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Full text of "Esprit des saints : les plus illustres parmi les auteurs ascétiques et moralistes : non compris au nombre des pères et des docteurs de l'église avec des notices biographiques et littèraires trésor de spiritualité"

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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/espritdessaintsl05grim 


ESPRIT 


DES    SAINTS 


LES  PLUS  ILLUSTRES 


ESPRIT 


DES    SAINTS 

LES  PLUS  ILLUSTRES 


PARMI     LES     AUTEURS     ASCETIQUES     ET     MORALISTES 
NON    COMPRIS    AU    NOMBRE    DES    PÈRES    ET    DES    DOCTEURS     DE     L'ÉGLISE 

AVEC    DES    NOTICES    BIOGRAPHIQUES   ET    LITTÉRAIRES 

TRÉSOR    DE   SPIRITUALITÉ 

RECUEILLI 

Par    M.    l'Abbé    GRIMES 

Ancien   prédicateur,  Chanoine  honoraire  d'Evreux    , 

OUVRAGE    APPROUVÉ 

Par  son  Éminence  le  Cardinal  Donnet.  Archevêque  de  Bordeaux 

Par  son  Éminence  le  Cardinal  Guibert,  Archevêque  de  Paris 

Et  par  plusieurs  de  Nosseigneurs  les  Évêques  de  France 


Revue  avec  le  plus 


TROISIEME     EDITION 

soie  et  augmentée  de  l'Esprit  de  saint  Philippe  de  Néri  et  de  saint  André  Aveliin 

Quœsivi  verba  utilia. 

J'ai  cherché  des  paroles  utiles 

(Eccl..  xn-IOL 


TOME    V 


TOURS 
C  ATT  1ER,     LIBRAIRE-EDITEUR 

1883 


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HOIV rEÔÈËMÊ'R  UBM|j^wèoî? 


EXPLICATIONS  PRÉLIMINAIRES 

ET 

NOTES  APOLOGÉTIQUES 

Sur  les  mois  Exlase  j  Ravissement ,  Vision ,  Apparition  ,  Révélation  , 

Tirées  en  grande  partie  du  savant  ouvrage  de  Benoît  11V,  sur  la  Canonisation  des  Saints, 
tom.  3,  chap.  i9  et  suir. 


L'extase  est  l'état  de  l'âme,  quand  Dieu  l'occupe  tellement 
d'un  objet,  qu'elle  ne  voit,  n'entend  et  ne  sent  plus  rien 
de  ce  qui  se  trouve  autour  d'elle. 

Le  ravissement  diffère  de  l'extase  en  ce  que  dans  le  ravisse- 
ment l'opération  divine  est  encore  plus  forte  que  dans  l'extase. 
Quelquefois  aussi ,  dans  le  ravissement ,  le  corps  s'élève  de 
terre  et  demeure  ainsi  élevé  pendant  quelque  temps.  Le  Sei- 
gneur, par  l'extase,  donne  une  idée  de  la  contemplation  à  la- 
quelle l'âme  sera  élevée  dans  le  ciel;  et  par  le  ravissement , 
il  donne  une  idée  de  l'agilité  dont  les  corps  seront  doués  dans 
le  séjour  de  la  gloire. 

La  vision  est  la  vue  que  Dieu  donne  à  l'âme  d'un  objet. 
Les  auteurs  mystiques  confondent  souvent  Yapparition  avec 
la  vision,  et  quelquefois  ils  mettent  entre  elles  de  la  diffé- 
rence en  disant  que  dans  l'apparition  on  voit,  sans  savoir 
quel  objet  on  voit.  Ils  distinguent  trois  espèces  de  vision  et 
d'apparition  :  la  corporelle,  qui  se  fait  par  les  yeux;  l'imagi- 
naire, qui  ne  se  fait  que  dans  l'imagination,  et  V intellec- 
tuelle, qui  n'a  lieu  que  dans  l'entendement ,  parce  qu'elle  se 
fait  sans  figure. 

La  révélation  est  la  connaissance  que  Dieu  donne  à  L'âme 
d'une  ebose  qui  lui  était  inconnue.  Elle  diffère  de  la  vision 
et  de  l'apparition  en  ce  qu'elle  fait  connaître  ce  que  signifie 
t.  v.  1 


2  EXPLICATIONS   PRELIMINAIRES 

l'objet  qu'on  a  vu.  Ainsi  saint  Pierre ,  après  avoir  eu  la  vision 
d'un  grand  linge  rempli  d'animaux  qui  descendait  du  ciel, 
eut  besoin  d'une  révélation  pour  savoir  ce  que  ce  linge  signi- 
fiait (Act.  10,  y.  10  et  suiv..). 

Les  visions  ,  les  apparitions  et  les  révélations  ont  ordinai- 
rement lieu  dans  les  extases  et  les  ravissements.  On  le  voit 
dans  l'exemple  que  nous  venons  de  citer,  car  l'Écriture  dit, 
en  parlant  de  saint  Pierre ,  cecidit  super  eum  mentis  excessus 
et  vidit,  &c.  (Ibid.) 

Si  l'ignorance  et  l'irréligion  cherchent  à  jeter  du  ridicule 
sur  les  extases,  les  ravissements  ,  les  visions,  les  apparitions 
et  les  révélations  ,  c'est  parce  que  ,  comme  dit  saint  Paul , 
l'homme  charnel  ne  peut  concevoir  ce  qui  est  de  l'esprit  de 
Dieu.  En  effet,  tout  homme  de  bon  sens  ne  saurait  douter 
que  ces  divers  états  ne  puissent  exister  ,  car  si  les  objets  de 
la  terre,  quand  ils  nous  occupent  fortement ,  nous  empêchent 
quelquefois  d'entendre ,  de  voir  et  de  sentir  ce  qui  se  passe 
autour  de  nous ,  est-il  étonnant  que  les  objets  du  ciel  produi- 
sent en  nous  le  même  effet?  Ces  objets  d'ailleurs  enivrant 
l'âme  d'un  torrent  de  délices  et  donnant  une  paix  qui ,  selon 
l'Apôtre ,  surpasse  tout  sentiment ,  ne  doivent-ils  pas  pro- 
duire cet  effet  d'une  manière  et  plus  prompte  et  plus  énergi- 
que? S'il  peut  donc  y  avoir  des  extases  naturelles,  pourquoi 
ne  pourrait-il  pas  y  en  avoir  de  surnaturelles  ?  Quant  aux 
ravissements,  dès  qu'on  suppose  l'opération  divine,  qu'of- 
frent-ils d'impossible  ?  Enfin  ,  à  l'égard  des  visions ,  des  ap- 
paritions et  des  révélations  ,  pourquoi  le  Seigneur ,  qui  est  la 
sagesse  et  la  bonté  même ,  ne  pourrait-il  pas  découvrir  ses 
secrets  à  l'homme  ,  et  employer  des  moyens  pour  se  faire 
entendre  de  lui? 

L'Écriture  sainte  nous  offre  plusieurs  exemples  d'extase 
dans  les  Prophètes ,  de  ravissements  dans  saint  Paul ,  de 
visions  et  d'apparitions  dans  saint  Pierre  et  dans  Corneille, 
de  révélations  dans  toute  l'Apocalypse.  Si  l'on  ose  dire  que 
Dieu  n'a  plus  rien  opéré  de  semblable  depuis  les  premiers 
temps  de  l'Église,  il  faut  donc  s'inscrire  en  faux  contre  toutes 
les  preuves  que  l'histoire  ecclésiastique  nous  donne  des  opé- 
rations extraordinaires  qu'il  a  faites  dans  les  âmes  ;  il  faudra 
donc  rejeter  les  visions  et  les  révélations  de  sainte  Perpétue  , 


ET  NOTES   APOLOGÉTIUUES.  ',) 

de  sainte  Thérèse  et  de  tant  d'autres  qui  ont  soutenu  l'exa- 
men de  la  plus  sévère  critique  (1)  ? 

On  sait  qu'une  certaine  disposition  de  corps  et  d'autres  cau- 
ses naturelles  produisent  des  effets  extraordinaires;  on  sait 
aussi  que  l'ange  de  ténèbres  se  change  quelquefois  en  ange 
de  lumière  ;  mais  n'a-t-on  pas  des  marques  certaines  pour 
connaître  le  doigt  de  Dieu  ? 

Quand  une  personne  craint  ces  états  et  s'en  défie;  quand 
elle  tâche  de  s'y  soustraire  ou  au  inoins  de  les  diminuer; 
quand  elle  se  dérobe  aux  regards  des  autres  ,  de  peur  qu'on 
ne  l'y  surprenne  ,  ou  qu'elle  éprouve  delà  confusion  si  on  l'y 
surprend  ;  quand  elle  y  entre  au  milieu  d'une  oraison,  ou  à 
la  suite  d'une  communion  qu'elle  a  faite  avec  ferveur;  quand 
elle  s'y  comporte  selon  les  règles  de  la  plus  parfaite  modes- 
tie et  que  son  extérieur  offre  un  spectacle  édifiant  cà  tous  ceux 
qui  la  voient  ;  quand  elle  en  sort  avec  la  paix  dans  l'âme  et 
la  sérénité  sur  le  front;  quand  ensuite  elle  s'affermit  dans 
l'humilité,  la  mortification  et  la  fidélité  à  ses  devoirs;  quand 
elle  ne  perd  pas  le  souvenir  de  ce  qui  s'est  passé  en  elle 
(  quoique ,  selon  sainte  Thérèse  ,  on  n'en  ait  quelquefois 
qu'un  souvenir  confus)  ;  quand  son  corps  acquiert  de  la  vi- 
gueur après  l'opération  ,  quoiqu'elle  ait  eu  de  la  fatigue  pen- 
dant l'opération  même;  quand  enfin  cette  personne  soumet 
tout  ce  qu'elle  a  éprouvé  aux  lumières  de  ses  guides,  et  qu'elle 
est  disposée  à  le  désavouer,  s'ils  le  jugent  à  propos,  alors 
peut-on  méconnaître  le  doigt  de  Dieu  qui  produit  ces  états  ? 
Peut-on  croire  alors  que  le  démon  y  influe ,  à  moins  qu'on 
ne  suppose  qu'il  veuille  détruire  lui-même  son  empire?... 

Mais  peut-être  se  croira-on  autorisé  à  rejeter  de  tels  écrits 
par  cela  seul  que  c'est  une  femme  à  qui  ces  révélations  ont 
été  faites  (car  il  en  est  qui  tenant  pour  suspect  ce  sexe  pieux 
et  vénérable  ,  repoussent  comme  futile ,  imaginaire  ,  erroné  , 
tout  ce  qui  vient  de  lui)  ?  A  cela  nous  pourrions  répondre  par 
des  faits  ;  mais  d'abord  posons  cette  vérité ,  que  la  femme 
l'emporte  le  plus  souvent  sur  l'homme  en  courage,  en  cons- 
tance ,  en  héroïsme  dans  la  pratique  de  la  vertu  ,  dans  l'exer- 


(1)  Touchant  tes  stigmates,  voyez  aussi  Benoit  XIV,  livre  «le  la  Canonisation 
des  Saints.  (  Livre  IV,  pag.  2  et  suiv.) 


4  EXPLICATIONS   PRÉLIMINAIRES 

cice  de  la  miséricorde  ,  dans  la  défense  de  sa  chasteté  ,  dans 
le  support  du  martyre ,  clans  tout  ce  qui  décèle  une  grande 
âme.  Or,  sans  entrer  dans  le  détail  des  moyens  par  lesquels 
on  discerne  évidemment  les  vraies  révélations  de  celles  qui 
sont  fausses  ,  et  que  l'Eglise  sait  employer  avec  tant  de  soin 
et  de  prudence  avant  de  les  approuver  :  si  nous  avions  à  pren- 
dre la  défense  du  sexe  pieux  qu'on  dédaigne ,  pense-t-on  que 
nous  serions  en  peine  de  lui  faire  un  bouclier ,  la  parole  de 
Dieu ,  l'Évangile  à  la  main  ?  Est-ce  que  Dieu  n'a  pas  mani- 
festé plusieurs  fois  ses  grands  desseins  envers  la  femme  ?  Est- 
ce  qu'il  ne  l'a  pas  choisie  le  plus  souvent  pour  gouverner  ou 
pour  instruire  ,  pour  vaincre  ou  pour  sauver  les  peuples  ?  Est- 
ce  que  Débora  n'a  pas  été  établie  juge  sur  Israël?  (  Jud.  4-4.) 
Est-ce  qu'Abéla  n'a  pas  été  choisie  pour  être  la  médiatrice 
entre  ce  peuple  et  ses  ennemis,  et  pour  délivrer  par  sa  sagesse 
la  ville  de  sa  ruine  ?  (2  Reg.  20-16.)  Est-ce  .que  le  roi  Josias 
n'envoya  pas  auprès  de  la  prophétesse  Olda  pour  savoir  de  sa 
bouche  la  volonté  du  Seigneur?  (4  Reg.  22-14.)  Est-ce  que 
la  sœur  de  Moïse  n'était  point  prophétesse  (  Exod.  15-20), 
et  sainte  Elisabeth  ,  au  rapport  de  l'Evangile  selon  saint 
Luc,  ne  prophétisa-t-elle  pas  ?  (Luc.  1-41.)  J'omets  tant 
d'autres  femmes  illustres  ,  telles  que  les  Judith,  les  Esther, 
les  Hildegarde,  les  Catherine  de  Sienne,  les  Brigite.  Mais 
puis-je  oublier  la  plus  digne  de  toutes  les  créatures ,  celle 
qui  marche  la  première  après  Dieu  ,  Marie  !  la  mère  de 
Jésus-Christ  et  la  nôtre  ! 

Que  si,  enfin,  le  sexe  pieux  doit  être  dédaigné  par  cela  seul 
qu'il  est  pieux  et  fidèle  ,  ce  n'est  pas  le  sexe  qu'il  faut  accu- 
ser ,  c'est  le  Créateur  lui-même.  Cependant  Dieu  ne  l'a  point 
méprisé  ,  car  il  lui  a  fait  souvent  miséricorde  et  l'a  privilé- 
gié ,  témoin  la  Samaritaine  ,  la  Cananéenne  ,  et  Madeleine  , 
qui  fut ,  dit  saint  Grégoire  ,  l'Apôtre  même  des  Apôtres,  en 
leur  annonçant  la  résurrection  de  Jésus-Christ. 

Qui  ne  voit  que  ce  n'est  point  tel  ou  tel  sexe  qui  prend 
rang  devant  Dieu ,  mais  que  c'est  la  pureté  du  cœur  ,  l'hu- 
milité, la  docilité,  la  fidélité  ,  le  sentiment ,  l'amour  détaché 
de  toute  affection  terrestre  qui  attirent  les  faveurs  divines  ? 

Or,  si  nous  voulions  énumérer  des  faits  ,  raconter  tant  de 
belles  actions ,  relever  le  mérite  et  l'héroïsme  de  la  femme 


ET  NOTES   APOLOGETIQUES.  D 

sous  la  nouvelle  loi ,  aurions-nous  le  temps  de  tout  rappor- 
ter !  mais  non  ,  qu'on  ne  pense  point  que  nous  ayons  le  des- 
sein de  célébrer  les  louanges  de  la  femme ,  nous  ne  faisons 
que  repousser  la  calomnie ,  et  tout  en  omettant  les  triomphes 
de  tant  de  vierges  magnanimes  ,  nous  disons  seulement  avec 
franchise  que  ce  sexe  est  généralement  plus  fervent  et  plus 
avancé  dans  l'amour  divin  et  la  contemplation  que  l'homme  : 
car  quelle  pureté ,  quelle  perspicacité,  quelle  sérénité,  quelle 
limpidité  de  conscience  !  A  Dieu  ne  plaise  que  nous  ne  ren- 
dions aux  hommes  dociles  ,  pieux ,  vertueux  ,  adonnés  à  la 
méditation,  la  louange  qui  leur  est  due;  mais  avancerions- 
nous  une  erreur  si  nous  disions  que,  même  de  nos  jours, 
plusieurs  vierges  ou  femmes  pieuses  ,  qui  ont  vieilli  dans  les 
combats  du  Seigneur,  lutté  contre  le  démon  et  le  monde, 
éprouvent  de  plus  suaves  consolations  divines  ,  sont  admises 
à  de  plus  intimes  communications ,  sont  plus  versées  dans  les 
voies  spirituelles,  entrent  mieux  dans  les  desseins  de  Dieu, 
savent  mieux  dénouer  des  difficultés ,  répondre  à  des  cas 
embarrassants  que  plusieurs  qui  se  livrent  à  l'étude  de  la 
science?  Non,  et  on  est  forcé  de  le  reconnaître.  Qu'on  les 
consulte,  et  on  sera  convaincu  qu'elles  ne  sont  si  savantes 
dans  les  voies  de  Dieu  que  parce  que  l'Esprit-Saint  les 
éclaire,  et  leur  confie  ce  qu'il  ne  confie  ni  aux  sages ,  ni  aux 
puissants  ,  ni  aux  savants  du  monde.  Que  ce  peu  de  mots  suf- 
fisent pour  la  modeste  apologie  des  femmes  inspirées. 

Ecoutons  un  moment  Bossuet  -dans  sa  préface  sur  les  états 
d'oraison  (1)  : 

«  Le  monde  ,  dit-il ,  ne  goûte  guère  ces  choses  ,  et  souvent 
»  il  en  fait  le  sujet  de  ses  railleries.  On  y  traite  ordinairement 
»  les  contemplatifs  de  cerveaux  faibles  et  blessés  ;  les  ravisse- 
î>  ments ,  les  extases  et  les  saintes  délicatesses  de  l'amour 
»  divin,  de  songes  et  de  creuses  visions.  L'homme  animal , 
»  comme  dit  saint  Paul  (1  Cor.  11-li) ,  qui  ne  veut  ni  ne 
»  peut  entendre  les  merveilles  de  Dieu ,  s'en  scandalise.  Ces 
j>  admirables  opérations  du  Saint-Esprit  dans  les  cames,  ces 
»  bienheureuses  communications  et  cette  douce  familiarité 
»  de  la  sagesse  éternelle ,  qui  fait  ses  délices  de  converser 

(1)  Tom.  X  ,  pag.  10,  édition  de  Besançon,  1836. 


6  EXrUCAT.  PRÉLIM.  ET  NOTES  APOLOGÉTIQUES. 

»  avec  les  hommes ,  sont  un  secret  inconnu ,  dont  chacun 
«  veut  raisonner  à  sa  fantaisie.  Parmi  tant  de  différentes  pen- 
»  sées  qui  se  forment  sur  ce  sujet  dans  tous  les  esprits  , 
y>  comment  empècherai-je  la  profanation  du  mystère  de  la 
y>  piété  ,  que  le  monde  ne  veut  pas  goûter?  Dieu  le  sait ,  et  il 
»  sait  encore  l'usage  que  je  dois  faire  des  contradictions  ou 
»  secrètes  ou  déclarées  qu'on  trouve  sur  son  chemin  ,  dans 
»  une  matière  où  tout  le  monde  se  croit  maître  et  où  l'on  ne 
»  voit  que  trop  que  les  esprits  prévenus  se  passionnent  d'une 
»  étrange  sorte  pour  leurs  sentiments.  "Mais  qu'importent  ces 
»  oppositions  à  qui  cherche  la  vérité  ?  Dieu  connaît  ceux  a 
»  qui  il  veut  parler,  il  sait  les  trouver  ,  et  sait,  malgré  tous 
»  les  ohstacles ,  faire  dans  leurs  cœurs  les  impressions  qu'il 
»  a  résolues.  » 

Nous  entrons  dans  la  pensée  de  ce  grand  prélat,  de  ce  sa- 
vant maître  en  spiritualité  qui  a  su  relever  tant  d'erreurs  sans 
y  tomher  lui-même.  Devrons-nous  ensevelir  dans  l'oubli  les 
merveilles  de  Dieu  ,  ou  éteindre  dans  les  ténèbres  du  silence 
la  lumière  qu'il  a  suscitée  pour  la  consolation  de  ses  Saints? 
Serait-il  raisonnable,  à  cause  de  quelques  contradictions  de  la 
part  des  incrédules,  de  priver  les  âmes  justes  de  ce  puissant 
secours  que  le  Seigneur  leur  a  préparé  ?  Nous  ne  le  croyons 
point.  Et  quoique  nous  ne  donnions  que  très-peu  devisions  et 
de  révélations  dans  notre  ouvrage,  qui  nous  ferait  un  reproche 
de  manifester  quelques-uns  des  secrets  de  Dieu  envers  les  âmes? 

Voici  du  reste,  pour  être  bien  fixé,  commentBenoît  XIV s'ex- 
prime sur  les  révélations  en  général  approuvées  par  les  con- 
ciles. 

«  L'approbation  de  semblables  révélations  n'emporte  autre 
»  chose,  sinon  qu'après  un  mûr  examen  il  est  permis  de  les 
»  publier  pour  l'utilité  des  fidèles...  Quoiqu'elles  ne  méritent 
7>  pas  la  même  créance  que  les  vérités  de  la  religion ,  on 
t>  peut  cependant  les  croire  d'une  foi  humaine  ,  conformé- 
»  ment  aux  règles  de  la  prudence ,  selon  lesquelles  elles  sont 
»  probables  et  appuyées  sur  des  motifs  suffisants  pour  qu'on 
j>  les  croie  pieusement.  Benoît  XIV,  de  Canonis.  sanct.  — L. 
»  2,  ch.  32,n.ll.  » 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  SYNCLÉTIQUE, 

PREMIÈRE  FONDATRICE  DES  ORDRES  DE  FEMMES. 


NOTICE. 


330. 


Une  brillante  auréole  de  gloire  qui  ne  le  cède  qu'aux 
rayons  de  la  couronne  des  martyrs ,  environne  le  front  de 
cette  illustre  vierge ,  première  fondatrice  des  ordres  de  fdles 
et  de  veuves.  Dieu  l'avait  choisie  pour  être  à  celles  de  son 
sexe  ,  ce  que  l'immortel  saint  Antoine  avait  été  pour  les 
hommes  ;  elle  naquit  comme  lui  en  Egypte  et  dans  la  même 
province  ,  comme  si  le  Seigneur  s'était  plu  à  faire  paraître 


8  NOTICE 

ensemble  ces  deux  grandes  lumières  du  désert  qu'il  destinait 
à  éclairer  les  deux  sexes  ,  et  à  enfanter  à  la  vie  religieuse  une 
innombrable  postérité.  Synclétique  naquit  donc  à  Alexandrie, 
de  parents  originaires  de  Macédoine  et  non  moins  distingués 
par  leur  naissance  et  leurs  richesses  que  par  leurs  vertus  et 
leur  attachement  à  la  foi  de  Jésus-Christ.  Elle  annonça  ,  dès 
son  bas  âge  ,  par  des  dispositions  précoces ,  un  grand  amour 
pour  la  vertu  et  pour  les  exercices  religieux  :  sa  rare  beauté 
son  immense  fortune  ,  des  alliances  honorables  qui  faisaient 
rechercher  sa  main,  ne  purent  la  détourner  du  désir  de  se 
consacrer  au  Seigneur.  Saint  Athanase  qui  a  écrit  sa  vie  (1)  , 
nous  dit  que  ses  austérités  étaient  si  rigoureuses  ,  si  éton- 
nantes ,  et  sa  perfection  si  sublime  ,  si  éminente  ,  qu'en  vou- 
lant fixer  ses  mérites  ,  il  arrive  la  même  chose  qu'à  ceux  qui 
veulent  regarder  fixement  le  soleil;  on  est  ébloui  par  la 
splendeur  de  ses  rayons. 

Après  la  mort  de  ses  parents ,  sainte  Synclétique  ayant 
perdu  son  unique  frère  et  pourvu  aux  besoins  d'une  sœur 
infirme  qu'elle  avait,  distribua  ses  grands  biens  aux  pau- 
vres et  se  retira  ,  pour  mieux  vaquer  à  la  contemplation  des 
choses  célestes ,  dans  un  sépulcre  :  nouveau  trait  de  confor- 
mité avec  le  père  des  religieux,  saint  Antoine  ,  qui  lui  aussi , 
ayant  remis  dans  la  main  des  pauvres  tous  ses  biens  ,  quitta 
le  siècle  ,  et  choisit  pour  demeure  un  sépulcre  ,  image  natu- 


(1*  Quoique  plusieurs  critiques  aient  essayé  (relever  des  doutes  sur  l'auteur 
de  la  vie  de  sainte  Synclétique  ,  i!  est  indubitablement  prouvé  qu'elle  est  due 
à  la  plume  de  saint  Athanase,  comme  celle  de  saint  Antoine.  Baronius  regret- 
tait, de  son  temps  ,  qu'un  eût  perdu  ce  monument  sacré  de  la  vie  religieuse  ; 
mais  depuis  on  l'a  trouvé  dans  la  bibliothèque  de  l'Escurial  du  roi  d'Espagne; 
les  Bollandistes  et  Rosweide  la  donnent  en  latin. 


SUR  SAINTE  SYNCLÉÏIQUE.  9 

relie  de  la  mort  volontaire  à  la  vie  de  ce  monde,  pour  se  for- 
mer à  la  vie  selon  Dieu. 

Nous  expliquerons  plus  bas  (aux  notes)  comment  se  fit 
cette  première  fondation  des  ordres  de  femmes.  Ici ,  nous 
dirons  seulement  que  sainte  Synclétique  était  douée  d'une 
grande  pénétration  d'esprit ,  de  beaucoup  de  sagesse ,  d'une 
grande  facilité  à  s'exprimer  et  d'une  rare  éloquence  mêlée  de 
zèle,  d'onction,  de  force  et  de  lumière  pour  persuader  les  vé- 
rités les  plus  salutaires  ;  c'est  à  ce  beau  talent  et  à  l'exem- 
ple de  ses  vertus  qu'on  doit  attribuer  l'entraînement  qu'elle 
opéra  parmi  celles  de  son  sexe. 

Cependant  le  génie  du  mal ,  attentif  à  paralyser  les  efforts 
des  serviteurs  de  Dieu ,  et  jaloux  de  leur  succès  et  du  bien 
qu'ils  opèrent ,  exerça  sur  cette  généreuse  vierge  toute  sa 
rage  et  sa  malice;  il  l'accabla  de  tentations,  de  tribulations, 
d'infirmités  ;  l'illustre  Job  ,  ce  monument  des  souffrances  hu- 
maines, n'en  est  pas  un  exemple  plus  mémorable  :  une  fièvre 
violente  et  continuelle  minait  nuit  et  jour  ce  corps  frêle  et 
délicat ,  exténué  de  veilles,  déjeunes  et  de  macérations  ;  un 
abcès  se  forma  en  même  temps  à  ses  poumons  ,  un  cancer 
qui  exhalait  une  odeur  insoutenable  ,  rongeait  profondément 
ses  gencives  ,  sa  bouche,  et  lui  ôtait  jusqu'à  l'usage  de  la  pa- 
role. Plus  de  trois  ans  durèrent  ces  souffrances  atroces  et 
dégoûtantes ,  jusque-là  que  son  corps  ne  se  soutenait  plus 
évidemment  que  par  une  vertu  divine;  mais,  plus  sa  de- 
meure terrestre  s'affaiblissait,  plus  sa  vie  intérieure,  céleste, 
se  fortifiait ,  et  parvenue  enfin  au  terme  des  combats  les  plus 
glorieux  etàl'heure  de  son  triomphe,  elle  déposa  sa  dépouille 
mortelle  dans  le  tombeau  ,  pour  s'envoler  dans  les  embrasse- 


10  NOTICE  SUR  SAINTE  SYNCLÉTIQUE. 

ments  du  Bien-aimé  ,  le  i  janvier  de  l'an  330  ,  à  l'âge  de 
quatre-vingt-quatre  ans. 

Si  l'année  de  sa  mort  ne  peut  être  fixée  d'une  manière  bien 
précise  ,  nous  savons  toujours  qu'elle  florissait  dans  le 
IVe  siècle ,  et  qu'elle  n'a  pas  été  de  beaucoup  plus  jeune  que 
saint  Athanase  ,  qui  mourut  en  373. 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  SYNCLÊTIQUE, 


«  Mes  très-chères  Filles  ,  leur  disait-elle  ,  nous  n'igno- 
rons pas  ce  que  nous  devons  faire  pour  arriver  au  salut  : 
mais  nous  négligeons  de  le  pratiquer  ,  et  c'est  bien  notre 
faute  si  nous  avons  le  malheur  de  nous  perdre.  Nous  devons 
poser  pour  premier  fondement  de  notre  édifice  spirituel  ce 
que  Dieu  nous  a  ordonné  par  un  effet  de  sa  grâce  et  de  sa 
miséricorde ,  et  vous  savez  ce  qui  est  écrit  :  Vous  aimerez  le 
Seigneur  de  tout  votre  cœur  et  votre  prochain  comme  vous- 
même  (  Exode  26  ).  C'est  là  le  commencement  de  la  loi  et  la 
plénitude  de  la  grâce  ;  Dieu  l'a  renfermé  en  peu  de  paroles  , 
mais  elles  ont  un  sens  si  étendu  qu'on  peut  dire  qu'il  est 
immense  ;  et  tout  ce  qui  sert  à  l'utilité  de  nos  âmes,  coule  de 
ce  grand  principe.  C'est  ce  que  saint  Paul  nous  apprend  lors- 
qu'il dit  que  la  fin  de  la  loi  est  la  charité  (  1  Tim.  1  ).  Aussi 
tout  ce  que  les  hommes  inspirés  du  Saint-Esprit  nous  di- 
sent d'utile ,  procède  de  la  charité  et  se  termine  à  la  charité  ! 
Voilà  donc  comment  cette  double  charité  est  notre  salut. 

Ajoutez  à  ceci  ,  que  cette  charité  nous  éclaire  sur  ce  qu'il 
y  a  de  plus  parfait ,  et  nous  y  fait  aspirer  avec  une  sainte  ar- 
deur. Mais  ,  pour  le  développer  davantage  ,  vous  savez  ce  qui 


12  ESPRIT 

est  marqué  dans  l'Évangile  de  la  parabole  du  semeur  cl  des 
terres  qui  rapportent  les  unes  cent,  les  autres  soixante,  ou 
trente  pour  un.  Notre  profession  toute  sainte  rapporte  le  cent 
pour  un.  Les  Vierges  qui  vivent  dans  le  monde  ,  d'ailleurs 
avec  beaucoup  de  vertus ,  sont  comme  la  terre  qui  rapporte 
soixante  pour  un  ,  et  les  femmes  qui  vivent  dans  la  pureté 
conjugale  sont  semblables  à  la  terre  qui  rapporte  trente 
pour  un.  » 

La  Sainte  ,  après  avoir  distingué  ces  trois  différents  états  , 
montrait  qu'il  ne  fallait  pas  descendre  du  plus  haut  à  un  au- 
tre moins  parfait ,  mais  qu'il  fallait  faire  tout  le  contraire  , 
parce  qu'en  déclinant  de  la  perfection  qu'on  s'était  proposée , 
on  avait  sujet  de  craindre  de  perdre  le  salut.  <r  A  la  vérité  , 
dit-elle  ,  c'est  une  chose  très-louable  de  passer  du  trentième 
au  soixantième  ;  mais  il  y  a  un  grand  danger  a  passer  de  ce- 
lui-ci à  l'autre  ,  parce  qu'une  fois  qu'on  descend  au  sujet  de 
la  vertu  ,  on  ne  s'arrête  pas  aisément  au  milieu  ,  mais  on  est 
entraîné  plus  bas  et  on  mesure  malheureusement  toute  la 
profondeur  du  précipice...  Quand  il  en  est  ainsi ,  lorsqu'il 
nous  a  fait  descendre  d'un  état  plus  parfait  à  un  moins  par- 
fait ,  c'est  une  preuve  que  le  démon  nous  a  déjà  terrassés  : 
aussi  celles  qui  le  font  sont  regardées  comme  on  regarde 
dans  la  milice  un  soldat  qui  déserte  ,  et  sont  condamnées  de 
même.  On  n'excuserait  pas  un  soldat  qui  entrerait  dans  un 
corps  moindre  que  celui  qu'il  quitte.  Bien  loin  de  lui  pardon- 
ner ,  on  le  traiterait  comme  un  fugitif.  Allons  donc  ,  par 
progrès  du  moins  parfait  au  plus  parfait ,  c'est  le  grand 
Apôtre  qui  nous  l'apprend  par  ces  paroles  :  Oubliez  ce  qui  est 
derrière  vous,  et  efforcez-vous  défaire  davantage.  Mais  ne 
pensez  pas  que  celles  qui ,  par  le  progrès  qu'elles  ont  fait 
dans  la  perfection  ,  sont  comparables  aux  terres  qui  rappor- 
tent cent  pour  un;  ne  pensez  pas,  dis-je,  qu'elles  soient  dis- 
pensées de  travailler  encore.  Jésus-Christ  a  dit  :  Quand  vous 
avez  fait  toutes  ces  choses  ,  dites-vous  à  vous-mêmes  :  nous  ne 
sommes  que  des  serviteurs  inutiles.  » 


DE  SAINTE  SYNCLÉTIQUE.  13 

Elle  entre  ensuite  dans  le  détail  des  devoirs  particuliers 
aux  vierges,  et  ce  qu'elle  dit  coule  toujours  de  ces  principes. 
Elle  leur  recommande  plus  expressément  la  pureté  du  cœur 
et  la  pureté  des  sens  ,  comme  convenant  à  la  sainteté  de 
leur  état  ,  parce  qu'elles  sont  principalement  consacrées  à 
l'Époux  céleste. 

«  L'excellence  de  notre  profession  ,  disait-elle,  nous  oblige 
à  une  pureté  parfaite.  Il  n'en  est  pas  de  nous  comme  des 
femmes  du  siècle,  qui,  se  contentant  d'être  fidèles  à  leur 
mari ,  donnent  d'ailleurs  à  leurs  sens  une  grande  liberté  , 
tantôt  par  des  regards  indécents,  et  tantôt  par  des  ris  immo- 
dérés... Quant  à  nous,  il  ne  nous  suffit  pas  d'éviter  ces  dé- 
fauts ,  nous  devons  exceller  dans  les  vertus  contraires  ;  gar- 
dons nos  yeux  par  une  chaste  retenue  ,  selon  cette  parole  du 
Sage  :  Que  vos  yeux  ne  voient  rien  que  d'honnête.  Soyons  cir- 
conspectes dans  nos  paroles;  car  comment  ferions-nous  ser- 
vir à  des  paroles  dissolues  une  langue  qui  ne  doit  servir  qu'à 
chanter  les  louanges  de  Dieu  ? 

Mais  nous  ne  pourrons  bien  pratiquer  ces  choses  ,  qu'au- 
tant que  nous  sortirons  rarement,  car  les  ennemis  de  notre 
âme,  ainsi  que  de  subtils  voleurs,  y  entrent  bientôt,  et  même 
malgré  nous,  par  les  sens  ,  lorsque  nous  y  pensons  le  moins. 
Voyez  ,  en  effet ,  si  une  maison  devant  laquelle  on  aurait  fait 
une  grande  fumée  n'en  serait  pas  bientôt  remplie,  si  les  por- 
tes et  les  fenêtres  étaient  ouvertes.  Le  plus  sûr  pour  nous  est 
donc  de  ne  paraître  au  dehors  que  le  moins  que  nous  pour- 
rons, parce  que  nous  risquons  de  rencontrer  sur  nos  pas  des 
objets  dangereux  ,  ou  d'entendre  des  paroles  qui  ne  peuvent 
que  troubler  notre  esprit  par  des  images  odieuses. 

Cependant  tout  n'est  pas  fait ,  continuait-elle  ,  en  nous 
renfermant  dans  notre  maison  ou  dans  notre  monastère.  Quoi- 
que séparées  du  monde  ,  nous  avons  encore  besoin  de  veiller 
sur  nous-mêmes  ;  car,  plus  nous  aurons  réduit  nos  sens  aux 
règles  de  la  tempérance  ,  plus  aussi  nous  avons  à  nous  ga- 
rantir des  pièges  que  le  démon  nous  tend  dans  notre  imagi- 


14  ESPRIT 

nation.  Dieu  le  permet  ainsi  pour  nous  faire  mériter  par  les 
victoires  que  nous  remportons  sur  lui;  de  même  qu'on  oppose 
à  un  athlète  qui  s'est  distingué  dans  la  carrière,  de  plus  forts 
antagonistes  que  ceux  qu'il  a  déjà  combattus.  On  a  surmonté 
le  vice  en  ne  se  livrant  point  aux  actions  mauvaises  ,  et  de  ce 
premier  degré  on  passe  à  un  second  qui  est  la  garde  des 
sens  ;  il  ne  faut  pas  s'y  arrêter ,  il  faut  monter  plus  haut  et 
combattre  contre  les  pensées  ;  car  le  démon  qui  nous  attaquait 
dans  les  autres  degrés  ,  s'est  encore  retranché  dans  celui-ci , 
et  vient  troubler  notre  solitude  par  les  pensées  qu'il  nous 
suggère  depuis  que  nous  lui  avons  été  les  autres  moyens  de 
nous  tenter  en  fermant  la  porte  des  sens.  Il  faut  donc  ici  le 
combattre,  selon  ces  paroles  du  Sage  :  Si  un  ennemi  spirituel 
et  qui  est  puissant  vient  à  vous,  ne  lai  cédez  pas  pour  cela  la 
place  (  Eccle.  10-4  ).  » 

La  Sainte  ajoutait  ici  un  avis  des  plus  importants  et  qui 
mérite  qu'on  y  fasse  une  attention  particulière.  Ce  n'est  pas 
assez  d'avoir  recommandé  la  fuite  du  monde,  la  garde  des 
sens,  la  vigilance  sur  les  pensées  et  les  mouvements  du  cœur, 
elle  les  prémunit  encore  contre  une  espèce  de  tentation  d'au- 
tant plus  dangereuse ,  qu'elle  paraît  colorée  des  prétextes  de 
la  piété. 

«  Il  y  a  eu  ,  dit-elle  ,  des  solitaires  qui ,  après  avoir  triom- 
phé du  démon  en  repoussant  les  tentations  de  toutes  les  espè- 
ces ,  en  ont  été  vaincus  en  s'exposant  aux  occasions  ,  sous  pré- 
texte de  piété  :  ils  ont  fui  le  péché  qui  se  présentait  de  front , 
pour  ainsi  dire,  et  ils  y  sont  tombés  ensuite  en  s'engageant  à 
des  discours  spirituels  trop  fréquents  avec  des  personnes 
pieuses,  l'ennemi  les  prenant  dans  ses  filets  comme  on  prend 
les  oiseaux  avec  un  grain  de  blé  qu'on  a  mis  dans  un  piège. 
Ayons  donc  la  prudence  du  serpent  et  la  simplicité  de  la  co- 
lombe  (Matth.  10-16);  la  prudence  du  serpent,  en  évitant 
lus  pièges  que  le  démon  nous  tend  ,  et  la  simplicité  de  la  co- 
lombe ,  par  la  pureté  de  nos  affections  dans  toutes  nos  dé- 
marches; et  connaissant  les  ruses  de  nos  ennemis  ,  soyons 


DE  SAINTE  SYNCLÉTIQUE.  15 

continuellement  en  garde  contre  leurs  artifices.  Si  vous  me 
demandez  quelles  sont  les  armes  qu'il  faut  employer  dans  ce 
saint  combat,  je  vous  réponds  que  ce  sont  les  exercices  la- 
borieux de  la  vie  spirituelle  ,  et  l'oraison  faite  avec  ferveur  et 
pureté  de  cœur  :  servez-vous  encore  d'un  préservatif  plus  par- 
ticulier qui  est  que  quand  le  démon  vous  représente  dans 
l'esprit  des  objets  mondains  ,  vous  pouvez  vous  les  représen- 
ter vous-mêmes  tout  autrement  qu'il  ne  vous  les  veut  faire 
considérer  ;  par  exemple  ,  un  beau  visage,  comme  s'il  n'avait 
ni  des  yeux  ni  de  bouche ,  ce  qui  le  rendrait  difforme  et  hor- 
rible à  voir  ;  un  beau  corps  ,  comme  s'il  était  couvert  d'ulcè- 
res ,  ou  enfin  comme  il  sera  après  la  mort  couvert  de  pourri- 
ture et  de  vers.  » 

Après  qu'elle  eut  développé  ces  vérités  édifiantes ,  une  des 
vierges  qui  l'écoutaient  lui  ayant  demandé  si  la  pauvreté  vo- 
lontaire ou  le  renoncement  aux  biens  du  monde  était  une  œu- 
vre parfaite  ,  elle  lui  répondit  : 

«  Oui ,  sans  doute  ,  c'en  est  une  ,  pourvu  qu'on  ait  assez  de 
force  d'esprit  pour  y  persévérer  ;  car  celles  qui  ont  la  géné- 
rosité de  le  faire  souffrent  à  la  vérité  quelque  peine  dans  le 
corps,  mais  leur  esprit  goûte  une  douce  tranquillité.  Il  en  est 
d'elles  comme  de  ces  habits  de  drap  qu'on  blanchit  à  force  de 
les  fouler  ,  ils  en  paraissent  plus  beaux  ;  ainsi  ces  cames  cou- 
rageuses se  fortifient  davantage  par  la  pauvreté  volontaire. 
Il  en  est  tout  autrement  de  celles  qui  n'ont  pas  la  même  force 
d'esprit  :  comme  les  étoffes  usées  ne  peuvent  être  foulées 
sans  qu'elles  se  déchirent  et  qu'elles  sortent  souvent  du  fou- 
lon par  pièces  et  par  lambeaux,  ainsi  ces  âmes  faibles  ne 
peuvent  soutenir  la  peine  qui  accompagne  la  pauvreté  volon- 
taire, et  elles  abandonnent  facilement  leur  résolution. 

Il  faut  se  préparer  à  la  pratique  de  la  pauvreté  évangéli- 
que,  si  l'on  veut  s'y  soutenir  constamment;  et  on  s'y  prépare 
en  effet  par  les  exercices  de  la  mortification  et  de  la  péni- 
tence ,  parle  jeûne,  par  la  dureté  de  la  couche  et  par  d'au- 
tres pratiques  laborieuses.  Si  on  s'y  prend  autrement  et  qu'on 


1 G  ESPRIT 

commence  par  renoncer  tout  à  coup  aux  biens  qu'on  a,  on 
risque  de  se  repentir  de  les  avoir  quittés  ,  tandis  que  celles 
qui  s'y  sont  disposées  par  les  autres  vertus ,  s'y  soutiennent 
merveilleusement. 

Et  comment  ne  s'y  soutiendraient-elles  pas  ?  Ce  sont  les 
richesses  qui  facilitent  les  moyens  de  vivre  dans  les  délices  ! 
Lors  donc  qu'en  embrassant  les  exercices  de  la  pénitence  on 
a  renoncé  à  toutes  les  délices  ,  les  richesses  ne  nous  tentent 
plus  et  on  n'a  plus  de  regret  de  les  avoir  abandonnées.  Voilà 
pourquoi  Notre-Seigneur  parlant  à  ce  jeune  homme  riche  de 
l'Évangile  ,  ne  lui  proposa  pas  d'abord  de  renoncer  à  ses  ri- 
chesses; il  lui  demanda  premièrement  s'il  avait  observé  fidè- 
lement ce  qui  était  prescrit  par  la  loi.  Il  usa  envers  lui  comme 
un  maître  d'école  en  use  avec  ses  élèves  ,  qui  leur  demande 
s'ils  connaissent  les  lettres  ,  ensuite  s'ils  savent  assembler  les 
syllabes  ,  et  enfin  s'ils  savent  lire  ;  après  cela  ,  venons  ,  leur 
dit-il ,  à  ce  qu'il  y  a  de  plus  parfait.  Allez  ,  dit  le  Sauveur  à 
ce  jeune  homme ,  vendez  ce  que  vous  avez,  donnez-le  aux 
■pauvres ,  venez  et  suivez-moi  (.Malth.  19-21  ). 

La  pauvreté  volontaire  est  donc  bonne  à  celles  qui  ont  déjà 
pris  l'habitude  des  vertus,  et  s' étant  dépouillées  de  tout  pour 
n'avoir  que  Dieu  seul ,  elles  chantent  avec  un  cœur  dégagé  ce 
divin  cantique  de  David  :  Xos  yeux  sont  tournés  vers  vous, 
Seigneur,  avec  une  ferme  confiance  :  Vous  donnez  à  ceux  qui 
vous  aiment  la  nourriture  dont  ils  ont  besoin  (Ps.  144-15). 

Mais  quels  avantages  ces  âmes  ne  retirent-elles  pas  de 
leur  dépouillement  ?  Autant  elles  sont  dégagées  des  biens  de 
ce  monde,  autant  aussi  portent-elles  leurs  affections  vers  les 
biens  du  ciel.  Elles  sont  établies  sur  le  solide  fondement  d'une 
foi  vive  et  d'une  entière  confiance  aux  soins  de  la  Providence  , 
et  c'est  à  elles  principalement  que  s'adressent  ces  paroles  du 
Sauveur  du  monde  :  Ne  soyez  point  en  sollicitude  pour  le  len- 
demain ,  et  ce  qu'il  ajoute  encore  :  Les  oiseaux  du  ciel  ne 
sèment  point  et  ne  moissonnent  point,  et  votre  Père  céleste  a 
soin  de  les  nourrir  (  Matth.  G-20  ).  » 


DE  SAINTE  SYNCLÉTIQUE.  17 

Parlant  ensuite  de  la  paix  dont  jouissent  les  pauvres  vo- 
lontaires ,  des  avantages  qu'ils  remportent  sur  les  démons  et 
de  ceux  qu'ils  ont  au-dessus  des  ambitieux  du  monde  :  «  Ces 
âmes  généreuses  ,  dit-elle ,  ne  redoutent  guère  cet  ennemi  ; 
elles  le  surmontent  d'autant  plus  aisément  qu'il  lui  reste 
moins  de  moyens  de  troubler  leur  tranquillité  ;  car  c'est  or- 
dinairement par  les  désirs  ou  la  possession  des  biens  qu'il 
trouble  celle  des  gens  du  monde.  En  effet ,  que  leur  enlève- 
ra-t-il  ?  leurs  terres  ?  elles  n'en  ont  point  ;  leurs  grains  ? 
elles  n'en  recueillent  point  ;  leurs  proches?  elles  les  ont  quit- 
tés !  N'est-ce  donc  pas  là  un  sujet  de  désespoir  pour  leur 
ennemi ,  et  un  grand  trésor  pour  elles,  que  cette  pauvreté 
volontaire  ?  » 

Après  avoir  rapporté  les  maux  que  causent  aux  gens  du 
monde,  d'après  saint  Paul ,  les  désirs  insatiables  des  riches- 
ses ,  elle  ajoute  : 

«  Ah  !  que  nous  serions  heureuses  si  nous  nous  donnions 
autant  de  peine  pour  acquérir  les  richesses  spirituelles  qui 
sont  les  seules  solides  et  véritables  ,  que  ces  gens-là  en 
prennent  pour  de  frivoles  biens  !  ils  s'exposent  sur  la  mer  à 
la  violence  des  vents  ;  ils  essuient  de  rudes  tempêtes  ,  ils  font 
de  funestes  naufrages  ,  ils  risquent  d'être  pris  par  les  pirates, 
et  sur  la  terre  ils  tombent  entre  les  mains  des  voleurs  ;  enfin  , 
ils  souffrent  tout ,  et  s'ils  réussissent  à  acquérir  les  biens 
qu'ils  cherchent  avec  tant  de  travail ,  ils  feignent  d'être  pau- 
vres ,  de  peur  d'exciter  la  jalousie  des  autres  ;  nous  cepen- 
dant ,  qui  pouvons  faire  un  gain  bien  plus  sûr  et  plus  pré- 
cieux, nous  n'avons  pas  le  courage  de  supporter  la  moindre 
peine  et  de  courir  comme  eux  le  moindre  risque  ;  ce  qui  est 
pire  encore  ,  c'est  que  si  nous  acquérons  quelque  vertu  ,  nous 
en  concevons  des  sentiments  de  vanité  et  nous  voulons  passer 
pour  bonnes;  jusque-là  que  nous  ajoutons  à  la  vérité  en  exagé- 
rant le  bien  que  nous  faisons  pour  en  être  applaudies ,  perdant 
ainsi  le  mérite  du  bien  que  nous  avons  fait  et  nous  le  laissant 
ravir  par  le  démon  de  la  vanité.  » 

t.  v.  2 


1 8  ESPRIT 

Elle  prend  occasion  ,  de  là,  de  recommander  de  nouveau  à 
ses  filles  spirituelles  ,  la  vigilance  ,  l'humilité  ,  la  résistance 
aux  mouvements  de  colère  ,  au  souvenir  des  injures  et  à  tout 
ce  qui  blesse  la  délicatesse  de  notre  amour-propre. 

«  Voyez ,  dit-elle  ,  comme  les  gens  du  monde  ,  après  avoir 
fait  de  grands  gains  ,  s'efforcent  de  s'enrichir  davantage  ,  ne 
comptant  pour  rien  ce  qu'ils  ont  déjà  ;  ils  ne  songent  qu'à 
acquérir  ce  qui  leur  manque  ;  et  nous  ,  au  contraire  ,  n'ayant 
rien  de  ce  que  nous  devrions  avoir ,  non-seulement  nous  ne 
travaillons  pas  à  l'acquérir,  mais  encore,  malgré  notre  pau- 
vreté spirituelle,  nous  voulons  passer  pour  riches;  si  nous 
faisons  quelque  progrès  dans  la  vertu  ,  efforçons-nous  plutôt 
de  le  cacher  ;  ou  si  nous  avons  la  faiblesse  de  parler  de  ce  que 
nous  avons  fait  de  bien ,  disons  du  moins  en  même  temps  ce 
que  nous  avons  fait  de  mal  ;  que  si  la  honte  nous  en  empêche, 
à  combien  plus  forte  raison  devons-nous  taire  ce  que  nous  ne 
saurions  déclarer  sans  déplaire  à  Dieu.  Les  personnes  vrai- 
ment spirituelles  sont  bien  éloignées  d'en  agir  ainsi  ;  au 
contraire  ,  elles  sont  toujours  prêtes  à  faire  l'humble  aveu  de 
leurs  fautes;  elles  les  exagèrent  plutôt  que  de  les  diminuer  , 
méprisant  l'estime  des  créatures,  et  ne  parlant  jamais  du 
bien  qu'elles  font ,  pour  mettre  leur  àme  en  assurance  ;  car , 
comme  un  trésor  est  bientôt  enlevé  lorsqu'il  est  découvert , 
ainsi  la  vertu  s'affaiblit  à  mesure  qu'on  la  publie  ;  l'àme  se 
relâche  et  perd  sa  vigueur,  comme  la  cire  se  fond  lorsqu'on 
la  met  auprès  du  feu  ,  et  pour  ne  pas  sortir  de  cette  dernière 
comparaison ,  n'est-il  pas  vrai  que  la  chaleur  fait  fondre  la 
cire  et  que  le  froid  la  durcit?  De  même  les  louanges  affaiblis- 
sent l'àme ,  et  l'humiliation  ,  au  contraire  ,  aide  à  la  rendre 
plus  parfaite. 

Au  reste,  il  y  a  deux  sortes  de  tristesse  ,  l'une  bonne  et 
l'autre  préjudiciable;  celle-là  nous  fait  gémir  sur  nos  fautes 
ou  sur  les  maladies  spirituelles  de  notre  prochain ,  et  nous 
porte  à  demeurer  fermes  dans  nos  bonnes  résolutions  et  à 
aspirer  à  la  plus  haute  perfection  ;  l'autre  ,  au  contraire  , 


DE  SAINTE  SYN'CLÉTIQUE.  19 

nous  est  inspirée  par  le  malin  esprit ,  elle  est  fondée  sur  des 
chimères  ;  quelques-uns  lui  donnent  le  nom  de  paresse  et  de 
langueur  spirituelle ,  parce  qu'elle  abat  le  cœur ,  et  on  la 
combat  par  la  prière  et  le  chant  des  Hymnes  et  des  Canti- 
ques. » 

Elle  établit  ensuite  une  comparaison  entre  les  soins  qu'ont 
les  âmes  religieuses  et  ceux  des  personnes  du  monde,  et  elle 
ajoute  :  «  Les  ambitieux  sont  accablés  de  tristesse  ,  lorsqu'ils 
ne  sont  pas  élevés  comme  ils  le  désirent  ;  les  envieux  se  con- 
sument de  dépit;  ceux  qui  perdent  leurs  biens  s'irritent  de 
leurs  pertes  ;  ceux  qui  deviennent  riches  extravaguent  de  leur 
opulence  ,  et  le  soin  de  conserver  ce  qu'ils  ont ,  leur  fait  per- 
dre le  sommeil.  » 

Ne  croyons  pas  non  plus  que  les  femmes  aient  de  moin- 
dres soins  à  soutenir  que  nous;  elles  en  ont  de  plus  grands  et 
de  plus  pénibles  ;  elles  mettent  leurs  enfants  au  monde  avec 
douleur  et  souvent  avec  danger  de  leur  vie  ;  elles  les  nourris- 
sent avec  peine;  s'ils  sont  malades  ,  elles  participent  à  leurs 
maladies  par  le  chagrin  qu'elles  en  ont.  Eh  !  que  ne  leur  en 
coûte-t-il  pas  de  peines  pour  leur  donner  une  éducation?  Le 
mauvais  naturel  qu'ils  ont  quelquefois ,  leur  cause  les  plus 
mortelles  inquiétudes  ,  et  il  y  a  des  parents  qui  sont  morts 
par  les  chagrins  que  leurs  enfants  leur  ont  causés.  Ne  vous 
laissez  donc  pas  séduire  par  l'ennemi  du  salut,  qui  pourrait 
vous  représenter  ces  femmes  du  monde  comme  menant  une 
vie  pleine  de  délices  et  sans  aucun  souci  ;  c'est  tout  le  con- 
traire ,  et  j'ai  voulu  entrer  dans  ce  détail  pour  vous  prémunir 
contre  les  artifices  du  malin  esprit. 

Vous  pouvez  comprendre  l'excellence  de  notre  état  par  la 
différence  qui  se  trouve  entre  les  animaux  ,  dont  les  uns  mar- 
chent sur  la  terre ,  les  autres  nagent  dans  les  eaux  ,  et  d'au- 
tres volent  dans  les  airs.  Ainsi ,  parmi  les  hommes  il  y  en  a 
qui  tiennent  un  milieu ,  comme  les  animaux  terrestres  ,  d'au- 
tres s'élèvent  en  baut  comme  les  oiseaux,  et  d'autres  sont 
plongés  dans  les  eaux  du  crime',  comme  les  poissons.  Quant  à 


-20  ESPRIT 

nous  ,  soyons  comme  les  aigles  qui  s'élèvent  jusqu'à  la  plus 
haute  région  de  l'air  ;  foulons  aux  pieds  le  lion  et  le  dragon  ; 
subjuguons  celui  qui  nous  avait  autrefois  réduits  en  servitude. 
Élevons-nous  de  cette  façon  à  la  plus  haute  perfection  ,  et 
pour  cela  consacrons-nous  sans  réserve  à  notre  Sauveur.  Mais 
n'oubliez  pas  ce  que  je  vous  ai  dit ,  que  plus  vous  voudrez 
tendre  à  la  perfection ,  plus  aussi  vous  devez  compter  que  le 
démon  s'efforcera  de  vous  en  empêcher  par  ses  pièges.  Armez- 
vous  contre  lui  de  toutes  vos  forces.  Veillez  au  dedans  et  au 
dehors  de  vous.  Notre  âme  est  dans  celte  vie  comme  un  vais- 
seau sur  mer.  Il  est  battu  au  dehors  par  les  vagues  durant  la 
tempête  ;  mais  quelquefois  aussi  dans  un  grand  calme  ,  l'eau 
s'insinue  dans  la  sentine  et  peut  la  submerger.  Quand  les  ma- 
telots se  trouvent  agités  par  l'orage,  ils  appellent  du  secours, 
et  souvent  on  les  empêche  de  périr.  Mais  l'eau  qui  entre  in- 
sensiblement dans  le  vaisseau  peut  fort  bien  les  perdre  sans 
qu'ils  s'en  aperçoivent ,  surtout  si ,  au  lieu  de  veiller  ,  ils  se 
laissent  aller  au  sommeil. 

Tout  ceci  nous  apprend  combien  il  importe  que  nous  veil- 
lions sur  nos  pensées ,  car  l'ennemi  voulant  perdre  notre 
âme  ,  nous  ne  saurions  être  trop  vigilantes.  Voyez  ce  que  font 
ceux  qui  veulent  ruiner  une  maison  :  ou  ils  en  sapent  les 
fondements  ,  ou  ils  commencent  par  en  découvrir  les  toits  , 
ou  ils  entrent  par  les  fenêtres  ,  se  saisissent  du  père  de 
famille  ,  le  lient  fortement ,  et  sont  par  là  maîtres  de  tout  le 
reste.  Nos  œuvres  sont  les  fondements  de  notre  âme  ,  la  foi 
en  est  comme  le  toit,  et  les  sens  en  sont  les  fenêtres.  Le  dé- 
mon nous  attaque  par  tous  ces  endroits  ,  nous  devons  donc 
avoir  plusieurs  yeux  pour  veiller  partout  si  nous  voulons  nous 
sauver.  Gardons-nous  d'une  présomptueuse  sécurité ,  puis- 
que l'Ecriture  nous  dit  :  Que  celui  qui  est  debout  prenne  garde 
de  tomber  (  1  Cor.  10-12  ). 

Considérez  ,  ainsi  que  je  viens  de  vous  le  dire  ,  que  nous 
sommes  ici  comme  sur  la  mer.  David  appelle  ainsi  cette  vie  ; 
or ,  dans  la  mer  il  y  a  des  écueils  en  certains  endroits  ,  dans 


DE  SAINTE  SYNCLÉTIQUE.  21 

il1  au  très  il  y  a  des  monstres  ,  et  enfin  ,  il  y  en  a  où  elle  est 
calme.  Il  est  vrai  que  nous  voguons  dans  une  mer  tranquille  , 
en  comparaison  des  gens  du  monde  -,  qui  naviguent  dans  une 
mer  dangereuse.  Le  soleil  de  justice  nous  éclaire  dans  notre 
route  ,  et  ils  font  la  leur  comme  au  hasard  ,  dans  la  nuit  de 
leur  ignorance  ;  mais  je  vous  ai  déjà  fait  remarquer  que  sou- 
vent les  gens  du  monde,  exposés  à  la  tempête  ou  plongés 
dans  les  ténèbres  ,  se  sauvent  en  appelant  du  secours  ;  et  il 
peut  se  faire  aisément,  qu'abandonnant  le  gouvernail  de  la 
justice  par  notre  négligence  ,  nous  périssions  malheureu- 
sement. » 

Après  ce  long  discours  sur  la  vigilance  chrétienne  ,  notre 
Sainte  prémunissait  ses  filles  contre  la  présomption ,  qui  a 
perdu  et  qui  perd  chaque  jour  tant  d'âmes. 

«  Ce  que  je  viens  de  vous  faire  remarquer  ,  leur  dit-elle  , 
est  afin  que  nous  ne  nous  élevions  pas  en  nous-mêmes  ;  car , 
tandis  que  celles  qui  sont  tombées  conçoivent  un  vif  regret  de 
leurs  fautes  et  parviennent  par  là  au  salut ,  celles  qui  n'ont 
point  fait  de  chute  doivent  craindre  doublement  ,  soit  de  re- 
tourner en  arrière  par  la  négligence  et  la  tiédeur  ,  soit  d'être 
supplantées  dans  leur  course  par  leur  ennemi ,  en  présumant 
trop  d'elles-mêmes.  Cet  ennemi  artificieux  vient  tantôt  der- 
rière nous  ,  et  nous  attire  à  lui  lorsque  nous  nous  laissons 
aller  à  la  paresse  spirituelle  et  que  nous  marchons  avec  tié- 
deur ;  et  tantôt  ,  s'il  voit  que  nous  soyons  ferventes  et  dili- 
gentes ,  il  nous  tend  des  pièges  par  la  vanité  et  nous  renverse 
au  milieu  de  notre  course. 

Cette  amorce  de  la  présomption  et  de  la  propre  estime 
est  l'appât  le  plus  dangereux  qu'il  emploie  pour  nous  sé- 
duire. C'est  par  l'orgueil  qu'il  a  été  lui-même  précipité  du 
haut  des  cieux  ;  c'est  aussi  par  l'orgueil  qu'il  s'efforce  de 
renverser  les  âmes  fortes.  De  même  que  les  combattants  , 
après  avoir  décoché  leurs  flèches  ,  fondent  ensuite  sur  l'en- 
nemi l'épée  à  la  main  pour  achever  de  renverser  ceux  qui  ont 
résisté  aux  premiers  traits  ,   ainsi  le  démon ,  ayant  épuisé 


■H  ESPRIT 

inutilement  les  siens  on  les  attaquant  en  différentes  manières, 
emploie  contre  nous ,  par  un  dernier  effort ,  l'arme  la  plus 
forte  qui  lui  resle,  le  glaive  de  l'orgueil  et  de  la  présomp- 
tion. 

Oh  !  combien  ce  funeste  glaive  a  fait  périr  d'àmes  qu'il 
n'avait  pu  vaincre  par  d'autres  armes  !  Au  commencement  il 
les  avait  attaquées  par  la  gourmandise ,  la  volupté  et  les 
autres  plaisirs  des  sens ,  et  il  n'avait  rien  gagné  sur  elles  ! 
ensuite  il  les  avait  tentées  par  l'avarice  et  l'amour  des  riches- 
ses ,  et  elles  avaient  généreusement  résisté  ;  enfin ,  après  tant 
de  défaites ,  cet  inventeur  de  toutes  les  malices  s'est  avisé , 
pour  en  triompher,  d'un  dernier  moyen  plus  pernicieux  que 
les  autres  ;  il  leur  a  inspiré  des  pensées  d'estime  d'elles- 
mêmes  et  de  préférence  sur  les  autres  ,  et  par  ce  fatal  poison 
il  a  réussi  à  les  pervertir  entièrement...  » 

Notre  Sainte  propose  ici  les  remèdes  contre  ce  mal  si 
dangereux. 

«  Méditons  sans  cesse  ,  dit-elle ,  cet  oracle  du  Prophète 
royal  :  Je  suis  un  vermisseau  et  non  un  homme  ;  je  ne  suis  que 
terre  et  que  cendre  (Ps.  21-7  ).  Et  si  celle  qui  est  tentée  d'or- 
gueil vit  seule  dans  une  entière  solitude  ,  il  faut  qu'elle  entre 
dans  un  monastère;  ou  si  l'on  reconnaît  que  la  vanité  vienne 
des  trop  grandes  austérités  qu'elle  a  faites  ,  qu'on  l'oblige  à 
manger  deux  fois  le  jour.  Il  faut  aussi  qu'on  la  reprenne, 
qu'on  l'applique  aux  plus  bas  ministères  ,  qu'on  lui  propose 
l'exemple  des  plus  grands  Saints.  Il  convient,  enfin,  que  les 
autres  redoublent  leur  ferveur,  afin  que  les  voyant  si  parfai- 
tes, elle  apprenne  à  s'humilier  et  à  n'avoir  qu'une  basse  idée 
d'elle-même. 

Cependant  je  ne  dois  pas  vous  laisser  ignorer ,  ajoute-t- 
elle ,  que  l'attachemeut  à  la  propre  volonté  précède  ordinai- 
rement celte  enflure  que  cause  au  cœur  sa  propre  estime  ,  et 
c'est  par  l'obéissance  qu'on  la  guérit.  Mais  comme  il  faut  hu- 
milier celbs  qui  pèchent  par  orgueil ,  il  faut  agir  tout  autre- 
ment avec  celles  qui  manquent  par  découragement  ;  car  le 


dp:  sainte  synclétique.  23 

démon  qui  emploie  toute  sorte  de  moyens  pour  nous  séduire, 
ôte  à  celles  qui  ont  fait  du  progrès  dans  le  bien  ,  le  souvenir 
de  leurs  péchés  ,  afin  de  les  perdre  par  vanité.  Quant  à  celles 
qui  ne  font  que  d'entrer  en  religion  et  de  s'exercer  dans  la 
pratique  des  vertus,  il  leur  reproche  tous  leurs  péchés  passés, 
afin  de  les  jeter  dans  le  désespoir,  leur  faisant  entendre  qu'ils 
sont  trop  énormes  pour  que  Dieu  les  leur  pardonne  et  qu'elles 
ne  sauraient  espérer  d'èfre  sauvées.  Bien  loin  d'humilier  donc 
ces  âmes  ainsi  abattues,  il  faut  les  encourager  par  l'exemple 
de  ceux  qui  n'ont  pas  laissé  de  se  sanctifier  après  de  grands 
crimes  ,  comme  Rahab  dans  la  loi  ancienne  ,  saint  Paul  dans 
la  nouvelle ,  saint  Matthieu  qui  avait  été  publicain  ,  et  le  bon 
larron  coupable  de  meurtres  et  de  brigandages.  Il  faut  de  plus, 
pour  leur  donner  du  courage  ,  relever  à  propos  le  bien  qu'el- 
les commencent  à  pratiquer,  et  leur  inspirer  par  là  une  sainte 
émulation... 

Il  paraît ,  par  tout  ce  que  je  viens  de  vous  dire  ,  que  l'or- 
gueil tient  le  premier  rang  entre  les  péchés  ,  et  que  l'humilité 
qui  lui  est  opposée  ne  tient  pas  un  moindre  rang  parmi  les 
vertus  ;  mais  il  n'est  pas  aisé  de  l'acquérir,  et  on  n'y  parvien- 
dra jamais ,  si  l'on  ne  bannit  de  son  cœur  toute  vaine  estime 
de  soi-même ,  ce  qui  n'est  pas  une  petite  perfection.  En  effet, 
elle  est  si  grande  que  le  démon  qui  feint  quelquefois  d'imiter 
les  autres  vertus  ne  peut  pas  imiter  celle-là,  car  il  ne  saurait 
même  la  comprendre. 

L'humilité  doit  donc  nous  servir  comme  d'un  rempart  im- 
pénétrable pour  défendre  toutes  les  œuvres  et  les  vertus  que 
nous  pratiquons  :  elle  doit  les  couvrir  et  les  serrer  étroite- 
ment, de  peur  que  la  vanité  ne  les  détruise  ;  enfin,  il  n'est  pas 
moins  impossible  de  se  sanctifier  sans  l'humilité  ,  que  de 
condujre  sûrement  un  vaisseau  sans  gouvernail. 

Mais  combien  Jésus-Christ  ne  nous  l'a-t-il  pas  recomman- 
dée ?  il  s'en  est  revêtu  en  descendant  du  ciel  !  et  que  nous 
a-t-il  dit?  Apprenez  de  moi  à  cire  doux  et  humble  de  cœur 
(Matth.  11-29).  Considérez  quel  est  celui  qui  a  dit  ceci  :  il 


î  i  ESPRIT 

veut  que  l'humilité  soit  le  principe  et  la  fin  de  nos  œuvres  ;  il 
veut  que  ce  soit  l'humilité  du  cœur  et  non  une  humilité  en 
paroles  ;  il  veut  que  quand  même  nous  aurions  observé  tous 
les  commandements,  bien  loin  de  nous  en  estimer  davantage, 
nous  nous  regardions  ,  par  une  sincère  humilité  ,  comme  des 
serviteurs  inutiles. 

On  reconnaît  qu'on  pratique  véritablement  cette  vertu  , 
lorsqu'on  souffre  patiemment  les  reproches ,  les  injures  et 
tout  ce  qui  offense  l'amour-propre  ;  ces  épreuves  sont  comme 
les  nerfs  de  l'humilité.  Jésus-Christ  les  a  souffertes  lui- 
même  ,  puisqu'on  l'a  appelé  un  Samaritain  ,  qu'on  a  dit  qu'il 
était  possédé  du  démon ,  qu'on  lui  a  donné  des  soufflets  et 
qu'on  lui  a  fait  toutes  sortes  d'outrages. 

Nous  devons  donc  ,  à  son  exemple  ,  souffrir  avec  une  hum- 
ble patience  les  humiliations ,  et  ne  pas  nous  humilier  en 
apparence,  comme  font  quelques-unes  qui  ne  feignent  de  s'hu- 
milier que  pour  être  louées  davantage ,  et  qui  se  hérissent 
comme  des  aspics  ,  lorsqu'on  les  offense  en  public.  » 

Après  ces  instructions  édifiantes,  comme  celles  qui  les  écou- 
taient en  étaient  transportées  de  joie  ,  notre  Sainte  fut  priée 
de  s'étendre  encore  sur  quelques  points  de  morale  ,  ce  qu'elle 
ne  put  refuser  de  faire  et  qu'elle  a  traité  par  les  avis  suivants  : 

«  Lorsqu'on  s'engage  à  servir  Dieu  ,  on  doit  s'attendre  à 
des  combats  et  à  des  peines  ;  mais  ces  peines  sont  suivies 
d'une  consolation  qu'on  ne  peut  exprimer;  comme  ceux  qui 
veulent  allumer  du  feu  sont  d'abord  incommodés  de  la  fumée, 
que  leurs  yeux  en  pleurent ,  et  ont  ensuite  le  plaisir  de  le 
voir  briller  et  d'en  être  échauffés;  ainsi ,  nous  allumons  dans 
nous  un  feu  divin  avec  nos  larmes  et  nos  travaux  ;  c'est  ce 
feu  que  Jésus-Christ  a  dit  qu'il  était  venu  apporter  dans  le 
monde ,  le  feu  de  la  charité  ;  mais  il  arrive  à  plusieurs 
qu'ayant  souffert  pendant  quelque  temps  l'incommodité  de 
cette  fumée  ,  ils  se  lassent  de  souffler  ce  feu  sacré ,  et  se  pri- 
vent, par  leur  négligence  et  leur  impatience  ,  de  l'avantage 
qu'elles  en  auraient  retiré  en  l'allumant. 


DE   SAINTE  SYNCLÉTIQUE.  25 

Certes ,  la  charité  est  un  trésor  d'un  si  grand  prix  ,  que 
l'Apôtre  a  dit  d'elle  ,  que  quand  nous  distribuerions  tous  nos 
biens  aux  pauvres  et  que  nous  aurions  livré  notre  corps  aux 
flammes ,  sans  cette  vertu  nous  ne  sommes  qu'un  airain  son- 
nant et  une  cymbale  qui  retentit.  Mais  comme  elle  est  le  plus 
grand  de  tous  les  biens  ,  n'avons-nous  pas  sujet  de  dire  que 
la  colère  qui  lui  est  si  opposée  ,  est  un  très-grand  mal ,  puis- 
qu'elle remplit  l'àme  de  ténèbres  et  la  rend  si  féroce ,  qu'elle 
n'écoute  plus  la  raison  ?  Jésus-Christ  nous  a  prémunis  contre 
tous  les  vices  ;  il  nous  a  donné  la  tempérance  pour  nous  for- 
tifier contre  l'impureté  ;  il  nous  a  recommandé  l'humilité 
pour  nous  garantir  de  l'orgueil ,  et  il  nous  a  donné  contre  la 
colère  ,  l'arme  salutaire  delà  charité. 

Remarquez  pourtant  qu'elle  n'est  pas  toujours  condamna- 
ble ,  puisqu'il  est  permis  de  s'irriter  contre  les  démons;  mais 
il  n'est  pas  permis  de  s'irriter  contre  les  hommes  ,  quand 
même  ils  seraient  de  grands  pécheurs  ,  et  si  notre  zèle  s'en- 
flamme contre  eux  avec  véhémence  ,  il  convient  mieux  d'at- 
tendre qu'il  soit  apaisé  pour  les  corriger  lorsque  la  charité 
nous  y  oblige  ;  ainsi  il  faut  la  gouverner  comme  un  cocher 
mène  ses  chevaux  ,  avec  prudence  et  modération. 

Ce  qu'il  y  a  de  pire  dans  la  colère,  c'est  de  conserver 
le  ressentiment  et  le  souvenir  des  injures  ;  un  emporte- 
ment subit  trouble  tout  à  coup  la  raison  et  s'apaise  en  peu 
de  temps  ,  comme  on  voit  évanouir  la  fumée  ;  mais  le  sou- 
venir des  injures  étant  gravé  dans  l'esprit  ,  rend  l'âme 
cruelle  comme  une  bête  féroce.  Les  chiens  les  plus  furieux 
s'adoucissent  quand  on  leur  donne  quelque  chose ,  les  au- 
tres bêtes  s'apprivoisent  avec  les  hommes  ;  mais  le  ressen- 
timent des  injures  n'écoute  ni  la  raison  ,  ni  aucune  remon- 
trance; le  temps  même,  qui  est  le  médecin  de  tous  les  maux, 
n'y  saurait  remédier  ;  c'est  là  le  comble  de  la  méchanceté 
par  laquelle  on  désobéit  formellement  à  Jésus-Christ  qui 
nous  a  dit  :  Allez  vous  réconcilier  avec  votre  frère,  après 
quoi  vous  viendrez  offrir  votre  présent .  et  l'Apôtre  saint  Paul 


26  ESPRIT 

dit  aussi  :  Prenez  garde  que  le  soleil  ne  se  couche  jamais  sur 
cotre  colère  (Eph.  4-26  ). 

Le  ressentiment  est  toujours  suivi  de  grands  maux ,  tels 
que  sont  la  jalousie,  le  chagrin,  la  médisance;  et  ne  les 
regardons  pas  comme  peu  de  chose  ;  ils  paraissent  de  faibles 
traits  de  l'ennemi  en  comparaison  des  autres  armes  qu'il  em- 
ploie contre  nous,  en  nous  tentant  sur  certains  crimes  :  mais, 
plus  ceux-ci  paraissent  noirs  ,  plus  aussi  étant  effrayés  après 
les  avoir  commis ,  nous  recourons  à  la  pénitence  comme  à  un 
baume  salutaire  ;  au  lieu  que  faisant  moins  de  cas  de  ceux- 
là  ,  comme  moins  odieux  en  apparence,  nous  les  négligeons, 
et  ils  ne  laissent  pas  de  faire  de  profondes  blessures ,  que 
notre  négligence  rend  enfin  invétérées  et  mortelles. 

On  ne  peut  exprimer  combien  la  médisance  est  un  mal 
dangereux,  quoiqu'on  la  regarde  quelquefois  comme  un  amu- 
sement et  un  moyen  d'égayer  la  conversation  ;  fermons  nos 
oreilles  à  de  pareils  entretiens;  ne  souffrons  pas  que  cet  or- 
gane dont  nous  pouvons  user  en  bien  ,  soit  employé  à  censu- 
rer les  défauts  des  autres;  conservons  notre  àme  pure  et 
exempte  des  vices  qui  la  défigureront  indubitablement  en 
écoutant  ces  discours  dangereux  ;  car  ce  n'est  que  pour  les 
avoir  entendus  que  nous  haïssons  les  personnes  avec  qui  nous 
vivons  et  que  nous  les  regardons  avec  des  yeux  pleins  de 
malignité  que  nous  avons  contractée  pour  avoir  ouï  ces  dis- 
cours ,  comme  ceux  qui  ont  la  jaunisse  ne  voient  rien  qui  ne 
leur  paraisse  jaune. 

Veillons  sur  notre  langue  et  sur  nos  oreilles  pour  ne  rien 
dire  et  ne  rien  écouter  par  passion  ,  suivant  les  règles  que 
nous  donne  là-dessus  le  Saint-Esprit  :  N'écoutez  point  ce 
qu'on  dit  de  mal  à  propos.  —  Je  ne  pouvais  souffrir  celui  qui 
médisait  en  secret  de  son  prochain.  —  Ma  langue  ne  parlera 
point  des  actions  des  hommes.  Ne  croyons  pas  aisément  ce 
qu'on  nous  rapporte  des  autres  ;  excusons  même  ceux  qui  le 
rapportent ,  et  soyons  comme  le  Prophète  qui  dit  qu'il  était 
lui-même  ,  semblable  à  un  sourd  qui  n'entend  rien  .  et  à  un 
muet  qui  ur  parle  point. 


DE  SAINTE  SYNCLÉTIQUE.  27 

Ne  nous  réjouissons  non  plus  jamais  du  malheur  du  pro- 
chain ,  quand  même  il  serait  encore  plus  méchant.  Ne  haïs- 
sons personne,  non  pas  même  nos  ennemis  ;  car  Jésus-Christ 
nous  recommande  d'aimer  non-seulement  ceux  qui  nous  ai- 
ment, puisque  les  publicains  et  les  pécheurs  en  font  autant, 
mais  encore  ceux  qui  nous  haïssent.  Nous  avons  besoin  de 
cette  recommandation  ;  car  ce  qui  est  bon  et  honnête  nous 
l'aimons  parce  qu'il  nous  attire  lui-même  ;  mais  pour  ce  qui 
est  mauvais  ,  il  a  fallu  l'instruction  d'un  Dieu  pour  l'arracher 
de  notre  cœur,  et  cela  ne  se  fait  pas  sans  travail  :  aussi  le 
royaume  du  ciel  n'est  pas  pour  les  lâches  ,  mais  pour  ceux 
qui  se  font  violence.  » 

Notre  Sainte  parle  ensuite  de  l'aumône  faite  en  esprit  par 
les  personnes  qui,  ayant  embrassé  la  pauvreté  volontaire,  sont 
par  leur  dépouillement  hors  d'état  de  la  faire  autrement  que 
par  la  compassion  envers  les  pauvres  et  en  priant  pour  eux. 

«  Comme  les  vices,  dit-elle  ,  ont  un  enchaînement  et  une 
liaison  entre  eux  ,  les  vertus  sont  aussi  liées  entre  elles.  L'en- 
vie ,  la  fourberie  ,  le  parjure,  le  ressentiment,  sont  les  funes- 
tes productions  de  l'avarice;  au  contraire,  la  mansuétude, 
l'égalité  d'esprit ,  la  patience  et  la  pauvreté  volontaire  qui  est 
une  œuvre  parfaite  ,  sont  les  fdles  de  la  charité.  Mais  vous  me 
direz  peut-être:  comment  pouvons-nous  faire  l'aumône  après 
nous  être  dépouillées  de  tous  nos  biens  ,  puisque  l'au- 
mône suppose  qu'on  s'en  est  réservé  du  moins  une  partie  ? 
Je  réponds  que  l'aumône  ne  nous  est  pas  tant  recommandée 
pour  l'amour  des  pauvres  que  pour  l'amour  de  la  charité. 
Lors  donc  qu'en  renonçant  à  tout  il  ne  nous  reste  plus  rien 
à  donner,  étant  parvenues  à  cette  charité  à  laquelle  l'aumône 
nous  dispose  ,  on  n'exige  point  que  nous  la  fassions. 

Je  ne  prétends  pas  diminuer  le  mérite  de  l'aumône  ,  mais 
vous  montrer  le  mérite  de  la  pauvreté  volontaire.  Vous  avez 
fait  un  bien  en  vous  dépouillant  en  faveur  des  pauvres  ,  il  faut 
aspirer  plus  haut  et  vous  élever  à  la  parfaite  charité.  Dieu  a 
mis  dans  le  monde  deux  sortes  de  gens  de  bien  :  aux  uns,  il 


28  ESPRIT 

a  permis  do  se  marier  pour  perpétuer  les  familles  ,  et  il  a 
appelé  les  autres  à  une  vie  angélique  en  leur  inspirant  l'a- 
mour de  la  chasteté.  Il  a  donné  la  loi  à  ceux-là,  et  il  nous  a 
par  sa  grâce  montré  dans  son  exemple  les  conseils  que  nous 
devons  suivre. 

Sa  croix  est  notre  étendard  ,  c'est  par  elle  que  nous  rem- 
portons la  gloire  du  triomphe  sur  nos  ennemis.  Et,  en  effet , 
notre  profession  n'est  autre  chose  qu'un  renoncement  à  cette 
vie  et  une  méditation  continuelle  de  la  mort.  Comme  donc  les 
morts  n'agissent  plus  selon  le  corps  ,  nous  ne  devons  plus  agir 
par  nous-mêmes ,  mais  agir  selon  l'esprit;  montrons  par  la 
pratique  des  vertus  que  nous  ne  vivons  que  selon  l'esprit  ;  fai- 
sons l'aumône  en  esprit  par  notre  compassion  envers  les  pau- 
vres. Et  puisqu'il  est  écrit  que  celui  qui  conçoit  un  mauvais 
désir  s'est  rendu  coupable  dans  sa  conscience,  Dieu  aura 
également  pour  agréable  la  bonne  volonté  que  nous  avons 
de  soulager  les  pauvres  par  l'aumône,  quoique  en  nous  dé- 
pouillant de  tout,  nous  nous  soyons  mises  dans  l'impuissance 
de  le  faire. 

■j  Ce  que  je  viens  de  vous  dire  doit  vous  faire  comprendre 
qu'il  y  aurait  du  danger  à  vouloir  instruire  les  autres  sur  cet 
état  de  perfection  ,  si  on  était  encore  engagé  soi-même  dans 
la  dissipation  des  choses  extérieures;  car,  quelle  connais- 
sance pourrait-on  en  donner?  Représentez-vous  un  homme 
qui  voudrait  recevoir ,  dans  une  maison  prête  à  crouler ,  ceux 
qui  le  viennent  voir  ;  ne  les  eusevelirait-il  pas  sous  les  rui- 
nes ?  Tels  sont  ceux  qui  se  chargent  de  la  conduite  des  autres 
sans  s'être  établis  dans  une  solide  vertu  ;  ils  sont  plus  pro- 
pres à  leur  nuire  par  leur  mauvais  exemple  ,  qu'à  leur  faire 
du  bien  par  leurs  exhortations.  Semblables  à  ces  tableaux  dont 
les  couleurs,  quoique  vives,  sont  pourtant  si  faibles  qu'elles 
passent  en  peu  de  temps  ;  ainsi  ,  leurs  discours  de  piété  ne 
font  que  des  impressions  que  leur  exemple  efface  bientôt  ; 
mais  les  paroles  de  ceux  qui  pratiquent  eux-mêmes  ce  qu'ils 
enseignent ,   ne  passent  pas   facilement ,   le   bon   exemple 


DE  SAINTE  SYNCLÉTIQUE.  20 

étant  une  leçon  vivante  qui  se  grave  profondément  dans  les 
cœurs. 

Ne  nous  contentons  pas  d'avoir  un  soin  superficiel  de  no- 
tre àme  ;  allons  jusqu'à  la  racine  de  ses  moindres  défauts  et 
ornons-la  de  vertus.  Nous  avons  coupé  nos  cheveux  ;  net- 
toyons notre  tète  de  tout  ce  qui  pourrait  y  rester.  Chez  les 
gens  du  monde ,  certains  défauts  ne  paraissent  pas  beau- 
coup ,  ils  sont  en  quelque  sorte  cachés  sous  de  plus  considé- 
rables ;  mais  dans  une  vierge ,  dans  un  solitaire  ,  on  décou- 
vre jusqu'au  moindre  insecte  ,  s'il  en  reste  quelqu'un ,  le 
moindre  petit  défaut  paraît.  —  Purifions  sans  cesse  notre 
àme  et  parfumons-la  par  le  jeûne  et  par  l'oraison.  » 

Telles  sont  les  principales  exhortations  de  sainte  Syncléti- 
que;  mais  nous  avons  encore  à  recueillir  quelques-unes  de  ses 
maximes  ,  dont  les  plus  importantes  sont  celles-ci  : 

«  1°  Soyons  fidèles  à  garder  les  saintes  règles  qu'on  nous  a 
prescrites ,  et  faisons  comme  les  marchands  qui  comptent 
tous  les  jours  leurs  gains  et  leurs  pertes  et  qui  se  réjouis- 
sent du  bien  qu'ils  ont  fait  et  s'affligent  de  ce  qu'ils  ont  perdu. 
Il  nous  convient  mieux  qu'à  eux  de  veiller  sur  notre  négoce 
spirituel ,  puisque  c'est  pour  acquérir  les  véritables  trésors 
que  nous  travaillons;  mais  ,  comme  les  marchands  ne  se  lais- 
sent pas  décourager  pour  quelques  pertes  qu'ils  ont  faites , 
quoique  d'ailleurs  ils  en  soient  fâchés  ,  de  même  nous  ne  de- 
vons pas  nous  livrer  au  découragement  pour  nos  fautes  ,  ni 
abandonner  le  soin  de  notre  àme ,  comme  si  nous  n'y  pou- 
vions plus  réussir. 

2°  Quoi  que  nous  puissions  acquérir  en  ce  monde  ,  regar- 
dons-le comme  rien  en  comparaison  des  richesses  du  ciel.  Nous 
sommes  dans  cette  vie  ,  à  l'égard  de  l'éternité  bienheureuse, 
comme  sont  les  enfants  dans  le  sein  de  leur  mère.  Avant  que 
nous  fussions  nées ,  nous  étions  renfermées  dans  le  sein  de 
nos  mères  comme  dans  un  cachot  ténébreux  ;  notre  nourri- 
ture était  bien  différente  de  celle  d'aujourd'hui  ;  nous  n'y 
pouvions  rien  faire  de  ce  que  nous  faisons  à  présent.  Comme 


30  ESPRIT 

donc  dans  cet  état  nous  ne  jouissions  pas  de  la  clarté  du  jour  ni 
des  avantages  delà  vie  présente,  nous  sommes  également 
dans  celte  misérable  vie  privées  des  avantages  du  royaume 
du  ciel.  Ainsi  nous  avons  éprouvé  les  aliments  de  la  terre , 
soupirons  après  ceux  du  ciel.  Nous  avons  été  éclairées  par  le 
soleil  matériel ,  désirons  le  soleil  de  justice.  Regardons  la 
céleste  Jérusalem  comme  notre  mère  et  notre  patrie.  Appe- 
lons Dieu  notre  père.  Vivons  de  telle  sorte  sur  la  terre,  que 
nous  méritions  de  vivre  éternellement  dans  le  ciel. 

3°  On  peut  dire  de  nous  que  nous  naissons  trois  fois.  La 
première  fois ,  c'est  quand  nous  sortons  du  sein  de  notre 
mère.  La  seconde  ,  quand  nous  passons  de  la  terre  au  ciel. 
La  troisième,  lorsque  nous  nous  appliquons  aux  travaux  de 
la  pénitence  et  à  la  pratique  des  bonnes  œuvres  ,  et  c'est  là 
notre  état  présent.  Comme  donc  les  enfants  croissent  dans  le 
sein  de  leur  mère  ,  et  qu'après  y  avoir  été  nourris  ils  passent 
de  cette  étroite  prison  par  la  naissance  ,  au  grand  théâtre  de 
ce  monde,  et  qu'au  contraire  ceux  qui  meurent  avant  que  de 
paraître  au  jour ,  passent  des  ténèbres  aux  ténèbres  ;  de 
même  les  justes  en  sortant  de  ce  monde  passent  de  cette  vie  au 
grand  jour  de  l'éternité  bienheureuse,  et  les  pécheurs  au  con- 
traire passent  des  ténèbres  du  péché  aux  ténèbres  de  l'enfer. 

4°  Etant  dévouées  à  l'Époux  céleste,  ayons  un  soin  tout 
particulier  d'embellir  notre  âme.  Instruisons-nous  par  la  con- 
duite des  filles  du  monde ,  qui  n'oublient  rien  dans  les  noces 
temporelles  pour  se  rendre  agréables  à  leurs  époux.  Combien 
y  sommes-nous  bien  plus  obligées  ayant  pour  époux  le  Roi 
du  Ciel?  Elles  se  couvrent  des  riches  habits  de  la  terre;  elles 
s'ornent  de  fleurs.  Revêtons-nous  d'un  vêtement  sacré  ,  et 
ornons-nous  des  fleurs  des  vertus.  Au  lieu  de  pierres  précieu- 
ses ,  couronnons-nous  du  triple  diadème  de  la  foi ,  de  l'espé- 
rance et  de  la  charité.  Que  l'humilité  nous  tienne  lieu  de 
collier  de  perles,  la  tempérance  de  ceinture,  la  pauvreté 
volontaire  de  riche  voile,  et  la  prière  et  le  chant  des  psaumes 
de  mets  délicieux.  L'engagement  que  nous  avons  pris  avec 


DE    SAINTE    SYNCLÉTIQl'E.  31 

notre  divin  époux  s'accomplit,  en  nous  souciant  peu  de  notre 
corps  et  en  tournant  notre  principale  attention  sur  notre  âme. 

5°  Quand  on  puise  de  l'eau  par  le  moyen  d'une  poulie  ou  sou- 
pape, on  n'élève  pas  en  même  temps  les  deux  seaux  remplis 
d'eau;  mais,  à  mesure  qu'on  en  fait  monter  un  plein,  on 
fait  descendre  celui  qui  est  vide.  Il  en  est  à  peu  près  de  même 
de  nous.  Une  vierge  qui  travaille  avec  fidélité  à  remplir  ses 
sacrés  engagements  ,  remplit  son  âme  de  vertus  et  l'élève  par 
là  à  Dieu ,  et  en  même  temps  elle  abaisse  le  corps  par  la  mor- 
tification et  les  exercices  laborieux  de  la  discipline  religieuse. 

G0  La  volupté  affecte  le  corps  et  la  cupidité  est  dans  l'es- 
prit ;  réprimez  celle-ci,  et  bientôt  l'autre  s'amortira.  Mais  si 
vous  écoutez  la  cupidité  ,  la  volupté  vous  dominera  ,  et  vous 
vous  trouverez  engagée  comme  dans  un  cercle  ,  d'où  vous 
aurez  de  la  peine  à  sortir. 

7°  Tous  les  états  ne  sont  pas  propres  à  tous ,  chacun  doit 
consulter  sa  vocation.  Les  uns  sont  appelés  à  la  vie  des  mo- 
nastères ,  les  autres  à  vivre  seuls ,  de  même  qu'il  y  a  des 
plantes  qui  viennent  mieux  dans  une  terre  humide  et  d'au- 
tres dans  un  terrain  sec.  Plusieurs  se  sauvent  au  milieu  des 
villes ,  étant  par  leurs  désirs  en  esprit  dans  le  désert ,  et 
d'autres  se  perdent  dans  le  désert ,  parce  qu'ils  y  ont  les 
affections  de  ceux  qui  habitent  les  villes.  Ainsi  il  arrive  qu'on 
peut  être  solitaire  en  son  àme  au  milieu  du  monde,  et  qu'on 
ait  l'esprit  rempli  du  tumulte  du  monde  ,  quoiqu'on  soit 
seul  dans  le  désert. 

8°  Ne  vous  laissez  pas  abattre  par  la  lâcheté  et  la  tiédeur 
quand  vous  êtes  malade.  Portez  votre  mal  dans  un  esprit  de 
pénitence  et  pour  l'expiation  de  vos  péchés;  pensez  alors  que 
vous  avez  mérité  d'être  jugée  et  punie  plus  rigoureusement 
dans  les  supplices  éternels.  Réjouissez-vous  de  ce  que  Dieu 
daigne  vous  visiter  par  la  maladie.  Dites  avec  le  Prophète  : 
Le  Seigneur  m'a  corrigé  par  ces  châtiments ,  mais  il  ne  m'a 
pas  abandonné  à  la  mort  du  péché. 

9°  La  pratique  donc  qu'il  y  a  à  faire  dans  la  maladie  est  de 


32  ESPRIT 

souffrir  avec  patience,  et  d'en  rendre  grâces  au  Seigneur.  Si 
vous  perdez  la  vue  ,  ne  vous  attristez  pas ,  elle  est  l'organo 
de  la  curiosité  ;  mais  vous  avez  les  yeux  de  l'âme  par  lesquels 
vous  pouvez  contempler  Dieu.  Si  vous  perdez  l'ouïe  ,  remer- 
ciez-en aussi  Dieu  ;  ce  n'est  là  qu'un  instrument  matériel  qui 
sert  souvent  à  des  choses  vaines.  Si  vous  êtes  percluse  des 
mains  ,  n'avez-vous  pas  les  mains  intérieures  de  l'âme  avec 
lesquelles  vous  combattez  l'ennemi  du  salut?  Enfin,  si  tout  le 
corps  est  accablé  de  mal ,  faites  en  sorte  qu'en  vous  la  santé 
de  l'homme  intérieur  croisse  et  se  fortifie. 

10°  Sachons  discerner  dans  nos  austérités  ce  qui  vient  de 
l'esprit  de  Dieu  et  ce  qui  vient  du  démon.  Jésus-Christ  a  dit 
que  nous  devons  être,  comme  les  changeurs,  habiles  à  discer- 
ner la  bonne  monnaie  de  la  fausse.  Il  nous  a  voulu  faire  en- 
tendre parla  ,  qu'il  fallait  discerner  les  esprits.  Quelquefois  la 
monnaie  n'est  fausse  que  parce  qu'elle  n'est  pas  frappée  au 
coin  du  prince  ,  bien  que  la  matière  en  soit  bonne.  Le  jeûne  , 
la  continence  ,  l'aumône  sont  comme  des  monnaies  ;  mais  les 
païens  qui  les  pratiquent  les  frappent  au  coin  de  leurs  tyrans, 
et  les  hérétiques  par  ostentation. 

11°  Dans  le  monde  on  jette  dans  une  prison  ceux  qui  sont 
coupables  de  crimes;  et  dans  le  monastère  nous  nous  enfer- 
mons volontairement  pour  expier  nos  fautes  et  éviter  par  là 
la  prison  et  les  peines  de  la  vie  future. 

12°  Nous  avons  commencé  le  bien,  ne  l'abandonnons  pas  , 
quelque  obstacle  que  le  démon  nous  oppose.  Soyons  comme 
les  marins  qui  étant  sortis  du  port  avec  un  vent  favorable,  si 
la  tempête  se  lève,  travaillent  sans  se  troubler  ni  s'étonner  du 
péril,  bien  loin  de  se  laisser  aller  au  gré  des  vents  ,  et  con- 
tinuent leur  route  le  mieux  qu'ils  peuvent  ;  ainsi  lorsque  le 
démon  souffle  le  vent  de  la  tentation  ,  ne  perdons  pas  cou- 
rage; suivons  notre  route  en  déployant  notre  grande  voile, 
qui  est  l'étendard  de  la  croix.  » 


NOTES  SUR  L'ORIG.  DES  MONASTÈRES  DE  FILLES.  33 

AOTES  SUR  L'ORIGIXE  DES  MONASTÈRES  DE  FILLES , 

Sur  la  première  fondatrice ,  leurs  premiers  habillements,  etc. 


De  grandes  difficultés  se  sont  élevées  touchant  la  véritable  fondation 
des  monastères  de  tilles  et  de  veuves  ;  et  le  nom  de  celle  à  laquelle 
l'honneur  de  la  première  fondation  doit  être  accordé,  a  été  contesté  par 
plusieurs.  Cependant,  tout  bien  comparé,  discuté,  dépouillé,  le  plus 
grand  nombre,  après  saint  Athanase  t, qui  a  écrit  la  vie  de  sainte  Syu- 
clétique ),  Nicéphore,  Caliste,  Hernian,  Baronius  ,  Tillemont,  Cotellier, 
Dupin,  Bivarius  ,  Arnaud-d'Andilly  ,  Hélyot,  Henrion  ,  etc.,  etc. ,  re- 
connaissent sainte  Syuclétique  pour  mère  et  première  fondatrice  des 
religieuses  ,  comme  saint  Antoine  ,  dont  elle  était  contemporaine,  l'est 
des  moines  ou  religieux.  Or ,  voici  ce  que  nous  devons  ajouter  :  c'est 
que  les  monastères  de  tilles  ne  se  sont  pas  formés  tout  à  fait  de  la  même 
manière  que  ceux  des  hommes.  Il  y  avait  dans  la  primitive  Eglise ,  dès 
le  11e  siècle  ,  comme  toutes  les  histoires  ecclésiastiques  en  font  foi ,  et 
lesménologes  des  Grecs  surtout,  des  vierges  qui  vivaient  en  particulier 
ou  en  communauté  ,  et  qui  servaient  les  prêtres  par  motif  de  piété  et  de 
charité  ;  on  les  nommait  Agapètes.  Il  y  avait  également  des  Diaconesses 
ou  des  femmes  qui  aidaient  les  ecclésiastiques  dans  leurs  fonctions , 
principalement  quand  le  baptême  s'administrait  encore  par  immersion. 
Mais  ce  n'étaient  point  là,  proprement  dit  ,  des  religieuses  :  pour  le 
devenir,  dit  M.  Henrion  (  t.  1er,  p.  25  ),  les  femmes  et  les  jeunes  tilles 
n'auraient  pu  ,  sans  livrer  leur  réputation  à  la  satire,  se  retirer  dans 
les  déserts  ou  dans  les  bois.  Elles  se  contentaient  donc  de  mener  une 
vie  solitaire  dans  leurs  propres  demeures,  et  de  se  dérober  par  cette 
sorte  de  clôture  volontaire  au  tourbillon  du  monde.  Ce  ne  fui  que  sous 
sainte  Syuclétique  que  furent  formés  de  vrais  monastères  de  tilles ,  et 
voici  comment  cela  se  lit. 

Sainte  Syuclétique,  comme  nous  l'avons  déjà  dit  dans  la  Notice, 
ayant  perdu  son  père  et  sa  mère  ,  et  hérité  d'une  grande  fortune  ,  la 
distribua  aux  pauvres  ,  et  ne  trouvant  du  goût  que  dans  les  exercices 
spirituels  ,  elle  prit  avec  elle  une  sœur  qu'elle  avait  et  qui  était  aveu- 
gle ,  pour  se  retirer  dans  un  sépulcre,  et  y  apprendre  à  mourir  tout  en 
vivant  encore.  Là  ,  elle  pratiqua  de  grandes  austérités  ,  joignant  aux. 
mortifications  du  corps  celles  du  cœur  et  de  l'esprit. 

Cependant  Dieu  ne  permit  point  qu'un  si  grand  trésor  restât  long- 
temps caché.  Plusieurs  veuves  et  filles  voulurent  se  mettre  sous  sa 
conduite ,  et  lui  demandèrent  des  instructions.  L'humilité  profonde  de 
Syuclétique  la  porta  à  refuser  obstinément;  elle  ne  pouvait  se  persua- 
der qu'elle  était  choisie  pour  instruire  et  diriger  les  autres.  Néanmoins, 
la  volonté  de  Dieu  s'étanl  manifestée  ,  elle  obéit.  Elle  leur  adressa  des 
instructions  très-solides;  celles  qu'on  vient  de  lire  étaient  de  ce  nom- 
ci 

T.  V.  >> 


:!i  NOTES  SIR  LOIUG.  DES  MONASTÈRES  DE  FILLES. 

bre,  et  tâcha  de  les  former  à  la  perfection  dont  Dieu  lui  avait  appris  les 
secrets  merveilleux.  Alors  le  nombre  des  vierges  pieuses  et  des  veuves 
augmentant  de  jour  en  jour  ,  elles  se  réunirent  en  communauté  et  sui- 
virent l'exemple  que  saint  Antoine  et  saint  Pacôme  leur  avaient  donné  en 
réunissant  les  moines.  C'est  vers  315  ou  318  qu'eut  lieu  cette  fondation. 

Nous  n'avons  rien  de  bien  précis  sur  les  règles  qu'elles  adoptaient. 
Saint  Athanase  et  quelques  autres ,  nous  apprennent  seulement  que 
l'habit  de  sainte  Synclctique  et  de  ses  religieuses  était  un  habit  de  pau- 
vreté ;  mais  nous  savons  que  peu  de  temps  après  sainte  Synclétique , 
les  religieuses  portaient  une  robe  noire ,  de  noir  naturel  à  la  laine  ,  ou 
bien  rougeâtre  foncé,  avec  de  larges  et  longues  manches  qui  couvraient 
leurs  bras  jusquesaux  doigts  ;  les  robes  ne  devaient  point  avoir  de  fran- 
ges ni  le  scapnlaire  non  plus.  Elles  portaient  sur  leur  robe  un  manteau 
avec  capuce  et  un  large  collet  descendant  jusqu'aux  genoux,  et  fermé 
de  toute  part  qu'on  appelait  épendite  ;  leurs  cheveux  étaient  coupés  et 
leur  tête  était  entourée  d'un  bandeau  de  laine  noire.  Quand  elles  ren- 
contraient quelque  homme,  elles  se  cachaient  le  visage  et  ne  levaient 
jamais  les  yeux  que  vers  Dieu. 

Quant  aux  autres  saintes  Anachorètes  ,  leurs  habillements  changèrent 
selon  que  la  pénitence  et  l'austérité  qu'elles  voulurent  pratiquer  le  leur 
inspirait. 

La  sœur  de  saint  Antoine  établit,  peu  de  temps  après  sainte  Syn- 
clétique ,  un  semblable  monastère ,  sous  le  règne  de  Constantin  le 
Grand.  Puis  vinrent  les  sainte  Macrine  ,  sœur  de  saint  Basile,  sainte 
Marceline  (  397  ),  sainte  Paule  (  347-40 i),  sainte  Scolastique  ,  sœur  de 
saint  Benoit  (  543  ) ,  toutes  héroïnes  célèbres  dans  les  fastes  monasti- 
ques (1).  A  la  suite  de  la  grande  impulsion  donnée  aux  ordres  religieux 
par  saint  Athanase  ,  par  saint  Basile  ,  saint  Ambroise  et  saint  Jérôme , 
il  y  eut  des  religieuses  caloyères,  dont  les  unes  vivaient  renfermées 
dans  des  monastères  et  les  autres  séparément ,  chacune  dans  une  cel- 
lule. Leur  robe  était  noire  et  leur  manteau  aussi.  Elles  avaient  la  tète 
rasée.  Elles  ne  gardaient  pourtant  pas  une  clôture  très-régulière. 

D'autres  religieuses  et  religieux ,  établis  par  un  nommé  Alexandre  , 
portèrent  le  nom  d'Accémètes  (  veillantes  ou  qui  ne  dorment  point), 
(  ve  siècle  )  ou  de  Studites  ,  du  nom  de  Studius  ,  qui  fonda  à  Constanti- 
nople  un  monastère  de  ce  genre. 

Le  nom  d'Acœmètes  leur  fut  donné  à  cause  de  la  psalmodie  perpé- 
tuelle nuit  et  jour  en  usage  chez  les  Occidentaux  ,  et  encore  en  usage 
chez  nous,  car  les  Maisons  religieuses  où  l'adoration  perpétuelle  du 
Saint  Sacrement  fait  partie  de  la  règle,  et  où  il  y  a  nuit  et  jour  quel- 
ques personnes  de  la  communauté  occupées  à  ce  pieux  exercice  ,  peu- 
vent être  regardées  comme  des  demeures  (ïAcœmètes.  (  Voy.  Herman, 
Hélyot ,  Délie  ,  Henrion.  ) 

(I)  Si  elles  ne  figurent  point  dans  noire  ouvrage,  c'est  qu'elles  n'ont  laissé  aucun  écrit. 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  RADEGONDE, 

REIi\E  DE  FRANCE  , 

FONDATRICE  DE  L'ORDRE  DES  SŒURS  DE  SA1XTE-CR01X  ,  k  POITIERS. 


NOTICE. 


587. 


Née  vers  520,  au  sein  de  la  cour  de  Thuringé,  au  milieu 
des  plus  tristes  luttes  et  des  plus  désastreuses  révolutions  , 
Radegonde  eut  pour  père  Berthaire  ,  le  plus  jeune  des  fils  de 
Basin ,  roi  des  Thuringiens  ;  jeune  encore,  elle  fut  emmenée 
prisonnière ,  après  avoir  survécu  au  massacre  de  sa  famille  : 
Herminfroy,  son  oncle,  l'adopta  en  quelque  sorte  pour  sa  fille 
et  l'éleva  à  sa  cour ,  ainsi  que  son  frère  ,  avec  son  propre 


30  NOTICE 

fils  Amalafroy  ;  ceci  expliquera  les  sentiments  de  Radegonde, 
consignés  dans  les  fragments  que  nous  devons  citer.  Cette 
jeune  princesse  ,  d'une  grande  beauté ,  était  encore  douée  des 
plus  belles  qualités  de  l'esprit  et  du  cœur,  elle  était  échue 
en  partage  au  roi  Clotaire  ,  lors  des  désastres  de  la  Thuringe 
et  au  moment  du  partage  du  butin  :  on  croit  voir  violem- 
ment arrachée  du  sol  de  sa  patrie,  cette  jeune  et  précieuse 
plante,  pour  se  faner  au  souffle  brûlant  de  l'exil;  ou  plutôt 
on  dirait  après  Vénance  Fortunat,  une  vierge  d'Israël  entraî- 
née vers  les  rives  de  Babylone  et  prenant  le  chemin  du  lieu 
du  bannissement.  Cependant,  dit  M.  Augustin  Thierry  (1), 
«  Radegonde  fut  gardée  avec  soin  dans  l'une  des  maisons 
royales  de  Neustrie ,  au  domaine  d'Athies ,  sur  la  Somme  ; 
là ,  par  une  louable  fantaisie  du  roi  son  maître  et  de  son 
époux  futur ,  elle  reçut  non  la  simple  éducation  des  filles  de 
race  germanique  qui  n'apprenaient  guère  qu'à  filer  et  à  sui- 
vre la  chasse  au  galop  ,  mais  l'éducation  raffinée  des  riches 
Gauloises  :  à  tous  les  travaux  élégants  d'une  femme  civilisée  , 
on  lui  fit  joindre  l'étude  des  lettres  romaines,  la  lecture  des 
poètes  profanes  et  des  écrivains  ecclésiastiques.  Soit  que  son 
intelligence  fût  naturellement  ouverte  à  toutes  les  impressions 
délicates ,  soit  que  la  ruine  de  son  pays  et  de  sa  famille  et  les 
scènes  de  la  vie  barbare  dont  elle  avait  été  témoin  l'eussent 
frappée  de  tristesse  et  de  dégoût ,  elle  se  prit  à  aimer  les 
livres  comme  s'ils  lui  eussent  ouvert  un  monde  meilleur  que 
celui  qui  l'entourait  ;  elle  lisait  assidûment  l'Écriture  et  les 
Pères  de  l'Église  :  Clotaire  qui  avec  sa  rude  nature  et  ses 
penchants  indomptés  avait  toujours  nourri  le  désir  de  se 
donner  dans  Radegonde  une  femme  polie  et  lettrée  ,  ne  né- 

(1)  Récits  Mérovingiens,  tom.  II,  pag.  246. 


SUR  SAINTE  RADEGONDE.  37 

gligea  rien  pour  compléter  son  éducation  ;  elle  parlait  le  latin 
avec  facilité  et  élégance ,  selon  l'usage  presque  général  à  la 
cour  sous  le  règne  de  Clovis;  de  plus  elle  écrivait  avec  une 
élégance  toute  poétique. 

Cependant  ses  idées  et  ses  goûts  commençaient  à  se  porter 
vers  la  religion  catholique  ;  elle  se  fit  instruire  de  ses  dogmes 
et  fut  baptisée  des  mains  de  saint  Médard,  évêque  de  Noyon  , 
ou  ,  comme  le  veulent  plusieurs  ,  par  saint  Rémi ,  qui  proba- 
blement vivait  encore.  Radegonde  avait  ouvert  son  àme  avec 
avidité  aux  consolations  de  la  foi,  et  sa  vie  commença  dès  lors 
à  être  une  image  vivante  de  Jésus-Christ  ;  dans  sa  retraite 
elle  se  familiarisa  avec  les  plus  hautes  vertus  ;  mais,  hélas  î 
elle  en  fut  bientôt  tirée  pour  monter  sur  le  trône  de  France 
en  qualité  d'épouse  de  Clotaire. 

Elle  avait  dix-huit  ans  ,  et  quoique  dans  tout  l'éclat  de  la 
jeunesse  et  de  la  beauté  ,  la  magnificence  ,  le  luxe,  les  men- 
songes et  les  voluptés  de  la  cour  ne  purent  la  séduire  ;  elle  y 
vécut  au  milieu  de  l'ivresse  des  fêtes  comme  s'il  elle  eût  en- 
core été  dans  sa  retraite  ;  son  union  ne  put  durer  que  peu  de 
temps,  le  Seigneur  l'attirait  à  lui  et  elle  abhorrait  la  cour  et 
ses  flatteries  ;  son  mariage  était  sans  fruit ,  les  courtisans  et 
les  conseillers  du  roi,  ennemis  d'un  genre  de  vie  qui  était  la 
censure  de  leurs  vices  ,  remarquant  sa  stérilité ,  l'indisposè- 
rent contre  elle-,  ils  rendirent  la  reine  l'objet  de  leurs  raille- 
ries et  de  quelques  murmures  de  la  part  de  son  époux.  Alors 
Dieu  ,  qui  ménageait  à  sa  fidèle  servante  le  moyen  de  s'arra- 
cher à  un  séjour  si  dangereux,  brisa  tous  les  liens  et  la  rendit 
'  à  la  retraite  ;  il  disposa  le  cœur  du  prince  à  céder  à  la  demande 
de  son  épouse  ,  et  Radegonde  une  fois  assurée  du  consente- 
ment de  son  mari ,  quitta  la  cour  ,  reçut  le  voile  des  mains  de 


38  NOTICE  SUR  SAINTE  RADEGONDE. 

saint  Médard  ,  fonda  l'ordre  des  religieuses  de  Sainte-Croix  , 
à  Poitiers ,  et  y  coula  sa  vie  au  milieu  des  délices  de  la  prière 
et  de  la  contemplation.  Cette  maison  devint  bientôt  célèbre, 
et  on  y  comptait  jusqu'à  deux  cents  religieuses  ,  parmi  les- 
quelles il  y  avait  des  filles  de  sénateurs  et  des  princesses  du 
sang  royal.  Sainte  Radegonde  enrichit  l'église  de  son  monas- 
tère d'un  grand  nombre  de  reliques.  Justin  ,  empereur  de 
Constantinople ,  auquel  elle  avait  témoigné  le  désir  d'avoir 
une  relique  de  la  vraie  Croix  ,  lui  en  envoya  une  parcelle 
enchâssée  dans  l'or  et  ornée  de  pierres  précieuses.  Il  y  joignit 
des  reliques  de  plusieurs  Saints ,  et  un  livre  des  évangiles  du 
plus  riche  travail.  Ce  fut  à  l'occasion  de  la  translation  de  ces 
reliques  dans  le  monastère  de  Sainte-Croix  ,  faite  par  l'ar- 
chevêque de  Tours  ,  que  Vénance  Fortunat  composa  l'hymne 
Vexilla  régis  prodeunt. 

Enfin  ,  après  avoir  vécu  plusieurs  années  dans  la  pratique 
des  plus  éminentes  vertus  ,  sainte  Radegonde  mourut  sainte- 
ment ,  dans  les  bras  de  ses  filles  chéries,  le  mercredi  13 
août  587,  sous  le  règne  du  pape  Pelage  IL  Plusieurs  miracles 
se  sont  opérés  sur  son  tombeau.  (  Voyez  Y  Histoire  de  sainte 
Radegonde ,  par  M.  Edouard  de  Fleury,  Poitiers;  ou  Godes- 
card,  13  août,  t.  5,  édit.  in-8°.) 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  RADEG0N1JE , 

TIRÉ  DES  SEULS  FRAGMENTS  CONSERVÉS  JUSQU'A  CE  JOUR. 


Sainte  Radegonde  ,  avons-nous  dit ,  avait  un  frère  chéri  ; 
ce  prince,  amené  captif  avec  elle,  fut  massacré  (1)  à  la  fleur 
de  sa  vie  ,  sans  que  rien  pût  justifier  un  acte  si  révoltant  de 
violence  et  de  cruauté.  Ce  coup  fut  terrible  pour  la  jeune 
reine  ;  elle  pleura  amèrement  ce  frère  bien-aimé  et  se  mon- 
tra inconsolable.  Ecoutons-la  elle-même  ,  déplorant  ce  mal- 
heur dans  des  vers  qu'elle  adresse  à  Amalafroy  ,  son  pa- 
rent. 

«Pourquoi  reculer  devant  les  souvenirs,  cher  parent?  Pour- 
quoi craindre  d'aborder  le  sujet  de  mes  pleurs  et  condamner 
au  silence  la  blessure  profonde  du  meurtre  de  mon  frère  ? 
Pourquoi  ne  dirais-je  point  comment  dans  son  innocence  il 
a  succombé  sous  les  trames  perfides  et  péri  victime  de  la 
trahison?  Malheur  à  moi  qui  renouvelle  mes  sanglots  apai- 
sés, et  qui  ouvre  la  plaie  de  mes  malheurs  en  retraçant  son 
histoire  !  Brûlant  du  désir  de  le  voir,  l'amour  qu'il  avait  pour 
moi   l'empêchait  de  satisfaire    celui  qui  l'attirait  vers  toi; 

(1)  Par  ordre  de  Clotaire,  dit-on  ,  quoique  l'époux  de  Radegonds ,  sa  sœur. 


-iO  ESPRIT 

pour  ménager  ma  douleur  ,  il  a  assuré  sa  perte  ;  pour 
avoir  craint  de  me  blesser  ,  il  est  cause  de  toutes  mes  larmes. 
A  peine  un  léger  duvet  couvrait  son  visage,  il  succombe,  et, 
absente ,  sa  sœur  n'a  point  vu  sa  douloureuse  agonie  ;  non- 
seulement  il  m'est  enlevé  ,  mais  je  n'ai  pu  fermer  ses  pau- 
pières ,  et,  enchaînée  à  son  corps,  lui  faire  entendre  mes  der- 
niers adieux.  Je  n'ai  pu  de  mes  larmes  brûlantes  réchauffer 
sa  poitrine  glacée  et  recevoir  le  dernier  baiser  de  sa  bouche 
expirante Ingrate  !  c'est  moi,  ô  mon  frère  ,  qui  suis  cou- 
pable de  la  mort!...  J'ai  causé  la  mort ,  et  je  ne  t'ai  pas 
même  élevé  un  tombeau  !  Arrachée  une  fois  à  ma  patrie , 
deux  fois  emmenée  captive  ,  le  meurtre  de  mon  frère  m'a  fait 
voir  encore  des  ennemis.  Mon  père  ,  manière,  mon  oncle  , 
mes  parents  !...  Cette  nouvelle  douleur  rouvre  pour  moi  tous 
ces  tombeaux.  Aucun  jour  ne  saurait  être  sans  larmes  après 
la  mort  de  ce  frère  qui  a  emporté  avec  lui  toutes  mes  joies.  » 
Ainsi  s'exprimait  Radegonde  longtemps  après  le  malheur 
qui  faisait  l'objet  de  ses  larmes. 

Voici  encore  comment  elle  nous  trace  le  tableau  pathétique 
des  tourments  qu'elle  endurait  dans  son  àme ,  et  que  Fortu- 
nat  nous  a  conservé.  Personne  ne  se  méprendra  sur  les  ex- 
pressions de  tendresse  qu'elle  prodigue  à  son  parent  ,  car 
elles  jaillissaient  de  l'âme  la  plus  pure. 

«  Chacun  ,  s'écrie-t-elle ,  en  s'adressant  à  son  cousin  Ama- 
lafroy,  chacun  a  eu  son  sujet  de  larmes  ,  et  moi  j'ai  pleuré 
sur  tous  ,  non-seulement  sur  ceux  qui  sont  morts  ,  mais  aussi 
sur  ceux  qui  ont  survécu.  Mes  yeux  se  ferment,  mes  plaintes 
se  taisent,  mais  la  douleur  ne  se  tait  pas  dans  mon  âme. 
J'écoute  si  le  vent  ne  m'apporte  pas  quelque  nouvelle  heu- 
reuse ;  mais  aucune  ombre  de  mes  proches  ne  vient  s'offrir  à 
moi.  Le  destin  funeste  arrache  de  mes  bras  celui  dont  la  pré- 
sence réjouissait  mon  âme.  Est-ce  que ,  dans  l'absence  ,  un 
souvenir  de  moine  vient  pas  solliciter  ton  cœur?  L'excès  du 
malheur  a-t-il  éteint  en  toi  cette  affection  si  douce  ?  Cher 
Amalafroy  ,  souviens-toi  quelle  était  pour  toi  Radegonde  dans 


DE  SAINTE  RADEGONDE.  41 

ses  premières  années  !  Combien  tu  m'as  aimée  dans  mon  en- 
fance !  Fils  plein  de  douceur  du  frère  de  mon  père  ,  tu  me 
remplaçais  ce  père  que  je  n'avais  plus;  tu  me  tenais  lieu  d'une 
mère ,   d'un  frère  ,  d'une  sœur.  Soulevée  ,  hélas  !  par  tes 
mains  attentives ,  suspendue  à  tes  doux  baisers,  petite  enfant, 
j'étais  réjouie  par  tes  caresses.  L'heure  qui  me  séparait  de 
toi  était  un  siècle  ;  aujourd'hui,   les  siècles  s'écoulent  sans 
que  je  puisse  entendre  ta  voix.  Si  ton  père,  ou  ta  mère,  ou 
quelque  royale  occupation  le  retenaient  loin   de  moi  ,  tu  te 
hâtais  et  j'accusais  ta  lenteur  :  je  souffrais  dans  mon  cœur 
si  nous  n'étions  sous  le  même  toit ,  je  tremblais  en  te  voyant 
sortir.  Aujourd'hui  l'Orient  te  possède  et  l'Occident  me  re- 
tient :  moi  sur  les  bords  de  l'Océan ,  toi  sur  les  rivages  de  la 
mer  Rouge.  Un  monde  entier  sépare  ceux  qui  ne  se  quittaient 
jamais.  Pourquoi  ne  veux-tu  pas  que  je  reçoive  quelque  signe 
de  ton  souvenir?  Il  me  rendrait  en  quelque  sorte  celui  que 
la  distance  sépare  de  moi.  Je  saurais  par  quels  exploits   tu 
ressuscites  tes  aïeux,  par  quelle  gloire  tu  honores  tes  pro- 
ches ,  et  si  ton  visage  rappelle  le  teint  rose  et  la  beauté  de 
ton  père.  Crois-moi ,  cher  parent ,  si  j'avais  quelques  mots 
de  toi ,  tu  ne  me  manquerais  pas  tout  entier.  Une  page  envoyée 
de  si  loin  me  rendrait  une  portion  de  mon  frère.  Chacun  sem- 
ble avoir  un  gage  de  consolation  ;  seule  je  ne  suis  pas  conso- 
lée dans  mes  larmes.  Infortunée  !  et  plus  je  donne  à  l'amitié  , 
moins  il  m'est  rendu.  Si   d'autres  par  simple  pitié  recher- 
chent même  des  esclaves  ,  pourquoi  serais-je  oubliée  ,  moi 
qui  suis  attachée  par  les  liens  du  sang  ?  —  Jour  et  nuit  ma 
pensée  est  attachée  sur  vous  :  au  souffle  des  nuits  je  demande 
où  tu  es  ,  je  le  demande  aux  nuages  voyageurs  :  et  si  la  terre 
et  l'air  me  refusent ,  quelque  oiseau  de  bonheur  ne  viendra- 
t-il  pas  au  moins  me  porter  tes  paroles  ?  Ah  !  sans  les  bar- 
rières sacrées  qui  me  retiennent ,  tu  me  verrais  surgir  impré- 
vue sous  le  ciel  qui  te  possède  :  rapide  ,  je  fendrais  les  tem- 
pêtes qui  soulèvent  les  ondes ,  et  je  me  réjouirais  du  souffle 
des  orages  qui  me  pousserait  sur  les  mers.  Rendue  forte  par 


Ai  ESPRIT 

mon  courage  ,  je  serais  suspendue  sur  les  Ilots,  et  les  terreurs 
du  nautonier  seraient  sans  poids  sur  la  parente  qui  te  ché- 
rit :  si  la  fureur  des  vagues  entr'ouvrait  le  navire,  je  vogue- 
rais vers  toi  sur  une  planche  fragile  ,  et  si  ma  main  ne  pou- 
vait atteindre  aucun  débris  ,  je  gagnerais  pour  te  rejoindre  la 
rive  à  la  nage.  Quand  je  t'aurais  vu ,  j'aurais  nié  tous  les  dan- 
gers du  voyage;  et  si  je  succombais,  tu  m'élèverais  une 
tombe  modeste  sur  le  sable  ;  tes  yeux  touchés  verraient  mon 
cadavre;  tu  serais  du  moins  ému  par  mes  funérailles  ,  et  toi 
qui  refuses  une  parole,  tu  m'accorderais  des  larmes.  »  (Fort. 
de  excidio  Thuringiœ  Carmen.) 

Sainte  Radegonde,  comme  ces  seuls  fragments  peuvent 
l'avoir  déjà  révélé  ,  était  douée  d'un  grand  talent  littéraire  , 
de  beaucoup  d'esprit  et  d'un  cœur  très-sensible.  Elle  entrete- 
nait ses  chères  filles  ,  les  religieuses  de  Sainte-Croix  de  Poi- 
tiers, dont  elle  était  la  fondatrice  ,  avec  une  ravissante  dou- 
ceur. Pourquoi  n'ont-elles  pas  été  gravées  sur  des  feuilles 
d'or  ces  belles  paroles? 

«  Je  vous  ai  choisies  pour  mes  filles  ,  leur  disait-elle  ;  vous 
êtes  la  lumière  de  mes  yeux  ,  vous  êtes  ma  vie  ,  mon  repos  et 
toute  ma  félicité.  Vous  êtes  la  vigne  nouvellement  plantée  ; 
travaillons  ensemble  dans  ce  monde  à  nous  assurer  la  vie 
éternelle  ;  servons  le  Seigneur  dans  une  foi  entière  et  dans  un 
amour  sans  partage,  avec  une  sainte  frayeur;  cherchons-le 
dans  la  simplicité  du  cœur ,  afin  que  nous  puissions  dire 
avec  confiance  :  Donnez  ,  Seigneur  ,  ce  que  vous  avez  promis, 
car  nous  avons  fait  ce  que  vous  avez  commandé.  » 

Puis  elle  ajoutait  dans  une  autre  circonstance  : 

«  Hàtez-vous  de  recueillir  le  froment  du  Seigneur  ,  car  je 
vous  le  dis  en  vérité,  vous  n'aurez  pas  toujours  le  temps  de 
vous  hâter  :  hàtez-vous ,  parce  que  vous  regretterez  ce  temps. 
Oh!  certainement,  vous  le  regretterez,  et  vous  le  redeman- 
derez en  vain  avec  amertume.  » 

Il  était  d'usage  qu'une  religieuse  lui  fît  la  lecture  pendant 
la  nuit ,  et  comme  une  fois  elle  semblait  céder  au  sommeil ,  la 


DE   SAINTE   RADEGONDE.  43 

religieuse  ,  importunée  elle-même  par  l'impérieux  besoin  de 
repos  ,  s'arrêta  ;  mais  la  princesse  rouvrant  les  yeux  la  reprit 
aussitôt  en  lui  disant  :  «  Pourquoi  vous  arrêtez-vous?  conti- 
nuez ;  mon  âme  écoute.  » 

«  Si  vous  ne  comprenez  pas  ce  qu'on  vous  lit ,  disait-elle 
aux  sœurs ,  alors  attachez  vos  regards  sur  le  miroir  de  votre 
âme.  » 

Le  testament  de  sainte  Radegonde  étant  un  reste  précieux 
d'antiquité  ,  nous  sommes  heureux  de  l'emprunter  au  beau 
travail  qu'a  fait  M.  Edouard  de  Fleury  ,  dont  les  savantes  re- 
cherches doivent  nous  rassurer  sur  l'authenticité  et  la  fidèle 
traduction  de  ce  que  nous  allons  rapporter. 

Ce  testament  n'est,  au  reste  ,  qu'une  sorte  de  lettre  envoyée 
en  général  à  tous  les  évoques  du  royaume  ,  mais  qu'on  a  tou- 
jours appelée  son  testament. 

TESTAMENT  DE  SAINTE  RADEGOADE. 

Aux  Sainls  Evèques  et  Seigneurs ,  très-dignes  du  Siège  Apostolique ,  el  ses  Pères 
en  Jésus-Christ ,  Radegonde  pécheresse. 

«  Pour  qu'une  sage  entreprise  marche  rapidement  à  son 
terme,  il  faut  que  les  pasteurs  subalternes  expliquent  aux 
Pères  universels  la  situation  du  bercail  qui  leur  est  confié  , 
afin  qu'en  le  recommandant  à  leur  sollicitude  ,  ils  en  obtien- 
nent cette  participation  qui  assure  la  prudence  à  la  charité,  le 
soutien  à  l'autorité  et  le  suffrage  à  la  prière.  Détachée  depuis 
longtemps  des  chaînes  du  siècle  ,  par  le  secours  et  l'inspira- 
tion de  la  divine  Providence  ,  on  m'a  vue  passer  volontaire- 
ment ,  guidée  par  le  Sauveur  ,  sous  la  discipline  de  la  vie  re- 
ligieuse ;  et  depuis ,  songeant  avec  amour  à  l'avancement  des 
autres,  et  à  rendre,  avec  la  permission  du  Seigneur,  l'accom- 
plissement de  mes  vœux  profitables  pour  elles  ,  avec  l'autori- 
sation et  par  la  munificence  de  mon  très-excellent  seigneur 


44  ESPRIT 

le  roi  Clotaire ,  j'ai  fondé  à.  Poitiers  un  monastère  de  vierges  , 
et  je  l'ai  doté  de  tout  ce  qu'avaient  mis  à  ma  disposition  les 
largesses  royales.  J'ai  établi  sur  le  troupeau  que  j'ai  réuni 
avec  l'assistance  de  Jésus-Christ  la  règle  sous  laquelle  a  vécu 
sainte  Césarie  que  la  sollicitude  du  bienheureux  évêque  Cé- 
saire  a  extraite  et  coordonnée  des  constitutions  des  saints 
Pères.  Avec  l'assentiment  de  l'évèque  de  cette  ville  et  de  ses 
frères  dans  l'épiscopat ,  et  en  consultant  aussi  l'élite  de  notre 
communauté  ,  j'ai  institué  pour  abbesse  ma  sœur  et  dame 
Agnès ,  que  depuis  sa  tendre  enfance  j'ai  élevée  et  chérie 
comme  ma  fdle  ,  et  après  Dieu  je  me  suis  soumise  à  elle  pour 
me  conformer,  selon  la  règle  ,  à  son  obéissance.  Enfin  ,  mes 
sœurs  comme  moi ,  nous  avons,  suivant  l'exemple  des  Apô- 
tres ,  résigné  entre  ses  mains  par  chartes  écrites  les  biens 
terrestres  que  nous  pouvions  posséder  ,  ne  nous  réservant  à 
part,  effrayées  d'Ananie  et  de  Saphire  ,  rien  qui  nous  ap- 
partienne en  propre. 

Mais  parce  que  les  heures  et  les  jours  de  la  vie  sont  incer- 
tains ,  et  qu'au  déclin  du  monde  un  grand  nombre  aiment 
mieux  prendre  pour  loi  leur  propre  caprice  que  la  volonté 
de  Dieu ,  animée  par  le  zèle  du  Seigneur ,  héritière  après  ma 
mort  de  votre  protection  apostolique,  fille  dévouée,  et  tandis 
que  je  vis  encore  ,  je  vous  adresse  ,  au  nom  de  Jésus-Christ, 
cet  exposé  de  ma  requête.  Ne  pouvant  me  prosterner  à  vos 
pieds  en  personne  ,  je  le  fais  d'esprit  et  d'intention  par  cette 
lettre,  et  je  vous  supplie  ,  au  nom  du  Père  ,  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit ,  et  par  le  jour  du  redoutable  jugement  (quand 
vous  paraîtrez,  si  l'oppresseur  vous  obsède  ,  que  le  roi  juste 
vous  couronne),  je  vous  supplie  si ,  ce  qui  j'espère  n'arri- 
vera pas ,  si  quelque  personnage ,  soit  l'évèque  même  de 
cette  ville  ,  soit  le  gouverneur  ou  tout  autre,  essayait  par 
quelque  malveillante  intention  ou  par  quelque  querelle  judi- 
ciaire ,  de  jeter  le  trouble  dans  la  communauté,  de  violer  la 
règle  ,  ou  de  donner  une  abbesse  autre  que  ma  sœur  Agnès  , 
consacrée  par  la  bénédiction  du  bienheureux  Germain  .  en 


DE   SAINTE  RADEGONDE.  -45 

présence  des  évoques  ses  frères  ou  de  s'attribuer  quelques 
droits  sur  le  monastère  ;  si ,  touchant  les  dons  qui  m'ont  été 
faits  par  mon  très-excellent  seigneur  le  roi  Clotaire  et  pour 
lesquels  j'ai  obtenu  des  très-excellents  seigneurs  rois  Cari- 
bert  ,  Gonlran ,  Chilpéric  et  Sigebert  une  confirmation  par 
serment  et  par  écrit,  comme  touchant  les  dons  faits  par  d'au- 
tres personnes  pour  le  soulagement  de  leur  âme  (1)  ou  que 
les  sœurs  ont  apportés  de  leurs  propres  douaires  ;  si ,  tou- 
chant ces  possessions  du  monastère  ,  quelque  prince  ou  puis- 
sant ,  ou  même  quelqu'une  des  sœurs  osait  endommager  la 
propriété ,  que  le  coupable  encoure  votre  indignation  et  celle 
de  vos  successeurs  :  sur  mon  instante  prière  ,  qu'il  soit  at- 
teint par  la  justice  du  ciel,  et  comme  spoliateur  et  comme 
ravisseur  du  bien  des  pauvres ,  exclu  de  la  grâce  de  Dieu  ;  en 
sorte  que  ,  par  votre  vigilance  ,  le  monastère  puisse  être  dé- 
fendu contre  tout  dommage  dans  ses  intérêts  et  contre  tout 
changement  dans  sa  règle  intérieure. 

Je  demande  encore  ,  lorsque  Dieu  aura  retiré  de  ce  monde 
ma  sœur  et  dame  Agnès,  que  l'on  choisisse  toujours  ,  dans 
le  sein  même  la  communauté  ,  une  abbesse  qui  soit  agréable 
à  Dieu  et  à  ses  sœurs,  qui  fasse  observer  la  règle,  et  ne  re- 
tranche rien  de  la  condition  d'une  vie  de  sanctification ,  ne 
prescrivant  jamais  ce  qui  ne  serait  que  l'expression  d'une  vo- 
lonté particulière.  Que  si ,  ce  qu'à  Dieu  ne  plaise  ,  contraire- 
ment à  la  volonté  du  ciel  et  à  l'autorité  des  rois  ,  quelqu'un 
osait  porter  atteinte  aux  conditions  qui  vous  sont  recom- 
mandées ici  avec  instance  ,  soit  en  ne  respectant  pas  la  per- 
sonne ou  les  propriétés  ,  soit  en  suscitant  des  embarras  et 
des  obstacles  ,  qu'il  encoure  le  jugement  de  Dieu,  de  la  sainte 
Croix,  de  la  bienheureuse  Marie  ,  et  qu'il  ait  pour  adversaires 
et  persécuteurs  les  saints  confesseurs  Hilaire  et  Martin,  sous  la 
protection  desquels ,  après  Dieu  ,  j'ai  placé  mes  sœurs  :  vous 
aussi ,  bienheureux  Pontife,  que  j'appelle,  ainsi  que  vos  suc- 

(ij  On  trouve  ici  la  doctrine  de  l'expiation,  au  purgatoire  (VI'  siècle). 


10  ESPRIT 

cesseurs ,  au  patronage  d'une  cause  qui  est  celle  du  ciel  ,  si 
(  puisse-t-il  ne  pas  en  être  ainsi  !  )  quelqu'un  se  rencontrait 
qui  ourdit  quelques  tentatives  contre  ces  prescriptions ,  afin 
de  confondre  et  de  repousser  l'ennemi  du  ciel  ,  ne  balancez 
pas  à  accourir  vers  le  roi  dont  alors  dépendra  la  province  , 
ou  à  Poitiers  même  !  Intervenez  comme  exécuteurs  et  défen- 
seurs de  la  justice  ,  afin  qu'un  roi  catholique  ne  laisse  en  au- 
cune façon  s'accomplir  sous  son  règne  une  pareille  iniquité  , 
et  qu'il  ne  permette  pas  de  renverser  ce  qui  a  été  établi  par 
la  volonté  d'en  haut,  parla  mienne  et  par  celle  des  rois  eux- 
mêmes.  En  même  temps  ,  je  conjure  les  rois  que  le  Tout- 
puissant  ,  après  mon  décès  ,  aura  préposés  au  gouvernement 
des  peuples,  au  nom  du  Monarque  dont  le  règne  n'aura  point 
de  fin,  au  gré  duquel  s'affermissent  les  trônes ,  et  qui  donne 
aux  souverains  la  vie  même  et  la  puissance ,  de  prendre  sous 
leur  protection  et  de  favoriser  le  gouvernement  du  monastère 
que  j'ai  fondé,  doté  et  constitué  dans  la  règle  avec  l'autorisa- 
tion des  rois  leur  père  et  aïeul  ;  je  les  supplie  de  veiller  à  ce 
que  rien  ne  soit  troublé  ou  détourné  de  ce  qui  appartient  à 
la  maison  et  de  n'y  permettre  aucun  changement  ou  dom- 
mage ;  mais  que  ,  pour  l'amour  de  Dieu  ,  prenant  en  considé- 
ration la  prière  que  je  leur  fais  devant  le  Rédempteur  des 
nations  ,  eux-mêmes ,  de  concert  avec  les  évêques  nos  sei- 
gneurs ,  s'entendent  pour  le  défendre  et  le  protéger ,  afin 
qu'en  l'honneur  du  Dieu  dont  ils  soutiennent  les  servantes  , 
ils  soient  associés  à  l'héritage  éternel  avec  le  défenseur  des 
pauvres  et  l'Epoux  des  vierges. 

Il  est  encore  une  chose  ,  ô  saints  Pontifes  ,  très-excellents 
Rois  ,  et  vous  tous  ,  peuple  chrétien  ,  dont  je  vous  conjure  au 
nom  de  la  foi  catholique  dans  laquelle  vous  avez  été  baptisés, 
et  selon  laquelle  vous  gouvernez  les  églises  ,  c'est  lorsque 
Dieu  m'aura  retirée  de  ce  monde,  que  vous  fassiez  ensevelir 
mon  corps  dans  la  basilique  que  nous  avons  commencé  de 
bâtir  en  l'honneur  de  sainte  Marie,  la  divine  Mère ,  où  déjcà 
grand  nombre  de  mes  sœurs   sommeillent  dans  leur  repos  , 


DE  SAINTE   ri.YDECONDE.  -47 

sans  avoir  égard  à  ce  que  cette  église  soit  achevée  ou  non. 
Que  si  quelqu'un  a  l'intention  ou  essaie  de  faire  autrement, 
au  nom  des  mérites  de  la  croix  de  Jésus-Christ  et  de  la  bien- 
heureuse Marie  ,  que  la  vengeance  du  ciel  retombe  sur  lui , 
et  intervenez  pour  que  je  puisse  obtenir  dans  la  basilique  une 
étroite  place  pour  être  ensevelie  au  milieu  de  mes  sœurs. 

Je  vous  supplie  enfin,  avec  larmes  ,  que  cette  requête  que 
j'ai  signée  de  ma  main  ,  soit  conservée  dans  les  trésors  de 
l'Eglise  universelle ,  afin  que  si  quelque  nécessité  se  présen- 
tait de  la  part  et  du  fait  des  méchants,  qui  forçât  l'abbesse  ou 
la  communauté  de  recourir  a  vous,  elles  soient  en  droit  d'im- 
plorer et  d'obtenir  le  secours  de  voire  paternelle  sollicitude, 
et  que  celles  à  qui  Dieu  aura  réservé  votre  appui  ne  se  plai- 
gnent pas  d'être  délaissées.  Rappelez-vous  sans  cesse  devant 
les  yeux  celui  qui,  du  haut  de  la  croix ,  remit  la  Vierge  sa 
mère  au  bienheureux  apôtre  Jean  ,  et  comme  le  bien-aimé 
disciple  remplit  avec  fidélité  l'ordre  du  Sauveur  ,  ainsi  dai- 
gnez accomplir  les  recommandations  que  moi  ,  humble  et 
indigne,  j'adresse  à  vous,  messeigneurs  Evèques  et  Pères 
dans  l'Eglise  ,  afin  que  nous  puissions  ,  lorsque  vous  aurez 
pieusement  gardé  ma  recommandation  ,  suivant  l'exemple  de 
l'Apôtre ,  mériter  d'avoir  part  ensemble  à  la  récompense. 
Amen.  » 

Ce  morceau  nous  a  été  conservé  par  saint  Grégoire  de 
Tours. 


DU  TOMBEAU  DE  SAINTE  RADEGOXDE ,  A  POITIEHS. 


Ce  tombeau  ,  d'après  Dom  Fronteau  ,  annonce  les  VIe  et  vne  siècles, 
par  sa  forme ,  et  comme  il  est  un  des  plus  anciens  du  Poitou ,  il  l'exa- 
mina" en  détail.  11  est  derrière  l'autel  souterrain.  Trois  piliers,  larges 
de  vingt-deux  pouces  ,  le  soutiennent.  Sur  ces  piliers  est  une  grande 
table  de  pierre  épaisse  d'un  pied  ,  entourée,  dans  la  moitié  de  cette 
épaisseur,  de  feuillages  sans  autres  ligures.  Sur  cette  table  est  posé  et 
incrusté  le  tombeau  de  sainte  Radegonde;  il  est  long  de  six  pieds  six 


48  ESPRIT  DE  SAINTE  RADEGONDE. 

pouces  ,  large  à  la  tète  de  deux  pieds  six  pouces  ,  et  aux  pieds  de  un 
pied  neuf  pouces.  Il  est  de  marbre  noir,  fait  comme  les  plus  grands 
tombeaux  des  comtes  de  Thouars.  Le  dessus  de  ce  tombeau  est  fait  en 
dos-d'âne...  et  est  attaché  au-dessous  par  des  crampons  de  fer.  Il  a  été 
brisé  par  les  Huguenots.  L'endroit  où  est  ce  tombeau  est  le  plus  anti- 
que de  l'église  ,  il  est  dans  le  goût  de  l'architecture  romane.  Ce  souter- 
rain est  fort  bas  en  comparaison  du  pavé  de  la  nef  et  du  chœur.  On  n'y 
voit  le  jour  que  par  une  ouverture  ronde  qui  est  en  haut,  où  brûle  nuit 
et  jour  une  lampe.  Au-dessus  de  l'entrée  du  souterrain  ,  est  un  tableau 
qui  contient  un  vœu  d'Anne  d'Autriche.  On  a  grande  dévotion  au 
tombeau  de  sainte  Radegonde  ;  on  y  fait  fréquemment  des  neuvaines,  et 
on  y  accourt  de  pays  très-éloignés. 

M.  Hawke,  qui  a  dessiné  ce  monument ,  en  trouve  le  goût  extrême- 
ment sévère ,  et  le  fait  remonter  à  l'époque  la  plus  reculée. 

Voici  le  vœu  d'Anne  d'Autriche  qui  est  au  front  de  la  voûte  du 
caveau. 

D.  0.  M. 

€  Anna  Auslriaca  Galliœ  et  Navarrœ  regina  memor  redditse 
y>  salutis  filio  Karissimo,  Ludovico  XIV,  régi  chrislianissimo 
»  (quein  apud  Gerosiacum  navale  ,  anno  1658  febrientem  , 
»  Radegundis  patrocinio  mœrens  addixerat  )  lampadem  ar- 
j>  genteam  diu  noctuque  inextinguibilem  lumulo  tantse  libe- 
»  ratiïcis  appendit ,  duasque  in  hac  regiâ  ecclesià  missas  de 
»  proprio  D.  Radegundis  in  aeternum  solemni  ritu  singulis 
»  diebus  xxix  junii  et  xn  julii  celebrandas  dote  prœslilà , 
»  constituit,  suoque  nomine  regium  (qui  tune  erit)  in  senatu 
»  pictaviensi  protopatronum  hisce  volivis  mysteriis  adesse 
»  jussit ,  cseteraque  peragi  voluit  ,  quse  aulographo  diei  xm 
»  septembres  ,  anno  1658  continentur.  » 

Cette  pièce  est  conservée  dans  Dom  Frontcau  ,  tom.  19. 

La  noble  et  antique  Maison  fondée  par  sainte  Radegonde ,  disparut 
un  moment  dans  l'orage  universel  qui  engloutit  tout  ce  qui,  en  France, 
tirait  sa  grandeur  du  respect  des  ppuples  ,  de  l'antiquité  et  de  la  no- 
blesse de  son  origine  ;  elle  est  cependant  encore  pleine  de  vie  et  d'a- 
venir. On  y  suivait  la  règle  de  saint  Césaire  ;  l'habillement  ressemblait 
à  celui  des  Bénédictines.  (  Voyez  les  notes  après  sainte  Gertrude.  ) 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  HILDEGARDE, 


ABBESSE  Al  IOST  SAIXT-Rl'PERÏ,  E\  ALLEMAGNE. 


NOTICE 


1  179. 

Hildegarde  ,  d'une  famille  illustre,  au  comté  de  Spanheim, 
dans  le  bas  Palatinat  du  Rhin,  naquit  en  l'an  1008.  Quoique 
au  milieu  des  soins  et  des  plaisirs  du  monde,  et  favorisés 
d'une  grande  fortune ,  ses  parents ,  loin  d'être  ingrats  envers 
Dieu  ,  élevèrent  dans  sa  connaissance  et  son  amour  leur  fille 
bién-aimée  ;  rien  ne  fut  négligé  pour  seconder  les  vertus  pré- 
coces qui  s'annonçaient  en  elle  ;  dès  l'âge  de  huit  ans ,  ils  la 
placèrent  dans  un  monastère  de  religieuses  du  Mont-Saiut- 
Disibode;  c'est  là  qu'elle  fut  formée  avec  soin  sous  la  con- 

T.   Y.  i 


50  NOTICE 

(laite  de  Jutte  sa  tante,  sœur  du  comte  de  Spanheim.  A  peine 
put-elle  distinguer  la  vanité  des  choses  d'ici-bas  et  remarquer 
la  fureur  et  la  folie  des  hommes  qui  les  poursuivent ,  qu'elle 
s'excita  vivement  au  mépris  de  tout  ce  qui  est  créé.  Pleine  de 
reconnaissance  envers  le  Seigneur  qui  l'appelait  à  lui>  elle 
se  consacra  de  bonne  heure  et  sans  réserve  à  son  service  : 
cette  fidélité  à  correspondre  aux  vues  de  Dieu  sur  elle  ,  fut 
récompensée  par  des  lumières  extraordinaires  et  des  visions 
sublimes  qui  la  rendirent  l'oracle  de  son  siècle.  Saint  Ber- 
nard étant  à  Trêves  en  11-47  ,  reconnut  en  elle  l'esprit  pro- 
phétique ,  et  approuva  certains  écrits  qu'elle  avait  faits  ;  le 
pape  Eugène  III  en  fit  de  même  au  concile  de  Trêves ,  auquel 
il  présida  ,  en  1148. 

Sainte  Hildegarde  était  consultée  par  les  plus  grands  per- 
sonnages de  son  temps  :  papes ,  empereurs  ,  évêques  ,  prin- 
ces ,  abbés  ,  supérieurs  de  monastères  ,  tous  recouraient  à  sa 
science  surnaturelle.  Il  existe  encore  un  grand  nombre  de 
lettres  qu'elle  a  reçues  et  auxquelles  elle  a  répondu  ;  seule- 
ment ,  comme  elles  traitent  de  sujets  particuliers  à  ceux  qui 
les  lui  adressaient ,  quelque  belles  qu'elles  soient ,  nous  n'a- 
vons pu  les  rapporter  toutes  :  nous  nous  sommes  borné  à  ce 
qui  nous  a  semblé  plus  utile  et  plus  agréable  à  nos  lecteurs  : 
ainsi  nous  avons  fait  choix  entre  les  réponses  à  diverses  de- 
mandes qu'on  lui  avait  adressées.,  de  celles  touchant  la  sainte 
Trinité  et  la  divine  Eucharistie,  et  des  trente-huit  questions 
et  solutions  sur  certains  points  difficiles  de  l'Ecriture  sainte  ; 
cependant  elle  a  de  plus  composé  une  explication  de  la 
règle  de  Saint-Benoît  et  du  symbole  de  saint  Athanase  ,  avec 
quelques  discours  et  révélations,  qu'on  croit  n'être  pas  au- 
thentiques ;  on  pourra  reconnaître  dans  les  trente-huit  solu- 


SUR  SAINTE  H1LDEGARDE.  51 

tions  l'élévation  de  son  esprit  et  l'étendue  des  connaissances 
que  le  Seigneur  lui  donnait.  Au  milieu  de  tant  de  faveurs  du 
ciel  et  d'hommages  de  la  terre  ,  rien  ne  saurait  exprimer  la 
profondeur  de  son  humilité  ,  sa  patience  et  son  amour  pour 
la  mortification  ;  elle  s'efforçait  d'être  inconnue ,  oubliée , 
méprisée,  et  ne  se  regardait  que  comme  le  rebut  du  monde  : 
telle  est  la  vraie  sainteté  ;  telle  est  aussi  la  preuve  la  plus  cer- 
taine que  de  telles  faveurs  ne  peuvent  venir  que  de  Dieu. 

Après  la  mort  de  Jutte  ,  elle  fut  élue  abbesse  ;  elle  gou- 
verna cette  communauté  si  nombreuse  avec  la  plus  rare 
sagesse  et  la  plus  ardente  charité.  En  1148  environ  ,  elle  se 
retira  au  Mont-Saint-Rupert ,  près  de  Ringhem  ,  elle  fonda 
ensuite  le  monastère  d'Eibengen  au  diocèse  de  Mayence,  et 
déposa  le  fardeau  de  son  corps  ,  le  17  septembre  1179 ,  à  la 
quatre-vingt-deuxième  année  de  son  âge,  tandis  que  son  àme 
s'envolait  par  le  plus  doux  soupir  dans  le  sein  de  la  gloire. 

Le  monastère  du  Mont-Saint-Rupert  ,  ou  Saint-Robert , 
du  nom  du  comte  qui  y  avait  fini  ses  jours  ,  fut  brûlé  par  les 
Suédois  en  1032.  Les  religieuses  furent  alors  forcées  de  se 
retirer  au  prieuré  d'Eibengen  ou  de  Ringhem  ,  situé  sur  le 
Rhin  ,  et.  d'y  transporter  les  restes  précieux  de  leur  sainte 
abbesse.  C'est  là  qu'ils  sont  conservés  jusqu'à  ce  jour  et 
entourés  d'une  grande  vénération. 

Sainte  Hildegarde  n'a  jamais  été  canonisée  solennellement, 
mais  elle  est  honorée  publiquement  en  plusieurs  lieux  ;  elle  a 
opéré  un  grand  nombre  de  miracles  ,  et  son  nom  est  inscrit 
au  Martyrologe  romain. 

N'oublions  pas  de  dire  que  ses  lettres  sont  principalement 
utiles  pour  la  connaissance  de  la  discipline  et  de  l'histoire 


52  NOTICE  SUR  SAINTE  HILDEGARDE. 

ecclésiastique  de  ce  temps-là;  on  en  voit  dans  Martenne,  dans 
Fronteau  et  dans  la  Bibliothèque  des  Pères  (  Lyon.  )  Mathieu 
de  Westminster  (  1-29-2)  attribue  à  sainte  Hildegarde  le  Spé- 
culum futurorum  temporum,  mais  ce  n'est  qu'une  compila- 
tion faite  d'après  ses  écrits  par  un  nommé  Gebenus  ,  prieur 
d'Ebernach  ,  qui  vivait  au  treizième  siècle. 

Le  P.  Thierri ,  abbé  de  Saint-Tron  ,  écrivit  la  vie  de  sainte 
Hildegarde  trente  ans  après  sa  mort.  Voyez  Cave,  Hist.  lit., 
tom.  2  ,  Martenne  et  Slilting. 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  HILDEGARDE , 

TIRÉ  DE  SES  LETTRES 
ET  DE  SES  SOLUTIONS  SPIRITUELLES. 


DE  LA  TRÈS-SAINTE  TR1MTÉ , 

D'après  une  révélation  qu'elle  eut. 

Elle  répond  à  Ebernard,  évoque,  qui  l'avait  interrogée  sur  ce  sujet. 

Maintenant  ,  ô  mon  Père  ,  toute  pauvre  et  ignorante  que 
je  suis  ,  je  vais  vous  exposer  ce  que  j'ai  vu  et  entendu  dans 
une  vision  véritable  ,  et  que  j'ai  considéré  à  la  lumière  de 
Dieu  même.  Je  vais  ,  clis-je  ,  vous  l'exposer  selon  que  vous 
l'exigez  de  moi ,  non  d'après  mes  propres  expressions  ,  mais 
d'après  celles  de  la  vraie  lumière  qui  m'a  éclairée  ,  qui  n'a 
jamais  de  défaut  ,  et  que  je  vais  vous  transmettre  de  cette 
manière-ci  :  L'éternité  est  dans  le  Père  ;  c'est-à-dire  qu'à 
l'éternité  du  Père  on  ne  peut  rien  ajouter  ,  rien  retrancher  , 
parce  que  l'éternité  demeure  semblable  à  une  roue  qui  ne 
commence  ni  ne  finit.  Ainsi  donc  l'éternité  est  dans  le  Père 
avant  toute  créature  ,  parce  que  toujours  et  toujours  il  a  été 
l'éternité.  Et  qu'est-ce  que  l'éternité?  L'éternité!  c'est  Dieu. 
Or  ,  l'éternité  n'est  éternité  que  dans  la  perfection  de  la  vie. 
C'est  pourquoi  Dieu  est  dans  l'éternité.  Car  la  vie  ne  procède 


54  ESPRIT 

pas  de  la  mortalité  ;  mais  la  vie  est  dans  la  vie.  Il  n'y  a  point 
d'arbre  ,  en  effet ,  qui  fleurisse  sans  verdure  ,  ni  de  pierre 
qui  n'ait  été  formée  par  de  l'humidité,  ni  de  créature  sans 
la  vie.  Or,  l'éternité  elle-même  n'est  pas  vivante  sans  fleurir. 
De  même  que  la  parole  du  Père  a  enfanté  toute  créature  pour 
sa  fin  ,  de  même  aussi  dans  sa  puissante  fécondité  intérieure  , 
il  n'est  pas  demeuré  sans  produire.  De  là  vient  qu'il  est  ap- 
pelé Dieu  le  Père,  parce  que  tout  est  né  de  lui.  Et  l'éternité 
demeure  toujours  clans  le  Père,  parce  qu'il  a  été  Père  avant 
le  commencement  de  toutes  choses  et  éternel  avant  la  créa- 
tion de  ces  éclatants  ouvrages  qu'il  a  formés  et  qui  ne  sont 
venus  que  'de  la  prescience  de  son  éternité.  Quant  à  ce  qui 
demeure  toujours  dans  Dieu  le  Père  ,  il  n'en  est  pas  comme 
de  ce  qui  est  une  cause  productrice  dans  l'homme,  qui  tantôt 
est  douteuse  ,  tantôt  passée  ,  tantôt  future  ,  quelquefois  nou- 
velle, quelquefois  ancienne;  ce  qui  est  dans  le  Père  est  stable, 
immuable. 

Le  Père  est  clarté  ;  cette  clarté  a  une  splendeur  ,  et  cette 
splendeur  a  une  chaleur ,  un  feu  ,  et  ce  n'est  qu'une  seule 
chose.  Quiconque  n'a  pas  la  foi  en  cela  ,  ne  voit  pas  Dieu  ,  ne 
le  connaît  pas,  parce  qu'il  veut  retrancher,  séparer  de  lui  ce 
qui  lui  est  étroitement  uni  ,  car  Dieu  ne  peut  être  divisé.  Les 
ouvrages  même  que  Dieu  a  formés  ,  n'ont  pas  l'entière  pro- 
priété des  noms  qu'ils  portent ,  quand  l'homme  les  a  distin- 
gués. La  clarté  est  la  paternité  de  laquelle  naissent  toutes 
choses  et  qui  les  enveloppe  toutes  en  elle-même ,  parce 
qu'elles  ne  sont  que  par  sa  puissance.  C'est  cette  même  puis- 
sance qui  a  fait  l'homme  et  qui  a  mis  en  lui  le  souffle  de  la 
vie.  Cependant,  l'homme  a  dans  cette  même  puissance,  une 
puissance  efficace  qui  lui  est  propre.  La  chair  vient  de  la  chair, 
le  bien  de  ce  qui  est  bien.  Il  est  accompagné  de  louanges  ,  et 
par  le  bon  exemple  il  se  propage  chez  les  autres  hommes. 
Cela  est  spirituel  et  charnel  dans  l'homme,  parce  qu'un  effet 
provient  d'un  autre  effet.  L'homme  aime  beaucoup  les  œuvres 
utiles  qu'il  fait ,  parce  qu'il  sait  très-bien  qu'elles  viennent 


DE  SAINTE  HILDEGARDE.  55 

actuellement  de  lui.  De  même  ,  Dieu  veut  que  sa  puissance  se 
manifeste  sur  toutes  ses  œuvres  en  général ,  parce  qu'elles 
sont  son  ouvrage.  L'éclat  de  la  lumière  donne  des  yeux,  et 
cette  lumière  qui  donne  la  vue,  a  été  produite  elle-même,  lors- 
que Dieu  a  dit  :  Que  la  lumière  soit  faite  :  Fiat  lux  (Genès.  1). 
Alors  toutes  les  choses  créées  apparurent  dans  l'œil  vivant  du 
corps  ;  et  le  feu  qui  est  Dieu  même  comprend  ces  deux  dé- 
nominations, parce  qu'il  n'était  pas  possible  que  le  feu  ou  la 
lumière  parut  sans  éclater  ;  car  la  lumière  et  la  flamme  sont 
cachées  dans  le  même  feu  ,  sans  cela  il  ne  serait  pas  un  feu. 
Dans  le  Fils  est  l'égalité  avec  le  Père.  Comment  cela  ? 
Toutes  les  créatures  étaient  renfermées ,  avant  le  temps  , 
dans  le  sein  du  Père  qui  les  rangeait  par  ordre  en  lui-même, 
et  son  Fils  est  venu  ensuite  les  produire  comme  son  ouvrage. 
Comment  cela  s'est-il  fait?  Tel  qu'un  homme  qui  porte  en 
lui-même  la  connaissance  d'un  ouvrage  important  qu'il  veut 
faire  ,  et  qui  ensuite  le  produit  par  sa  parole ,  de  telle  sorte 
qu'il  est  jugé  digne  d'une  grande  renommée  :  ainsi  a  fait 
Dieu  lui-même.  Le  Père  le  portait  avec  ordre  dans  son  sein  , 
mais  le  Fils  ,  le  Verbe,  l'a  ensuite  produit  ;  car  le  Père  a  tout 
en  lui ,  il  ordonne  tout ,  et  le  Fils  l'a  montré  au  dehors  par  la 
création.  Et  cette  lumière  de  la  lumière  qui  était  avant  le 
temps  ,  dans  l'éternité  ,  au  commencement ,  comme  parle 
l'Evangéliste ,  c'est  le  Fils  ,  la  splendeur  du  Père ,  et  par 
lequel  toutes  les  créatures  ont  été  faites.  Et  le  Fils  s'est  re- 
vêtu de  l'humanité  qu'il  avait  tirée  lui-même  du  sein  du  limon 
de  la  terre  et  qui  n'avait  pas  eu  auparavant  l'apparence  d'un 
corps.  Ainsi,  Dieu  a  vu  devant  lui  tous  ces  ouvrages,  comme 
dans  une  seule  lumière ,  et  quand  il  dit  :  Fiat ,  que  cela  soit, 
chaque  chose,  selon  son  espèce,  fut  revêtue  de  son  genre 
d'existence.  —  Alors  Dieu  se  pencha  vers  son  ouvrage ,  de 
telle  sorte  que  l'égalité  du  Fils  avec  le  Père  est  demeurée 
cependant  entière  ,  quoique  s'unissant  à  l'homme  ,  parce 
qu'il  a  revêtu  la  nature  humaine ,  étant  Dieu  ,  comme  les  au- 
tres œuvres  de  Dieu  revêtirent  des  corps  ;  car  Dieu  avait 


56  ESPRIT 

prévu  tout  ce  qu'il  a  fait  ;  d'où  il  résulte  qu'il  a  daigné  s'in- 
cliner vers  l'homme,  malgré  la  bassesse  de  l'humanité,  parce 
que  la  Divinité  est  si  parfaite,  qu'elle  n'aurait  rien  pardonné 
«à  l'homme  ,  cela  étant  opposé  à  l'ordre  et  au  bien  ,  s'il  n'a- 
vait pas  revêtu  sa  nature,  parce  que  tout  a  été  fait  par  lui  et 
rien  n'a  été  fait  sans  lui  de  tout  ce  qui  est  fait  (  Joann.  1  ).  Et 
toutes  les  choses  visibles  ,  palpables  et  propres  au  goût ,  ont 
été  créées  par  lui ,  et  il  avait  prévu  qu'elles  seraient  toutes 
nécessaires  à  l'homme  ,  savoir  :  les  unes  pour  le  porter  à 
l'amour,  les  autres  à  la  crainte,  celles-ci  à  la  discipline  et 
quelques-unes  à  la  prudence ,  et  rien  de  ce  qui  est  fait  n'a 
été  fait  sans  lui.  Mais  ce  rien  semble  tenir  de  l'orgueil  !  Car 
on  entend  par  là  l'opinion  qui  fait  qu'on  ne  se  regarde  que  soi- 
même  et  qu'on  ne  se  confie  en  personne  qu'en  soi-même  ; 
qu'on  veut  aussi  ce  que  Dieu  ne  veut  pas  ;  qu'on  ne  calcule  que 
pour  ce  qui  nous  concerne.  Or ,  cet  orgueil  est  un  vice  téné- 
breux, parce  qu'il  méprise  la  lumière  de  la  vérité  et  com- 
mence ce  qu'il  ne  peut  achever,  et  il  n'est  rien  en  réalité  ;  car 
ce  n'est  pas  Dieu  qui  l'a  créé  ni  fait  connaître  :  il  a  commencé 
dans  le  premier  ange,  parce  qu'il  ne  considéra  que  sa  splen- 
deur, et  ne  regarda  point  d'où  elle  lui  venait;  mais  il  dit  en 
lui-même  :  Je  veux  être  mon  maître  et  je  n'en  veux  point 
d'autre.  C'est  ainsi  que  sa  gloire  s'est  évanouie  et  qu'il  l'a 
perdue  pour  toujours  ,  et  qu'il  est  devenu  le  prince  des  ténè- 
bres et  de  l'enfer.  —  Alors  Dieu  donna  la  gloire  à  son  autre 
créature;  mais  l'orgueil  aussi  se  glissa  dans  son  sein  :  ce- 
pendant ,  l'homme  ne  perdit  pas  l'amour  de  Dieu  ;  c'est  pour- 
quoi le  démon  est  tout  ténèbres  ,  parce  qu'il  n'a  pas  voulu  de 
la  lumière  de  Dieu  ;  mais  Adam  a  voulu  être  de  la  lumière  de 
Dieu,  seulement  il  voulait  être  semblable  à  lui  et  comme  en 
société  avec  lui.  De  là  vient  qu'il  est  plus  parfait  que  le  démon, 
parce  qu'il  a  conservé  une  partie  de  la  lumière  de  Dieu,  quoi- 
qu'il soit  rempli  de  misères. 

Mais  revenons  :  dans  le  Saint-Esprit  sont  réunies  l'éternité 
et  l'égalité  ;  le  Saint-Esprit  est  un  feu  ,  un  feu  qui  ne  peut 


DE  SAINTE  HILDEGARDE.  5Ï 

s'élèindre;  quelquefois  il  apparaît  par  sa  flamme ,  quelque- 
fois il  ne  paraît  pas,  mais  jamais  il  n'est  étouffé;  c'est  le 
Saint-Esprit  qui  forme  et  resserre  l'éternité  et  l'égalité  des 
trois  personnes  ,  de  manière  qu'elles  ne  font  qu'un  Dieu, 
parce  que  si  un  faisceau  n'était  pas  serré ,  il  ne  serait  plus  un 
faisceau  ,  mais  il  se  disperserait;  de  même  aussi  qu'un  fon- 
deur réunit  avec  le  feu  en  une  seule  pièce  deux  diverses  piè- 
ces d'airain  ,  et  qu'une  épée  qu'on  agite  en  deux  sens,  lance 
des  éclats  des  deux  côtés  ,  de  même  le  Saint-Esprit  montre 
l'éternité  ,  enflamme  et  fait  briller  l'égalité  ,  ce  qui  fait  que  ce 
n'est  qu'une  divinité  ;  l'Esprit-Saint  étant  un  feu  et  une  vie, 
il  est  dans  l'éternité  et  l'égalité  ,  puisque  Dieu  est  la  vie  ;  le 
soleil  est  blanc  et  sa  lumière  brille  ,  et  il  paraît  du  feu  en  lui , 
il  éclaire  tout  l'univers  ,  et  il  n'a  cependant  que  l'apparence 
d'un  rond  ou  d'une  roue.  Mais  toute  cause  qui  n'est  pas  puis- 
sante en  elle-même  est  morte  ,  comme  le  bois  coupé  de 
l'arbre  est  sec  et  mort ,  parce  qu'il  n'a  pas  de  sève  ,  de  ver- 
dure; l'Esprit-Saint  est  force  et  vie,  et  l'éternité  ne  serait 
pas  éternité  sans  le  Saint-Esprit,  et  l'égalité  ne  serait  pas  non 
plus  égalité  sans  lui  ,  et  le  Saint-Esprit  est  dans  les  deux  ,  le 
Père  et  le  Fils ,  et  un  en  divinité  ;  ils  ne  sont  qu'un  Dieu.  Le 
raisonnement  réunit  aussi  trois  facultés  :  le  son  ,  la  parole  , 
le  souffle;  le  Fils  est  dans  le  Père ,  comme  la  parole  dans  le 
son  de  la  voix,  et  le  Saint-Esprit  est  dans  l'un  et  dans  l'autre, 
comme  le  souffle  dans  le  son  et  la  parole  ;  et  ces  trois  person- 
nes ,  comme  nous  l'avons  dit ,  ne  sont  qu'un  seul  et  même 
Dieu;  dans  le  Père  est  l'éternité,  parce  que  nul  n'était  avant 
lui,  et  que  l'éternité  n'a  pas  eu  de  commencement  comme 
ses  œuvres  qui  en  ont  eu  ;  dans  le  Fils  est  l'égalité  ,  puisque 
le  Fils  n'est  jamais  sorti  du  Père  ,  et  que  le  Père  n'a  jamais 
été  sans  Fils  ;  mais  dans  le  Saint-Esprit  est  l'union  de  l'un  et 
de  l'autre  ,  parce  que  le  Fils  a  toujours  été  dans  le  Père  et  le 
Père  avec  le  Fils  ,  et  que  le  Saint-Esprit  est  en  tous  les  deux 
la  flamme  et  la  vie  ,  qui  n'en  fait  qu'un  ,  et  il  est  écrit  que  le 
Saint-Esprit  a  rempli  la  terre  entière  (  Sap.  1  );  c'est-à-dire 


58  ESPRIT 

que  toutes  les  créatures  qui  se  voient  et  celles  qui  ne  se  voient 
pas ,  ont  leur  vie  et  leur  souffle ,  que  l'homme  ne  connaît  pas, 
car  de  la  verdure  viennent  les  fleurs,  et  des  fleurs  naissent 
les  fruits  ;  les  nuées  elles-mêmes  ont  leur  course  ,  la  lune  et 
les  étoiles  brillent  par  le  feu ,  &c,  &c  ,  car  toutes  les  créatu- 
res ont  des  propriétés  qui  se  voient ,  et  d'autres  qui  ne  se 
voient  pas.  Ce  qui  se  voit  est  faible  ,  et  ce  qui  ne  se  voit  pas 
est  fort  et  vivace  ;  c'est  ce  que  s'efforce  de  trouver  l'intelli- 
gence humaine,  parce  qu'elle  ne  le  voit  pas,  et  ce  sont  là  les 
puissantes  opérations  du  Saint-Esprit  (Sap.  1  ). 

Et  ce  qui  contient  toutes  choses,  comme  dit  l'Écriture, 
qu'est-ce  ?  C'est  l'homme  qui  contient  tout  en  lui  :  comment 
cela?  en  dominant  ,  en  usant,  en  commandant;  Dieu  lui  a 
donné  tout  cela  comme  pour  le  représenter  ;  il  a  la  science 
de  la  parole,  c'est-à-dire  le  raisonnement  qui  se  communique 
par  la  voix  :  la  voix  ou  la  parole  c'est  le  corps  ,  le  raisonne- 
ment c'est  l'âme  ,  la  chaleur  c'est  l'air  et  le  feu  ,  et  ce  n'est 
qu'une  seule  chose  ,  un  même  homme.  C'est  pourquoi , 
comme  le  raisonnement  dicte  et  crée  ce  que  la  parole  fait  en- 
tendre ,  il  fait  tout  ce  qu'il  veut ,  et  il  a  en  quelque  sorte  le 
pouvoir  de  créer ,  puisque  ce  qu'il  commande  se  fait  ;  donc 
aucun  des  ouvrages  de  Dieu  n'est  vide  ni  inutile.  Or,  si  quel- 
qu'un avait  un  vase  plein  d'argent ,  il  en  ressentirait  une 
grande  joie  ,  et  s'il  n'y  avait  rien  dedans  ,  au  contraire  ,  il  le 
tiendrait  pour  peu  de  chose  ;  le  vide  est  dans  les  œuvres 
mauvaises  ,  et  l'on  fuit ,  en  les  faisant ,  la  lumière  du  Saint- 
Esprit  ;  mais  lorsque  l'homme  vient  à  supputer  ces  œuvres 
mauvaises  ,  il  connaît  qu'elles  ne  sont  d'aucune  valeur  ,  et 
revenant  cependant  en  lui-même,  il  ressemble  alors  au  fils 
prodigue  ,  qui ,  après  une  longue  misère  ,  se  ressouvenant 
de  l'abondance  de  la  maison  paternelle  ,  s'écrie  :  Mon  Père,  , 
j'ai  péché  contre  le  ciel  cl  en  votre  présence  (  Luc  15)  :  contre 
le  ciel ,  parce  que  je  suis  céleste  par  le  raisonnement  ou 
l'âme  ;  devant  vous  ,  parce  que  je  sais  que  vous  êtes  Dieu  et 
en  tout  lieu  ;  alors  il  renonce  au  démon  et  il  choisit  de  nou- 


DE  SAINTE  HILDEGARDE.  59 

veau  le  service  du  Seigneur ,  et  tous  les  vices  suggérés  par  le 
démon  sont  reconnus  mauvais  ,  et  toutes  les  harmonies  céles- 
tes se  révèlent  admirablement ,  et  ce  qui  paraissait  vil ,  pa- 
raît digne  de  recherche  et  d'affection ,  et  ce  sont  là  encore  les 
œuvres  du  Saint-Esprit.  » 

De  sa  Leltre  à  Adam  ,  abbé  d'Ebre. 

«  C'est  la  charité  qui  a  créé  l'homme,  et  c'est  l'humilité 
qui  l'a  racheté. 

L'Espérance  est  comme  l'œil  de  la  charité,  l'amour  céleste 
est  comme  son  cœur,  et  l'abstinence  comme  leur  liaison. 

La  Foi  est  comme  l'œil  de  l'humilité ,  l'obéissance  en  est 
comme  le  cœur  ,  et  la  fuite  du  mal  en  est  comme  le  lien. 

La  charité  était  dans  l'éternité  ,  elle  produisit  au  com- 
mencement la  sainteté  sans  mélange  de  mal ,  et  comme  tous 
les  hommes  sont  venus  d'Adam  et  d'Eve,  toutes  les  vertus 
viennent  aussi  de  la  charité  et  de  l'humilité.  » 

De  sa  Réponse  à  l'abbé  de  Sainl-Marlin  de  Cologne. 

Elle  dit  :  «  Le  maître  qui  veut  bien  former  ses  disciples  , 
doit  passer  comme  au  crible,  avec  une  douceur  maternelle, 
les  paroles  de  sa  doctrine  ,  afin  que  les  disciples  réjouis  ou- 
vrent leur  bouche  et  la  goûtent  et  la  savourent  avec  plaisir  ;  car 
le  moulin  broie  le  grain  et  il  le  divise  en  plusieurs  parties 
imperceptibles,  c'est  ainsi  qu'ont  fait  les  premiers  ouvriers 
dans  l'Eglise,  ils  ont  pris  les  préceptes  du  Seigneur  dans  la  loi 
ancienne  et  dans  la  nouvelle  :  l'ancienne  présentait  au  monde 
Jésus-Christ  comme  devant  naître  d'aprèsles  prophéties,  mais 
ensuite  Jésus-Christ  lui-même  est  venu  qui  a  répandu  en  prê- 
chant sa  parole  sur  toute  la  terre  ;  la  loi  ancienne  est  le  moulin 
qui  dans  la  personne  de  Jésus-Christ  a  présenté  le  grain  delà 
vérité,  et  la  pure  farine  qui  est  séparée  de  tout  son  grossier  , 
c'est  la  virginité  qui  est  dans  l'église  de  Dieu,  le  fondement  de 


60  ESPRIT 

toute  vie  spirituelle,  et  cette  vertu  enfante  ensuite  l'obéissance, 
ce  qui  fait  que  les  fidèles  obéissants  sont, comme  le  baiser  de 
la  bouebe  du  Christ.  Que  le  maître  ait  donc  en  particulière 
affection  les  disciples  obéissants,  et  qu'il  ne  les  reprenne  pas 
avec  les  paroles  offensantes  de  la  colère,  car  ils  sont  le  bai- 
ser de  Dieu  et  ils  doivent  être  nourris  du  pain  de  la  pure 
farine. 

Celui  qui  dit  dans  son  cœur  qu'il  n'y  a  point  de  Dieu  , 
nie  non-seulement  le  ciel  et  la  terre ,  et  tout  ce  qui  y  vit , 
puisque  tout  cela  est  en  Dieu  ,  de  Dieu  et  avec  Dieu ,  mais 
encore  il  se  nie  lui-même.  Or,  n'est-ce  pas  la  plus  grande 
folie  que  l'homme  qui  se  voit,  se  connaît  et  se  sent,  soit 
dans  le  doute  s'il  existe  ?  Mais  existe-t-il  un  seul  petit  grain 
de  poussière  sans  Dieu  ? 

