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Full text of "Encyclopédie d'histoire naturelle; ou, Traité complet de cette science d'après les travaux des naturalistes les plus éminents de tous les pays et de toutes les époques: Buffon, Daubenton, Lacépède, G. Cuvier, F. Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire, Latreille, De Jussieu, Brongniart, etc. etc"

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ENCYCLOPÉDIE 


D'HISTOIRE NATURELLE 


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PARIS — IMPRIMERIE SIMON RAÇON ET C-, RUE D'ERFURTH, 4. 


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Chasse au Lion. 


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TRAITÉ COMPLET DE CETTE SCIENCE 
q apres 


LES TRAVAUX DES NATURALISTES LES PLUS ÉMINENTS DE TOUS LES PAYS ET DE TOUTES LES ÉPOQUES 


BUFFON, DAUBENTON, LAGEPEDE, 
G. CUVIER, F. CUVIER, GEOFFROY SAINT-HILAIRE, LATREILLE, DE JUSSIEU, 
BRONGNIART, erc., etc 


Ouvrage résumant les Observations des Auteurs anciens et comprenant toutes les Découvertes modernes 
Jusqu'à nos Jours. 
R 
PAR LE D' CHENU 
20 
CHIRURGIEN - MAJOR A L'HÔPITAL MILITAIRE DU VAI -DE-GRACE, 


PROFESSEUR D'HISTOIRE NATURELLE, 


CARNASSIERS 


Avec La collaboration de M. E. DESMAREST, préparateur d'Anntomie Comparee au Muséum 


ETC 


DEUXIEME PARTIE 


PARIS 
© CHEZ MARESCQ ET COMPAGNIE, 


ÉDITEURS DE L'ENCYCLOPÉDIF 


CHEZ GUSTAVE HAVARD 
| 
RUE DU PONT-DE-LODI (PRÈS LE PONT -NEUI 


LIBRAIRE, 
! 15, RUE 


GUENEGAUD (PRES LA MONNAIE) 


Nous terminons dans ce volume l'histoire des Mammnfères de lordre 
des CARNASSIERS ; c'est-à-dire que nous étudions une assez grande partie 
des genres de la famille des CARNIVORES, et plus spécialement de ceux des 
sous-familles des DIGITIGRADES et des AMPHIBIES. 

Dans les DIGITIGRADES nous compléions l'étude de la tribu des Viver- 
RIENS, el nous donnons l’histoire des Canrexs, HYÉNIENS et FÉLIENS, et dans 
les AMPHIBIES nous faisons connaître les tribus des Procipés et des Tri- 
CHÉCHIDÉS 

D'après cela, ce volume ne comprend qu'un assez petit nombre de grands 
genres naturels, tels que ceux des Civelte, Chien, Hyène, Chat, Lynx, Phoque, 
Morse, ele.; mais, en revanche, chacun de ces groupes sont des plus impor- 


lants par les nombreuses et intéressantes espèces qu'ils renferment. C'est ce 


qui nous à engagés à nous étendre longuement sur chacun de ses genres et à 
décrire presque toutes les espèces qui sont placées dans chacun d'eux. 
Comme dans le volume précédent, nous ne nous sommes pas bornés à donner 
l’histoire purement zoologique des animaux que nous décrivions; nous avons 
cherché à indiquer les points les plus saillants de leur anatomie, nous avons 
aussi donné de nombreux détails sur leurs mœurs, et nous avons eité ce que 
l'on sait sur les fossiles, tant des espèces encore aujourd'hui existantes que de 
celles beaucoup plus nombreuses et souvent si remarquables dont on ne re- 


trouve plus les analogues. 


Paris, 31 mars 1853 


AVIS AU RELIEUR 


Les planches tirées hors texte sont au nombre de quarante. Chaque planche doit être placée en 
regard de la page indiquée. 


Pages Pages 
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0112 91 | — 49 255 
17 96 — 258 
14 105 — 54 269 
— 15 11 — 5 269 
— 16 119 —  % 274 
— 17 150 — 57 si 281 
= 5 137 — 358 271 
— 19 145 sh EN) 305 
— 20 152 7) 307 


Lionne et ses petits 


Pl 


CARNASSIERS. 


(Deuxième partie.) 


TROISIÈME FAMILLE. — CARNIVORES. 


DEUXIÈME SOUS-FAMILLE. — DIGITIGRADES. 
(Suite.) 


DEUXIÈME TRIBU. — VIVERRIENS. 


(Suite ) 


Que GENRE. — CRYPTOPROCTE. CRYPTOPROCTA. E. Bennett, 1832. 
Proceedings of the zoological Society of London. 


KeuTrcs, caché; FeWXTOS, anus 


CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 


Système dentaire assez semblable à celui des Viverriens, mais n'ayant pu être étudié que sur un 
jeune sujeL. 


{ 2 1 


9 HISTOIRE NATURELLE. 


Tête, par la courbure de son chanfrein, ayant les plus grands rapports avec celle des Chats et 
à museau un peu allongé. 

Allure des Chats. 

Membres épais, assez courts. 

Ongles rétractiles. 

Queue assez longue. 

Poche anale développée, cachant en grande partie l'anus. 

Cœcum long de près de 0",03. 


M. E. Bennett, d’après un Carnassier qui lui avait été envoyé de la partie sud de Madagascar par 
M. Telfair, résidant à Maurice, a décrit le genre Cryptoprocta, qui malheureusement n'est connu 
que par un sujet non adulte et qui présente des caractères qui viennent lier intimement ensemble 
les Viverriens aux Féliens. Le naturel du Cryptoprocte, au dire de M. Telfair, qui a pu l'observer 
vivant pendant quelques mois, est très-farouche; sa force musculaire et sa légèreté sont des plus 
remarquables, et sa carnivorité est au moins aussi grande que celle des Chats. Les glandes qu'il 
présente en bas de l'anus lui ont valu le nom qu'il porte. 

Le crâne d'un jeune individu du Cryptoprocta ferex a été décrit par M. E. Bennett, et depuis, en 
France, par M. Paul Gervais dans le Dictionnaire universel d'Histoire naturelle, 3846, ainsi que 
par De Blainville, dans son Ostéographie, fascicule des Viverras, 1841. Ce crâne a 0",08 de lon- 
gueur; il est un peu plus allongé que celui du Chat dans sa partie faciale, par suite surtout de l'al- 
longement des frontaux et des maxillaires; son chanfrein est plus large que dans les Civettes, moins 
bombé que chez les Chats et pourvu d’une apophyse postorbitaire assez marquée; de même que 
chez les Viverriens, l'apophyse orbitaire ou zygomatique est à peu près nulle, contrairement à ce que 
présentent les Mangoustes, et le trou sous-orbitaire est ovalaire, transverse. L'échancrure palatine 
est en upsilon, comme dans beaucoup de Chats, et la caisse auditive un peu moins renflée que dans 
ces animaux, mais moins allongée. La boite cranienne a l'ampleur qui caractérise les Felis d'une 
manière générale. 

Le système dentaire a été étudié par les mêmes zoologistes qui ont étudié quelques points de leur 
ostéologie; M. Paul Gervais s'exprime ainsi à ce sujet : « La dentition, dans le sujet unique que j'ai 
pu étudier, est encore imparfaite et comprend les dents de lait, plus la première avant-molaire 
d'adulte supérieurement et inférieurement. Les incisives sont simples, l'externe étant la plus grosse 
el pourvue d’un petit talon postérieur. Les canines, sans doute de remplacement comme les inci- 
sives, ne sont pas entièrement sorties. Quant aux molaires, celles d'adulte (une seule pairé en haut 
et en bas) sont gemmiformes et à une seule racine. [l y a trois dents molaires de lait comme dans la 
plus grande majorité des Carnassiers : une avant-molaire, une principale et une arrière-molaire, et 
cette formule est aussi bien celle de la mâchoire inférieure que de la supérieure. L'avant-molaire a 
deux racines, et sa couronne est bilobée. La principale est comprimée, a trois lobes supérieurement, 
sans talon antérieur interne, comme on le voit chez les Chats, inférieurement elle a trois dentieules, 
dont le médian surpasse les deux autres en hauteur; son talon postérieur est très-petit et manque 
des pointes qu'on lui voit chez les Genettes. L'arrière-molaire supérieure est régulièrement prisma- 
tique, de même grandeur que celle des Chats; l’inférieure est aussi parfaitement semblable à celle 
de ces animaux, et bien différente de celle des Viverriens en général; elle n'en a ni le talon élargi, 
ni les trois pointes rangées en triangle; elle est au contraire comprimée, à deux denticules considé- 
rables, dont l'interne tronqué en avant et le second surmonté d’un très-petit tubercule à son bord 
postérieur, et avec un talon aussi petit que celui des Chats de même âge ou des [yènes ta- 
chetées. 

« Le Cryptoprocte est done dans son jeune âge un Viverrien à dents de Chat, sauf le nombre un 
peu plus considérable, et il est très-probable qu'à l’état adulte la forme de ses dents présente en- 
core une grande analogie avee celle de ces animaux. On doit en conclure que ses habitudes sont 
aussi sanguinaires que les leurs, et c'est ce que dénote également sa physionomie générale. On 
pourrait peut-être dire que le Cryptoprocte est intermédiaire aux Viverriens et aux Féliens, comme 
le Bassaris l'est aux Mustéliens et aux Viverriens; » et nous ajouterons l'Euplère aux [nsectivores et 
aux Viverriens,. 


CARNASSIERS. 5 


M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire fait remarquer que la description courte, mais précise que donne 
M.E. Bennett du Cryptoprocte suffit pour montrer un animal très-différent des Galidies. Outre la 
grandeur de ses oreilles, la forme de sa tête et quelques autres caractères de moindre importance, le 
Cryptoprocte a, comme les Paradoxures, des doigts courts, presque inégaux entre eux, réunis dans 
une très-grande partie de leur longueur et terminés aux quatre extrémités, principalemeu: en avant, 
par des ongles très-rétractiles, acérés, aigus et courts, très-comparables à ceux des Chats; tandis que 
les doigts des Galidies, beaucoup plus libres que ceux des Mangoustes, sont très-inégaux et ter- 
minés, surtout en avant, par des ongles longs et peu recourbés, qui, bien qu’assez aigus à leur 
terminaison, ne sont nullement comparables aux griffes des Paradoxures et des Chats. 

L'espèce unique de ce genre est: 


CRYPTOPROCTE FÉROCE. CRYPTOPROCTA FEROX. KE. Bennett 


Caracrères spéciriques. — Pelage d’une couleur générale roussâtre, rappelant celle de plusieurs 
Chats et de l’Euplère. Longueur de la tête et du corps, 0,25; de la queue, 0",30. 

M. E. Bennett pensait que cette espèce était la même que l'animal nommé Paradoæurus aureus 
par Fr. Cuvier, mais l'examen du crâne a dissipé tous les doutes à cet égard et a montré que ces deux 
animaux sont différents. 

Le Cryptoprocte habite la partie sud de l'ile de Madagascar 


10e GENRE. — SURICATE. SURICATA. À. G. Desmarest, 1806. 


Dictionnaire d'Histoire naturelle édité par Deterville, t. XXIV. 


Nom spécifique transporté au groupe générique 


CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 


Système dentaire . incisives, À; canines, }=j; molaires, £=i: en totalité quarante dents. La 
deuxième incisive de chaque côté est un peu rentrée. Les canines sont fortes. Les molaires supé- 
rieures se subdivisent en trois fausses molaires : une carnussière, avec un talon intérieur, et deux 
petites tuberculeuses; les molaires inférieures présentent quatre fausses molaires : une carnassière 
semblable à celle d'en haut, et une seule tuberculeuse. 

Corps allongé. 

Museau pointu, long, en forme de boutoir mobile 

Oreilles petites, arrondies. 

Yeux médiocrement ouverts. 

Langue couverte de papilles cornées. 

Pieds de devant et de derrière à quatre doigts. 

Ongles arqués, robustes. 

Queue assez longue, pointue, plus grêle que celle des Mangoustes. 

Poche anale assez semblable à celle des Mangoustes. 

Pelage composé de poils annelés de différentes teintes 


Ce genre a été créé pas À. G. Desmarest, en 1806, dans le tome XXIV du Dictionnaire d'Histoire 
naturelle édité par Deterville, pour une espèce indiquée précédemment par Linné sous le nom de 
Viverra tetradactyla, et que l'on avait placée avec les Mangoustes. Illiger, en 4811, dans son 
Prodroma systematica Manunalaun et Avium, à changé la dénomination de Suricata en celle de 
Ryzcœna, qui, malgré toutes les règles de la priorité, est adoptée par quelques zoologistes. 

Le squelette des Suricates a été étudié; d'après De Blainville, il offre encore, dans la partie 
troncale, le même nombre d’os que la Mangouste d'Égypte, sauf à la queue, où les vertèbres sont au 


4 HISTOIRE NATURELLE. 


nombre de vingt-deux; mais, aux deux paires de membres, qui sont plus digitigrades que dans les 
Mangoustes, le pouce manque presque complétement. La tête est remarquable par sa brièveté, qui 
rappelle celle des Chats, et par son cadre orbitaire complet. Aux membres antérieurs, l'omoplate 
ressemble à celle de la Fouine; l’humérus, étant à peu près dans les mêmes proportions que celui de 
cet animal, est terminé inférieurement par une poulie simple avec un seul trou au condyle interne; le 
radius et le eubitus sont plus longs, plus serrés et plus grêles que dans les Civettes; à la main, les 
os du carpe sont à peu près disposés comme dans la Mangouste, si ce n'est le trapèze; les métacar- 
piens sont peu allongés, et les phalanges courtes, sauf, toutefois, les dernières. Les membres pos- 
térieurs sont courts et grèêles, surtout dans le fémur; le pied est aussi long que le tibia; les métatar- 
siens sont très-allongés; les phalanges sont comprimées, grêles, et l'onguéale plus courte et plus 
étroite; pour le pouce, quoique le premier cunéiforme existe bien complet et même encore assez fort, 
il ne porte qu'un rudiment du premier métarsien, mais sans trace de phalange. 


Fig. 4. — Suricate mâle 


Quant au système dentaire, d'après De Blainville, le nombre des molaires est quelquefois réduit à 
quatre en haut et à cinq en bas par l'absence de la première avant-molaire aux deux mâchoires, et de 
la dernière avant-molaire d'en haut. Mais le plus ordinairement celle-ci existe comme dans le Hon- 
gos. Les principales sont, en outre, bien plus raccourcies, au point que la supérieure ressemble 
presque tout à fait à la première arrière-molaire de cette mâchoire, et que l'inférieure diffère à peine 
des deux arrière-molaires, elles-mêmes presque semblables, 

La seule espèce de ce genre est : 


SURICATE DU CAP. SURICATA CAPENSIS A. G. Desmarest 


CarAGTÈRES spÉcIrIQUES. — Pelage mêlé de brun, de blane, de jaunâtre et de noir; le dessous du 
corps et les quatre membres jaunes; la queue noire à son extrémité; le nez, le tour des veux et des 
oreilles, ainsi que le chanfrein, bruns; les ongles noirs. Longueur de la tête et du Corps 1035: 
celle de la queue à peu près semblable. 


Cet animal est le Suricare de Buffon, le Zenier pu Cap de Sonnerat, le Suricare pu Car ou Suni- 
CATE VIVERRIN de la plupart des auteurs. Linné lui appliquait le nom de Viverra tetradactyla, et 
Gmelin celui de Viverra xenick; À. G. Desmarest l'a nommé Suricata Capensis, et Hliger, Rysæna 
tetradactyla. 

R Le Suricate habite les environs du cap de Bonne-Espérance, principalement sur les bords du lac 
Fschad, et c'est par suite d'une erreur, qui a été reconnue depuis longtemps, que Buffon lui don- 
nait l'Amérique méridionale pour patrie. 

| On ne sait à peu près rien sur ses habitudes naturelles; on suppose seulement qu'elles ont de 
l'analogie avec celles des Mangoustes. Buffon a observé un Suricate en captivité; e’était un animal 


CARNASSIERS. 5 


L 2 
adroit, d’un caractère gai; il aimait la viande, le Poisson, le lait et les œufs; il refusait le pain et 
les fruits, à moins qu'ils n’eussent été mâchés, et ne buvait que de l’eau tiède, à laquelle il préfé- 
rait son urine, malgré l'odeur forte et désagréable qu'elle répandait; il était frileux; sa voix était 
semblable à l'aboiement d'un jeune Chien, et quelquefois au bruit d'une crécelle 4ournée rapide- 
ment; souvent il grattait la terre avec ses pattes. 


Fig. 2. — Suricate femelle. 


Fr. Cuvier a eu aussi l’occasion d'étudier vivant, dans la ménagerie du Muséum d'Histoire natu- 
relle de Paris, un individu de cette espèce; il a remarqué qu'il avait l'odorat très-fin; sa nourriture 
se composait de chair, de lait et de fruits sucrés; il buvait en lapant; ses habitudes avaient du rap- 
port avec celles des Chats, mais il semblait être plus susceptible d'attachement que ne le sont la 
plupart des espèces sauvages de ce dernier genre. 


11% GENRE. — CIVETTE. VIVERRA. Linné, 1755. 
Systema nature. 


Viverra, nom appliqué anciennement à la Civette. 


CARACTERES GÉNERIQUES 


Système dentaire : incisives, À; canines, 1=\; molaires, 5-5; en totalité quarante dents; inci- 
sives inférieures placées sur une même ligne; canines assez fortes; molaires supérieures consistant, 
de chaque côté, en trois fausses molaires un peu coniques, comprimées : une carnassière grande, 
tranchante, aiguë, presque tricuspide, et deux tuberculeuses; molaires inférieures présentant 
quatre fausses molaires, une carnassière forte, bicuspide, et une seule tuberculeuse très-large. 

Corps allongé. 

Tête longue. 

Museau pointu. 

Nez terminé par un mufle assez large, à narines grandes, percées sur les côtés. 

Pupilles se contractant sur une ligne droite. 

Langue couverte de papilles cornées. 


G HISTOIRE NATURELLE. ps 


Oreilles moyennes, arrondies, droites 

Pieds pentadactyles, à doigts séparés. 

Ongles à demi rétractiles. 

Queue lonque, couverte de poils. 

Poche plus ou moins profonde, où simplement ün enfoncement de la peau, près de l'anus, renfer- 
mant, dans quelques espèces, une matière grasse très-odorante. 

Pelage assez doux, marqué de bandes longitudinales ou de taches plus colorées que le fond. 

Cœcum petit 


Le mot Civette est d'origine arabe, et depuis longtemps il est usité en Europe pour indiquer une 
substance odorante comparable au muse, et il désigne aussi l'animal qui produit ce parfum. Dans la 
nomenclature scientifique, les zoologistes l'ont souvent étendu à un certain nombre d'espèces de 
Mammifères plus ou moins semblables à la Civette; Linné leur a donné le nom générique de Viverra, 
qui à été lui-même transformé en celui de Viverriens lorsqu'on a eu créé plusieurs groupes dans ce 
genre, et qu'on en à fait ainsi une tribu particulière. Quoique les Viverra soient exclusivement de 
l'ancien monde, les Grecs et les Romains étaient loin d'en connaître un grand nombre d'espèces; à 
part la vraie Civette, l'Ichneumon où Mangouste d'Égypte, et peut être la Genette, les autres n'avaient 
pas encore été observés de leur temps. Si Pline emploie la dénomination de Viverra, il est bien cer- 
tain que ce n’est pas pour une des espèces du groupe qui porte ce nom aujourd'hui. Belon est le pre- 
mier, au seizième siècle, qui se soit servi du nom de Civetta; d'après Ruell, le mème animal portait 
chez les Grecs celui de Zapetion, et, selon M. Dureau De La Malle, il avait plutôt, de même que 
plusieurs Mustéliens, celui de ra. On croit que la petite Panthère d'Oppien et des Grecs était la 
Genette 


De nos jours, l'ancien genre Viverra ou Civette est partagé Ini-:même en un assez grand nombre de 
coupes génériques, toutes de l'ancien continent, et dont les espèces sont répandues en Asie, en 
Afrique et à Madagascar. Plusieurs de ces genres, qui constituent notre tribu des Viverriens presque 
tout entière, ont déjà été étudiés; 1l ne nous reste plus qu'à parler des Civettes proprement dites, 
ainsi que des subdivisions qu'on y a formées, telles que celles des Civettes, Genettes, Priono- 
dontes, qu'on regarde comme en étant généralement distinctes. Enfin, nous devrons dire quelques 
mots des Viverra fossiles, et nous terminons l'histoire de cette tribu par la description du genre 
Cynictis, qu'on en a rapproché, et qui, jusqu'ici, n'est pas complétement connu. 

Le squelette de l'espèce type de ce genre, la Civerre (Viverra civetta), est bien connu, et De 
Blainville, qui l'a pris pour type de sa division principale des Viverra, l'a décrit avec soin; aussi 
croyons-nous devoir lui emprunter la plupart des détails qui vont suivre, La nature, la dispo- 
sition et le nombre des os qui constituent ce squelette sont à peu près semblables à ce qui se 
présente dans la Fouine, type du groupe des Mustéliens, et les différences ne portent guère que 


CARNASSIERS. 7 


sur quelques particularités de proportion ou de forme. Le nombre des vertèbres est de cinquante- 
trois : quatre céphaliques, sept cervicales, quatorze dorsales, six lombaires, trois sacrées et dix- 
neuf coccygiennes, disposées de manière à former les courbures normales. Les vertèbres céphaliques 
sont plus longues, plus étroites, moins élargies et moins déprimées que daus les Martes. L'angle fa- 
cial est moins ouvert. La tête en totalité est étroite, allongée, un peu arquée dans la ligne sincipi- 
tale, quelquefois avec une courbure assez marquée, suivant que le front à été soulevé par l'agran- 
dissement des fosses nasales et que la crête sagittale a été plus développée, presque droite, mais 
assez canaliculée dans la ligne basilaire. La cavité cérébrale est d’un ovale allongé. La mâchoire in- 
férieure est médiocrement allongée, quoique bien plus que dans la Fouine. Aux vertèbres cervicales, 
les apophyses transverses de l'atlas sont proportionnellement plus étendues, plus arquées au bord 
antérieur que dans la Fouine. L'apophyse épineuse de l'axis est convexe, assez avancée. Il y a aussi 
quelques différences dans les vertèbres dorsales. Les vertèbres lombaires, augmentant peu rapidement 
de la première à la dernière, ressemblent, sauf la grandeur, à ce qu'elles sont dans les Mustéliens. 
Le sacrum est dans le même cas, et les apophyses épineuses des vertèbres qui le constituent sont bien 
plus élevées. Les quatre premières vertèbres coceygiennes sont seules pourvues d’une apophyse trans- 
verse; les autres sont toutes médiocrement allongées, presque à six angles. L'hyoïde offre un corps 
transverse, étroit, peu ou point arqué. Le sternum, assez robuste, est formé de huit pièces médio- 
crement allongées, à coupe tétragonale. Les côtes sont au nombre de quatorze paires, moins com- 
primées que celles des Martes, un peu plus larges, moins tordues. Le thorax est assez comprimé, 
plus ouvert en arrière que dans la Fouine, et par conséquent moins vermiforme. Les membres, en- 
core assez courts, sont néanmoins un peu plus allongés et plus robustes que ceux des Mustéliens. 
Aux membres antérieurs : l'omoplate est plus longue, plus étroite et proportionnellement moins 
large que dans les Martes; la clavicule n'existe qu'à l’état rudimentaire et se présente comme ur 
filet cartilagineux; l'humérus est assez court, à peine plus long que l'omoplate; on y remarque deux 
trous, l'un au condyle interne et l'autre au-dessus de la poulie articulaire; le radius égale presque 
l'humérus en longueur, il est très-arqué; le radius est parallèle à ce dernier os; le carpe, le méta- 
carpe et les deux premières phalanges sont dans les proportions de ces parties dans la Fouine; le 
pouce est notablement plus petit, plus grêle, plus court, et les phalanges onguéales sont également 
plus petites, moins comprimées, plus droites et moins aiguës à leur pointe. Les membres posté- 
rieurs, dans leurconformation, semblent se rapprocher de ceux des Chiens, plus même que de ceux des 
Mustéliens; le bassin, en totalité, est assez court; le fémur, d'un quart plus long que l'humérus, est 
tout à fait droit, cylindrique dans son corps, assez peu élargi supérieurement, et l'étant au contraire 
beaucoup inférieurement; le tibia et le péroné ressemblent davantage à ce qu’ils sont dans les Mus- 
téliens; le tarse est aussi long que le métatarse, et celui-ci l'est plus que les phalanges, de manière 
à pouvoir être comparé à ce qu'il est dans les derniers Carnassiers. La rotule est plus étroite et plus 
épaisse que dans les autres Viverriens. L’os du pénis, assez court et gros, ressemble à une petite 
phalange obtuse et comme fendue transversalement à l'extrémité postérieure, élargie et bicorne à 
l'autre. 

Des différences ostéologiques asseznotables se remarquent chez certaines espèces de ce groupe, dont 
on a fait des subdivisions particulières; nous signalerons seulement celles des Zibeths et des Genettes. 
La tête osseuse de cette première espèce ne se distingue toutefois de celle des Civettes qu'en ce qu’elle 
est en général plus étroite, plus grêle dans toutes ses parties, et surtout dans l'étranglement postorbi- 
taire et dans le canal rétro-palatin; l'arcade zygomatique est plus large; et, en outre, un fait singulier, 
c'est qu'il n'y a pas de trou au condyle interne de l'humérus. Dans la seconde espèce, c’est-à-dire dans 
la Genette, le tronc est en général plus allongé que dans la Civette, par suite d’un plus grand nombre 
de vertèbres qui le constitue; la tête participe de cet allongement général aussi bien au crâne qu'à 
la face; il y a un trou au condyle interne de l'humérus; quelques particularités de peu d'importance 
se remarquent aussi dans certaines autres parties du squelette, et il en est de même, relativement 
aux proportions des os dans diverses espèces de la subdivision des Genettes; nous dirons seule- 
ment en terminant ce sujet que la Zibeth offre un os du pénis assez semblable à celui de la Givette, 
et qu'on n'en à pas trouvé de traces dans deux espèces de Genettes. 

C'est dans l'espèce typique de ce groupe naturel que l’un de nous a eu occasion de signaler un 
exemple de pathologie ostéologique des plus curieux en ce que peu de faits semblables ont été si- 


8 HISTOIRE NATURELLE. 


gnalés jusqu'ici chez les animaux ; aussi croyons-nous devoir donner en note un extrait de ce 
travail (1). 

Le système dentaire a été étudié par De Blainville. Dans la Civette, les incisives ne présentent que 
d'assez légères différences avec ce qu'elles sont chez les autres Carnassiers; elles sont en général 
moins transversalement terminales que dans les Mustéliens, et plus que dans les Chiens, mais moins 
lobées à leur tranchant. Les canines sont aussi un peu plus grêles, moins robustes, moins en cro- 
chet que dans les Chiens et même que les Mustéliens; elles sont aussi tout à fait lisses Les avant- 
molaires, tant d'en haut que d'en bas, rappellent très-bien pour la forme et la proportion celle des 
Martes; la carnassière d'en haut est moins earnassière; les arrière-molaires des deux mâchoires ont 
des formes plus particulières. Les racines sont en rapport de grosseur, de forme et de proportion 
avec les particularités de la couronne, c’est-à-dire que lorsque celle-ci est simple, celle-là l'est aussi, 
et qu'au contraire elle se complique avec elle. Les incisives, les canines et ‘souvent les premières 
avant-molaires n’ont qu'une racine; les deuxième et troisième avant-molaires en ont deux; enfin les 
autres molaires peuvent en avoir trois. Les alvéoles traduisent très-exactement le nombre, la forme 
et la disposition des racines. Outre ces détails, on a signalé quelques particularités différentielles 
dans le squelette du Zibeth et de différentes espèces de Genettes; mais nous ne croyons pas devoir 
nous étendre davantage sur ce sujet. 

Les paléontologistes ont étudié des débris fossiles de plusieurs espèces du groupe naturel des 
Civettes; nous nous en occuperons en donnant les caractéristiques spécifiques. 

Avant de parler des espèces de Civettes, il nous reste à dire quelques mots de la matière grasse, 
très-odorante que ces animaux produisent, et nous croyons devoir copier à ce sujet ce qu'en rap- 
porte M. Paul Gervais dans le come Il" du Dictionnaire universel d'Histoire naturelle. « La matière 
odorante que sécrètent les espèces de Fiverra présente par son abondance un des caractères de ce 
genre, et l'organe qui le fournit est plus développé dans les Civettes que dans les Genettes. Entre 
l'anus et les organes de la reproduction, dans le mâle comme dans la femelle, on remarque ure 
fente longitudinale conduisant dans deux cavités qui semblent être des replis d'un scrotum compa- 
rable à ce que présente souvent l’hermaphrodisme. L'intérieur en est plus ou moins velu et percé 
d'une infinité de pores communiquant avec autant de follicules mucipares. La matière odorante est 
versée par ces dernières, et, suivant l'âge de l'animal, son sexe et l'époque de l’année, elle est plus 
ou moins abondante. De tout temps cette matière a été un objet de commerce à cause de son emploi 
pour la toilette et en médecine. Une grande partie de l'Afrique intertropieale, et même l'Inde, nous 


(4) Sur plusieurs parties du squelette d’une Civette que j'ai montré à la Société de Biologie, on peut voir que les 
os présentent des érosions très-marquées. La tête est principalement remarquable par la généralité de l'affection des 
os du crâne et de la face : presque tous les os sont détruits en grande partie par la maladie; ceux du nez sont même 
presque entièrement perlorés; l’arcade zygomatique et les parties qui avoisinent le trou occipital offrent des traces ap- 
parentes de destruction, ainsi que l'arlicuiation des deux branches de la mâchoire inférieure, L'intérieur du crâne, 
ainsi que j'ai pu m'en assurer par l'ouverture formée pour enlever le cerveau, ne semble pas anormal, et il paraîl en être 
de même tes fosses nasales : le sphénoïde est intact. La colonne vertébrale, à l'exception de l’atlas et de l’axis, qui sont 
usés par la maladie et troués en divers endroits, est à peu près dans l’état normal. Les membres ne sont pistrès-attaqués 
par l'affection pathologique ; toutefois le tissu d’une des omoplates et du bassin est érodé, et l'on peut voir des perfora- 
Lions sur le premier de ces deux os; l’autre omoplate, qui est déformée, est soudée avec l'humérus : enfin l'on voit des 
caries sur la plupart des os longs Le sternum est ézalement difforme; mais cette dernière observation est peu impor- 
tante, car elle se remarque très-souvent chez les Mammifères. Le système dentaire est parfai ement intact; les dents sont 
bien conservées el ne présentent aucune trace pathologique. Le cerveau, que J'ai observé à l'extérieur seulement, et com- 
paralivement avec le cerveau d'une Civette normale, ne m'a pas présenté de différences appréciables. 

Je n'ai malheureusement pas étudié d'une manière complète la maladie qui a exusé la mort de la Civette d’où provient 
ce squelette; toutelois je Lrouve dans mes notes que ce Mammifère est mort à la suite d’une paralysie et que sa tête était 
couverte de nombreux abcès, mais je ne veux étiblir en rien le rapport qu’il peut y avoir entre ces affections et l'état pa- 
thologique des os. La cause de la maladie qui a produit l'altération que je viens de décrire est probablement due à l'hu- 
midité du lieu qu'habitait la Civette, Quoi qu'il en soit, j'ai souvent vu, dans les os d'un assez grand nombre de Mammilè- 
res morts à la ménagerie du Muséum, des cas pathologiques de même nature, cependant moins généraux, et ayant surtout 
une gravité beaucoup moindre que celui que je signale, Les animaux du groupe des Didelphes principalement, ont leurs 
us presque constamment attaqués. 

L'animal qui présente cette grave affection à vécu environ quatre ans à la ménagerie du Muséum ; 11 était très-adulte et 
avail été donné par M. le docteur Clot-Bey, qui l'avait apporté d'Égypte. La tête à éLE préparée et se trouve dans la sa- 
lerie d'Anatomie comparée du Muséum d'histoire naturelle de Paris. (E. Desmanesr, Revue zoologique, 1849.) ; 


CARNASSIERS. 9 


l'envoyait anciennement par la voie d'Alexandrie et de Venise. Depuis, on l'a encore obtenue par le 
Sénégal et par les relations des Hollandais avec l'archipel indien. [l paraît même qu'on avait amené 
en Hollande des Civettes indiennes ou Zibeths pour les conserver en vie et en recueillir leur matièr 

odorante. Cette sorte de captivité des Civettes est d'usage dans quelques parties de l'Ethiopie, 
mais c’est une véritable captivité et non une domestication. Le caractère farouche et irascible des 
Civettes ne le permet pas autrement. On les tient en cage et on vide leur poche avec une cuiller, en 
ayant soin, dans quelques endroits, d'y introduire préalablement un peu de substance onctueuse ou 
même des sucs végétaux qui, se mélant à la matière sécrétée, en augmentent la quantité. La civette du 
commerce est donc très-souvent falsifiée, et, du temps de Buffon, on préférait celle d'Amsterdam, 
comme préparée par les parfumeurs eux-mêmes. En Afrique, où l'extraction se répète deux ou trois 
fois par semaine, la quantité d'humeur odorante dépend de la qualité de la nourriture et de cer- 
taines dispositions de l'animal; il en rend d'autant plus qu'il est mieux et plus délicatement nourri. 
Buffon donne à ce sujet tous les détails désirables. L'analyse de la civette, faite par M. Boutron- 
Charlard, a fourni les produits suivants : ammoniaque, élaine, stéarine, mucus, résine, huile vola- 
tile, matière colorante jaune et quelques sels. Gette substance, autrefois très-vantée en médecine, 
v’est plus employée aujourd'hui qu’en parfumerie. C'est toutefois un stimulant et un antispasmo- 
dique énergique. Elle a une grande analogie avec le musc: elle est également très-persistante. 
Des peaux de CGivettes sentent encore leur odeur longtemps après avoir été préparées, et le sque- 
lette lui-même en reste imprégné malgré les lavages nombreux auxquels on le soumet en le pré- 
parant. » 

En décrivant les espèces, nous donnerons des détails sur les mœurs de ces animaux tant à l'état 
de liberté qu’à celui de captivité. 

Nous citerons comme sous-genres les Civettes proprement dites, les Gencttes et les Prionodontes 
ou Linsangs, qui tous sont souvent regardés comme étant des genres particuliers. Nous ne parlerons 
pas des divisions formées dans ce genre et qui n’ont pas été adoptées, telles que celles des Viverri- 
cula (diminutif de Virerra), Hodgson (Ann. of nat. Hist., 1858), et Osmetectis, Gray (Ann. nat. 
Hist., 1849), ainsi que de quelques groupes de fossiles comme celui des Palænictis (raaxe:, ancien; 
“re, Belette), De Blainville (Ostéographie, 1841). 


17 SOUS-GENRE. — CIVETTES PROPREMENT DITES. VIVERRA G. Cuvier, 1800 


Leçons d'anatomie comparée. 


CARACTÈRES DISTINCTIFS 


Poche profonde, située entre l'anus et les organes de la génération, et divisée en deux sacs, se 
remplissant d'une sorte de matière onctueuse ayant une forte odeur de muse. 

Ongles à demi rétractiles. 

Pupille verticale. 


Ce sous-genre, qui a reçu d'Étienne Geoffroy Saint-Hilaire la dénomination latine de Civetta, 
adoptée par Lesson dans son Nouveau Tableau du Règne animal, Mammifères, 1842, renferme 
sept espèces, dont deux seulement sont parfaitement connues, tandis que les autres n'ont été indi- 
quées que par des phrases diagnostiques. 


1 CIVETTE. VIVERRA CIVETTA. Linné 


CaracTÈrEs srÉciriQuEs. — Pelage gris, marqué de taches et de bandes brunes ou noirâtres; une 
crinière tout le long du dos; queue moins longue que le corps, entièrement colorée en brun. La lon- 
sueur totale de la tête et du corps est de 0",65; de la queue, de 0,43. 

ct? pl 


10 HISTOIRE NATURELLE 


Cette espèce, qui a été décrite par Belon et par Buffon, habite plusieurs contrées de l'Afrique, et 
priacipalement l'Abyssinie. 

Ses mœurs sont peu connues à l’état libre. La Civette est cependant nocturne, et, par son organi- 
sation, fait le passage des Martes aux Chats. Elle vit de chasse, poursuit et surprend les petits ani- 
maux, surtout les Oiseaux. Elle cherche à entrer dans les basses-cours, comme le Renard, pour em- 
porter les volailles, Elle préfère les endroits sablonneux et les montagnes arides. Son cri ressemble 
à celui d’un Uhien en colère. La Civette, ainsi que l'espèce qui va suivre, le Zibeth, ne sont pas très- 
rares dans les ménageries, où ils conservent leur mauvais naturel. Ce sont des animaux à pupilles 
verticales, et chez qui la colère fait à peu près seule diversion à une somnolence habituelle. Comme 
on ne les débarrasse pas de leur matière odorante, elles en laissent quelquefois tomber des frag- 
ments, et l'odeur qu'elles répandent est toujours très-forte, et l’on peut encore l’augmenter en les 
agaçant. Une Civette a mis bas à la ménagerie du Muséum d'Histoire naturelle de Paris, mais ses 
petits, au nombre de trois, n'ont pu être élevés. En Afrique, on la conserve en domesticité pour en 
obtenir la matière grasse qu'elle produit. 


2. ZIBETH. VIVERRA ZIBETHA. Linné. 


CARAGTÈRES SsrÉCIFIQUES. — Pelage gris, nuancé de brun disposé en bandes transversales sur les 
jambes; gorge blanche, avec deux bandes noires de chaque côté; point de crinière; queue longue, 
couverte de poils courts, annelée de noir. De taille un peu plus élevée que celle de l'espèce précé- 
dente, et ayant à peu près les mêmes mesures en longueur. 


Cette espèce est le Zirerx de Buffon et le Musc de Lapeyronie; on doit probablement lui rapporter 
aussi le Viverra Ceylonica, Pallas et la Martes Philippensis, Camilli, ainsi que diverses des espèces 
que nous citerons dans ce sous-genre, et qui n’en sont probablement que de simples variétés. 

Voici comment Fr. Cuvier expose comparativement les caractères des deux espèces que nous ve- 
nons d'étudier : « Le Zibeth a le corps presque généralement couvert de taches noires, petites et 
rondes sur un fond gris teint de brun dans quelques parties. La Civette a sur un fond gris des 
bandes transversales, étroites et parallèles l'une à l’autre sur les épaules, plus larges sur les côtés 
du corps et les cuisses, et quelquefois assez rapprochées et contournées pour former des taches 
œillées. Huit ou dix anneaux noir-brun couvrent la queue du Zibeth, et quatre ou cinq seulement 
celle de la Civette, dont l'extrémité, sur une longueur de 0",16, est entièrement noire, tandis que 
l'extrémité noire de celle du Zibeth en a à peine 0,05. Celui-ci a sur les côtés du cou quatre bandes 
noires sur un fond blanc. La Civette a aussi le cou blanc avec des bandes noires, mais celles-ci se 
réduisent à trois. Le Zibeth a sous les yeux une tache blanche, et son museau est gris. La Civette a 
cette partie de la tête entièrement noire, excepté la lèvre supérieure, qui est blanche; elle n’a au- 
cune tache sous l'œil. En général, il y a plus de brun chez le Zibeth que chez la Givette, où les 
teintes sont plus blanches. La crinière dorsale de la Civette est beaucoup plus forte que celle du 
Zibeth, et son pelage est en général plus rude par suite de la roideur des poils soyeux. » 

Le Zibeth vit dans l'archipel indien, à Sumatra, à Bornéo, à Célèbes, à Amboine et aux Philip- 
pines. Il habite aussi l'Inde continentale. M. Gray, dans ces derniers temps, a cru devoir y distinguer 
quatre espèces : les Civetta nudulata, tragalunga, pallida et maculatu, qui, spécifiquement, n’en 
doivent probablement pas être séparées. 

Quant à la Civetta Abyssinica, Rüppel, propre au Sennaar et au Kordofan, elle forme, sans nul 
doute, une espèce particulière. Nous citerons aussi le Viverra Hardwickii de Lesson, propre à Java, 
et qui parait dans le même cas 


CARNASSIERS. A1 


9e SOUS-GENRE — GENETTE. GENETTA. G. Cuvier, 1817. 


Règne animal 


CARACTÈRES DISTINCTIFS. 
Poches réduites à un simple enfoncement. 
Ongles complétement rétractiles. 
Pupille verticale. 
Une dizaine d'espèces sont placées dans ce sous-genre; nous ne décrirons que les plus connues, 
nous bornant à citer seulement les autres. 


Fig. 4 — Genette panthérine, 


5 GENETTE VIVERRA GENETTA. Linné. 


CaRAGTÈRES SPÉCIFIQUES. — Pelage gris marqué de petites taches noires, les unes rondes et les 
autres de forme allongée; queue annelée de noir. Longueur de la tête et du corps : 0",45; de la 
queue, 0",38. 


Dans cette espèce, qui a été décrite par Buffon, et qu'une foule de voyageurs ont citée, le corps 
est mince et allongé, le museau pointu, les jambes courtes, l'anus présente deux grosses glandes 
saillantes ayant l'apparence d’une poche et produisant uñe matière épaisse et d'une odeur analogue 
à celle du musc; la prunelle est semblable à celle du Chat domestique; les oreilles externes assez 
grandes, elliptiques, garnies d'un petit lobe au côté externe; les moustaches sont grandes. Les poils 
laineux sont d’un gris cendré, et les poils soyeux sont seuls apparents à l'extérieur. Le fond du 
pelage est d’un gris un peu jaunâtre, qui résulte de poils gris avec le bout noir, ou de poils entiè- 
ment noirâtres; ces derniers, par leur réunion, formant un assez grand nombre de taches noires 
disposées en lignes longitudinales, qui sont longues sur le cou et sur les épaules, et généralement 
arrondies sur les côtés du corps et sur les membres; celles du milieu du dos produisent presque 
une ligne continue; queue ayant dix à onze anneaux noirs ou d'un brun foncé; parties inférieures du 
corps grises, ainsi que la tête et le devant des pattes; parties postérieures de celles-ci, ainsi que le 
tour du museau et les lèvres, derrière les narines, noirs; bout de la lèvre supérieure blanc; une 
tache blanche au-dessous de l'œil : l'intérieur de l'oreille blanchâtre. Les mâles et les femelles sont 
semblables sous le rapport des couleurs du pelage; les jeunes ont la teinte générale du corps légè- 
rement violâtre. 

Les habitudes naturelles de cette espèce sont peu connues; on sait seulement qu'elle se tient de 


12 HISTOIRE NATURELLE. 


vréférence au voisinage des petites rivières et dans les lieux bas et humides. Elle s'apprivoise faci- 
lement, et produit même en captivité; la durée de sa gestation est de quatre mois environ. 

On la trouve dans la France occidentale et méridionale, et elle n’est surtout pas rare aux environs 
de Rochefort. Elle habite aussi l'Espagne. On lui donne aussi pour patrie les régions septentrionales 
de l'Afrique; mais Fr. Cuvier regarde la variété qu'on y rencontre comme formant une espèce parti- 
culière, sa Viverra Afra. 


4 CIVETTE DE L'INDE. VIVERRA INDICA. Et. Geoffroy Saint-Hilaire. 


CanacrÈres sréciriques. — Corps très-allongé; pelage d'un blanc jaunâtre, avec huit bandes lon- 
gitudinales étroites, brunes. De la grandeur de la Genette. 


Cette espèce, qui est la Generre nasse de Fr. Cuvier; Viverra rasse, Horsfeld, provient de Java. 


5. CIVETTE BONDAR. VIVERRA BONDAR. À. G. Desmarest 


CanracrÈres spéciriques. — Fond du pelage fauve, avec la pointe des poils noire; une bande dor- 
sale noire, ainsi que deux petites bandes étroites parallèles sur chaque flanc; les quatre pieds et le 
bout de la queue noirs. De petite dimension. 


Habite le Bengale. 


6. FOSSANE. VIVERRA FOSSA. Linné 


CanacrÈREs sréciriQues. — Pelage gris-roux, marqué de taches brunes disposées sur le dos en 
quatre lignes longitudinales et épaisses sur les flancs; queue roussätre, faiblement marquée d'an- 
neaux d'un roux brun. Longueur de la tête et du corps : 0,45; de la queue, 0,08. 


Cette espèce, que l'on a indiquée quelquefois comme appartenant au sous genre Givette, se trouve 
à Madagascar, où elle n’est pas rare. Ses mœurs sont semblables à celles de la Fouine; elle mange 
de la viande et des fruits, mais elle préfère ces derniers, surtout les bananes. 

Parmi les autres espèces du même sous-genre, nous indiquerons seulement les espèces propres à 
l'Afrique, telles que les Viverra Senegalensis, Fr. Cuvier, et pardina, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, 
du Sénégal; Genetta Poensis, Warterhouse, de Fernando-Po; Viverra felina, Thunberg, et tigrinu, 
Schreber, du cap de Bonne-Espérance, qui-semblent plus distinctes que les autres. 


9° SOUS-GENRE. — LINSANG. PRIONODON. Horsfield, 1855. 
Zoologycal Researches. 


Igtwv, scie; cÔcvus, dent. 


CARACTÈRES DISTINCTIFS. 
Molaires supérieures, de chaque côté, au nombre de cinq seulement, d'après M. Horsfield: six 
iolaires inféricurement. 
Queue ayant la faculté de s'enrouler autour des corps. 


Ce sous-genre, ainsi que l'observe De Blainville, repose probablement sur une erreur dans le 
nombre des molaires, car il est probable qu'il y en a six aussi bien à la mâchoire supérieure qu'à la 


CARNASSIERS. 15 


mâchoire inférieure, et, dès lors, qu'il doit rentrer dans le sous-genre des Genettes; car la dispo- 
silion remarquable que présente la queue n’est pas d’une valeur telle, que l’on puisse pour cela for- 
mer une subdivision générique. 

On n'y range qu’une seule espèce : 


7. LINSANG. VIVERRA PREHENSILIS. Horsfeld. 


CaracrèRes spéciFiQuEs. — Pelage d'un jaune verdâtre, avec la ligne dorsale, le bout de la queue, 
les pattes, deux lignes de taches allongées près du dos, et beaucoup de petites taches orbiculaires 
noires sur chaque flanc. De la grandeur de la Mangouste d'Égypte. 


Cette espèce, que Sonnerat nommait Civerre DE Maracca, Genetta Malaccensis, Linné, et qu'Hors- 
field anciennement indiquait sous le nom de Felis gracilis, est le Lansanc, ou Prionodon pre- 
hensilis de Lesson et des zoologistes modernes, et se fait remarquer par sa queue préhensile. 


On a découvert des débris fossiles de plusieurs espèces de Viverra; jusqu'ici on n’en à point 
recueilli dans les couches meubles du sol, mais seulement dans les dépôts tertiaires d’eau douce. 
G. Cuvier, dans ses Ossements fossiles, tome II, donne la première indication certaine d'une 
espèce de Genette, provenant du gypse du terrain parisien. De Blainville, dans son Ostéographie des 
Viverras, 1841, en figure les débris de cinq espèces, et, dans son texte, donne des détails aux- 
quels nous renvoyons; car nous nous bornerons à citer rapidement ces espèces, qui se rapportent 
aux genres Civette et Mangouste, et, dans le premier, aux sous-genres Civette et Genette. 


A. ESPÈCES DE LA DIVISION DES CIVETTES PROPREMENT DITES. 


4. CIVETTE D'AUVERGNE. VIVERRA ANTIQUA. De Blainville. 


De la taille du Zibeth. Espèce établie sur deux fragments de mâchoires supérieure et inférieure, 
dont l’un porte quatre dents molaires, recueillis par M. l'abbé Croizet dans les terrains sous-volca- 
niques d'Auvergne. \ 


9, ZIBETH DE SANSANS. VIVERRA ZIBETHOIDES. De Blainville. 


Établi sur deux petits fragments de mâchoires inférieures du côté droit, portant deux dents, trou- 
vés par M. Lartet dans la colline subapennine de Sansans. 


B. Espèces DZ LA DIVISION DES GENETTES. 
5 GENETTE DE PARIS. VIVERRA PARISIENSIS. G. Cuvier 


Les débris de cette espèce ont été figurés par G. Cuvier, et elle était considérée par lui comme plus 
voisine de la Fossane que de toutes les autres Genettes, mais en différant cependant assez pour con- 
situer une espèce très-peu supérieure par sa taille à la Genette de France. 


14 HISTOIRE NATURELLE. 


4. GENETTE GRÊLE. VIVERRA EXILIS. De Blainville 


Établie sur un côté gauche de mâchoire inférieure à dents très-incomplètes, long de 0,40. Trouvé 
à Sansans par M. Lartet. 


enfin, nous voulons compléter ce que l'on sait d’une manière générale sur les animaux fossiles 
de a nu des Viverriens, nous ajouterons encore que De Blainville a fait connaître aussi une espèce 
du genre Mangouste sous la dénomination de Viverra gigantea, et que cette espèce est ét tablie sur 
deux fragments considérables de mâchoires inférieures portant les quatre dernières dents molaires, 
recueillis dans le terrain d’eau douce du Soissonnais, et qui étaient de la grandeur d'une Hyène de 
forte taille. 


19m GENRE. — CYNICTE. CYNICTIS. Ogilby, 1839 
Proceedings of the zoological Society of London 


Kuowv, Chien; œrts, Belette 


CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 


Système dentaire assez semblable à celui des Mangoustes; toutefois, la partie antérieure de la 
première arrière-molaire d'en bas est bien plus soulevée et plus insectivore. 

Cercle orbitaire plus complet encore que dans ces animaux. 

f'ieds conformés comme ceux des Chiens, ayant cinq doigts en avant et quatre en arrière. 

Ongles assez aigus. 


Le genre Cynictis de M. Ogilby, que nous plaçons ici parce qu'il a de nombreux rapports avec les 
espèces de la tribu suivante, celle des Caniens, ou du genre Chien proprement dit, a aussi beaucoup 
d'analogie avec les Mangoustes, à ce point que l'espèce qui en forme le type était placée dans ce 
dernier genre sous la dénomination d'Ichneumon penicillatus, G. Guvier. M. Isidore Geoffroy Saint- 
Hilaire, dans ses Leçons de Mammalogie, publiées en 1835, et antérieurement dans ses cours, avait 
indiqué ce groupe générique sous la dénomination de Cynopus (xvwv, Chien; cvs, pied), qui n'a pas 
dù être adoptée, puisque le nom de Cynictis avait été créé antérieurement. M. Ogilby en a quelque- 
fois modifié la dénomination en celle de Cunictis. 

De Blainville a étudié le squelette du Cynictis penicillatus, et il a vu qu'il se distingue de celui 
des Mangoustes en ce qu'il a une vertèbre dorsale et une paire de côtes de moins, treize au lieu 
de quatorze, et une lombaire de plus, sept au lieu de six. La tête est assez voisine, par la forme 
générale, de celle du Suricate, quoiqu'un peu plus allongée dans la partie céphalique, mais les 
vertèbres lombaires sont remarquables par la longueur de leurs apophyses transverses, et les 
trois vertèbres sacrées, parce que la première est seule articulaire avec l'iléon, et surtout parce 
que la dernière est si petite, qu'elle est difficile à distinguer nettement; enfin, les vingt-huit ou 
vingt-neuf vertèbres coccygiennes sont caractérisées par leur gracilité. Le sternum a huit pièces, 
courtes et larges. L’omoplate rappelle la forme de celle de la Mangouste; l'humérus est assez grêle, 
et les deux os de l'avant-bras sont comme dans le Suricate; la main est aussi comme dans cet ani- 
mal, mais plus longue, plus grêle. Dans les quatre os métatarsiens externes, en outre, la première 
phalange est beaucoup plus longue que la deuxième, au contraire de ce qui a lieu chez le Suricate, où 
elles sont presque égales; le pouce est très- petit, comme dans les Mangoustes. Les membres posté- 
rieurs sont grêles, Anse los innominé assez long, s’étalant vers sa terminaison ischiatique; le 
fémur est de médiocre longueur, grêle; le tibia est robuste comparativement avec la gracilité du 
péroné; le pied, beaucoup plus long que la main dans une disproportion encore plus grande que 
dans le Suricate, et quoique aussi terminé par quatre doigts, présente cependant un premier cunéi- 
forme développé, et partant un métatarsien réduit à un seul tubereule; les quatre métatarsiens sont 


CARNASSIERS. 45 


d'une longueur et d'une gracilité remarquables, ce qui a aussi lieu pour les phalanges, dont les pre- 
i i S euxièmes. 

mières sont bien plus longues que les deuxième vu à | 
On a indiqué trois espèces de ce genre, qui toutes proviennent de l'Afrique du Sud ou intertro 


picale; la mieux connue est : 


CYNICTE. CYNICTIS PENICILLATUS Lesson 


Canacrères spéariques. — Corps grêle, de forme élégante; pelage généralement fauve, sauf au 
bout de la queue, qui est de couleur blanchätre. De la taille de la Fouine. 


G. Cuvier le premier admit cette espèce sous le nom d'Herpestes penicillatus; c’est la Mangousta 
Vaillantii d'Ét. Geoffroy Saint-Hilaire, et le Cynictis Steedmanni de Smith, enfin le nom que nous 
lui avons conservé lui a été donné par Lesson. 

Elle se trouve aux environs du cap de Bonne-Espérance. C'est à Delalande que l'on en doit la 
découverte 


TROISIÈME TRIBU. 


CANIENS. CANII. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. . 


Molaires alternes à couronnes au moins en partie tranchantes. 
Tuberculeuses nulles ou rudimentaires. 
Circonvolutions cérébrales assez notablement développées. 


Le genre Chien (Canis) de Linné, créé en 1735 dans le Systema naturæ, est devenu pour les 
zoologistes modernes une division ou tribu particulière qui a reçu successivement les dénomina- 
tions de Vulpiens ou Caniens, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire ; Canina, Gray, et Canidæ, Waterhouse, 
et à laquelle De Blainville laisse sa dénomination Linnéenne de Canis. 

Cette triba renferme des animaux connus depuis la plus haute antiquité, et dont l’un d’entre eux, 
le Chien ordinaire, est devenu en quelque sorte le compagnon de l'homme, et l’a suivi dans toutes 
les régions qu'il est venu habiter. Chez tous, le système dentaire est composé de quarante à qua- 
rante-deux dents; savoir : six incisives en haut et autant en bas; deux canines à chaque mâchoire; 
douze molaires supérieures et douze à quatorze inférieures. Les molaires se subdivisent en trois 
fausses en haut, quatre en bas, et deux tuberculeuses placées derrière l’une et l’autre carnassière : 
la première supérieure de ces tuberculeuses est très-grande; la carnassière supérieure n'a qu'un 
petit tubercule en dedans; mais l'inférieure a sa pointe postérieure tout à fait tuberculeuse. 

A ces caractères principaux viennent s’en joindre d'autres également de première valeur : c’est 
amsi que les membres franchement digitigrades ont les antérieurs tous à cinq doigts, dont quatre 
seulement touchent la terre, le pouce se trouvant placé trop haut pour atteindre le sol, et n'étant 
pour ainsi dire qu’à l’état rudimentaire; toutefois, dans le genre Hyénoïde, groupe qui se rapproche 
assez de celui des Hyènes, il n'y a plus que quatre doigts en avant. Les extrémités postérieures 
n’ont que quatre doigts, et ce n’est qu'anormalement que l’on en compte parfois cinq, et, alors, ce 
doigt supplémentaire n'atteint jamais le sol. Les ongles nefsont ni rétractiles ni tranchants; aussi 
ne peuvent-ils servir d'armes à l'animar, et ne lui sont-ils utiles que pour la locomotion, pour 
fouir la terre. La tête est allongée; les yeux médiocres; les oreilles grandes, et toujours bifides 
vers la base de leur bord postérieur; les moustaches sont peu développées; le mufle nu; enfin, le pe- 
lage est assez rude, et ne présente qu'une coloration uniforme. La langue est douce, et non pas 
papilleuse comme celle des Féliens ou Chats. Il n'y a pas de poche anale, ce qui distingue les Ca- 
niens des Hyénines, que l’on a parfois réunis dans la même division. 

L'anatomie interne de ces Carnassiers offre aussi plusieurs particularités différentielles qui ne sont 


16 HISTOIRE NATURELLE. 


pas sans importance. Quoique la clavieule ne disparaisse pas d'une manière absolument complète, 
elle est du moins toujours beaucoup moins considérable que chez les Féliens. L'humérus, qui n’est 
Jamais percé au condyle interne, l'est, au contraire, dans la fosse moyenne de son extrémité infé- 
rieure. L'os du pénis est généralement très-développé, et surtout plus que dans les tribus voisines. 
Le canal intestinal n’est pas non plus sans caractères particuliers propres à distinguer ce groupe : 
d'abord dans la forme et la disposition de la langue, et ensuite dans la faiblesse musculaire de 
l'estomac, ainsi que dans la longueur et le diamètre proportionnel de l'intestin en général, et du 
cæcum en particulier, notablement plus grand que dans les Féliens. 

Le régime diététique de ces animaux est la carnivorité; les espèces sauvages le montrent surtout 
d'une manière manifeste, mais l’état de captivité agit beaucoup sur elles, et les espèces que nous 
élevons dans nos maisons deviennent plus omnivores, tandis que cette influence de l'homme se re- 
marque moins chez les Chats domestiques. 

On connaît une centaine d'espèces de cette tribu, et, parmi elles, plusieurs n'ont été trouvées 
qu'à l’état fossile; elles sont répandues sur presque toutes les parties du globe; elles s'y rencontrent 
aussi bien à l’état sauvage qu'à l’état de domesticité : aussi n’en est-il pas qui aient subi, par l'in- 
fluence des climats, de la nourriture et de la captivité, des altérations organiques plus profondes et 
plus variées. M. Boitard indique ainsi qu'il suit l'habitat des principales espèces de ce groupe, et par- 
ticulièrement de celles de l’ancien genre Chien. « Autour du pôle boréal se groupent, parmi les Chiens 
domestiques, celui des Esquimaux et celui de Sibérie; puis, parmi les espèces sauvages, l'Isatis, qui 
occupe tout le littoral de la mer Glaciale et tout le nord de l'Europe et de l'Asie au-dessus du 
60e degré; le Renard argenté et le Renard croisé du nord de l'Amérique et du Kamtchatka. Un peu 
plus loin du pôle, mais toujours au nord, on trouve, en Europe, le Chien d'Islande, le Loup, le Loup 
noir, le Renard, qui existe aussi en Amérique. Dans ce dernier pays, à peu près sous les mêmes 
latitudes, le Loup ordinaire d'Europe, le Loup odorant, celui des prairies et le Renard agile; tous 
trois des bords du Missouri. En Asie, le Wah des Himalayas. Dans une zone plus tempérée, et en 
se rapprochant du tropique, apparaissent, outre notre Loup et notre Renard, les nombreuses races 
du Chien domestique, que la douceur du climat et une antique servitude ont façonnées de mille ma- 
nières, tant au moral qu'au physique, et dont le nombre est incalculable en Europe, en Asie et en 
Amérique. Puis, en Asie, dans l'Inde et la Tartarie, le Corsac et le Karagan; le Renard gris dans 
la Virginie, et le Renard tricolore, qui, des États-Unis, se répand dans l'Amérique méridionale 
jusqu'au Paraguay. Les Chackals occupent une zone oblique à l'équateur, depuis l'Inde et la Perse jus- 
qu'au cap de Bonne-Espérance. Si nous portons nos investigations sur toute la zone équatoriale 
entre les deux tropiques, et même jusqu'à la latitude du cap de Bonne-Espérance, on verra que 
cette zone est riche en espèces. Dans l'Inde, nous trouverons le Quao, le Renard du Bengale, le 
Chien de Sumatra, le Loup de Java, ete. L'Amérique nous fournira l'Alco, le Loup du Mexique, le 
Calpen du Chili et des îles Malouines; le Koupara ordinaire et le petit Koupara, tous deux de la 
Guyane, et le Loup rouge. L'Afrique offrira le Renard d'Égypte, le Fennec d'Angola, le Renard de 
Delalande, le Kenlir et le Hyénoïde; tous trois du cap de Bonne-Espérance. Nous trouverons le Dingo 
dans la Nouvelle Hollande; et, enfin, nous verrons toutes les îles de l'Océanie peuplées de nom- 
breuses variétés de Chiens domestiques.» Nous ajouterons à cette dernière observation qu'il en est de 
même de l'Europe, et que, là surtout, la domestication a produit sur le Chien ordinaire des croise- 
ments de races telles, que l’on ne peut plus que très-difficilement reconnaitre chez elles le type primitif. 

La position des Caniens dans la série mammalogique varie selon les auteurs, et on les place tantôt 
avant les Féliens, tantôt, au contraire, après cette tribu. De Blainville les range immédiatement 
après les Chats, parce que les premières espèces qu'il y place, c’est-à-dire les Renards, ont la pupille 
verticale et une petite clavicule presque normale, tandis que les dernières, comme les Loups, ont 
la pupille ronde, et n’ont, par exemple le Hyénoïde, que quatre doigts en avant comme en arrière, 
ainsi que cela a lieu chez les Hyènes. Pour nous, à l'exemple de M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire et 
de la plupart des zoologistes, nous mettrons les Ganiens après les Viverriens, avec lesquels ils ont 
de l'analogie, et nous les séparerons des Féliens par les Hyènes, avec lesquelles ils ont, comme l'ont 
reconnu tous les auteurs, de nombreux rapports. 

Quant aux genres créés dans cette tribu, ils sont peu nombreux, si l’on s'en rapporte à la plupart des 
naturalistes, mais si l’on veut suivre les elassificationsmodernes, et principalement celle de MH. Smith, 


CARNASSIERS. 17 


on pourra y former d’asseznombreuses subdivisions génériques où sous-génériques, que nous ne ferons 
qu'indiquer. Les genres admis par M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire sont ceux des Otocyon, Fennec, 
Renard, Chien, Hyénoïde et Cyon, que nous étudierons successivement, tout en ne les adoptant pas 
tous, puisque, par exemple, nous laisserons les Renards et les Cyons dans le grand genre naturel 
des Chiens. En outre, nous citerons quelques autres groupes composés, tant d'animaux vivants 
actuellement que d'espèces que l’on ne retrouve plus aujourd'hui qu'à l'état fossile. 


1e7 GENRE. — CHIEN. CANIS. Linné, 1755. 
Kvuc, Chien 


Systema nature. 


CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 


Système dentaire : incisives, À; canines, ={; molaires, $; en totalité quarante deux dents; 
incisives à trois lobes lorsqu'elles ne sont pas encore usées, et toutes placées sur une même ligne; 
canines coniques, aiguës, lisses; molaires : les supérieures se subdivisant en trois petites dents ai- 
guës ou fausses molaires tranchantes, à un seul lobe, une carnassière à deux pointes, et deux pe- 
tites dents à couronnes plates : les inférieures comprenant quatre fausses molaires disposées comme 
celles d'en haut, une carnassière dont la pointe postérieure est mousse, et deux dents tuberculeuses. 

Museau pointu, avec un mufle ou partie nue assez considérable, arrondie. 

Tête allongée, surtout duns la partie maxillaire, et à arcade syygomatique médiocrement arquée 
en dehors. 


Fig. 5, — Chien de chasse, 


Veux à pupille en forme de disque dans les Chiens proprement dits et allongée dans les Renards. 
Langue lisse. 
ce? 


18 HISTOIRE NATURELLE. 


Oreilles médiocres ou grandes, droites, pointues, mais seulement dans l'état de nature, car la «o- 
mesticalion modifie considérablement ces organes. | 

Mamelles pectorales et ventrales. 

Pieds de devant à cinq doigts, les deux du milieu égaux et les plus longs : ceux de derrière à 
quatre doigts seulement, avec le rudiment d'un cinquième os du métatarse, qui ne se montre par 
aucune trace à l'extérieur : ces doigts étant entre eux dans les mimes rapports que les quatre plus 
longs des pieds de devant. 

Ongles allongés, assez obtus, non rétractiles; les doigts posant seuls à terre dans la marche. 

Queue de moyenne lonqueur. u 

Pas de poches ou de follicules près de l'anus ou des parties de la génération. 

Pelage généralement très-fourni, assez rude, composé de deux sortes de poils. 

Moustaches assez petites. 

Plante des pieds garnie de tubercules : celui qui se trouve à la base des doigts ayant trois lobes 
et avec la même forme à tous les pieds; celui qui garnit l'extrémité de chaque doigt elliptique; de 
plus, il y en a un autre sous l'articulation du poignet 

Corps de taille généralement moyenne; mais pouvant assez notablement varier sous ce rapport. 


UNE 
ll 


l 1] 


Fig. 6. — Bouledogue. 


Si l'on s’en rapporte à M. l'abbé Maupied pour les étymologies qu'il a données du nom de Chien, cette 
dénomination serait aussi admirable qu'elle est remarquable dans les langues anciennes. En hébreu, 
c'est Kaleb, nom composé de la particule ka, qui signifie comme, et qui est explétive en composition, 
ou bien de kal (tout), et de leb (cœur), le siége des affections : d’après cela lenom de Chien, en hébreu et 
en chaldéen, veut donc dire très-affectueuæ, très-caressant. En grec, le nom de Chien signifie la même 
chose; le mot xsov (Chien) n’est que le participe du verbe xs0 (caresser, embrasser); le nom de Chien, 
en grec, veut donc dire caressant. En latin, Ganis vient du verbe canco (vieillir, par extension être 
prudent); le nom latin du Chien signifie done fidèle, prudent. Le nom français, Chien, vient du 
srec x, we, € a par conséquent la même signification. Ces étymologies si remarquables ne prou- 
veraient-elles pas, comme le fait observer De Blainville, que le Chien a été de tout temps un animal 
fidèle, caressant, prudent, attaché à l'homme, et créé avec lui et pour lui? 

| Les Chiens, pris d'une manière générale, sont des animaux omnivores, très-intelligents, se nour- 
rissant de chair fraiche ou de chair corrompue, et joignant quelquefois à ces aliments des substan- 
ces végétales, telles que des fruits, des racines, ete., et, par là, on voit qu'ils sont loin d'avoir 


Lion du Sénégal. 


PI. 


ot 


CARNASSIERS. 19 


l'appétit carnassier des Chats; les petites espèces, cependant, semblent plus carnassières que les 
grandes, et elles sont aussi plus rusées et plus courageuses; mais, du reste, il est rare qu'elles attaquent 
une proie vivante, et, lorsqu'elles le font, elles sont réunies en troupes nombreuses et suivent alors leur 
proie à la piste, par suite de leur odorat rendu très-délicat par le prodigieux développement de la 
membrane pituitaire sur les nombreux replis des cornets éthmoïdiens. Tous voient et entendent 
très-bien, et tous boivent en lapant. 

Les femelles sauvages éprouvent le besoin du rut en hiver; elles portent trois mois, et quelquefois 
davantage : chaque portée produit de trois à cinq petits. Les espèces domestiques peuvent produire 
à toutes les époques, et surtout deux fois par an, en été et en hiver. 

Quelques espèces se creusent des tanières, ou profitent des terriers formés par d’autres animaux; 
mais le plus grand nombre établissent leur domicile dans les taillis des forêts les plus fournis, etc. 
Un très-grand nombre de ces animaux étant devenus domestiques sont les commensaux de l’homme, 
qu'ils suivent partout, et dont, en quelque sorte, ils reproduisent les mœurs. 

Les Chiens proprement dits, ou ceux à pupille en forme de disque, sont des animaux diurnes, et, 
par l'exercice, leur vue peut acquérir beaucoup de force; les Renards, ou Chiens à pupille allongée, 
voient mieux, au contraire, la nuit que le jour. Les Chiens, mais il faut en excepter les Renards, sont 
loin d’avoir la propreté des Chats. [ls hurlent ou aboïent, et font surtout entendre leur voix lorsqu'ils 
chassent : alors cette voix se modifie suivant les sentiments qu'ils éprouvent. La couleur de leur 
pelage est le brun, qui, d’une part, se fonce jusqu'au noir, et, de l’autre, se pâlit jusqu’au fauve; le 
blanc s'y joint souvent, et c'est du mélange de ces trois couleurs que résultent toutes les variétés 
qu'offrent, sous ce rapport, les différentes espèces ou races de ce genre. 

En résumé, on peut dire avec Fr. Cuvier que « les Chiens proprement dits sont des animaux de 
taille moyenne, et que leurs proportions annoncent de la force et de l’agilité; la partie antérieure de 
leur corps est forte et ramassée, et la partie postérieure svelte et légère; leurs jambes sont élevées; leur 
cou est long et épais, leur tête effilée, leur poitrine large; leurs cuisses et leurs épaules sont charnues, 
et leurs jambes tendineuses; leurs muscles se dessinent fortement, mais leurs allures ne sont pas en 
parfaite harmonie avec leurs organes; ils ont la démarche un peu indécise, et ne portent pas la tête 
haute; leur regard manque de hardiesse, et ils sont généralement prudents : ils n’ont du courage que 
lorsqu'ils sont pressés par la faim. Les Renards diffèrent encore des Chiens à ces divers égards : ils 
sont généralement plus petits et plus bas sur jambes; leur corps paraît plus allongé, et ses propor- 
tions n'annoncent pas de vigueur; leur tête parait plus pointue, plus fine : ils la portent dans les 
épaules, et toutes leurs formes sont arrondies; aussi ont-ils un naturel plutôt timide que courageux; 
ils ne chassent que des animaux sans défense, les Lapins, les Oiseaux; ils ont toujours recours à la 
ruse, au silence; c'est la nuit ordinairement qu'ils se mettent à la recherche de leur proie, et la 
fuite est la seule ressource qu'ils opposent au danger; s'ils se défendent, ce n’est qu'à la dernière 
extrémité, et lorsqu'on les poursuit jusqu’au fond de leur retraite. » 

Nous n'étendrons pas plus loin ces détails de mœurs, parce que nous ne voudrions pas nous ré- 
péter, et qu'ils seront complétés lorsque nous nous occuperons spécialement du Chien domestique, 
du Loup, du Renard, du Chacal, de l'Isatis et des autres espèces principales. Cependant, nous 
donnerons, avant de passer aux descriptions particulières, des détails sur l’ostéologie et le système 
dentaire, bases de la partie zoologique ; puis, après avoir dit quelques mots de la distribution géo- 
graphique, nous indiquerons les points principaux de l’histoire zooclassique des Chiens, ainsi que des 
classifications qu'on a formées dans ce genre. 

L'étude de l'ostéologie du Chien ordinaire, ainsi que celle du Loup, a été commencée à une épo- 
que déjà reculée, mais ne l’a pas été d’une manière complète; c’est ainsi que Vésale et G. Blasius 
s’en sont occupés. Daubenton ne fut pas plus heureux que ses devanciers, car il fit porter sa compa- 
raison du squelette du Chien avec ceux du Cochon, du Cheval, et autres animaux domestiques par 
lesquels Buffon, à l'ouvrage duquel il joignit son travail, avait cru devoir commencer sa vaste His- 
toire naturelle générale et particulière : toutefois, il donna des détails sur trois espèces de ce grand 
genre : le Loup, le Chacal et le Renard. G. Cuvier, d'abord dans ses Leçons d' Anatomie comparée, 
mais surtout dans ses Fiecherches sur les ossements fossiles des Quadrupèdes, publié en 1895, décrivit 
l'ostéologie du Chien et du Loup, qu'il prit pour type du groupe des Carnassiers, et il donna de bonnes 
figures. MM. Meckel, Pander et D'Alton, n’ajoutèrent que peu de chose à ce qu'on savait avant eux; 


20 HISTOIRE NATURELLE. 


il n’en fut pas tout à fait de même de Guldenstaedt (Nas. Comm. Acad. Pet., t. XX, 1776), qui donna 
la description du Chacal comparativement avec celles du Loup et du Renard, et de Spix, qui figura 
avec soin le crâne du Renard dans sa Céphalogénésie; mais c’est principalement De Blainville qui, 
dans son Ostéographie, fascicule des Canis, donna le travail le plus complet sur le squelette des ani- 
maux du genre Chien, où, après avoir étudié le Loup comme type, il décrivit un assez grand nombre 
d'espèces et de varictés : c'est d’après lui que nous entrerons dans quelque développement sur ce sujet 
important. 


Fig. 7. — Chien de Dalmatie. 


Les os du Loup sont en général d'un tissu légèrement moins serré, un peu moins éburné et 
même moins blanc que celui des Chats, peut-être parce que la cavité médullaire et le tissu diploïque 
sont un peu plus étendus, comparativement à la partie éburnée; et par cela ils sont un peu moins 
cassants et moins pesants. Le nombre des os en totalité est le même que celui des Chats. La série 
vertébrale se compose de quatre vertèbres céphaliques, sept cervicales, treize dorsales, sept lombai- 
res, trois sacrées et dix-sept ou dix-huit coccygiennes. La tête en totalité est assez notablement al- 
longée, et beaucoup plus que celle des Chats. La vertèbre occipitale est large et plate dans son corps. 
La sphéno-pariétale est assez allongée, même dans son corps. La sphéno-frontale est encore consi- 
dérable, du moins dans son arc. Quant au vomer et aux os du nez, ils participent à la longueur de la 
face, déterminée par celle des mächoires; aussi sont-ils beaucoup plus étendus que chez les Chats. 
Les mächoires ont un caractère particulier dans leur allongement, et même dans la manière dont elles 
s'atténuent en forme d’avance pyramidale. Pour les osselets de l'ouie, l'étrier est en pyramide tronquée; 
le lenticulaire est très-mince et ovale; l'enclume en forme de dent molaire, avec ses deux bras ou racines 
presque égales et très-divergentes; le marteau est très-arqué, à tête petite, à cou dilaté, et à manche 
assez court. L'angle facial, sous lequel la mâchoire supérieure se joint au crâne, est nécessairement 
diminué de ce qu'il est chez les Chats, et, en effet, il ne dépasse guère une vingtaine de degrés, sur- 
tout en faisant abstraction des bosses frontales. Les cavités et fosses internes ou externes ont égale- 
ment éprouvé des modifications importantes : les deux cavités dont nous voulions seulement parler 
sont l'oculaire et l'olfactive. La première est notablement moins grande que dans les Chats, mais 
plus ovale, plus oblique en dehors, et surtout encore moins fermée dans son cadre que chez eux, par 
suite d'un moindre développement des apophyses orbitaires. La cavité olfactive est, par contre, bien 


CARNASSIERS. 21 


plus étendue, non-seulement en elle-même, à cause du prolongement des os du nez et des mächoi- 
res, mais aussi par suite du grand développement des cornets, surtout des inférieurs, et même des 
sinus maxillaires et frontaux, qui soulèvent quelquefois le front de manière à former une sorte de 
rigole dans la ligne médiane du chanfrein, et à augmenter notablement le degré de angle facial. Le 
palais est long, peu profondément voûté, si ce n’est dans l'angle formé par l’écartement des deux 
arrière-molaires, où se voit un enfoncement assez profond pour loger la carnassière inférieure. Les 
ouvertures de la tête sont grandes : le trou occipital, en particulier, est presque complétement ter- 
minal; son diamètre transverse est un peu plus grand que le vertical, et dans la proportion de un 
à trois avec eelui de la cavité cérébrale. Les condyles sont presque terminaux, assez saillants, ova- 
laires. 


Fig. S. — Chien courant. 


Les vertèbres cervicales sont assez différentes de celles des Chats et des Ours de la même taille 
par un peu plus de longueur en général, et par la forme des apophyses transverses, qui sont plus 
larges d'avant en arrière. L’atlas a son corps pourvu, inférieurement, d’une épine au milieu de son 
bord postérieur, et ses ailes, projetées en arrière, sont un peu plus étroites que dans les Chats. 
L'axis a son apophyse épineuse très-longue d'avant en arrière, mais très-peu élevée, et presque tout 
à fait rectiligne à son bord supérieur. Les trois cervicales intermédiaires ont toutes leur corps pourvu, 
en dessous, d’une sorte de carène apophysaire. La sixième se distingue par son apophyse épineuse 
presque aiguë et antéroverse, ainsi que par son apophyse transverse, dont le lobe inférieur est assez 
large et non sinueux à son bord. 

Les vertèbres dorsales sont plus courtes et plus épaisses dans leur corps que les cervicales; les 
apophyses épineuses sont assez étroites, assez aiguës. 

Les vertèbres lombaires forment une région plus courte que dans les Chats, mais cependant beau- 
coup moins que dans les Ours. Les apophyses épineuses croissent de hauteur en diminuant de lar- 
geur jusqu'à la quatrième, pour décroître ensuite assez rapidement jusqu’à la septième; les apophyses 
transverses sont en général plus grêles, et d'antant plus qu’elles sont plus postérieures. 

Les trois vertèbres sacrées constituent un sacrum étroit, à bords presque parallèles, mais plus 
court et plus ramassé que dans les Chats. 

Les vertèbres coccygiennes sont petites, grêles, et produisent une queue bien effilée, et moins forte 
que celle des Chats. 

Le sternum est formé de huit pièces, sans compter le xiphoïde, assez longues, étroites, à coupe 
trapézoïdale, presque égales, sauf le manubrium, qui est double des autres, et la huitième, qui est 
cubique, et ne se distingue du xiphoïde qu'en dedans. 

L'hyoïde, composé du même nombre de pièces que celui des Chats, présente un corps transverse 
peu étroit et moins épais, triquètre dans sa coupe, de grandes cornes, dont l'article basilaire est 


99 HISTOIRE NATURELLE. 


le plus court et le plus large; les deux autres étant presque égaux; le dernier assez arqué; et, enfin, 
une corne thyroïdienne plus forte et plus longue que les articles de l'antérieur. 

Les côtes sont aussi en même nombre et en même disposition que dans la Panthère; elles sont seu- 
lement un peu plus larges et plus plates, surtout en dessous, les antérieures plus que les autres : carac- 
tères qui se trouvent déjà assez manifestement dans le genre des Givettes. Le thorax, qui en résulte, 
est aussi un peu plus long, plus comprimé, et, par suite, plus haut dans le sens vertical que dans les 
Chats. 

Les membres sont généralement un peu plus élevés, plus redressés, que dans ces derniers ani- 
maux, et peut-être même aussi un peu moins distants entre eux. 

Aux membres antérieurs, l'omoplate est assez étroite; sa crête, qui est presque médiane, est haute 
et presque droite, et se termine par un acromion peu développé, arrondi, non bifurqué, et ressem- 
blant à ce qui a lieu dans les Ours; l'apophyse coracoïde est réduite à un simple tubercule épais, à 
peine saillant au-dessus d’une cavité glénoïde ovale, appointie supérieurement. La clavicule, qui sem- 
ble manquer, existe toutefois; mais elle est réduite à une petite pièce osseuse, plate, large, arrondie 
à son extrémité, et se terminant brusquement en pointe à l'autre extrémité. L'humérus est court, 
gros, avec sa double courbure assez marquée, assez large, et comprimé supérieurement, ce qui 
est produit par une empreinte deltoïdienne assez forte. Le radius, presque aussi large supérieure- 
ment qu'inférieurement, est fortement comprimé en dessous de la tête humérale, et arqué dans toute 
sa longueur. Le eubitus, qui suit la courbure du radius dans toute sa longueur, en se collant presque 
contre lui, est encore assez large, assez épais dans son apophyse olécrane; mais, dans le reste de 
son étendue, il s’amincit et s’atténue assez rapidement en se courbant, de manière, cependant, à 
conserver le même diamètre, en produisant une apophyse odontoïde assez large, comprimée et arron- 
die à son extrémité. Les os du carpe peuvent se subdiviser en deux rangées : dans la première, le sca- 
phoïde est le plus grand et le plus large de tous, et pourvu en dedans d’une apophyse plus forte et 
plus grande que celle des Chats; le triquètre est assez gros, avec une apophyse carpienne forte; le 
pisiforme est très-court, épais, dirigé en arrière. Les os de la seconde rangée sont peu développés 
en général; le trapèze est très-petit, semblable à un cunéiforme; le trapézoïde et le grand os sont pres- 
que égaux, et le dernier est pourvu, en dedans , d’une apophyse plus épaisse que celle de l'unci- 
forme. Les os du méfacarpe sont assez longs, assez étroits, plus serrés et plus droits sur les bords 
que ceux des Chats. Les phalanges sont proportionnellement plus courtes que celles des Chats; les 
onguéales en diffèrent assez notablement : elles sont étroites, triangulaires, peu comprimées, peu ar- 
quées, et assez pointues, pourvues, à la base seulement, d'une sertissure peu avancée. Il y à cinq 
doigts à la main. 


Fig. 9. — Poodle, 


Les membres postérieurs sont peut-être plus longs, plus élevés que les antérieurs, ct l'augmenta- 


fon porte également sur les os de la jambe et du cou-de-pied. Los innominé n'offre pas de gran- 


CARNASSIERS. 


des différences, comparé avec celui de la Panthère; il est, toutefois, un peu plus déprimé, plus élargi, 
plus raccourci dans toute son étendue; le trou sous-pubien est assez petit; la cavité ischiatique est 
plus développée. Le fémur est court, sensiblement courbé, surtout en bas, peu épais dans sa partie 
supérieure, assez large en bas. Le tibia est assez épais, assez robuste, à double courbure plus mar- 
quée que dans les Chats, à articulation supérieure peu élargie, et à articulation inférieure assez pro- 
noncée, assez serrée, un peu plus obliquée que dans les Chats. Le péroné est très-grèle, très-mince, 
surtout dans son corps, qui, dans sa moitié inférieure, se courbe subitement pour s'appliquer contre 
le tibia; les deux têtes sont assez dilatées. Le pied, à quatre doigts, est généralement plus étroit et 
plus serré que celui des Chats, et les os du tarse forment un tout sensiblement plus long que dans 
ces derniers animaux. L'astragale est très-profondément excavé par une poulie à bords inégaux, et 
sa tête, très-étroite dans le sens vertical, est portée par un cou également très-étroit, et dans la 
même direction. Le calcanéum est aussi très-étroit, peu comprimé, fortement échancré en arrière. Le 
scaphoïde a le plus grand diamètre de sa cavité astragalienne vertical. Il y a trois cunéiformes, et 
un cuboïde qui est notablement allongé. Les métatarsiens sont assez étroits, assez serrés, allongés, 
divergents : quoiqu'il n'y ait que quatre doigts, le premier cunéiforme porte, articulé avec lui, un 
rudiment de premier métatarsien, de forme triangulaire, et collé fortement à la base du deuxième, 
pourvu d’une facette articulaire. Quant aux os des doigts proprement dits, on ne peut guère trouver, 
comme différence avec leurs analogues à la main, que dans un peu plus de gracilité. 

Les os sésamoïdes offrent peu de différence de ce qu'ils sont dans les autres Carnassiers digitigra- 
des. Au carpe il y en a deux : l'un, le pisiforme, dans l'abducteur du pouce, et qui s'articule avec 
la tubérosité seule du scaphoïde à sa partie inférieure, et un autre plus petit à l'extrémité du ten- 
don du eubital antérieur, et articulé avec l'unciforme; en outre, les sésamoïdes articulaires de la 
base des doigts sont proportionnellement plus forts que dans les Carnassiers moins digitigrades. 
Aux membres postérieurs, la rotule est bien plus étroite et bien plus épaisse que dans les Chats de 
même taille; les deux sésamoïdes pisiformes des tendons des gastroenémiens existent toujours; mais 
il ne semble pas y en avoir dans les tendons des muscles poplité, et long péronier. 

L'os pénien a acquis un très-grand développement; dans le Loup, cet os est long, doublement ar- 
quê, atténué, et coupé carrément en arrière, s’élargissant et s’excavant fortement en dessus et dans 
le reste de son étendue, tandis qu'en dessous il est presque caréné. 


19 


3 


Si l’on étudie les sexes du Loup sous le point de vue ostéologique, on peut remarquer que la tête 
des mâles est plus courte et plus large, le front plus élevé, plus bilobé par la grande saillie des sinus 
frontaux, etc., tandis qu'au contraire la tête des femelles est toujours plus longue et plus étroite. 


% HISTOIRE NATURELLE. 


De Blainville, que nous avons presque textuellement suivi jusqu'ici, donne ensuite des détails com- 
paratifs sur les particularités que lon peut remarquer dans les diverses espèces de Loups, telles que 
le Loup nain où Canis lycaon, le Loup du Canada, le Loup de l'inde, le Loup du Mexique et le 
Loup rouge où Canis campestris, qui diffère assez considérablement des autres espèces pour qu'on 
ait cherché à en faire le type d'un genre distinct; puis il s'occupe plus spécialement du Chacal, du 
Renard, et de quelques autres espèces dont nous croyons devoir dire quelques mots. 


Fig. 11. — Cocker. 


Le squelette du Chacal, en totalité, ne semble se distinguer de celui du Loup que par sa taille, qu 
est moindre; mais, cependant, on peut voir qu'il en diffère d’une manière assez particulière pour se 
rapprocher de celui du Renard, qui, lui, passe à la forme que nous étudierons chez les Chats. Dans la 
tête, le renflement cérébral est plus marqué que dans le Loup, et Les crêtes sont moins développées. 
La colonne vertébrale offre un peu plus de largeur dans les deux dernières vertèbres cervicales inter- 
médiaires, un peu plus d’étroitesse dans les apophyses épineuses des vertèbres lombaires, et jusqu'à 
vingt vertèbres coccygiennes beaucoup plus grêles que celles qui forment la queue du Loup. Le ma- 
nubrium est beaucoup plus long, et la huitième pièce du sternum est plus forte. Les côtes sont moins 
dilatées inférieurement, et, par là, se rapprochent de celles des Chats. Aux membres antérieurs, 
l’omoplate est plus élargie; la clavicule plate, lamelleuse, moins petite que celle du Loup, un peu 
courbe. Le pouce de la main semble un peu plus long. Aux membres postérieurs, le bassin parait 
raccourci, plus large dans toutes ses parties. Le pied, au contraire, est composé d'os en général plus 
grèles, ce qui le rend plus étroit. L'os du pénis a la même forme que celui du Loup, mais il est beau- 
coup plus droit. 

Dans lsatis (Canis lagopus), les os du nez sont proportionnellement plus larges, et se terminent 
par une échancrure à cornes bien plus égales; les orbites sont plus grandes, la racine du nez plus 
bombée. L'os du péms est plus court que celui du Loup, plus évasé; sa gouttière commence à l’ex- 
trémité tronquée, pour finir presque à l’autre; enfin, il est caréné en dessous. 

Le Renard (Canis vulpes) présente un squelette plus petit que celui du Loup, plus grêle, et com- 
posé d’os plus blancs et plus cassants. La tête est plus étroite, plus effilée; le front est moins bombé; 
la crête sagittale et les os du nez sont moins grêles que dans les Chacals. Aux vertèbres cervicales, 
l'apophyse épineuse est en général plus étroite et plus aiguë; Fapophyse épineuse des vertèbres 
dorsales est évidemment plus large, au contraire des dixième et onzième, qui sont très-fines et très- 
aiguës; les apophyses transverses des vertèbres lombaires sont également plus longues, plus étroites 
et plus droites que dans le Chacal; enfin, les vertèbres coceygiennes, qui sont au nombre de vingt, 
sont notablement plus longues, et décroissent moins rapidement que dans le Loup et le Chacal, de 
manière à former une queue se rapprochant, pour la forme, de celle des Chats. I n°y à pas de diffé- 
rences à Signaler dans la série sternale. Aux membres antérieurs, l'omoplate, quoique semblable à 


CARNASSIERS. 95 


2) 


celle du Chacal, rappelle cependant légèrement celle du Chat dans la saillie coracoïdienne et dans la 
bifurcation de l'acromion. La elavicule est plus développée, et dans la forme normale de cette sorte 
d'os, e’est-à-dire étroite et allongée. L'humérus est proportionnellement un peu plus allongé, et à 
impression deltoïdienne plus large et plus remontée. Des deux os de l'avant-bras, le radius, un peu 
plus court proportionnellement, et surtout moins mince dans son corps, est plus arqué; le cubitus 
est également moins effilé. La main offre des phalanges onguéales plus arquées, plus comprimées et 
plus aiguës. Aux membres postérieurs, il y a moins de longueur dans le bassin, le fémur et les deux 
os de la jambe; mais ceux du pied sont plus longs, plus grèles, plus serrés, de manière à former 
un tarse et un métatarse plus étroits. L’os pénien d'un Renard d'Algérie, étudié par De Blainville, 
ressemblait beaucoup au même os d’un Chacal; il était seulement un peu plus court, et la carène in- 
férieure était plus prononcée et plus pincée. 

Dans le Renard de D’Azara et dans le Renard argenté (Canis cinereo-argenteus), les différences 
ne sont guère appréciables que par l’ostéographie : il n’en est pas de même dans d’autres animaux, 
tels que le Fennec, le Canis megalotis, VHyénoïde ou Cynohyœæna picta, et surtout le Protèle, que 
De Blainville en rapproche, mgis dont nous ferons connaître l'histoire isolément. 

Enfin, dans un dernier groupe d'espèces qui appartiennent à la section des véritables Loups, 
mais que la forme de la tête tend à rapprocher des Hyènes, et dans lesquelles on peut compter les 
Canis cancrivorus, brachyteles, brachyotus, ete., le pouce des pieds de devant est court, remonté, 
ce qui indique une véritable dégradation, et, toutefois, toutes les espèces ont encore une certaine 
ressemblance avec les Chacals. 


LESESTRE 


Fig. 19. — Chien de Saint-Domingue. 


Le Chien crabier (Canis cancrivorus) est dans ce cas plus qu'aucune autre espèce. Sa tête est 
assez courte, large, arquée, voûtée au chanfrein, et surtout entre les orbites; ia mâchoire infé- 
rieure est courte, presque droite, à apophyse angulaire large et courte. La colonne vertébrale ne 

ce 4 


96 HISTOIRE NATURELLE. 


présente pas de différence. Aux membres antérieurs, lomoplate rappelle un peu celle des Ours pour 
la forme parallélogrammique, ses deux bords étant devenus presque parallèles par l'avance de Pan 
térieur vers le rudiment de l'apophyse coracoïde; Pacromion est un peu plus bifurqué, comme dans 
les Chats; l'humérus est court, assez arqué; le radius et le cubitus sont courts, robustes; les os de 
la main sont plus petits que ceux du Chacal, avec les pouces un peu plus courts. Quant aux os des 
membres postérieurs, ils suivent assez bien le même degré de raccourcissement et l’état plus ro- 
buste des antérieurs, aussi bien le fémur que le tibia et le péroné; mais les os du tarse sont encore 
peut-être plus serrés et plus étroits que dans le Chacal, ce qui donne aux métatarsiens une dispo- 
sition analogue, de manière à former une gouttière postérieure plus serrée, plus étroite et plus 
marquée. 


ESS — 
MESNEL 


Fis. 13: — Chien des Esquimaux. 


Le système dentaire des Chiens a été étudié de très-bonne heure, et presque de tout temps, par 
la facilité de se procurer les matériaux d'observation dans notre Chien domestique, et aussi parce 
que cet animal était devenu le sujet principal de Part de la vénerie, et encore mieux parce qu'un 
certam nombre de naturalistes en ont fait pour ainsi dire le type de Pordre des Carnassiers, au 
moins sous le point de vne des dents. Seulement, e’est depuis que l'on s'est occupé avec grand soin de 
l'étude de la paléontologie que les dents des Chiens ont été minutieusement décrites et figurées; d'abord 
par G. et Fr. Cuvier; le premier, dans ses Recherches sur les ossements fossiles, et le second, dans 
ses Dents des Maumifères considérées comme caractères zoologiques, et ensuite par De Blainville, 
dans son article svr les dents, inséré dans le Nouveau Dictionnaire d'Histoire naturelle, ainsi que le 
fascicule des Canis de l'Ostéographie. 

Le système dentaire des Chiens est arrivé au maximum du nombre des dents que l'on observe 
chez les Carnassiers, et montre encore un grand degré de carnivorité qui ne le cède, sous ce rap- 


A . 


port, qu'à celui des Chats. Considéré dans son ensemble, ce système dentaire offre une étendue 


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CARNASSIERS. 27 


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plus considérable que dans aucun autre genre de la même famille; et, de plus, il présente un déve- 
loppement plus complet dans toutes ses parties, aussi bien qu'une combinaison presque à parties 
égales de dents carnassières et de dents omnivores; ce qui à lieu aussi dans quelques Petits-Ours, 
qui sont moins carnivores, et dans les Civettes, qui sont plus insectivores. 

Le Loup, considéré comme type du genre Chien, peut être, ainsi que le fait remarquer De Blain- 
ville, regardé comme le mieux et le plus complétement denté de tous les Mammifères, puisqu'il 
possède, garnissant toute l'étendue de ses longues mâchoires, et pouvant agir à la fois, des incisives 
aptes à couper, à ronger, à pincer de la manière la plus commode, par suite de leur forme et de 
leur disposition avancée à l'extrémité arrondie des mächoires, et leur opposition marginale; des ca- 
nines bien croisées et encore très-fortes, quoique beaucoup moins que chez les Chats; une série 
d'avant-molaires, une principale et même une première arrière-molaire propre à couper, à trancher 
la chair; et, enfin, des arrière-molaires tout à fait plates, tuberculeuses, s’apposant entièrement par 
la couronne, et par conséquent méritant bien le nom qu'elles portent. 

La série des dents du Loup est composée de trois paires d’incisives et d’une canine de chaque côté en 
baut comme en bas, ce qui a lieu chez tous les Carnassiers; puis, des deux côtés, en haut comme en 
bas, de trois avant-molaires, d’une principale, de deux arrière-molaires à la mâchoire supérieure et 
de trois à l'inférieure : ce qui donne quarante-deux dents en totalité. 

A la mâchoire supérieure, les incisives sont disposées en demi-cercle; elles sont plus fortes et plus sail- 
lantes que dans les autres Digitigrades. La première, la plus petite de toutes, est plus verticale que les 
autres, trilobée à la couronne, et présente une racine longue et très-comprimée. La deuxième, qui est 
moins faible, a sa couronne plus aiguë et plus recourbée, et sa racine comprimée en couteau. La troisième, 
la plus forte et la plus arquée, est terminée en crochet simple à la couronne, et sa racine est presque 
triquètre, fortement couchée. Les canines sont assez fortes, quoique moindres que chez les Chats; leur 
coupe est ovale, un peu carénée en arrière, à la limite des deux parties, l'une plane en dedans, l'au- 
tre convexe en dehors, mais constamment sans cannelures ni callures, et à racine allongée. Les 
six molaires sont disposées en série lâche; des trois avant-molaires, la première est la plus petite, 
simple, à une seule racine; la deuxième est biradiculée; la troisième est plus forte, plus oblique que 
la précédente, et a aussi deux racines presque égales. La principale, de beaucoup la plus grosse des 
trois dernières molaires, est la plus manifestement carnassière : sa couronne est formée d’une très- 
forte pointe antérieure dirigée en arrière, portant un petit tubercule en avant, et un lobe postérieur 
presque tranchant, oblique; et elle présente trois racines. Des deux arrière-molaires, la première 
offre à son bord externe deux pointes coniques, et en dedans un large talon arrondi; la deuxième, 
la plus petite, ressemble à la première; elle est seulement plus ramassée. 

À la mâchoire inférieure, les incisives sont plus transverses, plus serrées qu’en haut et à racine 
longue et très-comprimée. La première, la plus petite, est trilobée quand elle n’est pas usée; la 
deuxième, aussi trilobée sur son tranchant, a son lobe médian le plus grand; la troisième, la plus 
forte, n’est que bilobée. Les canines sont robustes, en crochet et à racines très-fortes, un peu cour- 
bées. Les trois avant-molaires sont assez bien dans les mêmes proportions entre elles que celles d'en 
haut : la première cependant est plus petite que sa correspondante, et les deux autres sont légère- 
ment plus comprimées, plus franchement triangulaires avec les deux racines plus serrées et plus lon- 
gues. La principale est tout à fait semblable à la dernière des précédentes, sauf la taille, qui est beau- 
coup plus grande; ses deux racines sont également plus écartées, plus longues. Des trois arrière- 
molaires, la première est la plus grande, la plus carnassière, large, assez épaisse, formée pour les 
deux tiers d'une partie antérieure divisée en deux lobes externes pointus, un peu tranchants, iné- 
gaux, et l’autre tiers d’un large talon à deux tubercules pointus, géminés; elle n'a que deux racines 
assez grosses. La deuxième est beaucoup plus petite, plus basse, à couronne de forme ovale, avec 
deux pointes rangées obliquement en avant d'un talon marqué par le creux d'une fossette, et ayant 
deux racines presque égales, légèrement couchées. La troisième, la plus petite de toutes, a sa couronne 
tout à fait ronde, rebordée, avec une saillie plus ou moins marquée dans son milieu, et une racine 
uniradiculée, conique : elle est tout à fait sans connexion avec tout ou partie d’une dent supérieure. 

Les variations individuelles du système dentaire dans le Loup ne portent que sur la grosseur des 
tents et sur leur degré d'usure, et ne correspondent jamais à la proportion des dents entre elles, ou à 
celle de leurs parties. 


28 HISTOIRE NATURELLE. 


28 

Les différences spécifiques du système dentaire sont assez notables, ainsi que le démontre DeBlainville. 
Sans entrer dans beaucoup de détails à cet égard, nous en dirons seulement quelques mots, renvoyant 
à d’autres parties de notre livre relativement au système dentaire du Mégalotis, du Fennec, de l'Hyé- 
noïde et surtout du Protèle, que l’auteur que nous suivons ici réunit dans le grand genre linnéen des Ca- 
nis. La variation des dents portera exclusivement sur les molaires principales etsur lesarrière-molaires. 
Le Chacal présente à peu près la même disposition entre ces diverses dents, mais elles sont en géné- 
ral proportionnellement plus courtes, plus ramassées, plus serrées. Dans l'Isatis, il ya égalité d’éten- 
due entre la carnassière et les deux tuberculeuses d'en haut, et, de plus, la dernière d'en bas est 
d'une petitesse extrême. Le Renard offre une prédominance bien marquée des deux tuberculeuses 
sur la carnassière. 


MESNEL 


Fig. 14. — Lévrier d'Afrique. 


I nous reste, pour terminer cette esquisse du système dentaire des Chiens, à parler du jeune âge, 
mais seulement dans l'espèce typique. Le nombre et la disposition des dents de lait chez le Loup se 
formulent ainsi : incisives, 3; canines, {=}; molaires, 3-5. Supérieurement: les incisives croissent assez 
peu de la première à la troisième; les deux premières, presque égales, sont nettement trilobées; la 
troisième, la plus grande, n’a qu'une auricule externe. Les canines sont grêles, coniques, en crochet 
arqué, et sans traces de carène. Des trois molaires, l’antérieure est beaucoup plus petite que les au- 
tres et très-distante, triangulaire à une seule pointe médiane; la principale est la plus forte, et formée 
de deux lobes tranchants, inégaux; l’arrière-molaire est une dent tuberculeuse, avec deux denticules. 
Inférieurement : les incisives sont inégalement bilobées, et la première beaucoup plus petite que les 
deux externes. Les canines sont en crochet avec un arrêt à la base de la carène interne. Des trois 
molaires, l'antérieure est assez petite, triangulaire, à deux racines; la principale a la même forme: 
elle est seulement plus grande et avec un talon plus prononcé; la troisième, de même forme que la 
première arrière-molaire d'adulte, est composée d’une partie antérieure à trois pointes, avec un talon 
en arrière. L'ordre de la chute de ces dents est absolument comme dans tous les Carnassiers nor- 
maux. c’est-à-dire que, avant qu'aucune des trois molaires vienne à tomber, la première avant-mo- 


CARNASSIERS. 99 


laire de remplacement pousse dans l'intervalle de la canine et de l'avant-molaire, en même temps ou 
un peu avant que les deux premières incisives tombent et soient remplacées par la première d'adulte. 
Aun degré plus avancé, on peut trouver la première arrière-molaire supérieure poussée, les trois 
molaires de lait encore en place, tandis qu'en bas la carnassière et même la première tuberculeuse 
sont en voie de sortir. Enfin, plus tard, la principale ou carnassière d'en haut se montre, lorsque celle 
de lait est tombée, en même temps que sortent les incisives, puis les deuxièmes avant-molaires, les 
canines, ainsi que la dernière arrière-molaire. 


Fig. 15. — Lévrier anglais. 


Les alvéoles sont dans le Loup plus nombreux que dans aucun autre genre de Carnassiers. À la 
mâchoire supérieure, on peut en compter une série marginale externe de quinze et une série interne 
de trois seulement pour les trois dernières dents. À la mâchoire inférieure, les alvéoles ne forment 
toujours qu'une seule série de trous : trois antérieurs très-rapprochés, étroits, un beaucoup plus grand 
suivant immédiatement, et, après un court intervalle, une série de douze, le premier et le dernier 
simples, et les intermédiaires plus ou moins rapprochés, deux à deux, presque égaux pour le premier 
groupe; inégaux, le postérieur le plus grand, pour les deux suivants, un peu plus petit pour le qua- 
trième et surtout pour le cinquième. Dans la série des espèces, les différences à signaler ne consis- 
tent que dans la grandeur, dans le degré de rapprochement des alvéoles et des groupes qu'ils for- 
ment. 

Relativement à la distribution géographique des espèces, on peut dire que l’on trouve une espèce 
de Chien domestique dans toutes les parties du monde, partout où est l'homme, et qu'il s’en rencon- 
tre également de sauvages dans les diverses régions de l’ancien et du nouveau monde, à l'exception 
peut-être de Madagascar et des îles de la mer du Sud, aussi bien dans les climats froids que dans les 
climats chauds, dans les pays élevés que dans les plaines, dans les continents que dans les îles, mais 
en beaucoup plus grand nombre cependant dans les premiers que dans les seconds. C’est l'Afrique 
qui nourrit le plus grand nombre d'espèces. telles que le Renard, le Loup, le Chacal, etc. L’Amé- 
rique vient ensuite, et cela aussi bien dans les régions les plus boréales que dans les plus australes; 
là ce sont surtout les Loups et les Renards. formant plusieurs espèces distinctes, principalement au 
nord, mais il n’y a pas de véritables Chacals. L'Asie, d'une extrémité à l'autre dans les deux sens, 


90 HISTOIRE NATURELLE. 


mais non dans son archipel, nourrit essentiellement le Chacal et une des deux espèces voisines, et de 
plus le Loup, le Renard et le Canis primævus. Enfin l'Europe ne renferme aujourd'hui que le Loup 
et le Renard commun, avec une autre espèce de petite taille du même groupe, lIsatis tout à fait au 
nord et le Chacal exclusivement à l'est. 

D'après cela, on voit que les Chiens se rencontrent duns toutes les parties du monde habitées par 
l'homme, à l'exception de quelques groupes d'îles dans la mer Pacifique, et nous dirons bientôt qu'on 
en a trouvé un assez grand nombre à l’état fossile. 

Pour compléter nos généralités sur le genre Chien, et avant de passer à la description des espèces 
et des races les plus importantes de ce genre, il nous reste à donner des notions générales sur l'his- 
toire de ces animaux : c’est ce que nous allons faire en donnant quelques extraits du travail que De 
Blainville a inséré sur ce sujet dans son fascicule des Canis de l'Ostéographie. 

De tous les animaux, les Chiens sont certainement ceux dont il est le plus anciennement et le 
plus fréquemment question dans les auteurs sacrés ou profanes. Pour le moment nous ne nous oceu- 
perons que du Chien commun, devant plus tard dire quelques mots du Loup, du Chacal et du Re- 
nard. 

D'après Eliézer, le Chien aurait déjà été connu des fils d'Adam, puisqu'il rapporte que le corps 
d'Abel, après que ce dernier eut été tué par Caïn, fut défendu par le Chien gardien de ses troupeaux. 
L'histoire de Tobie fournit un autre passage qui montre le Chien comme étant pour ainsi dire un 
animal de la famille; c’est lorsque Tobie partant avec l’Ange, le Chien est signalé comme l’accompa- 
gnant aussi bien en allant qu'en revenant. Le Deutéronome nous apprend aussi que le Chien était au 
nombre des animaux qui ne pouvaient être offerts à Dieu en sacrifice. Les Israélites semblent n'avoir 
jamais employé le Chien à la chasse. 


MESNEL 


ESESTMRE 


Lis. 46. — Épagneul, variété. (Seller) 


Chez les Égyptiens, d'après Moïse ct Hérodote, on voit que le Chien était très-anciennement connu 
ct qu'il était chez eux également domestique, servant aussi bien à la garde des maisons qu'à celle 


CARNASSIERS. 31 


des troupeaux. On voit en outre qu'ils les conservaient à l'état de momies, et qu'ils les adoraient en 
quelque sorte. 

Chez les Grecs, les Chiens étaient employés pour la garde des maisons et des troupeaux, et en 
outre pour la chasse. C’est ce qui peut être constaté dans plusieurs passages de l'{liade et de 
l'Odyssée d'Homère, ainsi que dans les fables fameuses des mythographes, qui montrent le Chien 
comme étant tellement considéré comme instrument nécessaire de la société humaine, qu'il entrait 
dans la représentation symbolique des dieux lares, qui, sous la forme de deux jeunes gens, étaient 
accompagnés d'un Chien en repos, ou couverts de la peau d’un de ces animaux. À l’époque où écrivait 
Aristote, non-seulement on connaissait les rapports des Loups et des Renards avec les Chiens, puis- 
qu'on avait vu par expérience que ces animaux peuvent produire ensemble; mais encore on avait déjà 
obtenu au moins trois races de Chiens domestiques désignées sous les noms de Chiens molosses, 
Chiens de Laconie et Chiens de Malte, races que l'on considère aujourd'hui comme le Chien mâtin, 
le Chien de chasse, suivant Gesner, le Chien de berger, suivant Buffon, et le Bichon ou Chien de 
dame. Xénophon indique quelques races particulières de Chiens de chasse, et montre le grand déve- 
loppement que l’art de la vénerie avait pris à l’époque où il écrivait. 

Les Romains furent sans doute assez longtemps à ne connaître de ce genre que les deux espèces 
sauvages qui existaient en Italie, outre l'espèce domestique qu'ils employaient à la garde des trou- 
peaux, ainsi qu'à celle de leurs maisons et même des forteresses, comme le prouve l'histoire célèbre 
de l'attaque du Capitole par les Gaulois, qui fut sauvé par la vigilance des Oies, les Chiens étant res- 
tés muets. Pline s’oceupa plus spécialement des mœurs de ces animaux, et mêla à ce qu'il en dit de 
vrai une foule de contes inexacts. Mais d’autres auteurs, tels que Columelle, Oppien, et surtout Gra- 
tius et Pollux, indiquèrent un grand nombre de races de Chiens de chasse. 

Les nations barbares qui envahirent l'empire romain au cinquième siècle connaissaient beaucoup 
de races de Chiens de chasse, et cela devait être, puisque ces peuples habitaient primitivement des 
forêts où ils devaient se défendre contre l'attaque des bêtes féroces. 

Beaucoup plus tard, Albert le Grand, dans l’article qu'il a consacré aux Chiens, parle du Chien de 
garde, qu'il dit être déjà nommé Mastin, du Chien de chasse courant ou du Lévrier, et enfin du Chien 
de chasse quêteur. 

Depuis Albert le Grand jusqu'aux naturalistes de la Renaissance, c’est-à-dire jusqu'à Gesner, on ne 
peut guère trouver que les auteurs de vénerie qui aient porté leur attention sur la distinction des 
races de Chiens, tels sont Bélisaire Aragonais, Michel-Ange Blond, Guillaume Tardif, et principale- 
ment J. Cay, qui indiqua presque toutes les races principales de Chiens. 

Les naturalistes qui suivirent, et même Linné, n’augmentèrent que peu les connaissances acquises 
sur les animaux de ce genre. Buffon devait envisager le Chien autrement qu'on ne l'avait fait avant 
lui, et c’est ce qu'il fit en 1755. En effet, non-seulement il dénomma, décrivit et figura toutes les 
races de Chiens que l’on connaissait alors en Europe, mais il chercha à les grouper d’après une idée 
de filiation et d’éloignement de la souche, qu'il regardait comme originelle, et d’après la considéra- 
tion de la forme des oreilles entièrement droites dans la famille du Chien de berger, qui comprend les 
Chiens-Loups et les Chiens de Sibérie, de Laponie, du Canada, des Hottentots; en partie droites seule- 
ment dans la famille des Mâtins, à laquelle il rattache le grand Danois, le Lévrier, et entièrement molles 
et tombantes dans les Chiens de chasse, courant, braque, basset, épagneul et barbet. Il va plus loin, 
en pensant que le climat a pu produire dix-sept des trente variétés qu'il a reconnues dans le Chien 
domestique, et les treize autres étant considérées par lui comme des métis des dix-sept premières. Enfin, 
traitant la question de savoir si le Chien domestique coustitue une espèce distincte ou s’il doit être 
considéré comme un Loup dégénéré, il conclut d'expériences tentées pour la première fois à ce sujet 
que c’est une espèce distincte. Zimmermann, beaucoup plus tard, en se fondant sur ce que le Loup 
s’accouple certainement avec la Chienne, et le Chien avec la Louve, et que les produits sont féconds, 
soutint l'opinion que le Chien domestique ne constitue pas une espèce distincte, et que son origine 
remonte au Loup de nos forêts, qui se trouve répandu partout. Guldenstædt donne, lui, le Chacal 
pour origine du Chien domestique. Quelques autres naturalistes, et Blumenbach à leur tête, eurent 
l'idée que notre Chien commun provenait de plusieurs espèces particulières. 

En 1817, Fr. Cuvier reprit de nouveau ce sujet d’une manière différente, en faisant entrer dans la réso- 
lation de la question une considération nouvelle, celle de l'intelligence, traduite par la grandeur du crâne, 


32 HISTOIRE NATURELLE. 


principalement dans la manière dont se disposent les pariétaux, et, selon lui, le Chien est une es- 
pèce animale dont la souche originelle n’existe plus à l'état sauvage, tous les Chiens que l’on connait 
aujourd'hui, soit en Afrique, soit dans l'Inde, soit en Amérique, n'étant, pour lui, que des Chiens 
marrons, parce que leur système de coloration n’est pas variable, et qu'ils rentrent aisément en do- 
mestieité. Il établit ensuite que toutes les races de Chiens, à l’état marron comme à l’état domestique, 
chez les peuples les plus civilisés comme chez les plus sauvages, ne constituent qu'une seule espèce, 
ce que prouve la facilité avec laquelle Les races les plus éloignées produisent entre elles, au contraire 
de ce qui a lieu chez les mulets. Prenant ensuite ses caractères dans la grandeur relative du crâne, 
il forme les trois races suivantes : 1° les Mätins, ayant les pariétaux tendant à se rapprocher, mais 
d'une manière presque insensible, en s’élevant au-dessus des temporaux, et les condyles placés sur 
la même ligne que les molaires; comprenant le Chien de la Nouvelle-Hollande, le Mâtin, le grand 
Danois, le Lévrier; 2 les Épagneuls, dont les pariétaux, à partir de la section temporale, s’écartent, 
se dilatent en dehors, ce qui donne plus de capacité à la boîte cérébrale, les condyles situés au-des- 
sus du niveau de la ligne dentaire; tels sont l'Épagneul, le Barbet, le Chien courant, le Chien de 
berger, le Chien-Loup, les Bassets, les Braques, PAcco; et 3° les Dogues, ayant la capacité cérébrale 
très-petite par suite du rapprochement considérable de la courbe pariétale, les sinus frontaux très- 
grands, et le museau très-court, comprenant les Dogues de diverses races et le Doguin. Cette clas- 
sification, adoptée encore presque généralement aujourd'hui, est celle que nous suivrons dans cet 
ouvrage; aussi ne croyons-nous pas devoir les développer davantage maintenant. 


MESNEU 


Fix, 47. — Masliff du Thibet. 


Depuis, Tilesius revint sur l'opinion que le Chien domestique avait pour type le Chacal, ct 
M. Ehrenberg pensa que dans notre Chien il y avait un mélange de plusieurs espèces particulières. 

De Blainville, dans son Ostéographie, après avoir étudié le Chien domestique sous tous les points 
de vue zoologiques et anatomiques, en se servant particulièrement de l’ostéologie, de l’odontologie, 
ct même de la paléontologie, conclut que cet animal provient d'une espèce particulière. Le savant 
naturaliste que nous venons de citer fait remarquer que « le Chien, redevenu sauvage depuis plus de 
deux cents ans en Amérique, reste Chien, et ne redevient pas Loup, comme cela a lieu pour le Co- 
chon etle Chat, qui redeviennent Sanglier où Chat sauvage, » et croit devoir en conclure que le Chien 


CARNASSIERS. 33 


domestique est, partout où il se trouve, distinct des espèces sauvages, mais moins cependant du 
Loup que de toute autre pour l'organisation, moins encore peut-être du Chacal pour les mœurs 
et les habitudes, et par conséquent formant une espèce distincte, comme le génie de Linné l'avait 
pressenti en la désignant par une dénomination particulière, celle de Canis familiaris. 

Enfin, M. Hamilton Smith, dans l'ouvrage intitulé The naturalist's Library, vol. IX et X, consi- 
dère le Chien domestique comme constituant un sous-genre distinct de celui des Chiens, auquel il 
laisse le nom de Canis, et 1l le subdivise en six sections, auxquelles il applique les noms de Canes 
lachnei, laniarit, venatici, sagaces, domestici et urcami, et dans lesquelles il fait rentrer les di- 
verses races généralement admises par les auteurs. 


Fig. 18. — Métis de Loup et de Chienne. 


Après nous être étendu aussi longuement sur le Chien domestique en raison de l'importance du 
sujet, nous croyons cependant devoir encore nous occuper de l’histoire de quelques-unes des espè- 
ces les plus importantes, telles que le Loup, le Chacal et le Renard. 

Le Loup est indiqué, depuis la plus haute antiquité, comme le destructeur par excellence des trou- 
peaux. En hébreu, cet animal est désigné sous les noms de Zecb où Zaab, qui, suivant M. l'abbé 
Maupied, pourrait venir de +abah (égorger). Dans les livres sacrés, le Loup est nommé Luchs ou 
Lokos, d’où doit être dérivé le nom grec de Lycaon, et il est indiqué uniquement comme un animal 
destructeur. Il n’en est pas de même chez les Égyptiens, et par suite chez les Grecs; en effet, chez les 
premiers, le Loup était considéré comme le symbole du soleil, produisant la lumière, et e’est même 
dans ce sens que les étymologistes dérivent le nom >v4;, et 2vxe, qui, chez les anciens Grecs, signi- 
fiait la lumière du point du jour, époque à laquelle le Loup se met en quête pour exercer ses dépré- 
dations. Chez les Latins, le Loup est leur Lupus, d'où nous avons tiré la dénomination actuelle 
de cet animal, de même qu’elle était tirée elle-même du mot grec de 244: pour ces peuples, le Loup 
est devenu le symbole du dieu Mars, à cause de sa férocité et de son ardeur pour le carnage et même 
le leur, à cause de l’histoire plus où moins apocryphe de l'allaitement de Romulus et de Rémus, fon- 
dateurs de Rome, par une Louve, et au principe plus réel que cette ville obtiendrait l'empire du 
monde par la force des armes; en outre, leurs enseignes conservées et leurs médailles dénotent 
que c'était bien le Loup de nos forêts qu'ils avaient choisi comme symbole. 


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34 HISTOIRE NATURELLE. 


Le Chacal semble être l'animal que les anciens Grecs, et même les auteurs plus récents, ainsi 
qu'on peut le voir dans les ouvrages d'Homère, d'Aristote, d'Hérodote, de Théocrite, d'Oppien, 
d'Élen, de Pollux, etc., désignaient sous le nom de Thos (tw:, ou 6::). Ce point a été cependant très- 
controversé, et voici à ce sujet les conclusions qu'en tire De Blainville. « Si l'on pouvait avoir une 
confiance absolue dans la description d'Aristote, en supposant même que le texte n’a pas été altéré 
par les copistes dans la succession des siècles, on ne pourrait que difficilement admettre l'identité 
absolue du Thos et du Chacal. Cependant, en considérant que la description peut être fautive en 
plusieurs points, de quelque part que vienne l'erreur, il est impossible de croire que le Chacal, 
si commun dans tout le Levant, ait pu échapper à la connaissance des anciens. Je regarde donc comme 
très-probable que le Thos est le Chacal des Orientaux et notre Canis aureus, ce que Guldenstædt 
avait également admis, comme presque tous les zoologistes le font aujourd'hui. » Ainsi désigné sous 
la dénomination de Thos, le Chacal aurait été indiqué dans l'Écriture sainte, et dans presque tous 
les ouvrages des naturalistes grecs, latins, ainsi que dans ceux du moyen âge, et à plus forte raison 
dans les livres de l’époque actuelle. 

Le Renard, qui est le Carnassier le plus répandu dans tout l'Orient, était désigné, chez les Hé- 
breux, sous les noms de Schoual, School, et, chez les Arabes, sous celui de Shaar. Les Grecs, de- 
puis Homère jusqu’à Oppien, l'ont nommé Aozré, et les Latins, Vulpes, dénomination que cet animal 
a conservée spécifiquement. 

En outre, les diverses espèces de Chiens dont nous venons de nous occuper ont été représentées sur di- 
vers monuments anciens, et ont été indiquées dans différents objets d’art, tels que des tableaux, des sta- 
tues, et sur diverses médailles. Chez les Chinois, le Chien a servi de modèle à l’un des caractères figura- 
tifs les plus anciens de leur écriture, caractère qui même est devenu la clef de tous ceux qui indiquent 
les animaux quadrupèdes; il en est de même chez les Égyptiens, où il se trouve également comme signe 
hiéroglyphique. Mais cela ne s'applique guère qu'au Chien domestique, ce qui a lieu également pour 
les momies des animaux de ce genre conservées par les Égyptiens. C’est ainsi que l'on peut probable- 
ment rapporter à diverses races du Canis familiaris le C. graius de De Blainville, et les C. sacer et 
anubis de M. Ehrenberg; toutefois, Savigny rapporte au Chacal (C. aureus) une momie qu'il avait 
trouvée dans les tumulus d'Egypte. 

A l'état fossile, ce n’est qu'en 1774 qu'Esper, le premier, reconnut d'une manière certaine des 
traces de Loup et de Renard dans les cavernes de Gaylenreuth. Depuis cette époque, des os fossiles assez 
nombreux d'animaux du genre Chien ont été signalés en Italie, en France, en Allemagne et en An- 
gleterre, et cela dans des terrains d'ancienneté très-différente, et ces débris ne se rapportent guère 
qu'au Loup et au Renard. Nous nous occuperons plus tard de ces fossiles, et nous nous bornerons 
actuellement à dire que les auteurs qui s’en sont surtout occupés sont : G. Cuvier, Goldfuss, Wagner, 
Schmerling, De Blainville, et MM. Buckland, Marcel de Serre, Dubreuil et Jean-Jean, Bravard, Croizet, 
et Jobert, Murchisson et Gédéon Mantell, et, enfin, nous citerons M. Lund, qui a signalé des traces 
fossiles de ces Carnassiers dans les cavernes du Brésil. 

Nous avons indiqué la plupart des auteurs qui se sont occupés des espèces du genre Chien, et nous 
compléterons cette liste en donnant la description des espèces et des races; mais nous croyons, 
avant de passer à la partie descriptive, devoir dire quelques mots d’un travail de M. Hamilton Smith 
(The naturalists Library, t. IX et X, 1839), dans lequel le savant naturaliste anglais crée divers 
sous-genres et divisions dans le genre Chien, et cela en donnant à ces subdivisions des noms particu- 
liers qui, dans les tendances des naturalistes modernes, feront de chacun d'eux des genres plus ou 
moins utiles, et qui viendront probablement encore surcharger la synonymie zoologique déjà si em- 
brouillée. M. H. Smith subdivise la famille des Canidæ, ou le genre Chien, en cinq sous-genres. 

1 sous-genre. — Chaon (nom propre), subdivisé en dix sections : 

A. Lupus (quatre espèces; type : le Loup); 

B. Lyciscus (uzs;, Loup) (trois espèces; type : Canis latrans); 

C. Chryseus (ypvocc:, doré) (huit espèces; type : C. primævus); 

D. Fhous (six espèces; type : G. anthus, Fr. Cuvier); 

LE. Sacalius (cinq espèces; type : le Chacal); 

L. Cynalopex (450%, Chien, &o7rz, Renard) (einq espèces, type : le Corsac); 


L 


) 


anthère 


noire 


PI, 5 


CARNASSIERS. 09 


G. Megalotis, Uliger (uzyas, grand; os, oreille) (cinq espèces; type : le Fennec, que 
nous décrirons séparément); 
H. Chrysocyon (ysvoc<, d'or; xvwv, Chien) (une espèce : le Canis campestris, De Wied ); 
EL. Dusicyon (Jv::, du nord; xswv, Chien) (quatre espèces; type : Canis antarcticus); 
J. Cerdocyon, peu d'espèces; nouvelles et encore peu connues. 
2° sous-genre. — Canis, comprenant ses Canes feri et Canes familiares : ces derniers subdi- 
visés en Canes lachnei, laniarii, venatiei, sagaces, domestici et urcani, renfermant les diverses 


races et variétés de Chiens ordinaires. 


a" sous-genre.— Vulpes, dans lequel entre un assez grand nombre d'espèces subdivisées en trois 
sections, et dont le type est le Renard. 


4 sous-genre. — Agriodus (yz:, féroce; ejcv:, dent); type : Canis Lalandi, ou notre Hyé- 
noïde. 


»®e sous-genre. — Lycaon (nom mythologique), ne renfermant que le Canis pictus. 


Fig 49. — Chien sauvage du Cap 


Passant maintenant à la description des espèces, des races et des nombreuses variétés du grand 
œenre Chien, nous v admettrons deux sous-genres, ceux des Chiens proprement dits et des Renards, 
et nous regarderons comme formant un groupe générique distinct les Hyénoules, ou Chiens à quatre 
doigts à tous les pieds, ainsi que les Fennecs. 


36 HISTOIRE NATURELLE. 


17 SOUS-GENRE. — CHIENS PROPREMENT DITS. CANIS. Linné. 


CARACTÈRES DISTINCTIFS. 


Papilles des yeux rondes, ce qui démontre des animaux diurnes. 
Queue non touffue. 


On y admet un assez grand nombre d'espèces; mais les principales sont le Chien domestique et ses 
nombreuses races et variétés de races, et le Loup ordinaire. 


\\ \N 


AN 


Fig 20. — Terrier. 


L. ESPÈCE COSMOPOLITE. 


1. CHIEN DOMESTIQUE. CANIS FAMILIARIS. Linné. 


CARAGTÈRES SPÉCIFIQUES. — Museau plus ou moins allongé ou raccourci; queue recourbée en are, 
et se redressant plus ou moins, tantôt infléchie à droite, tantôt infléchie à gauche; pelage très-varié 
pour la nature du poil et pour ses teintes, à cela près que, toutes les fois que la queue offre une cou- 
leur quelconque et du blanc, ce blanc est terminal; ouïe ayant beaucoup de finesse; vue très-per- 
çante. 

Cette espèce tout entière parait avoir passé sous l'empire de l'homme. On ne la connaît nulle part 
aujourd’hui à l’état de pure nature. Des races domestiques ont bien, dans certaines contrées, recouvré 
leur indépendance depuis un nombre assez considérable de générations, et, par là, elles ont sans 
doute repris quelques-uns des traits de l'espèce sauvage. Il s'en trouve à cet état dans presque toutes 
les parties de l'Amérique; on en rencontre dans quelques contrées de l'Afrique, et il en existe dans 
l'Inde. Ces Chiens sont loin d'avoir perdu toutes les traces de la longue servitude de leur race; en 
effet, leurs couleurs varient encore d’une race et même d’un individu à l’autre, et ils rentrent sans 
résistance dans l’état de domesticité. Ils vivent quelquefois en familles de deux cents individus; ha- 
bitent de vastes terriers, chassent de concert, et ne souffrent pas le mélange des individus d’une fa- 
mille étrangère : ainsi réunis, ils ne craignent pas d'attaquer les animaux les plus vigoureux et de se 
défendre contre les Carnassiers les plus forts; le repos, chez eux, succède immédiatement aux fati- 
gues de la chasse, et, dès que leurs besoins sont satisfaits, ils s’y livrent, comme tous les autres 
animaux sanvages, avec d'autant plus de sécurité, que les dangers qui les entourent sont plus faibles. 


CARNASSIERS. a7 


« La recherche des aliments et de la sécurité, qui faisait la condition principale de l’existence 
du Chien sauvage, n’est plus pour ainsi dire, comme le fait remarquer Fr. Cuvier dans son savant 
article Chien du Dictionnaire des Sciences naturelles, qu'une condition secondaire de l'existence 
du Chien domestique; ce n'est plus en poursuivant une proie qu'il obtient sa subsistance, ce n’est 
pas en fuyant le danger ou en le bravant qu'il peut s'y soustraire, mais c’est en se consacrant 
au service de l’homme. Ce service est devenu la première condition de sa vie, et ce sont les diffé- 
rentes empreintes qu'il en reçoit qui caractérisent les différentes races; de sorte qu'on pourrait, 
jusqu'à un certain point, juger de la civilisation d’un peuple, ou d’une de ses classes, par les mœurs 
des animaux qui lui sont associés. Des causes aussi puissantes que celles des mœurs des peuples et 
des classes dont ils se composent, des climats, de la nourriture, du sol, etc., suffiraient presque 
pour expliquer les nombreuses modifications que le Chien domestique a éprouvées, et qui forment ces 
différentes races. Cependant, ces modifications sont si considérables, et de telle nature, que plu- 
sieurs naturalistes ont cru être fondés à penser que nos Chiens n'avaient pas pour souche une seule 
espèce; qu'ils devaient leur existence à des espèces différentes qu'on ne pouvait plus reconnaitre 
aujourd'hui à cause du mélange de leurs races. Nous ne partagerons point cette manière de voir 
(c’est Fr. Cuvier dont nous transcrivons ici ce passage) : outre la difficulté bien reconnue des Mulets 
pour se reproduire, difficulté qui n'existe point entre nos Chiens, nous verrons que les modifications 
les plus fortes n'arrivent au dernier degré de développement que par des gradations insensibles, qu'on 
les voit naître véritablement, et que, dès lors, il est impossible de supposer leur existence dans une 
espèce qui aurait antérieurement existé. D'ailleurs, tous les Chiens ont une disposition instinctive 
qui les porte à se réunir en famille, et qu'ils nous montrent dès qu'ils sont dans la situation de le 
faire. Nous avons vu que les Chiens rendus à l’état sauvage vivent ainsi, et les villes d'Orient nous 
montrent le même phénomène dans ces Chiens, qui n’ont aucun maître, qui se sont réunis en fa- 
milles, et qui, après avoir adopté un quartier, n'y souffrent la présence d'aucun Chien étranger. » 


Fig. 21. — Chien du nord de l'Amérique. 


Entre les différentes races de Chiens, la taille varie considérablement, et les individus n’en sont pas 


38 HISTOIRE NATURELLE. 


tous moins bien conformés. La taille ordinaire est de soixante-quinze centimètres environ de longueur, 
non compris la queue; c’est le milieu entre celle du Loup et du Ghacal, mais elle peut aller beau- 
coup au-dessus et descendre, au contraire, beaucoup au-dessous. Daubenton, dans l'Histoire natu- 
relle générale et particulière de Buffon, a donné une table très-détaillée des dimensions des Chiens 
des principales races; nous renvoyons nos lecteurs à ce travail, et nous nous bornerons à faire ob- 
server qu'on y voit un Mâtin dont la longueur, mesurée du bout du nez à l'anus, était de 2 pieds 
11 pouces, et la hauteur à l'épaule, de 1 pied 11 pouces 6 lignes; un Basset avait 2 pieds 6 pouces 
de long, et seulement 11 pouces de haut; un grand Danois avait une longueur de 3 pieds 6 pouces, 
et un Épagneul n’avait que 11 pouces de long du museau à l'anus. En outre, nous citerons un Chien 
de la Nouvelle-Hollande qui, selon Fr. Cuvier, mesurait 8 décimètres de la tête à l'origine de la 
queue. Nous ferons, enfin, observer qu'il existe souvent, entre des Chiens de races très-voisines, 
des différences de taille très-considérables, comme entre le grand et le petit Lévrier. 


Fig. 29. — Griffon terrier. 


Les formes de la tête varient aussi beaucoup, et l'on peut en juger d’après ce qu'en dit Fr. Cuvier, 
qui a montré combien l'intelligence était plus développée dans les races chez lesquelles la cavité cé- 
rébrale est grande que dans celles où elle l'est, au contraire, peu. La tête est quelquefois très-grosse, 
et d’autres fois assez notablement effilée, comme dans le Lévrier. Ge sujet est des plus importants, 
el nous aurons occasion d'y revenir, car c’est sur des considérations tirées de la forme et de la dis- 
position de la tête qu'est basée la classification des races données par Fr. Cuvier. 

En général, tous les Chiens ont cinq doigts aux pieds de devant, et quatre à ceux de derrière, 
réunis par une membrane qui S’avance jusqu’à la dernière phalange, avec le rudiment d'un cinquième 
os du métatarse qui ne se montre par aucune trace à l'extérieur. Ges doigts, qui sont d'inégale lon- 
gueur, conservent à peu près les mêmes relations dans toutes les races, excepté l’interne des pieds 
de devant, dont l'extrémité ne s’avance quelquefois pas jusqu'au milieu du métacarpe, tandis que 
d’autres fois il va jusqu’au bout de cet os. De plus, il y a des Chiens qui ont un cinquième doigt au 
pied de derrière, à la face interne : ce doigt est ordinairement très-court; il arrive parfois que son 
métatarse est imparfait, et que les phalanges et l'ongle seulement sont complets; mais quelquefois 
aussi tous ces os sont bien conformés, et ne diffèrent de ceux des autres doigts qu'en ce qu'ils sont 
proportionnellement plus petits; mais toutefois, quelques individus ont ce cinquième doigt très- 
long, bien proportionné, et s'avançant jusqu'à la naissance de la première phalange du doigt voisin. 

La queue varie pour sa longueur, mais est composée, le plus habituellement, de dix-huit vertèbres. 


9 


La queue est quelquefois basse, ce qui arrive le plus souvent, et parfois, cependant, l'animal la porte 
relevée. 

La domesticité n’exerce pas d'influence sur les organes de la vue, car les yeux de toutes les races 
se ressemblent; il n'en est pas de mème pour le nez, la bouche et les oreilles, qui peuvent être plus 
ou moins profondément modifiés. L'allongement du museau déterminant un allongement dans les os 
du nez, et conséquemment dans les cornets que ces os renferment, est un des premiers caractères 
par lesquels les Chiens se distinguent, sous le rapport du sens de lodorat : les races dont le mu- 
seau à un certain allongement, comme Le Mätin, le Chien-Loup, le Chien courant, ont l'odorat beau- 
coup plus délicat que celles qui ont le museau court et obtus, comme le Dogue et le Carlin; cepen- 
dant les Lévriers, qui ne semblent pas sentir avec beaucoup de finesse, font exception à cette règle. 
Enfin, un des changements des plus remarquables qu'ont éprouvé le nez et la bouche de certains 
Chiens consiste dans le sillon profond qui vient séparer leur lèvre supérieure et leurs narines, 
ainsi qn'on l'observe chez certains Dogues, qui reçoivent de ce caractère une physionomie toute par- 
ticulière. Les modifications de l'ouie se manifestent surtout dans la situation et dans l'étendue de la 
- conque externe de l'oreille. L’oreille est droite, mobile, et d’une grandeur médiocre dans le Chien 
de berger, le Chien-Loup, ete., ainsi que dans les races peu soumises; mais, dans les races plus pri- 
vées, on voit l'oreille tomber en partie, l'extrémité s’affaisse et n’a plus de mouvement, comme dans 
les Mâtins; enfin, chez les Chiens tout à fait asservis, la conque auditive entière ne se soutient plus; 
elle prend une grande étendue par le développement de ses cartilages, comme cela se remarque chez 
plusieurs races de Chiens de chasse, chez les Epagneuls, les Bassets, etc. 


2] 


CARNASSIERS. 


Fig. 93. — Épagneul, variété. 


Habituellement, les Chiens ont dix mamelles, cinq de chaque côté; savoir : quatre sur la poitrine, 
et six sur le ventre. « Mais, dit Daubenton, auquel nous empruntons ce passage, il y a de grandes 
variétés dans le nombre des mamelles de ces animaux : de vingt et un Chiens de différentes races, tant 
mâles que femelles, dont j'ai compté les mamelles, il ne s’en est trouvé que huit qui eussent cinq ma- 
melles de chaque côté; huit autres n’en avaient que quatre à droite et autant à gauche; deux autres, 
cinq mamelles d’un côté et quatre de l'autre; et, enfin, les trois autres Chiens présentaient quatre mamelles 
d'un côté et seulement trois de l’autre. » Un fait relatif à la fonction de reproduction qui doit être 


40 HISTOIRE NATURELLE. 


noté, c’est que les Chiens sauvages n’entrent qu'une seule fois en chaleur dans l'année, tandis que 
le Chien domestique éprouve au moins deux fois par an le besoin du rut, et quelquefois un plus grand 
nombre de fois. La gestation dure soixante-trois jours, et chaque portée produit depuis quatre ou cinq 
petits jusqu'à dix ou douze. Geux-ci naissent les yeux fermés, et ne voient la lumière qu'au bout d’une 
douzaine de jours. 


a — — À ARR 
ÈS — 7 — NN 
Fig. 24. — Terrier d'Écosse. 


Les poils des Chiens diffèrent, dans les diverses races, par leur nature, par leur couleur, par leur 
finesse, par leur longueur, par leur disposition, et surtout par leur système de coloration. Les con- 
sidérations tirées du pelage de ces animaux étant des plus importantes, nous croyons devoir rappor- 
ter ici ce qu'en dit Fr. Cuvier. «Les Chiens des pays froids ont généralement deux sortes de poils : les 
uns, courts, fins et laineux, couvrent immédiatement la peau, tandis que les autres, soyeux et longs, 
colorent l'animal. Dans les régions équatoriales, cette laine légère et chaude s’oblitère, et finit par dis- 
paraître tout à fait;et il en est de même dans nos habitations, où la plupart des Chiens peuvent se sous- 
traire à l'influence de nos climats et au froid de nos hivers. Le Chien turc a la peau nue et huileuse; 
le Dogue, le Doguin, le Lévrier, le Carlin, ont le poil court et ras; le Chien de berger, celui de la 
Nouvelle-Hollande, le Mätin. le Chien d'Islande, ont les poils plus longs que les espèces précédentes, 
mais plus courts que le Chien-Loup, que l'Épagneul, que le Barbet, et surtout que le Bichon, dont 
les poils descendent quelquefois jusqu'à terre. Si l'on considère le poil sous le rapport de la finesse, 
on ne distingue pas moins de races : Le Chien de berger, le Chien-Loup; le Griffon, ont les poils 
durs, tandis que le Bichon, quelques Barbets, le grand Chien des Pyrénées, l'ont soyeux et doux; 
chez les uns, il est droit et lisse; chez les autres, laineux et bouclé; quelques races ont le corps cou- 
vert de longs poils, tandis que la tête et les jambes n’ont que du poil ras; d’autres, au contraire, 
ont la tête et le cou garnis d'une crinière, et le corps couvert de poils courts: tel est, dans le pre- 
mier cas, le Chien-Loup, par exemple, et, dans le second, le Chien-Lion. Sous ce rapport, les Chiens 
offrent presque toutes les variations que présentent les poils dans la classe entière des Mammifères. 
Quant aux couleurs, c’est du blanc, du brun plus ou moins foncé, du fauve et du noir, que celles 
des Chiens se composent. On voit de ces animaux qui sont entièrement de l'une ou de l'autre de ces 
couleurs; mais le plus souvent elles sont dispersées irrégulièrement par taches, tantôt grandes, tan- 
tôt petites; quelquefois, cependant, on voit qu'elles tendent à se disposer symétriquement; souvent 
elles se partagent chaque poil et produisent alors des nuances différentes, suivant que le blane, le 
noir, le fauve ou le brun, dominent; mais on voit des Chiens dont le pelage est semblable à celui 
du Loup par le mélange du blane, du fauve et du noir; d’autres, plus rares, chez lesquels il est d'un 
beau gris ardoisé. Ges couleurs n'accompagnent pas toujours exclusivement certains autres carac- 
tères : les races de Chiens qu'elles distinguent ne se remarquent pas nécessairement par les formes 


CARNASSIERS. 4H 


de la tête, la nature des poils ou les proportions du corps; toutefois, lorsqu'on a soin de réunir des 
individus de même couleur, la race ordinairement se perpétue, et il en est de même pour la plupart 
des autres caractères : nouvelles preuves que les modifications accidentelles finissent toujours par 
devenir héréditaires. » Ajoutons à ces considérations une remarque curieuse rapportée par A. G. Des- 
marest : c’est que, toutes les fois que la queue offre une couleur quelconque et du blanc, ce blanc 
est constamment terminal. 


Fig. 95 — Épagneul, variété. (Newfoundland ) 


Il n'est pas possible de déterminer l'époque à laquelle le Chien a été réduit en domesticité, mais 
cette époque doit remonter aux premiers temps de la civilisation humaine. « Comment l'homme, dit 
Buffon, aurait-il pu, sans le secours du Chien, conquérir, dompter, réduire en esclavage, les autres 
animaux? Comment pourrait-il encore aujourd'hui découvrir, chasser, détruire les bêtes sauvages et 
nuisibles? Pour se mettre en sûreté et pour se rendre maitre de l'univers vivant, il a fallu commencer 
par se faire un parti parmi les animaux, se concilier avec douceur et par caresse ceux qui se sont 
trouvés capables de s'attacher et d’obéir, afin de les opposer aux autres. Le premier art de l'homme 
a donc été l'éducation du Chien, et le fruit de cet art, la conquête et la possession paisible de la terre. » 

Le régime diététique des Chiens n’a pas varié très-notablement avec leur état de domesticité. En effet, 
suivant les diverses contrées qu'il habite, cet animal se nourrit de chair qu'il prend vivante ou qu'il 
chasse, ou bien de charogne; quelquefois aussi il se contente de fruits, de substances végétales, mais 
non de légumes; et, dans certaines localités où les Mammifères et les Oiseaux sont rares, il se rabat 
sur les Reptiles et les Poissons, ce qu'il ne fait pas partout ailleurs. À l’état domestique, on sait 
qu'il est peut-être moins carnassier, tout en préférant une matière animale à tout autre aliment. Le 
Chien boit en lappant. Lorsque le mâle urine, il le fait en levant lune de ses pattes postérieures, tan- 
dis que la femelle s’accroupit. 

« Plus docile que l’homme, a dit Buffon, plus souple qu'aucun des animaux, non-seulement le 
Chien s’instruit en peu de temps, mais même il se conforme à toutes les habitudes de ceux qui lui 
commandent; il prend le ton de la maison qu'il habite; comme les autres domestiques, il est dédai- 


c? 6 


42 HISTOIRE NATURELLE. 


ui 


gneux chez les grands et rustre à la campagne : toujours empressé pour son maître et prévenant 
pour ses seuls amis, il ne fait aucune attention aux gens indifférents, et se déclare contre ceux qui. 
par état, ne sont faits que pour importuner; il les connaît aux vêtements, à la voix, à leurs gestes, et 
les empêche d'approcher. Lorsqu'on lui a confié pendant la nuit la garde de la maison, il devient 
plus fier et quelquefois féroce; il veille, il fait la ronde, il sent de loin les étrangers, et, pour peu 
qu'ils s'arrêtent où tentent de franchir les barrières, il s'élance, s'oppose, et, par des cris de colère, 
il donne l'alarme, avertit et combat; aussi furieux contre les hommes de proie que contre les animaux 
carnassiers, il se précipite sur eux, les blesse, les déchire, leur ôte ce qu'ils s'efforcent d'enlever; 
mais, content d’avoir vaincu, il se repose sur les dépouilles, n'y touche pas, même pour satisfaire 
son appétit, et donne en même temps des exemples de courage, de tempérance et de fidélité. » 

Le Chien a su se prêter à toutes les circonstances qui l'environnent. Iei il est chasseur, dans un 
autre endroit il est pêcheur on guerrier; ailleurs il est devenu berger ou gardien de nos habitations. 
Ces animaux sont certainement plus intelligents, plus civilisés, si l’on peut se servir de cette expres- 
sion, chez les peuples éclairés que chez ceux qui sont encore dans la barbarie; dans le premier cas 
ils sont susceptibles d'une éducation plus variée, ils sont plus dévoués à leur maitre, leurs races sont 
également plus nombreuses; dans le second cas, ils sont féroces, presque sauvages, ayant peu d’atta- 
chement pour l'homme, vivant pêle-mêle avec leurs maitres, partageant leur nourriture ou plutôt la 
leur dérobant, et ne les aidant que rarement à la conquérir. Ajoutons le tableau admirable de conei- 
sion et d’exactitude qu’en donne Linné. « Le Chien est le plus fidèle de tous les animaux domesti- 
ques; il fait des caresses à son maitre, il est sensible à ses châtiments; il le précède, se retourne 
quand le chemin se divise. Docile, il cherche les choses perdues, veille la nuit, annonce les étrangers, 


Fig. 26 — Chien d'Orient. 


garde les marchandises, les tronpeaux, les Rennes, les Bœufs, les Brebis, les défend contre les Lions 
et les bêtes féroces, qu'il attaque; il reste près des Canards, rampe sous le filet de la tirasse, se met 
en arrêt et rapporte au chasseur la proie qu'il a tuéé, sans l’entamer. En France il tourne la broche, 


9 1 


[US O1 QBiT, 


CARNASSIERS. 43 


en Sibérie on l’attelle au traineau; lorsqu'on est à table, il demande à manger; quand il a volé, il 
marche la queue entre les jambes; il grogne en mangeant; parmi les autres Chiens, il est toujours le 
mire chez lui; il n'aime point les mendiants, il attaque sans provocation ceux qu'il ne connaît pas. » 


S LES a —= 
SK NÉE ee 


Fig. 27 — Epagneul, variété. (Springer) 


A ces détaiis déjà nombreux, nous ne pouvons cependant résister au désir de donner encore quel- 
ques extraits des magnifiques pages consacrées par Buffon à l'histoire du Chien, et nous pensons que 
nos lecteurs, tout en rectifiant peut-être quelques-uns des faits avancés par notre illustre peintre de 
la nature, nous en sauront gré. « Le Chien, indépendamment de la beauté de sa forme, de la vivacité, 
de la force, de la légèreté, a par excellence toutes les qualités intérieures qui peuvent lui attirer les 
regards de homme. Un naturel ardent, colère, même féroce et sanguinaire, rend le Chien sauvage 
redoutable à tous les animaux, et cède dans le Chien domestique aux sentiments les plus doux, au 
plaisir de s'attacher et au désir de plaire; il vient en rampant mettre aux pieds de son maitre son 
courage, sa force, ses talents; il attend ses ordres pour en faire usage, il le consulte, il l'interroge, 
il le supplie, un coup d'œil suffit, il entend les signes de sa volonté; sans avoir, comme l'homme, la 
lumière de la pensée, il a toute la chaleur du sentiment; il a de plus que lui la fidélité, la confiance 
dans ses affections; nulle ambition, nul intérêt, nul désir de vengeance, nulle crainte que celle de 
déplaire; il est tout zèle, tout ardeur et tout obéissance; plus sensible au souvenir des bienfaits 
qu'à celui des outrages, il ne se rebute pas par les mauvais traitements, il les subit, les oublie ou ne 
s'en souvient que pour s'attacher davantage; loin de s’irriter ou de fuir, il s'expose de lui-même à de 
nouvelles épreuves, il lèche cette main, instrument de douleur qui vient de le frapper, il ne lui op- 
pose que la plainte, et la désarme enfin par la patience et la soumission. L'on peut dire que le 
Chien est le seul animal dont la fidélité soit à l'épreuve; le seul qui connaisse toujours son maitre et 
les amis de la maison; le seul qui, lorsqu'il arrive un inconnu, s’en aperçoive; le seul qui entende 
son nom et qui reconnaisse la voix domestique; le seul qui ne se confie point à lui-même; le seul qui, 
lorsqu'il a perdu son maître et qu'il ne peut le retrouver, l'appelle par ses gémissements; le seul qui, 
dans un voyage long qu'il n'aura fait qu'une fois, se souvienne du chemin et retrouve la route; le 
seul enfin dont les talents naturels soient évidents et l'éducation toujours heureuse. 

