douze
tribus israélites (Nomb. XXVI, 44). Elle comptait 53,400 combattants
à son entrée en Palestine (Nomb. XL VI, 47), et reçut, lors du partage,
une bande de terrain assez étroite, mais très-fertile, sur la côte septen-
trionale de la Méditerranée, s'étendant au sud jusqu'au-dessous du pro-
montoire du Carmelet au nord jusqu'au territoire de Sidon (Gen. XLIX,
20; Deut. XXXIII, 24 ss.; Juges V, 17; Jos. XIX, 24 ss: ; cf. Josèphe,
Antiq., V, 1, 22), qu'elle ne parvint jamais à conquérir, pas plus que
Tyr et Acre (Juges I, 31). Ces villes maritimes surent toujours mainte-
nir leur indépendance contre des voisins qui n'avaient pas les moyens
de les réduire. La prophétesse Anne était de la tribu d'Aser(Luc II, 36).
ASIARQUES (' Attirai)' Au milieu de l'émeute des orfèvres d'Ephèse
soulevée par Démétrius contre Paul, ce dernier fut empêché par
quelques Asiarques qui s'intéressaient à lui, de se rendre au théâtre et
de se livrer à l'aveugle colère du peuple (Act. XIX, 31). Ce titre était
donné à dix- citoyens choisis chaque année parmi les plus riches et les
plus cmsidérés de la province, pour présider, veiller et pourvoir aux
jeux et spectacles publics.donnés en l'honneur des dieux ou de l'em-
ÀSIARQUES — ASIE C35
pereur. ('eux qui avaient une fois rempli cette charge continuaient à
se parer du titre comme d'un honneur. Chaque province avait une '
corporation semblable. C'est ainsi qu'il y avait des Bithynarques, des
Pontarques, des Galatarques. Tertullien les nomme prxsides sacerdo-
tales (De spectaculis, 2). Leurs droits et leurs privilèges reçurent plu-
sieurs modifications sous les divers empereurs. Par leur origine et la
nature même de leurs fonctions, on comprend qu'ils devaient jouir
auprès du peuple d'une assez grande autorité. Le mode de leur élec-
tion, l'organisation intérieure de la confrérie, la nomination de leur
président et bien d'autres détails restent encore mal éclaircis. — Voy.
Strabon, XIV, 1, 12; JUlius Aristide, Sacr., IV, 531;Eusèbe, fl. E., IV,
15; Lebas et Waddington, Inscript., III, nos 5, 158a, 649, 885', 1178,
1221, 1224; Perrot, Explor. de la Galat., p. 199 et ss.
ASIE (Statistique religieuse). On évalue la population de l'Asie à
766. 157.000 habitants; elle renferme en grand nombre des chrétiens,
des musulmans, des brahmanistes, des bouddhistes, des païens. Chaque
contrée principale de l'Asie aura son article spécial. Nous voulons seu-
lement donner pays par pays un court résumé de la statistique reli-
gieuse : 1° Sibérie. La population est de 3,428,867 habitants (1870).
Environ 1,800,000 se rattachent à l'Eglise grecque orthodoxe, 800,000
à l'islamisme et 600,000 au paganisme. 2° Les possessions russes de l'Asie
centrale, la Boukkarie, la Dzungarie et le Turkestan sont peuplés
ensemble de 8,941,600 habitants musulmans. 3° La Caucasie russe
avait, en 1871, 4,893,332 habitants. Les grecs orthodoxes, les armé-
niens monophysites et les mahométans y sont à peu près en nombre
égal; les juifs y sont bien environ 20,000. 4° La Turquie d'Asie comp-
tait, en 1871, 13,168,315 habitants. On peut compter 3,000,000 de chré-
tiens de toutes dénominations, 10,000,000 de musulmans, 150,000
juifs. 5° V Arabie est peuplée de 4,000,000 de musulmans. 6° La Perse
a environ 5,000,000 d'habitants. Presque tous sont musulmans; les
chrétiens, les juifs, les parsis, ne font qu'une bien petite minorité.
7° L'Afghanistan, le Kafiri'stan et le Béloutchistan, avec environ
5,300,000 habitants, sont également mahométans, avec quelques
juifs. 8° La Chine et ses dépendances ont une population d'environ
125,000,000 d'àmes. La répartition de cette énorme masse d'hommes
entre les diverses religions qu'ils professent est bien difficile à faire à
taux- du mystère dont la Chine s'est si longtemps entourée, et qui pour
rïntérieur du pays est encore loin de disparaître. La religion de Con-
bicius, le culte des esprits, le bouddhisme ont des adhérents dans ce
vaste empire. La Chine proprement dite s'en tient en général à Confu-
cius et à La religion naturelle. Le bouddhisme règne principalement
dans Les pays tributaires. Les juifs et les mahométans se retrouvent
dispersa dans le pays entier. Les catholiques ont conquis au prix du
de bien des martyrs plus de 1,000,000 d'àmes. Les protestants
sont encore peu nombreux. 9° Le Japon avait, en 1872, 33,110,825 ha-
bitants. La religion «le Shinto et le bouddhisme se partagentla popula-
tion dans une proportion que Ton pont évaluer à un lins pour le
Shintoïsme et deux tiers pour le bouddhisme. 10° L lluulouslan et
035 ASIE — ASIE-MINEURE
Ceylan, 238,445,000 habitants (recensement de 1871 pour les posses-
sions anglaises). Nous ne pouvons entrer ici dans une discussion de
chiffres. Nous établirons nos chiffres à l'article spécial de l'Inde. Ici
nous nous contentons de dire que l'Inde appartient au brahmanisme,
sauf 25,000,000 environ de bouddhistes, autant de musulmans et
3 ou 4,000,000 de chrétiens, tant européens qu'indigènes convertis.
11° L' Indo-Chine, avec 25,555,300 habitants. Le bouddhisme y règne
presque sans partage. Il peut y avoir 5 à 600,000 catholiques. Par ce
résumé, on voit que le christianisme n'est encore en Asie qu'une bien
petite minorité. 11 à 12,000,000 d'âmes, voilà tout ce que l'Eglise
dirige dans ce continent qui fut son berceau, et sur ce petit nombre-
même, la plupart sont plongés dans toutes sortes d'erreurs et de super-
stitions. K. Yauciiee.
ASIE-MINEURE. La péninsule qui s'avance vers l'ouest entre la mer
Noire (Pont-Euxin), au nord, et la mer de Syrie au sud, fut un des ber-
ceaux de la civilisation primitive. Elle servit de trait d'union entre la
race grecque qui peupla ses côtes occidentales de colonies florissantes,
et les autres races aryennes ou sémitiques qui habitaient les rives de
l'Euphrate ou les plaines de la Syrie. De là, le caractère mélangé de sa
population et de son génie. Ce nom d'Asie, d'origine probablement
aryenne et qui parait avoir signifié prairie, marais, se rencontre pour
la première fois dans l'Iliade (II, v. 401), et senibiu s'être appliqué tout
d'abord à quelques localités particulières de la Troade ou de la Lydie.
Peut-être même y a-t-il eu une ville et une tribu aryenne de ce
nom. A l'époque du royaume lydien (718-546), cette désignation
s'étendit à toute la partie comprise entre le Taurus et la Troade. Chez
les poètes grecs, Eschyle, Pindare et chez Hérodote, il désigne déjà tout
l'Orient, la troisième partie du monde ancien àcôté de l'Europe et de la
Lybie ou Afrique. Après la mort d'Alexandre-le-Grand, le royaume des
Séleucides fut spécialement appelé le royaume d'Asie (IMach.VIII, 6;
2 Mach.111,3; 1 Mach.XI, 13). Avec la conquête romaine, cette désigna-
tion se restreignit au royaume d'Attale roi de Pergame, qui devint une
province romaine, sous le nom à'Asia propria ou proprie dicta (129 av.
J. G.), Elle comprenait la petite et la grande Phrygie, la Mysie, la Lydie,
la Troade, l'Ionie, la Carie, toutes les iles et colonies grecques éche-
lonnées le long de la côte, Rhodes excepté. Elle était bornée à
i'Orient par les provinces de la Bythinie, la Galatie et la Pam-
philie (Ptolémée, V, 2). A la tête de la province se trouvait sous la
république, un propréteur. Auguste en fit une province consulaire ; elle
fut alors administrée par un proconsul et, dans les temps difficiles, par
un legatus Auguste. C'était un des pays les plus riches et les plus peu-
plés. On y comptait plus de cinq cents villes dont la plupart jouissaient
d'une assez grande autonomie. C'est à cette province romaine telle que
nous venons de la déterminer, que se rapportent tous les passages du
Nouveau Testament où il est question de l'Asie (Actes II, 10; VI, 9;
XIX, 26; XX, 4. 16; 2 Cor. I, 8). La première épitre de Pierre est
adressée aux élus dispersés dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l'Asie
et la Bithyme. Le? sept lettres qui ouvrent l'Apocalypse 'sont destinées
ASIE-MINEURE - ASILE 637
aux sept grandes Eglises d'Asie : Ephèse, Smyrne, Pergame, Thyatire,
Sardes, Philadelphie, Laodicée. La conquête musulmane a stérilisé et
frappé de mort ce glorieux el riche pays. A. Sabatier.
ASILE. La législation de tous les peuples contient des dispositions
réglant le droit d'asile (rj\rr de auXaw, prendre, arracher et de l'a pri-
vatif, d'où acuXov, asylum). Tout acte de violence, comme l'emprison-
nement, le droit de représailles devait s'arrêter sur le seuil des édiiices
-consacrés à la divinité: la transgression de cette coutume, regardée
comme sacrée, devait être sévèrement punie. Une immunité semblable
ne pouvait se justifier qu'à une époque où régnait l'arbitraire de la
force brutale, conférant à chacun le droit de venger lui-même ses in-
jures, et où toute justice régulière était absente ou impuissante. Le
droit d'asile est sanctionné par la législation mosaïque. Celui qui em-
brassait l'autel devait être assuré de la sécurité pour sa personne
( 1 Rois I, 50-53), à moins qu'il n'eût volontairement tué son prochain
(Exode XXI, 14). Outre le temple, il y avait six villes qui jouissaient
plus spécialement de ce droit, trois de chaque côté du Jourdain, Ke-
desch, Sichemet Hébron sur la rive droite, Golan, Ramothet Bezersurla
rive gauche; elles étaient appelées villes de refuge (m i k 1 a t, o'JYacîu-
trçpia) et furent consacrées à ce but par une cérémonie solennelle
(Nomb. XXXV, 13, 14; Jos. XX, 7. 8.) ; le meurtrier, israélite ou étranger,
qui s'y réfugiait ne devait être livré et puni que s'il avait tué sa vic-
time avec intention et méchanceté, et non par inadvertance, par un cas
fortuit et involontaire (Ex. XXI, 12;Nombr. VXXY, 10. ss ; Dent. XIX,
4-6). Chez les Grecs et chez les Romains, les temples et les autels jouis-
saient du même privilège ({Bwytoç awTYjptaç, arx salutis), qui était étendu
aux maisons privées, en raison de la présence des dieux pénates. —
Les édifices ecclésiastiques dans l'ère chrétienne héritèrent de ce droit,
qui fut réglé avec soin par diverses constitutions impériales (Cod.
Theados., 1. IX. lit. XLV; Cod. Justin., 1. I, tit. XII). Les meurtriers
n'étaient admis que s'ils déposaient préalablement leurs armes; les
débiteurs envers le trésor public devaient être strictement exclus; la
même exclusion, par une disposition injuste, frappait les juifs. Par une
loi promulguée sous Honorius II, en 431, le droit d'asile s'étendit de
l'autel et des nefs de l'église au parvis, aux jardins, aux bâtiments
situés en deçà du mur d'enceinte. Il est vrai que les fugitifs, à leur
arrivée, étaient soumis à un interrogatoire dont le résultat devait être
communiqué aux juges, mais c'était là, le plus souvent, une vainc
formalité qui n'empêchait en aucune façon tes anus. De son cote,
1 Eglise rappela, à diverses reprises , en se fondant sur le droit musai-,
que, que ceux qui cherchaient un asile auprès d'elle ne devaient, pas être
livrés : E os gui adecclesiam confugerunt, tradinon opportere, sed locirsve-
rentiaetintercessionedefendi {Syn. Arausiàc.,can.5,c.6,dist. IAWYII);
•- le revendiqua pour les cimetières, pour les résidences épiseopaies, pour
Les cloitres des moines et les demeures des chanoines, ainsi que pour les
simples i hapelles et les croix plantées sut- les grands chemins, le même
pnvi !ge quepour les églises, en exigeant que l'immunité fût étendue à
un espace de trente ou de quarante pas à l'en tour des édifices (Syn. Au-
638 ASILE — ASIONGABEll
reitan., c. 1-3; Conc. Toletan., c. 10). Les brigands qui infestaient
les grandes routes et d'autres catégories de malfaiteurs se virent exclus
du bénéfice de l'asile par des canons des papes Innocent III (1200),
Grégoire IX (1234), Martin V (1418) et Jules II (1504). Ces restrictions
se multiplièrent à la fin du moyen âge, soit de la part de l'Eglise, soit
surtout de la part de l'Etat. François Ier, par son Ordonnance sur te
faict de la justice, 1539 (art. 166), décréta que toute immunité en ma-
tière civile était abolie et que l'extradition était de rigueur, lorsque le
juge avait ordonné l'arrestation. En Ang\eteYre,\eprivilegeofsanctuary
se maintint jusqu'en 1624 ; en Prusse, il fut aboli par le code de 1794,
en Wurtemberg par un décret royal rendu en 1804, et de même, par
des décrets successifs, dans les autres pays. L'Italie elle-même suivit
cet exemple par la loi Siccardi du 9 avril 4850. L'Eglise n'a subi qu'en
murmurant et en protestant ces sages mesures de restriction. Le Concile
de Trente (Sess. XXV, c. 20, De reform.) proclame encore le droit
d'asile comme d'institution divine; mais les encycliques de Grégoire XIV
(1591), de Benoît XIII (1725), de Clément XII (1735). de Benoit XIV
(1751), de Clément XIII (1760), témoignent des concessions arrachées
successivement au Saint-Siège par les divers gouvernements. Pie IX, sur
la proposition de la Congregatio pro immunitate (1852), établit que les
malfaiteurs devaient quitter l'asile que l'Eglise leur accorde dans l'es-
pace de trois jours et que, dans des cas urgents, l'autorité civile, sous
la conduite du clergé, pouvait se rendre sans délai dans le lieu de
l'asile, pour dresser procès-verbal. — Sources: Ferraris, Prompta bi-
bliotheca canonica, art. Immunitas ; Thomassin, Vêtus et nova eccles*
disciplina, II, 1. III, c. 95-100; Schmidt, Thésaurus juris eccles., V, c. 7,
p. 284-425 ; Schrœck, Verm. jurist. A bh an dl., Halle, 1786, II, p. 362, ss.;
Keyscher et Wilda, Zeitschr.fùr deutsches Recht, III, H. 2, Leipz. 1840,
p. 326 ss.; Jacobson, Real-Encycl. de Herzog, I, p.567ss.; Wallon, Le
droit d'asile, P., 1837.
ASIMA, nom d'une divinité syrienne, adorée à Hamath et mentionnée
2 Rois XVII, 30. Voyez Syrie.
ASIONGABER ['Eçyôn Geber, Earfov Tofiip, Asiongaber), port si-
tué près d'Elath, sur le golfe Elanitique (mer Rouge), dans le pays
d'Edom. C'est delà que partaient les vaisseaux qui allaient à Ophir. Sa-
lomon y construisit une flotte (1 Rois IX, 26). Le passage correspondant
des Chroniques raconte môme que Salomon y alla en personne (2 Chrom
VIII, 17), mais ce voyage légendaire pourrait bien n'être que le résultat
d'une erreur de copiste; les deux premiers mots du verset 26 seront
tombés, pour une cause ou pour une autre, et le scribe aura lu az:
hâlak Cheiômoh au lieu de hammelek Chelômoh. Plus tard une
autre flotte construite par Josaphat y fit naufrage (1 Rois XX, 49). Il
résulte de l'itinéraire des Hébreux et des passages cités plus haut
(Nombr. XXXIII, 35) qu'Eçiôn-geber devait être à la pointe du golfe
(cf. Deut. II, 8). On n'a pas trouvé jusqu'à présent de ruines qui puis-
sent}7 correspondre. Ewald (Isr., I, p. 335) l'explique en disant qu'Eçiôn-
geber n'était que le port d'Elath. Voyez du reste Burckhardt, Reisen. éd.
II, p. 831 ; Robinson, Palaest., I, 280 ss.
ASMODÉE — ÀSMONEENS 639
ASMODÉÉ ['Aqjio&atoç], nom d'un démon amoureux de Sara, fille de
Raguel, ({ui tua successivement ses sept maris daus leur nuit de noces
(Toi), lli. 8; VJ. 15). Il figure aussi dans le Talmud {Gittin, f. 68, 1)
comme un démon très-voluptueux; Satan lui-même y est quelquefois
désigné par ce nom. Parmi les commentateurs, les uns font dériver le
nom d'Asmodée delà racine hébraïque ch à m ad, détruire, extirper,
et dès lors il serait synonyme de 'Abaddôn, 'ÀicoXXifov (Apoc. IX, 11);
d'autres, au contraire, le ramènent à un verbe persan qui signifie rcetpà-
L's'.v. (''prouver, tenter (Mat th. IV, 1 ss).
ASMONEENS ou Hasmonéens (K h a c h m ô n î m, b é t h K h a-
c h m ô n à i), nom de la famille indigène qui a reconquis l'indépen-
dance de la Judée sur les rois de Syrie et Ta gouvernée jusqu'à Hérode.
Bien que n'ayant pas occupé le trône aussi longtemps et joué dans la
politique orientale un rôle aussi important que les Isaïdes de l'ancien
royaume de Juda, les princes asmonéens ont exercé une influence déci-
sive sur le développement ultérieur de la nation et de la race juives.
Pour bien comprendre la signification de cette période, il est nécessaire
de jeter un coup d'œil en arrière et se pénétrer de la distinction si jus-
tement faite par les critiques de l'Ancien Testament entre l'hébraïsme
et le judaïsme. Le judaïsme représente l'ensemble des idées morales et
religieuses qui prirent corps dans l'esprit des conducteurs spirituels de
Juda au retour de l'exil et au cinquième siècle avant Jésus-Christ. Ce
corps de doctrines et d'usages s'imposa à la Judée avec d'autant plus de
facilité que la perte de l'indépendance politique laissait le champ libre
aux spéculations de cet ordre ; la suzeraineté persane semble avoir
plutôt servi que contrarié la formation du type judaïque. Avec l'inva-
sion d'Alexandre, la scène change; par la fondation des deux puissants
empires de Syrie et d'Egypte et, en suite de sa situation intermédiaire,
la Judée se trouve englobée dans la civilisation grecque dont les idées
s'efforcent de la pénétrer soit par propagande pacifique, soit par vio-
lence. L'aristocratie semble avoir accueilli assez- favorablement ces
avances, et les souverains grecs ont pu se flatter, non sans quelque ap-
parence de raison, de voir l'Eglise juive (car il n'y avait guère autre
chose qu'une grande Eglise) s'incorporer au panthéon grec. La révolte,
d'abord locale et partielle, et en tout cas tout à fait spontanée, de quel-
ques Juifs dévots (comparez avec d'autres révoltes religieuses, telles
que celle des Camisards), le succès inoui de cette rébellion, secondée
par Les discussions de lafamille régnante de Syrie, eurent pour elfet de
ressusciter le type judaïque fortement compromis et d'assurer à jamais
son existence. — Le nom d'Asmonéens provient, d'après Josèphe, de
L'arrière grand-père de Mattathias, auteur de l'insurrection; le nom de
Machabées, primitivement surnom de Judas, a été étendu par l'usage
populaire à tous les membres de la famille et même au delà, à
des Juifs fidèles et martyrs. Les sources principales sont les deux Livres
deutérocanoniques des Machabées et les Antiquités de Josèphe
(12 — L4). — Les Juifs pieux (Cka&idim), supportaient avec une hum-
ble impatience l'introduction des rites grées et la profanation du
culte paternel dont L'intronisation de la statue de Jupiter Olympien
C4J ASMONEENS
dans le temple de Jérusalem avait marqué le comble. Les excès et les
fureurs d'Antiochus IV Epiphane devaient exaspérer les sentiments
dont le livre de Daniel, écrit à cette époque, nous a transmis l'éloquent
témoignage ; une révolte était dans l'air. Elle éclata dans le bourg de
Modin (sur la route de Jérusalem à Joppé) à l'occasion d'un sacrifice
présidé par un officier syrien ; le prêtre Mattathias se jeta avec quelques
autres sur le représentant de l'autorité royale et le tua (167). La petite
troupe se retira dans la montagne, et une guerre de partisans com-
mença, également dirigée contre les autorités grecques et contre les
Juifs complices. Au bout d'un an, le prêtre mourut en laissant la direc-
tion de la révolte à son troisième fds Judas (166). Judas, distingué par
ses talents militaires et de nombreux succès partiels qui lui valurent le
surnom deMakkabi (marteau), noua des intelligences dans le pays et
fut assez heureux pour s'emparer du Temple de Jérusalem qu'il purifia
et consacra de nouveau ; la partie la plus forte de la ville, la montagne
de Sion, était restée au pouvoir des Syriens (165). Toutefois, malgré
l'alliance du Sénat romain qu'il avait recherchée, il succomba et périt
à Eléasa (ou Béthesda), laissant la cause presque désespérée; Jérusalem
avait été abandonnée. Son frère Jonathan reforma un noyau de bandes
franches près de l'embouchure du Jourdain et sut compter assez pour
que l'usurpateur Alexandre Balas recherchât son appui contre Démé-
trius, et que Démétrius, de son côté, s'efforçât de l'acheter. Il reprit
ainsi possession du Temple sans coup férir. Alexandre Balas lui con-
féra la tiare pontificale jusque-là en possession des favoris de la Syrie
et le titre de méridarque. Jonathan se trouva donc prince de la Judée
sous la suzeraineté du trône syrien, rechercha l'amitié des Romains et
se borna à payer un tribut aux Syriens, à quoi il faut joindre le fait
d'une garnison étrangère à Jérusalem. 11 périt victime d'un guet-apens
tendu par l'usurpateur Tryphon (143). Un troisième frère, le dernier
survivant des fils de Mattathias, Simon, liérita du pontificat et du gou-
vernement; il fait preuve d'une remarquable habileté dans la consoli-
dation du nouvel état de choses, fort chancelant jusqu'à lui et bat
monnaie pour la première fois, usant ainsi d'attributions royales. Il
meurt assassiné en 136. Son fils Jean ou Hyrcan Ier (135-107) marque
son règne par la conquête de l'Idumée (Edomites) et de la Samarie et
soumet ces deux peuples aux rites judaïques ; il détruit le sanctuaire de
Garizim (109). — Les règnes de Simon et d'Hyrcan marquentrapogéede
la dynastie asmonéenne ; l'indépendance est assurée, tant parles pro-
grès du dedans que par l'affaiblissement des voisins ; mais des germes
de discussions intestines se font déjà voir et rempliront les règnes sui-
vants pour aboutir à la ruine définitive. Hyrcan mourant avait disposé
que sa femme Alexandra exercerait le gouvernement à la place de
ses cinq fils encore jeunes. Cependant l'un d'eux, Aristobule Ier (Ju-
das), s'empare du pouvoir, laisse mourir de faim sa mère, jette trois
de ses frères en prison et tue bientôt le quatrième ; le premier il prend
le titre de roi, mais meurt presque aussitôt (106). Sa veuve Alexandra,
femme d'un rare mérite, tire de prison et épouse un de ses beaux-
frères, Alexandre Ier (Jannée, Jonathan) ; Jannée se débarrasse de ses
ASMONÉENS — ASSASSINS 641
deux frères survivants. Le Ion- règne d'Alexandre Jannée (106-79) est
marqué par de Longues guerres étrangères et des troubles civils termi-
nés par le massacre des pharisiens. Il meurt laissant la tiare à son lils
aîné Hyrean II et le troue à sa femme, de qui il le tenait; celle-ci se
réconcilie avec les pharisiens et meurt entourée de la faveur populaire
qu'avait abandonné ses prédécesseurs (70). Ici commence la décadence.
Hyrean II (70) est dépossédé, au bout de trois mois de règne, par son
frère Àristobule II (70-63), entame la lutte avec lui sur les conseils de
son ministre Antipater (père dTiérode le Grand). Pompée, maitre de
la Syrie, invoqué tour à tour par Aristobule et Hyrean, cite les compé-
titeurs à sa barre, s'empare de Jérusalem contre Aristobule, retenu à
résipiscence (63), et rétablit Hyrean sous le titre modeste d'ethnarque,
qu'il -arda jusqu'en 40, en môme temps qu'il reprenait le pontilicat.
Alexandre II, lils d 'Aristobule II, et ce dernier, à son tour, délivré de
prison, reparaissent à la tête d'un parti de l'indépendance; ils péris-
sent la même année (49). Antipater (f 43), déjà revêtu par Pompée du
titre iï'erJ-pz-zç (procurateur), en reçoit la confirmation par César, en
attendant que son fils Hérode, tétrarque en l'an 41, ne prenne, avec le
titre de roi, le dernier reste d'autorité conservé par la famille asmo-
néenne. Cependant, Antigone II, frère du prétendant Alexandre II,
avait repris pour un moment la dignité royale à Jérusalem (40-37) à la
faveur des troubles. Après la prise de cette ville par Hérode et son exé-
cution (37), il ne restait plus de la famille asmonéenne que le vieil
Hyrean et deux enfants d'Alexandre II, Mariamne et Antigone III. Le
premier fut exécuté en Tan 31 sous un vain prétexte ; le bel et aimable
Antigone, héritier du pontifical, fut noyé dans un bain (34) ; quant à
Mariamne, femme d'Hérode, elle fut mise à mort en l'an 28, et les deux
fils que ce roi avait eus d'elle subirent plus tard le même sort. La
véritable histoire de la dynastie asmonéenne finit avec l'intervention
de Pompée. Maueice Vernes.
ASSASSINS, redoutables sectaires établis en Syrie, mais dont les chefs
suprêmes résidaient à Alamout, forteresse du Koûhistàn, province de
Perse, au Sud de la Caspienne. Egalement hostilesaux mulsumansetaux
chrétiens, bien qu'ils s'alliassent souvent avec les uns ou les autres quand
ils y voyaient leur avantage, les assassins avaient pour but de s'emparer
de tous les pays ou régnait l'islamisme et d'y répandre leur croyances.
Pour m1 débarasser de leurs ennemis, ils avaient recours au meurtre;
ils louaient même, au besoin, lebrasdeleurs sicaires, appelés Fidâwîs, en
arabe, Fidâyîs, en persan, c'est-à-dire «dévoués» aux princes qui con-
sentaienl à le« employer. Delà vientquelemot assassin, altération du nom
Haschischin, qu'on leur donnait en Syrie, a passé en français avec lesens
de meurtrier. Les historiens occidentaux des croisades parlent souvent
df ces asssassins, qu'ils nomment Assassmi, Assissini, fleissàsini, Haus-
saci, et de leurs terribles chefs auxquels ils donnent le titre de Vieux-
de la Montagne, expression aujourd'hui consacrée. Le véritable titre de
ces chefs était Scheïkh-al-Djabal, c'est-à-dire Seigneur de in Montagne,
— L'origine et les doctrines 'le ces sectaires sonl aujourd'hui bien con-
nues grâce aux travaux deDeSacv, Quatremère,Von Hammer, Purgstall,
642 ASSASSINS
Jourdain, Rousseau, Ch. Dcfrémery, De Goeje, E.Salisbury; l'auteur de
cette notice a lui-même publié le texte arabe, avec une traduction et des
notes, de fragments de leurs écrits {Fragments relatifs « la doctrine des
Ismaélis, Paris, 1874, in 4). Nous allons, d'après ces recherches et ces do-
cuments, indiquer les points principaux de l'histoire politique être ligieu-
se de cette institution. Son fondateur, Abdallah-ben-Meïmoûn, médecin
oculiste de profession, et versé dans tous les systèmes philosophiques,
vivait au neuvième siècle de notre ère. Persan d'origine, il était resté
attaché aux anciennes croyances des Mages, et, si l'on ajoute foi aux au-
teurs musulmans, il rêvait, en fondant une secte nouvelle, de soumettre
aux Persans l'empire des Arabes. Quoi qu'il en soit de cette opinion,
qui a été acceptée par d'éminents orientalistes, il n'est pas douteux qu'il
cherchait à répandre son système philosophico-religieux, et, en même
temps, à devenir le chef politique d'un parti, deux choses que les nova-
teurs musulmans n'ont jamais séparées. On l'a accusé de vouloir sim-
plement propager l'athéisme et le libertinage : c'est là une idée insoute-
nable, qu'ont accréditée ses adversaires acharnés, les orthodoxes, mais qui
n'aurait pas dû séduire, comme elle l'a fait, SilvestredeSacy, l'illustre
auteur de Y Exposé de la religion des Druzes. En réalité, Abdallah-ben-
Mesmoûn était un philosophe qui enseignait que l'univers est produit par
cinq principes universels et éternels, émanant les uns des autres, dont les
trois premiers sont :1a Raison universelle, X Ame universelle et la Matière
première. Quant aux deux autres, nous avions cru devoir les identifier
avec le Temps et Y Espace: mais nous avons reconnu depuis que ce sont
plutôt le Plein, c'est-à-dire l'étendue occupée par de la matière, et le Vide
ou étendue sans matière, termes qui, originairement, représentaient,
pensons-nous, le Pleroma et le Kenoma des gnostiques. Les cinq prin-
cipes éternels émanent aux-mêmes d'un être ineffable, incompréhensi-
ble, inaccessible à la raison humaine, qui n'est autre que le vrai Dieu.
L'univers est le produit de cette émanation ; un jour il rentrera par ré-
sorption dans le sein de Dieu, et toutes choses seront finies. C'est là ce
que les Ismaéliens appellent la Grande Résurrection. Tous les mouve-
ments de l'univers sont dus à l'émanation et à la tendance, inverse de
l'émanation, qu'ont les êtres émanés à remonter vers leur principe pour
devenir aussi parfaits que lui. La terre est un microcosme : l'homme,
doué d'une particule de l'Ame universelle, cherche à devenir une rai-
son parfaite et universelle : tel est le but où tendent plus ou moins
obscurément ses efforts. Tant qu'il n'y aura pas réussi, son âme
reviendra sur terre et s'incarnera dans un corps approprié à son de-
gré de perfection. Mais l'homme, abandonné à lui-même, s'agiterait
perpétuellement sans pouvoir se délivrer des liens de la -nature. Il
lui faut l'assistance de la Raison universelle et de l'Ame universelle.
Celles-ci viennent donc s'incarner parmi les hommes sous forme de
prophètes, de pontifes et de philosophes. Depuis le commencement
du monde, il y a eu sept périodes caractérisées chacune par la venue
d'un prophète, suivi de sept vicaires destinés à diriger les fidèles pen-
dant chaque période. Chaque prophète prêche une religion de plus
en plus parfaite. Adam a été le premier prophète. Après lui sont venus
ASSASSINS GÏZ
successivement Noé, Abraham, Moïse, Jésus et Mahomet, apportant
chacun une religion supérieure à celle de son devancier et l'abrogeant.
Âi)dallah-ben-Meïmoûn se donne comme le premier vicaire du septième
et dernier prophète, le plus parfait de tous. C'est en son nom qu'il
prêche : c'est pour établir ses prérogatives qu'il envoie de tous côtés
des missionnaires, ou Dâ'is. Et ce prophète quel est-il? le fils de cet
Esmaël autour duquel se sont déjà groupés, comme on Ta vu plus haut,
de nombreux partisans, Mohammed-ben-lsmaël. Ainsi, tandis que les
schiites ismaéliens s'en tiennent à Ismaël, leur dernier imam, Abdallah-
ben-Meïmoûn, le réformateur, annonce qu'Ismaël est simplement le
septième vicaire de Mahomet, sixième prophète, mais qu'il doit céder
la place à son iils Mohammed, qui vient abroger la loi musulmane et y
substituer la religion définitive. Dans ce système habile, toutes les reli-
gions se trouvent englobées ; avec un peu d'adresse, les missionnaires
d'Abdallah prouveront aux philosophes que toute leur philosophie est
contenue dans la religion nouvelle, aux juifs, aux chrétiens et aux mu-
sulmans que leurs fois respectives ne représentent que des étapes des
siècles passés vers une croyance plus sublime qui doit régner un jour sur
Le monde entier. La Bible, l'Evangile et le Koran contenaient déjà la foi
nouvelle, mais exposée en termes incompréhensibles pour leur époque.
Abdallah et ses missionnaires se chargent d'interpréter ces livres sacrés,
« l de montrer qu'ils s'appliquent à la doctrine ismaélienne. Toutefois,
il fallait de grandes précautions pour ne pas attirer l'attention des auto-
rités constituées. L'initiation fut donc divisée en sept degrés, que plus
tard on porta à neuf. Dans le premier degré, le missionnaire éveillait la
curiosité de celui qu'il voulait convertir en lui proposant une foule de
questions ambiguës. Si le futur prosélyte en demandait avec instance la
solution, le missionnaire lui faisait prêter serment de ne rien révéler de
ce qu'il allait lui apprendre ; puis il lui disait, et c'était le second degré,
que la vérité ne peut lui être communiquée que par un imam ou pon-
tife, envers lequel il faut s'engager par un pacte et auquel il faut payer
une redevance. Dans le troisième degré, on établissait, qu'il y a eu depuis
Mahomet sept imâms, tous de la famille d'Ali, dont le dernier est Ismaël.
L'' quatrième degré était consacré à la révélation des sept périodes du
monde. C'est alors qu'on insinuait que Mahomet n'est qu'un précur-
seur du septième prophète, Mohammed, fils d'Ismaél, lequel a pour mis-
sion d'abroger l'islamisme et toutes les croyances antérieures. A par-
tir de ce degré, le prosélyte cessait d'appartenir à sa religion primitive.
Dans le cinquième degré, on lui montrait que les livres sacrés, la Bible,
PEvanguN et le Koran, ont un sens apparent, le seul compris du vulgaire,
et un sens caché, que connaissent seuls les imâms des Ismaéliens ; que,
d'ailleurs, tout ici-bas à un sens apparent et un sens secret; que, par
< temple, les sept périodes, les sept prophètes, les sept vicaires ou imâms,
ont pour emblèmes et pour correspondants les sept sphères célestes, les
sept planètes, les sept Ouvertures du visage, etc. etc. Dans le sixième
degré, ou expliquait le sens caché des livres saints. et l'on exposait leurs
rapports avec les systèmes des philosophes, Pythagore, Socrate, Platon,
Aristote, etc. Les trois derniers degrés, enfin, étaient réservés pour les
644 ASSASSINS
révélations dernières : l'existence d'un Dieu inaccessible à la raison et
de ses cinq hypostases, le but réel de l'initiation et son organisa-
tion, etc. Bien entendu, c'étaient seulement les hommes supérieurs qui
parvenaient jusqu'au degré final. La masse des initiés ne dépassait
pas les deux premiers degrés. Tout ce qu'ils savaient, c'est qu'ils
devaient obéissance aveugle à un chef inconnu, et qu'en récompense
de leur soumission, ils auraient les joies d'un paradis, dont la descrip-
tion ne le cède en rien à celle du paradis de Mahomet. Des livres spé-
ciaux étaient composés à l'usage de ces initiés des classes inférieures.
Ils ne contiennent que des préceptes de momie, empruntés fréquem-
ment à l'Evangile (on en trouvera des spécimens dans nos Fragments). —
Tels sont, esquissés à grands traits, la doctrine et le système d'initiation
d'Abdallah-ben-Meïmoûn. Celui-ci, qui avait commencé à prêcher en
Susiane, se vit bientôt persécuté, et dut s'enfuir d'abord à Basrah
sur le bas Euphrate, puis à Salamiyah, en Syrie. Il mourut dans cette
ville, et l'un de ses fils, Ahmed, lui succéda comme chef de la secte.
Ahmed envoya dans l'Iraq arabe, ou basse Mésopotamie, un de ses
missionnaires, appelé Roçém-Ahwâzî , c'est-à-dire natif de Susiane.
Hoçeïn y fit rencontre, vers l'année 887, d'un certain Hamdàn, sur-
nommé Karmatk, en raison d'une défectuosité qu'il avait à la hanche
et qui le forçait à faire de petits pas en marchant. Karmath adopta la
religion nouvelle avec enthousiasme et forma le parti des karmatkes,
ainsi nommés d'après leur fondateur. Les karmathes se répandirent
dans l'Iraq arabe, la Syrie et la Perse méridionale, et fondèrent dans le
Bahreïn, sur la côte orientale de l'Arabie, un puissant empire qui, pen-
dant près de deux siècles, fit trembler les khalifes de Baghdàd, l'Ara-
bie et l'Egypte. Mais des destinées plus brillantes encore attendaient la
doctrine Ismaélienne. Abdallah-ben-Meïmoûn avait quatre fils, Moham-
med, Ahmed, Aboû Schala'la' ou Schalaghlagh et Hoçeïn. Ce dernier
mourut avant son père Abdallah, laissant un enfant du nom de Sa'id,
lequel, après la mort de ses oncles Mohammed, Ahmed et Aboû Scha-
la'la', devint chef suprême de la secte. Sa'id se donna alors pour un des-
cendant du septième prophète ismaélien (Mohammed, fils d'ismael), et
après avoir changé son nom en celui d'Gbeïdallah et avoir pris le titre
de Mehdî, c'est-à-dire de Messie attendu à la fin des siècles, il passa en
Afrique, où l'un de ses missionnaires lui avait préparé les voies, et y
fonda la grande dynastie des Fàthimites (ce mot signifie descendants de
Fathimah, femme d'Ali et fille de Mahomet), laquelle compta quatorze
princes, dontonze khalifes, et dura jusqu'à la fin du douzième siècle, épo-
que où Noûr addin et le fameux Salàh ad-din, plus connu sous le nom de
Saladin, s'emparèrent de l'Egypte et la purgèrent des Ismaéliens. C'est
le troisième successeur d'Obeïdallah, le prince Mo'izz lidinillàh, qui lit
la conquête de l'Egypte et fonda le Kaire, sa capitale et celle de tous
ses successeurs. Moizz se déclara khalife. Après lui régna Aziz, dont le
fils et successeur Hàkim, séduit par un imposteur du nom de Hamza
ad-Durzî, consentit à se laisser adorer comme un Dieu. Hamza intro-
duisit de profondes modifications dans la doctrine des Ismaéliens et en
fit la religion druze, dont les derniers adeptes subsistent encore aujour-
ASSASSINS G45
d'hui dans le Liban. 11 parait cependant qu'après Hàkira, la religion
druze ne continua pas d'être professée par ses successeurs; car nous
voyons que sous Mostansir, cinquième khalife Fàthimite (1036-1094),
c'était toujours la doctrine Ismaélienne qu'on enseignait et pour
laquelle on répandait des missionnaires dans toute l'Asie. La preuve
en est que le fondateur de la puissance des Ismaéliens assassins, Haçan
ben Sabbàh, fut converti à la religion ismaélienne, en Perse, par des
missionnaires envoyés du Kaire, et qui prêchaient au nom du khalife
Mostansir. Haçan-ben-Sabbàh était natif de la ville de Tous, dans le
Khoràçân, province orientale de la Perse. Les historiens persans nous
ont conservé de lui le récit de sa conversion à la doctrine ismaélienne
et de ses aventures extraordinaires, avant qu'il réussît à se rendre maître
du château d'Àlamoût (voyez principalement Y Essai sur l'histoire des
Ismaéliens ou Batiniens de la Perse, plus connus sous le non) d'Assasins,
•par M. Defrémery, extrait n° 13 du Journal asiatique de 1856, p. 63 et
suiv.). Converti à Rey par un missionnaire du nom d'Ëmireh Zarràb,
il prêta le serment de fidélité envers l'imam des Ismaéliens, alors le
khalife Mostansir, entre les mains d'un certain Moulmin. En 1071-72,
le supérieur de la mission de l'Ivûq, étant venu à Rey, prit en affec-
tion Hacan-ben-Sabbàh, lui conféra la distinction de suppléant et lui
conseilla d'aller en Egypte auprès de Mostansir. Après de nombreux
voyages à Ispahan, dans l'Azerbaïdjàn et en Syrie, Haçan-ben-Sabbàh
se rendit au Kaire en 1078-1079, où il séjourna un an et fut très-bien
traité, par les ordres du khalife. Mostansir avait d'abord désigné pour
son successeur au trône d'Egypte, son fils aine Nizàr. Les intrigues de
*on généralissime le tirent revenir sur sa décision et choisir comme
héritier présomptif le second de ses fils Mosta'li, beau-fils du généra-
lissime. Et comme Haçan-ben-Sabbàh s'était déclaré en faveur de
Nizàr, le généralissime en prit ombrage et exigea du khalife qu'il ren-
voyât Hacan ; ce qui fut fait. On l'embarqua sur un navire en partance
pour le Maghreb ; mais une tempête jeta le vaisseau sur les côtes de
Syrie. Haçan-ben-Sabbàh gagna la ville d'Alep, et, de là, retourna en
Perse ; il parvint à Ispahan dans Tannée 1081 et parcourut ensuite plu-
sieurs villes de Perse, prêchant sur son passage la doctrine ismaélienne.
Dévoré d'ambition, et bien résolu à asseoir en Perse les bases d'une
puissance militaire, il jeta son dévolu sur le château d'Alamoût, situé
dans les montagnes qui bordent le rivage méridional de la Caspienne;
ayant réussi à se. faire des prosélytes dans cette forteresse, il y fut in-
troduit par eux le i septembre 1090 et en chassa le gouverneur, qu'il
dédommagea par une somme de trois mille pièces d'or. Depuis, Haçan-
ben-Sabbàh vit son pouvoir s'accroître rapidement, il construisit de
nouveaux forts autour d'Alamoût et fut bientôt en état de résister vic-
torieusement au prince seldjoukide Melik-Schàh, son suzerain. C'est
alors qu'il créa le corps des fidàwîs, ou sicaires, dont le poignard le
débarrassait de tons ceux qui gênaient ses projets. Ces fidàwîs, d'une
audace à toute épreuve, n'hésitaient pas à sacrifier leur vie, comme
leur nom l'indique, pour exécuter Les ordres de leur chef. Et par quels
moyens obtenait-on d'eux un dévouement aussi absolu, un mépris
<S46 ASSASSINS
aussi complet de leur existence? On les enivrait de haschisch et on leur
faisait croire que les félicités qu'ils avaient éprouvées pendant leur
ivresse étaient celles qui les attendaient dans le paradis des Ismaéliens
s'ils succombaient pour la cause de leur secte. De là le nom de haschU
schîn ou buveurs de haschisch, que leur donnait la voix du peuple, en
Syrie, et qui nous a été transmis aussi bien par les auteurs orientaux
que par les historiens occidentaux : par ces derniers, sous la forme
d' assassine ou sous Tune des formes énumérées plus haut. Ou bien, à
en croire le célèbre voyageur Marc Paul, les grands maîtres de Tordre
avaient fait disposer autour de leur palais des jardins délicieux. Là,
dans des pavillons magnifiquement décorés et pourvus de tout ce que le
luxe asiatique peut fournir, de jeunes beautés auraient attendu les
fidâivîs. De temps à autre, les grands maîtres y auraient fait trans-
porter les jeunes gens qu'ils voulaient enrôler dans le corps des fidâ-
wis, après les avoir endormis au moyen d'un breuvage soporifique. A
leur réveil, ils se croyaient dans le paradis, et quand ils avaient joui
pendant quelque temps de ce séjour enchanteur, on les endormait de
nouveau pour les en retirer. Dès lors, ils étaient prêts à tout pour con-
quérir une place éternelle dans ce lieu de délices dont ils n'avaient eu
qu'un avant-goût. Qu'on adopte la première explication ou la seconde,
il n'en reste pas moins acquis ce fait que c'est à l'usage du haschisch
que les Ismaéliens doivent leur nom d'assassins. — Haçan-ben-Sabbâh
s'était donné le titre modeste de Scheïkh-al-Djabal, ou Seigneur de la
montagne. Le mot scheïkh, qui signifie en arabe seigneur et vieillard,
comme le bas-latin senioi*, fut mal interprété, dans le titre susdit, par
les Occidentaux, et ils tournèrent Scheïhh-al-Djabal par Vetulus de
Monte, Senex de Montanis, d'où l'expression consacrée de Vieux de la
Montagne. Sept seigneurs de la Montagne succédèrent à Haçan-ben-
Sabbâh. Ce furent Bozozgumûd, Mohammed Ier, Haçan II, Moham-
med II, Haçan III, Mohammed III, et enfin Rokn-ad-clin-Goûrschàh,
sous le règne duquel, en 1256, Houlagou et ses Mongols envahirent la
Perse, exterminèrent les Ismaéliens et rasèrent les forteresses de la
secte. Non content d'asseoir sa puissance en Perse, Haçan-ben-Sabbâh
avait envoyé des émissaires en Syrie pour tenter de ce côté la fortune.
Son neveu, Abou'1-Fath, nommé par lui chef de la mission de Syrie,
s'établit à Sermin, à une journée au sud d'Alep. C'est lui qui, secondé
par son lieutenant Aboû-Tàhir, le Botherus d'Albert d'Aix, et favorisé
parRidhwân, prince d'Alep, jeta les bases de la puissance des assassins
dans cette contrée. Pendant vingt ans environ, de 1107 à 1128, les
assassins luttèrent tantôt contre les croisés et tantôt contre les musul-
mans pour s'assurer la possession de quelques places fortes. Après des
alternatives de revers et de succès, ils se rendirent maîtres de Panéas,
dont ils firent d'abord leur quartier général, que douze ans plus tard
ils transférèrent à Masyât, forteresse encore aujourd'hui debout, située
à douze lieues à l'ouest de Hamah, sur un rocher isolé. Parmi les autres
châteaux qu'ils possédaient,on distingua Kahf , Maïnakah,Qadamoûs, Oleï-
kah, Khawàbî. Jusque vers 1148, les assassins étaient restés soumis aux
ordres des grands maîtres de Perse ; mais à cette époque, nous voyons
ASSASSINS G47
s'élever parmi eux le fameux Raschîd-ad-din-Sinân, qui se donnait
pour mie incarnation de la divinité, comme le prouve un écrit de lui
(conservé dans les Fragments relatifs à la doctrine des Ismaéliens), et qui,
faut-il en conclure, détacha les assassins de Syrie de ceux de Perse.
Nous possédons un petit ouvrage arabe composé en 1323, par un cer-
tain Aboû-Firâs, dans Lequel sont énumérés et racontés en détail
les nombreux miracles qu'avait opérés Sinân. Il mourut en 1192.
Environ un siècle après, en 1273-127't, les dernières forteresses des
assassins tombaient entre les mains du sultan mamloûk d'Egypte Bei-
bars Ier. Vingt ans plus tôt, Houlagou avait anéanti les Ismaéliens de
Perse, et, en 1171, Saladin mettait lin au khalifat des Fàthimites
d'Egypte. A partir de la lin du treizième siècle, les assassins disparaissent
donc de la scène de l'histoire, et il n'en subsiste plus aujourd'hui que
quelques restes dispersés en Syrie, en Perse, dans l'Inde, en Arabie et
jusqu'à Zanzibar. En 1810, Rousseau, consul général de France à Alep,
a envoyé aux Annales des voyages un article sur les Ismaéliens de son
temps. Ils occupaient encore les forteresses de Masyât et de Qadamoûs
(on prononce aujourd'hui Qalamoûs). Rousseau dit aussi avoir appris
en Perse que la secte des Ismaéliens y est assez répandue, et qu'elle a
conservé un grand pontife appelé Schâh-Khaliloullàh, dont l'oncle,
Mirza-Abou'l-kasem « joua un grand rôle sous le règne des Zendes ».
Schàh-Khaliloullâh se prétendait issu d'Ismael, celui-là même qui a
donné son nom aux Ismaéliens ; il résidait à Khekh, petit village du
district de Qomm (à mi-chemin entre Téhéran et Ispahan). Rousseau
assure qu'il se trouve des Ismaéliens jusque dans l'Inde, qui viennent
en pèlerinage des bords de l'Indus et du Gange pour recevoir à Khekh
les bénédictions de leur imâm. Ces curieux détails ont été confirmés
par le procès des Khojas, qui, en 1850, a eu un si grand retentissement
dans l'Inde et en Europe. La haute Cour de Bombay décida que le
personnage nommé Aga-Khàn-Mehelâti, résidant à Bombay, était bien,
comme il le disait, le descendant du Vieux de la Montagne d'Alamoût,
que la communauté de Khojas, dont il existe des membres à Bombay,
à Kutch, à Kattiavar, à Mascate, était réellement une communauté d'Is-
maéliens, et qu'en conséquence la communauté devait payer à celui
qu'elle reconnaissait pour chef spirituel, Aga-Khân-Mehelâti, le tribut
annuel qu'il réclamait d'elle, et qui se monte, pour Bombay seule-
ment, à la somme annuelle de 250,000 francs. Les recherches aux-
quelles se livrèrent alors les juges, principalement sir Joseph Arnould,
établirent que la généalogie d'Aga-Khân, parfaitement authentique,
remonte jusqu'à Haçan II, grand maître d'Alamoût, qui passait pour
un petit-fils du khalife fàthimite Mostansir, et par suite pour un descen-
dant d'Ismael. Le père d'Aga-Khân était ce Schâh-Khaliloullàh dont
parle Rousseau, etle père de celui, Abou'l-Haçan, frère sans doute de
L'Abou'l-Kasem de Rousseau, était gouverneur du Kirmàn, eu Perse,
sous les lois Zendes (1750-1786). Schâh-Khaliloullàh fut assassiné à
STezd, en 1817, dans un mouvement populaire, et le roi de Perse,
Feth-Ali-Schàh, redoutant la vengeance de ses sectateurs, de funeste
mémoire, conféra au jeune Aga-Khân-Mehelâti le gouvernement du
648 ASSASSINS — ASSEMANI
district de Qomm, résidence habituelle de Khaliloullàh, et lui donna
une de ses filles eu mariage. Plus tard, Aga-Khân vint se fixer à Bom-
bay, où il vit tranquillement aujourd'hui sous la protection des Anglais.
Stanislas Guyard
ASSEMANI (Joseph-Simon) [1687-1768], savant orientaliste, originaire
d'une famille chrétienne de Syrie, fit ses études à Rome, et enrichit la
bibliothèque du Vatican d'un grand nombre d'ouvrages précieux. Sur
Tordre de Clément XI, il entreprit deux voyages (1715-17 et 1734-38)
en Orient, tant pour défendre les intérêts des maronites du Liban, sans
cesse menacés par le fanatisme des Turcs, que pour recueillir des ma-
nuscrits, des médailles, des monnaies et autres objets pouvant faciliter
la connaissance de l'ancien Orient. Il visita à cet effet l'Egypte, les cou-
vents de la Nitrie, l'île de Chypre, Damas, Alep, la Mésopotamie et sur-
tout les divers districts de la Syrie, et en rapporta un riche butin litté-
raire et archéologique. Nommé bibliothécaire du Vatican en 1740,
Assémani publia un certain nombre d'ouvrages dont les plus importants
sont: 1° Bibliotheca orientalis Clementino-Vaticana recensens manu-
scriptos codices syriacos, a?'abicos, persicos, turcicos, hebraïcos, samari-
tanos, armenicos, xthiopicos, grxcos, œgyplios, ibe?icos et malabaricos,
Rome, 1719-1728, in-f° (les 3 premiers volumes seuls sont de notre au-
teur ; ils traitent des écrivains orthodoxes, monophy sites et nestoriens
delà Syrie et sont une des sources d'information les plus riches pour
l'histoire de l'Eglise d'Orient; les extraits qu'en a donné Pfeiffer, ErL,
1776-77, 3 vol., n'ont qu'une valeur secondaire); 2° Sancti Ephrem
Syri opéra omnia quae exstantgrxce, syriaceet latine, insextomos distri-
bua ad manuscriptos codices Vaticanos aliosque castigata, multis aucta7
nova inierpretaiione, prxfationibus, notis, variantibus lectionibus illus-
trâtes Rome, 1732-34, 6 vol. in-f° (les trois premiers volumes, conte-
nant les ouvrages grecs d 'Ephrem, sont de notre auteur) ; 3° Scriptores
historix Italicx, Rome, 1751-53, 4 vol. in-4 (4 autres volumes, relatifs
à l'histoire de Naples, de la Sicile et de la Lombardie, étaient prêts en
mss. et furent dévorés par les flammes en 1758) ; 4° Kalendaria ecclesix,
universx, Rome, 1755, 6 vol. in-4 (ils traitent de l'histoire de tous les saints
du calendrier de la Slavicaecclesias. Graeco-Moscha ; six autres volumes
concernant les saints grecs, syriaques, arméniens, égyptiens, latins ont
été également brûlés) ; 5° Bibliotheca juris orientalis canonici et civilis,
Rome, 1762-64, 4 vol., in-4; 6° Bibliothecx apostolicx Vaticanx co-
dicum manuscriptorumcatalogus, Rome, 1756-59, 3 vol. in-f°. — Joseph-
Aloysius Assémani, son frère (1710-1782), professeur de langues orien-
tales au collège de la Sapience à Rome, est l'auteur d'un Codex liturgicus
Ecclesix universxin quindecim libros distributus, Rome, 1749-66, 12 vol.
in-4°, d'un Commentarius theo/ogico-canonico-cirticus de Ecclesiis, earum
reverentia et asylo, atque concordantia sacerdocii et imperii, Rome, 1766,
in-f°, ainsi que d'une série de dissertations de Unione et communione
ecclesiastica et decanonibuspœnitentialibus, Rome, 1770, in-4°. — Etienne-
Evode Assémani, neveu des deux précédents (1707-1782), archevêque
inpartibus d'Apamée en Syrie et membre de la Société royale britanni-
que des sciences à Londres, a laissé une Bibliothecx Medicx, Lauren-
ASSEMANI — ASSEMBLEES 649
tianse et Palatinx codicum Mss. orientalium catoloaus, Florence, 1742,
in-f°, contenant entre antres vingt-trois grands tableaux de sujets em-
pruntés à l'histoire évangélique et trouvés dans un vieux manuscrit
syriaque, ainsi que des Acta SS. Martyrum orientalium, qui in Perside
passisunt,et occidentalium, etc.. Home, 1748, 2 vol. in-8. 11 termina la
publication des œuvres de Saint-Ephrem, commencée par Joseph Assé-
mani. — Voyez Angel. Mai, Scriptomm veterum nova collectio e Vati-
canis Codd. édita, III, P. II, p. 106 ss. ; Journal des Savants, 1736, p.
122; 1743, p. 314; 1744, p. 588, 594; 1745, p. 50; 1750, p. 67, 131;
1751, p. 707; Herzog, lîeal-Encykl,, I p. 560 ss.
ASSEMBLÉES du clergé de France. Le but de ces assemblées était :
1° de voter un don gratuit pour le roi dans ses pressants besoins d'ar-
gent ; 2° de régler les conflits et différends qui s'élevaient au sein
même de l'Eglise; 3° de combattre avec persévérance l'hérésie. Il y
avait une assemblée générale tous les cinq ans, autorisée et souvent
convoquée par le roi lui-même. Les députés qui devaient en faire par-
tie, étaient choisis et désignés à l'avance dans des assemblées provin-
ciales. Mais dans l'intervalle des cinq années, avaient lieu, tantôt des
assemblées ordinaires, simples réunions de membres divers du clergé,
et tantôt des assemblées extraordinaires, soit que le roi, pendant la
guerre, eût besoin de demander à l'Eglise un don gratuit immédiat,
soit qu'il fût devenu nécessaire, comme en 1682, de formuler rapide-
ment, dans une célèbre déclaration, les doctrines gallicanes. Les pre-
miers procès-verbaux d'assemblées du clergé dont nous ayons connais-
sance, sont ceux de la chambre ecclésiastique aux Etats d'Orléans en
1560, et en 1561, ceux de l' Assemblée de Poissy, bien connue par les
noms de Théodore de Bèze et du cardinal de Lorraine, c'est-à-dire par
le célèbre colloque entre les calvinistes et les catholiques. C'est vers
1645 que les attaques deviennent violentes contre les huguenots dans
les assemblées du clergé ; et, en 1690, on a fait tant de remontrances
au roi, on a déployé tant de zèle contre les hérétiques, qu'on lit ces
lignes dans le procès-verbal de la réunion tenue cette année-là : « Il
n'y fut pas question d' affaires de religion, n'y ayant plus dans le
royaume d'hérésie à combattre ni de nouveauté à confondre. »
Les jansénistes aussi avaient été réduits à signer le formulaire
du pape. Le siècle qui commence, le dix-huitième, est plus libéral,
bien que l'Assemblée de 1700, la première, semble tenir à se
signaler par des condamnations exceptionnelles. Par les soins de
Bossuet la censure de 127 propositions de doctrine et de morale est
publiée, et le probabilisme flétri, comme source de la morale corrom-
pue. Mai- ces rigueurs sont presque les dernières, les nouveaux adver-
saires de l'Eglise dans cette période, l'athéisme, les philosophes et le
Parlement même qui refuse d'entendre au sens orthodoxe la bulle
l'iinjenitus (voir ce mot) ne peuvent être facilement atteints. Un im-
mense progrès s'est accompli des débuts du siècle aux dernières an-
nées. C'est eu ces termes très-nouveaux qu'en 1775 on recommence à
se plaindre des réformes : « L'Assemblée ne sollicite pas de châtiments
» personnels. Les religionnaires seront toujours nos semblables, nos
i. 42
650 ASSEMBLÉES — ASSOCIATIONS
frères, et même nos enfants dans l'ordre spirituel. » On sent que la
Révolution approche. L'Assemblée de 1788 est la dernière. Louis XVI
Ta convoquée pour obtenir un don gratuit qui le dispense de réunir
les Etats-généraux. Mais le clergé les réclame avec toute la nation. Le
don gratuit que vote cette dernière assemblée est presque dérisoire :
1,800,000 livres ! — Yoy. Recueil des actes, titres et mémoires, concer-
nant les affaires du clergé de France, 12 vol., Paris, 1721 ; Collection
des procès-verbaux des assemblées générales du clergé de France, depuis
1560, Paris, Desprez, 1767-1778, 9 vol. in-4 ; Précis historique de
toutes les délibérations contenues dans les proces-verbaux des assemblées
générales du clergé de Finance, 1 vol. Paris, 1769. Jules Asboux.
ASSEMBLÉES du désert. Voyez Désert.
ASSER, rabbin célèbre de Babylone (353-427), qui présida l'acadé-
mie de Sora et compta un grand nombre de disciples. Il est l'auteur
du Talmud de Babylone (voy. ce mot), qui a été imprimé à Amsterdam
en 1744, avec commentaires, en 12 vol. in-fol.
ASSIDÉENS, secte juive. Vovez Chasidim.
ASSOCIATIONS CATHOLIQUES. « Elles sont nées, dit M. Keller, dans
un discours d'ouverture prononcé à Paris, le 18 avril 1876, à l'assem-
blée générale des comités catholiques de France, au milieu des mal-
heurs de la patrie, et il vaudrait mieux dire des malheurs de la
patrie. A ce moment, il y a eu comme une sève de printemps qui a
ranimé les œuvres anciennes et qui en a fait naître partout de nouvel-
les. » Il faut dire plus simplement : l'association, c'est le nouveau
moyen que le clergé a trouvé, après une guerre funeste, pour conserver
et augmenter, s'il est possible, son influence Sur les populations catho-
liques. Aux confréries, aux œuvres qui existaient auparavant, viennent
s'ajouter, à partir de ce moment-là, un grand nombre de sociétés
toutes nouvelles. Le caractère spécial de ces associations, ce qui les
distingue de celles qui sont plus anciennes, c'est une obéissance aveu-
gle et un dévouement complet an Saint-Siège. « Dieu soit béni ! disait
en l'église Saint-Roch, le 21 mai 1876, le R. P. Delaporte, nos comités
ne sont ni libéraux, ni catholico-libéraux, ni catholiques et libéraux,
ni vieux-catholiques : ils sont catholiques ! Le sobriquet d'ultramon-
tains ne les effraye pas. L'Encyclique et le Syllabus sont leur boussole. »
Pie IX, de son côté, encourageant les associations de sa vive sympathie
et de ses indulgences, elles se sont multipliées à l'étranger comme en
France. En Italie, l'importante Societa delli interessi cattolici qui a le
neveu de Mgr Chigi, ancien nonce apostolique à Paris, pour président,
et la Voce délia Verita pour organe, étend sa surveillance à trente co-
mités paroissiaux dans la seule ville de Rome. Le 9 octobre 1876,
le congrès de toutes les associations d'Italie avait lieu à Bologne
avec l'approbation du pape, qui se félicitait dans un bref de ce qu'on
avait su s'organiser, former des comités régionaux, complétés par les
diocésains et les paroissiaux, et de plus, préparer un congrès général,
lorsque deux manifestations hostiles des habitants forcèrent le gouver-
nement italien à dissoudre, dès le second jour, l'assemblée des catholi-
ques, afin de prévenir des désordres qui paraissaient autrement inévi-
ASSOCIATIONS 651
tables. En Espagne, en Autriche, les comités sont nombreux et les
associations florissantes. A Berlin, les Windthorst, les Halst, avec
leurs collègues de l'opposition ultramontaine du Reichstag, sont les
directeurs ou les membres influents de .pareilles sociétés. En Angle-
terre, les comités formés sous le patronage du duc de Norfolk, ont
paru plus impatients encore que ceux des autres pays de s'affirmer et
d'agir. Préoccupés du sort des 10,000 ecclésiastiques qui, ayant refusé
d'accepter les nouvelles lois prussiennes, dites lois Falck, se trouvaient
privés de leur traitement, c'est-à-dire, pour le plus grand nombre, de
ouïe ressource, ils ont tenu à affirmer la solidarité qui existe entre les
catholiques des différents pays, en ouvrant à Londres, en janvier 1876,
une importante souscription en faveur des ecclésiastiques allemands
persécutés. En France, depuis cinq ans, le nombre des associations
s'est considérablement accru. On les trouve aujourd'hui sur tous les
points du territoire, aussi bien dans les campagnes que dans les villes.