Dans  le  jour,  regardez  le  soleil  avec  des  yeux  de  foi ,  pour 
devenir  fidèle  au  service  de  Dieu  ;  et  dans  la  nuit  considérez 
la  lune ,  pour  éviter  les  vices  qui  veulent  vous  corrompre.  » 

De  sa  Réponse  à  une  Abbcsse. 

«  Le  premier  séducteur  emploie  sept  sortes  de  plaies  pour 
ruiner  les  âmes  ;  la  première ,  c'est  la  vaine  gloire  qui  ras- 
semble en  elle  ce  qu'elle  n'a  ni  semé,  ni  moissonné  ,  et  qui 
s'attribue  ce  que  Dieu  lui  a  donné. 

La  seconde ,  c'est  la  connaissance  qu'a  l'homme  de  pouvoir 
pécher  ou  de  son  libre  arbitre  qui  le  porte  à  se  faire  comme 
un  trésor  de  jouissances  charnelles  et  à  les  embrasser  avec 
goût  et  plaisir  sans  se  rien  refuser. 

La  troisième  prépare  sa  ruine  avec  de  grandes  douleurs  , 
par  les  mœurs  dissolues ,  de  telle  sorte  que  l'homme  vit 
comme  si  Dieu  était  mort ,  et  comme  espérant  que  Dieu  ne 
sait  pas  ses  crimes. 

Mais  la  quatrième ,  c'est  la  tromperie  ,  par  laquelle  l'homme 
s'excuse  et  se  défend  des  péchés  dont  nous  venons  de  par- 
ler ;  ce  qui  fait  qu'ils  ne  lui  paraissent  pas  si  dangereux  et 


DE  SAINTE  HILDEGARDE.  01 

qu'il  devient  ainsi  odieux  à  tous  les  hommes  parce  qu'il  ne 
se  confie  àaucun. 

La  cinquième ,  c'est  l'orgueil  qui  dit  que  l'homme  ,  à  cause 
de  la  faiblesse  naturelle  de  sa  chair ,  ne  peut  pas  s'abstenir 
de  ces  péchés,  et  qu'il  serait  par  conséquent  déraisonnable  de 
vouloir  qu'il  en  rejetât  les  désirs  ,  et  celte  loi  l'orgueil  la 
porte  dans  sa  témérité,  pour  ne  point  avoir  de  crainte  de  la 
justice  de  Dieu. 

La  sixième  plaie  est  que  l'homme  ne  cherche  et  ne  demande 
qu'à  la  créature  ce  qui  lui  est  nécessaire ,  et  voit  tout  en  elle , 
de  sorte  que  le  Créateur  n'est  compté  pour  rien  ;  il  ferme 
l'œil  sur  lui,  il  ne  lui  demande  rien  ,  comme  s'il  était  impuis- 
sant à  venir  à  son  secours. 

Enfin  ,  la  septième  plaie ,  c'est  la  servitude  de  l'idolâtrie 
qui  fait  adorer  le  démon  et  mépriser  Dieu  ,  et  cette  septième 
plaie  a  comme  une  milice  qui  lui  est  soumise  pour  vaincre 
l'homme  de  mille  manières,  et  celte  milice  est  plus  nom- 
breuse que  les  rameaux  des  arbres...  De  là  je  conclus,  ô 
ma  fille  ,  fille  de  Dieu  ,  qu'il  faut  vous  environner  de  la  puis- 
sante armure  des  sept  dons  du  Saint-Esprit ,  avec  lesquels 
vous  puissiez  soumettre  ces  sept  vices  ,  afin  de  ne  pas  tomber 
couverte  de  leurs  blessures ,  mais  de  sortir  du  combat,  comme 
un  soldat  intrépide  ,  chargé  des  lauriers  de  la  victoire  ,  pour 
vivre  éternellement.  » 

Dans  la  lettre  suivante ,  sainte  Hildegarde  répond  à  un  prêtre  qui  lui 
avait  écrit  touchant  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ ,  et  qui  lui 
demandait  comment  elle  voyait ,  dans  sa  lumière  surnaturelle  ,  les 
prêtres  soit  dignes  soit  indigues,  qui  approchaient  de  l'autel. 

Hildegarde  parle  ainsi  du  corps  et  du  sang  de  Jésus- 
Christ  : 

«  Voici  ce  que  j'ai  vu  et  les  paroles  que  j'ai  entendues ,  tou- 
chant le  sacrement  du  corps  et  du  sang  du  Seigneur ,  dans 
une  vision  véritable  ,  où  mes  yeux  étaient  ouverts  :  Dieu  a 


0:2  esprit 

demeuré  ce  qu'il  a  toujours  été  ;  il  a  pris  ,  selon  sa  volonté  , 
la  nature  qu'il  n'avait  pas  auparavant  :  c'est-cà-dire  que  la 
divinité  a  toujours  été  ce  qu'elle  était  avant  le  temps ,  comme 
une  roue  qui  n'est  point  partagée.  Mais  l'incarnation  du  Fils 
qui  était  prévue  et  arrêtée  avant  le  temps ,  et  cachée  dans 
le  cœur  de  Dieu  le  Père ,  n'était  pas  encore  en  chair  et  en 
sang.  Aussitôt  que  le  temps  arrêté  dans  les  conseils  de  Dieu 
fut  venu  ,  le  Fils  se  revêtit  de  la  chair  humaine ,  et  par  sa 
vertu  toute-puissante  s'en  montra  environné,  selon  qu'il  est 
écrit  dans  le  Psaume  92me  :  Le  Seigneur  s'est  revêtu  de  sa 
force  toute-puissante ,  et  il  s'est  montré  tout  armé.  El  l'Ange 
vint  annoncer  à  l'auguste  Vierge  cette  assomption  de  la 
nature  humaine  dans  son  sein,  parce  qu'il  trouva  en  elle  une 
profonde  humilité  ,  et  que  Dieu  avait  décidé  que  puisqu'elle 
se  nommait  une  servante  indigne ,  l'Ange  devait  lui  annoncer 
que  l'Esprit-Saint  descendrait  en  elle  ,  et  qu'elle  serait  cou- 
verte de  l'ombre  toute  fécondante  du  Très-haut.  Car  le  Saint- 
Esprit  la  visita  d'une  manière  si  excellente  qu'elle  surpasse 
toute  intelligence  humaine;  ce  qui  veut  dire  qu'il  se  commu- 
niqua à  elle  d'une  manière  telle  que  jamais  autre  femme  ne 
l'a  reçu  pour  concevoir,  et  la  puissance  de  Dieu  la  couvrit 
de  son  ombre ,  parce  que  dans  son  ardent  amour  pour 
l'homme,  il  la  favorisa  de  telle  sorte,  que  par  cette  ombre 
très-douce ,  il  enlevait  entièrement  toutes  les  ardeurs  ter- 
restres,  semblable  ta  l'homme  qui  cherche  la  fraîcheur  de 
l'ombre  à  cause  de  la  chaleur  du  soleil.  Ainsi  la  même  puis- 
sance du  Très-haut  agissant  par  sa  vertu  d'échauffer,  opère 
sur  l'autel ,  à  la  parole  du  prêtre,  ce  qu'il  opéra  dans  le  sein 
de  Marie  ,  changeant  l'oblation  du  pain  et  du  vin  en  son 
corps  et  en  son  sang.  De  sorte  que  la  naissance,  la  passion, 
la  sépulture ,  la  résurrection  et  l'ascension  du  fils  du  Père 
Eternel,  apparaissent  dans  le  même  sacrement,  comme  le 
rond  d'une  pièce  de  monnaie  présente  son  maître.  Et  cela 
se  fait  ainsi ,  afin  que  les  blessures  des  hommes  qui  sont  tous 
pécheurs,  parce  qu'ils  sont  enveloppés  dans  la  prévarication 


DE  SAINTE  HILDEGARDE.  C3 

d'Adam  ,  soient  guéries  ,  purifiées  et  consacrées  par  les  bles- 
sures et  le  sang  du  Christ,  et  que  par  là  ils  deviennent  ses 
membres  ,  et  cela  doit  être  ainsi  jusqu'au  dernier  des  jours. 
■ —  Mais  j'ai  vu  encore  ceci;  c'est  que  quand  même  le  prêtre 
manquerait  de  la  dignité  et  sainteté  requises  ,  à  cause  de  la 
corruption  de  ses  péchés  et  des  plaies  qu'ils  lui  ont  faites,  Dieu 
opère  toujours  par  ses  mains  les  effets  miraculeux  sur  son 
oblation  ,  et  tous  ceux  qui  reçoivent  de  lui ,  avec  piété  ,  le 
divin  sacrement ,  sont  illuminés  comme  par  le  rayon  du  so- 
leil. Si  au  contraire  le  ministre  sacré  est  juste  aux  yeux  de  Dieu 
par  sa  foi  et  par  ses  œuvres,  son  âme  éclate  en  lumière  au-des- 
sus des  rayons  resplendissants  de  l'astre  des  cieux.  Mais  tous 
ceux  qui ,  par  leurs  suggestions  insidieuses  de  l'antique  ser- 
pent ,  commettent  quelque  dissimulation  ou  suivent  quelque 
erreur  sur  cette  très-sainte  oblation ,  sont  semblables  aux 
anges  de  ténèbres  et  de  perdition  ,  qui,  voulant  être  sembla- 
bles à  Dieu ,  refusèrent  de  lui  rendre  l'honneur  qui  est  dû  au 
Dieu  unique;  car  ces  hommes  aussi  veulent ,  eux  ,  par  l'effet 
de  leur  propre  volonté ,  faire  de  même  dans  ce  sacrement. 
C'est  pourquoi  ils  périssent  comme  eux,  à  moins  que,  par  la 
confession  de  leurs  péchés ,  leur  repentir  et  leurs  larmes , 
ils  n'aient  recours  à  Dieu  et  poussent  cette  plainte  :  Pardon  ! 
pardon  !  miséricorde  ,  Seigneur  ,  parce  que  nous  avons  pé- 
ché !  Alors  Dieu  le  Père  les  reçoit  en  grâce  parce  qu'ils  ont 
percé  son  Fils  par  ignorance;  les  Saducéens  qui  errent  en 
toutes  choses ,  en  niant  ce  sacrement  et  la  résurrection  à  la 
vie,  errent  ici  d'une  manière  plus  funeste  encore  et  plus  ridi- 
cule ;  ainsi  que  se  tromperait  étrangement  celui  qui  dirait 
que  l'homme  est  une  chair  sans  esprit,  ou  un  esprit  sans 
chair,  ce  qui  ne  peut  être  en  aucune  manière.  C'est  pourquoi 
cette  erreur  est  pire  que  toutes  les  autres;  car,  comment 
Dieu  ne  peut-il  pas  produire  d'une  seule  parole  une  chélive 
créature,  lorsque  l'homme  qui  embrasse,  lui,  toutes  les 
créatures ,  peut  les  définir  et  les  nommer  par  une  seule  pa- 
role. —  L'hiver  est  sec  ,  mais  l'été  est  couvert  de  fleurs.  Ce- 


64  ESPRIT 

pendant  c'est  l'hiver  qui  conserve  à  l'été  sa  faculté  d'être 
verdoyant ,  en  attendant  qu'il  pousse  ensuite  ses  fleurs  et  ses 
fruits  en  abondance  :  or ,  il  en  est  de  même  du  corps  et  de 
l'âme.  Le  corps  dépérit  et  tombe  ,  mais  l'âme ,  en  quelque 
lieu  qu'elle  soit ,  est  conservée  dans  une.  vie  immuable  ,  éter- 
nelle. »  (On  voit  par  cet  article  l'antique  foi  en  la  présence 
réelle  de  Jésus-Christ  dans  la  divine  Eucharistie.  ) 

Dans  sa  lettre  aux  supérieurs  ecclésiastiques  de  Mayence  , 
elle  parle  encore  ainsi  sur  ce  sujet  : 

«  Pendant  qu'ils  étaient  à  dîner ,  Jésus  prit  du  pain,  le  bé- 
nit ,  le  rompit  et  le  donna  à  ses  Disciples,  leur  disant  :  Pre- 
nez et  mangez ,  ceci  est  mon  corps.  Il  bénit  le  pain  de  cette 
bénédiction  qui  sortait  du  sein  de  son  Père  comme  lui-même 
en  était  sorti;  et  en  disant,  dans  l'Évangile,  qu'il  rompit  le 
pain,  il  signifiait  que  son  corps  qui  devait  être  rompu  et  brisé 
par  la  plantation  des  clous  dans  sa  chair,  et  tourmenté  cruel- 
lement sur  la  croix;  devait  être  ensuite  changé.  Car  ,  comme 
le  grain  de  froment  broyé  par  le  moulin  ,  détrempé  par  l'eau 
et  présenté  au  feu  du  four  devient  du  pain ,  de  même  son 
corps  broyé  par  beaucoup  d'afflictions ,  est ,  par  les  tortures 
de  la  croix  ,  et  par  la  résurrection ,  rendu  ferme  pour  l'im- 
mortalité et  changé  pour  les  fidèles  en  un  pain  de  vie.  Ce- 
pendant ,  comme  il  n'a  pas  été  conçu  dans  le  sein  de  la 
Vierge  par  un  père  charnel,  mais  par  le  Saint-Esprit ,  son 
corps  n'a  pas  pu  ni  n'a  pas  dû  être  réduit  en  cendres  et  répandu, 
mais  servir  d'aliment  de  salut  pour  soutenir  l'âme  et  le  corps 
de  tout  homme  ,  comme  le  pain  ordinaire  soutient  le  cœur 
de  l'homme.  Or,  Marie  était  cette  terre  bénie,  sur  laquelle 
la  divinité  a  jeté  ce  fromeut  de  sainteté  ,  c'est-à-dire  Dieu  le 
Fils  ,  du  corps  duquel  tout  fidèle  doit  se  nourrir  et  vivre  ,  de 
même  que  les  hommes  vivent  dans  leur  repas  du  pain  formé 
des  grains  de  froment  ;  mais  le  corps  qu'il  a  donné  ainsi  à  ses 
dis*  iples  était  impassible ,  sa  puissance  divine  le  voulant 
ainsi  pour  leur  salut ,  et  parce  que  les  joies  du  salut  éternel 
sont  exemptes  du  sentiment  de  toute  douleur  ;  et  cela  lui  a 


DE  SAINTE  IIILDEGARDE.  65 

été  possible,  parce  que,  en  tant  qu'homme,  il  est  dans  une  na- 
ture étrangère,  et  qu'en  tant  que  Dieu,  il  a  béni  ce  même  pain. 
Ainsi  en  rompant  le  pain  il  a  voulu  leur  faire  connaître  qu'il 
désirait  que  le  même  corps  passible  qu'il  avait  donné  pour  la 
rédemption  du  genre  humain  ,  pût  être  livré  à  la  mort;  mais 
que  cette  mort  personne  ne  pouvait  la  lui  donner  ,  si  lui  ne  le 
voulait  pas.  Et  prenant  le  calice,  il  rendit  grâces  à  Dieu  de  ce 
que  par  l'effusion  de  son  sang  il  allait  guérir  les  hommes  des 
peines  du  péché.  Et  il  leur  donna  le  sang  du  nouveau  Testa- 
ment, parce  qu'il  accomplissait  le  salut ,  qui  n'avait  pu  être 
trouvé  de  celte  manière  dans  l'ancien.  Quant  à  ce  qu'il  dit 
qu'il  ne  pourrait  plus  boire  de  la  liqueur  de  celte  vigne  ,  jus- 
qu'à ce  qu'il  en  bût  de  nouveau  dans  le  royaume  de  son  Père, 
il  faut  l'entendre  de  la  même  manière  que  s'il  disait  :  jusqu'à 
ce  qu'il  reçût  avec  joie  leurs  âmes  et  les  autres  âmes  saintes  ra- 
chetées par  son  sang,  dans  le  royaume  de  sonPère.  Jésus-Christ 
donna  à  ses  disciples  ,  avant  sa  passion  ,  son  corps  passible  , 
pour  leur  servir  de  nourriture  de  vie  ,  et  pour  sanctifier  leur 
âme  et  leur  corps.  Mais  par  l'effusion  de  son  sang  répandu  sur 
la  croix,  il  a  renouvelé  et  réjoui  l'âme  ,  comme  le  vin  réjouit 
lui-même  le  cœur  de  l'homme.  Le  Christ ,  le  Sauveur  a  donc 
été  par  sa  toute-puissance  impassible  dans  la  nature  divine , 
et  mu  ensuite  par  des  sentiments  de  miséricorde  envers 
l'homme,  il  a  voulu  être  passible,  car  si  comme  impassible 
il  n'avait  pu  mourir ,  l'homme  n'aurait  pas  été  racheté  ;  et 
ainsi ,  sans  porter  aucun  fruit  de  réconciliation  pour  l'homme, 
le  Dieu  homme  serait  demeuré  seul  sans  accomplir  son  œu- 
vre,  comme  il  est  dit  :  Que  si  le  grain  de  froment  jeté  dut.; 
la  terre  ne  meurt  pas,  il  demeure  seul  sans  fructifier; 
que. s'il  meurt,  au  contraire,  il  porte  beaucoup  de  fruit 
(Jean  12-24).  L'homme  donc  ayant  été  voué  à  la  mort  par 
un  juste  jugement  de  Dieu ,  n'a  pas  dû  être  racheté  par  puis- 
sance, mais  par  justice.  C'est  pourquoi  le  Fils  de  Dieu  a  été 
livré  à  la  mort ,  afin  que ,  par  la  satisfaction  de  l'innocent , 
la  justice  fût  rendue  au  coupable.  » 

T.  v.  5 


GO  ESPRIT 

Voici  les  trente-huit  solutions  qu'elle  a  données  à  autant 
de  questions  que  lui  adressa  un  moine  nommé  Wibert ,  au 
nom  des  religieux  du  monastère  qu'il  occupait. 

C'est  à  cause  des  lumières  surnaturelles  que  possédait  no- 
tre Sainte  et  que  tous  admiraient  en  elle  ,  que  ces  questions 
lui  ont  été  proposées.  Elles  ne  pourront  qu'intéresser  nos 
lecteurs  en  leur  faisant  découvrir  le  sceau  visible  de  l'inspi- 
ration divine. 

Question  première. 

Comment  doit-on  entendre  ce  passage  de  l'Ecriture  :  Celui  qui  vit  dans 
l'éternité  a  créé  en  même  temps  toutes  choses  ,  tandis  qu'il  est  écrit 
aussi ,  que  Dieu  a  produit  ses  œuvres  en  six  jours  ?  (  Eccl.  18 , 
Gen.  1.) 

Solution. 

Le  Dieu  tout-puissant,  qui  est  la  vie  sans  commencement 
et  sans  fin  ,  et  qui  a  possédé  de  toute  éternité  toutes  choses 
dans  sa  science  infinie,  a  créé  en  même  temps  la  matière  de 
tous  les  corps  célestes  et  terrestres ,  savoir ,  le  ciel ,  qui  était 
une  matière  brillante  ,  et  la  terre  qui  était  une  matière  trou- 
ble et  obscure.  Mais  la  matière  luisante  rayonnait  comme  une 
lumière  épaisse  venant  d'une  clarté  qui  est  l'éternité  ,  et  elle 
luisait  aussi  sur  la  matière  obscure,  de  sorte  qu'elle  lui  était 
unie  :  et  ces  deux  malières  furent  créées  ensemble  et  appa- 
rurent comme  un  seul  cercle. 

Or,  au  premier  fiât,  à  la  première  parole,  du  sein  de  la 
matière  luisante  s'élancèrent  les  anges  avec  leur  habitation. 
Et  parce  que  Dieu  qui  créa  le  monde,  est  Dieu  et  homme  ,  il 
créa  les  anges  pour  contempler  la  face  de  son  Père ,  et 
l'homme,  dont  il  devait  revêtir  la  nature,  il  le  forma  à  son 
image  et  à  sa  ressemblance.  Ainsi,  au  commandement  du 


DE  SAINTE  IIILDEGARDE.  67 

Dieu  tout-puissant,  lorsqu'il  dit,  fiât ,  que  cela  soit,  du 
sein  de  la  matière  obscure  apparurent  toutes  les  créatures  , 
chacune  selon  son  espèce.  Or,  six  jours  sont  six  ouvrages, 
parce  que  le  commencement  et  le  complément  de  chaque 
œuvre  est  appelé  un  jour  (1).  Après  la  création  ,  même  de  la 
matière  première ,  il  n'y  eut  aucun  intervalle,  mais  en  même 
temps ,  comme  en  un  clin  d'œil ,  l'esprit  de  Dieu  planait  sur 
les  eaux,  et  il  n'y  eut  non  plus  après  aucun  intervalle  ,  mais 
Dieu  dit  en  même  temps  :  Que  la  lumière  brille ,  fiât  lux ,  et 
la  lumière  brilla. 

Question  II. 

Que  veulent/dire  ces  paroles  de  la  Genèse  :  Dieu  divisa  les  eaux  qui 
étaient  sous  le  firmament  de  celles  qui  étaient  sur  le  firmament  ? 
(  Gen.  1.)  Est-ce  qu'on  doit  croire  qu'il  y  ait  des  eaux  matérielles 
sur  le  firmament  ? 

Solution. 

Dieu  sépara  les  eaux  qui  étaient  au-dessus  du  firmament 
de  celles  qui  étaient  au-dessous,  afin  que,  comme  les  eaux 
inférieures  sont  nécessaires  aux  constitutions  terrestres  ,  de 
même  les  eaux  supérieures  fussent  utiles  aux  constitutions 
célestes;  dans  les  eaux  supérieures,  en  effet,  il  n'est  rien 
qui  croisse  ou  diminue  comme  dans  les  eaux  inférieures  de 
ce  monde,  dans  lesquelles  tout  ce  qui  vit,  croît  ou  diminue 
de  la  manière  que  l'homme  croit  et  décroît  aussi.  Mais  ces 
eaux  supérieures  se  conservent  dans  le  premier  état  où  Dieu 
les  a  formées,  et  elles  coulent  dans  le  cercle  qui  leur  est  fixé, 
et  elles  sont  matérielles  ,  non  cependant  comme  les  inférieu- 
res ,  parce  qu'elles  sont  beaucoup  plus  subtiles  et  tout  à  fait 


(l)  On  voit  par  là  que  les  dissertations  qui  ont  été  faites  pour  prouver  que 
les  six  jours  de  la  création  sont  six  époques  ou  périodes,  ne  sont  point  tout- 
à-fait  marquées  du  sceau  de  la  nouveauté.  (Voyez  Annales  de  phU.  chrét., 
tom.  II ,  pag.  27D;  tom.  IV,  pag.  347.) 


08  ESPRIT 

invisibles  à  nos  yeux  et  que  c'est  par  leur  humidité  et  la  cha- 
leur du  feu  qui  y  règne ,  qu'elles  se  conservent  solides  au- 
dessus  du  firmament,  comme  le  corps  subsiste  par  l'âme  qui 
empêche  sa  dissolution.  Quant  aux  eaux  inférieures ,  celles 
qui  sont  les  plus  grossières  sous  le  firmament,  elles  sont  le 
miroir  des  luminaires  du  ciel ,  savoir  :  du  soleil ,  de  la  lune 
et  des  étoiles  ;  elles  contiennent  un  nombre  infini  d'animaux 
de  toutes  les  espèces  qui  naissent  et  vivent  dans  leur  sein  ; 
c'est  pourquoi  la  destination  des  eaux  supérieures  et  des  infé- 
rieures sont  en  tout  point  dissemblables. 

Question  III. 

Avant  que  le  premier  homme  péchât,  voyait-il  Dieu  des  yeux  du  corps? 
Ou  nous-mêmes  devons-nous  le  voir  de  nos  yeux  corporels  lorsque  , 
selon  que  le  dit  le  grand  Apôtre ,  nous  aurons  reçu ,  dans  la  résur- 
rection future ,  des  corps  spirituels  ?  (1  Cor.  15.  ) 

Solution. 

Lors  de  la  résurrection ,  quand  l'homme  aura  reçu  un  corps 
spirituel,  et  quand  ce  corps  aura  été  inséparablement  uni  à 
l'âme,  il  contemplera  sans  fin  ,  avec  les  Anges  ,  la  face  res- 
plendissante du  Dieu  trois  fois  saint-,  car  Adam  ,  quoique 
sorti  des  mains  de  Dieu  ,  avec  tant  de  sagesse  et  de  perfection 
qu'il  a  surpassé  tous  les  hommes  en  sagesse  et  en  science , 
n'a  jamais  vu  cependant  Dieu  dans  sa  divinité  ,  tel  qu'il  est, 
mais  il  a  vu  seulement  des  yeux  extérieurs  une  certaine  lu- 
mière jaillissante  de  son  visage  ,  par  laquelle  il  a  connu  que 
c'était  là  véritablement  Dieu.  Et  c'est  parce  qu'avant  le  péché, 
il  a  pu  voir  cette  clarté  divine  ,  ses  yeux  étant  alors  tout  spi- 
rituels à  cause  de  son  innocence,  qu'après  le  péché  il  n'a  pu 
le  faire ,  parce  qu'il  a  perdu  dans  le  paradis  cette  vision  su- 
blime de  suite  après  sa  désobéissance  ,  alors  que  ses  yeux  , 
par  la  prévarication  contre  le  précepte  de  Dieu  qu'il  avait 
connu  auparavant ,  s'ouvrirent  aux  désirs  charnels. 


DE  SAINTE  HILDEGARDE.  69 

Question   IV. 

De  quel  genre  de  langage  Dieu  se  servit-il  en  parlant  au  premier  homme, 
et  sous  quelle  forme  lui  apparut-il  lorsqu'il  lui  donna  son  comman- 
dement ?  et  sous  quelle  apparence  extérieure  était-il  aussi  quand  il 
se  promenait  dans  le  paradis  terrestre?  (Gen.  2.) 

Solution. 

Le  Seigneur  tout-puissant  ,  en  parlant  à  Adam',  employa 
des  termes  angéliques  que  celui-ci  connut  et  comprit  par- 
faitement. Car ,  en  vertu  de  la  sagesse  très-étendue  qu'il 
avait  reçue  de  Dieu  et  par  l'esprit  de  prophétie  qu'il 
avait ,  il  posséda  alors  dans  sa  science  toutes  les  langues  et 
tous  les  idiomes  que  les  hommes  devaient  inventer  dans  la 
suite;  de  même  qu'il  connut  pleinement  les  naturels  de  toutes 
les  créatures.  Le  Seigneur  lui  apparut  alors  avec  une  ineffable 
splendeur,  mais  qui  n'avait  aucune  forme  de  créature ,  et 
après  le  péché  ,  quand  il  lui  apparut  de  nouveau  se  prome- 
nant dans  le  paradis  ,  il  était  comme  dans  la  flamme  du  feu. 

Question  V. 

Que  voulait  dire  Dieu  par  ces  paroles  :  Voilà  qu'Adam  est  devenu 
comme  un  de  nous,  sachant  le  bien  et  le  mal?  (Gen.  3.) 

Solution. 

Le  voici  :  il  voulait  dire  :  Adam  ,  par  la  science  du  bien 
et  du  mal ,  a  obtenu  quelque  chose  qui  lui  est  commun  avec 
nous  ;  mais  ayant  la  science  du  bien  il  a  abandonné  le  bien, 
et  connaissant  le  mal ,  il  l'a  choisi  lorsqu'il  a  préféré  goûter 
du  fruit  défendu  ;  et  ensuite  Adam  s'est  éloigné  de  nous  , 
parce  qu'il  a  méprisé,  par  le  conseil  du  serpent ,  le  bien  qu'il 
avait  connu  auparavant  par  expérience  ,  et  il  a  commis ,  par 
son  consentement  au  goût  de  la  délectation,  le  mal  qu'il  n'avait 


70  ESPRIT 

pas  expérimenté.  Et  il  fut  dit  encore  :  «  Prenez  garde  qu'il 
ne  vienne  à  manger  du  fruit  de  l'arbre  de  vie  et  qu'il  ne  vive 
éternellement.  »  Et  cela  Dieu  le  dit ,  parce  qu'il  était  poussé 
par  les  sentiments  d'une  grande  miséricorde  envers  son  ou- 
vrage ,  c'est-a-dire  l'homme ,  qui  avait  péché  ,  et  de  peur  que 
déchu  de  la  sorte  de  ses  titres  à  la  gloire  ,  il  ne  vécût  miséra- 
blement pendant  toute  l'éternité,  et  de  cette  manière  il  voulait 
l'attirer  miséricordieusement  à  lui ,  comme  un  père  tendre 
qui  retient  un  fils  qui  veut  s'éloigner  de  sa  présence.  Car  Dieu 
aimait  beaucoup  l'homme  dont  il  avait  prévu  que  son  Verbe 
prendrait  la  nature;  puisqu'il  avait  aussi  formé  toutes  les 
créatures  pour  le  servir ,  et  qu'il  envoyait  son  Fils  à  sa  place 
pour  le  rétablir  dans  cette  gloire  d'où  il  s'était  précipité 
comme  un  cadavre  dans  la  mort. 

Question  VI. 

Quels  sont  les  yeux  qui  furent  ouverts  à  nos  premiers  parents  ,  puis- 
qu'avant  le  péché  ils  voyaient  de  tous  les  deux  '?  Et  d'où  vient  qu'il  est 
dit  :  La  femme  vit  le  fruit  de  l'arbre  ,  etc.?  (Gen.  3.) 

Solution. 

Nos  premiers  parents,  avant  le  péché  originel  (à  cause  que 
l'âme  par  son  innocence  dominait  sur  le  corps)  ,  avaient  des 
yeux  spirituels  ;  mais  ayant  été  privés  ,  après  le  péché  ,  de 
cette  vue  spirituelle  de  leurs  yeux  ,  et  étant  devenus  mortels 
par  l'effet  du  péché  ,  les  yeux  charnels  s'ouvrirent ,  de  telle 
sorte  que  par  la  science  du  mal  ,  voyant  et  connaissant  les 
œuvres  du  péché ,  ils  le  commettaient  à  la  suggestion  du  dé- 
mon ,  en  agissant  selon  les  désirs  de  la  chair;  de  même  aussi, 
ils  mirent  tellement  en  oubli  toute  la  gloire  dont  ils  jouis- 
saient auparavant  ,  qu'ils  s'en  rappelaient  à  peine  ;  tel  qu'un 
homme  qui ,  regardant  une  chose  de  bien  loin  ,  peut  à  peine 
distinguer  ce  que  c'est,  et  telle  qu'une  ombre  qui  paraît  au 
miroir  et  qui  passe  aussitôt. 


DE  SAINTE  niLDEGÀRDE.  71 


Question  VII. 

Qu'est-ce  que  c'est  que  le  Seigneur  dit  à  Noé  et  à  ses  fils  par  ces  paroles  : 
Je  demanderai  compte  de  vos  âmes  et  de  voire  vie  à  tous  les  animaux 
et  à  la  main  de  l'homme?  Et  peu  après:  Quiconque  aura  versé  le  sang 
humain  ,   le  paiera  de  son  propre  sang  ?  (Gen.  9.) 

Solution. 

Dieu ,  après  le  dernier  jour  ,  à  la  résurrection  générale  , 
redemandera  aux  mains  des  hommes  et  à  celle  des  animaux  le 
sang  et  la  vie ,  c'est-à-dire  la  dépouille  de  Noé  et  de  tous  ses 
enfants  et  de  tout  le  genre  humain  ,  parce  qu'il  ne  veut  pas 
que  l'âme  soit  revêtue  d'un  autre  corps  et  d'un  autre  sang  que 
de  celui  qu'elle  a  animé  et  qui  lui  a  servi  de  vêtement  et  de 
demeure  ;  car  ,  dans  sa  prescience  toute-puissante ,  il  avait 
disposé  qu'en  formant  l'homme  du  limon  de  la  terre ,  et  l'ani- 
mant par  un  souffle  de  sa  bouche ,  qui  est  appelé  l'âme  ,  il 
rappellerait  l'homme  ainsi  formé  de  chair  et  de  sang  pour  le 
ressusciter.  — Il  exigera  également  de  la  main  de  l'homme  le 
sang  qu'il  aura  répandu  ,  afin  que  celui  qui,  en  opprimant 
son  prochain,  aura  fait  sortir  son  âme  de  son  corps  ,  pousse 
ensuite  sans  cesse  des  gémissements  vers  celui  qui  l'avait 
créée,  et  fasse  pénitence  par  la  mortification  de  sa  chair  et  de 
son  sang,  parce  qu'il  a  forcé  ,  par  les  blessures  et  la  mort , 
cette  âme  que  Dieu  a  créée,  à  quitter  le  corps  avant  son  ordre. 
Que  si  quelqu'un  a  répandu  le  sang  humain,  tenant  cela  pour 
une  chose  légère,  et  sans  en  faire  pénitence,  Dieu  arrêtera  sur 
lui  le  jugement  de  sa  vengeance  ou  par  le  fer  en  le  faisant 
périr,  ou  par  la  pauvreté,  ou  par  la  perte  de  ses  richesses; 
et  si  ce  n'est  pas  sur  celui  qui  est  coupable  de  ce  sang ,  ce 
sera  sur  ses  enfants  et  ses  petits-enfants. 


72  ESPRIT 


Question  VIII. 


Quels  corps  avaient  les  anges  qui  apparurent  à  Abraham  et  qui  mangèrent 
du  pain,  du  veau  ,  du  beurre  et  du  lait  qu'il  leur  servit?  (Gen.  18.) 

Solution. 

Les  trois  anges  qui  apparurent  à  Abraham  lorsqu'il  était 
assis  devant  la  porte  de  sa  demeure,  se  présentèrent  à  ce 
patriarche  sous  la  forme  humaine,  parce  que  sans  celte  forme 
l'homme  n'aurait  pu  nullement  les  voir.  Car  l'homme  sujet  au 
changement  ne  peut  voir  un  esprit  qui  est  immuable,  et  cela 
il  se  l'est  attiré  par  la  prévarication  d'Adam  qui ,  privé  dans 
le  paradis  de  ses  yeux  spirituels  ,  a  légué  en  héritage  à  tout 
le  genre  humain  cette  pénale  cécité.  Tout  homme  a  son  om- 
bre ;  ce  qui  signifie  qu'il  doit  être  renouvelé  dans  une  vie 
immuable.  Et  comme  l'ombre  de  l'homme  représente  son 
image ,  de  même  les  anges  qui  de  leur  nature  sont  invisibles, 
à  cause  des  corps  aériens  qu'ils  prennent,  apparaissent  sous 
une  forme  humaine  à  ceux  vers  lesquels  ils  sont  envoyés,  et 
ils  règlent  leurs  manières  et  leur  langage  pendant  ce  peu  de 
temps  ,  non  selon  les  habitudes  et  le  langage  angélique , 
mais  selon  ceux  des  hommes  auxquels  ils  parlent.  Et  ils  man- 
gent aussi  comme  les  hommes  ;  mais  leur  nourriture  s'éva- 
nouit telle  que  la  rosée  qui  tombe  sur  le  gazon ,  et  que  la 
chaleur  du  soleil  dissout  et  consume  en  un  instant.  Mais  les 
esprits  malins  ,  au  contraire  ,  prennent ,  pour  séduire  les 
hommes,  quelque  apparence  de  nature  que  ce  soit,  ne  regar- 
dant l'espèce  de  cette  créature  qu'autant  qu'elle  ressemble  au 
vice  par  lequel  ils  peuvent  vaincre  les  hommes  qu'ils  atta- 
quent ,  de  la  même  manière  que  le  tentateur  prit  la  nature 
du  serpent  pour  séduire  la  femme. 


DE  SAINTE  HILDEGARDE. 


Question  IX. 


Pourquoi  Abraham  et  Jacob  ordonnèrent-ils ,  l'un  à  son  serviteur,  l'au- 
tre à  son  fils  ,  de  jurer  eu  plaçant  leurs  mains  sur  leurs  cuisses  ? 
(Gen.  24,  47.) 

Solution. 

Abraham,  qui  par  l'ordre  du  Seigneur  abandonna  sa  patrie 
et  sa  famille  ,  par  la  blessure  de  sa  chair  ,  ou  la  circoncision 
(qui  fut  le  témoignage  de  sa  foi  et  la  marque  de  l'alliance 
faite  avec  Dieu) ,  s'avança  comme  un  glorieux  porte-enseigne 
sur  le  champ  de  bataille  pour  combattre  contre  les  vices  ; 
car  lui,  par  la  grâce  du  Saint-Esprit,  portait  la  bannière 
de  la  sainteté  ,  et  par  la  foi  qui  accompagnait  ses  œuvres  ,  il 
reçut  le  privilège  d'une  grande  justice.  Or,  par  le  jurement 
sur  sa  cuisse  il  a  figuré  d'avance  la  sainte  humanité  du  Christ 
qui ,  par  le  conseil  éternel  du  Dieu  tout-puissant,  devait  des- 
cendre de  sa  race  en  tant  qu'homme  et  détruire  l'empire  de 
l'ancien  serpent ,  en  venant  opérer  la  délivrance  de  l'homme. 

Question   X. 

Pourquoi  les  saints  Patriarches  voulurent-ils,  avec  un  si  grand  désir, 
être  ensevelis  dans  la  caverne  double  qu'Abraham  acheta  aux  fils  de 
Heth?  (Gen.  23.) 

Solution. 

Par  la  caverne  double  qu'acheta  Abraham  pour  lui  servir 
de  lieu  de  sépulture  ,  sont  figurées  la  loi  ancienne  et  la  loi 
nouvelle  ,  parce  que  comme  l'âme  est  cachée  dans  le  corps  , 
ainsi  la  loi  nouvelle  était  cachée  dans  l'ancienne ,  et  dans  ces 
deux  lois  a  été  ensevelie  la  mort ,  qui  était  entrée  dans  le 
monde  par  la  femme.  Les  saints  Patriarches  désiraient  être 
ensevelis  dans  la  même  caverne,  parce  que,  atteints  de  l'es- 


74  ESPRIT 

prit  de  prophétie  ,  ils  connurent  le  sacrement  de  la  loi  nou- 
velle dans  l'ancienne ,  comme  aussi  dans  la  verge  d'Aaron 
qui  fleurit ,  était  renfermé  le  mystère  du  Fils  de  Dieu  pour  la 
rédemption  du  monde,  parce  qu'ils  connurent  le  Créateur 
dans  la  créature  ,  comme  encore  dans  le  sacrifice  des  agneaux 
et  des  béliers  était  signifié  le  Christ  qui  devait  souffrir  et  être 
immolé... 

Question   XI. 

Fut-ce  un  feu  véritable  que  celui  qui  apparut  à  Moïse  dans  le  buisson 
sans  le  brûler  ,  ou  celui  qui  brilla  sur  le  Mont  Sinaï  ,  ou  celui  qui 
descendit  en  forme  de  langues  sur  les  apôtres  le  jour  de  la  Pentecôte , 
ou  celui  qui  parut  sur  la  tête  de  saint  Martin  pendant  qu'il  célébrait 
les  saints  mystères?  (Exode  3,  19.  Act.  2.) 

Solution. 

Il  est  à  croire  que  le  feu  que  vit  Moïse  du  milieu  du  buisson 
enflammé  ,  sans  le  brûler  ,  c'est  le  Saint-Esprit,  et  les  étin- 
celles qui  en  jaillissaient ,  les  dons  des  différentes  vertus. 
Toutefois  ,  les  diverses  apparitions  de  ce  feu  ne  proviennent 
nullement  de  l'éclat  des  éléments  supérieurs  ,  mais  bien  de 
ce  feu  qui  est  vie  et  qui  ne  consume  pas  en  les  brûlant  les 
objets  qu'il  touche  et  auxquels  il  s'unit ,  mais  qui  les  affermit 
davantage  en  les  vivifiant. 

Question  XII. 

Que  signifie  ce  qui  est  dit  touchant  l'arclie ,  dans  le  livre  des  Rois  :  L'ar- 
che n'est  autre  chose  sinon  la  table  du  testament  [ou  de  l'alliance). 
(  3  Rcg.  8 ,  2  Par.  5 ,  Hébr.  8.)  Tandis  que  dans  l'épître  aux  Hébreux 
on  lit  ainsi  :  Après  te  voile  (du  Temple)  rient  un  autre  tabernacle  qui 
se  nomme  le  Saint  des  Saints.  Il  y  a  un  encensoir  d'or  et  l'Arche  de 
l'alliance  ,  revêtue  d'or  de  toute  part ,  qui  renferme  l'urne  d'or  con- 
tenant la  manne  ,  la  verge  d'Aaron  qui  avait  fleuri  et  les  tables  de 
l'alliance.  (Nura.  17.) 

Solution. 
Celui  qui  a  dit,  que  dans  l'arche  qu'Israël  avait  en  si  grande 


DE  SAINTE  IIILDEGARDE.  75 

vénération,  il  n'y  avait  autre  chose  que  les  tables  de  l'alliance, 
ne  pensait  pas  qu'il  y  eût  autre  chose  ,  ou  ne  cherchait  pas 
même  à  savoir  s'il  y  avait  plus  que  ce  qu'il  croyait  ;  mais  saint 
Paul,  qui,  à  cause  de  la  profonde  science  de  son  esprit  et 
de  la  grâce  de  Dieu  qui  lui  révélait  de  si  hautes  connais- 
sances ,  en  savait  plus  que  les  autres  ,  nous  a  pleinement 
instruits  de  ce  qui  était  renfermé  de  plus  dans  le  secret  de 
l'arche. 

Question  XIII. 

Est-ce  qu'il  faut  croire  qu'il  soit  vrai  que  Samuel  ait  été  évoqué  de  son 
tombeau  par  l'invocation  d'une  pythonisse?  (  1  Reg.  28.) 

Solution. 

SaùV,  qui ,  à  cause  de  ses  péchés,  fut  réprouvé  de  Dieu  et 
abandonné  de  lui,  voulant  connaître  par  le  moyen  delà  py- 
thonisse l'issue  d'une  bataille  qu'il  allait  livrer,  lui  ordonna 
d'évoquer  Samuel  du  milieu  des  morts  pour  lui  indiquer  ce 
qu'il  désirait  savoir.  Mais  cela  ne  put  se  faire  aucunement , 
parce  qu'il  est  impossible  qu'un  homme  saint  et  juste  profé- 
rât un  mensonge  après  sa  mort,  puisque  personne,  soit  fidèle, 
soit  infidèle,  une  fois  qu'il  est  sorti  de  lavie,  ne  peut  avancer 
l'imposture.  D'ailleurs,  Saiil  et  Samuel  ne  pouvaientavoir  une 
habitation  commune ,  parce  que  Samuel  étant  juste  ,  était 
ami  de  Dieu  ,  et  Saiil ,  au  contraire ,  en  était  l'ennemi ,  ayant 
été  rebelle  à  ses  volontés.  Le  démon  lui-même  ne  peut  trom- 
per par  l'évocation  dei'àme  d'aucun  homme  ;  il  ne  trompe  que 
par -des  fantômes,  et  les  formes  de  quelque  espèce  de  créa- 
ture. Saiil  perdit,  en  effet ,  son  royaume  avec  sa  vie  ,  parce 
que  Dieu  s'était  retiré  de  lui ,  de  même  qu'Adam,  à  cause  de 
son  péché,  en  perdant  la  gloire  et  la  félicité  du  paradis  terres- 
tre ,  devint  fils  de  la  mort.  C'est  pour  cela  donc  que  Saiil 
n'obtint  pas  ce  qu'il  demandait  au  Seigneur. 


76  ESPRIT 


Question  XIV. 

Que  veut  dire  saint  Paul  quand  il  s'exprime  ainsi  :  Si  je  parlais  la 
langue  des  anges  et  des  hommes  ?  (  1  Cor.  18.)  Quelles  sont  les  langues 
des  anges  ? 

Solution. 

Les  anges  qui  sont  des  esprits  ne  se  servent  de  paroles  et 
de  raisonnements  qu'à  cause  de  la  nature  des  hommes  ;  car , 
quant  à  eux ,  leur  langage  c'est  la  louange  de  Dieu.  Mais 
l'homme  qui  ne  connaît  tout  ce  qui  doit  s'entendre  que  par 
le  son  qui  le  fait  entendre  ,  marque  la  joie  de  son  cœur  par  le 
son  de  la  voix  qu'il  élève  avec  le  souffle  de  l'âme. 

Question   XV. 

Quelle  est  la  longueur,  la  largeur,  la  hauteur  et  la  profondeur  que  saint 
Paul  souhaitait  que  les  Ephésiens  comprissent  avec  tous  les  Saints  ? 
(Epb.  3.) 

Solution. 

Par  la  longueur  dont  il  parle  ,  il  faut  entendre  l'essence 
divine  qui  est  sans  commencement  et  sans  fin  ,  et  qui  ne  peut 
être  comprise  par  la  créature  qui  a  commencé  ,  à  quelque 
élévation  et  à  quelque  pénétration  de  science  qu'elle  se 
porte. 

Par  la  largeur ,  il  veut  dire  la  puissance  infinie  de  Dieu  qui 
n'a  reçu  son  origine  de  personne,  et  qui  en  opérant  ne  s'aug- 
mente pas,  ni  en  s'arrêtant  ne  diminue  pas. 

Par  la  hauteur,  il  veut  parler  de  la  splendeur  et  de  la  gloire 
de  la  divinité  qui  n'a  jamais  connu  de  temps  où  elle  ait  com- 
mencé à  briller,  et  dont  l'éblouissante  lumière  ne  doit  jamais 
passer. 

Par  la  profondeur  enfin  ,  il  faut  entendre  que  Dieu  ,  par 
ces  trois  forces  précédentes,  triomphe  toujours  des  puissances 


DE  SAINTE  IIILDEGARDE.  77 

de  l'abîme  ,  quelle  que  soit  la  profondeur  de  leur  malice  pour 
lui  résister,  et  que  les  Saints  de  tous  les  temps  qui  l'ont 
aimé,  qui  ont  persévéré,  et  qui  se  sont  conduits  par  des 
vues  de  foi ,  en  ont  triomphé  et  en  triomphent  encore  com- 
me lui. 

Question  XVI. 

Que  doit-on  entendre  par  ce  qu'a  dit  le  grand  Apôtre  :  C'est  en  lui  que 
nous  virons ,  que  nous  nous  mouvons  et  que  nous  avons  l'être  ?  (Act.17.) 

Solution. 

Nous  nous  mouvons  en  lui  par  les  éléments  dont  nous 
usons  ,  de  telle  sorte  que  nous  leur  demandons  tout  ce  qui 
est  nécessaire  à  notre  usage  ,  à  nos  besoins  :  nous  vivons  en 
lui ,  parce  que  c'est  de  lui  que  nous  avons  reçu  la  lumière 
et  que  nous  avons  été  vivifiés  par  le  souffle  de  sa  propre  vie , 
et  c'est  par  là  que  nous  le  reconnaissons  et  pour  notre  Dieu 
et  pour  notre  pasteur. 

Nous  sommes  aussi  en  lui ,  parce  que  notre  âme  ne  ces- 
sera jamais  d'exister,  quels  que  soient  ses  mérites  ,  et  que 
c'est  par  elle  que  ,  malgré  nos  corps  ,  nous  voulons  et  nous 
nous  mouvons  comme  le  vent ,  avec  les  éléments  et  dans  les 
éléments. 

Question  XVII. 

Que  veut  dire  encore  le  grand  Apôtre  par  ces  mots  :  De  jour  et  de  nuit 
j'ai  été  dans  les  profondeurs  de  la  mer  ?  (  2  Cor.  11.) 

Solution. 

Paul ,  rappelant  les  fatigues  de  son  ministère  ,  a  proféré 
ces  paroles  dans  un  moment  d'affliction  ,  voulant  montrer 
parla  qu'il  a  été_,  par  la  permission  du  Seigneur,  dans  les 
angoisses  et  les  tribulations  ,  comme  s'il  eût  été  dans  les  pé- 


78  ESPRIT 

rils  des  tempêtes  ou  au  milieu  des  flots  bouleversés  de  la  mer 
qui  ne  cesse  alors  de  couvrir  de  ses  vagues.  Dieu  a  voulu 
aussi  qu'il  fût  tourmenté  par  les  ténébreuses  suggestions  du 
démon  ,  et  que  ces  tentations  fussent  tempérées  par  la  souf- 
france d'un  grand  nombre  d'infirmités  corporelles  ,  lesquelles 
épreuves,  enfin  ,  étant  fortifié  par  sa  grâce  ,  il  a  supportées 
néanmoins  avec  fidélité  et  patience. 

Question  XY11I. 

Que  signifient  ces  paroles  :  Je  suis  le  plus  petit  des  apôtres  ,  tandis  qu'il 
a  travaillé  plus  qu'aucun  d'eux?  (1  Cor.  15.) 

Solution. 

Paul  s'est  appelé  le  dernier  ,  le  plus  petit  d'entre  les  apô- 
tres ,  parce  qu'il  n'était  pas  au  commencement ,  comme  les 
autres  apôtres  ,  avec  Jésus-Cbrist,  qui  est  apparu  sans  pé- 
ché sous  la  forme  humaine ,  et  qu'il  a  été  poussé  à  l'aposto- 
lat par  la  puissance  du  Fils  de  Dieu  ,  dans  une  vision  spiri- 
tuelle, alors  que  son  âme  n'était  ni  pleinement  au  dedans  de 
son  corps  ,  ni  pleinement  hors  de  son  corps ,  et  qu'il  lui  a 
fait  connaître  et  embrasser  une  croyance  qu'il  ne  désirait 
nullement  apprendre  ni  savoir. 

Question  XIX. 

Comment  faut-il  entendre  ce  qu'il  dit  ici  :  Quelque  péché  que  l'homme 
ait  commis  ,  il  l'a  commis  hors  de  son  corps  ;  mais  quant  à  celui  qui 
tombe  en  fornication  ,  il  pèche  au  dedans  de  son  corps.  (1  Cor.  6.) 

Solution. 

Tout  péché  que  l'homme  commet  contre  un  autre  avec 
connaissance  et  volonté ,  en  suivant  les  suggestions  du  dé- 
mon ,  est  l'ouvrage  de  l'artifice  de  ce  même  démon  qui  sème 
la  discorde  parmi  les  hommes  en  les  portant  à  la  colère  et  à 


DE  SAINTE  HILDEGARDE.  79 

la  haine,  et  c'est  pour  cela  qu'il  est  hors  de  son  corps  ;  mais, 
quant  à  l'homme  qui ,  dans  l'ardeur  des  passions  de  sa  chair, 
nourrissant  des  désirs  incestueux  et  brûlant  jusque  dans 
ses  veines  et  sa  moelle  ,  s'excite  lui-même  et  blesse  sa  sain- 
teté par  la  fornication,  celui-là  pèche  dans  son  corps. 

Question  XX. 

Depuis  le  jour  de  la  résurrection  jusqu'à  celui  de  l'ascension ,  où  faut-il 
croire  qu'était  Jésus-Christ  Notre-Seigneur  ,  lorsqu'il  n'était  pas  au 
milieu  de  ses  disciples  ? 

Solution. 

Dieu  qui  par  son  humanité  ,  habitant  visiblement  au  milieu 
de  nous  ,  a  rempli  toute  la  terre  de  ses  miracles  ,  après  sa 
résurrection  et  durant  les  quarante  jours  avant  son  ascen- 
sion ,  employa  la  môme  humanité  qu'il  a  prise  dans  le  sein 
de  la  Vierge  Marie  ,  à  purifier  tous  les  éléments  qui  avaient 
contracté  une  souillure  par  la  prévarication  du  premier  homme. 
Et  les  âmes  des  Saints  et  des  prédestinés ,  qu'il  avait  retirées 
de  la  captivité  de  l'enfer  et  qu'il  emmenait  en  triomphe  ac- 
compagné de  ses  anges  et  sous  l'étendard  glorieux  de  sa 
puissance ,  demeuraient  avec  lui  dans  l'air  où  il  avait  tout 
sanctifié. 

Question    XXI. 

Que  doit-on  entendre  par  ces  paroles  de  l'évangile  :  Et  les  Anges  s'ap- 
prochèrent de  lui  et  ils  le  servaient.  (  Matin.  4.)  En  quoi  le  servaient- 
ils  ?  ou  quel  service  lui  rendaient-ils  ? 

Solution. 

Lorsque  le  démon  se  vit  tellement  séparé  du  Christ  qu'il 
ne  pouvait  l'atteindre  par  aucun  effort  de  sa  malice ,  alors  il 
le  quitta  et  il  le  fuyait ,  tel  qu'un  homme  fuit  un  ennemi  du- 


80  ESPRIT 

quel  il  craint  de  recevoir  la  mort  :  et  alors  les  Anges  ,  dans 
les  louanges  qu'ils  publiaient  en  l'honneur  de  la  divinité ,  à 
cause  que  l'humanité  qui  avait  été  vaincue  dans  le  paradis 
par  le  péché  de  nos  premiers  parents,  avait  été  par  le  Christ 
victorieuse  de  toutes  les  embûches  du  démon  ,  offraient  leur 
ministère  à  celui-là  qu'ils  savaient  être  et  Dieu  et  homme  tout 
ensemble. 

Question  XXII. 

Puisque  les  nouvelles  âmes  ,  tirées  récemment  du  néant ,  sont  regardées 
comme  unies  par  la  providence  du  Créateur ,  dans  le  sein  de  leurs 
mères  ,  aux  petits  corps  des  enfants ,  comment  se  fait-il  qu'elles  con- 
tractent la  tache  du  péché  originel ,  et  en  vertu  de  quelle  justice  sont- 
elles  punies  ? 

Solution. 

Comme  un  vase  d'argile  qui  a  été  rempli  de  poison  com- 
munique le  danger  du  venin  à  tout  ce  qu'on  y  met  dedans  , 
de  même  toute  chair  humaine  est  souillée  et  infectée  par  la 
chair  du  premier  homme ,  à  moins  qu'elle  ne  soit  purifiée 
dans  le  baptême  et  la  pénitence  par  la  chair  très-pure  du  Fils 
de  Dieu  qu'il  a  prise  dans  le  sein  de  la  Vierge  Marie.  En  effet, 
l'âme ,  par  la  manière  dont  Dieu  l'a  formée  dans  le  sein  de  la 
mère  et  qui  la  rend  propre  à  recevoir  le  souffle  de  la  vie  , 
peut ,  par  la  ruse  du  serpent  qui  a  séduit  le  premier  homme , 
éprouver  la  souillure  du  péché  pour  lequel  elle  est  punie; 
mais,  selon  les  décrets  éternels  de  Dieu ,  elle  en  est  lavée,  en 
vertu  des  mérites  de  son  Fils  ,  par  la  foi  et  par  le  saint  bap- 
tême. Cependant,  celui  qui,  ayant  la  foi  et  étant  régénéré 
parle  baptême,  aura  suivi  avec  toute  son  ardeur  les  désirs  de 
la  chair  et  n'aura  pas  fait  pénitence  pour  les  expier  ,  celui-là  , 
dis-je  ,  demeurera  dans  la  perdition  avec  ceux  qui  n'ont  pas 
été  rachetés  par  le  Christ. 


DE  SAINTE  HILDEGARDE.  81 

Question  XXIII. 

Lorsque  le  Seigneur  dit  dans  l'Evangile  ,  en  parlant  de  lui-même  :  Moi 
je  suis  sorti  et  je  viens  de  mon  Père  (Jean  18);  et  du  Saint-Esprit  : 
L'esprit  qui  procède  du  Père  (Jean  15)  ,  quelle  est  la  différence  qu'il 
y  a  entre  la  procession  du  Fils  et  la  procession  du  Saint-Esprit ,  pour 
que  celui-là  soit  appelé  le  Fils  et  qu'il  ne  doive  ni  ne  puisse  être  ap- 
pelé avec  fondement  le  Saiut-Esprit  ?  Entre  la  génération  du  Fils  et 
la  procession  du  Saint-Esprit ,  quelle  est  la  distinction  ,  puisque  l'un 
et  l'autre  viennent  du  Père  ? 

Solution. 

Mon  Père  est  la  puissance  ,  et  moi  qui  suis  sa  parole  par- 
lante ;  j'ai  procédé  de  lui ,  lorsqu'il  a  créé  par  moi  toutes 
les  choses  qui  existent.  Et  le  Saint-Esprit  a  procédé  du 
même  ,  c'est-à-dire  de  mon  Père ,  lorsque  je  suis  descendu 
dans  le  sein  de  la  Vierge,  dont  la  chair  n'a  jamais  été  blessée 
par  la  séduction  du  serpent ,  et  dans  laquelle  j'ai  revêtu  l'hu- 
manité formée  en  elle  par  l'opération  du  Saint-Esprit  ;  car 
l'Esprit-Saint  est  un  feu  ,  le  feu  vivifiant  ou  la  vraie  vie  et  la 
flamme  véritable  ,  et  la  vie  toujours  égale  depuis  l'éternité  ; 
et  c'est  par  lui  que  se  meuvent  invisiblement  toutes  les  créa- 
tures qui  ont  été  faites  par  le  Fils  de  Dieu.  Il  est  sorti  du  sein 
du  Père  en  se  communiquant  à  la  Yierge  qui  est  une  créa- 
ture ,  et  il  a  tellement  échauffé  son  sein  par  son  feu  sacré  , 
que  cette  Yierge  a  enfanté,  sans  l'opération  d'un  père  selon  la 
chair,  le  Yerbe  de  Dieu  ,  qui  avait  tout  créé.  Or,  comme  on 
voit  la  forme  corporelle  de  l'homme  et  que  son  âme  ne  peut 
être  vue  des  yeux  charnels,  et  que  cependant  l'homme  est  un 
composé  de  deux  natures  ,  de  même  le  Fils  de  Dieu  ,  qui  a 
été  formé  du  Saint-Esprit  dans  le  sein  de  la  Yierge  et  qui 
s'est  fait  homme  ,  a  été  visible  à  tous  les  yeux  par  son  huma- 
nité, mais  invisible  quant  à  sa  divinité  ,  et  il  était  cependant 
un  seul  Dieu  dans  deux  natures ,  savoir,  la  nature  humaine 
et  la  nature  divine. 

t.  v.  G 


82  ESPRIT 

Question  XXIV. 

Qu'a  voulu  dire  saint  Paul  par  ces  paroles  :  Qu'il  a  été  ravi  jusqu'au 
troisième  ciel  (  I  Cor.  13);  et  qu'il  ne  sait  pas  si  c'est  avec  son  corps 
ou  hors  de  son  corps  que  cela  est  arrivé;  et  lorsqu'il  est  parvenu  jus- 
qu'au ciel ,  si  son  aine  était  sortie  de  son  corps,  ou  bien  si  elle  y  était 
demeurée  et  si  elle  l'animait  ? 

Solution. 

Paul ,  pendant  une  extase,  s'éleva ,  par  l'effort  de  son  âme, 
là  où  le  Christ  l'appelait,  semblable  à  un  homme  qui  dort  et 
qui  parcourt  durant  le  sommeil  divers  lieux,  de  sorte  que 
l'âme  échauffe  ,  pendant  ce  temps-là  ,  le  sang  de  son  corps  , 
pour  qu'il  ne  sèche  pas  de  froid  ;  et  de  même  que  le  soleil 
qui  est  fixe  dans  les  hauteurs  des  cieux  ,  par  la  force  de  ses 
rayons ,  brille  et  échauffe  toutes  choses  loin  de  lui  ;  il  a  pé- 
nétré, en  les  considérant,  les  merveilles  du  firmament  tel  que 
Dieu  l'a  fait ,  et  il  est  parvenu  même  jusqu'au  troisième  ciel, 
c'est-à-dire  jusqu'à  cette  clarté  qui  brille  de  la  splendeur 
même  (  qui  est  la  divinité)  et  dans  laquelle  reposent  les  âmes 
bienheureuses;  et  il  reçut  dans  cette  contemplation  une  telle 
force  divine  de  science  ,  qu'il  ne  put  nullement  douter,  dès  ce 
jour  ,  de  ce  qu'il  avait  vu  ;  mais  il  n'a  pas  vu  le  lieu  où  la 
divinité  habite  dans  toute  sa  splendeur,  et  où  les  Anges,  qui 
sont  comme  des  rayons  éclatants  du  soleil  ,  et  d'autres  anges 
encore  qui  apparaissent  comme  l'éclat  de  la  flamme  ,  con- 
templent et  adorent  l'immuable  essence  divine  qui  est  sans 
commencement  et  sans  fin  ;  il  ne  l'a  pas  vu ,  dis-je  ,  parce 
que  ,  de  même  que  l'aigle  ne  peut  soutenir  l'éclat  du  feu  su- 
périeur, de  même  lui  ne  pouvait  soutenir  celui  de  l'Eternel  ; 
mais  il  a  été  environné  de  la  gloire  de  ces  Anges  qui  remplis- 
sent leur  ministère  auprès  des  hommes,  et  il  est  venu  jusqu'au 
paradis  où  il  a  connu  parfaitement  toutes  les  secrètes  mer- 
veilles que  son  âme  a  vues ,  et  il  les  a  tellement  perçues  par 


DE  SAINTE  HILDEGARDE.  83 

ses  sensations  corporelles ,  qu'il  a  su  d'une  science  claire  et 
certaine  ce  qui  importe  le  plus  à  l'homme ,  qui  n'est  que 
cendre;  c'est  pour  cela  qu'il  a  été  plus  sage  et  plus  savant 
que  tous  les  Prophètes,  dont  les  oracles  n'étant  vus  qu'en 
ombre,  étaient  semblables  au  miel  des  abeilles  ,  qui  s'appli- 
que à  divers  usages  ;  car  tout  ce  que  son  àme  vit ,  son  corps 
le  sentit,  d'où  il  est  arrivé  qu'il  demeura  dans  le  doute  s'il 
l'avait  vu  dans  son  corps  ou  hors  de  son  corps  ;  et  c'est  pour- 
quoi toutes  ses  paroles  si  profondes  et  si  élevées  sont  per- 
çantes comme  un  glaive  affilé  :  mais  Dieu  ,  lorsque  son  âme 
redevint  calme  ,  paisible  dans  son  corps ,  le  retenait  beau- 
coup à  cause  de  son  naturel  impétueux,  de  peur  qu'il  n'ensei- 
gnât, de  son  propre  mouvement,  ce  qui  n'appartenait  pas 
même  à  la  hauteur  de  la  science  d'un  Saint. 

Question  XXV. 

Qu'est-ce  que  la  grâce  de  Dieu  et  le  libre  arbitre  ont  de'commun  ''. 
Qu'est-ce  qu'ils  ont  de  particulier  ? 

Solution. 

Le  libre  arbitre  est  dans  l'âme  (qui  est  elle-même  un  souf- 
fle de  Dieu  et  que  Dieu  a  fait  à  son  image ,  et  par  laquelle 
l'homme  sent  qu'il  a  un  Dieu  en  lui  ,  soit  qu'il  soit  fidèle  ou 
infidèle  ,  dans  quelque  condition  ou  opinion  qu'il  soit,  et  qui 
avec  la  connaissance  du  mal  le  choisit  et  s'y  porte  volontaire- 
ment) ,  il  est ,  dis-je  ,  comme  Adam  qui  connut  le  précepte 
du  Seigneur  et  qui  se  porta  au  mal  en  suivant  le  conseil  du 
serpent  :  la  grâce  de  Dieu  et  le  libre  arbitre  ont  cela  de 
commun  que  l'homme  ,  avec  la  connaissance  du  bien  et  du 
mal,  peut  choisir  l'un  ou  l'autre,  soit  le  bien  ,  soit  le  mal  , 
pour  le  faire;  et  il  y  a  ceci  de  propre  ,  que  lorsque  ,  par  la 
vertu  du  libre  arbitre  ,  l'homme  a  choisi  le  mal ,  selon 
le  goût  et  le  désir  de  la  chair  ,  ce  qu'il  n'est  jamais  forcé  â 
suivre  ou  à  abondonner,  il  le  fait  par  l'instigation  du  dé- 


84  ESPRIT 

mon  ,  et  que  lorsqu'il  suit  ou  évite  une  chose  selon  la  volonté 
de  l'àme ,  c'est  par  la  grâce  du  Saint-Esprit  qu'il  le  fait. 

Question  XXVI.- 

Comment  doit-on  entendre  ces  paroles  :  Vous  avez  réglé  toutes  choses 
avec  poids  ,  avec  mesure  ,  avec  nombre'?  (Sap.  11-21.) 

Solution. 

Dieu  a  réglé  avec  une  si  exacte  mesure  tous  les  organes  de 
nos  corps,  qu'aucun  d'eux  ne  surpasse  en  poids  ou  en  lar- 
geur ce  qui  est  nécessaire  aux  esprits  qui  habitent  en  eux  ; 
et  de  même  que  le  soleil ,  la  lune  ,  le  feu ,  l'air ,  l'eau  ,  la 
terre  ,  sont  réglés  dans  le  firmament  avec  un  poids  égal ,  un 
même  nombre ,  une  même  mesure  ,  de  même  l'homme  ,  qui 
résume  en  lui  toute  créature,  est  réglé  avec  une  sage  mesure, 
parce  que  tous  ses  membres  sont  tellement  remplis  par  l'àme, 
que  tant  qu'elle  habite  en  eux ,  l'homme  ne  peut  ni  s'altérer 
ni  périr  ;  mais  l'orgueil  qui  plane  sur  tout  ce  que  Dieu  a  fait 
et  qui  méprise  le  Seigneur ,  et  qui  ne  veut  ni  le  connaître  ni 
l'adorer ,  l'orgueil  qui  en  s'exilant  du  milieu  des  créatures 
tombe  et  meurt,  n'a  aucune  sage  mesure  ,  puisqu'il  ose  atta- 
quer et  disperser  tout  ce  que  Dieu ,  dans  sa  providence  et  sa 
sagesse  ,  a  disposé  et  réglé. 

Question  XXVII. 

Quelle  est  cette  harmonie  des  éléments  dont  il  est  dit  :  Les  éléments 
changent  d'ordre  entre  eux ,  sans  perdre  néanmoins  cette  harmonie 
qui  leur  est  propre  ,  comme  dans  un  instrument  de  musique  ,  l'air  se 
diversifie  par  le  changement  des  tons?  (Sap.  19.  )  Est-ce  à  cela  que 
se  rapporte  ce  que  dit  le  Seigneur  :  Qui  est-ce  qui  fera  cesser  toute 
l'harmonie  du  ciel  ?  (  Job  38-37.) 

Solution. 
Dans  la  route  brûlante  de  l'air  supérieur  ,  par  laquelle  se 


DE  SAINTE  HILDEGARDE.  85 

meut  le  firmament  ,  il  existe  une  voix  des  éléments  agréable 
et  glorieuse,  et  semblable  ta  une  belle  symphonie;  car ,  de 
même  que  la  voix  de  l'homme  est  si  douce  et  fait  le  charme  de 
sa  vie ,  de  même  chaque  élément ,  selon  l'ordre  établi  de 
Dieu  ,  a  sa  voix  ,  et  quand  ils  les  réunissent,  ils  forment  une 
harmonie  comme  le  son  des  diverses  cordes  d'une  lyre  réson- 
nant ensemble  ;  mais  le  concert  des  cieux  n'a  rien  de  com- 
mun avec  l'harmonie  des  éléments  qui  doivent  passer  avec 
l'homme ,  de  môme  que  le  soleil  qui  est  placé  dans  le  firma- 
ment ,  éclaire  ce  monde ,  mais  non  la  hauteur  des  cieux. 

Question   XXVIII. 

Comment  faut-il  entendre  ce  qui  est  dit  dans  la  Genèse  :  Une  fontaine 
jaillissait  du  sein  de  la  terre  ,  qui  en  arrosait  toute  la  surface  ? 
(  Gen.  22. ) 

Solution. 

Par  l'ordre  de  Dieu  ,  une  source  coulait  dans  le  jardin  des 
délices  ,  qui  l'arrosait  avec  tous  ses  fruits,  sans  aucune  diffé- 
rence d'espèce  (  tels  que  le  Créateur  les  avait  faits),  parce  que 
cette  terre  de  volupté  ne  connaissait  pas  ,  ainsi  que  la  nôtre  , 
les  vicissitudes  des  saisons,  d'été  et  d'hiver,  ce  qui  la  fait  res- 
sembler au  caractère  inconstant  de  l'homme.  En  effet,  comme 
la  clarté  de  la  lune  est  obscurcie  par  la  splendeur  du  soleil  ; 
de  même  dans  la  splendeur  de  la  clarté  immuable  de  cette 
terre  ,  le  soleil ,  la  lune  ,  les  étoiles  étaient  obscurcis  ,  parce 
qu'il  n'y  avait  rien  de  mortel  et  qu'elle  ne  recevait  même  rien 
de  mortel  ;  car  si  quelque  chose  de  périssable  y  était  venu  , 
elle- l'aurait  étouffé  parla  mort,  de  même  qu'on  est  étouffé 
par  l'eau.  Or  la  terre  dans  laquelle  l'ardeur  du  soleil  est  si 
grande  qu'elle  consume  par  sa  chaleur  les  gouttes  de  pluie  , 
comme  un  feu  très-grand  et  très-fort  absorbe  les  gouttes 
d'eau  qui  sont  répandues  sur  lui,  est  arrosée  par  l'eau  qui 
coule  de  la  fontaine  qui  s'élevait  du  milieu  du  paradis,  et  qui 


86,  ESPRIT 

signifie  l'ascension  constante  des  vertus  qui  sont  allumées  par 
le  feu  du  Saint-Esprit. 

Question  XXIX. 

Puisqu'on  croit  qu'Enoch  et  Elie  ont  été  transportés,  avec  leurs  corps, 
dans  le  ciel ,  faut-il  croire  aussi  que  dans  ce  lieu  d'ineffable  volupté 
ils  ont  eu  besoin  de  nourriture  corporelle  et  de  vêtements  ?  (Gen.  5-24, 
Eccl.  44-16.  ) 

Solution. 

Dieu  avait  ordonné  dans  sa  providence  ,  touchant  Enoch  et 
Elie,  qu'ils  n'auraient  hesoin  dans  le  ciel  ni  de  nourriture, 
ni  de  boisson  ,  ni  de  vêtement ,  et  il  en  est  de  môme  de  qui- 
conque est  enlevé  par  un  miracle  de  Dieu  ;  tant  qu'il  y  reste  , 
il  n'a  pas  besoin  des  choses  nécessaires  aux  mortels. 

Question  XXX. 

Qu'est-ce  que  ce  qui  est  dit  de  Jonatbas  :  Lorsqu'il  eut  mangé  du  miel , 
ses  yeux  furent  éclairés  aussitôt  ?  (  1  Reg.  14.) 

Solution. 

Jonathas  ,  parce  qu'il  était  doux  dans  ses  mœurs  ,  et  qu'il 
affirmait  volontiers  dans  ses  jugements,  sans  colère  et  sans 
haine,  ce  qui  était  vrai  et  juste  ,  était  semblable  à  une  terre 
grasse  et  fertile ,  qui  est  facilement  remuée  par  la  charrue  , 
et  qui,  quoique  sans  culture,  porte  néanmoins  des  herbes 
utiles.  Car ,  quiconque  a  de  telles  mœurs  ,  a  aussi  des  hu- 
meurs saines  et  excellentes,  que  produisent  dans  son  cerveau, 
dans  ses  veines  et  dans  ses  moelles  ,  les  aliments  dont  il  se 
nourrit  ,  parce  que  ni  la  colère  ni  la  tristesse  ne  sont  engen- 
drées en  lui  par  la  mélancolie  et  la  vicissitude  des  diverses 
inclinations,  et  que  le  don  do  Dieu  est  en  lui ,  et  qu'il  les  fait 
germer  et  verdir,  comme  la  rosée  les  plantes  sur  lesquelles 


DE  SAINTE  HILDEGARDE.  87 

elle  tombe.  Mais  celui  qui  par  la  mélancolie  est  triste  et  ma- 
lade ,  celui-là  est  semblable  a  une  terre  dure  que  la  charrue 
peut  à  peine  tourner  ,  parce  qu'il  a  dans  ses  habitudes  ,  de  la 
colère  ,  de  la  tristesse  et  de  la  répugnance  pour  tout  ce  qui 
est  juste  ,  et  qu'il  ne  peut ,  à  moins  qu'il  ne  résiste  fortement 
par  la  nature  de  son  esprit ,  commander  à  son  caractère. 
Mais  celui  qui  a  les  mœurs  douces  ,  comme  il  est  dit  plus 
haut ,  celui-là  est  bénévole  dans  toutes  ses  actions  ,  et  sa 
chair  et  son  sang  croissent  avec  la  nourriture ,  et  il  en  est 
fortifié,  ainsi  que  Jonathas  dont  les  yeux  étaient  auparavant 
très-faibles  et  obscurcis ,  à  cause  de  la  défaillance  de  son 
corps,  et  qui  reçut  une  vue  perçante  lorsqu'il  fut  fortifié  par 
le  goût  du  miel  qui  du  haut  des  airs  descendit  vers  lui ,  et  qui 
avait  plus  de  force  que  le  miel  ordinaire. 

Question  XXXI. 

Puisque  les  mauvaises  pensées  proviennent  le  plus  souvent  du  cœur  de 
l'homme  ,  par  quel  moyen  peut-on  distinguer  celles  qui  viennent  de 
notre  corruption  ,  de  celles  qui  sont  occasionnées  par  les  suggestions 
des  mauvais  anges  ?  (  Matth.  5  ,  Ps.  77.  ) 

Solution. 

Les  pensées  qui  sont  tellement  inhérentes  au  cœur  des  hom- 
mes depuis  le  péché  originel,  qu'ils  sont  portés  par  elles  aux 
plaisirs  défendus  et  dans  leur  chair  et  dans  leur  sang  et  dans 
leurs  veines  ,  celles-là  sont  humaines;  les  pensées  légères  par 
lesquelles  les  hommes  désirent  et  cherchent  dans  leur  cœur 
de  savoir  et  d'avoir  ce  qui  est  impossible  parce  que  cela  ne 
se  peut  faire,  celles-là  sont  vaines  ,  parce  qu'elles  volent  inu- 
tilement de  tout  côté  ainsi  que  l'air,  et  c'est  de  ces  pensées 
qu'il  est  écrit  :  Le  Seigneur  connaît  lu  vanité  de  leurs  pen- 
sées (Ps.  93).  Mais  les  mauvaises  qui  sortent  du  cœur  et  de 
la  bouche  de  l'homme  et  que  le  démon  y  avait  fait  entrer, 
celles-là  sont  la  nourriture  du  démon  ,  parce  qu'il  s'en  sert 


88  ESPRIT 

pour  engloutir  les  âmes  (comme  l'homme  engloutit  les  ali- 
ments dans  l'estomac)  ,  lorsque  les  trompant  par  elles  ,  il  les 
porte  à  l'infidélité  envers  Dieu  et  à  la  violation  de  ses  com- 
mandements, et  qu'ainsi  il  les  lui  enlève,  quoique  plusieurs  , 
par  leurs  saintes  œuvres  et  par  la  pureté  de  leur  foi ,  demeu- 
rant attachés  à  Dieu  ,  combattent  fortement  contre  lui  et  rem- 
portent la  victoire  à  l'aide  de  la  grâce. 

Question  XXXII. 

Est-ce  que  les  choses  corporelles  sont  aperçues  par  les  yeux  spirituels; 
et ,  au  contraire  ,  les  spirituelles  connues  par  les  yeux  corporels  ? 
(2  Cor.  A.) 

Solution. 

Les  yeux  spirituels  sont,  la  science  de  l'âme  raisonnable, 
et  tels  qu'ils  sont  ils  ne  peuvent  nullement  voir  les  choses 
corporelles ,  comme  aussi  l'aveugle  ne  voit  pas  des  yeux  ex- 
térieurs ,  mais  il  connaît  et  comprend  par  l'ouïe  ce  qui  est 
vu  par  les  autres.  Les  yeux  corporels  n'ont  pas  non  plus  la 
possibilité  de  considérer  parfaitement  les  choses  spirituelles. 
Mais  ,  comme  on  voit  la  forme  de  l'homme  dans  le  miroir  où 
cependant  il  n'est  pas  ,  ainsi  on  connaît  et  on  voit  par  la  foi 
et  par  l'ouïe  les  choses  qui  sont  spirituelles.  Car  aucun  esprit 
ne  peut  apparaître  à  l'homme  dans  sa  propre  nature,  puisqu'il 
est  le  souffle  vivant  de  Dieu  même,  et  que  celui-ci ,  l'homme  , 
en  vivant ,  ne  fait  que  fortifier  son  enveloppe ,  c'est-à-dire 
son  corps,  et  qu'il  ne  cesse  de  travailler  avec  lui.  et  que 
même  lorsqu'il  l'aura  quitté  ,  il  doit  être  avec  lui ,  soit  dans 
les  splendeurs  de  la  béatitude ,  soit  dans  les  ténèbres  de 
l'enfer. 


DE  SAINTE  IIILDEGARDE.  89 

Question  XXXIII. 

Le  feu  de  l'enfer  est-il  corporel  ou  spirituel?  S'il  est  corporel ,  comme 
plusieurs  fidèles  le  croient ,  faut-il  penser  qu'il  soit  de  la  matière 
quatrième  des  éléments  ? 

Solution. 

Nullement ,  parce  que  ce  feu  n'est  pas  composé  des  autres 
éléments  ,  ni  n'existe  pas  par  lui-même  ,  et  qu'il  est  invisible. 
Les  peines  corporelles  et  les  spirituelles  ne  sont  pas  égales  , 
de  même  que  le  corps  diffère  de  l'âme ,  et  que  l'âme  n'est 
pas  semblable  au  corps  ,  parce  que  le  corps  ,  par  les  peines 
corporelles  ,  se  sècbe  et  meurt,  et  que  dans  le  feu  de  l'enfer , 
l'esprit  et  l'âme  sont  tourmentés  et  cependant  ils  ne  meurent 
pas  dans  ces  tourments.  Le  feu  du  purgatoire  ,  dans  lequel 
vivent  et  sont  punies  les  âmes  qui  doivent  être  sauvées  ,  n'est 
pas  non  plus  allumé  du  même  feu  que  l'enfer  ,  mais  il  s'élève 
par  le  jugement  de  Dieu ,  selon  la  nature  des  péchés  des 
hommes ,  et  il  en  est  qui  l'ayant  vu  en  extase ,  ont  été  gran- 
dement étonnés  de  ses  propriétés. 

Question  XXXIV. 

Les  saints  dans  le  ciel  et  les  réprouvés  dans  l'enfer  savent-ils  ce  qui  se 
passe  sur  la  terre? 

Solution. 

Les  Saints  qui  régnent  dans  la  céleste  patrie  connaissent 
tout  ce  qui  se  fait  sur  la  terre ,  parce  que  ,  soit  par  un  juge- 
ment particulier  de  Dieu ,  soit  par  les  louanges  des  anges , 
tout  ce  qui  se  fait  sur  la  terre  se  présente  manifestement 
devant  Dieu.  Les  impies  également,  même  ceux  qui  ne  met- 
taient point  de  relâche  dans  leurs  péchés,  qui  ne  les  expiaient 
point  par  la  pénitence  ,  connaissent  ce  qui  se  fait  de  mal , 


90  ESPRIT 

et  se  rient  amèrement  de  la  folie  de  ceux  qui  les  imitent ,  et 
ils  connaissent  ce  qui  se  fait  de  bon ,  par  les  applaudisse- 
ments qu'ils  sont  forcés  d'accorder  aux  Bienheureux  qui  ne 
suivent  pas  leurs  exemples. 

Question  XXXV. 

Les  diverses  paraboles  qui  sont  rapportées  dans  l'Evangile  comme  est 
celle  du  voyageur  qui  tomba  entre  les  mains  des  voleurs ,  du  roi  qui 
fît  des  noces  à  son  fils ,  des  dix  Vierges  et  autres,  sont-elles  arrivées 
véritablement  comme  il  est  dit ,  ou  bien  sont-elles  seulement  propo- 
sées pour  enseigner  autre  chose  sous  le  voile  de  la  similitude  ?  (Luc. 
10,Matth.  22  et  25.  ) 

Solution. 

Le  Christ  a  proposé  les  paraboles  aux  hommes ,  à  cause 
des  vices  spirituels  par  lesquels  ils  sont  souvent  trompés  ,  et 
aussi  à  cause  des  vertus  par  lesquelles  ils  luttent  contre  eux 
victorieusement,  afin  de  leur  faire  connaître,  par  ces  similitu- 
des ,  qu'il  les  punirait  pour  le  mal  et  qu'il  les  récompenserait 
pour  le  bien. 

QuestiouXXXVI. 

Puisque,  selon  l'âme,  Abraham  et  Lazare  sont  dans  le  lieu  du  rafraî- 
chissement elle  riche  dans  l'enfer,  qu'est-ce  qu'on  doit  croire  du 
sein  d'Abraham,  du  doigt  de  Lazare  et  de  la  langue  du  mauvais  ri- 
che? (Luc.  16.  ) 

Solution. 

Le  sein  d'Abraham  signifie  l'obéissance  qu'il  témoigna  à 
Dieu  par  l'immolation  de  son  fils  et  la  circoncision  de  sa 
chair,  parce  que  l'obéissance  conserve  et  entretient  toutes 
les  bonnes  œuvres  ,  comme  le  sein  contient  et  conserve  tout 
ce  qu'on  y  renferme.  Et  le  doigt  de  Lazare  veut  dire  le  mys- 
tère de  l'obéissance  (qui  est  la  matière  des  commandements 


DE  SAINTE  IIILDEGARDE.  01 

de  Dieu),  parce  qu'elle  enseigne  tout  ce  qui  est  bien,  de 
même  que  l'homme  indique  du  doigt  ce  qu'il  veut  montrer. 
Enfin  ,  la  langue  du  riche  signifie  la  volonté  privée,  qui  ex- 
prime par  elle  l'abondance  des  désirs  charnels  ;  car  ,  de 
même  que  par  le  goût  de  la  langue  on  distingue  tous  les  ali- 
ments tels  qu'ils  sont ,  de  même  aussi  par  elle  la  volonté  des 
hommes  se  révèle  et  se  fait  connaître  telle  qu'elle  est. 

Question  XXXVII. 

Quel  mérite  particulier  signifie  ce  qui  se  trouve  dans  le  livre  de  saint 
Grégoire  ,  évoque  de  Tours  ,  touchant  saint  Martin  ,  dont  il  dit  qu'il 
est  apparu  souvent  sous  la  forme  du  feu  ? 

Solution. 

Le  Dieu  tout-puissant  qui  est  tout  amour  et  toute  force 
avait  répandu  dans  l'àme  de  saint  Martin  une  grande  effusion 
du  feu  du  Saint-Esprit,  et  c'est  à  cause  des  mérites  de  son 
humilité,  de  sa  piété,  de  sa  miséricorde  et  des  sentiments 
de  contrition  sincère  dont  il  était  animé  pour  le  Dieu  vivant , 
qu'il  est  apparu  souvent  en  feu. 

Question  XXXVIII. 

Dans  quel  corps  saint  Nicolas  est-il  apparu  aux  nautonniers  tant  éveil- 
lés qu'endormis,  tant  à  Constantin  qu'à  son  pr.'fet,  lorsqu'il  est 
certain  qu'il  n'apparut  pas  dans  son  propre  corps?  Comment  aussi 
saint  Pierre  ,  saint  Paul  et  d'autres  Saints  ,  dont  les  corps  étaient 
ensevelis  dans  la  terre  ,  se  sont-ils  montrés  visibles  ,  soit  à  des  gens 
endormis ,  soit  à  des  gens  éveillés  ? 

Solution. 

Si  cette  vision  spirituelle  n'apparaissait  pas  aux  hommes  , 
ils  ne  comprendraient  point  ce  qu'elle  est,  et  ils  ne  voudraient 
point  y  croire  ,  parce  qu'eux-mêmes  ont  deux  natures ,  celle 


9:2  ESPnn  de  sainte  hildegarde. 

du  corps  et  celle  de  l'esprit.  L'image  de  Dieu  ,  c'est-à-dire 
l'homme,  dont  une  partie  est  changeante  et  l'autre  immua- 
ble ,  ne  pourrait  donc  jamais  voir  un  esprit  immuable  s'il  ne 
paraissait  point  sous  une  forme  changeante ,  comme  une 
corne  est  sonnante,  non  par  elle-même  ,  mais  par  le  son  que 
l'on  y  produit.  Et  Dieu,  dans  l'apparition  de  ces  Saints,  mon- 
trait autant  sa  bonne  disposition  envers  eux  qu'envers  ceux 
auxquels  il  les  faisait  apparaître  ,  les  leur  donnant  à  considé- 
rer comme  on  considère  les  prodiges  du  firmament. 


NOTES  SIR  LES  RELIQUES  DE  SAINTE  HILDEGARDE, 


Nos  recherches  sur  les  reliques  et  le  tombeau  de  sainte  Hildegarde 
ont  été  à  peu  près  infructueuses  ;  tout  ce  que  nous  avons  pu  découvrir, 
c'est  qu'on  lui  avait  élevé ,  dans  le  monastère  de  Saint-Rupert ,  un  ri- 
che mausolée  orné  de  divers  marbres ,  et  que  ce  monastère  ayant  été 
pillé  et  brûlé  ,  en  1632  ,  par  les  révolutionnaires  suédois  ,  les  religieu- 
ses Bénédictines  qui  l'occupaient  se  retirèrent  et  emportèrent  avec  elles 
les  reliques  de  leur  sainte  abbesse  au  prieuré  de  Binghen  ou  d'Ebingen, 
au  diocèse  de  Mayence,  dont  sainte  Hildegarde  était  la  fondatrice.  C'est 
donc  là  qu'elle  a  reçu  depuis  les  honneurs  que  le  grand  nombre  de  ses 
miracles  lui  ont  fait  rendre.  Son  nom  est  célèbre  dans  les  fastes  de 
l'église  d'Allemagne.  Sa  canonisation  deux  fois  reprise  n'a  pas  été  ter- 
minée ,  mais  son  culte  est  permis  et  le  décret  de  béatification  a  été 
rendu.  Son  nom  est  inséré  dans  le  martyrologe  romain. 

Elle  mourut  dans  l'ordre  de  Saint-Benoît. 

Pour  les  notes  sur  les  Bénédictines ,  voyez  sainte  Gertrude. 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  CLAIRE  D'ASSISE, 

PREMIÈRE  RELIGIEUSE 

DU  SECOND  ORDRE  DE  SAINT-FRANÇOIS , 

PLUS  TARD  APPELÉ  DES  CLARISSE». 


NOTICE. 


1253. 

Claire  d'Assise ,  vierge  admirable ,  issue  d'une  famille 
llustre ,  eut  pour  père  le  chevalier  Sciffi  ,  et  pour  mère  Orto- 
lana ,  femme  d'un  grand  mérite.  Dès  sa  plus  tendre  enfance 
elle  fit  paraître,  comme  une  aurore  naissante,  les  doux  rayons 
de  sa  lumière  et  de  sa  sainteté.  Son  cœur  docile  et  tendre 
recevait  avec  une  étonnante  facilité  les  premières  semences 


94  NOTICE 

de  la  vertu  ;  et  le  Saint-Esprit  les  y  imprima  si  avant,  que 
chacun  la  regarda  bientôt  comme  un  vase  de  grâce  et  de  per- 
fection. Elle  avait  une  si  grande  inclination  à  secourir  les 
pauvres  ,  qu'elle  se  dérobait  sa  propre  nourriture  pour  la 
leur  donner  en  secret.  Tant  de  précoces  vertus  ,  on  le  devine 
bien  ,  n'étaient  point  pour  le  monde  ;  Dieu  voulait  les  mûrir 
à  l'ombre  de  l'autel ,  dans  le  saint  asile  du  cloître.  On  con- 
naît la  courageuse  résolution  de  Claire  pour  embrasser  la  vie 
religieuse,  comment  elle  abandonna  la  maison  paternelle  et 
résista  à  toutes  les  sollicitations  de  sa  famille  pour  suivre 
l'attrait  divin.  Ce  fut  le  lendemain  du  dimanche  des  Ra- 
meaux ,  selon  que  saint  François  d'Assise  le  lui  avait  pro- 
posé,  dans  l'église  de  laPorlioncule,  que  se  fit  sa  solennelle 
abjuration  des  vanités  du  monde  et  sa  perpétuelle  consécra- 
tion à  Jésus-Christ.  Le  bruit  de  la  retraite  de  Claire  s'étant 
répandu,  tout  le  monde  condamna  sa  conduite;  ses  parents 
et  ses  amis  employèrent  tous  les  moyens  les  plus  propres  à 
triompher  de  sa  résolution.  Mais  Claire  leur  prouva  que  son 
sexe  est  capable  de  la  plus  haute  abnégation  ,  quand  la  grâce 
de  Dieu  est  descendue  dans  le  cœur  d'une  femme. 

De  la  Portioncule  saint  François  la  transféra  dans  le  cou- 
vent de  Saint-Ange-de-Panso  ,  au  voisinage  d'Assise  ,  et  qui 
était  de  l'ordre  de  Saint-Benoît.  —  Sa  sœur  Agnès  vint  l'y 
joindre  et  voulut  partager  son  genre  de  vie.  Saint  François  lui 
donna  aussi  l'habit,  quoiqu'elle  n'eût  que  quatorze  ans.  Il 
mit  ces  deux  sœurs  dans  une  petite  maison  contigué'  à  l'église 
de  Saint-Damien  ,  et  établit  Claire  supérieure  de  ce  monas- 
tère naissant.  Voilà  quel  fut  le  berceau  et  comme  le  chef-lieu 
d'un  ordre  si  fameux.  Sa  maison  fut  en  peu  de  temps  com- 
posée de  seize  personnes ,  parmi  lesquelles  elle  compta  Orto- 
lana  sa  mère ,  et  trois  de  l'illustre  maison  des  Ubaldini  de 


SUR  SAIXTE  CLAIRE  I>' ASSISE.  95 

Florence.  Dès  ce  moment  nous  ne  pouvons  plus  suivre  les 
progrès  de  cet  Ordre  ;  car  bientôt  toute  cette  armée  de  fem- 
mes pieuses  ,  avec  des  reines  et  des  princesses  à  sa  tète , 
sous  le  nom  de  pauvres  Clarisses ,  alla  dresser  ses  tentes 
dans  toute  l'Europe  (1). 

Saint  François  comme  sainte  Claire  voulurent  que  cet 
Ordre  fût  fondé  sur  la  pauvreté  la  plus  absolue  ;  aussi  verra- 
t-on  jusqu'à  quel  point  sainte  Claire  Fa  recommandée  dans 
son  testament ,  un  des  plus  précieux  débris  de  ce  qu'a  laissé 
cette  illustre  mère  des  Clarisses  de  tant  de  suaves  instructions 
qu'elle  leur  donnait.  On  le  lira  avec  plaisir,  sans  doute;  car 
il  est  imprégné  de  cette  aimable  simplicité  qui  semble  être  le 
partage  des  Saints  (2). 

Claire  sentant  ses  forces  épuisées  par  une  course  de  plus 
de  quarante  années  dans  le  stade  de  la  pauvreté  la  plus  rigou- 
reuse ,  soupirait  après  le  moment  où  elle  serait  introduite 
dans  les  tabernacles  éternels.  Elle  savait  que  l'époux  était 
à  la  porte  pour  y  conduire  son  âme  bien-aimée  ;  elle  le  de- 
manda donc  en  viatique,  et  peu  de  temps  après,  comme  per- 
due dans  ses  divins  embrassements,  son  âme  s'échappa  du 
temple  de  son  corps  pour  aller  rayonner  dans  le  temple  de  la 
gloire.  Elle  avait  atteint  l'âge  de  soixante  ans.  On  était  à  l'an 
1253  ,  le  11  août. 


(1)  Voyez  l'Histoire  de  saintFrançois  d'Assise,  par  M.  Emile  Chavin,  page  61; 
M.  de  Hontalembert,  Histoire  de  suinte  Elisabeth  de  Hongrie;  M.  Henrion, 
Histoire  des  Ordres  religieux. 

(2)  Voy.  Wadding,  t.  3.  Giusseppe  di  Madrid,  Vila  di  saut  Chiarœ.  Les  copies 
de  Prague,  d'Ausbuorg  et  de  Florence  diffèrent  un  peu  de  celles  Wadding,  de 
Surius  et  des  Dollandisles.  Nous  n'entrons  dans  aucune  discussion  à  ce  sujet; 
qu'il  suffise  de  dire  que  nous  avons  suivi  celle  qui  est  entourée  de  plus  de  preu- 
ves  il', milieu  licite. 


96  NOTICE  SUR  SAINTE  CLAIRE  D* ASSISE. 

Elle  fut  visitée  avant  sa  mort  par  Innocent  IV  qui  habitait 
alors  Pérouse ,  et  par  plusieurs  cardinaux.  Ils  assistèrent 
tous,  et  le  Pape  lui-même,  à  ses  brillantes  funérailles. 

Le  R.  P.  Prudent  de  Faucogney ,  religieux  capucin  ,  en 
a  donné  une  belle  vie  en  français  ,  imprimée  à  Marseille 
en  1828. 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  CLAIRE  D'ASSISE, 

TIRÉ  DE  SES  INSTRUCTIONS  ET  DE  SON  TESTAMENT. 


Instruction  ou  Conférence  de  sainte  Claire  sur  les  avantages  de  la  vie  religieuse. 

Notre  Sainte  répond  à  certaines  questions  qu'une  jeune  fille  nommée 
Angèle  lui  avait  adressées  touchant  le  bonheur  des  gens  du  monde. 

«  Ne  vous  y  trompez  pas  ,  ma  Fille,  lui  dit-elle;  ceux  qui 
parlent  si  souvent  du  bonheur  et  qui  en  affectent  les  dehors 
avec  tant  d'éclat,  ne  sont  point  ceux  qui  le  goûtent  davantage. 
Les  efforts  qu'ils  font  pour  le  montrer,  font  voir  précisément 
qu'il  leur  manque  ,  et  peut-être  leur  en  coûte-t-il  plus  pour 
paraître  heureux  et  contents  ,  qu'il  ne  leur  en  coûterait  pour 
le  devenir  véritablement.  Le  vrai  bonheur  n'est  donc  point  ce 
vain  bruit  qui  peut  éblouir  une  àme  légère,  qui  se  hâte  de 
prononcer  sur  ce  qui  frappe  ses  sens.  Il  est  plus  concentré , 
ou  plutôt  il  est  tout  intérieur.  Il  naît  de  la  conscience  ;  c'est 
le  fruit  de  la  vertu  ;  c'est  elle  qui  le  soutient,  c'est  elle  qui  le 
rend  si  supérieur  à  toutes  les  folles  joies  du  siècle.  Le  bon- 
heur des  gens  du  monde  est  souvent  troublé  par  la  moindre 
infirmité  ,  par  le  moindre  revers ,  par  la  plus  légère  contra- 
diction. L'àme  fidèle  ,  au  contraire  ,  trouve  dans  les  épreuves 
que  le  Seigneur  lui  ménage  de  nouveaux  motifs  de  consola- 
t.  v.  7 


08  ESPRIT 

tion.  Elle  y  reconnaît  la  main  d'un  père  qui  la  détache  insen- 
siblement des  créatures;  elle  se  souvient  que  son  Dieu  la 
voit ,  qu'il  connaît  tous  les  mouvements  de  son  cœur,  et  ce 
souvenir  la  remplit  de  joie.  Elle  sent  que  dans  peu  elle  va 
s'unir  au  souverain  bien ,  et  elle  bénit  tous  les  événements 
qui  peuvent  accélérer  l'heureux  moment  de  la  possession 
éternelle  de  celui  pour  qui  elle  a  vécu  ,  de  celui  qu'elle 
aime. 

•>■)  Le  bonheur  des  gens  du  monde  consiste  dans  la  variété 
des  objets  qui  se  succèdent  tour  à  tour ,  qui  les  étourdissent 
par  leur  rapidité  ,  et  qui  les  empêchent  d'être  seuls  avec  eux- 
mêmes.  S'ils  ont  le  temps  de  réfléchir  un  instant  sur  leur 
état,  ils  sentent  alors  tout  le  poids  de  la  vie.  Ils  ne  voient  plus 
autour  d'eux  qu'un  vide  affreux  qui  les  effraie;  tout  les  fatigue 
et  les  ennuie.  Ils  ne  voient  plus  rien  au  dehors  qui  puisse  les 
distraire  et  les  dédommager  de  ce  qu'ils  souffrent  au  dedans. 
L'àme  fidèle ,  au  contraire  ,  n'est  jamais  plus  contente  que 
lorsqu'elle  se  retrouve  avec  elle-même.  Sa  conscience  et  son 
Dieu  ,  voilà  les  deux  témoins  qu'elle  ambitionne  et  qui  la 
rassurent  ;  elle  espère  et  elle  sent  que  ce  n'est  point  eu 
vain. 

»  Une  autre  différence  qui  doit  encore  nous  faire  compren- 
dre tout  l'avantage  du  bonheur  de  l'àme  religieuse  et  fidèle  , 
sur  la  félicité  passagère  qu'on  éprouve  quelquefois  dans  le 
siècle  ,  c'est  que  le  mondain  n'insulte  à  nos  pratiques  de 
piété  ,  à  nos  mortifications,  que  lorsque,  plein  de  santé  ,  il 
s'égare  dans  l'ivresse  des  passions ,  et  se  livre  aveuglément 
aux  illusions  des  sens.Tombe-t-il  dans  quelque  maladie,  se 
trouve-t-il  dans  une  position  fâcheuse  qui  lui  laisse  aperce- 
voir son  erreur ,  ce  n"est  plus  à  ses  compagnons  de  dé- 
bauche qu'il  s'adresse  pour  le  secourir  et  le  consoler  ;  il  les 
abandonne  comme  il  s'en  voit  lui-même  abandonné  ;  il  vient 
à  nous  avec  confiance  ;  c'est  notre  charité  et  nos  soins  qu'il 
implore  avec  larmes.  Se  voit-il  enfin  sur  le  point  de  mourir, 
c'est  alors  qu'il  se  reproche  bien  amèrement ,  et  souvent  bien 


DE  SAINTE  CLAIRE  d' ASSISE.  99 

inutilement  ses  folies  et  ses  crimes;  il  avoue  que,  dans  aucune 
circonstance  de  sa  vie  ,  il  n'a  été  véritablement  heureux  ;  il 
voudrait  avoir  vécu  comme  nous  ,  comme  les  plus  fervents 
solitaires  ;  il  voudrait  pouvoir  recommencer  une  nouvelle 
carrière  ;  mais  le  temps  est  fini  pour  lui  ,  et ,  tremblant  et 
confus  ,  il  va  s'ensevelir  dans  les  abîmes  de  l'éternité.  » 

...  «Ne  croyez  donc  point,  mes  Sœurs,  ajouta-t-elle , 
que  cette  pompe  extérieure ,  que  ces  riches  habits  dont  se 
chargent  les  enfants  de  la  terre ,  soient  encore  le  signe  du 
bonheur.  Tous  ces  vains  ornements  ne  montrent  souvent  que 
les  livrées  d'un  esclave  qui  cherche  à  plaire  à  ses  maîtres  , 
qui  consulte  plutôt  les  caprices  des  autres  que  son  propre 
goût,  qui  sacrifie  son  aisance  particulière  aux  fantaisies  d'une 
foule  de  personnes  que  souvent  il  ne  connaît  pas.  Nos  habits, 
tout  simples  qu'ils  sont ,  suffisent  cependant  à  nos  besoins. 
Us  n'exigent  de  nous  aucune  précaution  gênante  qui  nous 
déroberait  un  temps  précieux  que  nous  devons  à  notre  Dieu 
et  à  nous-mêmes.  Ils  nous  rappellent  sans  cesse  que  nous 
sommes  voyageurs  et  étrangers  sur  la  terre;  ils  nous  entre- 
tiennent dans  des  sentiments  d'humilité,  et  nous  font  sentir 
la  nécessité  de  pratiquer  la  vertu.  Les  vêtements  des  mon- 
dains ,  au  contraire,  ne  sont  souvent  que  des  ornements  qui 
les  gênent  plutôt  qu'ils  ne  les  couvrent  ;  ils  entraînent  des 
dépenses  excessives ,  ils  demandent  des  soins  multipliés  et 
rebutants  qui  fatiguent  à  la  longue  ,  et  font  souvent  négliger 
des  choses  essentielles  ;  ces  riches  habits  les  nourrissent  en- 
core dans  leur  vanité  ,  leur  orgueil ,  leur  petitesse  ;  ils  leur 
font  perdre  de  vue  que  la  terre  n'est  pour  eux  qu'un  lieu 
d'exil ,  et  qu'ils  vont  bientôt  paraître  aux  yeux  du  souverain 
Juge  qui  doit  rendre  à  chacun  selon  ses  œuvres. 

Mais  ,  ajouta-t-eile  ,  que  peut-on  penser  du  mérite  de  ces 
personnes  ,  qui  font  consister  leur  bonheur  dans  la  magnifi- 
cence des  habits?  Il  faut  qu'on  soit  bien  peu  de  chose  par  soi- 
même  quand  on  est  obligé  de  recourir  à  une  si  faible 
ressource  pour  se  faire  valoir  ,  pour  s'attirer  quelque  consi- 


1 00  ESPRIT 

dération ,  pour  jouir  du  bonheur  ,  et  quel  bonheur  que  celui 
de  se  gêner  beaucoup  ,  souvent  pour  exciter  l'envie  ,  la  jalou- 
sie, ou  quelquefois  peut-être  l'indignation  et  la  pitié  des 
personnes  que  l'on  fréquente ,  et  que  plusieurs  liens  nous 
attachent. 

Ne  croyez  pas  non  plus ,  mes  Sœurs  ,  que  la  variété  et 
la  délicatesse  de  la  nourriture  puisse  jamais  être  pour  une 
âme  raisonnable  une  source  de  félicité.  Le  pauvre  qui  n'apaise 
sa  faim  que  par  des  aliments  simples  qui  ne  lui  manquent 
jamais  ,  jouit  d'une  santé  plus  parfaite  ,  et  connaît  mieux  la 
gaieté  et  le  repos  de  l'esprit ,  que  le  riche  qui  fait  consister 
son  plaisir  dans  l'abondance  d'une  nourriture  recherchée. 
Quelle  preuve  plus  sensible  pourrai-je  vous  apporter  de 
tout  ce  que  je  vous  dis ,  que  votre  exemple  et  celui  de  toutes 
nos  sœurs  ?  D'ailleurs,  une  âme  solide  et  vraiment  pénétrée 
de  la  grandeur  de  ses  destinées  ,  est  bien  éloignée  de  mettre 
son  bonheur  à  satisfaire  ainsi  sa  sensualité.  Elle  ne  regarde  , 
au  contraire ,  les  soins  qu'elle  est  obligée  de  donner  à  son 
corps  ,  que  comme  une  servitude  qui  l'empêche  de  se  livrer 
tout  entière  à  de  plus  nobles  fonctions  ;  ce  sont  des  liens 
incommodes  qui  la  retiennent  encore  à  la  terre  ,  et  sa  prin- 
cipale consolation  est  de  savoir  qu'ils  seront  bientôt  rompus  , 
et  que  dans  quelques  moments  ,  elle  sera  plus  intimement 
unie  à  Dieu.  » 

Avis  à  une  Religieuse  qui ,  quoique  très-fidèle  à  tous  ses  devoirs  , 
se  plaignait  du  joug  de  la  confession. 

Sainte  Claire  ,  après  quelques  autres  raisonnements  ,  lui 
disait  :  «  Mais  une  autre  cause  de  vos  inquiétudes  ,  ma 
Fille  ,  c'est  peut-être  parce  que  vous  ne  vous  ouvrez  pas 
assez  entièrement  à  votre  directeur  ;  vous  ne  tirez  le  voile 
qu'à  demi;  vous  retenez  pour  vous  une  partie  du  fardeau  qui 
vous  accable ,  et  c'est  votre  propre  secret  qui  vous  pèse  et 
vous  tourmente.  Faites  donc,  une  bonne  fois  ,  une  ouverture 


DE  SAINTE  CLA1KE  D' ASSISE.  101 

entière  de  toute  votre  àme  ;  montrez  votre  intérieur  tel  qu'il 
est,  développez  tous  les  mouvements  de  votre  cœur  ,  débar- 
rassez-vous enfin  de  tout  ce  qui  peut  vous  peser  encore  , 
chargez-en  votre  directeur  ,  il  vous  servira  de  rempart  contre 
vous-même  ,  sa  force  soutiendra  votre  faiblesse  ,  vous  verrez 
toutes  vos  difficultés  s'aplanir  ;  ce  qui  vous  a  paru  jusqu'ici 
dur  et  rebutant ,  vous  paraîtra  dans  la  suite  doux  ,  consolant 
et  facile  ;  vous  serez  même  étonnée  de  la  confiance  et  de  la 
force  que  vous  puiserez  dans  le  Sacrement  institué  pour  effa- 
cer nos  souillures.  » 

Avis  à  une  autre  personne  qui  avait  une  crainte  excessive  des 
jugements  de  Dieu. 

«  Vous  tremblez  ,  ma  Sœur,  lui  dit-elle?  Et  pourquoi  vous 
effrayez-vous?  Voyez  donc  la  figure  de  celui  qui  est  descendu 
du  ciel  en  terre  pour  nous  sauver  :  que  ce  livre  est  éloquent! 
Voyez  ces  bras  étendus  pour  vous  embrasser,  ce  côté  ouvert 
pour  vous  recevoir;  et  vous  trembleriez  encore  à  la  vue  de  ce 
Dieu  bienfaisant  qui  vous  appelle?  Mais  si ,  depuis  vingt-trois 
ans  que  vous  le  servez  dans  la  religion ,  vous  eussiez  autant 
montré  de  courage  et  de  constance  dans  le  service  de  ce  Fré- 
déric qui  désole  nos  provinces  ,  ou  de  quelqu'autre  barbare  , 
croyez-vous  que  ces  tyrans  oublieraient  vos  travaux ,  qu'ils 
s'indigneraient  de  votre  zèle  et  de  votre  empressement  à  exé- 
cuter leurs  volontés  ,  qu'ils  mettraient  enfin  leur  bonheur  et 
leur  gloire  à  vous  poursuivre  et  à  vous  tourmenter  à  jamais?.. 
Ma  chère  Sœur ,  quelle  idée  vous  êtes-vous  donc  formée  du 
Dieu  qui  vous  a  créée  et  qui  est  mort  pour  sauver  votre  àme  ? 
Oseriez-vous  bien  le  croire  moins  bon,  moins  compatissant  et 
moins  généreux  que  ces  hommes  de  ténèbres  dont  vous  ne 
vous  rappelez  le  souvenir  qu'avec  une  espèce  d'horreur  ?...  » 
On  devine  sans  effort  que  des  paroles  si  calmes  ,  si  bien  fon- 
dées, produisirent  tout  l'effet  qu'on  en  pouvait  espérer. 


102  ESPRIT 

Paroles  de  sainte  Claire  au  Dieu  des  armées,  au  moment  où,  par  le  cou- 
rage le  plus  héroïque,  elle  se  porte  au-devant  du  redoutable  Frédé- 
ric II,  ligué  avec  les  Sarrasins,  ravageant  l'Italie  à  la  tète  d'une 
armée  de  cent  mille  hommes,  et  venant  investir  Assise  et  attaquer  le 
couvent  de  sainte  Claire. 

»  Seigneur,  lui  dit-elle  ,  Seigneur,  n'auriez-vous  donc 
rassemblé  tant  d'innocentes  victimes  dans  le  fond  de  votre 
sanctuaire  que  pour  qu'elles  devinssent  plus  facilement  la 
proie  de  l'impie,  qui  ne  consulte  que  la  brutalité  de  son  ca- 
ractère et  la  fougue  de  ses  sens?  Ne  nous  auriez-vous  soute- 
nues jusqu'à  ce  jour,  ne  nous  auriez-vous  comblées  de  tant  de 
bienfaits  ,  que  pour  que  nous  fussions  foulées  aux  pieds,  que 
nous  périssions  de  la  manière  la  plus  affreuse  et  la  plus  hu- 
miliante pour  des  vierges  consacrées  à  votre  service  ?  Non  , 
Seigneur,  j'espère  en  vous,  vous  ne  permettrez  pas  que  des 
âmes  qui  ne  vivent  que  pour  vous ,  périssent  sous  le  glaive  de 
ceux  qui  blasphèment  votre  saint  nom.  »  Elle  dit ,  et  faisant 
porter  devant  elle  le  vase  sacré  où  était  renfermé  le  Dieu  de 
l'Eucharistie  ,  elle  alla  arrêter  l'impétuosité  de  l'orgueilleux 
vainqueur  (1). 

Différence  des  visites  qu'on  rend  à  Dieu  dans  son  temple  et  de  celles 
que  se  rendent  les  mondains. 

«  Mes  Sœurs  ,  leur  disait-elle,  les  mondains  se  visitent  par 
bienséance  ;  ils  se  voient  sans  s'aimer  ,  et  quelquefois  même 
sans  se  connaître  ;  et  nous  ,  nous  avons  la  consolation  de  vi- 
siter le  Dieu  qui  nous  a  créées ,  qui  nous  a  appelées  à  son 
service  ,  qui  nous  aime  tendrement  et  constamment.  Qu'elle 

(1)  Quelques  ailleurs  croient  que  sainte  Claire  prit  entre  ses  mains  le  ciboire 
où  étaient  renfermées  des  hosties  consacrées  ,  et  c'est  ainsi  que  la  plupart  des 
peintres  nous  la  représentent;  mais  nous  ne  voyons  rien  dans  les  anciens  mo- 
numents  qui  puisse  autoriser  celte  conjecture.  INous  lisons  seulement  dans  Su- 
rins, n°  \-i ,  les  mots  suivants  :  Quce  impavide  corde,  se  infirmait.1;  ad  oslium 
duci  jubet  et  ante  hostesponi,  prœcedente  eum  capsâ  argenteâ,  intrà  ebur  in- 
clusâ  ,  m  quâ  Sancta  Sanctorum  devotissimè  servabantur,  sacratissimum,  sciliect, 
Corpus  Christi. 


DE  SAINTE  CLAIRE  d' ASSISE.  103 

est  grande  cette  différence  qui  se  trouve  entre  les  visites  qu'on 
se  rend  dans  le  monde  et  celles  qu'on  fait  à  Dieu  aux  pieds  de 
ses  autels!  Dans  les  sociétés  profanes  on  s'observe,  on  se  cri- 
tique ,  on  se  déchire  ;  la  contrainte  y  est  souvent  enveloppée 
sous  les  dehors  de  l'aisance  et  de  la  liberié..On  y  rit  sans  joie 
comme  sans  sujet,  et  souvent  on  en  sort  avec  une  tristesse 
profonde,  d'autant  plus  accablante,  qu'il  faut  la  dissimuler 
encore.  Devant  notre  Dieu,  au  contraire,  rien  ne  nous  inquiète 
et  ne  nous  gêne.  Nous  savons  que  nous  parlons  au  meilleur 
des  amis  ,  au  plus  tendre  des  pères,  et  cette  pensée  nous  sou- 
lage et  nous  console  ;  nous  lui  ouvrons  notre  cœur  sans  con- 
trainte ,  nous  lui  exposons  nos  besoins  sans  défiance  ,  nous 
lui  racontons  notre  misère  sans  embarras  et  sans  confusion  ; 
et  dans  le  temps  que  nous  lui  parlons  ,  nous  savons  qu'il  est 
près  de  nous  ,  qu'il  entend  nos  plaintes,  qu'il  s'attendrit  sur 
nos  malheurs.  Nous  ne  le  quittons  jamais  sans  en  retirer 
quelque  avantage  ;  au  sortir  de  ces  entretiens  nous  nous 
trouvons  plus  courageuses  et  plus  fortes  ;  il  nous  semble  qu'il 
nous  accompagne  et  qu'il  guide  lui-même  tous  nos  pas  ;  il 
répand  une  douce  joie  dans  le  fond  de  notre  àme  ;  il  nous 
parait  alors  tel  qu'il  est  en  effet,  c'est-à-dire,  le  meilleur  et 
le  plus  grand  de  tous  les  êtres.  » 

TESTAMENT  DE  SA1XTE  CLAIRE. 

«  -J-  Au  nom  du  Seigneur.  Amen. 

Entre  tous  les  bienfaits  que  nous  avons  reçus  et  que  nous 
recevons  sans  cesse  de  notre  généreux  Père  et  Sauveur  ,  le 
Dieu  des  miséricordes ,  il  en  est  un  pour  lequel  nous  devons 
lui- rendre  de  plus  solennelles  et  plus  vives  actions  de  grâces  , 
je  veux  dire,  pour  le  bienfait  de  notre  vocation.  En  effet,  elle 
est  grande  et  glorieuse  cette  vocation  sublime  ,  et  plus  elle 
est  grande  et  parfaite  ,  plus  aussi  nous  sommes  redevables 
à  Dieu   et  nous  devons  la  faire  tourner  à  sa  gloire. 

C'est  pourquoi  l'apôtre  saint  Paul  nous  dit  :  Connaissez  la 


lÙi  ESPRIT 

grandeur  de  votre  vocation  (  1  Cor.  1-26).  C'est  le  Fils  de 
Dieu  même  qui  s'est  fait  notre  voie  ,  et  notre  bienheureux 
père  François,  son  vrai  amateur  et  imitateur  ,  nous  l'a  ensei- 
gnée et  par  ses  paroles  et  par  ses  exemples. 

Nous  devons  donc ,  mes  bien-aimées  Sœurs ,  considérer 
attentivement  les  immenses  faveurs  dont  le  Seigneur  nous  a 
comblées  ,  mais  en  particulier  celle  qu'il  nous  a  accordée  et 
qu'il  a  daigné  signaler  envers  nous  par  son  saint  et  heureux 
serviteur  François  ,  non-seulement  depuis  notre  conversion  , 
mais  encore  pendant  que  nous  étions  au  milieu  de  la  vanité 
du  siècle.  Car  ,  tandis  que  lui-même  n'avait  encore  ni  frères 
ni  compagnons,  et  que  peu  après  sa  conversion  ,  visité  par  la 
consolation  de  l'Esprit-Saint  et  poussé  à  renoncer  à  toutes  les 
possessions  du  siècle,  il  bâtissait  l'église  de  Saint-Damien,  il 
prophétisa  de  nous  par  une  irradiation  céleste,  en  disant  (  ce 
que  le  Seigneur  a  accompli  :)  ((.Venez  et  prêtez-moi  votre  aide 
dans  la  fondation  du  monastère  de  Saint-Damien ,  car  ici  un 
jour  habiteront  des  femmes  dont  la  vie  sainte  et  illustre  fera 
glorifier  notre  Père  des  deux  dans  toute  l'étendue  de  sa  sainte 
Eglise  universelle.  »  En  cela  donc  nous  pouvons  admirer 
l'abondante  charité  de  Dieu  envers  nous  ,  qui,  dans  son  infi- 
nie miséricorde  et  sa  bénignité,  a  daigné  parler  par  la  bouche 
de  son  serviteur  ,  touchant  notre  vocation  et  élection.  Et  ce 
n'est  pas  de  nous  seulement  que  saint  François  a  prophétisé, 
mais  de  toutes  celles  qui  doivent  venir  après  nous  et  qui  sont 
renfermées  dans  la  vocation  et  l'oracle  du  Seigneur.  Oh  , 
avec  quelle  sollicitude  donc  et  avec  quels  efforts  d'esprit ,  de 
cœur  et  de  corps  ne  devons-nous  pas  garder  les  saintes  or- 
donnances de  notre  Dieu  et  de  notre  Père  ,  afin  qu'avec  le 
secours  de  la  miséricorde  divine  nous  puissions  lui  ren- 
dre un  jour  un  talent  multiplié  par  une  sainte  usure  !  car 
le  Seigneur  ne  nous  a  pas  seulement  établies  pour  être,  au- 
près des  gens  du  monde  ,  les  modèles,  les  exemplaires  et  les 
miroirs  des  vertus  ,  mais  encore  envers  les  sœurs  que  le.  Sei- 
gneur a  appelées  au  même  état  de  religion  ,  afin  qu'elles-mê- 


DE  SAIXTE  CLÀIHE  D' ASSISE.  105 

mes,  à  leur  tour,  soient  au  milieu  du  monde  des  exemplaires 
et  des  miroirs  de  perfection. 

Puisque  donc  le  Seigneur  a  daigné  nous  appeler  et  nous 
destiner  à  une  si  haute  vocation  que  celle  d'être  nous-mêmes 
les  modèles  et  les  miroirs  dans  lesquels  doivent  se  regarder 
et  sur  lesquels  doivent  se  former  celles  qui  doivent  être  elles- 
mêmes  les  modèles  des  autres  ,  nous  sommes  tenues  et  obli- 
gées à  beaucoup  bénir  et  louer  le  Seigneur  et  à  nous  beau- 
coup fortifier  aussi  pour  opérer  touie  sorte  de  bien  en  son 
honneur.  C'est  pourquoi  si  nous  vivons  selon  cette  règle 
excellente  ,  nous  laisserons  un  bel  exemple  de  conduite  aux 
autres  ,  et  nous  acquerrons  par  un  court  et  faible  travail  la 
couronne  d'une  félicité  éternelle. 

Après  donc  que  le  Père  très-haut  dans  les  cieux  eut ,  par 
l'effet  de  sa  miséricorde  et  par  sa  grâce ,  éclairé  et  touché 
mon  cœur  pour  que  je  fisse  pénitence  à  l'exemple  et  selon  la 
doctrine  de  notre  père  François,  et  après  que  je  lui  eus  pro- 
mis obéissance  avec  quelques-unes  de  mes  sœurs  que  le 
Seigneur  m'avait  données  après  ma  conversion  ,  afin  de  me- 
ner une  vie  sainte  et  louable ,  notre  père  François ,  considé- 
rant que  nous  étions  faibles  et  fragiles  selon  la  chair,  ne  nous 
traita  qu'avec  sagesse  ;  cependant  nous  n'avons  point  refusé 
d'adopter  et  d'aimer  les  privations,  la  pauvreté ,  le  travail ,  la 
tribulalion,  l'obscurité,  et  de  mépriser  entièrement  le  monde. 
Bien  plus ,  nous  avons  regardé  comme  un  sujet  de  délices 
pour  nous ,  d'imiter  l'exemple  des  Saints  et  de  ses  frères  ,  et 
lui ,  a  bien  voulu  ,  après  l'avoir  examiné  devant  le  Seigneur 
et  s'en  réjouissant  en  sa  présence  ,  porté  par  beaucoup  de 
charité  et  de  compassion  envers  nous,  se  charger  d'avoir  tou- 
jours ,  soit  par  lui-même,  soit  par  ses  frères,  une  tendre  solli- 
citude et  un  soin  pieux  pour  notre  salut.  Et  ainsi,  c'est  par 
la  volonté  du  ciel  et  celle  de  notre  bienheureux  père  Fran- 
çois que  nous  sommes  allées  nous  fixer  à  l'église  de  Saint- 
Damien  ,  où  le  Seigneur  nous  a  multipliées  en  si  peu  de 
temps  ,  par  sa  miséricorde  ,  vérifiant  ainsi  ce  que  son  servi- 


106  ESPRIT 

teur  avait  prédit.  Car  nous  nous  étions  établies,  quoique  peu 
de  temps  ,  en  un  autre  lieu  ,  et  ensuite  il  nous  écrivit  la  règle 
que  nous  devions  suivre  ,  et  il  la  fonda  principalement  sur 
la  vie  de  pauvreté  perpétuelle  ,  et  il  ne  se  borna  pas  à  nous 
exhorter  pendant  sa  vie  par  beaucoup  de  discours  et  d'exem- 
ples à  l'amour  et  à  l'observance  de  celte.très-sainte  pauvreté, 
mais  il  nous  laissa  encore  plusieurs  écrits  à  ce  sujet ,  afin 
qu'après  sa  mort  nous  ne  nous  détournassions  nullement  de 
cette  bienheureuse  vertu  de  laquelle  le  Fils  de  Dieu  lui-même, 
durant  toute  sa  vie  dans  ce  monde  ,  n'a  jamais  voulu  s'écar- 
ter. Et  certes,  lui-même  notre  père  François,  qui  l'avait  choi- 
sie pour  sa  propre  épouse  et  celle  de  ses  frères  pendant  toute 
la  vie,  cette  sainte  pauvreté,  il  ne  s'en  est  jamais  écarté,  soit 
en  paroles  soit  en  actions. 

Considérant  donc  tout  cela,  moi,  Claire,  servante  quoique 
indigne  du  Christ  et  de  mes  pauvres  sœurs  du  monastère  de 
Saint-Damien  ,  et  pauvre  petit  rejeton  de  notre  saint  père  et 
de  nos  autres  sœurs,  considérant,  dis-je  ,  notre  haute  pro- 
fession et  l'ordre  exprès  de  notre  Père  ;  considérant  aussi 
que  nous  devons  craindre  ,  après  notre  mort ,  dans  les  au- 
tres la  fragilité  que  nous  avons  ressentie  en  nous-mêmes,  et 
surtout  après  la  perte  de  notre  bienheureux  Père  qui  était 
notre  colonne  et  notre  unique  consolation  après  Dieu  ;  nous 
nous  obligeons  tout  de  nouveau  et  très-expressément  et  volon- 
tairement envers  notre  sainte  reine,  la  pauvreté,  pour  qu'a- 
près notre  mort ,  ni  les  sœurs  présentes,  ni  les  sœurs  ave- 
nir, ne  présument  jamais  de  pouvoir  s'en  écarter.  Et  comme 
je  me  suis  toujours  étudiée  et  efforcée  moi-même  de  pratiquer 
cette  pauvreté  que  j'avais  promise  à  notre  père  François  et 
de  la  faire  également  observer  par  les  autres  ,  et  bien  plus  , 
que  pour  en  assurer  la  ponctuelle  fidélité,  nous  avons  eu  re- 
cours ,  par  précaution,  à  notre  souverain  Pontife  Innocent , 
sous  le  règne  duquel  nous  avons  commencé  ,  plaçant  sous  sa 
puissante  autorité  et  sous  celle  de  ses  successeurs  ,  la  pro- 
fession de  notre  sainte  pauvreté ,  nous  l'avons  supplié  hum- 


DE  SAINTE  CLAIRE  D' ASSISE.  407 

blement  de  vouloir  bien  la  faire  corroborer  et  conserver  par 
quelques  privilèges ,  afin  qu'en  aucun  temps  aucune  de  nos 
sœurs  n'ose  s'en  éloigner. 

C'est  pourquoi ,  me  jetant  profondément  à  deux  genoux  et 
inclinant  les  deux  hommes  (l'intérieur  et  l'extérieur),  je 
recommande  à  la  sainte  Eglise  romaine  ,  au  Souverain  Pon- 
tife, et  principalement  à  Son  Excellence  monseigneur  le  Car- 
dinal qui  a  été  député  comme  protecteur  auprès  des  Frères 
Mineurs  et  de  vous;  je  leur  recommande,  dis-je  ,  toutes  mes 
sœurs  présentes  et  futures,  afin  qu'on  leur  fasse  toujours  ob- 
server par  amour  pour  ce  divin  Sauveur  Jésus  qui,  pauvre  dans 
une  crèche ,  pauvre  au  milieu  du  monde ,  pauvre  et  nu  sur  la 
croix,  a  été  le  modèle  parfait  de  la  pauvreté,  et  pour  l'amour  de 
la  pauvreté  de  la  très-sainte  Vierge  sa  mère  et  de  notre  père 
François,  cette  pauvreté  sainte  que  nous  avons  promise,  et 
qu'elles  se  réchauffent  toujours,  se  raniment  et  se  conservent 
dans  cette  céleste  vertu  ;  et  comme  le  Seigueur  nous  a  donné 
notre  père  François  pour  notre  fondateur,  instituteur,  direc- 
teur et  soutien  de  l'ordre  au  service  de  Dieu  ,  et  qu'il  a  été 
toujours  vigilant  et  empressé  pour  faire  croître  sa  fondation , 
pour  la  rendre  sainte  et  permanente,  je  recommande  ainsi  mes 
sœurs  actuelles  et  à  venir  au  successeur  de  notre  bienheureux 
père  François  et  à  tout  son  Ordre  ,  pour  qu'ils  nous  soient  en 
aide,  afin  de  mieux  servir  Dieu  de  plus  en  plus  et  de  bien  ob- 
server principalement  mieux  la  très-sainte  pauvreté. 

Que  s'il  arrivait  quelque  jour  que  les  susdites  sœurs  quit- 
tassent ce  lieu  pour  se  transporter  ailleurs,  elles  soient  tenues 
après  ma  mort  d'observer  la  pauvreté  en  quelque  lieu  qu'elles 
soient  ;  qu'elles  prennent  bien  garde  toutefois  ,  tant  celle  qui 
présidéra  d'office  ,  que  les  autres  sœurs  ,  qu'on  n'achète  ni 
n'accepte  point  de  terre  autour  de  ce  lieu ,  à  moins  que  l'ex- 
trême nécessité  ne  l'exige  pour  cultiver  quelques  légumes  ; 
que  si  cependant  il  était  convenable  ,  pour  la  clôture  du  mo- 
nastère ou  son  éloignement  des  autres  habitations  ,  d'avoir 
un  peu  plus  de  terre  au  delà  de  la  barrière  du  jardin  ,  qu'il 


108  ESPRIT 

ne  soit  point  permis  d'en  acheter  davantage  que  ce  qui  est 
indispensablement  nécessaire ,  et  môme  il  sera  défendu  de  la 
labourer  ,  ni  de  l'ensemencer,  car  elle  doit  demeurer  vierge 
et  inculte  ;  c'est  pourquoi  j'exhorte  et  j'avertis  humblement 
en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  toutes  mes  sœurs ,  présentes 
et  futures  ,  à  s'appliquer  sans  cesse  à  imiter  et  à  suivre  la  voie 
de  simplicité,  d'humilité  et  de  pauvreté,  comme  aussi  d'a- 
voir une  vie  très-réglée  et  très-sainte ,  selon  que  nous  en 
avons  été  averties  dès  le  commencement  de  notre  institution 
par  notre  bienheureux  père  François.  Et  puisse  le  Père  des 
miséricordes  et  de  toute  grâce  ,  accorder  aux  mérites  de  notre 
bienheureux  fondateur  ,  non  aux  nôtres  ,  que  ,  soit  celles 
qui  sont  près ,  soit  celles  qui  sont  loin  ,  toutes  nos  sœurs 
soient  en  odeur  de  bonne  réputation  et  de  sainteté. 

Je  vous  invite  aussi  à  vous  aimer  tendrement  d'une  charité 
toute  fraternelle  ,  et  de  prouver  au  dehors  par  les  effets 
l'amour  que  vous  aurez  à  l'intérieur  ,  afin  'que  .  provoquées 
par  vos  exemples ,  les  autres  sœurs  croissent  toujours  de  plus 
en  plus  en  l'amour  de  Dieu  et  la  mutuelle  charité. 

Je  prie  également  celle  qui  sera  placée  à  la  tête  des  sœurs, 
de  s'efforcer  à  être  la  supérieure  des  autres,  plus  par  ses  vertus 
et  ses  saintes  mœurs  ,  que  par  sa  dignité  ;  afin  que  ses  sœurs 
ne  soient  pas  seulement  portées  à  lui  obéir  par  devoir  ,  mais 
plutôt  par  affection  ;  qu'elle  soit  de  plus  vigilante  et  discrète 
touchant  ses  sœurs ,  comme  l'est  une  bonne  mère  envers  ses 
filles,  et  qu'elle  tâche  de  pourvoir  principalement  aux  besoins 
de  chacune  d'elles  en  tout  ce  qui  nous  vient  du  Seigneur. 

Qu'elle  soit  bonne,  bienveillante  et  assez  accessible",  pour 
que  chaque  sœur  puisse  aller  en  toute  sécurité  lui  manifester  ses 
besoins  et  recourir  à  elle ,  à  toute  heure ,  avec  confiance,  selon 
qu'il  lui  paraîtra  avantageux  tant  pour  elle  que  pour  ses  sœurs. 

Quant  aux  autres  sœurs  inférieures  et  qui  doivent  lui  être 
soumises  ,  qu'elles  se  souviennent  qu'elles  ont  renoncé  à  leur 
volonté  propre  pour  l'amour  du  Seigneur;  c'est  pour  cela  que 
je  veux  qu'elles  obéissent  en  tout  à  leur  mère ,  comme  elles 


DE  SAINTE  CLAIRE  D'ASSISE.  109 

l'ont  promis  à  Dieu  de  leur  libre  choix  et  de  leur  volonté  spon- 
tanée ,  afin  que  leur  mère  voyant  leur  charité,  leur  humilité  et 
l'union  qui  règne  entre  elles,  porte  plus  légèrement  le  fardeau 
que  sa  charge  lui  impose  ,  et  que  ce  qui  est  ordinairement 
pénible  et  amer ,  lui  soit ,  à  cause  de  votre  sainte  conduite  , 
changé  en  douceur  et  consolation.  Or ,  je  dois  vous  dire  que  la 
voie  qui  conduit  et  par  laquelle  on  entre  à  la  vie  est  étroite, 
et  le  sentier  et  la  porte  le  sont  aussi,  et  il  y  en  a  fort  peu  qui  y 
marchent  et  qui  y  entrent ,  et  s'il  y  en  a  quelques-uns  qui  y 
cheminent  pendant  un  certain  temps  ,  il  y  en  a  un  très-petit 
nombre  qui  y  marche  avec  persévérance.  Heureux  donc  ceux  à 
qui  il  est  donné  d'y  marcher  sans  s'arrêter  et  d'y  persévérer 
jusqu'à  la  fin  !  Prenons  donc  un  grand  soin  ,  qu'après  y  être 
entrées  ety  avoir  marché,  par  un  effet  de  notre  négligence,  par 
nos  fautes  ou  nos  ignorances ,  nous  ne  nous  en  détournions 
pendant  quelque  temps ,  et  que  nous  ne  fassions  injure ,  par 
notre  lâcheté,  à  un  aussi  grand  Dieu  que  celui  que  nous  ser- 
vons ,  et  aussi  à  la  sainte  Vierge  sa  mère,  à  notre  bienheu- 
reux père  François  et  à  l'Eglise  ,  soit  triomphante  ,  soit  mili- 
tante ,  car  il  est  écrit  :  Maudits  sont  ceux  qui  se  détournent 
de  vos  saints  commandements  (  Ps.  118-24  ). 

C'est  pou?*  cela  que  je  fléchis  le  genou  devant  le  père  de 
Notre- Seigneur  Jésus-Christ  et  que  je  supplie  par  bs  mérites 
et  les  suffrages  de  la  glorieuse  Vierge  sa  sainte  Mère  -,  de 
notre  bienheureux  père  François  et  de  tous  les  Saints  ,  le 
même  Seigneur  qui  nous  a  donné  un  beau  commencement, 
de  vouloir  nous  donner  encore  l'accroissement  et  surtout 
pour  toujours  la  persévérance  finale.  Amen. 

Et  afin  que  cet  écrit  soit  mieux  observé  ,  je  vous  le  laisse  , 
mes  très-chères  et  bien-aimées  Sœurs,  à  vous  qui  êtes  présen- 
tes et  à  vous  qui  devez  venir,  comme  une  preuve  de  la  béné- 
diction du  Seigneur,  de  celle  de  notre  bienheureux  père  Fran- 
çois et  de  la  bénédiction  dernière  de  votre  mère  et  servante 

Claire.  » 

(  Et  étendant  la  main ,  elle  les  bénit.  ) 


i  10  NOTE?  SUR  L'ORDRE  DES  CLÀMSSES. 

NOTES  SIR  LE  SECOND  ORDRE  DE  SA1M-FRANÇ0IS  D'ASSISE 

OU  DES  CLARISSES. 

Saint  François  ,  comme  fondateur ,  a  droit ,  avons-nous  dit ,  à  une 
triple  couronne.  C'est  lui  qui  établit  avec  les  Frères  Mineurs  les  Cla- 
risses  et  le  Tiers  Ordre  qui  compta  dans  la  suite  tant  d'illustres  et 
saints  personnages  (1). 

Ce  fui  en  121-2  que  naquit  l'ordre  de  Sainte-Claire  :  Saint-Damien 
fut  le  premier  monastère  de  cet  ordre  et  comme  le  chef-lieu  de  toutes 
les  autres  maisons. 

Saint  François  leur  traça  une  règle  particulière  en  1224.  Elle  était, 
empreinte  de  la  haute  sagesse  de  ce  saint  fondateur.  Aussi  la  réputa- 
tion de  leur  sainteté  pénétra  bientôt  si  loin,  que  la  tille  de  Primislaw  , 
roi  de  Bohème,  nommée  Agnès  ,  fonda  ,  dès  1234,  un  couvent  de  Cla- 
risses  à  Prague. 

Saint  Bonaventure  mitigea  ,  plus  lard  ,  quelques  observances  trop 
dures  pour  certaines  personnes  ;  et  comme  sa  règle  fut  approuvée  par 
Urbain  IV  ,  elles  portèrent  le  nom  ,  en  certain  lieux,  d'Urbanistes. 
Ainsi,  celles  qui  furent  fondées  à  Longcbamps,  près  de  Paris,  par 
sainte  Isabelle ,  sœur  de  saint  Louis  ,  portaient  le  nom  d'Urbanistes. 

Sainte  Colette  Boilet  introduisit  aussi  une  réforme  plus  austère  dans 
plusieurs  couvents  de  Clarisses ,  vers  l'an  1  i20  ;  et  les  religieuses  de 
cette  réforme  furent  distinguées  par  le  nom  de  Pauvres  Clarisses. 

En  1485,  les  religieuses  de  YAve-Maria  ,  de  Paris  ,  embrassèrent  la 
reforme  de  sainte  Colette.  Il  y  eut  aussi  plus  tard  une  fusion  entre  les 
Clarisses  et  les  Cpnceptionnistes  ou  sœurs  de  l'Immaculée  l'.onception , 
fondées  à  Tolède  eu  1481,  par  la  vénérable  Béatrix  de  Sylva.  (Voyez 
Henrion  ,  t.  2  ,  llist.  des  Ord.  relig.  ) 

Les  Clarisses  étaient  vêtues  d'un  habit  de  couleur  noirâtre  avec  un 
scapulaire  de  même  et  un  manteau  couleur  roussâlre ,  pour  le  temps 
des  offices  ;  un  cordon  avec  cinq  nœuds  ,  un  voile  blanc  sur  la  tète 
avec  un  noir  par-dessus  ,  des  sandales  et  un  chapelet  à  la  ceinture. 

C'est  dans  l'église  de  Saint-George  (pie  le  corps  de  sainte  Claire  fut 
enseveli  avec  une  grande  pompe.  Plusieurs  miracles  s'opérèrent  sur 
son  tombeau  :  dos  possédés  du  démon,  des  aveugles  ,  des  muets  fu- 
rent guéris;  des  enfants  morts  furent  ressuscites ,  toutes  sortes  d'in- 
lirmilés  soulagées  ,  etc.  (  Vide  Maiiana,  lib.  2,  cap.  2  ;  etWadding, 
Annules  Minorant ,  t    3  ,  pag.  307  et  suiv.  ) 

Le  voile  de  sainte  Claire  est  conservé  en  entier  au  couvent  de  Flo- 
rence ,  et  Dieu  s'en  sert  encore  pour  opérer  plusieurs  miracles  ,  particu- 
lièrement en  laveur  des  enfants  tombés  en  léthargie. 


(I)  Voyez  l'introduction  h  la  vie  de  sainte  Elisabeth  de  Hongrie,  par  le  comte  do  Mon- 
talembert. —  Voyez  aussi  saint  François  d'Assise,  par  M.  Emile  Chavin.  —  L'Histoire 
séraphique  ,  Wadding  ,  etc. 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO 


RELIGIEUSE  LU  TIERS  ORDRE  DE-SAINT  FRANÇOIS. 


NOTICE. 


1300. 

Ce  fut  dans  la  petite  ville  de  Foligno ,  au  duché  de  Spo- 
letta  ,  en  Umbrie ,  à  peu  de  distance  de  la  ville  d'Assise ,  pa- 
trie de  saint  François,  que  naquit,  en  1:218,  de  parents 
nobles  et  religieux  ,  l'illustre  sainte  dont  nous  allons  ébau- 
cher l'histoire.  Quoique  l'objet  des  tendres  soins  de  sa 
famille ,  la  jeune  Angèle  ne  reçut  qu'une  éducation  impar- 
faite, et  qui  se  ressentait  de  l'ignorance  des  temps  où  elle  vivait. 
Elle  entra  de  bonne  heure  dans  l'état  de  mariage  et  fut  mère  de 
plusieurs  enfants.  Sa  vie  ,  d'après  ce  qu'elle-même  nous  en 
raconte,  fut  assez  orageuse  ,  et  ses  passions  l'avaient  entrai- 


112  NOTICE 

née  clans  des  désordres  qu'elle  n'avait  jamais  eu  le  courage 
d'avouer  au  tribunal  de  Dieu.  Cependant,  touchée  de  la  grâce, 
elle  se  convertit  entièrement ,  et  son  retour  à  la  vertu  fut  si 
sincère  et  si  agréable  au  Seigneur ,  qu'elle  devint  l'objet  de 
ses  faveurs  les  plus  signalées. 

Dieu ,  qui  la  réservait  pour  de  grandes  choses  ,  la  fit  passer 
par  de  grandes  tribulations.  Il  voulut  montrer  en  elle  quelle 
est  l'économie  de  sa  sagesse  pour  épurer  les  âmes  et  les  ad- 
mettre ensuite  aux  plus  ineffables  communications.  Comme 
pour  lui  ôter  tout  obstacle  ,  il  lui  enleva  en  peu  de  temps 
tous  les  objets  les  plus  chers  à  son  cœur,  époux  ,  père  ,  mère 
et  enfants.  Dans  cet  état  de  désolation  ,  poussée  par  le  mou- 
vement sensible  de  la  grâce ,  elle  rompit  le  seul  lien  qui  l'at- 
tachât à  la  terre  ,  je  veux  dire  ses  richesses  ,  ses  biens;  elle 
les  vendit ,  et  pour  s'en  dépouiller  complètement ,  elle  en  fit 
la  distribution  aux  pauvres  et  entra  ,  dénuée  de  tout ,  dans  le 
tiers  ordre  de  Saint-François  dont  elle  fut  une  des  princi- 
pales gloires.  Elle  ouvrit,  par  son  exemple,  cette  sainte  car- 
rière à  un  grand  nombre  de  personnes  de  son  sexe  et  du  sexe 
différent  qu'elle  appelait  pour  cela  ses  fils  et  ses  filles.  On  dit 
que  c'est  sur  le  tombeau  môme  de  saint  François  d'Assise 
qu'elle  voulut  prononcer  ses  vœux  ,  et  qu'elle  prit  ses  nou- 
veaux engagements  avec  son  Dieu. 

La  vie  de  sainte  Àngèle  est  la  plus  propre  à  faire  discerner 
les  merveilleuses  opérations  de  la  grâce  de  Dieu  dans  les 
âmes  ,  et  à  donner  la  mesure  de  la  prudence  et  des  lumières 
dont  il  faut  être  doué  pour  les  bien  diriger  dans  de  sembla- 
bles positions. 

Son  ouvrage  est  un  des  plus  remarquables  qui  soient  sortis 
des  mains  d'une  femme  ,   surtout  à  l'époque  où  elle  vivait , 


SUR  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO.  113 

et  n'ayant  reçu  aucune  culture  d'esprit;  elle  traite  les  ques- 
tions les  plus  ardues  de  la  théologie  ascétique  avec  cette 
élévation  de  sentiment  et  cette  profondeur  de  science  jusque- 
là  réservées  aux  docteurs  de  l'Eglise.  Quelque  étonnante  que 
paraisse  en  certains  endroits  sa  doctrine ,  elle  a  mérité  les 
suffrages  des  cardinaux  chargés  de  l'examiner ,  et  a  obtenu 
l'approbation  de  plusieurs  souverains  Pontifes.  Elle  a  même 
acquis  tant  de  droits  à  l'admiration  générale  ,  que  le  pieux 
cardinal  Bona  et  le  pape  Benoit  XIY  citent,  dans  leurs  écrits, 
divers  passages  de  l'ouvrage  de  cette  Sainte.  Plusieurs  pro- 
fesseurs de  théologie  regardent  son  livre  comme  faisant  auto- 
rité ,  et  reconnaissent  les  lumières  extraordinaires  dont  il  plut 
au  Seigneur  de  la  favoriser  (1). 

Sainte  Àngèle  n'écrivit  son  ouvrage  que  par  l'ordre  exprès 
de  son  confesseur  et  en  vertu  de  l'obéissance  ,  car  les  motifs 
les  plus  puissants  n'avaient  pu  l'y  déterminer.  C'est  au  R.  P. 
Arnald,  de  l'ordre  des  Frères  Mineurs,  que  nous  devons 
celte  édifiante  production.  Sainte  Angèle  lui  dictait  tout  ce 
que  Dieu  avait  fait  en  elle,  et ,  tant  étaient  sublimes  les  im- 
pressions célestes  dans  son  âme,  elle  se  plaignait  toujours  de 
l'insuffisance  de  son  secrétaire  à  rendre  toute  la  beauté  et 
l'énergie  de  ce  qu'elle  avait  vu  ou  entendu. 

Mais  les  infirmités  nombreuses  auxquelles  ses  austérités 
l'avaient  assujettie  lui  ayant  fait  sentir  l'approche  de  son 
heure  dernière  ,  elle  s'y  prépara  et  la  vit  venir  avec  ce  calme 
et  cette  sérénité  qui  est  le  propre  des  âmes  justes,  et  le  jour 
de  l'octave  des  Saints  Innocents  ,  la  veille  des  nones  de  jan- 
vier 1309  ,  après  avoir  levé  ses  mains  et  ses  yeux  au  ciel , 
elle  s'envola  joyeuse  vers  les  demeures  éternelles  ,  pour  se 

(li  Préface  ilu  traducteur ,  pag.  I  et  2. 

T.  Y.  8 


1 14  NOTICE  SUR  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO. 

perdre  dans  l'abîme  de  la  lumière  divine  et  recevoir  la  palme 
de  l'immortalité.  C'était  sous  le  pontificat  de  Clément  V. 

L'ouvrage  de  sainte  Angèle  fut  dicté  et  écrit  en  latin,  tel 
qu'on  le  parlait  alors  dans  ces  contrées  de  l'Italie.  Il  fut  revu 
par  tout  ce  que  l'ordre  séraphique  comptait  d'hommes  émi- 
nents  à  cette  époque.  Cet  écrit  devint  bientôt  si  célèbre  qu'il 
se  répandit  partout.  Sitôt  connu  en  France  ,  M.  Guilhaume 
Chaudière  ,  imprimeur  à  Paris ,  en  publia  une  traduction  en 
70  chapitres  ;  nous  avons  donné  la  préférence  à  l'édition  de 
Paris,  de  1825,  par  M.  l'abbé  P*** ,  qui  porte  toutes  les 
preuves  désirables  d'authenticité. 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO, 

TIRÉ  DE  SA  D0CTR1HE  ET  DE  SES  REVELATIONS. 


Comme  sainte  Angèle  elle-même  explique  la  nature  et  la  fin  de  ses  écrits, 
il  serait  superflu  de  donner  ici  une  explication  préliminaire  ;  nous  la 
laissons  parler  : 

CHAPITRE  1er. 

«  Lorsque  je  me  fus  déterminée ,  dit-elle  ,  à  me  convertir, 
je  fis  de  suite  les  premières  démarches.  J'entrai  donc  dans  la 
carrière  de  la  pénitence;  mais  pour  la  parcourir  ,  mon  âme 
éprouva  diverses  situations.  Elles  furent  autant  de  degrés  ou 
de  pas  spirituels  qu'il  me  fallut  faire  avant  de  connaître  le 
véritable  état  de  ma  conscience  aux  yeux  de  Dieu. 

Ces  degrés  ou  situations  sont  au  nombre  de  dix-huit.  Je 
vais  les  décrire  successivement  et  dans  l'ordre  que  je  les  ai 
observés.  Chacun  fera  la  matière  d'un  article. 

Article  premier. 

Je  commençai  d'abord  à  considérer  mes  défauts  :  après  un 
examen  plus  sérieux  que  les  précédents  ,  je  vis  mes  péchés 
de  plus  près  et  dans  un  grand  détail.  La  connaissance  que 
j'eus  alors  de  leur  nombre  et  de  leur  gravité  me  glaça  de 


1 1 0  ESPRIT 

frayeur  ;  je  craignis  extrêmement  d'être  condamnée  aux  pei- 
nes de  l'enfer,  et  cette  crainte  me  fit  répandre  des  larmes 
amer  es. 

Art.  2. 

La  vue  de  mes  péchés  me  rendit  si  confuse  ,  et  la  honte  que 
j'en  eus  fut  si  forte  ,  que  je  n'osai  les  déclarer  tous  en  confes- 
sion. Cette  fausse  honte  fut  cause  que  j'approchai  souvent  de 
la  sainte  table  avec  une  conscience  criminelle.  Accablée  de 
reproches  intérieurs  ,  déchirée  par  les  remords  de  cet  état 
sacrilège  ,  mon  âme  était  affreusement  troublée  ,  je  ne  goû- 
tais de  repos  ni  nuit  ni  jour.  Pour  mettre  fin  à  ce  supplice 
insupportable,  je  pus  m'adresser  à  un  confesseur  que  j'obtins 
par  l'intercession  de  saint  François.  (  Elle  raconte  cela.  )  Je 
déposai  à  ses  pieds  le  poids  qui  m'accablait,  je  m'accusai 
complètement ,  et  il  me  donna  l'absolution  de  mes  péchés. 
Cependant ,  je  n'eus  pas  dans  cette  confession  des  sentiments 
bien  vifs  d'amour  de  Dieu;  je  ressentis  seulement,  une  dou- 
leur amère  et  une  grande  confusion  de  mes  iniquités. 

Art.  3. 

Je  m'appliquai  ensuite  de  mon  mieux  à  faire  ponctuelle- 
ment ce  qui  m'avait  été  imposé  pour  réparer  mes  fautes  et 
satisfaire  à  la  justice  de  Dieu;  j'étais  habituellement  touchée 
de  componction,  mais  sans  aucun  sentiment  de  consolation. 

Art.  4. 

Cet  état  de  douleur  durait  encore,  lorsque  je  commençai  à 
considérer  la  miséricorde  divine  et  l'importance  de  la  grâce 
que  j'avais  reçue  dans  celte  confession  qui  m'avait  comme 
arrachée  du  gouffre  de  l'enfer  que  je  savais  avoir  mérité.  Ce 
rayon  de  lumière  excita  dans  mon  cœur  un  sentiment  de 


DE  SAINTE  AXGÈLE  DE  FOLIGNO.  117 

tendre  reconnaissance  qui  donna  à  ma  contrition  un  caractère 
plus  onctueux.  Je  gémissais  ;  mais,  attendrie,  des  larmes  plus 
abondantes  coulèrent  de  mes  yeux  et  me  portèrent  à  exercer 
sur  moi  des  rigueurs  que  je  ne  dirai  pas  en  ce  moment. 

Art.  5. 

Dans  cette  situation  de  mon  âme,  je  ne  voyais  en  moi  que 
défauts  ;  je  me  les  reprochais  et  me  condamnais  moi-même , 
parce  que  je  reconnaissais  que  je  méritais  des  supplices  éter- 
nels :  cette  pensée  me  faisait  pousser  des  cris  et  des  hurle- 
ments lamentables. 

Je  dois  faire  observer  ici ,  qu'avant  de  passer  d'un  degré  à 
un  autre ,  il  s'écoulait  un  temps  plus  ou  moins  long  ;  mais , 
dans  tous  les  intervalles  ,  j'étais  constamment  plongée  dans  la 
tristesse,  dans  la  douleur  et  dans  les  larmes  ;  je  n'avais  d'au- 
tre consolation  que  celle  qu'on  trouve  à  pleurer. 

Art.  0. 

Pendant  que  je  marchais  dans  cette  voie  d'amertume,  je 
reçus  une  grâce  de  lumière  qui  me  fit  voir  plus  clairement  et 
plus  parfaitement  le  nombre  et  l'énormité  de  mes  fautes.  Je 
vis  alors  pour  la  première  fois  qu'en  offensant  mon  Dieu  j'a- 
vais par  là  outragé  toutes  ses  créatures  qu'il  avait  faites  pour 
mon  usage.  Toutes  ces  offenses  se  retraçaient  en  détail  à  ma 
mémoire.  Je  m'en  confessai  de  nouveau  à  Dieu  ;  j'en  compre- 
nais mieux  la  malice  :  atterrée  de  surprise  et  d'horreur,  je 
m'adressai  à  la  bienheureuse  Marie  et  à  tous  les  Saints  pour 
qu'ils  s'intéressassent  en  ma  faveur  et  m'obtinssent  la  miséri- 
corde. 

Je  m'adressai  ensuite  à  toutes  les  créatures  ,  sachant  que 
je  les  avais  offensées  en  péchant  contre  Dieu  ;  je  les  suppliai 
toutes  de  ne  pas  me  dénoncer  et  de  ne  pas  m' accuser  en 
s'élevant  contre  moi  devant  son  tribunal  redoutable. 


118  ESPRIT 

Il  me  semblait  que  les  Saints  et  même  les  créatures  inani- 
mées étaient  sensibles  à  mes  peines ,  qu'elles  avaient  comme 
pitié  de  moi  ;  et  dès  ce  moment  il  me  fut  donné  un  vif  senti- 
ment d'amour  qui  m'enflamma  et  me  porta  à  adresser  à  mon 
Dieu  de  plus  ardentes  et  ferventes  prières  que  je  n'avais  fait 
jusqu'alors. 

Art.  7. 

Je  reçus  une  grâce  spéciale  qui  me  portait  à  jeter  les  yeux 
sur  la  croix  :  je  regardai  d'esprit  et  de  corps  Jésus-Christ 
mort  pour  nous  après  avoir  été  crucifié  ;  mais  cette  considé- 
ration était  encore  insipide,  quoique,  en  contemplant  la 
croix  ,  j'éprouvasse  une  vive  douleur. 

Art.  8. 

Tant  que  je  demeurai  dans  cette  huitième  situation  ,  la  vue 
de  la  croix  me  pénétrait  d'une  claire  persuasion  que  Jésus- 
Christ  y  avait  expiré  pour  nos  péchés  :  alors  le  souvenir  de 
mes  fautes  fut  accompagné  d'une  très-grande  douleur  ,  parce 
que  je  vis  plus  clairement  que  j'avais  contribué  à  son  doulou- 
reux supplice;  mais  je  ne  comprenais  pas  encore  toute  la 
grandeur  du  bienfait  que  renferme  la  passion  de  Notre-Sei- 
gneur;  que  c'était  à  ce  grand  mystère  que  j'étais  redevable 
de  mon  retour  vers  Dieu  et  de  la  bonté  qui  m'avait  reçue  à 
pénitence  ;  que  Jésus-Christ ,  en  mourant  pour  moi ,  m'avait 
mérité  toutes  ces  insignes  faveurs.  Je  ne  compris  pas  alors 
toutes  ces  vérités  aussi  bien  que  je  les  compris  dans  la  suite. 
Néanmoins,  dans  cette  occasion,  le  peu  de  connaissance  que 
j'eus  du  mystère  de  la  croix  fut  suivi  d'une  ardeur  si  grande 
d'amour  et  de  componction,  qu'étant  prosternée  au  pied  d'une 
croix,  je  pris  la  résolution  de  me  départir  entièrement  de  ce 
que  je  possédais  ,  et  je  m'offris  tout  entière  à  celui  qui  s'était 
dépouillé  même  de  la  vie  pour  l'amour  de  moi. 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO.  1 10 

Ce  fut  dans  cette  même  circonstance  que  je  lui  fis ,  quoi- 
que avec  quelque  crainte,  le  vœu  de  chasteté.  Je  m'engageai 
à  veiller  sur  moi  de  manière  à  ne  jamais  l'offenser  par  aucun 
sens  de  mon  corps ,  reprochant  en  détail  à  tous  mes  membres 
d'avoir  autrefois  servi  à  la  violation  de  ses  préceptes.  Je  le 
priai  de  m' aider  de  sa  grâce  pour  que  je  pusse  observer  fidè- 
lement tout  ce  que  je  venais  de  promettre  ;  parce  que  ,  d'une 
part,  je  craignais  de  m'engager  trop  imprudemment,  tandis 
que  d'une  autre  j'étais  si  fortement  pressée  de  promettre, 
qu'il  me  semblait  impossible  de  me  refuser  d'en  faire  le  vœu. 

Art.  9. 

Après  avoir  émis  mon  vœu  de  chasteté  ,  je  me  sentis  ani- 
mée du  désir  de  chercher  le  véritable  chemin  de  la  croix  ,  non 
de  cette  croix  matérielle  et  visible  qu'on  trouve  partout,  mais 
de  cette  croix  mystérieuse  où  je  pusse ,  comme  devraient  faire 
tous  les  pécheurs,  trouver  un  refuge  assuré  contre  les  enne- 
mis du  salut  et  les  rigueurs  de  la  justice  divine  ;  ce  désir  fut 
accompagné  d'une  autre  grâce  qui  m' éclaira  ,  m'instruisit,  et 
me  montra  le  chemin  que  je  souhaitais  de  trouver  :  ce  fut  de 
la  manière  que  je  vais  raconter  :  Il  me  fut  dit  intérieurement, 
que  si  je  voulais  avoir  mon  désir  satisfait,  je  devais  me  dé- 
pouiller entièrement  pour  être  plus  dégagée  et  plus  agile  dans 
ma  course. 

Pour  cela  ,  je  devais  commencer  à  pardonner  de  bon  cœur 
à  tous  ceux  dont  j'avais  à  me  plaindre;  après  quoi,  je  devais 
me  détacher  de  tout  ce  qui  est  terrestre  comme  de  tous  les 
hommes  ,  des  femmes,  des  amis,  des  parents  ,  de  toutes  mes 
propriétés  et  de  moi-même ,  afin  que  mon  cœur  ainsi  délié  de 
toute  affection  aux  choses  créées,  pût  être  donné  à  Jésus-Christ 
de  qui  j'avais  reçu  tous  ces  biens,  et  que  je  pusse  marcher  après 
lui  dans  une  voie  toute  semée  d'épines  et  de  tribulations. 

Dès  ce  moment ,  je  cessai  d'user  de  mes  robes  et  vêtements 
les  plus  précieux,  ainsi  que  des  ornements  ou  ajustements 


1  -20  ESPRIT 

plus  somptueux  dont  je  parais  ma  tête  ;  je  m'abstins  des 
mets  les  plus  délicats  que  l'on  servait  à  ma  table  :  ce  chan- 
gement de  toilette  me  faisait  rougir  quelquefois ,  et  je  le  trou- 
vais pénible,  surtout  vivant  encore  avec  mon  mari ,  qui  en 
prit  souvent  occasion,  ainsi  que  plusieurs  autres  personnes  , 
de  m'en  railler  et  de  m'en  faire  confusion  ;  cependant,  grâces 
à  Dieu ,  je  supportais  tout  cela  avec  assez  de  patience.  Pour 
ne  pas  sans  doute  exposer  plus  longtemps  ma  faiblesse  à  la 
tentation  de  se  relâcher,  Dieu  voulut  m'enlever  d'abord  ma 
mère  ,  qui  était  pour  moi  un  grand  obstacle  aux  progrès  que 
j'avais  résolu  de  faire  dans  les  voies  de  Dieu  ;  peu  de  temps 
après  ,  survint  la  mort  de  mon  mari  et  celle  de  tous  mes  en- 
fants. Tant  de  pertes,  faites  presque  en  même  temps,  m'af- 
fligèrent bien  un  peu  ;  mais  comme  j'avais  résolu  de  marcher 
dans  la  voie  de  la  croix ,  et  comme  j'avais  prié  mon  Dieu  de 
rompre  lui-même  les  liens  qui  s'opposaient  à  ses  desseins 
sur  moi ,  toutes  ces  morts  furent  une  preuve  que  le  Seigneur 
m'avait  exaucée  et  devinrent  par  ce  motif  un  grand  sujet  de 
consolation  :  j'espérai,  après  cela,  que  puisque  le  Seigneur 
m'avait  fait  cette  grâce  ,  je  ne  trouverais  plus  d'obstacle  qui 
empêchât  mon  cœur  et  ma  volonté  d'être  à  lui ,  ni  qui  s'op- 
posât à  ce  qu'il  fût  à  moi. 

Art.  10. 

Je  demandai  à  mon  Sauveur  qu'il  me  fit  voir  comment  je 
devais  faire  pour  être  plus  agréable  à  ses  yeux  :  sa  bonté  le 
porta  à  se  rendre  plusieurs  fois  visible,  soit  pendant  la  nuit, 
soit  pendant  le  jour.  Durant  ces  diverses  apparitions  où  je  le 
voyais  toujours  sur  la  croix ,  il  m'engageait  à  regarder  ses 
plaies  ,  et  alors  il  me  faisait  comprendre  qu'il  les  avait  toutes 
souffertes  pour  l'amour  de  moi  ;  il  me  les  montrait  l'une 
après  l'autre,  et  me  disait  avec  un  air  admirablement  affable  : 
Que  peux-tu  [aire  pour  moi  qui  ait  quelque  proportion  avec  ce 
que  j'ai  souffert  ? 


de  saihte  angèle  de  folig^o.  121 

Art.   11. 

La  connaissance  plus  distincte  que  j'avais  de  mes  fautes 
passées,  m'émut  plus  fortement  et  me  détermina  à  pratiquer 
de  plus  grandes  austérités  que  je  ne  dois  pas  décrire  ici  :  j'en 
méditais  encore  d'autres  ,  mais  je  me  sentais  arrêtée  par  la 
raison  que  ma  pénitence  ne  serait  pas  ce  qu'elle  devait  être  , 
tant  que  je  tiendrais  par  un  lien  quelconque  aux  choses  du 
siècle.  Je  délibérai  donc  ,  et  après  mure  réflexion  je  formai  le 
dessein  de  tout  quitter  afin  d'arriver  plus  sûrement  à  cette  voie 
de  crucifiement  parfait,  ainsi  que  j'en  avais  précédemment 
reçu  l'inspiration.  Cette  résolution  fut  pour  moi  une  grâce  ad- 
mirable qui  me  fut  donnée  de  la  manière  que  je  vais  l'exposer. 
Je  fus  combattue  pendant  longtemps  par  des  réflexions  et 
des  motifs  opposés  ;  d'un  côté ,  j'avais  un  grand  désir  de 
devenir  pauvre,  et  très-souvent  j'étais  agitée  par  la  crainte  de 
mourir  avant  d'être  parvenue  à  une  complète  pauvreté  ;  d'un 
autre  côté  ,  j'étais  retenue  par  la  considération  qu'étant  en- 
core jeune ,  si  je  me  défaisais  de  tous  mes  biens  ,  je  courrais 
le  danger  d'être  obligée  de  mendier  pour  vivre  ,  et  j'aurais 
eu  une  grande  honte  de  me  trouver  dans  cette  nécessité. 

Il  me  venait  même  dans  l'esprit  que  dans  cette  situation  où 
je  me  verrais  réduite ,  je  préférerais  peut-être  mourir  de 
faim ,  de  froid ,  de  nudité  ;  et  que  si  je  faisais  part  de  mon 
dessein  à  qui  que  ce  fût,  tous  ceux  à  qui  je  le  confierais 
me  détourneraient  de  le  suivre. 

Dans  cette  perplexité  ,  le  Seigneur  vint  à  mon  secours  ;  il 
fit  jaillir  dans  mon  âme  indécise  un  rayon  de  lumière,  qui 
imprima  à  ma  volonté  une  force  de  détermination  impertur- 
bable que  je  ne  crains  pas  de  voir  jamais  s'affaiblir  ;  je  me 
sentis  tellement  résolue,  que  quand  même  j'eusse  été  assurée 
de  mourir  de  faim  ,  de  froid  ou  de  confusion  ,  rien  ne  m'au- 
rait empêchée  de  me  dépouiller  de  tout  ce  que  je  possédais 
encore  ;  pour  cela  il  me  suffisait  de  penser  que  ce  genre  de 


1-2-2  ESPRIT 

mort  serait  selon  le  bon  plaisir  de  Dieu ,  et  quand  même 
j'aurais  été  convaincue  que  ma  mort  serait  la  suite  de  mon 
dépouillement,  je  l'aurais  subie  sans  peine,  parce  que  je 
savais  qu'elle  serait  conforme  à  sa  divine  volonté  ;  aussi  dès 
ce  moment  je  fus  irrévocablement  déterminée  à  exécuter  mon 
premier  dessein. 

Art.  12. 

Je  m'adressai  ensuite  à  la  Sainte  Vierge  ,  mère  de  Dieu  ,  et 
à  saint  Jean  FEvangéliste ,  afin  qu'en  considération  de  la 
douleur  que  l'un  et  l'autre  éprouvèrent ,  lorsqu'ils  furent  té- 
moins de  la  mort  de  Jésus-Christ ,  ils  m'obtinssent  la  grâce 
de  ne  pas  perdre  de  vue  le  grand  mystère  de  la  Passion. 

Art.  13. 

Je  persistai  quelque  temps  dans  cette  demande  avec  un 
grand  désir  de  la  voir  accomplie,  lorsque  je  vis  en  songe  le 
sacré  cœur  de  Jésus-Christ  ;  j'entendis  en  même  temps  une 
voix  qui  me  disait  :  Dans  ce  cœur  il  n'y  a  rien  de  faux ,  tout 
ce  qu'il  renferme  est  vérité;  je  compris  que  cette  vision  m'était 
donnée  pour  me  reprocher  la  témérité  que  j'avais  précédem- 
ment commise  en  me  moquant  de  ce  qu'un  prédicateur  avait 
dit  en  chaire  sur  le  mystère  du  sacré  cœur  de  Jésus. 

Art.   14. 

Pour  exaucer  plus  complètement  ma  prière ,  Jésus-Christ 
se  manifesta  à  moi ,  pendant  que  j'étais  parfaitement  éveillée  ; 
et  cette  vision  fut  plus  claire  que  les  précédentes.  Il  se  fit  con- 
naître plus  intimement  à  mon  esprit,  puis  il  m'appela  par 
mon  nom  et  m'invita  à  m'approcher  de  sa  personne,  et  à  por- 
ter ma  bouche  sur  le  côté  qui  avait  été  ouvert  par  un  coup  de 
lance.  Je  m'approchai  en  effet  ;  il  me  parut  que  je  suçais  son 
sang  comme  s'il  sortait  réellement  par  cette  plaie  ,  et  je  com- 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO.  1  "23 

pris  que  c'était  par  la  vertu  de  ce  sang  que  mon  âme  était 
lavée  de  ses  souillures  ;  dès  cet  instant ,  je  commençai  à  sentir 
les  douceurs  de  la  consolation ,  quoique  j'éprouvasse  en  même 
temps  un  sentiment  de  tristesse  inséparable  de  la  considéra- 
tion douloureuse  que  je  ne  perdais  pas  de  vue.  Je  priai  alors 
mon  Sauveur  de  m' accorder  la  grâce  de  répandre  tout  mon 
sang  pour  lui,  comme  il  avait  répandu  tout  le  sien  pour  moi  ; 
dans  ce  moment ,  j'aurais  souhaité  que  tous  mes  membres 
fussent  déchirés  et  qu'une  mort  humiliante  et  plus  atroce  que 
celle  de  Jésus-Christ  en  eût  été  la  suite. 

Je  désirais  de  trouver  quelqu'un  qui  voulût  me  tuer  à  l'ins- 
tant même ,  pourvu  qu'il  l'eût  fait  pour  l'amour  de  Jésus , 
c'est-à-dire  en  témoignage  de  ma  foi. 

Mais  je  sentais  en  même  temps  que  j'étais  indigne  d'une 
mort  aussi  glorieuse  que  celle  qui  n'est  réservée  qu'aux  mar- 
tyrs. Néanmoins ,  je  croyais  pouvoir  soupirer  après  une  fin 
tellement  misérable  et  cruelle  ,  que  pour  tant  d'essor  que  je 
donnasse  à  mon  esprit ,  je  n'en  pouvais  imaginer  aucune  qui 
pût  satisfaire  complètement  le  désir  que  j'éprouvais  ;  car  je  la 
voulais  douloureuse  et  sanglante ,  mais  tout  à  fait  différente 
de  celle  des  martyrs. 

Art.  15. 

Pour  obtenir  ce  que  je  désirais  si  ardemment,  j'insistai 
dans  ma  demande ,  en  m'adressant  sans  relâche  à  la  bienheu- 
reuse Marie  et  au  Disciple  bien-aimé.  Je  leur  rappelai  la  dou- 
leur qu'ils  durent  éprouver  comme  témoins  de  la  passion  et 
des  souffrances  de  Jésus-Christ ,  et  les  suppliai  de  me  faire 
accorder  la  faveur  de  sentir  sans  interruption  les  souffrances 
de  Notre-Seigneur,  ou  du  moins  de  partager  la  leur.  En  effet, 
dans  cette  circonstance  saint  Jean  me  communiqua  cette 
souffrance  à  un  degré  si  violent ,  que  je  n'en  ai  jamais  enduré 
de  semblable  ;  et  je  puis  dire  à  cette  occasion ,  que  la  douleur 
qu'éprouva  ce  digne  Apôtre  en  voyant  ce  que  Jésus-Christ  et 


1 24  ESPRIT 

sa  sainte  Mère  souffrirent  sur  le  calvaire ,  surpasse  de  beau- 
coup tout  ce  qu'ont  pu  souffrir  les  martyrs;  aussi,  depuis 
l'épreuve  que  j'en  fis ,  je  ne  crains  pas  d'assurer  que  saint 
Jean  fut  plus  que  martyr. 

Ce  fut  à  la  suite  de  cette  grande  souffrance  que  je  pris  la 
parfaite  résolution  de  me  dépouiller  de  toutes  mes  propriétés, 
malgré  toutes  les  tentations  violentes  de  ne  pas  le  faire  qui 
me  furent  suscitées  par  le  démon,  et  malgré  les  avis  contraires 
que  je  recevais,  soit  des  religieux  Franciscains  ,  soit  de  toutes 
les  autres  personnes  auxquelles  je  devais  recourir  pour  me 
conduire  selon  leurs  avis.  L'impulsion  qui  me  portait  à  tout 
abandonner  était  si  forte  et  si  puissante  qu'il  m'eût  été  impos- 
sible d'y  résister;  il  s'agissait  alors  de  vendre  tous  mes  biens 
et  d'en  distribuer  le  produit  aux  pauvres  ;  et  si  cette  vente  ne 
pouvait  s'effectuer  dans  le  moment ,  je  devais  du  moins  m'en 
exproprier  moi-même  complètement.  Il  ne  m'était  pas  permis 
de  me  réserver  la  moindre  chose ,  sans  offenser  gravement 
celui  qui  exigeait  de  moi  un  entier  sacrifice.  Cependant ,  l'a- 
mertume que  je  ressentais  par  le  souvenir  de  mes  péchés 
m'empêchait  de  savoir  si  mes  dispositions  et  ma  conduite 
étaient  ou  non  agréables  h  Dieu  ;  dans  cette  incertitude  ,  je 
m'écriais  néanmoins  avec  un  certain  calme  :  Seigneur,  je 
me  crois  réprouvée  de  vous  pour  l'éternité;  quoi  qu'il  en 
soit,  je  ferai  toujours  pénitence,  je  me  départirai  de  tout 
ce  que  je  possède,  et  je  vous  servirai  pendant  tout  le  reste  de 
ma  vie. 

Dans  cette  situation  ,  mon  âme  ,  accablée  d'amertume  par 
la  douleur  que  j'avais  de  mes  péchés  ,  privée  de  tout  sen- 
timent qui  pût  adoucir  mes  peines ,  je  passai  de  cet  état 
dans  un  autre  de  la  manière  que  je  vais  raconter. 

Art.  1G. 

Consternée  et  presque  abattue ,  j'allai  h  l'église  ;  là  je  priai 
le  Seigneur  qu'il  eût  pitié  de  moi  :  je  récitai  l'Oraison  domi- 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO.  125 

nicale.  A  peine  eus-je  prononcé  ces  mots  :  Notre  Père ,  que 
Dieu  me  parut  graver  dans  mon  cœur  tous  les  mots  dont  se 
compose  cette  divine  prière.  Je  vis  si  clairement  toute  la  ma- 
gnificence de  la  bonté  de  cet  excellent  père,  et  toute  la  bas- 
sesse de  son  indigne  fille  ,  que  je  ne  saurais  l'exprimer.  Cha- 
que mot  m'était  ensuite  développé  et  expliqué  avec  tant 
d'onction,  que  j'insistai  longtemps  pour  passer  de  l'un  à 
l'autre  ;  je  les  prononçai  avec  une  componction  si  affectueuse, 
que ,  quoique  je  pleurasse  beaucoup  à  cause  de  mes  péchés 
et  de  mes  ingratitudes  ,  j'y  trouvais  en  même  temps  une 
grande  consolation.  Ce  fut  dans  cette  circonstance  que  je 
commençai  à  goûter  cette  douceur  divine  que  le  Seigneur  ré- 
pand dans  les  âmes,  parce  que  dans  cette  prière  dominicale  , 
j'eus  une  plus  grande  connaissance  de  la  bonté  de  Dieu  ,  que 
je  n'en  avais  conçu  de  toutes  les  autres  manières.  Dans  le 
temps  même  où  je  suis  ,  je  sens  que  plus  je  la  récite ,  et  plus 
cette  connaissance  s'étend  et  s'augmente. 

Cependant,  comme  dans  le  cours  de  cette  prière  ,  mes 
péchés  me  sont  aussi  rappelés  ,  je  commençai  pour  lors  à  en 
concevoir  une  si  grande  confusion  ,  que  je  n'osais  regarder 
ni  le  ciel ,  ni  le  crucifix  ,  ni  toute  autre  chose.  Je  m'adressai 
à  la  sainte  Vierge  pour  la  supplier  de  m'en  obtenir  la  rémis- 
sion. La  douleur  déchirante  que  j'en  éprouvais  depuis  quel- 
que temps  durait  encore. 