« Le Chien, fidèle à l'homme, conservera toujours une portion de l'empire, un degré de supériorité 
sur les autres animaux; il leur commande, il règne lui-même à la tête d'un troupeau, il Sy fait mieux 
entendre que la voix du berger; la sûreté, l'ordre et la discipline sont les fruits de sa vigilance et de 
son activité : C'est un peuple qui lui est soumis, qu'il conduit, qu'il protége, et contre lequel il n'em- 
ploie jamais la force que pour y maintenir la paix. Mais c'est surtout à la guerre, e’est contre les 
animaux ennemis ou indépendants qu'éclate son courage, et que son intelligence se déploie tout en- 
tière : les talents naturels se réunissent ici aux qualités acquises. Dès que le bruit des armes se fait 


4% HISTOIRE NATURELLE. 


entendre, dès que le son du cor où la voix du chasseur a donné le signal d'une guerre prochaine, 
bràlant d'une ardeur nouvelle, le Chien marque sa joie par les plus vifs transports, il annonce par 
ses mouvements et par ses cris l'impatience à combattre et le désir de vaincre; marchant ensuite en 
silence, 3 cherche à reconnaître le pays, à découvrir, à surprendre l'ennemi dans son fort; 1l re- 
cherche ses traces, il les suit pas à pas, et par des accents différents indique le temps, la distance, 
l'espèce et même l'âge de celui qu'il poursuit. Intimidé, épuisé, désespérant de trouver son salut 
dans la fuite, animal (principalement le Cerf) se sert aussi de toutes ses facultés, il oppose la ruse 
à la sagacité; jamais les ressources de l'instinct ne furent plus admirables : pour faire perdre sa 
trace, il va, vient et revient sur ses pas; il fait des bonds, il voudrait se détacher de la terre et sup- 
primer les espaces; il franchit d'un saut les routes, les haies, passe à la nage les ruisseaux, les ri- 
vières; mais toujours poursuivi, et ne pouvant anéantir son corps, il cherche à en mettre un autre à 
sa place; il va lui-même troubler le repos d'un voisin plus jeune et moins expérimenté, le fait lever, 
marcher, fuir avec lui; et, lorsqu'ils ont confondu leurs traces, lorsqu'il croit l'avoir substitué à sa 
mauvaise fortune, il le quitte plus brusquement encore qu'il ne l’a joint, afin de le rendre seul l'objet 
et la victime de l'ennemi trompé. Mais le Chien, par cette supériorité que donnent l'exercice et lédu- 
cation, par cette finesse de sentiment qui n'appartient qu’à lui, ne perd pas l’objet de sa poursuite; 
il déméle les points communs, délie les nœuds du fil tortueux qui seul peut y conduire; il voit de 
l’odorat tous les détours du labyrinthe, toutes les fausses routes où lon a voulu l’égarer; et, loin 
d'abandonner l'ennemi pour un indifférent, après avoir triomphé de la ruse, il s’indigne, il redouble 
d’ardeur, arrive enfin, l'attaque, et, le mettant à mort, étanche dans le sang sa soif et sa haine. Ce 
penchant pour la chasse ou la guerre nous est commun avec les animaux; l'homme sauvage ne fait 
que combattre et chasser. Tous les animaux qui aiment la chair et qui ont de la force et des armes 
chassent naturellement : le Lion, le Tigre, dont la force est si grande qu'ils sont sûrs de vaincre, 
chassent seuls et sans art; les Loups, les Renards, les Chiens sauvages, se réunissent, s'entendent, 
s’aident, se relayent et partagent la proie; et, lorsque l'éducation a perfectionné ce talent naturel 
dans le Chien domestique, lorsqu'on lui a appris à réprimer son ardeur, à mesurer ses mouvements, 
qu'on l'a accoutumé à une marche régulière et à l'espèce de discipline nécessaire à cet art, il chasse 
avec méthode, et toujours avec succès. » 


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Fig. 28 — Griffon, variété. (Terrier ) 


Un des usages les plus anciens que l’on fit des Chiens au moyen âge doit être cité jei : on se ser- 
vit de ces animanx comme d'auxiliaires des Espagnols dans leurs expéditions militaires du nouveau 
monde. Christophe Colomb, à sa première affaire avec les Indiens, avait une troupe composée de deux 
cents fantassins, vingt cavaliers et vingt Limiers. Les Chiens furent ensuite employés dans la eon- 
quête des différentes partiés de la terre ferme, surtout au Mexique et dans la Nouvelle-Grenade, 


CARNASSIERS. 45 
ainsi que dans tous les points où la résistance des Indiens fut prolongée. Nu reste les Romains s’en 
sont écalement servis dans leurs guerres des Gaules, et de notre temps on les a employés à la guerre 
s ge s 
dans les Antilles. 


Fig 99. — Demi- Éparueul. 


La vie des Chiens est ordinairement bornée à quatorze ou quinze ans, quoiqu'on en garde quel- 
ques-uns jusqu’à vingt ou vingt-cinq. On peut connaitre l’âge de ces animaux en examinant leurs 
dents, qui, dans la jeunesse, sont blanches, tranchantes et pointues, et qui, à mesure qu'ils vieillissent, 
deviennent noires, mousses et inégales; on le connaît aussi par le poil, ear il blanchit sur le museau, 
sur le front et autour des yeux, lorsque ces animaux commencent à se faire vieux. La mort, qui n'arrive 
habituellement qu'après la vieillesse, est souvent précédée de la décrépitude ou de quelques maladies 
telles que la gale, les rhumatismes, etc. Quelquefois ces animaux deviennent excessivement gras, 
c’est ce qui arrive lorsqu'ils ont trop de nourriture et pas assez d'exercice. Dans leur jeune âge, ils 
sont presque tous tourmentés par un mal qui en emporte un grand nombre : ce mal est connu sous 
le nom de maladie des Chiens; il paraît tenir, dit-on, à un état particulier des organes cérébraux. 
Les Chiens sont aussi très-sujets au ténia, mais il est rare qu'ils périssent par cette cause. 

Une maladie beaucoup plus cruelle que celles que nous venens d'indiquer, et des plus dangereuses en 
ce que le Chien la communique malheureusement beaucoup trop souvent à l'homme, est l'hydrophobie ou 
la rage. On sait que le Chien est à peu près le seul animal chez lequel cette maladie se déclare spontané- 
ment. Bien des causes ont été attribuées au développement de la rage : ce sont principalement la cha- 
leur, la privation de boisson, l'excès du froid; puis, selon des expériences assez récentes, on pourrait 
croire que la principale cause serait une continence absolue ou même seulement prolongée. Malgré 
les nombreux écrits publiés sur ce sujet, malgré les nombreuses recherches d'hommes qui semblent 
le plus compétents pour juger ce sujet, c’està dire de médecins et de vétérinaires, on ne sait encore 
rien de bien positif sur les causes qui produisent cette terrible maladie. Dans cet état de choses, 
peut-on, ainsi que le font plusieurs auteurs, et spécialement M. Boitard dans le Dictionnaire univer- 
sel d'Histoire naturelle, blämer le gouvernement de notre pays des mesures de précaution qu'il a 
cru devoir prendre à certaine époque de l’année contre les Chiens qui errent en si grand nombre dans 
nos villes et nos campagnes? Ne pourrait-on pas plutôt lui demander de chercher, par un impôt ou 


46 HISTOIRE NATURELLE. 


par tout autre moyen, à diminuer le nombre des Chiens, qui, d’après des statistiques récentes, con- 
somment, dit-on, en France au moins un millième des substances alimentaires qui s'y trouvent, et ne 
devrait-on pas tout au moins l'engager à maintenir toute l’année les mesures de police qu’il a mises en 
vigueur et qu'il ne fait guère exécuter que pendant les fortes chaleurs? Nous motivons cette dernière 
proposition sur ce que des cas de rage ont été signalés non-seulement en été, mais aussi à toutes les 
autres époques de l’année, surtout en hiver. 

Utiles sous plusieurs rapports pendant leur vie, les Chiens le sont encore après leur mort; leur 
peau est employée à divers usages dans l'industrie. Quant aux peuples des îles de la mer du Sud et 
de la Nouvelle-Hollande qui s’en nourrissent, on sait qu'ils sont quelquefois en même temps anthro- 
pophages, et, en effet, c’est déjà l'être à moitié, dit Bernardin de Saint-Pierre, que de manger des 
Chiens. . 

Ainsi que nous l'avons déjà dit, le Chien, ayant suivi l'homme sur tous les points de la terre, a dû 
comme lui éprouver les influences des divers climats; de plus, soumis à une antique domesticité, il 
en a subi les conséquences et présente des races très-caractérisées et souvent constantes. Nous allons 
passer en revue les principales eu suivant le travail de Fr. Cuvier, qui a établi sa classification sur 
l’ostéologie de la tête, et qui, s’il n’est pas parvenu à un résultat parfait, a, dans le plus grand 
nombre des cas, pu trouver des caractères assez marqués et assez constants. Dans cette classification 
que nous suivrons et à laquelle nous joindrons des races et des variétés que n’a pas indiquées Fr. Cu- 
vier, les Chiens sont partagés en trois familles ou races principales, dans lesquelles les nombreuses 
variétés et sous-variétés viennent prendre place; ces races sont celles des Marins, Epagneuls et 
Dogues. . 


Fig. 30 — Chien de berger d'Amérique, 


CARNASSIERS. 41 


Are RACE. — MATINS. 


CARACTÈRES DISTINCTIFS. 


Tête plus ou moins allongée, avec les pariétaux tendant à se rapprocher, mais d'une manière 
presque insensible, en s'élevant au-dessus des temporaux; condyle de la mâchoire inférieure sur la 
même ligne que les dents molaires supérieures. 


4. CHIEN DE LA NOUVELLE-HOLLANDE ou DINGO. CANIS FAMILIARIS AUSTRALIÆ. A.-G. Desmareit. 


Taille et proportions du Chien de berger, excepté la tête, qui ressemble entièrement à celle du 
Mätin. Pelage très-fourni; queue assez touffue; deux sortes de poils. des laineux gris et des soyeux 
fauves ou blancs; dessus de la tête, du cou, du dos et de la queue d’un fauve foncé; dessous du cou 
et poitrine plus pâles; museau et face interne des cuisses et des jambes blanchâtres. Longueur du 
corps, depuis le bout du museau jusqu’à l’origine de la queue, 0,50. 

Cette variété est pour Fr. Cuvier celle qui se rapproche le plus du type spécifique, c’est pour cela 
qu'il la place en tête de toutes les autres et qu'il en donne une description des plus complètes. 

Le Chien de la Nouvelle-Hollande, qui a été découvert par Peron et Lesueur aux environs du port 
Jackson, est très-agile; il court avec la queue relevée ou étendue horizontalement, avec la tête haute 
et les oreilles droites; il est très-vigoureux et rempli de courage; vorace et se jetant sur les volailles 
ou la viande qu’il trouve à sa disposition, sans que la crainte d’aucun châtiment puisse le retenir; il 
n’aboie pas, et hurle, dit-on, d’une manière lugubre. Aussi hardi qu'affamé, ce Chien ne craint pas 
de se jeter quelquefois sur le gros bétail, et lui fait des morsures presque toujours mortelles : quand 
il surprend un grand Kanguroo, il s’élance sur son dos, s’y cramponne et le déchire; mais, si celui-ci 
l'aperçoit et se retourne pour le combattre, le Dingo se retire à quelques pas pour recommencer son 
attaque aussitôt que l’autre veut partir, et finit souvent par le tuer. Ce Chien est le compagnon des 
sauvages qui, aujourd'hui, sont relégués vers le centre du continent australien. 


2. CHIEN DES HIMALAYAS ou WAH. CANIS FAMILIARIS HIMAEAYENSIS. Hogson. 


Tête allongée; museau pointu; oreilles droites, pointues; queue touffue; pelage d'un gris cendré 
sous la gorge, avec deux taches noirâtres sur les oreilles; poils extérieurs bruns, soyeux, et les inté- 
rieurs cendrés, laineux. 

Se trouve dans les montagnes de l'Himalaya. 


5. CHIEN DE SUMATRA. CANIS FAMILIARIS SUMATRENSIS. Hardwich. 
Museau pointu; yeux obliques; oreilles droites; jambes hautes; queue pendante, très-touffue, plus 
grosse au milieu qu'à la base; pelage d’un roux ferrugineux, plus clair sur le ventre. 


Il a beaucoup d’analogie avec le Chien de la Nouvelle-Hollande, ainsi qu'avec le Quao, et il se 
trouve dans les forêts de Sumatra. 


4. QUAO. CANIS FAMILIARIS QUAO, Mardwich. 


Oreilles moins arrondies que celles de la variété précédente; queue plus noire. 
Se rencontre dans les montagnes de Ransgbor, dans l'Inde, où il paraît vivre à l’état sanvage. 


48 HISTOIRE NATURELLE. 


o. CHIEN DE LA NOUVELLE-IRLANDE ou POULL. CANIS FAMILIARIS HYBERNIÆ. Lesson. 


Museau pointu; oreilles courtes, droites et pointues; jambes grèles; pelage ras, brun ou fauve. 
Les habitants de la Nouvelle-lrlande le multiplient et l'élèvent dans des sortes de pares pour le 
manger, et ils l'ont habitué à se nourrir de tout, principalement de végétaux et de poissons. 


6. CHIEN DES INDES-ORIENTALES ou DHOLE. CANIS FAMILIARIS INDICUS. Botard 


Forme et taille du Chien de la Nouvelle-Hollande: pelage d’un roux uniforme brillant; queue peu 
touflue. 

Cette variété vit à l'état sauvage en Orient, et, dit-on, aussi dans l'Afrique méridionale; les divers 
individus se réunissent en troupes nombreuses pour chasser les Gazelles, ce qu'iis font en plein jour 
pour éviter la rencontre des Léopards et des Lions. 


À ces espèces sauvages on doit probablement joindre : 


7. CHIEN MARRON D'AMÉRIQUE. CANIS FAMILIARIS AMERICANUS. Nobis 


Diffère des Lévriers en ce que sa taille est un peu moins élancée; tête plate et longue; museau 
effilé; pelage hérissé, fauve ou brunâtre. 

Ne serait-ce pas à cette variété qu’on devrait rapporter les Canis Novæ-Culedoniæ et Canadensis 
décrits en quelques mots par Richardson? 


8. CHIEN DU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE. Kolbe. CANIS FAMILIARIS CAPENSIS. Nobis. 


Museau pointu: oreilles droites; queue longue, traîinant presque à terre; pelage clair, long, tou- 
jours hérissé, un peu fauve. 

On le rencontre vivant à l’état sauvage et à celui de domesticité, et on le dit excellent pour la 
garde des troupeaux; il existait dans le midi de l'Afrique avant le voyage de Vasco de Gama : aujour- 
d'hui on le trouve marron au Congo. 


Les Canis lagopus, Richardson, des rives de la Makensie, dans l'Amérique boréale, et le Canis 
Dukunensis, Sykes, des Mahrattes, sont placés par Lesson dans la même division que les variétés 
précédentes. 


J. CHIEN MATIN CANIS FAMILIARIS LANIARIUS. Linné. 


Tête allongée; front aplati, oreilles droites à la base et demi-pendantes dans le reste de leur 
étendue; taille longue, assez grosse, sans être épaisse; jambes longues, nerveuses, fortes; queue 
relevée en haut; pelage assez court sur le corps et plus long aux parties inférieures et à la queue; 
couleur ordinairement fauve jaunâtre, avec des rayures noirâtres, obliques, parallèles entre elles, 
mais peu marquées et irrégulièrement disposées sur les flancs : d’autres individus blancs, gris, bruns 
ou noirs uniformes. Longueur du corps entier, depuis le bout du museau jusqu'à l’origine de la 
queue : environ 1"; hauteur : 0",33. 

Gmelin y forme deux sous-variétés qu'il nomme Canis laniarius aprinus et suillus. 

Ce Chien est fort et courageux, il se bat avec vigueur contre ls Loups; il est assez intelligent et 


CARNASSIERS. 49 


très-attaché à son maître. On l'emploie parfois à la chasse du Sanglier et du Loup, mais le plus sou- 
vent il est destiné à la garde des habitations rurales et à celle des troupeaux. 


Fig 51. — Mâtin 


10. CHIEN DE TERRE-NEUVE. CANIS FAMILIARIS TERRÆ-NOVÆ. Blumenbach. 


Tête plus large que celle du Mätin; museau plus épais; oreilles pendantes; pattes fortes; pieds 
conformés comme ceux des autres Chiens, quoique l’on dise généralement qu'il les a palmés; poils 
longs, noirs et blancs. 

Habite Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse, et est remarquable par son courage. Il se plait à aller 
dans l'eau pour en retirer les objets qui flottent à sa surface; il est aimant, fidèle et peut recevoir 
une certaine éducation, La réputation de cette variété est trop connue pour que nous entrions dans 
plus de détails sur ses mœurs. 


11. GRAND DANOIS. Buffon. CANIS FAMILIARIS DANICUS MAJOR. Boitard. 


Il tient un peu du Mâtin, mais il a les formes plus épaisses, le museau plus gros et plus carré, les 
lèvres un peu pendantes; son pelage est toujours d’un fauve noirâtre, rayé transversalement de ban- 
des à peu près disposées comme celles du Tigre. Cest le plus grand de tous les Chiens, car on as- 
sure en avoir vu d'aussi grands qu'un âne. 

Une sous-variété indiquée par Gmelin porte le nom de Canis Danicus cursorius. 

C'est le plus paresseux et le plus inoffensif de toutes les variétés de Chiens; il est probable que 
les Chiens d'Épire, si célèbres par leur force, appartenaient à une race croisée du grand Danois et du 
Mâtin, race qui existe encore aujourd'hui et qu'on emploie à la chasse du Loup et du Sanglier. 

c? 7 


50 HISTOIRE NATURELLE. 


42. DANOIS MOUCIIETÉ. CANIS FAMILIARIS DANICUS. A.-G Desmarest. 


Plus mince et plus léger que le Mâtin, dont il atteint la taile; pelage habituellement blane, marqué 
de taches arrondies, petites et nombreuses; queue grèle, relevée, recourbée; yeux souvent avec une 
partie de l'iris d’un blanc bleuñtre. 

Cet animal est purement de luxe; il était de mode autrefois de le faire courir devant les chevaux de 
carrosse. 

Quant au petit Danois, nous en parlerons plus tard, parce qu'il n'appartient probablement pas à la 
race que nous étudions actuellement ; au moins d'après l'opinion de la plupart des naturalistes. 


145 LÉVRIER. CANIS FAMILIARIS GRAIUS. Linné. 


Museau très-allongé, et beaucoup plus que dans aucune autre variété de Chien; front très-bas, ce 
qui est causé par l'oblitération des sinus frontaux; lèvres courtes; jambes minces et très-longues; mus- 
cles maigres; abdomen très-rétréci; oreilles à demi pendantes; pelage essentiellement composé de 
poils soyeux, manquant souvent de cinquième doigt aux pieds de derrière; queue peu charnue. Lon- 
gueur totale : environ 0",66. 


r9 


Fig. 52. — Lévrier 


Ce Chien a une intelligence bornée, est peu susceptible d'éducation, très-sensible aux caresses, 
même des personnes qu'il n'a jamais vues, et s’attachant peu à son maître. Ses formes sont sveltes et 
légères. Sa vue est excellente; son ouïe très-fine. Sa course est très-rapide, ce qui fait que les va- 
riétés de grande taille sont employées à la chasse à courre, principalement à celle du Lièvre et du 
Lapin. Toutefois, les Lévriers d'Écosse et d'Irlande étaient aussi autrefois en usage comme Chiens de 
garde. 

Buffon considère le Lévrier comme propre aux contrées chaudes de l'Europe, et il le fait des- 
cendre de la race du Mätin. 

* On y distingue plusieurs sous-variétés, telles que : 


A. LE GRAND LÉVRIER. 


À pelage d'un gris ardoisé tirant très-rarement sur le fauve, ordinairement court et lisse, quelque- 
fois long, roide et hérissé. 


Fig 


— Chat de Java 


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Fig. 2. — Chat orné 


Pl 


CARNASSIERS. 51 


B. LE LÉVRIER D'IRLANDE. 


À pelage blanc ou cannelle. 


C. LE LÉVRIER DE LA HAUTE-ÉCOSSE. 


À poils rudes et rougeñtres mêlés de blanc, qui couvrent la moitié des yeux; oreilles pendantes; 
taille, grande. 


D. LÉVRIER DE RUSSIE. 


Corps grêle, couvert de poils longs, assez grossiers, divisés par mèches; queue très-longue, roulée 
en spirale. 


E. LÉVRON OU LÉVRIER D'ITALIE. 


De petite taille; pelage blanc ou de couleur isabelle claire, quelquefois varié de ces deux côuleurs. 


F. LÉVRIER CHIEN TURC. 


Présentant les formes du Lévron, avec la peau nue et grasse du Chien turc; tremblant continuelle- 
ment comme ce dernier. 


Une variété voisine du Lévrier est le Canis leporarius Americanus, Godes, propre aux Antilles, et 
qui n’est pas suffisamment connue. 

Nous ajouterons encore deux autres variétés qui sont regardées par quelques zoologistes comme ne 
s'éloignant pas beaucoup du Mätin; ce sont le Chien de berger et le Chiex du mont Saint-Bernard. 
que l'on rapproche aussi parfois du Basset, 


1% CHIEN DE BERGER. CANIS FAMILIARIS DOMESTICUS. Linné. 


Semblable au Mâtin, mais à oreilles courtes et droites, à queue horizontale ou pendante, à pelage 
long, hérissé, noir ou noirâtre. 

Cette variété très-intelligente est surtout employée pour la garde des troupeaux; elle est très- 
sobre et très-attachée à son maitre. 

. En Afrique, en Amérique et en Asie, les variétés du Chien de berger sont si nombreuses, qu'il y 
en a de toutes les tailles et de toutes les couleurs, mais constamment avec les mêmes formes et tou- 
jours avec le poil hérissé. Dans le midi de l'Angleterre, ce chien est ordinairement blanc et noir, 
avec les poils parfois crépus : ceux d’Ecosse sont les plus petits de tous; en France on en distingue 
deux sous-variétés sous les noms de Chien de Brie et de Chien de montagne. 


45. CHIEN DU MONT SAINT-BERNARD ou DES ALPES Boitard. 


Cette variété, très-voisine du Chien de berger, est née de la femelle du Mâtin croisée avee un mâle 
du Chien de berger . le Chien a conservé la taille de sa mère et acquis le pelage et intel'igence de 
son père. 


02 HISTOIRE NATURELLE. 


C'est cette variété que les moines du mont Saint-Bernard ont dressée à aller à la recherche des 
voyageurs égarés dans les montagnes, et parfois enterrés plus ou moins dans les neiges; et tout le 
monde sait avec quelle sagacité, quelle ardeur de zèle, ce Chien s’acquitte de ces pieuses fonctions. 

M. Boitard réunit aux animaux qui forment cette race les Cmen crapier (Canis thous), Linné, et 
Perir Kourara (Canis caviwævorus), que la plupart des zoologistes regardent comme formant deux es- 
pèces particulières. 


Fig. 53. — Chien de berger, 
Le] D 


9 RACE. — ÉPAGNEULS. 


CARACTÈRES DISTINCTIFS. 


Tête médiocrement allongée, avec les pariétaux ne tendant pas à se rapprocher dès leur nais- 
sance au-dessus des temporaux, s'écartant au contraire et se renflant de manière à agrandir la ca- 
vilé cérébrale et les sinus frontaux. 


16. ÉPAGNEUL, CANIS FAMILIARIS ENTRARIUS. Linné. 


Oreilles larges, pendantes ; jambes sèches, courtes: Corps assez mince ; queue relevée; pelage 
de longueur inégale dans les différentes parties du corps, composé de poils très-longs aux oreilles, 
sous le cou, derrière les cuisses, sur la face postérieure des jambes, sur la queue et plus court sur 
les autres parties du corps : généralement blanc avec des taches brunes ou noires, particulièrement 
sur la tête; une tache fauve au-dessus de chaque œil dans les individus dont la tête est noire; taille 
petite. | | 

Cette variété, de petite taille, présente plusieurs sous-variétés, et comprend des animaux doués 
d'une grande intelligence et très-attachés à leur maître. Le grand Epagneul et le Chien de Calabre 


CARNASSIERS. 03 


sont supérieurs aux petites sous-varietés sous le rapport de la finesse de l’odorat; ils sont seuls em- 
ployés à la chasse : le premier comme Chien couchant ou Chien d'arrêt et le second dans la chasse 
au Loup. Le petit Épagneul, le Gredin, le Pyrame, le Bichon et le Chien-Lion sont élevés pour 
l'agrément, et l’on est parvenu à rapetisser leur taille considérablement. 

Ils sont originaires d'Espagne et se trouvent surtout dans l'Europe méridionale et tempérée. 


Fig. 34. — Epagneul, 


Les sous-variétés sont : 


A. GRAND ÉPAGNEUL. 


Front assez aplati; nez quelquefois fendu; queue médiocrement touflue. Longueur du corps: 0",80; 
hauteur au train de devant : 0,16. 


PB. CHIEN DE CALABRE. 


De la taille du précédent et participant de ses caractères et de ceux du Danois, desquels il 
provient. 


C. PETIT ÉPAGNEUL. 


Tête petite, arrondie; oreilles et queue couvertes de longs poils. Longueur du corps : 0,39; hau- 
teur au train de devant : 0",47, 


D. crenin. Canis familiaris brevipilus, Linné. 


En tout semblable, pour la taille et les formes du corps et de la tête, au petit Égagneul; pelage 
entièrement noir; queue médiocrement touffue. 


or 


»4 HISTOIRE NATURELLE. 


E. pynane 
H, PYRAME. 


Presque semblable, pour la taille, au petit Epagneul; pelage noir, marqué de feu sur les yeux, 
sur le museau, sur la gorge et sur les jambes. 


F. BICHON OÙ cniEN DE MALTE. Canis Meluæus, Linné. 


Museau semblable à celui du petit Barbet; poil de tout le corps et de la tête excessivement long et 
soyeux, ordinairement blanc. Taille très-petite. 


G. cuieN Liox. Canis familiaris leoninus, Linné. 


Ne diffère du Bichon qu’en ce que le poil est court sur le corps et la moitié de la queue, tandis 
qu'il est aussi long que celui du Bichon sur la tête, sur le cou, sur les quatre jambes et sur le bout 
de la queue. 


On peut encore ajouter à ces sous-variétés les suivantes : l'Épagneul frisé, V'Epagneul anglais et 
l'Épagneul écossais où Chien anglais, qui est aujourd'hui assez rare en France et se distingue par 
son pelage blane avec de larges taches blondes. 


47. CHIEN TERRIER ou RENARDIER. CANIS FAMILIARIS VULPINARIUS. 


Petit, robuste, musculeux; museau fort, un peu court; oreilles petites, à demi pendantes; jambes 
assez courtes; pelage ras, brillant, noir, avec le derrière des pattes, les joues et deux taches sur les 
yeux d’un fauve vif. 

Ce Chien est courageux, hardi, entreprenant, mais peu attaché à son maître; on l’emploie à la 
chasse pour acculer le Renard dans son terrier, où il pénètre aisément. On en connaît une sous- 
variété, le Terrier griffon, qui se distingue du type par ses poils plus longs, plus ou moins hé- 
rissés. 


13. CHIEN DE CUBA. CANIS FAMILIARIS VALLEROSUS. Lesson. 


Intermédiaire au Barbet et à l'Épagneul; pelage blane, satiné et soyeux, frisé : poils très-longs, 
très-flexueux, épais sur la tête et tombant en crinière; nez noir; pattes courtes, couvertes de sortes 
de manchettes frisées; queue touffue; oreilles amples, tombantes. 

Cette variété est particulière à l'ile de Cuba. 


49. BARBET ou CANICIIE. CANIS FAMILIARIS AQUATICUS. Linné, 


Tête grosse, ronde; cavité cérébrale plus vaste que dans aucune autre race; sinus frontaux très- 
développés; oreilles larges, pendantes; Jambes courtes; corps épais, raccourci; queue presque hori- 
zontale; poil long, frisé sur tout le corps, de couleur noire ou tacheté de noir sur du blane, quelque- 
fois tout blanc, ou bien Jaunâtre ou roussätre. Longueur de la tête et du corps : 0,80. 

Le Barbet est de tous les animaux de ce genre celui dont l'intelligence paraît le plus susceptible 
de développement, il est extrêmement attaché à son maitre., et lon sait que c’est par excellence le 


CARNASSIERS. 05 
Chien de l’aveugle. Il aime l’eau et nage avec la plus grande facilité. On l’emploie utilement à la chasse 
des oiseaux aquatiques. On y distingue deux sous-variétés, le petit Barbet et le Griffon, qui, de petite 
taille, sont élevées dans les appartements, et dont la seconde sous-variété cevendant chasse assez bien. 


Fig. 55, — Barbet ou Caniche. 


A. PeriT BARGET. Canis familiaris minor, Linné. 


Semblable au Barbet par le port, par la figure, par le poil du corps, long et frisé; museau moins 
gros à proportion; poil soyeux sur le sommet de la tête, sur les oreilles et à l'extrémité de la queue. 


B. GRIFFON. 


Forme du Barbet; oreilles légèrement redressées; pelage long, non frisé et disposé par petites 
mèches droites dans toutes les directions; couleur ordinairement noire, avec des taches de feu sur 
les yeux et les pattes; museau garni de longs poils comme le corps. Taille médiocre ou petite. 


Lesson indique encore comme sous-variétés le Canis flanmeus, Bechstein et l'Azco (Canis fami- 
liaris Americanus, Linné), qui est propre au Mexique et est très-imparfaitement connu. 


20. CIIEN COURANT ou CIHIEN DE CHASSE. CANIS FAMILIARIS GALLICUS. Linné. 


Museau aussi long et plus gros que celui du Mâtin; tête grosse, ronde; oreilles très-larges, très- 
Le] Ï © n O 
longues, pendantes; jambes longues, charnues; corps gros, allongé; queue relevée; poil court, à peu 
S ] 5 ; ps $ 56; q 5 : 
près de même longueur sur tout le corps, d’un blanc uniforme ou d’un blanc varié de taches noires, 
brunes ou fauves irrégulièrement distribuées. Longueur du corps : 0®,$6; hauteur au train de de- 
vant : 0m,53. 


56 HISTOIRE NATURELLE. 


Cette variété, originaire de la France, est propre à la chasse et employée surtout dans celle des 
hôtes fauves; son odorat est acquis et elle montre beaucoup d'intelligence. 

Une variété voisine de celle-ci est le Chien courant suisse, surtout en usage pour la chasse du 
Lièvre, et qui, comme le Chien courant ordinaire, ne s'attache pas à son maitre et mord à la moindre 
contrariété. 

D'après Gmelin, il y aurait deux sous-variétés de ce Chien, le Canis gallicus scolicus et le C. gal- 
licus venaticus. 


21. CHIEN BRAQUE ou CHIEN D'ARRÊT. CANIS FAMILIARIS AVICULARIUS. Linné. 


Ne diffère de la variété précédente pour la figure qu'en ce qu'il a le museau un peu plus court et 
moins gros par le bout, la tête plus grosse, les oreilles plus courtes, moins larges, en partie droites 
et en partie pendantes; les jambes plus longues, le corps plus épais, la queue plus charnue et plus 
courte; pelage blanc pur, ou blanc avec des taches noires, brunes ou fauves. Longueur totale, 0,67: 
hauteur au train de devant : 0®,50. 

Il a moins de nez que le Chien courant, mais il chasse également bien; on l'emploie principale- 
ment comme Chien d'arrêt dans la chasse aux Lièvres, aux Perdrix, aux Faisans, ete. 

On y distingue deux sous-variétés : le Braque à nez fendu et le Braque de Buffon. 


29, BRAQUE DU BENGALE. CANIS FAMILIARIS BENGALENSIS. Nobis. 


Les formes générales sont celles du Braque, mais ses jambes sont plus longues; pelage constam- 
ment blanc, avec de grandes taches de brun-marron, et de nombreuses mouchetures d'un brun 
grisâtre, etayant, sur les yeux et surles pattes de devant, de petites taches d’un fauve plus où moins 
jaune ou rougeàtre. 

Cette variété, originaire du Bengale, a les mêmes qualités que le Chien d'arrêt, et ses passions sont 
beaucoup moins vives. 

Le Canis ivritans, Bechstein, se rapproche de cette variété. 


23. LIMIER. CANIS FAMILIARIS SAGAX. Linné. 


Ressemble au Chien courant, mais est plus grand, plus robuste; nez plus gros et plus grand, 
oreilles très-longues, très-larges, très-pendantes, assez plissées; lèvres légèrement pendantes. 

Le Limier a Les mêmes habitudes et les mêmes qualités que le Chien courant, et s'emploie comme 
lui à la chasse du Lièvre et des grandes bêtes fauves; cependant, on ne s’en sert guère qu'en le 
conduisant à la laisse pour faire l'enceinte et découvrir le gibier. 


2%. CIEN BASSET. CANIS FAMILIARIS VERTAGUS. Linné, 


Tête semblable à celle du Braque ou du Chien courant; oreilles longues, pendantes; nez quelque- 
fois fendu; queue longue; jambes courtes, grosses; pelage ras, marqué de taches noires ou brunes, 
plus où moins étendues, nombreuses, sur un fond blanc : quelquefois noir et marqué de taches de 
feu. Longueur de la tête et du corps : 0",65, hauteur au train de devant : 0",30. 

Cette variété, propre à l'Europe méridionale et tempérée, comprend plusieurs sous-variétés, telles 
que : 


CARNASSIERS. 97 


A. Basset à Jampes proires. Buffon. 


Caractérisé par ses jambes courtes, droites. 


B. Basser à JamBEs ronses. Buffon. 


Jambes de devant arquées en dehors. 


Fig. 56. — Basset à jambes torses. 


C. Cuiex gurcos. Buffon. 


Corps allongé; jambes courtes; poil long, soyeux; taille souvent très-petite. Résultant du mélange 
du Basset et de l'Épagneul. 


Les Bassets ont le même caractère et les mêmes mœurs que le Chien courant; ils sont très-ardents 
à la chasse, où on les emploie principalement pour attaquer les Blaireaux et les Renards dans le 
fond de leur terrier. 

Une variété voisine de celle-ci est le Basset de Saint-Domingue, rapporté, par M. le docteur Ri- 
cord, d'Haïti, où il fait la guerre aux Rats, qui sont très-nombreux dans cette ile. 

C'est ici que la plupart des zoologistes placent le Chien de berger, que nous avons cru devoir rap- 
procher du Mätin. 


25. CHIEN-LOUP. CANIS FAMILIARIS POMERANUS. Liuné. 


Oreilles droites, pointues; tête longue; museau long, effilé; corps et jambes bien proportionnés; 
queue haute, enroulée en avant; poil court sur la tête, sur les pieds et sur les oreilles, longs et 
soyeux sur tout le reste du corps, principalement sur la queue; pelage blanc, gris-noir ou fauve. 
Taille moyenne. : 

Cette variété a des habitudes semblables à celles du Chien de berger, qu'elle pourrait remplacer. 

c? 8 


DS HISTOIRE NATURELLE. 


96, CIEN DE SIBÉRIE. CANIS FAMILIARIS SIBIRICUS. Linné. 


De grands poils partout, même sur la tête et sur Les pattes; du reste, en tout semblable, pour la 
forme de la tête et des oreilles, et pour la direction de la queue, au Chien-Loup. 
Habite la Sibérie. 


97, CINEN DES ESQUIMAUX. CANIS FAMILTARIS BOREALIS. A.-G. PDesmarest. 


Tète semblable à celle du Chien-Loup; queue en panache, relevée en cercle; oreilles droites; poils 
soyeux, très-peu abondants : poils laineux, au contraire, excessivement serrés, très-fins, ondulés; 
couleur du pelage variée par grandes taches irrégulièrement distribuées de blane, de noir pur ou de 
gris; anus noir; trois points noirs sur chaque joue, desquels partent quelques soies roides; de grande 
taille. 

Cette espèce habite Le nord du globe, et spécialement les rivages de la baie de Baflin, en Améri- 
que, où il est employé, par les Esquimaux, comme bête de trait pour leurs traîneaux. C'est, en effet, 
un animal assez soumis à l'homme, et lui étant attaché, mais ne connaissant plus son maître et ne 
craignant aucun châtiment lorsqu'il désire satisfaire son appétit, qui est pour ainsi dire insa- 
tiable. 


28. CIDIEN DE CHINE. CANIS FAMILIARIS SINENSIS. Boitard. 


Plus grand, plus trapu et plus lourd que le Chien-Loup, avec lequel il à la plus grande analogie; 
D Ô) ë 
pelage noir. 
Originaire de la Chine. 


5° RACE. — DOGUES. 


CARACTÈRES DISTINCTIFS. 


Muscau assez raccourci; crâne rapelissé, présentant un mouvement ascensionnel prononcé; sus 
frontaux ayant une étendue considérable; condyles de la mâchoire inférieure placés au-dessus de la 
ligne des molures supérieures. 


29. GRAND DOGUE. CANIS FAMILIARIS MOLOSSUS, Linné. 


Museau gros, court, plat; nez retroussé; lèvres épaisses, pendantes; tête grosse, large; front 
aplati; oreilles pendantes à l'extrémité; cou renflé, raccourci; Jambes courtes, épaisses; COrpS gros, 
allongé; queue relevée, repliée en avant par le bout; poil presque ras sur tout le corps, excepté le 
derrière des cuisses et la queue, où il est un peu plus long; lèvres, bout du museau, face externe des 
oreilles, noirs, et tout le restant du corps de couleur fauve pâle; narines souvent séparées par une 
fente. Longueur de la tête et du corps : 0,82; hauteur du corps au train de derrière : 0,45. 

Ce Chien habite l'Europe, et plus particulièrement l'Angleterre. Son intelligence est très-bornéc; 


| CARNASSIERS. d9 


toutefois 1l est très-courageux et attaché à son maitre; on l'élève pour la garde des maisons, et on 
le dresse pour les combats d'animaux. 


Fig. 57. — Dogue. 


On peut regarder comme n’en étant que des sous-variétés les : 


A. Docue pu Tirer. 


Museau très-raccourci; peau excessivement lâche et plissée; couleur noire. 


Habite le Thibet. 


B. Docuix. 


Pelage tirant un peu sur le noirâtre; oreilles plus longues que dans le type; lèvres plus pen- 
dantes. 

Habite l Europe. 

Il à quelque intelligence pour conduire les troupeaux, mais il est triste et brutal. 


50. BOULE-DOGUE, CANIS FAMILIARIS FRICATOR, Lainné. 


Plus petit que le Dogue; corps beaucoup moins long; pattes moins fortes; queue tout à fait recour- 
bée en cercle; museau extrêmement court, entièrement noir; nez relevé, tête presque ronde; pelage 
ras, d'un fauve pâle et jaunâtre, blanc dans une variété. 

Ce Chien, dont le Doglan ne diffère guère, est originaire de l'Europe. [Il a peu d’attachement, 
encore moins d'intelligence, et son courage intrépide dégénère souvent en férocité, surtout quand il 
a été dressé pour le combat; il devient alors véritablement dangereux, et c'est pour cela que sa 
destruction à été prescrite en France. 


60 HISTOIRE NATURELLE. 


31. DOGUE DE FORTE RACE. CANIS FAMILIARIS ANGLICUS. Gmelin. 


Tête très-raccource, et très-semblable à celle des variétés précédentes; oreilles entièrement pen-. 
dantes, ne se relevant jamais; lèvres tombantes, recouvrant la mâchoire inférieure; queue ayant son 
extrémité relevée; narines séparées lune de l'autre par un sillon profond; pelage ras le plus souvent, 
mais quelquefois composé de poils longs; pelage tantôt fauve par parties, tantôt à fond blanc, et 
varié de taches noires où brunes. 

On y distingue plusieurs sous-variétés, telles que les Canis familiaris anglicus, palmatus et 
orbicularis, Bechstein, et anglicus proprement dit, Gmelin. 

C’est le plus gros et le plus fort de tous les Chiens domestiques; il résulte du mélange des races 
du Mätin et du Dogue proprement dit. Il est grossier, lourd, peu intelligent; cependant il est sus- 
ceptible d’attachement, et bon pour la garde des maisons ou pour trainer de petites charrettes. Il est 
docile et fidèle. Sa vie est courte, et son développement très-lent, car il est dix-huit mois à croître, 
etil est déjà décrépit à cinq ou six ans. 


32, CARLIN ou MOPSE. CANIS FAMILIARIS MOPSUS. Linné 


Très-petit; nez encore pus court que celui du Boule-Dogue, dont il semble être la miniature; tête 
absolument ronde; face, comme sans museau, noire jusqu'aux yeux; queue recourbée en trompette; 
jambes courtes; corps très-trapu; pelage d’un jaune fauve foncé. 


Fig 38. — Carlin 


Le carlin est criard, sans intelligence ni attachement; il a, en outre, le défaut d'avoir l'haleine forte 
et d'une odeur désagréable. Gette variété a été très-commune en France il y a une cinquantaine d’an- 
nées, mais elle est, au contraire, très-rare aujourd'hui. 


Fig. 2. — Chat de Diard. 


Fig. 2. — Caracal. 


PI. 


8. 


CARNASSIERS. 61 


33. CHIEN D'ISLANDF. CANIS FAMILIARIS ISLANDICUS. Linné. 


Tête ronde; museau mince; yeux gros; oreilles en partie droites et en partie pendantes; poil lisse, 
surtout derrière les jambes de devant et sur la queue. Longueur de la tête et du corps : 0",80; hau- 
teur au train de devant : 0,55. 

Cemmun en Islande. 


34. CIIEN PETIT DANOIS ou ARLEQUIN. CANIS FAMILIARIS VARIEGATUS. Linné. 


Front bombé; museau assez mince, pointu; yeux très-grands; oreilles à demi pendantes; jambes 
sèches; queue relevée; pelage ras, présentant le plus souvent des taches noires et blanches. Taille 
du Carlin. 

Le nom donné à cette race est impropre, car il n'existe aucun rapport de forme ou de taille entre 
ce petit Chien et le grand Danois, avec lequel on le compare. 


35. CHIEN ANGLAIS. CANIS FAMILIARIS BRITANNICUS. A.-G. Desmarest. 


Il paraît résulter du mélange du petit Danois et du Pyrame, dont il a la taille; tête bombée; yeux 
saillants; museau assez pointu; queue mince, en arc horizontal; poils ras partout; oreilles médio- 
cres, à moitié relevées; robe d’un noir foncé avec des marques de feu sur les yeux, sur le museau, 
sur la gorge et les jambes. | 

Cette variété est aujourd’hui assez répandue comme Chien d'agrément. 


56. ROQUET. CANIS FAMILIARIS HYBRIDUS. Linné. 


Ayant, comme le petit Danois, la tête ronde, les yeux gros, les oreilles petites, en partie droites 
et en partie pendantes; jambes menues; queue retroussée et inclinée en avant; museau gros, court, 
un peu retroussé, comme celui du Doguin; mêmes poils et couleur que le petit Danois, et, comme lui, 
pouvant être arlequiné. 

Buffon donne, pour races originaires de celle-ci, le petit Danois et le Doguin. 

Il est courageux, quoique faible et méprisé par les Chiens plus grands que lui, hargneux, criard, 
mais attaché à son maitre et très-fidèle. 


37. CHIEN D'ARTOIS ou LILLOIS. 


Museau très-court et excessivement aplati. 
On le regarde comme provenant du mélange du Roquet et du Carlin. 
De Flandre et d’Artois. 


58. CHIEN D'ALICANTE ou CHIEN DE CAYENNE. CANIS FAMILIARIS ANDALOSIÆ. A.-G. Desmarest. 


Museau court du Doguin; poil long de l'Épagneul, et provenant probablement du mélange de ces 
deux races. 


62 HISTOIRE NATURELLE. 


39. CHTEN TURC. CANIS FAMILIARIS ÆGYPTIUS. Liané 


Tête très-grosse, arrondie; museau assez fin; oreilles droites à la base, assez larges et mobiles, 
se tenant horizontalement; corps rétréci sous le ventre; membres grêles; queue moyenne; peau pres- 
que entièrement nue, comme huileuse, noire où couleur de chair obscure, tachée de brun par 
grandes plaques. Taille du Carlin. 

Peu intelligent; assez attaché à l’homme; souffrant continuellement de la température de notre 
pays, et grelottant sans cesse; n'étant élevé que comme Chien d'appartement, et y étant très-turbulent 
lorsqu'il est en bonne santé. 

On l'a cru d'abord originaire de Turquie, puis de PAfrique, particulièrement de la Barbarie ou de 
l'Égypte. Mais ce qui semble plutôt certain, ainsi que le fait observer Lesson, e’est que le Canis ca- 
ribæus de Linné doit être rapporté à son Ægyptius, et que c’est le même animal que Christophe 
Colomb trouva en Amérique, dans les îles de Lucayes, lors de la découverte, en 1482, et qu'il 
retrouva, en 149%, dans l’île de Cuba, où les habitants lélevaient pour le manger. Les Français qui 
abordèrent les premiers à la Martinique et à la Guadeloupe, en 1655, l'y rencontrèrent également, et 
il est encore assez commun à Payta, dans le Pérou. 

Lesson le nomme Canis nudus, et le place auprès du Chien de berger, quoiqu'il n'ait aucun rap- 
port avec lui. 

On peut n’en regarder que comme une variété le Chien ture à crinière de Buffon, qui présente 
une sorte de crinière formée par des poils assez longs et roides, derrière le nez, et dont ce dernier 
organe est plus où moins allongé. Gette variété provient du Chien ture et du petit Danois, ou du petit 
Lévrier. 


Fig. 59 — Chien turc. 


Tel est, d'une manière générale, le tableau des races du Chien ordinaire; ce tableau est incom- 
plet pour beaucoup de races qui nous sont inconnues, et il en est un grand nombre qui ne doivent 
leur existence qu'au caprice et à la mode, et qui n’offrent aucune particularité dont la science puisse 
faire son profit. En effet, on est toujours sûr de former des races ou plutôt des variétés lorsqu'on prend 
le soin d'accoupler constamment des individus pourvus des particularités d'organisation dont on veut 
faire le caractère de ces races. Après quelques générations, ces caractères, produits d'abord acciden- 


CARNASSIERS. 65 


tellement, seront si fortement enracinés, qu'ils ne pourront plus être détruits que par le concours de 
circonstances très-puissantes; les qualités intellectuelles s'affermissent aussi, comme les qualités phy- 
siques; seulement, comme il dépend de nous de développer les premières, jusqu'à un certain point, 
par l'éducation, et non pas les secondes, nous sommes pour ainsi dire absolument les maîtres de 
créer des variétés en modifiant l'intelligence. C'est ainsi que les Chiens se sont formés pour la chasse 
par une éducation dont les efforts se propagent, mais qui a besoin d'être entretenue pour qu'ils ne 
dégénèrent pas. Gette éducation est un art particulier, dont les règles reposent entièrement sur lex- 
cellence des sens, de la mémoire et du jugement des Chiens. 

Si, ainsi que nous venons de le dire, on peut conserver intactes des races de Chiens, il n’en est 
pas moins vrai que ces mêmes races, abandonnées à elles-mêmes, ne tardent pas à se méler de telle 
sorte, que l’on ne peut plus en reconnaître aucune, et c’est à ce mélange auquel on à donné le 
nom de : 


40. CHIEN DE RUE. CANIS FAMILIARIS HYBRIDUS. A.-G. Desmarest. 


Ce Chien ne peut se rapporter à aucune des quatre races précédemment décrites, ainsi qu'à au- 
cune de ces variétés, parce qu'il résulte du croisement fortuit de deux ou plusieurs variétés apparte- 
nant à des races différentes. 11 varie de mille manières en grandeur, en forme, en couleur et en in- 
telligence. Très-souvent, la femelle met bas, à la fois, des petits de races différentes de la sienne, 
et qui n'appartiennent pas même entre eux à la même variété, quoique tous enfants du même père. 

D'après ce que nous venons de dire, on ne peut tracer aucure règle pour la taille ni le pelage de 
cette sorte de Chiens (1). 


M. Hamilton Smith, dans l'ouvrage que nous avons déjà cité, admet un plus grand nombre de va- 
riétés, mais nous ne croyons pas devoir en parler ici, nous étant borné à nous occuper des principales. 


(1) On pourrait, sans s'inquiéter des races auxquelles ils appartiennent, rapporter des traits nombreux de l'instinct de 
quelques Chiens. Sans indiquer ce que tout le monde sait relativement à l’utile intelligence que montrent plusieurs races 
de Chiens, tels que le Chien de berger, le Chien de garde, le Chien de Terre-Neuve, le Chien du mont Saint-Ber- 
nard, celui des Ésquimaux, celui de chasse, qui sont devenus les véritables domestiques, nous dirons même les € mpa- 
gaons de l’homme, sans parler de ces Chiens qui savent mendier, voler avec adresse, où de ceux qui font des tours d’a- 
dresse, ou qui, comme Munito, apprennent en quelque sorte à jouer aux dominos pu aux cartes, sans parler de ce Chien 
si utile à l'homme et qui devient le guide de l’aveugie, nous exposerons cependant en quelques lignes, d'après M. Thié- 
baut De Berneau, l'histoire de quelques Chiens devenus célèbres. 

« Le Caniche Moustache s’est fait distinguer par son audace militaire, durant les premières campagnes d'Italie; ce 
fut surtout à la bataille de Marengo qu'il s'atlira l'amitié de nos soldats, par ses marches et contre-marches pour dé- 
couvrir les mouvements de l'ennemi er détourner les nôtres des erubüches qu'on leur tendait. 11 était sans cesse à l'avant- 
garde, et allait toujours le premier à la découverte. Nos soldats avaient en lui une telle confiance, qu'ils suivaient aveu- 
glément le chemin qu'il leur indiquait. Ils ont plus d’une fois, grâce à sa vigilance, surpris et mis en déroute l'ennemi 
qui s’avançait de nuit et par des routes détournées. Quand Moustache fut blessé au champ d'honneur, il fut soigné ave 
sollicitude, et l’armée lui rendit les hommages militaires à sa mort. 

« Un autre Chien, Parade, aimait la musique; le matin, il assistait régulièrement à la parade aux Tuileries; il se pla- 
çait au milieu des musiciens, marchait avec eux, et, lorsqu'ils avaient terminé leur exercice, il disparaissait jusqu’au len- 
demain à la même heure. Le soir, 1l allait à l'Opéra, aux Italiens ou à Feydeau; il se rendait droit à l'orchestre, se pla- 
çait dans un coin, et ne sortait qu'à la fin du spectacle. 

« Un Chien braque, nommé Tropique, né à bord de la corvette la Géographe, avait un tel attachement pour son habi- 
tation flottante, qu'il ne la quiltait pas sans peine pour suivre, dans ses excursions sur terre, le naturaliste Lesueur. 
Comme le vaisseau terminait son voyage aux terres australes, et se disposait à revenir en France, l'équipage consentt à 
laisser Tropique à l'ile Maurice, chez l’un des habitants où il avait été bien recu; mais, le Chien ayant trouvé moyen de 
s'échapper, vint à la nage rejoindre une première fois le bälinent, éloigné de la côte d'une demi-portée de canon. On le 
rendit à son nouveau maitre, et, le départ approchant, on changea de mouillage, et on alla se placer dans la grande rade, 
à environ une lieue du fond du port, dans l'endroit où les bâtiments prêts à partir ont coutume de faire leurs dérnières 
dispositions. Tropique, s'étant encore échappé, nagea d’abord du côté où il avait trouvé la corveite une première fois; 
mais, ne l’y ayant pas rencontrée, il vint, par un prodige d'intelligence et de courage, la rejoindre à une aussi grande 
distance, On l’aperçut de loin, se reposant de temps en temps sur les bouées ou bois flottants destinés à marquer l'entrée 
du chenal. On le vit redoubler de force et d’ardeur dès qu'il put entendre la voix des personnes du bâtiment; et, cette 
fois, du moins, son attachement reçut sa juste récompense; on le garda à bord. Arrivée au Havre, d’où elle était partie 


6% HISTOIRE NATURELLE. 


On indique plusieurs débris fossiles qui peuvent se rapporter au Chien ordinaire, Canis fumiliaris, 
mais l’on comprend, lorsque l'on étudie l’ostéologie du Loup, si voisine de celle du Chien, combien 
il est difficile d'assurer positivement que ces débris appartiennent plutôt à l'une qu’à l’autre de ces 
deux espèces. 


Fig. 40. — Dingo. 


Esper le premier, dès 1772. dit que les cränes d'Ours et de Loup des cavernes de Franconie étaient 
mélés avec des crânes de Chiens de même grandeur et d’autres plus petits. Il en est de même de 
MM. Marcel De Serres, Dubreuil et Jean-Jean, pour des fragments de mâchoires supérieures et infé- 
rieures trouvés dans des cavernes des environs de Montpellier. Mais c’est principalement M. Schmer- 


ling, en 1855, qui a démontré l'existence du Chien domestique à l’état fossile : les débris qu'il in- 


dique consistent dans une tête presque entière et dans plusieurs os des membres, et ont été trouvés 
avec des ossements d'Ours, d'Hyènes et de Chats dans des cavernes des environs de Liége, et qui se 


trois ans auparavant, la corvette fut désarmée, l'état-major logé à terre, et peu à peu le bâtiment devint désert, Tropi- 
que allait et venait pendant tous ces travaux, suivant tour à tour Lesneur ou ses compagnons, mais ne manquant jamais 
de revenir à bord le soir ou à l'heure des repas. Bientôt il ne resta sur la corvette qu'un seul gardien inconnu à Tropi- 
que; il devint alors triste et rêveur. Lesueur mit lout en œuvre pour se l’attacher et l'empêcher de retourner tous les 
soirs à bord. Il ne put y réussir. Un jour, l’on changea de place la corvelte, qui fut amenée dans le bassin intérieur du 
port; Tropique, à son retour, ne l'ayant pas trouvée, passa la nuit sur un ponton qui avait été placé entre la terre et le 
bâtiment. Il y demeura encore la journée du lendemain jusqu'au soir, qu'étonné de ne l'avoir point vu, Lesueur alla 
le chercher. Tout son extérieur était changé, il avait perdu sa gaieté; eraintif, la tête et la queue basses, n'avançant plus 
qu'avec lenteur, les regards tristes, abattus, tout indiquait chez lui le plus violent chagrin. Ce fut en vain que Lesueur 
pressa le Chien dans ses bras, l’appela de la voix, et qu'il chercha à le distraire par ses caresses, par ses attentions : tout 
fat inutile. Tropique retournait constamment sur le ponton; enfin, il refusa toute espèce de nourriture, et le malheu- 
reux, les yeux fixés sur l'endroit où avait été la corvette, expira bientôt. » 


CARNASSIERS, 65 


rapportent à un animal plus faible que ne l'est le Loup, et au contraire plus grand que ne l’est le Re- 
nard. On peut encore signaler deux crânes donnés comme fossiles, l'un imprégné d'oxyde de cuivre 
et trouvé dans un bain, à Antemina, par M. Pentland, et l’autre provenant des tourbières d’'Iogogne, 
près de Château-Thierry, découvert par M. Boblaye, et dont la taille très-petite et la forme de la tête 
sont tout à fait semblables à ce qui existe dans la race des Doguins. 

À ces débris fossiles, qui semblent se rapporter au Chien domestique, on pourrait probablement 
en joindre quelques autres avec lesquels on a cru devoir faire des espèces particulières; nous revien- 
drons sur ce point en terminant l'histoire du genre des Chiens. 


ANT 


I. ESPÈCE D'EUROPE. 


9, LOUP COMMUN. CANIS LUPUS Linné, 


Type du genre Lupus. I. Smith. 


CaracrÈREes sréciriques. — Tête grosse, oblongue, terminée par un museau effilé; plus semblable, 
pour la taille et les formes du corps, au Mätin qu’à aucune autre race de Chiens domestiques, mais 
ayant le corps un peu plus gros et les jambes plus courtes, le crâne plus large, le front moins élevé, 
le museau un peu plus court et plus gros, les yeux plus petits et plus éloignés l’un de l'autre, avec 
l'ouverture des paupières plus oblique; les oreilles plus courtes et droites; la queue grosse, touffue, 
droite, pendante derrière le corps; pelage d’un gris fauve, composé de poils ‘ont les plus longs sont 
blanes à la racine, noirs un peu au-dessus, ensuite fauves, puis blancs et noirs à l'extrémité, ceux de la 

Er 9 


GG HISTOIRE NATURELLE. 


tête, au devant de l'ouverture des oreilles, ceux du con et de la partie antérieure du dos, des fesses 
et de la queue étant les plus longs et ayant jusqu'à 0",14, les autres beancoup plus courts, princi- 
palement sur le museau et sur les oreilles : tous ces poils étant fermes et durs, et recouvrant un 
feutre plus doux et de couleur cendrée; une bande oblique noire sur le poignet des jambes de devant 
dans les individus adultes; museau noir. Quelquefois, par albinisme ou par vieillesse, certains indi- 
vidus sont presque entièrement blanes, ainsi que cela a également lieu pour quelques-uns de ceux qui 
habitent les régions septentrionales. Longueur totale, mesurée depuis le bout du museau jusqu'à 
l'origine de la queue : 4,16; hauteur au train de devant : 0",80; à celui de derrière : 0",75; tou- 
tefois la taille varie beaucoup, et il paraïtrait que les individus qui habitent les contrées septentrio- 
nales sont plus grands que ceux qu'on trouve dans les régions méridionales. 

Buffon nous à tracé un tableau exact en beaucoup de points des mœurs de cette espèce du genre 
Chien. « Le Loup, dit-il, est l’un de ces animaux dont l’appetit pour la chair est le plus véhément: 
et, quoiqu'avec ce goût il ait reçu de la nature les moyens de le satisfaire, qu'elle lui ait donné des 
armes, de la ruse, de lagilité, de la force, tout ce qui est nécessaire, en un mot, pour trouver, atta- 
quer, vaincre, saisir et dévorer sa proie, cependant il meurt souvent de faim, parce que l'homme, 
lui ayant déclaré la guerre, l'ayant même proscrit en mettant sa tête à prix, le force à fuir, à demeu- 
rer dans les bois, où il ne trouve que quelques animaux sauvages qui lui échappent par la vitesse de 
leur course, et qu'il ne peut surprendre que par hasard ou par patience, en les attendant longtemps, 
et souvent en vain, dans les endroits où ils doivent passer. Il est naturellement grossier et poltron, 
mais il devient ingénieux par besoin, et hardi par nécessité; pressé par la famine, il brave le danger, 
vient attaquer les animaux qui sont sous la garde de l'homme, ceux surtout qu'il peut emporter aisé- 
ment, comme les Agneaux, les petits Ghiens, les Ghevreaux; et, lorsque cette maraude lui réussit, 
il revient souvent à la charge, jusqu’à ce que, ayant été blessé ou chassé et maltraité par les hommes 
et les Chiens, il se recèle, pendant le jour, dans son fort, n’en sort que la nuit, parcourt la campa- 
que, rôde autour des habitations, ravit les animaux abandonnés, vient attaquer les bergeries, gratte 
et creuse la terre sous les portes, entre furieux, met tout à mort avant de choisir et d'emporter sa 
proie. Lorsque ses courses ne lui produisent rien, il retourne au fond des bois, ‘se met en quête, 
cherche, suit à la piste, chasse, poursuit les animaux sauvages, dans l'espérance qu'un autre Loup 
pourra les arrêter, les saisir dans leur fuite, et qu'ils en partageront la dépouille. Enfin, lorsque le 
besoin est extrême, il s'expose à tout, attaque les femmes et les enfants, se jette même quelquefois 
sur les hommes, devient furieux par ses excès, qui finissent ordinairement par la rage et la mart. 

« Le Loup, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, ressemble si fort au Chien, qu’il paraît être modelé 
sur la même forme, cependant, il n'offre tout au plus que le revers de l'empreinte, et ne présente les 
mêmes caractères que sous une forme entièrement opposée; si la forme est semblable, ce qui en ré- 
sulte est bien contraire; le naturel est si différent, que non-seulement ils sont incompatibles, mais 
antipathiques par nature, ennemis par instinct. Un jeune Chien frissonne au premier aspect du Loup, 
il fuit à l'odeur seule, qui, quoique nouvelle, inconnue, lui répugne si fort, qu'il vient en tremblant 
se ranger entre les jambes de son maître : un Mâtin qui connait ses forces se hérisse, s'indigne, l'at- 
laque avec courage, tâche de le mettre en fuite, et fait tous ses efforts pour se délivrer d'une pré- 
sence qui lui est odieuse; jamais ils ne se rencontrent sans se fuir'ou sans combattre, et combattre à 
outrance, jusqu'à ce que la mort suive. Si le Loup est le plus fort, il déchire, il dévore sa proie; le 
Chien, au contraire, plus généreux, se contente de la victoire, et ne trouve pas que le corps d'un 
cent mort sente bon; il F'abandonne pour servir de pâture aux Corbeaux, et même aux autres Loups; 
car ils s'entre-dévorent, et, lorsqu'un Loup est grièvement blessé, les autres le suivent au sang, et 
S'attroupent pour Fachever. 

«Le Chien, même sauvage, n'est pas d’un naturel farouche; il s’apprivoise aisément, S'attache et 
demeure fidèle à son maître. Le Loup, pris jeune, se prive, mais ne s'attache point, la nature est 
plus forte que l'éducation; il reprend avec l'âge son caractère féroce, et retourne, dès qu'il le peut, 
à son état sauvage. Les Chiens, même les plus grossiers, cherchent la compagnie des autres animaux, 
ils sont naturellement portés à les suivre, à les accompagner, et c’est par instinct seul, et non par 
éducation, qu'ils savent conduire et garder les troupeaux. Le Loup est, au contraire, l'ennemi de 
toute société, il ne fait pas même compagnie à ceux de son espèce; lorsqu'on les voit plusieurs en 
semble, ce n'est point une société de paix, &'est un attroupement de guerre, qui se fait à grand bruit, 


Chat Lynx. 


Protèle de Delalande, 


CARNASSIERS. 67 


avec des hurlements affreux, et qui dénote un projet d'attaquer quelque gros animal, comme un Cerf, 
uu Bœuf, ou se défaire de quelque redoutable Mätin. Dès que leur expédition militaire est consommée, 
ils se séparent, et retournent en silence à leur solitude. Il n’y a pas même une grande habitude entre 
le mâle et la femelle; ils ne se cherchent qu'une fois par an, et ne demeurent que peu de temps en- 
semble. C'est en hiver que les Louves deviennent en chaleur : plusieurs mâles suivent la même 
femelle, et cet attroupement est encore plus sanguinaire que le premier, car ils se la disputent cruel- 
lement; ils grondent, ils frémissent, ils se battent, ils se déchirent, et il arrive souvent qu'ils mettent 
en pièces celui d’entre eux qu'elle a préféré. Ordinairement, elle fuit longtemps, lasse tous ses aspi- 
rants, et se dérobe, pendant qu'ils dorment, avec le plus alerte ou le mieux aimé... Le temps de la 
gestation est d'environ trois mois et demi (1), et l'on trouve des Louveteaux nouveau-nés depuis la 
fin d’avril jusqu’au mois de juillet. Lorsque les Louves sont prêtes à mettre bas, elles cherchent, au 
fond du bois, un fort, un endroit bien fourré, au milieu duquel elles aplanissent un espace assez 
considérable en coupant, en arrachant les épines avec les dents; elles y apportent ensuite une 
grande quantité de mousse, et préparent un lit commode pour leurs petits; elles en font ordinaire 
ment cinq ou six, quelquefois sept, huit, et même neuf, et jamais moins de trois; ils naissent les yenx 
fermés comme les Chiens; la mère les allaite pendant quelques semaines, et leur apprend bientôt à 
manger de la chair, qu’elle leur prépare en la mâchant. Quelque temps après, elle leur apporte des 
Mulots, des Levrauts, des Perdrix, des volailles vivantes; les Louveteaux commencent par Jouer avec 
elles, et finissent par les étrangler; la Louve, ensuite, les déplume, les écorche, les déchire, et en 
donne une part à chacun. Ils ne sortent du fort où ils ont pris naissance qu'au bout de six semaines 
ou deux mois; ils suivent alors leur mère, qui les mène boire dans quelque trone d'arbre ou à quelque 
source voisine; elle les ramène au gite, ou les oblige à se recéler ailleurs lorsqu'elle craint quelque 
danger. Ils la suivent ainsi pendant plusieurs mois. Quand on les attaque, elle les défend de toutes 
ses forces, et même avec fureur; quoique dans les autres temps elle soit, comme toutes les femelles, 
plus timide que le mâle, lorsqu'elle a des petits, elle devient intrépide, semble ne rien craindre pour 
elle, et s'expose à tout pour les sauver : aussi ne l’abandonnent-ils que quand leur éducation est 
faite, quand ils se sentent assez forts pour n'avoir plus besoin de secours; c’est ordinairement à dix 
mois ou un an, lorsqu'ils ont refait leurs premières dents, et lorsqu'ils ont acquis de la force, des 
armes, et des talents pour la rapine.. Les mâles et les femelles sont en état d'engendrer à l'âge d'en- 
viron deux ans. 

« Le Loup a beaucoup de force, surtout dans les parties antérieures du corps, dans les muscles du 
cou et de la mâchoire. Il porte avec sa gueule un Mouton, sans le laisser toucher à terre; et court 
en même temps plus vite que les bergers, en sorte qu'il n’y a que les Chiens qui puissent l'atteindre 
et lui faire lâcher prise. Il mord cruellement, et toujours avec d’autant plus d'acharnement qu'on lui 
résiste moins, car il prend des précautions avee les animaux qui peuvent se défendre. Il craint pour 
lui, et ne se bat que par nécessité, et jamais par un mouvement de courage. Lorsqu'on le tire, etque 
la balle lui casse quelque membre, il crie, et cependant, lorsqu'on l'achève à coups de bâton, il ne 
se plaint pas comme le Chien; il est plus dur, moins sensible, plus robuste; il marche, court, rùde 
des jours entiers et des nuits; il est infatigable, et c’est peut-être de tous les animaux le plus difficile 
à forcer à la course. Le -Chien est doux et courageux; le Loup, quoique féroce, est timide. Lorsqu'il 
tombe dans un piège, il est si fort et si longtemps épouvanté, qu'on peut le tuer sans qu'il se dé- 
fende, ou le prendre vivant sans qu'il résiste: on peut lui mettre un collier, enchainer, le museler, 
le conduire ensuite partout où l’on veut sans qu’il ose donner le moindre signe de colère ou même 
de mécontentement. Le Loup a les sens très-bons, l'œil, l'oreille, et surtout l'odorat; il sent souvent 
de plus loin qu'il ne voit; l'odeur du carnage l'attire de plus d’une lieue, il sent aussi de loin les ani- 
maux vivants; il les chasse même assez longtemps en les suivant aux portées. Il préfère la chair vi- 
vante à la chair morte, et cependant il dévore les voiries les plus infectes : il aime la chair humaine. 
On a vu des Loups suivre les armées, arriver en nombre à des champs de bataille où l'on n'avait en- 
terré que négligemment les corps, les découvrir, les dévorer avec une insatiable avidité.…. Gn est 
obligé quelquefois d’armer tout un pays pour se défendre des Loups. Dans les campagnes, on fait 


(1) I parait, malgré ce qu’en dit Buffon et d’après des expériences récentes, que la gestation, de même que pour 
les Chiens, ne serait que de soixante-trois jours. 


68 HISTOIRE NATURELLE. 


des battues à force d'hommes et de Mâtins, on tendedes piéges, on présente des appâts, on fait des 
fosses, on répand des boulettes empoisonnées; et tout cela n'empêche pas que ces animaux ne soient 
toujours en même nombre, surtout dans les pays où il y a beaucoup de bois. Les Anglais préten- 
dent, toutefois, en avoir purgé leur île... Les princes ont des équipages pour la chasse du Loup, et 
cette chasse, qui n’est point désagréable, est utile, et même nécessaire. 

« En Orient, et surtout en Perse, on fait servir les Loups à des spectacles pour le peuple; on les 
exerce de jeunesse à la danse, ou plutôt à une espèce de lutte contre un grand nombre d'hommes. On 
achète jusqu'à cinq cents écus, dit Chardin, un Loup bien dressé à la danse. Ce fait prouve au moins 
qu'à force de temps et de contrainte ces animaux sont susceptibles de quelque espèce d'éducation. 
J'en ai fait élever et nourrir quelques-uns chez moi : tant qu'ils sont jeunes, c’est-à-dire dans la pre- 
mière et la seconde année, ils sont assez dociles, ils sont même caressants, et, s'ils sont bien nourris, 
ils ne se jettent ni sur la volaille, ni sur les autres animaux; mais, à dix-huit mois ou deux ans, ils 
reviennent à leur naturel; on est forcé de les enchainer pour les empêcher de s'enfuir et de faire du 
mal... Il n’y a rien de bon dans cet animal que sa peau; on en fait des fourrures grossières, qui sont 
chaudes et durables. Sa chair est si mauvaise, qu’elle répugne à tous les animaux, et il n'y a que le 
Loup qui mange volontiers du Loup. Il exhale une odeur infecte par la gueule : comme pour assou- 
vir la faim il avale indistinctement tout ce qu’il trouve, des chairs corrompues, des os, du poil, des 
peaux à demi tannées et encore toutes couvertes de chaux, il vomit fréquemment, et se vide encore 
plus souvent qu'il ne se remplit. Enfin, désagréable en tout, la mine basse, l'aspect sauvage, la voix 
effrayante, l'odeur insupportable, le naturel pervers, les mœurs féroces; il est odieux, nuisible de son 
vivant, inutile après sa mort. » 


EE 


Lara 


Fig. 42. — Aguara de Falkland. 


Le long passage que nous venons de transerire fait bien connaître les mœurs Au Loup, cepen- 
dant Buffon a exagéré quelques points de son histoire, et a cherché à montrer des différences trop 


CARNASSIERS. 69 


considérables entre le Chien et le Loup. Toutefois, il est très-probable que le premier ne descend 
pas du second, ainsi qu'on l’a pensé pendant longtemps, ou qu'on le pense même encore; une preuve 
que Buffon en donne, c’est que la Louve et le Chien, ou le Loup et la Chienne, n’ont jamais pu pro- 
duire ensemble; mais ce fait ne peut cependant plus être admis aujourd'hui, et les naturalistes rapportent 
que ces animaux peuvent se rapprocher, et qu'il en résulte des métis, qui pourraient eux-mêmes se re- 
produire. Les Loups ont plus de courage que ne leur en à accordé notre illustre naturaliste; ils sont, 
entre eux, plus sociables qu'il ne l'a dit, et ils peuvent se familiariser plus qu’on ne l’a prétendu. 


Fig. 45. — Chacal de Nubie. 


A ce sujet, qu'il nous soit permis de rapporter ce qu'en dit Fr. Cuvier. « Le Loup, pris jeune, 
S’apprivoise aisément; il s'attache à celui qui le soigne, au point de le reconnaitre après plus d’une 
année d'absence. C’est un fait dont j'ai été le témoin, et le Loup qui l'a présenté avait été doué d'un 
caractère assez heureux pour que l'âge n’eût apporté aucun changement dans sa confiance et sa fami- 
liarité. On ne saurait trop le répéter, il ne faut point juger les dispositions naturelles des animaux 
d'après quelques individus seulement, et il faut toujours avoir égard aux circonstances dans lesquelles 
leur race se trouve. Au reste, on doit admettre qu’en général aucun animal n’est privé de la faculté de 
S’'apprivoiser, et n'a un caractère absolument intraitable. Tous les animaux, ainsi que nous, aiment 
le bien et fuient le mal, et ils n’apprennent à connaître positivement l'un et l’autre que par expé- 
rience. Si les hommes leur font du bien, ils s’y attachent, autant qu'il est en eux de s'attacher: dans 
le cas contraire ils les fuient; et, si quelques individus refusent longtemps de s'apprivoiser, c'est que 
le sentiment de la défiance, qui est naturel à tous les animaux, et qui est un des dons les plus pre- 
cieux que la nature leur ait accordés, est trop fort pour que le bien qu'on leur fait puisse être facile- 
ment senti par eux; mais jamais leur férocité n’est absolue. Lorsqu'on a voulu établir ce fait pour 
quelques espèces, et même pour celle qui nous occupe, on n’a pas senti qu'un animal qui serait dans 


70 HISTOIRE NATURELLE 


cette disposition périrait imfailliblement,; lhomme n’est pour lui qu'un être, comme tous les autres 
êtres de la nature; l'impossibilité absolue de s’habituer avec lui entrainerait celle de s'habituer avec 
les autres. Et comment un animal qui serait perpétuellement dans un état de défiance absolue pour 
tout ce qui l'environnerait pourrait-il exister? » 

Ajoutons que Fr. Cuvier, à propos de la familiarité de quelques Loups, à donné l'histoire de 
deux de ces animaux, qui vivaient à la ménagerie du Muséum, et qui ont montré pour leur maitre 
un attachement aussi grand, aussi passionné qu'aucun Chien ait pu l'éprouver. L'un d'eux, le seul 
dont nous voulions parler, ayant été pris fort jeune, fut élevé de la même manière qu'un Chien, et 
devint familier avec toutes les personnes de la maison: mais il ne s’attacha d'une affection très-vive 
qu'à son maitre : il lui montrait la soumission la plus entière, le caressait avec tendresse, obéissait à 
sa voix, et le suivait en tous lieux. Celui-ci, obligé de s’absenter, en fit présent à la ménagerie du 
Muséum, et l'animal souffrit de cette absence, au point qu’on craignit de le voir mourir de chagrin. 
Pourtant, après plusieurs semaines passées dans la tristesse, et presque sans prendre de nourriture, 
il reprit son appétit ordinaire, et lon crut qu'il avait oublié son ancienne affection. Au bout de dix- 
huit mois, son maître revint au Muséum, et, perdu dans la foule des spectateurs, il s’avisa d'appeler 
l'animal. Le Loup ne pouvait le voir, mais il le reconnut à la voix, et aussitôt ses cris et ses mouve- 
ments désordonnés annoncèrent sa joie. On ouvrit sa loge; il se jeta sur son ancien ami, et le cou- 
vrit de caresses, comme aurait pu le faire le Chien le plus fidèle et le plus attaché. Malheureusement 
il fallut encore se séparer, et il en résulta pour ce pauvre animal une maladie de langueur plus lon- 
gue que la première. Trois ans s’écoulèrent; le Loup, redevenu gai, vivait en très-bonne intelligence 
avec un Chien, son compagnon, et caressait ses gardiens. Son ancien maitre revint encore; c'était le 
soir, et la ménagerie était fermée. Il l'entend, le reconnaît, lui répond par ses hurlements, et fait 
un tel tapage, qu'on est obligé d'ouvrir. Aussitôt l'animal redouble ses cris, se précipite vers son ami, 
lui pose les pattes sur les épaules, le caresse, lui lèche la figure, et menace de ses formidables 
dents ses propres gardiens, qui veulent s’interposer. Enfin, il fallut bien se quitter. Le Loup, triste, 
immobile, refusa toute nourriture; une profonde mélancolie le fit tomber malade; il maigrit, ses poils 
se hérissèrent, se ternirent; au bout de huit jours, il était méconnaissable, et l’on ne douta pas qu'il 
mourût. Cependant, à force de bons traitements et de soins, on parvint à lui conserver la vie; mais il 
n'a jamais voulu, depuis, ni caresser ni souffrir les caresses de personne. 

Disons encore, et cela avec la plupart des auteurs modernes, que c’est surtout pendant la nuit que 
le Loup affamé oublie sa prudence ordinaire pour montrer un courage qui va jusqu'à la témérité. 
Rencontre-t-il un voyageur accompagné d’un Chien, il le suit, s’en approche peu à peu, se jette tout 
à coup sur l'animal effrayé, le saisit même auprès de son maître, l'emporte, et disparait. On en 
a vu souvent suivre un cavalier pendant plusieurs heures, dans l’espérance de trouver un mo- 
ment propice pour étrangler le cheval et le dévorer. On sait, en outre, la poursuite que les Loups, 
réunis, font dans Le Nord aux traineaux qui emportent des voyageurs. Si, pendant la nuit, le Loup 
peut se glisser dans une bergerie sans être découvert, il commence par étrangler tous les Moutons 
les uns après les autres, puis il en emporte un et le mange. Il revient en chercher un second, qu'il 
cache dans un hallier voisin, puis un troisième, un quatrième, et ainsi de suite, jusqu'à ce que le 
jour vienne le forcer à battre en retraite. Il les cache dans des lieux différents, et les recouvre de 
feuilles sèches et de broussailles; mais, soit oubli, soit défiance, il ne revient que rarement les cher- 
cher. En plein jour même, lorsqu'il est pressé par la faim, il oublie toute prudence, et se livre par- 
fois à la chasse. Alors il parcourt la campagne, s'approche d’un troupeau avec précaution pour n'être 
pas aperçu avant d'avoir marqué sa victime, s’élance, sans hésiter, au milieu des Chiens et des bergers, 
saisit un Mouton, l'enlève, l'emporte avec une légèretételle, qu'il ne peut être atteint que par les Chiens, 
et sans avoir la moindre crainte de la poursuite qu'on lui fait, ni des clameurs dont on l'accompagne. 
Quelquefois, ilemploie la ruse, et nous citerons à ce sujet des faits dont M. Boitard assure avoir été té- 
moin. «Si un Loup, dit-il, a découvertun jeune Chien inexpérimenté dans la cour d'une grande ferme 
isolée, il s'en approche avec effronterie jusqu'à portée de fusil: il prend alors différentes attitudes, 
fait des courbettes, des gambades, se roule sur le dos, comme s'il voulait jouer; mais, quand le jeune 
novice se laisse aller à ces trompeuses amorces et s'approche, il est aussitôt saisi, étranglé, et en- 
trainé dans le bois voisin pour être dévoré. Lorsqu'un Chien de basse-cour est de force à disputer 
sa vie, deux Loups se réunissent, et savent fort bien s'entendre pour lattirer dans un piége; Pun se met 


CARNASSIERS. 71 


en embuscade et attend; l'autre va rôder autour de la ferme, se fait poursuivre par le Mätin, l’attire 
ainsi jusqu'auprès de l’embuseade, puis tous deux se jettent à la fois sur le malheureux Chien, qui 
tombe victime de son courage et de la perfidie de ses ennemis. » 

Le Loup existe dans toute l'Europe, excepté dans les îles Britanniques, où il a été détrüit; il habite 
aussi le nord de l'Asie, de l'Amérique, et il est à croire qu'il a pénétré de l'ancien dans le nouveau 
continent par les glaces du Kamtchatka. 


Fig. 4%. — Chacal du Sénéoal. 


On à donné la description d'assez nombreux ossements fossiles qui doivent être rapportés au Loup, 
et que l’on nomme, en général, d'après M. Goldfuss, Canis spelœus. Esper, le premier, en 1772, en 
à indiqué des os fossiles dans les cavernes de Franconie et dans celles de Gaylenreuth. M. Goldfuss, en 
1825, ayant soumis à un examen scrupuleux une tête presque entière et parfaitement conservée, pro- 
venant des mêmes cavernes, a cru devoir l'en distinguer sous le nom de Canis spelwus, que nous avons 
cité, donnant comme une différence principale que la crête sagittale s'élève davantage en général, et en 
même temps plus vers sa partie postérieure que dans le Loup ordinaire. G. Cuvier, ayant eu à sa 
disposition plusieurs pièces de ce même carnassier, soit en dessin, soit en nature, a également con- 
elu qu'une espèce de Loup a existé, non-seulement dans les cavernes, mais aussi dans les terrains 
diluviens avec des restes d'Ours, d'Hyènes et d'Éléphants, et, considérant la brièveté plus grande 
du museau, il semble la regarder comme différant du Canis lupus. M. Schmerling a positivement ad- 
mis leur identité pour des débris trouvés dans les cavernes des environs de Liége, et il en est de 
même pour une mandibule garnie de ses dents, trouvée dans la caverne de Lunel-Viel, et étudiée 
par MM. Marcel de Serres, Dubreuil et Jean-Jean. Enfin, De Blainville est arrivé au même résultat 
d’après les pièces fossiles nombreuses de la galerie d'anatomie comparée et de paléontologie du 
Muséum, et qui consistaient en des ossements fossiles provenant de la caverne de Kent, près 
de Torquay, en Angleterre; de celles de Gayleureuth; de Sants, dans la Charente: inférieure; 


72 [HISTOIRE NATURELLE. 


de Cagliari, en Sardaigne; d’une brèche calcaire de Milhac de Nontron, département de la Dor- 
dogue; des environs d'Abbeville; de terrairs de diluvium en Allemagne, en Italie, en Angleterre et 
en France, etc. 

Quant au Canis spelæus minor de M. Wagner, il semble ne pas différer non plus du Loup ordi- 
naire. 


3. LOUP NOIR. Buflon. CANIS LYCAON. Linné. 


CanracrÈnes SPÉCIFIQUES. — De même grandeur que le Loup ordinaire, mais avec des formes plus 
légères, plus élancées, des veux plus petits et plus rapprochés, des oreilles plus éloignées, et sur- 
tout un pelage d’un noir profond et uniforme. 


Le Loup noir habite principalement la Russie et le nord de l'Europe, mais on le trouve également 
dans les hautes montagnes de la France, et aussi, assure-t-on, dans l'Amérique septentrionale, au 
Canada, à moins que les Loups qui habitent dans ce pays ne constituent, ainsi que cela est possible, 
une espèce particulière. 

On dit que cet animal est beaucoup plus féroce que le Loup ordinaire. 

Ce Carnassier constitue-t-il bien réellement une espèce distincte du Loup, ou ne devrait-il pas en 
être regardé comme une variété atteinte de mélanisme? Ce fait probable n’est pas démontré jusqu'ici; 
mais, ce qui tendrait à le faire croire, c'est que les deux individus que la ménagerie du Muséum a 
possédés ont produit des petits dont le pelage, loin d’être noir, tendait, pour la coloration, à se rap- 
procher de celui du Loup ordinaire. 

Le Loup noir pourrait être placé aussi parmi les espèces américaines. Nous verrons plus tard une 
autre espèce, le Ghacal, qu'on rencontre aussi en Europe, mais que nous rangeons plutôt avec les 
espèces africaines, parce qu'il est plus commun que partout ailleurs dans cette partie du monde. 


ll. ESPÈCES D'AMÉRIQUE. 


4. LOUP ODORANT. CANIS NUBILUS. Say. 


CaracrÈnes sPÉciFIQUES. — Plus grand que le Loup ordinaire; pelage obscur, pommelé à sa partie 
supérieure, gris sur les flancs; exhalant une odeur forte, fétide et caractéristique. 


Cet animal, qui n’est peut-être qu’une variété du Loup ordinaire, est robuste, d'un aspect redou- 
table, et habite les plaines du Missouri, dans l'Amérique du Nord. Il vit en troupes nombreuses, 
chasse les Ruminants, et attaque même le Bison quand il le trauve éloigné de son troupeau. Les ha- 
bitants du pays où on le rencontre le redoutent, et, quand ils l'ont tué, s’en font un trophée. 


9. LOUP DES PRAIRIES. CANIS LATRANS. Harlan. 


CaracTÈREs SPÉCIFIQUES. — De la taille du précédent; pelage d’un gris cendré, varié de noir et de 
fauve cannelle terne, présentant sur le dos une ligne de poils un peu plus longs que les autres, et 
formant comme une courte crinière, avec les parties inférieures du corps plus pâles que les supé- 
rieures, et une queue droite. 


Cette espèce est signalée comme propre à la Colombie; elle est moins earnassière que les précé- 
dentes, car, à une nourriture animale elle mêle une alimentation végétale consistant en baies ou en 


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CARNASSIERS. 175 


fruits. Ce Loup vit en troupes composées quelquefois de plus de cinquante individus associés pour la 
chasse, l'attaque et la défense, aguerris, et soumis à une sorte de tactique régulière. C'est le type de 
la section des Lyciseus de M. H. Smith. 


Fig. 45. — Loup d'Amérique. 


- 
G. LOUP ROUGE. CANIS JUBATUS. A.-G. Desmarest. 
CaRacTÈRES sPÉCIFIQUES. — Couleur générale d’un roux foncé, qui devient très-clair sur les parties 


inférieures, et presque blanc à la queue et dans l'intérieur des oreilles; une tache blanche, entourée 
d'une autre tache foncée, au-dessous de la tête; extrémités des quatre pieds et haut du museau noi- 
râtres; une sorte de crinière composée de poils dont la dernière moitié est noire, partant de l'occi- 
put et s'étendant tout le long du dos; poils du corps assez longs, et ayant jusqu’à près de 0",6 sur 


la croupe; celui de la queue un peu touffu, un peu plus long que celui du corps. Longueur du corps : 
4950; de la queue, 0,40. 


Cette espèce habite le Paraguay. Elle se tient dans les lieux bas et marécageux, vit solitaire, ne 
sort de sa retraite que pendant la nuit, nage facilement, et se nourrit de petits animaux. Elle chasse 
à la piste, et est très-courageuse. La femelle, qui ne diffère pas du mâle, et a six mamelles de cha- 
que côté du ventre, met bas ses petits vers le mois d'août, et en fait, dit-on, trois ou quatre par 
portée. Son eri consiste dans les sons qua-a-a, qu'il répète plusieurs fois, et en les traïnant, et il le 
fait entendre de très-loin. 


7. LOUP DU MEXIQUE. CANIS MEXICANUS. Linné. 


Caractères srÉciriques. — De la grandeur du Loup ordinaire, mais ayant la tête plus grosse à 
c? 10 


74 HISTOIRE NATURELLE. 


proportion; yeux hagards et étincelants; oreilles longues, droites; cou gros, épais; pelage cendré, 
varié de taches fauves; plusieurs bandes noirâtres s’étendant de chaque côté du corps, depuis l'épine 
du dos jusqu'aux flancs; moustaches roides, implantées sur la lèvre supérieure, variées de gris et de 
blanc. 


Habite dans les régions chaudes de la Nouvelle-Espagne, et semble moins farouche que les pré- 
cédents. 


Fig. 46. — Caygotte de Mexico. 


8. CHIEN ANTARCTIQUE. CANIS ANTARCTICUS. Shaw. 


CaRACTÈRES SPÉCIFIQUES. — Formes et proportions analogues à celles du Loup, mais de taille plus 
petite; pelage d'un gris brun roussâtre, composé de poils annelés de fauve et de noir; gorge d'un 
blanc sali; poitrine brunâtre; ventre et intérieur des membres d’un jaune päli; queue longue, rousse 
à la base, noire vers ses deux tiers supérieurs, et blanche à son extrémité; oreilles de la couleur du 
dos. 


Cette espèce, type de la section des Dusicyon de M. IH. Smith, se rapporte très-probablement au 
Canis culpœus de Molina; il habite les iles Malouines. Il se fait des terriers dans les dunes; sa voix 
ressemble à celle du Chien ordinaire, mais elle est plus faible. Sa nourriture consiste principalement 
en Oiseaux. 


CARNASSIERS. 75 
9. CHIEN CRABIER ou KOUPARA. CANIS CANCRIVORUS. Et. Geoffroy Saint-Hilaire. 
CaraCTÈRES sPÉCIFIQUES. — Grandeur du corps et formes générales analogues à celles du Chien 


de berger; museau assez fin; pelage cendré et varié de noir en dessus; parties inférieures d’un 
blanc jaunâtre; oreilles brunes; côté du cou, derrière les oreilles, fauve; tarses et bout de la queue 
noirâtres. 


Cette espèce, que quelques auteurs regardent comme ne constituant qu'une simple race du Chien 
ordinaire, a reçu successivement les noms de Chien des bois de Cayenne, Buflon; Canis thous, 
Linné, et Canis caviævorus, Jardine, et est le type de la section des Cerdocyon, H. Smith. Elle ha- 
bite la Guyane et le Brésil; elle fait sa proie des Agoutis, des Pacas, ete., et mange aussi des fruits; 
elle va par petites troupes de six à sept individus. 


Une autre espèce, particulière à l'Amérique, est le Canis ochropus, Eschscholtz, propre à la Cali- 
fornie, dont nous ne nous occuperons pas, parce qu’il n’est pas encore complétement connu. 


IV. ESPÈCES D'ASIE. 


10. LOUP DE JAVA. CANIS JAVANUS. A.-G. Desmarest. 


CaRacTÈRES SPÉCIFIQUES. — Oreilles proportionnellement plus courtes que dans le Loup ordinaire; 
pelage d’un brun fauve, qui devient noirâtre sur le dos, aux pattes et à la queue. 


Cette espèce, qui provient de l’ile de Java, n’est connue que par la phrase que nous avons copiée 
d'après Fr. Guvier, et ne peut pas encore être définitivement admise. 


11. CORSAC ou ADIVE, CANIS CORSAC. Linné. 


CaRACTÈRES SPÉCIFIQUES. — Pelage d'un gris fauve uniforme en dessus, d'un blanc jaunâtre en 
dessous; membres fauves; queue très-longue, touchant la terre, noire à l'extrémité; de petite taille, 
car la longueur de la tête et du corps ne dépasse pas 0,50, et celle de la queue 0",26; c'est-à-dire 
qu'il est plus petit que le Renard, et à peu près de la taille de notre Chat domestique. 


Le Corsac est le type de la section des Cynalopex de M. H. Smith; il habite les déserts de la Tar- 
tarie, et se retrouve dans l'Inde. Il vit par troupes dans les steppes déserts et couverts de bruyéres, 
où il est sans cesse occupé à chasser les Oiseaux, les Rats, les Lièvres et autres petits animaux. Sa 
voix, qu'il fait entendre la nuit, est moins glapissante que celle du Chacal. L'accouplement a lieu au 
mois de mars; la femelle met bas, au mois de mai, de cinq à six petits. D'après G. Cuvier, le Cor- 
sac ne boirait pas; mais ce fait, qui semble étrange, est-il bien avéré? 

Ce joli animal, aujourd'hui si peu connu en France, a été néanmoins fort commun à Paris sous le 
règne de Charles IX, parce qu'il était de mode, chez les dames de la cour, d’en avoir au lieu de Chiens 
ordinaires; on le désignait sous le nom d'Adive, et on le faisait venir, à grands frais, de l'Asie. 


12. KARAGAN. CANIS KARAGAN. Pallas. 
LA 
CaRACTÈRES SPÉCIFIQUES. — Un peu plus grand que le Corsac; pelage d'un gris cendré en dessus, 
d'un fauve pâle en dessous. 


76 HISTOIRE NATURELLE 


Cet animal, qui a été confondu avec le précédent, est probablement le même que l'Isatis de Buffon. 
Il est excessivement commun dans les vastes déserts de la Tartarie, principalement sur les bords de 
l'Oural, où il vit de la même manière que le Corsac. Les chasseurs Kirglis lui font une guerre inces- 
sante pour s'emparer de sa fourrure, qui est assez estimée, et ils apportent annuellement jusqu'à 
cinquante mille peaux de ces animaux à Orenbourg. 

Le Canis melanotus de Pallas, propre aux environs d'Orenbourg, n'en diffère peut-être pas. I n’en 
est pas de même du Canis pallipes, Sÿkes, particulier au pays des Mahrattes, qui constitue une es- 
pèce bien caractérisée. 


Fig. 47. — Corsuc, 


V. ESPÈCES D'AFRIQUE, 


13. CUIEN MÉSOMELAS. CANIS MESOMELAS, Linné. 


CaraGrÈRES SPÉGIFIQUES. — Taille du Chacalgoreilles du double plus grandes que celles de cet ani- 
mal, poils du dos recouverts d’anneaux fauves, noirs et blancs, mais avec des annelures très-larges, 
d'où il résulte une teinte peu uniforme, et qui offre çà et là des plaques irrégulières de blane et de 
noir, tranchant entièrement entre elles; cette couleur du dos formant une plaque triangulaire. 
large aux épaules, et s'amincissant insensiblement jusqu'à la base de la queue, où elle n'a plus que 
üw,6 de largeur; queue de couleur fauve ou rousse, avec l'extrémité noire; flancs roux; mâchoire in- 
férieure, dessous du cou et de la gorge, poitrine et ventre blancs; pattes rousses tant en dedans 
qu'en dehors. 


CARNASSIERS. 77 


Cette espèce habite le cap de Bonne-Espérance, mais on la rencontre anssi en Abyssinie, dans le 
Sennaar et en Nubie; ses mœurs sont analogues à celles du Chacal. C’est probablement le type de la 
section des Thous de M. H. Smith 


Fig. 48. — Chacal du Cap. 


Une autre espèce, décrite récemment, et très-voisine de celle-ci, est le Canis varicgatus, Rüp- 
pell, trouvé en Abyssinie, que M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire ne regarde que comme une simple 
variété du Chacal!. 


14. CIJEN ANTHUS. CANIS ANTHUS. Fr. Cuvier. 


CaracrTÈRES SPÉCIFIQUES. — De la taille du Chacal, mais ayant des proportions plus élégantes et des 
formes plus légères; pelage gris, parsemé de quelques taches jannâtres en dessus, blanchâtres en 
dessous; queue descendant jusqu'au talon, fauve, avec une ligne longitudinale noire à la base, et 
quelques poils noirs à la pointe. 


Cet animal, que les voyageurs indiquent sous la dénomination de Chacal du Sénégal, d'après le 
pays qu'il habite, n'est très-probablement, ainsi que le pense M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, 
qu'une simple variété de l'espèce suivante, c’est-à-dire du Canis aureus. I en diffère par son odeur 
un peu moins forte; mais ses mœurs sont absolument les mêmes. En captivité, ses habitudes sont assez 
douces, et sa voix est un son prolongé, et non pas un aboïement éclatant comme celle du Chacal. 


78 HISTOIRE NATURELLE. 

Une femelle de cette espèce vivait à la ménagerie du Muséum; on mit avec elle, dans la même cage. 
un Chacal mäle de l'Inde, et ils ne montrèrent aucune répugnance L'un pour l'autre, ce qui n'arrive 
habituellement pas aux animaux d'espèces différentes quoique très-rapprochées. Le 26 décembre, ils 
s'accouplèrent, et, le 1°* mars suivant, la femelle mit bas cinq petits, qui eurent les yeux fermés pen- 
dant dix jours. Deux seulement ont vécu, et, lorsqu'ils furent adultes, l'un était farouche, méchant, 


indomptable ; l'autre très-doux et caressant. 


15 CHACAL ou JACKAL. CANIS AUREUS. Linné. 


Caracrènes spécriques. — Yeux très-petits; pupilles rondes; pelage très-fourni; queue touffue 
comme celle du Renard; les poils soyeux étant épais, durs, et d'une longueur moyenne, et les lai- 
ueux en petite quantité; tête, cou, côtés du ventre, cuisses et face externe des membres et des oreil- 
les, d’un fauve sale; dessous et côtés de la mâchoire inférieure, bout de la lèvre supérieure, dessous 
du cou et du ventre, face interne des membres, blanchâtres; dos et côtés du corps, jusqu'à la croupe, 
d'un gris jaunâtre qui tranche avec les autres couleurs environnantes; queue mélangée de poils fauves 
et de poils noirs, ces derniers dominant à son extrémité; mufle et ongles noirs; prunelles fauves. 
Longueur totale du corps, 0"68; de la tête, 0",16; de la queue, 0,20. 


Fig. 49. — Chacal, 


Le Chacal, que lon nomme aussi Jackal, est le Thos de Pline, le Thoes d'Aristote, le Gola des 


Indiens, le Loup doré de G. Cuvier, ete., et il forme la section des Sacalius de M. H. Smith. 


On le trouve dans presque toute l'Afrique, mais plus particulièrement dans les régions qui s'éten- 


CARNASSIERS. 79 


dent depuis le cap de Bonne-Espérance jusqu’à la Barbarie; en Asie, il est répandu depuis la Turquie 
jusque dans l'Inde; enfin, on le rencontre én Morée et dans quelques parties de l'Europe. En raison 
des nombreuses contrées qu'il habite, on conçoit que son pelage peut varier beaucoup, et, d’après 
M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, on pourrait distinguer des Chacals du Caucase, de l'Inde, d'Algérie, 
de Morée, et l’on pourrait même y joindre les Canis variegatus, Rüppell, et anthus, Fr. Cuvier. La 
seule de ces variétés dont il nous importe de donner les caractères est celle d'Algérie, parce qu'elle 
est très-répandue aujourd'hui, et qu'on a voulu la regarder comme une espèce particulière sous les 
dénominations de Canis barbarus, Shaw, et de Canis Algeriensis, Bodichon. Elle est un peu moins 
grande que le type, et son pelage est plus rude : les parties supérieures sont abondamment variées 
de noir, surtout à la croupe et à l'extrémité de la queue; le dessous du corps est d’un fauve clair: il 
y a, sur le devant des jambes de devant, une ligne noire interrompue. Cette espèce se prive très-bien, 
et on l’a presque à l’état de domesticité, comme notre Chien ordinaire, dans les villes de l'Algérie; son 
caractère est assez doux, quoique capricieux. et on l'élève très-bien dans nos ménageries. Du reste, ce 
que nous disons ici d'unevariété s'applique également aux autres, et a été observé pour celle de l'Inde. 


Fig. 50 — Cordofan. 


Plusieurs naturalistes, tels que Guldenstædt et Tilesius, pensent que le Chacal est le type de notre 
Chien domestique; mais nous croyons, avec presque tous les zoologistes modernes, que cet animal 
n’a fait que contribuer pour une part à l'existence des nombreuses variétés du Chien domestique, et 
que toutes les autres espèces sauvages du même genre y ont également plus ou moins contribué. 
Quoi qu'il en soit, le Chacal produit très-bien avec le Chien domestique. 

Les Chacals vivent en troupes d'une trentaine d'individus au moins, et quelquefois de plus de 
cent, particulièrement dans les vastes solitudes de l'Afrique et de l'Inde. Ils répandent une odeur 


s0 HISTOIRE NATURELLE. 


forte, désagréable. Ils dorment, en général, le jour; et, la nuit, ils parcourent la campagne pour cher- 
cher leur proie tous ensemble, et, pour ne pas trop se disperser, ils font entendre continuellement 
un cri lugubre ayant quelque analogie avee les hurlements d'un Loup et les aboïements d'un Chien, 
et pouvant se traduire par les voyelles oua.… oua.… oua. Ils sont tellement audacieux, qu'ils s’ap- 
prochent des habitations et entrent dans les maisons qui se trouvent ouvertes, et alors ils se jet- 
tent sur tous les aliments qu'ils rencontrent; toutes les matières animales leur conviennent, et ils 
vont déterrer les cadavres dans les cimetières; ils ne rejettent même pas les charognes les plus 
puantes, mais cependant ils préfèrent s'emparer de jeunes animaux, surtout des Ruminants, auxquels 
ils font une guerre acharnée. Lorsqu'une armée est en marche, ou qu'ils rencontrent une caravane, 
ils les suivent continuellement, dans l'espérance de s'emparer d'aliments pendant les campements; 
et par là ont de l'analogie avec les Loups qui agissent de même. : 

Quelques débris fossiles doivent constituer des espèces qui entrent dans le sous-genre Chien; nous 
devrions peut-être en parler maintenant, mais nous préférons ne le faire qu'après avoir exposé l'his- 
toire du sous-genre des Renards, parce que nous nous occuperons alors en même temps des Chiens 
et des Renards fossiles. 


9€ SOUS-GENRE. — LES RENARDS. VULPES. H. Smith. 


Incisives de la mâchoire supérieure mins échancrées que dans les Chiens, où même rectilignes 
sur leur bord horizontal; les rangées dentaires, au lieu d’être continues, ont les trois premières mo- 
laires séparées, ne se touchant pas, et il reste surtout un large intervalle entre la canine et la pre- 
mière molaire. 

Museau plus conique. plus pointu que celui des Chiens. 

Pupilles prenant, en se fermant, la fiqure de la coupe d'une lentille, et dénotant des animaux 
nocturnes. 

Queue plus longue que dans les Chiens, plus touffue. 

Animaux exhalant une odeur fétide. 


Les Renards, quoique aussi forts à peu près que les Chacals, n'attaquent pas les animaux qui pour- 
raient leur résister, et ils se borneut à vivre de petits Mammifères, d'Oiseaux, de Reptiles, d'Insectes, 
et même de fruits ou baies quand ils ne trouvent pas mieux; ils aiment surtout les raisins. Ils ne tou- 
chent au cadavre d'un animal mort, ou à quelque autre voirie, que quand ils sont très-pressés par la 
faim, car il leur faut habituellement une proie vivante. Les Renards montrent moins de courage que 
les Chiens, mais, en même temps, ils ont plus de finesse, et leurs races sont célèbres depuis la plus 
haute antiquité. Ils ne chassent que la nuit, tandis que le jour ils dorment dans des terriers qu'ils 
savent se creuser avec assez d'art. Leur vie est solitaire, et ee n’est même que rarement, et pour peu 
de temps, que le mâle habite le même lieu que la femelle. Néanmoins, ils aiment assez à rapprocher 
leurs terriers les uns des autres, et ils se mettent volontiers deux ensemble pour chasser le même 
Lièvre. Ces animaux n'uhoient ni ne hurlent, ils glapissent. On en connaît une vingtaine d'espèces, 
parmi lesquelles plusieurs doivent probablement être réunies. Du reste, ils sont moins répandus 
sur le globe que les Chiens, et l'on n’en a encore trouvé ni en Australie, ni dans les iles de l'ar- 
chipel indien. 


I. ESPÈCES D'EUROPE. 


46. RENARD. CANIS VULPES. Linné. 


GARACTÈRES SPÉCIFIQUES. — Museau effilé; tête assez grosse, à front aplati; oreilles droites, pointues; 
yeux très-inclinés; queue grande, touchant la terre, extrêmement touflue; pelage composé de poils 


CARNASSIERS. 81 


longs et épais, d’un fauve plus ou moins foncé, semblables sur le corps et sur la queue; lèvres, tour 
de la bouche, mâchoire inférieure, devant du cou, gorge, ventre, intérieur des cuisses, blancs: mu- 
seau roux; derrière des oreilles d'un brun noir; pattes d’un brun foncé en avant; queue terminée 
par des poils noirs. Longueur du corps, mesuré en ligne droite, depuis le bout du museau jusqu'à 
l'origine de la queue, 0",70; de la tête, 0,16; des oreilles, 0",11; de la queue, 0",45. Rauteur du 
corps au train de devant, 0,35; au train de derrière, 0",38; ces mesures variant suivant les diffc- 
rents individus. 


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Dans cette espèce, le pelage peut varier plus ou moins considérablement, et il peut amsi se pro- 
duire des variétés constantes que quelques auteurs ont même regardées, probablement à tort, comme 
étant de véritables espèces. Les principales variétés sont : 


4° Le RenanD cnarpoxnier (Canis alopeæ, Schreber), qui ne diffère du Renard ordinaire que par 
le bout de la queue, qui est entièrement noir, ainsi que quelques poils du dos, le poitrail et le de- 
vant des pattes de devant. Quelques auteurs, et en particulier Steinmuller, regardent le Renard char- 
bonnier comme le jeune âge du Benard ordinaire, mais il est probable que c’est une variété indivi- 
duelle, surtout propre aux pays montagneux. On la rencontre communément dans les montagnes du 
département de Saône-et-Loire; 


Ce Le Rexarn noure, qui semble n'être qu'un Renard charbonnier très-vieux, et qui est parti- 
cul.er à la Suisse; 
3° Le Rexann croix n'Eunore (Canis eruciger, Brisson), ne se distinguant du Renard charbon- 
nier que par quelques poils noirs qui forment une croix sur le dos; 
c? 11 


89 HISTOIRE NATURELLE. 


4° Le Renan À veNTRE noir (Canis melanoqguster, Ch. Bonaparte, qui, ainsi que le remarque 
M. Boitard, ne paraît être qu'une sous-variéte du Renard charbonnier, dont la gorge, la poitrine, 
le ventre et Le côté intérieur des cuisses, sont d’une couleur noirâtre en hiver, et deviennent blancs 
en été. On le trouve en Italie, et parfois aussi, mais plus rarement, en France, dans les forêts mon- 
tagneuses entre la Loire et la Saône; 


5° Le Rexano musqué, dont le pelage est d’un beau ronge pâle en dessous, au lieu d'être blanc, ct 
dont l'extrémité de la queue est également noire, mais avec quelques poils blancs disséminés. Il ré- 
pand une odeur musquée, analogue à celle de la Fouine. Se rencontre en Suisse; 


6° Le RexanD gLanc (Canis albus, Schreber), qui est une variété albine du Renard ordinaire. I] 
habite principalement les régions septentrionales, et c’est surtout pendant l'hiver qu'il a son pelage 
le plus blanc. 


Le Renard portait, chez les Grecs, la dénomination d'Awrré, et, chez les Latins, celle de Vulpes, 
qui lui est conservée par les zoologistes comme épithète spécifique, et même, par quelques-uns d’entre 
eux, comme nom générique, et alors ces auteurs l'indiquent sous la dénomination de Valpes vulgaris, 
d'après Klein. Le Renard est le Folpe des Italiens, le Fuchs des Allemands, le Fox des Anglais, le 
Reef des Suédois, le Zorra ou Raposa des Espagnols, le Lis des Polonais, le Liça des Russes, le 
Tilk des Tures et des Persans, le Taäleb où Doren des Arabes, le Nori des mdous, ete. 

C'est encore à Buffon que nous emprunterons l'histoire des mœurs de cet animal. (Le Renard, dit-il, 
est fameux par ses ruses, et mérite en partie sa réputation, ce que le Loup ne fait que par la force, il le 
fait par adresse, et réussit plus souvent. Sans chercher à combattre les Chiens ni les bergers, sans at- 
taquer les troupeaux, sans trainer les cadavres, il est plus sûr de vivre. Il emploie plus d'esprit que de 
mouvement, ses ressources semblent être en lui-même: ce sont, comme l'on voit, celles qui manquent 
le moins. Fin autant que circonspect, ingénieux et prudent, même jusqu'à la patience, il varie sa con- 
duite, il a des moyens de-réserve qu'il sait n'employer qu'à propos. Il veille de près à sa conserva- 
tion : quoique aussi infatigable, et même plus léger que le Loup, il ne se fie pas entièrement à la vi 
tesse de sa course; il sait se mettre en sûreté en se pratiquant un asile, où il se retire dans les dan- 
gers pressants, où il s'établit, où il élève ses petits : il n’est point animal vagabond, mais animal 
domicilié. Cette différence, qui se fait sentir même parmi les hommes, à de bien plus grands effets, 
et suppose de bien plus grandes causes, parmi les animaux. L'idée seule du domicile présuppose 
une attention singulière sur soi-même; ensuite, le choix du lieu, l’art de faire son manoir, de le ren- 
dre commode, d'en dérober l'entrée, sont autant d'indices d’un sentiment supérieur. Le Renard en 
est doué, et tourne tout à son profit; il se loge au bord des bois, à portée des hameaux; il écoute le 
chant des Coqs et le cri des volailles, il les savoure de loin, il prend habilement son temps, ca- 
che son dessein et sa marche, se glisse, se traîne, arrive, et fait rarement des tentatives inutiles. 
S'il peut franchir les clôtures, ou passer par-dessous, il ne perd pas un instant, il ravage la basse- 
cour, il y met tout à mort, se retire ensuite lestement en emportant sa proie, qu'il cache sous Ja 
mousse, où porte à son terrier; il revient quelques moments après en chercher une autre, qu'il em- 
porte et cache de même, mais dans un autre endroit, ensuite une troisième, une quatrième, etc., jus- 
qu’à ce que le jour ou le mouvement dans la maison l'avertisse qu'il faut se retirer et ne plus revenir. 
Il fait la même manœuvre dans les pipées et dans les boqueteaux où l’on prend les Grives et les Bé- 
casses au lacet; il devance le pipeur, va de très-grand matin, et souvent plus d'une fois par jour, 
visiter les lacets, les gluaux, emporte successivement les Oiseaux qui se sont empêtrés, les dépose 
tous en différents endroits, surtout au bord des chemins, dans les ornières, sous de la mousse, sous 
un genièvre, les y laisse quelquefois deux ou trois jours, et sait parfaitement les retrouver au besoin. 
Il chasse les jeunes Levrauts en plaine, saisit quelquefois les Lièvres au gîte, ne les manque jamais 
lorsqu'ils sont blessés, déterre les Lapereaux dans les garennes, découvre les nids de Perdrix, de 
Cailles, prend la mère sur les œufs, et détruit une quantité prodigieuse de gibier. Le Loup nuit plus 
au paysan; le Renard nuit plus au gentilhomme. 

« La chasse du Renard demande moins d'appareil que celle du Loup; elle est plus facile et plus 
amusante, Tous les Chiens ont de la répugnance pour le Loup; tous les Chiens, au contrare, chas- 
sent le Renard volontiers, et même avec plaisir. On peut le chasser avec des Bassets, des Chiens 


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CARNASSIERS. 89 


courants, des Braques : dès qu'il se sent poursuivi, il court à son terrier, les Bassets à jambes torses 
sont-ceux qui s’y glissent le plus aisément : cette manière est bonne pour prendre une portée entière 
de Renards, la mère avec les petits; pendant qu’elle se défend et combat les Passets, on tâche de 
découvrir le terrier par-dessus, et on la tue ou on la saisit vivante avec des pinces. Mais la façon la 
plus ordinaire, la plus agréable et la plus sûre de chasser le Renard, est de commencer par bou- 
cher les terriers et par le tirer lorsqu'il veut se rendre au gîte... Pour détruire les Renards, il est 
encore plus commode de tendre des piéges, où l’on met de la chair pour appât, un Pigeon, une vo- 
laille vivante, ete. Le Renard est aussi vorace que carnassier; il mange de tout avec une égale avidité, 
des œufs, du lait, du fromage, des fruits, et surtout des raisins : lorsque les Levrauts et les Perdrix 
lui manquent, il se rabat sur les Rats, les Mulots, les Serpents, les Lézards, les Crapauds, etc; il en 
détruit un grand nombre: c’est là le seul bien qu'il procure Il est très-avide de miel; il attaque les 
Abeilles sauvages, les Guèpes, les Frelons, qui d'abord tächent de le mettre en fuite en le perçant 
de mille coups d’aiguillon; il se retire, en effet, mais c’est en se roulant pour les écraser, et il revient 
si souvent à la charge, qu'il les oblige à abandonner le guëépier; alors il le déterre et en mange et le 
miel et la cire. Il prend aussi les Hérissons, les roule avec les pieds, et les force à s'étendre. Enfin, 
il mange du Poisson, des Écrevisses, des Hannetons, des Sauterelles, etc. 

« Cet animal ressemble beaucoup au Chien, surtout par les parties intérieures; cependant il en 
diffère par la tête, qu'il a plus grosse à proportion de son corps; il a aussi les oreilles plus courtes, 
la queue beaucoup plus grande, le poil plus long et plus touffu, les yeux plus inelinés; il en diffère 
encore par une mauvaise odeur très-forte qui lui est particulière, et enfin par le caractère le plus essen- 
tiel, par le naturel, car il ne s’apprivoise pas aisément, et jamais tout à fait : il languit lorsqu'il n'a pas 
la liberté, et meurt d’ennui quand on veut le garder trop longtemps en domesticité. Il ne s’accouple 
pas avec la Chienne, et, s'ils ne sont pas antipathiques, ils sont au moins indifférents. Il produit en 
moindre nombre, et une seule fois par an; les portées sont ordinairement de quatre ou cinq, rare- 
ment de six petits, et jamais moins de trois. Lorsque la femelle est pleine, elle se recèle, sort rare- 
ment de son terrier, dans lequel elle prépare un lit à ses petits. Elle devient en chaleur en hiver, 
et l’on trouve déjà des petits Renards au mois d'avril : lorsqu'elle s'aperçoit que sa retraite est dé- 
couverte, et qu'en son absence ses petits ont été inquiétés, elle les transporte Les uns après les au- 
tres, et va chercher un autre domicile. Ils naissent les yeux fermés: ils sont, comme les Chiens, dix- 
huit mois ou deux ans à croître, et vivent de même treize ou quatorze ans. 

« Le Renard a les sens aussi bons que le Loup, le sentiment plus fin, et l'organe de la voix plus 
souple et plus parfait. Le Loup ne se fait entendre que par des hurlements affreux; le Renard gla- 
pit, aboie, et pousse un son triste, semblable au cri du Paon; il a des tons différents selon les senti- 
ments différents dont il est affecté; il a la voix de la chasse, l'accent du désir, le son du murmure, 
le ton plaintif de la tristesse, le cri de la douleur, qu'il ne fait jamais entendre qu'au moment où il 
reçoit un coup de feu qui lui casse quelque membre, car il ne crie point pour toute autre blessure, et 
il se laisse tuer à coups de bâton, comme le Loup, sans se plaindre, mais toujours en se défendant 
avec courage. Il mord dangereusement, opiniàtrément, et l’on est obligé de se servir d'un serrement 
ou d’un bâton pour le faire démordre. Son glapissement est une espèce d’aboiement qui se fait par 
des sons semblables et très-précipités. C’est ordinairement à la fin du glapissement qu'il donne un 
coup de voix plus fort, plus élevé, et semblable au cri du Paon. En hiver, surtout pendant la neige 
et la gelée, il ne cesse de donner de la voix, et il est au contraire presque muet en été. C’est dans 
cette saison que son poil tombe et se renouvelle; l’on fait peu de cas de la peau des jeunes Renards 
ou des Renards pris en été. La chair du Renard est moins mauvaise que celle du Loup; les Chiens, et 
même les bommes, en mangent en automne, surtout lorsqu'il s’est nourri et engraissé de raisins, et 
sa peau d'hiver fait de bonnes fourrures. Il a le sommeil profond; on l'approche aisément sans l'éveil- 
ler : lorsqu'il dort, ilse met en rond comme les Chiens; mais, lorsqu'il ne fait que se reposer, il étend 
les jambes de derrière et demeure étendu sur le ventre : c’est dans cette position qu'il épie les Oi- 
seaux le long des haies. Ils ont pour lui une si grande antipathie, que, dès qu'ils l'aperçoivent, ils font 
un petit cri d'avertissement : les Geais, les Merles surtout, le conduisent du haut des arbres, répé- 
tent souvent le petit eri d'avis, et le suivent quelquefois à plus de deux ou trois cents pas. » 

Le terrier du Renard est quelquefois construit par lui, mais le plus souvent il s'empare du logis 
d'un Blaireau, où même d’un Lapin, et il l'élargit et le dispose à sa convenance. Ce terrier est divisé en 


84 DISTOIRE NATURELLE. 


trois parties : la maire, près de l'entrée; c'est là que la femelle se tient queiques moments en em- 
buscade pour observer les environs avant d'amener ses petits jouir des douces influences de l'air et 
des rayons du soleil; c’est aussi là que le Renard qu'on enferme s'arrête quelques minutes pour épier 
l'instant favorable d'échapper aux chasseurs. Apres la maire, vient la fosse, où le gibier, la volaille, 
et autres produits de la rapine, sont déposés, partagés à la famille, et dévorés ; presque toujours 
la fosse a deux issues, et quelquefois davantage. L’accut est tout à fait au fond du terrier; c’est l’ha- 
bitation de l'animal, l'endroit où il dort, où il met bas et allaite ses petits. Ce terrier n’est guère ha- 
bité qu'à l'époque où le Renard élève sa jeune famille, et lorsqu'il veut se dérober à nn danger pres- 
sant. Dans toute autre circonstance, il passe la journée à dormir dans un fourré quelquefois très-éloi- 
gné de sa retraite, mais toujours rapproché du lieu où il a l'intention de commettre quelque dépré- 


dation : et ce n’est qu’à la brune, ou même la nuit, qu'il se met en chasse. Il emploie la ruse pour 
se glisser dans les poulaillers ou pour s'emparer des jeunes animaux dont il fait sa nourriture. Dans les 
pays où le Lièvre abonde, comme le rapporte M. Boitard, deux Renards savent très-bien s'entendre 
pour lui faire la chasse. «L'un s’embusque, dit-il, au bord d'un chemin, dans le bois, et reste immo- 
bile; l'autre se met en quête, lance le Lièvre, le poursuit vivement, en donnant &e temps à autre de là 
voix pour avertir son camarade. Le Lièvre fuit, et ruse devant lui comme, devant les Chiens; le Re- 
nard le déjoue, est toujours sur ses traces, et combine sa poursuite de manière à le faire passer 
dans le chemin auprès duquel son compagnon est en embuscade. Cerui-ci, dès qu'il voit le Lièvre à sa 
portée, s’élance, le saisit; l'autre chasseur arrive, et ils le dévorent ensemble. Sil’affüteur manque son 
coup, au lieu de courir après le Lièvre, il reste un moment saisi de sa maladresse, puis, se ravisant, et 
comme s'il voulait se rendre compte des causes de sa mésaventure, il retourne à son poste, et s'é- 


CARNASSIERS. So 


lance de nouveau dans le chemin; il y retourne, s’élance encore, recommence plusieurs fois ce ma- 
uége. Sur ces entrefaites, son associé paraît, et devine sur-le-champ ce qui est arrivé; dans sa mau- 
vaise humeur, il se jette sur le maladroit, et un combat de quelques minutes est livré. [ls se séparent 
ensuite, l'association est rompue, et chacun se met en quête pour son propre compte. » Lorsque le 
Renard court un danger quelconque, ou qu’il éprouve quelque désir, il emploie des ruses qui sup- 
posent certainement beaucoup d'intelligence. Mais ses ruses sont toujours les mêmes, et, une fois 
que l'expérience nous les a apprises, rien n’est plus facile que de le rendre victime de sa propre 
finesse. Par exemple, lorsqu'il est lancé par les Chiens, après avoir fait une tournée de dix minutes, 
il revient constamment repasser exactement sur sa voie, à cent ou cent cinquante pas environ de 
l'endroit où il a été lancé. Quand il est pris par les Chiens, après avoir lutté un moment, il contre- 
fait parfaitement le mort, et se laisse tourner et retourner par les chasseurs sans faire le plus petit 
mouvement; puis tout à coup, au moment où l'on y pense le moins, il se relève et décampe leste- 
ment. 


On a prétendu que le Chien de Laconie, dont parle Aristote, n'était rien autre chose que le Re- 
nard plié à la domesticité; mais ce fait paraît d'autant moins probable, que cet animal ne s’appri- 
voise jamais complétement. On l’a toutefois communément dans les ménageries; et il serait encore 
beaucoup plus répandu partout s'il n’était pas très-désagréable par la mauvaise odeur qu'il répand. 

Le Renard habite les contrées septentrionales de l’ancien et du nouveau continent, et n’est pas 
rare surtout dans presque toutes les parties de l'Europe. La variété qui constitue le Renard char- 
bonnier a été principalement prise en Bourgogne et en Alsace; et le Renard à ventre noir, dont 


86 HISTOIRE NATURELLE, 


M. Ch. Bonaparte fait une espèce particulière, son Vaulpes melanogaster, se trouve dans Italie mé- 
ridionale. 

La fourrure que fournit le Renard, surtout celle de plusieurs variétés, comme le Renard charbon- 
nier et le Renard blanc, est assez recherchée dans le commerce de la pelleterie. 

Sous le point de vue de la paléontologie, le Renard est dans le même cas que le Loup. Son exis- 
tence dans les cavernes d'Allemagne, et surtout dans celles de Gaylenreuth, indiquée depuis long- 
temps par Esper, a été prouvée depuis par G. Cuvier, d’après l'examen d’un certain nombre de pièces, 
et surtout par quelques dents et des doigts tout entiers, qu'il a décrits et figurés dans ses Ossements 
fossiles. Des débris fossiles de la même espèce ont été signalés par un grand nombre d'auteurs, et 
dans des lieux très-différents; M. Buckland a décrit des dents trouvées dans la caverne de Kirkdale; 
M. Schmerling, de nombreux fragments provenant de celles de la province de Liége; M. Mac-Enry 
s’est occupé de ceux de la caverne de Kent, près Torquay; MM. Marcel De Serres, Dubreil et Jean- 
Jean, ont signalé quelques os dans la caverne de Lunel-Viel; enfin, M. Marchisson a publié la descrip- 
tion et la figure d’un squelette entier de Renard, trouvé dans les schistes argileux d'Œnengen, c’est- 
à-dire dans le terrain tertiaire; mais De Blainville pense plutôt devoir rapporter ce squelette au Cha 
cal, tandis que M. Laurillard en fait une espèce particulière sous la dénomination de Canis antiquus. 

Lesson et quelques zoologistes rangent, à la suite du Renard, le Corsac, que nous avons compris 
dans le sous-genre des Chiens. 


17. ISATIS ou RENARD BLEU. CANIS LAGOPUS, Linné. 


CaracrÈRes spéciriQuEs. — Tête courte; museau allongé, noir à l'extrémité; oreilles velues; pattes 
et plantes des pieds couvertes de longs poils; queue longue, très-touffue; poils du corps longs de 
0,5 environ, d'un cendré ou d’un brun très-elair, uniforme, devenant d'un très-beau blanc 
en hiver ; dessous des doigts garni de poils : cinquième doigt des pieds de devant presque aussi 
fort que les autres, un peu plus court seulement, avec l'ongle plus recourbé. Jeunes individus tan- 
tôt gris très-foncé, tantôt blanc jaunâtre, tantôt marqués d’une ligne dorsale brune, et d’une ligne 
transversale de la même couleur sur les épaules, lignes qui disparaissent à leur première mue, ce 
qui leur a fait donner le nom de Renards croisés, déjà appliqué à une variété du Renard ordinaire. 
Longueur de la tête et du corps, 0",60 à 0",66; de la queue, qui descend jusqu’à terre, 0,35. Hau- 
teur du train de devant, environ 0,32. 


L'Isatis, dont les nomenclateurs modernes font leur Vulpes lagopus, est le Pescts des Russes, le 
Fiatracka des Suédois, le Refr des Islandais, le Graa-rœv des Danois, le Naudi des Finnois, le 
Melrak des Norwégiens, le Njal des Lapons. 

Get animal se trouve sur tout le littoral de la mer Glaciale et des fleuves qui s’y jettent, et, partout 
au nord du soixante-neuvième degré de latitude; il est surtout commun en Islande, dans le Groënland, 
vraisemblablement au Spitzherg, et peut-être même dans le nord de l'Amérique. Les Isatis ont une 
singulière habitude, et qui est unique parmi les Carnassiers; ils émigrent, en grand nombre, du pays 
qui les a vus naître, dès que le gibier dont ils se nourrissent ordinairement vient à manquer. En gé- 
néral, ces émigrations ont lieu vers le solstice d'hiver, et les émigrants descendent parfois au delà 
du soixante-neuvième degré; ils n’y fixent pas leur domicile et n'y creusent pas de terriers, quoi- 
qu'ils y restent quelquefois trois ou quatre ans, mais jamais plus. Passé ce laps de temps, pendant 
lequel Le gibier a dû se repeupler dans leur patrie, ils y retournent. 

Comme le R enard, lIsatis est rempli de ruses, de hardiesse, et enclin à la rapine. Sans cesse il est 
occupé, pendant la nuit, à fureter dans la campagne, et quelquefois on l'entend chasser avec une voix 
je tient à la fois de l’aboïement du Chien et du glapissement du Renard. Il a, sur ce deruier, l'avan- 

tage de ne pas craindre Peau, et de nager avec la plus grande facilité; aussi se hasarde-t-il souvent 
à traverser les bras des rivières ou les lacs pour aller chercher, parmi les joncs des îles, les nids des 
Oiseaux aquatiques. Mais sa nourriture ordinaire consiste en Rats, en Lièvres et en divers petits 
animaux. Quoique vivant dans les contrées les plus froides du globe, l'fsatis se tient cependant dans 
les lieux découverts et montueux, et non dans les vastes forêts de pins qu'on y rencontre. Ses ter- 


CARNASSIERS. 87 


ricrs sont profonds et étroits, tapissés de mousse, et très-propres. L'accouplement a lieu au mois de 
mars, la chaleur dure quinze jours, et la gestation un peu moins de deux mois. 

La fourrure des lsatis est très-recherchée, très-précieuse, et constitue une branche de commerce con- 
sidérable; aussi fait-on une chasse à outrance à ces animaux. M. Boitard donne quelques détails à ce 
sujet, et nous croyons devoir les transcrire ici, à cause surtout de leur originalité. « S'il arrive à un chas- 
seur de prendre un ou deux très-jeunes fsatis, il les apporte à sa femme, qui lesallaite et les élève jusqu'à 
ce que leur fourrure puisse être vendue. Les voyageurs prétendent qu'il n’est pas rare de trouver de pau- 
vres femmes qui partagent leur lait et leurs soins entre leur enfantet trois ou quatre Renards bleus. La 
portée des femelles est composée de sept à huit petits. Les mères blanches font leurs petits d’un gris 
roux en naissant, et les mères cendrées font les leurs presque noirs. Vers le milieu du mois d'août, 
ils commencent à prendre la couleur qu'ils doivent conserver toute leur vie. En septembre, ceux qui 
doivent être blancs sont déjà d'un blanc pur, excepté une raie sur le dos et une barre sur les épaules, 
qui noircissent encore: on les nomme alors Krestowiki ou Croisés. En novembre, ils sont entière- 
ment blancs; mais leur pelage n’a toute sa longueur, tout son prix, que depuis décembre jusqu’en 
mars. Les gris prennent leur couleur plus vite; ce sont les plus précieux, surtout quand cette couleur 
est d'un gris ardoisé tirant sur le bleuâtre. La mue commence en mai et finit en juillet. A cette épo- 
que, les adultes ont la même livrée que les nouveau-nés de leur couleur, et ils parcourent des phases 
de coloration absolument semblables. » Ces variations de couleur suivant les diverses époques de 
l'année, et aussi quelques diflérences de coloration individuelles, ont fait appliquer des noms diffé- 
rents à certains individus de cette espèce; tels sont les Cuuis lagopus fuscus, cæruleus, Fr. Cuvier, 
et fuliginosus, Richardson. 

D’après De Blainville, l'Isatis semblerait avoir laissé des traces de son existence ancienne, et cela 
dans la faune paléontologique même de Paris; en effet, le Canis Montis martyrum de quelques 
anatomistes, ou Canis Parisiensis de plusieurs autres, décrit pour la première fois par G. Cuvier, 
parait devoir lui être rapporté. Ce fossile consiste en une demi-mächoire inférieure du côté droit, 
découverte dans le gypse de Montmartre. En comparant les fragments de cette mâchoire, on trouve les 
plus grands rapports avec le Canis lagopus, quoique indiquant un animal un peu plus fort; ainsi la 
proportion de la dent principale, et des deux dernières avant-molaires, la position du trou menton- 
nier postérieur au-dessous de la troisième avant-molaire, la forme presque aiguë de l'apophyse angu- 
laire, et même la forme peu convexe du bord inférieur, sont comme dans le Canis lagopus : seule- 
ment, il y a plus de force en général, et surtout l’apophyse coronoïde est notablement plus large. Ce 
rapprochement parait très-probable; mais, s’il n’est pas exact, on doit au moins en conclure que le 
Canis Parisiensis était très-voisin de l'Isatis. 


Il. ESPÈCES D'AMÉPIQUE. 


18. RENARD ARGENTÉ. CANIS ARGENTATUS. Et. Geoffroy Saint-Ililare. 


CaracrÈRes spÉCIFIQUES. — Formes du Renard; pelage entièrement de couleur noire, à laquelle se 
mêle, dans plusieurs points, et en plus ou moins grande quantité, quelque peu de blanc; extrémité 
de la queue presque tout à fait blanche; devant de la tête et flancs blanchâtres; quelques poils ter- 
minés de blanc dans ies parties noires du pelage; poil laineux, très-épais et très-fin, d'un gris pres- 
que noir; pattes et museau couverts de poils courts; yeux jaunâtres; quelquefois une tache blanche 
sous le cou. Longueur de la tête et du corps, 0°,70. 


Cette espèce, à laquelle Gmelin donnait la dénomination de Canis Lycaon, et que G. Cuvier nom- 
mait Renard noir, nous présente encore l'exemple d’un animal qui a passé d’un continent dans l'au- 
tre, car, s'il habite principalement le nord de l'Amérique, on le trouve aussi dans le Kamtchatka, 
comme l'affirment Krakenninikof et Lesseps. 

Ia les mêmes mœurs que le Renard; mais, comme il est plus grand et plus fort, il est également 


88 HISTOIRE NATURELLE. 


plus courageux, et ne craint pas d'attaquer des animaux d'une certaine grosseur. On assure que, 
lorsqu'il peut s'approcher d’un troupeau, il a la hardiesse d'enlever, malgré les cris des bergers, les 
Agneaux ou Chevreanx qui lui conviennent; mais cela parait être une exagération. Sa fourrure est 
moins estimée que celle du Renard blec: elle a, néanmoins, du prix. 

La ménagerie du Muséum en a possédé un vivant, et il avait les habitudes du Renard. Ainsi que ce 
dernier, il marchait la tête et la queue basses, et, quoique très-bien apprivoisé et assez doux, il gar- 
dait un amour de liberté qui a fini par le faire mourir dans la tristesse et le marasme. Lorsqu'on le 
contrariait, il grognait comme un Ghien en montrant les dents, et il eût été dangereux de Le toucher 
dans ses moments de mauvaise humeur et de tristesse. Il exhalait une odeur très-désagréable, mais 
qui ne ressemblait pas à celle du Renard. Il paraissait beaucoup souffrir de notre température 
d'été. 


Fix. D4 — Renard d'Amérique 


49. RENARD FAUVE CANIS FULVUS. À.-G. Desmarest 


CaracTÈREs sÉciFIQuES. — Pelage présentant différentes nuances de roux et de fauve; dessous du 
cou et bas-ventre blancs; poitrine grise; face antérieure des jambes de devant et pieds noirs, avec du 
fauve sur les doigts; queue terminée de blanc; taille et forme du Renard. 


Cette espèce habite les États-Unis d'Amérique, dans l'État de Virginie. À l'extérieur, elle a beau- 
coup de rapports avec notre Renard d'Europe; mais elle en diffère surtout par la vivacité des couleurs 
et la finesse du poil; en outre, à l’intérieur, on trouve une différence dans la tête osseuse; cette dif- 
férence consiste en ce que, dans le Renard ordinaire, les deux crêtes latérales qui servent d'attache 
aux muscles crotaphites forment un angle assez peu prolongé, et se réunissent à la suture de l'os 
frontal, tandis que, dans le Renard fauve, ces deux crêtes sont dirigées, parallèlement l'une à l'autre, 
à 0,3 d'intervalle, et ne se réunissent qu'à la crête occi] itale. 


20. RENARD GRIS. Catesby. CANIS VIRGINIANUS. Erxleben. 


CanacTÈRes srÉCIFIQUES. — Corps entièrement d'un gris argenté; forme et grandeur du Renard or- 
dinaire. 


CARNASSIERS. 89 


L'on ne sait rien de bien positif sur ce Renard, et il est probable qu'on doit le réunir à l'une des 
espèces précédentes. 
I habite la Virginie. 


21. RENARD TRICOLORE ou AGOUARACHAY. CANIS CINEREO-ARGENTATUS. Erxleben 


CaRaCTÈRES SPÉCIFIQUES. — Dessus du corps d'un gris noir; tête gris fauve; oreilles et côtés du cou 
d’un roux vif; gorge et joues blanches; mâchoire inférieure noire; ventre fauve; queue fauve, glacée 
de noir, avec le bout d’un noir foncé. Longueur du corps, mesuré depuis le bout du nez jusqu'à l'ori- 
gine de la queue, 0,70; de la queue, 0,55. Hauteur au garrot, 0,43. 


Fig. 55. — Renard tricolore. 


Cette espèce habite les États-Unis d'Amérique etle Paraguay. D Azara donne sur elle les détails su- 
vants: (L'Agouarachay, pris jeune, s’apprivoise, et joue avec son maître, de la même manière et avec plus 
de tendresse et d'expression que le Chien; il reconnait les personnes de la maison, et les fête en les 
distinguant des étrangers, quoiqu'il n’aboie jamais contre ces derniers. Mais, s’il entre dans la maison 
un Chien du dehors, son poil se hérisse, et il le menace par ses aboiements jusqu’à ce qu'il le fasse 
fuir, sans toutefois oser le mordre. Il ne gronde point contre les Chiens de la maison, au contraire, 
il joue et folâtre avec eux. Il vient lorsqu'on l'appelle au crépuscule du matin et du soir, parce qu'il 
se couche et dort le reste du jour, afin de n’avoir pas besoin de repos pendant la nuit, qu'il emploie 
à parcourir la maison, pour chercher des œufs et des Oiseaux domestiques, auxquels il ne pardonne 
jamais quand il peut en attraper. Il n’est pas docile, et, si l'on veut le faire entrer dans un lieu, ou 
si l’on veut l'en faire sortir, il faut beaucoup de peine pour ly obliger; il souffre même, auparavant, 
des coups, auxquels il répond en grognant. » 

Cependant, un jeune individu de cette espèce, apporté de New-York, a vécu à la ménagerie du 
Muséum, et, sans être méchant, était farouche, et exhalait une odeur très-désagréable. 

c? 12 


90 HISTOIRE NATURELLE. 


A l'état sauvage, le Renard argenté a les mêmes mœurs que notre Renard, mais plus de hardiesse, 
car il ose approcher, pendant la nuit, des bivacs où dorment les voyageurs, pour s'emparer des 
sangles et des courroies de cuir, qu'il emporte et dévore. I pousse leffronterie jusqu'à s'introduire 
dans les basses-cours pour en enlever la volaille, ou tonte autre chasse à sa convenance. Enfin, dans 
le Paraguay, on assure qu'il mange des fruits, des cannes à sucre, et qu'il suit le Jaguar pour s'ap- 
provisionner de ee que celui-ci gaspille; et il en serait de même, dit-on, du Chacal, qui accompagne 
aussi le Lion. Le Renard argenté habite Les bois etles buissons les plus épais; il y vit solitaire; sa voix 
est gutturale, retentissante, et semble prononcer le mot goua-a-a. Quelquefois, la femelle met bas, 
en plein air, dans un tas de feuilles où d'herbes sèches; mais, le plus habituellement, elle s'empare 
dun terrier de Viscache, l'agrandit, et y fait, en octobre, de quatre à cinq petits, qui naissent presque 
noirs, et parmi lesquels se trouve parfois un albinos. 

Ne serait-ce pas à cette espèce que l'on devrait rapporter les ossements trouvés par M. Lund dans 
les cavernes du Brésil, et qu'il regarde comme se rapportant au Canis jubatus où campestris? et ne 
pourrait-on pas dire la même chose de ses Canis protalopex et troglodytes ? 


22. RENARD AGILE. CANIS VELOX. Say. 


Canacrères srécrriques. —— Pelage doux, fin, soyeux, fauve, et d'un brun ferrugineux; dessous de 
la tête d'un blanc pur; poils du cou plus longs que les autres, rt formant une sorte de fraise. De la 
grandeur à peu près du Renard ordinaire. 


Cette espèce à la taille svelte et le corps mince, ce qui la rend très-légère à la course; sa queue est 
longue, cylindrique, noire. Elle se plait dans les pays découverts, sur les bords du Missouri; se loge 
dans un terrier, et paraît avoir les mêmes habitudes que l'espèce précédente, avec laquelle on la con- 
fond assez souvent. 


23. RENARD CROISÉ. CANIS DECUSSATUS. Et Geoffroy Saint-Hilaire 


Caractères spéciriQues. — De la taille du Renard ordinaire; tout le corps, et surtout le dos, la 
queue, les pattes et les épaules, d'un gris noirâtre, plus foncé vers les épaules, à poils annelés de 
gris et de blanc; une grande plaque fauve partant de l'épaule jusqu'à la tête, et une autre de même 
couleur sur le côté de la poitrine; museau, dessous du corps et pattes, noirs: queue terminée par du 
blanc. 

Le Renard croisé, que Schreber à nommé Canis cruciger, est regardé, par quelques auteurs, 
comme n'étant qu'une variété du Renard argenté. On le rencontre dans le nord de l'Amérique, et 
probablement jusqu'au Kamtehatka. 


À ces diverses espèces, propres à l'Amérique, et qui, ainsi que nous l'avons dit, ne sont pas con- 
nues entièrement, il faudrait ee joindre encore quelques-unes que nous ne ferons que nommer, parec 
qu'on n'a pas assez de détails sur elles; ce sont : 

1° Le Canis vulpes, Marlan, de la Nouvelle-Calédonie, et de la Nouvelle-Angleterre, que Lesson 
nomme Valpes Americanus; 

29 Le Canis Magellanicus, Darwin, du Chili et des iles Malouines; 

9° Le Canis fulvipes, Darwin, des îles de Chiloé: 

4° Le Canis griseus, King, de la Magellanie; 


o Le Canis Brasiliensis, Schinz, où Canis Azaræ, Wied, du Brésil, du Paraguay, de la Plata, 
de la Patagonie et du Chili. 


Enfin nous pourrions citer des débris fossiles, dont nous parlerons bientôt. 


Couguar. 


Iyène lachetée. 


CARNASSIERS. 91 


IH. ESPÈCES D'ASIE. 


24. RENARD DU BENGALE. CANIS BENGALENSIS. Shaw. 


CaracrèrEs spéciriQues. — Pelage brun en dessus, avec une bande longitudinale noire sur le dos; 
tour des yeux blanc; queue noire à l'extrémité; forme et taille du Renard ordinaire. 


Ce Renard, qui habite l'Inde, principalement le Bengale et l'ile de Ceylan, diffère peu, au moins 
quant aux mœurs, de notre espèce d'Europe. 


On a décrit, dans ces derniers temps, des espèces nouvelles comme propres à l'Asie; ce sont les 
suivantes, qui sont trop peu connues pour que nous nous en occupions dans cet ouvrage : 


1° Vulpes Himalaicus, Ogilby, du Népaul et de l'Himalaya; 
2° Vulpes xanthura, Gray, de l'Inde; 


3° Vulpes Kokri, Sykes, du Klun, ou pays des Mahrattes. 


IV. ESPÈCES D'AFRIQUE. 


95. RENARD D'ÉGYPTE. CANIS NILOTICUS. Et. Geoffroy Saint-Hilaire. 


CakacTÈrEs spÉCirIQUES. — De la taille du Renard ordinaire; dessus du corps couvert de poils fau- 
ves, mélangé de cendré et de jaunâtre sur les flancs; dessus des cuisses cendré, avec quelques poils 
terminés de blanc; dessous du corps, depuis l'extrémité de la mâchoire inférieure jusqu'à l'anus, de 
couleur cendrée; quelques poils blanes sur les côtés du cou; pattes d’un fauve uniforme; oreilles 
noires en arrière, 


Il habite l'Égypte et la Nubie. 


26. RENARD PALE. CANIS PALLIDUS. Creutzchman 


CARAGTÈRES SPÉGIFIQUES. — Pelage d’un fauve très-clair en dessus, blanc en dessous; queue touffue, 
noire à l'extrémité. 


Ce Renard se trouve en Egypte et en Nubie; on sait qu'il habite un terrier pendant le jour, qu'il 
chasse pendant la nuit, et que, conséquemment, ses mœurs sont à peu près les mêmes que celles du 
Renard ordinaire. 


99 HISTOIRE NATURELLE. 


97. RENARD VARIÉ. CANIS VARIEGATUS. Rüppel. 


CaRaCTÈRES SPÉCIFIQUES. — Pelage d'un fauve jaunâtre en dessus, blanc en dessous; sur le dos et 
sur la queue, il y a des mèches noires formées par des poils plus longs que les autres. 


Habite la Nubie et l'Égypte. 


Ces trois espèces semblent au moins voisines, et ne sont peut-être que des variétés d'âge et de sexe 
d'une seule et même espèce. 


Fig. 56. — Renard d'Égypte. 


À ces espèces africaines, les zoologistes en ajoutent encore quelques-unes que nous nous bornerons 
à citer; telles sont les : 


4° Vulpes riparius, Hempring et Ehrenberg, de Nubie; 
2° Vulpes pygmœus, Hempring et Ehrenberg, du même pays; 
3° Vulpes dorsalis, Gray, du Sénégal; 


4° Vulpes Caama, Smith, du cap de Bonne-Espérance. 


CARNASSIERS. 93 
Nous pouvons encore citer comme ayant été placées dans le même sous-genre et la même division, 
puisqu'ils proviennent tous d'Afrique : 
1° Le MécaLoris où Rexarn De Derazanne (Canis melagotis, À. G. Desmarest), type du genre Méca- 
LOTIS Où ÜTocxoN: 
2 Le Fenxec ou Zero (Canis cerdo, Gmelin); 


3° Le RexarD D'AFRIQUE (Canis famelicus, Creutzchmar), qui constitue, avec le précédent, le genre 
FENNEC; 


4° Le Rexarp pe Dennan (Canis funecus, Denham), qui doit probablement rentrer dans le même 
groupe générique. : 


Nous reviendrons plus tard sur ces diverses espèces de la tribu des Caniens, ainsi que sur le Canis 
pictus, A.-G. Desmarest, type du genre CyxnyÈxe, parce que nous les considérons comme formant 
des groupes génériques différant de celui des Caiexs ou Canis. 


Fig. 57. — Renard gris. 


En décrivant le Chien ordinaire, le Loup, le Ghacal, le Renard et l'Isatis, nous avons parlé des 
traces fossiles de diverses espèces découvertes dans le sein de la terre; dans nos généralités sur le 
genre Chien, nous avons aussi donné, en quelques mots, l’histoire paléontologique des Chiens; il nous 
reste maintenant à compléter notre travail en faisant connaître les différentes espèces de Canis fos- 
siles connues aujourd'hui, et qui n’ont pas leurs analogues dans les espèces qui vivent à l'époque 
actuelle. 


1° Canis gypsorum. — G. Guvier a rapporté à une espèce du genre Chien une première phalange 
trouvée dans la pierre à plâtre de Montmartre, et qui indique un animal de grande taille; De Blain- 
ville pense qu'il y a du rapport entre cet os et ceux du Cunis campestris, quoiqu'en même temps il 
ait de l’analogie avec un Felis. 