Chaque année, au mois d'avril ou de mai, une assemblée générale réu-
nit à Paris les délégués de tous les comités de province. Le cardinal-
archevêque, Mgr Guibert, a la présidence d'honneur, et, après lui, les
évêques qui veulent bien assister aux séances; mais l'association est
œuvre laïque et c'est toujours un laïque qui occupe le fauteuil comme
président, habituellement M. Chesnelong, sénateur. Neuf commis-
sions, « établies à l'imitation des neuf chœurs angéliques et voulant
travailler comme eux à la gloire de Dieu», préparent les rapports, exer-
cent leur surveillance sur l'ensemble des œuvres catholiques dans le
pays, et répondent de la mise à exécution des vœux, des projets
soumis à l'assemblée et adoptés par elle. — I. Au premier rang, repré-
sentant le chœur des séraphins, il faut placer l'ensemble des Œuvres
de prières. L'œuvre du Vœu National a pour but « de ramener au
Sacré-Cœur de Jésus, dans un temple digne de sa majesté, la France
pénitente et vouée à son amour. » Le 16 juin 1876, le cardinal-arche-
vêque de Paris a posé la première pierre de l'église consacrée au
Sacré-Cœur, sur la Butte-Montmartre. Une chapelle provisoire s'y
élève dès aujourd'hui, les fidèles y viennent en pèlerinage, le comité
de l'Œuvre a déjà recueilli près de trois millions, et à la date du
7 novembre 1876, d'après Y Univers, soixante-dix-sept diocèses en
France étant déjà voués au Sacré-Cœur, huit autres attendant
L'autorisation du pape, il n'en restait que cinq à gagner encore
en les associant à cette œuvre. Ce n'est pas tout. Le comité du
Vœu National s'est efforcé de grouper autour de lui les œuvres
diverses consacrées au Cœur de Jésus dans une pensée d'expia-
tion et de réparation, telles que la Garde d'honneur, la Communion
réparatrice, VHeure sainte, l'Apostolat de la prière qui nous assurait,
dit le il. P. Rey, « le concours d'une prière incessante etd'un dévoue-
ment sans bornes»; les Touristes du Sacré-Cœur qui vont donner le
bon exemple dans les églises de village les jours d'adoration solen-
oelle; V Association réparatrice des blasphèmes et des profanations du
dimanche, formée depuis le jour où la Vierge dit aux bergers de La
Salette : « Voici ce qui appesantit tant le bras de mon fils : le blas-
652 ASSOCIATIONS
phème, la profanation de son jour. » L'appel que l'Association de
Montmartre, dite du Sacré-Cœur, adressa à ces sociétés a été entendu.
Plusieurs ont consenti à l'union proposée, au grand profit de l'œuvre
du Vœu national qui pourrait encaisser chaque année, dit son rappor-
teur, 1,500,000 francs, si tous les diocèses de France consentaient,
comme elle le propose, à faire avec elle un pareil engagement. A
l'œuvre du Saint-Sacrement se rattaciient de la môme manière plu-
sieurs associations : Y Adoration perpétuelle qui possède actuellement
en France soixante-trois diocèses, vingt-quatre en étant encore privés ;
F Adoration nocturne encore peu répandue, mais qu'on peut organiser
chez soi, en faisant successivement tous les mois dans son domicile
une heure d'adoration, de huit heures du soir à huit heures du matin;
Y Union de prières dont le Comité invite tous les membres, après avoir
assisté chaque jour à la messe, à réciter avant de quitter l'église, une
même prière, imprimée, distribuée, renouvelée chaque mois, qu'on
tire à Paris à 25,000 exemplaires; et l'œuvre des Pèlerinages Eucharis-
tiques. Il s'agit pour les catholiques qui font partie de cette société,
« d'aller en foule visiter les sanctuaires si nombreux où se manifesta,
à diverses époques, la puissance divine, dans le Très-Saint-Sacrement
de l'autel. » Il faut éviter de confondre avec cette dernière classe d'as-
sociations les autres Pèlerinages que M. le vicomte de Damas, qui a
reçu du pape « l'ordre de marcher », mène à travers la France, à
Lourdes, à la Salette, et aux différents lieux où l'on croit que se sont
accomplis des miracles. — II. Une commission présidée par M. Keller,
et après lui par le général baron de Charette, vice-président, s'occupe
des Œuvres Pontificales, c'est-à-dire des quêtes pour les membres
du clergé persécutés, à l'étranger, et surtout du Denier de saint Pierre.
On s'efforce de dissimuler les résultats qui ne sont pas satisfai-
sants. Les ultramontains avaient compté sur 200 millions de francs
par année, fournis par tous les catholiques du monde. Mais la vérité,
c'est qu'on a de la peine à réunir tous les cinq ou six ans une moyenne
de cinquante millions dont la France fournit la plus grosse part. —
III. Sous ce titre, Œuvres en général, il est question tour à tour, des
Conférences publiques et des moyens à employer pour en répandre
l'usage au sein des populations catholiques ; des œuvres qui, sous
des noms différents, ont pour but commun de donner à la faction
cléricale des partisans dans l'armée, l'œuvre des Militaires blessés,
l'œuvre des Bibliothèques militaires, l'œuvre des Vieux papiers (accu-
mulés en magasin, puis vendus, et l'argent que produit la vente sert à
établir des salles de lectures catholiques pour les soldats), et surtout
l'œuvre de la Sanctification du dimanche. « Cette dernière association
date à peine de deux ans », dit M. Louis de Cissey, de Lyon, l'un de
ses membres les plus actifs. Les catholiques qui en font partie sont
divisés par dizaines à l'exemple de la Propagation de la foi. Chaque
dizaine fournit deux sous par tête, un franc par an, et reçoit en
échange les annales mensuelles de l'œuvre. Malgré tout, on est réduit à
envier les pays protestants qui observent sans effort le repos du sep-
tième jour et à constater qu'on n'obtient pas les résultats pratiques
ASSOCIATIONS 653
attendus; niais on se console en remarquant avec M. de Cissey, qu'on
s'est assuré 2()2,U7i) communions mensuelles, plus de 750,000 chape-
lets mensuels, plus de 70.000 heures d'adoration du Saint-Sacrement
mensuelles, un nombre de prières tel qu'il doit faire violence à Dieu
lui-même. — IV.En matière (V enseignement, tout l'effort du catholicisme se
concentre aujourd'hui en France sur la formation de ces groupes d'éta-
blissements consacrésà renseignement supérieur qu'on appelle Univer-
sités catholiques. Ici les résultats obtenus sont satisfaisants. A la date
du 27 octobre 1870, les souscriptions en faveur de l'Université de
Lille atteignaient le chiffre de 4,791,550 francs. C'est sans doute ce
succès inespéré qui a appelé l'attention du parti ultramontaîn sur le
diocèse du cardinal archevêque de Cambrai, et l'a décidé, en novembre
1870, à inaugurer dans la salle des cercles ouvriers de Lille une sorte
d'assemblée, non plus générale mais régionale, appelée, dans les jour-
naux du parti, Congrès catholique du Nord. Pour le reste , enseigne-
ment de la théologie offert à l'élite des laïques, suivant la proposi-
sition de Mgr Isoard, auditeur de Rote à Rome, bourses directement
données par l'Etat au père de famille, afin qu'il puisse, s'il le veut,
choisir pour sonlils un établissement d'enseignement secondaire dirigé
par des prêtres, décentralisation, c'est-à-dire liberté pour l'institu-
teur de fonder une école, de choisir sa méthode d'enseignement, et
même d'exercer les fonctions sans avoir passé l'examen d'usage, s'il
s'agit d'écoles primaires, les comités n'en sont encore qu'à faire des
vœux, sans pouvoir réaliser ce qu'ils espèrent. — V. La Presse, malgré
les nombreux Comités catholiques qui ont pour mission soit de répandre
les feuilles religieuses et les journaux politiques du parti, soit de publier
les livres approuvés par les évêques, soit d'organiser le colportage dans les
campagnes, a mieux servi les sociétés démocratiques, que les associations
ultramontaines. 31. de Biencourt accuse nettement ses coreligionnaires
de n'acheter que les mauvais journaux et d'être les premiers à railler
la bonne presse ou à lui adresser des reproches injustes. Il propose de
fonder des agences télégraphiques cléricales, d'organiser une presse ré-
gionale, c'est-à-dire d'envoyer de Paris dans chaque région un jour-
nal tout fait, avec la quatrième page en blanc pour la chronique locale
et les annonces. Mais rien n'est fait encore, ce sont là de simples pro-
jets. Quant à la publication des livres, trois sociétés catholiques, la
Société bibliographique, le Comité de propagande et la Société des publica-
tions populaires, ont tenté vainement de rivaliser d'activité et d'in-
fluence avec la presse qu'elles nomment anti-religieuse, et d'op-
poser, sujet après sujet, la bonne doctrine à la mauvaise. —
VI. Sous ce titre un peu vague : Economie sociale catholique, se trou-
vent désignées celles des récentes associations sur lesquelles le catholi-
cisme contemporain fonde ses meilleures espérances: les Cercles ouvriers
et Les Corporations ouvrières. Leur importance est telle aux yeux des
dltramontains qu'ils leur ont accordé un congrès annuel, à côté et en
dehors de L'assemblée générale des Comités catholiques. La première
session eut lieu a Nevers en 1871, et le 21 août 1870, la sixième s'ou-
vrait à Bordeaux. Les premiers c<-rrh-s ouvriers datent de 1871. Après la
654 ASSOCIATIONS
Commune, des catholiques ultramontains, au premier rang desquels il
faut citer MM. de Mun et de Latour-du-Pin, entreprirent de résoudre le
problème social en réconciliant les patrons et les ouvriers. En effet, les
industriels ayant abandonné leur mission de tutelle morale, il faut les
rappeler au sentiment de leur devoir envers l'ouvrier. Mais il faut, d'un
autre côté, s'occuper de l'âme de cet ouvrier, et lui apprendre le res-
pect de la hiérarchie sociale. Après le but, les moyens. L'œuvre fait
appel aux patrons, aux industriels de bonne volonté. Elle les groupe
en comités locaux chargés de former pour toute la France des associa-
tions ouvrières. On prétend arracher ainsi l'ouvrier à un isolement qui
lui est funeste, beaucoup mieux que ne le font les Trades Unions de l'An-
gleterre ou nos Chambres syndicales. Le travailleur qui veut faire partie
d'un Cercle, reste quelque temps candidat, passant par une épreuve
de plusieurs mois avant d'être nommé membre. Mais l'épreuve subie,
le sociétaire dans la suite est facilement retenu et attaché à l'association
. par la protection du Comité qui s'étend sur lui et sa famille, au moyen
de dames patronnesses, par les pèlerinages ou voyages gratuits (les
Cercles de Paris, en 1876, sont allés à Rouen prier Notre-Dame de Bon-
Secours), par les banquets qu'on lui offre, et même par des repré-
sentations théâtrales qui sont données dans le local de l'œuvre. Aussi
y a-t-il déjà une revue des œuvres ouvrières, Y Association catho-
lique, qu'on publie à Paris, et dix Cercles ouvriers, présidés par
M. Bailloud, ancien inspecteur des ponts et chaussées. On compte
deux cents Cercles en province. Ce n'est pas assez de gagner l'ouvrier
et de l'habituer au respect de la hiérarchie sociale en lui montrant
quelle est pour lui la sollicitude vraiment paternelle du patron. On a
tenté de reconstituer, par la foi, la famille même pour refaire une so-
ciété catholique. C'est le but d'une autre œuvre ouvrière, de la corpo-
ration chrétienne telle que Pie IX l'a imaginée dans son motupropriode
1852, et que M. Harmel l'a réalisée en France dans son usine du Val-des-
Bois. On réunit les directeurs de chacun des Comités catholiques divers,
déjà établis dans la localité (un prêtre représente chaque association de
femmes) , en un Comité corporatif. Ce Comité s'occupe avant tout des inté-
rêts de la corporation en général et de chaque association en particulier ;
il fait, de plus, participer toutes les associations renfermées dans son
sein, aux mêmes institutions économiques, en procurant à ses membres
au meilleur marché possible les choses nécessaires à la vie. Dans la
pratique, la fondation d'un Cercle ouvrier précède et facilite l'établis-
sement de la corporation chrétienne. On peut faire observer que le
mot «corporation » n'est pas exact pour désigner une association d'ou-
vriers, qui, dans la même localité, ont habituellement des métiers
différents ; mais il faut se rappeler que les premières corporations de
ce genre ont commencé dans des usines où tous les ouvriers avaient le
même état et dépendaient du même patron. Agir sur l'ouvrier des villes
ou des campagnes de manière à faire de lui l'aveugle et dévoué dé-
fenseur du Syllabus, voilà l'œuvre aujourd'hui que poursuit le catho-
licisme militant. Plusieurs de ceux qui l'ont commencée ont déjà
acquis une certaine notoriété. Après le comte Albert de Mun, il faut
ASSOCIATIONS — ASSOMPTION 655
«iter le R. P. Marquigny, de Lyon, el le H. P. Ludovic, qui a eu l'idée
originale de dresser la liste des ouvriers catholiques d'Angers, en priant
les particuliers de n'apporter leurs commandes qu'à ceux-là seuls, et de
demander au Congrès de Bordeaux, en 1876, qu'il fût fait partout de
pareilles listes. — VII. Pour Y Art chrétien, qu'on voudrait voir renaître,
el qui figure à son rang parmi les œuvres du catholicisme contem-
porain, on n'a rien l'ait absolument, pas une école, pas une association.
Il n'y a qu'un comité faisant des vœux: et cherchant des souscripteurs,
sous la présidence de M. le barond 'Avril. — \ 111. Sous le titre Législa-
tion et Contentieux, ne se trouve pas désignée, on le comprend assez, une
association ordinaire, mais une société de jurisconsultes destinée à
éclairer sur leurs droits les prêtres, les moines, les religieuses et les
évéques mêmes. — IX. Enfin, l'œuvre récente du Pèlerinage en Terre-
Sainte et des chrétiens $ Orient, instituée pour contribuer au succès
des missions et veiller aux intérêts du catholicisme à l'étranger, ter-
mine la série de ces œuvres générales, qui embrassent rinfinie variété
des associations particulières. Le catholicisme, en effet, a besoin
de connaître l'Orient à un triple point de vue : d'abord pour y
propager sa doctrine et son culte par la diffusion des écoles et des
orphelinats ; puis, pour prêter un concours utile aux quelques tribus
qui lui sont restées attachées, arméniens, grecs (unis à l'Eglise
romaine), chaldéens et maronites; troisièmement, pour obtenir la con-
version des Grecs non unis, c'est-à-dire des hérétiques. Une asso-
ciation de prières en l'honneur de Marie Immaculée, pour le retour de
l'Eglise gréco-russe à l'unité catholique, a été fondée à la demande du
P. Schouvalofï, barnabite. On dit dans le même but une messe par
mois à Paray-le-Monial, et cent cinquante-six par an dans la seule ville
de Bruxelles. Toutes ces associations ont un centre commun : Rome pour
les sociétés catholiques du monde entier, et Paris pour la" France. Sint
iinum a dit le Pape, et c'est, en effet, par cette union qu'on se trouve
fort. Il y a là, à le bien voir, une dangereuse coalition contre la société
contemporaine et l'esprit moderne, une véritable Internationale noire.
Cependant leurs efforts de prosélytisme et leurs succès restent secrets,
grâce à l'inattention de leurs adversaires et aux précautions qu'ils
savent prendre. Le mot même c associations» leur a paru trop moderne.
Ils aiment mieux imprimer ou même dire entre eux ((nos comités». —
Voyez/, Association catholique , Revue; Bulletin de l'œuvre des Cercles ca-
tholiques d'ouvriers ; Assemblées générales des Comités catholiques de
France, Paris, 18724876; ? Univers, 1870-1876. Jules ahboux.
ASSOMPTION (àtvaXr^tç, assumptio, assumere, enlever). Ce terme
est, de préférence, employé dans (es légendes et les actes des martyrs
pour désigner le jour de leur mort. Il fut appliqué de bonne heure à
la mort de la Vierge Marie, concurremment avec les mots de ho^yjœ'.ç,
sommeil, repos, et de ii-y.--.y.z'.^ passage. L'opinion d'un martyre de
la Vierge, fondée sur une fausse interprétation de Luc 11, 35, était en-
core répandue dans l'Eglise du temps d'Origène (Homil. 17 in Luc).
Epiphane #a?ro.,LXXVIII, 11. cite Apoc.XII, 13-16 pour montrer que
l'on peut tout aussi bien soutenir queeda femme qui avait mis au monde
656 ASSOMPTION
un fils » n'était pas réellement morte. Deux écrits apocryphes du com-
mencement du cinquième siècle, dont l'un est attribué à l'apôtre saint
Jean(£[ç tyjv xoi^aw ty;ç ûiuepcryioç SeoTrofvvjç), et l'autre àMéliton, évoque
de Sardes (De transita Mariœ), paraissent avoir surtout contribué à popu-
lariser la légende de l'enlèvement miraculeux de la Vierge. Denys
l'Aréopagite (Denomùi. div., c. 3), André de Crète (èlç tvjv xo({xvjfftv) et
Grégoire de Tours (De gloria martyr., \, c. 4) l'ont accueillie avec de
légères variantes et en ayant soin de prévenir qu'elle n'était pas reçue
par toutes les Eglises. En voici les traits principaux : A la nouvelle de
la maladie de Marie, les apôtres accourent des diverses parties du
monde et veillent autour de son lit. Jésus s'approche avec ses anges,
prend son âme et la remet à l'archange Michel. Le lendemain, lorsque
les apôtres s'apprêtent à l'ensevelir, le Fils apparaît de nouveau et
enlève son corps dans une nuée au paradis où Fàme s'unit de nouveau
avec lui. André de Crète compare l'enlèvement de la Vierge à celui
d'Hénoch et d'Elie. Plus tard, l'imagination des croyants ajouta à la
légende des traits nouveaux. Les patriarches, ayant à leur tête Adam
et Eve, entourent Marie expirante et la proclament bienheureuse d'avoir
enlevé la malédiction qui pesait sur leur race ; un Juif qui touche son cer-
cueil perd les deux mains; le corps, avant d'être enlevé au ciel, repose
pendant trois jours dans la tombe sans sentir la corruption. Pourtant les
témoignages ne sont rien moins qu'unanimes. Notker Babulus, dans
son martyrologe, n'ose se prononcer pour l'affirmative ; Adamnanus,
au septième siècle, dans son traité De locis sanctis (I, 13) dit que l'on
ne sait quand et par qui le corps de la Vierge a été enlevé. Au neu-
vième siècle encore, Usuard, dans le martyrologe d'Adam, dit que le
corps de la Vierge ne se trouvant point sur la terre, l'Eglise, qui est
sage en ses jugements, a mieux aimé ignorer avec piété ce que la di-
vine Providence en a fait, que d'avancer rien d'apocryphe ou de mal
fondé sur ce sujet. Parmi les ornements des églises de Rome, sous le
pape Pascal, qui mourut en 824, il est fait mention de deux tableauxsur
lesquels était représentée Fassomption delà Vierge en son corps. L'E-
glise grecque célébrait la fête de l'Assomption dès le septième siècle,
d'après le témoignage d'André de Crète et celui de l'historien Nice-
phore (Hist. ecct., XVII, 28) qui rapporte qu'elle avait été instituée par
l'empereur Maurice (582-602) et fixée au 15 août; pourtant elle ne fut
étendue à tout Fempire que par une loi de l'empereur Manuel Com-
nène. En Occident, la date parait avoir varié. Tandis que le Calenda-
rium Frontonù (éd. Fabricius, p. 221) mentionne le 15 août pour la
célébration de la fête dans l'Eglise de Rome au huitième siècle, en
France, sous la première race, elle avait lieu le 18 janvier; les capitu-
laires de Charlemagne (I, c. 158), les canons du concile de Mayence de
813 (can. 36) et ceux du concile d'Aix-la-Chapelle de 818 assignent
à la fête de l'Assomption la date du 15 août. Le pape Léon IV institua,
en 847, l'octave de l'Assomption, ce qui l'élevait au rang des grandes
fêtes de l'Eglise. En France, elle est encore devenue plus solennelle,
depuis que, en l'année 1638, Louis XÏII choisit ce jour pour mettre sa
personn et son royaume sous la protection de la Vierge, vœu qui a
ASSOMPTION — ASSYRIE 657
été renouvelé en £738 par le roi Louis XV. Malgré les dogmes récents
qui ont davantage encore exalté le nom de la Vierge et recommandé
son culte, son assomption n'est pas considérée comme un dogme dans
l'Eglise romaine, mais seulement comme anepta sententia, et la distinc-
tion est maintenue entre Yascensio de Jésus-Christ, monté au ciel en
vertu de sa nature divine, et Yassumptio de Marie, enlevée au ciel à
• anse de ses mérites. — Voy. Bergier, Diction, dethéot.,?., 1808, 1, p., 197;
Herzog, Real-Fncyclop., IX, p. \)ï.
ASSUÉRUS ['Akhach éroch, 'AroouYjpoç, 'Â7^poç],nom commune
plusieurs rois mèdes et perses qut sont désignés dans l'Ancien Testa-
ment.— 1° ïobieXIV, 15 nomme Assuréus comme ayant conquis Ninive
de concert avec Nabuchodonosor (625 av. J.-C), ce qui ne peut s'appli-
quer qu'à Nabopolassar et à Cyaxare Ier. — 2U Daniel IX, 1 parle d'un
Assuérus, père du roi de Médie Darius, que la plupart des commentateurs
supposent devoir être identifié avec Astyage, père de Cyaxare II (595-581
av. J.-C). — 3° Esdras IV, 6 nomme un roi de Perse Assuréus qui se
montra peu favorable aux Juifs retournés en Palestine et, sur l'instiga-
tion des Samaritains, ordonna d'interrompre la reconstruction du tem-
ple (VI, 13 ss. cf. Josèpbe, Antiq., XI, 2, 1). On l'assimile générale-
ment à Cambyse, successeur de Cyrus (529-522 av. J.-C). — 4° Esther
I. 1 ss. raconte un épisode du règne d' Assuérus, prince cruel, capri-
cieux, voluptueux, dont le caractère a une analogie frappante avec ce
que Hérodote, Strabon et d'autres rapportent de Xerxès, fils de Darius
Hystaspe (486-465 av. J.-C). Xo\ezEst/ier.
ASSUR, 21' iils de Sem, originaire du pays de Sennaar, se rendit, d'a-
près Gen. X, 11 ss., dans l'Assyrie, où il bâtit Ninive, Chalé et Rezen.
Voyez Assyrie.
ASSYRIE. I. Histoire. L'Assyrie, 'Achour en hébreu, Axsoaren assy-
rien, Athourâ dans la langue des anciens Perses, répondait en partie
au Kourdistan actuel; elle couvrait, sur une superficie de 165,000 kil.
carrés, la vallée du Tigre, depuis l'endroit où il sort des montagnes
jusqu'à celui où il rapproche de l'Euphrate; au sud, elle touchait à la
Babylonie dont elle n'était séparée par aucune frontière naturelle. Les
inscriptions cunéiformes nous fournissent, pour l'histoire de l'Assyrie,
des renseignements d'une richesse incomparable. Outre les grands textes
historiques, sur pierre ou sur briques, nous possédons des listes d'épo-
iivmes <|ui nous donnent, année par année, les noms des grands ma-
gistrats, avec L'indication des grands événements, guerres, révoltes,
calamités, phénomènes météorologiques, qui ont marqué leur passage
au pouvoir; c'est à l'aide des éclipses, qui portent en elles-mêmes
leur date, qu'on a pu établir des points de repaire dans la chrono-
logie assyrienne. A côté de ces documents originaux, nous avons les
ré< its des auteurs anciens, Hérodote, Bérose el Ctésias, enfin les livres
des Rois et ceux des Chroniques qui nous donnent une chronologie
suivie depuis David jusqu'à la captivité. Mais il est très-difficile de
mettre d'accord la chronologie juive et la chronologie assyrienne.
M. Oppertjdonl nous suivons principalement les recherches dans cette
étude, adopte, d'une façon générale, la chronologie biblique, et il
658 ASSYRIE
suppose que les listes des éponymes font à un certain endroit un saut
de quarante-six ans dont il n'est resté aucune trace dans les textes;
MM. Smith et Schrader, suivant une ancienne hypothèse de M. Raw-
linson, n'admettent pas cette interruption dans les canons assyriens
et rajeunissent d'un nombre d'années à peu près égal les dates de la
chronologie biblique. Deux éclipses qui ont eu lieu à quarante-six ans
d'intervalle (809 et 763), dans les mômes conditions, permettent d'adop-
ter indifféremment l'une ou l'autre de ces combinaisons. L'histoire
d'Assyrie commence tard, et ses débuts furent humbles. D'après la
Genèse (X, 11), les Assyriens se sont greffés sur l'ancienne population
couschite de Babylone que personnifie Nemrod. Assour sortit du pays
de Sennaar et bâtit Ninive, Rehobot-Ir, Kalah et Resen entre Ninive
et Kalah; et le récit biblique ajoute : « C'est là la grande ville »,
passage obscur que l'on a appliqué tantôt à l'une de ces quatre villes,
tantôt à leur ensemble : Kalah était à 46 kilomètres de Ninive ;
Resen était entre elles deux, et Rehobot-Ir n'était peut-être que le
« faubourg » de Ninive. Ces quatre villes ont formé le noyau de la
puissance assyrienne. Les auteurs anciens nous présentent les choses
d'une manière, en apparence, bien différente ; mais il faut les en-
tendre. D'après Ctésias, le fondateur de la monarchie assyrienne fut
Ninus, qui vivait environ 2110 ans. av. J.-C. Il avait pour épouse la
reine Sémiramis, célèbre par ses débauches autant que par les cons-
tructions immenses et les palais suspendus dont elle couvrit toute
l'Assyrie et surtout Babylone, sa capitale. De leur union naquit un fils,
JNinyas, prince efféminé qui fut lui-même suivi par 33 rois fainéants ;
le dernier, Sardanapale, se brûla pour ne pas tomber aux mains
d'Arbaces le Mède et de Bélésys, gouverneur de Babylone (788).
€e règne illustre sur lequel tous les auteurs anciens abondent en détails,
tandis que les siècles suivants sont plongés dans l'obscurité la plus
profonde, n'a aucun caractère historique. Il est même possible que
Sémiramis (Samourramal) ne soit qu'une déesse ; elle forme avec
Ninus, l'éponyme de Ninive, et son fils Ninyas une triade divine
semblable à toutes celles qui forment le fond des religions de l'Asie
occidentale. Les Assyriens aimaient à mettre des généalogies divines
en tête des listes de leurs rois, et les Grecs auront pris pour un règne
réel ce mythe que l'orgueil national avait entouré de légendes glo-
rieuses ; c'est M. Lenormant qui a mis ce point important en lumière.
Hérodote et Bérose placent également Sémiramis au début de l'histoire
d'Assyrie, mais leurs récits ont, dans leur ensemble, un caractère plus
historique. Suivant eux, le royaume d'Assyrie posséda la suprématie
pendant un espace de 520 (526) ans qui est rempli par 45 rois ; elle la
perdit à la révolte des Mèdes en 588. La puissance assyrienne ne date
donc que de la réunion de Babylone à l'Assyrie, en 1314. Nous avons
peu de chose à changer à ces données générales. Les plus anciens
textes ne remontent pas au-delà de l'an 2000. A cette époque, les
princes assyriens s'appelaient Patesi, et dépendaient de l'Egypte et
de la Chaldée; les noms de plusieurs d'entre eux sont arrivés jusqu'à
nous, Ismi-Dayan^Samsi-Bin^ïc. ; vers le quinzième siècle, ils s'affran-
ASSYRIE 659
classent graduellement et prennent le titre de « rois », sar, mais la
puissance assyrienne ne fut fondée que par la conquête de Babylone
(1314 suivant Bérose). Cette conquête entraîna les princes assyriens
dans une série de luttes sanglantes; ils habitaient alors la ville
d'Elassar (Kalah-Shergat) ; on a retrouvé aux angles des fondations de
ses murs des cylindres en brique tous identiques, qui racontent les
campagnes du plus célèbre d'entre eux, Tiglathpkalasar 1 (Touklat-
Habal-azar), contre Elam, l'Arménie et la Syrie. Tiglathphalasar fit
même dresser à Tune des sources du Tigre une stèle commémorative
de ses exploits; mais la fin de son règne et les règnes suivants
furent marqués par de grands revers ; la puissance assyrienne ne cessa
de décroître jusqu'à l'avènement d'une nouvelle dynastie, vers le
milieu du onzième siècle. Les premiers princes de la nouvelle dynastie,
Salmanasar II, Irib-Bin, Assour-idin-Akhe, Assow*-Dan III, travail-
lèrent à réparer les désastres de leurs prédécesseurs. Enfin, un prince
qu'on appelle Toukla t- Adar II rentra dans la voie des conquêtes. Son
fils £fl>Y/^^a/e///(Assour-Nazir-Habal) est un des rois les plus connus
de l'Assyrie. Il changea l'ancienne résidence royale d'Elasar contre
une ville située plus au nord, sur le Tigre, Kalah, aujourd'hui Nim-
roud, que ses successeurs ne cessèrent d'embellir ; il y bâtit le palais
du Nord-Ouest, et le couvrit d'inscriptions. Néanmoins, ses efforts
ne portèrent pas surtout vers le nord, mais du côté du sud et de
l'ouest, vers Babylone et la Syrie. A partir de ce moment, l'objectif
constant des rois d'Assyrie est l'Egypte. Sardanapale franchit ï'Eu-
phrate, s'empara de Karkemisch et s'avança jusqu'à la Phénicie.
Son fils, Salmanasar III, lui succéda en 905. Son règne de 35 ans,
rempli par des guerres, est illustré par les nombreuses inscriptions
qu'il a laissées sur les murs de Nimroud. Un obélisque noir (au-
jourd'hui au British-Musaaum), retrouvé parmi les ruines du palais du
Centre, retrace ses campagnes. C'est sous son règne que les Assyriens
se rencontrèrent pour la première fois avec Israël. Après des cam-
pagnes sans cesse renouvelées contre Babylone et l'Arménie il marcha
contre la Syrie, battit à Karkar une armée coalisée, dirigée par
Benhadad, dans laquelle figurent 10,000 hommes envoyés par Achab ;
enfin, dans une nouvelle campagne dirigée contre Hazaël qui avait
remplacé Benhadad, il s'empara de Damas. Les rois de Tyr et de
Sidon, ainsi que Jéhu s'empressèrent de faire leur soumission. L'éclat
des armes de Salmanasar rejaillit encore sur ses successeurs immé-
diats, mais l'époque qui suit est très-troublée. C'est dans l'intervalle
qui sépare le dernier des rois de cette époque de Tiglathphalasar,
que Ctésias place la première prise de Ninive par les Mèdes et les
Babyloniens coalisés. Bérose ne parle pas des Mèdes, mais, suivant
Eusèbe, cet historien racontait qu'un roi chaldéen, Phoul, avail
occupé le trône d'Assyrie; la Bible le connaît égalemenl <-t < rite s<»n
nom a plusieurs ivjn-ises. Les auteurs dont nous avons cité les noms
plus haut soutiennent que la royauté n'a pas subi d'interruption,
que cette prétendue conquête se borne aux désordres mentionnés
sur les listes d'éponymes correspondantes, et ils suppriment toute
660 ASSYRIE
la tradition grecque relative à ces laits; suivant eux, Phoul ne serait
qu'une forme altérée du nom de Tiglathplialasar. En conséquence,
ils rajeunissent de 40 ans en moyenne les dates que nous avons données
pour les rois d'Assyrie, et les dates correspondantes des rois d'Israël.
M. Oppert maintient la chronologie traditionnelle et il suppose dans
la liste des éponymes une interruptiou de 46 ans dont on aurait
volontairement effacé la trace. Seulement il est obligé d'admettre
que les rois Menahem et Azriah, mentionnés dans les inscriptions
de Tiglathplialasar, ne sont pas le Menahem et l'Azariah de la Bible
qui, d'après ses calculs, régnaient 50 ans plus tôt, mais deux autres
princes du même nom, dont les Chroniques ne parlent pas. On aura
peut-être quelque peine à admettre ce dédoublement apparent; d'autre
part, si l'on suit l'opinion contraire, on sera obligé d'admettre
qu'Azariah était presque contemporain de son grand-père Achaz;
en tous cas, on fera bien de ne pas rejeter la chronologie biblique
avant d'avoir lu les savants raisonnements de M. Oppert; nous ajou-
terons qu'il ne faut pas non plus accorder une valeur exagérée, ni
pour les faits, ni même pour les noms bibliques, aux récits officiels
des rois d'Assyrie. Les principaux passages de la Bible qui ont trait
à cette période sont : 2 Rois XIV-XVI; 2 Chron. XXV-XXY1II; Es. VII,
VIII et IX. — La date de Tiglathplialasar II est certaine : il monta sur le
trône le 13 jyar 745. Ce fut un grand conquérant. Une première sé-
rie de campagnes lui assura la soumission du roi de Hamath, d 'Azriah,
roi de Juda (suivant M. Oppert, le même anti-roi qu'Esaïe désigne
sous le nom de « fils de Tabéel ») et de 18 rois parmi lesquels figurent
Menahem de Samarie (suivant M. Opp°rt, Menahem II), et Ketsin, roi
deDama.^. Tranquille de ce côté, il porta ses armes vers l'Asie centrale,
pénétra plus loin qu'aucun de ses prédécesseurs; puis, après cette
conquête brillante mais éphémère, revint s'entremettre entre Pekach,
roi d'Israël, et Retsin, roi de Damas, d'une part, et Achaz, roi de Juda,
de l'autre. Pekach s'enferma dans Samarie; presque toutes ses villes
furent prises et leurs habitants déportés. Puis Tiglathplialasar se tourna
contre Retsin, l'écrasa, et, après une résistance de deux ans, prit Da-
mas ; Retsin fut mis à mort (732) et tous les rois voisins, et entre autres
Achaz, vinrent remercier leur libérateur et lui rendre hommage dans la
capitale de la Syrie. A la mort de Tiglathplialasar, une révolte générale
éclata. Salmanasai* F accourut; la Phénicie se soumit; Hosée, roi d'Is-
raël, fit de même (2 Rois XVII, 3). Mais ce dernier s'étant allié par la
suite à Sabacon (Shabak), chef de la dynastie éthiopienne qui ré-
gnait en Egypte, Salmanasar le manda auprès de lui et le jeta en pri-
son ; puis il mit le siège devant Samarie, mais il mourut avant de
l'avoir prise, tandis qu'il faisait le siège de Tyr qui avait pris parti
pour Israël. Salmanasar était mort sans enfants; l'un des grands offi-
ciers de la couronne, Saryon (Sarru-Kin), lui succéda. Sargon est fon-
dateur de la dernière dynastie assyrienne. Les murs de sa résidence
favorite, Khorsabad, sont couverts d'inscriptions en son honneur. Sans
elles, nous saurions à peine son nom, il n'est cité qu'une fois en
passant dans la Bible (Es. XX, 1). Après une première campagne
[ASSYRIE 061
contre les Susiens et les Chaldéens réunis, il se porta de sa per-
sonne au camp devant Samarie, la ville fut prise et pillée, et toute la
population emmenée en captivité à la frontière de Médie; les Mèdes
vaincus furent déportés à Samarie et un gouverneur assyrien y fut
installé (722 ou 721). Pendant dix ans, Sargon lit la guerre en Médie,
en Arménie, en Asie-Mineure, en Phénicie, il délit les Egyptiens à
Raphia au-dessous de Gaza, prit Asdod en 712, enfin attaqua Merodac-
Baladan et prit Babylone (709). Plus tard encore Sargon se rendit dans
Tile de Chypre et y érigea, en souvenir de sa campagne, une stèle,
aujourd'hui au musée de Berlin. Il mourut après une expédition en
Médie, sans doute de mort violente, en 704. Son fils Sennachérib
(Sin-ahe-Irib , 70Ï-680), eut à faire à une révolte générale. Il déposa
le vieux Mérodac-Baladan, mit à sa place sur le trône de Babylone
une ombre de roi, puis marcha contre la Syrie et la Palestine, en 700.
D'après son propre récit, il envahit la Palestine, punit Ezéchias en
enlevant 200,150 hommes et l'enferma dans Jérusalem comme
dans une cage. Le livre des Rois (2 Rois XVIII et XIX, comp.
Esaïe XXXVI-XXXVlIl)et celui des Chroniques (2 Chron. XXXII) igno-
rent ce fait. On sent pourtant au ton du récit que la détresse fut grande
à Jérusalem. Ezéchias mit en pièces les portes du temple pour trouver
les 800 talents d'argent et les 30 talents d'or exigés par Sennachérib ;
celui-ci prit l'or, mais sans renoncer à son projet de détruire Jucla,
parce qu'il méditait une invasion en Egypte; il envoya de Lakis, où
était son quartier général, une ambassade orgueilleuse à Jérusalem ;
mais lorsqu'elle revint, elle ne le trouva plus ; il avait levé le camp
pour aller assiéger Libna et se disposait à marcher contre l'Egypte,
quand « l'ange de l'Eternel frappa 185,000 hommes et Sennachérib
s*en retourna en Assyrie; » suivant Hérodote, son armée fut détruite
dans sa marche contre le Delta par une armée de rats. Ce désastre est
passé sous silence dans les textes assyriens, mais il n'y a pas lieu de
douter qu'il ne soit authentique, du moins quand au fond. Sennachérib
est celui de tous les monarques assyriens qui a laissé le plus de monu-
ments importants. Il embellit surtout Ninive, sa capitale. Après
vingt-quatre ans de règne, il fut tué par ses lils Adrammelech
et Sareser. Un autre de ses fils, Assarhaddon, s'empara du trône
(680-667). Il se rendit maître de Babylone, y emmena prisonnier le
roi de Judée, Mariasse, détruisit Sidon, puis reprit la marche de
ses prédécesseurs vers le Sud, Il pénétra en Arabie, mais les déserts
l'arrêtèrent ; alors il se détourna vers l'Egypte, renversa l'Ethiopien
Tarhaka et mit à sa place Xeko Ier. A son retour, il put dresser aux
sources du Nahar-el-Kelb, près de Beyrouth, à côté des stèles triom-
phales de Ramsès II, une inscription sur laquelle il s'intitulait roi
d'Egypte, de Thèbeset d'Ethiopie. Vieux et malade, il abdiqua en 667,
laissant l'Assyrie à Sardanapala VI et Babylone à son second lils Saos-
duchin (Saoul-Masadd-Youkin). Ce dernier s'allia aux ennemis de
son frère et lit un vaste complot qui embrassait tous les pays du Sud.
Sardanapale le déjoua, vainquit séparément ses adversaires et assiégea
Saosduchin dans Babylone. Après un siège célèbre par les horreurs de
662 ASSYRIE
sa famine, Babylone fut prise et saccagée, et Saosduchin brûlé dans son
palais (647). Sardanapale réunit encore pour vingt-deux ans Ninive à
Babylone; c'est le Chinaladal du canon de Ptolémée, le Sardanapale de
Bérose; il est celui des rois d'Assyrie qui a le plus fourni à la science
actuelle ; il fonda les archives de Ninine dont les fragments nous sont
parvenus; c'étaient pour la plupart des copies de textes anciens; ses
textes historiques sont aussi du plus haut intérêt. Sardanapale soumit
FEgypte (665), détruisit Thèbes, lit alliance avec Gygès roi de Lydie, et
pénétra jusqu'au milieu de l'Arabie propre, il mit tin aux compétitions
du trône de Médie en prenant Suse (648) ; il fit aussi la guerre contre
l'Arménie; enfin, il vainquit leMède Phraorte sous les murs même de
Ninive ; mais les textes ne vont pas jusque-là. Nabopolassar de Baby-
lone et Cyaxare le Mède attaquèrent Ninive avec leurs forces réunies
et mirent fin à l'empire assyrien (606). « Ninive resta longtemps en
ruines; au temps de Xénophon, on avait oublié jusqu'au nom. Les
Par thés semblent avoir élevé une ville sur son emplacement et les Ro-
mains en tirent une colonie, comme le prouvent des monnaies impé-
riales. Plus tard, en face de la ville royale, sur la rive droite du Tigre,
s'éleva Mossoul, qui est encore aujourd'hui florissante et Ninive resta
sous un monceau de décombres, jusqu'à ce que les fouilles du dix-
neuvième siècle vinssent la rendre à la lumière. (Oppert). »
II. Mœurs. L'organisation militaire de l'Assyrie était, à peu de chose
près, celle des grands Etats orientaux actuels. Les princes (sar, sarru)
étaient des despotes religieux; dans toutes leurs inscriptions, ils ne
parlent jamais que d'eux-mêmes et d'Assour, dont la gloire se- confond
avec la leur ; c'est en son honneur qu'ils accomplissent tous les actes
les plus barbares. Sur les bas-reliefs, on les distingue à la tiare, à l'or-
dre parfait de leur barbe et de leur coiffure et à l'impassibilité de leurs
traits. La grande occupation des rois d'Assyrie était. la guerre; ils ne
la faisaient pas par simple plaisir, mais systématiquement; chaque
année était marquée par une campagne. Les Assyriens ne pouvaient
vivre que de conquêtes extérieures ; sitôt qu'ils ont cessé de faire la
guerre, ils sont tombés. Le peuple était ainsi toujours en armes.
Esaïe (V, 26-30) en trace un portrait saisissant: « La ceinture de leurs
(( reins ne se défait pas, la courroie de leurs sandales ne se délie pas.
« Leurs flèches sont aiguisées, leurs arcs sont tous tendus, les sabots
« de leurs chevaux sont comme le caillou, les roues de leurs chars pa-
« reilles à l'ouragan. » La force de l'armée assyrienne résidait princi-
palement dans sa cavalerie et ses chars de combat, célèbres dans toute
l'antiquité. A en juger par les bas-reliefs, les Assyriens ne connaissaient
pas d'ordre de bataille; mais ils y suppléaient par une grande bravoure
individuelle ; le roi combattait toujours en personne. Dans les sièges,
ils faisaient usage d'échelles, de béliers et de tours ; souvent ils élevaient
de vrais remparts autour de la ville assiégée. Le sort des vaincus était
triste; ils étaient mis à mort par milliers, moins toutefois par caprice
que pour l'exemple. C'est surtout dans le supplice des chefs qu'on
apportait tous les raffinements de la cruauté ; on leur crevait les yeux,
ou bien on les écorchait vifs, on étalait leurs peaux sur les murs de la
ASSYRIE 603
ville el on empilait leurs tètes devant Les portes. Les pays soumis étaient
administrés par des gouverneurs qui sont appelés tantôt pachat (hébr.,
pêkhà), tantôt saknu (hébr., sâgàn). D'autres fois, on laissait sur le
trône le prince qui conservait son titre et devenait vassal ; comme les
gouverneurs, il était tenu, dans ce cas. à payer tribut ('là fournir des hom-
mes en cas de guerre. C'est le premier exemple d'une administration
régulière que nous ait légué l'antiquité, et les Assyriens ne peuvent être
comparés, sous ce rapport, qu'aux Romains. En outre, pour s'assurer la
soumission des pays vaincus, les Assyriens avaient adopté un système
de déportation que Ton pratique encore aujourd'hui en Bulgarie et
dans d'autres pays dépendant de l'empire ottoman ; ils transplantaient
des peuples entiers à l'extrémité opposée de leur empire, et les rem-
plaçaient par d'autres déportés ; c'est ainsi que les habitants du
royaume d'Israël furent emmenés en captivité à Kalah sur le Khabour,
sur le fleuve Gozan et dans les villes des Mèdes, et remplacés par des
Chaldéens faits prisonniers à Kalou et, plus tard, par des colons venus
de Hamath, qui introduisirent à Samarie leurs mœurs et leurs dieux.
Cet échange constant de populations avait pour effet de dépayser les
rebelles et de rendre les révoltes très-difficiles; c'est ainsi que les
Assyriens ont pu dominer, pendant plusieurs siècles, toute l'Asie anté-
rieure: mais il leur manquait cet élément civilisateur qui a fait la durée
des colonies romaines; leur autorité est toujours restée purement exté-
rieure, et un jour a suffi pour consommer la ruine de l'Assyrie. —
L'architecture assyrienne est une imitation de celle de Babylone; elle
doit pourtant une certaine originalité à son alliance avec la sculpture.
Les murs des palais étaient couverts de bas-reliefs qui représentaient
des sujets tantôt mythologiques, tantôt réels ; aux premiers appartien-
nent les taureaux à face humaine, les dragons, les dieux que l'on voit
tant au Louvre qu'au British-Musaeum ; la donnée est le plus sou-
vent chaldéenne; dans l'autre classe il faut ranger les batailles, les
sièges, les assauts, les chasses et toutes les scènes de la vie journa-
lière. Les Assyriens ne faisaient que le profil, et leurs ligures empiè-
tent rarement les unes sur les autres, mais elles sont pleines de mou-
vement et de vie. Ils ne s'appliquent pas seulement, comme les Egyp-
tiens, à la netteté du contour, mais ils reproduisent le galbe des corps,
les muscles et tous les détails des traits et de l'ornementation avec
une grande finesse. Les chevaux et les animaux en général sont faits
avec une rare perfection. C'est uu art très-réaliste. Il a surtout atteint
ce caractère sous les Sargonides. C'est de Sennachérib que date l'habitude
de reproduire tons les détails de la vie journalière, et de donner aux
différentes scènes un fond conforme autant que possible à la réalité.
Quelques-unes de ces sculptures portent encore des traces de peinture.
Les Assyriens avaient aussi acquis une grande perfection dans la gra-
des pierres précieuses; on possède un grand nombre de cylindres,
d'amulettes et di gemmes qui proviennent des différentes villes d'As-
syri ; ces Objets se sont répandus avec la civilisation assyrienne en
eten Asie-Mineure, souvent même il est difficile <Vvn reconnaître
la provenance exacte. L'art assyrien, en effet, a exercé une influence
664 ASSYRIE
profonde sur toute la côte asiatique, où il s'est rencontré avec l'art
égyptien ; il a même pénétré jusqu'en Grèce ; on en retrouve la trace
incontestable dans l'ornementation grecque et parfois jusque dans le
choix des sujets. La céramique était fort développée; les vases que l'on
trouve sur les monuments assyriens présentent une grande variété et une
grande délicatesse de contours; l'Assyrie est le pays de l'argile. Les
ameublements étaient très-somptueux (Nahum II, 10) ; jl faut en dire
autant des tentures et des tapisseries qui étaient du reste un des prin-
cipaux objets de commerce de l'Assyrie (Ez. XXVII, 23, 24). — L'As-
syrie a emprunté son écriture, comme son architecture , à la Chal-
dée. L'écriture cunéiforme n'est pas sémitique, non plus que les
hiéroglyphes auxquels elle ressemblait, parait-il, beaucoup dans l'ori-
gine. Elle était d'abord idéographique, c'est-à-dire qu'elle se compo-
sait de dessins qui représentaient des objets; mais le sentiment de la
forme s'est perdu beaucoup plus tôt qu'en Egypte, sans doute parce
que la langue à laquelle cette écriture était empruntée était différente
de l'assyrien ; on n'a conservé que la charpente. Les signes ont en
même temps changé de valeur ; les Assyriens les ont attachés à certains
sons et non plus à certains sens ;, c'est ainsi que l'écriture cunéiforme
est devenue en grande partie phonétique, mais elle est toujours restée
mélangée d'idéogrammes nombreux qui en font une des principales
difficultés. D'autre part, ces cadres en quelque sorte théoriques dans
lesquels elle était emprisonnée lui ont donné une certaine immobilité ;
elle a bien fait, pour s'en affranchir, des efforts qui semblent avoir
donné naissance aux alphabets carien, lycien et cypriote; elle est même
devenue purement alphabétique avec le perse ancien ; mais ces tenta-
tives ont avorté; elle ne s'est jamais prêtée aux mêmes transformations
que l'écriture égyptienne passant des hiéroglyphes à l'écriture hiérati-
que puis au démotique, pour aboutir à l'alphabet phénicien ; F écri-
ture cunéiforme est morte avec les palais de Niniveet de Persépolis. Il est
probable que les Assyriens ont possédé à côté, de très-bonne heure, une
écriture cursive; en tous cas, dès le huitième siècle, on trouve l'écriture
et la langue araméennes employées en] Assyrie conjointement avec
l'écriture cunéiforme. — Les sujets dont traitent les inscriptions sont des
plus variés ; à côté des grands textes historiques, gravés sur la pierre,
et qui couvrent les murs des palais, on en possède un nombre beau-
coup plus grand encore sur briques; c'étaient les livres assyriens;
chaque page formait un volume. La plupart de ces briques provien-
nent de la bibliothèque de Sardanapale ; le British-MusaBum possède
près de 20,000 fragments de ce genre. Il y a aussi des inscriptions gra-
vées sur des cylindres de matières comme de formes très-diverses.
Beaucoup de ces inscriptions contiennent des contrats d'achat et
de vente, des placets, ou d'autres objets touchant des matières com-
merciales ou juridiques : ce sont presque les textes les plus
nombreux. Les briques forment une sorte d'encyclopédie de
la science assyrienne. Une première catégorie contient soit des
syllabaires qui indiquent la valeur et le nom des différents signes, soit
de véritables dictionnaires; ces textes grammaticaux ont permis à
ASSYRIE 665
M. Oppert de reconstituer la grammaire assyrienne et ils sont encore
étudiés et discutés tous les jours avec passion. Une autre catégorie a
trait à la chronologie, à la métrologie et aux sciences exactes. Les As-
syriens ont eu les premiers un système de poids et mesures régulier;
ils étaient aussi très-avancés dans le calcul des temps; ils connaissaient
l'année de 06O et sans doute même de 365 jours. On lit (W. A. I., t. III,
p. 52, Rev. col. 2, lin. 37) : « 12 mois par année une, (> soixantaines de
jours font; » la fin de la ligne, qui devait compléter ce renseigne-
ment, est malheureusement fruste. On trouve aussi sur la chronologie
assyrienne, sur les éclipses et sur les autres phénomènes atmosphé-
riques qui servaient à rétablir, les renseignements les plus précieux.
C'est sur des tablettes de ce genre qu'on a retrouvé les listes de magis-
trats éponymes qui sont d'une si grande utilité pour la fixation des
dates de l'histoire assyrienne. D'autres textes ont trait à la médecine,
à l'astrologie et aux sciences occultes. 11 est même enfin une dernière
catégorie, la plus importante peut-être, qui comprend les textes
cosmogoniques. Certains de ces textes, quelques-uns même fort
importants, étaient déjà connus depuis un certain temps; pourtant
il est permis de dire que le mérite de leur découverte appartient à
George Smith; par la découverte du récit du déluge, puis de fragments
relatifs à la création, il est parvenu à établir le lien et le véritable
caractère de cette littérature. Tous ces récits mythologiques, qui sont
des copies de vieux textes babyloniens, devenus presque incompréhen-
sibles déjà du temps de Sardanapale, se tiennent, et leur ensemble
formait une véritable Genèse chaldéenne, parallèle à celle de la Bible,
avec un cadre beaucoup plus large.
III. Religion. Les dieux qui figurent soit dansles différents textes mythe-
logiques soit dans les inscriptions historiques sont extrêmement nom-
breux; peu de peuples ont eu de panthéon aussi riche; mais cette religion
n'est pas une création du génie assyrien, toutes ces divinités existaient
déjà, le plus souvent avec les mêmes noms, dans la Chaldée. Chaque
ville avait ses dieux, que l'on adorait de préférence à tous les autres,
mais qui se rattachaient à un système de mythologie général. Ce sys-
tème a continué sous la domination assyrienne. Constamment, sur les
textes comme dans Bible, nous voyons les rois d'Assyrie adorer l'un
ou l'autre de ces dieux, suivant la ville où ils se trouvent; Sargon fut
assassiné tandis qu'il était prosterné dans le temple de son dieu Nisroch;
de même les habitants de Sepharvaïm (des deux Sippara) amenèrent à
Sainarie leurs dieux Adrammelec et Anammelec. Mais toute cette
religion n'était encore qu'un emprunt fait à la Chaldée; tout au plus
les Assyriens y ont-ils mis un ordre plus strict, mais aussi plus arbi-
traire qu'auparavant. Leur panthéon se composait de douze grands
dieux, présidés par Assour. Assour est, à vrai dire, le seul dieu de
l'Assyrie, il a fini par éclipser tous les autres dieux, grâce au dévelop-
pement énorme qu'a pris la ville de Ninive. Il semblerait, à lire les
annales des rois d'Assyrie, qu'ils n'aient eu d'autre préoccupation nue
la gloire d'Assour. Leurs ennemis sont ceux de leur dieu, leurs armées
sont \v.6 armées du dieu Assour et c'est de sa colère qu'ils s'inspirent,
i. 43
m ASSYRIE
dans leurs guerres et dans leurs actes les pluscruels. Assour n'est, à vrai
dire, que la personnification de la puissance assyrienne et la glori-
fication de la royauté ; les deux idées sont inséparables. On retrouve,
dans cette adoration presque exclusive d'un dieu qui est l'éponyme de
k nation, les deux traits principaux du caractère assyrien: d'une part,
un esprit profondément religieux, et une tendance marquée au mo-
nothéisme; de l'autre, l'orgueil national quia fait la force de l'Assyrie.
En somme, les Assyriens n'ont rien inventé, ils n'avaient pas l'esprit
créateur, mais- ils ont suppléé à tout ce qui leur manquait de ce côté
par leur énergie et leur ténacité ; ils y joignaient une rare facilité de
tout s'assimiler ainsi que l'amour de la somptuosité et le culte de la
forme, qui ont toujours distingué les peuples sémitiques. On chercherait
vainement quelque autre idée dans cette civilisation si brillante ; l'idée
morale était à peu près étrangère aux Assyriens, lis ne croyaient pas
non plus à une vie future, jamais ils n'en parlent; sans doute, dans la
légende chaldéenne du déluge, nous voyons Hasisadra divinisé pour
sa piété, mais ces idées semblent être restées, pour les Assyriens
en tous cas, dans le domaine de la mythologie, et n'avoir jamais passé
dans la vie du peuple, et le prince, qui s'est confié dans la grâce d' Assour
ne lui demande , comme Ëschmounazar, autre chose qu' une heureuse exis-
tence, une longue vie, la noblesse de la race et la constance de la victoire.
IV. Sources. L'étude de l'Assyrie ne date guère que de la découverte
des ruines de Ninive. James Rich, le premier, entreprit des fouilles
aux- environs de Mossoul, sur les deux collines de Kouyoundjik et de
Neb*i-Jounous (tombeau du prophète Jonas);mais c'est à Botta, consul de
France à Mossoul, qu'appartient l'honneur d'avoir retrouvé les ruines
de Ninive; après quelques recherches infructueuses à Kouyoundjik, il se
transporta quatre lieues plus loin vers le nord, à Khorsabad, et mit à
découvert le palais de Sargon (Dour-Sarkayan). Les antiquités trouvées
par lui furent expédiées en 1846 en France et exposées au Louvre.
M. Layard a commencé ses fouilles plus tard que Botta, vers 1845 ; il
n'a pas le mérite de la découverte, mais ses fouilles, poursuivies avec une
rare persévérance, ont été beaucoup plus fructueuses encore. Il commença
par rendre à la lumière la ville de Kalah, au sud de Mossoul, sur l'em-
placement du village actuel de Nimroud (1845-1847 et 1849), et n'y
découvrit pas moins de quatre grands palais, celui du Nord-Ouest ou de
Salmanasar Ier (vers 1300), restauré par Assur-Nazir-Habal (vers 900),
celui du Centre (ou de Tiglathphalasar de la Bible), enfin celui du
Sud-Ouest ou d'Essarhaddon. Plus au sud encore, il retrouva les
ruines de la ville d'Elassar, sur la rive droite du Tigre, sous le
monticule qui porte le nom de Kalah- Shergat ; mais ses découvertes
les plus importantes eurent lieu sur l'emplacement même de Ninive.
Il reprit les fouilles qui avaient été abandonnées sur les collines de
Kouyoundjik et de Nebi-Jounous, et il trouva dans la deuxième de
ces collines les palais de Sennachérib et d'Essarhaddon; dans
la première, au contraire (palais du Sud-Ouest), un second palais
de Sennachérib, reconstruit par son petit-fils Sardanapale. C'est dans
ce dernier qu'on a retrouvé la bibliothèque de Sardanapale. Le résul-
ASSYRIE 667
tat de ces fouilles, continuées par Loftus, a été déposé au British-
Musaeum. — Le déchiffrement des inscriptions cunéiformes en langue
assyrienne ne date guère que des environs de 1850. Depuis quelques
années déjà on lisait les inscriptions cunéiformes en langue perse
que Ton trouve à Van, à Persépolis, sur les rochers de Béliistoun, et
qui sont alphabétiques. Burnout' avait déjà soupçonné le caractère
sémitique des inscriptions assyriennes; après quelques nouveaux
essais de MM. de Longpérier, Lœwenstern, de Saulcy, ce caractère fut
définitivement établi par Sir H. Rawlinson, qui publia, en 1851, le
premier grand texte assyrien avec sa traduction. Hincks fit faire un pas
décisif à ces études en démontrant que récriture assyrienne était
syllabique et non pas alphabétique. Enfin, la grammaire assyrienne a
été réellement fondée par M. Oppert. Ses travaux ont été continués
et répandus par MM. Menant et Fr. Lenormant, et dans ces
derniers temps, en Allemagne, par MM. Schrader,Fr. Delitzsch, etc. En
Angleterre, toute une école d'assyriologues continue la tradition de
Sir H. Rawlinson. — Les ouvrages fondamentaux sur cette matière sont :
Botta et Flandin, Monuments de Ninive, Paris, 1846-1850,5 vol. in-fol. ;
Layard : Niniveh and its remains, Londres, 1849, 2 vol. in-8; le même,
Discoveries in the ruins of Niniveh and Babylon, Londres, 1853, 1 vol.
in-8, et Monuments of Niniveh, I and II séries, Londres, 1849-51, 2
vol. in-fol.; Loftus, Chaldœa and Susiana, Londres, 1856, 1 vol. in-8;
Rawlinson and Norris, Cuneiform inscriptions of luestem Asia, Londres,
4vol. in-fol., inachevé; George Smith, Assyrian discoveries, Londres, 1875,
in-8. — Histoire du déchiffrement et grammaire : Oppert, Grammaire
assyrienne, Paris, lrc éd., 1860; 2e éd., 1868,in-12; le même, Expédition
en Mésopotamie, Paris, 1858-1863, in-4 ; Menant, Eléments delà gram-
maire assyrienne, Paris, 1868, in-8 ; le même, Le syllabaire assyrien,
Paris, 1869-1873, 2 vol. in-4 ; Lenormant, Choix de textes cunéiformes,
Paris, 1873, in-4; le même, Lettres assyriologiques, Paris, 1871 ss. in-4;
Norris, Assyrian dictionnary,$ vol., allant jusqu'au Noun ; Schrader,
Die assyrisch-babylonischenKeilinschriften, Leipzig, 1872, in-8. —Histoire
générale : Rawlinson, The early history of Babylonia, Londres,
1851, in-8; Vaux, Niniveh and Persépolis, Londres, 1850, etc.; G. Raw-
linson, The five great Monarchies of the ancient ivorld, Londres, 1862-
1867, 4 vol. in-8; le même, Herodotus, Londres, 1858-1860, 4 vol.
in-8 ; Lenormant, Manuel d'histoire ancienne de l'Orient, t. I, Paris,
1869, in-12; Maspéro, Histoire ancienne des peuples de l'Orient,
Paris, 1873, in-12. — Monographies : Niebuhr, Geschichte Assur's
und Babels seit Phul, Berlin, 1857 ; Oppert , Histoire des empires
de Chatdée et d'Assyrie, lre partie, Paris, 1865, in-8; le même et
Menant, Grand,; Inscription du palais de Khorsabad, Paris, 1863 ;
1(3 même, Les Inscriptions assyriennes des Sargonides et les fastes
de Ninive; Ami. de Phil. Ghr., t. VI, 5,: série, 1863; Menant, Anna-
les des rois d'Assyrie, Paris, 1874, in-4; George Smith, History of
Assurbanipal, London, 1 S 7 1 , in-4; le même, The Assyrian Eponym.
en, .on. London, s. d., in-8 ; Waldemar Schmidt et Schrader, Die
Keilinschr. u. das A. Test., Giessen, 1872, in-8; Oppert, Mémoire
m ASSYRIE - ASTRES
sur les rapports de l'Egypte et de l'Assyrie dans l'antiquité, Ac. des
inscr., Savants étrang., t. VIII, lre p., Paris, 1869, in-4 ; le même, La
Chronologie biblique, Annales de Phil. Chr., t. XIX (5° série), p. 75;
le même, Salomon et ses successeurs, ibidem, 6e série, t. IX, p. 259
ss., 325 ss., X, p. 183 ss., 393 ss., XI, p. 35 ss., 91 ss., 204 ss.; le
même, Grundzùge der assyrischen Kunst, Basel, 1872; le même,
L'Etalon des mesures assyriennes, Paris, 1875 ; Tegner, Finzi et en
dernier lieu Delitzsch, Assyrische Studien, lepfasc, Leipzig, 1874,
in-8. — Mythologie : Lenormant, Fragments cosmogoniques de
Bérose, Paris, 1872, in-8; le même, La légende de Sémiramis, Acad.
de Belgique, Mémoires, t. XL, 1873, in-4 ; George Smith, Chaldxan
account of Genesis, Londres, 1875, in-8, traduit en allemand par
Hermann Delitzsch avec des explications et des notes de Friedrich
Delitzsch, Leipzig, 1876, in-8 ; enfin, de nombreux textes, tant histo-
riques que mythologiques, ont été publiés par ces divers savants dans
les Records of the passt, tom. I-VII, Londres, s. d. in-12, et dans
les revues savantes. Ph. Bergek.
ASTAROTH. Voyez Bosra.
ASTARTÉ, nom d'une divinité phénicienne. Voyez Phénicie.
ASTIER (Gabriel), prophète cévenol du Vivarais, tint tête aux dra-
gons du roi avec plusieurs milliers d'inspirés qu'il était parvenu à sou-
lever. Il fut condamné à mort, et exécuté le 2 avril 1689 (voy. France
protest., 2eédit., I, p. 419).