0  pécheurs  !  plus  l'âme  a  de  l'ardeur  pour  marcher  dans 
la  voie  de  la  pénitence ,  plus  elle  trouve  des  obstacles  qui 
deviennent  comme  des  entraves  qui  l'empêchent  d'avancer. 
Ces  entraves  lui  sont  suscitées  par  trois  ennemis  acharnés  à 
sa  perte  ,  le  démon,  le  monde  et  la  chair. 

Je  dois  vous  prévenir  que  pour  faire  les  pas  que  j'ai  décrits, 
il  m'a  fallu  un  certain  temps  ;  que  pour  arriver  de  l'un  à 
l'autre ,  j'ai  mis  des  intervalles  plus  ou  moins  grands  ;  qu'il 
m'a  fallu  attendre  la  grâce  nécessaire  pour  changer  ces  diver- 
ses situations  ,  et  que  ,  sans  cette  grâce  ,  il  m'eût  été  impos- 
sible d'en  changer  de  moi-même. 


126  esprit 

Art.  17. 

Après  tout  ce  que  je  viens  de  dire,  il  me  fut  accordé ,  par 
l'entremise  de  la  sainte  Vierge  ,  une  foi  d'un  autre  genre  que 
celle  que  j'avais  eue  jusque-là.  Celle-ci  me  paraissait  morte 
en  la  comparant  à  celle  que  je  recevais  dans  ce  moment.  Les 
larmes  que  j'avais  précédemment  répandues  me  semblaient 
arrachées  de  force  et  comme  malgré  moi;  celles  que  je  ré- 
pandis ensuite  ,  en  considérant  la  passion  et  les  souffrances 
de  Notre-Seigneur  et  celles  de  sa  sainte  Mère ,  eurent  bien 
plus  d'efficacité.  Dès  ce  moment,  tout  ce  que  je  faisais  pour 
lui,  quelque  grand  et  héroïque  qu'il  fût,  me  sembla  petit  et 
méprisable.  Je  ressentis  un  plus  grand  attrait  pour  la  péni- 
tence; à  cette  occasion  ,  je  concentrai  mon  cœur  et  toutes  ses 
affections  dans  la  passion  de  Jésus-Christ ,  et  je  conçus  l'es- 
poir que  par  elle  je  serais  délivrée  de  mes  péchés.  Pour 
lors  ,  je  reçus  quelques  consolations  ;  pendant  les  nuits  ,  j'a- 
vais des  songes  agréables  et  encourageants.  Les  consolations 
de  la  nuit  s'étendirent  au  temps  où  je  veillais.  J'éprouvai  des 
douleurs  dans  l'âme  qui  se  communiquaient  ensuite  au  corps. 

Mais  comme  les  faveurs  divines  que  je  recevais  presque 
continuellement,  soit  la  nuit,  soit  le  jour,  étaient  mêlées 
d'incertitude  sur  mon  état ,  ma  peine  ne  se  dissipait  pas  en- 
tièrement :  mon  repos  n'était  pas  parfait,  et  je  désirais  que 
Dieu  me  donnât  quelque  autre  chose. 

Art.  18. 

Ma  demande  ne  tarda  pas  à  être  satisfaite.  Je  commençai  à 
éprouver  quelque  sentiment  de  la  présence  de  Dieu  ;  j'y  trou- 
vai tant  de  satisfaction ,  que  je  ne  me  souvenais  pas  même  de 
prendre  la  nourriture  ;  j'aurais  voulu  être  dispensée  de  man- 
ger ,  pour  avoir  plus  de  temps  d'être  en  oraison.  J'étais  même 
portée  à  me  priver  de  tous  mes  repas,  pour  jouir  plus  am- 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIG.NO.  121 

plement  du  plaisir  que  je  ressentais  à  m'entretenir  avec  mon 
Dieu  ,  ou  du  moins  de  les  réduire  ou  de  les  abréger  beau- 
coup; mais  je  fus  bientôt  avisée  que  c'était  une  illusion  dé- 
placée. 

L'ardeur  de  l'amour  que  je  sentais  pour  Dieu  dans  ces 
moments  ,  était  si  grande,  que  je  ne  me  trouvais  point  fati- 
guée pour  tant  de  temps  que  je  demeurasse  à  genoux  ,  ni  des 
rigueurs  ou  des  austérités  que  je  pratiquais. 

Après  cela ,  le  feu  de  la  charité  qui  m'embrasait ,  vint  à  un 
point  que  tout  mon  corps  en  était  violemment  affecté.  Je 
grinçais  des  dents  par  suite  des  mouvements  convulsifs  que 
je  ne  pouvais  empêcher  ni  contenir.  Us  étaient  au  point  que , 
quand  même  on  m'eût  menacée  avec  une  hache  levée  sur  moi, 
pour  me  trancher  la  tète  ,  si  je  ne  restais  sans  mouvement , 
je  me  serais  laissée  décapiter,  tant  j'étais  peu  maîtresse  de  les 
empêcher. 

Cet  accident  singulier  eut  lieu  pour  la  première  fois  à  l'épo- 
que où  je  venais  de  vendre  mon  jardin ,  pour  en  donner  la 
valeur  aux  pauvres.  C'était  la  meilleure  et  la  plus  précieuse 
pièce  de  mon  bien.  Je  m'étais  précédemment  permis  de  railler 
quelqu'un  qui  était  sujet  à  ces  grincements  ;  dans  la  suite,  il 
m'eût  été  impossible  d'y  trouver  un  sujet  de  dérision.  Car , 
toutes  les  fois  que  j'entendais  parler  de  Dieu  ,  où  que  ce  fût , 
en  quelque  compagnie  que  je  me  trouvasse  ,  on  ne  manquait 
pas  de  s'apercevoir  de  mes  mouvements  ,  et  le  bruit  que  fai- 
saient mes  dents  était  facilement  entendu  ;  on  m'en  faisait  des 
reproches ,  en  me  disant  combien  c'était  déplacé  ;  je  ne  pou- 
vais répondre  autre  chose  sinon  que  j'étais  faible  ;  je  ne  pou- 
vais m'excuser  auprès  de  ceux  qui,  s'en  apercevant,  crovaient 
que  ces  grincements  étaient  affectés  ;  Dieu  sait  qu'ils  ne  dé- 
pendaient pas  de  moi ,  et  je  n'en  retirais  qu'une  grande  con- 
fusion. 

Lorsque  je  voyais  quelque  tableau  ou  quelque  image  de 
la  Passion  de  Jésus-Christ,  la  vue  de  cet  objet  faisait  sur  moi 
tant  d'impression  que  je  ne  pouvais  me  soutenir  sur  mes 


1 28  ESPRIT 

jambes  ;  la  fièvre  me  saisissait ,  je  pâlissais  et  je  tombais 
malade.  C'est  pour  cela  que  ma  compagne  avait  l'attention  de 
faire  cacher  ou  enlever  les  tableaux ,  images  ou  représenta- 
tions de  ces  objets  sacrés ,  dont  la  vue  produisait  sur  moi 
des  effets  aussi  extraordinaires. 

Pendant  tout  le  temps  que  durèrent  ces  accidents ,  je  reçus 
plusieurs  connaissances  ;  j'éprouvai  des  consolations  et  des 
sentiments  divers ,  accompagnés  de  différentes  visions  dont 
j'aurai  occasion  de  parler  dans  la  suite,  » 

CHAPITRE  II, 

Des  diverses  tentations  que  sainte  Angèle  éprouva  et  de  ce  qu'elle  eut  à 
souffrir  dans  le  corps  et  dans  l'âme  à  leur  occasion. 

(Ce  chapitre,  un  des  plus  importants  à  cause  des  détails 
qu'il  contient ,  mérite  la  plus  grande  attention  de  la  part  de 
ceux  qui  se  trouvent  dans  quelques-unes  des  situations  spiri- 
tuelles qui  y  sont  décrites  et  de  la  part  de  ceux  qui  les  diri- 
gent. ) 

Article  premier. 

«  Afin  que  la  sublimité  des  nombreuses  révélations  que 
j'avais  reçues ,  ne  fût  pas  pour  moi  une  occasion  d'orgueil ,  et 
que  la  complaisance  que  j'aurais  pu  y  trouver  ne  m'enflât  pas 
le  cœur  ,  Dieu  trouva  à  propos  d'accorder  à  un  certain  nom- 
bre de  mes  ennemis  le  pouvoir  de  me  tourmenter  de  plu- 
sieurs manières  ;  ils  se  coalisèrent  pour  torturer  mon  corps  et 
mon  âme.  Les  souffrances  dont  ils  affligèrent  mon  corps  sont 
si  multipliées  et  si  variées  ,  qu'il  me  serait  impossible  d'en 
dire  le  nombre. 

En  effet ,  je  n'ai  aucun  membre  qui  n'ait  été  maltraité 
cruellement;  je  ne  passe  pas  de  jour  sans  éprouver  quelque 
souffrance.  Aussi  je  suis  habituellement  faible  et  languissante; 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO.  129 

il  faut  que  je  sois  toujours  couchée.  Je  n'ai  aucune  partie  de 
mon  corps  qui  ne  soit  meurtrie,  conluse  et  tuméfiée  par  suite 
des  coups  dont  les  démons  m'ont  frappée;  et  je  suis  si  accablée 
de  douleurs ,  qu'à  peine  ai-je  la  force  de  me  remuer.  Cepen- 
dant je  sens  un  malaise  insupportable  de  demeurer  étendue 
sur  un  grabat  :  tout  cela  est  cause  que  je  ne  puis  prendre  la 
nourriture  dont  j'aurais  besoin  pour  me  restaurer. 

Art.  '2. 

Mais  toutes  ces  douleurs  corporelles  ne  sont  presque  rien 
en  comparaison  des  tourments  dont  les  démons  affligent  mon 
âme.  Pour  en  donner  une  faible  idée ,  représentez-vous  une 
personne  suspendue  par  le  moyen  d'un  lacet  au  cou  ,  dont  on 
aurait  bandé  les  yeux  ,  lié  les  mains  par  derrière,  et  à  qui 
on  aurait  ôté  tout  ce  qu'elle  pourrait  atteindre  avec  ses  pieds  ; 
dans  cette  situation ,  ne  pouvant  voir  ni  appeler  personne  à 
son  secours,  elle  ne  saurait  trouver  aucun  appui  pour  adou- 
cir tant  soit  peu  ses  angoisses  ,  et  souffrirait  longtemps  des 
douleurs  horribles  avant  de  pouvoir  mourir.  De  môme  ,  ma 
pauvre  âme,  dans  l'état  affreux  où  les  démons  l'ont  réduite  , 
n'a  ni  lumière  pour  voir  à  qui  s'adresser  ,  ni  voix  pour  invo- 
quer quelqu'un  qui  veuille  ou  qui  puisse  lui  donner  le  moin- 
dre soulagement.  Dans  elle-même  elle  ne  trouve  aucun  objet 
qui  puisse  servir  de  motif  de  soumission  et  de  patience  ;  sa 
foi ,  son  espérance  sont  anéanties  ;  elle  a  vu  disparaître  toutes 
les  vertus  qui  l'aidaient  à  supporter  ses  précédentes  tribula- 
tions ;  et  quand  cette  âme  voit  toutes  ses  vertus  s'évanouir 
sans  qu'elle  puisse  y  apporter  aucun  empêchement ,  celte  vue 
la  transporte  d'indignation  et  de  colère  contre  elle-même  ; 
cette  colère  est  si  impétueuse  ,  qu'à  grand'peine  elle  peut  se 
contenir  pour  ne  pas  meurtrir  et  déchirer  son  corps.  Il  arrive 
même  quelquefois  que  cette  colère  va  jusqu'à  la  fureur;  alors 
tous  mes  efforts  sont  vains  ,  et  je  ne  puis  m'empêcher  de 
frapper  rudement ,  tantôt  sur  la  tête,  tantôt  sur  les  autres 
t.  v.  9 


130  ESPRIT 

membres  ;  dans  cet  état  de  désolation ,  je  me  répands  en  cris 
et  en  hurlements  épouvantables  que  je  pousse  vers  Dieu. 

Aht.  3. 

Dans  ces  occasions  ,  j'éprouve  encore  une  autre  espèce  de 
tourment  :  c'est  de  voir  que  mes  anciens  vices  ou  mauvais 
penchants  ,  dont  je  me  croyais  exempte  pour  toujours,  re- 
viennent et  reprennent  en  moi  une  nouvelle  vie.  A  la  vérité  , 
cette  nouvelle  vie  n'est  pas  assez  longue  pour  entraîner  entiè- 
rement ma  raison  ;  mais  elle  l'est  assez  pour  me  causer  une 
très-grande  peine.  Il  y  a  plus  ,  c'est  qu'à  ces  passions  que  je 
croyais  déjà  mortes  et  que  je  sens  ressusciter,  viennent  s'en 
joindre  d'autres  que  je  n'avais  jamais  ressenties  auparavant. 
Je  sens  que  ces  passions  vivent  en  moi ,  qu'elles  s'y  soutien- 
nent et  s'enflamment  en  me  tourmentant  progressivement.  » 
(  Ici  sainte  Angèle  raconte  comment  elle  est  à  la  merci  d'une 
troupe  de  démons  qui  s'acharnent  à  exciter  en  elle  toute  es- 
pèce d'horreurs  ;  ils  emploient  tout  ce  que  leur  nature  angé- 
lique  leur  donne  de  puissance  pour  réveiller  en  elle  toute  sorte 
de  passions  impures.  Nous  ne  croyons  pas  devoir  les  rappor- 
ter. )  Elle  ajoute  : 

«  Quand  je  suis  dans  cet  état  de  ténèbres,  j'y  souffre  tant, 
que ,  pour  en  sortir  ,  je  consentirais  volontiers  à  être  brûlée 
toute  vive  :  j'appelle  la  mort ,  je  crie  à  Dieu  pour  qu'il  me 
fasse  mourir  ,  n'importe  de  quelle  manière. 

Et  je  lui  dis  dans  le  fort  de  mon  accablement  :  Seigneur, 
puisque  vous  avez  décrété  ma  réprobation,  hâtez-vous  de 
me  la  faire  subir.  Pourquoi  différer  plus  longtemps  ?  Ordon- 
nez de  suite,  et  précipitez-moi  sans  délai  au  fond  de  l'enfer. 

C'est  après  cette  imprécation  que  je  m'aperçois  que  tout 
ce  désordre  est  l'œuvre  des  démons.  Je  vois  que  tout  ce  que 
j"éprouve  n'est  nullement  le  produit  de  ma  volonté.  Les  vices 
qui  me  désolent  ne  sont  ni  provoqués  ni  approuvés  par  elle, 
mais  je  souffre  horriblement  dans   tout  mon  corps ,  et  ces 


DE  SAINTE  AXGÈLE  DE  FOLIGNO.  431 

douleurs  sont  si  aiguës  et   si  pénétrantes ,  que  pour  peu 
qu'elles  durassent  il  ne  pourrait  vivre. 

Malgré  tout  cela,  l'àme  voit  qu'elle  ne  donne  aucun  con- 
sentement à  rien  de  ce  qui  la  sollicite.  Quoique  toute  faculté 
de  résistance  lui  soit  ôtée  quant  au  sentiment,  il  n'en  est  pas 
moins  vrai  devant  Dieu,  qu'elle  ne  succombe  à  rien  qui  l'of- 
fense. A  la  vérité  ,  elle  croit  que  tout  ce  qu'elle  éprouve  peut 
lui  être  imputé;  comme  elle  ne  sent  aucune  opposition  aux 
penchants  qui  l'entraînent ,  elle  se  persuade  qu'elle  les  suit , 
qu'elle  s'y  abandonne  ,  et  comme  elle  voit  en  même  temps 
qu'ils  la  portent  à  ce  que  la  loi  de  Dieu  lui  défend,  elle  se 
croit  criminelle,  et  cette  croyance,  quoique  sans  fondement, 
l'abîme ,  la  désole  ,  et  cause  son  plus  grand  tourment. 

Art.  4. 

Il  semble  impossible  de  pouvoir  rien  ajouter  à  cet  ensem- 
ble de  tribulations  et  de  souffrances  ;  mais  non  ,  il  est  une 
passion  vicieuse,  dont  je  n'avais  de  ma  vie  éprouvé  la  plus 
légère  atteinte  ,  et  Dieu  permet  que  j'en  sois  assaillie.  Oui , 
c'est  par  une  permission  expresse  de  sa  volonté  que  cette 
passion  l'emporte  par  sa  hideuse  laideur  sur  toutes  les  autres. 
Mais  je  dois  dire  ,  que  quand  je  suis  en  butte  à  ses  sollicita- 
tions ,  Dieu  a  l'attention  de  m'armer  ,  pour  me  défendre  , 
d'une  vigueur  et  d'une  force  de  vertu  qui  m'en  fait  triompher. 
Je  suis  si  convaincue  que  c'est  Dieu  même  qui  m'assiste  et 
m'encourage ,  que ,  quand  même  je  n'aurais  pour  croire  en 
lui ,  ni  les  Prophètes  ,  ni  la  loi  écrite  ,  ni  son  Église  ,  ma  foi 
n'en  serait  ni  moins  parfaite  ,  ni  moins  sûre ,  par  cela  seul 
que  j'éprouve  de  grâce  auxiliatrice  de  sa  présence. 

Mais,  ajoute-t-elle,  l'ennemi  dont  je  parle  est  si  horrible  et 
le  vice  auquel  il  me  provoque  si  abominable ,  que  j'aurais 
honte  de  m'expliquer  davantage  sur  ce  sujet....  J'ai  vécu  dans 
cet  état  pendant  deux  ans... 


1 32  ESPRIT 

Art.  5. 

Ce  n'est  pas  tout  ;  j'ai  à  soutenir  une  autre  espèce  de  com- 
bat qui  aggrave  toutes  mes  autres  souffrances.  Je  lutte  à  la 
fois  et  contre  un  orgueil  insensé  et  contre  une  fausse  humi- 
lité. Cette  dernière  me  montre  ,  à  mes  propres  yeux ,  déchue 
de  toute  sorte  de  bien  ,  dépouillée  de  toute  grâce  et  de  toute 
vertu.  Je  vois  la  multitude  de  mes  péchés  et  de  mes  défauts 
ijui  m'empêchent  même  de  recourir  à  Dieu  ;  je  ne  puis  me 
figurer  qu'il  ait  le  moindre  dessein  de  miséricorde  sur  moi , 
au  contraire,  je  me  regarde  comme  un  vrai  repaire  de  dé- 
mons ,  leur  instrument  aveugle  dont  ils  se  servent  comme 
d'un  jouet.  Je  me  regarde  comme  fille  du  démon,  ne  trou- 
vant dans  moi  ni  droiture  ,  ni  bonne  foi  ;  pleine  d'erreur  et 
de  mensonge ,  la  place  que  je  crois  mériter  d'occuper  est  la 
dernière  au  fond  de  l'enfer.  Oh  !  que  cette  humilité  est  bien 
éloignée  de  celle  que  je  me  faisais  jadis  tant  de  plaisir  de 
consulter  et  de  suivre.  Sans  doute  ,  elle  ne  me  dissimulait 
point  mon  indignité  et  ma  misère  ,  mais  elle  ne  me  la  mon- 
trait que  pour  m'en  relever  et  me  porter  à  une  plus  grande 
connaissance  de  l'infinie  bonté  de  mon  Dieu  ;  mais  celle  qui 
m'obsède  aujourd'hui ,  n'aboutit  qu'à  me  pousser  vers  toute 
espèce  de  mal.  Si  elle  me  fait  entrer  en  moi-même,  c'est  pour 
me  montrer  que  je  suis  assiégée  de  tous  côtés  par  une  armée 
de  démons.  Elle  ne  me  laisse  entrevoir  ni  faculté,  ni  grâce  ; 
ne  voyant  que  des  défauts  dans  l'àme  et  dans  le  corps  ,  j'en 
suis  si  frappée  ,  si  offusquée  ,  que  la  pensée  de  Dieu  ne 
trouve  plus  de  place  dans  mon  esprit ,  il  ne  m'est  pas  permis 
d'en  avoir  le  plus  léger  souvenir  :  je  me  regarde  comme  irré- 
vocablement réprouvée  ,  et  cette  perspective  ne  me  donne 
aucune  inquiétude  ;  tout  mon  chagrin  est  de  voir  que  je  me 
suis  attiré  ma  condamnation  en  offensant  un  Dieu  auquel , 
pour  tous  les  biens  et  pour  tous  les  maux  de  ce  monde  ,  je 
voudrais  n'avoir  jamais  déplu. 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  F0L1GN0.  133 

C'est  pourquoi ,  en  considérant  mon  état  ,  je  me  débats 
avec  tous  les  membres  de  mon  corps  ,  contre  mes  passions  et 
contre  mes  péchés  ,  comme  si  en  combattant  ainsi,  j'espérais 
de  les  vaincre  et  de  les  effacer  ;  je  suis  toute  hors  d'haleine,  je 
cherche  vainement  un  passage  pour  m'échapper  de  cette 
épouvantable  situation  ;  j'ai  beau  faire ,  je  ne  trouve  pas  la 
moindre  issue,  ne  pouvant  me  procurer,  par  tant  d'efforts  , 
le  moindre  soulagement  ;  ne  voyant  d'aucune  part ,  ni  se- 
cours ,  ni  ressource,  je  retombe  sur  moi-même  ,  et  je  n'ai  de 
force  que  pour  mesurer  la  profondeur  de  l'abîme  dans  lequel 
je  me  vois  descendue  ;  dans  cet  abaissement  déplorable ,  il 
me  semble  que  je  trouverais  quelque  satisfaction  si  je  pouvais 
manifester  publiquement  mes  iniquités  ,  mes  faussetés  et  tous 
les  péchés  qui  en  ont  été  la  suite  ;  mais  je  ne  vois  aucun 
moyen  d'effectuer  cette  manifestation. 

Si  la  chose  était  possible,  je  me  déterminerais  ,  ce  semble  , 
à  courir  toute  nue  dans  les  villes  et  les  campagnes  ,  en  disant 
à  ceux  qui  se  trouveraient  sur  mes  pas  :  Je  suis  cette  femme 
vile  et  méprisable  ,  pleine  de  vices  et  de  dissimulation  ,  qui 
n'a  semé  partout  que  des  forfaits  et  des  scandales  ;  car  il  faut 
que  vous  le  sachiez ,  le  bien  que  je  faisais  en  apparence , 
n'avait  pour  but  que  les  louanges  humaines.  (Ensuite  elle 
s'accuse  de  divers  actes  d'hypocrisie  et  de  dissimulation.)  «Je 
paraissais  ,  dit-elle ,  au  dehors  une  fille  de  recueillement  et 
de  prière  ,  je  n'étais  qu'une  orgueilleuse,  une  trompeuse  digne 
de  tout  le  courroux  du  ciel  ;  je  me  parais  de  tout  ce  qui  peut 
faire  croire  que  le  Seigneur  était  avec  moi  et  qu'il  me  com- 
blait de  ses  faveurs  spirituelles ,  et  je  n'avais  de  rapport  ou 
de  conversation  qu'avec  l'ange  de  ténèbres  ;  toute  ma  vie  je 
me  suis  étudiée  à  passer  pour  une  sainte  :  la  vérité  est  que  , 
par  mes  dissimulations  et  sous  le  masque  impie  dont  je  me 
suis  couverte,  j'ai  été  pour  beaucoup  de  monde  une  occasion 
de  chute  et  de  la  perle  de  plusieurs  âmes  ainsi  que  de  la 
mienne.  » 


134  ESPRIT 

Art.  6. 

Dans  cet  article ,  sainte  Angèlc  se  livre  encore  à  toutes  les 
déclarations  les  plus  humiliantes  ;  elle  s'adresse  à  ses  enfants 
spirituels,  pour  qu'ils  n'aient  plus  de  confiance  en  elle;  elle 
les  prie  de  demander  à  Dieu  qu'il  la  brise  comme  étant  une 
idole  mal  à  propos  revêtue  des  livrées  de  la  vertu  et  de  la 
sainteté ,  puis  elle  s'écrie  :  «  Si  vous  ne  l'obtenez  pas  de  sa 
justice  ,  quoique  je  n'ose  prononcer  son  nom  ,  j'aurai  la  har- 
diesse de  m'adresser  à  lui  pour  lui  dire  que  s'il  ne  juge  pas  à 
propos  de  me  dévoiler  lui-même  et  de  proclamer  mon  insup- 
portable hypocrisie,  qu'il  ordonne  à  la  terre  d'ouvrir  sous 
mes  pieds  ses  abîmes  ,  qu'elle  m'y  engloutisse  vivante  ,  afin 
que  mon  châtiment  soit  une  leçon  salutaire  pour  celles  qui 
seraient  tentées  de  suivre  mes  exemples.  Que  tous  les  hommes 
et  les  femmes  ,  témoins  de  ma  fin  désastreuse,  disent  de  con- 
cert :  Ah  !  comme  elle  était  faussement  parée  de  l'or  de  la 
vertu  !  comme  elle  était  dissimulée  et  masquée  hypocrite- 
ment, soit  au  dedans  soit  au  dehors  !  »  Elle  continue  ces  sor- 
tes d'imprécations  contre  elle-même  qu'une  profonde  humi- 
lité pouvait  seule  imaginer  ,  et  termine  ainsi  cet  article  : 
«  Voilà  ce  que  j'ai  été  forcée  de  dire  ,  poussée  par  cette  hu- 
milité qui  m'accable  et  me  met  dans  cet  état  d'abaissement  et 
de  désolation  dans  lequel  je  suis  précipitée,  quoique  ce  que 
j'en  ai  dit ,  n'exprime  pas  ,  à  beaucoup  près  ,  ce  que  je  vou- 
drais en  dire.  » 

Art.  7. 

«  Mais,  hélas  !  à  peine  suis-je  sortie  du  combat  que  vient 
de  me  livrer  l'humilité  la  plus  désespérante  ,  que  celui  delà 
superbe  ou  de  l'orgueil  commence  ;  je  sens  que  mon  carac- 
tère habituel  se  bouleverse  ;  je  deviens  colère ,  emportée , 
triste  et  d'une  humeur  câpre  pour  tout  ce  qui  m'environne; 
par  un  renversement  qui  m'étonne ,  les  biens  même  que  j'ai 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO.  135 

reçus  de  Dieu  sont  pour  moi  un  sujet  de  dépit  et  d'amertume  : 
si  je  les  rappelle  dans  mon  esprit,  ce  n'est  ni  pour  adoucir 
mon  humeur  ,  ni  pour  en  modérer  les  saillies  ;  j'en  prends 
occasion  de  me  répandre  en  injures  et  en  emportements. 

Je  suis  courroucée  de  voir  qu'il  n'y  eut  jamais  en  moi  de 
véritable  vertu  ni  aucune  qualité  franchement  bonne.  Ne 
pouvant  me  rendre  raison  des  motifs  que  Dieu  peut  avoir 
pour  permettre  qu'il  en  ait  été  ainsi,  je  me  sens  toute  bouffie 
d'orgueil ,  de  colère  ,  de  tristesse  et  d'amertume.  Cette  espèce 
de  tentation  me  donne  un  malaise  bien  pénible,  parce  que 
tout  ce  que  je  croyais  avoir  de  bon  en  moi  m'est  entièrement 
caché ,  et  que  toute  perception  de  vertu  et  d'honnêteté  m'est 
complètement  dérobée. 

Tant  que  cette  situation  existe  ,  je  me  sens  si  inaccessible 
à  toute  consolation  ,  que  quand  même  tous  les  docteurs  de 
la  terre  et  tous  les  Saints  du  ciel  se  réuniraient  pour  me  cal- 
mer et  me  consoler  ,  ils  n'auraient  aucun  empire  sur  mon 
esprit  ;  je  ne  pourrais  avoir  la  moindre  confiance  à  rien  de 
ce  qu'ils  pourraient  me  dire  ;  je  n'en  pourrais  pas  croire  à 
Dieu  lui-même,  à  moins  qu'il  n'eût  la  bonté  de  changer  cette 
situation  de  mon  âme.  Au  contraire  ,  tout  ce  que  les  hommes, 
les  Anges ,  Dieu  lui-même,  me  diraient  dans  cet  état,  n'abou- 
tirait qu'à  aggraver  mes  peines  et  augmenter  mes  tourments. 
Aussi ,  pour  les  faire  cesser,  je  consentirais  promptement  à 
souffrir  à  la  fois  toutes  les  douleurs  ,  toutes  les  infirmités  et 
tous  les  maux  que  peuvent  avoir  endurés  tous  les  hommes 
ensemble;  il  me  semblerait  encore  que  tout  cet  assemblage  de 
peines  serait  plus  léger  et  moins  pénible  que  celles  que  j'en- 
dure. De  là  est  venu  que  j'ai  assuré  plusieurs  fois  que  si  le 
choix  m'était  accordé ,  je  préférerais  le  martyre  le  plus  cruel 
et  le  plus  douloureux  qu'on  puisse  imaginer,  m'estimant  heu- 
reuse de  me  délivrer  ainsi  de  celui  que  je  trouve  si  terrible 
et  si  insupportable. 

J'ai  demeuré  un  peu  plus  de  deux  ans  dans  l'état  que  je 
viens  de  raconter. 


i30  ESPRIT 

Actuellement  que  cette  grande  tempête  est  calmée  ,  je  re- 
connais qu'elle  a  singulièrement  contribué  à  purifier  et  per- 
fectionner mon  âme.  En  résultat ,  je  suis  redevable  à  la 
fausse  humilité  et  aux  tentations  de  l'orgueil ,  de  m'avoir  in- 
troduite dans  le  sentier  étroit  de  l'humilité  véritable  ,  sans 
laquelle  il  est  impossible  de  se  sauver.  Cette  vertu  s'accroît  à 
mesure  que  l'âme  se  purifie  par  la  tribulation  ;  je  dois  donc 
convenir  que  dans  l'intervalle  de  celles  que  m'ont  fait  éprou- 
ver d'un  côté  l'humilité  fausse  et  de  l'autre  l'orgueil  diaboli- 
que, la  purification  de  mon  âme  s'est  opérée  merveilleuse- 
ment par  cette  double  action  qui  est  un  véritable  martyre 
spirituel. 

En  effet ,  la  connaissance  plus  intime  et  plus  détaillée  , 
quoique  fortement  exagérée  ,  que  le  démon  donne  à  l'âme  de 
ses  défauts ,  de  ses  vices  et  des  péchés  qui  en  ont  été  la 
suite  ,  en  les  lui  montrant  de  plus  près ,  lui  en  inspire  une 
plus  grande  aversion  ;  la  volonté  s'en  éloigne  et  s'en  départ 
absolument  ,  et  c'est  ainsi  que  l'orgueil  et  les  démons  sont 
expulsés. 

C'est  pourquoi ,  plus  l'âme  est  affligée  ,  humiliée  et  dé- 
pouillée par  la  tribulation  ,  plus  elle  se  trouve  dégagée  et 
nettoyée  de  tout  ce  qui  s'opposait  à  son  avancement  et  à  son 
élévation  aux  yeux  de  Dieu  ;  car  il  est  arrêté  dans  les  desseins 
éternels ,  que  l'âme  n'a  d'autre  moyen  ni  d'autre  manière 
d'obtenir  la  véritable  gloire  qui  lui  est  destinée  ,  qu'en  pro- 
portion qu'elle  sera  abaissée  et  que  son  humilité  aura  poussé 
de  plus  profondes  racines.  » 

CHAPITRE  III, 

Des  dix  visions  consolantes  que  sainte  Angèle  reçut  de  Dieu. 

«  Béni  soit  Dieu  ,  le  Père  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
qui  nous  console  dans  toutes  nos  tribulations  !  Car  sa  bonté 
a  daigné  compatir  à  toutes  mes  afflictions  pour  les  soulager. 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGXO.  137 

Après  l'époque  que  j'ai  décrite  dans  le  dix-huitième  article 
du  chapitre  premier,  et  après  cette  vive  lumière  que  je  reçus 
en  récitant  l'Oraison  dominicale,  ainsi  que  je  l'ai  rapporté  en 
son  lieu  ,  Dieu  m'accorda  une  grande  grâce  qui  répandit  dans 
mon  âme  un  baume  suave  de  très-douce  consolation.  Voici 
comment  cela  se  passa  : 

Je  fus  inspirée  et  en  même  temps  attirée  intérieurement  à 
considérer  l'union  de  la  nature  divine  avec  la  nature  humaine 
dans  la  personne  du  Fils  de  Dieu.  Cette  considération  fut 
accompagnée  et  suivie  d'un  sentiment  si  délicieux  et  si  agréa- 
ble ,  que  je  n'en  ai  jamais  éprouvé  de  semblable;  ce  que  je 
vis  et  ce  que  je  sentis  était  si  délectable  et  si  ravissant  ,  que 
je  passai  tout  le  jour  debout  à  le  contempler;  j'étais  seule 
dans  ma  cellule  dont  la  porte  était  fermée  sur  moi  ;  mon  cœur 
était  si  plein  de  joie  que  je  me  sentis  tomber  en  défaillance. 
Au  bruit  que  je  fis  peut-être  en  me  laissant  aller  sur  le  car- 
reau ,  ma  compagne  arriva  ;  me  trouvant  étendue  par  terre 
sans  mouvement  et  sans  parole  ,  elle  crut  que  j'allais  mourir, 
elle  fit  tout  ce  que  la  charité  lui  suggéra  pour  me  rappeler  à 
la  vie  ;  mais  tout  ce  qu'elle  faisait  m'était  à  charge,  il  me  pa- 
raissait plus  agréable  de  demeurer  dans  cet  état. 

Un  autre  jour,  étant  encore  en  ce  même  état  de  jouissance, 
et  lorsque  je  m'occupais  de  me  défaire  de  toutes  mes  pro- 
priétés dont  il  me  restait  encore  quelque  chose  à  vendre  et 
à  donner  aux  pauvres ,  j'étais  en  oraison  ,  c'était  dans  un  mo- 
ment où  le  sentiment  de  la  présence  de  Dieu  semblait  être 
ralenti;  j'en  étais  attristée  et  j'adressai  à  Notre-Seigneur  ces 
paroles  :  «  Ce  que  je  fais  ,  ô  mon  Dieu ,  je  ne  l'ai  entrepris 
que  pour  vous  plaire;  sans  doute  que  vous  ne  serez  pleine- 
ment satisfait,  que  lorsque  je  serai  complètement  dépouillée 
de  tout.  Yoici  ce  qu'il  me  répondit  :  Que  désirez-vous  ?  Je  ne 
veux,  lui  dis-je,  ni  or,  ni  argent,  et  quand  vous  me  donne- 
riez tout  l'univers  ,  je  ne  serais  pas  satisfaite  ;  c'est  vous  ,  ô 
mon  Dieu ,  que  je  veux  posséder. 

A  cela ,  Dieu  ajouta  :  Faites  toutes  vos  diligences,  et  hâtez- 


138  ESPRIT 

vous ,  parce  que  aussitôt  que  vous  aurez  terminé  ce  que 
vous  avez  déjà  avancé  ,  la  sainte  Trinité  viendra  dans  vous. 
Il  ajouta  d'autres  promesses  magnifiques ,  qui  dissipèrent 
toutes  mes  peines  ;  après  cela  il  se  retira,  mais  en  me  lais- 
sant remplie  d'une  divine  allégresse;  je  ne  l'étais  pas  moins 
de  la  douce  confiance  qu'il  accomplirait  tout  ce  qu'il  venait  de 
me  promettre.  » 

Elle  rapporte  ensuite  comment  en  allant  et  en  retournant 
d'Assise,  et  après  plusieurs  prières  à  saint  François,  le  Saint- 
Esprit  lui  apparut  et  conversa  avec  elle  ;  entre  autre  choses, 
il  lui  disait  ces  mots  :  a  Ma  fille  !  objet  de  ma  douceur;  ma 
fille .  mon  temple  et  ma  demeure;  ma  fille  ,  mes  plus  chères 
délices ,  aimez-moi ,  parce  que  vous  m'êtes  chère  et  que  je  vous 
aime  beaucoup  plus  que  je  n'en  suis  aimé.  » 

«  Il  se  plaignait  ensuite  avec  moi ,  continue-t-elle,  de  ce 
que  dans  ce  temps-là,  il  y  avait  si  peu  de  Saints  et  de  Saintes  , 
de  ce  que  la  foi  était  bien  petite  ,  et  il  ajoutait  :  J'ai  un  amour 
si  grand  pour  les  âmes  qui  m'aiment  avec  sincérité  ,  que  s'il 
y  en  avait  une  seule  qui  m'aimât  parfaitement  ,  je  lui  ferais 
des  grâces  plus  grandes  encore  que  celles  que  j'ai  faites  à 
tant  de  Saints  dont  l'histoire  raconte  les  faveurs  extraordi- 
naires que  dans  le  temps  ils  reçurent  de  moi. 

Or  ,  il  n'y  a  personne  qui  puisse  s'excuser  de  manquer 
d'amour  pour  moi  ,  puisqu'il  n'y  en  a  aucune  qui  ne  puisse 
aimer  Dieu  ;  il  ne  demande  autre  chose  sinon  que  l'âme  cher- 
che aie  connaître  et  à  l'aimer,  parce  que  Dieu  aime  sincère- 
ment et  très-véritablement  et  qu'il  s'appelle  Vautour  de  l'âme. 
(  Ces  paroles  sont  pleines  d'un  grand  sens.  ) 

Pour  me  prouver  que  Dieu  est  vraiment  l'amour  de  l'âme, 
il  me  donna  une  raison  bien  démonstrative  ;  il  la  lira  de  l'in- 
carnation de  Jésus-Christ  et  de  la  mort  qu'il  a  subie  pour 
nous.  Le  contraste  de  l'immensité  de  Dieu  avec  les  dimen- 
sions si  étroites  du  corps  humain,  la  gloire  inhérente  à  sa  per- 
sonne avec  les  humiliations  de  la  croix  ,  me  frappèrent  vive- 
ment ;  je  fus  encore  plus  affectée  lorsqu'il  en  prit  occasion 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO.  139 

de  me  développer  les  diverses  circonstances  de  sa  Passion  , 
disant  à  ce  sujet  :  Voyez  s'il  y  a  en  moi  autre  chose  qu'a- 
mour !  Mon  âme  comprit  alors  cette  ineffable  vérité  :  Dieu 
n'est  qu'amour. 

Il  renouvela  cette  fois  les  plaintes  qu'il  m'avait  déjà  faites 
sur  le  petit  nombre  d'âmes  dignes  de  recevoir  sa  grâce.  Il  me 
réitéra  ses  précédentes  promesses  en  disant  :  Je  ferai  en  vous 
de  grandes  choses ,  en  présence  de  plusieurs  témoins  :  c'est 
par  là  que  l'on  me  reconnaîtra  et  que  je  serai  béni  et  glorifié , 
et  mon  nom  sera  loué  et  renommé  dans  plusieurs  contrées 
de  la  terre. 

Toute  étonnée  d'entendre  de  pareilles  paroles  ,  je  rentrai 
en  moi  où  je  remarquai  tant  de  défauts  et  de  péchés  ;  à  cette 
vue  ,  je  me  trouvais  indigne  d'aussi  sublimes  faveurs  ;  con- 
fuse ,  humiliée  ,  je  craignais  de  me  faire  illusion  ,  et  pour  la 
dissiper  et  m'en  assurer  ,  mon  âme  dit  à  celui  qui  me  par- 
lait ainsi  :  Si  vous  étiez  le  Saint-Esprit ,  vous  n'auriez  garde 
de  me  parler  ainsi ,  parce  que  je  suis  tout  autre  qu'il  me 
faudrait  être  pour  m'appliquer  les  paroles  que  je  viens  d'en- 
tendre ;  je  suis  si  faible  et  si  fragile  que  je  pourrais  bien 
succomber  à  la  vaine  gloire  que  votre  discours  peut  m'ins- 
pirer. 

Il  eut  la  bonté  de  me  répondre  :  Voyez  et  essayez  si  vous 
pouvez  concevoir  ,  de  ce  que  je  viens  de  vous  dire  ,  le  plus 
léger  sentiment  qui  gonfle  votre  orgueil  :  essayez,  et  voyez  s'il 
vous  est  possible  de  penser  à  autre  chose  qu'à  ce  que  je  vous 
dis.  J'essayai  en  effet  et  je  fis  quelque  effort  pour  exciter  en 
moi  la  vaine  gloire  afin  de  m'assurer  si  c'était  ou  non  l'es- 
prit de  vérité  qui  venait  de  me  parler  ;  je  fis  plus  ,  pour  faire 
cesser  cet  entretien  ,  je  tâchai  de  me  distraire  et  de  me  ré- 
pandre au  dehors.  »  Elle  poursuit  encore  le  cours  de  cette 
vision  et  de  cet  entretien  qu'il  serait  trop  long  de  rapporter. 

«  A  peine  se  fut-il  dérobé  à  ma  vue  ,  que  je  tombai  sur 
mon  séant  :  je  poussai  des  cris  et  des  gémissements  ;  trem- 
blante de  tous  mes  membres  et  grinçant  bruyamment  les 


i  40  ESPRIT 

dents  sans  pouvoir  me  contenir ,  je  ne  proférais  que  ces 
mots  :  0  amour  !  je  ne  vous  avais  pas  connu,  et  au  moment  oit, 
je  commence  à  vous  connaître ,  vous  vous  retirez  de  moi!  Je 
n'avais  pas  la  faculté  de  dire  autre  chose  ,  et  comme  je  pro- 
nonçais ces  mots  en  frémissant  et  en  criant ,  et  comme  d'ail- 
leurs ma  voix  était  toute  embarrassée  par  les  convulsions  de 
la  poitrine  et  de  la  bouche  ,  je  ne  pouvais  ni  articuler  ni  faire 
entendre  ce  que  je  disais....  Après  cette  crise,  je  me  remis  en 
chemin  pour  m'en  retourner  à  Foligno.  Je  marchai  avec  un 
grand  calme  d'esprit  ,  m'entretenant  avec  mes  compagnes 
des  choses  de  Dieu  ;  ma  grande  peine  était  de  ne  pas  en  par- 
ler. Mais ,  crainte  de  quelque  nouvel  accident ,  je  faisais 
effort  pour  garder  un  parfait  silence  ,  à  cause  des  gens  qui 
faisaient  route  avec  moi. 

Dans  cet  intervalle  j'entendis  la  voix  de  Jésus-Christ  me 
disant  :  Voici  le  signe  auquel  vous  reconnaîtrez  que  c'est 
moi  qui  vous  parle  et  qui  vous  ai  parlé.  Je  vous  donne  la 
croix  et  l'amour  de  Dieu  en  vous  :  ce  signe  ne  vous  quittera 
jamais. 

Aussitôt  j'éprouvai  un  sentiment  profond  de  la  croix  ;  il 
remplissait  mon  âme  au  point  de  refluer  singulièrement  sur 
le  corps  par  les  sensations  qu'en  ressentaient  tous  mes  orga- 
nes ;  ces  sensations  se  rabattaient  sur  l'âme  qui  paraissait  se 
fondre  en  amour  de  Dieu. 

Dans  cet  état ,  je  criais  à  Dieu  :  Seigneur  ,  ayez  pitié  de 
moi ,  ne  permettez  pas  que  je  vive  plus  longtemps  dans  ce 
monde. 

Après  cette  prière  ,  je  fus  comme  embaumée  par  la  fra- 
grance et  le  parfum  de  mille  odeurs  les  plus  suaves.  Il  n'y  a 
pas  de  terme  dans  notre  langue  qui  puisse  exprimer  ce  que 
l'odorat  de  l'âme  et  du  corps  éprouva  par  les  sensations 
agréables  excitées  par  ces  odeurs. 

Je  dirai  seulement  que  j'ai  entendu  souvent  la  voix  dont  je 
viens  de  rapporter  quelques  paroles  ;  que  ces  mômes  acci- 
dents ,  accompagnés  toujours  des   mêmes  jouissances ,  ont 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO.  14-1 

été  depuis  plus  ou  moins  fréquents  ;  mais  je  dois  ajouter  qu'ils 
n'ont  été  ni  si  prolongés  ,  ni  si  profondément  sentis  que  ce- 
lui que  j'eus  dans  les  circonstances  que  je  viens  de  décrire. 

Après  mon  retour  de  la  ville  d'Assise  et  pendant  les  huit 
jours  de  cette  faiblesse  extrême  qui  me  réduisait  habituelle- 
ment à  demeurer  couchée,  il  arriva  que  ma  compagne,  douée 
d'une  pureté  admirable  ,  entendit  une  voix  qui  lui  dit  :  Le 
Saint-Esprit  est  en  ce  moment  dans  la  cellule.  Elle  vint  de  suite 
me  trouver ,  et  me  sollicita  pour  que  je  lui  disse  ce  qui  se 
passait  en  moi ,  parce  qu'elle  avait  reçu  l'ordre  de  venir  s'en 
informer.  Je  lui  répondis  :  Je  me  rends  à  l'ordre  qui  vous  a 
été  donné,  et,  en  conséquence  ,  je  lui  racontai  confideinment 
une  partie  de  mes  secrets.  » 

Seconde  vision  consolante. 

a  J'étais  un  jour  en  oraison  ,  lorsque  étant  tout  à  coup 
ravie  en  esprit,  j'entendis  des  paroles  extrêmement  douces 
et  agréables  ;  je  voulus  regarder  du  côté  d'où  venait  la  voix  , 
et  je  vis  Dieu  qui  me  parlait. 

Si  vous  me  demandez  ce  que  je  vis  pour  lors,  je  ne  pourrai 
dire  autre  chose  ,  sinon  que  j'ai  vu  Dieu  lui-même.  En  le  con- 
sidérant, j'ai  contemplé  quelque  chose  de  grand ,  de  brillant 
par  sa  clarté  ,  dont  je  me  sentais  toute  remplie  :  je  n'en  sais 
pas  dire  davantage ,  parce  que  je  ne  connais  rien  à  quoi  je 
puisse  le  comparer  pour  s'en  former  une  idée.  Il  n'avait  rien 
de  corporel ,  c'était  Dieu  tel  qu'il  est  dans  le  ciel ,  c'est-à- 
dire  une  beauté  qu'on  ne  peut  définir ,  une  beauté  qui  les 
renferme  toutes  :  tous  les  Saints  étaient  au-devant  de  cette 
incomparable  majesté  ,  à  laquelle  ils  adressaient  des  louanges 
continuelles.  J'estime  que  cette  vision  ne  fut  pas  de  longue 
durée;  mais  j'entendis  Dieu  qui  me  disait  :  Ma  fille  très-ai- 
mante, ma  douceur  et  ma  joie,  tous  les  Saints  vous  portent 
un  amour  spécial ,  ma  Mère  fait  de  même  ;  viendra  le  temps 
où  vous  leur  serez  associée.   Quoique  cette  déclaration  fût 


i  42  ESPRIT 

bien  glorieuse  pour  moi ,  je  n'eu  fus  pourtant  pas  très-affec- 
tée; tous  mes  sentiments  étaient  pour  Dieu,  de  telle  sorte  que 
je  ne  faisais  guère  d'attention  ,  ni  aux  Anges,  ni  aux  Saints  ; 
je  ne  m'occupais  que  de  la  magnifique  beauté  de  Dieu  et  de 
sa  majesté  que  je  voyais  être  la  source  de  tout  bien  et  le  cen- 
tre de  tout  ce  qui  est  beau. 

J'étais  si  pénétrée  ,  si  affectée  de  ce  grand  objet,  que  ni 
les  Saints  ,  ni  les  Anges,  ni  aucune  créature  ne  saurait  me 
distraire  ni  détourner  mes  regards.  Durant  cette  vision,  Dieu 
me  disait  en  me  le  montrant  :  L'amour  que  j'ai  pour  vous  est 
immense  ;  mais  je  ne  vous  en  fais  voir  qu'une  petite  partie  , 
je  tiens  caché  le  reste.  Alors  mon  âme  enhardie  se  permettait 
celte  représentation  :  Pourquoi  autant  d'amour  pour  une  si 
vile  créature  ,  et  quel  plaisir  pouvez-vous  trouver  d'être  dans 
moi  qui  ai  passé  toute  ma  vie  à  vous  offenser  et  à  vous  dé- 
plaire ?  Mon  amour  ,  répondit-il  ,  est  si  grand  que  j'oublie 
toutes  vos  fautes  ;  et  quoiqu'elles  soient  toutes  devant  mes 
yeux  ,  elles  ne  sauraient  empêcher  que  je  mette  en  vous  mes 
complaisances  ,  et  que  je  vous  regarde  comme  mon  trésor. 
Je  sentis  si  vivement  la  vérité  de  ces  paroles  ,  que  je  n'en  eus 
plus  le  moindre  doute.  La  conviction  où  j'étais  que  Dieu  me 
regardait  en  m' aimant,  et  que  je  voyais  moi-même  cet  amour 
dans  les  yeux  de  Dieu  ,  me  remplit  d'une  si  grande  joie  ,  et  je 
me  sentis  si  agréablement  délectée  que  je  défierais  les  Saints 
du  paradis  de  l'exprimer. 

Je  dois  ajouter  que  lorsque  Dieu  me  dit  qu'il  me  cachait 
une  partie  de  son  amour  ,  parce  que  ,  s'il  me  le  montrait  dans 
son  entier,  je  ne  pourrais  y  tenir,  je  lui  avais  fait  observer 
que  puisqu'il  était  tout-puissant,  il  pourrait  me  rendre  assez 
forte  pour  porter  tout  son  amour  ;  il  m'avait  répondu  :  Si  je 
faisais  dans  ce  moment  ce  que  vous  voudriez,  vous  auriez 
tout  ce  que  vous  pourriez  désirer  sur  la  terre  ,  et  vous  n'as- 
pireriez pas  plus  haut;  vous  n'auriez  plus  ni  faim  ni  soif  du 
bonheur  que  je  vous  destine  ;  je  ne  veux  donc  pas  remplir 
votre  désir  pendant  votre  vie  mortelle  ,  je  veux  au  contraire 


DE  SAINTE  AN'GÈLE  DE  FOLIGNO.  143 

que  votre  désir  s'enflamme  davantage ,  et  vous  fasse  languir 
de  me  voir  enfin  dans  tout  l'éclat  de  ma  gloire.  j> 

Ne  pouvant  nous  engager  à  citer  toutes  les  visions,  nous 
nous  bornons  aux  plus  importantes. 

Septième  \  ision  consolante. 

«  Dans  une  autre  circonstance  ,  je  me  sentis  transportée  en 
une  région  beaucoup  plus  élevée  qu'à  l'ordinaire.  Là  je  vis 
Dieu  de  plus  près  et  d'une  manière  plus  parfaite  qu'aupara- 
vant ;  et  quoique  je  le  considérasse  dans  une  clarté  ravis- 
sante ,  je  n'aperçus  cependant  pas  cette  vertu  divine  dont  le 
Seigneur  prend  lui-même  la  dénomination;  ce  qui  m'étonne, 
c'est  que  pendant  cette  vision  ,  je  fus  moi-même  comme  dé- 
pouillée de  charité ,  j'étais  non  amour  (  expression  de  l'auteur 
dans  le  texte  latin). 

Mais  bientôt  après  ,  cette  brillante  lumière  se  couvrit  d'une 
espèce  de  nuage  qui  me  fit  voir  cet  objet  si  beau  et  si  émi- 
nemment bon ,  qu'il  n'est  pas  possible  d'en  voir  ni  d'en  ima- 
giner de  meilleur  :  grâces  à  cette  obscurité  qui  en  relevait  la 
beauté,  ma  foi  acquit  la  certitude  de  l'évidence,  mon  espé- 
rance devint  imperturbable,  et  ma  sécurité  devint  si  ferme  et 
si  constante ,  qu'il  ne  me  resta  plus  de  vestige,  ni  de  doute  , 
ni  de  crainte  ;  je  me  sentais  si  assurée  que  ce  que  je  voyais  à 
travers  ce  nuage  était  mon  Dieu  ,  qu'il  m'était  impossible  de 
me  former  la  moindre  suspicion  d'être  trompée  dans  ma 
croyance.  C'est  ainsi  et  de  cette  manière  que  Dieu  se  mani- 
feste fréquemment  à  mon  âme;  il  m'est  impossible  d'expri- 
mer ,  encore  moins  de  comprendre ,  ce  que  je  sens  à  la  vue 
de  ce  souverain  bien  ainsi  voilé.  »  —  La  suite  de  cette  vision 
n'est  que  l'extension  de  ce  qui  précède. 

Les  autres  trois  visions  renferment  d'autres  manières  mer- 
veilleuses dont  Dieu  s'est  servi  pour  se  manifester  à  elle, 
ainsi  que  la  Trinité  tout  entière  et  Jésus-Christ  dans  l'auguste 
sacrement  de  l'Eucharistie. 


144  ESPRIT 

Viennent  ensuite  les  sept  principales  visions  qui  lui  furent 
accordées  pendant  qu'elle  méditait  sur  la  Passion  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ;  mais  elles  ne  rapportent  pas  autre 
chose  que  ce  que  le  récit  des  Evangélistes  nous  apprend  :  elle 
s'étend  seulement  sur  ce  qu'elle  éprouvait  à  la  pensée  ou  à  la 
vue  de  si  horribles  tourments;  sur  ce  que  Jésus-Christ  lui 
disait  intérieurement,  touchant  l'expiation  des  péchés,  de 
toutes  nos  facultés  par  les  siennes  et  sur  une  marque  d'a- 
mour que  Jésus-Christ  lui  donna,  lorsqu'un  jour  où  elle  le 
regardait  des  yeux  du  corps  attaché  à  la  croix ,  elle  le  vit , 
embrassant  son  àme ,  avec  un  de  ses  bras  ,  qu'il  détachait  du 
gibet. 

Des  sepl  visions  consolantes  qu'eut  sainte  Angèle ,  touchant  le  Saint  Sacrement 
de  l'Eucharistie. 

Nous  ne  croyons  point  nécessaire  de  rapporter  les  premiè- 
res visions  ,  parce  qu'à  notre  avis  ce  qu'elles  contiennent  in- 
téresserait peu  nos  lecteurs  ;  mais  voici  en  entier  la  sixième  et 
la  septième. 

Sixième  vision. 

«  Une  autre  fois  je  vis  dans  l'hostie  consacrée  Notre-Sei- 
gneur  sous  la  figure  d'un  enfant,  mais  cet  enfant  était  déjà 
d'une  assez  grande  taille  :  il  avait  un  air  d'autorité  et  de  ma- 
jesté ,  comme  s'il  était  déjà  roi  ;  il  avait  dans  sa  main  quel- 
que chose  que  je  ne  pus  bien  discerner  ,  cela  ressemblait  à 
un  sceptre;  je  vis  tout  cela  des  yeux  du  corps  ;  tous  ceux  qui 
étaient  présents  étaient  prosternés  ,  j'étais  la  seule  qui  ne  me 
prosternai  pas  ;  je  n'étais  occupée  dans  ce  moment  qu'à  con- 
sidérer l'air  de  noblesse  ,  de  grandeur  et  de  beauté  que  j'avais 
tant  de  plaisir  de  trouver  dans  cet  enfant;  j'aurais  voulu  le 
contempler  encore  longtemps  ,  et  je  fus  mortifiée  que  le  prê- 
tre le  remit  si  tôt  sur  l'autel. 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO.  145 

Cette  vision  me  remplit  de  joie  et  de  l'assurance  que  ce 
que  je  voyais  était  réel  ;  l'impression  que  j'en  ressentis  ne 
s'effacera  jamais  de  ma  mémoire:  j'en  fus  si  absorbée  que  je 
ne  fis  pas  même  attention  de  lui  demander  son  assistance  et  sa 
protection;  j'étais  si  émerveillée  de  sa  beauté  que  je  ne  sus 
rien  dire.  » 

Septième  visiou. 

«  Une  autre  fois  j'eus  aussi ,  pendant  la  messe  ,  un  sembla- 
ble ravissement  ;  j'en  profilai  pour  dire  à  Dieu  :  Seigneur , 
vous  êtes  certainement  dans  le  saint  Sacrement  de  l'autel; 
mais  dites-moi  où  sont  vos  amis  fidèles?  Alors  il  ouvrit  les 
yeux  de  mon  intelligence  en  me  disant  :  Partout  où  je  suis, 
mes  amis  y  sont  aussi  avec  moi  ;  je  compris  réellement  cette 
vérité-là  ;  je  me  vis  moi-même  partout  où  Dieu  était ,  non 
que  je  sois  dans  l'intérieur  ou  au  dedans  de  Dieu  ,  mais  cette 
manière  d'être  avec  lui  est  toute  hors  de  Dieu ,  car  Dieu  est 
le  seul  qui  soit  partout  et  qui  renferme  tout. 

Jésus-Christ  s'est  souvent  montré  à  mon  âme  dans  le  divin 
Sacrement ,  mais  dans  des  formes  différentes  ;  quelquefois  je 
l'ai  vu  sous  une  forme  resplendissante  de  lumière  et  de  clarté 
qui  rejaillissait  d'une  partie  spéciale  de  son  corps,  et  celte 
splendeur  était  si  brillante ,  que  celle  du  soleil  à  midi  du 
jour  le  plus  serein  ne  peut  lui  être  comparée ,  et  partout  où  il 
se  montre ,  je  puis  assurer  qu'il  surpasse  par  son  éclat  tout 
celui  du  soleil ,  et  ma  peine  à  ce  sujet  est  de  ne  pouvoir  le 
faire  entendre  comme  je  le  voudrais.  D'autres  fois,  j'ai  vu  dans 
la  sainte  hostie  deux  yeux  très-brillants  et  très-gros ,  et  ces 
yeux  occupaient  tellement  toute  la  figure,  qu'on  n'y  aperce- 
vait que  les  deux  yeux  et  la  bouche  :  sous  quelque  forme  qu'il 
m'apparaisse  ,  je  suis  toujours  comblée  de  joie  et  de  délices, 
et  quoique  chacune  produise  une  satisfaction  si  différente 
d'une  autre  qu'elles  ne  peuvent  être  comparées  entre  elles ,  il 
reste  que  les  sentiments  qu'elles  me  procurent  ne  s'efface- 
t.  v.  10 


1 40  ESPRIT 

ront  jamais,  comme  jamais  on  ne  trouvera  ni  termes,  ni  figu- 
res qui  puissent  les  faire  comprendre.  » 

Des  deux  visions  pendant  lestiucllcs  la  sainte  Vierge  Marie  apparut  à 
sainte  Augèle. 

«  Un  autre  jour,  me  reposant  après  mon  dîner  ,  mon  esprit 
n'étant  nullement  occupé  d'oraison ,  je  me  trouvai  tout  à  coup 
transportée  intérieurement ,  et  je  vis  la  bienheureuse  vierge 
Marie  dans  sa  gloire. 

Cette  reine  du  ciel  était  environnée  d'une  splendeur  et 
d'une  majesté  éclatante ,  analogue  au  rang  qu'elle  y  occupe. 
Elle  priait  le  Tout-puissant  en  faveur  du  genre  humain  ,  et  le 
zèle  ardent  qu'elle  exprimait  pour  le  bonheur  de  tous  les 
hommes  était  si  touchant ,  si  éloquent  d'amour  et  d'affection, 
que  j'en  éprouvai  une  satisfaction  inexprimable.  En  ce  mo- 
ment Jésus-Christ  se  montra  dans  toute  la  gloire  qui  est  l'apa- 
nage de  son  humanité  sainte  :  il  était  aussi  près  de  sa  divine 
Mère  ;  quoiqu'en  le  voyant  je  me  rappelasse  que  cette  même 
chair  dont  il  était  revêtu  avait  été  dans  le  temps  méprisée, 
déchirée,  ensanglantée  et  crucifiée,  je  n'en  ressentais  pas 
cependant  la  moindre  peine;  au  contraire,  j'en  ressentis  une 
très-vive  joie.  Transportée  de  plaisir  et  d'allégresse,  je  per- 
dis la  parole  et  je  me  crus  mourante  ,  &c,  &c.  » 

Dans  la  seconde  vision  qui  arriva  le  jour  de  la  Purification, 
elle  rapporte,  qu'assistant  à  l'office,  à  Foligno  ,  au  moment 
où  elle  entendit  ces  paroles  :  C'est  l'heure  à  laquelle  la  Vierge 
Marie  alla  dans  le  Temple  arec  son  Fils,  elle  vit  Notre-Dame 
entrant  dans  l'église  avec  Jésus  entre  ses  bras,  laquelle  lui 
adressa  ces  paroles  :  0  la  bien  aimante  !  recréez  mon  fils  que 
vous  aimez  sincèrement  :  et  elle  le  lui  mit  de  ses  bras  dans  les 
siens. 

Le  chapitre  vu  contient  quatre  autres  visions  touchant  les 
enfants  spirituels  qu'elle  devait  former-,  mais  elles  n'entrent 
nullement  dans  le  plan  de  cet  ouvrage.  Passons  aux  inslruc- 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO.  14-7 

tions  quelle  reçut  de  Dieu  au  milieu  de  ses  diverses  tribula- 
tions. 

Dieu  lui  révéla  que  c'est  parle  chemin  des  tribulations  que 
que  les  élus  arriveront  jusqu'à  lui.  Que  ceux  qu'il  traite  d'une 
manière  plus  spécialement  distinguée ,  s'appliquent  à  con- 
naître cet  aimable  Sauveur ,  se  forment  à  la  pauvreté  volon- 
taire, courent  au-devant  des  humiliations,  soupirent  après 
les  souffrances.  C'est  à  ceux-là  que  Dieu  envoie  plus  de  con- 
tradictions et  de  tribulations.  «  Mais  Dieu,  dit-elle,  je  l'af- 
firme avec  assurance  ,  ne  manque  jamais  d'adoucir  par  les 
opérations  divines  les  rigueurs  des  persécutions  dont  il  afflige 
ici-bas  ses  élus.  »  Elle  ajoute  qu'elle  en  a  fait  elle-même  sou- 
vent l'expérience;  elle  en  cite  quelques  exemples  tirés  de  ses 
diverses  maladies,  et  en  donne  des  preuves  par  les  assurances 
que  Jésus-Christ  a  daigné  lui  donner. 

Inslruclious  et  lumières  concernant  l'état  des  âmes  dans  les  voies  du  salut. 

«  J'étais,  dit-elle,  un  jour  en  oraison  dans  ma  cellule;  voici 
les  instructions  que  j'y  reçus;  il  me  fut  dit  :  Ceux  que  le 
Seigneur  daigne  ,  par  une  grâce  spéciale  ,  instruire  et  éclai- 
rer pour  leur  faire  connaître  la  voie  par  laquelle  il  veut  les 
attirer  à  lui ,  et  qui ,  sourds  à  sa  voix ,  ou  détournant  leur 
esprit  des  vérités  qu'il  leur  montre  intérieurement,  suivent 
une  autre  route,  et  par  là  mènent  une  conduite  différente  de 
celle  que  leur  conscience  leur  dicte,  attirent  de  grandes  ma- 
lédictions du  Tout-puissant.  Cette  doctrine  m'a  été  souvent 
répétée  ;  et  comme  j'étais  consternée  à  cette  pensée  ,  il  me  fut 
proposé  un  exemple  en  forme  de  parabole.  C'est  l'exemple 
d'un  père  qui  élève  un  fils ,  qui  fait  pour  lui  les  plus  grands 
sacrifices  et  qui  s'en  voit  ensuite  méprisé  ,  maltraité  ,  &c. 

Dans  un  entretien  postérieur ,  continue-t-elle  ,  je  reçus  une 
autre  instruction  dans  laquelle  il  me  fut  dit,  et  c'était  Dieu 
qui  parlait  :  Il  est  une  classe  d'hommes  qui  ne  me  connais- 
sent qu'à  cause  des  biens  temporels  que  je  leur  ai  départis  : 


148  ESPilIT 

la  connaissance  qu'ils  ont  de  moi  est  bien  imparfaite.  Il  en  est 
d'autres  qui  à  cette  connaissance  ajoutent  celle  qu'ils  ont  ac- 
quise par  le  sentiment  de  ma  bonté  infinie  dont  ils  ont 
éprouvé  les  effets  intérieurement  :  ceux-ci  me  connaissent 
beaucoup  mieux  que  les  premiers. 

Dans  un  troisième  entretien  ,  j'entendis  la  voix  de  Dieu  qui 
disait  hautement  :  Oh  qu'ils  sont  grands  !  qu'ils  sont  grands! 
non  les  simples  lecteurs  de  mes  saintes  Ecritures  ,  mais 
ceux  qui  en  font  la  règle  et  le  fondement  de  leur  conduite  ! 
A  cette  occasion  il  me  redisait  que  toute  l'Ecriture  sainte  a 
été  accomplie  dans  la  vie  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 

Une  autre  fois  ,  étant  en  prière  et  demandant  à  Dieu  qu'il 
m'instruisit  et  me  dît  ce  qu'il  voulait  que  je  fisse  pour  lui 
plaire ,  étant  toute  prête  à  lui  obéir  ,  après  avoir  vu  et  en- 
tendu ce  qu'il  me  serait  impossible  d'exprimer ,  je  vis  un 
abîme  immense.  Dans  cet  abîme ,  Dieu  me  montra  ce  qu'il 
est,  quels  sont  ceux  qui  vivent  en  lui  et  ceux  qui  sont  privés 
de  cette  vie  ,  et  ma  vision  finit  par  ces  paroles  :  En  vérité  , 
je  vous  le  dis,  il  n'y  a  de  voie  droite  que  celle  que  j'ai  moi- 
même  tracée  par  mes  exemples  :  là,  il  riy  a  aucune  illusion 
à  redouter.  Cet  oracle,  ajoute-t-elle,  m'a  été  répété  plu- 
sieurs fois  ;  je  l'ai  entendu  très-clairement  et  très-distincte- 
ment. » 

Doctrine  et  instructions  Je  sainte  Angèle  concernant  les  moyens  de  connaître 
avec  certitude  la  venue  de  Dieu  dans  l'Ame. 

<i  II  faut,  avant  tout,  savoir  que  souvent  Dieu  vient  dans  une 
àme  sans  qu'elle  l'ait  appelé  ni  par  désirs  ni  par  prières; 
quand  il  y  vient  ainsi,  il  y  répand  une  chaleur,  un  amour, 
une  suavité  extraordinaires.  La  joie  et  la  délectation  que 
l'âme  éprouve ,  l'autorise  bien  à  croire  que  c'est  Dieu  lui- 
même  qui  produit  ces  sentiments,  mais  elle  n'en  est  pas  plei- 
nement assurée  :  d'autres  fois,  quoique  l'âme  ne  voie  pas  Dieu 
dans  elle ,  la  grâce  qu'il  y  opère  est  si  sensible  et  si  agréable, 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO.  149 

qu'elle  estime  que  ce  qu'elle  sent  ne  peut  venir  que  de  sa 
présence  ;  néanmoins  ,  elle  n'en  a  pas  une  entière  certitude. 
Un  autre  moyen  qui  lui  persuade  que  Dieu  est  venu ,  c'est 
lorsqu'elle  entend  une  voix  qui  lui  adresse  des  paroles  très- 
agréables  parla  douceur  de  celui  qui  les  prononce;  cepen- 
dant il  reste  encore  un  peu  de  doute. 

Mais  la  preuve  indubitable  de  la  certitude  de  la  venue  de 
Dieu  dans  l'âme  ,  c'est  lorsqu'elle  a  de  sa  présence  un  senti- 
ment plus  vif  que  de  coutume  ;  c'est  lorsque  l'amour  de  Dieu 
et  la  faveur  qui  l'accompagne  redoublent  et  augmentent  au 
point  qu'elle  n'est  plus  occupée  ni  d'elle-même  ni  de  son 
corps. 

Toutefois,  une  des  marques  les  plus  convaincantes  de  la  ré- 
sidence du  Tout-puissant  dans  une  âme,  c'est  lorsqu'il  donne 
à  la  volonté  bumaine  une  conformité  parfaite  avec  la  volonté 
de  Dieu. 

Outre  cela  ,  le  Très-haut  a  quelquefois  la  bonté  de  se  ren- 
dre visible ,  non  sous  une  forme  corporelle  et  palpable  ,  mais 
sous  une  autre  figure  spirituelle;  dans  ce  cas,  l'âme  voit 
Dieu  plus  évidemment  et  plus  clairement  que  l'homme  mor- 
tel ne  voit  des  yeux  du  corps  son  semblable.  Cette  manière 
de  voir  lui  donne  un  sentiment  de  jouissance  et  de  plaisir 
inénarrable.  Cette  vue  l'absorbe  tout  entière;  elle  ne  peut  ni 
voir ,  ni  regarder  ,  ni  affectionner  d'autre  objet  que  cette  im- 
mense plénitude  qui  s'est  offerte  à  ses  regards  et  dont  elle  se 
sent  entièrement  remplie.  Il  est  bien  encore  plusieurs  autres 
moyens  de  s'assurer  que  Dieu  est  certainement  dans  l'âme; 
je  me  bornerai  à  en  assigner  deux  principaux  : 

Le  premier  est  une  onction  qui  se  répand  d'abord  dans 
l'âme  et  qui  la  change  si  subitement  et  si  entièrement,  que 
rien  au  monde  ne  pourrait  ni  l'affecter  ,  ni  la  toucher,  ni 
l'affliger.  Cette  onction  agit  aussi  sur  le  corps;  elle  rend  ses 
membres  et  tous  ses  sens  si  dociles  et  si  obéissants ,  qu'ils 
sont  en  tout  à  l'unisson  de  la  volonté.  Tant  que  cette  onction 
dure  ,  l'âme  voit  avec  évidence  que  Dieu  est  dans  elle  et  qu'il 


1 50  ESPRIT 

la  possède  complètement.  Elle  l'entend ,  elle  l'écoute  et  n'a 
pas  le  moindre  doute  de  la  réalité  de  sa  présence. 

La  seconde  marque  consiste  en  de  sortes  d'embrassements 
délicieux  que  Dieu  accorde  à  l'àme  ;  douceurs  ineffables , 
amour  ardent ,  qui  l'enflamment ,  la  transportent  de  ferveur 
et  de  joie  ;  et  de  cette  flamme  sort  une  lumière  qui  lui  fait 
voir  cette  immense  bonté  de  Jésus-Christ  :  éclairée  par  elle, 
elle  en  comprend  encore  plus  qu'elle  n'en  éprouve. 

D'autres  fois  Dieu  apporte  dans  l'àme  un  torrent  de  joie  si 
parfaite  ,  qu'elle  ne  saurait  en  contenir  de  plus  grande;  si  elle 
durait,  ce  serait  un  vrai  paradis.  —  Cette  allégresse  se  re- 
foule sur  tout  le  corps  ;  toute  injure ,  tout  mauvais  traitement 
qu'on  pourrait  éprouver  alors  serait  regardé  comme  rien. 
L'effet  que  cet  état  de  l'àme  produit  sur  le  corps  ne  peut  être 
déguisé  ni  dissimulé.  » 

Comment  l'âme  reçoit  la  visite  du  Seigneur  qui  veut  y  résider  spirituellement. 

«  Les  moyens  que  je  viens  d'indiquer  sont  tous  propres  à 
faire  connaître  que  Dieu  est  réellement  dans  l'àme;  mais 
nous  n'avons  pas  encore  parlé  de  la  manière  dont  cette  âme 
reçoit  cet  hôte  magnifique.  Tout  ce  que  nous  avons  dit  n'est 
rien  auprès  de  ce  qu'il  faudrait  dire  concernant  ce  qui  se 
passe  lorsque  l'on  sent  et  qu'on  est  assuré  que  Dieu  est  venu 
pour  y  établir  sa  demeure.  Alors  l'âme  a  une  si  grande  et  si 
intime  connaissance  de  la  bonté  infinie  de  Dieu ,  que  lors- 
qu'elle revient  à  elle-même  ,  comme  je  l'ai  éprouvé  ,  elle  ne 
peut  rien  dire  qui  soit  en  proportion  de  ce  qu'elle  a  connu  et 
senti.  » 

Elle  assure  qu'il  est  impossible  de  parler  dignement  de 
tels  effets,  que  c'est  pour  cela  que  rien  n'a  été  écrit  jusqu'à 
ce  jour  qui  soit  même  une  légère  ébauche  du  vaste  sujet 
que  présente  à  l'âme  l'infinie  bonté  du  Seigneur;  puis  elle 
ajoute  : 

a  Aussi ,  lorsque  l'âme  exerce  cette  précieuse  hospitalité 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNÛ.  151 

envers  cet  hôte  qui  la  rassure  ,  la  console  et  l'éclairé ,  elle 
fait  jaillir  sur  son  corps  l'éclat,  la  noblesse  et  la  joie  dont 
elle  est  remplie.  Le  corps  participe  à  la  joie  de  l'esprit ,  quoi- 
qu'il un  moindre  degré.  Alors  la  raison  reprend  tout  son  em- 
pire ;  elle  parle  à  l'âme  et  celle-ci  au  corps  et  à  ses  sens ,  et 
elle  leur  tient  en  quelque  sorte  ce  langage  :  Je  viens  d'éprou- 
ver combien  sont  délicieux  les  biens  que  je  t'ai  procurés 

Aussitôt  le  corps  se  soumet  à  l'âme  et  les  sens  s'empressent 
d'obéir  à  la  raison  ,  parce  qu'ils  participent  au  bonheur  de 
l'esprit.  » 

De  plusieurs  sortes  d'illusions  auxquelles  sont  exposées  les  personnes  même 
les  plus  spirituelles. 

«  Les  personnes  pieuses  sont  en  général  exposées  à  tomber 
dans  quelques  erreurs  ou  illusions  spirituelles.  L'une  des 
plus  communes  et  des  plus  dangereuses  est  celle  qui  provient 
d'un  amour  qui  n'est  pas  purement  pour  Dieu  ,  et  dans  lequel 
se  trouve  un  alliage  plus  ou  moins  considérable  de  l'ainour- 
propre  ou  de  sa  propre  volonté.  Voici  à  quels  symptômes  on 
doit  le  reconnaître  :  L'amour  de  soi-même ,  dont  j'entends 
parler  ici ,  est  naturellement  mêlé  d'amour  mondain.  L'opi- 
nion flatteuse  de  ceux  qui  nous  regardent ,  les  éloges  que  ces 
observateurs  donnent  à  notre  piété  extérieure,  animent  et 
enflamment  alors  notre  dévotion.  La  ferveur  sensible  s'accroît 
par  les  louanges  que  cette  dévotion  attire  ,  les  larmes  coulent 
avec  plus  d'abondance ,  et  on  s'estime  pour  cela  plus  avancé 
en  vertu.  Mais  les  sentiments ,  les  affections ,  ainsi  que  les 
frémissements  corporels  qui  en  sont  la  suite  ,  sont  aussi  im- 
purs devant  Dieu  que  la  source  d'où  ils  dérivent.  Rien  de  tout 
cela  ne  vient  du  fond  du  cœur,  ils  sont  tous  du  ressort  des 
sens.  La  preuve  en  est,  qu'aussitôt  que  les  impressions  ces- 
sent ,  elles  ne  laissent  aucune  trace  dans  l'âme  qui  les  oublie 
aisément ,  ou  bien  ,  comme  cela  arrive  souvent ,  elles  ne  lais- 
sent dans  le  cœur  qu'une  certaine  amertume. 


i  52  EsriuT 

Il  y  a  un  autre  genre  de  déception,  à  laquelle  sont  expo- 
sées les  personnes  spirituelles  ;  c'est  celui-ci  :  Une  àme  se 
croit  privilégiée  de  Dieu  ,  elle  sent  dans  elle  les  dons  de  la 
grâce  ,  et  s'adonne  à  toutes  les  bonnes  œuvres  que  cette 
grâce  lui  inspire  ;  mais  elle  aime  à  en  parler,  à  en  entretenir 
ses  amis.  Or  ,  comme  elle  présume  beaucoup  de  ses  disposi- 
tions ,  elle  passe  la  mesure  de  la  discrétion  ,  et  le  Seigneur  la 
laisse  dans  l'illusion  ,  afin  que  quand  viendra  le  temps  de  la 
découvrir  ,  elle  apprenne  à  mieux  connaître  et  son  Dieu  et 
elle-même. 

Une  autre  espèce  d'illusion  ,  est  lorsqu'une  personne  dé- 
vote ,  aimant  Dieu  purement  du  fond  du  cœur ,  remplissant 
tous  ses  devoirs,  a  résolu  de  ne  plus  chercher  les  suffrages 
des  créatures  pour  se  dévouer  uniquement  à  Jésus-Christ , 
mais  par  une  vanité  secrète ,  s'attribue  à  elle-même  ce  qui  ne 
vient  que  de  Dieu  ;  et  ne  voit  pas  assez  ses  imperfections  et 
ses  besoins  véritables  ;  c'est  alors  que  Dieu  permet  qu'elle 
tombe  dans  quelque  faute,  pour  lui  faire  connaître  sa  misère 
et  l'infinie  bonté  de  Dieu. 

Mais  le  plus  sûr  moyen  (  ajoute-t-elle  dans  le  chapitre 
suivant)  de  soustraire  l'âme  à  toute  espèce  d'illusion,  est 
lu  pauvreté  d'esprit.  C'est  ainsi  que  Dieu  lui-même  me  l'a 
déclaré  dans  une  instruction  par  laquelle  il  me  l'a  recom- 
mandée, comme  étant  le  meilleur  guide  et  le  maître  le  plus 
infaillible  de  la  vérité  :  cette  vérité  est  traitée  de  folie  par  les 
impies  et  les  mondains  ;  mais  les  vrais  sages  la  regardent 
tout  autrement ,  car  celui  qui  a  la  vraie  pauvreté  d'esprit , 
ne  peut  tomber  dans  l'erreur. 

Or  ,  le  principal  fruit  de  la  vertu  de  pauvreté  ,  lorsqu'elle 
est  bien  enracinée  dans  une  âme  ,  est  que  toutes  les  actions 
qu'elle  fait  produire  sont  aussi  exemptes  de  vaine  gloire  que 
de  tout  respect  humain.  » 

En  parlant  du  ravissement  de  l'âme  au-dessus  des  sens  , 
ou  de  l'extase,  elle  dit  que  l'âme,  dans  cet  état,  nage  sur  une 
mer  de  vérités  augustes  et  d'illustrations  merveilleuses  qui 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO.  153 

lui  font  comprendre  les  mystères  que  Jésus-Christ  a  révélés 
dans  l'Évangile  :  les  passages  les  plus  obscurs  de  l'Écriture 
sainte  ,  les  motifs  secrets  de  la  conduite  de  Dieu,  &c,  sont 
mis  en  évidence  par  ces  clartés  qui  inondent  l'intelligence 
humaine...  Une  faveur  aussi  sublime  dépend  uniquement  de 
la  suprême  volonté  de  Dieu  ;  pour  la  départir ,  il  ne  s'est 
assujetti  à  aucune  règle  ni  à  aucune  mesure  ;  il  s'empare  de 
l'âme  lorsqu'elle  s'y  attend  le  moins  ,  et  l'élève  ainsi  jusqu'à 
lui.  » 

Sainte  Angèle  exhorte  ensuite  a  l'étude  de  la  connaissance 
de  Dieu  et  de  soi-même.  Elle  dit  que  cette  connaissance  est 
le  moyen  de  supporter  en  repos  l'exil  de  cette  vie  pendant  la- 
quelle l'âme  est  comme  dans  une  prison. 

Elle  ajoute  que  toute  vision  ,  toute  révélation  ,  toute  con- 
templation ne  sert  de  rien  sans  cette  connaissance  de  Dieu  et 
de  soi-même  ;  elle  en  inculque  mille  fois  la  nécessité  ,  en 
fait  distinguer  les  qualités  ,  et  parle  ainsi  de  ses  effets  : 

«  Cette  connaissance  porte  l'âme  à  l'aimer ,  à  cause  des 
amabilités  attrayantes  qu'elle  y  découvre  à  mesure  qu'elle  le 
considère  et  l'approfondit  ;  en  l'aimant ,  l'âme  désire  ardem- 
ment de  s'y  attacher  et  de  le  posséder,  et  une  fois  qu'elle  en 
est  venue  à  ce  point ,  ce  Dieu  d'amour  et  de  bonté  s'approche 
d'elle,  s'y  unit ,  y  réside,  et  lui  fait  sentir  par  sa  présence  des 
douceurs  qu'il  lui  réserve  dans  la  possession  qu'il  lui  prépare 
de  toute  sa  félicité. 

Dans  cet  état,  où  le  cœur  s'enflamme  à  proportion  que  la 
connaissance  s'étend  ,  l'âme  s'élève  et  se  transporte  vers  l'ob- 
jet de  son  amour  ;  elle  s'y  attache ,  s'y  colle  en  quelque  sorte 
par  des  embrassements  ineffables  ,  et  ce  Dieu  d'amour  ,  qui 
par  sa  lumière  ,  excite  et  redouble  ses  transports,  la  pénètre, 
la  remplit ,  l'inonde  de  délicieuses  affections  qui  font  du  Dieu 
qni  aime  l'âme  dont  il  se  voit  aimé ,  un  seul  cœur,  une  même 
âme  ,  un  seul  objet  qui  jouit  ici-bas  ,  par  anticipation ,  du 
bonheur  céleste... 

Tels  sont  ,  dit-elle  ,  les  grands  biens  que  nous  fait  la  con- 


154  ESPRIT 

naissance  de  Dieu.  Quiconque  veut  marcher  dans  la  voie  qui 
conduit  à  lui  ,  doit  commencer  par  le  connaître ,  ensuite  vient 
l'amour  qui  transforme  le  cœur  aimant  en  l'objet  aimé  ;  c'est 
ainsi  que  l'âme  connaît  son  Dieu  en  vérité ,  et  c'est  ainsi 
qu'elle  aime  le  Dieu  qu'elle  aie  bonheur  de  connaître.  » 

Elle  désigne  pour  moyen  d'acquérir  celte  connaissance , 
après  la  lumière  et  la  grâce  de  Dieu  ,  et  pour  obtenir  d'abord 
l'une  et  l'autre ,  la  prière  fervente ,  assidue ,  continuelle  , 
non-seulement  Y  orale ,  mais  celle  du  cœur  ,  qui  met  toutes 
les  facultés  de  l'âme  en  action,  en  les  excitant  par  un  désir 
pur  et  véhément  d'être  exaucée. 

Elle  conseille  ensuite  la  méditation  de  la  croix  ,  ou  plutôt 
du  crucifié. 

Elle  dit  que  la  prière  soutenue  éclaire  l'âme,  l'élève  et  la 
transforme  ;  et  que  l'âme  ainsi  éclairée ,  voit  manifestement  le 
chemin  que  Jésus-Christ  a  tracé  en  y  marchant  le  premier.  Or, 
ce  chemin  mène  droit  à  la  connaissance  de  Dieu  ,  et  Jésus- 
Christ  crucifié  nous  apprend  aussi  à  nous  bien  connaître 
nous-mêmes;  de  sorte  que  dans  la  croix  est  la  merveilleuse 
explication  de  Dieu  et  de  l'homme.  Là ,  on  voit  comment 
Dieu  est  legrand  tout,  l'immense,  le  souverainement  parfait, 
et  l'homme  rien,  et  dans  celte  connaissance  réside  la  vérita- 
ble et  solide  perfection. 

Elle  insiste  après  cela  sur  l'étude  du  livre  de  vie,  qui  est 
Jésus-Christ  pauvre ,  humilié  ,  souffrant  et  mourant ,  et  s'é- 
tend fort  au  long  sur  les  diverses  périodes  de  sa  vie  ,  qui  ont 
rapport  à  ces  divers  états  ,  et  c'est  là  où  l'on  voit  notre  Sainte 
s'élever  avec  une  grande  précision  de  doctrine  à  la  hauteur 
du  langage  des  Pères  de  l'Église,  et  se  montrer  toujours  ad- 
mirablement d'accord  avec  la  divine  Écriture. 

«  Ce  n'est ,  en  effet,  que  sous  les  yeux  des  vrais  enfants  de 
Dieu  ,  de  ceux  qui  puisent  la  manière  de  lire  dans  ce  livre  de 
vie  par  la  prière  persévérante  et  la  lecture  assidue  que  le  Père 
ouvre  les  pages  de  ce  livre  précieux  ,  savoir ,  la  vie  el  la  mort 
de  ce  Dieu-homme  Noire-Seigneur  Jésus-Christ.  Que  ceux 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGXO.  155 

donc  qui  veulent  acquérir  la  véritable  science  ,  lisent  attenti- 
vement ce  qui  y  est  écrit ,  ils  y  trouveront  tout  ce  qui  peut 
être  utile ,  non-seulement  à  eux-mêmes ,  mais  encore  aux 
autres.  0  mon  Fils  !  que  ce  livre  soit  pour  vous  votre  lecture 
habituelle  !  vous  désirez  de  savoir  ;  eh  bien  !  lisez  ,  non  pré- 
cipitamment, mais  avec  réflexion;  non  avec  l'impatience  d'en 
voir  la  fin  ,  mais  avec  la  matufîté#et  le  temps  convenables  ; 
cette  lecture  vous  enseignera  non  la  science  qui  enfle  ,  mais 
tout  ce  qui  est  nécessaire  à  votre  avancement  spirituel  et  à 
celui  de  toutes  les  personnes  qui  recourront  à  vous  pour  leur 
salut  dans  quelque  état  et  condition  qu'elles  soient  :  si  vous 
suivez  l'avis  que  je  vous  donne  ,  vous  éprouverez  qu'il  jaillit 
de  ce  livre  un  feu  divin  qui  échauffera  et  embrasera  votre 
âme  d'une  chaleur  consolante  qui  vous  fera  trouver  de  la  joie 
dans  vos  tribulations  ;  que  dis-je  ?  vous  verrez  que  les  tribu- 
lations sont  une  faveur  dont  vous  vous  jugerez  indigne  :  il  y  a 
bien  plus,  c'est  que  s'il  vous  arrive  quelque  louange  ,  quelque 
éloge,  à  l'occasion  de  quelque  bonne  action  qui  vous  les  aura 
justement  attirés  ,  vous  n'en  serez  ni  glorieux  ni  flatté  ,  parce 
que  cette  lecture  vous  aura  convaincu  que  si  vous  avez  quel- 
que chose  qui  mérite  d'être  loué  ,  elle  ne  vient  pas  de  votre 
propre  fonds ,  et  que  par  conséquent  vous  ne  pouvez  vous  en 
prévaloir.  Or  ,  c'est  là  la  inarque  la  plus  sûre  pour  connaître 
si  on  est  en  grâce  avec  Dieu  ,  puisque  sans  cette  grâce  on  ne 
saurait  être  indifférent ,  encore  moins  insensible  aux  attraits 
de  la  vaine  gloire. 

Je  conclus  donc  ,  de  tout  ce  que  je  viens  de  dire ,  qu'il  faut 
absolument  se  dévouer  et  travailler  sans  relâche  ,  jusqu'à  ce 
que  nous  soyons  parvenus  à  cette  connaissance  indispensable 
de  Dieu  et  de  nous-mêmes ,  laquelle  ne  peut  s'acquérir  que 
par  une  prière  fervente  et  soutenue  ,  d'une  méditation  conti- 
nuelle sur  ce  beau  livre  de  vie  qui  offre  à  ses  lecteurs  les 
œuvres ,  les  souffrances  et  la  Passion  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ.  » 

Elle  dit  ensuite  que  nous  devons  savoir  ce  qu'a  fait  et  ce 


1 56  ESPRIT 

qu'a  dit  Jésus-Christ  pendant  le  temps  de  sa  vie  sur  la  terre, 
puisque  sa  conduite  doit  régler  la  nôtre  et  celle  de  tous  ceux 
qui  veulent  être  sauvés. 

«  Or  ,  cette  vie  n'offre  qu'une  pénitence  très-austère ,  et 
voici  l'apanage  que  Dieu  le  Père  laissa  à  son  Fils  :  1°  Il  l'en- 
voya dans  ce  monde  avec  un  dénuement  absolu  ou  une  pau- 
vreté complète;  2°  pour  essuyer  des  humiliations  de  tout 
genre  et  tout  ce  que  le  mépris  le  plus  soutenu  peut  inspirer 
de  traitements  flétrissants  ;  3°  pour  endurer  des  souffrances 
continuelles  dans  le  corps  et  dans  l'âme  portées  à  un  degré 
effrayant.  Tel  fut  le  partage  du  Fils  de  Dieu  durant  toute  sa 
vie  ,  afin  de  nous  porter,  par  son  exemple ,  à  ne  pas  en  dési- 
rer ,  en  aimer ,  en  posséder  d'autre  jusqu'à  la  mort ,  si  tel 
était  le  bon  plaisir  de  Dieu. 

C'est  par  cette  voie  que  Jésus-Christ  comme  homme  voulut 
marcher  pour  aller  au  ciel  ;  c'est  par  cette  même  voie  et  c'est 
la  seule  par  laquelle  notre  âme  puisse  arriver  jusqu'à  Dieu.  » 

Quatre  degrés  de  la  pauvreté  de  Jésus-Christ. 

«  1°  Dénuement  complet  de  toutes  les  possessions  terres- 
tres. Il  ne  posséda  pas  la  plus  petite  chose. 

2°  Pauvreté  plus  étendue  encore  ,  car  il  fut  privé  des  dou- 
ceurs que  peuvent  procurer  les  parents ,  les  amis ,  &c.  Il  se 
refusa  tout.  Il  voulut  naître  d'une  mère  très-pauvre ,  être 
élevé  dans  la  maison  d'un  artisan  ,  &c. 

3°  Il  se  départit  même  de  l'opinion  d'après  laquelle  on  le 
croyait  rempli  de  sainteté ,  de  vertu  et  d'innocence  ,  et  il  pré- 
féra passer  pour  un  pécheur,  être  accusé  par  ses  enne- 
mis,, &c,  &c. 

4°  Il  se  dépouilla  de  toute  marque  extérieure  de  préémi- 
nence et  de  domination  qui  lui  appartenaient  à  tant  de  ti- 
tres.—  Ainsi ,  le  Fils  de  Dieu,  Notre-Seigneur ,  fut  pauvre 
d'esprit ,  de  volonté,  de  fait,  et  cela  à  un  degré  infiniment 
admirable,  à  cause  de  l'amour  tendre  et  passionné  qu'il  avait 


DE  SAINTE  ANGÉLE  DE  F0LIGN0.  157 

pour  nous.  —  Mais  quel  est  aujourd'hui  l'homme  ,  quelle  est 
la  femme  qui  puisse  se  flatter  d'avoir  la  pauvreté  telle  que 
l'avait  Jésus-Christ? hélas!  cette  pauvreté  est  générale- 
ment dédaignée  et  rejetée  de  tout  le  monde  !...  » 

Notre  Sainte  passe  ensuite  à  l'humilité  de  Jésus-Christ , 
aux  humiliations  dont  il  fut  abreuvé  ,  et  à  sa  patience  au 
milieu  des  plus  grandes  souffrances.  C'est  par  cette  étude 
qu'elle  veut  que  le  vrai  disciple  de  Jésus-Christ  se  forme  à  la 
perfection.  «  Oui,  je  le  repète  encore,  dit-elle,  en  termi- 
nant ,  elles  sont  innombrables  et  infinies  ,  les  vérités  que  l'on 
découvre  et  que  l'on  sent  en  étudiant  avec  soin  et  lisant  assi- 
dûment dans  le  véritable  livre  de  vie  qui  est  Jésus-Christ  No- 
tre-Seigneur  ,  auquel  toute  gloire  ,  tout  honneur  et  toute 
louange  doivent  être  rendus  ,  <xc.  » 

Comment  elle  traite  de  la  prière. 

a  Puisque  nous  ne  pouvons  lire  comme  il  faut,  ni  compren- 
dre ce  qui  est  écrit  dans  ce  livre  de  vie  qui  est  Jésus-Christ 
fait  homme  et  mort  pour  nous  ;  puisque  nous  ne  pouvons 
obtenir  cette  grande  faveur  sans  une  prière  fervente  et  conti- 
nuelle ,  il  est  par  conséquent  à  propos  que  je  vous  entretienne 
de  la  prière. 

Je  dirai  donc  que  la  véritable  prière  est  celle  avec  laquelle 
et  par  laquelle  on  trouve  Dieu.  Elle  a  lieu  de  trois  manières 
dont  la  réunion  est  nécessaire  ,  sans  quoi  Dieu  ne  s'y  trouve- 
rait pas.  Car  la  prière  est  tout  ensemble  corporelle ,  mentale 
ou  spirituelle ,  et  élevée  surnaturellement.  La  corporelle  est 
celle  qu'on  fait  en  prononçant  des  paroles  qu'accompagnent 
des  inclinations  ,  génuflexions  ou  prostrations  extérieures. 

Je  commence  toujours  par  cette  prière  corporelle  ,  parce 
que  je  me  rappelle  qu'ayant  voulu  essayer  de  faire  oraison 
mentale  sans  ce  préliminaire,  je  me  laissais  aller  facilement  à 
l'indolence  et  au  sommeil ,  et  par  là  je  perdais  le  fruit  de  la 
prière  que  j'avais  eu  d'abord  l'intention  de  faire.  C'est  pour- 


1 58  ESPRIT 

quoi ,  pour  éviter  une  semblable  surprise  ,  je  commence  tous 
mes  exercices  spirituels  par  la  prière  du  corps  qu'on  appelle 
orale  ;  c'est  par  ces  moyens  que  je  prélude  à  l'oraison  men- 
tale. 

La  prière  spirituelle  ou  mentale  laisse  la  langue  en  repos. 
L'esprit  n'est  occupé  que  de  Dieu  ;  toute  autre  pensée  étran- 
gère à  laquelle  l'esprit  serait  appliqué,  ferait  évanouir  cette 
oraison  qui  ne  mérite  le  nom  de  mentale  que  parce  que  l'âme 
est  tellement  occupée  de  Dieu  ou  de  ce  qui  y  a  de  rapport , 
qu'elle  en  est  entièrement  remplie  ;  c'est  de  cette  manière 
de  prier  que  l'âme  s'élève  jusqu'à  cette  autre  oraison  qu'on 
appelle  surnaturelle. 

Cette  dernière  consiste  en  ce  que  l'âme  ,  remplie  de  cet 
objet  qui  l'a  occupée  et  comme  absorbée  ,  se  sent  transportée 
vers  des  considérations  sublimes  qu'elle  n'avait  pas  eues  pré- 
cédemment. Dans  cet  état,  elle  voit  des  choses  au-dessus  de 
la  portée  commune  et  acquiert  des  connaissances  qui  surpas- 
sent l'intelligence.  Tout  ce  qu'elle  voit  et  tout  ce  qu'elle  sent 
est  au-dessus  de  la  nature.  Il  lui  serait  aussi  impossible  de 
l'expliquer  que  de  le  faire  comprendre. 

C'est  par  ces  trois  degrés  d'oraison  qu'on  parvient  à  se 
connaître  soi-même  et  à  connaître  Dieu.  Cette  connaissance 
engendre  l'amour,  comme  l'amour  engendre  le  désir  dépossé- 
der l'objet  aimé.  Or,  la  plus  grande  inarque  qu'on  a  cet  amour, 
c'est  lorsque  celui  qui  aime  se  transforme  ,  non  en  partie  , 
mais  en  totalité ,  en  celui  qui  est  l'objet  de  son  amour.  » 

Elle  insiste  sur  la  nécessité  de  ces  trois  sortes  de  prières  ; 
car  ,  sans  les  deux  premières  ,  on  ne  peut  obtenir  la  surna- 
turelle ;  elle  prescrit  la  fidélité  aux  heures  et  aux  temps  portés 
par  les  règlements. 

Elle  ajoute  :  «  Le  Seigneur  veut  aussi  que  notre  cœur  soit 
tout  en  lier  à  la  prière  ,  car  si  le  cœur  est  en  partie  occupé  de 
tout  autre  objet,  pour  cela  seul  il  perdra  tout  le  fruit  de 
l'oraison.  »  C'est  à  cette  division  du  cœur  qu'elle  attribue  les 
distractions  et  les  tentations  qui  y  surviennent. 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO.  159 

a.  Priez  donc  et  priez  assidûment  (  continue-t-elle  )  ;  plus 
vous  prierez,  plus  votre  àme  sera  éclairée  ;  plus  cette  lumière 
augmentera  ,  plus  elle  connaîtra  la  grandeur ,  la  beauté  de 
ce  tout  infini  qui  fait  notre  bonheur  ;  plus  elle  aura  vu  de  ma- 
gnificence dans  cet  excellent  objet,  plus  elle  s'y  attachera 
par  amour  ,  et  cet  amour  augmentant ,  si  j'ose  m'exprimer 
ainsi ,  les  dimensions  de  l'âme  ,  cette  âme  acquerra  plus  de 
capacité  et  d'intelligence  pour  connaître  et  comprendre  da- 
vantage ce  Dieu  parfaitement  aimé.  C'est  ainsi  que  vous  par- 
viendrez à  cette  plénitude  de  lumière  et  de  clarté  qui  vous 
montrera  des  choses  bien  au-dessus  de  ce  que  vous  auriez 
pu  connaître  ou  imaginer  jusque-là.  » 

Elle  met  ensuite  sous  les  yeux  Jésus-Christ,  le  grand  mo- 
dèle de  la  prière,  rappelle  les  motifs  d'une  prière  continuelle, 
exhorte  à  la  faire  avec  une  grande  pureté  d'esprit,  et  joint  à 
la  prière  la  vigilance. 

«  C'est  surtout  durant  les  tentations  que  vous  devez  persé- 
vérer dans  la  prière  ;  souvent  les  démons  ne  suscitent  leurs 
tentations  que  pour  nous  détourner  de  ce  saint  exercice  ;  ne 
vous  en  étonnez  pas  et  ne  vous  occupez  qu'à  prier  ,  c'est  le 
vrai  moyen  de  dissiper  toutes  les  suggestions  de  ces  esprits  de 
ténèbres  ;  car  c'est  par  l'oraison  que  vous  découvrirez  leurs 
artifices ,  e'est  par  elle  que  vous  triompherez  et  que  vous 
serez  en  union  avec  Dieu. 

Car  l'oraison  n'est  que  la  vue  manifeste  de  Dieu  et  de  soi- 
même,  c'est  dans  cette  vue  que  se  trouve  la  véritable  humi- 
lité ,  parce  que,  plus  l'âme  voit  de  plus  près  son  Dieu  ,  plus 
elle  voit  son  propre  néant  ;  plus  elle  se  voit  à  la  lueur  de 
cette  lumière  ,  plus  elle  s'anéantit  et  plus  elle  est  vérita- 
blement éclairée. 

Je  dis  maintenant,  ajoute-t-elle ,  que  si  vous  vous  sentez 
jamais  animé  par  cette  chaleur  douce  et  entraînante  de  la  grâce 
qui  vous  porte  à  vous  recueillir  ou  à  converser  avec  Dieu , 
ou  à  faire  quelqu'une  de  ces  œuvres  que  vous  savez  lui  être 
agréables ,  suivez  ce  mouvement,  livrez-vous  à  cette  impul- 


160  ESPRIT 

sion  et  faites  avec  joie  ce  que  la  ferveur  de  la  dévotion  vous 
inspire  ;  mais  si  pour  vous  punir  de  vos  fautes ,  comme  cela 
arrive  communément ,  ou  pour  vous  purifier  de  vos  imperfec- 
tions ,  ou  pour  tout  autre  motif  dont  Dieu  seul  se  réserve  la 
connaissance  ;  si ,  dis-je  ,  cette  première  chaleur  s'éteint ,  et 
si,  au  lieu  de  ferveur  et  de  sentiment  agréable,  vous  n'éprou- 
vez que  dégoût  ou  insensibilité  ;  si  au  lieu  d'attrait  pour  le 
bien ,  vous  vous  sentez  tenté  de  mal  faire  ;  si  à  la  place  des 
douceurs  et  des  suavités  précédentes,  vous  vous  sentez  abîmé, 
désolé  par  des  tribulations  intérieures ,  ah  !  pour  lors  gardez- 
vous  de  rien  omettre  de  vos  exercices  ordinaires  ;  si  la  dou- 
ceur de  la  vertu  vous  est  soustraite ,  ne  retranchez  rien  de  ce 
qui  en  exprime  la  pratique  ;  au  contraire,  faites  de  plus  grands 
efforts  pour  vous  surveiller  plus  soigneusement ,  pour  prier 
plus  assidûment  que  jamais  et  pour  remplir  avec  une  plus 
scrupuleuse  exactitude  vos  devoirs  ordinaires  ;  à  force  de 
prières  ,  d'instance  et  de  fidélité  ,  vous  engagerez  le  Seigneur 
à  vous  rendre  sa  première  faveur,  et  après  avoir  fait  tout  ce 
qui  était  en  votre  pouvoir  ,  vous  éprouverez  que,  de  son  côté, 
notre  bon  Seigneur  a  fait  tout  le  reste.  Car  la  prière  violente , 
faite  avec  des  efforts  soutenus,  est  la  plus  agréable  à  ses  yeux. 
Soyez  donc  fidèle  aux  recommandations  que  je  viens  de 
vous  adresser  sur  cet  important  sujet  ;  dès  que  vous  vous  sen- 
tirez plus  plein  de  Dieu  que  de  coutume,  ne  vous  laissez  pas 
occuper  d'autre  chose  ;  prenez  garde  de  ne  vous  appliquer  à 
rien  ,  sans  vous  être  détaché  auparavant  de  tout  vous-même. 
Soyez  surtout  en  garde  contre  les  ferveurs  qui  n'ont  leur  foyer 
que  dans  votre  propre  esprit,  c'est-à-dire  ,  soyez  en  garde 
contre  cet  esprit ,  si  sujet  à  se  confondre  avec  une  fausse 
ferveur.  Pour  vous  le  faire  discerner  ,  voyez  avant  tout  quel 
est  son  principe,  suivez  sa  marche  et  ses  progrès,  tâchez 
d'en  bien  découvrir  le  but,  et  ne  suivez  ses  impulsions  qu'au- 
tant que  vous  les  trouverez  conformes  aux  règles  que  je  vons 
ai  détaillées  et  qui  sont  extraites  de  ce  livre  de  vie  ,  qui  com- 
bat et  condamne  toutes  les  erreurs.  » 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO.  401 

De  la  vertu  d'humililé. 

«  Sans  l'humilité,  dit-elle  ,  l'oraison  ne  servirait  de  rien. 
Regardez  le  divin  modèle  de  toutes  les  vertus,  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ  :  c'est  en  lui  que  vous  trouverez  la  forme  de 
toute  perfection.  Repassez  sa  vie  ,  écoutez  ses  leçons;  non- 
seulement  dans  ses  discours  mais  dans  ses  œuvres  tout  n'est 
qu'humilité  ;  il  en  fait  le  fondement  et  la  base  de  toutes  les 
vertus. 

C'est  donc  en  pénétrant  vos  âmes  de  cette  vertu  ,  en  l'en- 
racinant profondément  dans  vos  cœurs  de  manière  à  vous 
unir  par  ce  trait  de  ressemblance  avec  ce  divin  modèle,  que 
vous  trouverez  le  repos  parfait...  L'humilité  a  surtout  cet 
avantage  d'être  une  lumière  merveilleuse  qui  nous  fait  voir 
notre  bassesse  et  notre  néant ,  en  nous  montrant  en  même 
temps  la  grandeur  immense  et  l'infinie  bonté  de  Dieu  ;  plus 
notre  intelligence  s'étend  pour  reconnaître  et  admirer  les 
grandeurs  et  les  perfections  divines  ,  plus  elle  avance  dans  la 
connaissance  qu'elle  acquiert  de  sa  propre  nudité.  Or,  plus 
elle  reconnaît  qu'elle  n'a  rien  ,  qu'elle  ne  peut  rien  ,  et  que 
tout  ce  qu'elle  possède  de  bon  ou  de  puissant  lui  vient  de 
cette  bonté  inépuisable  ,  plus  elle  s'empresse  de  se  porter 
vers  cette  infinie  munificence ,  et  c'est  alors  qu'elle  commence 
à  éprouver  les  nouveaux  dons  de  la  grâce  que  le  Seigneur 
répand  dans  elle  en  considération  et  en  récompense  de  son 
humilité. 

Or,  parmi  les  dons  que  l'âme  en  reçoit ,  le  plus  précieux 
est  la  charité  ou  l'amour  de  Dieu  et  du  prochain....  Mais  ce 
que  je  dis  de  la  charité  ,  comme  tirant  sa  source  de  l'hu- 
milité ,  doit  aussi  s'appliquer  à  l'espérance ,  à  la  foi  et  aux 
autres  vertus  qui  puisent  tout  leur  éclat  et  leur  valeur  dans 
l'humilité...  Quant  à  la  foi,  l'âme  sentant  les  bornes  étroites 
de  son  intelligence  ,  pour  laquelle  les  vertus  divines  sont  des 
mystères  inaccessibles  ,  adopte  sans  hésiter  tout  ce  que  la 
t.  y.  1 1 


1 62  ESPRIT 

foi  nous  enseigne  ;  par  la  même  lumière,  l'âme  qui  voit  son 
incapacité  pour  le  bien  et  son  impuissance  pour  la  moindre 
des  œuvres,  se  retire  vers  son  Dieu  dont  elle  connaît  la  bonté 
toute-puissante ,  et  fixe  sur  lui  toutes  ses  espérances...  Enfin, 
c'est  aux  bumbles  de  converser  avec  les  anges  et  de  jouir 
imperturbablement  de  ce  calme  et  de  cette  paix  intérieure 
que  rien  au  monde  ne  saurait  troubler.  » 

Elle  ajoute  :  «  Que  le  propre  de  l'humilité  est  de  rendre 
celui  qui  la  possède  affable,  prévenant  et  bienfaisant;  c'est 
pour  cela  que  le  monde  recherche  avec  tant  d'empressement 
et  qu'il  témoigne  tant  d'égard  et  de  prédilection  à  ces  beaux 
caractères  que  l'humilité  rend  si  aimables.  » 

De  la  vertu  de  cliarilé. 

«  La  charité  ,  dit-elle  ,  ou  l'amour  de  Dieu  ,  est  la  reine 
des  vertus  ;  sans  elle ,  l'oraison  est  vaine  et  rejetée  de  Dieu 
comme  le  sont  toutes  les  autres  vertus.  —  Pour  preuve  de 
cette  assertion ,  lisez  l'Evangile ,  &c. 

Il  est  nécessaire  cependant ,  continue-t-elle ,  que  vous  le 
sachiez;  si  l'amour  renferme  tout  esprit  de  bien  et  démérite, 
il  peut  être  aussi  l'occasion  de  tout  genre  de  mal  et  de  dis- 
corde. Aussi ,  je  ne  connais  rien  dans  le  monde  ,  ni  homme, 
ni  démon,  qui  exige  autant  de  précaution  que  l'amour  ,  parce 
que  cette  affection  est  de  nature  à  pénétrer  l'âme  ,  à  l'envahir 
tout  entière  et  à  s'emparer  de  toutes  les  facultés  ,  et  si  l'on 
n'a  le  soin  de  s'armer  de  toutes  sortes  de  précautions,  l'âme 
se  trouve  aisément  entraînée  dans  mille  écarts  et,  dans  des 
désordres  déplorables.  » 

Elle  ajoute  qu'elle  ne  parle  pas  de  l'amour  profane  et  cri- 
minel :  d'un  coup  d'œil  on  en  découvre  la  perversité  ;  mais 
elle  parle  de  cet  amour  spirituel  qu'il  y  a  entre  l'âme  et  son 
Dieu  ,  entre  l'âme  et  le  prochain.  Elle  découvre  alors  ,  pour 
expliquer  sa  pensée,  tous  les  vices  de  l'amour. 

«  Dans  plusieurs  ,  ce  n'est  qu'un  amour  d'eux-mêmes  ou 


DE  SAINTE  AXGÈLE  DE  FOLIGNO.  163 

du  monde  et  de  ses  convoitises.  Ils  n'aiment  Dieu  que  parce 
qu'ils  espèrent  de  sa  toute-puissance  l'exemption  des  infirmi- 
tés et  des  peines  de  celte  vie.  D'autres  aiment ,  à  la  vérité  , 
des  personnes  spirituelles  et  qui  ont  mérité  la  réputation  de 
sainteté ,  mais  ce  n'est  pas  pour  leurs  vertus  et  leurs  excel- 
lentes qualités  ,  ce  n'est  que  parce  que  leur  société  est  pour 
eux  un  moyen  de  se  faire  recommander,  de  s'approprier  les 
fruits  qu'ils  espèrent  tirer  de  leur  recommandation  ,  &c.  » 

Elle  dévoile  ensuite  les  artifices  du  faux  amour,  s'élève 
contre  l'amour  spirituel  entre  personnes  de  piété  de  différent 
sexe,  en  montre  les  dangers,  et  s'écrie  : 

«  C'est  donc  à  cause  de  l'amour  mauvais  que  vous  devez 
vous  précautionner  même  contre  l'amour  véritable  qui  peut 
se  trouver  entre  deux  personnes  de  profession  religieuse , 
parce  que  celui-ci  peut  devenir  mauvais.  L'amour  même  de 
Dieu ,  dit-elle ,  peut  aussi  dégénérer  s'il  n'est  réglé  par  la 
discrétion  et  défendu  avec  les  armes  qui  lui  sont  propres.  Or, 
ces  armes  contre  de  tels  abus  nous  sont  fournies  par  Dieu 
lui-même  lorsque  l'âme  de  l'homme  est  transformée  en  Dieu. 
Cette  transformation  peut  avoir  lieu  (c'est  toujours  sainte 
Angèle  qui  parle  )  ,  elle  peut  avoir  lieu  de  trois  manières  : 
1°  lorsque  l'âme  est  entièrement  transformée  en  la  volonté  de 
Dieu  ;  2°  lorsque  l'âme  est  avec  Dieu  ;  3°  quand  l'âme  est 
dans  Dieu  ou  Dieu  dans  elle. 

La  première  manière  a  lieu  lorsqu'on  fait  tous  ses  efforts 
pour  imiter  parfaitement  la  conduite  du  Fils  de  Dieu  fait 
homme  et  mort  pour  nous.  Ces  efforts  sont  la  meilleure  preuve 
de  la  volonté  de  Dieu  à  laquelle  se  conforme  celle  de  la  créa- 
ture. 

La  deuxième  consiste  en  ce  que,  outre  la  précédente  ,  il 
s'établit  une  union  si  intime  entre  Dieu  et  l'âme  ,  que  celle- 
ci  ressent  dans  elle  des  émotions  et  des  sentiments  agréables 
qu'elle  peut  raconter  et  décrire. 

Dans  la  troisième  ,  l'âme  est  tellement  transformée  en  Dieu 
et  Dieu  tellement  uni  à  elle  ,  qu'il  lui  communique  sur  sa 


1  6  i  ESPRIT 

nature  et  ses  attributs  divins  des  connaissances  sublimes  et 
supérieures  à  tout  ce  qu'elle  en  avait  eu  jusque-là.  Ce  sont 
ces  moyens  ,  mais  surtout  le  troisième ,  qui  fournissent  en 
abondance  des  ressources  aussi  efficaces  qu'infaillibles  pour 
se  bien  conduire  dans  cet  amour.  » 

Elle  développe  les  effets  de  cette  transformation.  Toute- 
fois ,  elle  ajoute  :  «  Mais  la  marque  la  plus  persuasive  qu'on 
est  réellement  dans  l'amour  de  ce  grand  Être,  c'est  l'appli- 
cation à  l'imiter  et  à  le  copier  en  quelque  sorte  dans  toutes 
ses  opérations  ;  c'est  cette  attention  continuelle  d'avoir  tou- 
jours les  yeux  sur  la  conduite  du  Fils  unique  de  ce  grand 
Être  auquel  on  désire  ressembler ,  en  conformant  ses  senti- 
ments et  ses  actions  aux  actions  et  aux  sentiments  de  ce  divin 
modèle. 

Un  symptôme  encore  très-sûr  de  l'existence  de  cet  amour 
dans  une  âme,  dit-elle,  c'est  l'activité  avec  laquelle  l'àme 
accepte  la  croix  que  Dieu  lui  présente,  c'est-à-dire  une  pé- 
nitence qui  doit  être  aussi  longue  que  la  vie,  aussi  rude,  aussi 
pénible  et  aussi  rigoureuse  qu'il  sera  possible.  » 

De  la  voie  qui  conduit  à  l'amour  de  Dieu ,  el  des  qualités  et  conditions  de  ceux 
qui  l'aiment. 

Elle  fait  consister  cette  voie ,  d'abord  dans  une  prière  fer- 
vente et  soutenue  ;  ensuite  dans  la  considération  fixe  du  livre 
de  vie,  qui  est  Jésus-Christ  fait  homme  et  mort  pour  nous  ; 
enfin ,  dans  la  connaissance  de  Dieu  en  vérité,  c'est-à-dire  de 
la  manière  qui  a  été  expliquée  plus  haut. 

«  Or ,  dit-elle  ,  les  qualités  essentielles  et  inhérentes  à  qui 
aime  Dieu  et  les  marques  auxquelles  on  doit  les  discerner 
sont  celles-ci  : 

La  première  est  la  transformation  de  la  volonté  de  l'âme 
aimante  en  la  volonté  de  l'objet  aimé.  Et  cet  objet  ,  c'est 
Jésus-Christ. 

La  deuxième  qualité  est  la  parfaite  transformation  des  ver- 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLICXO.  165 

tus  que  l'âme  peut  avoir  en  celles  de  Jésus-Christ.  On  les 
réduit  à  trois  principales  ;  l'une  est  son  amour  qui  lui  a  fait 
aimer  toutes  les  créatures  selon  le  rang  et  l'ordre  qui  con- 
viennent à  chacune  ;  l'autre  est  son  humilité  et  sa  douceur; 
l'autre  ,  qu'il  se  plaît  h  communiquer  à  ses  disciples  ,  est  la 
persévérance  qui  les  met  à  l'abri  de  tout  changement. 

La  troisième  qualité  qui  distingue  l'àme  douée  de  l'amour 
divin  est  sa  parfaite  transformation  en  Dieu.  Lorsqu'elle  est 
arrivée  à  ce  degré  ,  elle  est  exempte  de  toute  tentation,  parce 
qu'elle  n'est  plus  à  elle  ,  mais  toute  à  Dieu. 

Voici  maintenant  quelles  sont  les  marques  auxquelles  nous 
pouvons  juger  si  nous  sommes  remplis  de  l'amour  de 
Dieu. 

La  première  est  une  conformité  parfaite  de  notre  volonté 
à  la  sienne. 

La  deuxième  est  le  renoncement  à  toute  amitié  qui  se- 
rait contraire  ou  incompatible  avec  l'amour  que  nous  lui 
devons. 

La  troisième  exclut  toute  réserve  et  toute  affection  secrète 
entre  l'àme  et  son  Dieu. 

La  quatrième  consiste  dans  le  zèle  avec  lequel  on  s'appli- 
que à  ressembler  plus  complètement  à  celui  qu'on  aime.  En 
sorte  que  si  l'objet  aimé  est  pauvre,  humilié  ,  souffrant,  on 
s'étudie  à  être  souffrant,  méprisé,  pauvre  comme  lui.  » 

Elle  conclut  en  disant  que,  de  son  côté  ,  la  plus  grande 
marque  d'amour  que  Dieu  nous  donne  ,  le  gage  le  plus  ras- 
surant de  son  hérédité  ,  sont  les  tribulations.  C'est  la  preuve 
la  moins  équivoque  qu'il  nous  compte  au  nombre  de  ses  amis. 

De  quelques  dons  de  Dieu  el  des  moyens  de  connaître  si  une  âme  esl  véritablement 
transformée  en  Dieu. 

«  Voici  les  dons  inestimables  du  Seigneur  :  celui  qui  les 
aura  reçus  pourra  dire  qu'il  est  parfaitement  rempli ,  qu'il 
est  véritablement  transformé  en  Notre-Seieneur  Jésus-Christ. 


166  ESPRIT 

Le  premier  de  ces  dons  est  l'amour  de  la  pauvreté  ,  par 
lequel  l'âme  se  dépouille  de  l'amour  de  tout  objet  créé  et  n'a 
d'affection  ou  de  désir  que  de  posséder  Jésus-Christ. 

Le  second  est  le  désir  des  humiliations  et  des  opprobres. 
L'àme  qui  suit  l'impulsion  de  ce  désir  veut  sincèrement  être 
rejelée  et  vilipendée  par  toutes  les  créatures  qui  la  con- 
naissent. 

Le  troisième  est  la  soif  des  souffrances  et  des  afflictions. 
Elle  voudrait  ressentir  toutes  les  douleurs  du  corps  et  de 
l'esprit  que  Jésus-Christ,  ainsi  que  sa  divine  Mère  ,  ont  en- 
durés. (  Ces  trois  dons  sont  les  plus  essentiels.  ) 

Le  quatrième  consiste  à  se  reconnaître  indigne  d'obtenir 
des  dons  de  cette  excellence,  et  incapable  de  se  les  procurer 
comme  venant  de  son  propre  fonds  ,  et  à  croire  enfin  qu'on 
ne  les  possède  qu'à  un  degré  bien  inférieur  à  ce  qu'ils  de- 
vraient être. 

Le  cinquième  est  de  s'occuper  continuellement  de  la  ma- 
nière dont  ces  trois  désirs  étaient  dans  l'àme  de  Jésus-Christ, 
et  de  solliciter  par  une  prière  soutenue  la  faveur  d'en  rem- 
plir son  cœur,  afin  de  lui  ressembler  sur  ce  point .  dans  sa 
conduite. 

Le  sixième  est  d'éviter  avec  le  plus  grand  soin  et  de  fuir 
comme  une  peste  les  personnes  dont  les  mœurs  ou  la  doc- 
trine ne  seraient  pas  conformes  à  la  doctrine  que  je  viens 
d'établir. 

Le  septième  est  de  s'abstenir  déjuger  son  prochain  ,  selon 
la  recommandation  de  l'Evangile. 

Croyez  que  tous  ceux  qui  ont  mérité  les  dons  dont  je 
viens  de  parler  pendant  cette  vie  de  combats  et  de  guerres, 
auront  Dieu  tout  entier  dans  le  séjour  de  sa  gloire,  parce  que 
dans  l'état  où  ces  faveurs  placent  l'àme  ,  elle  devient  toute 
Dieu  ,  qui  se  transforme  en  elle ,  comme  elle  s'est  transfor- 
mée en  lui.  Le  repos  des  consolations  spirituelles  ne  lui  est 
pas  nécessaire  ,  à  moins  que  la  bonté  du  Seigneur  ne  trouve 
à  propos  d'user  de  ce  ménagement  pour  sa  faiblesse.  Son 


DE  SAINTE  AN'GÈLE  DE  F0LIGN0.  167 

grand  intérêt  ,  dans  cetle  vallée  de  misères,  est  de  marcher 
constamment  à  côté  de  celui  en  qui  elle  est  transformée 
par  la  pauvreté  ,  l'humilité  et  les  souffrances  de  toute  es- 
pèce. » 

Du  Sacrement  de  l'autel. 

«  Il  est  bien  juste  de  parler  de  ce  Sacrement  d'amour  qui, 
par  la  nature  de  la  grâce  qu'il  renferme ,  est  appelé  avec 
tant  de  raison  ,  Eucharistie.  Le  caractère  spécial  qui  le  dis- 
tingue des  autres  ,  c'est  de  donner  la  dévotion  et  la  ferveur 
dans  la  prière  ,  l'humilité  et  surtout  cet  amour  parfait  qui 
nous  intéresse  si  particulièrement. 

Je  ne  doute  nullement  qu'une  àme  quelconque  ,  pour  froide 
qu'on  la  suppose ,  si  elle  voulait  considérer  avec  un  peu 
d'attention  ce  qui  se  passe  dans  ce  Sacrement ,  et  réfléchir 
quelques  moments  sur  la  manière  dont  Jésus-Christ  nous  y 
exprime  son  amour,  je  ne  doute  nullement  que  cette  àme  ne  se 
sentît  embrasée  de  cette  vertu  ,  ou  du  moins  émue  comme  si 
elle  en  était  remplie. 

Je  crois  donc  que  ceux  qui  veulent  se  préparer  à  célébrer 
ou  à  recevoir  ce  Sacrement  adorable,  doivent  mûrement  réflé- 
chir sur  la  grandeur  et  l'efficacité  de  ce  mystère  ;  ils  ne  doi- 
vent pas  se  borner  à  des  considérations  rapides  et  superfi- 
cielles où  l'esprit  seul  cherche  avec  curiosité  des  notions 
spéculatives  ;  mais  les  réflexions  sur  lesquelles  l'àme  doit 
fortement  insister  doivent  pouvoir  animer  et  fixer  le  cœur  sur 
la  dignité  ,  la  sublimité  et  l'excellence  de  ce  Sacrement;  et 
quoiqu'il  soit  impossible  de  comprendre  les  merveilles  qui 
s'y  opèrent ,  on  peut  cependant  le  considérer  sous  des  rap- 
ports aussi  utiles  qu'intéressants  :  je  les  réduis  à  sept ,  qui 
sont  comme  la  matière  d'autant  de  considérations.  Je  vais  les 
exposer  toutes  l'une  après  l'autre. 

1°  Le  prodige  qui  s'y  opère  est  tout  à  fait  nouveau  ,  sur- 
prenant par  sa  singularité  et  confond  notre  raison.  En  effet , 


168  ESPRIT 

quoique  ce  mystère  eût  été  annoncé  dans  les  siècles  précé- 
dents ,  et  qu'il  ait  été  figuré  très-expressément ,  il  n'en  est 
pas  moins  vrai  qu'il  est  nouveau  ,  quant  à  son  exécution  et  à 
son  existence  dans  celui  qui  le  reçoit;  nous  savons  et  nous 
croyons  que  le  pain  et  le  vin  que  le  prêtre  consacre ,  par 
l'autorité  qu'il  a  reçue  de  Jésus-Christ ,  deviennent  véritable- 
ment le  corps  et  le  sang  de  l'Homme-Dieu  ;  de  manière  que 
d'après  l'ordre  donné  et  établi  par  Jésus-Christ,  la  substance 
du  pain  et  du  vin  est  changée  en  la  substance  de  Jésus- 
Christ  même,  et  que,  par  la  vertu  des  paroles  que  le  ministre 
prononce  de  la  part  de  Jésus-Christ  ,  il  se  fait  une  réelle  et 
vraie  transsubstantiation  qui  fait  que  Jésus-Christ  est  réelle- 
ment existant  à  la  place  du  pain  et  du  vin  ;  ce  qu'il  y  a  de 
plus  admirable,  c'est  que  le  changement  de  substance  s'ef- 
fectue sans  qu'il  y  ait  aucun  changement  dans  les  qualités 
sensibles  de  ces  deux  substances,  lesquelles  conservent  après 
leur  destruction  les  mêmes  apparences  qu'elles  avaient  avant 
d'être  détruites  :  c'est  donc  ,  de  la  part  de  la  sagesse  toute- 
puissante  de  Dieu,  une  œuvre  dont  il  n'y  a  jamais  eu  d'exem- 
ple ,  par  conséquent  un  prodige  d'un  genre  tout  nouveau  : 
mais  ce  prodige  est  encore  bien  plus  extraordinaire  ,  si  on 
considère  les  effets  d'un  ordre  supérieur  que  le  corps  et  le 
sang  de  Jésus-Christ  produisent  dans  les  âmes  de  ses  élus. 
Que  l'on  ne  s'étonne  donc  point  de  cette  transsubstantia- 
tion qui  se  fait  dans  l'Eucharistie  ;  la  puissance  divine 
explique  suffisamment  celte  opération  qui  déconcerte  notre 
raison  !  Que  l'on  ne  dise  pas  non  plus  avec  tant  de  légèreté 
et  de  suffisance  :  Comment  se  fait-il  que  le  même  Jésus- 
Christ  soit  à  la  fois  sur  tant  d'autels,  dans  des  endroits  aussi 
éloignés  les  uns  des  autres  ,  qu'il  soit  en  même  temps  de  la 
même  manière  au  delà  comme  en  deçà  des  mers  ?  Du  sein 
même  de  ce  Sacrement ,  Jésus-Christ  nous  répond  :  C'est 
moi  que  votre  esprit  ne  peut  comprendre,  c'est  moi  qui  fais 
ce  miracle  sans  vous  et  pour  vous  ,  parce  que  rien  n'est  im- 
possible à  mon  amour  ;  je  vous  ai  donné  exprès  une  intelli- 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO.  169 

gence  bornée  afin  que  vous  ne  conceviez  pas  encore  toute  la 
grandeur  de  mon  opération  ;  si  je  l'eusse  voulu  ,  vous  la 
concevriez  clairement  ;  mais  j'ai  préféré  que  vous  eussiez  à 
mes  yeux  le  mérite  de  la  foi  qui  vous  fait  croire  sur  ma  pa- 
role :  votre  foi  fait  ma  gloire.  Or  ,  je  ne  l'aurais  pas  et  vous 
seriez  privé  du  mérite  qu'il  y  a  de  me  la  prouver,  si  vous 
compreniez  dans  ce  moment  ce  qu'elle  exige  de  vous.  Croyez, 
quoique  vous  ne  le  conceviez  pas  ;  un  jour  viendra  que  vous 
le  verrez  clairement;  en  attendant,  croyez  sur  ma  parole  et 
sans  la  moindre  hésitation. 

2°  L'Eucharistie  est  singulièrement  aimable  et  excite  for- 
tement à  l'amour  de  celui  qu'elle  contient.... 

3°  Ce  Sacrement  porte  dans  l'âme  un  sentiment  qui  l'at- 
tendrit et  lui  inspire  une  grande  commisération  pour  la  si- 
tuation douloureuse  où  se  trouvait  Jésus-Christ  lors  de  cette 
institution... 

4°  Ce  mystère  est  si  élevé  ,  si  vénérable  et  si  sublime , 
qu'il  excite  le  respect  et  l'humilité  la  plus  profonde. 

5°  Il  est  d'une  profondeur  et  d'une  élévation  toute  spiri- 
tuelle qui  porte  l'àme  à  la  considération  des  choses  du  ciel... 
En  établissant  ce  Sacrement ,  la  sainte  Trinité  a  tout  disposé 
de  manière  à  s'attirer  ce  qu'elle  aime  et  à  se  l'attacher  en  le 
détachant  de  tout  objet  créé  ;  son  dessein  fut  d'unir  nos 
âmes,  objet  de  sa  prédilection,  à  ce  Dieu  incréé,  en  lui 
communiquant  pour  celte  fin  une  vie  toute  divine ,  qui  donne 
la  mort  à  tout  péché. 

6°  Ce  Sacrement  nous  est  particulièrement  utile  et  avanta- 
geux ,  à  cause  des  biens  qu'il  renferme  et  des  grâces  innom- 
brables qu'il  peut  nous  conférer;  il  obtient  la  rémission  des 
peines  dues  au  péché  et  la  force  contre  les  tentations  ;  il 
contient  et  abat  la  fougue  des  passions  ,  augmente  l'attrait 
pour  la  vertu  et  accumule  de  nouveaux  mérites  :  d'où  il  suit 
que  nous  avons  le  plus  grand  intérêt  à  le  recevoir  fréquem- 
ment et  avec  révérence. 

1°  Enfin ,  le  Sacrement  de  l'autel  attend  de  notre  part  toute 


i  70  ESPRIT 

louange  et  toute  espèce  d'actions  de  grâces.  En  effet ,  tout 
ce  qu*il  y  a  de  bon  ,  de  beau,  de  saint  ,  réside  dans  ce  mys- 
tère ;  le  souverain  bien  incréé  étant  Dieu  lui-même  ,  se 
trouve  dans  l'Eucharistie  :  toute  vertu,  toute  bonne  qualité 
créées  se  trouvent  aussi  dans  la  sainte  humanité  du  Sauveur. 
A  combien  de  titres  ne  devons-nous  pas  lui  rendre  hon- 
neur, gloire  et  louange  !  » 

Elle  dit  ensuite  que  la  célébration  de  ce  mystère  est  le  su- 
jet de  l'allégresse  des  Anges  et  des  Saints  dans  le  ciel  et  celle 
des  élus  sur  la  terre  ,  puis  elle  ajoute  : 

«  Quiconque  se  propose  d'approcher  de  cet  incomparable 
mystère ,  doit  donc  considérer  avec  une  sérieuse  attention 
celui  vers  lequel  il  va  marcher  ,  la  manière  dont  il  y  va ,  et  le 
motif  qui  anime  son  dessein ,  parce  qu'il  va  vers  le  souverain 
bien  et  qui  est  la  source  unique  de  toute  espèce  de  bien  ;  il  est 
le  seul  bon,  et  sans  lui  rien  ne  peut  avoir  la  qualité  de  bon  ; 
c'est  lui  seul  qui  remplit  tout  de  la  bonté  qu'il  possède  et  qui 
rend  les  Bienheureux  comblés  d'honneurs....  Il  faut  donc 
approcher  de  ce  céleste  banquet  avec  un  grand  respect  mêlé 
d'une  certaine  crainte  ,  mais  surtout  avec  un  grand  amour  ; 
l'âme  doit  être  non-seulement  purifiée ,  mais  ornée ,  parce 
qu'elle  doit  s'approcher  de  celui  qui  est  la  beauté  et  la  gloire, 
la  sainteté  par  essence  et  la  véritable  félicité  ,  la  majesté  et  la 
noblesse,  et  qu'il  est  en  outre  le  véritable  amour  dont  les  jouis- 
sances sont  éternelles  ;  on  doit  le  recevoir  afin  qu'il  nous  re- 
çoive ;  il  faut  être  pur  pour  en  être  purifié ,  vivant  pour  en 
être  vivifié  ,  juste  pour  être  justifié  ,  uni  avec  lui  pour  être 
incorporé  avec  ce  Dieu  en  même  temps  qu'homme  ,  pour  ne 
faire  qu'un  avec  lui  durant  toute  l'éternité.  »  —  Cependant 
il  est  facile  de  conclure  de  son  explication  sur  le  sentiment 
de  saint  Augustin  (p.  554) ,  qu'elle  conseillait  la  communion 
fréquente. 


DE  SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO.  111 

Des  sept  dons  principaux  ou  bienfaits  spirituels  que  Dieu  a  accordés  aux  hommes. 

a  Le  premier  ,  c'est  de  nous  avoir  tirés  du  néant. 

Le  second ,  de  nous  avoir  créés  pour  nous  destiner  à  la 
jouissance  de  sa  gloire. 

Le  troisième ,  de  nous  avoir  donné  son  Fils  pour  nous 
faire  retrouver  la  véritable  vie. 

Le  quatrième ,  de  nous  avoir  faits  sensibles  et  raisonna- 
bles. 

Le  cinquième ,  de  nous  avoir  accordé  l'intelligence  pour 
avoir  une  véritable  notion  de  son  être  et  des  véritables  attri- 
buts qui  forment  son  essence. 

Le  sixième ,  de  nous  avoir  donné  la  sagesse ,  pour  nous 
faire  savourer  cette  ebarité  brûlante  qu'il  a  eue  pour  nous. 

Le  septième ,  le  plus  grand  ,  le  plus  sublime  et  le  plus 
parfait  de  tous  les  dons ,  c'est  l'amour.  0  don ,  au-dessus 
de  tout  don  !  puisque  Dieu  même  est  ce  don  ,  car  il  est 
amour  !  » 

Du  testament  de  sainte  Angèle  ou  de  ses  dernières  instructions  el  de  sa  mort. 

Après  une  courte  allocution  ,  dans  laquelle  elle  déclare  à 
ses  fils  et  à  ses  filles  que  ce  qu'elle  va  leur  dire  n'est  pas  de 
son  fonds,  mais  vient  de  Dieu  même,  elle  s'écrie  : 

«  0  mon  Dieu  !  je  vous  les  recommande  de  nouveau  ;  j'im- 
plore votre  immense  ebarité  pour  que  vous  les  préserviez  de 
tout  mal ,  et  que  vous  les  conserviez  dans  l'amour  de  la  pau- 
vreté., de  l'humilité  ,  de  la  patience  et  de  la  transformation 
parfaite  en  vous;  qu'ils  imitent  vos  exemples  et  qu'ils  par- 
viennent à  cette  perfection  dont  votre  propre  vie  fut  le  mo- 
dèle. 0  mes  Enfants  ebéris ,  recevez  les  exhortations  que  vous 
adresse  votre  Mère  au  moment  où  la  mort  va  vous  séparer 
d'elle.  Ma  plus  vive  recommandation  est  que  vous  vous  appli- 
quiez de  plus  en  plus  à  devenir  petits  à  vos  propres  yeux  et 


1 72  ESPRIT 

véritablement  humbles.  Ajoutez-y  la  mansuétude  ,  non-seu- 
lement à  l'extérieur  ,  mais  encore  qu'elle  vienne  du  fond  de 
votre  cœur,  afin  que  vous  deveniez  les  vrais  disciples  de  ce- 
lui qui  a  dit  :  Apprenez  de  moi  à  être  doux  et  humbles  de 
cœur.  Ne  vous  occupez  jamais  d'avoir  sur  les  autres  ni  auto- 
rité ni  prééminence.  Etudiez-vous  à  être  au-dessous  de  vos 
semblables ,  pour  que  Dieu  vous  élève  et  vous  exalte  à  cause 
de  vos  mérites ,  et  vous  fasse  parvenir  par  sa  grâce  au  som- 
met de  la  perfection.  Soyez  humbles  de  manière  à  ne  vous 
estimer  vous-mêmes  que  comme  un  pur  néant.  Toutes  ces 
distinctions  que  l'orgueil  recherche  sont  déjeà  marquées  du 
sceau  de  la  malédiction  :  telles  sont  les  places  éminentes  ,  les 
emplois  honorables  :  fuyez-les ,  parce  qu'elles  sont  accompa- 
gnées de  plus  grands  dangers ,  et  qu'on  s'y  fait  de  funestes 
illusions  ,  quoique  celles-ci  soient  moindres  que  celles  qui  se 
trouvent  à  l'occasion  des  hommages  qu'on  rend  aux  person- 
nes spirituelles  ,  comme  l'éprouvent  souvent  ceux  qui  se  pi- 
quent de  parler  savamment  de  Dieu  ,  d'entendre  les  sens  dif- 
ficiles de  l'Ecriture ,  de  faire  un  grand  étalage  de  science  et 
d'avoir  l'esprit  occupé  d'objets  élevés  ,  ou  de  haute  mysticité. 
Les  erreurs  et  les  chutes  de  ces  derniers  sont  plus  fréquen- 
tes et  plus  dangereuses  que  les  illusions  causées  par  les  com- 
plaisances dans  les  distinctions,  dans  l'ordre  des  choses 
purement  temporelles.  Pour  les  éviter,  méprisez-vous  vous- 
mêmes.  Parmi  les  vérités  qui  nous  sont  inconnues,  et  même 
parmi  celles  que  nous  connaissons  ,  je  ne  crois  pas  qu'il  y  en 
ait  de  plus  importante  ,  dont  la  connaissance  soit  plus  pré- 
cieuse ,  que  celle  qui  nous  montre  notre  néant  et  nous  con- 
centre dans  notre  étroite  petitesse. 

0  mes  Enfants  !  ne  prenez  pas  moins  de  soin  d'avoir  la 
vraie  charité  ,  sans  laquelle  il  ne  peut  y  avoir  de  vrai  mérite. 
Remarquez  bien  ces  paroles  de  notre  Dieu  :  Tout  ce  que  j'ai 
est  ù  vous  f  Quel  est  celui  qui  aura  droit  de  dire  qu'il  a  en 
propriété  tout  ce  qui  appartient  à  Dieu?  Pas  d'autre  que  celui 
qui  possède  la  charité.  D'après  cet  oracle,  ô  mes  Filles  ,  mes 


DE  SAINTE  AN'GÈLE  DE  FOLIGNO.  173 

Pères ,  mes  Frères  !  appliquez-vous  à  vous  témoigner  les  uns 
aux  autres  cette  mutuelle  dilection,  qui  vous  met  en  posses- 
sion de  tous  les  trésors  de  la  divinité  ;  je  vous  exhorte  donc 
à  avoir  cette  précieuse  charité ,  non-seulement  entre  vous 
seuls  ,  mais  encore  envers  tous  les  hommes  de  quelque  nation 
qu'ils  soient;  car  je  vous  confierai,  que  j'ai  reçu  de  plus 
grandes  faveurs  de  mon  Dieu ,  lorsqu'en  sa  présence  je  me 
suis  affligée  des  péchés  des  autres ,  que  lorsque  je  n'étais 
occupée  qu'à  déplorer  les  miens.  Je  sais  que  certains  trouvent 
ridicule  d'entendre  dire  qu'on  peut  être  plus  contrit ,  plus 
affecté  des  péchés  que  commettent  nos  semblables  que  de 
nos  propres  fautes  ;  cela  leur  paraît  déraisonnable  et  contre 
nature.  Mais ,  n'importe  ,  la  charité  qui  fait  agir,  comme  je 
viens  dédire,  n'est  pas  de  ce  monde.  Laissez  donc  dire  et 
faire  le  monde  ;  pour  vous  ,  mes  chers  Enfants,  efforcez-vous 
d'obtenir  cette  divine  charité.  Gardez-vous  de  juger  qui  que 
ce  soit ,  et  si  vous  voyez  jamais  quelqu'un  commettre  un  pé- 
ché mortel ,  ayez  sans  doute  de  la  peine  du  mal  que  vous 
voyez  faire ,  mais  je  prétends  que  vous  ne  devez  pas  juger 
ceux  qui  pèchent ,  c'est-à-dire,  prendre  occasion  de  ce  qui  se 
fait  sous  vos  yeux  pour  mépriser  et  détester  les  coupables  , 
parce  que  vous  ignorez  les  desseins  de  Dieu  sur  eux.  Je  ne 
fais  point  d'autre  testament  ;  je  borne  toutes  mes  dispositions 
à  cette  exhortation  :  ayez  les  uns  pour  les  autres  la  vraie  cha- 
rité; soyez  véritablement  humbles,  voilà  tout  l'héritage  que 
je  vous  laisse;  c'est  celui  de  Jésus-Christ  lui-même,  qui, 
vous  le  savez ,  nous  a  légué  la  pauvreté ,  les  mépris  et  les 
souffrances.  Ceux  qui  recueilleront  celte  succession  seront 
mes  enfants  légitimes  ,  car  ils  sont  les  fils  de  Dieu  même  ; 
nul  doute  pour  eux  qu'ils  ne  possèdent  à  la  fin  la  vie  éter- 
nelle. » 

Après  ce  discours  ,  la  mère  Angèle  leva  ses  mains  et  les 
posa  sur  la  tête  de  chacun  des  assistants  en  disant  :  a  Soyez 
tous  bénis  ,  mes  chers  Enfants  ,  par  le  Seigneur  et  par  moi , 
vous  et  tous  ceux  qui  sont  absents,  ainsi  que  le  Seigneur 


174  Esrr.iT  de  sainte  angèle  de  foligno. 

m'a  enjoint  de  le  faire.  Je  souhaite  que  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  vous  donne  la  sienne ,  avec  celte  même  main  qui  fut 
jadis  clouée  sur  la  croix.  » 

C'était  vers  la  fête  de  la  Nativité  que  sainte  Angèle  se  trou- 
vait au  fort  de  sa  longue  maladie  :  étant  couchée  dans  son 
lit ,  elle  dit  à  haute  voix  :  Le  Verbe  s'est  fait  chair.  Elle  pro- 
nonça encore  quelques  autres  paroles  comme  celles-ci  :  Toute 
intelligence  créée  est  incapable  de  le  comprendre ,  les  anges 
même  ne  sauraient  le  concevoir.  Et  ces  autres  :  Mon  âme  a 
été  lavée  et  purifiée  dans  le  sang  de  Jésus-Christ.  Ce  sang 
était  aussi  chaud  et  aussi  vermeil  qu'il  le  fut  au  moment  où  il 
coulait  de  ses  veines. 

La  veille  de  sa  mort ,  elle  disait  fréquemment  :  Mon  Père  ! 
je  vous  recommande  mon  âme  et  mon  esprit  I 

Enfin,  le  jour  de  l'octave  des  Saints  Innocents  ,  à.  la  der- 
nière heure  du  jour,  paraissant  dormir  d'un  sommeil  tran- 
quille ,  elle  rendit  sans  effort  le  dernier  soupir  et  alla  se  ré- 
veiller dans  le  séjour  de  la  gloire. 


NOTES 

sur  l'origine  et  les  filiations 

DU  TIERS  ORDRE  RE  SAINT- FRANÇOIS  D'ASSISE. 


Les  notes  qui  ont  suivi  l'article  de  saint  François  d'Assise  étant 
très-étendues,  nous  avons  cru  devoir  placer  ici  ce  qui  concerne  le  tiers 
ordre ,  comme  nous  avons  placé  ce  qui  regarde  le  second  ordre  après 
sainte  Claire. 

Le  tiers  ordre  de  Saint-François  ou  des  Pénitents  est  né,  propre- 
ment dit ,  des  exhortations  de  cet  illustre  et  séraphique  prédicateur  ; 
ayant  annoncé  partout  la  nécessité  de  la  pénitence  avec  grande  force  , 


TIERS  ORDRE  DE  SAINT-FRANÇOIS  D' ASSISE.  175 

plusieurs  personnes  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  accoururent  de  toute  part 
se  jeter  à  ses  pieds  ,  le  priant  de  leur  donner  les  moyens  les  plus  sûrs 
pour  éviter  la  colère  de  Dieu  et  acquérir  la  vie  éternelle  ;  les  maris 
voulaient  abandonner  leurs  femmes  ,  les  femmes  leurs  maris  ;  mais  ce 
saint  Patriarche  sachant  bien  qu'on  ne  doit  point  séparer  ce  que  Dieu 
a  uni ,  leur  persuada  de  demeurer  dans  leurs  maisons ,  et  d'y  vivre 
dans  la  crainte  de  Dieu  et  la  pratique  des  vertus  chrétiennes  ,  leur 
promettant  de  leur  prescrire  une  forme  de  vie  qu'ils  pourraient  suivre 
sans  quitter  leur  état.  Telle  est  la  véritable  origine  du  tiers  ordre  ou 
des  pénitents  de  Saint-François.  Ce  tempérament  que  le  saint  Patriar- 
che apporta  pour  modérer  leur  zèle  ,  attira  une  multitude  infinie  sous 
les  bannières  de  la  pénitence  ;  les  premiers  établissements  se  firent  en 
Toscane  ;  le  nombre  des  femmes  ne  fut  pas  moindre  que  celui  des 
hommes ,  et  en  peu  de  temps  l'Italie  ,  la  France  ,  l'Espagne  ,  le  Portu- 
gal et  l'Allemagne ,  furent  couverts  de  religieux  et  religieuses  du 
tiers  ordre. 

Un  nommé  Lucius ,  et  Bonne  sa  femme ,  de  Giany  ,  village  près  de 
Pozzi-Bonzi ,  furent  les  premiers  qui  demandèrent  l'habit  de  Tierciai- 
res  ;  le  saint  fondateur  le  leur  donna  ;  il  le  fit  consister  en  une  tuni- 
que de  couleur  de  cendre  avec  une  corde  à  plusieurs  nœuds  ,  et  leur 
prescrivit  quelques  règlements  faciles.  De  là,  sont  venus  les  Pénitents 
gris,  les  Pénitents  noirs  ,  les  Pénitents  blancs  et  autres  ordres,  comme 
ceux  de  Lombardie  ,  deDalmatie  ,  d'Istrie  ,  les  Begghards  ,  etc.,  quoi- 
que plusieurs  aient  pris  pour  patrons  saint  Jean-Baptiste  et  saint  Jé- 
rôme. On  trouve  la  substance  des  règlements  des  Tierciaires  dans 
Hélyot ,  t.  VII ,  p.  217,  et  la  règle  entière  dans  les  œuvres  de  saint 
François  d'Assise  ,  par  le  père  Jean  de  la  Haye. 

Saint  François  ayant  donné  cette  règle  à  ses  nouveaux  disciples  de  la 
pénitence  ,  cet  ordre  qui  les  rendait  participants  de  toutes  les  grâces, 
induits  et  privilèges  accordés  aux  Frères  Mineurs ,  fit  tant  de  progrès 
en  peu  de  temps  ,  que  les  empereurs,  les  rois,  les  reines,  les  princes, 
les  princesses  se  firent  gloire  de  l'embrasser  ,  entre  autres ,  l'empereur 
Charles  IV  ,  saint  Louis ,  roi  de  France ,  la  reine  Blanche  de  Castille  , 
Marguerite  de  Provence ,  Isabelle  de  France ,  Bêla  ,  roi  de  Hongrie , 
sainte  Elisabeth  ,  duchesse  de  Thuringe ,  etc.;  des  ducs,  des  marquis  , 
des  comtes,  etc.,  etc.;  rien  n'était  plus  florissant.  Cependant,  cet  ordre 
fut  plusieurs  fois  persécuté  ,  notamment  par  Pierre  de  Vignes  ,  chan- 
celier de  Frédéric  II  ,  et  par  d'autres  sous  le  pontificat  de  Grégoire  IX, 
de  Clément  V  et  de  Jean  XXII.  —  Nous  ne  pouvons  pousser  plus  loin 
ces  détails  ,  on  les  trouvera  dans  Hélyot,  t.  VII ,  p.  223. 


170  TIERS  ORDRE  DE  SAINT-FRANÇOIS  D' ASSISE. 

Quoique  rétablissement  du  tiers  ordre  n'eût  été  fait  d'abord  qu'en 
faveur  des  personnes  de  l'un  et  de  l'autre  sexe,  qui  ne  pouvant  quitter 
les  engagements  du  monde  voulaient  cependant  embrasser  la  vie  de  la 
pénitence,  il  se  forma  plus  tard  des  communautés  où  l'on  s'engageait 
par  des  vœux  solennels  ;  mais  il  serait  difficile  d'assigner  l'époque  fixe 
de  cette  fondation  ,  les  uns  l'attribuent  à  sainte  Elisabeth  de  Hongrie  , 
les  autres  à  la  Bienheureuse  Augeline  de  Corbare,  vers  l'an  1397,  quel- 
ques autres  enfin  l'attribuent  au  pape  Nicolas  IV ,  qui  confirma  leur 
règle.  Nous  savons  toujours  qu'il  y  eut  les  Tierciaires  ,  appelées  Sœurs 
Grises ,  les  congrégations  dites  de  la  Faille ,  de  la  Celle ,  ou  Sœurs 
Grises  réformées  de  Mons  ;  celles  de  Y  Etroite  observance ,  les  Récollec- 
tines  ,  etc.  ;  les  habillements  variaient  du  gris  au  blanc  et  au  noirâtre  , 
les  voiles  étaient  courts  ou  flottants  ,  mais  toutes  portaient  le  cordon  à 
nœuds  de  saint  François ,  et  quelques-unes  seulement  une  croix  sur  la 
poitrine  ou  une  croix  avec  lance,  éponge  et  couronne  d'épines.  (Voyez 
sur  le  tiers  ordre ,  Hélyot ,  Wadding ,  Hermant ,  Y  Histoire  Sérapluque , 
et  notre  tome  II ,  p.  226.) 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  GERTRTJDE, 

AB8ESSE  DE  L'ORDRE  DE  SAINT  BENOIT. 


NOTICE 


1334. 

Gertrude  naquit  à  Isleb  ou  Eisleben  ,  au  comté  de  Mans- 
feld ,  dans  la  haute  Saxe  ,  de  la  famille  des  comtes  de  Hocku- 
born ,  parents  de  Frédéric  II.  A  l'âge  de  cinq  ans ,  elle  fut  si 
heureusement  prévenue  de  la  grâce  de  Dieu,  qu'elle  se 
trouva  en  état  de  se  donner  entièrement  à  Jésus-Christ  et  de 
le  choisir  pour  son  époux  spirituel. 

Le  monastère  de  l'ordre  de  Saint-Benoît ,  de  la  ville  de 
Rodersdorf ,  fut  le  lieu  qu'elle  préféra  pour  lui  vouer  sa  vir- 
ginité. Sa  vie  angélique  fit  bientôt  connaître  les  vues  parti- 
t.  v.  12 


178  NOTICE 

culières  que  Dieu  avait  sur  elle.  Elle  s'appliqua  aux  lettres 
divines  et  humaines  (1)  ,  et  elle  y  fil  un  si  grand  progrès  , 
qu'elle  mérita  l'estime  et  l'admiration  des  savants.  Cepen- 
dant c'était  aux  choses  divines  qu'elle  s'appliquait  avant 
tout.  Elle  parvint  à  un  haut  degré  de  contemplation,  et  dans 
ce  saint  exercice  ,  Dieu  daigna  éclairer  souvent  son  esprit  par 
quantité  de  visions  et  de  révélations. 

Mais  ,  quoiqu'elle  fût  ornée  de  tant  d'excellents  dons  de  la 
nature  et  de  la  grâce ,  quoiqu'elle  eût  un  commerce  si  étroit 
et  si  familier  avec  Dieu ,  quoiqu'elle  prédît  quelquefois  les 
choses  à  venir  et  fit  des  miracles  éclatants  ,  elle  avait  une  si 
basse  opinion  d'elle-même,  et  était  si  pénétrée  des  senti- 
ments de  l'humilité  la  plus  profonde  ,  qu'elle  croyait  qu'un 
des  plus  grands  et  des  plus  merveilleux  effets  de  la  honte 
toute-puissante  de  Dieu,  c'était  que  la  terre  ne  se  lassât  pas 
de  soutenir  une  aussi  indigne  et  aussi  misérable  pécheresse 
qu'elle  pensait  être.  En  129-i,  à  l'âge  de  trente  ans  ,  elle  lut 
élue  ahbesse  du  monastère  où  elle  avait  reçu  l'habit,  et  en- 
suite de  celui  nommé  Elphe  ou  Heldefs  ,  où  elle  exerça  cette 
fonction  avec  une  rare  prudence  et  une  éminente  sainteté 
pendant  environ  quarante  ans. 

L'Epoux  céleste  s'étant  fait  du  cœur  très-pur  de  Gertrude 
un  séjour  de  délices ,  y  grava  avec  le  burin  ardent  de  l'amour 
le  caractère  de  sa  passion  et  les  marques  de  ses  blessures. 
Après  quoi  il  n'y  avait  pas  lieu  de  s'étonner  qu'elle  ne  parlât 
que  de  Jésus-Christ  qu'elle  portait  dans  son  cœur.  Et  ce  divin 
amant  se  plaisait  tellement  à  y  habiter,  qu'il  fit  entendre  à 


(1)  Elle  avait  appris  le  latin  dès  l'âge  de  cinq  ans,  ce  que  faisaient  alors  la 
plupart  des  personnes  de  sun  sexe  qui  se  consacraient  à  Dieu  dans  la  retraite: 
elle  écrivait  dans  cette  langue  avec  une  grande  facililé. 


SUR  SAINTE  GERTRUDE.  17'j 

dos  âmes  saintes  que  pour  le  trouver  aisément  on  ne  pouvait 
mieux  faire  que  de  le  chercher  dans  le  sacrement  de  l'autel  et 
dans  le  cœur  de  sa  fille  Gerlrude.  Il  rendit  encore  témoignage 
à  la  sainteté  de  son  épouse  en  assurant  par  l'oracle  de  sa  di- 
vine bouche  qu'il  n'y  avait  alors  aucune  âme  sur  la  terre  qui 
eût  plus  d'union  avec  lui  et  plus  de  part  à  ses  bonnes  grâces 
que  Gertrude. 

Est-il  besoin  après  cela  de  parler  de  sa  pureté ,  de  son 
obéissance ,  de  sa  mortification ,  de  ses  autres  éminentes 
vertus  ? 

Mais  nous  n'omettrons  point  de  dire  qu'elle  avait  une  dévo- 
tion toute  particulière  à  la  très-sainte  Vierge,  et  que  souvent 
elle  était  favorisée  de  sa  vision  ainsi  que  de  celle  de  plusieurs 
Saints.  Elle  participait  à  la  sainte  Eucharistie  et  méditait  sur 
la  Passion  du  Sauveur  avec  de  si  vifs  et  si  tendres  sentiments 
d'amour  et  de  reconnaissance  qu'elle  en  versait  des  ruisseaux 
de  larmes.  Elle  avait  une  grande  affection  pour  les  âmes  du 
Purgatoire  et  ne  passait  point  de  jour  sans  les  secourir  par  des 
prières  ou  par  d'autres  bonnes  œuvres.  Enfin  ,  elle  bridait  de 
zèle  pour  l'avancement  du  règne  de  Dieu  et  du  salut  du  pro- 
chain ,  et  ce  feu  sacré  ne  s'éteignit  jamais  en  elle. 

Sainte  Gertrude  a  tracé  le  portrait  de  son  âme  dans  le  livre 
de  ses  Révélations.  Ce  n'est  autre  chose  que  le  récit  de  ses 
communications  avec  Dieu.  Elle  est  regardée,  après  sainte 
Thérèse,  comme  le  guide  le  plus  habile  de  la  contemplation. 

Enfin,  tombée  dans  une  langueur  qui  était  plutôt  un  effet 
de  son  amour  ardent  pour  Dieu  que  de  la  violence  de  sa  ma- 
ladie, Jésus-Christ  lui  apparut  accompagné  de  sa  sainte  Mère 
et  d'une  troupe  sacrée  de  vierges ,  et  reçut  dans  son  sein  son 


180  NOTICE  SUR  SAINTE  GERTRUDE. 

finie  bienheureuse,  l'an  1334.  Plusieurs  miracles  attestèrent 
combien  sa  mort  était  agréable  au  Seigneur.  On  trouve  un 
office  en  son  honneur  dans  le  Bréviaire  romain.  Elle  eut 
pour  sœur  sainte  Mecthikle ,  qui  mourut  quelque  temps  avant 
elle. 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  GERTRUDE , 

TIRÉ  DE  SES  INSINUATIONS  PIEUSES 
ET  DE  SES  RÉVÉLATIONS. 


Que  l'adversité  est  un  signe  d'élection  divine. 

Dans  une  révélation  de  Jésus-Christ  à  notre  Sainte  ,  il  lui 
fut  dit,  que,  comme  l'anneau  est  le  signe  de  l'alliance  des 
époux  entre  eux,  de  même  l'adversité,  tant  corporelle  que 
spirituelle ,  est  le  signe  le  plus  authentique  de  l'élection  di- 
vine et  comme  l'alliance  de  l'âme  avec  Dieu.  De  sorte  que  ce- 
lui qui  est  travaillé  par  l'affliction  peut  dire  en  toute  vérité  et 
confiance  cette  parole  :  Mon  Sauveur  Jésus-Christ  m'a  donné 
son  anneau  pour  gage  de  son  amour.  Et  si  parmi  les  tribula- 
tions il  n'est  pas  privé  du  don  de  rendre  gloire  à  Dieu  par 
reconnaissance ,  et  de  lui  témoigner  ses  actions  de  grâces  ,  il 
peut  encore  ajouter  avec  grande  joie  cette  autre  parole  :  Et  il 
m'a  orné  de  sa  couronne  comme  sa  propre  épouse.  Car  la  gra- 
titude dans  l'adversité  est  la  plus  riche  couronne  de  gloire , 
une  couronne  incomparablement  plus  précieuse  que  l'or  et  la 
topaze.  (Vitœet  Rev.  lib.  3,  p.  153.) 


1 82  ESPRIT 

Les  consolations  humaines  diminuent  les  consolations  divines. 

Que  les  traverses  ou  la  privation  de  satisfaction  sensible  à 
l'heure  de  la  souffrance  soient  un  sujet  d'augmentation  de 
gloire  ,  on  n'en  peut  nullement  douter  après  l'évident  témoi- 
gnage qu'elle  en  reçut ,  quoique  elle-même  n'ait  pu  le  bien 
comprendre.  Voici  donc  ce  qui  lui  arriva  :  Un  jour ,  c'était 
vers  la  fête  de  la  Pentecôte  ,  elle  était  tourmentée  d'une  dou- 
leur de  côté  si  violente  ,  que  les  assistants  auraient  plus  faci- 
lement cru  qu'elle  allait  succomber  ce  jour-là  même  que  de 
la  voir  revenir  à  la  santé  si  on  n'avait  su ,  qu'ayant  été  au- 
trefois atteinte  de  cette  manière,  elle  en  avait  été  guérie.  Or, 
en  cette  circonstance  ,  le  très-doux ,  très-amoureux  et  seul 
véritable  consolateur  de  l'âme,  Jésus-Christ ,  lui  rendait  ser- 
vice à  son  tour;  de  telle  sorte  que  s'il  arrivait  que  par  la  né- 
gligence de  quelqu'un  de  ceux  qui  la  servaient  elle  fût  seule 
et  sans  secours  ,  lui-même  ,  ce  très-doux  Seigneur  l'assistait 
aussitôt ,  et  par  l'ineffable  suavité  de  sa  présence  ,  tempérait 
l'amertume  de  sa  douleur.  Lorsqu'au  contraire  ses  amis  fidè- 
les redoublaient  de  soins  empressés  autour  d'elle  ,  alors  le 
Seigneur  se  retirait  et  la  douleur  augmentait.  Or ,  c'est  par 
là  qu'il  lui  donnait  à  comprendre  que  plus  on  est  abandonné 
des  hommes  et  privé  de  leurs  secours ,  plus  on  est  favorable- 
ment regardé  et  secouru  par  la  divine  miséricorde  (Jbid., 
page  155.) 

Combien  sont  précieux  les  fruits  qu'on  relire  de  l'assistance  au  saint  sacrifice 
de  la  Messe. 

Un  autre  jour,  lorsque  s'unissant  au  prêtre  au  moment  de 
l'élévation  de  la  sainte  hostie ,  elle  offrait  elle-même  cette 
hostie  sans  tache  à  Dieu  le  Père  pour  digne  réparation  de  tous 
ses  péchés ,  elle  sentit  que  Jésus-Christ  avait  daigné  présenter 
son  âme  à  son  Père ,  et  elle  s'efforçait  aussitôt,  à  la  vue  de 


DE  SAINTE  GERTRUDE-.  183 

tant  de  bonté,  de  payer  à  Dieu  un  juste  tribut  d'actions  de 
grâces.  Alors  elle  reçut  de  Jésus-Christ  même  l'intelligence 
de  celte  vérité  :  que  chaque  fois  que  quelqu'un  assiste  avec 
dévotion  au  saint  sacrifice  de  la  Messe ,  et  qu'il  porte  avec  soin 
son  attention  sur  le  Dieu  qui  s'offre  dans  ce  sacrement  pour  le 
salut  commun  de  tous  les  hommes  ,  celui-là  est  véritablement 
regardé  avec  faveur  de  la  part  de  Dieu  le  Père  ,  à  cause  de  sa 
complaisance  pour  l'hostie  trois  fois  sainte  qui  lui  est  offerte. 
Tel  serait ,  par  exemple ,  celui  qui  en  sortant  des  ténèbres 
marcherait  au  milieu  des  rayons  du  soleil  et  se  trouverait 
tout  à  coup  irradié  de  splendeurs.  Et  alors  elle  adressa  au 
Seigneur  cette  question  dans  les  termes  que  voici  :  «  Est-ce 
vrai,  Seigneur,  qu'aussilùt  que  quelqu'un  tombe  dans  le 
péché,  il  perd  aussi  en  même  temps  ce  bonheur,  comme 
celui  qui  du  milieu  des  rayons  du  soleil  revient  dans  les  té- 
nèbres, perd  l'agréable  clarté  de  la  lumière?  —  Non  ,  répon- 
dit le  Seigneur;  quoique  celui  qui  pèche  obscurcisse  en  quel- 
que sorte  pour  son  âme  la  lumière  des  faveurs  divines, 
cependant  ma  bonté  lui  conserve  toujours  quelque  reste  de 
celte  félicité  pour  l'éternelle  vie,  laquelle  félicité  l'homme 
augmente  et  accumule  autant  de  fois  qu'il  assiste  avec  dévo- 
tion à  la  Messe  et  aux  autres  sacrements.  »  (Page  198.  ) 

Combicu  Jésus-Chrisl  esl  reçu  indignement  par  ceux  qui  s'abandonnent  au  vice 
de  la  langue. 

Un  autre  jour,  après  avoir  reçu  la  sainte  communion  et 
tandis  qu'elle  roulait  dans  son  esprit  avec  quelle  attention 
on  doit  observer  sa  langue  ,  qui  est  entre  les  autres  membres 
du  corps  celui  qui  est  destiné  à  recevoir  le  précieux  mystère 
du  Christ,  elle  fut  instruite  d'en -haut  par  cette  comparaison. 

«  Si  quelqu'un  qui  ne  veille  pas  sur  sa  bouche  touchant  les 
paroles  vaines,  fausses,  honteuses,  médisantes  ou  autres 
semblables  ,  approche  sans  repentir  et  sans  pénitence  de  la 
communion  sainte  ,  celui-là  reçoit  Jésus-Christ  (autant  qu'il 


18-i  ESPRIT 

est  en  lui  )  de  la  même  manière  que  celui  qui  accablerait 
d'une  grêle  de  pierres  l'hôte  qui  vient  chez  lui ,  au  moment 
de  franchir  le  seuil  de  sa  maison ,  ou  bien  qui  lui  briserait  la 
tête  avec  un  marteau  de  fer.  Que  celui  qui  lit  cette  comparai- 
son ,  ajoute-t-elle ,  considère  avec  un  profond  sentiment  de 
compassion ,  le  l'apport  qu'il  y  a  entre  une  si  grande  cruauté 
de  notre  part  et  une  si  grande  bonté  de  la  part  du  Seigneur; 
qu'il  regarde  si  celui  qui  vient  pour  le  salut  de  l'homme  avec 
tant  de  douceur ,  mérite  d'être  poursuivi  par  ceux  qu'il  vient 
sauver ,  avec  une  si  dure  barbarie ,  et  on  peut  en  dire  de 
même  de  tous  les  autres  genres  de  péchés.  »  (Ibid.  ) 

Des  ornements  spirituels  dont  doit  èlrc  parée  lame  qui  se  prépare  à  communier 
dignement. 

Un  autre  jour  où  elle  devait  communier  ,  tandis  qu'elle  se 
regardait  comme  moins  bien  préparée  qu'à  l'ordinaire  et  que 
le  moment  de  la  communion  approchait,  elle  parlait  à  son 
âme  en  ces  termes  :  «  Voilà  que  l'époux  déjà  t'appelle ,  et 
comment  oseras-tu  aller  au-devant  de  lui ,  n'étant  nullement 
parée  des  ornements  des  mérites ,  qui  feraient  que  tu  en  se- 
rais digne  ?  »  Mais  alors  repassant  encore  davantage  son  in- 
dignité ,  se  défiant  entièrement  d'elle-même,  et  plaçant  toute 
son  espérance  en  l'infinie  charité  de  Dieu ,  elle  se  dit  :  «  A 
quoi  bon  retarder ,  puisque  quand  même  tu  aurais  mille  ans 
à  t' appliquer ,  tu  ne  pourrais  néanmoins  te  préparer  digne- 
ment ,  n'ayant  absolument  rien  de  toi-même  qui  puisse  suffire 
à  une  préparation  si  magnifique  et  si  difficile  ;  mais  j'avancerai 
au  contraire  au-devant  de  lui  avec  humilité  et  confiance,  et 
lorsqu'il  m'aura  vue  de  loin  ,  mon  doux  Sauveur ,  touché  de 
son  propre  amour,  sera  assez  puissant  pour  envoyer  vers  moi 
ce  dont  j'ai  besoin  pour  me  présenter  dignement  et  en  parfaite 
préparation  ;  »  et  s' avançant,  en  effet,  avec  cette  disposition, 
elle  tint  les  yeux  de  son  cœur  fixés  sur  sa  difformité  et  sa  lai- 
deur 


DE  SAINTE  GERTRUDE.  185 

Et  lorsqu'elle  eut  un  peu  approché  ,  le  Seigneur  lui  appa- 
rut ,  la  regardant  avec  un  air  de  miséricorde ,  que  dis-je , 
d'affection,  et  il  lui  envoya  au-devant  pour  la  préparer  digne- 
ment à  paraître  devant  lui ,  cette  innocence  qu'elle  demandait, 
et  dont  il  la  couvrit  comme  d'une  tunique  moelleuse  et  écla- 
tante de  toute  blancheur ,  et  ensuite  il  lui  donna  son  humilité, 
cette  humilité  par  laquelle  il  daigne  s'associer  à  nous  si  indi- 
gnes ,  pour  qu'elle  s'en  couvrît  comme  d'une  robe  violette  ; 
et  son  espérance  ensuite,  cette  espérance  par  laquelle  lui- 
même  désire  et  brûle  de  recevoir  les  embrassements  de  l'àme, 
pour  s'en  revêtir  comme  d'un  ornement  vert. 

Puis  son  amour,  cet  amour  dont  il  est  pénétré  envers 
l'âme  ,  et  qu'il  lui  donna  comme  un  manteau  de  couleur  d'or 
pour  l'embellir. 

De  plus,  sa  joie,  celle  qu'il  goûte  lui-même  dans  le  sein 
de  l'àme  fidèle  et  qu'il  lui  fit  imposer  comme  une  couronne 
garnie  de  pierreries  et  de  perles  précieuses. 

Enfin  sa  confiance,  laquelle  il  daigne  lui-même  inspirer,  se 
faisant  l'appui  du  vil  limon  de  la  fragilité  humaine  et  plaçant 
ses  délices  à  vivre  parmi  les  enfants  des  hommes,  afin 
qu'elle  en  fît  sa  chaussure  et  qu'ainsi  ornée  de  toute  part , 
elle  se  présentât  dignement  devant  lui. 

Avec  quel  ardent  amour  le  Seigneur  se  donne  lui-même  dans  le  Sacrement 
de  l'Eucharistie. 

Après  avoir  reçu  la  communion ,  et  tandis  qu'elle  était  re- 
cueillie au  plus  profond  d'elle-même,  le  Seigneur  se  présenta 
devant  elle  sous  la  forme  d'un  pélican  qui  se  perçait  le  cœur 
avec  son  bec  ,  comme  on  a  coutume  de  représenter  cet  oiseau, 
ce  qui  lui  donnant  de  l'admiration ,  elle  disait  à  Dieu  :  «  Sei- 
gneur, que  voulez-vous  donc  tâcher  de  me  persuader  par 
cette  vision?  »  Le  Seigneur  lui  répondit  :  «  J'ai  dessein  de 
te  faire  considérer  qu'en  l'offrant  un  don  si  auguste  ,  je  suis 
pressé  par  de  si  grands  sentiments  d'amour  ,  que  s'il  n'était 


1 80  ESPRIT 

pas  inconvenant  do  parler  de  la  sorte  ,  j'oserais  avancer  qu'a- 
près avoir  fail  ce  présent  aux  hommes  ,  je  préférerais  demeu- 
rer mort  dans  le  tombeau  que  de  voir  l'àme  aimante  s'abste- 
nir de  ce  fruit  de  ma  libéralité  ;  c'est ,  enfin  ,  pour  te  faire 
envisager  combien  est  excellente  la  manière  dont  ton  àme 
est  vivifiée  pour  la  vie  étemelle  en  prenant  cet  aliment  divin  , 
puisqu'elle  l'est  à  la  manière  du  petit  du  pélican  qui  re- 
çoit la  vie  du  sang  qui  découle  du  cœur  de  son  père.  » 
(Pag.  230.) 

fiue  le  pécheur  vraiment  repentant  est  proniplement  pardonné. 

Tandis  qu'on  chantait,  un  jour  ,  ces  paroles  :  Sanctifica- 
mini,  filii  Israël;  sanctifiez-vous ,  enfants  d'Israël ,  elle  ap- 
prit que  celui  qui  se  repent  promptement  de  tous  ses  péchés, 
tant  d'action  que  d'omission,  et  retourne  avec  un  cœur  sin- 
cère à  l'obéissance  des  commandements  de  Dieu  ,  est  aussi 
promptement  et  si  parfaitement  purifié  aux  yeux  de  Dieu  ,  et 
reconnu  guéri,  que  le  fut  le  lépreux  de  l'Evangile,  à  cette 
parole  du  Seigneur  :  Sois  purifié  ,  je  le  veux.  (Page  235.  ) 

Comment  chacun  doit  porter  la  croix  après  Jésus-Christ. 

Comme  on  chantait,  pendant  la  fête  d'un  martyr,  ces  paro- 
les :  Qui  mit  ventre  post  me  ;  quiconque  veut  venir  après 
moi,  &c,  Gertrude  aperçut  le  Seigneur  qui  passait  par  un  cer- 
tain chemin,  agréable,  il  est  vrai,  par  la  beauté  de  la  verdure  et 
des  fleurs  dont  il  était  couvert,  mais  fort  étroit  et  fort  difficile , 
à  cause  des  nombreuses  épines  qui  l'environnaient ,  et  elle  vit 
aussi  l'image  de  la  croix  qui  précédait  et  qui  séparait  commo- 
dément le  chemin  en  serrant  de  tout  côté  les  épines  et  le  ren- 
dant plus  large  et  plus  facile;  et  s'étant  tournée,  elle  vit 
derrière  le  Seigneur  invitant  avec  un  visage  plein  de  douceur 
et  de  sérénité  ceux  qui  venaient  après  lui  à  le  suivre  et  leur 
disant  ■  Que  celui  qui  veut  venir  après  moi,  se  renonce  lui- 


DE  SAINTE  GERTRURE.  187 

même,  qu'il  prenne  sa  croix  et  qu'il  me  suive,  &c;  et  dans 

ces  paroles  elle  comprit  que  la  tentation  est  à  chacun  sa 
croix. 

Que  la  miséricorde  de  Dieu  châtie  les  élus  et  que  la  charité  l'emporte  sur  les 
négligences. 

Tandis  qu'on  chantait  le  Salve  regina,  et  que  par  ces  mots  : 
miséricordes  oculos,  tournez  vers  nous  vos  yeux  si  doux  et 
si  favorahles  ,  elle  désirait  que  Dieu  lui  accordât  la  santé  du 
corps,  le  Seigneur  lui  dit ,  comme  en  souriant  :  «  Ne  sais-tu 
pas  que  je  te  regarde  d'un  œil  très-miséricordieux  ,  toutes 
les  fois  que  tu  es  châtiée  corporellement  ou  troublée  spiri- 
tuellement ?  » 

Une  autre  fois  ,  lorsqu'on  ,  chantait  pour  la  naissance  de 
plusieurs  martyrs,  ces  paroles  :  0  sang  glorieux!  gloriosum 
sanguincm  ,  il  lui  fut  donné  de  comprendre',  que  ,  comme  le 
sang ,  qui  en  lui-même  donne  de  l'horreur  ,  est  cependant 
loué  dans  l'Écriture  lorsqu'il  est  versé  pour  Jésus-Christ  ;  de 
même  la  négligence  qui  provient  de  l'obéissance  ou  de  la 
charité  fraternelle ,  attire  tellement  les  complaisances  de 
Dieu  ,  qu'elle  peut  être  dignement  appelée  glorieuse  (-37). 