2% Canis Viverroides. — De Blainville désigne sous ce nom un fragment de màchoire inférieure 
trouvé dans le gypse du terrain tertiaire de Montmartre, et que G. Cuvier considérait comme appar- 
tenant au genre des Genettes; il y joint, mais avec doute, une dent carnassière trouvée par M. Charles 
D'Orbigny dans l'argile plastique des environs de Paris. . 


9% HISTOIRE NATURELLE. 


5° Canis brevirostris. — M. l'abbé Croizet à créé sous cette dénomination une espèce fondée sur 
deux fragments de mâchoire supérieure et de mâchoire inférieure, découverts dans les alluvions 
sous-volcaniques d'Auvergne. D'après De Blainville, ces débris fossiles indiqueraient l'existence d'une 
espèce de Chien, intermédiaire aux Chacals et aux Renards, rapprochée des espèces de Chiens à 
pouce court, et, du reste, ne pouvant être confondue avec aucune d'elles. 


4° Canis Issiodorensis. — C'est encore M. l'abbé Croizet qui, le premier, a indiqué cette espèce, 
d'après deux fragments provenant de la montagne de Perrier, près d'Issoire, et de celle de Saint-Gé- 
ran. Ces morceaux consistent en deux fragments de mächoire inférieure, qui constituent une espèce 
assez voisine de la précédente, mais en étant cependant distincte. 


b° Canis Neschersensis. — M. Croizet à également trouvé cette espèce, et son nom indique la 
paroisse d'Auvergne dont il est le curé. Cette espèce repose sur un côté gauche de mandibule, pres- 
que complète dans sa branche horizontale, et armée de sa canine et des cinq molaires intermédiaires, 
c’est-à-dire qu'il ne manque que la première et la dernière, dont il ne reste que l’alvéole. De Blain- 
ville regarde cette mandibule comme appartenant à une espèce de Canis, différente des deux précé- 
dentes. mais comme tout à fait semblable au petit Loup des montagnes, encore existant aujourd'hui 
dans les Pyrénées. 


6° et 7° Canis Juvillacus et medius. — M. Bravard désigne sous ces noms deux espèces de Chiens 
découvertes à Juvillac, en Auvergne, et consistant en un assez grand nombre d'os; la deuxième, même, 
est fondée sur une tête assez complète. 


8° Canis Borbonulus. — Espèce également créée par M. Bravard, découverte à Ardé, en Anver- 
gne, et qui se rapporte probablement au Canis megamostoides de M. Pomel. 


9 Canis Pacivorus. — De Blainville regarde comme une simple espèce de ce genre le fossile que 
M. Lund a indiqué sous la dénomination de Spæothus Pacivorus, et qui provient des cavernes du Brésil. 
Cette espèce repose sur une mâchoire supérieure qui a quelque analogie avec les Canis cancrivorus 
et prunmævus, et doit probablement son nom au grand nombre d'os de Paca qu'on a trouvés dans 
les mêmes cavernes. 


Nous pourrions encore citer les Canis Tormelii et Buladi, Croizet et Jobert, des environs d’Issoire, 
en Auvergne, et le Canis propagator, Kaup, du diluvium du Rhin. 

La plupart des auteurs rapprochent aussi des Canis le genre fossile des Amphicyon, que, d'après 
De Blainville, nous avons mis dans la famille des Petits-Ours, auprès des Blaireaux. (Voyez, volume [‘' 
des Carnassiers, page 236.) 

De Blainville regarde le groupe des Æyænodons comme n'étant qu'un sous-genre des Canis, et 
y range les {f. leptorhinchus et brachyrhynchus. Mais, selon la manière de voir de G. Guvier, et 
celle plus récente de M. Laurillard, nous ne nous en occuperons pas maintenant, et nous en parlerons 
en traitant des Didelphes. 

Enfin, c’est à tort que l’on a rapproché de ce genre les groupes fossiles des Agnotherium, Kaup, 
et celui des Cainotherium, Bravard; ce dernier surtout n'étant, en quelque sorte, qu'une simple 
subdivision des Anoplotherium. 


2me GENRE. — FENNEC. FENNECUS. À. G. Desmarest, 1804. 
Tableau méthodique dans le tome XXIV de la première édition du Dictionnaire d'Histoire naturelle édité par Deterville, 


Nom spécifique transporté au genre. 


CARACTERES GENERIQUES 
Système dentaire : incisives, £ canines, 1; molaires, 5, c'est-à-dire ayant la formule générale 
des Chiens. En effet, ce système dentaire se rapproche beaucoup de celui des Renards : les incisives 
sont un peu plus larges proportionnellement: les avant-molaires sont dans le même cas, triangulaires, 


CARNASSIERS. 95 


plus larges à la base, surtout celles d'en bas; la carnassière supérieure a ses deux lobes externes 
presque égaux, à talon interne plus prononcé, tandis que lu carnussière inférieure est plus soulc- 
vée à sa partie antérieure, plus aiguë, plus insectivore dans son lobe externe postérieur; la der- 
nière tuberculeuse, en haut comme en bas, est plus petite que celle qui la précède. 

Museau pointu. 

Oreilles très-ampies, beaucoup plus développées que celles des Renards. 

Yeux gros. 

Pieds propres à la marche, digitigrades, à quatre doigts 

Ongles crochus, aiqus, non rétracules. 

Taille très-petite. 

Forme élancée. 


Aueun animal, peut-être, n'a soulevé, autant que le Fennec, de polémique parmi les naturalistes. 
On en a fait tantôt un Chien, tantôt un Galago, tantôt le type d’un groupe générique distinct, et, enfin, 
on semble porté aujourd'hui, et probablement avec raison, à l'indiquer comme une des espèces de la 
subdivision des Renards. 

Bruce, le premier, a signalé cet animal, qui, depuis, a été décrit, en Suède, par Brander, d’après 
l'individu même que Bruce avait vu. Sparmann, dans son Voyage au Cap de Bonne-Espérance, le con- 
sidéra trop légèrement comme appartenant à l'espèce d’un petit animal des sables de Camdebo, près du 
Cap, qu'il ne décrivit pas suffisamment, dont il fit une espèce de Chien, et auquel il attribua le nom 
de Zerda. Pennant, Boddaërt et Gmelin, adoptant ensuite ce rapprochement, ont donné les noms de 
Canis zerda et de Canis zerdo à l'animal de Bruce, que Brander regardait, de son côté, à plus juste 
raison, comme une espèce de Renard. D'après les traits de la description publiée postérieurement par 
Bruce, dans son Voyage en Lybie, Blumenbach considéra le Fennec plutôt comme appartenant au 
genre des Civettes qu'à celui des Chiens. À. G. Desmarest avait également pensé, d’après les mêmes 
données, que cet animal était le type d’un genre particulier de Carnassiers, qu'il rapprocha dans sa 
Mammalogie du groupe naturel des Chats. [liger l’a placé dans l’ordre des Carnassiers, à côté des 
Hyènes, et il a donné, sur la dentition de cet animal, des détails que ne lui ont certainement pro- 
curé ni les descriptions de Bruce et de Brander, ni celle de Sparmann sur son Zerda. Et. Geoffroy 
Saint-Hilaire a récusé entièrement l'opinion d'Illiger; et, discutant la description de Bruce, qui lui pa- 
raissait imparfaite et mexacte, il a pensé y trouver assez de renseignements pour établir que le Fennec, 
loin d'être un Carnassier, n’était qu'un Galago : le nombre des molaires (que l’an ne connaissait pas 
d'une manière parfaite lorsqu'il écrivait son travail), la présence des canines, les grandes dimensions 
des oreilles. la longueur de la queue, la grosseur des yeux, la petitesse de la taille, le genre de nour- 
riture et la vie nocturne, semblaient fournir les motifs qui militaient en faveur de cette hypothèse. 
Mais, aujourd'hui que lon connaît plus complétement le Fennec, dont on n'avait guêre précédemment 
que des peaux mal conservées ou quelques débris incomplets du squelette, aujourd'hui que l’on en a 
vu plusieurs individus vivants en Europe, et que la Ménagerie du Muséum en possède même un en ce 
moment, l'opinion d'Et. Geoffroy Saint-Hilaire n'est plus admise, et l'animal qui nous occupe est 
bien définitivement rangé parmi les Carnassiers digitigrades, et doit y former une subdivision dis- 
tincte, à moins même, ce qui est plus probable, qu'il ne rentre dans le genre Chien, sous-genre des 
Renards. 

L'espèce typique de ce genre est le : 


FENN C. FENNECUS BRUCEI. A.-G. Desmarest. 


CaracTÈRES SPÉCIFIQUES. — Pelage d'un joli roux isabelle en dessus, avec une tache fauve placée 
devant chaque œil; le dessous du corps blanchâtre; la base et le bout de la queue noirs. Taille 
petite, et moindre que celle des Renards. 


La synonymie de cette espèce est très-embrouillée. Bruce, le premier, lui appliqua le nom qu'elle 
porte vulgairement, celui de Fennec, quoiqu'elle soit quelquefois désignée sous celui de Zerdo. 


96 HISTOIRE NATURELLE. 


Gmelin en fit son Canis cerdo; À. G. Desmarest, son Fennecus Brucei; Lesson, son Fennecus xerda; 
Leach, son Canis Saharensis; Leuckart, son Canis pygmwæus; Griffith, son Canis megalotis; Blu- 
menbach, son Viverra aurita, et Iliger, son Megalotis zerdo; enfin, Buffon l’'indiqua sous la déno- 
mination d'Animal anonyme. 


Fig 58 — Fennec de Bruce, 


D'après De Blainville, on devrait probablement rapporter au Fennec plusieurs figures des tombeaux 
égyptiens, qui ontété données, par M. Rosellini, dans son grand ouvrage sur les monuments égyptiens. 

Bruce donne de ce Mammifère la description suivante : « Ce Fennec avait six pouces de longueur, 
depuis le bout du nez jusqu'à l'origine de la queue; celle-ci avait cinq pouces un quart, et le bout 
trés-noir dans la longueur d’un pouce environ; celle de ses pattes de devant, mesurées depuis la pointe 
de l'épaule jusqu’à l'extrémité des doigts, était de deux pouces sept huitièmes; celle de la tête, de- 
puis la pointe du museau jusqu'à occiput, de deux pouces; celle des oreilles, de trois pouces trois 
huitièmes. Ses oreilles avaient un pli en dehors de leur base, et leur face interne était couverte d’un 
poil très-doux, blane et touffu sur le bord, et d’un poil rare et couleur de rose dans le milieu; leur 
largeur était d’un pouce et demi, et leur conque avait beaucoup d'ouverture; l'œil était d'un bleu 
foncé, et la prunelle était très-grande et très-noire. Les moustaches étaient roides et épaisses, et le 
bout du nez était pointu, noir et très-lisse; les dents canines et celles de devant étaient longues et ex- 
irèmement pointues, et il y avait cinq molaires de chaque côté; les jambes étaient minces, et les 
pieds très-larges, et divisés en quatre doigts noirs, longs et crochus; ceux des pieds de devant étant 
beaucoup plus crochus que ceux de derrière; tout le dessus du corps était couvert d’un poil blanc 
roussâtre ou couleur de crème; le poil du ventre était plus blane, plus doux et plus long. Il y avait 
plusieurs mamelles, qu’on ne pouvait compter à cause de la vicacité de l'animal. La queue, qu'il éten- 
dait rarement, était couverte d’un poil plus rude que le restant du corps. » 


Métis de Lion et de Panthère. 


PI 


15. 


CARNASSIERS. 97 


La collection de la Société zoologique de Londres possède un squelette de cet animal, et M. Yarrel 
en a donné la description. 

Le Fennec monte sur les arbres avec la plus grande facilité; il se plait surtout à grimper sur les 
Dattiers, dont il aime, dit-on, à manger les fruits. Mais il fait surtout la chasse äux petits Mammi- 
fères et aux Oiseaux, et recherche les œufs de ces derniers. De son habitude de monter sur les 
arbres, et de ce qu'il ne peut embrasser les branches avec ses petits membres, on en a déduit que 
les ongles devaient être à demi rétractiles ou même tout à fait rétractiles; et, de ce que sa nourriture 
consistait en matières végétales et animales, on a dû soupçonner que ses molaires devaient différer 
de celles des Chiens, et se rapprocher davantage de celles des Insectivores, c'est-à-dire qu’elles de- 
vaient être à couronne tuberculeuse. Le Fennec dort la plus grande partie de la journée, et ce n’est 
que le soir qu'il sort de son gite pour satisfaire son appétit. Sa physionomie est fine et rusée, et res- 
semble beaucoup à celle du Renard. I porte ses oreilles droites, et ce n’est que lorsqu'il est effrayé 
qu'il les couche en arrière. Il se prive aisément; et l'on peut, aujourd’hui, être témoin de ce fait en 
étudiant l'individu qui vit depuis quelques mois à la ménagerie du Muséum, et à laquelle il a été donné, 
en 1851, par M. Ducourt. Ce Fennec provient du grand désert du nord de l'Afrique; son aspect général 
rappelle tout à fait celui d'un Renard, et ses oreilles ne semblent même pas aussi démesurément 
grandes que l'avaient annoncé les naturalistes. Il est d’une grande douceur, aime à ce qu'on le flatte, 
et vit en assez bonne intelligence avec un jeune Chien qu'on lui a donné pour compagnon de capti- 
vité. Il n'a pas une nourriture exclusivement carnassière, car il ne repousse pas les fruits ou gâteaux 
qu'on lui présente. ’ 

Cette espèce, dont Bruce a vu trois individus de variétés différentes à Tunis, à Alger et à Sen- 
naar, se trouve fréquemment dans le territoire des Arabes Beni-Menzzahs, et Werglahs, ancien pays 
des Mélano-Gétulés, et aussi, dit-on, mais beaucoup plus rarement, dans la province de Constantine. 
Les Arabes de ces contrées le chassent pour en avoir la fourrure, qu'ils envoient vendre à la Mecque, 
d’où elle passe dans l'Inde. On le trouve aussi en Nubie et en Égypte; mais il est très-rare partout. 

Une seconde espèce propre à ce genre est le RexarD D'ArriQue (Canis famelicus, Rüppel; Fennecus 
famelicus, Lesson), propre à la Nubie et au Kordofan. Dans cet animal, qui a beaucoup d’analogie 
avec le Fennec, les oreilles sont moins longues; la tête est jaune, et le corps gris, ainsi que les deux 
tiers de la queue, qui est blanche à l'extrémité. 

Enfin, une dernière espèce est le Fennec pe Dexat (Vulpes Denhamii, ou Canis fennecus, Denham), 
qui diffère du Fennec par son pelage d’un roux blanchâtre uniforme, seulement plus päle en dessous; 
son dos brun blanchâtre uniforme; son menton, sa gorge, son ventre et les parties internes de ses 
cuisses et de ses jambes, blancs; son museau noir. Il se trouve dans Afrique centrale, et n’est pro- 
bablement pas distinct du l'ennee ordinaire. 


5% GENRE. — OTOCYON. OTOCYON. Lichstenstein, 1838. 
In Wiegmann Archiv., tom, IV. 


Q;, oreille; xvov, Chien 


CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 


Système dentaire : incisives, À; canines, =; molaires, ZX; en totalité, quarante-deux dents, d'où 
il résulte qu'il y a, à chaque mâchoire, deux dents de plus que dans le genre Canis, et, en outre, 
on peut remarquer que les dents sont plus omnivores que dans le groupe que nous venons de 
nommer. 

Oreilles très-larges et très-longues, égalant presque la tête, avec un double rebord à leur bord 
inférieur externe. 

Jambes plus grandes que celles du Renard. 

Tête petite. 

Queue très-fournie. 


ce? 45 


98 HISTOIRE NATURELLE. 


Le genre Otocyon de Lichstenstein, qui correspond au genre Megalotis (ueyas, grand; w:, oreille) 
de Bennett, et qui a pour type une espèce de Chien, le Canis megalotis, À. G. Desmarest, du Cap de 
onne-Espérance, est parfaitement caractérisé par le nombre de ses molaires plus considérable que 
dans les véritables Canis. Dans ce genre, la disposition omnivore est au minimum, non-seulement 
parce que les carnassières sont tout à fait au minimum en elles-mêmes, mais aussi relativement aux 
tuberculeuses, dont le nombre est augmenté aux deux mâchoires: d'où il résulte que le système 
dentaire de ce groupe a une certaine analogie avec celui de quelques Petits-Ours. Les incisives ont 
assez peu le caractère de celles des Canis, en ce que les supérieures sont petites, presque égales, 
espacées et entières, peut-être cependant par usure; mais les inférieures sont bilobées; les canines 
de même, et n'étant pas plus comprimées, ni carénées, que dans les Renards. Les avant-molaires sont 
à peu près dans le même cas, seulement elles sont plus petites, moins espacées, que dans les espèces 
du genre Chien; mais elles croissent graduellement de la première à la troisième, sont tout à fait 
simples et triangulaires en haut comme en bas, et seulement un peu plus étroites inférieurement. 
C'est surtout dans la forme de la principale ou carnassière d'en haut, et de la première avant-molaire 
ou carnassière d’en bas, que les différences commencent à être marquées. Elles consistent en ce que, 
en haut, la partie antérieure de la dent, c’est-à-dire sa partie carnassière, a considérablement aug- 
menté d’étendue, puisqu'elle constitue la dent entière, celle-ci n'étant cependant pas plus large que 
la première tubereuleuse, et qu’en bas cette carnassière, moins changée et moins réduite toutefois, 
est devenue presque insectivore; les trois pointes ou tubereules pointus de la moitié antérieure étant 
également soulevés, et le talon étant entièrement formé de deux pointes. Quant aux tuberculeuses, 
au nombre de trois à chaque mâchoire, celles d'en haut sont tout à fait semblables à celles des Ca- 
ais, sauf qu’elles décroissent sensiblement de la première à la dernière, ayant deux denticules pres- 
que égaux en dehors, et un large talon en dedans. Celles d'en bas décroissent encore plus rapide- 
ment : les deux premières à deux collines transvérses, bicuspidées, et la dernière à peu près de même 
forme, mais la colline postérieure réduite à n'être qu'un petit talon. 

Le squelette de F'Otocyon a été décrit avec soin par De Blainville dans son Ostéographie, etcet auteur 
a montré que l’ensemble des os rappelle évidemment celui d’un petit Renard, mais encore plus grêle 
et plus élancé ou élevé sur pattes, et avec une queue plus courte et plus rapidement eflilée. Les apo- 
physes épineuses des vertèbres dorsales sont plus étroites que dans les Renards, et ne vont pas en 
s'élargissant en arrière : celles des lombaires sont également plus étroites et plus inelinées en avant; 
etles transverses d’une gracilité extrême, la dernière étant peut-être la plus large. La série sternale, 
ainsi que les côtes, scntabsolument comme dans les Vulpes. L'omoplate est peut-être un peu plus haute, 
un peu plus étroite, et sa crête très-élevée, surtout vers sa terminaison. L’humérus est certainement 
plus long, plus droit, en un mot plus semblable à celui des Chats; mais sans crête épicondylienne, 
sans canal interne, et même sans trou médian à son extrémité inférieure : l'articulation est, du reste, 
en double poulie comme dans les Canis. L'avant-bras est encore plus long que le bras. Le radius 
tès-courbé, et le eubitus presque tout à fait postérieur, soudé même dans sa moitié supérieure, et 
trés-grèle dans le reste. Le carpe est comme dans le Renard; mais la main est beaucoup plus allon- 
gée, surtout dans les métacarpiens, qui sont d’une longueur et d’une gracilité tout à fait particu- 
lières. Les premières et les secondes phalanges sont assez bien comme dans le Renard, mais les 
onguéales sont encore plus longues, plus comprimées et plus aiguës. Les membres postérieurs pré- 
sentent des différences à peu près de même intensité. Le bassin est proportionnellement plus long, 
et son angle antérieur et inférieur est plus arrondi. Le fémur est long, arqué, comprimé en haut et 
moins en bas. Les os de la jambe sont plus grêles, et le péroné entièrement soudé au tibia dans 
sa moitié inférieure. Le pied est encore plus long, plus grêle et plus serré que dans le Renard, 
avec le pouce également plus rudimentaire. Mais c’est surtout la tête qui offre le plus de différence, 
quoiqu'elle rentre cependant très-bien dans la forme de celle des Renards, et surtout du Renard ar- 
genté. Elle est seulement encore un peu plus allongée, l'espace lyriforme supérieur étant plus large, 
l'orbite est aussi plus circulaire et plus complète dans son cadre par plus de longueur des apophyses 
orbitaires. L'os du nez est moins fortement bifide; le trou sous-orbitaire est plus avancé; la pointe 
médiane du bord palatin beaucoup plus longue; l'apophyse ptérygoïde interne plus petite; le trou 
auditif plus grand; l'apophyse anguleuse de la mandibule plus large, plus arrondie, de manière à ce 
que Pos mandibulaire est presque droit. 


CARNASSIERS. 99 


L'espèce unique de ce genre est le : 


OTOCYON A GRANDES OREILLES. OTOCYON MEGALOTIS. Lesson. 


Caracrères spéciFiQuEs. — Pelage gris de fer, très-légèrement teint de fauve; une ligne de poils 
plus longs que les autres, et noirâtres, le long du dos; oreilles grises en dehors, avec le bout noir, 
et bordées de petits poils blancs; queue très-touffue, noire, avec du gris seulement à la racine; tête 
grise, jusqu'au bout du nez, ainsi que le chanfrein, noirâtre; ventre d’un blane sale; les quatre pattes 
noires. Le pelage étant, en général, plus laineux que celui des Chiens. Sa taille est moins considéra- 
ble que celle du Renard ordinaire. 


Cette espèce a reçu, d'A. G. Desmarest, la dénomination de Canis megalotis; Desmoulins lui a ap- 
pliqué celle de Canis Lalandi, tirée du nom du naturaliste voyageur qui l'a trouvée le premier, et 
M. Hamilton Smith, qui la range dans sa subdivision des Agriodus auriti de son sous-genre Chien, 
le nom de Megalotis Lalandü, enfin, c’est l'Otocyon Cafer de Lichstenstein. 

Elle habite les environs du cap de Bonne Espérance. et, dit M. Boitard, la Cafrerie. 


Fig 59. — Zcrda de Lalande. 


C’est auprès de ce genre, et à côté de celui des Hyénoïdes, que vient se ranger le genre Prinæœvus 
de M. Hogson, fondé sur une espèce de Canis, propre aux monts Himalayas et aux pays des Mah- 
rattes, le Cniex pes Himarayas, Canis primævus, Hogson; Canis Dukhunensis, Sikes; Primævus 
buansu, Lesson, qui se fait distinguer par quelques particularités de son système dentaire et de son 
ostéologie. 

Dans cet animal, nommé Chien primitif par M. Hogson, parce qu'il pense que cette espèce a pu être 
la souche sauvage du Chien domestique de tout le versant méridional des Himalayas, et même du Dingo 
de la Nouvelle-Hollande, la tête osseuse est remarquable. En effet, quand on la compare à celle d'un 
Loup, on observe qu’elle s’en éloigne assez fortement par sa brièveté et la déelivité presque sans 
courbure de son chanfrein pour se rapprocher de celle du Chien crabier et peut-être encore mieux de 
lyène, formant ainsi quelque chose d’intermédiaire entre les Caniens et les Hyéniens. Elle est large 


100 HISTOIRE NATURELLE. 


et courte dans ses deux parties, sans coup de hache ni relèvement frontal, les os du nez sont plus 
larges; les prémaxillaires plus courts; les orbites moins grandes, plus longues et un peu plus complètes 
dans leur ordre. La caisse est moins renflée, et la mandibule à quelque chose d'intermédiaire à celle 
du Loup et à celle du Chien crabier, étant un peu plus en bateau que dans celui-ci, et cependant ayant 
le coude assez marqué, et lapophyse angulaire presque comme dans celui-là. 

Dans le système dentaire, on voit que l'étendue de la carnassière supérieure est proportionnelle- 
ment au maximum de ce qu'elle est chez les Chiens, puisqu'elle dépasse notablement celle des deux 
tuberculeuses, dont la dernière est même très-petite, à peine triquètre; mais, de plus, en bas, cette 
même dernière tuberculeuse n'existe plus, et la carnassière est d'une largeur plus grande que dans 
aucun Canien, surtout en proportion avec l'unique tuberculeuse presque ronde. Au reste, les incisives, 
les canines, les avant-molaires et les principales sont comme dans le Loup et dans les autres espèces 
de Canis de grande taille. 


ue GENRE. — CYNHYÈNE. CYNHYÆNA. Fr. Cuvier, 1829. 
Dictionnaire des sciences naturelles. 


Kvowv, Hyæna, qui ressemble à l'Hyène et au Chien 


CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 


Système dentaire comme celui des Chiens, e’est-à dire composé de canines, © incisives, —; 


1 

molaires, 5; mais présentant le petit lobe cn avant des fausses molaires moins prononcé. 

Veux gros, saillants. 

Pupille arrondie, diurne. 

Pieds ne présentant que quatre doigts seulement; le pouce manquant en avant comme en 
arrière. 

Tète grosse. 

Museau large. 

Queue touffue, longue. 


Ce genre, l'un des plus curieux de la famille des Carnassiers, sert à établir le passage des Caniens 
aux Hyéniens; en effet, il a le système dentaire des premiers et la conformation digitale des se- 
conds, ce qui fait qu'on l'a rangé tantôt dans l’une, tantôt dans l’autre des deux tribus que nous ve- 
nons de nommer; quoique réellement il ait plus de rapport avec les Canis qu'avec les Hyæena. 

Temminck rangeait la seule espèce qui entre dans ce groupe dans le genre Æyæna, sous la déno- 
mination d'A. picta, et Burchell en fit sa Z1. venatica. Ruppell désigna le même animal sous le nom 
de Canis pictus, et Griffit sous celui de Canis tricolor. Enfin, Fr. Cuvier, le premier, la regarda 
comme devant être le type d'un genre distinct, qu'il nomma Cynhycæna, et M. M. Smith le désigna 
comme une subdivision de son sous-genre Canis, qu'il nomma Lycaon. Ce genre est généralement 
adopté, mais la dénomination en a été changée en celle d'Hyévoïne (Hyenoies\, assez généralement 
admise aujourd'hui, et adoptée par M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. 

De Blainville, dans son Ostéographie, donne les détails suivants sur cet animal remarquable : 
«Nous devons d'abord faire observer que, comme cette espèce n'a pas le singulier pénis des Chiens, 
ni même la bilobure de la racine du bord postérieur de l'oreille, nous ne voudrions pas assurer que, 
malgré la similitude complète du système dentaire, le squelette de cet animal fût réellement celui 
des Canis, de manière qu'il est, à leur égard, la contre-partie du Megalotis. Nous n'avons vu, en 
effet, qu'une partie de la tête osseuse d’un seul individu de sexe inconnu. Cette tête est encore plus 
courte, plus brusquement déclive, du moins depuis le front, que dans le Canis primævus, ee qui 
fait supposer que Le rapprochement de celle des Hyènes est encore plus grand. Toutefois, la gouttière 
fronto-nasale est très-forte, plus que dans aucune autre espèce de Canis, et, par conséquent, autre- 
ment que dans les Hyènes, où il n'y en à pas de traces. Les os du nez sont assez bien, comme dans 
le Canis prinuevus, larges surtout dans leur moitié supérieure. On peut en dire autant du bord 


CARNASSIERS. 101 


palatin, et même de la mandibule, qui, sauf plus de largeur pour le premier, de force et de brièveté 
pour la seconde, sont assez bien intermédiaires à celui-ci et au Loup. Du reste du squelette je n’ai 
pu étudier que les extrémités, et même sans le carpe ni le tarse complets; cependant il m’a semblé 
qu'il y avait au moins autant de rapprochement à faire avec la Hyène qu'avec le Loup, le pouce n’é- 
tant ni plus ni moins rudimentaire en avant qu’en arrière. » 

Le système dentaire de l'Hyénoïde est en tout semblable à celui du Loup, sauf plus de rapproche- 
ment et plus de force pour chaque dent. Toutefois, la proportion de la carnassière supérieure, et les 
deux tubercules qui la suivent, n’est pas plus à l'avantage de celle-là que dans le Loup ordmaire, 
puisqu'il y a égalité; et que la dernière tuberculeuse est, proportionnellement avec la première, très- 
petite, et sensiblement plus que dans le Loup. À la mâchoire inférieure, il y a moins de différence, 
si ce n’est dans la troisième incisive, proportionnellement plus petite, et dans la première avant-mo- 
laire, plus haute, plus aiguë, ainsi que dans les denticules antérieurs et postérieurs des deux autres 
et de la principale, qui sont évidemment plus prononcés, même dans un sujet dont les carnassières 
sont assez usées. 


Fig. 60. — Iyène lycaon. 


L'espèce type et unique de ce genre est le : 


HYÉNOIDE. CYNAYÆNA PICTA. Temminck. 


CaracrÈnEes spéciriques. Pelage très-varié; en effet, sur un fond grisâtre se dessinent, d’une ma- 
nière plus ou moins tranchée, des taches blanches, noires, d’un jaune d’ocre foncé, très-irrégulière- 
ment parsemées et mélangées, quelquefois assez larges, d’autres fois très-petites, toujours placées 
sans ordre et sans nulle symétrie : et ces taches variant beaucoup, non-seulement sur les parties cor- 


102 HISTOIRE NATURELLE. 


respondantes du même animal, mais encore d’individu à individu. La queue est touffue, blanche au 
bout, et descend jusqu'aux talons. La taille est celle du Loup ordinaire. 


Fr. Cuvier donne la description suivante d’un individu qu'il a pu observer avec soin : « Tête noire; 
front, calotte, derrière des yeux et dessus du cou, jaune roussâtre; côtés du cou d'un brun noirâ- 
tre; dessous d'un gris brun, avec un large demi-collier blane vers le bas; épaules, dos, flanes et ven- 
tre, noirs; une large tache rousse derrière le haut de lépaule, et deux taches blanches en avant; 
quelques taches de roux sur les côtés du corps; jambes blanches, avec une tache rousse derrière le 
coude, bordée d’une ligne noire, qui se termine vers le bas par une tache de même couleur, 
dont le centre est roux : celle-ci suivie d'une tache semblable, au-dessous de laquelle se trouve 
encore une tache noire, mais pleine; une autre tache noire en rose, et à centre roux, vers le 
haut du devant de la jambe, suivie de deux plus petites taches pleines; croupe variée de roux et 
de brun; cuisses et haut de la jambe bruns, avec deux fortes taches blanches : l'une au mulieu 
de la cuisse, et l’autre à la partie postérieure du genou; bas de la jambe et partie antérieure 
de la cuisse roux, avec quelques taches noires; un anneau noir au talon; tarse blanc; doigts noirs, 
ainsi que quelques taches sur les côtés du tarse; queue rousse à l’origine, puis blanche, ensuite noire, 
et, enfin, blanche à la pointe; dessous du corps noirâtre: intérieur des jambes de devant blanc, avec 
quelques taches et quelques lignes noires; celui des postérieures roux pâle sur la jambe, avec quel- 
ques ondes noires obliques vers le bout; tarse blanchâtre; une tache en rose, noire, et roussâtre au 
centre près du talon, oreilles grandes, ovales, noires, avec de petites taches roussâtres; poil assez 
court, excepté sur la queue, qui est touffue vers le bout. » 

La description donnée par Temminck ne se rapporte pas entièrement à celle que nous venons de 
rapporter, et cela démontre les variations individuelles que nous avons indiquées. 

M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire indique un fait des plus importants relativement à cet animal 
«Un voyageur très-digne de foi, dit le savant professeur que nous venons de nommer, qui a vu vi- 
vant un individu de cette espèce, nous a assuré qu’il tenait dans un état habituel de flexion, non 
pas seulement, comme les Hyènes, les membres postérieurs, mais aussi, ce qu'on n’a encore observé 
chez aucun autre animal, les membres antérieurs. » 

Gette espèce habite le midi de l'Afrique, c’est-à-dire le cap de Bonne-Espérance, le Kordofan, la 
Nubie et l'Abyssinie. 

Avec le courage du Chien, l'Hyénoïde a la voracité des Hyènes, ce qui la rend très-dangereuse 
pour le bétail. Elle se réunit en troupe plus ou moins nombreuse, et ose alors se défendre contre le 
Léopard, et même contre le Lion. Elle aime à se nourrir de voirie et de cadavres corrompus, et, pour 
satisfaire ce goût, elle a la hardiesse de pénétrer, pendant la nuit, dans les cours des fermes, et 
même dans les villages, où elle vient ramasser les immondices jusqu'aux portes des maisons. Malgré 
cela, elle ne se livre pas moins avec ardeur à la chasse des Gazelles et autres espèces d’Antilopes. 
Dans ce cas, plusieurs Hyénoïdes se réunissent en meute, et poursuivent leur gibier avec autant d'or- 
dre et de persévérance que nos meilleurs Chiens courants, et en plein jour. Lorsque l'animal est pris 
ou forcé, elles le dévorent toutes ensemble sans se quereller; mais elles ne souffrent pas qu'un ani- 
mal carnassier d’une autre espèce vienne leur disputer leur proie, et c’est alors que, comptant sur 
leur courage, sur leur nombre et sur leur force collective, elles osent résister au Léopard et au Lion. 
Faute de gibier, les Hyénoïdes attaquent parfois les troupeaux, les Moutons surtout, et même les 
Bœufs et Chevaux quand elles les trouvent isolés; mais aucun fait ne constate qu’elles se soient ja- 
mais jetées sur les hommes. Comme les Hyénoïdes ont presque toujours été confondues, par les voya- 
geurs, avec les Hyènes, il est possible que quelques-uns des traits de leurs mœurs et de leurs 
habitudes, que nous venons de signaler, d’après M. Boitard, ne s'appliquent pas exclusivement à 
elles. 

. Le genre Protèle, que nous décrirons dans la tribu suivante, est rangé, par De Blanville, dans le 
groupe naturel des Chiens et placé à côté du Cynhyène. 


“e[IV,[ 9p uor| 


CARNASSIERS. 103 


QUATRIÈME TRIBU. 


HYÉNIENS. HYENII. Isidore Geoffroy Saint Hilaire, 


Molaires alternes, à couronne au moins en partie tranchante. 
Tuberculeuses nulles où rudimentaires. 

Membres plus ou moins allongés, fortement digitigrades. 
Corps surbaissé en arrière. 


Le genre des Hyæna, auquel on joint un groupe générique nouvellement décrit, forme la tribu des 
Hyéniens de M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, qui correspond à celle des Hycænina de M. Gray, et, 
en partie, au genre Hycæna de De Blainville. 

Cette tribu est voisine de celles des Caniens et des Féliens; mais elle se distingue principalement de 
l'une et de l’autre par son corps surbaissé en arrière, ainsi que par l’aspect tout particulier des ani- 
maux qui y entrent; en outre, tandis que les tuberculeuses sont nulles ou rudimentaires chez ces ani- 
maux, comme chez les Féliens, chez les Caniens, au contraire, il y a toujours deux tuberculeuses au 
moins en haut et en bas. Quelques auteurs varient sur la position que l’on duit assigner à cette tribu 
dans la série mammalogique; les uns commencent par elle la division des Carnivores, et placent à la 
suite la tribu des Caniens,; les autres la rangent après les Viverriens, et comme joignant ceux-ci aux 
Féliens, enfin, il en est, et à leur tête vient se placer M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, qui mettent 
les Hyéniens entre les Caniens et les Féliens : nous adopterons cette dernière manière de voir. 

L'espèce typique de cette tribu, la Hyène rayée, est connue depuis longtemps, et citée par les 
Grecs et les Romains; mais les autres n’ont été indiquées que dans des temps beaucoup plus récents. 

Le régime diététique des Hyéniens est encore la carnivorité; mais ces animaux ne sont pas carnas- 
siers à un degré aussi prononcé que les Chats, en effet, les Hyéniens semblent préférer les matières 
animales putréfiées, qu’elles vont rechercher jusque dans les charniers et les cimetières, et il semble 
que ce n’est que par exception qu'elles s'emparent d’une proie vivante, et alors même elles ne chas- 
sent que des animaux de petite taille, et qui n'offrent pas beaucoup de résistance. Les Protèles sem- 
blent avoir le même genre de vie, mais, en outre, ils se nourrissent de jeunes animaux, et surtout de 
la matière grasse qui se trouve dans la loupe caudale des Moutons à grosse queue, qui ne sont pas 
rares, surtout dans les fermes, dans les pays qu'ils habitent. D’après cela, on voit que ces animaux 
ont, en quelque sorte, usurpé la réputation de férocité que l'on se plaît en général à leur donner, et 
qui ne leur est probablement venue que de leur aspect farouche, et qui semble être sanguinaire. Loin 
d’être redoutables, les Hyènes se voient parfois en liberté dans les rues des villes d'Orient, où elles 
vont à la recherche des matières animales en putréfaction. 

Deux genres seulement entrent dans cette tribu; ce sont ceux des Hyxèxes, créé par Brisson en 
1756, ayant quatre doigts à tous les membres, et Pnorèces, fondé, en 1824, par M. Isidore Geoffroy 
Saint-Hilaire, ayant cinq doigts en avant et quatre en arrière. 

On n’en connaît qu'un très-petit nombre d'espèces actuellement vivantes, cinq au plus : trois se 
rapportant au genre Hycæna, et une, peut-être deux, au genre Proteles; mais on a décrit sept à huit 
espèces de Hyènes comme s'étant trouvées à l’état fossile. 

Les Iyéniens vivants habitent diverses parties de l'Afrique, principalement les environs du cap de 
Bonne-Espérance, et plus rarement l'Abyssinie, l'Égypte, la Nubie, la Barbarie, le Sénégal; mais, 
en outre, il en est une espèce, la Æyæna vulgaris, qui se trouve non-seulement dans ces diverses 
régions, mais dont l'habitat s'étend aussi dans une portion de l'Asie, particulièrement dans la Perse 
et dans l'Inde. 


104 HISTOIRE NATURELLE. 


Les espèces fossiles sont plutôt propres à l'Europe, et ont surtout été découvertes, en France, dans 
les cavernes du Midi, ainsi que dans quelques-unes de celles de l'Allemagne et de l'Angleterre; cepen- 
dant, M. Lund en a signalé aussi des traces, en Amérique, dans les cavernes du Brésil; et MM. Baker 
et Durant, dans les monts Himalayas. 

Quelques auteurs joignent à cette tribu des animaux que nous avons compris avec les Caniens; tels 
sont les genres Cynhyæna où Hyénoïdes, ayant pour type le Canis pictus, et l'AGuraGuaza ou Lour 
noucE (Canis jubatus), dont Wagler a fait le type d'un genre particulier, celui des Cynailurus, qui 
n’est généralement pas adopté. 


Fig. 61. — Hyène tachetée. 


4er GENRE. — PROTÈLE. PROTELES. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, 1824. 
Mémoires du Muséum, tome XI. 


Héc, devant; terres, complet. 


CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 


Système dentaire : incisives, Ÿ; canines, 4; molaires, =; en totalité trente-deux dents, qui ont 
unc disposition anormale. 

Formes générales des Hyènes. 

Tête plus allongée. 

Museau fin, presque conique, et, sous ce rapport, se rapprochant de celui des Chiens et des 
Civettes. 

Membres antérieurs à cing doigts : le dernier, ou le pouce, peu développé, où rudimentaire. 

Membres postérieurs à quatre doigts seulement disposés comme ceux des Hyènes. 

Langue douce. 

Pelage composé de poils, les uns courts, doux, et les autres longs, rudes; quelques-uns formant 
une crinière sur le dos. 


Les Protèles se rapprochent beaucoup des Hyènes, des Chiens de la subdivision des Renards et 
des Civettes; aussi est-ce avec ces trois genres de Mammifères qu'on a généralement comparé l'es- 
pèce typique, découverte assez récemment au cap de Bonne-Espérance, par Delalande, et avee les- 
quels on les a successivement placés, jusqu'à ce que M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire en ait fait, à 
juste raison, un groupe générique particulier. 

Au premier coup d'œil, le Protèle frappe par sa grande ressemblance avec l'Hyène; ses formes 
générales sont les mêmes; ses membres postérieurs, fléchis sur eux-mêmes, semblent, comme dans 
ce genre, beaucoup plus courts que ceux de devant : c'est surtout avec l'Hycena vulgaris que le 


CARNASSIERS. 105 


Proteles Delalandi a le plus d'analogie par sa forme et par son pelage, offrant sur un même fond 
de coloration de semblables rayures transversales. On pourrait dire la même chose d'un autre animal 
que nous avons étudié dans la tribu des Caniens, celui des Cynhyènes ou Hyénoïdes, qui a avec le 
Protèle d'assez nombreux rapports; mais, toutefois, on trouve de nombreuses différences entre les uns 
et les autres. Ainsi, sans parler maintenant de leur système dentaire, qui est assez caractéristique pour 
les uns comme pour les autres, on peut observer que la tête, au lieu d’être ramassée comme dans les 
Hyènes, est légèrement plus svelte, et remarqüable par ses proportions élégantes; le museau, au lieu 
d'être obtus et comme tronqué, est plus allongé, assez fin, en sorte que la tête du Protèle, dans son 
ensemble, ressemble à celle de la Givette, et même un peu à celle du Renard. Les membres antérieurs 
sont pentadactyles comme chez les derniers Carnassiers que nous venons de nommer, et le pouce 
n'est que rudimentaire comme chez les Chiens proprement dits; les membres postérieurs sont tétra- 
dactyles comme dans les Hyènes : l’étymologie du nom de ce genre rappelle la particularité que nous 
venons de signaler relativement au nombre des doigts des pieds de devant, qui sont complets, com- 
parativement avec ce qui a lieu chez les Hyènes, où on ne trouve plus que quatre doigts seulement. Le 
carpe et le tarse sont disposés comme chez les Hyènes, c'est-à-dire que, tandis que chez la plupart 
des Carnassiers les os métacarpiens sont plus courts que les métatarsiens, ici tout le contraire a lieu, 
et le pied antérieur est au moins aussi grand que le postérieur. Les ongles sont forts, robustes, 
pointus. Le pelage est composé de poils assez nombreux; les uns courts, doux, et les autres plus 
longs et très-rudes; en outre, on remarque sur la partie dorsale du corps une crinière très-forte; la 
queue est très-touflue. 


Fig. 62. — Protile de Delalande. 


Un des points les plus intéressants de l'histoire des Protèles se trouve dans l'étude de leur système 
dentaire, et c'est en même temps un des sujets qui a le plus occupé les naturalistes modernes. G. Cu- 
vier, qui s'en est occupé le premier, dit n’avoir eu en sa possession que des crânes n'ayant que des 
dents de lait, petites et usées, parce que les dents persistantes, ajoute-t-il, avaient été retardées, 
comme il arrive assez souvent aux Genettes: de sorte que, pour lui, les dents de cet animal, à leur 
état normal, devaient ressembler à celles des Civettes et des Genettes, et, d’après cela, il fit du 
Protèle une espèce de Civette. Cette explication hypothétique n'a pas été confirmée, et M. Isidore 
Geoffroy Saint-Hilaire (Wagasin de Zoologie, 1841) à démontré, au contraire, que le système den- 
taire du jeune âge persistait, et qu’il se présentait de la même manière à l’âge adulte; en outre, sui- 
vant lui, le Protèle adulte, aussi bien que le jeune Protèle, n'a pas un système dentaire de Viverra, 
etses molaires ne sont comparables à celles d'aucun autre Carnassier, car il faut descendre jusqu'aux 


Edentés et aux Cétacées pour trouver sur les arcades maxillaires un ensemble de dents aussi sim- 
€? 
14 


106 HISTOIRE NATURELLE. 


ples; de plus, ces molaires simples se trouvent associées avec des incisives et des canines parfaite- 
ment analogues, par leur fornie et leur disposition, comme par leur nombre, à celles des autres Car- 
nassiers, 6e qui est très-remarquable et unique dans la série zoologique. Enfin, De Blainville, tant 
dans les Annales d'Anatomie et de Physiologie que dans son Ostéographie : fascicule des Canis, re- 
garde le système dentaire des Protèles comme présentant, dans l’ordre des Carnassiers, un exemple 
d'anomalie constante. En effet, pour lui, les dents des Protèles sont anomales; il y en a presque tou- 
jours quelques-unes qui, tout à fait rudimentaires, restent cachées dans la gencive; parfois même il y 
a de vieux individus qui manquent complétement de l'une des molaires. Quoi qu'il en soit, le système 
dentaire des Protèles se compose, en général, de six incisives, deux canines à chaque mâchoire, etde 
quatre molaires tant supérieurement qu'inférieurement. Suivant De Blainville, il serait possible de 
trouver daus le système dentaire de la mâchoire supérieure de ces animaux les six molaires des 
Chiens, en considérant comme une seconde avant-molaire une plus petite dent que la première, mais 
de même forme, qui se trouve d’un seul côté, entre cette première et la seconde, et sur un seul crâne 
de la collection du Muséum d'Histoire naturelle de Paris: mais il serait plus difficile, sinon impossi- 
ble, de trouver sept molaires pour la mâchoire inférieure. En haut, les incisives, en demi-cerele assez 
avancé, sont petites, bien rangées, et un peu plus subégales que dans le Loup, et toutes les trois 
épaisses et régulièrement bilobées à la couronne. La canine est assez forte, conique, peu comprimée, 
assez pointue. Les molaires sont complétement anomales de nombre et de forme : elles sont au nom- 
bre de quatre seulement, petites, débordant à peine la gencive, et très-espacées. Une première avant- 
molaire à une seule racine longue, conique, un peu courbée, portant une couronne simple, conico- 
obtuse, un peu comprimée, en forme d’incisive. Une seconde avant-molaire de même forme à peu 
près à la couronne, mais évidemment plas grosse et plus haute, à deux racines peu séparées. Une 
troisième plus basse, probablement la principale, et qui est subtriquètre à deux et peut être trois 
racines connées, sans talon postérieur et triangulaire, subtranchante. Après un intervalle, qui sans 
doute représente la place de la première tuberculeuse, vient la quatrième molaire, réelle de forme, 
presque triquètre, presque ronde à la couronne, él souténue probablement par trois racines connées, 
et la plus petite des quatre. En bas, les trois incisives, un peu déclives, subtransverses, bien rangées 
et subégales, courtes, épaisses, sont sans doute bilobées, ce qui est certain pour la première, du 
moins dans le jeune âge. Les canines sont comme celles d'en haut, assez fortes, coniques et très-di- 
vergentes en dehors, ce qui donne à l'extrémité de la mandibule quelque chose de celle de certains 
Sangliers. Les molaires, au nombre de quatre, S'entrecroisent avec les supérieures, de manière que 
l'extérieure est entre la première et la seconde d'en haut, la seconde entre la seconde et la troisième, 
et les dernières entre celle-ci et la quatrième : elles vont assez loin en décroissant de grandeur de 
l’antérieure à la postérieure. Après un intervalle en forme d’échancrure semi-lunaire, et tranchant 
sur ses bords, la première, la plus élevée, la plus déjetée en dehors, est triangulaire, simple à la 
couronne, et probablement à une seule racine. La seconde un peu moins haute, mais légèrement plus 
large, à couronne triangulaire, est certainement pourvue de deux racines serrées, et d’une sorte 
de talon. La troisième est un peu plus petite que la seconde, mais de mème forme et également à 
deux racines. Enfin, la quatrième, la plus petite et la dernière, formée de deux parties presque 
égales, l'antérieure, cependant, un peu plus grande, n'a véritablement qu'une seule racine. Les mo- 
laires de lait du Protèle sont normales, quoique celles d'adultes ne le soient que très-difficilement; 
en effet, elles sont au nombre de trois, disposées comme dans les autres espèces. Une première avant- 
molaire à deux racines en haut comme en bas, une principale plus forte, mais assez bien de même 
forme; enfin, une arrière-molaire complexe à trois racines et à couronne formée de ces deux parties. 
Les alvéoles sont des plus singulières, d’abord par leur petitesse et ensuite par leur disposition, sem- 
blables, pour les incisives, à ce qui à lieu chez les Chiens, mais espacées et difficilement perceptibles 
pour les molaircs. 

En examinant son système dentaire, on voit que le Protèle manque de dents propres à la mastica- 
tion dans son état adulte, aussi bien que dans son jeune âge; que dès lors il doit avaler sans mä- 
cher; qu'il ne peut probablement, comme les animaux du groupe naturel dans lequel il entre, celui des 
Hyéniens, et des Caniens suivant De Blainville, déchirer une proie vivante, et doit conséquemment se 
nourrir de matières molles, de chairs putréfiées ou de la chair de jeunes animaux, qui est moins dure 
que celle des animaux adultes. I paraîtrait, en effet, ainsi que le rapporte M. Burchell, que le Pro- 


CARNASSIERS. 107 


tèle attaque les Moutons à grosse queue, et qu'il recherche surtout la loupe graisseuse qui forme la 
plus grande partie de la queue de ces Ruminants, et cela est en rapport avec leur système dentaire, 
car, pouvant déchirer la peau avec leurs canines, ils emploient ensuite facilement pour leur nourri- 
ture la matière semi liquide dont se compose la loupe graisseuse. 

Le squelette du Protèle a été décrit avec soin, par M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, dans les Mé- 
moires du Muséum, et par De Blainville (Ostéographie : fascicule des Canis), auquel nous emprun- 
tons les détails qui vont suivre. « Considéré d'abord dans son ensemble, et comparé avec celui de la 
Civette, du Loup et de l'Hyène, il est évident que ce squelette a beaucoup plus de ressemblance avec 
celui des Chiens qu'avec l’un des deux autres, par la brièveté du tronc, surtout dans la région lom- 
baire, et par celle de la queue, ainsi que par l'élévation des mains et des pieds, qui sont certainement 
dans la proportion ordinaire des Canis. La tête, courte et large, et par là assez différente de celle du 
Loup, rappelle, au contraire, un peu la forme du crâne du Chien crabier d'Amérique, par la manière 
dont le chanfrein, doucement arqué dans toute son étendue, tombe, en s'excavant légèrement en avant, 
pour former un museau raccourci. On peut même reconnaitre une certaine analogie dans la manière 
dont se produisent la crête occipitale et l'intervalle supérieur des fosses temporales. Vais on trouve 
des différences assez grandes dans la forme des os du nez, bien plus scaléniformes, le sommet supé- 
rieur très-aigu, et la base plus large et oblique; dans l'orbite, plus circulaire, plus complète dans son 
cadre, par l'avance presque égale des deux apophyses orbitaires, et surtout de celle du jugal, qui, 
lui-même, est plus large et plus court, et ressemble un peu à ce qu'il est dans les Felis. La mâchoire 
supérieure est également singulièrement large, et cela dans tous les os qui la constituent. Ainsi, l'a- 
pophyse ptérygoïde interne, très-saillante, est un peu dolabriforme; le palatin et le maxillaire, par 
leur grande étendue, forment une voûte palatine à bords parallèles, remarquable par sa largeur et 
son excavation, se rétrécissant assez peu aux prémaxillaires, dont la branche montante est courte et 
très-aiguë. Cette forme de la fosse osseuse du Protèle et de ses mächoires, même à l'extrémité, rend 
assez difficile de concevoir la comparaison qui en a été faite avec celles du Renard et de Ta Civette. 
Cet élargissement du museau et du palais a nécessairement déterminé quelque chose de semblable 
dans l'appendice maxillaire inférieur : il commence, en effet, par une caisse considérable, contre la- 
quelle s'applique, d’une manière fort serrée, un os mastoïdien très épais. Le squammeux est court 
dans son apophyse jugale; mais celle-ci S'écarte fortement en dehors, afin que les branches de la 
mandibule se disposent de manière à correspondre aux bords maxillaires, C'est-à-dire à former, par 
leur écartement, une sorte de parachute ou de fer à Cheval très-ouvert, au sommet duquel la mandi- 
bule se rétrécit presque subitement dans une partie de la symphyse pour s’élargir transversalement à 
sa terminaison. Chaque côté a, du reste, assez bien la forme de celui de la mandibule du Chien cra- 
bier, avec moins de hauteur cependant, et plus d'obliquité de l'apophyse coronoïde, un peu plus de 
saillie de l’apophyse anguleuse, et moins d'arrêt dans le coude. Elle est aussi plus étroite dans sa 
branche horizontale. Cette disposition des deux mächoires est sans doute en rapport avec un élargis- 
sement proportionnel de la langue, ce qui, joint à la forme si anomale des dents, fait présumer quel- 
que particularité biologique singulière dans l'espèce, et peut-être dans l'état de la nourriture de cet 
animal. 

« Le reste du squelette rentre presque complétement dans ce qui existe chez les Canis. Aux vertè- 
bres cervicales, l'apophyse épineuse de l’axis est longue, très-basse, presque rectiligne à son bord 
supérieur, et nullement convexe, comme daus les Givettes. Le lobe interne de l'apophyse transverse de 
la sixième vertèbre cervicale est court et arrondi, plus semblable à ce qu'il est chez le Loup que chez 
celles-ci, où il est échancré. Du reste, les apophyses transverses des vertèbres intermédiaires sont 
également courtes et arrondies, et les épineuses, quoique larges à la base, sont très-peu élevées, pro 
portion qui est particulière à cet animal. Les vertèbres du tronc sont au nombre de quatorze dor- 
sales et de six lombaires, comme dans les Felis, et non pas comme dans les Canis ni dans les 
Viverra, et encore moins dans les Hycena. Leurs apophyses épineuses sont en général courtes; les 
onze premières vertèbres dorsales rétroverses, et les trois dernières plus courtes encore, et un peu 
inelinées en avant, comme celles de toutes les lombaires, vertèbres qui sont habituellement courtes, 
et dont les apophyses transverses croissent de la première à la dernière, la plus longue et la plus 
large. Le sacrum n’est formé que de deux vertèbres seulement, et la queue de vingt et une; toutes 
courtes, et décroissant rapidement d'épaisseur. 


108 HISTGIRE NATURELLE. 


«Les membres, généralement élevés, rappellent presque complétement ceux des Canis. L'omoplate 
est étroite, et ressemble cependant assez à celle de la Givette. Son acromion est un peu bifurqué, et 
la tubérosité coracoïdienne est très-épaisse. L'humérus est tout à fait celui d’un Canis, mais peut-être 
un peu plus droit cependant, avecun trou médian, et sans canal interne ni crête externe. Les deux os 
de l'avant-bras sont encore plus dégradés que dans les Canis et autant que dans les Ilyènes; le ra- 
dius plus antérieur, plus large, plus contigu au cubitus, qui, comme dans celles-ci, est robuste et tri- 
quètre, dans la division bicorne du bord antérieur de l'apophyse olécranienne, qui est, au contraire, 
arrondie. Le carpe est élevé; le métacarpe comme dans les Canis, ainsi que le pouce; mais les phalan- 
ges sont plutôt comme dans la Hyène, par la brièveté et la presque égalité des secondes. Outre les 
sésamoides ordinaires de articulation métacarpo-phalangienne, M. Isidore Gcoffroy Saint-Hilaire en 
décrit d'autres en dessus dans les tendons de l'extenseur commun. Aux membres postérieurs, dont la 
proportion avec les antérieurs est la même que celle des Canis, le bassin est fort court, et l’iléon di- 
laté dans sa partie antérieure un peu comme dans la Hyène : quant au quatrième os de la cavité co- 
tyloïde, que M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire parait regarder, avec M. Serres, comme l’analogue de 
l'os marsupial des Didelphes, il est probable que c’est l’épiphyse de l’extrémité articulaire de Fi- 
léon. Le fémur est un peu moins courbe que dans le Chien, mais dans les mêmes proportions. Le 
tibia ressemble peut-être plus à celui de la Hyène, sauf la taille, parce qu'il manque, à sa partie 
supérieure, de la crête si brusquement arrêtée chez les Canis. Quant au péroné, il est tout à fait 
comme dans eeux-ei et dans la Hyène, grèle et collé, dans sa moitié inférieure, contre le tibia, ce 
qui est tout autrement dans la Civette. Le pied rentre entièrement dans la forme de celui des Canis, 
par l'étroitesse du calcanéum et par celle du métatarse et des doigts : les secondes phalanges sont 
néanmoins moins courtes. Il n’y a probablement pas d'os ou pénis. » 

La seule espèce authentique de ce genre est le : 


PROTÈLE DE DELALANDE. PROTELES DELALANDII. {sidore Geoffroy Saint-Hilaire. 


Caracrères sréctriques. — Le fond du pelage est d’un blanc lavé de gris roussâtre, et varié, sur les 
côtés de la poitrine, de lignes noires transversales inégalement prononcées et espacées : les flancs 
présentent six ou sept bandes noires étroites, transversales; les bandes des cuisses et des jambes 
sont plus petites que celles-là. Les tarses sont noirs; le bas de la jambe, de la même couleur que le 
corps, est également varié de bandes noires transversales, dont les supérieures se continuent avec 
celles du tronc; il y a une petite crinière noire; la queue est noire, avec du gris à la base. 


Cette espèce a été désignée, par G. et Fr. Cuvier, sous la dénomination de Gexerre ou Civerre nyé- 
noïine; À. G. Desmarest lui applique, mais avec doute, le nom de Viverra hyenoides; De Blainville, ceux 
de Proteles et Canis hyenoides; enfin, on l’a aussi nommée Proteles fusciatus et Proteles hyenoides, 
d’après Lesson; mais la dénomination qui doit être adoptée est celle de Protcles Délalandu, de 
M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. 

A l'âge adulte, Le Protèle est de la taille du Chien de berger, d’après ce qu'en rapporte M. Knox, qui 
l'a observé en Cafrerie; il est ainsi plus petit que la Hyène, mais en présente l'aspect extérieur : toute- 
fois, ses formes sont plus légères, son museau plus pointu, ses poils plus courts, et sa crinière moins 
bien fournie. Ses jambes de derrière paraissent très-courtes, ce qui provient de la flexion continuelle 
où il en tient les différentes parties : mais, en réalité, elles ne sont pas plus courtes que celles de de- 
vant. Les oreilles sont allongées, pointues, et couvertes d’un poil très-court et peu abondant : elles res- 
semblent assez à celles de l’'Hyène. Le nez est assez semblable à celui des Chiens. Les narines font sail- 
lie au delà du museau, qui est noir, est peu garni de poils. Les moustaches sont longues. La crinière 
s'étend de la nuque jusqu'à l'origine de la queue, qui est moins longue et moins touffue que celle de 
l'Hyène. Les poiis de la crinière, et ceux de toute la queue, sont rudes au toucher, et annelés de 
noir et de blanchâtre, ce qui fait que la crinière et la queue sont aussi, dans leur ensemble, annelées 
des mêmes couleurs. Le reste du corps est presque en entier couvert d’un poil laineux, entremèlé de 
quelques poils plus longs et plus rudes : le pelage est généralement blanc ronssätre, varié, sur les 


CARNASSIERS. 109 


côtés de la poitrine, de lignes noires : il y a six ou sept bandes de la même couleur sur les flancs; et 
les cuisses, ainsi que les jambes, offrent aussi de plus petites bandes. 

Le Protèle habite la Gafrerie, et principalement le pays des Hottentots, aux environs du cap de 
Bonne-Espérance; mais il est probable qu’on le rencontre également dans d’autres parties de l'A- 
frique, et que l’on doit rapporter à la même espèce l’individu qui a été découvert en Nubie. 

Ce Carnassier paraît assez rare, car il est très-peu connu des naturels des pays où on le trouve, et 
il n’a été clairement désigné dans les relations d'aucun voyageur. Aussi a-t-il échappé pendant très- 
longtemps aux recherches des naturalistes, et n'a-t-il été découvert qu’en 1820, par l'un des plus zé- 
lés voyageurs français, pat Delalande. Outre sa grande rareté, la nature de ses habitudes a pu, 
pendant longtemps, cacher aux zoologistes l'existence du Protèle. En effet, il est nocturne, et se 
tient, pendant le jour, dans des terriers profonds, à plusieurs issues, qu'il se creuse facilement au 
moyen des ongles forts et pointus dont il est armé. Il semble vivre en société, car Delalande a tué, et 
rapporté au Muséum, trois individus de cette espèce qui habitaient dans le même terrier. Lorsqu'on 
irrite cet animal, sa crinière se redresse, et ses longs poils se hérissent depuis la nuque jusque sur 
la queue; puis il fuit avec vitesse, le corps disposé obliquement sur le sol, et les oreilles, ainsi que 
la queue, baissées. D'après ce qui a été observé aux environs du cap de Bonne-Espérance par Dela- 
lande et par M. Ed. Verreaux, le Protèle se nourrit, en partie, de la chair des petits Ruminants, 
principalement de très-jeunes Agneaux; et surtout des énormes loupes graisseuses qui entourent la 
queue chez les Moutons africains. D’autres voyageurs ont aussi parlé de ce genre d'alimentation de 
cet animal, et ce fait semble bien démontré aujourd'hui; mais il faut que les Protèles puissent 
prendre une autre nourriture, car les Moutons à grosse queue dont ils sucent la graisse ne sont pas 
originaires de l'Afrique australe, et y ont été introduits par les colons qui sont venus habiter le cap 
de Bonne-Espérance. Il est probable aussi que le Protèle se nourrit également de chairs putréfiées, 
de même que cela a lieu pour les Hyènes, avec lesquelles il a de nombreux points de ressemblance 
sous le rapport des mœurs. 

M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire indique, comme étant peut-être distinct du Proteles Delalandii, 
un Protèle, découvert en Nubie par M. Joannis, et qui est désigné, dans le pays, sous le nom d'El 
Basko. Lesson a donné à cette prétendue espèce le nom de Proteles Joannii : nous ne pensons pas, 
ainsi que nous l'avons dit ailleurs, que cette espèce doive être admise actuellement, car elle ne 
repose que sur un dessin fait d'après un animal mort, et dans lequel les raies ou bandes transver- 
sales seraient un peu différentes de la disposition que présente le Protèle de Delalande. 


Qme GENRE. — HYÈNE. AY ÆNA. Brisson, 1756. 
Règne animal. 


Yaxv2, nom spécifique appliqué par les Grecs à l'espèce type de ce genre 


CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 


Système dentaire : incisives, £; canines, =; molaires, =; en totalité trente-quatre dents. 
lucisives supérieures sur une seule ligne droite; canines fortes; molaires de la mâchoire supé- 
rieure au nombre de cinq de chaque côté; savoir : trois fausses molaires coniques, mousses et très- 
grosses; une carnassière, la plus grande de toutes, à trois pointes en dehors, et munies d'un petit 
tubercule en dedans et en avant, et une petite tuberculeuse. fncisives inférieures un peu plus pe- 
tites que les supérieures; canines fortes; molaires semblables à celles de la mächoire supérieure, si 
ce n’est que la tuberculeuse manque, et que la carnassière n’est qu'à deux pointes, et est dépourvue 
de tubercule. 

Tête de médiocre grosseur, à chanfrein relevé, à museau assez fin, et à mächoires plus courtes 
que celles des Chiens, mais plus longues que celles des Chats. 

Yeux grands, à prunelles longitudinales, anguleuses en haut, arrondies en bas. 

Oreilles longues, pointues, mobiles, très-ouvertes. 

Moustaches dures, longues. 


110 HISTOIRE NATURELLE. 


Langue garnie de papilles cornées. 

Membres postérieurs toujours fléchis, et semblant ainsi plus courts que les antérieurs, qui sont 
étendus. 

Pieds terminés, tant ceux de devant que ceux de derrière, par quatre doigts. 

Ongles assez robustes, non rétractiles. 

Queue courte. 

Pelage composé de poils longs, grossiers, offrant des taches ou des bandes obscures sur un fon 
plus clair, blanchätre; une criniètre épaisse régnant sur toute la longueur du dos. 

Mamelles seulement au nombre de quatre. 

Une poche profonde, glanduleuse, sous l'anus. 


Ce genre ne renferme qu'un petit nombre d'espèces, dont le type était placé, par Linné, dans le 
genre Canis, avec lequel il a de nombreux rapports, mais dont il se distingue cependant facilement 
par la disposition de son système dentaire, ainsi que par celui de ses doigts. Les [yènes sont des 
animaux qui se trouvent encore aujourd'hui sous le coup de préjugés extrêmement injustes, et pour 
la plupart portant évidemment à faux, comme cela a été de tout temps, et même déjà avant Aristote. 
« Seulement, ainsi que le fait observer De Blainville, ces préjugés erronés sont maintenant d'une au- 
tre nature. On ne pense plus, il est vrai, de nos jours, que ces Carnassiers n’ont qu'un seul os dans 
le cou; que les dents qui arment leurs mâchoires ne forment avec elles qu'un tout continu; qu'ils boi- 
tent de la jambe droite, et cela assez naturellement; qu'ils sont hermaphrodites, et qu'ils peuvent 
changer de sexe à volonté, ete.; opinions qui reposaient sur une observation spécieuse et incomplète, 
mais on les regarde comme les plus féroces, les plus redoutables de tous les Mammifères, et cela parce 
que, carnivores, se nourrissant et recherchant la chair morte autant et plus que celle des animaux 
vivants, qu'ils ne pourraient attaquer, et surtout atteindre, ils déterrent souvent les cadavres d'hom- 
mes qui n'ont pas été enterrés à une profondeur suffisante, et, comme le respect pour les morts et 
pour les sépulcres est, de l’aveu de tous les philosophes, le premier acte, le plus hautement signi- 
ficatif de la nature, et, par suite, de la société humaine, ainsi que le prouve l'histoire de tous les peu- 
ples, même les plus sauvages, on voit comment, par suite de cette habitude connue des Hyènes, elles 
inspirent, partout où elles existent, et même parmi nous, une sorte de répugnance presque invinci- 
ble. Ajoutons à cela que leur physionomie basse, leur regard terne, leur démarche oblique, le train 
de derrière étant plus faible et plus abaissé, par plus de flexion, que celui de devant, contrairement 
à ce qui existe chez les Féliens et les Caniens, si admirablement construits, les uns pour l'élan, les 
autres pour la course, la grosseur et l'épaisseur du cou, la crinière dont le dos est hérissé dans toute 
son étendue, surtout quand l'animal est ému par quelque passion, et l'on concevra comment il en 
résulte que l'idée qui se présente d'abord à l'esprit, aussitôt qu'on entend prononcer le nom de 
l'Hyène, lui-même si expressif, et tiré de celui du Sanglier (en grec, vzv2), est celle de l'animal le 
plus à craindre pour les vivants et pour les morts, et par conséquent le plus effrayant pour limagi- 
nation. Les pages éloquentes que Buffon a consacrées à l'histoire de ces animaux, pages dans les- 
quelles il a d'autant plus volontiers adopte la plupart des préjugés reçus, qu'elles furent écrites 
à l'époque où la bête du Gévaudan, regardée à tort comme une Hyène échappée de quelque ménage- 
rie, venait d'épouvanter les populations de cette province de France, n'ont pas peu servi à prolonger 
celte réputation non méritée. Le grand et inimitable peintre de la nature a produit ici l'effet qu'ont 
toujours obtenu les grands poëtes et les grands peintres, celui de faire pénétrer dans les masses des 
contre-vérités, des exagérations, par suite de la richesse du coloris, dissimulant la sèche réalité du 
dessin. Mais, au fait, les Hyènes, considérées dans leur nature véritable, appuyée sur des faits nont- 
breux et répétés, ne sont, pour ainsi dire, que des espèces de Chiens; susceptibles, en effet, d'être 
facilement apprivoisées, dressées même à la chasse, comme nos Chiens domestiques, mais qui, dans 
leur organisation assez différente, tenant à la fois de celle des Civettes, des Féliens et des Caniens, 
n’en constituent pas moins une dégradation évidente sous le rapport du système digital. » 

On a cru pendant longtemps que l'Hyène était l'animal indiqué, dans les livres sacrés, sous le nom 
de Saphan, mais il est démontré aujourd'hui que cette dénomination était employée pour désigner 
le Daman; tandis que, comme semble le prouver Brochart, l'Hyène est le schoa des Israélites. Aris- 
tote est le premier qui en ait parlé chez les Grecs, et, pour lui, c’est son Yzw, et quelquefois son 


Loup 


a 


Squelette du Loup. 


CARNASSIERS. 111 


Paavss. Ce n'est que fort tard que les Romains, qui nommaient aussi cet animal ffycæna, et parfois 
Crocuta, en montrèrent dans les jeux du cirque: et Pline rapporte, au sujet de ces animaux, une 
foule de fables, qu'il avait copiées dans Élien. D'après Julius Capitolinus, c'est Gordius le jeune qui, 
le premier, dans le premier tiers du troisième siècle de notre ère, montra, à Rome, dix de ces ani- 
maux, à l'occasion de son triomphe sur les Perses. On ne trouve pas d'indication de ces animaux 
chez les Arabes. Aussi l'existence de l'Hyène vulgaire ou rayée n'a été bien constatée que lorsque 
Belon, Busbeck et Kæmpfer, en eurent donné une figure et une description d'après des individns 
vivants qu'ils avaient été à même de voir dans leur pays natal. Wesling en disséqua une au Caire 
vers le milieu du dix-septième siècle. Ce ne fat, cependant, que vers 1761 qu'une Hyène vivante fut 
observée, en Europe, par Buffon et Daubenton, ce qui leur permit, et surtout au second, d'en donner 
une description extérieure et intérieure, après avoir par conséquent relevé les notions fabuleuses que 
les anciens nous avaient transmises sur cet animal. Depuis ce temps, les deux sexes de cette espèce, 
et plus tard ceux de deux autres, ont pu être étudiés avec plus de soin, soit dans leur pays natal, 
soit dans nos ménageries, où ces animaux vivent même très-longtemps, et se montrent très-doux pour 
leurs gardiens. 

Les Hyènes vivantes habitent, ainsi que nous le dirons, plusieurs contrées de l'Afrique et de 
l'Asie, et n'ont jamais été trouvées dans d’autres parties du monde. [l n’en est pas de même des 
espèces fossiles, dont on a rencontré des ossements en grand nombre, principalement dans les 
cavernes de l'Europe. Les premiers fragments fossiles qui aient réellement appartenu à une espèce 
d'Iyène ont été figurés, par Esper, en 1774, et proviennent de la caverne de Gaylenreuth. D'au- 
tres débris ont été décrits par Collini et Jœger, mais c’est G. Cuvier, le premier, qui démontra 
qu'ils se rapportaient au genre Hyène. Depuis, on a recueilli beaucoup d’ossements fossiles de ces 
animaux; en Angleterre, dans la caverne de Kirdale, d’après M. Buckland; puis dans celle de Gay- 
lenreuth, par M. Goldfuss; dans celle de Sundwig, en Westphalie, par M. Noggeratb; dans celle de 
Lunel-Vied, du midi de la France, par MM. De Christol, Marcel De Serres, Dubreuil et Jean-Jean: dans 
celles de la province de Liége, par M. Schmerling; dans une grotte, à Kent, près de Torquay, en 
Angleterre, par M. Mac-Enry, et, enfin, dans beaucoup d’autres endroits de l'Europe, et surtout en 
France dans l’ancienne Auvergne, et en Italie dans Le val d'Arno. Enfin, MM. Baker et Durant en si- 
gnalent aussi dans les monts Himalayas, et M. Lund dans les cavernes du Brésil. De sorte qu'aujour- 
d'hui on connaît, à l’état fossile, non-seulement une espèce analogue à l’une de celles vivant actuel- 
lement, mais encore plusieurs espèces qui en sont tout à fait distinctes. 

Si l'on n’a connu que très-tard les diverses espèces d'Hiyènes, et même le type, que l'on a long- 
temps confondu, tantôt avec le Chacal, tantôt avec la Civette, tantôt avec le Glouton, et tantôt avec 
le Babouin, les recherches des voyageurs modernes et les études des naturalistes nous les ont fait 
connaître d'une manière complète, tant sous le point de vue anatomique et zoologique que sous celui 
de la paléontologie. 

Daubenton a donné-la description d'un squelette de l'Hyène, et il en a comparé les os avec ceux 
de la Panthère et du Loup. G. Cuvier a figuré la plupart des os des deux Hyènes rayée et tachetée. 
MM. Pander et D'Alton en ont publié les squelettes. Enfin, De Blainville, auquel nous empruntons les 
détails qui vont suivre, a complétement étudié, anatomiquement et iconographiquement, l'espèce type 
de ce genre, l'Hyène rayée. 

Les os sont assez durs et assez denses, serrés et articulés entre eux d'une manière pénétrante, ce 
qui donne à leur tronc, et surtout à leur cou, une roideur qui avait pu faire supposer que ce dernier 
n'était formé que d'une seule pièce. Le squelette est remarquable, dans son ensemble, par la direction 
un peu oblique de la série vertébrale et dans la disproportion de grosseur entre les membres ante- 
rieurs et les postérieurs : le nombre total des os qui le compose est de cent cinquante, de même que 
cela a lieu pour le Loup. 

La colonne vertébrale se subdivise en quatre vertèbres céphaliques, sept cervicales, vingt tron- 
cales, subdivisées en quinze dorsales et cinq lombaires, trois sacrées et vingt-deux ou vingt-trois 
coccygiennes. La tête, dans son ensemble, est moins effilée que celle des Chiens, plus courte, et se 
rapproche un peu de la forme de celle des Chats. Les vertèbres céphaliques, dont nous ne croyons 
pas devoir donner ici une description détaillée, offrent comme caractère commun d'être assez étroites 
dans leur corps, et surtout d’être très-élevées en toit très-aigu dans leur axe, et cela à cause de la 


412 HISTOIRE NATURELLE. 


grande saillie de leur apophyse épineuse formant une crête dépassant, en arrière, les condyles par la 
grande saillie de l’épine de l’occiput. Les mâchoires sont remarquables par leur grande force et par 
leur brièveté, quoique un peu moindre, peut-être, que dans les Féliens, et, sous ce rapport, bien 
éloignées de ce qu'elles sont chez les Cauiens. L’apophyse ptérygoïde est assez distincte, quoique sou- 
dée de très-bonne heure. Le palatin est médiocre. Le lacrymal très-petit, un peu arrondi. Le jugal 
est épais et large. Le maxillaire est prismatique, large, court. Le prémaxillaire de médiocre gran- 
deur, de même que l’appendice mandibulaire. Le rocher est petit, court, irrégulièrement arrondi. La 
caisse est un peu comprimée. Les osselets de l’ouïe sont assez bien comme chez tous les Carnassiers : 
l’étrier à platine ovale un peu allongée et convexe: le lenticulaire comme soudé, et formant le cro- 
chet du plus grand des deux bras de l'enclume, l’un et l'autre assez courts; enfin, le marteau assez 
courbé dans sa longueur. Le temporal est assez bien comme dans les Chiens. L’arcade zygomatique 
est large, épaisse. L'angle facial est plus ouvert que dans le Loup. Les fosses occipitales et ptéry- 
goïdiennes sont grandes, tandis que les cavités sensoriales sont peu développées. Quant aux trous 
d'entrée des artères, ou de sortie des veines et des nerfs, ils sont plus petits que dans les Chats, et 
même que dans les Chiens. Les vertèbres cervicales sont en général beaucoup plus fortes, plus lar- 
ges, plus épaisses et plus longues que dans les animaux que nous venons de nommer; elles ressem- 
blent, du reste, assez à celles du Loup. Les vertèbres dorsales, en plus grand nombre que dans la 
plupart des Carnassiers, sont encore assez fortes, mais évidemment plus étroites et plus courtes que 
les cervicales, surtout dans leur corps remarquablement petit. Les vertèbres lombaires sont courtes, 
plus que dans les Chats, mais elles sont moins larges que dans les Ours, et même, peut-être, que dans 
le Loup, étroites, presque égales, décroissant un peu, et presque insensiblement, de la première à la 
dernière. Les vertèbres sacrées sont petites, décroissant rapidement de la première à la troisième, for- 
mant un sacrum court. Les vertèbres coccygiennes sont assez bien dans le même cas que les précé- 
dentes, c'est-à-dire qu'elles constituent une queue courte et tombante. 


af]. 
PRE 


fe 


Fig. G5. — Ivyène de l’Albara. 


L'os byoïde à son corps large, épais, presque triquètre; ses cornes sont les antérieures courtes et 
les postérieures assez larges et minces. Le sternum n’est formé que de huit pièces courtes, épaisses, 


CARNASSIERS. 115 


quadrilatères, à manubrium peu saillant en avant, et à xiphoïde allongé, épais, à bords parallèles. 
Les côtes sont au nombre de quinze, neuf sternales et six asternales : elles sont, pour la force, inter- 
médiaires à celles des Chats et des Chiens, bien moins grêles que dans ceux-là, moins larges, Imfé- 
rieurement, que chez ceux-ci; mais, en général, plus fortes, plus arrondies, plus arquées que dans 
le Loup, plus même que chez Ours. 


Fig. 64 — Iyène brune. 


Les membres antérieurs sont, en général, plus robustes que les postérieurs. L'omoplate est assez 
étroite, un peu comme dans le Loup, sans élargissement inférieur de son bord antérieur, à crête peu 
élevée et avec un simple tubereule coracoïdien. La clavicule est plus rudimentaire que dans les autres 
genres de Carnassiers : elle est très-petite, très-mince, ovale, un peu plus large à l'extrémité acromiale 
qu'à l’autre extrémité. L'humérus, surpassant à peine en longueur l'omoplate, est presque en tout 
semblable à celui du Loup, d’abord par l'absence du canal nerveux du condyle interne et de crête à 
l’externe, puis par l'existence presque constante d’un trou de non-ossification au-dessus de la surface 
articulaire, et enfin par la forme générale courte, assez robuste, un peu courbée en f renversé (=). 
Les os de l'avant-bras ressemblent également à ceux des Canis, mais ils sont plus courbés, plus ser- 
rés, plus collés l’un contre l’autre, au point de se souder parfois dans la partie moyenne de leur 
longueur. Le radius est plus large, plus plat, d'un diamètre plus égal dans toute son étendue. Le 
cubitus a un olécrane plus épais, moins allongé, beaucoup moins recourbé en dedans, à extrémité 
coracoïdienne large, arrondie. Dans les os du carpe, qui ont beaucoup d'analogie avec ceux du Loup, 
le scaphoïde a son apophyse interne plus large, moins saillante; le pisiforme est plus caicanéiforme; 
le trapézoïde plus petit, et l'unciforme le plus gros de tous, pentagonal supérieurement. Les os di 
métacarpe ont généralement moins de gracilité que ceux des Canis, et plus de longueur que ceux des 
Felis; ils sont moins serrés, plus larges, plus droits : le premier est très-court, triangulaire, assez 
semblable à un os sésamoïide. Les phalanges sont un peu plus grosses, proportionnellement à leur lon- 
gueur, que celles du Loup, et rappellent en même temps celles des Chats. Les onguéales sont épaisses, 
obtuses. 


c? 15 


114 HISTOIRE NATURELLE. 


Les membres postérieurs sont moins forts que les antérieurs, parce qu'ils sont composés d'os plus 
crèles. Le bassin est plus court que celui du Chien, plus élargi, et ressemble un peu à celui de 
l'Ours, mais il s’en distingue par la longueur de l'iléon, dont le bord inférieur est excavé et prolongé 
en une épine antérieure recourbée en dessous, s'écartant en dehors, et parce qu'il est pourvu, au- 
dessus de la cavité cotyloïde, d’un tubereule considérable pour l'insertion du biceps, et, au bord 
antérieur du pubis, d'une forte éminence iléo-pectinée. Le fémur est un peu plus long que l'humé- 
rus, plus robuste, plus quadrilatère, large inférieurement, arqué. Les deux os de la jambe sont plus 
courts que Le fémur; le tibia, semblable à celui du Loup, a sa crête supérieure peu marquée. Le pé- 
roné est courbé et collé contre le tibia. Les os du pied, aussi analogues à ceux des Canis, sont forts. 
Le calcanéum est cependant plus gros et plus court dans son apophyse; le scaphoïde et le cuboïde 
sont allongés. Les métatarsiens sont proportionnellement moins longs. Les phalanges plus grèles, plus 
étroites qu'à la main, et surtout les dernières. 

Les os sésamoïdes semblent être en petit nombre; à la main, il y a un petit pisiforme, et un os 
dans lPaiticulation métacarpo-phalangienne, et des sésamoïdes lenticulaires. Aux membres posté- 
rieurs, la rotule est remarquable par sa forme large, assez arrondie; elle est plus mince que dans les 
Chiens, et un peu moins cependant que dans l'Ours. Il y a des sésamoïdes des gastrocnémiens, et, 
au pied, on en trouve dans l'articulation tarso-phalangienne, ainsi que dans les muscles extenseurs 
des doigts. 

D'après les remarques de Daubenton et de De Blainville, qui ont été à même de disséquer des Hyè- 
nes mâles, il semble qu'il n’y a pas d'os de pénis dans ces animaux, et cela, contrairement à ce qui 
a lieu chez les Canis et chez les Felis; et ce fait est très-remarquable. Suivant Ét. Geoffroy Saint- 
Hilaire, l'os pénial serait représenté, chez ces animaux, par un petit os placé dans la cavité cotyloïde, 
entre l'ischion, le pubis et l’iléon. 

On n'a pas pu remarquer de grandes différences individuelles, peut-être parce qu'on n’a été à 
même d'observer qu'un petit nombre de squelettes; et, pour les différences de sexes, elles ne se 
voient que dans la taille générale plus petite dans les femelles, ainsi que dans la proportion des os, 
un peu plus grèles chez celles-ci. 

Tous Les détails que nous venons de donner se rapportent à l'Hyène rayée; De Blainville a pu voir 
des différences ostéologiques assez notables entre cette espèce et l'Hyène tachetée. Ces différences 
consistent dans les proportions de chacun des os généralement plus robustes et plus grands, plutôt 
que dans le nombre et même dans la manière dont ils sont assemblés. À la tête, il y a plus de briè- 
veté, plus de largeur, surtout au crâne. La série vertébrale décroit un peu moins rapidement : les 
vertébres sont plus fortes, plus épaisses; le sacrum en présente une de plus, et la queue cinq de 
moins. Le sternum est plus robuste. Les membres ont une épaisseur plus grande : aux antérieurs, 
l'omoplate est plus étroite, lhumérus plus large en haut; aux membres postérieurs, le bassin est aussi 
plus étroit, le fémur un peu plus long, le tibia plus gros et plus court, le péroné courbé vers son mi- 
lieu, les os du pied sont légèrement plus gros. 

L'odontologie des Hyènes a été étudiée avec soin d’abord par Danbenton, et ensuite par 
Fr. et G. Cuvier et par De Blainville; ces derniers surtout pour les besoins de la zoologie et de la 
paléontologie. Le système dentaire de ces animaux se rapproche à beaucoup d’égards de celui des 
Felis, et, par cela, s'éloigne de celui des Canis. Les dents de l'espèce type, l'Hyène rayée, sont en gé- 
néral très-fortes, très-serrées, très-solidement enracinées, les molaires principalement, occupant, sans 
intervalle, toute la longueur des mâchoires, de manière souvent à se presser, se déranger, du moins 
dans les intermédiaires, comme si elles s’imbriquaient latéralement. Il y a trois paires d'incisives, 
une paire de canines en haut et en bas, comme chez tous les Carnassiers, et de plus cinq paires de 
molaires en haut et quatre seulement en bas, comme dans quelques espèces de Mustéliens. Supérieu- 
rement, les trois incisives sont rangées en are de cercle, bien moins courbé, cependant, que chez les 
Chiens; elles sont fortes, très-serrées : la première plus petite que la seconde, et l'une et l'au- 
tre pourvues d'un talon interne, bilobé à la couronne, et d'une racine longue, comprimée; la troi- 
sième, la plus grosse de toutes, est en crochet pointu, un peu caniniforme. La canine qui suit après 
un intervalle destiné à loger la canine inférieure est encore assez robuste, courte, fortement radicu- 
lée : ovale sans autres cannelures ou arêtes que celles qui séparent le tiers interne, plus plat, des deux 
tiers externes, plus convexe, de la circonférence. Les trois avant-molaires suivent presque immé- 


CARNASSIERS. 115 


diatement la canine : la première très-petite, avec une seule racine assez longue; la deuxième plus 
grosse, avec deux racines presque égales, longues, peu divergentes; la troisième plus épaisse que les 
autres, plus grande, pourvue de deux racines presque verticales. La principale, proportionnellement 
plus grande que celle des Felis, a sa couronne formée, en dedans, d’un assez large talon, et, en de- 
hors, d’une lame tranchante divisée en trois lobes. L'unique arrière-molaire, la plus petite de toutes, 
est tout à fait rentrée, et transverse, comme dans les Chats; elle n'a qu'une racine, portant une cou- 
ronne triquètre, un angle obtus très-peu marqué en arrière, un second arrondi en dedans, et le plus 
aigu en dehors. Inférieurement, les trois incisives sont disposées plus transversalement, et, en géné- 
ral, plus petites qu'en haut, moins inégales, plus étroitement et plus longuement radiculées : la pre 
mière est toujours plus petite, la seconde la plus rentrée, la troisième la plus grosse, cunéiforme, 
avec un petit auricule au bord externe de la couronne. La canine ressemble assez bien à la supérieure, 
aussi longue qu’elle et à peine plus en crochet, quoique plus déjetée en dehors. Après une barre as- 
sez marquée, formée par un bord épais et rentrant, viennent les deux avant-molaires, assez bien de 
même forme, la postérieure seulement beaucoup plus forte et surtout plus élevée, plus épaisse, à deux 
racines serrées, presque égales. La principale est plus large, un peu moins haute et moins épaisse 
que la seconde avant-molaire, au contraire des talons, qui sont bien plus marqués, particulièrement 
le postérieur. La seule arrière-molaire est assez bien comme son analogue chez les Chats, quoique 
proportionnellement beaucoup plus petite : elle est moins épaisse, plus tranchante; elle a deux ra- 
cines, dont l’antérieure est la plus grosse. 

Le système dentaire du jeune âge est représenté par la formule : incisives, #; canines, =; mo- 
laires, #5; en totalité, vingt-huit dents seulement. La couronne des incisives est tout à fait indivise, 
même dans le talon des supérieures. Les canines sont plus grêles que dans l'adulte, parce que la 
racine est plus droite. Les molaires sont bien moins serrées que dans l'adulte; en haut, l’avant-mo- 
laire est assez forte, triquètre, à trois racines, et à couronne triangulaire; la principale est légère- 
ment plus compliquée que son analogue dans l'adulte; larrière-molaire est encore plus forte et pius 
compliquée que dans l'adulte, dont elle diffère beaucoup, surtout par ses trois racines divergentes: 
en bas, toutes les molaires sont à deux racines : l'avant-molaire plus obliquement triangulaire; la 
principale, avec les talons plus larges, plus distincts; enfin, l'arrière-molaire ne diffère guère de celle 
d'adulte que parce que le talon postérieur est beaucoup plus large, au contraire de l'arrêt antérieur 
des deux racines de cette dent; l’antérieure est également la plus forte, au contraire de ce qui à 
lieu pour les deux dents antérieures. 

Les différences individuelles du système dentaire, ainsi que celles des sexes, sont trop peu im- 
portantes pour être notées. 

Il n’en est pas de même pour les différences spécifiques qu'on remarque entre l'Ilyène rayée et 
l'Hyène tachetée, surtout dans les molaires, dents véritablement caractéristiques. En haut, dans 
cette dernière, les deux premières avant-molaires sont proportionnellement plus petites; la princi- 
pale offre aussi plus de développement par suite de la largeur plus grande de son talon tranchant; 
et la tuberculeuse est surtout beaucoup plus petite, quoique également triquètre, presque sigmoïde, 
ayant la base en arrière, à la couronne. Il y a plus de ressemblance pour les quatre molaires de 
la mâchoire inférieure; la première est néanmoins proportionnellement moins grande; la seconde 
est un peu plus élevée; la troisième presque semblable; mais plus oblique par pression en arrière; 
la dernière, ou carnassière, est assez différente, d'abord parce qu’en totalité elle est proportionnel- 
lement plus large, et ensuite parce que le talon postérieur est beaucoup plus petit, au contraire du 
bourrelet antérieur : il n'y a pas de tubercule interne. 

Quant à l'Iyène brune (Hycæna fusca), on ne trouve pas de différences eutre ses dents et celles 
de l'Hyène rayée, et est une des raisons qui portent De Blainville à les réunir en une seule et 
même espèce. 

Les muscles qui mettent en jeu l'armature de la mâchoire, et ceux qui fixent la tête sur le cou, 
sont si vigoureux, qu'il est presque impossible de forcer les Hyènes à lâcher ce qu'elles ont 
saisi en le leur arrachant, et les voyageurs racontent avoir vu certains de ces animaux emporter 
dans leur gueule des proies énormes sans les laisser toucher le sol. Les violents efforts qu’exigent 
de pareils mouvements amènent même quelquefois l’ankylose des vertèbres cervicales. Cepen- 
dant, ce west pas pour s'emparer d'une proie vivante que ces fortes dents, que ces muscles 


116 HISTOIRE NATURELLE. 


puissants des deux mâchoires ont été donnés aux Iyènes. mais seulement pour leur permettre de 
briser avec beaucoup de facilité les os les plus durs. Le diaphragme est très-épais. Les muscles 
des membres démontrent que l'Hyène est un animal fouisseur beaucoup plus qu'un animal coureur; 
et expliquent cette particularité organique par suite de laquelle ce Carnassier aime à déterrer les 
cadavres pour s'en nourrir. 

L'anatomie interne d'un individu de ce genre a été faite par Daubenton, et nous extrayons ce qui 
suit de son travail inséré dans l'Aistoire naturetie générale et particulière de Buffon. « L'épiploon 
n'allait pas au delà du milieu de l'abdomen. L'estomae était situé à gauche, et le foie se trouvait placé 
presque en aussi grande partie à gauche qu'à droite. La rate était posée, transversalement, de gauche 
à droite, derrière l'estomac, sous les intestins grèles. Le duodénum s’étendait jusqu’au bout du rein 
droit, et se joignait au jéjunum. Le cœcum était dirigé d’arrière en avant jusque dans l'hypocondre 
droit. Le côlon s'étendait en avant dans le même hypocondre, et se prolongeait en arrière dans l'hypo- 
condre gauche, où il se repliait en dedans avant de se joindre au rectum. L’estomac était gros et 
court, le pylore fort étroit, et le duodénum avait peu de diamètre. Le jéjunum était un peu plus gros 
que le duodénum, et l'iléon était aussi plus gros que le jéjunum. Le cœcum se recourbait du côté de 
l'iléon, et devenait de plus en plus gros depuis son origine. Il en était de même du côlon jusqu'au 
rectum, qui, au contraire, diminuait de grosseur en approchant de l'anus. Le foie n'avait que trois 
lobes : le plus grand était divisé en trois parties par deux profondes scissures; il était, en dehors, 
d’une couleur rouge pâle, et encore plus pâle en dedans de son parenchyme. Le vésicule du fiel avait 
la forme d'une poire. La rate était fort longue, et à peu près de la même largeur dans toute son 
étendue; sa couleur était d'un rouge bien moins pâle que celui du foie. Le pancréas avait deux bran- 
ches. Les reins étaient placés fort en arrière; ils étaient larges, et avaient peu d'enfoncement. Il y 
avait quatre lobes dans le poumon droit. Le cœur était gros et court. La langue était large dans 
toute son étendue, et peu épaisse par le bout, hérissée de papilles dans diverses parties. Les bords 
de l'entrée du larynx étaient courts et épais, l'épiglotte avait moins d'épaisseur à son extrémité que 
sur les côtés, et l'extrémité était un peu echancrée. Le cerveau avait peu d’anfractuosités; Le cervelet 
ressemblait à celui de la plupart des autres Carnassiers par sa forme et sa situation. » 

Les organes génitaux des Hyènes ressemblent beaucoup à ceux des Chiens, sauf, ainsi que nous 
l'avons déjà noté, qu'il n’y a pas d'os du pénis. Entre l'anus et la queue, on trouve, chez les mâles 
et chez les femelles, une petite poche glanduleuse qui sécrète une humeur épaisse et octueuse dont 
l'odeur est très-fétide. L'existence de cette poche, considérée par les anciens comme une vulve, leur 
a fait croire que l'Hyène était hermaphrodite, et de là toutes les fables et les traditions superstitieuses 
dont l'histoire de cet animal est chargée. Elien rapporte à ce sujet mille contes ridicules qui n’a- 
vaient de fondements que dans l'imagination ignorante de gens effrayés. Pline, avec son exagération 
ordinaire, dit que l’'Hyène, hermaphrodite, change de sexe tous les ans; qu'elle rend les Chiens muets 
par le seul contact de son ombre; qu'elle imite la voix humaine, et appelle même les hommes par 
leur nom, etc. 

Les Ilyènes habitent des cavernes, qu'elles quittent la nuit pour aller à la recherche des cadavres 
et des restes infects abandonnés sur le sol ou enfouis dans le sein de la terre. On les voit quelquefois 
pénétrer dans les habitations pour y chercher les débris de la table et les parties des animaux qui 
sont rejetées ; souvent, dans le silence des ténèbres, elles entrent dans les cimetières, y fouillent les 
tombeaux, et emportent les corps morts qu’elles ont déterrés. Les habitants des pays chauds où elles 
se trouvent ont su tourner à leur profit les instincts immondes des Hyènes, et se reposent sur elles 
du soin de débarrasser leurs villes des charognes et des immondices qu'on laisse le soir dans les 
rues. Pendant la nuit, les Iyènes pénètrent dans l'enceinte des murs, enlèvent avec avidité tous ces 
débris dont elles se repaissent, et délivrent ainsi l'homme des maladies qu'engendreraient tous ces 
miasmes infects et pernicieux en se répandant autour de son habitation. L'un de nos collaborateurs 
nous a assuré avoir été témoin de faits semblables en Algérie : il a vu, la nuit, à Constantine, des 
Hyènes venir enlever les matières animales qu'on avait laissées dans les rues de la ville. D’après cela, 
on voit que les Iyènes sont beaucoup moins sanguinaires qu'on s’est plu à le dire, et que le tableau 
qu'en trace Buffon est un peu outré. En effet, notre savant naturaliste rapporte que : « Cet animal 
sauvage et solitaire demeure dans les cavernes des montagnes, dans les fentes des rochers où dans 
des tanières qu’il se creuse lui-même sous terre ; il est d’un naturel féroce, et, quoique pris tout petit, 


CARNASSIERS. 117 


il ne s’apprivoise pas; il vit de proie comme le Loup, mais il est plus fort et parait plus hardi; il 
attaque quelquefois les hommes, il se jette sur le bétail, suit de près les troupeaux, et souvent ronge 
dans la nuit les portes des étables et les clôtures des bergeries; ses yeux brillent dans l'obscurité, 
et l’on prétend qu'il voit mieux la nuit que le jour. L'Hyène se défend du Lion, ne craint pas la Pan- 
thère, attaque l’Once, laquelle ne peut lui résister; lorsque la proie lui manque, elle creuse la terre 
avec les pieds et eu tire par lambeaux les cadavres des animaux et des hommes. » Plusieurs des faits 
annoncés dans ce passage ne sont pas exacts: en effet, les Hyènes peuvent rester longtemps en mé- 
nagerie et y vivent même très-longtemps; elles ne recherchent pas une proie vivante, à moins que 
cette dernière, par sa faiblesse, ne leur offre pas de résistance, ou lorsqu'elles sont pressées par le 
besoin : enfin, elles n’attaquent pas les grandes espèces de carnivores, et semblent bien plutôt devoir 
fuir devant elles. Du reste, ce sont des animaux nocturnes, peu propres à la course par suite de la 
disposition de leurs membres de derrière, qui les fait paraître boiteux. 


Fig. 65. — Iyène du désert. 


Nous avons dit que l’on connaissait des Hyènes vivantes et des Iyènes fossiles; les premières sont 
toutes propres à l’ancien continent, et il n’en existe pas dans le nouveau; car l’animal auquel on a 
donné le nom d'Hyène d'Amérique est le Loup rouge, espèce du genre Chien; les secondes se rap- 
portent plutôt à l’Europe, quoiqu'on en ait signalé aussi des débris en Asie et en Amérique. 

Les espèces actuellement vivantes sont les : 


1. HYÈNE RAYÉE HYFÆNA VULGARIS. G. Cuvier et Et Geoffroy Saint-Hilaire. 


CaracrÈREs sPÉCIFIQUES. — Pelage d’un gris jaunâtre, rayé transversalement de brun sur les flancs 
et sur les pattes. Longueur du corps depuis le bout du museau jusqu'à l’origine de la queue, en- 
viron { mètre; de la tête, depuis le bout du museau jusqu'à lPocciput, 0",27; de la queue, 0",18. 
Hauteur du train de devant aux épaules, 0m,4$. 


118 HISTOIRE NATURELLE. 


C'est la seule espèce de ce genre qui ait été connue des anciens; c’est à elle à qui Linné a ap- 
pliqué la dénomination de Canis hyœæn«. 

Le pelage de cette Hyène, composé de deux sortes de poils, les laineux en petite quantité, et les 
soyeux seuls apparents au dehors, est d’un gris jaunâtre, rayé transversalement de noir; les bandes 
noires du dos et de la croupe se dirigent du dos au ventre; elles se courbent et deviennent obliques 
en se continuant avec les raies des épaules et des cuisses; celles des jambes sont petites, horizon- 
tales, interrompues, et entremélées de taches en roses ou de petites taches pleines. La tête porte un 
poil très-court, roussâtre, varié irrégulièrement de noir; le menton est noirâtre; la gorge est toute 
noire. Sur le dos s'étend une longue crinière noire, ondée de jaunätre, et qui est continuée sur le 
cou et sur la queue par des poils plus allongés et plus roides que ceux du reste du corps. Les oreilles 
sont longues, de forme conique, larges à la base, presque nues, et de couleur brune. Les pattes 
sont uniformément grisâtres, velues jusqu'au bout des doigts. La queue est de moyenne longueur, et 
garnie de poils allongés et touffus. 

L'Iyène d'Abyssinie et de Nuhie, décrite comme espèce nouvelle par Bruce, sous la dénomination 
de Canis hyœænomelas, ne diffère en rien d’essentiel de l'Hyène rayée. Ce Mammifère est seulement 
d'une taille un peu plus forte; sa tête est très-grosse, son museau droit et épais; les poils qui cou- 
vrent les côtés de son corps sont peu touffus et aussi longs que ceux de la crinière, d'un brun uni- 
forme dans toute leur longueur, et légèrement teints de grisätre sur quelques parties du corps. Sa 
tête est couverte de poils courts d'un brun grisätre; sa nuque, les côtés et le devant de son cou, 
sont de couleur blanchätre; ses pattes sont annelées de lignes brunes et de lignes blanchätres: le 
dessous de son corps, d'un blanc sale, est taché d'un peu de brun; sa queue est longue et couverte 
de grands poils bruns en dessus et blanchâtres en dessous. 

L'Hyène rayée est difficile à apprivoiser, bien qu'on ait quelquefois réussi à le faire. M. Isidore 
Geoffroy Saint-Hilaire rapporte que celles de la ménagerie du Muséum ne se sont jamais adoucies 
complétement, et il cite une d'elles qui se rongea tous les doigts des membres postérieurs, qui fu- 
rent ainsi tout à fait détruits. Cependant, dans les suppléments de son Histoire naturelle, Buffon 
parle d'une Hyène qu'il vit à la foire Saint-Germain; etil dit qu'elle était très-bien apprivoisée et 
obéissait aux ordres de son maitre. 

Cette espèce se trouve dans l'Inde, la Perse, la Turquie, l'Abyssinie, l'Égypte, la Nubie, la Lybie, 
la Barbarie et le Sénégal. M. de Christol en a signalé des débris fossiles dans les terrains d’Auver- 
gue de la quatrième époque. 


9 IYÈNE BRUNE. HFÆNA BRUNEA. Thunberg 


Canacrènes sréciriQues. — Pelage couvert en dessus de longs poils brun grisätre; dessous du 
corps d'un blanc sale; queue touffue, unicolore. Taille de l'espèce précédente. 


L'Iyène brune est très-voisine de l'Hyène rayée, et y est même réunie par la plupart des auteurs, 
et surtout par De Blainville. C’est à cette espèce que M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire applique le 
nom d’Aycæna fusca, et c'est probablement à elle que se rapportent les Hycena villosa, H. Smith; 
Cuvieri, Jardine. 

Tout le corps de cette Hyène est couvert de poils longs et pendants d’un brun roux; la tête est 
garnie de poils courts brun grisâtre; le dessus du dos, les flancs et les cuisses sont ondés; les 
jambes un peu plus noirâtres; les pattes sont annelées de blanc et de brun; le dessous du corps, la 
face interne des membres, le corps et le torse, sont d’un blane sale; les poils du corps sont aussi 
longs que ceux de la crinière; la queue est unicolore, longue et touflue; les oreilles sont allongées, 
pointues, et presque nues. 

La patrie de cette espèce est Le cap de Bonne-Espérance. 


———— 


Fennec 


Te 


Grand Danois. 


BIG: 


CARNASSIERS. 119 


5. IINENE TACIETÉE AYÆNA CROCUTA. Linné. Zimmermann, 


Caracrères sréciriques. — Pelage d'un jaune terne, parsemé de taches brunes, arrondies, en 
petit nombre. Taille et corpulence d'un grand Mâtin, avec la tête plus épaisse et moins allongée que 
celle de cet animal. 


Cette espèce, vulgairement connue sous le nom d'Hvèxe pu Car, est l'IYÈNxE racuerée de Pennant, 
le Locr ricre de Kolbe, et l'HxÈèxe de Barrow. C'est le Canis crocuta de Linné, l'Hycena Capensis de 
A. G. Desmarest, striata de Pennant et Lichstenstein, et maculata de Thunberg; enfin, c'est proba- 
blement à une variété de cette espèce qu'on doit rapporter l'HxÈxE rousse, Hycæna rufa, de G. Cuvier. 

Le pelage de cette Hyène est d’un fauve roux, marqué de nombreuses taches d'un brun foncé, 
qui sont disposées sur le corps en bandes longitudinales, et répandues plus ivrégulièrement sur les 
épaules et sur les cuisses; la queue longue, garnie de poils longs, peu touffus et noirs, est aussi ta- 
chetée à son origine. Le dessous du corps et la face interne des membres sont d’un fauve blanchâtre. 
Les oreilles sont larges et courtes, presque nues, et d’une forme à peu près carrée. Le poil de 
l'Hyène tachetée est plus court que celui de l'Hyène rayée; il devient relativement plus long sur le 
cou et sur le dos, où il forme une petite crinière peu fournie. 

Cette espèce habite le midi de l'Afrique, principalement les environs du cap de Bonne-Espérance. 
Delalande en a rapporté le jeune, dont la tête est foncée et le corps noirâtre, marqué seulement de 
quelques taches sur le dos et à l'origine de la queue. Une race particulière, que G. Cuvier regarde 
comme espèce distincte sous la dénomination d'Hyèxe rousse, Hycena rufa, se trouve aussi au Cap, 
et se distingue par des taches en plus petit nombre; par un poil plus long, plus doux, d'une couleur 
rousse plus foncée; par les jambes noires et le ventre de la même couleur. 

L'Hyène tachetée paraît pouvoir s’apprivoiser plus aisément que l'Hyène rayée : Barrow dit qu'on 
lemploie pour la chasse, et qu'elle égale le Chien en fidélité et en intelligence. On en a conservé, à 
la ménagerie du Muséum de Paris, un individu pendant seize ans; il s’est toujours montré très-doux, 
si ce n'est dans sa vicillesse, pendant laquelle les infirmités le rendirent plus farouche. Quand il ar- 
riva à Lorient, il s’échappa, courut quelque temps dans les champs sans causer aucun dommage, et 
se laissa reprendre sans résistance. 

On a quelquefois regardé comme une quatrième espèce de ce genre, sous la dénomination d'Hsèxe 
TEINTE, Où CHIEN HYÉNOÏDE, Hyæna venatica, Burchell, un Carnassier assez voisin de ceux-ci par sa 
forme extérieure, et que nous avons placé dans la tribu des Chiens, sous le nom générique de Cyx- 
uYÈNE, qui rappelle les rapports de cet animal d'un côté avec ceux du genre Chien, et de l'autre 
avec ceux du genre Iyène. 


De nombreux ossements fossiles d'Iyènes ont été principalement découverts dans les cavernes, mais 
ils se trouvent aussi parfois dans les terrains meubles et même dans certaines brèches osseuses; nous 
avons déjà dit qu'on les rencontrait principalement en Europe. D’après les paléontologistes, on en 
compterait un assez grand nombre d'espèces distinctes, outre l’une d’elles qui est analogue à l'Hyène 
rayée; mais ce nombre doit être considérablement restreint, et il est probable qu'on ne doit en si- 
gnaler que trois espèces européennes, et peut-être deux autres, l’une des monts Himalayas, et l'autre 
de l'Amérique méridionale. 

Les débris d’'Hyènes se rencontrent principalement en grande quantité dans les cavernes et réunis 
à un très-grand nombre d’autres os; ces faits singuliers ont donné lieu à diverses explications des 
naturalistes, et, pour faire connaître ce sujet important, nous ne croyons pouvoir mieux faire que 
de rapporter ce qu’en dit De Blainville dans son Ostéographie, quoique le passage que nous allons 
tanserire soit peut-être un peu long pour les limites que nous nous sommes tracées. 

« Dans toutes les localités où l’on trouve des ossements d'Hyènes, ils y sont pêle-mêle, et souvent 
fragmentés, brisés, plutôt les os longs que les os courts, plutôt la mandibule qu'une autre partie, 
avec ceux de toutes sortes d'animaux terrestres, Mammifères, Oiseaux et Reptiles, et même, dans 
quelques localités, avec des ossements d'hommes, comme s'en est assuré bien positivement Schmer- 
ling, en Belgique, et M. Marcel de Serres, dans les cavernes du midi de la France. Les os que lon 


120 HISTOIRE NATURELLE. 


rencontre le plus souvent accompagnant les ossements fossiles d'Hyènes paraissent être ceux d'Qurs, 
de grands Felis, de Loups, d'Éléphants, de Rhinocéros, de Gochons, et surtout de Ruminants à bois et 
à cornes, ainsi que d'individus du genre Cheval, et quelquefois ces os semblent avoir éprouvé l’action 
des dents d’animaux carnassiers. On ne peut guère citer comme ayant appartenu à des squelettes 
entiers que les os d'Hyène trouvés à Lawfort, en Angleterre, quelques-uns de ceux d'Auvergne, et 
peut-être de la caverne de Lunel-Viel. Partout ailleurs, ils sont épars et indistinctement mêlés avec 
les autres os du dépôt. Ils sont à différents degrés de détérioration, suivant quelques circonstances 
de localités et de leur propre nature; il paraît cependant qu'en général ils sont moins altérés, ils 
ont un aspect plus frais, plus récent, moins friable, que ceux des autres animaux avec lesquels ils 
se trouvent, comme le disent M. Goldfuss de ceux de Gaylenreuth, dans le limon et non dans la 
brèche; M. Noggerath, de ceux de Sundwig, dans une terre très-meuble, au-dessous d'une couche 
de stalagmite de vingt à quarante pouces d'épaisseur, et M. Buckland, de ceux de Kirkdale. Ces os 
sont toujours fragmentés, de l’aveu de tous les paléontologistes; mais, suivant les uns, ils sont an- 
guleux et offrent même des traces d’érosion; et, suivant M. Schmerling, au contraire, la plupart sont 
évidemment roulés. Dans les excavations, ils sont dans des relations différentes par rapport au sol; 
quelquefois tout à fait libres et à la surface; d'autres fois à découvert, et même collés au plafond de 
la caverne; le plus souvent, ils sont enfouis ou dans la terre argileuse, ou dans une sorte de brèche 
formée par le stalagmite, celle-ci couvrant le sol argileux; particularités signalées surtout par 
M. Schmerling dans les cavernes des environs de Liége. 

«Mais, de ces faits incontestables, peut-on en conclure d'une manière un peu plausible que l’es- 
pèce d'Hyène fossile la plus commune dans la partie tempérée de l'Europe a non-seulement vécu 
dans les pays où l’on rencontre des fragments de son squelette, mais qu’elle se retirait dans les ca- 
vernes où on les trouve, et que c’est elle qui y a apporté les ossements des autres animaux qu'on y 
rencontre avec les siens? C’est tout autre chose. On à pu en effet opposer à cette manière de voir, 
proposée surtout par M. Buckland, et adoptée par M. G. Cuvier, reposant sur le fait d'un assez petit 
nombre d'os de Rnminants qui paraissent avoir éprouvé l'effet de la dent d'animaux carnassiers, de 
la présence de fèces ou de coprolithes trouvés avec eux; ct enfin, sur un certain nombre d'os d'Hyènes 
usés, polis d'un côté seulement, ce qu'on attribue au passage des Hyènes rentrant et sortant de leurs 
retraites, que ces ossements d'Hyènes sont bien fragmentés, bien dispersés, bien peu nombreux 
même, pour provenir d'animaux qui auraient vécu dans les cavernes et seraient morts de leur mort 
naturelle, en admettant même que ces os ne soient pas roulés. 

«Sans doute, les Hyènes se retirent, se réfugient dans les cavernes, probablement pour s'y ca- 
cher, et même y élever, y allaiter leurs petits; mais M. Kaon a fait la juste observation que ces ani- 
maux, qui se nourrissent de cadavres, les mangent sur place, au lieu de les emporter en totalité ou 
en partie dans leur retraite, comme il faudrait qu'ils eussent fait si les ossements des animaux que 
l’on trouve avec les leurs étaient réellement les restes de leurs repas. Ce sont ces difficultés qui ont 
porté M. Schmerling à dire que les ossements fossiles d'Hyènes ne proviennent pas d'animaux qui 
auraient vécu aux lieux où on les trouve, et qu'ils ont été entraînés par une grande inondation. Mais, 
pour admettre cette hypothèse, il faut passer sous silence les masses d'album græcum, que l'on 
trouve dans ces cavernes, et que M. Buckland regarde comme des excréments d'Hyènes, et, suivant 
lui, entièrement semblables à ceux d’une Hyène du Cap, vivante, qu'il a pu se procurer et examiner 
comparativement. [l reconnait cependant que les coprolithes de Kirkdale, de forme sphérique, irrégu- 
lièrement comprimés, variant d'un demi-pouce à un pouce de diamètre, de couleur d'un blanc jau- 
nâtre, à cassure terreuse, contiennent des petits fragments non digérés d'émail de dents. Or, je ne 
connais encore aucun animal qui se nourrisse de dents et puisse même les digérer; en sorte que cette 
particularité pourrait être une objection de plus à opposer contre l'opinion de M. Buckland, que les 
os de Mammifères trouvés en grande quantité dans la caverne de Kirkdale avec ceux d'Hyènes y 
ont été apportés par elles, et nullement par des inondations. En effet, en faisant observer que les 
Hyènes, plus que les autres Carnassiers, vivent solitairement chacune dans leur tanière, qu'elles 
n'emportent pas nécessairement tous les cadavres d'animaux qu'elles rencontrent, mais qu’elles les 
dévorent souvent sur place; que, dans le cas contraire, c’est au plus à l'entrée de leur tanière qu'elles 
le font, et non dans cette tanière elle-même: qu'il n’est nullement démontré, ni même probable, que 
des Hyènes sauvages se mangent les unes les autres, au moins hors le cas d'absolue nécessité; et 


CARNASSIERS. 121 


que toutes les cavernes à ossements sont fort loin de contenir des [lyènes; que, dans aucune même, 
elles n'y sont en nombre proportionnel aux os d'animaux herbivores qui se trouvent avec elles; que, 
pour des animaux si avides d'os qu'on le dit, bien peu de ceux-ci offrent réellement les traces d’a- 
voir été rongés, brisés, mangés par elles; qu'il est très-diflicile d'expliquer comment des animaux 
venant mourir de vieillesse ou de maladies dans ces cavernes, pendant une suite si longue de géné- 
rations, n’ont laissé eux-mêmes que des os brisés, fracturés, mêlés avec ceux de leurs victimes; on 
est presque forcé de conclure, avec la plupart des géologues qui ont écrit sur les cavernes ossifères 
depuis M. Buckland, que les ossements d'Hyènes, et même leurs excréments, devenus coprolithes, 
qu'on trouve dans ces cavernes, y ont été apportés, ainsi que ceux qui sont dans le diluvium ordi- 
naire, et comme l'ont été les parties dures de tant d'animaux mammifères ou d’autres classes de Ver- 
tébrés avec lesquels on les trouve pêle-mêle, brisés, fracturés, sans aucune espèce d'ordre, ce qui 
ne peut faire soupçonner une distinction de victimeurs et de victimes, qu'ils y ont été apportés, déjà 
en fragments, des pays environnants, où les animaux dont ils proviennent vivaient, sans doute, par 
une inondation générale ou par des inondations partielles et répétées à des intervalles plus ou moins 
éloignés, mais non pas assez étendues pour avoir ramassé, accumulé successivement des ossements 
d'animaux de pays éloignés avec ceux des lieux où elles se sont arrêtées, comme l'a surtout pensé 
M. Schmerling; qu'en supposant même que les ossements d'Hyènes ne se trouvent pas mêlés avec 
ceux de l'espèce humaine, ce qui ne peut cependant pas être mis en doute aujourd'hui, il ne faudrait 
pas regarder cette absence, avec G. Cuvier, comme une preuve que l'espèce humaine n'existait pas 
à l’époque du dépôt des ossements dans les cavernes, car, s'il est vrai qu'aujourd'hui les Hyènes, 
comme les Loups, comme les Chiens mêmes, s’attaquent quelquefois aux cadavres d'hommes dans 
certaines circonstances de nécessité absolue, ce n’est pas une raison pour qu'elles l’aient fait à des 
époques où nos pays, beaucoup moins peuplés d’abord, étaient de plus couverts de forêts, où les 
Ruminants, leur pâture harmonique, étaient si abondants en individus et même peut être en espèces. 
Les races nombreuses de Cerfs, de Bœufs et de Chevaux, ont disparu en très-grande partie, parce 
que les hommes ont abattu les forêts, anéanti, ou au moins grandement diminué les pâturages li- 
bres, et se sont prodigieusement multipliés, et dès lors l'une des deux espèces d'Hyènes qui habi- 
taient notre Europe s’est retirée et s’est concentrée uniquement dans les deux autres parties du monde; 
l'autre (et peut-être ajouterons nous d’autres) a complétement disparu. 

« Ainsi, nous retrouvons pour ce genre de Mammifères carnassiers ce que nous avions reconnu 
pour la plupart des autres (c’est De Blainville qui parle), et surtout pour les Felis et les Canis; 
e’est-à-dire qu'avec le grand nombre d'animaux herbivores qui peuplaient si abondamment nos anti- 
ques forêts, et qui ont disparu en grande partie, vivaient pour ainsi dire proportionnellement, non- 
seulement des espèces de Carnassiers sanguinaires, hardis, agissant courageusement corps à corps 
comme les premiers, ou plus habilement, et en s'associant dans leurs chasses, comme les seconds, 
pour les attaques de vive force, et qui les dévoraient vivants, mais encore des espèces moins coura- 
geuses ou moins féroces, moins franchement carnassières, et par conséquent plus hideuses, aux- 
quelles étaient réservés leurs cadavres; les Hyènes étaient ici ce que, chez les oiseaux de proie, les 
Vautours sont à l'égard des Faucons. Ainsi, l'harmonie des principales espèces animales était alors, 
en Europe, an moins aussi parfaite qu’elle l'est aujourd’hui, si même elle ne l'était réellement da- 
vantage, comme plus voisine de l'époque où elle était sortie de la conception créatrice, et nécessaire- 
ment alors moins dérangée par le développement fatal de l'espèce humaine. » 

Nous n’indiquerons avec quelques détails que les trois espèces européennes qui semblent seule- 
ment avoir existé, et nous nous bornerons à donner la liste, encore incomplète, des espèces propo- 
sées par les paléontologistes, et qui, la plupart du temps, ne sont réellement que nominales. Ces 
espèces sont : l'Hyæna fossilis. G. Cuvier; l'A. spelæeu, Goldfuss, des cavernes de France et d'Alle- 
magne; les JT. prisca et intermedia, Marcel de Serres, de la caverne de Lunel-Viel; les 1. etuario- 
rium et Issiodorensis, Croïizet et Jobert, des terrains de la deuxième époque, d’Issoire, en Auver- 
gne; les 1. dubia, Arvernensis et Perrieri, des mêmes auteurs, et particulières aux galets et li- 
gnites d'Issoire, etc. 

Les seules espèces fossiles que nous voulions indiquer sont les : 


c? 16 


122 HISTOIRE NATURELLE. 


A. HIYÈNE DES CAVERNES. HYÆNA SPELÆA. Goldfuss 


Les meilleurs caractères de cette espèce sont tirés de ses dents carnassières : Le lobe postérieur de 
la carnassière supérieure est plus grand que dans l'Hyène tachetée, tandis qu'il est plus petit que 
dans l'Hyène rayée; la carnassière inférieure n’a en arrière de ses deux lobes tranchants qu'un léger 
bourrelet, et n'offre point de tubercule interne à son lobe postérieur; la dent tuberculeuse supérieure 
est petite et à une seule racine, comme dans l'Hyène tachetée. 

Cette espèce, d'une taille plus élevée que nos Hyènes actuelles, et qui semble se rapprocher da- 
vantage de l'Hyène tachetée que de l'Hyène rayée, se trouve en France, en Allemagne et en Angle- 
terre, dans plusieurs cavernes, et principalement dans celle de Kirkdale, illustrée par M. Buckland 
dans ses Reliquiæ diluvianæ. 


LB. HYÈNE DE MONTPELLIER. HYÆNA MONSPESSULANA. De Christol 


Cette espèce ressemble à l'Hyène rayée par la structure de sa dent carnassière inférieure, c'est- 
à-dire qu’elle offre en arrière de ses lobes un tube à deux pointes obtuses et un tubercule à la base 
du tubercule postérieur, la dent tuberculeuse supérieure, placée en travers de la mâchoire, est plus 
grande et à deux racines. 

Cette Hyène, qui correspond à l'Hycæna prisca, Marcel de Serres, et probablement aussi à l'Hyène 
d'Auvergne, de MM. Croizet et Jobert, ainsi qu'à l'Hyène de l'ancien diluvium du Val d'Arno, se trouve 
dans le midi de la France. 


C HYÈNE DE PERRIER. HYÆNA PERRIER Croizet et Jobert 


Dans cette espèce, il y a un talon bilobé à la partie postérieure de la carnassière inférieure, et il 
n’y a pas de tubercule interne au lobe postérieur de cette même dent. 

D'après cela, cette Hyène, propre aux cavernes d'Auvergne, tiendrait à la fois de l'Hyène tachetéc 
et de l'Hyène rayée, et semblerait devoir être adoptée: tandis que les autres prétendues espèces que 
nous avons nommées plus haut doivent au contraire être probablement rejetées. 

Enfin, MM. Baker et Durand ont figuré, sous le nom d'Hyèxe pe L'Iimazaya, Hyæna Sivalensis, 
des débris fossiles d'une espèce de ce genre, qui serait d'une taille moindre que l'Hyène des ca- 
vernes, mais qui s’en rapproche cependant davantage que l'Hyène rayée, vivant actuellement dans les 
Indes; et M. Lund a aussi énuméré une Hyène fossile trouvée dans les cavernes du Brésil, qu'il ap- 
pelle Hlycæna neogæa, mais il n'a fait connaître aucun de ses caractères. 

C'est aussi auprès de ce genre que De Blainville range le groupe des Agnotherium, dont nous 
parlerons ailleurs, 


CARNASSIERS. 123 


CINQUIÈME TRIBU. 


FÉLIENS. FELII. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. 


Molaires alternes, à couronnes tranchantes. 

Tuberculeuses nulles où rudimentaires, au contraire des Caniens, chez lesquels il y a au moins 
deux tuberculeuses en haut et en bas. 

Membres plus ou moins allongés, les postérieurs plus développés que les antérieurs, tandis que 
cela n'a pas lieu chez les Caniens et les Hyéniens. 

Marche franchement digitigrade. 


Cette tribu des zoologistes modernes correspond au genre Chat (Felis), fondé par Linné en 1735, 
et a reçu de M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire la dénomination de Féliens, tandis que M. Gray lui ap- 
plique le nom de Felidæ, Lesson celui de Felisineæ, et que De Blainville lui conserve celui de Felis, 
donné par Linné. 

Quelques animaux de cette tribu, tels que le Lion et le Chat ordinaire, ont été indiqués depuis très- 
longtemps, et d’autres, en assez grand nombre, n’ont été découverts que dans des temps plus moder- 
nes. Les Féliens sont des animaux dont le corps est en général médiocrement allongé, quoique la 
queue le soit souvent assez, et cela principalement à cause de la brièveté du museau et même de la tête, 
habituellement large et globuleuse, pourvue d'oreilles arrondies, assez courtes, mais toujours largement 
ouvertes, ainsi que les yeux, et de moustaches très-longues. Leurs membres sont très-souples dans 
toutes leurs articulations, et terminés par des paumes et surtout des plantes élevées, ne touchant pas 
à terre, entièrement velues, et par des doigts courts, cinq en avant, quatre en arrière, armés de 
griffes rétractiles fort aiguës, décroissantes du premier au dernier. Leurs incisives et leurs canines 
en même nombre que dans tous les Carnassiers, c’est-à-dire les premières au nombre de six en haut 
comme en bas, et les secondes de deux seulement; les molaires sont au minimum de nombre, quatre 
en haut et trois en bas; mais elles sont, au contraire, au maximum de carnivorité par la diminution 
de la partie tuberculeuse interne, postérieure, et par l'augmentation de la partie tranchante et mar- 
ginale : dans les Lynæ, au moins à l’âge adulte, il ÿ a deux molaires de moins, parce que la petite 
molaire antérieure peut manquer. Le pelage est en général très-doux et serré, ordinairement d'un 
roux fauve, quelquefois uniforme, et le plus souvent grisätre ou roussâtre, tacheté de brun noir, 
avec des barres ou des traits plus ou moins prononcés sur les membres, à la face et sur la queue, 
où elles tendent à former des anneaux. 

Quant aux parties internes, on peut se borner à dire, d’abord pour le squelette, que la clavicule, 
toujours osseuse, est cependant rudimentaire, non articulée, et presque sésamoïde; que l'humérus 
est constamment percé au-dessus du condyle interne, et que les phalanges secondes et troisièmes ont 
la disposition rétractile la plus prononcée; ensuite, pour l'intestin, que la langue est hérissée de pa- 
pilles cornées et pointues; qu'il existe un cœæcum assez prononcé entre les deux parties du canal ali- 
mentaire; et, enfin, que l'anus est pourvu d’une paire de glandes odoriférantes à sa marge interne : 
l'organe principal sexuel mâle soutenu par un os rudimentaire, étant hérissé de crochets à son ren- 
flement antérieur. 

Les mœurs des Féliens ne sont pas moins caractéristiques que leur organisation. Ge sont, en effet, 
des animaux plus ou moins nocturnes, rusés, hardis, avides de sang, marchant avec précaution, sou- 
ples et rampants lorsqu'il s’agit d'arriver à portée de la proie, puis, après avoir tendu tous leurs 
ressorts en les ramassant, les débandant subitement et s'élançant d’un seul bond sur elle, en éta- 


124 HISTOIRE NATURELLE. 


lant dessus, pour la retenir, les mains et la gueule, armées de leurs ongles aigus et de leurs dents 


acérées. 


Fig. 66. — Panthère Fig. 67. — Jaguar. 


Fig. 68. — Tigre. 


70. — Panthère noire. 


Fig. 69, — Couguar. Fig. 


On a décrit des Chats vivants et des Chats fossiles. Les premiers sont au nombre d'une cinquantaine, 
et se rencontrent dans toutes les parties du globe; l'Europe même en possède, mais en petitnombre. 
Ily a près de deux cents ans que l’on a recueilli, en Europe, des ossements fossiles appartenant à 
une grande espèce de Felis, sans cependant qu’on les ait reconnus comme tels. C'était d'abord dans 
les cavernes d'Allemagne, et jusqu'en 1825, époque de la publication de la seconde édition des 


CARNASSIERS. 125 


Ossements fossiles de G. Cuvier, on n'était guère allé au delà de la confirmation de ce fait; mais, 
depuis lors, on en a trouvé, et de toute taille, dans un grand nombre d’endroits d'Europe, dans 
des terrains très-différents, en sorte que, aujourd'hui, si l’on acceptait comme démontrées les es- 
pèces de Felis fossiles proposées par les paléontologistes, il en aurait existé plus de vingt dans 
l'Europe ancienne, et, en outre, on devrait en admettre comme propres à l'Amérique, principalement 
dans les cavernes du Brésil. 

La position des Féliens, dans la série zoologique, a dù varier suivant les diverses classifications 
des auteurs. Lesson les place entre les Caniens et les Viverriens; De Blainville les range, au contraire, 
après ses Viverras et avant ses Canis; enfin, M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, dont nous suivons la 
méthode mammalogique, les met à la fin de sa section des Carnivores, de son ordre des Carnas- 
siers, c’est-à-dire après les Hyéniens et immédiatement avant les Amphibies. 


Cette tribu étant l'une des plus naturelles de la classe des Mammifères, l'on comprend que l'on a 
pu difficilement trouver des caractères, au moins plausibles, pour y former des subdivisions généri- 
ques, et que dès lors le nombre des genres qu’on y a admis à été très-peu considérable. À bien dire 
mème, l’on ne devrait y comprendre, comme Linné, qu'un seul genre, celui des Chats ou Felis, et 
ne regarder ceux qu'on y a créés que comme des subdivisions secondaires. M. Isidore Geoffroy Saint- 
Hilaire indique les genres des Guérarn (Guepardus), Cuar (Felis), Ticre (Tigris) et Lynx (Lynx) : 
nous les étudierons successivement et séparément, à l'exception de l'avant-dernier, qui ne nous pa- 
raît pas différer des vrais Chats, et que nous réunirons à ce groupe. Quant aux espèces fossiles, elles 
rentrent dans la coupe générique des Felis, quoique cependant un fossile, indiqué par M. Lund, le 
Felis Smilodon, puisse peut-être, par plusieurs particularités différentielles, être considéré comme 
devant former un genre nécessaire. 

D'après cela, la tribu des Féliens renferme pour nous les genres Guépard, Chat et Lynx. 


126 HISTOIRE NATURELLE. 


4e GENRE. — GUÉPARD. GUEPARDUS. Duvernoy. 
Mémoires de la Société du Muséum d'histoire naturelle de Strasbourg. 


Du nom de l'espèce typique 


CARACTÈRES GENÉRIQUES. 


Système dentaire : incisives, $; canines, 4; molaires, #4; c'est-à-dire trente dents en totalité, 
conune dans les Chats. Les sillons des canines presque effacés; les molaires tranchantes, à lobule 
plus prononcé que dans les Felis : les deux premières d'en bas à quatre lobes au lieu de trois; 
la dernière molaire, où carnassière d'en bas, présentant, au lieu d'un talon effacé à peine sensible, 
un petit lobule pointu et très-distinct, ce qui rapproche les Guépards des Hyènes ; la seconde 
molaire d'en haut ayant également son quatrième lobe plus marqué que dans les Chats, mais, en 
revanche, son tubercule interne est entièrement effacé. 

Tête plus courte, plus petite, plus ronde que celle des Felis. 

Jambes plus hautes. 

Doigts plus allongés que dans les vrais Felis. 

Ongles faibles, usés à la pointe, non rétractiles, comme ceux des Felis, et n'étant propres ni à 
retenir, ni à déchirer une proie. 

Queue plus longue que dans les Chats. 


Le genre Guepardus de M. Duvernoy a reçu de M. Wagler (Syse. der Amphib., 1850) le nom 
de Cynailurus (ævwv, Chien; aevocs, Chat), et Lesson (Nouv. Tabl. du Règne animal, 1842) lui ap- 
plique la dénomination de Cynofelis, qui a la même signification que la précédente (zvov, Chien; 
Felis, Chat), et indique les rapports que ce groupe présente avec les Chiens et les Chats. Nous avons 
dit que l'on ne devrait probablement les considérer que comme une subdivision de ces derniers, 
quoiqu'ils aient néanmoins, outre les caractères que nous avons déjà indiqués, une taille plus élan- 
cée, et que leur colonne vertébrale soit plus droite, et, toutefois, nous ferons observer que leurs 
formes générales, la facilité qu'ils ont de courir, leur extrême douceur, leur attachement et leur 
obéissance à leur maitre, leur courage, les rapprochent plus des Chiens que de Chats. 

L'espèce unique de ce genre, le Guépard, offre aussi, dans son squelette, plusieurs caractères 
importants qui indiquent évidemment un passage vers les Canis. La tête est arquée et raccourcie, 
l’espace fronto-orbitaire est très-soulevé; le chanfrein est incliné en arrière, sans crêtes sagittale et 
occipitale bien prononcées; le nez est large, peu pincé, assez canaliculé au dos; le bord palatin est 
large et échancré au milieu; les apophyses ptérygoides petites, en crochet; les caisses très-petites. 
Les corps des vertèbres sont plus longs que dans les Chats : les apophyses transverses des vertèbres 
cervicales courtes, ramassées; lapophyse épineuse de la dixième vertèbre dorsale très-inclinée, bi- 
furquée à la pointe; enfin, les vertèbres lombaires remarquables par la longueur et la forme étroite 
de leurs apophyses transverses. Les côtes sont assez élargies. L'hyoide est composé de neuf pièces 
assez robustes. Aux membres antérieurs, l’omoplate a une forme particulière, ovalaire; l'humérus est 
très-comprimé, arqué supérieurement, le radius est également arqué, et presque de même largeur en 
haut qu'en bas; le cubitus est très-grêle; la main est comme dans le Lynx, avec les secondes pha- 
langes plus courtes, et les troisièmes moins hautes dans leur pointe. Les membres postérieurs ont 
peut-être plus d’élévation que les antérieurs : l'os innominé est assez court, mais le fémur et le tibia 
sont surtout notablement plus longs que lui; le péroné est remarquable en ce qu'il est très-grêle, 
presque filiforme; les os du pied sont allongés, serrés, et les phalanges bien comme à la main. 

Nous ne reviendrons pas sur le système dentaire de cet animal, qui présente des différences nom- 
breuses avec celui des Chats; nous en avons suffisamment parlé dans notre caractéristique géné- 
rique. 

L'espèce unique de ce genre est le : 


CARNASSIERS. 197 


GUÉPARD. GUEPARDUS JUBATUS. Duvernoy. 


Canacrènes sréciriques. — Pelage d'un beau fauve clair en dessus, et d'un blane pur en dessous; 
de petites taches noires, rondes et pleines, également semées, garnissent toute la partie fauve; celles 
de la partie blanche sont plus larges et plus lavées; sur la dernière moitié de la queue se trouvent 
douze anneaux alternativement blancs et noirs; enfin, les poils des joues, du derrière de la tête et 
du cou, sont plus longs, plus laineux que les autres, ce qui lui forme comme une espèce de petite 
crinière : une ligne noire part de l'angle antérieur de l'œil, et descend en traversant la joue et en 
s'élargissant jusqu'à la lèvre supérieure, vers la commissure, et une autre plus courte part de l'an 
gle postérieur, et se rend vers la tempe. De la taille d'un Mätin, longueur, 1°,43, non compris la 
queue, longue elle-même de 0",45; hauteur, 0",65. 


Le Guépard a une physionomie particulière qui pourrait servir seule à le faire distinguer des 
Chats, et il y joint une grande légèreté, ainsi que des mouvements faciles. Comme il a les doigts longs, 
les ongles libres et posant sur le sol par leur extrémité très-peu pointue, il court avec beaucoup plus 
d’agilité que les Chats, et peut aisément atteindre le gibier qu'il poursuit; mais, au contraire, il ne 
peut que difficilement déchirer sa proie avec ses ongles, et ne peut pas monter sur les arbres comme 
le font la plupart des Felis. D'après ces habitudes, qui, sous quelques rapports, rapprochent le Gué- 
pard des Chiens, on a cherché depuis longtemps à le dresser pour la chasse; et, selon des historiens 
persans, c’est un de leurs premiers rois qui sut employer cet animal à cet usage; quoique toutefois 
les Arabes semblent en avoir parlé les premiers. Eldemiri dit que Chaleb, fils de Wolid, eut l'idée 
de le substituer, pour la chasse au Lion et au Tigre, au Chien qu'on y employait dans les Indes depuis 
la plus haute antiquité, si l'on s'en rapporte à Elien. M. Boitard (Mammifères du Jardin des 
Plantes et Dictionnaire universel) a donné des détails à ce sujet, et nous les trauscrivons ici. « À Su- 
rate, au Malabar, dans la Perse et dans quelques autres parties de l'Asie, on élève ces animaux pour 
s’en servir à cet exercice. Les chasseurs sont ordinairement à cheval, et portent le Guépard en 
croupe derrière eux; quelquefois ils en ont plusieurs, et alors ils les placent sur une petite char- 
rette fort légère et faite exprès. Dans les deux cas, l’animal est enchaîné, et a sur les yeux un ban- 
deau qui l'empêche de voir. Ils partent aussi pour parcourir la campagne, et tâcher de découvrir des 
Gazelles dans les vallées sauvages où elles aiment à venir paître. Aussitôt qu'ils en aperçoivent 
une, ils s'arrêtent, déchainent le Guépard, et, lui tournant la tête du côté du timide Ruminant, 
après lui avoir Ôôté son bandeau, ils le lui montrent du doigt. Le Guépard descend, se glisse dou- 
cement derrière les buissons, rampe dans les hautes herbes, s'approche en louvoyant et sans bruit, 
toujours se masquant derrière les inégalités du terrain, les rochers et autres objets, s’arrêtant su- 
bitement, et se couchant à plat ventre quand il craint d’être aperçu, puis reprenant sa marche 
lente et insidieuse. Enfin, lorsqu'il se croit assez près de sa victime, il calcule sa distance, s'élance 
tout à coup, et, en cinq ou six bonds prodigieux et d'une vitesse incroyable, il l'atteint, la saisit, 
l’étrangle, et se met aussitôt à lui sucer le sang. Le chasseur arrive alors, lui parle avec amitié, lui 
jette un morceau de viande, le flatte, le caresse, lui remet le bandeau et le replace en croupe ou 
sur la charrette, tandis que les domestiques enlèvent la Gazelle. Neanmoins, il arrive quelquefois 
que le Guépard manque son coup, malgré ses ruses et son adresse. Alors il reste tout saisi et 
comme honteux de sa mésaventure, et ne cherche plus à poursuivre le gibier. Son maître le con- 
sole, l'encourage par ses caresses, et les chasseurs se remettent en quête avec l'espoir qu'il sera 
plus heureux une autre fois. Dans le Mogol, cette chasse est, pour les riches, un plaisir si vif, qu'un 
Guépard bien dressé, et qui a la réputation de manquer rarement sa proie, se vend des sommes 
exorbitantes. En Perse, cette chasse se fait à peu près de la même façon, à cette différence près 
que le chasseur, qui porte le Guépard en croupe, se place au passage du gibier, que des hommes 
et des Chiens vont relancer dans les bois. L'empereur Léopord [avait deux Guépards aussi privés 
que des Chiens. Quand il allait à la chasse, un de ces animaux montait sur la croupe de son 
cheval, et l'autre derrière un de ses courtisans. Aussitôt qu'une pièce de gibier paraissait, les deux 
Guépards s’élançaient, la surprenaient, l'étranglaient, et revenaient tranquillement, sans être rappe- 
lés, reprendre leur place sur le cheval de l'empereur et sur celui de son courtisan. » 


128 HISTOIRE NATURELLE. 


D'après ce que nous venons de dire, on voit que le Guépard est beaucoup moins féroce que les 
Chats, et qu'il peut aisément s’apprivoiser, quoiqu'à l’état sauvage il habite les forêts et vive de 
proie. On a eu, assez récemment, un Guépard à la ménagerie du Muséum : il était si familier, qu'on 
l'avait placé dans un pare, où il vivait librement, et dont jamais il n’a cherché à sortir. 11 obéissait 
au commandement de son gardien; il aimait surtout les Chiens, avec lesquels il jouait sans jamais 
chercher à leur faire aucun mal. Un jour, rapporte M. Boitard, il reconnut, parmi les curieux qui vi- 
sitaient la Ménagerie, un petit nègre qui avait fait la traversée du Sénégal sur le même vaisseau que 
lui, et il lui fit autant de caresses qu’un Chien en ferait à son maître qu'il retrouverait après une 
longue absence. 


Fig. 72. — Guépard. 


Le Guépard, aussi nommé le Fadh, habite les Indes orientales, Sumatra, la Perse, le Bengale et 
Guzarate, et en même temps on le trouve aussi en Afrique, au Sénégal, dans le Kordofan et au cap de 
Bonne-Espérance; car il semble démontré que l'on ne doit pas faire deux espèces de Guépard des in- 
dividus de ces divers pays, et que le Felis jubata de Schreber et de Linné est le même animal que le 
Felis quitata d'Hermann, le Felis venatica d'Hamilton Smith, que le Pardalis d'Appien, et le Guc- 
pard de Buffon et de Fr. Cuvier. 

MM. Croizet et Jobert rapprochaient de cet animal leur Felis megantereon, trouvé en Auvergne dans 
les galets et lignites d'Issoire; mais c’est plutôt une espèce de Lynx, à moins même qu'il ne doive 
constituer un genre nouveau. 

M. Lund à signalé une molaire de la mâchoire supérieure, trouvée dans les cavernes du Brésil, 
comme se rapportant également au Guépard où Cynailurus minutus; mais, d'après De Blainville, les 
dimensions de cette dent montrent qu’elle appartient plutôt à un Felis proprement dit, et probable- 
ment même à l’une des nombreuses espèces de ce genre encore existant en Amérique. 


CARNASSIERS. 129 


De Blainville à fait connaitre, sous la dénomination de Felis quadritlentata, deux crânes fos- 
siles, dont l’un assez complet, découvert par M. Lartet dans le célèbre dépôt de Sausans, et qui offre 
quelque rapport avec les Guépards, tout en constituant un genre particulier de Félien présentant 
quatre molaires : c’est-à-dire une avant-molaire en bas comme en haut. La tête indique un animal 
dont le crâne est en général court, assez petit, resserré dans la partie vertébrale, et très-large, 
mais encore plus court dans la partie faciale ou maxillaire. Le système dentaire est surtout re- 
marquable. À la mâchoire supérieure, il y a quatre molaires, mais la première était extrèmement 
petite, sa racine ronde et immédiatement collée contre la canine; la barre était cependant très-courte; 
la seconde molaire avait une couronne très-comprimée, très-tranchante, et comme quadrilobée, un 
peu comme dans le Guépard; la troisième était proportionnellement très-grande, et la quatrième 
était encore assez développée, et, ce qui la rapproche encore de ce que son analogue est dans le 
Guépard, c’est qu'elle était parfaitement visible en dehors de la ligne dentaire. Une mâchoire infé- 
rieure, qu’on rapporte à la même espèce, était principalement remarquable, dans son système den- 
taire, en ce que, à peu près au milieu de la barre assez étendue qui sépare la canine de la première 
molaire, on trouve une alvéole petite, ronde, qui indique une première avant-molaire que l’on n’a 
jusqu'ici observée dans aucun Félien; après un intervalle encore assez marqué, viennent les trois 
molaires caractéristiques des Féliens, et qui ont surtout du rapport avec celles du Felis jubatus et du 
Lynæ. De Blainville dit que, dans ce Félien fossile, la forme générale du crâne, dans sa partie ver- 
tébrale, semble avoir plus de ressemblance avec une petite Panthère, la partie faciale avec le Lynx, 
et le système dentaire avec le Guépard: et il en conclut que ce Félien était une grande espèce de 
Guépard ayant quatre molaires en haut comme en bas, en passant ainsi encore davantage que celui-ci 
vers les Chiens : c’est pour cela que nous avons cru devoir en parler maintenant. 


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Fig. 75. — Chat du Nepaul. 


130 HISTOIRE NATURELLE. 


9me GENRE. — CHAT. FÆLIS. Linné, 4735. 
Systema naturæ, t. L. 


Felis, nom anciennement appliqué par les Latins à ce groupe générique. 


CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 


ne 42h; en totalité trente dents. Les incisives 

sur une même ligne à l'une et à l'autre mâchoire; les canines très-fortes; les nrolaires supérieures à 
tranchant lobé : les deux premières coniques, assez épaisses; lu troisième très-qrande, à trois lobes; 
la dernière tuberculeuse, et plus large que longue : les deux premières inférieures de chaque côté 
des deux mâächoires comprimées, simples, et la dernière à deux pointes. 

L'éte et museau arrondis; chanfrein court, légèrement arqué; arcades zygomatiques très-voùtées; 
machoires courtes. 

Langue couverte de papilles cornées, dont la pointe est dirigée en arrière, et étant très-rudes. 

Nez terminé par un mufle assez petit, avec les narines percées de côté et en dessous 

Oreilles assez courtes, droites, triangulaires. 

Papilles se contractant tantôt en ligne verticale, tantôt en cercle 

Jambes assez courtes relativement à la longueur du corps. 

Pieds de devant à cinq doigts : ceux de derrière à quatre seulement. 

Ongles des pieds antérieurs complétement rétractles, relevés dans le repos et couchés obliquement 
dans les intervalles des doigts. 

Queue plus ou moins longue; mais, en général, assez notablement développée. 

Gland des males couvert de petites papilles cornées. 

Pas de poches on de follicules aux environs des organes de la génération et de l'anus, ce qui peut 
les distinguer des Hyènes. 

Patesüns très-courts. 


Système dentaire : incisives, À; canines, {Z\; molaires, =\;: 


Les Chats, dont le nom dérive de la dénomination de Catus, qui leur était jadis appliquée par les 
Romains, ainsi que celle de Felis, sont des animaux très-carnassiers, dont les mœurs et les habitudes 
sont très-intéressantes à étudier avec soin. C’est ce que nous ferons avec détail; mais, afin que l'on 
comprenne mieux ce que nous aurons à dire de leur conformation extérieure et de leur manière d’être 
qui doit en résulter, nous croyons devoir commencer leur histoire en indiquant les principaux traits 
de leur organisation intérieure, c’est-à-dire plus principalement de leur charpente osseuse et de leur 
système odontologique, d'où l’on pourra plus facilement déduire leurs mœurs remarquables. 

Un assez grand nombre d’auteurs ont donné une description plus on moins détaillée du squelette 
du Lion, qui depuis longtemps a été pris pour type du groupe naturel des Chats; mais le plus sonvent 
cette description a été faite d’une manière plus comparative qu'absolue. Dès 1559, R. Colombo, et 
plus tard Scaliger, en 1599, A. Severino, en 1645, et Th. Bartholin, en 1656, relevèrent, comme 
erronée, l’assertion d’Aristote, que les os du Lion, pleins ou sans une cavité médullaire, étaient as- 
sez durs pour faire feu avec le briquet, et que son cou n’était formé que d’un seul os. Les anatomistes 
de l’ancienne Académie des Sciences, en 1667, réfutèrent la même opinion du célèbre naturaliste grec, 
et démontrérent, dans la structure des deux dernières phalanges, la disposition propre à loger celle 
qui porte l'ongle en dehors de celle avec laquelle elle s'articule. Peu d’années après, Laurent Volfsti- 
negel, en 1670, reprit le sujet d’une manière plus complète; aussi fit-1l connaître la clavicule, le trou 
dont ie condyle interne de l'humérus est percé, et même les os sésamoïdes qui existent dans les ten- 
dons d’origine des gastrocnémiens. Depuis lors, l'occasion de disséquer le Lion s'étant présentée, on 
eut la possibilité de faire connaître un grand nombre de particularités du squelette de cet animal; 
nous citerons seulement les importants travaux de Daubenton, insérés dans l'Histoire naturelle de 
Buffon, l' Anatomie comparée et les Ossements fossiles de G. Cuvier, les travaux généraux de Meckel et 
ceux de MM. Pander et D'Alton; enfin, l'Ostéographie, fascicule des Felis, de De Blainville, dans 


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*2sset2 2p sua") 


CARNASSIERS. 131 


laquelle nous trouvons de nombreux détails que nous indiquerons en grande partie dans cet ou- 
vrage. 