ASTIER (Jean-Pierre) [1757-1839], pasteur fidèle et courageux qui
exerça le ministère dans quelques Eglises riveraines du Rhône,
sous la Révolution et dans les temps plus calmes qui suivirent
la chute de l'Empire. Il a laissé un certain nombre d'écrits dont on
trouvera rénumération dans l'article que lui a consacré M. Arnaud
dans la France protestante.
ASTRES (Culte des). Les habitants de la Babylonie reconnaissaient
pour leurs dieux le soleil, la lune et les cinq planètes alors connues,
savoir : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne (Diodore de Sicile,
II, 21). Des religions analogues étaient établies dans une partie de
l'Arabie, dans la Syrie, la Phénicie, à Carthage, et dans la plupart
des contrées de r Asie-Mineure. Les Israélites, malgré les prescrip-
tions mosaïques (Ex. XX, 3, 4, 11; Deut. IV, 19 et XVII, 2-5) et les
continuelles exhortations des prophètes, restèrent aussi, presque jus-
qu'à la captivité de Babylone, des adorateurs aveugles des divinités
sidérales (Schenkel, Bibel-Lexicon, V, 393-398), soit qu'ils ne pussent
résister à l'exemple des peuples voisins, soit qu'ils cédassent à d'an-
ciennes coutumes (Amos V, 25-27), soit enfin qu'ils fussent entraînés
par quelque instinct de race. Les pays où domina dans l'antiquité
l'astrolâtrie étaient peuplés presque exclusivement d'hommes de race
sémitique. L'astrolâtrie n'a pu prendre naissance qu'au milieu des
peuples adonnés à l'agriculture, selon toutes les vraisemblances dans
la Mésopotamie, renommée dans l'antiquité pour ses grands travaux
agricoles (Hérodote, II, 185 et 193), et que sous l'action de sentiments,
de conceptions, de besoins et de désirs propres à des agriculteurs. Elle
ASTRES GGO
fut aussi, il est vrai, la religion dos Phéniciens, dont les conditions
d'existence étaient fort différentes; mais on peut croire qu'ils la reçu-
rent des peuples voisins, et (Tailleurs ils purent se l'approprier d'au-
tant plus aisément que l'influence des astres n'est pas de moins grande
importance pour des navigateurs que pour des agriculteurs, quoique
pour d'autres raisons. Que cette i'orme de religion soit issue de la vie
agricole, c'est ce qui se montre aussi bien dans la nature des concep-
tions qu'on se faisait des astres divinisés que dans la nature des bienfaits
qu'on en attendait. Si le soleil était invoqué comme le plus puissant
des dieux, comme la source de tous les biens, comme le protecteur et
le sauveur des hommes, c'est qu'on avait remarqué que par sa cha-
leur et sa lumière il vivifie et féconde la terre, et fait éclore et mûrir
les fruits des champs. On se lamentait sur sa mort (la suspension de
son action bienfaisante) après l'équinoxe d'automne ; on célébrait sa
résurrection vers l'équinoxe du printemps, au moment où il allait
rendre la vie à la nature entière. La lune avait des droits aux homma-
ges des humains, non pas seulement parce qu'elle leur fournissait un
facile moyen de mesurer le temps, chose importante pour la conduite
des travaux agricoles, mais encore et surtout parce qu'on lui supposait
une influence marquée sur la croissance des végétaux et l'état de leurs
fruits, et même sur la santé des animaux et des hommes, préjugés qui,
depuis les temps reculés, sont restés enracinés dans l'esprit des habi-
tants de la campagne (Pline, Histoire naturelle, II, 39 et 40). Les pla-
nètes, à ce qu'on croyait, n'étaient pas sans exercer une action sur la
terre et principalement sur les phénomènes atmosphériques, le vent,
la pluie, etc. Des peuples nomades ou chasseurs se seraient fait d'au-
tres idées de ces sept astres et en auraient attendu des bienfaits d'un
autre genre ; des agriculteurs pouvaient seuls les considérer dans leurs
rapports avec les productions de la terre. Si maintenant on admet avec
Platon (Epinom.) que l'homme prend pour ses dieux ce qu'il croit être
la cause des biens qui lui arrivent, on ne sera pas étonné que, dans
des pays agricoles, des corps célestes auxquels on attribuait une si
grande influence sur les travaux des champs aient été invoqués comme
les pères et les protecteurs du genre humain. Dupuis attribue une
antre origine à l'astrolàtrie. Il est d'avis qu'elle dérive de l'astronomie,
et il voit dans la mythologie de ce culte une exposition allégorique, à
l'usage de la foule, des résultats auxquels cette science était arrivée
(Unis la Babylonie. C'est à la fois, ce me semble, intervertir l'ordre na-
turel des choses et se faire una idée complètement erronée de la nature
et de l'origine des mythologies. Partout la religion a précédé la science,
el certainement dans l'antique Babylonie le culte des astres provoqua
la formation d'une science astronomique, et n'en fut pas simplement
une forme populaire et dérivée. D'un autre côté, le mythe ne se pré-
sente nulle part comme le fait de combinaisons savantes et artificielles:
il a été toujours et partout le produit spontané de l'imagination exaltée
par quelque sentiment religieux. Il n'y a pas plus de raison de voir,
dans le culte des astres, la religion primitive dont toutes les autres ne
seraient que des transformations diverses. Cette opinion de Dupuisest en
670 ASTRES — ASTRONOMIE
opposition avec l'histoire. On sait aujourd'hui qu'à côté de l'astrolàtrie,
propre aux populations de laBabylonie, de la Syrie, de la Phénicie, etc.,
il existait en même temps une religion naturaliste parmi les Indo-Eu-
ropéens primitifs ; jusqu'à présent il n'y a pas la moindre preuve que
l'une dérive de l'autre, et de ces deux religions, ce n'est pas la pre-
mière qui a été la plus féconde. On ne saurait refuser à Dupuis le mé-
rite d'avoir un des premiers saisi les analogies qui se trouvent entre
les mythologies des divers peuples de l'antiquité ; mais de son temps
on manquait encore des connaissances nécessaires pour se faire une
idée exacte des origines réelles de ces analogies ; aussi il lui est arrivé
bien souvent de rapporter à l'astrolâtrie ce qui était en réalité une
transformation du naturalisme des Indo-Européeus. Il est tombé dans
des méprises bien autrement considérables, quand il a voulu appliquer
sa thèse au judaïsme et au christianisme, dans lesquels il n'a pas su
reconnaître une famille de religions tout autre que celle du culte des
astres et du culte des forces de la nature. De cette astrolâtrie, dont il
prétend faire dériver toutes les autres formes religieuses, il n'est guère
venu jusqu'à nous, en outre des préjugés populaires touchant l'in-
fluence de la lune sur les végétaux, que l'institution de la semaine et
sa division en sept jours. — Sources : Selden, De diis syris syntagmata,
II, 1617, dernière édition augmentée, 1672; Mùnter, Die Religion der
Karthager, Copenhague, 1816; 2e édit., 1821 ; Guigniaut, Religions de
l'antiquité, t. II; F.-C. Movers, Die Religion und die Gottheiten der
Ph'nizicr, Breslau, 1840; Chwolron, Ueber die Ueberreste der Alt-
babyl. Literatur, 1859; Die Sabier, 1856, 2 vol.; Ueber Thammuz,
1860; Hincks, Assyrian Mythology; Felice Finzi, Ricerche per la
studio deir antichita assira, Torino, 1872, p. 433-554; Rawlinson, On
the assyr. Mythol. M. Nicolas.
ASTROLOGIE. Voyez Sciences occultes.
ASTRONOMIE chez les Hébreux. Les anciens Israélites, d'après le té-
moignage de la Bible, ne savaient que fort peu de chose du ciel étoile.
Il va sans dire que nous ne trouvons chez eux aucune trace d'astrono-
mie scientifique. Tout se bornait aux observations que pouvait faire le
pâtre (Amos V, 8) conduisant ses troupeaux sur les pâturages et les
steppes de la Palestine. Les patriarches déjà se sentaient attirés par la
mystérieuse splendeur du ciel étoile (Gen. XXXVI, 9). Ils distinguaient
le soleil et la lune, en raison de leur dimension et de leur éclat, des
autres étoiles, et les appelaient les luminaires célestes (Gen. I, 16) ; ils
divisaient le temps d'après le cours de la lune, et célébraient par des
sacrifices et des banquets, au son des trompettes, le retour de la nou-
velle lune (Nomb. XXXIII, 11-25 ; Es. 1, 13 ; Ezéch. XLVI, 1 ss.; 1 Chron.
XXIII, 31 ; 2 Chron. II, 4 ; VIII, 13; Esdras III, 5). L'ensemble des étoi-
les était appelé l'armée céleste (çebâ h acharnai m, EsaïeXL, 26;
Jérém. XXXIII, 22, etc.). Cette expression comprend le plus souvent
aussi les anges. Le livre de Job, qui, dans son langage poétique, per-
sonnifie les étoiles, comme des êtres vivants (XXXVIII, 7), essaie de les
distinguer les unes des autres (IX, 9; XXXVIII, 31 ss.). Sont, en géné-
ral, désignés dans la Bible : 1° l'étoile du matin (hélél, Esaïe XIV,
ASTRONOMIE - ATAROTH 071
12, la planète Vénus) donl le nom signifie brillante, parée que son
éclat devait frapper les regards de chacun (Ecclésiastique L, 6; Apoc.
II, 28; XII, 16); 2° les Pléiades (kimàh, Job IX, 9; XXXVIII, 31;
Amos V, 8); 3° l'Orion (Jiesil on nephilâ, Job XXXVIII, 31; Prov.
Vil. 22) <[ue les Hébreux se représentaient comme un géant enchaîné
au ciel ou montant à Tassant contre Dieu; &° la grande Ourse ( *ach,
Job IX, 9) avec ses trois enfants, c'est-à-dire les trois étoiles formant
sa queue (Job XXXVIII, 32) ; 5° le Dragon (nàkhâch, Job XXVI, 13)
entre la grande et la petite Ourse; 6° les Gémeaux: ' (Aio<jxoupot, Act.
XXVIII, 11), au bord de la voie lactée. Il n'y a point de trace dans la
Bible d'une division en planètes, étoiles iixes et comètes. D'autres peu-
ples, tels que les Phéniciens, les Chaldéens et les Egyptiens, dont les
s plats invitaient particulièrement à l'observation des astres et dont
les occupations la rendaient même nécessaire, surpassaient de beau-
coup les Hébreux dans leurs connaissances astronomiques. — Voyez"
Ideler, Untersuch. ùb. den Ursprg u. die Bedeutg der Sternnamen,
Berl. 1809; Neumann, Zusammenstellg aller astrognost. Benennung . im
A. T., Bresl. 1819; Winer, Bibl. Bealicorterb., II, p. 609 ss.
ASTRUC (Jean) [1684-1766], célèbre critique, était originaire d'une
famille du Languedoc. Son père, pasteur protestant à Sauve, près
d'Alais, embrassa le catholicisme à la suite de la révocation de l'édit
de Nantes. Astruc étudia la médecine, s'acquit une grande réputation
par ses connaissances et son talent d'exposition,* fut attaché pendant
quelque temps à la personne du roi Auguste de Pologne, ainsi qu'à
celle de Louis XV, et devint en 1743 professeur à la Faculté de méde-
cine de Paris. La postérité le connaît surtout par deux ouvrages qu'il
a composés dans sa vieillesse : 1° Conjectures sur les mémoires originaux
Aont il paroit que Moyse s'est servi pour composer le livre de la Genèse,
avec des remarques qui appuient ou qui éclairassent ces conjectures7
Bruxelles (Paris), l7o.'>, in-12; 2° Dissertations sur l'immatérialité et
l'immortalité de l'âme, 1755, in-12. L'auteur (fui, pour éviter le
reproche d'hérésie, jugea à propos de faire paraître ses Conjectures
-'•Un le voile de l'anonyme, soutient, l'un des premiers, l'opinion que
la Genèse n'est qu'une compilation de divers fragments écrits par des
auteurs inconnus, en partie même étrangers au peuple hébreu, que
.Moïse n'a fait que ranger dans un ordre chronologique. Il se fonde sur
les relations multiples d'un seul et même fait, sur les contradictions
que présentent plusieurs récits, sur les noms différents donnés à Dieu
dans ces fragments (Elohim, Jéhova, etc.). Nous renvoyons le lecteur
pour l'examen de cette opinion à l'article Genèse. Pue traduction alle-
le de l'ouvrage d'Àstruc parut en 178:5 ; mais, dès 17Vt, une ana-
eritique en tut donnée par les Gelehrte Ahz<<igen de Gœttingue
(P.) sept.) et par Les Relat.de librisnovis,\\,\). 162 ss., attribuées Tune
et l'autre à Michaëlis. Voy. ;mssi : Eichhorn, Einl. in 8 A. T., 1781,
11. g 'i H). ainsi que les diverses introductions critiques à l'Ancien Tes-
tament;
ATAROTH, « la couronne », nom de plusieurs Localités anciennes et
modernes en Palestine!. Il \ en avait deux dans la tribu d'Ephraïro,
672 ATAROTH — ATHANASE
Tune au nord, sur le Jourdain (Jos. XVI, 7), l'autre (Atarothadar),
près de la frontière de Benjamin; les ruines tVAtâra, à 40 min. S.-O.
&"el-Bireh (Beeroth), répondent sans doute à cette dernière. Le livre
des Chroniques (1 Chr. il, 54) parle aussi d'un Atamth Beth Joab dans
la tribu de Juda; eniin, on en connaît deux à Test du Jourdain
(Nombr. XXXII, 3, 34 et 35). L'emplacement du premier est marqué
par les ruines d'Attârus au pied du mont Attârus, celui du second est
inconnu.
ATERGATIS. Voyez Derceto.
ATHALIE['Athalliâ],filled'Achab, roi d'Israël, et de Jézabel. Elle
épousa Joram, roi de Juda. Après la mort de son lils Achazia, elle
usurpa le trône et fit égorger tous les membres mâles de la famille
royale (pourtant 2 Rois X, 13 ss. il est question de frères d'Achazia).
Les prêtres parvinrent à soustraire à sa fureur son petit-fils Joas, grâce
au concours que leur prêta la princesse Josabeth. Joas fut élevé dans le
temple par le grand-prêtre Joad qui le fit sacrer roi. Atlialie fut tuée
dans une émeute soulevée par les prêtres, après un règne de six ans
^884-878 av. J.-C). La part que le livre des Chroniques attribue aux
lévites dans cette révolution est sans doute exagérée (2 Rois XI ;
2Chron. XX, 10; XIII, 21).
ATHANASE (Saint), né à Alexandrie vers la fin du troisième siècle,
passa probablement quelques années de sa jeunesse dans le désert de
la Thébaïde, auprès "de saint Antoine, dont il resta l'admirateur et
l'ami ; puis il fut ordonné diacre (vers 319) par l'évêque d Alexandrie,
Alexandre. Il accompagna celui-ci au concile de Nicée, sur les décisions
duquel il exerça une influence prépondérante, et' il lui succéda en 328.
11 mourut le 2 mai 373 à Alexandrie, après avoir été cinq fois exilé par
l'autorité impériale (1° par Constantin, 335-338; 2° et 3° par Constance,
341-346 et 356-362; 4° par Julien, en 363; 5° par Valens, 367), pour la
fermeté inébranlable avec laquelle il avait maintenu debout la doctrine
de Nicée en face des tendances ariennes de la cour et des efforts des
empereurs pour amener une transaction entre l'orthodoxie et l'aria-
nisme, dans l'intérêt de la tranquillité de l'Etat. De là son surnom de
« Père de l'orthodoxie » (voy. les détails de sa biographie dans l'art.
Arianisme) . Athanase combattit l'hérésie arienne avec l 'intolérance natu-
relle d'un esprit absolu qui voit le christianisme tout entier mis en pé-
ril par la négation de la divinité de son fondateur, et qui attribue di-
rectement l'erreur dogmatique à l'impiété personnelle de ses partisans.
Véritable représentant de la tradition et de l'unité catholiques au qua-
trième siècle, défenseur opiniâtre de la liberté de l'Eglise vis-à-vis de
l'ingérence hostile de l'Etat dans les affaires religieuses, il a joué à son
époque, en Orient, le rôle de chef spirituel de la chrétienté, que les
événements devaient faire passer dans la suite entre les mains des
évêques de Rome. Ses ouvrages, hormis ses deux apologies de la vé-
rité chrétienne intitulées Contre les Grecs et De l'incarnation du Dieu-
Verbe, qui ont paru avant le commencement de la querelle arienne
et dont la seconde contient une véritable philosophie de la religion,
portent la marque des circonstances au milieu desquelles ils ont vu
ATHANASE 673
le jour; qu'ils soient historiques ou dogmatiques, leur tendance esl
toujours apologétique et polémique. Les principaux d'entre eux ont
pour titre : Circulaire aux évêques (341); Apologie contre les ariens
i entre 346 et 351); Des décrets <h> synode de Nicée (entre 351 et 355) ;
Apologie à ^empereur Constance; Apologie sur sa fuite; Quatre discours
contre les ariens; Histoire des ariens écrite pour les moines; Des synodes
de Rimini et de Séleucie; Quatre lettres à Sérapion sur la divinité du
Saint-Esprit: Deux livres contre Apollinaire (entre 356 et 362) ; eniin il
reste <le lui une Vie de saint Antoine, écrite pour les évêques d'Oecir
dent, afin de taire eonnaître et d'introduire le monachisme oriental
dans cette partie de l'empire (entre 356 et 373), une Explication des
Psaumes sans date connue, et des Lettres, parmi lesquelles un certain
nombre de lettres pascales renfermantdes détails biographiques intéres-
sants. — Le centre de la théologie d'Athanase est, comme pour l'école
d'Alexandrie à laquelle il se rattache, la notion spéculative du Verbe.
L'unité de l'univers ne peut s'expliquer, d'après lui, que par l'unité du
Créateur: comment une multitude de dieux indépendants l'un de l'autre
et souvent ennemis entre eux, auraient-ils pu produire une œuvre
aussi harmonieuse ? Cet être plus élevé que le monde, puisqu'il le di-
rige, ne peut être, d'après le but même qu'il a assigné au monde, que
le Dieu saint, Père de Jésus-Christ. L'ordre parfait qui règne dans l'u-
nivers montre que c'est par sa Sagesse, par son Verbe, que Dieu a créé
et organisé toutes choses. C'est à l'image du Verbe que l'homme a été
créé, c'est-à-dire il a reçu dans sa nature périssable et linie l'em-
preinte impérissable et infinie du Verbe, grâce à laquelle son âme pos-
sède non-seulement la connaissance de Dieu et l'immortalité, mais en-
core la faculté de s'élever, dès la vie présente, au-delà des limites
de ce inonde, jusqu'à la conscience de son union parfaite avec Dieu
(irpo? ®£ov y.y-xryr^'.;) et les anges, bienfaits qu'elle doit à la grâce di-
vine, non à sa nature propre. Le monde extérieur porte également sur
lui l'empreinte du Verbe : aussi l'àme s'y meut-elle comme dans un
domaine qui lui est familier et dans lequel elle se retrouve elle-même.
L'image du Verbe unit l'homme à la fois à Dieu et au monde; c'est
par elle que la véritable intelligence du Créateur et des créatures lui
est ouverte. Mais l'homme a été créé libre; en outre, Dieu lui a donné
une loi qui devait être pour lui un soutien et un guide dans son inex-
périence. L'homme savait que s'il obéissait à cette loi il bannirait de
-a nature la contingence qui lui était propre et ferait régner en elle à
jamais tous les dons contenus dans l'image divine; mais que, s'il la
transgressait, il se priverait à jamais de ces dons et tomberait tout en-
tier au pouvoir de la contingence inhérente à sa nature. Par le péché,
l'homme esl déchu de la hauteur intellectuelle et morale où la grâce
de Dieu 1 avait placé; la connaissance et l'amour de Dieu ont disparu
de son âme; le mal est apparu dans le monde. Dieu n'a point créé le
mal; l'homme seul l'a inventé : aussi n'a-t-il pas de substance; il u'esl
que néant. L'homme depuis lors a perdu sa liberté; la multiplication
despéchés lui a donné un désir immodéré de pécher; tout a été boule-
versé dans sa nature; le mal lui parait être le bien; au lieu d'être le
674 ATHANASE
maître de l'univers, il en est devenu l'esclave : il en a fait son Dieu, et
il est allé jusqu'à représenter la divinité sous des formes matérielles. Que
fera Dieu en présence de cette ruine du genre humain? D'un côté, il ne
peut empêcher la loi qu'il a établie contre le péché, la mort, d'avoir son
effet; de l'autre, sa bonté infinie l'empêche d'abandonner l'humanité à
sa perte ; bien plus , son honneur lui fait un devoir de ne pas laisser
anéantir son œuvre par la malice des démons. Il a pu créer le monde par
un signe de sa. main, alors que sa volonté était encore la seule qui exis-
tât ; il ne peut le sauver par un simple signe, car ce serait vis-à-vis de
l'homme un acte de violence, dont les effets ne pourraient même être
que momentanés, sans présenter aucune garantie contre lé retour pro-
chain du mal et la nécessité d'un nouveau signe dans l'avenir. L'homme
pourra-t-il se sauver lui-même par le repentir? Il le pourrait, si la loi
de la mort n'existait pas : la résolution de ne plus pécher pourrait, en
effet, être une garantie suffisante contre les péchés futurs ; elle n'aboli-
rait pas les péchés passés que cette loi doit punir, au nom de la véra-
cité de Dieu. D'ailleurs, comment cette résolution seule rendrait-elle à
l'homme les dons de la grâce divine qu'il a perdus? Celui qui a créé le
monde peut seul le sauver : « quand un portrait a été brisé, il ne peut être
rétabli que par la présence de la personne même qu'il représentait. »
Il est donc nécessaire que le Fils vienne lui-même dans le monde, et il
le peut, carie monde est sa propriété; il peut tout aussi bien habiter
dans un corps humain, partie infime de l'univers, que dans le corps
de l'univers même. D'ailleurs, quoique contenu tout entier dans un
corps charnel, il n'en cesse pas pour cela de demeurer dans le sein du
Père et d'animer le corps de l'univers; ses pensées, en effet, ne sont
pas de simples représentations des choses, comme celles des hommes,
mais des forces qui agissent réellement sur elles et en elles. Pour ac-
complir son œuvre, le Fils a dû s'incarner, car c'est dans le corps que
le péché et la mort ont leur siège ; c'est dans le corps que la vie doit
se manifester pour les combattre. S'il, était venu dans l'éclat de sa
gloire céleste, il eût pu exciter l'étonnement et l'admiration, éblouir
les yeux, mais non toucher les cœurs. Comme ce n'est pas un être
d'un ordre supérieur à l'homme qu'il est venu sauver, il a dû se faire
en tout point semblable aux hommes et vivre au milieu d'eux, afin que
ceux qui n'étaient plus capables de contempler des yeux de l'esprit sa
puissance invisible et de reconnaître son activité dans l'harmonie de
l'univers, le reconnussent aux œuvres qu'il accomplissait tout près
d'eux. En tant que Dieu, il a fait des miracles et donné des enseigne-
ments sublimes ; en tant que revêtu d'un corps charnel, il a été sujet à
la souffrance et au changement et s'est attribué une nature moins par-
faite que celle du Père. Ces deux côtés de son être doivent être main-
tenus et distingués avec un soin égal : nier l'un, c'est nier l'utilité de
l'apparition entière de Christ; si sa chair n'a pas été une vraie chair,
il a pu tout aussi peu sauver le monde que s'il n'a pas été le vrai Fils
de Dieu. Son œuvre a été, d'un côté, de rétablir dans les hommes, par
son séjour terrestre, l'image immortelle de Dieu; de l'autre, de dé-
truire le péché et son châtiment par sa mort et sa résurrection. Pour
ATHANASE 075
racheter les hommes, il a livré son corps à la mort ; mais parce que ce
corps avait servi de demeure au Verbe divin, la mort n'a pas eu le
pouvoir de le détruire comme les autres. Ainsi s'est opéré un double
miracle : toute l1 humanité, dont Christ est la tête, est morte avec lui
dans son corps; et la mort elle-même a été anéantie dans le corps
du Seigneur. En Christ, toute l'humanité a vécu, souffert, vaincu la
mort et célébré sa résurrection. Les hommes ont été rétablis par lui
dans leur communion première avec Dieu; une vie nouvelle a été
créée ici-bas, toute d'amour, de patience et d'abnégation; l'idolâtrie
a été abattue, et la disparition des dieux nationaux a amené sur la
terre l'unité religieuse en réunissant les hommes de tous les pays
<lans l'adoration d'un même Christ. La place éminente que la no-
tion du Fils occupe dans cette théologie fait comprendre l'ardeur
avec laquelle Athanase a combattu le principe arien d'après lequel le
Fils ne serait qu'une créature du Père. Selon lui, Christ n'a plus aucune
valeur pour la conscience chrétienne s'il n'est pas conçu comme égal
au Père, quant à l'essence et quant à l'éternité, c'est-à-dire comme en-
gendré de la substance du Père. La doctrine arienne lui paraissait
incompatible avec la notion métaphysique du Père, et avec celle du
Fils. La faculté d'engendrer, contenue dans le mot « Père », appartient
ii« '■< vssairement à la substance divine; c'est une action éternelle et im-
manente de la substance sur elle-même et dans laquelle la puissance
créatrice de la volonté doit avoir son fondement, si l'on ne veut attri-
buer à la volonté une énergie productive que contredirait l'inertie de
la substance qui est à la base de la volonté. Dieu ne crée par la volonté
qu'à la condition d'avoir engendré par la substance, ou, comme le dit
l'Ecriture, il ne crée que par l'intermédiaire du Fils. Cette génération,
qui a son principe dans le fond même de l'être de Dieu, est aussi natu-
relle à Dieu que sa bonté et sa sainteté : les catégories morales de la
liberté et de la contrainte ne lui sont plus applicables. C'est donc de la
substance de Dieu que le Fils est engendré d'éternité. En outre, il se-
rait bien indigne du Père d'avoir pour Fils une créature dont le nom
figurerait sur la même ligne que le sien dans la formule du baptême
établie par Christ, et d'avoir eu besoin, soit par orgueil, soit par fai-
blesse, d'un médiateur créé pour créer le monde, médiateur dont
la création eût nécessité elle-même l'intervention d'un autre média-
!<'iu\ Si le Fils est une créature, il est indigne du nom qu'il porte;
il a beau être la première créature du Père et se distinguer du reste
des hommes par sa pureté morale, il ne diffère d'eux, en réalité, que
par le degré et non par la substance. S'il n'est appelé Sagesse que
par grâce, parce qu'il a plu à Dieu de lui communiquer une sagesse
qu'il m- possède pas substantiellement en lui, il peut un jour perdre;
ce nom, car il peut désapprendre ce qu'il a appris. De plus, il ne peut
être 1<" créateur du inonde, car il est contradictoire de placer dans une
créature le principe d'activité auquel elle doit sa propre existence:
l'origine du monde peste «loue sans explication, car il n'y a plus de
moyen terme entre L'infini et le fini. Enfin, la révélation et la rédemp-
tion sont également impossibles. Loin de les unir à Dieu, le Fils n'a
676 ATHANASE
pu révéler aux hommes, par son apparition, que la distance qui les en
sépare ; la connaissance parfaite du Père est restée aussi étrangère aux
hommes qu'elle Test au Fils, et la sainteté de Dieu n'a pu être mani-
festée ni aux hommes pour les purifier ni au diable pour briser sa
puissance, par un être dont la nature est soumise aux mômes change-
ments que la nôtre. De même, étant lui-même sujet à la mort, il n'a
pu donner sa vie pour* l'humanité; notre salut, dont il est le fonde-
ment, n'a pas .été préparé en lui d'éternité; il n'a pu pardonner les
péchés et donner l'Esprit, ce qui n'appartient qu'à Dieu; le péché et
la mort régnent encore. La divinité du Saint-Esprit a été pour Atha-
nase la conséquence nécessaire de celle du Fils. L'Esprit, en effet,
renouvelle et sanctifie les âmes; il nous met en communion avec le Fils
et le Père. Comment serait-il une créature, qui eût elle-même besoin
d'être sanctifiée par lui? Le Père et le Fils sont en lui comme il est en
eux; les trois personnes sont égales et consubstantielles, tout en con-
servant chacune sa propriété particulière. Loin de s'être formée suc-
cessivement, comme le prétendent les ariens, par un assemblage de
parties hétérogènes, ce qui ferait supposer qu'elle a été autrefois incom-
plète et imparfaite et qu'elle est encore susceptible ou d'augmentation
ou de diminution, la Trinité forme une unité indivisible et immuable.
Les ariens niaient l'existence d'une âme humaine en Christ et rédui-
saient l'incarnation du Fils à son entrée dans un corps matériel, afin de
pouvoir attribuer directement au Fils toutes les imperfections de l'hu-
manité. Athanase, clans son ardeur à relever sans cesse la divinité abso-
lue du Fils, est tombé d'abord dans le même défaut : le Verbe, selon
lui, est devenu homme en revêtant un corps charnel; il n'a pas connu
les souffrances et les imperfections inséparables de la nature humaine,
car l'âme humaine, seule capable de les ressentir, faisait défaut chez
lui. C'est par accommodation pour nous qu'il s'est attribué parfois cer-
taines imperfections, pour nous faire entendre, par exemple, qu'il nous
est bon d'ignorer l'heure de la fin du monde. Athanase s'est approché
ainsi, sans le vouloir, très-près du docétisme : quelle certitude, en effet,
avons-nous que cette accommodation, constatée en plusieurs occasions,
ne s'est pas étendue à toute l'apparition humaine du Sauveur, puisque
tout ce qui est humain lui est resté tellement étranger? Vers la fin de sa
vie, cependant, il a modifié cette manière de voir dans sa polémique
contre l'apollinarisme : il est tout aussi nécessaire, dit-il alors, d'attri-
buer au Christ une âme humaine qu'un corps humain, sans quoi le Christ
n'aurait pu sauver qu'une moitié delà nature humaine et non l'homme
tout entier. — Quelque progrès qu' Athanase ait fait faire à la doctrine de
la Trinité, sa conception des rapports du Fils et du Père n'est pas en-
core complètement débarrassée de certaines notions plus anciennes et
plus rudimentaires, dont la présence à côté de formes dogmatiques
plus développées constitue, d'après Baur, le caractère particulier de sa
christologie. D'un côté, il affirme que le Fils n'est ni un simple attri-
but du Père ni une partie de son essence, mais un sujet parfaitement
distinct et indépendant du Père; de l'autre, il répète encore, pour se
représenter les relations de ces deux personnes divines, les vieilles ima-
ATIFANASE G77
ges du fleuve qui sort de sa source, des rayons qui s'échappent d'un
foyer de lumière, etc., images tellement indispensables à la pensée
chrétienne, selon lui, que sans elles il est impossible de se faire une
idée, même lointaine, de l'être divin; il ne voit pas qu'il réduit ainsi
le Fils à n'être plus qu'un simple accident, une modification de la sub-
stance divine qui est contenue tout entière dans le Père. La doctrine
de l'émanation physique subsiste encore chez lui à côté de celle de la
génération métaphysique : il ne réussit à se représenter la diversité des
personnes divines qu'en sacrifiant leur unité substantielle; et pour se
représenter celle-ci, il est obligé de recourir à des comparaisons qui
concentrent toute la substance divine dans le Père et ne laissent au Fils
que la réalité secondaire et dérivée d'un rayon vis-à-vis du foyer même
de la lumière. De même que le symbole de Nicée, Athanase affirme
comme également indispensables, au point de vue de la conscience
chrétienne, ces deux côtés de la nature du Fils, son existence au sein du
Père et son existence comme personne distincte, sans parvenir à les
concilier. Aussi ne considère-t-il pas les expressions « consubstantiel
au Père» et «engendré de la substance du Père » comme épuisant com-
plètement la notion de l'être divin ; ces termes sont insuffisants, dit-il,
pour exprimer l'infinité de l'idée de Dieu; ce ne sont que des images
imparfaites, de simples tentatives pour définir Dieu, afin d'arriver à
nous en faire du moins une idée lointaine. « Que le fidèle se contente
sur ce point de la foi de l'Eglise et de l'enseignement donné par Jésus
dans les paroles de l'institution du baptême; etsi les chérubins arrêtent
son regard et l'empêchent de pénétrer plus avant dans le mystère de
l'être divin, qu'il se souvienne que le Seigneur a dit seulement qu'il
est et non pas qui il est. C'est une folie de vouloir atteindre avec la rai-
son humaine ce qui dépasse cette raison. » Ce n'est donc pas sur des
démonstrations métaphysiques qu'Athanase a basé sa foi en la Trinité;
c'est pour lui une doctrine de l'Eglise, que l'Eglise n'a pas inventée,
mais qu'elle tient du Seigneur pour la transmettre aux générations
futures. Les fidèles doivent l'accepter en toute humilité, « de même
que les apôtres n'ont pas demandé d'une manière insensée au Seigneur,
lorsqu'il leur a commandé de baptiser au nom des trois personnes, qui
est le Fils, qui est le Saint-Esprit et comment il se fait qu'il y a en Dieu
une Trinité, mais se sontcontentés decroire ce qu'ils avaient entendu. »
La foi religieuse d'Athanase a pour fondement l'Ecriture, interprétée
non par l'individu, car « Satan aussi a essayé de vaincre Jésus par des
passages de l'Ecriture, » mais par l'Eglise. La conscience d'Athanase
esl avant tout ecclésiastique. Selon lui, la tradition forme un tout ho-
mogène et immuable ; aussi, défend-il de rechercher les divergences
qui peuvent exister entre les Pères sur certains points de doctrine et
recommande-t-il de relever bien plutôt l'accord qui existe, au fond,
entre eux, « car ce sont tous des Pères, et ils sont tous morts au Sei-
gneur. » Avec quelle triomphante ironie ne reproche-t-il pas aux ariens
d'accumuler formules sur formules, « comme si la foi en Christ pou-
vait dater de tel on tel consulat, » au lieu de s'en tenir à l'unité de la
foi catholique, hors de laquelle il n'y a que confusion des langues! C'est
678 ATHANASE
dans cette conscience de son union avec l'Eglise qu'il a puisé non-seu-
lement le principe de sa théologie, mais encore celui de sa vie prati-
que; c'est elle qui a donné à son caractère une force et une grandeur
qui ne ressortent que plus vivement sur le fond si peu digne et si peu
noble en général des mœurs ecclésiastiques de son temps. — Les ouvra-
ges dAthanase ont été publiés par Bern. de Montfaucon, Paris, 1698,
3 vol. in-folio, et par Justiniani, Padoue, 1777, 4 vol. in-folio. Voyezla
littérature à la fin de l'art. Arianisme. A. Jundt.
ATHANASE {Symbole d'). Ce symbole (abstraction faite des articles
de condamnation du prologue et de l'épilogue) se compose de deiiK
parties. La première expose la doctrine de la Trinité sous la forme ri-
goureuse qu'elle revêtit^en Occident depuis Augustin, en excluant toute
subordination du Fils et du Saint-Esprit, en faisant procéder le Saint-
Esprit du Fils comme du Père, en donnant le nom de seul vrai Dieu,
non pas au Père, comme au principe absolu des deux autres personnes,
ni à la divinité, comme à l'élément commun des trois personnes, mais
à la Trinité tout entière, considérée comme une substance en trois per-
sonnes. La seconde partie du symbole expose la doctrine de la per-
sonne du Christ, ou de l'incarnation du Verbe, des rapports du
divin et de l'humain en Jésus-Christ, d'une manière conforme aux
décrets des quatre premiers conciles œcuméniques; elle y joint les dé-
clarations du symbole des Apôtres relatives à l'œuvre de Jésus-Christ. Une
légende tardive attribue cette exposition de la foi catholique au père
même de l'orthodoxie, à saint Athanase qui l'aurait composée, soit pen-
dant son premier exil (336), près de Trêves, dans une citerne desséchée,
soit pendant son second exil (340), à Rome, en vue du pape Jules Ier.
Presque tous les théologiens protestants (depuis Voss, Usher, Pearson,
Carpzov, etc.), et beaucoup desavants catholiques (à partir de P. Ques-
nel, Tillemont, Montfaucon, etc.) rejettent absolument cette tradition.
Le symbole quicunque, écrit originellement en latin (le texte grec est
criblé de variantes), n'use pas de la terminologie familière à Athanase,
et il dépasse sur certains points la pensée de ce Père, d'ailleurs hostile
à l'idée de composer un autre symbole après celui de Nicée. Ajoutons
que ce document ne se trouve pas dans les plus anciens manuscrits des
œuvres d'Athanase, qu'il n'est pas mentionné dans les premiers éloges
de ce Père, qu'il n'est pas cité dans les écrits du quatrième et du cin-
quième siècle, et qu'il ne joua aucun rôle aux conciles de Constanti-
nople (381), d'Ephèse (431) et de Chalcédoine (451). — Si le symbole
quicunque n'est pas d'Athanase, à quelle époque, dans quelle contrée
et par quel auteur a-t-il été composé? C'est là un problème des plus
complexes. En face des passages des écrivains ecclésiastiques qui rap-
pellent certains articles du symbole en question, il est souvent difficile
de dire où est l'original et où est la citation. Ajoutons que le nom de
« foi d'Athanase » a été appliqué, dans ces temps reculés, à une autre
profession de foi qui différait sensiblement du quicunque, au moins
pour la forme. Nous devons, enfin, constater que notre document ac-
tuel fut précédé d'une foule d' « expositions de la foi catholique »
assez semblables les unes aux autres, et qui furent comme autant d'é-
ATHANASE 670
bauches du symbole définitif. Cola dit, voici les principales données
du problème. Les écrits authentiques et supposés d'Augustin (f 430)
renferment certaines paroles qui se retrouvent plus tard presque litté-
ralement dans le quicunque. Il en est de même du Commonitorium de
Vincent de Lérins (434) et d'un ouvrage attribué à Vigile deTapses(fm
du cinquième siècle). Comme cet évoque africain écrivit plusieurs fois
sous le nom des anciens Pères, et une fois au moins sous celui d'Atha-
nase, Quesnel lui imputa la rédaction du quicunque ; mais cette hypo-
thèse, qui est encore la plus répand ue, a été abandonnée par les
critiques les plus compétents. Un manuscrit de la Bibliothèqu ambro-
sienne de Milan renferme, sous le titre d1 Expositio fidei caiholicx Fortu-
nati, l'explication de 25 à 30 articles du symbole quicunque ; Muratori
avait attribué ce traité à Venantius Fortunatus, évêque de Poitiers de
559 cà 609, mais cette conjecture est très-hasardée, et le Fortunatus
dont il s'agit peut fort bien n'avoir vécu qu'au huitième siècle au plus
tôt. Un Psautier latin aujourd'hui conservé à Utrecht reproduit le qui-
cunque définitif, sous le titre de Fides catholica : Usserius avait fait
remonter ce manuscrit aux environs de l'an 600, mais les paléogra-
phes actuels l'ont rajeuni de deux ou trois siècles. Les canons des
conciles de Tolède de 589,633, 638, 675 et 693 renferment (en nombre
croissant) des propositions théologiques et christologiques qui se trou-
vent aussi dans notre symbole ; ceux du concile de Latran de 643 font
•de même, sur une échelle moindre : mais ces canons ne disent rien
d'un symbole quicunque, et ceux du concile d'Autun qui parlent de la
« foi de saint Athanase », ne furent pas décrétés par l'assemblée tenue
sous la présidence de saint Léger (f 678), mais par un concile sans doute
postérieur. Nous arrivons ainsi à une Exposition du symbole apostolique
qui existait déjà vers 730 à Trêves, où un voyageur la transcrivit, et
qui renferme la substance ou le texte même de dix articles du quicun-
que; puis à un discours que Paulin d'Aquilée prononça en 791 au con-
cile de Frioul, discours où l'on trouve une douzaine des propositions
du quicunque, mais sans aucune mention de ce symbole (dont Ffoulkes
attribue la composition à Paulin). Viennent ensuite la profession de
foi de Denebert, évêque de Worcester (796), qui contient une partie de
la première moitié de notre document, celle de Léon III (809), qui
renferme la substance de la seconde moitié, et celle du concile d'Arles
(813), qui reproduit les propositions déjà formulées par le concile de
Tolède. Au reste, entre 800 et 803, Alcuin avait dédié à Charlema-
gne un traité sur la Trinité, avec une profession de foi de sa composi-
tion,, en grande partie tirée de saint Augustin, et dont le prétendu sym-
bole d1 Athanase parait n'être qu'un résumé. — Le quicunque était donc
en voie de formation vers la linduhuitième siècle, époque à laquelleses
«'•bauches apparaissent dans les collections d'hymnes et de prières;
mais il n'était point encore connu dans son texte définitif, ni surtout
reçu comme l'œuvre d'un Père de l'Eglise. C'est seulement vers le
premier quart du neuvième siècle qu'un fragmenl de ce symbole com-
mence a cire attribué à Athanase par 'les hommes tels que Théodulphe
d'Orléans (y 821), Agobard de Lyon (y. 820;, Hatto de Baie (évôq. 80o-
680 ATHANASE
823, f 836), Enée de Paris (év. 863-877), Ratramne de Corbie (868) et
Ado deVienne (860-870). Enfin, dès le milieu du siècle, le « discours
d'Athanase sur la foi commençant par quicunque vult, etc., » est nette-
ment invoqué par des prélats rattachés de quelque manière à la pro-
vince de Reims, comme par Hincmar de Reims (852), auquel Swainson
paraît attribuer cette fraude pieuse, Anschar de Hambourg (865), Adalbert
de Morinum (871), Riculphe de Soissons (889) et Réginon de Prum
(v. 906). Charles le Chauve possédait aussi (au plus tard en 869) le texte
du quicunque dans son magnifique Psautier illustré. Le symbole d'A-
thanase s'établit dès lors dans les collections de canons ou de psaumes
émanées de l'Eglise gallicane, et il ne tarda pas à se substituer à toutes
les règles de foi analogues. La nouvelle formule passa, au dixième siè-
cle, de France en Italie et elle îinit par prendre place dans le bréviaire
romain. On lui donna (v. 1200) le titre de symbole et Ton se mit à la
ranger à côté du symbole des Apôtres et de celui de Nicée. Le quicun-
que ne figure, cependant, ni dans la Profession de foi du concile de
Trente, ni dans le Catéchisme romain, ni dans le canon actuel de la
messe. Quant aux chrétiens grecs, ils ne connurent le symbole qu'au
onzième ou douzième siècle ; ils le combattirent assez vivement au pre-
mier abord, ils ne s'en servirent jamais sans l'avoir amendé suri1 article
de la procession du Saint-Esprit. Le quicunque est cité dans la confes-
sion de foi officieuse de Métrophane Critopoulos (1625), il figure dans
une édition privée de l' Horologion grec (Venise, 1787), et dans quelques
livres de piété russes, mais il n'a jamais été admis dans les livres offi-
ciels de l'Eglise d'Orient. Les Réformateurs, qui voulaient respecter les
trois symboles œcuméniques, ne répudièrent pasle quicunque, bien que
Calvin l'admirât beaucoup moins que Luther. Ce symbole fut confirmé
par les principales confessions de foi protestantes du seizième et du
dix-septième siècle, sauf la Confession d 'Augs bourg et celle de West-
minster. L'Eglise anglicane alla même jusqu'à le faire réciter dans l'of-
fice public de toutes les grandes fêtes. Cependant, lorsque l'inauthenti-
cité de ce document eut été prouvée par Voss et par d'autres encore, la
subtilité de ses distinctions et la dureté de ses anathèmes lui suscitè-
rent peu à peu bien des attaques. Il en a jusqu'ici triomphé dans quel-
ques-unes des Eglises réformées et dans la plupart des Eglises luthé-
riennes, où il figure encore dans les formules d'engagement des minis-
tres. L'Eglise épiscopale des Etats-Unis l'a fait disparaître de sa liturgie
(1785), et celle d'Irlande a cessé de faire réciter dans son culte ses
(( clauses damnatoires » (1875). Dans l'Eglise d'Angleterre, un parti
nombreux demande que la lecture de ce symbole devienne facultative
pour l'officiant, ou, du moins, que ses sentences de condamnation
soient supprimées. En 1689 et en 1875, on fut sur le point de donner
à ce parti une demi-satisfaction en insérant dans le Prayer-book une dé-
claration qui atténuait la portée des « clauses damnatoires » du sym-
bole, mais cette réforme a, par deux fois, échoué au port. — Sources :
Voss, De tribus symbolis, Amst. 1642; Quesnel, Opp. Leonis Ma-
gni, t. Il, diss. 14, 1675; Tentzel, Judicia eruditorum de symb. Ath.
collecta, Gotha, 1688; Montfaucon, Opp. Athan., 1698, t. II, p. 719;
ATHANASE - ATHÉISME 681
Muratori, Anecdota làttna, l(>98, t. II, p. 222; Speroni, Dr Symb.
vulgo S. Athan. diss. I et II, 1750-51 ; Waterland, A Critical History
of the Athanasian Creed, Camb., 1721 ; Sœrgel, Paralipomcna de
Symb. Ath. ex Waterland excerpta, Gœtt., 1703; Ffoulkes, The
Athanasian Creed. followed bij the appendix : The Athanasian Creed
reconsidered; Swainson, 77te Nicene and Apostles' Creeds, toqether
with an Account of the Growth and Réception of the Sermon on the
Fait h commonltj called the Creed of St Athanasius, London, 1875.
F. Chaponnière.
ATHÉISME (de à pravitif et de 0ss;, Dieu). I. Diverses espèces d'à-
théisme. Dans l'acception la plus large du mot, être athée signifie être
sans Dieu. En ce sens, il va plusieurs manières d'être athée: 1° On
peut être athée dans sa conduite. C'est cet athéisme pratique, qu'on
pourrait aussi appeler l'athéisme par oubli, que Bossuet caractérise
en ces termes : « Il y a un athéisme caché dans tous les cœurs, qui
se répand dans toutes les actions ; on compte Dieu pour rien :
on croit que, quand on a recours à Dieu, c'est que les choses sont
désespérées et qu'il n'y a plus rien à faire» (Pensées détachées).
2° Certains savants et certains philosophes admettent qu'il y a des hom-
mes et des peuples athées, en ce sens que l'idée de Dieu serait absente
de leur intelligence. Cet athéisme pourrait se nommer athéisme d'igno-
rance. La réalité n'en parait pas bien démontrée. La question n'est pas,
bien entendu, de savoir si toutes les intelligences sont capables de s'é-
lever d'elles-mêmes à l'idée du vrai Dieu ; à ce compte, les trois quarts
des hommes, peut-être même tous les hommes seraient athées d'igno-
rance ; mais on se demande seulement s'il est possible que certains
hommes, jouissant d'ailleurs des facultés ordinaires, ne se forment
aucune conception d'agents doués d'attributs analogues en nature .
mais supérieurs par le degré à ceux de l'humanité, distribuant des biens
et des maux, châtiant l'injustice et récompensant la vertu, tels, en un
mot, qu'il importe de s'attirer leur bienveillance et de ne pas encourir
leur haine. Or, d'une part, l'analyse psychologique montre que l'homme
ignorant primitivement la nature des forces qui agissent dans le monde,
les conçoit et ne peut pas ne pas les concevoir sur le type de la seule force
• pi 'il connaisse, à savoir lui-même. L'homme est donc spontanément
polythéiste, et la Loi des trois états, l'un des principes fondamentaux
du positivisme, est, sur ce point, incontestablement vraie: la première
période du développement intellectuel de l'humanité est bien une
période théologique. Au contraire, l'attribution des phénomènes à des
causes purement physiques ne peut être qu'une explication tardive,
savante, accessible seulement à quelques esprits cultivés. D'autre
part, l'histoire. La géographie, l'anthropologie préhistorique témoi-
gnent dans le même mus <|ue la psychologie. Quoi qu'en aient pu
dire certains historiensou certains voyageurs, on ne connaît, ni dans le
présent ni dans le passé, aucun peuple, aucune tribu, absolument dé-
pourvus de toute QOtion de la divinité. Les sauvages de la Terre de
Feu, regardés généralement comme occupant le dernier degré de l'hu-
t. 44
682 ATHEISME
manité, « semblent, dit Darwin ( Voyage autour du mondé) , considérer les
éléments comme des agents vengeurs ; » c'est-à-dire les déilient. C'est
donc, semble-t-il, à juste titre qu'un éminent anthropologiste, M. de
Quatrefages, après avoir recueilli les témoignages de toute provenance,
propose de définir l'homme « un animal moral et religieux ». Rien
n'est moins établi, par conséquent, que la réalité de l'athéisme d'igno-
rance. 3° On peut être athée par principe. C'est de cet athéisme spécu-
latif que nous devons ici nous occuper. Nous n'en ferons pas l'histoire,
car l'athéisme n'est pas un système philosophique, mais une opinion
particulière qui, bien que liée logiquement à un système déterminé,
peut être cependant adoptée par des partisans de systèmes très-divers.
L'athéisme n'a donc pas eu, dans lecoursdes âges, un développement
régulier comme le spiritualisme, par exemple. Les spiritualistes se l'ont
suite les uns aux autres, chacun reprenant les questions au point où
les ont laissées ses devanciers, poursuivant, corrigeant et développant
leur œuvre. Les athées arrivent à l'athéisme par des chemins très-
divers. Us n'ont souvent entre eux qu'un point commun, la négation
de l'existence de Dieu : ils diffèrent par tout le reste, même par les rai-
sons de leur négation. L'histoire de l'athéisme se réduirait donc à une
série de notices sur les athées. Nous nous bornerons ici à indiquer ce
qu'il faut entendre avec précision par athéisme, quelles sont les doc-
trines que l'on peut, à juste titre, appeler athées et enfin, sur quels
arguments principaux les athées appuient leur négation.
II. De V athéisme spéculatif. On a singulièrement abusé de la qua-
lification d'athée. Pour être accusé d'athéisme, il a suffi souvent
de s'écarter des croyances reçues sur la divinité, fussent-elles les
plus erronées et les plus grossières. Anaxagore passa pour athée,
lui qui, le premier parmi les philosophes grecs, reconnaissant la né-
cessité d'une Intelligence ordonnatrice, « sembla, dit Aristote, avoir
seul conservé sa raison parmi les folies de ses devanciers. » So-
urate passa pour athée, lui qui enseignait qu'une Providence veille
sans cesse sur les mortels et connaît leurs plus secrètes pensées. Dans
les temps modernes, le P. Mersenne comptait dans Paris cinquante mille
athées. Le P. Hardouin range Jansénius, Descartes, Arnaud, Pascal,
Nicole, Malebranche, etc., parmi les athées. Que d'outrages n'a pas
valus à Spinoza son prétendu athéisme! Et pourtant ce noble pen-
seur voit dans l'effort de l'homme pour s'unir à Dieu le principe et
la fin de toutes les vertus, et c'est avec raison qu'on a dit de lui qu'il
était « ivre de l'infini». De nos jours encore, dans les entraînements
de la polémique, on jette souvent ce nom d'athée à des savants, à des
philosophes qui le repoussent comme une calomnie. Pour se préserver
de ces injustices, il est d'abord nécessaire de séparer les hommes des
doctrines. Qui est athée? Celui-là seul qui croit l'être et qui veut
l'être. Quelle doctrine est athée ? Toute doctrine qui mène logique-
ment à la négation de la divinité. Mais les hommes ne sont pas tou-
jours logiques : souvent ils n'aperçoivent pas les conséquences de
leurs principes; d'autres fois ils les reconnaissent et les avouent, mais
ATHEISME 683
ils y échappent par la croyance ou la religion. Il ne suffit doue pas
toujours, pour être athée, d'adopter une doctrine alliée. Gassendi, par
exemple, est tout à la lois épicurien décidé et chrétien sincère. Si un
homme esl de bonne foi, on n'a pas le droit de le dire athée, tant qu'il
ne convient pus de l'être. Quant aux doctrines, plusieurs sont compa-
tibles avec F athéisme, mais celle-là seulement sera une doctrine athée
qui conduira nécessairement à nier l'existence de Dieu. D'après ce cri-
térium, à quelle doctrine cette qualification d'athée pourrait-elle jus-
tement s'appliquer? Le scepticisme est-il une doctrine athée ?Non, car le
doute n'est pas une négation. Le scepticisme qui passe à la négation se
renie soi-même. Tout vrai scepticisme s'abstient de se prononcer et auto-
rise par conséquent la croyance, la foi, l'espérance. Or, une doctrine
D'est pas athée qui permet d'espérer en Dieu. — Le positivisme est-il une
doctrine athée? Pas davantage. Le positivisme affirme que la science
humaine ne peut dépasser les faits et les lois. Il va même jusqu'à refu-
ser d'admettre que la question de la cause première soit une question
ouverte ; car il est déjà anti-scientifique de poser des questions que la
science ne peut résoudre. Mais cette question, le positivisme lui-même
la poserait, et, qui plus est, en donnerait une solution, s'il niait
T existence de Dieu. Sans doute il est malaisé de se tenir dans cette
réserve ; sans doute les positivistes dépassent sans cesse les limites par
eux assignées à la connaissance, pour nier l'existence de cette cause
dont ils ont déclaré qu'on ne pouvait rien savoir. Mais il serait injuste
de mettre à la charge d'une doctrine les inadvertances, les mala-
dresses, les contradictions de tel ou tel de ses partisans. Or, c'est une
contradiction manifeste de poser en principe que, hors les faits et les
lois, nous ne pouvons rien connaître, et de prétendre ensuite savoir
que Dieu n'existe pas. — Le sensualisme est-il une doctrine athée? Pas
plus que les précédentes. Le sensualisme affirme que toute idée vient
des sens, et, par suite, que tout ce que l'homme connaît est matériel
ou sensible. Mais, pour être une doctrine athée, il faudrait qu'à cette
première affirmation, le sensualisme ajoutât celle-ci trop manifestement
téméraire : la connaissance humaine est la mesure de la réalité. — Le
panthéisme est-il une doctrine athée ? Non encore, s'il s'agit du vrai
panthéisme, du seul qui ait droit de porter ce nom. De même, en effet,
qu'il ne faut pas appeler panthéisme cet idéalisme radical ou théisme
absolu, qui supprime le fini, il ne faut pas non plus que cette qualifi-
cation soit usurpée par ce naturalisme pour qui l'infini est non pas le
principe éternel dont tous les êtres périssables sont les modes ou les
émanations, mais l'ensemble de ces êtres même. Cette doctrine est
bien véritablement athée, mais son vrai nom c'est celui de matérialisme.
Le panthéisme est la doctrine qui, reconnaissant à la fois l'existence
du Uni attesté par L'expérience, et l'existence de l'infini affirmé par la
raison, prétend résoudre les difficultés qui résultent de leur coexis-
tence, en faisant de ces deux termes les deux faces, les deux états, les
deux moments d'une seule et même réalité. Par là, à coup sûr. la
notion de Dieu est singulièrement altérée. Tantôt c'est la liberté
divine qui est supprimée; tantôt c'est la personnalité qui se; trouve
684 ATHÉISME
compromise; parfois même, c'est l'existence actuelle de Dieu qui est
méconnue : car, si, dans la plupart des systèmes panthéistes, le monde
découle de Dieu par voie d'émanation, selon d'autres doctrines pan-
théistes, c'est au contraire Dieu qui se trouve en puissance dans le
monde, et c'est la réalisation graduelle de Dieu qui s'opère par les
progrès nécessaires et continus de l'univers. Mais quelque graves que
soient ces conséquences, on ne peut dire cependant que Dieu soit
complètement absent de ces systèmes, puisque c'est son action partout
présente qui fait l'histoire du monde, puisque c'est par lui ou pour lui
que tout s'accomplit, puisque c'est lui qui, comme principe ou comme
but, comme cause efficiente ou comme cause finale, est le moteur uni-
versel.— A vrai dire, il n'y a qu'un système essentiellement athée. C'est
celui qui, affirmant l'existence du monde, affirme en même temps
que, pour expliquer le monde, il est inutile de recourir à Dieu : c'est
le matérialisme. Il est vrai que les épicuriens admettaient des dieux.
Mais ces dieux, relégués hors du monde dans une éternelle inaction,
qui ne voit que leur unique raison d'être dans le système, c'était de
protéger les épicuriens contre les haines de la foule? Quant au matéria-
lisme moderne, n'ayant plus à redouter l'intolérance, il n'a plus
besoin de ces précautions ; il tire donc hardiment les conséquences de
ses principes et déclare sans détours que, Dieu étant inutile, il est inu-
tile d'admettre un Dieu. A la rigueur, cependant, on pourrait contester
au matérialisme même le droit de se dire athée. Le matérialisme pré-
tend expliquer les choses en se passant de Dieu ; mais ces explications
supposent presque toujours la nécessité, l'éternité, l'infinité du monde.
Or, ce monde ainsi conçu diffère-t-il beaucoup de la substance absolue
des théistes? et n'a-t-on pas eu raison de dire que les atomes d'Epi-
cure sont autant d'absolus distincts et indépendants, autant de dieux
auxquels on ôte seulement la pensée ? Ainsi, de même que le matéria-
lisme, tout en niant l'àme au profit de la matière, se trouve réduit
cependant pour donner de cette matière une notion positive à emprun-
ter à l'àme quelqu'un de ses états, quelqu'un de ses attributs, attendu
que nous ne connaissons pas la matière en elle-même, mais seulement
par nos propres modifications: de même, le matérialisme, tout en
niant Dieu au profit du monde, ne peut cependant concevoir l'exis-
tence de ce monde qu'en lui accordant certains attributs, certaines per-
fections qui semblent le propre de l'être absolument parfait. Mais de
même qu'il ne faut pas accuser d'être athée celui qui ne veut pas
l'être, de même on doit laisser à ceux qui veulent l'être le droit de se
dire athées.
III. Causes de l'athéisme. Quelles sont maintenant les causes de
l'athéisme? Ces causes sont de deux sortes : ce sont ou des raisons morales,
ou des raisons de l'ordre intellectuel ; des sentiments ou des arguments.
Le plus souvent ces deux causes agissent ensemble, car il y a du sensible
et de l'intellectuel dans toutes nos croyances; et, d'une part, le senti-
ment cherche toujours à se fonder sur quelque raison, comme aussi,
d'autre part, nos raisonnements et nos preuves nous sont le plus sou-
vent suggérés parle sentiment. — Parmi les causes morales, voici celles
ATHÉISME 085
qu'on a le plus souvent signalées: l°la corruption des mœurs: « Nemo
Deos non esse crédit, dit Bacon, nisi cul Dcos non esse expedit. »
L'imputation ainsi généralisée est injuste, mais elle est certainement
applicable à plus d'un athée; 2° T orgueil et le désir immodéré d'in-
dépenda/ice; 3° L'accablement et le désespoir engendrés par l'adver-
sité; 4° les révoltes delà conscience en présence des maux de toute sorte
et particulièrement de l'injustice impunie; 5° l'orgueil scientifique qui
prétend tout comprendre et tout expliquer sans recourir à Dieu ; 6° l'es-
prit d'hostilité suscité contre les croyances religieuses par la supersti-
tion, le fanatisme, 1 intolérance qui y sont trop souvent associés. C'est
cet esprit qui anime Epicure et ses disciples dans l'antiquité, et, plus
près de nous, la plupart des athées du dix-huitième siècle. — Quant aux
raisons scientiliques de l'athéisme, elles sont, comme on va le voir,
de deux sortes : elles tendent à prouver, les unes que Dieu est inutile
et qu'on peut s'en passer ; les autres, que Dieu est impossible, soit
parce qu'il n'y aurait aucun moyen de concevoir ses rapports avec le
monde, soit parce que des contradictions sont impliquées dans son
essence. Voici les principales de ces raisons*: 1° C'est une règle essentielle
de méthode de s'en tenir autant que possible aux explications les plus
simples, « les moins onéreuses », et de ne jamais supposer d'autres
causes que celles qui sont nécessaires et suffisantes pour rendre compte
des effets. Or, aucune des choses que nous connaissons ne nécessite
pour être expliquée une cause surnaturelle. En effet, s'agit-il d'abord
de Y existence du monde? Rien ne venant de rien, on est, à la vérité,
obligé d'admettre que, si quelque chose est, quelque chose a été de
toute éternité; mais pourquoi ce quelque chose ne serait-il pas le
monde lui-même, ou du moins les éléments, atomes ou forces, dans
!<•-< [uels le monde se résout. S'agit-il du mode d'existence de l'univers?
La combinaison d'éléments d'où résulte le monde actuel était possible
puisqu'elle a eu lieu. Et quel que soit le nombre total des combinai-
sons possibles, et si faibles que, par suite, les chances aient été en
faveur de la combinaison actuelle, cette combinaison a pu cependant
se réaliser tout comme une autre. 11 n'est même pas étonnant qu'elle se
soit une fois réalisée si on songe que, dans l'éternité qui a précédé,
une infinité d'autres combinaisons ont pu se réaliser avant elle. D'ail-
leurs, qu'on prenne les choses par le détail, on verra que les causes
naturelles suffisent à rendre compte de tout. Harmonie du ciel, révolu-
tions régulières des astres, mouvements et forme de la terre, distribu-
tion de l'air et des eaux, etc., tout ce qu'on avait attribué d'abord à un
art divin s'explique par le jeu naturel des forces mécaniques. Il n'y a
pas même d'exception à faire pour les êtres organisés. La vie n'est
qu'une succession de mouvements qui se déterminent les uns les autres.
Les diverses espèces sont le produit nécessaire de causes aveugles
comme le milieu, l'habitude, le besoin, èla concurrence vitale, l'hérédité.
L'organisme en général n'est (ju'un groupement de cellules unissant
leurs actions. Enfin, la cellule organisée se forme sans doute, spon-
tanément, par une combinaison d'éléments inorganiques, sous l'in-
fluence de certaines causes encore mal connues, il est vrai, mais qu
686 ATHEISME
seront un jour mieux déterminées. Que si on persiste, malgré tout,
à voir dans l'appropriation des organes aux fonctions, dans l'adapta-
tion des organes aux milieux, et dans la corrélation des organes entre
eux, non pas de simples effets, mais des fins poursuivies et des buts
atteints, pourquoi n'accorderait-on pas à la matière môme «la propriété
de s'ajuster à des fins (Littré) ». Ainsi partout l'explication scientifique
remplace l'hypothèse religieuse, et la science peut « reconduire Dieu
bux frontières, en le remerciant de ses services provisoires (Aug.