Du  mérite  de  l'obéissance  et  de  l'adversité. 

De  même  aussi ,  à  l'occasion  d'un  répons  où  l'on  chantait 
ces  mots  :  Yocavit  angdus  Domini  Abraham  ,  Y  ange  du  Sei- 
gneur appela  Abraham  ,  elle  fut  instruite  de  cette  vérité , 
qu'ainsi  qu'Abraham ,  au  moment,  où  il  étendait  son  bras 
pour  frapper  son  fils  et  obéir  à  l'ordre  de  Dieu  ,  mérita  d'être 
appelé  par  l'ange  ;  ainsi ,  l'âme  élue  qui ,  dans  l'accomplis- 
sement d'un  devoir  difficile  soumet ,  à  cause  de  l'ordre  de 
Dieu  ,  son  esprit  et  sa  volonté  entière,  mérite  aussitôt  d'être 
consolée  par  la  suavité  de  la  grâce  qui  lui  sourit  à  l'instant 
même ,  et  par  le  témoignage  de  sa  propre  conscience  ;  et 


188  ESPRIT 

cette  consolation  ne  lui  est  donnée  que  parce  que  l'infinie 
libéralité  de  Dieu  anticipe  sur  l'éternelle  récompense  qu'il 
doit  accorder  plus  tard  à  chacun  selon  la  difficulté  de  son 
obéissance. 

Et  lorsque,  une  autre  fois  ,  roulant  dans  son  esprit  les  ad- 
versités du  temps  passé ,  elle  demandait  au  Seigneur  pour- 
quoi il  avait  permis  qu'elle  fût  si  persécutée  par  certaines 
personnes  ,  le  Seigneur  lui  fit  cette  réponse  :  «  Lorsque  la 
main  paternelle  veut  corriger  un  fils,  la  verge  ne  peut  pas  lui 
résister  ;  de  même  je  voudrais  que  mes  élus  n'imputassent 
jamais  aux  hommes  par  lesquels  ils  sont  éprouvés,  ce  qu'ils 
leur  font  souffrir  ,  mais  qu'ils  regardassent  toujours  mon 
affection  paternelle  ,  qui  ne  permettrait  jamais  que  le  moin- 
dre souffle  de  vent  s'élevât  contre  eux  ,  si  je  ne  consi- 
dérais leur  salut  éternel  qu'ils  recevront  en  rémunération  ; 
c'est  pourquoi  ils  auraient  ,  au  contraire  ,  compassion  de 
leurs  adversaires  qui  quelquefois  ,  dans  les  épreuves  qui 
servent  à  purifier  les  autres  ,  se  souillent  et  se  perdent  eux- 
mêmes.  »  (  P.  24:2.  ) 

Combien  l'oblalion  de  nos  œuvres  faile  à  Dieu  par  sou  Fils,  lui  esl  agréable. 

Dans  un  autre  moment ,  tandis  que  ,  à  cause  de  la  diffi- 
culté qu'elle  éprouvait  pour  une  œuvre ,  Gerlrude  disait  à 
Dieu  le  Père  :  «  Seigneur  ,  je  vous  l'offre  par  votre  Fils  uni- 
que, par  la  vertu  du  Saint-Esprit  et  pour  tourner  à  votre 
louange  éternelle ,  »  elle  sentit,  par  l'effet  d'une  illustration 
soudaine  dans  son  intelligence,  toute  la  vertu  de  cette  parole, 
qui  est ,  que  tout  ce  qui  est  offert  à  Dieu  le  Père  à  celte 
intention  ,  acquiert  un  degré  de  dignité  qui  surpasse  infini- 
ment toute  valeur  humaine;  et  comme,  par  exemple,  on  trouve 
vert  tout  ce  qu'on  regarde  avec  un  objet  qui  est  vert,  et  rouge 
ce  qui  est  vu  avec  un  objet  rouge,  de  même  tout  ce  qui  est 
offert  à  Dieu  le  Père  par  son  Fils  unique  ,  lui  est  en  tout 
point  très-doux  et  très-agréable.  (  P.  243.  ) 


DE  SAINTE  GERTRUDE.  189 

Utilité  de  la  prière ,  qnoiqac  son  effet  n'apparaisse  pas  sensiblement. 

Pendant  qu'étant  en  oraison  elle  s'informait  auprès  du 
Seigneur  de  l'utilité  de  ses  prières  pour  ses  amis ,  puisque 
priant  si  souvent  pour  eus ,  elle  voyait  qu'ils  n'en  ressen- 
taient aucun  profit ,  le  Seigneur  daigna  l'instruire  par  cette 
similitude  :  «  Lorsqu'un  enfant  est  adopté  par  un  empereur  , 
et  qu'il  est  enrichi  de  l'immense  héritage  de  ses  domaines  , 
qui  est-ce  parmi  ceux  qui  voient  cet  enfant ,  qui  s'aperçoive, 
à  sa  taille  et  à  sa  forme  ,  de  l'effet  de  cette  donation  ,  lors- 
que les  témoins  cependant  savent  fort  hien  quel  il  est,  et  com- 
hien  il  sera  grand  un  jour  par  de  si  abondantes  richesses  ? 
Ne  soyez  donc  pas  étonnée  de  ne  point  remarquer  des  yeux 
du  corps  le  fruit  de  vos  prières ,  dont  je  dispose  dans  ma 
sagesse  éternelle,  pour  un  plus  grand  profit  :  et  plus  souvent 
on  prie  pour  quelqu'un  ,  plus  on  le  rend  heureux  ,  puisque 
aucune  prière  de  l'àme  fidèle  ne  demeurera  sans  effet,  quoi- 
que les  hommes  n'envoient  pas  la  manière.  »  (  P.  2ii.  ) 

L'adversité  ôte  l'occasion  du  péché. 

Un  certain  jour  de  fête,  se  trouvant  empêchée  de  chantera 
cause  d'un  violent  mal  de  tête ,  Gertrude  demanda  au  Sei- 
gneur quel  était  son  dessein  en  permettant  que  cela  lui  arri- 
vât souvent ,  surtout  aux  jours  de  fête  ?  et  elle  reçut  cette  ré- 
ponse :  «  De  peur  qu'enorgueillie  et  dissipée  par  le  plaisir  de 
l'harmonie,  vous  ne  soyez  moins  propre  à  recevoir  la  grâce;  » 
et  ayant  ajouté  :  «  Mais  votre  grâce  pourrait  bien  prévenir  en 
moi  cette  faute  et  l'empêcher,  »  le  Seigneur  répondit  de  nou- 
veau :  «  C'est  un  grand  avantage  pour  l'homme  que  l'occa- 
sion du  péché  lui  soit  enlevée  par  l'accablement  de  quelque 
douleur  ou  contrariété  ,  parce  qu'il  en  retire  un  double  mé- 
rite ,  celui  de  lu  patience  et  celui  de  l'humilité.  »  (  P.  215.  ) 


1 00  ESPRIT 


Efficacité  de  la  bouiie  voloulé. 


Animée  d'une  affection  très-ardente,  un  autre  jour,  elle  di- 
sait au  Seigneur  :  «  Oh  !  que  ne  puis-je  ,  Seigneur  ,  brûler 
d'un  feu  tellement  vif ,  que  mon  âme  se  fonde  et  devienne 
comme  une  substance  très-liquide,  afin  de  pouvoir  ainsi  la 
répandre  tout  entière  plus  subtilement  devant  vous  !  »  Le 
Seigneur  lui  répondit  :  «  La  volonté  t'est  un  feu  tel  que  tu  le 
désires;  »  et  par  là  elle  comprit  que  l'homme  par  sa  seule 
volonté  peut  obtenir  un  plein  effet  de  tous  ses  désirs  ,  lors- 
qu'il les  forme  pour  la  gloire  de  Dieu.  (P.  246.  ) 

(Ju'oii  ne  pt-ul  être  sauvé  sans  l'amour  de  Dieu. 

Ayant  entendu,  pendant  une  prédication,  ces  paroles: 
«  Aucun  homme  ne  sera  sauvé  sans  l'amour  de  Dieu  ,  sans 
en  avoir  eu  du  moins  assez  pour  se  repentir  et  s'abstenir  du 
péché,  s  elle  pensait  dans  son  cœur,  que  plusieurs  sortaient 
de  cette  vie  ,  qui  paraissaient  plutôt  se  repentir  par  la  crainte 
de  l'enfer  ,  que  par  le  mouvement  de  l'amour  de  Dieu  ;  le  Sei- 
gneur lui  répondit  ainsi  :  «  Lorsque  je  vois  à  l'agonie  ceux 
qui  se  sont  souvenus  quelquefois  de  moi  avec  douceur  et 
plaisir,  ou  qui  ont  fait  quelque  œuvre  méritoire,  à  l'approche 
même  de  la  mort,  je  leur  apparais  avec  un  visage  si  plein 
de  bonté  et  de  miséricorde  ,  et  qui  me  rend  si  aimable  , 
qu'aussitôt  ils  se  repentent  par  amour,  jusqu'à  la  moelle  la 
plus  intime  du  cœur  ,  de  m' avoir  offensé  ;  et  ainsi  par  une 
telle  pénitence  ,  ils  obtiennent  le  salut;  je  voudrais  donc  que, 
pour  cette  grâce  miséricordieuse,  mes  élus  de  la  terre  me 
rendissent  gloire  et  louange,  et  qu'en  me  rendant  grâce  de 
mes  bienfaits  en  général ,  on  y  comprit  celui-ci.  »  (  P.  2  i-7.  ) 


DE  SAINTE  GERTRUDE,  J  9  I 

La  délectation  sensible  dissipe  el  empêche  la  déleclaliou  divine. 

Réfléchissant ,  un  jour  ,  par  quelle  conduite  de  la  Provi- 
dence ,  il  se  faisait  que  les  uns  abondassent  dans  le  service 
de  Dieu  d'une  si  grande  plénitude  de  délices  et  de  ferveur  , 
tandis  que  d'autres  demeurent  dans  l'amertume  et  les  séche- 
resses,  Dieu  lui  fit  connaître  que  le  cœur  de  l'homme  a  été 
créé  pour  contenir  les  plaisirs  ou  le  bonheur,  comme  un  vase 
pour  contenir  de  l'eau  ;  mais  si  le  vase  contenant  de  l'eau  la 
laissait  couler  par  de  petits  trous  ,  le  vase  à  la  fin  pourrait 
se  trouver  vide  jusque-là  qu'il  demeurerait  entièrement  sec; 
de  même  si  le  cœur  de  l'homme  qui  contient  la  jouissance, 
la  répand  par  les  sens  du  corps ,  par  exemple  ,  en  voyant , 
en  entendant ,  ou  même  par  les  autres  sens  corporels  en 
agissant  selon  qu'il  est  permis  ,  à  la  fin  il  peut  tellement 
perdre  ,  que  le  cœur  demeure  vide  et  incapable  de  goûter  les 
plaisirs  qui  se  trouvent  en  Dieu  ,  et  chacun  peut  en  faire  l'ex- 
périence en  soi-même;  car  ,  lorsqu'il  lui  sera  permis  de  re- 
garder ou  de  dire  une  parole ,  dans  laquelle  il  n'y  a  qu'un 
petit  ou  même  aucun  profit ,  s'il  le  fait  aussitôt ,  c'est  qu'il 
ne  le  compte  pour  rien  ,  parce  que  cela  coule  comme  de 
l'eau  ;  mais  s'il  se  propose  de  s'en  priver  à  cause  de  Dieu, 
cela  croit  tellement  dans  son  cœur  qu'à  peine  y  a-t-il  quelque 
chose  qui  le  surpasse.  De  là  vient  que  quand  l'homme  s'ap- 
plique à  se  vaincre  en  de  telles  choses  ,  il  s'habitue  à  se 
réjouir  en  Dieu,  et  plus  il  éprouve  de  difficulté  à  faire  ainsi, 
plus  il  apprend  à  retirer  du  fruit,  de  ce  plaisir  en  Dieu. 
(Page. -20-2.) 

Combien  la  patience  est  précieuse. 

Sainte  Gerlrude  demandant  à  Dieu  à  quoi  il  lui  serait 
agréable  qu'elle  s'appliquât  en  ce  moment-là ,  le  Seigneur 
lui  répondit  :   «  Je   veux   que  tu  apprennes  à  avoir  la   pa- 


192  ESPRIT 

tience  ;  »  car,  en  effet ,  elle  était  pour  lors  grandement  trou- 
blée pour  quelque  chose.  Et  ayant  répondu  de  son  côté  : 
«  Comment  est-ce ,  Seigneur,  et  par  quel  moyen  pourrais-je 
apprendre  à  l'avoir?»  Alors  le  Seigneur  l'attirant  à  lui  et 
la  prenant  comme  un  tendre  maître  prend  dans  ses  bras  un 
tout  jeune  écolier  qu'il  aime ,  il  lui  proposa  ,  sous  le  carac- 
tère mystique  de  trois  lettres  différentes  ,  trois  motifs  qui 
devaient  l'encourager  à  obtenir  la  patience,  et  il  lui  dit  : 
«  Considère  ,  premièrement ,  avec  quelle  familiarité  est  dis- 
tingué des  autres  ,  par  un  roi  ,  celui  qui  plus  qu'aucun 
lui  ressemble  en  tout  point;  et  de  là  pense  combien  s'accroît 
mon  affection  pour  toi  ,  lorsque  à  cause  de  moi,  et  pour  me 
ressembler,  tu  souffres  quelque  injure  avec  patience.  »  En 
second  lieu  ,  il  lui  dit  :  «  Considère  de  même  combien  celui 
qui  est  intime  avec  le  roi  et  qui  lui  ressemble  en  tout ,  reçoit 
de  respect  et  d'honneur  de  toute  sa  famille  ,  et  par  là  com- 
prends quelle  grande  gloire  t'est  préparée  dans  le  ciel ,  à 
cause  de  la  patience.  »  En  troisième  lieu,  enfin,  il  lui  dit  : 
«  Considère  combien  vive  est  la  consolation  qu'apporte  à  un 
ami  la  tendre  compassion  du  plus  fidèle  de  ses  amis  ,  et  tu 
pourras  juger  par  là  avec  quelle  suave  bonté  je  te  consolerai 
dans  le  ciel ,  même  pour  les  moindres  pensées  qui  t'affligent 
pendant  la  vie.  »  (  Page  255.  ) 

De  l'utilité  île  la  fréquente  communion. 

Une  autre  fois ,  devant  communier  ,  elle  dit  au  Seigneur  : 
«  0  Seigneur  !  qu'allez-vous  me  donner  ?  »  Le  Seigneur  lui 
répondit  :  «  Moi-même  tout  entier ,  avec  toute  mon  essence 
divine,  comme  la  Vierge  ,  ma  mère,  me  reçut  dans  son  sein  !  » 
Et  alors  elle  ajouta  :  «  Qu'aurai-je  de  plus  que  ceux  qui  vous 
reçurent  hier  avec  moi  et  qui  s'abstiennent  aujourd'hui  , 
puisque  vous  vous  donnez  toujours  tout  entier!  »  À  quoi  te 
Seigneur  répondit  :  «  Si ,  parmi  les  hommes  du  siècle  ,  celui 
qui  aurait  reçu  deux  fois  la  dignité  du  consulat ,  doit  l'em- 


DE  SAINTE  GEUTRUDE.  193 

porter  en  honneur  sur  celui  qui  n'en  aurait  été  revêtu  qu'une 
fois,,  comment  celui-là  ne  l'emporterait-il  pas  en  gloire  dans 
la  vie  éternelle  qui  m'aura  reçu  plusieurs  fois  sur  la  terre  ?  » 
Alors ,  gémissant  en  elle-même ,  elle  disait  :  «  Oh  !  par  quelle 
grande  gloire  les  prêtres  du  Seigneur  l'emporteront  donc  sur 
moi ,  eux  qui  par  état  communient  chaque  jour  ?  »  Et  le  Sei- 
gneur lui  dit  :  «  II  est  vrai  ,  ceux-là  brilleront  d'une  grande 
gloire  qui  en  approchent  dignement;  mais  néanmoins  il  faut 
juger  bien  différemment  de  l'affection  et  de  l'amour  de 
celui  qui  en  approche  ,  que  de  la  gloire  extérieure  qui  appa- 
raît dans  ce  mystère.  Ainsi  donc  ,  autre  est  la  récompense 
accordée  à  ceux  qui  en  approchent  par  désir  et  avec  amour  ; 
autre  celle  qui  est  réservée  à  ceux  qui  le  prennent  avec 
crainte  et  révérence ,  et  autre  aussi  est  celle  que  reçoivent 
ceux  qui  se  préparent  à  la  recevoir  par  l'application  de  toutes 
leurs  pratiques  et  exercices,  tandis  qu'aucune  de  ces  récom- 
penses n'est  destinée  à  celui  qui  ne  célèbre  que  par  habi- 
tude. »  (Page  26-i.  ) 

Comment  on  peut  ?c  laver  des  souillures  qu'on  a  contractées. 

Un  jour,  où  elle  demandait  à  Dieu  de  lui  enseigner  à  effacer 
de  son  àme  les  souillures  qu'elle  contractait  chaque  jour,  le 
Seigneur  lui  répondit  :  «  Ne  permettez  jamais  qu'elles  durent 
longtemps  en  vous  ;  mais  aussitôt  que  vous  connaîtrez  que 
vous  êtes  souillée  ,  hàtez-vous  de  dire  avec  un  cœur  dévot  et 
fervent ,  ce  verset  :  Miserere  met ,  Deus  ;  Seigneur  ,  ayez  pi- 
tié de  moi  !  Ou  bien  ces  paroles  :  0  Jésus-Christ!  mon  uni- 
que salut ,  faites  que  par  votre  mort  très-salutaire  toutes  mes 
offenses  me  soient  par  données.  » 

Ensuite  ,  s'étant  approchée  et  ayant  reçu  le  très-saint 
corps  de  Jésus-Christ  ,  elle  connut  que.  son  àme  était  écla- 
tante comme  le  cristal  de  la  plus  blanche  splendeur,  et  la  di- 
vinité de  Jésus-Christ  qu'elle  portait  en  elle  comme  un  or  pur 
miraculeusement  incrusté  ,  qui  brillait  à  travers  ce  cristal,  ce 
t.  v.  13 


1 94  ESPRIT 

qui  excitait  en  elle  des  impressions  si  délicieuses  ,  si  admira- 
bles et  si  fort  au-dessus  de  tout  ce  qu'on  peut  en  dire  et  dans 
lesquelles  la  vénérable  Trinité  et  tous  les  Saints  goûtaient  des 
délices  si  exquises  qu'elle  comprit  que  c'est  ce  dont  il  est 
écrit  :  Que  toute  perte  spirituelle  peut  être  réparée  par  la 
digne  réception  du  corps  de  Jésus-Christ ,  car  cette  douce 
opération  de  la  divinité  en  elle  lui  paraissait  si  excellente  , 
que  toute  la  cour  céleste  sembla  lui  attester  qu'elle  trouvait 
son  bonheur  à  admirer  l'âme  dans  laquelle  ces  choses  divi- 
nes se  passaient.  (  Page  266.  ) 

De  l'efficacité  du  regard  divin  cl  de  l'utilité  de  la  communion  spirituelle. 

Elle  était  dans  l'habitude ,  cette  fervente  épouse  de  Jésus- 
Christ  ,  d'entretenir  en  elle  une  ardeur  et  un  désir  fréquent 
de  recevoir  le  corps  du  Christ  dans  la  divine  Eucharistie  : 
or,  tandis  que,  une  fois,  elle  s'était  préparée  avec  plus  de  dé- 
votion encore  que  les  jours  précédents  à  recevoir  la  commu- 
nion ,  et  que  pendant  la  nuit  du  dimanche  elle  se  sentit  un 
tel  abandon  de  ses  forces ,  qu'il  lui  semblait  impossible  de 
communier,  elle  consulta  le  Seigneur,  selon  sa  coutume,  pour 
savoir  ce  qui  lui  était  plus  agréable  de  faire.  A  quoi  le  Sei- 
gneur répondit  ainsi  avec  une  rare  bonté  :  «  Comme  un  époux 
rassasié  par  divers  festins ,  se  plaît  davantage  à  se  reposer 
paisiblement  avec  son  épouse  qu'à  s'asseoir  à  table  avec  elle  ; 
ainsi,  moi  je  me  plais  davantage  cette  fois  en  ce  que  par  dis- 
crétion vous  vous  priviez  de  la  communion  que  si  vous  appro- 
chiez pour  la  recevoir.  »  A  quoi  elle  ajouta  :  «  Et  comment  se 
fait-il ,  mon  très-aimable  Seigneur  ,  que  vous  daigniez  m'as- 
surer  que  vous  êtes  rassasié  en  ce  moment  ?  »  Le  Seigneur 
répondit  :  «  J'avoue  que  par  toutes  vos  privations  de  parler, 
par  la  vigilance  sur  tous  vos  sens  ,  non  moins  que  par  tous 
les  désirs ,  prières  et  volontés  par  lesquelles  vous  avez  eu 
l'intention  de  vous  préparer  à  recevoir  dignement  mon  très- 
saint  corps  et  mon    sang ,  je  suis  parfaitement  content  de 


DE  SAINTE  GERTRUDE.  195 

vous  et  rassasie  comme  par  les  mets  les  plus  délicieux  de  di- 
vers festins.  » 

Mais  ,  pendant  que  dans  un  état  de  faiblesse  extrême  elle 
se  traînait  à  la  messe ,  soupirant  après  la  communion  spiri- 
tuelle ,  il  arriva  qu'un  prêtre  revenait  de  la  campagne  de 
porter  à  un  malade  le  corps  de  Jésus-Christ  en  viatique  (  ce 
qu'elle  comprit  par  le  son  de  la  cloche);  elle  fut  si  enflam- 
mée d'un  véhément  désir  ,  qu'elle  dit  au  Seigneur  :  «  Oh  ! 
que  bien  volontiers  je  vous  recevrais  en  ce  moment  du  moins 
spirituellement!  Ola  vie  de  mon  âme  ,  si  j'avais  eu  le  temps 
de  me  préparer  de  quelque  manière  !»  Et  à  cela  le  Seigneur 
répondit  :  «  Le  regard  de  ma  divine  bonté  te  préparera  très- 
dignement.  »  Et  au  moment  même  le  Seigneur  paraissait 
diriger  ses  regards  comme  les  rayons  du  soleil ,  sur  son  âme, 
disant  :  Firmabo  super  te  oculos  meos  ;  j'arrêterai  fixement 
mes  yeux  sur  toi.  Et  par  ces  paroles  elle  distingua  le  triple 
effet  que  le  regard  divin  opère  dans  l'âme  et  qui  est  semblable 
à  celui  du  rayon  du  soleil,  comme  aussi  la  triple  manière  par 
laquelle  l'âme  doit  se  préparer  pour  l'obtenir.  (Page  268.) 

Sur  Futilité  du  souvenir  de  la  Passion  de  Jésus-Christ. 

Occupée  de  sa  propre  indignité ,  tandis  qu'une  fois  ,  pri- 
vée presque  de  toutes  les  forces  qu'elle  tirait  de  ses  mérites  , 
elle  se  reposait  dans  la  route  où  elle  se  hâtait  d'avancer  pour 
aller  spirituellement  vers  le  Seigneur  ,  celui-ci  se  penchant 
vers  elle  par  un  effet  de  sa  bienveillante  charité  ,  lui  dit  : 
«  Par  droit  et  devoir  de  mariage ,  il  convient  que  partout  où 
la  reine  se  repose  étant  indisposée  ,  le  roi  s'empresse  d'aller 
la  visiter.  i>  Par  ces  paroles  ,  elle  comprit  que  le  Seigneur , 
par  son  immense  bonté,  croit  devoir  tenir  autant  à  l'âme  qui 
s'occupe  fréquemment,  avec  dévotion  et  selon  ses  moyens,  du 
souvenir  de  la  passion,  que  le  roi  doit  tenir  à  la  reine  par 
droit  de  mariage,  car  elle  reconnut  qu'elle  n'avait  mérité 
cette  très-aimable  visite  du  Seigneur ,  que  parce  que  le  ven- 


1  %  ESPRIT 

dredi  elle  s'appliquait  à  honorer  la  passion  de  Jésus-Christ , 
et  elle  jugea  aussi  de  là  ,  que  quiconque  se  ralentirait  dans 
sa  piété,  serait  néanmoins  regardé  du  Seigneur  avec  plus 
d'indulgence  et  de  bonté  ,  s'il  n'omettait  pas  de  célébrer  le 
souvenir  de  sa  passion.  (  Page  270.  ) 

Commeul  le  Fils  de  Dieu  apaise  Dieu  son  Père. 

Une  fois ,  pendant  qu'elle  s'efforçait  de  choisir ,  entre  les 
diverses  connaissances  ou  faveurs  que  Dieu  ,  dans  sa  géné- 
reuse bonté,  avait  daigné  lui  communiquer,  celle  qu'il  serait 
le  plus  utile  aux  hommes  de  leur  manifester,  pour  leur  avan- 
cement dans  la  perfection ,  le  Seigneur,  se  mêlant  alors  à  ses 
pensées  et  à  ses  désirs  ,  lui  fit  cette  réponse  :  «  Il  est  très- 
utile  de  faire  connaître  aux  hommes  qu'il  leur  serait  toujours 
fort  avantageux  de  se  souvenir  de  ceci ,  savoir  ,  que  moi  , 
Fils  de  la  Vierge  Marie  ,  je  me  tiens  sans  cesse  devant  mon 
Père  pour  le  salut  du  genre  humain,  et  que  toutes  les  fois 
qu'ils  viennent,  par  un  effet  de  la  fragilité  humaine,  à  pé- 
cher par  le  cœur,  moi  j'offre  en  réparation  à  mon  Père  ,  mon 
cœur  immaculé  pour  eux.  Lorsqu'ils  pèchent  par  actions  , 
moi  je  lui  présente  mes  mains  percées ,  et  ainsi  du  reste  , 
en  tous  les  points  où  ils  pèchent;  de  sorte  que  mon  innocence 
apaise  Dieu  mon  Père ,  afin  que  s'ils  se  repentent  ,  ils  ob- 
tiennent toujours  un  facile  pardon.  C'est  pourquoi  je  voudrais 
que  les  âmes  choisies  me  rendissent  grâces  toutes  les  fois 
qu'elles  ont  obtenu  le  pardon  de  leurs  péchés  ,  de  ce  que  je 
leur  ai  rendu  ce  pardon  si  facile  à  obtenir.  »  (P.  271.  ) 

Courte  prière  Irès-agréable  à  Jésus-Christ  et  enseignée  par  lui-même. 

Elle  demandait  à  Jésus-Christ  de  vouloir  bien  lui  enseigner 
une  courte  prière  qu'il  agréât  avec  la  même  bonté  ,  de  la  part 
de  tous  ceux  qui  la  prononceraient  avec  dévotion.  Alors,  divi- 
nement inspirée ,  elle  comprit  que  Dieu  accepterait  comme 


DE  SAINTE  GERTP.UDE.  197 

très-agréable  cette  prière  quoique  facilement  faite,  de  la 
part  de  tous  ceux  qui  la  diraient  avec  dévotion  et  pureté  d'in- 
tention ,  pendant  cinq  fois ,  en  l'honneur  des  cinq  plaies , 
savoir  :  Jésus,  Sauveur  dû  monde,  exaucez-nous ,  vous  à  qui 
lien  n'est  impossible,  si  ce  n'est  seulement  de  n'avoir  pas 
compassion  des  malheureux.  Et  ensuite  :  0  Christ ,  qui  avez 
racheté  le  monde  par  la  croix,  écoutez-nous  ;  et  de  plus  :  0 
Jésus,  époux  plus  doux  que  le  miel,  avec  toutes  les  délices  de 
votre  divinité,  je  vous  salue  et  vous  embrasse  avec  l'affection 
la  plus  universelle,  et  je  vous  baise  sur  la  blessure  de  votre 
amour.  Et  encore  :  Le  Seigneur .  qui  est  ma  force  et  le  sujet 
de  ma  louange ,  est  devenu  lui-même  mon  salut.  Et  qui  ,  en- 
fin ,  en  l'honneur  des  cinq  plaies  du  Seigneur  et  en  baisant 
dévotement  ces  mêmes  plaies  couleur  de  rose ,  ajouterait  telles 
collectes  et  oraisons  qu'il  voudrait,  et  s'il  le  recommandait 
par  le  très-doux  cœur  de  Jésus-Christ ,  l'organe  de  la  très- 
sainte  Trinité  ;  celui-là  ,  dis-je ,  qui  prononcerait  cette  prière 
est  assuré  que  Dieu  l'écoutera  favorablement.  (Page  291.) 

Des  deux  pulsations  du  cœur  de  Jésus. 

Lorsqu'un  jour  Gertrude  voyait  les  autres  accourir  pour 
entendre  un  sermon,  d'un  air  plaintif  elle  dit  intérieurement 
au  Seigneur  :  «  Vous  savez,  mon  Bien-aimé,  que  si  je  n'étais 
retenue  par  l'infirmité  corporelle,  j'irais  maintenant  de  bien 
bon  cœur ,  et  avec  joie ,  entendre  la  prédication.  »  Et  le  Sei- 
gneur lui  répondit  :  «  Veux-tu  ,  ma  très-chère  épouse  ,  que 
je  te  prêche  moi-même?  —  Mais  très-volontiers,  Seigneur, 
ajouta-t-elle  !  »  Alors  le  Seigneur  la  pencha  sur  son  cœur, 
de  telle  manière  que  son  âme  était  appliquée  sur  son  cœur 
divin.  Et  lorsque  son  âme  s'y  futdélicieusemnt  reposée  un  peu 
de  temps  ,  elle  sentit  dans  le  cœur  de  son  maître  deux  admi- 
rables et  très-suaves  pulsations.  Et  le  Seigneur  lui  dit  :  «  Cha- 
cune de  ces  deux  pulsations  opère  le  salut  de  Fhomme  de  trois 
manières.  La  première  pulsation  produit  le  salut  des  pé- 


1 08  ESPRIT 

cheurs;  la  seconde  celui  des  justes.  En  effet,  par  la  première 
pulsation ,  je  m'adresse  d'abord  sans  relâche  à  mon  Père  , 
pour  le  fléchir  en  faveur  des  pécheurs  et  l'incliner  à  la  misé- 
ricorde; ensuite  je  m'adresse  à  tous  les  Saints  ,  excusant  de- 
vant eux  les  pécheurs  avec  une  fraternelle  charité  et  les 
excitant  à  prier  eux-mêmes  pour  ces  pauvres  coupables.  En- 
fin ,  en  troisième  lieu  ,  je  m'adresse  au  pécheur  lui-même  , 
le  rappelant  miséricordieusement  au  repentir  et  à  la  péni- 
tence ,  et  attendant  avec  un  désir  ineffable  sa  conversion. 

Par  la  seconde  pulsation  j'entretiens  d'abord  mon  Père 
pour  qu'il  me  félicite  de  ce  que  j'ai  si  bien  employé  le  prix 
de  mon  sang  pour  la  rédemption  des  justes  ,  dans  les  cœurs 
desquels  je  me  plais  à  trouver  maintenant  tant  de  diverses 
délices.  En  second  lieu  ,  je  m'adresse  à  toute  la  milice  céleste 
pour  qu'elle  me  loue  de  la  sainte  conduite  des  justes  et  afin 
qu'elle  me  rende  grâce  des  bienfaits  que  je  leur  ai  déjà  accor- 
dés et  que  je  leur  accorderai  à  l'avenir.  Enfin  ,  je  parle  aux 
justes  eux-mêmes ,  leur  donnant  plusieurs  marques  de  mon 
amour  et  les  avertissant  fidèlement  de  s'appliquer  à  faire  des 
progrès  de  jour  en  jour  et  d'heure  en  heure.  Et  comme  le 
battement  du  cœur  humain  n'est  empêché  ni  par  la  vue,  ni 
par  rouie,  ni  par  aucun  travail  des  mains,  mais  qu'avec 
tout  cela  il  peut  avoir  son  mouvement  sans  relâche  ;  de 
même,  ni  le  gouvernement ,  ni  l'administration  du  ciel  et  de 
la  terre ,  ni  celui  de  l'universalité  des  créatures  ne  peut  ja- 
mais ni  ne  pourra  jusqu'à  la  fin  des  siècles,  pas  même  un 
seul  instant ,  ralentir ,  tempérer,  ou  en  aucune  manière  ar- 
rêter ces  deux  battements  dans  mon  cœur  divin.  »  (Pag.  294.  ) 

De  la  parfaite  résignation  de  tout  soi-même  en  la  \olonle'  divine. 

Gertrude ,  retenue  par  une  maladie  qui  après  la  sueur  de 
la  fièvre  ,  tantôt  la  soulageait  et  tantôt  la  privait  de  toutes  ses 
forces,  se  trouvant  une  nuit  toute  mouillée  de  sueur  ,  com- 
mença à  penser  en  elle-même  avec  anxiété  ,  si  cette  sueur 


DE  SAINTE  GERTRUDE.  190 

était  un  présage  que  son  état  deviendrait  pire  ou  bien  meil- 
leur ,  et  le  Seigneur  Jésus  lui  apparut  tout  agréable  et  beau 
comme  une  fleur,  portant  la  santé  dans  sa  main  droite  et 
dans  la  gauche  la  maladie,  et  il  les  lui  présenta  toutes  deux 
pour  qu'elle  choisît  ce  qu'elle  préférerait  ;  mais  elle,  les  re- 
poussant l'une  et  l'autre  et  s'avançant  dans  la  ferveur  de  son 
esprit  entre  les  deux  mains  du  Sauveur ,  elle  s'approchait  de 
son  très-doux  cœur,  dans  lequel  elle  savait  qu'était  renfer- 
mée l'abondance  de  tous  les  biens,  lui  demandant  quelle  était 
sa  très-adorable  volonté;  alors  le  Seigneur  la  recevant  avec 
bonté  et  l'embrassant  doucement ,  il  la  pencha  lui-même  sur 
son  cœur  pour  l'y  faire  reposer  ;  mais  elle,  détournant  aussi- 
tôt son  visage  de  dessus  le  Seigneur ,  et  inclinant  par  der- 
rière sa  tête  sur  la  poitrine  de  son  Maître ,  lui  dit  :  «  Voilà, 
Seigneur,  que  je  détourne  maintenant  ma  face  de  dessus  vous, 
désirant  de  tout  mon  cœur  que  vous  ne  regardiez  aucune- 
ment ma  volonté  ,  mais  que  vou6  suiviez  en  tout ,  envers  moi, 
les  décrets  immuables  de  la  vôtre.  » 

Par  ceci ,  on  peut  remarquer  que  l'âme  fidèle  doit  aban- 
donner et  elle-même  tout  entière  et  tous  ses  plus  chers  inté- 
rêts à  la  disposition  divine  ,  avec  une  si  pleine  confiance 
qu'elle  se  plaise  même  à  ignorer  ce  que  le  Seigneur  fait  à  son 
égard,  afin  d'être  assurée  par  là  que  le  bon  plaisir  de  la  vo- 
lonté divine  est  parfait  en  elle  ,  et  avec  un  entier  désintéres- 
sement de  sa  part. 

Alors  le  Seigneur  fit  couler  de  l'une  et  l'autre  partie  de 
son  cœur  si  doux,  dans  le  sein  de  Gertrude,  comme  par 
deux  filets  qui  jaillissent  d'une  coupe  pleine,  deux  ruisseaux 
d'eau  vive  pour  l'inonder,  en  lui  disant  :  «  Du  moment  que 
renonçant  entièrement  à  ta  propre  volonté ,  tu  as  ainsi  dé- 
tourné ton  visage  de  moi ,  moi  au  contraire  ,  épanchant  toute 
la  douceur  et  les  délices  de  mon  cœur  divin,  je  le  dirige  vers 
toi;  »  à  quoi  elle  répliqua  :  «  Mais  puisque  vous,  ô  mon 
très-doux  ami ,  m'avez  déjà  donné  tant  de  fois  votre  divin 
cœur  de  tant   de  différentes  manières,  je  voudrais  savoir 


"200  ESPRIT 

maintenant  quel  est  le  fruit  que  j'en  dois  retirer,  puisque  de 
nouveau  vous  daignez  me  le  donner  avec  tant  de  libéralité  ?  » 
Et  il  lui  fut  répondu  :  «  Est-ce  que  la  foi  catholique  n'ensei- 
gne pas  que  lorsque  quelqu'un  communie  une  fois ,  je  me 
donne  à  lui  pour  son  salut  tout  moi-même  avec  tous  les  biens 
qui  sont  renfermés  dans  les  trésors  de  ma  divinité  et  de  mon 
humanité?  et  que  cependant ,  plus  l'homme  me  reçoit  sou- 
vent, plus  il  multiplie  et  augmente  le  trésor  de  sa  béatitude 
et  le  porte  jusqu'à  son  comble  ?  »  (Page  299). 

Que  l'àme  fidèle  doit  s'abandonner  à  la  volonté  divine ,  soit  pour  la  vie  )  soit 
pour  la  mort. 

Une  autre  fois ,  tandis  qu'elle  donnait  au  Seigneur  plusieurs 
marques  de  son  amour  ,  entre  autres  choses  elle  lui  demanda 
d'où  venait  que  ,  quoique  malade  depuis  si  longtemps  ,  elle 
n'avait  cependant  jamais  désiré  savoir,  en  aucune  façon  ,  si 
sa  maladie  devait  être  terminée  ou  par  la  mort  ou  par  la  gué- 
rison  ,  mais  que  plutôt  la  vie  et  la  mort  lui  étaient  choses  in- 
différentes ,  le  Seigneur  lui  répondit  :  «  Lorsqu'un  époux 
conduit  son  épouse  dans  un  parterre  de  roses  pour  y  cueillir 
des  fleurs  et  lui  faire  un  bouquet,  l'épouse  tient  tant  de  plai- 
sir à  la  douce  conversation  de  son  époux,  qu'elle  ne  demande 
jamais  quelle  est  la  rose  qu'il  veut  cueillir  :  mais  lorsqu'elle 
est  parvenue  au  rosier ,  alors  ,  quelle  que  soit  la  rose  que  son 
époux  détache  et  qu'il  présente  à  son  épouse  ,  afin  qu'elle  la 
joigne  au  bouquet ,  l'épouse,  sans  aucune  observation  ,  l'y 
joint  avec  une  joyeuse  promptitude.  Semblablement  l'àme 
fidèle  dont  ma  volonté  est  tout  le  souverain  plaisir  et  qui  y 
trouve  sa  joie  comme  en  un  parterre  agréable,  reçoit  certai- 
nement avec  la  même  satisfaction  ,  si  c'est  mon  bon  plaisir, 
soit  que  je  lui  rende  la  santé  ,  soit  que  je  lui  ôte  la  vie  pré- 
sente  ,  parce  que,  remplie  de  fidélité  pour  moi ,  elle  se  confie 
à  ma  paternité.  » 


DE  SAINTE  GERTRUDE.  201 

Du  renouvellement  des  sept  sacrements  dans  lame. 

Un  jour  qu'elle  examinait  sa  conscience  et  qu'elle  trouvait 
quelque  chose  dont  elle  se  serait  confessée  avec  plaisir ,  si 
elle  n'eût  manqué  de  confesseur,  elle  eut  recours  ,  selon  sa 
coutume,  à  son  unique  consolateur,  le  Seigneur  Jésus-Christ, 
et  lui  exposa  avec  quelque  inquiétude  l'empêchement  qu'elle 
éprouvait;  et  le  Seigneur  lui  répondit  en  disant  :  «Pourquoi 
te  troubles-tu  ,  ma  bien-aimée ,  puisque  toutes  les  fois  que 
tu  désires  cela  de  moi,  moi-môme,  souverain  prêtre  et  vrai 
pontife  ,  je  serai  à  ta  disposition  ,  et  chaque  fois  je  renouvel- 
lerai en  ton  âme  les  sept  sacrements  cà  la  fois  ? 

Moi-même ,  en  effet ,  je  te  baptiserai  dans  mon  précieux 
sang  ;  je  te  confirmerai  par  la  vertu  même  de  ma  victoire  ;  je 
{"épouserai  par  la  fidélité  même  de  mon  amour;  je  te  consa- 
crerai par  la  perfection  de  ma  très-sainte  vie  ;  dans  l'excès 
de  ma  miséricorde  je  te  délierai  et  l'absoudrai  de  tes  péchés  ; 
dans  la  surabondance  de  mon  amour  je  te  nourrirai  de  moi- 
même  ,  et  en  jouissant  de  toi ,  je  serai  rassasié  ,  et  enfin  dans 
la  suavité  de  mon  esprit,  je  pénétrerai  tout  ton  intérieur  d'une 
onclion  si  efficace  ,  que  par  tous  tes  sens  et  tes  pores  décou- 
lera sans  interruption  une  abondance  de  piété  ,  par  laquelle 
tu  deviendras  de  jour  en  jour  plus  parfaite  et  plus  sainte 
pour  la  vie  éternelle.  »  (Page  309.) 

De  l'avantage,  de  la  tentation. 

Priant  un  jour  pour  une  personne  qui  était  tentée ,  elle  re- 
çut cette  réponse  :  «  C'est  moi  qui  lui  ai  envoyé  cette  tenta- 
tion ,  et  je  permets  qu'elle  l'ait,  afin  que  reconnaissant  son 
défaut  et  s'en  affligeant,  elle  s'efforce  de  le  détruire  ,  et  ne  le 
pouvant  pas ,  elle  soit  humiliée  ,  et  que  les  autres  défauts 
qu'elle  a  et  qu'elle  ne  connaît  pas,  soient  en  partie  corrigés  cà 
mes  yeux  ,  comme  il  arrive  ordinairement  aux  hommes  ,  qui 


202  ESPRIT 

en  considérant  une  tache  qu'ils  ont  à  leurs  mains ,  lavent  les 
mains  tout  entières  et  ainsi  ils  les  purifient  des  autres  taches 
qu'ils  n'auraient  pas  enlevées,  si  par  celle  qui  était  évidente 
ils  n'y  avaient  été  portés.  » 

De  la  manière  d'exercer  le  zèle. 

Comme  elle  priait  un  jour  pour  une  personne  qui  était  fort 
affligée  par  la  crainte  d"ètre  coupable  devant  Dieu  de  quelque 
offense  ,  parce  qu'elle  éprouvait  de  la  peine  à  souffrir  les  né- 
gligences de  certains  dont  l'exemple  pouvait  diminuer  le  fruit 
de  la  religion  et  énerver  la  discipline,  elle  fut  instruite  en 
ces  termes  par  son  excellent  maître  :  «  Si  quelqu'un  désire 
que  son  zèle  soit  un  sacrifice  agréable  à  mes  yeux  et  profita- 
ble au  salut  de  son  âme ,  il  faut  qu'il  observe  avec  le  plus 
grand  soin  ces  trois  règles  :  1°  que  lorsque  l'humanité  ou  le 
besoin  l'exigent ,  elle  montre  à  la  personne  dont  il  poursuit 
les  négligences  un  visage  serein  ,  et  si  le  cas  le  demande  ,  des 
paroles  et  des  œuvres  charitables  ;  2°  qu'il  prenne  garde  de 
ne  raconter  à  personne  ces  négligences ,  lorsqu'il  n'attend 
aucun  amendement  de  la  part  de  celui  qui  est  coupable ,  ni 
aucune  précaution  de  la  part  de  ceux  qui  écoutent  cette  cor- 
rection ;  3°  que  si  sa  conscience  lui  dicte  qu'il  doit  corriger 
quelque  chose  en  autrui,  qu'aucune  considération  humaine 
ne  l'arrête  de  le  faire  ,  mais  qu'il  cherche  avec  pureté  d'in- 
tention pour  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des  âmes  les  occa- 
sions où  il  pourra  charitablement  et  avec  fruit  corriger  ces 
sortes  de  défauts;  et  alors  assurément  il  sera  récompensé 
selon  les  efforts  de  son  zèle  et  non  d'après  le  profit  qu'on  en 
aura  retiré,  parce  que  s'il  n'en  résulte  aucun  amendement , 
ce  ne  sera  pas  à  sa  faute  ni  à  sa  condamnation  ,  mais  à  celle 
de  ceux  qui  n'auront  pas  voulu  écouter  ses  avis  ou  qui  s'y  se- 
ront opposés.  »  (Page  362.  ) 


DE  SAINTE  GERTRUDE.  "203 

D'une  vision  et  révélation  merveilleuse  touchant  le  saint  sacrifice  de  la  Messe. 

D'après  cette  vision  qu'il  serait  trop  long  de  rapporter  en 
entier ,  sainte  Gertrude  a  remarqué  qu'une  sublime  harmonie 
existe  entre  le  sacrifice  de  l'agneau  immolé  sur  l'autel  de  la 
terre  et  le  môme  sacrifice  offert,  d'après  saint  Jean  dans  l'Apo- 
calypse ,  sur  l'autel  éternel.  Parmi  tant  de  belles  choses  qui 
nous  ont  frappé  ,  nous  avons  cru  devoir  noter  celles-ci  : 

Disons  d'abord  qu'admise  à  cette  vision  sublime,  elle  crut 
voir  Jésus-Christ  lui-même ,  pontife  éternel  ,  célébrant  sur 
l'autel  des  cieux ,  et  toute  la  cour  céleste  et  la  Trinité  elle- 
même  y  prenant  part.  Or,  par  exemple,  au  moment  où  le 
prêtre  entonne  le  Gloria  in  excelsis  Deo ,  elle  crut  voir  Jésus- 
Christ  lui-même  se  levant  sur  son  trône  royal  et  se  tournant 
vers  son  Père  entonner  lui-même  avec  une  voix  étonnamment 
mélodieuse  ce  chant  de  gloire  ;  et  par  ce  mot  gloria  elle  con- 
nut combien  Jésus-Christ  relevait  magnifiquement  l'immense 
et  incompréhensible  puissance  de  Dieu  le  Père.  Par  cet  autre 
in  excelsis,  comment  pénétrant  dans  son  propre  sein  il  glo- 
rifiait la  hauteur  et  la  profondeur  de  sa  sagesse  ,  et  par  celui 
de  Deo  ,  elle  vit  qu'il  révélait  la  douceur  inestimable  et  indici- 
ble de  l'amour  du  Saint-Esprit  ;  et  toute  la  cour  céleste  pour- 
suivant l'hymne  de  gloire,  chantait  avec  de  grands  transports  : 
Et  in  terra  par  hominibus  bonœ  voluntatis  :  et  alors  le  Fils 
de  Dieu  s'assit  de  nouveau  dans  son  trône  ;  et  deux  ambassa- 
deurs de  l'ordre  des  Trônes  portaient  un  trône  admirablement 
décoré  qu'ils  déposèrent  devant  le  Seigneur  et  qu'ils  soute- 
naient avec  respect. 

A  l'évangile,  elle  vit  se  lever  un  jeune  homme  de  la  plus  floris- 
sante beauté,  qui  avait  reposé  sa  tête  sur  la  poitrine  du  Seigneur 
(  c'est-à-dire  saint  Jean  l'évangéliste) ,  et  il  était  revêtu  d'orne- 
ments blancs  couverts  de  toute  part  d'aigles  d'or,  et  puis  les 
autres  évangélistes  s'avançant ,  venaient  remercier  Dieu  des 
bienfaits  accordés  à  la  terre  par  la  publication  de  l'Evangile. 


204  ESPRIT 

A  l'offertoire,  elle  crut  voir  le  cœur  de  Jésus-Christ  se 
produisant  hors  de  sa  poitrine  semblable  h  un  autel  resplen- 
dissant de  feux ,  et  les  anges ,  députés  de  Dieu  pour  la  con- 
duite des  hommes  ,  prenant  leur  vol,  vinrent  déposer  sur  cet 
autel  du  cœur  de  Jésus,  avec  de  grands  transports  de  joie, 
les  bonnes  œuvres  et  les  oraisons  faites  par  ceux  qui  leur 
sont  confiés.  Ensuite  tous  les  Saints  s'approchant  offraient,  les 
uns  après  les  autres  ,  sur  ce  même  autel ,  à  la  gloire  éter- 
nelle de  Dieu  et  au  salut  des  âmes,  tous  leurs  mérites.  Vint 
ensuite  un  magnifique  prince  de  la  céleste  armée,  portant  un 
calice  d'or  qu'il  offrit  également  sur  l'autel  d'or  du  cœur  de 
Jésus.  Dans  ce  calice  étaient  renfermées  toutes  les  tribula- 
tions ,  les  adversités  et  les  souffrances  de  l'âme  juste. 

Aux  mots  de  la  préface  Sursùm  corda,  elle  vit  tous  les 
Saints  invités  par  ces  mots  s'avançant  et  élevant  leurs  cœurs 
comme  des  tuyaux  d'or  pour  les  appliquer  à  l'autel  d'or  du 
cœur  divin,  afin  de  recevoir  de  la  surabondance  de  ce  calice 
que  le  Seigneur  avait  béni ,  quelques  précieuses  gouttes 
d'augmentation  de  mérite ,  de  bonheur  et  de  gloire. 

Au  moment  où  l'on  prononce  dans  la  préface  ces  mots  : 
Que  les  divers  chœurs  des  esprits  angéliques  ,  les  trônes  ,  les 
dominations ,  les  chérubins ,  les  séraphins  louent  la  majesté 
de  Dieu,  Per  guem  majestatem  tuum  laudant  angeli,  &c,  elle 
les  voyait  s'avancer  avec  ordre  devant  le  trône  de  l'Agneau 
pour  lui  rendre  leurs  hommages  au  milieu  des  encensements 
et  des  concerts  les  plus  harmonieux. 

Mais,  quand  il  fallut  prononcer  ces  mots  :  Saint ,  saint, 
saint ,  le  Dieu  des  armées!  ce  ne  fut  pas  un  ange  ,  ce  fut  celle 
qui  seule  peut  louer  Dieu  dignement ,  ce  fut  la  rose  éclatante 
d'une  beauté  céleste ,  la  Vierge  bénie  par-dessus  toutes  les 
créatures ,  ce  fut  Marie  qui  entonna  ces  mots ,  exaltant  avec 
une  infinie  reconnaissance  dans  ces  trois  paroles  toute  la 
puissance ,  la  sagesse  ,  l'amour  de  la  très-haute  et  indivisible 
Trinité  ,  invitant  en  même  temps  la  cour  céleste  à  la  féliciter 
de  ce  qu'elle  a  été  faite  si  grande  ,  qu'elle  a  été  la  fidèle  et 


DE  SAINTE  GERTRUDE.  205 

expressive  image  de  Dieu  ,  la  plus  puissante  après  le  Père  , 
la  plus  sage  après  le  Fils ,  la  plus  aimante  après  le  Saint- 
Esprit. 

Au  moment  où  l'on  sonne  la  cloche  pour  annoncer  l'éléva- 
tion de  la  sainte  hostie  ,  elle  crut  voir  Jésus-Christ  se  levant 
sur  son  trône  royal,  offrir  à  son  Père  son  cœur  très-pur  et 
l'immoler  lui-même  pour  l'église  d'une  manière  si  ineffable 
qu'aucune  créature ,  pour  digne  qu'elle  soit ,  ne  peut  nulle- 
ment aspirer  aie  comprendre. 

A  la  communion,  il  lui  sembla  voir  Dieu  embrassant  l'âme 
qui  s'unit  à  lui  de  la  manière  la  plus  tendre  ,  et  dans  cet  em- 
brassement  faisant  couler  admirablement  en  elle  avec  une 
ineffable  bonté,  la  vertu  de  sa  divinité  et  la  prenant  et  la  re- 
tirant tour  à  tour  ,  comme  le  souffle  qu'on  prend  et  qu'on 
reprend  encore  par  la  respiration ,  la  transforma  en  lui- 
même  et  n'en  fit  qu'une  même  chose  avec  lui.  De  sorte  que 
dans  cette  union  l'âme  goûte  un  bonheur  tel ,  qu'il  est  impos- 
sible que  l'homme  pendant  la  vie  en  puisse  ressentir  de  plus 
grand. 

Aurions-nous  besoin  de  faire  remarquer  l'élévation  de 
telles  pensées  qui  viennent  évidemment  du  ciel? 


XOTES  SIR  LES  RELIGIEUSES  BE\ED1CT1\ES. 


Il  n'est  point  aisé  ,  dit  Hélyot ,  t.  5 ,  p.  17  ,  de  Oxer  au  juste  l'épo- 
que de  l'origine  des  religieuses  Bénédictines  :  les  historiens  les  plus 
exacts  ne  sont  nullement  d'accord  ;  les  uns  en  font  remonter  le  commen- 
cement au  temps  mémo  de  saint  Benoit,  les  autres  beaucoup  de  temps 
après.  En  suivant  saint  Grégoire  le  Grand,  auteur  de  la  vie  de  ce  saint  pa- 
triarche, on  serait  fondé  à  croire  qu'il  y  avait  de  son  temps  des  monastères 
de  religieuses  sur  lesquelles  il  avait  une  entière  autorité.  Cependant  il 
est  difficile  de  savoir  si  ces  religieuses  vivaient  dans  des  monastères  ou 
dans  des  maisons  particulières  ;  les  historiens  même  de  l'ordre  de  Saint- 
Benoit  ont  été  fort  partagés  sur  ce  sujet.  Les  uns  veulent  qu'il  eût  fondé, 
dans  un  bourg,  uon  loin  du  Mont-Cassin,  un  monastère  où  sainte  Scholasti- 


306  NOTES  SUR  LES  RELIGIEUSES  BÉNÉDICTINES. 

que,  sa  sœur,  aurait  fait  profession  delà  vie  religieuse,  et  qu'elle  aurait 
même  gouverné  cette  communauté;  d'autres,  et  à  leur  tète  Mabillon , 
toujours  exact ,  n'osent  point  l'assurer.  On  ne  peut  donc  rien  dire  de 
bien  certain  touchant  la  véritable  origine  de  ces  religieuses  ;  il  y  aurait 
même  sujet  de  croire ,  dit  Hélyot ,  que  ce  ne  serait  qu'après  la  mort  de 
saint  Benoit  que  quelques  monastères  de  filles  auraient  voulu  suivre  sa 
règle.  Cependant  on  ne  peut  nier  que  sainte  Scliolastique  n'ait  été  re- 
ligieuse ;  Mabillon  le  reconnaît,  et  saint  Grégoire  l'a  appelée  Sanctimo- 
nialis.  Quoi  qu'il  en  soit ,  le  plus  ancien  monastère  de  filles  que  nous 
ayons  en  France  qui  ait  suivi  la  règle  de  saint  Benoît  est  celui  de  Sainte- 
Croix  de  Poitiers  ,  que  sainte  Badégonde ,  épouse  de  Clotaire ,  roi  de 
France,  fit  bâtir,  l'an  544;  mais  il  est  certain  que  la  règle  de  saint  Cé- 
saire  y  fut  d'abord  observée.  Sainte  Clotilde ,  veuve  de  Clovis  Ier ,  fit  bâ- 
tir celui  de  Chelles  ,  près  de  Paris.  Sainte  Bathilde ,  épouse  de  Clovis  II, 
y  fit  venir  plus  tard  des  religieuses  de  Jouarre. 

Quant  au  costume  ,  il  y  eut  des  monastères  où  l'on  adopta  l'habille- 
ment blanc  avec  guimpe ,  scapulaire  ,  espèce  de  surplis  à  grandes  man- 
ches de  toile  fine  bien  empesée  et  voile  noir.  D'autres  prirent  l'habille- 
ment noir  avec  des  surplis  de  toile  noire.  Présentement ,  le  véritable 
habillement  des  religieuses  Bénédictines  est  noir,  robe,  scapulaire, 
tunique  ,  voile  et  manteau  de  chœur.  Cet  ordre  a  subi  quelques  réfor- 
mes ,  et  comme  il  a  eu  tant  de  filiations ,  ce  serait  trop  long  d'en  par- 
courir les  diverses  observances  et  congrégations. 

Nous  citerons  seulement  les  Bénédictines  de  Bourbourg,  en  Flandre 
et  en  Italie  ;  les  Bénédictines  de  Montmartre  ,  en  France;  celles  de  No- 
tre-Dame de  Saint-Paul ,  à  Beauvais  ;  celles  du  Val-de-Gràce ,  à  Paris  ; 
celles  de  Notre-Dame  de  la  Paix  ,  à  Douai  ;  celles  de  l'adoration  perpé- 
tuelle du  très-saint  Sacrement,  dont  une  maison  existe  encore  à  Tou- 
louse. Pour  les  autres,  voyez  Mabillon,  t.  Il,  p.  150  et  315,  des 
Annales  des  Bénédictins.  Le  même  auteur  parle  des  reliques  de  sainte 
Gerlrude  qui  auraient  été  transportées  au  Mont-Sainte-Marie.  On  garde- 
rait aussi  son  manteau  en  Ncustrie  ,  mais  on  ne  sait  rien  de  très-positif 
surtout  cela  comme  sur  son  tombeau.  Le  Lipsanographia  ou  catalogue 
des  reliques  qui  se  gardent  dans  le  palais  électoral  de  Brunswick- 
Lunebourg ,  fait  mention  d'une  belle  châsse  qui  renferme  les  restes 
sacrés  de  sainte  Gertrude.  (  Voyez  Antoine  Yepés  ,  Bulteau  ,  Mabillon  et 
Hélyot.  ) 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  BRIGÏTE, 

PRINCESSE  DE  SLÈDE , 

ET  FONDATRICE  DE  L'ORDRE  DIT  DU  SAUVEUR. 


NOTICE. 


1373. 


Brigue  ou  Birgitte  ,  si  célèbre  par  ses  révélations  ,  était 
fille  de  Birger,  prince  du  sang  royal  de  Suède  et  législateur 
d'Upland  (1).  Sigride  sa  mère  descendait  des  rois  Goths. 
L'un  et  l'autre  vivaient  avec  une  grande  piété  dans  la  prati- 

(1)  Dans  la  cathédrale  d'Upsal,  capitale  de  la  province  d'Upland,  on  voit  le 
tombeau  du  père  de  sainte  Brigite,  parmi  ceux  des  anciens  rois  et  des  anciens 
archevêques. 


-208  NOTICE 

que  exacte  du  christianisme  et  avaient  une  tendre  dévotion 

à  la  Passion  de  Jésus-Christ. 

A  l'âge  de  dixans  ,  Brigite  fut  singulièrement  touchée  d'un 
sermon  qu'elle  entendit  sur  la  Passion  ,  et  la  nuit  suivante  , 
elle  crut  voir  Jésus-Christ  attaché  à  la  croix  couvert  de 
plaies  et  de  sang,  lui  adressant  ces  paroles  :  «  Regardez-moi, 
ma  fille!  »  Ah!  qui  vous  a  traité  de  la  sorte,  s'écria-t-elle 
aussitôt  ?  «  Ce  sont ,  répondit  la  même  voix,  ceux  qui  me  mé- 
prisent et  qui  sont  insensibles  à  mon  amour  pour  eux.  »  De- 
puis ce  jour,  elle  ne  cessa  point  de  s'appliquer  à  la  médi- 
tation de  la  Passion  du  Sauveur,  et  Dieu  la  favorisa  de  plu- 
sieurs visions  et  prophéties. 

Quoique  bien  désireuse  de  consacrer  à  Dieu  sa  virginité  , 
elle  fut  destinée  ,  dès  l'âge  de  seize  ans  ,  à  Ulphon  ,  prince 
de  Néricie  en  Suède,  lequel  n'avait  que  dix-huit  ans.  Peu 
de  temps  après  leur  union  ,  ils  entrèrent  dans  le  tiers  ordre 
de  Saint-François  et  leur  maison  devint  une  espèce  de  mo- 
nastère. Ils  reçurent  du  ciel  huit  enfants  ;  le  dernier  fut 
Catherine  ,  honorée  comme  sainte  le  22  mars. 

La  vie  de  ces  deux  époux  se  passa  tout  entière  en  aumô- 
nes ,  en  visites  aux  malades ,  ou  en  pieux  pèlerinages.  Ulphon 
avait  quitté  la  cour,  où  il  occupait  le  premier  rang  :  en  reve- 
nant de  Compostelle  et  rentrant  dans  sa  patrie,  il  tomba  ma- 
lade à  Arras,  et  mourut,  peu  de  temps  après ,  de  la  mort  des 
justes,  dans  le  couvent  d'Alvastre  ,  de  l'ordre  de  Citeaux. 

Brigite  devenue  libre  renonça  au  rang  de  princesse  pour 
se  consacrer  entièrement  à  la  pénitence  ;  elle  partagea  ses 
biens  à  ses  enfants,  ne  connut  plus  le  monde  ,  prit  un  habit 
grossier  ,  se  ceignit  d'une  corde  ,  porta  le  eilice  et  vécut  dans 
les  plus  grandes  austérités. 


SUR  SAINTE  BRIGITE.  200 

Bientôt  après  elle  fit  bâtir  le  monastère  de  Wastein  ,  au 
diocèse  de  Lincopen ,  en  Suède  (sous  la  régie  de  saint  Au- 
gustin ;  nous  en  parlerons  aux  notes  ). 

Plus  tard  ,  Brigite  fit  un  voyage  à  Rome  ,  où  l'on  admira 
l'éclat  de  ses  vertus  et  la  grandeur  de  sa  mortification  ;  elle 
y  fonda  une  maison  d'étudiants  et  de  pèlerins  Suédois,  qui 
est  située  au  Campo  de  Flore,  près  du  palais  Farnèse  :  elle 
avait  chaque  jour  douze  pauvres  à  sa  table  qu'elle  servait  de 
ses  propres  mains.  Le  jeudi  elle  leur  lavait  les  pieds  et  ra- 
commodait  elle-même  leurs  habits. 

Pendant  les  trente  dernières  années  de  sa  vie,  elle  se  con- 
fessait tous  les  jours  et  participait  à  la  divine  Eucharistie 
plusieurs  fois  la  semaine  ,  tant  était  grande  son  application  à 
se  perfectionner. 

Tout  est  mémorable  dans  cette  belle  vie.  Mais  ce  qu'il  y  a  de 
plus  fameux ,  ce  sont  ses  révélations  qui  formeraient  à  elles 
seules  plusieurs  volumes  ;  elles  furent  écrites  d'abord  par 
elle-même  dans  sa  langue  maternelle  ,  et  ensuite  traduites 
en  latin  ,  à  ce  qu'il  paraît  ,  par  Pierre,  moine  de  Cîteaux  et 
par  le  docteur  Mathias  ,  chanoine  de  Lincopen,  qui  mourut 
évêque  de  Worms.  L'un  et  l'autre  avaient  été  les  directeurs 
de  sa  conscience. 

Ce  livre,  examiné  par  le  célèbre  Jean  de  Turre-Cremata, 
qui  fut  depuis  cardinal,  fut  approuvé  par  le  concile  de  Bàle. 
Mais  on  y  a  joint  diverses  parties  que  la  saine  critique  ne 
permet  pas  de  lui  attribuer  :  ce  qui  est  bien  d'elle,  ce  sont 
les  sept  premiers  livres.  Sainte  Brigite  ,  du  reste  ,  soumettait 
toujours  avec  grande  simplicité  et  humilité  toutes  ses  révé- 
lations au  jugement  de  l'Eglise. 

Le  pèlerinage  qu'elle  fit  à  la  Terre-Sainte  ,  ne  fit  que  re- 
T.  v.  14 


210  NOTICE  SUR  SAINTE  BRIGITE. 

doubler  son  amour  pour  Jésus  crucifié  ;  de  retour  à  Rome, 
elle  fut  attaquée  de  diverses  maladies  qu'elle  supporta  avec 
une  patience  héroïque  ;  enfin ,  délivrée  des  angoisses  de  la 
vie ,  pleine  des  désirs  du  ciel  ,  elle  alla  régner  avec  les  Bien- 
heureux, dans  la  gloire  qui  l'attendait,  le  23  juillet  1373,  à 
l'âge  de  soixante-onze  ans  :  son  corps  fut  déposé  dans  l'église 
de  Saint-Laurent ,  in  Panis-perna  ,  qui  appartenait  aux  Cla- 
risses.  Boniface  IX  la  canonisa  le  7  octobre  1391  ,  et ,  quatre 
ans  après  ,  le  pape  Martin  V  confirma  sa  canonisation. 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  BRIGITE, 

TIRÉ  DE  SES  RÉVÉLATIONS  CÉLESTES  ET  DIVINES. 

DU  4e  LIVRE. 

D'une  vision  touchant  une  âme  qui  devait  être  jugée. —  Des  accusations 
du  démon.  —  De  la  défense  que  prend  la  sainte  Vierge.  —  De  l'ex- 
plication de  celte  vision. 

c  Une  certaine  personne  ,  veillant  en  oraison  ,  voyait  en 
esprit  un  palais  d'une  grandeur  inexprimable,  dans  lequel  était 
une  innombrable  multitude  d'hommes  couverts  de  vêtements 
blancs  et  éclatants,  et  chacun  d'eux  semblait  avoir  un  siège 
propre.  En  ce  palais  il  y  avait  principalement  un  siège  signalé, 
comme  un  soleil ,  pour  juge  ,  et  la  splendeur  qui  sortait  et 
brillait  du  soleil  était  incompréhensible  en  longueur,  largeur 
et  profondeur. 

Une  Vierge  aussi  était  debout  auprès  du  siège  ,  ayant  sa 
tête  entourée  d'une  couronne.  Tous  servaient  celui  qui  était 
assis  au. siège,  le  louant  par  des  hymnes  et  des  cantiques. 

Après  on  voyait  un  Ethiopien  (1)  terrible  à  voir,  qui  en  ses 
gestes  marquait  être  plein  d'envie  et  allumé  d'une  grande  co- 
lère ,  qui  s'écriait,  disant  :  0  Juge ,  procédez  au  jugement  de 
cette  àme  ;  écoutez  et  voyez  ses  œuvres  ,  car  il  lui  reste  peu  à 

(1)  Figure  qui  représente  la  noirceur  du  génie  du  mal ,  du  démon. 


2 1 2  ESPRIT 

vivre.  Permettez-moi  aussi  de  punir  le  corps  avec  l'âme  jus- 
qu'à ce  que  la  séparation  en  soit  faite.  Ce  qu'ayant  été  dit ,  il 
me  semblait  qu'un  ange  était  devant  le  siège  comme  un  sol- 
dat armé ,  pudique  et  sage  en  ses  paroles  et  modeste  en  ses 
actions  ,  qui  disait  :  0  Juge ,  voici  les  bonnes  œuvres  qu'il  a 
faites  jusqu'à  cette  heure. 

Et  soudain  on  entendit  une  voix  sortant  du  soleil  du  siège, 
disant  :  Il  y  a  là  plus  de  vices  que  de  vertus  ;  il  n'est  pas 
juste  et  convenable  que  le  vice  soit  conjoint  à  la  souveraine 
vertu. 

L'Ethiopien  répondit  :  Il  est  donc  juste  que  cette  âme  soit 
conjointe  à  moi;  car  comme  elle  a  quelque  vice  en  elle,  de 
même  en  moi  il  y  a  toute  sorte  de  méchanceté. 

Le  soldat  répondit  :  La  miséricorde  de  Dieu  suit  toute 
sorte  de  personnes  jusques  à  la  mort ,  voire  jusques  au  der- 
nier période  de  la  vie  ,  et  ensuite  le  jugement  se  fait  :  en 
l'homme,  duquel  il  est  maintenant  question,  l'âme  et  le  corps 
sont  encore  conjoints  ensemble,  et  la  discrétion  et  la  raison 
est  encore  entièrement  à  lui. 

L'Ethiopien  répondit  :  L'Écriture ,  qui  ne  peut  mentir  , 
dit  :  Vous  aimerez  Dieu  sur  toutes  choses  ,  et  votre  prochain 
comme  vous-même.  Voyez  donc  que  toutes  les  œuvres  de  celui- 
ci  sont  faites  par  l'esprit  de  crainte  et  non  par  l'amour,  comme 
il  devait  ;  et  tous  les  péchés  dont  il  s'est  confessé  ,  vous  trou- 
verez qu'il  ne  s'en  est  confessé  qu'avec  une  petite  contrition. 
C'est  pourquoi  il  mérite  l'enfer,  car  il  a  démérité  le  paradis. 
Et  partant  ses  péchés  sont  ici  manifestés  devant  la  justice 
divine,  car  il  n'a  jamais  obtenu  de  la  divine  charité  la  con- 
trition des  péchés  qu'il  a  commis. 

Le  soldat  répondit  :  Il  a  certainement  espéré  d'obtenir  la 
contrition  avant  de  mourir. 

L'Ethiopien  répliqua:  Vous  avez,  dit-il,  amassé  tout  ce 
qu'il  a  fait  de  bien  ,  vous  connaissez  si  toutes  ses  paroles 
pieuses  profitent  à  son  salut  ;  toutes  ces  choses,  quelles 
qu'elles  soient ,  ne  sauraient  entrer  en  comparaison  avec   la 


DE  SAINTE  BIUGITE.  213 

grâce  qui  est  appelée  contrition  ,  qui  sort  de  la  charité  avec 
la  foi  et  l'espérance  laquelle  il  n'a  pas.  Partant ,  tout  cela  ne 
saurait  effacer  ses  péchés ,  car  la  justice  est  en  Dieu  de  toute 
éternité  ,  qui  veut  qu'aucun  n'entre  au  ciel ,  qui  n'aura  eu 
la  parfaite  contrition.  Il  est  donc  impossible  que  Dieu  juge 
contre  l'ordre  et  la  disposition  qu'il  en  a  prévu  de  toute 
éternité  :  donc  il  faut  que  cette  âme  soit  adjugée  à  l'enfer  et 
la  joindre  avec  moi  aux  peines  éternelles.  Ces  choses  étant 
dites  et  représentées  ,  le  soldat  ne  sut  que  dire  à  ces  paroles. 

Après  ceci  ,  on  vit  un  nombre  innombrable  de  démons  , 
semblables  à  des  étincelles  courantes  d'un  grand  feu  excité  , 
et  qui  criaient  tout  d'une  voix  ,  disant  à  celui  qui  était  assis 
au  trône  comme  un  soleil  :  Nous  savons  que  vous  êtes  un 
Dieu  en  trois  personnes,  que  vous  êtes  sans  commencement 
ni  fin.  (  Suit  la  profession  des  démons  qui  croient  tout,  malgré 
eux.  )  Puis ,  il  est  dit  :  Nous  disons  bien  davantage  :  si  ce 
que  vous  aimez  par  dessus  tout  qui  est  la  sainte  Vierge  qui 
vous  a  enfanté  ,  qui  n'a  jamais  péché  ,  si  elle  eût  offensé  Dieu 
mortellement  et  qu'elle  fût  morte  sans  contrition  divine,  vous 
aimez  tellement  la  justice,  qu'elle  n'eût  jamais  obtenu  le 
ciel  ;  mais  elle  serait  avec  nous  dans  l'enfer.  Pourquoi  donc  , 
ô  Juge  ,  ne  nous  adjugez-vous  pas  celle  âme,  afin  que  nous 
la  punissions  selon  ses  œuvres? 

Après  on  entendit  un  son  comme  celui  d'une  trompette,  et 
tous  ceux  qui  l'entendirent  se  lurent ,  et  soudain  une  voix 
leur  disait  :  Silence  !  écoutez  ,  ô  vous  ,  anges ,  âmes  et  dé- 
mons ,  écoutez  ce  que  la  Mère  de  Dieu  dit.  Et  à  l'instant  la 
Mère  de  Dieu  ,  paraissant  devant  le  siège  du  Juge  et  ayant 
sous  son  manteau  comme  quelques  choses  grandes  et  cachées, 
dit  :  O  ennemis ,  vous  poursuivez  la  miséricorde  et  aimez  la 
justice  sans  amour  :  bien  qu'en  ses  bonnes  œuvres  il  y  appa- 
raisse du  défaut  pour  lesquelles  l'âme  doive  obtenir  le  ciel , 
voyez  néanmoins  ce  que  j'ai  sous  mon  manteau.  La  sainte 
Vierge  ayant  ouvert  les  deux  côtés  de  son  manteau,  d'un  côté 
apparut  comme  une  petite  église  où  on  voyait  quelques  reli- 


'1 1  4  ESPRIT 

gieux  ;  en  l'autre  côté  apparurent  des  femmes  et  des  hom- 
mes amis  de  Dieu  ,  religieux  et  autres  qui  criaient  d'une  voix 
touchante,  disant  :  Miséricorde!  ô  Dieu  miséricordieux!  Et 
puis  on  fit  un  grand  silence,  et  la  sainte  Vierge  parlait  ,  di- 
sant :  L'Écriture  rapporte  ,  que  celui  qui  a  la  foi  parfaite  peut 
transférer  des  montagnes.  Qu'est-ce  donc  que  ces  voix  des 
justes  qui  ont  eu  l'amour  doivent  et  peuvent  faire  ?  Qu'est- 
ce  que  les  amis  de  Dieu  feront  pour  celte  âme  qui  les  a  priés 
d'implorer  Dieu  pour  elle ,  afin  qu'elle  put  éviter  l'enfer  et 
ohlenir  le  ciel  ;  qui  n'a  jamais  cherché  autre  récompense  de 
ses  bonnes  œuvres  que  le  ciel  ?  Eh  quoi  !  toutes  les  larmes 
et  les  prières  de  tous  ces  Saints  ne  pourraient-elles  pas  lui 
obtenir  avant  sa  mort  la  vraie  contrition  avec  l'amour  ?  D'ail- 
leurs ,  j'ajouterai  mes  prières  aux  oraisons  de  tous  les  Saints 
qui  sont  au  ciel  et  que  cette  âme  avait  en  singulière  recom- 
mandation et  honneur  spécial.  — Et  derechef  la  sainte  Vierge 
dit  :  O  démons  !  je  vous  commande  en  la  puissance  du  juge 
d'être  attentifs  à  ce  que  vous  voyez  maintenant  en  la  justice. 

Alors  tous  répondirent  comme  d'une  bouche  :  Nous  voyons, 
dirent-ils ,  qu'au  monde  il  y  a  un  peu  d'eau  et  force  air  ;  on 
apaise  la  colère  de  Dieu  ,  et  même  par  votre  oraison  on  ob- 
tient la  miséricorde  avec  l'amour. 

Et  de  suite  on  entendit  une  voix  solennelle ,  sortant  du 
soleil  du  siège,  disant  :  Pour  les  prières  de  mes  amis,  celui- 
là  obtiendra  avant  de  mourir  la  contrition  divine  ,  de  sorte 
qu'il  ne  descendra  pas  dans  l'enfer  ,  mais  il  sera  purifié  avec 
ceux  qui,  ayant  commis  de  grands  péchés,  endurent  une 
grande  peine  dans  le  purgatoire ,  et  cette  âme  étant  purifiée  , 
elle  aura  la  récompense  au  ciel  avec  ceux  qui  ont  eu,  en  terre, 
la  foi  et  l'espérance  avec  quelque  petite  charité.  Ces  choses 
étant  dites,  les  démons  s'enfuirent. 

Explication  de  la  vision  : 

Le  palais  est  le  ciel  ;  la  multitude  assise  et  portant  des  vê- 
tements blancs  sont  les  anges  et  les  saints  ;  le  soleil  signifie 
Jésus-Christ  en  sa  divinité  ;  la  femme  ,  la  sainte  Vierge  qui 


DE  SAINTE  BRIG1TE.  215 

a  enfanté  Jésus-Christ  ;  l'Ethiopien ,  le  démon  qui  accuse 
l'àine  ;  le  soldat ,  l'Ange  gardien  qui  l'excuse  ;  la  fournaise , 
l'enfer  qui  brûle  ,  etc.  » 

Cette  vision  sert  à  donner  une  haute  idée  de  la  protection 
de  la  très-sainte  Yierge ,  de  la  puissance  de  l'intercession  des 
Saints  et  du  ministère  de  l'Ange  gardien. 

Prière  que  fait  sainte  Brigite  a  Dieu  son  e'poux. 

«  Béni  soyez-vous  ,  ô  mon  Créateur  et  mon  Rédempteur  ; 
ne  vous  indignez  pas  si  je  vous  parle  comme  celui  qui ,  étant 
malade  ,  parle  à  son  médecin,  comme  l'affligé  parle  à  son 
consolateur,  et  comme  le  pauvre  à  celui  qui  est  riche  et  dans 
l'abondance  ;  car  celui  qui  est  malade  et  blessé  dit:  O  méde- 
cin ,  ne  m'abandonnez  pas  ,  car  vous  êtes  mon  frère  !  ô  très- 
bon  consolateur  ,  ne  me  délaissez  pas,  car  je  suis  affligé  ; 
mais  donnez  repos  à  mon  cœur  et  consolation  à  mes  sens  !  Et 
le  pauvre  parle  en  ces  termes  :  O  vous  qui  êtes  riche,  et  qui 
n'avez  besoin  de  rien  ,  regardez  sur  moi,  car  je  me  meurs  de 
faim  ;  voyez  que  je  suis  tout  nu,  et  donnez-moi  des  vêtements, 
desquels  je  puisse  m'échauffer.  De  même  je  vous  en  dis  ,  ô 
Seigneur  très-bon  et  très-puissant;  je  considère  les  plaies  de 
mes  péchés,  desquelles  je  suis  blessée  dès  mon  enfance,  et 
je  me  lamente  d'avoir  inutilement  employé  mon  temps;  mes 
forces  ne  suffisent  pas  aux  travaux  de  la  pénitence,  car  elles 
ont  été  épuisées  en  vanités.  Partant ,  vous  qui  êtes  la  fontaine 
de  toute  bonté  et  miséricorde  ,  je  vous  supplie  d'avoir  misé- 
ricorde de  moi  ;  touchez  mon  cœur  de  la  main  de  votre  di- 
lection  ,  car  vous  êtes  un  très-bon  médecin  ,  et  consolez  mon 
âme  puisque  vous  êtes  un  bon  consolateur.  » 

La  mère  de  Dieu  lui  parle  du  cœur  très-doux  de  son  Fils. 

«  La  Mère  de  Dieu  parle,  disant  :  Le  cœur  de  mon  Fils  est 
très-suave  comme  le  miel ,  et  très-pur  comme  la  plus  pure 


21G  ESPRIT 

fontaine  ,  car  toutes  les  bontés  et  les  beautés  éparses  en  cet 
univers  procèdent  de  lui  comme  de  sa  source  ,  et  lui  est  très- 
doux.  En  vérité  ,  qu'est-ce  qui  est  plus  doux  pour  un  homme 
bien  sensé  que  de  considérer  en  nous  l'amour  de  Dieu  en  la 
création  ,  rédemption ,  travaux  et  doctrine  ,  en  sa  grâce  et  sa 
patience  invincible?  Car  sa  charité  ne  coule  pas  et  ne  passe 
pas  comme  l'eau  ,  mais  elle  se  répand  au  loin  et  se  perpétue  , 
d'autant  que  son  amour  qui  vient  de  l'éternité,  demeure  avec 
l'homme  jusqu'au  dernier  période  de  sa  vie.  Que  si  le  pécheur 
était  aux  portes  de  sa  totale  ruine  et  perdition  ,  et  qu'il  criât 
de  là  avec  volonté  de  s'amender  ,  il  en  serait  sans  doute  af- 
franchi ;  d'ailleurs ,  pour  parvenir  au  cœur  de  Dieu  ,  il  y  a 
deux  voies  :  la  première  ,  c'est  l'humilité  d'une  vraie  contri- 
tion ,  et  celle-ci  induit  et  introduit  Fhomme  dans  le  cœur  de 
Dieu  et  dans  ses  colloques  spirituels  ;  la  deuxième  voie  est  la 
considération  de  la  Passion  de  mon  Fils  qui  chasse  l'endur- 
cissement du  cœur  de  l'homme  et  le  fait  courir  joyeusement 
au  cœur  de  Dieu.  » 

Noire-Seigneur  la  prémunit  coulre  l'orgueil. 

«  Le  Fils  de  l'Éternel  dit  ceci  à  son  épouse  sainte  Brigite  : 
Ne  vous  troublez  pas  de  la  superbe  de  ces  gens-là,  car  elle  pas- 
sera soudain  ;  il  y  a  une  certaine  espèce  de  mouche  qui  est  ap- 
pelée papillon;  il  a  les  ailes  larges  et  le  corps  fort  petit  ,  il  a 
plusieurs  couleurs,  il  vole  fort  haut  à  raison  de  sa  légèreté  et 
subtilité;  mais  montant  en  l'air,  à  cause  de  sa  petite  force,  il 
tombe  soudain  sur  des  rochers  ou  sur  des  bois.  Cette  espèce 
de  mouche  signifie  les  orgueilleux  qui  ont  les  ailes  larges  et 
un  petit  corps ,  d'autant  que  leur  esprit  s'enfle  de  superbe 
comme  une  peau  enflée  de  vent  ;  ils  croient  aussi  avoir  toutes 
choses  en  considération  de  leur  propre  mérite  et  se  préfèrent 
aux  autres  ,  croyant  qu'ils  sont  plus  dignes  qu'eux  ;  en  sorte 
que  s'ils  pouvaient ,  ils  étendraient  leur  nom  par  tout  l'uni- 
vers ;  mais  leur  vie  étant  courte  ,  rapide  et  comme  un  point , 


DE  SAINTE  BRIGITE.  217 

lorsqu'ils  y  pensent  le  moins  ils  tombent.  Ils  ont  plusieurs 
couleurs  comme  le  papillon  ,  car  ils  s'enorgueillissent  de  la 
beauté  de  leurs  membres,  de  leurs  biens  ,  de  leur  sang  ,  de 
leur  race ,  et  changent  tous  les  jours  d'état  selon  les  inven- 
tions de  leur  orgueil  ;  mais  quand  ils  meurent ,  ils  ne  sont 
que  cendre  et  poussière  ;  et  quand  les  superbes  sont  montés 
au  plus  haut  point  de  leur  orgueil ,  voilà  qu'en  un  moment  ils 
tombent  et  avec  un  grand  péril  dans  les  abîmes  de  la  mort. 
C'est  pourquoi ,  ô  ma  Fille ,  donnez-vous  garde  de  l'orgueil , 
parce  qu'il  ôte  les  hommes  de  la  présence  de  Dieu  ,  et  que 
ma  grâce  n'entre  point  en  l'âme  ,  lorsque  l'orgueil  la  pos- 
sède. » 

Combien  la  simplicité  est  agréable  à  Dieu. 

Un  certain  homme  ne  savait  pas  à  grand'peine  le  Pater 
woster  ;  il  demanda  un  conseil  pour  son  âme  à  sainte  Brigite, 
à  laquelle  le  Seigneur  dit  :  «  Plus  me  plaît  la  simplicité  de  ce 
pauvre  homme  simple  que  la  prudence  des  superbes,  d'au- 
tant que  leur  superbe  les  éloigne  de  Dieu ,  et  en  celui-ci  l'hu- 
milité introduit  Dieu  dans  son  cœur  :  partant  dites-lui  qu'il 
continue  comme  il  a  fait,  et  il  aura  la  récompense  avec  ceux 
desquels  j'ai  dit  :  Venez  ,  vous  qui  avez  souffert  et  gémi  sous 
le  poids  du  travail ,  et  je  vous  soulagerai ,  et  je  vous  rassasie- 
rai d'un  pain  éternel;  car  si  je  lui  dis  comme  je  dis  à  Judas  , 
quand  il  me  demandait  conseil  trompeusement  :  Gardez  les 
commandements  et  vendez  ce  que  vous  avez,  il  ne  pourra  le 
souffrir,  d'autant  que  la  vieillesse  fuit  la  réforme,  et  la  pau- 
vreté n'a  rien  à  vendre.  Néanmoins  les  commandements  de 
Dieu  sont  nécessaires  à  ceux  qui  tendent  à  la  vie  éternelle ,  car 
sans  eux  l'homme  ne  peut  être  sauvé,  s'il  peut  en  être  ins- 
truit ;  mais  quant  à  la  docte  folie  de  cet  homme  et  à  sa  bonne 
volonté ,  elles  me  plaisent  en  quelque  sorte  comme  les  deux 
deniers  de  la  veuve  que  j'ai  préférés  aux  présents  des  rois  ; 
car  en  sa  folie  il  y  a  toute  la  sagesse ,  et  il  m'aime  de  tout 


-2 1 8  ESPRIT 

son  cœur;  mais  d'où  vient  cet  amour  sinon  de  mon  esprit? 
Et  ceci  semble  aux  sages  du  monde  folie  de  n'aimer  pas  les 
richesses  et  de  ne  savoir  parler  de  grandes  choses  ;  c'est  pour 
cela  que  je  l'appelle  docte  folie ,  puisqu'il  puise  de  moi  la  sa- 
gesse qui  consiste  à  aimer  Dieu.  Ne  vous  semble-t-il  pas  sage 
quiconque  ne  sait  que  cette  parole  ,  aimer  ?  Oui ,  sans  doute, 
car  par  cette  dilection  il  garde  tous  les  commandements  de 
Moïse;  par  elle  il  donne  à  Dieu  tout  ce  qu'il  faut  lui  donner; 
par  elle  il  garde  tous  les  conseils  ;  par  elle  il  garde  tout  le 
droit  et  toutes  les  lois  ;  par  elle  il  aime  son  prochain ,  ne  dé- 
sirant point  le  bien  d' autrui  et  ne  trompant  personne  ;  par 
elle  il  se  souvient  incessamment  de  la  mort  et  du  jugement 
dont  je  le  dois  juger.  Ainsi  donc  ,  celui  qui  veut  venir  à  moi 
ne  se  doit  pas  inquiéter  de  l'ignorance  de  la  loi ,  pourvu  qu'il 
veuille  se  servir  de  sa  conscience,  qui  dit  :  qui  est-ce  qui 
veut  souffrir  ce  qu'il  voudrait  faire  à  autrui  ?  Car  ,  à  quoi  bon 
l'homme  feuillette-t-il  tant  et  tant  de  livres  ?  Est-ce  pour  me 
servir?  N'est-ce  pas  plutôt  pour  sa  curiosité,  ostentation  et 
pour  être  appelé  docte  ?  Véritablement  chacun  fait  en  sa  cons- 
cience ,  et  chacun  est  jugé  par  elle.  C'est  pourquoi ,  ma  fille, 
celui  qui  dit  d'une  foi  parfaite  et  d'une  bonne  volonté  ces  trois 
paroles  :  Jésus ,  ayez  miséricorde  de  moi,  me  plaît  plus  que 
celui  qui  dira  cent  versets  sans  attention.  » 

RÉVÉLATION  DE  LA  MÈRE  DE  DIEU  A  SAINTE  BRIG1TE, 

Touchant  les  divers  mystères  de  sa  vie. 


Touchant  sa  conception. 

La  Mère  de  Dieu  dit  :  «  Quand  mon  père  et  ma  mère  s'uni- 
rent par  le  lien  du  mariage  ,  l'obéissance  eut  plus  de  pouvoir 
que  la  volonté,  et  plus  opéra  la  charité  divine  que  la  volupté 
charnelle;  et  l'heure  en  laquelle  je  fus  conçue  se  peut  bien 


DE  SAINTE  BRIGITE.  210 

appeler  dorée  et  précieuse ,  d'autant  que  les  autres  mariés 
s'unissent  par  volupté  sensuelle,  et  mes  parents  par  obéis- 
sance et  par  commandement  divin  :  ma  conception  a  donc 
été  à  bon  droit  dorée;  car  alors  le  principe  de  salut  prit  en 
quelque  manière  son  commencement,  et  les  ténèbres  s'allaient 
rendre  à  la  lumière,  car  Dieu  a  voulu  faire  en  son  œuvre  une 
chose  rare  et  signalée  qui  a  été  cachée  aux  enfants  du  siècle  , 
comme  il  fit  jadis  de  la  verge  florissante.  Mais  sachez  que  ma 
conception  n'a  pas  été  connue  de  tous;  car  Dieu  a  voulu  que 
comme  devant  la  loi  écrite  la  loi  naturelle  précédât,  et  l'élec- 
tion libre  du  bien  et  du  mal,  et  qu'après  la  loi  écrite  vînt  la  loi 
de  grâce,  qui  retiendrait  le  frein  à  tous  les  mouvements  effré- 
nés ;  de  même  il  a  plu  à  Dieu  que  ses  amis  aient  douté  pieu- 
sement de  ma  conception  ,  afin  qu'un  chacun  montrât  son 
zèle  jusqu'à  ce  que  la  vérité  parût  au  temps  que  la  Sagesse 
éternelle  avait  ordonné. 

Sur  sa  nativité. 

La  sainte  Vierge  Marie  parle  :  «  Quand  ma  mère  m'a  en- 
gendrée ,  je  suis  née  à  la  façon  commune  ;  car  aucun  ne  doit 
naître  par  autre  manière  ,  excepté  Jésus-Christ  qui,  étant  le 
Créateur  de  tout  le  monde ,  a  voulu  naître  admirablement 
d'une  manière  toute  ineffable.  Mais  quand  je  fus  née  ,  les  dé- 
mons le  surent  et  pensaient  en  eux-mêmes  :  voici  qu'une 
vierge  sans  tache  est  née,  qu'est-ce  que  nous  ferons  ?  car  il  ar- 
rivera en  elle  quelque  chose  de  grand.  Si  nous  lui  appliquons 
tous  les  filets  des  finesses  de  notre  malice ,  elle  les  rompra 
comme  des  étoupes  :  si  nous  regardons  son  intérieur  ,  nous 
la  trouverons  grandement  munie  ,  et  nous  ne  pourrons  trou- 
ver en  elle  souillure  aucune  où  on  puisse  mettre  la  pointe  du 
péché.  C'est  pourquoi  il  est  à  craindre  que  sa  pureté  nous 
donnera  de  la  peine,  sa  grâce  dissipera  toute  notre  force  ,  sa 
constance  nous  foulera  aux  pieds. 


2:20  esprit 

Or  les  amis  de  Dieu ,  qui  attendaient  depuis  longtemps , 
disaient ,  Dieu  le  leur  inspirant  : 

Pourquoi  nous  affligerons-nous  davantage  ?  Il  faut  plutôt 
nous  réjouir ,  car  la  lumière  qui  illuminera  nos  ténèbres  est 
née,  nos  désirs  sont  accomplis. 

Les  Anges  se  réjouissaient  aussi-bien  ,  quoique  leur  joie 
fût  toujours  en  la  vision  divine ,  disant  : 

Quelque  chose  désirable  est  né  en  la  terre  et  une  merveille 
d'amour  s'est  opérée  par  laquelle  la  paix  du  ciel  et  de  la  terre 
sera  affermie  et  nos  ruines  seront  rétablies. 

De  vrai ,  ma  Fille,  je  vous  dis  que  ma  naissance  fut  le  com- 
mencement des  joies;  car  alors  a  paru  cette  verge  dont  s'est 
éclose  la  fleur  que  les  rois  et  les  prophètes  désiraient  voir. 
Après  que  j'ai  été  plus  âgée  et  que  j'ai  pu  comprendre  mon 
Créateur,  j'ai  été  intimement  touchée  d'un  amour  indicible 
et  désirais  Dieu  de  tout  mon  cœur  :  j'ai  été  aussi  conservée 
d'une  grâce  admirable ,  en  sorte  qu'en  mes  jeunes  et  tendres 
années  je  ne  consentais  jamais  au  péché ,  d'autant  que  l'amour 
de  Dieu  ,  le  soin  de  mes  parents  ,  la  solitude  et  l'honnête  édu- 
cation me  conservaient  les  faveurs  du  ciel,  et  la  ferveur  de 
connaître  Dieu  éminemment  persévérait  en  moi. 

Or ,  maintenant,  je  me  plains  que  les  femmes  qui  sont  en- 
gendrées et  qui  engendrent  avec  horreur,  naissent  avec  im- 
mondice ,  se  plaisent  en  cette  corruption  et  ne  considèrent  pas 
la  pureté  de  ma  naissance;  mais  elles  sont  semblables  aux 
animaux,  car  elles  vivent  sans  raison  et  ne  vivent  véritable- 
ment que  selon  la  chair.  C'est  pourquoi  leur  volupté  passera, 
l'esprit  de  pureté  se  retirera  ,  les  joies  éternelles  s'enfuiront 
d'elles  ,  et  l'esprit  d'impureté  qu'elles  suivent  les  enivrera  et 
fera  leur  tourment.  » 

Sur  sa  Visitation. 

La  Mère  de  Dieu  dit  à  sainte  Brigite  :  «  Quand  l'Ange  m'an- 
nonçait que  le  Fils  de  Dieu  naîtrait  de  moi ,  soudain  que  j'eus 


DE  SAINTE  BRIGITE.  221 

consenti ,  je  ressentis  en  moi  quelque  chose  d'admirable  et 
de  non  accoutumé;  et  partant ,  admirant  cela,  tout  à  coup  je 
montai  vers  sainte  Elisabeth  ma  cousine,  qui  était  enceinte  , 
afin  de  la  consoler  et  conférer  avec  elle  de  ce  que  l'Ange  m'a- 
vait dit.  Mais  elle  m'étant  venue  au-devant  auprès  d'une  fon- 
taine ,  et  nous  étant  baisées  et  embrassées  ,  son  enfant  se  ré- 
jouit dans  son  sein  d'une  manière  admirable,  et  je  fus  alors 
touchée  en  mon  cœur  d'un  nouveau  ressentiment  de  joie,  de 
sorte  que  ma  langue  proférait  des  paroles  de  Dieu  incompré- 
hensibles, et  à  grand'peine  mon  âme  les  comprenait-elle, 
tant  elle  était  dans  l'ivresse  de  la  joie. 

Or,  Elisabeth  admirant  la  ferveur  de  l'esprit  qui  parlait  en 
moi ,  et  moi-même  admirant  semblablement  en  elle  la  grâce 
de  Dieu ,  nous  demeurâmes  quelques  jours  ensemble  le  bé- 
nissant de  concert. 

Après  cela,  une  pensée  commença  à  solliciter  mon  esprit , 
pour  savoir  avec  quelle  dévotion  et  comment  je  me  devais  con- 
duire après  avoir  reçu  une  si  grande  grâce.  Qu'est-ce  que  je 
devais  répondre  â  ceux  qui  me  demanderaient  comment  j'avais 
conçu  ou  qui  était  le  père  de  l'enfant  qui  devait  naître ,  ou  ce 
que  je  dirais  à  Joseph  si  l'ennemi  le  tentait  et  entrait  en  soup- 
çon de  moi.  Pendant  que  ces  pensées  roulaient  en  mon  esprit, 
un  ange  non  dissemblable  à  celui  qui  m'avait  apparu  aupara- 
vant ,  me  dit  :  Notre  Dieu  qui  est  éternel ,  est  avec  vous  et  en 
vous;  ne  -craignez  donc  pas  ,  car  lui  vous  donnera  la  grâce  de 
parler  ;  il  dirigera  vos  pas  et  vos  lieux,  il  parfaira  son  œuvre 
avec  vous  puissamment  et  sagement.  Or,  Joseph  à  qui  vous 
êtes  recommandée,  quand  il  entendra  que  vous  êtes  enceinte, 
il  admirera  et  se  répulera  indigne  de  cohabiter  avec  vous. 

Et  étant  en  anxiété  ,  ne  sachant  ce  qu'il  fallait  faire ,  l'Ange 
lui  dit ,  en  dormant  :  Ne  vous  retirez  pas  de  la  Vierge  qui 
vous  est  recommandée;  car,  comme  vous  l'avez  ouï  d'elle, 
ainsi  est-il.  Elle  a  conçu  de  l'esprit  de  Dieu  et  enfantera  un 
fils  qui  sera  le  Sauveur  du  monde.  Servez-la  donc  fidèlement 
et  soyez  témoin  et  gardien  de  sa  pudicité. 


Î~H  ESPRIT 

Depuis  ce  jour-là  Joseph  me  servit  comme  sa  maîtresse, 
et  moi  je  m'humiliais  aux  plus  petites  de  ses  œuvres.  Après 
j'étais  en  continuelle  oraison  ,  étant  rarement  vue ,  et  voyant 
rarement,  et  sortant  plus  rarement  encore  ,  si  ce  n'était  aux 
fêtes  principales.  J'étais  fort  attentive  aux  vigiles  et  leçons 
que  nos  prêtres  disaient,  ayant  quelque  temps  destiné  aux 
œuvres  manuelles  :  je  fus  discrète  au  jeûne  ,  selon  que  ma 
nature  le  pouvait  supporter  pour  le  service  de  Dieu.  Tout  ce 
qui  nous  était  de  superflu  ,  nous  le  donnions  aux  pauvres , 
contents  de  ce  que  nous  avions;  mais  Joseph  me  servit  si  fidè- 
lement, qu'on  n'entendit  jamais  de  sa  bouche  aucune  parole 
de  cajolerie  :  jamais  murmure  ,  jamais  courroux  ,  car  il  était 
très-patient  en  sa  pauvreté ,  soigneux  en  son  travail ,  doux  à 
ceux  qu'il  reprenait  quand  il  était  nécessaire,  obéissant  à  mon 
service ,  prompt  défenseur  de  ma  virginité  ,  très-fidèle  té- 
moin des  merveilles  de  Dieu  :  il  était  aussi  tellement  mort  au 
monde  et  à  la  chair,  qu'il  ne  désirait  que  les  choses  célestes  : 
il  était  si  croyant  aux  promesses  de  Dieu  ,  qu'il  disait  inces- 
samment :  Plût  à  Dieu  que  je  vive  et  que  je  voie  les  volontés 
de  Dieu  accomplies!  Car  rarement  allait-il  aux  assemblées  des 
hommes  et  à  leurs  conseils,  tant  son  désir  était  d'obéir  aux 
volontés  divines.  C'est  pourquoi  sa  gloire  est  grande  mainte- 
nant. » 

De  la  manière  de  l'enfantement  de  la  très-sainte  \ ierge  (1). 

«  Lorsque  moi  Brigite  étais  en  Bethléem  ,  je  vis  une  Yierge 
enceinte  ,  revêtue  d'un  blanc  manteau  et  d'une  subtile  et  fine 
tunique,  et  avec  elle  un  honnête  vieillard.  La  Vierge  était 
prête  à  enfanter,  et  étant  entré  dans  une  caverne,  le  vieillard 
ayant  lié  le  bœuf  et  l'âne  qui  s'y  trouvaient,  à  la  crèche, 
porta  une  lumière  à  la  sainte  Yierge  et  la  plaça  en  la  mu- 

(1)  ]Sous  avons  cru  devoir  placer  ici  cel  article ,  quoiqu'il  soit  plus  loin  dans 
les  œuvres  de  sainte  Brigite.  L'ordre  et  l'intérêt  des  lecteurs  nous  ont  semblé 
l'exiger. 


DE  SAINTE  BRIGITE.  223 

raille ,  et  il  s'écarta  un  peu  de  la  sainte  Vierge  pendant 
qu'elle  enfanterait. 

Cette  Vierge  donc  déchaussa  ses  souliers ,  et  laissa  son 
blanc  manteau ,  et  ôta  le  voile  de  sa  tête  et  le  mit  auprès 
d'elle,  et  ses  cheveux  beaux  à  merveille  comme  des  fleurs 
éparpillées  sur  sa  tunique  flottaient  sur  ses  épaules.  Elle  tira 
alors  de  son  sein  deux  linges  de  fin  lin  ,  et  deux  autres  de 
laine  très-blanche  et  très-pure ,  pour  envelopper  l'enfant  ;  et 
elle  en  portait  encore  deux  autres  petits  de  lin  pour  le  couvrir 
et  lui  lier  la  tète,  et  elle  les  mit  auprès  d'elle  pour  en  user  à 
temps  et  à  saison.  Or,  toutes  choses  étant  ainsi  prêtes  ,  la 
sainte  Vierge  ayant  fléchi  le  genou  ,  se  mit  avec  une  grande 
révérence  en  oraison  et  tenait  le  corps  contre  la  crèche  et  la 
face  levée  vers  le  ciel ,  vers  l'Orient  ;  et  ayant  tenu  les  yeux 
fixés  au  ciel  elle  était  en  extase ,  suspendue  en  une  haute  et 
sublime  contemplation  ,  enivrée  des  torrents  de  la  divine  dou- 
ceur ;  et  étant  de  telle  sorte  en  oraison,  je  vis  le  petit  enfant 
se  mouvoir  dans  son  sein  et  naître  en  un  moment  :  duquel  il 
sortait  un  si  grand  et  ineffable  éclat  de  lumière,  que  le  so- 
leil ne  lui  était  en  rien  comparable  ,  ni  l'éclat  de  la  lumière 
que  le  bon  vieillard  avait  mise  à  la  muraille  ;  car  la  splendeur 
divine  de  cet  enfant  avait  anéanti  sa  clarté  ,  et  la  manière  de 
l'enfantement  fut  si  subtile ,  si  prompte ,  que  je  ne  pus  con- 
naître et  discerner  comment  et  en  quelle  manière  il  se  faisait. 
Je  vis  incontinent  ce  glorieux  enfant  gisant  en  terre,  nu,  et 
pur,  et  dont  la  chair  était  très-belle.  J'entendis  aussi  les 
chants  mélodieux  des  anges.  Or  la  Vierge  sentant  qu'elle  avait 
enfanté  ,  ayant  abaissé  sa  tête  ,  joignit  ses  mains  ,  adora  l'en- 
fant avec  une  grande  révérence  et  lui  dit  :  0  mon  Dieu  et 
mon  Seigneur .  soyez  le  très-bien  venu  !  Et  alors  l'enfant 
pleurant  et  comme  tremblotant  de  froid  ,  et  de  la  dureté  du 
pavé  où  il  gisait,  s'émouvait  un  peu,  étendait  ses  bras, 
cherchant  quelque  soulagement  et  la  faveur  de  sa  mère.  Et  la 
mère  le  prit  alors  entre  ses  mains  et  le  serra  en  son  sein  et 
réchauffait  sur  sa  poitrine  avec  des  joies  indicibles  et  d'une 


224  ESPRIT 

tendre  et  maternelle  compassion.  Et  ensuite  elle  l'enveloppa 
de  lin  et  de  laine  ,  et  avec  des  langes  et  des  liens  elle  serra  le 
petit  corps  avec  un  bandeau  qui  était  en  quatre  lieux  à  la 
partie  du  drap  de  linge ,  et  après  elle  lui  lia  la  tête.  Ces  cho- 
ses étant  accomplies,  le  vieillard  entra,  et  se  prosternant  à 
deux  genoux,  adorant  l'enfant,  il  pleurait  de  joie;  la  sainte 
Vierge  ne  changea  pas  de  couleur  en  cet  enfantement  ;  elle 
ne  fut  point  malade ,  ni  aussi  les  forces  corporelles  ne  lui 
diminuèrent  point  comme  il  arrive  chez  les  autres  femmes.  Il 
n'y  parut  autre  chose  sinon  que  ses  flancs  se  retirèrent  à  la 
première  consistance  en  laquelle  ils  étaient  avant  qu'elle  con- 
çût. Après  elle  se  leva  ayant  son  cher  enfant  entre  les  bras  , 
et  saint  Joseph  et  elle  le  mirent  en  la  crèche  et  l'adorèrent  de 
nouveau  à  genoux  avec  des  joies  inexprimables.  » 

Sur  sa  purification. 

La  sainte  Vierge  Marie  dit  à  l'épouse  (sainte  Brigite)  : 
«  Ma  fille ,  sachez  que  je  n'avais  point  de  purification  à  faire 
comme  les  autres  femmes ,  car  mon  fils  qui  est  né  de  moi 
m'avait  purifiée ,  et  je  n'avais  contracté  pas  la  plus  petite 
tache  ,  lorsque  j'ai  engendré  mon  fils  qui  est  la  pureté  même  ; 
mais  néanmoins  ,  afin  que  la  loi  fût  accomplie  et  les  prophé- 
ties ,  j'ai  voulu  vivre  en  la  loi,  selon  la  loi;  de  même  je  ne  vi- 
vais pas  selon  les  parents  du  siècle ,  mais  je  conversais  hum- 
blement avec  les  humbles  ,  ne  voulant  avoir  en  moi  rien  de 
particulier,  tant  j'aimais  tout  ce  qui  touchait  à  l'humilité. 

Un  jour  (comme  cejourd'hui  )  ma  douleur  prit  accrois- 
sement; car,  bien  que  je  susse  par  inspiration  divine  que 
mon  fils  souffrirait ,  néanmoins  lorsque  Siméon  me  dit 
qu'il  me  serait  un  glaive  de  douleur  et  qu'il  serait  le  signe 
auquel  on  contredirait,  cette  douleur  perça  mon  âme  avec 
plus  d'amertume  :  douleur  certes  qui  ne  se  retira  jamais  de 
mon  cœur,  jusqu'à  ce  qu'en  corps  et  enàmeje  montai  au 
ciel ,  bien  qu'elle  fût  tempérée  par  les  consolations  du  Saint- 


DE  SAINTE  BRIGITE.  225 

Esprit.  Je  veux  que  vous  sachiez  qu'en  ce  jour-là  ma  douleur 
fut  en  sept  manières. 

La  première  en  ma  connaissance,  car  autant  de  fois  que 
je  le  regardais ,  que  je  l'emmaillottais ,  que  je  voyais  ses 
mains  et  ses  pieds ,  tout  autant  de  fois  mon  esprit  était 
comme  plongé  en  une  nouvelle  douleur,  car  je  pensais  com- 
ment on  le  crucifierait. 

La  deuxième  douleur  fut  en  mon  ouïe,  car  autant  de  fois 
que  j'entendais  les  opprobres  qu'on  vomissait  contre  mon 
Fils ,  les  mensonges  qu'on  proférait ,  les  embûches  qu'on  lui 
tendait,  mon  esprit  était  comme  emporté  par  la  douleur;  de 
sorte  qu'à  grand'peine  il  pouvait  y  tenir  ;  mais  la  force  divine 
me  donnait  la  manière  et  le  courage  d'être  ce  que  je  devais 
pour  qu'on  ne  vît  en  moi  rien  d'imparfait. 

La  troisième  fut  en  ma  vue,  car  quand  je  vis  qu'on  fouet- 
tait mon  Fils,  qu'on  le  clouait  et  le  pendait  à  une  croix,  je 
tombai  comme  demi-morte;  mais ,  prenant  courage  je  de- 
meurai auprès  ,  debout,  et  souffrant  cela  si  patiemment  que 
mes  ennemis  et  autres  ne  trouvaient  en  moi  que  douleur. 

La  quatrième  fut  en  l'attouchement,  car  moi  avec  les  au- 
tres ,  descendîmes  mon  Fils  de  la  croix  ;  je  l'enveloppai  et  le 
mis  dans  le  sépulcre  ,  et  de  la  sorte  ma  douleur  augmentait 
tant ,  qu'à  peine  mes  mains  et  mes  pieds  avaient  de  la  force 
pour  me  soutenir.  Oh  !  que  librement  j'eusse  voulu  alors  être 
ensevelie  avec  mon  Fils  ! 

La  cinquième  ,  je  souffrais  beaucoup  à  cause  du  désir  véhé- 
ment que  j'avais  d'aller  au  ciel ,  après  que  mon  Fils  y  fut 
monté ,  car  la  longue  demeure  que  je  fis  sur  la  terre  après 
son  départ  augmentait  grandement  ma  douleur. 

La  sixième,  je  souffrais  de  la  tribulalion  des  Apôtres  et  des 
amis  de  Dieu,  la  douleur  desquels  était  ma  douleur,  étant 
toujours  craignante  et  souffrante  ,  par  l'appréhension  qu'ils 
ne  succombassent  aux  tribulations  et  tentations;  dolente 
d'autant  plus  que  les  paroles  de  mon  Fils  étaient  contrariées 
partout.  Or  ,  bien  que  la  grâce  de  Di^u  persévérât  toujours  en 

T.  V.  15 


226  EsrniT 

moi  et  que  ma  volonté  fût  en  tout  selon  la  sienne  ,  néanmoins 
ma  douleur  était  continuelle,  mêlée  avec  la  consolation,  jus- 
qu'à ce  que  je  fus  au  ciel  en  corps  et  en  âme  auprès  de  mon 
Fils.  Partant,  ô  ma  Fille,  que  cette  douleur  ne  se  retire  jamais 
de  votre  cœur,  car  s'il  n'y  avait  pas  de  tribulations,  peu  de 
gens  seraient  sauvés.  » 

Douleurs  de  sa  fuite  eu  Egypte,  la  septième  de  relies  doul  il  vient  d'être  parlé. 

La  sainte  Vierge  Marie  parle  à  l'épouse  de  son  Fils  en  di- 
sant :  «  Je  vous  ai  entretenue  de  mes  douleurs  ,  mais  la  dou- 
leur que  j'eus  lorsqu'il  fallut  fuir  avec  mon  Fils  en  Egypte  , 
ne  fut  point  des  moindres,  ni  quand  j'entendis  qu'on  tuait  les 
enfants  innocents  ,  et  qu'Hérode  poursuivait  mon  Fils,  et, 
bien  que  je  susse  ce  qui  était  écrit  de  lui  ,  néanmoins  mon 
cœur ,  à  cause  de  la  grandeur  de  l'amour  que  j'avais  pour 
mon  Fils,  était  rempli  de  douleur  et  d'amertume.  Or,  main- 
tenant vous  pourriez  me  demander  ce  que  fit  mon  Fils  pen- 
dant tout  ce  temps-là  avant  de  souffrir,  je  réponds  comme 
l'Evangile  :  II  était  soumis  ù  ses  parents  ,  et  il  se  conduisit 
comme  les  autres  enfants  jusqu'à  ce  qu'il  fut  arrivé  à  un 
plus  grand  âge  ;  il  fit  cependant  des  merveilles  dans  sa  jeu- 
nesse ,  montrant  comment  les  créatures  servaient  leur  Créa- 
teur, comment  les  idoles  se  turent  et  comment  plusieurs 
tombèrent  en  Egypte  à  sa  venue  ;  comment  les  Mages  prédi- 
rent que  mon  Fils  serait  le  signal  de  grandes  choses  futu- 
res, comment  aussi  le  ministère  des  anges  apparut  ,  com- 
ment il  n'apparut  jamais  en  son  corps  ni  en  ses  cheveux  au- 
cune souillure  ;  mais  il  n'est  pas  besoin  que  vous  sachiez 
toutes  ces  choses  ,  puisqu'en  l'Evangile  ,  il  y  a  assez  de  preu- 
ves do  sa  divinité  et  de  son  humanité  pour  édifier  et  vous  et 
lis  autres. 

Or  ,  quand  il  eut  atteint  un  plus  grand  âge  ,  il  était  con- 
tinuellement en  prière  ,  et  obéissant  il  monta  avec  nous  aux 
fêtes  ordonnées  en  Jérusalem  et  en  autres  lieux  ;  sa  présence 


DE  SAINTE  BRIGITE.  '2 "2 7 

et  sa  parole  étaient  admirables  et  si  agréables  que  plusieurs 
qui  étaient  affligés  disaient  :  Allons  voir  le  Fils  de  Marie  , 
afin  que  nous  soyons  consolés.  Et  croissant  en  âge  et  en 
sagesse ,  dont  il  était  plein  dès  le  commencement ,  il  travail- 
lait de  ses  mains  en  tout  ce  qui  ne  blessait  pas  la  bienséance  ; 
il  nous  parlait  et  nous  disait  en  particulier  des  paroles  de 
consolation  ,  et  des  discours  de  Dieu  ,  de  sorte  que  nous 
étions  remplis  continuellement  de  joies  indicibles.  Mais  quand 
les  craintes  de  la  pauvreté  nous  assiégeaient  ,  il  ne  nous 
faisait  poiut  de  l'or  ni  de  l'argent,  mais  il  nous  exhortait  à  la 
patience  ,  et  il  nous  défendit  et  protégea  des  envieux.  Quant 
aux  nécessités  ,  les  gens  de  bien  et  notre  propre  travail  nous 
y  aidaient;  de  sorte  que  nous  étions  seulement  secourus 
pour  la  seule  nécessité  sans  superfiuité  aucune  ,  car  nous  ne 
cherchions  qu'à  servir  Dieu  uniquement. 

Après  cela,  il  conférait  familièrement  en  la  maison  avec 
ceux  qui  le  venaient  voir  pour  les  difficultés  de  la  loi  et  signi- 
fication des  figures,  et  disputait  publiquement  quelquefois 
avec  les  sages ,  de  sorte  qu'ils  l'admiraient  et  disaient  :  Yoici 
que  le  fils  de  Joseph  enseigne  les  maîtres!  quelque  grand 
esprit  parle  en  lui!  Un  jour  où  j'étais  plongée  en  la  consi- 
dération de  sa  passion  dont  j'étais  saisie  de  tristesse ,  il  me 
dit  :  Ne  croyez-vous  pas ,  ma  Mère ,  que  je  suis  en  mon  Père 
et  mon  Père  en  moi  ?  Quoi  !  avez-vous  été  souillée  en  mon 
entrée  ou  sortie  de  votre  sein  ,  ni  avez-vous  été  triste  ?  pour- 
quoi donc  vous  affligez-vous  ?  car  la  volonté  de  mon  Père 
veut  que  je  souffre,  voire  ma  volonté  est  telle  avec  celle  de 
mon  Père  ;  ce  que  j'ai  de  mon  Père  ne  peut  pas  souffrir,  mais 
bien  la  chair  que  j'ai  reçue  de  vous,  afin  que  la  chair  d'au- 
trui  soit  rachetée  et  que  l'esprit  soit  sauvé. 

Il  était  également  si  obéissant  que  lorsque  Joseph  lui  di- 
sait quelquefois  sans  y  penser  •  Faites  ceci  ou  cela  ,  il  le  fai- 
sait aussitôt ,  et  de  la  sorte  il  cachait  si  bien  la  puissance  de 
sa  divinité  ,  qu'il  n'y  avait  que  moi  et  Joseph  qui  le  connus- 
sions, d'autant  que  nous  l'avons  vu  souvent  entouré  d'une 


228  ESPRIT 

lumière  admirable  et  avons  entendu  les  voix  et  les  concerts  des 
anges  qui  chantaient  sur  lui  ;  nous  avons  vu  aussi  les  esprits 
immondes  qui  n'auraient  pu  être  chassés  par  les  exorcistes 
approuvés  en  notre  loi ,  sortir  à  la  vue  de  mon  Fils. 

Que  ces  choses  soient  continuellement  en  votre  mémoire , 
et  remerciez  Dieu  qu'il  ait  voulu  manifester  son  enfance  par 
vous.  » 

Sur  sa  vie  après  l'ascension  de  son  Fils. 

La  mère  de  Dieu  parle,  disant  :  «  Maintenant  je  vous  mon- 
trerai la  vérité  de  mon  Assomption.  D'abord  ,  j'ai  vécu  long- 
temps après  l'Ascension  de  mon  Fils  ,  et  Dieu  l'a  voulu  afin 
que  les  âmes  fussent  converties  à  Dieu  ,  ayant  vu  ma  patience 
invincible  et  le  règlement  de  mes  mœurs  ,  et  puis,  afin  que 
ses  apôtres  et  ses  élus  fussent  affermis  ;  et  de  fait  aussi  la 
naturelle  disposition  de  mon  corps  le  requérait,  afin  qu'en  vi- 
vant durement,  ma  couronne  fût  augmentée  ;  car  tout  le  temps 
que  j'ai  vécu  après  l'Ascension  démon  Fils,  j'ai  visité  les  lieux 
où  il  a  souffert  et  où  il  a  manifesté  ses  merveilles  ;  aussi  sa 
Passion  était-elle  empreinte  dans  mon  cœur  ;  mes  sens  aussi 
étaient  mortifiés  et  retirés  de  ce  qui  est  du  monde  ,  d'au- 
tant que  je  restais  incessamment  enflammée  de  nouveaux 
désirs  et  réciproquement  exercée  par  des  douleurs  ;  mais 
néanmoins  ma  douleur  était  tempérée  et  ma  joie  aussi ,  et  je 
n'omettais  rien  de  ce  qui  touchait  au  service  de  Dieu  ;  je 
conversais  également  de  telle  sorte  avec  les  hommes  que  je 
prenais  bien  peu  de  part  à  ce  qui  leur  plaît  ordinairement. 
Que  si  mon  Assomption  n'a  pas  été  connue  de  plusieurs  et 
prêchée  de  la  part  de  Dieu,  qui  est  mon  Fils  ,  il  l'a  voulu 
ainsi  afin  que  la  foi  de  son  Ascension  fut  enracinée  dans  le 
cœur  des  hommes,  car  les  hommes  étaient  endurcis  en  la 
créance  de  son  Ascension ,  et  combien  plus  ne  l'aurait  pas 
été  mon  Assomption  ,  si  elle  eût  été  prêchée  dès  le  commen- 
cement. 


DE  SAINTE  BRIGITE.  229 

Sur  l'Annonciation  que  l'Ange  fil  à  Marie  de  sa  mort  et  de  ce  qui  arriva  après. 

La  Mère  de  Dieu  parle,  disant  :  «  Un  jour,  après  que  quel- 
ques années  se  furent  écoulées  depuis  l'Ascension  de  mon 
Fils ,  je  m'affligeais  beaucoup  à  raison  du  désir  que  j'avais 
d'arriver  dans  le  ciel  pourvoir  mon  Fils,  je  vis  un  Ange  re- 
luisant de  lumière  ,  comme  je  l'avais  auparavant  vu,  quime 
dit  :  Votre  Fils  qui  est  Dieu  et  Notre  Seigneur  ,  m'envoie 
pour  vous  annoncer  que  le  temps  est  venu  où  vous  devez 
aller  corporellement  à  lui  pour  recevoir  la  couronne  qui 
qui  vous  est  préparée.  Je  lui  répondis  :  Connaissez-vous  le 
jour  et  l'heure  que  je  m'en  dois  aller  de  ce  monde  en  l'au- 
tre ?  et  l'Ange  répondit  :  Les  amis  de  votre  Fils  enseveliront 
votre  corps  (1).  Ces  choses  étant  dites  ,  l'Ange  disparut  ;  et 
moi  je  me  préparai  à  l'issue  de  ma  vie ,  en  visitant  selon 
ma  coutume  les  lieux  où  mon  Fils  avait  souffert;  et  un  jour 
mon  esprit  étant  suspendu  en  l'admiration  de  la  divine  cha- 
rité ,  alors  mon  âme  fut  remplie  en  cette  contemplation  de 
tant  de  délices,  qu'à  grand'peine  je  la  pouvais  soutenir,  et 
en  cette  contemplation  et  joie  ineffable ,  mon  âme  fut  séparée 
de  mon  corps!  Mais  ,  hélas  !  que  de  choses  magnifiques  mon 
âme  vit  alors  et  de  quel  honneur  le  Père  ,  le  Fils  et  le  Saint- 
Esprit  l'accueillirent,  et  de  quelle  multitude  d'anges  elle  fut 
enlevée  !  Vous  ne  le  pouvez  comprendre  ,  et  moi  je  ne  puis 
l'exprimer  sans  que  votre  âme  soit  aussi  séparée  de  votre 
corps,  bien  que  je  vous  en  aie  montré  quelque  chose  en  cette 
oraison  que  mon  Fils  vous  a  inspirée. 

Or  ,  ceux  qui  étaient  alors  avec  moi  dans  la  maison  quand 
je  rendis  l'esprit,  connurent  fort  bien  par  la  lumière  non  ac- 
coutumée ,  quelles  choses  divines  s'opéraient  en  ce  moment 

(1)  Cette  réponse  de  l'Ange  prouve  la  sagesse  de  Dieu,  car  il  est  écrit  dans 
l'Evangile  ,  que  les  anges  ne  savent  ni  le  jour,  ni  l'heure  de  notre  mort;  que 
Dieu  s'est  réservé  ce  secret  à  lui  seul  :  or,  il  devait  en  être  ainsi ,  même  envers 
Marie!... 


230  ESPRIT 

en  moi  :  après  cela,  les  amis  de  mon  Fils,  envoyés  divine- 
ment ,  ensevelirent  mon  corps  en  la  vallée  de  Josaphat ,  et 
avec  lui,  il  y  avait  une  infinité  d'anges  comme  des  atomes  du 
soleil  ,  mais  les  malins  esprits  n'osèrent  s'en  approcher  : 
mon  corps  demeura  quelques  jours  en  terre  ,  et  après  il  fut 
ravi  et  emporté  au  ciel  avec  une  grande  multitude  d'anges. 

Ce  temps  n'est  pas  sans  grand  mystère  ,  d'autant  qu'à  la 
septième  heure  sera  la  résurrection  des  morts  ,  et  à  la  hui- 
tième la  béatitude  des  âmes  et  des  corps  sera  accomplie. 

La  première  heure  fut  du  commencement  du  monde  jus- 
qu'à ce  temps  où  la  loi  était  donnée  par  Moïse  ;  la  seconde 
fut  de  Moïse  jusqu'à  l'incarnation  de  mon  Fils  ;  la  troisième 
fut  quand  mon  Fils  institua  le  baptême  et  adoucit  la  rigueur 
de  la  loi  ;  la  quatrième  quand  il  prêchait  par  parole  et  confir- 
mait son  dire  par  ses  exemples  ;  la  cinquième  quand  mon 
Fils  voulut  souffrir  et  mourir,  et  quand  il  ressuscita  et  prouva 
sa  résurrection  par  plusieurs  miracles  ;  la  sixième  quand  il 
monta  au  ciel  et  envoya  son  Saint-Esprit  ;  la  septième  quand 
il  viendra  en  jugement  et  que  tous  sortiront  pour  aller  être 
jugés  ;  la  huitième  quand  tout  ce  qui  a  été  promis  et  prophé- 
tisé sera  arrivé ,  et  alors  la  béatitude  sera  parfaite  ,  alors  on 
verra  Dieu  en  sa  gloire  et  les  Saints  reluiront  comme  des  so- 
leils ,  et  il  n'y  airra  plus  de  douleur.  » 

De  la  passion  de  Noire-Seigneur  que  sainte  Brigite  vit  à  Jérusalem. 

«  Lorsque  j'étais  au  mont  du  Calvaire  ,  dit  sainte  Brigite  , 
pleurant  amèrement,  je  vis  Notre-Seigneur,  tout  nu,  flagellé, 
conduit  par  les  juifs  pour  être  crucifié  et  soigneusement  gardé 
par  eux.  Je  vis  un  trou  en  la  montagne  et  les  bourreaux  pré- 
parés pour  exercer  leur  cruauté  sur  Jésus-Christ  ;  et  se  tour- 
nant vers  moi ,  il  me  dit  :  Considérez  qu'en  ce  trou  de  la 
pierre  le  pied  de  ma  croix  fut  planté.  Et  soudain  je  vis  en 
quelle  manière  les  Juifs  avaient  placé  la  croix  et  l'avaient 
affermie  avec  de  grands  coins  de  bois,  afin  qu'elle  ne  branlât 


DE  SAINTE  BRIG1TE.  231 

point  ;  et.  puis  on  mit  des  degrés  et  des  tables  ,  afin  que  les 
bourreaux  étant  là  montés  ,  ils  pussent  me  crucifier  avec  mo- 
querie et  dérision.  Et  moi ,  j'ai  monté  fort  franchement ,  lui 
dit  Notre-Seigneur,  comme  un  agneau  sans  tache  ,  doux  et 
plein  de  mansuétude,  conduit  à  la  boucherie;  et  étant  là 
monté,  j'étendis  mes  bras,  non  par  contrainte  mais  volon- 
tairement, et  ayant  ouvert  ma  main  droite  ,  je  la  posai  sur  la 
croix  ,  laquelle  les  bourreaux  cruels  et  barbares  crucifièrent 
soudain  ,  la  perçant  avec  un  gros  clou  à  la  partie  où  les  os 
étaient  plus  solides  ,  et  tirant  et  étendant  la  main  gauche  ils  la 
crucifièrent  de  même.  —  Après ,  ayant  tiré  le  corps  outre 
mesure  et  ayant  joint  les  pieds  ,  il  les  crucifièrent  avec  deux 
clous  ,  et  ils  étendirent  avec  tant  de  véhémence  le  corps  et  les 
membres ,  que  quasi  les  nerfs  ,  les  veines  ,  et  les  muscles  se 
rompaient.  Ce  qu'ayant  fait ,  ils  remirent  la  couronne  d'épi- 
nes sur  ma  tête ,  laquelle  ils  m'avaient  ôtée  pour  me  cruci- 
fier, les  épines  poignantes  de  laquelle  percèrent  si  bas,  que 
les  yeux  furent  soudain  remplis  de  sang,  et  tout  le  visage ,  les 
oreilles  et  la  barbe  ;  et  de  suite  après  ,  les  bourreaux  reti- 
rèrent les  tables  attachées  à  la  croix  et  la  croix  demeura 
seule  et  Jésus-Christ  en  elle.  Et  alors  étant  remplie  de  dou- 
leur ,  je  regardais  la  cruauté  des  Juifs;  je  vis  aussi  Marie  , 
la  Mère  de  Dieu ,  plongée  dans  les  douleurs ,  abîmée  en  ses 
pleurs  et  consolée  par  saint  Jean  et  par  les  autres  sœurs  qui 
étaient  non  loin  de  la  croix  à  droite.  La  douleur  de  la  Mère 
transperça  tellement  mon  cœur  ,  qu'il  me  semblait  qu'un 
glaive  le  traversait  d'une  amertume  incomparable  :  et  enfin  , 
la  Mère  se  levant  comme  anéantie  de  douleur,  elle  regarda 
son  Fils  ,  soutenue  des  deux  sœurs  ,  étant  toute  ravie  dans 
les  excès  de  sa  douleur,  vivante  et  animée  de  la  douleur 
même  du  glaive ,  et  le  Fils  la  regardant  avec  les  autres  de  ses 
amis  tout  éplorés  ,  d'une  voix  attendrie  il  les  recommanda  à 
sa  Mère. 

Alors  ses  yeux  très-aimables  et  très-beaux  apparaissaient 
à  demi-morts  ,  sa  bouche  était   sanglante  et  ouverte  ,  son 


232  ESPRIT 

visage  pâle,  sa  face  avalée  et  anéantie,  tout  son  corps  était 
livide  ,  meurtri  et  languissant ,  à  cause  du  sang  qui  coulait 
de  toute  part.  Il  s'efforçait  quelquefois  de  s'étendre  sur  la 
croix,  à  cause  de  l'excès  de  la  douleur  qu'il  ressentait;  d'au- 
tant que  la  douleur  de  tous  ses  membres  remontait  sur  le 
cœur  et  le  vexait  cruellement  du  martyre  le  plus  affreux  ,  et 
sa  mort  était  prolongée  par  un  tourment  des  plus  inouïs  et  des 
souffrances  sans  égales.  Enfin,  les  Juifs  qui  étaient  là  com- 
mencèrent à  crier  contre  la  Mère  ,  se  moquant  d'elle;  les  uns 
disaient  :  Marie  ,  ton  Fils  est  mort  maintenant.  D'autres  lui 
disaient  des  paroles  de  raillerie  ,  et  un  de  la  troupe  vint  avec 
une  grande  furie ,  donna  un  coup  de  lance  au  côté  droit  avec 
telle  violence,  que  quasi  la  lance  passait  par  l'autre  côté. 
Lorsqu'on  arracha  la  lance  du  corps ,  il  sortit  un  grand 
ruisseau  de  sang  qui  teignit  toute  la  lance.  La  Mère  de  Dieu 
voyant  cela ,  elle  trembla  avec  un  grand  gémissement. 

Or,  ces  choses  étant  accomplies,  les  troupes  se  retirant  , 
quelques-uns  des  amis  déposèrent  le  corps  de  Jésus-Christ 
delà  croix  ,  que  sa  Mère  reçut  entre  ses  bras  ,  lequel  ils  mi- 
rent sur  son  genou.  Je  lui  nettoyai  toutes  ses  plaies  et  son 
sang  ,  et  fermai  ses  yeux  les  baisant,  et  l'enveloppai  avec  un 
drap  pur  et  net,  et  de  la  sorte  ils  le  conduisirent  au  sépulcre 
avec  un  grand  pleur  et  une  grande  douleur.  » 

Moyens  ponr  chasser  le  démon  de  nos  cœurs. 

Trois  moyens  sont  employés  efficacement,  d'après  sainte 
Brigite,  pour  chasser  le  démon  de  nos  cœurs  : 

1°  Une  pure  et  entière  confession  de  nos  péchés; 

2°  Une  profonde  humilité  et  le  désir  de  se  corriger  des  pé- 
chés qu'on  a  commis ,  et  de  faire  de  bonnes  œuvres. 

3°  Faire  une  humble  prière  à  Dieu  pour  demander  son  es- 
prit et  se  repentir  du  passé,  avec  une  grande  charité  ,  car  le 
véritable  amour  de  Dieu  chasse  le  démon. 


DE  SAINTE  TÏÏUGITE.  233 

Commandements ,  défenses  el  conseils  de  Jésus-Ckrisi  à  son  épouse. 

«  Je  vous  défends  de  faire  trois  choses  ;  je  vous  permets 
d'en  faire  trois  autres  ,  et  je  vous  conseille  d'en  pratiquer 
trois  autres. 

Je  vous  commande  de  faire  trois  choses  :  la  première  de  ne 
désirer  autre  que  Dieu  ;  la  deuxième  de  repousser  tout  or- 
gueil et  toute  arrogance;  la  troisième  de  fuir  perpétuellement 
la  luxure  charnelle. 

Je  vous  défends  de  faire  trois  choses  :  la  première  d'aimer 
les  paroles  vaines  et  inutiles  ;  la  seconde  de  chercher  les  su- 
perfiuités  de  viandes  ou  autres  choses  ;  la  troisième  d'aimer 
la  légèreté  du  monde,  ses  divertissements  et  ses  joies. 

Je  vous  permets  de  faire  trois  choses  :  l'une  de  prendre  un 
sommeil  modéré  pour  avoir  une  bonne  complexion  ;  l'autre 
de  veiller  tempérament  pour  l'exercice  du  corps  ;  la  dernière 
de  manger  de  la  viande  avec  modération  pour  sustenter  le 
corps. 

Je  vous  conseille  trois  choses  :  la  première,  le  travail  ,  le 
jeûne  et  les  bonnes  œuvres,  auxquelles  le  royaume  des  cieux 
est  promis  ;  la  deuxième  que  vous  disposiez  bien  de  tout  ce 
qui  tourne  à  l'honneur  et  à  la  gloire  de  Dieu  ;  la  troisième 
je  vous  conseille  de  considérer  toujours  trois  choses  en  votre 
cœur  :  la  première  ce  que  j'ai  fait  pour  vous  ,  souffrant  et 
mourant  pour  votre  âme ,  celte  pensée  excite  l'amour  ;  la 
deuxième  ,  considérez  la  justice  et  mon  horrible  jugement , 
car  cela  excite  à  la  crainte.  La  troisième  ,  enfin  ,  que  je  vous 
commande ,  que  je  vous  recommande ,  que  je  vous  conseille , 
que  je  vous  permets ,  est  que  vous  obéissiez  a  tout  ce  à  quoi 
vous  êtes  tenue.  Je  vous  commande  cela  en  ma  qualité  de 
votre  Dieu.  » 


234  ESPRIT 

DIVERS  EXTRAITS  D'AUTRES  RÉVÉLATIONS  (1). 

Au  livre  premier,  chapitre  Ier,  Jésus-Christ ,  en  parlant  de 
son  Incarnation  ,  lui  dit  :  «  De  même  que  les  rayons  du  soleil 
pénètrent  le  cristal  sans  le  briser,  de  même  je  me  suis  fait 
homme  dans  le  sein  d'une  Vierge  sans  hlesser  sa  virginité  ; 
la  grandeur  de  ma  divinité  n'en  a  point  souffert  ;  car  ,  quoi- 
que je  fusse  étroitement  uni  à  l'humanité  J'étais  toujours  avec 
mon  Père  et  le  Saint-Esprit ,  gouvernant  toutes  choses ,  et 
remplissant  l'univers  par  mon  immensité.  Comme  la  splen- 
deur est  inséparable  du  soleil ,  ainsi  ma  divinité  ne  s'est  ja- 
mais séparée  de  mon  humanité,  même  après  ma  mort...  Je 
suis  immolé  chaque  jour  sur  l'autel  afin  que  les  hommes  m'en 
aiment  davantage,  et  qu'ils  trouvent  dans  cette  immolation 
non  sanglante  un  souvenir  perpétuel  de  tous  les  bienfaits 
dont  je  les  ai  comblés.  »  (  Page  2.  ) 

Au  chapitre  V,  touchant  l'immaculée  Conception  de  Marie 
et  l'amour  que  nous  lui  devons,  il  est  dit  (c'est  Marie  qui 
parlait  à  sainte  Brigite)  :  «  Dès  que  j'ai  été  conçue  dans  le 
sein  de  ma  mère  ,  mon  Fils  a  aussitôt  uni  à  mon  corps  une 
came  qu'il  a  créée  ,  et  l'un  et  l'autre  ont  été  sanctifiés  en 
même  temps.  Des  anges  furent  envoyés  du  ciel  pour  me  gar- 
der jour  et  nuit.  Il  est  impossible  d'exprimer  la  joie  intérieure 
qu'éprouva  ma  mère  lorsque  mon  âme  et  mon  corps  furent 
ainsi  sanctifiés.  Après  ma  mort  Dieu  éleva  mon  âme  et  ensuite 
mon  corps  au  plus  haut  degré  de  gloire  dont  une  créature 
puisse  jouir. 

Je  vais  vous  apprendre  aussi  combien  il  lui  plaît  de  faire 
honorer  mon  nom.  Lorsque  les  Anges  l'entendent  prononcer, 
ils  s'en  réjouissent  et  remercient  Dieu  des  grâces  qu'il  a  ac- 

(1)  Nous  nous  sommes  servis  pour  ces  extraits  du  livre  intitulé  :  Les  Révéla- 
tions de  sainte  Brigite,  traduites  par  un  ancien  vicaire  général  {2'  édition). 
Lyon ,  1830. 


DE  SAINTE  BRIGITE.  235 

cordées  par  mon  intercession  ,  et  en  particulier  de  celle  qu'il 
leur  fait  de  voir  l'humanité  de  mon  Fils  glorifiée  dans  sa  di- 
vinité. Le  seul  nom  de  Marie  soulage  les  âmes  qui  souffrent 
dans  le  purgatoire  ,  comme  un  malade  étendu  sur  son  lit  de 
douleur  est  soulagé  lorsqu'il  entend  les  paroles  de  consola- 
tion qui  louchent  agréablement  son  cœur.  Dès  que  le  bon 
Ange  entend  ce  nom  ,  il  assiste  d'une  manière  plus  spéciale 
le  juste  qui  le  prononce,  de  la  garde  duquel  il  est  chargé. 

Les  esprits  de  ténèbres  redoutent  le  nom  de  Marie  ;  dès 
qu'ils  l'entendent  prononcer  avec  dévotion ,  ils  abandonnent 
l'âme  qui  était  en  leur  puissance  ;  mais ,  de  même  qu'un  oi- 
seau de  proie  qui  tient  sa  victime  dans  ses  griffes  et  la  dé- 
vore ,  s'en  dessaisit  lorsqu'il  entend  quelque  bruit  qui  l'ef- 
fraie ,  et  revient  aussitôt  que  le  bruit  a  cessé  •  ainsi ,  quoique 
le  nom  de  Marie  fasse  sur-le-champ  lâcher  prise  au  démon  , 
il  se  jette  bientôt  après  sur  sa  proie  avec  la  rapidité  d'une  flè- 
che, si  l'âme  qui  l'a  invoqué  ne  change  pas  de  volonté. 

Il  n'y  a  point  d'homme,  quelque  froid  que  soit  son  cœur 
à  l'égard  de  Dieu  ,  qui ,  s'il  invoque  le  nom  de  Marie  avec  la 
ferme  résolution  de  ne  plus  retomber  dans  le  péché  ,  ne  soit 
aussitôt  délivré  pour  jamais  de  la  servitude  du  démon  ,  à 
moins  qu'il  ne  reprenne  dans  la  suite  la  volonté  de  pécher 
mortellement.  Cependant  Dieu  permet  quelquefois  que  le  dé- 
mon trouble  son  âme  par  la  tentation  ,  afin  de  lui  donner 
une  plus  ample  matière  de  mérite  et  de  récompense  ;  mais 
il  ne  peut  plus  être  son  maître.  (Page  57  etsuiv.  ) 

Marie  obtenant  tout  du  Dieu  de  miséricorde ,  lorsqu'elle 
l'implore  pour  les  pécheurs  ,  est  appelée  elle-même  la  source 
de  toute  miséricorde ,  comme  le  soleil  est  appelé  le  principe 
de  toute  chaleur  ;  et  cette  source  féconde  répand  de  tous 
côtés  ses  eaux  bienfaisantes  sur  les  malheureux.  »  (P.  108.) 

La  sainte  Yierge  invite  sainte  Brigite  à  compatir  à  ses  dou- 
leurs. ■ — Après  avoir  décrit  l'énormité  du  fardeau  qui  avait 
pesé  sur  elle  lors  de  la  passion  de  son  Fils  ,  elle  ajoute  : 
«  Maintenant  je  regarde  si ,  dans  cette  multitude  de  chrc- 


230  ESPRIT 

tiens  qui  sont  sur  la  terre ,  il  s'en  trouve  qui  s'occupent  de 
mes  douleurs  et  y  compatissent,  et  je  n'en  vois  que  fort  peu. 
Pour  vous,  ma  fille,  n'imitez  pas  celte  insouciance  et  cet 
oubli  ;  pensez  souvent  à  moi  et  à  toutes  les  tribulations  dont 
mon  cœur  a  été  navré  sur  la  terre  ,  et  marchez  généreuse- 
ment ,  autant  qu'il  vous  est  possible  ,  sur  mes  traces.  Com- 
patissez à  mes  douleurs  et  gémissez  sur  le  petit  nombre  des 
âmes  fidèles  à  Dieu.  »  (  Page  157.  ) 

Le  vrai  sage  selon  Dieu. 

«  Le  vrai  sage  ,  lui  fut-il  dit,  est  celui  qui  apprend  tous 
les  jours  à  bien  mourir;  qui  considère  souvent  l'état  où  il  se 
trouvera  à  l'beure  de  la  mort  et  le  jugement  qui  la  suivra  ,où 
tout  ce  qu'il  a  fait  dans  sa  vie  lui  sera  représenté  ,  où  aucune 
faute  ne  restera  impunie.  Le  vrai  sage  renonce  aux  vanités 
du  monde,  se  contente  des  eboses  nécessaires  à  la  vie,  s'abs- 
tient de  toute  superfiuité  ,  et  s'applique  ,  autant  qu'il  lui  est 
possible  ,  à  donner  à  Dieu  des  preuves  de  son  amour  pour 
lui.  —  La  vraie  sagesse  est  donc  dans  les  œuvres ,  et  non 
dans  les  grands  talents  que  le  monde  admire  ;  car  les  sages 
selon  le  inonde,  lesquels  suivent  ses  maximes  ,  sont  des  in- 
sensés ,  qui  comptent  pour  rien  la  volonté  de  Dieu ,  et  ne  sa- 
vent pas  maîtriser  leurs  passions  :  aveugles  d'autant  plus 
coupables  qu'ils  savent  bien  que  tout  ce  qui  les  captive  ici- 
bas  est  de  bien  courte  durée  ,  et  que  les  joies  du  ciel,  dont 
ils  font  si  peu  de  cas ,  dureront  pendant  toute  l'éternité.  » 
(  Page  100  et  suiv.  ) 

llililé  des  mauvaises  pensées  pour  purifier  les  âmes  fidèles  cl  augmenter  leurs 
mérites. 

«  Les  bonnes  pensées  (dit  le  Seigneur  à  son  épouse)  res- 
semblent à  une  huile  de  senteur  qui  parfume  l'Ame  ,  ou  à  un 
vin  généreux  qui  fortifie  le  corps;  les  mauvaises  pensées  sont 


DE  SAINTS  BRIGITE.  237 

amères  à  l'âme  fidèle  comme  la  graine  de  sénevé  l'est  au 
goût  ;  mais  parce  qu'il  est  quelquefois  nécessaire  de  faire 
usage  de  certains  médicaments  ,  qui ,  sans  nourrir  le  corps, 
en  font  évacuer  les  humeurs ,  de  même  les  mauvaises  pensées 
sont  utiles  pour  laver  l'àme  de  ses  impuretés  ;  sans  ces  mau- 
vaises pensées  l'homme  serait  comme  un  ange  et  il  s'attri- 
buerait tout  le  bien  qui  est  en  lui  :  afin  qu'il  comprît  que 
tout  ce  qu'il  y  a  de  faiblesse  en  lui  vient  de  lui ,  et  que  la 
force  qui  lui  est  donnée  vient  de  moi ,  il  a  fallu  qu'il  fût 
tenté;  c'est  un  effet  de  ma  grande  miséricorde  envers  lui; 
car ,  en  résistant  à  ses  mauvaises  pensées ,  il  se  procure  deux 
grands  avantages  ;  il  expie  ses  péchés  passés  et  il  conserve  les 
vertus  qu'il  a  acquises.  »  (Page  174.) 

Louanges  de  sainte  BrigUe  à  la  sainte  Vierge. 

«  0  douce  Marie!  beauté  nouvelle  !  beauté  d'un  éclat  ra- 
vissant !  venez  à  mon  secours  :  effacez  tout  ce  qu'il  y  a  en  moi 
de" difforme,  et  allumez  en  moi  le  feu  de  la  divine  charité. 
Votre  beauté  purifie  ma  mémoire,  afin  que  la  parole  de  Dieu 
y  entre  avec  douceur,  qu'elle  s'y  grave  avec  plaisir,  et  que 
ma  langue  l'annonce  ensuite  avec  amour.  Votre  beauté  charme 
mon  cœur  ;  il  se  sent  déchargé  du  lourd  fardeau  de  la  tié- 
deur, au  souvenir  de  votre  charité  et  de  votre  humilité.  Elle 
est  pour  mes  yeux  une  source  de  larmes  lorsque  je  considère 
votre  pauvreté  et  votre  patience  ;  elle  répand  dans  mon  âme 
une  onction  toute  divine  ,  au  souvenir  de  votre  tendre  piété. 
Vous  êtes,  ô  ma  Souveraine  ,  une  beauté  incomparable,  une 
beauté  à  jamais  désirable  ,  parce  que  vous  avez  été  donnée 
aux  faibles  pour  les  fortifier,  aux  affligés  pour  les  consoler,  à 
tous  les  hommes  pour  leur  aplanir  par  votre  médiation  les 
voies  du  salut.  Les  justes  de  l'ancienne  loi  qui  attendaient 
l'heureuse  époque  de  votre  naissance ,  et  ceux  de  la  nouvelle 
qui  s'en  réjouissent  ,  ont  bien  raison  de  s'écrier  :  Venez, 
beauté  resplendissante  ,   et  délivrez-nous  de  l'opprobre  où 


238  espiut 

nous  sommes  ensevelis  !  Venez,  beauté  souveraine,  et  rompez 
les  liens  qui  nous  retiennent  dans  l'esclavage!  Venez,  beauté 
pleine  de  grâces ,  et  purifiez-nous  de  nos  souillures  !  Que 
soit  donc  bénie  et  vénérée  à  jamais  l'incomparable  beauté  de 
cette  auguste  Vierge,  que  les  Patriarches  ont  désiré  de  con- 
templer, dont  tous  les  Prophètes  ont  célébré  les  grandeurs  , 
et  qui  remplit  d'une  sainte  allégresse  les  cœurs  de  tous  les 
élus. 

La  Mère  de  Dieu  lui  répondit  :  Béni  soit  le  Seigneur  ,  qui 
est  toute  ma  beauté  ,  de  ce  qu'il  vous  a  ainsi  donné  grâce 
pour  me  louer.  C'est  pourquoi  je  vous  dis  que  la  beauté  la  plus 
ancienne  ,  la  beauté  éternelle  qui  surpasse  infiniment  toute 
beauté  créée,  et  qui  m'a  faite  tout  ce  que  je  suis ,  vous  fera 
ressentir  les  effets  de  sa  protection  ;  que  cette  beauté  ancienne 
et  toujours  nouvelle,  qui  renouvelle  toutes  choses  ,  qui  a  dai- 
gné habiter  dans  mon  sein  ,  vous  enseignera  des  vérités  qui 
vous  raviront  d'admiration;  que  celte  beauté  si  désirable,  qui 
répand  partout  la  consolation  et  la  joie ,  embrasera  votre 
âme  du  feu  de  son  amour;  lorsque  vous  la  contemplerez,  les 
plus  grandes  beautés  de  ce  monde  ne  vous  paraîtront  plus 
que  de  l'ordure.  »  (  Page  218etsuiv.  ) 

Dieu  récompense  les  efforts  cl  non  les  succès  des  miuislres  de  l'Evangile. 

La  Mère  de  Dieu  dit  h  l'épouse  :  «  Un  homme  prend  a  gage 
un  ouvrier  et  lui  dit  :  Allez  prendre  sur  le  rivage  quelques 
charges  de  sable  ,  et  à  chaque  fois  que  vous  en  aurez  trans- 
porté une,  voyez  s'il  ne  s'y  trouve  pas  quelques  grains  d'or. 
Si  cet  ouvrier  n'avait  pu  y  en  trouver  un  seul  grain  pendant 
toute  sa  journée  ,  il  ne  recevrait  pas  moins  son  salaire  que  s'il 
en  avait  recueilli  une  grande  quantité  ;  il  en  est  de  même  de 
ceux  que  le  seul  désir  de  plaire  à  Dieu,  porte  à  travailler  à 
la  sanctification  des  âmes  par  la  prédication  de  l'Evangile  et 
par  d'autres  bonnes  œuvres  :  leur  récompense  ne  sera  pas 
moins  grande,  s'ils  ne  peuvent  en  convertir  aucune  que  s'ils 


esprit  de  sainte  brigue.  239 

en  convertissaient  un  grand  nombre.  Voyez  ce  guerrier  qui . 
ayant  reçu  de  son  roi  l'ordre  d'aller  combattre  l'ennemi ,  brûle 
d'un  grand  désir  de  se  distinguer  par  sa  valeur  dans  le  com- 
bat ;  il  en  revient  blessé,  sans  amener  avec  lui  aucun  prison- 
nier, la  bataille  ayant  été  perdue.  Le  prince  connaissant  le 
courage  qu'il  y  a  déployé  ,  ne  récompensera  pas  moins  ses 
services  que  s'il  avait  remporté  la  victoire.  Dieu  traite  ainsi 
ses  amis  ;  il  leur  prépare  des  couronnes  pour  chaque  parole 
qu'ils  ont  dite  ,  pour  chaque  bonne  œuvre  qu'ils  ont  faite  en 
vue  de  lui  plaire  et  dans  le  dessein  de  lui  gagner  des  âmes, 
ainsi  que  pour  chacune  des  croix  qu'ils  auront  portées  à  cette 
occasion  ,  soit  qu'ils  aient  converti  plusieurs  pécheurs,  soit 
qu'ils  n'en  aient  converti  aucun.  »  (Pages  228  et  229.  ) 


NOTES  SUR  SAINTE  ERIGITE, 
Et  sur  les  religieux  et  religieuses  de  son  ordre. 


D'après  le  plus  graud  nombre  des  auteurs  qui  ont  écrit  la  vie  de 
sainte  Brigite  et  les  dissertations  qu'on  lit  dans  les  Actes  des  Saints , 
dans  Surius  et  autres ,  c'est  au  couvent  des  Clarisses  de  Rome  qu'elle 
mourut ,  et  son  corps  fut  enseveli  dans  l'église  de  Saint-Laurent ,  in 
panis  perna.  Le  concours  de  peuple  fut  si  grand  qu'un  tenta  vainement 
pendant  deux  jours  de  l'inhumer;  ce  ne  fut  que  le  26  juillet  que  son 
corps  fut  déposé  dans  une  châsse  de  bois  scellée  et  renfermée  dans  un 
sépulcre  de  marbre.  Birger  son  tils,  Catherine  sa  lille  ,  et  Pierre  son 
confesseur,  Latin  des  Ursins  ,  et  un  grand  nombre  de  personnages  de 
la  prélalure  et  de  la  haute  noblesse  Romaine  lui  rendirent  les  honneurs 
funèbres  et  scellèrent  sa  tombe.  Plus  tard,  son  corps,  signalé  par  plu- 
sieurs miracles  ,  fut  accordé  aux  prières  de  ses  enfants  et  des  prélats 
de  Suède;  on  l'emporta  dans  une  châsse  tiès-riche  et  remplie  d'aroma- 
tes précieux.  Les  grands  seigneurs  de  la  Germanie  voulurent  l'accom- 
pagner ainsi  que  son  fds ,  sa  fille  et  ses  confesseurs  ,  de  Rome  en  Suède. 
11  est  impossible  de  raconter  dignement  dans  une  note  l'empressement 
du  royaume  et  les  honneurs  qui  furent  rendus  à  cette  illustre  princesse. 
—  Enfin  ,  après  le  quatrième  jour  de  l'octave  de  saint  Pierre  et  saint 


240  NOTES  SUR  SAINTE  BRIGITE. 

Paul,  elle  fut  déposée  dans  le  monastère  de  Walstein.  Boniface  IX  ac- 
corda ,  en  1374,  sept  ans  et  autant  de  quarantaines  d'indulgence  à  tous 
ceux  qui  visiteraient  son  sépulcre. 

Ordre  île  sainte  Brigite. 

Peu  de  temps  après  la  mort  de  son  mari,  vers  l'an  1341,  sainte  Brigite 

fonda  un  ordre  religieux  qui  prit  le  nom  de  Saint-Sauveur  ,  parce  qu'on 
prétend  que  le  divin  Rédempteur  lui-môme  en  avait  dicté  à  la  sainte 
les  constitutions  et  règlements.  Plus  tard  on  appela  ces  religieux  Brigi- 
tains  du  nom  de  leur  fondatrice.  C'est  à  Walstein ,  diocèse  de  l'Incopen 
(Suède),  qu'elle  jeta  les  fondements  de  son  ordre  ;  treize  chapitres 
composaient  les  constitutions. 

L'ordre  s'étendait  aux  deux  sexes  et  les  religieux  n'étaient  pro- 
prement dit  que  pour  le  service  et  la  direction  de  la  maison  des  reli- 
gieuses. 

11  y  a  aussi  des  religieuses  de  Saintc-Brigite  dites  de  la  Récollection, 
mais  elles  ont  été  établies,  non  par  noire  sainte  princesse,  mais  par  une 
espagnole  nommée  Marine  Escobar,  fille  de  Jacques  Escobar  de  Castel- 
Rodrigo.  Elle  ne  lit  que  transporter  en  Espagne  l'ordre  de  Sainte-Bri- 
gite  et  y  joindre  quelques  pratiques  particulières. 

Le  nombre  des  sujets  dans  le  monastère  des  femmes  devait  être  de 
soixante  ,  et  celui  des  religieux  de  treize  prêtres  ,  de  quatre  diacres  et 
de  huit  convers.  Treize  prêtres  représentant  les  treize  apôtres  dont 
saint  Paul  était  le  treizième.  Quatre  diacres  représentant  les  quatre  plus 
grands  docteurs  de  l'Eglise  ,  saint  Àmbroise  ,  saint  Augustin  ,  saint 
Grégoire  et  saint  Jérôme.  Et  les  huit  convers  réunis  ensemble  for- 
maient les  treize  apôtres  et  les  soixante  et  douze  disciples  de  Jésus- 
Christ. 

Les  religieuses  ne  pouvaient  être  reçues  avant  l'âge  de  dix-huit  ans, 
et  les  religieux  avant  vingt-cinq.  Les  religieux  et  les  religieuses  réci- 
taient l'office  en  même  temps  ;  les  uns  avaient  le  chœur  dans  le  bas 
et  les  autres  dans  le  haut.  Quant  à  la  nourriture  ,  il  leur  était  permis 
de  manger  de  la  viande  quatre  fois  la  semaine  :  les  dimanche  ,  lundi , 
mardi  et  jeudi ,  au  repas  de  midi  seulement  ;  le  soir  ils  ne  pouvaient 
user  de  laitage,  ni  d'oeufs  ,  ni  de  poisson;  outre  les  jeûnes  prescrits 
par  l'Eglise,  ils  en  observaient  un  grand  nombre  d'autres ,  ainsi  depuis 
la  Toussaint  jusqu'il  la  Noël  ,  depuis  l'Ascension  jusqu'à  la  Pentecôte, 
depuis  l'Exaltation  de  la  croix  jusqu'à  la  Saint-Michel,  tous  les  ven- 
dredis et  samedis  de  l'année,  les  veilles  des  fêtes  des  Apôtres  ,  etc. 

Voici  quels  étaient  les  costumes  des  uns  et  des  autres  :  1°  pour  les 
religieuses  ,  chemise  de  bure  blanche  ,  tunique  de  bure  grise  ,  coule  de 
même  et  manteau  noir ,  attaché  avec  un  nœud  de  bois.  Ce  manteau 
était ,  en  hiver,  fourré  de  peaux  d'agneau.  Pour  coiffure  elles  avaient 
une  guimpe  qui  leur  couvrait  la  tète  et  entourait  les  joues  ,  par  dessus 
était  attaché  un  voile  de  gaze  noire  et  sur  le  voile  au  haut  de  la  tête 


NOTES  SUR  SAINTE  B1UGITE.  241 

elles  avaient  une  couronne  de  toile  Manche  sur  laquelle  étaient  cinq 
petites  pièces  rouges  comme  autant  de  gouttes  de  sang  ;  2°  les  religieux 
étaient  aussi  habillés  de  bure  grise,  d'une  coule,  d'un  manteau  avec  le 
capuchon  ,  et  sur  le  manteau  ,  au  côté  gauche  ,  ils  portaient  une  croix 
de  drap  rouge  en  mémoire  de  la  Passion  (  nous  en  avens  vu  à  Home  )  , 
et  enfin  au  milieu  de  la  croix  un  morceau  de  drap  blanc  en  forme 
d'hostie  ,  à  cause  du  saint  sacrifice  qu'ils  offraient  tous  les  jours  ;  3°  les 
diacres  portaient  un  cercle  blanc  représentant  la  sagesse  des  docteurs, 
et  sur  ce  cercle  quatre  pièces  rouges  en  forme  de  langues  de  feu  ; 
4°  les  corners  portaient  au  contraire  une  croix  blanche  symbole  de 
l'innocence  ,  et  cinq  petites  pièces  rouges  emblème  des  cinq  plaies. 
Tel  était  le  costume  de  chacun.  Urbain  V,  Urbain  VI,  Jean  XXII  , 
Martin  V  et  Grégoire  XV,  approuvèrent  successivement  cet  ordre. 

Sainte  Brigite  ne  porta  jamais  l'habit  de  ses  religieuses;  cependant 
on  assure  qu'elle  fut  enterrée  avec  lui. 

Plusieurs  grands  personnages  morts  en  odeur  de  sainteté  ont  honoré 
cet  ordre,  mais  il  a  eu  aussi  la  douleur  déporter  clans  son  sein  un  des  plus 
grands  ennemis  de  l'Eglise,  Jean  jEcoIampade  ,  religieux  et  prêtre  du 
couvent  de  Saint-Sauveur  d'Ausbourg  ,  qui  apostasia  et  alla  prêcher  ses 
erreurs  à  Bàle  :  on  sait  qu'un  prompt  châtiment  de  Dieu  vint  l'emporter 
au  milieu  de  ses  prédications  furibondes.  On  le  trouva  mort  dans  son 
lit  le  1er  décembre  1551.  (  Voyez  Hélyot,  Hermant,  Reynnat-Alex. ,  et 
M.  Vernon  ,  ann.  3  ,  p.  3.  ) 

Chevaliers  de  l'ordre  militaire  de  Sainte-Biigile 

Quant  à  l'ordre  militaire  de  Sainte-Brigite  ,  plusieurs  historiens  en 
ont  contesté  jusqu'à  l'existence.  Il  parait  que  ce  n'est  que  les  chevaliers 
de  Malte  qui  modifièrent  leur  costume  et  quelques  cérémonies  ;  et  ce 
qui  fit  croire  que  sainte  Brigite  les  avait  établis,  c'est  un  article  qu'on 
lit  dans  ses  révélations,  dans  lequel  le  Sauveur  se  serait  plaint  à  la 
sainte  que  les  chevaliers  qu'il  aimait  tant,  parce  qu'ils  s'engageaient  à 
donner  leur  propre  vie  pour  la  sienne  et  pour  son  église,  s'étaient  éloi- 
gnés de  lui ,  méprisaient  ses  paroles  et  faisaient  peu  de  cas  de  ce  qu'il 
avait  souffert  dans  sa  passion  ,  après  quoi  la  sainte  princesse  aurait  ins- 
titué cet  ordre. 

Schoonebeeck  et  Hermant  ont  soutenu  que  sainte  Brigite  l'a  fondé 
en  1306  ,  et  que  le  pape  Urbain  V  l'approuva  sous  la  règle  de  saint 
Augustin.  Mais  leur  témoignage  ne  suffit  pas  aux  yeux  de  plusieurs 
autres  qui  disent  qu'en  13150  ,  sainte  Brigite  ne  peut  l'avoir  établi  puis- 
qu'elle avait  quitté  le  royaume  de  Suède  dès  1345,  pour  se  retirer 
à  Rome  où  elle  demeura  depuis  ce  temps-là  ,  et  autres  preuves  qu'ils 
apportent. 

Enfin,  voici  toujours  ,  sur  les  chevaliers  de  ce  nom ,  quelques  notions 
intéressantes.  Lorsqu'ils  allaient  à  la  guerre  ,  ils  portaient  dans  leur 
étendard  la  croix  de  l'ordre  d'un  côté  et  de  l'autre  trois  couronnes  d'or 
T.  V.  16 


242  NOTES  SUR  SAINTE  BR1GITE. 

qui  sont  les  anciennes  armes  des  Golhs.  Quand  on  les  recevait ,  un  che- 
valier présentait  le  candidat  à  l'évèque  officiant;  après  la  messe  on 
lisait  une  formule,  et  celui-ci  lui  prenait  les  mains,  et  les  ayant  serrées 
dans  le  missel  où  l'on  venait  de  lire  l'Evangile ,  lui  demandait  s'il 
voulait  recevoir  l'ordre  de  la  chevalerie  au  nom  du  Seigneur  et  faire 
profession  de  cet  ordre  conformément  à  la  règle  qu'il  venait  de  lui 
expliquer.  Le  nouveau  chevalier  ayant  répondu  qu'oui  ,  on  lui  donnait 
un  grand  coup  sur  le  cou ,  et  l'évèque  lui  disait  :  Souvenez-vous  en 
l'honneur  du  Dieu  tout-puissant  que  je  vous  fais  chevalier  et  vous  reçois 
en  notre  société  ;  et  souvenez-vous  aussi  que  Jésus-Christ  a  reçu  un  souf- 
flet, qu'on  s'est  moqué  de  lui  devant  le  pontife  Anne,  qu'il  a  été  revêtu 
d'une  robe,  qu'il  a  souffert  des  railleries  devant  leroiHérode  ,  et  qu'il 
a  été  exposé  tout  nu  et  attaché  à  une  croix  ;  je  vous  prie  d'avoir  tou- 
jours dans  la  pensée  les  opprobres  de  celui  dont  je  vous  conseille  de 
porter  toujours  la  croix.  Après  la  messe  on  sortait  de  l'église  au  son 
des  trompettes ,  des  timbales  et  des  fanfares.  Le  nouveau  chevalier 
échangeait  un  coup  de  lance  avec  un  autre  et  niellait  l'épée  à  la  main 
comme  pour  commencer  à  faire  les  fonctions  de  l'ordre  dont  il  venait 
d'être  honoré. 

Ces  chevaliers  portaient  des  éperons  d'or,  des  cottes  de  mailles  jus- 
qu'au genou  et  jusqu'au  coude;  une  espèce  de  dalmatique  avec  une 
croix  rouge  au  milieu  couvrait  la  cuirasse  dont  était  revêtue  la  poitrine 
et  descendait  un  peu  sur  les  jambes;  le  bras  droit  portait  une  large  et 
longue  épée  et  le  bras  gauche  un  bouclier  aussi  partagé  par  une  croix. 
Le  casque  laissait  flotter  cinq  à  six  panaches.  (Voyez  Hisl.  des  ordres 
religieux  et  milit.  ,  t.  i  ). 

Sur  le  feo  Sainte-Brigilc. 

Voici  quelle  en  est  l'origine.  Les  religieuses  possédant  son  corps  à 
Kilder,  inventèrent,  pour  honorer  plus  particulièrement  la  mémoire  de 
cette  illustre  vierge,  un  feu  sacré  et  perpétuel.  II  fut  depuis  appelé 
feu  sainte  Brigite  ,  et  le  monastère  ,  la  Maison  du  Feu.  Il  n'y  a  point 
d'autre  réalité  dans  cette  histoire.  Les  religieuses  préposées  à  l'en- 
tretien de  ce  feu  portaient  une  robe  blanche ,  un  manteau  et  un  voile 
noirs. 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  CATHERINE 

DE  SIENNE, 
RELIGIEUSE  DU  TIERS  ORDRE  DE  SAINT -DOMINIQUE. 


NOTICE. 


1380. 

La  séraphique  vierge  Catherine  de  Sienne,  dont  nous  omet- 
tronsia  genèse ,  ayant  à  raconter  de  plus  importantes  choses, 
ne  fut  pas  seulement  une  illustre  Sainte  du  tiers  ordre ,  niais 
une  grande  femme  du  xive  siècle.  Sa  courte  vie ,  car  elle 
mourut  à  trente-trois  ans,  se  remplit  des  plus  mémorables 
actions;  la  sainteté  était  pour  elle  une  seconde  vue  qui  lui 
permettait  de  lire  dans  les  consciences  et  d'aller  au  fond  de 


*Jil  NOTICE 

toutes  les  âmes.  Catherine,  dit  un  de  nos  écrivains  moder- 
nes (1),  savait  toujours  ce  qu'il  fallait  dire  aux  hommes  ;  elle 
exerçait  sur  eux  un  grand  empire  ;  sa  parole  était  vive  ,  per- 
suasive ;  l'illustre  fdle  du  teinturier  Bénincasa  n'a  jamais  su 
écrire ,  dit-on  (2)  :  nous  avons  cependant  387  lettres  dictées 
par  elle  dans  le  style  le  plus  élégant  et  le  plus  pur  (  en  ita- 
lien )  (3)  ;  elle  a  laissé  en  outre  six  dialogues  ou  traités,  dont 
nous  en  avons  retrouvé  quatre  qui  sont  sur  la  discrétion  , 
sur  V oraison ,  sur  /(/  providence  et  sur  l 'obéissance.  Entrons 
maintenant  dans  les  glorieux  détails  qui  jettent  tant  de  lustre 
sur  sa  vie.  A  combien  de  misères  l'Eglise  se  trouva  livrée  en 
ce  temps-là!  Dieu  avait  suscité  celte  admirable  fdle  comme 
un  instrument  de  salut.  Quand  les  guerres  civiles  (des  Guelfes 
et  des  Gibelins)  grondaient  contre  Grégoire  XI ,  Catherine  sut 
garder  pour  la  cause  du  Pape  les  villes  de  Sienne ,  d'Arezzo 
et  de  Lucques.  Dans  un  voyage  à  Avignon  ,  elle  parvint  à 
décider  le  souverain  Pontife  à  reprendre  le  chemin  de  Rome. 
Durant  le  schisme  qui  suivit  la  mort  de  Grégoire  XI  (-i)  , 
quels  inexprimables  efforts  de  la  part  de  Catherine  pour  ré- 
tablir l'harmonie  dans  la  société  religieuse  !  avec  quelle 
pieuse  audace  elle  écrivait  aux  cardinaux ,  aux  rois  et  aux 
papes  !  Dans  cette  courageuse  lutte  elle  se  montre  souvent  à 

(1>  Poujonlat,  Rome  et  Toscane  (Pages2ll,  212). 

(2)  M.  Poujoulat  parle  ainsi,  mais  d'autres  disent  au  contraire  que  son  édu- 
cation fut  Irés-soignèc  {Biogr.  univ.  )  :  on  regarde  son  style  comme  un  modèle 
de  langue  italienne ,  qui  ne  le  cède  pas  même  à  celui  de  Pétrarque. 

{?>)  La  bibliothèque  de  Sienne  possède  le  manuscrit  des  Lettres  de  sainte  Ca- 
therine de  Sienne  ,  qui  ne  savait  point  écrire  (Valéry)  et  qui  est  de  son  secrétaire. 
Elle  semble  y  donner,  par  la  correction  et  la  pureté  du  style,  un  démenti  à  la 
remarque  de  BulTou  sur  ceux  qui ,  écrivant  comme  ils  parlent ,  quoique  parlant 
très-bien ,  écrivent  mal. 

(4)  On  avait  élu  Urbain  VI ,  plus  tard  on  élut  Clément  VII ,  eu  déclarant  nulle 
l'élection  d'Urbain  VI. 


SUR  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  245 

nous  avec  le  zèle  et  le  puissant  enthousiasme  de  saint  Ber- 
nard  Au  mois  de  juin  1373 ,  Pérouse  ,  Bologne,  Viterbe  , 

Ancône  et  autres  villes  bien  fortifiées ,  avaient  été  attirées  au 
parti  ennemi  du  Pape.  Grégoire  XI  écrivit  d'Avignon  aux  Flo- 
rentins ;  mais  ,  sourds  cà  ses  exhortations ,  il  fut  forcé  de  lan- 
cer un  interdit  ;  il  envoya  ensuite  le  cardinal  Robert  de  Ge- 
nève avec  une  puissante  armée.  Dans  cet  état  de  choses  ,  Ca- 
therine fut  choisie  pour  être  la  médiatrice  ;  de  tout  côté  on  la 
revêtit  de  pleins  pouvoirs  ;  le  Pape  remit  entre  ses  mains  ses 
destinées  en  lui  recommandant  seulement  l'honneur  de  l'Eglise 
(Godesc,  t.  3 ,  p.  258.)  0  triomphe  de  la  sainteté  !  une  sim- 
ple fille,  une  pauvre  religieuse  devient  l'arbitre  des  peuples  , 
des  papes  et  des  rois  !  c'est  elle  qui  négocie  ,  qui  voyage  , 
qui  apaise  ,  qui  désarme ,  qui  arrête  le  schisme  et  ses  fu- 
reurs, la  guerre  et  ses  désastres!  Que  de  fois  elle  se  vit  en 
danger  de  perdre  la  vie!....  Que  de  fois  les  épées  nues  furent 
tirées  contre  elle.... 

Après  de  si  hauts  faits  qui  suffiraient  pour  illustrer  la  vie 
des  premiers  politiques  du  monde  ,  Catherine  rentra  dans  la 
solitude.  Elle  reprit  les  exercices  de  la  vie  la  plus  sainte  et  la 
plus  mortifiée.  La  croix  de  Jésus-Christ  était  le  grand  objet 
de  son  amour.  Pour  récompenser  cette  tendresse  si  exces- 
sive ,  son  divin  Epoux  l'admit  à  la  faveur  de  porter  ses  stig- 
mates. Dans  une  vision  où  le  Seigneur  lui  présenta  une  cou- 
ronne d'or  et  une  d'épines  ,  elle  choisit  celle  d'épines  ,  re- 
poussa celle  d'or  et  s'écria:  «Seigneur,  je  veux  toujours 
vivre  de  manière  que  je  retrace  en  moi  votre  Passion  et  que  je 
trouve  mon  repos  et  mes  délices  dans  les  peines  et  les  souf- 
frances. »  Ces  mots  sont  la  peinture  fidèle  de  sa  vie  :  mais 
après  tant  de  peines,  de  travaux  et  de  démarches  pour  faire 
reconnaître  Urbain  VI  et  casser  l'élection   de  Clément  VII , 


2-40  NOTICE  SUR  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE. 

accablée  d'infirmités  ,  elle  mourut  à  Rome  ,  le  29  avril  1380, 
non  pas  tant  d'épuisement  que  d'amour  pour  Jésus-Christ. 

Pie  II  la  canonisa  en  1461  ;  Urbain  VIII  transféra  sa  fête 
au  30  avril. 

Outre  les  lettres  d'affaires  qui  portent  l'empreinte  d'un  génie 
supérieur  et  où  le  tact  le  dispute  à  l'onction  et  à  la  vivacité  du 
style ,  nous  en  avons  d'autres  où  règne  une  science  éminente 
dans  les  voies  de  Dieu  sur  les  âmes.  Ses  dialogues  ou  traités 
sont  encore  pleins  de  mérite  et  d'érudition  céleste.  Nous  avons 
suivi  pour  les  lettres  la  traduction  donnée  à  Paris  ,  en  164-4; 
quoique  ancienne  ,  elle  se  rapproche  davantage  du  style  de  la 
Sainte  en  son  temps ,  que  les  nouvelles  qui  sont  empreintes 
parfois  de  néologismes  et  d'un  genre  qui  était  inconnu  au 
siècle  où  elle  vivait.  Sous  ce  rapport ,  elle  semble  mériter  la 
préférence.  Quant  aux  traités,  nous  avons  traduit  de  l'italien. 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE, 

TIRÉ  DE  SES  LETTRES  ET  DE  SES  DIALOGUES  (1). 


A  Noire  Saint  Père  le  Pape  Grégoire  XL 

Au  nom  de  Jésus  crucifié  et  de  la  douce  Mûrie. 

Mon  très-saint  et  très-révérend  Père ,  en  mon 
doux  Jésus-Christ , 

Je  Catherine ,  votre  indigne  et  misérable  Fille ,  servante  et 
esclave  des  serviteurs  de  Jésus-Christ;  je  vous  écris  en  la 
vue  de  son  précieux  sang ,  et  dans  un  grand  désir  de  vous  voir 
bon  pasteur. 