Fig. 74 — Lion de Tunis. 


La nature du tissu osseux du Lion est assez dense, assez serrée, pour que la graisse n'y pénètre et 
ne s'y dépose qu'avec difficulté; en sorte que ces os, aussitôt qu’ils sont dépouillés de leurs chairs, 
et presque sans macération, par la seule dessiccation à l'air, deviennent remarquablement blanes. Les 
extrémités articulaires des os du squelette des Lions, et des os du genre Chat en général, offrent, plus 
que dans d’autres Carnassiers, les saillies en enfoncements par lesquels elles se correspondent, plus 
dégagées, plus étroites et peut-être même plus profondes; en sorte que, le système ligamentaire ai- 
dant, le jeu des pièces doit être plus limité dans les directions déterminées de flexion et d'extension. 
Les apophyses, les tubérosités, les crêtes, les lignes d'insertion, sont aussi plus saillantes, plus pro- 
noncées, et les fibro-cartilages sont d'un tissu plus dense, plus serré, plus élastique peut-être que 
dans les autres Carnassiers. Le nombre des os du squelette ne diffère guère de celui des Viverras, en 
général, et est assez considérable. 

Le nombre total des vertèbres est de cinquante-trois, dont quatre céphaliques, sept cervicales, 
treize dorsales, sept lombaires, trois sacrées, et dix-neuf coccygiennes. La tête du Lion est tout à 
fait caractéristique, et ne peut être que très-difficilement assimilée à celle d'un autre Carnassier, 
surtout à cause de la brièveté et de la largeur de la face, et aussi par suite de celle de la boîte crà- 
nienne et de l'élargissement de l’arcade qui joint ces deux parties en dehors. Les vertèbres cépha- 
liques suivent nécessairement cette forme générale; ainsi, Poccipital se fait remarquer par la largeur 
de son apophyse basilaire, la saillie et l’évasement en dehors de ses condyles, la petitesse de son 
apophyse mastoïde, moindre que celle du temporal, et surtout par l'élévation et la forme triquètre 
de l’occipital supérieur, se projetant obliquement en arrière et constituant presque entièrement l'a- 
pophyse occipitale, avec un interpariétal plus ou moins prononcé dans le jeune âge, mais toujours 
en avant du tubercule de jonction des deux erêtes. La vertèbre pariétale, plus courte dans son corps 
que la basilaire, et même que la frontale, s’élargit à droite et à gauche en des apophyses ptérygoïdes 
largement canaliculées, et remonte, en formant des ailes larges et assez élevées, jusqu’à l'angle tron- 
qué d'un pariétal presque quadrilatère, et se portent en arrière pour joindre l’interpariétal et l'occi- 
put. La vertèbre sphéno-frontale étroite, mais assez longue dans son corps basilaire, caché qu'il est 
par les ptéroïdiens, se dilate au delà en ailes assez considérables qui, vers le milieu de la fosse, et 
en s’avançant fort peu dans l'orbite, se joignent assez largement au frontal. Celui-ci, séparé dans sa 
longueur, en deux parties presque égales, par une apophyse frontale assez saillante, n’est guère plus 
rétréci en arrière de celle-ci qu'échancré en avant par le rebord de l'orbite assez avancé. Enfin, la vertè- 


132 HISTOIRE NATURELLE. 


bre voméro-nasale, courte, mais large dans son corps vomérien, est close en dessus par deux os du nez, 
triangulaires, assez courts, fortement courbés dans leur largeur et se terminant largement en avant par 
un rebord légèrement ettrès-inégalement échancré. La mâchoire supérieure se joint d’une manière aussi 
large que solide à la tête; le palatin postérieur est en lame triangulaire; le palatin antérieur est très- 
grand, comme ployé, à angle droit et arrondi pour former deux parties presque égales; le lacrymal est 
presque quadrangulaire, irrégulier; le zygomatique est de forme losangique; le maxillaire est très-court; 
los incisif est, au contraire, proportionnellement grand. L'appendice de la mâchoire inférieure com- 
mence aussi à la tête par une masse temporale très-solidement intercalée aux vertèbres occipitale et parié- 
tale. Le rocher est très-petit, triquètre, etle mastoïdien épais, également triquètre, terminé inférieure- 
ment par une partie arrondie assez petite. Les osselets de l’ouïe sont grands : l'étrier pyramidal à pla- 
tine allongée; le lenticulaire assez long; l'enclume très-épaisse, avec deux bras égaux, divergents; le 
marteau est très-étendu par la longueur de son col large, et il offre des apophyses bien prononcées, et 
un manche spatulé à l'extrémité; la caisse qui les contient est très-considérable, bulleuse, ovale, ar- 
rondie, et occupe la longueur du rocher. Le squammeux, assez étendu, donne naissance, à son 
extrémité antérieure et externe, à une énorme apophyse zygomatique. La mâchoire inférieure est 
forte, épaisse, peu courbée, presque droite; son condyle est sessile, transverse, plus épais en dedans 
qu'en dehors, s'élevant à peine au-dessus du niveau de la série alvéolaire, et avec une apophyse co- 
ronoïde assez large et assez recourbée sur ses deux bords, et surtout fortement excavée à sa face 
externe. Si l’on considère la tête entière du Lion, on peut voir que l'angle facial, par suite de la 
brièveté des mâchoires, est assez considérable, puisqu'il s'élève au moins à quarante-cinq degrés, que 
la série vertébrale céphalique est à peine arquée inférieurement, tandis que le chanfrein, produit 
par la succession de leurs arcs, est, au contraire, assez fortement et régulièrement convexe, malgré 
l'espèce d'interruption que forme en arrière la grande saillie de la crête occipitale, le plus haut point 
étant à peu près au bord postérieur des orbites, avec un aplatissement presque concave du front. La 
cavité cérébrale est assez médiocre, à peu près arrondie : il en est de même des loges sensoriales. Les 
crêtes, les apophyses, d’où résultent les loges superficielles de la tête, sont plus marquées que dans 
aucun autre genre de Carnassiers, FHyène exceptée. Les trous nerveux et vasculaires sont nettement 
formules. Les condyles sont presque pédiculés, divergeant en V, et interceptant un orifice ovale, 
transverse où déprimé, dont le diamètre intérieur est à celui de la cavité cérébrale dans sa partie la 
plus large, comme 0",095 est à 0,08, tandis que, dans une tête d’Ours de même taille, il est de 
0,025 à 0,076. 


Les vertèbres cervicales sont proportionnellement plus courtes que dans la Civette, mais aussi plus 
larges et plus imbriquées; elles le sont même plus que dans l'Gurs, dont le cou est évidemment plus 
long. L'atlas, très-large, mais moins toutefois dans son corps que dans son are, est pourvu d'apophy- 
ses transverses, dilatées en ailes largement arrondies, mais peu recourbées en arrière. L’axis estencore 
plus considérable que dans les Viverras; son apophyse épineuse est cependant un peu moins voû 


CARNASSIERS. 133 


tée à son bord superieur, et elle est, au contraire, bien plus épaisse et plus triquètre à son extrémité 
postérieure pour l'attache du ligament jaune, en s’avançant beaucoup vlus sur la troisième ver- 
tèbre cervicale des trois intermédiaires; l'apophyse épineuse est presque nulle, et les apophyses 
transverses sont à peu près comme dans la Civette. La sixième est remarquable par son apophyse 
transverse, large, linguiforme, et la septième par cette même apophyse en tête de clou. Le corps des 
vertèbres dorsales est arrondi, d’abord d’égale longueur, puis croissant jusqu’à la dernière, avec 
l'apophyse épineuse large et haute. Les sept vertèbres lombaires sont presque carrées, assez longues, 
à corps croissant jusqu'à la septième : toutes sont pourvues d’une apophyse épineuse large, distante, 
assez élevée, et d’apophyses transverses augmentant en grandeur de la première à la dernière. Les 
trois vertèbres sacrées sont petites, un peu en coin. Des vertèbres coccygiennes, les six premières 
sont complètes, c'est-à-dire avec un arc articulé, des apophyses transverses médiocres, et un os en 
V prononcé : au delà, elles s’allongent graduellement jusqu'à ce qu’elles décroissent peu à peu et 
finissent par ne plus offrir que cinq tubereules à la base antérieure. 


Fig. 76. — Jaguar d'Amérique. 


Les côtes, au nombre de treize paires, sont larges à leur articulation supérieure, d'autant plus 
qu’elles sont plus antérieures, puis fortement comprimées d'arrière en avant, et, enfin, élargies de 
nouveau, mais en sens inverse, et en même temps épineuses à leur extrémité sternale : elles dimi- 
nuent assez régulièrement de force de la première à la dernière, les neuf postérieures étant presque 
égales et arquées presque dans un sens. 

L'hyoide, au lieu d'être formé de neuf pièces comme à l'ordinaire, n’en a seulement que sept par 
suite de absence de deux aux grandes cornes : le corps est transverse, étroit: la paire de cornes 
antérieures est composée de deux articles terminaux, et les cornes postérieures n’ont qu'un seul 
article. 

Les pièces du sternum, au nombre de huit, sont assez courtes, épaisses, presque tétragonales, 
plus arrondies en dessous qu'en dessus, et assez élargies à leurs extrémités. Le manubrium est très- 


134 HISTOIRE NATURELLE. 


court; le xiphoïde assez long dans sa partie osseuse, et se dilatant vers sa terminaison pour se join- 
dre à la partie cartilagineuse en forme de spatule. Les cartilages sternaux, au nombre de neuf, sont 
médioerement longs, assez forts, dilatés en sens opposé à leurs extrémités. Le thorax, qui résulte 
de la réunion des treize vertèbres dorsales, des huit vertèbres et des treize côtes sternales et aster- 
nales, a une forme assez conique, pyramidale, un peu plus comprimée en avant que dans les Viver- 
ras, et ouverte assez largement vers les hypocondres. 

Aux membres antérieurs, lomoplate est grande, comme rectangulaire, très-arrondie et étendue 
dans tout son bord antérieur, de manière à former une fosse supérieure plus grande que l'inférieure; 
la crête est complète, très-élevée; la cavité glénoïde un peu arquée. ovalaire, assez large, peu pro- 
fonde. La clavicule est manifeste, quoique assez loin d’être complète et articulée : elle est fortement 
comprimée, couchée sur son plat, et dilatée à son extrémité seapulaire. L'humérus, fort et robuste, 
égale en longueur celle du corps des huit ou neuf vertèbres dorsales; il est assez droit, à tête presque 
sessile. Le radius, un peu arqué dans son corps, est surtout remarquable par sa forme large et apla- 
tie dans toute son étendue. Le cubitus est légèrement courbé, aplati en haut, presque triquêtre. La 
main est notablement plus courte que l’avant-bras, quoiqu'elle soit encore assez large et assez puis- 
sante. Le carpe, formé de sept os, offre comme particularité remarquable que le scaphoïde, très- 
large, est pourvu, à sa partie inférieure, d’une apophyse fort saillante, et comme tronquée à son ex- 
trémité par une surface articulaire arrondie pour le sésamoïde du long abducteur : le trapézoïde est 
assez fort, même plus que le grand os, le plus petit de tous en dessus; le pysiforme est triangulaire. 
Le métacarpien du pouce est de forme un peu irrégulière, légèrement arqué, et coupé obliquement, les 
quatre autres métacarpiens sont assez arqués. Les phalanges de la main sont en général courtes 
et épaisses, et celles des trois sortes sont très-dissemblables : les premières un peu arquées, con: 
vexes en dessus, plates en dessous, renflées et excavées obliquement, un peu en sabot bilobé à l'ex- 
trémité métacarpienne, et en poulie assez profonde, se prolongeant beaucoup en dessous à l'autre; 
les deuxièmes grèles, à corps triquètre ; les troisièmes, ou onguéales, croissant graduellement de 
la première à la cinquième, sont fortes, beaucoup plus hautes qu'épaisses et que longues, pour- 
vues, inférieurement, d’une sorte de talon qui s'abaisse en s’élargissant pour soutenir la pelote de 
chaque doigt, tandis que supérieurement elles sont arrondies à leur angle; elles sont très-minces, 
arquées, coupantes, et presque entièrement cachées en forme de languette dans une large excava- 
tion formée par une sorte de capuchon basilaire, prenant naissance de chaque côté de la partie infé- 
rieure : c’est cette espèce de capuchon qui sert de gaine à la base de l'angle recouvrant la languette, 
et qui donne à celui-ci la possibilité d’être renversé en dehors de la seconde phalange, la pointe en 
l'air, dans l'état de repos. 

Les membres postérieurs sont plus longs que les antérieurs. L’os innominé égale en longueur le corps 
des neuf premières vertèbres dorsales, à iléon assez large, à ischion très-large également dans sa tubéro- 
sité : la symphyse pubienne est remarquablement longue, et la cavité cotyloïde circulaire, médiocre. Le 
fémur est court, légèrement courbé, aplati obliquement; la tête est assez petite, et l'extrémité iuférieure 
assez large. Le tibia est triquètre, et paraît court, à cause de son épaisseur. Le péroné est tout à fait 
droit, mince, tranchant, presque lamelleux dans la plus grande partie de son bord interne, et dilaté 
également à ses deux extrémités. Le pied est en totalité au moins aussi long que la jambe, et ce 
grand allongement est dû surtout à celui des métatarsiens. L'astragale est assez étroit, à tête scaphoi- 
dienne portée sur un cou allongé. Le calcanéum est allongé, comprimé, à tubérosité très-oblique. Le 
seaphoïde est assez épais, en rapport avec les trois cunéiformes. Les métatarsiens, au nombre de 
quatre seulement complets, croissent de l'indicateur au médius, et décroissent de celui-ci à l'auricu- 
laire, ils tendent à s'imbriquer de l'extrémité métatarsienne de dedans en dehors; ils sont longs, 
assez arqués, arrondis dans leur corps, et à tête antérieure un peu étranglée : le métatarsien du pouce 
n’est représenté que par un petit os ovale, comprimé, un peu onguiforme, tranchant au dos, et cana- 
liculé en dessous, articulé à sa base avee le premier cunéiforme. Les phalanges sont analogues à celles 
de la main. 

Les os sésamoïdes sont plus solides et plus nettement circonscrits que dans les autres Carnassiers, 
mais ils ne sont pas plus nombreux. Ainsi, aux membres antérieurs, on ne trouve toujours que celui 
du long abducteur du pouce, qui est semi-globuleux, et les deux sousposés à l'articulation de cha- 
que os du métacarpe avec la première phalange. et ces os ont la forme d’une sorte de grosse graine. 


CARNASSIERS, 59 


Aux membres postérieurs, la rotule est ovale, aplatie, plus large, et arrondie supérieurement, atté- 
nuée, et même assez pointue inférieurement. Il y a des sésamoïdes dans les tendons d'attache des 
museles gastroenémiens et du muscle poplité; enfin, il y en a dans les gaînes des tendons des fléchis- 
seurs des orteils. Ces os varient peu dans les differentes espèces du même genre; aussi n'y revien- 
drons-nous pas plus tard. 

L'os du pénis, qui n'existe pas chez tous les Chats, se trouve dans le Lion; il n’a que sept milli- 
mètres de longueur sur deux tout au plus d'épaissenr dans son milieu : 1l est assez grêle, allongé, 
renflé en massue aplatie à son extrémité postérieure. 

Les différences individuelles du squelette du Lion produites par leur patrie différente sont trop 
peu marquées pour que nous nous en occupions; il n’en est pas tout à fait de même relativement aux 
particularités sexuelles, et il semble que les femelles ont la tête en totalité plus courte que les mâles, 
et cela dans ses deux parties, d’où il résulte que la courbure du chanfrein, et même de la ligne pa- 
lato-basilaire, est plus marquée, surtout parce que l’apophyse occipitale, moins forte, s'élève moins 
et se prolonge moins en arrière; l'arcade zygomatique est aussi plus courte et plus arquée, etc. 

Passant aux différences que les espèces de Felis peuvent présenter dans leur squelette, De Blain- 
ville fait observer que le nombre des os étant toujours rigoureusement le même, la dissemblance ne 
pourra porter que sur les proportions des parties et un peu sur la forme. Sans nous occuper de tou- 
tes les espèces indiquées, sous ce rapport, dans l'Ostéographie, nous allons signaler seulement les 
principales, et encore nous ne parlerons que des différences que l'on peut remarquer dans l'ostéologie 
de la tête. 

Dans la tête du Tigre (Felis tigris), il y a plus d'étroitesse dans toute la partie vertébrale, et par 
suite dans la crête occipitale se prolongeant davantage en arrière, ainsi que plus de détachement des 
condyles; puis une sorte de soulèvement du chanfrein entre les orbites, et par suite la convexité du 
front dans les deux sens et la déclivité des os du nez, qui sont aussi plus étroits, plus allongés, plus 
parallélogrammiques, le lobe inférieur de leur bord libre étant plus prolongé et plus détaché, d’où il 
résulte une ouverture nasale plus petite et plus étroite, en rapport avec une sorte de pincement de la 
branche montante du maxillaire. La forme du bord palatin est en pointe médiane, sans échancrure; 
l'arcade zygomatique a plus de tendance à s’écarter, à angle droit, et l’apophyse coronoïde de la 
mandibule s'abaisse plus en arrière. 

Le Jaguar (Felis onca) présente encore une sorte d’arqüre plus prononcée dans son chanfrein, et 
le point le plus saillant de la courbe est plus reculé que dans le Tigre, en sorte que la déclivité du 
front et du nez est encore plus prononcée, plus rapide, plus étendue, et que le crâne est plus court : 
les autres différences sont intermédiaires à ce qu'elles sont dans le Tigre et dans la Panthère. 

Dans celle-ci, la taille est un peu moindre; la forme du chanfrein est assez doucement arquée, avec 
l’espace fronto-orbitaire aplati transversalement ou fort peu convexe: les apophyses postorbitaires 
sont médiocres et assez arquées; les os du nez sont étroits, peu profondément échancrés à leur termi- 
naisou; le bord palatin est relevé en pointe dans son milieu, et d’autres fois échancré, et les apo- 
physes ptérygoïdes sont longues et gréles. 

Dans les espèces de taille moyenne ou petite, on trouve plus de différence avec l'espèce type. 
C’est ainsi que dans le Felis planiceps, outre l'allongement de la tête dans ses deux parties, qui rap- 
pelle assez celle d’une Genette, on doit remarquer l’aplatissement du front, de forme losangique ré- 
gulière, le nez assez pincé, etc. 

La tête du Felis Javanensis est sensiblement moins allongée : il en est à peu près de même de 
celles des Felis Sumatrana et rubiginosa. 

Chez l'Ocelot (Felis pardalis), le front est plus bombé, non canaliculé à l'origine du nez, qui est 
assez pincé : mais, du reste, cette tête ressemble à celle du Serval, quoiqu'elle soit plus grande. 

La tête osseuse du Gougouar (Felis concolor) peut être assez bien comparée à celle de la Panthère; 
elle montre, pour différences principales, un front moins large, mais plus soulevé, plus convexe, un 
museau plus court et plus rapidement déclive, et par conséquent des os du nez moins allongés, et la 
branche montante du maxillaire plus large et plus courte. 

Dans notre Chat d'Europe (Felis catus), tant à l'état sauvage qu’à l'état domestique, la tête est 
bombée dans les deux sens, et arquée surtout dans sa partie frontale; les os du nez sont assez arron- 
dis en spatule à leur origine, et forment cependant un nez assez pincé; les orbites sont presque or- 


156 HISTOIRE NATURELLE. 


biculaires, avec les apophyses de leur cadre assez rapprochées; le bord palatin est large, et l'apo- 
physe médiane peu prononcée. Les Felis Bengalensis, caligata, torquata et Cafra se rapprochent 
beaucoup du Felis catus par la conformation de la tête osseuse, et il en est à peu près de même du 
Felis chaus. 

Le Chat domestique, dont nous venons de dire quelques mots sous le rapport de l'ostéologie, à été 
étudié par M. Straus-Durekein sous tous les points de vue de son organisme ; nous renvoyons nos 
lecteurs au consciencieux ouvrage de cet auteur. 


Fig. 77. — Chat ganté. 


Chez les Chats de la division des Lynx, dout on a proposé de former un genre particulier, il y à 
aussi quelques différences ostéologiques appréciables que nous indiquerons dans un article spécial: 
il en est de même du Guépard, dont nous nous sommes déjà occupé en particulier. 

Les muscles sont très-développés, et disposés dans le but de permettre aux Chats d'exécuter des 
sauts brusques et considérables comme pourrait le faire une sorte de ressort. Toutes les puissances 
musculaires qui doivent exécuter les mouvements pour lesquels le tronc est entièrement disposé sont 
proportionnellement développées; aussi les muscles qui déterminent la flexion du tronc, comme le long 
cou, le petit psoas, le carré des lombes, ete., sont-ils assez forts, quoique beaucoup moins que les 
extenseurs de la colonne vertébrale. En effet, Le long dorsal, le multifidus, les muscles postérieurs du 
cou qui suppléent à la petitesse du ligament cervical, et spécialement les complexus, sont extrème- 
ment épais; l’oblique inférieur de la tête est réellement énorme, et, en général, tous les muscles qui 
s’attachent à la crête occipitale et qui soutiennent la tête de l'animal, quand il emporte sa proie, sont 
très-forts. C’est ce qui rend le cou de ces animaux si gros et si rond. 

Tous les muscles des membres antérieurs sont en rapport avec la disposition du squelette. Ainsi 
les muscles de l'épaule, les abducteurs surtout, sont très-peu développés. Dans les muscles du bros, 


#: 


L 
A 


UT 


Chiens de chasse 


PI. 18 


CARNASSIERS. 157 


les extenseurs sont très-puissants; dans ceux de l’avant-bras, les fléchisseurs du carpe sont très-forts, 
surtout le cubitus antérieur, parce que ce sont eux qui appliquent la griffe. Les fléchisseurs des 
doigts sont dans le même cas, mais ils sont peu séparés et distincts entre eux, devant agir dans le 
même but, et tous à la fois; les interosseux sont remarquables par leur grande épaisseur; et, en ef- 
fet, ce sont eux qui, écartant les doigts, dont les ligaments transversaux sont peu serrés, élargissent 
la surface de la griffe. La proportion des muscles des membres postérieurs dénote leur principal 
usage, celui de permettre à ces organes de se déployer subitement; les muscles fléchisseurs, et sur- 
tout les muscles extenseurs, sont très-prononcés, ce qui rend la cuisse plate, large, collée contre le 
tronc; les gastrocnémiens sont très-forts, remontent très-haut à la cuisse, et se terminent à un calca- 
néum très-saillant, 


Fig. 78. — Chat à longue queue. 


C'est dans la disposition à la flexion des membres, et surtout des postérieurs, ainsi que dans 
l'existence de pelotes très-prononcées qui sont sous les pattes, que se trouve l'explication du fait 
observé que les Chats peuvent tomber de très-haut sans se blesser. C’est, au contraire, la disposition 
de leurs ongles qui leur permet de grimper aisément, mais non de descendre ou au moins de les for- 
cer à descendre en arrière, c’est-à-dire en s’accrochant. 

Nous devons revenir maintenant sur une particularité dont nous avons déjà dit quelques mots, 
principalement à l'occasion de l’ostéologie, et qui est des plus remarquables. Nous voulons parler de 
l'habitude qu'ont les Chats de se jeter brusquement sur leur proie, et de la retenir au moyen d'on- 
gles fort aigus, faisant l'office de crochets. Il était essentiel que ces ongles ne pussent user la pointe 
acérée qui les termine, et qu’en même temps ils fussent solidement et profondément implantés, afin que 
les efforts de la proie qui se débat ne pussent les arracher. Il fallait, en même temps, que la griffe 
pûts’étendre le plus possible, afin de mieux saisir et de retenir sa proie. Pour obtenir le premier point, 

ce 48 


158 HISTOIRE NATURELLE. 


c'est-à-dire afin d'empêcher qu'ils ne s’usassent par la pointe, et qu'ils fissent l'office de grappin, il 
fallait qu'ils ne servissent que dans le moment où l'animal se jette sur sa proie, et que, dans la mar- 
che, ils pussent être relevés et conservés dans une sorte de gaîne ou d’étui. Pour cela, ils ont été dis- 
posés de manière que, dans l’état de repos, ils ne sont pas à l'extrémité des dernières phalanges, 
comme dans les autres animaux, mais presque à côté, ce qui rend la patte de ces animaux très-courte. 
Aussi les dernières phalanges sont-elles comme tordues, ou mieux fortement excavées à leur côté in- 
terne; et la troisième phalange, dans l'état de repos, se renverse-t-elle de manière à ce que son dos 
se loge dans cette excavation, et qu'alors la pointe soit en l'air. Par cette disposition, l’ongle ne peut 
toucher la terre, et, en outre, l'animal appuie l'extrémité de ses membres sur une grosse pelote qui 
occupe le milieu de la patte, et sur d’autres plus petites qui correspondent à l'articulation des derniè- 
res phalanges. Dans l'état d'activité, il n’en est pas ainsi; la phalange onguéale, et par conséquent 
l'ongle qu'elle porte, et quine la dépasse guère, est fortement abaissée par les muscles fléchisseurs des 
doigts, et pénètre plus ou moins profondément dans la proie; mais, pour revenir à son état de repos, 
il n'est pas besoin d’eiforts musculaires, et ils sont suppléés par l'emploi d'un ligament jaune ou 
élastique. En effet, outre les ligaments ordinaires des deux dernières phalanges, qui existent à peu 
près comme dans les autres Mammifères, on trouve plusieurs ligaments élastiques, l'un en dehors, 
l’autre en dedans, et un troisième au-dessus, qui se portent de la tête antérieure de la première pha- 
lange à la racine de la troisième, et qui deviennent trop courts quand les fléchisseurs l'abaissent, et 
sont, par conséquent, tiraillés; aussi, à peine l’action de ceux-ci est-elle finie, que, par leur élasti- 
cité, tendant à revenir à leur premier état, ils entrainent avec eux la phalange onguéale, et par con- 
séquent l'ongle qu’elle porte, dans sa première situation. Cet ongle est encore enveloppé dans une 
sorte de gaine, formée par la peau, de manière à être à l'abri du contact de tout corps extérieur. 
C'est de tout cet appareil, que nous avons cru devoir expliquer, que l'on entend parler quand, en 
zoologie, on dit des ongles rétractiles. 

Les organes de la digestion offrent toutes les conditions les plus favorables pour une nourriture 
animale et vivante. L'organisation de la tête dénote le régime diététique de ces animaux : nous ne 
reviendrons pas sur ce que nous en avons déjà dit, et nous nous bornerons à ajouter que l'ensemble 
de l’appareil masticateur est excessivement fort. 

Par la disposition des dents, on voit que les Chats ne sont pas faits, comme les Chiens, pour ron- 
ger de la chair, ni même pour la mâcher, et à plus forte raison pour ronger des os, et qu'ils sont dis- 
posés pour la déchirer et l'avaler sans presque la mâcher. Les incisives sont très-petites, presque en- 
tièrement cachées par le grand développement des canines, qui sont de véritables crochets dans leur 
forme et dans leur usage; enfin, les molaires ne justifient pas ce nom; elles sont comprimées, tran- 
chantes et dentelées comme une scie; au lieu de se toucher par leur couronne, elles se correspondent 
par leur face à la manière des lames de ciseaux, ce qui provient de ce que la mâchoire inférieure, 
beaucoup plus étroite que la mâchoire supérieure, place les dents dont elle est armée en dedans 
de celles de la supérieure; aussi, les mouvements d’abaissement et d’élévation sont presque les seuls 
permis, ce qui dépend aussi de la disposition du condyle de la mâchoire inférieure, qui est entière- 
meut transversal, et joue dans une racine horizontale du temporal; les molaires elles-mêmes déno- 
tent donc la carnivorité de ces Mammifères. 

Mais l'appareil dentaire est trop important chez ces animaux pour que nous nous bornions au peu 
de mots que nous venons d'en dire. Beaucoup d’anatomistes et de zoologistes s’en sont occupés : nous 
citerons principalement, en France, Daubenton, G. et Fr. Cuvier et De Blainville, et c’est d’après ce 
dernier que nous allons en donner une description détaillée. 

Dans le Lion, pris pour type de ce genre naturel, les incisives sont en même nombre que dans les 
autres espèces de Chats, et même que dans tous les Carnassiers, c’est-à-dire qu’il y en à trois paires 
parfaitement rangées en haut comme en bas. L'externe est toujours un peu plus forte que les deux 
autres, dont interne est la plus petite, avec le bord tranchant de la couronne indivis, et pourvu, en 
arrière, d’un talon d'arrêt supérieurement, et inégalement bilobé inférieurement. Ces dents sont 
disposées de la manière la plus serrée et la plus rectiligne possible; et elles sont très-petites. 

Les canines, comme chez les Carnassiers en général, sont au nombre de deux à chaque mâchoire. 
Elles sont remarquables par leur force et par leur forme; celles d'en bas croisant d'une manière 
très-serrée celles d'en haut, et leur racine étant au moins aussi longue que leur couronne, qui est 


CARNASSIERS. 139 


toujours un peu plus plate dans leur iers interne qu'aux deux tiers externes, avec une carène plus ou 
moins marquée, principalement en arrière, séparant ces deux parties. La supérieure diffère de l’in- 
férieure en ce qu'elle est un peu plus comprimée, plus longue, plus arquée, et que la dernière est 
plus en crochet et quelquefois avec un seul crochet au côté externe. 

Les molaires, qui ne sont qu'au nombre de quatre de chaque côté à la mâchoire supérieure, et de 
trois seulement à l'inférieure, croisent les carnassières de dehors en dedans, l’inférieure se plaçant 
en dedans de la supérieure; la dernière supérieure ne correspondant à rien, parce que la dernière 
molaire inférieure n’a pas de talon. Les molaires supérieures se subdivisent en une avant-molaire, 
une principale et deux arrière-molaires. L'avant-molaire est proportionnellement très-petite, à une 
seule racine à couronne simple, presque mousse. La principale est plus grande, triangulaire à la cou- 
ronne, à sommet presque médian et peu pointu, pourvue en avant d’un tubercule basilaire peu mar- 
qué, et de deux en arrière. La première arrière molaire ou carnassière supérieure est la plus grosse 
de toutes et tout à fait caractéristique : elle est formée d’une pointe presque médiane, tranchante, 
avec un lobe conique à la base antérieure, et, en arrière, un lobe beaucoup plus étendu, tranchant, 
bilobé, s’écartant en une sorte d’aile postérieure. La seconde arrière-molaire ou transverse, la plus 
petite des quatre, est entièrement tuberculeuse, disposée transversalement et à couronne bilobée, à 
lobe externe un peu plus large que l’interne. Les molaires de la mâchoire inférieure comprennent 
une principale et deux arrière-molaires. La principale, qui vient après une bosse assez marquée, est 
un peu, comme en baut, triangulaire, comprimée, avec un talon basilaire en avant, et un talon grand, 
presque bilobé, en arrière. La première arrière-molaire a la même forme, et est seulement plus 
grande. La seconde arrière-molaire ou carnassière inférieure est caractéristique : elle est très-mince, 
assez élevée, et formée presque exclusivement de deux lobes tranchants, nettement séparés par 
une échancrure plus ou moins profonde : et cette dent est toujours très-serrée contre la précédente, 
au point quelquefois de la dépasser en dedans d’une manière assez marquée. 

Les différences odontologiques individuelles étudiées dans le Lion sont assez marquées. 

L'âge apporte, au contraire, des changements considérables dans le système dentaire; à trois mois 
toutes les dents de lait sont sorties. Supérieurement, les incisives sont disposées en cercles, assez sem- 
blables à celles de l'adulte. Les canines sont peu comprimées, plus courtes, plus en crochet, sans trace 
de cannelures. Il n’y a que trois molaires : une avant-molaire très-petite, à couronne épaisse et 
mousse; une principale, soutenue par deux racines divergentes, grosse, très-large, tranchante, pour- 
vue à son bord d’une pointe médiane entre deux lobes presque égaux; et, enfin, une arrière-molaire 
grosse, transverse, arrondie, aplatie à la couronne, avec deux racines obliques. Inférieurement, les 
incisives sont disposées presque transversalement, et elles ne sont pas plus lobées que les supé- 
rieures. Les canines sont larges, plates, lisses à la couronne, avec un petit crochet d'arrêt au côte 
interne du collet. Il n’y a que deux molaires : une principale à deux racines inégales, à couronne 
presque de même forme que dans l'adulte, et une arrière-molaire ou carnassière à deux lobes tran- 
chants, avec le talon postérieur très-prononcé. Dans un autre degré de développement de ce système 
dentaire, les incisives d’adulte ont remplacé cellés de lait, les canines d'adulte ont poussé de manière 
que pendantun certain laps de temps ces animaux les ont doubles, et danslequel les molaires offrent 
des particularités assez curieuses. 

Relativement à la considération des racines qui soutiennent les dents, les incisives et les canines 
ne présentent rien de particulier : il n’en est pas tout à fait de même des molaires. À la mâchoire su- 
périeure, l’avant-molaire n’a qu’une seule racine; dans quelques espèces de Chats, elle en présente 
tantôt deux, tantôt trois; la principale en a deux; la première arrière-molaire est la seule qui en 
offre trois, et la seconde arrière-molaire n’en a qu'une seule. À la mâchoire inférieure, les trois 
molaires ont, comme chez tous les Carnassiers, deux seules racines. 

Les alvéoles sont nécessairement en rapport de nombre. de grandeur et de proportion avec les 
racines qui portent la couronne; et, d’après la disposition des racines, on comprendra pourquoi il 
n'yen a qu'un petit nombre sur le bord des mâchoires. Ainsi, supérieurement, après les trois trous 
ovales, serrés en ligne droite, et celui beaucoup plus grand, orbiculaire, de la canine, on voit une 
série externe de cinq trous qui vont en croissant d'avant en arrière, très-éloignés; et inférieurement 
les alvéoles sont, comme à l'ordinaire, beaucoup plus simples, puisque après les trois premières, 
petites, étroites, serrées sur le même rang, qui suit immédiatement celle de la canine, puis une barre 


140 HISTOIRE NATURELLE. 
assez considérable, viennent six trous groupés deux à deux, le dernier bien plus petit que lavant- 
dernier. 

La forme de chacune des dents des espèces du genre Chat varie peut-être encore moins que leur 
nombre; toutefois c'est d'après des considérations d'assez peu d'importance, tirées de ces deux par- 
ticularités, que sont fondés les deux genres Guépard et Lynx, dont nous parlerons séparément. Dans 
les espèces de véritables Felis, on a aussi quelques différences à signaler. D'une manière très-géné- 
rale, on peut encore apercevoir quelques nuances différentielles dans le nombre et la profondeur des 
cannelures dont les canines sont sillonnées, ainsi que dans la proportion de Favant-molaire supé- 
rieure, et surtout dans le nombre de ses racines, qui est de deux dans le Felis planiceps ; dans la 
forme et la proportion de la dent tuberculeuse d'en haut; et, enfin, dans la proportion du rudiment 
de talon qui existe quelquefois au bord postérieur de la carnassière d'en bas. En effet, dans le Tigre, 
par exemple, on peut remarquer au-dessus du rudiment presque effacé du talon une petite échan- 
crure au-dessous de laquelle le bord de la dent se dilate en un petit lobe très-mince. Enfin, une 
particularité à noter, c'est que les canines, déjà très-grandes dans les Chats vivants, sont parfois 
énormes dans certaines espèces fossiles, telles que les Felis smilodon et megantereon dont on de- 
vrait peut-être faire un groupe distinct. 

Le reste de l'appareil digestif est parfaitement en rapport avec la disposition des organes de la 
mastication; aussi la brièveté proportionnelle, l'étroitesse du canal intestinal, sont-ils remarquables; 
ce qui donne au ventre de ces animaux une maigreur presque constante, et une arqüre en sens in- 
verse de ce qui a lieu chez les herbivores, par exemple. 

L’estomac, en général peu développé, assez court, n'offre qu'un très-petit cul-de-sac splénique; 
il n'a presque aucun repli à l’intérieur : le pylore est peu épais ; l'insertion des canaux hépatiques 
se fait très-près de l’orifice gauche de l'estomac : l'intestin est surtout extrêmement grêle et court, 
au point qu'il serait quelquefois assez difficile de distinguer l'intestin grêle du gros intestin, s'il n°y 
avait un rudiment de cœcum très-petit qui les sépare. De chaque côté de l'anus est une glande ou 
un amas de cryptes muqueux qui sécrètent une sorte de matière sébacée très-odorante, ce qui donne 
aux excréments de ces animaux une odeur si pénétrante, qu'ils sont obligés de les enfouir, très- 
probablement pour qu'ils ne viennent pas indiquer leur présence aux animaux qui doivent leur servir 
de proie. 

La langue est hérissée de papilles cornées tellement dures, qu'elles déchirent la peau, même quand 
ces animaux se bornent à lécher leur proie. 

La petitesse des glandes salivaires explique la grande soif dont ces animaux sont presque toujours 
tourmentés. 

Comme la vie est en général très-active dans ces animaux, la respiration est très-nécessaire, et ils 
s’asphyxient aisément : la circulation est très- rapide, aussi le cœur est-il proportionnellement très- 
gros, et les artères ont-elles des parois très-épaisses. 

L'appareil de la dépuration urinaire semble être d’une grande importance chez ces Carnassiers, 
probablement à cause de leur nourriture purement animale; mais, du reste, il n'offre rien de bien 
remarquable : les reins sont grands, la vessie médiocre; leur urine se putréfie aisément et répand 
une odeur infecte qui les porte à uriner en cachette et à la recouvrir. 

Les organes de la génération ne présentent aucune particularité bien notable, que celle qui rend 
raison des cris que la femelle de plusieurs espèces jette pendant l'accouplement, et qui dénotent une 
grande douleur, il paraît que cela tient à des espèces d’épines ou de crochets dont l'organe pr incipal 
du mâle est armé. Les testicules sont assez petits, toujours extérieurs; il n'y a pas de vésicules sémi- 
nales, ce qui explique la longueur de l’accouplement. Les mâles se distinguent des femelles par une 
tête plus forte, plus large, plus arrondie, et par une taille généralement plus grande. Le nombre des 
manielles est de huit, et toutes sont ventrales. Chaque portée est composée d’un nombre assez con- 
sidérable de petits. 

La voix, dans les grandes espèces, est un bruit rauque très-fort, qui se change, dans les petites, 
en ce que l’on appelle le miauiement. Mais, outre ce cri, dont le caractère principal se retrouve chez 
les unes comme chez les autres, chaque espèce a plus ou moins la propriété de rendre des sons par- 
ticuliers, et qui n'appartiennent qu'à elle : c’est ainsi, pe exemple, que le Lion rugit d’une voix 
creuse et presque semblable à celle d'un Taureau; que le Jaguar aboie comme un C hien:; que le Chat 


CARNASSTERS. 141 


ordinaire miaule; que le cri de la Panthère ressemble au bruit d’une scie, ete. Tous font aussi en- 
tendre, pour exprimer leur satisfaction, un bruit particulier qu'on nomme ronron. 

Outre l'odeur désagréable de leurs excréments, ces animaux, lorsqu'ils sont en colère, répandent 
une odeur très-fétide. 

Le système nerveux est développé dans ses différentes parties proportionnellement à l'organe que 
chacune d'elles doit animer. Leur intelligence est habituellement moins grande que celle des Mammi- 
fères qui les précèdent dans la classification que nous suivons, ce qui vient probablement du peu de 
place que l'énorme développement de leurs mâchoires et des muscles de leur tête a laissé à la boîte cé- 
rébrale; quoique le cerveau, en lui-même, soit encore assez développé, surtout dans ses circonvolu- 
tions. Les nerfs de certaines parties du corps offrent assez de développement; c’est ainsi que ceux 
des membres sont très-gros dans les régions qui doivent imprimer un grand mouvement à l'animal. 


Fig. 79. — Chat d'Ansora. 


Leur vue paraît avoir une portée très-longue; mais ils voient également bien le jour et la nuit. 
Leur pupille se dilate et se resserre suivant la quantité de la lumière, et l'extrême sensibilité que 
montre cet organe tient probablement à la couleur généralement jaunätre de la choroïde. Chez quel- 
ques espèces, la pupille, en se resserrant, prend une forme allongée verticalement; chez d’autres, 
elle conserve constamment celle d’un disque. 

Le peu d’étendue du nez ne permet pas à ces animaux d’avoir un odorat très-fin; cependant ils 
consultent ce sens avec soin avant de manger, toutes les fois que quelque odeur vient les frapper, 
et dans leur premier mouvement d'inquiétude, lorsqu'ils en ignorent la cause. L’organe glanduleux 
qui entoure les narines est bien moins développé que celui que l’on remarque chez les Chiens. 

Relativement à l'organe du goût, nous avons déjà dit que la langue est revêtue de papilles cornées 
qui doivent en altérer les sensations. Aussi les Chats dévorent-ils plutôt qu'ils ne mangent; leur nour- 
iture ne semble leur produire d’impressions que lorsqu'elle est descendue dans l'estomac, tant ils 
mettent d'empressement à l’avaler; ils ne mâchent pas leurs aliments, à proprement parler, ils ne 


142 HISTOIRE NATURELLE. 


font que les découper en morceaux assez petits pour qu'ils puissent passer par l'æsophage, et ils mä- 
chent et avalent sans interrupüon, jusqu'à ce qu'ils soient repus. Ils tiennent leur proie entre leurs 
pattes de devant. [ls boivent en lapant, de même que les Chiens. 

Le sens de l'ouie est chez ces Carnassiers le plus perfectionné. La conque externe de l'oreille n’est 
cependant pas très-développée dans quelques espèces, quoiqu'elle le soit assez notablement dans 
d’autres : elle est mobile, son ouverture est très-grande, et elle est remplie de nombreuses sinuosités. 
La membrane et la caisse du tympan sont aussi très-étendues. C’est surtout par leur ouïe que les 
Chats se dirigent; le son le plus imperceptible pour homme ne l’est pas pour eux; et c’est, assure- 
t-on, au bruit des pas de leur proie qu'ils se dirigent à sa poursuite. 

Le toucher de toute la superficie du corps est très-sensible; les poils soyeux en sont l'organe exté- 
rieur; mais c’est surtout aux moustaches que cet organe à atteint sa plus grande délicatesse. Il parai- 
trait, dit Fr.Cuvier, que les Chats sont habitués à recevoir par ces longues soies de nombreuses impres- 
sions; Car, lorsqu'ils en sont privés, leurs mouvements, leurs actions, éprouvent un embarras remar- 
quable, qui ne se Ju que longtemps après. En outre, les pattes sont garnies en dessous de 
tubereules épais et élastiques qui contribuent à rendre si douce la marche de ces animaux : le plus 
grand, qui se trouve à la base des doigts, approche de la forme d’un trèfle; les autres sont elliptiques, 
et situés à l'extrémité de chaque doigt; près du poignet il y a un tubercule particulier, allongé, étroit, 
saillant, qui ressemble à un rudiment de doigt. 

Le pelage des Chats est généralement doux, ce qui fait que leur fourrure, recherchée depuis la 
plus haute antiquité, fournit une branche importante de commerce. Le plus grand nombre des es- 
pèces ont les deux sortes de poils : les laineux habituellement gris, et les soyeux formant souvent à 
l'animal une robe très-riche. Il y a des Chats dont le pelage est jaunâtre, d’autres l'ont gris, noir, 
fauve. Le Tigre a des bandes transversales noires; le Jaguar est couvert de taches en forme d’yeux; 
d’autres espèces ont des taches pleines, des bandes longitudinales, comme le Chat domestique, ou 
sont tiquetées par un mélange uniforme de deux couleurs différentes. Mais le plus habituellement le 
pelage des Chats a de la tendance à être varié. Une particularité des plus remarquables que présen- 
tent certaines espèces doit être notée : à l'âge adulte leur pelage est d’une couleur uniforme, tandis 
que les mêmes individus, dans leur jeune àge, portent une livrée composée de plusieurs couleurs. 
Chez quelques espèces, par exemple chez le Lion, on voit de fortes crinières chez l'adulte mäle; dans 
d'autres, et nous pourrions encore citer l'animal que nous venons de nommer, la queue se garnit à 
son extrémité d'une touffe épaisse. 

On n'ignore pas comment chez les Chats l'agitation de la queue indique souvent les passions qui 
animent l'animal. Lorsqu'ils sont contents, ils relèvent cet organe sur leur dos, tandis que, lorsque 
la colère les anime, ils le baissent et le font mouvoir latéralement de droite à gauche et avec force. 

Les mœurs des Chats ont été étudiées par plusieurs naturalistes. Qu'il me soit permis de rapporter 
ici ce qu'en dit Fr. Cuvier, qui, outre ce que lui en ont appris les récits des voyageurs, à été à même 
d'en chserver si longtemps un grand nombre d'espèces à la Ménagerie du Muséum. 

« Ces animaux sont Les plus carnassiers de tous les Mammifères: et, quoique répandus sur la surface 
presque entière du globe, leurs mœurs sont partout à peu près les mêmes. Doués d’une vigueur pro- 
digieuse, et pourvus des armes les plus puissantes, ils attaquent rarement les autres animaux à force 
ouverte; la ruse et l'astuce dirigent tous leurs mouvements, sont l'âme de toutes leurs actions. Mar- 
chant sans bruit, ils arrivent au lieu où l'espoir de trouver une proie les dirige, s’approchent en 
rampant de leur victime, se tapissent dans le silence, sans qu'aucun mouvement les décèle, ils 
attendent l'instant propice avec une patience que rien n'altère; puis, s’élançant tout à coup, ils tom- 
bent sur elle, la déchirent de leurs ongles, et assouvissent pour quelques heures la soif de sang 
qui les dévorait. Passasiés, ils se retirent au centre du domaine qu'ils ont choisi pour leur empire. 
Là, dans un profond sommeil, ils attendent que quelque besoin nouveau les presse encore d'en sortir. 
Celui de l'amour, non moins puissant sur leurs sens que celui de a faim, vient à son tour les arra- 
cher au repos; mais la férocité de leur naturel n’est point adoucie par ce besoin, dont la conservation 
de la vie est cependant le but. Le mâle et la femelle s'appellent par des cris aigus, s’approchent 
avec défiance, assouvissent leur ardeur en se menaçant, et se séparent remplis d'effroi. L'amour des 
petits n'est connu que des mères. Les Chats mâles sont les plus cruels ennemis de leur progéniture. 
I semblerait que la nature n'a pu trouver qu'en eux-mêmes les moyens de proportionner leur nombre 


CARNASSIERS. 143 


à celui des autres êtres, comme elle n’a pu trouver qu'en nous ceux de mettre des bornes à l'empire 
de notre espèce. Telles sont en effet les mœurs du Tigre comme de la Panthère, du Lion comme du 
Chat domestique. 

« Cependant ces animaux, qu'aucun amour ne peut apprivoiser, sont capables de s'attacher par le 
sentiment de la reconnaissance. Lorsque la contrainte les force à recevoir des soins et leur nourri- 
ture d'une main étrangère, l'habitude finit par les rendre confiants, et bientôt leur confiance se change 
en une affection véritable: elle va même jusqu'à en faire des animaux domestiques : car le naturel 
des Chats est tellement semblable dans toutes les espèces, que je n'élève aucun doute sur la pos- 
sibilité de rendre domestique le Lion ou le Tigre comme notre Chat lui-même. 

(Une grande force, une grande indépendance, nuisent, on le sait, au développement des facultés 
intellectuelles en les rendant inutiles. C’est toujours le moyen le plus simple d'arriver au but qu'on 
préfère. Gr, excepté l'homme, les Chats n'ont point d’ennemis qui en veulent à leur vie, et aucun 
des animaux dont ils font leur proie ne peut leur résister; la seule ressource de ceux-ci est dans une 
prompte fuite. Les Chats ne peuvent point courir avec rapidité : c'est le seul développement de force 
auquel leur organisation ne se prête pas; et, sous ce rapport, c’est leur seule imperfection, si l'on 
peut toutefois appeler ainsi la privation d’une faculté qui aurait entrainé la dévastation des conti- 
nents, et y aurait éteint la vie animale: car, après avoir vu ce que peut ia force d'un Tigre poussé par 
la faim, et l’adresse ou la légèreté du Chat sauvage, il est impossible de concevoir comment les autres 
animaux auraient pu échapper à la mort si la fuite leur eût été inutile. Le Buffle et l'Éléphant lui- 
même tombent sous la griffe du Lion, et les arbres les plus élevés ne garantissent pas les Oiseaux 
contre les surprises des petites espèces de Chats. 

« Ces animaux ne montrent jamais, dans l’état sauvage, une très-grande étendue d'intelligence; 
aussi ne les chasse-t-on pas, à proprement parler; on les attaque à force ouverte ou par sur- 
prise. Leurs ruses ne consistent guère que dans le silence et le mystère. Les grandes espèces se 
retirent dans les forêts épaisses, et les petites s’établissent sur les arbres ou dans des terriers, lors- 
qu’elles en trouvent de tout faits; mais chaque individu, se reposant sur lui-même de la conservation 
de son existence, vivant dans un profond isolement, est privé des ressources qu'il trouverait dans 
son association avec d’autres individus, et des avantages que procurent les efforts de plusieurs diri- 
gés vers un but commun : non pas cependant que la nature ait donné la force à ces animaux pour 
restreindre leur intelligence ; lorsqu'ils sont une fois soumis à l’homme, lorsqu'ils sont contraints 
par sa puissance à vivre dans des circonstances où ils ne se seraient jamais placés d'eux-mêmes, alors 
leur entendement se développe, s’accroit, et présente des résultats tout à fait inattendus. La défiance 
parait être le trait le plus marqué de leur caractère; aussi c’est celui que la domesticité n’efface 
jamais tout à fait, et qui présente le plus d'obstacles quand on veut les apprivoiser. La moindre cir- 
constance nouvelle suffit pour les effrayer, pour leur faire craindre quelque danger, quelque surprise. 
Il semblerait qu'ils se jugent comme nous les jugeons nous-mêmes. 

« Ce naturel calme, patient et rusé, est en parfaite harmonie avec les qualités physiques des Chats. 
I n’est point d'animaux dont les formes et les articulations soient plus arrondies, dont les mouve- 
ments soient plus souples et plus doux; et toutes les espèces se ressemblent encore à cet égard. Qui- 
conque a vu un Chat domestique peut se faire une idée de la physionomie, de la force et des allures 
des autres Chats; tous ont, comme lui, une tête ronde, garnie de fortes moustaches, un cou épais, 
un corps allongé et presque aussi gros au ventre qu'à la poitrine, mais étroit, et qui peut se rétrécir 
encore au besoin: des doigts très-courts, des pattes fortes, peu élevées, celles de devant surtout; et 
la plupart ont une queue assez grande et fort mobile. [ls marchent avec lenteur et précaution, et en 
fléchissant les jambes de derrière; se reploient très-facilement sur eux-mêmes, font usage de leurs 
membres et surtout de leurs pattes de devant avec une adresse qu'on aime à voir. Ils n'ont pas un 
mouvement dur. Lorsqu'ils courent, ils semblent glisser; lorsqu'ils s’élancent, on dirait qu'ils 
volent. » 

On a peut-être cherché à trop diminuer le courage que montrent ces animaux, et, pour expliquer 
la pusillanimité qu'on leur prête, on s’en est pris à leur peu d'intelligence. « Car, dit M. Boitard, 
le courage est un pur effet de l'intelligence, qui domine l'instinct inné de la conservation. L'homme, 
par cette raison, devait être le plus courageux des êtres, et il l'est en effet, comme il en est le plus 
intelligent; mais la stupidité peut quelquefois tenir lieu de courage, soit en empêchant de voir le 


144 HISTOIRE NATURELLE. 


danger, comme dans l'Ours blanc et le Glouton; soit en l’exagérant, comme chez les animaux lâches 
qui, croyant leur vie menacée, combattent avec désespoir, avec fureur : c'est ce qu'on appelle le cou- 
rage de la peur, et celui-ci est terrible. Ces animaux lâches n’attaqueront leur proie que lorsqu'ils 
y seront poussés par la plus cruelle des nécessités, la faim; ils ne l’attaqueront jamais de face, dans 
la crainte d'une résistance; mais ils se glisseront dans l'ombre de la nuit, se placeront en embus- 
cade, l’attendront en silence et avec une patience que rien ne lassera, s’élanceront sur elle à Pimpro- 
viste, la surprendront et la tueront sans combat, sans la moindre lutte. Alors même que leur faible 
victime succombera sans essayer de se défendre, ils ne commettront pas le meurtre sans colère; et, 
s'ils rencontrent la moindre résistance, la crainte les poussera à une fuite honteuse ou à la fureur : 
dans ce dernier cas, le combat sera terrible et désespéré. Tels sont les Chats. Deux Hawers hollan- 
dais chassaient aux environs du Cap, et Fun d'eux s’approcha d’une mare. Un Lion était caché dans 
les hautes herbes et ne pouvait voir le chasseur; trompé sans doute par le bruit de ses pas, qu'il pre- 
nait pour ceux d'un animal ruminant, d’un bond prodigieux il s'élance sur lui, et par hasard le saisit 
au bras. Mais il avait reconnu son adversaire; et, surpris de la hardiesse de sa propre attaque, il 
resta immobile pendant plus de trois minutes, toujours tenant le chasseur, sans oser ni le lâcher pour 
fuir, ni l'attaquer pour le dévorer, et fermant les yeux, afin de ne pas rencontrer le regard effrayant 
de sa victime. Cette terrible situation ne cessa qu'au moment où le chasseur eut frappé le monstre d'un 
coup de couteau. Alors commença une lutte atroce qui ne finit que par la mort de l'un et de l’autre. 
Dans les rampoks de Java, on faisait combattre des Tigres et des Panthères contre des hommes. On 
amenait dans l'arène ces animaux renfermés dans des cages de bois, et ils étaient tellement effrayés à 
la vue des hommes qui les entouraient, qu'il fallait mettre le feu à leur cage pour les obliger d'en 
sortir, et les attaquer à coups de dards pour les déterminer à combattre. » 


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Fig. 80. — Chat de Sumatra. 


Dans le passage que nous venons de citer, on n'a certainement pas rendu une entière justice au cou- 
rage des Chats, et, d’un autre côté peut-être, le même M. Boitard, dans les lignes qui vont suivre, a-t-il 


Attaque de Morses. 


PI. 19. 


CARNASSIERS. 145 


voulu trop les disculper de la réputation de cruauté qu'on leur attribue généralement. « Si le Lion et le 
Tigre ont été vantés par leur courage, écrit-il, ils ne l'ont pas moins été, ainsi que toutes les grandes 
espèces du genre, par leur cruauté et leur férocité prétendue indomptable, et l'un n'est pas plus vrai 
que l'autre. Les Chats sont beaucoup moins cruels que la plupart des petits Carnassiers auxquels nous 
ne faisons pas ces reproches. La Fouine, la Belette, Le Renard, par exemple, semblent donner la mort 
pour le plaisir de tuer, et, s'ils pénètrent dans un poulailler, une basse-cour, une bergerie, ils n’en 
sortent plus tant qu'il y reste un être vivant. Les Chats, au contraire, n’attaquent que quand ils ont 
faim, et se contentent, pour l'ordinaire, d’une seule victime. Au milieu d’un troupeau nombreux et 
sans défense, ils saisissent leur proie, la dévorent, et se retirent sans faire attention aux autres jus- 
qu'à ce que la faim les ÿ ramène; ils ne tuent jamais sans nécessité. Quant à leur prétendue férocité, 
elle n'existe pas plus chez eux que chez les autres Carnassiers. Quoi qu'on en ait dit, toutes les es- 
pèces s’apprivoisent et sont susceptibles d’attachement pour leur maitre. » 


Fig. 81. — Chat chaus. 


La grande ressemblance que toutes les espèces nombreuses de Chats ont entre elles n’a pas per- 
mis de subdiviser ce groupe naturel en plusieurs genres; la disposition des yeux, surtout dans la 
pupille, pourrait toutefois fournir des caractères différentiels d’après Fr. Cuvier. Quelques particula- 
rités ont servi également pour la création des genres particuliers des Guépard, Chat et Lynx, que 
nous décrirons séparément, quoiqu'ils n’offrent réellement pas une caractéristique bien tranchée, tandis 
que les différences nous semblent trop peu considérables pour adopter ceux des Lion, Tigre, Puma, 
Parde, ete., proposés par quelques auteurs, et que nous indiquerons comme subdivisions secondaires. 

Si nous comprenons le genre Chat à la manière de Linné, c'est-à-dire en y réunissant les Guépards 
et les Lynx aux Felis vrais, ou plutôt en y comprenant tous nos Féliens, on peut dire qu’on en trouve 
dans toutes les parties du globe, dans l'ancien comme dans le nouveau continent, à l'exception des 

c2 19 


146 HISTOIRE NATURELLE. 


iles de la mer du Sud et de la Nouvelle-Hollande, dans les grandes îles comme dans les continents, 
dans les régions les plus chaudes comme dans les plus froides, dans les pays de plaines et même dans 
les vallées comme dans les régions les plus montueuses ; mais principalement dans ces dernières, à 
cause des bois qui les recouvrent. Un ou deux groupes, celui des Chats vrais et celui des Lynx sur- 
tout, semblent se trouver dans toutes les parties du monde, mais non pas la même espèce; et cela, 
sans doute, parce que ces derniers rencontrent une température froide aussi bien dans les monta- 
gnes des régions équatoriales que dans celles des régions polaires. 

Les espèces qui paraissent être aujourd'hui les plus répandues sont la Panthère, en supposant qu'il 
n’y ait pas de distinction spécifique à faire dans le Felis pardus de Linné, le Lion, le Chat à oreilles 
rousses dans l’ancien monde, le Jaguar, le Couguar et l'Ocelot dans le nouveau. Le Caracal et le 
Guépard sont communs à l'Afrique et à l'Asie continentale. Il paraît en être de même des Chats-Lynx, 
des trois espèces, c’est-à-dire des Felis maniculata, bubastes et chaus. Le Tigre n'existe qu'en 
Asie, et même dans la Haute-Asie; le Jaguarondi dans l'Amérique méridionale. [a partie du monde 
qui renferme encore aujourd'hui le plus d'espèces de Felis est bien certainement l'Asie, puisqu'on 
y trouve le Tigre, le Lion, la Panthère, le Serval, le Caracal, le Guépard, le Chat d'Égypte, le Bubastes 
etle Ghaus, et, de plus, le Chat de Java, celui de l'Himalaya, de Sumatra, avecles Felis rubiginosa, 
moormensis, planiceps, longicaudata. L'Amérique, et surtout l'Amérique méridionale, en possèdent un 
peu moins, savoir : le Jaguar, le Couguar, le Jaguarondi, l'Ocelot, et trois ou quatre espèces voisines, 
le Margay, le Pajeros, le Cococulo, le Guigna, ete., tandis que l'Amérique septentrionale, au delà du 
golfe du Mexique, ne nourrit que le Couguar, l'Ocelot, et une ou deux espèces de Lynx. Vient en- 
suite l'Afrique, dans laquelle on trouve le Lion, la Panthère, le Serval, le Ghacal, le Guépard, le 
Chat d'Égypte, le Bubastes, le Chaus et le Cafre. Enfin, en Europe, aujourd'hui, on ne connait que 
le Chat ordinaire, et peut-être deux ou trois espèces de Lynx, encore peut-on douter de leur distinc- 
tion, ce qui montre qu’en définitive les espèces du grand genre Chat sont plus méridionales que bo- 
réales, sauf pour les Lynx. 

Avant de passer à la description des espèces, il nous reste encore deux sujets importants à traiter : 
4° l'histoire des Ghats, et 2 leur paléontologie; nous allons le faire en prenant pour guide l'Ostéo- 
graphie de De Blainville. 

Les anciens connaissaient et avaient occasion de voir, soit dans l’état de nature, soit dans les jeux 
du cirque, un certain nombre d'espèces de ce genre; mais il est très-difficile de rattacher d’une ma- 
nière un peu certaine les noms qu'ils ont employés pour les désigner à des espèces aujourd'hui défi- 
nies d’une manière complète. Chez les Hébreux, le Lion était connu, et assez complétement, pour avoir 
des dénominations particulières désignant les variétés d'âge, de sexe et même de couleur : le Jeune 
Lion était leur Gur, l'adulte le Laïs et Az, et la femelle le Labi; il en est de même de la Panthère, 
ou de quelques espèces à taches foncées sur un fond plus clair, qui était nommée Nemr en hébreu. 
Les poëtes, les historiens et les mythographes grecs, et principalement Homère et Hésiode, avaient 
connaissance de plusieurs de ces animaux, puisqu'ils en tirent souvent des comparaisons, ou, ce qui 
est plus rare, en signalent quelques particularités, en les mettant en scène avec leurs héros. 

Dans des temps moins reculés, Hérodote, Pausanias, et surtout Aristote, parlèrent de plusieurs des 
animaux de ce genre; du Lion, qu'ils indiquent comme se trouvant sur plusieurs points de l'Europe, 
du Panther, du Lynx, de leur Anevpes, qui est probablement notre Chat domestique, et du Tigre. 

Xénophon cite les Lions, les Pardalus, les Onces, les Lynx, les Panthères; mais il ne parle pas des 
Tigres, quoiqu'il se soit avancé dans le pays qu'habitent ces animaux. 

Mais c’est surtout chez les Romains et dans le siècle qui précéda l'ère chrétienne que le nombre 
des bêtes féroces connues augmenta considérablement, qu'elles furent plus connues par leur exhibi- 
tion dans les jeux du cirque, et que, dès lors, leurs dénominations devinrent plus arrêtées pour 
chaque espèce. Ainsi Varron, dans son Traité de la langue latine, montre qu’elle avait déjà accepté 
les noms de Leo, de T'igris, et peut-être même celui de Panthera, de la langue grecque. Cependant 
les grands poëtes qui illustrèrent le siècle d’Auguste, décrivant constamment des Panthères ou des 
Lynx attelés au char de Bacchus, auquel on attribuait la conquête de l'Inde longtemps avant Alexan- 
dre, ont dù être portés à croire que ces animaux habitaient cette partie du monde, et l’histoire plus 
Ou moins apocryphe du Lynx s’ajouta à celle des autres Felis : Tigres, Lions, Panthères, que l'on 
voyait, surtout les deux derniers, dans les amphithéâtres. 


CARNASSIERS. 147 


Élien et Pline ne firent guère qu'augmenter le nombre de faits que l’on connaissait sur les quatre 
espèces que nous avons plusieurs fois nommées; en outre, il parle pour la première fois du Chaus. 
Oppien indique déjà deux espèces particulières de Panthères. 

D'après les anciens auteurs indiens et chinois, on voit cités seulement le Lion et le Chat domes- 
tique. 

Dans le long intervalle de temps qui sépare les historiens naturalistes grecs et latins de ceux du 
moyen âge, on ne trouve rien de bien remarquable relativement au sujet qui nous occupe, si ce n’est 
l'introduction du nom de Leopardus, faite par T. Capitolin et E. Spartin, appliqué à la Panthère de 
Pline, et la caractéristique du Tigre varié de barres ou de bandes, au lieu de taches, comme däns 
les Léopards. On trouve aussi que la dénomination de Cattus ou Catus est introduite pour la pre- 
mière fois par Palladius dans son ouvrage sur l'Agriculture, écrit, il est vrai, dans la décadence de 
l'Empire, pour désigner un animal utile dans les greniers pour la destruction des Souris, et proba- 
blement celui auquel nous donnons le nom de Chat, et qui représente le Felis des Latins et l'Ausvsc, des 
Grecs : il semblerait done que c’est vers cette époque que le Chat est devenu domestique, puisqu'il 
paraît certain qu'il ne l'était pas si anciennement chez les Grecs, ni même chez les Romains, quoi- 
qu'il le fût depuis longtemps chez les Égyptiens. £ 

Nous ne chercherons pas à faire maintenant l’histoire zooclassique des Ghats dans les temps plus 
modernes, car ce serait répéter ce que nous dirons en exposant les particularités propres à chacune 
des espèces. Disons cependant que pendant fort longtemps on n’a connu qu'un nombre assez res- 
treint d'espèces de ce genre, et qu'il y avait même une grande incertitude pour la détermination 
de plusieurs d’entre elles. Buffon ne connaissait que peu d'espèces, et dans son ouvrage il y a de 
la confusion parmi les espèces à taches, voisines de la Panthère. G. Guvier vint plus tard éclaireir ce 
point difficile de la zoologie. Enfin, ce n’est qu'assez récemment que l’on a pu avoir une idée assez 
nette de ce genre; M. Temminck en a donné une bonne monographie, dans laquelle on peut lui repro- 
cher cependant d'avoir trop cherché à diminuer le nombre des espèces. Enfin les naturalistes voya- 
geurs découvrirent un assez grand nombre d'espèces nouvelles, et, en France, les travaux de Fréd. 
Cuvier, A.-G. Desmarest, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, etc., nous les firent connaître. Nous devons 
en indiquer les principaux caractères, mais, auparavant, nous voulons dire encore quelques mots 
des traces que ces animaux ont laissées, soit dans les monuments des hommes, soit dans le sein de 
la terre; et nous croyons aussi utile de nous occuper de ces exhibitions véritablement fabuleuses des 
grandes espèces de Chats que les Romains faisaient dans leurs cirques, et cela d'autant plus que le 
nombre immense qu'ils en sacrifiaient quelquefois dans une seule fête est véritablement fabuleux. 

On trouve des espèces de Felis figurées dans tous les genres de l’art iconographique. Le Lion est 
certainement celui qui a été le plus souvent représenté dans les monuments d'art, aussi bien chez les 
Juifs que chez les Égyptiens, les Persans, les Indiens, les Grecs et les Romains, depuis les temps de 
la plus haute antiquité, dans le moyen âge, et jusqu'à nous; ce qui tient sans doute à ce que cet ani- 
mal, habitant la plus grande partie du monde connu des anciens, a été considéré non-seulement 
en lui-même comme sujet de chasse des héros et des rois, mais encore comme emblème astrologique 
et ensuite astronomique, ce qui l’a fait entrer d’abord dans les thèmes astrologiques, puis dans les 
constellations du zodiaque, et, dans nos temps modernes, dans nos allégories, comme indice de 
certaines qualités morales. Chez les Égyptiens, le Lion était considéré comme le symbole de l’eau, et 
par suite comme celui du Nil : on le voit représenté en entier dans les hiéroglyphes. En sculpture, les 
archéologues citent, outre les peaux de Lion jetées sur les épaules des statues d'Hercule, et même 
quelquefois de celles de Thésée et de Jason, les Lions de Venise venant du Pyrée à Athènes; ceux 
taillés dans le rocher à Céas, et un Lion colossal à Chéronée. Dans les bas-reliefs, les Lions sont 
souvent représentés : le plus célèbre de tous est celui qui montre le Lion de Némée, et plus commu- 
nément cet animal est figuré sur les tombeaux des héros. 

Les Panthères ont été représentées plusieurs fois; dans une sculpture, on voit Bacchus donnant 
un grappe de raisin à l'un de ces animaux; dans une médaille, an montre aussi Bacchus monté sur 
une Panthère. Mais le Lion est certainement celui de tous les Chats qui est le plus souvent repré- 
senté sur des médailles anciennes, soit de certaines villes, soit de certains rois. On voit, au Musée du 
Louvre, une statuette en bronze de Tigre, dont les barres des flancs sont indiquées avec de l'or : 
d’autres statuettes égyptiennes, de la même collection, représentent le Felis maniculatu. 


148 HISTOIRE NATURELLE. 


Les peintres anciens ont dù figurer des Lions et des Panthères lorsqu'ils avaient à reproduire les 
travaux d'Iereule où ceux de Bacchus; aucune trace ne nous en est cependant parvenue, mais 
Pausanias dit, dans sa description de la statue de Jupiter Olympien, que, sur la seconde balustre 
qui en défendait l'entrée, on avait peint Hercule combattant le Lion de Némée. Dans les vases étrus- 
ques, on peut reconnaitre les figures du Lion, de la Panthère, et même du Guépard, suivant De Blain- 
ville. Enfin, on les voit aussi représentés dans des mosaïques anciennes, et surtout dans la célèbre 
mosaique de Palestrine. 

Les diverses espèces de Felis ont aussi laissé des traces en nature : ces traces sont de deux sortes, 
à l’état de momie ou conservées dans des tumulus, et à l’état fossile. 

Les Égyptiens comptaient au nombre des animaux sacrés les Chats, qu'ils nommaient Bubastes, 
peut-être à cause de la dénomination de la ville qui était consacrée à ce genre d'animaux. Depuis 
longtemps, on sait que des momies de Chats se trouvent assez communément dans les hypogées d'É- 
gypte, mais c'est Et. Geoffroy Saint-Hilaire qui, Le premier, a figuré le squelette complet d’un Chat 
retiré d’une momie, squelette qui, d’après G. Cuvier, ne différait pas de notre espèce domestique. 
mais qui, suivant MM. Ebrenberg et De Blainville, se rapporterait plutôt au Felis maniculata, Cretzsch- 
mar, qui se trouve encore aujourd hui en Abyssinie à l’état sauvage et à l'état de domesticité. Deux 
autres espèces de ce même groupe naturel, le Felis bubastes et le Felis chaus, auraient aussi été trou- 
vées dans les tombeaux égyptiens. 

Quoiqu'il soit indubitable qu’il existe des ossements de plusieurs espèces de Felis à l’état fossile, 
il n’est peut-être pas inutile de montrer, ainsi que le fait remarquer De Blainville, en quel nombre 
immense le faste des Romains avait fait transporter à Rome, et peut-être dans d’autres lieux, siége 
de leurs principales colonies, les Lions, les Panthères et autres grandes espèces du genre Chat. 
M. Mougès a publié, dans le tome X (1853) des Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles- 
Lettres, l’énumération du nombre de ces animaux : e’est d’après lui que nous entrerons dans quel- 
ques détails sur ce sujet. d 

En ne portant pas en compte les individus nombreux qui ont été compris sous l'expression géné- 
rale d'animaux féroces, dans un espace de cinq cents ans environ, depuis l'an 169 avant Jésus-Christ 
jusqu'au consulat de Justinien en 342, le nombre des Panthères qui ont été apportées à Rome monte 
à près de trois mille, toutes provenant presque indubitablement du périple de la Méditerranée. C’est 
ainsi, pour ne citer que les nombres les plus considérables, que Pompée, pour la célèbre consécration 
de son théâtre, exposa dans le cirque quatre cent dix Panthères; qu'Auguste, à la dédicace du tem- 
ple qu'il érigea à Marcellus, en montra et fit tuer six cents; que Caligula, pour la dédicace d'un 
temple à Auguste, en fit périr quatre cents; que Claude, à l'occasion d’une nouvelle consécration 
du théâtre de Pompée, réédifié après avoir été détruit par nn incendie, en fit combattre trois 
cents, etc. 

Dans un laps de temps de six cents années, le nombre des Lions et des Lionnes apportés à Rome 
se monte au moins à un total de deux mille deux cents; et il est probable, en outre, que les historiens 
des derniers temps n’ont plus indiqué exactement le nombre de ceux que l'on exposa dans le cirque. 
Sylla fit combattre cent Lions, tous mâles, qui lui avaient été envoyés par le roi de Mauritanie, Boc- 
chus; Pompée, à l’occasion de la dédicace de son théâtre, exposa dans le cirque cinq ou six cents 
Lions, dont plus de la moitié appartenaient au sexe màle; dans une fête publique, donnée par Auguste, 
lors de ses trois triomphes, le nombre des Lions tués dans le cirque fut, suivant Dion, de deux cent 
soixante; depuis lors, le nombre de ces Chats exposés en public fut moins considérable, quoique se 
composant souvent de plus de cent individus. 

Le véritable Tigre ne se trouvant pas dans le périple de la Méditerranée, et étant presque relégué 
dans des contrées avec lesquelles les Romains avaient peu ou point de communication, et surtout 
dans l'Hyrcanie, il n’est pas étonnant qu'il se soit trouvé bien plus rarement au nombre des animaux 
exposés dans le cirque, et même, il n’est pas certain que tous les animaux comptés comme des Ti- 
gres par les historiens en fussent réellement. Auguste montra un Tigre apprivoisé dans une cage, à 
l'époque de la dédicace du théâtre de Marcellus : depuis, Claude, Domitien, Antonin le Pieux, Auré- 
lien et Gordien HE, en montrèrent également. 

Cette exposition numérique ne serait pas encore suffisante pour faire apprécier l'effet produit par 
celte passion du peuple romain pour les spectacles en général, et surtout pour les spectacles san- 


CARNASSIERS. 149 


glants, sur lamoindrissement de certaines races, si nous n’indiquions les nombres en bloc, c'est- 
à-dire ceux dans lesquels les animaux féroces sont compris sans distinction particulière. Ainsi, aux 
Jeux donnés par Scaurus, cent cinquante bêtes féroces furent montrées; Auguste, pendant son règne, 
en fit tuer, dans le cirque, trois mille cinq cents; Titus, lors de la dédicace de ses thermes et de son 
amphithéâtre, en exposa cinq mille; Trajan, dans les cent vingt-trois jours que durèrent les jeux don- 
nés à l’occasion de sa victoire sur le roi des Daces, alla jusqu'au nombre presque incroyable de 
onze cents animaux, mais en y comprenant à la fois les espèces sauvages et domestiques; Adrien, à 
l'époque d’un de ses anniversaires, à Rome, fit tuer mille bêtes féroces, et, dans une autre occasion, 
à Athènes, mille autres; Sévère, enfin, au mariage de son fils Caracalla, donna, pendant sept jours, 
des jeux où sept cents bêtes féroces, renfermées dans une cage en forme de navire, furent lâchées à 
la fois et ensuite massacrées. 


Fig. 82. — Chat du Canada. , 


Ainsi que le fait remarquer De Blainville, «ce besoin d'animaux féroces eut nécessairement pour 
résultats de créer des industries, non-seulement de chasseurs de bêtes féroces, et en général de bé- 
tes sauvages, comme était ce Potiseus, dont il est question dans les lettres de Cicéron, auquel un 
de ses amis, Cœlius, demandait en grâce de lui procurer des Panthères, et auquel il répondait en 
riant que ces pauvres animaux, demandant pourquoi on s'adressait à eux seuls, avaient abandonné 
la Pamphylie, sa province, pour se retirer en Carie; mais encore d’éducateurs d'animaux dont l’état 
était de les élever et de les instruire. Un autre résultat qui intéresse davantage les naturalistes, C’est 
que le nombre des animaux féroces, Lions, Panthères et Ours, étant nécessairement diminué, surtout 
en Afrique, d’où on en tirait un si grand nombre, on fut obligé de faire entrer dans les jeux un plus 
grand nombre d'animaux sauvages, mais non carnassiers; et, en effet, dans l'énumération que donne 


150 HISTOIRE NATURELLE. 


Vopiscus des animaux montrés par Probus, le nombre de ceux-ci l'emporte beaucoup sur celui de 
ceux-là. » 

De tous ces faits, et de l'observation que de tout temps les potentats ont cherché à avoir en capti- 
vité, dans des Ménageries, plusieurs des grandes espèces de Chats, on peut conclure que la poursuite 
des animaux carnassiers du genre Felis, qui s’est continuée pendant très-longtemps, à contribué à 
diminuer considérablement le nombre des individus de chaque espèce dans les pays qu'elles habitent, 
et a fait transporter leurs ossements dans des lieux, siége de la civilisation, où ils n'auraient pas 
existé sans cela. 

Il y a près de deux cents ans que l’on a recueilli, en Europe, des ossements appartenant à une 
grande espèce de Chat, sans cependant qu'on les ait reconnus comme tels. C'était d'abord dans les 
cavernes d'Allemagne, et, jusqu’à la publication du celèbre ouvrage de G. Cuvier sur les Ossements 
fossiles, en 18925, on n'était guère allé au delà de la confirmation de ce fait. Mais, depuis lors, on en 
a rencontré dans un grand nombre d’endroits d'Europe et d’autres parties du monde, dans des ter- 
rains très-différents, et de toute taille, en sorte qu'aujourd'hui, si l’on acceptait comme démontrées 
les espèces de Felis fossiles proposées par les paléontologistes, outre quelques-unes des espèces en- 
core existantes, il en aurait existé plus de vingt rien que dans l'Europe ancienne, et sans compren- 
dre celles des autres pays. 

D'après De Blanville, les seules espèces fossiles dont l'existence serait réellement bien connue 
sont : 


4° Felis speleæ, Goldfuss, à une grande taille joignant des caractères du Tigre, quelques particu- 
larités du Lion, et formant aussi sans doute une espèce propre à nos climats; 


2° Felis leo, plus petit que le précédent, et auquel on peut rapporter les F. aphanistes et prisca, 
Kaup : tous trois propres à l'Europe; 


9° Felis tigris cristata, Falconner et Gautley, qui ne semble différer du Tigre actuellement vi- 
vant que par une taille un peu moindre; particulier aux monts Sivalicks; 


4° Felis antiqua, G. Cuvier, évidemment de taille moindre que les précédents, quoique supérieure 
à celle de la Panthère, auquel De Blainville rapporte les Felis lcopardus, Richard Owen, Marcel 
De Serres; Arvernensis, Croizet et Jobert; pardinensis, Croizet et Jobert, et ogygea, Kaup; et prove- 
nant des cavernes d'Europe; 


d° Felis onca, Lund, créé d’après un fragment de métacarpe, et en y rapprochant le Guepardus 
. ns . . © . 
minuta du même auteur; particulier aux cavernes du Brésil; 


6° Felis cultridens, Bravard, établi sur la considération de la taille des canines; de l'Auvergne; 
ainsi que le suivant; 


7° Felis megantereon, fondé sur une tête entière et des morceaux de mâchoire supérieure et infé- 
rieure, et ne laissant aucun doute sur sa distinction tranchée; 


8° Felis smilodon, Lund, des plus remarquables par le grand développement de ses canines; des 
cavernes du Brésil; 


9° Felis palmidens, De Blainville fondé sur un fragment de mâchoire inférieure qui à beaucoup 
d'analogie avec son analogue dans le F. megantereon; d'Auvergne; 


10° Felis quadridentata, De Blainville, établi sur un fragment de mâchoire inférieure montrant 
quatre molaires seulement; de Sansans; 


11° Felis macrura, Lund, espèce d'Oceloïde créé sur un fragment peu caractérisé; du Brésil; 


12° Felis hynx, De Blainville, propre à diverses parties de l'Europe, et réunissant les F. antedilu- 
viana, Kaup; {ssiodorensis, Croizet et Jobert; brevirostris, Croizet et Jobert; Engiboliensis, Schmer- 
ling, et serval, Marcel De Serres, qui, d'après les débris de mâchoires sur lesquels elles sont for- 
mées, ne différent pas, sauf quelques légères variations dans les dimensions des dents, de ce qui a 
lieu dans le Lynx; 


CARNASSIERS. 151 


415 Felis subhimalayana, Falconner et Cautley, reposant sur une tête trouvée dans les monts Si- 
valicks, et qui semble avoir beaucoup de rapports avec le Felis viverrina actuellement vivant; 


4% Felis catus, Schmerling, d'Europe, et auquel De Blainville réunit les F. ferus, Marcel De Ser- 
res; magnus, Schmerling, et minulus, Schmerling. 


Les fragments sur lesquels reposent ces espèces, dont deux au moins peuvent former des subdivi- 
sions génériques particulières, ont été recueillis, en grand nombre, en Europe, surtout dans l'Europe 
centrale, sur les confins de l'Allemagne, en Belgique, en Angleterre, en France, principalement dans la 
France méridionale, et en Italie, dans sa partie septentrionale; en moins grand nombre dans l'Inde, et 
en très-petit nombre en Amérique. Les conditions géologiques dans lesquelles ils ont été trouvés sont 
très-différentes; depuis les terrains tertiaires jusque dans les diluvium; dans le gypse de Paris, le 
Felis pardoides; dans un terrain d’eau douce, à Sansans, les F. palmidens, quadridentata et par- 
dus; dans un terrain analogue des sous-Himalayas, les F. tigris cristata et subhimalayana; dans un 
terrain de même époque, mais à l’état de sable ou de grès sableux, à Eppelsheim, les F. leo aphanis- 
tes et prisca; dans les calcaires tertiaires marins du Languedoc et dans le terrain de craie en Angle- 
terre, le F°, pardus, ete. Une assez grande quantité de ces ossements ont été recueillis dans des di- 
luvium plus ou moins anciens, tantôt libres à la surface de la terre, comme dans le val d’Arno, ou 
dans les terrains tertiaires d'Auvergne, les Felis spelæwa, pardus, cultridens, megantereon, lynx : 
en Allemagne et en Belgique, le F. spelæa, et en Amérique, dans un diluvium volcanique où se sont 
présentées à peu près les mêmes espèces que dans le val d’Arno; tantôt dans les cavernes : en Alle- 
magne, surtout à Gaylenreuth, les F, spelæa et antiqua : en Angleterre, les F. spelæa, cultridens 
et catus : en Belgique, auprès de Liège, les F. spelæa, leo, pardus et catus : en France, principa- 
lement à Lunel-Viel, les F. spelæa, leo, leopardus, Lynx, catus : au Brésil, eu très-petit nombre, 
les F. onca et smilodon : enfin, dans l’alluvium, dans le bassin même de Paris, à sept mètres de 
profondeur, avec des dents de Cheval, le Felis spelæa, et, en Amérique, dans le Texas, le F. onc«. 

Ces débris fossiles, partout en assez petit nombre, et jamais comparables, sous ce rapport, à ceux 
des Ours, sont rarement rapprochés comme provenant d’un même individu. Quoiqu'en général d'in- 
dividus adultes et des deux sexes, on en a parfois rencontré qui provenaient de jeunes individus. Ils 
ne sont presque Jamais roulés; le plus souvent fracturés, et quelquefois écrasés. Leur association est 
extrêmement variée entre eux et sous le rapport des espèces animales avec les fragments desquels 
ils se trouvent; c’est ainsi que, dans la caverne de Lunel-Viel, on a rencontré avec eux des os de 
Cerfs, de Bœufs, de Lapins, de Rats, d’Ours, d'Hyènes, etc. : nous avons donné ailleurs une expli- 
cation de ces associations d'animaux en quelque sorte antipathiques dans les mêmes cavernes en 
disant que leurs ossements avaient pu y être apportés, peut-être d’assez loin, par des cours d’eau. 
Dans le plus grand nombre des cas, ils sont dans des terrains d’eau douce assez peu étendus, et lo- 
caux; mais, toutefois, on a deux exemples de fossiles de Chats propres aux dépôts marins. On a ob- 
servé que presque aucun de ces ossements n’est en place, et que les dépôts de nature très-différente 
dans lesquels ils ont été découverts sont toujours sous le versant de montagnes ou de pays élevés 
peu distants. 

De l'ensemble de ces faits, en les étudiant sous les points de vue géologiques et zoologiques, nous 
pouvons conclure avec De Blainville que « depuisle temps, fort éloigné sans doute, où se produisaient, 
par la dégradation des formations précédentes, les terrains tertiaires moyens, jusqu'à celui où notre 
sol a été recouvert de l'énorme couche de diluvium qui s’observe sur une grande partie de l'Europe, ila 
constamment existé dans les vastes forêts qui la couvraient alors un assez bon nombre d'espèces de Felis 
de taille extrêmement différente, depuis celle d’un petit Cheval jusqu’à celle de notre Chat, espèces 
qui étaient pour les populations si abondantes alors de Ruminants et de Pachydermes ce que sont 
aujourd'hui les Felis d'Afrique, de l'Asie et de l'Amérique, pour les Herbivores de ces parties du 
monde. Avec la diminution et la disparition de ceux-ci, déterminées sans doute par celles des forêts 
et par les inondations partielles et générales, ont dù successivement diminuer et disparaître les es- 
pèces carnassières créées pour l'harmonie des êtres; mais il semble que leur disparition a précédé 
celle des autres espèces moins éminemment disposées pour ne manger que de la chair. La plupart de 
ces espèces étaient plus ou moins analogues à celles qui existent aujourd'hui dans les deux grandes 


152 HISTOIRE NATURELLE. 


parties de l’ancien continent, mais il s’en trouvait aussi qui paraissent ne plus exister actuellement à 
la surface de la terre, et qui remplissent des lacunes de fa série zoologique. L'une, entre autres, de 
ces formes, pourvue de longues canines cultriformes exsertes à la mâchoire supérieure, ce qui a dé- 
terminé une disposition en rapport de la mâchoire inférieure et de ses dents de devant, parait avoir 
été propre à l'Europe tempérée. Du moins, jusqu'ici, nous ne connaissons à l'état vivant aucune 
espèce de f'elis, petite ou grande, qui offre quelque chose d’analogue au Felis cultridens. » Nous 
ajouterons à cela qu'une autre espèce fossile du même groupe, le Felis smilodon des cavernes du 
Brésil, a été découverte depuis que De Blainville écrivait les lignes qui précèdent. 


Fig. 85. — Chat Colocolo. 


Après ces généralités, que l'importance du sujet nous a engagé à donner avec autant de détails, 
nous allons passer à la description des nombreuses espèces de ce genre, et nous chercherons encore 
à dire quelque chose sur les mœurs si mtéressantes de la plupart d’entre elles. Les espèces vivantes 
nous occuperont principalement, mais nous ne nous en occuperons pas moins pour cela des espèces 
fossiles les plus remarquables. 

L'ordre à suivre dans l'étude de ces espèces pouvait être de deux sortes : ou les placer d'après 
les pays qu'elles habitent, ou les disposer en petits groupes naturels; c’est ce dernier arrangement 
que nous préférerons comme étant plus naturel que le premier que nous venons d'indiquer. 


Lévrier de France. 


Chats domestiques 


Pl 


20 


\ASSIERS 153 


4. LES LIONS 


1. LION. FELIS LEO. Linnë. 


Canacrères srécrriques. — Corps museuleux; membres forts; tête grosse; dos, flancs, train de 
derrière, jambes de devant et tête couverts de poils courts et serrés d’un brun fauve, provenant de 
ce que ces poils, fauves dans la plus grande partie de leur longueur, sont noirs à leur extrémité, et 
de ce qu'ils sont mêlés de quelques autres poils épars, entièrement noirs; poitrine, partie antérieure 
du ventre, épaules, cou, devant de la tête et bout de la queue, revêtus de longs poils mélangés de 
noir et de fauve; queue floconneuse au bout; ceux des côtés du cou et de la tête beaucoup plus longs 
que les autres, et tombant en mèches épaisses qui forment la crinière; papilles rondes ; conques ex- 
ternes des oreilles petites, arrondies. La Lionne ne diffère du Lion, que nous venons plus spécialement 
de décrire, que par l'absence de crinière, par des proportions plus allongées, par sa tête plus petite, etc. 
La mesure des Lions de moyenne taille, mesurée depuis le bout du museau jusqu'à l'origine de la 
queue, est de 1,80; celle de la queue est de 0",80, et la hauteur au train de derrière, aussi bien 
qu’à celui de devant, est de 0",85. 


Fig. 84. — Lion. 


Les Lionceaux, en naissant, n'ont que 0,25 de longueur, depuis l’occiput jusqu'à l'origine de la 
queue; celle-ci a une longueur de 0",17, et la hauteur des trains de devant et de derrière est de 0",16. 
ca 20 


e 


154 HISTOIRE NATURELLE. - 


n'y a point de criniére n1 de flocon au bout de la queue, pelage assez touffu, à demi frisé et non 
lisse, d'un fauve sali par du noir et du gris, provenant d'anneaux de ces diverses couleurs répartis 
sur les poils: des bandes noires, transversales et parallèles sur les flanes, et qui, sur le dos, se reu- 
nissent à une ligne longitudinale médiane s'étendant depuis la tête jusque vers l'extrémité de la 
queue; des taches noirâtres de diverses formes, plus où moins nombreuses, sur la tête et sur les 
membres; derrière des oreilles tout noir, parties inférieures et latérales du corps plus claires que les 
supérieures; moustaches fortes. La livrée de ces jeunes animaux disparait peu à peu, et, dès l'âge 
de neuf mois, ne consiste plus que dans la ligne dorsale qui est noirâtre; la crinière ne commence 
à croître qu'à trois ans, et n'est complète qu’à six. 

Les Lions ont été très-connus des anciens; on en à vu paraitre jusqu'à cinq cents à la fois dans 
les cirques de Rome, et on en a apprivoisé au point de pouvoir les atteler : Marc-Antoine se montra 
au peuple romain dans un char trainé par deux Lions. Nous avons indiqué ailleurs le nombre im- 
mense des animaux de cette espèce exposés dans les arènes de Rome, nous n'y reviendrons pas. 

Ce Carnassier portait déjà chez les Grecs la dénomination de Azwv, que les Latins lui conservérent 
en en faisant celle de Leo, d'où sont venus les noms de Leone, en italien; de Leon, en espagnol; de 
Lew, en allemand; de Leyon, en suédois, et de Lion, en français et en anglais. Tous les naturalistes 
depuis Linné l'ont appelé scientifiquement Felis leo; quelques auteurs, toutefois, d'après des diffe- 
rences plus ou moins fortes que présentent des individus de pays différents, ont cherché à y former 
plusieurs espèces particulières, que nous ne regarderons que comme de simples variétés. Tels sont : 


1° Le Lion pe Banpane, Fr. Cuvier, Felis Barbarus, Lesson, dont le pelage, composé de poils 
soyeux, les poils laineux étant courts et très-rares, est brunâtre, et qui a une grande crinière chez 
le mâle. Cette variété, qui se trouve dans toute la Barbarie, est surtout commune dans la province 
de Constantine; c’est elle que nous voyons le plus habituellement dans nos Ménageries, surtout en 
France, depuis que nous possédons l'Algérie. 


2% Le Lion pu Sénécar, Felis Sencyalens's, Lesson, dont le pelage est légèrement jaunâtre, 
brillant, sans longs poils à la ligne moyenne du ventre, ainsi qu'aux cuisses, et qui offre une crinière 
peu épaisse. Cette varié té Habite la Sénégambie et la Gambie. 


3° Le Lion pe Pense, #elis Persicus, Temminck, auquel on réunit en général le Liox D'ARABIE, 
Felis Arabicus, Fischer, dont le pelage est d'une couleur isabelle très s-pâle, qui présente une crinière 
touffue mélangée de poils de différentes teintes que dans les deux variétés précédentes, qui n'a pont 
de longs poils à la ligne moyenne du ventre, ni aux cuisses, et chez lequel les grandes mèches de 
poils noirs et de poils brun foncé de la crinière paraissent davantage sur le fond pâle et très-ras du 
reste de la robe. Cette variété, de petite taille, est propre à l'Arabie et à la Perse; c'est à elle que 
l'on croit devoir rapporter les Lions qui, d’après les anciens auteurs, vivaient jadis en Grèce. 


4° Le Liox pu Car, Felis Capensis, Smuts. On pourrait peut-être distinguer, avec M. Boitard, deux 
sous-variétés dans cette variété : l'une, le Lion jaune, qui serait peu dangereux, se contentant de 
dévorer les immondices qu'il rencontre, mais se glissant aussi quelquefois la nuit dans les basses- 
cours pour s'emparer des Chiens, des Moutons, et, quand il le peut, du gros bétail; et l'autre, le 
Lion brun, le plus féroce, le plus redouté de tous, mais devenu fort rare, et se retirant dans l’inté- 
rieur à mesure que la civilisation s’avance vers le centre de l'Afrique. 


5° Le Lion sans crinière, Olivier, variété dont l'existence douteuse ne repose que sur la foi d'un 
voyageur français, Olivier, qui dit l'avoir découverte en Syrie, principalement sur les confins de l'Ara- 
bie. Le professeur Kretschmar à annoncé, en 1827, au major Smith, qu'il attendait de Nubie la peau 
etles mâchoires de cette variété de Lions, qu'il suppose être plus grande que l'espèce typique, dont 
le pelage serait brunâtre, et qui surtout serait entièrement privée de crinière : malgré cette assurance, 
on n'a pas encore vu cette peau en Europe. Quelques auteurs se sont demandé si ce n’est pas cette 
même variété qu'on voit quelquefois représentée sur les monuments de l'ancienne Égypte. 


À ces six variétés principales, on peut encore joindre le Felis Gazaratensis, Smée, de Gazarate, 
le Felès hybridus, métis provenant du Lion et du Tigre, et qui a été décrit avec soin par Fr. Cuvier, 
et qui ne peut réellement constituer une variété particulière. 


CARNASSIERS. 155 


Toutes ces variétés semblent également différer par la grandeur, car on trouve des Lions adultes 
qui ont jusqu'à 2"60 à 2"92 de longueur, depuis le bout du museau jusqu'à la naissance de la 
queue, mais seulement dans les déserts, où ils vivent sans inquiétude et pourvus de proies abon- 
dantes; d’autres, et ce sont les plus ordinaires, ne dépassent pas 1",80 de longueur sur 1",14 de 
hauteur. Les individus, habituellement pris jeunes et conservés dans les Ménageries, sont de petite 
taille. Les femelles sont généralement d'un quart plus petites que les mâles. 

D'après les auteurs anciens, il faudrait aussi ajouter à ces variétés : 


4° Le Liox à cnINIÈRE crévus, tel que le représentent les anciens monuments ; 


% Le Lio nes Ixpes, qui, d'après Aristote et Elien, est noir, hérissé, et qu'on dressait à la 
chasse; 


5° Le Liox pe Syrie, également noir, et qui a été cité par Pline. 


Aucun voyageur moderne ne fait mention de ces trois derniers; mais ce n’est pas une raison suffisante 
pour nier leur ancienne existence, surtout lorsqu'on réfléchit aux nombreuses espèces fossiles de Felis 
trouvées dans un grand nombre de lieux, et que l’on ne rencontre plus aujourd'hui à Pétat vivant. 
Pourquoi ceux-ci n'auraient-ils pas disparu comme ceux-là? I y a plus, l'espèce elle-même n’est- 
elle pas menacée d’une destruction à peu près complète, et cela d'ici à un nombre assez restreint 
d'années : dans un ou deux siècles peut-être? En effet, Hérodote, Aristote, Pausanias, affirment que 
de leur temps les Lions étaient très-communs en Macédoine, en Thrace, en Acarnanie, en Thessalie, 
où maintenant il ne s’en trouve plus aucun. L'Écriture sainte, Appien, Apollonius de Tyane, Elien, 
et un grand nombre d’autres auteurs anciens, disent qu'il y en avait beaucoup en Asie, et particu- 
lièrement en Syrie, en Arménie, aux environs de Babylone, eutre l'Hyphasis et le Gange, ete.; et ce- 
pendant aujourd'hui il ne s’en trouve plus guère en Asie qu'entre l'Inde et la Perse, et dans quelques 
rares cantons de l'Arabie; toutefois, Chardin dit qu'on en rencontre au Caucase, mais cela pourrait 
bien être une erreur. Leur véritable patrie actuelle est PAfrique; ils y sont encore assez abondam- 
ment répandus, depuis l'Atlas jusqu'au Cap de Bonne-Espérance, et depuis le Sénégal et la Guinée 
jusqu'aux côtes de l'Abyssinie et du Mozambique; malgré cela, leur nombre n’est plus le même qu'il 
était jadis, car on ne pourrait plus aujourd’hui en réunir autant qu'on le faisait dans l’ancienne 
Rome pour donner au peuple ces jeux sanglants qui lui plaisaient tant. L'homme, soit pour son uni- 
que plaisir, soit pour sa sûreté, tend donc à détruire entièrement cette belle espèce de Chats. Une 
autre cause, dont nous parlerons plus loin, tend probablement aussi à détruire l'espèce du Lion. 
La civilisation, pénétrant dans les déserts jadis habités par cet animal, détruit continuellement les 
Ruminants qui lui servaient de pâture presque exclusive, et dès lors en diminue naturellement le 
nombre, ou bien le repousse dans le centre des continents où nous ne pénétrons que rarement. 

Enfin une dernière cause, que cite De Lacépède, consisterait dans les changements physiques qui 
se seraient produits dans les lieux habités par les Lions, dans des déboisements, des destructions Ce 
montagnes, qui auraient pu agir et sur les Lions, et sur les animaux qui leur servent de pâture. 

Buffon a représenté, dans un langage qui est devenu classique, le Lion tel qu'il se présente à notre 
esprit, dans sa beauté, dans sa force, dans sa noblesse, dans ses actions; De Lacépède a rempli la 
même tâche pour la Lionne, et G. Cuvier, ainsi que De Blainville, ont rappelé ce que les anciens con- 
naissaient sur ce Carnassier. Avant de rapporter quelques-uns des passages de Buffon, nous devons 
faire remarquer à nos lecteurs qu'il faut se défendre de la magie de ses expressions, et toujours 
avoir présent à la pensée que les couleurs qu'il emploie pour peindre le Lion sont plutôt prises dans 
le sentiment que cet animal inspire communément que dans sa véritable nature : non pas, ainsi que 
le dit Fr. Cuvier, que les faits d'après lesquels ce sentiment s’est établi soient précisément faux, 
mais la plupart ont été présentés sous un faux point de vue, et ont donné naissance à de fausses 
idées. En effet, d’après les naturalistes et les voyageurs modernes, on doit dire que le Lion ressemble 
à tous Les autres Chats par son caractère comme par son organisation, et que, s'il a acquis une répu- 
tation de générosité, de noblesse, d’élévation, cela tient à quelques circonstances mal appréciées de 
ses actions. 

« Dans les pays chauds, écrit Bufion, les animaux terrestres sont plus grands et plus forts que 
dans les pays froids ou tempérés, ils sont aussi plus hardis, plus féroces: toutes leurs qualités 


156 HISTOIRE NATURELLE. 


naturelles semblent tenir de l'ardeur du climat. Le Lion né sous Le soleil bralant de PAfrique ou des 
Indes est le plus fort, le plus fier, le plus terrible de tous; nos Loups, nos autres animaux carnas- 
siers, loin d’être ses rivaux, seraient à peine ses pourvoyeurs. Les grands Chats d'Amérique sont, 
comme le climat, infiniment plus doux que ceux de l'Afrique; et ce qui prouve évidemment que l'excès 
de leur férocité vient de l'excès de la chaleur, c'est que, dans le niême pays, ceux qui habitent les 
hautes montagnes, où l'air est plus tempéré, sont d’un naturel différent de ceux qui demeurent dans 
les plaines, où la chaleur est extrême. Les Lions du mont Atlas, dont la cime est quelquefois couverte 
de neige, n'ont ni la hardiesse, ni la force, ni la férocité des Lions du Biledulgérid ou du Sahara, dont 
les plaines sont couvertes de sables brûlants. C'est surtout dans ces déserts ardents que se trouvent 
ces Lions terribles qui sont l’effroi des voyageurs et le fléau des provinces voisines; heureusement 
l'espèce n’est pas nombreuse, il paraît même qu'elle diminue tous les jours; car, de l'aveu de ceux 
qui ont parcouru cette partie de l'Afrique, il ne s’y trouve pas actuellement autant de Lions, à beau- 
coup près, qu'il v en avait autrefois. Les Romains tiraient de la Lybie, pour l'usage des spectacles, 
cinquante fois plus de Lions qu'on ne pourrait y en trouver aujourd’hui. On a remarqué de même 
qu'en Turquie, en Perse et dans l'Inde, les Lions sont maintenant beaucoup moins communs qu'il ne 
l'étaient anciennement; et, comme ce puissant et courageux animal fait sa proie de tous les autres 
animaux, et n’est lui-même la proie d'aucun, on ne peut attribuer la diminution de quantité dans son 
espèce qu'à l'augmentation du nombre dans celle de Fhomme; car il faut avouer que la force de ce roi 
des animaux ne tient pas contre l'adresse d'un Hottentot ou d’un nègre, qui souvent osent l'attaquer 
tète à tête avec des armes assez légères. 

« L'industrie de l'homme augmente avee le nombre; celle des animaux reste toujours la même : 
toutes les espèces nuisibles, comme celle du Lion, paraissent être reléguées et réduites à un petit 
nombre, non-seulement parce que Fhomme est partout devenu plus nombreux, mais aussi parce qu'il 
est devenu plus habile, et qu'il a su fabriquer des armes terribles auxquelles rien ne peut résister : 
beureux s'il n'eût jamais combiné le fer et le feu que pour la destruction des Lions ou des Tigres! 

« Cette supériorité de nombre et d'industrie dans l'homme, qui brise la force du Lion, en énerve 
aussi le Courage : cette qualité, quoique naturelle, s’exalte ou se tempère dans l'animal suivant l’u- 
sage heureux ou malheureux qu'il a fait de sa force. Dans les vastes déserts de Sahara, dans ceux qui 
semblent séparer deux races d'hommes très-différentes, les nègres et les Maures, entre le Sénégal 
et les extrémités de la Mauritanie, dans les terres inhabitées qui sont au-dessus du pays des Hotten- 
tots, et en général dans toutes les parties méridionales de l'Afrique et de l'Asie où l'homme a dédai- 
gné d'habiter, les Lions sont encore en assez grand nombre, et sont tels que la nature les produit : 
accoutumés à mesurer leurs forces avec tous les animaux qu'ils rencontrent, l'habitude de vaincre 
les rend intrépides et terribles; ne connaissant pas la puissance de l'homme, ils n’en ont nulle crainte; 
n'ayant pas éprouvé la force de ses armes, ils semblent les braver; les blessures les irritent, mais 
sans les effrayer; ils ne sont pas même déconcertés à l'aspect du grand nombre; un seul de ces Lions 
du désert attaque souvent une caravane entière, et, lorsqu'après un combat opiniâtre et violent il se 
sent affaibli, au lieu de fuir, il continue de battre en retraite, en faisant toujours face et sans ja- 
mais tourner le dos. Les Lions, au contraire, qui habitent aux environs des villes et des bourgades 
de l'Inde et de la Barbarie, ayant connu l'homme et la force de ses armes, ont perdu leur courage au 
point d'obéir à sa voix menaçante, de n’oser l'attaquer, de ne se jeter que sur le menu bétail, et, 
enfin, de s'enfuir en se laissant poursuivre par des femmes ou par des enfants, qui leur font, à coups 
de bâton, quitter prise et lâcher indignement leur prore. 

« Ce changement, cet adoucissement dans le naturel du Lion, indique assez qu’il est susceptible 
des impressions qu'on lui donne, et qu'il doit avoir assez de docilité pour s’apprivoiser jusqu'à un 
certain point, et pour recevoir une espèce d'éducation; aussi l’histoire nous parle de Lions attelés à 
des chars de triomphe, de Lions conduits à la guerre ou menés à la chasse, et qui, fidèles à leur mai- 
tre, ne déployaient leur force et leur courage que contre ses ennemis. Ce qu'il y a de très-sùr, c’est 
que le Lion, pris jeune, et élevé parmi les animaux domestiques, s’accoutume aisément à vivre et 
même à jouer innocemment avec eux, qu'il est doux pour ses maitres, et même caressant, surtout 
dans le premier âge, et que, si sa férocité naturelle reparaît quelquefois, il la tourne rarement contre 
ceux qui lui ont fait du bien. Comme ses mouvements sont très-impétueux et ses appétits fort véhé- 
ments, on ne doit pas présumer que les impressions de l'éducation puissent toujours les balancer; 


CARNASSIERS. 157 


aussi y aurait-il quelque danger à lui laisser souffrir trop longtemps la faim, ou à le contrarier en le 
tourmentant hors de propos: non-seulement il s'irrite des mauvais traitements, mais il en garde le 
souvenir et paraît en méditer la vengeance, comme il conserve aussi la mémoire et la reconnaissance 
des bienfaits. Je pourrais citer ici un grand nombre de faits particuliers, dans lesquels j'avoue que 
J'ai trouvé quelque exagération, mais qui cependant sont assez fondés pour prouver au moins, par 
leur réunion, que sa colère est noble, son courage magnanime, son naturel sensible. On l’a souvent 
vu dédaigner de petits ennemis, mépriser leurs insultes, et leur pardonner des libertés offensantes; 
on l’a vu, réduit en captivité, s’ennuyer sans s’aigrir, prendre, au contraire, des habitudes douces, 
obéir à son maître, flatter la main qui le nourrit, donner quelquefois la vie à ceux qu'on avait dé- 
voués à la mort en les lui jetant pour proie, et, comme s’il se fût attaché par cet acte généreux, leur 
continuer ensuite la même protection, vivre tranquillement avec eux, leur faire part de sa subsis- 
tance, se la laisser même quelquefois enlever tout entière, et souffrir plutôt la faim qne de perdre le 
fruit de son premier bienfait. 

« On pourrait dire aussi que le Lion n’est pas cruel, puisqu'il ne l’est que par nécessité, qu'il ne 
détruit qu'autant qu'il consomme, et que, dès qu'il est repu, il est en pleine paix, tandis que le Ti- 
gre, le Loup, et tant d’autres animaux d'espèce inférieure, tels que le Renard, la Fouine, le Putois, le 
Furet, ete., donnent la mort pour le seul plaisir de la donner, et que, dans leurs massacres nom- 
breux, ils semblent plutôt vouloir assouvir leur rage que leur faim. 

« L’extérieur du Lion ne dément point ses grandes qualités intérieures; il a la figure imposante, le 
regard assuré, la démarche fière, la voix terrible; sa taille n’est point excessive, comme celle de l'E- 
léphant ou du Rhinocéros; elle n’est ni lourde, comme celle de l'Hippopotame ou du Bœuf, ni trop 
ramassée, comme celle de l’Hyène ou de Ours, ni trop allongée, ni déformée par des inégalités 
comme celle du Chameau; mais elle est, au contraire, si bien prise et si bien proportionnée, que le 
corps du Lion pourrait être le modèle de la force jointe à l’agilité; aussi solide que nerveux, n’étant 
chargé ni de chair ni de graisse, et ne contenant rien de surabondant, il est tout nerf et muscle. 
Cette grande force musculaire se marque en dehors par les sauts et les bonds prodigieux que le Lion 
fait aisément, par le mouvement brusque de sa queue qui est assez forte pour terrasser un homme, 
par la facilité avec laquelle il fait mouvoir la peau de la face, et surtout celle de son front, ce qui, 
ajoute beaucoup à la physionomie ou plutôt à l'expression de la fureur, et, enfin, par la faculté qu'il 
à de remuer sa crinière, laquelle non-seulement se hérisse, mais se meut et s’agite en tous sens lors- 
qu'il est en colère. 

« À toutes ses nobles qualités individuelles, le Lion joint aussi la noblesse de l'espèce; j'entends 
par espèces nobles dans la nature, celles qui sont constantes, invariables, et qu'on ne peut soupçon- 
ver de s'être dégradées : ces espèces sont ordinairement isolées et seules de leur genre; elles sont 
distinguées par des caractères si tranchés, qu'on ne peut ni les méconnaître ni les confondre avec 
aucune des autres, à commencer par l’homme, qui est l'être le plus noble de la création, puisque les 
hommes de toutes les races, de tous les climats, de toutes les couleurs, peuvent se mêler et produire 
ensemble, et qu’en même temps l’on ne doit pas dire qu'aucun animal appartienne à l'homme ni de 
près ni de loin par une parenté naturelle. Dans le Cheval, l'espèce n’est pas aussi noble que l'indi- 
vidu, parce qu’elle a pour voisine l'espèce de l’Ane, laquelle paraît même lui appartenir d’assez près, 
puisque ces deux animaux produisent ensemble des individus, qu’à la vérité la nature traite comme 
des bâtards indignes de faire race, incapables même de perpétuer l'une ou l’autre des deux espèces 
desquelles ils sont issus; mais qui, provenant du mélange des deux, ne laissent pas de prouver leur 
grande affinité. Dans le Chien, l'espèce est peut-être encore moins noble, parce qu’elle paraît tenir 
de près de celles du Loup, du Renard et du Chacal, qu'on peut regarder comme des branches dégé- 
nérées de la même famille. Et, en descendant par degrés aux espèces inférieures, comme à celles des 
Lapins, des Belettes, des Rats, ete., on trouvera que chacune de ces espèces en particulier ayant un grand 
nombre de collatérales, l’on ne peut plus reconnaître la souche commune ni la tige directe de chacune 
de ces familles devenues trop nombreuses. Enfin, dans les insectes, qu'on doit regarder comme les es- 
pèces infimes de la nature, chacune est accompagnée de tant d'espèces voisines, qu'il n’est plus pos- 
sible de les considérer une à une, et qu'on est forcé d’en faire un bloc, c’est-à-dire un genre, lors- 
qu’on veut les dénommer. C’est là la véritable origine des méthodes, quon ne doit employer, en effet, 
que pour les dénombrements difficiles des plus petits objets de la nature, et qui deviennent totale- 


158 HISTOIRE NATURELLE. 


ment inatiles et même ridicules lorsqu'il s'agit des êtres du premier rang : classer l'homme avec le 
Singe, le Lion avec le Chat, dire que le Lion est un Chat à crinière et à queue longue, c'est dégra- 
der, défigurer la nature au lieu de la décrire et de la dénommer. 

« L'espèce du Lion est donc une des plus nobles, puisqu'elle est unique, et qu’on ne peut la con- 
fondre avec celle du Tigre, du Léopard, de l'Once, ete., et qu'au contraire ces espèces, qui sem- 
blent étre les moins éloignées de celles du Lion, sont assez peu distinctes entre elles pour avoir été 
confondues par les voyageurs et prises les unes pour les autres par les nomenclateurs. 

« Les Lions de la plus grande taille ont environ huit ou neuf pieds de longueur depuis le 
muñle jusqu'à l'origine de la queue, qui est elle-même longue d'environ quatre pieds; ces grands 
Lions ont quatre ou cinq pieds de hauteur. Les Lions de petite taille ont environ cinq pivds et demi 
de longueur sur trois pieds et demi de hauteur, et la queue longue de trois pieds. La Lionne est dans 
toutes les dimensions d'environ un quart plus petite que le Lion. 

a Ces animaux sont très-ardents en amour; lorsque la femelle est en chaleur, elle est quelquefois 
suivie de huit ou dix mâles, qui ne cessent de rugir autour d'elle et de se livrer des combats furieux 
jusqu’à ce que l'un d’entre eux, vainqueur de tous les autres, en demeure paisible possesseur et s’éloi- 
gne avec elle. La Lionne met bas au printemps, et ne produit qu'une fois tous les ans, ce qui indi- 
que encore qu’elle est occupée pendant plusieurs mois à soigner et allaiter ses petits, et que, par con- 
séquent, le temps de leur premier accroissement, pendant lequel ils ont besoin des secours de leur 
mère, est au moins de quelques mois. 

« Dans ces animaux, toutes les passions, même les plus douces, sont excessives, et l'amour ma- 
ternel est extrême. La Lionne, naturellement moins forte que le Lion, devient terrible dès qu'elle a 
des petits; elle se montre alors avec encore plus de hardiesse que le Lion: elle ne connait point le 
danger; elle se jette indifféremment sur les hommes et sur les animaux qu’elle rencontre; elle Les met à 
mort, se charge ensuite de sa proie, la porte et la partage à ses Lionceaux, auxquels elle apprend 
de bonne heure à sucer le sang et à déchirer la chair. D’ordinaire, elle met bas dans des lieux écar- 
tés et de difficile accès; et, lorsqu'elle craint d’être découverte, elle cache ses traces en retournant 
plusieurs fois sur ses pas, ou bien elle les efface avec sa queue; quelquefois même, lorsque l'inquié- 
tude est grande, elle transporte ailleurs ses petits, et, quand on veut les lui arracher, elle devient 
fasieuse, et les défend jusqu'à la dernière extrémité. 

€ On croit que le Lion n’a pas l'odorat aussi parfait ni les yeux aussi bons que la plupart des au- 
tres animaux de proie : on a remarqué que la grande lumière du soleil parait l’incommoder, qu'il 
marche rarement dans le milieu du jour, que c’est pendant la nuit qu’il fait toutes ses courses, que, 
quand il voit des feux allumés autour des troupeaux, il n’en approche guère, etc.; on a observé qu'il 
n'évente pas de loin l’odeur des autres animaux, qu'il ne les chasse qu'à vue et non pas en les sui- 
vant à la piste, comme font les Chiens et les Loups, dont l'odorat est plus fin. Gn a même donné le 
nom de Guide ou de Pourvoyeur du Lion à une espèce de Lynx auquel on suppose la vue perçante 
et l'odorat exquis, et on prétend que ce Lynx accompagne ou précède toujours le Lion pour lui indi- 
quer sa proie : nous connaissons cet anima, qui se trouve, comme le Lion, en Arabie, en Lybie, ete., 
qui, comme lui, vit de proie, et le suit peut-être quelquefois pour profiter de ses restes, car, étant 
faible et de petite taille, il doit fuir le Lion plutôt que le servir. 

« Le Lion, lorsqu'il a faim, attaque de face tous les animaux qui se présentent ; mais, comme il 
est très-redouté et que tous cherchent à éviter sa rencontre, il est souvent obligé de se cacher et de 
les attendre au passage; il se tapit sur le ventre dans un endroit fourré, d’où il s’élance avec tant de 
force, qu'il les saisit souvent du premier bond : dans les déserts et les forêts, sa nourriture la plus 
ordinaire sont les Gazelles et les Singes, quoiqu'il ne prenne ceux-ci que lorsqu'ils sont à terre, car 
ilne grimpe pas sur les arbres comme le Tigre ou le Puma; il mange beaucoup à la fois et se remplit 
pour deux ou trois jours; il a les dents si fortes, qu'il brise aisément les os, et il les avale avec la chair. 
On prétend qu'il supporte longtemps la faim; comme son tempérament est excessivement chaud, il 
supporte moins la soif, et boit toutes les fois qu'il peut trouver de l'eau. Il prend Peau en lapant 
comme un Chien; mais, au lieu que la langue du Chien se courbe en dessus pour lappér, celle du Lion 
se courbe en dessous, ce qui fait qu'il est longtemps à boire et qu'il perd beaucoup d'eau; il lui 
faut environ quinze livres de chair crue par jour; il préfère la chair des animaux vivants, de ceux sur- 
tout qu'il vient d'égorger; il ne se jette pas volontiers sur les cadavres infects, et il aime mieux 


CARNASSIERS. 199 


chasser une nouvelle proie que de retourner chercher les restes de la première; mais, quoique d'or- 
dinaire il se nourrisse de chair fraîche, son haleine est très-forte et son nrine a une odeur insup- 
portable. 

« Le rugissement du Lion est si fort, que, quand il se fait entendre, par échos, la nuit dans les 
déserts, il ressemble au bruit au tonnerre; ce rugissement est sa voix ordinaire, car, quand il est en 
colère, il a un autre cri qui est court et réitéré subitement; au lieu que le rugissement est un eri 
prolongé, une espèce de grondement d'un ton grave, mêlé d’un frémissement plus aigu : il rugit cinq 
ou six fois par jour, et plus souvent lorsqu'il doit tomber de la pluie. Le cri qu'il fait lorsqu'il est 
en colère est encore plus terrible que le rugissement; alors il se bat les flancs de sa queue, il en bat 
la terre, remue ses gros sourcils, montre des dents menaçantes, et tire une langue armée de pointes 
si dures, qu'elle suffit seule pour écorcher la peau et entamer la chair sans le secours des dents ni 
des ongles, qui sont après les dents ses armes les plus cruelles. Il est beaucoup plus fort par la tête, 
les mâchoires et les jambes de devant, que par les parties postérieures du corps; il voit la nuit 
comme les Chats; il ne dort pas longtemps et s’éveille aisément; mais c’est mal à propos que l'on a 
prétendu qu'il dormait les yeux ouverts. 

« La démarche du Lion est fière, grave et lente, quoique toujours oblique. Sa course ne se fait pas 
par des mouvements égaux, mais par sauts et par bonds, et ses mouvements sont si brusques, qu'il 
ne peut s'arrêter à l'instant, et qu'il passe presque toujours son but : lorsqu'il saute sur sa proie, il 
fait un bond de douze à quinze pieds, tombe dessus, la saisit, et, avec les pattes de devant, la dé- 
chire avec les ongles et ensuite la dévore avec les dents. Tant qu'il est jeune et qu'il a de la légèreté, 
il vit du produit de sa chasse, et quitte rarement ses déserts et ses forêts, où il trouve assez d'ani- 
maux sauvages pour subsister aisément; mais lorsqu'il devient vieux, pesant et moins propre à 
l'exercice de la chasse, il s'approche des lieux fréquentés et devient plus dangereux pour l'homme 
et pour les animaux domestiques; seulement on a remarqué que, lorsqu'il voit des hommes et des 
animaux ensemble, c'est toujours sur les animaux qu’il se jette et jamais sur les hommes, à moins 
qu'ils ne le frappent, car alors il reconnait à merveille celui qui vient de l’offenser, et il quitte sa 
proie pour se venger. 

« Quelque terrible que soit cet animal, on ne laisse pas de lui donner la chasse avec des Chiens de 
grande taille et bien appuyés par des h:mmes à cheval : on le déloge ou le fait retirer; mais il faut 
que les Chiens et même les Chevaux soient aguerris auparavant, car presque tous les animaux fré- 
missent et s'enfuient à la seule odeur du Lion. Sa peau, quoique d'un tissu ferme et serré, ne résiste 
point à la balle, ni même au javelot; néanmoins, on ne le tue presque jamais d’un seul coup : on le 
prend souvent par adresse, comme nous prenons les Loups, en le faisant tomber dans une fosse 
profonde qu'on recouvre avec des matières légères, au-dessus desquelles on attache un animal vivant. 
Le Lion devient doux dès qu'il est pris, et, si l'on profite des premiers moments de sa surprise ou de 
sa honte, on peut l’attacher, le museler et le conduire où l’on veut. 

« La chair du Lion est d’un goût désagréable et fort; cependant les nègres et les Indiens ne la 
trouvent pas mauvaise et en mangent souvent : la peau, qui faisait autrefois la tunique des héros, 
sert à ces peuples de manteau et de lit; ils en gardent aussi la graisse, qui est d’une qualité fort pé- 
nétrante, et qui même était de quelque usage dans notre ancienne médecine. » 

Le tableau que De Lacépède nous a tracé de la Lionne est peint avec trop de force et de vérité pour 
que nous ne le reproduisions pas à la suite de celui que Buffon a donné du Lion, et que nous ve- 
nons de donner. «Le Lion, dit-il, a dans sa physionomie un mélange de noblesse, de gra- 
vité et d’audace, qui décèle, pour ainsi dire, la supériorité de ses armes et l'énergie de ses mus- 
cles. La Lionne a la grâce et la légèreté; sa tête n’est point ornée de ces poils longs et touffus 
qui entourent la face du Lion et se répandent sur son cou en flocons ondulés; elle a moins de 
parure; mais, douée des attributs distinctifs de son sexe, elle montre plus d'agrement dans ses 
attitudes, plus de souplesse dans ses mouvements. Plus petite que le Lion, elle a peut-être moins de 
force; mais elle compense, par sa vitesse, ce qui manque à sa masse. Conime le Lion, elle ne touche 
la terre que par l'extrémité de ses doigts; ses jambes, élastiques et agiles, paraissent en quelque 
sorte quatre ressorts toujours prèts à se débander pour la repousser loin du sol et la lancer à de 
grandes distances; elle saute, bondit, s'élance comme le mâle, franchit comme lui des espaces de 
douze à quinze pieds: sa vivacité est même plus grande, sa sensibilité plus ardente, son désir plus 


160 HISTOIRE NATURELLE 


véhément, son repos plus court, son départ plus brusque, son élan plus impétueux. Elle offre aussi 
cette couleur uniforme et sans tache, dont la nuance rousse ou fauve suffirait pour faire reconnaitre 
le Lion au milieu des autres Carnassiers, et pour le séparer même du Couguar, ou prétendu Lion 
d'Amérique. » 

On sait que le Lion peut se reproduire dans nos Ménageries, où on le voit fréquemment, et l'on à 
pu même obtenir le produit d'une Lionne et d'un Tigre, espèce qui, ainsi que nous le verrons, en 
est assez voisine. 


Fig. 85. — Lion et Lionne, 


Dans nos climats, ainsi que le fait observer Fr. Cuvier, quelques précautions seraient nécessaires 
pour faciliter la reproduction de ces animaux : la principale consisterait à les tenir très-chaudement 
et de manière qu'ils ne fussent point plongés dans l'atmosphère humide et malsaine de toutes nos 
Ménageries. En effet, aucun des petits nés au Muséum de Paris n’a véeu au delà d’un an, c’est-à-dire 
au delà de l’époque où les canines se développent, époque qui paraît très-dangereuse pour les Lions. 
De Lacépède a donné des détails intéressants sur une Lionne provenant de Barbarie, qui a produit 
à notre Ménagerie. Lorsque cette Lionne eut six ans, elle entra en chaleur, et les signes que cet état 
produisirent furent les mêmes que chez la Chatte; elle s'accoupla, devint pleine; mais au bout de 
deux mois elle mit au monde deux fœtus morts qui n'avaient pas de poils. Vingt et un Jours après, 
elle revint en chaleur, et, dans le même jour, reçut cinq fois le mâle; et l'on S’aperçut bientôt qu'elle 
était pleine. Au bout de cent huit jours, c’est-à-dire un peu plus de trois mois et demi, dès sept 
heures du matin, ses douleurs commencèrent; à dix heures elle mit bas un petit Lion mâle; un second 


CAPRNASSIERS. 161 


Lionceau naquit à dix heures et demie, et un troisième à onze heures un quart. L'un de ces trois 
jeunes Lions avait, cinq jours après sa naissance, environ un pied depuis le devant du front jusqu'à 
l'origine de la queue; la queue était longue de cinq pouces dix lignes. Lorsque ces Lionceaux sont 
venus au jour, ils n'avaient pas de crinière; et, en effet, ce n'est qu'à trois ans que cette parure 
parait : et, en outre, ils n'avaient pas au bout de la queue ce flocon de poils qu'on observe chez les 
adultes. Leur poil était laineux et n'offrait pas encore la couleur de la robe de leur père; il présentait 
sur un fond mélé de gris et de roux un grand nombre de bandes petites et brunes, qui étaient surtout 
très-distinctes sur l'épine dorsale et vers l'origine de la queue, et qui étaient disposées transversale- 
ment et de chaque côté d’une raie longitudinale brune, et étendue depuis le derrière de la tête jusqu'au 


bout de la queue. À mesure que ces Lionceaux grandirent, les nuances de leurs couleurs se rappro- 
chèrent de celles du Lion adulte; leurs bandes et leur raie disparurent, et les proportions de leurs 
différentes parties se rapprochèrent de celles de leur père ou de leur mère : toutefois, à l'âge de 
ueuf mois, les jeunes mäles nés à notre Muséum avaient encore la raie longitudinale et les bandes 
transversales sur le dos. C'est en novembre 1801 que les Lionceaux sont nés; vers la fin de mars de 
l'année suivante, leur mère a été couverte par le mâle, et le 15 juillet elle a donné le jour à deux 
Jeunes Lionnes; elle a porté ces deux femelles pendant un temps égal, ou à peu près, à celui pendant 
lequel elle avait porté les trois Lionceaux mâles. Peu de temps après la naissance de ces deux fe- 
melles, les trois Lionceaux étaient déjà devenus méchants. Un de ces jeunes Lions, qu’on avait coupé 
pour tâcher de savoir quel peut être l'effet de Ja castration sur des individus d’une espèce aussi ter- 
ce? 21 


162 HISTOIRE NATURELLE, 


rible que celle du Lion, paraissait moins traitable que les autres. La Lionne à quatre mamelles : 
l'allaitement dura six mois. Ainsi que la Chatte, la Lionne avait le plus grand soin de ses petits; elle 
les léchait sans cesse, ne les quittait point, et les entretenait dans une grande propreté. Cependant 
une profonde inquiétude l'agitait souvent; il semblait qu'un instinet secret l'excität à vouloir les 
porter dans des lieux cachés et loin de la vue des hommes : elle les prenait entre ses dents, et, dans 
un grand état d'agitation, les promenait pendant des quarts d'heure, ce qui a occasionné la mort de 
plusieurs. 

On n'a pu suivre sur aucun de ces jeunes Lions les progrès du développement du caractère, car ils 
sont tous morts, et il paraît qu'ils ont succomhé aux premiers effets de la dentition; les deux jeunes 
Lionnes de la seconde portée périrent aussi à la même époque. Avant l'époque citée par De Lacépède, 
ct aussi depuis, on à constaté plusieurs cas de reproduction de Lions dans les Ménageries d'Europe, 
principalement à Florence, à Naples, et surtout en Angleterre, où les animaux des Ménageries sont 
soignés avec le plus grand soin. En 1824, il est né, à la Ménagerie de Windsor, d'une Tigresse qu'on 
avait accouplée avee un Lion, deux petits : ils étaient très-doux l'un et l’autre, ne ressemblaient ni à 
leur pére ni à leur mère, et ne se ressemblaient pas même entre eux. Ge fait du croisement de deux 
espèces aussi distinctes, et qui avait été nié à tort par Buffon, ne pourrait-il pas, ainsi que le fait 
remarquer M. Boitard, expliquer la grande confusion qui existe dans l'histoire de la synonymie des 
Chats ? 

Les exeréments de ces animaux sont semblables à ceux du Chat, et très-fétides. Le mâle, du moins 
dans nos Ménageries, ne se débarrasse des siens qu’une fois par jour; son urine est aussi très-puaute, 
ainsi que celle des Lionnes. 

Comme nous l'avons dit, Buffon a embelli le tableau lorsqu'il nous a tracé l'histoire du Lion; mais 
peut-être aussi certains naturalistes ont-ils exagéré en sens opposé. Quoi qu'il en soit, et en pre- 
nant note de cette dernière remarque, rapportons à ce sujet ce qu'en dit l’auteur de l’article Chat 
du Dictionnaire universel d'Histoire naturelle. 

«I est fâcheux que toutes les belles qualités du Lion s’évanouissent devant la réalité toujours peu 
poétique et encore moins flatteuse. Ce roi des animaux ressemble à tous ses congénères, ou, s'il se dis- 
tingue du Tigre, du Jaguar, etc., c’est par sa poltronnerie. Quoique n'ayant pas la pupille nocturne, il 
ne sort de sa retraite que la nuit et seulement quand il est poussé par la faim. Alors, soit qu'il se glisse 
dans les ténèbres à travers les buissons, soit qu'il se mette en embuscade dans les roseaux, sur les 
bords d’une mare où les animaux viennent boire, par un bond énorme il s’élance sur sa victime, qui 
est toujours un animal faible et innocent, ne pouvant lui opposer aucune résistance, lors même que, 
dans son attaque, il n’emploierait pas la surprise, la ruse ou la perfidie. Ce n’est que poussé par 
une faim extrême qu'il ose assaillir un Bœuf ou un Cheval, ou tout autre animal capable de lui résis- 
ter. Dans tous les cas, s'il manque son coup, il ne cherche pas à poursuivre sa proie, parce qu'il ne 
peut courir, et l'on a appelé cela de la générosité, comme on à décoré du nom de gravité la lenteur 
forcée de sa marche. Sa nourriture ordinaire consiste en Gazelles. Dans l'ombre, il parcourt la cam- 
pagne, et, s'il ose alors s'approcher en silence des habitations, est pour chercher à S'emparer des 
pièces de menu bétail échappées de la bergerie; il ne dédaigne pas même de prendre des Oies et 
autres volailles quand il en trouve l’occasion. Enfin, faute de mieux, il se jette sur les charognes et 
les voiries, malgré cette noblesse et cette délicatesse de goût qu'on lui suppose. Il est arrivé assez 
souvent à nos sentinelles, à Constantine, de tirer et de tuer des Lions qui venaient la nuit rôder au- 
tour de Ja ville, afin de manger les immondices jetées hors des murs. Si, pendant le jour, un Lion a 
la hardiesse de s'approcher en tapinois d'un troupeau pour en saisir un Mouton, les bergers crient 
aussitôt haro sur le voleur, le poursuivent à coups de bâton, lui arrachent sa proie de vive force 
mettent leurs Chiens à ses trousses, et le forcent à une fuite honteuse et précipitée. [en arrive sou- 
vent ainsi au cap de Bonne-Espérance, quand les howars hollandais le surprennent rôdant autour de 
leurs écuries : ils en ont même tué quelquefois à coups de fourche. Mais c’est dans les vastes solitudes, 
où il domine en maitre parce qu'il domine seul, que le Lion déploie toutes les facultés qui assurent sa 
puissance. » 

Un intrépide voyageur français, Adulphe Delegorgue, dans son Voyage dans l'Afrique australe 
€ vol. in-8. Paris, A. René et compagnie, 1847), ouvrage très-peu répandu, a donné d'intéressants 
Iétails sur les mœurs des animaux en grand nombre, qu'il a chassés nombre de fois dans lapro- 


CARNASSIERS. 165 


vince du cap de Bonne-Espérance. Les faits rapportés par Adulphe Delegorgue, mort depuis peu 
d'années, au commencement d'un second voyage, victime de son zèle pour la science, ceux surtout 
qui concernent la chasse du Lion, nous ont semblé trop importants pour que nous n'ayons pas 
cru utile de les transcrire ici malgré leur longueur et parce que leur authenticité nous parait cer- 
laine. Nous avons pensé que ces détails compléteraient ceux que nous avons rapportés, et qu'ils 
rectifieraient en même temps certains faits qu'indiquent continuellement les naturalistes et les voya- 
geurs, et qui ne sont cependant pas tout à fait authentiques. Nous croyons intéresser nos lecteurs, 
et nous faire ainsi pardonner la longueur du récit qui va suivre; puissions-nous par là rendre aussi 
bommage à la mémoire de l'infortuné Delegorgue. 

« Le Lion, qui, chez nous, jouit d'une si haute réputation de noblesse et de courage, ne la conserve 
probablement aussi entière que parce qu'il habite loin de notre pays, et que nous ne sommes nulle- 
ment à même d'observer ses mœurs à l’état sauvage. Au dire des chasseurs sud-africains habitants 
des contrées nouvellement envahies, où chaque jour on rencontre de ces animaux, le Lion est un ani- 
mal qu'il est prudent de laisser passer sans molestation. Sa chasse offre des dangers, et la posses- 
sion de sa peau, ne rapportant que de cinquante à soixante-quinze francs, ne tente pas suffisamment 
la cupidité pour engager des hommes à en faire une chasse spéciale. Aussi le plus souvent le Lion 
doit-il la vie à son peu de valeur intrinsèque. Mais, par suite de ses déprédations nocturnes, quand. 
après avoir dispersé des Bœufs, le Lion s’est emparé de quelqu'un d’entre eux, la colère du Boer, 
lésé dans ses intérêts les plus chers, ne connaît point de bornes; elle ne calcule plus rien, et son 
apaisement ne sera complet que lorsque la peau du Lion, portée au marché, aura payé une partie des 
pertes. 

« Notre Boer partira seul à cheval; quelquefois des amis laccompagneront, la société est peu utile; 
elle tourne même fréquemment à l'avantage du Lion que l’on attaque. L'animal a été vu; il s'est levé; 
lentement et fièrement, il a parcouru de quinze à trente pas, jetant fréquemment un regard sur ses 
derrières, puis il s’est couché. Son parti est bien pris : ce qu'il veut, c'est tout d'abord du respect; 
l'attaque-t-on, c'est vaincre où mourir. 

«Le Boer l'approche à trente pas. Jusque-là point de danger; il est libre encore de l'attaque et de 
la retraite; mais, bien résolu, notre homme tourne son Cheval la croupe du côté du Lion. Il en saute 
à bas, conservant la bride passée au bras gauche; il ajuste et tire. Que la balle ait atteint la cervelle, 
la mort est instantanée; l'animal roule ou s'affaisse alors, sans rien témoigner qu’un tremblement des 
pattes, qui s'allongent, et tout est fini. Mais, que le chasseur ait tiré en plein corps, la question 
change. Il est impossible de savoir si le coup est léger ou mortel; l’hémorragie peut se déclarer dans 
l'effort violent que fait l'animal pour se venger; elle est plus ou moins prompte, lors même que le 
cœur à été traversé de part en part; et, dans une circonstance de ce genre, il arriva que le Lion vécut 
encore assez pour s'élancer sur le Cheval, le déchirer de trois coups de patte, lorsqu'il expira pro- 
che du cavalier, renversé par le choc. 

« Que l'animal ne soit que légèrement blessé, le chasseur doit s'attendre à une sévère riposte dont 
ne saurait le sauver le galop de son Cheval, trop lent à s’ébranler, et sur lequel tombera le Lion au 
second ou troisième bound. Faire tête alors en croisant la baïonnette, je le suppose, système inventé 
par des chasseurs de cabinet, serait un pis-aller inutile, nuisible même; car, du choc, l'homme le plus 
solide sera renversé sous le Lion, et, en admettant même que l'animal se soit enferré le cœur, 
l'heureux succès inespéré n’empêchera pas que l’homme ne soit déchiré en lambeaux d'un ceup de 
griffe ou croqué d’un coup de dent. 

« Le mieux, en pareil cas, est de faire le sacrifice du Cheval en s’en écartant pour recharger son 
arme, et tout chasseur qui se possède pourra. s’il le veut ensuite, approcher à bout portant le Car- 
nassier furieux qui s’acharne sur sa victime, et l'étendre d’un seul coup à ses pieds, parce que, dans 
les efforts que fait le Lion pour mordre à plaisir, les muscles des mächoires agissent d’une façon 
puissante, tandis que les organes voisins restent neutres, comme si leur coopération était inutile. 
Ainsi, alors les yeux sont fermés, et le Lion, qui savoure la vengeance, ne voit pas plus que s'il était 
aveugle. Les Cafres des frontières de la colonie du cap de Bonne-Espérance, vulgairement nom- 
més Cafres chauves, sont tellement convaincus de cette particularité, qu'ils basent leur mode d’atta- 
que sur sa connaissance. 

« L'un d'eux, porteur d’un vaste bouclier de buffle, épais et dur, auquel à été donné une forme 


164 HISTOIRE NATURELLE. 


concave, s'approche le premier de l'animal et lui lance hardiment une assagaye. Le Lion bondit vers 
son agresseur;, mais l'homme s’est laissé tomber à plat sur la terre, et son bouclier le recouvre de 
même que ces cônes marins adhérant aux rochers sans permettre la moindre prise. Un instant de 
stupéfaction s'écoule pour l'animal indécis, puis il essaye ses griffes et ses dents sur la partie supé- 
rieure du bouclier, qui les voit glisser sans effet produit. I redouble en y mettant plus de force, 
et alors, cerné par la bande d'hommes armés, son corps est tour à tour percé de vingt, de cent 
assagayes à la hampe trémoussante qu'il s'imagine recevoir de l'homme qu'il tient sous lui. Les as- 
saillants se retirent, le Lion s’affaiblit bientôt et tombe à côté du Cafre à la carapace, lequel a soin 
de ne se dégager que quand le terrible animal ne donne plus signe de vie. 

« Le Cheval, dans la chasse du Lion que font les Boers, x son utilité, non dans le but de joindre 
l'animal, lequel, s'il est vu en plaine découverte, atteindra toujours son ennemi, mais bien pour sau- 
ver le cavalier des griffes du Lion, par substitution si le cas l'exige; ear il est à la connaissance de 
tous les chasseurs sud-africains que le Cheval sera toujours la première victime. Le Cheval est un 
traître qui prête son dos à l'homme; le Lion ne le craint pas; il en vient facilement à bout; il en fait 
sa proie favorite. L'homme, au contraire, diffère des animaux à quatre pattes; le Lion le craint da- 
vantage; fréquemment ceux de sa race sont tués par lui, et dans toute contrée giboyeuse il ne dévore 
pas l'homme après l'avoir tué. 

« Certains animaux, lorsqu'ils sont mortellement blessés, témoignent une faiblesse qui résulte, 
soit de leur peu de moyens de défense, soit de la douceur de leur caractère : les uns poussent des 
cris plaintifs, qu'ils ne font entendre qu'à cette heure suprême; les autres versent des larmes; la 
Canna surtout attendrit le chasseur, qu'il semble implorer, au lieu de se servir contre lui de ses re- 
doutables cornes; d’autres se résignent simplement, sans donner aucune marque ni de force ni de fai- 
blesse. Le Lion diffère d'eux tous; ilsemble se rapprocher de l'homme; il participe hautement du dés- 
espoir du vaincu. A-t-il la conscience de sa mort prochaine, tant qu'il conserve la faculté de se mou- 
voir, griffes et dents sont en action, sa défense peut être comparée à la plus vigoureuse attaque; 
mais est-il démonté, ses ennemis se tiennent-ils à une distance infranchissable pour lui, traversé 
déjà dans ses parties vitales, le désespoir s'empare tout entier de lui, l'effort de ses dents se tourne 
contre lui-même; il se croque les pattes, se brise les doigts, comme s'il tentait de s'anéantir, comme 
s'il voulait devenir l’auteur de sa propre mort. C'est un véritable suicide que les armes reçues de la 
nature ne lui permettent pas de consommer. 

« Mais un si grand courage n'est provoqué que par des circonstances indépendantes de la volonté 
du Lion, et, jugé sous un autre aspect, le roi des animaux ne mérite plus son titre; il n'est même 
plus digne du respect qu'on lui porte. En effet, et plus de cinquante fois je l'ai vu, le Lion, pris au 
dépourvu, s'enfuit à l'aspect d’un homme seul, d'un enfant, d’un Chien qui surgit inopinément de- 
vant et proche de lui. Dans un pays coupé de ravins, parsemé de collines, présentant quelques bois 
qui servent à couvrir sa retraite, le Lion détale à cinq cents pas sur le seul bruit de voix d'hommes que 
lui rapportent les vents. Il est certain de n'avoir point été soupçonné; il fuit prudemment, de crainte 
de danger; la compagnie de trois ou quatre de ses semblables ne le rassure pas; il part avec eux, 
doucement et sans bruit d'abord, rapidement et par larges bonds ensuite. La peur, sans aucun doute, 
s’est emparée de lui, et il cède à la peur! 

«Est-ce en pays découvert, où se présentent des inégalités de terrain, le Lion en profite, mais il 
n'ôse se lancer à la course; il craint de donner à penser à l'homme qu'il songe à fuir. I semble re- 
douter de compromettre sa dignité; il tourne, retourne, comme s'il s’occupait d'autre chose, mais 
s'éloignant toujours; et, sans aucun doute, il ira loin si l'homme ne fait aucune démarche. Veut-on 
l'arrêter dans sa retraite lorsqu'il reste en vue, rien de plus aisé : il suffit d'agiter les bras et de le 
héler fortement; le Lion reste en place et écoute; mais, quand le silence se fait, le Lion continue. 
Va-t-on droit à lui en criant encore, il s'arrête de nouveau; souvent même il se couche immédiatement. 
Malgré lui, le Lion accepte le défi lancé; cette fois, son honneur, sa réputation de courage, sont mis 
en jeu. Mais le chasseur peut, s'il Le veut, déloger l'animal de sa position prise, et le moyen est aussi 
facile qu'étrange. 

«€ Des herbes longues d'un mètre couvrent la terre; que l'homme qui s'en approche de loin s'y 
accroupisse où qu'il s’y couche, l'animal s'inquiète de ne plus voir son ennemi; $'imagine-t-il que 
selui-ci va le tourner ou se préparer à bondir, à l’attaquer d’une manière imprévue? Je ne sais ce 


CARNASSIERS. 165 


qu'il est convenablement permis de supposer en ce cas; mais tant de fois je lai essayé, et jamais le 
Lion n’est resté en place. Bien plus, quand je ne le voulais pas, pour m'être simplement agenouillé, 
afin d'éviter des branches d'arbres, ou pour mieux ajuster mon canon de fusil sur des Lions levés de 
quelques pas, en se tenant à trente, je vis chaque fois partir ces animaux, saisis d’une panique irré- 
sistible, et, outre ceux qui me sont propres, mille faits de ce genre que m'ont racontés des chasseurs 
plus vieux et plus expérimentés que moi confirment pleinement mon opinion à cet égard. 

€ I ne faut pas croire non plus qu’il soit dangereux de blesser un Lion surpris sans s'y attendre; 
son premier mouvement sera toujours de fuir, s'il est en état de le faire. Ainsi donc, qu'un Lion 
sommeille, les jambes allongées, ou qu'il quitte sa proie, sur laquelle il a concentré son attention, 
pourvu qu'il ne sache rien du chasseur, celui-ci ne doit jamais hésiter à faire usage de ses armes : 
ainsi j'ai fait maintes fois, à de très-courtes distances, sans courir le moindre danger. 

« La nuit, cet animal, qui, comme tous ceux de la race féline, jouit d'une excellente vue, atteste 
par ses actes une audace voisine de la témérité. Le domaine de l'homme, dont il s’écarte pendant le 
jour, lui devient familier durant les ténèbres. Le Lion ne balance point à saisir le Cheval attaché près 
du maître qui dort, et le bœuf fixé par les cornes aux roues d’un chariot habité, souvent même en 
dépit des Chiens, trop tardifs à aboyer. Le cri des hommes, la détonation du fusil, ne réussissent 
pas à le chasser; mieux vaut l'usage du long fouet, dont la mèche le châtie et l’effraye par son éclat 
trop voisin. 

« Mais que l'homme change brusquement de rôle, qu'il blesse le Lion trop confiant dans les avan- 
tages que lui offre l'obscurité plus où moins incomplète, le Lion, alors, désappointé, honteux et pe- 
naud, se retire sans plus rien oser tenter. En effet, la partie est perdue pour lui : les Bœufs, solide- 
ment fixés, sont tout debout, incapables d’obéir à la peur qui les presse de fuir et les livre aux Lions; 
les Chiens aboient, prêts à réclamer le voleur, et les hommes ne dorment plus. Que la lune se dé- 
masque un instant, ou seulement que quelques étoiles nous désignent d’un rayon le Lion, dont le 
plan d'attaque échoue, tirez-le hardiment : confus, il partira. Ainsi, encore une fois, ai-je fait à dix pas 
sur un Lion d’abord suivi peu après de sa femelle, À défaut de toute autre arme sous la main, mon 
fusil double chargé du n° 5 fit grogner et partir l'un et l’autre, sans qu’ils osassent témoigner autre- 
ment leur colère. 

« Dans les contrées où, faute d’un gibier suffisant et facile, le Lion est réduit à convoiter, le jour, 
les troupeaux des habitants et à tenter d’en saisir quelque individu la nuit, son habitude est de 
faire plus d’un repas de sa proie. Pour peu que l’on prenne ses précautions et que l'animal ait faim, 
il est assez aisé de lavoir sous le coup du fusil; il suffit de se poster à proximité des débris et d'y 
attendre patiemment que le maître paraisse. C’est d'ordinaire entre dix et onze heures de la nuit que 
l'espérance du chasseur se réalise; le Lion arrive lentement par le dessous du vent, et toute chance 
favorise l'homme, si l'animal n’a point croisé la ligne de ses émanations; mais pas de bruit, pas un 
souffle inutile, que pas une feuille ne bouge; et, blessé sans aucun soupçon, l'animal partira s'il n’est 
étendu mort. 