Comte). » Tels sont, en résumé, les arguments ordinaires des matéria-
listes. La forme seule varie, le fond est resté le même, depuis Démocrite
usqu'à nos jours (voyez l'article matérialisme). — 2° Non seule-
ment rien dans l'univers ne prouve que Dieu est, mais, au contraire,
il y a dans l'univers des choses qui prouvent que Dieu n'est pas :
ce sont les maux de toute sorte. Si Deus est unde malum ? Admettre
que le monde est l'œuvre de Dieu, c'est reconnaître ou qu'il n'a pas
su, ou qu'il n'a pas pu, ou qu'il n'a pas voulu empêcher le mal; c'est
avouer un défaut ou de sa sagesse, ou de sa puissance, ou de sa bonté;
c'est nier sa perfection ; c'est dire que Dieu est et qu'il n'est pas Dieu
(voy. les articles Mal et Providence) . — 3° Non seulement ce qu'il y a de
bien dans le monde ne prouve pas que Dieu est, non seulement ce qu'il
y a de mal dans le monde prouve au contraire que Dieu n'est pas,
mais encore l'impossibilité de concevoir sans contradiction un rapport
quelconque entre Dieu et le monde, prouve que Dieu ne peut pas être.
En effet, Dieu et le monde sont-ils, comme l'admet le dualisme, deux
principes indépendants? C'est admettre deux infinis, deux existences
absolument nécessaires, et dont l'une cependant est un obstacle à l'au-
tre. Dieu et le monde ne sont-ils qu'une seule et même réalité? C'est
l'hypothèse panthéiste qui se présente sous deux formes opposées,
tantôt le monde étant conçu comme une émanation ou un mode de Dieu,
tantôt, an contraire, Dieu étant conçu comme engendré par le progrès
du monde. Mais, dans le premier cas, comment expliquer que la subs-
tance infinie et parfaite se développe par des modes finis et imparfaits;
et dans le second cas, comment expliquer que le fini et l'imparfait se
fasse soi-même infini et parfait. Dieu est-il enfin une cause libre qui
donne au monde> tout ensemble, l'être et la manière d'être ? C'est la
doctrine de la création. Mais comment comprendre qu'une chose soit
produite de rien? Peu importe d'ailleurs la toute-puissance de la cause
productrice. L'axiome ex nihilo nihil vaut pour une puissance infinie.
11 n'y a que ces trois hypothèses possibles sur les rapports de Dieu et du
monde. Aucune n'est soutenante, par conséquentDieunepeut pas exister.
— 4° Non seulement l'existence dumonde est comme un obstacle à l'exis-
tence de Dieu, mais F essence même de Dieu est aussi un obstacle à son exis-
tence. Par Dieu, en effet, on entend un être parfait. Or la perfection,
loin d'être, comme le pensait Bossuet, une raison d'être, est un empêche-
ment à l'être. En effet, «il n'y a d'être que dans l'individualité. Or, l'ex-
périence, soit externe, soit interne, nous atteste que l'individualité est
essentiellement accidentelle, variable, éphémère. Il ny a rien d'invariable,
d'éternel, que le genre, l'espèce, le rapport, toutes choses abstraites qut
ATHEISME 687
n'existent pas dans l'individu. » L'homme parfait, ranimai parfait, sont
dos notions abstraites, sans objet extérieur ; et telle est aussi F Idée su-
prême. « lin y a pas plus de raison de réaliser cette abstraction que les
autres. » L'être parfait n'est donc et ne peut être qu'un idéal (voy.
Vacherot, La Métaphysique et la Science, t. II, p. 187; t. III, p. 234 ss.).
Pour la critique de cette théorie voy. P. Janet, la Crise philosophique,
p. 136, ss.; Fouillée, La Philosophie de Platon, t. II. p. 657 ss. —
5° L'essence de Dieu est un obstacle à l'être non seulement parce
qu'il y a incompatibilité entre la perfection et l'existence, mais encore
parce que cette essence implique en elle-même des contradictions.
Dieu, c'est l'être infini. Or, l'idée d'un infini actuel est contradictoire.
L'infini, en effet, c'est ce qui est plus grand que toute quantité
donnée. Il suit de là qu'aucune quantité donnée ne peut être infinie.
Or, que seraient par exemple l'Éternité et la Toute-Science? L'Eter-
nité, possédée actuellement par Dieu, serait une quantité infinie
de temps ou de moments, actuellement donnée et réalisée; et la Toute-
Science serait une quantité infinie de connaissance (tant des choses pos-
sibles que des choses réelles) actuellement donnée et réalisée ; ce qui est
contradictoire. Il ne peut donc y avoir d'être infini. — 6°L'idée d'un être
absolu, à son tour, est ou bien contradictoire, ou tout au moins irration-
nelle. En effet, lorsqu'on dit que Dieu est l'absolu, l'être par soi, on
veut dire ou bien qu'il est sa propre cause, ou bien qu'il existe sans
avoir besoin de cause. Si l'on entend que Dieu est la propre cause de
son être, comme ce qui est cause, est, il s'ensuit que Dieu est sans être,
qu'il existe sans exister. Si l'on entend que Dieu pour être n'a pas be-
soin de cause, on renverse un des principes fondamentaux de la raison.
Il ne peut donc y avoir un être absolu. — 7° Dieu est impossible
encore parce que, outre que les caractères métaphysiques d'infini
et d'absolu impliquent contradiction, les divers attributs moraux
de l'être parfait se contredisent entra eux et s'entre- détruisent.
(( Comment, par exemple, la puissance infinie peut-elle toute chose
tandis que la bonté inlinie est incapable de faire le mal ? Gomment là
justice infinie inflige-t-elle les derniers châtiments à tout péché, tandis
que la miséricorde infinie pardonne au coupable ? Comment la sagesse
infinie connaît-elle tout l'avenir, tandis que la liberté infinie peut tout
luire et tout éviter, etc.?» — 8° Enfin Dieu est impossible parce que si
ses attributs métaphysiques impliquent contradiction, si ses attributs
moraux se contredisent entre eux, il n'est pas moins vrai que ses at-
tributs moraux sont en contradiction avec ses attributs métaphysiques.
En effet, les attributs moraux se résument tous dans la personnalité.
Or, 1° une personne n'est telle, que par une pluralité d'attributs: que
devient alors la simplicité de Dieu? 2° La personnalité suppose la
conscience, et la conscience suppose elle-même que l'être conscient se
distingue d'un être étranger, car le moi ne se posequ'en s'opposant au
non-moi. Dieu, pour prendre conscience de soi, est donc soumisà une
condition; par suite, s'il est conscient, il n'est pas absolu. o} Enfin
Les attributs moraux sont autant de déterminations positives, car déter-
miner c'est limiter. Par exemple, déterminer nue figure dans l'espace,
688 ATHÉISME - ATHÉNAGORE
c'est enclore une portion de l'espace dans des limites. Donc pour être
infini, Dieu devrait être indéterminé ; s'il est déterminé, il n'est pas
infini ( voy. pour le développement de ces arguments et d'autres du même
genre, W. Hamilton, Fragments, trad. L. Peisse; Mansel, The limits of
Religions Thought ; H. Spencer, Les premiers principes, trad. Cazelles,
ch. II; Renouvier, Essais de critique générale, Essai I, part. IV; Année
philosophique, 2e année, L Infini, la Substance et la Liberté) .— Principaux
athées : Protagoras, Hippon (se rattachant à l'école ionienne), Démo-
crate, Diagoras de Mélos, Epicure, Lucrèce (école atomistique) , Théodore.
Evhémire (école de Cyrène), Strabon (école péripatéticienne), Lucien
(école sceptique). Dans les temps modernes: Hobbes, Lamettrie, d'Hol-
bach, Naigeon, etc. — Conséquences de l'athéisme (voy. l'article Morale
indépendante). —L'athéisme est-il une erreur plus grande que F idolâtrie?
Une société d'athées est-elle possible ? (voy. Diderot, Encyclopédie.
art. Athée, Athéisme; Voltaire, Dictionnaire philosophique, art. Athée,
Athéisme.— Il existe sur l'athéisme plusieurs traités spéciaux: Théoph!
Spizeln, Scrutinium Atheismi historico-theologicum , in-8°, Augs., 1663;
Buddeus, Thés, de Atheismo et Superstitione, in-8°, Iéna, 1717 ; Leclerc,
dans la Bibliothèque choisie, Histoire des systèmes des anciens athées.
Voyez aussi F. Bacon, Opéra moralia, XVI ; Meditationes sacrœ, X; De
Augm., hvr. I, § 5; Leibniz, Confessio naturœ contra atheistas, éd. Erd-
^'P;4*). E.RABIEE.
ATHENAGORE, Athénien, enseigna la philosophie dans sa patrie;
converti au christianisme, il en devint un des plus éloquents défen-
seurs. L est à tort que Philippe de Sida, auteur peu exact, fait de lui
le fondateur de l'école chrétienne d'Alexandrie. Dans la brillante
apologie qu'il a présentée aux empereurs Marc-Aurèle et Commode, et
qu il a intitulée « Supplication en faveur des chrétiens », Athénagore
parle en philosophe aux deux empereurs « amis de la sagesse ». Il fait
preuve d'une profonde intelligence des religions païennes, et son
ivre nous a conservé plus d'un trait intéressant de la cosmogonie an-
îque. En élève de Justin, il rapporte la création de toutes choses « au
, de Dieu, Verbe du Père « qui est l'idée et l'énergie de Dieu. Dieu,
étant la pensée éternelle, a toujours porté le Logos en lui-même, car
i est éternellement raisonnable ». Athénagore s'applique à justifier les
d '(wlrm de tr°iS crimes : «l'athéisme, lesfestins de Thyeste, les unions
ULdipe. » Il peint en de beaux traits les mœurs chrétiennes, et mon-
re les prophètes inspirés par l'Esprit qui les anime, « comme une
lute reçoit le souffle des lèvres du musicien. » Athénagore a composé
un traité de la résurrection des morts, étude de pure philosophie, qui
nous a ete conservé. Des fragments de ses écrits ont été recueillis par
Methodius, cité par Epiphane {Haer., 65) et Photius (cod. 234). Un sieur
*umée a publié, en 1569, sous le nom d'Athénagore, le livre Du vray
et parfait Amour, imitation assez agréable des romans grecs. — Voy. les
dissertations deP. Leyser (Leipz., 1736), de Clarisse (Leyde, 1819) et de
Mosheim (Dissertatt. , vol. I) . Les dernières éditions de l'Apologie sont cel-
les deL. Paul, Halle, 1856, et d'Otto, dans sa collection, 1857 (avec le de
^surr.). s; BERGER.
ATHÈNES 689
ATHÈNES ('AOîJvaOî du nom de sa vieille déesse Athéné, capitale de
L'Attique et centre, durant toute l'antiquité, de la civilisation grecque.
Le nom d'Athènes se rencontre pour la première fois dans la littéra-
ture biblique 2 Maeh. IX, 15, et reparait Act. XVII, 15; XVIII, 1 et
1 Tliess. III, 1 . Quand Paul la visita, vers Tan 52 ou 53, elle était bien
déchue de son rang sous l'écrasante domination romaine. Elle gardait
encore cependant, jusque dans cet esclavage, son prestige et sa splen-
deur extérieure. Ses grands monuments, le Parthénon, le temple de la
Victoire, le Pœeile, l'Erechteum, le théâtre de Dyonisios étaient de-
bout et intacts. Tout un peuple de statues incomparables lui donnaient
l'aspect du plus riche musée de l'univers. La vie y était toujours lé-
gère, facile, élégante et joyeuse. Un grand abaissement s'était fait dans
les esprits. Les écoles étaient encore pleines et bruyantes. Mais aux
grands maîtres de la philosophie et de l'éloquence avaient succédé les
rhéteurs. Le génie athénien s'épuisait dans une agitation stérile. Le
mouvement des écoles socratiques était fini. La renaissance qui se lit
sous les Antonins n'avait pas encore commencé. A ce moment inter-
médiaire, nous ne rencontrons dans la ville pas un nom célèbre ou
même connu. On y trouvait encore sans doute des épicuriens, des
péripatéticiens, des stoïciens qui disputaient ensemble dans tous les
lieux publics; mais ce n'était plus guère entre eux que de vaines joutes
de beau langage, amusement frivole d'une culture oisive. Le scepti-
cisme avait rapproché et presque confondu toutes les doctrines clans
un éclectisme littéraire, dont Ammonius d'Alexandrie, le maître de
Plutarque, sera dans le siècle suivant le représentant le plus distingué.
Deux choses avaient seules survécu de l'ancien tempérament athénien :
une curiosité avide et mobile qui poussait tout le monde sur la place
publique pour y recueillir et y colporter des nouvelles (Act. XVII, 21 ;
Démosth., PhiL, I,4;Elien, F.#.,V,13;scoliaste de Thucydide, 111,38;
scol. d'Aristophane, Plutus, v. 338), et un zèle de dévotion extrême.
€hose surprenante mais bien constatée, Athènes, la ville des philoso-
phes, passait dans l'antiquité pour être également la ville la plus reli-
gieuse du monde. Le développement de la culture rationnelle s'y était
fait sans nuire en aucune façon à celui du sentiment religieux. Les
vieux cultes y étaient encore florissants. On raconte que Néron n'osa
point y entrer par crainte des Furies qui demeuraient sous l'Aréopage
et que tous les parricides redoutaient. Iln'osa pas davantage soutenir la
voix du héraut qui, au début des mystères d'Eleusis, criait que les
scélérats et les impies n'eussent garde d'approcher (Suétone, Néron,
56, 34). Les témoignages de cette dévotion athénienne, toujours
vivante, sont fort nombreux (Act. XVII, 16; Strabon, X, 471;
Pausanias, [,24,3;Elien, 1.//..W17; Philostrate, ApolL, VI,3;IV, 19;
Lettre de Marc Aurèle à Fronton, III, 9). C'esl ce caractère religieux
de- Athéniens qui semble avoir le plus frappé l'apôtre Paul. Il remar-
qua surtout des autels dédiés à des dieux inconnus. Ces autels, en
effet, paraissent avoir été assez nombreux à Athènes et dans les envi-
rons (Pausanias, 1,2,4; Philostrate, ApolL VI, [11,5; Diogè.ne Laerte,I,
X, 110; ÛEcuménius, In act. apost., Paris, 1631; saint Jérôme, In lit.
690 ATHENES
1,12.) Ces autels portaient pour inscription : 'Ayvamco Osa), ou au pluriel,.
#Tfva><rcoiç Bsoiç qu'il faut traduire à un dieu ou à des dieux inconnus,
soit que ce fussent d'antiques autels demeurés anonymes, qu'on ne
voulait pas détruire et auxquels dans un recensement nouveau on aura
mis une telle épigraphe faute de savoir à qui ils avaient d'abord été
dédiés; soit que les Athéniens, dans leur zèle religieux, craignant de
blesser sans le savoir ou de négliger quelque dieu puissant dont ils
ignoraient encore le nom, lui aient érigé de semblables autels pour
mériter sa faveur. Dans tous les cas, c'est à une inscription semblable
que Paul naturellement et très-habilement rattacha le discours que le
livre des Actes nous a conservé et qui reçoit de ce détail même un
grand caractère d'authenticité. Ce discours, d'après saint Luc, aurait
été prononcé à l'Aréopage (kiz>X^6\j^oi ts aùiou êwl tôv "Apefov Tuayov
vfrayov, Act. XVII, 19). Faut-il entendre ici le lieu géographique, la col-
line de Mars, située un peu à l'est de l'Acropole, ou l'antique tribunal
athénien devant lequel le prédicateur aurait été amené pour exposer
officiellement sa nouvelledoctrine?Ilest difficile de le décider. L'Aréo-
page avait survécu à toutes les révolutions politiques. Il conservait
encore sous les Romains son ancienne organisation (Valère Maxim., II,
VI, 3; Tacite, A nnales, II, 55; Aulu-Gelle, XII, 7; Nombreuses inscrip-
tions dans le Corpus inscrip. gr.). Il est vrai que c'était moins un corps
judiciaire qu'une sorte de sénat de notables auquel ressortissait tout
ce qui concernait les mœurs, l'édilité, les cultes, l'enseignement public
dans la cité (Lysias, Areopagitica oratio pro sacra o/ea;Démosth., corc-
tre Néére ;Œsohme, contre Timarque ; Gicer., épis t. ad fam., Xlll, 1; de
Divin., I, 25; Athné., IV, 64, 65 ; VI, 46; XIII, 21, etc.). Il n'y a donc
rien d'invraisemblable à ce qu'à l'apparition d'une doctrine nouvelle
on ait invité celui qui l'apportait à venir faire en quelque sorte sa dé-
claration devant un tel tribunal ou du moins à l'endroit où il tenait
ses séances. La scène dans les Actes ne semble pas avoir eu de carac-
tère officiel. Le succès de la prédication de Paul dans une telle ville fut
assez mince. Cette première rencontre de l'Evangile avec la philosophie
païenne, malgré les habiles ménagements de l'apôtre, n'eut rien de
bien encourageant. Il est très-remarquable que Paul, dans ses nom-
breuses courses, ne revint pas à Athènes. Quelques personnes, isolées
seulement, parmi lesquelles on cite Denys l'Aréopagite et une femme
nommée Damaris, se joignirent à lui. Même au second siècle, l'Eglise
d'Athènes est peu solide (Euseb., H. F., IV. 23). Le paganisme, inter-
prété par des professeurs éloquents, dont le plus célèbre fut Libanius,
y eut une renaissance brillante qui dura jusqu'à la fin du cinquième
siècle. Les écoles de belles-lettres et de philosophie revirent de beaux
jours, Chrysostôme, Basile, les deux Grégoire y vinrent étudier. L'em-
pereur Julien s'appuya sur elles dans sa tentative de ressusciter les
vieux cultes et la société païenne expirante. Elles furent brutalement
fermées sous Justinieh (529). A partir de ce moment, Athènes disparaît,
pour de longs siècles, de la scène du monde. A. Sabatiee.
ATHÈNES (moderne). La ville d'Athènes, après avoir perdu son in-
dépendance, passa successivement sous la domination des Romains,
ATHENES G91
des empereurs de Byzance, des Vénitiens, des Normands et des Siciliens.
Lors de la prise de constantinople par les croisés, Athènes échut en
partage aux Français et fut érigée en duché par Boniface de Montferrat ;
le sire Othon de la Roche en fut nommé le premier duc. Les Français
perdirent cette ville en 1312. Elle passa alors sous la domination des
Espagnols, puis elle échut à la famille Acciaïoli de Florence. Le hui-
tième prince de cette maison en fut dépossédé, en 1456, par les Turcs,
qui la gardèrent jusqu'en 1833. Lorsque, en 1834, Athènes fut déclarée
capitale du nouveau royaume hellénique, cette ville célèhre, après
avoir passé par tant de vicissitudes, n'était plus qu'un pauvre village,
qui comptait à peine 4,000 habitants. Quarante-deux années se sont
écoulées depuis lors, et cette triste ruine s'est transformée en une belle
ville, on peut dire, en la plus belle ville de l'Orient. Athènes a main-
tenant plus de 50,000 habitants. Entourée de quatre collines de hau-
teur inégale, elle contient de belles maisons, de nombreuses planta-
tions, de belles places, des rues spacieuses et de larges boulevards.
Elle est ornée d'antiquités, dont les plus importantes sont : l'Acropole,
le temple de Thésée, le temple de Jupiter Olympien et beaucoup d'au-
tres. On y remarque de magnifiques monuments publics, tels que l'Aca-
démie, l'Université, l'Observatoire, l'Ecole des Arts, etc. Il y a à Athènes
vingt-trois églises, dont les plus remarquables sont .-l'église de l'Annon-
ciation, la cathédrale d'Athènes, dont on a posé la première pierre
en 1840 , l'église de Sainte-Irène, l'église de Saint-Georges, l'église de
Saint-Démétrius, l'église de Saint-Philippe, l'église des Saints-Théodores
(une des plus anciennes et des plus curieuses), l'église de Zooclochos
Pigi, et d'autres. Dans presque toutes les églises, la messe est célébrée,
les dimanches et les fêtes, le matin, à neuf heures l'hiver, et à huit
heures en été. On dit aussi la messe tous les samedis dans chaque
église et souvent les autres jours de la semaine. Dans le rite grec on ne
célèbre qu'une messe par église; il faut excepter toutefois l'église de
Sainte-Irène, dans laquelle, outre la messe ordinaire, on en célèbre une
pour l'armée à six heures du matin en été, et à sept heures l'hiver. La
prédication est un peu rare, faute de prédicateurs suffisamment exer-
cés. Cependant il y adeux prédicateurs, entretenus par le gouvernement
pour prêcher l'Aven t, le Carême et les principales solennités tour à
tour dans les différentes églises. Parmi ies prêtres instruits résidant à
Athènes, on compte quelques prédicateurs libres, qui se font entendre
soit de leur propre initiative, soit sur l'invitation du Synode. Les égli-
ses sont fréquentées, les cérémonies généralement bien suivies., surtout
les jours de grandes fêtes. Une messe est célébrée pour la reine, à onze
heures du matin, dans la chapelle grecque du palais. A dix heures, un
service a lieu dans la chapelle particulière du roi, qui, comme on sait,
appartient à la religion luthérienne. La prédication est (donnée en alle-
mand. La colonie russe a pour église Saint-Nicodème, où la messe est
célébrée en langue russe à dix heures du malin. Les catholiques ro-
mains, au nombre de iOO environ, ont bâti, il y a quelques années,
une fort belle église sous le vocable de Saint-Denis. La messe > est
célébrée le dimanche à dix heures et demie. Depuis quelque temps le
692 ATHENES
catholiques ont à Athènes un évoque. L'église Saint-Paul appartient à
la petite communauté protestante, qui s'y réunit les dimanches à
onze heures, pour le service et la prédication en langue anglaise. On
compte à Athènes plusieurs missions américaines, ainsi que deux sociétés
bibliques. Par contre, il n'y a pas de juifs. — Athènes est non-seulement
le centre de la vie politique, mais aussi, comme dans l'antiquité, le
centre de la vie intellectuelle de la grande famille hellénique. De toute la
Grèce, un trèsrgrand nombre de jeunes gens viennent à Athènes pour
se perfectionner dans les lettres et dans les sciences. L'Université na-
tionale, fondée en Tan 1837, comprend quatre facultés : théologie, droit,
médecine et philosophie. La faculté de théologie est divisée en six
chaires. Tous les professeurs, sans exception, ont étudié dans les univer-
sités allemandes; ils sont au courant du mouvement théologique dans
les Eglises protestantes et autres. Ils jouissent d'une assez grande li-
berté scientifique dans leur enseignement, qui comprend l'encyclo-
pédie théologique, la dogmatique, la théologie morale, la théologie
pratique, l'interprétation de la Bible, l'hébreu, l'histoire de l'Eglise et
l'éloquence sacrée. Ils ne portent pas cependant atteinte aux dogmes
fondamentaux de l'Eglise grecque. Le nombre des étudiants de l'U-
niversité est d'environ 1300. La durée des cours est de quatre
ans, et c'est seulement après ce temps qu'on peut se présenter aux
épreuves du doctorat. II n'y a pas d'examens annuels. Athènes pos-
sède quatre gymnases (collèges),' cinq écoles helléniques ou prépara-
toires aux études du gymnase, et six écoles primaires communales :
deux pour les garçons et quatre pour les filles. L'enseignement y est
gratuit, ainsi que dans l'Université. Une école ecclésiastique, dite Ecole
Rizaris, du nom de son fondateur, a été établie en l'an 1840. Douze
professeurs, dont la plupart sont attachés à l'Université, enseignent
toutes les branches qui sont nécessaires pour rendre les élèves aptes
au ministère sacré qu'ils sont appelés à exercer; mais les revenus du
clergé étant très-faibles, la plupart des jeunes étudiants refusent d'em-
brasser le sacerdoce et se répandent comme professeurs dans les diffé-
rents établissements de la Grèce et de l'Orient ; ils rendent ainsi un
grand service aux intérêts helléniques. Athènes possède aussi une école
de filles, dite Arsakion, du nom d'un bienfaiteur de cet établissement,
le plus important qui existe en Orient pour l'éducation des filles. Elle
contient plus de cinq cents élèves. Enfin il y a à Athènes une école
militaire, une école des beaux-arts, plusieurs écoles privées pour les
deux sexes, un nombre considérable d'établissements de charité, de
sociétés savantes, de sociétés pour l'encouragement des études grec-
ques et pour l'instruction du peuple en Grèce et en Orient. — Athènes est
aussi le centre du gouvernement de l'Eglise grecque. Depuis l'émanci-
pation hellénique, l'Eglise grecque, qui jusqu'alors avait été soumise
au patriarche de Gonstantinople, s'est constituée d'une manière indé-
pendante (le 27 juillet 1833). Elle est gouvernée par un synode de cinq
membres résidant à Athènes. Ce synode est composé du métropolitain
d'Athènes, qui en est le président à vie, et de quatre autres évêques,
qui sont choisis par le gouvernement et qui se renouvellent tous les
ATHENES — ATHOS G93
ans. Les séances du synode ont lieu les lundi, mercredi et vendredi de
chaque semaine, de huit heures du matin à deux heures du soir. Un
délégué royal (gasiXucoç l-i-zz-zq) assiste à ces séances; il est chargé de
contrôler les délibérations et de défendre les intérêts du pouvoir dans
toutes les affaires qui regardent Tordre temporel. Le synode a plein
pouvoir dans toutes les affaires purement ecclésiastiques. Cependant
ses décisions en général n'ont de valeur qu'après L'approbation de ce
délégué. L'Eglise grecque, quoique se gouvernant elle-même, est néan-
moins en communication dogmatique avec le patriarche de Constan-
tinople et avec les autres Eglises orthodoxes (voy. Eglise grecque).
L'instruction du clergé se ressent malheureusement encore de l'état
précaire de la société elle-même. Mais à mesure que s'effacent les tra-
ces de l'ancienne servitude, de notables progrès sont réalisés, qui iront
en augmentannt chaque jour, grâce au développement de renseigne-
ment, grâce aussi au généreux concours du gouvernement, non moins
qu'au zèle des personnages éminents placés à la tête de l'Université.
IGN. MOSHAKIS.
ATHOS. Entre le golfe de Salonique et le golfe de Gontessa,la pénin-
sule chalcidique projette, vers l'archipel, trois promontoires d'égale
longueur, séparés par les baies profondes de Cassandra et de Monte-
Santo. La plus orientale de ces langues de terre, celle que les anciens
appelaient Acte ('Ax,ttq), est une étroite arête de montagnes, longue
d'environ 60 kilomètres, qui s'élève graduellement depuis l'isthme
étranglé où elle prend naissance jusqu'au sommet de l'Athos, Jiaut
de 2,000 mètres. Le mont Athos("A6a)çou 'Aywv cpoç) tire son nom ou
d'Athos, fils de Neptune, ou d'un géant ainsi appelé. Chez les anciens
le mont était célèbre; il l'est devenu plus encore à l'époque byzantine
et dans les temps modernes, grâce à sa nature pittoresque, aux nom-
breux moines qui l'habitent et à l'importance politique et religieuse de
ce Vatican de l'Orient. On ne sait pas exactement à quelle époque les
moines s'établirent pour la première fois au mont Athos. D'après un
manuscrit grec anonyme et sans date, trouvé dans un des monastères de
la sainte montagne et publié à Salonique par D. Pistis (Ileptypa^ îoropfe tcu
acfiou opouç. ûtcô A. lli--rn 1870), c'est sous Constantin qu'auraient été
bâtis, sur l'Athos, les premiers couvents, qui furent abolis sous Julien
l'Apostat. Cette opinion nous parait très-invraisemblable, car elle n'est
confirmée par aucun historien. Ce qui est certain, c'est qu'à partir du
neuvième siècle, nous trouvons des solitaires sur l'Athos, et que le
premier couvent fut bâti, non loin d'Hiérissos, sous Basile le Macé-
donien, par Jean Colovos (867), à qui l'empereur avait donné toute la
montagne en propriété. Bientôt le mont Atiios fut rempli de moines.
Lorsque, au dixième siècle, les Sarrasins eurent dévasté le bord de la
mer, les moines cherchèrent un refuge sur les montagnes. C'est au
dixième siècle ([n'ont été bâtis les couvents les plus anciens, de Lavra,
en 960, par Athanase Athonite, qui réunit le premier les moines vi-
vant dans les montagnes sons uni; règle monastique (tu7;ixcv), d'iviron,
de Vatopédi, de Xéropotami, d'Esphigmenou. Gass cependanl soutient,
avec quelque vraisemblance, que c'est le couvent de Xéropotami qui
694 ATHOS
est le plus ancien (Zur Geschichte (1er Alhos-Klôster \ p. 6, Giessen,186o).
Les empereurs byzantins, en particulier Alexis Comnène, dont plusieurs
passèrent leurs derniers jours sur cette montagne, lui accordèrent de
nombreux privilèges et en augmentèrent ainsi la population, F impor-
tance et la sainteté. Des princes slaves vinrent aussi à l'Athos et rivali-
sèrent de générosité avec les empereurs byzantins. C'est ainsi que s'ac-
crut la prospérité de l'Athos. Comme les moines vivaient du fruit de
leur travail et que les anciens solitaires refusaient de travailler pour va-
quer uniquement à la contemplation et à la prière, une querelle s'éleva
entre eux. Pour la faire cesser, on envoya une députation à F empereur
Jean Zimiski (969), qui obligea les solitaires à se conformer à la règle des
moines de Lavra. Mais plus tard, sous Constantin Monomaque (1045),
l'industrie et le commerce furent limités, et dès lors on chassa du mont
Athos toutes les occupations bruyantes. Parmi les solitaires, les uns vi-
vaient isolés, les autres à deux ou trois ensemble. Dès le commencement
les couvents furent divisés en deux catégories : ceux où les moines
vivaient indépendants, et qu'on appelait idiorhythmes (tèwppuô^a), et
ceux où ils vivaient en commun sous la direction d'hégoumènes, etqu'on
appelait cénobies (xoivoéta): La même distinction existe encore aujour-
d'hui. Sous Alexis Comnène, les couvents furent déclarés exempts de
tribut et placés sous la juridiction directe des empereurs. Ils avaient
été, à l'origine, sous l'autorité du métropolitain de Salonique et de
Tévêque d'Hierissos (Innoc, epist., lib. XIII, 39, 40 ; XVI, 168, cf.
Gass, ibid., p. 18). Lorsque les croisés, sous Baudouin, se furent em-
parés de Constantinople et y eurent fondé l'empire latin (1204), le
mont Athos tomba sous la domination latine. En même temps Inno-
cent III essayait en vain de latiniser le principal centre monastique de
l'orthodoxie, en bâtissant un couvent catholique sous le nom de Mol-
phinon. On voit encore aujourd'hui les ruines de ce monastère. Ce
danger fut écarté lorsque Michel Paléologue fut redevenu maître de
Constantinople (1261). Mais cet empereur ayant voulu, par des raisons
politiques, traiter de l'union des Eglises avec le pape Urbain II (1263),
les moines du mont Athos souffrirent des persécutions terribles
comme ennemis de l'union. Ce nouveau danger passa à son tour et le
mont Athos recommença à fleurir. Du treizième au quinzième siècle il
atteignit le plus haut degré de sa prospérité. A cette époque furent bâ-
tis les nouveaux couvents d'Aghios Dionysios, Simopétra, Castamo-
nitou, Roussico, et l'influence morale et politique des moines devint
considérable. Vivant en paix avec les sultans, favorisés même par quel-
ques-uns, comme Sélim le Magnifique, qui rebâtit Xéropotami, et enri-
chis par des princes serbes et valaques et par les tsars de Moscou, leur
nombre ne cessa de s'accroître, et, au commencement de ce siècle, il
atteignit le chiffre de 10,000. La guerre de l'indépendance, la sécularisa-
tion des biens ecclésiastiques en Moldo-Valachie (1866), d'où les moines
tiraient la meilleure partie de leurs revenus, dus aux legs des anciens
voïvodes, et l'esprit du siècle en général, arrêtèrent leur prospérité et
amenèrent une décadence qui se continue jusqu'à ce jour, où leur
nombre n'est plus que de 5,000 environ. Ils sont soumis à la règle de
ATHOS C95
saint Basile. L'usage de la viande, du tabac, des bains est inconnu au
moins dans les cénobies. Ils portent uniformément une robe de laine
noire, toute la barbe, et toute la chevelure ramenée en nattes sous un
bonnet noir déforme cylindrique. La particularité la plus ancienne de
leur règle est la prohibition absolue faite à toute femme, à tout enfant, à
tout animal femelle de pénétrer sur le territoire de l'Athos. Les couvents
sont maintenant au nombre de vingt sans compter le Protaton, où se réu-
nissent les députations de tous les autres monastères pour délibérer sur les
affaires d'un intérêt général. Ils sont soumis à la juridiction du patriarche
de Constantinople, mais libres dans leur administration intérieure. Sous
la dépendance de quelques couvents se trouvent lesskites (cx^at), où
demeurent les solitaires ou les ascètes, qui représentent le plus haut
degré de la perfection caloyérique. Les couvents envoient chacun un
député à l'assemblée générale, qui siège dans la petite ville de Karyès ;
cette assemblée choisit, parmi ses membres, les cinq délégués (eiuKruarat),
qui composent Yépistasie ou conseil exécutif chargé de l'administration
des affaires communes ; elle élit tour à tour, dans chaque couvent, et
pour un an,leprotatos: c'est le magistrat suprêmede l'Etat monastique;
il est chargé de promulguer et d'appliquer les décisions de l'assemblée
et du conseil. Une taxe payée par les couvents, à raison d'une livre
turque (23 francs) par chacun de leurs habitants, constitue, pour ainsi
dire, le budget fédéral mis à la disposition de ce gouvernement, qui
fonctionne sous la haute direction du patriarche œcuménique. Les
couvents payent à la Porte un tribut annuel de 600 livres turques
(13,000 francs) ; le caïmakan chargé de lever cet impôt réside à Ka-
ryès ; il atteste, par sa présence fort inoffensive, un lien de suzeraineté
tout nominal; ce fonctionnaire et les quelques gendarmes albanais
chrétiens dont il dispose sont les seuls habitants laïques du territoire.
•Les vingt couvents et leurs skites sont distribués assez inégalement dans
toute la presqu'île. Les couvents d'origine slave, situés au nord et
dans l'intérieur, sont : Zographou, Chilandari, Simopétra, Aghios Pav-
ios et Roussico. Tous les autres sont d'origine grecque et s'appel-
lent Lavra,Caracalou, Philotheou, Iviron, Stavronikita, Koutloumousi,
Pantocrator, Vatopédi, Esphigmenou, Aghios Dionysios, Aghios Grigo-
rios, Xiropotami, Xénophou, Dochiariou et Kastamonitou. La forme de
tous les monastères est un carré ou un trapèze, compris dans une en-
ceinte de hautes murailles. Dans la cour intérieure s'élève l'église prin-
cipale, le catholicon. La plus ancienne de ces églises est la métropole
de Karyès, dédiée à la Vierge; elle remonte au dixième siècle et repro-
duit fidèlement le plan de Sainte-Sophie. L'église de Chilandari est une
des plus anciennes après Karyès ; elle remonte probablement au dou-
zième siècle. Les autres datent du treizième, quatorzième et quin-
zième siècle. Dans les églises, surtout dans celles de Karyès, Lavra,
Vatopédi et Dochiariou se trouvent des images très-anciennes, vrais
chefs-d'œuvre, dus au pinceau du fameux Pansélinos, le Raphaël de
L'Athos, qui paraît avoir vécu aux premiers temps de la communauté.
Bien que la meilleure part des richesses de l'Athos ait été dispersée
ou détruite à la suite de l'orage qui passa sur la montagne pendant la
G'JG ATHOS — ATOMISME
guerre de Y indépendance, il reste encore dans quelques couvents, sur-
tout à Lavra et à Vatopédi, des trésors inestimables. Un de ces trésors
consiste dans les riches bibliothèques de l' Athos. Il y a peu de temps
que ces bibliothèques sont ouvertes aux savants, et grâce aux recher-
ches de MM. Mynoïde Minas, Langlois, Sébastianof, grâce aux excel-
lents travaux de M. Miller, les bibliothèques des monastères sont
maintenant connues. On a compté, dans les couvents, six mille
manuscrits, datant du dixième au seizième siècle. Les plus anciens
sont, sans exception, des copies des Evangiles et des psaumes ; on y
trouve aussi des œuvres des Pères grecs et des chroniques byzan-
tines. Il nJy a que très-peu de manuscrits classiques. C'estàXiropotami
qu'on trouve une collection de livres très-précieuse, qui contient de
curieux et rares ouvrages du seizième siècle, en allemand et en latin.
Tandis qu'autrefois le mont Athos était le dépôt des manuscrits clas-
siques et ecclésiastiques et que des hommes éruclits, comme Zonaras, y
vivaient pour étudier, aujoud'hui les caloyers, sauf de rares excep-
tions, se trouvent dans une ignorance profonde. Ce n'est que sous
Catherine II qu'Eugène Boulgaris (né 1716) prit, dans le mont Athos,
la direction de l'école Athoniade, établie par Cyrille Y, patriarche de
Constantinople. Elle fut d'abord florissante, mais plus tard elle a été
supprimée par suite de l'opposition des moines ignorants (Gass, ibid.,
p. 44). Depuis lors a cessé, presque complètement, tout mouvement in-
tellectuel. Remarquons enfin que, depuis quelque temps, il y existe un
antagonisme profond entre les moines grecs et les moines slaves ou
russes. Les derniers, au nombre de 800 environ, occupent le grand cou-
vent de Saint-Pantéleimon et les deux skites de Saint-André et du pro-
phète Elie. Ils obtiennent toutes les facilités matérielles de la part de la
Russie, tandis que les maisons grecques s'appauvrissent. Toute la vie
dont r Athos est susceptible s'est concentrée aujourd'hui dans cette
lutte. — Sources: Jean Comnène, Descriptio montisAtho dans Montfaucon,
Palœographie grecque ; Me. Grégoras, Hist. lib. XIV, édit. de Bonn ; P.
Bellon, les Observations... en Grèce, Paris, 1555; Braconier, Mémoires
pour servir à r histoire du mont Athos; Pouqueville, Voyage dans la Grèce,
tom. I, préf., Paris, 1820; Griesbach, Reisen durch Rumelien, Gôtt.,
1841; Fallmerayer, Fragmente aus dem Orient, Stuttg., 1845; Didron,
Annales archéologiques, I, ss.; Pischon, Die Mônchsrepublik des Berges
Athos ; Raumer's Histor. Taschenbuch, 4 Folge 1, 1860; Gass, ouvrage
cité et son article Athos-Berg, dans la Real-ÈncycL de Herzog; Miller,
dans le Correspondant, 1866, avril ; de Vogué, Syrie, Palestine, Mont-
Athos, Paris, 1876. Ign. Moshakis.
ATOMISME, système métaphysique d'après lequel les principes élé-
mentaires de toutes choses seraient des particules indivisibles de ma-
tière et le vide. Strabon et Sextus Empiricus, rapportant une opinion
du stoïcien Posidonius, attribuent l'invention des atomes à un Phéni-
cien, Moschus. Bayle a fait justice de cette assertion. Le témoignage
de Posidionius ne peut être reçu: Cicéron, son disciple, l'accuse de
substituer à l'histoire des fables de sa façon. Toutefois l'idée d'a-
tome ne semble pas d'origine hellénique: un philosophe indien. Kanada,
AT0M1SME G97
compose le monde matériel de particules insécables. Cependant son
système diffère de l'atomisrne proprement dit, tel qu'il fut professé <mi
(irèce par Leucippe et Démocrite, sur deux, points principaux: ses
atomes n'ont pas (pie des propriétés géométriques et mécaniques, ils
sont doués dé qualités sensibles; en outre il reconnaît l'existence d'une
intelligence infinie, distincte du monde matériel. Leucippe et Démo-
crite sont les vrais auteurs du système atomistique rigoureusement
conçu et enchaîné. « Leucippe et son compagnon Démocrite, dit Aris-
tote, admettent pour principes des choses l'être et le non-être, le plein
et le vide. » Qu'est-ce d'abord que l'être? La division d'un corps
étendu ne peut aller à l'infini. Les indivisibles, éléments communs de
tous les corps, sont l'être véritable, un en lui-même, mais répété un
nombre indéfini de fois. Ces atomes sont éternels, absolument pleins,
immuables, sans qualités sensibles, telles que le chaud, le froid, le
sec, l'humide. Ils n'ont entre eux que des différences géométriques de
forme et de grandeur; ils sont en nombre infini. Qu'est-ce maintenant
«pie le non-être? Le non-être n'est pas une abstraction, mais l'inter-
valle ou vide qui sépare les divers groupes de corpuscules, et les cor-
puscules d'un même groupe. Le vide n'a d'autre propriété que l'é-
tendue, une étendue infinie dans tous les sens. Tl est la condition du
mouvement. Puisque toute chose est composée d'être et de non-être, de
plein et de vide, chaque chose nait quand plusieurs atomes se réu-
nissent, meurt quand ils se dissocient, s'accroît quand le nombre ou
les intervalles en augmentent, diminue quand ce nombre ou ces inter-
valles se resserrent. Quant aux propriétés des choses, elles ne peu-
vent être que celles qui dérivent de leurs éléments. Les choses sont
donc, comme ces éléments, dépourvues de qualités sensibles; le chaud,
le froid, le blanc, le noir, etc., ne sont que nos manières de sentir les
propriétés et les différences géométriques des corps. Les propriétés
essentielles sont au nombre de trois : Êucrpoç, o'.y.()':;rn tpcxYj, la forme,
l'ordre de distribution, et la situation des atomes constitutifs. Les dif-
férences réelles des choses sensibles sont donc purement mathéma-
tiques et intelligibles: hors de là, tout est apparence. Maintenant
comment se produisent la naissance et la mort, l'accroissement et la
diminution des choses? C'est par le mouvement. L'origine d'un mou-
vement donné est un mouvement antérieur, et ainsi de suite à l'infini.
Le mouvement est éternel. Il n'est pourtant pas l'œuvre du hasard.
Tout ce qui arrive dans le monde est déterminé nécessairement par
des lois antérieures. Cette nécessité mécanique est la raison des choses
et la Providence du monde. Démocrite admettait trois espèces de mou-
vements: le mouvement par choc, le mouvement oscillatoire et le
mouvement circulaire ou tourbillon. Les deux derniers dérivent du
premier. Puisque, outre leur constitution géométrique, les atomes n'ont
rien en eux, lf mouvement qui les entraine doit leur être extérieur;
la cause de tout mouvement est donc un choc. De ces impulsions
incessamment répétées dans le vide naît pour chaque atome une
sorte de trépidation oscillatoire : de l'ensemble de ces oscillations
naît le tourbillon universel . qui emporte dans le vide infini la
I. • 45
698 ATOMISME
masse infinie de la poussière cosmique. Quoi qu'on ait prétendu, Dé-
mocrite n'attribuait pas de pesanteur aux atomes. Pour lui, tout mou-
vement naît d'une impulsion extérieure à l'atome, et non pas d'une
force intérieure. Que peut être l'âme dans ce système, sinon un corps?
Ce corps est composé d'un nombre infini .d'atomes sphériques. Les
fonctions de l'âme ne sont que les mouvements de ces atomes. Ces
fonctions sont au nombre de deux: la vie et la pensée. Toute pensée
est une sensation. Toute sensation est un changement. Le changement
en général résulte ou bien de la substitution les uns aux autres d'atomes
de forme différente, ou d'une modification dans l'ordre et la situation
des éléments. Le premier de ces deux modes de changement est im-
possible dans l'âme. Composée d'atomes sphériques, elle ne saurait,
sans cesser d'être elle-même, recevoir des atomes de forme différente,
fteste le second mode de changement: les atomes de l'âme peuvent se
combiner d'un nombre infini de manières; chacune de ces combinai-
sons est une sensation qui disparaît aussitôt que change l'ordonnance
de la combinaison. Dans toute sensation il faut distinguer la matière et
la forme, pour, employer des expressions modernes qui rendent bien
la pensée de Démocrite. La forme est notre œuvre; la matière est ex-
térieure à nous. Nous croyons percevoir dans les objets des qualités
contraires; pourtant elles n'existent pas hors de nous, et la preuve,
c'est que ce qui semble doux à l'un est amer pour l'autre. Mais il y a
quelque chose d'objectif dans la sensation; nos diverses sensations
correspondent aux différences géométriques des corps. Si nos sen-
sations, bien que revêtues par nous d'une forme subjective, n'en
correspondent pas moins à quelque chose d'objectif, elles sont pro-
voquées par un objet extérieur. Or, l'âme est un corps, et, dans l'ato-
misme, toute action d'un corps sur un autre a lieu par contact. C'est
donc par le contact que l'extérieur agit sur l'intérieur. Tous nos sens
sont des espèces de toucher. Mais les objets sentis ne sont pas toujours
en contact immédiat avec les sens ; alors la perception a lieu par le
moyen des images ou des idoles émanées des corps. Rien n'est plus
obscur que la théorie des émanations. Cette théorie paraît pourtant avoir
été élucidée dans un récent opuscule (L.Liard,Z>e Democritophilosopho>
Paris, 1873). Le ràledeY image est d'imprimer un ébranlement aux atomes
de l'âme, et de les placer ainsi dans un ordre qui correspond à l'ordre
même des éléments du corps représenté. D'après cela , que peut être
l'image? Un corps détaché du corps représenté? Mais pour produire en
nous l'ébranlement qu'y eût produit le corps d'où elle émane, il fau-
drait qu'elle fût une réduction rigoureusement exacte de ce corps.
Comprend-on qu'un corps laisse couler de lui, à chaque instant, de
pareilles réductions? 11 est probable, au contraire, que l'émanation telle
que l'entendait Démocrite est un mouvement qui se transmet de l'ob-
jet jusqu'à l'âme par l'intermédiaire de l'air. Théophraste semble le
dire : ((L'image, écrit-il, ne se forme pas directement dans la pupille,
mais l'air qui sépare le voyant du vu reçoit une empreinte.)) Qu'est cette
empreinte, sinon le mouvement même du corps, qui se communique de
proche en proche jusqu'à l'œil? — Plus tard, Epicure reprit en l'altérant
ATOMISME 699
profondément la physique atomistique de Démocrite. Pour Démocrite,
tout mouvement est le résultat d'un choc; la série des causes et des ef-
fets est par suite infinie. Epicure, à la suite d'Aristote, nie qu'il puisse
en être ainsi. Il s'arrête à l'atome lui-même, dans lequel il place une
force capable de produire le mouvement, la pesanteur. Attribuer ainsi
à chaque élément une puissance intime capable d'en produire et d'en
expliquer le mouvement , c'était en un sens corriger et compléter le
système; mais en même temps c'était, en un autre sens, y introduire
un principe de contradiction et de ruine. La direction de la pesanteur
est uniforme et constante ; les atomes suivront donc tous des chemins
parallèles; tombant comme des gouttes de pluie dans le vide infini, ils
ne se rencontreront jamais. Et comme les corps et le monde naissent du
rapprochement des atomes, le monde ne naîtra jamais, à moins que les
principes de toutes choses n'échappent un instant à la loi même de leur
être. Epicure l'a vu; aussi accorde-t-il aux atomes, par une concep-
tion anti-scientifique , la faculté de dévier de la direction fatale où les
entraine la pesanteur. Quand se fit cette exception à la règle? En quel
temps, en quel lieu les atomes ont-ils décliné? Epicure ne le dit pas. Il
n'y a pas, en effet, de loi assignable à la violation de la loi. Ce n'est
pas gratuitement qu'Epicure introduit dans le monde ordonné de Dé-
mocrite ce principe de discorde. Il subordonne la physique à la morale.
Pour lui, le souverain bien est le calme profond de l'âme. Le seul
moyen de l'acquérir et de le conserver, c'est de se mettre hors d'at-
teinte des causes extérieures d'agitation. Comment y parvenir, si le
mouvement se communique des atomes des corps aux atomes de l'âme
d'une manière nécessaire? si nous ne pouvons dévier un peu pour évi-
ter les coups qui nous menacent? Si l'âme n'est pas libre, le bonheur
est un rêve. Mais on ne saurait donner la liberté aux seuls atomes de
L'âme et la refuser aux autres; il faut donc que les atomes aient le pou-
voir de se soustraire à la loi inhérente à la force qui les anime. — Au dix-
septième siècle, l'atomisme d'Epicure a été repris par Gassendi. De nos
jours, les inductions de la physique corpusculaire conduisent beaucoup
de savants à des thèses voisines de celles qu'enseignait Démocrite. C'est
une vérité acquise à la science que les phénomènes extérieurs sont de
nature mécanique : aux différences qualitatives de nos sensations , cor-
respondent hors de nous des différences quantitatives de forme, de
grandeur, de mouvement et de nombre. C'est par le mouvement des
particules élémentaires que l'on explique les phénomènes physiques et
chimiques de la nature. Certains savants, tels que le P. Secchi, pous-
sant jusqu'au bout les données de la science, voient dans le monde
matériel un système purement mécanique, composé d'éléments géomé-
triques homogènes, savoir les atomes d'éther, et ils expliquent les dif-
férences des corps par les divers modes de groupement de ces atomes.
— Plus réservés, d'autres savants, sans se prononcer sur la constitution
de l'univers entier, ne craignent pas d'avancer que les corps sont for-
més d'atomes; autrement, disent-ils, la loi des proportions définies et
des proportions multiples ne se comprendrait pas. Si les éléments des
corps n'étaient pas finis et indivisibles, on n'aurait pas des séries, aux
700 ATOMISME
termes nettement séparés, comme la série des composés oxygénés de
l'azote, mais de l'un de ces termes à l'autre, il y aurait une infinité
d'intermédiaires. La -chimie moderne explique les phénomènes autre-
fois rapportés à la force mystérieuse de l'affinité par X atomicité. « Les
atomes des divers corps simples, dit M. Wurtz , ne sont pas doués des
mêmes aptitudes de combinaison les uns à l'égard des autres ; ils né
sont pas équivalents entre eux : c'est ce qu'on nomme l'atomicité , et
cette propriété fondamentale des atomes est liée, sans doute, aux divers
modes de mouvement dont ils sont animés. Lorsque ces atomes se com-
binent entre eux, leurs mouvements ont besoin de se coordonner réci-
proquement, et cette coordination détermine la forme des nouveaux
systèmes d'équilibre qui vont se former, c'est-à-dire des nouvelles
combinaisons. » — Cependant, beaucoup de bons esprits parmi les philo-
sophes et parmi les savants ne regardent pas la théorie des atomes
comme le dernier mot de la science de la nature. On peut accorder
que, en fait, la division des corps n'est jamais poussée dans la nature
au-delà d'un certain volume minimum; c'est ce qui semble résulter
des lois des combinaisons chimiques. Mais parce qu'ils ne sont jamais
divisés, ce n'est pas à dire que ces Corpuscules ne soient pas essentiel-
lement divisibles; et parce qu'ils sont donnés comme éléments dans
toutes les combinaisons, ce n'est pas à dire qu'ils ne soient pas eux-
mêmes composés. En effet, l'étendue, c'est partes extra partes; toute
étendue, si petite qu'on la suppose, est répétition , multiplicité. Toute
étendue est donc divisible , et aucune chose étendue n'est dernier élé-
ment. L'élément véritable, c'est ce qui, n'ayant aucune partie, c'est-à-
dire aucune étendue, constitue l'étendue par sa répétition et sa multi-
plicité. Quel peut être cet élément, sinon la force? Les derniers com-
posants des corps ne sont donc pas de petits solides continus, mais des
unités simples, sans étendue, des centres de force , des monades dyna-
miques. Il y aurait lieu, d'après cette théorie, de reconnaître deux sortes
d'atomes : les atomes chimiques, masses de matière extrêmement pe-
tites , qui , quoique composées, ne souffrent en fait jamais de division
de la part des forces extérieures, qui ne pourraient être divisées sans
destruction de la nature même du corps, et qui, dans toutes les combi-
naisons chimiques, jouent le rôle d'éléments; et les atomes métaphy-
siques ou monades, centres indivisibles d'action qui forment les atomes
chimiques en se groupant à distance, et en se disposant par des forces
propres en différents systèmes polyédriques. Parmi les partisans de
la théorie dynamique de la matière , il faut citer Leibniz, Boscowich,
Ampère, Cauchy, Poisson, Faraday, sans parler des contemporains.
— Consulter, outre les historiens de la philosophie, Ritter, Brandis,
Zeller, J.-F-W. Burchard, Democriti philosophie de sensibus frag-
menta, Minden, 1830; Papencordt, De atomicorum doctrina, Be-
rol., 1832; Lafaist, Dissert, sur la phil. atomistique, Paris, 1833;
F. Heimsœth, Democriti de anima doctrina, Bonnae, 1835;F.-G.-A.Mul-
lach, Quœstionum democritearum spec, Berol., 1835-42, et Democriti
operum fragmenta , Berol., 1843; L. Liard, De Democrito philosopho,
Paris, 1873; J.-C. Orellius, Epicuri fragmenta librorum 11 et XI de
ATOMISME — ATTICUS 701
nafwa, voluminibus jiapyraeeis ex llerculano erutis reperta, etc.,
Leipzig, 1818; Herculanensium voluminum qux super sunt, Naples,
1793 à 1855; T. Lucretius, De natura rerum; Cicéron, De Finiôus,
liv. I et II; P. Gassendi, De vita , moribus et doctrina Epicuri,
Lyon, 1647, et Syntagma philosophie Epicuri) La Haye, 1655;
G. -F. Schœmann, Schediasma de Epicuri (heologia, ind. scfwl., Greifs-
wald, lS()'t; Ampère, Bibliothèque de Genève, 1832; Annales de chi-
mie, 1835; Poisson, Mém. de l'Acad. des se, t. VIII, p. 305 et p. 398;
Annales de chimie et de physique, t. XXXVII-XXXIX, passim, et Journal
de l'Ecole polytechnique, 20e cahier; de Saint-Venant, ing. des ponts
et ch., Sur la question de savoir s'il existe des masses continues , et sur la
nature probable des dernières particules des corps, Paris, 1844, chez Cari-
lian Gœnry; Hirn, Conséquences philosophiques et métaphysiques de la
thermodynamique, Paris, Gauthier-Villars ; AYurtz, Histoire des théories
chimiques et Dictionnaire de chimie , Paris; tMagy, De la science et de la
nature, Paris, 1865. E. Rabier.
ATTALIE ( 'ArcaXeia), port de mer de la Pamphylie, à l'embouchure
du petit fleuve Katarrhakt, bâti par Attale Philadelphe, roi de Pergame
(Strabon, XIV, 4, 2), existant encore sous le nom d'Adalia ou (ÏAntali.
L'apôtre Paul traversa cette ville dans son premier vovage de mission
(Act. XIV, 25).
ATTERBURY (François), né à Milton, dans le comté de Buckingham,
en 1062, fit ses études à Westminster et à Christ -Collège, Oxford. Il
devint maître es arts en 1687, et ne tarda pas à se signaler par sa po-
lémique contre l'Eglise romaine et par son enthousiasme pour Luther.
Successivement chapelain de Guillaume III et de Marie, et en 1702 de
la reine Anne, il fut élevé au siège épiscopal de Rochester en 1713. La
mort de la reine, survenue en 1714, brisa ses espérances d'avenir et
décida de sa destinée. Accueilli avec froideur par Georges P'r, qui le sa-
vait sympathique au Prétendant, non-seulement il refusa de signer l'acte
de loyauté des évèques, mais encore il entama avec les rebelles une cor-
respondance qui amena sa déposition en 1722. Il mourut en exil, à
Paris, le 15 février 1731. 11 entretint une correspondance active avec
un grand nombre d'hommes éminents de son temps, en particulier
avec Pope. Il a joui, jusqu'à nos jours, d'une grande réputation comme
prédicateur. On a de lui quatre volumes de sermons et d'essais (Voy.
Dodridge, on Preaching; Brown, Encyc. of relig. knowledge, 1841).
ATTICUS, originaire de l'Arménie, patriarche de Constantinople de-
puis 40(), mort en 425, défendit avec zèle la cause de l'orthodoxie
contre le? ariens et les pélagiens. Il était accessible pourtant à des sen-
timents conciliants. Grâce à lui, le nom de Ghrysostôme fut rétabli
sur les diptyques de l'Eglise de Constantinople et un décret d'amnistie
promulgué contre ses disciples, les johannites. Il accueillit les chré-
tiens qui fuyaient la persécution des Sassanides et détermina l'empe-
reur Arcadius à refuser aux rois de Perse leur extradition. On a de lui
des lettres sur V Incarnation et l'Aumône, ainsi qu'un traité sur la Fi iel
un autre sur la Virginité, écrits pour les lilles d'Arcadius (Voy. Socrate,
Hist.eccL, VI, 20; VII, 2; VIII, 27; Nicéphore, Hitt. te cl., XIV, 26).
Î02 ATTON — AUBE
ATTON, évoque de Verceil, mort en 960, est F un des représentants
les plus éclairés et les plus courageux de l'épiscopat du dixième siècle,
îl adressa au clergé de son diocèse une lettre de pressuris ecclestasticis,
dans laquelle il s'élève contre l'immixtion des princes dans les affaires
de l'Eglise, en particulier dans les élections des évêques, contre les abus
commis avec les bénéfices ecclésiastiques, « vnde meretrices ornantw\
ecclesiœ vastantur, pauperes tribulantur » , et contre les duels judiciaires,
auxquels les prêtres eux-mêmes, inhabiles à manier les armes, ne pou-
vaient échapper., alors pourtant que cette coutume barbare était im-
puissante à décider de la justice ou de l'injustice d'une cause. On a
encore d'Atton un traité de morale, Polypticus seu perpendiculum,
quo noxia redar guère et honesta sancire débet, mélange de conseils
pratiques et de réflexions mystiques; un commentaire des Epitres de
saint Paul, composé de citations empruntées aux Pères de l'Eglise; des
sermons et un recueil de canons, publié sous le titre de : Statuta eccle-
siœ Vercellensis. Un certain nombre de ces écrits ont été insérés par
d'Achéry dans son Spicilegium veter. aliq. scriptor., P., 1655, VIII. Le
comte Buronti de Verceil en â publié, en 1768, une édition complète en
2 vol. in-fol.
ATTRIBUTS de Dieu. Voyez Dieu.
ATTRITION. Ce terme, inconnu à l'Ecriture et aux Pères, a été intro-
duit dans la théologie scolastique au treizième siècle (voy. P. Morin, De
pœnitentia, VIII, 2, n° 14) pour désigner la contrition imparfaite ou la
douleur qui naît de la considération de la laideur du péché et de la
crainte du châtiment, « vel ex turpitudinis peccati consideratione, vel ex
gehennœ et pœnarum metu. » Mais l'attrition est-elle suffisante pour pro-
voquer un véritable repentir? Un débat s'est élevé à ce sujet. On dési-
gne sous le nom mal sonnant d'attritionnaires ceux qui soutiennent
qu'une crainte servile (s^ans nul motif d'amour de Dieu) des peines
éternelles ou seulement des maux temporels suffirait pour justifier le
pécheur dans le sacrement de la pénitence. Le concile de Trente
(Sessio XIV, c. 4) a décidé contre eux que l'attrition n'est suffisante
que si elle exclut la volonté de pécher et renferme l'espérance du par-
don, « si voluntatem peccandi excludat cum spe veniœ. » Les défenseurs
de l'attrition soutiennent que l'on ne saurait penser au bienfait du par-
don sans ressentir un mouvement de reconnaissance pour le bienfai-
teur, et que, d'ailleurs, la crainte du châtiment et l'amour naturel de
soi, en tant qu'ordonnés par Dieu, peuvent à la rigueur être considérés
déjà comme un commencement d'amour de Dieu. La théologie protes-
tante a repoussé, à juste titre, ces distinctions oiseuses : « De contri-
tione prsecidimus Mas otiosas et infinitas disputationes, quando ex dilec-
tione Dei, quando ex timoré pœnse doleamus » (Apol. Confess. Augvsl.,
165). — Voyez l'article Pénitence.
AUBE {alba, tunica, camisia), tunique blanche qui descend jusqu'aux
pieds et que les ministres de l'autel portent dans la célébration de la
messe. La couleur blanche marque soit le renouvellement par le Saint-
Esprit, soit l'innocence delà vie, soit l'éclat dont brillent les anges. Les
Grecs, à cause de sa longueur, l'appelaient icoNjpTfjç, les Latins, talaris. On
AUBE — AUBERLEX 703
La désignait aussi sous le nom de tunicajucwnditaMsjindmnentumlxlitise.
Un décret de la congrégation des rites, du 1*> mai ISli), proscrit l'usage
des toiles <le coton pour les aubes, qui doivent être en lil de lin ou de
chanvre. — Voyez l'article Costume sacerdotal.
AUBERLEN (Charles-Auguste), né en 182£ dans une modeste et
pieuse famille d'instituteur, près de Stuttgard, fit ses études au sémi-
naire de Blaubeuren et à l'université de Tubingue. Après un double
vicariat, dont l'un aux côtés de Hofacker, et un voyage scientifique en
Allemagne et en Hollande, il enseigna la théologie à Tubingue et, à partir
de 1851, en qualité de professeur extraordinaire, à l'université de Baie.