Considérant  que  le  loup  emporte  vos  petites  ouailles  et 
qu'il  ne  se  trouve  personne  qui  y  donne  du  remède ,  j'ai  re- 
cours à  vous  ,  notre  Père  et  notre  souverain  Pasteur,  vous 

(1)  Un  grand  nombre  de  ses  lettres  aux  papes,  cardinaux,  prélats,  évêques, 
rois  et  reines,  avant  été  écrites  dans  les  mêmes  circonstances,  et  pour  les  mê- 
mes affaires  de  l'Eglise,  ne  pourraient  de  nos  jours  intéresser  vivement  nos  lec- 
teurs; voilà  pourquoi  nous  nous  sommes  attaché  à  faire  un  choix  aussi  utile 
qu'agréable  et  édifiant.  Nous  en  avons  jusqu'à  quatorze  écrites  à  Grégoire  XI , 
dix  à  Urbain  VI  et  un  grand  nombre  à  divers  mis.  C'esl  toujours  sur  la  paix 
de  l'Eglise. 


248  ESPtUT 

priant,  de  la  part  de  Jésus-Christ  crucifié  ,  que  vous  appre- 
niez de  lui ,  par  quel  véhément  feu  d'amour  il  s'est  donné  à 
l'ignominieuse  mort  de  la  très-sainte  croix,  afin  de  retirer 
la  brebis  désolée  de  la  nature  humaine,  de  la  puissance  du 
démon  ,  lequel  s'en  usurpait  la  possession  au  sujet  de  la  ré- 
volte que  l'homme  avait  formée  contre  Dieu.  A  cet  effet, 
l'infinie  bonté  de  Dieu  est  descendue  du  ciel  ,  et  voyant  le 
malheur ,  la  damnation  et  la  ruine  de  celle  pauvre  brebis  ,  il 
a  reconnu  qu'il  ne  la  pourrait  point  retirer  de  colère  et  par 
force  ;  d'où  vient  qu'encore  qu'il  en  eût  été  offensé  ,  et  que 
pour  le  châtiment  de  cette  rébellion  que  l'homme  avait  com- 
mise en  désobéissant  à  Dieu,,  il  méritât  une  peine  infinie; 
cette  souveraine  et  éternelle  sagesse  n'a  pas  voulu  toutefois 
s'y  comporter  de  la  sorte  ,  mais  elle  a  choisi  un  moyen  bien 
agréable  ,  et  le  plus  doux  et  gracieux  qui  se  saurait  trouver  ; 
elle  a  vu  qu'il  était  impossible  de  gagner  le  cœur  de  l'homme 
autrement  que  par  l'amour,  comme  ayant  été  fait  par  amour, 
ce  qui  est  la  cause  pour  laquelle  il  se  porte  si  fort  à  aimer.  Il 
n'a,  dis-je  ,  été  fait  par  d'autre  principe  que  d'amour  ,  pre- 
mièrement quant  â  l'âme ,  et  puis  encore  pour  ce  qui  regarde 
le  corps.  D'autant  que  Dieu  l'a  créé  à  son  image  et  ressem- 
blance par  un  très-pur  motif  de  son  amour  ,  et  sa  mère  por- 
tée aussi  d'un  semblable  motif  lui  a  fait  part  de  sa  substance, 
concevant  et  enfantant  un  Fils  par  un  principe  d'amour.  Dieu 
donc  voyant  que  l'homme  était  si  disposé  à  aimer,  lui  a  jeté 
subitement  l'hameçon  de  l'amour ,  lui  donnant  son  Verbe  et 
Fils  unique  qu'il  a  revêtu  de  notre  humanité  ,  afin  de  négo- 
cier la  paix  entre  lui  et  l'homme.  Mais  la  justice  requérant  que 
son  injure  fût  vengée  ,  la  divine  miséricorde  est  venue  accom- 
pagnée d'une  ineffable  charité  ;  et  pour  satisfaire  à  la  justice 
et  à  la  même  miséricorde  ,  Dieu  condamna  son  Fils  â  la  mort, 
après  l'avoir  couvert  de  notre  humanité ,  c'est-à-dire  de  la 
chair  d'Adam  ,  qui  avait  commis  le  crime.  De  sorte  que,  par 
sa  mort ,  la  colère  du  Père  fut  apaisée  par  la  justice  qu'il 
exerça  sur  la  personne  de  son  Fils,  et  la  justice  ainsi  satisfaite, 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  219 

il  contenta  d'ailleurs  la  miséricorde  ,  retirant  la  nature  hu- 
maine de  la  tyrannie  du  démon.  Et  cet  aimable  Verbe, 
posé  entre  les  bras  de  la  très-sainte  croix ,  semble  s'y  être 
joué,  faisant  comme  une  joute  de  la  mort  avec  la  vie, 
et  de  la  vie  contre  la  mort  :  de. sorte  que  par  sa  mort 
il  a  détruit  la  nôtre  ;  et  pour  nous  donner  la  vie ,  il  y  a 
consommé  celle  de  son  divin  corps.  Ainsi  donc,  il  nous  a 
attirés  par  l'amour,  et  par  sa  même  bonté  il  a  vaincu  notre 
malice  si  efficacement  que  tous  les  cœurs  se  devraient  rendre 
à  cet  agréable  attrait.  Car  s'il  n'est  pas  possible  de  faire  pa- 
raître un  plus  ardent  amour,  comme  il  l'a  dit  lui-même, 
que  de  donner  la  vie  pour  son  ami,  et  si  l'amour  commande 
qu'on  donne  la  vie  en  faveur  de  l'ami ,  que  dirons-nous  de  ce 
très-ardent  amour  qui  expose  sa  vie  pour  son  ennemi  même; 
vu  que  par  le  péché  nous  étions  devenus  les  ennemis  de 
Dieu. 

0  doux  et  très-aimable  Verbe ,  vous  avez  retrouvé  la  bre- 
biette  par  l'amour  ,  et  par  la  mort  vous  lui  avez  donné  la  vie, 
et  l'avez  reconduite  au  bercail  en  lui  rendant  la  grâce  qu'elle 
avait  perdue.  0  très-saint  et  mon  très-doux  Père,  je  ne  vois 
point  ici  d'autre  moyen  ni  de  meilleur  remède  pour  recouvrer 
vos  pauvres  ouailles  ,  lesquelles  comme  rebelles  se  sont  reti- 
rées de  la  bergerie  de  la  sainte  Eglise,  ne  vous  obéissant  pas 
et  se  révoltant  contre  vous,  qui  en  êtes  le  père.  C'est  pour- 
quoi je  vous  conjure  de  la  part  de  Jésus  crucifié ,  et  je  dé- 
sire que  vous  me  fassiez  cette  miséricorde,  savoir,  que  par 
votre  bonté  vous  triomphiez  de  leur  malice.  Nous  som- 
mes à  vous,  saint  Père  ;  je  connais  et  je  sais  que  tous  en 
général. reconnaissent  avoir  mal  fait,,  et  quoique  leur  faute 
ne  puisse  point  recevoir  d'excuse ,  cela  ne  m'ébranle  pas 
toutefois,  parce  qu'ils  ne  croient  point  avoir  pu  faire  autre- 
ment, à  cause  des  injustices  et  extorsions  qu'ils  souffraient 
de  la  part  des  mauvais  pasteurs  et  gouverneurs  :  de  sorte 
que ,  ressentant  l'infection  de  la  vie  de  plusieurs  des  magis- 
trats,  lesquels,  comme  vous  savez,  sont  des  démons  incar- 


250  ESPRIT 

nés  ,  ils  sont  tombés  en  une  si  pernicieuse  crainte  ,  qu'ils  ont 
fait  comme  Pilate,  lequel  pour  ne  point  perdre  le  gouverne- 
ment ,  condamna  Jésus-Christ  :  ceux-ci  ont  fait  de  même,  qui, 
crainte  de  perdre  l'état,  vous  ont  persécuté.  Je  vous  demande 
donc,  mon  Père,  miséricorde  en  leur  faveur;  n'ayez  pas  d'égard 
à  l'ignorance  et  insolence  de  vos  enfants,  mais  plutôt  que  votre 
Sainteté  les  réconcilie  par  l'amorce  de  l'amour  et  de  votre 
douceur,  leur  donnant  quelque  douce  correction  et  favorable 
réponse.  Rendez-nous  la  paix,  misérables  enfants,  qui  avons 
offensé  :  Je  vous  dis ,  mon  cher  Père  sur  la  terre ,  de  la  part 
de  Jésus-Christ  notre  Père  dans  le  ciel ,  que  vous  compor- 
tant de  la  sorte  ,  je  veux  dire  sans  querelle  et  sans  bruit ,  ils 
viendront  tous  tête  baissée  dans  votre  giron  ,  touchés  de  re- 
pentir pour  leur  faute  commise.  Et  vous  vous  réjouirez  et 
nous-mêmes  tressaillerons  d' allégresse ,  de  ce  que  vous  aurez 
reconduit  l'ouaille  égarée  dans  le  bercail  de  la  sainte  Eglise. 
C'est  alors  ,  mon  aimable  Père  ,  que  vous  accomplirez  votre 
saint  désir  et  la  volonté  de  Dieu  ,  qui  est  de  méditer  le  saint 
voyage  ,  auquel  je  vous  invite  de  sa  part  pour  le  faire  au  plus 
tôt ,  sans  user  de  plus  longue  remise  de  leur  part  :  ils  s'y  dis- 
poseront aussi  d'une  grande  affection  ,  comme  ils  sont  prêts 
d'exposer  leur  vie  pour  l'amour  de  Jésus-Christ.  Hélas  !  mon 
Dieu  ,  doux  amour  !  élevez ,  mon  Père  ,  l'étendard  de  la  très- 
sainte  croix,  et  vous  verrez  que  les  loups  deviendront  des 
agneaux.  La  paix  ,  la  paix  ,  la  paix  ,  et  que  la  guerre  ne  nous 
éloigne  pas  davantage  cette  agréable  saison;  que  s'il  vous 
plaît  de  prendre  la  vengeance  ,  et  de  faire  la  justice  ,  exercez- 
la  sur  moi  chétive,  misérable,  et  faites-moi  souffrir  toute  la 
peine ,  et  tous  les  tourments  qu'il  vous  plaît  que  j'endure  jus- 
ques  à  la  mort;  je  crois  que  l'infection  de  mes  péchés  a  attiré 
plusieurs  de  ces  défauts  ,  de  ces  inconvénients  et  de  ces  dis- 
cordes; prenez  donc  toute  la  vengeance  que  vous  jugerez  à 
propos,  sur  moi  votre  misérable  fille.  Hélas!  mon  Père,  je 
me  meurs  de  regret,,  sans  néanmoins  ,  pouvoir  perdre  la  vie; 
venez,  venez  ,  et  ne  résistez  pas  plus  au  bon  plaisir  de  Dieu  ; 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  251 

il  vous  appelle ,  et  les  ouailles  affamées  attendent  que  vous 
veniez  tenir  et  occuper  la  place  de  votre  prédécesseur  et  capi- 
taine ,  l'Apôtre  saint  Pierre ,  étant  raisonnable ,  comme  le 
vicaire  de  Jésus-Christ ,  que  vous  reposiez  en  votre  propre 
lieu  :  venez  donc ,  venez  ,  et  ne  tardez  point  davantage.  Pre- 
nez courage ,  et  ne  craignez  pas  quoi  que  ce  soit  qui  puisse 
arriver ,  parce  que  Dieu  sera  avec  vous.  Je  requiers  humble- 
ment votre  bénédiction  ,  et  pour  moi  et  pour  tous  mes  enfants, 
vous  suppliant  de  pardonner  à  ma  témérité.  Je  ne  dis  plus 
rien;  persévérez  en  la  sainte  et  douce  dilection  de  Dieu. 
Doux  Jésus,  Jésus  amour.  (Lettre  Ire ,  p.  1.  )  (1) 

An  Pape  Urbain  VI. 

Elle  se  console  en  ses  déplaisirs  ,  lui  faisant  voir  cruelle  doit  être  la 
cause  de  notre  vraie  douleur. 

Au  nom  de  Jésus-Christ  crucifié  cl  de  lu  douce  Mûrie. 

Mon  saint  et  excellent  Père  en  mon  doux  Jésus- 
Christ. 

Moi ,  Catherine  ,  servante  et  esclave  des  serviteurs  de  Jésus- 
Christ  ,  je  vous  écris  en  son  précieux  sang  ,  par  le  désir  de 
voir  toute  l'amertume  et  le  soin  qui  afflige  votre  esprit  éloi- 
gnés de  vous  :  afin  que  la  cause  de  votre  peine  étant  chas- 
sée ,  il  ne  demeure  en  vous  que  ce  doux  travail ,  lequel  en- 
graisse et  fortifie  l'àme ,  parce  qu'il  procède  du  feu  de  la 
divine  charité ,  c'est-à-dire ,  qu'il  est  causé  par  la  considéra- 
tion de  nos  péchés ,  et  de  l'injure  qui  est  faite  à  Dieu  par 
toute  la  chrétienté,  dans  le  corps  mystique  de  la  sainte 
Eglise ,  et  pour  la  perte  des  âmes  des  infidèles  ,  lesquels  ont 
été  rachetés  par  le  sang  de  Jésus-Christ,  aussi-bien  que 

(1)  Dans  une  édition  italienne  publiée  à  Parme  en  1842,  cctlc  1"  lettre  se 
trouve  la  4'  du  recueil ,  mais  la  traduction  de  Paris  de  1644  méritant  notre  con- 
fiance ,  nous  avons  cru  devoir  la  laisser  à  la  place  qu'elle  y  occupe. 


253  ESPRIT 

nous;  duquel  sang,  mon  très-saint  Père,  vous  tenez  les  clefs; 
et  néanmoins  on  voit  ces  pauvres  âmes  entre  les  mains  des 
démons.  C'est  cette  espèce  de  douleur  que  nourrit  l'àme  en 
l'honneur  de  Dieu ,  et  qui  la  fait  repaître  sur  la  table  de  la 
très-sainte  croix,  du  propre  aliment  des  âmes,  et  qui  la 
fortifie  parce  qu'elle  est  toute  affaiblie  par  l'amour-propre  , 
lequel  est  de  sa  part  une  autre  amertume,  qui  afflige  et  des- 
sèche la  même  âme  ,  la  privant  de  la  charité  ,  en  telle  sorte 
qu'elle  est  insupportable  à  elle-même  :  mais  l'àme  qui  res- 
sent en  soi  cet  agréable  tourment ,  chasse  l'amertume ,  parce 
qu'elle  ne  se  cherche  pas  pour  elle-même  ,  mais  elle-même 
pour  Dieu ,  et  la  créature  pour  Dieu  ,  et  non  point  pour  son 
propre  intérêt  et  plaisir.  Elle  cherche  Dieu  par  la  vue  de  son 
infinie  bonté,  qui  le  rend  l'unique  objet  digne  d'amour,  et 
lequel  nous  devons  aimer  par  devoir.  Et  d'où  est-ce  que  l'àme 
reçoit  une  perfection  si  aimable  ,  si  ce  n'est  par  la  lumière  et 
parce  que  la  vérité  de  Jésus  crucifié  se  propose  pour  objet  à 
l'œil  de  l'entendement  lorsqu'il  goûte  par  l'affection  les  mer- 
veilles de  sa  doctrine ,  et  par  ce  sujet  elle  s'arme  de  cette  dilec- 
tion  ,  suivant  et  cherchant  le  seul  amour  de  Dieu  et  le  salut 
des  âmes,  comme  l'a  fait  celle  vérité,  qui,  pour  l'honneur 
de  son  Père  ,  et  pour  notre  salut,  a  couru  après  la  très-igno- 
minieuse mort  de  la  croix  ,  par  une  vraie  humilité  et  patience, 
jusques  à  un  tel  point,  que  sa  voix  ne  fut  jamais  entendue 
pour  se  plaindre ,  et  en  souffrant  beaucoup  ,  il  rendit  la  vie  à 
cet  enfant  mort  de  la  nature  humaine.  Il  me  semble ,  très- 
saint  Père ,  que  cette  vérité  éternelle  veut  faire  de  vous  un 
autre  soi-même,  puisqu'aussi  bien  vous  êtes  son  vicaire  ,  et  le 
Christ  sur  la  terre  :  et  il  veut  que  ,  par  les  afflictions  et  les 
souffrances ,  vous  réformiez  sa  bien-aimée  épouse ,  et  la 
vôtre ,  laquelle  depuis  un  si  long  temps  a  été  toute  défigurée  ; 
non  pas  qu'elle  puisse  recevoir  aucune  altération  en  soi,  ni 
encore  moins  être  privée  du  feu  de  la  divine  charité  :  mais  en 
ceux  qui  se  repaissent  et  qui  paissent  encore  dans  son  sein, 
lesquels  l'ont  fait  paraître  pâle  et  comme  malade  à  cause  de 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  253 

leurs  défauts  ,  en  lui  suçant  le  plus  pur  sang  de  sa  vie  par  la 
passion  qu'ils  ont  de  leur  propre  intérêt.  Désormais  le  temps 
est  venu ,  auquel  il  veut  que  par  votre  moyen  comme  par 
son  organe,  en  soufflant  les  travaux  et  les  persécutions  ,  elle 
soit  guérie  de  ses  infirmités ,  et  qu'elle  vienne  à  renaître 
comme  un  petit  enfant  innocent ,  après  avoir  retranché  tout 
ce  qui  était  du  vieil  homme,  et  la  renouvelant  d'ailleurs  par 
le  nouveau.  Aimons-nous  donc  en  cette  agréable  amertume, 
après  laquelle  vient  le  secours  d'une  indicible  douceur  :  soyez 
un  arbre  d'amour  greffé  sur  l'arbre  de  vie,  qui  est  le  doux 
Jésus-Christ  ;  les  fleurs  de  cet  arbre  seront  les  pensées  de  vertu 
qui  naîtront  dans  votre  affection  ,  et  le  fruit  qui  en  proviendra 
sera  la  faim  de  l'honneur  de  Dieu  et  du  salut  de  vos  ouailles. 
Ce  fruit  semble  amer  en  son  commencement,  lorsqu'il  est 
goûté  par  la  bouche  du  saint  désir  ;  mais  si  l'âme  a  une  fois 
résolu  de  vouloir  souffrir  jusques  à  la  mort,  pour  l'amour 
de  Jésus  crucifié  ,  et  pour  le  mérite  de  la  vertu  ,  il  perd  son 
amertume  et  devient  extrêmement  doux.  Comme  j'ai  vu  quel- 
quefois que  l'orange,  qui  semble  amère  et  forte,  si  on  retire  ce 
qui  est  contenu  au  dedans  ,  et  la  fait  amollir  dans  l'eau  ,  toute 
l'amertume  en  est  tirée  et  se  remplit  après  d'un  baume  qui 
fortifie  et  se  couvre  d'une  couleur  d'or  par  le  dehors,  de 
sorte  que  l'eau  et  le  feu  ont  purifié  cette  amertume  qui  fai- 
sait que  l'homme  ne  pouvait  pas  la  souffrir  à  la  bouche.  Ainsi, 
très-saint  Père  ,  l'âme  qui  conçoit  de  l'affection  pour  la  vertu, 
au  commencement  la  trouve  difficile  parce  qu'elle  est  encore 
dans  l'imperfection;  mais  pourvu  qu'elle  y  veuille  appliquer 
le  remède,  qui  est  le  sang  de  Jésus  crucifié,  lequel  donne 
l'eau  de.  la  grâce,  elle  attirera  toute  l'amertume  de  la  sen- 
sualité ;  je  veux  dire  l'amertume  qui  cause  des  douleurs  , 
ainsi  que  nous  avons  dit,  et  parce  que  le  sang  n'est  pas  sans 
chaleur  puisque  aussi  bien  il  a  été  répandu  par  le  feu  de 
l'amour  :  je  puis  dire  ,  et  c'est  la  vérité  ,  que  ce  feu  et  cette 
eau  ôtent  l'amer  et  changent  son  naturel  qui  procède  de 
Fainour-propre  et  le  remplissent  d'un  baume  de  force  avec 


254  ESPRIT 

une  persévérance  infaillible  et  avec  la -patience  broyée  dans 
le  miel  d'une  profonde  humilité  ;  ce  qui  est  la  connaissance  de 
soi-même,  parce  que  l'àme  se  connaît  mieux,  comme  aussi 
la  bonté  de  son  Créateur  au  temps  de  l'affliction.  Ce  fruit  en- 
tier et  renfermé  fait  paraître  à  la  fin  au  dehors  ce  qu'il  cachait 
sous  l'écorce.  C'est  ici  l'or  de  la  pureté  enrichie  du  lustre 
d'une  embrasée  charité  ,  laquelle  éclate  au  dehors ,  se  faisant 
connaître  par  l'utilité  que  le  prochain  en  reçoit ,  moyen- 
nant une  sincère  patience  souffrant  généreusement  et  avec 
douceur  du  cœur  ,  goûtant  seulement  cette  douce  amertume 
que  nous  devons  ressentir  pour  les  offenses  commises  contre 
Dieu  et  pour  la  perte  des  âmes.  C'est  de  cette  façon  ,  très- 
saint  Père,  que  nous  produirons  un  fruit  doux  étant  privé  de 
cette  fâcheuse  amertume  ,  et  ce  fruit  nous  donnera  le  moyen 
de  chasser  le  déplaisir  que  nous  souffrons  à  présent  dans  le 
cœur  et  dans  l'esprit ,  pour  les  accidents  qui  sont  survenus 
par  l'artifice  des  mauvais ,  passionnés  de  l'amour  de  soi- 
même,  lesquels  vous  affligent  comme  aussi  vos  enfants, 
par  les  offenses  qu'ils  commettent  contre  Dieu.  J'espère  en 
la  bonté  de  notre  doux  Créateur,  que  le  sujet  de  cette  peine 
sera  ôlé,  éclairant  ceux  qui  en  sont  la  cause,  ou  jetant  leur 
malice  en  confusion  ,  tandis  que  votre  Sainteté  et  nous  aussi, 
ferons  mûrir  les  fruits  de  la  vertu  par  le  souvenir  du  sang  de 
Jésus  crucifié  ,  et  par  une  vraie  humilité  ,  ainsi  qu'il  a  été  dit, 
connaissant  que  nous  ne  sommes  pas  de  nous-mêmes,  mais 
que  l'être  et  toute  la  grâce  ,  qui  vient  après  la  création  ,  dé- 
pend de  lui.  Ainsi  s'accomplira  en  vous  la  volonté  de  Dieu  , 
et  le  désir  de  mon  âme.  Rassurez-vous  ,  mon  très-aimable 
Père ,  pas  une  vraie  humilité  sans  aucune  appréhension  , 
parce  que  vous  pourrez  toute  chose  par  Jésus  crucifié,  en 
qui  repose  ou  réside  toute  notre  espérance.  Je  n'en  dirai  pas 
davantage-,  pardonnnez-moi  la  hardiesse  que  je  prends;  je 
vous  demande  avec  humilité  votre  bénédiction.  Demeurez  en 
la  sainte  et  douce  dilection  de  Dieu.  Doux  Jésus,  Jésus 
amour!  (Lettre  XVI,  p.  30.  ) 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  20D 

Au  même  pape  Urbain  VI. 
Au  nom  de  Jésus-Christ  et  de  la  douce  Marie. 

Elle  fait  voir  que  les  persécutions  des  méchants  ne  nuisent  pas  aux 
vertueux. 

Très-saint  et  très-doux  Père  en  Jésus-Christ , 

Je  ,  Catherine  ,  servante  et  esclave  des  serviteurs  dé  Jésus- 
Christ,  vous  écris  en  son  précieux  sang,  par  un  désir  de 
vous  voir  revêtu  de  la  double  robe  d'une  très-ardente  charité, 
afin  que  les  traits  qui  vous  sont  lancés  par  ces  mauvaises 
personnes  qui  ne  sont  affectionnées  qu'à  leurs  intérêts  ,  ne 
puissent  vous  nuire.  Certes  ,  il  n'y  a  point  de  coup  ,  pour  si 
terrible  qu'il  soit ,  qui  puisse  offenser  l'àme  couverte  de  ce 
riche  vêtement  ;  Dieu  est  îa  force  éternelle  qui  ne  peut  être 
offensée  par  aucun  de  nos  forfaits ,  d'autant  qu'il  ne  saurait 
non  plus  recevoir  la  moindre  blessure.  De  là  vient  que  notre 
mal  n'a  pas  de  quoi  lui  préjudiciel1  non  plus  que  nos  biens 
apporter  du  profit.  Mous  sommes  seuls  qui  souffrons  l'intérêt 
du  mal  que  nous  commettons ,  et  le  bien  profitera  à  ceux  qui 
le  feront  par  la  grâce  divine.  Que  si  Dieu  est  une  force  éter- 
nelle et  invincible,  et  si  l'àme  qui  demeure  en  la  charité  de- 
meure en  Dieu  et  Dieu  réside  aussi  en  elle  ,  puisque  Dieu  est 
charité  ;  donc  l'àme  qui  est  revêtue  de  cet  habit,  parce  qu'elle 
est  en  Dieu  ,  ne  trouve  aucune  espèce  de  crainte  ni  d'afflic- 
tion qui  la  puisse  vaincre  ;  mais  plutôt  elle  se  fortifie  dans  les 
tribulations  ,  sans  que  les  coups  des  méchants  et  des  impies 
qui  n'aiment  qu'eux-mêmes  ,  puissent  lui  nuire  ni  amoindrir 
ses  affections  ,  ni  les  forces  de  sa  sainte  épouse  qui  est  l'église, 
parce  qu'elle  ne  peut  recevoir  aucune  altération  comme  étant 
fondée  sur  îa  pierre  vive  qui  est  Jésus-Christ.  Qui  est-ce  donc 
qui  pourra  être  endommagé  par  ces  coups?  Ceux-là  même, 
mon  très-saint  et  très-doux  Père  .  qui  les  jettent  et  qui  lèvent 
contre  vous  leurs  flèches  envenimées.  Elles  ne  touchent  en 


250  ESPRIT 

vous  que  votre  bouté  et  non  autre  chose ,  sans  vous  causer 
de  l'amertume  ni  de  la  perte  ,  si  ce  n'est  pour  le  scandale  et 
le  schisme  qu'ils  ont  lancé  dans  le  corps  mystique  de  la  sainte 
Eglise.  Ouvrez  votre  cœur  à  la  douce  dilection  sans  rien 
craindre  ,  mais  confirmez-vous  et  fortifiez-vous  par  l'union 
avec  votre  chef  qui  est  le  doux  Jésus  ,  lequel  a  toujours  voulu 
dès  le  commencement  du  monde  ,  et  l'ordonnera  ainsi  jusqu'à 
la  fin ,  qu'il  ne  se  fasse  rien  de  grand  sans  beaucoup  souffrir. 
Jetez-vous  donc  sans  aucune  crainte  à  travers  ces  épines , 
étant  revêtu  de  ce  fort  habit  de  la  charité.  Hélas!  hélas  !  ne 
laissez  pas  d'aller  vite  pour  toutes  ces  fatigues ,  et  n'entrez 
point  en  appréhension  en  façon  quelconque  pour  votre  vie 
présente.  Hélas  !  que  mon  âme  est  infortunée  !  J'ai  appris  que 
ces  démons  incarnés  ont  élu  non  pas  un  Christ  en  la  terre  , 
mais  qu'ils  y  ont  fait  naître  un  Antéchrist  contre  vous .,  le  vrai 
Christ  en  terre.  Dès  ce  moment  il  faut  donc ,  très-saint  Père  , 
il  faut  entrer  sans  rien  craindre  dans  ce  combat  ;  mettez-vous 
à  couvert  dans  le  côté  de  Jésus-Christ  crucifié  où  vous  trouve- 
rez une  agréable  retraite;  baignez-vous  dans  son  très-doux 
sang.  Nous  sommes  tous  disposés  à  rendre  obéissance  à  votre 
Sainteté  cl  de  souffrir  jusqu'à  la  mort ,  vous  promettant  de 
vous  aider  par  les  armes  de  la  sainte  oraison  et  de  publier  la 
vérité  partout  où  sera  le  bon  plaisir  de  Dieu  et  de  votre  Sain- 
teté. Pourvoyez  à  avoir  de  bons  et  vertueux  pasteurs  ;  ne  pla- 
cez pas  votre  confiance  dans  les  hommes  ,  mais  en  Dieu  seul  ; 
ne  laissez  pas  pour  cela  d'ordonner  une  bonne  garde  autour 
de  votre  personne,  et  faites  de  votre  côté  tout  ce  qui  vous  sera 
possible.  Je  ne  serai  pourtant  pas  en  repos  jusqu'à  ce  que 
je  me  sois  présentée  à  votre  Sainteté  ,  et  que  je  lui  aie  dit  de 
vive  voix  ce  que  je  lui  écris ,  parce  que  mon  dessein  est  de 
donner  le  sang  et  la  vie  ,  voire  même  de  distiller  les  moelles 
de  mes  os  pour  l'Eglise,  bien  que  je  ne  sois  pas  digne  de  celte 
grâce.  Pardonnez,  mon  Père,  pardonnez,  s'il  vous  plaît,  à  ma 
présomption,  je  nen  dirai  pas  davantage.  Demeurez  en  la  douce 
dilection  de  Dieu  :  doux  Jésus,  Jésus  amour!  (Lettre  XXII-51 .) 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  257 

A  Monseigneur  Pierre,  cardinal  de  Luna. 

Au  nom  de  Jésus-Christ  et  de  la  douce  Marie. 

Des  effets  de  la  vérité ,  et  de  quelle  sorte  le  cœur  de  l'homme  opère 
généreusement ,  éclairé  de  sa  lumière. 

Mon  très-révérend   et  très-cher  Fère  en  mon   doux 
Jésus-Christ, 

Je,  Catherine  ,  servante  et  esclave  des  serviteurs  de  Jésus- 
Christ  ,  vous  écris  en  son  précieux  sang  par  un  désir  de  vous 
voir  amoureux  de  la  vérité ,  laquelle  est  toujours  libre ,  n'y 
ayant  personne  qui  puisse  rien  entreprendre  contre  la  vérité. 
Mais  il  semble  que  l'homme  ne  saurait  l'avoir  en  toute  sa 
perfection  ,  s'il  ne  la  connaît  ;  d'autant  que  ne  la  connaissant 
pas,  il  ne  peut  l'aimer,  et  ne  l'aimant  pas  en  soi ,  il  ne  s'ef- 
force pas  de  l'acquérir.  A  ce  sujet  donc  le  flambeau  de  la 
très-sainte  foi  est  nécessaire;  lequel  est  la  prunelle  de  l'œil 
de  l'entendement,  et  cet  œil  éclairé  par  la  lumière  de  la  foi  , 
l'âme  vient  alors  en  la  connaissance  de  la  douce  vérité  de 
Dieu  qui  est  toute  pour  notre  sanctification. 

La  vérité  corrige  avec  hardiesse  ,  parce  qu'elle  est  accom- 
pagnée d'une  sainte  justice,  laquelle  est  un  diamant  qui  doit 
briller  en  toutes  les  créatures  qui  usent  de  la  raison ,  mais 
surtout  dans  un  prélat.  La  vérité  garde  le  silence  quand  il  en 
est  besoin  ,  et  se  taisant ,  elle  crie  par  la  voix  de  la  patience  : 
d'autant  qu'elle  n'est  pas  ignorante ,  mais  elle  sait  discerner 
et  reconnaître  où  il  y  va  plus  de  gloire  de  Dieu  et  de  salut 
pour  les  hommes.  0  mon  très-cher  Père,  aimez  cette  vérité, 
afin  que  vous  soyez  une  colonne  au  corps  mystique  de  la 
sainte  Eglise  qui  est  le  lieu  où  cette  vérité  doit  être  adminis- 
trée ,  puisque  la  vérité  réside  en  elle  et  qu'elle  en  est  la  gar- 
dienne. 

(  Elle  parle  ensuite  du  schisme  élevé  à  Sienne ,  et  s'écrie  :  ) 
t.  v.  17 


258  ESPHIT 

Hélas!  hélas!  je  meurs  de  ne  pouvoir  mourir  et  de  voir 
que  ceux  qui  devraient  mourir  pour  la  vérité  soient  privés 
de  cette  même  vérité.  Je  veux  donc,  mon  très-cher  Père, 
que  vous  ayez  de  la  passion  pour  la  vérité,  suivant  le  bon 
commencement  que  vous  avez  donné  à  vos  actions  ,  quand 
vous  avez  vu  que  l'épouse  de  Jésus-Christ  avait  besoin  d'un 
bon  et  saint  pasteur  ,  et  qu'à  ce  sujet  vous  vous  êtes  exposé 
sans  crainte  à  toutes  choses  ,  sans  jamais  rien  appréhender. 
Afin  donc  que  ceci  puisse  réussir  selon  notre  dessein,  je  vous 
prie  d'être  toujours  à  l'oreille  de  Sa  Sainteté  ou  de  lui  dire 
incessamment  qu'il  lui  plaise  de  réformer  son  épouse  par 
cette  même  vérité  ;  mais  dites-lui  d'un  grand  courage  qu'il  la 
rétablisse  par  de  saints  et  bons  pasteurs  ,  qui  le  soient  en 
effet  et  en  vérité,  et  non-seulement  par  le  son  des  paroles.  Je 
veux  donc,  pour  l'amour  de  Jésus-Christ  crucifié,  que  vous  le 
suppliiez  que  ce  soit  son  bon  plaisir  de  vous  donner  la  force 
d'arracher  les  vices  avec  espérance  et  douceur,  et  de  planter 
les  vertus  autant  qu'il  vous  sera  passible,  et  qu'il  lui  plaise 
de  mettre  la  paix  dans  l'Italie.  —  Si  vous  êtes  ainsi  passionné 
pour  la  vérité  ,  au  moyen  de  la  précieuse  perle  de  la  justice 
détrempée  dans  la  miséricorde  ,  n'imposant  point  à  vos  sujets 
une  plus  pesante  charge  qu'ils  ne  la  peuvent  porter  ,  vous  ne 
vous  soucierez  de  quoi  que  ce  soit ,  vous  ne  tournerez  pas 
seulement  la  tète  pour  regarder  la  moindre  chose,  mais  vous 
persévérerez  constamment  jusqu'à  la  mort.  C'est  tout  ce  que 
j'ai  à  vous  dire  ;  rendez-vous  un  digne  époux  de  la  vérité  , 
maintenez-vous  en  la  sainte  et  douce  dilection  de  Dieu.  Doux 
Jésus ,  Jésus  amour  !  (  Lettre  III ,  page  58.  ) 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  2Û9 

Au\  anciens  de  la  cité  de  Lncques. 

Au  nom  de  Jésus-Christ  crucifié  et  de  lu  douce  Marie 
De  la  force  de  l'Eglise  unie  à  son  chef  qui  est  Jésus-Christ. 

Mes  très-clicrs  el  bien-airaés  Frères  en  Jésus-Christ, 

Catherine  ,  etc.  Je  vous  écris  en  son  précieux  sang  par  le 
désir  de  vous  voir  remplis  de  la  grâce  divine  et  de  la  lumière 
du  Saint-Esprit  sans  laquelle  nous  ne  pouvons  nous  conduire. 
Vous  savez  bien  ,  mes  Irès-chers  Frères  ,  que  nous  sommes 
en  chemin  comme  des  .pèlerins  et  voyageurs  en  cette  vie  de 
ténèbres,  et  que  de  nous-mêmes  nous  sommes  des  aveugles  : 
comment  donc  un  aveugle  qui  n'a  point  de  guide  pourra-t-il 
tenir  un  chemin  mauvais  et  difficile  sans  tomber  ?  Il  a  donc 
besoin  de  guide  et  de  lumière  qui  le  conduise.  —  (  Après 
avoir  dit  que  c'est  Jésus-Christ  qui  est  notre  lumière  et  notre 
guide  et  que  son  vicaire  le  représente  ici-bas  ;  que  son  église 
est  dépositaire  de  sa  vérité  et  de  son  sang  ,  elle  ajoute  :  ) 
—  Sachez  que  celte  épouse  est  si  bien  affermie  par  le  feu 
de  la  charité  tant  en  soi-même  qu'en  tous  ceux  qui  s'appuient 
sur  elle  comme  ses  vrais  et  légitimes  enfants  ,  qu'ils  choisi- 
raient mille  fois  la  mort  plutôt  que  de  s'en  séparer  ou  de  vivre 
sans  elle;  elle  est  même  si  bien  unie  à  son  divin  époux  ,  qu'il 
n'y  a  point  de  puissance  sous  le  ciel  qui  la  puisse  séparer 
d'avec  lui ,  ni  empêcher  qu'elle  ne  soit  à  jamais  cette  véné- 
rable, très-douce  et  bien-aimée  épouse;  que  si  vous  me  dites 
qu'ellesemble  aller  en  décadence  et  qu'elle  ne  peut  être  sou- 
tenue que  par  le  pouvoir  de  ses  enfants,  je  vous  déclare 
qu'encore  que  cela  paraisse  ainsi  à  l'extérieur  ,  si  vous  con- 
sidérez bien  toutefois  l'intérieur  ,  vous  y  trouverez  des  forces 
dont  son  ennemi  est  dépouillé  :  vous  savez  bien  que  le  titre  de 
fort  appartient  à  Dieu,  et  que  toute  force  et  toute  vertu  pro- 
cèdent de  lui  qui  en  est  la  source  :  cette  force  n'est  point  ôlée 


260  ESPRIT 

à  l'épouse  ,  ni  ce  ferme  secours  et  puissant  appui  qu'il  lui 
prête,  tandis  que  ses  ennemis  ,  comme  des  membres  pour- 
ris ,  sont  retranchés  de  leur  chef  et  demeurent  affaiblis  ,  et 
qu'il  leur  arrive  comme  à  une  partie  qui  est  coupée  d'un 
corps ,  laquelle  perd  aussitôt  la  vigueur  et  la  vie  ;  que  si  vous 
avez  encore  quelque  doute  ,  parce  que  vous  voyez  les  mem- 
bres que  j'appelle  faibles  et  pourris  s'avançant  et  semblant 
prospérer ,  ayez  patience ,  les  affaires  ne  doivent  pas  aller 
toujours  de  celte  sorte ,  les  chances  tourneront  bientôt ,  puis- 
que le  Saint-Esprit  a  dit  en  la  sainte  Ecriture,  «  qu'en  vain 
l'homme  veille  et  travaille  pour  garder  la  ville,  si  Dieu  même 
ne  la  défend.  »  Aussi  leur  ruine  est-elle  infaillible...  Je  vous 
supplie  donc ,  pour  l'amour  de  Jésus-Christ  crucifié  ,  mes 
chers  Frères,  que  vous  demeuriez  toujours  fermes  et  cons- 
tants en  ce  que  vous  avez  commencé.  Ne  vous  étonnez  point 
de  tous  les  assauts  de  l'enfer  ni  des  hommes  pires  que  les 
démons,  qui  vous  menacent  de  vous  enlever  vos  états  ;  con- 
solez-vous seulement  de  la  grâce  que  Dieu  vous  fait  de  ne 
point  vous  séparer  de  votre  chef  et  de  celui  en  qui  réside  la 
véritable  force  ,  et  n'allez  point  faire  alliance  avec  ces  mem- 
bres débiles  et  pourris  qui  s'en  sont  éloignés.  Gardez-vous 
bien  d'entrer  dans  cette  ligue,  et  choisissez  plutôt  toute  sorte 
d'extrémités  que  de  tomber  en  ce  désastre...  Vous  savez  bien 
qu'entre  plusieurs  enfants  qui  seront  en  une  famille  ,  si  tous 
sont  désobéissants  et  rebelles  à  leur  père,  à  la  réserve  d'un 
seul ,  celui-là  emportera  l'héritage  ;  je  dis  ceci ,  en  cas  que  si 
vous  n'aviez  point  de  compagnons  de  votre  vertu  ,  vous  ne 
laissassiez  pas  de  tenir  bon  :  mais  parla  grâce  de  Dieu  vous 
n'êtes  pas  seuls ,  car  vous  avez  les  habitants  de  Pise ,  vos 
voisins,  qui  ne  manqueront  jamais  à  leur  devoir...  Je  n'en 
dis  pas  davantage;  demeurez  en  la  sainte  et  douce  dilection 
de  Dieu.  Doux  Jésus  ,  Jésus  amour  !   (  Lettre  XX  ,  p.  549.  ) 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  20 1 

Au  roi  de  France,  Charles  Y. 

Au  nom  de  Jésus  crucifié  et  de  lu  douce  Mûrie. 

Elle  prie  le  roi  de  mettre  la  paix  dans  son  royaume,  alin  de  pouvoir 
secourir  i' église. 

Mon  très-cher  Père  en  mon  doux  Jésus-Christ , 

Catherine,  servante  et  esclave  des  serviteurs  de  Jésus-Christ, 
je  vous  écris  en  son  précieux  sang  ,  pour  le  désir  de  voir  en 
vous  une  vraie  et  très-parfaite  lumière  ,  afin  que  vous  puis- 
siez connaître  la  vérité  et  discerner  ce  qui  est  nécessaire  pour 
votre  salut.  Nous  irons  dans  les  ténèbres  sans  cette  lumière 
et  ne  pourrons  pas  juger  de  ce  qui  peut  nuire  ni  profiter  au 
corps  ni  à  L'âme ,  d'où  procède  la  corruption  du  goût  qui 
nous  fait  agréer  les  choses  mauvaises  et  déplaire  celles  qui 
peuvent  être  profitables.  Nous  trouvons  du  goût  au  péché 
et  à  ce  qui  nous  y  conduit  ;  et  d'ailleurs  ,  la  vertu  nous 
semble  pleine  d'amertume  et  de  difficile  conquête.  Mais  l'àme 
qui  est  éclairée  d'une  vraie  lumière  sait  bien  reconnaître  la 
vérité  :  elle  s'affectionne  à  la  vertu  et  à  Dieu  par-dessus  toutes 
choses  ,  comme  à  la  fontaine  de  toutes  les  vertus  :  elle  déteste 
le  péché  et  la  propre  sensualité  qui  est  la  cause  de  tous  les 
vices.  Mais,  par  quel  malheur  sommes-nous  privés  de  celte 
vraie  et  agréable  lumière  ?  Par  l'amour-propre  ou  l'amour 
que  nous  avons  de  nous-mêmes ,  lequel  est  comme  un  brouil- 
lard qui  offusque  l'œil  de  l'entendement  et  obscurcit  la  lu- 
mière de  la  très-sainte  foi  ;  ainsi,  l'homme  se  laisse  conduire 
comme  un  aveugle,  suivant  les  mouvements  de  sa  faiblesse  et 
de  sa  passion  ,  dépouillé  de  la  conduite  qu'il  pouvait  attendre 
de  la  raison  ,  et  comme  un  animal  il  est  gagné  par  ses  appé- 
tits. C'est  un  grand  désastre  à  l'homme  sur  lequel  Dieu  a  im- 
primé les  traits  de  son  image  ,  de  voir  que  de  son  gré  il  de- 
vienne pire  qu'un  animal  sans  raison  :  il  ne  veut  connaître  ni 


-20-2  ESPRIT 

reconnaître  les  grâces  et  les  faveurs  de  son  Dieu  ,  mais  il  sem- 
ble se  les  approprier  à  soi-même.  Toutes  sortes  de  maux 
prennent  leur  source  de  Pamour-propre  :  les  iniquités  et 
toutes  les  impiétés  en  tirent  leur  origine  :  il  porte  l'homme  à 
commettre  des  injustices  contre  Dieu  et  contre  soi-même  :  le 
prochain  s'en  ressent  et  la  sainte  mère  l'Eglise  en  est  offensée. 
Le  péché  qui  en  est  commis  contre  Dieu ,  consiste  en  ce  qu'il 
ne  rend  ni  l'honneur  ni  la  gloire  dus  à  son  nom  ,  ainsi  que 
l'homme  y  est  obligé  :  il  ne  déteste  pas  le  vice  ainsi  qu'il  de- 
vrait ,  et  il  ne  traite  pas  son  prochain  avec  bienveillance  et 
charité  :  s'il  est  supérieur,  il  n'administre  pas  la  justice  selon 
la  loi ,  mais  selon  les  intérêts  de  la  créature  ou  selon  le  mou- 
vement de  ses  plaisirs  :  il  persécute  l'Eglise  sans  cesse  au 
lieu  de  lui  rendre  obéissance.  L'amour-propre  est  la  cause  de 
tous  ces  malheurs ,  parce  qu'étant  privé  de  lumière,  il  ne 
donne  pas  le  moyen  de  connaître  la  vérité.  Ceci  est  très-évi- 
dent ,  en  ielle  sorte  qu'il  ne  se  passe  jour  que  nous  n'en  las- 
sions l'expérience.  Je  ne  voudrais  pas  ,  mon  cher  Père  ,  que 
ce  brouillard  vous  fit  perdre  la  lumière,  mais  je  désire  plutôt 
qu'il  y  ait  un  flambeau  en  vous  qui  vous  fasse  connaître  la  vé- 
rité. Il  me  semble,  à  ce  que  j'ai  appris  ,  que  vous  commencez 
à  vous  laisser  conduire  par  le  conseil  des  personnes  qui  ai- 
ment le  trouble  ,  et  vous  n'ignorez  pas  que  si  un  aveugle  en 
conduit  un  autre  ,  ils  tomberont  tous  deux  dans  la  fosse.  C'est 
le  malheur  qui  vous  arrivera  si  vous  n'y  apportez  d'autre 
remède  que  celui  que  je  vois.  Voilà  pourquoi  je  suis  grande- 
ment étonnée  qu'un  prince  très-chrétien  ,  lequel  fait  profes- 
sion de  craindre  Dieu  .,  se  laisse  conduire  comme  un  enfant, 
sans  vouloir  considérer  en  quelle  désolation  il  se  jette ,  et 
les  autres  aussi ,  ternissant  la  lumière  de  la  très-sainte  foi  , 
par  le  conseil  et  le  support  de  ceux  qui  sont  des  ministres 
d'enfer,  des  arbres  morts  et  déracinés  ,  dont  les  défauts  et 
les  impiétés  sont  manifestes  par  le  poison  qu'ils  sèment ,  di- 
sant que  le  pape  Urbain  VI  n'est  pas  le  vrai  et  légitime  suc- 
cesseur de  saint  Pierre.  Prenez  garde  que  ceux  qui  vous  font 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  263 

entendre  ces  choses  ,  parlent  contre  leur  propre  conscience 
et  méritent  d'être  punis  ,  de  quelque  façon  qu'ils  se  veuillent 
excuser  et  par  les  mêmes  principes  qu'ils  allèguent  pour  leur 
justification.  Si  nous  disons  que  vraiment  ils  ont  fait  élection 
de  sa  personne  ,  mais  que  ça  été  par  la  crainte  qu'ils  avaient 
de  la  fureur  du  peuple  ,  ils  parlent  contre  la  vérité  ,  parce 
qu'ils   l'élurent  par  une  élection   vraie   et  aussi  canonique 
comme  aucun  autre  de  ses  prédécesseurs  ait  pu  jamais  avoir 
été  élu.  Il  est  bien  vrai  qu'ils  usèrent  de  diligence  à  faire  la 
nomination  ,  par  crainte  qu'ils  avaient  du  peuple  ;  mais  ils  ne 
furent  pas  contraints  de  nommer  monseigneur  Barthélémy  , 
archevêque  de  Bary  ,  qui  est  à  présent  le  pape  Urbain  YI.  Je 
l'avoue  ,  et  c'est  la  vérité  ,  que  monseigneur  Pierre  de  Luna 
a  vraiment  été  élu  et  nommé  par  crainte  ;  mais  l'élection  du 
pape  Urbain  a  été  juste  et  canonique.  C'est  ainsi  qu'ils  me  le 
dirent ,  et  à  vous  aussi  et  à  tous  les  princes  de  l'Europe  ,  dé- 
clarant par  leurs  actions  ce  qu'ils  disaient  aussi  de  bouche  , 
parce  qu'ils  lui  rendirent  les  adorations  accoutumées  comme 
au  Christ  en  la  'terre  ,  assistant  à  son  couronnement  avec 
toutes  les  solennités  requises  et  confirmant  de  nouveau  celte 
élection ,   en  lui  demandant  des  grâces  et   des  abolitions , 
comme  au  souverain  chef  de  l'Eglise  ,  dont  ils  se  servirent 
avec  toute  sorte  de  soumission  et  parfaite  union  de  volonté. 
Que  s'il  est  vrai,  comme  ils  le  disent  à  présent,  qu'ils  l'avaient 
élu  par  crainte  du  peuple,  et  qu'ensuite  Urbain  YI  n'est  pas 
le   vrai  pape,  ne   seraient-ils   pas   dignes  d'une  confusion 
éternelle  ,  de  voir  que  les  colonnes  de  la  sainte  Eglise  éta- 
blies pour  l'honneur  de  la  sainte  foi ,  eussent  voulu  acquérir 
pour  eux  ,   et  nous  donner  à  nous   la   mort  éternelle  par 
crainte  de  la  temporelle  ,    en  nous  faisant  reconnaître  pour 
chef  de   la  chrétienté  celui  qui  ne  l'était  pas?  El  n'eussenl- 
ils  pas  été  de  vrais   voleurs  de  se  servir  de  grâces  qu'ils 
oclroyaient,  s'ils  savaient  bien  qu'il  n'eût  pas  le  pouvoir  de 
les   donner?  Et   des  idolâtres   adorant  pour   le  Christ   en 
la  terre  celui  qui  n'était  pas  le  vrai  pape  ,  si  ce  qu'ils  disent  à 


26i  ESPRIT 

présont  était  véritable  ,  aussi  bien  comme  il  est  faux,  puisque 
vraiment  Urbain  VI  est  le  légitime  successeur  de  saint  Pierre? 
Aussi ,  comme  des  fous  et  insensés  ,  aveuglés  du  propre 
amour  d'eux-mêmes ,  ils  ne  changèrent  jamais  d'avis  et  ont 
parlé  toujours  en  sa  faveur,  tandis  que  Sa  Sainteté  a  souffert 
leurs  désordres  et  la  liberté  de  leurs  discours.  Mais  dès  lors 
qu'il  a  commencé  à  les  reprendre  et  à  les  corriger ,  il  leur  a 
été  désagréable  ,  et  se  sont  révoltés  contre  lui  ,  c'est-à-dire 
contre  la  sainte  foi ,  faisant  pis  que  des  chrétiens  renégats. 
0  misérables!  qui  ne  connaissent  pas  leur  malheur  non  plus 
que  ceux  qui  sont  de  leur  parti  !  Que  s'ils  le  pouvaient  pré- 
voir ,  ils  auraient  recours  à  Dieu  et  avoueraient  leurs  crimes 
sans  demeurer  obstinés  comme  des  damnés;  aussi  semblent- 
ils  être  de  vrais  démons  ,  puisqu'ils  en  exercent  le  ministère. 
Satan  ne  s'étudie  à  autre  chose  qu'à  retirer  les  âmes  du  ser- 
vice de  Jésus  crucifié,  de  les  divertir  du  chemin  delà  vérité 
et  de  les  appeler  au  mensonge  et  à  lui  qui  en  est  l'auteur  et 
le  père  ,  et  de  leur  donner  pour  salaire  le  même  mensonge 
qui  est  tout  ce  qu'il  possède  lui-même.  —  C'est  ainsi  que 
ces  ministres  d'enfer,  renversant  la  vérité  qu'ils  publiaient 
eux-mêmes,  et  proposant  le  mensonge,  ils  ont  mis  tout  le 
monde  en  confusion  ,  nous  faisant  part  du  mal  qu'ils  ont  en 
eux.  Si  nous  voulons  être  éclaircis  sur  cette  vérité  ,  il  ne  faut 
que  considérer  leur  conduite  et  celle  de  ceux  qui  sont  de  leur 
parti,  où  vous  ne  verrez  qu'infamie  et  abomination  ,  en  quoi 
vraiment  ils  s'accordent ,  puisque  Satan  n'est  pas  contraire  à 
soi-même.  ■ —  Pardonnez-moi  ,  mon  très-cher  Père  ,  c'est 
ainsi  que  je  vous  appelle,  en  tant  que  je  vous  verrai  amou- 
reux de  la  vérité  et  ennemi  du  mensonge ,  si  je  parle  de 
cette  sorte  ,  parce  que  leur  perte  que  je  vois  toute  manifeste, 
et  la  crainte  de  leur  damnation  éternelle  m'y  obligent. 

Donc,  mon  très-cher  Père,  pensez  à  ceci  ;  mettez  la  main 
à  la  conscience  ;  souvenez-vous  qu'il  vous  faut  mourir  sans 
savoir  l'heure  de  ce  départ  :  mettez-vous  en  la  présence  de 
cet  œil  divin  qui  voit  tout,  et  ne  vous  laissez  pas  gouverner 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  265 

par  la  passion  ni  par  l'amour  naturel  que  vous  pouvez  avoir 
pour  la  France ,  parce  que,  quand  il  s'agit  de  la  gloire  de  Dieu, 
il  ne  faut  pas  mettre  de  différence  entre  un  Français  et  un 
Italien  ,  puisque  nous  avons  été  conçus  également  dans  ses 
idées  éternelles ,  créés  à  son  image  et  ressemblance ,  et  ra- 
chetés par  le  précieux  sang  de  son  Fils  unique.  Je  suis  très- 
assurée  que  si  vous  êtes  éclairé  de  la  vraie  lumière  ,  vous  ne 
manquerez  pas  de  le  faire,  sans  différer  plus  longtemps, 
parce  que  le  temps  n'attend  personne  ,  et  vous  convierez  les 
autres  à  ce  qu'ils  aient  à  revenir  à  la  sainte  et  vraie  obéis- 
sance ,  ce  que  vous  ne  ferez  pas  autrement.  Voilà  pourquoi  je 
vous  ai  dit  que  je  désirais  de  voir  en  vous  une  vraie  et  très- 
parfaite  lumière,  afin  qu'à  sa  faveur  vous  connaissiez  ,  vous 
aimiez  et  reteniez  le  sentier  de  la  vérité.  Et  pour  lors  mon 
âme  s'estimera  heureuse  voyant  le  salut  de  la  vôtre  en  assu- 
rance et  que  vous  serez  sorti  d'une  erreur  si  pernicieuse. 

Je  n'en  dirai  pas  davantage;  demeurez  en  la  sainte  et  douce 
dilection  de  Dieu  :  pardonnez-moi  si  je  vous  ai  été  importune 
par  trop  de  discours;  l'affection  que  j'ai  pour  votre  salut 
m'obligerait  à  vous  voir  et  à  vous  dire  plutôt  ces  choses  de 
vive  voix  que  par  écrit.  Je  prie  Dieu  qu'il  vous  remplisse  de 
sa  très-douce  grâce.  Doux  Jésus  ,  Jésus  amour  !  (  Lettre  II , 
page  492.  ) 

Au  roi  de  Hongrie. 

Au  nom  de  Jésus-Christ  et  de  la  douce  Marie. 

Après  avoir  traité  de  l'excellence  de  la  charité,  elle  l'exhorte  à  la  paix 
et  au  secours  du  Pape. 

Mon  très-cher  Père,  &c. 

Catherine,  &e.  Je  vous  écris  en  son  précieux  sang  (de 
Jésus-Christ)  ,  pour  le  désir  de  vous  voir  établi  en  une  vraie 
et  très-parfaite  charité  ,  laquelle  ne  cherche  pas  ses  intérêts  , 


266  ESPRIT 

mais  seulement  l'honneur  et  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des 
âmes,  et  elle  ne  cherche  pas  son  prochain  pour  soi-même, 
mais  seulement  pour  Dieu.  C'est  une  Mère  qui  nourrit  les 
vertus,  comme  ses  enfants  au  milieu  de  son  sein,  parce  que 
le  reste  des  vertus  n'a  point  de  vie  sans  la  charité  ;  ce  n'est 
pas  que  l'homme  ne  puisse  faire  un  acte  de  vertu  encore 
qu'il  n'ait  pas  la  charité  ,  mais  cette  vertu  ne  tient  pas  son 
rang  dans  l'âme,  si  elle  n'est  faite  par  un  motif  de  charité. 
Voilà  pourquoi  le  glorieux  Apôtre  et  grand  héraut  saint  Paul 
disait  autrefois  :  «.  Quand  hien  même  je  donnerais  tout  mon 
hien  aux  pauvres  et  que  j'exposerais  mon  corps  pour  être 
brûlé,  et  que  j'aurais  une  langue  angélique  et  la  connaissance 
des  choses  à  venir  par  la  prophétie  ,  si  néanmoins  j'étais  privé 
de  la  charité  ,  tout  cela  ne  me  servirait  de  rien.  » 

La  charité  chérit  tout  ce  que  Dieu  aime  :  elle  a  de  l'aver- 
sion pour  tout  ce  que  Dieu  n'aime  pas;  aussi  pour  cette  rai- 
son celui  qui  en  est  pourvu  se  dépouille  du  vieil  homme, 
c'est-à-dire  du  péché  qui  déplaît  à  Dieu  ,  de  telle  sorte  qu'il 
l'a  voulu  châtier  sur  la  propre  personne  de  son  Fils,  et  il 
prend  l'habit  du  nouvel  Adam  qui  est  le  doux  Jésus-Christ  ; 
il  s'unit  intimement  à  lui  suivant  sa  doctrine  ;  et  en  quelque 
état  qu'il  se  trouve,  il  ne  s'éloigne  jamais  de  ses  commande- 
ments. L'âme  qui  est  en  la  charité  fait  profession  de  suivre 
les  vestiges  de  Jésus-Christ  -,  elle  méprise  le  monde  avec  tou- 
tes ses  délices ,  ne  les  estimant  que  pour  le  prix  qu'elles 
valent,  comme  ce  qui  est  sans  assurance  ni  durée.  C'est  pour- 
quoi elle  les  retient  et  les  possède  comme  des  choses  em- 
pruntées et  non  pas  ainsi  que  ses  propres  biens,  jugeant  bien 
et  reconnaissant  qu'elles  lui  peuvent  être  ravies  ainsi  que  le 
même  monde,  au  moyen  de  la  mort. 

C'est  cette  charité  qui  rend  l'âme  complaisante  et  amou- 
reuse de  ses  propres  ennemis ,  je  veux  dire  les  ennemis  que 
le  monde  appelle  tels,  parce  que  les  vrais  ennemis  de  l'homme 
ne  sont  autres  que  le  même  monde  ,  le  démon  et  la  chair 
fragile  et  notre  humanité,  pas  un  desquels  ne  laisse  jamais 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  267 

l'esprit  en  repos.  Le  monde  par  ses  plaisirs  convie  l'homme 
à  ses  vanités  et  aux  libertés  de  la  vie  et  à  des  passe-temps 
déréglés;  le  démon  jette  mille  sortes  de  pensées  dans  les 
âmes  sur  les  diverses  occasions  qui  se  rencontrent  pour  nous 
provoquer  à  la  colère  ou  à  quelque  trait  d'impatience ,  afin 
de  nous  priver  de  la  charité  qui  donne  la  vie  de  la  grâce. 
Enfin  la  propre  sensualité  nous  sollicite  par  de  fortes  révol- 
tes et  mouvements  de  quelque  vice  que  ce  soit;  ce  sont  nos 
trois  ennemis.  Il  est  vrai  que  si  la  raison  le  veut,  ils  sont 
affaiblis  par  la  force  du  sang  de  Jésus  crucifié ,  par  lequel 
l'âme  qui  est  en  une  parfaite  charité  s'élève  avec  une  très- 
grande  haine  contre  ses  ennemis,  faisant  la  guerre  au  vice 
et  acquérant  une  solide  paix  avec  la  vertu.  » 

Elle  rapporte  ensuite  !toutes  les  conditions  de  la  charité 
à  deux  chefs;  savoir  :  «  En  une  sainte  patience  qui  lui  fait 
recevoir  les  injures  grandes  et  petites  de  quelque  côté  qu'elles 
lui  arrivent  et  les  souffrir  avec  une  grande  quiétude  d'esprit , 
voilà  la  première.  La  deuxième  consiste  à  servir  le  prochain 
autant  qu'il  se  peut  faire  :  par  la  première  ,  il  supporte  les 
injures  avec  patience,  et  par  la  deuxième  et  dernière ,  il  lui 
donne  ;  mais  que  lui  donne-t-il  ?  L'affection  de  la  même  cha- 
rité ,  aimant  son  prochain  comme  soi-même  et  lui  faisant 
part  de  ses  grâces  et  dons  spirituels  ou  temporels  avec  soin 
et  affection.  Il  trouve  le  goût  de  son  âme  disposé  â  recevoir 
la  viande  sacrée  de  la  parole  de  Dieu  et  se  met  en  devoir  de 
l'observer  jusqu'à  la  mort.  Il  y  a  beaucoup  d'autres  preuves 
de  cette  vertu  en  l'âme  ;  je  me  contente  toutefois  de  celles-ci 
afin  de  ne  m'étendre  pas  trop  en  paroles.  »  Elle  l'exhorte  en- 
suite à  venir  au  secours  de  l'Eglise. 

«  Il  semble  que  notre  doux  Sauveur  vous  a  fait  à  présent  le 
protecteur  de  notre  foi  et  son  défenseur  contre  les  infidèles  ; 
de  même  que  vous  devez  être  celui  par  qui  la  justice  sera 
maintenue  contre  les  hérétiques  et  mauvais  chrétiens  qui 
dénient  la  vérité  ,  en  quoi  il  ne  faut  pas  user  de  remise,  mais 
il  faut  que  vous  répondiez  â  Dieu  qui  vous  appelle;  mettez  en 


268  ËSPÎUT 

arrière  toute  sorte  d'affaires  ,  le  doux  et  amoureux  Jésus  qui 
a  donné  sa  vie  avec  tant  d'amour  veut  que  vous  teniez  seule- 
ment pour  ennemis  ceux  qui  sont  les  ennemis  de  la  sainte 
Eglise  et  de  la  vérité  de  notre  sainte  foi ,  et  que  vous  fassiez 
la  paix  avec  tous  les  autres...  Souffrirez-vous  que  la  foi  de 
l'Eglise  soit  mise  en  désolation  par  un  Antéchrist  et  par  une 
femme?  Je  vous  déclare  que  si  vous  et  les  autres  princes 
chrétiens  qui  avez  moyen  d'y  apporter  remède  y  procédez 
avec  nonchalance,  Dieu  vous  fera  tomher  en  confusion  et 
vous  serez  châtiés  de  votre  tiédeur  et  lâcheté;  je  ne  veux  pas 
que  nous  en  attendions  la  correction  parce  qu'elle  est  pleine 
de  terreur  et  bien  plus  sévère  que  ne  l'est  la  répréhension 
qui  est  faite  par  les  hommes  ;  mais  je  vous  supplie  de  venir 
sans  différer  davantage  ;  prenez  l'affaire  en  main  puisque 
Dieu  vous  le  commande  et  mettez  cette  charge  sur  vos  épau- 
les... Ouvrez  les  yeux  de  votre  connaissance  ,  hélas!  sur  ces 
pauvres  morts;  imitez  les  glorieuses  actions  des  martyrs  qui 
vous  sont  présentés...  Tout  le  monde  qui  est  aujourd'hui 
en  un  général  renversement  s'en  va  à  toute  bride  dans  le 
grand  chemin  de  l'enfer  sans  qu'il  se  trouve  personne  qui 
s'oppose  à  un  désordre  si  général ,  parce  qu'il  ne  se  trouve 
que  des  esprits  attachés  â  l'intérêt  particulier  de  leurs  pas- 
sions, et  qui,  ne  cherchant  que  les  richesses  et  les  pompes  du 
inonde  ,  n'apportent  que  de  la  pauvreté  et  de  la  misère  sans 
avoir  soin  des  âmes  rachetées  par  le  sang  de  Jésus-Christ 
crucifié  !...  Travaillez  promptement  à  cette  affaire  ,  parce  que 
je  ne  vous  le  dis  pas  sans  raison ,  votre  venue  ne  peut  être 
que  grandement  heureuse  et  peut-être  que  la  vérité  qui  est 
mise  en  dispute  pourrait  être  éclaircie  sans  une  plus  grande 
violence,  et  que  cette  misérable  reine  serait  tirée  de  son  obsti- 
nation ,  soit  par  crainte  ou  par  amour...  Je  prie  Dieu  qu'il  ré- 
pande en  vous  sa  lumière  et  sa  grâce;  prenez  la  nacelle  de  la 
sainte  Eglise,  et  aidez  à  la  conduire  au  port  du  repos  et  du 
salut  :  je  n'en  dirai  pas  davantage  ;  demeurez  en  la  sainte  et 
douce  dilection  de  Dieu...  Doux  Jésus,  Jésus  amour!  Don- 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  269 

nez  courage  à  la  reine  de  la  part  de  Jésus  crucifié  et  de  la 
mienne.  Recommandez-moi  à  elle.  (Lettre  IV,  page  500.  ) 

Au  duc  d'Anjou. 

Au  nom  de  Jésus-Christ  et  de  la  douce  Marie. 

Elle  exhorte  ce  prince  à  la  guerre  sainte  ;  elle  lui  parle  aussi  d'un  acci- 
dent arrivé  peu  de  jours  auparavant ,  où  en  un  festin  plusieurs  furent 
accablés  sous  les  ruines  d'une  muraille. 

Mon  très-cher  Seigneur  et  Frère ,  en  mon 
doux  Jésus  , 

Catherine  ,  servante  et  esclave  des  serviteurs  de  Jésus- 
Christ  ,  je  vous  écris  en  son  précieux  sang  ,  par  le  désir  de 
voir  votre  cœur  attaché  et  cloué  sur  la  croix  ,  si  parfaitement, 
que  la  sainte  affection  que  vous  avez  conçue ,  d'arborer  au 
plutôt  le  drapeau  de  la  très-sainte  croix ,  puisse  prendre 
accroissement  en  vous.  Je  suis  très-assurée  que  si  vous  jetez 
les  yeux  sur  cet  agneau  égorgé  et  consommé  sur  la  croix  par 
amour  afin  de  vous  retirer  de  la  mort,  et  vous  rendre  la  vie 
delà  grâce,  vous  sentirez  une  force  et  un  nouveau  désir  en 
vous  pour  le  faire  promptement ,  et  retrancher  de  votre  cœur 
et  de  votre  came  toute  sorte  d'affection  déréglée  pour  les  vani- 
tés du  monde,  qui  sont  des  plaisirs  qui  passent  comme  le 
vent,  laissent  toujours  la  mort  dans  l'âme  de  celui  qui  les 
possède  et  le  conduisent  enfin  à  la  perdition  et  la  mort  éter- 
nelle, s'il  ne  pense  à  sa  correction  ;  de  sorte  que  par  sa  seule 
faute  il  est  privé  de  la  vision  de  Dieu ,  et  se  rend  digne  de  la 
société  des  esprits  malheureux,  étant  bien  juste  que  celui 
qui  offense  Dieu  ,  qui  est  un  bien  infini ,  soit  sujet  à  des  pei- 
nes qui  ne  finiront  jamais.  Je  parle  de  celui  qui  passe  sa  vie 
dans  les  délices  et  dans  une  splendeur  déréglée  ,  travaillant 
uniquement  à  la  recherche  des  honneurs  ,  à  la  bonne  chère 
et  aux  ornements  somptueux;  comme  ceux  qui  dépensent  en 


270  ESPRIT 

ces  excès  tout  ce  qu'ils  ont  en  ce  inonde ,  laissant  mourir  de 
faim  les  pauvres  pendant  qu'ils  foisonnent  en  toute  sorte  de 
luxe  et  de  dépense.  Ils  aiment  la  politesse  du  service,  la  table 
délicate,  les  habits  pompeux,  et  ils  n'ont  point  de  soin 
de  leur  pauvre  âme  qui  se  meurt  de  faim ,  parce  qu'ils 
lui  ravissent  la  viande  de  la  vertu  et  de  la  pénitence  et  de  la 
sainte  parole  de  Dieu  qui  proprement  lui  appartient  ;  je  veux 
dire  du  Verbe  incarné ,  qui  est  son  Fils  unique,  duquel  nous 
devons  suivre  les  exemples  par  la  sincérité  de  nos  affections , 
aimant  ce  qu'il  chérit,  et  travaillant  pour  trouver  ce  qu'il 
désire ,  aimer  les  vertus  et  mépriser  les  vices  :  chercher  la 
gloire  de  Dieu  et  le  bien  des  âmes  et  de  notre  prochain;  puis- 
que c'est  à  ce  propos  qu'il  a  été  dit  par  ce  même  Sauveur  que 
le  pain  n'était  pas  la  seule  nourriture  propre  à  l'homme  ; 
mais  tout  ce  qui  procède  de  la  bouche  de  Dieu.  Je  veux  donc, 
mon  cher  et  doux  Seigneur  et  mon  frère  en  Jésus-Christ, 
que  vous  suiviez  cette  parole,  avec  une  vraie  et  belle  vertu, 
sans  vous  laisser  abuser  au  monde ,  ou  à  la  force  de  votre 
jeunesse  ;  parce  que  si  nous  marchons  après  le  monde  ,  cette 
parole  que  le  béni  Jésus-Christ  dit  aux  juifs  ,  nous  pourrait 
être  reprochée,  quand  il  disait  :  «  Ceux-ci  sont  semblables  à 
des  sépulcres  qui  sont  beaux  et  blanchis  au  dehors  ;  mais  au 
dedans  ils  ne  contiennent  que  de  la  corruption  et  de  la  puan- 
teur. i>  0  que  cette  douce  et  souveraine  vérité  parlait  bien 
avec  raison  !  Car ,  il  est  vrai  qu'il  y  a  un  grand  nombre  de 
personnes  qui  à  voir  leur  extérieur  semblent  être  quelque 
chose  de  bon  à  cause  de  la  richesse  et  des  beaux  babils  dont 
ils  sont  revêtus  ;  mais  ils  ont  le  cœur  rempli  de  choses  mortes 
et  odieuses  qui  produisent  la  mort,  avec  la  honte  et  la  pourri- 
ture du  corps  et  de  l'âme.  Mais  j'espère  en  la  bonté  de  Dieu  , 
(jue  vous  mettrez  ordre  à  l'avenir  de  corriger  votre  vie  ;  en 
telle  sorte  ,  que  vous  serez  hors  de  ce  reproche ,  et  que  vous 
recevrez  la  croix  avec  un  grand  transport  d'amour  ,  afin  que 
la  mort  soit  ruinée  par  son  moyen  ,  et  que  le  péché  qui  l'a 
causée,  soit  banni  de  nos  âmes.  C'est  l'effet  que  la  croix  fera 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  2"  1 

en  vous  ;  et  lorsque  ce  bel  étendard  sera  élevé ,  toutes  les 
offenses  commises  contre  Dieu  seront  pareillement  abolies,  et 
Dieu  vous  dira  :  Viens  ,  mon  fils  bien-aimé  ,  qui  as  travaillé 
pour  mon  service  ;  je  te  veux  consoler  et  te  conduire  aux  no- 
ces de  la  vie  éternelle ,  où  tu  trouveras  un  rassasiement  sans 
dégoût,  une  faim  sans  peine  ,  et  un  plaisir  sans  interruption  ; 
ce  qui  ne  se  passe  pas  comme  dans  les  festins  et  les  banquets 
du  monde ,  où  s'il  y  a  du  gain  pour  les  uns  ,  il  y  a  de  la  dé- 
pense pour  les  autres  ;  et  encore  que  l'homme  y  soit  rassasié, 
il  ne  laisse  pas  pourtant  d'avoir  de  la  nécessité  ;  et  ils  passent 
souvent  de  la  joie  à  la  tristesse  ,  ainsi  que  vous  le  vîtes  bier 
en  l'accident  qui  vous  arriva  après  avoir  fait  cette  belle  as- 
semblée de  vos  amis  en  un  banquet ,  lequel  finit  par  un  grand 
déplaisir  :  ce  que  Dieu  permit  pour  l'amour  qu'il  porte  à  votre 
âme,  voulant  faire  connaître ,  et  à  vous  et  à  ceux  qui  étaient  en 
la  compagnie,  la  vanité  de  tous  nos  desseins,  faisant  voir 
encore  en  particulier,  que  tout  ce  qui  se  pratiquait  en  ces 
assemblées ,  et  les  conseils  que  l'on  y  prenait ,  ne  lui  étaient 
pas  agréables.  Hélas  !  je  crains  bien  que  notre  folie  ne  vienne 
jusques  à  un  tel  point,  que  la  justice  divine  en  tire  vengeance 
sans  nous  donner  loisir  d'en  considérer  la  qualité  ;  et  par- 
tant ,  je  vous  dis  de  la  part  de  Jésus  crucifié ,  que  l'accident 
de  la  journée  d'hier  ne  vous  échappe  jamais  de  la  mémoire , 
afin  que  toutes  vos  actions  soient  conduites  par  ordre  ,  avec 
vertu  et  crainte  de  Dieu.  Ayez  bon  courage,  parce  que  j'es- 
père que  sa  bonté  vous  donnera  le  moyen  de  le  faire  ainsi  ;  et 
ne  vous  affligez  pas  de  cet  accident  qui  est  arrivé  ;  mais  pre- 
nez-le comme  une  instruction  et  un  châtiment  propre  à  vous 
guérir  par  la  connaissance  que  vous  aurez  de  vous-même. 
Qu'il  vous  serve  d'une  bride  pour  arrêter  le  dérèglement  de 
votre  vanité ,  comme  on  met  le  caveçon  à  un  jeune  poulain  , 
afin  de  l'empêcher  de  courir  au  delà  des  lanières.  Sus  donc, 
mon  cher  Fils,  en  mon  doux  Jésus-Christ,  jetez-vous  aux 
bras  de  la  très-sainte  croix  ,  répondez  à  Dieu  qui  vous  appelle 
par  le  moyen  de  celte  même  croix  ,  et  par  là  vous  accomplirez 


272  ESPRIT 

sa  volonté  et  mes  désirs  :  demeurez  en  la  sainte  et  douce 
dilection  de  Dieu ,  et  pardonnez  à  ma  témérité.  Doux  Jésus  , 
Jésus  amour  !  (  Lettre  VI ,  509.  ) 

A  Monseigneur  Pierre  de  Ganibacurli ,  à  Pise. 

Au  nom  de  Jésus-Christ  et  de  la  douce  Marie. 

Des  malbeurs  que  le  péché  apporte  à  nos  âmes. 

Mon  vénérable  Père  en  mon  doux  Jésus-Christ. 

Catherine,  <xc,  je  vous  écris  afin  de  vous  recommander 
au  précieux  sang  de  Jésus-Christ ,  par  le  désir  de  voir  votre 
affection  et  vos  souhaits  dépouillés  et  épurés  des  pernicieux 
plaisirs  et  des  voluptés  déréglées  de  ce  monde,  lesquelles  ser- 
vent d'occasion  pour  éloigner  les  âmes  de  Dieu,  étant  néces- 
saire que  l'âme  qui  est  unie  avec  Jésus  crucifié ,  bonté  souve- 
raine et  éternelle,  soit  sevrée  et  retirée  du  siècle.  La  raison  est 
que  celui  qui  est  engagé  dans  le  siècle  par  affection  est  aussi 
retranché  de  Jésus-Christ ,  ainsi  que  celte  même  vérité  le  dit 
évidemment  :  «  Personne  ne  saurait  servir  deux  maîtres  qui 
sont  contraires  l'un  ta  l'autre.  »  Oh  !  que  cela  est  bien  dan- 
gereux ,  mon  très-cher  Père ,  parce  qu'il  est  très-assuré  que 
l'homme  qui  est  attaché  dans  l'habitude  du  péché  est  sembla- 
ble à  celui  qui  a  les  pieds  et  les  mains  liés ,  de  telle  façon 
qu'il  ne  peut  pas  se  remuer;  c'est  ainsi  que  les  mains  de  l'âme 
sont  liées  sans  qu'elle  puisse  rien  faire  qui  plaise  à  Jésus- 
Christ.  Et  les  pieds  de  son  affection  ne  se  peuvent  point  mou- 
voir pour  faire  une  bonne  œuvre  qui  soit  digne  de  grâce. 
Hélas  !  hélas!  que  le  péché  est  dangereux  pour  l'âme  !  quelle 
espèce  de  biens  ne  ravit-il  pas  à  la  créature?  Et  quelle  abon- 
dance de  maux  ne  lui  fait-il  pas  mériter?  Il  la  rend  digne  de 
mort  et  lui  ravit  la  vie;  il  lui  ôte  la  lumière  et  la  jette  dans 
les  ténèbres.  Il  lui  ôte  le  commandement  et  la  rend  esclave  et 
sujette  ,  parce  que  celui  qui  est  engagé  dans  le  péché  est  es- 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  2~o 

clave  du  môme  péché  ,  et  perdant  l'empire  sur  soi-même  il 
s'est  laissé  posséder  à  la  colère  et  aux  autres  défauts  et  mou- 
vements qui  troublent  notre  vie.  Quel  avantage  serait-ce  donc 
pour  nous,  o  mon  cher  Père,  si  nous  avions  la  domination 
sur  toute  la  terre  et  n'avions  pas  l'empire  sur  nous  et  sur  l'in- 
clination qui  nous  porte  au  vice  et  au  péché  ,  lorsqu'il  nous 
prive  de  la  lumière  de  la  raison  et  ne  nous  laisse  pas  voir  le 
misérable  état  de  la  damnation  ni  l'assurance  et  la  tranquil- 
lité de  l'àme  qui  est  unie  à  son  doux  Jésus  !  Elle  a  perdu  la 
vie  de  la  grâce,  s' étant  retranchée  de  la  vraie  vie;  et  comme 
le  sarment  qui  devient  sec  lorsqu'il  est  coupé  de  la  souche  , 
ainsi  la  créature  qui  est  retranchée  de  la  vraie  vigne  se  sèche, 
se  pourrit  comme  destinée  au  feu  qui  ne  finira  jamais.  Hélas  ! 
que  c'est  ici  un  grand  aveuglement  de  ce  que  n'y  ayant  ni 
démon  ni  créature  au  monde  qui  puisse  engager  l'homme  dans 
le  péché,  il  soit  si  malheureux  que  de  s'y  précipiter  lui- 
même.  Réveillons-nous  donc  du  sommeil  de  la  négligence,  et 
coupons  un  lien  si  dangereux  et  si  dommageable.  Il  le  faut 
ainsi  faire  ,  parce  que  ni  le  péché  ni  le  monde  n'ont  aucune 
conformité  avec  Jésus-Christ;  le  monde  cherche  les  plaisirs  , 
les  voluptés  et  les  grandeurs  ,  et  le  béni  Jésus-Christ  a  fait 
choix  des  misères,  des  aiïlictions  et  des  mépris,  enfin  d'une 
mort  ignominieuse  sur  la  croix  ,  ayant  voulu  être  serviteur  et 
obéissant ,  sujet  à  la  loi  de  la  volonté  de  son  Père  duquel  il  a 
toujours  cherché  la  gloire  avec  notre  salut.  Sus  donc,  sui- 
vons ses  pas ,  et  tenons-nous  attachés  à  lui  par  un  si  doux  et 
agréable  lien  duquel  je  vous  supplie  et  je  le  désire  ainsi ,  que 
nous  en  soyons  liés... 

Ne  vous  fiez  pas  à  la  vie  présente  ,  parce  que  le  temps  est 
court  et  que  la  mort  arrive  sans  que  nous  y  prenions  garde. 
Tournez  les  yeux  sur  la  sainte  et  divine  justice  en  l'exercice 
de  votre  charge... 

Rendez-vous  soigneux  de  votre  salut  autant  qu'il  vous  sera 
possible  avec  charité  et  amour.  Faites  que  toutes  vos  actions 
soient  unies  à  Jésus-Christ ,  qui  est  le  lien  dans  lequel  mon 
T.v.  18 


274-  ESPRIT 

âme  vous  désire ,  je  n'en  dirai  pas  davantage.  Je  prie  Jésus- 
Christ  qu'il  vous  récompense  de  sa  grâce;  je  me  recommande 
à  ces  dames  avec  toute  sorte  d'affection  ,  à  ce  qu'elles  prient 
Dieu  pour  moi ,  afin  que  je  sois  humble  et  obéissante  ,  ainsi 
soit-il.  Loué  soit  Jésus-Christ  crucifié  !  (  Lettre  X,  518.  ) 

A  dom  Christophe ,  religieux  de  la  Chartreuse  au  monastère  de  Saint- Martin 
de  Naples. 

Au  nom  de  Jésus-Christ  crucifié  et  de  la  douce  Marie. 

Elle  traite  de  la  connaissance  de  soi-même  et  des  grâces  que  Dieu  a 
conférées  à  la  créature  raisonnable  ;  elle  donne  enfin  plusieurs  avis 
touchant  les  artifices  de  l'ennemi  du  salut. 

Mon  très-cher  Père  en  mon  doux  Jésus-Christ , 

Catherine  ,  servante  et  esclave  des  serviteurs  de  Jésus- 
Christ,  je  vous  écris  en  son  précieux  sang  par  le  désir  de  voir 
en  vous  la  lumière  et  le  feu  du  Saint-Esprit,  de  qui  la  lumière 
chasse  toutes  les  ténèbres ,  et  le  feu  consume  toute  l'impa- 
tience de  l'amour-propre  qui  pourrait  être  en  l'âme  ,  soit 
corporellement  ou  spirituellement...  C'est  pourquoi  j'ai  .un 
extrême  désir  de  voir  ce  feu  et  cette  lumière  en  vous  ,  parce 
que  je  connais  par  votre  lettre  que  vous  souffrez  des  inquiétu- 
des et  des  troubles  ,  tant  en  votre  corps  qu'en  votre  âme  ;  de 
là  vient  que  cette  lumière  vous  est  grandement  nécessaire. 
Vous  avez  besoin  de  cette  lumière,  mon  très-cher  Père,  parce 
que ,  tout  ainsi  que  notre  bonheur  éternel  consiste  en  la 
claire  vision  de  Dieu  dans  le  paradis,  de  même  nous  recevons 
en  nous  la  lumière  de  la  grâce  du  Saint-Esprit ,  par  la  vue  et 
la  connaissance  de  nous-mêmes  et  de  la  divine  bonté.  Cette 
lumière  fortifie  l'âme  et  lui  donne  courage  pour  lui  faire  en- 
durer d'un  grand  désir  et  avec  patience  toute  sorte  d'afflictions 
et  de  traverses  qui  s'opposent  à  ses  desseins  ,  soit  de  la  part 
de  l'homme  ou  du  démon  ,  ou  même  de  la  propre  sensualité. 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  275 

sans  lui  donner  envie  de  choisir  le  temps  et  la  façon  de  vivre 
à  sa  fantaisie  ;  mais  elle  s'accommode  à  toutes  les  occasions 
avec  respect  et  soumission  ,  comme  celle  qui  est  revêtue  de  la 
douce  et  éternelle  volonté  de  Dieu.  Car  en  même  temps  que 
l'homme  tourne  l'œil  de  sa  pensée  pour  se  connaître  et  voir  la 
volonté  de  Dieu  en  soi  et  ce  que  Dieu  demande,  il  trouve 
qu'il  ne  veut  autre  chose  que  sa  sanctification  :  que  s'il  avait 
une  autre  volonté ,  jamais  il  n'eût  donné  son  Verbe  et  Fils 
unique  ,  et  ce  même  Fils  n'eût  pas  donné  sa  vie  par  un  si 
grand  feu  d'amour  qu'il  a  fait  pour  un  tel  sujet  :  ce  qui  fait 
reconnaître  à  l'âme  que  tout  ce  qui  lui  arrive  touchant  les  ac- 
cidents de  la  vie  et  les  infirmités  corporelles  ou  spirituelles  , 
n'est  que  pour  son  profil,  et  que  le  tout  dépend  du  bon  plaisir 
de  Dieu  qui  le  permet  ainsi  pour  notre  bien  :  voire  même , 
l'homme  reconnaît  qu'une  feuille  d'arbre  ne  tombe  pas  en 
terre  sans  l'ordre  exprès  de  sa  providence.  Dieu  veut  nous 
exposer  à  la  tentation  pour  éprouver  notre  vertu  et  pour  nous 
accroître  les  grâces  :  non  pas  afin  que  nous  soyons  vaincus  , 
mais  plutôt  pour  nous  rendre  victorieux  :  non  que  nous  le 
puissions  faire  de  nos  propres  forces ,  mais  par  le  moyen  du 
secours  qu'il  lui  plaît  de  nous  donner,  disant  avec  le  doux 
apôtre  saint  Paul  :  Je  peux  toutes  choses  par  Jésus  crucifié  -, 
lequel  est  en  moi  qui  ms  fortifie.  Lorsque  nous  ferons  de  cette 
sorte  ,  le  démon  sera  mis  en  déroute  ,  et  le  moyen  de  le  dé- 
truire consiste  à  se  dépouiller  de  sa  propre  volonté  ,  afin  de  se 
revêtir  de  celle  de  Dieu  ;  reconnaissant  que  tout  ce  qui  dépend 
de  sa  providence,  est  permis  pour  notre  justification  ,  n'ayant 
rien  que  la  propre  volonté  qui  donne  de  la  peine  à  l'âme  ;  et 
parce  que  l'ennemi  se  prend  garde  qu'il  ne  lui  est  pas  possible 
d'abuser  les  serviteurs  de  Dieu  en  des  choses  dont  la  malice 
est  tout  à  fait  évidente  ;  afin  de  leur  faire  avoir  une  conscience 
trop  libre  ,  il  commence  à  les  surprendre  par  l'apparence  de 
la  vertu  ,  avec  désordre  et  confusion  d'esprit.  S'il  rencontre 
une  âme  faible,  il  lui  tient  ce  discours  :  «  Si  tu  jouissais  d'une 
bonne  santé,  tu  ferais  bien  davantage.  »  Et  à  une  autre  qui  est 


Ï'C)  ESPRIT 

assaillie  par  de  fortes  tentations  de  ce  malin  esprit  qui  lui  trou- 
blent le  repos  par  la  variété  des  pensées  ,  il  lui  fait  couler 
cette  suggestion  :  «  Si  tu  n'étais  pas  sollicitée  par  ces  inquié- 
tudes ,  tu  serais  plus  agréable  à  Dieu  ,  tu  aurais  un  esprit 
paisible ,  et  ton  office  et  tes  autres  emplois  seraient  reçus 
avec  plus  de  faveur  devant  le  trône  de  sa  divine  bonté.  »  Ce 
que  le  démon  fait  avec  dessein  de  lui  persuader  que  les  trou- 
bles qui  sont  excités  en  son  àme  ,  l'empêchent  de  faire  ou  de 
dire  quelque  chose  qui  soit  agréable  à  Dieu.  D'où  je  tire 
cette  conséquence ,  que  l'ennemi  profite  beaucoup  plus  sur 
les  serviteurs  de  Dieu  ,  au  moyen  de  leurs  adversités  ,  que 
par  aucun  autre  moyen ,  puisque  ne  les  pouvant  pas  vaincre 
par  le  vice  et  à  guerre  ouverte,  il  s'efforce  de  les  séduire  sous 
l'apparence  de  la  vertu.  Soyez  donc  assuré ,  mon  très-cher 
Père ,  que  Dieu  permet  les  afflictions  pour  ce  seul  dessein 
d'éprouver  en  nous  la  vertu  de  la  patience  ,  de  la  force  et  de 
la  persévérance  qui  sont  toutes  des  vertus  cachées  dans  la 
connaissance  de  nous-mêmes  ,  parce  que  je  reconnais  dans 
le  combat ,  que  de  moi-même  je  ne  suis  rien  ;  car  si  j'étais 
quelque  chose  ,  je  me  délivrerais  assurément  de  ce  qui  m'im- 
portune ;  mais  je  ne  puis  ni  me  défaire  des  troubles  qui  sont 
livrés  à  mon  âme ,  ni  moins  encore  fortifier  la  faiblesse  de 
mon  corps.  Il  est  bien  vrai  que  nous  pouvons  empêcher  la 
volonté  de  consentir;  en  quoi  nous  éprouvons  la  bonté  de 
Dieu ,  qui  par  un  amour  ineffable  nous  a  donné  cette  puis- 
sance libre  et  ensuite  capable  de  vice  et  de  vertu  :  si  bien  , 
que  comme  maîtresse  et  souveraine  ,  elle  ne  peut  être  forcée 
ni  par  le  démon ,  ni  par  qui  que  ce  soit  à  pas  un  seul  péché. 
De  là  vient  que  l'âme  bien  avisée  voyant  ceci,  se  réjouit  au 
temps  de  la  bataille  ,  considérant  comment  Dieu  permet  tout 
cela  pour  la  faire  croître  en  sa  grâce  et  éprouver  sa  vertu  , 
laquelle  n'est  jamais  mieux  éprouvée  que  par  son  contraire. — 
Elle  ne  peut  savoir  au  vrai  ce  qu'elle  est ,  non  plus  que  la 
femme  qui  a  conçu  un  enfant ,  ne  saurait  pas  dire  ce  qu'ello 
porte  jusqu'au  temps  de  son  accouchement ,  si  ce  n'est  par 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  277 

quelques  conjectures  :  de  même  façon  ,  si  l'âme  n'enfante  les 
effets  de  la  vertu  par  l'épreuve  des  afflictions  et  des  peines , 
de  quelque  principe  qu'elles  procèdent ,  soit  de  la  part  du  dé- 
mon ,  ou  de  la  sensualité ,  ou  du  monde ,  elle  ne  peut  pas 
juger  de  leur  qualité ,  ni  si  vraiment  elle  les  possède;  parce 
que  bien  souvent  l'âme  qui  n'est  pas  encore  éprouvée  se  ré- 
sout à  souffrir  toutes  choses  pour  Dieu  :  et  lorsque  Dieu  voit 
que  ce  désir  est  conçu  dans  notre  volonté  ,  il  la  met  soudain 
â  l'épreuve  ,  afin  de  reconnaître  son  amour  ,  s'il  est  fidèle  ou 
mercenaire  :  que  s'il  se  trouve  de  la  fidélité  dans  une  âme  , 
elle  ne  s'émeut  non  plus  par  les  afflictions  que  par  les  occa- 
sions de  joie  et  de  plaisir;  mais  ,  reconnaissant  que  tout  cela 
est  permis  de  Dieu,  elle  se  console  et  se  réjouit  de  tout  ce 
qui  lui  arrive  ,  ne  faisant  pour  lors  qu'une  seule  et  môme  vo- 
lonté avec  celle  de  Dieu  :  que  si  elle  est  esclave ,  et  qu'au 
temps  du  travail  elle  veuille  fuir  la  peine,  elle  reconnaît  son 
imperfection  et  cherche  les  moyens  pour  s'en  amender.  11  est 
donc  bien  vrai  que  Dieu  permet  les  divers  accidents  qui  nous 
arrivent  pour  accroître  la  grâce  et  vérifier  la  qualité  de  la 
vertu  ,  puisque  c'est  le  principal  moyen  pour  nous  faire  ren- 
trer dans  la  connaissance  de  nous-mêmes,  d'où  procède  l'hu- 
milité ,  et  reconnaître  la  bonté  infinie  de  Dieu,  laquelle  pro- 
tège la  volonté  et  l'empêche  de  consentir  à  ces  occasions  de 
mal  faire  et  aux  illusions  de  son  ennemi.  Telle  est  donc  la 
volonté  de  Dieu  ,  qui  permet  les  tentations  pour  cette  seule 
occasion.  Mais  quel  est  le  dessein  du  démon  en  cette  même 
affaire?  —  Il  n'est  point  autre  que  pour  faire  tomber  l'àme 
dans  l'ennui  et  la  tristesse ,  et  lui  donner  une  confusion  de 
pensées  avec  mille  scrupules  de  conscience.  Ce  vieil  ennemi 
ne  nous  attaque  pas  pour  nous  porter  d'abord  À  des  péchés 
manifestes  ,  encore  qu'il  excite  de  grands  mouvements  en 
notre  partie  inférieure  ,  auxquels  il  prévoit  que  nous  ne  con- 
sentirons jamais,  parce  qu'il  sait  bien  la  résolution  de  l'àme, 
qui  épouserait  plutôt  la  mort  que  de  consentir  au  péché  ; 
mais  il  suscite  cette  confusion  afin  de  venir  à  son  deuxième 


278  ESPRIT 

dessein  qui  est  de  la  jeter  dans  le  désordre  et  de  lai  faire 
croire  qu'il  y  a  du  mal  ,  où  néanmoins  elle  ne  devrait  pas 
avoir  de  scrupule  ,  et  c'est  pour  lors  qu'il  lui  met  ces  fantai- 
sies dans  Tesprit  :  «  Toutes  tes  actions  et  tes  prières  devraient 
être  accompagnées  de  pureté  d'esprit  et  de  pensée  ,  et  toute- 
fois tu  les  fais  avec  tant  d'imperfection.  »  L'esprit  malin  lui 
propose  ces  doutes  afin  que  la  prière  lui  étant  h  dédain  ,  elle 
discontinue  les  actions  de  vertu  et  de  religion  qu'elle  avait 
accoutumé  de  pratiquer  ;  car  foute  son  intention  ne  vise  ail- 
leurs qu'à  lui  faire  poser  les  armes  ,  lesquelles  sont  propres  à 
notre  défense  :  que  s'il  manque  à  sa  première  attaque  et  qu'il 
espère  d'en  venir  à  bout  en  une  deuxième  ,  voici  quelles  doi- 
vent être  nos  armes  :  l'oraison  fervente  accompagnée  de  sain- 
tes pensées  soumises  au  bon  plaisir  de  Dieu  ,  dans  lequel 
l'âme  ne  se  cherche  pas  pour  soi-même  ni  pour  son  intérêt , 
mais  ne  travaille  à  son  bien  ni  à  celui  du  prochain ,  que  pour 
la  gloire  de  Dieu  ,  en  tant  qu'il  est  une  bonté  éternelle  digne 
d'être  aimée  et  servie  d'un  chacun  ,  si  bien  qu'elle  continue  à 
l'aimer  et  le  servir  en  tout  état  et  en  toute  saison  qu'elle  se 
retrouve.  C'est  pour  lors  qu'elle  demeure  ferme  et  assurée 
comme  un  rocher,  et  embrasée  d'un  saint  et  véhément  désir  ; 
elle  s'élève  au-dessus  de  soi-même,  et  s'attachant  à  la  vérité, 
avec  une  religieuse  aversion  qu'elle  a  pour  soi ,  elle  se  recon- 
naît digne  des  peines  et  des  troubles  qu'elle  souffre,  et  indigne 
du  fruit  de  la  consolation  qui  suit  ordinairement  les  combats 
et  les  victoires  :  elle  se  plaît  à  tenir  compagnie  à  Jésus  cruci- 
fié, désirant  d'être  rassasiée  d'opprobres,  de  peines  et  de  con- 
fusion ,  pourvu  qu'elle  puisse  être  conforme  au  même  Jésus- 
Christ.  L'àme  comprend  en  cet  état  que  l'amour  est  le  seul 
bien  qui  la  peut  unir  avec  son  Créateur,  et  que  Jésus-Christ 
a  fait  élection  par  un  mouvement  d'amour  de  cette  manière 
de  vie  ,  comme  de  la  plus  parfaite  et  de  la  meilleure  qui 
puisse  être  :  c'est  pourquoi  il  a  prêché  qu'elle  était  la  vie  de 
la  vérité  et  de  la  lumière  ,  quand  il  a  dit  :  Je  suis  ht  voie ,  la 
délité  et  ht  rie  :  relui  qui  marche  par  cette  voie-,  ne  saurait 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  270 

faillir ,  mais  il  est  toujours  en  la  clarté.  Aussi  les  serviteurs 
de  Dieu  ,  qui  ont  euvie  de  le  suivre ,  quand  ils  pourraient 
échapper  de  l'enfer  et  obtenir  le  ciel  et  sortir  du  monde  sans 
peines  ,  ils  ne  le  voudraient  pas  ,  plutôt  ils  veulent  endurer 
les  peines  et  passer  celte  vie  à  travers  mille  afflictions ,  afin  de 
se  rendre  plus  semblables  à  leur  bien-aimé  Jésus-Christ  :  de 
là  vient  qu'ils  se  réjouissent  au  milieu  des  maladies ,  parce 
qu'ils  tirent  vengeance  par  ce  moyen  de  leur  corps  et  de  cette 
injuste  loi  qui  combat  contre  l'esprit  :  que  s'ils  se  trouvent  au 
combat ,  ou  dans  la  confusion  des  pensées  ,  ou  tentés  de 
blasphème  ,  de  désespoir  et  d'infidélité  ,  ou  de  quelque  autre 
affliction  qui  leur  peut  être  causée  par  l'ennemi ,  ils  s'en  ré- 
jouissent par  une  vraie  humilité  ,  et  se  reconnaissant  indi- 
gnes de  la  paix  ,  ils  ne  refusent  pas  la  peine,  mais  seulement 
ils  travaillent  pour  conserver  en  assurance  le  rocher  de  leur 
volonté  ,  afin  qu'elle  ne  succombe  pas  en  ce  sentiment.  Mais 
si  enfin  ils  ressentent  que  par  la  grâce  de  Dieu  ,  leur  volonté 
est  assez  ferme,  non-seulement  pour  ne  point  consentir, 
mais  qu'elle  n'est  point  touchée  d'autre  peine  que  de  la  seule 
crainte  d'offenser  la  bonté  de  Dieu  ,  je  ne  veux  pas  que  vous 
vous  souciiez  d'une  telle  peine  ,  parce  qu'il  me  semble  que 
c'est  le  démon  qui  vous  suscite  toutes  ces  imporlunités  ,  et 
partant  tous  les  accidents  de  notre  vie  se  réduisent  à  ceux-ci. 
C'est  pourquoi  vous  devez  en  faire  votre  profit  de  la  façon  que 
j'ai  dit ,  les  recevant  par  une  humble  connaissance  de  vous- 
même  et  de  la  bonté  de  Dieu,  lequel  vous  conserve  votre 
volonté  :  par  ce  moyen  ,  ces  importunités  serviront  à  engrais- 
ser nos  âmes  ,  et  non  pour  les  porter  au  désespoir,  et  tireront 
après  elles  la  vertu  de  l'humilité  par  la  connaissance  de  soi- 
même  ,  et  celle  de  la  charité  par  la  connaissance  qui  nous 
sera  acquise  de  la  bonté  céleste  ,  qui  sont  les  deux  aigles  les 
plus  proches  pour  emporter  l'àme  en  la  vie  éternelle  ;  parce 
que  la  seule  crainte  d'offenser  qui  ne  serait  pas  accompagnée 
de  l'espérance  de  la  miséricorde  ,  ne  serait  pas  utile  à  l'àme  : 
c'est  pourquoi  l'ennemi  ne  demande  pas  mieux  que  de  nous 


280  ESPRIT 

réduire  à  cette  confusion  et  dans  cette  tristesse  ,  laquelle 
dessèche  l'àme  et  lui  fait  tomber  des  mains  les  armes  qu'elle 
a  reçues  du  Saint-Esprit,  qui  sont  celles  de  sa  volonté, 
lorsqu'elle  est  conforme  à  la  volonté  de  Dieu ,  afin  qu'elle 
commence  â  suivre  sa  propre  inclination  sous  couleur  de 
mieux  vivre  ,   tâchant  à  se  défaire  des  faiblesses  d'esprit  et 
des  autres  soucis  qui  la  troublent ,  disant  en  soi-même  :  «  Si 
j'étais  quitte  de  ces  peines ,  je  servirais  mieux  et  plus  libre- 
ment mon  Créateur.  »  Cela  est  une  tromperie  manifeste  et  un 
très-grand  abus  qui  procède  d'une  crainte  déréglée  que  le 
démon  excite  en  son  âme,  ce  qu'il  fait  pour  lui  faire  agréer  sa 
propre  volonté  :  et  alors  il  lui  survient  de  si  grandes  impa- 
tiences ,  qu'elle  a  peine  de  se  souffrir  soi-même ,  avec  une 
confusion  d'esprit  et  une  complaisance  pour  soi ,  qui  lui  fait 
choisir  les  moyens  de  son  salut  selon  sa  fantaisie  plutôt  que 
par  une  soumission  au  bon  plaisir  de  Dieu.  Je  vous  supplie 
donc  de  ne  laisser  plus  emporter  votre  volonté  â  ces  troubles 
et  à  ces  déplaisirs  ,  mais  plutôt  soyez  toujours  dans  une  allé- 
gresse spirituelle  ,  un  doux  embrasement  de  l'amour  et  de  la 
lumière  du  Saint-Esprit,  avec  un  cœur  généreux  et  nullement 
craintif;  revêtez-vous  de  la  douce  et  éternelle  volonté  de  Dieu, 
lequel  a  permis  et  permet  toutes  les  peines  et  les  traverses  du 
corps  et  de  l'âme  que  vous  souffrez  ;  ce  qu'il  a  fait  et  qu'il 
fait  encore  pour  votre  sanctification  ,  par  l'affection  qu'il  a  de 
votre  bien  ,  et  non  point  par  quelque  haine.  Employons  donc 
ces  armes  et  la  soumission  que  nous  devons  à  son  éternelle 
volonté  ,  pour  triompher  de  ce  démon  ;  chassons  ces  pensées 
par  d'autres  pensées,  je  veux  dire  que  ,  par  des  pensées  que 
Dieu  nous  inspire  ,  nous  chassions  celles  que  le  démon  nous 
suggère.  Je  n'ai  pas  le  courage  de  penser  à  Dieu,  ni  de  réciter 
mon  office  ou  de  faire  aucune  action  de  vertu  ,  tant  à  cause  de 
ma  faiblesse  que  par  les  contestations  qui  sont  excitées  dans 
mon  âme  :  je  vous  réponds  qu'il  ne  faut  pas  pourtant  laisser 
de  bien  faire  ,  mais  qu'il  faut  exercer  la  patience  au  milieu  de 
la  faiblesse  ,  d'autant  que  c'est  pour  lors  qu'elle  est  utile  ,  et 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  281 

vaincre  les  pensées  de  l'ennemi  par  la  méditation  de  notre 
devoir  et  des  saintes  pensées  de  Dieu  ,  sans  nous  embarrasser 
l'esprit  tant  à  combattre  contre  l'ennemi  que  pour  lui  résis- 
ter ,  ce  qui  nous  empècberait  encore  davantage.  Faites  plutôt 
attention  que  tous  ces  mouvements  sont  en  vous  sans  vous- 
même  ,  puisque  vous  les  pouvez  chasser;  car  ils  ne  sont  point 
en  vous  ,  si  ce  n'est  en  tant  que  la  volonté  leur  donne  son 
consentement  ;  et  tandis  qu'elle  sera  retenue  ,  ils  heurtent 
seulement  à  la  porte  et  ne  sont  pas  encore  entrés  dans  la 
maison.  L'àme  doit  donc  penser  à  soi  et  ne  pas  ramasser  le 
trait  de  son  ennemi  pour  l'en  frapper  ,  parce  qu'il  ne  peut 
pas  en  être  offensé  ,  c'est-à-dire  qu'elle  ne  doit  pas  contester 
contre  lui ,  mais  elle  doit  prendre  le  dard  de  la  volonté  divine 
et  de  la  haine  et  l'aversion  de  soi-même,  et  s'en  servir  comme 
d'autant  d'armes  pour  le  frapper  et.  lui  dire  :  «  Si  c'était  le 
bon  plaisir  de  mon  Dieu  de  me  tenir  en  cette  peine  tout  le 
temps  de  ma  vie  ,  je  suis  toute  disposée  à  le  souffrir,  pour  la 
gloire  et  la  louange  de  son  nom  ;  »  et  de  dire  aux  tentations  : 
«  Vous  ,  soyez  les  très-bien-venues  ,  et  je  vous  reçois  comme 
mes  meilleures  amies  ,  parce  que  vous  m'éveillez  du  sommeil 
de  la  nonchalance  et  me  conduisez  à  la  vertu.  »  Réjouissez- 
vous  donc  et  triomphez  d'aise,  persévérant  jusques  à  la  mort, 
et  plutôt  perdre  mille  fois  la  vie  que  vous  retirer  du  lieu  où 
Dieu  vous  a  établi  :  embrassez  la  croix  avec  une  patience  par- 
faite ,  vous  jetant  entre  les  bras  de  Dieu  et  vous  mettant  parmi 
ses  peines  ,  et  ouvrez  toujours  l'œil  pour  considérer  cet 
agneau  ensanglanté  et  consommé  pour  vous  ,  avec  volonté  de 
persister  en  l'état  où  sa  providence  nous  a  appelés,  ou  auquel 
il  pourrait  vous  appeler  à  l'avenir.  C'est  ainsi  que  nous  devons 
vivre  ,  puisque  nous  sommes  assurés  que  Dieu  nous  appelle 
à  soi  et  qu'il  fait  élection  de  nous  de  la  façon  qu'il  prévoit  que 
nous  pourrons  lui  être  le  plus  agréables.  Faisant  ainsi ,  vous 
acquerrez  toujours  de  nouvelles  lumières  et  vous  trouverez 
des  délices  dans  les  travaux  ,  pour  l'amour  de  Jésus-Christ  : 
vous  recevrez  à  contre-cœur  les  consolations  du  monde  ,  et 


282  ESPRIT 

vous  commencerez  votre  paradis  en  cette  vallée  de  larmes  , 
parce  que  c'est  l'un  des  principaux  avantages  de  l'âme  fidèle, 
en  la  vie  présente  ,  d'être  conforme  à  la  volonté  du  Père 
éternel.  C'est  ainsi  qu'elle  commence  à  goûter  la  divine  dou- 
ceur qu'elle  ne  ressentira  jamais  dans  le  ciel ,  si  elle  n'en  est 
premièrement  revêtue  en  celte  vie  ,  tandis  que  nous  sommes 
encore  pèlerins  et  voyageurs  sur  la  terre...  Je  ne  vous  en  di- 
rai pas  davantage.  Demeurez  en  la  sainte  et  douce  dilection  de 
Dieu.  Doux  Jésus  ,  Jésus  amour  !  (  Lettre  III ,  150.  ) 

A  dora  Nicolas  de  France ,  religieux  de  la  chartreuse  de  Beauregard. 

Elle  traite  de  la  force  et  du  courage  que  la  charité  donne  à  nos  âmes  pour 
résister  aux  tentations,  et  du  profit  que  nous  en  pouvons  retirer. 

Mon  très-cher  Fils  en  mon  doux  Jésus-Christ. 

Catherine ,  etc.  Je  vous  écris  en  son  précieux  sang  ,  avec 
désir  de  vous  voir  comme  un  vaillant  guerrier  en  ce  champ 
de  bataille ,  en  telle  sorte  que  jamais  vous  ne  tourniez  la 
tête  en  arrière  ,  pour  quelque  occasion  que  ce  soit  ;  mais 
qu'ainsi  qu'un  gentilhomme  de  courage  vous  soyez  résolu  , 
sans  aucune  crainte  servile,  à  soutenir  les  coups  qui  ne  pour- 
ront pas  vous  nuire  lorsque  vous  serez  armé  ;  il  vous  faut 
donc  revêtir  des  armes  de  la  force  unie  à  une  très-ardente 
charité  ,  parce  que  nous  devons  nous  disposer  à  souffrir  de 
bon  cœur  toute  sorte  de  peines  pour  l'amour  de  l'éternel  et 
souverain  bien  ;  ces  armes  sont  si  délicieuses  et  si  fortes , 
que  ni  le  démon  avec  toutes  ses  tentations  ,  ni  le  monde  avec 
tous  ses  mépris  et  moqueries ,  ne  peuvent  pas  les  affaiblir  ou 
altérer  la  consolation  que  l'âme  reçoit  par  la  douceur  de  cette 
éternelle  charité.  Au  contraire  ,  l'âme  qui  est  ainsi  douce- 
ment armée  offense  elle-même  ses  ennemis  ;  parce  que  les 
démons  rencontrant  une  âme  revêtue  des  armes  de  celte 
trempe,  lorsqu'ils  la  viennent  attaquer,  ils  voient  qu'elle 
les  reçoit  avec  allégresse  ,  pour  l'aversion  qu'elle  a  conçue  de 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  283 

soi-même  et  pour  le  désir  qu'elle  a  de  se  conformer  à  la 
croix  de  Jésus-Christ  ,  et  de  souffrir  les  peines  et  les  fatigues 
pour  son  amour  ;  et  ces  ennemis  reconnaissent  déjà  qu'elle 
les  méprise  par  la  dilection  qu'elle  a  pour  son  Créateur,  parce 
que  sa  volonté  n'est  point  du  tout  émue  par  leurs  illusions  , 
si  bien  que  cette  résolution  qu'ils  trouvent  dans  l'âme  leur 
donne  de  la  peine ,  et  les  met  en  déroute  ,  pendant  que  l'âme 
demeure  comblée  de  la  grâce  de  son  Dieu ,  toute  absorbée 
dans  l'amour  et  résolue  à  combattre  pour  la  gloire  de  Jésus 
crucifié.  Ainsi  vous  voyez ,  mon  cher  Fils  ,  que  vous  les  pour- 
suivrez :  mais  je  dis  bien  davantage  ,  que  vous  vaincrez  le 
monde  avec  tous  ses  appas  et  toutes  les  créatures  qui  vou- 
draient importuner  votre  repos  en  quelque  façon  que  ce  soit, 
et  souffrant  leurs  assauts  par  un  vrai  amour  de  la  charité  ,  et 
par  une  vraie  et  sainte  patience  ;  cette  même  patience  et 
charité  fera  que  vous  jetterez  des  charbons  ardents  d'amour 
sur  leur  tête  ,  parce  que  la  colère  s'apaisera  par  le  moyen 
de  l'amour ,  et  la  persécution  se  calmera  par  la  douceur; 
ces  armes  donc  nous  sont  extrêmement  nécessaires  ,  étant 
impossible  de  résister  autrement  à  la  bataille.  Nous  ne  pou- 
vons pas  fuir,  tandis  que  nous  sommes  enveloppés  de  ce 
corps  mortel  ,  et  il  n'y  a  personne  qui  ne  soit  attaqué  en  di- 
verses façons,  selon  que  c'est  le  bon  plaisir  de  Dieu  de  le 
permettre.  Si  l'âme  n'est  pas  armée  ,  elle  reçoit  le  coup  du 
plaisir  et  du  consentement  aux  choses  qui  lui  sont  proposées 
par  le  démon  ,  et  ainsi  elle  demeure  morte  par  le  péché  mor- 
tel, au  lieu  que  rien  ne  saurait  l'offenser,  si  elle  est  armée 
de  la  façon  que  nous  avons  dit.  Si  vous  me  répondez  que  vous 
ne  sauriez  avoir  ces  armes  ,  et  que  vous  voudriez  bien  savoir 
de  quelle  façon  elles  pourront  être  mises  entre  vos  mains  ,  je 
vous  déclare  qu'il  n'y  a  point  de  créature  raisonnable  qui  ne 
puisse  les  avoir  à  sa  disposition  ,  avec  le  secours  de  la  divine 
grâce;  parce  que  l'action  du  péché,  aussi  bien  que  le  trait 
de  la  vertu  ,  dépend  d'une  même  volonté  ,  laquelle  par  son 
consentement  donne  la  qualité  et  l'être  ou   au  péché  ou  à  la 


284  ESPRIT 

vertu,  parce  que  sans  la  volonté  le  péché  ne  serait  pas  un 
crime,  ni  la  vertu  une  action  de  mérite,  puisque  l'àme  ne 
serait  pas  criminelle  ,  et  la  coulpe  de  son  crime  ne  lui  serait 
pas  imputée  sans  le  consentement ,  comme  aussi  l'action  de 
la  vertu  serait  sans  récompense  ,  si  la  volonté  ne  l'exécute 
par  un  mouvement  d'amour  et  de  chanté  ;  voire  la  volonté  de 
l'homme  est  si  forte ,  qu'il  n'y  a  rien  dans  le  inonde  qui 
puisse  apporter  de  la  contrainte  à  sa  liberté  ,  de  quoi  saint 
Paul  nous  donne  des  assurances  «  lorsqu'il  défie  la  faim  et  la 
soif,  les  persécutions  ou  la  terreur  de  la  mort  ,  les  choses 
présentes,  aussi  bien  que  celles  qui  sont  avenir  ,  et  les  anges 
bons  et  mauvais  ,  de  le  pouvoir  retirer  de  la  charité  de  son 
Dieu.  »  Le  grand  Apôtre  fait  voir  par  ces  paroles  quelle  est 
la  force  de  la  volonté  que  Dieu  a  donnée  à  l'homme  par  son 
infinie  miséricorde  ,  en  telle  sorte  qu'il  n'y  a  personne  qui 
puisse  se  plaindre  de  son  impuissance  ,  ni  trouver  excuse 
de  son  péché.  Notre  cœur  peut  bien  être  assailli  d'une 
grande  quantité  de  pensées  fâcheuses  et  importunes  ,  et  il 
n'y  a  personne  qui  les  puisse  prévenir  :  mais  leur  première 
venue  n'est  pas  criminelle,  puisque  le  péché  commence  seu- 
lement lorsque  nous  les  recevons  avec  le  consentement  de  la 
volonté  ,  à  laquelle  il  appartient  de  les  agréer  ou  de  leur  con- 
tredire ;  puis  donc  que  Dieu  a  mis  un  trésor  de  telle  qualité 
dans  nos  âmes  ,  qui  les  rend  invincibles  ,  si  elles  veulent,  il 
ne  faut  pas  esquiver  les  coups  ,  mais  plutôt  il  se  faut  plaire 
au  combat  tandis  que  nous  sommes  en  celte  vie  :  et  certes  si 
nous  pouvions  considérer  quels  sont  les  fruits  de  ce  combat , 
il  ne  se  trouverait  pas  un  homme  qui  ne  l'attendit  avec  affec- 
tion. Personne  ne  peut  prétendre  à  la  victoire  sans  combat , 
et  celui  qui  n'a  point  de  victoire  est  chargé  de  honte  et  de 
confusion.  Mais savez-vous  bien  les  avantages  que  vous  tirez 
de  ces  assauts  ?  L'homme  trouve  sujet,  durant  le  mauvais  es- 
pace de  cet  orage,  d'exercer  sa  diligence  ou  d'être  plus  soi- 
gneux ,  et  d'employer  son  temps  et  de  ne  pas  demeurer  oisif, 
surtout  de  retourner  à  la  prière  ,  et  d'implorer  la  protection 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  285 

de  son  Créateur,  auquel  il  reconnaît  que  consiste  sa  force  et 
toute  sa  valeur  ,  et  de  plus  il  voit  sa  faiblesse  et  l'infirmité 
de  sa  partie  inférieure  :  ces  considérations  lui  font  concevoir 
une  sainte  haine  contre  l'amour-propre  qu'il  a  pour  soi  ;  et 
alors  il  commence  à  se  mépriser  soi-même  par  des  senti- 
ments d'une  vraie  humilité  ;  il  se  reconnaît  digne  des  peines 
et  indigne  du  repos  qui  les  doit  suivre  ;  il  commence  à  res- 
sentir en  soi  les  effets  de  la  bonté  divine  ,  reconnaissant  que 
la  force  qu'il  a  de  ne  pas  consentir,  dépend  absolument  de  sa 
miséricorde  ;  et  pour  lors  il  conçoit  un  grand  amour  envers 
celte  même  bonté ,  avec  de  saints  remercîments  qu'il  lui  rend, 
parce  que  c'est  par  son  secours  qu'il  se  voit  conservé  dans  la 
pureté  de  sa  conscience  :  les  grandes  vertus  s'acquièrent  par 
le  moyen  des  grands  combats  et  c'est  la  charité  qui  leur 
donne  la  vie  ,  laquelle  de  sa  part  ne  peut  être  conservée  sans 
l'humilité,  et  comme  nous  avons  déjà  commencé  de  dire,  l'âme 
a  plus  d'occasions  de  se  connaître  au  temps  de  la  bataille , 
parce  qu'elle  se  reconnaît  faible  ,  ce  qui  l'oblige  à  l'humilia- 
tion et  à  voir  les  merveilles  que  la  bonté  de  Dieu  fait  paraître 
en  sa  protection,  et  ce  qui  excite  l'amour  et  la  charité  dans 
son  cœur  envers  cette  infinie  majesté.  Il  est  donc  bien  rai- 
sonnable de  se  plaire  aux  combats  et  parmi  les  divers  acci- 
dents de  ce  monde,  sans  jamais  tomber  en  la  confusion,  parce 
que  bien  souvent  l'ennemi  ne  pouvant  pas  nous  abuser  par 
l'hameçon  de  la  volupté  ,  il  nous  veut  surprendre  par  l'appât 
de  la  confusion  ,  nous  faisant  croire  que  nous  sommes  aban- 
donnés de  Dieu ,  et  que  l'oraison  et  tous  les  exercices  spiri- 
tuels lui  sont  désagréables  ,  disant  dans  l'intérieur  :  «  Tu  fais 
ces  choses  lesquelles  ne  te  servent  de  rien;  tu  devrais  faire 
tes  dévotions  avec  un  cœur  paisible  et  un  esprit  posé  et  non 
pas  accompagné  d'une  si  grande  variété  d'impures  et  déshon- 
nêtes  pensées  :  il  vaut  mieux  donc  laisser  tout  ce  que  tu  fais  ;  » 
ce  sont  des  propositions  de  l'ennemi  ,  afin  de  nous  faire  mé- 
priser tous  les  saints  exercices  et  l'humilité  de  l'oraison  qui 
sont  les  armes  les  plus  propres  à  notre  défense,  ou  pour  parler 


280  ESPRIT 

avec  plus  de  propriété,  un  lien  qui  unit  et  fortifie  la  volonté, 
qui  augmente  et  entretient  la  force  avec  une  très-ardente  cha- 
rité, et  qui  sert  à  l'âme  pour  résister  aux  assauts  ,  ainsi  que 
nous  avons  dit.  C'est  pourquoi  le  démon  emploie  tous  ces 
artifices  pour  nous  les  faire  interrompre,  parce  que  ces  moyens 
nous  étant  échappés  ,  il  pourrait  bien  peu  à  peu  obtenir  de 
nous  tout  ce  qu'il  lui  plairait;  puis  donc  que  ces  vérités  sont 
toutes  évidentes  ,  ne  nous  laissons  pas  ensevelir  dans  la  con- 
fusion par  aucun  accident  et  n'oublions  pas  nos  exercices  , 
et  quand  bien  même  nous  serions  tombés  actuellement  dans 
le  péché  ,  il  ne  faudrait  pas  pour  cela  nous  laisser  vaincre  à 
ce  désordre  ,  parce  que  nous  devons  nous  persuader,  comme 
il  est  vrai ,  que  Dieu  reçoit  le  pécheur  à  miséricorde  tout  aus- 
sitôt qu'il  se  reconnaît  et  se  repent  de  son  vice  ;  mais  plutôt 
nous  devons  toujours  être  assurés  avec  une  vive  foi  accom- 
pagnée d'une  ferme  espérance ,  que  Dieu  n'imposera  pas  de 
charge  sur  nos  épaules ,  qui  ne  soit  proportionnée  à  nos  for- 
ces, et  qu'ensuite  l'esprit  malin  ne  nous  suscite  point  de 
trouble  que  par  sa  permission  ;  nous  devons  aussi  être  très- 
assurés  que  Dieu  sait  bien  qu'il  peut  et  qu'il  veut  aussi  nous 
délivrer  de  l'oppression  quand  il  verra  qu'il  en  sera  temps 
pour  notre  salut ,  puisqu'il  permet  toutes  ces  choses  pour 
notre  plus  grande  perfection.  Ainsi  vous  souffrirez  doucement 
et  en  repos  toutes  les  tromperies  et  les  ruses  de  l'ennemi 
par  le  moyen  de  cette  foi  et  de  celte  vraie  confiance;  vous 
vous  exercerez  aussi  à  l'humilité  ,  et ,  baissant  la  tète  afin 
de  passer  par  la  porte  étroite  et  suivant  les  instructions  de 
Jésus  crucifié ,  vous  acquerrez  le  don  de  la  force  et  delà  cha- 
rité ,  desquelles  nous  avons  dit  qu'elles  sont  des  armes  pour 
nous  défendre  :  mais  avec  quoi  acquiert-on  ces  armes  ?  par 
la  lumière  de  la  très-sainte  foi,  ainsi  qu'il  a  été  dit.  De  sorte 
que  la  foi ,  avec  l'espérance  et  la  charité  ,  sans  laquelle  ce  ne 
serait  pas  une  foi  vive  ,  vous  donneront  la  lumière  pour  vous 
faire  avouer  que  toute  notre  force  dépend  du  doux  Jésus- 
Christ  et  que  notre  faiblesse  vient  de  la  part  de  l'ennemi. 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  287 

Disposons-nous  donc  au  combat ,  mon  très-cher  Fils  , 
nous  mettant  devant  les  yeux  le  sang  de  l'humble  Agneau 
immaculé  qui  nous  rendra  plus  forts  et  nous  encouragera  à 
la  bataille  ,  faute  de  quoi  nous  ne  saurions  espérer  d'avoir 
entrée  dans  notre  cité  de  la  vie  éternelle  avec  l'honneur  de  la 
victoire.... 

Demeurez  en  la  sainte  et  douce  dilection  de  Dieu.  Doux 
Jésus  ,  Jésus  amour  !  (  Lettre  IV,  page  156.  ) 

A  dom  Pierre  de  Milan ,  de  l'ordre  des  Chartreux. 
Au  nom  de  Jésus  crucifié  et  de  la  douce  Marie. 

Elle  traite  de  trois  sortes  d'artifices  dont  se  sert  l'ennemi  pour  nous 
séduire. 

Mon  très-cher  Fils  en  mon  doux  Jésus-Christ , 

Catherine,  servante  et  esclave  des  serviteurs  de  Jésus-Christ, 
je  vous  écris  en  son  précieux  sang  ,  par  le  désir  de  vous  voir 
donner  gloire  et  louange  à  Dieu  en  tout  temps.  Mais  je  ne  puis 
pas  m'imaginer  en  quelle  sorte  nous  pourrons  rendre  cette 
louange  que  nous  devons  à  sa  Majesté ,  sans  le  secours 
d'une  grâce  et  lumière  particulière  ,  laquelle  nous  fera  voir 
la  différence  qu'il  y  a  entre  les  choses  dignes  de  blâme  et 
celles  qui  méritent  d'être  louées ,  parce  que  sans  celte  lu- 
mière ,  l'homme  serait  abusé  dans  les  ténèbres  ;  le  blanc  lui 
semblerait  être  du  noir,  et  le  noir  du  blanc.  Cette  clarté  donc 
est  bien  nécessaire,  et  il  est  expédient  de  s'établir  avec  la 
raison  sur  le  siège  de  notre  conscience  ,  afin  de  dissiper  par 
cette  lumière  le  brouillard  de  l'amour-propre  de  nous- 
mêmes  ,  je  veux  dire  de  cet  amour  sensuel  que  l'homme  porte 
toujours  pour  ce  qui  le  touche  ,  lequel  est  un  venin  qui  em- 
poisonne l'àme  ,  et  qui  déprave  le  goût  de  ses  plus  saints  et 
religieux  désirs  ;  de  sorte  qu'elle  prend  les  choses  amères 
pour  des  douces,  et  les  douces  pour  de  vraies  amertumes  ;  il 


288  ESPRIT 

aveugle  l'àme  el  ne  lui  laisse  pas  connaître  la  vérité  ,  et  en- 
suite il  l'empêche  de  l'aimer  faute  de  la  connaître.  De  là  vient 
que  de  telles  personnes  ne  rendent  pas  la  gloire  à  Dieu  ,  et  ne 
bénissent  pas  son  saint  nom  ,  et  vivent  toujours  avec  ennui 
et  dans  un  mauvais  sentiment  contre  sa  justice  et  au  préju- 
dice de  leur  prochain  :  ils  font  des  jugements  selon  la  fai- 
blesse de  leur  esprit ,  plutôt  que  par  la  vérité.  C'est  ainsi 
qu'un  serviteur  du  monde  juge  de  ce  qu'il  a,  estimant  que 
les  charges  el  les  qualités  soient  ses  délices  ,  bien  qu'elles 
soient  tout  le  contraire  ,  ce  qui  provient  de  l'affection  déré- 
glée qui  est  en  l'homme  pour  les  posséder  ,  laquelle  le  jette 
dans  la  misère ,  et  le  prive  de  la  grâce  de  Dieu  ;  ainsi  les 
afflictions  et  persécutions  de  la  vie  lui  semblent  très-amères  , 
encore  qu'elles  soient  remplies  d'une  douceur  extrême,  puis- 
qu'elles donnent  matière  de  mérite  et  sujet  de  contentement; 
elles  ramènent  l'esprit  à  Dieu  ,  et  nous  acquièrent  la  connais- 
sance de  nous-mêmes  et  de  l'incertitude  et  peu  d'assurance 
du  monde.  Ces  personnes  toutefois  sont  en  telle  sorte  aveu- 
glées, qu'elles  fuient  la  vertu  pour  se  délivrer  de  la  peine; 
et  afin  de  trouver  leur  plaisir  ,  elles  se  privent  des  véritables 
délices  ,  et  se  plongent  en  des  inquiétudes  d'esprit  jusques  à 
recevoir  delà  peine  de  se  souffrir  soi-même ,  et  se  rendre  les 
martyrs  du  prince  de  ce  monde.  De  cette  manière  ils  vont 
toujours  de  mal  en  pis  ,  comme  aussi  les  mêmes  serviteurs 
de  Dieu,  qui  ne  sont  pas  encore  entièrement  dépouillés  de 
cette  tendresse  de  l'amour-propre ,  reliennentle  sentiment  de 
la  chaleur  ,  sans  néanmoins  reconnaître  le  soleil  qui  les  cou- 
vre. Ceux-ci  trouvent  quelque  difficulté  à  se  retrancher  des 
plaisirs  sensibles ,  soit  spirituels  ou  temporels  ;  lorsque  la 
sensualité  se  couvrant  du  manteau  de  l'esprit ,  ils  se  repré- 
sentent principalement  trois  choses  devant  les  yeux.  — La 
première  est  au  temps  de  la  tentation  et  de  la  privation  des 
consolations  divines.  Alors  le  démon  se  cachant  sous  ce  voile, 
comme  aussi  la  tendresse  pour  soi-même  ,  les  jetant  en  des 
craintes  horribles  ,  jusqu'à  leur  faire  croire  qu'ils  tombent 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  289 

en  des  péchés  par  la  seule  appréhension  qu'ils  ont  de  com- 
mettre le  crime;  ce  qu'il  fait  afin  de  leur  donner  un  dégoût  de 
la  vie  spirituelle  ,  et  pour  lors  il  leur  suggère  ces  pensées  : 
«  Tu  n'étais  pas  travaillé  de  cette  sorte  avant  que  tu  fusses 
en  l'état  que  tu  as  choisi  ;  c'est  une  condition  que  lu  as  voulu 
prendre  afin  d'être  meilleur  ,  et  tu  es  devenu  pire.  Tu  es  tra- 
vaillé de  mille  troubles  durant  tes  exercices  que  tu  devrais 
faire  en  paix  ,  et  avec  un  cœur  libre ,  et  non  pas  embarrassé 
d'une  si  grande  confusion  de  pensées  ;  il  vaudrait  bien  mieux 
les  abandonner.  » 

Ce  méchant  propose  ces  choses  à  dessein  de  priver  l'âme 
de  l'exercice  de  l'oraison ,  laquelle  est  la  source  de  la  vertu 
en  celui  qui  en  est  illuminé.  Elle  est  un  ornement  de  grand 
prix  ,  et  l'âme  qui  en  est  revêtue  ne  se  ralentit  en  rien  du  ser- 
vice de  Dieu  ;  mais  elle  exerce  sa  vie  avec  plus  de  courage  , 
se  réputant  indigne  de  la  paix  et  du  repos  intérieur  dont 
jouissent  les  autres  serviteurs  de  Dieu  ,  et  seulement  digne 
de  la  peine  et  de  l'affliction  :  ce  qui  l'oblige  à  se  faire  gloire 
au  milieu  des  souffrances ,  et  à  rendre  louange  à  Dieu  en  tout 
temps.  Néanmoins  ce  même  ornement ,  qui  est  très-bon  et 
utile  en  soi ,  est-peu  favorable  à  celui  qui  est  amateur  de  soi- 
même,  ou  plutôt  il  lui  est  dangereux  ,  parce  qu'il  embarrasse 
l'âme  ,  laquelle  se  voyant  privée  des  consolations  qu'elle  dé- 
sire ,  il  lui  semble  que  Dieu  même  lui  soit  ravi ,  si  bien  que 
se  laissant  gagner  à  la  tideur  et  â  la  négligence,  elle  se  lie  les 
pieds  de  son  affection ,  et  retranche  la  force  de  ses  prières  , 
et  lorsque  les  ennemis  approchent ,  le  bras  de  l'oraison  est 
abattu  en  terre  et  ne  s'élève  point  en  haut  pour  demander 
avec  humilité  le  secours  de  son  Dieu  ,  qui  ne  le  refuse  jamais 
à  celui  qui  le  cherche,  ou  bien  de  rechercher  sa  volonté 
éternelle  ,  laquelle  ne  permet  rien  que  pour  noire  sanctifica- 
tion; les  ennemis  entrent  dans  la  cité  de  l'âme,  et  se  sai- 
sissant des  faubourgs,  qui  sont  toutes  ses  facultés,  ils  se 
rendent  les  maîtres  â  la  fin  du  donjon  de  la  volonté.  Il  en  ar- 
rive de  même  â  ces  personnes  qu'au  peuple  de  Dieu  ,  lequel 
t.  y.  4  9 


200  ESPRIT 

triomphait  de  ses  ennemis  durant  la  prière  de  Moïse,  et  per- 
dait la  victoire  lorsqu'il  baissait  les  mains.  Quel  est  ce  peuple 
de  Dieu  qui  se  trouve  dans  nos  cames?  Ce  sont  les  vraies  et 
solides  vertus  ,  lesquelles  triomphent  des  vices  ,  tandis  que 
la  raison  ,  qui  est  notre  Moïse  ,  demeure  sur  la  montagne  de 
L'inestimable  charité  de  Dieu,  et  qu'il  hausse  les  bras  par 
l'oraison  avec  la  connaissance  de  soi-même.  Mais  qu'est-ce 
que  pourrait  faire  un  esprit  amoureux  de  soi-même  ,  et  rendu 
tiède  par  cette  affection  ,  afin  d'apporter  quelques  remèdes  à 
sa  nonchalance  ?  Il  lui  faut  soutenir  les  bras  comme  ceux 
de  Moïse  ,  par  le  moyen  de  deux  appuis  ;  d'un  côté  ,  il  le  faut 
appuyer  d'une  certaine  haine  et  de  la  sainte  crainte  de  Dieu, 
et  de  l'autre  ,  de  l'amour  avec  la  vraie  humilité,  laquelle  est 
sa  nourrice.  Et  se  soutenant  ainsi  sur  ces  deux  accoudoirs  , 
qu'il  hausse  le  visage  de  l'àme  par  la  lumière  d'une  très- 
sainte  foi,  alors  le  peuple  de  Dieu ,  c'est-à-dire  l'affection  que 
nous  avons  à  la  vertu ,  mettra  en  déroute  le  capital  ennemi 
de  l'amour-propre  et  tout  ce  qui  est  de  sa  suite  ,  les  imper- 
fections seront  déracinées  de  l'àme ,  et  le  démon  ne  pourra 
plus  se  rendre  maître  de  nos  intentions  ,  qui  lui  servent  pour 
jeter  le  manteau  de  la  confusion  sur  les  yeux  de  nos  âmes  afin 
de  les  abuser. 

Le  deuxième  artifice  de  l'ennemi  est  de  mettre  l'esprit  en 
confusion  ,  et  de  ravir  à  l'àme  la  charité  envers  le  prochain  , 
et  lui  ôler  le  moyen  de  l'assister ,  ce  qui  est  toutefois  un  de- 
voir auquel  toutes  les  créatures  raisonnables  sont  obligées; 
et  afin  de  lui  faire  trouver  de  la  peine  et  de  l'ennui  en  ce  qui 
devrait  paraître  agréable,  il  lui  met  devant  les  yeux  l'appa- 
rence de  la  douceur  qui  se  trouve  dans  le  repos  ,  et  le  de- 
voir de  la  prière  qu'il  doit  rendre  à  sa  propre  satisfaction  , 
qui  semble  être  toute  la  consolation  de  son  esprit,  de  même 
que  l'àme  donne  le  plaisir  et  la  vie  au  corps.  Celte  proposi- 
tion est  de  si  beau  lustre  et  si  agréable ,  que  les  ignorants 
qui  ont  peu  de  connaissance  de  ces  artifices  ,  se  perdent  en 
cette  rencontre  ,  et  font  encore  pis  ,  lorsque  n'ayant  pas  la 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  291 

connaissance  de  ce  qu'ils  doivent  faire,  ils  ne  veulent  pas 
croire  ceux  qui  sont  mieux  expérimentes,  ne  cherchant  pas 
qui  le  leur  montre  ;  et  lorsque  la  vérité  leur  est  manifestée 
avec  tant  d'évidence  qu'ils  ne  peuvent  pas  s'y  opposer  avec 
raison  ,  ils  ne  prennent  pas  le  soin  de  suivre  les  ordres  qui 
leur  en  sont  prescrits  afin  de  s'cclaircir;  mais  comme  aveu- 
glés de  leur  propre  plaisir,  ils  se  ravalent  dans  leur  tiédeur, 
estimant  impossible  d'arriver  jamais  à  ce  qu'ils  prétendent. 
Ceux-ci  ne  donnent  pas  la  gloire  à  Dieu  avec  perfection , 
mais  avec  de  grands  défauts  ;  ils  ne  donnent  pas  grand' chose, 
et  reçoivent  fort  peu  ;  et  d'où  est-ce  que  ceci  procède?  De 
ce  que  le  goût  de  l'àme  n'est  pas  encore  bien  purifié  ,  et  qu'ils 
ne  se  sont  proposé  autre  chose  que  le  rayon  de  la  consola- 
tion et  non  pas  la  roue  du  soleil  ,  je  veux  dire ,  la  souveraine 
volonté  de  Dieu ,  sa  vérité  éternelle  ,  et  son  éternelle  doc- 
trine ,  qui  est  le  soleil  de  justice  qui  éclaire  toutes  les  âmes 
qui  veulent  avoir  part  à  sa  lumière  ;  d'où  vient  que  nous 
voyons  la  lumière  par  sa  lumière  ,  laquelle  consomme  par  sa 
chaleur  toute  la  glace  et  tiédeur  de  nos  cœurs ,  pourvu  que 
l'homme,  usant  de  sa  franchise ,  ouvre  la  fenêtre  de  la  vo- 
lonté,, afin  que  le  soleil  puisse  entrer  dans  la  maison  de  l'àme, 
avec  la  justice  qui  rende  l'honneur  à  Dieu  ,  et  la  gloire  et  la 
louange  au  Verbe  du  Père  éternel  qui  est  son  Fils.  Il  lui  rend 
alors  la  gloire  et  la  louange  quand  il  suit  ses  enseignements, 
et  qu'il  se  méprise  et  se  confond  soi-même ,  rougissant  de 
la  propre  passion  de  ses  sentiments  soit  spirituels  ou  tempo- 
rels, de  quelque  façon  qu'elle  se  puisse  rendre  rebelle  à  la 
loi  qui  l'oblige  de  rendre  le  dernier  devoir  à  son  prochain  , 
auquel  il  doit  l'amour  et  la  bienveillance ,  ce  qu'il  fait  voir 
au  temps  de  la  nécessité  en  le  secourant  avec  charité,  et  sup- 
portant ses  défauts  ,  non-seulement  par  la  douceur  des  dis- 
cours ,  mais  encore  par  la  qualité  de  ses  bonnes  actions,  et 
s' abandonnant  soi-même  ,  non  pas  au  péché 3  mais  par  affec- 
tion ,  et  embrassant  la  peine  pour  la  gloire  de  Dieu  ,  qui  est 
manifestée  au  salut  de  son  prochain.   C'est  ainsi  que  se  gou- 


-202  ESPRIT 

verne  celui  qui  a  jeté  l'œil  de  l'entendement  dans  la  clarté  de 
cet  agréable  et  glorieux  soleil ,  parce  que  la  clarté  céleste  lui 
a  fait  voir  qu'il  n'y  avait  point  d'autre  moyen  pour  faire  con- 
naître sa  charité  envers  Dieu  ,  et  il  connaît ,  outre  cela ,  qu'il 
ne  peut  pas  aimer  Dieu  ,  si  l'amour  du  prochain  ne  règne 
dans  son  âme.  Mais  l'homme  qui  ne  cherche  que  sa  propre 
satisfaction ,  et  qui  est  couvert  de  cette  fausse  apparence  de 
vertu  ,  dit  en  ces  rencontres  :  J'aimerais  mieux  mourir  que  de 
me  voir  éloigné  de  la  charité,  et  toutefois  je  ne  me  trouve  pas 
bien  de  ces  devoirs  d'obligation  ,  lesquels  n'apportent  que  du 
divertissement  à  mon  esprit;  et  lorsque  je  suis  obligé  de  l'ai- 
mer, cela  me  donne  de  l'importunité  et  de  l'ennui ,  si  bien 
que  j'ai  peine  à  le  souffrir  et  à  me  supporter  moi-même  :  c'est 
pourquoi  je  trouve  plus  à  propos  de  chercher  ma  paix  ,  lors- 
que je  serai  louché  d'affection  pour  lui.  Un  tel  homme  fait 
paraître  qu'il  est  aveuglé  lorsqu'il  tient  ces  discours  ,  et 
qu'il  ne  sait  pas  mettre  de  la  différence  entre  les  choses  qui 
se  présentent  à  lui;  car  comment  pourrai-je  dire  que  j'aime 
mon  prochain,  si  je  m'éloigne  de  lui  lorsque  je  le  verrai  dans 
la  nécessité  ,  et  si  je  fais  semblant  de  ne  le  pas  voir  pour  ma 
propre  consolation  ?  Vraiment  cclui-làse  trompe,  et  en  quelle 
sorte  pourrais-je  dire  sans  mentir,  que  le  service  que  je  ren- 
drai à  mon  prochain  en  tout  temps  et  en  tout  lieu  me  puisse 
donner  de  l'ennui  et  troubler  mon  repos  ,  s'il  n'y  a  rien  dans 
le  monde  ,  ni  aucune  perte  de  consolation  ,  lorsque  Dieu  les 
retire  pour  mettre  l'âme  dans  l'humilité  ou  autre  semblable 
accident  qui  me  puisse  affliger  et  me  donner  le  déplaisir  du 
péché  ,  puisque  c'est  le  seul  péché  qui  me  donne  de  l'amer- 
tume ?  Si  l'âme  tombe  dans  le  crime  ,  elle  n'en  doit  accuser 
que  soi-même  :  son  défaut  consiste  en  sa  propre  volonté,  la- 
quelle commet  l'offense.  L'homme  ne  laisse  pas  de  se  porter 
soi-même;  il  a  beau  fuir  les  lieux  et  les  créatures  lorsqu'elles 
ont  besoin  de  son  service  ,  il  ne  peut  pas  se  quitter  ;  la  fuite 
serait  bien  à  propos  et  bien  utile  ,  mais  l'homme  se  traîne 
dans  soi,  et  étant  ainsi  revêtu  ,  il  trouve  partout  ses  propres 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  293 

sentiments  ;  et  lorsque  le  temps  de  sa  nécessité  s'approche  , 
et  qu'il  veut  agir  contre  sa  volonté  ,  il  en  sent  la  contradic- 
tion avec  tant  de  violence  qu'il  ne  peut  pas  contenir  le  venin 
de  son  impatience  qui  veut  se  faire  sentir  ,  si  bien  qu'il  faut 
alors  notre  propre  sentiment  et  celui  de  notre  mauvaise  vo- 
lonté. 

La  troisième  invention  de  l'ennemi  s'attaque  aux  lois  de 
l'obéissance  ,  remettant  devant  les  yeux  de  l'homme  les  inté- 
rêts de  sa  passion  :  le  démon  ne  manque  pas  de  moyens  pour 
nous  décevoir  surcecbef;  mais  particulièrement  il  se  sert 
d'un  jugement  présomptueux ,  persuadant  à  un  religieux  qu'il 
est  plein  de  prudence ,  et  d'autre  côté  lui  faisant  voir  l'impru- 
dence de  son  supérieur,  parce  que  s'il  n'avait  pas  bonne 
opinion  de  soi  et  de  son  adresse ,  il  ne  serait  pas  si  témé- 
raire de  blâmer  la  vertu  de  son  prélat.  De  là  vient  que  celui 
qui  s'aime  soi-même ,  prendra  la  hardiesse  de  juger  de  l'in- 
tention de  celui  qui  commande,  sans  avoir  égard  à  la  volonté 
de  Dieu  ,  et  portant  toujours  la  sœur  de  l'amour-propre  ,  qui 
est  la  désobéissance,  il  tient  à  part  soi  ce  langage  :  «  Celui- 
ci  me  commande  sans  discrétion  ,  je  ne  saurais  souffrir  cette 
importunité  ;  car  lorsque  je  m'apprêtais  à  être  seul  dans  ma 
chambre  et  en  mon  repos ,  il  m'en  retire ,  sans  considération 
du  temps  et  du  lieu,  &c.  »  Quel  est  le  désordre  qui  arrive  de 
ceci  ?  Il  arrive  l'un  des  deux ,  ou  il  se  rend  désobéissant ,  et 
refuse  de  faire  ce  qui  lui  est  enjoint,  ou  s'il  le  fait,  c'est  avec 
impatience  et  murmure.  De  là  il  tombe  dans  l'infidélité  avec 
un  grand  dérèglement  d'esprit  ;  il  se  précipite  jusques  à  l'ir- 
révérence ,  et  perd  la  sainte  crainte  qu'il  doit  avoir  des  juge- 
ments de  Dieu ,  et  du  respect  dû  à  son  supérieur.  La  volonté 
le  prive  ensuite  de  la  paix  et  de  la  tranquillité  intérieure  ;  tout 
ceci  lui  arrive,  parce  qu'il  s'aime  soi-même  et  qu'attaché  à 
ses  propres  sentiments  il  se  mêle  de  juger,  à  sa  volonté  ,  les 
intentions  des  plus  grands  que  soi ,  et  de  la  disposition  des 
grâces  de  Dieu.  (Lettre  V.  page  159.  ) 


-29  i  ESPRIT 

Au  Père  Raimond  de  Capoue ,  père  spirituel  de  Saiule  Catherine ,  lorsqu'il  était 
à  Avignon. 

Au  nom  de  Jésus-Chrisl  et  de  la  douce  Marie. 

Touchant  le  bien  que  nous  pouvons  retirer  des  tentations. 

Mon  révérend  Père  en  mon  doux  Jésus-Christ , 

Catherine ,  servante  et  esclave  des  serviteurs  de  Jésus- 
sus-Christ.  Je  vous  écris  en  son  précieux  sang  ,  par  le  désir 
de  vous  voir  et  les  autres  enfants  revêtus  de  l'habit  des  noces 
qui  est  ce  vêtement  précieux  de  l'innocence  qui  couvre  notre 
nudité  ;  c'est  une  armure  qui  ne  peut  pas  être  percée  des 
traits  de  la  mort ,  ni  des  coups  de  l'ennemi  d'enfer  ,  mais  elle 
est  fortifiée  plutôt  qu'affaiblie  par  tous  les  assauts  et  impor- 
tunités  ,  soit  du  démon  ou  du  monde ,  ou  de  la  chair  même , 
lorsqu'elle  voudrait  se  révolter  contre  l'esprit  :  je  dis  que 
tous  ces  coups  ,  non-seulement  ne  seront  pas  dommageables, 
mais  qu'ils  seront  au  contraire  des  pierres  précieuses  et  des 
perles  semées  sur  l'habit  de  la  très-ardente  charité.  Quant  à 
l'àme  qui  ne  voudrait  pas  se  résoudre  à  souffrir  les  afflictions 
et  les  ennuis  de  quelque  côté  qu'il  plaise  à  Dieu  de  permet- 
tre qu'ils  nous  assaillent,  elle  fait  bien  voir  que  sa  vertu  n'est 
pas  à  l'épreuve  ,  puisque  la  vertu  ne  paraît  que  par  son  con- 
traire ;  par  quelle  façon  pourrons-nous  justifier  la  vertu  de  la 
pureté  ?  et  en  quelle  manière  la  pouvons-nous  acquérir?  Sans 
doute  par  son  contraire,  c'est-à-dire  par  les  importunités  de 
la  sensualité  ,  parce  que  celui  qui  se  plaît  aux  actions  impu- 
diques n'est  pas  travaillé  parles  pensées  contraires  à  la  con- 
tinence :  mais  lorsque  la  volonté  est  éloignée  du  consentement 
et  purifiée  de  toute  tache  par  la  sincérité  du  désir  qu'il  a  de 
plaire  à  son  Créateur,  le  monde  ,  l'enfer  et  la  partie  inférieure 
ne  laissent  jamais  en  repos.  Ainsi  toutes  les  choses  contraires 
sont  chassées  par  ce  qui  leur  est  opposé  :  vous  voyez  que 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  295 

l'humilité  s'acquiert  par  les  pensées  de  l'ambition  ,  parce  que 
quand  l'homme  se  voit  travaillé  par  la  présomption  ,  soudain 
il  s'humilie;  que  s'il  n'eût  pas  ressenti  cette  traverse,  il  n'eût 
pas  eu  le  moyen  de  se  bien  connaître  pour  avoir  des  pensées 
d'humiliation  ;  mais  en  se  voyant  il  conçoit  une  telle  haine  , 
qu'il  se  réjouit  de  toute  la  peine  qu'il  souffre;  il  fait  comme 
un  généreux  champion ,  lequel  n'évite  pas  les  coups;  mais 
plutôt  il  s'estime  indigne  de  la  grâce  qui  se  présente  ,  et  de 
souffrir  des  afflictions  pour  Jésus  crucifié.  Tout  ceci  lui  arrive 
par  le  moyen  de  la  haine  qu'il  a  contre  soi-même  et  pour 
l'affection  qu'il  porte  à  la  vertu.  Vous  voyez  donc  bien  qu'il 
n'est  pas  à  propos  de  tourner  le  dos ,  ni  de  s'affliger  durant  la 
tribulation;  puisque  les  ténèbres  produisent  la  lumière.  0 
doux  Dieu  d'amour ,  que  la  doctrine  que  vous  nous  donnez 
est  pleine  de  douceur ,  nous  faisant  voir  que  la  vertu  est  ac- 
quise par  son  contraire  ,  la  patience  par  l'impatience  :  parce 
que  l'âme  qui  voit  le  vice  de  l'impatience  exerce  la  patience 
en  souffrant  l'injure  reçue,  et  se  rendant  impatiente  envers 
l'impatience ,  elle  a  plus  de  ressentiment  pour  la  douleur 
qu'elle  souffre  du  déplaisir  qui  lui  est  fait,  que  de  toute  autre 
chose  ;  et  par  ce  moyen  elle  parvient  à  la  perfection  sans  y 
prendre  garde,  et  se  trouve  au  comble  de  la  vertu  par  le 
moyen  des  tempêtes,  sans  lesquelles  il  n'aurait  jamais  abordé 
au  port  de  la  perfection.  Ainsi  vous  voyez  que  l'âme  ne  peut 
aspirer  à  une  vertu  sans  plusieurs  désirs ,  travaux  et  tenta- 
tions qu'elle  doit  soutenir  pour  l'amour  de  Jésus  crucifié. 
Nous  avons  donc  bien  sujet  de  nous  réjouir,  au  jour  de  la 
bataille,  des  ennuis  et  des  ténèbres ,  puisqu'elles  nous  pro- 
duisent tant  de  bonheur  et  de  consolation.  Je  ne  veux  pas  , 
mon  Fils  ,  qui  m'avez  été  donné  par  la  douce  mère  Marie ,  que 
vousvous  jetiez  dans  l'ennui,  ou  que  vous  vous  laissiez  embar- 
rasser dans  la  confusion  ^  par  aucun  trouble  que  vous  puis- 
siez souffrir  en  votre  âme  ;  mais  je  désire  que  vous  conserviez 
la  bonne  ,  sainte  ,  pure  et  fidèle  volonté  ,  laquelle  je  sais  que 
Dieu  vous  a  donnée  par  sa  miséricorde;  je  sais  bien  que  vous 


20G  ESPRIT 

aimeriez  mieux  mille  fois  la  mort ,  que  de  l'avoir  offensé  par 
un  péché  mortel  :  et  je  prétends  de  vous  faire  acquérir  la 
connaissance  de  vous-même  par  le  moyen  de  ces  ténèbres  ; 
et  que  sans  souffrir  que  votre  bonne  volonté  tombe  en  confu- 
sion ,  vous  reconnaissiez  l'infinie  bonté  et  charité  ineffable  de 
Dieu;  que  vous  vous  arrêtiez  en  cette  connaissance,  laquelle 
engraisse  l'àme  ,  lorsque  vous  penserez  que  c'est  son  amour 
qui  vous  conserve  en  celte  bonne  volonté,  sans  courir  après 
ses  appétits  ,  par  le  moyen  du  consentement  que  vous  pour- 
riez donner  aux  suggestions  du  démon.  C'est  ainsi  que  par 
amour  il  a  permis  que  vous  et  moi  avec  plusieurs  autres  qui 
font  profession  de  le  servir  ,  aient  souffert  les  illusions  et  les 
importunités  du  démon  et  des  autres  créatures ,  voire  de  notre 
propre  sensualité  ,  afin  que  ces  déplaisirs  nous  retirent  de  la 
nonchalance ,  et  que  nous  ayons  soin  d'exciter  une  très-ar- 
dente charité  dans  nos  âmes  ,  accompagnée  d'une  vraie  hu- 
milité ,  laquelle  est  produite  par  la  connaissance  de  ce  que 
nous  sommes  ,  comme  la  charité  s'acquiert  par  la  pensée  de 
l'immense  bonté  de  Dieu  ,  où  l*àme  s'enivre  et  se  consomme 
dans  ces  feux  par  amour.  Réjouissez-vous,  mon  Père,  et 
prenez  courage ,  sans  être  touché  d'aucune  appréhension 
pour  tout  ce  qui  vous  saurait  arriver;  mais  soyez  assuré  que 
la  voie  de  la  perfection  s'approche  de  vous  ;  et  répondez  à 
l'ennemi ,  lui  disant,  que  ce  que  la  vertu  n'a  pu  faire  en  vous 
par  vous-même,  a  été  exécuté  par  l'infinie  bonté  et  miséri- 
corde de  Dieu  ,  si  bien  que  rien  ne  vous  sera  impossible ,  par 
le  secours  de  Jésus  crucifié  ;  faites  que  toutes  vos  actions 
procèdent  du  principe  d'une  foi  vive,  sans  vous  étonner  si 
vous  voyez  arriver  quelques  actions  qui  sembleraient  éloi- 
gnées de  vos  premiers  desseins  :  prenez  toujours  courage, 
parce  que  la  première  et  douce  vérité  a  promis  d'accomplir 
en  nous  nos  communs  désirs.  Consommez-vous  en  esprit  avec 
l'agneau  qui  a  été  égorgé  et  consommé  ;  reposez-vous  sur  la 
croix  avec  Jésus  crucifié  ;  prenez  votre  consolation  à  être  cru- 
cifié et  à  souffrir  à  son  imitation  ;  rassasiez-vous  d'oppro- 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  297 

brcs  pour  l'amour  du  même  Jésus  crucifié,  et  que  votre 
cœur  soit  collé  avec  toutes  vos  affections  sur  l'arbre  de  la  très- 
sainte  croix,  avec  Jésus  crucifié;  faites  voire  demeure  dans 
ses  plaies  ,  et  pardonnez-moi ,  moi  qui  suis  la  cause  et  l'ins- 
trument de  tous  vos  travaux  :  que  si  j'étais  un  instrument  de 
vertu,  vous  et  les  autres  en  sentiriez  les  effets  ;  ce  que  je  ne 
vous  dis  pas  afin  de  vous  en  faire  de  la  peine,  parce  que 
j'aurais  part  à  tous  vos  déplaisirs  ;  mais  afin  que  vous  et  les 
autres  enfants  ayez  compassion  de  mes  misères.  J'espère  et 
tiens  pour  tout  assuré  que  la  grâce  du  Saint-Esprit  mettra  fin 
à  tout  ce  qui  est  éloigné  de  la  volonté  de  Dieu  ;  considérez 
que  moi ,  chétive  et  misérable ,  suis  en  vie  ,  agissant  en  mon 
corps,  et  que  néanmoins  je  me  trouve  bien  souvent  hors  de 
moi  par  le  transport  de  mes  désirs.  Hélas  !  ô  bon  et  doux 
Jésus  ,  je  me  meurs  ,  et  si  je  ne  puis  mourir,  mon  cœur  se 
fend  ,  et  je  ne  puis  enfanter  les  désirs  que  j'ai  du  rétablisse- 
ment de  la  sainte  Eglise  ,  pour  la  gloire  de  Dieu  et  le  repos 
de  tout  le  monde,  et  de  vous  voir  revêtu  de  pureté  ,  brûlé  et 
consumé  de  sa  très-ardente  charité  ;  dites  au  Christ  en  la 
terre  qu'il  ne  me  fasse  plus  attendre,  et  lorsque  je  verrai  cela, 
je  chanterai  avec  le  bon  vieillard  Siméon  :  Maintenant ,  Sei- 
gneur,  vous  laissez  aller  votre  serviteur  en  paix.  C'est  assez 
pour  le  présent  ;  si  je  suivais  ma  volonté  ,  je  recommencerais 
bientôt  ;  faites  que  je  vous  voie  tous  liés  et  cloués  au  doux 
Jésus-Christ ,  en  telle  sorte  qu'il  n'y  ait  démon  ,  ni  pas  une 
autre  créature  qui  vous  en  puisse  jamais  éloigner,  ni  vous 
séparer  d'un  si  doux  et  agréable  lien  :  aimez-vous ,  aimez- 
vous  ,  dis-je  ,  les  uns  les  autres ,  demeurez  en  la  sainte  et 
douce  dilection  de  Dieu.  Doux  Jésus,  Jésus  amour.  (Lettre 
XIX,  page  313.) 


298  ESPRIT 

Au  porc  Thomas  de  la  Fontaine ,  à  Sienne. 
Au  nom  de  Jésus  crucifié  et  de  la  douce  Marie. 

Touchant  les  maux  qui  arrivent  de  notre  propre  volonté  ,  et  du  dépouil- 
lement de  nous-mêmes. 

Très-cher  Père  en  mon  doux  Jésus-Christ, 

Catherine,  servante  et  esclave  des  serviteurs  de  Jésus- 
Christ.  Je  vous  écris  en  son  précieux  sang ,  par  le  désir  de 
vous  voir  entièrement  dépouillé  de  vous-même ,  afin  que  vous 
vous  trouviez  tout  à  fait  revêtu  de  Jésus  crucifié  ,  et  pensez  , 
mon  doux  Père,  que  si  nous  ne  l'aimons  parfaitement ,  la  faute 
sera  de  notre  côté  ;  c'est  pourquoi  nous  devons  travailler  pour 
arracher  de  nous  notre  propre  volonté,  pour  la  faire  mourir  et 
la  noyer,  puisqu'elle  est  cause  que  nous  sommes  privés  d'un 
si  riche  ornement,  lequel  éclaire  l'âme  ,  l'embrase  et.  la  for- 
tifie ;  il  l'éclairé  par  les  vérités  éternelles ,  qui  lui  font  voir 
que  tout  ce  qui  arrive  en  cette  vie  est  ordonné  pour  notre  sanc- 
tification ;  et  afin  de  lui  donner  la  perfection  de  la  vertu ,  elle 
l'embrase  d'un  grand  désir  de  faire  de  belles  actions  pour 
la  gloire  de  Dieu,  et  à  donner  jusqu'à  la  vie  pour  son  hon- 
neur; enfin  ,  il  la  fortifie  n'y  ayant  point  de  lumière  ni  de  feu 
sans  force  ,  et  il  n'appartient  qu'à  l'amour  et  au  feu  de  porter 
de  pesants  fardeaux,  et  d'exécuter  de  hardies  entreprises.  La 
guerre  et  la  paix,  l'orage  et  le  calme,  la  main  droite  lui  est 
en  même  considération  que  la  gauche  et  l'adversité  comme  la 
prospérité  ,  parce  qu'il  fait  reconnaître  à  l'âme  que  l'une  et 
l'autre  prend  sa  source  d'un  même  principe,  et  qu'elles  vien- 
nent pour  une  même  fin.  Oh  !  que  cette  âme  vogue  paisible- 
ment sur  la  mer  de  ce  monde  ,  laquelle  si  elle  est  parfaite- 
ment dépouillée  de  la  robe  dont  elle  était  revêtue ,  ne  peut 
vouloir  ni  désirer  que  la  gloire  du  nom  de  Dieu  ,  de  qui  elle 
cherche  l'honneur  dans  le  salut  des  âmes  ;  elle  se  plaît  et  se 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  299 

nourrit  de  ces  désirs  ,  lesquels  elle  choisit  pour  son  entretien 
sur  la  table  de  la  croix  ,  c'est-à-dire  au  milieu  des  travaux  , 
des  mépris  et  de  la  misère  ,  autant  qu'il  plaît  à  Dieu  de  lui  en 
envoyer  ;  et  toute  sa  consolation  est  de  souffrir  ces  peines 
sans  offense  de  sa  part  ;  cet  état  est  si  relevé  ,  qu'il  n'est  pas 
possible  d'y  parvenir  avec  la  pesanteur  de  notre  vieil  habit. 
C'est  pourquoi  je  vous  ai  déclaré  que  je  désirerais  vous 
voir  entièrement  dépouillé  de  vous-même,  et  c'est  ainsi  que 
je  vous  supplie  de  faire  votre  possible  pour  l'amour  de  Jésus 
crucifié  ,  ce  sera  assez  pour  le  présent.  Nous  reçûmes  votre 
lettre  le  troisième  de  juin.  Demeurez  en  la  sainte  et  douce 
dilection  de  Dieu.  Doux  Jésus ,  Jésus  amour  !  (  Lettre  XXIII , 
page  319.) 

Au  même,  étant  daus  la  même  ville. 

Au  nom  de  Jésus  crucifie  et  de  la  douce  Marie. 

Elle  traite  des  douceurs  de  la  sainte  communion ,  et  le  convie  a  faire 
ensemble  la  sainte  Pâque. 

Mon  très-cher  et  bien-aimé  Fils  en  Jésus-Cbrist, 

Catherine ,  servante  et  esclave  des  serviteurs  de  Dieu.  Je 
vous  bénis  et  fortifie  au  précieux  sang  de  Jésus-Christ;  j'ai 
désiré  avec  un  grand  désir  de  faire  la  Pàque  avec  vous ,  avant 
que  je  meure,  et  la  Pàque  que  je  désire  que  nous  fassions  , 
c'est  de  nous  voir  en  la  table  de  l'Agneau  immaculé  ,  qui  est 
lui-même  la  table  ,  la  viande  et  l'économe  ;  sur  cette  table 
sont  les  fruits  des  vraies  et  solides  vertus  ;  toute  autre  table 
est  sans  fruit ,  mais  celle-ci  est  avec  un  fruit  parfait ,  parce 
qu'il  donne  la  vie.  C'est  ici  une  table  toute  couverte  de  veines 
d'où  découle  le  sang  ;  et  outre  les  autres  merveilles  il  y  a  un 
canal  qui  jette  le  sang  et  l'eau  mêlé  avec  le  feu,  et  le  secret 
du  cœur  est  découvert  à  l'œil  qui  se  repose  sur  ce  canal  :  ce 
sang  est  un  excellent  vin ,  qui  enivre  l'âme  sans  la  rassasier 


300  ESPRIT 

jamais  ;  et  plus  elle  boit ,  plus  elle  en  voudrait  boire  ,  parce 
que  le  sang-  et  la  chair  sont  unis  à  un  Dieu  infini.  0  mon  très- 
doux  Fils  en  Jésus-Christ ,  courons  avec  affection  vers  celte 
table,  afin  d'accomplir  tous  mes  souhaits  en  votre  perfection, 
et  que  je  fasse  la  Pàque  de  la  façon  que  j'ai  dit  ;  faites  comme 
celui  qui  se  laisse  gagner  à  l'appétit  du  vin  duquel  il  boit, 
jusqu'à  se  méconnaître  ;  son  estomac  s'échauffe  en  telle  sorte, 
qu'il  est  contraint  de  le  tirer  dehors.  Vraiment,  mon  Fils, 
nous  trouvons  ce  vin  sur  cette  table  ,  dans  le  côté  ouvert  du 
Fils  de  Dieu  ;  c'est  ce  sang  qui  échauffe  et  bannit  toute  sorte 
de  froideur  ;  qui  éclaire  et  fortifie  la  voix  de  celui  qui  en  boit  : 
il  réjouit  l'âme  et  le  cœur ,  parce  qu'il  est  répandu  avec  le  feu 
de  la  divine  charité  ;  ce  vin  a  un  effet  de  si  grande  chaleur 
qu'il  jette  l'homme  hors  de  soi,  lequel  vient  à  un  tel  point 
qu'il  ne  peut  pas  se  voir  pour  soi-même  :  mais  il  ne  se  consi- 
dère que  pour  Dieu  ,  et  Dieu  pour  Dieu,  et  son  prochain  aussi 
pour  la  gloire  de  Dieu  ;  puis,  quand  il  en  a  bu  à  suffisance  ,  il 
en  répand  sur  la  tête  de  ses  frères ,  par  l'imitation  de  celui 
qui  ne  cessa  jamais  d'en  verser  ,  non  point  pour  son  intérêt , 
mais  pour  notre  profit.  Nous  donc,  qui  sommes  appelés  à  cette 
table ,  prenons  l'instruction  de  la  viande  qui  nous  est  pré- 
sentée, et  faisons  aussi  de  même,  non  pour  notre  intérêt,  mais 
pour  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  de  nos  frères ,  puisque  c'est 
le  sujet  pour  lequel  vous  êtes  envoyé.  Prenez  donc  courage  , 
parce  que  ce  feu  vous  donnera  la  voix  et  vous  guérira  l'im- 
flammation  de  gosier  qui  vous  travaille  ;  je  vous  verrai  bien 
volontiers  si  je  puis.  Priez  Jésus-Christ  qu'il  me  fasse  appro- 
cher. (Lettre  XXVII ,  page  324.  ) 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  301 

Au  père  Barthélémy  ,  lorsqu'il  ela.il  bachelier  à  Pise. 

Elle  lui  parle  de  la  charité,  et  lui  déclare  que  la  méditation  de  la  croix 
est  l'unique  moyen  de  la  posséder. 

Au  nom  de  Jésus-Christ  cl  de  la  douce  Marie. 

Mon  très-aimé  et  très-cher  Frère  et  Père  pour  le 
respect  du  très-saint  Sacrement. 

Nous  ,  Alexis  et  Catherine,  mais  Catherine,  servante  inu- 
tile de  Jésus-Christ ,  nous  recommandons  à  vous ,  avec  les 
souhaits  que  nous  faisons  ,  afin  de  vous  voir  transformé  et  uni 
au  hon  plaisir  de  Dieu.  0  brasier  ardent  qui  brûlez  toujours  ! 
vous  êtes  un  feu,  et  c'est  ainsi  qu'il  me  semble  avoir  été  dit 
par  la  bouche  de  la  Vérité  :  «  Je  suis  un  feu  et  vous  êtes  les 
étincelles  ou  flammèches.  »  Il  veut  faire  connaître  que  le  feu 
aspire  toujours  au  lieu  de  son  élément,  et  partant  qu'il  monte 
toujours  en  haut.  0  dilection  infinie  de  charité  !  que  vraiment 
vous  avez  parlé  avec  raison ,  et  qu'à  bon  droit  nous  sommes 
semblables  aux  flammèches  qui  se  ressentent  de  la  chaleur 
du  feu  :  et  comme  ces  flammèches  ou  étincelles  dépendent  du 
feu,  ainsi  nous  recevons  l'être  de  notre  premier  principe; 
c'est  pourquoi  il  se  compare  au  feu  ,  et  dit  que  nous  ressem- 
blons aux  étincelles.  Que  l'âme  donc  ne  se  laisse  pas  empor- 
ter à  la  présomption  ,  mais  qu'elle  se  rende  semblable  à  ces 
flammèches,  lesquelles  s'élèvent  premièrement  en  haut  et 
puis  descendant  en  bas  ,  parce  que  le  premier  mouvement  de 
nos  désirs  doit  aspirer  à  la  connaissance  de  Dieu  et  de  ce  qui 
regarde  son  honneur  ;  et  après  nous  devons  descendre  à 
nous  et  reconnaître  nos  misères  et  notre  peu  d'affection;  et 
ainsi,  tout  étourdis  et  hors  de  nous,  nous  nous  serons  hu- 
miliés et  nous  nous  trouverons  dans  l'abîme  de  sa  charité.  0 
douce  mère  de  charité  !  vraiment  il  n'y  a  pas  d'esprit  si  en- 
durci et  si  peu  raisonnable  qui  ne  dût  être  dissous  par  le 


302  ESPRIT 

feu  que  vous  portez  :  ouvrez,  ouvrez  notre  àme  pour  aimer 
notre  prochain  par  une  sainte  dilection  et  par  de  saints  dé- 
sirs ,  lesquels  nous  ne  pourrons  jamais  avoir  si  l'œil  de  notre 
entendement  ne  se  tourne  comme  un  aigle  vers  le  bois  de  la 
vie.  0  très-doux  Jésus!  qu'avez-vous  dit  pour  nous  rendre 
affectionnés  à  votre  honneur  et  au  salut  des  âmes ,  et  géné- 
reux à  souffrir  les  afflictions  avec  patience?  Voici  ce  que  vous 
dites  :  «  Regarde-moi  qui  suis  un  agneau  égorgé  sur  la  croix 
pour  ton  amour ,  et  tout  couvert  de  sang  de  la  tète  jusques 
aux  pieds  ,  sans  que  ma  bouche  se  soit  jamais  ouverte  pour 
me  plaindre  :  je  ne  regarde  pas  à  ton  ignorance  et  à  ton  in- 
gratitude ,  et  cela  n'empêche  pas  que  je  ne  m'emporte  comme 
sans  raison  pour  opérer  ton  salut.  »  Sus  ,  mes  très-chers  et 
bien-aimés  Frères ,  sortons ,  sortons  de  cette  négligence  et 
courons  avec  soin  par  le  chemin  de  la  vérité  ;  mais  apportons- 
y  de  la  diligence,  étant  morts  en  nous-mêmes  ,  sans  être  re- 
tardés par  la  méconnaissance  des  créatures.  Semez,  semez  la 
parole  de  Dieu  et  regardez  la  valeur  des  talents  qu'on  vous  a 
commis  :  Dieu  ne  vous  a  pas  compté  seulement  un  talent, 
mais  il  vous  en  a  donné  dix ,  tant  pour  vous  que  pour  votre 
prochain ,  c'est  à  savoir,  les  dix  commandements  de  la  loi 
dont  l'observation  donne  la  vie  à  l'âme.  Ayez  donc  soin  de  les 
faire  valoir,  et  souvenez-vous  de  ce  qui.  s'est  passé  en  cette 
sainte  retraite  dans  la  cellule  de  votre  àme  et  de  votre  corps. 
Dites  la  même  chose,  s'il  vous  plaît,  à  Père  Thomas  et  à  ses 
autres  confrères.  Je  vous  prie  d'être  diligents  ,  parce  que  le 
temps  est  court  et  le  chemin  est  long.  (  Lettre  XXIX-  327.  ) 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  303 

A  Barthélémy  et  à  Jacques  .  ermites ,  demeurant  au  Campo-Sanlo  )  à  Pise. 

.-1»  nom  de  Jésus-Christ  et  de  la  douce  Marie. 

Elle  les  exhorte  à  souffrir  pour  la  gloire  de  Dieu  et  le  bien  de  l'église. 