«Si, au contraire, le Lion a deviné la présence du chasseur, qu'il l'ait entrevu, celui-ci court les 
plus grands risques. Cette fois le Lion se considère maître de ce qu’il a conquis, et d'ordinaire il ne 
souffre point de partage. Gare à l'homme! Que tout son sang-froid lui vienne ensaide, qu'il n'ait pas 
la malheureuse idée de tergiverser, qu'il tienne bon, qu'il s'accroupisse. Cette mesure le sauvera 
peut-être de l'attaque, où le tir est si inexact et si difficile; et si l'animal, dans son hésitation, se 
présente bien à découvert, que le coup parte et l’étende roide sur place, sinon le Lion sera le maitre, 
et bientôt la lune projettera sa pâle lumière sur un groupe effrayant que l’on se figurera. 

« Cependant, et c’est ici le lieu de faire cette remarque, il arrive quelquefois que, par un caprice 
inexplicable, généralement qualifié de générosité, le roi des animaux ne tue pas l’homme qu'il tient 
sous lui, bien qu'il en ait été blessé le premier. Quelquefois il se contente de divers coups de dents 
qui brisent et broient les membres, ou d'un seul qui laboure la poitrine de quatre sillons. Il borne 
là sa vengeance et s'en va. J'ai connu un intrépide chasseur qui deux fois en sept ans avait été tenu 
de la sorte par un Lion blessé; la première lui avait valu deux fractures aux membres, la seconde 
six, sans compter les profonds stigmates laissés par les griffes sur maintes parties de son corps. 
Un autre, du nom de Vermaes, non moins intrépide, tenu plus d’une minute par une fameuse Lionne, 
en fut quitte pour quatre traces profondes des canines, glorieuses cicatrices qu'il me découvrit avec 


166 HISTOIRE NATURELLE. 


un air de vive satisfaction. Et pourtant la vie de ces hommes avait été complétement à la merei de 
ces terribles animaux. Mais prétendre assigner une cause à leur conduite étonnante me semble diffi- 
cile, pour ne pas dire impossible. 

« Le Lion est donc plus pacifique et moins dangereux pour l'homme qu'on ne se limagine ordi- 
vairement. I arrive tous les jours que Les Cafres, qui n'ont pas d'armes à feu, traversent avec leur 
famille des espaces où civeulent de ces animaux, et, pour ces hommes, la présence des Lions n’est 
point une cause d’effroi. Un ou plusieurs Lions bondissent à dix pas et se maintiennent à trente; les 
Cafres passent comme sans y prendre garde, et jamais je n’ai oui parler d'accidents dont les Lions 
eussent été les auteurs sans provocation. Ces mêmes Cafres chassent-ils devant eux des Bœufs ou 
des Vaches, la question peut changer; je ne réponds pas des bêtes à cornes, non plus que des proprié- 
taires qui voudront les protéger. Mais ici lon peut voir encore que le Lion ne s'adresse pas directe- 
ment à l'homme. 

« Ainsi les peuples pasteurs sont les seuls dans ces contrées qui aient quelque chose à redouter 
du Lion. Ils sont les seuls qui voient avec plaisir la mort du Lion; et pourtant, si cet animal a expié 
de sa vie quelque rapine commise, j'oserais dire que c’est une dime assez justement prélevée. En 
effet, le Lion a véritablement dans ces parages son incontestable utilité, et voici comment je le prouve : 
que depuis Draakens-Berg ou des sources du Tonguela jusqu'au tropique du Capricorne pas un Lion 
n'existe, il est certain que les hordes de Gnous et de Couaggas, qui n’y sont déjà que trop nombreu- 
ses, vont se multiplier dans une effrayante proportion. Je ne demande pas dix ans, et les peuples pas- 
teurs n'y trouveront pas une pointe d'herbe pour leurs bestiaux. 

QI y avait beaucoup de Lions quand je traversai l'Elands-Rivier à Vaal-Rivier, puisque chaque 
jour nous en apercevions plusieurs, et que presque chaque nuit ils tentaient de saisir nos Bœufs; leur 
nombre était cependant insuffisant, puisque leur mission n’était pas remplie; et cela est d'autant plus 
vrai, qu'avant d'atteindre Vaal-Rivier je cheminai six journées sans que mes Bœufs trouvassent à saisir 
le moindre gazon. C'était l'hiver, tout avait été tondu par les Gnous et les Couaggas, dont à bouche 
ct les dents rasent Ettéralement la terre, et pas un pouce de terrain n'existait sans porter l'empreinte 
dun pied. Or, dans des terres friables, ces empreintes équivalent à un labourage. 

€ Done, s'il n'y avait pas de Lions qui diminuassent le nombre d'individus des espèces d'Herbi- 
vores sauvages, non-seulement les Cafres ne trouveraient pas de pâturages pour leurs bestiaux, mais 
les Gnous et les Couaggas eux-mêmes verraient leur masse entière y périr d’inanition si l'émigration 
leur était interdite. Il est vrai que, quand l'homme civilisé ou simplement doté d'armes à feu s'établit 
quelque part, le Lion n’a plus de mission à remplir, puisque alors l’homme le remplace, et bientôt 
disparaissent les Herbivores et les Carnassiers. Mais, avant disparition complète, comme la proie de- 
vient de plus en plus difficile à saisir, comme encore les animaux domestiques sont moins rapides 
à la course et de condition meilleure, le Lion se jette sur eux, et sous ce concours de circonstances il 
les préfère, lors même qu'abondent Gnous et Couaggas. C'est ce qui explique la molestation dont 
sont l’objet les voyageurs qui ne circulent qu'avec de longs attelages. 

« Les peuples qui, par suite de guerres désastreuses, vivent simplement des produits de la terre, 
où ceux qui. comme les Boschjesmans, ne vivent que de chasse, sont loin de vouer leur haine au 
Lion. Pour eux, il n'est nullement nuisible, et dans mille circonstances il leur est utile. En effet, le 
mode de chasser de ces hommes n'offrant un rapport ni grand ni certain, ils sont fréquemment ré- 
duits à chercher fortune dans les bois. Le Lion leur laisse de grands débris, nullement à dédaigner, 
et chaque matin des vedettes recueillent les indications des Vautours, qui jamais ne les trompent. Le 
manteau de plus d'un Makaschla est fait de la peau de la proie du Lion, que la moelle des os de la 
victime a rendue souple, tandis que le même homme s'était repu de sa chair : aussi ces peuples ne 
se souciaient-ils nullement de m'aider à les débarrasser de ces voisins dont ils prisent les services. 

«ILest très-naturel que les mœurs du Lion subissent des modifications suivant les climats et les 
lieux qu'il habite. Aussi la description que j'en donne ne regarde que celui de l'Afrique australe. . 
Peut-être diffère-t-elle de celle que l'on ferait du Lion du Sahara; mais le fond, ce me semble, doit 
rester le même, Je pense avec quelque raison que les individus proveuant de PAfrique australe doivent 
être les plus grands et les plus forts de leur race. La peau plate et séchée de lun d'eux, qui était un 
mâle parfaitement adulte, mesurait du nez à extrémité de la queue 3°,50, la queue allant pour 1,00. 

« Leur force trouve à s'y exercer plus qu'en aucun autre lieu de Afrique, les Buffles et les Rhino- 


CARNASSIERS. 167 


céros n'étant nulle part plus nombreux qu'au pays des Massilieatzi, où j'ai longtemps chassé, et d'or- 
dinaire, chez ces animaux nullement énervés, la force est en raison de leur taille. S'en faire une Juste 
idée n'est guère possible; tout ce que je puis avancer et certifier pour lavoir vu, cest qu'un Buffle 
mâle vieux, que je tuai, portait, de l'épaule à la naissance de la queue, quatre sillons profonds de 
quatre centimètres, résultant d’un simple coup de patte. Maintes fois je trouvais des Hhinoceros simus 
de la plus haute taille, que ni leur peau, ni leur poids, ni leur force, ni leur fureur, n'avaient pu 
préserver de la mort. La place du combat était visible: partout elle était foulée, et l'empreinie du 
Lion s’y lisait sur chaque point. 

« Le jeune Éléphant qui suit sa mère périt souvent victime du Lion, qui le guette au passage, 
l'abat, l'étrangle, et part sans le disputer, certain de le retrouver ensuite. Mais je ne sache pas que 
le Lion attaque l'Hippopotame, qui, de tous les animaux connus, porte la peau la plus épaisse; l'effet 
de ses mâchoires est sans doute trop redoutable, et le Lion y renonce, quoique sa chair lui convienne 
fort par sa similitude avec celle du Rhinoceros simus. Et je dis ainsi, parce que le Lion venait sou- 
vent sur les débris de nos Hippopotames tués et gisants sur les bords du fleuve. 

« La force musculaire du Lion est encore attestée par l'étonnante largeur de ses bonds, Du point 
où reposaitun mâle à celui où il retomba après un seul saut, je mesurai dix-huit de mes pas. C'est en 
s’élançant ainsi inopinément sur sa proie qu'il l'atteint; car le Lion est mauvais coureur, et, s'il pro- 
cédait autrement, les Antilopes, trop lestes, lui échapperaient toujours. 

« Vers novembre, décembre et janvier, durant l'été de ces climats, quand les herbes sont longues, 
le Lion chasse seul ou suivi de sa femelle. Il peut alors espérer réussir pendant le Jour, tant il excelle 
à s'approcher en rampant; la longueur des herbes le couvre. L'animal herbivore qui pait porte bas la 
tête; il ne la relève qu'à intervalles à peu près égaux, si quelque bruit ne l'y engage. La distance 
mesurée par le Lion est parcourue; il jette un regard, s'assure de sa proximité, se ramasse et bondit : 
l'Antilope est à lui. Mais arrive-t-il que le Lion ait failli, il bondit encore ; sa proie lui échappe-t-elle 
de nouveau, il fait un bond de plus, qui est le dernier, et que le succès ne couronne presque jamais. 
Le Lion se ravise alors et fait route en sens opposé à la course de l'Antilope. 

« Pendant l'hiver, durant juin, juillet et août, quand les herbes sont ou foulées où brülées par le 
feu, pour un Lion seul, la chasse n’est possible que la nuit; encore, comme elle ne saurait être fort 
abondante en résultats, le jour voit fréquemment ces animaux, réunis en cordons, qui cernent et 
abattent le gibier vers des gorges, des défilés et des passages boisés, enlacés et difficiles, où sont 
postés quelques-uns de leurs acolytes. Ce sont des battues faites en règle, mais sans bruit, où les 
émanations des Lions qui rabattent du vent sous le vent suffisent pour contraindre au départ les Her- 
bivores qui les recueillent. 

« Une fois, à deux reprises, en quelques minutes d'intervalle, nous tombämes, mes chasseurs et 
moi, au centre d’une ligne de semblables traqueurs, vingt d'abord, trente ensuite, les courts buis- 
sons de Jong-dora, jeunes Mimosas, nous en ayant primitivement intercepté la vue. Un Rhinocéros 
sur lequel nous allions paraissait surtout être l'objet de leur convoitise. Malheureusement notre pré- 
sence les troubla dans leur plan d'attaque, et la leur nous ayant contraints à abandonner notre pre- 
mier but, le Rhinocéros dut sa vie aux idées simultanées de possession qu'avaient enes ses deux plus 
redoutables ennemis. 

« Toutefois, ce que j'eusse désiré le plus ardemment, c’eût été de voir aux prises avec le Rhino- 
céros cette troupe de Lions si formidable. Souvent j'ai rencontré de grands débris résultant de ces 
combats, dans lesquels l'herbivore avait toujours fini par succomber; et jamais il ne m'a été donné 
d’être proche témoin de telles scènes, si palpitantes d'intérêt. 

« Cependant un homme a vu, a ouï tout cela : la nuit, seul, sans armes, sans feu, abandonné de 
ses Cafres, blotti dans un buisson de Jong-dora, dévoré par la soif, assailli de mille inquiétudes, et 
de plus flairé par des Rhinocéros, contre lesquels il ne trouvait pas un arbre qui lui servit d'asile; 
or, mon estimable ami de Wahlberg a été témoin à vingt pas d'une de ces luttes, et lui seul au monde, 
peut-être, saura nous dire la rudesse de l'attaque, le désespoir de la défense, comme aussi Ses an- 
goisses d'alors. C'est à l’état de nature, au milieu des forêts sauvages, quand ils agissent en toute 
liberté et qu'ils ne soupçonnent pas l'œil de l'homme, que ces animaux doivent être surtout observés 
pour être bien connus. » 

Nous n’ajouterons plus rien sur les mœurs du Lion : nous dirons seulement que l'on sait com- 


168 HISTOIRE NATURELLE. 


bien, surtout depuis que nous possédons l'Algérie, la chasse de cet animal a été faite souvent; mais 
nous ne décrirons pas ces chasses dans lesquelles l'homme court souvent de graves dangers, car 
nos lecteurs en ont tous lu les récits dans les journaux, et tous ont admiré le courage de notre in- 
trépide Gérard. 

Nous devons, pour terminer, nous occuper des traces que le Lion a laissées dans le sein de la 
terre. C’est seulement en Europe, d'abord dans les cavernes d'Allemagne, par Schmerling, et 
ensuite dans celles de Lunel-Viel, par MM, Marcel de Serres, Dubreuil et Jean-Jean, que l'on 
a cru avoir trouvé un petit nombre d’ossements du Felis leo, tels que cinq incisives et une canine 
supérieure, une carnassière inférieure, un fragment antérieur de mâchoire inférieure gauche, une 
mâchoire inférieure droite de jeune, un sacrum entier, une portion de eubitus et de fémur, un 
avant-bras complet, un bassin, quelques vertèbres, ete.; mais lon n’est pas bien certain que ces os 
se rapportent réellement au Lion, car ils ne diffèrent guère que par la taille, plus petite, d'une es- 
pèce fossile bien authentique, le Felis spelæa. 


Fig. 87, — Métis de Lion et de Tigre. 


Kaup, dans la deseniption des ossements fossiles du grand-duché de Darmstadt, et comme trouvées 
dans les sables d'Eppelsheim, fait connaitre deux espèces fossiles, les Felis aphanista et prisca, 
fondées sur quelques fragments de dents, et ces fossiles doivent se rapporter probablement, ainsi 
que le fait remarquer De Blainville, au Felis leo. 

Une espèce fossile qui se rapproche du Lion, tout en présentant, en même temps, quelques parti- 
cularités du Tigre, est le Felis spelæa Goldfuss, où Gran Cirar DES cavernes de G. Guvier. Esper, 
Sœmmering, Leibnitz, considéraient les ossements de cette espèce comme devant se rapporter au 
Lion : c’est Goldfuss et G. Cuvier qui la distinguèrent définitivement. Les ossements attribués à cette 
espèce sont assez nombreux, beaucoup plus que pour toute autre, quoique partout on les ait ren- 
contrés isolés et pêle-mêle avec des os d'Ours, d'Hyènes et d'autres animaux carnassiers où non : on 


CARNASSIERS. 169 


en a trouvé presque partout en Europe, d’abord en Allemagne, puis successivement en Angleterre, 
en Belgique, dans la France septentrionale et méridionale, presque toujours dans le diluvium des 
cavernes. Nous ne décrirons pas les ossements du Felis spelæa, nous dirons seulement que la tête, 
qui tient de celle du Tigre dans ses parties postérieures et dans la mâchoire inférieure, et même un 
peu de celle du Jaguar dans sa brièveté, est au contraire plus léonine dans la forme du nez et du 
mufle. 


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Fig. 88 — Pumas. 


2. LES PUMAS. 


2. CONGOUAR ou PUMA. FELIS CONCOLOR Linné. 


CaracrÈREs sréciriQues. — Corps long et effilé; tête petite; jambes fortes, peu élevées; queue longue 
et traînante; côtés de la tête et occiput, dessus du cou, épaules, dos, lombes, croupe, queue, à l'ex- 
ception de son extrémité, côtés du corps et face externe des quatre jambes, d’une couleur fauve plus 
ou moins foncée et mêlée de quelques teintes noirâtres sur les parties supérieures, parce que la pointe 
des poils y est noire; face postérieure des cuisses ou fesses d’un fauve foncé; chanfrein, tour des 
yeux, front et dessus de la tête d'un fauve terne et mêlé de gris et de noirâtre; du gris très-apparent 
au-dessus et au-dessous des yeux; poils de l'intérieur de l'oreille blancs, légèrement teints de fauve; 
ceux de la face externe noirâtres: partie de la lèvre supérieure qui porte les moustaches noire; reste 

c? 929 


170 HISTOIRE NATURELLE. 


de la lèvre supérieure, lèvre inférieure et gorge d'un beau blanc; dessous du cou d'une couleur fauve 
pile, mêlée de blanchâtre; partie antérieure de la poitrine et face interne des bras d'un blanc mêlé de 
cendré et de fauve; partie postérieure de la poitrine et ventre d’un fauve clair et mêlé de blane; face 
interne des cuisses blanche, avec quelques légères teintes de cendré et de roussâtre; queue fauve, 
avec des poils noirs sur la face supérieure, et le bout noirâtre; soies des moustaches longues de 
0,05 à 0°,06, en partie noirâtres et en partie blanches. Longueur du corps, depuis le bout du mu- 
seau jusqu'à l'origine de la queue, 1",08; celle-ci ayant 0",75 : mais souvent de moindre dimen- 
sion. 


Les jeunes individus, d’après Fr. Guvier, ont tout le corps, mais surtout les cuisses, couvert de 
taches rondes d'une teinte un peu plus foncée que celle du pelage, et qu'on n’aperçoit que sous certains 
aspects; ces taches s’effacent avec l'âge, et c’est sur les pattes de derrière qu'elles se sont conser- 
vées le plus longtemps. 

Cette espèce est lune de celles du genre Chat qui a reçu le plus grand nombre de noms; on l'a 
vulgairement indiquée sous les dénominations de Lion d'Amérique, de Lion des Péruviens, de Tigre 
rouge où Tigre poltron, et les voyageurs l'ont désignée sous celles de Cougouar, de Puma ou 
Pouma, d'Yagouati, de Pita, d'Yagoua, de Cuguacuarana, de Cuguacuara, de Gouaxoara, ete.; 
c’est le Felis concolor de Lioné, le Felis puma, Shaw; le Felis fulva et le Cougouar de Buffon. Cet 
animal est répandu dans presque toute l'Amérique méridionale, particulièrement dans la Guyane, 
dans le Brésil et dans le Paraguay. On regarde en général comme n’en étant que des variétés, soit de 
coloration, soit de pays, les Wacula, Schreber, du Démérary; Soasoaranna, Schreber, des savanes 
de l'Grénoque; Cougouar noir, Buffon, ou Jaguarété, Pison (Felis discolor, Schreber; niger, Les- 
son), qui ne diffère du type que par la teinte plus noirâtre de son pelage; Cougouar de Pennsylvanie 
du même auteur, et Felis unicolor, Traillard, qui habite Le Démérary, est plus petit que l'espèce ty- 
pique, et en entier d'un fauve brun-rouge sans tache, avec la queue longue, la tête pointue, les oreilles 
ne présentant pas de noir. On assure que les petits du Felis unicolor ne porteraient pas, comme 
ceux du Couguar, une livrée : si cela était réellement exact, on devrait faire deux espèces particu- 
lières de ces deux animaux. 

Buffon en a donné la description suivante : « Le Cougouar a la taille aussi longue, mais moins 
étoffée que le Jaguar, il est plus levreté, plus effilé et plus haut sur jambes; il a la tête petite, la 
queue longue, le poil court et de couleur presque uniforme, d'un roux vif, mêlé de quelques teintes 
uoirâtres, surtout au-dessus du dos; il n’est marqué ni de bandes longues comme le Tigre, ni de 
taches rondes et pleines, comme le Léopard, ni de taches en anneaux ou en roses, comme l'Once et 
la Panthère. Il a le menton blanchâtre, ainsi que la gorge et toutes les parties inférieures du corps. 
Quoique plus faible que le Jaguar, il paraît être encore plus acharné sur sa proie; il la dévore sans 
la dépecer. Dès qu'il Pa saisie, il l'entame, la suce, la mange de suite, et ne la quiite pas qu'il ne 
soit pleinement rassasié. 

« Get animal est assez commun à la Guyane ; autrefois, on l’a vu arriver à la nage et en nombre 
dans l'ile de Cayenne, pour attaquer et dévaster les troupeaux : c'était dans les commencements un 
fléau pour la colonie, mais peu à peu on la chassé, détruit, et relégué loin des habitations. On le 
trouve au Brésil, au Paraguay, au pays des Amazones, etc. 

« Le Congouar, par la légèreté de son corps et la plus grande longueur de ses jambes, doit mieux 
courir que le Jaguar, et grimper aussi plus aisément sur les arbres; ils sont tous deux également 
paresseux et poltrons dès qu'ils sont rassasiés; ils n'attaquent presque jamais les hommes, à moins 
qu'ils ne les trouvent endormis. Lorsqu'on veut passer la nuit ou s'arrêter dans les bois, il suffit 
d'allumer du feu pour les empêcher d'approcher. Is se plaisent à l'ombre dans les grandes forêts, 
ils se cachent dans un fort où même sur un arbre touffu, d'où ils s'élancent sur les animaux qui 
passent. Quoiqu'ils ne vivent que de proie, et qu'ils s’abreuvent plus souvent de sang que d’eau, on 
prétend que leur chair est aussi bonne que celle du Veau, d’autres la comparent à celle du Mouton: 
j'ai bien de la peine à croire que ce soit en effet une viande de bon goût; j'aime mieux m'en rap- 
porter au témoignage de Pesmarchais, qui dit que ce qu il Ya de mieux dans ces animaux, c'est la 
peau, dont on fait des housses de cheval, et qu'on est peu friand de leur chair, qui d'ordinaire est 
maigre et d'un fumet peu agréable, » 


CARNASSIERS. 171 


D'après Fr. Cuvier, la femelle met bas deux ou trois petits, qui, à dix-huit mois, ont près Vun 
mètre de longueur : elle ne diffère pas du mâle, et quelquefois ils chassent ensemble. Ils aiment 
particulièrement le sang, ce qui fait qu'ils tuent beaucoup plus d'animaux qu'ils n’en mangent. C'est 


D? 


une habitude qu'ils partagent avec la plupart des petits Carnassiers, et l'on a envisagé ces animaux sous 
un point de vue très-faux lorsqu'on a prétendu établir sur ce fait qu'ils étaient plus féroces et plus 
cruels que les espèces qui ne tuent chaque jour qu'un animal : les ‘uns et les autres ne cherchent 
également qu'à assouvir leur faim et à satisfaire leur appétit. Quand ils ne mangent pas toute la 
proie, ils en cachent les restes avec soin dans la taille ou sous quelque abri, et vont les retrouver 
lorsque la faim les presse de nouveau. 

Un Cougouar qu'on avait châtré était devenu, au rapport de D’Azara, très-gras, et sa paresse était 
très-grande; mais il s'était très-apprivoisé : il n'était dangereux que pour la volaille, et il ne cher- 
chait pas à s'échapper et à recouvrer la liberté; ses manières étaient entièrement celles du Chat 
domestique, soit qu'il guettât sa proie, soit qu'il mangeât, soit qu'il se mit en colère. 

La Ménagerie du Muséum a possédé plusieurs Cougouars, et toujours ils ont été très-doux pour 
leurs gardiens, et ont montré des mœurs analogues à celles de nos Chats domestiques 

Le major Smith raconte un fait singulier d'un de ces animaux. On l'avait renfermé dans une cage, 
et, comme on voulait s'en défaire, on lui tira un coup de fusil, dont la balle lui perça le cœur. 
L'animal était occupé à manger lorsqu'il reçut le coup, et le seul signe de douleur qu'il donna fut 
de redoubler subitement de voracité; il se jeta sur sa nourriture avec une nouvelle avidité, et la dé- 
vora en buvant son propre sang, jusqu'au moment où il tomba mort. 

On rapporte à la même espèce les débris fossiles indiqués par M. Lund sous la dénomination de 
Felis affinis concolori, et qui proviennent du bassin du Rio das Velhas, au Brésil. Quant au Felis 
Pardinensis, découvert par MM. Croizet et Jobert dans les galets et lignites d'Issoire, en Auver- 
gne, que Lesson en rapproche, on doit plutôt, avec De Blainville, le placer auprès de la Panthère. 


6. LES TIGRES. 


5. TIGRE ROYAL. FELIS TIGRIS. Linné. 


Caracrères spéciriques. — Corps très-allongé; jambes courtes; tête petite; queue très-longue; 
pelage assez ras, à l'exception des côtés des jambes, qui sont garnis de grands poils; parties supé- 
rieures du corps d’un jaune fauve; bout du museau, joues, face interne des oreilles, dessous du cou, 
gorge, poitrine et ventre, d’un beau blanc; des bandes noires transversales, variables en nombre de 
vingt à trente, assez étroites, partant de la ligne moyenne du dos, et s'étendant parallèlement entre 
elles sur les flancs; queue marquée de quinze anneaux noirs, sur un fond blanc jaunâtre, et dont les 
premiers se partagent en plusieurs lignes; quelques bandes transversales et doubles sur la face ex- 
terne des pieds de derrière; deux ou trois bandes obliques sur la face externe des pieds de devant, 
et deux ou trois autres sur la face interne; quelques mouchetures noires sur le fond et le dessous de 
l'œil; papilles rondes. La femelle ne diffère pas du mâle. Les individus de moyenne taille ont une 
longueur de 1°,50 depuis le bout du museau jusqu’à la naissance de la queue, celle-ci ayant près 
de 1%, et leur hauteur moyenne est de 0,70; mais on en connaît des individus beaucoup plus 
grands. 


Les jeunes individus présentent la même distribution de couleurs que les adultes, mais en diffè- 
rent par les nuances; le blanc étant mêlé de gris, le noir de brun, et le jaune d’une teinte plus 
obscure, 

Ce Carnassier, qui depuis longtemps porte le nom de Tigre royal, était le Tigris des Romains, 
qui, ainsi que nous l’avons dit, le virent pour la première fois dans le cirque, sous le règne d'Au- 
guste, et a été décrit par la plupart des naturalistes. Aristote en dit quelques mots, et Pline raconte 


172 HISTOIRE NATURELLE. 


une histoire fabuleuse sur la manière dont on parvient à s'emparer de ses petits. Dans les temps mo- 
dernes, Buffon, De Lacépède, Fr. Cuvier, etc., s'en sont occupés. 

Il habite le Bengale, le royaume de Siam, celui du Tonquin, la Chine, Sumatra, et, en général, 
toutes les contrées de l'Asie méridionale situées au delà de l'Indus, et s'étendant jusqu'au nord de 
la Chine. On a cherché à y former plusieurs espèces particulières, ou, tout au moins, des variétés 
distinctes qui ne différent entre elles que par quelques particularités de la coloration de leur pelage : 
c'est ainsi que Lesson y distingue les Felis tigris Mongolica, propre à la Mongolie, à la Boukarie, 
aux steppes des Kirguis, etce.; nigra, de Sumatra, et alba : la première presque noire, et la dernière 
blanchâtre. Ce n’est qu'avec doute que nous regarderons, avee Fr. Cuvier, comme simple variété de 
la même espèce son Tiers onnuré (Felis nebulosus), dont les taches noires, au lieu de former des 
lignes transversales, se recourbent pour enceindre de grandes taches d'une couleur plus claire : 
cet animal a vécu trois ans à Londres, où il avait été amené de Canton; M. Boitard pense qu'il doit 
être rapporté au Felis macroscelis, Temminck. 

« La force prodigieuse et les goûts sanguinaires du Tigre, dit Fr. Cuvier, en ont fait la terreur des 
pays qu'il habite. Excepté l'Éléphant, aucun animal ne peut lui résister. Il emporte un Bœuf dans sa 
gueule presque en fuyant, et l’éventre d’un coup de griffe. On ne saurait peindre avec des couleurs 
trop fortes sa férocité, les ravages qu'il cause, l'effroi qu'il inspire; mais tout ce qu'on a dit de son 
naturel intraitable, de la fureur qui l'agite sans cesse, du besoin insatiable qu'il a de répandre le 
sang, de son insensibilité aux bons traitements, de son ingratitude envers ceux qui le soignent, n’est 
qu'un tissu d’exagérations ou d'erreurs. Sous tous ces rapports, le Tigre ressemble aux autres Chats. 
En général, on l’apprivoise aussi aisément que le Lion; il devient très-familier avec ceux qui le nour- 
rissent, et il les distingue de toutes Les autres personnes; lorsqu'il n’a aucun besoin, et qu'on ne l’ef- 
fraye point, il reste très-calme, et, dès qu'il est repu, il passe presque entièrement son temps à 
dormir; il aime à recevoir des caresses, et il y répond d’une manière très-douce et très-expressive : 
il ressemble beaucoup, dans ce cas, au Chat domestique; il voûte de même son dos, fait à peu près 
le même bruit, se frotte de la même manière; en un mot, a les mêmes dispositions naturelles. Notre 
Ménagerie du Muséum en a possédé plusieurs, et tous se ressemblaient par les mœurs, comme par 
les proportions du corps, la grandeur et le pelage. On a vu à Londres un Tigre mâle et un Tigre 
femelle s'accoupler et produire. La portée fut de cent et quelques jours. Le Tigre qui vivait à Paris 
en 1855 se promenait librement sur le pont du vaisseau qui lamenait en France, et Les mousses du 
bâtiment dormaient entre ses jambes, la tête appuyée sur ses flancs, qui leur servaient, en quelque 
sorte, de traversin. On a vu à Francfort un Tigre d’une rare beauté que son maitre avait habitué 
à faire divers exercices, et tout Paris sait que M. Martin entrait dans la cage d’un de ces animaux, 
qu'il a montré sur plusieurs théâtres, le caressait, le contrariait même, sans qu'il en sait jamais ré- 
sulté le moindre accident. Chez les anciens, Héliogabale même se fit voir dans le cirque, placé dans 
un char trainé par deux de ces Carnassiers. 

QI serait naturel d'attribuer à la faiblesse du Chat domestique son caractère timide et caché, ses 
allures souples et rampantes; le Tigre, cependant, malgré sa force, lui ressemble aussi à cet égard. 
Willamson représente un Tigre qui s'approche d’un village pour y ravir sa proie: il est tapis contre 
terre, et s'avance à pas lents, avec une inquiétude d’être découvert que tout en lui décèle. Son cou- 
rage ne se montre pas mieux lorsqu'il est attaqué ouvertement. On trouve dans le Voyage des pères 
Jésuites à Siam le récit du combat d'un Tigre contre trois Éléphants, dans lequel l'animal féroce 
se laissa vaincre, pour ainsi dire, sans se défendre : il chercha d'abord à faire quelque résistance; 
mais, dès qu'il sentit le danger, il se tint dans le plus grand éloignement de ses ennemis, qui le tuè- 
rent bientôt après sans aucune peine. 

€ Si dans quelques occasions on a vu des Tigres attaquer leur proie avec audace et témérité, 
comme il serait difficile d'en douter d'après ce qu'ont dit des voyageurs dignes de foi, ces animaux 
étaient sans doute poussés hors de leur naturel par une faim violente: dans ee cas-là, leur aveugle- 
ment paraîtrait extrême. Grandpré rapporte avoir vu un Tigre s’élancer à l’eau, et s’avancer à la 
nage pour attaquer et enlever un homme de son équipage. » 

À ces détails, ajoutons quelques-uns des inimitables passages de Buffon, tout en faisant remar- 
quer que notre illustre naturaliste a exagéré la férocité du Tigre, comme il a exalté les bonnes qua- 
lités du Lion. 


CARNASSIERS, 175 


« Dans la classe des animaux carnassiers, le Lion est le premier, Le Tigre le second; et comme le 
premier, même dans un mauvais genre, est toujours le plus grand et souvent le meilleur, le second 
est ordinairement le plus méchant de tous. À la fierté, au courage, à la force, le Lion joint la no- 
blesse, la clémence, la magnanimité; tandis que le Tigre est bassement féroce, cruel sans justice, 
c'est-à-dire sans nécessité. Il en est de même dans tout ordre de choses où les rangs sont donnés 
par la force; le premier, qui peut tout, est moins tyran que l’autre, qui, ne pouvant jouir de la puis- 
sance plénière, s’en venge en abusant du pouvoir qu'il a pu s'arroger. Aussi le Tigre est-il plus à 
craindre que le Lion : celui-ci souvent oublie qu'il est roi, c’est-à-dire le plus fort de tous les ani- 
maux; marchant d’un pas tranquille, il n’attaque jamais l'homme, à moins qu'il ne soit provoqué; il 
ne précipite pas ses pas, il ne court, il ne chasse que quand la faim le presse. Le Tigre, au contraire, 
quoique rassasié de chair, semble toujours être altéré de sang, sa fureur n’a d’autres intervalles que 
ceux du temps qu'il faut pour dresser des embüches; il saisit et déchire une nouvelle proie avec la 
même rage qu'il vient d'exercer, et non pas d'assouvir, en dévorant la première; il désole le pays 
qu'il habite; il ne craint ni l'aspect ni les armes de l’homme; il égorge, il dévaste les troupeaux d’a- 
nimaux domestiques, met à mort toutes les bêtes sauvages, attaque les petits Éléphants, les jeunes 
Rhinocéros, et quelquefois même ose braver le Lion. 

« La forme du corps est ordinairement d'accord avec le naturel. Le Lion a l'air noble; la hauteur 
de ses jambes est proportionnée à la longueur de son corps; l’épaisse et grande crinière qui couvre 
ses épaules et ombrage sa face, son regard assuré, sa démarche grave, tout semble annoncer sa fière 
et majestueuse intrépidité. Le Tigre, trop long de corps, trop bas sur ses jambes, la tête nue, les 
yeux hagards, la langue couleur de sang, toujours hors de la gueule, n’a que les caractères de la 
basse méchanceté et de l'insatiable cruauté; il n’a pour tout instinct qu'une rage constante, une fu- 
reur aveugle, qui ne connait, qui ne distingue rien, et qui lui fait souvent dévorer ses propres en- 
fants et déchirer leur mère lorsqu'elle veut les défendre. Que ne l’eut-il à l'excès cette soif de son 
sang! ne püût-il l'éteindre qu'en détruisant, dès leur naissance, la race entière des monstres qu'il 
produit! 

« Heureusement pour le reste de la nature, l'espèce n’en est pas nombreuse, et paraît confinée 
aux climats les plus chauds de l'Inde orientale, Elle se trouve au Malabar, à Siam, au Bengale, dans 
les mêmes contrées qu'habitent l'Éléphant et le Rhinocéros; on prétend même que souvent le Tigre 
accompagne ce dernier, et qu'il le suit pour manger sa fiente, qui lui sert de purgation ou de rafrai- 
chissement : il fréquente avec lui les bords des fleuves et des lacs; car, comme le sang ne fait que l’al- 
térer, il a souvent besoin d’eau pour tempérer l'ardeur qui le consume; et, d'ailleurs, il attend près 
des eaux les animaux qui y arrivent, et que la chaleur du climat contraint d'y venir plusieurs fois 
chaque jour : c’est là qu'il choisit sa proie, ou plutôt qu'il multiplie ses massacres; car souvent il 
abandonne les animaux qu'il vient de mettre à mort pour en égorger d’autres; il semble qu'il cher- 
che à goûter de leur sang; il le savoure, il s’en enivre; et, lorsqu'il leur fend et déchire le corps, 
c’est pour y plonger la tête et pour sucer à longs traits le sang dont il vient d'ouvrir la source, qui 
tarit presque toujours avant que sa soif ne s'éteigne. 

« Cependant, quand il a mis à mort quelques gros animaux, comme un Cheval, un Buffle, il ne les 
éventre pas sur place s’il craint d'y être inquiété; pour les dépecer à son aise, il les emporte dans les 
bois, en les trainant avec tant de légèreté, que la vitesse de sa course paraît à peine ralentie par Ja 
masse énorme qu'il entraine (1)... 


(1) Le père Tachard, cité par Buffon, donne le récit suivant du combat d'un Tigre contre des Éléphants : « On avait 
élevé une haute palissade de bambous d'environ cent pas en carré, Au milieu de l’enceinte étaient entrés trois Éléphants des- 
tinés pour combattre le Tigre. Ils avaient une espèce de plastron, en forme de masque, qui leur couvrait la tête etune partie 
de la trompe. Dès que nous fûmes arrivés sur le lieu, on fit sortir de la loge qui était dans un enfoncement un Tigre 
d'une figure et d'une couleur qui parurent nouvelles aux Français qui assistaient à ce combat. On ne lächa pas d’abord le 
Tigre qui devait combattre, mais on le tint attaché par deux cordes, de sorte que, n’ayant pas l liberté de s’élancer, le 
premier Éléphant qui l’approcha lui donna deux ou trois coups de sa trompe sur le dos : ce choc fut si rude, que le Tigre 
en fut renversé et demeura quelque temps étendu sur la place sans mouvement, comme s’il eût élé mort; cependant, 
dès qu’on l'eut délié, quoique cette première attaque eût bien rabattu de sa furie, il fit un cri horrible et voulut se jeter 
sur la trompe de l'Éléphant qui s’avançait pour le frapper; mais celui-ci, la repliant adroitement, la mit à couvert par ses 
défenses, qu'il présenta en même temps, et dont il atteignit le Tigre si à propos, qu'il lui fit faire un grand saut en l'air : 
cet animal en fut si étourdi, qu'il n’osa plus approcher. Il fit plusieurs tours le long de la palissade, s’élançant quelque- 


174 [HISTOIRE NATURELLE. 


« Le Tigre rugit à la vue de tout être vivant; chaque objet lui paraît une nouvelle proie, qu'il dé- 
vore d'avance de ses regards avides, qu'il menace par des frémissements affreux mêlés d'un grince- 
ment de dents, et vers lequel il s'élance souvent malgré les chaines et les grilles, qui brisent 
sa fureur sans pouvoir la vaincre. Son rugissement est différent et plus rauque que celui du 
Lion. 

« L'espèce du Tigre a toujours été plus rare et beaucoup moins répandue que celle du Lion : ce- 
pendant, la Tigresse produit, comme la Lionne, quatre ou cinq petits; elle est furieuse en tout temps, 
mais sa rage devient extrême lorsqu'on les lui ravit; elle brave tous les périls, elle suit les ravis- 
seurs, qui, se trouvant pressés, sont obligés de lui relâcher un de ses petits; elle s'arrête, le saisit, 
l'emporte pour le mettre à l'abri, revient quelques instants après et les poursuit jusqu'aux portes des 
villes ou jusqu’à leurs vaisseaux, et, lorsqu'elle a perdu tout espoir de recouvrer sa perte, des cris 
forcenés et lugubres, des burlements affreux, expriment sa douleur cruelle et font encore frémir ceux 
qui les entendent de loin. 

« La peau de ces animaux est assez estimée, surtout à la Chine: les mandarins militaires en cou- 
vrent leurs chaises dans les marches publiques; ils en font aussi des couvertures de coussins pour 
l'hiver; En Europe, ces peaux, quoique rares, ne sont pas d'un grand prix. On fait beaucoup plus de 
cas de celles du Léopard de Guinée et du Sénégal, que nos fourreurs appellent Tigre. Au reste, c’est 
la seule petite utilité qu'on puisse tirer de cet animal très-nuisible, dont on a prétendu que la sueur 
était un venin et le poil de la moustache un poison sûr pour les hommes et pour les animaux; mais 
c’est assez du mal réel qu'il fait de son vivant sans chercher encore des qualités imaginaires et des 
poisons dans sa dépouille, d'autant que les Indiens mangent de sa chair, et ne la trouvent ni mal- 
saine ni mauvaise, et que, si le poil de la moustache, pris en pilule, tue, c’est que, étant dur et roide, 
une telle pilule fait dans l'estomac le même effet qu'un paquet de petites aiguilles. » 

Il semble que des ossements de Tigre ont été trouvés dans les cavernes d'Allemagne; mais ce fait 
n'est pas positivement démontré. De Blainville rapporte également à la même espèce le crâne pres- 
que entier trouvé dans une roche fort dure tertiaire des monts Sivaliens, et dont MM. Falconer et 
Cautley ont fait leur Felis cristata. 


4. LES PARDES. 


4. PANTHÈRE. FELIS PARDUS. Linné, Temminck. 


CaracTÈèRes spéciriques. — Pelage bien fourni, de médiocre longueur; la couleur du fond d'un 
jaune d’ocre clair, et tout le dessous du corps et de la queue, ainsi que les côtés du ventre, d’un 
blanc pur; toutes Les taches bien prononcées, très-rapprochées les unes des autres, quoique séparées : 
les taches en rose qui couvrent les flancs, une partie de l'omoplate et la croupe, composées de trois 
ou quatre taches noires, formant un cerele imparfait qui ceint une tache jaune d'ocre, absolument de 
la même teinte que le fond du pelage; le haut du dos, la tête, le cou, les quatre extrémités, la queue 
et les parties inférieures du corps, couverts de grandes et de petites taches pleines d'un noir pro- 
fond et de forme ronde ou ovale, les taches pleines du corps n'étant jamais en bandes, et les taches en 
rose des flancs n'ayant jamais un plus grand diamètre que de 0",27 à 0,52 au plus; quelques ban- 
des noires transversales sur la face interne des jambes et à la partie inférieure, et, vers le bout de 
la queue, plusieurs grandes taches noires divisées par des cercles blancs très-étroits; oreilles aussi 
grandes que celles du Léopard, rondes, noires à leur base, et d'un cendré blanchâtre au bout; ran- 
gées des moustaches blanches, et prenant leur origine sur des lignes noires disposées transversale- 


fois vers les personnes qui paraissaient vers les galeries ; on poussa ensuite les trois Éléphants contre lui, et ils lui don- 
nèrent our à tour de si rudes coups, qu'il fit encore une lois le mort et ne pensa plus qu'à éviler leur rencontre; ils 
l'eussent tué sans doute, si l’on n'eût fait finir Le combat, » 


CARNASSIERS. 155 


ment sur les lèvres. Longueur totale des adultes, 1",67, sur laquelle la queue porte 0°,70; hauteur 
d'environ 0",50. 


À cette description, que nous avons presque textuellement copiée de la monographie de M. Tem- 
minck, ajoutons avec le naturaliste néerlandais que la taille des Panthères adultes est moindre que 
celle du Léopard, que la queue est aussi longue que le corps et la tête, avec son extrémité pouvant 
aboutir à la pointe du museau; que le crâne est en totalité plus long et plus comprimé dans la Pan- 
thère que dans le Léopard; la ligne de la face est la même, mais celle du cräne diffère; les arcades 
zygomatiques sont beaucoup plus écartées dans le premier que dans le second, et la face est plus 
obtuse dans le Léopard que dans la Panthère; enfin, le frontal est plus large et plus rectangulaire 
dans ce dernier, mais ses apophyses postorbitaires sont moins fortes. 

D'après M. Temminck, et contrairement à l'opinion de G. Cuvier, la Panthère ne se trouve pas en 
Afrique, mais seulement dans l'Inde; elle est particulièrement commune au Bengale, dans les îles de 
la Sonde, probablement à Java, à Sumatra, etc. Elle a été souvent confondue avec le Léopard; et 
très-fréquemment, surtout en France, on a indiqué ces deux animaux indistinetement sous l'un de ces 
noms où bien sous l’autre : quoi qu'il en soit, il paraît assez certain que ce n’est pas à la Panthère, 
mais au Léopard, qu'on doit appliquer le nom du Pardalis d'Ælien et des anciens auteurs. Le Felis 
chalybeata d'Hermann doit être rapporté au Felis pardus, comme n'en étant qu'une simple variété. 

La Panthère n'habite que les forêts; elle monte sur les arbres avec une extrême agilité, ce que 
ne font ni le Lion ni probablement le Tigre, et elle peut ainsi poursuivre les Singes et les autres 
animaux grimpeurs dont elle se nourrit. Ses yeux sont vifs, continuellement en mouvement; son re- 
gard est cruel, effrayant, et ses mœurs sont, assure-t-on, d’une atroce férocité. Elle n'attaque pas 
l'homme lorsqu'il ne vient pas lui-même l’attaquer; mais, à la moindre provocation, elle entre en fu- 
reur, se précipite sur lui avec une grande rapidité, et le déchire avant qu'il ait eu le temps de pen- 
ser à la possibilité d’une lutte. La nuit, la Panthère vient rôder autour des habitations isolées pour sur- 
prendre les animaux domestiques, les Chiens principalement; et, faute de proie vivante, elle se 
nourrit de matière animale plus ou moins putréfiée, et même de cadavres qu'elle déterre. D'après ce 
que nous venons de dire, on voit que ses mœurs ne diffèrent pas d’une manière bien notable de 
celles des autres espèces du même genre. 


5 LÉOPARD. FELIS LEOPARDUS. Linné. 


CaRaGTÈRES SPÉCIFIQUES. — Pelage bien fourni, de médiocre longueur, d’un jaunâtre clair sur le 
dos, plus pâle sur les flancs, et blane au ventre et à la partie inférieure de la queue; toutes les ta- 
ches très-prononcées, jamais contiguës, et exactement séparées des taches voisines par le fond jaune 
clair du pelage; taches en rose qui couvrent les flancs, une partie de l’omoplate, la croupe et une 
portion de la queue, composées de trois ou quatre taches noires, formant un cercle imparfait qui 
ceint une tache jaune, toujours plus foncée que le fond du pelage; haut du dos, tête, cou, les quatre 
extrémités et parties inférieures du corps, couverts de grandes et de petites taches pleines, d'un noir 
profond, et de forme ronde ou ovale; taches pleines du corps n'étant jamais en bandes, et taches en 
rose des flancs n'ayant jamais un plus grand diamètre que 0,37 à 0",42 au plus; quelques bandes 
noires transversales sur la face interne du haut des jambes, et près le bout de la queue deux ou trois 
cercles imparfaits, divisés par des cercles blanes bien plus étroits; oreilles rondes, noires à la base 
et jaunâtres au bout; rangées des moustaches blanches, prenant leur origine sur des lignes noires, 
disposées transversalement sur les lèvres. Longueur totale des individus adultes, environ 2°, sur les- 
quels la queue occupe plus de 0,80; hauteur, environ 0",66. 


M. Temminck ajoute à la description que nous venons de donner que la taille des Léopards adultes 
est moindre que celle de la Lionne, que la queue est seulement de la longueur du corps, avec l’ex- 
trémité n'aboutissant qu'aux épaules : la couleur du pelage étant d’un fauve jaunâtre clair, celle de 
la partie inférieure des taches en rose plus foncé ou d'un jaunätre plus vif que le fond du pelage et 


176 HISOTIRE NATURELLE. 


les nombreuses taches assez distantes; enfin, la queue n'ayant que vingt-deux vertèbres, tandis qu'il 
y en aurait vingt-huit dans la Panthère. 

| Les jeunes individus de cette espèce ont souvent été pris pour des espèces distinctes : leur four- 
rure est toujours plus longue, d’une nature plus cotonneuse, même un peu crépue; les taches pleines 
plus où moins contiguës, et les taches en rose moins distinctement marquées, souvent même effacées 
ou plus claires qu'à Pordinaire; le tout suivant la longueur des poils, constamment en rapport avec 
l’âge des individus. Toutes les taches de la robe des jeunes sont plus claires, et le fond du pelage 
un peu plus terne que dans les adultes; et il résulte de cette disposition des taches et de la nature 
du poil que ces jeunes animaux sont difficiles à rapporter à leur type; toutefois, le jeune Léopard est 
aisé à reconnaître de la jeune Panthère : la longueur de la queue, en proportion de celle du corps, 
doit surtout servir à lever tous les doutes à ce sujet. 


Fig. 89 — Léopard. 


Les couleurs du pelage du Léopard varient quelquefois beaucoup plus, car il semble aujourd'hui 
démontré que la Panruëre norte (Felis melas, Peron et Lesueur), propre à Java et à Sumatra, n’en 
est qu'une variété accidentelle, qui semble d'un noir uniforme, mais sur le pelage de laquelle, 
lorsqu'on la regarde à un certain jour, on peut apercevoir des taches plus noires que le fond du pe- 
lage, et à peu près semblables à celles du Léopard. À Java, on a reconnu ce que nous disions, que 
la Panthère noire n’était qu'une variété noirâtre du Léopard; car l'on trouve assez fréquemment, dans 
le repaire du Léopard, des jeunes individus, l'un tacheté comme la mère, l'autre noirâtre, et pareil 
au prétendu Felis melas de certains naturalistes. M. Temminck décrit ainsi une de ces variétés : la 
robe est teinte de marron, ou couleur baï très-foncé, distribuée par nuances plus ou moins sombres 
ou noirâtres; cette couleur est répandue sur tout le pelage; le marron pur règne sur les parties infé- 
rieures du corps : au museau, aux deux faces des quatre extrémités, et au bout de la queue; un mar- 
ron noirâtre, très-intense, est répandu sur toutes les parties supérieures du corps et de la queue. 
ainsi que sur le sommet de la tête et aux oreilles. Les taches distribuées sur cette fourrure sont d’un 
marron noirâtre aux parties inférieures et sur les quatre extrémités, et d'un noir profond sur le des- 
sus du corps; les taches en rose, et celles dites pleines, sont formées et distribuées de la même ma- 
nière que sur les peaux ordinaires du Léopard. Les taches du dos et de la queue sont peu distinctes; 
elles paraissent cependant, et sont bien marquées lorsque les rayons du soleil éclairent cette robe. 
La Ménagerie du Muséum en a possédé deux individus : lun qui lui avait été rapporté par Peron et 
Lesueur, et l’autre, qui vit actuellement, et qui provient de Java, d’où elle a été rapportée en 1841, 
par M. le capitaine Geoffroi. 

M. Boitard, qui, à l'exemple de certains naturalistes, pense que cette variété est bien une espèce 
distincte, dit qu'elle porte, à Java, le nom d'Arimaou, et il donne à son sujet les détails de mœurs 
suivants. « L'Arimaou est un animal farouche, indomptable, qui n'habite que les forêts sauvages. Au 
moyen de ses ongles puissants et crochus, il grimpe avec agilité sur les arbres, poursuivant de 
branche en branche, jusqu'à leur sommet, les Wouwous et autres Singes dont il se nourrit. Ses yeux 
sont vifs, inquiets, dans un mouvement continuel; son regard est cruel, effrayant, et ses mœurs sont 


Phoque des côtes de France 


PI. 21 


CARNASSIERS. 177 


d'une atroce férocité. Cependant il n’attaque pas l'homme s'il n'en est Ini-même attaqué; mais, à la 
moindre provocation, il entre en fureur, se précipite sur lui avec la rapidité de la foudre, et le dé- 
chire avant qu'il ait eu le temps de penser à la possibilité d'une fuite. Pendant le jour, il reste et dort 
dans ses halliers; mais, la nuit, il devient un sujet d’effroi pour tous les êtres vivants. Il rôde sflen- 
cieusement autour des habitations isolées pour surprendre les animaux domestiques, les Chiens sur- 
tout, pour lesquels il a un goût de préférence. » 

La synonymie de cette espèce est excessivement embrouillée, ainsi que nous l'avons dit en nous 
occupant de la Panthère. Suivant M. Temminck, ce serait à elle qu'il faudrait réellement appliquer 
la dénomination de Pardalis d'Ælien; et G. Cuvier l'aurait confondue avec la véritable Panthère, et 
l'aurait indiquée sous les noms de Felis pardus et leopardus; enfin, Schreber en aürait fait son Felis 
varia, et nous ajouterons que Fr. Cuvier l'aurait désignée quelquefois sous la dénomination de Felis 
palearia, et M. Hamilton Smith sous celui de Felis antiquorwum. Du reste, on est loin d'être d'accord 
pour savoir à laquelle des deux espèces on doit plus particulièrement laisser le nom de Panthère, et 
à laquelle on doit plutôt appliquer celui de Léopard; ce n'est même qu'avec doute que nous 
avons cru devoir adopter l'opinion de M. Temminck à ce sujet. Mais cette inversion de nom n'a au- 
eune importance scientifique tant qu'on ne saura pas positivement quels sont les animaux que les 
anciens nommaient Léopards et Panthères, ce qui parait extrêmement difficile, pour ne pas dire 
impossible à établir. 

Les pays habités par cette espèce sont le nord et le midi de l'Afrique, et probablement toute lé- 
tendue de cette vaste partie du monde; on la rencontre en Algérie, mais elle est beaucoup plus rare 
que le Lion. En outre, elle a aussi pour patrie l'Inde et les îles de la Sonde, Java et Sumatra. D'après 
Fischer, on la trouve également en Perse, dans la Souagarie et la Mongolie, jusqu'aux monts Altaï. 

Il est célèbre par sa férocité; comme la Panthère, dont il a les mœurs, il grimpe sur les arbres avec 
une grande agilité. Les nègres le craignent beaucoup, et cependant ils lui font une chasse active pour 
s'emparer de sa fourrure, qui est très-belle. Les négresses-du Congo recherchent beaucoup ses 
dents pour s’en faire des colliers. 

On sait que la robe de ces animaux est très-recherchée par les marchands de fourrures, et que 
c’est une branche importante de commerce. 


6. ONCE. Buffon: FELIS UNCIA. Gmelin 


CaRaGTÈRES SPÉCIFIQUES. — Plus petit que le Léopard, car il n’a pas beaucoup plus de 1",25 de 
longueur totale, non compris la queue, qui est aussi longue que le corps moins la tête; pelage plus 
long, d'un gris blanchâtre sur le dos et sur les côtés du corps, et d'un gris encore plus blane sous 
le ventre, et étant, comme celui du Léopard, moucheté de taches en rose, à peu près de la même 
grandeur et de la même forme, mais plus irrégulière. 


La plupart des naturalistes ont cru que l'Once de Buffon devait être le même animal que le Jaguar 
ou Felis onça Linné, et il est résulté de cette opinion que ce Carnassier à été rayé des catalogues 
mammalogiques comme faisant double emploi. Cependant G. Cuvier, dans une addition qu'il plaça 
à la fin du tome IV de l'édition in-4° de ses Recherches sur les ossements fossiles, publia une note 
par suite de laquelle l'existence de cette espèce, dont on avait douté, sembla démontrée. « L'Once 
de Buffon, dit-il, qui n'avait pas été vue depuis ce grand naturaliste, parait s'être retrouvée. 
M. le major Charles Hamilton Smith, l'un des naturalistes qui connaissent le mieux les Quadrupèdes, 
m'a fait voir le dessin d’un animal que le roi de Perse avait envoyé au roi d'Angleterre, et qu’on 
nourrissait à la Tour de Londres. Il venait des hautes montagnes du nord de la Perse, et il offre tous 
les caractères qu'on observe dans la description de Buffon, ete. » Il est probable que cet animal, qui 
parait destiné à vivre dans des pays assez froids, est celui qui se trouve au midi de la Sibérie et dans le 
nord de la Chine, ete. Le même animal est le Fehs panthera d'Erxleben, et le Felis irbis, Müller, et 
a été admis assez récemment comme espèce distincte, par Lesson, ainsi que par M. Boïtard, dans son 
article Chat du Dictionnaire universel d'Histoire naturelle 


(op =9 


ATS HISTOIRE NATURELLE. - 


On le trouve en Perse, dans la Sibérie orientale, et jusque sur les bords du lac Baïkal. Quant à ses 
mœurs, Buffon, qui seul en a parlé, a tellement confondu son histoire avec celle d’autres grands 
Chats, qu'il est à peu près impossible d'en rien déméler de certain. Néanmoins, il est excessivement 
probable que ses habitudes différent peu de celles de la Panthère et du Léopard. 


À ce groupe de Chats, nous devons ajouter l'espèce fossile, nommée par G. Cuvier Felis antiqua, 
et à laquelle De Blainville joint, jusqu'à contradiction bien établie, les Felis leopardus, Arvernen- 
sis, Pardinensis et ogygea, et qui toutes ne diffèrent probablement pas du Léopard actuellement 
existant. 

Le Felis antiqua semble spécifiquement caractérisé par la proportion des dents et par sa taille 
un peu plus considérable que celle de la Panthère; on en a découvert un grand nombre de fragments; 
tels que : 1° des dents trouvées à Gaylenreuth et à Nice; 2° une tête provenant du val d’Arno; 3° des 
os divers indiqués comme d'Auvergne par MM. Croizet et Jobert; 4° quelques dents des cavernes des 
environs de Liége. 

Le Felis leopardus a été signalé comme fossile pour la première fois, en 1839, par MM. Marcel 
De Serres, Dubreuil et Jean-Jean. dans leurs Recherches sur les ossements fossiles de la caverne de 
Lrnel-Viel, d'après un certain nombre d’ossements et de dents trouvés dans cette caverne, et, depuis, 
M. Owen a indiqué une molaire d'en bas découverte dans le cray de Suffolk, à New-Bourne, par 
M. Lyell, et trouvée avec des dents de Squales, dont elle a l'aspect uni et poli. Du reste, cette espèce 
ne semble réellement pas différer du Felis leopardus vivant actuellement, ou, au moins, du Felis an- 
tiqua fossile. 

Le Felis Arvernensis a été formé, par MM. Croizet et Jobert, d'après quelques fragments d'os et 
de dents trouvés avec ceux du Felis antiqua dans le diluvium sablonneux volcanique si abondant en 
certaines parties de l'Auvergne. Les caractères différentiels attribués à ce Chat fossile sont d'être 
plus petit que le Felis spelæa, dont la taille était supérieure à celle du Lion, et d’avoir la totalité de 
la ligne dentaire beaucoup moindre que dans le Felis antiqua, c’est-à-dire de 0",058 seulement, 
tandis qu’elle est de 0,080 dans celui-ci. 

Le Felis Pardinensis est établi, par MM. Croizet et Jobert, sur quelques fragments d’os peu carac- 
téristiques, découverts en Auvergne, aux environs de Pardines, d’où a été tirée la dénomination spé- 
cifique; il ne peut réellement pas constituer une espèce distincte, et se rapproche assez du Léopard. 

Le Felis ogygea repose sur deux fragments fossiles : l’un en une extrémité antérieure d’une man- 
dibule droite portant en place une canine et les deux premières molaires, et l’autre en un second os 
du métacarpe ayant 0,063 de longueur, trouvés tous deux dans les cavernes de Darmstadt, et dé- 
crits par M. Kaup. Selon ce naturaliste, cette espèce se rapprocherait assez des l’elis palmidens, 
de Sansans, et {ssiodorensis, d'Auvergne; et, selon De Blainville, devrait probablement être réunie 
au Felis antiqua. 

D'après ce que nous venons de dire, on voit que ces prétendues espèces sont très-imparfaitement 
connues, qu’elles ne sont peut-être pas distinctes les unes des autres, et qu'elles se rapportent pro- 
bablement toutes au Felis antiqua. aui lui-même ne doit probablement pas être distingué du Léopard 
actuellement vivant 


9. LES JAGUARS. 


7, JAGUAR. FELIS ONCA. Linné, 


CaracTÈRES spÉcIFIQUES. — Proportions épaisses et lourdes; poils courts, fermés et très-serrés les 
uns contre les autres, tous soyeux, et un peu plus longs aux parties inférieures qu'aux supérieures; 
fond du pelage jaunâtre , couvert de taches ou entièrement noires ou fauves, bordées de noir, celles 
de la première sorte existant seulement sur Ja tête, sur les membres, sur la queue et sur toutes les 


CARNASSIERS. 179 


parties inférieures du corps; celles de la seconde sorte se trouvant principalement sur le dos et le 
cou, ainsi que sur les côtés, étant grandes et peu nombreuses, avec une forme plus ou moins arron- 
die, et quelques-unes ayant un ou deux points noirs dans le milieu, et l'on n'en compte au plus 
que cinq ou six de chaque côté du corps, en suivant la ligne la plus droite du dos au ventre; quelques 
taches bordées sur le cou et sur les épaules; celles de la ligne moyenne du dos étroites, longues et 
pleines; celles de la tête et des pattes plus petites que celles du ventre; cette dernière partie, ainsi 
que la poitrine, le cou, la gorge, la mâchoire inférieure, la partie antérieure de Ia lèvre supérieure, 
le bord antérieur des cuisses, la face interne des jambes et le dedans de la conque de l'oreille, blancs: 
derrière de l'oreille noir, avec une tache blanche; commissure des lèvres noire, ainsi que le bout de 
la queue et les trois anneaux qui se voient près de son extrémité; quatre mamelles seulement d'après 
Fr. Cuvier. C'est la plus grande espèce connue de Chat, après le Lion et le Tigre; D'Azara en à me- 
suré un qui avait une longueur de 1°,94, non compris la queue, qui était longue de 0",59. 


Cette espèce est la Granne PanTHÈRE de Buffon, et a souvent porté le nom de Ticre D'Aérioui 
(Tigris Americana, Bolivar) : c'est le Yagouarété de D'Azara, le Tlatlanqui-Ocolotl d'Hernandes, 
l'Onça de Maregrave, et le Jaguar d'Ét. Geoffroy Saint-Hilaire. 

On y distingue plusieurs variétés : la plus connue est le Jacuar nom où Jaguareté de Marcgrave, 
qui a été à tort distingué spécifiquement par Erxleben, sous la dénomination de Felis nigra: elle 
est toute noire, avec des taches en raies encore plus noires que le fond du pelage: sa lèvre supé- 
rieure est blanche, et les parties inférieures du corps sont cendrées, elle est rare et habite le Brésil 
Une variété tout à fait albine a été signalée par D’Azara. Enfin les chasseurs du Paraguay assurent 
qu'il existe dans ce pays deux autres variétés du Jaguar; l’une plus grande et à jambes plus fortes 
et plus robustes, qu’ils nomment Jaquarété-popé, et que M. Hamilton Smith a scientifiquement indi- 
quée sous la dénomination de Felis onça major, et l’autre plus petite, qu'ils appellent Onza : c'est 
le Felis onça minor, Hamilton Smith. 

Le Jaguar habite une grande partie de l'Amérique méridionale; il est répandu depuis le Mexique 
exelusivement jusque dans Le sud des pampas de Buénos-Ayres, et nulle part il n’est plus commun et 
plus dangereux que dans ce dernier pays, ainsi que le fait observer M. Boitard : « Malgré le climat 
presque tempéré et la nourriture abondante que lui fournit la grande quantité de bétail qui pait en 
liberté dans les plaines, rapporte l’auteur que nous venons de citer, il y attaque très-souvent l'homme. 
tandis que ceux du Brésil, de la Guyane et des parties plus chaudes de l'Amérique fuient devant lui, 
à moins qu'ils n’en aient été attaqués. Les bois marécageux du Parana, du Paraguay et des pays voi- 
sins, sont peut-être les endroits où ils sont le plus fréquents; ils étaient encore si nombreux au 
Paraguay, après l'expulsion des jésuites, qu'on y en tuait deux mille par an, selon D'Azara. Aujour- 
d'hui le nombre en est considérablement diminué. Cependant, au Brésil et dans la Guyane, presque 
régulièrement au lever et an coucher du soleil, on entend leur cri retentir à une très-grande distance; 
il consiste en un son flûté, avec une très-forte aspiration pectorale, ou bien, quand lanimal est 
irrité, en un râlement profond qui se termine par un éclat de voix terrible. Le Jaguar se plait parti- 
culièrement dans les grandes forêts traversées par des fleuves, dont il ne s'éloigne pas plus que le 
Tigre, parce qu'il s’y occupe sans cesse à la chasse des Loutres et des Pacas. Il nage avec beaucoup 
de facilité, et va dormir, pendant le jour, sur les îlots, au milieu des touffes de jones et de roseaux. 
Il pêche, dit-on, le Poisson, qu'il enlève très-adroitement avec sa patte. Îl ne quitte sa retraite que 
la nuit, s'embusque dans les buissons, attend sa proie, se lance sur son des en poussant un grand 
cri, lui pose une patte sur la tête, de l’autre lui relève le menton, et lui brise ainsi le cräne sans avoir 
besoin d'y mettre la dent. Il est d’une force si extraordinaire, qu'il traine aisément dans un bois un 
Cheval ou un Bœuf qu'il vient d’immoler. Il attaque les plus grands Caïmans; et, S'il est saisi par 
eux, il a l'intelligence de leur crever les yeux pour leur faire lâcher prise. En plaine, le Jaguar fuit 
presque toujours devant l'homme, et ne fait volte-face que lorsqu'il rencontre un buisson ou des 
hautes herbes, dans lesquelles il puisse se cacher. On prétend qu'il vit en société avec sa femelle, ce 
qui ferait exception parmi les animaux de son genre. Quoique grand, il grimpe sur les arbres avec 
autant d’agilité que le Chat sauvage, et fait aux Singes une guerre cruelle. La nuit, rien n'égale son 
audace, et, sur six hommes dévorés par les Jaguars, à la connaissance de D’Azara, deux furent enlevés 
devant un grand feu de bivac, » 


180 HISTOIRE NATURELLE. 


On fait une chasse active au Jaguar, parce que sa fourrure est très-recherchée et est une branche 
importante de commerce entre l'Amérique et l'Europe. 


Fig. 90, — Jaguar femelle 


G. Cuvier avait indiqué cet animal comme se trouvant à l’état fossile en Europe; mais, comme il 
l'a fait observer plus tard, ce fait est loin d’être démontré. M. Lund en a figuré quelques os comme 
trouvés dans les cavernes du Brésil. Enfin, on en rapproche le Felis protopanther, du même auteur, 
et qui a été découvert dans la même localité. 


G. LES RIMAOUS. 


8. CHAT A LONGUE QUEUE. FELIS MACROSCELIS. Horsfeld. 


CanacTÈRES sPÉciFiques. — Pelage d'un gris jaunâtre, avec des taches noires, transversales et très- 
grandes sur les épaules, obliques et plus étroites sur les flanes, où elles sont séparées par des taches 
anguleuses, rarement ocellées; pieds forts, munis de doigts robustes; queue grosse, laineuse. Lon- 
gueur du corps, non compris la queue, 0",97 : de celle-ci, 0,86. 


Ce Carnassier porte vulgairement les noms de Rimaou-Daran, ou Cnar LoNGrBanDE. C'est le Trent 
A QUEUE DE Rexarp d'Horsfield, le Tire onpuzé de Fr. Cuvier, Felis nebulosa, H, Smith, Fr. Cuvier; 
lelis Diardi, G. Guvier, et le Felis macroscelis, Horsfield, Temminek. 


e TE So 
ONCE 


Chen crabier. 


Dhole 


ct 


P1. 22 


CARNASSIERS. 151 


Il se trouve à Bornéo et à Sumatra : mais il paraîtrait, selon sir T.-S. Raffles, qu'il est rare dans 
ce dernier pays, quoiqu'on l'y rencontre à peu près partout. C’est dans l’intérieur de Bencooleu qu'il 
paraît y en avoir le plus, il habite de préférence à proximité des habitations, pour s’en approcher la 
nuit et saisir quand il le peut les petits animaux domestiques et même la volaille; mais les habitants 
ne le redoutent que pour cela, car il n’attaque jamais l’homme. Il se nourrit, à défaut de volaille, 
d’Oiseaux qu’il va saisir sur les arbres, de petits Mammifères, et quelquefois de jeunes Faons. Presque 
toujours on le rencontre sur les arbres, où il passe, dit-on, une partie de sa vie; il y dort dans l’en- 
fourchure des branches, et c’est en raison de cette habitude que les gens du pays l'ont nommé 
Dahan, qui, dans leur langage, veut dire enfourchure. En captivité, il est très-doux, très-gai, et 
recherche beaucoup les caresses de son maître, qu'il reçoit en se couchant sur le dos et remuant la 
queue à la manière des Chiens. Il s'attache même aux animaux domestiques, et sir Raffles dit en 
avoir vu deux qui ne pouvaient plus se passer de la société d’un jeune Chien qu’ils avaient l'habitude 
de voir passer devant leur cage. 

Une espèce voisine du Felis macroscelis, et que nous ne ferons que citer, parce qu'elle n’est pas 
encore connue d’une manière complète, est le Felis marmorata, décrit en 1836 par M. Martin, et 
qui habite Java et Sumatra. 


7. LES OCELOTS. 


9. OCELOT. FELIS PARDALIS. Linné. 


CaracrÈnes sréciriques. — Dans le mâle, le museau est plus long et plus gros que celui du Chat; 
pelage ras, dont le fond est gris fauve en dessus et blanc en dessous; une ligne noire s'étendant de 
chaque côté, depuis la narine jusqu'à l'angle antérieur de l'œil, et se prolongeant sur la tête jusque 
sur l’occiput, à côté de l'oreille; de petites taches noires disposées symétriquement entre ces deux 
bandes sur le front et sur la tête; d’autres petites taches noires et rondes à l'endroit où naissent les 
moustaches ; deux raies le long des côtés de la mâchoire inférieure, l'une au-dessus, et l'autre, la 
supérieure, aboutissant à l'angle postérieur de l'œil; l’inférieure ayant en avant deux branches, dont 
celle de dessus est dirigée vers la gorge; quatre bandes longitudinales sur le dessus du cou, avec 
du fauve dans leur milieu, et les deux externes étant un peu courbées en bas en forme de crochet; 
une petite raie noire entre les deux bandes du milieu ; une raie le long du dos, s'étendant jusqu'à 
l'origine de la queue, et de chaque côté de laquelle une file parallèle de taches noires, ovalaires, 
d'environ 0",03 de longueur; deux autres bandes, également parallèles, composées de figures ovales, 
noires sur les bords, fauves dans le milieu, avec de petites taches rondes, noires; au-dessous de la 
troisième file, une bande continue, de près de 0,02 de largeur s'étendant depuis l'épaule jusqu’au 
devant de la cuisse, bordée de noir comme les figures ovales, et fauve dans le milieu, avec de pe- 
tites taches rondes et noires; une dernière bande au-dessous de celle-ci un peu moins large, in- 
terrompue; des taches bordées sur la croupe et sur la cuisse; de petites taches ovales pleines sur la 
partie antérieure de l'épaule et de la cuisse, ainsi que sur la face extérieure des quatre pattes; des- 
sous du cou avec des raies transversales, dont l’une s'étend d’un côté à l’autre en forme de ctilier; 
poitrine et ventre avec de petites taches noires; queue marquée de taches de la même couleur, beau- 
coup plus grandes vers son extrémité qu'à son origine. Longueur de la tête et du corps, 0,80; de la 
queue, environ 0",40. 


La femelle est un peu plus petite que le mâle, avec les mêmes couleurs, à peu près semblablement 
disposées, mais moins apparentes, le fauve étant plus terne, le blanc moins pur, les raies ayant moins 
de largeur et les taches moins de diamètre. 

Cette description un peu détaillée, que nous avons reproduite d’après celle donnée par Daubenton, 
peut être résumée ainsi en quelques mots : fond du pelage gris, marqué de grandes taches fauves, 


182 HISTOIRE NATURELLE. 


bordées de noir, formant des bandes obliques sur les flancs; deux lignes noires bordant latérale- 
ment le front. 

L'Ocelot, ainsi nommé par Buffon, est le Chibiguanzou de D'Azara, où Maracaga. On en distingue 
plusieurs variétés, particulièrement caractérisées par les dimensions de la seconde ligne de taches, 
de chaque côté de la ligne dorsale, qui peut même être quelquefois tout à fait interrompue. MM. Grif- 
fith, Hamilton Smith et Schreber, ont appliqué des dénominations à ces diverses variétés; telles sont 
leurs Chibiguaxou, Hamiltoni Griffith, Griffithii, catenata Smith, et aguri Schreber. L'un d'elles 
seulement nous occupera, c’est le Felis catenata, Smith, qui constitue probablement une espèce par- 
ticulière, que nous décrirons séparément. 


Fig. 91 — Occlot. 


L'Ocelot est un très-joli animal, absolument nocturne, dormant tout le jour dans les fourrés qu'il 
habite? et n’en sortant que la nuit pour se livrer à la chasse des Oiseaux, des Singes et autres petits 
Mammifères. Ses habitudes se rapprochent beaucoup de celles des Felis en général, et en même 
temps elles ont beaucoup de rapports avec celles des Fouines. Selon D'Azara, il paraitrait que le 
mâle cantonne avec sa femelle, et qu'il ne quitte point la forêt qui l'a vu naître. On pourrait très- 
aisément le rendre domestique, et d’Azara en à vu un qui était libre, qui aimait son maitre, ne 
cherchait pas à s'échapper, et n'avait conservé de son état de nature que le goût de la rapine. La 
Ménagerie du Muséum en possède souvent des individus. 

I habite presque toutes les parties de l'Amérique méridionale, mais principalement le Paraguay. 


À la suite de l'histoire de l'Ocelot, nous devons donner la description de trois Chats, dont l'on fait 
trois espèces particulières, et qui, peut-être, lorsqu'ils seront étudiés avec plus de soin, n'en consti- 


CARNASSIERS. 183 


tueront qu'une seule, au moins très-voisine, sinon identique, avec les Felis pardalis, Linné. Ce 
sont les : 


40 CHAT ENCHAINÉ. FELIS CATENATA. I. Smith 


CaracrÈrEes spéciriQuEs. — De la grandeur du Chat sauvage; jambes proportionnellement plus 
petites que celles de l'Ocelot; tête plus grosse et corps plus massif; nez, dessous des yeux et dessus 
du corps d’un jaune rougeâtre, avec les tempes d'un jaune d'ocre ; joues blanches, ainsi que tout le 
dessous du corps et l’intérieur des jambes; plusieurs rangées de taches noires, partant des oreilles 
et convergeant sur le front : une seule raie s'étendant de l'angle extérieur des veux au-dessous des 
oreilles; épaule, dos, flancs, croupe et cuisses portant des bandes alternativement noires et brun- 
rouge; ventre et gorge avec des raies noires; queue présentant des anneaux incomplets de cette der- 
nière couleur. 


Se rencontre au Brésil. 


11. TLATCO-OCELOTL. FELIS PSEUDOPARDALIS. I. Smith. 


Canacrères spéciriQues. — Différant de l'Ocelot par ses taches, qui, quoique bordées, ne forment 
pas des bandes continues, mais sont isolées les unes des autres; queue plus courte; jambes plus 
hautes. Longueur de la tête et du corps, 0",80; de la queue, 0,40. 


Cette espèce, qui a été prise dans la baie de Campêche, miaule comme le Chat ordinaire, et pré- 
fère, dit-on, le poisson à toute autre nourriture. 


42. CHAT 4 COLLIER. FELIS ARMILLATUS. Fr. Cuvier. 


CARAGTÈRES SPÉCIFIQUES. — Pelage d’un gris jaunâtre en dessus et blanc en dessous; taches dis- 
posées comme dans l'Ocelot, mais étant plus petit que lui et ayant une queue plus courte. Longueur 
de la tête et du corps, 0%,65; hauteur moyenne, 0,32. 


Ce Chat se trouve dans une partie de l'Amérique méridionale, surtout au Paraguay : il se rap- 
proche beaucoup de l’Ocelot, dont il a les mœurs. 

Une autre espèce, qui est aussi très-rapprochée des quatre dernières que nous venons de signaler, 
et principalement de la première, est le Felis Brasiliensis, Fr. Cuvier. 


15. MARGAY. FELIS TIGRINA. Linné. 


CaRAGTÈRES sPÉCIFIQUES. — Pelage d’un fauve grisâtre en dessus, blanc en dessous; quatre lignes 
noirâtres entre le vertex et les épaules, se prolongeant sur le dos en séries de taches longues; taches 
des flancs également longues, obliques, plus pâles à leur centre qu'à leurs bords; il ÿ en a une ver- 
ticale sur l'épaule, et d’autres ovales et éparses sur la croupe, les bras et les jambes; pieds gris, 
sans taches; queue portant douze ou quinze anneaux irréguliers. Longueur : 0®,57, non compris la 
queue, qui en mesure 0",30. 


Ce Carnassier, qui est le Chat de la Caroline de Collinson, et le Margay de Buffon, a les mœurs 
de notre Chat sauvage et vit de gibier, de volaille, ete.; mais il est d’un naturel plus farouche, plus 
indomptable, et par là même très-difficile à plier à la servitude. Sa chair, que l'on mange quelque- 
fois, est, dit-on, très-délicate. 

I habite le Brésil, le Paraguay et la Guyane. 


184 HISTOIRE NATURELLE. 


1% GUAT OCÉLOIDE. FELIS MACROURA. Maximilien de Wied 


CaRAcTÈRES SPÉGIFIQUES. — Pelage plus clair que dans l'Ocelot, faiblement teinté d'ocre, qui s'é- 
claircit sur les flancs; queue notablement plus grande, moins mince vers l'extrémité; taille un peu 
plus petite; corps plus allongé; jambes plus basses, taches des flancs moins étendues. 


Se trouve au Brésil. C'est le Chat pécari, Schomb.; le Felis macruros, Griflith, et le Felis Wiedi, 
Schinz. 

M. Lund attribue à cette espèce un fragment fossile d'humérus, percé au condyle interne, et pro- 
venant des cavernes du bassin du Rio dus Velhas, au Brésil. 


45 CHATL FELIS MITIS. Fr. Cuvier 


CaracTÈREs SPÉCIFIQUES. — Pelage à fond fauve, marqué de quatre rangées dorsales de taches noi- 
res et pleines; taches des flancs assez petites, bordées, plus larges en avant qu'en arrière, et dis- 
posées à peu près sur cinq rangées; oreilles noires, avec une grande tache blanche sur le milieu de 
chacune. Longueur du corps, depuis la partie antérieure de l’époule jusqu'à l’origine de la queue, 
0m,50; du cou, 0",05; de la tête, 0",06; de la queue, 0",30, ce qui donne une longueur totale de 
moins de 1", sur laquelle la queue en mesure environ un quart; hauteur, à la partie moyenne du 
dos, 0",55. 


Fig. 92. — Chati. 


Cette espèce a été désignée, par Buffon, sous la dénomination de JaGuaR DE LA NouvezLe-ESsPpAGNE; 


CARNASSIERS. 185 


c'est le Caari de Fr. Cuvier, et, selon quelques auteurs, elle serait également la même que le Cur- 
iGouazou de D’Azara, que nous avons rapporté à l'Ocelot. 

Ce Carnassier semble, à l'état sauvage, avoir les mêmes mœurs que l'Gcelot; d'après Fr. Cuvier, 
qui en a donné une bonne description, il se prive facilement, a beaucoup de douceur, et contracte 
promptement toutes les habitudes du Chat domestique : son miaulement est plus grave et moins étendu 
que celui de ce dernier. 

Il'est très-commun au Paraguay. 


16. CHAT ÉLÉGANT. FELIS ELEGANS. Lesson. 


CaracrÈREs spÉCIFIQUES. — Pelage épais, court, très-fourni, d'un roux vif et doré en dessus, avec 
des taches d'un noir intense, tandis que les flancs et le dessous du corps sont d'un blanc tacheté de 
brun foncé; membres roux en dehors, blancs en dedans, mouchetés de brun; queue annelée de brun 
sur un fond roux en dessus, et blanchâtre en dessous; un cercle noir autour des veux; deux raies, 
partant du milieu de la paupière, montant parallèlement sur le crâne, et se prolongeant sur le cou. 
avec plusieurs taches plus ou moins allongées, brunes sur l’occiput; dos couvert de nombreuses raies 
interrompues de taches rondes, très-noires, pleines; sur les côtés, ces taches sont aurore, à centre 


LA 


d’un fauve vif. Longueur de la tête et du corps : 0",50; de la queue, 0",33. 


D’après Lesson, cette espèce, dont on ne connaît pas les mœurs particulières, serait assez com- 
mune dans les forêts du Brésil. 


8. LES SERVALS. 


4e SERVAL. FELIS SERVAL. Linné. 


CaRACTÈRES SPÉCIFIQUES. — Oreilles grandes, rayées de noir et de blanc; pelage d’un fauve clair, tirant 
quelquefois sur le gris ou sur le jaune; tour des lèvres, gorge, dessous du cou et haut de l'intérieur 
des cuisses blanchâtres; des mouchetures noires sur le front et les joues; un rang de ces mouche- 
tures vers le pli de la gorge; quatre raies noires le long du cou, et les dernières, interrompues sur 
l'épaule, reprenant pour finir plus loin; les intermédiaires s’écartant vers le même point, et entre 
elles naissent deux autres raies qui vont se terminer au tiers antérieur du dos; deux bandes noires 
à la face interne du bras; tout le reste du pelage ayant des taches isolées; queue annelée de noir; 
toutes les taches du pelage pleines. Longueur de la tête et du corps : 0,75; de la queue, 07,24. 


Ce Carnassier a reçu un assez grand nombre de noms, et l'on a cherché à y distinguer plusieurs 
espèces particulières : À. G. Desmarest lui a donné les dénominations latines de Felis serval, qaleo- 
pardus et Capensis : c'est le Chat-Tigre des fourreurs, le Chat du Cap de Forster, le Chat-pard 
de Perrault et des anciens académiciens de Paris; le Serval de Buffon et le Tiger-baschkat de cer- 
tains voyageurs. Les caractères essentiels qu'A. G. Desmarest, dans sa Mammalogie, donne de ces 
trois espèces, que nous réunissons en une seule, à l'exemple des zoologistes modernes, sont les 
suivants : - 


4° ServaL (Felis serval). — Queue desceudant jusqu'aux talons, annelée seulement à son extré- 
mité; oreilles sans pinceaux; pelage fauve en dessus, blanc en dessous, parsemé de nombreuses ta- 
ches rondes, noires, et assez également disposées sur huit rangs environ de chaque côté; tour des 
yeux blanc. Provient probablement de l'Inde; mais cet habitat est loin d’être certain. 


2° Cuar-parD (Felis galeopardus). — Queue descendant jusqu'aux talons, annelée dans toute son 


étendue, et terminée de noir; oreilles sans pinceaux, et marquée d'une bande blanchâtre transversaie 
9% 
c? 2% 


186 HISTOIRE NATURELLE. 


sur leur face externe; pelage fauve en dessus, blanchâtre en dessous, avec des taches noires, dont 
celles du milieu du dos sont à peu près disposées sur quatre rangs. Patrie inconnue. 


3° Cuar pu Gap (Felis Capensis). — Queue dépassant les jarrets, annelée, oreilles larges, sans 
pinceaux; pelage fauve, avec des taches noires plus ou moins grandes et des bandes très-marquées 
aux épaules, au dos, aux jambes de devant et aux hanches. Habite les environs du cap de Bonne- 
Espérance. 


Fig. 95. — Serval. 


Le Serval se trouve dans les forêts de toute la partie méridionale de l'Afrique, et principalement 
dans celles du cap de Bonne-Espérance: il paraît également, d'après Bruce, qu'on le rencontre aussi 
en Abyssinie. : 

Il grimpe sur les arbres avec beaucoup d'agilité pour donner la chasse aux Oiseaux et aux Singes: 
il se nourrit aussi de Rats et de la plupart des petits animaux qu'il rencontre. On l'a quelquefois dans 
nos Ménageries: mais son caractère reste farouche dans la captivité, et il est impossible de l'appri- 
voiser, parce qu'il est insensible aux bons traitements, et qu'il entre en fureur à la moindre contra- 
riété. Sa fourrure est chaude, douce et très-belle; elle est recherchée, et d'une assez grande valeur. 


18. CIIAT À PIEDS NOIRS. FELIS NIGRIPES. Barchell. Griffith. 


GARACTÈRES SPÉCIFIQUES. — Pelage d’un roux approchant de la couleur du tan, plus pâle en des- 
sous, entièrement couvert de taches noires plutôt longues que rondes : celles du dos et du cou for- 
maut quelquelois des bandes; celles des épaules et des jambes transversales, d'un noir plus profond, 
et, dans les vieux individus, les taches supérieures passant au brun, et les autres, au contraire, de- 
venant d'un noir plus intense, dessous des pieds très-noir; oreilles ovales, obtuses, d’un brun mêlé 


CARNASSIERS. 187 


uniforme, avec leur bord antérieur garni de poils aussi longs qu'elles; queue de la mème couleur que 
le dos, sans anneaux, mais confusément tachetée Jusqu'à 0,06 de sa base; taille de notre Chat do- 
mestique. 


Ce Felis parait avoir beaucoup d'analogie avec le Serval; il a probablement les mêmes habitudes, 
et se rencontre dans les mêmes contrées. É 

MM. Marcel De Serres, Dubreuil et Jean-Jean, ont indiqué, comme provenant des cavernes de Lunel- 
Viel, un assez grand nombre d'os fossiles qu'ils rapportent au Serval; mais, comme le fait remarquer 
De Blainville, rien ne prouve que ces ossements appartiennent réellement au Carnassier que nous 
étudions, et qu'ils ne proviennent pas plutôt du Lynx commun. 

On range généralement dans la même subdivision sous-générique que le Serval : 4° le Cuar pu Sé- 
NéGaL (Felis Senegalensis, Lesson; Felis servalina, Ogilby), propre au Sénégal et à Sierra-Leone, 
et 20 le Felis virerrinus, Bennett, qui habite le Bengale. 


9. LES VRAIS FELIS. 


[ RACES DOMESTIQUES. 


19. CHAT PROPREMENT DIT, FELIS CATUS. Linné, 


Caracrènes spÉciriQuEs. — Poil long et touffu, principalement sur les joues; parties supérieures et 
latérales du corps variant du gris foncé jaunâtre au gris brun; parties inférieures blanchâtres; dos 
marqué, dans son milieu, d'une ligne longitudinale noire, de laquelle partent des bandes transversales 
peu tranchées, assez nombreuses, et qui s'étendent parallèlement les unes aux autres sur les flancs, 
les épaules et les cuisses; quelques petites lignes, également parallèles entre elles, sur le front et le 
sommet de la tête; une bande partant de l’angle externe de l'œil et traversant les joues; coins de la 
bouche gris-blancs, ainsi que la poitrine et le dessous du ventre; lèvres noires; face externe des pat- 
tes fauve; queue très-touffue, annelée de noir, et ayant son extrémité de cette même couleur, qui est 
également celle des poils de dessous les quatre pieds; oreilles droites, roides; pupille des yeux se 
contractant longitudinalement. Longueur totale du corps, mesuré depuis le bout du museau jusqu'à 
l’origine de la queue, 0,50 : de la‘ tête, 0°,07, des oreilles, 07,05; de la queue, 0,55. Hauteur 
moyenne au train de devant, 0”,20; au train de derrière, 0193: 


La description que nous venons de donner, d'après A. G. Desmarest, est celle du Chat sauvage, 
que l’on doit prendre pour type de l'espèce. Malgré sa petite taille, on retrouve dans ce Carnassier 
toutes les habitudes des grandes espèces : il vit isolé dans les bois, de la chasse active qu'il fait aux 
Lièvres, aux Lapins, aux Perdrix, et à tous les-animaux faibles qu'il rencontre; il grimpe dans les 
arbres avec une grande agilité, et place ses petits dans les trous caverneux des arbres. Chassé par 
les Chiens courants, il se fait battre et rebattre dans les fourrés, absolument comme le Renard; puis, 
quand il est fatigué, il s’élance sur un arbre, se couche sur une grosse branche basse, et, de là, il 
regarde tranquillement passer la meute, sans s’en mettre autrement.en peine. On le trouve, mais 
assez rarement, dans presque toutes les forêts de l'Europe et de l'Asie; autrefois il était commun 
dans toute la France, mais, depuis une soixantaine d'années, il y devient très-rare, et on ne le voit 
plus guère que dans les grands bois de la partie méridionale. 

Avant de nous occuper des diverses races du Felis eatus, qu'il nous soit permis d'analyser en quel- 
ques pages l'ouvrage de M. Straus-Durckhein, intitulé : Anatomie descriptive et comparée du Chat, 
type des Mammifères en général et «les Carnivores en particulier, 2 vol. in-4° et atlas, Paris, 1845, 
que nous avons déjà cité, et qui, fruit du travail de nombreuses années, comprend un très-grand 


1R& HISTOIRE NATURELLE. 


nombre de détails sur l'ostéologie, la syndesmologie et la myologie de l'espèce que nous étudions. 
Ce que nous dirons iei sure Chat domestique pourra s'appliquer à toutes les espèces du genre Felis, 
car, dans un groupe aussi naturel que celui-là, les caractères anatomiques importants sont les mêmes 
dans toutes les espèces, et les variations qu'on peut observer ne sont que de très-peu de valeur, 
ne tenant souvent qu'à la taille plus ou moins grande, et surtout aux mœurs diverses de l'espèce. 
Ce sont ces considérations qui nous ont engagé à nous étendre autant que nous allons le faire sur 
quelques points importants de l'anatomie du Felis catus, car ce que nous en dirons pourra être con- 
sidéré comme un complément de nos généralités sur les Féliens. 

La tête, comparée à celle de l'homme, est plus allongée en avant, d'où résulte que non-seulement 
la face saille davantage, mais le crâne est aussi, proportionnellement au volume de la tête, plus étroit, 
plus bas, et par conséquent plus allongé dans le même sens; cet allongement porte cependant moins 
sur les diverses parties du crâne que sur celles de la face. L’angle facial, qui dans l'homme est de 
80°, n’est, dans le Chat, que de 52°, dimension due en partie à l’abaissement du front, qui rase 
presque le bord supérieur des orbites, et en partie à l'allongement du museau. Le trou occipital est 
situé en arrière, à la partie inférieure de la face postérieure de la tête, et dirigé obliquement de 
haut en bas et en avant. La face est plus proéminente que dans l'espèce humaine; toutes les par- 
ties qui la composent sont plus tirées en longueur, et le front très-oblique en avant; les os du nez, 
plus déprimés, continuent l’arc des coronaux; les siagonaux, les labraux, les malaires, les palatins 
et les arcades zygomatiques, sont tous plus allongés, quoique, du reste, dans les mêmes rapports de 
connexion. Il en est de même de l’ethmoïde, du vomer, du sphénoïde, du sphécoïde et du basilaire. 
La mâchoire est moins haute et plus étroite en avant, ce qui contribue à rendre le museau pointu et 
saillant. 

La tête est composée de vertèbres et de leurs appendices. Les vertèbres sont au nombre de cinq : 
4° La vertèbre rhinale est réduite en majeure partie à des pièces purement cartilagineuses ; la partie 
centrale du système nerveux ne s’y prolongeant plus, le canal rachidien y est entièrement effacé, 
c'est-à-dire que la lame de la vertèbre s'applique sur le corps de cette dernière, et les parties laté- 
rales de la masse apophysaire, avec les appendices, contournent la portion antérieure des fosses na- 
sales, où elles sont représentées par les cartilages pararrhins, les cornets et les cartilages alaires, ou 
ailes du nez. 2 La vertèbre ethmoïdale, la seconde de la face, commence déjà à entrer par une sur- 
face assez large dans la composition de la boîte crânienne, surface plus étendue que chez les Reptiles 
et les Oiseaux, où l’'ethmoïde est entièrement facial; cette vertèbre a principalement pour corps la 
lame verticale de lethmoïde; sa lame est formée par les os nasaux, les apophyses obliquesantérieures, 
et les anfractuosités ethmoïdales ; les cornets de Bertin sont les apophyses obliques postérieures, et 
les transverses se trouvent dans les os planum ; l’éthmoïde est très-compliqué. 3° La vertèbre sphé- 
noïdale à pour corps le sphénoïde, et plus spécialement la cloison qui sépare les deux sinus; les os 
coronaux forment la lame; les apophyses obliques antérieures et transverses constituent les parties 
latérales des sinus, qui se séparent assez distinctement de la cloison dans les fœtus de presque tous 
les Mammifères, et les apophyses obliques postérieures sont représentées par les ailes d'Ingrassias. 
4° La vertèbre sphécoïdule ressemble mieux encore que la troisième à celle du rachis; ces apophyses 
latérales offrent même la disposition qu'elles ont sur ces dernières, et l’épineuse, ordinairement re- 
présentée par un os à part, connu sous le nom de wormien, se prolonge souvent sous la forme d’une 
crête longitudinale le long de la suture sagittale. 5° La vertèbre basilaire comprend le corps ou os 
basilaire, les apophyses obliques, les transverses, la lame et l'apophyse épineuse, formant des pièces 
particulières, ne se confondant que longtemps après la naissance les unes avec les autres. 

Les appendices des vertèbres céphaliques constituent, en général, les os de la face, tandis que 
celles-ci représentent plus particulièrement ceux du crâne. Les appendices de la vertèbre rhinale 
constituent deux séries; la première renferme le cartilage alaire, ou ailes du nez, et la seconde les 
deux os labraux, ou os incisifs. Les appendices de la vertèbre ethmoïdale sont rudimentaires et pré- 
sentent deux petits osselets, le vomer et les unguis. Les appendices de la vertèbre sphénoïdale forment 
aussi deux séries, dont l'une constitue la chaine des os palatin et siagonal, c’est-à-dire la mâchoire 
supérieure, ainsi que les dents supérieures, et la seconde forme une branche de celle-ci, comprenant 
l'os malaire et les cartilages des paupières. Les appendices de la vertèbre sphécoïdale ne comprennent 
qu'une seule série formée par l'os squammeux et la mâchoire inférieure, avee toutes ses dents. Enfin, 


CARNASSIERS. 189 


les appendices de la vertèbre basilaire forment deux séries bien distinctes, la première comprenant 
les osselets de l'ouie, l'os tympanique et mastoïdien, et la seconde série composée par l'appareil 
hyo-laryngien, renfermant surtout lhyoïde et le Irynx. 

Le rachis ou colonne vertébrale présente dans le Chat des courbures à peu près semblables à celles 
que l’on observe dans le même organe chez l'homme; les deux premières vertèbres cervitales forment 
un petit are concave.en avant, dû au poids de la tête, de manière que l'arc de l’atlas est oblique de 
bas en haut et en avant, pour que sa cavité articulaire s'adapte mieux aux condyles de la tête. Les 
vertèbres cervicales suivantes, avecles premières dorsales, produisent un arc concave en dessus très- 
précipité. Les autres dorsales avec les lombaires forment, au contraire, une seule courbure concave 
en dessous, et moins forte que celle de la région cervicale. Le sacrum est de nouveau replié en des- 
sus, et, enfin, la queue, en obéissant à son propre poids, s’arque encore en dessous. La tête et le cou 
sont assez courts. La longueur relative des régions dorsale et lombaire est à peu près égale, ou 
plutôt dans la proportion de quinze à treize. Le sacrum, composé seulement de trois vertèbres, est 
très-court. La queue n’est pas longue, quoique un peu plus développée que celle des Lynx. Quant à la 
grosseur des diverses parties de la colonne vertébrale, elle varie, d'une part, selon l'ampleur du canal 
rachidien, et, d'autre part, selon la force que chaque vertèbre a à supporter, et par suite selon la gros- 
seur de leur corps, ainsi qne la force et la longueur de leurs apophyses, qui servent principalement de 
points d’attache ou de bras de levier aux muscles de l’épine. Le canal rachidien est large dans l’atlas, 
se rétrécit dans la troisième vertèbre, et commence à augmenter de largeur à partir de la cinquième 
vertèbre jusqu’à la dernière lombaire, où son diamètre transversal égale celui de l’atlas. Les vertè- 
bres rachidiennes se développent par cinq centres d’ossification : un pour la partie moyenne du corps, 
deux pour les épiphyses de ce dernier, et un de chaque côté pour la masse apophysaire. Quant à la 
forme et à la grandeur des vertèbres, ainsi qu’à la longueur et à la disposition de leurs apophyses, 
elles ressemblent assez à celles de l'homme, en présentant cependant des différences notables, dé- 
pendantes, les unes de l'attitude horizontale du corps, et les autres de la faculté de sauter, genre 
de mouvement dans lequel excellent les Felis. Nous nous bornerons à ce que nous venons de dire du 
rachis en général, car nous craindrions d'être trop long si nous entrions dans la description particu- 
lière de chacune des régions de la colonne vertébrale et de chaque vertèbre en particulier. 

De même que les vertèbres céphaliques ont des appendices qui composent principalement les parties 
de la face, en contournant sous le corps des vertèbres des cavités où sont placés divers organes, et 
surtout l'origine des appareils de la respiration et de la digestion, de même aussi les vertèbres ra- 
chidiennes portent des appendices qui embrassent des cavités du tronc, mais modifiés selon le besoin. 
C’est ainsi que sur les vertèbres cervicales ces appendices ou apophyses costillaires sont réduits à de 
simples rudiments, nuls en apparence chez les Mammifères, mais dont l'existence est prouvée par la 
composition des vertèbres chez les Oiseaux et les Reptiles. Sur les vertèbres dorsales, ces appendices 
forment les côtes et le sternum ; sur les lombes, ils n’existent chez les Mammifères que sur les ver- 
tèbres les plus antérieures, où ils constituent les fausses côtes ou costines, et disparaissent compléte- 
ment sur les vertèbres lombaires suivantes, où on les retrouve toutefois chez la plupart des Vertébrés 
ovipares. Aux vertèbres sacrées, les appendices immédiats ne forment que de simples rudiments de 
costinelles, qui se confondent bientôt avec le sacrum; mais les appendices plus éloïgnés sont ce qu’on 
nomme les os coxaux. Enfin, à la queue, les analogues des côtes ou les costelles se présentent aux 
premières vertèbres caudales, soit sous la forme de très-petits osselets rudimentaires, soit en se sou- 
dant par paires sous celle d'os upsiloïdes. 

En particulier dans le Chat, les côtes, au nombre de dix paires, et les costines, fixées aussi par 
paires aux trois premières vertèbres lombaires, ne diffèrent que fort peu de celles de l’homme, étant 
simplement plus grêles, moins larges et aplaties d'avant en arrière dans leur moitié interne ou supé- 
rieure, et au contraire plus étroites et légèrement comprimées de dehors en dedans, à la moitié infé- 
rieure, en diminuant de grosseur de la première à la dernière. Les côtes se développent par deux 
points d’ossification, l'un pour la dyaphyse, et le second pour l’épiphyse, formant sa tête supérieure. 
Les cartilages costaux sont des tiges grèles, simples, qui prolongent les côtes et les costines verté- 
brales en dessous, et se dirigeant en bas, en avant et en dedans vers le sternum, avec lesquels les 
huit premières paires seules s’articulent, tandis que les deux paires suivantes ne l’atteignent pas, 
de même que ceux des trois costines. 


190 HISTOIRE NATURELLE. 


Le sternum est composé d’une série de neuf os allongés, renflés aux bouts, et réunis à leur base par 
des eartilages simulant les ligaments fibro-palpeux des vertèbres, et les pièces ressemblent même 
beaucoup pour la forme aux veftèbres caudales postérieures, dont elles ne diffèrent guère que par 
l'absence des crêtes apophysaires. Les neuf pièces du sternum sont consécutives, non épiphysées, 
disposées en ligne droite, plongeant antérieurement un peu en dessous. Chaque pièce sternale n'a 
qu'un seul point d’ossification. 

On remarque chez quelques Chats de petites pièces rudimentaires très-courtes, articulées par des 
ligaments sur les extrémités des appendices transverses des premières vertèbres lombaires, d’ordi- 
paire privées de costines, et ces osselets paraissent faire la continuation immédiate de ces apo- 
physes. 

Dans son ensemble, le bassin dés Chats, que l’on peut considérer comme formant les appendices 
des vertèbres sacrées, est beaucoup plus étroit que chez l'homme, surtout dans sa partie antérieure 
correspondant au grand bassin, qui n'est guère plus évasé que le petit, dont il n’est pas distinct; il 
est aussi plus allongé d'avant en arrière, et surtout dans la partie qui répond à la sympbhyse des pubis, 
symphyse qui se prolonge beaucoup entre les deux ischions. La direction du bassin suivant sa plus 
grande longueur, c’est-à-dire de la crête iliaque aux tubérosités ischiatiques, est oblique d'avant en 
arrière et en dessous; mais, du reste, les deux parties latérales sont parallèles entre elles. Quant aux 
différentes parties du bassin, tellès que liléum, le pubis, le cotylien, lischion et le pénisial de 
M. Straus-Durhkeim, c’est-à-dire los du pénis, nous n'entrerons pas dans leur description parti- 
culière, qui serait trop étendue pour notre ouvrage. 

Les membres antérieurs, comme chez tous les Mammifères, sont composés de cinq parties con- 
sécutives, formant des angles alternatifs entre elles, et qui sont l'épaule, le bras, Favant-bras et la 
main. 

L'épaule est formée de la réunion de deux os, l’omoplate et la clavicule, avec un os coracoïdien 
rudimentaire fixé à l'omoplate, où il constitue l'apophyse coracoïde, et un quatrième os formant une 
épiphyse sur le bord de la cavité glénoïde, mais distinct seulement comme os à part dans les très- 
jeunes sujets. 

Le bras ne renferme qu'un seul os, ou l’humérus, formé d’une diaphyse et de plusieurs épiphyses, 
lesquelles s'unissent en une seule pièce, lorsque l'animal devient adulte. 

L'avant-bras renferme deux os longs, le eubitus et le radius, mobiles à la fois sur l’humérus et 
sur la main, et mobiles l'un sur l’autre dans les mouvements de pronation et de supination. L'avant- 
bras fait un angle obtus avec l'humérus, en se dirigeant verticalement en dessous dans la station. 

La main du Chat se compose de deux parties bien distinctes, la palmure et les doigts. La palmure 
se subdivise en carpe et métacarpe, et présente à peu près les mêmes os que chez l’homme, avec 
des différences notables dans la forme et la disposition. Dans l'état de station, la palmure est toujours 
étendue sur l’avant-bras, mais seulement jusqu’à la direction droite et un peu plus, afin que le poids 
du corps tende à la maintenir en extension. Les doigts, au nombre de cinq, ont entre eux les mêmes 
longueurs relatives que chez l'homme, et entre eux les mêmes rapports de longueur que leurs os mé- 
tacarpiens : c’est-à-dire que le premier interne, ou le pouce, est le plus court; et ensuite le cinquième; 
le second, le quatrième, et enfin le troisième, sont progressivement de plus en plus longs. Chacun de 
ces doigts, à l'exception du pouce, se compose de trais osselets consécutifs ou phalanges, mais le 
pouce manque de phalangine. Outre ces trois os, chacun des quatre doigts externes porte en dessous, 
à la base de la phalangeale, deux osselets sésamoïdes, égaux dans le même doigt; tandis qu'au pouce 
seulement le sésamoïde interne est seul ossifié, et l'externe réduit à un simple grain cartilagineux. 

On retrouve également dans les membres postérieurs les mêmes parties que chez l'homme, avec 
des différences de forme et de disposition que nécessitent principalement la marche quadrupède et 
le genre de vie auquel les Felis sont appelés. Ges membres se partagent en cuisse, jambe et pied, 
correspondant dans les antérieures au bras, à l'avant-bras et à la main; et ces parties font, dans leur 
disposition naturelle de repos, des angles alternatifs entre elles, afin de rendre la marche, la course 
et surtout le saut, plus faciles, plus souples, et même la station plus sûre. La euisse se dirige obli- 
quement en dessous et en avant; la jambe obliquement en dessous’ et en arrière; le pied en dessous 
et un peu en avant, et, enfin, les orteils en avant, en appuyant sur le sol. 

La cuisse renferme quatre os, dont le principal est le fémur, et trois autres os, fort petits, pla- 


CARNASSIERS 191 


cés dans le creux du one qui n'ont pas été vus par la plupart des anatomistes, et que M. Straus- 
Durhkeim décrit pour la première fois : deux de ces os ont reçu le nom de crithoides, à cause de 
leur forme demi-ovale qui leur donne quelque ressemblance avec un grain d'orge, et le troisième, 
situé sous le crithoïde externe, et, dans le tendon du muscle poplité, est le poplitaire. 

La jambe renferme deux os principaux, Île tibia et le péroné, ainsi que le rotule et les eartilages 
interarticulaires, fixés au tibia par des ligaments particuliers. Ces os diffèrent assez peu de leurs 
correspondants dans l'espèce humaine. 

Le pied des Carnassiers se compose des mêmes parties principales que celui de l’homme, et analo- 
gues à celles de la main, c’est-à-dire qu'on y distingue deux parties principales : le cou-de-pied, 
correspondant à la palmure, et les orteils, correspondant aux doigts; mais la disposition de ces par- 
ties n’est pas tout à fait la même que dans l'espèce humaine pendant la station et la marche. Les 
Chats appartenant à la grande division des Digitigrades n'appuient plus la plante sur le sol, mais 
seulement l'extrémité du métatarse et les orteils absolument comme à la main, ettiennent le pied dans 
une position presque verticale, de manière que ses faces antérieures et postérieures correspondent 
au dessus et au dessous du pied de l’homme. 

Le cou-de-pied se divise en tarse et métatarse, eux-mêmes subdivisés en un assez grand nombre 
d'os, dont quelques-uns ont reçu des noms particuliers de M. Straus-Durhkeim. 

Dans les orteils, le pouce où hallux manque; les quatre orteils restants ressemblent parfaitement 
pour la forme aux doigts, dont ils ne différent que par une grandeur un peu plus considérable, mais 
élant toutefois dans les mêmes proportions, c'est-à-dire que le second, ou le hillux, est le plus long 
et le plus fort; le troisième, ou le hollux, à peine un peu plus court et plus faible; le premier, ou le 
hellux, sensiblement plus petit que ceux-là; et, enfin. le quatrième, ou le hullux, est un peu moindre 
encore que le premier. Il y a aussi trois phalanges et deux sésamoïdes. 

La syndesmologie ou la description du système ligamentaire a été faite avec grand soin et beau- 
coup de détails par M. Straus-Durhkeim, et cette étude, entièrement nouvelle dans le Chat, a 
donné lieu à de nombreuses découvertes intéressantes. Mais ce sujet est trop peu connu pour que 
nous nous y arrètions longtemps ici ; aussi nous bornerons-nous à donner seulement quelques géné- 
ralités. 

D'une matière très-générale, le système ligamentaire du Chat ne diffère en rien de celui de l'homme, 
et la plupart de ses parties se rapportent même individuellement à leurs analogues chez ce dernier. 
Quelques-unes cependant manquent dans cet animal; mais, par contre, il en a aussi un assez grand 
nombre qu'on ne retrouve pas dans l'espèce humaine. On peut les diviser en ceux appartenant au 
torse et en ceux appartenant aux membres. 

Les ligaments de la partie centrale du corps se distinguent ensuite en ceux de la tête et en ceux 
du tronc. 

La plupart des pièces qui entrent dans la composition de la tête étant articulées entre elles par 
suture et par synchondrose, on n’y trouve qu'un fort petit nombre de ligaments proprement dits, 
mais les pièces mobiles en offrent une quantité plus considérable. 

Les ligaments et les aponévroses du tronc se distinguent en ceux qui unissent les vertèbres entre 
elles; en ceux qui se rendent de celles-ci à leurs appendices, et en ceux qui réunissent les parties de 
ces derniers. Les ligaments et les aponévroses de la colonne vertébrale sont ou généraux, et embras- 
sent plusieurs vertèbres, où bien spéciaux seulement, en passant d’une pièce à celle avec laquelle 
celle-ci s'articule immédiatement. 

Les membres présentent un très-grand nombre de ligaments et d’aponévroses. Dans le membre 
antérieur, on distingue ceux qui sont propres aux diverses parties de ce membre, et en outre une 
gaine aponévrotique £ générale qui enveloppe toutes les parties. [l en est de même de ceux du mem- 
bre postérieur, qui, outre les ligaments qui lui sont propres, comprend une sorte de gaine continue 
qui enveloppe tout le membre, et qui est l'aponévrose crurale, jambière et podale. 

Le système musculaire du Chat offre beaucoup de particularités remarquables; il nous séra im- 
possible d'entrer dans ce sujet avec quelques détails, nous ne pourrons même pas donner les noms 
des muscles nombreux du Chat, et nous ne pourrons guère indiquer que quelques généralités, qui 
sont même plutôt du ressort de l'anatomie comparée en général que de celui plus spéciale de Phis- 
toire du genre Felis. 


192 HISTOIRE NATURELLE. 


Les museles qui mettent la tête et ses parties en mouvement se subdivisent d’après les organes 
qu'ils meuvent en ceux des téguments, des oreilles, des veux, du nez, des lèvres, des mâchoires, de 
la langue, du voile du palais, du pharynx, de hyoïde, du laryox, et, enfin, en ceux qui meuvent la 
tête entière. Les téguments, n'ayant aucun point fixe sur lequel ils se meuvent, ne reçoivent que des 
museles qui les déplacent en les fronçant. Les muscles de l'oreille se distinguent en ceux qui meu- 
vent sa partie antérieure, et en ceux qui meuvent sa partie interne, placés dans la caisse du tympan. 
Les muscles qui meuvent les yeux et leurs dépendances se distinguent en ceux qui font agir les pau- 
pières et ceux qui meuvent le globe de l'œil. Les muscles moteurs du nez sont, chez le Chat, beau- 
coup moins développés que chez l'homme; aussi leur nez est-il très-peu mobile : il n'y a même que 
le myrtiforme, dont la fonction est de dilater les narines, qui soit bien distinct, tandis que le pyra- 
midal n’est qu'une dépendance du frontal, et l’élévateur de l'aile du nez qu'une dépendance de l'élé- 
vateur de la lèvre supérieure. Quoique les Chats ne puissent pas produire, avec leurs lèvres, et sur- 
tout avec l'inférieure, des mouvements aussi variés que peut le faire l'homme avec les siennes, ce 
qui vient principalement du peu de force du muscle labial, leur lèvre supérieure est cependant pour- 
vue de muscles plus puissants, surtout l’élévateur propre, qui fait exécuter ce mouvement d'élévation 
qu'on remarque chez ces animaux lorsqu'ils menacent : ces muscles sont, pour les deux lèvres, au 
nombre de six. La mâchoire étant, dans le Chat, articulée à la tête par des gynglymes, dont les ca- 
vités sont très-profondes et embrassent étroitement les condyles, il n'y a guère que les mouvements 
d’élévation et d’abaissement qui soient possibles, avec un bien léger glissement latéral dans les deux 
articulations, mais non le mouvement de prétraction et de rotation, comme cela a lieu chez l'homme, 
et mieux encore chez les Ruminants, où les cavités glénoïdes sont presque planes. Il n'y a ainsi chez 
le Chat que des muscles élévateurs et abaisseurs de la mâchoire; mais, par le genre de vie des Felis, 
ces muscles ont dû être très-développés, très-puissants. La langue est mise en mouvement par deux 
ordres de muscles : les uns, qu'on nomme extrinsèques, prenant leur point fixe sur quelque partie 
extérieure à cet organe, et les autres, ou les intrinsèques, constituant la masse même de la langue, 
et lui faisant exécuter des mouvements sur elle-même. Les muscles du voile du palais ont une dispo- 
sition particulière. On retrouve, parmi les muscles qui meuvent le pharynx, tous ceux qu'on remarque 
chez l'homme, et quelques-uns de plus qui existent bien aussi chez ce dernier, mais moins distinc- 
tement, ou qui ont été décrits comme faisant partie d’autres muscles; tels sont le génio-pharyngien et 
le glosso-pharyngien : tous ces muscles peuvent se distinguer en prétracteurs, élévateurs et constric- 
teurs. Les muscles de l’hyoïde et du larynx sont assez nombreux, et quelques-uns sont communs à 
ces deux organes. La tête étant mobile dans tous les sens par la combinaison des mouvements qu’elle 
peut exécuter sur l’atlas et l'axis, les divers muscles qui entourent ces articulations et qui se fixent, 
soit à la tête, soit à l’atlas, peuvent être distribués en quatre ordres : les extenseurs, les fléchisseurs 
latéraux, les fléchisseurs directs et les rotateurs. 

Les muscles qui meuvent les diverses parties du trone sont distribués en six régions principales 
particulières : celles des téguments, du rachis, du thorax, de l'abdomen, de l'anus, des organes 
urinaires et des parties génitales. Il y a quatre muscles bien distincts et bien développés qui meuvent 
la peau du tronc; ce sont des contracteurs. Les vertèbres étant plus ou moins mobiles en tous sens, 
leurs muscles se partagent de là en ceux qui les portent en dessus, ou les extenseurs; en ceux qui les 
portent de côté, ou les fléchisseurs latéraux; en ceux qui les fléchissent en dessous; et, enfin, en 
ceux qui leur font éprouver un mouvement de rotation : ces muscles sont puissants dans le Chat, et 
cela se conçoit, car il meut avec une assez grande facilité les diverses parties de sa colonne verté- 
brale et spécialement sa queue. Les côtes ont des muscles protracteurs et rétracteurs. Relativement 
aux muscles moteurs du sternum, on peut remarquer qu'outre l’analogue du muscle triangulaire de 
l'homme, il existe encore, chez le Chat, un second moteur propre du sternum, placé en dehors de la 
poitrine, et qui a la même fonction, celle de porter le sternum en avant, en rendant plus aigu l'an- 
gle que les côtes font avec lui, tandis que le sternum est porté en arrièrespar le droit abdominal : 
les autres mouvements de cette chaîne d'os sont impossibles, et les muscles se distinguent de là ex- 
clusivement en prétracteurs et en rétracteurs. 

Relativement aux muscles moteurs de la respiration, on peut dire que, dans le Chat, il n’y a qu'un 
seul muscle essentiellement inspirateur, le diaphragme, et point d’expirateur, excepté dans des cir- 
constances où la respiration devient pénible. 


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CARNASSIERS. 195 


Plusieurs muscles peuvent mouvoir Pabdomen; ces muscles sont tous constricteurs, mais la dila- 
tation du ventre peut être aussi produite par des museles qui agissent sur les fausses côtes en les 
portant en arrière. 

Il y a des muscles spéciaux de l'anus, des organes urinaires et des organes génitaux, et ces der- 
niers différent dans les deux sexes de la même espèce. 


Fig. 94. — Chat domestique. 


Les muscles des membres sont puissants, quoique cependant assez peu développés. Les os de 
l'épaule, lomoplate et la clavicule, étant librement suspendus dans les chairs, sont mobiles dans 
tous les sens; toutefois, comme la première est appliquée contre le thorax, elle ne peut se mouvoir 
que dans un plan vertical, d’où ces muscles se distinguent en prétracteurs, élévateurs, rétracteurs et 
abaisseurs, La elavicule est réduite à un petit osselet suspendu dans un repli où plusieurs muscles 
se rencontrent, mais sur lesquels elle n’a aucune influence, et il en résulte qu’elle n’a pas de muscles 
qui lui soient propres. L'avant-bras, étant uni à l’humérus par une articulation ginglymoïdale, ne peut 
se mouvoir que dans deux sens opposés, en avant et en arrière, ou en flexion et en extension; mais 
les deux os qui entrent dans sa compositica se meuvent en outre l’un sur l’autre en supination et en 
pronation; il existe de là quatre espèces de muscles, des extenseurs, des fléchisseurs, des supinateurs 
et des pronateurs. Dans le Ghat, la main est mobile en tous sens, cependant plus fortement en avant 
eten arrière que de côté, où le mouvement est très-borné : cette partie du membre reçoit aussi quatre 
espèces de muscles : des extenseurs, qui la portent en avant: des abducteurs, qui la portent en de- 
hors, des fléchisseurs qui la plient en arrière, et, enfin, des adducteurs, qui l'inclinent en dedans. 

Quoiqu'il y ait une très-grande ressemblance entre les membres postérieurs et antérieurs, tant sous 
le rapport des os que sous celui des muscles, les différences sont cependant encore assez considé- 

ci 25 


19% HISTOIRE NATURELLE. 


rables, surtout dans les parties les plus proches du tronc. En effet, quoique les os du bassin et celui 
de l'épaule soient bien évidemment les analogues les uns des autres, les différences qu’ils présentent 
sont toutefois fort grandes, et elles sont encore plus sensibles relativement aux muscles : ceux mouvant 
l'épaule étant très-nombreux et fort développés, tandis que les muscles fixés au bassin, qu'on doit 
leur comparer, sont plutôt des moteurs de la colonne vertébrale, le bassin étant à peu près immobile. 
Quant aux analogues des muscles moteurs de l’humérus, ils doivent nécessairement être ceux qui 
meuvent le fémur; et ceux de l'avant-bras, de la main et des doigts, sont ceux de la jambe, du pied 
et des orteils, parties entre lesquelles il y a, au contraire, beaucoup de ressemblance, comme aussi 
des différences notables. 

La cuisse étant, comme dans l'homme, susceptible d’un mouvement de circumduction, les muscles 
qui la meuvent peuvent de là être distingués en extenseurs, fléchisseurs, adducteurs, rotateurs en 
dedans et rotateurs en dehors; mais, comme la cuisse, dans l’état de station, est fortement fléchie en 
avant, tandis qu’elle est en extension chez l’homme, les fonctions de plusieurs de ses muscles ne 
sont pas les mêmes dans les deux espèces. 

Dans la jambe, nous trouvons des muscles produisant des mouvements d'extension, de flexion et 
de rotation : la supination et la pronation sont impossibles. 

Les muscles du pied se distinguent en muscles moteurs du cou-de-pied et de ses parties, et en mo- 
teurs des orteils. Relativement aux muscles du cou-de-pied, on peut remarquer que plusieurs des 
muscles moteurs du pied, prenant leur attache sur le fémur, contribuent beaucoup aux mouvements 
de la jambe, et, par contre, d’autres, spécialement destinés aux mouvements des orteils, contribuent 
à leur tour aux mouvements du pied, prenant leur point fixe sur la jambe. Le pied peut exécuter des 
mouvements d'extension et de flexion, et des mouvements latéraux d’abduction et d’adduction; mais 
ces derniers sont plus bornés. 

Les muscles qui meuvent les orteils sont aussi nombreux que ceux qui meuvent les doigts, avec 
lesquels ils ont la plus grande analogie, tant par leur fonction que par leur forme et leur disposition, 
surtout dans leur partie podale, et se distinguent de même en extenseurs, abducteurs, fléchisseurs et 
adducteurs. 

Nous avons cherché à donner, d’après M. Straus-Durbkeim. une idée générale de l'ensemble du 
système locomoteur du Ghat domestique, et ce que nous avons dit peut, à quelques remarques près, 
s'appliquer non-seulement à tous les Felis, mais même à presque tous les Carnassiers. C’est pour cela 
que nous nous sommes autant étendu sur ce point purement d'anatomie comparée, un autre but que 
nous nous proposions était de faire brièvement connaître l'ouvrage si peu répandu de M. Straus- 
Durhkeim, dans lequel, quoique nous soyons loin d'adopter toutes les idées de l'auteur, nous avons 
trouvé des remarques du plus haut intérêt, et qui sont, pour la première fois, introduites dans la 
science de l’organisation. 

Après cette description anatomique, peut-être un peu trop longue, revenons à la partie zoologi- 
que, proprement dite, du Chat domestique. 

Du Chat sauvage, que l'on peut spécialement nommer Felis catus ferus, Schreber, et qui est le 
même que le Manal de Pallas, et peut-être de son croisement avec quelques espèces voisines, sont 
provenues de nombreuses variétés et races, que l’on a parfois regardées comme constituant des es- 
pèces particulières, parce qu’elles présentent des caractères tranchés et assez constants, mais dont 
la plus grande partie, devenue domestique depuis un grand nombre d'années, et qui s’est répan- 
due partout, ne présente guère plus de caractères distinctifs, et passe, d’une manière insensible, 
d'une variété à une autre, et même d'une race à l’autre. 

Les races les plus caractérisées sont : 


À. CHAT DOMESTIQUE TIGRE. 'elis catus domesticus, Linné. 
CARACTÈRES DISTINCTIFS. 


Pelage très-analoque à celui du Chat sauvage; lèvres et plantes des pieds constamment noires; 
selon les divers individus, il y a des différences notables dans le nombre des taches des flancs et des 


CARNASSIERS. 195 


anneaux noirs «de la queue, mais le front et les joues ont de petites bandes disposées comme celles du 
Chat sauvage, et le bout de la queue est noir. 


Cette variété, moins carnassière que le Chat sauvage, a les intestins proportionnellement plus longs 
que les siens. Elle est plus défiante que les autres races, et conserve les habitudes sauvages de sa 
souche primitive, dont elle est très-rapprochée. 


B. cHar D'espaGne. Felis catus Hispanicus, Linné. 


CARACTÈRES DISTINCTIFS. 


Poil assez court, brillant; pieds et lèvres couleur de chair; robe tachée par plaques irrégu- 


lières de blanc pur, de roux vif et de noir foncé, et quelquefois ne présentant que deux de ces 
couleurs. 


Cette variété, qui est la même que le Felis catus maculatus, Boddaërt et Linné, est assez répandue 
dans nos maisons en Europe. Une remarque intéressante, faite par A. G. Desmarest, est que les indi- 
vidus qui offrent à la fois les trois couleurs que nous avons indiquées, c'est-à-dire le blanc, le roux 
et le noir, sont constamment des femelles; toutefois, il paraîtrait probablement, d’après Bory De Saint- 
Vincent, qu'en Espagne et en Portugal on aurait vu quelques mâles dont la robe était également 
tricolore. 


C. CHAT DES cHaRTREUx. Felès catus cœruleus, Linné. 


CARACTÈRES DISTINCTIFS. 


Poil très-fin, un peu long, partout d'une belle couleur gris ardoisé uniforme; lèvres et plante 
des pieds noires. : 


Cette race, après celle du Chat tigré, est la plus rapprochée de la race sauvage; elle est très- 
alerte. 


D. cHar p'ancona. Felis catus Angorensis, Linné. 


CARACTÈRES DISTINCTIFS. 


Poil du corps doux, soyeux, très-long, surtout autour du cou, sous le ventre et à la queue; poils 
de la tête et des pattes courts; couleur blanche, gris pâle, fauve pale, ou mélangée par plaques ir- 
régulières. 


Cette race, très-éloignée du type primitif, ne présente point les mœurs carnassières ni la vivacité 
du Chat tigré; elle est indolente, dormeuse et malpropre. Elle est originaire d’Angora, en Natalie, 
patrie de plusieurs races de Mammifères à poils longs et soyeux. 


Ces différentes races, par leur mélange, produisent une foule de sous-variétés, qui toutes ont des 
traits confondus et affaiblis des variétés dont elles proviennent. Les plus curieuses, toutefois, sont 
celles des Chats tout blancs ou des Chats tout noirs, et à poils non soyeux. 

Parmi les autres races, nous citerons seulement les suivantes, car nous indiquerons comme espèces 
distinctes plusieurs des variétés que Lesson y a réunies. Ce sont : 


4° Le Chat roux de Tobolsk, indiqué par Gmelin; 


196 HISTOIRE NATURELLE. 


9 Le Chat à orcilles pendantes, à poils fins et longs, noirs ou jaunes, qui se trouve en do- 
mesticité en Chine, dans la province de Pé-chi-y, et qui est probablement le Felis Sinensis, 
Neuhmann; 


3° Le Chat du Charazan, en Perse, à poils longs, doux et fins, comme celui du Chat d’Angora, 
et de couleur grise comme la robe du Chat des Chartreux; d’où Buffon conclut que ces trois races 
n'en font qu'une seule; 


4 Le Chat gris-bleu où ardoisé, du cap de Bonne-Espérance, mentionné par Kolbe, et que Buf- 
fon rapporte aussi à la même race que la précédente; 


5° Le Chat rouge où Felis domesticus ruber, Gmelin, indiqué également par Kolbe, provenant 
aussi du cap de Bonne-Espérance, et remarquable par une ligne rousse qui s’étend tout le long du 
dos et qui commence à la tête; 


6° Le Chat de Pensa, propre à la Russie, cité par Pallas et très-peu connu; 


7 Le Chat de Madagascar où Suca, de Flacourt, qui s’accouple avec les autrés, et qui, dit-on, 
est caractérisé par sa queue tortillée ; fait qui est loin d'être prouvé. 


8° Le Chat du Japon ou Felis Japonica, Kæmpfer, indiqué récemment, et non suffisamment 
connu. 


On observe chez les Chats plusieurs degrés de domesticité : ceux qui sont le plus près de la race 
sauvage par leur conformation le sont aussi par leur naturel défiant et farouche. 

« La domesticité des Chats, fait remarquer Fr. Cuvier, ne semble pas remonter à des temps très- 
éloignés, en Europe, du moins. Il paraïîtrait que les Grecs les connaissaient assez peu; Aristote n’en 
a dit que quelques mots, et il en est de même des autres auteurs de ce temps qui ont traité de l’his- 
toire naturelle : cependant ils étaient communs chez les Égyptiens. Mais d’où ce peuple les connais- 
sait-il? Ces animaux ont été transportés par les Européens dans toutes les contrées de la terre, et ils 
n'ont éprouvé qu'une légère influence de la diversité des climats. Bosmann dit que, sur les côtes de 
Guinée, ils sontencore comme ceux de Hollande; les races d'Amérique, qui paraissent venir des Chats 
d'Espagne, sont toujours les mêmes que les nôtres, et ceux de l’Inde et de Madagascar n’ont point 
éprouvé de changements importants. 

« L'éducation a, au contraire, diversifié les Chats domestiques à l'infini; tant sous le point de vue 
physique que sous le point de vue moral. 

« Si les uns, dit Fr. Cuvier, sont des fripons incorrigibles, d'autres vivent au milieu des offices et 
des basses-cours, sans être jamais tentés de rien dérober, et l’on en voit qui suivent une Marte, 
comme le ferait un Chien. Ce haut degré de domesticité de certains Chats est, sans contredit, 
l'exemple le plus remarquable de la puissance de l’homme sur les animaux, de la flexibilité de leur 
nature, des ressources nombreuses qui leur ont été données pour se ployer aux circonstances, et pour 
se modifier suivant les causes qui agissent sur eux. Je ne crois pas, en effet, que, excepté chez les 
Chats, nos soins aient développé entièrement et presque créé une qualité nouvelle dans nos animaux 
domestiques : nous avons étendu, perfectionné celles qu'ils avaient reçues de la nature, et surtout 
celles qui les portent à l'affection. Avant l’état où nous les avons réduits, ils sont entraînés par un 
sentiment naturel à vivre avec leurs semblables, à s'attacher les uns aux autres; à s’entr'aider mu- 
tellement. Nous ne sommes devenus pour eux, en quelque sorte, que d’autres individus de leur 
espèce : seulement nous avons pris sur ces animaux l'empire qu'auraient pris, mais à un moindre 
degré, les individus qui parmi eux auraient été les plus heureusement organisés. Les Chats étaient 
poussés, par leur naturel, à vivre seuls; une profonde défiance les suivait partout; rien ne les portait 
à s'attacher à notre espèce; on n’apercevait en eux aucun germe de sentiments affectueux; cependant 
quelques races sont profondément domestiques, et ont un besoin extrême de la société des hommes. 
C'est surtout chez les femelles que ce besoin-là se manifeste : aussi je serais disposé à trouver l’ori- 
gine de leur domesticité dans l’affection de celles-ci pour leurs petits, et il est à remarquer que les 
mäles sont beaucoup moins dépendants qu'elles. I semblerait que la domesticité de ceux-ci ne par- 
ticipe plus de celle de leur mère, n’a pour cause que l'influence que sa nature, modifiée par nous, a 


CARNASSIERS., 197 


exercée sur la leur, et non point cette disposition profonde et indestructible sur laquelle, par exem- 
ple, est fondée la sociabilité du Chien. » 

Les mâles et les femelles, hors le temps des amours, n'ont que peu de rapports entre eux. Ces 
dernières sont plus sédentaires. Elles font le plus habituellement deux portées par an, au printemps 
et en automne, et quelquefois trois, après une gestation de cinquante-cinq ou cinquante-six jours, 
et ces portées sont composées chacune de quatre à cinq petits. Ceux-ci sont allaités pendant plusieurs 
semaines, et pour l'ordinaire soignés avec une grande tendresse par leur mère, qui leur apporte des 
Souris, de petits Oiseaux, ete., et les dresse à la chasse. Les mâles, au contraire, sont sujets à dé- 
vorer leur progéniture. Les jeunes Chats sont très-joueurs, et s'occupent continuellement à guetter 
l'objet qui sert à leur amusement, comme si c’était une proie, et à sauter brusquement dessus : ils sont 
très-adroits pour saisir ainsi les Oiseaux. les Souris, les petits animaux et jusqu’à certains Insectes. 

Les Chats sont observateurs et n’entrent jamais dans un endroit qu'ils n’ont pas encore parcouru 
sans en faire une visite exacte. Ils aiment la chaleur en hiver, et, au contraire, recherchent en été les 
lieux les plus frais pour y dormir. Leur sommeil est généralement très-léger, et le moindre bruit les 
éveille. Adultes à l’âge de quinze mois, et quelquefois même plus tôt, les mâles se battent entre eux 
pour se disputer la possession des femelles. Dans leurs combats, ils font entendre une voix entrecoupée 
de sons rauques ou plaintifs, de faux sifflements : alors ils répandent une odeur de choux gâtés ou 
de mauvais muse particulière. 

Quand on les caresse, ils expriment leur contentement par un bruit analogue à celui d'un rouet, et 
dont on n’a pas expliqué la production d'une manière bien satisfaisante. Le mouvement balancé de 
leur queue est, chez eux, un signe de colère ou d'impatience, et, lorsqu'ils sont surpris, ils relèvent 
leur dos en are, s'élèvent tant qu'ils peuvent sur les pattes, hérissent leurs poils et gonflent leur 
queue, qu'ils laissent pendre, ou plutôt qu'ils balancent de droite à gauche, ou de gauche à droite. 
Îs ont un goût passionné pour certaines plantes odorantes, et notamment pour la valériane et le cha- 
taire : quand ils en trouvent, ils se frottent dessus avec délices. 

Ils sont très-propres et ne manquent jamais de se lécher après avoir pris leur nourriture, et de 
lustrer très-souvent leur robe avec leur salive. Ils ont aussi le plus grand soin d'enterrer leurs excré- 
ments et de les couvrir de poussière ou de cendre. Leur urine est très-puante, surtout chez les mâles, 
qui la lancent en arrière, et sans s’accroupir comme les femelles et les jeunes. 

Ces animaux, d'un caractère plein d'indépendance, sont en général, assure-t-on, plus attachés aux 
habitations qu'aux hommes, et on les a vus quelquefois revenir de plus d’une lieue dans l’ancien do- 
micile dont on les avait écartés. Ils font ces voyages de nuit et se dirigent alors plutôt par la vue que 
par l’odorat. La durée moyenne de la vie des Chats est de quinze ans environ; mais quelques indi- 
vidus vivent plus longtemps; et nous en avons possédé un qui avait plus de vingt-deux ans. 

La langue du Chat domestique est mince et large à son extrémité; elle est hérissée de petites 
pointes qui la rendent très-rude, particulièrement lorsqu'elle n'est pas humectée d'une salive abon- 
dante. Leurs pattes de devant sont divisées en cinq doigts, et celles de derrière en quatre seulement; les 
ongles sont crochus, longs et aigus; le Chat les retire à volonté et les tient cachés dans leurs étuis, 
de sorte qu'ils ne s’usent pas en marchant, et l'animal ne les fait sortir que lorsqu'il veut saisir une 
proie, se défendre ou attaquer, ou bien s'empêcher de glisser. La manière dont les femelles transpor- 
tent leurs petits est curieuse à étudier : d'abord elles les lèchent dessous le cou, comme pour les pré- 
parer à être saisis par la même partie; elles les serrent ensuite avec leur gueule, de façon à ne pas les 
laisser échapper, mais pas assez fortement pour les faire crier; ainsi chargées, elles marchent la tête 
haute, afin que le petit ne frappe pas contre terre, et celui-ci ne fait aucun mouvement et laisse pendre 
son corps et ses pattes comme s’il était mort; la Chatte, en le déposant dans l'endroit qu’elle à choisi 
pour lui, le lèche de nouveau sous le cou. Lorsque les petits commencent à marcher, la mère les ac- 
compagne partout, les appelle près d'elle par un miaulement doux et particulier; lorsqu'ils ne répon- 
dent pas, elle miaule de nouveau : sa physionomie prend un caractère d'inquiétude; elle fait quelques 
pas dans le chemin qu’elle voudrait leur faire suivre, les appelle encore, et revient à eux; elle tâche 
de les emporter; s'ils sont déjà un peu grands, elle les traine les uns après les autres, et se repose 
de temps en temps. Si quelque ennemi paraît, un Chien, par exemple, la femelle défena ses petits 
avec fureur. Toutefois les femelles se prêtent assez souvent à nourrir de jeunes animaux d’un tout 
autre genre, et même d'espèces qui leur sont naturellement ennemies. 


195 HISTOIRE NATURELLE. 


Ua murmure court et continu est l’expression de contentement, de l'affection et même des désirs 
des Chats. Is ont encore une autre manière de marquer les sensations agréables qu'ils éprouvent, 
en élargissant les doigts, et en posant et relevant alternativement les pieds de devant; mais cette 
espèce de pétrissement n’a lieu que lorsqu'ils se trouvent sur quelque meuble mollet, comme un coussin, 
un lit, ou qu'ils appuient leurs pieds sur les vêtements ou sur l'objet qu'ils caressent. Les petits 
Chats, dans le moment où ils tettent avec le plus de plaisir, pressent de la même manière les ma- 
melles de leur mère. L'agitation de la queue est un signe de colère ou de passion violente dans les 
Chats; ils la tiennent relevée et droite en marchant vers un objet qui les flatte: lorsqu'ils sont assis, 
ils la font habituellement revenir en rond sur leurs pattes de devant, et, lorsqu'on les retient de 
force, ils témoignent leur impatience par le mouvement de balancement qu'ils donnent à son extré- 
mité. Ces animaux regardent en général les Chiens comme leurs ennemis les plus redoutables ; 
cependant, élevés jeunes ensemble et toujours dans les mêmes maisons, ces deux Carnassiers 
finissent par s'entendre très-bien et par Jouer presque continuellement les uns avec les autres. Les 
Chats marchent légèrement, presque toujours en silence et sans faire aucun bruit. Dans leurs courses 
sur les toits les plus escarpés, ils sont exposés à tomber de très-haut; mais, lorsqu'ils tombent d’eux- 
mêmes, ils se trouvent presque constamment sur leurs pieds, de sorte que souvent la chute est pour 
eux sans danger. Après avoir mangé, les Chats passent leur langue de chaque côté des mâchoires et 
sur leurs moustaches pour les nettoyer. Comme ils ne peuvent atteindre de leur langue les côtés de la 
tête, ils mouillent une patte de leur salive, et la frottent ensuite sur ces parties pour les lustrer. A la 
sortie de leurs dernières dents, les jeunes Chats sont ordinairement malades : on les voit alors souffrir 
beaucoup, languir et maigrir Ils sont sujets aux vomissements, qu'ils font précéder de cris doulou- 
reux : ils font de grands efforts pour vomir. De même que les Chiens, ils mangent du chiendent et 
quelques autres Graminées. 

Le Chat était, parmi les Mammifères, celui dont les Égyptiens punissaient le plus sévèrement la 
mort, soit qu'on l'eût donnée par inadvertance, soit de propos délibéré. On était toujours criminel 
quand on tuait un Chat, et ce crime ne s’expiait que par les plus cruels supplices. Hérodote dit même 
que, quand le Chat meurt d’une mort naturelle, tous les gens de la maison où cet accident est arrivé 
se rasent les sourcils en signe de tristesse. On embaumait le Chat et on l'ensevelissait à Bubastis, 
actuellement Bacta. La vénération des Égyptiens pour cet animal était fondée en partie sur l'opinion 
qu'ils avaient qu'Isis, la Diane des Grecs, voulant éviter la fureur de Typhon et des Géants, s'était 
cachée sous la figure du Chat. Ils représentent leur dieu Chat tantôt avec sa forme naturelle, et tantôt 
avec un corps d'homme portant une tête de Chat. Il semble que les Grecs ne connaissaient pas ce 
Carnassier. 

Les Chats domestiques ont été transportés dans toutes les contrées de la terre, et S'y sont partout 
conservés avec des caractères à peu près constants. 

Buffon à évidemment chargé de sombres couleurs le portrait du Chat, pour faire valoir celui du 
Chien. En effet, ainsi que le fait observer M. Boitard, auquel nous empruntons ce passage : « cet 
animal est d’un caractère timide; il devient sauvage par poltronnerie, défiant par faiblesse, rusé par 
nécessité, et voleur par besoin : il n'est jamais méchant que lorsqu'il est en colère, et jamais en 
colère que lorsqu'il croit sa vie menacée; mais alors il devient dangereux, parce que sa fureur est 
celle du désespoir, et qu'alors il combat avec tout le courage des Tâches poussés à bout. Forcé, dans 
la domesticité, de vivre continuellement en société du Chien, son plus cruel ennemi, sa méfiance 
naturelle a dû augmenter, et é’est probablement à cela qu'il faut attribuer ee que Buffon appelle sa 
fausseté, sa marche insidieuse, et il a conservé de son indépendance tout ce qu'il lui en fallait pour 
assurer son existence dans la position que nous lui avons faite, et, si l'on rend cette position meilleure, 
comme à Paris, par exemple, où le peuple aime les animaux, il abandonne aussi une partie de son 
indépendance en proportion de ce qu'on lui donnera en affection. » 

Malgré ce que nous venons de dire, et quoique nous y trouvions aussi un peu d’exagération, nous 
ne devons pas moins rapporter quelques-unes des pages de Buffon sur le Chat domestique, et nos 
lecteurs pourront d'eux-mêmes rétablir les inexactitudes qu'il a pu commettre. 

« Le Chat est un domestique infidèle, qu'on ne garde que par nécessité, pour lopposer à un autre 
ennemi domestique encore plus incommode, et qu'on ne peut chasser; car nous ne comptons pas les 
gens qui. ayant du goût pour toutes les bêtes, n’élèvent des Chats que pour S'en amuser : Pun est 


CARNASSIERS. 199 


l'usage, l'autre l'abus; et quoique ces animaux, surtout quand ils sont jeunes, aient de la gentillesse, 
ils ont en même temps une malice innée, un caractère faux, un naturel pervers, que l'âge augmente 
encore et que l'éducation ne fait que masquer. De voleurs déterminés, ils deviennent seulement, lors- 
qu'ils sont bien élevés, souples et flatteurs comme les fripons; ils ont la même adresse, la même subti- 
lité, le même goût pour faire le mal, le même penchant à la petite rapine; comme eux, ils savent cou- 
vrir leur marche, dissimuler leur dessein, épier les occasions, attendre, choisir, saisir l'instant de faire 
leur coup, se dérober ensuite au châtiment, fuir et demeurer éloignés jusqu'à ce qu'on les rappelle. 
Ils prennent aisément des habitudes de société, mais jamais des mœurs : ils n’ont que l'apparence 
de l'attachement; on le voit à leurs mouvements obliques, à leurs yeux équivoques; ils ne regardent 
jamais en face la personne aimée; soit défiance ou fausseté, ils prennent des détours pour en appro- 
cher, pour chercher des caresses auxquelles ils ne sont sensibles que pour le plaisir qu’elles leur font. 
Bien différent de cet animal fidèle dont tous les sentiments se rapportent à la personne de son maitre, 
le Chat paraît ne sentir que pour soi, n'aimer que sous condition, nese prêter au commerce que pour 
en abuser; et, par cette convenance de naturel, il est moins incompatible avec l'homme qu'avec le 
Chien, dans lequel tout est sincère. 

« La forme du corps et le tempérament sont d'accord avec le naturel; Le Chat est joli, léger, adroit, 
propre et voluptueux; il aime ses aises, il cherche les meubles les plus mollets pour s’y reposer et 
S'ébattre : il est aussi très-porté à l'amour, et, ce qui est rare dans les animaux, la femelle paraît 
être plus ardente que le mäle; elle l'invite, elle le cherche, elle l'appelle, elle annonce par de hauts 
cris la fureur de ses désirs, ou plutôt l'excès de ses besoins; et, lorsque le mâle la suit ou la dédaigne, 
elle le poursuit, le mord, et le force, pour ainsi dire, à la satisfaire, quoique les approches soient 
toujours accompagnées d'une vive douleur. La chaleur dure neuf ou dix jours, et n'arrive que dans 
des temps marqués. Comme les mäles sont sujets à dévorer leur progéniture, les femelles se cachent 
pour mettre bas; et, lorsqu'elles craignent qu'on ne découvre ou qu'on n’enlève leurs petits, elles Les 
transportent dans des trous et dans d’autres lieux ignorés ou inaccessibles; et, après les avoir allaités 
pendant quelques semaines, elles leur apportent de petits animaux, et les accoutument de bonne 
heure à manger de la chair : mais, par une bizarrerie difficile à comprendre, ces mêmes mères, si 
soigneuses et si tendres, deviennent quelquefois cruelles, dénaturées, et dévorent aussi leurs petits, 
qui leur étaient si chers. À 

« Les jeunes Chats sont gais, vifs, jolis, et seraient aussi très-propres à amuser les enfants si les 
coups de patte n'étaient pas à craindre; mais leur badinage, quoique toujours agréable et léger, n’est 
jamais innocent, et bientôt se tourne en malice habituelle; et, comme ils ne peuvent exercer ces 
talents avec quelque avantage que sur les plus petits animaux, ils se mettent à l'affût près d’une cage, 
ils épient les Oiseaux, les Souris, les Rats, et deviennent d'eux-mêmes, et sans y être dressés, plus 
habiles à la chasse que les Chiens les mieux instruits. Leur naturel, ennemi de toute contrainte, les 
rend incapables d’une éducation suivie. On raconte néanmoins que des moines grecs de l'ile de Chy- 
pres avaient dressé des Chats à chasser, prendre et tuer les Serpents dont cette ile était infestée; 
mais c'était plutôt par le goût général qu'ils ont pour la destruction que par obéissance qu'ils chas- 
saient; car ils se plaisent à épier, attaquer et détruire assez indifféremment tous les animaux faibles, 
comme les Oiseaux, les jeunes Lapins, les Levrauts, les Rats, les Souris, les Mulots, les Chauve- 
Souris, les Taupes, les Crapauds, les Grenouilles, les Lézards et les Serpents. [ls n’ont aucune doci- 
lité, ils manquent aussi de la finesse de l’odorat, qui, dans le Chien, sont deux qualités éminentes; 
aussi ne poursuivent-ils pas les animaux qu'ils ne voient plus, ils ne les chassent pas, mais ils les 
attendent, les attaquent par surprise, et, après s'en être joués longtemps, ils les tuent sans aucune 
nécessité, lors même qu'ils sont les mieux nourris et qu'ils n’ont aucun besoin de cette proie pour 
satisfaire leur appétit. 

« La cause physique la plus immédiate de ce penchant qu'ils ont à épier et à surprendre les autres 
animaux vient de l'avantage que leur donne la conformation particulière de leurs yeux. La pupille 
dans l’homme, comme dans la plupart des animaux, est capable d’un certain degré de contraction et 
de dilatation; elle s’élargit un peu lorsque la lumière manque, et se retrécit lorsqu'elle devient trop 
vive; dans l'œil du Chat et des Oiseaux de proie, cette contraction et cette dilatation sont si considé- 
rables, que la pupille, qui dans l'obscurité est ronde et large, devient au grand jour longue et étroite 
comme une ligne, et dès lors ces animaux voient mieux la nuit que le jour, comme on le remarque 


200 HISTOIRE NATURELLE. 


dans les Chouettes, dans les Hiboux, ete.; car la forme de la pupille est toujours ronde dès qu'elle 
n’est pas contractée. [ ÿ a donc contraction continuelle dans l'œil du Chat pendant le jour, et ce n’est, 
pour ainsi dire, que par effort qu'il voit à une grande lumière : au lieu que, dans le crépuscule, la 
pupille reprenant son état naturel, il voit parfaitement, et profite de cet avantage pour reconnaitre, 
attaquer et surprendre les autres animaux. 