Miné par la maladie, il mourut en 18Gi dans la pleine maturité de
l'âge et du talent. Par sa tendance d'esprit et par ses écrits, Auberlen
appartient à cette remarquable école de théologiens souabes qui cher-
chent à unir la hardiesse d'une pensée nourrie des enseignements de
la Bible au mysticisme d'une piété saine et originale. Dans sa jeu-
nesse, sous l'influence des idées de Gœthe et de Hegel, le jeune étu-
diant avait poursuivi l'idéal d'une culture humanitaire, affranchie de la
conception théiste du christianisme; mais, grâce à la puissante influence
de Beck et de Rothe, il s'était détourné du panthéisme pour chercher
dans la Bible la solution des problèmes qui le tourmentaient. Auberlen
utilisa les loisirs de son premier vicariat pour étudier à fond la théoso-
phie d'Oetinger, ce penseur wurtembergeois si étrange et si profond,
et exposa ses idées avec toute la lucidité qu'elles comportent {Die Theo-
sopliie Oetingers nach ihren Grundzûgen, Tiïb., 1847); puis il se tourna
vers Bengel et lui demanda le secret de son réalisme biblique, vers le-
quel son esprit, fatigué des abstractions creuses delà sagesse moderne,
se sentait de plus en plus attiré. Dans un ouvrage qui causa quelque
sensation (Der Prophet Daniel u. die O/fenbarung ,/ohannis, Basel, 1854,
2e éd., 1857), il rompit nettement avec les vues courantes de l'école
libérale. S" inspirant des enseignements symboliques du mystérieux
prophète de l'exil et du voyant passionné de Pathmos, Auberlen traça
les linéaments d'une philosophie de l'histoire d'après la Bible. A la
théorie d'un progrès indéfini, destiné à embrasser l'humanité tout en-
tière pour l'amener à la perfection, il opposa l'idée d'une séparation
de plus en plus tranchée du royaume de Dieu et du royaume du monde,
qui amènera une lutte suprême couronnée par le dernier jugement.
Rendu attentif, par la correspondance de Schleicrmacherct parles confé-
rences apologétiques auxquelles il prit part, à la nécessité de dissiper
les préjugés que les hommes élevés dans les idées modernes nourris-
sent contre la foi chrétienne, Auberlen entreprit un ouvrage sur !a
révélation divine qu'il ne lui fut malheureusement pas permis d'a-
chever {Die gôttliche Offenbarung, Fin apolog. Versuch, Basel, 1861. Le
commencement du second volume a paru après sa mort, en 1864).
L'auteur s'applique à justifier la conception dû surnaturel sur laquelle
reposent la Bible el les dogm< s chrétiens. A cel effet, il se propose de;
soumettre les documents bibliques â un examen historique et critique
dégagé de toute prévention. Prenant pour point de départ les épitres
incontestées de saint Paul, elles que la critique «le l'école «le Baur
704 AUBERLEN — AUBERY
elle-même regarde comme authentiques, et remontant d'elles par une
série de déductions ingénieuses aux Evangiles et aux écrits de l'Ancien
Testament, il montre que Ton ne saurait expliquer les événements que
ces écrits rapportent, tels que l'existence même des communautés
apostoliques, leurs dons exceptionnels, leur propagande couronnée de
si rapides succès, la conversion de saint Paul, etc., etc., sans admettre
une intervention divine spéciale, suspendant ou modifiant, en vue
d'un but déterminé, le jeu ordinaire des lois de la nature. La deuxième
partie de l'ouvrage renferme une exposition historique pleine d'inté-
rêt des diverses tendances et écoles religieuses qui se sont produites en
Allemagne depuis la Réformation, ainsi que des services qu'elles ont
rendus ou des entraves qu'elles ont apportées à la défense du christia-
nisme. La troisième partie, dont nous ne possédons qu'une simple
ébauche, contient une étude dogmatique de la révélation chrétienne
.^Ile-même. Auberlen avait "un talent remarquable de prédicateur
{Zehn Predigten, Basel, 1855), de conférencier (Schleiermacher, Fin
Charakterbild, 1859; Zehn Vortrœge sur Verontwortung des christl.
Glaubens, 1861) et d'écrivain. Son style est clair, simple, plein de chaleur
et d'une beauté presque classique ; sa parole était toute vibrante d'une
émotion intérieure soutenue par de fortes convictions ; aussi l'action
exercée par Auberlen à Bàle, et au dehors, était-elle considérable, et sa
mort prématurée causa-t-eile partout les plus vifs regrets.
F. LlCHTENBERGER.
AUBERTIN (Edme) (1596-1652), savant réformé du dix-septième siècle.
Pasteur à Paris depuis 1627, il fut dénoncé pour avoir demandé à un
catholique converti s'il renonçait à «l'abominable sacrifice de la messe»,
et obligé de se soustraire, pendant quelque temps, par la fuite, aux
poursuites de la justice. Son traité de Y Eucharistie de l'ancienne Eglise,
(2e édit., Genève, 1633, in-fol.), traduit aussi en latin, est un des meil-
leurs ouvrages de controverse du temps (voy. France prolest., 2e édit.,
1, p. 434 sb.).
AUBERY (Jacques), lieutenant civil au Chàtelet de Paris. 11 porta
courageusement la parole en faveur des victimes de Cabrières et de
Mérindol, en 1551, devant la grand'chambre du Parlement, en Qualité
d'avocat général du roi (voy. 1° Histoire de l'exécution de Cabrières et
Mérindol et d'autres lieux de Provence, Paris, 1645, in-4 ; 2° aux ar-
chives nationales de France, cote U, 828, le registre du Parlement de
Paris, intitulé : Pluidoyez, arrestez, avec proceddures sur le faict de ceux
de Cabrières et Mérindol, de Provence, depuis l'an ï$r±0jusquen l'an 1554 ;
3° l'éloge du plaidoyer d'Aubery dans le deuxième livre des épitres
du chancelier de l'Hospital, septième épitre). — J. Aubery fut, en 1555,
investi des fonctions d'ambassadeur extraordinaire en Angleterre, pour
y traiter de la paix.
AUBERY (Benjamin), seigneur du Maurier, petit-neveu de Jacques
Aubery. Un respect tout naturel pour d'honorables traditions de fa-
mille, et un sentiment du devoir, d'autant plus énergique qu'il dérivait
des inspirations d'une sincère piété, portèrent Dumaurier à aborder la
carrière d'homme d'Etat. Il eut, en 1589, à 27 ans, le bonheur d'être
AUBERY 705
accueilli comme secrétaire par Duplessis-Mornay, près de qui il reçut,
pondant quatre années consécutives, les féconds enseignements d'un
pieux et noble cœur, d'une intelligence d'élite et d'une expérience
consommée. Le disciple répondit dignement par son développement
personnel et par sa vive gratitude aux directions du maitre éminent
dont la bonté paternelle lui ménagea, au dehors, l'accès d'importantes
fonctions. A dater de 1593, Dumaurier remplit pendant plusieurs an-
nées lOi lice d'intendant du" duc de Bouillon et celui de son chargé
d'affaires auprès de Henri IV. Devenu, plus tard, l'un des secrétaires
de Sully, il fut employé dans des négociations délicates, entre la France
et le duc de Bouillon, qui aboutirent à la soumission de celui-ci, et fut
choisi, en 1607, pour l'accomplissement d'une mission, à la fois finan-
cière et politique, relative aux intérêts des Provinces-Unies des Pays-
Bas. Lorsque Sully, encourant en 1611, sous un nouveau gouverne-
ment, une disgrâce imméritée, dut se séparer de ses secrétaires, il
donna des encouragements à Dumaurier et lui présagea un brillant
avenir. En 1613, Dumaurier fut appelé aux fonctions d'ambassadeur
de France dans les Provinces-Unies, fonctions antérieurement exercées
avec distinction, surtout par de Buzenval, intime ami de Duplessis-
Mornay, et par le président Jeannin. Elevé à la forte et noble école de
Duplessis-Mornay, Dumaurier, par ses antécédents, par ses sentiments,
par son caractère, se rapprochait singulièrement de de Buzenval : aussi
s'attacha-t-il à continuer ses traditions recommandables, sans perdre de
vue. (Tailleurs, celles de Jeannin. — La promotion de Dumaurier à un
poste élevé froissait divers intérêts, et transformait en détracteur plus
d'un ambitjeux déçu dans ses poursuites et ses prévisions. De là surgi-
rent pour le nouvel ambassadeur certaines difficultés, aggravées, au
sein de la société néerlandaise, par les préventions et les calomnies
dont il fut l'objet. 11 s'agissait de dissiper les unes, d'anéantir les au-
tres, de concilier à un homme essentiellement honorable l'estime des
honnêtes gens, en le faisant connaître tel qu'il était, et d'assurer au
représentant de la France le respect que devait imposer sa haute situa-
tion. Ce triple but fut efficacement atteint par l'influence de Louise de
Coligny, princesse douairière d'Orange, qui soutint Dumaurier de
toute l'autorité de son crédit et de son inépuisable bonté. Les senti-
ments de gratitude envers cette femme éminente, qui débordent dans
un écrit émané de Dumaurier, n'honorent pas moins le protégé que la
protectrice. Dumaurier s'acquitta dignement de ses fonctions diploma-
tiques dans les Provinces-Unies. Il y avait contracté, de même qu'en
France, de nobles amitiés; et certes, si jamais homme fit preuve d'une
sincère fidélité, en fait de sympathie et d'affection, ce fut bien lui. 11
n'exagérait rien quand il écrivait à Hotman : « Ceux qui me connais-
sent cautionneront toujours que je suis de ferme tenue là où je me
suis voué. » L'histoire atteste, à l'honneur de la mémoire de Du-
maurier. tout ce qu'il veut devrai dans ce généreux accent de son
aine, car elle allie à son nom, désormais inséparable des noms de Van
Olden Barneveld et de Grotius, ses dignes amis, le souvenir d'un dé-
vouement sans réserve, qu'une inébranlable affection pouvait seule
706 AUBERY
inspirer. Ce souvenir est vivant pour quiconque étudie à fond les di-
verses phases de ia lutte qui s'engagea entre les arminiens et les go-
maristes. Des hommes égarés par de coupables passions mêlèrent à la
question religieuse, en la déplaçant de sa base, des questions gouver-
nementales sous le poids desquelles ils s'efforcèrent de la comprimer ;
la liberté religieuse fut sacrifiée à la prétendue religion d'Etat, et de
sanglantes immolations signalèrent le triomphe du bras séculier. Une
triple accusation d'atteinte aux libertés publiques, de provocation à la
révolte, et de haute trahison, avait été dirigée contre Barneveld et
Grotius ; on leur imposa pour juges des commissaires dont la plupart
avaient intérêt à les condamner. D'accord avec la princesse douairière
d'Orange, qui ne cessa de lui prêter son généreux concours, Dumau-
rier prodigua aux deux accusés les preuves d'un infatigable dévoue-
ment. Chez lui l'énergie de l'amitié rehaussait les actives et fermes
démarches de l'homme public : mais les efforts auxquels se livrèrent
la princesse et l'ambassadeur de France pour sauver les jours de Bar-
neveld échouèrent contre la haine implacable des ennemis de ce grand
citoyen. Grotius n'échappa- à une condamnation capitale, que pour être
incarcéré dans la forteresse de Louvestein. Rentré en France, Dumau-
rier quitta la politique active, en 1624, et partagea son temps entre de
tendres soins donnés à sa nombreuse famille et le culte des lettres.
Dans la vie publique, de même que dans la vie privée, il demeura fi-
dèle à la devise qu'il avait adoptée : Cœleskm cogita. Les sentiments de
piété qui l'animèrent dans le cours d'une carrière honorablement
accomplie s'étaient fortifiés avec les années , et la principale recom-
mandation qu'au déclin de ses jours il adressa à ses enfants, se ré-
suma en ces lignes, si belles dans leur simplicité : « J'exhorte mes en-
« fants de méditer à bon escient et souvent les singulières grâces que
<( Dieu leur a départies, non-seulement en leur donnant l'estre, mais
« aussi le bien-estre ; les ayant daigné faire naistre en son Eglise, in-
« struire en sa parole, et rendre participants de ses promesses.... qu'ils
« lisent et méditent souvent la parole de Dieu, fuians comme un très-
« dangereux écueil de s'embarrasser en questions subtiles et curieuses
« des théologiens, qui par leurs dissensions et controverses ont beau-
« coup plus destruit qu'édifié le christianisme et la piété... c'est pour-
ce quoi je renvoyé mes enfants au conseil de saint Paul, de scavoir à
« sobriété, leur suffisant embrasser très-simplement par foy un seul
((Jésus et iceluy crucifié.» Dumaurier mourut en 1036, à l'âge de
soixante-dix ans. — Yoy. sur Dumaurier : 1° Vie dePh.Mornay, Leyde,
1647, in-4; 2° Mém. et corresp. de D.-Momay, Paris, 1624-25, 12 v.
in-8; 3° Mém. de Sully, Paris, 1788, 6 v. in-8; 4° Mém. pour servir à
rhist. de Hollande, etc., par Louis Aubery, chev. seign. du Maurier, Pa-
ris, 1688, in-8; 5° Hist. de Louis XIII, par Levassor, Amst., 1762, 6 v.
in-4 ; 6° Aubery du Maurier, Etude sur Vhist. de la Finance et de la Hol-
lande (1566-1636), par M. H. Ouvré, Paris, 1853, in-8; 7° Etude hist.
sur la correspond, de Dumaurier avec Hotman de Villiers, Bull. Soc»
d'hist. du protest, franc., 15e année, p. 401 à 413, et 497 à 510.
j, Delaborde.
AUB1GNÉ 707
AUBIGNÉ (Théodore-Àgrippad')', brave soldat, savant et fécond écri-
vain, fidèle serviteur d'Henri IV, mais huguenot incorruptible, agrandi
dans l'estime publique au fureta mesure que par le bénéfice du temps
il a été lu davantage et mieux compris. Il naquit près Pons, en Sain-
tonge, le 8 février 1552. Son père, Jean d'Aubigné, était (Tune famille
bourgeoise de Loudun, mais homme très-entendu, très-lettré, licencié
es lois et juge de la seigneurie de Pons, qui avait acquis du bien et
fini par prendre place parmi la petite noblesse de la Saintonge. De
plus, il avait fait un beau mariage en se mariant dans une riche famille
bourgeoise de Blois, avec une jeune et savante calviniste, Mlle Cathe-
rine de Lestang, qui lisait saint Basile dans le texte grec et qui lui
apporta en dot la seigneurie des Landes près de la petite ville de Mer.
Malheureusement Théodore-Agrippa causa la mort de sa mère en
venant au monde. Dès que l'enfant eut quatre ans, son père lui amena
de Paris un précepteur qui commença par le mettre au latin, au grec
et à l'hébreu tout ensemble. Ce terrible magister qu'il ne garda guère
plus d'une année était Jean Cottin, qui, peu après l'avoir quitté, fut
brûlé vif, à Rouen, comme un hérétique des plus dangereux (en 1559).
Trois autres précepteurs succédèrent à celui-ci, qui suivaient les mêmes
méthodes et dont le second, Jean Morel, eut un frère brûlé aussi
comme hérétique. Le troisième est resté célèbre clans les lettres: c'était
Mathieu Béroalde. Plein de feu et d'intelligence, l'enfant mit à profit
toutes ces levons, en sorte qu'il était, dès son premier âge, un vrai fils
de la Réforme par la solidité de l'instruction comme par la hauteur
des idées. Le père auquel il devait tant de soins lui donnait l' exemple;
pour le caractère. Il avait pris très-activement part à la conjuration
d'Amboise et tout homme de loi qu'il était, endossant la cuirasse dès
la première prise d'armes, il joignit l'armée de Condé. Quelques jours
après l'affaire où près de douze cents huguenots furent exécutés de
sang-froid, il passait à cheval par cette ville avec son fils et une petite
troupe de compagnons, quand apparut devant eux une potence au
sommet de laquelle étaient rangées un certain nombre de têtes encore
reconnaissables. A cet aspect il ne put s'empêcher de s'écrier: « Ils
ont décapité la France, les bourreaux! » et posant la main sur le front
de l'enfant, il lui dit: « Il ne faut pas (pie lu épargnes ta vie après la
mienne, pour venger ces chefs pleins d'honneur, ou tu auras ma
malédiction. » Et lui-même, en effet, s'épargna si peu que deux années
après (1562), il mourait des suites d'un coup de lance reçu pendant
le siège d'Orléans. Un de ses beaux-frères, nommé Aubin d'Abeville,
juge de la seigneurie d'Archiac, devint le curateur de l'orphelin et
l'envoya étudier quelques années à Genève et à Lyon. En 1567, Théo-
dore-Agrippa revint en Saintonge, tout nourri de i^nr, de latin, voire
d'hébreu, écrivant en vers aussi couramment qu'en prose, ayant
feuilleté les Pères de l'Eglise, effleuré la philosophie, goûté [es mathé-
matiques et mémeessayé ce qui ('-lait alors la quintessence scientifique,
de la magie; mais M tenait toute la science pour peu de chose auprès
de ses visées de gentilhomme <-t de sa passion pour le métier des
armes. Il avait quinze ans. Le curateur, très-opposé à cette ambition
70« AUBIGNÉ
prématurée, renfermait au moins pendant la nuit, de peur qu'il ne
s'échappât, et par surcroit de précaution faisait enlever ses habits le
soir. Le jeune homme sauta par Ja fenêtre et s'embaucha, demi-nu,
dans une troupe de soldats huguenots qui passaient. Une lieue plus
loin on rencontra une bande de papistes : la disperser fut l'affaire d'un
moment ; d'Aubigné y gagna une arquebuse, et ce ne fut qu'à Jonzac
qu'on l'habilla. Il fit ainsi, dans les rangs obscurs, la seconde et la
troisième guerre de religion (septembre 1567 — août 1570), mais
quoiqu'il raconte avec complaisance ses premiers exploits, qu'il ait
assisté à divers combats, notamment à Jarnac et la Roche-Abeille (1569),
qu'il ait même eu le grade d'enseigne dans la compagnie du capitaine
d'Asnières, il ne comptait pas encore comme homme de guerre. C'est
seulement en 1573 que son rôle devient plus sérieux, dans ce court
intervalle où Henri IV, tenu comme prisonnier à la cour après n'avoir
échappé aux assassins qu'à condition de se montrer bon catholique,
feignait de se rapprocher des Guise, et, pour détourner les soupçons,
prenait part soit à leurs plaisirs soit, chose plus grave, à leurs opéra-
tions militaires. C'est à ce moment que d'Aubigné entra au service du
prince qui avait pu le connaître lorsqu'ils étaient jeunes garçons tous
deux et que ce dernier, n'étant encore qu'héritier présomptif de la
Navarre, visitait quelquefois les sires de Pons et d'Archiac dans leurs
châteaux. Tous deux, en 1574, n'avaient guère plus de vingt ans.
D'Aubigné imita de tout point le jeune maître auquel il venait de se
donner, mais il eut le mérite spécial, et des plus importants, de le
décider à rompre son indigne servitude pour s'enfuir et se mettre à la
tête du parti (8 février 1576) . Il était aux gages du roi de Navarre à
titre d'écuyer de son écurie et fit avec distinction les trois mois de
campagne qui suivirent, puis celle qui dura du mois de janvier au
mois de septembre 1577. Au bout de ce temps, l'écuyer trouva qu'on
n'avait pas une assez haute idée de son mérite, et il prit brusquement
congé. 11 tira vers le Poitou dans l'intention de vendre son bien et
d'aller offrir son épée à quelque prince protestant d'Allemagne. Mais
en passant à Saint-Gelais, près Niort, une jeune fille qu'il vit à la
fenêtre, Mlle Suzanne de Lezay, le toucha par sa beauté ; il s'arrêta
dans ce château, y trouvant deux compagnons d'armes, les sieurs de
Saint-Gelais et de La Boulaye ; il se laissa aisément persuader de les
accompagner dans quelques coups de main à faire à l'entour, et ainsi
trouva-t-il son Allemagne dans cette halte charmante. 11 guerroya donc
de nouveau comme chef de partisans, mais pas toujours avec bonheur,
car dans une entreprise malheureuse dirigée par ses amis et lui contre
Limoges, il resta prisonnier. Le roi de Navarre, quoique bien pauvre
lui-même, fournit une partie de la rançon. Cette générosité ramena
l'écuyer qui reprit son service auprès de lui et le suivit de nouveau
dans tous les incidents de sa vie guerrière, sans oublier toutefois
Mlle de Lezay. Le mariage était difficile à cause de l'inégalité des
conditions, car non-seulement la jeune fille était d'une très-noble
famille, mais elle était héritière de biens considérables, notamment de
la baronnie de Surimeau et de la belle terre de Mursav. L'adroit Henri,
AUBIGNE 709
charmé sans doute de payer sans bourse délier un serviteur exigeant,
l'appuya vivement et par écrit et de vive voix, en sorte que le mariage
se conclut (6 juin 1583). La guerre se ralluma en 1585: en 15&7, à la
bataille de foutras, d'Aubigné prit le rang de maréchal de camp. Sur
la lin de l'année suivante, les troupes du roi de Navarre s'étant
emparées de l'importante forteresse de Maillezais, à quelques lieues de
laquelle étaient situés les biens de sa femme, il en obtint le comman-
dement, avec la secrète volonté de s'y établir pour toujours. Il prit
encore part au combat d'Arqués (1589), à la bataille d'Ivry (1590) ; il
eut P honneur, car c'était une grande preuve de la confiance que sou
caractère inspirait, de garder à Maillezais le roi de la ligue, Charles de
Bourbon, l'oncle et le prisonnier d'Henri IV. Enfin en 1593, lorsque
son maître eut accompli son abjuration, d'Aubigné, qui l'avait prévue
et dès longtemps détestée, quitta la cour pour se confiner à Maillezais.
Peu de temps après, il eut un violent chagrin : sa femme mourut
(1596). C'est alors que son activité, qui s'était tournée depuis long-
temps vers les lettres, s'employa plus particulièrement aux affaires
de la religion. 11 parut dans les assemblées protestantes, et celles-ci le
choisirent souvent pour les représenter à la cour ; il s'y distinguait par
sa parole véhémente, par l'énergie avec laquelle il blâmait les timides,
les courtisans, les fauteurs de la politique des intérêts, et soutenait
âprement celle des principes ; il paya de sa. personne jusqu'à soutenir
des disputes en public contre des docteurs catholiques et contre un
évêque sur des matières de théologie. Henri IV, qui achetait volontiers
les hommes, ne put jamais le gagner. Aussi était-il fort mal en cour
durant les dernières années du règne. La régence de Marie de Médicis,
après la mort du roi, lui fut encore plus défavorable, et craignant d'être
sérieusement inquiété il résolut de chercher hors de France « le chevet
de sa vieillesse et de sa mort. » N'ayant pu s'entendre avec les
ministres du roi pour leur remettre à juste prix sa forteresse de Mail-
lezais (c'était un usage du temps, usage qui semblait renouveler l'épo-
que des empereurs carlovingiens), il la vendit au comte de Rohan qui
était alors gouverneur de la province du Poitou, mais qui avait surtout
à ses yeux le mérite d'être le chef du parti protestant (mai 1619)..
L'année suivante, compromis dans de nouveaux troubles, il allait être
arrêté lorsqu'il disparut subitement et par une fuite rapide gagna
Genève, où il était sain et sauf le 1er septembre 1620. Les Genevois
et leurs alliés de la Suisse l'accueillirent avec joie et lui rendirent
mille honneurs. Son premier soin fut d'acheter sur les terres de la
République une petite terre seigneuriale, la baronnie de Crest, dont il
fit reconstruire le château. C'est là qu'il passa paisiblement les dix
dernières années de sa vie, principalement occupé de la révision et de
la réimpression de ses ouvrages. Sa famille était restée en France dans
ses terres de Surimeau et de Mursay, qu'en père avisé il avait partagées
entre ses deux gendres et son fils, avant d'être atteint par les arrêts
de confiscation prononcés contre lui. Il avait aussi un fils naturel, né
quelques années après la mort de Suzanne de Lezay, mais il le tenait
à distance. Son seul effroi, dans sa retraite, était la solitude et l'aban-
710 AUBIGNE
don. Il y pourvut sagement en se remariant (au mois d'avril 1623),
bien qu'il eût alors 71 ans sonnés, avec une bonne et respectable
dame genevoise qui en avait 55, Renée Burlamacchi, veuve de César
Balbani, deux familles également réfugiées à Genève par attachement
à une sainte religion. Il acheva paisiblement alors ses travaux litté-
raires jusqu'à ce qu'il mourut doucement, et chrétiennement, après
une courte maladie, le 9 mai 1630. Il laissa deux filles, mariées, l'une
à un honorable gentilhomme, Benjamin de Valois, sieur de Villette,
l'autre à un de ses compagnons d'armes, Josué de Caumond, sieur
d'Adde, dont les descendants possèdent encore aujourd'hui la terre de
Surimeau, et un fils, Constant d'Aubigné, dont la vie déplorable ne
fut qulune suite de désordres et de misères. Constant fut le père de la
célèbre marquise de Maintenon et de Charles comte d'Aubigné, en qui
la descendance directe s'éteignit, l'année 1703. — C'est surtout comme
écrivain que Théodore-Agrippa d'Aubigné justifie l'éclat qui entoure
aujourd'hui son nom. A dix-huit ans il avait composé ses premiers vers
pour la fille du seigneur de Talcy, l'un des voisins de sa terre des
Landes ; il en avait fait un recueil qu'il avait intitulé Le printemps,
mais ils n'ont été imprimés que tout récemment (parles soins de
M. Ch. Read, 1874). On a aussi publié, longtemps après sa mort, deux
très-vifs pamphlets de sa plume : La Confession du sieur de Sancy, le
Divorce satyrique de la reine Marguerite et des Mémoires de sa vie. Ce
n'est que sous le voile de l'anonyme qu'il donna lui-même au public,
en 1617, un autre pamphlet ou roman satyrique plein d'esprit et de
crudité: Les Avantures du baron de Fœneste. Ses véritables titres litté-
raires sont deux ouvrages d'une tout autre valeur : Les Tragiques et
Y Histoire Universelle. Les Tragiques sont un poëme de 9,000 vers,
qu'il avait commencé en 1577, étant dans son lit en danger de mort,
par suite de ses blessures, et dans lequel il dépeint les princes catho-
liques, les juges qui leur obéissent, les bûchers de l'Inquisition, les
combats répondant aux supplices, toutes les misères poignantes de son
temps et la prochaine vengeance de Dieu qui menace les oppresseurs
et consolera les victimes. C'est l'épopée du calvinisme. Le poëme est
rude, le langage heurté, parfois obscur, les vers rauques, mais le sujet
est toujours grandiose et le souffle du poëte infatigable. D'Aubigné
avait pris la sage précaution de n'y point mettre son nom lorsqu'il
l'imprima pour la première fois en 1616. Il en donna une seconde
édition à Genève (1623). De nos jours nos plus doctes éditeurs se sont
évertués à en publier successivement trois éditions nouvelles (Lud.
Lalanne, 1857; Mérimée et Read, 1872; Réaume et Caussade, 1876).
'L'Histoire Universelle est la mise en scène du même sujet chanté dans
les Tragiques, mais en prose ; c'est-à-dire que les exagérations et les
fureurs de la poésie y sont remplacées par la froide vérité, l'exactitude
scrupuleuse, la recherche du détail. L'auteur rédige seulement le récit
de ce qu'il a vu de ses yeux et de ce qu'il a su par les mémoires que
d'autres lui ont fournis. Aussi son récit est-il borné aux limites de sa
yie ; il commence à Tan 1550 et finit à la mort d'Henri IV, 1610. Il lui
a donné le titre d'Universelle parce que d'espace en espace il introduit
AUBIGNE — AUDIËNS 711
dans cette histoire un chapitre où sont résumés les principaux, événe-
ments contemporains dont l'Europe est le théâtre. Ce livre a le défaut
des rapports écrits par un témoin oculaire; les premiers plans sont
grossis et les petits incidents où l'auteur figurait en personne y pren-
nent une importance qui dépasse la juste proportion. Mais d'Auîngné
es! de bonne foi ; il comprend à merveille la dignité de l'historien, le
respect dû à la vérité, et en même temps il manie la plume avec le
talent d'un grand artiste. Avec ses allures de huguenot renfrogné, il
déchue en commençant qu'il ne veut pas qu'on voie son livre courir,
comme tant d'autres, précédé d'une dédicace, « sale de flatteries impu-
dentes », et conséquent avec ses habitudes il se place sous le plus noble
des patronages: il dédie son Histoire à la postérité. Or, ce qui semble
d'abord n'avoir été qu'une boutade est devenu, par le simple bénéfice
du temps qui s'écoule, un trait prophétique. D'Aubigné ne fut pas lu
au dix-septième siècle, il était trop huguenot ; encore moins au dix-
huitième, il était trop abstrus dans son vieux style ; aujourd'hui les
éditeurs se disputent l'honneur de le réimprimer. Mais ce qu'il y a de
plus remarquable, c'est' qu'à chaque édition, à chaque étude nouvelle
dont ses œuvres sont l'objet, sa probité d'historien devient plus mani-
feste. — Sources : Mémoires de d'Aubignê, avec une préface par
Lud. Lalanne, Paris, 1854 ; La famille d'Aubignê, par Th. Lavallée,
1853; Sainte-Beuve, Cause?ies, juillet 1854; La France protestante,
2e édit., t. 1, p. 460-550. H. BÔedier,
AUBUSSON (Pierre d') [1423-1503], grand maître de l'ordre de Saint-
Jean de Jérusalem, se distingua d'abord en Hongrie, au service de l'em-
pereur Sigismond, contre les Turcs ; il soutint ensuite, dans l'île de-
Rhodes, en 1480, un siège auquel Mahomet II employa 100,000 hom-
mes, et que les Turcs furent obligés de lever après des pertes considé-
rables. En récompense de ces services, Innocent VIII nomma d'Au-
busson cardinal, bien qu'il ne fût pas prêtre. A la fin de sa vie, il devait
commander une nouvelle croisade contre les Turcs; mais l'entreprise
ne s'exécuta pas.
AUCH [Civitas Ausciorum, Auscius, Auxis, Aux] eut un évêché au
moins depuis 500. Auch reçut le titre d'archevêché lorsque l'antique
Eauze (Elusa), la métropole de la Novempopulanie, dont saint Paterne
avait été évêque à la fin du troisième siècle, eut été dévastée vers 845
par les Normands. Dès lors, nous voyons l'archevêque d'Auch prendre,
malgré les prétentions de celui de Bourges, le titre de primat d'Aqui-
taine. En 1789, ce siège avait pour suffragants ceux de Dax, Lec-
toure, Comm inges, Conserans, Aire, Bazas, Tarbes, Oloron, Lescars el
Bayonne. En 1817, l'archevêché, supprimé en 1790, fut rendu à Aneh
avec la juridiction sur Aire, Tarbes et Bayonne. Plusieurs synodes fu-
rent tenus à Auch de 1008 à 1308. La cathédrale de Sainte-.Maric, bâtie
en 1483, terminée en 1662, est Tune des plus belles du midi de la
France (Gallia, i: Brugelles, Chronique dudioc. d'Auch, Toul., 1746).
AUDIENS. Àudius était un laïque pieux et austère qui vivait en Méso-
potamie vers le milieu du quatrième siècle, il s'éleva avec force contre
la cupidité et les mœurs impures du elergé de son temps, déserta les as-
712 AUDIENS — AUGER
semblées du culte et provoqua ainsi son excommunication. Une foule
de mécontents, tant laïques que prêtres, se groupèrent autour de lui
et le forcèrent à recevoir la consécration épiscopale. Il fut banni en
Scythie et recruta des adhérents parmi les Golhs établis aux bords de
la mer Noire. La secte des audiens s'éteignit à la lin du cinquième siè-
cle. Il est diiïicile de déterminer exactement en quoi a consisté leur héré-
sie. Epiphane {Hœres., 70), qui en parle avec une grande modération,
attribue à un manque de culture intellectuelle leur conception un
peu grossière, très-empreinte d'anthropomorphisme, de Dieu qu'ils se
représentaient avec une figure humaine à la ressemblance de laquelle
Thomme fut créé (Gen. I, 26). On ne sait trop ce qui a pu motiver l'ac-
cusation de Théodoret (Hist. eccl., IV, 10; Hieret. Fabul.,YV, 9), qui leur
prête la doctrine de l'éternité des ténèbres, du feu et de l'eau. On leur
reprochait aussi de célébrer la Pàque à la manière des juifs et de don-
ner l'absolution sans exiger la pénitence canonique. L'ascétisme des
aûdiens contribua à favoriser, dans la Mésopotamie et la Scythie, le
progrès des institutions monastiques (voy. aussi Augustin, Hœres., 50;
Neander, Kirchengeschichte, III, p. 985).
AUDIN (Vincent), libraire et homme de lettres, né à Lyon en 1793,
f 1851. Il avait étudié au séminaire de l'Argenlière et s'était fait recevoir
avocat. M. Audin est l'auteur des Guides-Richard et d'un grand nombre
de brochures politiques. 1/ Histoire de la Saint- Barthélémy, qu'il publia
sous le voile de l'anonyme en 1826 (Paris, in-8°),le lit accuser d'impar-
tialité envers les protestants. Le même reproche ne sera jamais adressé
à ses grands ouvrages, Y Histoire de Luther (3 vol., 1839) et Y Histoire
de Calvin (2 vol., 1841), auxquels il ajouta, en 1847, une Histoire de
Henri VJJJ, et, en 1851, une Histoire de Léon X.
AUDRY (Sainte) [yEtheldritha, Edilthryda, Edeltrude], fille du roi
anglo-saxon Anna, observa son vœu de chasteté dans les deux mariages
que la politique la contraignit de contracter. Wilfrid, évêque d'York,
prononça son divorce avec Egfrid, prince de Northumbrie, et la fit ab-
besse du couvent d'Ely (Elia ou Helia), qu'elle avait fondé, en 671,
dans la petite île du même nom, après s'être retirée d'abord dans l'ab-
baye de Coldingham. Audry se distingua par ses vertus ascétiques et
mourut, en 679, d'une maladie contagieuse qu'elle avait contractée en
soignant une de ses sœurs. L'abbaye d'Ely, qui appartenait aux béné-
dictins, fut détruite par les Danois en 870, rétablie en 970 et érigée en
évêché par le pape Pascal II en 1109. — Voyez Anglia sacra, I ; Bède,
Hist. d'Anglet.; Mabillon, Aclasanct. Ord. Ben., etc.
AUGER (Edmond), jésuite, était né en 1530, dans la Brie. Rentra, en
1550, dans la Compagnie, qu'il servit avec éclat. En 1562, étant tombé,
à Valence, entre les mains de des Adrets, il fut sauvé de la potence par
la pitié des ministres. Le 18 juillet 1563, il célébrait « la résurrection
de la messe » à Lyon; la même année, il composa, dans cette ville, son
célèbre Catéchisme français. Adversaire journalier de Viret , il écrivit
et prêcha contre lui sans relâche, avec le minime Jean Ropitel et le sa-
vant jésuite Possevin; en 1565, il réussit à le faire bannir comme étran-
ger, le P. Southwell prétend qu'il convertit à Lyon 40,000 religion-
AUGER — AUGSBOURG 713
naires. Le Père Emond s'illustra par son dévouement lors de la peste
de Lyon. Il fut depuis L57S confesseur d'Henri III ; mais, ayant déplu à
la Société par son indépendance vis-à-vis de la Ligue, il fut envoyé à
Rome en 1591. et mourut dans le voyage, à Côme (Voy. sa Vie, par le
Père Bailly, Paris, 1652, in-8°, et par le Père Dorigny, Lyon, 1716, et
Avignon, 1828, in-8°; V Historiographie de la Compagnie; Sotvellus,
Bibl. S. J.: de Backer, Bibl. de la Comp.de Jésus, 1869-76, in-f°).
AUGSBOURG (Confession d'). D'après la lettre impériale du 21 jan-
vier 1530, qui convoquait les Etats allemands à Augsbourg, chacun des
deux partis religieux devait y exposer «son opinion », afin que, par un
examen paisible des erreurs réciproques, on pût arriver au redresse-
ment des griefs et au rétablissement de l'unité. Pour se préparer à cette
exposition, rélecteur Jean de Saxe lit rédiger parles théologiens de
Wittemberg les articles dits de Torgau ; Mélanchthon reçut la mission
de leur donner « une forme », pour que le prince pût les présenter de-
vant la diète. L'électeur, accompagné de quelques savants, au nombre
desquels était Mélanchthon, arriva à Augsbourg le 2 mai; Luther, qui
était encore au ban de l'Empire, dut s'arrêter au château de Cobourg.
Pendant le voyage, Mélanchthon avait écrit le premier projet de l'œuvre
dont il était chargé ; il avait pris pour base les articles de Schwabach
pour les doctrines, et ceux de Torgau pour les institutions et les cou-
tumes. Son intention avait été de faire «une sorte d'apologie», mais
quand il apprit à Augsbourg que l'empereur ne voulait pas de longue
disputation, il choisit la forme plus simple et plus précise d'une confes-
sion de foi. Il écrivit à un ami : « J'ai procédé avec le plus grand soin;
il ne me semble pas qu'on puisse s'exprimer avec plus de modération ;
j'ai été plusdouxque ne le méritait la haine de nos adversaires; je n'ai
voulu réunir que les choses les plus importantes. » Dans la situation
difficile où se trouvait alors le parti protestant , Mélanchthon était le
seul capable de formuler la Confession; il fallait défendre la doctrine
évangélique contre le reproche d'hérésie et la représenter comme celle
de la vraie Eglise universelle ; il fallait dévoiler avec une extrême ré-
serve les erreurs et les abus du catholicisme, et faire tout cela dans un
langage intelligible aussi pour les laïques, sans équivoques et sans sub-
tilités scolastiques. Il n'y avait que Mélanchthon qui pût remplir cette
tâche. Luther lui-même, auquel l'électeur communiqua la Confession,
lui répondit : «J'ai lu l'apologie de maître Philippe, elle me plaît, je
n'ai rien à y changer ni à y corriger ; aussi bien cela ne me convien-
drait-il pas, car je ne sais pas marcher à pas si doux; fasse; le Seigneur
qu'elle produise beaucoup de fruit; c'est notre espoir et notre prière.»
— Dans l'origine, la Confession ne devait être que cellede L'électeur de
Saxe; mais sur l'observation du margrave Georges de Brandebourg
qu'il serait bon de présenter une déclaration commune, elle fut com-
muniquée aux. autres Etats protestants, qui l'acceptèrent* après quel-
ques discussions ; on n'exclut que ceux que l'on qualifiait de sacra-
mentaires. Le25juin, le vice-chancelier saxon en donna lecture (levant
la diète. L'impression fut grande; plusieurs catholiques mêmes l\
frappés de La vérité de ce qu'ils venaient d'entendre exposer avec tant
i. 46
7U AUGSBOURG
de modération; les protestants, de leur côté, dans la conscience d'avoir
proclamé leur foi devant tout l'Empire, se sentirent plus intimement
unis entre eux et pins fortifiés contre les dangers qui pouvaient les
menacer encore. Spalatin put dire avec raison : «En ce jour s'est
accomplie une des plus grandes choses que le monde ait vues.» Ils
s'étaient attendus à ce que l'empereur demandât aussi des catholi-
ques une exposition écrite de leur opinion; cette attente fut trompée.
Charles V chargea une commission de vingt-cinq docteurs de rédiger
une réfutation de l'ouvrage protestant. Ces docteurs travaillèrent si
vite que, dès le 13 juillet, ils présentèrent leur confutation; ils v
avaient joint une longue liste d'erreurs et d'hérésies tirées des écrits
de Luther. C'était un gros volume de 200 feuillets, indigeste, confus,
plein d'invectives, bien différent de la Confession si claire et si mo-
dérée des protestants. L'empereur refusa la pièce; il demanda qu'on
l'abrégeât et qu'on en fit disparaître les passages trop injurieux. Après
qu'elle eut été remaniée, on en donna lecture devant la diète ; Charles Y
lit déclarer qu'il la trouvait orthodoxe, catholique et conforme à l'Evan-
gile, qu'il exigeait, des protestants l'abandon de leur confession suffi-
samment réfutée, et que s'il s'y refusaient, il ferait son devoir de dé-
fenseur de l'Eglise romaine. Leur réponse fut naturellement négative.
De crainte d'une rupture immédiate, on recourut alors à des manœu-
vres pour les ébranler et les désunir ; on tint, sans plus de résultat, des
conférences sur quelques articles de la Confession. Des deux côtés, on
finit par se convaincre qu'on ne pouvait rien céder. Charles V ne vou-
lut point recevoir V apologie écrite par Mélanchthon; le 17 novembre,
il fit proclamer, comme recès de la diète, la sommation aux protes-
tants de se mettre, dans un délai de six mois, d'accord avec l'Eglise,
le pape, l'empereur et les autres princes de la chrétienté. Telle fut
l'issue de la diète de 1530, issue en apparence funeste pour les protes-
tants ; mais ceux-ci avaient désormais leur confession, dont il faut dire
maintenant quelques mots. — Dans le préambule, ils renouvelaient leur
appel à un concile chrétien et libre, et pour le cas qu'ils avaient si bien
prévu où la diète ne rétablirait point l'union et la paix, leur protesta-
tion contre tout ce qu'elle pourrait entreprendre contre eux. La Con-
fession elle-même se compose de deux parties, dont la première expose
en vingt et un articles les doctrines, et dont la seconde s'occupe des
institutions et des cérémonies. Les articles dogmatiques traitent succes-
sivement de la trinité, du péché originel, de la personne et de l'œuvre
de Jésus-Christ, de la justification par la foi seule sans aucun mérite
des œuvres, des moyens de grâce, des œuvres comme fruits de la foi,
de l'Eglise, qui est fondée sur la prédication du pur Evangile et sur
une administration des sacrements conforme à leur institution , mais
qui n'a pas besoin partout des mêmes cérémonies ; du mélange des bons
et des méchants dans l'Eglise; du baptême, qui doit aussi être donné
aux enfants; de la sainte Cène, dont il est dit : « Le corps et le sang de
Christ y sont véritablement présents, et ils y sont administrés à ceux
qui la reçoivent, sous les espèces du pain et du vin; » de la confession,
de la repentance, de l'usage des sacrements, qui ne sont pas seulement
ÀUGSBOURG 715
des signes extérieurs et qui ne justifient non plus ex opère opérait); du
gouvernement de L'Eglise, des rites, du pouvoir civil , de la venue de
Jésus-Christ pour juger le monde; du libre arbitre que l'homme pos-
sède pour mener une vie extérieurement juste et honnête, mais qui est
incapable de faire les choses de Dieu sans l'assistance de la grâce; de
l'origine du péché, qui est ramenée au diable ; de la foi et des bonnes
œuvres; enfin, du culte des saints. Dans la partie où il est parlé des
institutions, la Confession justifie les protestants d'avoir changé cer-
taines coutumes, qui n'étaient que des traditions humaines : ils ont
rétabli la sainte Cène sous les deux espèces, aboli le célibat des prêtres,
supprimé quelques abus et erreurs concernant la messe , ainsi que ré-
numération détaillée des péchés lors de la confession, l'obligation de
jeûner, les vœux monastiques, l'autorité temporelle des évèques et leur
autorité spirituelle quand ils veulent imposer des choses contraires à
l'Evangile. Dans tout le document, les doctrines , quoique exposées
d'une manière qui laisse à désirer sous le rapport de la logique, sont
ramenées au principe fondamental de la Réformation, celui de la justi-
iication par la foi ; ce principe sert de mesure pour apprécier les céré-
monies et les institutions. Dogmes et rites doivent être rétablis d'après
la norme de ce qui a été vu et pratiqué dans l'Eglise ancienne , sans
renversement brusque de l'ordre existant; c'est pourquoi on se déclare
prêt à maintenir la juridiction des évêques, pourvu qu'ils l'exercent
dans un esprit conforme à la parole de Dieu. D'un bout à l'autre, la
Confession manifeste la certitude que ceux qui l'acceptent sont d'ac-
cord avec l'Eglise catholique véritable ; pour prouver cet accord , on
rappelle les anciens symboles œcuméniques, on cite des Pères, on
ajoute à chaque article la déclaration qu'on rejette les erreurs con-
traires. Dans la doctrine de la grâce, l'opinion primitive de Luther et
de Mélanchthon est abandonnée ; dans celle de la sainte Cène, on a mi-
tigé la formule de Luther telle qu'elle se trouve dans les articles de
Schwabach; le pape, enfin, que les articles de Torgau laissaient encore
subsister, tout en le rangeant, en quelque sorte , parmi les adiaphora,
n'est plus mentionné du tout. ïl faut observer encore qu'en plusieurs
points, la Confession porte le cachet d'une œuvre temporaire, adaptée
aux circonstances du moment : l'empereur est exhorté à faire la guerre
aux Turcs; les protestants se défendent contre l'accusation de faire
cause commune avec les anabaptistes ; et ils offrent aux évêques, comme
il vient d'être dit, des concessions que bientôt après ils retireront. Ce
caractère temporaire n'empêche la Confession d'Augsbourg ni d'être
un des faits les plus importants dans le développement normal de la
Réfonnation, ni d'avoir une valeur permanente; dans son ensemble,
elle est un des témoignages les plus simples et les plus corrects de la foi
évangélique. — 11 n'était dans l'esprit ni de l'auteur ni des signataires
de la faire recevoir immédiatement comme livre symbolique par tous
les protestants d'Allemagne. Elle ne le devint que peu à peu par la
forci; des circonstances. Imprimée une première lois, en latin et en
allemand, en 1531 (on u'a jamais vu d'édition de 1530), elle avait paru
depuis à plusieurs reprises; elle avait encore si peu un caractère ofli< ici,
716 AUGSBOURG
qu'en 1540 Mélanclithon la remania en quelques points ; il développa
davantage certaines parties pour mieux faire ressortir la différence entre
le protestantisme et le catholicisme, il mitigea plusieurs expressions, il
intercala un passage sur la nécessité de la prédication de la repentance,
et surtout, dans l'espoir d'un rapprochement avec les Suisses, il rem-
plaça l'article sur la sainte Cène par celui-ci : (dis (les protestants) en-
seignent qu'avec le pain et le vin sont véritablement distribués le corps
et le sang de Jésus-Christ » ; la formule « ceux qui enseignent le con-
traire» est supprimée. Au colloque de Worms de 1541, le docteur
Eck lit remarquer ces changements, mais dans l'Eglise protestante on
n'y fit pas encore attention, même Luther ne s'en offusqua point. Aussi
longtemps que vécut Mélanclithon , cette editio variata ne rencontra
aucune contradiction ; on cite jusqu'à des luthériens très-rigides qui
s'en servirent sans scrupule. Cène fut qu'en 1561 que Flacius la signala
comme trop favorable aux calvinistes. Comme à la réunion tenue cette
même année à Naumbourg, on signa la Confession de nouveau , on prit
l'habitude de la considérer comme règle de foi dans la plupart des
Eglises d'Allemagne qui se rattachaient à Luther ; on inséra dans les
constitutions ecclésiastiques des articles exigeant des théologiens l'en-
gagement de s'y conformer, h"1 editio invariata ayant été prise pour base
de là Formule de concorde et jointe à cette déclaration, c'est elle qui
devint depuis ce moment le principal livre symbolique de l'Eglise qui
s'appelle d'après son nom, et qui fait bien de la conserver.
Ch. Schmidt.
AUGrSBOURG (Intérim d'). Après la guerre de Schmalkaide, Charles V
songea à rétablir en Allemagne l'unité religieuse ; mais tout victorieux
qu'il fût, il comprit qu'il lui serait impossible de supprimer purement
et simplement le protestantisme. A la diète d'Augsbourg, ouverte en
août 1547, les princes le prièrent de régler provisoirement les affaires
de la religion, jusqu'à ce que le concile de Trente eût achevé son
œuvre. 11 entra dans ces vues. L'évêque de Naumbourg, Jules de Pflug,
avait préparé, d'accord avec Michel Helding, suffragant de Mayence,
un projet d'union et de réforme, faisant aux protestants quelques con-
cessions, tout en maintenant le catholicisme dans ce qu'il avait de plus
essentiel. On gagna pour ce projet l'électeur Joachim de Brandebourg
et son prédicateur Jean Agricola; on espérait obtenir aussi l'assenti-
ment du Strasbourgeois Bucer, mais celui-ci refusa toute coopération.
Le travail fut soumis à l'empereur qui, après l'avoir fait réviser par
quelques théologiens espagnols, le communiqua aux Etats protestants,
comme un moyen commode de fixer un ordre de choses provisoire.
Malgré les objections qu'on y fit, il fut proclamé comme loi de l'empire,
le 15 mai 1548 ; c'est là ce qu'on appelle Y Intérim d'Augsbourg, destiné
à régler par intérim, jusqu'aux décisions du concile de Trente, la situa-
tion des protestants. Il se compose de vingt-six articles. Parmi ceux qui
se rapportent aux dogmes, le plus important est celui de la justifica-
tion. Le concile avait déjà formulé cette doctrine, et bien que Charles V
nJeût pas encore reconnu ses décrets, ces derniers n'avaient pas pu
manquer d'être pris en considération par des théologiens catholiques.
AUGSBOURG 717
La manière dont la justification est définie dans l'Intérim est donc
essentiellement catholique et ne se rapproche qu'en apparence de la
conception protestante. Dans les articles concernant la charité et les
bonnes œuvres prédomine également la doctrine catholique; il est
même parlé d'œuvres surérogatoires, non exigées par les commande-
ments de Dieu. Quant à l'Eglise, l'Intérim lui attribue le pouvoir d'in-
terpréter l'Ecriture, il maintient l'autorité de la tradition et la supré-
matie du pape, les sept sacrements, l'invocation de la Vierge et des
saints, les jeûnes, etc. Il ne tient compte des circonstances qu'en ce qui
concerne le mariage des prêtres et la sainte Cène, sous les deux
espèces; on déplore ces innovations, mais on reconnaît qu'on ne pour-
rait les abolir sans provoquer des troubles; on les tolérera jusqu'à ce
que le concile en aura décidé. Comme ce règlement ne devait pas lier
les Etats catholiques, l'empereur donna, le 14 juin, aux évêques une
formula reformationis, les invitant à faire disparaître les abus. Chez les
protestants l'Intérim souleva une indignation à peu près générale ; pen-
dant la diète même, la plupart des Etats en refusèrent l'acceptation ; les
électeurs Joachim de Brandebourg et Louis du Palatinat furent les
seuls qui le signèrent sans protester. Dans les villes libres de l'Alle-
magne méridionale, on ne put l'imposer que par la force des armes,
et là même il ne fut introduit que pour la forme. Les principaux adver-
saires se réfugièrent à Magdebourg, qui devint le foyer d'une énergique
opposition; il en partit des pamphlets et des satires contre l'œuvre
impériale, qualifiée d'œuvre du diable. Sur les délibérations qui eurent
lieu, en Saxe, voir l'article Intérim de Leipzig. Ch. Schmidt.
AUGSBOURG (Paix d'). Le traité de Passau de' 1552 n'avait établi en
Allemagne qu'une paix provisoire. Ce ne fut qu'à la diète d'Augsbourg
de 1555 ([ne l'on s'occupa de la conclusion d'une paix définitive.
Charles Y lui-même n'y assista point; il ne put se résigner à être pré-
sent personnellement à des négociations qui devaient ruiner les projets
de toute sa vie; persistant dans son système d'unité ecclésiastique, ne
pouvant consentir à aucun prix à la liberté du protestantisme, mais
comprenant que la nécessité était trop impérieuse, il voulut au moins
rester étranger au changement devenu inévitable. Il donna à son frère
plein pouvoir de tout décider, sans attendre ses propres résolutions.
Dans la diète, présidée par le roi Ferdinand, les protestants commen-
cèrent par demander une paix stable, qui ne pût plus être remise en
question par les décrets dogmatiques d'un concile ou par les sentences
d'un pape. Après de longs débats, on tomba d'accord sur ce point ; les
Etats catholiques, fatigués des longues discordes, n'avaient aucun inté-
rêt à les prolonger. On s'entendit aussi, sans trop (h; peine, sur l'exer-
cice de la juridiction épiscopale; les prélats, qui sentaient que l'ordre
de choses établi depuis plus de trente ans ne pouvait plus être changé
sans compromettre la paix, que tout le monde désirait', consentirent a
renoncer à leur juridiction dans les territoires protestants, et se COn-
tentèrenf de la déclaration que les chapitres catholiques ne seraient
pas expulsés des villes qui avaient adhéré à la réformation. On s'enten-
dit également sur les biens ecclésiastiques ; il fut stipulé que ceux de
718 AUGSBOURG — AUGURES
ces biens qui étaient déjà sécularisés ou employés à des usages protes-
tants, ne seraient plus rendus à l'Eglise catholique. Les vraies difficul-
tés ne s'élevèrent que quand on aborda les questions d'avenir. Les
protestants demandèrent que la paix fût aussi garantie à ceux des Etats
qui plus tard adhéreraient à la confession d'Augsbourg ; les prélats
protestèrent avec tant de vivacité qu'on ne put s'accorder qu'en disant
en termes généraux et vagues- que personne ne serait molesté à cause
de cette confession ; on s'abstint de préciser une époque. On voulut
savoir ensuite ce qui adviendrait si des évêques, qui tous alors étaient
aussi seigneurs temporels, se déclaraient pour le protestantisme. La
solution la plus simple eût été de dire que dans ce cas les prélats cesse-
raient de remplir des fonctions ecclésiastiques et qu'ils ne garderaient
que leur pouvoir séculier. Mais les catholiques, se souvenant de
l'exemple de l' archevêque-électeur Herrmann, de Cologne, craignirent
qu'en accordant cette liberté il n'arrivât un jour que le nombre des
électeurs catholiques fût diminué. Comme on ne réussit point à s'en-
tendre, la décision fut abandonnée au roi Ferdinand qui, pour satis-
faire les catholiques, leur donna une déclaration, connue sous le nom
de Réservation ecclesiasticum et insérée dans le recès même de la diète ;
elle portait que si un prélat devient protestant, il perdra sa dignité
avec tous les bénéfices qui y sont attachés. Pour contenter les protes-
tants, qui réclamèrent contre cette réserve, Ferdinand leur donna éga-
lement une déclaration, publiée comme recès spécial et disant que les
sujets protestants des princes ecclésiastiques ne seraient pas inquiétés
par leurs souverains. Le recès de la diète fut publié le 25 sep-
tembre 1555, il a reçu le nom de Paix d'Augsbourg. Les principaux
articles sont les suivants : les États catholiques de l'empire s'engagent
à ne plus attaquer les protestants pour cause de religion, ils leur laisse-
ront pleine liberté dans leurs territoires ; les protestants, de leur côté,
s'engagent à laisser les catholiques professer leur culte ; aucun Etat ne
tentera d'amener à sa religion les sujets d'un autre ; il est permis aux
sujets d'un Etat catholique, qui se convertissent, d'émigrer avec leurs
familles et leurs biens dans un Etat protestant. La paix d'Augsbourg
ne fonda pas la liberté des consciences, elle ne reconnut que celle des
territoires ; le souverain a le choix entre la confession d'Augsbourg et
le catholicisme, mais la religion des sujets doit dépendre de celle du
souverain ; la formule du système est cujus regio hujus religio. Le seul
grand résultat fut de reconnaître l'indépendance ecclésiastique des
Etats protestants. Ch. schmidt.
AUGURES et ARUSPICES. Il ne se prenait à Rome aucune mesure de
quelque importance concernant les affaires publiques, avant de s'être
assuré qu'elle avait l'approbation des dieux. Les augures et les arus-
pices étaient chargés de le constater, et c'est ce qu'ils faisaient en ac-
complissant certaines cérémonies réglées par une sorte d'art sacré,
venu, à ce qu'on disait, de l'Etrurie, cette mater omnis superstitionis.
comme l'appelait Yalère Maxime. Ce n'était pas seulement à Rome
qu'on prétendait diriger les affaires publiques d'après la volonté des
dieux. Chez presque tous les autres peuples de l'antiquité, il y eut
AUGURES — ÀUGUSTI 719
également, sous dos dénominations diverses, des prêtres investis de
fonctions semblables à celles des augures et des aruspices (Heyne,
Opuscula, III, 159 et ^:\ ss.). A Rome, et sans doute aussi en bien
d'autres lieux, l'art des augures et des aruspices fut bien souvent,
entre les mains de ceux qui dirigeaient les affaires de l'Etat, un
facile moyen d'agir sur l'opinion publique. Faudrait-il en conclure
que, dans le principe, des chefs habiles, sentant combien il leur serait
avantageux de rendre les dieux complices de leurs actes, auraient
jugé utile «.rétablir une classe de prêtres spécialement consacrés à la
recherche et à l'interprétation de la volonté divine? Ce serait quelque
peu téméraire; une explication semblable serait bien insuffisante; elle
se heurterait en outre à une foule de difficultés. Il n'y a qu'un seul
moyen de se rendre un compte satisfaisant de l'origine et de l'exis-
tence de cette institution de prêtres, interprètes des signes par lesquels
les dieux manifestaient leur volonté aux humains; c'est d'en chercher
les causes dans les idées religieuses propres aux temps et aux lieux
où elle a pris naissance. Toute institution, en effet, qui se retrouve à
la fois chez plusieurs peuples différents et ne disparait ou ne se mo-
difie profondément qu'à la suite d'une révolution radicale dans la
manière de sentir et de penser, ne peut avoir sa raison que dans
les mœurs, les préjugés, les superstitions et les croyances des
hommes au milieu desquels elle s'est établie. Les collèges d'augures et
d'aruspices, et, en général, de prêtres chargés de fonctions analogues,
ne font pas exception à cette loi générale. Dans l'âge héroïque de
l'antiquité, on ne croyait pas seulement que les dieux n'abandonnent
jamais les familles et les cités qui les invoquent comme leurs protec-
teurs ; on était encore persuadé que ces dieux tutélaires ont toujours
soin, chaque fois que la nécessité s'en fait sentir, de leur donner des
avertissements salutaires. Ces avertissements, il fallait les reconnaître
dans les signes qui en sont l'expression visible, et ces signes, il
fallait les interpréter. Une classe spéciale de prêtres était, par consé-
quent, nécessaire; elle se fonda naturellement par la force même des
choses. M.Nico as.
AUGUSTI (Jean-Chrétien-Guillaume) [1772-1841] descendait d'une
famille juive établie en Saxe. Son père était pasteur protestant. Lui-
même professa la théologie à léna, à Breslau, à Bonn, et exerça à Co-
blence la charge de conseiller consistorial. Compilateur plutôt que sa-
vant, écrivain plus fécond que judicieux, Augusti se montra très-libre
dans sa critique de la Bible et très-étroit dans sa manière de défendre
le dogme ecclésiastique. Ses commentaires ont vieilli connue la plupart
de ses écrits, mais quelques-uns d'entre eux renferment des matériaux
Utiles recueillis, non sans labeur, dans les sources originales. Ce sont
ses ouvrages sur l'archéologie chrétienne {Denkwùrdigkeiten ans der
christl. Archœologie, Leipz., 1817-31, 12 vol., Lehrbuch tirs christl.
Alterthums, L819, Handb, der bibl. Arch., lN:!(i-:{7> qui ont été le plus
appréciés. <>n peul citer aussi son histoire des dogmes (Dogmenge-
schichte, 1805, ."> éd., 1835), sa Chrestomathia patristica (1812, ï vol.),
son édition des Loti communes de Biélanchthon (1821), etson Corpus U-
720 AUGUSTI — AUGUSTIN
brorum symbolicorum, qui in ecclesia reformatorum auctoritatem publicam
obtinuerunt (Elberf., 1827, 2e éd., Leipz. , 1840). Augusti a soutenu,,
contre Schleiermacher, les droits du prince en matière de liturgie.
Son idéal était l'Eglise d'Etat, tel que la Prusse Ta réalisé depuis.
AUGUSTIN (Saint) [Aurelius-Augustinus]. — I. Dans ses Confessions,
écrites vers Fan 400, Augustin a raconté l'histoire de sa propre vie
jusqu'à la mort de sa mère, en 387, sous la forme d'une prière continue
dans laquelle il. dévoile sans pitié, sous le regard de Dieu seul, les pen-
sées les plus secrètes qui ont agité son cœur jusqu'à l'âge de trente-trois
ans, trouvant un plaisir amer à opposer ses égarements intellectuels
et moraux à l'action constante de la grâce divine dans sa vie, à s'hu-
milier lui-même absolument pour laisser toute gloire à Dieu. Augustin
naquit à Thagaste,enNumidie,lel5 novembre 354. Son père, Patricius,
l'un des décurions du municipe de Thagaste, homme violent et sensuel,,
fut gagné au christianisme en 371, l'année de sa mort, par la piété et
la douceur de sa femme Monique, chrétienne de naissance, et qui fut le
véritable modèle d'une épouse et d'une mère chrétienne. De la
sorte, Augustin a rencontré dans la maison paternelle la lutte entre
les deux religions qui devait devenir le drame de sa propre vie. Image
fidèle de ses parents, il joignait à un tempérament fougueux une grande
sensibilité de cœur et de profonds instincts de piété. Il avait un
frère, Navigius, et une sœur dont le nom est resté inconnu. Augus-
tin fut envoyé de bonne heure à l'école ; son père ambitionnait pour
lui quelque brillante carrière, surtout celle de rhéteur, et sa mère
considérait les études scientifiques comme « pouvant mener à
Dieu ». L'étude de la grammaire, de l'arithmétique et du grec, tout
le côté formel de l'enseignement, rebuta son esprit porté vers la pensée
concrète. Par contre, l'étude des auteurs classiques lui procura de vives
jouissances; Virgile devint sa lecture favorite : les malheurs de Didon
lui arrachèrent des larmes. Cependant la difficulté qu'il avait à com-
prendre le grec « versait du fiel sur la douceur des légendes fabuleuses
d'Homère ». C'est ainsi que, pendant cette période de romantisme, il
s'est complu au « vin de l'erreur », développant son cœur et son intel-
ligence par ce « butin abominable fait sur le passé », par l'étude des
poètes païens, qui n'est « qu'un sacrifice offert aux anges déchus »,
acquérant des connaissances philologiques dont il devait dire un jour
qu'elles ne s associent que trop bien à la perversité du cœur : « Re-
garde, Seigneur, comme les enfants des hommes observent avec soin
les règles du langage et comme ils négligent les règles immuables du
salut éternel ! Pécher contre les lois de la grammaire leur est un plus
grand scandale que pécher contre ta loi en haïssant leur semblable ! »
Instruit dès l'enfance par sa mère des vérités de l'Evangile, il fut
reçu bientôt au nombre des catéchumènes. Les impressions religieuses
qu'il reçut à cette époque demeurèrent gravées d'une manière ineffa-
çable dans son âme ; elles constituèrent en lui comme une seconde et
meilleure nature, dont l'influence fut longtemps combattue et refoulée
par celle du monde, mais qui n'en continua pas moins à subsister en
lui d'une manière latente, élevant la voix à tout moment pour le se-
AUGUSTIN 721
couer de sa torpeur et ne lui permettant jamais ni de se laisser gagner
entièrement à Tune des doctrines philosophiques du paganisme, à
cause de l'absence du nom de Jésus-Christ qu'il continuait involontai-
rement à vénérer, ni de se perdre sans retour dans le péché, car il ne
put jamais y trouver la satisfaction parfaite qu'il y cherchait, ce qui
lui lit dire : « Dieu a partout mêlé au péché une amertume salutaire
par laquelle il ramène à lui ceux qui se sont détournés vers une perni-
cieuse jouissance. » Pour continuer ses études littéraires , Au-
gustin fut envoyé à l'école plus importante de Madaure, petite
ville située près de Thagaste, et où le christianisme n'avait encore
guère pénétré. Le culte païen avec ses cérémonies obscènes parait y
avoir exercé une influence funeste sur l'àme d'Augustin, car de retour
à Thagaste à F âge de seize ans, il commença à se livrer à la débauche
avec toute l'ardeur de sa nature africaine, malgré les supplications de
sa mère. Après la mort de son père, il se rendit à Carthage (371) pour
y terminer ses études, grâce surtout à la générosité d'un riche citoyen
de Thagaste, son parent éloigné. 11 y étudia les écrits d'Aristote, la géo-
métrie, les mathématiques, la logique, la musique, l'astrologie et sur-
tout la rhétorique, dans laquelle il ne tarda pas à se distinguer, tour-
menté qu'il était par le désir d'acquérir la gloire et de s'élever aux
honneurs. Il s'associa à un certain nombre d'étudiants tapageurs qui
s'appelaient eux-mêmes « démolisseurs » (eversores), et partagea leur
existence, non sans éprouver par moments une répulsion secrète contre
les excès dont il était le complice. En 372, il prit une concubine qu'il
garda treize ans ; elle lui donna l'année suivante un fils, que, dans un
élan instinctif de piété, il appela Adeodatus (Dieudonné). Le théâtre
exerça également sur lui un puissant attrait. Il y cherchait «des images
de sa propre misère et une nourriture pour le feu qui consumait sa
poitrine » ; le spectacle du malheur d'autrui lui inspirait une émotion
superficielle, par laquelle il ne se croyait que trop aisément dispensé
d'une compassion véritable et active pour son prochain, par suite du
caractère fictif des infortunes qu'il voyait représentées. Au milieu de
cette existence agitée, Augustin fut amené par ses études à lire un
ouvrage (aujourd'hui perdu) de Cicéron, intitulé fJo?iensius, qui l'en-
traina « vers l'amour de la sagesse. » Poussé par le souvenir de ses
émotions enfantines, il chercha d'abord la sagesse dans l'Ecriture.