Mes  trùs-chors  e(  bien-aimés  Enfants  en  mon  doux 
Jésus-Christ , 

Catherine  ,  servante  et  esclave  des  serviteurs  de  Jésus- 
Chrisl  :  je  vous  écris  en  son  précieux  sang,  avec  affection  de 
vous  voir  répandre  le  vôtre  et  ouvrir  votre  corps  pour  le  doux 
nom  de  Jésus.  Oh  !  que  notre  àme  sera  heureuse  ,  si  nous 
pouvons  recevoir  celte  miséricorde  de  verser  pour  sa  gloire 
ce  qu'il  a  donné  par  un  si  grand  feu  d'amour  et  de  charité  ! 
0  ardent  brasier  qui  brûlez  sans  consumer  ,  et  qui  ne  consu- 
mez que  ce  qui  se  trouve  en  l'âme  hors  de  la  volonté  de  Dieu  ! 
C'est  dans  cette  vraie  chaleur  que  fut  consommé  l'Agneau 
immaculé  sur  le  bois  de  la  très-sainte  croix.  0  cœurs  endurcis 
et  ingrats!  de  quelle  sorte  pouvez-vous  vous  empêcher  de 
n'être  pas  dissous  par  une  ardeur  si  extrême?  Vraiment ,  je 
ne  m'étonne  pas  si  les  Saints  ,  qui  n'étaient  pas  aveuglés  de 
l'amour-propre  d'eux-mêmes  ,  étaient  tout  à  fait  occupés  en 
la  connaissance  de  la  bonté  de  Dieu  et  au  feu  de  sa  très-ar- 
dente charité,  lorsque  le  souvenir  de  ce  sang  les  faisait  courir 
à  la  perte  de  leur  vie.  Pour  moi ,  je  suis  toute  transportée 
d'élonnement  quand  je  considère  le  feu  démesuré  de  saint 
Laurent  qui ,  étendu  sur  le  gril  tout  ardent ,  s'arraisonnait 
avec  le  tyran.  0  bienheureux  martyr  !  n'avez-vous  pas  assez 
de  votre  feu?  Il  me  répondrait  volontiers  que  non;  parce  que 
le  feu  qu'il  ressent  dans  le  cœur  ,  amoindrit  la  force  de  celui 
qui  le  consume  au  dehors.  Il  ne  faut  donc  pas  ,  ô  mes  chers 
Enfants  en  Jésus-Christ ,  que  vos  affections  et  vos  désirs  finis- 
sent jamais  jusqu'à  la  fin  de  votre  vie  :  éveillez-vous,  je  vous 
prie  ,  et  ne  dormez  plus  ;  à  quoi  je  ne  vois  point  de  plus 


304  ESPRIT 

prompt  remède  ,  que  d'exciter  en  vous  une  continuelle  haine 
de  laquelle  naît  une  sainte  affection  pour  la  justice  ,  laquelle 
vient  à  un  tel  point ,  que  nous  voudrions  que  les  animaux 
mêmes  en  fissent  raison.  Lorsque  l'âme  est  arrivée  au  point 
d'être  purifiée  en  cet  agréable  feu  ,  et  qu'elle  se  trouve  noyée 
en  cet  abîme  d'amour,  toutes  ses  facultés  s'emploient  au  ser- 
vice de  Dieu  :  la  mémoire  conserve  le  souvenir  des  bienfaits 
que  l'entendement  lui  fait  voir  ,  et  la  volonté  se  dispose  pour 
embrasser  de  toute  son  affection  ce  qu'elle  aime.  C'est  pour 
lors  qu'elle  s'écrie,  en  disant  :  0  Dieu  débonnaire,  qu'est-ce 
que  vous  aimez  le  plus  ?  Et  Dieu  lui  répond  :  Regarde  en  toi 
et  tu  trouveras  ce  que  j'aime.  ■ — Alors  vous  ouvrirez  les  yeux, 
mes  très-chers  Enfants  ,  et  vous  verrez  que  les  effets  de  l'a- 
mour de  Dieu  sont  répandus  indifféremment  sur  toutes  les 
créatures  raisonnables  ;  et  tout  aussitôt  l'âme  s'exerce  toute 
transportée  à  servir  les  hommes  qui  sont  ses  frères  ,  pour 
lesquels  elle  serait  bien  aise  de  cesser  de  vivre  en  ce  monde  , 
afin  de  leur  rendre  la  vie  de  la  grâce.  Elle  se  rend  semblable 
â  l'aigle  qui  est  toujours  fixe  et  arrêté  à  considérer  la  splen- 
deur du  soleil  :  il  se  lève  en  haut  d'où  il  jette  les  yeux  sur  la 
terre  qui  lui  fournit  la  proie  dont  il  se  nourrit  en  la  plus  haute 
région  de  l'air.  C'est  ainsi  que  fait  la  créature  raisonnable , 
laquelle  hausse  les  yeux  vers  le  soleil  du  divin  amour ,  et 
après  se  tourne  vers  la  terre  de  l'humanité  sacrée  du  Verbe 
incarné  ,  le  Fils  de  Dieu  :  de  sorte  que  considérant  ce  Verbe 
avec  l'humanité  tirée  des  entrailles  de  Marie  ,  elle  reconnaît 
sur  cette  table  cette  divine  viande  de  laquelle  elle  se  nourrit  : 
elle  ne  s'arrête  pas  seulement  à  l'humanité  de  Jésus-Christ , 
mais  passant  outre  avec  le  morceau  en  la  bouche,  elle  s'élève 
au-dessus  de  soi-même  ,  ou  elle  entre  dans  l'âme  du  Fils  de 
Dieu  ,  toute  consumée  et  embrasée  d'amour  ,  qu'elle  recon- 
naît être  un  feu  qui  est  sorti  de  la  puissance  du  Père,  lequel 
nous  a  donné  la  sagesse  de  son  Fils  ,  par  l'ardeur  et  la  force 
du  feu  du  Saint-Esprit  :  et  cela  par  une  si  grande  force  et 
union  ,  que  ni  les  clous  ni  la  croix  n'eussent  jamais  retenu  ce 


I 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  305 

divin  Verbe ,  s'il  ne  l'eût  été  par  le  lien  de  l'amour,  lequel  a 
fait  une  telle  union  ,  que  ni  la  mort ,  ni  quoi  que  ce  soit  n'ont 
jamais  pu  séparer  la  divinité  d'avec  la  nature  humaine.  C'est 
l'aliment  que  je  vous  donne  pour  l'entretien  de  votre  âme  ;  et 
si  vous  me  demandez  quelles  seront  les  ailes  qui  vous  aideront 
à  voler  ,  je  vous  réponds  que  c'est  avec  les  ailes  de  la  haine 
du  péché  et  les  transports  de  l'âme  et  par  l'affection  que  nous 
aurons  pour  les  peines  et  les  afflictions  de  ce  inonde  >  afin  de 
nous  rendre  semblables  à  Jésus  crucifié  :  c'est  lui  seul  que  je 
désire  que  vous  sachiez,  en  qui  réside  toute  votre  gloire, 
votre  repos  et  votre  consolation.  Nourrissez-vous  et  entrete- 
nez-vous de  ce  sang  ,  et  je  prie  Dieu  qu'il  regarde  l'ardeur  de 
vos  désirs.  C'est  assez  pour  le  présent  :  demeurez  en  la  sainte 
et  douce  dileclion  de  Dieu.  Doux  Jésus  ,  Jésus  amour  !  (Let- 
tre II ,  383.  ) 

Au  Prieur  el  aux  Confrères  de  la  Compagnie  de  la  discipline  de  la  sainte  Vierge 
Marie ,  de  l'Uôlel-Dieu  de  Sienne. 

Au  nom  de  Jésus  crucifié  et  de  la  douce  Marie. 

De  la  vigne  que  Dieu  a  plantée  en  l'homme  et  de  ses  facultés 
surnaturelles. 

Mes  très-chers  Pères  et  Frères  en  Jésus-Christ , 

Catherine  ,  servante  et  esclave  des  serviteurs  de  Jésus- 
Christ.  Je  vous  écris  en  son  précieux  sang  ,  par  un  désir  de 
vous  voir  semblables  aux  prudents  vignerons ,  travaillant  à  la 
vigne  de  votre  âme  ;  afin  que  vous  rapportiez  beaucoup  de 
fruit  au  temps  de  la  vendange.  Vous  n'ignorez  pas  que  la 
Yérité  éternelle  nous  a  créés  comme  une  vigne  selon  les  traits 
de  son  image  où  il  veut  habiter  par  sa  grâce  ,  pourvu  que  le 
vigneron  se  plaise  d'y  employer  son  industrie  avec  affection  et 
fidélité.  Que  si  elle  n'est  bien  cultivée  ,  elle  foisonnera  d'épi- 
nes et  de  chardons  ,  et  Dieu  ne  voudra  plus  y  faire  sa  rési- 
T.  v.  20 


306  ESPRIT 

dence.  Voyons  un  peu  quels  sont  les  laboureurs'  que  ce  maî- 
tre divin  lui  a  donnés.  Il  y  a  premièrement  établi  le  libre  ar- 
bitre ,  qui  a  toute  la  conduite  de  cette  vigne  :  il  y  a  mis  une 
porte  de  la  volonté  ,  laquelle  personne  ne  peut  ouvrir  ou 
fermer,  si  ce  n'est  en  tant  qu'il  plaît  au  vigneron  ;  et  de  plus, 
il  a  ajouté  la  lumière  de  l'entendement,  afin  que  nous  puis- 
sions mettre  différence  entre  les  amis  et  les  ennemis  qui 
voudraient  passer  par  celte  porte  ,  où  est  posée  la  sentinelle 
de  la  conscience  ,  laquelle  est  comme  un  chien  qui  veille  tou- 
jours et  qui  fait  bonne  garde  ,  afin  qu'il  aboie  lorsqu'il  verra 
aborder  quelqu'un.  Cette  lumière  de  Fentendement  fait  voir 
et  discerner  la  qualité  des  fruits  en  les  séparant  de  la  terre , 
afin  que  le  grain  et  le  fruit  demeurent  nets  pour  être  mis  en 
dépôt  dans  le  magasin  de  la  mémoire ,  laquelle  conserve  le 
souvenir  des  bienfaits  de  son  Dieu.  Le  cœur  ,  comme  un  pré- 
cieux vaisseau ,  est  placé  au  milieu  de  celte  vigne  ;  il  est  plein 
de  sang,  afin  d'en  arroser  les  plantes,  pour  empêcher  qu'elles 
ne  se  sèchent  :  c'est  ainsi  que  je  vois  ce  beau  parc  avoir  été 
planté.  Mais  je  m'aperçois  que  toute  cette  belle  économie  a  été 
dépravée  par  l'amour-propre  ,  et  que  le  laboureur  a  été  em- 
poisonné ,  jusqu'à  tel  point,  que  ce  lieu  de  bénédiction  a  été 
changé  en  un  lieu  désert  et  sauvage  ;  de  sorte  que  ,  ou  les 
fruits  qu'elle  produit  donnent  la  mort ,  ou  ils  sont  aigres  et 
de  mauvais  goût  ;  parce  que  ceux  qui  la  devraient  ensemencer, 
engagés  dans  les  intérêts,  ont  permis  aux  démons  de  passer 
par  la  porte  de  la  volonté ,  avec  la  semence  de  plusieurs  et 
diverses  pensées  ,  lesquelles  ils  ont  semées  dans  le  libre  arbi- 
tre, d'où  il  n'y  a  eu  que  des  fruits  de  mort ,  c'est-à-dire,  des 
péchés  mortels.  Oh  !  que  cette  misérable  vigne  est  en  piteux 
état ,  voyant  qu'au  lieu  d'être  un  parterre  de  plaisirs  et  de 
délices,  elle  est  changée  en  une  forêt  couverte  de  ronces  et  de 
chardons  de  l'ambition  et  de  l'avarice ,  et  des  épines  de  la 
colère  et  de  l'impatience  ,  et  toute  remplie  d'herbes  vénéneu- 
ses, jusqu'à  être  faite  comme  une  retraite  d'animaux  :  lorsque 
nous  nous  plaisons  à  l'impureté  ,  pour  lors  nous  pouvons 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  307 

dire  qu'il  n'est  pas  fermé',  puisque  les  ennemis  en  trouvent 
la  porte  ouverte  ,  et  que  les  esprits  d'enfer  y  entrent ,  comme 
dans  un  lieu  qui  leur  est  propre.  La  fontaine  qui  y  était  pour 
l'arroser  est  tarie,  c'est-à-dire  la  source  de  la  grâce ,  laquelle 
nous  avons  tirée  du  saint  baptême  ,  en  vertu  du  sang  de  Jé- 
sus-Christ ;  parce  que  ce  sang  était  comme  une  source  d'eau 
vive,  qui  arrosait  la  vigne,  lorsque  le  cœur  en  était  plein  par 
de  saintes  affections  d'amour.  La  lumière  de  l'entendement 
se  trouve  enveloppée  de  ténèbres  ,  parce  qu'il  est  privé  de  la 
claire  lumière  de  la  sainte  foi  :  aussi  n'a-t-il  de  sentiment 
que  pour  l'amour  sensuel  ,  de  quoi  la  lumière  est  toute 
pleine ,  de  telle  sorte  qu'elle  ne  peut  avoir  d'autre  souvenir 
que  des  misères  ,  des.  appétits  déréglés.  De  plus ,  la  vérité 
éternelle  a  planté  au  bord  de  cette  vigne  un  nouveau  parc  , 
qui  est  celui  de  notre  prochain  ,  lequel  est  uni  si  étroitement 
avec  le  nôtre  ,  que  nous  ne  saurions  faire  du  bien  à  l'un  sans 
profiter  à  l'autre  :  voire  il  y  a  un  commandement  exprès  "de 
cultiver  sa  vigne  comme  la  nôtre,  lorsqu'il  nous  a  été  dit  : 
«  Aime  Dieu  sur  toutes  choses,  et  ton  prochain  comme  toi- 
même.  »  Oh  î  que  ce  receveur  est  cruel  d'avoir  si  mal  ménagé 
sa  vigne,  sans  en  recueillir  aucun  fruit,  si  ce  n'est  peut-être 
de  quelques  petits  traits  de  vertu ,  lesquels  sont  si  âpres  , 
qu'il  n'y  a  personne  qui  en  puisse  goûter  :  j'entends  les  bon- 
nes actions  faites  hors  de  la  charité.  Oh  !  que  celte  âme  est 
misérable  à  l'heure  de  la  mort,  qui  est  le  temps  de  la  récolte , 
laquelle  se  trouve  sans  fruits.  La  preuve  de  ce  qu'elle  voit  lui 
fait  connaître  sa  misère;  et  pour  lors  elle  voudrait  bien  avoir 
le  temps  de  la  pouvoir  cultiver  ;  mais  le  temps  lui  manque  :  il 
semblait  que  l'homme  ignorant  fût  assuré  de  pouvoir  tenir  le 
temps  ta  sa  disposition  ;  mais  il  n'en  est  pas  ainsi.  Pensons 
donc  à  nous,  mes  chers  Frères  ,  durant  ce  temps  qui  nous 
est  donné  par  miséricorde.  Que  la  raison  et  le  libre  arbitre  se 
mettent  en  campagne  et  commencent  à  renverser  la  terre  de 
cet  amour  déréglé  et  pernicieux  :  je  veux  dire .  que  l'affec- 
tion ,  laquelle  est  entièrement  terrestre  ,  et  qui  ne  prétend 


308  ESPRIT 

qu'aux  choses  passagères  de  ce  monde  ,  lesquelles  s'écoulent 
toutes  comme  du  vent,  s'élève  à  la  recherche  des  hiens  céles- 
tes, qui  sont  fermes  et  arrêtés  ,  et  incapables  encore  d'aucun 
changement.  Ouvrons  la  porte  de  notre  volonté  pour  recevoir 
la  semence  de  la  doctrine  surnaturelle,  qui  produira  les  fruits 
des  vertus  relevées  et  propres  pour  la  tirer  de  la  terre  par  le 
moyen  de  la  lumière  de  la  foi  et  de  la  franchise ,  que  Dieu 
établira  en  nous  :  aussi  ces  vertus  n'ont  pas  été  semées  en 
nous  par  aucun  intérêt  temporel ,  ou  plaisir  de  la  vie  pré- 
sente ;  mais  par  le  mépris  de  nous-mêmes  ,  logeant  en  notre 
mémoire  le  fruit  du  souvenir  des  bienfaits  de  Dieu,  que  nous 
avons  absolument  de  sa  bonté ,  et  non  par  aucun  mérite  parti- 
culier de  nos  vices.  Mais  quel  arbre  y  faut-il  planter  ?  celui  de 
la  très-parfaite  charité  ,  dont  la  cime  va  jusques  au  ciel ,  et 
dans  l'abîme  infini  de  l'essence  divine  :  ses  rameaux  sont  ré- 
pandus par  tout  le  verger ,  ainsi  maintiennent-ils  les  fruits 
différents  en  fraîcheur  ;  parce  que  comme  toutes  les  vertus 
procèdent  de  la  charité  ,  aussi  ont-elles  toutes  la  vie  en  elle- 
même.  Et  de  quoi  l'arrose-t-on  ce  jardin  ?  Ce  n'est  pas  avec 
de  l'eau,  mais  bien  par  ce  précieux  sang,  lequel  a  été  répandu 
par  un  si  grand  feu  d'amour ,  et  qui  s'arrête  dans  le  vaisseau 
du  cœur  :  non-seulement  ce  sang  sert  pour  arroser  les  plantes 
de  cette  vigne ,  mais  encore  il  donne  à  boire  à  la  conscience  , 
comme  le  gardien  placé  à  la  porte ,  afin  qu'étant  fortifiée  , 
elle  puisse  faire  bonne  sentinelle  ,  pour  l'assurance  de  la  vo- 
lonté ,  et  qu'il  n'y  ait  personne  qui  passe  sans  qu'elle  en 
donne  avis  à  la  raison  ,  l'éveillant  par  son  cri;  et  que  la  rai- 
son par  le  secours  de  l'entendement  puisse  reconnaître  si  ce 
sont  des  amis  ou  des  ennemis.  Que  si  ce  sont  des  amis  en- 
voyés du  ciel  et  par  la  bonté  du  Saint-Esprit ,  comme  sont 
les  bonnes  inspirations  ,  il  faut  qu'elles  les  reçoivent  par  la 
franchise  de  la  volonté ,  ouvrant  la  porte  avec  les  clefs  de 
l'amour  ,  et  qu'elles  soient  mises  en  exécution.  Que  si  ce  sont 
des  ennemis  ,  comme  les  mauvaises  pensées  et  les  actions 
contraires  au  devoir,  qu'elle  les  chasse  avec  le  bâton  de  la 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  300 

haine  ,  et  un  juste  reproche ,  ou  qu'elle  ne  les  laisse  entrer 
que  pour  les  anéantir,  fermant  la  porte  de  la  volonté,  afin 
qu'elle  ne  leur  prête  point  de  consentement.  Lorsque  Dieu 
verra  que  ce  bon  laboureur  du  libre  arbitre  ,  lequel  il  a  posé 
dans  son  verger ,  aura  bien  travaillé ,  tant  en  soi  ,  qu'en  la 
vigne  de  son  prochain  ,  le  secourant  en  tout  ce  qui  a  été 
possible  par  affection  et  mouvement  de  charité ,  il  reposera 
dans  cette  àme  par  le  moyen  de  la  grâce.  Ce  n'est  pas  que  son 
contentement  soit  augmenté  par  notre  bien  ;  puisqu'il  n'a  pas 
besoin  de  nous  :  mais  sa  grâce  repose  en  nous  ;  et  c'est  de 
cette  grâce  que  nous  recevons  la  vie ,  et  qu'il  nous  revêt , 
couvrant  notre  nudité  ;  elle  nous  donne  la  lumière,  et  rassasie 
l'affection  de  l'âme,  et  la  satisfait  entièrement;  quoique  ce 
rassasiement  n'empêche  pas  que  l'âme  ne  demeure  toujours 
en  son  appétit  :  aussi  pour  ce  sujet  il  la  conduit  au  pied  de  la 
croix  ,  et  lui  met  dans  la  bouche  de  ses  désirs  le  lait  des  con- 
solations divines  ;  il  prend  avec  cela  la  myrrhe  de  l'amertume 
de  la  même  croix  ,  et  la  douleur  de  ses  péchés  ,  et  lui  donne 
enfin  l'encens  et  le  parfum  de  ses  prières,,  lesquelles  sont 
offertes  incessamment  et  avec  ardeur  d'amour  pour  la  gloire 
de  Dieu  et  le  salut  des  âmes.  Oh  !  que  cette  âme  est  heureuse  ! 
Vraiment  nous  pouvons  dire  qu'elle  goûte  la  vie  éternelle  : 
mais  nous  ignorons  qui  nous  sommes  ,  nous  nous  soucions 
fort  peu  de  cette  félicité  ;  car  si  nous  avions  l'esprit  affectionné 
à  notre  profit ,  nous  aimerions  mieux  mourir  mille  fois  ,  que 
d'être  privés  d'un  si  grand  bien.  Déchargeons-nous  donc  de 
cette  ignorance  ,  et  cherchons  la  perfection  avec  vérité  :  la 
cherchant  de  la  sorte,  nous  la  trouverons  où  Dieu  l'a  établie  , 
autrement  nous  ne  la  trouverons  jamais.  Nous  avons  dit  en 
quelle  sorte  notre  àme  est  une  vigne  ,  et  de  quelle  façon  Dieu 
l'a  enrichie  ,  et  comme  c'est  son  plaisir  qu'elle  soit  cultivée. 
Il  faut  voir  à  présent  en  quel  lieu  cette  vigne  a  été  plantée.  Je 
dis  sur  ceci  que  Dieu  nous  a  tous  posés  dans  le  verger  de  la 
sainte  Église  ,  où  il  a  mis  le  vigneron  ,  qui  est  le  vicaire  de 
Jésus-Christ  en  la  terre  ,  lequel  a  la  charge  d'administrer  ce 


310  ESPRIT 

sang  ,  et  par  le  couteau  de  la  pénitence ,  il  retranche  les  vices 
de  l'àme  ,  ce  qui  se  fait  au  sacrement  de  confession  :  il  tient 
les  âmes  attachées  à  son  sein  par  le  lien  de  la  sainte  obéis- 
sance ,  sans  laquelle  la  vigne  de  nos  âmes  serait  en  désola- 
tion ,  et  la  grêle  en  ruinerait  la  vendange  ,  si  elle  s'éloignait 
de  cette  même  conduite.  Il  faut  donc  chercher  et  cultiver  la 
vigne  de  notre  àme  dans  le  verger  de  la  sainte  Église  ,  si  nous 
voulons  être  capables  de  bien.  Il  est  temps  à  présent ,  mes 
très-chers  Pères  et  Frères  ,  de  faire  voir  si  nous  serons  unis 
en  vérité,  et  je  le  reconnaîtrai  si  en  ce  temps  de  nécessité  vous 
vous  efforcez  de  suivre  les  intentions  du  pape  Urbain  VIe, 
contribuant  à  ses  peines  ,  tant  spirituelles  que  temporelles  , 
c'est-à-dire  spirituellement  par  la  prière  et  l'oraison,  et  tem- 
porellement  par  le  service  de  votre  personne ,  le  servant  du 
mieux  qu'il  vous  sera  possible.  Les  grands  seigneurs  tâchent 
de  le  secourir,  en  quoi  ils  font  leur  devoir,  et  nous  qui  y 
sommes  obligés,  voudrions-nous  manquer  à  la  raison  encore 
que  lui  de  son  côté  laissât  de  nous  favoriser  ?  Avons-nous  si 
peu  d'affection  à  la  foi ,  que  nous  ne  voulions  pas  en  être  les 
protecteurs  ,  et  employer,  s'il  en  est  besoin  pour  sa  défense  , 
la  vie  temporelle  ?  Sommes-nous  si  méconnaissants  des  bien- 
faits que  nous  avons  reçus  de  Dieu  et  de  lui  ?  El  ne  savons- 
nous  pas  bien  que  l'ingratitude  fait  sécher  la  source  de  la 
bonté  ?  Je  n'ai  pas  envie   que  nous  soyons  atteints  de  ce 
crime  :  mais  je  veux  que  nous  ayons  un  bon  sentiment  de 
reconnaissance  ,  afin  que  la  dévotion  soit  par  ce  moyen  en- 
tretenue dans  nos  âmes.  Je  vous  prie  donc,  pour  l'amour  de 
Jésus  crucifié ,  que  vous  vouliez  travailler ,  et  que  vous  soyez 
prompts  à  subvenir  à  ce  besoin.  Pour  moi,  je  sais  avec  assu- 
rance que  si  vous  êtes  de  bons  ouvriers  en  la  vigne  ,  vous  tra- 
vaillerez avec  grand  soin  pour  l'amour  de  la  vérité  dans  les 
vergers  de  la  sainte  Église;  mais   si  vous  êtes  de  chélifs 
ouvriers  en  la  vigne  de  vos  âmes ,  vous  n'aurez  pas  soin  aussi 
de  travailler  pour  l'Église,  ainsi  que  jusqu'à  présent  vous 
avez  fait.  Je  ne  dis  rien  davantage ,  demeurez  en  la  sainte  et 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  311 

douce  dilection  de  Dieu.  Doux  Jésus ,  Jésus  amour!  (  Let- 
tre VIII ,  391.) 

A  monseigneur  Roslain  de  Canigiau .  Florentin. 
Au  nom  de  Jésus-Christ  et  de  la  douce  Marie. 
De  la  contrition  et  dispositions  à  la  sainte  communion. 

Mon  très-cher  Frère  en  Jésus-Christ , 

Catherine,  servante  et  esclave  des  serviteurs  de  Jésus- 
Christ.  Je  vous  écris  en  son  précieux  sang  pour  le  désir  de 
vous  voir  dépouillé  de  tout  amour-propre  de  vous-même, 
afin  que  vous  ne  perdiez  pas  la  lumière  et  la  connaissance 
que  vous  avez  de  l'amour  inestimable  de  Dieu ,  et  parce  que 
la  lumière  est  ce  qui  le  fait  connaître,  et  que  le  propre  amour 
est  ce  qui  nous  le  ravit,  à  ce  sujet  je  désire  passionnément  de 
le  voir  au  plus  loin  de  vous.  Oh!  combien  ce  propre  amour 
de  nous-mêmes  est  grandement  pernicieux  pour  notre  salut! 
c'est  lui  qui  prive  l'âme  de  la  grâce,  puisqu'il  lui  ravit  la 
charité  de  Dieu  et  du  prochain  ,  qui  le  faisait  subsister  en  la 
grâce  ;  il  la  prive  de  la  lumière,  ainsi  que  nous  disons  ,  parce 
qu'il  offusque  l'œil  de  sa  connaissance  ,  et  la  lumière  éteinte, 
nous  marchons  dans  les  ténèbres  sans  reconnaître  ce  dont 
nous  avons  le  plus  de  besoin.  Mais  qu'est-il  nécessaire  de 
connaître?  la  très-grande  bonté  de  Dieu  et  son  ineffable  cha- 
rité en  notre  endroit,  avec  la  pernicieuse  loi  qui  combat 
toujours  contre  l'esprit  et  l'extrémité  de  notre  misère  ;  par 
cette  connaissance  l'âme  commence  de  s'acquitter  de  son  de- 
voir envers  Dieu ,  c'est  à  savoir  de  la  gloire  et  de  la  louange 
de  son  nom  ,  l'aimant  sur  toutes  choses,  et  le  prochain  comme 
soi-même  par  une  faim  et  désir  des  vertus  ;  et  pour  soi  elle 
se  rend  la  haine  et  l'aversion  ,  détestant  en  soi-même  le  vice 
et  la  propre  sensualité ,  qui  est  la  source  de  tous  les  malheurs. 
Par  celte  même  connaissance  de  soi-même  :  l'âme  acquiert 


312  ESPRIT 

toutes  les  vertus,  et  la  grâce  demeure  au  dedans  de  soi ,  avec 
cette  lumière ,  ainsi  qu'il  a  été  dit  :  mais  où  est-ce  que  l'âme 
trouvera  les  richesses  d'une  vraie  contrition  de  ses  fautes, 
avec  l'abondance  des  miséricordes  divines?  ce  sera  en  celte 
maison  de  la  connaissance  de  soi-même  :  voyons  donc  si  nous 
l'y  trouvons  ou  non  ,  et  disons-en  quelque  chose.  Aussi  bien 
ai-je  reconnu  par  votre  lettre ,  que  vous  désiriez  avoir  con- 
trition de  vos  péchés,  et  que,  faute  de  la  pouvoir  obtenir,  vous 
laissiez  l'usage  de  la  sainte  communion ,  et  de  là  nous  ver- 
rons si  pour  ce  sujet  il  est  à  propos  de  s'en  abstenir.  Vous 
savez  que  Dieu  est  souverainement  bon  et  qu'il  nous  a  aimés 
avant  que  nous  fussions  jamais  ;  qu'il  est  la  sagesse  éternelle, 
et  que  son  pouvoir  et  sa  vertu  sont  inestimables,  et  par  là 
nous  concluons  qu'il  peut,   qu'il  sait  et  qu'il  veut  nous  oc- 
troyer ce  qui  nous  est  nécessaire,  et  nous  voyons  bien,  pour 
preuve  de  ceci ,  qu'il  nous  donne  plus  que  nous  ne  saurions 
jamais  demander,  ayant  prévenu  toutes  nos  prières.  L'avons- 
nous  jamais  prié  qu'il  fît  des  hommes  et  des  créatures  rai- 
sonnables à  son  image  et  ressemblance  plutôt  que  des  bêtes? 
Jamais  cela  n'était  venu  en  notre  pensée.  Lui  avons-nous 
aussi  demandé  qu'il  nous  rachetât  par  le  sang  du  "Verbe  son 
Fils  unique,  ou  qu'il  se  donnât  à  nous  en  viande,  Dieu  et 
homme  tout  ensemble  ,  la  chair ,  le  sang  ,  le  corps  et  l'âme 
unie  à  la  divinité?  Outre  ces  grâces  qui  sont  si  grandes  et 
qui  nous  font  paraître  un  tel  brasier  d'amour  qu'il  faut  avoir 
un  cœur  de  bronze  et  de  rocher  pour  ne  se  fendre  point  lors- 
qu'elles sont  considérées  ,  les  dons  et  les  faveurs  que  nous 
recevons  de  lui  ,  chaque  jour  ,  se  trouvent  infinies  ,  encore 
que  nous  ne  les  demandions  pas  ;  que  s'il  nous  octroie  tant 
de  biens  avant  que  nous  les  ayons  demandés  ,  combien  plus 
fortement  accomplira-t-il  nos  désirs  et  nos  supplications , 
pourvu  qu'elles  soient  justes  et  raisonnables?  Mais  encore, 
qui  est  celui  qui  nous  donne  le  mouvement  de  les  demander? 
C'est  lui  seul  :  donc  ,  s'il  nous  donne  l'inspiration  de  les  de- 
mander ,  c'est  un  signe  qu'il  les  veut  accorder.  Toutefois 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  313 

vous  me  direz  :  J'avoue  que  ce  que  vous  me  proposez  est  vrai  ; 
d'où  vient  donc  que  bien  souvent  je  demande  la  contrition 
et  d'autres  choses ,  lesquelles  ne  me  sont  pas  accordées  ?  Je 
vous  réponds,  que  ceci  peut  procéder  du  défaut  de  celui  qui 
demande  ,  lequel  fait  sa  prière  avec  quelque  manquement  ; 
peut-être  qu'il  prie  seulement  de  bouche  et  non  pas  avec 
affection  ,  et  c'est  de  ceux-là  que  parle  notre  Sauveur,  quand 
il  dit ,  que  de  telles  âmes  crieront  :  «  Seigneur,  Seigneur  ,  » 
mais  qu'il  ne  les  connaîtra  pas  ;  ce  n'est  pas  qu'il  ne  les  con- 
naisse bien,  mais  parce  que  leurs  défauts  seront  cause  qu'elles 
ne  sentiront  pas  les  effets  de  sa  miséricorde  ;  ou  bien  elles  de- 
mandent ce  qui  serait  contraire  à  leur  salut  quand  elles 
l'auraient,  et  Dieu  accomplit  la  demande  en  la  refusant,  parce 
qu'il  ne  leur  donne  pas  ce  qui  leur  serait  dommageable.  De 
sorte  que  nous  avons  toujours  ce  que  nous  demandons  au 
compte  que  Dieu  en  fait  :  mais  son  jugement  en  est  secret  et 
caché ,  encore  qu'à  l'extérieur  il  semble  contraire  à  notre 
sentiment  :  aussi  voit-il  que  s'il  nous  octroyait  la  grâce  aussi- 
tôt que  nous  la  demandons  ,  nous  ferions  comme  les  animaux 
immondes,  lesquels  quittent  le  miel  qui  est  un  aliment  gran- 
dement doux  et  délicieux,  dont  ils  ne  se  soucient  pas,  afin 
de  se  rouler  dans  la  boue.  Dieu  voit  bien  que  souvent  nous 
en  faisons  de  même  ,  et  que  recevant  ses  grâces  et  ses  bien- 
faits ,  selon  la  part  qu'il  nous  donne,  nous  ne  craignons  pas 
après  de  nous  attacher  aux  misères  de  cette  vie;  c'est  l'une 
des  raisons  pour  lesquelles  Dieu  diffère  quelquefois  à  nous 
octroyer  nos  demandes ,  afin  d'exciter  en  nous  des  désirs  et 
des  affections  qui  lui  soient  agréables ,  et  il  se  plaît  à  voir  les 
mouvements  de  ses  créatures.  Il  peut  arriver  aussi  qu'il 
nous  fera  une  grâce  par  effet ,  mais  non  pas  avec  cette  dou- 
ceur sensible  que  nous  voudrions  avoir  en  la  recevant  ;  ce 
qu'il  fait  par  une  grande  raison  de  providence ,  parce  qu'il 
connaît  que  si  l'homme  ressentait  sensiblement  l'effet  de  sa 
demande  ,  ou  l'ardeur  de  ses  affections  en  serait  amoindrie , 
ou  il  tomberait  en  présomption  ,  et  pour  cela  il  retire  la  dou- 


3 i 4  ESPRIT 

ceur  sensible  de  la  grâce ,  sans  retirer  néanmoins  la  grâce 
elle-même  :  il  y  en  a  d'autres  qui  reçoivent  la  grâce  et  en 
ressentent  la  douceur ,  selon  qu'il  plaît  à  la  bonté  de  celui 
qui  est  notre  médecin  et  qui  donne  ou  refuse  selon  qu'il  le 
juge  â  propos  et  convenable  à  notre  maladie.  Ainsi  vous  voyez 
qu'en  toute  façon,  l'affection  de  celui  qui  prie  est  toujours 
accomplie  selon  la  qualité  de  ce  qu'il  demande.  Voyons  à  pré- 
sent ce  que  nous  devons  demander  et  avec  quelle  prudence. 
Il  me  semble  que  cette  douce  et  première  vérité  nous  ensei- 
gne assez  bien  ce  que  nous  devons  demander,  lorsque  repre- 
nant en  l'Evangile  un  homme  trop  actif  et  trop  soucieux 
d'acquérir  des  biens  et  d'augmenter  sa  maison ,  il  dit  :  «  Ne 
vous  mettez  pas  en  peine  pour  le  lendemain,  c'est  assez  de 
donner  ses  soins  au  jour  présent;  »  ces  paroles  nous  ensei- 
gnent de  penser  â  la  brièveté  du  temps ,  et  après  il  ajoute  : 
«  Demandez  seulement  le  royaume  des  cieux ,  parce  que  vo- 
tre Père  céleste  sait  bien  ce  qui  vous  est  nécessaire  touchant 
ces  choses  inférieures.  »  Quel  est  ce  royaume ,  et  en  quelle 
sorte  le  demandons-nous?  C'est  le  royaume  de  la  vie  éter- 
nelle ,  et  ensemble  celui  de  notre  âme,  lequel,  si  nous  ne  le 
possédons  absolument,  jamais  nous  n'aurons  l'entrée  dans  le 
royaume  des  cieux.  En  quelle  sorte  le  demandons-nous  ?  Non- 
seulement  de  bouche  ,  car,  ainsi  que  nous  avons  dit,  Dieu  ne 
connaît  pas  ceux  qui  ne  le  demandent  que  de  la  seule  voix; 
mais  il  le  faut  demander  avec  l'affection  de  vraies  et  solides 
vertus;  c'est  la  vertu  qui  demande  ce  royaume  ,  et  à  qui  il 
est  donné ,  et  c'est  elle-même  qui  rend  l'homme  avisé  ,  et  le 
fait  travailler  avec  prudence  et  bon  conseil  â  la  gloire  de  Dieu, 
et  pour  le  salut  de  son  âme  et  du  prochain  ,  dont  il  souffre 
prudemment  les  défauts  et  les  imperfections.  Par  celte  même 
prudence  il  range  les  affections  de  la  charité ,  aimant  Dieu  sur 
toutes  choses  et  son  prochain  comme  soi-même,  avec  un 
tel  ordre,  qu'il  offre  sa  propre  vie  pour  son  salut  et  ses  biens 
pour  lui  sauver  la  vie  corporelle  ;  c'est  l'ordre  qu'une  pru- 
dente charité  établit  en  sa  conduite,  et  si  elle  était  impru- 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  315 

dente ,  elle  serait  tout  le  contraire ,  ainsi  que  plusieurs  qui 
sont  conduits  par  une  charité  insensée,  lorsque  pour  servir  à 
leur  prochain  ,  non  pour  le  bien  de  l'âme ,  mais  seulement  du 
corps ,  ils  exposent  leurs  propres  âmes  à  des  sacrilèges  et  des 
parjures,  et  à  de  faux  témoignages,  et  de  la  sorte  ils  per- 
dent la  charité  faute  de  l'assaisonner  des  lois  de  la  prudence. 
Voilà  en  quelle  sorte  nous  devons  demander  avec  prudence  le 
royaume  des  cieux  ;  voyons  à  présent  l'ordre  qu'il  nous  faut 
garder  en  la  sainte  communion ,  et  avec  quelle  préparation 
on  en  doit  approcher;  en  quoi  il  ne  faut  pas  procéder  avec 
une  sotte  humilité ,  ainsi  que  nous  voyons  faire  à  quelques 
séculiers  et  personnes  du  monde,  mais  plutôt  je  dis  que  nous 
devons  pratiquer  ce  divin  Sacrement,  ainsi  qu'il  nous  est 
commandé  et  parce  qu'il  est  l'aliment  de  nos  âmes ,  sans  le- 
quel nous  ne  pouvons  pas  vivre  en  la  grâce  ;  et  partant  il  n'y  a 
point  de  lien  si  fort ,  qu'on  ne  puisse  et  ne  doive  rompre , 
afin  d'approcher  de  ce  doux  Sacrement ,  et  l'homme  doit  faire 
de  sa  part  ce  qu'il  peut  et  c'est  assez  :  comment  le  devons- 
nous  recevoir?  par  la  lumière  de  la  très-sainte  foi,  et  par  la 
bouche  d'un  saint  désir.  Cette  lumière  de  la  foi  nous  fera 
voir  un  Dieu  et  un  homme  réellement  sous  les  sacrées  espè- 
ces, et  pour  lors  l'affection  qui  suit  de  cette  lumière  s'em- 
brase pour  le  recevoir  d'un  amour  affectif,  assisté  d'une 
sainte  pensée  de  ses  défauts  et  péchés  commis  ,  et  de  là  naît 
la  contrition.  L'âme  considère  la  grande  étendue  de  l'inesti- 
mable charité  de  Dieu  ,  qui  s'est  donné  à  nous  en  viande  par 
un  si  grand  amour,  et  encore  qu'il  lui  semble  n'avoir  pas  un 
si  parfait  ressentiment  de  ses  péchés  qu'elle  voudrait ,  ni  une 
disposition  proportionnée  à  une  action  si  haute  et  si  impor- 
tante, il  ne  faut  pas  pour  cela  s'empêcher  de  la  recevoir, 
parce  que  la  seule  volonté  suffit  en  ces  occasions  avec  les  pré- 
parations que  nous  y  avons  apportées.  Ainsi,  je  dis  qu'il  le 
faut  recevoir  de  la  même  façon  qu'en  la  loi  ancienne  l'agneau 
pascal  était  mangé  :  il  devait  être  rôti  et  non  bouilli;  il  le 
fallait  manger  entièrement  et  non  point  en  partie ,  avec  une 


310  espiut 

ceinture  sur  les  reins  et  tout  droit  avec  un  bâton  en  la  main  , 
après  avoir  inarqué  les  seuils  des  portes  des  maisons  du  sang 
de  l'agneau.  C'est,  dis-je  ,  ainsi  qu'il  faut  prendre  ce  Sacre- 
ment; il  le  faut  manger  rôti  et  non  bouilli,  parce  que  ce  qui 
est  bouilli  est  mêlé  d'eau  et  de  terre,  qui  peut  signifier  l'affec- 
tion que  nous  avons  aux  choses  temporelles  avec  l'eau  de 
notre  amour-propre  :  voilà  pourquoi  il  doit  être  rôti ,  afin 
qu'il  n'y  ait  aucun  mélange  ;  et  il  est  reçu  rôti ,  quand  nous 
le  recevons  par  le  feu  de  la  divine  et  douce  charité.  Nous  de- 
vons être  ceints  par  le  ceinturon  de  la  continence,  parce  que 
ce  serait  un  trop  grand  scandale  d'approcher  d'une  telle  pu- 
reté et  inestimable  netteté  avec  un  cœur  et  un  corps  infectés 
de  quelque  impureté.  Il  nous  faut  être  debout ,  parce  que 
notre  cœur  et  notre  esprit  doivent  être  élevés  à  Dieu  par  la 
foi  ;  le  bâton  à  la  main  nous  fait  voir  le  bois  de  la  très-sainte 
croix ,  sur  lequel  nous  devons  être  appuyés  et  qui  nous  défend 
de  nos  ennemis,  qui  sont  le  monde  ,  le  démon  et  la  chair; 
il  le  faut  manger  entièrement  et  non  point  en  partie,  parce 
que  la  foi  nous  doit  faire  considérer  non-seulement  l'huma- 
nité en  ce  Sacrement ,  mais  tout  ensemble  le  corps  et  l'âme 
de  Jésus  crucifié  ,  unis  avec  la  divinité ,  tout  Dieu  et  tout 
homme  ;  il  faut  prendre  le  sang  de  cet  agneau  et  s'en  mar- 
quer :  je  veux  dire ,  qu'il  le  faut  confesser  en  la  présence 
de  toutes  les  créatures  de  l'univers  et  ne  le  dénier  jamais , 
non  pas  même  pour  la  crainte  de  la  mort.  C'est  ainsi 
qu'il  faut  recevoir  amoureusement  cet  agneau  rôti  par  le  feu 
de  charité  sur  le  bois  de  la  croix  :  ainsi  nous  serons  trouvés 
marqués  du  signe  de  Thau,  en  sorte  que  l'ange  extermina- 
teur n'osera  pas  nous  toucher.  J'ai  dit  qu'il  ne  fallait  pas  faire 
comme  plusieurs  séculiers  ,  qui  sont  grandement  imprudents, 
lesquels  manquent  d'obéir  aux  lois  que  la  sainte  Eglise  leur 
a  imposées  ,  disant  qu'ils  ne  sont  pas  dignes  de  participer 
à  cet  adorable  Sacrement;  et  ainsi  ils  vivent  un  long  temps 
dans  le  péché  mortel ,  privés  de  cette  viande  de  leurs  âmes. 
0  humilité  insensée  !  Et  qui  ne  sait  que  tu  n'en  es  pas  digne? 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  317 

Qu'est-ce  que  tu  attends  pour  t'en  rendre  digne?  tu  n'en  seras 
pas  plus  digne  à  la  fin  qu'au  commencement  de  ta  vie .,  parce 
que  toutes  nos  préparations  ne  peuvent  pas  nous  faire  mériter 
un  si  grand  bienfait.  Dieu  seul  est  digne  de  soi-même,  et 
peut  nous  en  rendre  dignes  par  sa  propre  dignité ,  laquelle 
n'est  pas  capable  de  diminution.  Qu'est-ce  donc  que  nous 
devons  faire?  Il  faut  nous  disposer  de  notre  côté,  et  obéir  à 
la  loi  qui  nous  est  faite  de  recevoir  ce  Sacrement;  car  si  nous 
faisons  autrement  et  si  nous  laissons  la  communion  faute 
d'être  dignes  de  nous  en  approcher ,  nous  tomberons  dans  le 
péché  en  pensant  l'éviter  ;  d'où  je  conclus  ,  que  je  ne  veux 
pas  que  vous  vous  laissiez  gouverner  par  une  si  grande  im- 
prudence -,  mais  que  vous  vous  disposiez  comme  un  fidèle 
chrétien  à  recevoir  cette  sainte  communion ,  de  la  façon  que 
nous  avons  dit;  ce  que  vous  ferez  d'autant  plus  parfaitement , 
que  vous  demeurerez  en  la  connaissance  de  vous-même  et 
non  point  autrement,  parce  que  cette  connaissance  vous  ren- 
dra soigneux  et  vigilant  en  toutes  choses  ;  votre  saint  désir  ne 
se  trouvera  pas  diminué  par  aucun  accident  de  peine  ou  de 
travail  ou  par  la  méconnaissance  de  ceux  à  qui  vous  aurez 
rendu  service  ,  mais  vous  continuerez  généreusement  jusqu'à 
la  mort  ;  c'est  ainsi  que  je  vous  prie  de  faire  pour  l'amour  de 
Jésus  crucifié;  je  ne  vous  dis  rien  de  plus.  Demeurez  en  la 
sainte  et  douce  dilcclion  de  Dieu.  Doux  Jésus ,  Jésus  amour  ! 
(Lettre  II,  page  571.) 

A  maître  André  Yanni. 
Au  nom  de  Jésus-Christ  et  de  la  douce  Mario. 
De  l'importance  de  l'humilité  pour  conserver  les  vertus. 

Mon  très-cher  Fils  en  mon  doux  Jésus-Christ , 

Catherine,  servante  et  esclave  des  serviteurs  de  Jésus-Christ 
crucifié  ;  je  vous  écris  en  son  précieux  sang  par  le  désir  de 


318  ESPRIT 

vous  voir  constant  et  persévérant  en  la  vertu ,  non  point 
comme  la  feuille  qui  se  meut  à  tout  vent ,  mais  ainsi  qu'un 
arbre  planté  en  la  vallée  de  la  vraie  humilité  ,  afin  que  le  vent 
de  l'ambition  ne  puisse  point  endommager  la  plante  de  votre 
âme,  laquelle,  à  dire  le  vrai,  est  un  arbre  d'amour;  parce 
qu'ayant  été  créée  de  Dieu  par  amour  et  n'étant  qu'amour,  elle 
ne  peut  point  vivre  aussi  sons  amour,  soit  d'un  amour  saint 
ou  du  propre  amour  sensuel  de  soi-même  :  celui-ci  est  si 
pernicieux  à  l'àme,  qu'il  lui  cause  la  mort,  et  la  privant  de  la 
vie  de  la  grâce  ,  il  la  porte  sur  les  hauteurs  de  l'ambition  où 
elle  est  battue  par  les  vents  contraires  en  diverses  façons ,  de 
tous  lesquels  elle  se  sent  offensée,  parce  qu'ils  abattent  ses 
fruits  et  rompent  ses  branches;  et  si  elle  n'y  donne  ordre, 
peu  à  peu  elle  est  déracinée  et  portée  par  terre  :  à  quoi  sur- 
viennent parfois  les  vents  subtils  des  tentations ,  et  d'une  in- 
finité de  sales  pensées  dans  le  cœur,  lesquelles  secouent  cet 
arbre  en  telle  sorte  qu'elles  le  dépouillent  de  toutes  ses  feuil- 
les, telles  que  sont  les  dévotes  pensées  et  les  douces  paroles 
détrempées  en  la  charité  envers  son  prochain,  qui  sont  comme 
les  feuilles  verdoyantes  propres  à  conserver  le  fruit.  Cet  ac- 
cident est  accompagné  de  la  médisance  suscitée  par  les  per- 
sécuteurs et  ennemis  visibles  ,  lorsqu'après  avoir  conçu  une 
mauvaise  volonté  ,  ils  la  produisent  par  des  injures  ,  par  des 
soupçons  et  calomnies,  soit  par  actions  ou  de  paroles.  Ce 
vent  ici  renverse  bien  souvent  l'arbre  de  la  patience  et  rompt 
les  rameaux  des  autres  vertus  jusqu'à  renverser  l'arbre  par 
terre,  si  on  n'y  remédie  promptement  par  la  ferveur  de  l'amour 
de  Dieu  et  la  dilection  du  prochain.  Tout  ceci  lui  arrive ,  ai- 
je  dit ,  pour  s'être  élevé  trop  haut  et  posé  en  un  lieu  où  il  est 
battu  des  vents;  mais  s'il  eût  été  planté  en  bas  ,  au  milieu  de 
deux  montagnes  ,  cela  ne  lui  arriverait  jamais  ;  parce  que  ces 
vents  battraient  les  montagnes  qui  sont  fortes ,  et  non  pas 
l'arbre  qu'ils  ne  feraient  seulement  qu'effleurer.  Quel  moyen 
donc  pourrait-on  trouver  afin  de  transplanter  cet  arbre  et 
l'établir  dans  des  vallées  et  sur  la  terre  de  l'humilité?  Le 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  310 

voici ,  je  vais  vous  le  dire  :  nous  obtiendrons  ce  bonheur  par 
la  connaissance  de  nous-mêmes  et  le  déplaisir  que  nous  au- 
rons de  la  propre  sensualité  ,  étant  impossible  que  nous  ayons 
autrement  une  vraie  et  solide  humilité.  Mais  ,  par  le  moyen 
de  cette  connaissance  et  de  cette  aversion ,  nous  serons  posés 
comme  entre  deux  montagnes  qui  sont  la  vertu  de  la  force  et 
de  la  patience  ,  lesquelles  verront  les  orages  des  vents  et  les 
soutiendront ,  pour  grands  et  violents  qu'ils  puissent  être  : 
voire,  plus  ils  sont  contraires,  et  plus  aussi  elles  se  renfor- 
cent, l'âme  s'excitant  à  la  vertu  de  la  patience  parmi  les  ad- 
versités. C'est  pour  lors  que  les  vertus  sont  conservées  et  que 
les  fruits  se  mûrissent  par  la  bonne  édification  que  nous 
donnons  au  prochain  ,  soit  par  actions  ou  par  des  paroles 
entretenues  par  les  douces  fleurs  des  bonnes  pensées ,  d'un 
équitable  jugement  que  fait  l'âme ,  tant  pour  soi-même  qu'à 
l'égard  de  son  prochain,  touchant  la  volonté  de  Dieu  qui  ne 
veut  que  notre  bien ,  sans  se  soucier  de  l'opinion  des  hom- 
mes :  elle  mortifie  sa  propre  suffisance  ,  et  abolissant  les 
mouvements  de  sa  propre  volonté,  elle  emploie  son  industrie 
pour  entretenir  l'arbre  de  la  charité  dans  le  coeur  du  prochain 
par  un  ardent  désir  du  salut  des  âmes,  et  se  plaisant  à  cette 
nourriture  pour  l'honneur  de  Dieu.  Oh  !  que  l'arbre  de  notre 
âme  est  glorieux  quand  il  est  ainsi  planté  avec  tant  de  bon- 
heur !  Il  est  tout  à  fait  conforme  à  l'humilité  de  l'Agneau 
immaculé  ,  lequel  nous  a  donné  la  vie ,  semblable  à  un  soleil 
de  grâce  et  de  miséricorde ,  quoique  avec  toutes  nos  justices 
nous  n'eussions  pas  eu  moyen  de  nous  l'acquérir;  mais  de- 
puis que  la  majesté  d'un  Dieu  s'est  abaissée  jusques  à 
l'homme  ,  nous  donnant  ce  doux  et  amoureux  Verbe ,  et  que 
ce  même  Verbe  ,  Fils  de  Dieu  ,  s'est  humilié  jusqu' à  la  mort 
ignominieuse  de  la  croix,  toutes  nos  vertus  sont  dignes  de 
récompense  par  le  mérite  de  son  humiliation  et  par  la  force 
de  son  précieux  sang  répandu  par  un  si  grand  feu  d'amour  : 
de  sorte  ,  comme  vous  voyez,  que  c'est  l'unique  moyen  pour 
donner  accroissement  et  conserver  les  vertus  :  voilà  pourquoi 


320  ESPRIT 

je  vous  prie  ,  mon  très-cher  Fils  en  mon  doux  Jésus-Christ , 
d'apprendre  de  ce  doux  Agneau  immaculé  à  vous  tenir  tou- 
jours bas  par  une  vraie  et  douce  humilité  ,  afin  que  la  vertu 
se  conserve  et  s'accroisse  toujours  en  vous  ,  en  quelque  état 
que  vous  soyez  ,  puisque  toutes  les  actions  d'un  homme  vrai- 
ment humble  lui  sont  utiles  pour  la  vie  éternelle,  comme  étant 
faites  en  la  grâce;  d'où  vient  que  les  actions  même  tempo- 
relles sont  vivantes  en  cet  homme  ,  parce  qu'il  les  opère  avec 
un  œil  dirigé  vers  Dieu  ,  et  les  œuvres  spirituelles  rendent  une 
odeur  de  vertu  devant  Dieu  et  les  hommes.  S'il  est  appelé  aux 
charges  publiques  de  commandement  ou  de  magistrature  ,  il 
s'efforce  à  rendre  la  justice  avec  égalité  à  toute  sorte  de  per- 
sonnes, le  vrai  humble  ne  pouvant,  commettre  d'injustice  ni 
faire  de  déplaisir  à  son  prochain  qu'il  aime ,  au  contraire , 
comme  soi-même.  C'est  ainsi  que  je  vous  prie ,  mon  cher 
Fils  ,  qu'à  présent  vous  conserviez  la  justice  en  l'état  où  vous 
êtes,  en  faveur  du  plus  petit  comme  du  plus  grand  ,  et  au  pau- 
vre comme  au  riche ,  rendant  votre  devoir  également  à  un 
chacun  selon  la  sainte  justice  assaisonnée  de  miséricorde.  Je 
suis  bien  assurée  que  vous  le  ferez  comme  je  le  désire  ,  et  je 
vous  prie  avec  toute  sorte  d'instances  qu'en  ce  saint  temps  de 
l'Àvent  vous  ne  manquiez  pas  au  jour  de  la  fête  de  vous  ren- 
dre auprès  de  la  crèche  où  vous  trouverez  le  doux  et  humble 
Agneau  avec  sa  bien-aimée  mère  Marie  :  là  vous  la  verrez 
rendant  ses  devoirs  à  son  Fils  bien-aimé  ,  comme  une  étran- 
gère et  avec  si  peu  de  commodité  ,  qu'à  peine  elle  trouve  des 
drapelets  pour  l'envelopper  ,  encore  qu'elle  eût  toutes  les  ri- 
chesses du  monde  en  ce  Fils  de  Dieu  :  le  feu  pour  échauffer  cet 
Agneau  innocent  lui  manque,  mais  les  animaux  le  tiennent 
chaud  par  la  douceur  de  leur  haleine.  C'est  ici  que  l'ambition 
des  hommes,  les  délices,  les  états  et  les  richesses  du  monde 
doivent  être  humiliés ,  et  chargés  de  confusion  ,  voyant  un 
Dieu  abaissé  de  cette  sorte.  Visitez  donc  ce  digne  lieu  durant 
le  temps  sacré  de  l'Avent ,  afin  que  vous  puissiez  renaître  à  la 
grâce  ;  et  pour  vous  disposer  à  recevoir  plus  heureusement  ce 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  321 

ce  beau  petit  Enfant ,  faites  une  bonne  confession  et  vous  pré- 
parez ,  s'il  est  possible ,  à  la  sainte  communion.  C'est  assez 
pour  le  présent  :  demeurez  en  la  sainte  et  douce  dilection  de 
Dieu.  Doux  Jésus  ,  Jésus  amour  !  (Lettre  XXXYII ,  p.  GG1.) 

A  Thomas  d'AIvicn. 
Du  mystère  de  notre  Rédemption. 

Au  nom  de  Jésus  crucifié  et  de  la  douce  Marie. 

Mon  très-cher  Frère  en  mon  doux  Jésus-Christ. 

Catherine ,  servante  et  esclave  des  serviteurs  de  Jésus-Christ. 
Je  vous  écris  en  son  précieux  sang  pour  le  désir  de  vous  voir 
un  serviteur  fidèle  à  notre  Créateur  ,  car  cette  servitude  fait 
régner  l'homme  éternellement ,  toutefois  c'est  une  vie  qui 
n'est  donnée  qu'à  l'âme  fidèle ,  c'est-à-dire  qu'elle  est  don- 
née par  la  lumière  de  la  très-sainte  foi ,  qui  s'acquiert 
par  l'œil  de  l'entendement,  lorsque  l'âme  considère  l'incom- 
préhensible charité  de  Dieu ,  en  ce  que  lui  ayant  donné  l'être 
par  un  si  grand  amour,  nous  en  découvrons  encore  un  plus 
ardent  brasier  au  Verbe,  son  Fils  unique ,  parce  que  nous 
nous  trouvons  en  son  sang  créés  de  nouveau  en  la  grâce  que 
l'homme  avait  perdue  par  son  crime.  De  façon  que  Dieu  nous 
a  créés  à  son  image  et  ressemblance  par  amour,  et  par  amour 
il  a  donné  son  Fils  ,  afin  qu'il  le  rétablisse  ,  le  recréant  à  la 
grâce  parle  mérite  de  son  sang.  Dieu  a  voulu  nous  faire  con- 
naître ,  par  le  moyen  de  son  Fils,  que  sa  vérité  et  très-douce 
volonté  ne  cherche  et  ne  veut  autre  chose  que  notre  sanctifi- 
cation :  vérité  qui  consiste  en  ce  que  Dieu  avait  créé  l'hom- 
me à  dessein  de  lui  faire  part  et  de  lui  donner  la  jouissance 
de  son  éternelle  vision  où  l'âme  reçoit  sa  béatitude  ;  mais 
parce  que  le  crime  commis  par  Adam  empêchait  celte  cha- 
rité de  s'accomplir  en  l'homme,  Dieu  voulant  satisfaire  à  celte 
vérité  ,  s'est  contraint  soi-même  par  son  amour  et  nous  a 
t.  v.  21 


32:2  esprit 

donné  pour  cet  effet  ce  qu'il  avait  de  plus  cher  ,  c'est-à-dire 
son  Fils  unique ,  lui  imposant  par  obéissance  de  rétablir 
l'homme  et  de  le  faire  renaître  de  la  mort  à  la  vie.  —  Dieu 
veut  que  le  fils  d'Adam  renaisse  au  moyen  du  sang  ,  ainsi 
qu'il  a  été  dit,  duquel  toutefois  personne  ne  saurait  recueillir 
de  fruit  qu'au  moyen  de  la  lumière  de  la  foi.  Voilà  pourquoi 
Jésus-Christ  dit  à  Nicodème«  que  personne  ne  pouvait  entrer 
en  la  vie  éternelle  ,  s'il  ne  renaissait  une  autre  fois.  »  Par 
ces  paroles,  Notre-Seigneur  a  voulu  faire  connaître  que  le 
Père  éternel  lui  avait  donné  charge  expresse  de  concevoir 
l'homme  par  amour,  et  de  l'enfanter  ensuite  sur  l'arbre  de  la 
très-sainte  croix  par  l'obéissance  et  par  la  haine  et  l'hor- 
reur de  l'offense  du  même  homme.  Il  semble  que  ce  doux 
Verbe  se  soit  comporté  à  la  façon  de  l'aigle  ,  lequel  jette  sa 
vue  sur  la  roue  du  soleil ,  et  s' élevant  toujours  en  haut ,  il 
aperçoit  la  proie  qu'il  veut  emporter  ;  la  voyant,  il  s'y  jette  , 
descendant  jusques  en  terre;  et  après  il  s'envole  encore  afin 
de  s'en  repaître.  Ainsi  le  doux  Jésus-Christ,  cet  aigle  royal,  re- 
garda sur  le  soleil  de  l'éternelle  volonté  du  Père ,  où  il  aper- 
çut l'offense  et  la  rébellion  de  la  créature  contre  lui  ;  de  sorte 
qu'en  la  terre  de  la  créature  qu'il  a  trouvée  dans  la  grandeur 
du  Père  ,  il  a  reconnu  la  proie  qu'il  lui  fallait  prendre  ,  la- 
quelle n'est  point  autre  que  cette  misérable  terre  qui  a  offensé 
et  qui  s*est  révoltée  contre  Dieu  par  la  désobéissance.  Il  la 
prit  donc  par  son  obéissance,  afin  d'accomplir  en  l'homme 
la  volonté  du  Père ,  de  lui  rendre  la  grâce  et  le  retirer  de  la 
servitude  du  démon,  laquelle  l'obligeait  à  une  mort  éternelle, 
pour  le  réduire  enfin  à  servir  son  seul  Créateur.  Ayant  donc 
vu  et  pris  cette  viande  que  le  Père  lui  avait  donnée  pour  man- 
ger ,  il  vit  qu'elle  ne  se  pouvait  point  manger  en  bas  contre 
terre  ;  c'est  pourquoi ,  afin  de  reconduire  le  misérable  homme 
à  sa  première  obéissance ,  il  s'éleva  avec  sa  proie  au  plus  hau  t 
de  la  très-sainte  croix  où  il  la  mangea  d'un  désir  avide  et 
ineffable  ,  c'est-à-dire  qu'il  punit  sur  soi-même  nos  offenses , 
souffrant  en  son  corps  et  satisfaisant  en  sa  volonté  par  la  dé- 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  323 

plaisance  et  l'horreur  du  péché  :  et  par  la  force  de  la  nature 
divine  qui  était  en  lui ,  il  offrit  un  sacrifice  de  son  sang  à  son 
Père  ,  qui  lui  fut  très-agréable.  De  façon  que  vous  voyez  ce 
doux  et  amoureux  Agneau  élevé  en  haut  tout  chargé  de  pei- 
nes ,  d'opprobres  ,  de  moqueries  ,  d'injures  et  de  mépris, 
affligé  de  la  soif  et  rassasié  d'opprobres  ,  tant  qu'il  y  meurt  de 
soif  afin  de  nous  sauver  ;  —  et  c'est  ainsi  qu'il  a  mangé  cette 
proie.  Aussi  est-ce  ce  qu'il  avait  dit  :  «  Si  une  fois  je  suis 
élevé  de  la  terre,  j'attirerai  à  moi  toutes  choses.  »  Comment 
cela?  Parce  que  l'homme  ,  considérant  ce  qui  s'est  fait  par 
le  sang  de  Jésus-Christ ,  se  sent  attiré  à  l'aimer,  pourvu  qu'il 
suive  la  raison  et  qu'elle  ne  soit  point  offusquée  par  le  propre 
amour  de  la  sensualité.  Donc  le  cœur  de  l'homme  étant  ainsi 
attiré  à  l'amour  de  son  bienfaiteur  ,  il  n'y  a  plus  rien  qui  ré- 
siste, le  cœur,  l'âme  et  l'affection  avec  toutes  leurs  opérations 
spirituelles  et  corporelles  ,  tout  cela  est  gagné ,  parce  que  les 
puissances  de  l'âme  qui  est  cette  maison  spirituelle  ,  sont 
toutes  attirées  par  cet  amour  :  la  mémoire  est  attirée  par  la 
puissance  du  Père  éternel  et  se  voit  obligée  d'avoir  devant  les 
yeux  le  souvenir  de  ses  bienfaits  ,  et  d'en  retenir  l'idée  par 
un  sentiment  d'amour,  pour  n'être  pas  ingrate  et  méconnais- 
sante. L'entendement  s'attache  à  la  sagesse  de  cet  Agneau 
immaculé,  pour  considérer  en  lui  le  brasier  de  son  infinie 
charité  où  il  reconnaît  la  justice  de  tous  les  jugements  de 
Dieu,  et  que  tout  ce  qu'il  permet ,  il  le  fait  par  amour ,  et 
non  point  par  aversion  de  quelque  chose  que  ce  soit,  de  pros- 
périté ou  d'adversité,  et  pourtant  il  tient  et  reçoit  toutes  choses 
par  amour ,  voyant  que  si  la  sagesse  de  Dieu  ,  c'est-à-dire 
son  Fils,  eût  eu  d'autre  dessein  ,  il  n'aurait  pas  donné  sa  vie  : 
c'est  pourquoi  l'âme  éclairée  de  cette  vraie  lumière  ne  s'afflige 
de  quoi  que  ce  soit  qu'elle  souffre  ;  voire  si  la  sensualité  se 
voulait  plaindre  pour  son  intérêt ,  elle  lui  imposerait  silence 
par  la  lumière  de  la  raison  ,  et  tant  s'en  faut  qu'elle  se  plai- 
gne, qu'elle  est  bien  aise  de  souffrir  et  d'aimer  les  afflictions, 
afin  de  pouvoir  satisfaire  à  la  peine  qui  est  due  à  ses  péchés  , 


324  ESPRIT 

et  pour  se  conformer  aux  peines  de  Jésus  crucifié.  Que  si  elle 
jouit  du  bonheur  du  inonde ,  des  états  et  des  commande- 
ments ,  elle  retient  tout  cela  ,  non  point  par  une  affection 
déréglée  ,  mais  par  un  amour  ordonné  et  zélé  de  la  vraie  et 
sainte  justice  ,  et  sans  aucune  crainte  servile  ,  parce  qu'elle  a 
jeté  l'œil  de  sa  connaissance  sur  la  sagesse  du  Fils  de  Dieu , 
en  qui  elle  aperçoit  une  si  abondante  justice ,  que  pour  ne 
point  laisser  l'offense  impunie,  il  la  châtie  sur  soi-même  en 
sa  propre  humanité  qu'il  a  prise  en  notre  faveur.  D'où  vient 
qu'alors  le  cœur  et  l'affection  s'embrasent  en  l'amour  de  ce 
que  l'entendement  a  reconnu  en  Dieu,  et  de  la  sorte  l'âme  ac- 
quiert et  goûte  la  clémence  et  la  grâce  du  Saint-Esprit.  L'af- 
fection ainsi  remplie  de  l'amour  et  du  désir  de  Dieu  ,  elle 
s'étend  charitablement  pour  aimer  le  prochain  d'un  amour 
vraiment  fraternel ,  et  non  point  par  un  amour  d'intérêt  ; 
parce  que  si  l'intérêt  se  trouve  mêlé  à  l'amour  du  prochain  , 
il  est  toujours  déréglé  et  ne  garde  pas  les  lois  de  la  justice  ; 
mais  la  grâce  du  Saint-Esprit  ayant  épousé  son  affection  ,  il 
s'est  rendu  juste  et  fidèle  à  son  Créateur.  Par  ce  moyen  ,  il 
élève  toutes  ses  alfections  en  Dieu,  auquel  il  se  rend  agréable, 
aussi  bien  dans  l'affliction  qu'au  milieu  des  prospérités,  dans 
les  richesses  et  dans  la  pauvreté,  en  l'état  du  mariage  ou  dans 
le  célibat,  en  toute  façon  il  plaît  à  Dieu  ,  puisqu'il  opère 
toujours  selon  le  mouvement  de  l'amour  qui  l'a  uni  à  lui. 
C'est  aussi  en  cette  façon  que  la  première  et  douce  vérité  fait 
paraître  qu'elle  ne  fait  pas  acception  des  personnes  ,  ni  des 
temps  ou  des  lieux ,  mais  seulement  des  saints  et  vrais  désirs. 
J'ai  dit  que  l'homme  était  attiré  spirituellement  et  temporel- 
lement  :  ce  qui  est  vrai  ,  puisque  l'homme  a  rangé  et  élevé 
en  haut  les  trois  facultés  spirituelles  de  son  âme  par  une 
affection  d'amour,  et  qu'il  les  a  assemblées  au  nom  de  Dieu , 
c'est-à-dire  qu'il  a  accordé  la  mémoire  afin  qu'elle  retînt  en 
soi  le  souvenir  des  grâces  et  des  bienfaits  de  Dieu  ,  ainsi  qu'il 
a  été  dit  ;  l'entendement  pour  connaître  sa  volonté  dans  la 
sagesse  du  Fils,  et  la  volonté  enfin  pour  l'aimer  en  la  douce 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  325 

clémence  du  Saint-Esprit  ;  et  c'est  pour  lors  que  vraiment  Dieu 
se  repose  dans  l'âme.  —  C'est  peut-être  ce  que  notre  Sauveur 
nous  voulait  apprendre,  quand  il  dit  :  «  S'il  s'en  trouve  deux 
ou  trois  assemblés  en  mon  nom  ,  je  me  trouverai  au  milieu 
d'eux.  »  Ce  que  nous  pouvons  entendre  de  cette  mystérieuse 
assemblée  des  trois  puissances  de  l'âme ,  aussi  bien  que  de 
l'assemblée  des  serviteurs  de  Dieu  ;  mais  prenez  garde  qu'il 
en  met  deux  ou  trois  ou  plusieurs.  Nous  avons  dit  quelles 
étaient  les  trois  ,  et  pour  les  deux  ,  nous  les  pouvons  rappor- 
ter en  premier  lieu  à  l'amour  et  au  saint,  désir  de  Dieu;  parce 
que  c'est  le  propre  de  l'amour  d'assembler  ,  et  si  l'homme 
n'était  point  touché  d'amour,  il  ne  disposerait  pas  sa  mémoire 
à  recevoir  et  retenir,  ni  l'entendement  ne  serait  pas  ému  pour 
voir  et  reconnaître  ,  et  la  volonté  n'entretiendrait  pas  en  soi 
le  divin  amour  :  puis,  quand  une  fois  ce  trésor  est  rassemblé, 
une  sainte  crainte  la  conserve,  sans  permettre  à  l'ennemi  , 
qui  est  le  péché  mortel  ,  d'y  entrer  dedans  ;  car ,  bien  que 
cette  sainte  loi  de  Dieu ,  qui  fut  donnée  par  Moïse  ,  ait  été 
fondée  sur  la  crainte ,  nous  supposons  toutefois  qu'elle  a  eu 
l'amour  pour  son  premier  mouvement,  Dieu  nous  l'ayant 
donnée  par  amour ,  afin  d'empêcher  l'homme  de  mal  faire 
et  de  le  retirer  du  péché.  Après  cela,  le  doux  et  amoureux 
Verbe  est  venu  avec  une  loi  d'amour  ,  non  pas  afin  de  rom- 
pre la  loi  qui  avait  été  donnée  ,  mais  pour  l'accomplir,  parce 
que  la  crainte  ne  donnait  pas  la  vie  :  puis  ,  unissant  la  loi  de 
la  crainte  avec  celle  de  l'amour  ,  il  l'a  élevée  à  un  tel  degré 
de  perfection  ,  qu'elle  accomplit  parfaitement  les  mêmes 
choses  imparfaites.  Il  nous  faut  donc  maintenant  l'une  et 
l'aufre  de  ces  lois ,  puisqu'elles  sont  si  parfaitement  unies 
ensemble  qu'à  moins  de  vouloir  être  séparé  de  Dieu  ,  on  ne 
peut  pas  obéir  à  l'une  sans  se  soumettre  à  l'autre,  puisqu'elles 
sont  unies  quant  à  ce  qui  regarde  l'observation  des  dix  com- 
mandements qui  parlent  également ,  et  qu'il  est  impossible 
de  conserver  la  vie  de  la  grâce  dans  une  âme  qui  ne  les  vou- 
drait pas  observer.  Voilà  pourquoi  le  Fils  de  Dieu  a  dit  :  «  que 


326  ESPRIT 

s'il  s'en  trouve  deux.  »  Il  ne  dit  pas  s'il  s'en  trouve  un  ;  car 
un  seul  ne  fait  pas  assemblée;  et  puisque,  pour  en  unir  trois 
il  en  faut  avoir  deux  ,  il  est  nécessaire  que  l'âme  "en  ait  pre- 
mièrement deux  :  et  du  moment  qu'elle  en  a  deux  ,  je  veux 
dire  l'amour  et  la  crainte  ,  les  trois  facultés  de  l'âme  se  trou- 
vent disposées  et  ne  font  toutes  qu'une  même  came  qui  acquiert 
par  ce  moyen  un  si  riche  ornement ,  qu'elle  contient  en  soi 
toutes  les  perfections  de  deux  et  de  trois  et  de  plusieurs  :  et 
quant  à  ce  qu'il  dit  :  «  Deux  ou  trois  ou  plusieurs  assemblés  en 
mon  nom  »,  cette  pluralité  nous  fait  voir  la  suite  des  saintes 
et  bonnes  actions  de  la  créature  raisonnable;  car,  bien  que 
tout  ce  qu'elle  fait  puisse  prendre  la  teinture  du  monde , 
comme  serait  de  posséder  de  grands  biens  ou  de  hautes 
charges  ,  ou  de  vivre  dans  une  famille  avec  une  femme  et  des 
enfants  ,  et  que  tout  cela  semble  une  action  temporelle,  néan- 
moins ,  lorsque  l'âme  a  une  fois  posé  son  établissement  en 
Dieu  et  fait  résolution  de  lui  adresser  tous  ses  desseins , 
tout  cela  se  réfère  très-bien  à  Dieu.  Et  c'est  alors  qu'elle  con- 
naît fort  bien  sa  vérité  et  que  Dieu  ne  lui  a  rien  donné  qui  la 
puisse  détourner  de  son  salut;  mais,  au  contraire  ,  que  ce 
sont  des  occasions  qui  servent  d'exercice  à  sa  vertu  et  qui  lui 
donnent  plus  de  connaissance  de  sa  propre  misère  et  de  la  di- 
vine bonté.  (Lettre  X  ,  4-GG8.  ) 

Au  Seigneur  Antoine  de  Ciole. 

Au  nom  de  Jésus  crucifié  et  de  la  douce  Marie. 

Combien  il  importe  à  nos  âmes  d'aimer  Dieu. 

Mon  très-cher  Fils  en  mon  doux  Jésus-Christ  , 

Catherine ,  &c. ,  je  vous  écris  en  son  précieux  sang,  par  un 
désir  de  vous  voir  uni  par  un  saint  désir  à  notre  doux  Sau- 
veur ;  parce  qu'autrement  nous  ne  saurions  pas  mépriser  le 
monde  ,  ni  arriver  à  une  très-parfaite  pureté ,  ni  conserver 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  327 

l'âme  et  le  corps  en  état  de  continence.  La  raison  en  est  que 
l'âme  qui  ne  s'approche  pas  de  Dieu,  et  qui  n'a  pas  soin  de  s'unir 
à  lui  par  une  affection  d'amour,  se  voit  presque  forcée  de  s'at- 
tacher aux  créatures  éloignées  de  Dieu,  et  aux  grandeurs,  vo- 
luptés et  complaisances  du  monde  ;  puisque  l'âme  ne  pouvant 
vivre  sans  aimer,  porte  toujours  ses  affections  ou  à  Dieu  ,  ou 
au  monde,  après  quoi  elle  s'unit  et  se  transforme  en  ce  qui  lui 
agrée  davantage  ;  ce  qu'elle  fait  avec  tant  de  transport ,  que 
toujours  elle  attire  à  soi  quelque  chose  de  ce  qu'elle  aime.  Si 
elle  aime  le  monde,  il  ne  lui  donne  que  des  peines  et  des  tra- 
verses ,  lesquelles  il  a  tirées  du  péché  ,  d'où  naissent  les  char- 
dons et  les  épines  d'une  infinité  d'amertumes.  La  chair  n'a 
que  de  la  puanteur  ,  et  le  venin  du  péché  et  la  corruption  :  de 
façon  que  l'âme  s'accommodant  avec  la  volonté  charnelle ,  et 
la  passion  de  la  sensualité  ,  elle  reçoit  le  venin  qui  l'empoi- 
sonne, jusqu'à  un  tel  point ,  qu'il  lui  donne  la  mort ,  lui  ra- 
vissant la  vie  de  la  grâce ,  et  la  précipitant  dans  le  péché 
mortel.  C'est  tout  ce  qu'elle  peut  espérer  et  recevoir  d'un  tel 
amour,  d'où  l'âme  demeure  toute  interdite  et  pleine  de  soins 
et  d'inquiétudes  ;  Dieu  ayant  ainsi  permis  que  l'affection  déré- 
glée soit  le  tourment  de  soi-même  ;  mais  au  contraire,  l'affec- 
tion qui  est  réglée  selon  le  bon  plaisir  de  Dieu  ,  et  transfor- 
mée en  lui  par  amour,  communique  à  l'âme  le  même  bonheur 
et  repos  qu'il  possède  en  soi-même.  Dieu  est  une  douceur  éter- 
nelle et  souveraine,  voilà  pourquoi  ceux  qui  le  servent  ressen- 
tent de  grandes  suavités  au  milieu  même  des  afflictions  et  amer- 
tumes de  ce  monde;  parce  que  Dieu  habitant  dans  une  âme  par 
sa  grâce  ,  elle  est  si  parfaitement  rassasiée  et  satisfaite  en  soi- 
même  ,  qu'il  n'y  a  rien  autre  chose  qui  la  puisse  contenter  , 
parce  que  Dieu  est  plus  grand  qu'elle,  et  elle  plus  grande  que 
tout  le  reste  des  créatures.  De  là  vient  que  tout  ce  que  Dieu  a 
mis  au  monde  ,  n'y  est  que  pour  le  service  de  l'homme ,  et 
l'homme  est  créé   pour  lui,  afin  qu'il  l'aimât  de  tout  son 
cœur,  et  de  toute  son  affection,  et  qu'il  le  servît  en  vérité. 
Aussi  les  choses  du  monde  n'ont  pas  de  quoi  satisfaire  l'hom- 


328  ESPRIT 

me ,  comme  inférieures  à  lui ,  et  il  ne  trouve  sa  paix  et  son 
repos  qu'en  Dieu  ,  quoique  par  une  affection  de  charité  ,  il 
ouvre  le  cœur  pour  embrasser  et  mettre  en  soi  tout  le  monde. 
De  là  vient  le  désir  qui  se  produit  en  lui  de  servir  son  pro- 
chain ,  afin  de  donner  par  ce  moyen  quelque  preuve  de 
l'amour  qu'il  porte  ta  son  Créateur.  Outre  cela  ,  nous  pouvons 
dire  que  Dieu  étant  une  souveraine  et  éternelle  pureté  ,  l'àme 
et  le  corps  de  celui  qui  l'aime,  participent  à  cette  même  pu- 
reté ,  et  aimerait  beaucoup  mieux  mourir  que  d'apporter  la 
moindre  altération  à  la  pureté  de  son  corps  et  de  son  âme  ; 
ce  n'est  pas  qu'il  puisse  entièrement  maîtriser  la  variété  des 
pensées  qui  se  forment  dans  l'imagination  ,  mais  toutes  ces 
pensées  ne  souillent  pas  l'àme  sans  le  consentement  de  la  vo- 
lonté ,  qui  seule  fait  le  péché  ;  elles  servent  plutôt  d'ornement 
à  sa  gloire  lorsque  faisant  résistance,  elle  tire  de  ces  épines 
l'odeur  d'une  parfaite  pureté,  par  le  moyen  de  la  connais- 
sance de  nous-mêmes  ,  que  nous  acquérons  en  voyant  notre 
faiblesse.  Ce  qui  l'oblige  encore  de  recourir  par  amour  à  Jésus 
crucifié,  par  d'humbles  et  continuelles  prières  ,  connaissant 
qu'il  ne  lui  reste  point  d'autre  moyen  pour  échapper  de  ces 
dangers.  Et  déjà  nous  avons  dit  que  plus  elle  s'approche  de 
lui ,  plus  elle  participe  à  sa  pureté  ,  d'où  il  suit  que  tous  ces 
combats  ne  lui  arrachent  point  cette  très-pure  rose.  C'est  le 
remède  que  je  vous  propose  contre  ce  misérable  et  infâme 
péché  de  la  sensualité  ,  et  contre  tous  les  autres  ,  qui  est  de 
s'approcher  de  Dieu ,  et  nous  rendre  semblables  à  lui  par 
des  désirs  effectifs,  et  que  nous  n'attendions  pas  le  temps,  mon 
très-cher  Fils  ,  parce  qu'étant  extrêmement  court ,  il  ne  nous 
veut  pas  attendre.  Vraiment  ,  c'est  un  grand  cas  que  le  temps 
étant  si  court,  l'homme  s'endorme  néanmoins  en  cet  aveugle- 
ment,  et  qu'il  y  veuille  demeurer;  quoiqu'il  soit  nécessaire 
d'employer  ici  le  secours  de  la  foi ,  qui  nous  fasse  connaître 
d'une  part  notre  petitesse ,  avec  la  grandeur  de  nos  péchés  , 
et  d'ailleurs  l'amour  ineffable  du  Dieu  vivant;  c'est  de  quoi  il 
nous  a  donné  les  preuves  en  la  venue  de  son  Fils  ,  et  le  Fils  a 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  329 

fait  voir  cette  même  vérité  ,  versant  le  sang  qu'il  a  répandu 
par  un  si  grand  feu  d'amour ,  qu'il  a  couru  comme  transporté 
à  la  très-ignominiense  mort  de  la  croix.  Comment  donc  serait- 
il  possible  que  l'àme  se  voyant  aimée  d'une  si  grande  ardeur 
ne  fût  pas  elle-même  toute  transportée  d'amour  ?  Elle  ne  peut 
pas  s'en  empêcher.  Donc ,  ô  mon  Fils  bien-aimé,  ne  vous  éloi- 
gnez jamais  de  cette  connaissance  ;  mais  plutôt  défaites-vous 
entièrement  du  brouillard  de  l'amour  de  vous-même,  et  jetez 
les  yeux  par  une  foi  vive  sur  cet  Agneau  qui  vous  appelle  ; 
que  si  vous  lui  répondez  ,  sans  doute  vous  arriverez  à  cette 
union  ;  et  lui  étant  uni ,  vous  aurez  plus  de  force  pour  con- 
server votre  pureté.  A  quoi  sert  encore  un  autre  moyen  ,  le- 
quel consiste  à  considérer  jusqu'à  quelle  dignité  a  été  élevée 
la  nature  humaine  par  l'union  avec  celle  de  Dieu  :  d'où  l'àme 
peut  prendre  un  sujet  de  se  vaincre  elle-même ,  et  de  se 
confondre  d'être  réduite  à  une  telle  misère  ;  se  voyant  d'ail- 
leurs élevée  par-dessus  toutes  les  hiérarchies  des  anges  ;  il 
est  nécessaire  que  le  vice  soit  banni  de  vous,  lorsque  votre 
àme  s'élèvera  en  de  si  hautes  pensées.  Il  vous  faut  donc  châ- 
tier votre  corps  ,  le  mortifiant  par  des  veilles  et  d'humbles  et 
continuelles  oraisons  ,  afin  de  l'attacher  à  l'arbre  de  la  très- 
sainte  croix  ,  et  d'éviter  la  société  des  personnes  sensuelles 
le  plus  qu'il  vous  sera  possible;  et  ne  douiez  pas,  faisant  ainsi, 
que  Dieu  ne  vous  assiste  de  ses  grâces  ,  pourvu  que  vous  tâ- 
chiez de  vous  débarrasser  et  non  pas  de  vous  embarrasser. 
Dépêchez  promptement  vos  affaires,  courez  au  joug  de  la 
sainte  obéissance  ,  où  vous  ferez  mourir  voire  volonté  et 
mortifierez  votre  corps,  et  vous  y  goûterez  les  douceurs  de  la 
vie  éternelle.  Xe  résistez  pas  au  Saint-Esprit  qui  vous  appelle. 
Je  n'en  dirai  pas  davantage.  Demeurez  en  la  sainte  et  douce 
dilection  de  Dieu.  Doux  Jésus,  Jésus  amour  !  (  Lettre  LI, 
page  G87. ) 


330  ESPRIT  » 

A  quelques  seigneurs  Florentins ,  eufanls  adoplifs  de  dom  Jean. 

Au  nom  de  Jésus  crucifié  et  de  la  douce  Marie. 

Elle  traite  de  l'union  qui  se  trouve  en  l'homme ,  entre  les  trois  facultés 
spirituelles  de  nos  âmes. 

Mes  bien-aimés  Enfants  en  mon  doux  Jésus-Christ, 

Catherine,  servante  et  esclave  des  serviteurs  de  Jésus- 
Christ.  Je  vous  écris  en  son  précieux  sang ,  par  un  désir  de 
vous  voir  unis  ensemble  du  doux  lien  de  la  charité ,  si  parfai- 
tement que  quoi  que  ce  soit  ne  vous  en  puisse  séparer.  La 
charité  est  ce  doux  lien  qui  a  uni  la  nature  divine  avec  la  na- 
ture humaine,  et  à  laquelle  a  été  uni  cet  amour,  qui  a  donné 
l'être  à  l'homme ,  Dieu  le  tirant  de  soi-même,  pour  le  créer  à 
son  image  et  ressemblance.  Et  parce  que  l'âme  est  un  effet  de 
pur  amour  ,  aussi  le  même  amour  accorde  fort  bien  ,  et  lie 
par  ensemble  ces  trois  puissances  par  un  même  sujet.  Nous 
voyons  que  la  volonté  est  unie  à  l'entendement ,  lequel  elle 
sollicite  à  voir  et  connaître  ce  qu'elle  veut  aimer  ;  et  si  la  vo- 
lonté est  raisonnable ,  l'entendement  lui  propose  l'amour 
infini  du  Père  éternel ,  qui  aussi  a  été  lui-même  ému  par  un 
sentiment  de  charité  à  donner  son  Verbe  et  son  Fils  unique; 
comme  aussi  l'obéissance  et  l'humilité  de  son  Fils,  qui  a 
souffert  avec  une  extrême  douceur  les  peines  ,  les  injures  , 
les  affronts,  les  mépris  et  les  calomnies  qu'il  a  endurés, 
par  un  très-grand  amour.  La  volonté  suit  l'objet  qui  lui  est 
montré  par  l'entendement  avec  un  ardent  amour  ;  et  d'une 
main  puissante  ,  elle  met  en  réserve  le  trésor  qu'elle  a  tiré  de 
cet  amour  dans  la  mémoire  ,  afin  qu'elle  se  rende  reconnais- 
sante et  se  déclare  obligée  à  son  Créateur  des  grâces  qu'elle 
en  a  reçues  ,  surtout  considérant  la  qualité  de  ses  bienfaits 
et  la  bassesse  de  sa  propre  condition.  Oh  !  combien  est  hor- 
rible la  mort  du  péché  qui  nous  ravit  la  vie  !  Cette  pensée  fait 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  331 

résoudre  l'homme  à  aimer  la  vertu  et  à  embrasser  l'humilité , 
qui  lui  fait  ressentir  en  soi-même  les  effets  de  la  charité  de 
Dieu  :  comme  au  contraire  le  péché  ,  dont  il  sent  en  soi  les 
mouvements  et  le  principe ,  lui  apprend  à  souffrir  avec  pa- 
tience ,  ce  qui  le  rend  fort  et  constant  en  la  souffrance  des 
adversités  et  des  misères  du  monde,  aussi  bien  que  les  assauts 
de  l'ennemi  d'enfer.  Outre  cela  ,  il  apprend  de  la  charité  à 
aimer  toutes  choses  pour  Dieu  et  rien  pour  soi-même  ,  re- 
cherchant les  voies  plus  propres  pour  s'enrichir  de  vertus 
solides  et  pour  les  pratiquer.  Et  parce  qu'il  s'aperçoit  qu'il 
y  a  du  danger  en  la  fréquentation  des  mauvais  et  aux  plaisirs 
trop  exquis  de  la  vie  ,  aussi  les  évite-t-il  de  tout  son  cœur,  et 
fait-il  tout  son  possible  pour  trouver  le  contraire;  il  embrasse 
les  mortifications  corporelles  ,  comme  sont  les  jeûnes  et  les 
veilles,  les  oraisons  et  les  disciplines,  jusqu'à  tirer  vengeance 
de  cette  mauvaise  volonté  en  la  faisant  mourir  ;  car  vraiment 
c'est  bien  lui  ôler  la  vie  de  la  soumettre  à  la  loi  de  l'esprit , 
lui  faisant  embrasser  les  commandements  de  Dieu  ,  et  les 
conseils  que  Jésus-Christ  Fils  unique  de  Dieu  nous  a  laissés, 
et  par  la  pratique  de  ses  commandements  et  conseils  ,  il  le 
revêt  de  son  éternelle  et  très-douce  volonté  ,  et  voyage  cou- 
rageusement et  également  par  cette  mer  orageuse,  suivant  les 
pas  de  Jésus  crucifié.  Voilà  donc  l'agréable  lien  par  lequel  je 
désire  de  vous  unir.  0  doux  et  agréable  lien  !  C'est  vous  qui 
avez  uni  un  Dieu  à  l'homme  ,  et  l'àme  aussi  qui  est  unie  avec 
son  Sauveur,  travaille  à  son  imitation  ,  tirant  vengeance  de 
soi-même  ,  pour  la  gloire  de  Dieu  ,  chassant  les  ennemis  de 
la  partie  inférieure  ,  qui  sont  les  vices  et  la  désobéissance 
qu'elle  a  rendue  à  son  Créateur  en  lui  étant  rebelle  ,  mettant 
en  leur  place  les  amis  de  son  repos  et  de  son  avancement , 
telles  que  sont  les  vertus  réelles  et  véritables  faites  en  la 
charité  :  et  entre  les  autres  qualités  qui  rendent  l'âme  digne 
d'honneur  ,  c'est  l'obéissance  ,  et  quand  elle  s'y  est  une  fois 
soumise ,  et  que  par  son  moyen  elle  a  éteint  sa  volonté,  elle 
passe  plus  avant  en  la  perfection  ,  et  quitte  entièrement  le 


332  ESPRIT 

monde,  pour  faire  paraître  le  respect  qu'elle  porte  a  la  volonté 
de  son  Dieu  ;  et  c'est  sans  doute  ,  mes  Enfants  ,  que  c'est  un 
chemin  bien  assuré  :  et  encore  que  nous  voyions  des  religieux 
qui  observent  mal  les  règles  ,  ce  n'est  pas  à  dire  qu'il  y  ait 
du  défaut  en  la  religion  ,  puisqu'elle  a  été  fondée  par  l'inspi- 
ration du  Saint-Esprit.  Que  si  vous  sentez  que  Dieu  vous 
appelle  à  l'obéissance,  ne  résistez  pas  à  la  vocation  ;  et  s'il 
vous  venait  en  la  pensée  que  plusieurs  maisons  religieuses 
sont  tombées  en  désordre ,  je  vous  avouerais  qu'il  est  vrai 
qu'il  y  a  quelques  ordres  religieux  d'où  sont  sortis  quelques 
mauvais  enfants  ;  mais  cela  ne  doit  pas  vous  empêcher  ,  car 
si  Dieu  vous  y  appelle  ,  c'est  une  action  à  faire  en  l'honneur 
et  à  la  gloire  de  Dieu  d'y  entrer  ,  puisque  vous  seriez  de  bons 
sujets  pour  avancer  sa  cause.  Unissez-vous  ensemble  ,  mes 
chers  Enfants  ,  supportant  vos  défauts  les  uns  les  autres  par 
charité,  afin  que  vous  soyez  unis  au  doux  Jésus-Christ.  Faites 
régner  l'amour  entre  vous  ;  parce  que  vous  n'ignorez  pas  que 
c'est  la  marque  laissée  à  ses  disciples  par  le  maître  de  la 
charité ,  qui  leur  dit ,  outre  cela ,  qu'il  n'y  avait  point  d'autre 
marque  dont  ils  pussent  être  reconnus  pour  ses  enfants  ,  si  ce 
n'est  à  l'amour  et  à  la  charité.  J'ai  été  grandement  consolée 
d'apprendre  l'union  et  l'amour  qui  régnent  parmi  vous  :  allez 
toujours  croissant ,  je  vous  en  prie  ,  afin  que  je  puisse  dire  , 
comme  saint  Paul ,  que  vous  êtes  ma  joie  et  V ornement  de  ma 
vie.  C'est  assez  pour  le  présent  :  baignez-vous  dans  le  sang  de 
Jésus  crucifié  ,  et  vivez  en  charité  ,  demeurant  en  la  sainte 
et  douce  dilection  de  Dieu.  Doux  Jésus  ,  Jésus  amour  ! 
(Lettre  LYII,  608.  ) 


. 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  333 

À  François  Pépin  et  à  sa  femme  Agnès. 

Des  moyens  propres  pour  abolir  en  nous  les  mouvements  de  notre 
volonté. 

Mes  bien-aimés  Enfants  en  mon  doux  Jésus-Christ, 

Catherine,  &c.  Je  vous  écris  en  son  précieux  sang,  par 
le  désir  de  vous  voir  dépouillés  de  vous-mêmes,  et  revêtus 
de  Jésus  crucifié ,  que  vous  soyez  morts  à  toute  la  propre 
volonté  et  vaine  complaisance  des  hommes  ,  et  que  la  seule 
douce  vérité  vive  en  vous  ;  parce  que  je  ne  vois  pas  d'autre 
moyen  pour  que  vous  puissiez  persévérer  en  la  vertu  ;  et  n'y 
persévérant  pas,  vous  ne  recevrez  jamais  la  couronne  de 
gloire  ,  ce  qui  vous  ravira  tout  le  fruit  de  vos  travaux.  Je 
veux  donc  ,  mes  très-chers  Enfants ,  que  vous  fassiez  votre 
possible  pour  éteindre  et  faire  mourir  en  vous  cette  perni- 
cieuse volonté  sensuelle,  laquelle  excite  sans  cesse  des  trou- 
bles et  des  révoltes  contre  Dieu  ;  et  le  moyen  de  l'abolir  en- 
tièrement est  celui-ci  :  de  tenir  le  compte  de  toutes  vos 
pensées  ,  paroles  et  actions  ,  et  de  n'en  laisser  point  passer 
une  seule  éloignée  du  service  de  Dieu  ,  sans  vous  en  faire  le 
reproche.  Il  faut  que  l'homme  fasse  deux  parties  de  soi-même, 
qui  sont  la  sensualité  et  la  raison,  et  que  celle-ci  tirant  dehors 
le  glaive  à  deux  tranchants  de  la  haine  du  vice  et  de  l'amour 
de  la  vertu ,  elle  tienne  la  sensualité  comme  l'esclave  :  ce  sera 
un  vrai  remède  pour  arracher  la  racine  des  vices,  et  de  tous 
les  mouvements  qui  portent  l'âme  à  quelque  désordre  ;  il  ne 
faut  pas  aussi  acquiescer  aux  appétits  de  celle  servante  ;  mais 
il  la  faut  fouler  aux  pieds  avec  une  sainte  affection  par  un  saint 
amour  pour  la  vertu ,  il  la  faut  éveiller  par  prières  et  oraisons 
quand  elle  voudra  croupir  dans  le  sommeil ,  et  la  mortifier 
parle  jeûne  et  l'abstinence  quand  elle  aura  envie  de  manger 
par  excès  ;  si  elle  se  révolte,  ayez  en  main  la  règle  de  la  dis- 
cipline ;  et  quand  elle  voudra  demeurer  oisive ,  faites-la  tra- 


334  ESPRIT 

vailler  ;  si  elle  se  laisse  embarrasser  par  la  propre  faiblesse 
qui  est  en  l'homme  ou  par  la  malice  du  démon  en  des  pensées 
sales  et  honteuses  ,  faites-lui-en  des  reproches  en  la  blâmant, 
et  donnez-lui  des  terreurs  par  le  souvenir  de  la  mort  ;  enfin  , 
chassez  les  idées  d'incontinence  par  des  considérations  de 
pureté  :  c'est  ainsi  qu'il  faut  vous  faire  violence  à  vous-mêmes 
en  tout  ce  qui  se  rencontre;  néanmoins  ,  il  faut  toujours  ap- 
porter de  la  discrétion ,  à  cause  des  nécessités  de  la  vie ,  à 
laquelle  vous  ne  devez  pas  refuser  ce  qui  est  juste  et  raison- 
nable ,  afin  que  le  corps  puisse  faire  ses  fonctions ,  servir 
l'âme  et  se  mieux  exercer  pour  la  gloire  de  Dieu  ;  en  cette 
sorte  vous  emporterez  la  victoire  de  tous  les  vices ,  par  la 
violence  que  vous  ferez  à  cette  loi  tyrannique  de  la  partie 
inférieure  :  toutefois,  ne  croyez  pas  arriver  à  cette  perfection, 
tandis  que  vous  serez  revêtus  de  vous-mêmes  et  les  esclaves 
de  votre  volonté  ,  ce  qui  m'a  fait  souhaiter  de  vous  voir  dé- 
pouillés de  vous-mêmes  et  revêtus  de  Jésus  crucifié  ,  et  ainsi 
je  vous  prie  avec  toutes  mes  affections  de  vous  efforcer  à  le 
faire  ,  afin  que  vous  soyez  un  sujet  de  ma  gloire.  Faites  que 
je  vous  voie  comme  deux  miroirs  de  vertu  en  la  présence  de 
Dieu,  et  sortez  de  cette  nonchalance  que  je  reconnais  en  vous, 
afin  que  vous  ne  me  donniez  plus  de  sujet  de  plainte  mais 
d'allégresse  ;  j'espère  en  la  bonté  infinie  de  Dieu  ,  que  je  re- 
cevrai encore  de  la  consolation  par  votre  moyen.  C'est  assez , 
demeurez  en  la  sainte  et  douce  dilection  de  Dieu.  Doux  Jésus, 
Jésus  amour  !  (  Lettre  LXII ,  p.  709.  ) 

A  madame  Monlagne ,  grande  servante  de  Dieu,  au  comté  de  Narni. 

De  l'amour  sensuel  touchant  les  choses  spirituelles. 

Ma  très-chère  et  bien-aimée  Mère  en  mon  doux 
Jésus-Christ  , 

Catherine  ,  &c.  Je  vous  écris  en  son  précieux  sang  par  un 
désir  de  vous  voir  embrasée  du  feu  divin  de  la  charité  ,  afin 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  335 

que  vous  puissiez  reconnaître  comment  ceux  qui  sont  brûlés 
de  ce  céleste  amour  ne  se  cherchent  pas  eux-mêmes  ,  mais 
n'aiment  que  Dieu  pour  lui ,  en  tant  qu'il  est  une  bonté  sou- 
veraine, digne  d'amour  et  d'éternelle  adoration  ;  ce  même  feu 
dissipe  l'amour  des  choses  du  monde  ,  parce  qu'il  fait  voir  en 
quelle  sorte  les  biens  de  la  vie  présente  sont  des  instruments 
de  mort  et  capables  de  donner  la  mort  à  l'âme  qui  les  possède 
avec  dérèglement  d'affection  :  voilà  pourquoi  elle  s'en  éloigne 
et  en  retire  sa  pensée  ,  afin  qu'étant  obligée  par  nécessité 
d'attacher  sa  volonté  à  quelque  objet ,  elle  tourne  son  affec- 
tion à  la  vertu  ;  mais  après  avoir  consumé  toute  l'inclination 
que  l'on  pourrait  avoir  envers  les  biens  temporels,  souvent  il 
demeure  encore  dans  l'âme  une  certaine  affection  sensible 
pour  les  choses  spirituelles  ,  ou  un  amour  spirituel  pour  les 
créatures  et  bien  souvent  envers  le  Créateur ,  parce  que  l'un 
est  toujours  accompagné  de  l'autre  ,  puisque  nous  aimons 
Dieu  de  la  même  espèce  d'amour  dont  nous  aimons  les  créa- 
tures raisonnables  ;  mais  nous  pourrons  reconnaître  qu'il  est 
sensuel ,  lorsque  nous  aimerons  notre  consolation ,  et  qu'à 
faute  de  le  ressentir  en  notre  intérieur ,  nous  cesserons  de 
travailler  pour  le  salut  du  prochain  ;  ou  bien  quand  nous  ne 
sentirons  pas  la  môme  satisfaction  pour  la  paix  de  notre  âme, 
que  nous  avions  accoutumé  de  ressentir  en  cela,  ou  aux  autres 
actions  spirituelles  que  nous  faisons  par  devoir  ou  par  dévo- 
tion ,  ou  bien  lorsqu' aimant  une  créature  d'un  amour  spiri- 
tuel ,  on  ressent  quelque  méfiance  de  n'en  être  point  aimé  de 
la  même  façon  qu'on  aime,  ou  quelque  sentiment  de  jalousie, 
si  elle  faisait  paraître  plus  d'affection  à  un  autre  qu'à  nous. 
Dieu  eu  ce  cas  en  sent  du  trouble  ou  quelque  amoindrisse- 
ment d'affection,  sans  apparence  d'humilité  ,  c'est  une  preuve 
de  l'amour  que  l'âme  a  pour  soi-même,  et  tout  cela  témoigne 
que  cet  amour  spirituel  n'est  pas  pur  et  entier  envers  la 
créature;  mais  quant  à  l'amour  du  Créateur,  nous  pouvons 
juger  de  sa  pureté,  s'il  arrive  que  nous  soutenions  des  assauts 
ou  que  les  consolations  ordinaires  ne  nous  soient  pas  données 


330  ESPRIT 

avec  tant  d'abondance  comme  nous  avions  accoutumé  et  que 
l'âme  se  laisse  gagner  à  la  mélancolie  ;  et  du  moment  qu'elle 
discontinue  ses  exercices  de  l'oraison  ou  autre  action  de 
vertu  ,  c'est  un  signe  sans  doute  que  son  amour  envers  Dieu 
est  entièrement  mercenaire  et  qu'elle  n'aime  Dieu  que  pour 
sa  consolation. 

Je  dis  donc  que  le  feu  d'une  pure  charité  brûle  et  consume 
tous  ces  manquements  et  qu'il  rend  son  amour  parfait;  l'âme 
ne  refuse  point  alors  le  travail  et  se  plaît  au  pied  de  la  croix 
en  la  compagnie  de  l'humble  Agneau  immaculé  ;  c'est  un  feu 
qui  fait  de  grands  changements  dans  nos  âmes  ,  parce  qu'il 
les  raffine  et  les  purifie,  en  telle  sorte  que  le  corps  n'y  a  point 
de  part  ;  elle  a  des  yeux  pour  voir  sans  voir ,  elle  n'entend 
rien  de  tout  ce  qu'on  lui  dit ,  elle  parle  sans  ouvrir  la  bou- 
che ,  elle  va  sans  changer  de  place  ,  elle  touche  sans  toucher, 
à  cause  que  les  sentiments  corporels  semblent  être  soumis  à 
la  charité  et  que  leur  vertu  semble  éteinte ,  laquelle  est  toute 
en  Dieu  qui  a  attiré  à  soi  tout  ce  mouvement  d'affection.  De 
là  vient  qu'elle  n'opère  plus  au  corps  où  elle  réside  ,  mais 
seulement  en  Dieu  avec  qui  elle  est  unie  plus  parfaitement 
qu'avec,  le  corps  même  qui  la  fait  vivre;  et  ensuite  de  celle 
attraction  ,  Dieu  gouverne  les  puissances  et  les  facultés  de 
l'âme  ,  remplissant  la  mémoire  du  souvenir  de  ses  bienfaits  , 
l'entendement  de  la  connaissance  de  son  amour  ,  ce  qui  attire 
la  volonté  à  l'amour  de  son  souverain  bien  :  c'est  pour  lors 
que  l'âme  sent  un  bel  ordre  en  soi  et  qu'elle  goûte  le  lait  des 
douceurs  divines  au  milieu  des  persécutions  du  monde  et  des 
tentations  de  Satan  ,  parmi  lesquelles  nous  disons  avec  le 
glorieux  saint  Paul ,  «  que  nous  nous  glorifions  en  Jésus- 
Christ.  »  Telles  sont  les  règles  de  l'âme ,  qui  n'établit  pas  sa 
perfection  aux  consolations  spirituelles  ,  ni  aux  révélations  , 
ni  encore  à  mortifier  l'extérieur  de  son  corps  par  des  macé- 
rations et  des  austérités  ,  mais  bien  â  mortifier  sa  propre  vo- 
lonté ,  puisque  c'est  en  cela  que  consiste  sa  perfection  ;  aussi 
la  jcttc-t-elle  dans  la  fournaise  de  la  divine  charité  où  elle 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  337 

la  brûle  et  la  consume  entièrement  ;  ce  sont  les  fruits  de 
la  charité  divine;  mais  voyons  en  quelle  sorte  nous  pourrions 
l'acquérir.  Nous  avons  déjà  satisfait  à  ceci  en  écrivant  à  quel- 
ques autres  personnes  ,  et  avons  fait  voir  que  cette  charité 
s'acquiert  par  l'exercice  de  la  foi ,  qui  est  la  prunelle  de  l'œil 
de  l'entendement ,  parce  que  celte  lumière  fait  voir  quel  doit 
être  l'objet  de  notre  amour  et  quel  objet  de  notre  haine  : 
nous  aimons  à  mesure  que  nous  connaissons;  nous  aimons, 
dis-je  ,  ce  que  nous  voyons  en  être  digne  selon  la  divine 
bonté  ,  et  nous  avons  de  l'aversion  pour  notre  propre  misère 
et  pour  ce  qui  nous  y  entretient ,  c'est-à-dire  pour  le  péché  ; 
c'est  la  foi  qui  nous  donne  ces  connaissances  et  conséquem- 
ment  qui  augmente  cet  amour ,  comme  aussi  l'amour  aug- 
mente la  foi,  parce  que  l'une  de  ces  vertus  accompagne  l'autre 
et  la  tient  par  la  main  :  la  source  de  l'un  et  de  l'autre  est  en 
nous ,  puisque  Dieu  nous  a  fait  ce  que  nous  sommes  par  un 
mouvement  d'amour  qu'il  eut  pour  nous,  et  c'est  par  ce 
même  amour  qu'il  nous  a  redonné  la  vie  spirituelle  de  la 
grâce  par  le  mérite  de  la  croix  ;  nous  sommes  comme  des 
vaisseaux  qui  avons  reçu  l'abondance  du  sang  sur  nous ,  et 
qui  nous  a  lavés.  Entrons  donc  en  connaissance  de  nous-mê- 
mes et  cherchons  en  nous  les  preuves  de  cette  divine  charité  , 
afin  de  l'aimer  comme  il  nous  aime  ,  ainsi  qu'il  nous  l'a  fait 
connaître  ,  puisque  c'est  la  charité  qui  conserve  la  grâce  en 
nos  âmes  et  qui  donne  le  prix  à  toutes  les  vertus.  Je  prie  la 
bonté  du  Saint-Esprit  d'opérer  ceci  dans  nos  âmes  par  sa 
grâce  ,  afin  que  sa  bonté  soit  glorifiée  en  nous  ,  passant  notre 
vie  dans  la  méditation  des  fautes  que  nous  avons  commises  , 
et  lui  offrant  le  sacrifice  de  nos  prières  pour  le  bien  de  la 
sainte  Église  et  le  salut  de  tous  les  hommes.  Noyez-vous  dans 
ce  sang  de  l'Agneau;  je  ne  dis  plus  rien,  demeurez  en  la 
sainte  et  douce  dilection  de  Dieu.  Je  me  recommande  à  vous 
en  toute  humilité.  Doux  Jésus  ,  Jésus  amour!  (Lettre  XY1, 
p.  768. ) 

t.  v.  22 


338  ESPRIT 

A  madame  Agnès  de  Toscenella ,  servante  de  Dieu  adonnée  à  de  grandes 
morlificalioDS. 

Au  nom  de  Jésus-Christ  et  de  la  douce  Marie. 

Du  fondement  de  la  perfection. 

Ma  très-chère  Sœur  en  mon  doux  Jésus-Christ , 

Catherine ,  servante  et  esclave  des  serviteurs  de  Jésus- 
Christ,  je  vous  écris  en  son  précieux  sang  ,  par  le  désir  de 
vous  voir  faire  un  vrai  et  solide  fondement  sur  lequel  on 
puisse  bâtir  un  tel  édifice  ,  qu'il  n'y  ait  ni  vent  ni  orage  qui 
le  puisse  abattre  ou  ébranler.  ■ —  Ne  vous  étonnez  pas  si  je 
parle  de  cette  sorte  ;  car,  avoir  ce  que  je  dis  ,  il  semble  que 
nous  commençons  seulement  à  jeter  les  premières  pierres  de 
ce  fondement ,  parce  que  l'âme  doit  commencer  chaque  jour 
d'y  travailler.  Mais  voyons  en  quelle  façon  et  en  quel  lieu  il 
s'y  faut  employer  :  je  ne  puis  pas  dissimuler  que  la  médita- 
tion de  nous-mêmes  ne  soit  le  lieu  le  plus  propre  et  le  seul 
où  ce  bâtiment  puisse  être  fondé ,  si ,  instruits  par  la  foi , 
nous  arrachons  avec  les  mains  d'une  sainte  aversion  toute 
l'inclination  que  nous  avons  au  mal  et  aux  voluptés  du  siècle, 
qui  est  une  terre  qui  ensevelit  l'âme  fidèle  ,  et  si  nous  rem- 
plissons ce  creux  de  bonnes  et  solides  vertus  par  le  moyen  de 
nos  désirs  et  de  l'affection  que  nous  exciterons  en  nous- 
mêmes  de  bien  vivre  et  de  pratiquer  la  vertu.  Nous  bâtirons 
sur  ce  fondement  un  grand  désir  de  la  gloire  de  Dieu  et  du 
salut  des  âmes  ,  prenant  la  doctrine  de  ce  doux  Agneau  pour 
patron  de  cet  édifice,  en  laquelle  il  nous  enseigne  de  l'aimer. 
Voilà  pourquoi  l'âme  chrétienne  emploie  tout  son  temps  à 
exterminer  sa  propre  volonté  ,  afin  de  n'aimer  que  le  bon 
plaisir  de  Dieu.  Mais  je  vous  dirai  en  ceci  ce  que  j'ai  écrit  à 
quelques  autres  serviteurs  et  servantes  de  Dieu ,  que  notre 
volonté  peut  être  éteinte  en  nous  quelquefois  â  demi ,   lors- 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  339 

que  nous  avons  perdu  tout  le  plaisir  des  choses  temporelles  ; 
mais  il  arrive  aussi  qu'elle  règne  encore  en  nous,  touchant 
les  douceurs  spirituelles  :  ce  que  nous  ne  devons  pas  prati- 
quer en  cette  sorte  ,  et  plutôt  il  faut  entièrement  chercher  la 
gloire  de  Dieu  et  l'anéantissement  de  nous-mêmes  en  tout  ce 
qni  nous  regarde  ;  parce  que  Dieu  est  notre  médecin  et  nous 
sommes  les  malades  qui  devons  suivre  ses  ordres  de  point  en 
point.  Il  faut  bien  dire  que  l'âme  qui  veut  se  gouverner  à  sa 
mode  est  bien  ignorante;  il  semble  qu'elle  veuille  savoir  plus 
que  Dieu,  encore  qu'elle  ne  s'aperçoive  pas  de  son  erreur; 
mais  cela  est  ainsi ,  parce  qu'elle  est  abusée  d'une  si  fausse 
opinion  ,  qu'il  lui  semble  être  plus  agréable  à  Dieu  ,  vivant  à 
sa  mode  ,  que  selon  l'ordre  qu'il  a  établi ,  d'où  bien  souvent 
elle  tombe  en  de  grands  manquements  :  ce  qui  procède  de 
l'affection  qu'elle  a  conçue  pour  ses  propres  consolations,  et 
pour  y  avoir  établi  tout  son  fondement  :  il  s'en  trouve  quel- 
ques-uns qui  se  nourrissent  de  visions  et  de  révélations  ,  où 
ils  trouvent  de  grandes  douceurs  tandis  qu'ils  les  reçoivent  ; 
mais  quand  elles  viennent  à  manquer  ,  ils  ont  peine  à  se 
contenir  en  leur  devoir.  Ce  fondement  n'est  pas  bon,  parce 
qu'ils  croient  que  ces  révélations  seront  de  Dieu,  et  il  pourra 
arriver  qu'elles  seront'  de  Satan ,  lequel  a  cette  finesse  de 
prendre  les  âmes  par  l'hameçon  qu'il  trouve  le  plus  propre 
pour  les  abuser.  Il  peut  arriver  néanmoins  que  Dieu  nous 
fera  part  de  ses  consolations  spirituelles;  non  pas  afin  que  nous 
nous  arrêtions  à  ces  douceurs  sensibles  ,  mais  afin  de  nous 
attirer  cà  soi  et  à  son  amour ,  comme  à  la  cause  et  à  la  source 
de  ces  douceurs ,  plutôt  qu'aux  douceurs  mêmes.  En  une  au- 
tre saison  il  nous  en  privera  et  permettra  que  nous  souffrions 
de  grands  combats  ou  nous  laissera  en  des  sécheresses  spi- 
rituelles qui  nous  jettent  en  de  grandes  inquiétudes  jusqu'à 
un  tel  point,  qu'il  semble  à  l'âme  qu'elle  a  entièrement  perdu 
son  Dieu  ,  lorsqu'elle  a  perdu  ce  qui  lui  agréait;  mais  la  pro- 
vidence divine  permet  tout  ceci ,  afin  de  la  retirer  de  son  im- 
perfection et  de  l'appeler  à  une  plus  grande  pureté  de  vie ,  ou 


340  ESPRIT 

afin  de  lui  ùter  la  complaisance  qu'elle  prenait  aux  consola- 
tions ,  et  l'instruire  aux  bons  désirs  qu'elle  doit  exciter  en  soi 
et  qui  doivent  servir  de  fondement  «à  sa  perfection.  J'ai  dit 
ailleurs  que  plusieurs  aussi  peuvent  être  abusés  par  les  mor- 
tifications extérieures  ,  lesquels  mettent  plus  de  peine  à  faire 
mourir  le  corps  que  la  propre  volonté  ,  au  lieu  qu'il  faut 
faire  entièrement  mourir  la  volonté  ,  et  se  contenter  de  quel- 
que mortification  raisonnable  pour  la  partie  extérieure.  Ce 
fondement  n'est  pas  très-propre  pour  un  grand  édifice  ,  ou 
plutôt  i\  est  dangereux  et  pernicieux  à  l'âme.  Voilà  pour- 
quoi il  ne  faut  pas  en  faire  un  fondement,  mais  on  s'en  doit 
servir  comme  d'un  appui  et  d'un  secours  ,  logeant  toute  no- 
tre espérance  en  la  charité  et  aux  vertus  intérieures  de  l'âme, 
lesquelles  ne  se  perdent  jamais,  et  dont  l'exercice  ne  peut 
pas  être  empêché  parla  diversité  des  occasions  nipar  lechan- 
gement  des  lieux.  Nous  devons  employer  la  pénitence  comme 
un  instrument,  afin  d'obtenir  les  vertus,  mais  non  pas  en  qua- 
lité.d'objet  et  de  fin  de  notre  vie  ;  et  ceux  qui  ne  suivent  pas  ce 
conseil  sont  sujets  à  souffrir  beaucoup  de  peine  et  à  recueil- 
lir peu  de  fruit  :  ils  sont  prompts  à  se  plaindre  et  à  murmu- 
murer,  jusqu'à  blâmer  les  personnes  qui  veulent  prendre  un 
autre  chemin,  parce  que  tous  les  autres  chemins  leur  déplai- 
sent et  ne  les  croient  pas  propres  à  leur  salut.  Ils  voudraient 
prescrire  des  lois  au  Saint-Esprit ,  qui  nous  appelle  à  soi 
par  diverses  voies ,  les  uns  par  la  pénitence  et  mortification 
plus  grande  ou  inoindre  selon  les  forces  et  le  pouvoir  d'un 
chacun  ,  et  les  autres  par  des  désirs  et  des  transports  d'affec- 
tion et  d'amour.  Ce  sont  ceux-ci  qui  profitent  le  plus  ,  qui 
courent  éclairés  et  sans  peine  ,  et  desquels  la  volonté  est  en- 
tièrement éteinte,  ne  se  mêlant  point  de  faire  jugement  de 
leur  prochain ,  mais  qui  se  réjouissent  de  voir  la  diversité 
des  moyens  que  Dieu  donne  à  ses  serviteurs  ,  voyant  bien 
qu'il  y  a  divers  appartements  dans  la  maison  de  notre  Père , 
et  qu'il  y  a  bien  de  quoi  récompenser  ceux  qui  le  servent.  0 
ma  chère  Sœur  ,  ne  croyez  pas  que  je  dise  ceci  comme  vou- 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  341 

lant  blâmer  la  mortification  ni  les  austérités  corporelles  ,  tant 
s'en  faut,  que  plutôt  je  vous  en  recommande  l'usage ,  pourvu 
qu'elles  soient  pratiquées  comme  par  voie  ou  moyen  de  la 
façon  que  nous  avons  écrit  ;  parce  que  nous  devons  poser 
pour  base  et  fondement  la  connaissance  de  nous-mêmes  et 
de  la  bonté  de  Dieu  en  nous,  purement  et  simplement.  Vi- 
vons au  pied  de  la  croix  ,  où  nous  trouverons  les  lois  d'une 
très-parfaite  charité  ,  exposant  notre  personne  et  nos  affec- 
tions à  la  contradiction  et  aux  tourments  :  ce  sera  ainsi  que 
nous  suivrons  la  doctrine  de  Jésus  crucifié,  cherchant  tous 
les  moyens  que  nous  pourrons  avoir  de  lui  plaire  ;  et  voyant 
que  cela  ne  peut  pas  être  tant  que  la  volonté  propre  vivra  en 
nous,  tout  notre  soin  s'emploiera  pour  la  faire  mourir,, 
comme  n'ayant  autre  chose  en  recommandation  que  de  nous 
revêtir  des  vertus.  —  Que  si  Dieu  envoie  quelque  consolation 
spirituelle  par  soi-même  ou  par  l'entremise  des  créatures, 
l'esprit  s'humilie  et  la  reçoit  avec  action  de  grâces  ,  en  se  re- 
connaissant indigne  de  cette  faveur  :  l'âme  reçoit  aussi  avec 
patience  les  troubles  et  les  tentations ,  reconnaissant  que 
toutes  ces  choses  sont  disposées  par  sa  bonté ,  afin  de  la  con- 
duire à  la  perfection  qu'elle  désire  pour  la  gloire  de  son  nom. 
Lorsque  les  actions  de  pénitence  et  de  mortification  sont  in- 
terdites pour  quelque  raison  que  ce  soit,  pour  cela  l'esprit  n'en 
perd  pas  la  quiétude,  parce  qu'aussi  bien  il  n'avait  pas  établi 
son  fondement  sur  cela,  mais  en  la  seule  affection  de  la  cha- 
rité; ce  qui  ne  se  trouve  pas  en  ceux  qui  ont  posé  leur  établis- 
sement en  ces  actions  extérieures  et  qui,  voulant  conserver  leur 
volonté  tout  entière ,  souffrent  des  peines  extrêmes  lorsqu'ils 
les  perdent,  ou  qu'il  les  faut  laisser,  ou  que  par  faiblesse  de 
complexion  ils  ne  peuvent  pas  les  continuer  -,  ils  tombent  en 
des  impatiences  et  des  tourments  d'esprit  qui  les  conduisent 
à  l'imperfection  et  à  plusieurs  manquements  au  lieu  d'arriver 
à  la  perfection.  Etablissons  donc  notre  fondement  en  quel- 
que chose  qui  soit  solide,  ma  chère  Sœur,  telle  qu'est  la  con- 
naissance de  nous-mêmes  et  le  désir  des  vertus  que  nous  ne 


342  ESMIT 

pouvons  pas  perdre  ;  parce  qu'il  est  impossible  autrement  que 
nous  offrions  avec  profit  à  Dieu  nos  plaintes  et  nos  soupirs  en 
faveur  des  hommes  et  de  la  sainte  Eglise  ,  laquelle  nous 
voyons  à  présent  travaillée  par  une  si  grande  variété  de  fâ- 
cheux accidents.  C'est  ce  que  je  vous  prie  ,  pour  l'amour  de 
Jésus  crucifié,  de  vouloir  faire  et  de  ne  procéder  pas  avec 
indiscrétion  ,  faute  d'avoir  l'instruction  nécessaire  ,  mais  de 
vous  efforcer  d'éteindre  votre  propre  volonté  ,  afin  qu'elle  ne 
cherche  autre  chose  que  Dieu ,  de  la  façon  qu'il  lui  plaira  se 
donner  à  vous,  selon  son  bon  plaisir  et  non  pas  à  votre  fan- 
taisie :  de  quoi  je  ne  vous  dis  rien  de  plus.  —  Quant  au  con- 
seil que  vous  me  demandez  touchant  le  voyage  du  saint  sé- 
pulcre, il  me  semble  que  le  temps  présent  ne  le  permet  pas  , 
et  je  crois  que  la  volonté  de  Dieu  exige  plutôt  que  vous  de- 
meuriez en  ce  pays  et  que  sans  cesse  vous  le  priiez  du  plus 
profond  du  cœur,  avec  regret  et  sentiment  de  douleur  pour 
les  offenses  qui  se  commettent  tous  les  jours  contre  sa  Ma- 
jesté ,  particulièrement  par  les  hérésies  qui  se  sont  élevées 
contre  la  vérité  de  la  foi  et  contre  le  pape  Urbain  YI  qui  est 
le  vrai  et  légitime  vicaire  de  Jésus-Christ,  ainsi  que  je  le 
maintiens  et  le  déclare  devant  Dieu  et  tout  le  monde.  Abîmez- 
vous  dans  le  sang  répandu  pour  vous  avec  tant  d'amour  ,  et 
pardonnez-moi  si  j'ai  pris  la  hardiesse  de  parler  avec  tant  de 
présomption.  Priez  Dieu  pour  le  Christ  en  la  terre  et  pour 
moi ,  afin  qu'il  me  fasse  la  grâce  que  je  perde  la  vie  pour  son 
service  et  pour  la  vérité.  Demeurez  en  la  sainte  et  douce  di- 
lection  de  Dieu.  Doux  Jésus,  Jésus  amour!  (Lettre  XVII, 
page  770.  ) 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  313 

A  Anne  Bénincaze  sa  nièce  j  à  Florence. 

Au  nom  de  Jésus  crucifié  et  de  la  douce  Mûrie. 

Quelles  sont  les  Vierges  sages  reçues  de  Dieu. 

Ma  bien-aimée  Fille  en  mon  doux  Jésus-Christ , 

Catherine  ,  servante,  &c.  Je  vous  écris  en  son  précieux 
sang  ,  par  le  désir  de  vous  voir  une  vraie  épouse  de  Jésus  cru- 
cifié et  éloignée  de  tout  ce  qui  peut  vous  faire  perdre  un  si 
doux  et  si  agréable  époux.  Toutefois  ,  vous  ne  devez  pas  pré- 
tendre à  cette  faveur,  si  vous  n'êtes  du  nombre  de  ces  vier- 
ges sages  consacrées  à  Jésus-Christ  cjui  avaient  leurs  lampes 
allumées  et  pleines  de  bonne  huile;  et  partant,  pour  être  une 
digne  épouse  ,  il  vous  faut  avoir  la  lampe ,  l'huile  et  la  lu- 
mière. Mais  savez-vous  en  quelle  sorte  ceci  doit  être  entendu , 
ma  Fille  ?  Par  la  lampe,  il  faut  entendre  notre  creur  ,  lequel 
est ,  en  effet,  formé  en  façon  d'une  lampe  large  par  le  haut 
et  étroite  par  le  bas;  telle  est  la  figure  de  notre  cœur  ,  afin 
de  faire  connaître  que  nous  le  devons  toujours  tenir  ouvert 
du  côté  du  ciel  pour  en  recevoir  les  saintes  pensées  et  y  en- 
voyer nos  prières  accompagnées  de  la  méditation  de  sa  sainte 
Passion  et  du  sang  qu'il  a  répandu  pour  nous  qui  est  un 
bienfait  que  nous  ne  devons  jamais  oublier,  afin  d'en  rendre 
une  juste  reconnaissance ,  voyant  comme  Dieu  a  fait  une  si 
grande  estime  du  salut  des  hommes  qu'il  a  voulu  donner  son 
Fils  à  la  mort  pour  lui  obtenir  la  rémission  de  ses  péchés.  J'ai 
dit  que  la  lampe  est  étroite  par  le  bas  et  en  cela  aussi  sem- 
blable à  notre  cœur  qui  doit  être  difficile  à  recevoir  les  choses 
basses  de  ce  monde,  sans  les  aimer  avec  passion,  n'en  désirer 
plus  qu'il  ne  plaira  à  Dieu  de  nous  en  donner  ,  mais  être  tou- 
jours en  action  de  grâces,  voyant  en  quelle  sorte  il  pourvoit  à 
tout  sans  que  jamais  rien  ne  nous  manque  du  nécessaire;  c'est 
par  ce  moyen  que  notre  cœur  sera  une  vraie  lampe. 


3U  ESl'ftIT 

Mais  souvenez-vous ,  ma  Fille ,  que  cette  lampe  doit  être 
pleine  d'huile  ;  cette  huile  nous  fait  connaître  cette  petite 
vertu  de  l'humilité,  parce  que  l'épouse  de  Jésus-Christ  doit 
être  humble,  débonnaire  et  patiente  ,  puisque  ces  deux  ver- 
tus se  font  compagnie  l'une  à  l'autre. 

Nous  n'obtiendrons  toutefois  cette  humilité ,  que  par  la 
connaissance  de  nous-mêmes  et  de  notre  faiblesse  ,  voyant 
en  quelle  sorte  nous  ne  pouvons  rien  ,  ni  faire  aucun  bien  ni 
aucun  acte  de  vertu ,  non  plus  que  de  sortir  du  mal  par  aucun 
trait  de  résolution;  parce  que  si  cela  était  en  notre  pouvoir, 
et  s'il  nous  était  possible  d'éviter  une  tentation  ou  d'échapper 
à  une  maladie  ou  à  un  travail  ,  jamais  nous  ne  voudrions  y 
être  engagés.  Ce  qui  nous  fait  bien  voir  que,  quant  à  nous  , 
il  n'y  a  que  misère  ,  qu'infirmité  ,  désolation,  ce  qui  nous 
doit  être  une  belle  leçon  d'humilité  :  néanmoins  ,  puisque  ce 
ne  serait  pas  assez  de  s'arrêter  à  cette  seule  connaissance  , 
laquelle  jetterait  l'âme  dans  le  chagrin  et  peut-être  dans  le 
désespoir  ,  voyant  sa  faiblesse,  à  quoi  Satan  serait  bien  aise 
de  nous  solliciter  ,  il  faut  après  considérer  les  merveilles  de 
la  bonté  divine  en  nous  ,  touchant  la  création  et  la  rédemp- 
tion et  les  autres  effets  de  sa  bonté  et  de  sa  providence.  Et 
de  peur  que  cette  connaissance  ne  nous  donnât  quelques 
mouvements  de  présomption,  il  faut  mêler  l'une  avec  l'autre, 
penser  d'un  côté  à  la  bonté  de  Dieu  ,  et  d'ailleurs  à  notre  mi- 
sère. Par  ce  moyen  nous  nous  exercerons  en  toute  sorte  de 
vertus,  de  l'humilité,  de  la  patience,  et  de  la  douceur  qui 
est  l'huile  excellente  pour  remplir  la  lampe  de  nos  âmes. 

Mais  avec  cela  il  faut  allumer  cette  lampe  et  faire  en  sorte 
qu'elle  éclaire  ,  ce  qui  arrivera  si  nous  la  faisons  briller  par 
une  sainte  foi  éclairée  de  bonnes  œuvres  ,  autrement  c'est  une 
foi  morte.  Voilà  pourquoi  il  faut  toujours  s'avancer  en  la 
vertu  ;  et ,  délaissant  nos  actions  et  nos  jeux  d'enfance  et 
nos  vanités  ,  n'être  pas  comme  jeunes  et  mondaines  ,  mais 
vivre  ainsi  que  les  épouses  fidèles  consacrées  à  Jésus-Christ. 

Je  veux  bien  que  vous  sachiez  toutes,  que  ce  doux 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  345 

époux  Jésus-Christ  est  grandement  jaloux  de  ses  épouses  et 
qu'il  se  fâchera  contre  vous  ,  s'il  s'aperçoit  que  vous  aimiez 
quelqu'un  avec  lui;  et  si  vous  ne  vous  amendez  de  vos  dé- 
fauts ,  la  chamhre  où  le  divin  Epoux  fait  la  noce  avec  ses 
épouses  ne  vous  sera  pas  ouverte,  mais  nous  serons  mises 
dehors  comme  des  adultères  ;  de  même  façon  que  ces  cinq 
vierges  que  l'Ecriture  appelle  folles  ,  lesquelles  faisant  gloire 
de  leur  virginité  seulement,  perdirent  la  pureté  de  l'àme  , 
par  le  mauvais  usage  des  cinq  sens  corporels,  et  cela  par 
faute  d'avoir  l'huile  de  l'humilité  sans  laquelle  leurs  lampes 
furent  vides.  Voilà  pourquoi  il  leur  fut  dit  :  Allez  acheter  de 
l'huile.  En  ce  lieu,  il  faut  entendre  ,  par  l'huile,  les  louanges 
et  les  vanités  du  monde ,  comme  une  marchandise  que  les 
hommes  vendent ,  et  il  faut  entendre  cette  correction,  comme 
s'il  leur  eût  été  dit  :  Vous  n'avez  pas  prétendu  acquérir  la 
vie  éternelle ,  ni  vous  rendre  agréables  à  Dieu  par  votre  vir- 
ginité ;  mais  tout  votre  dessein  n'a  été  qu'à  la  vanité  des 
louanges  et  à  la  honne  opinion  des  hommes.  C'est  tout  ce  que 
vous  avez  voulu  acheter.  Aussi  n'aurez-vous  jamais  d'entrée 
en  ce  lieu-ci.  Voilà  pourquoi ,  ma  Fille ,  évitez  la  louange  et 
le  bruit  des  hommes,  et  ne  recherchez  point  de  gloire  pour 
aucune  action  que  vous  puissiez  faire ,  parce  que  la  porte  de 
la  vie  éternelle  ne  vous  sera  pas  ouverte  :  c'est  ce  qui  m'a 
obligé  à  vous  dire  que  je  voudrais  vous  voir  une  vraie  épouse 
de  Jésus  crucifié ,  et  c'est  à  ceci  que  je  vous  prie  et  recom- 
mande de  travailler.  Je  n'en  dirai  pas  davantage  :  demeurez 
en  la  sainte  et  douce  dilection  de  Dieu.  Doux  Jésus ,  Jésus 
amour.  (Lettre  XXV ,  page  780.  ) 


:Jit>  EsnuT 

A  Madame  Laodémie ,  épouse  de  Charles  Slrozzi  >  à  Florence. 

Au  nom  de  Jésus-Christ  crucifié  et  de  la  douce  Marie. 

De  la  consolation  qui  se  trouve  au  service  de  Dieu. 

Ma  bien-aimée  Sœur  en  mon  doux  Jésus-Christ , 

Catherine,  servante  et  esclave  des  serviteurs   de  Jésus- 
Christ.  Je  vous  écris  en  son  précieux  sang  pour  un  désir  de 
vous  voir  une  vraie  servante  de  Jésus  crucifié,  à  qui  servir 
c'est  régner;  afin  qu'étant  servante  d'un  si  bon  maître,  vous 
soyez  retirée  de  la  tyrannie  du   péché  ,  et  qu'étant  hors  des 
ténèbres ,  vous  entriez  en  la  lumière  et  acquériez  la  paix  et 
la  tranquillité  de  votre  âme  ;  vous  nourrissant  de  la  viande 
de  cet  Agneau  divin ,  qui  fut  consumé  sur  le  bois  de  la  croix 
par  le  feu  de  l'amour  de  son  Père  et  de  notre  salut ,  qui  donne 
assurance  à  l'homme  et  le  délivre  de  toute  crainte  servile. 
Vous  voyez  bien  que  c'est  une  grande  douceur  de  servir  Dieu 
et  que  nous  devons  nous  donner  à  lui  d'une  sincère  affection. 
Mais  prenez  garde  que  le  Seigneur   ne  veut  pas  être  servi  à 
demi  et  ne  veut  point  de  compagnie ,    parce  que  le   parfait 
service  de  Dieu  est  incompatible  avec  le  service  du  monde  ; 
puisque  le  monde  donne  des  affections  déréglées  et  débauche 
toutes  les  fonctions  de  l'âme ,  qui  à  la  fin  se  voit  chargée  de 
honte  et  de  confusion  ,  perdant   sa  dignité  ,  et  engageant  sa 
franchise  entre  les  mains  de  Satan  et  de  ses  suppôts  ,  nous 
sommes  faits  les  esclaves  du  péché  et  réduits  au  néant ,  éloi- 
gnés de  celui  à  qui  il  appartient  d'être  souverainement.  C'est 
donc  notre  devoir  de  renoncer  au  monde  et  de  suivre  le  ser- 
vice de  Dieu.  Mais  d'où  vient  celte  contrariété  qui  se  trouve 
entre  Dieu  et  le  monde?  parce  que  les  lois  de  Jésus-Christ 
enseignent  à  le  servir  avec  une  pauvreté  d'affection  :  et  en  cas 
que  Dieu  envoie  les  richesses  à  ses  serviteurs  ,  s'ils  les  pos- 
sèdent en  effet,  ils  doivent  s'en  éloigner  d'esprit,  et  c'est  leur 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  317 

devoir  de  se  détacher  intérieurement  de  tous  les  biens  delà 
terre. 

Le  monde  recherche  l'ambition ,  et  Dieu  aime  l'humilité  ; 
aussi  nous  voyons  que  cette  vertu  lui  est  si  agréable  qu'il 
s'est  humilié  lui-même  jusqu'à  nous.  Il  nous  convie  à  la  mo- 
dération parmi  toutes  les  affaires  du  monde  ,  avec  foi  et  espé- 
rance en  son  nom ,  et  à  pardonner  pour  l'amour  de  lui  les 
offenses  qui  nous  peuvent  être  faites.  Le  monde  publie  des  lois 
toutes  contraires  ,  car  il  veut  se  venger  et  conserver  la  haine 
et  l'aigreur  dans  le  cœur  contre  son  prochain.  Notre  foi  et 
notre  espérance  doivent  être  posées  en  Dieu  qui  est  une  es- 
sence immuable  et  non  pas  aux  créatures.  Nous  devons  gar- 
der une  éternelle  fidélité  à  Jésus-Christ  crucifié  pour  nous  et 
non  pas  suivre  les  appétits  de  la  sensualité  ,  afin  d'avoir  une 
foi  vive  qui  conçoive  et  enfante  les  fruits  des  vertus  et  des 
bonnes  et  saintes  pensées.  Dieu  enfin  aime  la  justice  ,  et  le 
monde  ne  travaille  qu'à  l'injustice.  Faisons  donc  une  sainte 
justice  de  nous-mêmes  lorsque  la  partie  sensuelle  voudra  se 
révolter  contre  son  Créateur.  Que  l'homme  s'excite  à  des  mou- 
vements d'amour  et  que  la  conscience  accuse  cet  appétit  dé- 
réglé aux  pieds  de  son  Seigneur  qui  est  le  libre  arbitre ,  maî- 
tre des  affections  de  l'âme.  Qu'il  le  tienne  captif  et  lui  coupe 
la  gorge  avec  le  tranchant  de  l'amour  divin;  c'est  ainsi  que 
nous  devons  vivre ,  ma  chère  Sœur,  si  nous  voulons  être  des 
servantes  fidèles  ,  parce  qu'étant  en  ce  service  nous  serons 
maîtres  et  seigneurs.  Mais  ,  après  avoir  vu  la  misère  de  ceux 
qui  servent  ce  monde,  et  la  cause  de  la  différence  qui  se  trouve 
entre  Dieu  et  le  monde,  et  en  quelle  sorte  Dieu  aime  la  vertu, 
exerçons-nous  donc  au  saint  désir  de  fuir  le  péché  ,  parce 
quel'àme  offense  dès  lors  qu'elle  n'aime  pas  ce  qui  est  agréa- 
ble à  Dieu.  Dépouillons  notre  cœur  de  toute  sorte  de  vanités 
et  de  tant  d'excès  et  de  violence  d'amour  que  nous  avons  pour 
les  choses  qui  nous  appartiennent.  Aimez  vos  enfants  et  tout 
ce  qui  est  dans  la  famille  comme  vous  aimeriez  ce  qui  vous 
est  donné  en  prêt,  puisque  nous  n'avons  que  l'usage  de  tous  les 


348  ESPRIT 

biens  du  monde  qui  ne  sont  entre  nos  mains  qu'en  tant  qu'il 
plaît  à  Dieu  de  nous  en  laisser  la  disposition.  C'est  une  affec- 
tion bien  déraisonnable  de  vouloir  posséder  ce  qui  n'est  pas 
à  nous,  comme  s'il  nous  appartenait.  La  grâce  de  Dieu  est  à 
nous,  et  comme  telle  nous  devons  la  posséder.  Nous  pouvons 
bien  croire  qu'il  en  est  ainsi  puisqu'il  n'y  a  rien  qui  puisse  la 
ravir,  et  il  faut  dire  que  celui-là  est  bien  ignorant  qui  se  prive 
pour  son  plaisir  d'un  si  précieux  trésor.  Tenez-la  donc  bien 
cber,  puisqu'elle  est  de  telle  valeur,  et  afin  de  la  pouvoir  con- 
server avec,  plus  d'assurance  ,  mettez-vous  à  l'abri  dans  les 
plaies  de  Jésus  crucifié  et  arrosez-vous  de  son  précieux  sang. 
Je  n'en  dirai  pas  davantage.  Demeurez  en  la  sainte  et  douce 
dilection  de  Dieu.  Doux  Jésus,  Jésus  amour! 

A  Néri  de  Landoccio ,  à  Pise. 
Au  nom  de  Jésus  crucifié  et  de  la  douce  Marie. 

Du  moyen  de  s'embraser  en  l'amour  de  Dieu. 

Mon  très-doux  et  bien-aimé  Fils  en  Jésus-Christ, 

Catherine,  &c.  Je  vous  écris  en  son  précieux  sang  par  un 
désir  de  vous  voir  transformé  par  le  feu  d'une  très-ardente 
cbarité ,  en  telle  sorte  que  vous  soyez  un  vaisseau  de  dilec- 
tion propre  à  publier  la  parole  de  Dieu  avec  la  grandeur  des 
mystères  qu'elle  contient  en  la  présence  de  notre  aimable 
Christ  en  terre ,  et  que  vous  puissiez  si  bien  opérer  pour  lui , 
que  vous  fassiez  quelque  fruit  embrasant  les  cœurs  et  les 
remplissant  de  courage. 

Pour  faire  heureusement  ce  que  je  désire,  je  veux,  mon 
cher  Fils ,  que  vous  ayez  devant  les  yeux  Jésus  crucifié,  parce 
qu'il  est  cette  source  où  l'àme  s'enivre  et  d'où  elle  attire  de 
saints  et  amoureux  désirs ,  lesquels  vous  devez  répandre  en 
faveur  de  toute  l'Eglise  et  pour  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut 
de  tout  le  monde.  Si  vous  faites  ce  que  je  vous  conseille,  vos 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  340 

paroles  seront  semblables  à  des  flèches  embrasées,  qui,  étant 
tirées  du  feu  et  lancées  contre  quelque  objet,  embrasent  tout 
ce  qu'elles  rencontrent.  Croyez  bien  ,  mon  Fils  ,  que  si  votre 
âme  entre  dans  la  fournaise  du  feu  de  l'amour  divin,  il  faudra, 
par  nécessité  ,  que  vous  donniez  de  ce  que  vous  aurez  res- 
senti ,  et  que  le  feu  dont  vous  serez  embrasé  ,  échauffe  tous 
ceux  qui  s'approcheront  de  vous.  Vous  y  apprendrez  l'amour 
de  la  vertu  et  la  haine  contre  votre  sensualité,  et  l'affection 
pour  les  âmes  et  pour  la  gloire  du  Père  éternel ,  parce  que 
c'est  tout  ce  qui  se  trouve  dans  cet  objet  divin  du  Fils  de 
Dieu.  Vous  verrez  ceci  bien  clairement  si  vous  considérez 
toutes  les  actions  de  sa  vie.  Vous  verrez  qu'il  mourut  par  le 
désir  qu'il  eut  du  salut  des  âmes  après  que  ce  même  désir 
eut  tiré  le  sang  de  son  corps  sacré  par  une  sueur  miracu- 
leuse au  jardin  des  Oliviers.  Et  comment  se  pourra-t-il  trou- 
ver un  cœur  assez  endurci  qui  ne  se  ressente  de  cette  chaleur 
et  qui  ne  se  fende  parmi  les  excès  d'un  si  divin  amour  !  En 
le  considérant  de  celte  sorte  ,  il  faut  nécessairement  qu'il 
s'embrase  comme  du  lin  jeté  dans  le  feu.  C'est  ainsi  que  l'âme 
qui  considère  l'affection  de  son  Créateur  est  convertie  en  lui 
et  obligée  à  l'aimer  de  môme  façon  qu'elle  se  voit  aimée. 
C'est  là  que  nous  consumerons  toute  l'humeur  vicieuse  de 
l'ainour-propre  et  que  nous  serons  transformés  par  le  feu  du 
Saint-Esprit.  Mais  pour  connaître  l'effet  de  cet  amour  en  nous, 
il  faut  prendre  garde  si  nous  aimons  ce  que  Dieu  aime., 
parce  que  cela  est  infaillible,  que  si  nous  aimons  Dieu,  nous 
aimerons  ce  qu'il  aime  et  aurons  de  l'aversion  pour  ce  qui  lui 
déplaît.  Voilà  pourquoi  mon  âme  désire  de  voir  cette  union 
en  vous  et  que  vous  soyez  uni  et  transformé  en  Dieu  par  le  feu 
de  la  divine  charité  autant  qu'il  vous  sera  possible,  mon  cher 
Fils  ,  afin  que  la  volonté  de  Dieu  soit  accomplie  en  vous  et  la 
mienne  aussi,  qui  suis  votre  chétive  et  misérable  mère  (1). 


(I)  Elle  s'appelle  mère,  parce  qu'elle  était  supérieure  du  liers-orJre  ,  et  que 
celui  à  qui  elle  écrit  en  était  membre. 


350  ESPRIT 

Demeurez  en  la  sainte  et  douce  dilection  de  Dieu.  Doux  Jé- 
sus ,  Jésus  amour  !  (  Lettre  XLYIII.  ) 

A  Jean  Trente  cl  à  sa  femme ,  à  Lticques. 
Elle  les  exhorte  à  l'imitation  de  Jésus-Christ. 

Mon  très-cher  Frère  et  Fils  Jean  en  Jésus-Christ , 

Catherine,  &c.  Je  vous  donne  la  bénédiction  et  vous  exhorte 
à  prendre  courage  au  sang  précieux  du  Fils  de  Dieu  ;  j'ai  un 
extrême  désir  de  vous  voir,  mon  Fils  bien-aimé,  et  toute  votre 
famille  et  particulièrement  votre  épouse,  de  vous  voir,  dis-je, 
tellement  unis  et  attachés  à  la  vertu ,  que  ni  les  démons  ni 
pas  une  autre  créature  ne  vous  en  puissent  séparer. 

0  mes  enfants  et  mon  Fils  bien-aimé  ,  ne  trouvez  pas  diffi- 
cile ni  malaisé  de  faire  quelque  chose  pour  l'amour  de  Jésus- 
Christ.  Oh!  que  ce  serait  une  grande  ignorance,  misère  et 
faiblesse  de  courage  ,  de  voir  Jésus-Christ,  qui  est  une  sou- 
veraine grandeur,  humilié  à  notre  bassesse  et  ne  penser  pas 
à  s'humilier  !  Ne  voyez-vous  pas  le  pauvre  petit  Jésus-Christ 
couché  dans  une  petite  crèche  ,  entre  deux  pauvres  animaux  , 
qui  méprise  toute  sorte  de  pompe  et  de  gloire  mondaine  !  ce 
qui  oblige  saint  Bernard  de  dire  pour  recommander  l'humi- 
lité et  la  pauvreté  de  Jésus-Christ  et  pour  confondre  notre 
ambition  :  «  Aie  honte  ,  ô  homme  ambitieux  qui  cherches  les 
honneurs  et  les  pompes  du  monde  :  tu  avais  peut-être  ima- 
giné que  ton  roi  devait  être  pompeusement  logé  et  avoir  une 
belle  troupe  de  courtisans  cà  sa  suite  !  »  Ce  n'est  pas  ce  que 
demande  la  souveraine  Vérité ,  mais  il  choisit  à  sa  naissance 
une  si  extrême  pauvreté  qu'il  avait  peine  de  trouver  de  petits 
haillons  pour  être  revêtu  ,  et  parce  que  le  temps  était  froid  à 
sa  naissance  ,  le  souffle  de  deux  animaux  servait  à  le  réchauf- 
fer ,  et  sur  la  fin  de  sa  vie  il  fut  en  telle  nécessité,  qu'étant 
sur  l'arbre  de  la  croix  ,  il  n'avait  pas  un  lieu  pour  reposer  sa 
tête,  ainsi  qu'il  disait  de  soi-même  :  Les  oiseaux  ont  leurs 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  351 

nids  et  les  renards  leurs  tanières ,  et  le  Fils  de  l'Homme  n'a 
pas  où  reposer  sa  tête.  0  misérables  que  nous  sommes  !  Sera- 
t-il  bien  dit  que  nos  cœurs  soient  si  fort  enveloppés  dans  la 
terre  qu'ils  ne  puissent  pas  être  émus  à  compassion  et  qu'ils 
ne  rompent  tous  les  artifices  de  Satan  et  ne  méprisent  tout 
ce  que  les  hommes  pourraient  jamais  dire  ?  Mettez-vous  donc 
en  état,  mon  Frère  et  ma  Sœur,  pour  marcher  généreuse- 
ment après  les  vestiges  de  notre  doux  Sauveur,  qui  vous  dira 
cette  douce  parole  :  Approchez-vous,  mes  enfants  bien-aiinés, 
qui  avez  laissé,  pour  l'amour  de  moi,  les  appétits  désordonnés 
de  la  terre  :  je  vais  vous  combler  des  biens  du  ciel ,  je  vous 
donnerai  cent  pour  un  et  la  possession  de  la  vie  éternelle.  Et 
quand  est-ce  que  la  première  Vérité  vous  donne  cent  pour  un  ? 
C'est  quand  il  répand  dans  vos  âmes  lès  douceurs  de  sa  très- 
ardente  charité  ;  c'est  ce  que  nous  devons  estimer  cm?,  par 
lequel  nous  espérons  la  vie  éternelle.  Je  vous  prie  donc  amou- 
reusement, que  vous  alliez  toujours  croissant  et  de  ne  rien 
relâcher  de  votre  bon  propos  et  des  saints  désirs  que  Dieu  a 
inspirés  à  votre  âme  ;  c'est  ainsi  que  je  désire  que  vous  fas- 
siez; je  n'en  dirai  pas  davantage.  Je  prie  Dieu  qu'il  vous 
donne  son  éternelle  bénédiction ,  et  moi  qui  suis  sa  servante 
inutile  je  me  recommande  à  vous  et  à  Jeanne  de  Pazzi  et  à 
toutes  les  autres  ,  suppliant  sa  bonté,  que  nous  puissions  tou- 
tes mourir  embrasées  d'amour.  Doux  Jésus ,  Jésus  amour  ! 
(Lettre  dernière.) 

EXTRAITS  DE  SES  DIVERS  TRAITÉS 

ou  Dialogues  entre  elle  et  Dieu. 


Comment  l'àme  peut  s'unir  avec  Dieu. 

Celui  qui  se  trouve  pénétré  d'un  très-grand  désir  pour 
l'honneur  de  Dieu  et  le  salut  de  son  âme  doit  avant  tout  s'exer- 


352  ESPRIT 

cer  pendant  un  certain  temps  à  l'habitude  de  la  vertu  et  à  la 
connaissance  de  soi-même  pour  mieux  connaître  la  bonté  de 
Dieu  en  soi;  parce  que  la  connaissance  amène  l'amour  et 
l'amour  porte  à  suivre  la  vérité  ;  mais  dans  aucun  cas  l'âme 
qui  veut  goûter  la  vérité  et  en  être  éclairée  ne  le  peut  autre- 
ment que  par  le  moyen  de  la  prière  humble  et  continuelle , 
fondée  sur  la  connaissance  de  soi-même  et  de  Dieu  ;  car  l'orai- 
son ,  en  s'y  adonnant  en  la  manière  que  je  viens  de  le  dire, 
unit  l'âme  à  Dieu  ,  suit  les  vestiges  et  les  exemples  du  Christ 
crucifié,  et  ainsi,  par  désir ,  par  affection,  par  union  d'a- 
mour, Dieu  en  fait  un  autre  lui-même,  c'est  ce  que  Jésus- 
Christ  a  dit  par  ces  paroles  :  Si  quelqu'un  m'aime  et  garde  ma 
parole,  je  me  manifesterai  à  lui  et  il  sera  une  même  chose 
avec  moi  et  moi  avec  lui  (Jean,  1-4-23);  et  dans  plusieurs 
autres  endroits  nous  trouvons  aussi  de  semblables  paroles 
par  lesquelles  nous  pouvons  voir  qu'il  est  très-vrai  que  l'âme 
par  l'union  d'amour  devient  un  autre  lui-même.  (  Tr.  de  la 
Discr.,  ch.  1.  ) 

Que  les  œuvres  finies  en  elles-mêmes  ne  peuvent  suffire  sans  la  vraie  charité 
pour  satisfaire  ou  être  récompensé. 

D'abord  je  veux  que  vous  sachiez,  ma  Fille,  lui  disait  le 
Seigneur ,  que  toutes  les  peines  que  supporte  ou  que  peut 
supporter  l'âme  dans  cette  vie ,  ne  peuvent  suffire  à  punir  la 
moindre  faute,  parce  que  les  offenses  qu'on  me  fait,  deve- 
nant infinies,  demandent  une  satisfaction  infinie;  c'est  pour- 
quoi je  veux  que  vous  sachiez  que  toutes  les  peines  qui  sont 
envoyées  pendant  la  vie  ne  sont  pas  destinées  à  être  une  pu- 
nition ,  mais  une  correction  ,  et  pour  châtier  seulement  mes 
enfants  quand  ils  m'offensent;  mais  ce  qui  est  vrai ,  c'est  que 
l'âme  satisfait  par  le  désir  et  par  la  vraie  contrition  et  détes- 
tation  du  péché  ;  la  vraie  contrition  satisfait  pour  la  faute  et 
pour  la  peine  ,  non  par  une  pénitence  finie  qu'elle  pratique  , 
mais  par  un  désir  infini  :  parce  que  Dieu  qui  est  infini ,  veut 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  353 

un  amour  et  une  douleur  infinis  :  il  veut  une  douleur  infinie 
de  deux  manières  ,  l'une  de  la  propre  offense  qu'elle  a  com- 
mise contre  son  Créateur  ;  l'autre  de  l'offense  qu'elle  lui  voit 
faire  par  son  prochain;  mais  pour  tout  cela  il  faut  avoir  un 
désir  infini  uni  à  moi  par  un  désir  d'amour  pour  moi ,  et  être 
affligé  quand  on  m'offense  ou  qu'on  me  voit  offensé  :  que  s'il 
en  est  ainsi,  toutes  les  peines,  soit  spirituelles,  soit  corpo- 
relles ,  de  quelque  part  qu'elles  lui  viennent,  acquièrent  un 
mérite  infini  et  satisfont  pour  la  faute  qui  aurait  mérité  une 
punition  infinie ,  bien  que  l'acte  ait  été  fini  et  fait  dans  un 
temps  fini  aussi  :  mais  puisque  la  vertu  a  été  pratiquée  ou  la 
peine  soutenue  par  désir,  par  contrition  de  cœur  et  déplaisir 
infini  de  la  faute ,  alors  elle  a  du  prix  à  mes  yeux  ;  c'est  ce 
que  prouve  saint  Paul ,  lorsqu'il  dit  :  Quand  je  parlerais  le 
langage  des  anges ,  quand  je  posséderais  la  science  des  choses 
futures,  quand  je  donnerais  tout  mon  bien  aux  pauvres,  quand 
je  livrerais  mon  corps  aux  flammes,  si  je  n'ai  point  la  charité, 
tout  cela  ne  me  sert  de  rien  (  1  Cor.  13-1  ).  Par  où  le  glorieux 
Apôtre  démontre  que  l'opération  finie  n'est  pas  suffisante, 
sans  l'assaisonnement  de  l'ardeur  de  la  charité  pour  punir 
ou  pour  récompenser  (Tr.  de  la  Discr.,  ch.  III,  p.  4). 

Combien  est  agréable  à  Dieu  le  désir  de  souffrir  quelque  chose  pour  lui. 

Rien  ne  m'est  plus  agréable  (lui  disait  le  Seigneur)  que 
le  désir  de  vouloir  souffrir  toutes  les  peines  et  les  fatigues  de 
la  vie  jusqu'à  la  mort,  par  amour  pour  moi  et  pour  le  salut 
de  l'âme;  plus  quelqu'un  supporte  de  peines  pour  moi ,  plus 
il  prouve  qu'il  m'aime;  plus  il  m'aime,  plus  il  connaît  ma 
vérité;  plus  il  la  connaît ,  plus  il  ressent  de  peines  et  de  dou- 
leurs intolérables  des  offenses  qui  me  sont  faites.  Vous  me 
demandez  d'avoir  cà  souffrir  et  à  punir  sur  vous  seule  tous  les 
péchés  des  autres ,  et  en  me  faisant  cette  demande  vous  ne 
vous  apercevez  pas  que  vous  me  demandez  l'amour  ,  la  lu- 
mière et  la  connaissance  de  ma  vérité,  puisque  je  vous  ai 
t.  y.  23 


354  ESPRIT 

déjà  dit  que  plus  l'amour  est  grand,  plus  la  douleur  et  la  peine 
augmentent ,  car  qui  croît  en  amour,  croît  en  douleur.  Or,  je 
vous  déclare  que  ce  que  vous  demandez  vous  sera  donné; 
je  ne  refuse  jamais  la  vérité  à  qui  me  la  demande  ;  mais  pen- 
sez que  l'union  d'amour  avec  la  charité  divine  est  si  grande , 
qu'est  grande  aussi  l'union  de  l'àme  avec  la  patience  parfaite. 
De  sorte  que  ce  que  l'un  souffre,  l'autre  le  souffre  en  même 
temps.  Par  conséquent,  en  choisissant  de  m' aimer,  l'àme  doit 
choisir  aussi  de  supporter  par  rapport  à  moi  toutes  les  peines, 
quelles  qu'elles  soient  et  de  quelque  cause  qu'elles  provien- 
nent :  la  patience  ne  se  prouve  que  dans  les  peines,  et  la  pa- 
tience est  unie  avec  la  charité  ,  comme  je  l'ai  déjà  dit.  Il  faut 
donc  que  vous  supportiez  courageusement  toutes  les  peines , 
autrement  vous  ne  serez  pas  et  vous  ne  prouverez  pas  que 
vous  êtes  les  épouses  de  ma  vérité  ,  ni  mes  fidèles  enfants  ,  ni 
que  vous  recherchez  mon  honneur  et  le  salut  des  âmes. 
(Chap.  V,  p.  2.) 

Similitude  pour  prouver  comment  la  charité ,  l'humilité  et  la  discrétion  sont  unies 
ensemble  et  comment  l'àme  doit  se  conformer  à  cette  similitude. 

Voici  comment  sont  unies  ces  trois  vertus  :  représentez- 
vous  que  vous  avez  un  grand  cercle  placé  sur  la  terre  ,  et 
qu'au  milieu  de  ce  cercle  s'élève  un  arbre  avec  un  rejeton  à 
côté  qui  est  uni  à  lui  :  l'arbre  se  nourrit  de  la  terre  que  con- 
tient l'espace  de  ce  cercle  ;  et ,  s'il  était  hors  de  la  terre , 
l'arbre  mourrait  et  ne  porterait  aucun  fruit  jusqu'à  ce  qu'il 
fût  replanté  dans  la  terre.  Or ,  sachez  que  l'àme  qui  est  faite 
par  amour ,  ne  peut  vivre  d'autre  chose  que  d'amour  ;  si  bien 
que  si  l'àme  ne  vit  point  de  l'amour  divin  et  de  la  parfaite 
charité ,  elle  ne  peut  produire  aucun  fruit  de  vie ,  mais  seule- 
ment des  fruits  de  mort.  Il  faut  que  la  racine  de  cet  arbre , 
c'est-à-dire  les  affections  de  l'âme ,  retirent  leur  nutrition  et 
leurs  forces  du  cercle  de  la  vraie  connaissance  de  soi-même, 
laquelle  connaissance  de  soi  est  unie  avec  celle  de  moi-même 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  355 

(c'est  Dieu  qui  parle  à  son  épouse),  de  moi  qui  n'ai  ni  prin- 
cipe ni  fin  ,  comme  le  cercle  lui-même  qui  étant  rond  ,  soit 
qu'on  tourne  au  dedans  ,  soit  qu'on  tourne  au  dehors ,  n'offre 
ni  commencement  ni  fin.  Cette  connaissance  de  soi  et  de  moi 
se  trouve  sur  la  terre  de  la  vraie  humilité  ,  laquelle  est  aussi 
grande  que  le  cercle  est  grand  lui-même.  Alors  l'arbre  de 
la  charité  se  nourrit  de  la  véritable  humilité  et  pousse  à  son 
côté,  comme  je  l'ai  dit,  le  rejeton  de  la  vraie  discrétion;  et 
la  moelle  de  l'arbre  ou  de  la  charité  qui  est  dans  l'àme,  c'est 
la  patience ,  laquelle  est  une  preuve  convaincante  que  je  suis 
dans  cette  âme  et  que  l'àme  est  unie  à  moi.  Cet  arbre  si  dou- 
cement planté  jette  les  fleurs  odorantes  des  vertus,  avec  de 
nombreux  et  divers  agréments  ,  et  ces  fleurs  produisent  des 
fruits  très-utiles  au  prochain,  selon  que  chacun  qui  veut  en 
recueillir  ,  a  le  soin  de  recourir  à  mes  serviteurs  pour  rendre 
gloire  et  louange  à  mon  nom  ,  puisque  j'ai  tout  créé  pour 
l'avantage  de  l'homme  ;  et  de  cette  manière  il  arrive  à  son 
terme,  c'est-à-dire  à  moi  son  Dieu,  qui  suis  la  vie  durable  et 
qui  ne  puis  lui  être  enlevé  s'il  ne  le  veut  pas  :  et  tous  les 
fruits  qui  naissent  de  cet  arbre  sont  préparés  avec  la  discré- 
tion ,  parce  qu'ils  sont  unis  ensemble,  selon  que  je  l'ai  dit. 
(Ch.X,p.-23.) 

Sur  le  pont  mjslique  qui  a  réuni  la  lerre  avec  le  ciel. 

Le  chemin  qui  conduisait  au  ciel  fut  rompu  par  le  péché 
d'Adam  ;  mais  Dieu ,  par  le  moyen  de  Jésus-Christ  son  Fils 
qui  a  uni  en  lui  la  nature  divine  avec  la  nature  humaine  ,  a 
voulu  faire  comme  un  pont  par  lequel  réunissant  le  chemin 
coupé  il  a  rétabli  les  communications  entre  lui  et  l'homme. 
Or ,  Jésus-Christ  a  jeté  ce  pont  de  la  terre  au  ciel  par  son 
ascension  :  la  route  qui  passe  sur  ce  pont  et  qui  doit  con- 
duire au  ciel ,  c'est  la  voie  de  la  vérité  ou  la  doctrine  évangé- 
lique.  Les  apôtres,  les  martyrs  ,  les  confesseurs  et  les  évan- 
gélistes  ont  été  établis  comme  des  flambeaux  sur  des  eau- 


350  ESPRIT 

délabres  pour  éclairer  cette  route  de  vérité.  Jésus-Christ  a 
doue  pu  dire  avec  raison  :  Je  suis  la  voie,  la  vérité  el  la  rie , 
puisque  c'est  par  lui ,  par  ce  pont  mystérieux  ,  que  la  voie  de 
vérité  conduit  à  la  bailleur  du  ciel ,  à  la  vraie  vie.  Mais  Dieu 
qui  nous  a  créés  sans  nous  ,  ne  veut  point  nous  sauver  sans 
nous;  il  veut  que  nous  employions  notre  volonté  libre  ou  no- 
tre libre  arbitre  à  cette  œuvre  importante,  et  que  nous  nous 
appliquions  pendant  la  durée  de  la  vie  à  l'acquisition  des 
vertus  (49). 

Elal  des  réprouvés  dans  l'autre  vie.  Ils  ne  peuvent  désirer  aucun  bien. 

Telle  est  la  haine  des  réprouvés  pour  le  bien ,  qu'ils  n'en 
peuvent  désirer  aucun.  Le  blasphème  continuel  est  seul  en 
leur  pouvoir.  Et  savez-vous  pourquoi  ils  ne  peuvent  vouloir  ni 
désirer  aucun  bien?  C'est  qu'une  fois  la  vie  de  l'homme  finie, 
son  libre  arbitre  est  enchaîné  ,  et  il  lui  est  impossible  de  vou- 
loir et  d'acquérir  du  mérite,  comme  nous  le  pouvons  durant 
le  temps  présent.  S'ils  sont  morts  en  état  de  haine  et  dans  la 
disgrâce  de  Dieu  parle  péché  mortel,  ils  ont,  par  un  effet 
de  la  justice  divine,  l'âme  toujours  liée  par  celte  haine,  et  elle 
sera  toujours  obstinée  à  cause  de  l'affection  au  mal  qu'ils  ont 
emportée  avec  eux  en  mourant ,  et  leur  âme  n'aura  d'autre 
occupation  que  celle  de  rouler  sans  cesse  en  elle-même  les 
crimes  qui  l'ont  souillée  ,  et  elle  redoublera  et  perpétuera  à 
jamais  ses  tourments  par  le  remords  ,  principalement  à  la  vue 
de  certaines  fautes  qui  sont  cause  de  sa  réprobation.  » 

Elle  fait  consister  ensuite  les  autres  tourments  dans  la  vue 
de  la  gloire  des  bienheureux,  dans  le  ver  rongeur  de  la 
conscience ,  dans  la  vue  de  la  pureté  de  l'humanité  de  Jésus- 
Christ  unie  à  la  divinité  ,  et  l'immondicilé  et  la  puanteur  de 
leur  sensualité  ,  dans  la  vue  des  largesses  de  la  miséricorde 
divine  et  de  l'abus  qu'ils  en  ont  fait ,  tandis  que  les  bienheu- 
reux qui  ont  autrement  agi,  régnent  dans  la  gloire.  Elle  met 
ensuite  l'avare  en  face  de  son  avarice,  l'impudique  en  face 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  357 

de  ses  excès  et  de  ses  débordements  ,  le  cruel  en  face  de  ses 
attentats  ,  &c,  &c.  Et  plusieurs  ne  sont  dans  cet  étal  affreux 
que  parce  qu'ils  ont  refusé  d'aller  demander  miséricorde, 
d'entrer  par  Jésus-Christ  qui  est  la  porte  du  ciel ,  et  qu'ils  ont 
préféré  suivre  la  doctrine  du  démon.  (89-91.) 

De  la  gloire  des  bienheureux. 

«  Au  contraire  ,  l'àme  juste  qui  quitte  la  vie  avec  des  sen- 
timents de  charité  et  qui  est  comme  liée  par  l'amour,  si  elle 
ne  peut  plus  croître  en  vertu  parce  que  le  temps  du  mérite  est 
passé ,  peut  toujours  aimer  de  cet  amour  qu'elle  avait  en  ve- 
nant à  moi  (  c'est  Dieu  qui  parle  à  son  épouse)  ,  et  avec  la 
mesure  duquel  j'ai  mesuré  ses  mérites.  Elle  me  désire  tou- 
jours ,  m'aime  toujours ,  mais  son  désir  n'est  plus  un  désir 
comme  autrefois.  Maintenant  sa  faim  est  rassasiée  et  tout  en 
étant  rassasiée  ,  elle  ne  se  lasse  pas  de  désirer  et  elle  est  loin 
d'avoir  du  dégoût ,  et  elle  n'éprouve  point  de  tourment  par 
cette  faim.  Car  dans  cet  état  de  faim  amoureuse  elle  jouit  de 
mon  éternelle  vision  ,  elle  participe  à  tous  les  biens  que  je 
renferme  en  moi ,  et  chacun  les  possède  selon  la  mesure  de 
l'amour  qu'il  avait  quand  il  est  venu  à  moi ,  et  avec  lequel  je 
l'ai  mesuré.  Or,  c'est  parce  qu'ils  oniété  trouvés  persévérants 
dans  mon  amour  et  dans  celui  du  prochain ,  et  unis  entre  eux 
par  la  charité  commune  et  particulière  ,  qui  n'est  qu'une 
seule  et  vraie  charité  ,  qu'ils  se  réjouissent  et  tressaillent  de 
bonheur  en  participant  aux  biens  les  uns  des  autres  ,  avec 
ces  doux  sentiments  de  charité  ,  qui ,  outre  le  bien  universel , 
les  réunit  tous  ensemble  dans  une  même  jouissance.  » 

Notre  Sainte  continue  à  prouver  le  bonheur  des  bienheu- 
reux par  leur  participation  au  bonheur  des  Anges  et'  des 
Saints  ,  toujours  à  cause  du  lien  de  charité  qui  les  unit.  Puis 
elle  passe  à  la  conformité  parfaite  de  la  volonté  des  élus  avec 
la  volonté  de  Dieu  ,  dont  elle  parle  ainsi  : 

«  Us  sont  si  conformes  à  ma  volonté  qu'ils  ne  peuvent  vou- 


358  ESPRIT 

loir  autre  chose  que  ce  que  je  veux ,  car  leur  libre  arbitre  est 
tellement  lie  par  mon  amour  ,  qu'il  ne  se  porte  qu'à  ce  qui 
m'est  agréable  ,  et  leur  volonté  est  si  bien  unie  à  la  mienne  , 
que  si  un  fils  voit  son  père  ou  sa  mère  en  enfer  ,  ou  bien  si 
un  père  et  une  mère  y  voient  leur  fils  ,  ils  ne  s'en  occupent 
nullement.  Bien  plus  ,  ils  sont  contents  de  les  voir  punis 
comme  étant  mes  ennemis  ,  d'où  l'on  peut  comprendre  qu'il 
n'est  aucun  point  sur  lequel  ils  soient  en  désaccord  avec  moi, 
mais  que  tous  leurs  désirs  se  portent  à  goûter  ce  qui  me  pa- 
raît bon.  Aussi  les  bienheureux  désirent-ils  ardemment,  pour 
mon  honneur,  devoir  l'homme  encore  voyageur  et  pèlerin 
sur  la  terre  ,  s'acheminer  avec  prudence  vers  la  mort.  Par  le 
même  intérêt  de  ma  gloire  ,  ils  désirent  votre  salut  et  m'a- 
dressent à  cet  effet  leurs  ferventes  prières.  » 

Notre  Sainte  dit  ensuite  ,  que  les  bienheureux  désirent  une 
autre  chose  ,  qui  est  de  retrouver  le  corps  qu'ils  avaient  sur 
la  terre  ,  non  que  cette  absence  les  afflige ,  ni  que  le  bonheur 
de  leur  âme  ne  soit  parfait,  mais  pour  voir  leur  corps  glorifié 
avec  et  selon  l'humanité  de  Jésus-Christ.  (Chap.XLI,  84 
et  suiv.  ) 

De  l'Oraison. 

L'Oraison  parfaite  ne  s'acquiert  point  par  beaucoup  de 
paroles,  mais  par  beaucoup  de  sentiments  et  de  désirs,  en 
s'élevant  à  la  connaissance  de  Dieu  et  de  soi-même ,  et  en 
unissant  l'une  avec  l'autre,  comme  il  faut  joindre  aussi  l'orai- 
son vocale  à  la  mentale  ,  et  la  vie  active  à  la  contemplative... 
(Tr.  del'Orais.  Chap.  2.) 

De  la  naissance  des  larmes. 

D'abord  elle  compte  cinq  sortes  de  larmes.  «  Les  premières 
sont  celles  de  ceux  qui  pleurent  par  crainte,  au  moment  d'un 
malheur.  Les  secondes  celles  de  ceux  qui  veulent  sortir  du 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  359 

péché  et  qui  pleurent  pour  éviter  la  justice  de  Dieu.  Les  troi- 
sièmes celles  de  ceux  qui,  s'étant  arrachés  au  péché,  commen- 
cent à  goûter  la  douceur  du  service  de  Dieu  ,  et  qui  pleu- 
rent avec  des  sentiments  de  douceur.  Les  quatrièmes  sont 
celles  de  ceux  qui ,  parvenus  à  une  grande  perfection  d'amour 
pour  le  prochain  ,  l'aiment  en  vue  de  moi  sans  aucune  consi- 
dération d'eux-mêmes.  Enfin  les  cinquièmes  qui  sont  unies 
aux  quatrièmes  ,  sont  les  larmes  de  douceur  qui  sont  répan- 
dues avec  une  grande  et  une  ineffable  suavité.  (  Ibid. ,  chap. 
XXIV  ,  194.  ) 

Mais  je  veux  que  vous  sachiez  (lui  disait  le  Seigneur)  que 
toute  larme  vient  du  cœur  ,  car  il  n'y  a  aucun  membre  dans 
le  corps  qui  tienne  tant  à  satisfaire  le  cœur  ,  que  l'œil.  Si  le 
cœur  éprouve  de  la  douleur  ,  l'œil  le  manifeste  aussitôt;  et  si 
la  douleur  est  vive  et  sensible  ,  l'œil  jette  des  larmes  de  cœur, 
qui  quelquefois  amènent  la  mort  parce  qu'elles  viennent  du 
cœur;  parce  que  c'est  l'amour  désordonné,  étranger  au  mien, 
qui  les  produit ,  et  parce  qu'étant  désordonné  ,  il  est  une 
offense  contre  moi ,  et  qu'alors  ces  larmes  viennent  d'une 
douleur  mortelle.  Il  est  vrai ,  au  reste  ,  que  la  gravité  de  la 
faute  et  la  grandeur  du  repentir  sont  plus  ou  moins  sensibles, 
selon  la  mesure  de  l'amour  désordonné  qu'on  a.  Et  alors  ce 
sont  ou  des  larmes  de  mort ,  ou  des  larmes  d'espoir,  ou  des 
larmes  de  vie.  De  là  vous  pourrez  commencer  à  comprendre 
quelles  sont  les  larmes  qui  donnent  la  vie.  » 

Notre  Sainte  passe  ici  à  l'explication  des  cinq  degrés  de 
larmes  ,  comme  formant  une  gradation  spirituelle.  On  va  de 
la  crainte  à  l'espérance,  de  l'espérance  à  l'amour,  de  l'amour 
commencé  imparfait  à  l'amour  plus  vif,  plus  parfait;  on 
arrive  aux  délices ,  aux  larmes  de  tendresse ,  d'extase  et  à 
tout  ce  que  Dieu  opère  dans  ceux  dont  les  larmes  viennent 
véritablement  du  cœur  ;  car ,  plus  le  cœur  aime ,  plus  il 
souffre  ;  et  plus  le  cœur  souffre  ,  plus  l'œil  souffre  ,  à  moins 
qu'il  ne  plaise  à  Dieu  de  nous  soustraire  les  larmes  et  qu'il  ne 
les  amasse  et  ne  les  concentre  dans  le  cœur  pour  achever  de 


3G0  ESPRIT 

le  briser  de  douleur  et  amener  sa  guérison.  (  Ibid.,  ch.  XXV, 
193  et  suiv.  ) 

Des  marques  auxquelles  on  connaît  qu'une  visite  ou  vision  mentale  vient  de  Dieu 
ou  du  démon. 

«  Tu  m'as  demandé ,  lui  disait  le  Seigneur  ,  à  quels  signes 
on  peut  reconnaître  qu'une  vision  vient  de  moi  ou  du  démon; 
eh  bien  1  les  voici  :  je  te  dis  que  c'est  de  moi  qu'elle  vient 
lorsque  la  joie  qui  demeure  dans  l'âme  après  ma  visite  ou  la 
vision  ,  est  suivie  de  la  faim  ou  d'un  désir  ardent  des  vertus, 
spécialement  assaisonné  par  la  vraie  humilité  et  brûlé  par  le 
feu  de  la  divine  charité  ;  mais  lorsque  désirant  les  visions  ,  y 
trouvant  sa  consolation ,  en  éprouvant  de  la  joie  ,  on  s'en 
élève ,  on  se  retire  de  l'oraison  ,  on  perd  le  goût  de  la  vertu 
au  lieu  de  la  désirer,  et  que  cette  joie  n'est  point  assaisonnée 
d'humilité  ni  brûlée  par  le  feu  de  ma  divine  charité  ,  alors 
cette  vision  vient  du  démon,  non  pas  de  moi.»  (Ibid.,  chap. 
XLII,  p.  246.) 

Sur  l'excellence  de  l'état  où  se  trouve  lame  qui  reçoit  le  sacrement  de  l'Eucharistie 
en  état  de  grâce. 