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Fig. 95. — Chat de l'Himalaya. 


€On ne peut pas dire que les Chats, quoique habitants de nos maisons, soient des animaux entiè- 
rement domestiques; ceux qui sont le mieux apprivoisés n’en sont pas plus asservis : on peut même 
dire qu'ils sont entièrement libres, ils ne font que ce qu'ils veulent, et rien au monde ne serait ca- 
pable de les retenir un instant de plus dans un lieu dont ils voudraient s'éloigner. D'ailleurs la plupart 
sont à demi sauvages, ne connaissent pas leurs maîtres, ne fréquentent que les greniers et les toits, 
et quelquefois la cuisine et l'office lorsque la faim les presse. Quoiqu’on en élève plus que de Chiens, 
comme on les rencontre rarement, ils ne font pas sensation pour le nombre; aussi prennent-ils moins 
d’attachement pour les personnes que pour les maisons : lorsqu'on les transporte à des distances assez 
considérables, ils reviennent d'eux-mêmes à leur grenier, et c’est apparemment parce qu'ils en con- 
naissent toutes les retraites à Souris, toutes les issues, tous les passages, et que la peine du voyage 
est moindre que celle qu'il faudrait prendre pour acquérir les mêmes facilités dans un nouveau pays. 
Ils craignent l'eau, le froid et les mauvaises odeurs; ils aiment se tenir au soleil, ils cherchent à se 
giter dans les lieux les plus chauds, derrière les cheminées où dans les fours; ils aiment aussi les 
parfums et se laissent volontiers prendre et caresser par les personnes qui en portent : l'odeur de cette 
plante que l’on appelle l'herbe aux Chats les remue si fortement et si délicieusement, qu'ils parais- 
sent transportés de plaisir. On est obligé, pour conserver cette plante dans les jardins, de l'entourer 
d’un treillage fermé, les Chats la sentent de loin, accourent pour s'y frotter, passent et repassent si 
couvent par-dessus. qu'ils la détruisent en peu de temne 


CARNASSIERS. 201 


« À quinze ou dix-huit mois, ces animaux ont pris tout leur accroissement; ils sont aussi en état 
d’engendrer avant l’âge d’un an, et peuvent s’accoupler pendant toute leur vie, qui ne s'étend guère 
au delà de neuf ou dix ans; ils sont cependant très-durs, très-vivaces, et ont plus de nerfs et de 
ressorts que d'autres animaux qui vivent plus longtemps. 

« Les Chats ne peuvent mâcher que lentement et difficilement; leurs dents sont si courtes et'si 
mal posées, qu'elles ne leur servent qu'à déchirer et non pas à broyer les aliments; aussi cherchent- 
ils de préférence les viandes les plus tendres; ils aiment le Poisson, et le mangent cuit ou cru; ils 
boivent fréquemment; leur sommeil est léger, et ils dorment moins qu'ils ne font semblant de dormir; 
ils marchent légèrement, presque toujours en silence, et sans faire aucun bruit; ils se cachent et 
s’éloignent pour rendre leurs exeréments, et les recouvrent de terre, Comme ils sont propres et que 
leur robe est toujours sèche et lustrée, leur poil s’électrise aisément, et l’on en voit sortir des étin- 
celles dans l'obscurité lorsqu'on le frotte avec la main : leurs yeux brillent aussi dans les ténèbres, 
à peu près comme les diamants, qui réfléchissent au dehors, pendant la nuit, les lumières dont ils 
sont, pour ainsi dire, imbibés pendant le jour. » 

A ces détails, nous devons encore ajouter que non-seulement on a trouvé des momies de Chats dans 
les tombeaux de l'ancienne Égypte, mais qu'on en a aussi découvert à l'état fossile, et cela prinei- 
palement dans des cavernes en Allemagne, en Angleterre, en Belgique et en France. En Angleterre, 
M. Mac-Enry a figuré un côté de mandibule trouvé dans la caverne de Kent. En Belgique, M. Schmer- 
ling, qui a rencontré des ossements de Chats en assez grande abondance dans les cavernes des envi- 
rons de Liége, a encore trouvé à distinguer, d'après un côté droit de mandibule qui, comparée avec 
celle d'un Chat sauvage, lui à paru plus grande, et même avec quelques particularités différentielles, 
un Felis catus magnus et un Felis catus minutus, dont il a obtenu des têtes entières et plusieurs au- 
tres ossements, sans penser aux variations de taille individuelle ou déterminées par les sexes, et qui, 
certainement, dépassent souvent celles qu'il indique entre ses Felis magnus et minutus. Enfin, 
MM. Marcel de Serre, Dubreuil et Jean-Jean ont encore porté plus d'attention à leur Felis catus ferus, 
puisque dans leur ouvrage ils ont consacré plus de quatre pages in-4° à énumérer les ossements de 
Chats qu'ils ont trouvés brisés, épars pêle-mêle dans le limon de la caverne de Lunel-Viel, en en don- 
vant des mesures linéaires et en établissant leur comparaison avec un Chat sauvage tué aux environs 
de Béziers. : 

Plusieurs espèces de Felis sont assez voisines du Chat domestique, pour être quelquefois réunies 
avec lui; telles sont : 


20. CHAT GANTÉ. FELIS MANICULATA. Rupyel. Temminck. 


CaracrÈREs spéciriQuEs. — Pelage d’un gris fauve, avec la plante des pieds noire; sur la tête il y 
a sept où huit bandes noires, arquées, étroites; queue longue, noire au bout, avec des anneaux rap- 
prochés de cette couleur; ligne du dos noire; parties inférieures blanches, nuancées de fauve sur la 
poitrine; face externe des pieds de devant offrant quatre ou cinq petites bandes transversales brunes : 
face interne, avec deux grandes taches noires; cuisses avec cinq ou six petites bandes. À peu près 
de la taille du Chat domestique. 


Cette espèce, que quelques auteurs ne regardent que comme une variété du Felis catus, habite 
l'Egypte, et probablement toute la partie septentrionale de l'Afrique. 


21. CHAT ONDÉ. FELIS UNDATA. À. G. Desmarest. 


CaraGTÈRES sPÉCIFIQUES. — Pelage d’un gris mat, avec de nombreuses petites bandes noirâtres, un 
peu allongées, de la taille du Chat domestique. 


On ne possède pas de description complète de cette espèce, dont le pelage, ainsi que le fait ob- 


server G. Cuvier, présente plutôt des ondes que des taches. Il se trouve dans l'ile de Java. 


F0 26 


202 HISTOIRE NATURELLE. 


Un individu de cette espèce a paru, en 1842, à la Ménagerie du Muséum, et M. Boitard a donne 
sur lui les observations suivantes : Ç Un caractère des plus extraordinaires et que je crois presque 
unique dans le genre des Chats m a été offert par cet animal : il a les pieds palmés, et la membrane 
qui réunit les doigts s'étend jusqu'à l'extrémité des phalanges onguéales. On doit en déduire par 
analogie qu'il habite le bord des eaux et des marais, et que ses habitudes le rapprochent du Lynx 
des marais. Je ne connais que l’Ücelot qui offre une particularité analogue à celle-ci; mais les mem- 
branes de ses doigts sont bien moins grandes, bien moins remarquables que dans celui-ci. » 


29. CHAT DE JAVA. FELIS JAVANENSIS. À G. Desmarest, 


Caracrères sréciriques. — Pelage d'un gris brun clair en aessus et blanchâtre en dessous, avec 
quatre lignes de taches brunes allongées sur le dos, et des taches rondes épaisses sur les flancs; une 


bande transversale sous la gorge, et deux ou trois autres sous le cou. À peu près de la taille du 
Felis catus. 


Cette espèce, à laquelle on peut probablement rapporter les Felis Sumatrana, Horsfield, et mi- 
nuta, Temminck, le Kuwug et le Servalin, et peut-être même l'espèce précédente, le Felis undatu, 
provient des îles de Java et Sumatra. 


Fig. 96. — Chat de Diard. 


95. CHAT DE DIARD. FELIS DIARDIT G. Cuvicr. 


Canacrènes eréciriques. — Fond du pelage d'un gris jaunâtre; dos et cou semés de taches noires 
formant des bandes longitudinales; d'autres taches descendant de l'épaule en lignes perpendiculaires 


Chien écossais. 


Aguara rayé. 


PL. 


CARNASSIERS. 203 


aux précédentes, sur les cuisses et une partie des flanes, à anneaux noirs, et centre gris; des taches 
noirtres et pleines sur les jambes; queue à anneaux nuageux. Longueur de la tête et du corps, 0",25; 
de la queue, 0,75. 


Habite Java. 


24. CHAT NÈGRE. D'Azara. FELIS AMERICANA. Bengl. 


CaracrÈnes sréciriques. — Pelage entièrement noir. Un peu plus grand que notre Chat sauvage; 
car sa tête et son corps ont 0,65 de longueur, et sa queue 0",45. 


Ce Carnassier, le Felis nigritia, Boitard, qui est loin d’être suffisamment connu, se trouve dans 
l'Amérique méridionale, principalement dans les provinces de Maldonado et de la Plata. 


95. EYRA. D'Azara. FELIS EYRA A G. Desmarest. 


CanaGTÈREs sPÉCIFIQUES. — Pelage roux clair partout; une tache blanche de chaque côté du nez, 
ainsi que la mâchoire inférieure et les moustaches: queue plus touffue que celle du Chat domestique; 
prunelle ronde. Longueur de la tête et du corps, 0",54; de la queue, 0,29. 


Ce Chat est très-doux, d’un caractère gai, et il s'apprivoise très-facilement. Il vit dans les forêts 
du Brésil et du Paraguay. 


Le Chat domestique, ainsi que quelques-unes des espèces que nous venons de décrire, ont une 
certaine utilité dans l’industrie : ainsi leurs peaux forment une branche assez considérable du com- 
merce de la pelleterie; et l’on en prépare des fourrures. L'Espagne en fournit beaucoup; mais la plus 
grande quantité de ces peaux se tire du Nord. La Russie en vend, non-seulement à l'Europe, mais 
encore aux Chinois, grands amateurs de fourrures. Le poil du Chat d’Angora, ainsi que celui du 
Lapin d'Angora, est susceptible d’être filé : on en fait des gants, ete. On emploie les boyaux de Chats 
pour faire des cordes à violon, et notamment des chanterelles. 

C'est auprès de cette espèce et des précédentes que l'on doit probablement ranger le Felis exilis, 
dont M. Lund a signalé les ossements fossiles comme trouvés dans les cavernes du bassin de Rio das 
Velhas, au Brésil. 


5 B. RACES TYPES. 


4. D'AFRIQUE. 


26. CHAT DE LA CAFRERIE. FELIS CAFRA. A. G. Desmarest 


CanacrÈREs sPÉcIFIQUES. — Pelage d’un gris fauve en dessus; paupières supérieures blanchâtres, 
gorge entourée de trois colliers; flancs marqués de vingt bandes brunes transversales; huit bandes 
noires traversant les pattes de devant, et douze celles de derrière; queue longue, à quatre anneaux 
bien marqués, et terminée de noir. 


Cette espèce, que Lesson regarde probablement à tort comme la même que le Felis nigripes, 
Burchell, se trouve en Cafrerie, d'où l'a rapportée Delalande. 


204 HISTOIRE NATURELLE. 


97. CHAT OBSCUR. FELIS OBSCURA. À. G. Desmarest. 


Caracrènes spéciriques. — Pelage d'un noir un peu roussâtre, avec des bandes transversales d'un 
noir foncé, et très-nombreuses; sept anneaux à la queue. Plus grand que le Ghat sauvage, et presque 
de la taille du Serval. 

Ce Carnassier, que Fr. Cuvier nommait le Chat noir du Cap, habite l'Afrique australe; il est d'un 
naturel très-doux. La Ménagerie du Muséum en a possédé un individu vivant qui était libre et très- 
privé. 


2. D'ASIE. 
98. CHAT À COLLIER FELIS TORQUATA. Fr. Cuvier 
CaracrÈères spéciriQuEs. — Pelage d'un gris fauve en dessus, blanc en dessous; front marqué de 
quatre lignes longitudinales brunes; joues n’en présentant que deux; un collier sous le cou et un au- 


tre sous la gorge; des taches brunes et allongées s'étendant sur le dos; pieds et ventre mouchetés de 
brun; queue brunâtre, avec des anneaux peu apparents. 


Fig. 97. — Chat du Bengale. 


Cette espèce se trouve au Bengale; sa synonyme est assez compliquée, car c’est le même que le 
Cuar pu Népaur, Fr. Cuvier (Felis Nepalensis, Vigors et Horsfield), et que le Cuar pu Bencase (Felis 
Bengalensis, À. G. Desmarest), et probablement aussi le même que le suivant 


CARNASSIERS. 205 


29. CHAT A TACUES DE ROUILLE. FELIS RUBIGINOSA. Isidore Gcoftroy Saint-Hilaire 


CARACTÈRES SPÉCIFIQUES. — Pelage d'un gris roussätre en dessus et sur les flancs, blanc en des- 
sous; dos marqué de trois lignes longitudinales; taches des flancs de couleur de rouille, disposées en 
séries également longitudinales; taches ventrales noirâtres, disposées en bandes transverses, irrégu- 
lières; queue de même couleur que le fond du pelage, mais sans taches. Taille un peu moindre que 
celle de notre Chat domestique; queue formant environ le tiers de la longueur totale. 


Ce Chat a été trouvé, par M. Bélanger, dans les bois de lataniers des environs de Pondichéry. 

L'on peut ranger auprès de ce Carnassier une espèce assez nouvellement décrite, le Felis moor- 
mensis, Hodgson, du Népaul, qui est probablement le mème que celui désigné sous la dénommation 
de Cuar pu NépauL. 


3. DE LA MALAISIE. 


On range dans cette subdivision deux espèces particulières, que M. Horsfield à fait connaître 
dans le tome IT du Zoological Journal: ce sont les Felis planiceps et Temminckü, propre à 
Sumatra. 


4. D'AMÉRIQUE. 


A. ESPÈCES UNICOLORES. 
50. JAGUARUNDI. FELIS JAGUARUNDI. Lacépède. A. G Desmarest. 


CaractÈRES spéciFIQuEs. — Pelage d'un brun noirâtre, tiqueté de blanc sale; poils de la queue 
plus longs que ceux du corps; moustaches longues, marquées d'anneaux alternativement noirs et gris. 
De la taille du Chat domestique, et ayant un peu la forme allongée du Cougouar. 


Il habite le Paraguay, et probablement aussi le Chili. « Cet animal, rapporte D’Azara, qui la dé- 
couvert le premier, habite seul, ou avec sa femelle, les bords des forêts, les buissons, les ronces et 
les fossés, sans s’exposer dans des lieux découverts. Il grimpe avec facilité aux arbres pour y pren- 
dre des Oiseaux, des Rats, des Micourés, des Insectes, ete., et il attaque aussi les volailles, s'il en 
trouve une occasion favorable pendant la nuit; car il est nocturne. Enfin, c’est un Chat sauvage, sans 
qu'on puisse en donner une meilleure idée que par cette dénomination. Je ne doute pas qu'on puisse 
le priver, parce que j'en ai vu un pris adulte qui se laissait toucher vingt-huit jours après. » 

C’est probablement à la même espèce qu'on doit rapporter le Felis Darwini de M. Martin. 

Une espèce probablement voisine de celle-ci est le Felis chalybeata, Hermann, que l'on ne connait 
pas bien, et que l'on suppose propre à l'Amérique. 


51. CHAT SAUVAGE DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. Buffon. FELIS MEXICANA. À. G Desmarest. 


CaracTÈèrEes spéciriques. — Pelage d'un gris bleuâtre uniforme, moucheté de noir. D’assez grande 
taille. 


Cette espèce, qui est encore douteuse, a toutes les formes d'un Chat ordinaire, et la queue compa- 
rativement aussi longue que celle de cet animal; son poil, assez rude pour qu’on en puisse faire des 
pinceaux à pointe fixe et ferme, est d'un gris cendré bleuâtre, analogue à la couleur grise de la robe 


206 HISTOIRE NATURELLE. 


du Chat des Chartreux, et moucheté de petites taches noirâtres. C'est le Felis Nove-Hispante, 
Schintz. 
Il habite le Mexique. 


B. ESPÈCES VERSICOLORES. 
52. COLOCOLO, FELIS COLOCOLA, Fr, Cuvier 


CanacrÈEs srÉciFiQuEs. — Pelage blanc, plus ou moins grisätre, avec des bandes longitudinales 
flexueuses, noires, et bordées de fauve; queue semi-aunelée, jusqu'à la pointe, de cercles noirs: Jam- 
bes, jusqu'aux genoux, d'un gris foncé. À peu près de la même grandeur que l'Ocelot. 


Il se trouve à Surinam, et, assure-t-on, également au Chili. D'après Molina, il habite Les forêts, de 
même que le suivant, et tous deux se rapprochent des habitations pendant la nuit pour faire visite 
aux poulaillers et enlever la volaille : ils se nourrissent habituellement ae Souris et d'Oiseaux. 


55 GUIGUA. FELIS GUIGUA. Molina 


CaracrÈRes spÉGIFIQUES. — Pelage fauve, marqué de taches noires, rondes, larges d'environ 
Ow,011, s'étendant sur le dos jusqu'à la queue. Il est de la taille de notre Chat sauvage et en a les 
formes. 


G. Cuvier pense que cette espèce pourrait bien n'être qu'une variété du Margay. 
IL habite une grande partie de l'Amérique méridionale, et particulièrement le Chili. 


34. CHAT A VENTRE TACHÉ. FELIS CELIDOGASTER. Temminck. 


Caracrènes spéciriques. — Pelage doux, lisse, court, d’un gris de souris, marqué de taches plei- 
nes, d’un brun fauve; taches du dos oblongues, et les autres rondes; cinq ou six bandes brunes, 
demi-cireulaires, sur la poitrine; ventre blanc, marqué de taches brunes; deux bandes brunes sur la 
face interne des pieds de devant, et quatre sur les pieds de derrière; queue brune, tachée de brun 
foncé: oreilles médiocres, noires à l'extrémité; moustaches noires, terminées de blanc. À peu près de 
la taille du Renard; la queue un peu plus courte que la moitié de la longueur totale. 


Ses mœurs sont inconnues. 

Il se trouve au Chili et au Pérou. 

Ce n'est pas le même animal que le Chat à ventre tacheté de Geoffroy Saint-Hilaire, que l'on à 
quelquefois confondu avec lui. 


Nous pourrions encore indiquer quelques autres espèces de Chats qui ont été signalées dans divers 
ouvrages, soit sous des noms scientifiques, soit seulement sous de simples dénominations vulgaires; 
mais nous croyons qu'elles ne sont pas assez bien connues pour que nous en parlions ici. L'histoire 
du genre Chat, comme le comprenaient les anciens naturalistes, sera, du reste, complète par ce que 
nous allôns dire du groupe générique des Lynx, où nous donnerons en terminant un tableau des 
espèces, peut-être en trop petit nombre, admises par M. Temminck dans sa Monographie des Felis. 

Nous avons indiqué un assez grand nombre d’ossements fossiles qui se rapportent au genre des 
Chats : les uns ayant appartenu à des espèces encore existantes aujourd'hui, et les autres à des es- 
pèces qu'on peut placer à côté d'espèces que nous décrivions. Nous en aurions peut-être quelques 
autres à signaler encore; mais les uns, tels que les Felis smilodon, cultridens, megantereon, trouve- 
ront plus-naturellement leur place auprès des Lynæ; et les autres ne sont fondés que sur des débris 


CARNASSIERS. 207 
trop peu caractérisés pour que nous devions nous en occuper : toutefois, nous nous arrêterons quel- 


ques instants sur les deux espèces suivantes : 


1° Felis quadridentata, De Blainville, propre au célèbre dépôt tertiaire de Sansans, et consistant 
en une portion de crâne, qui semble indiquer, dans sa partie vertébrale, une certaine ressemblance 
avec une petite Panthère, dans sa partie faciale avec le Lynx, et par le système dentaire avec le 
Guépard; 


2° Felis sub-Himalayana, Falconner et Cuntley, particulier aux monts Sivalicks, et qui offre un 
assez grand rapport avec le f'elis viverrin«. 


3% GENRE. — LYNX. LYNCUS. Gray, 1895. 
AVE, Lynx. 


Annals of philosophieal, t, XXVI. 


CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 


Système dentaire : incisives, +; canines, {=}; molaires, 5%: en totalité vingt-huit dents, c’est- 
à-dire que la petite fausse molaire antérieure, cette petite dent placée contre et derrière la canine 
de la mâchoire supérieure chez les vrais Chats, n'existe pas dans presque toutes les espèces. 

Taille moyenne. 

Oreilles larges et longues, souvent terminées par un pinceau de poils plus on moins épais et 
plus ou moins longs. 

Jambes élevées, et faisant paraitre l'animal plus haut que le Chat ordinaire. 

Queue quelquefois de moyenne longueur, mais le plus habituellement très-courte. 


Fourrure généralement plus lonque que dans le genre précédent. 


Tels sont les caractères qui peuvent distinguer les Lynx des Felis; quelques-uns d’entre eux sont 
fixes, mais il faut cependant avouer qu'ils ne sont peut-être pas assez importants pour permettre 
de former deux genres particuliers, car les Lynx, comme les Chats, ont un air de famille com- 
mun, un faciès tout particulier, qui tend à les réunir, et ne permet guère de les séparer qu'artificiel- 
lement. Dans un genre aussi nombreux que celui des Felis, il était bon d'établir peut-être quelques 
subdivisions pour arriver plus facilement à la distinction des espèces, et c’est pour cela que nous 
avons dù adopter les trois genres Guépard, Chat et Lynx, qui, pour quelques naturalistes encore, 
ne forment que de simples subdivisions d’un même et grand genre naturel. 

Les espèces du groupe des Lynx présentent quelques particularités ostéologiques que nous allons 
signaler d’après ce qu'en dit De Blainville. 

Le crâne du Caracal, qui commence la division des Lynx, se distingue parce que la partie verté- 
brale de la tête est fortement arquée au chanfrein, le calmen étant interorbitaire, Il en résulte que 
le nez est très-déclive, et assez rapidement, ce qui concorde avec la grande briëéveté de la face, 
qui est, du reste, assez étroite et assez pincée entre les orbites. Les os du nez sont d'une forme 
particulière; les apophyses orbitaires médiocres; les ptérygoïdes assez courtes, et le bord palatin 
quelquefois un peu échancré au milieu; le trou sous-orbitaire est encore médiocre. Le reste du sque- 
lette a beaucoup de rapports avec celui des Lynx proprement dits, quoique le nombre des vertèbres 
caudales soit de vingt et une; mais on peut trouver, dans la forme des apophyses transverses des 
vertèbres lombaires, plus de ressemblance avec ce qu'elles sont dans le Guépard. 

Dans le Lynx d'Europe, type du genre que nous étudions, le crâne offre une courbure plus uniforme 
dans toute l'étendue du chanfrein, depuis locciput jusqu’à l'extrémité des os du nez : ceux-ci, plus 
larges et plus triangulaires, sont aussi moins étranglés dans le milieu. Les orbites sont aussi pro- 
portionnellement plus grands, plus complets dans leur cadre que dans les Chats ordinaires, et cela 
à cause d'une plus grande saillie des apophyses orbitaires. Le bord palatin est assez constamment 


208 HISTOIRE NATURELLE. 


échancré dans son milieu. Du reste, sauf un peu plus de grandeur, les autres os caractéristiques ont 
la plus grande ressemblance avec ceux des Fels. 

Les différences que l'on peut remarquer dans le Lynx du Canada (Felis rufa) sont les suivantes : 
un peu moins d'arqüre du chanfrein, ce qui donne à la tête un aspect plus allongé et un peu plus 
étroit, étroitesse qui est plus marquée entre les orbites et dans le reste de la face, dont le nez est 
en effet plus pincé; l'orbite, plus petit, est peut-être aussi un peu plus complet dans son cadre; les 
apophyses ptérygoïides sont plus courtes; le bord palatin est droit, et même avec un indice de pointe 
médiane; le bord du trou sous-orbitaire se déverse un peu davantage sur ce trou, qui est assez petit. 
Ce qui distingue, au premier coup d'œil, le squelette de cette espèce, c’est, outre la brièveté et la 
gracilité de la queue, qui n'est composée que de quinze vertèbres décroissant fort rapidement, la 
grande élévation et la gracilité de ses membres, et, par conséquent, des os longs qui les constituent, 
ce qu'on supposerait difficilement en voyant l'animal couvert de sa peau. Dans les vertèbres caracté- 
ristiques, on doit faire observer que la lame inférieure de la sixième cervicale est assez étroite, plus 
que dans le Serval, et de même forme; la onzième dorsale a une très-petite apophyse épineuse, et les 
apophyses transverses de la septième lombaire sont en lame de sabre assez large et excavée. L'hume- 
eus est d'un tiers plus long que l'omoplate, un peu moins rectiligne à son bord postérieur que dans 
le Serval; le radius est à peine moins long que l'humérus, et très-comprimé, tout à fait plan à sa face 
postérieure; la main est assez bien comme dans le Serval, mais, toutefois. avec des os beaucoup moius 
grèles et des phalanges plus normales. Aux membres postérieurs, le fémur est d'un tiers au moins 
plus long que l'os innominé, qui, lui-même, est court. Le tibia égale presque le fémur en longueur, 
et le pied, de l'extrémité du calcanéum à celle des secondes phalanges médianes, est aussi long que 
le tibia. Du reste, ces os sont presque comme dans le Serval, sauf un peu plus de grosseur propor- 
tionnelle. 

Si l'on compare le squelette du Lynx d'Europe à celui que nous venons de décrire, on trouve qu'il 
est non-seulement beaucoup plus grand, mais encore bien plus grêle dans toutes ses parties, ce qui 
se lit même dans les apophyses épineuses et transverses des vertèbres et surtout aux os longs des 
membres : la proportion différentielle augmentant assez régulièrement de lomoplate et de los in- 
nominé à l'humérus, où au fémur, au radius ou au tibia, etau métacarpien ou au métatarsien médian; 
et, comme le diamètre ne suit pas la même loi, les os des membres semblent encore plus longs ct 
plus grèles. Les côtes elles-mêmes sont d'une gracilité remarquable. L’hyoïde, d’après Daubenton, 
ressemble davantage à celui du Cougouar qu'à celui du Jaguar: mais les pièces intermédiaires des 
grandes cornes sont proportionnellement plus courtes : la pièce basilaire étant presque aussi lon- 
que que celle-ci, à peu près comme dans le Caracal, dont l'hyoide ressemble beaucoup à celui du 
Lynx. 

Une autre espèce de ce groupe, dont nous voulons parler sous le point de vue de l'ostéologie, est 1" 
Felis pajeros. La tête est presque triangulaire, c’est-à-dire large en arrière et très-atténuée en avant, 
et le crâne proprement dit assez renflé, à peine rétréei derrière les oreilles; l'espace mterorbitaire 
est très-large, avec des apophyses orbito-frontales très-courtes; la racine du nez est presque carénée, 
tant elle est pincée par suite de la grande étroitesse de ses os; le menton est excessivement court; 
l'ouverture nasale peu oblique et presque terminale; le bord palatin est à peine échancré, et les 
caisses sont extrêmement développées. Le reste du squelette, outre quelques particularités de pro- 
portion qui l'éloignent assez des véritables Lynx, lui ressemble beaucoup, seulement il a son humé- 
rus percé, non-seulement au condyle interne comme chez tous les Féliens, mais encore en dessus 
de la cavité olécranienne : ce qui n'avait pas encore été observé dans d’autres espèces de la même 
tribu ; enfin, le rudiment du premier métatarsien offre une proportion un peu plus grande, et même 
une forme plus phalangifère, quoiqu'il n’y ait pas encore de phalanges palliciales. 

Un groupe d'animaux de ce genre, que l'on indique quelquefois sous la dénomination de Chats 
bottés ou sous celle de Cato-Lynæ, avec Pallas, présente aussi quelques particularités dans son os- 
téologie. Ce groupe renferme le Felis chaus, de la grandeur d’un petit Lynx; le Felis caligata, un 
peu moins grand, et le Felis maniculata, quelquefois plus petit que notre Chat d'Europe, et que nous 
avons cru devoir laisser dans le genre Chat proprement dit, et ranger auprès de notre Felis catus. 
Chez tous, la disposition du crâne est semblable, La tête est assez courbée au front, assez pincée au 
nez; les orbites sont grands, obliques ou ovales; les apophyses orbitaires sont assez rapprochées, et 


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à Di 


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1 


Lie. 1. — Cladobate de Java 


CARNASSIERS. 209 


mème courbees; l'ouverture palatine est large, transverse, avec une pointe médiane courte; l'apo- 
physe angulaire de la mandibule est également large et courte. Pour le squelette, en comparant celui du 
Felis caligata et celui du Chat d'Égypte, il semble à de Blainville que la similitude était complète, 
sauf la grandeur : l'auteur que nous venons de nommer à cependant noté deux ou trois vertébres 
caudales de plus dans le premier que dans le second : l'un en ayant vingt-trois, et l'autre seulement 
vingt, avec une différence de même sorte dans leur longueur : ainsi, la queue, qui dans lun égale en 
longueur les vertèbres sacrées, ne dépasse pas la cinquième dans l'autre. Le bord antérieur de l'omo- 


plate est aussi bien plus droit dans le Chat d'Égypte que dans le Felis caligata où Chat botté des 
Indes. 


Une dernière espèce, que De Blainville range dans le même genre Lynx parce qu’elle n’a pas de 
première avant-molaire supérieure, est le Felis longicaudata, qui en diffère cependant considé- 
rablement par sa queue, très-remarquable par sa longueur et par la forme ramassée semblable 
à celle des Chats proprement dits. Cette espèce, dont l'ostéologie se rapproche assez de celle du 
Felis Sumatrana, est malheureusement peu connue; d'après le peu que nous en avons dit, on voit 
qu'elle semble se rapprocher à la fois des Chats proprement dits et des Lynx: elle nous montre encore 
que le caractère à peu près unique du genre Lynx, c'est-à-dire l’absene d’une molaire de chaque 
côté de la mâchoire supérieure, n'est pas de première valeur, car, pr l'ensemble de ses autres ca- 
ractères, et principalement par la longueur de sa queue et la forme de sa tête, elle se rapproche plus 
des Chats que des Lynx. D'après tout cela, doit-on ranger le Felis longicaudata parmi les Lynx, où 
le placer parmiles Felis? où plutôt ne doit-on pas, à la manière de Linné, réunir ces deux groupes 
génériques en un seul et même genre? 


Les mœurs des Lynx sont les mêmes que celles des Chats, c'est-à-dire que ce sont des animaux 
ce? 97 


210 HISTOIRE NATURELLE. 


qui se nourrissent de chair, font la chasse aux Ruminants et autres Mammifères iuoffensifs, ainsi 
qu'aux Oiseaux, et se contentent quelquefois pour aliments de matières plus on moins putréfiées. 
Ils ont les mêmes ruses, et emploient les mêmes moyens que les Felis pour attaquer leurs ennemis. 
ou pour leur échapper. En parlant du Lynx ordinaire et de plusieurs des espèces américaines de ce 
genre, nous compléterons les détails que nous avons à donner à ce sujet. 

On en connaît une quinzaine d'espèces qui se trouvent répandues sur presque toutes les parties 
du monde. L'Europe en compte plusieurs, mais elles y sont rares aujourd'hui; PAsie en renferme 
quelques-unes, de même que l'Afrique, mais c’est surtout l'Amérique où l'on en a découvert un plus 
grand nombre; il n'y en a pas en Océanie. 

Malgré le petit nombre d'espèces de ce genre, nous croyons cependant, avec la plupart des auteurs, 
devoir y former trois subdivisions sous-génériques qui paraissent assez naturelles : 

1° Les Caracazs, dont le type est le Caracal, animaux à queue assez allongée, à pelage assez ras 
et à pinceaux aux oreilles; 

2 Les Lynx ou Cuars Botrés, tels que le Chaus et les Felis caliguta et maculatt, qui, avec une 
queue allongée, un pelage court, et de petits pinceaux aux oreilles, ont des caractères communs aux 
Chats proprement dits ®t aux Lynx; 

9° LYNx PROPREMENT DITS, à queue courte; pelage épais et long, à pinceaux de poils plus où moins 
marqués aux oreilles, et qui renferment la plupart des espèces, comme notre Lynx ordinaire, et tous 
ceiles propres à PAmérique. 


I. CARACALS. 


1. CARACAL. Buffon, FELIS CARACAL. Linné. 


CaracrÈères sréciriques. — Dessus de la tête, du cou et du dos, d’une couleur fauve teinte de brun, 
qui s'étend aussi sur les épaules; côtés du cou et du corps, face externe des jambes et des pieds, 
d'une belle couleur isabelle, excepté le haut de la face externe de lavant-bras et de la cuisse, qui est 
roussätre; extrémité du museau, tour des yeux, une tache près des coins de la bouche, blancs; une 
petite bande blanchâtre très-étroite, dirigée d'avant en arrière, située au-dessus de Fœil, de chaque 
côté du front; oreilles ayant leur face interne blanche, leur face externe noire, leurs bords blancs. 
et leur bout garni d'un pinceau de grands poils noirs, et analogue à celui du Lynx ordinaire; men- 
ton, dessous du cou, face interne des jambes, blanchâtres, avec une teinte de fauve pâle; poitrine 
d'une couleur fauve terne, avec des taches brunes noirâtres; queue de couleur fauve roussâtre, plus 
longue que celle du Lynx ordinaire, dont cet animal rappelle la forme générale. Longueur de la tête 
et du corps, 0,78; de la queue, 0,27. 


Cette espèce est le Lynx de Pline et des anciens; Buffon l'a fait connaitre sous le nom de CaracaL 
Aldrovande sous celui de Lynx armeaix, et vulgairement les voyageurs lui donnent les dénominations 
de Lynx pe Barranie et de Lynx pu Levanr : c'est le Siagoush des Persans, l'Anak-cl-Ared des Ara- 
bes, le Kara-Kalach des Turcs. 

Le Caracal habite la Nubie et l'Abyssinie, en Afrique, et, en Asie, on le rencontre dans Finde, eu 
Perse et en Turquie, d'où il s'étend même en Europe; enfin, on assure qu'on le trouve également au 
Bengale. Suivant les divers pays qu'il habite, son pelage présente quelques modifications; aussi 
a-t-on quelquefois cherché à former à ses dépens plusieurs espèces particulières, qui, toutefois, ne 
paraissent pas devoir être adoptées. Néanmoins, tous les naturalistes s'accordent pour distinguer 
plusieurs variétés de Caracals, dont trois principalement sont bien caractérisées; ce sont : 


A. caracas p'aicer, Bruce. Buffon. Felis earacal Algericus. Lesson. 


Ayant pour caractères : point de pinceau an bout des oreilles: poil de couleur roussâtre, avee des 


CARNASSIERS. 211 


raies longitudinales noires depuis le cou jusqu'à la queue, et des taches séparées sur les flancs, 
posées dans la même direction; une demi-ceinture noire au-dessus des jambes de devant; une bande 
de poils rudes sur les quatre jambes, qui s'étend depuis l'extrémité des pieds jusqu'au-dessus du 
tarse, ce poil étant retroussé en haut, au lieu de se diriger en bas comme le poil de tout le reste du 
corps. Habite l'Afrique septentrionale. 


B. canacaL DE NUBIE. Bruce. Buffon. Felis caracal Nubicus. Lesson 


Ayant pour caractères : tête plus ronde que celle du Caracal d'Alger; oreilles noires en dehors, 
mais semées de poils argentés; point de croix de Mulet, que possèdent la plupart des Caracals d'Alger; 
poitrine, menton et intérieur des cuisses, marqués de petites taches fauve clair, et non pas brunes 
noirâtres. Se trouve en Nubie et en Arabie. 


C. caracar po BENGALE. Edwards. Buffon. Felis caracal Bengalensis. Lesson. 


Offrant les couleurs du pelage analogues à celles des variétés précédentes pour leur disposition; 
queue dépassant les talons en longueur, et descendant jusqu'à terre, ce qui ne se remarque pas habi- 
tuellement chez les Lynx, mais chez les Chats proprement dits; pattes longues. Patrie, le Bengale. 


Le Caracal paraît être le Lynx des anciens: les Grecs l'avaient consacré à Bacchus, et ils le repré- 
sentaient souvent attelé au char de ce dieu du paganisme. Pline en raconte, suivant sa coutume, les 
choses les plus merveilleuses; selon lui, il avait la vue si perçante, qu'il voyait facilement à travers 
les murailles; son urine se pétrifiait en une pierre précieuse nommée fapis lynearius, qui guérissait 
une foule de maladies, etc. Il vit de proies proportionnées à sa taille, et suit, dit-on, les grands ani- 
maux de la même famille que lui, et surtout les Lions, pour recueillir les débris de leurs repas. Gette 
sorte de société lui a fait donner le nom de Guide ou de Pourvoyeur du Lion, parce qu'on supposait 
que ce dernier, dont l'odorat n’est pas très-fin, s'en servait pour éventer de loin le gibier, dont il 
partageait ensuite avec lui la dépouille. Quoi qu'il en soit, il a les mœurs et les habitudes du Lynx 
ordinaire; il attaque d'assez grands animaux, tels que des Gazelles, diverses Antilopes, ete.; lorsqu'il 
s'empare d'une Gazelle, il la saisit à la gorge, l'étrangle, lui suce le sang, et ni ouvre le crâne pour 
lui manger la cervelle: après quoi il l'abandonne pour en chercher une autre. Du reste, comme le 
Lynx ordinaire, pris jeune, il s’apprivoise assez bien, sans néanmoins perdre son goût pour la liberté. 
Buffon rapporte qu'on peut le dresser à la chasse, qu'il aime naturellement, et à laquelle il réussit 
tès-bien, pourvu qu'on ait l'attention de ne Le jamais lâcher que contre des animaux qui lui soient 
inférieurs, et qui ne puissent lui résister; autrement, il se rebute et refuse le service dès qu'il y a du 
danger : on s'en sert, aux Indes, pour prendre les Lièvres, les Lapins, et même les grands Oiseaux, 
qu'il surprend et saisit avec une ardeur singulière. 


IL. LYNX BOTTÉS. CATO-LY NX. Pallas. 


2, LYNX BOTTÉ, FELIS CALIGATA, Bruce. Temminck. 


CaracrÈèRES sPÉCIFIQUES. — Oreilles grandes, rousses en dehors, à pinceaux bruns, très-courts; 
plante des pieds et derrière des pattes d’un noir profond; milieu du ventre et ligne moyenne de la 
poitrine et du cou d’un roussâtre clair; parties supérieures du pelage d’un fauve nuancé de gris et 
parsemé de poils noirs; cuisses marquées de bandes peu distinctes, d'un brun clair; deux bandes 
d’un roux clair sur les joues; queue, grêle, de la couleur du dos à la base, terminée de noir, avec trois 


219 HISTOIRE NATURELLE. 


ou quatre demi-anneaux vers le bout, séparés par des intervalles d’un blanc plus où moins pur. Lon- 
oueur de la tête et du corps, 0",62; de la queue, 0,57. 


Cette espèce est peut-être la même que le Felis Libycus, d'Olivier, et quelques auteurs la réunis- 
sent non-seulement au Cnar À ongILLES Rousses de Fr. Cuvier, mais même au Chaus, dont nous allons 
parler, et qui en diffère cependant. De Blainville ÿ réunit aussi le Felis bubastes d'Égypte. 

Le Lynx botté habite l'Afrique depuis l'Égypte jusqu'au cap de Bonne-Espérance, et les parties 
méridionales de l'Asie. Au rapport de Bruce, € cet animal habite le Bas-el-Feel, en Abyssinie, et, 
tout petit qu'il est, vit fièrement parmi ces énormes dévastateurs des forêts, le Rhinocéros et l'Élé- 
phant, et dévore les débris de leur carcasse quand les chasseurs ont pris une partie de leur chair, 
mais sa principale nourriture consiste en Pintades, dont ce pays est rempli. [ se met en embuscade 
dans les endroits où elles vont boire, et c’est là que je le tuai. L'on dit que cet animal est assez hardi 
pour se jeter sur l'homme s'il se trouve pressé par la faim. Quelquefois il monte sur les gros arbres, 
d’autres fois il se couche sous les buissons; mais, à l'époque où les Mouches deviennent très-incom- 
modes par leurs piqûres, il s'enfonce dans les cavernes, ou bien il se terre» 


3. CHAUS où LYNX DES MARAIS. FELIS CHAUS. Guldenstaed. 


CaracTÈRES SPÉCIFIQUES. — Jambes longues; museau obtus; une bande noire depuis le bord anté- 
rieur des yeux jusqu'au museau; dos, cou et devant des pieds, d'un gris sale; ventre d'un blanc sale, 
tacheté de voux: iris jaune; dessous des veux, ainsi que les côtés du museau, d'un roux brun, qui 
s'étend, mais avec une teinte plus foncée, sur l'extérieur des oreilles; dedans de celles-ci rempli d'un 
poil blanc très-fin, leur pointe terminée par un petit bouquet de poils noirs; queue de la couleur du 
dos dans sa première moitié, et variée d’anneaux noirs et blanes dans le reste de sa longueur : le bout 
de cet organe noir, avec deux anneaux de la même couleur qui en sont rapprochés; des marques on 
raies noires formant en quelque sorte, sur le derrière et au bas des jambes, des bottines plus longues 
à celles de derrière qu'à celles de devant. Longueur de la tête et du corps, 0,65; de la queue, variant 
de 0",21 à 0,24. 


Le Chaus est le Lynx 2orré de Bruce, le Caracas De Lyme de Buffon, le Felis Lybicus, Olivier, et 
vulgairement le Lyxx Des mans. C'est le Dikaja kuschhka des Russes, le Kir myschak des Tartares, 
le Moes-gedu des Tcherkasses. 

Le Cuar à OREILLES nousses de Fr. Cuvier n’est, selon quelques auteurs, qu'une variété du Ühaus, à 
pelage plus pâle, à bandes moins apparentes sur le corps et sur les jambes, et à queue plus annelée. 
On ne compte que deux où trois anneaux noirs au plus à la queue du Chaus, tandis qu'il y en a au 
moins cinq complets à celle du Chat à oreilles rousses. &. Cuvier pense que, si ce Chat n'est pas une 
espèce distincte, on doit le rapporter au Lynx ganté que nous avons précédemment étudié; mais, ainsi 
que certains naturalistes, nous n'avons pas cru devoir adopter cette opinion. 

Le Chaus habite Les vallées du Caucase, selon Guldenstaedt; PAbyssinie et la Nubie, suivant Bruce; 
Ülivier l'a vu fréquemment aux euvirons du lac Maréotis, en Égypte; et Et. Geoffroy Saint-Hilaire l'a 
rencontré dans une des iles du Nil; mais c'est surtout sur les bords du Kur et du Terek qu'il est Le 
plus commun. 

Ce Carnassier présente une particularité assez remarquable parmi les animaux de la tribu des Fe- 
liens, c’est d'être un excellent nageur, d'habiter de préférence dans les endroits marécageux et sur 
les bords des fleuves, et de se plaire principalement dans l'eau, où il est sans cesse occupé à faire la 
chasse aux Canards et aux Oiseaux aquatiques, et aux Reptiles, ainsi qu'aux Amphibiens, et venant 
même, assure-t-on, à bout de s'emparer des Poissons en plongeant sous l'eau. Le nom de Chaus, 
que nous lui avons conservé, était celui que les anciens Latins employaient pour désigner le Caracal. 


4. LYNX DORÉ. F£LIS CHRYSOTHRIX. Temminck. 


CARACTÈRES SPÉCIFIQUES. — Oreilles courtes, arrondies, noires en dehors, roussàtres en dedans; 


CARNASSIERS. 213 


pelage très-court, luisant, d'un rouge bai très-vif, sans taches sur les parties supérieures, avee quel- 
ques petites taches brunes sur les flanes et le ventre: en dessus d'un blanc roussätre; pattes d’un 
roux doré; queue avec une bande brune tout le long de la ligne médiane, et le bout noir. Longueur 
de la tête et du corps, 0",66; de la queue, 0",35. 


Ce n'est qu'avec doute que nous plaçons ici cette espèce, qui est loin d'être connue suffisamment, 
que M. Temminck a aussi désignée sous le nom de Felis aurata, et dont on ignore la patrie. C'est à 
l'exemple de M. Boitard que nous l'avons rangée parmi les Lynx, mais nous avouerons qu’elle ne 
diffère pas très-notablement des Chats proprement dits. 


C'est dans la subdivision des Lynx bottés que l'on range généralement le Felis maniculata, que 
certaines considérations nous ont engagé à laisser dans le vrai genre Felis, auprès du Felis catus. 
C'est peut-être encore dans le même groupe que nous devrions décrire le Felis longicaudata, indi- 
qué par De Blainville dans son Ostéographie; mais nous ne croyons pas cet animal assez conpu ct 
assez important pour nous en occuper dans un travail aussi général que le nôtre. 


HE. LYNX PROPREMENT DITS. 


1. ESPÈCES DE L'ANCIEN CONTINENT. 
5. PARDE. FELIS PARDINA. Oken, Temminck. 


Caractères sréciriques. — Pelage court, d’un roux vif et lustré, parsemé de mèches ou taches lon- 
gitudinales d’un noir profond, avec de semblables taches sur la queue; joues avec de grands favo- 
ris; queue plus longue proportionnellement que celle du Lynx ordinaire. Taille du Blaireau. 


Il habite les contrées les plus chaudes de l'Europe, telles que le Portugal, l'Espagne, la Sicile, la 
Sardaigne, la Turquie, ete.; il est rare partout, et a les mêmes mœurs que le Lynx ordinaire, avec 
lequel il a été longtemps confondu. D’après G. Cuvier, il porte le nom de Loup-cervier des four- 
r'eurs. 


6. LYNX où LOUP-CERVIER. FÆLIS LYNX, Lioné 


Caractères srécrriques. — Corps gros, assez élevé sur les jambes, qui sont très-fortes; tête grosse, 
arrondie; nez et chanfrein peu révélés; oreilles pointues, terminées par un pinceau de longs poils; 
dessus de la tête et du dos, flanes, face externe des quatre membres, pieds postérieurs, partie supé- 
rieure de la queue, d’une couleur fauve, roussâtre et presque éteinte, mêlée de blanc, de gris, de 
bruu et de noir, parce que ces diverses couleurs terminent les poils; le brun et le noir formant de 
petites taches, et presque des bandes le long du dos et des lombes: les taches brunes étant plus ap- 
parentes qu'ailleurs sur les épaules et sur les cuisses, et les noires sur les lèvres, à l'endroit des 
moustaches, sur l'avant-bras et le devant de la jambe; menton, gorge, dessous du cou, poitrine, 
ventre, face interne des membres et face intérieure de la queue, d'un blanc mêlé d'une légère teinte 
de fauve et de quelques taches noires, principalement sur la face interne de l'avant-bras; bords des 
paupières noirs; poils des oreilles blancs en dedans, d’un fauve très-clair sur les bords, blanchâtres 
à la base de la face externe et noirâtres au bout, avec un pinceau de grands poils allongés et noirs; 
queue noire à son extrémité dans une longueur de 0,07; doigts des pieds très-velus; pelage très- 
doux au toucher; queue courte, noire à l'extrémité. Longueur de la tête et du corps variant entre 
0",75 à 0,90; celle de la queue n'atteignant pas 07,11. 


On trouve des variétés de cette espèce qui ont des taches et bandes moins foncées, la queue 


214 HISTOIRE NATURELLE. 


rousse, avec le bout noir; tout le dessous du corps blanchâtre, et la taille plus petite; tel est le Felis 
rufa de Pannant. Fischer en cite aussi une variété tout à fait blanchâtre. 

Les Latins paraissent avoir connu cet animal, et ils l'ont indiqué sous les noms de Chama, de 
Chaus et de Lupus cervarius; car, ainsi que nous l'avons dit, c’est au Serval que doivent réellement 
s'appliquer les dénominations de Av% et de Lynæ, données par les anciens. C'est le Wargelue où 
le Lo des Suédois, le Los des Danois, le Goupe des Norwégiens, le Rys ostrowidz des Polonais, le 
lys des Russes, le Sylausin des Tartares, le Potzchori des Géorgiens, et, enfin, le Lynx ordi- 
naire des auteurs, et le Loup-cervier des fourreurs. Thunberg avait formé, aux dépens du Lynx, 
une espèce qu'il nommait Felis lupulinues. 

Le Lynx se trouve dans toutes les parties septentrionales de l'ancien monde. Il paraît que du temps 
des Romains il était assez commun dans les Gaules, d’où on en amenait en assez grand nombre pour 
les jeux du cirque de Rome; aujourd'hui il est très-rare en France : cependant on en rencontre encore 
quelquefois dans les Pyrénées et dans les Alpes, d’où il descend parfois dans nos départements méri- 
dionaux. On le prend aussi en Espagne; mais il est plus commun en Allemagne, et surtout dans les 
pays du Nord, où sa fourrure fait un objet de commerce assez étendu. I habite également les forêts 
du Caucase et de l'Asie. 

Buffon a donné d’intéressants détails sur cet animal, etnouscroyons devoir les reproduire ici : «Notre 
Lynx, dit-il, ne voit point à travers les murailles, mais il est vrai qu'il a les yeux brillants, le regard 
doux, l'air agréable et gai; son urine ne fait pas des pierres précieuses, mais seulement il la recouvre 
de terre, comme font les Chats, auxquels il ressemble beaucoup, et dont il a les mœurs et même la 
propreté. Il n'a rien du Loup qu'une espèce de hurlement, qui, se faisant entendre de loin, a dû 
tromper les chasseurs et leur faire croire qu'ils entendaient un Loup. Gela seul a peut-être suffi pour 
lui faire donner le nom de Loup, auquel, pour le distinguer du vrai Loup, les chasseurs auront 
ajouté l'épithète de cervier, parce qu'il attaque les Cerfs, ou plutôt parce que sa peau est variée de 
taches à peu près comme celles des jeunes Gerfs, lorsqu'ils ont la livrée. Le Lynx est moins gros que 
le Loup, et plus bas sur jambes. Il est communément de la grandeur d’un Renard. Il ne diffère de la 
Panthère et de l'Once que par les caractères suivants : il a le poil plus long, les taches moins vives 
et mal terminées, les orcilles bien plus grandes et surmontées à leur extrémité d’un pinceau de poils 
noirs, la queue beaucoup plus courte et noire à l'extrémité, le tour des yeux blane, et l'air de la face 
plus agréable et moins féroce. La robe du mâle est mieux marquée que celle de la femelle : il ne cowrt 
pas de suite comme le Loup, il marche et saute comme le Chat : il vit de chasse et poursuit son gibier 
jusqu'à la cime des arbres; les Chats sauvages, les Martes, les Hermines, les Écureuils, ne peuvent lui 
échapper; il saisit aussi les Oiseaux, il attend les Cerfs, les Chevreuils, les Lièvres au passage, et 
s’élance dessus; il les prend à la gorge, et. lorsqu'il s’est rendu maître de sa victime, il en suce le 
sang et lui ouvre la tête pour en manger la cervelle, après quoi souvent il l'abandonne pour en cher- 
cher une autre : rarement il retourne à sa première proie, et c'est ce qui a fait dire que de tous les 
animaux le Lynx était celui qui avait le moins de mémoire. Son poil change de couleur suivant les 
climats et la saison; les fourrures d'hiver sont les plus belles, meilleures et plus fournies que celles 
de Vété : sa chair, comme celle de tous Les animaux de proie, n’est pas bonne à manger. » 

Ajoutons que le Lynx se place quelquefois en embuscade sur une des basses branches des arbres, 
pour s’élancer de là sur un faon de Renne, de Cerf, de Daim ou de Chevreuil; il lui saute sur le cou, 
s'y cramponne avec ses ongles, et ne lâche que lorsqu'il a abattu sa proie en lui brisant la première 
vertèbre du cou; il lui fait alors un trou derrière le crâne et lui suce la cervelle par cette ouverture. 
larement il attaque une autre partie des grands animaux, à moins qu'il n’y soit poussé par une faim 
excessive. 

On en a de temps en temps dans nos Ménageries, et il y vit assez longtemps. Pris jeune et élevé 
en captivité, il s’apprivoise assez bien et devient même caressant, ce qui ne l'empêche pas de re- 
prendre sa liberté dès qu'il en trouve la plus légère occasion. Comme le Chat, il est d’une excessive 
propreté et passe beaucoup de temps à se nettoyer et à lisser son pelage. 

On a indiqué un assez grand nombre d’ossements fossiles propres à divers terrains et à divers 
pays, que De Blainville croit devoir rapporter, au moins provisoirement, au Felis lynæ où lyncoides. 
En effet, .sauf quelques légères différences dans les dimensions des dents des mâchoires inférieures, 
sur lesquelles sont établis les Felis antediluviana, Issiodorensis, brevirostris, Engiholiensis et Serval, 


CARNASSIERS. 215 


toutes ces prétendues espèces indiquent seulement une grande espèce de Lynx. Sans adopter com- 
plétement l'opinion de De Blainville, nous dirons quelques mots de chacun de ces fossiles : 


1° Felis antediluviana, Kaup. — Fondé sur un fragment de mandibule et sur deux molaires très- 
incomplètes qui y sont à peine implantées, indiquant un animal de la taille d'un petit Lynx, et 
provenant du célèbre dépôt d'Eppelsheim. 


2% Felis Issiodorensis, Croizet et Jobert. — Les fragments qui se rapportent à cette espèce sont 
plusieurs débris de mâchoires inférieures, une vertèbre atlas et une vertèbre dorsale, des humérus, 
un cubitus, un radius, un fémur, des os métatarsiens er quelques phalanges, recueiliis dans les 
terrains meubles des environs d'Issoire, en Auvergne, et qui semblent se rapprocher du Lynx du 
Canada. 


3° Felis brevirostris, Croizet et Jobert. — Créé principalement sur des débris de mandibules, 
dont l'une est caractérisée par la brièveté de la bavre qui sépare là canine de l'alvéole de la première 
molaire et qui est très-courte. Le Felis Perieri, Croizet, se rapproche un peu du Felis brevirostris, 
et a été trouvé dans les mêmes localités. 


4 Felis Engiholiensis, Schmerling. — Cette espèce ne repose que sur les considérations de quel- 
ques dents et d’un fragment d'humérus, et ne semble pas différer du Lyux : elle provient de la ca- 
verne d'Engilhoul, près de Liége. 


50 Felis serval, Marcel de Serres, Dubreuil et Jean-Jean. — C’est de la caverne de Lunel-Vie] 
que proviennent les ossements assez nombreux rapportés au Serval par les auteurs que nous venons 
de nommer, mais que De Blainville est tenté d'indiquer comme appartenant plutôt au Lynx. 


7. LYNX DE MOSCOVIE. FELIS CERVARIA. Termminck 


CaracrÈRes spéciriques. — Moustaches blanches; pinceaux des oreilles courts, et manquant même 
quelquefois; pelage d’un cendré grisätre, brunissant sur le dos; fourrure fine, douce, longue et touf- 
fue, surtout aux pattes, avec des taches noires dans Fadulte, brunes dans le jeune âge; queue conique, 
plus longue que la tête, à extrémité noire. Taille à peu près semblable à celle du Loup. 


Cette espèce, qui porte vulgairement les noms de Cnecason, de Guurox et de Lynx pe Moscovir, 
que Thunberg nommait Felis lupus, et Brisson Catus cervarius, et qui est le Kat-lo des Suédois. 
a été longtemps confondue avec le Lynx ordinaire. 

On le trouve dans le nord de l'Asie, et il a les mêmes mœurs que les espèces précédentes; mais sa 
grande taille et sa force le rendent plus redoutable pour Le gros gibier, et il attaque les Chevreuils 
adultes, les jeunes Cerfs et autres Ruminants de cette grandeur. 


8. MANOUL ou MANUL. FELIS MANUL. Pallas. 


CaracrÈènes sréciriques. — Pelage d'un fauve roussätre uniforme, très-touffu et très-long; deux 
points noirs sur le sommet de la tête; deux bandes noires parallèles sur les joues; museau très-court; 
queue touffue touchant à terre, marquée de six à neuf anneaux noirs. Taille du Renard. 


Ce Carnassier habite les steppes déserts et rocheux qui s'étendent entre la Sibérie et la Chine. 
I parait qu'il ne se plait pas dans les bois, où il n'entre jamais, et qu'il préfère les pays stériles et 
hérissés de rochers : aussi n'est-il pas rare dans la Daourie et dans toutes les contrées comprises 
entre la Mer Caspienne et l'Océan, au sud du cinquante-deuxième degré de longitude. 

C'est un animal nocturne qui ne sort que la nuit du trou de rocher où il dort pendant le Jour, pour 
aller faire la chasse aux Oiseaux et aux petits Mammifères dont il se nourrit, mais c’est principalement 
aux Lapins qu'il fait une guerre aussi acharnée que cruelle. 


216 HISTOIRE NATURELLE. 


H. ESPÈCES D'AMÉRIQUE 


1 DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE. 
9 LYNX DU CANADA. Buflon. FELIS CANADENSIS. Et. Geoffroy Sunt-Hiluire. 


CARAGTÈRES SPÉCIFIQUES. — Corps couvert de longs poils grisàtres mélés de poils blancs, mou- 
cheté et rayé de fauve plus ou moins foncé: tête grisätre, mêlée de poils blancs et de fauve clair, 
et comme rayée de noir en quelques endroits; bout du nez noir, ainsi que le bord de la mà- 
choire inférieure; poil des moustaches blanc, long d'environ 0%,07; oreilles garnics de grands 
poils blancs en dedans et de poils un peu fauves sur le rebord, et gris de souris sur la face posté- 
rieure, dont le bord externe est noir; pinceau des oreilles composé de poils noirs, et long de deux 
centimètres environ; queue grosse, courte, même plus que dans le Lynx proprement dit, bien fournie 
de poils noirs depuis l'extrémité jusqu’à la moitié, et ensuite d'un blanc roussätre; dessous du ventre, 
jambes de derrière, intérieur des jambes de devant, et les quatre extrémités des pattes un blanc 
sale; ongles blanes, et longs de 1,01. 


Cette espèce est le Lynx pu Canapa et pu Mississivr, de Buffon; c'est aussi le Felis Borealis, Blum- 
berg, Temminck, et le Lyxx ne Suëoe. En effet, ce Lynx appartient en même temps à l'Europe et à 
l'Amérique : on le rencontre principalement dans les régions cireumpolaires, en Suède, en Laponie, 
aux États-Unis, dans la baie d'Hudson, au nord des grands lacs et des montagnes Rocheuses. I a les 
mêmes mœurs que les autres espèces, et change un peu de pelage suivant la saison. 


0. LYNX BAT ou CHAT-CERVIER. F£LIS RUFA. Guldenstaedt 


CaRAGTÈRES SPÉCIFIQUES. — Pelage d’une couleur générale d'un roux clair, plus blanchätre sur les 
parties inférieures du corps, principalement sous la poitrine, où il est tout à fait blane, avec un 
grand nombre de taches et d'ondes assez petites et de taille différente, et disposées assez 1rrégulié- 
rement; ligne dorsale noirâtre, et dessous du cou roussätre; tête de la couleur du pelage en général: 
oveilles assez grandes, noires en dessus, avec une tache centrale blanche, d’une teinte roux clair 
en dedans, et à pinceaux de poils très-peu marqués: yeux jaune verdätre: nez gros; moustaches 
peu épaisses, blanches; pattes roussätres à l'extrémité, noires en dessous, avec des ondes brunätres, 
légères; queue courte, très-gréle, roussâtre, avec des anneaux gris el noirs, et un petit anneau (er- 
minal blanc. D'après les auteurs, le pelage est roussâtre en été et d'un brun cendré en hiver. Lon- 
gueur du corps et de la tête, 1",33, sur lesquels cette dernière mesure environ 0,20; longueur de 


la queue, 0,15. 


Cette espèce est le Chat-cervier des fourreurs, Le Felis-Bay des Américains, le Felis Canadensis 
de quelques auteurs, le Lynx d'Amérique des voyageurs, FOcotochil d'Hernandès, le Bay-Cat des 
Anglo-Américains, vulgaire ment le Lynx où Chat bai, le Chat à ventre tacheté d'Ét. Geoffroy Saint- 
Hilaire, probablement le Felis dubia de Vr. Cuvier; et on y réunit aussi, selon quelques auteurs, et 
particulièrement d'après Lesson, les Felis Floridanus, Ralinesque, et Carolinensis, décrits comme 
espèces par A.-G. Desmarest dans sa Mammalogie. Sans admettre immédiatement ce rapprochenient, 
qui ne pourra être établi d'une manière positive que lorsqu'on connaitra mieux ces divers animaux, 
nous allons indiquer les caractères principaux de ces deux Lynx. 


A. LYAN DE LA FLORIDE. Lynæ Floridanus. Rafinesque. 


Taille un peu moindre que celle du Lynx bai, pelage grisètre: pas de pinceaux aux oreilles; flancs 


CARNASSIERS. SV 
variés de taches d'un brun jaunâtre, et de raies onduleuses noires. Habite la Floride, et se trouve 
aussi dans la Géorgie et dans la Louisiane. 


B LyNx DE La carouiNe. Felis Carolinensis. A. G. Desmarest. 


Pelage d'un brun clair, rayé de noir depuis la tête jusqu'à la queue; ventre pâle, avec des taches 
noires; deux taches noires sous les yeux; moustaches noires et roides; oreilles garnies de poils 
fins; jambes assez minces, tachées de noir; femelle ayant des formes plus légères que le mâle, étant 
d'un gris roussâtre, sans aucune tache sur le dos; ventre d’un blanc sale, avec une seule tache noire. 
Habite la Caroline. 


Fig. 99. — Lynx du Canada. 


Le Felis rufa se trouve principalement dans les États-Unis; mais il semble répandu dans l'Améri- 
que septentrionale, depuis le Canada jusqu'au Mexique, et se rencontre même en Colombie. Cette es- 
pèce est très-recherchée à cause de sa belle fourrure, qui est un objet de commerce assez répandu. 
Ses mœurs sont à peu près les mêmes que celles du Lynx ordinaire. On le conserve quelquefois en 
captivité; et il en est mort un récemment à la Ménagerie du Muséum, qui y avait vécu quelques mois : 
cet animal, qui nous a servi dans notre description des caractères spécifiques, était d'un caractère 
très-colère, et ne s’est jamais entièrement apprivoisé. 


218 HISTOIRE NATURELLE. 


11. LYNX FASCIÉ. LYNX FASCIATUS Rafinesque. 


CARACTÈRES SPÉCIFIQUES. — Pelage très-épais, d'un brun roussâtre, avec des bandes et des points 
noirâtres en dessus; oreilles garnies de pinceaux de poils, noires en dehors; queue très-courte, blan- 
che, avec la pointe noire. De grande taille. 


Cette espèce, admise par A. G. Desmarest, et qui, selon G. Cuxier, n'est peut-être qu'une simple 
variété du Feûüs Canadensis, dont elle ne diffère pas très notablement, est loin d’être suffisamment 
connue. Elle a été trouvée, par les capitaines américains Lewis et Clarke, sur la côte nord-ouest de 
l'Amérique septentrionale. 


12. LYNX DORÉ. LFNX AUREUS. Rafinesque 


CARACTÈRES SPÉCIFIQUES. — Pelage jaune clair brillant, parsemé de taches noires et blanches; ven- 
tre d’un jaune pâle, sans taches; queue très-courte; oreilles sans pinceaux. De moitié plus grand que 
le Chat ordinaire; sa queue n'ayant pas plus de 0,05. 


Espèce douteuse admise par À. G. Desmarest, mais que G. Guvier ne regarde que comme une va- 
riété du Lynx bai; elle a été simplement indiquée par Leroy dans son Voyage au Missouri; on l'a 
rencontrée sur les bords de la rivière Yellowstone, vers le quarante-quatrième degré de latitude nord 
et le vingt-deuxième de longitude occidentale du méridien de Washington. 


2, DE L'AMÉRIQUE MÉRIDIONALE. 


15. l'AJEROS.  FELIS PAJEROS. À G  Desmarest 


CaRACTÈRES sPÉGIFIQUES. — Corps robuste; tête forte; oreilles pointues; quatre mamelles seule- 
went, comme dans le Chibigouazou; fond du pelage, sur les parties supérieures du corps, d'un gris 
brun clair, et sur les inférieures blanchâtre, avec des raies ou des bandes brunes et roussâtres très- 
peu marquées; parties inférieures de la tête blanches; dessous de la gorge blanchâtre, avec de larges 
bandes en travers, d'un fauve un peu roussätre; ventre également blanc, avec des bandes plus 
foncées, plus visibles, et mal suivies ou non contiguës; une raie longitudinale peu apparente sur l'é- 
piue du dos, avec deux autres bandes à peu près parallèles à celle-ci sur chaque flanc, mais aussi 
peu sensibles; membres ayant leur face externe d’un blanc roussâtre, et l’interne blanchâtre, avec des 
bandes ou zones obscures très-remarquables en travers; queue sans anneaux ni raies, très-gonflée et 
touffue, principalement vers sa naissance; poils de la ligne moyenne du dos longs de 0",07; sur tou- 
tes les parties du corps, un poil interne de couleur plus elaire que le poil extérieur, et variant depuis 
le blanchâtre jusqu'au cannelle foncé; face externe de l'oreille ayant sa pointe noire; linterne garnie 
de longs poils blancs: bord nu des lèvres noir; lèvre supérieure et tour des yeux blancs, excepté le 
grand angle de ceux-ci; une tache obseure sur le sourcil; une raie brun-cannelle partant de Fangle 
extérieur de l'œil, et suivant le côté de la tête jusqu'au-dessous de l'oreille; une autre raie pareille, et 
parallèle à celle-ci, naissant de la moustache; poils des moustaches longs de 0",07 au plus, blanes, 
mais ayant quatre anneaux noirs à la base. Longueur de la tête et du corps, 0",75; de la queue, 
(STE 


Ce Carnassier est le Cuar rampa de D'Azara et le Felis Brasiliensis d'Hoffmansegg. On le trouve 
dans les contrées au sud de Buénos-Ayres, entre le trente-cinquième et le trente-sixième degré de 
latitude méridionale; il habite aussi la Patagonie, Bahia, Santa-Grux, ete, C'est une espèce bien dis- 


Fig. 4. — Putois d'Hardwick 


CARNASSIERS 219 
tinete qui semble préférer les pays froids aux pays tempérés : elle se tient ordinairement dans les 
pampas, ou grandes plaines dépourvues d'arbres où de buissons, et elle y vit de Perdrix et de très- 
jeunes Chevreuils. 


Fig 100 — Pajeros. 


1% LYNX MONTAGNARD. LYNX MONTANUS. Rafinesque 


CaracrÈRES sréciriques. — Pelage grisätre et sans taches en dessus, blanchâtre avec des taches 
brunes en dessous; oreilles dépourvues de pinceaux de poils, noires en dehors, offrant quelques 
taches blanchâtres et fauves en dedans; queue très-courte, grisâtre. Longueur de la tête et du corps. 
environ 1, 


G. Cuvier pensait que ce Lynx pourrait bien n'être qu'une variété du Lynx du Canada; mais, de- 
puis, cet animal à été mieux connu; on l’a même eu vivant à la Ménagerie du Muséum, et l’on à pu 
s'assurer qu'il forme réellement une espèce distincte. Il habite les contrées élevées de l'État de New- 
York, les montagnes du Pérou, les Alleganhys, ete., et, si l'on doit, ainsi que le proposent certains 
naturalistes, lui réunir le Felis maculata, Vigors et Horsfeld, il se trouverait aussi au Mexique. 


Après avoir décrit ou indiqué presque toutes les espèces placées par les auteurs dans l'ancien 
genre Chat ou Felis, nous devons, ainsi que nous l'avons déjà fait observer, dire que toutes ces es- 
pèces ne doivent probablement pas être réellement admises, mais, cependant, nous ne croyons pas 
qu'elles puissent être restreintes autant que l’a fait M. Temminck dans ses Monographies de Mamma- 
logie. Néanmoins, comme l'opinion du savant naturaliste néerlandais a une grande valeur, et que 
plusieurs naturalistes ont adopté ses idées, nous citerons, en terminant, les noms des espèces qu'il 
croit devoir admettre. 


220 HISTOIRE NATURELLE. 


I. CHATS DE L'ANCIEN CONTINENT ET DES ARCHIPELS. 


4° Lion (Felis leo); 
20 Ticre royaL (F. tigris); 
3° GuérarD (F. jubata); 
4° LéoparD (F. leopardus). 
5° PanrHÈre (FF. pardus); 
6° Fecis LONGIBANDE (FF. macroscelis): 
7° SEnvaL (FF. serval et Capensis); 
8° FeLIS CERVIER (F. cervaria); 
9 Feus poLaRe (F. borealis) (c’est notre Lynx Canadensis); 
10° Lynx (F. Lynx); 
11° Panne (F, pardina); 
12° CaracaL (EF. caracal); 
43° Feus poré (EF. aurata); 
14° Cuaus (F. chaus); 
45° Feuis BOTTÉ (F. caligata); 
16° Cuar (F. catus); 
17 Feuis GantTÉ (F. maniculata): 
18° Feris servaLta (FF. minuta). 


II. CHATS DU NOUVEAU CONTINENT. 


19° Coucouar ou Puma (F. concolor et discolor); 
200 Jacuar (F. onça); 

21° Jacuarunni (F. jaguarundi); 

29° FELis À VENTRE TACHETÉ (F. celidogaster); 
23° Feuis Bat (F. rufa); 

24 Ocecor (F. pardalis); 

25° Feus oceLoine (F. macroura): 

26° Cnari (F. mütis); 

27° Marcay (F. tigrinu). 


En outre, M. Temminek indique encore, mais il a soin de dire qu'il ne les à pas vues en nature, les 
espèces suivantes : 


40 Le Rimau maugin, Raffles; 

90 Le Felis manul, Pallas; 

3° Le Chat pampa, D'Azara; 

4° L'Eyra, D'Azara; 

5° F'elis fascié, Rafinesque; 

6° Felis montagnard, Rafinesque; 

7° Le Felis de la Floride, Rafinesque. 


Les autres espèces, décrites avant l'époque où M. Temminek publia sa Monographie, sont réunies 


CARNASSIERS. 291 


par lui à celles qu'il adopte; nous l'avons indiqué, en grande partie au moins, en donnant nos des- 
criptions des espèces; aussi n’y reviendrons-nous pas actuellement. 


Fig. 101. — Félis oceloïde. 


Nous avons désigné la plupart des espèces de Féliens fossiles admises par les auteurs, et nous 
avons cru devoir donner leur histoire immédiatement après celle des espèces récentes, auxquelles 
elles se rapportaient ou dont elles étaient voisines. Cette méthode nous a semblé meilleure que celle 
qui aurait consisté à nous occuper séparément des espèces vivantes et des espèces fossiles : nous 
n'avons cependant pas pu la suivre, au moins en apparence, pour quelques-unes d’entre elles, parce 
qu’elles différaient de tous les Féliens connus par des caractères trop importants. Ce sont de ces fos- 
siles dont il nous reste à parler maintenant, et nous les plaçons naturellement ici parce qu'ils ont 
un certain rapport avec les Lynæ; nous observerons cependant qu'on pourrait en faire un genre par- 
ticulier, auquel on appliquerait le nom de Smilodon, tiré du Felis smilodon, Lund, l'un des plus re- 
marquables d’entre eux. Ces espèces sont les Felis megantereon, Bravard; Felis cultridens, Bravard; 
Felis palmidens, De Blainville, et Felis smilodon, Lund, qui proviennent, les trois premières d'Eu- 
rope et la dernière du Brésil; toutes sont surtout remarquables par suite de la longueur et de la forme 
de la canine supérieure, et, selon De Blainville, formeraient une division parmi les Lynx, ce qui pa- 
rait confirmé par la proportion des os des membres : ces espèces, étudiées chacune séparément, pré- 
sentent principalement les particularités que nous allons noter. 


1° Felis megantereon, Bravard. — Cette espèce a été fondée, par M. Bravard, sur une mandibule 
du côté droit, assez extraordinaire pour qu'on ait pu douter de sa normalité, doute qui a augmenté à 
mesure qu'on a cru devoir lui rapporter un fragment de mâchoire supérieure, et surtout des dents, 
en forme de couteau, trouvées isolées, et dont G. Cuvier avait fait d'abord son Ursus cultridens, qui 
avait depuis reçu les noms de Machairodus et Steneodon, et qui a été confondu ensuite avee l'Ours 
du val d’Arno, nommé Ursus Etruseus. I y à une dizaine d'années, le même M. Bravard a découvert 


999 HISTOIRE NATURELLE. 


une tête presque complète de la même espèce, armée de sa dent falciforme. En outre, on attribue 
aussi à la même espèce un bumérus et une moitié inférieure du même os, une vertèbre lombaire et 
une dorsale, une partie inférieure d'omoplate, un radius et un cubitus. 

Plusieurs paléontologistes se sont particulièrement occupés de cette espèce, mais De Blainville princi- 
palement lui a surtout consacré de nombreuses pages dans son Ostéographie du genre des Felis, et nous 
allons lui emprunter quelques passages de son travail. «La mandibule, pièce principale, puisque c'est 
elle qui est le fondement du Felis megantercon, indique un animal de la taille d'une petite Panthère, 
elle est surtout fort remarquable par sa forme, si singulière qu'au premier aspeet on pourrait la re- 
garder comme monstrueuse. En effet, la branche horizontale, la seule existant dans le fragment, est 
d'abord un peu renflée, et, par conséquent, convexe sous la dent carnassière, aussi bien un peu en 
dehors qu'à son bord inférieur; mais, au delà, la supérieure et la face externe rentrent en dedans, et 
l'inférieure s’est relevée, puis s’est éloignée en formant une apophyse géni-dilatée en une sorte de 
crochet très-prononcé en dessous; comme le bord supérieur, à peu près droit dans presque toute son 
étendue, arrivé vers l'extrémité antérieure, s’est relevé fortement en haut en soulevant les canines et 
les incisives, il en résulte un menton fort singulier en paroi verticale élargie, d'une hauteur presque 
égale à la longueur de la branche horizontale de la mandibule. C’est cette particularité qui a valu à 
cette espèce le nom bien mérité de Felis à grand menton. De cette disposition, qui augmente un peu 
très-probablement avec l'âge, il résulte que le trou mentonnier à dû être plus considérable, et surtout 
s'est trouvé percé plus bas que dans les autres Felis. Quant aux dents, les trois molaires sont tout à 
fait normales et complétement adultes. Leur proportion est : 0.014, 0,017, 0,018, proportion 
fort normale, et qu'on trouve dans plusieurs individus adultes de Panthère, et leur forme n'offre 
réellement rien de particulier qui puisse faire admettre, avee MM. Croizet et Jobert, que la dernière, 
pas plus que les deux autres, soient des dents de lait, qui sont bien differentes dans ce genre et 
seulement au nombre de deux inférieurement. Quant aux dents de devant, leur position est au moins 
fort singulière, d'abord par l'étendue de la barre qui sépare la première molaire de la canine, mais 
surtout par la médiocrité de celle-ci, comprimée et tranchante au bord postérieur, et qui semble 
presque une incisive par l'élévation de son collet au-dessus de celui des molaires. Les incisives elles- 
mêmes ne sont pas connues, sauf la troisième, qui est médiocre, et de forme assez ordinaire; mais, 
outre leur grande élévation, elles étaient sans doute fort serrées, et par conséquent très-aplaties 
transvers#ement. » 

La mâchoire supérieure que l'on rapporte à la même espèce n'offre rien de bien particulier, si ce 
n'est dans l'existence de canines toutes particulières. Ces canines, que l'on a quelquefois rapportées 
au Felis cultridens, sont principalement remarquables, non-seulement par leur grandeur, mais en- 
core par leur forme en lame de couteau : elles sont fusiformes, c’est-à-dire très-comprimées, tran- 
chantes, en arrière surtout, et arquées régulièrement dans toute leur longueur, et principalement 
dans leur partie émaillée. Ces sortes de dents cultriformes ont été trouvées d'abord isolées de la mà- 
choire à laquelle elles appartenaient, en Italie, par M. Nesti, et, depuis, en Allemagne et en Angle- 
terre; mais aussi, assez récemment, M. Bravard en a découvert, aux environs d’Issoire, en Auvergne, 
dans le diluvium volcanique, dents qui étaient implantées dans les alvéoles de la mâchoire supérieure. 

Nous ne décrirons pas les autres fragments attribués justement, selon toute probabilité, au Felis 
megantereon, et nous dirons seulement, en terminant, que MM. Croizet et Jobert, en fondant leur 
calcul sur la proportion de la ligne dentaire et des parties des membres qu'ils connaissaient, ont 
pensé que cette espèce devait être d’une taille plus élevée que celle du Cougouar, qu'il devait éga- 
ler le Tigre en hauteur, et que sa forme élancée le rapprochait beaucoup du Guépard; mais ajoutons 
cependant avec De Blainville que ces suppositions ne reposent évidemment que sur des bases assez 
peu fondées. 


20 Felis cultridens, Bravard. — C'est particulièrement sur des canines supérieures, de forme sem- 
blable à celles de l'espèce précédente, mais beaucoup plus grandes, que repose cette espèce; on lui à 
aussi attribué quelques ossements, tels qu'un fémur, un métacarpien et un métatarsien, trouvés en 
Auvergne. M. Croizet représente une de ces dents, découverte dans le diluvium volcanique d'Auvergue : 
elle est cultriforme, et a 0,165 en ligne droite, d'une extrémité à l'autre. M. Kaup a figuré, dans 
ses Ossements du Muséum de Darmstadt, une dent, trouvée en Allemagne, qui devait avoir 0.16%, 


Fig. 1. — Hérisson à front blanc. 


Fig. 2. — Chiens normands 


CARNASSIERS. 225 
en admettant que la longueur de la partie émaillée fût égale à celle de la racine, et de 0",170, en 
supposant que celle-ci soit dans la proportion de ce qu'elle est dans la canine des Felis en général, 
ce qui n'est pas rigoureusement nécessaire. 


3 Felis palmidens, De Blainville. — M. Lartet a découvert cette espèce dans le célèbre dépôt de 
Sansans, et il la désignait comme d’un Felis megantereon, mais De Blainville en à fait une espèce à 
laquelle il a appliqué le nom que nous avons indiqué, et il y rapporte un fragment de mandibule 
portant toutes ses dents, différant assez peu de celles du Felis megantereon, et une canine supérieure 
isolée, cultriforme, et ayant 0",09 de largeur à la base sur un longueur présumée de 0",13. 


4 Felis smilodon, Lund. — Cette magnifique espèce repose sur une tête presque complète, sauf 
l'occiput, et qui présente toutes ses dents, qui sont venues confirmer ce que l'on avait présumé ja- 
dis relativement au système dentaire du F. megantereon, animal du même groupe naturel. 


Fig. 102. — Félis smilodon, 


Ce crâue est en totalité de la grandeur d'un crâne de Lion, mais la grandeur de sa canine supé- 
rieure le fait paraître beaucoup plus grand,'et surtout lui donne un aspect tout particulier. Le côté 
doit de cette tête est complet, tandis qu'il ne reste guère du côté gauche que la canine supérieure, 
ctles dents inférieures privées des os qui les soutiennent, sauf toutefois les canines, qui sont encore à 
leur place naturelle. La mâchoire supérieure manque d’occiput, mais on peut distinguer facilement les 
autres os qui la constituent; sans nous en occuper ici, nous dirons seulement quelques mots des dents 
qu'ils supportent. Les molaires de chaque côté de la mâchoire supérieure sont, comme chez les Lynx, 
au nombre de trois, quoique, d'après la figure qu’en donne De Blainville, elles ne sembleraient être 
qu’au nombre de deux seulement, et cela tient à ce que la molaire la plus postérieure est excessive- 
ment petite, qu'elle est déplacée et cachée par la deuxième ou moyenne, qui, elle, est très-déve- 
loppée, et atteint à environ une largeur de 0,05; enfin, la molaire antérieure est médiocre. 
Après une courte barre, on voit la canine cultriforme, cannelée et énorme pour sa longueur; car, en 
totalité, mesurée par son milieu et en ligne droite, elle a 0,27, tandis que la partie qui sort de 
l’alvéole a 0°,2(L La barre qui suit est assez courte. Les canines sont peu développées, au nombre 
de trois, et vont en grandissant de linterne à l'externe. La mâchoire inférieure est déplacée dans le 
fossile que nous étudions; elle offre, de chaque côté, un système dentaire composé de trois molaires, 
une canine et trois incisives. Les molaires, médiocres, vont en diminuant de grandeur de l'antérieure 


,94 HISTOIRE NATURELLE. 


à la postérieure, qui est excessivement petite, et a un seul mamelon. Une barre assez longue sépare 
les molaires de la canine, et c’est là que devait venir se placer la pointe de l'énorme canine supérieure, 
ainsi que le montre une dépression des os maxillaires. La canine est petite, car sa partie sortie de 
l’alvéole n'a environ que 0",03. Les trois incisives vont en grandissant de l’externe à l'interne, et 
celle ci est séparée de celle de l’autre branche de la mandibule par une courte barre. 

On ne connaît encore que cette seule tête de Felis smilodon, et pas d'os, et elle provient des cavernes 
du Brésil. Ce superbe fossile a été acheté deux mille francs par l'Académie des sciences de l'Institut de 
France, et il fait aujourd'hui partie de la magnifique collection paléontologique du Muséum d'histoire 
naturelle. On n’en a pas encore donné la description; De Blainville Pa seulement représentée de 
grandeur naturelle dans son Ostéographie, et nous avons reproduit cette figure, qui donnera mieux que 
nous ne pourrions le faire par quelques paroles une idée exacte de ce fossile, Pun des plus remar- 
quables de ceux qu'on ait découverts jusqu'ici. 


Fig. 103. — Félis bai. 


CARNASSIERS. 295 


TROISIÈME SOUS- FAMILLE. 


AMPHIBIES.: AMPHIBLÆ. G. Cuvier. 


Carnassiers à pieds empêtrés, c'est-à-dire joints les uns aux autres par des membranes, et per- 
mellant à ces animaux une vie aqualique en même Lemps qu'une vie aérienne; molaires montrant 
des habinules carnivores et herbivores; circonvolutions cérébrales plus où moins développées. 


Le principal caractère des Amphibies consiste dans leurs pieds si courts et tellement enveloppés 
dans la peau, que les animaux qui les ont ne peuvent, sur terre, s'en servir que pour ramper, ou 
plutôt se trainer avec assez de difficulté; mais, comme les intervalles des doigts y sont remplis par 
des membranes, ce sont des rames excellentes, et ces Carnassiers peuvent passer la plus grande 
partie de leur vie dans la mer, et ne viennent à terre que pour se reposer au soleil, quelquefois re- 
chercher leur nourriture, et allaiter leurs petits, qu'ils déposent dans les anfractuosités des rochers 
auprès des eaux. Leur corps allongé, leur épine dorsale très-mobile, et pourvue de muscles qui la flé- 
chissent avec force, leur bassin étroit, leur poil ras et serré contre la peau, se réunissent pour en faire 
de bons nageurs, et tous les détails de leur organisation confirment ces premiers aperçus. 


Fig. 104 — Phoque du Groënland 


On voit, par le peu que nous venons de dire, que les Amphibies ont, par leur aspect général, quel- 
ques rapports avec les Cétacés, que nous étudierons plus tard, où même avec la plupart des Mammi- 
ce? 29 


99( HISTOIRE NATURELLE 


fères aquatiques, tels que les Loutres, par exemple, et &’est pour cela que l'on a quelquefois réuni 
les uns et les autres dans un même groupe, basé sur une seule considération, celle du séjour, et 
qui, dès lors, est loin d’être naturelle, puisque une classification véritablement naturelle en z00lo- 
gie doit être basée, non pas sur une seule considération, mais sur l'ensemble même de tous les 
caractères que nous présentent Les animaux. Et, en effet, si l’on étudie avec plus de soin la réunion 
des caractères qu'offrent les Amphibics, on verra que c'est avec les Carnassiers qu'ils ont le plus 
de rapport, et que l'on ne peut pas mettre les uns dans un groupe et les autres dans un autre. C'est 
pour cela que les Amphibies ont dû être rangés dans là famille des Carnivores, dans laquelle on 
peut voir tous les passages, depuis les animaux les plus éminemment terrestres jusqu'à ceux qui nous 
oceupent, et qui sont, au contraire, essentiellement aquatiques. 


Fig. 105. — Morse 


Les Amphibies renferment les deux grands genres linnéens des Phoques et des Morses, et, par ce 
dernier, on peut, jusqu'à un certain point, nous Pavouons, passer aux Lamantins, qui entrent dans la 
division des Cétacés, si l’on doit les laisser réellement dans cet ordre; mais, d'un autre côté, on peut 
aussi trouver des rapports avec les Rongeurs, ordre d'animaux que nous étudierons après celui des 
Carnassiers. 

À propos des Carnassiers, dont nous parlons actuellement, nous croyons devoir rapporter mainte- 
nant une remarque intéressante, donnée par M. Boitard dans le Dictionnaire universel d'Histoire 
naturelle. «Le mot amphibie, dit-il, a été appliqué assez mal à propos, par G. Cuvier, aux Phoques, 
car il n'a pas du tout, ici, la signification que lui donnaient nos pères, et qu’on lui donne encore assez 
généralement dans le monde. Les anciens croyaient qu'il existe dans la nature des êtres privilégiés 
ayant la faculté de vivre également sur la terre et dans Peau, ou plutôt sous l’eau. Des observations 
mieux suivies, et faites avec plus de philosophie, ont prouvé que, à deux ou trois exceptions près, 
tous les animaux n’ont chacun qu'un seul système de respiration, etne peuvent pas, par conséquent, 
respirer dans deux éléments différents. Les uns sont munis de poumons ou d'organes analogues, dont 
l'appareil est propre à décomposer l'air pour en soutirer Poxygène indispensable à l'entretien de la 
vie. Ceux-là sont obligés de respirer l'air en nature, comme l'homme, et, si on les submerge pendant 
un certain temps, ils périssent asphyxiés. Les autres sont munis d’ouies ou branchies, propres seule- 
ment à décomposer l'air pour en extraire l'oxygène, et ils périssent égatement asphyxiés s'ils sont 
plongés dans l'air pur. » Les Phoques sont essentiellement des animaux à respiration aérienne, et ils 
sont obligés de venir à la surface de l'eau pour respirer Pair en nature; on voit done que ce ne sont 
réellement pas des Amphibies véritables. Cependant, ce nom à prévalu, et ceux qu'on à proposé de lui 


CARNASSIERS. 297 


substituer n'ont pas été adoptés. Tel est le nom de Cynomorphes, indiqué par Latreille, qui fait de ces 
animaux un ordre particulier, qu'il place entre les Mammifères quadrupèdes et les Cétacés, et celui 
d'Aquatiques pinnipèdes, donné par Lesson. Du reste, les Phoques et les Morses ne sont pas les seuls 
animaux qui portent la dénomination générale d'Amphibies, car le même nom a été appliqué à une 
division primaire des Reptiles, ou même, selon quelques auteurs, à une elasse particulière d’ani- 
maux, qui, eux, méritent un peu mieux la dénomination qu'ils portent; car, presque tous, dans leur 
Jeunesse, ils ont des branchies, et par conséquent une respiration aquatique, tandis que, dans leur 
äge adulte, ils sont pourvus de vrais poumons, et ont une vie aérienne. 

Quoi qu'il en soit, nous adopterons, pour les Carnassiers qui vont nous occuper, le nom géné- 
ralement admis d'Aupmmies, et nous les subdiviserons, avec M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, en 
deux tribus distinctes, celle des Paocinés, comprenant particulièrement l'ancien genre Phoque, et 
celle des Tricuécmpés, ne comprenant que le genre Morse on Trichechus. 


PREMIÈRE TRIBU. 


PHOCIDES. PHOCIDÆ. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. 


Pieds empétrés. 

Machoires comprimées. 

Point de défenses. 

Circonvolutions cérébrales très-développées. 


On peut, d’une manière générale, caractériser ainsi les Phocidés : animaux ayant quatre ou six inci- 
sives à la mâchoire supérieure, quatre seulement à l'inférieure; canines au nombre de quatre en haut 
comme en bas, et toutes pointues; molaires variant en nombre depuis vingt jusqu'à vingt-quatre, 
toutes tranchantes ou coniques; cinq doigts à tous les pieds, dont ceux de devant vont en décroissant 
du pouce au petit doigt, tandis qu'aux pieds de derrière le pouce et le petit doigt sont les plus longs 
et les intermédiaires les plus courts; les pieds de devant sont enveloppés dans la peau du corps jus- 
qu'aux poignets, ceux de derrière jusqu'aux talons; la queue, qui est courte, est placée entre ceux-ci: 
la tête ressemble à celle du Chien, quoiqw’elle soit plus arrondie: la langue est lisse, échancrée au 
bout; l'estomac est simple; le cœcum assez court, et le canal intestinal long et assez égal dans toute 
son étendue. 

Les Phocidés vivent, en général, de Poissons; ils mangent toujours dans l’eau, et peuvent fermer 
leurs narines, lorsqu'ils plongent, au moyen d’une espèce de valvule. Comme, en plongeant, ils res- 
tent assez longtemps sous l’eau, on a cru que le trou de botal restait ouvert chez eux comme dans le 
fœtus; mais il n’en est rien : toutefois, il y a un grand sinus veineux dans le foie qui doit les aider 
à plonger, en leur rendant la respiration moins nécessaire au mouvement du sang, qui est très-noir 
et abondant. De temps en temps, ils viennent sur le sol, et peuvent même y rester quelques instants. 

Ces animaux sont connus depuis la plus haute antiquité, et les poëtes eux-mêmes nous en ont 
donné l'histoire, qu'ils ont parée de toutes les brillantes fictions de leur imagination ingénieuse. 
C'est probablement le Phoque commun (Phoca vitulina) qu'ils ont été à même de connaitre, et il leur 
a suffi pour inventer les tritons, les sirènes, les néréides, et toute la cour aquatique de leur dieu 
Neptune. « Suivons-les un instant, dit M. Boitard, dans leurs gracieuses épopées. Voici les bords 
heureux de la Méditerranée, dont les eaux vertes et limpides reflètent le feuillage grisâtre de l'olivier, 
entrelacé aux rameaux grêles du grenadier et aux riches pampres de la vigne. Les flots, en battant 
continuellement contre la roche calcaire qui enfonce sa base dans leur sein, y ont creusé des grottes 
et des cavernes à demi submergées, que l'imagination superstitieuse ou poétique a peuplées d'êtres 
mystérieux ou terribles. C’est l'humide demeure des sirènes, des tritons, des génies de la tempête; 
et, dans le moyen âge, ces sombres grottes sont les palais des fées de la mer. Encore aujourd’hui, 


998 HISTOIRE NATURELLE. 


lorsque le ciel est voilé de noirs nuages, lorsque le vent gémit dans les arbres de la forêt et ride la 
surface des eaux, par une nuit d'automne, le marin, assez imprudent pour approcher sa nacelle de 
ces antres ténébreux, laisse tout à coup tomber sa rame de saisissement et d'effroi en entendant les 
sons lugubres qui viennent frapper son oreille épouvantée. Qu'il se hâte de dresser sa voile triangu- 
laire, de tourner sa proue vers la haute mer, et de saisir son aviron, car, s'il tarde un instant en- 
core, il verra sa barque entourée par les fantômes des matelots morts dans les flots, et, pour peu 
qu'il ait un vieux parent victime de la tempête, il le reconnaîtra probablement à la päleur de sa figure 
blanche, au sombre feu qu'exhalent toujours les veux caves d’un mort qui a quitté le séjour des spec- 
tres pour venir jeter encore un dernier regard sur ce qu'il aimait sur la terre. Il apercevra ces âmes 
fantastiques glisser sur les eaux en les ridant à peine, et, si le vent chasse un instant dans le ciel le 
nuage qui obscurcissait la lune, il les verra se trainer sur cette terre qu'elles regrettent, et, désespé- 
rées, se replonger en gémissant dans la mer, où elles resteront jusqu’à la consommation des siècles. 
l'elle est la superstition d'aujourd'hui. Entrez dans la pauvre cabane du premier pêcheur que vous 
rencontrerez sur la côte, asseyez-vous à côté de lui, à son foyer, et vous apprendrez, en comparant 
les longues histoires qu'il vous débitera sur les cavernes de la mer, que, depuis Charybde etScylla, 
les mêmes faits ont donné lieu à des superstitions aussi différentes que les siècles qui les ont vues 
naitre. Les sirènes, monstrueuses filles d'Achélaüs et de Calliope, au corps de femme et à queue de 
poisson, au chant mélodieux et perlide, pouvaient plaire aux imaginations grecques et romaines du 
temps d'Homère et de Virgile; mais elle ont été détrônées par les fées et les génies du moyen âge; 
et puis sont venus les premiers naturalistes, qui ont remplacé les unes et les autres, en les dépoéti- 
sant, par des Évêques, des Moines et des Capucins. » . 


Fig. 106. — Otarie molosse. 


Au seizième siècle, Rondelet a figuré le Moine et l'Évêque. « De notre temps, dit-il, en Norwège, 
on a pris un monstre de mer après une grande tourmente, lequel tous ceux qui le virent incontinent 
lui donnèrent le nom de Moine, car il avait la face d'homme, rustique et mi-gracieuse, la tête rasée et 
lisse; sur les épaules, comme un capuchon de moine, dont les deux ailerons au lieu de bras; le bout 
du corps finissait en une queue large. Le portrait sur lequel j'ai fait faire le présent m'a été donné 
par très-illustre dame Marguerite de Valois, reine de Navarre, lequel elle avait eu d'un gentilhomme 
qui en-portait un semblable à l'empereur Charles-Quint, qui était alors en Espagne. Le gentilhomme 
disait avoir vu ce monstre tel comme son portrait le portait, en Norwége, jeté, par les flots et la tem- 
pète de mer, sur la plage, au lieu nommé Dièze, près d’une ville nommée Danelopock. J'ai vu un 
pareil portrait à Rome, ne différant en rien du mien. Entre les bêtes marines, Pline fait mention de 
l'Homme marin, et du Triton, comme choses non feintes. Pausanias aussi fait mention du Triton. 
Jai vu un portrait d'un autre monstre marin, à Rome, où il avait été envoyé, avec lettres par les- 
quelles on assurait pour certain que, Pan 4554, on avait vu ce monstre en habit d'évèque, comme est 


CARNASSIERS. 299 


le portrait, pris en Pologne, et porté au roi dudit pays, faisant certains signes pour montrer qu'il 
avait grand désir de rétourner en la mer, où, étant amené, se jeta inconünent dedans. » 

Dans tous les auteurs qui suivirent immédiatement Rondelet, on peut lire l'histoire des deux ani- 
maux que nous venons d'indiquer, et cette histoire, vraie pour quelques-unes de ses parties, participe 
du roman pour beaucoup d’autres. Nous en dirons quelques mots d’après ces anciens récits. Le Moine, 
quand on le sort de l'eau, pousse un profond soupir, prouvant les profonds regrets qu'il éprouve en 
quittant malgré lui son élément de prédilection, et il fait plusieurs signes énergiques pour qu’on le 
laisse y rentrer. On reconnait facilement que c'est un abbé du royaume des Gndins, à la coiffure qu'il 
a sur la tête, coiffure qui ressemble à la mitre ou au capuchon. Quant à l'Évêque, il est couché sur le 
rivage sans dire mot, ce qui fait que les pêcheurs S'aperçurent qu'il ne savait pas le suédois; ils vou- 
lurent le faire lever pour l'emmener à la ville, où leur dessein était de le montrer aux curieux pour 
de l'argent; mais la chose était difficile, car le corps de l'Évêque se terminait en une queue fourchue. 
à la manière des Marsouins, et il manquait de jambes pour marcher; on le porta donc; tous les cu- 
rieux furent édifiés de son air grave et réfléchi, et l'on crut reconnaitre quelques signes d’onction 
à la manière dont il tenait constamment ses mains sur sa poitrine; ce n’est pas non plus sans admi- 
ration que l’on vit comment ses cinq doigts étaient réunis par une membrane simple qui lui donnait 
une grande facilité pour nager. 


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Fig. 107. — Phoque à deux couleurs, 


Nous avons cru devoir donner une idée de ce que les anciens naturalistes, tels que Celsius, 
Aldrovande, Gesner, ete., ont écrit sur les Phoques; car, par le peu que nous en avons dit, on pourra 
comprendre comment il se fait que leur histoire a été pendant très-longtemps l’une des plus em- 
brouillées de l'histoire naturelle. Cependant les voyageurs mentionnèrent un assez grand nombre 
d'espèces de ce groupe, mais l'amour du merveilleux lemporta chez eux: il en résulta que les 


230 HISTOIRE NATURELLE. 


détails de mœurs furent empreints du merveilleux qu'ils se plurent à leur prêter, que leurs des- 
criptions furent mal faites, le plus souvent même mensongères, et, dès lors, qu'elles ne purent venir 
en aide aux naturalistes. Égède, Crantz, Steller, Molina, Erxleben, donnèrent toutefois quelques des- 
criptions bonnes ou passables; mais, comme les Phoques sont, pour ainsi dire, dispersés sur toute la 
surface de la terre, et qu'il y en a très-peu de conservés dans les Musées, et enfin qu'ils varient 
beaucoup dans leur pelage, en raison de l’âge et des sexes, il en résulte que les travaux des zoolo- 
gistes restèrent imparfaits. Linné, le premier, commença à en donner une première classification, 
mais qui était loin d’être complète. Boddaert, et ensuite Peron, en divisant les Phoques en rai- 
son de ce que les uns, c’est-à-dire leurs Phoques proprement dits, n'ont pas une conque extérieure de 
l'oreille, tandis que leurs autres, c’est-à-dire les Otaries, en ont une, firent un peu avancer la science. 
Fr. Cuvier vint plus tard donner une classification particulière des Phoques, qu'il divisa en sept 
genres particuliers, fondés principalement sur des caractères tirés de l'ostéologie de leurs têtes : 
le travail de notre illustre compatriote fit certainement avancer la science ; mais réellement était-il 
indispensable de partager autant le genre Phoque, et ne pouvait-on pas y former simplement des 
subdivisions sans leur imposer des noms particuliers et sans en faire de nouvelles coupes génériques ? 
A peu près à la même époque, M. Nilson créa également deux genres, et, depuis, M. Gray en indiqua 
également d'autres. Plus récemment, les naturalistes voyageurs, comme MM. Lesson et Garnot, Quoy 
et Gaymard, Hombron et Jacquinot, ete, firent connaître de nouvelles espèces, et les naturalistes 
classificateurs tels que A.-G. Desmarest, Fr. Cuvier, Lesson, Boitard, ete., cherchèrent à résumer les 
observations de leurs devanciers; mais nous devons avouer que, malgré tout cela, l'histoire de ces 
animaux est encore loin d’être complétement terminée 

Destinés à passer la plus grande partie de leur vie dans l’eau, les Phoques avaient plus besoin de 
nageoires que de pieds. Aussi leurs bras et leurs avant-bras sont-ils courts etengagés sous la peau de 
la poitrine; la main et les doigts, au nombre de cinq, sont, au contraire, très-longs et engagés dans 
une membrane, ce qui les fait ressembler tout à fait à une nageoire, dont ils remplissent les fonc- 
tions. Les pieds de derrière, également palmés, sont étendus le long du corps, sous la peau, jusqu'au 
talon, et ne laissent voir que les deux pieds, attachés à l'extrémité du corps, et leur formant comme 
une nageoire échancrée, au milieu de laquelle passe une queue courte, Le corps est allongé, cylin- 
drique, fusiforme, à épine dorsale souple, soutenue par des muscles puissants qui lui permettent de 
grands mouvements. Les poils sont généralement secs, courts et cassants; mais, dans quelques espèces, 
sous ces poils il s’en trouve d’autres qui sont doux et soyeux, et parfois ces poils sont assez longs. 
Les lèvres sont garnies de moustaches rudes, à poils plats, noueux, paraissant souvent articulés, en 
quelque sorte comme les antennes des Insectes : quelques auteurs, et en particulier Rosenthal, regar- 
dent ces moustaches comme l'organe du tact chez ces animaux, parce qu’elles sont creuses et tapissées 
de nerfs à leur base, La tête est plus ou moins arrondie. Les narines peuvent se fermer en se con- 
tractant lorsque l'animal plonge. Les yeux sont très-grands, arrondis, doux, brillants, à paupières 
presque immobiles, ne consistant qu'en un simple bourrelet, dépourvues de cils. L'oreille externe 
consiste le plus habituellement en un simple trou, peu allongé, ayant aussi la faculté de se contracter 
et de se refermer hermétiquement lorsque l’animal plonge : dans certaines espèces, cependant, telles 
que les Otaries, la conque est visible et même plus on moins grande. La langue, échancrée à l'extré- 
mité, est très-"troite, très-mince au sommet, large, épaisse, courte à la base, papilleuse. 

L’anatomie des Phoques présente aussi des particularités remarquables. Le cerveau est très-déve- 
loppé et le cervelet très-grand. L’estomac a la forme d'un croissant, dont les deux extrémités sont 
tournées en avant; les intestins sont longs et contournés en de nombreuses circonvolutions; le cœ- 
cum est très-court. Le foie est grand, à quatre lobes pointus. Le système circulatoire est conduit 
dans des vaisseaux dont le calibre est gros et les parois épaisses; le sang est très-abondant et noi- 
ratre; le cœur est ovoide, placé au milieu de la poitrin*, mais cependant un peu plus à droite qu'à 
gauche. Le poumon n’a qu'un seal lobe, qui est très-volumineux. Les muscles sont épais, noirâtres, 
en raison de la couleur du sang qui y est répandu : ceux de la colonne vertébrale, ainsi que ceux 
qui doivent faire mouvoir les membres, sont très-puissants. Enfin, leur chair est très-huileuse, 
recouverte d’une épaisse couche de graisse presque liquide, dont on fait de l'huile. 

Le système osseux et le système dentaire, qui nous restent à étudier, offrent des particularités 
curieuses, Nous allons les faire connaître en prenant pour guide l'Ostéographie de De Blainville, tout 


wr 


lie. 4, — Furet 


Fi. 9. — Canis pictus. 


bi.29 


CARNASSIERS. 231 


G 


en faisant observer que nous appliquons à la tribu entière des Phocidés ce qu'il dit des Phoques, 
qu'il comprenait à la manière générique de Linné. 

Le squelette du Phoque commun (Phoca vitulina), pris pour type de tous les animaux qui consti- 
tuent la tribu des Phocidés, est assez remarquable par plusieurs particularités tenant à leur genre de 
vie tout anomal. La structure des os doit être notée; les os, longs eux-mêmes, ont un diploé très- 
abondant, au point que la cavité médullaire est réellement nulle, quoique les mailles ou lacunes di- 
ploïques du milieu de l'os soent notablement plus larges que le reste : cependant la partie éburnée 
est encore assez épaisse, surtout aux apophyses. Le nombre des os du squelette est à peu près le 
même que dans la plupart des Carnassiers, seulement il ÿ a moins d'os sésamoides. La connexion entre 
les surfaces articulaires étant généralement large, arrondie, peu profondément sinueuse ou enche- 
vêtrée, et les parties cartilagineuses intermédiaires aux articulations étant considérables, il en résulte 
que le squelette permet des mouvements aussi étendus que faciles, et presque onduleux, dans toute 
l'étendue de la colonne vertébrale, comme dans les parties qui terminent les membres : il en résulte 
aussi que les courbures générales sont bien plus marquées que dans les autres Carnassiers, et surtout 
que daus les Cétacés, principalement dans toute l'étendue du cou, en dessus, ce qui relève la tête à 
angle droit, et dans toute la longueur du reste du tronc, et même au sacrum, en dessous. 

La série vertébrale, assez courte, n’est composée que de quarante-six vertèbres, dont quatre cépha- 
liques, sept cervicales, quinze dorsales, cinq lombaires, quatre sacrées et on2e coccygiennes, 

La tête osseuse se présente sous une forme générale qui la distingue de celle de tous les Carnas- 
Siers, et même aussi de celle de la Loutre, par la minceur de ses os, la largeur, la dépression du 
crâne, la brièveté du museau, et, en un mot, par une forme un peu arrondie. La vertèbre occipitale 
a un corps très-large, longtemps membraneux, et percé au milieu par l'écartement et la largeur des 
condyles, la grandeur du trou condyloïdien, et par la verticalité de la partie postérieure de l'arc oc- 
cipital. La vertèbre pariétale offre encore un corps aussi large que celui de l'occipitale, mais plus 
court; ses apophyses ptérygoïdales et ses ailes sont petites; elle est large, assez bombée, quoique 
surbaissée, échancrée en arrière et en dedans, et présente la trace d'insertion des muscles élévateurs 
de la tête. La vertèbre frontale se rétrécit presque subitement dans son corps, mais à ailes arrondies 
et assez développées : une particularité de cette vertèbre consiste dans l'absence d’apophyse orbitaire. 
La vertèbre nasale est formée par un vomer assez court, peu surbaissé, et par des os du nez étroits, 
assez allongés, triangulaires, divisés à leur bord antérieur par une échancrure profonde en denx 
pointes inégales. Les appendices céphaliques sont courts dans la partie dentaire, et longs dans la 
partie radiculaire. La mâchoire supérieure présente un ptérygoïdien interne court; le palatin est à 
deux branches lamelleuses; il n'y a pas d'os lacrymal, et le zygomatique est petit; le maxillaire est 
assez grand, un peu plus haut que long : le prémaxillaire a la même forme que lui. Le rocher est 
large, ovale, épais, sans angle solide intérieur. Les osselets de l’ouie, renfermés dans une caisse très- 
large, renflée et séparée de la masse mastoïdienne en bourrelet allongé par un enfoncement trans- 
verse ridé, sont composés d'un étrier très-petit et à peine percé, d'un lenticulaire en tambour ovale 
assez élevé, d’une enclume renflée considérablement dans son corps, et d’un marteau assez mince 
dans son corps, mais à manche un peu allongé. La mâchoire inférieure est presque entièrement hori- 
zontale, à peine convexe ou concave sur ses deux bords; son condyle est transverse, et l'apophyse 
coronoïde assez pointue, De la réunion sous un angle de vingt degrés environ des appendices avec les 
vertèbres céphaliques, il résulte une tête en général assez petite, un peu triangulaire, très déprimée, 
antérieurement droite, inférieurement peu bombée, et déclive dans la ligne du chanfrein, avec ses 
cavités, fosses, ouvertures, trous, en général assez grands. 

Les vertèbres cervicales sont assez longues, du moins dans leur corps, très-étroites dans leur are, 
de manière à laisser entre elles en dessus un espace vide considérable : elles sont, du reste, assez 
fortes. L’atlas est en soucoupe évasée, sans apophyse épineuse, en dessus comme en dessous, mais 
avec des ailes larges. L'axis a son corps long, un peu caréné en dessous, à apophyse en fer de hache. 
Les trois intermédiaires ont sensiblement la même forme, croissant de la première à la troisième, à 
corps caréné, sans apophyse épineuse, qui apparait dans la sixième. La septième a cette apophyse 
encore un peu plus forte, et, au contraire, l’apophyse transverse a ses deux lobes peu distinets, ou 
très-resserrés. 

Les vertèbres dorsales ont le corps assez large, croissant vers les dernières, plus large et plus 


232 HISTOIRE NATURELLE. 


caréné aux premières, à tubercules supérieurs des apophyses articulaires très-prononcés, et à apo- 
physes épineuses presque égales en hauteur, un peu pointues aux premières, s'élargissant et s'arron- 
dissant aux autres. 

Les lombaires sont semblables aux dernières dorsales, mais conservent toujours le caractère 
d'avoir le canal médullaire très-grand, le pédicule de l'arc étroit, fortement échancré, d’où résultent 
de très-grands trous de conjugaison. 


Fig. 108. — Phoque moine. 


Parmi les vertèbres sacrées, la première, ressemblant à une lombaire par la forme de son are, a 
ses apophyses transverses assez élargies pour s’articuler à l'iléon; les autres ont leurs apophyses 
transverses élargies horizontalement et soudées. 

Après les deux premières vertèbres coceygiennes, qui ont la forme des dernières sacrées rapetis- 
sées, les neuf autres ne présentent plus qu'un corps, d'abord déprimé, par l'élargissement des apo- 
physes transverses, et devenant de plus en plus conique et cannelé jusqu'à la dernière, 

L'hyoïde et le sternum rappellent tout à fait ceux des Carnassiers que nous pourrions appeler 
ordinaires. L'hyoide a son corps étroit en barre transverse, presque droit, un peu élargi à chaque 
extrémité pour l'articulation des cornes; parmi celles-ci, les antérieures, assez peu allongées. sont 
formées de trois articles, et les postérieures n’en présentent qu'un seul, qui est large et un peu 
arqué. Le sternum long et étroit est composé de neuf pièces, dont les intermédiaires croissent sensi- 
blement de largeur et même d'épaisseur de la seconde à la huitième; le manubrium et le xiphoïde 
sont plus grands que les autres pièces; le premier est long, étroit, un peu plus large en avant qu'en 
arrière, et le dernier est très-long et terminé en une partie cartilagineuse fortement élargie en spatule 
bilobée. Les cornes sternales, au nombre de dix, sont remarquables par leur longueur, leur gracilité 
et le renflement qu'elles présentent à leur milieu. 


CARNASSIERS. 233 


Les côtes, au nombre de quinze, dont dix vraies ou sternales, et cinq fausses ou asternales, sont 
en général étroites, comprimées dans leur partie supérieure, et à peine élargies à leur terminaison; 
elles sont courtes, peu arquées et croissent régulièrement et insensiblement en longueur de la pre- 
mière à la neuvième sans décroître, ensuite à peine de celle-ci à la dernière. La cage de la poitrine 
qu’elles forment est grande, large, conique, à peine un peu comprimée, et surtout très mobile dans 
toutes ses parties. 


Fig 109, — Phoque à crèle. 


Les membres sont très-écartés les uns des autres : ceux de devant sont d'abord aplatis et rac- 
coureis en totalité aussi bien que dans chacune des quatre parties qui les constituent et qui sont 
presque égales entre elles. L'épaule ne présente pas de trace de clavicule : Fomoplate est grande, 
convexe en avant-et en dessus; il n°y a pas d’apophyse coracoïle, et l'acromion est sous forme d'une 
pointe mousse; la crête est pen développée, et la cavité glénoide est médiocre, ovalaire. L'haumérus 
est très-court, très-robuste, à corps de forme triquètre, n'étant en quelque sorte que la jonction des 
deux extrémités élargies; supérieurement la tête est élargie, arrondie, le trochanter interne plus 
élevé qu’elle, et inférieurement la tête est moins large que la supérieure, plus comprimée. Le radius 
et le cubitus sont généralement aplatis, grèles. La main, en totalité, est à peine plus longue que 
chacune des trois autres parties du membre : le carpe est surtout très-court, quoique assez large, 
et composé d'os petits. La main est ostéologiquement composée de telle sorte qu’elle forme une na- 
geoire coupée obliquement du premier doigt, le plus long, au cinquième, qui est le plus petit : c'est 
ce que l’on peut voir en examinant les os du métacarpe, qui décroissent rapidement du premier au 
dernier : celui-là est non-seulement le plus long, mais encore le plus épais et un peu arqué : le cin- 
quième, ou le plus court, est un peu plus épais que les trois intermédiaires, et, comme eux, assez 
fortement étranglé dans son milicu. Pour les phalanges, les plus intéressantes sont les onguéales, qui 

c? äû 


231 HISTOIRE NATURELLE. 


sont assez fortes et toutes pourvues à leur base d'une sorte d’étui coupé obliquement par l'embase- 
ment de l’ongle; elles suivent l'ordre de décroissement de la première à la cinquième, et leur pointe 
est assez peu courbée. 

Les membres postérieurs sont en totalité beaucoup plus longs que les antérieurs, et l'augmentation 
porte principalement sur la jambe et le pied : ils sont dirigés parallèlement au tronc. Le bassin est 
complet, presque parallèle à l'axe vertébral, très-allongé : cet allongement ne portant pas sur l'iléon, 
qui est très-court, tandis que le pubis est, au contraire, très-long, pour aller rejoindre oblique- 
ment l'ischion, qui est lui-même long, et il en résulte un trou sous-pubien énorme, ovalaire, très- 
étendu. Le fémur est remarquablement court, et, en effet, sa longueur égale à peine les trois quarts 
de celle de l'humérus : il est comprimé d’arrière en avant, à corps n'étant guère qu'un cou destiné à 
unir les deux têtes, dont la supérieure est arrondie, petite, et l'inférieure avec deux tubérosités 
presque égales. La jambe, deux fois et demie plus longue que la cuisse, est formée de ses deux 0s 
très-complets, quoique soudés, au moins supérieurement, où ils constituent une large surface arti- 
culaire, presque convexe, surtout dans sa partie externe. Le tibia est large, aminei supérieurement, 
arqué en deux sens dans son corps, et fortement excavé inférieurement. Le péroné est robuste, très- 
arqué en dehors. Le pied en totalité, et mesuré dans son plus long doigt, est encore plus long que la 
jambe. Le tarse est même assez développé pour contribuer à l'allongement total. L’astragale à une 
forme particulière; sa poulie, peu saillante, est en toit, le côté interne pour le tibia, et l'externe 
pour le péroné : mais surtout il devient plus long que large par l'addition en arrière d'une sorte 
d'apophyse, qui se colle en dedans de la tubérosité du calcanéum. Celui-ci est, au contraire, très- 
court. Les os du métatarse sont, en général, longs et robustes, et les terminaux plus que les inter- 
médiaires. Les phalanges sont plus longues et plus grêles que celles des mains, et les onguéales, à 
l'exception de celle du pouce, sont plus faibles et moins arquées. 

Les os sésamoïdes sont peu nombreux; la rotule, le seul os de cette catégorie que nous citerons, 
est petite, arrondie, assez peu épaisse. * 

L'os du pénis, dans le Phoque commun, est assez petit, droit, rétréci au milieu et renflé à ses extré- 
mités : l’antérieure aplatie, un peu excavée, en forme de spatule, étroite, obtuse, et la postérieure 
radiculaire, presque triquètre. 

Les différences que le squelette des Phocidés présente, en l’examinant dans la série des espèces 
qui constituent cette tribu, ne sont véritablement que spécifiques, c’est-à-dire qu'elles ne s'élèvent 
jamais au-dessus de celles qu'indique la dégradation sériale, ce qui confirme que ce grand genre 
constitue un groupe distinct, modifié par un ensemble de particularités biologiques. 

Dans les espèces les plus rapprochées du Phoque commun, on peut voir que les différences de 
l'ostéologie de la tête ne portent guère que sur la grandeur en général, peut-être sur le degré 
d'étranglement de ses deux parties, et surtout sur la forme des os du nez et de l'ouverture nasale, 
sur celle de los palatin et de l'ouverture de ce nom, ainsi que sur la forme du rocher, de la caisse, 
de l'apophyse mastoïde, de loccipital et des crêtes de la partie postérieure de la tête : et cela plus 
spécialement étudié dans les Phoca hispida, Groënlandica, barbata et gryphus. 

Dans le Moine, où Phoca monachus, l'ensemble et le plus grand nombre des pièces du squelette 
sont presque tout à fait comme dans le Phoque commun : toutefois, les vertèbres cervicales ont leur 
corps sensiblement plus court et moins longuement caréné; le sternum est plus large et plus canali- 
culé; la proportion des membres indique évidemment encore plus de disposition à la natation; la tête 
est plus courte que dans le Phoca gryphus, plus ramassée et plus bombée an front. 

Dans le Phoca leptonyæ, au contraire, la tête est plus allongée, les os du nez sont subdivisés en 
deux lobes presque égaux; l'arcade zygomatique est très-allongée, surbaissée. 

Parmi les Phoques à trompes, c'est-à-dire les Phoca cristata et leonina, la tête offre beaucoup de 
ressemblance avec celle du Phoque commun. 

Dans les Phoques à oreilles, ou Otaries, les différences sont encore assez peu manifestes, et elles 
ne portent guère que sur la forme et sur la proportion des différentes pièces qui constituent le sque- 
lette. La tête est en général plus allongée, moins rétrécie dans le milieu de l'os frontal, plus courte 
encore, et surtout moins large, moins aplatie dans sa partie vertébrale, et plus longue dans la portion 
radicale des appendices eéphaliques, quoique beaucoup plus courte dans la portion qui porte les 
dents; les os du nez sont plus courts et plus larges; le prémaxillaire est très-développé; le rocher 


CARNASSIERS, 235 


petit; il y a une grande intensité de puissance dans la préhension maxillaire. Les apophyses épineuses 
des vertèbres cervicales sont plus prononcées que dans le Phoca monachus, au contraire de ce qui 
a lieu pour les vertèbres dorsales et les lombaires : les vertèbres sacrées constituent un sacrum très- 
étroit. I n'y a que huit pièces au sternum. Les membres présentent des différences plus importantes, 
étant moins éloignés entre eux, et leur disproportion étant moins prononcée. Les antérieurs, plus 
libres, ont une omoplate plus large, à crête plus prononcée, et à fosse sous-scapulaire beaucoup 
plus petite que la surscapulaire. L'humérus n’est pas percé à son condyle interne; le eubitus est à 
olécräne plus arrondi et plus dilaté, les os du carpe et de la main présentent quelques particularités 
Les membres postérieurs prennent une proportion plus normale. Le bassin a plus de longueur dans 
l'iléon et un peu plus de brièveté dans l'ischion; le fémur est plus long et moins large; le tibia et le 
péroné sont plus courts, plus droits; dans les os du tarse, l’astragale reprend assez bien sa forme 
normale : il y a quelques différences appréciables dans le métatarse et les phalanges. Quelques par- 
ticularités ostéologiques ont pu même être observées dans les espèces d'Otaries, mais nous n’en 
parlerons pas maintenant, ces particularités trouvant plus naturellement leur place ailleurs. 

Le système dentaire des Phocidés ne peut pas encore être considéré comme tout à fait normal, 
quoiqu'il soit composé d’incisives, de canines et de molaires bien distinctes, disposées comme dans 
les Carnassiers; mais, par le nombre et la forme, les différences deviennent sensibles et montrent 
qu'on peut former plusieurs groupes secondaires dans cette tribu. Le nombre total des dents n’est 
Jamais au-dessus de dix en haut et de huit en bas, ni au-dessous de huit en haut et de sept en bas, 
partagées en incisives, en canines, seules variables, et en molaires, toujours au nombre de cinq et 
très-rarement.de six. Ces dents, par leur disposition aux deux mâchoires, s'entre-croisent : celles d'en 
bas avant leurs correspondantes d’en haut, incisives, canines et molaires, mais en totalité, et jamais les 
pointes de la couronne, quand il y en a, entre elles, comme cela a lieu dans les autres Carnassiers. 

Dans le Phoque commun qui doit encore nous servir de type, la formule dentaire est : incisives ©, 
canines —{, molaires £=}; en totalité trente-quatre dents. Les incisives supérieures sont coniques, 
assez pointues, arquées en crochet, toutes terminales, presque égales, croissant cependant légè- 
rement de la première à la troisième, qui est notablement plus forte; les inférieures sont termi- 
nales, coniques, un peu aiguës, plus droites et plus petites. Les canines sont, comme dans les autres 
Carnassiers, coniques, robustes, pointues, assez cannelées à la partie postérieure, un peu arquées, 
surtout à la mâchoire inférieure, où elles sont en même temps légèrement plus courtes. Les molaires 
qui suivent immédiatement sans intervalle, surtout à la mâchoire supérieure, et.qui sont cependant. 
toujours en contact peu serré, prennent presque de suite le même caractère et la même forme géné- 
rale, aussi bien supérieurement qu'inférieurement : elles augmentent seulement un peu de la première: 
à la troisième, pour décroître ensuite, du moins en haut, car, en bas, les quatre dernières sont: 
presque égales; la couronne est tranchante ou comprimée, avec un simple épaississement plutôt qu'un 
véritable talon à la base; en haut, si ce n’est à la première, qui est arrondie et beaucoup plus 
petite, son bord est peu profondément lobé par une pointe presque médiane; mais, en bas, la lobule 
est plus profonde, et ses denticules par conséquent plus distinctes et autrement disposées. 

Les racines des dents ont cela de particulier que généralement elles ne sont pas en proportion 
avec la couronne, étant constamment plus fortes qu’elle : celles des incisives et des canines sont les 
plus simples; et, quant à celles des molaires, elles ne sont jamais au-dessus de deux dans le même 
plan, chacune d'elles correspondant à chaque côté de la couronne, et par conséquent jamais à la 
pointe la plus saillante. 

Pour les alvéoles, elles suivent la disposition des racines et ne forment qu'une seule et unique 
série, depuis la première incisive jusqu'à la dernière molaire, et cela aux deux mächoires : il n’y a 
de différence que dans le nombre avant et après celle bien plus grande de la canine. 

Le système dentaire des autres espèces de Phoques sans oreilles se simplifie d'une manière re- 
marquable dans les espèces ascendantes, pour se compliquer ensuite dans les Phoques à oreilles. 
Dans les premières, telles que dans le Phoca lagurus, les denticules des molaires sont plus aiguës, 
plus profondes, plus nombreuses; dans le Phoca barbata, ces dents deviennent plus petites, et il 
en est de même dans le Phoca Groënlandica. Puis dans d'autres espèces, comme les Phoca leptonyx 
et monachus, il n’y a plus que quatre incisives en haut comme en bas, et de cette diminution d’une inci- 
sive supérieure il résulte que les canines deviennent plus robustes; les molaires, dans la première, 


236 HISTOIRE NATURELLE. 


sont grandes, trilobées, comme palmées, et l'en est à peu près de même dans une espèce nouvelle 
rapportée par MM. Hombron et Jacquinot du voyage de l'amiral d'Urville au pôle sud, et figurée par 
eux sous la dénomination de Phoca carpophaga. Dans d'autres espèces, telles que les Phoca cris- 
tata et leonina, le nombre des incisives diminue encore et n’est plus que de quatre en haut, et seu- 
lement deux en bas. | 

Dans les Otaries ou Phoques à oreilles le sstème dentaire est beaucoup plus fixe, plus normal quee 
dans les autres espèces de Phocidés, ne descend jamais au même degré de simplicité, et revient au 
même nombre que dans le Phoca vitulina. Les incisives sont moins terminales, disposées en arc de 
cercle, plus fortes; les canines sont très-robustes, très-longues; les molaires, plus où moins serrées 
et obliques, inclinées en sens inverse, ont une petite pointe en avant, et souvent une autre moins 
marquée en arrière, surtout aux trois postérieures, qui sont les plus fortes. 

Suivant les sexes, on sait que les canines sont toujours beaucoup plus prononcées dans le mâle 
que dans la femelle. Les différences d'âge ne semblent pas apparentes dans les Phoques sans oreilles, 
tandis que dans les Phoques à oreilles elles sont appréciahles et consistent principalement dans une 
incisive supérieure de moins, dans une canine plus grèle et plus faible, et dans trois molaires seu- 
lement, en haut comme en bas, petites, coniques et distantes entre elles. 

Comme on le voit, le système dentaire offre des différences remarquables dans les Phocidés, et il 
en résulte que l'on s’en est servi, ainsi que nous le dirons, pour la caractéristique des genres qu'on à 
créés dans cette tribu. 


Fig. 110, — Phoque Lion. 


Les Phocidés vivent en grandes troupes dans presque toutes les mers du globe; cependant, il parait 
que la plupart de leurs espèces varient, selon qu'elles appartiennent au voisinage de l'un ou de l'autre 
pôle; car il est à remarquer qu'ils préfèrent les pays froids on tempérés aux climats chauds de la zone 
torride, C’est en général à travers les écueils et les récifs qui bordent toutes les mers, et jusque sur les 


CARNASSIERS. 237 


glaces des pôles, qu'il faut aller chercher les grandes espèces. Là ces animaux se jouent, à travers les tem- 
pêtes, sur les vagues en fureur, passent presque tout leur temps dans l’eau, et s’y nourrissent de Poissons, 
de Crustacés, de Mollusques et, habituellement, de tous les petits animaux qu'ils rencontrent. Parfois 
même ils mangent des Oiseaux. « L'un de ces animaux, dit Lesson, qui nageait très-près de la corvette, 
se saisit, devant nous, d’une Sterne qui volait au-dessus de l’eau en compagnie d’un très-grand nom- 
bre de Mouettes. Ces Oiseaux maritimes raseaient la mer, et se précipitaient les uns sur les autres 
pour saisir les débris de Poissons qui étaient dévorés par le Phoque, lorsque celui-ci, sortant vive- 
ment la tête de l’eau, s’efforça à chaque fois de saisir un des Oiseaux, et y parvint en notre présence.» 


Fig. 111 — Phoque berbu 


Ils sont très-bons nageurs, quoique les Cétacés les surpassent encore sous ce rapport. Un fait des plus 
singuliers, mais qui semble établi d'une manière certaine, est que ces animaux ont l'habitude constante, 
quand ils vont à l’eau, de se lester, comme on fait d'un navire, en avalant une certaine quantité de 
cailloux, qu'ils rejettent lorsqu'ils retournent sur le rivage. Les uns recherchent les plages sablon- 
neuses et abritées, d’autres les rochers exposés à l’action des eaux, et il en est qui se trouvent dans 
les touffes épaisses d'herbes qui croissent sur les rivages. À terre, les Phoques ne mangent pas; aussi, 
S'ils y restent quelque temps, maigrissent-ils beaucoup. En captivité, pour dévorer la nourriture qu’on 
leur doune, ils la plongent habituellement dans l'eau, et ils ne se déterminent à manger à sec que 
lorsqu'ils y ont été habitués dès leur première jeunesse, ou qu'ils y sont poussés par une faim extrême. 
Ces Carnassiers sont susceptibles d’une sorte d'éducation, et ils montrent une grande douceur. Lors- 
qu'un Phoque est pris jeune, il se prive parfaitement, s'attache à son maître, pour lequel il éprouve 
une affection aussi vive que le Chien. De même que ce dernier, on assure qu’il reconnait sa voix, lui 
obéit, le caresse, ete. On en à vu auxquels des matelots ou des bateleurs avaient appris à faire diffé- 
rents tours, et qui les exécutaient au commandement avec assez d'adresse et beaucoup de bonne volonté. 


233 HISTOIRE NATURELLE. 


L'intelligence des Phocidés est assez grande; ils sont affectueux, bons, patients; mais, sion les tourmente 
trop, ils peuvent devenir dangereux. Pour les conserver longtemps en captivité et en bonne santé, il 
faut les tenir, pendant la plus grande partie du jour, et surtout lors de leurs repas, dans un cuvier à 
demi rempli d’eau; la nuit, on les fait coucher sur la paille. Ainsi traités et nourris avec du Poisson, 
ou peut les garder vivants pendant assez longtemps. Nos Ménageries en ont souvent possédé : et les 
montreurs d'animaux en font souvent voir dans nos grandes villes. 

Lorsqu'un Phoque veut sortir de l'eau, il faut qu'il choisisse une place convenable; c’est sur une 
roche plate, s’avançant dans l’eau en pente douce, par laquelle ils grimpent, s’'accrochant avec les 
mains et les dents à toutes les aspérités qu'ils peuvent saisir, puis ils tirent avec difficulté leur corps 
sur le sol. Malgré cela, ils rampent assez vite, même en montant des pentes roides. Il est aussi éton- 
nant de voir avec quelle adresse ils se cramponnent à un glaçou flottant et glissant, et parviennent 
à se hisser dessus pour se reposer et dormir, sans craindre d’être emportés en pleine mer. 

« Le quartier de rocher mousseux sur lequel un Phoque à l'habitude de se reposer avec sa famille 
devient, rapporte un voyageur, sa propriété relativement aux autres individus de son espèce qui ln 
sont étrangers. Quoique ces animaux vivent en grands troupeaux dans la mer, qu'ils se protégent, se 
défendent vraiment les uns les autres, une fois sortis de leur élément favori, ils se regardent, sur leur 
rocher, comme dans un domicile sacré, où nul camarade n’a le droit de venir troubler leur tranquillité 
domestique. Si l'un d'eux se rapproche de ce sanctuaire de la famille, le chef, ou, si l'on veut, le 
père, se prépare à repousser par la force ce qu'il regarde comme une agression étrangère, et il s’en- 
suit toujours un combat terrible, qui ne finit que par la mort du propriétaire du rocher ou par la re- 
traite forcée de l'indiscret étranger. Le plus ordinairement, c'est la jalousie qui occasionne ces com- 
bats; mais il est évident que l'instinct de la propriété y entre aussi pour quelque chose. Jamais une 
famille ne s'empare d'un espace plus grand qu'il ne lui est nécessaire, et elle vit en paix avec les fa- 
milles voisines, pourvu qu'un intervalle de quarante à cinquante pas les sépare. Quand la nécessité 
les y oblige, ils habitent encore, sans querelle, à des distances beaucoup plus rapprochées; trois ou 
quatre familles se partagent une roche, une caverne, où même un glaçon; mais chacun vit à la place 
qui lui est échue en partage, s'y renferme, pour ainsi dire, sans jamais aller se mêler aux individus 
d'une autre famille. » L 

Chaque mäle à ordinairement trois ou quatre femelles; le chef de la famille défend ses femelles 
avec un grand courage; et c'est surtout lorsqu'elles sont pleines, de novembre à janvier, qu'il redou- 
ble de soins et de tendresse pour elles; l'accouplement a lieu en avril, et la femelle ne fait qu'un seul 
où deux petits. C’est sur le sol, à quelque distance de la mer, et sur un lit d'algues ou d’autres plantes 
marines, que les femelles mettent bas. La mère ne va pas à l’eau tant que ses petits ne peuvent s'y trai- 
ner, ce qui a lieu une quivzaine de jours après leur naissance. Comment les femelles se nourrissent- 
elles pendant ce temps? On ne le sait pas positivement, mais on suppose que le mâle porte alors de la 
nourriture à sa femelle. Quand le petit est arrivé à la mer, la femelle lui apprend à nager, et le sur- 
veille pendant qu'il se mêle aux troupeaux des autres Phoques; elle lallaite, toujours hors de l'eau, 
pendant cinq ou six mois; le soigne très-longtemps, mais, aussitôt qu'il peut pourvoir seul à ses be- 
soins, le père le chasse et le force à chercher un autre lieu pour s'établir. 

«C'est pendant la tempête, dit M. Boitard, lorsque les éclairs sillonnent un ciel ténébreux, que le 
tonnerre gronde et éclate avec fracas, et que la pluie tombe à flots, c'est alors que les Phoques ai- 
ment à sortir de la mer pour aller prendre leurs ébats sur les grèves sablonneuses. Au contraire, 
quand le ciel est beau et que les rayons du soleil échauffent la terre, ils semblent ne vivre que pour 
dormir, et d'un sommeil si profond, qu'il est fort aisé. quand on les surprend en cet état, de les appro- 
cher pour les assommer avec des perches ou les tuer à coups de lance. À chaque blessure qu'ils reçoi- 
vent, le sang jaillit avee une grande abondance, les mailles du tissu cellulaire graisseux étant très- 
fournies de veines. Cependant, ces blessures, qui paraissent si dangereuses, compromettent rarement 
la vie de l'animal, à moins qu'elles ne soient très-profondes; pour le tuer, il faut atteindre un viscére 
principal ou le frapper sur la face avec un pesant bâton. Mais on ne l'approche pas toujours facile- 
ment, parce que, lorsque la famille dort, il ÿ en a toujours un qui veille et qui fait sentinelle pour 
réveiller les autres s'il voit où entend quelque chose d'inquiétant. On est obligé pour ainsi dire de 
lutter corps à corps avec eux, et de les assommer, car un coup de fusil, quelle que soit la partie où 
la balle fes aurait frappés, ne les empécherait pas de regagner la mer, tellement ils ont la vie dure. 


CARNASSIERS 239 


Quand ils se voient assaillis, ils se défendent avee courage; mais, malgré leur queue terrible, cette 
lutte est sans dauger pour l'homme, parce qu'ils ne peuvent se mouvoir assez lestement pour ôter le 
temps au chasseur de se dérober à leur atteinte. Faute de pouvoir faire autrement, ils se jettent sur 
les armes dont on les frappe, et les brisent entre leurs dents redoutables. » 

Les Phocidés donnent plusieurs produits utiles à l'homme. C’est ainsi qu'ils ont, entre les muscles 
et la peau, une épaisse couche de graisse, dont on tire une grande quantité d'huile employée aux 
mêmes usages que celle de Baleine, et qui a même l'avantage de n’exbaler aucune mauvaise odeur. 
Quelques espèces ont une grossière fourrure qui est recherchée pour les habits des peuples septen- 
trionaux. Les Américains emploient, dit-on, les peaux les plus grossières à un usage singulier : ils en 
ferment, Le plus hermétiquement possible, toutes les ouvertures, et les gonflent d'air comme des ves- 
sies; ils en réunissent cinq ou six, les fixent solidement les unes aux autres, placent dessus des jones 
ou de la paille, et en forment ainsi de très-légères embarcations, sur lesquelles ils s’exposent sur leurs 
plus grands fleuves. Les habitants du Kamtchatka se servent de ces animaux pour divers usages; la 
peau est employée pour former de petites pirogues; la graisse les éclaire; la chair, quoique coriace, 
et d’odeur désagréable, est leur nourriture ordimaire. 

Mais les Américains des États-Unis et les Anglais font surtout en grand la chasse aux Phoques 
pour en obtenir la graisse, et cette chasse constitue, pour eux, une branche importante de commerce, 
puisqu'ils y emploient plus de soixante navires de deux cent cinquante à trois cents tonneaux. Lesson 
a donné, d'après M. Dubaut, d'intéressants détails sur cette espèce de pêche, et nous croyons devoir 
en transcrire quelques-unes ici. « Les navires destinés pour cet armement sont solidement construits. 
Tout y est installé avec la plus grande économie; par cette raison, les fonds du navire sont doublés 
de bois. L'armement se compose, outre le gréement, très-simple et très-solide, de barriques pour met- 
tre l'huile, de six yoles armées comme pour la pêche de la Baleine, et d'un petit bâtiment de quarante 
tonneaux mis en botte à bord, et monté aux iles destinées à servir de théâtre à la chasse lors de l'ar- 
rivée. Les marins qui font cette chasse ont ordinairement pour habitude d'explorer divers lieux suc- 
cessivement, ou de se fixer sur un point d'une terre, et de faire des battues nombreuses aux environs. 
Ainsi, il est ordinaire qu'un navire soit mouillé dans une anse sûre d’une ile, que ses agrès soient 
débarqués, et que les fourneaux destinés à la fonte de la graisse soient placés sur la grève. Pendant 
que le navire est ainsi dégréé, le petit bâtiment, très-fin et très-léger, est armé de la moitié environ 
de l'équipage, fait le tour des terres environnantes en expédiant ses embarcations lorsqu'il voit des 
Phoques sur les rivages, en laissant çà et là des hommes destinés à épier ceux qui sortent de la mer. 
La cargaison totale du petit navire se compose d'environ deux cents Phoques coupés par gros mor- 
ceaux, et qui peuvent fournir quatre-vingts à cent barils d'huile, chaque baril contenant environ cent 
vingt litres, valant à peu près quatre-vingts francs. Arrivé au port où est mouillé le navire principal, les 
chairs des Phoques, coupées en morceaux, sont transportées sur la grève, où sont établies les chau- 
dières, et sont fondues. Les fibres musculaires, qui servent de résidu, sont destinées à alimenter le 
feu. Les équipages des navires destinés à ces chasses sont à part; chacun se trouve ainsi intéressé au 
succès de l'entreprise. La campagne dure quelquefois trois ans, et au milieu des privations et des 
dangers les plus inouïs; il arrive souvent que des navires destinés à ce genre de commerce jettent 
des hommes sur une île pour y faire des chasses, et vont, deux mille lieues plus loin, en déposer 
quelques autres, et c'est ainsi que, bien souvent, des marins ont été laissés, pendant de longues an- 
nées, sur des terres désertes, parce que leur navire avait fait naufrage, et, par conséquent, n'avait 
pu les reprendre aux époques fixées. L'huile est importée en Europe et aux États-Unis; les fourrures 
se vendent en Chine. » 

Après ces généralités sur les Phocidés, nous voulons encore dire quelques mots sur les traces 
fossiles qu'ils ont laissées dans le sein de la terre, puis nous entrerons dans la description des genres 
et des espèces. 

C'est encore Esper, et comme provenant des cavernes de Gaylenreuth, qui le premier a fait graver 
des os qui se rapportent aux Phoques, et il dit qu'il a trouvé des mächoires de ces animaux dans un 
amas d'os d'Éléphants, d'Hyènes, etc., à Kahlendorf, dans le pays d'Aischtedt, mais ces pièces se 
rapportent probablement à des Ours. En 1806, lors de la publication de la première édition des 
Recherches sur les ossements fossiles, G. Cuvier décrivit deux fragments d'humérns trouvés dans les 
environs d'Angers par M. Renau, et il les décrit comme de Phoque; mais il est aujourd'hui démon- 


340 HISTOIRE NATURELLE. 


tré, d'après les travaux de De Blainville, qu'ils doivent plutôt appartenir à un Lamantin. Ce n’est 
donc qu'assez récemment qu'on a eu la preuve positive qu'il existe réellement des Phoques fossiles, 
et ces débris ont été recueillis dans un assez grand nombre d'endroits plus ou moins éloignés en 
Europe, et probablement toujours dans des terrains tertiaires et dans des versants en général assez 
peu éloignés des bords de la mer. 

Ainsi, dans le versant de la mer du Nord, on peut indiquer : 1° des dents signalées par M. Boué, 
comme trouvées avec des débris de Squales; 2° des dents, une vertèbre et quelques autres os, trou- 
vés en Westphalie, d’après M. Hermann de Meyer; 5° des dents décrites par le même auteur comme 
trouvées à Laxberg, près Aix-la-Chapelle; 4° des ossements signalés par M. Tuglar; et 5° un bassin 
tronvé par M. Eugène Robert, en Islande, dans un tuf coquiller, avec des Cyprina Islandica et au- 
tres coquilles récentes. 


Fig 112. — Sténorhynque de Weddei 


Dans le versant de la mer Noire, on peut parler d'un pied de derrière existant dans le musée de 
Pesth, en Hongrie, et qui a été trouvé à Holich, à dix lieues de Vienne, dans la vallée du Danube. 
Ce pied a été attribué à une espèce particulière qu'on a nommée Phoca Viennensis antiqua, et qui 
est voisine du Phoque commun et en diffère cependant par les proportions des diverses parties : ainsi 
la tubérosité du calcanéum est plus longue, les métacarpiens et surtout celui du doigt externe, les 
premières phalanges, les seules qui existent, sont plus longues et plus grèles. 

Dans le versant de l'Océan, M. Desnoyers cite quelques localités, aux environs mêmes de Paris, où 
il aurait trouvé des ossements fossiles de Phoques. 

Enfin, dans le versant de la Méditerranée, nous devons noter que M. Alexandre Lefebvre a rap- 
porté au Muséum plusieurs fragments d'os de Mammifères, consistant en vertèbres et en côtes, et qui 


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Fig. 2. — Chien Kurd. 


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CATINASSIERS. 241 


sans doute ont appartenu à une espèce de Phoque, et qu'il avait trouvé ces débris en Égypte, dans 
un terrain qu'il rapporte à celui de la craie. 

La classification des Phocidés est l’une des plus embrouillées de celles des Mammifères, et cela se 
conçoit, car les animaux assez nombreux qui entrent dans cette tribu ne se trouvent, à peu d'excep- 
tions près, que dans des lieux très-éloignés de nous, et ne nous arrivent pas facilement. La diffi- 
culté qu'il y a pour les conserver et pour les envoyer dans nos musées fait que les naturalistes ne 
les connaissent pas complétement, et qu’ils doivent se fier souvent à des récits exagtrés de voya- 
geurs. I en résulte que les espèces sont encore mal connues, et que les genres qu'on a voulu établir 
dans cette tribu ne sont pas encore fondés sur des caractères tout à fait hors de doute. 

Quoi qu'it en soit, la meilleure classification que nous en ayons est celle que Fr. Cuvier, en 1826, 
nous en a donnée dans le Dictionnaire des sciences naturelles, et dans laquelle il partage les Phoques 
en sept genres, ceux des : Calocéphale, Sténorhynque, Pelage, Stemmatope, Macrochin, Aretocé- 
phale et Platyrhynque. Mais à ces genres nous devons joindre celui des Otaries, fondé précédem- 
ment, en 1807, par Peron, dans le Voyage aux terres australes. M. Wilson a indiqué aussi les 
genres Cystophore et Halichère, en 4820, plus récemment que Fr. Cuvier; M. Gray enfin, en 1827, à 
fait connaître ceux des Leptonyx et Micronyx. 

Nous indiquerons tous ces genres, mais nous conserverons la division devenue classique des 
Phoques et des Otaries, les uns caractérisés en ce qu'ils manquent d'oreilles externes, et les autres 
en ce que la conque externe de l'oreille est visible, enroulée et recouvre son orifice. 


Ends Calocéphale du Groënland. (Variété. ) 


242 HISTOIRE NATURELLE. 


Dre dioision - 
PHOQUES PROPREMENT DITS. PHOCA. Linné. 


Pas d'oreilles externes. 

Picisives à tranchant simple. 

Molaires tranchantes, à plusieurs, généralement trois, pointes. 

Doigts des pieds de derrière terminés pur des ongles pointus, placés sur le bord de la membrane 
qui les unit. 


Cette division comprend en grande partie le genre Paoque, Phoca, de Linné, Systema nature, 
1755, et correspond presque complétement aux groupes des Phocidæ et Phocina, Gray, 1855; Pho- 
cine, Ch. Bonaparte, 1840; Phocadeæ, Agassiz, 184, et Otoes, G. Fischer (wzc::, sans oreille). 

Ce nom de Phoque, appliqué par Linné, et qui provient du mot grec 6x1, dont les Latins firent 
Phoca, qui servait à désigner jadis l'espèce typique de ce groupe, n’est pas resté génériquement 
dans la science. En effet, lorsque F. Cuvier a subdivisé les Phoca en plusieurs genres, il ne s'en est 
malheureusement pas servi pour désigner l’un d'eux, et il en résulte qu'un nom connu depuis la plus 
haute antiquité a été remplacé par des dénominations nouvelles dont les racines sont tirées du grec. 
Cela nous semble fâcheux, mais nous avons dû suivre ce qu'ont fait les zoologistes modernes, et, dès 
lors, nous n'avons pas cru pouvoir rétablir comme dénomination de genre le nom de Phoque; seule- 
ment nous ferons observer qu'on pourrait peut-être, à l'exemple de Lesson, de M. Boitard, ete., ne 
considérer notre division des Phoques proprement dits que comme un grand genre, et ne regarder 
les genres qui vont suivre que comme des subdivisions secondaires. 