«Elle me parut indigne d'être comparée, pour la majesté du style, aux
ouvrages de Cicéron. Ma rhétorique prétentieuse lut choquée de sa
simplicité, et ma raison ne put comprendre son enseignement. Je refu-
sai de m'humilier devant die, car je me considérais comme grand
dans mon arrogance. » Avant de revenir à la Bible, Augustin devait
essayer «le conquérir la vérité par les seules forces de son intelligence
subjective, et reconnaître la nécessité d'une révélation, objective, par
l'expérience de l'inutilité de ses efforts. — Rebuté par la formeel par le
contenu de l'Ecriture, <-t rejetant en général comme « légendes de
femmes la religion que sa mère lui avait enseignée, Augustin se
tourna vers le manichéisme^ dont les représentants étaient fort nom-
breux dans cette partie de l'Afrique, séduit qu'il ('tait par la promesse
722 AUGUSTIN
d'être amené à la possession de la vérité par la seule voie de la raison '
philosophique. Il était attiré en outre par le rôle important que Jésus-
Christ jouait dans la théologie des manichéens, ce qui l'amenait à con-
sidérer celle-ci comme la forme supérieure et authentique du christia-
nisme, et par la solution qu'elle donnait au problème du mal, solution
qui permettait de nier la responsabilité humaine sans faire de Dieu
l'auteur du mal, puisqu'elle attribuait ce dernier à un principe éternel,
distinct de Dieu et de l'âme. Il resta dans la secte depuis sa dix-neu-
vième jusqu'à sa vingt-huitième année en qualité de simple auditeur,
et s' il ne se fit pas recevoir dans la catégorie plus élevée c^es élus, c' est que la
doctrine manichéenne ne put jamais le contenter absolument, quelque
attrait qu'il éprouvât- pour elle, et quelques efforts qu'il fit même pour
la répandre parmi ses amis. Revenu à Thagaste, Augustin eut la dou-
leur de perdre un de ses amis d'enfance, qu'il avait réussi à convertir
au manichéisme, et qui, revenu de son erreur, mourut dans la foi chré-
tienne. Augustin, ne pouvant rester à Thagaste, où tout lui rappelait
celui qu'il venait de perdre, repartit pour Carthage, où il continua son
enseignement. Il emportait dans son âme, comme un aiguillon, le sou-
venir de la fin de son ami et celui des prières de sa mère, dont il
n'avait pas craint parfois dJoffenser la douleur en tenant en sa présence
des propos qu'elle devait considérer comme blasphématoires. Poussé
par le désir d'illustrer son nom, il prit part un jour, en sa qualité de
rhéteur, à un concours de poésie, et eut le bonheur d'être couronné en
plein théâtre, aux applaudissements de la foule, par le proconsul Vindi-
cianus, qui ne tarda pas à l'honorer de son amitié. Vers la même époque,
il composa son premier ouvrage intitulé Bu beau et du convenable (De pul-
chro et apto) , qui paraît avoir contenu une exposition de la doctrine ma-
nichéenne des deux substances, considérées surtout au point de vue des
impressions esthétiques d'harmonie et de désaccord, et des sentiments
moraux d'attraction et de répulsion, d'affection et de haine que l'àme en
reçoit. Depuis quelque temps Augustin s'occupait d'astrologie; de nom-
breuses prédictions faites au moyen des astres, qui s'étaient réalisées,
entre autres celle de son triomphe dans le concours institué par Vin-
dicianus, avaient fait sur lui une vive impression et lui avaient inspiré
une foi entière en cette science, qui le familiarisa avec les mouvements
des astres, si bien que bientôt il ne vit plus autre chose que de pures fantai-
sies dans les mythes cosmologiques dont les manichéens étaient si tiers.
Les- membres de la secte, auxquels il exposa ses doutes, l'adressèrent à
leur principal docteur, l'évêque manichéen Faust de Milevis. Celui-ci
ne put répondre à ses questions. Ce fut un coup décisif porté à sa foi
manichéenne. Depuis ce moment les objections se présentèrent en
foule à son esprit. Il n'ignorait pas que plusieurs d'entre les élus ne
méritaient guère leur réputation de sainteté. Bien souvent il n'avait
su que répondre à son ami Nébridius, quand cet adversaire du dua-
lisme manichéen lui démontrait que c'est nier l'incorruptibilité, c'est-
à-dire l'absoluité de Dieu, que d'admettre le mélange d'une partie de
sa substance lumineuse avec les ténèbres, à la suite d'une lutte dans
laquelle Dieu aurait été vaincu par le principe mauvais et dont on ne
AUGUSTIN 723
saurait expliquer L'origine à moins de croire que Dieu ait été obligé de
L'accepter parce qu'il était le plus faible. Enfin, le sentiment de la res-
ponsabilité morale commençait à se faire jour en lui, sentiment que la
prédication d'Ambroise devait encore vivifier dans la suite. Sans
rompre ouvertement avec la secte, Augustin cessa d'en partager les
doctrines. Plus ses espérances avaient été vives, plus sa déception fut
grande : « Je me lis à l'idée que trouver la vérité était impossible; la
tempête des pensées qui s'entrecroisaient dans mon âme me poussa du
côté des nouveaux académiciens », c'est-à-dire vers le scepticisme. « Je
cherchais à empêcher mon esprit d'accepter n'importe quelle doc-
trine; partout je craignais de rencontrer un précipice; le doute me
tuait de plus en plus. » — Dans l'intervalle, Augustin s'était rendu à
Rome, espérant trouver dans la capitale de l'empire une position plus
lucrative et plus brillante et des étudiants plus intelligents et plus
rangés. Monique fut inconsolable : elle ignorait que Dieu se servirait
précisément de cette séparation, qu'elle lui demandait d'empêcher au
nom du salut de son fils, pour exaucer la prière de toute sa vie, car
Augustin courait sans le savoir au-devant de sa conversion. Il n'eut
pas à Rome le succès qu'il attendait : les étudiants quittèrent un jour
son école pour celle d'un autre rhéteur, sans même lui payer ses
leçons. Recommandé à Symmaque, préfet de la ville, par les mani-
chéens, dans la société desquels il continuait à vivre « jusqu'à ce qu'il
se fût présenté quelque doctrine meilleure, » il fut envoyé à Milan,
comme professeur d'éloquence, après un discours d'essai qui lui con-
cilia tous les suffrages. A Milan, Augustin suivit régulièrement les pré-
dications d'Ambroise, uniquement d'abord pour en étudier la forme
oratoire. Peu à peu cependant son attention fut attirée par le fond même
des discours ; les idées chrétiennes commencèrent à pénétrer à son
insu dans son âme. Il fut surtout frappé de la facilité avec laquelle
Ambroise écartait, par la méthode allégorique, tout ce qui l'avait tant
choqué autrefois dans l'Ancien Testament; et il apprit, non sans une
joie secrète, que l'Eglise n'avait jamais enseigné que Dieu eût un corps
comme nous; ({n'en général la doctrine chrétienne à laquelle il devait
ses premières émotions religieuses n'était pas aussi grossière qu'on le
lui avait représenté. Les progrès rapides du christianisme et la diffu-
sion universelle des Ecritures s'imposaient à son esprit comme un
signe manifeste de la Providence que là seul est le salut; et, tout en
demandant encore, dans sa défiance contre toute doctrine religieuse.,
une démonstration mathématique des vérités de l'Evangile, il ne
pouvait s '« mpêcher de reconnaître que la foi n'avait jamais été
absente de sa vie spirituelle et qu'il lui devait un certain nombre de
vérités, telles que L'existence de Dieu, qu'il avait toujours admises sans
preuves. Sa pensée cependant se heurtait toujours encore au dogme de
L'incarnation du Verbe, et sur tout à la notion d'un Dieu immatériel. Les
objections de Nébridius L'avaient bien amené à rejeter Le dualisme des
manichéens, mais non leur matérialisme. Il avait senti la nécessité d'ad-
mettre L'unité du principe du monde, mais il ne parvenait encore à
se représenter ce principe que sous la forme (Tune substance maté-
724 AUGUSTIN
rielle remplissant tout l'espace, ou d'un océan dans lequel l'univers
nagerait comme une immense éponge. Depuis lors, une nouvelle ques-
tion le tourmentait : puisque le mal n'est pas un principe éternel, et
qu'il n'existe qu'un seul principe absolument bon dont l'univers est
imprégné comme une éponge est imprégnée d'eau, d'où vient le mal?
Monique était venue rejoindre son fils à Milan. Le changement qu'elle
constata en lui la surprit fort joyeusement. Nébridius et un autre ami
d'Augustin, ALypius, qui avait été son disciple à Tliagaste et à Car-
tilage, l'avaient également suivi par affection en Europe. C'est dans
ce cercle intime, auquel n'avaient pas tardé à se joindre quelques
nouveaux membres, que se passait l'existence d'Augustin. Il atteignit
ainsi sa trentième année. Rien ne saurait décrire l'agitation qui régnait
alors dans ses pensées et les luttes que se livraient dans son cœur les
deux natures qui se disputaient sa conquête. Parfois il prenait la réso-
lution de revenir à la foi de son enfance et de s'arracher, par un effort
énergique, à l'empire de ses passions; mais le souvenir des jouissances
dont il allait se priver et le retour de ses rêves ambitieux réduisaient
à néant ses plus belles résolutions. C'est ainsi qu'il décida un jour de
mettre fin aux relations illégitimes qu'il entretenait depuis si long-
temps ; il garda son fils auprès de lui, et renvoya en Afrique sa concu-
bine, qui passa le reste de sa vie dans une retraite profonde. Il avait
formé le dessein de se marier. Mais comme le mariage ne devait avoir
lieu que dans deux ans à cause de la jeunesse de sa liancée, il n'eut
pas la force de persévérer dans sa bonne résolution et prit -une nou-
velle concubine. Le sentiment de sa misère morale l'accablait. « Toi
seul, ô mon Dieu, tu sais combien j'ai souffert alors ! » La lecture de
quelques écrits platoniciens ou néoplatoniciens (Augustin, comme plus
tard le moyen âge, n'a guère distingué ces deux tendances) imprima à
cette éqoque une direction nouvelle àsa pensée. Le platonisme la. puriln
pour toujours du vieux levain matérialiste et la familiarisa avec une con-
ception purement spirituelle de la divinité. En même temps il lui permit
de comprendre la présence du mal clans le monde en lui enseignant
que le mal n'est qu'une privation ou une diminution du bien, c'est-à-
dire en réduisant sa réalité objective à une simple différence de degré
dans le bien. Ce qui recommandait surtout cette doctrine aux yeux
d'Augustin, c'est la ressemblance extérieure qu'elle présentait avec le
christianisme. 11 crut y trouver la notion chrétienne du Verbe ; mais il
n'y rencontra ni le nom ni la notion du Verbe incarné, de Jésus-Christ,
pas plus qu'il ne les avait trouvés chez Cicéron et les philosophes
sceptiques; et c'est pourquoi le platonisme ne réussit pas davantage à
lui procurer uneentière satisfaction. Il lui reprochait surtout de le laisser
désarmé dans la lutte contre ses mauvais instincts, et d'être muet sur le
chapitre de la pénitence et de la rédemption. C'est dans cette dispo-
sition d'esprit qu'il se remit à lire les Ecritures, surtout les épitres de
Paul. Il y trouva non-seulement ce que les écrits platoniciens lui pa-
raissaient contenir de vrai, mais encore ce qui manquait absolument à
ceux-ci, le spectacle vivant de l'amour de Dieu secourant les hommes
dans leurs misères, les larmes de la repentance et la joyeuse certitude du
AUGUSTIN 725
pardon des péchés. L'émotion qu'il en ressentit l'ut augmentée par le
récit, fort instructif pour lui, que lui lit de la conversion du rhéteur
Victoriuus un vieil ecclésiastique nommé Simplicianus, qu'il était allé
visiter. Lui aussi sentit naître dans son cœur un immense désir de se
donner entièrement à Dieu ; mais sa volonté était encore trop faible
pour faire résolument le sacrifice de son ancienne existence. Il avait
cependant le pressentiment (pie Dieu allait accomplir en lui l'œuvre si
longuement préparée ; redevenu catéchumène, il attendait ce moment
avec angoisse, et, pour le hâter, il visitait assidûment les églises. Nous
renvoyons, pour les détails de sa conversion (sept. 386), à l'admirable
récit qif Augustin en a fait lui-même dans ses Confessions. Peu de semaines
après, il se démit de ses fonctions de professeur d'éloquence, et, suivi
de ses amis dont la conversion avait accompagné la sienne, il se retira
dans la maison de campagne que l'un d'eux, nommé Verecundus, pos-
sédait à Cassi (Cassiciacum), près de Milan. Auparavant déjà, ses amis et
Jui avaient formé un jour le projet de mettre leurs biens en commun
et de vivre, loin des bruits du monde, d'une vie contemplative, à la
façon de certains sages du paganisme. Mais la présence de l'élément
féminin qu'Augustin et ' quelques autres eussent introduit dans
l'association, avait fait échouer le projet. Maintenant ce rêve se réalisa
sous la l'orme chrétienne de la vie monastique. Après la prière du
matin, les solitaires de Cassi se promenaient soit dans la campagne,
soit sous un portique, en se livrant à des entretiens religieux qui ont
fourni à Augustin la matière de ses premiers écrits chrétiens, entre
autres des Soliloques, du traité De V Immortalité de l'âme et des Ti%ois
livres contre les Académiciens ;puis ils prenaient leurs repas en commun.
Pendant les fêtes de Pâques de l'année 387, Augustin se fit baptiser
par Ambroise avec son ami Alypius et son fils Adeodatus, qu'il devait
perdre peu de temps après.
IL Ici commence la seconde partie de la vie d'Augustin. Cette partie
se divise en deux périodes bien distinctes, séparées par l'année 391
dans laquelle il commença à exercer des fonctions dans l'Eglise. Sa
conversion, préparée par le platonisme, s'était faite sous l'influence de
l'Ecriture et surtout de l'ascétisme monacal. Il n'avait pas seulement
renoncé à l'amour illégitime et aux rêves ambitieux, mais encore à son
projet de mariage, à sa carrière de professeur et en général à la société
des hommes. Cette période contemplative peut être appelée aussi pé-
riode platonico-chrétienne, car la théologie; (pie l'on rencontre dans ses
ouvrages de cette époque est un mélange intime de la doctrine chré-
tienne et des idées platoniciennes dont son esprit était imbu aumoment
de sa conversion. A la période de l'inaction et de J;i spéculation
mystique, succéda celle de l'activité pratique et des controverses dog-
matiques, la période ecclésiastique ou spécialement augustiniennet
qui dura jusqu'à sa mort. Pendant la première, il ne songea qu'à son
propre salut; pendant la seconde, il travailla avant tout à celui des
autres. Après un court .-('•jour à Milan. Augustin et ses amis résolurent
de revenir à Thagaste pour « se consacrer entièrement à Dieu ». A
Ostie, Monique tomba subitement malade et mourut, àl' âge de cinquante-
726 AUGUSTIN
six ans (387). On connaît cet entretien immortel sur les félicités de la
vie future, dans lequel son âme et celle de son fils, unies enfin dans
une même prière, avaient franchi ensemble la limite où « commence et
où finit la parole humaine », pour porter dans un moment d'extase
«les prémices de l'esprit » dansle temple de« l'inépuisable plénitude »
où Dieu prononce sa parole au milieu d'un silence éternel. La mort
de sa mère modifia quelque peu le plan de voyage d'Augustin ; il resta
dix mois à Rome, et pendant ce temps il composa son premier traité
de polémique contre les manichéens, intitulé Des mœurs de V Eglise
catholique et des mœurs des manichéens. Puis il passa en Afrique avec ses
amis. Arrivé à Thagaste, il donna une partie de ses biens à l'Eglise de
cette ville, et, à l'exemple de saint Antoine, il vendit l'autre et en dis-
tribua le prix aux pauvres. 11 ne se réserva que la jouissance viagère
d'une maison de campagne dans laquelle il reprit avec ses amis le genre
de vie de Cassi. Les solitaires possédaient tout en commun ; la prière,
les études scientifiques, la contemplation religieuse et quelques travaux
des champs étaient leurs seules occupations. La grande activité litté-
raire qu'Augustin commença à déployer à cette époque, l'austérité de
sa vie et la profondeur de sa piété rendirent son nom célèbre dans
toutes les Eglises de la province. Souvent les fidèles venaient le con-
sulter dans sa retraite. Un jour, il fut appelé à Hippone (Hippo
Regius) par un officier impérial, désireux d'apprendre à connaître
le christianisme sous sa direction. L'évêque de cette ville, Valérius,
avait besoin d'un presbytre actif et instruit pour soutenir la lutte
contre les donatistes fort nombreux dans la localité. Il exprima ce
désir à sa communauté pendant qu'Augustin était présent dans l'église.
Aussitôt les fidèles présentèrent celui-ci à l'évêque comme le presbytre
qu'il demandait. Le trouble d'Augustin fut grand ; c'est avec frayeur
qu'il songea à la lourde responsabilité qui allait peser sur lui. Il pria
donc l'évêque de lui accorder quelques mois pour se préparer à son
ministère. Ce délai écoulé, il vint à Hippone (391). — Les écrits composés
par Augustin depuis sa conversion, et parmi eux surtout le traité De
la vraie religion écrit à Thagaste, nous font connaître l'état de sa pensée
pendant cette première période. Il admettait comme principe du
monde une essence purement spirituelle, Dieu conçu comme
l'unité idéale de la vérité, de la beauté et du bien absolus, et renfer-
mant en lui les types éternels et parfaits des créatures périssables et
imparfaites. La matière a été créée par Dieu ; elle est le principe de
limitation qui rend possible la réalisation de ces types dans l'espace et
dans le temps. Le monde visible est de cette manière une imita-
tion nécessairement imparfaite du monde invisible. De là vient aussi
le double aspect sous lequel il se présente au point de vue moral :
d'un côté il est bon, en tant qu'il participe au monde idéal et par lui
à l'être, c'est-à-dire en tant qu'il possède en général l'existence; de
l'autre, il est mauvais en tant qu'il n'est pas le monde idéal lui-même,
l'être dans sa pureté, et que par conséquent il participe à l'opposé de
l'être, au non-être, c'est-à-dire en tant qu'il existe d'une manière par-
ticulière. Le mal ne peut pas être une substance, car qui dit substance
AUGUSTIN 727
dit bien; il n'est qu'un degré Inférieur du bien. Pris en eux-mêmes et
comparés entre eux, les objets terrestres sont beaux et bons; leur im-
perfection n'éclate que lorsqu'on les compare à leurs types éternels.
Si les créatures visibles ne sont bonnes qu'autant qu'elles peuvent
l'être en raison de leur nature matérielle, l'âme, grâce à sa nature
purement spirituelle, possède la propriété d'être bonne en vertu d'une
libre détermination de sa volonté. Sortie bonne des mains du Créa-
teur, il ne tenait qu'à elle de rester telle et de continuer à jouir du
spectacle du monde idéal dont Dieu l'avait gratifiée : elle s'est libre-
ment détournée de Dieu, l'être absolu, pour se complaire à l'être rela-
tif des créatures. Au lieu d'aimer les créatures en tant qu'elles reflètent
la perfection divine, au lieu d'aimer Dieu dans les créatures, elle les a
aimées en elles-mêmes, elle a aimé en elles la forme périssable, le non-
être. Pourquoi s'est-elle déterminée de cette manière? c'est ce que nul
ne saurait dire. La chute du premier homme a fait naître tous ses
descendants avec une certaine inclination au mal, car c'est la nature
humaine elle-même qui a péché en Adam. L'âme cependant peut
vaincre cette inclination, la liberté lui reste et avec elle la responsabilité.
« Le péché est si bien un mal volontaire, que s'il n'était pas volontaire il
ne serait point péché. » La convoitise et l'orgueil sont les deuxformesdu
péché ; par elles, l'âme s'attache à l'être relatif au dehors d'elle et en
elle. La chute de l'homme a jeté le trouble dans la création. Pour rétablir
l'ordre, Dieu a institué le châtiment du péché, la souffrance. L'harmo-
nie de l'univers serait détruite, en effet, si le mal restait impuni, si Dieu
ne précipitait pas le pécheur au degré inférieur de l'être où il a mérité de
vivre. En punissant les hommes, Dieu répare incessamment le trouble
porté dans son œuvre par leur liberté. La présence du bourreau et de
la courtisane, loin d'être une souillure dans le grand tableau de la
création, s'y justifie parfaitement au point de vue de l'ensemble. Le
supplice des damnés contribue à la beauté de l'univers d'un côté, parce
qu'il fait mieux ressortir, par contraste, la félicité des bons ; de l'autre,
parce qu'il est une manifestation de la justice divine. Le but dernier
de la souffrance dans le plan divin est d'être une école pour les âmes
déchues, et de servir à leur relèvement. Pour détourner les âmes
de l'amour des choses terrestres, et leur présenter un moyen de re-
monter à lui, il était nécessaire qu'il se révélât à elles, c'est-à-dire
qu'il manifestât devant elles les trésors du monde invisible qu'elles
avaient oubliés pour ne plus songer qu'aux créatures visibles. La
sagesse ou la loi suprême de l'univers, en qui habite le monde invi-
sible, a dû s'incarner et vivre au milieu de nous, pour nous mon-
trer par ses enseignements le chemin du retour vers Dieu et ga-
gner notre cœur à l'amour des biens célestes. Augustin incline ici
visiblement vers une conception impersonnelle de la nature du Fils,
très-voisine de l'idée néoplatonicienne; en d'autres passages il re-
pète au sujet de la Trinité les définitions de Nicée. Cette révélation
objective, QOUS l'acceptons par la foi, ou par la conviction intime de sa
vérité, sans preuve rationnelle. .Nous sommes conduits à l'accepter par
la souffrance morale que nous éprouvons véritablement quand nous
728 AUGUSTIN
vivons loin de Dieu, et par la certitude intérieure que nous avons de
retrouver par ce moyen notre bonheur perdu. Après que la révéla-
tion divine objective a détaché nos pensées du monde extérieur, la
raison subjective achève l'œuvre de notre rédemption parle moyen de
la contemplation religieuse. Rentrée en elle-même, l'âme retrouve le
monde idéal dont la vue causait autrefois son bonheur, et dont la
connaissance n'est pour elle qu'un ressouvenir. C'est dans cette pré-
sence en nous du monde impérissable des idées, présence tantôt clai-
rement perçue, tantôt obscurcie par le péché, que réside le principe de
notre immortalité. L'àme remonte ainsi à sa dignité première; elle
s'élève au-dessus d'elle-même, c'est-à-dire au-dessus des formes de son
existence particulière, pour ne plus vivre que de la jouissance ineffable
de l'être infini. Non qu'elle puisse jamais arriver à connaître Dieu ab-
solument: comment une créature finie comprendrait-elle l'infini?
« Elle ne saurait mieux connaître Dieu qu'en ne le connaissant pas. »
Elle le connaît cependant dans une certaine mesure, non en tant qu'il
est en lui-même, mais en tant qu'il est le principe du monde, l'unité
idéale des types éternels de l'univers. L'àme s'est ainsi élevée des ob-
jets extérieurs vers les réalités qu'elle porte en elle, et de ces réalités à
la vérité suprême. La révélation extérieure, c'est-à-dire l'apparition histo-
rique de Jésus et la lettre des Ecritures, n'est que l'initiatrice de ce mou-
vement; elle s'accommode à la faiblesse de notre esprit pour lui pré-
senter dans ses préceptes et ses récits la nourriture légère qu'il est
seule capable de supporter, en attendant que, fortifié par elle, il prenne
de lui-même son vol vers sa céleste patrie. Désormais la contingence
n'existe plus pour l'àme ; elle ne voit en toutes choses que l'universel,
le divin ; elle contemple en elle la loi suprême du monde; elle est elle-
même cette loi. A ces hauteurs divines, les créatures terrestres ne vous
sollicitent plus ; elles nous sont devenues indifférentes. Tous les hommes
nous sont également chers ; les liens de la famille, les affections parti-
culières n'existent plus pour nous; la mort des nôtres ne nous affecte
plus. Les souffrances d'autrui ne nous émeuvent point; nous les consi-
dérons de si haut que leur vue n'a plus rien qui nous afflige. La vie
éternelle en Dieu a commencé pour nous; les quatre vertus cardinales
(de Platon), la tempérance, le courage, la justice, la prudence régnent
en nous, car nous sommes détachés de tout ce qui est transitoire, dis-
posés à tout souffrir pour Dieu, soumis à sa seule volonté, et habiles à
discerner ce qui contrarie et ce qui favorise notre union avec Dieu. Le
corps aussi participera un jour à ce renouvellement de l'àme: il ressus-
citera dans sa beauté et sa pureté primitives ; il ne sera plus, comme
ici-bas, un fardeau et un obstacle pour l'âme; il sera devenu impérissa-
ble et incorruptible. Toutes les âmes déchues atteindront-elles ce but
suprême? Augustin l'affirme dans son traité Des mœurs de l Eglise ca-
tholique, etc. Ailleurs, au contraire, il enseigne que les pécheurs qui
auront persisté dans leur attachement au non-être resteront éternelle-
ment plongés, après leur mort, dans les ténèbres de la non-connais-
sance de Dieu. A la base de ce système, se trouve le principe « que la
philosophie (platonicienne) est la sœur de la religion chrétienne ; » il
AUGUSTIN 729
n'a manqué à Platon, suivant Augustin, que de connaître le Christ,
pour se déclarer son disciple. — En 39o, Valérius, craignant que le
choix de quelque Eglise du voisinage en quête d'un évêquenelui enle-
vât Augustin, et désirant conférer à celui-ci l'autorité qu'il était digne
d'exercer dans sa communauté, partagea avec lui les fonctions et le
titre d'évêque d'Hippone. A la mort de Valérius, Augustin resta seul
chef de cette importante Eglise (396). La communauté monastique de
Thagaste avait suivi son fondateur à Hippone, où quelques membres
s'étaient adjoints à elle, entre autres Possidius,le futur biographe d'Au-
gustin. Elle futpour la Xumiclieunepépinièred'hommesd'Eglise;ilen sor-
tit une dizained'évéques, qui ne manquèrent pasde fonder à leurtour dans
leurs diocèses des établissements analogues. C'est parmi les membres de
cette communauté qu'Augustin, devenu évoque, recruta de préférence
son clergé. Il introduisit le même genre de vie parmi ses presbytres et
ses diacres, disant que Dieu et son Eglise devaient leur suffire ; non
qu'il eût contraint personne à renoncer contre sa volonté à toute pro-
priété personnelle ; mais il ne conférait de fonctions dans son diocèse
qu'à ceux qui s'engageaient à vivre avec leurs collègues et avec lui
dans une entière communauté de biens. C'est dans cette famille
spirituelle qu'il venait se reposer des luttes et des labeurs de son
ministère. Il fonda pareillement plusieurs monastères de femmes ; à la
tête de l'une de ces maisons se trouvait sa sœur, devenue veuve. La
plus grande simplicité régnait dans sa demeure, transformée en cou-
vent. Pendant les repas, qui étaient pris en commun, l'un des ecclésias-
tiques faisait une lecture ou bien l'on s'entretenait de sujets religieux. Le
sexe féminin était absolument proscrit de la maison ; Augustin lui-
même ne parlait à une femme qu'en présence d'un ecclésiastique. Sa
charité était inépuisable. Pour soulager les misères des pauvres, il
n'hésitait pas à devenir « un mendiant pour les mendiants », et, dans
les temps difficiles, à faire fondre ses vases sacerdotaux, à l'exemple
d'Ambroise. Désormais il se consacra tout entier au bien spirituel des
fidèles. La prédication, dans laquelle il excellait, devint son activité
favorite. Faire vivre les fidèles en Christ, et y vivre avec eux : tel était
le but de son ministère pastoral. La spéculation philosophique fut
reléguée à l' arrière-plan; la défense des intérêts de l'Eglise, le main-
tien et le développement de sa doctrine en face de l'hérésie, tant
ancienne que nouvelle, devinrent sa constante préoccupation. Sa pensée
désormais ne flottera plus incertaine entre les rêveries platoniciennes
et les doctrines du christianisme ; elle se mouvra sur le terrain positif
de la dogmatique ecclésiastique, et c'est en elle que la tradition
théologique de l'Occident et de l'Afrique en particulier, tempérée
quelque peu dans son réalisme par quelques restes importants de la
philosophie de Platon, trouvera sa suprême expression et revêtira une
forme capable de devenir h; point de départ d'un mouvement dogma-
tique nouveau. Augustin travailla avec un zèle infatigable au rétablis-
sement de l'unité extérieure de l'Eglise. Pour combattre; L'hérésie, il
ne négligea aucun des moyens que lui inspirait sa charité, ou que le
danger de l'Eglise parut justifier à ses yeux. Il essaya de ramener les
i. 47
7S0 AUGUSTIN
dissidents par ses prédications, par des entretiens privés, par des col-
loques publics, par la réfutation écrite de leur doctrine, et, quand tous
ces moyens furent inutiles, il n'hésita pas à donner son assentiment
aux mesures violentes que les synodes africains demandèrent à l'em-
pereur de prendre contre eux, et plus tard à les réclamer lui-même
dans ces assemblées où sa voix était prépondérante, et à les justifier
théoriquement dans ses écrits. — Il continua sa polémique contre les
manichéens. A Malliana, petite ville près d'Hippone, il destitua le
sous-diacre Victorinus qui faisait secrètement partie de la secte, et il
le fit chasser de la ville. En 404, il eut avec un manichéen du nom de
Félix deux discussions publiques à Hippone, à l'issue desquelles Félix
se déclara vaincu et abjura l'hérésie. Son principal ouvrage de con-
troverse contre eux furent les Trente-trois livres contre Faust, écrits
(vers 400) en réponse à un traité de ce dernier dans lequel il concluai
au rejet de l'Ancien Testament, et n'accordait au Nouveau qu'une
valeur relative, comme ayant été falsifié par l'esprit charnel des pre-
miers chrétiens. En 395, au moment de son entrée dans l'épiscopat,
il composa contre le déterminisme de la théologie manichéenne un
livre intitulé Du libre Arbitre. A un essai de conversion tenté sur lui
par un certain Secundinus qui avait lu à Rome quelques-uns de ses
traités polémiques, il répondit par son dernier ouvrage contre les
manichéens, le Livre contre Secundinus (405). Ces ouvrages firent
perdre à la secte un terrain considérable ; l'hérésie manichéenne était
définitivement vaincue. — Les ariens n'avaient jamais été nombreux
en Afrique ; au commencement du cinquième siècle ils avaient presque
entièrement disparu. Il y avait cependant à Carthage un fonctionnaire
impérial, nommé Pascentius,qui était arien. Augustin essaya vainement
de le convertir par des entretiens privés; et la proposition qu'il lui fit
d'une discussion publique fut rejetée. Plus tard un arien du nom
d'Elpidius lui envoya un traité accompagné d'une lettre, dans laquelle
il essayait de le convertir à son hérésie. Augustin ne répondit pas.
Mais lorsqu'en 418 il reçut un nouveau traité arien, avec prière de le
réfuter, il écrivit son Livre contre le discows des ariens. Neuf ans plus
tard, lors de la guerre du gouverneur Boniface contre les troupes
impériales, envoyées pour le punir de sa révolte, l'évêque arien des
Goths qui servaient dans l'armée impériale, Maximin, fut envoyé à
Hippone pour négocier la paix avec Boniface. Augustin profita de la
présence de Maximin à Hippone pour essayer de réfuter la doctrine
arienne dans une discussion publique avec celui-ci, et comme la dis-
cussion n'eut point de résultat, il la fit suivre de ses Deux livres contre
Maximin, évêque des. ariens (427). Il avait exposé ses propres idées sur
la question dans ses Quinze livres sur la Trinité (400-416), dans les-
quels il donna à la doctrine de la Trinité son expression complète et
définitive. — Dans sa lutte contre les donatistes, Augustin a été le
représentant de l'Eglise d'Afrique tout entière. Ce parti, qui vivait
séparé de l'Eglise depuis un siècle environ, et dont les représentants
extrêmes, les circoncellions, se permettaient les plus grandes atrocités
au détriment des fidèles, était un danger manifeste pour l'Eglise, dont
AUGUSTIN 731
il ébranlait L'autorité dans l'esprit des populations. Augustin essaya
d'abord de ramener ces fanatiques par la voie de la persuasion. Pré-
dications, entretiens privés, eolloques publies, entre autres celui
qu'il eut à Tuburcinium avec l'évêque donatiste de cette ville,
Fortunius, tout fut inutile. En 403, le synode de Cartilage pro-
posa d'instituer une conférence générale des évèques donatistes et
orthodoxes, dans le but de rendre la paix à l'Eglise. Les donatistes
repoussèrent cette proposition. L'année suivante, il fut question au
synode de Cartilage de lois pénales à demander à l'empereur contre
les hérétiques. Augustin et quelques autres membres du synode se
prononcèrent contre ce projet. 11 fut cependant exécuté. Sollicité par
la fraction des évèques africains qui voyait le salut de l'Eglise dans
la répression violente de l'hérésie, Honorius publia en 405 des édits
très-sévères contre les donatistes. Dans l'intervalle, l'opinion d'Au-
gustin s'était modifiée : non-seulement il ne protesta pas contre «l'édit
d'union », mais il le justifia même théoriquement dans sa Lettre à
Vincent, l'un des évèques opprimés. Par ordre impérial, un colloque
général entre les évèques des deux partis eut lieu en 411 à Cartilage,
sous la présidence d'un commissaire d'Honorius, Flavius Marcellinus,
un ami d'Augustin. Le donatisme fut déclaré vaincu, et poursuivi
désormais comme crime public. Honorius publia contre lui des édits
de plus en plus rigoureux, qui amenèrent peu à peu la ruine de l'hé-
résie. Augustin, une fois entré dans la voie des violences, ne s'arrêta
plus. Il alla jusqu'à se permettre à plusieurs reprises de stimuler le
.zèle des gouverneurs, quand la persécution se relâchait. Un côté plus
noble de sa lutte contre les donatistes fut la réfutation théorique de
leur doctrine, à laquelle il consacra un grand nombre d'écrits, depuis
le Psaume des donatistes (393) jusqu'à son ouvrage Contre les lettres de
Gaudentius (420). Citons, entre autres, les Sept livres sur le Baptême
(406), et le traité De l'unité de l'Eglise (411). — Plus importante encore
fut la lutte d'Augustin contre les pélagiens, lutte qui eut pour théâtre,
non pas une seule province de l'empire, mais le inonde chrétien tout
entier. Augustin n'avait pas assisté au synode de Carthage, qui avait
excommunié Cœlestius (411), mais il avait approuvé pleinement cette
sentence. En 416, lorsque Paul Orose apporta d'Orient la nouvelle
que des deux synodes de Jérusalem et de Lydda, le premier avait
laissé à l'évêque de Rome Innocent le soin de juger de l'orthodoxie
de Pelage, et que le second avait prononcé son acquittement, les synodes
de Carthage et de Milevis renouvelèrent, sous l'influence d'Augustin,
la condamnation de la doctrine pélagienne, et l'évêque Innocent, auquel
ils liront part de leur décision, confirma cette condamnation. Zosime,
son successeur, essaya de revenir sur cette sentence; niais la fermeté
avec laquelle le synode de Carthage de l'an 417 maintint debout la
décision d'Innocent, lui lit suspendre son jugement jusqu'après nouvel
examen. En US le synode de Carthage;. composé de plus de deux cents
évèques, reconnut l'augustinisme comme la doctrine de l'Eglise
d'Afrique, et obtint d'Honorius la promulgation dédits de persécution
contre les pélagiens. Cette attitude de L'empereur décida Zosime non-
732 AUGUSTIN
seulement à condamner la doctrine de Pelage, mais encore à envoyer
à tous les évèques d'Orient et d'Occident une circulaire dans laquelle
il les invitait à adhérer à cette sentence sous peine de déposition et
d'exil. Dix-huit évoques italiens, parmi eux le représentant le plus
systématique du pélagianisme, Julien d'Eclanum, furent bannis.
De nouvelles lois impériales, publiées en 419 et en 421, achevèrent la
ruine du pélagianisme. L'àme de tout ce mouvement théologique et
ecclésiastique fut Augustin. Pour combattre l'hérésie pélagienne, il a
produit toute une littérature. Parmi ses écrits les plus marquants dans
cette controverse, nous trouvons : son premier ouvrage sur le pélagia-
nisme, intitulé De la culpabilité et du pardon des péchés (421) ; ses traités
De la nature et de la grâce (415), Du péché originel (418), les Cinq livres
contre Julien (421), et le remarquable ouvrage Contre Julien, commencé
en 428 et resté inachevé. Aux moines d'Adrumète, que sa doctrine de
la prédestination avait choqués, Augustin écrivit, pour lever leurs scru-
pules, les deux traités De la grâce et du libre arbitre et De la réprimande
et de la grâce (427). Enfin, pour gagner complètement à sa doctrine les
moines semipélagiens de Marseille, il leur envoya en 429 deux ouvrages
intitulés : De V élection des saints et Du don de persévérance (voy. les
articles Donatis?ne, Pélagianisme, Semipélagianismé) . — Le même synode
de Carthage de Tan 418, qui soutint si énergiquement raugustinisme
contre les tendances pélagiennes de Zosime, rendit dans l'affaire du
presbytre Apiarius de Sicca, que son évêque avait excommunié, et qui
en avait appelé à Rome de ce jugement, une sentence qui montre bien
avec quel soin jaloux l'Eglise d'Afrique tenait à conserver son autono-
mie vis-à-vis de Rome : tout ecclésiastique qui en appellerait « au delà
des mers » d'une sentence prononcée contre lui par son évêque devait
être excommunié. Augustin, en présence et sous l'influence de qui fu-
rent rédigés les canons restés célèbres de ce synode, doit être certaine-
ment considéré comme l'un des représentants les plus distingués de cet
esprit d'indépendance qui a animé son Eglise en face de l'ambition
naissante des évoques romains. — Outre ses nombreux traités de contro-
verse, Augustin écrivit un certain nombre d'ouvrages exégétiques, tels
qu'une Harmonie des Evangiles (400), une explication de l'Epître aux
Romains (391), de la Genèse (401-415), de l'Evangile de Jean (416), etc.
Il exposa sa doctrine sous une forme systématique dans son Manuel à
Laurentius (421), et il l'appropria à l'enseignement de la jeunesse dans
sa Manière de catéchiser les ignorants (vers 400). Dans son traité De la
Doctrine chrétienne (397-426), il développa les principes de l'interpréta-
tion de l'Ecriture et de l'homilétique pastorale. En outre il composa le
chef-d'œuvre de l'apologétique ancienne, les vingt-deux livres delatïté
de Dieu (413-426). Enfin, il reste de lui environ 400 sermons et 270 let-
tres. Le souvenir des modifications successives que sa pensée avait su-
bies depuis le commencement de son activité littéraire, le décida vers la
fin de sa vie à passer en revue dans ses Rétractations (427) la longue
série de ses ouvrages pour corriger les erreurs dans lesquelles il avait
pu tomber, et écarter les contradictions qui pouvaient exister entre des
œuvres appartenant à des époques différentes de son développement. Il
AUGUSTIN. 733
y énumère, dans l'ordre chronologique, 93 ouvrages divisés en 232 li-
vres; un certain nombre d'entre eux n'existent plus; d'autres, posté-
rieurs à l'année i27, ne figurent pas dans ce catalogue.
III. Le système théologique d'Augustin, pendant la première période
de sa vie. sVst formé surtout sous l'influence de deux facteurs : l'ex-
périence personnelle de l'action de Dieu dans la vie de l'homme et la
lutte contre1 les ténèbres. Tout entier à la spéculation mystique et à l'as-
eéiisme monacal, Augustin n'avait pas songé jusqu'alors à traduire en
dogmes les données de son expérience religieuse; l'entrée dans la vie
pratique lit lever les germes qui sommeillaient dans son âme.: « Je suis
devenu plus sage dans les premiers temps de mon épiscopat, alors que
j'ai compris et enseigné que le commencement de la foi est un don de
Dieu. » D'un autre côté, la controverse si variée qu'il a eu à soutenir a
été un puissant stimulant pour son esprit éminemment dialectique.
Contre les manichéens, il a continué à soutenir les théories platoni-
ciennes sur Dieu et le mal ; aux ariens, il a opposé la doctrine de Nicée,
à laquelle il a donné son couronnement spéculatif; il a combattu les
pélagiens par sa conception du péché originel et de la prédestination,
et les donatistes par sa notion de l'Eglise visible. Quelques éléments
disparates que la réfutation d'hérésies aussi opposées ait nécessaire-
ment introduits dans sa pensée, ii faut néanmoins reconnaître que son
enseignement a enrichi la théologie ecclésiastique dans tous les do-
maines auxquels il a touché. Son originalité et sa profondeur se révè-
lent surtout dans l'anthropologie et la sotériologie qui, pour cette rai-
son, ont reçu plus spécialement le nom d'augustinùme. Résoudre les
problèmes de la morale chrétienne semble avoir été à cette époque la
tâche particulière de l'Eglise d'Occident, comme celle de l'Eglise
d'Orient avait été de résoudre ceux de la théologie métaphysique.
Voici les traits principaux de ce système : Dieu est l'essence suprême,
l'être en soi. Toute détermination positive de Dieu détruirait son ab-
solùité; mi peut dire de Dieu ce qu'il n'est pas, et non ce qu'il est.
La substance de Dieu est la sainteté. Par cela même il se trouve
placé dans un double rapport vis-à-vis du pécheur. D'un côté sa jus-
tice lui commande de punir le péché, son antithèse; de l'autre, son
amour ne lui permet pas de laisser sans pardon, le pécheur, sa
créature. La justice et la grâce sont les deux éléments constitutifs de
la sainteté (dualisme moral qu'aucune idée intermédiaire ne con-
cilie et d'où provient la dureté de la doctrine de la prédestination,
Baur). Dieu est non-seulement substance absolue, mais encore sujet
absolu, il se connaît lui-même; or « tout objet qui est connu est limité
par la compréhension du sujet qui le connaît. L'infini tout entier est
donc lui-même fini d'une manière ineffable, car il n'est pas incompré-
hensibleàsa proprescience. » Dieu n'est donc passeulement l'infini, mais
encore l'unité de l'infini et du fini. Si, en eilet, le fini n'était pas une
propriété inhérente à l'être infini de Dieu, par suite de l'opposition de
sujet et d'objet que fait naître dans l'être infini la connaissance qu'il a
de lui-même, l'être infini n'eût pas pu devenir le principe de l'univers
tel qu'il es! constitué. Les différentes relations dans lesquelles l'e
734 AUGUSTIN
absolu entre avec lui-même en se pensant sont exprimées, suivant Au-
gustin, dans la théologie ecclésiastique sous le nom des personnes di-
vines : conception originale et hardie de la Trinité, qui devait exercer
une grande influence sur la forme de ce dogme au moyen âge, et jus-
que dans les temps modernes. La mémoire, l'intelligence et la volonté
ou l'amour sont les moments particuliers du procès de la pensée di-
vine. La mémoire, le moment du Père, est la pensée réfléchie sur elle-
même pour entrevoir sa propre essence; l'intelligence, le moment du
Fils, est la pensée objectivée à elle-même par l'acte de l'esprit qui (su-
jet) s'est perçu lui-même (objet) comme être pensant, ou la pensée deve-
nue parole ; la volonté ou l'amour, le moment du Saint-Esprit, est la
conscience du sujet d'être un avec l'objet, ou la conscience de l'esprit
d'être identique à lui-même : le sujet prend plaisir à l'existence de
l'objet; il l'aime, car il se retrouve en lui, et réciproquement. Ces trois
termes sont inséparables ; chacun d'eux renferme les deux autres. De
cette manière, la subordination est absolument bannie de la Trinité.
L'Esprit procède du Père et du Fils, car il est indistinctement appelé
Esprit du Père et Esprit du Fils. S'il procédait du Père seul, il en ré-
sulterait entre le Père et le Fils une différence incompatible avec la no-
tion de leur consubstantialité. Cependant, c'est dans le Père que réside
le principe premier de la procession de l'Esprit, car si le Fils pos-
sède le pouvoir de faire procéder de lui le Saint-Esprit, c'est du Père
qu'il l'a reçu avec le don de la divinité. Ainsi est achevée, quant à
l'égalité du Fils et du Père, l'œuvre d'Athanase et des grands conciles
du quatrième siècle ; seulement, n'est-ce pas au détriment du Saint-
Esprit, que l'Eglise d'Orient faisait procéder du Père seul, pour le pla-
cer sur la même ligne que le Fils? La création est l'œuvre de la Tri-
nité entière; elle est une activité inhérente à l'être même de Dieu. Le
monde cependant n'est pas éternel, sans quoi il serait, non pas créé,
mais engendré comme le Fils. Par contre, Dieu n'a pu le créer par
caprice à un moment quelconque du temps et à un point quelconque
de l'espace, car le créateur et la créature ne peuvent se concevoir l'un
sans l'autre, et d'ailleurs le temps et l'espace n'existent que s'il existe
des êtres capables de se modifier et de se mouvoir, c'est-à-dire des
créatures. Le monde n'a donc pas été créé dans le temps et l'espace,
mais avec le temps et l'espace; sans être éternel et absolu, il est sans
commencement et sans limites; l'éternité s'est relevée en lui sous la
forme du temps infini. De même, il est fini en tant qu'il tire son ori-
gine du néant, et il est infini entant qu'il est la manifestation des types
éternels qui existent dans l'intelligence divine. Non que le néant du-
quel il est créé soit le non-être absolu, l'ennemi irréconciliable de
l'existence ; c'est le non-être relatif, qui existe aussi en Dieu, et qui est
susceptible de s'unir à l'être pour former l'être relatif et fini. Dire que
le monde a été créé du néant par l'intermédiaire du Fils, c'est dire
qu'il est la réalisation des idées divines sous une forme relative. —
L'homme a été créé par Dieu dans un état remarquable de perfec-
tion intellectuelle et morale. Son âme, sortie des mams de Dieu, pos-
sédait l'image divine ou « l'intelligence raisonnable » par laquelle il
AUGUSTIN 735
dominait sur le reste de la création. Adam a eu en partage «la science
la plus parfaite » ; les plus intelligents des hommes d'aujourd'hui sont
à côté de lui ce que les tortues sont à côté d'oiseaux. Sa volonté était
parfaitement libre; il observait la loi de Dieu avec « les forces spirituelles
les plus grandes et les plus intactes». Créé dans la «justice» et dans la
« sainteté de la vérité,», il n'avait pas seulement la possibilité de la
bonne volonté, mais la bonne volonté elle-même. Sa raison régnait sur
la sensualité. Il avait la « possibilité de ne pas pécher », et la persévé-
rance dans le bien devait changer cet état en «l'impossibilité de pécher».
Son corps était constitué dans «l'immortalité mineure», le pouvoir de
ne pas mourir, qui devait devenir « l'immortalité majeure, » l'impos-
sibilité de mourir. Adam, en désobéissant à Dieu librement par or-
gueil, a perdu sa perfection première; sa liberté s'est changée en une
« impossibilité de ne pas pécher » ; la sensualité a obtenu la prédomi-
nance sur sa raison ; la mort physique est survenue. Il ne lui est resté
que la «justice civile», et la possibilité d'être sauvé un jour, parce que
l'image de Dieu n'a pas été anéantie en lui, mais seulement corrompue,
La concupiscence ou l'attrait sexuel, qui dans la nature primitive de
l'homme n'était pas un mal, est devenue le mal central delà nature
humaine, depuis qu'elle a usurpé l'empire sur la raison. Dans cet état
la nature humaine est transmise par la génération, qui est un acte impur,
(réminiscence manichéenne), car elle est le siège delà concupiscence.
Le mal héréditaire devient ainsi mal originel; bien plus il devient
péché originel, car le genre humain tout entier, ayant été contenu
«dans les lombes d'Adam» d'après Rom. V, 12 (in quo omnes peccave-
runt, d'après la version latine), a péché directement en Adam, et le
péché du premier homme est personnellement imputable à tous les
descendants d'Adam. La concupiscence, châtiment du premier péché,
est considérée à son tour par Dieu comme péché ; elle est la mère du
péché, car c'est par elle que les pécheurs engendrent dans le péché de
nouveaux pécheurs. Le péché originel se transmet par le corps. Quant
à la question de son extension à l'âme, Augustin incline tantôt vers le
traducianisme, attiré par la facile solution qu'il y trouverait pour ce
problème, tantôt pour le créatianisme, effrayé des conséquences qu'au-
rait la doctrine précédente pour la nature de l'âme: en dernière ana-
lyse, il avoue son ignorance sur ce point devant le silence des Ecritu-
res, et il se contente de constater dans l'âme la présence du péché ori-
ginel à propos du plaisir qu'elle éprouve lors de la génération. L'usage
ecclésiastique du baptême des enfants est pour lui la preuve de l'exis-
tence en eux du péché originel : de quoi purifierait-on sans cela ceux
qui n'ont pas encore commis de péchés? Dans son esclavage, l'âme ne
peut plus vouloir que ce que la chair lui suggère; toute sa «liberté»
désormais consiste à faire volontairement le mal; c'est dans ce sens
qu'il est encore question chez elle de «liberté», car elle est restée le
sujet responsable des péchés qu'elle commet. Ailleurs Augustin ensei-
gne qu'elle est libre du bien, c'est-à-dire privée de la possibilité de le
luire Le salut de l'homme est donc l'œuvre de Dieu seul. — Dieu nous
sauve par sa grâce, qui nous pend la volonté et In possibilité de faire le
736 AUGUSTIN
bien en nous inspirant l'amour de Dieu et le principe de cet amour, la
foi. La possibilité historique de notre salut est la victoire remportée
sur le diable, au moyen du libre arbitre, par Jésus-Christ, né sans le
péché originel, puisqu'il a été conçu par la Vierge sans concupiscence.
La vie du Seigneur a été pour nous une «école de moralité» ; sa mort
a été la rançon de notre délivrance d'entre les mains du diable, à qui
un décret de la toute-puissance divine n'aurait pu nous arracher, puis-
que le péché originel lui avait conféré un droit de possession sur nous.
La foi est l'assimilation subjective de l'œuvre rédemptrice et sanctifiante
du Seigneur. La justification par la foi ne consiste pas seulement dans
la rémission de nos péchés, mais encore dans le don de l'amour de
Dieu qui nous rend capables d'accomplir la justice. «Dieu justifie l'im-
pie, c'est-à-dire il le rend juste. » La grâce, qui opère la foi, est une
«infusion de l'amour de Dieu dans les cœurs.» Pour justifier, la foi
doit se manifester par les œuvres de l'amour, appelées pour cette raison
«mérites», quoiqu'elles soient des «dons de Dieu », comme provenant
de la grâce. L'accès n'est donc pas entièrement fermé à la doctrine
des œuvres pies. La foi est dans l'homme le commencement d'une vie
nouvelle. Tout ce qui ne provient pas de la foi est péché. Avant le
christianisme il n'y a eu de vraie piété que sous l'influence anticipée
du principe chrétien. Les vertus des païens n'ont été que des apparences
de vertu. Par contre, les fidèles de l'ancienne alliance ressusciteront avec
le Christ, parce qu'ils sont devenus membres de son corps par la foi en
sa venue future. La grâce n'attend pas la bonne volonté de l'homme
pour agir; elle est «prévenante», car elle produit cette volonté. Quand
elle est produite, la volonté a besoin d'être soutenue dans ses résolu-
tions par la «grâce coopérante», et aidée par la « grâce subséquente»
à terminer une œuvre qu'elle aura pu commencer. La grâce agit d'une
manière «irrésistible et invincible» ; aucune dureté de cœur ne l'arrête,
car c'est précisément pour changer les cœurs de ; pierre en cœurs de
chair qu'elle est donnée. L'action de la grâce n'est pas universelle
comme celle du péché originel ; elle est restreinte par la prédestina-
tion divine à un certain nombre de chrétiens, que Dieu a choisis avant
la création du monde, en vertu d'un « décret libre et absolu», afin de
manifester en eux son amour, de même qu'il manifeste sa justice par
le châtiment des réprouvés. La foi des fidèles, loin d'être le motif de
leur prédestination en vertu de la prescience de Dieu (comme Augustin
l'avait cru avant 395), n'en est que le résultat. Le nombre de ceux que
Dieu arrache ainsi à la «masse de perdition», est égal à celui des anges
déchus dont ils prendront la place dans la cité céleste. Ils ne peuvent
point périr, car ils ont reçu le «don de la persévérance » . Les chrétiens
qui n'ont pas reçu ce don peuvent présenter pendant quelque temps le
spectacle d'une vie sainte; ils ne tardent pas à déchoir et meurent dans
l'infidélité. Dieu les a mêlés aux élus pour effrayer ceux-ci et les préser-
ver de toute fausse sécurité. En ne sauvant que certains hommes, Dieu
n'est pas injuste, car il ne fait qu'abandonner les autres au juste châtiment
qu'ils ont mérité par leur péché. Augustin ne se sert généralement du
mot prédestination qu'à propos des élus ; en quelques passages cependant
AUGUSTIN 787
il dit (|uc les réprouvés sont «prédestinés à la damnation, au châtiment,
à la mort éternelle » , jamais : au péché. Cette doctrine ne rend pas inutiles
renseignement et les réprimandes de l'Eglise, car c'est par des instru-
ments humains que la grâce agit; elle ne supprime pas les efforts indi-
viduels: c'est en les voyant couronnés de succès que nous apprendrons
que nous sommes élus. Augustin recommande de ne toucher à ce point
dans la prédication qu'avec la plus grande prudence, de peur d'engen-
drer chez l'homme l'inertie morale; nous devons, selon lui, aimer tous
nos frères, et vouloir que tous soient sauvés. — L'Eglise est le corps de
Christ ; mais tout ce qui se trouve en elle n'appartient pas à la vraie Eglise,
de même que des humeurs malignes ne font pointpartie du corps dans
lequel elles séjournent. Il faut distinguer entre le « vrai corps de Christ
et le corps apparent ; bien des gens vivent avec l'Eglise dans la commu-
nion des sacrements, qui ne vivent pas dans l'Eglise.» Ce qui constitue
le droit de cité dans l'Eglise est ici évidemment la prédestination. La
polémique contre les donatistes modifia cette conception si spiritua-
liste. Pour maintenir la catholicité de l'Eglise, Augustin en atténua
autant que possible l'imperfection, au moyen de l'idée platonicienne du
mal. La présence des méchants dans l'Eglise n'estqu'un accident qui ne
modifie pas la substance de l'Eglise. L'Eglise visible est donc la vraie
Eglise, car « celle-ci ne peut être que celle qui est répandue sur toute la
terre, qui remonte aux apôtres par la succession non interrompue des
évèques. » La substance de l'Eglise terrestre (Matth. XIII, 38:1e champ,
c'est l'Eglise; pour les donatistes, c'est le monde) est la même que
celle de l'Eglise céleste, délivrée de cet accident : la différence entre
les deux Eglises ne réside que dans la manière d'être. L'Eglise a le
droit de contraindre les hérétiques à rentrer dans son sein, car le Sei-
gneur lui-même a dit : « Contraignez-les d'entrer » (Cogite intrare,
Luc XIV, 23) ; Paul a été frappé de cécité pour être amené à la foi et il
a lui-même livré un homme à Satan pour le salut de son âme. Tout
dépend de l'intention dans laquelle le châtiment est inlligé. L'Eglise a
même le droit de réclamer dansée but l'intervention impériale, et l'em-
pereur a reçu de Dieu le glaive pour punir les crimes, dont le plus
grave est assurément le meurtre des âmes par l'hérésie. — La majesté
de l'Eglise et de sa tradition avait exercé à Milan une grande iniluence
sur l'esprit d'Augustin, en même temps qu'il se sentait attiré par ren-
seignement de l'Ecriture. Aussi trouvons-nous chez lui le principe ca-
tholique et le principe protestant exprimés avec une force égale :
« Je ne croirais pas à l'Evangile si l'autorité de L'Eglise ne m'y pous-
sait, » et de l'autre enté : « La foi est ébranlée dès (pie l'autorité des
Ecritures vacille. )> Il vante « l'humilité et la profondeur » des Ecri-
tures; pour les interpréter, il faut d'abord les aimer, c'est-à-dire aimer
Dieu en elles ; dans ce «as. une erreur d'exégèse n'est pas un mensonge
pernicieux, car L'interprétation, quoiqu'inexacte, ne dévie pas de La
« règle de charité i générale. L'exégèse devra taire ressortir les quatre
points suivants : L'enseignement dogmatique, Le fait historique, La pro-
phétie, Le précepte moral. Tout en maintenant rigoureusement Le sens
historique des textes, il donne une large place à L'interprétation allégo-
738 AUGUSTIN
rique, d'après la parole du Seigneur : «Frappez, et Ton vous ouvrira ».
Son originalité consiste précisément dans F union intime des deux mé-
thodes. L'inspiration absolue des auteurs sacrés exclut toute erreur de
leur part; elle n'a cependant pas anéanti leur individualité. Tout en
étant la main que dirigeait Christ, la tête, chacun d'eux a écrit plus ou
moins longuement « selon ses souvenirs et ses dispositions particu-
lières »; la « coopération de leur travail personnel n'a pas été inutile ».