«Regarde,  ma  Fille  chérie,  lui  disait  le  Seigneur,  dans  quel 
état  d'excellence  se  trouve  l'âme  qui  reçoit  en  état  de  grâce  ce 
pain  de  vie  ,  cette  nourriture  des  Anges  :  en  recevant  ce  sa- 
crement ,  l'homme  demeure  en  moi ,  et  moi  je  demeure  en 
lui  ;  car,  comme  le  poisson  est  dans  la  mer  et  la  mer  dans  le 
poisson,  de  même  l'âme  est  en  moi  qui  suis  la  mer  pacifique, 
et  moi  je  suis  en  elle.  Or,  dans  cette  âme  demeure  la  grâce  , 
parce  qu'ayant  reçu  ce  pain  de  vie  en  état  de  grâce ,  après 
que  les  espèces  du  pain  sont  détruites  ,  la  grâce  y  habite. 
Moi ,  je  lui  laisse  l'impression  de  ma  grâce,  comme  fait  un 
cachet  qu'on  pose  sur  une  cire  chaude  ;  lorsqu'on  lève  le  ca- 
chet, l'impression  y  demeure  :  de  même  la  vertu  de  ce  sacre- 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  361 

ment  demeure  dans  l'âme  imprimée  par  la  chaleur  de  ma 
divine  charité  et  de  la  clémence  du  Saint-Esprit  ;  mais ,  en 
même  temps  il  y  demeure  encore  la  lumière  de  la  sagesse  de 
mon  Fils  unique  qui  éclaire  l'œil  de  l'intelligence  par  cette 
même  sagesse  ,  afin  qu'il  voie  la  doctrine  de  la  vérité ,  et  cette 
sagesse  s'y  fixe  fortement ,  en  participant  à  ma  propre  force 
et  à  ma  puissance,  rendant  l'homme  fort  contre  ses  passions, 
contre  le  démon  et  le  monde  ,  de  sorte  qu'on  voit  dans  cette 
âme  l'impression  du  sceau  divin  aussitôt  qu'il  est  enlevé  ,  et 
que  les  espèces  étant  consumées ,  le  vrai  Soleil  revient  à  sa 
roue  céleste.  Admirez  donc  un  tel  sacrement,  et  voyez  com- 
bien vous  êtes  tenu  de  m'aimer  et  de  m'en  témoigner  de  la 
reconnaissance.  »  (  IbUL,  ch.  XLVIII ,  p.  26i.  ) 

Du  Irailé  de  la  providence. 

Ne  pouvant  donner  ce  traité  tout  entier,  et  le  croyant  ce- 
pendant très-remarquable  ,  nous  allons  en  faire  connaître  le 
plan  et  les  chapitres  principaux,  en  ayant  soin  de  citer  les 
passages  les  plus  intéressants. 

Son  dessein  embrasse  la  providence  générale  et  particu- 
lière,  passée,  présente  et  future  :  l'homme  créé,  l'homme 
tombé  ,  l'homme  relevé  et  régénéré  ,  l'homme  en  état  de 
péché  mortel ,  l'homme  à  l'état  parfait ,  l'homme  dans  la 
gloire  future. 

Dans  le  chapitre  premier ,  elle  traite  de  la  providence  en 
général  ,  c'est-à-dire  comment  Dieu  a  daigné  privilégier 
l'homme  en  le  créant  à  son  image  et  à  sa  ressemblance  ; 
comment  il  a  pourvu  à  ses  besoins  par  l'incarnation  de  son 
Fils  ,  pour  rouvrir  la  porte  du  paradis  que  le  péché  d'Adam 
avait  fermée  ;  enfin  ,  comment  il  a  satisfait  aux  besoins  de 
son  âme  en  se  donnant  continuellement  en  nourriture  dans 
l'auguste  sacrement  de  l'autel. 

Dans  le  deuxième  chapitre  ,  elle  développe  tout  ce  qui  se 
rattache  à  l'espérance  rendue  à  l'homme  par  la  promesse  du 


36:2  ESPRIT 

Rédempteur,  à  tout  ce  qu'elle  a  apporté  d'adoucissement  aux 
justes  avant  la  venue  de  Jésus-Christ ,  et  à  la  fécondité  qui  eu 
est  résultée  pour  vivre  d'une  vie  sainte  et  parfaite. 

Dans  le  troisième  ,  elle  fait  admirer  la  providence  de  Dieu 
dans  la  sage  économie  de  la  révélation  ,  dans  les  manifesta- 
tions successives  ,  dans  sa  manière  de  proportionner  la  lu- 
mière à  la  faiblesse  des  yeux  encore  charnels  de  l'homme  , 
c'est-à-dire  dans  la  doctrine  de  l'ancien  Testament  et  des 
Prophètes  ,  dans  l'envoi  de  Jésus-Christ  et  sa  prédication  , 
dans  la  mission  des  Apôtres  ,  dans  l'héroïsme  des  Martyrs  et 
dans  cette  nuée  d'hommes  saints  et  de  docteurs  qui  ont  ho- 
noré l'Eglise  des  premiers  siècles.  Enfin  ,  elle  fait  admirer 
comment  rien  n'arrive  à  la  créature  sans  qu'auparavant  Dieu 
ne  l'ail  prévu. 

Dans  le  chapitre  quatrième  ,  elle  démontre  que  tout  ce  que 
Dieu  permet ,  il  ne  le  permet  uniquement  que  pour  notre 
avantage  et  pour  notre  salut ,  et  que  ceux-là  sont  déplorable- 
ment  aveuglés  et  égarés  ,  qui  jugent  différemment. 

Dans  le  chapitre  cinquième  ,  elle  s'applique  à  faire  distin- 
guer les  vues  sages  et  élevées  de  la  divine  Providence  dans  la 
manière  particulière  dont  elle  traite  certaines  âmes  ,  toujours 
dans  les  rapports  avec  leur  salut  éternel  et  dans  les  accidents 
ou  événements  qu'elle  ménage  pour  les  instruire  ou  les  cor- 
riger. 

Ne  nous  lassons  point  de  suivre  un  plan  si  grandiose  et  si 
savant. 

Dans  le  sixième  chapitre  ,  elle  consacre  ses  recherches  à 
des  comparaisons  tirées  de  l'ancien  Testament,  pour  prouver 
les  divers  moyens  dont  Dieu  se  sert  pour  éprouver  sa  créa- 
ture ,  pour  la  favoriser  ,  la  faire  vaincre  ,  se  l'attacher  ou  la 
punir  ,  et  prouve  par  l'infidélité  de  l'ancien  peuple  celle  où 
nous  vivons  généralement  envers  la  providence  de  Dieu. 

Dans  le  septième  ,  elle  explique  comment  la  divine  Provi- 
dence en  agit  envers  nous  ,  lorsqu'elle  nous  envoie  des  tribu- 
lations et  des  adversités  ,  et  faisant  ressortir  la  misérable 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  363 

condition  de  ceux  qui,  se  confiant  en  eux-mêmes,  repoussent 
la  Providence  céleste  ,  elle  relève  l'excellence  de  la  confiance 
parfaite  en  la  bonté  de  Dieu. 

Le  huitième  chapitre  nous  fait  comprendre  l'infinie  provi- 
dence de  Dieu  envers  l'âme  ,  en  lui  préparant  le  sacrement 
eucharistique  pour  rassasier  sa  faim  spirituelle  ,  après  quoi 
elle  cite  l'exemple  d'une  âme  envers  laquelle  Dieu  prouva  sa 
providence  toute  spéciale  (  et  cette  âme  c'était  elle  )  en  la 
communiant  de  sa  rnain  divine ,  parce  qu'elle  en  avait  un 
brûlant  désir ,  et  qu'elle  ne  pouvait  l'être  par  les  ministres 
sacrés. 

On  voit  ensuite  dans  le  chapitre  neuvième  ,  la  providence 
particulière  de  Dieu  envers  ceux  qui  se  trouvent  en  état  de 
péché  mortel ,  et  voici  quelques-unes  des  belles  choses  que 
notre  Sainte  y  rapporte  :  «  Ou  l'âme  ,  dit-elle  ,  est  en  état  de 
péché  mortel ,  ou  elle  est  en  état  de  grâce  imparfaite  ,  ou  en 
état  de  grâce  parfaite  :  or ,  dans  chacun  de  ces  états  ,  je 
donne  (  dit  le  Seigneur  )  ,  et  distribue  les  largesses  de  ma 
providence  ;  mais  je  le  fais  en  diverses  manières  et  avec  une 
grande  sagesse ,  selon  que  je  vois  qu'ils  en  ont  besoin  et  que 
c'est  à  propos.  Envers  les  hommes  du  monde  que  je  vois  gi- 
sants dans  la  mort  du  péché  mortel ,  j'y  pourvois  en  les  por- 
tant à  détester  leurs  péchés  par  le  remords  de  la  conscience 
et  les  fatigues  que  je  fais  sentir  à  leur  cœur  par  des  voies 
nouvelles  et  différentes  ,  et  ces  voies  sont  si  nombreuses  que 
votre  bouche  ne  pourrait  suffire  à  les  raconter  :  d'où  il  résulte 
très-souvent  que  par  cette  importunité  et  ces  piqûres  de  la 
conscience  ,  la  vérité  entre  dans  l'âme  et  la  retire  du  sein  du 
péché  mortel ,  et  plusieurs  fois  du  milieu  des  épines  intérieu- 
res je  tire  des  roses  agréables  ,  en  faisant  naître  dans  le  cœur 
mon  amour  et  l'obéissance  à  ma  volonté  ,  et  j'ai  mes  lieux  et 
mes  moments  que  nul  ne  peut  comprendre ,  et  je  sais  me 
servir  de  la  poignante  douleur  du  cœui%  et  de  la  connaissance 
de  ses  défauts,  et  de  ce  dégoût  de  la  vie  que  l'on  ne  peut  s'ex- 
pliquer à  soi-même  ,  pour  tourner  le  pécheur  vers  moi  avec 


364  ESPRIT 

grande  componction  et  remords  de  conscience  ,  et  lui  faire 
jeter  contre  terre  son  frénétique  amour  ;  car  cet  amour  peut 
être  justement  appelé  frénétique,  puisque  croyant  donner  son 
attachement  à  quelque  chose  ,  lorsqu'on  vient  à  l'examiner  , 
on  voit  qu'on  ne  s'était  attaché  à  rien  :  c'était  bien  ,  il  est 
vrai ,  quelque  chose  que  cette  créature  qu'on  aimait  d'un  si 
misérable  amour  ,  mais  ce  qu'on  en  retire  n'est  rien  ,  car  le 
péché  n'est  rien  de  réel  :  or  ,  de  ce  rien  du  péché  qui  est  une 
épine  qui  pique  l'âme  ,  moi  j'en  tire  ,  comme  je  vous  l'ai  dit , 
une  rose ,  pour  procurer  son  salut.  Mais  qui  me  pousse  à  en 
agir  ainsi  ?  Ce  n'est  pas  que  cette  âme  me  cherche  ,  ce  n'est 
pas  qu'elle  me  demande  le  secours  de  ma  providence  ,  elle  ne 
se  plaît  que  dans  le  péché  ,  les  délices  ,  les  richesses  et  les 
habitudes  du  monde  ;  mais  c'est  mon  amour  seul  qui  m'y 
pousse  ,  parce  que  je  vous  aimais  avant  même  que  vous  fus- 
siez né  et  sans  être  aimé  de  vous  ,  moi  je  vous  aimais  ineffa- 
blement  (  d'une  manière  inexprimable):  si  quelque  chose, 
après  mon  amour,  me  porte  aies  protéger  de  la  sorte,  ce 
sont  les  prières  de  mes  serviteurs  ,  qui ,  suivant  les  inspira- 
tions du  Saint-Esprit ,  connaissant  ma  clémence  ,  remplis  de 
charité  envers  leur  prochain,  cherchent  leur  salut  avec  un 
inconcevable  désir  ,  apaisent  ma  colère  irritée  ,  lient  et  re- 
tiennent la  main  de  ma  justice  pour  empêcher  que  je  frappe 
le  pécheur  qui  le  mérite  ,  et  me  forcent,  par  leurs  larmes  et 
leurs  humbles  supplications,  à  lui  pardonner.  Mais  qui  est-ce 
qui  les  porte  à  pousser  ces  cris  de  miséricorde  vers  moi? 
C'est  ma  providence ,  par  laquelle  je  viens  au  secours  de  ce 
mort  spirituel ,  parce  que  je  ne  veux  point  la  mort  du  pé- 
cheur ,  mais  plutôt  qu'il  se  convertisse  et  qu'il  vive.  » —  Dieu 
l'invite  ensuite  à  aimer  de  plus  en  plus  sa  providence  ;  il  lui 
fait  connaître  les  excès  dans  lesquels  tombent  les  hommes 
impies  et  voluptueux  ,  relève  encore  le  mérite  des  justes  qui  , 
quoique  méprisés,  persécutés  ,  baffoués  par  les  méchants,  ne 
cessent  de  prier  pour  eux  ,  jusqu'à  ce  que  la  porte  de  la  mi- 
séricorde s'ouvre ,  et  fait  admirer  en  cela  même  le  sublime 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  3G5 

dessein  de  sa  providence  ,  qui  ,  en  procurant  la  conversion 
et  le  salut  de  ces  misérables  pécheurs,  augmente  la  vertu  des 
justes  et  accroît  dans  leur  cœur  le  feu  de  la  divine  charité.  » 
(32  et  suiv.  ) 

Dans  le  dixième  chapitre ,  Dieu  l'entretient  de  sa  provi- 
dence envers  ceux  qui  sont  encore  dans  l'état  d'un  amour 
imparfait.  «  Savez-vous ,  ma  chère  Fille,  lui  dit-il,  la  conduite 
que  je  tiens  pour  retirer  l'âme  imparfaite  de  son  imperfec- 
tion ?  Il  est  des  fois  que  je  la  visite  par  l'inquiétude  de  beau- 
coup de  pensées  diverses  et  de  sécheresses  d'esprit ,  et  il 
semble  alors  qu'elle  soit  entièrement  abandonnée  de  moi , 
n'ayant  aucun  goût  sensible  :  le  monde  aussi  n'est  pas  ce 
qu'elle  voudrait  ,  ni  moi  non  plus,  parce  qu'elle  n'a  de  moi 
aucun  sentiment,  quoiqu'elle  sente  que  sa  volonté  est  de  ne 
pas  m'offenser.  Or,  cette  porte  de  la  volonté  qui  est  libre  ,  je 
ne  permets  point  à  l'ennemi  de  l'ouvrir ,  mais  je  donne  la 
permission  au  démon  et  aux  autres  adversaires  de  l'homme  , 
de  frapper  contre  l'autre  porte  ;  mais  celle-ci  étant  la  princi- 
pale ,  celle  qui  défend  et  garde  la  citadelle  de  l'âme  ,  je  ne  le 
permets  pas  ;  et  en  effet,  c'est  le  libre  arbitre  qui  garde  l'âme 
et  qui  en  est  comme  la  porte  ,  et  c'est  à  lui  de  répondre  oui 
ou  non  ,  selon  qu'il  lui  plaît.  Il  y  a  plusieurs  portes  «à  la  cité 
de  l'âme  ,  mais  il  y  en  a  trois  principales  :  l'une  d'elles  c'est 
la  volonté  qui  demeure  toujours  ce  qu'elle  est  et  ce  qu'elle 
veut  être  ,  sans  qu'on  puisse  la  forcer  ,  et  celle-là  garde  les 
autres  ,  qui  sont  la  mémoire  ,  l'entendement  et  le  consente- 
ment; d'où  il  suit  que  si  la  volonté  consent,  l'ennemi  ou 
l'amour-propre  entre  ,  et  à  sa  suite  tous  les  autres  ennemis 
entrent  aussi  :  alors  l'entendement  est  soudain  envahi  par  les 
ténèbres  qui  sont  ennemies  de  la  lumière,  et  la  mémoire  laisse 
entrer  la  haine  et  le  ressentiment  par  le  souvenir  des  injures, 
et  cette  haine  est  l'ennemie  de  la  charité  du  prochain  ;  en 
même  temps  les  joies  et  les  plaisirs  du  monde  qui  sont  de 
diverses  sortes  comme  sont  divers  les  péchés  eux-mêmes  et 
toujours  opposés  à  la  vertu ,  se  répandent  dans  l'âme.  Du 


300  ESPRIT 

moment  que  ces  portes  sont  ouvertes  ,  voilà  qu'aussitôt  tous 
les  battants  ,  tous  les  panneaux  des  sens  corporels ,  qui  sont 
autant  de  ressorts  qui  répondent  à  l'âme,  s'ouvrent  aussi  pour 
laisser  entrer  le  mal;  d'où  vous  voyez  que  l'appétit  déréglé  de 
l'homme  qui  en  ouvre  les  portes,  correspond  à  tous  les  autres 
organes  ,  et  par  ce  moyen  tout  est  bientôt  gâté  et  corrompu  : 
c'est-à-dire  que  l'œil  et  ses  autres  facultés  ne  présentent  autre 
chose  que  mort ,  parce  qu'il  est  porté  à  considérer  des  choses 
mortes  avec  un  regard  désordonné  qui  lui  est  défendu  ,  et 
qu'il  les  voit  avec  vanité  de  cœur ,  légèreté  d'esprit  et  d'une 
manière  déshonnète  qui  donne  aux  autres  et  à  soi-même  oc- 
casion de  mort  et  de  ruine  spirituelle. 

0  misérables  que  vous  êtes  !  cet  œil  que  je  vous  avais  donné 
pour  regarder  le  ciel  et  toutes  les  autres  choses  créées  ,  et  la 
beauté  de  ma  créature,  et  la  sublimité  de  mes  mystères,  vous 
ne  l'employez  qu'à  regarder  la  boue  et  la  misère  et  la  mort 
pour  vous  l'attirer  !  »  —  Notre  Sainte  fait  ici  une  longue  di- 
gression ,  puis  elle  prouve  quel  malheur  c'est  d'ouvrir  la 
porte  de  la  volonté  au  mal ,  de  donner  la  licence  à  ses  enne- 
mis ,  de  laisser  obscurcir  la  lumière  de  son  entendement,  de 
souiller  sa  mémoire  ,  d'enlever  les  rênes  du  consentement  , 
puis  elle  dit ,  ou  plutôt  Dieu  lui  dit  :  «  Et  pourquoi  mainte- 
nant placé-je  cette  âme  dans  une  si  grande  peine  et  affliction; 
pourquoi  la  laissé-je  environnée  de  tant  d'ennemis  ?  Ce  n'est 
pas  ,  certes,  pour  qu'elle  soit  prise  et  qu'on  lui  enlève  les  ri- 
chesses de  la  grâce  ,  mais  je  le  fais  pour  signaler  ma  provi- 
dence, afin  qu'elle  se  confie  non  en  elle-même,  mais  en  moi  ; 
afin  qu'elle  secoue  sa  négligence  et  qu'elle  se  réfugie  dans 
son  trouble  et  son  appréhension  auprès  de  moi  qui  suis  son 
défenseur  :  je  suis  un  père  tendre  et  je  procure  le  salut  de 
mes  enflints  par  tous  les  moyens  possibles,  &c.  »  (30  et  suiv.) 

Le  chapitre  onzième  nous  montre  la  providence  dont  le  Sei- 
gneur daigne  user  envers  ceux  qui  sont  dans  l'état  de  charité 
parfaite.  En  voici  les  principales  vérités  :  «  Maintenant  je 
vais  vous  faire  connaître  ,  lui  dit  le  Seigneur  ,  de  quelle  ma- 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  307 

nière  je  pourvois  à  la  conservation  et  à  la  perfection  des  justes 
pour  les  faire  croître  continuellement  en  sainteté.  Comme  nul 
dans  ce  monde  n'est  si  parfait  qu'il  ne  puisse  croître  en  une 
nouvelle  perfection  ,  j'emploie  les  moyens  suivants  entre  plu- 
sieurs autres  ,  conformément  à  ce  qu'a  dit  ma  vérité  quand 
elle  s'est  exprimée  ainsi  :  »  Je  suis  la  vraie  vigne  ,  mon  père 
est  le  vigneron  ,  et  vous  autres  vous  êtes  les  branches.  Qui- 
conque demeure  attaché  à  celui  qui  est  la  vraie  vigne,  à.  cause 
qu'elle  vient  du  père  et  qui  en  suit  la  doctrine ,  porte  du 
fruit.  t>  (  Jean  15-1  )  ;  et  afin  que  votre  fruit  croisse  et  soit 
parfait ,  je  fais  que  vous  le  portiez  au  milieu  de  beaucoup  de 
tribulations  ,  d'outrages  ,  d'injures  ,  de  sarcasmes  ,  de  mé- 
pris et  de  privations  ;  par  la  faim  et  la  soif  ,  les  paroles  et  les 
œuvres ,  selon  qu'il  plaît  à  ma  bonté  de  l'accorder  à  un  cha- 
cun et  selon  qu'il  les  trouve  propres  à  le  supporter ,  car  la 
tribulation  est  une  marque  évidente  qui  prouve  la  perfection 
ou  l'imperfection  d'une  âme.  Par  les  injures  et  les  peines 
dont  je  permets  que  mes  serviteurs  soient  affligés  ,  je  pré- 
tends éprouver  leur  patience  et  accroître  le  feu  de  la  ebarilé 
par  la  compassion  et  le  support  qu'elle  doit  avoir  de  celui 
qui  lui  fait  l'injure,  et  afin  qu'elle  s'afflige  davantage  de 
l'offense  qu'on  commet  contre  moi ,  et  du  tort  qu'on  se  fait , 
que  de  l'injure  qui  lui  est  faite  à  elle.  C'est,  en  effet ,  ce  que 
font  ceux  qui  sont  arrivés  à  une  grande  perfection  et  qui  s'en 
servent  comme  d'un  moyen  pour  y  croître  davantage  ,  et  moi 
je  ne  le  permets  que  dans  cette  vue  ,  de  sorte  donc  que  je  ne 
les  afflige  et  ne  les  éprouve  qu'afin  de  leur  faire  porter  une 
plus  grande  quantité  de  fruits  et  plus  savoureux  au  milieu 
des  tribulations ,  et  pour  que  leur  patience  répande  partout 
ma  bonne  odeur. 

Oh  !  qu'ils  sont  suaves  et  délicieux  les  fruits  dont  je  parle! 
Et  quelle  utilité  en  retirent  les  âmes  qui  supportent  ces  états 
sans  péché  !  Si  on  les  connaissait  ces  avantages  ,  il  n'y  aurait 
personne  qui  ne  les  recherchât  et  ne  voulût  avec  grande  joie 
et  empressement  supporter  de  tels  maux  ! 


368  ESPRIT 

D'autres  fois ,  je  permets  qu'elles  tombent  dans  quelque 
illusion  pour  les  affermir  et  les  conserver  clans  l'humilité,  et 
les  empêcher  de  suivre  leur  propre  sens  et  leur  volonté... 

Tantôt  j'envoie  à  mes  grands  serviteurs  un  aiguillon  comme 
à  saint  Paul  dont  je  fis  un  vase  d'élection.  Car,  après  de  si  hau- 
tes révélations  il  aurait  pu  tomber,  et  je  voulus  lui  laisser  l'ai- 
guillon de  la  chair  pour  qu'il  se  trouvât  toujours  lui-même. — 
C'est  ainsi  qu'en  agit  encore  ma  providence  envers  les  plus 
parfaits  pour  les  faire  mériter  ,  pour  qu'ils  se  connaissent  et 
qu'ils  s'humilient,  ou  tantôt  je  me  manifeste  moi-même  à  eux 
et  je  fais  que,  me  connaissant,  ils  entrent  dans  une  profonde 
amertume  à  la  vue  des  iniquités  et  des  misères  de  ce  monde, 
de  la  damnation  des  âmes  ,  soit  en  général ,  soit  en  particu- 
lier ,  selon  que  ma  bonté  le  juge  à  propos  pour  faire  croître 
l'amour  par  cette  peine,  et  afin  que ,  stimulés  par  l'ardeur  de 
ce  désir,  ils  crient  vers  moi  avec  une  ferme  espérance,  et 
qu'éclairés  par  la  lumière  de  la  foi  ils  se  portent  à  invoquer 
mon  secours  et  à  pourvoira  leurs  nécessités.  Ainsi  ma  double 
providence  consulte  les  intérêts  du  monde  et  celui  de  mes 
serviteurs;  je  pourvois  au  retour  des  uns  ,  à  la  perfection  et 
au  bonheur  des  autres.  —  Et  faisant  enfin  qu'ils  vivent  dans 
la  tribulation  ,  je  fais  aussi  qu'ils  ne  cherchent  en  tout  que 
mon  amour  et  la  gloire  de  mon  nom  !  » 

Voilà  comment  cette  admirable  servante  de  Dieu  nous  fait 
connaître  quelques-uns  des  secrets  merveillenx  de  la  divine 
providence  envers  la  créature  raisonnable. 

Puis  viennent  la  providence  envers  l'Eglise  ,  la  providence 
envers  les  pauvres  et  la  providence  envers  tous  dans  l'autre 
vie.  Là  se  voit  le  prodige  de  science  ,  de  philosophie  et  les 
divines  inspirations  que  recelait  cette  àme  privilégiée.  — ■ 
Cédons  encore  au  plaisir  de  citer  deux  morceaux,  un  du  cha- 
pitre treizième  ,  l'autre  de  son  action  de  grâces  à  la  fin  du 
traité. 

«  Elargis  ton  cœur,  lui  dit  le  Seigneur  ,  et  ouvre  l'œil  de 
ton  intelligence  à  la  lumière  de  la  foi ,  afin  de  voir  avec  quel 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  369 

amour  et  quelle  providence  j'ai  créé  et  conduit  l'homme  pour 
le  faire  jouir  de  mon  souverain  bien  éternel ,  et  comment  j'ai 
pourvu  à  tout ,  comme  je  l'ai  déjà  dit  ,  soit  pour  l'àme  ,  soit 
pour  le  corps,  envers  les  imparfaits  et  les  parfaits  ,  les  bons 
et  les  méchants,  spirituellement  et  temporellement,  dans  le 
ciel  et  sur  la  terre ,  en  la  vie  mortelle  et  en  celle  qui  sera 
immortelle.  Pendant  que  vous  êtes  voyageurs  ici-bas  ,  je 
vous  ai  unis  par  le  lien  de  la  charité  ;  de  telle  sorte  que  ,  soit 
que  l'homme  veuille  ,  soit  qu'il  ne  veuille  pas  ,  il  est  toujours 
lié,  et  s'il  veut  se  délier  par  une  affection  qui  ne  soit  pas 
la  charité  du  prochain  ,  il  est  néanmoins  lié  par  la  nécessité 
d'aimer  quelque  chose.  » 

Le  Seigneur  ajoute  ensuite  qu'il  a  si  bien  distribué  les  ser- 
vices ,  que  les  hommes  ont  besoin  les  uns  des  autres  ;  il  en  a 
fait  de  même  dans  les  divers  membres  du  corps,  afin  de  faire 
trouver  dans  ces  services  mutuels  la  nécessité  de  la  charité  , 
laquelle  doit  unir  à  jamais  les  cœurs  dans  le  ciel.  Il  rappelle 
encore  comment  il  dédommagera  le  pauvre  par  des  richesses 
éternelles ,  comment  il  regardera  pour  fait  à.  lui-même  ce 
qu'on  aura  fait  au  dernier  de  ses  frères,  &c.  ;  comment  l'ange 
communiquera  avec  l'àme  bienheureuse  ,  et  Pâme  bienheu- 
reuse avec  l'ange  ;  enfin,  comment  il  a  tout  disposé  pour  être 
réuni  et  lié  à  lui  qui  est  le  centre  et  l'océan  de  la  charité. 

«  Mais  qui  l'a  ainsi  réglé,  poursuit-il  ?  Ma  sagesse,  de  con- 
cert avec  mon  admirable  et  douce  providence  ;  et  si  vous  vous 
rendez  en  esprit  en  purgatoire  ,  vous  y  trouverez  encore  ma 
douce  et  inestimable  providence  avec  laquelle  je  traite  les  pau- 
vres âmes  qui  par  ignorance  ont  laissé  passer  le  temps  de  la 
vie,  et  qui,  étant  séparées  du  corps,  ne  peuvent  plus  mériter  par 
elles-mêmes.  Or,  j'y  ai  pourvu  par  votre  moyen,  afin  qu'étant 
encore  dans  cette  vie  mortelle  et  ayant  le  temps ,  soit  par  vos 
aumônes,  soit  par  vos  prières,  soit  par  le  sacrifice  de  la  messe, 
par  tout  ce  que  vous  faites  en  état  de  grâce  ,  vous  puissiez  les 
délivrer,  abrégeant  le  temps  de  l'expiation  ;  et  tout  cela,  vous 
le  voyez,  c'est  ma  douce  et  perpétuelle  providence  qui  l'a  fait.  » 
t.  v.  2i- 


3"0  ESPRIT 

Après  avoir  prouvé  dans  les  chapitres  suivants  le  danger 
de  l'avarice  et  de  l'excessif  attachement  aux  biens  temporels, 
après  avoir  prouvé  la  dignité  et  l'excellence  des  pauvres  ,  et 
comment  l'œil  de  la  providence  veille  sur  eux  ,  elle  termine 
son  traité  par  celte  louange  ou  prière  d'action  de  grâces  : 

«  0  Père  éternel  !  ô  foyer,  ô  abîme  de  charité  !  0  clémence 
éternelle  ,  ô  espérance  et  refuge  des  pécheurs  !  O  largesse 
inestimable!  ô  bien  éternel  et  infini  !  ô  divine  folie  d'amour  ! 
Aviez-vous  donc  besoin  de  votre  créature  ?  Oui  ;  il  me  sem- 
ble par  tout  ce  que  je  vois,  par  tous  les  moyens  que  vous 
avez  pris ,  que  vous  ne  pouviez  pas  vivre  en  quelque  sorte 
sans  elle,  attendu  que  vous  êtes  la  vie,  de  laquelle  toute 
chose  tire  la  vie  et  que  rien  ne  vit  sans  vous.  Mais  pourquoi 
donc  ètes-vous  ainsi  devenu  fou  de  l'homme  ?  pourquoi  êtes- 
vous  devenu  si  passionné  pour  votre  ouvrage?  Vous  n'avez 
placé  vos  délices  et  tout  votre  contentement  qu'en  lui ,  et  vous 
avez  été  comme  ivre  de  son  salut  !  Votre  créature  vous  fuit, 
et  vous  allez  la  chercher  ;  elle  s'éloigne ,  et  vous  vous  appro- 
chez :  pouviez-vous  venir  plus  près  qu'en  vous  revêtant  de  son 

humanité! Et  que  dirai-je  encore?  Je  ferai  comme  un 

bègue  ,  je  dirai  a,  a ,  a,  parce  que  je  ne  puis  faire  autrement, 
ni  dire  autre  chose  ;  car  une  langue  ne  peut  exprimer  l'amour 
d'une  âme  qui  vous  désire  d'un  désir  infini.  » 

Mais ,  afin  de  ne  pas  tromper  à  l'avenir  l'attente  de  son 
Sauveur  ,  elle  le  prie  de  l'instruire  encore  sur  l'obéissance, 
qui  est  le  plus  grand  moyen  de  perfection. 

Du  Irailé  de  l'obéissance. 

Dans  le  premier  chapitre  Dieu  lui  dit  :  «  Personne  ne  peut 
entrer  au  ciel  sans  l'obéissance  ;  parce  que  la  porte  du  ciel 
qui  fut  fermée  par  la  désobéissance  d'Adam  ,  n'a  été  rouverte 
qu'avec  la  clef  de  l'obéissance.  Et  moi ,  poussé  par  mon  infi- 
nie bonté  vers  l'homme  que  j'aime  tant  et  que  je  voyais  ne 
pas  revenir  à  moi  qui  suis  sa  fin  dernière  ,  je  pris  les  clefs  de 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  371 

l'obéissance  et  je  les  plaçai  dans  les  mains  de  mon  doux  et 
aimable  Verbe  ,  ma  vérité ,  et  lui  fut  sur  la  terre  pour  ouvrir 
ensuite  le  ciel  ;  et  sans  cette  clef  dont  se  servit  ma  vérité  , 
nul  ne  peut  passer  par  la  porte  du  ciel.  —  Yoilà  pourquoi  il 
a  dit  dans  l'Evangile  :  Nul  ne  peut  aller  à  mon  Père  sinon 
par  moi  (Jean  1-4-^  ).  »  (  Page  "G.  ) 

Elle  explique  ensuite  combien  fut  grande  l'obéissance  de 
Jésus-Christ  aux  volontés  de  son  Père^  au  milieu  des  tour- 
ments ,  et  que  c'est  principalement  à  cause  de  son  obéissance 
que  Jésus-Christ  a  dit  :  Je  suis  la  voie ,  la  vérité  et  la  vie.  Car 
l'obéissance  est  en  effet  la  voie  la  plus  droite,  la  plus  courte  et 
la  plus  sûre  pour  aller  aux  cieux.  (Page  78.  ) 

Dans  le  chapitre  VI  elle  traite  de  l'excellence  de  ceux  qui 
obéissent  et  de  la  misère  de  ceux  qui  n'obéissent  pas  ,  sur- 
tout en  l'état  de  la  religion  ,  c'est-à-dire  dans  les  maisons 
religieuses  ;  puis  elle  dit  dans  le  chapitre  VIIe  que  c'est  par 
cette  vertu  qu'on  reçoit  cent  pour  un  ici-bas  et  la  vie  éter- 
nelle dans  l'avenir.  Dans  le  VIIIe  elle  traite  de  la  perversité , 
de  la  misère  ,  des  fatigues  et  des  fruits  malheureux  qui  pro- 
viennent de  la  désobéissance  ;  cela  se  rapporte  surtout  aux 
vœux  de  religion.  Voici  ce  qu'elle  dit  en  terminant  l'énumé- 
ralion  de  tout  ce  que  la  désobéissance  fait  commettre  aux  reli- 
gieux :  «  Qui  a  occasionné  tous  ces  maux ,  porté  tous  ces  fruits 
de  mort  ?  C'est  la  désobéissance.  Celui  qui  en  est  atteint  ne 
veille  plus  par  l'oraison,  et  non-seulement  par  l'oraison  men- 
tale ,  mais  encore  souvent  par  l'office  qu'il  abandonne  et  qu'il 
est  obligé  de  dire.  Il  n'a  point  de  charité  fraternelle  ,  parce 
qu'il  n'aime  personne  que  lui-même  ;  et  il  n'a  point  pour  lui- 
même  un  amour  raisonnable  ,  mais  un  amour  brutal.  Les 
fruits  enfin  que  produit  la  désobéissance  sont  en  si  grand 
nombre  que  votre  langue  ne  pourrait  suffire  à  les  raconter.  0 
désobéissance  qui  dépouilles  l'âme  de  toute  vertu  et  la  revêts 
de  tous  les  vices  !  0  désobéissance  qui  prives  l'âme  de  la  lu- 
mière de  l'obéissance,  lu  enlèves  la  paix  et  ne  répands  que  la 
guerre!  Tu  êtes  la  vie  et  donnes  la  mort  !  Tu  retires  de  la  ma- 


372  ESPRIT 

celle  de  l'obéissance  et  tu  plonges  dans  la  mer  de  toutes  les 
amertumes.  Tu  couvres  de  misères,  tu  fais  mourir  de  faim,  en 
retirant  le  pain  quotidien  du  mérite  de  l'obéissance;  tu  sous- 
trais à  l'âme  toutes  ses  délices,  ses  joies ,  son  bien,  et  la  pré- 
cipites dans  un  abîme  de  maux  !  Dès  celte  vie  tu  commences 
à  faire  porter  les  arrhes  des  supplices  éternels ,  et  si  elle  ne 
se  corrige  point  cette  âme  égarée  ,  si  elle  ne  s'attache  pas  à  la 
nacelle  de  l'ordre,  toi,  ô  désobéissance,  tu  la  conduiras  â 
l'éternelle  damnation  et  au  partage  des  démons  que  l'orgueil 
et  la  révolte  firent  tomber  du  ciel  ,  et  rouler  dans  les  profon- 
deurs de  l'abîme.  Vous  aussi,  si  vous  êtes  rebelles,  et  si  vous 
jetez  loin  de  vous  la  clef  de  l'obéissance  qui  ouvre  au  ciel , 
avec  la  clef  de  la  désobéissance  qui  a  ouvert  la  porte  de 
l'enfer  ,  vous  y  serez  précipités  pour  toujours.  »  (  P.  107.  ) 

Dans  le  chapitre  IXe ,  elle  attribue  à  la  désobéissance  tou- 
tes les  imperfections  et  la  tiédeur  dans  laquelle  vivent  plu- 
sieurs âmes  religieuses  ,  et  trouve  un  remède  à  cette  tiédeur 
dans  la  promptitude  de  l'obéissance  en  tous  temps  ,  en  tout 
lieu,  et  envers  tous. 

Excellence  de  Tobéissaucc  et  biens  qu'elle  produit  lorsqu'on  la  pratique 
véritablement. 

«  0  délicieuse  obéissance  !  ô  obéissance  charmante!  obéis- 
sance suave  !  obéissance  illuminative  !  car  c'est  vous  qui 
avez  dissipé  les  ténèbres  de  l'amour-propre!  obéissance  qui 
vivifiez  l'âme  qui  vous  a  choisie  en  lui  donnant  la  vie  de  la 
grâce  et  l'affranchissez  de  la  mort  de  la  volonté  propre  qui 
ne  produit  que  guerre  et  ruine.  Vous  êtes  si  généreuse,  que 
toute  créature  raisonnable  veut  vous  être  soumise  ;  vous  êtes 
si  douce  et  si  compatissante  ,  que  vous  faites  porter  avec  fa- 
cilité et  douceur  les  plus  grands  fardeaux  qu'on  puisse  im- 
poser, parce  que  vous  êtes  accompagnée  de  la  force  et  de  la 
vraie  patience  et  couronnée  de  la  couronne  de  la  persévé- 
rance. Vous  ne  venez  pas  à  nous  avec  l'imporlunité  d'un  su- 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  373 

périeur,  ni  avec  des  poids  accablants  dont  on  charge  sans 
discrétion ,  mais  c'est  avec  les  lumières  de  la  foi  que  vous  pres- 
crivez toutes  choses.  Vous  êtes  si  étroitement  unie  avec  l'hu- 
milité qu'aucune  créature  ne  peut  vous  arracher  des  mains  du 
saint  désir  de  l'âme  qui  vous  possède.  Mais  que  dirai-je  encore 
de  cette  très-excellente  vertu  ?  Je  dirai  que  c'est  un  bien  sans 
aucun  mal;  que  c'est  une  nacelle  à  laquelle  aucun  vent  con- 
traire ne  peut  nuire  ;  qu'elle  fait  naviguer  l'âme  sur  les  bras 
de  l'ordre  et  de  ses  supérieurs  et  non  sur  les  siens  ,  car  le 
véritable  obéissant  n'a  point  à  me  rendre  compte  de  lui  (c'est 
Dieu  qui  parle  ) ,  mais  c'est  au  supérieur  à  le  faire  pour  lui  à 
sa  place. 

Rendez-vous  donc  amoureuse  de  cette  vertu ,  ô  ma  très- 
chère  Fille  :  voulez-vous  me  témoigner  votre  gratitude  pour 
les  bienfaits  reçus  ?  soyez  obéissante  ;  car  c'est  l'obéissance 
qui  prouve  si  vous  êtes  reconnaissante ,  si  votre  sensibilité 
procède  de  la  charité  ,  si  elle  n'est  pas  ignorante  ,  mais  si  au 
contraire  elle  provient  de  la  connaissance  que  vous  avez  de 
moi.  C'est  pourquoi  le  Verbe ,  qui  connaissait  tout  le  prix  de 
cette  vertu ,  la  choisit  et  la  pratiqua  jusqu'à  la  mort  de  la 
croix »  (Page  112.) 

Dans  le  XIIe  chapitre  ,  après  avoir  établi  le  mérite  de 
l'obéissance ,  et  avoir  dit  que  tout  ici-bas  obéit ,  la  terre , 
l'eau ,  les  animaux  ,  tant  cette  vertu  est  fortement  imprimée 
partout  et  agréable  à  Dieu  ,  elle  dit  que  c'est  celle  à  laquelle 
Dieu  a  accordé  plus  de  puissance  et  de  miracles,  et  elle  cite 
quelques  exemples  ,  entre  autres  celui  d'un  religieux  qui  par 
obéissance  arrosait  un  bâton  sec  qu'on  lui  avait  fait  planter  et 
qui  le  vit  fleurir  et  porter  du  fruit ,  et  celui  de  saint  Maur  , 
soutenu  sur  les  eaux  par  son  obéissance.  Elle  dit ,  ou  plutôt 
c'est  Dieu  qui  lui  parle  ainsi  :  «  En  toutes  choses,  si  tu  ou- 
vres l'œil  de  ton  intelligence  ,  tu  trouveras  que  je  t'ai  montré 
l'excellence  de  cette  vertu.  Tout  doit  céder  à  l'obéissance;  si 
tu  étais  élevée  en  un  tel  état  de  contemplation  et  d'union  d'es- 
prit avec  moi ,  que  ton  corps  fût  suspendu  en  l'air,  si  l'obéis- 


3'i  ESPRIT 

sance  t'ordonnait  de  descendre,  In  devrais  le  faire  aussitôt  ;  je 
dis  ceci  généralement  parlant ,  car  on  ne  doit  se  retirer  de 
l'oraison  que  par  nécessité ,  charité  ou  obéissance.  Et  si  je 
vous  dis  cela,  ce  n'est  qu'afin  que  vous  voyiez  combien  doit 
être  prompte  l'obéissance  de  mes  serviteurs  ,  et  combien  elle 
m'est  agréable.  Au  reste  tout  ce  que  fait  l'homme  obéissant 
est  méritoire.  S'il  mange  ,  c'est  l'obéissance  qui  mange;  s'il 
dort,  c'est  l'obéissance  qui  dort;  s'il  va ,  s'il  s'arrête,  s'il 
jeûne  ,  s'il  veille,  tout  cela  c'est  l'obéissance  qui  le  fait.  S'il 
sert  le  prochain  ,  il  sert  l'obéissance  ;  s'il  est  au  chœur ,  au 
réfectoire  ou  dans  la  cellule,  qui  le  dirige  ,  qui  le  fait  rester? 
c'est  l'obéissance  avec  la  lumière  de  la  foi  dans  laquelle  il  se 
jette  mort  à  toute  volonté  propre....  Et  que  mange  et  que  boit 
cette  épouse  de  l'obéissance?  elle  mange  la  connaissance  de 
moi-même  et  d'elle-même  ;  connaissant  son  néant  et  ses 
défauts  ,  et  me  connaissant  moi  ,  quis  suis  celui  qui  suis  , 
en  qui  elle  goûte  et  mange  ma  vérité  ,  la  vérité  qu'il  a  connue 
par  le  Verbe  incarné.  Et  que  boit-elle?  du  sang  :  le  sang  par 
lequel  le  Verbe  à  démontré  et  scellé  ma  vérité  et  l'amour  inef- 
fable que  j'ai  pour  les  âmes  et  par  lequel  sang  il  a  prouvé 
son  obéissance  envers  moi  qui  suis  son  père.  » 

Son  traité  se  termine  par  une  longue  prière  d'action  de 
grâces  dont  nous  donnons  une  partie  :  «  Grâces ,  grâces  vous 
soient  rendues  ,  dit-elle,  à  vous  ,  Père  éternel  ,  qui  n'avez 
pas  méprisé  l'ouvrage  de  vos  mains  et  qui  n'avez  pas  dé- 
tourné votre  visage  de  moi  ni  rejeté  mes  désirs  ;  lumière 
que  vous  êtes,,  vous  n'avez  pas  considéré  que  je  ne  suis  que 
ténèbres;  vie,  vous  n'avez  pas  regardé  que  je  ne  suis  que 
mort;  médecin  ,  vous  avez  pris  sur  vous  mes  infirmités;  pu- 
reté éternelle  ,  vous  ne  vous  êtes  pas  éloigné  de  moi  qui  suis 
pleine  de  la  boue  de  bien  des  misères  ;  vous  qui  êtes  infini  , 
vous  venez  à  moi  qui  suis  finie  ;  vous  qui  êtes  sagesse ,  vous 
me  cherchez  moi  qui  ne  suis  que  folie.  Pour  tant  de  défauts 
et  de  maux  qui  sont  en  moi ,  votre  sagesse  ,  votre  bonté,  votre 
clémence,  votre  sainteté  infinie,  n'ont  point  conçu  de  mépris  : 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE.  375 

qu'est-ce  donc  qui  peut  vous  avoir  porté  à  tant  d'indulgence? 
Ce  n'est  point  mon  mérite  ,  c'est  votre  seule  charité.  Oh  !  que 
cette  même  charité  vous  porte  encore  à  illuminer  l'œil  de 
mon  intelligence  par  la  lumière  de  la  foi ,  afin  que  je  con- 
naisse et  que  je  suive  la  vérité  que  vous  m'avez  manifestée. 
Faites  que  ma  mémoire  soit  capable  de  retenir  le  souvenir  de 
vos  bienfaits  ;  que  ma  volonté  brûle  du  feu  de  votre  charité, 
et  que  ce  feu  fasse  germer  et  fructifier  votre  sang  dans  mon 
corps  ,  afin  qu'avec  ce  sang  donné  par  amour  pour  mon 
sang  et  avec  la  clef  de  l'obéissance  ,  je  puisse  ouvrir  la  porte 
du  ciel. 

0  Trinité  éternelle!  ô  éternelle  déité  !  vous  êtes  une  mer 
sans  fond  où  plus  on  entre,  plus  on  vous  trouve,  et  plus  on 
vous  trouve  ,  plus  on  vous  cherche.  Vous  êtes  insatiable  , 
et  pouvant  rassasier  l'âme  qui  s'abîme  en  vous  ,  vous  ne  la 
rassasiez  pas  ,  car  il  lui  reste  toujours  une  faim  de  vous  ,  ô 
Trinité  éternelle!  désirant  de  voir  votre  lumière  dans  votre 
lumière.  Et  tel  que  le  cerf  altéré  soupire  après  une  fontaine 
d'eau  vive  ,  telle  mon  âme  désire  s'échapper  de  cette  prison 
ténébreuse  du  corps  pour  vous  contempler  en  vérité.  Oh  ! 
jusques  à  quand  encore  scra-l-elle  cachée  à  mes  veux  votre 
face  divine  ,  ô  éternelle  Trinité,  ô  feu  ,  ô  abîme  de  chanté  ! 
Dissipez  ,  dès  ce  moment ,  le  nuage  de  mou  corps  ;  la  con- 
naissance que  vous  m'avez  donnée  de  vous  par  votre  vérité  , 
me  force  à  désirer  de  laisser  le  fardeau  de  mon  corps  et  de 
donner  ma  vie  pour  la  gloire  et  la  louange  de  votre  nom.... 
O  abîme!  ô  déité  éternelle!  ô  mer  profonde!  et  que  pouvez- 
vous  me  donner  de  plus  que  de  vous  donner  vous-même  à 
moi  ?  » 


376  TIERS  ORDRE  DE  SAINT-DOMINIQUE. 

NOTES  SUR  LE  TIERS  ORDRE  DE  SAINT-DOMINIQUE 
Et  sur  les  reliques  de  sainte  Catherine  de  sienne. 


L'année  de  l'établissement  du  tiers  ordre  de  Saint-Dominique  ou  de 
la  Pénitence  n'est  pas  très-certaine.  Les  uns  veulent  qu'il  ait  été  insti- 
tué avant  celui  de  Saint-François  ,  et  par  conséquent  avant  la  mort  de 
saint  Dominique  ;  les  autres,  au  contraire,  après  la  mort  du  saint  fon- 
dateur. Plusieurs  discussions  se  sont  élevées  à  ce  sujet  ;  mais  le  célèbre 
général  des  Frères  Prêcheurs ,  Raymond  de  Gapoue  ,  qui  n'est  pas 
suspect  et  qui  a  fait  de  grandes  recherches ,  embrasse  l'opinion  que 
ce  n'est  qu'après  la  mort  de  saint  Dominique ,  et  lorsque  les  chevaliers 
de  la  sainte  milice  posant  leurs  armes  ,  s'appelèrent  l'Ordre  de  la  Pé- 
nitence, que  le  tiers  ordre  parut. 

La  règle  que  le  Père  Munio  de  Zamorra  écrivit  pour  les  Frères  et 
Sœurs  du  tiers  ordre,  ne  fut  approuvée  par  Innocent  Vil,  qu'en  1405. 
—  Il  y  avait  dans  cet  ordre,  des  filles  qui  faisaient  des  vœux  solen- 
nels et  étaient  véritablement  religieuses.  Leur  habillement  était  sem- 
blable à  celui  du  second  ordre  ,  sauf  le  long  voile  blanc.  —  C'est  dans 
le  tiers  ordre  que  vécut  sainte  Catherine  de  Sienne  qui  en  fut  même  , 
dit-on,  la  réformatrice.  Parmi  les  illustrations  de  cet  ordre,  on  doit 
compter  sainte  Rose  de  Lima,  Ingride  de  Suède  ,  Marguerite  de  Hon- 
grie ,  Sybille  de  Pavie ,  Marguerite  de  Château  ,  Colombe  de  Riéti  , 
Ozanne  de  Mantoue,  Marguerite  de  Savoie  ,  Luce-la-Chaste ,  etc.,  etc. 

(Voyez  Hernando  de  Castillo  ,  Juan  Lopez ,  Thomas  Maluend  ,  An- 
nal pred.,  Gio  Michel  Pio  ,  Délia  nobil.  prog.  de  S.  Dominic.  Hélyot , 
t.  3,  p.  2i6 ,  et  notre  2e  volume  ,  pag.  193.  ) 

Sur  les  reliques  et  le  monument  de  sainte  Catherine  de  Sienne. 

La  tête  de  sainte  Catherine  de  Sienne  repose  dans  l'église  du  monas- 
tère des  Dominicains  de  Sienne.  Elle  est  renfermée  dans  une  châsse 
d'un  travail  remarquable  et  déposée  sur  l'autel  de  la  chapelle  qui  porte 
son  nom  ;  deux  clefs  ferment  ce  coffret  sacré  qui  renferme  un  si  riche 
trésor  :  l'une  est  conservée  par  les  religieux  du  couvent,  l'autre  par  le 
sénat.  Une  barrière  de  fer  doré  protège  cette  enceinte.  Un  buste  d'ar- 
gent laisse  voir  aux  pieux  visiteurs  cette  tète  vénérée  ,  mais  qu'on  ne 
montre  qu'à  certains  temps. 

A  l'époque  de  la  translation  de  ces  reliques ,  le  sénat  en  corps  et 
précédé  par  l'agréable  son  des  fanfares  et  des  divers  instruments  de 
musique  ,  se  rendit  au-devant  de  la  tète  de  l'illustre  Sainte  et  Faccom- 


RELIQUES  ET  MONUMENT  DE  SAINTE  CATHERINE.  377 

pagna  dans  l'église  dos  Dominicains  ,  où  une  octave  fut  célébrée  ,  etc. 
Mais  n'oublions  point  de  dire  qu'à  cette  translation  se  trouvait  la  véné- 
rable mère  de  sainte  Catherine ,  la  bonne  et  respectable  Lapa  ,  mère 
de  vingt-cinq  enfants  et  âgée  de  quatre-vingt-dix  ans.  Elle  entendit 
plusieurs  fois  la  chaire  chrétienne  retentir  des  louanges  de  sa  sainte 
fille. 

C'est  dans  l'église  de  Sainte-Marie-sur-Minerve  ou  des  Dominicains  , 
à  Rome ,  et  dans  la  chapelle  dite  du  Rosaire ,  sous  l'autel  consacré  par 
Renoit  XIII  ,  qu'on  voit  et  qu'on  vénère  le  corps  de  sainte  Catherine  de 
Sienne  (1).  Les  peintures  de  la  voûte  avec  les  quinze  mystères  sont  de 
Marcellus  Venusti  ;  le  couronnement  d'épines  seulement  est  du  Vénitien 
{  Carolo  Vcne&iano  )  ;  les  peintures  latérales  qui  représentent  diverses 
actions  de  la  vie  de  la  Sainte ,  furent  faites  par  Gio  de  Vecchi  ;  la  Vierge 
qui  est  sur  l'autel  est  de  R.  Giovanni ,  surnommé  Vàsari,  pittore  an- 
gelico.  Le  groupe  de  marbre  avec  la  Mère  de  Dieu  ,  Jésus  et  Jean-Rap- 
tiste  ,  qui  s'élève  derrière  l'autel  ,  sont  de  Francesco  Siciliano  ;  et  de 
l'autre  côté  la  fameuse  statue  en  pied  de  Notre-Seigneur  tenant  la  croix, 
est  de  Michel-Ange  Buonaroli. 

A  Sienne  ,  la  maison  de  sainte  Catherine  ,  rue  de  l'Oie  ,  et  la  bouti- 
que du  teinturier  la  Fullonica  ,  de  son  père ,  dans  la  même  rue ,  sont 
devenues,  par  décret  du  Conseil  de  la  République  de  la  commune  ,  de 
pieux  oratoires  magnifiquement  ornés.  Les  peintures  représentent  les 
divers  traits  de  l'histoire  merveilleuse  de  la  Sainte.  On  y  distingue  dans 
la  maison  ,  YObsédée  délivrée  par  sainte  Catherine  ,  peinture  grandiose 
et  paolesque  de  Sorri  ;  le  Christ  prenant  le  cœur  de  la  Sainte  ;  les  deux 
couronnes  qui  lui  sont  offertes  ,  de  François  Yanni;  la  voûte  est  un  des 
ouvrages  les  plus  vantés  de  Nasini  ,  et  l'image  miraculeuse  de  Jésus- 
Christ  crucifié  qui  stygmatise  la  sainte  ,  est  l'ouvrage  de  Giunta  de 
Pise. 

A  l'oratoire  de  l'ancienne  Fullonica ,  sont  les  stygmates  de  la  sainte 
du  Sodome  ;  deux  loges  gracieuses  de  Cozarelli  ;  l'idéale ,  la  riche 
visite  de  sainte  Catherine  à  sainte  Agnès  de  Montepulciano  morte  ,  de 
Pacchiarotto  ,  et  la  Sainte  poursuivie  par  le  peuple  florentin  ,  de  Ven- 
tura Salimbeni. 

Dans  l'église  de  Saint-Dominique  ,  on  voit  encore  de  très-beaux 
tableaux  de  la  Sainte.  Elle  y  est  représentée  récitant  l'office  avec  Jésus- 
Christ ,  puis  son  portrait,  son  évanouissement,  sa  mort;  ces  sujets 
sont  de  Casolani  Ganiberelli  ,  de  Giotto  ,  de  François  Vanni  et  le  So- 
dome ,  de  ce  dernier  est  l'évanouissement  de  la  Sainte  ,  secourue  par 
deux  sœurs  ,  œuvre  attendrissante ,  raphaëlesque  et  chef-d'œuvre  de  ce 
peintre.  (V.) 

Enfin  ,  dans  l'église  de  la  Maison  dite  il  Refugio  ,  où  sont  élevées  les 
jeunes  filles  nobles  ,  il  y  a  un  Spo&ali&io  de  sainte  Catherine  ,  par 
François  Vanni ,  œuvre  très-remarquable. 

(1)  On  verra  par  l'inscription  ci-dessous  qu'il  repose  maintenant  sous  le  maître-autel 
de  ladite  Eglise. 


378  RELIQUES  ET  MONUMENT  DE  SAINTE  CATHERINE. 

Disons  encore  que  Rome  et  Sienne  ne  sont  pas  les  seules  villes  qui 
possèdent  des  reliques  de  cette  illustre  Sainte  :  on  on  conserve  chez  les 
Dominicains  de  Cologne  ,  à  Saint-Jacques,  à  Paris  ,  à  Venise  ,  à  Poissy 
et  à  saint  Barthélémy  de  Salerne.  Le  pape  Grégoire  Xll  qui  avait  reçu 
en  présent  une  dent  de  la  Sainte  ,  la  porta  toute  sa  vie  ,  à  son  cou  ,  en- 
châssée dans  un  reliquaire  d'or. 

(Voyez  Touron,  Ilisl.  des  hom.  illust.  de  saint  Dominique,  tome  2 , 
page  5G3  ;  Acta  Sanctorum,  t.  5  aprilis  et  seq.  ;  Roma  antiqua  et 
moderna  ,  et  Valéry ,  Voy.  art.  scient,  et  litt.  ) 

Inscription  placée  au  bas  du  maître-autel 

sous  leqoel  reposent  les  reliques  de  sainte  Catherine  de  Sienne ,  dans  l'église  de  la  lîincne,  à  Rome. 

Anno  Domini  MDCCCLV, 
Sedente  Pio  IX  Pont,  raaximo, 
Ord.  Prsed.  administrante  Vincentio  Jandel ,  Vie.  gen. 
Rom.  Prov.  régente  P.  M.  Michaele  Milella, 
Conv.  Minerv.  gubernante  P.  M.  Hieronimo  Gigli , 
Templo  magnificentius  instaurato , 
Corpus  S.  Catharinœ  Virg.  Senen. , 
Quod  antea  sub  ara  SS.  Rosarii  jacueral, 
Solemni  supplicalione  per  urbem  delatum  , 
Deinde  per  triduum  fidelium  venerationi 
Diebus  VI ,  VII  et  VIII  augusti , 
Cunctis  plaudentibus  expositum  , 
Tandem  die  IX  ejusdem  mensis  et  anni  transfertur, 
et  sub  hac  ara  maxima 
in  aevum  reconditur. 
Ora,  pia  Virgo  ,  et  intercède  pro  nobis  ad  Deum. 


y 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  LIDWINE, 

OU  CONDUITE  DE  DIEU  SUR  CETTE  ILLUSTRE  VIERGE  (1). 


1433. 

Lidwine  naquit  en  Hollande ,  dans  la  ville  de  Scheida  ou 
Schiedam ,  de  parents  pauvres ,  mais  recommandables  par 
leur  piété  ;  ce  fut  le  dimanche  des  Rameaux  de  l'an  1308  que 
cet  enfant  de  bénédiction  fut  donné  à  sa  famille  ;  elle  entra 
dans  la  vie  au  moment  où  l'on  chantait  à  la  Messe  la  Passion 
de  Notre  -  Seigneur  Jésus-Christ ,  circonstance  admirable 
dont  on  reconnaîtra  plus  loin  le  mystère;  elle  reçut  aux  fonts 
sacrés  le  nom  de  Lidwie  ou  Lidwine,  qui  dans  la  langue  ger- 
manique signifie  grande  patience,  nom  prophétique,  comme 
il  sera  donné  de  le  voir  par  les  tribulations  de  sa  vie  entière... 
Ouvrons  donc  sa  carrière ,  et  entrons  avec  elle  dans  l'écono- 
mie de  Dieu  qui  lui  envoya  tant  de  douleurs. 

(1)  Sainte  Lidwine  n'ayant  point  écrit,  mais  sa  vie  étant  une  des  plus  merveil- 
leuses et  des  plus  propres  à  faire  admirer  les  voies  par  lesquelles  Dieu  conduit 
les  âmes  privilégiées,  nous  avons  cru  devoir  en  donner  l'abrégé,  en  ayant  soin 
de  citer  les  paroles  remarquables  de  cette  sainte.  Nous  omettons  la  Notice,  puis- 
que c'est  sa  vie  même  qui  forme  cet  article;  nous  avons  puisé  dans  la  vie  écrite 
par  le  révérend  père  Jean  Bruchman  ,  religieux  de  l'ordre  des  Mineurs  de  l'Ob- 
servance ,  et  d'après  la  traduction  faite  sur  les  Actes  des  Saints. 


380  ESPRIT 

Dès  sa  naissance,  elle  fut  en  proie  à  cette  maladie  cruelle 
qu'on  appelle  le  charbon  ;  chaque  fois  qu'elle  pleurait  ou 
criait  à  la  façon  des  enfants  ,  elle  en  jetait  plusieurs  par  la 
bouche  avec  des  déchirements  affreux. 

Dès  l'âge  de  sept  ans ,  elle  faisait  dans  sa  maison  le  travail 
d'une  servante ,  travail  qu'elle  alliait  ta  une  pratique  conti- 
nuelle de  dévotion  à  Marie ,  en  récitant  souvent  des  prières  en 
son  honneur,  surtout  l'angélique  salutation. 

A  peine  à  sa  douzième  année ,  on  vit  percer  en  elle  un 
esprit  d'observation  fort  rare ,  une  prudence  et  une  sagesse 
déjà  parvenues  à  leur  maturité.  Elle  connut  les  dangers  du 
monde  et  les  évita  soigneusement. 

Au  milieu  de  la  séduction  qui  l'environnait ,  elle  ne  cessait 
de  dire  à  Dieu  :  «  Seigneur  mon  Dieu  ,  préservez  mon  cœur  , 
ce  cœur  qui  est  à  vous  ,  de  tout  amour  corrompu,  et  ne  per- 
mettez pas  que  je  le  donne  jamais  à  aucune  créature;  gar- 
dez-le, je  vous  en  conjure,  et  entourez-le  sans  cesse  de  vos 
grâces  préservatives  comme  d'un  rempart.  » 

Elle  repoussa  toute  proposition  d'établissement,  et  disait  à 
son  père  qui  la  pressait  souvent  :  «  Mon  père  ,  j'aime  trop  ma 
virginité  pour  la  sacrifier  à  un  époux  mortel  ;  c'est  au  Roi  du 
ciel  que  je  veux  être  unie  ,  et  déjà  il  a  reçu  mes  promesses  ;  si 
vous  m'aimez  en  père,  ne  me  parlez  plus  de  ces  hommes  pour 
lesquels  je  ne  me  sens  que  de  l'éloignement  et  du  dégoût...  » 

Elle  ajoutait  :  «  Si  on  veut  me  contraindre  ,  j'obtiendrai  de 
Jésus  quelque  difformité  si  repoussante,  que  personne  ne 
voudra  plus  de  moi.  » 

Elle  était  toujours  attentive  à  se  dérober  aux  regards  des 
hommes,  demeurait  dans  la  solitude  et  priait  sans  relâche 
pour  la  conservation  de  sa  virginité. 

Sa  ferveur  dégagée  de  toute  pensée  de  la  terre,  devint 
vraiment  céleste,  son  amour  semblait  jeter  des  flammes  de 
tout  côté  ;  cependant  Dieu  ne  voulut  l'admettre  à  ses  ineffa- 
bles communications  ,  qu'après  l'avoir  purifiée  au  creuset  des 
souffrances  cl  des  humiliations. 


DE  SAINTE  L1DWINE.  381 

Lidwine  tomba  malade  d'une  chute  sur  la  glace  ,  lorsqu'à 
peine  elle  se  relevait  d'une  longue  maladie  qui  avait  entière- 
ment ruiné  sa  santé  ;  elle  se  rompit  une  côte  :  malgré  leur 
pauvreté,  ses  parents  lui  firent  prodiguer  par  les  hommes  de 
l'art  les  plus  renommés  du  pays,  tous  les  soins  nécessaires  à 
saguérison;  mais  tous  leurs  sacrifices  demeurèrent  sans  le 
moindre  succès  ,  la  maladie  votait  de  trop  haut ,  comme  s'ex- 
prima le  célèbre  médecin  Hollandais  ,  Souder-Dank  ;  et  Hip- 
pocrate  et  Galien  n'auraient  pas  été  moins  impuissants  que 
leurs  disciples.  Lidwine  abandonnée  des  médecins  mit  en 
Dieu  seul  toute  son  espérance  ;  cet  abandon  à  la  volonté  de 
Dieu  lui  valut  un  surcroît  de  patience  ;  ses  douleurs  devinrent 
cruelles. 

Elle  tomba  dans  un  état  d'infirmité  vraiment  lamentable; 
elle  était  réduite  à  marcher  sur  les  genoux  et  sur  les  mains,  ou 
à  ramper  comme  un  serpent  d'un  lieu  à  un  autre.  Telle  était 
cette  jeune  vierge  naguère  si  belle,  si  fraîche,  si  aimable, 
comme  une  fleur  aux  plus  beaux  jours  du  printemps. 

Cependant  ses  infirmités  croissaient  sans  cesse ,  son  esto- 
mac débilité  devenait  incapable  de  supporter  même  le  plus 
léger  aliment  ;  consumée  par  une  soif  dévorante ,  elle  était 
bientôt  forcée  par  le  vomissement  à  rejeter  les  tristes  breuva- 
ges qui  ne  faisaient  qu'irriter  sa  soif  au  lieu  de  l'apaiser  ;  le 
soleil  fuyait  loin  de  ses  yeux,  et  la  nuit  et  le  jour  elle  arrosait 
sa  couche  de  ses  larmes.  Dieu  ne  la  soutenait  pas  encore  par 
ses  goûts  divins. 

Trois  ans  s'étaient  déjà  écoulés  depuis  qu'elle  gémissait 
dans  un  si  douloureux  état ,  lorsque  Dieu  commença  à  éprou- 
ver par  un  miracle  combien  elle  lui  était  chère;  elle  sauva  la 
vie  à  un  homme  que  poursuivait  avec  fureur,  le  glaive  à  la 
main,  après  une  querelle,  un  ennemi  acharné. 

Oserons-nous  le  dire?  et  les  âmes  délicates  n'en  seront- 
elles  pas  effrayées  !  mais  nous  le  devons  à  la  consolation  des 
âmes  souffrantes  et  à  la  manifestation  des  secrets  de  Dieu  sur 
ses  élus  ;  un  apostème  qu'elle  avait  s'élant  ouvert  plusieurs 


382  ESPRIT 

fois  ,  la  gangrène  s'y  établit,  corrompit  les  parties  voisines  et 
pénétra  jusqu'aux  intestins  ;  la  putréfaction  fit  naître  des  vers  ; 
ils  se  multiplièrent  d'une  manière  effroyable  et  se  nourris- 
saient de  sa  substance;  bientôt  après  il  se  forma  dans  son 
épaule  droite  une  plaie  dont  les  chairs  se  pourrirent  en  peu  de 
temps;  à  cela  se  joignit  un  nouveau  mal  qu'on  appelle  le  feu 
sacré  ;  elle  sentait  ensuite  des  élancements  si  violents  dans  le 
crâne ,  que  la  chair  de  son  front  se  fendit  de  haut  en  bas  ;  sa 
langue  s'enfla  de  telle  sorte  qu'elle  ne  pouvait  plus  parler  ; 
un  de  ses  yeux  s'éteignit  entièrement,  et  l'autre,  devenu  d'une 
faiblesse  extrême,  ne  pouvait  supporter  la  lumière.  Enfin, 
pour  abréger  un  détail  si  effrayant,  elle  vomissait  continuelle- 
ment le  sang,  et  lorsqu'un  jour  on  lui  demandait  d'où  lui  pou- 
vait venir  cette  quantité  de  sang ,  puisqu'elle  ne  prenait  au- 
cune nourriture:  «Dites-moi,  répondit-elle,  vous  qui  êtes 
plus  savants  que  moi ,  d'où  peut  venir  ,  au  printemps  ,  celte 
abondante  liqueur  à  la  vigne  qui  paraît  si  sèche  et  morte  pen- 
dant la  saison  de  l'hiver  ?  » 

Sa  poitrine  se  couvrit  de  pustules ,  ses  poumons  tombèrent 
en  dissolution  et  elle  les  rendit ,  d'après  l'attestation  de  té- 
moins oculaires  et  instruits,  par  petits  morceaux.  A  tous 
ces  maux  se  joignit  un  chancre  qui  à  lui  seul  fut  un  vrai  mar- 
tyre. Grand  Dieu!  pouviez-vous  entasser  plus  de  maux  sur 
cette  faible  vierge  !... 

Cependant ,  deux  nouvelles  pustules  s'étant  formées  l'une 
sous  le  bras  ,  l'autre  dans  la  région  du  cœur,  et  lui  en  ayant 
révélé  les  dangers  ,  toute  contente,  elle  dit  au  Seigneur  : 

«  Deux  pustules,  c'est  bien;  mais  trois  seraient  encore 
mieux  ,  en  honneur  de  la  Trinité  sainte  ,  pourvu  toutefois  que 
cela  soit  conforme  à  votre  bon  plaisir.  » 

Le  Seigneur  l'exauça  ;  un  troisième  bouton  de  peste  se  dé- 
clara sur  la  joue  ;  et  enfin  une  paralysie  affecta  ses  pieds  et 
ses  jambes  pendant  plusieurs  années.  La  voilà  donc  crucifiée, 
macérée  ,  percée ,  dévorée  de  tout  son  corps  ;  cependant  elle 
souffrit  ce  long  martyre  sans  que  sa  patience  se  démentît  un 


DE  SAINTE  LIDWINE.  383 

seul  moment,  si  ce  n'est  dans  le  principe  ,  alors  que  Dieu  , 
pour  la  perfectionner ,  la  laissait  avancer  par  les  degrés  même 
des  imperfections  humaines... 

Le  calvaire  devint  l'école  de  Lidwine  ,  et  c'est  de  Jésus  cru- 
cifié qu'elle  apprit  l'alphabet  des  Saints  :  pour  ne  pas  perdre 
de  vue  ce  divin  Maître  des  souffrances,  elle  divisa  le  jour  en 
sept  parts ,  et  la  passion  de  Jésus-Christ  en  autant  de  parties 
correspondantes  ,  et  elle  était  si  fidèle  à  donner  le  temps 
prescrit  à  chaque  considération  ,  qu'on  aurait  dit  qu'elle  avait 
une  horloge  dans  l'esprit.  Elle  ne  tarda  pas  à  ressentir  les 
heureux  effets  de  ce  saint  exercice  et  h  en  recueillir  des  fruits 
admirables  de  patience  et  d'union  intime  à  Jésus-Christ. 

Au  milieu  des  douleurs  les  plus  atroces  qui  lui  occasion- 
naient des  grincements  de  dents ,  si  on  lui  demandait  quel- 
quefois si  elle  voudrait  en  être  guérie  :  «  Non,  non,  répon- 
dait-elle; et,  s'il  ne  fallait  qu'un  Are.  Maria  pour  opérer  ce 
miracle  ,  je  ne  le  dirais  pas  ;  j'aime  bien  mieux  ressembler  à 
mon  Jésus  que  ne  lui  ressembler  pas  ,  être  affligée  par  la  vo- 
lonté de  Dieu  ,  que  consolée  par  ma  volonté  propre.  » 

Le  bois  que  l'on  donne  au  feu  ne  fait  qu'augmenter  son  ar- 
deur ,  et  les  maux  de  Lidwine  ne  faisaient  que  perfectionner 
sa  patience.  Docile  à  la  main  de  Dieu  qui  la  façonnait ,  elle 
ne  se  plaignait  pas  davantage  que  l'argile  sous  la  main  du 
potier,  que  l'or  dans  la  fournaise  ,  et  que  le  fer  sous  le  mar- 
teau du  forgeron  ;  cependant,  il  est  vrai  de  dire  qu'il  la  trai- 
tait d'une  manière  à  peu  près  semblable.  Nous  n'insistons 
plus  sur  mille  autres  mots  et  sur  mille  circonstances  qui  ne 
servaient  qu'à  les  aggraver.  Il  faudrait  écrire  toute  sa  vie; 
tachons  de  recueillir  le  plus  de  paroles  que  nous  pourrons. 

Le  concours  des  étrangers  auprès  de  Lidwine  devenait 
tous  les  jours  plus  considérable  :  tout  le  monde  voulait  la 
voir,  les  uns  pour  s'édifier,  les  autres  pour  la  juger ,  d'autres 
pour  recourir  à  son  intercession.  Lorsque  des  curieux  ma- 
nifestaient leur  étonnement  sur  le  genre  de  ses  maladies  ou 
sur  sa  patience  ,  elle  leur  disait  : 


384  ESPRIT 

ce  Qu'admirez-vous  donc,,  mes  Frères?  Comment  je  puis 
vivre  sans  manger!  Mais  le  pain  n'est  pas  l'unique  nourriture 
de  l'homme.  Comment  je  puis  être  hydropique  ne  buvant  ni 
ne  mangeant  ?  Mais  Dieu  n'a  pas  besoin  de  matière  pour  faire 
ce  qu'il  veut!  Comment  je  puis  sans  mourir  supporter  tant  de 
souffrances?  Mais  celui  qui  me  les  donne  est  l'auteur  de  la  vie 
et  il  veut  que  je  vive  :  le  mal  ne  me  tuera  que  lorsqu'il  plaira 
à  ce  bon  Maître  de  m'appeler  à  lui.  Ma  situation  vous  touche 
et  vous  effraie?  Vous  méjugez  bien  malheureuse  d'être  acca- 
blée de  tant  de  maux  ?  Ah  !  c'est  que  vous  voyez  seulement  la 
croix  que  je  porte  et  non  l'onction  intérieure  qui  me  console. 
Les  consolations  en  moi  sont  proportionnées  aux  épreuves  ; 
et  je  les  trouve  si  délicieuses ,  que  je  ne  les  changerais  pas 
pour  tous  vos  plaisirs.  » 

(  Le  moment  est  venu  de  consigner  ici  un  fait  :  c'est  que 
tout  ce  qui  est  dit  des  maux  inouïs  de  Lidwine ,  est  constaté 
par  un  procès-verbal  fait  et  signé  par  les  magistrats  de  la 
ville  de  Scheida,  revêtu  du  sceau  public  et  publié  en  présence 
d'une  foule  de  témoins  oculaires  ;  on  peut  le  lire  dans  sa  vie 
par  Bruchman.  ) 

Revenons.  —  Les  années  se  succédaient  sans  apporter  au- 
cun soulagement  à  la  triste  position  de  Lidwine,  dont  les 
maux  croissaient ,  loin  de  diminuer.  Mais  celui  qui  fit  pleu- 
voir constamment  la  manne  en  faveur  de  son  peuple  dans  le 
désert ,  ne  laissa  pas  son  épouse  sans  consolation  dans  sa 
voie  douloureuse.  Etant  interrogée  un  jour  par  deux  religieux 
sur  les  jouissances  intérieures  qu'elle  éprouvait ,  elle  ré- 
pondit : 

«  J'avouerai ,  en  vous  priant  de  pardonner  cet  aveu  à  ma 
folie  ,  que  je  goûte  parfois  des  consolations  fort  peu  méritées. 
Sans  ces  miettes  qui  tombent  de  la  table  du  Maître ,  la  pauvre 
Cananée  ne  pourrait  subsister  longtemps  dans  un  corps  si 
misérable;  mais  il  lui  conviendrait  peu  de  vous  apprendre  de 
quelle  nature  sont  ces  consolations  et  quelle  en  est  la  fré- 
quence et  la  durée.  » 


DE  SAINTE  LÏDWINE.  385 

Elle  ne  communiquait  ces  secrets  qu'à  ses  amis  les  plus 
discrets  ,  et  encore  ne  disait-elle  que  ce  qu'exigeait  la  gloire 
divine  ou  la  charité. 

Il  paraît  que  son  cœur  était  habituellement  inondé  de  fa- 
veurs célestes;  cependant  Dieu  les  lui  retirait  quelquefois, 
et  c'était  la  plus  grande  peine  qui  pût  lui  arriver.  Lorsqu'elle 
avait  souffert  tout  un  jour  de  ce  triste  abandon  ,  elle  se  tour- 
nait vers  son  bon  Ange ,  comme  s'il  eût  été  présent  à  ses 
yeux  ,  et  lui  disait  : 

«  0  mon  Frère  ,  interrompez  votre  silence,  ne  tardez  pas 
davantage  à  me  donner  des  nouvelles  de  mon  Bien-aimé ;  ne 
refusez  pas  à  mon  amour  toutes  les  indications  que  mon  cœur 
désire  :  où  est-il  maintenant  cet  époux  chéri?  que  fait-il?  à 
quoi  s'occupe-t-il?  croyez-vous  qu'il  m'aime  encore?  parle- 
t-il  de  moi  quelquefois?  occupé-je  toujours  une  place  dans 
son  souvenir  ?  ne  vous  a-t-il  pas  dit  qu'il  m'appellerait  bien- 
tôt dans  son  royaume?  Oh!  jusqu'à  quand  me  laissera-t-il 
dans  ce  lieu  d'exil  ?  que  deviendrai-je  si  mon  bannissement 
dure  longtemps  encore?  Je  ne  sais  comment  je  pourrai  vivre 
avec  un  cœur  blessé  d'un  trait  de  son  amour,  et  que  le  feu 
de  sa  divine  charité  consume  au  point  que  je  me  sens  mou- 
rir. 0  Ange ,  mon  Frère  !  parlez  donc  de  ma  peine  au  Bien- 
aimé  de  mon  âme  :  dites  donc  à  mon  époux  que  je  languis 
d'amour.  Je  vais  parler  comme  une  insensée ,  comme  une 
impatiente;  mais  qu'y  faire?  La  violence  de  mon  amour  est 
telle,  que  je  ne  sais  plus  ce  que  je  dis.  Comment  se  fait-il 
qu'il  m'afflige  au  lieu  d'avoir  pitié  de  ma  langueur  et  de  ma 
défaillance ,  lui  qui  m'a  tant  recommandé  la  commisération 
pour  les  malheureux?...  Oh!  si  je  pouvais  attirer  à  moi  ce 
Bien-aimé  comme  il  est  le  maître  de  m'attirer  à  lui ,  il  n'y 
aurait  plus  pour  moi  ni  repos  ni  sommeil  jusqu'à  ce  que  mon 
âme,  brûlée  par  la  soif  de  le  posséder  ,  fût  satisfaite.  Je  l'at- 
tirerais dans  mes  bras ,  je  le  ferais  passer  au  fond  de  mon 
cœur,  ou  plutôt  j'entrerais  dans  le  sien  et  je  m'y  submerge- 
rais tout  entière. 

t.  v.  25 


386  ESPRIT 

Courez  en  toute  hâte,  et  dites  à  mon  Bien-aimé  quel  est  le 
feu  qui  me  brûle ,  quelle  est  l'ardeur  qui  me  dévore.  Saluez 
pour  moi  mon  époux  dans  l'endroit  le  plus  caché  de  son 
cœur;  dites-lui  que  jusqu'à  la  mort  je  lui  serai  fidèle,  et  que 
le  cœur  de  son  épouse  est  un  jardin  fermé  où  il  n'entrera 
jamais  d'autre  amour  que  le  sien  ;  j'en  excepte  pourtant  celui 
de  sa  sainte  Mère ,  mais  je  sais  qu'il  l'approuve  ,  et  fort  heu- 
reusement, car  je  ne  saurais  me  dispenser  de  l'aimer.  Oh! 
saluez-la  cette  auguste  Reine  du  ciel » 

Son  bon  ange  répondit  à  ses  lamentations  de  l'amour  et 
l'encouragea.  D'autres  anges  vinrent  aussi  la  visiter  :  elle  en 
eut  depuis  des  visions  presque  habituelles  ;  mais  elle  les  per- 
dait quelquefois  lorsqu'elle  avait  reçu  des  visites  nombreuses 
ou  trop  prolongées  ,  tant  il  est  vrai  qu'il  est  difficile  de  con- 
verser avec  les  créatures  sans  commettre  au  moins  quelques 
imperfections.  —  Aussi,  après  de  telles  rencontres,  avait- 
elle  soin  de  se  laver  dans  les  eaux  de  la  pénitence,  pour  n'être 
pas  trop  longtemps  privée  du  délicieux  commerce  de  ces  bien- 
heureux esprits.  Voici  la  prière  qu'elle  avait  coutume  d'adres- 
ser à  son  ange  gardien. 

«  Ange  de  Dieu  et  bien-aimé  Frère,  plein  de  confiance  en 
vos  bontés,  je  vous  supplie  humblement  et  instamment  d'in- 
tercéder pour  moi  auprès  de  mon  époux ,  afin  qu'il  me  par- 
donne toutes  mes  fautes  ,  qu'il  m'affermisse  dans  la  pratique 
de  tout  bien ,  qu'il  m'aide  par  sa  grâce  à  corriger  mes  dé- 
fauts et  me  conduise  au  ciel  pour  y  jouir  de  son  aimable  pré- 
sence ,  pour  y  goûter  son  amour  enivrant ,  pour  y  posséder 
une  vie  éternelle.  » 

Elle  exhortait  toutes  les  personnes  qui  l'approchaient  à 
avoir  pour  leurs  anges  gardiens  une  vénération  profonde  et 
un  amour  reconnaissant,  parce  que  nuit  et  jour  ils  ne  ces- 
sent de  veiller  à  notre  défense.  «  Quoique  supérieurs  à  nous , 
ajoutait-elle  ,  en  nature  ,  en  intelligence  et  en  libre  exercice 
de  leurs  facultés ,  ces  célestes  esprits  ne  dédaignent  pas  de 
servir  les  hommes  en  beaucoup  de  choses.  Ils  sont  surtout 


DE  SAINTE  LIDWINE.  387 

fort  dévoués  à  ceux  qui  ont  été  rachetés  par  le  sang  de  Jésus- 
Christ  ,  et  leur  familiarité  avec  eux  est  vraiment  admirable. 
Marchez  donc  prudemment  en  leur  présence  et  n'oubliez  ja- 
mais de  leur  rendre  les  devoirs  auxquels  vous  obligent  leur 
noblesse  et  leurs  bienfaits.  » 

Abondamment  arrosé  des  eaux  de  la  tribulalion ,  le  cœur 
de  Lidwine  était  devenu  comme  un  jardin  fertile ,  riche  en 
fleurs  de  toute  espèce  dont  nous  pouvons  ramasser  les  se- 
mences précieuses  pour  les  jeter  dans  nos  propres  cœurs. 
Voici  donc  en  peu  de  mots  la  méthode  qu'elle  suivit  dans 
l'importante  affaire  de  son  perfectionnement  spirituel. 

Elle  posa  pour  fondement  de  son  édifice ,  la  crainte  du 
Seigneur.  Elle  établit  ensuite  la  bonne  volonté  sur  la  crainte; 
sur  la  bonne  volonté,  la  défiance  d'elle-même  ;  sur  cette  dé- 
fiance, l'humilité  ;  sur  l'humilité  la  patience  ;  sur  la  patience 
le  règlement  de  la  langue  qu'on  appelle  discrétion  ;  sur  la 
discrétion  ,  l'obéissance  ;  sur  l'obéissance,  la  sainte  pauvreté; 
sur  la  pauvreté  la  sobriété;  sur  la  sobriété  la  pureté  du  corps 
et  de  l'âme.  Or  ,  il  suffit  de  considérer  cet  arrangement  avec 
quelque  attention  pour  reconnaître  sa  sagesse  et  son  esprit 
de  discernement. 

Il  serait  inutile  de  réclamer  dans  l'énumération  ci-dessus 
l'amour  de  Dieu  ,  dont  on  a  vu  déjà  les  transports,  et  l'amour 
du  prochain  qu'elle  porta  au  degré  le  plus  héroïque.  ■ —  Qui 
aurait  cru  que  dans  cet  état  de  profonde  misère,  attachée  par 
tant  d'infirmités  dans  le  lit  de  sa  douleur  ,  elle  trouvât  et  des 
ressources  et  des  moyens  de  soulager  le  pauvre?  Or,  c'est  ce 
qu'elle  a  fait  d'une  manière  vraiment  miraculeuse.  ■ —  Tant 
qu'il  lui  restait  quelque  chose,  il  fallait  qu'elle  en  fît  le  sacri- 
fice ,  et  lorsque  l'argent  lui  manquait ,  elle  savait  encore  leur 
donner  des  larmes,  des  encouragements  et  des  consolations. 
Elle  disait  souvent  :  a  Ces  pauvres  de  Jésus-Christ  seront  un 
jour  des  rois  dans  le  royaume  des  cieux  ;  c'est  manquer  à 
leur  dignité  que  de  retarder  le  service  qu'on  doit  leur  ren- 
dre. »  — ■  Il  serait  impossible  d'énumérer  tous  les  bienfaits  , 


388  ESPRIT 

toutes  les  largesses ,  toutes  les  aumônes  qu'elle  faisait  dis- 
tribuer ,  mais  non  moins  impossible  de  dire  d'où  lui  venaient 
tant  de  ressources ,  à  moins  de  recourir  au  miracle  ,  à  l'in- 
tervention la  plus  évidente  de  celui  qui  est  riche  envers  ceux 
qui  l'invoquent.  Dieu  en  effet  multipliait  et  remplaçait  l'ar- 
gent dans  sa  bourse  et  les  provisions  dans  sa  maison.  Plus  sa 
charité  débordait  en  quelque  sorte,  plus  Dieu  faisait  refluer 
les  biens  dans  son  sein.  Qu'on  nous  dispense  de  rapporter  à 
l'appui  de  cette  vérité,  les  faits  les  plus  incontestables  dont 
son  histoire  est  remplie. 

Ayant  étudié  avec  une  avidité  incomparable,,  le  livre  de  vie, 
Jésus  crucifié  ,  elle  y  avait  puisé  un  grand  amour  pour  le  salut 
des  pauvres  pécheurs.  Elle  avait  en  outre  reçu  les  dons  les 
plus  excellents  pour  conduire  les  âmes  et  les  consoler  dans 
leurs  afflictions.  Elle  donnait  à  toute  sorte  de  personnes  les 
conseils  les  plus  salutaires,, Elle  recommandait  beaucoup  le 
travail,  regardant  l'oisiveté  comme  la  source  de  tous  les  pé- 
chés ,  le  sentier  de  tous  les  vices. 

Aux  âmes  affligées  elle  disait  avec  une  douceur  ravissante  : 
«  Lorsque  les  flots  de  la  tristesse  submergent  votre  cœur,  au 
lieu  de  vous  désespérer  ,  cherchez  promptement  la  miséri- 
corde de  Dieu  ,  comme  l'enfant  affligé  cherche  le  sein  de  sa 
mère;  racontez-lui  vos  douleurs,  et  reposez-vous  en  toute 
confiance  sur  sa  bonté  ;  vous  vous  sentirez  aussitôt  consolées 
jusqu'à  perdre  le  souvenir  de  ce  qui  vous  affligeait.  Du  reste, 
il  convient  que  vous  supportiez  vos  peines  non-seulement  avec 
patience,  mais  avec  joie  et  action  de  grâces,  soit  qu'elles 
vous  arrivent  par  son  ordre  ou  par  sa  permission.  Je  dis  plus 
encore,  il  faut  que  vous  baisiez  avec  amour  la  verge  dont  ce 
bon  père  se  sert  pour  vous  frapper  ;  car  pourquoi  vous  frappe- 
t-il ,  sinon  parce  qu'il  vous  aime,  parce  qu'il  veut  vous  puri- 
fier et  vous  perfectionner  pour  vous  récompenser  un  jour 
plus  abondamment.  Dieu  a  coutume  d'éprouver  ses  élus 
comme  l'or  dans  la  fournaise,  afin  de  ne  laisser  en  eux  aucun 
alliage  humain.   C'est  donc   une  marque  d'élection  que  de 


DE  SAINTE  LIDWINE.  380 

passer  par  les  épreuves  :  il  l'avait  bien  compris  le  Roi  pro- 
phète, lorsqu'il  disait  au  Seigneur:  Votre  verge  et  votre  bâ- 
ton ,  au  lieu  de  m'affliger,  font  'mes  plus  douces  consola- 
tions. » 

Dieu  la  favorisa  ensuite  des  connaissances  les  plus  étendues 
pour  exercer  la  correction  fraternelle.  Elle  faisait  connaître 
l'état  des  âmes  pécheresses  que  la  justice  de  Dieu  punissait. 
Elle  évoquait  les  morts ,  et  leur  faisait  donner  de  terribles 
leçons  aux  vivants.... 

Disons  quelque  chose  maintenant  de  son  amour  extrême 
pour  la  croix,  des  privilèges  que  Jésus-Christ  lui  accorda  et 
de  sa  faim  dévorante  pour  la  divine  Eucharistie. 

Sa  plus  grande  consolation  était  d'aller  sur  le  Calvaire 
pour  y  chercher  son  Bien-aimé.  Or,  plus  elle  le  contemplait, 
plus  elle  devenait  sensible  ;  la  vue  de  ses  blessures  était 
comme  un  glaive  qui  transperçait  son  cœur  et  lui  faisait  ou- 
blier ,  à  force  de  compassion  ,  ses  propres  douleurs.  Le  Cal- 
vaire était  pour  elle  comme  un  jardin  de  plaisance  où  elle  se 
promenait  nuit  et  jour,  l'arrosant  de  ses  larmes,  de  ses 
sueurs  et  même  de  son  sang.  Elle  trouvait  des  roses  dans  les 
plaies  de  Jésus  ,  des  épis  de  nard  sur  les  épines  de  sa  cou- 
ronne ,  des  lis  et  des  violettes  dans  toutes  les  blessures  de 
son  corps ,  du  cinnamome  et  du  baume  dans  le  sang  et  les 
crachats  qui  couvraient  son  visage.  Aussi  Jésus-Christ  la 
transporta  plusieurs  fois  en  esprit  et  même  en  corps,  d'après 
elle-même,  sur  le  théâtre  de  ses  souffrances.  Elle  vit  et  vi- 
sita tous  les  lieux  marqués  par  les  traces  du  sang  de  Jésus- 
Christ.  Inutile  cependant  de  répéter  qu'elle  ne  put  de  sa  vie 
sortir  du  lit  sur  lequel  elle  était  comme  crucifiée. 

Cet  attrait  pour  la  passion  de  Jésus-Christ  ne  pouvait  man- 
quer de  rejaillir  sur  le  sacrement  établi  pour  en  perpétuer  la 
mémoire  et  les  effets.  Aussi  en  éprouvait-elle  une  faim  si  dé- 
vorante que  l'intervalle  d'un  jour  entre  ses  communions 
lui  semblait  une  année.  Il  arriva  cependant  que  le  curé  du 
lieu  qu'elle  habitait  voulut  la  priver  de  ce  divin  aliment.  Après 


390  ESPRIT 

le  lui  avoir  humblement  mais  vainement  demandé ,  elle  lui 
dit  :  «  0  mon  Père  bien-aimé,  si  je  tenais  la  clef  du  taberna- 
cle comme  vous  la  tenez,  et  vous  voyais  pressé  par  la  faim  qui 
me  dévore ,  je  ne  vous  refuserais  pas  le  pain  de  vie  comme 
vous  me  le  refusez.  0  Père  de  mon  àme,  ajouta-t-elle  ,  ayez 
pitié  de  votre  pauvre  fille  qui  n'a  d'autre  consolation  en  ce 
monde  que  l'amour  de  Jésus  ,  d'autre  ressource  pour  entre- 
tenir sa  vie  que  la  chair  de  Jésus  !  » 

Voici  ce  qu'elle  insinuait  aux  simples,  touchant  la  commu- 
nion spirituelle  :  «  Lorsque  vous  assistez  à  la  sainte  Messe, 
pensez  d'abord  que  le  ciel  est  ouvert  et  que  les  anges  en  des- 
cendent en  foule  pour  adorer  l'Agneau  qui  va  s'immoler  sur 
l'autel.  Méditez  ensuite  la  passion  de  ce  doux  Sauveur  avec 
la  dévotion  la  plus  intime  possible.  Si  vous  devez  y  commu- 
nier, il  sera  bon  de  vous  exercer  à  l'amour  intérieur  de  celui 
qui  va  devenir  votre  aliment ,  à  le  goûter  d'une  manière  sa- 
voureuse ,  et  surtout  à  suivre  les  mouvements  de  son  esprit 
qui  portent  l'àme  à  imiter  sa  sainteté.  Ce  n'est  pas  un  hôte 
ordinaire  que  vous  recevez  dans  la  maison  de  votre  cœur , 
c'est  le  Roi  des  rois  ,  c'est  le  Fils  unique  de  la  Vierge-Mère , 
qui  réformera  le  corps  de  votre  humanité  sur  le  modèle  de 
son  corps  glorieux.  C'est  une  nourriture  qui  rassasie  pleine- 
ment l'àme  pénitente  qui  le  mange  ;  c'est  une  nourriture  for- 
tifiante pour  l'àme  qui  veut  avancer  ,  mais  que  le  travail  de 
la  vertu  fatigue.  C'est  une  nourriture  souverainement  délec- 
table aux  Israélites  selon  l'esprit ,  qui,  sortis  de  l'Egypte, 
marchent  vers  la  terre  de  promission.  C'est  une  nourriture 
qui  engraisse,  non  les  corps  bien  nourris  ,  mais  les  cœurs 
dévots  ;  non  la  chair  affamée  ,  mais  les  âmes  que  la  maigreur 
afflige  ;  non  les  corps  paresseux ,  comme  parle  l'Apôtre , 
mais  les  esprits  appliqués  aux  œuvres  de  la  piété.  » 

Sa  patience  au  milieu  des  privations  et  des  souffrances  fut 
cependant  mal  interprétée  ;  on  l'attribuait  aux  artifices  du 
démon,  et  ce  funeste  jugement  fut  cause  un  jour  qu'on  osa 
lui  administrer  une  hostie  non  consacrée  ;  mais  elle  fut  aver- 


DE  SAINTE  LIDWINE.  .  391 

lie  du  ciel  touchant  cette  horrible  et  sacrilège  tromperie  ; 
elle  reçut  cependant  ce  pain  matériel ,  mais  son  estomac  ne 
put  le  supporter,  elle  le  vomit  aussitôt ,  et ,  malgré  les  artifi- 
ces de  l'esprit  de  mensonge ,  l'insigne  fourberie  fut  décou- 
verte. Elle  fut  longtemps  éprouvée  ,  privée  et  soupçonnée 
de  la  sorte  ,  mais  Jésus-Christ  par  ses  fréquentes  apparitions 
avait  soin  de  l'en  dédommager  ;  il  la  favorisa  en  même  temps 
de  l'impression  des  sacrées  blessures  de  son  amour  appe- 
lées stigmates.  Cependant,  ô  perfection  de  son  humilité  !  à  la 
vue  de  ces  blessures  ,  si  apparentes  qu'elle  ne  pouvait  les 
cacher  aux  yeux  des  hommes ,  elle  fut  saisie  de  crainte,  et 
dit  à  son  bienfaiteur  :  <c  O  mon  Jésus,  qu'avez-vous  fait  là? 
les  hommes  le  sauront,  et  je  vais  être  accablée  de  visites  ,  et 
leurs  applaudissements  me  donneront  de  l'orgueil.  Oh  !  je 
vous  conjure  ,  rendez  ces  marques  de  votre  amour  invisibles , 
ou  bien  ôtez-les  tout  à  fait  ;  votre  grâce  me  suffit.  »  Au  même 
instant  une  nouvelle  peau  se  forma  sur  ses  plaies  et  les  fit 
disparaître  ;  la  douleur  seule  lui  en  resta  toute  sa  vie  ,  con- 
formément à  son  désir. 

Quant  à  l'apparition  de  Jésus-Christ  dans  une  belle  hostie 
suspendue  en  l'air  ,  au-dessus  de  la  tête  de  Lidwine  et  se 
plaçant  sur  une  nappe  blanche  étendue  sur  son  lit ,  son  père , 
plusieurs  voisins  qui  accoururent ,  en  furent  les  témoins 
oculaires  :  cette  vénérable  hostie  était  plus  grande  que  celle 
qu'on  donne  aux  fidèles  ,  mais  plus  petite  que  celles  que  les 
prêtres  consacrent;  elle  était  bordée  de  rayons  lumineux;  au 
milieu  on  voyait  un  enfant  crucifié  dont  les  blessures  parais- 
saient sanglantes  ;  l'ouverture  du  côté  était  cachée  sous  une 
goutte  de  sang  delà  grosseur  d'un  demi-pois  :  tous  la  voyaient 
posée  sur  un  linge  blanc  ;  mais  Lidwine  la  voyait  suspendue 
en  l'air  à  une  petite  distance  de  la  nappe.  Pour  les  autres 
différentes  visions  de  cet  objet  unique  de  son  amour  ,  elles 
furent  clairement  manifestées  par  la  variété  des  rapports  que 
firent  les  témoins  de  ce  qu'ils  avaient  vu. 

Peu  de  temps  après ,  ayant  convaincu  son  pasteur  jusque- 


392  ESPRIT 

là  si  incrédule  touchant  In  vérité  divine  de  ce  qui  se  passait 
en  elle,  il  lui  fut  donné  de  communier  tous  les  jours  ;  dès 
lors  il  lui  sembla  n'être  plus  à  plaindre  ,  tant  étaient  vives  et 
pénétrantes  les  consolations qu'ellerecevail  ;  mais  cène  fut  là 
que  le  moindre  avantage  qu'elle  retira  de  ce  pieux  usage  : 
Jésus  la  combla  de  nouveaux  privilèges  ,  il  lui  accorda  le  don 
de  miracle  ,  il  fit  reparaître  ses  stigmates  et  voulut  la  glorifier 
aux  yeux  de  tous.... 

Toutefois  notre  illustre  vierge,  parvenue  à  ce  haut  degré 
de  sa  vie  spirituelle ,  sembla  compter  pour  rien  tout  ce  qu'elle 
avait  fait  jusque-là  pour  son  Dieu  :  «  C'est  maintenant  ,  se 
disait-elle  à  elle-même,  qu'il  faut  commencer  à  devenir 
la  servante  du  Seigneur  ;  c'est  maintenant  qu'il  faut  travailler 
à  sa  gloire,  et  avoir  pitié  des  pauvres  âmes  qui  sont  encore 
loin  de  lui.  »  Dès  lors  le  feu  de  la  charité  prit  en  elle  de 
nouvelles  forces,  une  nouvelle  ardeur,  et  poussa  des  flam- 
mes plus  vives  ;  elle  s'intéressa  plus  assidûment  aux  âmes 
du  purgatoire  ,  et  elle  semblait  verser  pour  elles  des  larmes 
de  sang. 

L'auguste  Mère  de  Jésus-Christ ,  voyant  la  perfection  de 
cette  vierge  si  amoureuse  des  souffrances  de  son  Fils  ,  vou- 
lut elle  aussi  lui  accorder  quelque  faveur;  elle  lui  apparut , 
et  après  bien  des  détails  qui  seraient  ici  trop  longs,  lui  donna 
un  voile  ,  qu'elle-même  plaça  sur  sa  tête ,  lui  ordonna  de  le 
porter  pendant  sept  heures  et  ensuite  de  le  remettre  à  son 
confesseur  pour  en  couvrir  de  sa  part  l'image  de  Marie  dans 
l'église  de  Scheida.  Le  confesseur  put  s'en  convaincre,  car 
un  voile  n'est  pas  une  illusion  ;  il  le  tenait  dans  ses  mains  et 
le  trouvait  palpable  ;  sa  couleur  était  d'un  blanc  céleste  ma- 
gnifique ,  son  tissu  d'une  finesse  imperceptible ,  et  l'odeur 
qu'il  exhalait ,  embaumait  toute  la  maison  d'une  suavité  in- 
connue. 

La  Bienheureuse  ,  dans  ses  ravissements  presque  conti- 
nuels ,  était  élevée  si  haut  au-dessus  des  sens,  qu'elle  deve- 
nait étrangère  à  ce  qui  se  passait  dans  sa  chair  mortelle  ;  la 


DE  SAINTE  LIDW1NE.  393 

grâce  lui  communiquait  l'agilité  et  la  subtilité  des  esprits 
glorieux,  et  elle  parcourait  presque  continuellement  cette  ré- 
gion sublime  qui  est  pleine  de  délices  et  des  richesses  du 
Seigneur ,  où  la  raison  est  sans  obscurité  ,  la  mémoire  sans 
oubli  et  l'entendement  si  bien  éclairé  qu'il  connaît  sans  er- 
reur et  discerne  toutes  choses  ;  elle  n'avait  jamais  rien  appris 
et  elle  savait  tout;  personne  ne  l'avait  initiée  à  la  science  de 
la  loi  de  Dieu,  et  elle  en  connaissait  tous  les  secrets.  Or, 
c'est  par  la  méditation  persévérante  de  la  passion  du  Sauveur 
et  les  lumières  du  Saint-Esprit  qu'elle  avait  acquis  cette 
science  supérieure  à  celle  qu'on  acquiert  dans  les  livres  des 
hommes.  Voici  un  fait  qui  ne  pourra  qu'intéresser  nos  lec- 
teurs : 

Un  professeur  en  théologie ,  de  l'ordre  de  Saint-Domini- 
que, ayant  entendu  parler  diversement  de  cette  sainte  fille  , 
fut  curieux  de  la  connaître  et  vint  de  Maestricht  à  Scheida  , 
pour  avoir  avec  elle  une  longue  conférence.  Après  avoir 
parlé  de  beaucoup  de  choses,  voulant  éprouver  sa  pénétra- 
tion ,  il  lui  dit  :  «  Je  désirerais  savoir  ,  ma  Sœur,  de  quelle 
manière  les  trois  Personnes  de  la  sainte  Trinité  ont  opéré 
dans  le  sein  de  la  glorieuse  Marie  l'incarnation  du  Verbe;  di- 
tes-moi ,  je  vous  prie  ,  ce  que  vous  savez  à  ce  sujet.  » 

Lidwine  craignait  trop  la  vaine  gloire  pour  oser  aborder 
une  question  si  haute;  elle  s'excusa  donc;  mais  son  excuse 
ayant  été  mal  reçue  et  le  professeur  l'ayant  adjurée  ,  parle 
jugement  terrible  de  Dieu  ,  de  le  lui  dire  sans  dissimulation, 
effrayée  de  cette  adjuration  et  du  danger  que  courait  son  hu- 
milité, fondant  en  larmes,  elle  lui  dit,  toute  confuse  :  «  Mon 
Père  ,  pour  déclarer  ma  pensée  sur  la  question  que  vous  ve- 
nez de  me  faire  ,  permettez-moi  de  recourir  à  une  comparai- 
son :  j'imagine  un  corps  solaire  d'où  sortent  trois  rayons  dis- 
tincts, qui  ensuite  se  réunissent  de  manière  à  n'en  plus  for- 
mer qu'un  seul  ,  je  me  représente  ces  rayons  fort  larges  au 
sortir  du  corps  solaire  ,  mais  diminuant  à  mesure  qu'ils 
s'éloignent ,  de  manière  à  ne  former  qu'une  pointe  aiguë  et 


394  KSPRIT 

indivise  comme  la  pointe  d'une  lance  à  leur  extrémité  ;  je 
vois  enfin  cette  pointe  unique  formée  des  trois  rayons  péné- 
trer dans  l'intérieur  d'une  maison.  Déjà ,  mon  Père,  vous 
voyez  ma  pensée  dans  cette  similitude ,  cependant  je  me 
permettrai  de  la  développer  :  j'entends  par  ce  corps  solaire 
la  divinité;  parles  trois  rayons  distincts  qui  en  sortent, 
les  trois  personnes  qui  émanent  de  la  divinité  ;  par  leur 
sortie  tendant  au  même  but ,  l'opération  commune  à  ces 
trois  personnes  adorables  dans  l'incarnation  du  Verbe;  par 
la  réunion  de  ces  trois  rayons  en  une  seule  pointe ,  l'u- 
nité d'opération  à  laquelle  pourtant  les  trois  personnes 
contribuent;  par  l'extrémité  de  la  pointe,  la  personne  du 
Verbe  qui  termine  l'incarnation  ,  quoiqu'elle  soit  l'ouvrage 
des  trois  personnes  ensemble;  cette  pointe  qui  pénètre  dans 
l'intérieur  d'une  petite  demeure  signifie  l'entrée  du  Verbe 
dans  le  sein  de  Marie  où  il  prit  une  petite  portion  du  plus 
pur  sang  de  cette  auguste  Vierge  qu'il  s'unit  ineffablement 
sans  partager  sa  personnalité  ,  de  manière  qu'il  y  eut  en  lui  , 
après  cette  opération  ,  deux  natures  et  une  seule  personne,  la 
personne  du  Fils  de  Dieu.  » 

Il  serait  difficile  de  rendre  l'étonnement  que  causa  cette  ré- 
ponse au  saint  religieux.  Chacun  peut  en  juger  par  celui  qu'il 
a  éprouvé  lui-même  en  lisant  ces  sublimes  paroles  :  c'est 
ainsi  que  l'esprit  de  Dieu  enseigne  les  âmes  qu'il  a  choisies 
et  qui  sont  dociles  à  ses  inspirations. 

Mais  l'esprit  de  prophétie  de  la  servante  de  Dieu  était  éga- 
lement admirable;  elle  prédisait  les  choses  futures,  pénétrait 
les  secrets  des  cœurs,  voyait  comme  présentes  les  choses  les 
plus  éloignées.  Des  faits  sans  nombre  attestent  encore  cette 
vertu. 

Enfin  ,1e  temps  était  venu  où  Dieu ,  après  avoir  tant  éprouvé 
cette  victime  de  l'amour,  par  le  martyre  du  corps  ,  voulut 
aussi  l'éprouver  par  le  martyre  du  cœur.  Elle  perdit  d'abord 
un  frère  qu'elle  aimait  tendrement,  ensuite  elle  perdit  son  vé- 
nérable père,  Pierre,  et  sa  pieuse  mère  Pétronille.  Ces  perles 


DE  SAINTE  LIDWINE.  395 

si  douloureuses  la  jetèrent  dans  une  affliction  profonde,  mais 
Dieu  s'en  servit  pour  la  perfectionner  :  il  la  punit-de  cet  excès 
de  sensibilité  ,  en  se  retirant  d'elle  et  en  lui  enlevant  les  dé- 
lices ,  les  faveurs  et  les  consolations  ordinaires.  Qui  peut  dire 
combien  fut  pénible  pour  son  cœur  si  aimant  la  privation  des 
goûts  de  son  unique  Bien-aimé!  Elle  dura  cinq  mois  ,  après 
quoi  Dieu  lui  rendit  la  consolation  de  sa  présence. 

Alors  ,  entièrement  dépouillée  par  la  mort  de  tous  les  ob- 
jets de  sa  tendresse ,  purifiée  plusieurs  fois  dans  le  creuset 
delà  tribulation,  ne  trouvant  que  de  l'amertume  dans  les 
consolations  que  lui  offraient  les  créatures ,  elle  ne  cessait  de 
pousser  ses  soupirs  vers  Dieu  et  d'attendre  tout  de  son  souve- 
rain bien!  Qui  n'admirera  cette  conduite  de  Dieu  sur  les 
âmes  qui  lui  sont  chères  ,  et  en  particulier  sur  notre  Bien- 
heureuse. Elle  se  rend  coupable  d'une  petite  infidélité  aux 
lois  de  son  amour ,  et  il  la  punit  en  lui  dérobant  sa  présence  ! 
0  douce  colère  de  Dieu  ,  qui  en  châtiant  ramène  et  rassasie 
plus  que  jamais  du  souverain  bien  ! 

Achevons  de  contempler  l'économie  de  Dieu  dans  la  for- 
mation des  mérites  de  ses  élus. 

Pour  consommersapatier.ee,  Dieu  fit  fondre  sur  elle,  avant 
sa  mort,  tous  les  maux  qui  lui  manquaient,  et  quel  torrent  de 
maux  n'avait-elle  pas  endurés  !  Elle  fut  attaquée  d'épilepsie, 
et  chaque  nuit  elle  en  éprouvait  trois  violentes  attaques  :  à 
l'épilepsie  se  joignit  la  démence,  mais  celle-ci  ne  dura  que 
le  temps  de  faire  voir  que  Dieu  ne  lui  voulait  épargner  aucun 
des  plus  grands  malheurs  :  à  la  démence  succéda  une  atta- 
que d'apoplexie  :  des  douleurs  dans  la  région  du  cerveau  se 
déclarèrent  ensuite  :  ses  maux  de  dents  recommencèrent  : 
ses  yeux  devinrent  plus  douloureux  que  de  coutume  :  un 
chancre  s'établit  sur  sa  poitrine  et  en  dévora  toutes  les 
chairs  ;  enfin ,  le  charbon,  qu'elle  avait  prédit  devoir  la  tuer, 
fit  invasion  dans  la  région  inférieure.  Elle  perdit  la  parole 
jusqu'à  trois  fois.  Que  dirons-nous  encore? N'est-il  pas  temps 
de  s'arrêter  ,  dans  l'impuissance   de  tout  reproduire  ?  Oh  ! 


396  ESPRIT 

que  celui  qui  peut  comprendre  ce  martyre  le  comprenne  ,  et 
qu'il  nous  dise  tout  ce  qu'il  y  a  de  merveilleux  et  dans  la 
vierge  qui  le  souffre  et  dans  le  Dieu  qui  est  assez  puissant 
pour  l'en  retirer  et  la  glorifier! 

En  effet ,  comme  le  Seigneur  voulait  qu'on  sût  que  les 
maux  de  Lidwine  n'avaient  rien  de  naturel ,  il  rétablit  à  la 
fin  de  sa  vie  son  corps  dans  sa  parfaite  intégrité.  Toutes  les 
parties  intérieures  et  extérieures  qu'elle  avait  perdues  du- 
rant le  cours  de  tant  d'infirmités  ,  lui  furent  rendues  et  réta- 
blies ,  non-seulement  dans  leur  force  première,  mais  avec  un 
embellissement  et  un  éclat  extraordinaires.  Raconter  com- 
ment cela  se  fit ,  ce  serait  interroger  Dieu  lui-même  :  pour- 
quoi son  bras  tout-puissant  serait-il  ici  raccourci?  pourquoi 
n'aurail-il  pas  pu  envers  Lidwine  ce  qu'il  a  pu  envers  tant 
d'autres  ?  Sa  science  ne  surpasse-t-elle  pas  celle  des  phy- 
siciens ,  des  médecins  ,  des  plus  savants  de  la  terre  ?  Qui 
est-ce  enfin  qui  peut  résister  à  l'évidence  d'un  fait  attesté  par 
une  nation  tout  entière  ? 

Longtemps  avant  de  quitter  la  terre,  notre  Bienheureuse 
avait  prévu  et  prédit  sa  mort. 

«  Je  vois,  disait-elle  à  son  confesseur ,  un  arbre  chargé  de 
boutons  de  roses  ;  mais  il  faut  que  cet  arbre  croisse  et  que 
ces  boutons  s'épanouissent  avant  que  je  sorte  de  ma  capti- 
vité. » 

Et  lui  ayant  demandé  plus  tard  où  en  était  cet  arbre  avec 
ses  boutons  de  fleurs  ,  elle  répondit  : 

«  L'arbre  est  arrivé  à  sa  plus  grande  hauteur  ,  et  toutes 
les  roses  sont  ouvertes  ;  aussi  je  vois  que  je  ne  tarderai  pas 
à  mourir.  » 

Quelqu'un  lui  ayant  demandé  ensuite  si  Dieu  opérerait 
quelque  miracle  à  sa  mort  : 

«  Je  sais  ,  dit-elle,  que  quelques  âmes  simples  s'attendent 
à  me  voir  finir  d'une  manière  merveilleuse  ;  mais  elles  se 
trompent  :  il  ne  se  fera  à  cette  heure  aucun  miracle  frappant. 
—  Quant  à  ce  qui  doit   arriver  après  mon  trépas  ,  Dieu  le 


DE  SAINTE  LIDYVINE.  397 

sait  ;  mais  je  n'ai  pas  envie  de  le  rechercher  et  de  le  dire.  Je 
suis  sa  créature  ;  il  est  bien  le  maître  de  se  servir  de  moi 
comme  d'un  instrument  pour  faire  ce  qui  lui  plaira.  Je  prie 
instamment  mes  amis  tant  présents  qu'absents  de  ne  point 
relever  mon  corps  avant  que  trente  ans  soient  écoulés  de- 
puis sa  sépulture.  Que  plaira-t-il  à  Dieu  de  faire  après  cette 
époque  ?  c'est  un  secret  qu'il  garde  pour  lui  seul.  » 

La  sainte  vie  de  Lidwine  arrivait  donc  à  son  couchant  ,  et 
déjà  se  faisaient  dans  le  ciel  les  préparatifs  de  ses  noces  virgi- 
nales. En  conséquence,  ayant  réuni  autour  d'elle  toutes  les 
personnes  qui  la  servaient,  elle  leur  dit  : 

«  Je  vous  prie  toutes  et  vous  conjure  de  me  pardonner  de 
tout  votre  cœur  les  peines  que  j'ai  pu  vous  faire  par  mes  pa- 
roles et  par  mes  actions.  Ne  me  refusez  pas  cette  grâce  que  je 
sollicite  pour  l'amour  de  Dieu,  à  la  charité  duquel  je  vous 
recommande  pour  le  présent  et  pour  l'avenir  de  toute  la  fer- 
veur de  mon  âme.  » 

Est-il  besoin  de  dire  l'attendrissement  que  produisirent 
sur  ces  femmes  les  paroles  d'une  si  grande  Sainte  ? 

Lorsque  le  jour  de  Pâques  commença  à  luire,  sa  joie  fut  si 
grande  et  ses  consolations  si  douces ,  que  ne  pouvant  plus  y 
tenir  ,  elle  pria  Dieu  avec  instance  de  briser  ses  liens  et  de 
l'appeler  à  lui.  Son  Bien-aimé,  sensible  à  sa  prière,  vint  la 
voir  lorsqu'elle  était  seule  ,  et  daigna  lui  donner  de  sa  propre 
main  le  sacrement  de  l'Extrême-onction  ,  comme  elle  l'a  ré- 
vélé après  sa  mort  à  quelques  personnes  qui  lui  étaient  chères. 
Elle  sentit  parfaitement  les  impressions  de  la  main  divine  de 
Jésus;  les  anges  l'assistaient,  ainsi  que  la  Vierge  Marie. 
Quand  cette  administration  fut  finie  ,  Jésus  et  sa  Mère  lui 
mirent  le  cierge  en  main  et  placèrent  le  crucifix  sous  ses  yeux 
pour  y  rester  jusqu'au  départ  de  son  âme  ,  mais  visible  à  elle 
seule. 

Lidwine ,  transportée  de  joie  ,  prit  alors  la  parole  et  dit  à 
son  Seigneur  du  ton  le  plus  humble  et  le  plus  respectueux  : 
«  0  mon  doux  Maître  !  puisque  vous  avez  daigné  descendre 


398  ESPRIT 

jusqu'à  la  plus  petite  de  vos  servantes  ,  puisque  vous  n'avez 
pas  eu  horreur  d'oindre  mon  corps  de  vos  très-saintes  mains, 
mettez  le  comble  à  vos  bontés  en  m'accordant  une  dernière 
grâce  ,  c'est  de  me  faire  souffrir  jusqu'à  ma  dernière  heure 
autant  que  le  méritent  mes  péchés  ,  afin  que  mon  âme  ,  déli- 
vrée de  sa  prison  ,  puisse  être  admise  sans  autre  purification 
à  contempler  votre  face  adorable.  » 

Jésus  lui  répondit  :  «  Je  reçois  votre  prière  ,  ma  Fille,  et 
je  l'exauce  ;  sous  deux  jours  vous  chanterez  l'alleluia  avec  vos 
Sœurs  les  vierges  dans  le  paradis.  » 

Le  mardi  de  Pâques ,  sentant  que  sa  mort  approchait  et 
voyant  sa  chambre  pleine  de  monde ,  elle  demanda  à  être 
seule  ,  sauf  un  petit  neveu  pour  l'envoyer  en  cas  de  besoin  , 
voulant  dérober  jusqu'au  prodige  de  son  dernier  soupir. 
Comme  on  ignorait  que  ce  fût  le  jour  de  sa  mort,  et  imaginant 
qu'elle  désirait  être  seulement  dans  le  silence,  on  la  quitta, 
espérant  bien  de  la  revoir  le  lendemain.  Mais  dès  ce  moment 
elle  entra  dans  l'agonie  la  plus  pénible,  et  rendit  sa  belle  âme 
à  Dieu  ,  le  11  avril  1433,  la  semaine  de  Pâques  ,  selon  qu'elle 
l'avait  désiré. 

Lorsque  l'enfant  qui  l'assistait,  épouvanté  par  les  convul- 
sions de  la  mort,  eut  couru  pour  l'annoncer  à  son  confesseur, 
la  maison  se  remplit  et  retentit  aussitôt  de  lamentations.  On 
visita  ses  mains  qu'elle  ne  pouvait  joindre  pendant  sa  vie  et 
qui  l'étaient  après  sa  mort,  comme  elle  l'avait  prophétisé;  on 
remarqua  aussi  qu'elle  avait,  pliée  sur  la  tête  du  lit,  une  rude 
ceinture  qu'elle  portait ,  qu'elle  ne  pouvait  détacher ,  et  qui 
avait  été  enlevée  sans  être  dénouée.  On  la  conserve  précieuse- 
ment comme  une  relique  très-chère  :  elle  exhale  un  parfum 
délicieux  ,  et  il  s'opère  de  fréquents  miracles  sur  ceux  qui  la 
touchent. 

Son  confesseur  ,  Jean  Walter  ,  ayant  vu  ,  pendant  la  nuit 
qui  suivit  son  décès  ,  sa  belle  âme  sous  la  forme  d'une  co- 
lombe magnifique  ,  et  étant  divinement  averti  du  bel  état  de 
son  corps  ,  qui  pendant  la  vie  avait  été  si  horriblement  mu- 


DE  SAINTE  LLDWINE.  399 

tilé  ,  ordonna  qu'on  l'examinât.  Quel  fut  l'étonnement  des 
assislanis,  lorsqu'on  vit  une  beauté  ravissante  ,  des  attraits 
divins  sur  un  corps  où  les  difformités  hideuses  effrayaient 
auparavant.  La  couleur  du  corps  était  uniforme  et  si  agréable, 
qu'on  ne  pouvait  se  rassasier  de  la  voir;  quant  au  parfum  qui 
émanait  de  son  corps,  il  était  d'une  suavité  si  délicieuse  et  si 
fortifiante  ,  que  les  vierges  chargées  de  la  garde  du  précieux 
dépôt,  n'éprouvèrent,  pendant  deux  jours  et  trois  nuits  ,  ni  le 
besoin  du  sommeil  ni  celui  de  la  nourriture. 

Au  premier  bruit  de  sa  mort,  un  peuple  immense  accourut 
pour  la  contempler  ;  pendant  trois  jours  ,  la  foule  ne  diminua 
pas  ,  et  ce  fut  le  14  avril  14-33  qu'elle  reçut  les  honneurs  de  la 
sépulture.  Les  sacrés  restes  de  la  Bienheureuse  ,  rachetés  des 
hérétiques  ,  furent  levés  de  la  terre  et  transportés  à.  Bruxelles 
en  1615  ,  et  leur  culte  fut  autorisé  par  l'archevêque  de  Mati- 
nes ,  Mathias  Hovio ,  en  1771. 


NOTES  SUR  LE  TOMBEAU  DE  SAINTE  LIDWINE. 


Sainte  Lidwine,  morte  à  Sciedham,  comme  nous  l'avons  dit,  fut 
d'abord  ensevelie  au  côté  oriental  du  cimetière  de  l'église  paroissiale 
Saint-Jean-Baptisle ,  qui  prit  son  nom  dès  1434.  Le  premier  tombeau 
qu'on  lui  érigea  fut  très-simple.  Une  pierre  tombale  de  deux  coudées 
de  hauteur  ,  recouverte  par  une  pierre  rouge  en  forme  de  couvercle 
pyramidal,  portant  l'effigie  de  la  Sainte  ,  fut  tout  le  monument  funèbre; 
l'intérieur  de  la  bière  avait  été  étoffé  et  orné  de  croix  rouges.  Ce  tom- 
beau ayant  été  illustré  par  plusieurs  miracles  ,  les  administrateurs  de 
la  fabrique  de  cette  église  firent  construire  sur  le  tombeau  même  ,  à 
côté  de  la  paroisse  et  seulement  séparée  par  deux  colonnes  à  l'intérieur, 
une  chapelle  et  un  autel  de  marbre  en  son  honneur.  On  fit  de  la  maison 
de  son  père  uu  monastère  de  Sœurs  Grises  ou  du  tiers  ordre  de  Saint- 
François.  Les  Calvinistes  démolirent ,  plus  tard,  la  chapelle  ,  et  con- 


400  NOTES  SUR  LE  TOMBEAU  DE  SAINTE  LIDWINE. 

vertirent  le  monastère  en  un  hôpital  pour  les  orphelins.  Lors  de  la  ca- 
nonisation ,  son  corps  fut  trouvé  intact  en  grande  partie,  et  tel  qu'on  le 
conserve  à  Bruxelles.  1  ans  cette  chapelle  ,  à  côté  de  l'autel  ,  sainte 
Lidwine  était  représentée  en  peinture  ,  recevant  d'un  ange  un  rameau 
d'olivier,  et  de  l'autre  main  tenant  un  crucifix.  Dans  un  arceau  était 
un  tableau  protégé  par  une  glace ,  qui  représentait  diverses  époques 
de  la  vie  de  la  Sainte,  et  plusieurs  miracles  opérés  par  son  interces- 
sion. Sur  les  murs  latéraux  de  l'église  ,  on  avait  peint  son  lit  entouré 
de  malades  demandant  la  guérison.  On  conserva  pendant  longtemps  ses 
reliques  dans  une  grande  châsse,  assez  richement  travaillée,  garnie  de 
satin  vert  à  l'intérieur  et  de  maroquin  doré  au  dehors.  Mais ,  plus  tard, 
une  solennelle  translation  eut  lieu  (c'était  en  1650  ) ,  par  ordre  du  sé- 
rénissinie  archiduc  Léopold ,  gouverneur  des  provinces  Belges ,  repré- 
sentant le  roi  catholique.  Elle  fut  faite  avec  toute  La  pompe  imaginable. 
Le  saint  corps  fut  déposé  à  Saiute-Gudule,  dans  une  chapelle  dont 
voici  la  description.  Un  autel  très-élégant  et  des  marbres  les  plus  ri- 
ches; sur  l'autel  ,  un  tableau  remarquable  représentant  la  Cène;  une  • 
statue  en  marbre  blanc  de  la  sainte  Vierge  Mère  de  Dieu  ;  au-dessous 
une  châsse  d'ébène  garnie  d'argent  contenait  les  reliques  ,  et  deux  an- 
ges étaient  placés  l'un  à  droite ,  l'autre  à  gauche.  La  statue  du  côté 
droit  était  celle  de  sainte  Lidwine  ,  tenant  en  main  une  croix  avec  son 
crucifix  doré  ;  du  côté  gauche  était  un  ange  ,  offrant  avec  respect  à  la 
Sainte  un  rameau  d'olivier. 

La  sérénissime  Isabelle-Claire-Eugénie ,  infante  d'Espagne ,  fit  met- 
tre une  partie  des  reliques  de  sainte  Lidwine  dans  une  châsse  d'argent 
qui  se  conservait  dans  l'église  des  Ccirmélitesses  (  c'est  le  propre  nom  , 
d'après  Chastelain  ,  Mart.  univ.  ) ,  dont  elle  était  la  fondatrice. 

Plusieurs  auteurs  ont  écrit  la  vie  de  cette  Sainte  ;  nous  nommerons 
parmi  les  plus  célèbres  ,  Thomas  à  Kempis ,  Jean  Gerlac  ,  Jean  Gautier 
son  confesseur ,  et  le  Père  Bruchman  qui  l'avait  connue  personnelle- 
ment. On  peut  voir  aussi  le  Père  Papebrock  ,  Bollandiste,  t.  X,  14  avril, 
Alban  Butler ,  tom.  m  ,  enfin  les  PP.  Guil  et  Thiersant ,  jésuites  , 
Paris  ,  1637  ,  in-12. 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  FRANÇOISE 

ROMAINE , 

VEUVE  ET  FONDATRICE 

DES  COLLATINES  OU  OBLATES  DE  LA  TOUR  DES  MIROIRS. 


NOTICE. 


1440. 


Entre  toutes  les  dames  romaines  les  plus  illustres  et  les 
saintes  les  plus  célèbres  qui  florissaient  au  xv°  siècle,  Fran- 
çoise de  Rome  occupe,  de  l'aveu  de  tous,  le  premier  rang, 
par  ses  vertus  ,  ses  miracles  ,  ses  visions  et  ses  fondations. 
Elle  naquit  dans  Rome  même,  sous  le  pontificat  d'Urbain  VI , 
en  1384.  Son  père  Paul  de  Ruxo  et  sa  mère  Jacqueline  Rofre- 
deschi  lui  inspirèrent ,  dès  son  enfance  ,  le  goût  de  la  piété  ; 
t.  v.     .  26 


4-02  NOTICE 

mais  elle  ne  tarda  point  à  surpasser  toutes  leurs  prévisions  , 
car  elle  était  si  vertueuse  qu'elle  ne  pouvait  même  souffrir  les 
innocentes  caresses  qu'on  prodigue  aux  enfants  ,  de  peur  de 
blesser,  par  cette  complaisance,  la  vertu  de  pureté.  Les 
premiers  désirs  qu'elle  sentit  éclore  dans  son  cœur,  la  portè- 
rent à  se  consacrer  spécialement  au  service  de  Dieu  :  toute- 
fois ,  après  bien  des  luttes  et  bien  des  larmes,  elle  entra  dans 
l'état  du  mariage,  uniquement  pour  condescendre  à  l'autorité 
de  son  père  ,  auquel  elle  portait  une  obéissance  absolue. 
L'époux  que  le  ciel  lui  donna ,  fut  Laurent  Pontiani  ou  Ton- 
zani ,  jeune  seigneur  romain  ,  aussi  distingué  par  sa  nais- 
sance et  sa  fortune  que  par  ses  vertus.  Pendant  cette  heu- 
reuse union  ,  Dieu  fit  plusieurs  prodiges  en  faveur  de  Fran- 
çoise ,  soit  en  l'arrachant  des  bras  de  la  mort  par  un  miracle 
évident ,  soit  par  ses  enfants  Evangéliste  (  c'était  le  nom  du 
fils  )  et  Agnès  (  c'était  celui  de  sa  fille  ) ,  qui  étaient  des  en- 
fants extraordinaires  en  sainteté  ,  et  qui  lui  apparurent  sou- 
vent ,  après  que  Dieu  les  lui  eut  ravis  ;  soit  enfin  par  un  ange 
que  Dieu  lui  donna  pour  la  corriger  et  qu'elle  voyait  souvent 
des  yeux  du  corps  ,  d'après  ce  que  disent  ses  biographes. 

Cependant,  Laurent  son  époux,  se  regardant  indigne  d'être 
uni  à  une  épouse  si  sainte  ,  renonça  à  ses  droits  sur  elle  et 
consentit  à  vivre  étrangers  l'un  à  l'autre  ;  alors  redoublèrent 
les  exercices  de  piété  de  Françoise  ,  si  bien  qu'il  serait  im- 
possible de  raconter  tout  ce  qu'il  y  eut  d'éminent  dans  sa 
charité,  sa  patience,  sa  douceur  ,  sa  modestie,  ses  austé- 
rités et  son  obéissance. 

Alors  ,  d'après  une  révélation  céleste  ,  elle  institua  la 
congrégation  des  Oblates,  dont  le  nom  tire  l'origine  du  mot 
oblalio  ,  s'offrir ,  parce  qu'au  lieu  des  formules  ordinaires  , 
je  me  consacre  .  je- fais  profession  profiteur  .  elles  disaient  :  je 


SUR  SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE.  403 

m'offre.  Cette  oblation ,  comme  on  le  verra  aux  Notes  ,  n'était 
pas  un  vœu  solennel  ,  et  l'obligation  de  rester  dans  l'ordre 
n'était  pas  perpétuelle  ,  puisqu'elles  pouvaient  en  sortir  pour 
se  marier.  On  fait  remonter  cette  institution  à  l'année  1433. 
Eugène  IV  ,  alors  pape  ,  rendit  un  bref  en  leur  faveur. 

Sainte  Françoise  Romaine  était  d'une  trop  haute  sainteté 
pour  ne  point  exciter  la  rage  de  l'ennemi  du  salut  des  âmes  : 
après  lui  avoir  livré  les  assauts  les  plus  terribles ,  il  lui  fit 
éprouver  les  plus  grands  obstacles  et  essuyer  les  traverses  les 
plus  cruelles  pour  ses  fondations  ;  à  ces  sortes  d'angoisses  ,  il 
ajouta  celles  de  lui  faire  voir  son  mari  banni  de  la  ville,  et  son 
fils  aîné  gardé  en  otage  pendant  que  Ladislas  ,  roi  de  Naples , 
envahissait  Rome ,  et  que  le  schisme  qui  déchira  l'Église , 
sous  Jean  XXIII ,  sévissait  avec  fureur  ;  mais  cette  âme  si 
forte  et  si  élevée  ne  fut  point  abattue,  et  sut  recueillir  de  tant 
d'épreuves  une  moisson  abondante  de  grâces  et  de  mérites  : 
aussi  Dieu  ,  qui  sait  le  nombre  de  nos  jours  et  qui  les  fixe  au 
gré  de  sa  sage  providence  ,  voulant  récompenser  les  travaux 
de  sa  servante  et  la  placer  dans  un  degré  d'honneur  et  de 
gloire  proportionné  à  la  grandeur  de  ses  abaissements,  donna 
le  signal  à  son  âme  bienheureuse  ,  et  l'appela  à  la  possession 
de  la  couronne  qui  lui  était  préparée  ,  l'an  1440,  le  9  mars,  à 
l'âge  de  cinquante-six  ans.  Quoique  honorée  d'un  culte  pu- 
blic après  sa  mort ,  à  cause  des  miracles  qu'elle  opérait ,  elle 
ne  fut  canonisée  qu'en  1G08. 

Les  visions  de  sainte  Françoise  Romaine  sont  au  nombre 
de  soixante-dix-huit ,  mais  la  majeure  partie  regardant ,  en 
propre  ,  sa  fondation  des  Oblalcs,  nous  avons  dû  nous  borner 
à  celles  qui  renferment  quelque  utile  enseignement,  soit 
pour  la  perfection,  soit  pour  la  connaissance  des  faveurs  et 


404  NOTICE  SUR  SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE. 

des  communications   que  Dieu  veut  bien  accorder  aux  âmes 
contemplatives. 

Nous  avons  rapporté  presque  dans  son  entier  le  traité  de 
l'Enfer,  parce  qu'il  est  fort  remarquable  et  qu'il  donne  la 
mesure  des  lumières  que  Dieu  accordait  à  sa  servante.  Les 
descriptions  qui  pourraient  sembler  purement  imaginaires 
aux  esprits  prévenus  ,  nous  les  avons  supprimées  ,  quoique 
aux  yeux  des  âmes  fidèles  leur  conformité  avec  l'Ecriture 
sainte  ,  et  beaucoup  d'autres  révélations  ,  les  leur  dussent 
présenter  sous  un  tout  autre  aspect.  Elles  ont  été  ,  ainsi  que 
ces  visions,  écrites  par  Jean  Mattiotti,  confesseur  de  la  Sainte, 
sous  sa  dictée  ,  et  soumises  au  jugement  de  l'Eglise  :  on  doit 
pourtant  leur  appliquer,  comme  aux  autres  visions  et  révé- 
lations ,  la  doctrine  si  sage  de  Benoît  XIY,  que  nous  avons 
déjà  citée  à  la  fin  des  Explications  préliminaires ,  page  6  ,  et 
l'observation  de  Godescard  ,  t.  2  ,  p.  273.  Tout  ce  que  nous 
donnons  est  rapporté  dans  son  bistoire,  par  le  R.  P.  Cipari , 
de  la  Compagnie  de  Jésus  ,  traduit  du  latin  ,  des  Actes  des 
Saints.  Yoyez  les  Bollandistes ,  ■ —  Cipari ,  —  et  le  Choix  des 
lectures  ascétiques ,  Clermont  Ferrand  ,  2  volumes,  approuvé 
par  l'évoque  de  Clermont.  C'est  la  traduction  que  nous  avons 
suivie. 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE , 

TIRÉ  DE  SES  VISIONS  ET  RÉVÉLATIONS. 


De  la  vision  XIII. 

Un  jour,  que  Françoise  entendait  la  Messe  pour  se  préparer 
à  communier,  elle  fut  ravie  en  extase.  Lorsque  le  moment  de 
la  communion  fut  arrivé  ,  quoique  son  ravissement  durât  en- 
core ,  elle  entra  dans  la  chapelle  ,  fléchit  les  genoux  ,  ouvrit 
la  bouche  ,  et  reçut  le  corps  de  son  Dieu  avec  une  admirable 
dévotion.  Alors  son  visage  devint  tout  enflammé,  et  ce  feu  lui 
resta  jusqu'à  la  fin  de  son  extase.  Revenue  à  elle-même ,  et 
interrogée  comme  de  coutume ,  elle  répondit  :  «  J'ai  été  con- 
duite clans  une  salle  très-belle  et  très-spacieuse  ,  qui  était 
pleine  de  trésors  infinis.  Là  se  trouvait  la  forme  humaine  de 
notre  Sauveur ,  décorée  de  ses  très-saintes  plaies  ,  d'où  sor- 
taient des  splendeurs  admirables ,  et  une  si  grande  clarté  que 
mon  esprit  ne  pouvait  voir  ses  membres  divins.  Mais  cette 
lumière  communiquait  à  tous  les  esprits  présents  une  joie  et 
un  contentement  inénarrables.  Je  vis  aussi  la  Reine  céleste  sur 
un  trône  magnifique  ,  mais  plus  bas  que  celui  de  son  Fils.  Sa 
tête  était  ornée  de  trois  couronnes  ;  la  première  était  celle  de 
sa  virginité,  la  seconde  celle  de  son  humilité,  la  troisième 


-400  ESPRIT 

celle  de  sa  gloire  ;  mais  c'était  celle-ci  qui  prêtait  aux  deux 
autres  leur  plus  bel  éclat.  Cette  grande  Reine  se  tenait  debout, 
les  yeux  fixés  sur  son  Fils  -,  et  l'amour  qu'elle  attirait  par  ses 
regards  dans  son  cœur ,  rejaillissait  sur  son  corps  qu'il  cou- 
vrait d'une  gloire  éblouissante.  Or,  tous  les  esprits  angéliques 
et  humains,  témoins  de  cette  gloire  de  leur  Reine,  paraissaient 
triompher  de  joie. 

Cependant  je  regardais  avec  admiration  ces  trésors  innom- 
brables dont  j'étais  entourée,  et  j'éprouvais  une  vive  curiosité 
de  savoir  quel  en  était  le  propriétaire.  Mais  je  n'eus  pas  be- 
soin de  le  demander,  car  une  voix  me  prévint  et  me  dit  :  «  Dieu 
est  le  trésor  et  la  gloire  des  âmes,  et  les  âmes  bienheureuses 
sont  les  trésors  de  Dieu.  Quant  à  moi  qui  vous  parle,  je  suis 
l'amour  perpétuel,  qui  retire  le  cœur  de  mes  amis  de  toutes 
les  jouissances  terrestres ,  et  leur  apprends  à  s'élever  de  ce 
qu'il  y  a  de  plus  bas  à  ce  qu'il  y  a  de  plus  haut  par  la  médi- 
tation. Je  leur  donne  des  consolations  ;  après  quoi  je  les 
amène  à  se  transformer  en  moi ,  par  la  considération  d'eux- 
mêmes.  Je  les  établis  dans  une  profonde  charité  ;  et  lorsque 
leur  cœur  est  bien  épris  de  l'amour  des  biens  célestes  ,  je  les 
enflamme  afin  de  les  disposer  à  s'unir  avec  ma  divine  volonté. 
Alors  ils  la  contemplent  sans  cesse,  ils  désirent  ardemment 
l'embrasser;  puis,  absorbés  clans  l'union,  et  comme  endor- 
mis ,  ils  aimeraient  mieux  perdre  la  vie  que  la  vision  dont  ils 
jouissent.  »  Ces  paroles  sortaient  du  trône  de  la  divine  Majesté; 
lorsqu'elles  cessèrent,  la  Reine  du  ciel  ajouta  :  «Ame,  qui 
désirez  être  semblable  à  nous  ,  ne  voyez-vous  pas  que  dans  le 
lieu  où  vous  êtes  il  n'y  a  aucune  personne  mortelle.  Lorsqu'on 
possède  un  bien ,  on  ne  l'apprécie  pas  à  sa  valeur.  Ce  n'est 
qu'après  l'avoir  perdu  qu'on  s'en  occupe  de  manière  à  le  bien 
connaître  ;  retirez-vous  donc ,  et  conservez  dans  votre  mé- 
moire le  souvenir  de  ce  que  vous  avez  vu.  Il  arrive  d'ordinaire 
qu'une  âme,  après  avoir  perdu  la  vision  ,  cherche  les  moyens 
de  la  retrouver,  et  si  elle  ne  peut  l'obtenir  ,  en  conçoit  une 
affliction  trop  vive.  C'est  un  excès  qu'il  faut  éviter.  » 


DE  SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE.  407 

Après  ce  discours,  je  suppliai  humblement  mon  Sauveur  et 
sa  Mère  de  ne  pas  me  retirer  celte  vision  béatifique  ;  mais  il 
m'a  été  répondu  :  a  Ame  ignorante  et  ingrate,  qui  ne  voulez 
pas  être  obéissante  et  vous  retirer,  pourquoi  ne  vous  conten- 
tez-vous pas  des  choses  qui  vous  sont  permises ,  au  lieu  de 
nous  contredire  avec  une  hardiesse  qui  ne  vous  convient 
pas  ?  »  Françoise  eut  cette  vision  le  dernier  jour  de  septem- 
bre de  la  susdite  année. 

Vision  XIV. 

Le  premier  jour  de  novembre ,  la  servante  de  Dieu  ,  après 
avoir  reçu  le  corps  de  Jésus-Christ ,  eut  une  extase  immobile 
qui  dura  environ  une  heure  ;  ensuite  celte  extase  devint  mo- 
bile, et  après  un  assez  long  espace  de  temps,  elle  revint  à  son 
état  naturel  et  répondit  aux  interrogations  ordinaires  :  qu'elle 
avait  été  introduite  dans  une  grande  lumière ,  que  de  cette 
lumière  elle  était  passée  dans  un  ciel  étoile,  puis  dans  un  ciel 
cristallin,  et  enfin  dans  le  ciel  empirée.  Le  confesseur  lui 
ayant  demandé  quelle  distance  il  y  avait  d'un  ciel  à  l'autre , 
Françoise  ,  avant  de  répondre  à  cette  question,  dit  que  le  ciel 
des  astres ,  dont  la  voûte  nous  paraît  azurée,  est  fort  lumineux, 
que  le  cristallin  l'est  encore  davantage,  mais  que  ces  lumières 
ne  sont  rien  en  comparaison  de  celles  qui  éclairent  l'empirée; 
elle  ajouta  que  le  ciel  des  astres  est  orné  d'étoiles  si  nom- 
breuses et  d'une  telle  grandeur  ,  que  l'esprit  humain  ne  sau- 
rait s'en  faire  une  idée  ;  que  le  cristallin  est  plus  vaste  que 
lui  ;  mais  que  la  grandeur  de  l'empirée  surpasse  tout  ce  qu'on 
en  peut  croire.  Enfin  ,  répondant  à  la  question  du  Père  ,  elle 
lui  dit  :  Que  le  ciel  cristallin  paraît  plus  élevé  au-dessus 
de  l'étoile,  que  celui-ci  ne  paraît  l'être  au-dessus  de  nos 
têtes  ;  mais  que  la  distance  de  l'empirée  au  cristallin  est 
beaucoup  plus  grande  que  celle  qui  sépare  celui-ci  de  l'é- 
toile. Ayant  été  interrogée  sur  les  étoiles ,  elle  répondit  qu'il 
y  en  a  de  plus  grandes  que  la  terre  ;  qu'elles  n'ont  pas  toutes 


408  ESPRIT 

la  même  clarté  ,  et  que  ,  quoiqu'elles  nous  semblent  fort  rap- 
prochées ,  il  y  a  pourtant  entre  elles  une  assez  grande  dis- 
tance. Venant  ensuite  à  ce  qu'elle  avait  vu  dans  l'empirée  , 
elle  dit  :  «  J'ai  vu  le  trône  sublime  de  la  Majesté  divine,  et  sur 
ce  trône  notre  Sauveur  glorifié  dans  son  humanité  ;  il  tenait 
ses  bras  croisés  sur  sa  poitrine  ,  et  de  ses  plaies  sortait  une 
splendeur  qu'il  est  impossible  d'exprimer  ;  cependant  la 
clarté  de  ces  divines  plaies  n'était  pas  égale  ;  celle  des  mains 
était  plus  vive  que  celle  des  pieds  ,  et  celle  du  sacré  cœur  in- 
comparablement plus  resplendissante.  Les  divers  rayons  qui 
jaillissaient  de  toutes  ces  blessures  ,  se  répandant  sur  toute  la 
cour  céleste,  communiquaient  à  tous  les  esprits,  tant  angé- 
liques  qu'humains,  une  gloire  admirable,  accompagnée 
d'une  vive  joie  et  d'une  incroyable  jubilation  ;  sur  un  autre 
trône  était  la  Mère  de  Dieu  ,  décorée  d'une  triple  couronne  , 
et  trois  rayons,  sortant  des  plaies  de  Jésus,  la  couvraient  d'un 
vêtement  extraordinairement  lumineux  ;  quant  aux  esprits  , 
ils  recevaient  les  émanations  de  la  gloire  du  Sauveur ,  pro- 
portionnellement à  leurs  mérites  ;  j'ai  remarqué  la  même  dif- 
férence entre  les  justes  de  la  terre ,  qui  reçoivent  aussi  com- 
munication de  la  gloire  du  Sauveur.  J'ai  encore  fait  une  autre 
observation  ,  c'est  que  la  lumière  des  justes  ,  quoique  sortant 
de  la  même  source,  ne  leur  arrive  pourtant  pas  par  le  même 
canal  ;  les  uns  la  reçoivent  des  pieds  de  Jésus  ,  les  autres 
de  ses  mains ,  d'autres  enfin  de  son  coeur  adorable.  Or  les 
raisons  de  ces  différences  m'ont  été  manifestées  :  les  créatures 
illuminées  par  les  rayons  qui  sortent  des  pieds  de  Jésus  , 
sont  celles  qui  l'aiment  d'un  amour  ordinaire  ;  celles  qui  sont 
éclairées  par  les  rayons  de  ses  mains ,  sont  celles  qui  l'ai- 
ment d'un  amour  fervent  ;  celles  que  le  sacré  cœur  inonde 
d'un  torrent  de  lumières,  ce  sont  celles  que  la  grâce  élève 
jusqu'au  pur  amour.  J'ai  remarqué  encore  que  parmi  ces  jus- 
tes, les  uns  reçoivent  leur  gloire  d'une  seule  plaie ,  les  autres 
de  deux,  d'autres  de  trois,  d'autres  de  quatre,  j'en  ai  vu 
même  qui  recevaient  la  lumière  des  cinq  plaies  à  la  fois ,  mais 


DE  SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE.  -409 

elles  sont  en  petit  nombre  ,  j'en  ai  compté  environ  quarante  : 
j'ai  vu  tomber  aussi  quelques  petits  rayons  sur  les  pécbeurs  ; 
je  me  suis  même  aperçue  que  ce  Sauveur  miséricordieux  en 
envoyait  encore  aux  obstinés,  quoique  ces  malbeureux  ne 
fassent  aucun  cas  de  la  grâce  :  cependant  ce  Dieu  patient , 
parce  qu'il  est  éternel,  ne  la  leur  retire  pas;  il  attend  pen- 
dant un  certain  temps  ,  pour  voir  si  ces  endurcis  ne  se  laisse- 
ront pas  gagner  par  ses  avances;  et  quand  enfin  il  les  voit 
fixes  dans  leur  opiniâtreté  ,  il  se  borne  à  diminuer  l'écoule- 
ment de  sa  grâce ,  leur  accordant  toujours  les  moyens  de 
salut  rigoureusement    nécessaires;    il   fait  plus  encore,   il 
abrège  la  vie  de  ces  hommes  endurcis ,  afin  qu'ils  ne  pèchent 
pas  davantage  ;  tandis  qu'au  contraire ,  il  la  prolonge  à  ceux 
qui  l'emploient  à  devenir  plus  saints.  »  Le  Père  lui  ayant  de- 
mandé dans  quel  endroit  précis  était  placé  son  esprit  pendant 
qu'il  voyait  toutes  ces  choses,  elle  parut  embarrassée,  mais 
forcée  par  l'obéissance  ,  elle  répondit  en  rougissant  ,  que  son 
esprit  était  dans  la  plaie  du  sacré  côté.  «  Dans  ce  divin  cœur, 
ajouta-t-elle,  était  comme  une  mer  d'une  douceur  très-suave, 
où  je  trouvais  une  joie  indicible  et  le  souverain  bien;  je  ne  pou- 
vais voir  le  fond  de  cette  mer,  en  sorte  qu'elle  était  comme  un 
abîme  :  plus  j'y  entrais  ,  et  plus  j'en  apercevais  la  profondeur; 
plus  je  goûtais  de  ces  eaux,  et  plus  ma  soif  devenait  insatia- 
ble. Après  avoir  joui  quelque  temps  de  cette  vision  et  de  ce 
goût  béatifique  ,  j'ai  entendu  une  voix  qui  disait  :  Je  suis 
l'amour  fidèle  qui  établit  l'âme  dans  la  vérité  ,  après  quoi  elle 
n'a  plus  que  du  dégoût  pour  le  monde,  ce  qui  la  fait  mépri- 
ser des  mondains;  mais  elle  aime  ce  mépris  ,  elle  aime  la  so- 
litude ,  elle  aime  les  tribulations  et  les  douleurs.  Or  ,  quand 
ces  sentiments  lui  sont  devenus  habituels  et  qu'elle  y  trouve 
ses  délices  ,  je  la  fais  monter  plus  haut ,  je  l'introduis  dans  le 
ciel  empirée  où  elle  contemple  mes  plaies  ,  dont  la  splendeur 
la  fait  brûler  d'amour  :  lorsqu'elle  est  bien  enflammée,  je  la 
transforme,  et  alors  elle  entre  dans  mon  cœur,  et  se  remet 
tout  entière  à  ma  volonté  ;  en  entrant  dans  mon  cœur,  elle  y 


-HO  ESPRIT 

trouve  un  abîme  de  charité  et  de  douceurs  incomparables , 
elle  s'y  plonge  et  y  demeure  submergée  ;  plus  elle  y  demeure 
et  plus  elle  admire  les  choses  qui  lui  sont  découvertes.  Une 
âme  qui  goûte  les  eaux  de  cette  source,  s'y  ennoblit  à  l'heure 
même  ;  or  toute  àme  peut  y  boire  ,  parce  qu'elle  n'a  ni  gar- 
dien ,  ni  dispensateur.  Plus  enflammée  encore  qu'auparavant 
par  ce  doux  langage,  je  me  suis  recommandée  à  Dieu  en 
disant  :  0  amour  tranquille  et  très-doux  !  qui  attirez  les  âmes 
dans  votre  royaume,  puisque  vous  avez  daigné  m'y  introduire, 
ne  m'obligez  pas  ,  je  vous  en  conjure  ,  à  en  sortir.  0  amour 
compatissant  et  vrai  !  qui  faites  monter  les  âmes  dans  le  lieu 
de  votre  gloire  ,  si  lorsqu'elles  sont  une  fois  altérées  de  votre 
présence,  vous  les  obligez  à  s'en  retourner,  que  voulez-vous 
qu'elles  deviennent  ?  Elles  ont  connu  par  expérience  la  dou- 
ceur de  votre  amour;  elles  comprennent  bien  que  vous  êtes 
l'amour  même  :  les  obliger  ensuite  à  se  séparer  de  vous,  c'est 
les  faire  mourir.  Vous  m'avez  mise  dans  votre  cœur ,  et  la 
joie  que  j'y  ai  goûtée  me  fait  dire  :  0  amour  délicieux  et  vrai- 
ment incomparable!  puisque  vous  voulez  que  je  vous  quitte  , 
je  vous  demande  la  mort  comme  un  bienfait,  car,  loin  de 
vous,  je  ne  saurais  supporter  la  vie.  » 

Vision  XVII. 

Le  20  du  mois  de  janvier,  la  Bienheureuse  eut  une  autre 
vision  dont  elle  rendit  compte  en  ces  termes  : 

«  Il  a  plu  à  Dieu  de  me  montrer  sa  divinité  ,  ainsi  que  la 
peut  voir  une  àme  enflammée  ,  dans  une  chair  mortelle.  Alors 
j'ai  vu  comme  un  grand  cercle  qui  n'avait  d'autre  soutien  que 
lui  seul  et  rendait  une  lumière  si  vive ,  que  je  ne  pouvais  le 
regarder  en  face.  Au-desso^us  de  ce  cercle  resplendissant  était 
le  vide  ou  le  néant,  comme  serait  l'espace  immense  qui  nous 
sépare  des  étoiles  ,  si  l'air  en  était  ôlé.  Il  y  avait  dans  ce  cer- 
cle l'apparence  d'une  couronne  lumineuse  et  très-blanche  , 
qui  me  faisait  l'effet  d'un  miroir  dans  lequel  je  voyais  la  divi- 


DE  SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE.  414 

nité.  J'y  lisais  aussi  les  paroles  suivantes  :  Principe  sans  prin- 
cipe et  fin  sans  fin.  —  En  effet ,  Dieu,  avant  de  créer  le  inonde, 
le  possédait  dans  son  entendement  ;  mais  il  voulut  le  produire 
pour  manifester  son  incompréhensible  sagesse. 

J'ai  vu  ensuite  comment  se  fit  la  création  des  anges  :  ils 
furent  tous  créés  à  la  fois  ,  et  la  puissance  de  Dieu  les  laissa 
tomber  ,  si  je  puis  parler  de  la  sorte  ,  comme  des  flocons  de 
neige  que  les  nuées  versent  sur  les  montagnes  pendant  la 
saison  de  l'hiver.  Après  leur  création  ils  furent  classés  en 
hiérarchie  par  leurs  dignités  respectives  :  je  voyais  ceux  qui 
devaient  persévérer  dans  la  grâce  et  aussi  ceux  qui  devaient 
tomber  et  perdre  leur  gloire  à  jamais ,  et  l'on  m'a  dit  que  ces 
derniers  formaient  la  troisième  partie  de  cette  immense  mul- 
titude. J'ai  vu  comment  la  Reine  céleste,  la  Mère  du  Verbe 
incarné  fut  conçue  sans  souillure  du  péché.  Puis  ,  regardant 
de  nouveau  dans  le  miroir  de  la  colonne,  j'y  ai  lu  les  mots 
suivants  :  «  Je  suis  l'amour  noble  et  fécond  qui  donne  la 
liberté  à  l'âme  :  je  la  remplis  de  mon  amour,  je  lui  commu- 
nique un  vrai  entendement,  une  parfaite  mémoire,  en  sorte 
qu'elle  connaisse  tout  ce  que  j'ai  fait  pour  elle  avant  qu'elle 
existât.  C'est  moi  qui  l'ai  créée,  qui  l'ai  faite  raisonnable  et 
lui  ai  donné  mon  nom  ,  sans  qu'elle  eût  rien  fait  pour  l'obte- 
nir. Or,  je  ne  lui  ai  pas  donné  la  raison  pour  qu'elle  vive 
comme  les  brutes  ,  mais  pour  qu'elle  succède  aux  trônes  et  à 
la  gloire  des  anges  tombés.  » 

Je  lus  encore  dans  le  miroir  ces  autres  paroles  :  «  J'ai  créé 
l'homme  pour  la  vie  éternelle-,  mais  lui ,  plus  soumis  au  dé- 
mon qu'à  moi ,  a  voulu  monter  dans  son  orgueil  ,  suivre  ses 
propres  idées  ,  et  savoir  plus  de  choses  qu'il  ne  lui  convenait 
d'en  apprendre  :  de  là  sa  chute  et  ses  malheurs.  » 

De  la  Vision  XXI. 

Au  retour  d'une  nouvelle  extase  ,  elle  en  parla  ainsi  :  «  J'ai 
vu  une  lumière  fort  éclatante  qui  planait  sur  des  ténèbres 


412  ESPRIT 

épaisses  :  dans  cette  lumière  était  un  tabernacle  tout  resplen- 
dissant, et  sur  ce  tabernacle  notre  Sauveur  dans  sa  très-sainte 
humanité  dont  les  sacrées  plaies  lançaient  des  rayons  qui 
couvraient  les  Saints  d'une  gloire  admirable.  Or  ,  il  y  en  avait 
un  grand  nombre  autour  de  lui.  La  Reine  des  cieux  y  était 
aussi ,  la  tète  ornée  de  ses  trois  couronnes  ,  d'où  sortait  une 
splendeur  très-vive.  Je  vis  ensuite  d'autres  âmes  encore  unies 
à  leurs  corps  ,  qui  entraient  dans  ce  feu  et  en  sortaient.  Or  , 
ce  feu  était  le  symbole  du  divin  amour.  Je  fus  curieuse  de  sa- 
voir quelles  étaient  ces  âmes  que  je  voyais  passer  à  travers 
cette  flamme.  Il  me  fut  répondu  qu'elles  appartenaient  à  des 
hommes  vivants  qui  persévéraient  dans  le  saint  amour,  et 
qu'elles  venaient  le  renouveler  dans  cette  fournaise.  Je  con- 
templais toute  joyeuse  ce  beau  spectacle ,  lorsque  Made- 
leine ,  cette  fervente  amie  de  Jésus  ,  accompagnée  de  sainte 
Agnès,  vinrent  me  dire  d'approcher  de  plus  près  de  ce  beau 
feu  ,  et  me  firent  monter  sur  un  lieu  élevé  d'où  je  pouvais  tout 
voir  fort  à  mon  aise.  Or  je  vis  une  grande  troupe  de  saintes 
vierges  qui  toutes  portaient  sur  la  tète  des  couronnes  d'une 
rare  beauté  :  elles  se  prirent  par  la  main  ,  et  conduites  par 
Madeleine  elles  entraient  dans  ce  feu  et  en  sortaient  en  chan- 
tant :  «  Si  quelqu'un  désire  entrer  dans  le  cœur  de  Jésus, 
voici  les  dispositions  que  ce  bon  Maître  lui  demandj  :  il 
doit , 

1°  Se  dépouiller  de  toutes  choses  tant  intérieures  qu'exté- 
rieures ; 

2°  Se  mépriser  soi-même  et  se  juger  digne  du  inépris  uni- 
versel ; 

3°  Agir  en  toute  simplicité ,  n'affectant  rien  qui  ne  soit 
conforme  à  ses  sentiments,  ne  cherchant  point  à  paraître 
meilleur  qu'il  ne  l'est  aux  yeux  de  Dieu  même  ; 

4°  Ne  jamais  revenir  sur  ses  sacrifices ,  ne  jamais  repren- 
dre aucune  des  choses  qui  ont  été  la  matière  de  son  offrande 
au  Seigneur  ; 

5°  Il  faut  qu'il  vienne  avec  l'intention  de  se  renoncer  lui- 


DE  SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE.  413 

même  et  de  connaître  sa  misère  au  point  de  ne  plus  oser  lever 
les  yeux  pour  regarder  son  Dieu  ; 

6°  Il  faut  qu'il  se  haïsse  jusqu'à  demander  vengeance  au 
Seigneur,  jusqu'à  provoquer  sa  justice  pour  l'engager  à  pu- 
nir ses  offenses  ; 

7°  Il  doit  rendre  au  Très-haut  les  dons  qu'il  en  a  reçus  ,  lui 
remettant  sa  mémoire  ,  son  entendement ,  sa  volonté  ,  sans 
aucune  réserve  :  sa  mémoire  ,  ne  voulant  plus  avoir  de  sou- 
venir que  de  lui  seul;  son  entendement,  pour  n'avoir  plus 
d'autres  lumières  que  celles  qui  lui  viendront  de  ce  "bon  Maî- 
tre; sa  volonté  ,  pour  n'avoir  plus  ni  répugnances  ni  désirs, 
abandonnant  sa  conduite  à  la  Providence,  avec  une  entière 
confiance  ; 

8°  Il  faut  que  les  louanges  soient  pour  lui  un  vrai  supplice  , 
bien  loin  d'acquiescer  jamais  aux  compliments  qu'on  lui 
fera  ; 

9°  Si  quelquefois  il  lui  arrive  de  laisser  pénétrer  dans  son 
cœur  quelque  joie  mondaine  ,  il  faut  qu'ensuite  il  en  conçoive 
un  vrai  chagrin  et  une  sincère  douleur  ; 

10°  Si  quelque  personne  lui  témoigne  de  l'aversion ,  il  faut 
que  ce  soit  pour  lui  comme  un  bain  d'eau  de  rose  ,  dans  le- 
quel elle  se  plonge  avec  une  vraie  et  sainte  humilité; 

11°  Lui  dit-on  des  injures  ,  il  faut  que  ces  paroles  réson- 
nent à  ses  oreilles  comme  des  sons  agréables  ;  qu'il  s'en  ré- 
jouisse sincèrement  et  qu'il  prie  Dieu  pour  ses  agresseurs  ; 

12°  Essuie-t-il  de  mauvais  traitements  ,  il  faut  qu'il  reçoive 
les  coups  comme  des  caresses  ,  et  qu'il  rende  grâces  à  Dieu 
comme  d'un  bienfait  ; 

13°  Ce  n'est  pas  même  assez  :  il  doit  remercier  ceux  qui 
lui  rendent  ce  service  ; 

14°  Il  doit  être  à  ses  yeux  un  homme  incapable  de  tout ,  un 
être  si  petit,  qu'à  peine  doit-on  l'apercevoir,  comme  un 
grain  de  millet  jeté  au  fond  d'une  rivière  profonde. 

Lorsque  l'obéissance  trouve  une  âme  ainsi  établie  dans 
l'humilité  ,  elle  la  réforme  sans  peine  ;  ensuite  la  foi  la  renou- 


il 4  ESPRIT 

velle  et  l'affermit  dans  le  bien  ;  puis  l'espérance  la  retire  de 
son  néant ,  l'ennoblit  et  la  décore.  Une  telle  àme  est  tonte 
retirée  en  Dieu  et  cachée  dans  sa  majesté  :  toutes  les  choses 
qu'elle  voit  la  réjouissent  et  la  consolent  :  la  charité  veut  à 
son  tour  l'échauffer  et  la  remplir  d'amour;  alors  elle  ne 
craint  plus  rien,  parce  que  l'amour  veille  à  sa  défense.  La 
prudence  vient  aussi  l'entourer  comme  d'un  rempart ,  pour 
empêcher  que  l'ennemi  pénètre  en  elle  et  la  dépouille.  Cette 
àme,  enfin,  débarrassée  de  ses  sollicitudes,  ne  pense  plus 
qu'à  Dieu  ,  son  aimable  et  puissant  protecteur,  et  se  repose 
sur  lui  de  tous  ses  intérêts.  Malheureusement  il  ne  s'est  trouvé 
dans  le  monde  qu'une  seule  âme  ainsi  préparée  ,  ainsi  embra- 
sée du  divin  amour  ,  ainsi  morte  aux  sollicitudes  de  la  terre  , 
et  ornée  de  toutes  ces  vertus  dans  un  degré  suprême  :  ce  fut 
la  divine  Marie.  Aussi  vivait-elle  joyeuse  et  contente ,  se  con- 
formant en  tout  accident  à  la  volonté  de  Dieu  dont  elle  n'eût 
pas  voulu  sortir,  même  pour  un  instant  :  de  là  son  élévation 
au-dessus  des  chœurs  des  anges,  au-dessus  de  toute  créature.  » 
Après  ce  discours  ,  la  servante  de  Dieu  ,  ayant  passé  de 
l'extase  immobile  à  l'extase  mobile ,  se  mit  à  chanter  en 
harmonie  avec  les  vierges  dont  nous  avous  parlé  plus  haut , 
répétant  leurs  paroles  ,  imitant  leurs  actions  et  leurs  gestes. 
Etant  ensuite  rentrée  dans  l'extase  immobile ,  elle  entendit 
Marie-Madeleine  qui  chantait  les  louanges  de  la  Mère  de 
Dieu.  «  Louanges  à  vous  ,  disait-elle,  ô  Reine  du  ciel,  que  je 
vois  ornée  de  toutes  les  vertus  !  Louanges  à  vous  que  Gabriel 
put  proclamer  avec  vérité  pleine  de  grâces  !  Par  votre  humi- 
lité et  votre  compassion  vous  avez  réparé  les  ruines  de  notre 
nature.  C'est  cet  Homme-Dieu  que  vous  portâtes  dans  votre 
sein  virginal  et  revêtîtes  de  votre  chair ,  qui  nous  a  délivrés 
des  liens  de  la  mort  et  retirés  du  noir  abîme.  Louange  éter- 
nelle soit  à  vous ,  ô  Reine  des  anges ,  rachetée ,  ornée  ,  cou- 
ronnée par  votre  Fils  !  Vous  êtes  notre  lumière  et  notre  joie 
dans  celte  vie  bienheureuse.  »  A  Marie-Madeleine  succéda 
sainte  Catherine,  autre  épouse  royale  de  Jésus,  et  dans  son 


DE  SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE.  415 

chant  elle  disait  :  «  Réjouissons-nous  tous  du  bien  que  nous 
avons,  car  nous  possédons  le  royaume  céleste;  chantons  les 
louanges  de  Jésus  et  aimons-le  toujours.  » 
Françoise  eut  cette  vision,  le  13  février  de  l'année  1432. 

De  la  Vision  XL11I. 

Le  premier  jour  de  novembre  ,  étant  toujours  malade ,  elle 
eut  une  extase  qui  dura  depuis  le  matin  jusqu'à  midi.  Son 
Père  spirituel  étant  venu  lui  rendre  visite  ,  la  trouva  assise 
sur  son  lit ,  les  yeux  fixés  sur  ses  bras,  comme  le  ferait  une 
mère  qui  tiendrait  son  enfant,  le  visage  rayonnant  de  joie,  et 
chantant  à  voix  basse  ,  mais  d'une  manière  fort  douce.  C'était 
Jésus  qu'elle  tenait  sur  ses  genoux  ,  sous  la  forme  d'un  petit 
agneau  :  il  ne  tarda  pas  à  la  quitter  après  l'arrivée  du  Père  , 
ce  qui  lui  causa  une  assez  vive  douleur ,  mais  elle  recouvra 
promptement  sa  tranquillité  ;  sans  sortir  de  son  extase,  ayant 
appelé  son  confesseur  ,  elle  lui  dit  : 

«.  J'ai  vu  la  Reine  céleste,  accompagnée  de  plusieurs  esprits 
glorieux  ;  Madeleine  ,  cette  fervente  amie  de  Jésus ,  était  avec 
elle.  Or,  voici ,  mon  Père ,  ce  qu'elle  m'a  chargé  de  vous  dire, 
de  la  part  de  l'auguste  Marie  :  Toute  personne  qui  veut  em- 
brasser le  genre  de  vie  des  Oblales  et  être  admise  dans  leur 
congrégation  ,  doit  réunir  les  conditions  suivantes  : 

1°  Qu'elle  soit  libre  de  corps  et  d'esprit; 

2°  Qu'elle  soit  bien  affermie  dans  la  foi  et  dans  la  sainte 
humilité; 

3°  Qu'elle  se  dépouille  de  tout  à  l'intérieur  et  à  l'extérieur, 
pour  faire  à  Jésus-Christ  un  sacrifice  sans  réserve; 

4°  Qu'elle  apporte  un  cœur  pur  et  des  mains  innocentes  ; 

5°  Qu'elle  s'acquitte  de  tout  ce  dont  la  charge  l'obéissance 
avec  une  grande  douceur  ; 

6°  Qu'elle  soit  bien  résolue  à  garder  une  chasteté  parfaite  ; 

7°  Qu'elle  ait  une  grande  confiance  en  la  bonté  de  son 
Créateur  ; 


-tl  6  ESPRIT 

8°  Qu'elle  sache  bien  qu'elle  rencontrera  des  épreuves, 
mais  qui ,  du  reste  ,  seront  fort  adoucies  par  les  consolations 
du  divin  amour  ; 

9°  Qu'elle  ait  un  courage  mêlé  d'une  humeur  pacifique  ,  ou 
si  elle  est  autrement ,  qu'elle  sache  la  dompter.  Avec  ces  qua- 
lités elle  trouvera  le  repos  dans  l'obéissance... 

Lorsqu'une  âme  est  vraiment  généreuse  envers  Dieu ,  elle 
commence  par  mourir  ,  afin  de  mener  une  vie  nouvelle;  elle 
se  remet  comme  un  instrument  entre  les  mains  de  Dieu  ,  se 
laisse  conduire  selon  son  bon  plaisir,  et  livre  tellement  son 
cœur ,  qu'il  ne  tarde  pas  à  brûler  de  la  divine  flamme.  Cette 
âme  est  une  flèche  lancée  avec  force  qui  va  droit  au  but  vers 
lequel  elle  est  décochée.  Sortie  de  la  main  de  l'obéissance,  elle 
va  vite ,  parce  qu'elle  va  de  bon  cœur  ;  elle  va  droit  son  che- 
min ,  à  cause  de  la  vitesse  que  sa  ferveur  lui  donne.  La  force 
de  son  mouvement  est  si  grande,  que  les  vices  fuient  loin  de 
sa  route  ,  et  s'ils  s'y  rencontrent ,  ils  sont  détruits.  Toujours 
vigilante  sur  son  intérieur ,  elle  le  dirige  constamment  dans 
la  voie  droite  qui  est  Jésus-Christ ,  afin  d'arriver  à  Dieu  qui 
est  son  terme.  Dieu  est  la  vraie  charité  ;  c'est  pourquoi  l'àme 
qui  procède  avec  cette  ferveur  ,  devient  promptement  capable 
de  s'unir  à  ce  bien  suprême  et  inépuisable.  Si  elle  persévère 
dans  celle  union,  tous  les  jours  elle  se  sent  plus  forte  et  va 
toujours  en  s'affermissant  davantage  dans  le  zèle  de  la  gloire 
de  Dieu  et  dans  son  amour.  » 

Après  ces  paroles,  Françoise  revint  à  son  sens  naturel. 
Alors  son  confesseur  l'ayant  interrogée  sur  sa  vision  ,  elle  lui 
raconta  ce  que  je  vais  dire  : 

«  J'ai  vu  dans  une  grande  lumière  un  autel  magnifiquement 
orné  :  sur  cet  autel  était  un  agneau  qui  portait  les  slygmates 
des  cinq  plaies  adorables ,  d'où  sortait  une  vive  clarté  ;  il 
tenait  sous  ses  pieds  de  devant  un  livre  marqué  de  sept 
sceaux  ,  et  la  matière  de  ces  sceaux  n'était  rien  moins  que  le 
sang  précieux  qui  a  sauvé  le  monde  :  les  trois  du  milieu 
étaient  encore  intacts  ,  les  quatre  autres  avaient  été  brisés.  Je 


DE  SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE.  417 

vis  aussi  au  pied  de  l'autel  un  grand  nombre  de  riches  chan- 
deliers arrangés  dans  un  très-bel  ordre.  Au  premier  rang,  et 
j'appelle  ainsi  le  plus  éloigné ,  il  y  en  avait  sept  qui  signi- 
fiaient les  vertus  principales;  au  second  rang,  il  y  en  avait 
douze  qui  signifiaient  les  douze  articles  du  Symbole  ;  au  troi- 
sième rang ,  il  y  en  avait  sept  qui  signifiaient  les  sept  dons  du 
Saint-Esprit  ;  au  quatrième  rang,  il  y  en  avait  sept  autres  par 
lesquels  étaient  représentés  les  sept  sacrements  de  l'Église. 

Le  glorieux  Jean-Baptiste  est  venu  me  prendre  et  m'a  con- 
duite près  de  l'autel  en  me  disant  :  Ame ,  c'est  de  la  part  du 
très-saint  Agneau  que  je  vous  amène  ici.  Approchez,  et  consi- 
dérez bien  cette  fête  solennelle  (  la  Toussaint  )  ;  regardez  sur- 
tout cet  Agneau  qui  vous  a  transformée  et  enflammée  de  son 
amour.  Sa  divinité  doit  être  désormais  votre  miroir  :  elle  vous 
a  liée  par  la'charité  ,  unissez-vous  à  elle  par  l'amour. 

J'ai  vu  ensuite  les  principaux  ordres  des  Saints  qui  s'avan- 
çaient sous  leurs  étendards....  »  &c. 

Elle  achève  de  décrire  sa  vision  ;  elle  parcourt  les  divers 
rangs  de  la  hiérarchie  céleste.  Cette  vision,  qui  avait  com- 
mencé avant  minuit ,  dura  treize  heures  ,  partie  dans  l'extase 
immobile,  partie  dans  l'extase  mobile.  Françoise  avoua  qu'elle 
voyait  plus  clairement  et  avec  plus  de  satisfaction  les  choses 
dans  la  première  que  dans  la  seconde ,  sans  doute  à  cause  du 
repos  et  de  la  profonde  paix  dont  elle  jouissait. 

De  la  Vision  LXVI1I. 