On connait un très-grand nombre de Phoques, et ils sont répandus dans presque toutes les mers. 
Leur taille est quelquefois très-considérable, et d’autres fois, au contraire, elle l'est médiocrement : 
c'est ce qui à principalement lieu pour nos espèces européennes, qui ne dépassent guère 1,25 à 
4,50 de longueur. Les côtes de France possèdent quelques espèces de Phoques, mais plus parti- 
culièrement le Phoca vitulina; c'est ainsi que l'un de nos collaborateurs, en rapportant quelques dé- 
tails entomologiques sur une excursion qu'il fit en 1852 à la pointe Saint-Quentin, à quelque distance 
de Saint-Valery en Somme, dit que « l'on voit les Phoques se chauffer au soleil sur le banc qui 
assèche dès que la marée baisse; mais il faut se contenter de les regarder de loin, car les bestiaux 
de Protée sont très-méfiants, et, dès qu'ils aperçoivent une embarcation ou une figure humaine, ils 
se bâtent de plonger, et l’on ne voit apparaître sur l'eau que leur tête ronde. » 

Buffon, dans son Histoire générale et particulière, tome XII, 1765, n'avait pu distinguer que qua- 
tre espèces de Phoques, et encore ne l’avait-il pas fait d’une manière complète; Fhistoire de ces ani- 
maux n'est pas bien divisée pour chaque espèce dans son immortel ouvrage, et c'est pour cela que 
nous pensons devoir en rapporter quelques passages dans nos généralités, conservant ce qui est plus 
distinct pour l’histoire particulière de chaque espèce. 

« En général, écrit-il, les Phoques ont la tête ronde comme l'homme, le museau large comme la 
Loutre, les veux grands et haut placés, peu ou point d'oreilles externes, seulement deux trous audi- 
tifs aux côtés de la tête, des moustaches autour de la gueule, des dents assez semblables à celles du 
Loup, la langue fourchue ou plutôt échancrée à la pointe, le cou bien dessiné, le corps, les mains et 
les pieds couverts d'un poil court et assez rude, point de bras ni d'avant-bras apparents, mais deux 
mains où plutôt deux membranes, deux pennes renfermant cinq doigts et terminées par cinq ongles, 
deux pieds sans jambes, tout pareils aux mains, seulement plus larges et tournés en arrière comme 
pour se réunir à une queue très-courte qu'ils accompagnent des deux côtés, le corps allongé comme 
celui d'un Poisson, mais renflé vers la poitrine, étroit à la partie du ventre, sans hanches, sans crou- 


CARNASSIERS. 245 


pes et sans cuisses au dehors; animal d'autant plus étrange qu'il parait fictif, et qu'il est le modele 
sur lequel l'imagination des poëtes enfanta les tritons, les sirènes et ces dieux de toute sorte à tête 
humaine, à corps de quadrupède, à queue de Poisson; et le Phoque, en effet, règne dans cet empire 
muet par sa voix, par sa figure, par son intelligence, par les facultés, en un mot, qui lui sont com- 
munes avec les habitants de la terre, si supérieures à celles des Poissons, qu'ils semblent être, non- 
seulement d'un autre ordre, mais d'un monde différent; aussi cet amphibie, quoique d’une nature 
très-éloignée de celle de nos animaux domestiques, ne laisse pas d'être susceptible d'une sorte d'é- 
ducation. On le nourrit en le tenant souvent dans Peau, on lui apprend à saluer de la tête et de la 
voix, il s'accoutume à son maitre, il vient lorsqu'il s'entend appeler et donne plusieurs autres signes 
d'intelligence et de docilité. 


Fig 114 — Squelette du Phoque commun. 


« Il a le cerveau et le cervelet proportionnellement plus grands que l'homme, les sens aussi bons 
qu'aucun des quadrupèdes, par conséquent le sentiment aussi vif et l'intelligence aussi prompte; lun 
et l'autre se marquent par sa douceur, par ses habitudes communes, par ses qualités sociales, par 
son instinct très-vif pour sa femelle, et très-attentif pour ses petits, par sa voix plus expressive et 
plus modulée que celle des autres animaux; il a aussi de la force et des armes, son corps est ferme 
et grand, ses dents tranchantes, ses ongles aigus; d’ailleurs il a les avantages particuliers, uniques, 
sur tous ceux qu'on voudrait lui comparer; il ne craint ni le froid ni le chaud, il vit indifféremment 
d'herbe, de chair ou de Poisson; il habite également l’eau, la terre et la glace. 

« Mais ces avantages, qui sont très-grands, sont balancés par des imperfections qui sont encore 
plus grandes. Le Veau marin est manchot ou plutôt estropié des quatre membres, ses bras, ses cuis- 
ses et ses jambes sont presque entièrement enfermés dans son corps; il ne sort au dehors que les 
mains et les pieds, lesquels sont à la vérité sous-divisés en cinq doigts, mais ces doigts ne sont pas 
mobiles séparément les uns des autres, étant réunis par une forte membrane, et ses extrémités sont 
plutôt des nageoires que des mains et des pieds, des espèces d'instruments faits pour nager et non 
pour marcher; d'ailleurs les pieds étant dirigés en arrière, comme la queue, ils ne peuvent soutenir 
le corps de l'animal, qui, quand il est sur terre, est obligé de se traîner comme un reptile et par un 
mouvement plus pénible, car son corps ne pouvant se plier en are, comme celui du Serpent, pour pren- 
dre successivement différents points d'appui, et avancer ainsi par la réaction du terrain, le Phoque 
demeurerait gisant au même lieu, sans sa gueule et ses mains, qu'il accroche à ce qu'il peut saisir, et 
il s’en sert avec tant de dextérité, qu'il monte assez promptement sur nn rivage élevé, sur un rocher 


244 HISTOIRE NATURELLE. 


et même sur un glaçon, quoique rapide et glissant. FE marche aussi beaucoup plus vite qu'on ne 
pourrait l'imaginer, et souvent, quoique blessé, il échappe par la fuite au chasseur. 

« Les Phoques vivent en société où du moins en grand nombre dans les mêmes lieux; leur climat 
naturel est le Nord, quoiqu'ils puissent vivre aussi dans les zones temperées et même dans Les climats 
chauds, car on en trouve quelques-uns sur les rivages de presque toutes les mers d'Europe, et jusque 
dans la Méditerranée: on en rencontre aussi dans les mers méridionales de l'Afrique et de l'Amérique; 
mais ils sont infiniment plus communs, plus nombreux, dans les mers septentrionales de l'Asie, de 
l'Europe et de l'Amérique, et on les retrouve en aussi grande quantité dans celles qui sont voisines 
de l'autre pôle au détroit de Magellan, à l'ile de Juan Fernandès, ete. 

« Les femelles mettent bas en hiver: elles font leurs petits à terre. sur un banc de sable, sur un 
rocher où dans une petite ile et à quelque distance du continent, elles se tiennent assises pour les 
allaiter et les nourrissent ainsi pendant douze où quinze jours dans l'endroit où ils sont nés, après quoi 
la mère emmène ses petits avec elle à la mer, où elle leur apprend à nager et à chercher à vivre; elle 
les prend sur son dos lorsqu'ils sont fatigués. Comme chaque portée n’est que de deux ou trois petits, 
ses soins ne sont pas fort partagés, et leur éducation est bientôt achevée; d'ailleurs ces animaux ont 
naturellement assez d'intelligence et beaucoup de sentiment: ils s'entendent, ils S'entr'aident et se 
secourent mutuellement; les petits reconnaissent leur mère au milieu d'une troupe nombreuse; ils 
entendent sa voix, et, dès qu'elle les appelle, ils arrivent à elle sans se tromper. Nous ignorons com- 
bien de temps dure la gestation; mais, à en juger par celui de l'accroissement, par la durée de la vie 
eLaussi par la grandeur de l'animal, il parait que ce temps doit être de plusieurs mois, et l'accrois- 
sement étant de quelques années, la durée de la vie doit être assez longue; Je suis même porté à 
croire que ces animaux vivent beaucoup plus de temps qu'on n'a pu Pobserver, peut-être cent ans et 
davantage, car on sait que les Cétacés, en général, vivent bien plus longtemps que les animaux qua- 
drupèdes, et, comme le Phoque fait une nuance entre les uns et les autres, il doit participer de la 
uature des premiers et par conséquent vivre plus que les derniers. 

« La voix du Phoque peut se comparer à l'aboïement d’un chien enroué : dans le premier âge, il 
fait entendre un cri plus clair, à peu près comme le miaulement d'un Chat; les petits qu'on enlève à 
leur mère miaulent continuellement, et se laissent quelquefois mourir d’inanition plutôt que de pren- 
dre la nourriture qu'on leur offre. Les vieux Phoques aboïent contre ceux qui les frappent, et font 
tous leurs efforts pour mordre et se venger; en général, ces animaux sont peu craintifs, mais ils 
sont courageux. L'on à remarqué que le feu des éclairs et le bruit du tonnerre, loin de les épouvan- 
ter, semble les récréer: ils sortent de l'eau dans la tempête; ils quittent même alors leurs glaçons 
pour éviter le choc des vagues, et ils vont à terre s'amuser de l'orage et recevoir la pluie, qui les ré- 
jouit beaucoup. Ils ont naturellement une mauvaise odeur, et que l'on sent de fort loin lorsqu'ils 
sont en grand nombre: il arrive souvent que quand on les poursuit ils âchent leurs exeréments, qui 
sont jaunes et d'une odeur abominable; ils ont une quantité de sang prodigieuse, et, comme ils ont 
aussi une grande surcharge de graisse, ils sont par cette raison d’une nature lourde et pesante: ils 
dorment beaucoup et d'un sommeil profond; ils aiment à dormir au soleil sur les glaçons, sur des ro- 
chers, et on peut les approcher sans les éveiller, c’est la manière la plus ordinaire de les prendre. 
On les tire rarement avec des armies à feu, parce qu'ils ne meurent pas de suite, même d’une balle 
dans la tête; ils se jettent à la mer et sont perdus pour le chasseur; mais, comme l’on peut les ap- 
procher de près lorsqu'ils sont endormis, où même quand ils sont éloignés de l'eau, parce qu'ils ne 
peuvent fuir que très-lentement, on les assomme à coups de bâtons et de perche; ils sont très-durs 
et très-vivaces; ils ne meurent pas facilement, ditun témoin oculaire, car, quoiqu'ils soient mortelle- 
ment blessés, qu'ils perdent tout leur sang et qu'ils soient même écorchés, ils ne laissent pas de 
vivre encore, et c’est quelque chose d'affreux de les voir se rouler dans leur sang. C’est ce que nous 
observimes à l'égard de çelui que nous tuàmes, et qui avait huit pieds de long, car, après l'avoir 
écorché et dépouillé même de la plus grande partie de sa graisse, cependant, et malgré tous les 
coups qu'on lui avait donnés sur la tête et sur le museau, il ne laissait pas de vouloir mordre encore: 
il saisit même une demi pique qu'on lui présenta avec presque autant de vigueur que s'il n'eût point 
été blessé; nous lui enfonçämes après cela une demi pique au travers du cœur et du foie, d’où il 
sortit encore autant de sang que d'un jeune Bœuf. Au reste, la chasse, ou si l'on veut la pêche de ces 
animaux m'est pas difficile et ne laisse pas d'être utile, ear la chair n'en est pas mauvaise à manger, 


CARNASSIERS. 


12 


45 


la peau fait une bonne fourrure; les Américains s'en servent pour faire des ballons qu’ils remplissent 
d'air et dont ils se servent comme de radeau; l'on tire de leur graisse une huile plus claire et d’un 
moins mauvais goût que celle du Marsouin et des Cétacés. » 

Le meilleur des caractères, et en même temps le plus facile à saisir, qui distingue les Phocidés de 
cette division, consiste dans ce qu'ils n'ont pas d'oreille externe, tandis que, dans l'autre division, 
celle des Ütaries, fondée par Peron, l'oreille externe est distincte. 

On à formé une dizaine de genres dans cette division; mais les principaux sont ceux créés par 
Fr. Cuvier, et auxquels il a appliqué les noms de Calocephalus, Sten rhynchus, Pelagus, Stemma- 
topus, Macrorhinus, Arctocephalus et Platyrhynehus. 


Fig. 115. — Thoyque commun jeune. 


1 GENRE. — CALOCÉPHALE. CALOCEPHALUS. Fr. Cuvier, 1826. 
Kaïss, belle: zeoxan, tête. 


Dictionnaire des sciences naturelles, t. XXXIX. 


CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 


Système dentaire : incisives, À; canines, {=}; molaires, = : en totalité trente-quatre dents. Les 
molaires, toutes tranchantes, principalement formées d'une pointe moyenne greule, dure plus 
petite antérieurement, et de deux également plus petites postérieurement. 

Cräne bombé sur les côtés, aplali au sonunet, el présentant une grande capacité c'rébrale : ce 
qui « valu à ces animaux le nom qu'ils portent. 

Crète occipitale consistant en de légères rugosités. 

Museau présentant beaucoup de brièveté. 


246 HISTOIRE NATURELLE. 


Les caractères qui distinguent essentiellement les Calocephalus des autres genres de Phocidés sont 
particulièrement tirés de la disposition du système dentaire. Fr. Cuvier, le premier, la montré d'une 
manière complète dans son ouvrage intitulé des Dents des Mammifères considérées comme caractères 
zoologiques, 1825. « Nous avons vu, dit ce savant z0ologiste, en décrivant les différents systèmes 
de dentition des Insectivores et des Carnassiers, combien 1l existait de ressemblance entre les dents 
des premiers et les mâchelières tuberculeuses des seconds : les unes rappellent tout à fait les autres 
par leurs formes et leur destination ; elles se composent des mêmes tubercules, disposés suivant les 
mêmes rapports, mais seulement un peu plus obtus dans l'ordre des Carnassiers que dans celui des 
Insectivores; et chez tous elles sont appropriées pour broyer plutôt que pour couper. 

€ Nous allons voir chez les Phoques de notre première division toutes les mächelières prendre la 
forme plus où moins amincie et tranchante des fausses molaires normales, avec des dentelures plus 
profondes et plus nombreuses sur leurs bords, et conserver des racines multiples; et, chez ceux de la 
Seconde division, nous les verrons prendre, en s’épaississant, une forme plus ou moins conique, qui 
semblerait d'autant plus faire le passage de ses dents à celles de quelques espèces de Cétacés, que 
chacune d'elles parait n'avoir qu'une seule racine. 

« Ge sont là les deux uniques formes générales sous lesquelles se montrent les mâchelières des Pho- 
ques; mais les divisions qu'elles caractérisent comme des sous-ordres ou familles, se partagent l'une et 
l’autre en plusieurs groupes par d’autres considérations, et entre autres par celle des incisives, dont 
le nombre diffère suivant les espèces. Sous ce rapport, les Phoques à dents pourvues de plusieurs 
racines forment trois divisions : 1° ceux qui ont six incisives supérieures et quatre inférieures, parmi 
lesquels se trouve le Phoque commun; 2° ceux qui ont quatre incisives supérieures et quatre infé- 
rieures, où nous voyons le Phoque moine; 5° ceux qui ont quatre incisives supérieures et deux infé- 
rieures, et dont le seul exemple nous est offert par le Phoque à mitre. 

« Les Phoques dont les dents n’ont qu'une seule racine paraissent avoir deux ou quatre incisives 
à la mâchoire inférieure, et six ou quatre à la supérieure, lorsque l'âge n'en a pas fait tomber quel- 
ques-unes; car, à en Juger par les exemples que J'ai sous les yeux, elles peuvent disparaitre, même 
en totalité; ainsi un Phoque à crinière, Phoca jubata, à perdu l'une de ses dents à l'os malaire 
inférieur gauche sans qu'il soit resté aucune trace de l’alvéole; et un Phoque à trompe, Phoca pro- 
boscilea, ne conserve plus d’autres marques de ses dents incisives inférieures que des dépressions 
fort insuffisantes pour que les dents aient pu y être enracinées. 

« Les canines sont, pour le nombre et la forme extérieure, semblables à celles des Carnassiers des 
premiers genres, à une seule exception près. Les mâchelières à racines multiples sont au nombre de 
cinq ou de six de chaque côté de la mâchoire supérieure, et au nombre de cinq de chaque côté de 
la mâchoire inférieure; celles à racines simples sont, dans trois espèces, au nombre de six à chaque 
maxillaire supérieure, et au nombre de cinq à chaque maxillaire inférieure; et une quatrième, le Phoque 
à trompe, n'en a que cinq de chaque côté des deux mächoires; mais nous devons faire remarquer 
que cette tête parait avoir appartenu à un animal assez vieux, et c'est elle qui n’a conservé que de 
légères traces des alvéoles de ses incisives inférieures; d’un autre côté, une seconde tête de cette 
division n'avait conservé que les cinq premières machelières supérieures d’un côté, sans aucune trace 
de la sixième, tandis que les six étaient bien entières du côté parallèle. Ces animaux seraient-ils 
sujets à perdre leurs dents, et leurs alvéoles se rempliraient-elles rapidement ? » 

Après quelques autres considérations générales, Fr. Cuvier entre dans les descriptions particulières 
des dents des diverses divisions qu'il forme parmi les Phoques, et c’est de la manière suivante qu'il 
fait connaître le système dentaire de ceux dont les dents ont des racines multiples, et dont plus 
tard il a fait son genre Calocéphale. « Ces animaux ont, dit-il, trente-quatre dents : dix-huit supé- 
rieures, subdivisées en six incisives, deux cänines et dix mächelières; seize inférieures, comprenant 
quatre incisives, deux canines et dix mächelières. 

€ A la mächoire supérieure, la première incisive est un peu plus petite que la seconde, et celle-ci 
de moitié plus que la troisième; toutes sont crochues, terminées en pointe et de la forme des cani- 
nes, surtout la dernière. La canine vient après un intervalle vide; elle est forte, arrondie uniformé- 
ment, excepté à sa face interne, où l’on voit de légères côtes longitudinales séparées à la base de la 
dent et réunies à la pointe. La première mâchelière, située à la base de la canine, est de moitié 
plus petite que les autres, arrondie, terminée par une pointe autour de laquelle se remarquent quel- 


CARNASSIERS. 247 


ques autres pointes très-petites, disposées irrégulièrement. Les quatre qui suivent et qui se ressem- 
blent, ont, comme je l’ai dit, la forme des fausses molaires; mais elles sont épaisses, et leur tran- 
chant postérieur est divisé en deux dentelures par deux échancrures, la première très-profonde et la 
seconde moindre. Ces échancrures ne sont pas aussi nettement marquées sur la dernière de ces 
dents. Toutes se touchent et se recouvrent un peu par leur base. 

(A la mâchoire inférieure, la première incisive est plus petite que la seconde, et elles participent 
aussi un peu l’une et l’autre de la forme des canines. Les canines sont semblables à celles de l'autre 
mâchoire, et il en est de même des mächelières, seulement on voit une ou deux échancrures, et par 
conséquent une ou deux dentelures sur le tranchant antérieur de celles-ci. 

« Dans leur position réciproque, les incisives et les canines des deux mâchoires sont dans les 
mêmes rapports que celles des Carnassiers; et les mâchelières ressemblent encore à cet égard aux 
fausses molaires du dernier ordre; elles sont alternes et ne passent point l'une devant l'autre de ma- 
nière à couper comme les deux lames d'un ciseau, mais les tranchants des unes sont opposés direc- 
tement aux tranchants des autres, de sorte que, tout en divisant, elles compriment. C'est le Phoque 
commun (Phoca vitulina) qui nous fournit ce type de dentition. » 

Sans répéter les caractères communs aux Phocidés, dont nous nous sommes précédemment occu- 
pés, nous ajouterons seulement que, dans les Calocéphales, la membrane interdigitale ne dépasse 
pas les doigts et n’enveloppe même pas entièrement ceux de devant, que les doigts vont en dimi- 
nuant de longueur graduellement de linterne à l'externe, et qu'aux pieds de derrière les deux ex- 
ternes sont les plus longs; que leur pupille est à peu près semblable à celle du Chat domestique; que 
les narines ne se prolongent pas au delà du museau et formeñt entre elles un angle droit; que la 
langue est échancrée à son extrémité; que les organes de la génération chez la femelle sont très- 
simples; que ceux du mâle sont tout à fait cachés à l'extérieur; que les mamelles sont abdominales 
et au nombre de quatre seulement; que le canal intestinal est très-simple et n'a qu'un très-petit cœ- 
cum; et enfin que le cerveau est très-développé, assez riche en circonvolutions. 

Ces animaux, ainsi que tous les Phocidés, étant susceptibles de rester fort longtemps sous l'eau 
sans respirer l'air en nature, on avait d’abord cru qu'ainsi que les fœtus ils avaient une communi- 
cation ouverte dans leur cœur entre l'oreillette droite et l'oreillette gauche par le trou de Botal, mais 
cela n'existe pas; leur circulation a lieu comme dans tous les autres Mammifères; seulement on re- 
marque que leur sang est d'une couleur plus noire, qu'il est plus abondant et surtout plus chaud. 
Selon Fr. Cuvier, les mouvements de la respiration ont lieu à des intervalles très-réguliers, et il pa- 
rait qu'à chaque inspiration il entre une grande quantité d’air dans les poumons. Les Calocéphales 
sont assez mal partagés sous le rapport des sens. Leurs veux sont ceux d'animaux nocturnes: une 
lumière vive les blesse; ils ne sont point construits pour servir dans l'air, mais dans l’eau, ainsi que 
le prouvent l’aplatissement de la cornée et la sphéricité du cristallin. Leurs oreilles sont dépourvues 
de conque externe propre à rassembler les sons, où en ont une si petite, qu'elle est inutile. Leur 
peau est très-forte et surtout accompagnée d'une couche très-épaisse de graisse ou de lard qui anéan- 
tit toute sensibilité; et les moustaches seules semblent être des organes un peu délicats propres au 
toucher. L'odorat parait être le sens le plus parfait, si l'on en juge toutefois par le grand développe- 
ment des cornets du nez; car aucune observation directe ne prouve la délicatesse de ce sens chez 
les Phoques. Le goût semble assez fin; car ceux de ces animaux que l'on garde dans les Ménage- 
ries savent parfaitement distinguer les espèces de Poissons qu'on leur donne, et refusent constam- 
ment tous ceux dont ils ne font pas un usage ordinaire. Ils sont voraces, avalent les morceaux pres- 
que sans les mâcher, et après les avoir enduits d'une salive abondante et épaisse, sécrétée par des 
glandes fort développées. Quelques-uns d’entre eux vivent de Mollusques, tels que de Sèches, et il en 
est qui mangent des herbes. Presque tous lestent leur estomac de pierres assez grosses et assez nom- 
breuses. Beaucoup ne mangent que dans l’eau, et ceux qui vivent de Poissons leur déchirent le ventre 
et en dispersent les entrailles avant de les avaler. Ces Mammifères vivent en grandes troupes dans 
presque toutes les mers du globe; cependant, il paraît que la plupart de leurs espèces varient, selon 
qu'elles appartiennent au voisinage de l'un ou de l’autre pôle; ear il est remarquable qu'ils préfèrent 
les pays froids ou tempérés, aux climats chauds de la zone torride. 

Ce sont les espèces de ce genre qui se sont prêtées au plus grand nombre d'observations, parce 
que plusieurs d’entre elles se trouvent dans nos mers, qu'on a pu en faire vivre en captivité, et qu’elles 


248 HISTOIRE NATURELLE. 


ont été l'objet d'un assez grand nombre de recherches anatomiques. Quoique leurs organes du mou- 
vement et leurs sens aient une structure peu favorable à l'exercice et au développement de lintelli- 
gence, il est peu d'animaux plus heureusement doués, sous ce rapport, que les Calocéphales; aussi, 
ainsi que nous l'avons dit, leur cerveau a-t-il une étendue qui le rend presque comparable à celui des 
premiers Singes, et les observations auxquelles les actions de ces Phocidés ont donné lieu confirment 
entiérement ce qu'avait fait prévoir l'inspection de l'encéphale. «Il n'est pas, dit Fr. Cuvier, d'ani- 
maux sauvages plus faciles à apprivoiser, qui aient une conception plus vive et qui soient disposés à 
plus d'attachement pour ceux qui les soignent: ils les reconnaissent de loin, les appellent du geste et 
du regard, et se conforment, sans qu'il soit nécessaire d'employer la force, à tous les exercices qu'ils 
leur demandent, et que leur organisation leur permet. Dans l'eau, ils sont d'une agilité extrème, et 
ils peuvent y rester longtemps sans respirer, à terre, ils se meuvent en avançant alternativement 
leur train de devant et leur train de derrière. Mais, quoiqu'ils aient des muscles vigoureux, des on- 
gles aigus, des dents tranchantes, les moyens de conservation qu'ils ont reçus résident plus encore 
dans leur intelligence que dans leur force physique. » 


Fig. 116. — Arctocéphale lobé 


i'anatomie du Phoque commun a été faite avec soin par Daubenton, et, comme le Phoca vitulina 
peut être pris pour type de tous les Calocéphales, nous rapporterons maintenant une partie de ce 
qui en est dit dans l'Histoire générale et particulière de Buffon; mais, comme ces détails ne sont 
relatifs qu'à certaines parties de l'organisme, nous n’en croyons pas moins devoir donner un extrait 
du travail de Rosenthal sur les organes des sens des Phoques. 

ÇA Pouverture de l'abdomen, rapporte Daubenton, les viscères se sont trouvés situés comme 
dans les autres Quadrupèdes; F'épiploon est très-court, fort mince et placé derrière l'estomac; le 
foie s'étendait beaucoup plus à droite qu'à gauche, et l'artère hépatique était fort apparente le long 


n 


LA 


1f 


+ 


Fig 1. — Ichneumie à queue blanche 


Fig. 2 — Cynictis d'Ogilhy. 


NCINA 


CARNASSIERS. 249 


du ligament suspensoir, du foie jusqu'au nombril; l'estomac se trouvait dans le milieu de la region 
épigastrique, il était courbé en arc de cercle, et la convexité se trouvait en arrière et les deux ex- 
trémités en avant: le pylore terminait celle du côté droit. 

« Le canal intestinal s'étendait, en arrière, sous l’estomac, vers son extrémité postérieure; dans cet 
endroit, le canal intestinal se recourbait, et ensuite il se prolongeait en avant jusque contre le py- 
lore; il faisait plusieurs petites circonvolutions sous l'estomac, dans la région ombilicale, dans le 
côté gauche, dans le côté droit, dans les régions iliaques et dans l'hypogastrique; enfin, il s'étendait 
en avant depuis la région hypogastrique jusqu'à l'endroit du pylore où se trouvait le cœeum; le cô- 
lon était fort court, il se formait sous l'estomac un petit are dont la convexité était tournée en 
avant. 


Fig. 117. — Calocéphale du Groënland, 


=, 


« L'estomac différait de celui des autres animaux par sa forme, il n'avait point de grand cul-de- 
sac; l’æsophage aboutissait à l'extrémité gauche de cet estomac, qui était fort long à proportion de 
sa grosseur; il n'avait point de courbure dans la partie qui s’étendait depuis l'œsophage jusqu'à 
l'angle que formait la partie droite, comme dans les estomacs de la plupart des Quadrupèdes; eet an- 
gle était bien marqué, et le reste de la partie droite, qui se trouvait entre l'angle et le pylore, était 
longue et avait peu de diamètre; la courbure, que l’on appelle la grande courbure dans l'estomac de 
l'homme, et qui y est en effet très-apparente, avait peu de convexité dans l'estomac du Phoque, de- 
puis la courbure qui se trouvait derrière l’angle jusqu'à l'œsophage. 

« Les intestins grèles avaient tous à peu près la même grosseur, cependant la portion la plus 
grosse se trouvait dans le duodénum et la plus petite dans l’iléum; le cœcum était fort court et ar- 
rondi par le bout; la première portion du côlon avait le plus de diamètre; la grosseur de cet intestin 
était moindre dans le reste de son étendue et égale à celle du rectum, excepté près de l'anus, où le 
rectum était plus gros que le côlon à son origine. 

« Le foie était très-grand, mais il avait à proportion moins d'épaisseur que de longueur et de lar- 


c? 52 


250 HISTOIRE NATURELLE. 


geur; les lobes étaient fort longs et pointus par l'extrémité; d y en avait quatre, deux à droite, un à 
gauche en entier, et le quatrième dans le milieu : celui-ci était divisé en trois parties par deux scis- 
sures; le ligament suspensoir se trouvait dans l’une des scissures, et le vésicule du fiel dans Pautre, 
qui était à droite de la première; le lobe gauche et le lobe inférieur et antérieur du côté droit avaient 
à peu près autant de grosseur lun que l'autre; le lobe supérieur et postérieur du côté droit était le 
plus petit de tous, et il avait à sa racine un appendice bien marqué. 

« La rate se trouvait placée transversalement de droite à gauche sur l'estomac; elle avait à peu près 
la même largeur dans toute sa longueur; elle était d’une couleur rougeâtre et plus foncée que celle 
du foie; elle pesait sept gros et dixchuit grains. 

« Le pancréas était fort grand, très-épais, très-compacte et de couleur de chair; il avait une figure 
singulière et oblongue; son extrémité droite était plus large que la gauche. 

« Les reins étaient fort grands; ils avaient peu d” enfoncement et ils étaient tubereuleux en dehors; 
en les ouvrant, on voyait distinctement que tous ces tubercules étaient autant de petits reins qui for- 
maient le grand; il y avait au milieu de chaque petit rein une pupille blanchâtre dont sortait l'urine; 
elle coulait dans des conduits qui se réunissaient pour former luretère. 

« Le centre nerveux du diaphragme était tr étendu, et la partie charnue avait beaucoup 
d'épaisseur. Le cœur se trouvait dans le milieu de la poitrine, un peu plus à droite qu'à gauche; sa 
pointe était dirigée en arrière et peu RPpARÈRES parce qu'il avait une figure fort extraordinaire; il 
était aplati par- dessus et par-dessous; il formait presque un ovale dont le grand diamètre s’étendait de 
droite à gauche d’un côté à l’autre de ce viscère, et le petit diamètre depuis la base jusqu’? à la pointe; 
l'oreillette droite n'avait guère plus d° étendue que la gauche. Les principaux vaisseaux sanguins 
étaient très-gros, on voyait très-distinctement le canal artériel, qui communiquait de l'artère pulmo- 
naire à l'aorte; son diamètre, pris de dedans en dehors, était de deux lignes et demie. Il sortait trois 
branches de la crosse de l'aorte. 

« Les poumons étaient très-grands, il n’y avait qu'un lobe dans chacun; le poumon gauche était 
un peu plus grand que le droit. 

« L’extrémité de la langue était échancrée, presque fourchue, fort étroite et fort mince en compa- 
raison du reste, qui était large, épais et court; la partie antérieure était garnie de petites papilles, et 
parsemée de grains ronds et peu apparents; il y avait sur la partie postérieure quelques petites 
glandes et de papilles larges, mais peu élevées et molles. 

« L'épiglotte était recourbée en dessous et en arrière, épaisse et de figure triangulaire un peu al- 
longée. Les anneaux de la trachée-artère étaient cartilagineux dans toute leur étendue. Il n’y avait 
point de sillons marqués au palais: on apercevait seulement quelques rides irrégulières sur la partie 
postérieure, et un enfoncement assez large sur le milieu. 

« Le cerveau était fort grand, et le cervelet encore plus grand à proportion: celui-ci se trouvait 
placé au-dessous de la partie postérieure du cerveau, et il y avait sur sa surface de larges circonvo- 
lutions à peu près comme sur le cerveau, et une bande convexe et cannelée transversalement qui s’é- 
tendait d’un bout à l’autre sur le milieu. Le cerveau pesait six onces deux gros et demi, et le cervelet 
une once deux gros. 

« La vulve et l'anus étaient placés sous l’origine de la queue, entre les deux talons de l'animal; 
l'anus formait un bourrelet en dehors de la peau et débordait de la longueur de cinq lignes. La vulve 
touchait immédiatement à l'anus; les lèvres de la vulve étaient fort minces, et on ne reconnaissait 
l'endroit du clitoris que par une petite cavité; mais, en comprimant les parois du vagin, on sentait 
le clitoris bien distinctement, car il était très-2ros et fort long. Le vagin s'étendait entre les deux 
jambes de l’animal, et avait un étranglement dans le milieu de sa longueur, à l'endroit de l’orifice de 
l'urètre, et une sorte de bourrelet transversal dont l'extrémité de l’urètre faisait partie. La vessie 
avait une figure oblongue et presque conique; l’orifice de la matrice était large et se trouvait au mi- 
lieu d’un bouirelet plat qui était formé par le col de la matrice, et qui s s’étendait de la longueur de 
deux lignes dans le vagin; le col n'était marqué que par ce bourrelet, et le corps n'avait que très-peu 
d’étendue; les cornes étaient eylindriques et dirigées en ligne droite. Les testicules avaient au dehors 
et au dedans une couleur blanchâtre. » 

Rosenthal, de concert avec Hornschuch, a cherché, dans les différences de l'organisation intérieure 
à retrouver si ces différences coïncideraient avec les caractères différentiels extérieurs, et, à ce sujet, 


CARNASSIERS. 251 


il a publié un mémoire important, dans le tome XIT des Mémoires de lu Société des Curieux de la 
nature de Bonn, sur les organes des sens chez les Phoques. Un extrait de ce travail, traduit de l'al- 
lemand en français par M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, a été inséré dans l’article Phoque de Les- 
son du Dictionnaire classique d'Histoire naturelle, et nous croyons utile de reproduire en partie 
cet extrait. 

Si le tact est dans toute sa perfection chez l'homme, s’il conserve ses plus précieux attributs chez 
plusieurs animaux, il perd la plupart de ses avantages chez les Phoques; leurs enveloppes extérieures, 
leurs membres, ne sont pas disposés favorablement pour en être le siége. Toutefois, on peut regar- 
der comme organes essentiels du toucher chez ces animaux les longues soies d’une nature parti- 
culière qui revêtent les lèvres sous forme de moustaches roides : ces soies sont implantées au 
milieu des fibres d’un muscle épais qui sert à l’occlusion des cavités nasales; leur sensibilité exquise 
est mise en jeu au contact des corps, mais elle est plus avivée encore lorsqu'elle coïncide avec l’ou- 
verture des narines, parce que le sens de l’odorat ajoute un moyen de plus à la perception de la sen- 
sation. Ces poils des moustaches sont roides, annelés le plus souvent, arrondis à leur extrémité infe- 
rieure, où ils sont traversés d’un canal central dans l'étendue d’une ligne et demie; ils sont, dans 
toute la portion enfoncée dans les interstices du muscle clausteur des narines, entourés d’une capsule 
cornée cylindrique ou bulbe producteur, ouvert à ses deux extrémités et nu en dehors, tandis que son 
intérieur est tapissé par une légère pellicule onu membrane vasculaire. Cette membrane forme une vé- 
ritable gaine à la soie, et s’unit à la capsule cornée par son extrémité ouverte inférieure, va joindre 
le bout du canal du poil et s’y attache circulairement en y laissant pénétrer quelques légers petits 
vaisseaux. En entrant dans le bulbe pour en tapisser les parois internes, cette membrane laisse péné- 
trer des vaisseaux et des nerfs; ces derniers appartiennent à la deuxième branche principale de la 
cinquième paire, qui prend sur la surface un développement considérable : ils envoient de nombreux 
filets aux extrémités du bulbe, dont les poils ou soies des moustaches sont les prolongements, et qui 
ont sans doute pour but de transmettre au bulbe, véritable siége de la sensation du toucher, les im- 
pressions qu'ils reçoivent par le contact des corps extérieurs. On conçoit alors que les sensations de 
relation par le toucher doivent être très-obtuses chez les Phoques. 

La langue est longue de 0",08, et large, à sa partie postérieure, de 0",05 pour le Veau marin du 
nord de l'Europe. Le muscle lingual reçoit, comme chez les autres animaux, les hyoglosse, génio- 
glosse et les autres muscles de l'appareil hyoïdien; la membrane muqueuse qui la tapisse est dense, 
et se replie en plusieurs rides à la partie postérieure : elle recouvre une membrane fibreuse beau- 
coup plus épaisse, et qu'on ne peut comparer qu’au réseau de Malpighi de certains animaux herbi- 
vores; les papilles nerveuses, siéges du goût, sont de grandeur très-inégale: elles ne sont pas roides, 
et leurs pointes sont dirigées en arrière; de très-petits rameaux nerveux se rendent à chacune d'elles; 
l'os hyoïde, par la manière dont il est placé et aussi par sa forme, a beaucoup de rapport avec celui 
de l’homme: son corps est aplati, large d'à peu près 0",004, et disposé obliquement, de sorte que 
le bord tranchant est dirigé en haut et en devant, et que le bord épais est tourné en arrière et en 
bas; les cornes thyroïdiennes sont plus larges et plus robustes proportionnellement que celles de los 
hyoïde de l’homme, et elles s'unissent immédiatement avec le cartilage thyroïde; leurs extrémités 
sont terminées par une membrane qui affecte la forme d’une membrane capsulaire; les cornes anté- 
rieures se composent de trois portions osseuses, arrondies, réunies par les cartilages. Les muscles de 
la région hyoïdienne ne présentent rien de particulier. 

Le sens de l’odorat est bien moins développé chez les Phoques que chez les autres Carnassiers : en 
effet, quelques-uns d’entre eux ne paraissent pas avoir la conscience des odeurs, même à une faible 
distance. On doit donc penser que, chez ces Amphibies, l'appareil olfactif est disposé, comme chez les 
Poissons, a recevoir les particules des aromes apportés par un fluide beaucoup plus dense que l'air, 
tel que l’eau, leur respiration a terre est toujours gênée, et ne s'exécute que par des inspirations 
fortes et aidées de tous les muscles, et notamment des divers plants de fibres intercostales, La ca- 
vité nasale est inégalement large et très-comprimée à sa partie supérieure par le développement des 
fosses orbitaires; le corps de l’ethmoïde est très-petit, et, dans le Phoca fœtida, à la partie externe 
des cornets supérieurs, il y a sept apophyses aplaties enroulées à leur bord; le cornet inférieur est, 
au contraire, très-grand, remplit en grande partie tout l'espace des fosses nasales antérieures et 
postérieures, et se trouve formé de feuillets enroulés très-minces: la position de la pituitaire qui la 


259 HISTOIRE NATURELLE. 


tapisse est mince, et reçoit, comme à l'ordinaire, les nerfs des première et cinquième paires. Le 
rebord des narines est formé d’une membrane épaisse, remplie de graisse, et qui s'attache à la por- 
tion cartilagineuse du vomer; il en résulte que les ailes du nez jouissent d'une grande mobilité, et 
peuvent éprouver un degré de contraction assez puissant pour le fermer complétement. Ce mouve- 
ment est opéré par deux muscles, faisant l'office de constricteurs, et dont les fibres s'entre-croisent 
dans la lèvre supérieure et dans la membrane musculo-fibreuse du pourtour des narines; le plus 
large de ces muscles, l'élévateur des ailes du nez, prend naissance sur les côtés du maxillaire supé- 
rieur et des os nasaux, se dirige obliquement en bas et va s'épanouir dans le labial supérieur et an 
pourtour entier de la narine, qui est placée de son côté; ses fibres, en se contractant, tirent ainsi les 
ailes du nez en dehors, et par conséquent les ouvrent de toute la capacité de leur diamètre transver- 
sal; le deuxième muscle, plus épais, est le constricteur des ailes du nez, qui naît de la partie posté- 
rieure du maxillaire supérieur, et, sur les rebords des alvéoles, se rend dans les téguments de la lèvre 
supérieure, où il forme un faisceau musculaire où sont logés les bulbes producteurs des soies des 
moustaches, et se rend à la partie antérieure de la cloison nasale, après avoir contourné le bord des 
buccinateurs; ces fibres, en se contractant sur leur point fixe en dedans, serrent les ailes du nez 
contre la cloison, et opèrent en même temps un mouvement d'érection à chacun des poils ou soies 
des moustaches. 

Les veux sont remarquablement grands, et plus rapprochés que dans beaucoup d'autres animaux; 
l'œil est presque sphérique, et a 0,04 de hauteur sur un diamètre transversal un peu moindre; la 
membrane selérotique se compose d’un tissu épais et presque fibro-cartilagineux, mou et mince dans 
son milieu, mais épais en avant aussi bien qu'à la partie postérieure : et ce fait se retrouve dans d’au- 
tres animaux marins. La cornée est aplatie, ayant environ 0,02 de diamètre; elle est épaisse à ses 
bords, mince dans son milieu, et peut s’isoler aisément en plusieurs feuillets. Une membrane bru- 
nâtre tapisse la surface interne de la selérotique; son tissu est cellulaire et lâche, et parait destiné à 
servir de moyen d'union entre les divers plans membraneux. Au-dessous existe une autre membrane 
aisément séparable en deux feuillets; la vasculaire ou tunique choroïdienne est entièrement formée 
- par un tissu cellulaire qui unit le réseau vasculaire qui la parcourt, et qui est généralement occupé par 
un pygmentum noir; les vaisseaux s'unissent irrégulièrement à sa partie postérieure, et ils sont ré- 
gulièrement disposés à la partie antérieure. La membrane colorée ou choroïde consiste en un tissu 
homogène, mince, serré, ne recevant pas de vaisseaux, et teinte en dedans comme en dehors. Le 
corps ciliaire se compose de plis qui, d'abord petits, sont plus grands à mesure qu'ils se rappro- 
chent du cristallin L'iris, par la nature de son tissu, a de grands rapports avec la choroïde, mais 
elle comprend, en outre, un grand nombre de vaisseaux. La membrane uvée est un simple prolon- 
gement de la choroïde; elle offre des plis qui se dirigent vers la pupille, qui partent de sa partie 
postérieure, et dont les deux faces sont enduites d’an pygmentum noir. La rétine prend naissance à 
une lamelle excavée de Ja terminaison du nerf optique, et est très-mince par comparaison avec les 
membranes précédentes; son tissu est formé par un réseau dont les mailles sont remplies d’une sub- 
stance médullaire assez épaisse qui se détache aisément par la macération : le tissu réticulé reste 
alors à nu, et la surface interne de la rétine est parsemée de vaisseaux qu'on y découvre aisément, et 
qui laissent de profondes impressions sur l'humeur vitrée; quelques fibres un peu plus grosses pa- 
raissent avoir quelque analogie avec des vaisseaux; cette membrane concourt à contenir une masse vis- 
queuse jaunätre qui est sans doute déposée par les petits vaisseaux, et semble analogue à ce que l'on 
observe chez beaucoup de Poissons. Le cristallin est grand, sphérique, et a environ 0,009 de dia- 
mètre; Fhumeur aqueuse est en quantité considérable. Six muscles servent à mouvoir, en divers 
sens, le globe de l'œil; un bourrelet, presque immobile et circulaire, privé de cils, forme les pau- 
pières. Le voile palpébral est grand, et consiste en un repli lâche et mobile de tégument, renforcé 
par un demi cartilage mince, convexe, suivant la forme de l'œil : quatre muscles, nés de la partie 
postérieure de l'orbite, et dirigés en avant, où ils s'unissent à la base des muscles droits, ont pour 
fonctions de mouvoir un peu les paupières : séparés des muscles propres de Pœil dans la partie 
antérieure de l'orbite, ils se perdent dans les fibres du palpébral où musele orbieulaire. La glande 
lacrymale est extrêmement petite. On ne trouve aucun organe destiné à absorber ou à servir d'émou- 
cloir à la sécrétion des larmes. La glande d'Harderius est très-petite, et, toutefois, existe avec ses 
Canaux. 


o] 


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”. 


© 


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Fig, À — Cas anthus. 


VI. 52 


CARNASSIERS. 253 


Le conduit auditif, formé par lPunion d'os et de cartilages, aboutit à une ouverture extérieure, 
longue de 0",005; la portion cartilagineuse consiste en quatre larges demi-anneaux solides, ums 
l'un à l’autre par une membrane épaisse et forte; il en résulte un tuyau élastique, étroit, long de 
O%,01, un peu tordu, courbé, et susceptible d’être rétréci et raccourci suivant les mouvements de 
l'animal. L’anneau cartilagineux externe diffère, par sa forme, de ceux qui le suivent; sa portion 
antérieure est légèrement convexe, et est munie, en dessus, d’un petit prolongement faisant saillie 
sur l'ouverture auriculaire extérieure, et assez comparable au tragus de quelques animaux terrestres. 
Ce conduit reçoit, non-seulement quelques fibres du peaussier, mais encore des muscles propres qui 
naissent de l’aponévrose du crotaphyte, et se rendent à la partie postérieure du tube cartilagineux. 
Un petit faisceau plus épais naît de la base de l'apophyse zygomatique et se rend au cartilage an- 
nulaire; enfin, des fibres musculaires, disposées en faisceaux grêles, s'avancent jusqu'au troisième 
anneau. Le conduit auditif osseux est court; son ouverture est elliptique. La membrane du tympan est 
grande, irrégulièrement arrondie; sa position est oblique. La cavité du tympan est très-développée, 
et présente la forme d’une pyramide dont le sommet est dirigé en haut et en arrière; le côté externe 
supporte la membrane du tympan, l'interne est adossé à la base du cràne, et le postérieur corres- 
pond au labyrinthe. Les petits os de l'oreille n’ont rien de remarquable, si ce n’est leur position, 
qui est un peu plus oblique que dans les autres Mammifères. L'oreille interne n’a rien de particu- 
lier; le vestibule est très-large, et n'a pas plus de 0",006 dans son plus grand diamètre. Une lame 
criblée sert pour le passage du nerf acoustique, qui est très-épais. 

Pour compléter ces détails anatomiques nous renvoyons à ce que nous avons déjà dit dans nos gé- 
néralités sur les Phocidés, relativement au squelette de ces animaux; car en effet le type que nous 
avons décrit était le Phoque commun. 


On indique une dizaine d'espèces de Calocéphales, mais il est très-difficile de les caractériser d'une 
manière complète, car on peut remarquer dans une même espèce de grandes différences de couleurs 
suivant les sexes, les âges et peut-être même les saisons. 


954 HISTOIRE NATURELLE 


1. PHOQUE COMMUN ou VEAU MARIN. PHOCA VITULINA, Linné, 


Caracrères sréciriques. — Couleur générale d'un gris jaunâtre, avec quelques taches irrégulières 
noirâtres, mais différant suivant que l'animal estsec ou mouillé; au moment où le Phoque sort de l'eau, 
toute la partie supérieure de son corps et de sa tête, ses membres postérieurs et sa queue sont gris 
d'ardoise: le gris de la ligne moyenne le long du dos, de la queue et des pattes est uniforme: celui 
des côtés du corps se compose de nombreuses petites taches rondes, sur nn fond un peu plus pâle 
et jaunâtre; toutes les parties inférieures sont de cette dernière couleur; lorsque ce pelage est 
entièrementsee, on ne voit plus de gris que sur la ligne moyenne, où se trouve aussi un petit nombre 
de taches répandues irrégulièrement; tout le reste du corps est entièrement jaunâtre. Mais ces cou- 
leurs ne sont pas toujours les mêmes dans tous les individus, car il parait qu'en vicillissant les teintes 
diminuent d'intensité, et que le pelage devient blanchâtre. Ce pelage est continuellement lubréfié par 
une matière grasse qui nait d'organes glanduleux principalement situés autour des yeux, sur les 
épaules, sur les côtés du dos ou les côtés du ventre et autour de anus; cette matière est noirâtre et 
puante. La longueur totale de l'animal est d'environ 1. 


Cette espèce, dont Lesson a assez inutilement changé le nom de Ph. vitulina, connu depuis très- 
longtemps, en celui de Phoca Linnæi, est la plus répandue de toutes celles de cette famille; elle se 
trouve surtout dans la mer Baltique et dans tout l'Océan atlantique, depuis le Groënland jusqu'aux 
rivages de la mer du Nord; mais on l’a rencontrée plus au sud, et il paraît même qu'elle se porte 
quelquefois jusque vers le cap de Bonne-Espérance d'une part, et de l'autre jusqu'aux terres magel- 
laniques et aux iles situées au large de cette partie méridionale de l'Amérique; elle habite, dit-on 
encore, la Méditerranée et la mer Noire, et, suivant l’assertion de plusieurs voyageurs, mais qu'on 
ne saurait admettre sans de nouveaux renseignements plus positifs, il se trouverait même des indi- 
vidus de cette espèce dans la mer Caspienne et dans le lac Baïkal, ainsi que dans les lacs Onéga et 
Ladoga, en Russie. Enfin c’est presque exclusivement ce Phoque que l'on voit sur nos côtes de l'O- 
céan, et que l’on peut parfois se procurer vivant. 

C'est à cette espèce, l'une des plus connues des marins, que presque toutes les autres du même genre 
ont été rapportées sous la dénomination générale de Veaux, de Loups ou de Chiens marins; et il pa- 
raît, d'une autre part, que, sous celle de Phoca vitulina, les naturalistes en confondent probablement 
plusieurs qui sont éminemment différentes par leurs caractères anatomiques; du moins c'est ce qu'en 
rapporte M. Otto, qui assure avoir disséqué deux Phoques de la Baltique, très-semblables par les ca- 
ractères extérieurs, mais dont les têtes osseuses offraient des dissemblances remarquables dans l’é- 
cartement des orbites et dans l'allongement du crâne. 

Dans leurs ouvrages, les naturalistes indiquent des variétés assez nombreuses de cette espèce 
dont nous nous abstiendrons de faire connaitre les caractères. Nous ne ferons que citer en passant : 
4° celle du golfe de Bothnie (Phoca vitulina Bothnica, Linné), qui a le nez plus large, les ongles plus 
longs et le pelage plus obscur; 2° celle des lacs Orom et Baïkal (Ph. vitulina Sibirica, Gmelin), qu'on 
dit argentée, et qui, selon Péron, pourrait bien n'être qu'une Loutre; et 3° celle de la Caspienne (Ph. 
vilulina Caspica, Pallas, Krachenninikow et Gmelin), qu'on dit être de la taille du Phoque commun 
ou plus petite, et variée de noir, de jaune, de cendré, de blanchâtre. C'est avec plus de certitude que 
nous rapporterons avec À.-G. Desmarest à cette espèce Le Phoque dont parle Olafsen dans son Voyage 
en Islande sous le nom de Lanpsezur. Il est, dit-il, de l'espèce de ceux qu'on trouve dans la Balti- 
que. On le prend au printemps; il fait et nourrit ses petits à cette époque, sur les anses qui sont 
basses, et conséquemment sous l’eau, lorsque la marée est haute. Les femelles tiennent ces petits à 
terre jusqu'à ce qu'ils aient changé leur premier poil. Ge poil est blane, et quelquefois d’un jaune 
clair; il devient ensuite d’une couleur foncée et mouchetée de gris un peu plus clair sous le ventre 
qu'ailleurs, marqué de taches blanches et rondes sur les côtés; à mesure qu'il vieillit, la couleur 
s'éclaireit encore, et, à la fin, il est d’un blane tirant sur le gris. La taille de ce Phoque se rapporte 
d’ailleurs assez à celle de l'espèce commune. D'après M. Boitard, le Kassiérack (Ph. vitulina, Erxle- 
ben; Ph. maculata, Boddaert) paraît également en être une variété dont le pelage est gris en dessus, 


CARNASSIERS. 955 


Vzanc en dessous dans les jeunes, puis d'un gris livide parsemé de taches, et enfin, quand il est 
vieux, tigré ou varié de noir et de blanc, et qui habite les mers du Nord. Lesson indique encore 
deux variétés du Phoque commun : l'une, qu'il nomme alba, et qui se rapporte à la variété à poils 
blancs dont nous avons parlé, et l’autre, canina, dont la tête a la forme de celle du Chien, et qui se 
trouverait dans la mer Baltique. 

L'histoire du Phoque commun est peu différente de celle des autres animaux de la même tribu à 
l'état de nature. Les récits qu'on en possède sont le plus souvent remplis de traits qui appartiennent 
aux autres espèces, que les marins ont confondues avec la sienne. On n’a de renseignements positifs 
que ceux qui résultent de l'étude de plusieurs de ces animaux échoués sur les côtes. Fr. Guvier a 
suivi notamment quelques individus qui ont vécu au Muséum d'Histoire naturelle; il a publié un mé- 
moire plein d'intérêt sur leurs facultés intellectuelles. Il les considère comme des êtres plus intelli- 
gents, dans l’état de nature, à cause de leur sociabilité, que les Chiens sauvages, qui vivent isolés; il 
les présente comme étant susceptibles de s'attacher à homme qui en a soin, et d'exécuter, à son 
commandement, différentes actions, même peu en rapport avec leurs habitudes naturelles. Il explique 
cette confiance aveugle, et qui leur est presque toujours funeste, que les Phoques habitants des pla- 
ges désertes ont pour les voyageurs qui y abordent. «C'est, dit-il, qu'ils sont habitués à jouir d’une 
paix profonde, et l’on aurait tort de conclure de là que ces animaux manquent du jugement néces- 
saire pour apprécier le danger; car ceux qui ont des petits à défendre ou qui se trouvent dans des 
parages souvent fréquentés par les hommes n’ont plus cette ignorance et cette apathie qui exposaient 
leur vie; ils ont appris à reconnaitre leur ennemi, à le fuir et quelquefois même à l’attaquer. » Les 
Phoques de la Ménagerie du Muséum étaient nourris avec du Poisson, et, ce qui est fort remarquable 
dans des animaux aussi voraces, C’est qu'ils n'étaient pas indifférents sur le choix de la nourriture. 
On n’a jamais pu faire manger à chacun d’eux que l'espèce de Poisson à laquelle il avait d’abord été 
accoutumé; lun ne voulait manger que des Harengs, même salés, et l'autre que des Limandes. Ils 
avaient d’ailleurs contracté des habitudes diverses; ainsi, l'un ne saisissait et ne mangeait son Pois- 
son qu'au fond de l’eau, tandis que l'autre, au contraire, ne voulait manger que sur terre. Ils n’é- 
taient point craintifs et se laissaient retirer de la gueule leur nourriture, sans témoigner de mécon- 
tentement, pourvu toutefois que ce ne fût pas par un autre individu de leur espèce. Entre eux ils se 
battaient pour saisir une proie qu’on leur abandonnait. Ils avalaient le Poisson après l'avoir réduit, 
avec leurs dents, à la proportion convenable, et le humaient en quelque sorte, en n’ouvrant la bouche 
que ce qu'il fallait pour le laisser passer. Leur voix était une sorte d’aboïiement un peu plus faible 
que celui du Chien : c'était le soir, et lorsque le temps se disposait à changer, qu'ils aboyaient. 
Quand ils étaient en colère, ils ne le témoignaient que par une sorte de sifflement assez semblable à 
celui d’un Chat qui menace. L'un d'eux viait dans la meilleure intelligence avec deux jeunes Chiens 
qui le harcelaient quelquefois en jouant, et il semblait les exciter à continuer leurs agaceries en leur 
donnant de légers coups avec sa patte. 

Assez récemment, en 1852, la Ménagerie a possédé pendant quelques mois un individu de cette es- 
pèce pris à l'embouchure de la Somme, et adressé au Muséum par M. Baillon : ce Carnassier se faisait 
remarquer par son intelligence et sa grande douceur, et sa nourriture consistait uniquement en Pois- 
sons de mer. Nous avons dit que c’est en général des Phoca vitulina que montrent les bateleurs, et 
auxquels ils peuvent donner une sorte d'éducation, quelquefois même assez avancée. 


2. GALOCÉPHALE LIÈVRE. CALOCEPHALUS LEPORINUS. Fr, Cuvier. 


CaracTÈReS SPÉCIFIQUES. — Poils longs, peu serrés, non couchés sur le corps; peau ayant une 
épaisseur remarquable; pelage d’un blanc sale, mêlé d’un peu de jaune, et jamais moucheté. Jeunes 
individus ayant un pelage semblable à celui du Lièvre, variable par sa longueur, sa flexibilité et sa 
blancheur. Longueur, depuis le bout du museau jusqu'à l'extrémité de la queue, 2,09; celle-ci 
n'ayant guère que 0,05. 


Ce Calocéphale, le Phoca Lepechemi de Lesson, dont la taille est de 2" environ, est des mers 
d'Islande, et se trouve fréquemment entre le Spitzherg et le pays des Tehutkis. Dans les mois d'été, il 


256 HISTOIRE NATURELLE 


se trouve dans la mer Blanche, où il a été observé par Lepechin, qui Pa nommé Phoca vitulina, et 
en a donné la description suivante : C1 ressemble beaucoup, pour la forme et la grandeur, au Pho- 
que du Groënland; mais il a sur tout son corps un blanc sale, mêlé d'un peu de jaune, et il n'est ja- 
mais moucheté. Ses poils sont plus longs; ils ne sont point serrés et se tiennent droits. Le poil des 
jeunes surtout, par sa longueur, sa flexibilité et sa blancheur, ressemble à celui des Lièvres varia- 
bles : de là leur dénomination. La tête n’est pas aussi grande que celle du Phoque à croissant, mais 
elle est allongée: la lèvre supérieure est plus grosse et aussi épaisse que celle d'un Veau; les Yeux 
ont la prunelle noire; les dents sont semblables, pour le nombre, à celles du Phoque du Groënland 
mais elles sont beaucoup plus fortes; les poils des moustaches sont différemment distribués : ils ne 
placés sur quinze rangs, épais et forts. Les bras sont beaucoup plus faibles; les mains petites, ser- 
rées et comme coupées; la membrane qui unit les doigts ne forme point une demi-lune; elle est égale 
partout; la queue est plus courte et plus épaisse; la peau est d'une épaisseur remarquable ayant jus 
qu'à quatre lignes sur un animal qui vient d’être tué. » aan à 


— 


17 


Fig. 119. — Calocéphale lièvre. 


Pendant son séjour sur les bords de la mer Blanche, ce Phoque se tient à l'embouchure des fleuves 
qui se.rendent dans cette mer, les monte avec le flux et les redescend avec le reflux. On le tue pour 
en avoir la graisse et la peau; son euir est surtout estimé à cause de son épaisseur; on le coupe en 
ligne spirale pour en fabriquer des traits ou des harnais d’une certaine longueur, que l'on rend droits 
en les suspendant et en attachant une pierre au bout libre; on travaille la peau des jeunes; les poils 
out une couleur noire, et l'on en fait des chapeaux qui imitent le castor, mais qui sont rudes au 
toucher. 

Fr. Cuvier a été à même d'étudier à la Ménagerie du Muséum un très-jeune individu de cette espèce 
qui avait été pris dans la Manche. Chez cet animal, le dos était garni d'un très-grand nombre de pe- 


CARNASSIERS. 257 


tites taches noirâtres sur un fond gris jaunâtre, et elles formaient une ligne le long de l’épine dor- 
sale; la bande du cou paraît ne se montrer que lorsque les taches du dos s'effacent, lesquelles ne se 
voient que quand l'animal est mouillé; lorsqu'il est sec, sa couleur, dans ces parties, est uniformé- 
ment jaunâtre. L'individu qui a vécu au Muséum a pu aisément être apprivoisé; lorsqu'il était contra- 
rié, il soufflait à peu près comme un Chat, et, lorsque son impatience était portée plus loin, il faisait 
éntendre un petit aboiement; il ne cherchait point à mordre pour se défendre, mais à égratigner avec 
ses ongles, et ne mangeait jamais qu'au fond de l'eau; sa nourriture consistait en Poissons de mer: il 
n'a jamais été possible de Ini faire manger du Poisson d'eau douce. 


3. CALOCÉPHALE MARBRÉ. CALOCEPHALUS DISCOLOR. Fr. Cuvier. 


CaracrÈREs spÉciriques. — l’elage d'un gris foncé, veiné de lignes blanchâtres, irrégulières, for- 
mant sur le dos et sur les flancs une sorte de marbrure : ce dessin se distinguant mieux lorsque l'ani- 
mal est dans l’eau que lorsqu'il est à sec. De la taille du Phoque commun. 


Cette espèce, qui ne diffère peut-être pas du Phoca vitulina, et dont Lesson a fait son Phoca Fre- 
derici, se trouve sur les côtes de l'Océan, et a été principalement prise sur celle de France. Elle 
a été fondée par Fr. Cuvier d'après un individu qui a vécu quelques semaines à la Ménagerie du Mu- 
séum en même temps que le Phoque lièvre dont nous avons parlé. On le voit souvent entre les mains 
des saltimhanques; ses mœurs sont douces et son intelligence est très-développée. 


4. CALOCÉPHALE LAGURE. CALOCEPHALUS LAGURUS. Fr. Cuvier. 


Canacrères sréciriques. — Tout le dessus du corps d’un cendré argenté, avec quelques taches 
éparses d'un brun noirâtre; flancs et dessous du corps d'un cendre presque blanc; ongles forts, noirs; 
moustaches médiocres, en partie noirâtres, en partie blanchâtres, et gaufrées à peu près comme dans 
le Phoque commun. Longueur totale, environ 1". 


Cette espèce a été créée par G. Cuvier sous la dénomination de Phoca lagurus, d'après un individu 
envoyé de Terre-Neuve au Muséum d'Histoire naturelle, par M. de la Pilaye, et a reçu de Lesson la 
dénomination de Phoca Pilayi. On lui rapporte un Phoque décrit par A.-G. Desmarest, dans le sup- 
plément de sa Mammalogie sous les noms de Pnoque À queue sraxcue (Phoca albicauda), dont il 
ignorait la patrie et auquel il assigne les caractères suivants : formes du Phoque commun; pelage 
gris de fer, s’éclaireissant sur les côtés et blanchätre sous le ventre; quelques petites taches noi- 
râtres irrégulières sur le dos et les flancs; museau blanc en dessus; moustaches médiocres, noires; 
queue assez longue, mince, d’un beau blanc; ongles des pieds de devant longs, robustes, comprimés, 
peu arqués et noirs. Longueur : 1,020. 


5. CALOCÉPHALE DU GROENLAND. CALOCEPHALUS GROENLANDICUS, Fr. Cuvier. 


CaRACTÈRES SPÉGIFIQUES. — Molaires petites et écartées, n'ayant à la mâchoire supérieure qu'un 
seul tubercule en avant où en arrière du tubereule moyen; il a, suivant Lesson, trente-huit dents, 
sur lesquelles six incisives en bas et quatre en haut; pelage des mâles adultes blanchâtres, avec le 
front et une tache en croissant noire sur chaque flanc; tête entièrement noire; jeunes tout blancs en 
naissant, puis prenant une teinte cendrée avec de nombreuses taches sur les parties inférieures du 
corps. Longueur totale, 1,95. 


Cette espèce est le Proque a croissant d'A. G. Desmarest et a reçu d'Othon Fabricius le nom de 
Phoca Groenlandica, d'où Fr. Cuvier a tiré celui de Calocephalus Groenlandicus, et Lesson en fait 
son Phoca Mulleri. 


. = 


£ 29 


258 [HISTOIRE NATURELLE. 


Ce Phoque est très-semblable, par ses formes, an Phoque commun; mais il en diffère notablement, 
lorsqu'il est adulte, par seS dimensions beaucoup plus considérables, puisqu'il atteint trois mètres de 
longueur, et par la couleur de ses poils. 

Selon les auteurs qui l'ont observé au Groënland, ce Phoque est très-variable dans ses couleurs, 
selon son âge. Il change de nom dans ce pays, à mesure que son poil prend des teintes différentes : 
le fœtus, qui est tout blanc et couvert d'un poil laineux, se nomme Jolau; dans la première année de 
son âge, le poil est un peu moins blane. et l'animal s'appelle Attarak; 1 devient gris dans la seconde 
année, et il porte le nom d'Atteilsiuk. W varie encore plus dans la troisième, et on l'appelle Aglektok. 
IL'est tacheté dans la quatrième, ce qui lui fait donner le nom de Milektok; et ce n’est qu’à la cin- 
quième année que le poil est d’un beau gris blane, et qu'il a sur le dos deux croissants bruns, dont 
les pointes se regardent; ce Phoque est alors dans toute sa force, et il porte le nom d’Atarsoak. Le 
poil dont la peau de ce Phoque est revêtue est roide et fort; il y a sous la peau une couche épaisse de 
graisse, dont on tire une huile qui, pour le goût, l'odeur et la couleur, ressemble assez à de vieille 
huile d'olive. 

Le Phoque à croissant se trouve non-seulement au détroit de Davis et aux environs du Groënland, 
mais encore sur les côtes de la Sibérie, et jusqu'au Kamtchatka. À en juger par un passage de Char- 
levoix, cette espèce doit se rencontrer également près des côtes orientales de l'Amérique du Nord. 

Lepechin a décrit, sous le nom de Phoca Oceanica, un Phoque qui, par ses dimensions et ses 
couleurs, ne paraît pas différer du Phoca Groenlendica d'Égède et de Fabricius, et que Fr. Cuvier 
rapporte à l'espèce du Veau marin, bien que Lepechin distingue positivement ces deux animaux. Les 
Russes lui donnent le nom de Arylatca. I se trouve dans la mer Blanche, mais seulement en hiver, 
tandis que le Phoque commun y réside toute l'année. Il a seulement quatre incisives à chacune des 
mâchoires : à la supérieure, celles du milieu sont plus petites, et celles des côtés sont plus fortes que 
les canines; à l’inférieure, elles sont moins aiguës; les canines sont médiocres; les molaires sont au 
nombre de six de chaque côté, à trois pointes, la pointe du milieu étant la plus forte; les poils des 
narines sont placés sur dix rangs différents; les postérieurs et les inférieurs, plus longs que les au- 
tres, sont blanchâtres, serrés; les antérieurs et les supérieurs, beaucoup plus courts et plus tendres, 
sont très-noirs; les yeux ont l'iris noir, il n’y a point d'oreilles externes; les extrémités des cinq 
doigts sont armées d'ongles noirs dont l'intérieur est le plus large; le second est plus long, et les 
autres vont en diminuant. Les pieds postérieurs ont, comme dans le Veau marin, les ongles plus ai- 
gus qu'aux mains. La première année ces Phoques ont le dos de couleur cendrée et brillante; le 
ventre plus blane, marqué partout de petites taches dispersées, nojrâtres, tantôt rondes, tantôt oblon- 
gues; et alors les habitants les appellent improprement Phoques blancs. La seconde année, cette cou- 
leur cendrée blanchit, les taches s’agrandissent et paraissent davantage, et alors on les appelle Pho- 
ques tigrés. Les femelles conservent toujours cette même couleur : seulement le nombre et la forme 
des taches changent; mais les mâles, en avançant en âge, changent de couleur; et, lorsqu'ils ont toute 
leur croissance, ils ont une peau dure, épaisse, couverte de poils courts et très-serrés, la couleur de la 
tête est d'un marron obscur et tirant sur le noir; elle est plus pâle au-dessus de l'ouverture des oreil- 
les, et plus foncée au-dessous; le reste du corps est d'un blanc sale, mais le ventre plus blanc. Sur le 
dos, vers les épaules, on aperçoit une tache de la même couleur que la tête, qui se sépare bientôt et 
forme une bifurcation qui s'étend sur les deux flancs jusqu'à la région où est placé le pénis, formant 
une espèce de croissant. En général, la forme de cette tache est toujours la même. On remarque en- 
core quelques autres petites taches de la même couleur semées irrégulièrement. L'espèce de croissant 
brun que portent ces Phoques leur à fait donner le nom de Phoques ailés, ou Krylatca. 

Le Phoque décrit par Lepechin recherche les plages de la mer les plus froides; aussi ne vient-il 
dans la mer Blanche que lorsqu'elle est couverte de glaçons; et à la fin d'avril, après avoir mis bas 
et nourri son petit, il retourne dans l'Océan glacial. Les petits restent jusqu'à ce que la glace se dé- 
tache des bords, alors ils vont rejoindre leur famille. On en trouve toute l’année, selon les pêcheurs, 
autour de la Nouvelle-Zemble et du Groënland. On le chasse pour en avoir la graisse et la peau : celle 
des adultes sert à faire des couvertures, et celle des jeunes, dans l'ile de Salowki, est employée dans 
la fabrication des bottes. 

De Blainville fait mention, dans son article Dents du Dictionnaire d'Histoire naturelle, d'un 
Phoque à quatre incisives à chaque mâchoire. Peut-être cette tête est-elle celle d'un individu de cette 


Fig. 1. — Ours jongleur très-vieux. 


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CARNASSIERS. 259 


espèce, car elle se rapproche de celle des Phoques de nos mers par la forme et le nombre des mo- 
laires, et par ses canines extrêmement fortes, comme dans les grandes espèces : les incisives supé- 
rieures internes sont coniques, aiguës, et un peu plus hautes que les externes, qui sont fort épaisses, 
à peu près rondes et plates par l'usure, comme si elles avaient été coupées carrément, en sorte 
qu'elles semblent être des espèces de molaires; les inférieures sont toutes les quatre coniques et en 
forme de canines; enfin, les molaires sont remarquables par la hauteur de trois pointes fort aiguës 
dont elles sont formées. 


6. CALOCÉPHALE BARBU. CALOCEPHALUS BARBATUS. Fr. Cuvier. 


CaRacrÈRES spÉCIFIQUES. — Système dentaire semblable à celui du Phoque commun; tête allongée. 
museau large; lèvres lâches; soies des moustaches nombreuses, fortes, cornées, flexibles, très-légè- 
rement comprimées, lisses, transparentes, tenant peu fortement; ouvertures des oreilles plus grandes 
que dans les autres espèces; yeux grands, à pupilles rondes, à iris brune; pieds de devant longs, 
ayant le doigt du milieu le plus grand de tous et les latéraux les plus petits, ce qu’on n’observe pas 
dans d’autres espèces; corps allongé, robuste; dos renflé; langue et pieds comme dans le Phocu 
vitulina; poil des jeunes abondant et doux, celui des vieux plus rare, et quelquefois presque seul : 
pelage d’abord livide en dessus et blanc en dessous dans la jeunesse de l'animal, puis tout noir dans 
les vieux individus. Longueur totale de plus de 3", et quelquefois de 3,25. 


Cette espèce est l'Unxsur ou GraxD Puoque de Buffon, le Phoca barbata, À.-G. Desmarest; Phoca 
major, Parsons, Phoca Parsonü, Lesson; Calocephalus barbatus, Fr. Cuvier; 'Urksuk takkamugal 
et le Terkigluck des Groënlandais; le Gramselar d'Olafen. 

Ce Phoque habite la haute mer près du pôle boréal, et se rend à terre au printemps. La femelle ne 
fait qu'un petit, qu'elle met bas sur les glaces flottantes vers le mois de mars. Les Groënlandais es- 
timent beaucoup cette espèce pour sa chair, sa graisse et ses intestins, qu’ils regardent comme un 
excellent mets, et pour sa peau, avec laquelle ils s’habillent. 

Ne serait-ce pas à cette espèce qu’on devrait rapporter le Lakurak de Krachenninikow, qui ne 
diffère du Phoque commun que par sa grosseur seulement, puisque sa taille égale celle du plus 
gros Pœuf? On le prend depuis le cinquante-sixième jusqu'au soixante-quatrième degré de latitude 
septentrionale, et dans la mer orientale; il semble être, pour le nord du globe, ce que le Phoque à 
trompe est pour l'hémisphère antarctique. 

C'est peut-être aussi à cette espèce qu'il faut rapporter le Vade-Suel où Hav-Suel des Islandais, qui, 
suivant Olafsen, est presque aussi fort que l'Utselur, et mème plus gros et plus gras que lui; qui a la 
peau très-épaisse et le pelage noir et plein de grosses taches rondes, plus petites sur le dos que sur 
les flancs. Ces Phoques nagent en ligne droite par fortes troupes serrées et avec ordre, d’où leur 
vient le nom de Vade-Sael, puisque vada signifie tas flottant. Un d'eux, qui est ordinairement le plus 
fort de tous, nage à la tête de la troupe, et est appelé à cause de cela Sacle Kouge (roi des Chiens de 
mer). On ne voit jamais ce Phoque en terre ferme, mais seulement sur les glaçons, où les habitants, 
principalement ceux qui occupent les côtes septentrionales d'Islande, lui font la chasse. Il vient ce- 
pendaut dans quelque golfe, comme par exemple dans ceux d’Iso et d’Arnar, où on le prend au har- 
pon; à Patrixfiord, on le tue au fusil. Il dépose ses petits, en avril, sur des anses très-éloignées et 
dans des îles, car il disparaît de ces parages en mars; et, lorsqu'il revient au mois de mai, il ramène 
ses petits avec lui. 


7. CALOCÉPHALE SCOPULINE. CALOCEPHALUS SCOPULINUS. Thienemaun. 


CaracrÈRES spÉciriQuEs. — Pelage noir sur le dos, vert sous le ventre et sur les flancs; ces derniers 
marbrés de noir près du dos, et de gris près du ventre. Longueur totale, 1,95. 


260 HISTOIRE NATURELLE. 


Gette espèce est le Phoca scopulina, Thienemann, et Lesson Hu à applique la dénomination de 
Phoca Thienemanni. 
Il se trouve sur les côtes d'Islande; lon n’en connait pas les mœurs. 


S. CALOCÉPHALE LEUCOPLE, CALOCEPHALUS LEUCOPLUS. Thienemann 


GARACTÈRES SPÉCIFIQUES. — Pelage enticrement verdâtre, avec une teinte grisatre sur le dos. De fa 
mème taille que celle de Pespèce précédente. 


Ce Phoque est loin d'être suffisamment connu; il habite également les mers polaires et spéciale- 
ment les côtes d'Islande. 


A ces espèces nous pourrions peut-être encore en joindre quelques autres, mais, comme elles sont 
imcomplétement connues, nous préférons en dire quelques mots à la fin de notre tribu des Phocidés, 
car nous ne sommes pas sûr que ce soient de véritables Calocéphales. 

Hätous-nous de dire que toutes ces espèces, propres aux mers polaires du Nord, sont très-loin 
d'être suffisamment connues, et que la science réclame que l'on puisse les étudier sérieusement 
dans les lieux qu'elles habitent. Alors seulement on pourra les distinguer complétement sous le dou- 
ble rapport de l'espèce et des mœurs. Jusqu'ici on n'a guère que les détails que nous en ont donnés 
des voyageurs et non des naturalistes. Regrettons que ce sujet n'ait pas été traité dans les voyages 
en Islande, au Groënland et en Scandinavie, faits, il y a quelques années, sous la direction de 
M. Paul Gaimard; regrettons de n'avoir, dans les nombreux volumes qui ont été publiés relativement 
à ces voyages, aucun détail zoologique sur les Phoques; nous aurions désiré y lire l'histoire de la 
chasse des Phoques et ses incidents quelquefois si pittoresques que M. Biard a reproduits d'une ma- 
üière si heureuse dans le tableur qui vient d'être placé dans la galerie de Minéralogie de notre 
Muséum d'Histoire naturelle, et, surtout, y voir de bonnes descriptions zoologiques. 

C'est à ce genre que se rapportent les Phoca fossilis, G. Cuvier, du terrain de la troisième 
époque, et Phoca magna, G. Cuvier, du calcaire de Douai; nous en avons parlé dans nos géné- 
ralités. 


9me GENRE. HALICHERE., HALICHERUS. Nilson, 1820. 
Skhandinavia Fauna. 


\:, mer; Zu00, Sanglier 


GARACTÈRES GÉNÉRIQUE. 


Système dentaire semblable pour le nombre des dents à celui des Calocéphales, mais en différant 
par la disposition de celles-ci. Toutes les dents sont coniques, recourbées, les inférieures égales, 
courtes, séparées également par un intervalle vide; les deux incisives eæternes d'en haut sinrulant 
«les canines et marquées d'un canal étroit à leur partie postérieure, les quatre intermédiaires plus 
longues et égales entre elles; les canines inférieures rapprochées, sillonnées en arrière et en dedans. 
S'engageant dans un intervalle des canines supérieures, qui sont semblables; molaires triangulai- 
res, les supérieures convexes sur leur face externe, recourbées, les troisième et quatrième les plus 
grandes, les inférieures pyramidales, les deuxième et troisième plus grandes que les autres. 

Ongles plus longs et plus recourbés que dans les autres Phocidés. 


Telles sont les différences qui peuvent servir à distinguer les Halichères des Calocéphales, avec les- 
quels ils étaient compris par Fr. Cuvier. Ce genre, créé par Nilson, à été adopté par Hornschuch, 
auquel on Pattribue en général, quoiqu'il n’en ait parlé qu'en 1824 dans le journal sis. Le nom de 
ce groupe générique devra probablement être changé, car cette dénomination d'Halicherus est trop 


CARNASSIERS. 261 


voisine de celle d’Halichorus qu'liger avait précédemment employée pour distinguer les Dugongs. 
Quoi qu'il en soit, ces Halichères sont des Phocidés de taille moyenne, qui semblent, eu quelque 
sorte, faire le passage des Phoques proprement dits aux Morses, et qui, par certains de leurs carac- 
tères, rappellent, plus que les autres animaux de la même tribu, les Cétaces. 

On n'en connait que deux espèces, qui sont propres aux mers cireumpolaires. 


Fig. 120. — Halichère hérissé. 


1. HALICHÈRE HÉRISSÉ. HALICHERUS HISPIDUS. Lesson. 


Caracrèkes spéciriques. — Tête courte, arrondie, yeux très-petits. à pupille blanchätre; pelage 
très-épais, flexible, très-long, hérissé, fauve, à flammettes blanches sur le corps; parties inférieures 
blanches, parsemées de taches rares et d’une couleur fauve sur le ventre: soies des moustaches pâles, 
les plus petites noires, pointues, comprimées, avec leur bord en totalité ondulé; ongles forts. Lon- 
gueur totale variant considérablement entre 1",30 et 1,65. 


Ce Phocidé est Le Nerrsk des voyageurs et le Pnooque xerrsoak de Buffon. C’est le Phoca fœtid 
d'Othon Fabricius, le Phoca hispida de Schreber, d'où Fr. Cuvier a fait son Calocephalus hispidus, 
et Lesson son Halicherus hispidus; enfin Nilson lui a appliqué la dénomination de Phoca annulata, 
et Lesson l’a indiqué sous le nom de Phoca Schreberi. 

Dans cet animal la figure du corps est presque elliptique; les talons des pieds de derrière sont à 
peine apparents, à cause de l'obésité des individus qu'on a observés. Le dos est très-bombé; le ven- 
tre plat. Les poils sont très-épais, presque droits sur la peau, doux au toucher, assez longs et fins: 
et ces poils recouvrent des soies laineuses, très-frisées, plus profondément placées. Le pelage des 
adultes est presque brun, varié de blanchâtre, avec le ventre blane, et présentant quelques taches 
brunâtres. Dans les jeunes individus de cette espèce, la coloration du dos est d'un blanc sale ou li- 


262 HISTOIRE NATURELLE. 


vide, sans taches, et le ventre est blanc. Dans les vieux, au contraire, le Phoque est très-varié, le 
museau presque nu et le poil du corps ras. Erxleben dit que cet animal à le poil hérissé et mêlé de 
soies aussi rudes que celles d'un Sanglier, d'où à été tirée, pour le dire en passant, la dénomination 
du genre; la robe, d'après le même naturaliste, serait d'un brun pâle, tachetée en dessus, blanchätre 
en dessous, avec le tour des yeux noirs. On en connaît une variété qui, sur un fond blanchâtre, offre 
une ligne dorsale d’une coloration plus foncée. 

Les vieux mäles répandent une odeur très-puante et nauséabonde, qui existe également dans leur 
chair et dans leur graisse; et cette dernière est aussi très-fluide. Gette espèce semble se nourrir sur- 
tout de Crevettes et d'autres espèces de Crustacés: mais elle doit aussi manger des Poissons. Les 
sexes se rapprochent dans le mois de juin, et les femelles mettent bas en février. 

Ce Phocidé est propre aux mers polaires du Nord; il habite les golfes les moins fréquentés du 
Groënland, et aussi, dit-on, les côtes les plus désertes de la Suède. 


2, HALICHÈRE GRIS. HALICHERUS GRISEUS. Hornschuch. 


CARACTÈRES SPÉGIFIQUES. — Pelage composé de deux sortes de poils : celui de dessous blanc, lai- 
neux, court; celui de dessus, au contraire, long de 0",05%, soyeux, d’un gris plombé sur le dos, 
blanc sur le reste du corps. Un peu plus petit que te précédent. 


Cette espèce est la méme que celle désignée par Othon Fabricius sous la dénomination de Phoca 
gryphus, qui a éie assez souvent adoptée, et par Pallas sous celle de Phoca ænotensis. 

Cet Amphibie est loin d'être suffisamment connu, au moins sous le point de vue de ses mœurs. On 
le trouve, comme l'espèce précédente, dans les régions cireumpolaires du Nord, et il aurait été égale- 
ment rencontré sur les côtes de la Poméranie. 


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Fig, 421, — Halichère gris. . 


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CARNASSIERS. 263 


gme GENRE. — STÉNORHYNQUE. STENORHYNCHUS. Fr. Cuvier, 1826. 
Dictionnaire des Sciences naturelles, t XXXIX. 


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5, élroit; 2%Y405, museau 


CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 


Système dentaire : incisives, ;; canines, —: molares, = : en totalité, trente-deux dents. 
Ces dents sont composées à leur partie moyenne d'un long tubercule arrondi, cylindrique, recourbé 
en arrière, el séparé de deux autres tubercules un pen plus petits, lun antérieur et l'autre pos- 
térieur, par une profonde échancrure. 

Tête, comparativement à celle des Calocéphales, tout en museau, c'est-à-dire très-allongée et 
très-effilée vers son extrémité, d'où « été tiré le nom du genre. 

Pieds terminés par des ongles petits, surtout postérieurement. 


Ce genre correspond à celui des Leptonyæ (227702, grêle; av£, ongle) de M. Gray (Wag. nat. History 
n. 1, t. 1, 1837), et à la division des Stenorhyncina du même auteur. 

C’est, comme on vient de le voir, principalement la disposition du système dentaire qui a servi à 
caractériser ce genre; en effet, c'est dans ces animaux que les molaires ne sont pas simples et sont 
chacune divisées comme en plusieurs petits tubes distincts : aussi croyons-nous devoir rapporter à 
ce sujet ce qu'en dit Fr. Cuvier : « À la mâchoire supérieure, la première incisive est plus petite que 
la seconde, et toutes deux ont les formes de la canine; celle-ci, qu'un léger intervalle vide sépare 
des incisives, est très-forte, arrondie en dehors aux deux crêtes, lune au côté interne, l’autre au 
côté postérieur. Les mâchelières sont toutes de même geandeur et de même forme; leur partie moyenne 
se compose d’un long tubereule arrondi, cylindrique, séparé des parties latérales par deux profondes 
échancrures qui produisent, en avant et en arrière de ce tubercule moyen, un autre tubercule un peu 
plus petit, mais de la même forme à la mâchoire inférieure; les incisives, les canines et les molaires 
sont semblables à celles de la supérieure en tous points. Dans leurs positions réciproques, ces dents 
sont absolument ce que nous les avons vues dans les systèmes précédents (celui des Calocephalus); 
seulement les incisives sont elles-mêmes alternes, et les deux moyennes contiguës de la mâchoire 
inférieure se logent dans le vide qui sépare les deux analogues de la mächoire opposee. Ces dents 
nous ont été offertes par la tête du Phoque nommé leptonyæ par De Blainville; les mâchelières sem- 
blent nous montrer celles du Phoque commun développées au dernier degré; toutes les échancrures 
de leurs tranchants sont profondes et produisent de longues pointes. » 

Fr. Cuvier ne rangeait dans le genre Sténorhynque qu'une seule espèce; une seconde espèce y a été 
placée par Lesson, et l’on doit aujourd'hui ÿ en mettre également une troisième espèce provenant 
des mers polaires australes, et rapportée par MM. Hombron et Jacquinot. Ces Phocidés sont tous pro- 
pres aux mers polaires. 


1. STÉNORHYNQUE A PETITS ONGLES. STENORHYNCHUS LEPTONYX. Fr. Cuvier. 


CARACTÈRES SPÉCIFIQUES. — Pelage d'un gris noirätre en dessus, passant au jaunâtre sur les côtés, 
à cause des petites taches qui S'y trouvent; flancs, dessous du corps, pieds et dessus des yeux d’un 
jaune gris päle; moustaches simples, courtes; ongles de derrière très-courts. Longueur totale variant 
ETS DATE 


Cette espèce, qui n'est pas jusqu'ici connue d'une manière complète, a été décrite pour la première 
fois par De Blainville, d'après une tête osseuse qu'il avait été à même d'oberver, en 1820, dans le 
musée d'Hauville, à Ingouville, près du Havre, et qui aujourd’hui fait partie de la galerie du Muséum, 
et à laquelle il a appliqué la dénomination de Phoca leptonyæ, qui rappelle la petitesse des ongles. 


9264 HISTOIRE NATURELLE 


M. Everard Home a fait représenter dans les Transactions of the Society royal of London, 1822, 
une tête de ce Phoque; et c'est probablement pour cela que Lesson a appliqué à cet animal la dé- 
nomination de Puoove pe Hour, Phoca Homei. Enfin, il y a uue dizaine d'années, MM. Hombron 
et Jacquinot ont rapporté de leur voyage au pôle sud le squelette complet d'un individu de cette 


espèce 


Fig. 192, — Sténorhvnque à pelits ongles. 


Ce Sténorhynque provient des mers des îles Malouines et de la Nouvelle-Géorgie : on le réunit 
quelquefois, ainsi que nous le dirons, avec Pespèce suivante. 


9, STÉNORHYNQUE DE WEDDELEL. STENORHYNOHUS WEDDELLIT. Lesson. 


Canacrères spéctriques.— Pelage ras, lustré, d'un gris päle, parsemé d'un grand nombre de taches 
arrondies, blanchâtres en dessus et jaunâtres en dessous: cou allongé; tête petite, ayant beaucoup 
de ressemblance avec le précédent et étant à peu près de même taille. 


Ce Phoque est le SEA LÉOPARD de Weddell, Pnooue À LoxG cou, Persons, Phoca longicollis, Shaw. 
I a beaucoup de ressemblance avec le précédent, Stenorhynchus leptonyx, cependant il en diffère, 
suivant le docteur Jamieson, qui en a examiné Les dépouilles et le système dentaire. La description 
de Weddell est trop incomplète pour être satisfaisante : les auricules ne sont point apparentes et ce- 
pendant les formes du corps de l'animal sont entièrement semblables à celles des Otaries, e’est-à- 
dire que le corps est arrondi, épais, et le cou très-long, s’amincissant jusqu'à la tête, qui est petite 
et à museau proéminent, et c’est d'après cela que Lesson s’est cru autorisé à regarder les Stenorhyn- 
chus leptonyx et Wedideïii comme ne formant peut-être qu'une seule espèce, et, en second lieu, 
comme étant des Otaries à conques auriculaires rudimentaires, et qui ne sont point visibles sur des 
peaux racornies. Mais, comme cela est loin d’être démontré, nous avons préféré laisser, avec F. Cu- 
vier, ce Sténorhynque parmi les Phoques proprement dits. 

Ce Phoque vit sur la glace; mais l'on ne sait rien de ses mœurs. I n'habite que les hautes latitudes 
des Orcades australes par soixante degrés, et, dit-on, les îles Shetland, 


5. STÉNORHYNQUE CARCINOPHAGE, STENORHYNCNUS CARCINOPHAGUS. Hombron et Jacquinot 


Canacrères srécrriques. — Molaires subdivisées, comme celles du Stenorynchus leptonyx, en 
plusieurs tubes particuliers, mais offrant ce caractère spécial, que ces sortes de tubes sont en plus 
srand nombre. 


CARNASSIERS. 265 


Cette espèce a été créée par MM. Hombron et Jacquinot; plusieurs parties caractéristiques en ont 
été figurées dans latlas de leur voyage au pôle sud, mais la description n’en a pas été donnée en- 
core. La publication de la zoologie de cette expédition, d'abord arrêtée par les événements politi- 
ques, puis par la mort de Hombron, décédé en 1852, au Sénégal, est reprise aujourd'hui, et M. le 
docteur Pucheran s'occupe en ce moment de ce qui concerne l’histoire naturelle des Mammifères et 
des Oiseaux. 

Comparé à celui du Stenorhynchus leptonyx, le système dentaire du Stenorhynchus carcinophagus 
présente des particularités qui rapprochent ces deux espèces, et d’autres qui les éloignent nette- 
ment. Ainsi les dents, en général, sont en même nombre dans les deux espèces, et les molaires, 
dans lune comme dans l’autre, ne sont pas simples, mais comme composées d'une grande partie 
médiane, et, des deux côtés, de sortes de petits tubes qui y sont accolés : jusque-là, les dents des 
Stenorhynchus leptonyx et carcinophagus se ressemblent; mais, tandis que les molaires du premier 
ne sont composées que de trois tubes, un médian assez long et un autre plus petit de chaque côté de 
celui-ci, celles du second sont formées d'un tube médian également grand, et, pour les deux molaires 
antérieures, d'un tube en avant et de deux en arrière, et, pour les trois suivantes, d’un tube en avant et 
de trois en arrière. Ces curieux caractères se retrouvent aussi bien à la mâchoire supérieure qu'à la 
mächoire inférieure. 

Ce Sténorhynque se rencontre communément sur les glaces du pôle sud, et acquiert une assez 
grande taille. 

L'un de nos amis, M. Paul De Saint-Martin, aujourd'hui employé à l'école vétérinaire de Toulouse, 
et qui faisait partie de l'expédition au pôle sud de l'amiral Dumont D'Urville, vient de nous trans- 
mettre, sur cette espèce, les détails suivants, que nous croyons devoir rapporter en entier : «C’est sur 
les glaces de la banquise des régions polaires méridionales que nous avons pris le Stenorhynchus 
carcinophaqus, et ce nom lui a été appliqué par Hombron, à cause de la grande quantité de Crus- 
tacés trouvée dans son estomac; Crustacés qui presque tous étaient les mêmes que ceux qui ser- 
vent de nourriture aux Baleines, et qui se trouvent par bancs si grands et si compactes, que l'eau 
de la mer paraît rouge ou jaune, suivant la coloration de ces Articulés, qui sont de taille excessive- 
ment petite. Ce Phoque est long de 2%,30 à 2",60; la tête est assez grosse, toute ronde et ressem- 
blant à la tête d'un Bouledogue à qui on aurait coupé les oreilles an ras de la peau; il n’a pour or- 
gane auditif externe qu'un petit trou que l’on ne découvre que difficilement, caché qu'il est par les 
poils qui sont presque ras. Les mächoires et les dents sont très-fortes, ressemblant beaucoup à celles 
des Carnassiers, les incisives et les canines étant longues et fortes, et les molaires présentent cinq 
tubérosités. La forme générale du corps est cylindrique, conique aux deux extrémités. Le poil est 
court, roide, d'une couleur brunâtre miroitant. Les membres antérieurs sont très-courts, formant une 
nageoire à cinq doigts représentés par cinq ongles sur la peau, qui est noirâtre : le tout réuni en- 
semble par la peau et indiqué seulement par quatre sillons. Les membres postérieurs ont la forme 
d'une nageoire en éventail dont les deux doigts externes sont les plus longs; les deux intermédiaires 
plus courts et celui du milieu le plus petit de tous : ces membres sont placés à l'extrémité inférieure 
du corps et séparés seulement par une petite queue longue de 0,09 à 0,19, qui est reliée aux deux 
membres par la peau, ce qui la rend peu apparente et nous fit prendre, à la première vue, les deux 
nageoires postérieures pour la queue, ces deux membres étant toujours allongés dans l’axe du 
Corps. 

« Quant aux mœurs de ces animaux, il y a peu de chose à dire de particulier; ils vivent continuel- 
lement dans l’eau, ils nagent avec une grande vitesse et viennent de temps à autre sortir la tête hors 
de l'eau pour respirer, ce qui leur donne l'apparence d'un bon nageur prenant ses ébats. Lorsqu'il 
fait un peu de soleil, c’est alors qu'ils grimpent sur les glaces, où ils ne parviennent à se hisser 
qu'après maints pénibles efforts: quand ils y sont, ils se couchent au soleil et ont vraiment l'air de 
grosses sangsues, ainsi que l’a dit un officier de l'Astrolabe : dans cette position ils se meuvent très- 
difficilement et ne peuvent que soulever leur tête et leur cou en s'appuyant sur leurs membres anté- 
rieurs; aussi est-il très-facile de les étourdir en leur frappant sur le nez avec un bon bâton. Quoiqu'ils 
aient l'air doux et inoffensifs, ils cherchent, lorsqu'on les attaque, à mordre comme ferait un Chien 
à l’attache, mais il est très-aisé de se mettre à l'abri de leurs morsures; cependant ils cherchent 
plutôt à fuir qu'à se défendre, et, s'ils trouvent un trou au milieu des glaces, ils plongent rapide- 

c? 34 


266 HISTOIRE NATURELLE. 


ment et disparaissent. Les seules parties mangeables sont : le cerveau, qui est aussi bon que celui 
du Veau, et le foie; encore ce dernier at-il un léger goût d'huile de Poisson, Le reste du corps n'est 
pas mangeable à cause de Podeur d'huile qui lui est communiquée par la couche de graisse de 0,03 
à 0%,06 d'épaisseur qui recouvre tout le corps immediatement au-dessous de la peau. Gette dernière, 
quoique n'étant pas recherchée par les pêcheurs, parce qu'elle n'a pas de fourrure, ne laisserait pas 
que de faire, étant bien préparée, un cuir fort et imperméable. 

« Une espèce voisine du Stenorhynchus carcinophaqus, que nous avons été à même d'observer 
dans les mêmes parages, est le Stenorlpnchus leptonyx, qui n'en diffère guère, au premier aspect, 
que par la couleur de son pelage. qui est d’un gris souris léger, tacheté de petits points noirs, et par 
ses molaires, qui ont moins de tubercules et ont presque la forme de la moitié supérieure d'une fleur 
de lis. La taille de ce Phocidé est de 2%,60 à 5°; les membres antérieurs sont un peu plus forts que 
ceux du Sténorhynque carcinophage, et il en est de même des membres postérieurs. Les mœurs des 
deux espèces sont les mêmes. » 


On à quelquefois regardé comme une espèce fossile de Sténorhynque les debris fossiles décrits par 
M. Grateloup, sous le nom de Squalodon, provenant de Leognan aux environs de Bordeaux, et dont 
nous parlerons ailleurs en traitant de l'histoire des Dauphins. 

C’est aussi à un animal voisin de ceux-ci, et peut-être plutôt des Calocéphales, que se rapporte le 
groupe fossile des Pachyodons (5172, épais, cd, dent) de M. I. Van Meyer (Jahrebuch für Min., 
1858 ) 


4e GENRE — PÉLAGE. PELAGIUS. Fr. Cuvier, 1896. 
Dictionnaire des Sciences naturelles, t. XXXIV. 


Heñayies, marin 


CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 


Système dentaire : Incisives, +; canines, 11; molaires, #5 : en totalité, trente-deux dents. 
Pncisives supérieures échancrées transversalement à leur extrémité + inférieures simples; canines 
moyennes n'offrant rien de particulier; molaires épaisses, coniques, n'ayant, en avant el en or- 
rière, que de petites pointes rudimentaires. 

Museau élargi, allongé à l'extrémité. 

Chanfrein très-arqué. 


Le genre Pélage n’est fondé que sur une seule espèce, mais cette espèce est bien connue, et diffère 
encore plus de celles des genres précédents que ceux-ci ne différent entre eux. La tête, au lieu d'a- 
voir le museau obtus des Calocéphales, on le museau effilé des Sténorhynques, et la ligne presque 
droite sur laquelle, dans ces deux genres, se présentent les pariétaux, les frontaux et les naseaux, a 
un museau allongé et élargi à son extrémité, et un chanfrein très-arqué. Les dents sont en même nom- 
bre que chez les Sténorhynques, mais leur forme est différente : les incisives supérieures sont échan- 
crées transversalement à leur extrémité, de sorte que les inférieures, qui sont simples, remplissent 
ces échancrures quand les mâchoires sont fermées; les molaires, coniques et épaisses, n'ont que de 
petites pointes tout à fait rudimentaires, ce qui les distingue très-facilement de celles des Calocéphales, 
qui sont très-tranchantes, et de celles des Sténorhynques, dont les tubereules latéraux sont presque 
aussi développés que le tubereule principal, bien plus mince d'ailleurs que celui des Pelagius. Les 
organes des sens, ceux du mouvement et ceux de la génération, ne présentent pas des caractères 
distinctifs très-importants : il parait, toutefois, que les pieds de derrière manquent quelquefois 
d'ongles, et que ceux de devant ont leurs doigts entièrement engagés dans la membrane qui les 
réunit, ce qui n'est pas dans le Phoque commun. Les narines, au lieu de former entre elles un angle 
droit, sont parallèles. L’œil a une pupille allongée, comme celle du Chat domestique. Les moustaches 
sont unies et non pas formées de nœuds. L'oreille est entièrement dépourvue de conque externe. 


CARNASSIERS. 267 


La voix consiste en un cri aigu et fort, qui sort du fond du gosier, et ne varie que par le ton. Les 
mamelles, situées autour du nombril, sont au nombre de quatre. 
L'espèce unique de ce genre est le : 


PÉLAGE MOINE. PELAGIUS MONACHUS. Fr. Cuvier, 


CARACTÈRES SPÉCIFIQUES.— Pelage ras, court, très-serré, entièrement noir en dessus, avec le ventre 
blanc, gris-jaunätre, moustaches lisses; lorsque l'animal est sec, les parties noires sont beaucoup 
moins foncées, et les parties blanches plus jaunätres. Longueur totale variant entre 2,50 et 3°,30. 


Fig. 125. — Pélage moine. 


Cette espèce, vulgairement connue sous la dénomination de More, est le PHoquE À VeNTRE BLANC 
de Buffon. C’est le Phoca monachus Hermann, et probablement le Phoca bicolor, Shaw, Phoca 
albiventer, Boddaërt; Phoca leucogaster, Peron. et Phoca Hermanni, Lesson. 

On n'a encore trouvé le Moine que dans les mers du midi de l'Europe, surtout dans l'Adriatique, 
quelquefois, mais plus rarement dans la mer Méditerranée. Il a été particulièrement bien décrit par 
les naturalistes. Un mäle, apporté à Paris en 1781, a été vu par Buffon; et précédemment, en 1778, le 
même individu avait été conduit à Strasbourg, où il avait été examiné par Hermann, qui l'a fait con- 
naître avec beaucoup de détails dans les Mémoires des curieux de la nature de Berlin. Depuis. 
plusieurs autres mâles et une femelle ont été vus dans diverses collections où sur différents points 
des côtes de la mer Adriatique, et une femelle prise sur Les côtes de la Dalmatie, ayant été amenée à 
Paris, a été décrite par Fr. Cuvier, et a fourni à ce zoologiste, d'abord les moyens de comparer 
l'espèce avec celle du Phoque commun, et ensuite ceux d'en former un genre particulier, ainsi que 


268 HISTOIRE NATURELLE. 


nous l'avons dit. Au reste, le manque de conque externe aux oreilles éloigne tout à fait Le Moine des 
espèces comprises dans le groupe des Otaries; là présence d'une crête sur le nez dans les mâles des 
Ploca proboscidea et cristata, et d’une crinière de poils sur le cou de ceux du Phoca leonina, ne 
peut permettre de le confondre avec ces animaux; il diffère encore du Phoque à croissant, du Phoque 
lièvre, du Phoque hérissé, ete., par les couleurs de son pelage, ainsi que par sa taille, qui est plus 
considérable que celle de ces divers Amphibies. 

Comme on ne peut trop appuyer sur les détails descriptifs des espèces de Phoques, et que faire 
bien connaitre celles que nous possédons c’est préparer les moyens de distinguer celles que l'on dé- 
couvrira par la suite, ou celles qui sont imparfaitement observées maintenant, nous croyons utile de 
tanscrire ce qu'en rapporte A.-G. Desmarest (Dice. d'Hist. nat. de Déterville, 2 édition, et ces dé- 
tails, que l’on nous pardonnera de donner à peu près en entier à cause de leur intérêt, sont presque 
exclusivement une traduction abrégée du mémoire d'Hermann sur le Phoque moine. 

« Le Phoque moine est plus grand que le Phoque commun; ses poils sont plus fins et dressés en 
haut, lorsque la peau est sèche; il est tout noir, excepté quelques taches; mais il se distingue du 
Phoque commun par la forme de la tête et du cou, quant à l'extérieur. Le sommet de la tête est très- 
plat, le front peu élevé; la tête, soit que l'animal se dresse en haut, à cou étendu, où qu'il contracte 
le cou et reste couché tranquille, est toujours plus petite que ce cou. L’occiput n’est pas très-bombe 
et forme un angle obtus où presque un angle droit avec la nuque, qui va en descendant en ligne 
droite et plane ; la tête n’a en général aucune autre analogie avec une tête de Veau, que peut-être 
dans les grandes et vastes narines, qui pourraient avoir quelque ressemblance avec celles de cet ani- 
mal, lorsqu'elles s'ouvrent. Elle pourrait d’ailleurs être comparée en gros avec la tête d'un Chien, ou 
plutôt, par la largeur du museau, à celle d’une Loutre: la mâchoire supérieure est bien quatre fois 
plus grosse que l'inférieure, qu'on distingue à peine si l'animal n'ouvre pas la gueule où s’il ne se 
dresse pas en haut; la lèvre est épaisse; la mâchoire inférieure est en même temps très-courte, 
et n'a, jusqu'au pli de la gorge, qu'à peine 0,12. Lorsque l'animal étend avec force le cou, et 
qu'il se dresse en haut, la mâchoire inférieure ne forme presque pas d'angle avec le cou. Le nez est 
déprimé, aplati, court et large, ou plutôt il n'existe presque point de nez; son extrémité antérieure 
est légèrement échancrée; les narines se trouvent dans la surface supérieure du museau, et l'animal 
les c@tracte et les ferme entièrement dans Peau, et ordinairement aussi hors de l'eau, si bien qu'il 
ne reste à l'extérieur que deux longues rainures étroites, courbées un peu en demi-lune, et dirigées 
de manière, l'une vers l'autre, que les ares des courbures se rapprochent plus que la pointe posté- 
rieure de la demi-lune. Lorsque le Phoque respire, ses narines s'ouvrent et prennent une forme ovale; 
on peut alors voir en dedans, comme dans un entonnoir, car elles se rétrécissent à l'intérieur comme 
cet instrument; en même temps une rainure oblongue, étroite et peu profonde, devient plus sensi- 
ble entre les narines. Celles-ci s'ouvrent très-souvent avec une forte expiration, où rouflement ou 
soufflement, et un éternument qui répand ordinairement une morve blanche, écumeuse, ramassée au- 
tour des narines. 

« Les yeux sont à proportion grands et vifs, un peu oblongs et placés de biais; l'iris est grand et 
dun brun jaunâtre; le blanc de l'œil est peu apparent; la pupille représente un triangle isocèle ren- 
versé, dont la base peut avoir une ligne et les côtés trois lignes ; les veux ne sont ni saillants, ni 
enfoncés sur la face. On n'observe pas de cils aux paupières, ni à la supérieure, ni à l'infé- 
rieure; lorsque les yeux sont entièrement ouverts, on ne voit pas de différence sensible entre leurs 
deux angles; mais, lorsqu'ils ne se ferment qu'à demi, la peau continuée des paupières, contractée 
en trois plis, forme un sinus où un enfoncement dans l'angle intérieur. On n’a pas pu observer une 
membrane clignotante, mais bien une membrane assez épaisse et ridée, sortant de l'angle extérieur, 
montant peu et pochée toujours de sang, ce qui résultait peut-être des fatigues que Panimal observé 
a éprouvées pendant son voyage. Les oreilles se trouvent à la même distance des yeux que les na- 
rines. Elles ne se font remarquer que par une trés-petite ouverture, à peine grande comme un pois, 
et ne paraissent pas changer sensiblement de grandeur. On les voit plus distinctement lorsque Fani- 
mal est sec que lorsqu'il est mouillé. [4 a au-dessus de l'angle intérieur de l'œil deux soies, de la 
longueur environ de deux pouces, et deux autres plus petites; les soies de la moustache sont rangées 
sur cinq rangs; les supérieures et les inférieures sont plus petites et en moindre nombre que les 
autres. On en à compté environ vingt-deux des plus considérables; celles du milieu principalement 


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Fig.1 —M 


mine. (Pelage d'hiver.) 


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Fig 2 —1 


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Pl. 


CARNASSIERS. 269 


sont très-fortes, roides comme celles du Tigre, longues de six à sept pouces, la plupart d’un beau 
blanc; quelques-unes aussi noirâtres: elles sont entièrement lisses, et non pas ondulées, comme on 
le dit dans d’autres espèces. L'ouverture de la gueule n’est pas très-grande, et la bouche ne se fend 
que jusqu'au-dessous de l’angle intérieur de l'œil. La gueule est toute lisse ou sans rides; la langue 
se rétrécit ou s'amincit tout à coup vers sa partie antérieure, et alors n'a pas plus d’un pouce de lar- 
geur; la pointe en est légèrement échancrée; elle est lisse et sans papilles aiguës : l'animal la tire 
quelquefois en convoitant un Poisson, et la pliant en gouttière. 

« Le cou est épais, plus gros que la tête; en l’étendant même au plus fort, il ne devient jamais de 
beaucoup plus long, ce qui arrive, au contraire, dans le Phoque commun. Le dos forme une ligne 
droite et un peu bombée seulement dans les environs des épaules, d’où le corps diminue insensible- 
ment de grosseur vers la queue; le corps est, comme dans le groupe entier des Phoques, entièrement 
uni, lisse, arrondi, et sans formes musculaires apparentes à l'extérieur; on n’y distingue ni vertèbres 
dorsales, ni côtes, ni omoplate; on n'y observe que quelques plis lorsque l'animal se courbe, mais 
cela même seulement lorsqu'il a maigri. 

« Les poils sont très-courts, longs de quatre lignes et couchés en arrière, très-serres et collés sur le 
corps, tant que l'animal se trouve dans l’eau; on ne les sent pas alors en passant la main d'arrière en 
avant pour les saisir; il les faut gratter et soulever avec les ongles, sans quoi on ne les observerait 
point; mais, lorsque l'animal est hors de l’eau, et que sa peau est sèche, ces poils sont relevés et 
dressés tout droit en haut, de manière cependant qu'ils sont doux en passant la main dans le sens 
des poils, et qu'ils opposent une légère résistance en la passant à contre-poils; ils ressemblent alors 
à une peluche, et la peau à une étoffe moirée, lorsque l'animal n’est pas encore entièrement séché, de 
sorte que les poils secs sont dressés en haut dans quelques endroits, et que d’autres encore mouillés 
sont couchés et plus éclatants; les poils de la partie du dessous du cou sont un peu plus roides et 
plus rudes, ce qui paraît servir à l’animal lorsqu'il se traîne sur les rochers. 11 semble aussi que 
les poils bruns, un peu moins courts, de la longueur environ de huit lignes, qui garnissent les bords 
des pieds aplatis de devant, lui servent aux mêmes usages; les poils se présentent sous le miscrocope 
tout uniformes, sans ondulation ni autre structure particulière. La couleur principale de l'animal est 
la noire; il y a cependant différentes taches; c’est surtout au ventre, aux environs du nombril, qu'il se 
trouve une grande tache d’un blanc sale, ou qui a presque la couleur grise luisante du Phoque com- 
mun. Cette tache peut avoir deux pieds de long sur un demi-pied de large; elle est en général d'une 
forme carrée, de façon cependant que ses côtés sont différemment découpés et crénelés. Hermann crut 
d'abord cette forme régulière et constante dans l'animal: mais il a observé ensuite qu'elle se termine 
du côté droit en une ligne courbée en dedans, et du côté gauche en une ligne courbée en dehors; on 
voit à peine la pointe latérale de cette tache dans l'animal couché entièrement sur le ventre; elle est 
parsemée de quelques taches noirâtres; un grand nombre d’autres petites taches arrondies tirant sur 
le gris se trouvent sur le sommet de la tête; la gorge et la partie antérieure du cou sont encore plus 
marquetées et tachetées, et les taches y tirent sur le jaunâtre; beaucoup de raies blanchâtres se croi- 
sent sur le dos; ces raies sont semblables à celles formées sur les fourrures par les poils qu'on a dé- 
rangés par des coups de baguette; les pieds de derrière sont nus vers leur extrémité dans quelques 
endroits; dans d’autres il se trouve des poils courts, roides, ordinairement gris, toujours couchés en 
arrière; lorsque l'animal est tout see, les deux doigts extérieurs sont plus tachetés que les trois in- 
térieurs. 

« Quant aux formes des pieds, on n'observe jamais rien de l’omoplate à Pextérieur, le bras est 
court, caché sous la peau, et ne se fait remarquer que par une légère bouffissure dans quelques atti- 
tudes de l'animal: l'avant-bras avec le carpe et les doigts sont également très-courts, aplatis et cou- 
verts d'une peau commune; les articulations ne s’observent tant soit peu qu'en pliant exprès les pat- 
tes de devant, ou lorsque l'animal s'appuie dessus; les doigts ne se distinguent que par les ongles et 
par des enfoncements à peine sensibles dans la peau, qui cependant sont plus apparents sur la 
paume que sur le dos de la main; entre le quatrième et le cinquième doigt, il se trouve une canne 
lure plus distincte, longue d'un pouce et demi et large d’une ligne et demie. En se représentant 
chacun des doigts partagé dans sa largeur en trois parties, on trouve, environ au premier tiers, lon- 
gle qui est d'une couleur noire, large seulement de deux lignes, long d’un pouce, peu courbé et ne 
dépassant pas de beaucoup lextrémité du pied. Ces ongles sont en sillon à leur surface intérieure, 


270 HISTOIRE NATURELLE. 


non poiutus, et les deux derniers sont plus rapprochés que les autres. Le bord antérieur des pieds. 
qui porte les cinq ougles, est assez mince, comme tranchant, et s'étend sans division en ligne 
droite, L'animal, en se reposant, applique ses pieds fortement contre le corps, en arrière; mais, lors- 
qu'il se traine, l'avant-bras est en direction presque verticale, et la main en ligne tout à fait perpen- 
diculaire avec le corps; Fangle de l'articulation devient alors sensible, comme dans une main sur la 
paume de laquelle on s'appuie; car c'est dans l'usage des pattes de devant que consiste le principal 
avantage de l'animal pour S'avancer sur la terre en s'appuyant dessus, et en trainant après lui le 
corps autant qu'il le peut. Hermann a vu aussi, à différentes reprises, que l'animal, par uve flexion 
tout à fait opposée, s'appuyait sur le dos de Ta main, tantôt d’un côté seulement, tantôt des deux cô- 
tés à la fois. Il peut aussi porter la patte antérieure en avant, et on a vu qu'il la passait sur le nez, 
qu'il s’en servait pour se frotter et se parer. 

«Le corps, comme dans tous les Phoques, diminue de grosseur, et se termine en pieds de der- 
rière, sans marquer une hanche ou des cuisses. Dans quelques attitudes et mouvements seulement de 
l'animal, on peut observer sous la peau quelque peu de l'articulation de la cuisse. Les pieds de der- 
rière sont beaucoup plus grands et plus larges que ceux de devant, et d'une tout autre structure. 
Dans l’état de repos, ils sont comme une main placée sur la paume ou sur la surface inférieure, la 
pronation étant la position la plus naturelle aussi dans la main. C'est ainsi que les deux’ pieds se 
croisent, le droit se couchant à demi sur le gauche. Dans cette position, on ne peut pas les étendre ai- 
sément et leur donner la forme d'une large nageoïre caudale de Poisson; il faut replier en arrière ou 
en dehors un pied après l'autre, ou il faut les porter dans la supination; mais, comme cette attitude 
est forcée, les pieds se retournent pour ainsi dire d'eux-mêmes, et vers le dedans; le doigt, qui dans la 
pronation se trouve être l'intérieur, est un peu plus gros et plus large que l'extérieur, mais tous deux 
sont très-comprimés ou aplatis, et beaucoup plus larges que les trois autres, qui sont ronds, comme 
le sont ordinairement les doigts, et dont celui du milieu est le plus mince; ces doigts sont réunis par 
une peau très-souple, quoique épaisse, de sorte qu'ils se laissent beaucoup écarter entre eux et éten- 
dre; mais, en se repliant, ils présentent une particularité qui n'a été observée nulle part; c'est qu'on 
compte bien cinq doigts du côté extérieur, mais seulement quatre à l'intérieur; qu'il y a par consé- 
quent au dehors quatre intervalles ou rainures, à l’intérieur, au contraire, seulement trois; ceci vient 
de ce que les doigts ne se trouvent pas tous dans le même plan, mais que le second et le quatrième 
se touchent presque, et sont séparés à Pintérieur par celle des trois rainures qui est au milieu; que 
du côté extérieur, au contraire, le doigt du milieu, qui est le plus mince, est placé sur l'intervalle 
entre le second et le quatrième doigts, par conséquent hors du plan dans lequel sont situés les autres 
doigts; les trois doigts intérienrs étant d’ailleurs plus courts que les autres. Cette organisation et cet 
arrangement donnent au bord postérieur du pied une forme semi lunaire; la peau est encore déchirée 
irréguliérement en quelques lobes sur ce même bord postérieur, ce qui peut bien être aceidentel et 
provenir de ce que, dans des mouvements violents, l'animal déchire cette peau sur des rochers tran- 
chants. Dans ce Phoque, il n'y a pas d'ongles; il ne se trouve au milieu des doigts, à la face exté- 
rieure, qu'une rainure courte, à l'extrémité de laquelle, vers la partie antérieure, est placé un petit 
cartilage arrondi, comme le rudiment ou le commencement d'un ongle; ce cartilage est encore telle- 
ment confondu avec le reste, qu'on ne l’observe que difficilement, et qu'il n'existe pas sur tous les 
doigts. Les pieds de derrière, en les étendant, sont plus de la moitié plus larges au bord postérieur 
que lorsqu'ils sont plissés. Dans ce dernier état, les doigts ne sont séparés entre eux que par une can- 
nelure où rainure étroite, large environ de deux lignes, et la peau qui les réunit est cachée du côté 
intérieur et roulée en plis: les deux rainures qui, du côté extérieur, séparent le doigt du milieu du 
second et du quatrième, montent d'un demi-pouce plus haut, vers la jambe, que les deux autres. A 
la face inférieure des pieds de derrière se trouvent encore deux plis ou bourrelets élevés, qui vont 
en direction oblique vers le milieu de cette surface, où ils aboutissent en un angle aigu et se termi- 
uent insensiblement en pointe; Fun de ces bourrelets descend obliquement du bord des pieds, et 
s'étend un peu au delà de la base du pli le plus extrême; l'autre est convergent avec le premier, et 
s'étend jusque vers Pintervalle mitoyen des plis. 

€ Entre les pieds se présente la queue, longue d'un demi-pied, mais assez large, immobile et ob- 
tuse, deux plis vont de chaque côté de la base obliquement en arrière et en dehors; elle n’est pas 
entérement séparée des pieds. 


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Fig, 4. — Cynictis leplurus. 


Fig. 2, — Vivera Abyssinica. 


CARNASSIERS. 271 


« Ce Phoque à été vu à Siyasbourg, en octobre et en novembre 1778, dans une caisse de bois qu'on 
remplissait d'eau trempée d’une bonne écuelle de sel, à la hauteur d’un pied à un pied et demi, vers les 
dix à onze heures du matin. On laissait écouler l'eau vers fa nuit, et on plaçait dans la caisse des nattes 
de jonc sur lesquelles l'animal dormait couché sur le côté. Son sommeil était très-léger, et le moindre 
sifflement du conducteur, où une mouche qui se plaçait sur lui, était capable de l'éveiller. I dormait 
environ cinq heures de suite, et ronflait fortement : il bäillait en se réveillant. On ne le nourrissait 
que de Poissons, dont on disait qu'il mangeait par jour jusqu'à quatorze livres. On voulait persuader 
aux spectateurs qu'il ne mangeait que des Anguilles, des Truites et d’autres bons Poissons, pour re- 
lever le prix et les grandes dépenses de l'animal. On lui donnait, en effet, pendant le jour, quelques 
Anguilles ou des Carpes vivantes, lorsque les spectateurs Les payaient à part: mais on lui faisait prendre, 
le matin, du Poisson blanc commun, et ordinairement des Poissons morts et d'autres très-petits, qu'il 
mangeait du meilleur appétit. I les prenait où des mains de son conducteur ou des spectateurs, ou 
hors d'un baquet d'eau, ou très-adroitement dans l'eau de sa caisse. Il les attrapait toujours par la 
tête, les écachait et les secouait à quelques reprises dans l’eau, en séparait les intestins, et les ava- 
lait ensuite en entier. Il ne peut pas manger hors de l’eau; e’est pourquoi il a jeûné, au commence- 
meut, pendant plusieurs jours, avant qu'on eût appris à lui présenter les Poissons dans une cuve 
remplie d'eau, parce qu'on le conduisait toujours à sec dans une voiture particulière. Si l’on en croit 
les personnes qui le montraient, il n’a, une fois, rien eu à manger pendant cinq jours, et une autre 
fois, pendant huit jours, il a manqué de Poisson; au commencement même, lorsqu'il a été pris, il n'a 
rien mangé, de chagrin, dit-on, pendant une quinzaine de jours. On ne lui donnait pas de chair de 
Mammifères, parce que, selon le conducteur, un pareil animal, dont le propriétaire avait voulu user 
d'économie, était mort à Montpellier pour avoir mangé de la viande. Buffon dit, d’après la plupart 
des historiens des Phoques, et encore, après lui, Pernetti, que les Phoques mangent aussi des her- 
bes. Bellon raconte qu'ils font même du tort aux fruits des vergers et des vignes, ce qui est difficile à 
croire, puisque le nôtre, au moins, n'a pas pu manger hors de l'eau. Mais on ne sait où le conduc- 
teur a appris que celui-ci, dans l’état de liberté, se nourrit aussi d'une plante marine qui, selon lui, 
a des feuilles semblables aux œillets, et qu'il a appelée, en italien, garofalo (vraisemblablement une 
espèce de fucus). Hermann a vu seulement qu'il n'avait pas touché aux laitues et aux chicorées qu'on 
lui avait jetées, et qu'il les laissait flotter dans l’eau : peut-être, dit-il, en est-il autrement avec les 
fucus ou autres plantes marines. Cependant, les habitants des côtes de la Dalmatie assurent formel- 
lement que les Phoques viennent à terre pendant la nuit, pour sucer les raisins mürs de vignes. 

« Le Phoque moine ne boit autrement, selon le rapport du conducteur, qu'en avalant avec les Pois- 
sons une petite quantité d'eau. Îl avait perdu, pendant le voyage, à ce qu'on disait, plus de cinquante 
livres de son poids, ayant pesé auparavant neuf quintaux d'Allemagne. Il avait grandi d’un pied de- 
puis qu'on l'avait pris, c’est-à-dire dans l’espace d’un an. Toutes les fois que ce Phoque rendait ses 
excréments, étant hors de l’eau, ils étaient liquides, d'un brun jaunätre; il en rendait peu à la fois, 
et ils n'ont pas paru être très-puants. Au rapport du conducteur, ils sont quelquefois plus solides et 
semblables aux excréments humains. l'urine, qu'il lâchait fréquemment, paraissait répandre une 
odeur plus forte et désagréable. D'ailleurs, l'animal ne puait pas, car on le tenait très-proprement. 

« Sa voix était courte et semblable à celle d’un Chien enroué, sonnant à peu près comme va, va; 
quelquefois elle était un peu hurlante et plaintive, mais peu forte. Personne ne pouvait l’engager à 
faire entendre sa voix, si ce n’était son conducteur, et, selon lui, l'animal savait parler, répétant ces 
mots : papa, maman, qu'il lui disait; ou il rapportait que sa voix prononçait le mot oui, lorsqu'il lui 
demandait s'il avait faim ou s’il avait trouvé bon le Poisson. Il était, d’ailleurs, très-attaché à son 
maitre; il le cherchait et le suivait partout où il l’apercevait. Peut-être l'habit rouge du maitre y at il 
contribué en quelque chose; mais il était aussi très-obéissant à un autre conducteur habillé en gris, 
qui le commandait quelquefois. Il était en général très-apprivoisé; il se laissait toucher et caresser, et 
Hermannn pouvait prendre sans peine la plupart de ses dimensions avec une ficelle ou une bande de 
parchemin, en se promenant tout autour de sa caisse étant alors à sec. Il n'était de mauvaise humeur 
que lorsqu'on prenait quelques dimensions de sa tête, en se soulevant alors avec quelque grogne- 
ment. Mais d’autres fois il supportait facilement qu'avec une petite bande de papier roide on lui tou- 
chât par derrière entre les deux yeux; il les fermait à demi pendant cette opération, ou lorsqu'on 
tendait un fil d’une partie de la tête à une autre. Il a fallu sans doute que la voix et le secours du 


972 HISTOIRE NATURELLE, 


conducteur y contribuassent pour quelque chose. Ce qu'il supporta le moins, ce fut de lui toucher le 
ventre ou les pieds de derrière, où il ne pouvait voir ce qui se passait; il prenait alors de suite une 
autre attitude, ou il faisait au moins un mouvement. Il se roulait ou se tournait sur le dos, aux pa- 
roles de son maître, tant à sec que dans l’eau, et cela à différentes reprises; il ni présentait l'une et 
l’autre de ses pattes de devant, étant alors couché sur le dos; il lui prenait de la bouche la baguette 
avec la gueule; il se laissait arracher des poils, ouvrir la bouche et y mettre le poing, avec cette 
précaution, cependant, de la part de Phomme, de ne mettre la main que sous la lèvre supérieure 
épaisse. Aussi le maître portait-il plusieurs cicatrices des plaies reçues au commencement. Il était 
très-sensible au froid, à ce que le conducteur disait : Buffon le nie, et il semble cependant, en effet, 
que la grande quantité de lard doit garantir assez ces Phoques du froid. I w’aimait pas les Chiens; 
si on lui en présentait, il eriait, et les happait avec ronflement; il tâcha une fois d'en chasser un par 
un claquement de dents. 

« Sa manière ordinaire de se reposer était de se coucher avec la tète étendue toute droite, quand 
il n’y avait pas encore d'eau dans sa caisse, ou s’il n'y en avait pas assez pour lui passer par-dessus 
les narines. Dans cette position, où il fallait qu'il levat les yeux pour voir ce qui se passait autour de 
lui, il avait l'air d'être plus méchant qu'il ne l'était en effet, surtout lorsqu'il ouvrait les narines. En 
prenant ensemble ses traits et ses actions, on trouvait en lui un animal doux, d'un air peu farouche, 
mais néanmoins pas tout à fait amical; qui dans son attitude ordinaire observait ce qui se passait au- 
tour de lui, sans soupçon et avec un regard sans crainte, et dont l’état habituel de repos, auquel le 
contraignaient sa corpulence et sa graisse, contrastait fortement avec cette attitude, où il levait la 
partie antérieure du corps, et présentait une belle poitrine large, avee une tête assez bien faite, et 
des yeux assez vifs. Il prenait surtout cette dernière attitude quand on lui présentait un Poisson: il 
se dressait alors autant qu'il le pouvait, en s'appuyant sur ses pattes de devant, et ne détournant pas 
les yeux de sa future proie. Dans cette attitude on le pouvait certainement nommer un bel animal. La 
docilité et la curiosité des Phoques à déjà été remarquée par d’autres. On a cité plus haut des exemples 
de la première, qui prouvent que notre espèce n'en manque pas; mais elle ne manque pas non plus 
de la dernière. Plusieurs fois le jour, l'individu que nous décrivons, passant par-dessus le bord de sa 
caisse, en s'aidant avec le cou et les pattes de devant, se mettait en observation et regardait ainsi 
les spectateurs, se laissant regarder et toucher sans donner aucune marque de crainte. Dans cette 
attitude, il ne ressemblait pas mal, par derrière, à un moine vêtu en noir, en ce que sa tête, lisse et 
ronde, représentait une tête d'homme affublée d'un capuchon; et ses épaules, avec les pieds courts 
et tendus, imitaient deux coudes, s’avançant sous un scapulaire, d’où descendait un froc long, noir, 
non plissé. 

« Ce Phoque avait été pris dans l'automne de 1777, dans la mer de la Dalmatie, sur l'ile d'Osero, avec 
un autre de la même espèce. Il appartenait à une société de Vénitiens, qui l'ont conduit et montré dans 
plusieurs pays, et qui l'ont fait voir à Strasbourg à la fin d'octobre et au commencement de novembre 
1778. Sur leur route pour Paris, où ils pensaient l'offrir au roi, ils disaient avoir gagné, dans l’espace 
d'un an, plus de dix mille livres, déduction faite de frais considérables de transport. Une autre so- 
ciété, associée à celle-ci, conduisait l'autre individu par une autre route, dans une grande cuve garnie 
de cercles. Hermann ne l'a pas vu lors de son passage par Strasbourg pour la Suisse, le 2 novembre; 
mais un des propriétaires lui a assuré que c'était aussi un mâle, qu'il était d'un pied environ plus 
court et de moitié moins gros de corps que l'autre; qu'il n'avait pas de tache blanche au ventre. Il a 
raconté aussi qu'un vieux pêcheur avait observé au rivage le plus grand individu garni de la tache 
pendant plusieurs années, et qu'il l'avait reconnu par la même tache lorsqu'il avait été pris. Il en 
concluait qu'il était déjà vieux. Les dents noirâtres, qui paraissaient usées, le pourraient peut-être 
confirmer, Mais comment cela s'accorderait-il alors avec un accroissement si considérable, qu'on di- 
sait être d'un pied dans l’espace d’une année? L'un ou l’autre fait parait être faux. 

« Selon l'un des propriétaires, on voit ces Phoques sur les rochers escarpés, inaccessibles, où ils 
dorment à l'air, en été; mais, en hiver, ils dorment dans des cavernes, dont l'entrée est sous l'eau. 
Mais c’est particulièrement Deben, cité par Pontoppidan, qui dit que les Phoques aiment à se tenir 
dans de telles cavernes inaccessibles, dont l'entrée se trouve sous l'eau, et qu'on appelle fauçe-later 
dans l'île de Feroë. Le hurlement des Phoques, qu'on entendait sortir la nuit de ces cavernes, a causé 
une grande frayeur à Tournefort. Les matelots ont assuré que les Phoques faisaient entendre ces hur- 


CARNASSIERS. 273 


lements pendant leurs amours et leur accouchement; et Tournefort observe, à cette occasion, que les 
commentateurs de Pline ne sont pas d'accord sur ce passage, s'ils le faisaient en dormant où en veil- 
lant. » 

A ces détails sur le Phoque moine mäle, donnés par Hermann, nous ajouterons les différences prin- 
cipales observées par Fr. Guvier sur la femelle qui vivait à Paris il y a une vingtaine d'années, et dont 
les habitudes, dans son état d’esclavage, étaient absolument les mêmes que celle du Phoque mâle. La 
longueur de cette femelle était d'environ 3", depuis le bout du museau jusqu'à l'extrémité des pieas 
de derrière. Ses formes étaient absolument semblables à celles du Veau marin. Sa couleur, dans l’eau, 
était noire sur le dos, sur la tête, sur la queue et sur la partie supérieure des pattes; le ventre, la poi- 
trine, le dessous du cou, de la queue et des pattes, le museau et les côtés de la tête, ainsi que le 
dessus des yeux présentaient une coloration d’un blanc gris jaunâtre. Lorsque l'animal était à see, Les 
parties noires étaient beaucoup moins foncées, et les parties blanches plus jaunâtres. Les pieds de 
derrière avaient cinq doigts armés d'ongles, ete. Les organes de la génération paraissaient très-peu 
développés; la vulve ne consistait que dans une ouverture longitudinale, et les mamelles, au nombre 
de quatre, étaient disposées autour du nombril, à peu près à égale distance l'une de l'autre, et elles 
étaient cachées dans de légers enfoncements dégarnis de poil. Sa voix était un eri aigu et fort, qui 
sortait du fond du gosier et qui ne variait que par le ton. Elle avait, au contraire du mâle, une 
grande propension au sommeil, et, durant son sommeil, on la voyait souvent rester dans l'eau au 
fond de sa caisse, et par conséquent sans respirer, pendant une heure entière. Elle avait beaucoup 
d'attachement pour son maître. 

Enfin, nous rapporterons que M. Boitard dit qu'il en à vu un individu qui vivait depuis deux ans en 
servitude, et qui paraissait ne regretter nullement sa liberté. Il avait de 2",250 à 2,350 de lon- 
gueur totale; on le nourrissait exclusivement de Poissons, qu'il mangeait toujours au fond de l’eau 
du euvier où on le tenait le jour. Plusieurs fois son maître l’a lâché dans des étangs, et même de 
grandes rivières, telles que la Saône, par exemple, et il revenait aussitôt qu'il l'appelait en sifflant. 

De Blainville semble penser que c’est cette espèce que les anciens connaissaient et qu'ils ont indi- 
quée sous la dénomination de Phoque, devenue plus générale depuis : à ce sujet, qu'il nous soit per- 
mis de rapporter le passage suivant de l'Ostéographie : « Les premières notions que la tradition 
nous à laissées des Phoques se trouvent dans les écrits des poëtes et des mythographes grecs, lors- 
qu'ils nous ont représenté, d'après Homère, le vieux Protée au service de Neptune et gardant des 
troupeaux de Phoques au milieu desquels il sortait sur le rivage pour se livrer au repos. Cette fable 
ou mythe, dont on voit l'origine dans les poésies orphiques, fut ensuite mélée à l'histoire de la 
guerre de Troie, par Hérodote, et même à celle d'Hercule, mais sans qu'on puisse y entrevoir rien 
autre chose que Protée était sans doute quelque chef de peuplade habitant des rivages de la mer as- 
sez tranquilles pour que les Phoques s’y retirassent en nombre considérable, comme c’est aujourd’hui 
dans les habitudes de ces animaux. En effet, Pharos, que l'on dit le siége du royaume de Protée. 
était une ile située vers l'embouchure du Nil, ou peut-être mieux encore dans la mer Adriatique, île 
nommée aujourd’hui Lyssa, l'une de celles où l’on trouve encore de nos jours la seule espèce de Pho- 
que de la Méditerranée, le Pelagius monachus d'Hermann. 

« Cette opinion ne pourrait-elle pas être, jusqu'à un certain point, corroborée par l'observation 
que la Phocide, d’où sortirent les deux colonies de Phocéens : l'une, qui fonda la ville de Phocée, en 
lonie, sur la côte de l'Asie Mineure; l’autre, la ville de Marseille, dans les Gaules, s’étendait jusque 
sur les côtes de la mer, vers l'entrée du golfe Adriatique, et que ce rivage était peut-être fréquente 
par les Phoques? Toutefois, il est juste d’avertir qu'aucune de ces villes, dont le nom tenait plus ou 
moins de celui de Phoca, n'a jamais représenté un de ces animaux sur ses médailles. » 


c? =: 


274 HISTOIRE NATURELLE. 


pue GENRE. — STEMMATOPE. STEMMATOPUS. Fr. Cuvier, 1826. 
Dictionnaire des Sciences naturelles, t. XXXJX. 


Exeuua, couronne; 70765, front. 


CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 
Système dentaire : incisives, 4; canines, =}; molaires, 55; en totalité trente dents; molaires 
striées à leur couronne, peu sorties de la qencive, et à racines composées, courtes, larges. 
Tête surmontée d'un organe particulier en forme de sac dilatable. 
Museau étroit, obtus. 
Cräne développé. 


Ces Phocidés semblent s'éloigner tout à fait des types dont nous venons d'exposer les carac- 
tères, et ont tous la tête ou les parties voisines surmontées d'un organe particulier dont la nature 
n’est pas connue, et c’est à ce caractère que Fr. Cuvier a fait allusion lorsqu'il a formé ce groupe gé- 
nérique aux dépens des Phoques, et qu'il l’a nommé Stemmatope. Les dents sont au nombre de trente : 
seize à la mâchoire supérieure et quatorze seulement à l'inférieure. Supérieurement, la première in- 
cisive est de plus de moitié plus petite que la seconde, et elles ont l’une et l’autre la forme de la ca- 
nine. Celle-ci est forte et assez semblable à celle des autres Phoques. Des molaires qui viennent im- 
médiatement après la canine, la première est la plus petite, mais elle à la même forme que les au- 
tres, lesquelles sont principalement remarquables par les stries qui partent du col de la racine et 
qui viennent se réunir à la pointe de la couronne; les plus profondes sont à la face interne, où l'on 
en voit surtout deux; ces sillons divisent légèrement les bords de la dent, particulièrement la posté- 
rieure, qui l’est d'ailleurs pius profondément encore que l'autre par une échancrure; la dernière 
molaire paraît avoir deux échancrures au lieu d’une sur son bord postérieur. Inférieurement, l’inci- 
sive est petite et rudimentaire. La canine ne présente aucun caractère particulier, et les molaires 
sont tout à fait semblables à celles de la mâchoire opposée, seulement un peu plus divisées sur leurs 
bords antérieurs; en général, elles ont toutes leur partie moyenne très-mousse. Dans leur action ré- 
ciproque, les incisives moyennes paraissent être sans emploi; la seconde supérieure fait l'effet de 
canine sur la partie antérieure de la canine inférieure, et les molaires inférieures passent en dedans 
des supérieures, de manière qu’elles sont dans les mêmes relations que les molaires des Pélages. Le 
museau est étroit et obtus, et la capacité cérébrale assez étendue. On ne connaît rien, ou à peu près, 
sur les autres parties de l’organisation; seulement Fr. Cuvier a pu voir qu'il n°y avait aucune trace 
d'oreille externe, que la langue était douce et échancrée, et que les doigts étaient garnis d'ongles au 
delà desquels s'étendait la membrane natatoire. 

La seule espèce qui entre dans ce genre est le : 


STEMMATOPE À CAPUCHON. STEMMATOPUS CRISTATUS. G. Cuvier. 


Caracrères spéciriques. — Pelage long, laineux près de la peau, entièrement blanc dans le jeune 
âge, d'un gris brun en dessus et d’un blane d'argent en dessous; à l'âge adulte, il est quelquefois 
parsemé de taches grises. Longueur totale des individus adultes variant entre 2°,35 et 27,60. 


Cette espèce est le Pnoque À carucuox de G. Cuvier; vulgairement on l'indique sous le nom de Ca- 
pucix; les Groënlandais le nomment Nesaursazik et Kakorrak, et il a successivement reçu des natura- 
listes les noms de Phoca cristata, Gmelin, Erxleben; Phoca leonina, Othon Fabricius; Phoca 
mitrata, Camper; Stemmatopus cristatus, Fr. Cuvier; Phoca cucullata, Boddaërt, et enfin M. Nil- 
son (Shandia fauna, 1820) avait era devoir en distinguer une espèce particulière à la Scandinavie à 


Fig. 1. — Herpestes Badius 


y Le 
VE 


Fig. 2. — Furet de Java. 


PL 56. 


CAPNASSIERS 275 


laquelle il appliquait la dénomination générique de Cystophore (ox, vessie; geo, Je porte) et celle 
spécifique de Borealis. 

Cette espèce est surtout remarquable par l'espèce de sac globuleux dont la tête est garnie à son 
sommet chez les mâles, et dont sont privées les femelles. Ce sac est susceptible de se gonfler par l'ac- 
cumulation de l'air; il paraît même communiquer avec les narines et avoir une certaine mobilité au 
moyen de laquelle il se porte plus ou moins en avant sur le museau; il parait aussi être pourvu de 
muscles particuliers qui modifient sa forme. Quel est son objet? quel est l'usage que l'animal en fait? 
C’est à quoi il serait difficile de répondre; mais au moins €’est un organe fort singulier et qui méri- 
terait qu'on en fit une étude toute spéciale. Les moustaches sont grèles, annelées, aplaties et obtuses 
au sommet; l'iris est fauve. Le corps est allongé, à peu près conique, revêtu de longs poils, droits, 
au milieu d'une bourre laineuse; la couleur du pelage varie suivant les âges; elle est communément 
d'un gris brun supérieurement, et d’un blanc argenté inférieurement; l'individu décrit par Dekai était 
parsemé de taches grises; les jeunes sont entièrement blanes, et les vieux ont la tête et les pieds 
noirs, 


Fig. 124. — Stemmatope à capuchon. 


Ce Phoque se présente sur les côtes du Groënland dans les mois d'avril, de mai et de juin, époque 
à laquelle, d'après Othon Fabricius, il se rend à terre. Selon Crautzius, il se trouve très-abondam- 
ment au détroit de Davis; il y fait régulièrement deux voyages par an, et y réside depuis le mais de 
septembre jusqu'au mois de mars; il en sort alors pour aller faire ses petits à terre, et revient avec 
eux au mois de juin, fort maigre et fort épuisé. Il en part une seconde fois en juillet, pour aller plus 
au nord, où il trouve probablement une nourriture plus abondante; car il revient fort gras en sep- 
tembre. Sa maigreur, dans les mois de mai et juin, semble indiquer que c’est alors pour lui la saison 
des amours, et que dans ce temps il oublie de manger, comme les Ours et les Lions marins. Il vit 
aussi sur les côtes septentrionales de l'Amérique, si réellement, ainsi que cela est généralement ad- 
mis, le Phoca mitrata, Camper, est le même que le Phoca cristata, Othon Fabricius. 


276 HISTOIRE NATURELLE. 


Un brigadier des douanes en retraite a pris, auprès de l'ile d'Gléron, sur les côtes de France, un 
individu mâle du PHoque a carucnox (Phoca cristata), qui flottait sur Peau et qu'il avait pu barpon- 
ner, et il est venu le vendre à la Ménagerie du Muséum de Paris, où il est mort presque immédiate- 
ment le 2 août 1843. Cette espèce est rare sur nos côtes et ne peut guère s'y trouver que lorsqu'elle 
est chassée par de grandes tempêtes des mers du Nord, qu'elle habite de préférence à toutes autres. 
Les caractères que cet individu, qui était jeune, présentait étaient les suivants : couleur du dos et 
de la face supérieure des pattes, ainsi que de la tête, bien tranchée, gris ou bleuâtre clair pendant 
la dessiccation, et brun d'ardoise pendant que l'animal est mouillé; poils lisses, très-couchés, et 
surface du corps comme cannelée tant que le Phoque est mouillé, se redressant peu à peu et prenant 
une teinte plus claire à mesure qu'ils se dessèchent. La tête est large; les yeux grands; les oreilles 
peu reculées, sans trou d'oreille externe apparent; le nez à narines fendues en croissant et busqué en 
dessus; les moustaches sont peu annelées, à grandes soies blanches, les plus petites noirâtres. Les 
ongles sont blanchâtres. Longueur du corps, du bout du nez à l'extrémité de la queue, 1,115; de 
l'extrémité de la queue à l'anus, 0,10; longueur de la patte antérieure, 0,20; de la patte posté- 
rieure, 0,25. La peau de ce Mammifére a été montée pour les galeries de Zoologie du Muséum, 
et le squelette à été préparé pour les galeries d'Anatomie comparée. 

Le Phoque à capuchon vit de Poissons; il est polygame; la femelle ne produit qu'un seul petit, 
qu'elle dépose sur la glace dès le mois d'avril. Ses chairs, son lard et ses tendons sont utilises par 
les Groënlandais, qui se vêtissent aussi de sa peau; ses membranes et ses intestins servent à fabriquer 
des sortes de vitres et des cordages pour les pirogues; mais c’est surtout pour son lard qu'on le re- 
cherche. 


Gme GEN 


— MACRORHIN. MACRORHINUS. Fr. Cuvier, 1826. 
Dictionnaire des Sciences naturelles, t XXXIX 


Mazpc:, long: pt, nez. 


CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 


Système dentaire : incisives, +; canines, 1Y; molaires, 7}, en totalité trente dents; les incisives 
sont crochues comme les canines, mais plus petites qu'elles: les canines sont, au contraire, plus 
fortes, arquées, saillantes, hors des lèvres; molaires à couronnes imitant un numelon pédiculé, et à 
racines plus larges que les couronnes. 

Male pouvant prolonger son museau par une sorte d'érection en ure espèce de trompe, à l'extré 
mité de laquelle se trouvent les narines. 


Le type et espèce unique de ce genre, qui nous est donné par le Phoque à trompe, s'éloigne encore 
plus que celui des Stemmatopes des premiers groupes que nous avons fait connaître; les formes de la 
tête n’ont plus que des rapports si faibles avec les formes des têtes des autres Phocidés, qu'on peut 
à peine retrouver dans les unes quelques traces des autres, et des différences non moins grandes 
sont présentées par les dents, qui sont au nombre de trente : seize supérieurement et quatorze infé- 
rieurement. À la mâchoire supérieure, la première incisive est de moitié plus petite que la seconde, 
et toutes deux paraissent avoir les formes de la canine; celle-ci est d’une force extraordinaire, sur- 
tout par l'épaisseur de sa face; les molaires sont incontestablement à racines simples, les alvéoles en 
sont la preuve, et la couronne est à mamelon. A la mâchoire inférieure, Fincisive de chaque maxillaire 
ne laisse d’autres traces qu'un creux large et peu profond, qui contenait une racine simple, conique. 
La canine est plus longue et non moins forte que celle de la mâchoire supérieure, et, ce qui la rend 
très-remarquable, c’est qu'elle constitue une véritable défense, qu'elle est entièrement creuse et que 
la capsule dentaire reste tont à fait libre à sa base. Les cinq molaires qui suivent se ressemblent ab- 
solument, le collet de la racine est très-large, et la couronne qui naît de ce collet est semblable à un 
petit mamelon obtus, qui paraît être le diminutif de celui des molaires des Stemmatopes. 


CARNASSIERS. 277 


Ce genre correspond à celui des Minouca (tiré du nom vulgaire de l'espèce typique) de Gray, 
et probablement à celui des Rhinophoca (ow, nez; Phoca, Phoque) de Wagler (Syst. der Amphib., 
1850), et il a pour type le Phoque à trompe, espèce aujourd'hui bien connue, et à laquelle on a joint 
trois ou quatre Phocidés que l’on regarde comme devant former des espèces particulières, mais qui ne 
sont pas suffisamment connus. Ces espèces sont: 


Fig. 195, — Macrorhin à trompe. 


1. MACRORHIN A TROMPE. MACRORHINUS PROBOSCIDEUS. Fr. Cuvier 


Canacrères srÉciFiQuEs. — Pelage sale, grisätre ou d'un gris bleuâtre, quelquefois d’un brun noi- 
rtre, rude et grossier; veux très-grands, proéminents; poils des moustaches rudes, contournés en 
spirales; ongles des mains très-petits; queue courte, très-apparente. Les mâles ont un prolongement 
tout particulier du nez, en forme de trompe membraneuse et érectile, molle, élastique, ridée, longue 
quelquefois de 0®,50 et ayant beaucoup d'analogie avec cette longue crête qui pend sur le bec d’un 
Coq d'Inde; cette trompe manque à la femelle et aux jeunes avant l’âge adulte, et même probable- 
ment au mäle lorsque la saison des amours est passée. Il atteint jusqu'à 8 à 10" de longueur. 


Cette espèce est vulgairement connue sous le nom de Proque À rrowrr, Péron; c'est le Lion Mari 
de Coxe, le Lrox pe mer d'Anson, le Lame de Molina, le Pnoque à museau ripé de Forster, l'ÉLÉPHANT 
MARIN, probablement le Paoque pe L'ie Sainr-Paur ou Phoca Coxii, A. G. Desmarest; les na- 
turalistes ont pendant longtemps mal connu ce Phoque, et c'est pour cela qu'ils lui ont appliqué un 
grand nombre de dénominations latines telles que celles de : Phoca leonina, Linné; Mirouga pro- 
boscidea, Gray; Macrorhinus proboscideus, Fr. Cuvier. Enfin c’est le Miourouc des habitants des 
côtes baignées par la mer où vit cet animal. 