D'accord avec la décision du synode de Garthage de l'an 397, Augustin
rangeait les apocryphes de l'Ancien Testament au nombre des livres
canoniques. Les miracles bibliques ne le choquaient pas ; « ils dépassent
non la nature elle-même, mais la connaissance que nous en avons ». Il
admettait la continuité du don des miracles dans l'Eglise, mais vou-
lait que les fidèles ne fussent tenus de croire que ceux dont ils auraient
été témoins. — Les moyens d'action de la grâce sont, outre l'Ecriture,
les sacrements, dans lesquels il convient de distinguer les vérités internes
des signes extérieurs destinés à les exprimer, et présentant pour cette
raison une certaine analogie avec ces vérités. Les sacrements de F An-
cien-Testament ont promis le Sauveur; ceux du Nouveau-Testament le
donnent : la différence entre eux réside, non dans F idée, mais dans le
signe ; non dans la substance, mais dans l'accident susceptible de chan-
gement. Quoique nécessaires pour affirmer l'unité et le principe
de l'Eglise, ils ne sont pas indispensables : ce serait une « servitude
charnelle » que de prétendre que la sanctification est impossible sans
eux. Le baptême et la cène sont les « sacrements constitutifs de l'E-
glise ». Le baptême enlève la « culpabilité », non « l'actualité » du
péché originel ; il efface les péchés commis depuis la naissance et con-
tient virtuellement la rémission des péchés ultérieurs. Les enfants non
baptisés sont damnés, les païens vertueux de même ; seulement, leur
damnation est plus légère. La condition de l'efficacité du baptême
est la foi. Pour les enfants, Augustin admet soit une « infusion oc-
culte de la grâce en eux », si bien que certains éléments de la foi se
trouveraient déjà dans les enfants, soit une substitution de la foi de
l'Eglise entière, représentée par les parents, à la foi que l'enfant n'a
pas. Après la réponse affirmative des parents, l'enfant reçoit avec fruit
le sacrement, auquel il « n'oppose pas le verrou d'une pensée con-
traire ». Dans la cène, le pain et le vin sont des « ligures du corps et
du sang de Christ ». Augustin appelait « un crime et une honte »
l'idée (exprimée par les Juifs, Jean Yi, 52) d'une manducation char-
nelle de son corps. C'est avec le corps spirituel de Christ que le fidèle
entre en communion dans la cène. Les croyants le mangent « inté-
rieurement », les incrédules « extérieurement », c'est-à-dire le simple
signe. Augustin donne encore le nom de sacrements à l'exorcisme et à
l'imposition des mains qui accompagnaient le baptême, au mariage et
à l'ordination, à laquelle il attribue déjà un caractère aussi indélébile
qu'au baptême. — Il admet la possibilité d'un purgatoire, ou d'une
purification par le feu, « dans une demeure cachée »,de certaines âmes
qui n'ont mérité complètement ni la damnation, ni la vie éternelle; les
prières, la célébration de la cène, les aumônes et d'autres exercices de
AUGUSTIN 739
piété pratiqués à leur intention par les survivants, pourront améliorer
leur destinée. Lors de la résurrection finale, notre corps, devenu spi-
rituel, tout en restant une chair réelle, sera rétabli avec une quan-
tité de matière équivalente à celle qu'il avait dans la vie terrestre;
toutes les difformités en seront bannies. D'après un passage, la stature
du corps ressuscité sera celle que l'homme avait ou aurait eue vers sa
trentième année, l'âge de Christ lors de sa résurrection. Le monde fi-
nira par un vaste embrasement, dont les élus n'auront pas à souffrir,
car ils vivent dans les parties supérieures de l'univers où la flamme ne
peut les atteindre. La félicité des bons consistera dans la contem-
plation de Dieu au sein de la cité divine. Le supplice des méchants sera
éternel, comme celui des démons. Augustin admet des degrés différents
dans la vie éternelle, comme dans la damnation ; seulement, il ignore
en quoi ils consistent. — La méthode dialectique d'Augustin est contenue
dans le principe célèbre : « La foi précède l'intelligence. » Le contenu
objectif de la révélation chrétienne doit être d'abord perçu par la foi,
avant de devenir le point de départ du travail de l'intelligence, couron-
nement de la vie spirituelle. Dans son apologie du christianisme, inti-
tulée la Cité de Dieu, il a décrit l'évolution du royaume du bien à tra-
vers les phases successives de l'histoire religieuse du monde, jusqu'au
triomphe de l'Eglise chrétienne lors du jugement dernier. Augustin
mourut à Hippone, le 28 août 430, à l'âge de 76 ans, pendant le troi-
sième mois du siège de cette ville par les Vandales. L'Eglise d'Afrique
entière devait le suivre bientôt dans la tombe. Avant de s'adresser au
christianisme, il avait traversé, pour les vaincre, toutes les formes de
la sagesse païenne. Pour montrer quelle influence il a exercée comme
théologien et comme homme d'Eglise dans les siècles futurs, il suffit
dédire que la scolastique, le monachisme, l'inquisition, le mysticisme
et la théologie de la réformation se rattachent directement à lui. Placé sur
les confins du monde ancien et du monde nouveau, il renferme déjà en
germe les deux formes que le christianisme devait revêtir au moyen âge
et au seizième siècle. C'est ce qui lui donne son importance extraordi-
naire dans l'histoire du christianisme. — Sources : S. Aur. Augustini Opp.
ornnia, publiés par les bénédictins de Saint-Maur, 2e édit., Paris, 1863,
XI vol. in-f° ; Traductions françaises : la Cité de Dieu, par Saisset, Pa-
ris, 1835 ; les Confessions, par Janet, Paris, 1857 ; les Soliloques, par
Pélissier, Paris, 1853 ; les Lettres, par Poujoulat, Paris, 1858 ; le Ma-
nuel, par d'Avenel, Jtennes, 1861; Poujoulat, II ist. de iïaint Augus-
tin, Paris, 1843; Naville, Saint Augustin, Etude su?' le développement de
sa pensée jusqu '// r époque de son ordination, Genève, 1872; Ebert, Gescli.
d. latein. Literat., Leipz., 1874, 1, 203 ss ; Bindemann, D<'r h. \ugus-
tinus, Berl.,Leipz., Greifsw, 1844-1869,2 tomes en 4 vol. ; Neander,
AUgem. Gesck. der christl. Religion, Hamb., 1852, 11,1 et 2: Bœhrin-
ger, Die Kirche Chr. u. ihre Zeugen, Zurich, 1845, I, 3, (.)(.) ss. ; Baur,
1 orles. i'b. d. Ûogmen'gesch., Leipz. , 1866, 1,2;"Flotes (abbé), Etudes sttr
Saint Augustin, son génie, son âme,sa philos,, Montpellier, 1861 ; Nour-
risson, La Philos, de Saint Augustin, Paris, 1865; Bersot, Dorir.de Saint
Augustin sur la liberté et In Providence, Paris, 1843; Wiggers, Vers. e.
740 AUGUSTIN — AUGUSTLNK
pragm. Darstell. d. Augustinismus. u. Pelagian^Uumb., 1833 ; Schmidt,
Augustins Lehre v. d. Kirche, Jahrb. f. deut. Theol., 1861; Ribbeck,
Donatus u. Aug., Elbf., 1858; Schneegans, Appréc. de Saint Augustin,
d'après ses trâv. sur l'herméneutique, Strasb., 1848; Nitzseh, Augustins
Lehre vom Wunder, Berlin, 1865; Van Goens, De Aur. August. apo-
logeta, sec. libb. de Civitate Dei, Amstel., 1838. A. Jundt.
AUGUSTIN, moine italien, abbé d'un couvent de Tordre de Saint-
Benoît, à Rome,. dans les dernières années du sixième siècle. Nous ne
possédons aucun détail sur sa naissance et sa famille, il est célèbre
pour la part importante qu'il prit dans la conversion des Anglo-
Saxons. Le pape Grégoire Ier avait eu la pensée de se consacrer à cette
mission. Il en remit la direction à Augustin, qui obéit, malgré les dan-
gers que les Francs lui faisaient pressentir. Débarqué, en 597, avec
quarante moines dans File de Tlianet, il obtint une audience du roi
Ethelbert, de Kent, déjà favorablement disposé pour l'Evangile par
l'influence de la reine, princesse franque chrétienne. Les succès du
missionnaire furent aussi brillants que rapides. Le roi Ethelbert, après
avoir reçu le baptême avec dix mille de ses sujets, créa en sa faveur le
siège archiépiscopal de Cantorbéry et se soumit aux pratiques les plus
minutieuses du rit romain. Serviteur dévoué de la papauté, Augustin
travailla à détruire les derniers vestiges de l'indépendance de l'antique
Eglise bretonne ou culcléenne, qui succomba dans cette lutte inégale,
malgré le zèle et le talent du célèbre Dinooth, abbé de Bangor. A sa
mort, presque toute l'Angleterre était gagnée à la foi chrétienne et
étroitement rattachée au siège de Rome. — Voyez Bède, Historia eccl.
gentis angl.; Rapin deThoyras, Hist. d'Angl., La Haye, 1729,1,216-225;
Palgrave, trad. Licquel, Hist. des Ang.-Sax., Rouen, 1836; Piper, Zeu-
gen der Wahrheif, II , 340, ss. A. Paumier.
AUGUSTINS (Ordre des). On sait que saint Augustin n'a fondé aucun
ordre; comme prêtre, et plus tard comme évêque d'Hippone, il vécut,
avec ses clercs, dans une maison où il avait introduit la communauté
des biens ; cela ne dura que jusqu'à sa mort. Au moyen âge, à une
époque qu'il est encore impossible de déterminer exactement, on re-
cueillit dans plusieurs de ses écrits, notamment d'une lettre à sa sœur
et de quelques-uns de ses sermons de moribus clericorum, des passages
dont on ht une règle, qu'on appela celle de saint Augustin; elle ne pa-
raît pas avant le onzième siècle. Vers le milieu du huitième, F évêque
Ghrodegang, de Metz, introduisit parmi les prêtres de sa cathédrale la
vie canonique; ce fut l'origine des chapitres, dont les membres (cha-
noines) habitaient ensemble une maison commune. Dès la lin du
dixième siècle, la plupart des chapitres se sécularisèrent, c'est-à-dire
que les chanoines renoncèrent à la vie commune pour demeurer cha-
cun dans une curia particulière. Cent ans plus tard, il s'opéra une réac-
tion contre ce relâchement de la discipline primitive. En 1091, dans le
diocèse de Passau, en 1095, dans celui de Toul, en 1143, à Strasbourg,
on fonda des collèges de chanoines réguliers, ainsi appelés parce qu'ils
adoptèrent Urègle de saint Augustin. Ces exemples trouvèrent de l'imi-
tation en plusieurs pays. Ce qui distinguait les chanoines réguliers des
AUGUSTINS — AUMONE 741
séculiers, c'est qu'il leur était interdit d'avoir des possessions person-
nelles, qu'ils vivaient en commun sons un abbé ou prieur, et qu'ils
n'étaient pas rattachés à une église cathédrale ou autre; ils se distin-
guaient des moines par un régime moins sévère, par la faculté qu'ils
avaient de devenir curés paroissiaux, et en ne pas formant un ordre
ayant à sa tête un supérieur général. Une de leurs maisons les plus cé-
lèbres a été l'abbaye de Saint-Victor, fondée à Paris par Guillaume de
Champagne. Avec ces chanoines réguliers de saint Augustin, il ne faut
pas confondre, comme on le fait trop souvent, les frères ermites de saint
Augustin. Au treizième siècle, il existait en Italie un grand nombre de
petites congrégations d'ermites, sous des noms divers et suivant des
observances diverses. En 121ti, Innocent IV les réunit en un ordre sous
la règle de saint Augustin. En 12o6, ils tinrent une assemblée, où ils
élurent un maître général et se partagèrent en plusieurs provinces ; le
pape confirma ses mesures et exempta l'ordre de la juridiction des évê-
ques. Ces ermites augustins étaient des moines mendiants comme les
dominicains, les franciscains et les carmes. Ils finirent par avoir des
couvents très-nombreux, dont plusieurs, entre autres celui de Paris, re-
levaient directement du siège apostolique. Ils étaient si persuadés que
saint Augustin était leur fondateur que, lorsque, dans les premières an-
nées du seizième siècle, l'humaniste alsacien Wimpheling démontra
que l'évèque d'Hippone n'avait pas été moine, ils en portèrent plainte
jusque devant la cour de Rome. C'est à ces augustins mendiants qu'a
appartenu Luther. Au seizième siècle, on introduisit une réforme
dans quelques couvents du Portugal, de l'Espagne, de la France,
de l'Autriche, en les soumettant à des règles plus sévères; ceux
qui les acceptèrent furent appelés augustins déchaussés. Enfin il y
avait des religieuses augustines et un tiers-ordre de pénitents laïques.
Ch. Schmidt.
AUMONE. 11 est naturel à l'homme d'avoir pitié de l'homme. Aussi,
trouve-t-on le devoir de l'aumône recommandé dans les religions les
plus diverses, et pratiqué jusqu'à un certain point chez les peuples les
plus grossiers. Et comme il est non moins naturel à l'homme de remplacer
le sentiment intérieur par l'acte extérieur, et de donner à Dieu ses biens
plus facilement que soi-même, l'aumône a pris souvent d'autant plus
d'importance que l'on se préoccupait moins de spiritualité. Le boud-
dhisme mérite d'être cité au premier rang parmi les doctrines reli-
gieuses qui ont fait à leurs fidèles un devoir de l'aumône; sous son
influence, les distributions de secours ont atteint parfois un déploie-
ment colossal dans l'Inde (voy. Le Bouddha et sa religion, par B. Saint-
Hilaire, p. 88, 270, 28o). L'Ancien Testament recommande dans de
nobles termes le devoir de l'aumône (Dent. XV, 7-11; Lév. XIX, 10;
Deut. XXIV, 10-21). La pitié pour le pauvre est un des traits de l'idéal
du sage (lob XXIX, 12-10; XXXI, 10-20; Prov. XIX, 17, XXII, 9,
XXVIII, 27), de l'homme pieux (Ps. XXXVII, 21, 26, GXII, 0), de la
brave femme (Prov. XXXI, 20). Les prophètes ont opposé ce devoir de
bienfaisance au formalisme de leur temps (Esaïe LVIU, 7;Ezéch. XVIII,
7). Les Apocryphes, produits d'une époque où la vie religieuse se
742 AUMONE — AUMONIER
pétrifiait en pratiques et en préceptes de détail, ins stent fréquemment
sur le devoir de l'aumône, mais on dirait presque à les lire qu'il faut
la faire moins par pitié pour le malheureux que par calcul : elle
éloigne l'adversité et délivre du péril (Tob. IV, 10;Ecclésiaste, 111,32,
XXIX, 15, 18) ; elle préserve delà mort (Tob. IV, 11, XIII, 9), elle
expie les péchés (Tob. XII, 9; Eccl. 9, III, 31). La prière, le jeûne,
l'aumône font la substance de la vie pieuse (Tob. XII, 8). Aumône est
synonyme de justice (Tob. XII, 9; Matth. VI). Ce point de vue est
à beaucoup d'égards celui qui règne dans l'Eglise catholique. Il y
avait au temple de Jérusalem un tronc où l'on pouvait déposer ses au-
mônes sans être vu, tandis que les dons pour le culte étaient jetés dans
des vases appelés trompettes, parce qu'ils en avaient la forme et peut-être
le retentissement. Les aumônes en argent étaient recueillies dans les
synagogues le jour du sabbat ; dans la semaine, des collecteurs allaient
de maison en maison chercher les dons en nature. Le Nouveau Testa-
ment présente plusieurs préceptes (Luc III, 11 ; XII, 32; XVI, 9;
Matth. V, 42 ; 1 Tim. VI, 18 ; Hébr. XIII, 16, etc.) et plusieurs exemples
(Marc XII, 41-44; 2 Cor. VIII, IX; Rom. XV, 26-27) relatifs à l'au-
mône. EJle doit être faite sans ostentation (Matth. VI, 1-4), de bon
cœur, avec joie (2 Cor. VIII, 12; IX, 7; Rom. XII, 8), propor-
tionnellement à ce qu'on possède (1 Cor. XVI, 2; 2 Cor. VIII, 12), à
tous, sans se détourner de personne (Matth. V, 42), surtout aux frères
en la foi (Gai. VI, 10). Dieu y prend plaisir (Hébr. XIII, 16) ; il récom-
pensera même un verre d'eau froide (Matth. X, 42), et l'aumône amasse
un trésor dans le ciel (Luc XVIII, 22, cf. Luc XVI, 9; Matth. XXVIII, 35-
40). Mais les plus grandes aumônes ne sont rien si on ne les fait pas par
amour pour Dieu et pour ses frères (1 Cor. XIII, 3). Le plus grand exem-
ple, c'est Jésus-Christ (2 Cor. VIII, 9). L'invitation de vendre tous ses
biens revient deux fois dans les Synoptiques. La première fois, c'est
une invitation adressée personnellement au jeune riche pour des rai-
sons qu'il n'est pas difficile de découvrir (Luc XVIII, 22 et les Parai.);
la seconde fois (Luc XII, 33), la teneur des paroles est générale, mais
on doit y voir une de ces façons de parler aiguës et fortes, familières à
Jésus, qui prend souvent, pour formuler une vérité morale, l'exemple
le plus extrême de sa réalisation. Il faut en retenir l'esprit plutôt que
la lettre (voy. Godet, Comment, sur saint Luc ,11, p. 124, 251 ss.). Quant
à l'influence de l'aumône sur celui qui la reçoit, c'est une question à
réserver pour l'art, sur le soin des pauvres. — Voyez Th. Rivier, La
Libéralité chrétienne, 1874; L. Larnac, L Art de donner, 1874. Ch. Bois.
AUMONIER (eleemosynarius). Ce titre ecclésiastique est pris dans
diverses acceptions. Dans les anciennes abbayes et les anciens prieurés,
il désignait le religieux qui était chargé de faire les aumônes du revenu
affecté à cet effet. A partir du treizième siècle on appelait ainsi les offi-
ciers chargés, à la cour des rois de France, de la distribution des
aumônes, et bientôt aussi de la réglementation des offices dans les cha-
pelles royales et de la direction supérieure de tout le clergé de la cour.
Depuis le quinzième siècle, nous trouvons même un grand aumônier,
qui prend le titre d'aumônier de France et qui est d'ordinaire revêtu
AUMÔNIER — AURÉOLE 743
de la pourpre romaine. Il avait le droit de proposer les candidats pour
les évêchés et pour d'autres bénéfices vacants, et jouissait, à ce titre,
d'une grande influence. Cette dignité de grand aumônier, qui avait
disparu depuis La Révolution, fut rétablie par une bulle de Pie IX, du
31 mars 1857, en faveur de Napoléon III. Elle n'a pas été rétablie
depuis sa chute. — On donne aussi le nom d'aumôniers aux prêtres ou
aux pasteurs qui sont à la suite d'un régiment, sur un vaisseau, dans
des places fortes, dans les hospices et dans les prisons, pour s'acquit-
ter des fonctions de leur ministère selon les besoins spirituels de ceux
auprès desquels ils sont spécialement placés. Cette institution, dont le
maintien est vivement réclamé par l'Eglise catholique et par cer-
taines Eglises protestantes, ne peut se justifier que dans les endroits
•et les circonstances où l'action du clergé local ne peut pas s'exercer
d'une manière efficace, comme sur les champs de bataille, sur mer et
dans les concentrations militaires, pénitentiaires, hospitalières ou
autres, éloignées de tout culte régulièrement établi. Partout ailleurs elle
risque de favoriser une propagande indiscrète et intolérante et va à ren-
contre de son but.
AUNIS. Voyez La Rochelle.
AURAN, AÙRANITIDE. Voyez Hauran.
AURÉLIEN (Lucius Domitius Aurelianus), empereur romain , monta
sur le trône en 270. Ancien soldat, la guerre fut à l'état presque per-
manent sous son règne. La plus remarquable fut celle qu'il lit à Zéno-
bie, reine de Palmyre. Après un siège terrible, la ville fut 'prise et la
reine, qui avait refusé de se rendre, fut faite prisonnière. Aurélien se lit
décerner à Rome un triomphe magnifique, où Zénobie enchaînée
marchait derrière son char. Elle fut, du reste, traitée avec douceur et
finit ses jours à Tibur, dans une villa qui lui avait été donnée. Les
chrétiens n'eurent point à se 'plaindre d'Aurélien, au moins pendantla
première partie de son règne. Plus tard, il rendit contre eux de sévères
édits, mais ils ne furent publiés qu'après sa mort. Aurélien périt assas-
siné en 275, après cinq ans de règne.
AURÉOLE (Gloria, JVùnôus, Awvola), que l'on fait dériver de lau-
reus, désigne le cercle de lumière avec lequel on représente les person-
nages que l'on veut honorer d'une manière particulière. Les païens
déjà entouraient d'un nimbe lumineux la tête de leurs héros ou de
leurs dieux; les empereurs romains sont revêtus de ce signe glorieux
sur des statues et des monnaies. Sur les sarcophages des catacombes,
Dieu et Jésus-Christ apparaissent entourés de l'auréole; mais ce n'est
qu'à partir du quatrième siècle que cet usage devint général. L'auréole
de Dieu le Père prend la forme d'un triangle, celle du Christ repré-
sente un cercle sur le fond duquel se détache une croix ; le Saint-
Esprit est figuré par une colombe entourée de rayons lumineux. Dans
les miniatures du moyen âge, la main divine qui sort de la nuée porte
elle-même l'auréole ; celle-ci orne aussi le front des figures embléma-
tiques, telles que l'agneau, le lion, l'aigle, etc., et jusqu'à la tête de
Satan lui-même. L'art postérieur distingue entre le nimbe, qui
entoure lu tête des saints personnages, et l'auréole qui enveloppe leur
744 AUREOLE-— AUTEL
apparition tout entière (voy.Didron, Jconogr. chrét.,p. 27 ss.; Mùnter,
Sinnbilder u. Kunstvorst. der ait. Ch?'ist., Il, p. 20 ss.).
AURIFABER. Il y a eu au seizième siècle deux théologiens protes-
tants allemands du nom d'Aurifaber (Goldschmidt). Le seul qui nous
intéresse est Jean, qui naquit vers 1519, probablement à Weimar.
Depuis 1537, il étudia à Wittenfoerg ; en 1551 il devint, après diverses
péripéties, prédicateur du duc Jean-Frédéric de Saxe. Disciple dévoué
de Luther, dont pendant quelque temps il avait été le commensal et
aux derniers moments duquel il avait assisté, il se rangea du côté de
Flacius, prit part à toutes les controverses avec les philippistes, etc.,
et à toutes les mesures pour assurer le triomphe du luthéranisme
orthodoxe. Il mourut en 1575 comme pasteur à Erfurt. Il fut un des
éditeurs des œuvres de Luther dont l'impression fut commencée à
Iéna en 1555 ; en 1564 il publia, pendant un séjour à Eisleben, deux
volumes d'écrits allemands de Luther, qui manquaient dans les éditions
d'Iéna et de Wittenberg; en 1566 suivirent les Tischreden (propos de
table) du réformateur (Eisleben, in-folio, et souvent depuis; aussi dans
les œuvres de Luther de Walch, f. 22). Pour composer ce recueil, il
se servit de notes que lui remirent plusieurs anciens disciples de
Luther; il y ajouta ses souvenirs personnels; il voulait, dit-il, qu'au-
cune des miettes ne fût perdue. Il ne faut y chercher ni de l'ordre ni
de la critique, pas même de la discrétion. Quelques-uns des propos
sont apocryphes, d'autres auraient pu être omis sans inconvénient;
mais en somme l'ouvrage reproduit une image fidèle de Luther tel
qu'il a vécu dans l'intimité. Si parfois on peut regretter l'empresse-
ment d'Aurifaber de rapporter toute parole tombée de la bouche de
son maitre, il faut reconnaître aussi qu'il a conservé une foule de
pensées justes, de vues profondes, de conseils utiles. — Il existe une
traduction anglaise (Londres, 1652) ; une française a été donnée par
M. Gust. Brunet (Paris, 1844). Ch. Schmidt.
AUSTRALIE. Voyez Océanîe.
AUTBERT, apôtre du Nord, originaire d'une famille noble établie à
la cour des rois carlovingiens, fut élevé au couvent de Corbie. Envoyé
avec Ansgar dans le monastère de Corvey sur les bords du Weser,
il accompagna celui-ci dans les voyages de mission qu'il entre-
prit en Danemark, à la suite du roi Harald. C'était pour le pieux béné-
dictin un véritable sacrilice, car il préférait la vie contemplative de
l'ascète à la vie active du missionnaire. Autbert, après deux ans de tra-
vaux, se vit obligé par la maladie de retourner à Corvey. Il y mourut
en 829. Voyez l'article Anschaire.
AUTEL (du latin altare, plate-forme élevée , lieu haut) , table sainte
en bois, briques, pierres, marbre ou métal, ou simple tertre gazonné,
destiné chez les différents peuples à recevoir les offrandes ou sacrifices
à la divinité, prescrits par le culte de leurs diverses religions. — Les
autels des peuples de l'antiquité étaient de nature très-diverse : les
dolmens des Celtes sont des tables grossières formées par un bloc de
pierre non taillé posant horizontalement sur deux pierres verticales et
creusé parfois en bassin, avec rigole d'écoulement pour le sang des
AUTEL 745
victimes ; les autels de feu des Perses el des Assyriens étaient en terre
et dressés sur le sommet d'une colline ou d'un tertre artificiel; chez
les Hébreux, Yautel des holocaustes, plaeé en avant du sanctuaire, était
en terre ou en pierres brutes, maintenues par un châssis en bois de
sétim; Yautel des parfums, plaeé dans le Lieu-Saint, était en bois pré-
cieux recouvert de lames d'or; les autels des Grecs et des Romains
avaient une forme ronde ou carrée, étaient construits en bois, pierre
ou bronze, et se trouvaient placés dans lacelladu temple, sous le péri-
style et dans l'enceinte du péribole. — Les autels chrétiens sont toujours
rectangulaires, plus longs que larges, placés à l'orient de l'église, dans
le sanctuaire et sur une plate-l'orme élevée de plusieurs degrés au-
dessus du sol de la nef et du chœur ; ils servent à la célébration de la
messe, de la Sainte-Cène, de la confirmation, du mariage; on y récite
des prières en général, et en particulier les prières pour les morts ; leur
forme participe de celle de la table (mensa sacra), en souvenir de la
table où le Christ institua la Sainte-Cène, et de celle du cercueil (tumba),
en souvenir des sarcophages des martyrs, sur lesquels les premiers
chrétiens avaient coutume de célébrer leur culte. Les autels de l'église
primitive étaient en bois et se pouvaient transporter ; ils avaient la
forme d'un coffre creux que l'on dressait au-dessus de la tombe d'un
martyr ou sous lequel l'on plaçait des reliques. En l'an 517, le concile
d'Epaone prescrivit que les autels seraient toujours en pierre, ou tout
au moins recouverts d'une tablette en pierre assez grande pour recevoir
le crucifix, le calice et l'hostie; cette tablette (que l'on appela pierre de
consécration) fut marquée de cinq croix et devait être consacrée par un
évêque ou par un prêtre ayant reçu spécialement du pape le pouvoir
consécrant. Depuis lors les autels chrétiens furent faits généralement
en pierre ou en marbre, avec incrustations de mosaïques et de pierres
rares, avec revêtements en ivoire ou en métaux précieux; ils sont ou
bien pleins, ou bien creux, de telle manière que la tablette consacrée
repose soit sur une colonne centrale, soit sur trois, quatre ou cinq
piliers ou colonnettes isolées, soit plus souvent sur des parois pleines,
décorées de pilastres ou de colonnes engagées, reposant sur un socle
commun et couronnés par une frise et un bandeau saillant. La forme
et la décoration de l'autel varient d'ailleurs selon les transformations
du style architectural aux différentes époques del'histoire et selon le déve-
loppement des arts plastiques (sculpture, peinture, orfèvrerie) qui concou-
rent à son ornementation. — Dans les basiliques chrétiennes du cinquième
au neuvième siècle l'autel est placé à l'entrée del'abside, au-dessusde la
crypte renfermant les reliques d'un saint martyr ; il est entouré de
quatre colonnes reliées par des architraves ou des arcs et supportant
SOil un toit, soit un dais en forme de coupole, terminé par une croix :
t\<> rideaux OU courtines {tetravela) en soie ou t;>Mis précieux, glissant
sur des tringles disposées entre les colonnes, entourent ce petit édicule
qu'on appela ciborium et dont la voûte porta, par suspension, le vase
(pastof thorium, ciborium) contenant les saintes hosties, auquel ondonna
souvent la forme d'une colombe. Plus tard ce vase l'ut remplacé par
ne lampe et les hosties lurent renfermées dans un custode colonne ou
i. M
746 AUTEL
tourelle octogonale en métal, suspendue à une crosse placée en avant
ou au-dessus d'une sorte de dossier que Ton disposa à la partie anté-
rieure de l'autel; ces dossiers ou retables d'autel reçurent à partir du
douzième siècle une décoration de plus en plus importante, dont le crucifix
forma le centre, et caractérisent les autels de la période romane. Pendant
la période ogivale, vers le quinzième siècle, on remplaça le custode par
une petite tour fixe, disposée dans le milieu du retable d'autel, sur-
haussé à cet effet ; ce petit édicule de marbre, de menuiserie ou d'or-
fèvrerie, destiné à renfermer le ciboire et les hosties consacrées, et
qu'on appela plus tard tabernacle, n'était pas toutefois placé toujours
sur l'autel même; on en trouve d'isolés ou adossés contre les murs ou
piliers du sanctuaire. Le retable et le tabernacle étaient destinés de
plus à supporter et à masquer une chasse ou un reliquaire, cachés sou-
vent par des volets en menuiserie (triptyques) richement décorés et cou-
verts de peintures. La Renaissance développa outre mesure l'architec-
ture des autels et de leurs retables, multiplia les statues et les tableaux,
reprit le ciborium ou le remplaça par le baldaquin (dais suspendu à la
voûte du sanctuaire), et vers le dix-septième siècle, donna volontiers à
l'autel la forme même du sarcophage. De nos jours toutes ces formes sont
employées, selon le style de l'édifice destiné à renfermer l'autel; celui-ci
doit toujours contenir des reliques ; il est recouvert de plusieurs nappes
d'autel superposées en lin fin, et porte, outre le reliquaire et le saint
ciboire, des croix, des chandeliers, des coupes, des vases pleins de
fleurs, des bannières, etc. — Les églises primitives n'avaient qu'un
seul autel, mais le nombre des autels dans une même église augmenta
promptement ; outre le maître-autel, ordinairement isolé, placé dans le
sanctuaire, soit au fond, soit à l'entrée de l'abside, soit à l'intersection
de la nef et du transept, il y eut des autels secondaires adossés aux murs
terminant les collatéraux ou disposés dans les chapelles latérales et
absidales. — L'église catholique distingue quatre sortes d'autels : Y autel
fixe (altare fixum) construit à demeure dans l'église, dont il ne sort
jamais; Y autel portatif {altare itinerariurn) qui est mobile et dont on se
sert en voyage, auprès des malades, ou pendant les processions ; Y autel
isolé {ara insularia), qui n'est adossé ni contre un mur, ni contre un
pilier; et X autel privilégié (ara prœrogativa), auquel le pape a accordé
soit une indulgence plénière, soit des indulgences particulières.
L'église grecque n'a qu'un seul autel consacré, en bois, placé derrière
la clôture (iconostasis), qui sépare la nef du sanctuaire ; elle remplace
les autels portatifs par des linges bénits appelés antimense. Les églises pro-
testantes n'ont également qu'un seul autel; ilala forme d'une table mo-
numentale (table de communion), simple d'ailleurs et sobre d'ornements,
recouverte d'une nappe d'autel et portant la Bible, et parfois un calice
et une capsule pour les hosties, ou bien encore un crucifix. Il est élevé de
plusieurs marches au-dessus du sol de l'église, où il n'a pas de place bien
déterminée. Les premiers protestants l'ont parfois soudé à la chaire,
qu'ils disposaient au centre d'une sorte de retable d'autel; aujourd'hui
il est toujours isolé, le plus souvent à proximité de la chaire, mais placé
parfois aussi dans une autre partie du temple. — Voyez pour les autels
AUTEL — AUTORITE 747
chrétiens en général : J.-A. Thiers, Dissert, ecclés sur les princ. autels
des église^ Paris, L688; L. Ferraris, Prompta bibliotheca. ai* mot Alt are;
J. kreuser, Der christl. AUar, Brixen, 1809 ; Yiollet-le-Duc, Dlci
raison, de tarchit^ I, p. 18, Paris, L867 : Dr. And. Schmidt, Der
christ. Altar und sein Schmuck, Ratisb*. IS7 1. E. Lichtenberger.
AUTO DA FÉ (potfug.), actus fidei, publication des sentences pronon-
cées par l'inquisition contre des hérétiques. Comme cette publica-
tion était précédée d'un sermon sur la foi catholique, on trouve aussi
pour tout l'ensemble de Pacte le terme de Se?-mo publions defide. D'or-
dinaire, l'acte avait lieu un dimanche : de grand matin, les condamnés,
vêtus de robes diverses, suivant le degré des châtiments, étaient con-
duits sur une place publique devant une église ; les magistrats civils
prêtaient le serment d'exécuter les sentences. Après quoi un moine
faisait le sermon, puis on proclamait les jugements; les condamnés qui
abjuraient étaient soumis à des pénitences, ceux qui refusaient l'abju-
ration et les relaps étaient solennellement remis au bras séculier. On se
rendait à l'endroit réservé au supplice; les condamnés à mort portaient
des robes sur lesquelles on voyait des flammes et des diables; les bû-
chers étaient allumés en présence du clergé, des moines, de la foule,
des magistrats, et souvent des princes (voy. Limborch, Historia inquisi-
tionîs, Amst., L692, in-fol., p. 367 ss.).
AUTORITÉ en matière religieuse. Y a-t-il, oui ou non, une autorité
en matière de foi, et, si oui, quelle est-elle? La solution de ce pro-
blème dépend de la définition que Ton donne de ce mot. — I. Si l'au-
torité est « tout ce qui détermine une action ou une opinion par des
considérations étrangères à la valeur intrinsèque de l'ordre intimé ou
de la proposition intimée » (E. Scherer, De l'autorité en matière de foi,
Revue de théol., I80O, I, p. 66), il est naturel et légitime de la mettre
en opposition avec l'idée même de la foi, c'est-à-dire avec l'expé-
rience personnelle des choses religieuses, et de déclarer que l'autorité
perd nécessairement tout le terrain que gagne la foi. Conçue de cette
manière, l'autorité ne saurait avoir, en effet, pour l'individu qu'une
valeur transitoire et pédagogique. Placé sous la tutelle de l'autorité par
sa naissance, par son éducation, par l'empire qu'exercent sur lui les
habitudes et les préjugés, le milieu social, par le besoin qu'il a de s'ap-
puyer sur la tradition et sur le témoignage, l'individu, qui porte en
lui 1* impérieux penchant à tout contrôler, à tout soumettre au juge-
ment de son expérience et à ne rien retenir qui n'y soit conforme,
tend par toutes les puissances de son être à s'affranchir de celte
tutelle, "! !<• jour de son émancipation, de sa majorité spirituelle,
coïncide avec la tin du règne de l'autorité. Mais les choses, en matière
religieuse, ne se passent pas précisément ainsi. Nous ne voyons pas
seulement en présence deux facteurs dont l'un, la loi d'autorité, cède
invinciblement 1<- pas à l'autre, l'expérience personnelle : il y a un
troisième facteur, que la définition précédente néglige el qui pourtanl
joue un rôle prépondérant .dans le réveil et dans le développement de
ia vie religieuse, c'est Dieu. — IL La véritable autorité en matière
religieuse, c'est une puissance supérieure qui s'impose à nous eu
748 AUTORITE
vertu même de son caractère et devant laquelle, convaincus par des
arguments décisifs, nous nous inclinons librement. Existe-t-il une
puissance pareille ? Là est toute la question. — 1° Avec un grand nombre
on pourrait être tenté de répondre : Oui, elle existe, et son nom
est la conscience, qui est Tunique et souveraine autorité en matière
religieuse. Ce qui tout d'abord paraît justifier cette assertion, c'est
le caractère impératif de ses arrêts, reconnu presque par tous les hom-
mes, même par ceux qui se révoltent contre eux. Mais ces arrêts
n'ont ce caractère que parce que la conscience est le lieu de la
rencontre de l'individu avec la puissance supérieure par laquelle il a
« la vie, le mouvement et l'être » (Actes XVII, 28), et qui manifeste
sa présence par l'approbation ou la condamnation dont elle accom-
pagne nos actes, disons mieux, qui apparaît sous la forme d'une
loi à laquelle nous sommes tenus d'obéir. En analysant avec soin les
phénomènes de la conscience, nous sommes frappés de leur caractère,
je ne dirais point passif, mais essentiellement réceptif. La conscience
ne crée pas la vérité ou le bien, elle le perçoit et le constate : elle est
avant tout un critérium, un sensorium, le forum devant lequel les véri-
tés ou les biens d'ordre supérieur sont tenus de produire leurs titres.
Dans ce sens, il est exact de dire qu'une vérité, un bien, un de-
voir n'est vérité, bien, devoir pour moi, c'est-à-dire ne m'oblige qu'en
tant que je l'ai reconnu pour tel et que je me le suis, pour ainsi dire,
assimilé. C'est avec raison que l'on affirme par C3nséquent que la foi
d'autorité est une foi incomplète, entachée d'imperfection et qui doit
disparaître pour faire place à une foi fondée sur une expérience per-
sonnelle, sur un contact direct et vivant avec son objet. Mais la con-
science n'est-elle qu'une faculté réceptive, qui atteste l'existence d'une
loi à laquelle je suis obligé de me soumettre? En aucune façon. Nous
croyons que, sérieusement interrogée, elle proclame aussi l'existence
d'une puissance supérieure, sous l'action incessante de laquelle je me
trouve placé, et que nous appelons Dieu. Dieu se manifeste à la con-
science en l'éclairant et en la vivifiant, comme le soleil se manifeste à la
terre en dissipant les nuages et les brouillards qui l'enveloppent et en
les tondant au contact de sa chaleur. La conscience est un lieu qui,
comme notre globe, a besoin d'être éclairé et réchauffé par un foyer,
placé au-dessus d'elle, qui possède ce qui lui manque. Sans doute, il
est possible à l'homme de regarder cette puissance supérieure qui se
manifeste à sa conscience comme une illusion, comme le produit de
l'imagination qui prend ses désirs pour des réalités et qui transporte
sur un être fictif toutes les perfections dont nous sommes nous-
mêmes privés. Mais quoi qu'il en soit, Dieu n'établit pas son autorité
au dedans de nous par des arguments qui puissent se séparer de
l'expérience même de son action. L'existence de Dieu ne dépend
pas de la conscience que j'ai de lui, comme le veut le panthéisme;
toutefois Dieu n'existe pour moi que lorsque je le sens agir dans ma
conscience. Il est donc inexact ou impropre de dire que c'est la con-
science qui est l'autorité souveraine en matière religieuse : c'est Dieu
qui parle dans ma conscience, qui l'illumine et l'inspire. — 2° Mais
AUTORITE 749
l'homme n'est pas soûl avec sa conscience ici-bas. Il appartient à une
société qui a un passé et qui, dans le cours de son histoire, a recueilli
et concentré les manifestations divines en un faisceau pour leur
donner une force plus grande. Aussi beaucoup d'esprits, et parmi eux
des penseurs et des docteurs fort distingués, placent-ils le siège de
l'autorité en matière religieuse dans une institution, chargée, d'après le
plan de Dieu, d'en être le dépositaire et le garant infaillible. L'2fy/ûe,
pour la majorité des chrétiens, est cette institution. Par son origine, par
les promesses qui lui sont faites, par son enseignement qui n'a jamais
varié et qui, en tous les cas, n'a fait (tue développer dans le cours des
siècles la vérité qu'il portait en germe, par ses cérémonies impo-
santes et uniformément réglées, par ses représentants revêtus de grâces
spéciales, par son organisation merveilleuse qui lui assure le triple
caractère de l'unité, de la sainteté et de l'universalité, l'Eglise, disent
ces chrétiens, dispose de moyens suffisants pour faire reconnaître son
autorité; surtout depuis que, conséquente avec son principe, une de
ses fractions les plus importantes, l'ultramontanisme, a compris que
l'autorité de l'Eglise ne serait vraiment souveraine et indiscutable que
lorsqu'elle aurait été transférée des conciles, avec leurs majorités
incertaines, leurs sessions intermittentes, leurs débats périlleux, aux
papes, regardés comme infaillibles, lorsque, illuminés par le Saint-
Esprit, ils parlent ex cathedra aux fidèles. Mais Ton ne s'est pas
aperçu qu'à mesure que l'Eglise usurpait ainsi toute l'autorité, la con-
science, méconnue dans ses droits et parfois outragée dans ses arrêts,
abdiquait. Chaque jour aggrave le divorce entre les manifestations
de Dieu dans l'individu et l'institution à laquelle il doit se sou-
mettre ; aussi la révolte, secrète ou ouverte, se propage, l'abandon
grandit. On ne discute plus seulement la valeur intrinsèque des
doctrines et des préceptes de l'Eglise ; on examine la nature de ses
prétentions, on vérifie l'origine de ses titres, et, de cette épreuve,
son autorité sort gravement compromise et même complètement
ruinée. — 3° Le protestantisme, non pas à ses débuts et dans sa
période créatrice, mais dès ses premières luttes avec les illuminés et
d'autres sectaires, plaça le siège de l'autorité, non dans une institution —
il avait rompu avec l'Eglise — mais dans un livre. La Bible fut, à ses
yeux, l'expression authentique et vraiment classique des manifestations
de Dieu au sein de l'humanité. Elle présente, en effet, la vérité reli-
gieuse dans la variété à la fois et dans l'unité de ses aspects, et son
témoignage apparaît plus parfait encore lorsqu'on l<i compare à celui
des autres documents religieux que nous possédons : les meilleurs et
les plus appréciés sont ceux qui se sont le plus inspirés du souffle de
celui que nous appelons avec raison le livre par excellence. Mais les
théologiens du dix-septième siècle, et ceux qui, encore aujourd'hui,
marchent sur leur trace, compromirent, par leur théorie de l'inspira-
tion, l'autorité de la Bible qu'ils prétendaient servir. En la traitant
comme un code rabbinique, ('gaiement inspiré dans chacun de ses
articles, même dans ceux qui n'ont aucun rapport avec la vie Reli-
gieuse, en revendiquant pour elle l'infaillibilité, môme dans les que»-
750 AUTORITE
tions d'histoire naturelle ou de chronologie, et en retendant jusqu'aux
mots et aux points-voyelles, ils provoquèrent la critique et facilitèrent
son œuvre. L'esprit qui vivifie revendiqua et reconquit ses droits sur
la lettre qui tue. On constata qu'en réalité la Bible n'est pas la révé-
lation elle-même, qu'elle n'en est que le document. Si la liqueur est
divine, le vase qui la renferme est de terre. La Bible, sans doute, est
inspirée par l'Esprit de Dieu, mais à des degrés différents; elle n'est,
d'ailleurs , dans ses parties les plus importantes, que la tradition orale
lixée et stéréotypée; ni ceux qui l'ont recueillie, ni ceux qui ont formé
le canon sacré, ni ceux qui ont copié le texte, ni ceux qui, chaque jour,
l'interprètent n'ont été et ne sont infaillibles. Pas plus que l'Eglise, l'Ecri-
ture ne peut revendiquer pour elle une autorité absolument souveraine.
Le protestant, en un sens, est même plus embarrassé que le catholique.
Avec sa théorie du sacerdoce universel et du libre examen, il ne peut
empêcher que l'on n'ébranle chaque jour l'autorité de la Bible, que
l'on ne discute ses titres, que l'on ne juge son contenu, et ce n'est
qu'en vertu d'une illusion pieuse que tant d'âmes, et parmi elles sou-
vent les meilleures, se croient aveuglément soumises à l'autorité de
l'Ecriture , alors qu'en réalité elles se montrent très-libres vis-à-vis
d'elle et que, dans l'usage qu'elles font des livres saints pour leur édifi-
cation ou leur culte de famille, elles opèrent un triage, selon les lu-
mières de leur esprit ou selon les besoins de leur vie religieuse. — i° A y
regarder de près , la Bible emprunte son autorité au témoignage in-
comparable et pleinement suffisant qu'elle rend à la personne de
Jésus-Christ. Nos réformateurs déjà disaient qu'ils se soumettaient
à l'Ecriture, en tant qu'elle prêche Jésus-Christ. Son image s'impose à la
conscience comme la manifestation visible de Dieu la plus parfaite. Une
force divine souligne ses paroles. Et nous ne parlons pas d'un Christ
idéal, produit perfectible de la conscience religieuse, et dont l'image,
dès lors, n'aurait qu'un caractère purement subjectif et essentiellement
variable. Il s'agit du Christ historique, qui est apparu au sein de
l'humanité, qui a vécu parmi nous et dont ses témoins ont contemplé
la gloire, « une gloire pleine de grâce et de vérité » (Jean I, 14) ; il
s'agit de la puissance spirituelle qui découle de lui, et qui est la source
de toute lumière , de toute force et de toute vie dans la chrétienté.
Sans doute, il appartient à la critique de contrôler les documents qui
nous ont transmis cette image; mais, dès à présent, l'origine et
l'histoire de l'Eglise sont là pour attester sa réalité objective. Nous
trouvons un triple avantage à reconnaître Jésus-Christ comme
l'autorité souveraine en matière religieuse. 11 nous fait mieux com-
prendre la Bible, qu'il remplit pour ainsi dire de son esprit, et davan-
tage aimer l'Eglise qui doit reproduire son image et en perpétuer le
souvenir sur la terre. Par l'intermédiaire de Jésus-Christ, il s'établit
entre l'âme et Dieu un contact plus direct, plus vivant, plus sanctifiant :
à travers son cœur nous sentons mieux battre le cœur de notre
Père céleste. Jésus-Christ communique enfin à ceux qui veulent réso-
lument marcher sur ses traces, en l'acceptant pour leur maître et
leur sauveur, cette puissance de rayonnement et de propagande par
AUTORITÉ - AUTRICHE-HONGRIE 751
laquelle le monde sera vaincu, c'est-à-dire transformé. L'autorité de
J&us-Chrisl en matière religieuse, attestée par tous ceux qui s'appro-
chaient de lui avec un esprit non prévenu (Matth. VII, 29), se légitime le
mieux par ce mot de Pierre qui, s'adressant à son maître, lui dit ■ « A
qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jean VI 68) et
par cet autre mot de Jean-Baptiste, qui exprime le vœu naturel de tout
hommeen face du Christ : « Il faut qu'il croisse et que je diminue »
«•Iran 111 30). — Noyez, sur cette question, les prolégomènes des ou-
vrages de dogmatique, en particulier Schleiermacher, Der christl.
Giaube, Berl., 1835, [, p. 67 ss. : Ebrard, Christl. Dogmatik, Kbnigsb.,
1851, I, p. 25 ss. : Martensen, Christl. Dogmatik, Berl., 1856, I , p 26
ss. : Schenkel, Die Christl. Dogmatik, Wiesbaden, 1858, I, p. 77 ss ■
Kahnis, Die luther. Dogmatik, Leipz., 1861, I, p. 650 ss. ; Rothe, Zur
Dogmatik, Gotha, 1863; Schweizer, Die christl. Glaubemlehre , Leipz ,
1863,1, p. 104 ss.; Biedermann, ChristL Dogmatik, Zûr , 1869
p. 10^2 ss., etc., etc. F. Lichtenbergeb.
AUTRICHE-HONGRIE (Statistique ecclésiastique). —La monarchie
austro-hongroise comptait, au 31 décembre 1869, 35,904,435 habi-
tants, dont 20,394,980 dans les pays autrichiens, et 15.509,455 dans
les dépendances de la couronne de Hongrie. Cette population se rat-
tache aux races les plus diverses. On estime que l'empire renferme
environ 9,200,000 Allemands, 6,400,000 Tchèques et Moraves, 5,500,000
Magyares, 3,000,000 de Ruthènes, 3,000,000 de Serbes et Croates
2,900,000 Roumains, 2,500,000 Polonais, 1,400,000 Israélites, 1,200,000
Slovènes, 600,000 Italiens, 150,000 Bohémiens, 25,000 Bulgares, 10,000
Arméniens, etc., etc. — Les cultes y sont aussi divers que les races.
Voici les chiffres officiels de 1869: — 1. Catholiques du rite latin: Autri-
che. 16,395,675; Hongrie, 7,558,558, total 23,954,235, ou 66 p. 100
de la population de l'empire. — 2. Catholiques grecs-unis : Autriche,
2,342,168; Hongrie, 1,599,628, total 3,941,796, oulll/2p.l00.-3. Ca-
tholiques arméniens-unis : Autriche, 3,U0; Hongrie, 5,133. tôt. 8,279.
— 4. Luthériens :.Autriche,.252,327; Hongrie, 1,113,508, total 1,365,835,
ou \ p. 100. - 5. Réformés : Autriche, 111,935; Hongrie, 2,031,243,
total 2,143,178, ou 6 p. 100. — 6. Grecs orientaux: Autriche. 461,511 •
Hongrie; 2,589,319; total 3,050,830, ou 8 1/2 p. 100. —7. Arméni<
orientaux : Autriche, 1.208; Hongrie, 646; total 1,854.— 8. Unitaires :
Autriche, 2i8; Hongrie, 51,822; total 55.070. - 9. Autres se.
chrétiennes : Autriche, 4,172; Hongrie, 2,734; total 6,906. -
W. Israélites : Autriche, 822,220; Hongrie, 553,641 ; total 1,275.861,
ou 1 p. 100. — 11. Autres cultes non chrétiens : Autriche, 370; Hon-
gr e,223; total 593. En résumé, les catholiques romains formentles 2/3
de la population : les grecs-unis à Rome un peu plus de 1 10 : les pro-
testants, tant luthériens que calvinistes, I 10 ; les orientaux un peu moins
(l(' l'IO; les : m peu moins de 12 1000. Nous allons exami-
ner chacune de ces confessions en particulier. — 1. Eglise catholique
romaine. L'Eglise catholique a longtemps joui de grands privilèges
dan» les Etats de la maison d'Autriche. Joseph [Iles restreignit consi-
dérablement à la tin du siècle dernier; mais la politique des empe-
752 AUTRICHE-HONGRIE
reurs qui lui succédèrent tendit à rétablir ces privilèges dans les rap-
ports des catholiques et des adhérents d'autres cultes, tout en mainte-
nant soigneusement les droits par lesquels l'Etat pouvait avoir prise
sur la cour de Rome. Pendant toute la première moitié du dix-neu-
vième siècle, c'est dans ce sens que se développa en Autriche la cons-
titution de l'Eglise catholique. Dans toute la partie occidentale de l'em-
pire, le catholicisme était seul reconnu ; les autres confessions jouis-
saient tout au plus d'une tolérance intermittente. Dans les provinces
orientales, d'autres cultes partageaient les mêmes privilèges ; mais là
même où elle était la moins favorisée , une entière égalité lui était
assurée avec les autres religions reconnues par l'Etat. Les prélats fai-
saient partie des diètes provinciales, comme évêques dans la plupart
des pays, comme membres de la noblesse en Galicie, en Hongrie et
en Transylvanie. Mais s'ils étaient assez puissants pour opprimer les
dissidents, les prélats ne l'étaient pas assez pour causer des embarras
au gouvernement. L'empereur en avait la nomination (droit qu'il a
conservé jusqu'à aujourd'hui) ; la seule exception était pour les arche-
vêques d'Olmûtz et de Salzbourg, qui étaient élus par leur chapitre ;
pour les évêques de Lavant et de Seckau, qui étaient nommés par l'ar-
chevêque de Salzbourg, et enfin pour l'évêque de Gurk, que choisis-
saient alternativement l'empereur et l'archevêque de Salzbourg. Les
bulles de la cour de Rome et les mandements épiscopaux ne pouvaient
être publiés dans l'empire qu'avec l'autorisation impériale. Les ecclé-
siastiques n'étaient soumis à la juridiction de leur évoque que pour le
spirituel. En cas d'appel au pape, la permission de l'empereur était
nécessaire pour qu'il y put être donné suite; et même, en ce cas, le
saint-siége devait déléguer, pour juger l'appel, un évêque autrichien.
Telle était la situation, lorsque l'écrasement des éléments révolution-
naires, après 1848, amena un changement dans la politique du gou-
vernement autrichien. Pour suivre le système de compression à ou-
trance qu'il avait adopté, il dut rechercher comme auxiliaire l'appui
du haut clergé : de là nombre de concessions importantes. Dès le mois
d'avril 1850, un décret de l'empereur dispensa les bulles et les man-
dements de la nécessité de l'autorisation ; et enfin, le 18 août 1855, fut
signé un concordat qui donnait à l'Eglise catholique d'immenses pri-
vilèges. Le premier article garantit dans tout l'empire à la religion
catholique romaine tous les droits et les privilèges qu'elle prétend
tenir de l'institution divine et des lois canoniques, et les articles sui-
vants contiennent les développements et les applications de ce prin-
cipe. Le mécontentement fut grand dans tous les cercles libéraux, et
lorsque l'empire fut revenu à une constitution plus libérale, une série de
lois apportèrent successivement de profondes modifications à cet acte du
pouvoir absolu. La plus importante de ces lois, votée en avril 1868,
établissait le mariage civil et reconnaissait la parfaite égalité de toutes
les croyances religieuses. Aujourd'hui, la religion catholique romaine
est encore officiellement la religion de l'Etat; mais elle a perdu tout
ce que ses privilèges avaient d'oppressif, et les autres cultes jouissent
dune pleine liberté. Les quatre lois de janvier 1874 règlent dans un
AITRICIIE-HONGRIE 753
sens tout favorable à l'Etat les rapports de l'Eglise et du pouvoir
civil. — L'empire est divisé en 5't diocèses, dont 53 ont leur
siège sur son territoire : 11 archevêchés, 41 évêchés et 1 vicariat
général. On trouvera dans quelques documents des chiffres plus élevés
(57 et même 59 évêchés) ; F erreur provient d'une confusion entre les dio-
cèses catholiques romains et les diocèses grecs et arméniens unis,
dont il sera question plus tard , et aussi du maintien dans le compte
d'évêchés supprimés, comme ceux dWibo et d'Ossero, en Dalmatie, ou
réunis à d'autres, comme celui de Bacs, en Hongrie, OU celui de Mar-
easea. en Dalmatie, etc. Voici la liste que nous avons dressée (les arche-
vêchés sont en lettres italiques; leurs suffragants les suivent immédia-
tement; la date entre parenthèses est celle de la fondation). Vienne
(évêché, juin 1178; archevêché, 1er juin 1722), Sankt Pœlten (28 jan-
vier 1784), Linz (28 janvier 1784); Salzbourg (vers 536), Brixen (vers
992 : le siège existait à Seben depuis deux siècles et demi),' Trente
(vers 381), Seckau (22 juin 1218), Gurk (6 mars 1072), Lavant ou
Sankt Àndrae (10 juin 1228), et le vicariat-général de Feldkirch pour le
Vorarlberg; Gorùz (6 juillet 1751, réduit au rang d'évêché de 1787 à
1830), Laïbach (9 septembre 1402, archevêché de 1788 à 1807),
Trieste et Capo d'Istria (vers 524), Parenzo et Pola (les deux sièges,
remontant au sixième siècle, ont été réunis le 25 avril 1826), Yeglia
(vers Tan 1000); Prague (évêché, 23 mars 973 ; archevêché, 30 avril
1344), Leitmeritz (30 avril 1344), Kœnigsgraetz (10 novembre 1664),
Budweiss (26 septembre 1785 ; quelques paroisses de ce diocèse sont
sur territoire prussien) ; Olmûtz (évêché vers 960, archevêché 6 octo-
bre 1777), Brunn (5 décembre 1777); Léopol (28 août 1412, existait
à Halics depuis cinquante ans), Przemysl (18 janvier 1353), Tar-
now (1783); Zara (évêché vers 381, archevêché 1146), Cattaro (vers
880), Lésina (1147), Raguse (vers 830), Sebenico (1er mai 1298), Spala-
tro (troisième siècle , archevêché pendant de longs siècles) ; Marcana
Gran (vers Tan 1000), Stuhlweissenbourg, ou Albe royale (16 juin
1777), Raab (vers Tan 1000), Neusohlen (13 mars 1776), Neutra (vers
1031), Fùnfkirchen (vers Tan 1000), Steinamanger (23 juin 1777),
Waitzen (vers 1052), Veszprim (vers Tan 1000); Erlau (vers Tan 1000),
Kaschau (10 août 1804), Rosenau (13 mars 1776, vicariat apostolique
de 1756 à 1776), Zips (13 mars 1776), Szathmar (12 août 1804); Ka-
locza et Bacs (évêché vers Tan 1000, archevêché 1094), Csanad (vers
1037), Transylvanie (vers Tan 1100, révêque réside à Karlsbourg),
Grosswardein (vers 1100); Knin Agram (vers 1085, archevêché en mars
1853), Deokowar (vers 1233), Mitrowicz (Sirmium très-ancien), Zengg
(vers 1150); De plus, nue partie de la Silésie autrichienne dépend du
diocèse de Breslau. Les couvents et les ordres religieux sont encore.
assez nombreux. Cependant, ils- le sont moins qu'au siècle dernier;
un grand nombre furent sécularisés sous Joseph II, et, dans notre
siècle, il a encore disparu près de .'{00 ;il>l>ayes et plus de 500 COU~
vents. Km dresser la liste est chose fort difficile, les renseignements
étant incohérents et souvent contradictoires. .Nous avons dû renoncer
à constater le nombre des personnel qui vivent dans ces établissements
754 AUTRICHE-HONGRIE
religieux. Les chiffres que Ton donne à cet égard sont sans aucune
valeur ; la préoccupation politique les enfle ou les réduit suivant le but
que s'est proposé leur premier auteur. Les seuls chiffres auxquels on
puisse s'arrêter sont ceux-ci : il y a dans les provinces allemandes 43
abbés ayant dotation, en Hongrie 22 abbés ayant dotation et 124 abbés
titulaires, 41 prébendes ayant dotation, et 29 prébendes titulaires ; en
Transylvanie, 3 abbés titulaires et plus de 150 monastères et couvents ;
en Galicie, 70 monastères. Une portion considérable du sol appartient
à ces établissements. Les documents font défaut pour établir le nom-
bre des maisons ecclésiastiques. — 2. Les Catholiques grecs-unis, au
nombre de près de 4,000,000. Ce sont des chrétiens orientaux qui ont
reconnu l'autorité du pape et accepté l'adjonction du filioque dans le
symbole. Ils ont conservé leur ancienne liturgie ; le mariage des prêtres
est autorisé parmi eux ; la communion se donne aux fidèles sous les
deux espèces. Ils habitent presque toutes les provinces orientales de
l'Empire, la Galicie, la Hongrie, la Transylvanie, la Croatie, les
contins militaires. Les grecs-unis de Galicie forment les diocèses de
Leopol rite grec-ruthène (évêché 1597, archevêché 25 septembre 1808)
et de Przemysl (1595; un schisme de 80 ans désola ce diocèse au
dix-septième siècle). La Transylvanie ressort de l'archevêque de Fogaras
rite grec-roumain (évêché 3 février 1821, archevêché 16 novembre
1854). L'Eglise grecque unie de Hongrie est gouvernée par l'évêque
de Lugos (18 novembre 1854) , suffragant de Fogaras, et par les évêques
d'Eperies (22 septembre 1830), de Munkacs (1771) et de Grosswardein
(1777), qui dépendent de l'archevêque catholique romain de Gran.
Du même métropolitain dépend également l'évêque de Kries en
Croatie (1751). Il nous a été impossible d'établir la liste des couvents
grecs-unis de l'empire. Les séminaires de Leopol et de Fogaras forment
tous les prêtres grecs unis de la monarchie. — 3. Les Catholiques
arméniens -unis, au nombre de 8,279, sont à peu près dans la même
position que les grecs-unis par rapport à l'Eglise romaine. Ils ont un
archevêque à Leopol uni à l'Eglise catholique en 1535, séparé d'elle
en 1551, et réuni d'une manière définitive en 1624. L'empereur le
Choisit parmi trois candidats que lui présente le clergé. A cette
confession appartient l'ordre célèbre des mékhitaristes qui a une abbaye
générale à Vienne et trois autres maisons dans l'empire à Kloster-
neubourg, à Trieste et à Elisabethenstadt. — Les protestants autrichiens
ont été pendant longtemps traités différemment dans les différentes
parties de la monarchie. Très-nombreux pendant le seizième siècle, ils
furent persécutés et diminuèrent peu à peu à partir du règne de
Ferdinand IL L'édit de tolérance de Joseph II (31 octobre 1781) leur
rendit quelque liberté. En Transylvanie, en Hongrie, en Galicie, ils
jouirent de droits presque égaux à ceux des catholiques ; dans la
plupart des autres provinces, les entraves continuèrent à être nom-
breuses ; dans quelques-unes, leur culte restait absolument interdit ;
dans le Tyrol, par exemple, une partie des habitants du Zillerthal ayant
embrassé en 1835 la foi évangélique, furent contraints d'émigrer
et se retirèrent dans la Silésie prussienne. Le concordat de 1855
AUTRICHE-HONGRIE 7:»:>
rendit la situation plus difficile encore, mais la constitution de 1867
leur accorda dans tout l'empire la plus complète tolérance. L'au-
torité supérieure commune aux Luthériens et aux réformés des pro-
vinces cisleithanes est le consistoire de Vienne. Jusqu'en 1867, le
président laïque de ce corps était nécessairement catholique. Les
membres, luthériens et réformés, forment deux sections qui s'oc-
cupent chacune des affaires particulières à sa confession, et se réunis-
sent pour traiter les affaires communes. Le consistoire est du reste
plutôt un corps politique qu'ecclésiastique; il représente davantage
l'Etat vis-à-vis de l'Eglise que l'Eglise vis-à-vis de l'Etat. L'ensei-
gnement supérieur est donné par la faculté de théologie de Vienne
fondée en 1820. et qui, par une exception singulière et un reste de
l'ancienne inégalité, ne fait pas partie de l'Université. Beaucoup de pas-
teurs autrichiens font, du reste, leurs études en Allemagne, ce qui n'est
autorisé que depuis 18i0. La partie transleithane de la monarchie a
dépendu du consistoire de Vienne jusqu'à la séparation des deux
pays ; elle en est sans doute détachée depuis lors. Mais nous n'avons
pu nous procurer de renseignements à cet égard. Voici maintenant
quelques chiffres officiels : 4. Luthériens, 1,365,853 (1869), 10 surin-
tendances, 8(U paroisses, 2,156 annexes. Ces chiffres remontent à
vingt ans; nous n'avons pu nous en procurer de plus récents. Surin-
tendances : 1. Basse-Autriche, Styrie-Ilïyrie ; 2. Haute-Autriche;
3. Bohème; 4. Moravie et Silésie; 5. Galicie; 6. Hongrie en deçà du Da-
nube; 7. Hongrie au delà du Danube; 8. de la Montagne (en Hongrie);
9. de la Theiss (en Hongrie) ; 10. Transylvanie. L'organisation de ces
diverses surintendances est assez variée. Nous en réservons le détail
pour les articles spéciaux à ces provinces. Les paroisses élisent en
général leurs pasteurs et leurs instituteurs; elles ont aussi à pourvoir
à leur traitement. Les surintendants sont proposés par l'Etat qui leur
donne une subvention. Les membres du consistoire sont des fonction-
naires et l'Etat les rétribuer Au point de vue religieux, les Eglises
luthériennes de l'Autriche sont bien déchues de leur ancienne foi,
et le rationalisme y règne à peu près en maître. — 5. Réformés,
2,143,178 (1869), 8 surintendances: 1. Autriche, Carinthie, Carniole
et littoral; 2. Bohême; 3. Moravie et Silésie; 4. Hongrie en deçà du
Danube; :\. Hongrie au delà du Danube; 6. Hongrie en deçà de .la
Theiss; 7. Hongrie au delà de la Theiss; 8. Transylvanie. Les rapports
avec l'Etat sont en général réglés de la même façon que pour les
luthériens. L'organisation varii de province à province. Leur
état religieux est en général meilleur que celui des luthériens,
sectes protestantes sont peu nombreuses; les documents uous
font défaut pour en parler. — 0. Grecs orientaux, 3,050,830 (1869),
établis presque ton- dans les provinces orientales. Le chef spirituel de
leur communion dans la monarchie est l'archevêque de C<n-I<»ritz<
dans l'Esclavonie. Les évêchés de Czernowitz, en Bukowine,
et d" Hermanmtadt . en Transylvanie, ont été depuis quelques
années transformés en archevêchés. Les autres évêques sont aiw de
T. mesvar, d'Arad. de Versecz, de Carlsi idt, de Pakracz, de Neusacz et
756 AUTRICHE-HONGRIE — AUTUN
d'Ofen en Hongrie, et celui de Sebenico pour l'Istrie et la Dalmatie.
Leurs prêtres font leurs études dans les séminaires de Carlowitz et de
Czernowitz. Depuis 1875, l'Université de Czernowitz a une Faculté de
théologie grecque orientale avec quatre chaires : i. Théologie pratique
et systématique ; 2. Histoire et droit ecclésiastiques ; 3. Ancien Testa-
ment; 4. Nouveau Testament. Elle compte de plus deux professeurs
extraordinaires et un agrégé (novembre 1876). — 7. Arméniens orien-
taux, 1,854 personnes à Vienne et dans les comitats de Neusohi et de
Bacs en Hongrie. — 8. Unitaires ou Sociniens, 55,070, établis en
Transylvanie où ils forment une Eglise reconnue par l'Etat. Comme
nous aurons à en reparler à l'article Transylvanie, nous nous conten-
terons de noter ici que leurs autorités ecclésiastiques sont un consis-
toire et un surintendant général résidant tous deux à Klausenbourg.
Le surintendant est assisté d'un notaire général et d'un orateur géné-
ral. Le nombre des paroisses était, il y a quelques années, de 104 des-
servies par 120 pasteurs; ceux-ci font leurs études au collège de
Klausenbourg. — Quant aux Israélites, très-nombreux en Autriche-Hon-
grie, à notre grand regret, nous n'en pouvons rien dire de certain. — Les
dépenses des cultes sont couvertes pour la plus grande partie par les
revenus des biens ecclésiastiques qui sont très-considérables. La part
contributive de l'Etat portée au budget de la partie cisleithane de l'em-
pire était en 1876 de 4,069,415 florins aux dépenses ordinaires, et de
1,089,078 florins aux dépenses extraordinaires, soit environ 13,000,000
de francs, y compris le crédit supplémentaire de 600,000 florins accordé
par la loi du 18 mars 1876. Dans les pays delà couronne de Hongrie, il
y a pour les cultes et pour l'enseignement des fonds spéciaux dont nous
n'avons pas les comptes sous les yeux. lia été attribué en outre à ce minis-
tère une somme de 3,924,200 florins au budget de 1876. 495,848 florins
étaient de plus portés pour le même objet au budget spécial de la
Croatie et de l'Esclavonie. — Bibliographie : Almanach de Gotha 1877
et années précédentes; Maurice Block, Annuaire de l Economie poli-
tique et de la Statistique, 1876 et années précédentes; Frederick Martin,
The Staatesmans fear Book; Hof und Staatshandbuch des Kaiserthvms
Œsterreich 1877 ; Statistisches ,/ahrbuch der œsterreichischen-wngarischen
Monarchie fur das Jalir 1874 ; Brachelli , Hunfalvi , Prasch , Schmitt,
etc., Statistiques de la monarchie austro-hongroise ou de quelques-unes
de ses parties, etc., etc. E. Vauchee.
AUTUN [Augustodunum , Flavia Aïduorum) fut, dit-on, évangélisée
par les saints Bénigne, Andoche et Thyrse, envoyés par Polycarpe.
Saint Symphorien, converti par saint Bénigne, a donné son nom à une
abbaye dont saint Germain de Paris (f 576) fut le premier abbé. Saint
Amateur passe pour avoir été le premier évoque de la cité éduenne ;
saint Martin, dont une abbaye, fondée par Brunehaut, porte le nom,
est donné comme son successeur. Saint Rhétice, qui vivait en 314, fut
un des plus grands évêques de la Gaule. Saint Léger (f 678; voyez ce
nom) illustra le siège d'Autun. Les évêques de cette ville ont joui de
grands privilèges dans la province de Lyon. Leur cathédrale, Saint-
Ladre (1178), a remplacé une autre église, dédiée à saint Nazaire.
, AUTUN — AUVERGNE 7;>7
Autun possédait encore les abbayes de Saint-Jeaii-le-Grand (fondée
avant 589) et de Saint-Andoche. 11 s'y tint (des synodes au septième
siècle, puis en 1077 et 1094. — Voy. Cl. Saulnier, Autun chrétien,
1686, in-V : (Gagnard), Jfist. de VEg>. d'A., 1774, in-8° ; Gallia, IV.
AUVERGNE. Dés 1535, un chanoine de Clermont surprit dans cette
ville un cciit luthérien et le dénonça au chapitre, qui ordonna aussi-
tôt une perquisition chez les ecclésiastiques et officieux de sa juridic-
tion, punit très sévèrement tous ceux d'entre eux qui se trouvèrent
nantis de livres « sentant mal de la foi ». Cinq ans plus tard arrive à
issoire. autre ville de l'Auvergne, un moine jacobin d'Allemagne, les
vêtements tout en lambeaux. Il raconte aux consuls, à qui il avait
demandé un secours de route, les grands événements survenus en Aile-
magne à la suite des prédications de Luther, et leur expose avec un tel
.((tut de conviction les doctrines nouvelles, que les consuls, contre-
mandant sur l'heure un cordelierde Clermont à qui ils avaient confié le
soin de prêcher le carême dans leur ville, le chargent lui-même de cette
tache. Ses prédications, bien que généralement goûtées, soulevèrent
néanmoins de l'opposition de la part de certaines personnes qui, faisant
venir secrètement le cordelier, parvinrent, au moment où son collègue
prêchait, à le faire violemment descendre de la chaire en le frappant
avec le manche d'une croix. Pendant ce temps, le cordelier, posté sur
les degrés de la chaire, traitait le jacobin de menteur et d'hérétique.
Ce dernier partit pour Genève, mais sa parole convaincue et les nom-
breuses lettres qu'il écrivit à Issoire portèrent des fruits et deux cents
personnes environ se convertirent aux idées nouvelles. L'un d'eux,
Jean Bruguière, de Fernoël, receveur des cens, fut arrêté et conduit
sons bonne escorte à Paris. Le Parlement l'ayant condamné à être brûlé
vil à Issoire (3 mars 1547), il y fut ramené et subit la mort avec une
héroïque constance. « Il ne fut vu remuer ni ouï crier. » Son supplice,
du reste, produisit une telle impression sur les assistants que l'inquisi-
teur romain Matthieu Urry, les officiers du roi et le bourreau, saisis
d'une grande terreur, prirent la fuite avant la fin de cette scène tra-
fique. Peu après, les Issoiriens convertis, devenus de plus en plus
nombreux, firent venir un ministre de Genève, nommé Annet Dé-
>auches, qui tint plusieurs réunions dans des caves et fut arrêté par les
consuls, puis condamné à mort et pendu. Le fameux édit de jan-
vier 1562 permettant aux luthériens de se réunir dans les faubourgs
<i»s villes, ceux d'Issoire appelèrent de Genève l'éloquent ministre Guy
de Moranges, auquel ils adjoignirent bientôt André, Lecourt, cellérier
converti de l'abbaye d'Issoire, et les prédicateurs Duïau et Georges
Laurent. Moranges passa peu après an service de l'Eglise d'Auriilac, el
l'ut remplacé à Issoire par Sébastien Tyran. Pour ce qui est des protes-
tants d'Auriilac, après avoir temporisé longtemps et s'être d'abord
assemblés de nuit pour l'exercice de leur culte, ils venaient enfin
d'obtenir un ministre et un prêche (1561), quand 600 fanatiques, com-
mandés par François Channeil et Louis de Brezon, pénètrent dans la
ville et se mettent en devoir de massacrer tous les luthériens qu'ils
rencontrent sur leur passage. Les meurtriers étaient décidés à ne lais-
758 AUVERGNE — ALXERRE ,
ser survivre aucun partisan des idées nouvelles, lorsqu'un conseiller
au parlement de Paris fut député en hâte à Aurillac pour arrêter le
cours de leurs tueries. — Les guerres de religion qui survinrent bientôt
après portèrent un rude coup au protestantisme auvergnat. La des-
truction totale d'Issoire, leur boulevard, les ruina pour longtemps (1577).
Cette Eglise était desservie pour lors par les pasteurs Dupré et Béran-
gier, auxquels était venu s'adjoindre le ministre Romileur, qui avait
quitté le Languedoc. Dupré fut pendu après la prise de la ville et son
corps livré aux plus vils outrages. Les commissaires chargés d'assurer
l1 exécution de Fédit de Nantes en Auvergne, se partagèrent sur la ques-
tion de savoir si l'exercice de la religion réformée pouvait être permis
à Issoire et, en attendant la décision du roi, à qui le procès-verbal de
partage fut envoyé, le commissaire protestant, qui était le fils du célè-
bre pasteur de Ghandieu, crut pouvoir autoriser provisoirement cet
exercice dans la ville. Mais le gouverneur de l'Auvergne, Charles de
Valois, s'y opposa de la façon la plus formelle. Le conseil privé du roi
donna gain de cause au commissaire catholique, et les protestants
furent réduits à s'assembler secrètement et de nuit dans des lieux
écartés. Louis XIII, plus juste qu'Henri IV, leur permit en 1621 de se
réunir à Parentignat, terre du roi, située à une lieue d 'Issoire. La révo-
cation de l'édit de Nantes affaiblit et ruina plusieurs villes et hameaux
de l'Auvergne, qui étaient peuplés de protestants, notamment Marsac,
Luziîlat, Job, Saint-Floret, Mayres, Ennezat et Maringues. Dans cette
dernière ville, le jour même de la publication de l'édit révocatoire,
.« Mgr l'évêque et Mgr l'intendant y étant, le jour de Saint-Simon,
« disent les archives municipales, on jeta par les fenêtres du temple
« les livres, pupitres et affiches qui se trouvèrent dans ledit temple; fut
« l'accoudoir du pasteur Lachomette, ministre audit Maringues... brûlé
(( au-dessous de la grande salle avec joie et applaudissement de tous
« nos bons et chers frères chrétiens apostoliques romains». Les Eglises
d'Auvergne paraissent n'avoir été rattachées à aucun synode provincial
sous le régime de l'édit de Nantes, vraisemblablement à cause de leur
éloignement et de leur petit nombre. Depuis le Concordat elles ont fait
partie du consistoire de Lyon, puis de celui de Saint-Etienne. Il n'y a
de pasteur qu'à Clermont-Ferrand, ce poste n'a même été créé qu'en
1827. — Voyez Bèze, Histoire ecclésiastique ; A. Imberdis, Hisf. des
guerres relig . en Auvergne, 1855. E. Aknald.
AUXERRE (Autessiodurum, A Itissiodorwn) , évêché suffragantde Sens.
11 a été supprimé en 1790, et son titre a été donné à l'archevêché de
Sens. Saint Pèlerin, martyr à Baugy (16 mai), paraît en avoir été le pre-
mier évêque (258-304) ; saint Valérien, évêque d'Auxerre (f 366),
assista en 347 au concile de Sardique. Saint Germain (voyez ce nom)
fut sacré en 418; il mourut le 31 juillet 448 à Ravenne. Son corps,
ramené à Auxerre, fut déposé dans la chapelle de Saint-Maurice, qu'il
avait fondée en 422, et qui devint la célèbre abbaye de Saint-Germain.
Sur son tombeau, Clotilde éleva une basilique dont la crypte (neu-
vième siècle) contient les tombeaux des évêques d'Auxerre. L'abbaye
de Saint-Germain possédait au neuvième siècle une célèbre école. Elle
AUXEREE — AVENT 759
fut dévastée en 1567 par les protestants. La partie conservée de L'église
date du treizième au quatorzième siècle. Un synode, tenu en 578 à
Auxerre, prit plusieurs décisions importantes sur La messe et les sacre-
ments. Un autre* synode se réunit dans cette ville en 1098. L'église cathé-
drale de Saint-Etienne, fondée à la fin du quatrième sièele, montre une
crypte de 1030; elle fut rebâtie de 1215 au seizième sièele. — Voy. Le-
beuf, Mém. sur AujLcn-e, Paris, 1743, in-4«, 2 vol.; 2e édit. continuée,
1848-55, \ vol. ; Duru, Bibl. hist. deV Yonne; Gallia, XII. S. Berger.
AVARES (Le christianisme chez les). Au sixième siècle, les Avares,
peuple d'origine tartare, s'emparèrent de la Dacie, de la Pannonie et
de la Dalmatie, et repoussèrent les Slaves vers l'ouest. Le siège épisco-
pal de Salzbourgeut la charge de leur conversion, ministère longtemps
infructueuxet troublé parla jalousie des Eglises d'Aquilée et de Passau.
Lorsqu'en 791 Charlemagne eut mis ces peuples sous sa domination,
l'archevêque Arnon (f 821) put remporter de grands suecès dans son
apostolat. En 796, Tudun, prince des Avares, reçut à Aix le baptême
avec sa suite, et en 797, son peuple jura d'accepter le christianisme
et demanda des missionnaires. Mais dès le neuvième siècle le nom des
Avares disparait de l'histoire.
AVE MARIA. La prière appelée Salutation angélique n'apparaît nulle
part, à côté du Pater et du Credo, avant le milieu du onzième siècle ; à
cette époque, Pierre Damien mentionne un clerc qui la récitait tous les
jours. Ce ne fut qu'au treizième siècle que l'usage de Y Ave devint
général dans l'Eglise. Eudes de Sully, qui fut évêque de Paris depuis
1196, recommande de joindre cette prière au Notre-Père et au Credo.
L'abbé Hériman de Tournay racontait, vers 1130, qu'une comtesse d'A-
vesnes avait obtenu un miracle grâce à l'habitude qu'elle avait de réciter
chaque jour vingt Ave debout, vingt prosternée, vingt à genoux; elle
ajoutait aux paroles de l'ange (Luc 1,28) ces mots inusités auparavant:
« Et le fruit de vos entrailles est béni. » Ce ne fut que sous Sixte IV,
après 1471, que l'usage s'introduisit de compléter la Salutation par les
mots : « Jésus Christus. Amen. » En 1508, on commença à ajouter à
Y Ave la prière : « Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, » et
bientôt après, sous l'influence des franciscains et du catéchisme de
Canisius, l'usage s'établit de terminer cette invocation par les mots :
« Aujourd'hui et à l'heure de notre mort. Amen. » Thomas de Can-
timpré, dominicain (f 1263), fait le premier mention de la coutume de
réciter trois l'ois cinquante Ave : c'est l'origine du rosaire. L'usage de
sonner la cloche deYAve Maria au coucher du soleil remonte au quator-
zième siècle. Saint Vincent Ferrier, dominicain (f 1419), a introduit la
coutume de réciterun Ave après le texte du sermon.— Voyez Mabillon,
A A. SS.Ben.8XC. V.prœf.fp.LKX\l;Bmier'\m9I)enkwûrd., VII, 1, 123.
s. Berger.
AVEMPACE. Voyez Arabes (Philosophie religieuse des).
AVENT (adventuë, avènement) est un temps consacré par L'Eglise
pour se préparer à célébrer dignemenl la fête de la naissance du Sau-
veur. On donnait autrefois ce nom à la fête même de la naissance de
Jésus-Christ; mais, depuis plusieurs siècles, il est devenu propre aux trois
ou quatre semaines qui précèdent cette tête. I/Avent est le commence-
760 AYENT— AVICEBRON
ment de Tannée ecclésiastique. L'origine de cette institution ne
remonte en aucun cas au delà de celle de la fête elle-même, qui n'eut
lieu qu'au quatrième siècle. Toutefois, Durandus (/ta^Vmafc divin, offic,
II, 6) ne fait que rapporter une tradition très-répandue lorsqu'il l'attribue
à l'apôtre saint Pierre. On a voulu trouver les premières traces de la
célébration de l'Avent dans le titre de deux homélies de l'évêque
Maxime de Tours (f 420), De adventu Domini ; mais le mot adoentus
avait alors un sens ou plus restreint ou plus large. On peut signaler,
avec plus de raison, le passage suivant d'un sermon de Gésaire
d'Arles (*J* 542) : Quia natalis Domini imminet, bonis operibus adornati
nosper Christi adjutoriumprxparemus, eleemosynas pauperibus erooemus,
iracundiam vel odium de cordibus nostris respuamus. Le concile de
Lérida (524) prescrit de ne point célébrer de mariages ab abventu
Domini usque post Epiphaniam, coutume qui s'est conservée jusqu'à
ce jour dans la plupart des Eglises. Le temps de l'Avent doit être con-
sacré au jeûne, à l'oraison, à la pratique des bonnes œuvres. Le synode
de Tours (567) prescrit le jeûne quotidien pour les moines ; celui de Milan
(581) ordonne aux laïques déjeuner les lundis, mercredis et vendredis. Le
Gloria in excelsis Deo est remplacé dans la messe par un simple Benedi-
camus Domino ; le jeu de l'orgue, longtemps supprimé pendant l'Avent,
ne fut rétabli que par une déclaration du saint-siége du 14 août 1753;
les tableaux des églises sont voilés, les autels et les murs recouverts de
draps violets, ce qui est assez étrange, attendu que le sentiment domi-
nant pendant cette période doit être la joie et non le deuil. La durée de
l'Avent n'est pas la même partout. Primitivement, elle paraît avoir em-
brassé quarante jours, en souvenir du jeûne de Jésus-Christ dans le désert.
On faisait commencer l' A vent à la Saint-Martin , le 1 1 novembre . L' Officium
ambrosianum de Milan en marque le commencement au 14 novembre,
date qui a été conservée par l'Eglise grecque. L'Eglise catholique s'est
contentée de la période des cinq dimanches qui précèdent Noël, dont le
premier ou plutôt le cinquième s'appelle prœparatio adoentus. L'Eglise
luthérienne a retranché ce dimanche préparatoire, mais elle est restée
fidèle à la tradition catholique, et a même gardé les anciennes péricopes,
ce qui se justifie moins, vu que quelques-unes d'entre elles n'ont qu'un
rapport très-indirect avec la venue de Jésus-Christ, ou ne parlent pas
de son premier mais de son second avènement. L'Eglise réformée, ou
bien a rompu avec une coutume qu'elle ne trouvait pas sanctionnée
par l'Ecriture, ou bien, ce qui semble préférable, n'en a conservé que
ce qui est en harmonie avec les sentiments que l'approche de la fête
de Noël doit réveiller dans tout cœur chrétien.
AVERROËS. Voyez Arabes (Philosophie religieuse des).
AVICEBRON. M. Munk a prouvé que ce philosophe, connu au moyen
âge comme auteur d'un livre intitulé Fons vitœ de materia unioersali,
n'est autre qu'Ibn-Gebirol, un juif né à Malaga, qui vécut à Saragosse
vers l'an 1045 et qui composa des commentaires allégorisant l'Ancien
Testament et des hymnes mystiques qui furent admises dans la litur-
gie des synagogues. Avicebron, partant des principes d'Aristote, ensei-
gnait que le monde est constitué au moyen de deux éléments, la
ÀVICEBRON — AVIGNON 701
matière et la tonne. Mais il y a une matière spirituelle aussi bien
qu'une matière corporelle, et leurs différences ue sont que des déter-
minations d'une même matière universelle. Il y a de même une forme
universelle. La diversité que l'on constate parmi les êtres résulte des
degrés divers que comporte l'union de la l'orme et de la matière. Au
sommet de toutes choses, cette union est absolue, intelligence univer-
selle, principe de toute existence; au-dessous, viennent les échelons
successifs de la matière de moins en moins dominée par la forme. Au-
dessus de l'intellect suprême, il y a l'unité pure, abstraite, Dieu;
mais si cette unité est distincte du monde, elle est aussi dans le monde,
en tant (pie chaque être consiste dans l'union de deux éléments. A ce
panthéisme émanatiste est adapté un principe qui doit servir d'inter-
médiaire entre l'unité abstraite et le inonde, la volonté, qui parait
sauvegarder la liberté divine; mais le livre qu'Ibn-Gebirol avait consa-
cré à ce principe est perdu, et les indications que donnent les frag-
ments connus du Fons vitas sont trop vagues pour qu'on puisse discerner
comment l'auteur accordait les deux parties opposées de sa philoso-
phie. La doctrine d'Avicebron paraît avoir été peu discutée parmi les
Arabes et les Juifs. Chez les chrétiens elle fut l'objet de vives préoccu-
pations. Les panthéistes du treizième siècle, Amaury de Bène, David
de Dinant, ont des enseignements semblables. Albert le Grand, saint
Thomas et d'autres docteurs la combattent avec vivacité, tandis
qu'elle est accueillie avec sympathie par Roger Bacon, Duns Scot et
surtout Giordano Bruno. — Y. Munk, Mélanges de philosophie juive et
arabe, 1857. A. Matter.
AVICENNE. Voyez Arabes (Philosophie religieuse des).
AVIGNON. L'histoire religieuse de cette ville ne commence qu'au
treizième siècle. A cette époque, Avignon était une puissante république
qui épousa avec ardeur la cause des Albigeois et la résistance passion-
née des peuples du Midi aux idées et aux hommes du Nord. S'étant at-
tiré les anathèmes de la papauté à cause du massacre du comte de
Baux, son podestat, qui s'opposait au concours que la cité voulait prê-
ter au comte de Toulouse, elle fut prise, rasée et ruinée par le roi de
France Louis VIII (12 septembre 1226). Pendant le grand schisme d'Oc-
cident, les papes résidèrent dans ses murs (1309-1377) et, tout en l'em-
bellissant, contribuèrent singulièrement à la corrompre. Au témoignage
de Pétrarque, qui y connut la célèbre Laure de Sade, rien n'égalail sa
magniiieence que sa dépravation. De retour à Rome, le saint-siége,
resté maître d'Avignon et du comtat Venaissin qui y était attenant, fit
gouverner la contrée par un légat, auquel fut adjoint, en temps de
trouble, un commandant militaire, comme cela eut lieu au moment <\i-,
guerres de religion. La Réforme pénétra à Avignon de fort bonne
heure. Les écrits de Luther s'y introduisirent avanl 1522 et vinrent
éclairer d'un jour nouveau la sombre cellule du pieux el éioquenl
Lambert d'Avignon. Le célèbre franciscain répandit-il ses doctrines
avant de partir pour l'Allemagne, en l522?C'estee qui ne lui fui
guère possible, car il étail surveillé de près, et les brochures luthé-
riennes qui l'amenèrent à la foi furent saisies dans sa cellule et jetées
'« 4!J
762 AVIGNON
au feu. Plusieurs années après, en 1540, un libraire étranger, établi à
Avignon, ayant mis en vente des Bibles latines et françaises, les prélats
qui s'étaient réunis en concile dans cette ville pour poursuivre l'exé-
cution du sanglant arrêt rendu par le parlement de Provence contre
les vaudois de Mérindol, lui firent faire son procès et demandèrent au
j uge de le condamner au feu. Ce dernier, qui voulait lui sauver la vie,
le conjura de faire amende honorable et de reconnaître, dans les pré-
lats qui l'accusaient, de vrais pasteurs de l'Eglise de Jésus-Christ, mais
le libraire ayant répondu qu'ils étaient plutôt, à ses yeux, des sacrifica-
teurs de Bacchus et de Vénus, le juge ne put l'absoudre. Il fut con-
damné à mort et brûlé le jour même avec deux Bibles suspendues à
son cou. Ce supplice ayant excité de grands murmures parmi le peu-
ple, les prélats firent crier le lendemain à son de trompe, dans les rues
de la ville, que tous ceux qui seraient détenteurs de livres français
ayant trait à la Sainte-Ecriture, auraient à les rapporter à des commis-
saires spéciaux. Dix-sept ans après (1557), deux étudiants, convaincus
d'hérésie, furent condamnés à faire amende honorable au-devant des
portes de toutes les paroisses d'Avignon et à être enfermés, leur vie
durant, en jeûnant, au pain et à l'eau, trois jours la semaine. Ces ri-
gueurs n'empêchèrent pas les principes de la Réforme de se propager
rapidement à Avignon et dans tout le comtat Venaissin, et il fallait
qu'en 1560 leurs partisans fussent déjà assez puissants pour que le
libraire Trophime des Rivers osât y faire paraître la Juste complainte
des fidèles de France contre leurs adversaires papistes et autres (40 pag.
in-8°), où l'cm disait, après avoir décrit les mœurs scandaleuses des
prêtres : « Sitôt que, devant eux ou les leurs, vous ouvrez la bouche
pour dire un seul mot de Dieu à bon escient et en révérence, vous êtes
soupçonnés, voire accusés d'être luthériens et hérétiques... Nous som-
mes voirement venus nous assembler auprès d'eux et entre eux pour
renverser, non pas l'Eglise catholique et chrétienne (comme ils s'effor-
cent de le faire accroire au poure simple peuple) , mais bien la leur,
c'est-à-dire la romaine, non pas celle toutefois à laquelle écrivait Paul
et à laquelle nous nous conformons le plus que nous pouvons, mais
bien la papale, c'est-à-dire la partiale et épicurienne, soit qu'on re-
garde la doctrine, soit qu'on regarde à leurs mœurs et façons de faire
tant en public qu'en privé. » Quand le célèbre capitaine Montbrun, du
Dauphiné, eut porté la guerre dans le comtat Venaissin (1560), les ha-
bitants d Avignon prirent des mesures importantes pour la sûreté de
leur ville. Ils établirent un conseil de guerre, renforcèrent leurs trou-
pes de deux compagnies, mirent en place quarante-deux pièces d'ar-
tillerie de divers calibres, creusèrent leurs fossés plus profondément et
chassèrent toutes les personnes suspectes d'hérésie, si bien que le baron
des Adrets, qui ne reculait pourtant devant aucun obstacle, n'osa
pas attaquer la ville (1562). Quand la première guerre de religion fut
terminée, le maréchal de Vieilleville, commissaire exécuteur de l'édit
de paix pour les provinces du sud-est de la France, vint à Avignon
pour mettre un terme aux troubles du comtat. Il y parvint. Les hu-
guenots furent confiés à la garde du vice-légat et de Fabricio Ser-
AVIGNON - AVI LA 763
belloni, général des troupes pontificales, mais ceux d'entre eux qui
habitaient Avignon avant la guerre n'eurent pas le droit d'y rentrer
(1563). Les jésuites s'établirent L'année suivante dans la ville et en au-
raient été chassés violemment sans le secours de la garnison y car le
peuple s'était imbu de l'idée qu'ils apportaient avec eux une inquisi-
tion d'un nouveau genre. Le roi Charles IX, qui visita Avignon peu
après, ne voulut pas accorder aux protestants du comtat la liberté de*
conscience dont on jouissait dans le reste du royaume, le pape n'ayant
rien voulu céder sur ce point. Le vice-légat, allant plus loin encorer>
déclara, en 1569, tous les biens des protestants du comtat confis-
qués au profit de la chambre apostolique. Ces biens, évalués au-delà i
de i00,000 écus, leur lurent rendus quelques aimées plus tard (1572), ,
mais à la condition qu'ils seraient régis par des procureurs catholiques
Cependant Avignon était très-convoitée par les huguenots. L'amiral
Coligny, qui s'était dirigé vers le midi de la France après la désastreux
bataille de Moncontour, avait résolu de s'en emparer, pour s'en faire
une base d'opérations dans le Midi, mais toutes ses tentatives échouèrent
devant la vigilance des habitants (1571). Huit autres tentatives ou con-
spirations, de 1571 à 1581, ne réussirent pas mieux, et Avignon ne
tomba jamais aux mains des huguenots. La ville ne prit, du reste, au-
cune part aux troubles de la Ligue et, heureuse de réparer ses rumes,
elle garda la neutralité entre les royalistes et les guisards, dont les
luttes ensanglantèrent la Provence. Les nouvelles guerres religieuses
du dix-septième siècle ne la troublèrent point, mais Louis XIV, mé-
content de la cour de Rome à diverses époques, la ht saisir par ses
soldats (16(33 et 1689). Pour le même motif, Louis XV s'en empara
en 1768 et ne la restitua que sept ans plus tard. Elle était l'asile de
tous les banqueroutiers et malfaiteurs fugitifs du royaume. La révolu-
tion française eut son contre-coup à Avignon. Il s'y forma un parti
français qui l'emporta sur le parti ultramontain, mais non sans de
graves excès, et la ville fut réunie à la France (14 septembre 1791).
Deux ans après, elle devint le chef-lieu du département de Vaucluse,
qui fut formé de l'ancien comtat Venaissin. A l'époque de la réorgani-
sation des cultes, les Eglises protestantes de Vaucluse furent groupées
en un consistoire qui eut pour chef-lieu Lourmarin. Un culte régulier
l'ut établi à Avignon en 1813, mais l'Etat ne reconnut officiellement le
poste qu'eu 1833. L'Eglise comptait, en 1870, de quatre à cinq cents.
protestants. — Voyez P. Justin, Hist. des guerr. excit. dans le comtat
Venaissin... par les calvinist. du XVIe siècle, 1782; Barjavel, Dict. hist...
du dépari, de Vaucluse, i$rki ; Granget, abbé, Hist. du diocèse d'Avi-
gnon, 1862. E. Arnaud.
AVILA (Juan de). Ce grand prédicateur espagnol naquit en 1500 à
Almodovar del Campo, ville du diocèse; de Tolède. Après avoir étudié
;i Alcala de Henares SOUS la direction du grand théologien Domingo
de Soto, il lut pris d'un vit' désir de; passer on Amérique pour y prê-
cher l'Evangile. 11 se serait embarqué, si 1rs instances d'un savant
prêtre de Sévtlle, Ferdinand de Contreras, et de L'archevêque lui même,.
Alonso Manrique, n'étaient pas parvenues à lui faire abandonner son.
764 AVILA — AVITUS
projet. Il resta donc en Andalousie dont il parcourut, pendant bien des
années, les villes et les villages en prêchant. Le procès que lui intenta
Tinquisition de Séville pour quelques opinions soi-disant hérétiques et
dont il sortit sans encombre, ne lit qu'augmenter son zèle et qu'accroî-
tre sa réputation. De cette brillante époque de sa carrière, il lui resta le
surnom (Y apôtre de l'Andalousie. Juan de Avila, qui, comme prédicateur,
s'inspirait des procédés de saint Paul, dont il pratiquait continuelle-
ment les écrits, appartient, par ses œuvres de théologie et de morale, à
la grande école mystique espagnole. Ses deux principaux ouvrages sont
les Cartas espirîtuales et un traité de morale chrétienne, adressé à une
dame, Sancha Carrillo, et auquel le prédicateur a donné pour titre les
mots Audi, filia, du Ps. XLIV. Juan de Avila mourut à Montilla, le
10 mai 1569. — Sources : Vida del vénérable maestro Juan do Avila,
predicador apostolico del Andalucia, par F. Luis de Granada, t. III,
p. 450 à 487 des œuvres de Luis de Granada publiées par Uibadeneyra ;
Vida del vénérable siero de Dios, maestro Juan de Avila, par Luis Munoz,
Madrid, 1635, 4°. Cette biographie est plus détaillée que la première.
La liste des ouvrages de Juan de Avila et une notice étendue de sa vie
se trouvent dans N. Antonio, Bibliotheca hispana nova, t. I, 639-642.
Voy. aussi P. Rousselot, Les Mystiques espagnols, Paris, 1867,8°.
Morel-Fatio.
AVIS, ordre militaire du Portugal, fondé après la prise cl'Evora,
vers 1147, par le roi Alphonse Ier de Portugal. Les premières constitutions
de Tordre lurent rédigées en 1162 conformément à la règle de Citeaux
et approuvées en 1204, par Innocent III. En 1211, Alphonse II fitdona-
tion à Tordre de la ville d'Avis, d'où il a tiré son nom actuel. L'ordre
d'Avis se réunit bientôt à Tordre de Galatrava, et les deux associations
maintinrent .eur union jusqu'à la lin du seizième siècle; à partir de cette
époque, *e premier ordre a recouvré son existence indépendante. En
1550, la grande maîtrise de Tordre d'Avis devint la propriété des rois
de Portugal.
AVITUS (Saint Avit). Alcimus EcdiciusAvitus, natif de Vienne, d'une
ancienne famille de patriciens gallo-romains, devint, en 490, évêque
de sa ville natale et mourut comme tel en 523. Comme à cette époque
la Gaule possédait encore quelques écoles florissantes, il avait reçu
une bonne instruction classique et théologique. Vienne, était sous la
domination des Bourguignons, qui étaient ariens; Avitus ne négligea
rien pour gagner le roi Gondebaud au catholicisme ; il lui adressa des
lettres dans lesquelles on regrette de trouver trop d'adulation. Après
la'conversion de Clovis, Avitus, espérant que ce chef mettrait lin à
Tarianisme, lui écrivit : « Votre foi est votre victoire. »En 449 il assista,
à Lyon, à une conférence entre des ariens et des catholiques, en présence
de Gondebaud; il n'y réussit pas à convertir ce prince. Il réussit mieux
auprès de son fils Sigismond, sous le règne duquel il présida, en 517,
le concile d'Epaone dans le Valais, qui régla la situation de TEglise ca-
tholique dans le royaume de Bourgogne. Il a laissé un poëme : De
mundi principio et aliis diversis conditionibus. Cet ouvrage, imitation
assez heureuse des anciens, contient quelques beaux passages; on en a
AVITUS — AYMON 705
comparé, non sans raison, les trois premiers livres, qui traitent de la
création de l'homme, de la chute et de ses suites, au Paradis perdu de
Milton. Le IVe et le Ve livres sont consacrés au déluge et au passage de
la mer Rouge; on y ajoute parfois, comme \T, un poème adressé par
Avitus à sa sœur Fuscina, De conwlatoria laude virginitatis. Les lettres
d'Avitus aux rois francs et bourguignons, à quelques évêques de la
Gaule et à ceux de Constantinople, de Rouen, de Jérusalem, sont im-
portantes pour Thistoire de l'époque. — Yoy. Aviti opéra, éd. Sirmond,
Paris, 1643; Hist. litt.de la France, Ut, p. 122; Guizot, Hist. de la
civilisation en France, Paris, 1829, II, p. 199; Ampère, Hist. lût.
de la France avant le douzième siècle, II, p. 193 ss.
AVRANCHES {civitas Abrincatum, Abrincae), évêché suffragant de
Rouen, connu depuis l'évêque Nepus (511). Saint Sever (1er lévrier) et
Saint Pair'^atemMs^dontFortimata écrit la vie (A A. SS., 16 avril) fu-
rent évêques d'Avranches au sixième siècle. En 708, saint Michel appa-
rut à l'évêque saint Aubert (AA. SS., 18 juin) et lui ordonna de lui
élever une église sur le Mons Tumba; l'église de Saint-Michel-au-Péril-
de-la-Mer fut dédiée en 709, et en 966 Richard Ier de Normandie y éta-
blit des moines. Lanfranc tint son école à Avranches de 1010 à 1042.
Le synode d'Avranches, réuni en 1J72 au couvent de Sa vigny, entendit
les excuses du meurtrier de Becket. La cathédrale de Saint-André fut
élevée au douzième siècle, et reconstruite par l'évêque Louis de Bour-
bon (1485-1510). Le siège d'Avranches, illustré par Huet, fut supprimé
en 1790 et réuni à Coutances (Gallia, XI).
AYMON (Jean) [1661-1720], né catholique, dans une bonne famille
du Dauphiné, fut élevé pour la prêtrise. Il réussit d'abord dans cette
(arrière, mais ni assez, ni assez vite au gré de son âme ambitieuse et
inquiète. Il avait fait ses premières études au collège de Grenoble, puis
l avait été apprendre à Turin la théologie et la philosophie ; il fut même
à Rome, et il obtint le titre de docteur en droit canon. Nommé aumô-
nier de l'évêque de Saint-Jean -de-Maurienne, bien qu'il n'eût pas en-
core l'âge canonique, il composa, pour venger une injure récente de
son patron contre la cour romaine, un pamphlet où les secrets et les
hontes du saint-siège étaient hautement dénoncés. S'étant réfugié en
pécheur contrit et repentant auprès du cardinal Le Camus, évêque de
Grenoble, qu'il n'avait pas ménagé dans ces révélations, il eut le talent
de se faire recommander par lui à Rome où il fut nommé protonotaire
«lu pape, et devint un petit personnage à la cour apostolique (1687).
Ce u'était pas encore assez pour son ambition. Il fit ce Eaux calcul que,
dans l«-s conjonctures politiques où l'on se trouvait, alors que l'exé-
cution implacable donnée par Louis XIV à la révocation de l'édit de
Nantes remplissait le monde d'émotion et apportait aux pays protes-
tants des foules réfugiées pour la religion, il pourrait, lui qui tenait dans
<a main tous les secrets de Rome, jouer un grand rôle parmi les protes-
tants. 11 était à Lyon, lorsqu'il partit inopinément pour la Suisse, el se
mit en mesure d'abjurer la croyance romaine. En réponse à une Lettre
excellent.' <lu cardinal Le Camus, il publia un petit livre intitulé : Méta-
morphoses delà religion romaine, etc., La Haye, 1700. précédé par une
766 AYMON
Approbation des professeurs et ministres de Berne, et terminé par une
série de diplômes obtenus jadis à Rome par Fauteur, et qu'il a l'audace
de produire comme exemples des prévarications romaines. Installé en
Hollande, à La Haye, l'ancien dignitaire papal est devenu ministre pro-
testant à l'âge de quarante ans; mais c'est comme professeur de mathé-
matiques qu'il pourvoit à ses besoins; il s'est marié; enfin il est, à
partir de l'an 1700, et probablement en récompense de son petit livre,
pensionné par les Etats-généraux. Vers 1703-1704, il s'occupe des pro-
jets, si souvent débattus, de la réunion des deux Eglises en publiant un
volume intitulé : «.Lettre du sieur Aymon, cy-devant prélat domestique
du pape Innocent XI, à tous les archiprêtres, curez, vicaires et autres du
clergé séculier, au sujet de quelques propositions qui luy ont été faites par
M. l'abbé Bidal... sur la réunion des deux religions. » Cetouvrage ne fit
-sans doute aucun bruit. Mais le nom de l'abbé Bidal, agent de France à
Hambourg pour affaires concernant la religion, devait servir à Aymon.
A la fin de 1705, il résolut en effet d'aborder un nouveau et plus bril-
lant théâtre. Il écrivit au garde de la Bibliothèque du roi à Paris, pour
le prier d'offrir en son nom à Sa Majesté un précieux herbier qu'il
venait d'acheter à Leyde, en échange de quoi il ne demandait ni
faveur, ni pension ; il sollicitait seulement un passeport pour venir à
Paris, ayant en tête de sérieux desseins pour le service du roi. Le pai-
sible et savant bibliothécaire, Nicolas Clément, ne répondant guère à
cette première ouverture, reçut bientôt lettres sur lettres de ce corres-
pondant qu'il ne connaissait pas. Il ne s'agissait plus d'herbier, mais
de certains secrets dont le roi serait touché. Clément se laissa séduire
et, au mois d'avril 1706, Aymon était à Paris. Quelques jours après,
M. de Pontchartrain reçut de lui deux mémoires, dans l'un desquels
il découvrait au roi divers projets qui s'ourdissaient en Hollande (les
•deux nations étaient alors en guerre), principalement des inventions
de nouveaux projectiles et des complots de camisards et autres protes-
tants ; dans l'autre mémoire il signalait en termes généraux le « liber-
tinage, les désordres de tout genre, les énormes attentats » auxquels se
livraient en Hollande les pasteurs et leurs troupeaux réfugiés. L'arche-
vêque de Paris, le cardinal de Noailles, récompensa ces révélations en
désignant le séminaire des missions étrangères pour servir de logis au
pécheur repentant, qui devait, dans cette paisible et sainte retraite,
préparer son retour à la véritable Eglise et composer à loisir ses utiles
pamphlets. Mais ce fut là tout. Il faut reconnaître qu'en ce temps où
l'on tenait bureau ouvert pour acheter les consciences, Aymon pou-
vait justement se plaindre de ne rien recevoir. Un beau jour il partit,
emportant un manuscrit grec sur le dernier concile de Jérusalem,
ainsi que plusieurs autres pièces importantes qu'il avait dérobés à la
Bibliothèque. Clément perdit le procès qu'il lui intenta à La Haye où
le déprédateur, rentré en. grâce auprès du gouvernement hollandais,
s'était réfugié. Aymon fut rétabli dans sa pension, et il continua pai-
siblement le cours de ses travaux littéraires, en y reprenant le rôle
d'ennemi de Borne. Parmi eux nous ne relèverons que sa collection des
Synd.es nationaux des Eglises re formées de France, La Haye, 1710,2 vol.
AYMOX — AZYMITES 767
in-'i°. Une prétendue seconde édition (La Haye, 1736) est la même
avec simple réimpression d'un nouveau titre. La préface apprend
que les actes dont l'ouvrage se compose ont été imprimés sur la copie
(l'un exemplaire authentique envoyé par le synode de Gharenton à
David Le Leu de Wilhelm, président du Conseil souverain et de la
Cour féodale de Brabant. C'est la seule collection de ces actes que nous
ayons; niais c'est une simple compilation, dans laquelle il n'y a de l'au-
teur que la mise en ordre et Timpression. Aymon mourut vers Î720,
sans qu'on ait aucun renseignement sur la manière dont il termina cette
carrière véreuse. — Voyez France protestante, 2e édit., I, p. 615 ss.
H. BORDIER.
AZAÏS (Pierre-Hyacintlie), né à Sorèze en 1766, vécut à Pans, où il
jouissait, sous la Restauration, d'une réputation de philosophe qui ne
s'est pas maintenue, et mourut en 1845. Son système fut son œuvre
personnelle, quoiqu'il offrit bien des affinités avec l'école sensualiste.
11 se proposa de rattacher à une même loi et à une même cause tous
les faits de la nature et de l'humanité. L'expansion est le mode unique
de l'action universelle; chaque être se dilate incessamment, et il se
dissoudrait, s'il ne rencontrait la dilatation des corps environnants.
L'équilibre universel résulte de ce quela somme de ces actes de répres-
sion conservatrice est égale à la somme des actes d'expansion. Au
moyen de cette loi, Azaïs se flatte d'expliquer tous les phénomènes
de l'ordre physique, de l'ordre organique et de l'ordre intellectuel,,
moral et politique, l'esprit étant, dans ce troisième ordre, considéré
comme un corps et les idées comme des corpuscules. Dans notre vie
morale, nous retrouvons les deux opérations opposées et solidaires;
que l'expansion soit faible ou forte, la compression sera proportion-
nelle; les grandes joies appellent les grandes douleurs ; pour chacun
la somme de son bonheur est égale à celle de son malheur : système de
compensation qui n'autorise ni l'optimisme ni le pessimisme, et qui
devrait conclure à la résignation. La cause première de cette action
incessante est appelée Dieu, et son équité est démontrée par l'équi
libre des biens et des maux dans chaque destinée particulière. Des nom-
breux ouvrages d' Azaïs, nous ne citerons que V Explication universelle^
() vol., 1826. — V. Damiron, liât, de /a pHiL en France au XI JP siècle,
tome I. A. Matteb.
AZARIAS, roi d'Israël. Voyez Ozias.
AZYMITES. Ce fut vers 1053 que le patriarche de Constantinople,
Michel Caerularius, inventa d'appliquer ce surnom aux chrétiens occi-
dentaux, qui se servaient de pain azyme pour la Sainte-Cène. Les Latins
répondirent par l'injure de fermentaires (voy. ces mots dans Ducange).
Par un rapprochement singulier, nous retrouvons ■ lie/ les historiens <!<■
la première croisade, <-t «mi premier lieu dans ie Tudebode abrégé^ le
nom <l" izymites comme celui d'une tribu de Sarrasins.
ERR4TA
âge Ligne
13 22
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Au lieu de
Craydon
1622
1700
dix-huitième
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1611
Gonda
VI, 31, 32
quatrième
1576
autorité
Zeuaitane
Milène
S. A.
Saint Foy
de Gazes
Brandebourg
calvinistes
Conart
les Eglises
1730
pas
312 ss
sim
352 22et2;
354 19
— 32
— 33
— 38
375 18
— 36
— 37
37G 8
— 1'
Lisez
Croydon
1662
1709
dix- septième
Xtl'
1647
Gouda
VI, 41, 42
cinquième
1476
activité
Zeugitane
Milève
sub anno
Sainte Foy
de Cazes
Brandebourg -
pach
calvinisantes
Couart
quelques Eglises
1661
Ans>
AlexandreVIII Alexandre VII
retrancher : Alger
après laus div. sap., ajouter : publiée
par Wright, 1863.
1813
assisté de
1831
retrancher :
Berlin
1550
1692
Belmont
Chaletot
[ Angéologie
) Angéolâtrie
Gannilon
retrancher :
Bonn
1450
1592
Clémont
Châtelot
Angélologie
Angélolâtrie
Gaunilon
plus tard, jusqu'à mais.
retrancher : marginale et
retrancher : du Psautier
avant 170, ajouter X et retrancher
la signature
sans voir sans nier
Xoyou (rsaapxeo-
iv<rafzeo(7i; &yffàpxci>9i;
ô.yïcio<.(noq Kçoç
TîjV ojïv â/tîip'.dTo; rso; tyjv ôîlav
(Tjvàsia (Tuyâseia
delachristolo-
Page Ligne Au lieu de
402
419
420
421
424
425
445
459
gie
et la christ
ologie
392
27
647
vers 661
393
8
décrivit
écrivit
394
7
réédita
réédifla
3?9
30
Meggido
Neggido
468
471
472
478
481
482
516
519
580
583
587
592
596
598
600
613
625
629
630
460 25
Benory Benary
^=6 ; D~50 1=6 ; 2=z 50
Maçna Mapla;
modion modiou
Théclée Thècle
Thyanes Thyane
7oYîo)9a9/jV âzo-
Erbi-ard Ebrard
Ajouter : 6° Patrum <tpostol. opéra,
edit. Alb. Dresse! Leipz., 1857 ;
edit. II Tischendorfiana, 1863
( d'après le Sinaïticus ) ; 7° Nov.
Testam. extra canonem receptum,
edit. Ad. Hilgenfeld, 1866 ; 8° Pa-
trum apostol. opéra, edit. post
Dresselianam alteram tertia, edid.,
Gebhardt, Harnack, Zahn, Bips.
1875 ss. Pendant le cours de cette
dernière publication, encore ina-
chevée, la découverte par M.
Bryennius d'un important manus-
crit, dont ce savant a extrait les
Epitres de Clément, imprimées en
1875 à Constantinople, a déter-
miné MM. Gebhardt et Hilgen-
feld à refondre entièrement, en
1876 , leurs éditions de Clément.
M. Bryennius promet également
la publication des Epitres de Bar-
nabas et d'Ignace, ainsi que celle
de la Doctrine des Douze Apôtres.
La chronique de Salimbenus a été
publiée à Parme en 1857, in-f°,
et va paraître en un texte plus
complet par les soins de M. Clédat.
eliaer
n'est
praso
et
1875
Borne
avant
bête
découvrit
homœousie
àôvô[MCio;
quatrième
Hugouin
Fhôgarmâh
Méchathirites
Danœnus
Casinius
des Sages
ou
l'ascète
n'ait
prœscr. /<«?,
est
1715
Berne
àUdine ajouter : pi-
tête
décrivit
homooasie
deuxième
Hugonin
Thôg trmàh
Méchitharistes
Dana?r, s
Canisius
des Juges,
en
l'ascétisme
TABLE DES MÀTIÈEES
Préface î
Aaron 1
Abaddon 1
Abaissement 2
Abandon 3
Abandonnement 3
Abarini 3
Abauzit 3
Abbadic 5
Abbaye 11
Abbé, Abbesse Il
Abbon 12
Abbot 13
Abdias, le prophète 13
Al h lias, v. ApocrypJtcs .
Abdon, la ville 14
Abdon, le juge 14
Abel,.la ville 14
Abel, flls d'Adam 15
Abélard 15
Abéliens 19
Abelli 19
Abcn-Esra 20
Abgare 20
Abia ou Abiam 21
Abiathar
Abigaïl 22
Abilêne 22
Abimélech, Le roi 23
Abimélech, le juge 23
Abisag 23
Abisaï 23
Abjuration 23
Ablégat 24
Ablon 24
Ablution 26
Abner 27
Aboulfarage 27
Abrabanel 28
Abraham 28
Abraham a Sancta Clara 30
Abrahamites 30
Abraxas 30
Abréviateurs 32
Abril 32
Absalon, fils de David : 32
Absalon, primat de Siu'de. ... 33
Abside 34
Absolu 35
Absolution 38
Absoute 36
Abstèmes :;,i
Abstinence 37
Abyssinie ancienne, \ . Ethiopv .
Abyssinie (Eglise, d') :;~
Abyssinie Btatist. ecelés.) — :'-'•,
\i îace, Le Borgne 41
Acace, L*ennite H
770 TABLE
Acace, le patriarche
Académies des Eglises réfor-
mées de France
Acceptants
Accommodation
Acémètes
Achab '
Achaïe
Achard
Achaz
Achéry
Achis
Achitophel
Acolytes
Acosta
Acre (Saint-Jean d')
Acta Sanctorum
Acte, Action
Actes des Apôtres
Adad
Adalbéron, v. Reims.
Adalbert de Prague
Adalbert de Brème.
Adam
Adamites
Adelbert
Adéodat
Adhémar de Monteil
Adhérnar (d1)
Adiaphora
Adon
Adonaï
Adonias
Adoptianisme
Adoption
Adoration
Adramélech
Adramitte
Adrets (des)
DES MATIERES
41
42
45
45
47
47
48
48
48
48
49
49
49
49
50
51
62
62
69
70
70
71
71
73
73
74
74
74
76
77
77
78
78
81
82
83
83
Adrianistes 84
Adrien, empereur 84
Adrien (saint) 85
Adrien Ier.... 85
Adrien II 86
Adrien III 87
Adrien IV 87
Adrien V 89
Adrien VI 89
Adullam 90
Adultère 90
/Enésidème 91
/Epinus 91
Aériens 92
Aétius 92
Afflictions 93
Affranchis 93
Affre 94
Afghanistan 95
Afre (sainte) 96
Afrique (satist. relig.) 96
Afrique (Eglise d1) 100
Agabus 105
Agapes 105
Agapet Ier 106
Agapet II 107
Agar 107
Agaréens 107
Agathe (sainte) 107
Agathon 108
Agde 108
Agen 108
Agenais 109
Agende 111
Aggée 115
Agier 116
Agneau de Dieu 117
Agnès (sainte) 118
Agnès (la mère) 118
TABLE DES
Agnoètes ng
Agiras Dei H9
Agobard ng
Agonisants l-jo
Agreda (Marie d') 120
Agricola (Rodolphe; 12]
Agricola (Jean) 122
Agriculture dans la Bible 122
Agrippa Ier et II, v. Hérodes.
Agrippa Castor 123
Igrippa de Nettesheim 123
Aguirre 124
Agur 124
Ahasvérus, v. Juif errant.
Ahija 124
Ahimélecb 125
Aï, v. Hai.
Ailly (d1) 125
Ain.. 127
Aire 128
Aix 128
Aix-la-Chapelle 128
Ajalon 129
Akiba 129
Alacoque (Marie) 130
Alain 131
Alais 131
Alban (saint), d'Angleterre . . . 133
Alban (saint), de Mayençe 133
Albe (dned") 133
Alber 135
Albert le Grand 136
Albert de Mayence 137
Albert de Brandebourg 138
Albi 131)
Albigeois, \ . Cathares.
Albizzi 13'.»
Albrct (maison d* 139
Alcantara (ordre d1 143
MATIERES 771
Alchimie, v. Sciences occultes,
Alcuin 1 ! l
Aldegonde (sainte) 1 46
Aléandre 146
Alembert (d'), v. Encyclopédie.
Alep, v. Eelbon.
Aies 140
Alet 147
Alexandre le Grand 147
Alexandre Bala 148
Alexandre Jannée,v. A$moné( ns.
Alexandre Ier (saint) lis
Alexandre II 148
Alexandre III 149
Alexandre IV 150
Alexandre V 151
Alexandre VI 151
Alexandre VII 154
Alexandre VIII 155
Alexandre d'Alexandrie 155
Alexandre de Constantinople. 150
Alexandre de Halès 156
Alexandre Xeckam 157
Alexandre Nevsky 1 57
Alexandre Ier, le czar 157
Alexandrie (école juive) 1 50
Alexandrie (école philosophi-
que) 104
Alexandrie (école chrétienne). 170
Alfarabi, v. Arabes.
Alfred le Grand 175
Alfric l"o
Al-Gazel, v. Arabes.
Alger on Auger de Liège 177
Algérie 177
Allatius en AUacci 179
Allégorie 170
Allegri 18]
Alléluia 181
772 TABLE DES
Allemagne 182
Allen, le cardinal 190
Allen, le quaker 191
Alliance 191
Alliance évangélique 193
Allix 200
Allut \ 200
Almohades 201
Alogiens 201
Alpha et Oméga 201
Alphée 202
Alsace , 202
Alsted 219
Altenstein 219
Althamer 221
Alting 221
Alype 222
Amalaire 222
Amalécites 222
Aman 224
Amand (saint) 224
Amasa 224
Amasias 224
Amaury 224
Amboise (conjuration d1) 226
Amboise (Françoise d1) 228
Ambon 228
Ambroise (saint) 229
Ambroise le Camaldule 232
Ambroisien (chant) 232
Ame 233
Ame du monde 236
Amen , 237
Amendes 238
Amérique 240
Amérique centrale 241
Ames 242
Amiens 242
Amis de Dieu 243
MATIERES
Amis des lumières 245
Ammien Marcellin 248
Ammon, Ammonites 248
Ammon, l'anachorète 251
Ammon, le théologien 251
Ammonius Saccas 252
Amolon., 252
Amon 252
Amorrhéens 252
Amortissement , . . 254
Amos 254
Amour 254
Amours (Gabriel d1) 258
Ampère 258
Amphiloque 260
Ampoule 260
Amri 260
Amsdorf 261
Amsterdam 262
Amulette 269
Amyot 270
Amyraut 273
Anabaptistes 285
Anachorètes 289
Anaclet Ier 289
Anaclet II, v. Innocent H.
Ananias 289
Anastase Ier 290
Anastase II 290
Anastase III 290
Anastase IV 290
Anastase, v. Benoit III.
Anastase le Sinaïte 290
Anastase le Bibliothécaire 291
Anastasie (sainte) 29 ]
Anathème 291
Anathot 292
Anatole de Laodicée 292
Anatole de Constantinople 292
TABLE DES
Anciens chez les Hébreux 292
Anciens chez les chrétiens 293
Ancillon 293
Ancyre 295
Andelot (François d') 296
Andelot (Ch.d'), v. Coligny.
Andorre 297
André 298
Andréa? (Jacques) 298
Andrése (Jean-Valentin) 299
Andrews 300
Andronique 301
Androuet du Cerceau 301
Anduze 302
Ane (fâtedel') 303
Anéantissement des âmes 304
Angelico (Fra) 305
Angélique (la Mère) 300
Angélites 307
Angélus 308
Angélus Silesius 308
Angennes (d1) 308
Angers 309
Anges 310
Angilbert 316
Angilram 31G
Angleterre (la Réformation d1) 316
Angleterre (statist. ecclés.) . . . 324
Anglicanisme, v. E<jl. anglicane.
Anglo-Saxons 324
Angoulôme 329
Angoumois 329
Anhalt 331
Anicet 332
Animaux purs et impurs) 333
Animisme :::;:;
Anjorrant 334
Anjou 335
Annal :;:!S
MATIERES 773
Annates :;:>s
AJ»ie . ;!;>s
Anne, le grand-prêtre 338
Anne (sainte) 340
Anneau 341
Annecy 34]
Année (chez les Hébreux) 341
Année ecclésiastique 341
Année sabbatique 344
Annonay 344
Annonciades 345
Annonciation 346
Anoméens 34f>
Anomiens, v. Aritinomisme .
Anschaire 347
Anse 348
Anségise (saint) 348
Anségise de Sens 348
Anselme (saint) 349
Anselme de Laon 354
Anspach 354
Antéchrist 355
Antèrc 357
Anthôine 357
Anthropologie 357
Anthropomorphisme 359
Antibes 361
Antidicomarianites "('>1
Antienne j 361
Antiliban, v. Liban.
Antilles 362
Aniinomisme 364
Antioche :;,;7
Antioche de Carie 369
Antioche de Pisidie 369
Antioche (Ecole d') 369
Antiochus (les)...' 376
Antipape :!7,i
Antipater, v. Rendes.
774 TABLE DES
Antiphonaire, v. Antienne,
Antitactes 377
Antitrinitaires 377
Antitype, v. Type.
Antoine (saint) 389
Antoine (Ordre de saint) 390
Antoine de Padoue 390
Antoine de Bourbon ,v. Bourbons.
Anton 391
Antonin le Pieux 391
Antonin (saint) 391
Anvers 392
Aod 392
Aoste 392
Apathie 394
Apelles 395
Aphek 395
Aphthartodocètes 396
Apion 396
Apocalypse ;:96
Apocalypses juives 407
Apocrisaire 411
Apocryphes de TA. T 412
Apocryphes du N. T 415
Apollinaire cTHiéra-polis 423
Apollinaire de Laodicée 423
Apolline (sainte) 424
Apollonius de Thyane 424
Apollonius 425
Apollos 425
Apologétique 426
Apostasie, Apostat 445
Apostolique (Age) 447
Apostolique 459
Apostoliques 459
Apôtres 460
Apôtres (Actes des), v. Actes.
Apôtres (Concile des) 464
Apôtres (Symbole des) 469
MATIÈRES
APPel 475
Appelants 4;g
Appenzell 478
APt 479
Aquaviva 480-
Aquila et Priscille 480
Aquila de Sinope 480
Aquila d'Augsbourg 481
Aquilée 482*
Arabes (Philosophie religieuse) 482
Arabie (Religion de F ancienne) 489
Arabie (le christianisme en) . . . 499
Arabie (statist. relig.) 501
Arabiens 50£
Arad 502
Aram, v. Syrie.
Arande (Michel d1) 502
Ararat... 503
Arbaleste (Charlotte) 504
Arbrissel 506
Arbussy 506
Arche de l'Alliance 507
Arche de Noé, v. Noê.
Archélaùs, v. Hérodes.
Archéologie biblique 508-
Archéologie chrétienne 514
Archer 521
Archevêque 521
Archidiacre 522
Archimandrite 522"
Archîppe 522
Archiprêtre 523
Architecture religieuse 523-
Architecture chrétienne 533
Archives 555
Archontiques 555
Arétas 556-
Argens 556
Argentine (République) 556-
Argob, v. Eauran .
Argovie 557
Ariani me 559
Arias (le Porc) 588
Àriel, v. Moab.
Arimathée 588
Aristarque 588
Aristée 588
Aristide 588
Aristobule, juif alexandrin 589
Aridobulelet II, v. Asmnnccns.
Aiï totélisme 589
Arlo: 592
Armée (chez les Hébreux) 593
Arménie (ancienne) 596
Arménie (les Eglises d1) 597
Arminianisme 599
Ar-Moab, v. Moab.
Arnaud Henri) 605
Arnauld de Brescia GOG
Ariiaukl (Antoine) 608
Arndt G10
Arno G12
Arnobe 613
AruoM Geoffroy) 013
Arnold ^Thomas) 014
Arnon 616
Arnoul. 017
Arnoux 017
Arocr 017
Arphaxad 017
Arra- 618
Arsène (saint) 018
LWBLE DES MATIÈRES
) Artois
Asa
Asapb
Asburv
An •'■ui' de Constantinople 618
Art chrétien 01. s
Artaxerxes 621
Artémon 021
Articles de loi 622
Articlesorganiques, \.<Concvrdat.
Ascalon
Ascension de J.-C
Ascétisme
Aschérah, v. Phénicie.
Asdod
Aséité
Aser
Asiarques
Asie
Asie-Mineure
Asile
Asima, v. Syrie.
Asiongaber
Asmodée
Asmonéens
Assassins
Assemani
Assemblées du clergé de France.
Assemblées du désert, v. Désert.
Asser
Assidéens, v. Çhasidim.
Associations catholiques
Assomption
Assuérus
Assur
Assyrie
Astaroth, v. Bosra.
Astarté, v. Phénicie.
Astier (Gabriel)
Astier (Jean-Pierre)
Astres (Culte des)
Astrologie, v.ScUfiu s occulti >.
Astronomie (chéries Hébreux).
Astruc
i Ataroth
623
624
624
024
625
625
028
033
633
034
034
035
030
637
038
039
639
640
G48
049
059
050
655
G57
057
057
668
668
008
670
071
071
776 TABLE DES
Atergatis, v. Berceto.
Athalie 672
Athanase 672
Athanase (Symbole d1) 078
Athéisme 681
Athénagore 688
Athènes (ancienne) 689
Athènes (moderne) 690
Athos 693
Atomisme 696
Attalie , 701
Atterbury •. 701
Atticus 701
Atton 1*702
Attributs de Dieu, v. Dieu.
Attrition
Aube
Auberlen ,
Aubertin
Aubery (Jacques) 704
Aubery (Benjamin) 704
Aubigné 707
Aubusson 711
Auch 711
Audiens 711
Audin 712
Audry 712
Auger 712
Augsbourg (Confession) 713
Augsbourg (Intérim) 716
Augsbourg (Paix) 717 1
Augures et Aruspices. 718
Augusti 719
Augustin (saint) 720
702
702
703
704
MATIÈRES
Augustin, le moine 740
Augustins (Ordre des) 740
Aumône 741
Aumônier 749
Aunis, v. La Rochelle.
Auran, Auranitide, v. Hauran.
Aurélien • 743
Auréole 743
Aurifaber 744
Australie, v. Oeéanie.
Autbert 744
Autel 744
Auto da fé 747
Autorité. 747
Autriche-Hongrie 751
Autun 756
Auvergne 757
Auxerre 758
Avares 759
Ave Maria 759
Avempace, v. Arabes.
Avent 759
Averroës, v. Arabes.
Avicebron 760
Avicenne, v. Arabes.
Avignon 761
Avila 763
Avis (Ordre d') 764
Avitus 764
Avranches 675
Aymon 765
Azaïs 767
Azarias, v. Ozias.
Azymites 767
/SCIENCES
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V STUDIES
La Bibliothèque
Université d'Ottawa
Échéance
The Library
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