Ce grand Phocidé, successivement observé à l'ile de Juan-Fernandez, sur l'ile Georgia, aux îles 
Maurice, de Nassau, par Roggers, Anson, Pernetti, Cook, Forster, Bernard Pendorf, Bougainville, 
Byron, etc., avait toujours été mal décrit, et surtout mal figuré. C’est à Péron et Lesueur que nous 
devons enfin la connaissance à peu près exacte de la forme et des mœurs de cet animal, qu'ils ont 
rencontré en grande abondance sur les iles du détroit de Bass, qui sépare la terre de Van-Diémen de 


»“ 


278 HISTOIRE NATURELLE. 


la Nouvelle-Hollande. Nous suivrons ces naturalistes dans la description qu'ils en donnent, tout en 
faisant remarquer que leur récit semble toutefois, en beaucoup de points, n'être qu'une compilation 
de ceux d'Anson, de Pernetti et de Roggers. 

Péron et Lesueur rejettent la dénomination de Lion marin appliquée au Phoque à trompe, parce 
qu'elle a déjà été employée pour désigner un Mammifère de la même famille auquel elle convient da- 
vantage, et d’autres auxquels elle ne convient pas du tout. Ils rejettent aussi celle d'Éléphant marin, 
qui est donnée au même animal par les pêcheurs anglais de la Nouvelle-Hollande, parce qu’elle a été 
déjà consacrée au Morse, et ils adoptent celle de Phoca probosciea, qui rappelle le caractère sin- 
gulier par lequel cette espèce se différencie de toutes celles que l'on a distinguées jusqu'à ce jour. 

« Des proportions énormes, rapportent nos voyageurs, de vingt, vingt-cinq ou même trente pieds 
de longueur, et de quinze à dix-huit pieds de circonférence; une couleur, tantôt grisâtre, tantôt d’un 
gris bleuâtre, plus rarement d'un brun noirâtre; l'absence des auricules; deux canines inférieures 
longues, fortes, arquées et saillantes; des moustaches formées de poils durs, rudes, très-longs et 
tordus comme une espèce de vis; d’autres poils semblables, placés au-dessus de chaque œil, et tenant 
lieu de sourcils; des yeux extrêmement volumineux et proéminents; des nageoires antérieures fortes 
et vigoureuses, présentant à leur extrémité, tout près du bord postérieur, cinq petits ongles noirà- 
tres; une queue très-courte, cachée pour ainsi dire entre deux nageoires horizontalement aplaties, et 
plus larges vers leur partie postérieure, tels sont les traits qui distinguent en général le Phoque à 
trompe. Mais un caractère plus particulier se présente dans cette espèce de prolongement du museau, 
ou plutôt des narines, qui a fait imposer à cet Amphibie le nom d’Éléphant marin. Lorsque l'animal 
est en repos, les narines, affaissées et pendantes, lui donnent une face plus large; mais, toutes les 
fois qu'il se relève, qu'il respire fortement, qu'il veut attaquer ou se défendre, elles s'allongent et 
prennent la forme d'un tube de douze pouces de longueur environ; non-seulement alors la partie an- 
térieure de la tête présente une figure toute différente, mais la nature de la voix en est également 
beaucoup modifiée. Les femelles sont étrangères à cette organisation, elles ont même la lèvre supé- 
rieure légèrement échancrée vers le bord. Les individus de l’un et de l’autre sexe ont le poil extré- 
mement ras; dans tous, il est d’une qualité trop inférieure pour que leur fourrure puisse rivaliser 
avec celle de la plupart des autres Phocidés antarctiques. 

«€ Habitant exclusif des régions australes, le Phoque à trompe se complait particulièrement sur les 
îles désertes, de manière toutefois qu'il semble en affectionner quelques-unes exclusivement aux au- 
tres. Ainsi, dans le même détroit de Bass, qui réunit les îles Furneaux, l'ile Clarck, la Préservation, 
les Deux-Sœurs, Waterhouse, l'ile Swan, le groupe de Kent, les îlots du Promontoire, l'ile King et 
celles du Nouvel-An, à peine en trouve-t-on quelques individus sur les Deux-Sœurs; ils paraissent 
être complétement étrangers à l'ile Maria; sur l'ile Decrès, on n’a pu voir qu'une seule défense de 
Phoque à trompe; enfin cet Amphibie n'existe pas sur le continent de la Nouvelle-Hollande, non plus 
que sur la terre de Van-Diémen. Les habitants de ces deux dernières régions ne le connaissent que 
par quelques individus que les courants ou les tempêtes repoussent sur leurs rivages. On en observe 
de nombreux troupeaux à la terre de Kerguelin, sur l'île de Georgia et à la terre des États, où les 
Anglais font habituellement la pêche de ces animaux. Ils existent en grand nombre sur l'ile de Juan- 
Fernandez, et on en trouve aux iles Malouines; mais ils sont plus rares sur ce dernier point. Quelle 
que puisse être la raison de cette préférence, qui dépend peut-être de la présence ou de l'absence de 
petites mares d'eau douce, dans lesquelles les Phoques à trompe aiment à se vautrer, il résulte de 
toutes les observations faites jusqu’à ce jour sur cet objet, que ces puissants animaux sont confi- 
nés entre 3° et b° de latitude sud, et qu'ils existent dans l'Océan atlantique et le grand Océan 
austral. 

« Également ennemis d'une chaleur trop forte ou d’un froid trop vif, ils s’avancent avec l'hiver 
de ces parages du sud vers le nord, et retournent avec l'été du nord vers le sud. C’est à la mi-juin 
qu'ils exécutent leur première migration; ils abordent alors, en grande troupe, sur les rivages de 
l'île King; ces rivages en sont quelquefois couverts, disent les pêcheurs anglais. Un mois après leur 
arrivée, les femelles commencent à mettre bas; réunies toutes ensemble sur un point du rivage, elles 
sont environnées par les mäles, qui ne les laissent plus retourner à la mer, et qui n'y retournent plus 
eux-mêmes, non-seulement jusqu’à ce qu'elles se soient délivrées de leur fruit, mais encore pendant 
toute la durée de l'allaitement. Lorsque les mères cherchent à s'éloigner de leurs petits, les mâles les 


CARNASSIERS. 279 


repoussent en les mordant. Le travail du part ne dure pas plus de cinq ou six minutes, pendant les- 
quelles les femelles paraissent beaucoup souffrir; dans certains moments, elles poussent de longs 
cris de douleur; elles perdent peu de sang. Durant cette pénible opération, les mâles, étendus autour 
d'elles, les regardent avec indifférence. Les femelles n’ont jamais qu'un petit, et, dans l'espace de 
cinq ou six ans que les pêcheurs ont observé ces Phoques sur divers points des régions australes, ils 
n'ont vu qu'un seul exemple de portée double. L'Éléphant marin, en naissant, a quatre à cinq pieds 
de longueur; il pèse environ soixante-dix livres; les mâles sont déjà plus gros que les femelles; du 
reste, les proportions relatives des uns et des autres n’offrent pas de différence sensible d'avec celles 
qu'ils doivent avoir un jour. 

« Pour donner à teter à son nourrisson, la mère se tourne sur le côté en lui présentant ses ma- 
melles. L'allaitement dure sept ou huit semaines, pendant lesquelles aucun membre de la famille ne 
mange ni ne descend à la mer. L’accroissement est si prompt, que, dans les huit premiers jours qui 
suivent la naissance, ils gagnent quatre pieds de longueur et cent livres de poids environ. La mère, 
qui ne mange point, maigrit à vue d'œil; on en a même vu périr pendant cet allaitement pénible; 
mais il serait difficile de décider si elles avaient succombé d'épuisement, ou si quelques maladies 
particulières avaient causé leur mort. Au bout de quinze jours, les premières dents paraissent; à qua- 
tre mois, elles sont toutes dehors. Les progressions de l'accroissement sont si rapides, qu'à la fin de 
la troisième année les jeunes Phoques ont atteint à la longueur de dix-huit à vingt-cinq pieds, qui 
est le terme le plus ordinaire de leur grandeur; dès ce moment, ils ne croissent plus qu'en grosseur. 
Lorsque les nourrissons se trouvent âgés de six à sept semaines, on les conduit à la mer; les rivages 
sontabandonnés pour quelque temps; toute la troupe vogue de concert, si l’on peut s'exprimer ainsi, 
La manière de nager de ces Mammifères est assez lente; ils sont forcés, à des mtervalles très-courts, 
de reparaître à la surface de l'eau pour respirer l'air dont ils ont besoin. On observe que les petits, 
lorsqu'ils s’écartent un peu de la bande, sont poursuivis aussitôt par quelques-uns des plus vieux, 
qui les obligent, par leurs morsures, à regagner le gros de la famille. Après être demeurés trois se- 
maines où même un mois à la mer, les Phoques à trompe reviennent une seconde fois au rivage; ils y 
sont ramenés par un besoin pressant, celui de la reproduction. Ce n’est qu’à trois ans, lorsque les 
mâles ont pris toute leur croissance, que se développe leur trompe. On peut considérer comme un in- 
dice de puberté, dans ces animaux, l'apparition de ce singulier appendice. 

« Les mâles se disputent la jouissance des femelles; ils se heurtent, ils se battent avec acharne- 
ment, mais toujours individu contre individu. Leur manière de combattre est assez singulière. Les 
deux colosses rivaux se trainent pesamment; ils se joignent et se mettent, pour ainsi dire, museau 
contre museau; ils soulèvent toute la partie antérieure de leur corps sur leurs nageoires; ils ouvrent 
une large gueule; leurs yeux paraissent enflammés de désirs et de fureur; puis, s'entre-choquant de 
toute leur masse, ils retombent l'un sur l’autre, dents contre dents, mâchoire contre mâchoire; ils se 
font réciproquement de larges blessures; quelquefois ils ont les veux crevés dans cette lutte; plus 
souvent encore ils y perdent leurs défenses; le sang coule abondamment; mais ces opiniâtres adver- 
saires, sans paraître s'en apercevoir, poursuivent le combat jusqu'à l’entier épuisement de leurs for- 
ces. Toutefois, il est rare d'en voir quelques-uns rester sur le champ de bataille, et les blessures 
qu'ils se font, quelque profondes qu’elles soient, se cicatrisent avec une promptitude inconcevable. Pen- 
dant le combat, les femelles restent tranquilles et indifférentes. Elles deviennent la récompense du 
vainqueur, auquel elles se livrent de bonne volonté en se couchant sur le côté à son approche. 

« La durée de la gestation paraît être d'un peu plus de neuf mois, de sorte que les femelles fécon- 
dées vers la fin de septembre commencent à mettre bas, ainsi que nous venons de le dire, vers la 
mi-juillet. Peu après l’accouplement, la chaleur devenant trop forte pour ces animaux dans les îles 
du détroit de Bass, ils reprennent en troupe la route du Sud, pour y demeurer jusqu’à l'époque où le 
retour des frimas doit les ramener sur les rivages alors plus tempérés de ces mêmes îles. Il reste 
néanmoins un certain nombre d'individus sur l’île King et sur celles du Nouvel-An; mais il est possi- 
ble qu'ils y soient retenus par quelques infirmités, par le manque des forces indispensables pour une 
longue navigation, ou par toute autre indisposition. 

« La plupart des Phoques connus préfèrent les rochers pour leur habitation. Le Phoque à trompe, 
au contraire, se trouve exclusivement sur les plages sablonneuses; il recherche le voisinage de l’eau 
douce, dont il peut se passer, il est vrai, mais dans laquelle les animaux de cette espèce aiment à se 


280 HISTOIRE NATURELLE. 


plonger, et qu'ils paraissent humer avec plaisir. [ls dorment indifféremment étendus sur le sable, on 
flottants à la surface des mers. Lorsqu'ils sont réunis à terre en grandes troupes pour dormir, un ou 
plusieurs individus veillent constamment; en cas de danger, ceux-ci donnent l'alarme au reste de la 
bande; alors tous ensemble s'efforcent de regagner le rivage pour se jeter au milieu des flots protec- 
teurs. Rien n'est plus singulier que leur allure: c'est une espèce de rampement, dont les nageoires 
antérieures sont les seuls mobiles; et leur corps, dans tous ses mouvements, parait trembloter, 
comme une énorme vessie pleine de gelée, tant est épaisse la couche de lard huileux qui les enve- 
loppe. Non-seulement leur allure est lente et pénible, mais encore, tous les quinze ou vingt pas, ils 
sont forcés de suspendre leur marche, haletant de fatigue et succombant sous leur propre poids. Si, 
dans le moment de leur fuite, quelqu'un se porte au-devant d'eux, ils s'arrêtent aussitôt; et si, par 
des coups répétés, on les force à se mouvoir, ils paraissent souffrir beaucoup. Ce qu'il y a de plus 
remarquable dans cette circonstance, c'est que la pupille de leurs yeux, qui, dans l'état ordinaire, est 
d'un vert légèrement bleuâtre, devient alors d'une couleur de sang très-foncée. Malgré cette lenteur 
et cette difficulté de leurs mouvements progressifs, les Phoques à trompe parviennent, sur l'ile King, 
à franchir des dunes de sable de quinze à vingt pieds d’élévation, au delà desquelles se trouvent de 
petites mares d’eau douce. Ces animaux savent suppléer, par la patience et l'obstination, à tout ce 
qui leur manque d'adresse et d'agilité. 

« Le cri des femelles et des jeunes mâles ressemble assez bien au mugissement d'un Bœuf vigou- 
reux; mais, dans les mâles adultes, le prolongement tubuleux des narines donne à leur voix unetelle 
inflexion, que le cri de ces derniers a beaucoup de rapport, quant à sa nature, avec le bruit que fait 
un homme en se gargarisant; ce cri rauque et singulier se fait entendre au loin; il porte avec lui 
quelque chose de sauvage et d’effrayant. Ces animaux sont incommodés par la trop vive ardeur du 
soleil; alors on les voit soulever à diverses reprises, avec leurs larges nageoires antérieures, de gran- 
des quantités de sable humecté par l'eau de la mer, et le jeter sur leur dos jusqu'à ce qu'il en soit 
entièrement couvert. Leurs veux, conformés comme ceux des autres Phoques, c’est-à-dire pour lhabi- 
tation dans l’eau, sont peu propres à bien les guider dans un autre élément; aussi ne peuvent-ils, 
surtout en sortant de la mer, distinguer les objets qu'à de très-petites distances. D'un autre côté, le 
défaut d’auricule contribue peut-être à l'imperfection de leur ouïe, qui parait être assez mauvaise. 

« Les Phoques à trompe sont d’un naturel extrêmement doux et facile; on peut errer sans crainte 
parmi ces animaux, on n’en vit jamais chercher à s’élancer sur l'homme, à moins qu'ils ne fussent at- 
taqués ou provoqués de la manière la plus violente. Les femelles sont surtout très-timides; à peine se 
voient-elles attaquées, qu'elles cherchent à fuir; si la retraite leur est interdite, elles s’agitent avec 
violence; leurs regards portent l'expression du désespoir : elles fondent en larmes. En mer, de jeu- 
es Phoques, d’une espèce infiniment plus petite que la leur, viennent nager au milieu de ces mons- 
trueux Amphibies sans que ceux-ci fassent le moindre mal à ces débiles étrangers. Les hommes eux- 
mêmes peuvent impunément se baigner dans les eaux où les Phoques à trompe se trouvent réunis, 
sans avoir rien à redouter, et les pêcheurs sont accoutumés à le faire. Comme plusieurs autres Pho- 
ques, ils paraissent susceptibles d’un véritable attachement et d’une sorte d'éducation parti- 
culière. À ce sujet, nous pouvons dire qu'un matelot anglais, ayant pris en affection un de ces 
animaux, approchait de lui tous les jours pour le caresser, sur la plage même où l'on mettait à mort 
tous les autres Phoques qui l'environnaient. En peu de mois, il était si bien parvenu à l'apprivoiser, 
qu'il pouvait impunément lui monter sur le dos, lui enfoncer son bras dans la gueule, le faire venir 
en l'appelant : malheureusement ce matelot, ayant eu quelque altercation avec un de ses camarades, 
celui-ci, par une lâche et féroce vengeance, tua le Phoque adoptif de son adversaire. 

« Pour ce qui concerne la durée de la vie de ce Phoque, les pêcheurs anglais n'ont pu donner des 
notions bien précises à cet égard; mais ils sont portés à croire, d’après le grand nombre d'individus 
qu'ils voient mourir naturellement sur les rivages, que le terme moyen de leur existence ne va guère 
au delà de vingt-cinq où trente ans. Ce qu'il y a de remarquable, c’est qu'aussitôt qu'ils sont blessés, 
ou lorsqu'ils se sentent malades, ils quittent les flots, s'avancent dans l’intérieur des terres plus loin 
qu'à l'ordinaire, se couchent au pied de quelque arbrisseau, et y restent jusqu'à leur mort, sans re- 
tourner à la mer. 

« Ces animaux ont à craindre les tempêtes, très-violentes dans ces parages; les vagues fnrieuses 
les brisent contre les rochers de granit qui forment le sol des îles qu'ils habitent. IIS paraissent 


Ts 


É 


Fig, 1. — Loutre de la Plata. 


ig. 2, — Méphitis de Humboldt. 


CARNASSIERS. 281 


avoir, au fond des eaux, des ennemis puissants; car on les voit, de temps à autre, sortir inopiné- 
ment de la mer en grande hâte, et souvent couverts d'énormes blessures. Mais leur ennemi le plus 
dangereux, c’est l'homme. Lorsque par hasard quelques-uns d'entre eux viennent à terre sur le con- 
tinent où à la terre de Van-Diemen, les sauvages de ces contrées les poursuivent avec de longs mor- 
ceaux de bois enflammés, qu'ils leur enfoncent dans la gorge, et les tuent ainsi. Alors ces hommes 
affamés se jettent sur les cadavres de ces Phoques, et ne les quittent pas qu'ils n’aient dévoré la chair 
en entier. Avant l'établissement des Anglais au port Jackson, les Phoques à trompe jouissaient d'une 
tranquillité parfaite dans les îles du détroit de Bass; il n'en est plus ainsi : les Européens ont envahi 
ces retraites si longtemps protectrices; ils y ont organisé partout des massacres qui ne sauraient 
manquer de faire éprouver bientôt un affaiblissement sensible et irréparable à la population de ces 
animaux. Des pêcheurs, en petit nombre, sont envoyés de la colonie du port Jackson sur ces iles, 
où les Phoques sont les plus communs, et y ont leur résidence habituelle. Nous en trouvâmes dix 
dans l'ile King. Ces hommes étaient chargés de préparer, en huile et en peaux de Phoques, la car- 
gaison de quelques navires destinés pour la Chine. Ils étaient pourvus des objets nécessaires pour 
subsister pendant le temps de leur séjour, qui avait déjà duré treize mois, et de futailles, pour re- 
cueillir l'huile, qu'ils séparaient de la graisse en la faisant bouillir dans de grandes chaudières. Leur 
nourriture principale consistait en viande de Phascolomes, de Kanguroos et de Casoars. Pour chasser 
ces animaux, ils avaient des Chiens qui, après les avoir atteints et étranglés, étaient dressés à con- 
duire leurs maîtres aux lieux où ils avaient laissé leur proie. 

« Pour tuer les Phoques, il suffit de leur appliquer un seul coup de bâton sur l'extrémité du mu- 
seau; mais ce moyen n’est pas celui que les pêcheurs emploient : ils foyt usage d'une lance de douze 
à quinze pieds de longueur, dont le fer, extrèmement acéré, n’a pas moins de vingt-quatre à trente 
pouces; ils saisissent avec adresse l'instant où l'animal, pour se porter en avant, soulève sa nageoire 
antérieure gauche; c'est sous cette partie que la lance est plongée, de manière à percer le cœur; et 
les hommes chargés de cette opération cruelle y sont tellement exercés, qu'il leur arrive rarement de 
manquer leur coup. Le malheureux Amphibie tombe aussitôt, en perdant des flots de sang. 

« En ouvrant l'estomac de ceux qu'on vient de tuer, on y trouve ordinairement un grand nombre 
de becs de Sèches, beaucoup de fucus, de pierres et de gravier; jamais on n’y aperçoit des débris de 
Poissons ou de tout autre animal osseux. Il n’est pas vrai, comme l'ont annoncé plusieurs voyageurs, 
que ces animaux paissent l'herbe du rivage, ou même qu'ils broutent le feuillage de certains arbres; 
ce fait est absolument controuvé 

« La chair des Phoques à trompe est non-seulement fade, huileuse, indigeste et noire, mais encore 
il est impossible de la retirer des couches de graisse qui l'enveloppent. La langue seule fournit un 
aliment assez bon. Les pêcheurs salent les langues avec soin et les vendent au prix des meilleures 
salaisons. Le foie paraît avoir quelques qualités nuisibles; car des pêcheurs anglais, ayant voulu es- 
sayer de s'en nourrir, éprouvèrent un assoupissement invincible qui dura plusieurs heures et qui 
s’est renouvelé toutes les fois qu'ils ont voulu goûter de ce pertide aliment. La graisse fraiche jouit, 
parmi les pêcheurs, d'une grande réputation pour la guérison des plaies. La peau est épaisse et 
forte; on l’emploie à couvrir de grandes et fortes malles; on l'estime surtout convenable pour Les har- 
nais des chevaux et des voitures; malheureusement celles des vieux individus, et dès lors les plus 
précieuses par leur dimension et par leur force, sont les plus mauvaises, à cause des nombreuses et 
larges cicatrices dont elles sont couvertes. L'huile que fournit la graisse du Phoque à trompe est 
l'objet immédiat des entreprises des Anglais sur les îles où ces animaux abondent; la quantité qu'un 
seul Phoque peut fournir est prodigieuse; les pêcheurs l'estiment, pour les plus gros individus, à 
quatorze ou quinze cents livres. On la prépare à peu près comme celle de la Baleine. Péron rapporte 
que les dix pêcheurs de l'ile King en fabriquaient environ trois mille livres par jour. Elle est abon- 
dante surtout avant l'allaitement des petits. On l'emploie pour les aliments, auxquels elle ne commu- 
nique aucune saveur désagréable; elle fournit à la lampe une flamme extrêmement vive et pure, sans 
fumée ni odeur, et elle dure plus longtemps que l'huile ordinaire employée à cet usage. Cette huile 
est destinée pour l'Angleterre, où l'on s’en sert pour divers usages économiques, mais particulière- 
ment dans les manufactures de draps, pour adoucir la laine; elle S'y vend sept livres seize sous le gal- 
lon, c’est-à-dire les quatre pintes, ancienne mesure de Paris. » 

C’est à la même espèce que l’on rapporte en général le Pnoque pe L'ite Sainr-Paur, Phoca Coxii. 


(è 36 


989 HISTOIRE NATURELLE. 


A.-G. Desmarest, qui ne diffère probablement du Macrorhinus proboscileus que par l'absence d'une 
trompe, ce qui pourrait tenir à l'âge où au sexe de l'animal décrit par Cox. 
Les autres espèces placées dans le même genre, que nous nous bornerons à indiquer, sont : 


2 MACRORIIN D'ANSON. MACRORHINUS ANSONIL Lesson. 


Caracrères sréciriques. — Pelage fauve clair; ongles des mains robustes; crêtes occipitales et 
sigittales peu développées; nez surmonté d'une trompe érectile; taille de 4 à 5. 


Cette espèce, décrite par Anson sous le nom de Lion Mami, qui est le Phoca leonina, Linné, le 
Phoca Ansonii, À.-G. Desmarest, le Mirouga Ansonii, Gray, n'est peut-être que l'Éléphant marin 
ou Phoca proboscidea, mal décrit et mal figuré. Gomme ce dernier, il habite les îles Antarctiques et 
celle de Juan-Fernandez. 


5 MACRORHIN DE BYRON MACRORHINUS BFRONII. Lesson. 


CanracrÈREs sPÉCIFIQUES. — Tête osseuse présentant six incisives supérieures dont la seconde ex- 
térieure est plus grosse que les autres, et semblable à une canine; crêtes occipitales et sagittales, 
ainsi que l'apophyse mastoide, très-saillantes. 


Cette espèce, que G. Cuvier place avec les Otaries, ne repose que sur une tête étudiée par De Blain- 
ville, voisine de celle du Phoque à trompe, et qui a reçu de Deblains et d'A. G. Desmarest la déno- 
mination de Phoca Byroni, et de M. Gray celle de Mimouca Byron. Provient des iles Marianne. 


4 MACRORHIN DES PATAGONS. MACRORHINUS PATAGONICUS. Boitard 


CanacTÈRES sPÉGIFIQUES. — Région cérébrale très-étendue; museau très-court; occipital large- 
ment déprimé dans sa partie moyenne. 


C’estle Phoca Patagenica, Fr. Cuvier, etle Mirouga Patagonica, Griffith. [ne semble pas être très- 
différent du précédent, et parait même n’en être qu'une variété; Fr. Cuvier n'en à vu et décrit qu'une 
tête de jeune individu. IE se trouve aux terres de feu et sur les rives glacées du détroit de Magellan. 


Oeumiuue Division, 


OTARIES. OTARLÆ. Péron. 


Système dentaire composé de dents en nombre un peu variable. Incisives en général à deux tran- 
chants. Molaires espacées, coniques 

Oreilles à conque externe plus où moins apparente, et quelquefois très-peu, enroulée et recou- 
vrant l'orifice auriculaire. 

Pieds antérieurs en nageoires placés au milieu du corps et sans ongles. 


Gette division correspond au genre Otarie de Péron, et comprend d’une manière générale les 
Phoques à conque auditive visible à l'extérieur, tandis que la première division, celle des Phoques 


CARNASSIERS. 283 


proprement dits, renferme les espèces privées de la conque extérieure de l'orelle, Nous devons con- 
venir que cette subdivision est artificielle, et que déjà chez les Macrorhins, compris dans les Phoques 
sans oreilles externes, on peut apercevoir parfois un léger rudiment de conque auriculaire; mais ce 
rudiment devient souvent un peu plus apparent chez les Arctocéphales et les Platyrhynques, pour 
l'être tout à fait chez les Otaries proprement dites. 

On ne connaît qu'un nombre assez restreint de Phocidés de cette division ; elles se trouvent aussi 
bien dans l'océan Pacifique, principalement vers le Nord, que dans les mers Australes, et sont répar- 
ties dans les trois genres que nous venons de nommer. Les mœurs de ces animaux sont à peu près 
semblables à celles des Phocidés, et nous nous en occuperons en donnant les détails spécifiques. 


Fig. 126. — Otarie marbrée 


4e GENRE. — ARCTOCÉPHABE. ARCTOCEPHALUS. Fr. Cuvier, 1896. 


Dictionnaire des Sciences naturelles, & XXXIX. 


Aoxto:, Ours, £eoaxan, lête, 


CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 
Système dentaire : incisives, © ; canines, EX; molaires, = : en totalité, trente-six dents. Sur 
les six incisives supérieures, les quatre moyennes sont profondément échancrées dans leur nüleu, 
ct les quatre inférieures correspondantes échancrées d'avant en arrière; les canines sont de monyne 
force; les molaires n'ont qu'une racine moins épaisse que la couronne, qui sonsiste en un tubercule 
moyen garni à sa base, en avant et en arrière, d'un tubercule beaucoup plus petit 

Tête surbaissée. 


f 
ï 


[Le 


87 HISTOIRE NATURELLE 


Museau rétrécr. 

Mains placées très en arrière, ce qui fait paraitre le con très-allongé. 

Pieds ayant une membrane à cinq lobes dépassant les doigts. 

Le type de ce genre a été offert par l'Ours mari, Phoca ursina, Linné, à en juger, du moins, par 
la tête qui a servi de guide à Fr. Cuvier, et qui était désignée sous ce nom. Le système dentaire consiste 
en trente-six dents, vingt à la mâchoire supérieure, savoir six incisives, deux canines et douze molaires, 
et seize à la mâchoire inférieure, se divisant en quatre incisives, deux canines et dix molaires. 
Les quatre incisives moyennes supérieures sont partagées transversalement dans leur milieu par une 
échancrure profonde; les deux premières sont petites, comprimées latéralement, à peu près d’égale 
grandeur, quelquefois partagées en deux par un sillon transversal, et beaucoup plus petites que la 
troisième, qui a toutes les formes de la canine. Celles-ci sont très-fortes, très-larges à leur base, et 
terminées seulement en arrière par une côte saillante. Immédiatement après viennent les molaires, 
qui se ressemblent toutes; un étranglement sépare nettement la racine de la couronne; celle-ci est 
généralement conique, avee un petit tubercule à la base de sa partie antérieure; les cmq premières se 
suivent régulièrement à la même distance; mais la dernière est séparée de la largeur de tout un al- 
véole de celle qui la précède, et elle est beaucoup moins profondément enracinée que les autres; les 
racines ont cela de très-remarquable, qu'après l'étranglement qui les sépare de la couronne, elles 
se renflent pour s’'allonger ensuite en un cène deux fois plus Tong que la couronne elle-même. À la 
mâchoire inférieure, les incisives sont échancrées d'avant en arrière; elles sont coniques et de gran- 
deur à peu près égale; la canine est semblable à celle de la mächoire opposée, et les molaires sont, 
de même que celles de l'autre mâchoire, coniques, avec des racines plus grosses et plus longues que 
la couronne, mais ayant, par derrière comme par devant, un petit tubercule pointu à leur collet. 
Dans leur action réciproque, ces dents semblent alternes, et la sixième supérieure n'en a aucune qui 
lui soit opposée. La tête est singulièrement surbaissée et le museau rétréci, comparativement avec la 
tête des Platyrhynques. Tout ce qu'on connait sur les autres systèmes d'organes, c'est que les oreilles 
ont une conque externe rudimentaire; que la membrane du pied de derriére se prolonge en autant 
de divisions que les doigts, mais sous forme de lobe très-prolongé, et que les membres antérieurs 
sont placés fort en arrière, ce qui fait paraitre le cou plus long. 

Fr. Cuvier ne plaçait qu'une seule espèce dans ce genre, mais aujourd'hui on en admet une se- 
conde, d’après M. Gray. 


1. ARCTOCÉPHALE OURSIN. ARCTOCEPHALUS URSINUS. Fr. Cuvier. 


CARACTÈRES SPÉGIFIQUES. — Corps mince, tête ronde; gueule peu fendue; yeux proéminents; mous- 
taches longues; oreilles pointues, coniques; pelage composé de deux sortes de poils : celui de dessous 
court, ras, doux, satiné, d'une belle couleur rousse, et celui de dessus plus long, brunâtre, tacheté 
de gris foncé. Longueur totale depuis le bout du museau jusqu'à l'extrémité la queue, variant de 
15/5072 


Cest l'Ours marin de Buffon, le Phoca ursina de Linné, l'Ursus marinus de Steller, l'Arctoce- 
phalus ursinus, Fr. Cuvier, et l'Otaria Fabricu, Lesson. 

Il habite les côtes du Kamtchatka et les îles Aléoutiennes, et en général toutes les parties de 
l'océan Pacifique du Nord. Il se plait au milieu des rochers et des récifs, sur les côtes les plus expo- 
sées à la tempête, et ses mœurs sont extrêmement sauvages. La finesse de son odorat l'avertit à uue 
très-grande distance de l'approche des chasseurs, ce qui le rend très-difficile à prendre : cependant 
on le recherche beaucoup, parce que sa fourrure, assez douce, est très-cstimée, principalement en 
Chine. 

Le Phoque oursin ressemble beaucoup, par ses formes extérieures, au Lion marin, type du genre 
Platyrhnchus; il en a la tête, les oreilles externes; son corps a la même proportion; ses membres 
sont conformés de la même manière; les doigts de ses nageoires postérieures sont également dépassés 


CARNASSIERS, 285 


par les lanières de peau fort allongées et linéaires; sa queue est aussi courte, ete.; mais il en diffère 
par la taille et par le pelage. 

Le poids des plus grands Phoques oursins des mers du Kamtchatka est d'environ vingt pouds de 
Russie, c’est-à-dire quatre cents de nos kilogrammes, et leur longueur n'excède pas 3". Leur 
poil est hérissé, épais et long; il est de couleur noirâtre et tacheté de gris sur le corps, et jaunâtre 
ou roussâtre sur les pieds et les flancs; il y a, sous ce long poil, une espèce de feutre, c’est-à-dire 
un second poil plus court et très-doux, qui est également de couleur roussâtre; mais dans la vieillesse 
les plus longs poils deviennent gris ou blancs à la pointe, ce qui les fait paraître d'une couleur grise 
un peu sombre. Ils n’ont pas autour du cou de longs poils en forme de crinière, comme les Lions 
marins. Les femelles diffèrent si fort des mâles par la couleur, ainsi que par la grandeur, qu'on serait 
tenté de les prendre pour des animaux d’une autre espèce. Leurs plus longs poils varient; ils sont 
tantôt cendrés et tantôt mêlés de roussâtre. Les petits sont du plus beau noir en naissant; on fait de 
leur peau des fourrures qui sont très-estimées; mais, dès le quatrième jour après leur naissance, il y 
a du roussâtre sur les pieds et sur les côtés du corps : c’est pour cette raison que l'on tue souvent 
les femelles qui sont pleines, pour avoir la peau du fœtus qu'elles portent, parce que cette fourrure 
est encore plus soyeuse que celle des nouveau-nés. 


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Fig. 127 — Arctocéphale oursin. 


Les habitudes de ce Phoque différent peu, quant au fond, de celles du Lion marin, mais bien par 
les détails. Ils vivent en familles; chaque chef se tient à la tête de la sienne, composée de ses femelles, 
au nombre de huit, jusqu’à quinze, et, dit-on même, cinquante, et tous leurs petits des deux sexes : 
chaque famille se tient séparée, et, quoique ces animaux soient en certains endroits par milliers, les 
familles ne se mêlent jamais. Les mâles se battent entre eux pour se disputer la possession des fe- 
melles; et, après un combat cruel, le vainqueur s'empare de la famille du vaineu, qu'il réunit à la 
sienne. Le Phoque oursin craint seulement le Lion marin; du reste, il fait une guerre cruelle à tous Les 


286 HISTOIRE NATURELLE. 


autres animaux de mer, et notamment aux Loutres marines. Il n'est ni dangereux, ni redoutable pour 
l'homme; il ne cherche même pas à se défendre contre lui, et il n’est à craindre que lorsqu'on le 
réduit au désespoir, et qu'on le serre de si près qu'il ne peut fuir. La femelle n'a pas l'indiffé- 
rence qu'on reproche à la Lionne marine pour son petit; elle lui témoigne un attachement si vif et si 
tendre, que, même dans le plus pressant danger pour sa propre personne, elle n'abandonne jamais 
son petit; elle emploie tout ce qu'elle a de force et de courage pour le défendre et le conserver, et 
souvent, quoique blessée elle-même, elle l'emporte dans sa gueule pour le sauver Le cri de ces 
animaux est plaintif, mais il varie selon les circonstances. En général, le bélement d'un troupeau en- 
tier de ces Phoques ressemble de loin à celui d'un troupeau composé de Moutons et de Veaux. Les 
femelles mettent bas, au mois de juin, sur les rives désertes de la mer du Nord; et, comme elles 
entrent en chaleur dans le mois de juillet suivant, on peut en conclure que le temps de la gestation 
est au moins de dix mois; les portées sont ordinairement d'un seul, rarement de deux petits, les 
mères les allaitent jusqu'à la fin d'août. Ces petits, déjà très-forts, jouent souvent ensemble ; et, 
dit-on, lorsqu'ils viennent à se battre, celui qui est vainqueur est caressé par le père, etle vaineu est 
protégé et secouru par la mère. 


2, ARCTOCÉPHALE LOBÉ. ARCTOCEPIHALUS LOBATUS Gray 


CaracTeres srÉciriQues. — Pelage brun, tirant sur le rouge lorsque l'animal commence à vieillir. 
Longueur de 1",30 à 2". 


Cette espèce, qui ne diffère peut-être pas de la précédente, dans laquelle on pourra peut-être 
quelque jour distinguer plusieurs espèces particulières, est l'Ouns mari De Fousrer, l'Arctocephalus 
lobatus, Gray, etlOtaria Forsteri, Lesson, qui lui rapporte les synonymies que nous avons appliquées 
à l'Arctocephalus ursinus. 

Cet animal est le Phoque à fourrures des pécheurs européens ou américains. I habite les hautes lati- 
tudes, fréquente toutes les côtes morcelées de l'extrémité australe de l'Amérique, le cap Horn, la terre 
des États, les îles Malouines, l'archipel de Pierre-le-Grand, et aussi les îles Marquises, Penantipodes, 
les parties méridionales de la Nouvelle-Hollande. de la Nouvelle-Zélande et de la terre de Van-Diemen. 
Du Petit-Thouars le mentionne à l'ile de Tristan d'Amyna. Enfin, on l’a aussi signalé dans les mers 
du cap de Bonne-Espérance. 

Ce Phoque, comme le précédent, est recherché dans le commerce de pelleterie, et sa fourrure est très- 
estimée. La couleur la plus ordinaire de cette fourrure est le brun; mais, lorsque l'animal est parvenu 
à toute sa croissance, elle tire sur le rouge. Sa qualité ne diffère de celle des Castors que parce que 
les poils ou le feutre soyeux qui la composent sont les plus courts. Mais cependant cette fourrure est 
grossière sur le dos et sur le cou, et ce n’est que sous le corps, et notamment sous le ventre, qu'elle 
prend cette finesse et ce moelleux qui la fait rechercher. Les crins qui couvrent le corps et qui dé- 
passent le feutre sont toujours arrachés. Pour cela, on chaulfe doucement la peau, et on la ratisse for- 
tement avec un large couteau de bois façonné à cet effet. Débarrassée de ses longs poils, la fourrure 
acquiert alors toute sa beauté et se vend en Chine environ douze francs, et jusqu'à trente et trente- 
six francs en Angleterre, en y comprenant la prime. On en fait des chapeaux superfins, des garni- 
tures de robes, des manteaux, ete. Des chasseurs de Phoques assurent que cette espèce, si pré- 
cieuse à leurs yeux, ne se trouve jamais que sur les côtes les plus battues par les vagues, dans les 
lieux les plus äpres des côtes de Fer qui bordent la plupart des îles de la mer du Sud, et que jamais 
on ne la voit se reposer dans les criques bordées de longues plages sablonneuses, déclives, où la 
mer roule paisiblement ses eaux pendant la marée montante. Ses mœurs sont, dit-on, très-sauvages. 
et son odorat très-subtil; de loin, elle a la conscience, par son moyen, des approches de l'homme, 
et s’empresse de gagner la mer et de fuir un ennemi qu'elle a appris à redouter. 


CARNASSIERS. 287 


Ome GENRE. — PLATYRHYNQUE. PLATYRHYNCHUS. Fr. Cuvier, 1826. 
Dictionnaire des Sciences naturelles, t. XXXIV. 


Iaruc, large; c2Yycc, nez. 


CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 


G—f 


Système dentaire : incisives, À; canines, {= ; molaires, = : en totalité, trente-six dents, conne 
dans les genres précédents. Les incisives pointues. Les molaires n'ayant pus de pointe secondaire, 
excepté à leur partie antérieure. 

Crane très-élevé. 

Museau plus élargi que dans les Arctocéphales. 


Ce genre est l'un des moins bien connus de ceux de la tribu des Phocidés, et les espèces qu'il ren- 
ferme n’ont pas encore été étudiées suffisamment. Les Platyrhynques sont répandus dans presque 
toutes les mers, dans le nord de l'Océan Pacifique, dans les mers australes, à Manille, au Chili, ete. 


1. PLATYRHYNQUE LION MARIN. PLATYRHYNCHUS LEONINUS. Fr. Cuvier. 


CaracrÈres spéciriques. — Pelage uniformément fauve; moustaches noires; le mâle portant sur le 
cou une crinière qui lui descend jusque sur les épaules; tête assez petite, presque semblable à celle 
d'un Dogue, avec le nez légèrement relevé et comme tronqué à son extrémité; longueur totale assez 
variable, car l’on indique des individus n'ayant que 4", tandis que d’autres peuvent atteindre, 
dit-on, au delà de 8". 


La synonymie de cette espèce est l’une des plus embrouillées de celles des diverses espèces de la 
tribu des Phocidés : il paraît, toutefois, que c’est à cette espèce qu'on doit rapporter tous les animaux 
décrits sous les noms suivants : Pnoque À crmièRE, Forster; Liox marin, Steller, en partie Buffon, 
principalement dans son Supplément, probablement Pernetti, et Krachennikikow: enfin, les zoolo- 
gistes nomenclateurs lui ont successivement appliqué les dénominations de Phoca jubata, Schreber: 
Olaria jubata et leonina, À.-G. Desmarest; Platyrhynchus leoninus, Fr. Cuvier, Lesson, etc. 

Pendant longtemps on a confondu avec cette espèce : 1° le Lion marin d'Anson, mais il a été 
bien démontré que cet animal devait être rapproché du Macrorhin à trompe; 2° le Lion marin de 
Pernetti, et probablement aussi de Forster, qui pourrait peut-être, d’après Lesson, être réuni au 
Platyrhynchus molossinus; mais cela n’est pas encore démontré, et nous laisserons sous le même 
nom les Lions marins de Pernetti, Forster et Steller; 3° le Phoque de l'ile Saint-Paul, qui doit peut- 
être constituer une espèce particulière d'Otaries; et # le Phoca Californica, décrit assez récemment 
par Lesson, et que l’on a reconnu n'être que le jeune âge du Platyrhynchus leoninus. 

Le Platyrhynque Lion marin, en adoptant la réunion des Lions marins de Forster et de Steller, 
ainsi que l’admet G. Cuvier, se trouverait répandu dans toute la mer Pacifique, aussi bien dans le 
détroit de Magellan, dans les mers australes, que dans l'Océan Pacifique du Nord, au Kamtchatka, 
aux îles Kourilles, en Californie, ete. Certains zoologistes pensent, et leur avis est probablement le 
meilleur, qu'il doit y avoir deux espèces confondues parmi celle que nous décrivons : l'une propre 
au pôle nord, et l’autre particulière aux mers australes; mais, dans l’état actuel de la science, on ne 
peut pas parvenir à distinguer ces deux espèces, et il vaut mieux, à l'exemple de notre illustre com- 
patriote, les laisser réunies jusqu'à ce que des études nouvelles viennent nous les faire connaitre 
plus complétement. Cela posé, nous rapporterons ce que les auteurs disent du Lion marin. 

C’est d’après Forster que nous décrirons d’abord les Phoques, appelés Lions marins, qui habitent 
la pointe sud de l'Amérique, c’est-à-dire les îles Falkland, le détroit de Magellan et la Terre des 
Etats. Ensuite, nous rapporterons la description donnée par Steller de ses Lions marins, et nous 


288 HISTOIRE NATURELLE. 


examinerons s’il nous est permis de décider l'identité ou la non-identité d'espèce de ces animaux. D’après 
l'auteur que nous avons cité le premier, Le Lion marin est le Phoque à oreilles externes de la plus grande 
espèce. Sa longueur est de dix à douze pieds anglais, lorsqu'il a pris tout son accroissement; les femelles, 
qui sont beaucoup plus minces que les mâles, sont aussi plus petites et n’ont communément que sept 
ou huit pieds; les plus gros mâles pèsent de douze à quinze cents livres (anglaises), et, en moyenne, 
cinq cent cinquante après qu’on en a Ôté la peau, les entrailles et la graisse; le diamètre du corps, 
dans les individus des deux sexes, est à peu près égal au tiers de la longueur; l'épaisseur est à peu 
près la même partout, et l’animal se présente aux yeux comme un gros cylindre, plutôt fait pour rouler 
que pour marcher sur la terre; aussi le corps trop arrondi n’y trouve d’assiette que parce que, étant re- 
couvert partout d'une graisse excessive, il prête un point d'appui aux inégalités du terrain et aux pierres 
sur lesquelles l'animal se couche pour se reposer. La tête paraît être trop petite à proportion d'un 
corps aussi gros; le museau est assez semblable à celui d’un gros Dogue, étant un peu relevé et comme 
tronqué à son extrémité; la lèvre supérieure déborde sur l'inférieure, et toutes deux sont garnies de 
cinq rangs de soies rudes, en forme de moustaches, qui sont longues, noires et s'étendent le long de 
l'ouverture de la gueule; ces soies sont des tuyaux dont on peut faire des cure-dents; elles deviennent 
blanches dans la vieillesse. Les oreilles sont coniques, longues seulement d'environ 0",01 à 0,02; 
leur cartilage est ferme et roide, et néanmoins elles sont repliées vers l'extrémité; la partie inté- 
rieure en est lisse et la surface extérieure est garnie de poils. Les yeux sont grands et proéminents; 
l'iris est vert, et le reste de l'œil est blanc, varié de petits filets sanguins; il y a une membrane cli- 
gnotante à l'intérieur. Les sourcils, composés de crins noirs, surmontent les yeux. Les dents sont au 
nombre de trente-six : les incisives supérieures ont deux pointes, au lieu que les inférieures n'en ont 
qu'une; il y en a quatre, tant en haut qu'en bas; les dents canines sont bien plus longues que les in- 
cisives, et de forme conique, un peu crochues à leur extrémité, avec une cannelure au côté intérieur. 
Les pieds du devant ou les mains, qui partent de la poitrine, sont de grandes bandes plates, d'une 
membrane noire et dure, lisse et sans poil, et dans le milieu se trouvent quelques vestiges d'ongles 
qu'on distingue à peine. Les nageoires de derrière, lisses et sans poils, comme celles de devant, 
sont divisées en cinq longs doigts, aplatis et enveloppés dans une peau mince, qui s'étend au delà 
des ongles, qui sont fort petits. La queue, de forme conique et couverte de petits poils, est courte. 
La tête du mâle et la partie supérieure de son corps sont recouvertes de poils épais ondoyants, 
longs de deux à trois pouces et de couleur jaune foncé où tanné, qui flottent sur le front et sur les 
joues, et forment une erinière sur le cou et sur la poitrine de l'animal. Cette crinière se hérisse lors- 
qu'il est irrité. Sur tout le reste du corps, des poils courts, lisses, fauves brunâtres et comme collés 
à la peau, l'enveloppent dans vne robe satinée et luisante. La femelle n’a pas le moindre vestige de 
crinière, à quelque âge qu'elle soit parvenue; tout son poil est court, lisse et luisant, comme celui de 
la robe du mâle; mais il est d'une couleur jaunâtre assez claire. 

Suivant Steller et Krachenninikow, le Lion marin du Nord serait plus petit que celui du Sud, 
puisque sa taille ne surpasserait guère celle du Phoque Ours marin; sa peau, sur tout le corps, serait 
brune; sa tête de moyenne grosseur; ses oreilles courtes; le bout de son museau court et relevé, 
comme celui du Chien doguin; son cou serait nu, avec une petite crinière d’un poil rude et frisé. 
Mais ces caractères, comme le fait observer À. G. Desmarest, ne sont certainement pas suffisants pour 
affirmer que l'espèce de Steller est différente de celle de Forster. 

Le père Labbé fait mention du Lion marin des côtes du Brésil, lieu où cet animal serait assez com 
mun. Lemaire l'observa à l'ile du Roi, sur la côte des Patagons; mais cet auteur dit qu'on ne le ren- 
contre pas au delà du einquante-sixième degré de latitude septentrionale. Molina semble lavoir vu au 
Chili. Bougainville a trouvé le Lion marin aux îles Malouines, se partageant le terrain avec les Phoques 
à trompe et avec d'autres espèces du même groupe. Cook la également vu sur les îles du Nouvel-An, 
situées à la côte du nord de la Terre des États, ete. Îl est remarquable qu'on n'ait point signalé cet 
animal dans l'immense intervalle qui sépare les deux régions qu'il habite. D'autres voyageurs l'ont re- 
connu dans le grand Océan boréal, dans les îles Kourilles et au Kamtchatka. Steller, qui s'était embar- 
qué sur le vaisseau de Béring, en qualité de naturaliste, dans le voyage où ce navigateur découvrit 
pour les Russes, l'Amérique du Nord-Ouest par les latitudes élevées, vécut pour ainsi dire avec ces 
Amphibies pendant plusieurs mois, dans l'ile sur laquelle Le vaisseau de Béring fit naufrage. 

« Les Lions marins, dit Buffon, vont et se tiennent par grandes familles, chaque famille est ordi- 


CARNASSIERS. 289 


nairement composée d’un mâle adulte, de dix ou douze femelles et de quinze à vingt Jeunes des deux 
sexes; tous nagent ainsi dans la mer, demeurent ainsi réunis lorsqu'ils se reposent à terre... La 
présence ou la voix de l'homme les fait fuir ou se jeter à l’eau; car, quoique ces animaux soient 
bien plus grands et plus forts que les Ours marins, ils sont néanmoins plus timides. Lorsqu'un 
homme les attaque avec un simple bâton, ils se défendent rarement et fuient en gémissant; jamais ils 
n'attaquent ni n'offensent, et l’on peut se trouver au milieu d'eux sans avoir rien à craindre, ils ne 
deviennent dangereux que lorsqu'on les blesse grièvement ou qu'on les met aux abois; la nécessité 
leur donne alors de la fureur; ils font face à l'ennemi et combattent avec d'autant plus de courage qu'ils 
sont plus maltraités. Les chasseurs cherchent à les surprendre sur la terre plutôt que dans la mer, parce 
qu'ils renversent souventles barques lorsqu'ils se sentent blessés. Comme ces animaux sont puissants, 
massifs et très-forts, c'est une espèce de gloire parmi les Kamtchadales, que de tuer un Lion marin 
mâle. Les mâles se livrent souvent entre eux des combats longs et sanglants. On en à vu qui avaient 
le corps entamé et couvert de grandes cicatrices. Is se battent pour défendre leurs femelles contre un 
rival qui vient s'en saisir et les enlever; après le combat, le vainqueur devient le chef et le maître de 
la famille entière du vaincu. Ils se battent aussi pour conserver la place que chaque mâle occupe 
toujours sûr une grosse pierre quil a choisie pour domicile; et, lorsqu'un autre mâle vient pour l'en 
chasser, le combat commence et ne finit que par la fuite ou par la mort du plus faible. » 


Fig. 198. — Platyrhiynque lion marin, 


‘ 


L'accouplement est précédé, dans cette espèce, de plusieurs caresses étranges : c'est le sexe le 
plus faible qui fait les avances, c'est ainsi que le décrit George Forster : « La femelle se tapit aux 
pieds du mâle, rampant cent fois autour de ni, et de temps à autre rapprochant son museau du sien 
comme pour le baiser : le mâle, pendant cette cérémonie, semblait avoir de l'humeur; il grondait et 
montrait les dents à la femelle, comme s'il eût voulu la mordre : à ce signal, la souple femelle se re- 
tira et vint ensuite recommencer ses caresses et lécher les pieds du mâle. Après un long préambule 


ca 57 


290 3 HISTOIRE NATURELLE. 


de cette sorte, ils se jetèrent tous les deux à la mer et y firent plusieurs tours en se poursuivant l'un 
et l’autre; enfin la femelle sortit la première sur le rivage, où elle se renversa sur son-dos: le mäle, 
qui la suivait de près, la couvrit dans cette situation, et laccouplement dura huit à dix minutes. » 
Selon Forster, l'accouplement des Lions marins a lieu en décembre et janvier, aux terres magellani- 
ques, et, suivant Steller, en août et en septembre, sur les côtes du Kamtchatka. Ges animaux choisis- 
sent toujours les côtes désertes pour y faire leurs petits et s'y livrer au plaisir de Pamour. Leur voix 
diffère selon l'âge et le sexe. Les vieux mâles mugissent comme des Taureaux; les femelles font en- 
tendre un eri comparable au beuglement des Veaux, et les jeunes bélent presque comme les Agneaux. 
Il parait qu'ils ne prennent aucune nourriture pendant leur séjour à terre, qui dure quelquefois plus 
d'un mois; aussi deviennent-ils maigres. Ils ont Phabitude alors d'avaler un certain nombre de 
grosses pierres qui tiennent leur estomac tendu.'Le temps de la gestation est d'environ onze mois; 
les voyageurs ne s'accordent pas sur le nombre de petits que la femelle produit à chaque portée. 
Selon Steller,.elle n’en fait qu'un; suivant Forster, elle‘en fait deux. L’odeur de ces animaux est 
forte. | 

Les voyageurs ne sont point d'accord sur la bonté de leur chair; les uns disent qu'elle est noire 
et mauvaise, et d’autres qu'elle est, ainsi que la graisse, d’un goût très-agréable. 3 

Quant à l'Oraris De CauirornEe, Otaria Californina, Lesson, où JEUNE LION MARIN DE CALIFORNIE, 
Choris, il est démontré que c’est un jeune du Platyrhynchus leoninus. Dans cet individu, le pelage 
est ras, uniformément fauve brunâtre, les moustaches sont peu fournies; le museau assez pointu; les 
membres antérieurs sont réguliers, plus grands que les postérieurs; cinq rudiments d'ongles occupent 
l'extrémité des phalanges et sont débordés par une large bande de la membrane; les pieds postérieurs 
sont minces, ayant trois ongles au milieu et deux rudiments d'ongles internes el externes; cinq fes- 
tons, lancéolés et étroits, dépassent de cinq ou six pouces les ongles; la queue est très-courte. 


2. PLATYRHYNQUE A CRIN. PLATFRHYNCHUS MOLOSSINUS. Lesson. 


Caractères srÉCIFIQUES. — Pelage d’un roux uniforme, ras sur toutes les parties du corps; poils 
des moustaches aplatis, d'un brun rouge, à extrémité noire: mains manquant d'ongles; pieds en pré- 
sentant trois trés-gros; tête petite, arrondie; oreilles petites, pointues, roulèes sur elles-mimes. Lon- 
gueur totale, depuis le bout du museau jusqu'à l'extrémité de la queue, variant entre 1",30 
et 2,60. 


Cette espèce est le Phoca et Otaria Molossina, Lesson et Garnot; il se rapporte probablement au 
Lion marin de la petite espèce, Pernetti, et l'on doit également lui réunir l'Orame De GnéRix, Quoy et 
Gaimard où Platyrhynchus Uraniæ, Lesson. 

Le Platyrlynehus Molossinus habite, ainsi que l'indique son nom, les Moluques et presque toutes 
les parties des mers australes; c'est un Phocidé à formes élancées, régulières, à tête petite, arrondie, 
comme tronquêe en avant, et présentant exactement le museau d’un Dogue. Le nez est peu proémi- 
nent et séparé par une rainure; la lèvre supérieure déborde l'inférieure, et toutes les deux sont gar- 
nies sur leurs rebords de poils courts et serrés. Les moustaches qui couvrent la face sont disposées 
sur quatre à six rangs; elles se composent de poils d'autant plus allongés qu'ils sont plus exté- 
rieurs, et dont la plus grande longueur est de 0",19; ces poils sont lisses, très-rudes, aplatis trans- 
versaiement et de couleur fauve clair. L’œil, à iris verdâtre, est place à 0,08 de la commissure 
de la bouche. Les oreilles sont très-petites, épaisses, pointues et roulées sur elles-mêmes; elles 
sont revêtues d'un poil ras et serré; leur face interne est nue. Les paupières sont longues de 0,04, 
entourées de poils roux et courts. Les membres antérieurs sont aplatis en nageoires que termine une 
membrane épaisse, sinueuse en son bord, qui est d’un noir vif et complétement lisse. Les phalanges 
sont empêtrées dans cette portion membraneuse et sont indiquées par trois stries principales et pro- 
fondes; sur leur partie moyenne on observe quatre rudiments d'ongles. Les membres postérieurs sont 
rapprochés, aplatis, terminés par des phalanges d’égale longueur; les trois doigts du milieu sont 
garnis chacun d'un ongle fort, noir, long de 0",04, arrondi, convexe supérieurement, aplati infé- 
rieurement et terminé par un rebord taillé obliquement à la partie externe de la phalange extérieure, 


CARNASSIERS. 29 


et avec les rudiments des deux phalanges intérieures. On remarque seulement deux rudiments d’on- 
gles aux doigts externe et interne. La membrane qui unit les doigts est large, et les engage jusqu'à 
0,04 au delà des ongles en formant un rebord. Cette portion, garnie de nervures tendineuses qui 
partent de la dernière phalange, se divise en cinq festons étroits, arrondis à leur sommet, où ils sont 
plus larges qu'à Fa base et d'autant plus développés qu'ils sont plus extérieurs. La surface externe 
des membres est couverte, comme toutes les autres parties du corps, d'un poil abondant, court et 
serré, tandis que les aisselles, les aînes et le dessous des membres sont complétement nus. Les mem- 
branes n'ont aucune trace de poils et sont d'un noir vif. La queue est courte, aplatie et pointue à son 
extrémité. La longueur des poils ne dépasse pas 0,01, et leur couleur est d'un roux brun comme 
satiné lorsque l'animal est en vie. Ce Phoque à trente-six dents; les incisives supérieures, aplaties 
transversalement, sont séparées en deux lobes par un sillon profond. 


Fig. 429. — Platyrhynque à crin. 


Le PraryRHyNQuE où Grame De Guénx, Platyrhiynchus Uraniæ, Lesson, ne semble pas différer 
assez du Platyrhynque des Moluques pour qu'on puisse en faire une espèce distincte; cependant 
MM. Quoy et Gaimard lui donnent six incisives en haut et quatre en bas, quatorze molaires supé- 
rieures et douze inférieures; son pelage est brun, ras; son museau aplati, portant cinq rangs de 
moustaches; sa taille est d'environ 1,60. Il habite également les iles Malouines. 


5. PLATYRHYNQUE URIGUE. PLATYRHYNCHUS FLAVESCENS. Pœping. 


CarAcTÈRES srÉciFiquEs. — Pelage brun-gris ou blanchätre, composé de deux sortes de poils; tête 
Oo © ) 
grosse, ronde. Longueur variant de 4 à 2" 50. 


292 HISTOIRE NATURELLE. 


Cette espèce, qui habite les mers du Chili, est le Phoca lupina de Molina; elle est loin d’être sut- 
fisamment connue, et l'on n’en sait que ce que nous en a rapporté Molina. « Les Français et les Es- 
pagnols, dit-il, nomment cette espèce Lour mari. Il varie pour la grosseur et la couleur du pelage. 
Sa longueur est de trois, de six et de huit pieds. Son pelage est brun, gris, quelquefois blanchâtre, 
composé de deux sortes de poils, lun doux comme celui du Bœuf, l'autre plus dur; la tête est grosse, 
ronde et ressemble à celle d'un Chien auquel on a coupé les oreilles près de la peau. Son nez res- 
semble à celui du Veau; le mufle est court, obtus; les deux lèvres sont égales, la supérieure un peu 
cannelée, comme celle du Lion, Il a quatre doigts à chaque patte de devant, ce qui le distingue des 
autres Phoques; ses pattes de derrière en ont cinq. La queue a trois pouces de longueur. Lorsqu'ils 
s’accouplent, ce qui se fait ordinairement à la fin de l'automne, ils s'appuient sur les pattes de der- 
riére et s’embrassent avec les nageoires. La femelle met bas au printemps et fait un, deux ou, mais 
rarement, trois petits. [ls marchent très-mal sur la terre et se traînent plutôt d'un endroit à l'autre; il 
serait cependant très-imprudent de s'en approcher, car, quoique lourds et pesants en apparence, leur 
cou à beaucoup de flexibilité, et l'on s’exposerait toujours aux morsures de leurs dents terribles. 
Lorsqu'ils voient passer quelqu'un près de l'endroit où ils sont couchés, ils ouvrent la gueule telle- 
ment, qu'une boule d'un pied de diamètre y entrerait aisément. La voix des vieux Urigues peut être 
comparée au mugissement des Taureaux et au grognement des Cochons. Ces Phoques ne peuvent pas 
rester longtemps sous l'eau; on les voit souvent sortir la tête pour respirer ou pour prendre quelque 
Pingouin ou autre Oiseau aquatique dont ils sont très-friands. Les jeunes bêlent comme des Agneaux. 
Les Chiliens font avec la peau de ces animaux des sortes de radeaux sur lesquels on peut passer les ri- 
vières et pêcher à la mer. On en prend deux que l'on gonfle d’air; on attache sur ces ballons plusieurs 
traverses de bois sur lesquelles une ou plusieurs personnes peuvent s'asseoir. On en prépare une sorte 
de maroquin à gros grain, surpassant le maroquin en bonté; on en fait encore des souliers et des 
bottes imperméables à l'eau, Les habitants de l'archipel de Ghiloë font un commerce considérable 
d'huile d'Urigue; elle est préférée à l'huile de Baleine. On trouve souvent dans l'estomac de ces ani- 
maux des pierres de plusieurs livres. » 


3" GENRE. — OTARIE. OT'ARIA. Péron, 1807. 
Voyage aux Terres Australes, t. 1. 


Otaria, Otarie 
CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 


$ 
mitoyennes, à double tranchant; les externes simples et plus petites; les quatre incisives inférieures 
fourchues; toutes les molaires simples, coniques. 

Conques auditives externes, visibles, petites. 

Doigts des nageoires antérieures presque immobiles. 

Membrane des pieds de derrière se prolongeant en une lanière au delà de chaque doigt. 

Ongles plats, menus. 

Poils plus longs, moins ras que dans les autres genres de Phocidés. 


Système dentaire : incisives, #; canines, =; molaires, 5%. Les quatre incisives supérieures 


Nous avons défini le genre Otarie comme le faisait G. Guvier dans son Règne animal, mais nous 
ne nous dissimulons pas que tous les caractères qu'il assigne à ce groupe ne sont pas applicables aux 
espèces que nous y rangeons; car, en effet, depuis la publication de l'ouvrage classique de G. Cuvier, 
les Otaries ont été partagées, par Fr. Cuvier, en plusieurs genres, et celles qu'à l'exemple de plu- 
sieurs naturalistes nous laissons sous cette dénomination n'y sont que parce que nous n'avons pu les 
mettre ailleurs, ne les connaissant pas suffisamment. C'est donc en quelque sorte, et pour parler 
à la manière de Linné, un groupe de Phoques à oreilles d'insertæ sedis que nous indiquons sous le 
nom d'Otarie. 

Sous le rapport de l’ostéologie, nous pouvons dire que les animaux de ce groupe sont trop mal 


CARNASSIERS. 293 


définis pour que nous puissions en donner les différences spécifiques, d'autant plus que l'on ne pos- 
sède guère que des têtes de ceux qui ont été désignés sous des noms particuliers par les voyageurs 
modernes. Cependant, nous dirons que l'on croit avoir remarqué quelques différences qui portent 
sur la forme de la voûte palatine plus ou moins reculée, plus ou moins terminée en ligne droite ou 
oblique; sur celle des os du nez, qui n'est pas toujours la même, et surtout sur la forme, la direc- 
tion et le développement de l'apophyse orhi aire. 

La taille des Otaries, sans égaler celle des grandes espèces de Phocidés, est encore assez consi- 
dérable. Leurs mœurs sont analogues à celles des autres Phoques, c’est-à-dire qu'on les rencontre 
dans les mers auprès des côtes, et que souvent ils se rendent sur le rivage. 

Les dix ou douze espèces rangées dans le groupe des Otaries ne se rencontrent pas aussi près des 
pôles que les espèces des autres genres de Fhocidés; elles sont propres aux mers australes, mais 
aussi bien à celles qui baignent le cap de Bonne-Espérance qu'à celles du détroit de Magellan, des 
îles Malouines, et même de l'Australie. 


4. OTARIE NOIRE. OTARIA PUSILLA. Lesson. 


CanactÈRes sPÉcirIQuES. — Pelage doux, généralement noirätre; pieds de derrière n'ayant d'ongles 
apparents qu'aux trois doigts du milieu, et terminés par une membrane dont le bord offre cinq 
lobes; soies des moustaches rondes, lisses. Longueur totale variant entre 0,70 et 1",30. 


Fig. 430. — Otarie noire. 


Cette Otarie, qui, à raison de la petitesse de sa taille et de la forme ae ses pieds de derrière, ne 
peut être confondue avec les espèces des genres précédents, a d'abord été décrite par Daubenton 


294 HISTOIRE NATURELLE. 


sous le nom de Petit Phoque noir, et ensuite par M. Pagès, qui communiqua des observations à 
Buffon. Celui-ci a voulu prouver que cette espèce était celle de Rondelet et le Phoca des anciens 
où Don d'Aristote et d'Ælien, et Vatulus marinus de Pline: À. G. Desmarest, dans le tome XXV du 
Dictionnaire d'Histoire naturelle, de Déterville, avait adopté cette manière de voir, et en même temps, 
ayant observé dans la collection du Muséum les individus qui ont servi à la description de Daubenton, 
mais sans aucune indication qui püt les faire connaitre, les avait attribués à une espèce d'Otarie signa- 
lée par Péron, près de l'ile de Rottness, sur la côte occidentale de la Nouvelle-Hollande, qui a beau- 
coup de rapport avec eux, et qu'il nomma Otaria Peroni. Mais plus tard, dans sa Manmmalogie, 
averti de son erreur par De Blainville, qui possédait des renseignements particuliers sur le Phoque de 
Buffon, il reconnut le double emploi qu'il avait fait, et annonça que c’était à tort que Buffon rappor- 
tait à cet Amphibie le Phoque de Rondelet, qui n'a pas d'oreilles externes, et le Phoque des anciens, 
trop vaguement décrit par eux pour qu'il soit possible de le rapporter plutôt à un genre qu'à un 
autre, et même plutôt au Phoca vitulina qu'à tout autre. De tout cela il résulte, en résumé, que 
le Peur Phoque noir de Buffon et Daubenton est le même que le Phoca pusilla, Linné, le Phoca 
parva, Boddaërt, et que les Otaria Peronit et pusilla, À. G. Desmarest. 

Dans cette espèce, la tête est ronde, un peu déprimée; le museau est très-court; il y a six incisives 
supérieures, dont les deux extérieures en forme de canines, et les quatre intermédiaires grosses et 
sillonnées transversalement sur leur tranchant; il y à quatre incisives inférieures, dont les deux in- 
termédiaires, placées lune contre l'autre et aussi grosses que les plus grandes de dessus, sont ter- 
minées chacune par trois petits lobes, et dont les deux externes, courtes et pointues, se placent par 
leur pointe dans la rainure ou le sillon transverse des incisives d'en haut; les premières molaires 
sont courtes, petites, à une seule pointe et distantes entre elles. Les oreilles externes sont étroites. 
Les pattes de devant ont le doigt intérieur le plus long de tous, sans ongles apparents, velues en 
dessus et entièrement nues en dessous; les pattes de derrière sont tout à fait rejetées en arrière et 
dans la direction du corps, à cinq doigts, dont les trois du milieu ont leurs phalanges et leurs on- 
gles bien marqués, les autres ayant un ongle rudimentaire à peine visible; la membrane des doigts 
se prolongeant un peu au delà de ceux-ci et terminée par un bord sinueux, dont chaque partie sail- 
lante ou chaque lobe est de grandeur proportionnée à celle du doigt auquel elle correspond. Le pe- 
lage est doux et luisant; le dessus du corps est d'un brun tirant sur le gris de fer, avec la tête plus 
foncée et le dessous beaucoup plus clair, surtout sur la poitrine; chaque poil étant d'un fauve très- 
clair dans la plus grande partie de son étendue, puis d'un brun minime plus abondant en dessus 
qu'en dessous, et terminé de gris clair sur le dos ou de blanchätre sous le ventre. Les jeunes indivi- 
dus ont une coloration plus obscure que les adultes. 

Deux individus de cette espèce, observés en captivité pendant quelques jours par M. Pagès, lui ont 
montré toutes les preuves d'intelligence qu'on trouve dans le Phoque commun. 

Il habite les mers du cap de Bonne-Espérance; et, selon Daubenton, on le tronverait aussi dans 
les mers de l'Inde, ce qui est très-peu probable. 


2. OTARIE DE DELALANDE. OTARIA DELALANDIT. G, Cuvicr. 


CaRAGTÈRES sPÉcIrIQUES. — Pelage doux, fourré, laineux à la base, avec la pointe des poils anne- 
lée de gris et de noirâtre, ce qui lui donne une teinte d'un gris brun roussätre; dessous du corps 
d'une coloration plus pâle. Longueur totale, 1",12. 


Il provient des mers du cap de Bonne-Espérance, d'où il a été rapporté par Delalande. 
5. OTARIE DE MILBERT. OTARIA MILBERTE G. Cuvier. 
Caractères sréciriques. — Pelage d'un gris cendré en dessus et blanchätre en dessous. Longueur 


de la tête et du corps ayant à peu près 1. 


ælle espèce, qui est loin d'être complétement connue, habite les mers australes. 


CARNASSIERS. 295 


4. OTARIE D'HAUVILLE. OTARIA HAUVILII. G. Cuvicr. 


Canacrènes sréciriques. — Pelage d'un gris foncé et cendré en dessus, blanchâtre sur les flancs et 
sur la poitrine; ventre présentant une bande longitudinale d'un brun roux, avec une autre bande 
transversale, noirâtre, allant d'une nageoire à l'autre. Longueur totale, 1,50. 


Cette espèce est la même que l'Otaria Peronii, De Blainville; elle habite les îles Malouines. 

On réunit quelquefois à cette Otarie les cinq espèces qui vont suivre, et qui ne sont pas décrites 
d'une manière suffisante; mais, comme ces animaux sont tous très-imparfaitement connus, nous ne 
voyons pas plus de raisons pour les réunir en une seule espèce que pour les décrire tous séparément. 
C'est done avec cette restriction que nous les citerous isolément. 


5. OTARIE COURONNÉE. OTARIA CORONATA. De Blainville 


Caracrères srécrriques. — Pelage noir, varié de taches jaunes: une bande sur la tête et une tache 
sur le museau, de couleur jaune; cinq ongles aux pieds de derrière. 


La patrie de cette espèce est inconnue. 


G. OTARIE A COU BLANC. OTARIA ALBICOLLIS. Pérou. 


Canacrènes sréciriques. — Pelage marqué d'une grande tache blanche à la partie moyenne et su- 
périeure du cou; membres antérieurs situés très en arrière. Longueur, 2,50 à 3". 


Cette Otarie abonde sur les plages de l'ile Eugène, lune de celles qui avoisinent la terre Napo- 
léon de la Nouvelle-Hollande, et qui est située par le trente-deuxième degré de latitude méridio- 
nale et le cent trente et unième de longitude orientale. Sa longueur moyenne est d'environ 3". Elle 
est particulièrement caractérisée par une grande tache blanche à la partie moyenne et supérieure du 
cou, qui lui a valu le nom qu'elle porte. Les pieds antérieurs sont moins éloignés de la poitrine que 
ceux de la plupart des autres Amphibies du même genre. 


7 OTARIE JAUNATRE. OTARIA FLAVESCENS. Shaw. 


CanacrÈènes sréciriques. — Pelage d'un jaune pâle uniforme; oreilles longues; ongles manquant 
aux doigts des mains, et trois seulement aux doigts moyens des pieds. Longueur, de 0",40 à 0,70. 


C'est une espèce assez rare, et l’une des plus petites du genre. Sa couleur est un jaune päle uniforme, 
ou couleur de crème foncée, sans mélange. La tête est petite; le nez un peu pointu. Les oreilles sont lon- 
ques de 0,03; elles sont très-étroites, pointues et en forme de feuille. Les moustaches sont longues et 
blanchätres; les dents plutôt émoussées que pointues. Les pieds de devant sont en forme de nageoire, 
sans aucune apparence d'ongles. Ceux de derrière sont fortement palmés, et ont de véritables on- 
oles, longs et distincts, desquels les trois intermédiaires sont plus larges que les autres. La queue n’a 
qu'environ 0",03 de long. 

Cette espèce a été prise dans le détroit de Magellan; le seul individu qu'on en connaît fait partie 
du musée de Lever, à Londres. 


19 
Le) 
(=) 


HISTOIRE NATURELLE. 


8. OTARIE DES ILES FALKLAND. OTARIA FALKLANDICA. Shaw. 


CaRAGTÈRES SPÉCIFIQUES. — Pelage gris cendré, nuancé de blane terne; pas d'ongles aux doigts 
des mains; quatre ongles aux doigts des pieds. Longueur totale, 1m ,40. 


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Fig. 151. — Otarie des îles Falkland. 


Cette Otarie, que Lesson à nommée Oaria Shawii, a le poil court, cendré; son nez est court et 
garni de moustaches noires; ses oreilles sont courtes, velues et pointues; ses incisives supérieures 
sont marquées d'un sillon transversal comme dans les autres Otaries; mais les inférieures ont un 
caractère particulier, en ce qu'elles ont aussi un sillon, mais dans une direction opposée; les mo- 
laires sont très-fortes, avec un petit appendice sur chaque côté près de leur base; les pieds de 
devant sont sans ongles, et le bout de la nagcoire est terminé en palmures qui s'étendent au delà des 
extrémités des doigts qui ne sont pas séparés: les pieds de derrière n’ont que quatre doigts pourvus 
d'ongles longs et aigus; les membranes les enveloppent. Ce dernier caractère est encore particulier 
à cette espèce, s'il a été bien observé. 

On à trouvé cette Otarie dans les mers aux environs des îles Malouines et Falkland. 


9. OTARIE COCHON DE MER. OTARIA PORCINA. Molina. 


Caracrènes srécrriques. — Pelage et forme du Phoca lupina où Platyrhynchus flavescens; museau 
plus allongé; oreilles relevées; cinq doigts aux pieds de devant. 


La connaissance de cet animal est due à Molina, qui, comme on sait, n'inspire pas une grande 


CARNASSIERS. 


12 


97 
confiance aux naturalistes. Aussi Gmelin a-tl considéré ce Cochon marin comme ne différant pas 
du Lion marin de Pernetti. Néanmoins, Pennant, Shaw et Sonnini continuent à le distinguer, et Les- 
son, en l'admettant, en a changé la dénomination en celle d'Otaria Molinaii. Sonnini pense que le 
peu que l'on sait de ce Phoque, que Molina a pu comparer sur les lieux au Lion marin, l'en éloigne 
suflisamment. Il ressemble à l'Urigne pour la figure, le poil et la manière de vivre, et cet Urigne res- 
semble lui-même beaucoup au Phoque commun; mais il en diffère en ce que son museau est plus 
allongé, et se rapproche du groin d'un Cochon, et en ce que ses oreilles sont plus relevées et ses 
pieds antérieurs recouverts par une membrane. 
On le rencontre sur les côtes du Chili : mais il y est rare. 


10. OTARIE CENDRÉE. OTARIA CINEREA. Péron. 


' 
CaracTÈRES SrÉCIFIQUES. — Pelage dur, grossier, de couleur gris cendré. Longueur variant de 

rm à m 

Sara", 


L'Otarie cendrée est encore une espèce dont la découverte est due aux naturalistes français de F'ex- 
pédition commandée par le capitaine Baudin. Elle a été rencontrée sur les rivages de l'île Decres, 
qui est située par le trente-sixième degré de latitude méridionale et le cent trente-cinquième degré 
de longitude orientale, en face des golfes Bonaparte et Joséphine, de la terre Napoléon. Leur poil est 
très-court, de couleur gris cendré, très-dur et très-grossier; mais leur cuir est épais et fort, et l'huile 
qu'on prépare avec leur graisse est aussi bonne qu'abondante. 

Depuis, MM. Quoy et Gaimard ont pu de nouveau étudier cette Otarie à la Nouvelle-Hollande, vers 
son extrémité méridionale, dans le détroit de Bass, aux environs du port Western. 


11. OTARIE AUSTRALE. OTARIA AUSTRALIS Quoy et Gaimard. 


CanacrÈnes SPéciFiQuEs. — Pelage d'un gris à reflets jaunâtres en dessus du corps: dessous d'un 
Jaunûtre clair; moustaches blanches. D'une longueur totale n'atteignant pas 3. 


Cette espèce, plus petite que la précédente, vit dans les mêmes parages, mais sur un autre point 
de la côte méridionale de la Nouvelle-Hollande, principalement aux environs du port du roi Georges. 
Tout le dessus de son corps, jusqu'à l'origine de sa queue, est d'un gris qui, sous un certain jour, 
a des reflets bleuâtres; ce gris devient plus clair sur le cou, et passe au blanc sale sur la tète, les 
joues et les côtés du museau; le bout du nez est noirâtre; les moustaches sont blanches, for- 
tes, aplaties; tout le dessous du corps est jaunâtre clair en avant, et d’un roux de Veau en arrière. 
La ligne de démarcation entre cette teinte et la couleur grise qui oceupe le dos a lieu sur les flancs 
d'une manière tranchée; les membres sont roux clair en dessus, et presque noirs en dessous dans 
les deux tiers de leur étendue : les antérieurs se terminent un pen en pointe arrondie; enfin, ce qui 
distingue encore cette espèce, c'est qu'il n'y a nul feutre au-dessous des poils ordinaires. | 

A ces détails, nous ajouterons la note suivante, qui nous a été transmise par M. Paul De Saint- 
Martin, qui concerne une Otarie que l'expédition au pôle sud de l'amiral Dumont D'Urville a plu- 
sieurs fois eu occasion d'observer aux îles Auckland, et qui doit se rapporter très-probablement à 
l'Otaria australis. « Cette espèce n’a que 2,50 ou 2,60 de longueur; elle est de couleur fauve; 
la tête est petite; les membres antérieurs sont très-longs, et permettent à l'animal, quand il veut mar- 
cher, de soulever tout le corps dans une position oblique, ce qui lui donne l'air d’un cul-de-jatte 
trainant la partie postérieure de son corps : cela ne l'empêche pas cependant d’avoir des mouvements 
très-vifs; et je puis l'affirmer d’après celui que nous avons eu vivant à bord, qui nous à tant fait cou - 
rir sur le pont de l'Astrolabe, et qui, S'il n'avait pas eu la gueule attachée, aurait très-bien cherché 
à mordre. Ces Phocidés vivent sur la côte, au milieu des fucus, dont ils se nourrissent, ainsi que de 
Poissons; ils aiment, lorsqu'il fait beau, se reposer à terre. où il n'est pas extraordinaire de les ren- 


ec? 58 


298 HISTOIRE NATURELLE. 


contrer à cent et deux cents pas du rivage, dans des endroits qui sembleraient devoir leur être 
inaccessibles, et dont ils parviennent à surmonter les obstacles non sans de fréquentes culbutes. » 


Ainsi que nous avons dit dans nos généralités sur les Carnassiers Amphibies et sur les Phocidés, 
l'histoire zooclassique des espèces de cette tribu est l’une des moins connues, même aujourd'hui, et 
nous pouvons encore répéter à ce sujet ce que disait, il y a plus de trente ans, À. G. Desmarest, dans 
la monographie des Phoques du Dictionnaire d'Histoire naturelle, édité par Déterville. 

« Ici se termine l’énumération des Phoques et des Otaries qui peuvent prendre place dans Les systè- 
mes d'histoire naturelle; mais il est encore quelques espèces admises assez légèrement par les auteurs, 
et que nous avons cru devoir laisser hors de rang, jusqu'à ce que des observations nouvelles établis- 
sent leurs caractères d’une manière bien positive. À ce sujet, nous recommanderons aux navigateurs 
et aux naturalistes qui s'occuperont par la suite de ce genre de recherches de détailler avec soin 
les proportions du corps des Phoques qu'ils décriront, de recueillir des renseignements précis sur 
les différences des mâles, des femelles, ainsi que des jeunes individus et des adultes. Ils s’attache- 
ront également à recueillir des notes sur la manière de vivre de ces animaux, sur le nombre des pe- 
tits, l'époque de l'accouplement, celle de la mise bas des femelles, la durée de l'allaitement, etc. 
Quant aux caractères les plus importants, ceux qu'il conviendra de vérifier avec soin seront particu- 
lièrement tirés du nombre et de la forme des dents chez les individus adultes; de la forme des nageoi- 
res antérieures et postérieures; du nombre des ongles existants sur chacune; de la force relative de 
ces ongles; de l'étendue plus où moins considérable et de la forme des membranes qui unissent les 
doigts; de la présence ou de l'absence d'oreilles externes; de la distance respective des yeux et des 
oreilles, entre eux, et avec l'extrémité du museau, etc. Enfin, nous croyons devoir inviter les voya- 
geurs à réunir dans une collection unique les dépouilles des Phoques qu'ils rencontreront, telles que 
peaux entières, têtes osseuses, nageoires, etc., parce que ce sera le seul moyen d'établir des com- 
paraisons exactes entre les diverses espèces de ces animaux, qui paraissent beaucoup plus nombreu- 
ses qu'on ne la cru jusqu'à ce jour. Des dessins soignés, faits sur le vivant, ajouteraient encore au 
merite des descriptions détaillées que nous réclamons; ils donneraient une idée bien autrement 
exacte des poses de ces animaux que ceux qui ont été publiés jusqu'à ce jour, et notamment ceux du 
commodore Anson, de Pernetti et de Parsons. » 

Disons cependant que les recherches des naturalistes voyageurs ont fait connaître quelques nouvelles 
espèces, et ont donné des renseignements sur certaines de celles anciennement décrites; quoique, tou- 
tefois, les dénominations de Chien, Loup, Renard, Chat, Lion, Ours, Veau, Cochon, Éléphant, etc., 
auxquelles les voyageurs ajoutent marins, ont plus nui à l’avancement de la science qu'elles ne lui ont 
servi, en indiquant des rapports éloignés, et en augmentant la confusion qui de plus en plus existait 
depuis longtemps. Lesson, tout en voulant y remédier, est venu mettre Le comble à éette confusion en 
changeant des dénominations depuis longtemps admises, pour les remplacer par des noms spécifiques 
tirés du nom de la première personne qui avait parlé de ces animaux. De tout cela, il résulte que ce n’est 
qu'avec doute que nous avons rapporté plusieurs de nos espèces dans les genres créés par Fr. Cuvier, 
et nous devons maintenant dire quelques mots principalement de Phoques privés d'oreilles dont la 
caractéristique donnée par les auteurs est telle, qu'on n’a pas plus de raison pour les ranger dans 
l'un des genres modernes plutôt que dans un autre; nous irons même plus loin, en ajoutant que ces 
espèces ne sont peut-être que nominales. Nous citerons donc avec la plus grande réserve les Phoques 
qui suivent : 


1° Le Pnoque pe L'ie Sainr-Paur, Phoca Cox, À. G. Desmarest. — Cette espèce, que Cox indi- 
que sous le nom de Lion marin dans son ouvrage sur l'ile de Saint-Paul, n’a pas de trompe; elle 
parait réellement exister, mais elle a été décrite si imparfaitement, que l’on ne peut pas ladmettre 
sans avoir de nouveaux détails, qui démontreront peut-être qu'on doit, comme certains naturalistes, 
la rapporter au Macrorhinus proboscideus. Sa longueur est de vingt pieds anglais environ, et sa cireon- 
férence de vingt et un. Son pelage est généralement d’une couleur de buffle sale, tantôt d'une teinte 
plus brune, tantôt d’un blanc sale ou couleur de pierre. Ges Phoques sont si abondants aux îles 
d'Amsterdam et de Saint-Paul, dans l'océan Indien, situées par trente-huit degrés de latitude méri- 


CARNASSIERS. 299 


dionale et soixante-quinze degrés de longitude orientale, que Gox en tua douze cents en dix jours : 
ils se tiennent à terre au milieu des roseaux, et leurs femelles ne font qu'un petit par portée. 

90 PHoQuE À Loc cou, Parsons, Phoca longicollis, Shaw. — Ce Phoque, dont la patrie est inconnue, 
a le corps très-élancé; les jambes antérieures placées à égale distance de l'extrémité du museau et du 
bout des nageoires postérieures; point d'ongles aux pieds de devant. D'après la mauvaise figure qu’on 
en trouve dans les Transactions philosophiques, on serait d'abord tenté de le regarder comme une 
espèce factice établie sur l'observation d’une peau mal préparée; mais on doit cependant ajourner 
toute décision à cet égard, attendu que Péron a rencontré, dit-il, des Phoques qui présentaient des 
variétés assez remarquables dans la position des membres antérieurs. I lui a paru que le courage et 
l’activité de ces animaux sont dans un rapport assez exact avec la position relative de leurs pieds de 
devant; suivant que ces principaux agents de la locomotion se trouvent plus où moins rapprochés de 
la poitrine, la démarche est plus ou moins facile; et, comme chez les Phoques, ainsi que chez tous 
les autres animaux, la possibilité d'échapper aux périls est un motif de l’affronter; il s'ensuit natu- 
rellement que ces Amphibies en sont encore plus ou moins timides. 


9° PHoque À TÊTE DE Tortue, Phoca testudinea, Shaw.— Cette prétendue espèce, que Parsons dit 
exister sur plusieurs côtes de l’Europe, n’a pas été observée depuis ce naturaliste. Il rapporte qu'elle 
a la tête conformée comme celle de la Tortue, le cou allongé, et les pieds semblables à ceux du Pho- 
que commun. G. Cuvier croit que cette espèce est purement nominale, et qu'elle n’a été fondée que 
sur l'examen d’une vieille peau mal bourrée. 


4° Paooue rascté, Phoca fasciata, Shaw. — Cette espèce, qui se rapporte peut-être à l'Oraria 
coronata, De Blainville, n'est encore connue que par sa peau, qui a été décrite par Pallas. Elle est 
des îles Kourilles; son poil est court, épais, roide, et de couleur noirâtre uniforme, mais marqué, sur 
la partie supérieure, d’une bande jaune semblable à un ruban, et tellement disposée, qu'elle repré- 
sente en quelque manière le contour d'une selle occupant un large espace sur le dos. Le port de 
l'animal est inconnu; mais l’on sait que c’est un Phoque de grande taille. 


5° Pnoque Poncrué, Phoca punctata, Encyclopédie anglaise. — Cet animal a le corps, la tête et 
les membres, tachetés. Habite les îles Kourilles. 


6° Puoque moucueté, Phoca maculata, Encyclopédie anglaise. — Dans cet animal le corps est 
moucheté de brun. Des îles Kourilles. 


T° Pnogte noir, Phoca nigra, Encyclopédie anglaise. — Des mêmes mers que les deux précé- 
dentes, et remarquable par la singulière conformation de ses pieds, qu’on ne décrit cependant pas. 


8° PHOQuE pes Rivages, Phoca littorea, Lesson. — De petite taille; pelage très-épais, composé de 
poils serrés, très-courts; d’une seule sorte : bruns sur le corps, jaunâtre plus ou moins clair en des- 
sous. Ce Phoque, qui se trouve dans les mers d'Islande, n’est très-probablement qu'une variété du 
Calocephalus vitulinus. 


9° Paoque ne Cnoris, Phoca Choris, Lesson. — Pelage blanc, couvert de petites taches noires, 
nombreuses. Du détroit de Bebring. 


10° Pnoque Laxarax, Krachenninikow. — Ce Phoque ne diffère du Phoque commun que par la 
grosseur seulement, puisque sa taille égale celle du plus gros Bœuf. On le prend depuis le cinquante- 
neuvième jusqu'au soixante-quatrième degré de latitude septentrionale. 


11° Pnoque ricré, Krachenninikow. — Espèce provenant des mers du Kamtchatka, étant gros 
comme un Bœuf d’un an, et variable dans ses couleurs, mais habituellement marqué, sur le dos, de 
taches rondes et d’égale grandeur, avec le ventre d’un blanc jaunâtre. Ses petits sont blancs. 


42° Puoque eruwa-seLur, Olafsen. — Ce Carnassier, qui porte vulgairement le nom de Roi des 
Phoques, serait d'une taille si monstrueuse, que quelques auteurs le classeraient parmi les Baleines, 
On dit qu'il acquiert, en longueur, douze à quinze aunes du pays, c’est-à-dire de 45 à 20" de nos 
mesures. On ajoute qu'il est très-rare en Islande; néanmoins, on en aurait vu dans la partie occidentale 
de cette île, sur les anses de Breedefford. Il aurait de longs poils sur la tête, et d’autres, également 
longs, autour de la queue. 


500 HISTOIRE NATURELLE. 


DEUXIÈME TRIBU. 


TRICHÉCHIDÉS. TRICHECHIDÆ. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, 


Pieds empétrés. 

Molaires cylindriques et non comprimées, comme dans les Phocidés. 
Deux grosses défenses à la mâchoire supérieure. 

Pas d'incisives ni de canines à la mâchoire inférieure. 


D'une manière générale, les Trichéchidés ressemblent aux Phocidés, ont le même aspect qu'eux, 
mais s’en distinguent très-facilement et au premier aspect par les deux énormes défenses que les 
adultes portent à la mâchoire supérieure, qui ne sont autre chose que des canines très-développees 
et ayant quelque analogie avec les défenses des Éléphants. 

Les mœurs des Trichéchidés sont les mêmes que celles des autres Amphibies; ce sont également des 
animaux qui peuvent vivre à la fois et dans l’eau de la mer et sur la terre; leur nourriture semble aussi 
se composer de Poissons, d'animaux marins et même de plantes marines: du reste, sous ce point de 
vue comme sous beaucoup d’autres, ils se rapprochent des Phoques et ont un estomac semblablement 
disposé. Ils habitent les régions les plus septentrionales du globe, et principalement le Spitzberg et 
le Groënland. 


GENRE UNIQUE. — MORSE. T'RICHECHUS. Linné, 173. 


Systema nature. 


OpË, rat795, poil; szw, je posstde, 


CARACTÈRES GÉNÉRIQUES. 


Système dentaire : incisives, #; canines, {_{; molaires, = ; en totalité, vingt-deux dents. Les incr- 
sives ne se trouvent que dans le jeune âge, et ayant presque la forme des molaires. Les canines forment 
des défenses énormes, plus longues que lu tête, ovales, comprimées latéralement, arquées en bas, 
obluses à l'extrémité, ayant l'ivoire in'érieur granuleux, très-dur et non formé de lignes courbes, 
entrecroisées comme l'ivoire de l'Eléphant. Molaires supérieures assez petites, à peu près cylin 
driques, à couronne simple, et tronquées obliquement, dont les trois premières sont plus internes 
que les autres, la troisième étant la plus grande et la dernière la plus petite : deux de ces dents 
manquant quelque temps après la naissance de l'animal. Les molaires inférieures de même form. 
que celles d'en haut, en diminuant de grosseur depuis l'antérieure jusqu'à la dernière. 

Corps allongé, conique, de même forme que celui des Phocidés. 

Tête ronde. 

Museau très-renflé. 

Pas d'oreilles externes. 

Pieds antérieurs disposés comme ceux des Ph°cülés, à cinq doigts armés d'ongles falculaires très- 
courts; pieds postérieurs tout à fait dans la direction du corps, horizontaux, à cinq doigts réunis 
par la peau, et dont les deux externes sont les plus longs. 

Queue très-courte. 


Les Morses, souvent réunis par les auteurs anciens, et même par Linné, avec les Lamantins, les 
Dugongs et les Stellères, pour former un genre unique, où bien joints seulement à un ou deux de ces 
animaux pour en composer d’autres groupes génériques, diffèrent notablement des uns et des 


CARNASSIERS. 301 


autres, et composent un des genres les plus naturels de la série zoologique. C’est Linné qui en 1735, 
en à formé un genre distinct sous la dénomination latine de Trichechus, qui a été généralement 
adoptée, tandis que celles d'Odobenus, Brisson, Rosmarus, Scopoli, et Manati, Boddaërt, qui 
avaient été proposées, ont définitivement été rejetées. 

Les animaux de ce genre ont beaucoup d’analogie avec les Phocidés, mais ils Sen distinguent 
facilement par leur mâchoire inférieure manquant de canines et d'incisives, et par les canines supé- 
rieures formant d'énormes défenses dirigées inférieurement. Ils ont les pieds si courts et tellement 
enveloppés dans la peau, que sur la terre ils ne peuvent leur servir qu'à ramper : mais, comme les 
intervalles des doigts y sont remplis par des membranes, ce sont d'excellentes nageoires ; aussi les 
Morses passent-ils la plus grande partie de leur vie dans la mer, et ne viennent-ils à terre que pour 
dormir au soleil et allaiter leurs petits. Leur corps allongé, quoique moins que celui des Phocidés, 
leur colonne vertébrale assez mobile et pourvue de muscles puissants qui la fléchissent avec force, 
le bassin étroit, leurs poils ras et serrés contre la peau, et beaucoup d’autres points de leur ana- 
tomie intérieure, concourent à en faire d'excellents nageurs. 

Les mœurs de ces animaux ressemblent à celles des Phocidés, ainsi que nous le verrons en 
donnant la description de l'espèce unique qui entre dans ce groupe générique; nous allons mainte- 
nant donner seulement quelques détails sur leur organisation interne et externe, ainsi que sur les 
caractères distinctifs qu'on peut en tirer. 

Le système dentaire du Morse est assez particulier, et, quoiqu'il ait donné lieu à plusieurs travaux 
importants, parmi lesquels nous devons principalement citer ceux de Fr. Cuvier et de De Blainville, 
l’on n’est pas encore d'accord sur le nombre des dents de ces animaux. 

Le premier des auteurs que nous avons nommé, dans son ouvrage intitulé des Dents des Mammifères 
considérées comme caractères xoologiques, 1825, rapporte les détails qui suivent et que nous croyons 
devoir reproduire en entier, quoique nous ne soyons pas du même avis que lui sur la place qu'il 
assigne au Morse dans la série des Mammifères. « Nous avons vu, dit-il, que les Phoques, sous le 
rapport de leur système de dentition, se rattachaient d’une part aux Carnassiers, et de l'autre aux 
Cétacés. Les Morses, très-voisins des Phoques par les organes du mouvement, s’en éloignent beau- 
coup par les dents. [ls semblent à cet égard présenter un système tout particulier, qui ne paraît pas 
plus convenir pour broyer des matières végétales que pour couper des substances animales On dirait 
que les dents de ces Amphibies sont spécialement destinées à briser, à rompre des matières dures: 
car elles semblent, par leur structure et leur rapport, agir sur les unes et sur les autres comme le 
pilon agit sur le mortier. Ils forment un de ces groupes isolés qui rompent la série nécessairement 
continue des classifications, et qu'on peut rapprocher presque indifféremment, suivant le point de 
vue sous lequel ou les considère, de l’une ou de l'autre des branches du système général que l’on 
admet. Nous aurions pu les placer à la suite des Phoques, qui laissent un large vide entre eux et les 
Marsupiaux frugivores; mais, entrainés par des analogies qui avaient aussi quelques fondements, 
nous sommes amenés à n'en parle” qu'après les Ruminants. Au surplus, nous devons faire remarquer 
que nous commençons, chez ces animaux, à voir le nombre des dents varier avec les individus 
par celles qui sont rudimentaires et qui disparaissent plus ou moins promptement. On dirait que ces 
organes tendent à perdre de leur importance, et qu'ils ne doivent plus être autant considérés par 
leur nombre que par leur forme et leur structure. 

Q A la mâchoire supérieure, la première incisive, séparée par un espace vide assez grand de sa 
congénère dans une espèce, tandis qu’elle en est très-rapprochée dans une autre, est une très-petite 
dent conique et crochue lorsqu'elle sort de l'alvéole, mais qui s'use et disparaît bientôt tout à fait; 
c'est une dent rudimentaire. La seconde, beaucoup plus grosse que la première, est cylindrique et 
coupée obliquement du dehors au dedans de la mâchoire. La canine est une défense très-grande qui 
se dirige en bas en se recourbant du côté du corps; elle est arrondie à sa face externe et marquée 
d'un sillon longitudinal à sa face interne, est sans racine, et prend naissance dans le maxillaire à la 
hâuteur des narines. La première màchelière, séparée par un vide de la seconde incisive, et beaucoup 
plus grosse qu’elle, est coupée obliquement comme celle-ci, mais cette surface oblique est un peu 
creusée. La seconde, du double plus grande que celle qui la précède, est coupée de même, mais elle 
a dans cette partie deux dépressions, deux creux, l'un antérieur et l’autre postérieur, séparés 


à 


par une colline obtuse et étroite à son sommet. La troisième a beaucoup de ressemblance avec la 


302 HISTOIRE NATURELLE. 


seconde, et la quatrième n'est qu'une petite dent rudimentaire qui tombe avec l'âge. Toutes ces dents 
n'ont qu'une racine conique très-courte, et elles sont entièrement formées d'une seule substance très- 
dure, très-compacte, qui est analogue à celle des défenses. 

«A la mâchoire inférieure, il paraît que, dans le premier âge, la première dent est une incisive 
rudimentaire qui ne tarde pas à s’oblitérer et à disparaître; c’est pourquoi nous ne l'avons pas fait 
entrer en compte avec les autres. Les quatre mâchelières paraissent avoir la même forme, elles sont 
plus étendues de devant en arrière que de droite à gauche, et la surface de leur couronne est légè- 
rement convexe. La dernière est un peu plus petite que les autres, qui sont d’égale grandeur. Ces 
dents sont de la même nature que celles de la mâchoire supérieure. » 

On a vu que nous n'adoptons pas l'opinion de Fr. Cuvier relativement à la position des Morses au- 
près des Cétacés; nous les rapprochons, au contraire, des Phocidés, mais nous n’en faisons pas une 
simple espèce du genre Phoque, comme l'ont fait plusieurs auteurs. 

En effet, selon De Blainville, « le Morse offre, outre l'anomalie qui le caractérise, le maximum dans 
la simplicité du système dentaire chez les Phoques. D'abord, il n’y a qu'une paire d’incisives, et en- 
core à la mâchoire supérieure seulement; de plus, cette incisive, rentrée par suite du développement 
anomal de la canine, est presque molaire, aussi bien par sa position que par sa forme. Il n’y a aussi 
dans le Morse qu'une seule paire de canines, et également à la mâchoire supérieure; mais cette canine 
est remarquable par sa forme plus où moins arquée, comprimée, cannelée dans sa longueur, assez 
pointue, verticale, et surtont par son très-grand développement, qui fait qu'elle est toujours exserte. 
Quant aux dents molaires, au nombre de trois seulement en haut et de quatre en bas, toutes très- 
espacées, ce ne sont plus avant leur usure que des cônes obtus, opposés base à base, et dont le su- 
périeur, formant la couronne, s'use d’une manière très-irrégulière dans toutes les espèces qui n’ont plus 
que de ? incisives; ainsi que dans les Morses, les molaires, comme les incisives et les canines, n'ont 
plus qu'une seule racine plus ou moins conique. La disposition alvéolaire chez les Morses est si par- 
ticulière, qu'il est impossible de la confondre avec celle d'aucune autre espèce de Phoque : cinq 
alvéoles à la mâchoire supérieure, dont la seconde infiniment plus grande en dehors et en arrière de 
la première, et trois postérieures plus rapprochées, et quatre correspondantes à la mâchoire infé- 
rieure, décroissant de la première à la dernière. Suivant l’âge, il me semble d'abord que tous les 
Phoques sans oreilles n'ont pas de système dentaire de jeune âge; du moins je n'ai trouvé aucun 
individu de l'espèce commune dans nos mers, quoique assez jeune quelquefois, qui n'ait offert plus 
ou moins de neuf dents en baut et de huit en bas; et dans le Morse, dont M. Gaimard nous a rapporté 
des mâchoires d'individus très-jeunes, c’est le même nombre et la même forme que dans l'adulte; 
seulement la canine est évidemment plus grêle et plus droite, ce qui porte à penser qu’elle appartient 
à un premier système dentaire. » 

Daubenton entre dans quelques détails sur la structure des grandes canines ou défenses. « Ces 
dents, dit-il, ont à l'extérieurune couleur jaunâtre, elles sont composées d'une écorce et de deux autres 
substances; sous l'écorce, qui n'a qu'une ligne d'épaisseur, il ya une substance compacte, épaisse 
d'environ quatre lignes; elle est d'un blanc terne; j'ai remarqué qu'elle est chatoyante à certains as- 
pects, et que par cet effet elle a quelque rapport avec les parties grises blanchâtres de la pierre cha- 
toyante que lon appelle œil de Chat; la partie compacte des défenses du Morse prend un bon poli, 
de même que l'écorce, dont la couleur diffère peu de celle de la substance compacte; le reste des 
défenses est composé de filets longitudinaux et de tubercules adhérents les uns aux autres; ils pa- 
raissent dans leur entier au fond de la cavité, qui est à la racine de ces défenses. Lorsque cette 
substance tuberculeuse est sciée et polie, elle à une couleur faunâtre et un poli fort inégal. » Nous 
ajouterons que ces grosses dents du Morse sont très-recherchées, paree qu'elles ont une assez grande 
valeur dans le commerce de la tabletterie. 

L'ostéologie du Morse à été donnée par plusieurs auteurs, mais De Blainville, dans son Ostéo- 
graphie, s'en est surtout occupé. Comparativement avec les Phocidés, et principalement avec le 
Caocephalus vitulinus, les différences ne sont pas très-considérables, et peut-être même pas plus 
fortes qu'avec des espèces de la même tribu, si ce n’est, toutefois, pour la tête, qui est, en effet, 
modifiée par lanomalie singulière que présente le système dentaire. Gette tête est, en outre, très- 
petite, proportionnellement avec le reste du trone, et formée d'os très-épais; c’est avec celle du Stem- 
matopus cristatus qu'elle semble avoir le plus de rapports; mais elle est cependant assez singulière 


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Fig. 2. — lémygale zébréc. 


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CARNASSIERS. 303 


par la largeur et la brièveté du frontal joignant la face au crâne, et par l'éloignement presque égal 
de ces deux parties. La vertèbre occipitale, épaisse dans son corps presque caréné comme dans son 
are, est fortement aplatie, et relevée verticalement à la partie postérieure, avee une crête médiane. 
La pariétale est courte dans son sphénoïde, et très-large, échancrée, dans chacun de ses pariétaux. 
Le frontal l'est encore davantage dans son corps; mais ses frontaux, de forme parallélogrammique, 
sont très-étendus, peu rétrécis dans l'orbite, et s'élargissant beaucoup à la partie antérieure de cette 
cavité. Le vomer est nécessairement court, comme la face, et cependant les os du nez, en quadrila- 
tère régulier, à bords droits, sont plus grands que dans aucune autre espèce d’Amphibie. Le ptéry- 
soïdien interne forme une apophyse épaisse, en crochet recourbé en dedans, se joignant intimement 
à un palatin assez large, et à bord droit postérieurement. Le lacrymal est toujours indistinet, mais le 
zygomatique, très-court, produit à lui seul une apophyse orbitaire externe assez élevée et obtuse. Le 
maxillaire est également très-court, très-renflé, très-convexe, surtout par la grande saillie en dehors 
de l’alvéole de la canine; et le prémaxillaire, épais, remonte jusque entre le nasal et le maxillaire, de 
manière à circonscrire, avec le premier, l'orifice nasal, qui est assez petit et presque rond, à bords 
très-épais, et sans traces de trous incisifs. La série des os dont se compose l'appendice maxillaire 
inférieur commence par un mastoïdien énorme, soudé à un rocher médiocre, à une caisse petite, 
plate et non renflée, à un temporal dont la partie squameuse est arrondie et médiocre, et dont 
l'apophyse zygomatique est courte et très-épaisse; quant au mandibulaire, ses deux branches sont 
dans la même ligne; le condyle est épais et terminal; le coronoïde oblique et très-arrondi, et, enfin, 
l'angulaire est obtus, à peine sensible; l’apophyse géni est, du reste, assez marquée, et la symphyse 
est considérable. Les différentes cavités et loges de la tête sont en général moins grandes que dans 
les Phocidés; ainsi, l'orbite est petit, et il en est de même de la cavité nasale; le palais est assez 
étendu et excavé, sans trous palatins ni incisifs. 

Les vertèbres cervicales sont encore plus courtes que dans le Pelagins monachus; les apophyses 
épineuses plus élevées, et les transverses plus obliques et plus épaisses : celle de la sixième vertèbre 
même assez étroite. Les vertèbres dorsales et lombaires conservent aussi bien plus de brièveté, plus 
de rondeur dans leur corps, et leurs apophyses sont aussi généralement plus courtes. Les vertèbres 
sacrées, également plus courtes, sont aussi plus serrées et soudées par leur apophyse épineuse. 

La série sternale est de neuf pièces, dont la première est à peine prolongée en avant. 

Les côtes n’offrent guère de différence qu'en ce qu'elles sont beaucoup plus robustes que dans le 
Calocephalus vitulinus; mais elles sont toujours peu arquées, et même courtes, proportionnellement 
aux cornes sternales. 

Les membres, en général, sont bien plus courts que dans les Phocidés. 

Aux membres antérieurs, l'omoplate rentre assez bien dans la forme normale, plus allongée que 
large; le bord postérieur, le plus long, est tout à fait droit, la crête en occupant toute la longueur, 
et se terminant en un acromion qui atteint et descend presque jusqu'à l'angle glénoïdien. L'humérus, 
quoique très-robuste, est plus long proportionnellement que dans les autres Amphibies : la grosse 
tubérosité, assez fortement comprimée, dépasse la tête; et la petite tubérosité, qui l'est moins, est 
plus basse; du reste, la crête deltoïdale descend très-bas; il n’y a pas de trou au condyle interne, 
comme dans le Pelagius monachus. Les deux os de l'avant-bras sont assez bien comme dans cette 
espèce : seulement, le cubitus, dont l'olécrane est plus épais, moins arqué, descend moins bas que 
le radius. Le carpe est court, mais très-large, et surtout le seaphoïde, qui est énorme; le triquètre 
allonge le eubitus, et le pisiforme prend un peu la forme allongée de celui des Carnivores; le trapé- 
zoide est en coin à côté du trapèze, et non presque au-dessus de lui comme dans le Calocéphale 
commun. Les doigts sont presque égaux; aussi la proportion des métacarpiens est-elle plus normale 
que dans ce dernier; celui du pouce le plus long et le plus fort, puis le second, le cinquième, le 
troisième, et le quatrième le plus petit de tous. Les premières phalanges décroissent assez régulière- 
ment de la première à la cinquième, du moins en longueur, car celle-ci est plus robuste que les 
intermédiaires; les secondes phalanges sont courtes, surtout la dernière, qui est presque cubi- 
que; enfin, les onguéales, en houlette peu dilatée, sont très-courtes, presque égales, sauf la pre- 
mière, un peu plus longue que les autres. 

Aux membres postérieurs, le bassin est assez bien comme dans le Pelage moine, ainsi que le fé- 
mi à et les os de la jambe; mais les os du tarse deviennent presque normaux; seulement, l'astragale 


30% HISTOIRE NATURELLE. 


a sa poulie très-oblique en dedans, et la tubérosité du ca'cinéum est courir, Les métatarsiens sont 
toujours anomaux de proportion, les extrêmes étant plus longs et plus forts que les internes : mais 
ceux-ci, presque égaux, approchent plus de la dimension des extrêmes. [l'en est de même des pha- 
langes; seulement, le doigt externe est un peu plus fort que l’interne; et les phalanges onguéales 
sont courtes et presque égales, avec des pointes très-courtes. 

Daubenton, dans l'Histoire naturelle de Buffon, a donné la description d'une peau desséchée de 
Morse conservée au Muséum; puis il à fait connaître, principalement sous le point de vue anatomi- 
que, un fœtus de cet animal. 

Le genre Morse semble ne renfermer qu'une seule espèce propre à la mer Glaciale : cependant 
quelques auteurs, principalement Shaw, paraissent croire qu'il ÿ en aurait deux : l’une des mers gla- 
ciales, Fautre des mers équatoriales; mais ces deux espèces n'ont jamais été décrites comparative- 
ment, de sorte qu'on ne peut indiquer de caractères qui soient propres à chacune d'elles; toutefois, 
l'une serait plus grande que l'autre, et aurait de plus fortes défenses, et toutes deux seraient revêtues 
d'un pelage court, serré, tout à fait analogue à celui des Phocidés. Au sujet de ces deux prétendues 
espèces, qu'il nous soit permis de citer ce qu’en pensent plusieurs auteurs. 

€ J'ai vu à Jakutsk, dit Gmelin, quelques dents de Morse qui avaient cinq quarts d’aune de Russie, 
et d’autres une aune et demie de longueur, communément, elles ont quelques pouces de largeur à la 
base. Je n'ai pas entendu dire qu'auprès d'Anadirskoï l’on ait jamais chassé ou pêché ce Morse pour 
en avoir les dents, qui, néanmoins, en viennent en si grande quantité; on m'a assuré, au contraire, 
que les habitants trouvent ces dents, détachées de l'animal, sur la basse côte de la mer, et que, par 
conséquent, on n'a pas besoin de tuer auparavant les Morses. Plusieurs personnes m'ont demandé si 
les Morses d'Anadirskoï étaient une espèce différente de ceux qui se trouvent dans la mer du Nord et 
à l'entrée occidentale de la mer Glaciale, parce que les dents qui viennent de ce côté oriental sont 
beaucoup plus grosses que celles qui viennent de l'Occident, ete. » Gmelin ne résout pas cette ques- 
tion, et Buffon en donne une solution qui ne semble pas exacte. « On n'apporte d'Anadirskoï, dit-il, 
que des dents de ces animaux morts de mort naturelle; ainsi, il n'est pas surprenant que ces dents. 
qui ont pris tout leur accroissement, soient plus grandes que celles du Morse du Groënland, que l'on 
tue souvent en bas âge. » 

À cela, M. Boitard ajoute : « Certes cette hypothèse ne peut ètre admise, car il faudrait admettre 
aussi que jamais, dans le Groënland, les Morses n'atteignent toute leur grandeur, et que tous ceux 
que l'on tue, sans aucune exception, sont jeunes, puisque leurs dents sont, aussi sans aucune excep- 
tion, beaucoup plus petites que celles qui viennent d'Anadirskoï; cette proposition n’est pas soutena- 
ble. D'un autre côté, on a dit, il y a quelques années, qu'il existait une autre espèce de Morse, dont 
la taille atteignait quelquefois jusqu'à vingt pieds de longueur, ce qui fait supposer des dimensions 
plus grandes dans les défenses : serait-ce cette espèce qui a laissé ses dépouilles à Anadirskoï? Mais 
cette prétendue seconde espèce serait propre seulement aux mers équatoriales, si on s’en rapportait 
aux voyageurs qui l'ont indiquée, et ne se trouverait pas dans celle du Nord. D'ailleurs, il est plus 
que probable qu'ils auront pris pour des Morses des Lamantins ou des Dugongs. Voici une autre dif- 
ficulté : il est certain qu'on ne trouve presque plus de Morses aux environs d’Anadirskoï, et que ceux 
qui s’y montrent de loin en loin ne dépassent pas douze pieds de longueur. Or, un Morse qui aurait 
des canines longues d'une aune et demie russe devrait avoir le corps long au moins de trente-cinq 
pieds, ce qui ne s’est jamais vu; les plus grands qui aient été observés par des naturalistes et par des 
voyageurs dignes de foi ne dépassent pas treize à quatoiz? pieds. 

€ Quant à moi, ajoute M. Boitard, je pense que l'ivoire trouvé sur les bords de la mer, aux envi- 
rons d'Anadirskoï, n'est rien autre chose que les dents fossiles d’un grand Morse dont l'espèce ne se 
trouve plus vivante, et que l'on doit par conséquent classer avec les autres animaux paléontologi- 
ques. Ce qui me fait croire à cela, c'est que, dans le même pays, on rencontre des collines entières 
composées, presque en totalité, d'ossements de Mammouths, de Rhinocéros et autres animaux per- 
dus, et que l'on possède au cabinet de Saint-Pétersbourg des défenses de Mammouths dont livoire 
est aussi parfaitement conservé que S'il avait été pris sur les animaux vivants. » 

La science possède quelques renseignements, malheureusement incomplets, sur des fragments de 
Morse qui ont été trouvés à l'état fossile; et de même que les fossiles de Phocidés, ces débris provien- 
nent tous de terrains tertiaires. 


05 


ot 


CARNASSIERS. 


G. Cuvier, le premier, parait en avoir eu un fragment de côte et un corps de vertèbre, trouvés, au- 
près d'Angers, dans le versant de l'Océan, avec les fragments qu'il avait cru devoir rapporter à des 
Phoques. De Blainville rapporte que cette côte et cette vertèbre, qui existent dans la collection paléor- 
tologique du Muséum, ont tous les caractères d'une côte et d'une vertèbre de Morse, ct entre autres 
la taille et l'amincissement de la partie supérieure pour la côte. G. Cuvier a également signalé un frag- 
ment de dents de Trichechus, qui provient de Dax, dans les Landes. 

M. Jœger parle, dans une lettre adressée, en 4850, à M. Hermann De Meyer, de fragments fossiles 
de Morse, comme découverts dans la molasse de Wartemberg, c’est-à-dire à un grand éloignement du 
versant de la mer Noire. 

M. Gcorges, dans son Histoire naturelle de Russie, indique aussi quelques ossements fossiles de 
Morse. 

M. Mitchiil parle également de débris de eràne et de dents ayant appartenu au Morse, et qui ont 
été trouvés, dans un terrain tertiaire, en Virginie, dans le comté d'Accomas; mais il ne donne aucun 
détail sur ce fossile. 

Enfin M. Duvernoy, dans un premier aperçu publié dans les Mémoires de la Société d'Histoire na- 
turelle de Strasbourg, en 1837, a annoncé que des dents fossiles, trouvées, en Algérie, province d'O- 
ran, dans une roche blanche crétacée de la partie supérieure du second terrain tertiaire, étaient celles 
d'un Mammifère marin, selon toute apparence, de la famille des Morses; et, depuis, revenant sur ce 
sujet dans une note présentée à l’Académie des sciences, il a présumé que ces dents devaient être 
plus raporochées de celles des Phoques ou des Morses que d'aucun autre Mammifère récent ou 
fossile. 


MORSE. TRICHECHUS ROSMARUS. Linné. 


CARAGTÈRES SPÉGIFIQUES. — Tête moyenne, relativement à la grosseur du corps, arrondie, obtuse; 
lèvres très-renflées; narines en croissant; os maxillaires et partie antérieure de la tête très-renflés: 
soies des moustaches aplaties, sortant de trous qui se remarquent sur la lèvre supérieure, très-rap- 
prochées les unes des autres; bouche assez petite, armée de défenses recourbées en dessous, qui 
ont, dans quelques individus, jusqu'à 0,66 de longueur, et qui convergent un peu entre elles par 
leur pointe; yeux petits, brillants; orifices des oreilles très en arrière; corps plus épais à la poitrine 
qu'ailleurs et diminuant jusqu'à la queue, qui, comparativement, a plus de longueur que celle des 
Phoques; cou court et épais; peau très-épaisse, muqueuse, noirâtre, avec quelques poils très-rares, 
courts, rudes, roussâtres où bruns, se remarquant plutôt sur les jambes qu'ailleurs; pieds postérieurs 
très-larges; quatre mamelles ventrales. Longueur moyenne, depuis le haut du museau jusqu'à l'ori- 
gine de la queue. 3,60; de celle-ci, 0",19; mais certains individus pouvant, dit-on, atteindre jusqu'à 
6% de longueur, et de 3,50 à 4" de circonférence. On en a trouvé du poids de mille kilogrammes. 


Cette espèce a été vulgairement appelée Vacne MARINE, CHEvaL MARIN, BÈTE À GRANDES DENTS par les 
voyageurs; c’est le Morse de Buffon et de Cook: le Trichechus rosmarus, Linné, Erxleben, Gmelin; 
l'Odobenus, Brisson, l'Æquus marinus, Rai; Artie Wolrus, Shaw, et le Mana trichechus, Bod- 
daert. Les peuples germaniques l'indiquent sons le nom de Wallross et de Rossmar; et, dans les 
catalogues méthodiques, elle est souvent désignée sous celui de Æosmarus. 

Les Morses se trouvent abondamment dans l'Océan atlantique septentrional et dans les régions po- 
laires de l'Océan Pacifique. Ils sont communs au Spitzberg, plus rares au Groënland; on en trouve 
aussi à la baie d'Hudson et près de l'Islande, de la Nouvelle-Zemble et même au pays des Tschaktchis. 
Mais ces animaux, qui étaient autrefois trés-abondants, deviennent chaque jour de plus en plus rares par 
suite de la chasse acharnée qui leur a été faite, reculent leur habitat dans les régions polaires les plus 
inaccessibles à l'homme, et, lorsqu'on aura pu y pénétrer, on finira probablement par en détruire 
l'espèce. Nous avons dit qu'on a prétendu en avoir observé une espèce dans l'Océan austral, mais que 
ce fait est loin d’être démontré. 

Les habitudes naturelles des Morses sont absolument semblables à celles des grands Phocidés. 
Gomme eux, ils paraissent vivre de proie, telle que de Poissons, de Mollusques, de Crustacés, ete. 


e2 d) 


306 HISTOIRE NATURELLE. 


mais la forme de leurs dents semble indiquer qu'ils peuvent se nourrir aussi de substances végétales 
et probablement de fucus. Ils vivent en troupes composées de plus de cent individus; les femelles 
mettent bas en hiver sur la terre ou sur la glace, et ne produisent ordinairement qu'un seul petit, qui 
est, en naissant, déjà long des deux tiers d’un mètre, qu'elles soignent avec tendresse et défendent 
avec fureur. Ils sont moins susceptibles d'éducation que les Phocides. 

Des détails de mœurs du plus haut intérêt ont été donnés relativement au Morse par Buffon et 
surtout par les voyageurs, tels que Zorgdrager, Cook, Girard de Veer, M. Xavier Marmier, ete., qui 
ont étudié ces animaux dans leur pays natal; nous donnerons quelques extraits des ouvrages de plu- 
sieurs des auteurs que nous venons de nommer. 


Fig. 132. — Morse. 


Buffon s'est longuement étendu sur Phistorre du Morse. « Le nom de Vache marine, ditl, sous 
lequel le Morse est le plus généralement connu, à été très-mal appliqué, puisque l'animal qu'il dési- 
gne ne ressemble en rien à la Vache terrestre; le nom d'Eléphant de mer, que d'autres lui ont 
donné, est mieux imaginé, parce qu'il est fondé sur un rapport unique et sur un caractère très-ap- 
parent. Le Morse a, comme l'Éléphant, deux grandes défenses d'ivoire qui sortent de la mächoire 
supérieure, et il a la tête conformée ou plutôt déformée de la même manière que l'Éléphant, auquel 
il ressemblerait en entier par cette partie capitale, s'il avait une trompe; mais le Morse est non-seu- 
lement privé de cet instrument, qui sert de bras et de main à l'Éléphant, il l'est encore de l'usage 
des vrais bras et des jambes; ces membres sont, comme dans les Phoques, enfermés sous sa peau; il 
ne sort en dehors que les deux mains et les deux pieds; son corps est allongé, renflé par la parte 
de l'avant, étroit vers celle de l'arrière, partout couvert d'un poil court; les doigts des pieds et des 
mains sont enveloppes dans une membrane et terminés par des ongles courts et pointus; de grosses 


ARTE 
st 


Pari 


dites. 
LE NES 34.4 1) n 


Fig. 1. — Paradoxure Bondar. 


Fig. 2. — Chien loup d'Alsace. 


CARNASSIERS. 307 


soies en forme de moustaches environnent la gueule; la langue est échanerée; il n’y a point de con- 
que aux oreilles, etc., en sorte que, à l'exception des deux grandes défenses qui lui changent la forme 
de la tête et des dents incisives qui lui manquent en haut et en bas, le Morse ressemble pour tout le 
reste au Phoque; il est seulement beaucoup plus grand, plus gros et plus fort; les plus grands Pho- 
ques n’ont tout au plus que sept ou huit pieds; le Morse en a communément douze, et il s’en trouve 
de seize pieds de longueur et de huit ou neuf de tour. Il a encore de commun avec les Phoques d'ha- 
biter les mêmes lieux, et on les trouve presque toujours ensemble; ils ont beaucoup d'habitudes com- 
munes, ils se tiennent également dans l’eau, ils vont également à terre; ils montent de même sur les 
glaçons; ils allaitent et élèvent de même leurs petits; ils se nourrissent des mêmes aliments; ils vi- 
vent de même en société et voyagent en grand nombre; mais l'espèce du Morse ne varie pas autant 
que celle du Phoque; il parait qu'il ne va pas si loin, qu'il est plus attaché à son climat et que l’on 
en trouve très-rarement ailleurs que dans les mers du Nord; aussi le Phoque était connu des anciens, 
et le Morse ne l'était pas. 

QE paraît que l'espèce en était autrefois beaucoup plus répandue qu'elle ne l’est aujourd'hui, on 
la trouvait dans les mers des zones tempérées, dans le golfe du Canada, sur les côtes de l'Acadie, ete.; 
mais elle est maintenant confinée dans les mers arctiques : on ne trouve des Morses que dans cette 
zone froide, et même il y en a peu dans les endroits fréquentés; peu dans la mer glaciale d'Europe, 
et encore assez dans celle du Groënland, du détroit de Davis et des autres parties du nord de l'Amé- 
rique, parte qu'à l’occasion de la pêche de la Baleine on les a depuis longtemps inquiétés et chas- 
sés. Dès la fin du seizième siècle, les habitants de Saint-Malo allaient aux îles Ramées prendre des 
Morses, qui, dans ce temps, s’y trouvaient en grand nombre; il n’y a pas cent ans (c’est en 1765 que 
Buffon écrivait ceci) que ceux du Port-Royal au Canada envoyaient des barques au cap de Sable et 
au cap Fourchu, à la chasse de ces animaux, qui, depuis, se sont éloignés de ces parages… 

« Le Morse peut vivre au moins quelque temps dans un climat tempéré; Évrard Worst dit avoir vu, 
en Angleterre, un de ces animaux vivant et âgé de trois mois, que l’on ne mettait dans l'eau que pen- 
dant un petit espace de temps chaque jour, et qui se trainait et rampait sur la terre: il ne dit pas 
qu'il fût incommodé de la chaleur de l'air, il dit au contraire que lorsqu'on le touchait il avait la 
mine d'un animal furieux et robuste, et qu'il respirait assez fortement par les narines. Ce jeune 
Morse était de la grandeur d’un Veau, et assez ressemblant à un Phoque; il avait la tête ronde, les 
yeux gros, les narines plates et noires, qu'il ouvrait et fermait à volonté; il n'avait point d'oreilles, 
mais seulement deux trous pour entendre; l’ouverture de la gueule était garnie d’une moustache en 
poils cartilagineux, gros et rudes; la mâchoire inférieure était triangulaire; la langue épaisse, courte, 
et le dedans de la gueule muni de côté et d'autre de dents plates; les pieds de devant et ceux de der- 
rière étaient larges, et l'arrière du corps ressemblait en entier à celui d'un Phoque; cette partie 
rampait plutôt qu'elle ne marchait; les pieds de devant étaient tournés en avant, et ceux de der- 
rière en arrière, ils étaient tous divisés en cinq doigts recouverts d’une forte membrane; la peau 
était épaisse, dure et couverte d’un poil court et délié, de couleur cendrée. Cet animal grondait 
comme un Sanglier et quelquefois criait d'une voix grosse et forte; on l'avait apporté de la Nouvelle- 
Lemble; il n'avait point encore les grandes dents ou défenses, mais on voyait à la mâchoire supé- 
rieure les bosses d’où elles devaient sortir; on le nourrissait avec de la bouillie d'avoine ou de mil, 
il suçait lentement plutôt qu'il ne mangeait; il approchait de son maitre avec grand effort et en gron- 
dant; cependant il le suivait lorsqu'on lui présentait à manger. 

« La femelle met bas en hiver sur la terre ou sur la glace, etne produit ordinairement qu'un petit, 
qui est en naissant déjà gros comme un Cochon d’un an; nous ignorons la durée de la gestation, 
mais, à en juger par celle de l'accroissement et aussi par la grandeur de l'animal, elle doit être de 
plus de neuf mois. Les Morses ne peuvent pas toujours rester dans l'eau, ils sont obligés d'aller à 
terre, soit pour allaiter leurs petits, soit pour d'autres besoins; lorsqu'ils se trouvent dans la néces- 
sité de grimper sur des rivages quelquefois escarpés et sur des glaçons, ils se servent de leurs dé- 
fenses pour s’accrocher et de leurs mains pour faire avancer la lourde masse de leur corps. On pré- 
tend qu'ils se nourrissent de coquillages qui sont attachés au fond de la mer, et qu'ils se servent 
aussi de leurs défenses pour les arracher; d’autres disent qu'ils ne vivent que d’une certaine herbe à 
larges feuilles qui croît dans la mer, et qu'ils ne mangent ni chair ni Poisson; mais je crois ces opi- 
nions mal fondées, et il y a apparence que Le Morse vit de proie comme le Phoque, et surtout de Ha- 


508 HISTOME NATURELLE. 


rengs et d'autres petits Poissons, car il ne mange pas lorsqu'il est sur la terre, et c'est le besoin de 
nourriture qui le contraint de retourner à la mer. » 

Lorgdrager, dans son ouvrage intitulé Description de la prise de la Baleine et de la pêche du 
Groënland, ete., a donné des détails sur les Morses, et nous rapporterons quelques passages de son 
ouvrage d'après la traduction que M. le marquis de Montmiral en a donnée à Buffon. « On trouvait 
autrefois dans la baie d'Horisart et dans celle de Klock beaucoup de Morses et de Phoques, mais 
aujourd'hui il en reste fort peu; les uns et les autres se rendent, dans les grandes chaleurs de l'été, 
dans les plaines qui en sont voisines, et on en voit quelquefois des troupeaux de quatre-vingts, cent 
et jusqu'à deux cents, particulièrement des Morses, qui peuvent y rester quelques jours de suite, et 
jusqu'à ce que la faim les ramène à la mer. La mâchoire supérieure du Morse est armée de deux dents 
d'une demi-aune ou d'une aune de longueur; ces défenses, qui sont creuses à la racine, deviennent 
encore plus grandes à mesure que l'animal vieillit; on en voit quelquefois qui n’en ont qu'une, parce 
qu'ils ont perdu l’autre en se battant, ou seulement en vieillissant; cet ivoire est ordinairement plus 
estimé que celui de F'Éléphant, parce qu'il est plus compacte et plus dur. On voit beaucoup de Morses 
vers le Spitzberg; on les tue sur terre avee des lances; on les chasse pour le profit qu'on a de leurs 
dents et de leur graisse; l'huile en est presque aussi estimée que celle de la Baleine; leurs deux 
dents valent autant que toute leur graisse; l’intérieur de ces dents a plus de valeur que l'ivoire, sur- 
tout dans les grosses dents, qui sont d’une substance plus compacte et plus dure que les petites. Si 
l'on vend un florin la livre l'ivoire des petites dents, celui des grosses se vend trois ou quatre et sou- 
vent cinq florins; une dent médiocre pèse trois livres, et un Morse ordinaire fournit une demi-tonne 
d'huile; ainsi l'animal entier produit trente-six florins, savoir, dix-huit pour ses dents, à trois florins 
la livre, et autant pour la graisse. Autrefois on trouvait de grands troupeaux de ces animaux sur 
terre, mais nos vaisseaux, qui vont tous les ans dans ce pays pour la pêche de la Baleine, les ont telle- 
ment épouvantés, qu'ils se sont retirés dans des lieux écartés, et ceux qui y restent ne vont plus sur 
la terre en troupes, mais demeurent dans l'eau ou dispersées çà et là sur les glaces, Lorsqu'on à 
joint un de ces animaux sur la glace où dans l’eau, on lui jette un harpon fort et fait exprès, et sou- 
vent ce harpon glisse sur sa peau dure et épaisse; mais, lorsqu'il a pénétré, on tire l'animal avee un 
câble vers Le timon de la chaloupe, et on le tue en le perçant avec une forte lance faite exprès; on l'a- 
mène ensuite sur la terre la plus voisine ou sur un glaçon plat; il est ordinairement plus pesant 
qu'un Bœuf. On commence par l'écorcher et on jette sa peau, parce qu'elle n'est bonne à rien (1); on 
sépare de la tête avec une hache les deux dents, ou l’on coupe la tête pour ne pas endommager les 
dents, et on la fait bouillir dans une chaudière, après cela on coupe la graisse en longues tranches 
et on la porte au vaisseau. 

« Les Morses sont aussi difficiles à suivre à force de rames que les Baleines, et on lance souvent en 
vain le harpon, parce que, outre que la Baleine est plus aisée à toucher, le harpon ne glisse pas aussi 
facilement dessus que sur le Morse. On l’atteint souvent par trois fois avee une lance forte et bien 
aiguisée avant de pouvoir percer sa peau dure et épaisse; c'est pourquoi il est nécessaire de cher- 
cher à frapper sur un endroit où la peau soit bien tendue, parce que, partout où elle prête, on la per- 
cerait difficilement; en conséquence, on vise ayee la lance les yeux de l'animal, qui, forcé par ce 
mouvement de tourner la tête, fait tendre la peau vers la poitrine et aux environs; alors on porte le 
coup dans cette partie et on retire la lance au plus vite, pour empêcher qu'il ne la prenne dans sa 
gueule et qu'il ne blesse celui qui l'attaque, soit avec l'extrémité de ses dents, soit avec la lance 
même, comme cela est arrivé quelquefois. Cependant, cette attaque sur un petit glaçon ne dure jamais 
longtemps, parce que Le Morse, blessé où non, se jette aussitôt dans l'eau, et par conséquent on pré- 
fère de Pattaquer sur terre. 

«Quand ces animaux sont blessés, ils deviennent furieux, frappent de côté et d'autre avec leurs 
dents;‘ils brisent les armes et les font tomber des mains de ceux qui les attaquent, et, à la fin, en- 
ragés de colère, ils mettent leurs têtes entre leurs pattes de nageoires et se laissent ainsi rouler dans 
l'eau. Quand ils sont en grand nombre, ils deviennent si audacieux, que, pour se secourir les uns 
les autres, ils entourent les chaloupes, cherchent à les percer avec leurs dents, ou à les renverser en 


D : - à : : < : : ; 
(1) C’est avec raison que Buffon fait observer que Zorgdrager ignorait qu'on fait un très-bon cuir de cette peau; et il 
cite, comme ayant été fait avec lui, des soupentes de carrosse, des sangles et des cordes de bateau, 


CARNASSIERS. 509 


frappant contre le bord. Au reste, cet Éléphant de mer, avant de connaitre les hommes, ne craignait 
aucun ennemi, parce qu'il avait pu dompter les Ours cruels qui se tiennent dans le Groënland, qu'on 
peut mettre au nombre des voleurs de mer. 

« On ne trouve ces animaux que dans des endroits peu fréquentés, comme dans l'ile de Masser, 
derrière le Worland, dans les bois qui environnent les terres d'Horisout et de Klock, et d’ailleurs 
dans des plaines fort écartées et sur des banes de sable dont les vaisseaux n'approchent que rare- 
ment; ceux même qu'on y rencontre, instruits par les persécutions qu'ils ont essuyées, sont tellement 
sur leurs gardes, qu'ils se tiennent tous assez près de l'eau pour pouvoir s'y précipiter promptement. 
J'en ai fait moi-même l'expérience sur le grand bane de sable de Rif, derrière le Worland, où je 
rencontrai une troupe de trente ou quarante de ces animaux. Les uns étaient tout au bord de l'eau, 
les autres n’en étaient que peu éloignés; nous nous arrêtâmes quelques heures avant de mettre pied 
à terre, dans l'espérance qu'ils s'engageraient un peu plus avant dans la plaine, et comptant nous en 
approcher; mais, comme cela ne réussit pas, les Morses s'étant toujours tenus sur leurs gardes, nous 
abordämes avec deux chaloupes en les dépassant à droite et à gauche; ils furent presque tous dans 
l’eau au moment où nous arrivions à terre, de sorte que notre chasse se réduisit à en blesser quelques- 
uns qui se jetèrent dans la mer de même que ceux qui n'avaient pas été touchés, et nous n’eûmes que 
ceux que nous tirämes de nouveau dans l’eau. Anciennement et avant d'avoir été persécutés, les Mor- 
ses s'avançaient fort avant dans les terres, de sorte que dans les hautes marées ils étaient assez loin 
de l'eau, et que dans le temps de la basse mer la distance était encore beaucoup plus grande, on les 
abordait aisément. On marchait de front vers ces animaux pour leur couper la retraite du côté de la 
mer; ils voyaient tous ces préparatifs sans aucune crainte, et sonvent chaque chasseur en tuait un 
avant qu'il pût regagner l’eau. On faisait une barrière de leurs cadavres et on laissait quelques gens 
à l'affût pour assommer ceux qui restaient. On en tuait quelquefois trois ou quatre cents. On voit, par 
la prodigieuse quantité d'ossements de ces animaux dont la terre est jonchée qu'ils ont été autrefois 
très-nombreux. » 

Il faut que le nombre de ces animaux soit énormément diminué, et cela déja du temps de Zorg- 
drager, ou plutôt qu'ilsse soient presque tous retirés vers des côtes encore inconnues, puisqu'on trouve 
dans les relations des voyages au Nord qu'en 1704, près de l'île de Cherry, à soixante-quinze de- 
grés quarante-cinq minutes. l'équipage d'un bâtiment anglais rencontra une prodigieuse quantité de 
Morses, tous couchés les uns auprès des autres; que de plus de mille qui formaient ce troupeau les 
Anglais n’en tuèrent que quinze; mais qu'ayant trouvé une grande quantité de dents, ils en rempli- 
rent un tonneau entier; qu'avant le 13 juillet, ils tuèrent encore cent de ces animaux, dont ils n’em- 
portèrent que les dents; qu'en 1706 d’autres Anglais en tuèrent sept ou huit cents dans six heures; 
en 1708, plus de neuf cents dans sept heures; en 1710, huit cents en plusieurs jours, et qu'un seul 
homme en tua quarante avec une lance. 

Voici maintenant le portrait que Girard de Veer, le narrateur candide des premières expéditions hol- 
landaises au Spitzberg, trace de ces animaux. « Ge sont des monstres marins de merveilleuse force, 
plus grands qu'un Bœuf, et vivant en mer. Ils ont la peau semblable à celle du Robbe ou Chien de 
mer, ayant le poil fort court et le museau semblable à celui du Lion. Se mettant souvent assis sur la 
glace, à grand'peine on les peut tuer, sinon en les frappant aux tempes de la tête. Ils ont quatre 
pieds et nulle oreille, et engendrent à la fois un ou deux petits. [ls ont à chaque côté du museau 
deux dents qui sortent long environ d’une demi-aune, qu’on estime valoir comme les dents d'Élé- 
phant en ivoire, principalement en Moscovie, en Tartarie et aux environs. » 

M. Xavier Marmier, dans le tome I des Voyages de la commission scientifique du Nord, 
en Scandinavie, en Laponie, au Spütxberg et aux Fvroë, sous la direction de M. Paul Gai- 
mard, rapporte ce qui suit relativement au Caruassier que nous étudions, et il donne d'intéressants 
détails sur d’autres animaux des régions septentrionales, et particulièrement sur l'Ours blane. «Le 
Morse, qui est à présent l'objet essentiel des pêches du Spitzberg, est un animal amphibie, qui 
ressemble tellement aux Mammifères domestiques, que beaucoup de navigateurs lui ont donné le 
nom de Cheval marin et de Vache marine. C'est une bête lourde, informe, de douze à quinze 
pieds de longueur et de huit à dix de circonférence. Sa peau épaisse est recouverte de poils épais, 
et sous celte peau s'étend une forte enveloppe de graisse qui préserve le Morse des rigueurs de l’hi- 
ver. Souvent les Morses gisent en grand nombre le long des banes de glace. Is sont là immobiles et 


310 HISTOIRE NATURELLE. CARNASSIERS. 


entassés pêle-méle l'un sur l'autre. Mais l'un d'eux, pendant leur repos, fait l'office de sentinelle. 
A la moindre apparence de périls, il se précipite dans les vagues. Tous les autres essayent aussitôt de 
le suivre; mais dans ce moment critique la lenteur de leurs mouvements produit parfois des scènes 
assez grotesques. Dans l’état de confusion où ils sont couchés, ils ont peine à se dégager des masses 
de chair pesantes qui les serrent de tout côté. Les uns roulent maladroitement dans l'eau; les autres 
s’avancent péniblement sur la glace. La pesanteur de leur corps et l'énorme disproportion de leurs 
membres leur rendent tout mouvement sur la glace très-difficile. Sans pouvoir traîner la partie pos- 
térieure de leur corps, ils lèvent, baissent tour à tour la tête, et serpentent comme des chenilles. 
Mais, lorsque ces pesants et informes animaux sont dans l’eau, ils reprennent toute leur vigueur, et, 
s'ils sont attaqués, ils se défendent avec un étonnant courage. Quelquefois ils engagent eux-mêmes 
la lutte : ils s’élancent sur les embarcations des pêcheurs, en saisissent les bords avec leurs longues 
dents pareilles à des crochets, et les tirent à eux avec fureur. Quelquefois ils se glissent sous la cha- 
loupe et s'efforcent de la faire chavirer. Leur peau dure, rocailleuse, résiste aux coups de pique et 
de lance, et ce n’est pas sans peine et sans danger que les pauvres pécheurs se délivrent de ces re- 
doutables adversaires. Dans ces batailles acharnées, les Morses sont ordinairement conduits par un 
chef, que l'on reconnait facilement à sa grande taille, à son ardeur impétueuse. Si les pêcheurs par- 
viennent à tuer ce chef de bande, à l'instant même tous ses compagnons renoncent à la lutte, se réu- 
nissent autour de lui, le soutiennent, à l’aide de leurs dents, à la surface de l'eau, et l'entrainent 
en toute hâte loin des embarcations agressives et loin du péril, dans l'espoir sans doute de lui sauver 
encore la vie. Mais ce qu'il y a de plus dramatique et de plus touchant à voir, c'est lorsque les Mor- 
ses combattent pour la sécurité de leurs petits. Ordinairement ils essayent de déposer leurs petits 
surun banc de glace pour lutter ensuite plus librement; s'ils n’ont pas le temps de les mettre ainsi 
en sûreté, ils les prennent sous leurs pattes, les serrent contre leur poitrine, et se jettent avec une 
audace désespérée contre les pêcheurs et contre les chaloupes. Les jeunes Morses montrent le même 
dévouement et la même intrépidité quand leurs parents sont en péril. On en à vu qui, ayant été dé- 
posés à l'écart, s'échappaient hardiment de l'asile que leur avait choisi une tendresse inquiète pour 
prendre part à la lutte dans laquelle était engagée leur mère, la soutenir dans ses efforts et partager 
ses périls. Les douces lois de la nature se retrouvent partout, dans les déserts brülants de l'Afrique 
comme dans les ondes glaciales du Nord, daus l'instinct d’un monstre sauvage comme dans les doux 
soupirs de l'oiseau des prés. » 

En terminant ce que nous avons cru devoir dire sur le Morse, faisons observer qu'il est bien dé- 
montré aujourd'hui que les Lamantins et le Dugong, qu'on a longtemps placés dans le genre Triche 
chus, en sont très-distincts; en effet, ces Mammiferes ont beaucoup plus de rapports avee les Cétacés 
qu'avec les Amphibies, et doivent dès lors être éloignés du groupe genérique dont nous nous sommes 
occupé. 


FIN DU VOLUME. 


TABLE ALPHABETIQUE 


Agriode, Agriodus.. . . 6 
AMPHIBIES. Amphibie. . 
AncrTocérmaLe. Arctocephalus. 
Carocérnaue. Calocephalus. . 


CANIENS RON 4 CUT OR eme tee 


Canne nn 

Canis.. So re é à 
CARNASSIERS. Feræe. . . . . . . 
CARNIVORES. Carnivora. , 
CARACALS ee eee Le 
Cas Rs re 

Cerdocyon. Cerdocyon. . . . 

Chaon. Chaon. . . 

CHar- Felis - 

CmEx. Canis.. 

Cuiexs PROPREMENT pirs, Canis,. 

Chryse. Chryseus. . . . . . 

Chrysocyon. Chrysocyon. . . . 

CIVETTE: (VIUET Eee = + 0e 
CryoToPROCTE. Cryploprocta. 

Cynailure. Cynailurus.. . . . . . 
Cynalopeæ. Cynalopeæ.. . . . . . …, 
CyNnyÈNE. Cynhyæna. 

CxnicrE. Cynictis. . . . 

Cynofelis. Cynofelis..… . 

CYNOPE> CYNODUES Re 
DIGITIGRADES. Digiligrade, . . 
Dusicyon. Dusicyon. . . . . . . . 
Femelle Re 
FÉLIENS. Felüi. à + . à. 

FeHSNEm Ne ee, ele 
RÉDISEVRATS Eee + se eee cie 
Fennec. Fennécus. . . à. . : . . à 
GENETTE. (Genelia. . 


Π12 19 KO CI 


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GUÉPARND A GUEPANAUS. ee re. ce ie A2 
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Hyænodon. Hyænodon. . . . . . . . . . . . . V4 
LINÈNE MUR ee eee D CT CE DD) 
HVENIENS A HyœnU ne ee Le 0. 0 LUS) 
HNÉNOIDE: HYœN0ITes 00 


JAGDARS eee nie 178 
Leptonyæ. Leplony. rues co. er 202 
LixsaG. Prionodon. . 12 
PTT RE ÉD Cm Plone UE 
LUPUS RE PERS ET 94 
Lycaon. Lycaon. 55 
Lycisque. Lyciscus. . . . . . . . . . 34 
EYNXS LYNCUS A re ee 207 
Lyxx Lorré. Cato-Lynx. 211 
LYNX PROPREMENT DITS. Lynæ. .  . . . . . . . 215 
Macronmn. Macrorhinus.. . . . . . . . . . . 210 
Megalotis. Megalotis. . . . . . . . . . . . . 59, %8 
METOUGE. MirOUJs ... «+ ee eue eee A 


Momse. frichechus. . . . . . . . . . . . . . . 600 
DCELOTSS An ad ne las ete ee + CC LOL 
Osmetectis. Osmelectis. « . «à à. à = à à + « + 9 
OTARIE: DIarite ie eee. ee TR A 
OraniEs PROPREMENT niTrs. Otariæ. . . . . . . . . 282 
Orocxon. Olocyon.. . . . . . . «+ - « + + à + 97 
Pachyodon. Pachyodon. . . . . . . . . . . . . 266 
Palænicte. Palæniclis. , . . . . . . . . . : . 9 
PARDES SC Mate nc a Us 
PÉCAGE  PElUGiUS se ae ee ee che lc 266 
PHOCIDÉS. Phocidæ. . -". à. + Le N 077 
Puoques pnorREMENT mits. Phoca., . . . . . . . . 942 
PLarTyRuyNQuE. Platyrhynchus. . 
PROTÈLE. PAGIEIES.. NU A 10% 


312 


DONS LS Cie Ge 


RENARD VUE eus à we ne sn 


Rhinophoque. Rhinophoca. 
ROOUS SR... - 
RyzÈNE. Ryzena. , 

Sacalie. Saca'ius. . 
SERVALS: «ne ee 
Squalodon, Squalodin.. . . 
STEXMATUIE, Stemmalopus. 


STÉNORIENQUE. Sésnorhynchus. . 


HISTOIRE NATURELLE. CARNASSIERS, 


Pages, 
Mons ho cs 169 


SURICATE. Suricala, . . . . . 
Thous. Thous, . 


Ticres, , , 


TRICHÉCHIDÉS. Trichechidæ. . 


Vivenna, Viverra.. . 
Viverricule. Viverricula, . . 
VIVERRIENS. Viverride, . 
Vulpes. . . 

Vulpiens. 


FIN DE LA TABLE. 


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