Le  '22  du  même  mois,  Françoise,  après  sa  communion  , 
eut  une  extase  d'abord  immobile  :  or ,  elle  voyait  les  trésors 
de  Dieu  ouverts,  parce  qu'il  en  voulait  faire  une  dispensation. 
La  Reine  céleste  était  présente  avec  saint  Paul ,  saint  Benoît 
et  sainte  Madeleine  (Ces  trois  Saints  lui  avaient  été  donnés, 
on  l'a  vu,  pour  protecteurs  de  son  ordre  ).  Lorsque  Françoise 
eut  un  peu  contemplé  cette  vision  ,  Marie  Madeleine  lui  dit  : 
«  Ame ,  qui  avez  été  conduite  et  transformée  dans  la  grâce 
t.  v.  27 


418  ESPRIT 

du  grand  abîme,  établissez-vous  fortement  en  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ;  faites-vous  faire  une  clef  et  une  serrure  solide  , 
pour  enfermer  l'amour  divin  dans  votre  cœur ,  en  sorte  qu'il 
ne  puisse  plus  vous  échapper.  Or  ,  c'est  en  vous  jetant  dans 
cet  abîme  d'ardeur  que  vous  vous  procurerez  cette  forte  ser- 
rure ;  car  l'amour  est  un  lien  fort  comme  le  fer.  Ame  ,  ne 
sortez  plus  de  la  plénitude  du  souverain  bien  ,  puisque  Dieu 
a  daigné  vous  amener  à  la  source  et  vous  rendre  capable  de  le 
recevoir.  Réjouissez-vous  ,  et  comprenez  ,  le  mieux  qu'il  vous 
sera  possible ,  ce  bien  qui  vous  remplit  de  ses  trésors;  ils 
sont  d'un  ordre  fort  élevé ,  et  c'est  pour  cela  que  je  vous  in- 
vite à  les  bien  comprendre.  Cela  exige  que  vous  montiez  ; 
mais  pour  monter  il  faut  descendre  :  descendez  donc,  ô  àme, 
non  dans  les  imperfections  par  faiblesse,  mais  en  vous-même 
par  une  profonde  humilité  ,  et  que  ce  soit  l'amour  qui  vous 
engage  à  descendre.  Plus  vous  descendrez  bas,  et  plus  vous 
remonterez  haut.  Vous  le  savez  déjà  par  expérience  ,  puisque 
vous  voilà  élevée  jusqu'à  la  lumière  où  se  fait  voir  la  divinité. 
Étant  ainsi  prise  par  l'amour  ,  faites  en  sorte  de  vous  em- 
■  braser  dans  cette  ardeur  et  de  demeurer  toujours  unie  avec 
elle.  » 

Saint  Paul  prit  ici  la  parole  ,  et  dit  de  la  part  de  la  Mère 
de  Dieu  :  «  Voici  ce  que  dit  le  Reine  céleste  ,  à  vous  toutes  qui 
êtes  ses  oblates.  Soyez  fermes  dans  le  projet  que  vous  avez 
conçu  et  que  rien  ne  vous  décourage.  Vous  avez  à  votre  dis- 
position le  sang  précieux  du  Ridempteur.  Si  vous  vous  sub- 
mergez dans  ce  sang  victorieux ,  vous  y  trouverez  la  force 
dont  vous  avez  besoin.  Soyez  généreuses ,  aimez  à  méditer  les 
choses  célestes,  humiliez-vous  en  toute  rencontre  ;  l'humilité 
vous  fera  jouir  d'une  véritable  tranquillité.  Notre  grande 
Reine  veut  que  vous  sachiez  que  les  démons  sont  en  mouve- 
ment pour  s'opposer  à  votre  entreprise  ;  ce  sont  des  ennemis 
que  leur  expérience  et  leur  malice  rendent  fort  redoutables. 
C'est  pourquoi  il  est  nécessaire  que  votre  conduite  soit  pru- 
demment réglée.  Or,  voici  les  conseils  que  vous  donne  cette 


DE  SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE.  419 

puissante  protectrice  :  marchez  par  la  voie  droite  que  Jésus- 
Christ  vous  a  tracée  ;  ne  perciez  jamais  de  vue  la  sainte  crainte 
de  Dieu  et  la  charité  ;  soyez  prudentes  et  bien  avisées  dans 
tout  ce  que  vous  faites  ;  dépouillez-vous  de  votre  volonté  ;  ne 
gardez  rien  en  propre  ;  ne  considérez  dans  toutes  les  choses 
qui  arrivent  que  l'honneur  de  Dieu;  prenez  garde  de  donner 
aux  autres  aucun  mauvais  exemple  ;  que  l'honnêteté  accom- 
pagne toutes  vos  actions  ;  soyez  constamment  aussi  sages  que 
modestes  ;  magnanimes  dans  le  service  de  Dieu ,  sans  crainte 
qu'on  vous  taxe  d'orgueil  ;  on  vous  en  accusera  ,  vous  pouvez 
en  être  sûres,  et  le  démon  ne  manquera  pas  d'appuyer  cette 
accusation  pour  vous  rendre  timides  dans  le  bien  ;  mais  quoi 
qu'on  en  puisse  dire  ,  continuez  à  agir  avec  cette  magnani- 
mité. Avant  de  commencer  vos  actions  ,  recourez  toujours  à 
la  prière  ;  allumez  de  plus  en  plus  votre  zèle  pour  la  gloire  de 
Dieu  ;  c'est  le  moyen  de  vous  désabuser  des  chimères  de  la 
vanité  ,  et  de  vous  prémunir  contre  les  retours  de  la  complai- 
sance en  soi-même  ,  si  odieuse  à  ceux  qui  aiment  Dieu  de 
tout  leur  cœur.  Quelque  chose  qui  arrive,  demeurez  paisibles 
dans  les  épreuves  et  les  souffrances  ,  confiez-vous  en  Dieu  , 
embrassez  sa  croix,  cachez-vous  dans  ses  plaies ,  submergez- 
vous  dans  son  sang.  Si  vous  faites  cela ,  vous  vivrez  en  paix , 
vous  donnerez  à  toutes  vos  actions  beaucoup  de  mérite  ,  et 
vous  arriverez  au  plus  haut  point  de  perfection.  » 

De  la  Vision  LUI. 

0  âme  ,  qui  que  vous  soyez  ,  voici  ce  que  l'Apôtre  saint 
Paul  vous  dit  de  la  part  du  Verbe  :  Si  vous  voulez  obtenir  du 
zèle  et  du  courage ,  allez  au  Verbe  divin.  Lorsqu'une  âme 
prend  place  à  son  banquet ,  il  se  donne  à  elle  avec  plénitude  , 
renouvelle  sa  ferveur  et  lui  fait  spirituellement  sentir  qu'elle 
est  faite  à  son  image.  C'est  par  l'intelligence  que  Dieu  lui 
donne  en  soufflant  sur  elle ,  qu'elle  est  faite  à  sa  ressem- 
blance. Or  ,  quand  elle  a  du  zèle,  elle  éclaire  son  intelligence 


42Ô  ESPRIT 

en  méditant  les  choses  de  Dieu.  En  les  méditant,  elle  en 
comprend  la  vérité  ;  et  quand  sa  foi  est  bien  éclairée  ,  elle 
conforme  sa  croyance  à  l'enseignement  divin.  Alors  la  charité 
donne  le  fruit  de  l'amour  à  l'intelligence  ,  et  l'àme  se  trouve 
tellement  embrasée  par  la  chaleur  de  l'amour  ,  qu'elle  se 
transforme  en  Dieu.  0  âme  !  ne  vous  laissez  donc  pas  aller  au 
sommeil  ;  mais  affermissez-vous  dans  la  foi  et  dans  l'amour 
substantiel ,  si  vous  voulez  goûter  d'une  consolation  déli- 
cieuse ;  considérez  la  divine  Sagesse  ,  voyez  l'ordre  qu'elle  a 
mis  dans  les  créatures  ,  et  comment  elle  les  a  admirablement 
disposées  ,  conformément  à  son  bon  plaisir  :  si  vous  voulez 
avoir  de  la  générosité  dans  le  service  de  Dieu  ,  contemplez 
son  amour  pour  nous  ,  et  tout  ce  que  cet  amour  lui  a  fait 
entreprendre  pour  notre  bien  ,  sans  aucun  intérêt  propre. 

De  la  Vision  LV. 

L'humilité  qui  se  fait  bien  petite ,  et  se  maintient  dans  cette 
infériorité  parvient  à  la  connaissance  de  la  vérité  et  s'y  per- 
fectionne ;  elle  veut  toujours  vivre  seule  afin  de  conserver  sa 
rare  beauté  ;  elle  veille  avec  grand  soin  à  se  tenir  nette  et 
pure  ,  et  c'est  cette  pureté  qui  la  défend  et  la  protège.  L'hu- 
milité se  suffit  à  elle-même  ;  elle  craint  et  fuit  les  regards  et 
les  attentions  des  créatures  ,  bien  loin  de  les  rechercher.  0 
âme  ,  que  ce  chemin  de  l'humilité  est  beau  ;  aucun  intérêt  ne 
la  touche  si  ce  n'est  la  gloire  de  son  Dieu  auquel  elle  s'est 
donnée  tout  entière  et  sans  réserve  !  Tout  occupée  de  lui 
plaire  ,  elle  se  repose  sur  lui  et  s'abandonne  à  sa  providence 
avec  une  entière  sécurité  ;  elle  en  vient  jusqu'à  se  haïr  et  se 
venger  d'elle-même ,  parce  qu'elle  ne  voit  que  sa  bassesse  et 
ses  péchés  ,  et  ne  perd  jamais  de  vue  cette  profonde  misère, 
sachant  bien  que  sans  cette  connaissance  précieuse,  sa  chute 
serait  assurée.  Sourde  aux  excuses  de  sa  sensualité  quand 
elle  vient  à  faillir,  elle  en  est  toute  honteuse,  si  honteuse 
qu'elle  n'ose  plus  regarder  le  ciel ,  de  peur  de  rencontrer  les 

% 


DE  SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE.  421 

yeux  du  Dieu  si  bon  qu'elle  a  eu  le  malheur  d'offenser.  Lors- 
que l'àme  se  laisse  guider  par  la  lumière  de  l'intelligence  et 
voit  la  vérité  ,  elle  revient  sans  cesse  à  son  bien  qui  est  Dieu 
seul  ,  se  remet  en  lui  ,  vit  dans  la  vérité  ,  et  se  fait  très-pe- 
tite et  très-pauvre.  Or ,  sa  remise  en  Dieu  se  fait  par  la  foi 
qui  est  une  très-belle  vertu  ;  la  vraie  confiance  vient  ensuite 
avec  l'espérance  et  le  désir  de  l'amour.  Or ,  le  désir  est  si 
ardent,  que  l'àme  s'y  trouve  comme  abîmée,  et  elle  demeure 
toute  joyeuse  dans  cette  charité,  avec  une  profondeur  d'amour 
qui  la  rend  très-certaine.  Ainsi  préparée  ,  elle  monte  et  va  se 
placer  dans  les  secrets  divins  ,  où  elle  trouve  un  repos ,  une 
sérénité  ,  en  un  mot,  une  paix  profonde  ,  parfaite.  Enfin,  la 
charité  transforme  en  Dieu  dont  elle  adopte  la  manière  de 
vivre  et  d'agir  ,  parce  qu'elle  l'aime  d'un  amour  véritable 

La  vérité  se  découvre  à  l'âme  lorsqu'elle  se  dépouille  d'elle- 
même,  et  renonce  à  ses  appétits  sensitifs.  La  vérité  se  trouve 
dans  la  mémoire  de  la  conscience  ,  quand  elle  est  éclairée 
par  la  vraie  lumière  de  l'intelligence  :  or ,  pour  que  l'enten- 
dement discerne  la  vraie  lumière  ,  qui  se  donne  à  lui  avec 
abondance  ,  il  faut  que  l'àme  soit  animée  du  désir  de  corres- 
pondre à  la  vérité  ;  mais  aussi  lorsque  cette  volonté  est  forte, 
courageuse,  elle  reçoit  la  grâce  d'une  lumière  parfaite.  Une 
fois  éclairée  de  la  vraie  lumière ,  elle  doit  chercher  la  vérité 
dans  sa  mémoire ,  où  elle  est  sûre  de  la  rencontrer.  Quand 
une  fois  elle  a  trouvé  la  vérité  ,  elle  la  saisit  par  la  foi  et 
l'amour  ;  elle  la  fixe  en  elle  par  l'humilité  et  la  prudence  ; 
dès  lors  elle  se  porte  avec  courage  et  avec  force  à  tout  ce  qui 
est  du  bon  plaisir  de  Dieu  ,  tandis  qu'elle  n'a  que  de  la  haine 
et  du  mépris  pour  tout  ce  qui  tend  à  énerver  son  courage,  ou 
affaiblir  sa  bonne  volonté. 

0  âme  noble  !  en  qui  le  Père  céleste  a  mis  sa  forme  et  son 
image,  regardez  bien  le  miroir  divin  ;  et  n'en  détournez  plus 
vos  regards  ,  de  peur  d'en  perdre  la  mémoire  ;  renfermez- 
vous  dans  votre  intérieur ,  vous  appliquant  à  pratiquer  la 
véritable  obéissance.  Marchez  dans  la  voie  que  Jésus-Christ 


422  ESPRIT 

vous  a  tracée  ;  il  vous  protégera  par  sa  puissance  ,  et  vous 
fortifiera  par  sa  sagesse,  tandis  que  sa  clémence  vous  rendra 
stable  dans  la  vérité.  Ne  craignez  ni  les  ennemis  ni  les  dan- 
gers ;  oubliez-vous  vous-même  ;  ne  pensez  qu'à  lui  plaire  ,  et 
sous  sa  protection  vous  vivrez  en  sécurité.  Si  vous  aimez 
Dieu  dans  la  vérité  ,  vous  ne  redouterez  point  les  injures  et 
les  adversités;  bien  plus,  vous  les  recevrez  toute  joyeuse  ,  les 
regardant  comme  une  bonne  fortune.  Or  ,  votre  joie  ce  sera 
Dieu  ,  et  la  sainte  pauvreté.  La  pauvreté  vit  en  assurance  , 
parce  qu'elle  vit  seule ,  et  n'attend  rien  que  de  Dieu  ,  dans 
lequel  elle  est  toute  plongée.  0  âme  !  rendez-vous  belle  aux 
yeux  du  doux  Jésus  qui  vous  a  réformée  et  s'est  donné  à  vous 
sans  réserve.  Aidez-le  à  vous  enflammer  de  son  amour;  car 
il  ne  veut  rien  faire  en  vous  sans  vous.  Soyez  zélée  et  coura- 
geuse pour  son  service  ,  afin  de  ne  pas  perdre  votre  souverain 
bien. » 

De  la  Vision  LUI. 

Pendant  son  extase,  saint  Benoît  lui  dit  de  la  part  du  Tout- 
puissant  ,  après  divers  moyens  d'avoir  l'obéissance  ,  ces  au- 
tres paroles  :  «  Dieu  est  singulièrement  content ,  lorsqu'une 
âme  opère  avec  courage ,  avance  avec  ordre  à  la  manière  de 
Dieu  ,  d'où  il  arrive  qu'en  marchant  doucement,  elle  parvient 
néanmoins  promptement  à  son  but.  Dieu  aime  aussi  à  voir 
que  cette  âme  se  dépouille  de  toute  crainte ,  ne  s'occupe  point 
d'elle-même  et  se  conforme  en  tout  à  sa  sainte  volonté  ;  alors, 
parce  qu'elle  est  fidèle,  il  pourvoit  à  tous  ses  besoins  ,  qui  lui 
sont  parfaitement  connus  ,  et  se  charge  d'être  lui-même  son 
guide  :  avec  un  tel  conducteur  ,  cette  pauvre  voyageuse  n'a 
plus  à  craindre  de  s'égarer  :  tout  ce  qui  lui  reste  à  faire  c'est 
de  le  suivre  ,  c'est  de  se  dépouiller  de  tout  afin  de  marcher 
plus  légèrement,  c'est  surtout  de  ne  rien  porter  dans  son 
propre  vouloir  ;  et  alors  il  n'y  aura  plus  ni  choses  ni  person- 
nes qui  la  retardent  dans  sa  course;  il  est  nécessaire  encore 


DE  SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE.  423 

qu'elle  inarche  avec  prudence  ,  qu'elle  s'écarte  de  tout  ce  qui 
pourrait  lui  nuire  ,  et  qu'elle  croisse  toujours  davantage  en 
amour.  Moyennant  cela,  qu'elle  soit  sans  crainte  sur  le  dan- 
ger de  l'inconstance  ;  dès  lors  qu'elle  fait  ce  qu'elle  peut,  elle 
aura  pour  compagnes  la  charité  et  la  vérité. 

Qu'elle  soit  discrète  dans  le  bien  ,  ennemie  de  tout  défaut , 
en  garde  contre  le  péché  à  cause  de  l'honneur  de  Dieu  ; 
qu'elle  renonce  pleinement  à  sa  volonté  et  donne  à  son  Créa- 
teur une  affection  toute  filiale,  car  un  bon  fils  a  toujours  pour 
son  père  un  profond  respect  et  évite  avec  grand  soin  tout  ce 
qui  pourrait  lui  déplaire  ;  il  est  attentif  aux  moindres  signes 
de  sa  volonté  ,  toujours  prêt  à  exécuter  ses  ordres  ,  toujours 
disposé  à  le  satisfaire  en  tout  ce  qu'il  peut  désirer  ;  il  mour- 
rait s'il  le  fallait  pour  le  servir.  » 

De  la  Vision  L\V. 

La  réponse  que  Françoise  avait  faite  à  son  Père  spirituel , 
touchant  son  état  pendant  les  visions  ,  ne  l'ayant  point  salis- 
fait  (il  ne  pouvait  comprendre  comment  ne  sentant  pas  la 
violence  qu'on  lui  faisait  en  lui  tordant  les  mains  ou  en  les 
frictionnant  fortement  ,  elle  pouvait  néanmoins  parler  et 
répondre  à  l'obéissance  )  ,  Dieu  voulut  faire  cesser  son 
étonnement  et  satisfaire  sa  curiosité  :  un  jour  donc  ,  qu'après 
avoir  communié  ,  sa  servante  fut  élevée  dans  l'extase  ,  elle  se 
mit  à  dire  de  la  part  de  l'Apôtre  saint  Paul  :  «  La  vérité  su- 
prême vient  d'opérer  un  changement  dans  ce  corps  humain  ; 
il  a  perdu  le  mouvement  et  ne  peut  plus  s'aider  ;  tous  ses 
sens  lui  ont  été  ùlés  par  la  volonté  divine  ;  l'ardeur  de  l'es- 
prit qui  voudrait  comprendre  ce  qu'il  voit  est  si  grande  que 
le  sens  humain  ne  saurait  supporter  un  tel  travail ,  une  si 
forte  application.  En  conséquence  ,  il  demeure  accablé  et 
comme  anéanti  :  en  outre  ,  il  oppose  de  telles  difficultés  à  la 
compréhension  des  choses  divines  ,  que  l'esprit  sans  cette 
absorption  ne  pourrait  y  parvenir.  Celte  interruption  des  sens 


•12-4  ESPIUT 

s'appelle  aliénation  ;  mais  au  fait ,  aucune  expression  ne  peut, 
donner  une  idée  juste  de  l'élévation  de  l'esprit  au-dessus  du 
corps  qui  se  fait  dans  l'extase  ;  dira-t-on  que  ces  âmes  sont 
dans  un  état  de  sommeil  ?  Ce  serait  à  tort  ;  car  elles  sont  bien 
éveillées  et  fort  attentives  à  regarder  ce  qu'on  leur  montre. 
Pourquoi  donc  ces  personnes  ne  parlent-elles  pas  dans  cette 
compréhension  intellectuelle  qui  les  enflamme  d'une  si  vive 
ardeur  ?  Parce  que  cet  état  les  lie  de  telle  sorte  au  dedans 
d'elles-mêmes  qu'elles  ne  peuvent  agir  au  dehors ,  elles  ne 
peuvent  donc  parler  que  par  l'opération  de  la  volonté  divine  ; 
les  sensations  sont  également  impossibles ,  parce  qu'alors 
tous  les  sens  corporels  sont  repliés  du  coté  de  l'esprit  et  si 
fortement  liés  ,  qu'ils  souffrent  une  espèce  de  torture.  Cette 
élévation  de  l'âme  donne  au  corps  une  grande  légèreté  ;  quant 
au  sens  de  la  vue  ,  la  divine  Sagesse  lui  conserve  une  expres- 
sion semblable  à  celle  des  yeux  d'une  personne  éveillée, 
dont  le  regard  est  fixe ,  et  elle  en  agit  ainsi  pour  empêcher 
qu'on  ne  croie  ces  personnes  endormies  et  qu'on  ne  méprise 
leurs  paroles  comme  des  rêves...  » 

Du  traite  de  l'eufer. 

Du  lieu  de  l'enfer ,  de  son  prince ,  de  l'entrée  des  âmes  dans  ce  lieu 
d'horreur  et  des  peines  qui  leur  sont  communes. 

Un  jour  que  la  servante  de  Dieu  était  très-souffrante  ,  elle 
s'enferma  dans  sa  cellule  pour  se  livrer  en  toute  liberté  à 
l'exercice  de  la  contemplation  où  elle  trouvait  sa  consolation 
et  toutes  ses  délices;  il  était  environ  quatre  heures  après 
midi  ;  elle  fut  aussitôt  ravie  en  extase,  et  l'archange  Raphaël, 
qu'elle  ne  vit  pas  alors  ,  vint  la  prendre  et  la  conduisit  à  la 
vision  de  l'enfer.  Arrivée  à  la  porte  de  ce  royaume  effroyable  , 
elle  lut  ces  paroles  ,  écrites  en  caractères  de  feu  :  Ce  lieu  est 
l'enfer,  où  il  n'y  a  ni  repos,  ni  consolation,  ni  espérance.  Cette 
porte  étant  ouverte,  elle  regarda,  et  vit  un  abîme  si  profond  et 


DE  SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE.  425 

si  épouvantable  que  depuis  elle  n'en  pouvait  parler  sans  que 
son  sang  se  glaçât  d'effroi  :  de  cet  abîme  sortaient  des  cris 
affreux  et  des  exhalaisons  insupportables  ;  alors  elle  fut  saisie 
d'une  horreur  extrême,  mais  elle  entendit  la  voix  de  son  con- 
ducteur invisible  qui  lui  disait  d'avoir  bon  courage  parce  qu'il 
ne  lui  arriverait  aucun  mal.  Un  peu  rassurée  par  cette  voix 
amie ,  elle  observa  plus  attentivement  cette  porte,  et  vit  que  , 
déjà  fort  large  à  son  entrée  ,  elle  allait  en  s'élargissant  tou- 
jours davantage  dans  son  épaisseur;  mais  dans  cet  affreux 
corridor  régnaient  des  ténèbres  inimaginables  ;  cependant  il 
se  fit  pour  elle  une  lumière  ,  et  elle  vit  que  l'enfer  était  com- 
posé de  trois  régions  :  l'une  supérieure  ,  l'autre  inférieure  et 
l'autre  intermédiaire.  Dans  la  région  supérieure ,  tout  annon- 
çait de  graves  tourments  ;  dans  celle  du  milieu  ,  l'appareil 
des  tortures  était  encore  plus  effrayant ,  mais  dans  la  plus 
basse  région,  la  souffrance  était  incompréhensible.  Ces  trois 
régions  étaient  séparées  par  de  longs  espaces  où  les  ténèbres 
étaient  épaisses  et  les  instruments  de  tortures  en  nombre  pro- 
digieux et  extraordinairement  variés 

Elle  vit  ensuite  le  dragon  infernal  qui  offrait  l'aspect  le  plus 
hideux 

A  cette  vision  en  succéda  une  autre  :  la  servante  de  Dieu 
aperçut  de  tous  côtés  des  âmes  que  les  esprits  qui  les  avaient 
tentées  amenaient  dans  cette  affreuse  demeure  ;  elles  por- 
taient leurs  péchés  écrits  sur  leurs  fronts  en  caractères  si 
intelligibles  que  la  Sainte  comprenait  pour  quels  crimes  cha- 
cune d'elles  était  damnée  ;  ces  lettres  du  reste  n'étaient  que 
pour  elle  seule ,  car  ces  âmes  malheureuses  ne  connaissaient 
réciproquement  leurs  péchés  que  par  la  pensée  :  les  démons 
qui  les  conduisaient  les  accablaient  de  plaisanteries  ,  de  re- 
proches amers  et  de  mauvais  traitements  ,  qu'il  serait  diffi- 
cile de  raconter,  tant  la  rage  de  ces  monstres  était  inven- 
tive  

La  servante  de  Dieu  ayant  désiré  savoir  quelle  différence 
il  y  avait  entre  les  habitants  des  trois  provinces  de  ce  royau- 


426  ESPRIT 

me  effroyable ,  il  lui  fut  dit  :  que  dans  la  région  inférieure 
étaient  placés  les  plus  grands  criminels;  dans  celle  du  mi- 
lieu les  criminels  médiocres,  et  dans  la  région  supérieure  les 
moins  coupables  des  réprouvés  ;  les  âmes  que  vous  voyez 
dans  ce  lieu  le  plus  haut,  ajouta  la  voix  qui  l'instruisait,  sont 
celles  des  juifs,  qui,  à  leur  opiniâtreté  près,  vécurent  exempts 
de  grands  crimes  ;  celles  des  chrétiens  qui  négligèrent  la 
confession  durant  la  vie  et  en  furent  privés  à  la  ifiort ,  &c. 
Tout  ce  que  la  Bienheureuse  voyait  et  entendait  la  remplis- 
sait d'épouvante  ;  mais  son  guide  avait  grand  soin  de  la  ras- 
surer et  de  la  fortifier. 

Elle  décrit  ici  chaque  genre  de  supplice  réservé,  1°  aux  im- 
pudiques, 2°  aux  usuriers,  3°  aux  blasphémateurs  ,  4°  aux 
traîtres  ,  5°  aux  homicides,  6°  aux  apostats  ,  7°  aux  inces- 
tueux ,  8°  aux  magiciens  ,  9°  aux  excommuniés  ;  puis  vien- 
nent les  peines  des  sept  péchés  capitaux  ,  ce  que  souffrent  les 
orgueilleux,  les  colères,  les  avares,  les  envieux,  les  pares- 
seux, les  gourmands  et  les  luxurieux  ;  enfin,  les  supplices 
qu'endurent ,  1°  les  voleurs,  2°  les  enfants  dénaturés,  3°  les 
violateurs  du  vœu  de  chasteté  ,  i"  1  s  parjures  ,  5°  les  détrac- 
teurs, 6°  les  vierges  folles,  7°  les  veuves  vicieuses  ,  8°  les 
femmes  idolâtres  de  leur  beauté.  Plusieurs  regretteront  peut- 
être  de  ne  point  trouver  ici  ces  détails ,  mais  beaucoup  d'au- 
tres nous  approuveront  et  comprendront  les  sages  motifs  de 
notre  silence  à  ce  sujet.  D'ailleurs  ,  on  peut  les  voir  dans  les 
auteurs  que  nous  avons  cités. 

Dn  nombre  des  démons ,  de  leurs  noms  et  de  leurs  emplois. 
(  Ce  chapitre  étant  très-long ,  nous  n'en  ferons  aussi  que  des  extraits,  j 

Dans  la  vision  27mc ,  où  la  création  des  anges  et  leur  clas- 
sification furent  manifestées  à  notre  Sainte  ,  Dieu  lui  fit  dis- 
cerner ceux  qui  devaient  pécher  de  ceux  qui  demeureraient 
fidèles  ;  elle  fut  ensuite  témoin  de  leur  révolte  et  de  la  chute 


DE  SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE.  427 

horrible  qu'elle  leur  mérita.  Or  ,  elle  ne  fut  pourtant  pas 
aussi  profonde  pour  les  uns  que  pour  les  autres  ;  un  tiers  de 
ces  infortunés  demeura  dans  les  airs  ,  un  autre  tiers  s'ar- 
rêta sur  la  terre ,  et  le  dernier  tiers  tomba  jusque  dans 
l'enfer.  Cette  différence  dans  les  châtiments  correspondit  à 
celles  que  Dieu  remarqua  dans  les  circonstances  de  leur  faute 
commune 

Lucifer,  qui  voulut  être  l'égal  de  Dieu  dans  le  ciel ,  est  le 
monarque  des  enfers,  mais  monarque  enchaîné  et  plus  mal- 
heureux que  tous  les  autres;  il  a  sous  lui  trois  princes  aux- 
quels tous  les  démons  divisés  en  trois  corps  sont  assujettis 
par  la  volonté  de  Dieu... 

Lucifer  était  ,  dans  le  ciel ,  le  plus  noble  des  anges  qui 
se  révoltèrent ,  et  son  orgueil  en  fit  le  plus  méchant  des 
démons 

Le  premier  des  trois  princes  qui  commandent  sous  ses 
ordres  se  nomme  Asmodêe ;  c'était  dans  le  ciel  un  Chérubin, 
et  il  est  aujourd'hui  l'esprit  impur  qui  préside  à  tous  les  pé- 
chés déshonnêtes. 

Le  deuxième  prince  s'appelle  Mammon  ;  c'était  autrefois  un 
Trône,  et  maintenant  il  préside  aux  divers  péchés  que  fait 
commettre  l'amour  de  l'argent. 

Le  troisième  prince  porte  le  nom  de  Béelzébuth.  Il  appar- 
tenait dans  l'origine  au  chœur  des  Dominations,  et  maintenant 
il  est  établi  sur  tous  les  crimes  qu'enfante  l'idolâtrie  et  pré- 
side aux  ténèbres  infernales.  Ces  trois  chefs  ne  sortent  jamais 
de  leurs  prisons  souterraines  ;  seulement,  lorsque  la  justice 
de  Dieu  doit  exercer  quelque  vengeance  éclatante  ,  ils  dépu- 
tent des  légions  de  démons  subordonnés. 

Tous  ces  esprits  infortunés  sont  classés  dans  l'abîme  , 
selon  leur  ordre  hiérarchique.  Les  Chérubins  d'abord  ,  les 
Séraphins  et  les  Trônes  ,  puis  les  Dominations,  les  Princi- 
pautés et  les  Puissances  ;  enfin  les  Vertus,  les  Archanges  et 
les  Anges.  Ces  trois  ordres  habitent  les  trois  lieux  de  l'enfer, 
le  supérieur,  l'inférieur,  l'intermédiaire. 


428  ESPRIT 

Quant  à  leur  nombre  ,  il  est  innombrable. 

On  retrouve  ces  mêmes  hiérarchies  parmi  les  démons  qui 
demeurent  dans  l'air  et  sur  la  terre  ;  mais  ils  n'ont  point  de 
chef,  et  vivent  dans  l'indépendance  et  une  sorte  d'égalité.  Ce 
sont  les  démons  aériens  qui ,  la  plupart  du  temps ,  déchaî- 
nent les  vents  ,  excitent  les  tempêtes  ,  produisent  les  orages  , 
les  grêles  et  les  inondations.  Leur  intention  en  cela  est  de 
faire  du  mal  aux  hommes  ,  surtout  en  diminuant  leur  con- 
fiance en  la  divine  Providence  et  les  faisant  murmurer  contre 
la  volonté  de  Dieu. 

Tous  les  démons  qui  vivent  sur  la  terre  se  concertent  et 
s'aident  mutuellement  à  perdre  les  âmes  :  les  uns  affaiblis- 
sent leur  foi ,  les  autres  les  poussent  à  l'orgueil ,  ceux-ci  à 
l'impureté  ,  &c. ,  &c.  Le  seul  moyen  d'échapper  à  ce  complot 
infernal,  serait  de  se  relever  promptement  de  la  première 
chute  ,  et  c'est  précisément  ce  que  ces  pauvres  âmes  ne  font 
pas. 

Rien  n'arrête  plus  les  efforts  du  démon  et  ne  leur  cause  de 
plus  grands  supplices  que  de  prononcer  le  saint  nom  de 
Jésus. 

Lorsque  les  âmes  vivent  dans  l'habitude  du  péché  mortel , 
les  démons  entrent  en  elles  et  les  dominent  en  plusieurs  fa- 
çons qui  varient  selon  la  quantité  et  la  qualité  de  leurs  cri- 
mes ;  mais,  quand  elles  reçoivent  l'absolution  avec  un  cœur 
contrit ,  ils  perdent  leur  domination  ,  délogent  au  plus  vite 
et  se  remettent  auprès  d'elles  pour  les  tenter  de  nouveau  ; 
mais  leurs  attaques  sont  moins  vives,  parce  que  la  confession 
a  diminué  leurs  forces. 

Les  Limbes. 

Lorsque  la  servante  de  Dieu  fut  transportée  à  l'entrée  de 
l'enfer  ,  elle  vit  tout  près  un  ange  debout  à  une  autre  porte  : 
c'était  la  porte  des  limbes ,  de  celte  prison  où  toutes  les  âmes 
justes  de  la  terre  attendirent  si  longtemps  la  venue  du  libé- 


DE  SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE.  4.29 

rateur.  Ce  lieu  ,  quoique  contigù  à  l'enfer,  n'a]  aucune  com- 
munication avec  lui.  Il  n'y  a  dans  ce  lieu  ni  feu,  ni  glace  , 
ni  serpents,  ni  démons ,  ni  odeur  empestée  :  on  n'y  entend  ni 
hurlements ,  ni  blasphèmes  ;  on  n'y  souffre  aucune  autre 
peine  que  la  privation  de  la  lumière  ;  car  il  y  fait  toujours  nuit. 
C'est  là  que  se  trouve  la  demeure  éternelle  des  enfants  morts 
sans  baptême  :  sa  distribution  est  la  même  que  celle  de 
l'enfer.  Il  y  a  une  partie  supérieure  ,  une  inférieure ,  une  in- 
termédiaire. La  partie  supérieure  est  habitée  par  les  enfants 
nés  ou  conçus  de  parents  chrétiens  ;  dans  la  partie  intermé- 
diaire sont  renfermés  les  enfants  des  juifs  morts  avant  d'avoir 
péché;  dans  la  partie  inférieure  se  trouvent  ceux  qui  sont 
nés  ou  conçus  par  l'effet  d'un  crime  contraire  au  vœu  solen- 
nel de  chasteté  ou  d'affinité  spirituelle  :  là  règne  une  nuit 
plus  profonde  que  dans  les  deux  parties^plus  élevées. 

Du  Purgatoire. 

Après  les  visions  susdites  ,  la  servante  de  Dieu  fut  con- 
duite à  celle  du  purgatoire  ,  dont  la  distribution  est  la  même 
que  celle  de  l'enfer.  En  approchant  de  ce  triste  lieu  ,  elle  lut 
ces  paroles  écrites  sur  la  porte  :  «  C'est  ici  le  purgatoire,  lieu 
d'espérance,  où  les  âmes  attendent  l'accomplissement  de 
leurs  désirs.  »  L'ange  Raphaël  lui  fit  voir  les  trois  parties  de 
cette  demeure ,  et  voici  ce  qu'elle  vit  :  Dans  la  partie  la  plus 
basse  brûle  un  feu  qui  donne  de  la  lumière  ,  dissemblable  en 
cela  à  celui  de  l'enfer  qui  est  noir  et  sans  aucune  clarté.  Ce 
feu  est  très-ardent  et  d'une  couleur  rouge.  C'est  là  que  sont 
punies  les  âmes  redevables  à  la  justice  de  Dieu  de  la  peine 
temporelle  qu'elles  méritent  par  de  grands  péchés  ,  et  le  feu 
les  tourmente  plus  ou  moins  rigoureusement ,  selon  la  qua- 
lité et  la  quantité  de  leurs  dettes.  L'ange  lui  dit  que  sept 
années  de  souffrances  dans  cette  partie  inférieure  correspon- 
dent à  celle  temporelle  méritée  par  un  seul  péché  mortel. 
A  la  gauche  de  ces  âmes  ,  mais  hors  du  purgatoire  ,  Frau- 


430  ESPRIT 

çoise  vit  les  démons  qui  les  tentaient  pendant  la  vie  ,  et  elie 
observa  que  les  pauvres  cames  souffraient  beaucoup  de  leur 
vision  et  des  reproches  qu'ils  ne  cessaient  de  leur  faire  en- 
tendre. Du  reste,  le  pouvoir  des  démons  sur  ces  âmes  se 
borne  à  ces  deux  choses  :  à  les  affliger  par  leurs  reproches  et 
par  leur  horrible  aspect. 

Les  âmes  placées  dans  le  feu  du  purgatoire  inférieur  ac- 
quiescent humblement  à  la  justice  divine  ;  néanmoins  ,  la 
rigueur  des  peines  qu'elles  endurent  leur  arrache  des  gémis- 
sements que  personne  en  celte  vie  ne  saurait  comprendre. 
Elles  acquiescent  à  la  volonté  de  leur  Juge ,  parce  qu'elles 
comprennent  parfaitement  l'équité  des  tourments  qu'elles  en- 
durent :  or  ,  cet  acquiescement  est  cause  que  Dieu  prête 
l'oreille  à  leurs  plaintes ,  qu'il  en  est  touché  et  leur  donne 
quelques  consolations.  Il  ne  les  arrache  pas  pour  cela  aux 
flammes  qui  les  brûlent ,  mais  il  leur  fait  trouver  dans  leur 
soumission  même  une  sorte  de  rafraîchissement  ainsi  que 
dans  la  pensée  qu'elles  arriveront  bientôt  à  la  gloire  éter- 
nelle. 

C'est  l'Ange  gardien  qui  recueille  les  suffrages  offerts  pour 
les  âmes  sur  la  terre  ,  et  les  présente  à  la  justice  de  Dieu  qui 
les  lui  rend ,  afin  qu'il  les  applique  à  ces  pauvres  âmes  , 
comme  un  remède  qui  adoucit  leurs  maux.  Il  présente  éga- 
ment  à  Dieu  toutes  les  bonnes  œuvres  qu'elles  ont  faites  pen- 
dant la  vie.  Lorsqu'une  âme  a  fait  des  legs  pieux  avant  son 
trépas,  Dieu,  dans  sa  bonté ,  les  accepte  sur-le-champ  et 
les  récompense ,  quand  même  ils  ne  recevraient  pas  leur 
exécution  par  la  faute  de  ceux  qui  en  étaient  chargés.  Cepen- 
dant ,  si  elle  a  renvoyé  ces  bonnes  œuvres  après  sa  mort, 
par  affection  pour  ses  richesses  ,  Dieu  ne  la  récompense  qu'à 
l'expiration  du  temps  déterminé  par  elle  pour  leur  accom- 
plissement. 

Le  purgatoire  inférieur  se  divise  en  trois  prisons  séparées, 
où  le  feu  n'a  pas  une  égale  ardeur  ;  il  est  plus  brûlant  dans 
la  première  que  dans  la  seconde ,  et  dans  la  seconde  que  dans 


DE  SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE.  431 

la  troisième.  Or,  la  première  est  destinée  aux  religieux  et  aux 
prêtres  ,  eussent-ils  commis  de  moindres  péchés  que  les  sé- 
culiers ,  parce  qu'ils  ont  eu  plus  de  lumières  ,  et  n'ont  pas 
honoré  leur  dignité  comme  ils  le  devaient.  Françoise  vit  dans 
ce  cachot  un  prêtre  fort  pieux,  mais  qui  avait  trop  contenté 
son  appétit  par  l'usage  des  aliments. 

La  seconde  prison  est  la  demeure  des  religieux  et  des 
clercs  qui  ne  furent  pas  honorés  du  sacerdoce.  Dans  la  troi- 
sième sont  renfermées  les  âmes  séculières  qui  commirent  de 
grands  péchés  et  ne  les  expièrent  pas  pendant  la  vie.  Les 
tourments  ne  sont  pourtant  pas  égaux  dans  chacune  de  ces 
prisons  ;  ils  sont  plus  ou  moins  cruels ,  selon  la  mesure  de 
leurs  dettes  et  la  qualité  des  personnes.  Les  supérieurs  y  souf- 
frent davantage  que  les  inférieurs  ;  selon  qu'une  âme  est 
plus  ou  moins  coupable,  les  supplices  sont  plus  ou  moins 
cruels  et  leur  durée  est  plus  ou  moins  longue. 

Après  avoir  considéré  le  purgatoire  inférieur  ,  Françoise 
fut  conduite  à  la  vision  du  purgatoire  intermédiaire.  Or,  il  se 
partage  ,  comme  l'autre  ,  en  trois  parties  ,  dont  la  première 
est  un  lac  d'eau  glacée  ,  la  seconde  un  lac  de  poix  fondue  , 
mêlée  d'huile  bouillante ,  et  la  troisième  un  lac  de  métaux 
liquéfiés.  C'est  dans  ce  purgatoire  que  sont  logées  les  âmes 
qui  ne  commirent  pas  de  péchés  assez  graves  pour  mériter 
d'être  placées  dans  le  purgatoire  inférieur.  Ce  sont  donc  les 
péchés  véniels  qui  conduisent  à  ce  purgatoire  intermédiaire. 

La  servante  de  Dieu  reçut  plusieurs  lumières  dans  cette 
vision  ,  sur  l'application  des  suffrages  que  les  vivants  offrent 
pour  lés  morts ,  qui  méritent  bien  d'être  communiquées.  Elle 
connut  : 

1°  Que  les  messes,  indulgences  accordées  et  bonnes  œu- 
vres offertes  pour  certaines  âmes  par  leurs  parents  et  amis 
ne  leur  sont  pas  intégralement  appliquées;  elles  en  reçoi- 
vent bien  la  meilleure  part ,  mais  le  reste  est  réparti  entre 
toutes  les  âmes  du  purgatoire  ; 

2°  Elle  connut  que  ces  offrandes  ,  faites  par  erreur  à  des 


43:2  esprit 

âmes  qui  sont  en  paradis ,  profitent  d'abord  à  ceux  qui  les 

font ,  et  ensuite  aux  âmes  du  purgatoire  ; 

3°  Elle  connut  que  ces  mêmes  secours  ,  accordés  par  les 
vivants  à  des  âmes  qu'ils  croient  en  voie  de  salut  et  qui  sont 
réprouvées ,  entrent  intégralement  dans  les  trésors  de  leurs 
auteurs,  parce  que  ni  les  damnés  ne  peuvent  en  profiter  ,  ni 
Dieu  ne  permet  qu'elles  soient  appliquées  aux  âmes  du  pur- 
gatoire. Il  est  à  remarquer  que  la  Sainte  ,  au  sortir  d'une  de 
ces  visions  qui  avait  duré  environ  deux  heures  ,  crut  y  avoir 
employé  un  temps  fort  considérable.  Il  résulte  donc  de  là  , 
que  le  temps  qui  semble  passer  vite  sur  la  terre  ,  paraît  bien 
long  dans  l'éternité. 

De  la  gloire  des  saints  dans  le  ciel. 

Lorsque  les  âmes  bienheureuses  font  leur  entrée  dans  le 
ciel ,  elles  sont  conduites  aux  places  qui  leur  ont  été  assi- 
gnées selon  leurs  mérites  :  si ,  pour  s'y  rendre  ,  il  leur  faut 
traverser  quelques  chœurs  angéliques,  les  esprits  qui  les 
composent  leur  font  un  accueil  extrêmement  joyeux.  Mais 
rien  n'égale  la  réception  qui  leur  est  faite  dans  les  chœurs 
où  elles  doivent  prendre  place.  Ce  ne  sont  de  la  part  des 
anges  auxquels  on  les  associe,  que  démonstrations  de  joie  et 
d'amitié  pour  elles ,  que  cantiques  de  louanges  et  bénédic- 
tions pour  rendre  grâces  à  Dieu  de  leur  bonheur,  et  cette 
réjouissance  dure  beaucoup  plus  longtemps  dans  ces  chœurs 
que  dans  les  autres. 

Toutes  les  fois  que  Françoise ,  interrogée  par  son  confes- 
seur, parlait  de  cette  joie  angélique  ,  de  leur  nombre ,  de 
leurs  chants,  de  leurs  transports,  elle  était  hors  d'elle-même, 
son  visage  alors  était  tout  en  feu  et  son  cœur  se  fondaitt 
comme  la  cire  aux  rayons  du  soleil.... 

Chaque  fois  ,  disait  la  servante  de  Dieu ,  que  je  suis  élevée 
à  la  vision  béatifique,  j'éprouve  plusieurs  élonnements  :  je 
m'étonne  ,  \°  de  mon  défaut  de  pénétration  dans  la  compré- 


DE  SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE.  433 

hension  divine,  causée  par  l'union  démon  àme  avec  mon 
corps  mortel ,  et  cette  incapacité  m'humilie  beaucoup  et  me 
donne  un  grand  mépris  de  moi-même  ;  je  m'étonne  ,  en  se- 
cond lieu  ,  je  demeure  toute  stupéfaite,  chaque  fois  que  je 
considère  dans  le  miroir  divin  la  subtilité  pénélrative  des  Sé- 
raphins ,  quant  à  la  compréhension  du  grand  abîme. 

Je  m'étonne,  en  troisième  lieu,  mais  bien  davantage  en- 
core ,  en  considérant  la  profondeur  de  la  divinité  créatrice  et 
gubernatrice  de  ces  subtiles  intelligences. 

Voici ,  disait-elle  encore ,  quelques  remarques  que  j'ai 
faites  relativement  aux  esprits  glorieux  :  1°  Dans  l'ordre  des 
séraphins,  les  uns  pénètrent  plus  avant  que  les  autres  dans 
la  compréhension  divine  ;  il  y  a  entre  eux  une  gradation  d'in- 
telligence qui  existe  également  dans  tous  les  autres  chœurs  : 
ce  que  je  dis  des  anges ,  je  le  dis  également  des  esprits  hu- 
mains qui  leur  sont  associés  ;  tous  les  esprits  d'un  même 
chœur  ne  sont  pas  également  proches  de  la  divinité.  Or,  plus 
une  intelligence  voit  de  près  cet  abîme  ,  et  mieux  elle  y  pé- 
nètre. 

2°  Tous  les  esprits  humains  placés  dans  la  gloire ,  ne  la 
possèdent  pas  au  même  degré  ;  quelques-uns  ,  pendant  qu'ils 
vivaient  dans  leur  chair  mortelle  ,  reçurent  une  intelligence 
plus  subtile,  et  suivant  leurs  opérations  intellectuelles  ,  selon 
leur  capacité  ,  ils  pénétrèrent  plus  avant  dans  l'abîme  de  la 
divinité,  en  regardant  dans  le  miroir  divin,  dont  la  vision 
constitue  la  béatitude  :  ils  ont  donc  apporté  dans  le  ciel  un 
esprit  plus  capable  et  plus  pénétrant.  Or,  plus  une  âme  a 
de  capacité  et  de  subtilité  dans  l'entendement,  et  plus  elle  est 
rassasiée  dans  la  vision  béatifique  ;  il  est  vrai  que  dans  le  ciel 
toutes  les  âmes  sont  pleinement  rassasiées;  mais  chacune  l'est 
selon  la  mesure  de  sa  capacité  et  de  la  subtilité  avec  laquelle 
elle  pénètre  dans  la  compréhension  de  la  volonté  divine  : 
lorsque  les  Apôtres  reçurent  le  Saint-Esprit,  tous  n'obtinrent 
pas  la  même  mesure  de  grâces  ;  ceux  qui  avaient  plus  de  ca- 
pacité et  de  subtilité  dans  l'entendement ,  la  reçurent  dans 
t.  v.  28 


434  ESPRIT  DE  SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE. 

un  plus  haut  degré.  Or,  ce  qui  dispose  à  une  plus  grande 
grâce ,  dispose  également  à  une  plus  grande  gloire. 

Françoise  voyait  tout  cela ,  pendant  ses  extases ,  dans  le 
miroir  divin.  Du  reste  ,  elle  a  souvent  déclaré  qu'elle  soumet- 
tait toutes  ses  paroles  au  jugement  de  l'Eglise  catholique  , 
dans  le  sein  de  laquelle  elle  désirait  vivre  et  mourir.  Louange 
à  Dieu!  Amen. 


NOTES  SUR  LES  OBLATES 


Et  sur  le  tombeau  de  sainte  Françoise  Romaine. 


Quoique  les  Oblates  de  sainte  Françoise  ,  dit  Hélyot ,  ne  soient  point 
Religieuses  et  qu'elles  ne  soient  point  liées  par  des  vœux  solennels, 
leur  étant  libre  de  sortir  de  la  congrégation  pour  se  marier ,  nous  les 
mettons  néanmoins  au  rang  des  congrégations  Bénédictines ,  parce 
qu'elles  suivent  la  règle  de  saint  Benoît  et  qu'elles  étaient  d'abord  sous 
la  juridiction  et  direction  des  moines  du  Mont-Olivet.  C'est  en  1433 
qu'il  faut  placer  la  fondation  de  cette  communauté.  On  choisit  le  jour 
de  l'Annonciation  de  la  très-sainte  Vierge  pour  l'inaugurer  :  de  là  vient 
que  l'église  est  appelée  Annonciade  ou  Marie-la-Neuve.  Leur  première 
maison  fut  appelée  la  Torre  de  Specchi ,  la  Tour  des  Miroirs,  d'où  leur 
vint  le  nom  d' Oblates  de  la  Tour  des  Miroirs.  C'est  là  ,  au  pied  du  Capi- 
tole,  au  quartier  Campitelli,  qu'elles  se  Axèrent  premièrement;  mais  la 
maison  étant  devenue  insuffisante  ,  elles  changèrent.  Ce  fut  sous  le  gé- 
néral Dom  Jérôme  de  Mirabello  de  Naples ,  et  cinq  mois  après  la  mort 
de  sainte  Françoise,  que  l'Ordre  fut  séparé  de  la  juridiction  du  Mont- 
Olivet. 

Eugène  IV,  par  une  bulle  du  mois  de  juillet  1433,  approuva  cette 
congrégation.  On  n'y  reçoit  que  des  femmes  veuves  et  des  vierges  :  elles 
doivent  être  nobles  et  se  consacrer  à  l'éducation  des  jeunes  filles  des 
seigneurs ,  et  à  quelques  œuvres  de  charité ,  envers  les  prisonniers  sur- 
tout. Leur  habit  est  blanc  ,  d'après  une  révélation  que  sainte  Françoise 
eut  de  la  sainte  Vierge. 


NOTES  SUR  LES  OBLATES.  435 

Cette  congrégation  ,  quoique  florissante  à  Rome  et  en  Italie  ,  ne  s'est 
pas  répandue  au  delà.  Dans  la  maison  de  Rome  il  y  a  ordinairement 
cinquante  filles  de  chœur,  de  la  première  noblesse,  qu'on  nomme 
Illustrissimes  ,  et  lorsqu'elles  sont  princesses  ,  on  leur  donne  le  nom 
û'Excellentissimes.  Elles  font  une  année  de  probation  :  la  supérieure, 
s'appelle  Présidente  et  est  perpétuelle.  Il  y  a  trente  converses.  Chaque 
religieuse  peut  jouir  de  ses  rentes  pour  pouvoir  faire  plus  de  charités. 

L'église  de  Sainte-Marie-la-Neuve  ou  Annonciude  qui  leur  est  affec- 
tée ,  est  très-ornée  de  marbres  ,  de  stucs  et  de  dorures.  La  sacristie  est 
une  des  plus  riches  de  Rome.  On  y  possède ,  entre  autres  choses  de 
grand  prix  ,  un  soleil  en  diamant ,  d'une  richesse  incomparable  ,  et  qui 
est  le  fruit  des  présents  de  plusieurs  princesses. 


Tombeau  de  sainte  Françoise  Romaine. 


C'est  dans  cette  église  même  que  repose  le  corps  de  sainte  Françoise. 
On  le  déposa  dans  le  sanctuaire  ,  au  pied  du  maître-autel ,  et  on  l'en- 
vironna d'une  forte  grille  de  fer ,  comme  défense  et  ornement  à  la  fois  ; 
lorsque  le  procès  de  canonisation  fut  terminé  et  toutes  les  formalités 
touchant  les  reliques  remplies ,  on  transporta  ,  avec  cette  pompe  que 
Rome  seule  peut  offrir,  ce  corps  vénéré ,  resplendissant  de  gloire  ,  dans 
le  lieu  qu'on  appelle  ordinairement  Confession.  Cette  nouvelle  Confes- 
sion ou  mausolée  plus  magnifique  que  le  premier  ,  fut  élevée  en  forme 
de  baldaquin,  composé  des  plus  riches  marbres  de  diverses  couleurs 
habilement  sculptés;  le  pavé  présente  des  ornements  en  mosaïque 
ou  placages  d'un  travail  remarquable  ;  quatre  colonnes  très-précieuses 
soutiennent  et  environnent  ce  superbe  monument  ;  c'est  sur  cette  con- 
fession qu'Innocent  X  de  glorieuse  mémoire,  pour  seconder  la  piété 
des  fidèles ,  plaça  une  partie  des  reliques  de  cette  illustre  dame  Ro- 
maine ,  dans  une  châsse  d'airain ,  revêtue  d'or ,  travaillée  avec  un 
grand  art  et  une  grande  magnificence  :  on  voit  sur  le  devant  un  superbe 
bas-relief  en  or  ,  représentant  sainte  Françoise  sortant  vivante  et 
comme  triomphante  du  sein  du  tombeau.  (Saint  Jean  de  Capistran  et 
saint  Bonaventure  ont  été  les  panégyristes  de  sainte  Françoise.  ) 


436  TOMBEAU  DE  SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE. 

Voici  l'épitaphe  qu'on  lit  sur  le  mausolée  : 

Ici  repose 

le  vénérable  corps 

de  la  Bienheureuse  Françoise  de  Rome ,  appelée 

en  son  vivant 

de  Ponliani , 

que  le  Seigneur  appela  à  lui  par  une  heureuse  mort 

l'an  1440,  le  9  mars. 

Tandis  que  Dieu  prouve  ici-bas  sa  vie  angélique 

par  un  grand  nombre  de  miracles, 

son  âme  bienheureuse 

goûte  les  joies  éternelles  dans  les  cieux. 


f 


(Voyez  Bollandus,  t.  2,  10  mars;  Giulio  Orsini,  Vita  délia  B.  Fran- 
cesca;  Baillet;  Philippe  Bonanni,  Catal.  ord.  Rel.  p.  2.  ) 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  CATHERINE 

DE  BOLOGNE, 
ABBESSE  DES  CLABISSES 


NOTICE. 


1463. 

Catherine  de  Vigri ,  ou  de  Bologne  ,  parce  qu'elle  naquit 
et  mourut  dans  la  cité  de  ce  nom ,  était  issue  d'une  des  pre- 
mières familles  du  pays.  Son  père,  Jean  de  Vigri ,  était  origi- 
naire d'une  noble  maison  de  Ferrare ,  et  sa  mère  ,  Bienvenue 
Mamolini,  comptait  parmi  ses  ancêtres  les  plus  anciennes  et  les 
plus  hautes  illustrations  de  Bologne.  A  l'âge  de  douze  ans,  la 
jeune  Catherine  fut  attachée  en  qualité  de  dame  d'honneur  à 
la  princesse  Marguerite  d'Est ,  fille  de  Nicolas  d'Est,  marquis 


438  NOTICE 

de  Ferrare.  L'amour  de  la  vertu  s'annonçait  en  elle  par  les  si- 
gnes les  plus  visibles  :  ni  les  honneurs  ni  les  caresses  du  inonde 
ne  purent  l'éblouir.  Elle  ne  soupirait  qu'après  le  jour  où , 
recouvrant  sa  liberté  ,  elle  pourrait  s'offrir  ,  hostie  vivante  , 
à  celui  qui  seul  avait  captivé  son  âme  et  dont  elle  se  faisait 
un  orgueil  de  devenir  l'amante  et  l'épouse.  Jésus-Christ 
exauça  ses  vœux  et  sourit  à  ses  espérances.  Deux  ans  après 
son  entrée  chez  Marguerite  d'Est,  elle  put  rompre  naturelle- 
ment les  liens  qui  l'attachaient  à  elle ,  à  l'occasion  du  ma- 
riage qu'elle  contracta.  Catherine ,  heureuse  de  sa  liberté  , 
s'en  servit  aussitôt  pour  entrer  dans  une  société  de  femmes 
du  tiers  ordre  de  Saint-François  d'Assise.  Peu  de  temps 
après ,  cette  société  ayant  été  érigée  en  un  monastère  de  Re- 
ligieuses sous  le  nom  du  Corps  de  Christ  et  sous  la  règle  de 
Sainte-Claire,  Catherine  s'y  engagea  et  se  consacra  à  Jésus- 
Christ  par  des  vœux  solennels.  Peu  de  temps  après  ,  ses  ver- 
tus éminentes  la  firent  élever  à  la  qualité  de  première  prieure 
et  d'abbesse.  Par  l'habileté  de  son  administration  elle  rendit 
célèbre  le  monastère  de  Bologne;  mais  elle  ne  devint  pas 
moins  célèbre  elle-même  ,  quelque  soigneuse  qu'elle  fût  de 
se  cacher  et  de  s'effacer  aux  yeux  des  hommes.  Les  nombreu- 
ses faveurs  dont  Dieu  la  combla  rendirent  son  nom  glorieux 
et  dans  son  ordre  et  dans  toute  l'Italie.  —  On  ne  peut  rien 
comparer  à  son  ardent  amour  pour  Dieu  ,  à  son  zèle  pour  le 
salut  des  pécheurs,  ta  son  amour  pour  l'oraison  et  à  sa  fermeté 
dans  les  longues  et  innombrables  épreuves  qu'elle  eut  à  sou- 
tenir. Elle  possédait  en  outre  à  un  très-haut  degré  le  don  de 
la  parole  et  le  talent  de  ramener  à  Dieu  les  âmes  les  plus 
endurcies. 

Entre  les  divers  ouvrages  qu'elle  a  laissés  et  qui  ne  con- 
sistent que  dans  X Antique  Rosaire,  fait  en  vers  latins  hexa- 


SUR  SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE.  430 

mètres  finissant  tous  par  la  syllabe  is ,  selon  l'ancien  usage 
des  temps  barbares,  et  en  quelques  poésies  italiennes  ou 
hymnes  médiocres ,  nous  devons  remarquer  son  beau  Traité 
des  sept  armes  nécessaires  à  ceux  qui  ont  à  combattre  les 
ennemis  spirituels.  C'est  son  premier  titre  à  l'admiration  et  à 
la  reconnaissance  des  âmes  religieuses.  Les  savants  eux- 
mêmes  en  ont  fait  de  grands  éloges  ,  et  nous  nous  félicitons 
de  pouvoir  l'offrir  ici  à  nos  lecteurs  ,  l'ayant  traduit  pour  la 
première  fois.  Le  style  en  est  noble  ,  pur,  facile  et  onctueux. 
Nous  avons  aussi  trouvé  deux  Echelles  mystiques,  quelques 
conseils  pour  la  perfection,  et  son  Testament.  Quant  aux  visions 
qu'on  lui  attribue ,  n'ayant  point  été  approuvées  ni  écrites 
par  elle-même ,  nous  avons  tout  lieu  de  craindre  que  ce  ne 
soit  une  fourrure  qu'une  main  étrangère  y  a  glissée,  et  nous 
n'avons  garde  d'oublier  la  prudence  qu'il  faut  apporter  en  de 
telles  matières  ,  et  que  le  savant  pape  Benoît.  XIV  a  recom- 
mandée dans  son  livre  de  Canoniz.  Sanctor. ,  t.  3  ,  ch.  51 , 
p.  715.  (Yoy.Godescard,  t.  2,  p.  273.) 

Arrivée  au  terme  de  sa  carrière ,  couronnée  de  vertus ,  im- 
patiente de  jouir  des  embrassements  du  Bien-aimé ,  tandis 
qu'elle  tenait  les  yeux  levés  vers  le  ciel  et  que  sa  bouche  et 
son  cœur  proféraient  de  saintes  prières ,  son  âme  se  détacha 
comme  par  un  doux  soupir  et  s'envola  radieuse  vers  les  de- 
meures éternelles ,  le  9  mars  1463  ,  à  l'âge  de  cinquante  ans. 

Un  prodige  précurseur  de  beaucoup  d'autres  éclata  aussi- 
tôt après  sa  mort.  Son  corps  parut  resplendissant  de  gloire 
et  admirable  de  beauté.  Tandis  que  la  chair  des  autres  cada- 
vres est  livide  ,  la  sienne  parut  semblable  à  celle  d'une  jeune 
personne  de  quinze  ans  par  la  vivacité  de  sa  fraîcheur  et  son 
air  gracieux.  On  ne  pouvait  croire  être  en  présence  d'un 


440  NOTICE  SUR  SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE. 

mort ,  mais  d'une  personne  qui  goûte  le  plus  doux  sommeil  ; 
et  ce  prodige  était  d'autant  plus  frappant  que  pendant  sa  vie 
elle  était  pâle  ,  maigre  et  défaite  à  cause  de  ses  continuelles 
souffrances  et  de  ses  grandes  austérités.  Mais  le  Seigneur  vou- 
lait faire  connaître  clairement  de  quelle  gloire  ce  saint  corps 
allait  être  environné  dans  le  ciel  ;  il  ne  tarda  pas  ,  en  effet , 
de  le  prouver  par  les  miracles  sans  nombre  qu'il  opéra  par  la 
vertu  de  cette  illustre  Sainte.  Il  nous  serait  impossible  de  les 
raconter  ici,  car  ils  remplissent  plus  de  vingt  pages  in-4°  dans 
sa  vie  en  italien;  il  nous  serait  impossible  également  de  re- 
tracer les  honneurs  rendus  à  ce  saint  corps  par  le  sénat  de 
Bologne,  par  le  peuple  et  par  le  clergé,  les  panégyriques  pro- 
noncés en  son  honneur ,  les  fêtes  et  les  transports  de  joie  qui 
suivirent  sa  canonisation,  et  la  pompe  continuelle  qui  entoure 
à  Bologne  ce  saint  corps  ,  dont  la  vue  saisissante  remplit  de 
respect  tous  les  cœurs  qui  ont  foi  dans  l'immortalité  de  l'àme 
et  la  résurrection  des  corps. 

Quoique  son  nom  fût  inséré  au  Martyrologe  romain  dès 
l'an  1592,  et  le  procès  de  canonisation  fait  sous  Clément  XI  et 
terminé  en  1712  ,  la  bulle  de  canonisation  ne  fut  cependant 
publiée  qu'en  1724,  par  Benoît  XIII. 


ESPRIT 


DE 


SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE, 

TIRÉ  DU  TRAITÉ  DES  SEPT  ARMES  SPIRITUELLES 
ET  DE  SES  AUTRES  ÉCRITS. 


Jésus,  Marie. 

Au  nom  du  Père  éternel  et  de  son  Fils  unique  Jésus-Christ, 
splendeur  de  sa  paternelle  gloire  et  pour  l'amour  duquel  je 
bride  et  suis  ivre  de  joie  de  me  proclamer  la  très-heureuse 
servante  et  l'épouse  de  ce  Dieu  bien-aimé ,  je  viens  inviter 
chaque  amante  fidèle  du  Seigneur  à  honorer  avec  de  grands 
transports  d'allégresse  et  des  chants  d'amour  celui  qui  l'a 
créée  et  retirée  de  l'état  si  dangereux  de  la  vie  du  siècle  pour 
la  placer  dans  ce  très-noble  asile  de  la  vie  religieuse ,  afin  que 
purifiée  de  toute  souillure  du  péché  ,  revêtue  des  ornements 
de  la  sainteté  et  de  l'éclat  des  vertus ,  parée  de  la  beauté  de 
l'àme  revenue  à  l'état  d'innocence  première  ,  elle  soit  digne 
de  passer  de  ce  pèlerinage  au  lit  glorieux  de  son  chaste  et 
virginal  époux  Jésus-Christ,  des  mains  duquel  elle  recevra  la 
récompense  d'une  triomphante  exaltation ,  selon  qu'il  l'a  pro- 
mis à  tous  ceux  qui  par  amour  pour  lui  auront  abandonné 
les  vains  plaisirs  de  ce  monde  corrompu,  se  seront  assujettis 
à  l'empire  de  la  raison,  et  renonçant  à  leur  propre  goût  et 


à  VI  ESPilIT 

volonté  seront  entrés  dans  le  port  assuré  de  la  vie  religieuse 
en  s'offrantà  marcher  dans  la  voie  de  l'obéissance  après  s'être 
expropriés  entièrement  de  la  moindre  volonté  ;  mais  comme 
tout  cela  ne  se  peut  pratiquer  sans  se  faire  violence  à  soi-même, 
je  vais  écrire  pour  donner  quelques  instructions  propres  à 
fortifier  les  personnes  qui  sont  engagées  dans  cette  très- 
noble  bataille  de  la  sainte  obéissance.  On  est  en  effet  quel- 
quefois grandement  combattu  et  molesté  par  sa  volonté  pro- 
pre et  toute  sa  manière  de  voir  et  d'obéir,  ce  qui  fait  qu'on 
est  vivement  affligé  en  pensant  qu'on  perd  par  là  tout  le  mé- 
rite de  l'obéissance  :  or,  certes,  ce  n'est  point  véritable,  car 
aucune  vertu  ne  devient  parfaite  ,  sinon  par  les  contradictions 
et  les  épreuves  ;  quant  à  ce  qui  est  vrai ,  je  le  montrerai  plus 
loin  ,  lorsque  je  parlerai  de  l'excellente  et  très-aimable  vertu 
d'obéissance  ,  qui  est  si  dignement  appelée  la  vertu  royale  , 
illustre  et  souveraine  par  ses  propriétés. 

Or  donc  ,  quiconque  désire  arriver  sans  danger  et  heu- 
reusement de  ce  lieu  de  pèlerinage  à  la  véritable  patrie  ,  doit 
commencer  par  cette  belle  ,  noble  et  délicate  vertu  ,  qui  peut 
se  trouver  et  se  posséder  ,  et  qui  est ,  lorsqu'on  l'a ,  comme 
un  bouclier  impénétrable  ,  avec  lequel  on  obtient  une  pleine 
victoire  sur  l'ennemi  de  l'âme  et  qui  vous  conduit  comme 
par  la  main  au  port  du  salut  et  à  l'éternelle  rétribution  ,  selon 
que  Jésus-Christ  l'a  dit  :  Celui  qui  me  suit  ne  marche  point 
dans  les  ténèbres,  mais  il  jouit  de  la  lumière  de  vie.  Mais 
puisque  nous  y  sommes  déjà  engagés  et  que  nous  nous  voyons 
au  milieu  de  ce  combat  spirituel ,  il  convient  que  nous  pas- 
sions par  la  voie  de  beaucoup  d'angoisses  ,  de  tentations  ,  de 
luttes  opiniâtres,  parce  que  dès  le  principe,  on  doit  em- 
ployer quelques  armes  puissantes  pour  repousser  l'ennemi  et 
résister  avec  avantage  aux  ruses  qu'il  emploie  dans  ce  genre  de 
combat.  Cependant  il  est  nécessaire  que. quiconque  veut  s'en- 
gager dans  celte  bataille ,  choisisse  les  armes  les  plus  per- 
çantes, par  cette  raison  qu'il  a  contre  lui  des  ennemis  très- 
vigilants  et  très-rusés.  Or  donc  ,  courage ,  courage  et  grande 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE.         443 

ardeur  en  saisissant  avec  confiance  ces  armes  saintes  à  la 
louange  de  Jésus-Christ. 

Toute  personne  qui  veut  prendre  sur  elle  la  croix  du  Sau- 
veur ,  mort  le  premier  sur  le  champ  de  bataille  pour  nous 
donner  la  vie ,  aurait-elle  le  cœur  le  plus  tendre  et  le  plus 
délicat,  doit  saisir  premièrement  les  armes  nécessaires  à  ce 
genre  de  combat ,  et  surtout  celles  que  nous  exposerons  en- 
suite avec  ordre. 

La  première,  c'est  la  diligence;  la  seconde,  la  défiance 
de  soi-même  ;  la  troisième,  la  confiance  en  Dieu;  la  qua- 
trième ,  le  souvenir  de  la  Passion  ;  la  cinquième ,  la  pensée 
de  sa  propre  mort;  la  sixième,  la  méditation  de  la  gloire  de 
Dieu  ;  la  septième  et  dernière,  V autorité  de  la  sainte  Ecri- 
ture ;  de  tout  cela  Jésus-Christ  nous  en  a  donné  l'exemple 
dans  le  combat  du  désert. 

Donc  ,  l'âme  qui  est  épousée  par  l'inappréciable  anneau  de 
de  la  bonne  volonté  ,  ou  de  l'amour  divin  ,  si  elle  veut  servir 
Dieu  en  esprit  de  vérité  ,  doit  premièrement  purifier  sa  cons- 
cience par  une  véritable  et  entière  confession ,  et  prendre  la 
ferme  résolution  de  ne  vouloir  plus  pécher  mortellement, 
mais  de  recevoir  plutôt  que  de  le  commettre  ,  mille  morts  s'il 
était  possible.  Car,  toute  personne  qui  est  en  état  de  péché 
mortel  n'est  pas  le  membre  de  Jésus-Christ ,  mais  du  démon , 
et  elle  est  privée  des  biens  spirituels  de  la  sainte  Eglise  notre 
mère  ,  comme  aussi  elle  ne  peut  rien  faire  qui  soit  méritoire 
delà  vie  éternelle;  par  conséquent,  à  vouloir  dès  ce  jour 
servir  Dieu  avec  fidélité,  il  est  nécessaire  de  se  proposer  fer- 
mement de  ne  plus  pécher  mortellement ,  comme  je  viens  de 
le  dire  plus  haut  :  mais  remarquez  ,  que  s'il  arrive  que  vous 
soyez  en  état  de  péché  mortel ,  il  ne  faut  point  pour  cela  déses- 
pérer de  la  bonté  divine  et  cesser  de  faire  tout  le  bien  que 
vous  pouvez  ,  afin  qu'en  le  pratiquant  vous  puissiez  sortir  du 
péché.  Et  dans  cette  espérance  faites  toujours  le  bien ,  quel 
que  soit  l'état  où  vous  vous  trouvez.  Et  en  outre  de  cela ,  il 
convient  que  celui  qui  se  dispose  à  devenir  le  fidèle  serviteur 


444  ESPRIT 

île  Jésus-Christ ,  se  prépare  également  à  marcher  par  la  voie 
de  la  croix.  C'est  pourquoi  tous  ceux  ,  quels  qu'ils  soient , 
qui  servent  Dieu ,  doivent  commencer  à  lutter  contre  les  en- 
nemis de  Dieu ,  et  s'attendre  à  recevoir  de  leur  part  des  coups 
divers  et  fâcheux.  Or ,  contre  de  tels  adversaires  il  est  indis- 
pensable d'avoir  d'excellentes  armes  et  de  combattre  vigou- 
reusement ,  surtout  avec  celles  qui  suivent. 

DE  LA  PREMIÈRE  ARME, 

Ou  de  la  diligence. 

La  première  arme,  ai-je  dit,  c'est  la  diligence,  ou  l'ap- 
plication et  le  soin  de  bien  faire.  C'est  pour  cela  que  la  sainte 
Ecriture  maudit  tous  ceux  qui  sont  tièdes  et  négligents  dans 
les  voies  de  Dieu.  L'office  de  l'Esprit-Saint  est  de  nous  com- 
muniquer de  bonnes  inspirations,  mais  notre  devoir  à  nous , 
c'est  de  les  accepter  et  mettre  en  pratique ,  faisant  une  conti- 
nuelle violence  à  notre  sensualité  qui  s'oppose  toujours  et 
demande  le  contraire  de  ce  que  veut  le  Saint-Esprit;  et  c'est 
à  cause  de  ces  dispositions  qu'il  est  nécessaire  de  lui  résister 
avec  une  vraie  diligence,  et  de  ne  point  laisser  écouler  le 
temps  qui  nous  est  accordé ,  sans  retirer  quelque  fruit  de  nos 
bonnes  œuvres  ;  selon  ce  qui  est  écrit  :  Que  quiconque  veut 
s'élever  à  la  perfection  ne  doit  jamais  oublier  d'examiner  ses 
pensées,  ses  paroles ,  ses  bonnes  et  saintes  actions ,  de  s'exer- 
cer à  plaire  à  Dieu  et  de  le  faire  cependant  avec  discrétion  , 
afin  que  lorsque  notre  adversaire ,  comme  un  ennemi  traître 
et  rusé,  s'efforcera  de  nous  assaillir  par  derrière ,  nous  soyons 
prêts  à  la  défense.  En  disant  par  derrière,  j'entends,  lorsque, 
sous  l'apparence  du  bien ,  il  veut  nous  perdre  et  nous  donner 
la  mort  ;  c'est  pourquoi  il  y  a  du  péril  dans  le  trop  comme 
dans  le  trop  peu.  Et  c'est  pour  cela  que  je  vous  ai  dit ,  avec 
discrétion ,  attendu  que  par  cette  condescendance ,  on  rend 
parfaites  toutes  les  autres  vertus,  comme  l'a  dit  le  glorieux  doc- 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE.         445 

teur  des  anciens  Pères  du  désert,  saint  Antoine  de  Vienne  (1). 
C'est  donc  avec  une  vraie  discrétion  qu'il  faut  se  livrer  à  tou- 
tes les  vertus ,  soit  spirituelles  ,  soit  morales  ou  temporelles, 
car  lorsque  notre  ennemi  voit  qu'il  ne  peut  empêcher  le  ser- 
viteur de  Jésus-Christ  de  faire  le  bien ,  il  cherche  à  le  trom- 
per par  trop  de  bien.  Soyons  donc  appliqués  à  pratiquer 
toutes  les  vertus  avec  un  sage  milieu,  et  par  conséquent  ser- 
vons-nous de  l'arme  salutaire  d'une  vraie  et  diligente  discré- 
tion pour  qu'elle  tourne  à  l'avantage  de  notre  salut  et  à 
la  louange  de  Jésus-Christ. 

DELASECOXDEARÎIE, 

Ou  de  la  défiance  de  soi-même. 

La  seconde  arme  est  la  défiance  propre ,  qui  consiste  à 
croire  fermement  et  sans  aucun  doute  ,  qu'on  ne  peut  jamais 
de  soi-même  ou  par  ses  seules  forces ,  opérer  la  moindre 
chose  qui  soit  bonne  et  méritoire ,  selon  que  Jésus-Christ 
lui-même  l'a  dit  :  Sans  moi  vous  ne  pouvez  rien  faire 
(Jean  15-5).  Mais  on  peut  bien  moins  encore  lorsqu'il  s'agit 
de  résister  par  ses  propres  forces  à  la  fureur  de  l'ennemi  in- 
fernal et  de  triompher  de  ses  artifices  et  de  sa  malice.  Aussi 
nul  ne  s'est  confié  en  sa  propre  sagesse ,  et  nul  ne  s'y  confie 
encore  qui  n'apprenne  ou  n'ait  appris  avec  toute  évidence 
que  par  un  juste  jugement  de  Dieu  on  tombe  dans  une  grande 
ruine  ,. attendu  que  cet  ennemi  est  plus  malicieux  étant  d'ac- 
cord avec  nous-mêmes ,  que  livré  à  sa  seule  malice.  C'est 
pourquoi  j'ai  dit  que  la  seconde  arme  pour  combattre  cet 
ennemi ,  est  de  ne  point  se  fier  à  soi-même  ;  et  bienheureuse 
est  l'âme  qui  jouit  de  cette  très-noble  vertu  ;  car,  plus  l'âme 
religieuse  est  avancée  dans  l'état  de  la  perfection ,  ou  plus 

(1)  Elle  désigne  saint  Antoine  par  le  nom  de  Vienne,  parce  que  son  corps  re- 
posait dans  cette  ville.  (Voyez  t.  1",  page  4.) 


446  ESPRIT 

elle  est  élevée  en  dignité  ou  supériorité  ,  plus  elle  a  besoin  de 
cette  défiance.  C'est  pourquoi ,  écoutez  l'exemple  d'un  ancien 
religieux  très-versé  dans  la  piété  ;  il  dit  :  «  Que  lorsqu'il  était 
supérieur  et  qu'il  lui  arrivait  de  faire  quelque  chose  apparte- 
nant à  sa  charge  et  touchant  le  gouvernement  du  monastère , 
s'il  le  faisait  selon  sa  propre  sagesse  et  son  jugement ,  Dieu 
permettait  que  le  plus  souvent  il  lui  en  revînt  quelque  chagrin 
ou  quelque  tribulation  ;  et  qu'au  contraire  ,  lorsqu'il  n'agis- 
sait que  d'après  son  conseil  et  selon  qu'il  paraissait  bon  à  la 
majeure  partie  de  ses  subordonnés  ,  il  en  ressentait  toujours 
du  bien-être  et  se  sentait  tout  consolé.  »  Or ,  comme  elle  ose 
souvent  beaucoup  celle  qui  doit  être  soumise  et  qui  ne  l'est 
pas,  et  surtout  celle  qui,  en  entrant  nouvellement  en  religion  , 
veut  vivre  à  sa  tête ,  par  une  ferveur  insensée ,  au  lieu  de  se 
laisser  guider  par  son  conseil  ou  par  la  volonté  de  sa  supé- 
rieure :  0  maîtresse ,  lui  dirai-je ,  afin  que  la  vertu  de  la  sainte 
humilité  reluise  en  vous  ,  prenez  la  vertu  de  défiance  de  vous- 
même  ,  et  exercez-vous-y  à  la  gloire  de  Jésus-Christ. 

DE  LA  TROISIÈME  ARME, 

Ou  de  la  confiance  en  Dieu. 

La  troisième  arme  est  de  placer  sa  confiance  en  Dieu , 
parce  que ,  aidé  de  son  amour  et  du  secours  empressé  du 
Saint-Esprit ,  on  s'engage  courageusement  dans  le  combat 
contre  le  démon  ,  le  monde  ,  et  sa  propre  chair  qui  ne  nous 
est  donnée  que  pour  obéir  à  l'esprit  et  pour  assujettir  nos 
ennemis  et  les  tenir  sous  les  pieds  de  notre  affection.  Il  faut 
donc  se  confier  en  Dieu  avec  cette  espérance  qu'il  daignera 
nous  fournir  abondamment  sa  grâce  ,  par  le  moyen  de  la- 
quelle nous  obtiendrons  une  pleine  victoire  sur  tous  nos  ad- 
versaires, sachant  qu'il  n'abandonne  jamais  ceux  qui  espè- 
rent en  lui.  Toutes  les  fois  donc  que  la  servante  et  épouse 
du  Christ  se  trouvera  sans  le  vouloir,  par  la  permission  de 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE.         44  i 

Dieu,  dans  une  si  grande  et  pénible  tempête  ,  qu'elle  se  voit 
obligée  de  crier  de  tout  son  cœur  vers  le  ciel ,  en  disant  : 
Mon  Dieu,  ne  m'abandonnez  pas  t  et  que  pendant  un  certain 
temps  ,  elle  croit  en  èlre  abandonnée  ,  alors  ,  par  un  divin  et 
profond  mystère,  elle  est  élevée  par  le  Seigneur  son  Dieu  au 
sommet  de  la  perfection.  De  cela  nous  avons  un  exemple 
dans  la  personne  même  de  son  Fils  unique,  qui,  lorsqu'il 
était  dans  la  tribulation  la  plus  excessive  et  au  moment  de 
la  mort  la  plus  cruelle ,  poussa  ce  cri  plaintif  :  Mon  Père, 
pourquoi  m'avez-wms  délaissé  (Matth.  27-46).  Et  néanmoins 
on  comprend  avec  vérité  comment  à  cette  heure  le  Christ ,  le 
Fils  de  Dieu  triomphait  par  une  haute  et  sublime  perfection 
et  par  l'accomplissement  de  l'obéissance  à  son  Père  éternel 
avec  lequel  il  était  parfaitement  uni,  bien  qu'en  tant  qu'homme 
passible  et  mortel ,  il  s'écriât  :  Dio  mio,  perche  mi  as  tu  aban- 
donnato  ?  Mon  Dieu,  pourquoi  m'avez-vous  abandonné?  Mais 
cela  fut  ainsi  parce  que  la  divinité  était  inséparablement  unie 
à  l'humanité ,  et  que  la  partie  humaine  et  sensible  de  la 
nature  se  voyant  déchirée,  se.  plaignait  ;  et  l'autre,  au  con- 
traire ,  la  justice  de  Dieu  demandait  que  par  cette  pénible 
obéissance  le  Christ  effaçât  la  grandeur  et  l'étendue  de  la 
désobéissance  de  notre  premier  père. —  Or,  revenant  à  notre 
premier  propos,  je  dis  que  la  servante  de  Jésus-Christ  ne 
doit  point  craindre  d'être  abandonnée  ,  bien  qu'il  arrive  quel- 
quefois qu'il  semble  en  être  ainsi ,  sachant  que  le  Père  éter- 
nel notre  Dieu  ne  laisse  encourir  à  ses  enfants  les  mêmes 
dangers  que  son  Fils  propre ,  qu'afm  qu'alors  se  trouvant 
dans  une  très-grande  détresse  et  tribulation ,  ils  prennent 
une  nouvelle  confiance  dans  le  secours  divin  ,  n'oubliant  pas 
la  promesse  qu'il  nous  a  faite  en  nous  disant  par  la  boucbe 
du  Prophète  :  Je  suis  avec  lui  dans  la  tribulation,  je  l'en  re- 
tirerai et  le  glorifierai  (Ps.  90-15). 

Qui  est-ce  donc  qui  ne  voudra  être  troublé  et  désolé,  afin 
d'avoir  un  si  doux  et  si  fidèle  compagnon  que  celui  qui  s'offre 
à  être  avec  les  siens  au  temps  de  leur  adversité  ?  Oh  que 


448  ESPRIT 

pour  cette  raison  nous  devrions  préférer  l'occasion  d'être 
désolés  à  celle  d'être  consolés.  Sur  cela  donc  concevons  une 
ferme  espérance ,  afin  que  la  troisième  arme  de  la  confiance 
en  Dieu,  devenant  l'objet  de  notre  exercice,  nous  nous  en 
servions  à  la  gloire  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 


DE  LA  QUATRIÈME  ARME , 

Ou  du  souvenir  de  la  passiou. 

La  quatrième  arme  est  le  souvenir  du  glorieux  pèlerinage 
de  Jésus-Christ,  l'Agneau  immaculé,  dans  ce  monde,  et  prin- 
cipalement celui  de  sa  mort  et  passion  ,  ayant  sans  cesse  de- 
vant les  yeux  de  l'intelligence  la  présence  de  sa  très-chaste  et 
virginale  humanité;  et  cela  est  un  remède  excellent  pour 
remporter  la  victoire  dans  toute  sorte  de  combats ,  et  sans 
cette  arme  qui  les  surpasse  toutes  en  puissance,  nous  ne  pour- 
rons jamais  vaincre  nos  ennemis;  car,  sans  elle  toutes  les 
autres  ne  sont  qu'un  secours  impuissant.  0  Passion  très- 
glorieuse  !  vous  êtes  notre  remède  dans  toutes  nos  blessures  ! 
0  mère  très-fidèle  qui  conduisez  vos  enfants  au  Père  céleste  ! 
0  véritable  et  suave  refuge  dans  toutes  les  adversités  !  0 
nourrice  sacrée  qui  soutenez  et  qui  guidez  les  esprits  des 
petits,  vers  les  sommets  de  la  perfection!  0  miroir  éclatant 
qui  éclairez  ceux  qui  se  regardent  en  vous  et  qui  leur  faites 
connaître  leurs  difformités  !  0  bouclier  impénétrable  qui  dé- 
fendez très-habilement  ceux  qui  se  cachent  derrière  vous  ! 
0  manne  savoureuse ,  pleine  de  toute  sorte  de  douceurs , 
c'est  vous  qui  préservez  ceux  qui  vous  aiment  de  tout  venin 
mortel  !  0  échelle  très-haute  qui  faites  monter  à  l'infini  ceux 
qui  s'élèvent  sur  vous  par  leur  vol  !  0  vrai  et  agréable  hos- 
pice pour  l'âme  étrangère  et  voyageuse  !  0  fontaine  intarissa- 
ble qui  rafraîchissez  ceux  qui  ont  soif,  parce  qu'ils  brûlent 
d'amour!  0  mer  très-abondante  pour  quiconque  rame  et  na- 
vigue sur  vous  avec  la  droite  barque  de  la  vérité  !  0  très- 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE.  449 

douce  olive  qui  étendez  vos  rameaux  dans  tout  l'univers  !  0 
délicate  épouse  de  l'âme  qui  demeure  toujours  amoureuse  de 
vous  et  qui  ne  regarde  point  autre  chose!  Et,  par  consé- 
quent, mes  chères  et  très-affectionnées  Sœurs,  exercez-vous-y 
infatigablement  et  mirez-vous  à  sa  radieuse  splendeur ,  afin 
que  par  son  moyen  vous  puissiez  conserver  la  beauté  de  votre 
âme.  Et  véritablement  c'est  la  passion  de  Jésus-Christ  qui 
est  cette  maîtresse  très-sage  qui  vous  conduira ,  mes  bien- 
aimées  Novices  ,  à  la  beauté  de  toutes  les  vertus ,  et  par  elle 
vous  parviendrez  au  signe  (1)  distinctif  de  la  victoire  ,  à  la 
louange  de  Jésus-Christ.  » 

DE  LA  CINQUIÈME  ARME, 

Ou  du  souveuir  de  sa  propre  mort. 

«  La  cinquième  arme  est  le  souvenir  de  sa  propre  mort  ; 
car  nous  devons  mourir ,  et  le  temps  de  la  vie  s'appelle  un 
temps  de  miséricorde,  pendant  lequel  Dieu  attend  de  jour  en 
jour,  afin  que  nous  amendions  notre  vie  du  bien  au  mieux; 
et  si  nous  ne  le  faisons  ainsi ,  il  nous  forcera  à  rendre  compte 
non-seulement  du  mal  que  nous  avions  fait ,  mais  aussi  du 
bien  que  nous  aurons  omis  de  faire  par  notre  négligence  : 
c'est  pourquoi  écoutez-bien  ce  que  nous  dit  le  glorieux  apô- 
tre saint  Paul  :  Faisons  le  bien  pendant  que  nous  avons  le 
temps  (Gai.  6-10).  Or,  pour  vous  aider  beaucoup  en  cela, 
ressouvenez-vous  particulièrement  de  la  mort ,  et  soyez  con- 
tinuellement prêts  à  la  recevoir,  parce  que  nous  ne  savons  ni 
le  jour,  ni  l'heure  à  laquelle  le  Juge  sévère  mandera  vers 
nous,  pour  nous  faire  rendre  compte  du  talent  de  la  bonne 
volonté  qu'il  nous  a  accordé  ,  afin  que  par  là  nous  nous  en 
servions  pour  le  louer  ,  pour  sauver  notre  âme  et  tenir  nos 


(1)  Palio  en  italien  signifie  une  pièce  d'étofle  qu'on  donne  pour  prix  à  celui 
qui  gagne  à  la  course,  connue  on  dirait  des  décorations  chez  nous. 
T.  V.  29 


4-50  ESPRIT 

promesses  :  mais  que  les  novices  soient  prudentes  surtout , 
comme  je  l'ai  dit  plus  haut,  pour  ne  point  trop  se  fier  à  elles- 
mêmes  ,  au  lieu  de  suivre  la  règle  qui  leur  est  imposée  par 
leurs  supérieures  ou  maîtresses  !  mais  plutôt  qu'elles  mettent 
toute  leur  application  à  marcher  par  cette  voie  selon  les  mo- 
dèles qu'on  leur  propose  touchant  la  conduite  tant  de  l'àme 
que  du  corps  ;  je  dis  cela  afin  que  jamais  l'ennemi  de  notre 
salut  ne  persuade  à  l'esprit  de  celles  qui  sont  encore  peu  ins- 
truites dans  l'art  du  combat  spirituel ,  qu'elles  vont  mourir 
de  suite  et  qu'elles  auront  trop  peu  de  mérites  à  emporter 
avec  elles  ,  si  elles  ne  font  point  d'autre  pénitence  •,  et  par  ce 
moyen  ,  le  malin  esprit  s'étudie  et  s'applique  à  faire  violer  la 
règle  de  la  vraie  obéissance  ,  laquelle  est  sans  aucun  doute 
plus  méritoire  que  ne  le  sont  toutes  les  pénitences  qu'on 
puisse  faire.  Ainsi  donc  il  est  nécessaire  d'user  avec  une 
bonne  prudence  de  cette  arme  du  souvenir  de  sa  propre  mort, 
afin  qu'on  puisse  s'en  servir  pour  le  salut  de  son  âme  et  à  la 
gloire  de  Jésus-Christ.  » 

DE  LA  SIXIÈME  ARME, 

Ou  du  souvenir  de  la  gloire  donl  on  jouit  devant  Dieu. 

«  La  sixième  arme  est  le  souvenir  des  biens  du  paradis , 
lesquels  sont  promis  à  ceux  qui  auront  légitimement  com- 
battu ,  après  avoir  abandonné  tous  les  vains  plaisirs  de  cette 
vie;  c'est  pourquoi  le  sacré  docteur  saint  Augustin  a  dit  qu'il 
est  impossible  de  jouir  des  biens  présents  et  des  biens  futurs; 
donc  vous  devez  être  contentes,  mes  bien-aimécs  Sœurs  ,  de 
n'avoir  aucun  plaisir ,  ni  aucune  affection  de  ce  monde  ;  et 
ne  vous  récriez  point  de  la  fatigue  que  cause  l'abandon  de  sa 
propre  volonté  ,  vous  rappelant  ce  que  disait  notre  patriar- 
che saint  François,  qui  est  que  le  don  le  plus  grand  et  le  plus 
excellent  qu'on  puisse  recevoir  de  Dieu  en  ce  monde  et  que 
le  serviteur  de  Jésus-Christ  doit  le  plus  désirer  ,  c'est  de  se 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE.  451 

vaincre  soi-même  en  abjurant  et  jetant  loin  de  soi  sa  propre 
volonté.  Il  disait  encore  :  «  Et  ce  bien  que  j'attends  est  si 
grand,  que  toute  peine  pour  l'acquérir  m'est  chère  et  agréa- 
ble; »  montrant  par  là,  combien  au  souvenir  du   bonheur 
éternel  il  se  glorifiait  de  souffrir  toute  sorte  de  maux ,  et  c'est 
pour  confirmer  cette  joie  que  vous  devez  avoir  touchant  les 
biens  qui  vous  sont  promis  ,  mes  très-chères  Sœurs  ,  que  je 
pose  cet  exemple  :  Lorsque  j'entrai  dans  ce  monastère  ,  il  y 
entra  aussi,  peu  de  jours  après  moi,  une  jeune  personne  ,  en 
l'esprit  de  laquelle  naquit  bientôt  de  l'ennui  de  bien  faire  et 
du  repentir  d'avoir  abandonné  la  vie  du  monde  ;  il  arriva 
qu'étant  dans  ce  dessein,  elle  alla  se  confesser  à  un  très-res- 
pectable ministre  de  Jésus-Christ  auquel  elle  communiqua  sa 
volonté  de  rentrer  dans  le  siècle,  et  lui ,  tout  étonné  ,  lui  ré- 
pondit en  ces  termes  :  Ma  fille ,  gardez-vous  de  faire  ainsi , 
car  écoutez  ce  que  je  vais  vous  dire  :  je  pense  que  vous  êtes 
celle  pour  laquelle  j'ai  eu  cette  nuit  passée  une  vision  qui 
m'a  fort  étonné ,  ne  sachant  ce  que  cela  voulait  dire  ou  signi- 
fier ,  et  elle  me  dit  :  Je  vous  prie  de  vouloir  bien  me  dire  ce 
que  cela  signifie;  et  je  lui  dis  :  J'étais  conduit  à  une  très-belle 
fête  où  étaient  d'innombrables  jeunes  filles  ,  toutes  resplen- 
dissantes d'une  si  grande  beauté  ,  qu'elle  surpassait  celle  du 
soleil  ;  elles  étaient  revêtues  d'une  gloire  merveilleuse  ;  elles 
avaient  la  tête  ornée  de  guirlandes  de  fleurs  d'une  rare  élé- 
gance ,  et  ainsi  parées  ,  elles  allaient  à  la  rencontre  d'une 
autre  jeune  fille  qui  semblait  vouloir  les  admettre  en  sa  com- 
pagnie ,  et  cette  rencontre  et  cette  réception  se  firent  avec  de 
vifs  transports  de  joie,  de  grands  honneurs  de  fête  et  de 
gloire  ;  mais  lorsque  celle-ci  fut  tout  près ,  voilà  qu'une  d'elles 
parut  se  repentir,  d'être  venue  et  s'en  retourna  en  arrière  ,  et 
alors  cette  noble. compagnie  ,  en  la  voyant  agir  de  la  sorte, 
me  sembla  en  demeurer  toute  triste,  et ,  en  ce  moment,  la 
vision  disparut  ;   alors  rentrant  en  moi-même  je  réfléchissais 
sur  ce  que  pouvait  signifier  cette  vision  ,  mais  à  cette  heure 
je  comprends  évidemment  que  Dieu  me  l'a  manifestée  en  vous 


452  ESPRIT 

envoyant  à  moi  :  c'est  pour  cela  que  je  vous  prie ,  6  ma  Fille, 
de  ne  point  suivre  votre  mauvais  dessein  et  votre  tentation  , 
mais  de  demeurer  ferme  dans  votre  vocation,  et  de  persévérer 
à  vivre  dans  ce  saint  asile  jusqu'à  la  fin  ;  car  en  faisant  ainsi 
vous  pourrez ,  au  terme  de  votre  carrière ,  arriver  à  cette  très- 
joyeuse  fête  eteompagnie  que  j'ai  vue,  et  vous  reposer  pendant 
toute  l'éternité  avec  les  vierges  glorieuses  qui  vous  attendent 
dans  le  ciel.  En  entendant  cela,  plutôt  par  honte  que  par  tout 
autre  motif,  elle  résolut  de  rester  avec  nous  ;  mais  ,  après 
quelque  temps,  voyant  qu'elle  ne  se  conduisait  pas  religieuse- 
ment ,  elle  fut  rendue  à  sa  famille  et  à  la  vanité  du  monde, 
et  finit  sa  vie  en  peu  de  jours  ,  et  de  la  sorte  fut  vérifiée  la 
vision  qu'avait  eue  le  serviteur  de  Dieu  ;  car  en  perdant  la 
couronne  de  sa  virginité  elle  mérita  d'être  privée  de  se  ré- 
jouir avec  cette  cour  virginale  ,  telle  que  le  ministre  du  Christ 
l'avait  vue. 

Pour  ces  motifs  ,  mes  très-chères  Sœurs  ,  soyez  constantes 
et  fortes  ;  persévérez  dans  la  résolution  de  bien  faire  pour 
l'amour  de  votre  Seigneur  et  Dieu ,  espérant  fermement  dans 
les  hiens  du  paradis,  afin  qu'au  terme  de  votre  carrière  vous 
puissiez  y  parvenir,  disant  ensemble  avec  notre  séraphique 
saint  François  :  Me  exportant  justi  donec  rétribuas  mihi.  Les 
justes  m'appellent,  en  attendant  que  vous  me  donniez  la  ré- 
compense (Ps.  141-8),  à  la  gloire  de  Jésus-Christ.  Ainsi 
soit-il.  » 

DE  LA  SEPTIÈME  ARME, 

Ou  de  l'aulorité  des  saintes  Ecritures. 

«  La  septième  arme  avec  laquelle  nous  pouvons  vaincre 
nos  ennemis  ,  est  le  souvenir  de  la  sainte  Ecriture  ,  laquelle 
nous  devons  porter  toujours  sur  notre  cœur,  et  dont  nous  de- 
vons prendre  conseil  comme  d'une  mère  très-fidèle  ,  pour 
toutes  les  choses  que  nous  aurons  à  faire  ,  ainsi  que  nous  le 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE.  453 

lisons  de  la  très-prudente  et  sacrée  vierge  sainte  Cécile,  dont 
on  rapporte  :  «  qu'elle  portait  toujours  caché  dans  sa  poi- 
trine l'Evangile  de  Jésus-Christ  ;  »  et  c'est  aussi  avec  celte 
arme  que  notre  Sauveur  Jésus-Christ  a  vaincu  et  confondu 
le  démon  dans  le  désert ,  lui  disant  :  Il  est  écrit  que  l'homme 
ne  vit  pas  seulement  de  pain  ,  mais  de  toute  parole  qui  sort 
de  la  bouche  de  Dieu.  Par  conséquent,  mes  très-chères  Sœurs, 
ne  laissez  point  s'en  retourner  vides  les  leçons  de  la  sainte 
Ecriture  ,  qui  se  lisent  dans  le  chœur  pendant  l'office  ou  pen- 
dant le  repas  :  pensez  également  que  les  épîtres  et  évangiles 
que  vous  entendez  chaque  jour  à  la  messe  sont  autant  de  nou- 
velles lettres  que  vous  envoie  votre  céleste  Epoux  ,  et  placez- 
les  avec  grande  joie  et  fervent  amour  sur  votre  poitrine,  et  re- 
passez-les en  vous-mêmes  le  plus  souvent  que  vous  pourrez  , 
surtout  lorsque  vous  êtes  dans  vos  cellules  ,  afin  que  vous 
puissiez  plus  facilement,  plus  sûrement,  plus  délicieusement 
et  plus  chastement  embrasser  celui  qui  vous  les  mande  ;  et 
en  faisant  ainsi ,  vous  vous  trouverez  incessamment  conso- 
lées ,  voyant  que  vous  recevez  aussi  souvent  des  nouvelles  de 
celui  que  vous  aimez  grandement  et  souverainement.  Oh  , 
qu'il  est  doux  et  suave  cet  entretien  de  Jésus  avec  l'âme  de 
celle  qui  est  véritablement  embrasée  de  son  amour.  Or, 
n'est-ce  pas  une  parole  sortie  de  la  propre  bouche  si  douce 
et  si  aimable  de  Jésus-Christ ,  que  la  doctrine  évangélique  ? 
Certes  oui  !  Donc  avec  quelle  attention  ne  devez-vous  pas  l'en- 
tendre et  la  goûter  ?  C'est  par  là  que  je  termine  lesdites  ar- 
mes spirituelles.  » 

Exercice  ou  manière  de  se  servir  prudemmeut  de  ces  armes  spiriluelles. 

«  Mais ,  je  vous  prie  d'une  chose,  mes  très-chères  Sœurs  , 
c'est  que  vous  n'en  usiez  que  prudemment  et  que  vous  ne 
vous  trouviez  jamais  sans  ces  armes  ,  afin  de  pouvoir  mieux 
obtenir  le  triomphe  de  la  victoire  contre  vos  adversaires  ,  et 
prenez  bien  garde  de  n'être  pas  trompées  par  les  apparences 


iôi  ESPRIT 

du  bien  ;  car  il  arrive  quelquefois  que  le  démon  vous  appa- 
raît sous  l'extérieur  du  Christ  ou  de  la  Vierge  Marie ,  ou  sous 
toute  autre  figure  d'ange  ou  de  saint,  et,  par  conséquent, 
dans  toutes  les  occasions  où  il  pourra  vous  apparaître  ,  pre- 
nez les  armes  de  la  sainte  Ecriture  qui  vous  apprend  de  quelle 
manière  se  conduisit  la  mère  de  Jésus-Christ  lorsque  l'ange 
Gabriel  lui  apparaissant ,  elle  lui  dit  :  Quelle  est  cette  saluta- 
tion? El  faites-en  de  même  vous  aussi  dans  toutes  sortes 
d'apparitions  et  d'occasions  semblables  ;  veuillez  être  assu- 
rées auparavant  d'une  manière  certaine  si  c'est  bien  ou  si  c'est 
du  malin  esprit  avant  que  de  l'écouter.  —  En  outre  ,  il  n'est 
pas  moins  nécessaire  de  faire  bonne  garde  touchant  les  pen- 
sées de  notre  esprit ,  parce  que  quelquefois  le  démon  nous  en 
inspire  quelques-unes  de  bonnes  et  de  saintes  pour  nous  sur- 
prendre'par  cette  apparence  de  vertu  ,  après  quoi ,  pour 
prouver  que  cela  est  ainsi ,  il  tente  et  attaque  fortement  par 
quelque  vice  qui  soit  opposé  à  cette  vertu  ,  et  notre  ennemi  ne 
fait  cela  qu'afin  de  pouvoir  conduire  la  personne  tentée  dans 
la  fosse  du  désespoir.  » 

Elle  cite  ,  à  l'appui  de  ce  qu'elle  avance  ,  l'exemple  d'une 
religieuse  à  laquelle  le  démon  apparut  une  fois  sous  la  figure 
de  Jésus-Christ  crucifié,  une  autre  fois  sous  celle  de  la  très- 
sainle  Vierge  ,  lui  disant  :  »  Si  tu  renonces  à  l'amour  vicieux, 
moi  je  te  donnerai  l'amour  vertueux.  »  Et  cela  dit ,  il  dispa- 
rut. La  religieuse  crut  que  c'était  la  sainte  Vierge  :  elle  se 
mit  donc  en  prière ,  et  lui  demandait  instamment  l'amour 
de  son  Fils  ;  mais  ensuite  elle  se  mit  à  penser  en  elle-même 
ce  que  signifiait  ce  que  la  sainte  Vierge  lui  avait  dit;  et  par 
mille  pensées  qu'elle  roulait  dans  son  esprit ,  le  démon  vou- 
lait la  troubler  ,  la  bouleverser ,  la  porter  à  désobéir  aux  or- 
dres de  sa  supérieure,  &c,  &c.  Et  elle  était  dans  une  grande 
amertume  et  tribulation  dans  ses  oraisons  :  or,  c'est  là  ce  que 
voulait  son  ennemi ,  car  une  autre  fois  le  démon  lui  apparut, 
c'était  un  matin  qu'elle  était  entrée  dans  l'église  pour  prier  ; 
et  se  montrant  tout  à  coup  à  elle  sous  l'image  de  Jésus-Christ 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE.  ioo 

crucifié  ,  il  resta  ainsi  les  bras  étendus  vers  elle  ,  avec  un  air 
tout  amical ,  tout  tendre  ,  tout  bienveillant ,  et  lui  parla  en 
ces  ternies ,  comme  s'il  eût  voulu  lui  faire  des  reproches  : 
«  Voleuse ,  tu  me  l'as  dérobée  ;  rends-moi  cette  âme  que  tu 
m'as  prise.  »  Et,  croyant  tout  bonnement  que  c'était  Jésus- 
Cbrist ,  elle  lui  dit  avec  grand  respect,  grande  crainte  ,  et 
prosternée  à  terre  :  Mon  Seigneur ,  que  veut  dire  ce  que  vous 
me  dites  là  ?  Car  je  n'ai  chose  aucune  ,  étant  très-pauvre  et 
anéantie  en  votre  présence.  Dans  ce  monde  je  suis  la  der- 
nière de  toutes  ,  ainsi  je  n'ai  absolument  rien.  ■ —  Et  à  cela  il 
lui  répondit ,  en  disant  :  Je  veux  le  savoir  si  tu  es  aussi  pau- 
vre que  tu  le  dis ,  et  si  tu  n'as  rien.  Après  que  je  t'ai  faite  à 
ma  ressemblance  ,  te  donnant  la  mémoire  ,  l'intelligence  et 
la  volonté  ,  et  ayant  dû  faire  ici  le  vœu  d'obéissance,  tu  me 
l'as  fait ,  et  maintenant  tu  me  le  retires ,  et  par  là  tu  te  mon- 
tres voleuse  envers  moi.  »  Et  elle,  croyant  qu'il  voulait  par- 
ler de  quelque  pensée  d'infidélité  qu'elle  avait  eue  dans  le 
cœur  contre  son  abbesse  ,  répondit  :  «  Seigneur  mon  Dieu  , 
comment  dois-je  donc  faire,  car  je  n'ai  pas  mon  cœur  libre 
et  je  ne  puis  retenir  les  pensées  qui  me  sont  venues  ?  »  Et  il 
repartit  :  «  Fais  comme  je  te  dirai  :  prends  le  parti  de  ta  vo- 
lonté ,  de  ta  mémoire  et  de  ton  intelligence  ,  et  fais  qu'elles 
ne  suivent  en  rien  la  volonté  de  ta  supérieure.  »  Et  elle  lui 
dit  :  «  Comment  dois-je  faire  cela ,  puisque  je  ne  puis  empê- 
cher mon  intelligence  de  discerner,  ni  ma  mémoire  de  rap- 
peler ?  Et  lui  reprit  :  «  Mets  ta  volonté  à  la  place  de  la  sienne 
et  fais  par  conséquent  que  la  sienne  soit  la  tienne,  et  n'exerce 
ni  ton  intelligence  ni  ta  mémoire  en  rien  qui  soit  au-dessus 
delà  sienne.  »  Et  elle  disait  toujours  qu'elle  ne  pouvait  le 
faire  ,  parce  qu'elle  sentait  qu'elle  n'avait  pas  son  cœur  libre. 
Et  lui  ayant  dit  encore  plusieurs  autres  choses  pour  la  forti- 
tifier  dans  la  désobéissance ,  il  disparut.  Et  elle  ,  croyant 
toujours  que  c'était  Jésus-Christ ,  demeura  l'esprit  tout  trou- 
blé ,  et  se  livrant  à  mille  pensées  ,  elle  sentait  son  cœur  agité  ; 
et  lorsque  la  supérieure  lui  commandait  quelque  chose,  raille 


456  ESPRIT 

idées  lui  venaient  aussitôt ,  &c,  (kc.  ,  et  rien  ne  pouvait  allé- 
ger le  poids  de  sa  tristesse  ,  et  tout  lui  devenait  amer,  &c. 
Or,  telles  sont  les  ruses  du  démon...  » 

Notre  Sainte  prend  occasion  de  cette  histoire,  qui  est  très- 
longue,  pour  démontrer  à  ses  religieuses  la  nécessité  de  la 
prudence  ,  du  discernement ,  de  la  sagesse  et  du  bon  emploi 
des  armes  spirituelles  dans  le  combat  que  leur  livre  l'ennemi 
de  leur  salut.  Elle  recommande  surtout  l'obéissance  qu'elle 
présente  comme  la  plus  importante  d'après  l'exemple  même 
de  Jésus-Christ  ;  la  persévérance  qui  obtient  toujours  la  vic- 
toire ;  l'amour  de  la  croix  et  des  tribulations  ,  parce  que 
Jésus-Christ  les  a  embrassées  depuis  le  moment  de  sa  nais- 
sance jusqu'à  l'heure  de  la  mort ,  et  parce  que  les  épreuves 
sont  plus  utiles  que  les  consolations  ,  les  amertumes  que  les 
douceurs  ;  enfin  elle  les  exhorte  à  vaincre  la  tentation  d'in- 
constance ,  de  changement  de  maison,  et  à  se  livrer  avec  joie 
et  amour  aux  chants  des  psaumes  et  aux  veilles  sacrées. 

Déclaration  d'aulheulicilé  de  ce  traite'. 

Caterina  Poverella  Bolognense ,  cioè  in  Bologna  aequistate ,  nota  e  al- 
levata  ,  ed  in  Ferrura  da  Christo  sposata,  io  da  me  stessa  sopranominata 
caijnola ,  per  divinâ  inspira-Jone  scrisse  di  mia  mono  propria  questo  li- 
briccinolo  nel  monastero  del  Corpo  di  Christo  in  Ferrara  nella  cella  dove 
abitave  ,  laquai' era  coperta  di  Stuore ,  al  tempo  délia  nostra  reverendis- 
sima  madré ,  ed  abadessa  suor  Taddea  Sorella  di  Messer  Mario  délit  PU , 
circa  gli  anni  del  Signore  1438.  Ed  in  vila  mia  non  li  hô  manifestato  a 
persona  che  si  sia.  A  lande  di  Christo  Gesù.  Amen. 

LES  DEUX  ÉCHELLES  MYSTIQUES. 

Notre  Sainte  avait  coutume  de  dire ,  dans  ses  instructions 
aux  novices  ,  qu'il  y  avait  deux  échelles  très-sûres  par  les- 
quelles les  bonnes  religieuses  pouvaient  infailliblement  mon- 
ter de  leur  monastère  à  la  gloire  du  paradis.  La  première 
s'appelait  Echelle  des  vertus  ,  et  elle  avait ,  d'après  elle  ,  dix 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE.  457 

échelons  ou  degrés.  La  seconde  s'appelait  l'Echelle  de  Vhurrii- 
lilé  .  semblable  à  l'échelle  mystérieuse  que  vit  Jacob  durant 
son  sommeil,  et  par  laquelle  les  âmes  religieuses  et  craignant 
Dieu  s'élèvent,  comme  des  anges  ,  à  la  céleste  Jérusalem  ; 
celle-ci ,  conformément  à  la  doctrine  des  saints  docteurs  ,  a 
douze  degrés  qui  ,  d'après  le  glorieux  saint  Benoît ,  peuvent 
être  appelés  les  douze  degrés  de  l'humilité  ,  et  notre  Sainte 
les  a  proposés  dans  l'ordre  qu'on  va  les  lire. 

Première  Echelle. 
Echelle  des  vertus. 

Le  premier  échelon  est  appelé  clôture,  ou  séparation  de 
corps  et  d'esprit  de  toute  chose  du  monde  et  du  siècle  , 
comme  parents  et  amis  ;  et  elle  regardait  cette  vertu  comme 
très-nécessaire  à  une  épouse  de  Jésus-Christ ,  parce  qu'il  est 
très-difficile  qu'en  ayant  l'amour  des  choses  du  monde  on  ait 
l'amour  du  Seigneur,  lequel  étant  très-noble  et  très-pur,  dé- 
daigne d'entrer  dans  un  cœur  qui  est  ouvert  aux  choses  viles 
et  méprisables. 

Le  second  échelon  s'appelle  audience  ou  promptitude  et 
désir  ardent  d'entendre  la  parole  de  Dieu  ,  non-seulement 
par  la  prédication  ou  les  instructions  spirituelles,  mais  encore 
par  les  inspirations  que  le  Seigneur  a  coutume  d'envover  à 
ses  serviteurs  pendant  l'office ,  la  messe  ,  l'oraison  ou  tout 
autre  exercice  de  piété  qui  se  font  en  religion ,  conformément 
aux  ordres  de  la  supérieure.  En  ce  moment  surtout,  parce 
que  le  Seigneur  qui  ,  selon  que  le  dit  l'Ecriture  ,  se  tient  et 
frappe  continuellement  à  la  porte  du  cœur  humain  ,  pour  se 
faire  entendre  à  ses  serviteurs  ,  avec  un  doux  son  qu'il  fait  à 
l'oreille  ,  refuse  de  parler  à  l'àme  quand  il  voit  son  oreille 
uniquement  attentive  à  d'autres  voix,  à  d'autres  chants,  et 
peu  disposées  à  sentir  et  à  goûter  ses  instructions.  Or,  c'est 
d'un  grand  profit  pour  l'àme  d'écouter  attentivement  la  voix 


458  ESPRIT 

du  Seigneur,  selon  que  le  dit  de  lui-même  le  Prophète: 
J'écoulerai  tout  ce  que  le  Seigneur  mon  Dieu  daignera  dire  à 
mon  cœur  :  Audinm  quid  loqimtur  in  me  Deus  meus. 

Le  troisième  s'appelle  retenue  :  cette  vertu,  qui  sied  bien  à 
toutes  sortes  de  personnes  et  à  toutes  les  conditions ,  est 
requise  principalement  dans  une  vierge  consacrée  à  Dieu  , 
comme  ornement  de  la  vie  et  gardienne  des  vertus  reli- 
gieuses. 

Le  quatrième  s'appelle  taciturnité  ou  silence  ,  vertu  op- 
posée à  ce  vice  dont  un  apôtre  du  Seigneur  a  dit  :  «  Qu'il 
rend  vaine  la  religion  de  celui  qui  s'en  laisse  dominer.  » 

Le  cinquième  s'appelle  gracieuseté,  c'est-à-dire  bonté  , 
honnêteté  ,  courtoisie  envers  toutes  sortes  de  personnes  , 
bien  qu'indignes  quelquefois  et  ne  le  méritant  pas  ,  parce 
que  cette  vertu  nous  rend  semblables  à  notre  très-bon  ,  très- 
généreux  et  très-doux  Jésus,  qui  faisait  part  de  tous  ses  biens 
et  répandait  ses  faveurs  ,  encore  qu'on  fût  pécheur  ,  créature 
indigne  de  la  grâce  de  Dieu  ,  &c. 

Le  sixième  échelon  est  la  diligence  ou  la  vigilance  :  celle- 
ci  ,  disait-elle  ,  doit  être  notre  compagne  particulière  et  as- 
sidue dans  toutes  choses  ,  soit  qu'elles  concernent  les  exerci- 
ces de  Dieu ,  soit  qu'elles  regardent  les  exercices  ou  œuvres 
prescrites  par  les  supérieurs  ;  parce  que  toute  maison  reli- 
gieuse doit  être  une  image  du  paradis ,  et  qu'au  paradis  tout 
se  fait  exactement  et  avec  vigilance. 

Le  septième  degré  est  la  pureté  de  l'esprit ,  qui  consiste 
particulièrement  à  penser  toujours  bien  des  autres  et  à  inter- 
préter toujours  en  bonne  part  les  actions  ,  quelles  qu'elles 
soient,  du  prochain,  et  à  ne  jamais  dénaturer  leurs  pensées  ni 
se  permettre  de  censurer  leur  conduite. 

Le  huitième  est  Y  obéissance  non-seulement  envers  les  supé- 
rieurs, mais  envers  toute  autre  personne,  assurés  que  comme 
c'est  très-dangereux  pour  nous  d'aimer  que  tout  seconde 
notre  propre  volonté ,  et  de  ne  pas  aimer  la  volonté  des  au- 
tres;  de  même,    c'est  la  plus  facile  manière  de  ne  passe 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE,         450 

tromper,  de  suivre  volontiers  les  conseils  des  autres  ,  sur- 
tout des  plus  savants. 

Le  neuvième  degré  est  Y  humilité }  vertu  qui  devrait  être 
d'autant  plus  estimée  de  tout  chrétien  et  des  religieux  sur- 
tout ,  qu'elle  a  été  plus  particulièrement  pratiquée  par  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  qui  s'est  humilié  jusqu'à  la  mort  de  la 
croix,  et  qu'elle  est  plus  odieuse  et  abhorrée  du  démon. 

Le  dixième  degré ,  c'est  l'amour  de  Dieu  et  du  prochain  , 
lequel  est  la  fin  et  la  perfection  de  la  vie  d'un  religieux. 

Seconde  Echelle , 
appelée  échelle  de  l'humilité. 

Cette  échelle  est  composée  d'échelons  qui  consistent  : 

1°  A  faire  paraître  toujours  une  vraie  humiliation  ,  accom- 
pagnée d'une  affection  sincère  de  cœur  et  d'esprit,  et  d'un 
extérieur  ou  de  manières  bienveillantes  et  cordiales. 

2°  A  parler  en  peu  de  mots  et  avec  discrétion  ,  et  non-seu- 
lement d'un  ton  qui  ne  soit  pas  trop  haut,  mais  au  contraire 
un  peu  bas. 

3°  A  n'être  point  facile  ni  prompt  à  rire;  que  s'il  arrive  de 
rire  par  accident ,  que  ce  soit  avec  modestie  et  pour  peu  de 
temps. 

4°  À  garder  le  silence  jusqu'à  ce  qu'on  soit  interrogé. 

5°  A  observer  avec  exactitude  tout  ce  que  la  règle  prescrit , 
et  à  ne  jamais  s'écarter  de  ce  qu'elle  prescrit. 

6°  A  se  croire  et  à  s'avouer  la  plus  misérable  de  toutes  les 
personnes  qui  sont  en  ce  monde. 

7°  A  confesser  et  à  reconnaître  qu'on  est  inutile ,  et  inha- 
bile à  la  moindre  chose. 

8°  A  fréquenter  souvent  le  sacrement  de  pénitence  et  à  y 
déplorer  et  y  détester  tous  nos  péchés  et  nos  défauts,  quoi- 
qu'ils soient  petits. 

9°  A  embrasser  promptement  l'obéissance  qu'on  nous  im- 


460  ESPRIT 

pose  ,  bien  qu'elle  consiste  dans  des  choses  âpres  et  difficiles 
à  mettre  en  exécution  ,  et  à  les  faire  sans  murmure  intérieur 
ou  extérieur. 

10.  A  se  mettre  toujours  au-dessous  de  ceux  qui  sont  plus 
que  nous  ,  avec  parfaite  soumission. 

14.  A  se  réjouir  et  se  complaire  à  ne  faire  jamais  sa  propre 
volonté. 

12.  A  craindre  Dieu  d'une  crainte  filiale  ,  se  rappelant 
aussitôt  tout  ce  qu'il  a  daigné  faire  pour  nous  et  ce  qu'il  nous 
a  commandé  ,  et  finalement  à  persévérer  dans  ladite  crainte 
et  amour  jusqu'au  dernier  moment  de  notre  vie ,  pour  la 
seule  gloire  de  Dieu. 

Sages  conseils  pour  parvenir  à  une  haute  perfection. 

Un  jour,  qu'une  de  ses  compagnes  pressée  par  une  louable 
émulation  ,  la  voyant  si  embrasée  d'amour  de  Dieu,  lui  di- 
sait :  «  Si  je  pouvais  faire  comme  vous  ,  je  serais  très-heu- 
reuse. »  Notre  Sainte  lui  répondit  :  «  Ma  chère  Sœur ,  si 
vous  prétendez  avoir  ce  qu'ont  les  autres,  il  faut  aussi  y 
mettre  un  peu  du  vôtre.  »  Et  en  quoi  consiste  ,  répliqua 
l'autre,  ce  que  je  dois  mettre  du  mien  ?  »  La  Sainte  répondit  : 
«  En  acquérant  les  choses  suivantes  : 

La  première,  c'est  le  mépris  des  choses  de  la  terre  ;  c'est- 
à-dire  qu'il  faut  vous  exercer  à  n'avoir  que  du  mépris  et  de 
l'horreur  pour  tous  les  plaisirs  ,  les  délices  et  autres  choses 
du  monde  ,  oubliant  l'affection  de  vos  parents  et  de  vos  amis , 
parce  que  qui  veut  tout ,  doit  laisser  tout  et  se  donner  par- 
faitement à  Jésus-Christ  qui  ne  permet  pas  qu'on  mêle  son 
amour  avec  celui  d'autre  chose  ,  mais  qui  veut  être  aimé  sans 
compagnon. 

La  seconde  est  la  souffrance  de  quelque  peine  que  ce  soit 
sans  le  moindre  murmure  ;  c'est-à-dire  que  vous  devez  sup- 
porter avec  grande  ferveur  et  patience  toutes  les  injures  et 
les  mortifications  ,  vous  appliquant  à  aimer  les  mépris  ,  les 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE.         -461 

abaissements,  et  à  placer  toute  votre  étude  à  marcher  par  la 
voie  de  la  croix. 

La  troisième,  c'est  l'extirpation  des  vices;  c'est-à-dire  que 
vous  devez  employer  tous  vos  efforts  à  déraciner  et  à  arracher 
de  votre  âme  vos  vices ,  vos  mauvaises  habitudes  ,  et  toutes 
les  manières  et  les  airs  du  monde  et  de  la  sensualité. 

La  quatrième  est  la  mortification  du  corps  et  de  l'esprit; 
c'est-à-dire  que  vous  devez  mettre  un  frein  à  votre  volonté 
propre  ,  et  mortifier  toutes  les  délicatesses  du  corps ,  en  ne 
suivant  en  rien  ses  affections  mal  réglées  ;  mais  soumettre 
fortement  la  chair  à  l'esprit  et  obéir  fidèlement  à  la  cons- 
cience qui  ne  nous  flatte  pas  ,  comme  ont  coutume  de  le  faire 
nos  adulateurs  hypocrites ,  mais  qui  nous  suggère  sincère- 
ment la  vérité  ,  et  qui  nous  enseigne  ce  qui  est  meilleur. 
Car  ,  lorsqu'on  écoute  et  qu'on  suit  ce  qu'elle  vous  dicte  ,  on 
se  trouve  toujours  dans  une  paix  tranquille  et  à  l'abri  de 
toute  erreur,  on  marche  à  grands  pas  dans  le  chemin  de  la 
vérité. 

La  cinquième  chose,  c'est  la  compassion  envers  le  prochain  ; 
c'est-à-dire  qu'il  faut  s'étudier  à  compatir  premièrement  à 
l'aveuglement  de  tous  les  pécheurs ,  lesquels  sont  privés  du 
don  de  bonne  volonté  ,  et  prier  sans  cesse  pour  leur  salut  ; 
ensuite  ,  à  compatir  à  ceux  qui  sont  malades  de  corps  et  les 
visiter  ,  les  servir  volontiers  ,  parce  que  le  Seigneur,  au  jour 
du  jugement,  vous  dira:  J:ai  été  malade,  et  vous  m'avez 
visité.  (  Matth.  25-36.  ) 

Et  lorsque  votre  àme  aura  acquis  ces  cinq  choses  ,  il  sera 
encore  nécessaire  de  donner  tous  ses  soins  à  acquérir  ces 
cinq  autres  ,  c'est-à-dire  : 

La  première,  qui  est  l'occupation  spirituelle  du  corps  et  de 
l'âme ,  ou  bien  de  tenir  l'esprit  sans  cesse  occupé  de  choses 
bonnes  ,  de  pieuses  méditations ,  et ,  autant  qu'il  vous  sera 
possible  ,  ne  jamais  rester  oisif,  parce  que  vous  savez  ce  que 
dit  la  sainte  Écriture  :  que  l'oisiveté  engendre  beaucoup  de 
péchés. 


-10-2  ESPRIT 

La  seconde  ,  qui  est  la  sérénité  de  l'âme  et  du  visage  ,  lâ- 
chant de  conserver  non-seulement  son  cœur  dans  une  douce 
joie  et  un  air  agréable  ,  mais  en  prouvant  encore  à  l'extérieur 
cette  sérénité  et  cette  paix  ,  par  des  manières  religieuses  et 
modestes  ;  ce  qui  arrivera  naturellement ,  comme  je  l'ai  déjà 
dit  plus  haut ,  si  la  personne  ne  contredit  pas  sa  conscience  , 
et  s'efforce  de  conserver  la  paix  et.  avec  Dieu  et  avec  l'homme. 

La  troisième  ,  qui  est  la  confiance  en  Dieu  ,  espérant  en  sa 
divine  providence  et  attendant  toujours  du  très-amoureux 
donateur  de  tous  les  biens  tout  ce  qui  nous  est  propre  et 
nécessaire  au  salut ,  soit  grâces ,  soit  autres  faveurs  ,  pourvu 
que  nous ,  de  notre  côté  ,  nous  ne  nous  en  rendions  point  in- 
dignes. 

La  quatrième  ,  qui  est  l'humilité  de  cœur  ,  et  celle-ci  doit 
être  de  telle  sorte  qu'on  ne  se  regarde  pas  seulement  à  l'inté- 
rieur comme  un  néant,  une  très-vile  créature,  mais  voulant 
encore  le  paraître  au  dehors  ,  en  se  montrant  en  toutes  occa- 
sions plutôt  ignorant  que  savant  et  sage  ,  ne  se  préférant  ja- 
mais à  qui  que  ce  soit ,  ni  en  paroles  ,  ni  en  œuvres  ,  mais 
donnant  plutôt  à  connaître  et  à  avouer  que  tous  les  autres  sont 
supérieurs  à  nous  et  plus  dignes  que  nous. 

La  cinquième  ,  qui  est  la  crainte  de  Dieu  ,  et  celle-ci  ne 
doit  point  naître  de  l'appréhension  de  l'enfer  ou  des  justes 
châtiments  du  Juge  universel  ,  mais  seulement  du  désir  de 
suivre  sa  volonté  ;  car  ,  étant  le  souverain  bien  ,  il  mérite 
d'être  servi  avec  soin  ,  et  qu'on  fasse  tous  ses  efforts  pour  ne 
point  l'affliger  en  la  moindre  chose  que  ce  soit. 

Et  lorsque  votre  âme  aura  franchi  ces  degrés  ,  il  faudra 
qu'elle  s'efforce  encore  de  monter  sur  autres  cinq  degrés  , 
après  quoi  elle  sera  dès  ce  monde  admise  à  la  participation 
de  la  béatitude  dont  jouissent  ici-bas  les  vrais  serviteurs  du 
Seigneur.  Or  ,  voici  ces  cinq  derniers  degrés  : 

Le  premier  degré  est  la  connaissance  de  la  voie  de  la  per- 
fection, laquelle  consiste  â  connaître  particulièrement  Jésus- 
Christ  comme  étant  l'éternelle  vérité  ,  et  à  l'imiter  en  tonl  ce 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE.  4G3 

qu'il  a  enseigné  et  pratiqué  pendant  sa  très-pure  et  sainte 
vie. 

Le  second  est  la  liquéfaction  ;  c'est-à-dire  que  l'on  doit 
tellement  devenir  amoureux  de  Dieu  ,  que  par  l'effet  de  cet 
amour  on  se  sente  comme  fondre  et  liquéfier. 

Le  troisième  degré  est  l'union  ;  c'est-à-dire  que  l'àme  doit 
être  si  unie  à  Dieu  ,  soit  par  ses  œuvres  ,  soit  par  ses  vertus , 
qu'elle  puisse  dire  véritablement  avec  l'Apôtre  :  Je  brûle 
d'être  séparée  de  ce  monde  et  d'être  unie  à  mon  doux  Jésus- 
Christ.  (Philip.  1-23.) 

Le  quatrième  degré  est  la  joie  ,  qui  consiste  à  se  réjouir 
seulement  en  Dieu  ,  à  n'avoir  son  esprit  attaché  qu'à  Dieu  , 
à  prendre  en  aversion  tout  ce  qui  n'est  pas  Dieu  ,  de  telle 
sorte  qu'on  puisse  dire  avec  l'Ecclésiaste  :  Celui  qui  m'a 
créée  repose  dans  le  tabernacle  de  mon  âme.  (  Eccl.  2i-l-2.  ) 

Le  cinquième  et  dernier  degré  est  la  louange  perpétuelle  , 
c'est-à-dire  un  désir  continuel  de  louer  et  de  glorifier  Dieu 
duquel  procèdent  tous  les  biens.  » 

Senlioieuls  sur  l'efficacité  de  l'oraison. 

On  l'entendait  répéter  souvent  ces  belles  paroles  : 
«  Lorsque  vous  verrez  une  personne  religieuse  qui  ne  s'a- 
donne pas  à  l'oraison  ,  ne  faites  pas  grand  fondement  sur  elle 
et  n'ayez  pas  grande  confiance  en  ses  œuvres ,  parce  que  , 
bien  qu'elle  porte  au  dehors  l'habit  d'une  personne  consacrée 
au  culte  du  Seigneur  ,  manquant  de  l'esprit  d'oraison  ,  elle 
ne  pourra  persister  longtemps  dans  ce  genre  de  vie.  Qui  ne 
fréquente  pas  l'oraison  et  qui  ne  la  goûte  pas  ,  n'a  pas  en  soi 
ces  liens  qui  tiennent  noué  ,  attaché  et  étreint  avec  Dieu  ; 
aussi  ce  ne  sera  pas  chose  étonnante  que  le  monde  et  le  dé- 
mon la  trouvant  ainsi  seule  ,  l'amènent  à  se  lier  avec  eux  :  il 
est  clair  que  ,  qui  n'a  pas  l'amour  de  Dieu  dans  son  cœur  , 
est  dans  l'état  le  plus  périlleux  et  le  plus  misérable  qu'il 
puisse  y  avoir  ;  mais  qui  me  donnera,  au  contraire  ,  de  coin  - 


-464  ESPRIT 

prendre  combien  est  heureuse  l'âme  en  laquelle  se  trouve 
l'amour  de  Dieu  ,  et  qui  prend  plaisir  à  traiter  avec  lui  dans 
l'oraison.  Je  voudrais  savoir  si  elle  trouve  de  l'ennui  à  penser 
aux  charmes  de  cette  divine  majesté  ;  si  elle  trouve  long  et 
mal  employé  le  temps  qu'elle  consacre  à  converser  familière- 
ment et  à  s'entretenir  ainsi  avec  lui;  s'il  lui  vient  du  dégoût 
et  de  la  fatiyue  ,  à  cause  de  la  longueur  des  louanges  qu'on 
rend  à  Dieu  ? 

Or ,  puisque  celui  qui  ne  goûte  pas  l'oraison  n'a  pas  l'a- 
mour de  Dieu  ,  voyez  si  l'état  d'une  telle  personne  n'est  pas 
digne  d'être  plaint  et  pleuré  de  la  part  de  quiconque  a  la 
vraie  connaissance  de  la  chose.  Aussi  voyons-nous,  parmi  les 
hommes,  que  l'amitié  se  forme  et  se  conserve  par  de  longues 
et  fréquentes  conversations  entre  eux ,  par  l'échange  de  bons 
offices  et  des  présents  qu'ils  se  font  mutuellement  les  uns 
aux  autres  ,  et  qu'au  contraire  ,  si  leur  tendre  amitié  cesse, 
si  la  bienveillance  disparaît,  il  arrive  que  restant  longtemps 
à  se  voir,  ou  pour  toute  autre  raison,  les  amis  cessant  d'avoir 
commerce  de  relations  ensemble ,  toute  liaison  et  familiarité 
s'évanouit.  Or,  si  cela  arrive  dans  les  amitiés  humaines,  il 
est  bien  plus  facile  encore  que  cela  survienne  dans  l'amitié 
avec  Dieu,  ne  pouvant  le  voir  que  des  yeux  de  la  foi ,  tandis 
que  pour  tout  le  reste  nous  n'avons  que  trop  continuellement 
sous  les  yeux  une  infinité  d'objets  terrestres  qui  nous  invitent 
insidieusement  à  les  aimer,  sans  que  Dieu  cependant,  qui  en 
lui-même  est  très-digne  d'être  aimé ,  révéré ,  estimé  ,  voyant 
que  nous  ne  faisons  aucun  cas  de  son  amitié,  s'indigne  un  tant 
soit  peu  et  nous  laisse  et  nous  abandonne  comme  des  per- 
sonnes ingrates  et  indignes  de  la  moindre  faveur  :  d'un  autre 
côté  ,  je  vois  manifestement ,  par  expérience ,  qu'il  est  impos- 
sible qu'une  âme  qui  par  devoir  s'applique  à  ce  saint  exercice 
de  l'oraison  et  persévère  à  s'y  adonner  avec  soin  et  diligence, 
persiste  longtemps  dans  une  mauvaise  vie  ,  parce  qu'il  n'est 
pas  possible  que  cette  âme  se  place  souvent  devant  les  yeux 
le  Dieu  qui  est  le  plus  parfait  exemplaire  de  toutes  les  vertus, 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE.  455 

et  qu'à  la  brillante  clarté  de  l'oraison ,  elle  ne  voie  pas  sa 
difformité  et  la  dégoûtante  laideur  de  ses  fautes ,  et  qu'elle 
ne  se  prenne  en  haine  et  en  horreur  elle-même,  et  qu'elle  ne 
forme  la  résolution  de  faire  des  efforts  pour  réchauffer  son 
cœur  d'amour  pour  Dieu  ,  ce  qui  s'obtient  facilement  par  le 
moyen  de  la  grâce  que  Dieu  lui-même  donne  à  quiconque 
veut  revenir  à  lui  avec  une  bonne  et  sincère  volonté.  Tous 
ces  avantages  sont  connus  du  démon  ,  l'ennemi  mortel  de 
notre  âme  :  voilà  d'où  naît  la  haine  acharnée  qu'il  porte  à 
l'oraison  ,  voilà  ce  qui  le  pousse  à  nous  susciter  tant  de  diver- 
ses distractions  et  à  causer  tout  le  dégoût  et  la  peine  qu'on 
éprouve  à  en  sortir  ;  voilà  ce  qui  le  fait  nous  poursuivre  obs- 
tinément et  de  toutes  les  manières,  parce  qu'il  ne  voudrait 
pas  ,  ce  malin  esprit ,  que  le  chrétien  fit  ses  délices  de  l'orai- 
son ,  et  qu'il  voudrait  réussir  à  embrouiller  son  esprit,  sa- 
chant bien  qu'il  perd  toutes  les  âmes  qu'il  parvient  à  détour- 
ner de  cette  voie  après  les  avoir  longtemps  retenues  sous  sa 
tyrannique  servitude  :  il  tolérera  donc  plus  facilement ,  que 
vous  jeûniez  beaucoup ,  que  vous  visitiez  les  églises  et  les 
hôpitaux,  que  vous  fassiez  des  aumônes  et  vous  exerciez  à 
toute  autre  pratique  de  piété  et  de  religion  ,  parce  que  avec 
toutes  ces  pratiques  il  est  bien  des  vices  ,  des  défauts  volon- 
taires et  invétérés  qui  peuvent  subsister  dans  Pâme  ;  mais 
avec  l'oraison  il  ne  se  peut  ;  car  ,  comme  les  ténèbres  dispa- 
raissent à  la  venue  des  rayons  du  soleil,  de  même  en  la 
présence  de  l'oraison  bien  faite  prennent  la  fuite  les  mau- 
vaises habitudes  et  les  vices  de  l'âme.  Que  si  l'on  voit  ce- 
pendant quelque  âme  adonnée  à  l'oraison ,  avoir  malgré  cela 
toujours  des  vices  et  des  défauts  ,  dites  qu'elle  ne  fait  pas 
bien  cet  exercise  ,  et  si  vous  l'examinez  avec  soin  ,  vous  dé- 
couvrirez aussitôt  qu'elle  est  toute  abusée  et  illusionnée.  » 

On  voit  aisément  par  ces  belles  lignes  la  grande  estime  que 
notre  Sainte  faisait  de  l'oraison. 


t.  v.  30 


460  ESPRIT 

TESTAMENT  DE  SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE  (1). 


(Environnée  de  toutes  ses  religieuses,  un  crucifix  avec  une  chandelle 
bénite  et  de  l'eau  sainte  sur  son  lit ,  pour  admirer  ainsi  son  époux  bien- 
aimé  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie ,  et  lui  donner  une  dernière  preuve  de  la 
pureté  et  de  la  vivacité  de  son  amour ,  elle  adressa  ces  paroles  qu'on 
recueillit  comme  son  testament)  : 

«  Je  sens  que  je  me  meurs  et  que  je  ne  serai  plus  bientôt  pré- 
sente en  personne  au  milieu  de  vous  ;  mais  demeurez  assurées 
que  je  vous  aiderai  davantage  là  où  je  serai  que  là  où  je  suis 
maintenant ,  pourvu  que  vous  marchiez  dans  la  voie  des  com- 
mandements du  Seigneur  et  de  ses  saints  conseils;  que  vous 
suiviez  aussi  la  route  que  sa  divine  Majesté  m'a  fait  la  grâce 
de  pouvoir  vous  montrer  et  que  je  vous  ai  montrée  en  effet,  et 
que  vous  conserviez  la  paix  et  la  concorde  entre  vous  ,  vous 
aimant  toutes  et  ne  désirant  n'être  aimées  d'aucune ,  vous 
servant  avec  soin  et  ne  cherchant  point  à  être  servies  ;  c'est 
là,  comme  je  vous  l'ai  eu  dit  autrefois,  l'héritage  qui  fut 
laissé  aux  apôtres  et  successivement  à  tous  les  chrétiens, 
lorsque  notre  Sauveur  fut  prêt  à  partir  de  ce  monde  pour 
aller  à  son  Père  éternel  ;  vous  êtes  ,  presque  toutes  déjà  dans 
l'âge  mùr  et  par  conséquent  je  n'ai  pas  besoin  de  m'étendre 
avec  vous  sur  d'autres  matières  ;  je  vous  recommande  seule- 
ment les  novices ,  afin  qu'elles  prennent  modèle  sur  vous , 
ainsi  que  celles  qui  viendront  plus  tard;  car  il  convient  que 
vous  autres  les  plus  anciennes  leur  donniez  l'exemple  de  la 
perfection  religieuse  et  de  l'observance  exacte  des  saintes  rè- 
gles ,  afin  que  la  même  régularité  règne  toujours  telle  que 

(1)  On  sait  qu'anciennement  on  appelait  les  dernières  paroles  des  mourants 
des  testaments;  aussi  est-ce  pour  nous  conformer  à  cet  usage  et  nous  montrer 
fidèles  aux  éditions  de  ce  temps-là,  que  nous  avons  conservé  ce  aom  en  plu- 
sieurs endroits. 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE.  407 

nous  l'avons  reçue  nous-mêmes  de  celles  qui  nous  ont  pré- 
cédées. Je  vous  prie  d'avoir  un  grand  respect  pour  la  mère 
assistante  qui  a  été  tendre ,  bonne ,  fidèle  en  tout  temps  et 
occasions  au  delà  de  mes  désirs  ;  je  vous  recommande  aussi, 
du  fond  du  cœur,  ma  pauvre  mère  selon  la  chair,  qui  est 
souvent  malade  ;  je  vous  renouvelle  que  vous  vous  gardiez 
comme  du  feu  et  de  la  peste,  de  chercher  ou  de  solliciter  soit 
au  dedans  ,  soit  au  dehors  pour  que  quelqu'une  d'ici  sorte  du 
manastère  ou  pour  que  celles  des  autres  monastères  entrent 
dans  celui-ci ,  et  s'il  s'en  trouve  jamais  quelqu'une  qui  fasse 
peu  de  cas  de  cette  mienne  recommandation  dernière ,  je  prie 
le  Seigneur  de  la  châtier  et  de  lui  imposer  la  peine  qu'elle 
mérite.  Ayez  toujours  devant  les  yeux  la  crainte  du  Seigneur 
qui  vous  aidera  beaucoup  pour  toutes  choses  ;  soyez  toujours 
promptes  à  souffrir  tout  ce  qu'il  faudra  plutôt  que  de  faire 
quoi  que  ce  soit  de  contraire  à  la  volonté  de  Dieu ,  à  votre 
honneur  et  à  la  réputation  du  monastère ,  qui  par  la  miséri- 
corde de  Dieu  l'a  conservée  si  bonne  jusqu'à  ce  jour.  Je  vous 
prie  de  veiller  avec  soin  à  ce  qu'il  ne  la  perde  pas ,  car  j'en 
demanderai  toujours  vengeance  devant  le  Juge  éternel  :  mais 
si  vous  faites  ce  que  je  vous  recommande,  vous  serez  toujours 
mes  filles  bien-aimées  et  je  vous  promets  bien  que  jamais  , 
en  quelque  temps  ou  dans  quelque  occasion  que  vous  vous 
trouviez  ,  je  ne  vous  ferai  point  défaut.  Yoilà  le  testament  que 
je  vous  laisse.  » 

Elle  demanda  pardon  à  toutes  les  Sœurs  ,  des  peines,  des 
scandales ,  des  dégoûts ,  des  chagrins  qu'elle  pouvait  leur 
avoir  causés ,  et  ayant  dit  cela  son  agonie  commença ,  sa 
figure  devint  resplendissante  de  lumière  ,  la  paix  et  la  séré- 
nité se  peignirent  sur  tous  ses  traits  ;  elle  leva  ses  beaux 
yeux  vers  le  ciel ,  et  dans  un  amoureux  regard  passa , 
comme  par  un  doux  et  léger  soupir ,  dans  le  sein  du  Bien- 
aimé. 


468  NOTES  SUR  LES  D.ELIQUES 

NOTES  SIR  LES  RELIQUES  DE  SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE , 

Et  sur  les  honneurs  qu'on  leur  rend. 


Le  corps  de  sainte  Catherine  de  Bologne,  qui  est  encore  entier  après 
plus  de  trois  siècles  et  demi ,  se  garde  à  Bologne,  dans  l'église  du  mo- 
nastère des  Clarisses  ;  il  est  assis  dans  une  espèce  de  tabernacle  vitré , 
grillé  et  entouré  d'une  grande  magnificence  ;  on  la  voit  parée  d'une 
robe  grise  très-précieuse  qui  lui  fut  donnée  par  saint  Charles  Borromée 
qui  avait  pour  cette  Sainte  une  particulière  vénération.  Ses  mains  ,  ses 
pieds,  et  son  visage  dont  la  chair  est  encore  vive  et  maniable,  appa- 
raissent aux  yeux  de  tous.  Elle  est  seulement  un  peu  livide  aux  endroits 
les  plus  exposés.  On  la  voit  assise  sur  un  fauteuil  ayant  une  auréole  en 
tète,  à  la  main  droite  une  croix  d'argent  avec  le  crucifix  qu'elle  re- 
garde, et  à  la  gauche  un  livre  qu'on  dit  être  celui  des  sept  armes  spiri- 
tuelles qu'elle  a  composé ,  et  qui  est  couvert  d'une  étoffe  garnie  de  pier- 
reries. Le  monument  qu'on  lui  a  érigé  est  un  de  ceux  de  toute  l'Italie 
qui  attire  un  plus  nombreux  concours  d'étrangers ,  de  pèlerins ,  de  sa- 
vants et  d'artistes.  Il  s'y  opère  un  grand  nombre  de  guérisons. 

On  voit  plusieurs  inscriptions  dans  cette  église.  L'une  qui  est  devant 
la  fenêtre  ou  la  niche  qui  contient  sainte  Catherine,  est  du  cardinal 
Capranica ,  et  atteste  la  translation  qui  fut  faite  en  1 163.  D'autres  rap- 
pellent l'époque  de  sa  canonisation.  Mais  celles  qui  attirent  le  plus  les 
regards  des  fidèles,  sont  celles  du  vœu  d'Isabelle  de  Naples  et  du  sé- 
nat de  Bologne  que  nous  allons  faire  connaître. 

11  faut  dire  d'abord,  qu'Isabelle,  épouse  de  Ferdinand  d'Aragon,  roi 
de  ISaples  ,  donna  et  plaça  de  sa  propre  main  sur  la  tète  de  la  Sainte , 
une  couronne  ducale  ,  de  grand  éclat,  de  grand  prix,  et  que  l'inscrip- 
tion est  pour  perpétuer  le  souvenir  de  cette  reconnaissance  de  la  pro- 
tection qu'elle  avait  reçue  de  sainte  Catherine. 

Isabella  neapolis  Regina , 
Proprio  diademale 
Catharinam  coronal , 
Cujus  patrocinio 
Pacem  regni 
Cum  Gallis  firmatam 
Agnoverat. 

Voici  celle  que  le  sénat  de  Bologne  fit  graver  sur  une  large  plaque 
de  marbre  ,  en  lettres  d'or  : 


DE  SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE.         460 

Catharinam  de  Bononia 
Ordinis  sanctse  Clarœ , 

Seraphicam  virginem , 
Hujus  asceterii  fundatricem , 
Heroicis  virtutibus  illustrera , 
Plurimis  prodigiis  insignem 
Et  de  mortui  corporis  incorrupti 

Perenni  miraculo 
Per  tria  jam  decurrentia  ssecula 
Ubique  terrarum  clarissimam , 

SS.  D.  N.  D.  Clemens,XI.  P.  M. 
Omni  sacrorum  rituum  pompa 
Sanctorum  numéro  adscripsit. 

XXII  mai,  M.  DCC.  XII. 
Festo  die  adorandœ  Trinitatis 
Cujus  ineffabile  mysteriura  , 

Ipsa  adhuc  vivens 

Et  vidit  et  intellexit. 
Hujus  itaque  sanctap.  protectricis  , 

Solemnem  apotbeosim 
Illustrissimus  et  excelsus  Bononiœ  senatus  , 

In  hoc  eodem  templo 
Per  octiduum  celebrandam  decreverunt. 

Nous  avons  remarqué  entre  autres  belles  choses,  dans  son  office 
qui  est  plein  de  suavité  et  de  poésie ,  cette  Antienne  qu'on  nous  per- 
mettra de  rapporter. 

Rosa  rubea  charitatis ,  lilium  candens  virginitatis,  Balsa- 
mura  flagrans  paupertatis ,  de  Francisa  prodiit  horlulo  :  Tu 
ergo  nobis  miseris ,  quondamque  cornes  itineris  ,  succurre 
nunc  suffragiis  in  cœlesti  collegio. 


FIN  DU  TOME  CINQUIEME. 


TABLE 

DES  ARTICLES  CONTENUS  DANS  LE  CINQUIÈME  VOLUME. 


3e  SERIE. 

Pagos. 

i.      Sainte  Synclétique 7 

n.     Sainte  Radegonde 55 

m.    Sainte  Hildegarde 49 

iv.     Sainte  Claire  d'Assise 95 

v.      Sainte  Angèle  de  Foligno dll 

vi.     Sainte  Gertrude 177 

vu.    Sainte  Brigite 207 

vm.  Sainte  Catherine  de  Sienne 245 

ix.     Sainte  Lidwine 579 

x.      Sainte  Françoise  Romaine 40 1 

xi.     Sainte  Catherine  de  Bologne 457 


FIN  DE  LA  PREMIERE  TABLE. 


TABLE  SYNOPTIQUE 

DES  MATIÈRES  CONTENUES  DANS  LE  CINQUIÈME  VOLUME, 

3e    SÉRIE. 

Pages. 
Explications  préliminaires  et  notes  apologétiques  sur  les  mots  ex- 
tase ,  ravissement ,  vision ,  apparition  ,  révélation 1 

Sentiment  de  Bossuet  dans  ses  états  d'oraison 5 

Doctrine  de  Benoit  XIV,  sur  les  révélations 6 

ESPRIT  DE  SAINTE  SYNCLÉTIQUE. 

Notice 7 

Entretien  à  ses  religieuses 11 

Précepte  de  la  charité Ibid. 

Qu'il  ne  faut  point  descendre  d'un  état  plus  parfait  à  un  état  plus 

imparfait 12 

Sur  la  pureté  du  cœur  et  des  sens 13 

Séparation  du  monde  et  vigilance Ibid. 

Danger  de  s'exposer  aux  occasions  sous  prétexte  de  piété 14 

Sur  la  prudence  du  serpent  et  la  simplicité  de  la  colombe Ibid. 

Opposition  qu'on  doit  faire  aux  représentations  dont  se  sert  le 

démon 15 

Excellence  du  renoncement  aux  biens  de  ce  monde Ibid. 

Comment  on  doit  se  préparer  à  la  pauvreté  évangélique Ibid. 

Avantages  qu'on  retire  du  dépouillement  volontaire 16 

De  la  paix  des  pauvres  évangéliques  et  des  avantages  qu'ils  rempor- 
tent sur  les  démons 1" 

Sur  le  peu  de  peine  qu'on  prend  pour  acquérir  les  ricbesses  spiri- 
tuelles et  sur  l'ardeur  qu'on  a  pour  l'acquisition  des  richesses 

temporelles Ibid. 

Sur  l'humilité,  le  souvenir  des  injures  et  la  tristesse 18 

Deux  sortes  de  tristesse,  l'une  bonne,  l'autre  préjudiciable Ibid. 


472  TABLE  SYNOPTIQUE. 

Pages. 
Comparaison  entre  4es  soins  qu'ont  les  âmes  religieuses  et  ceux 

qu'ont  les  gens  du  inonde 19 

Excellence  de  la  vie  religieuse Ibid. 

Sur  la  nécessité  de  la  vigilance  continuelle 20 

La  vie  est  une  mer  toujours  agitée  et  pleine  de  monstres Ibid. 

Contre  la  présomption  ,  cause  ordinaire  de  la  ruine  des  âmes 21 

Remèdes  contre  la  présomption 22 

Comment  il  faut  s'humilier  et  souffrir  les  mortifications 23 

Que  les  combats  et  les  peines  sont  inséparables  du  service  de  Dieu.    24 

Quel  trésor  précieux  est  la  charité ,  et  queT  mal  est  la  colère 25 

Que  le  ressentiment  est  toujours  suivi  de  grands  maux 26 

Combien  la  médisance  est  dangereuse Ibid. 

Vigilance  sur  la  langue  et  les  oreilles Ibid. 

Ne  point  se  réjouir  du  malheur  du  prochain 27 

Sur  l'enchaînement  et  la  liaison  qu'ont  les  vertus  entre  elles Ibid. 

Sur  l'aumône  faite  en  esprit Ibid. 

La  croix  est  l'étendard  de  l'âme  religieuse 28 

Danger  d'instruire  les  autres  quand  on  est  engagé  soi-même  dans 

la  dissipation  des  choses  extérieures Ibid. 

Qu'il  ne  faut  point  se  borner  à  un  soin  superficiel  de  son  âme. ...     29 

Mûrîmes  détachées. 

Fidélité  aux  saintes  règles Ibid. 

Aucun  bien  de  ce  monde  n'est  comparable  aux  richesses  du  ciel.  .Ibid. 

Trois  naissances  qu'on  peut  remarquer  dans  l'âme  religieuse 30 

Du  soin  d'embellir  son  âme  pour  plaire  à  l'époux  céleste Ibid. 

Comparaison  ingénieuse  pour  signifier  comment  on  doit  avancer 

dans  la  vertu 31 

Cercle  où  nous  enferment  la  volupté  et  la  cupidité Ibid. 

Tous  les  états  ne  sont  pas  propres  à  tous Ibid. 

Qu'il  faut  supporter  les  maladies  avec  patience Ibid. 

Savoir  discerner  dans  les  austérités  ce  qui  vient  de  Dieu  et  ce  qui 

vient  du  démon 32 

Persévérance  dans  le  bien Ibid. 

Notes  sur  l'origine  des  monastères  de  filles  et  de  veuves.  —  Sur 

leur  première  fondatrice ,  etc 33 

SAINTE  RADEGONDE. 

Notice 35 

Regrets  sur  la  mort  de  son  frère  adressés  à  son  cousin  Amalafroy.     39 


TABLE  SYNOPTIQUE.  473 

Pages. 

Tableau  pathétique  des  tourments  de  son  âme •• . .     40 

Paroles  à  ses  filles  spirituelles 42 

Son  testament  adressé  aux  Evèques  et  Seigneurs 43 

Tombeau  de  sainte  Radegonde  à  Poitiers 47 

Vœu  d'Anne  d'Autriche 48 

SAINTE  HILDEGARDE. 

Notice 49 

Admirable  révélation  sur  la  très-sainte  Trinité 53 

Ingénieuse  explication  de  la  foi ,  de  l'espérance  et  de  la  charité.  .  59 

Qualités  que  doit  avoir  un  bon  et  habile  maître Ibid. 

Sept  sortes  de  plaies  que  fait  aux  âmes  le  démon  pour  leur  donner 

la  mort 60 

Sur  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ  dans  la  divine  Eucharistie.  61 

Autre  fragment  sur  l'Eucharistie 64 

Trente-huit  queslioos  et  solutions  mjstiques  sur  l'Ecriture. 

lre  Question  et  solution 66 

2e  Question  et  solution 67 

3e  Question  et  solution 68 

4e  Question  et  solution 69 

5e  Question  et  solution Ibid. 

6e  Question  et  solution 70 

7e  Question  et  solution 71 

8e  Question  et  solution 72 

9e  Question  et  solution 73 

10e  Question  et  solution Ibid. 

11e  Question  et  solution 74 

12e  Question  et  solution Ibid. 

13e  Question  et  solution 75 

14e  Question  et  solution.  , 76 

15e  Question  et  solution Ibid. 

16e  Question  et  solution 77 

17e  Question  et  solution Ibid. 

18e  Question  et  solution 78 

19e  Question  et  solution Ibid. 

20e  Question  et  solution 79 

21e  Question  et  solution Ibid. 

22e  Question  et  solution 80 


474  TABLE  SYNOPTIQUE. 

Pages. 
23e  Question  et  solution 81 

2ic  Question  et  solution 82 

25e  Question  et  solution 83 

26e  Question  et  solution 84 

27e  Question  et  solution ibid. 

28e  Question  et  solution 85 

29e  Question  et  solution 86 

30e  Question  et  solution ibid. 

31e  Question  et  solution 87 

32°  Question  et  solution 88 

33e  Question  et  solution 89 

34e  Question  et  solution ibid. 

35e  Question  et  solution 90 

36e  Question  et  solution ibid, 

37e  Question  et  solution 91 

38e  Question  et  solution ibid. 

Notes  sur  les  reliques  de  Sainte-Hildegarde 92 

SAINTE  CLAIRE  D'ASSISE. 

Notice 93 

Instruction  ou  Conférence  de  sainte  Claire  sur  les  avantages  de  la 

vie  religieuse 97 

Son  testament,  seul  de  ses  écrits ,  très-rare 103 

Notes  sur  le  second  ordre  de  Saint-François  d'Assise  ou  des  Cla- 
risses 110 

SAINTE  ANGÈLE  DE  FOLIGNO. 

Notice 111 

Les  dix-huit  degrés  ou  situations  par  lesquelles  Dieu  fit  passer  son 

âme  lors  de  sa  conversion  ,  expliqués  par  elle 115 

1er  Article Ibid. 

2'   Article 116 

3«  Article Ibid. 

¥  Article Ibid. 

5e  Article 117 

6«  Article Ibid. 

7c  Article 118 

8c  Article Ibid. 

9°  Article H!' 


TABLE  SYNOPTIQUE.  475 

Pages. 

10e  Article 120 

11«  Article 121 

12e  Article 122 

13e  Article Ibid. 

14e  Article Ibid. 

15e  Article 123 

16e  Article 124 

17e  Article - 126 

18e  Article Ibid. 

Diverses  tentations  et  explications  très-importantes  pour  la  direc- 
tion des  âmes 128 

Des  dix  visions  consolantes  qu'eut  sainte  Angèle  ;  première  vision.  136 

Seconde  vision  consolante 141 

Septième  vision  consolante 143 

Des  sept  visions  consolantes  qu'eut  sainte  Angèle  touchant  l'Eucha- 
ristie ;  sixième  vision 144 

Septième  vision 145 

Deux  visions  où  la  Sainte  Vierge  lui  apparut 146 

Instructions  et  lumières  concernant  l'état  des  âmes  dans  les  voies 

du  salut 147 

Instructions  sur  les  moyens  de  connaître  la  venue  de  Dieu  dans 

l'âme 1 48 

Comment  l'âme  reçoit  la  visite  de  Dieu  qui  veut  y  résider  spirituel- 
lement   150 

De  plusieurs  illusions  auxquelles  sont  exposées  les  personnes  môme 

les  plus  spirituelles 151 

Du  ravissement  de  l'âme > 152 

Sur  la  connaissance  de  soi-même 153 

Sur  l'étude  du  livre  de  vie  qui  est  Jésus-Christ 154 

Quatre  degrés  de  la  pauvreté  de  Jésus-Christ 156 

De  la  prière 157 

De  la  vertu  d'humilité 161 

De  la  vertu  de  charité 162 

De  la  voie  qui  conduit  à  l'amour  de  Dieu  et  des  qualités  de  ceux 

qui  aiment  véritablement 164 

De  quelques  dons  de  Dieu  et  des  moyens  de  connaître  si  une  âme 

est  véritablement  transformée  en  Dieu 165 

De  l'auguste  sacrement  de  l'autel 167 

Des  sept  bienfaits  principaux  que  Dieu  a  accordés  a  l'homme 171 

Testament  de  sainte  Angèle Ibid. 

Notes  sur  l'origine  et  les  filiations  du  tiers-ordre  de  Saint-François 
d'Assise. 171 


4-70  TABLE  SYNOPTIQUE. 

Pages. 

SAINTE  GERTRUDE. 
Notice 177 

De  ses  insinuations  pieuses. 

Que  l'adversité  est  un  signe  d'élection  divine 181 

Que  les  consolations  humaines  diminuent  les  consolations  divines.  182 
Combien  sont  précieux  les  fruits  que  l'on  retire  de  l'assistance  au 

saint  sacrifice  de  la  Messe Ibid. 

Combien  Jésus-Christ  est  reçu  indignement  par  ceux  qui  s'aban- 
donnent au  vice  de  la  langue 183 

Des  ornements  spirituels  dont  doit  être  parée  l'âme  qui  se  prépare 

à  communier  dignement 184 

Avec  quel  ardent  amour  le  Seigneur  se  donne  lui-même  dans  le 

sacrement  de  l'Eucharistie 185 

Comment  le  pécheur  vraiment  repentant  est  promptement  par- 
donné  186 

Comment  chacun  doit  porter  sa  croix  après  Jésus-Christ Ibid. 

La  miséricorde  de  Dieu  châtie  les  élus ,  la  charité  l'emporte  sur  les 

négligences 187 

Du  mérite  de  l'obéissance  et  de  l'adversité Ibid. 

Combien  l'oblation  de  nos  œuvres  faite  à  Dieu  par  son  Fils ,  lui  est 

agréable 1 88 

Utilité  de  la  prière,  quoique  son  effet  ne  paraisse  pas  sensiblement.  189 

L'adversité  ôte  l'occasion  du  péché Ibid. 

Efficacité  de  la  bonne  volonté 190 

Qu'on  ne  peut  être  sauvé  sans  l'amour  de  Dieu Ibid. 

La  délectation  sensible  dissipe  et  empêche  la  délectation  divine. .  191 

Combien  la  patience  est  précieuse Ibid. 

De  l'utilité  de  la  fréquente  communion 192 

Manière  de  se  purifier  des  souillures  qu'on  a  contractées  et  de 

l'Eucharistie 193 

De  l'efficacité  du  regard  divin  et  de  l'utilité  de  la  communion  spi- 
rituelle    194 

Sur  l'utilité  du  souvenir  de  la  passion  de  Jésus-Christ 195 

Comment  Jésus-Christ  apaise  Dieu  son  Père 196 

Courte  prière  très-agréable  à  Jésus-Christ  et  enseignée  par  lui- 
même  à  sainte  Gertrude Ibid. 

Des  deux  pulsations  du  cœur  de  Jésus 197 

De  la  parfaite  résignation  de  tout  soi  même  à  la  volonté  de  Dieu. .   198 


TABLE  SYNOPTIQUE.  4-77 

Pages. 
Que  l'âme  fidèle  doit  s'abandonnera  la  volonté  divine,  soit  pour  la 

vie ,  soit  pour  la  mort 200 

Du  renouvellement  des  sept  sacrements  dans  l'âme 201 

De  l'avantage  de  la  tentation Ibid. 

De  la  manière  d'exercer  le  zèle 202 

D'une  vision  et  révélation  merveilleuse  touchant  le  saint  sacrifice 

de  la  Messe 203 

Notes  sur  les  religieuses  Bénédictines 205 

SAINTE  BRIG1TE. 
Notice 207 

De  ses  Révélations. 

D'une  vision  touchant  une  âme  qui  devait  être  jugée.  —  Des  accu- 
sations du  démon-  —  De  la  protection  de  la  sainte  Vierge  auprès 

de  Dieu 211 

Prière  de  sainte  Brigite  à  Dieu  son  époux 215 

La  mère  de  Dieu  lui  parle  du  cœur  très-doux  de  son  fils Ibid. 

Notre-Seigneur  la  prémunit  contre  l'orgueil , 216 

Combieu  la  simplicité  est  agréable  à  Dieu 217 

Révélations  de  la  mère  de  Dieu  à  sainte  Brigite  touchant  les  mys- 
tères de  sa  vie 218 

Touchant  sa  conception ,. Ibid. 

Sur  sa  nativité 219 

Sur  sa  Visitation 220 

Sur  son  enfantement 222 

Sur  sa  purification 224 

Sur  la  douleur  de  sa  fuite  en  Egypte 226 

Sur  sa  vie  après  l'ascension  de  son  Fils • 228 

Sur  l'annonciation  que  l'ange  fit  à  Marie  de  sa  mort  et  de  ce  qui 

arriva  après 229 

De  la  passion  de  Notre-Seigneur  que  sainte  Brigite  vit  étant  à  Jé- 
rusalem   230 

Moyens  pour  chasser  les  démons  de  nos  cœurs 232 

Commandements,    défenses  et  conseils  de   Jésus-Christ  à  son 

épouse 233 

Divers  extraits  d'autres  révélations 234 

Utilité  des  mauvaises  pensées  pour  purifier  les  âmes  fidèles  et  aug- 
menter leurs  mérites 236 

Louanges  de  sainte  Brigite  à  la  sainte  Vierge 237 


•178  TABLE  SYNOPTIQUE. 

Pages. 

Dieu  récompense  les  efforts  et  non  les  succès  des  ministres  de 
l'Evangile 238 

Notes  sur  sainte  Brigite ,  sur  les  religieux  et  religieuses  de  son 
ordre  ,  sur  les  chevaliers  de  l'ordre  militaire  de  Sainte-Brigite, 
et  enfin  sur  le  feu  sainte-Brigite 239 


SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE. 
Notice * ...  243 

De  ses  Lettres. 

Lettre  au  pape  Grégoire  XI  ,  sur  l'exemple  de  Jésus-Christ  récon- 
ciliant l'homme  avec  Dieu 217 

Lettre  au  pape  Urbain  VI.  Elle  le  console  en  ses  déplaisirs ,  lui 
faisant  voir  quelle  doit  être  la  cause  «Je  notre  vraie  douleur.  . . .  251 

Au  même  pape  Urbain  VI.  Elle  lui  fait  voir  que  les  persécutions 
des  méchants  ne  nuisent  pas  aux  vertueux 255 

A  monseigneur  Pierre  ,  cardinal  de  Lima.  Des  efforts  de  la  vérité 
et  de  quelle  sorte  le  cœur  de  l'homme  opère  généreusement, 
éclairé  de  sa  lumière 257 

Aux  anciens  de  la  cité  de  Lucques.  Sur  la  force  de  l'Eglise  unie  à 
son  chef  qui  est  Jésus-Christ 259 

Au  roi  de  France  Charles  V.  Elle  le  prie  de  mettre  la  paix  dans 
son  royaume ,  afin  de  pouvoir  secourir  l'église 2G1 

Au  roi  de  Hongrie.  Après  avoir  traité  de  l'excellence  de  la  charité, 
elle  l'exhorte  à  la  paix  et  au  secours  du  pape 265 

Au  duc  d'Anjou.  Elle  l'exhorte  à  la  guerre  sainte  et  lui  parle  d'un 
accident  arrivé  à  un  festin 269 

A  Monseigneur  de  Gambacurti ,  à  Pise.  Des  malheurs  que  le  péché 
apporte  à  nos  âmes 272 

A  dom  Christophe ,  religieux  de  la  Chartreuse  au  monastère  de 
Saint-Martin  ,  à  Naples.  Elle  traite  de  la  connaissance  de  soi- 
mème  et  des  grâces  que  Dieu  a  conférées  à  la  créature  raison- 
nable   274 

A  dom  Nicolas  de  France ,  religieux  de  la  chartreuse  de  Beaure- 
gard.  Sur  la  force  et  le  courage  que  la  charité  donne  à  nos  âmes 
pour  résister  aux  tentations,  et  du  profit  que  nous  en  pouvons 
retirer • 282 

A  dom  Pierre  de  Milan,  de  l'ordre  des  Chartreux.  Elle  traite  de  trois 
sortes  d'artifices  dont  se  sert  l'ennemi  pour  nous  séduire 287 

Au  père  Raymond  de  Capoue.  Touchant  le  bien  que  nous  pouvons 
retirer  des  tentations 294 


TABLE  SYNOPTIQUE.  479 

Pages. 

Au  père  Thomas  île  la  Fontaine  à  Sienne.  Touchant  les  maux  qui 
arrivent  de  notre  propre  volonté,  et  du  dépouillement  de  nous- 
mêmes 298 

Au  même ,  sur  les  douceurs  de  la  sainte  communion 299 

Au  père  Barthélémy ,  bachelier  à  Pise.  Sur  la  charité  et  la  médita- 
tion de  la  croix 301 

A  Barthélémy  et  à  Jacques ,  au  Campo-Sancto  à  Pise.  Elle  les  exhorte 
à  souffrir  pour  la  gloire  de  Dieu  et  le  bien  de  l'église 303 

Au  prieur  et  aux  confrères  de  la  compagnie  de  la  discipline  de  la 
Sainte-Vierge,  de  l'Hôtel-Dieu  de  Sienne.  De  la  vigne  que  Dieu 
a  plantée  dans  l'homme 305 

A  Monseigneur  Bostain  de  Canigian ,  Florentin.  De  la  contrition  et 
des  dispositions  à  la  sainte  communion 311 

A  maître  André  Vanni.  Sur  l'importance  de  l'humilité  pour  conser- 
ver les  vertus 31 7 

A  Thomas  d'Alvien.  Sur  le  mystère  de  notre  rédemption.. 321 

Au  seigneur  Antoine  de  Ciole.  Combien  il  importe  à  nos  âmes  d'ai- 
mer Dieu 320 

A  quelques  seigneurs  Florentins.  Elle  traite  de  l'union  qui  se  trouve 
dans  l'homme  entre  les  trois  facultés  spirituelles  de  nos  âmes.  .  330 

A  François  Pépin  et  à  sa  femme  Agnès.  Sur  les  moyens  propres  à 
abolir  en  nous  les  mouvements  de  notre  volonté. 333 

A  Madame  Montagne,  au  comté  de  Narni.  De  l'amour  sensuel  tou- 
chant les  choses  spirituelles 334 

A  Madame  Agnès  de  Toscenella.  Du  fondement  de  la  perfection.. .  338 

A  Anne  Benincaze  sa  nièce,  à  Florence.  Quelles  sont  les  Vierges 
sages  reçues  de  Dieu 343 

A  Madame  Laudémie  ,  épouse  de  Charles  Strozzi,  à  Florence.  De 
la  consolation  qui  se  trouve  au  service  de  Dieu 346 

A  Néri  de  Landoccio ,  à  Pise.  Du  moyen  de  s'embraser  en  l'amour 
de  Dieu ". 348 

A  Jean  Trente  et  à  sa  femme.  Elle  les  exhorte  à  l'imitation  de 
Jésus-Christ 350 

Extraits  de  ses  divers  traile's  ou  dialogaes. 

Comment  l'âme  peut  s'unir  à  Dieu 351 

Que  les  œuvres  unies  en  elles-mêmes  ne  peuvent  suffire  sans  la 
vraie  charité  pour  satisfaire  ou  être  récompensé 352 

Combien  est  agréable  à  Dieu  le  désir  de  souffrir  quelque  chose  pour 
lui 353 

Similitude  pour  prouver  comment  la  charité  ,  l'humilité  et  la  dis- 
crétion sont  unies  ensemble,  et  comment  l'âme  doit  se  conformer 
à  cette  similitude 354 


480  TABLE  SYNOPTIQUE. 

Papes. 

Sur  le  pont  mystique  qui  a  réuni  la  terre  avec  le  ciel 355 

Etat  des  réprouvés  dans  l'autre  vie.  Ils  ne  peuvent  désirer  aucun 

bien 356 

De  la  gloire  des  bienheureux 357 

De  l'oraison 358 

De  la  naissance  des  larmes Ibid. 

Des  marques  auxquelles  on  connaît  qu'une  visite  ou  vision  mentale 

vient  de  Dieu  ou  du  démon 360 

Sur  l'excellence  de  l'état  où  se  trouve  l'âme  qui  reçoit  le  sacrement 

de  l'Eucharistie  en  état  de  grâce Ibid. 

Du  traité  de  la  Proridence. 

Dessein  général 361 

Détails  de  divers  chapitres Ibid. 

Providence  de  Dieu  envers  ceux  qui  sont  en  état  de  péché  mortel.  363 
Providence  envers  ceux  qui  sont  encore  dans  l'état  d'un  amour 

imparfait 365 

Providence  envers  ceux  qui  sont  en  état  de  charité  parfaite 366 

Providence  présente  et  future 368 

Louanges  à  la  providence 370 

Du  traité  do  l'obéissance. 

Personne  ne  peut  entrer  au  ciel  sans  l'obéissance Ibid. 

Excellence  de  l'obéissance  et  biens  qu'elle  produit  quand  on  la  pra- 
tique véritablement 372 

Tout  doit  céder  à  l'obéissance 373 

Action  de  grâces  et  conclusion  du  traité 374 

Notes  sur  le  tiers  ordre  de  Saint-Dominique 376 

Sur  les  reliques  et  le  monument  de  sainte  Catherine  de  Sienne.  .  .Ibid. 

SAINTE  LIDWINE. 

Détails  admirables  de  sa  vie 379 

Son  état  dès  sa  naissance  et  son  enfance 380 

Divers  accidents  de  sa  vie 381 

Sa  joie  dans  les  souffrances 382 

Le  Calvaire  est  son  école 383 

Elle  est  inondée  de  faveurs  célestes 384 

Ses  entretiens  avec  son  bon  ange 385 

Méthode  qu'elle  suivait  pour  son  perfectionnement  spirituel 3X7 


TABLE  SYNOPTIQUE.  481 

Pages. 

Ses  exhortations  aux  âmes  affligées 388 

Le  Calvaire  était  pour  elle  un  jardin  de  plaisance 389 

Elle  reçoit  l'impression  des  stigmates.  Ses  paroles  en  cette  occasion.  391 

Elle  voit  Jésus-Christ  dans  une  belle  hostie Ibid. 

Réponse  admirable  à  un  professeur  de  théologie  sur  la  manière 
dont  la  sainte  Trinité  opéra  l'incarnation  du  Verbe  dans  le  sein 

de  la  glorieuse  Vierge  Marie 393 

Elle  prédit  sa  mort 396 

Ses  dernières  paroles.  Sa  mort 397 

Notes  sur  son  tombeau 399 

SAINTE  FRANÇOISE  ROMAINE. 

Notice 401 

De  la  vision  XIII 405 

De  la  vision  XIV 407 

De  la  vision  XVII <• 410 

De  la  vision  XXI 4H 

De  la  vision  XLIII 415 

De  la  vision  XLVIII 417 

De  la  vision  LUI 419 

De  la  vision  LV 420 

De  la  vision  LXII 422 

De  la  vision  LXV 423 

Dq  traité  de  l'enfer. 

Du  lieu  de  l'enfer ,  de  son  prince ,  de  l'entrée  des  âmes  dans  ce  lieu 

d'horreur  et  des  peines  qui  leur  sont  communes 424 

Du  nombre  des  démons ,  de  leurs  noms  et  de  leurs  emplois 426 

Des  limbes 428 

Du  purgatoire 429 

De  la  gloire  des  saints  dans  le  ciel 432 

Notes  sur  les  oblates  et  sur  le  tombeau  de  sainte  Françoise 434 

SAINTE  CATHERINE  DE  BOLOGNE. 

Notice. 437 

Traité  des  sept  armes  spirituelles 441 

Première  arme.  La  diligence 444 

Deuxième  arme.  La  défiance  de  soi-même 445 

T.  V.  31 


482  TABLE  SYNOPTIQUE. 

Pages. 
Troisième  arme.  La  confiance  en  Dieu 446 

Quatrième  arme.  Le  souvenir  de  la  passion  de  Jésus-Christ 448 

Cinquième  arme.  Le  souvenir  de  la  pensée  de  sa  propre  mort 449 

Sixième  arme.  Le  souvenir  de  la  gloire  dont  on  jouit  devant  Dieu.  450 

Septième  arme.  L'autorité  de  l'Ecriture  Sainte 452 

Exercice  ou  manière  de  se  servir  prudemment  de  ces  armes  spiri- 
tuelles   453 

Déclaration  d'authenticité  de  ce  traité 456 

Des  deux  échelles  mystiques Ibid. 

Première  échelle.  Des  vertus 457 

Deuxième  échelle.  De  l'humilité 459 

Sages  conseils  pour  parvenir  à  une  haute  perfection 460 

Sentiments  sur  l'efficacité  de  l'oraison 463 

Testament  de  Sainte  Catherine  de  Bologne 466 

Notes  et  inscriptions 468 


FIN  DE  LA  TABLE  SYNOPTIQUE. 


TABLE  PARTICULIERE 

POUR  LES  MAISONS  RELIGIEUSES. 


Pages. 
Explications  préliminaires  et  notes  apologétiques  sur  les  mots 

extase ,  ravissement ,  vision  ,  révélation 1  et  suiv. 

Instructions  de  sainte  Synclétique  à  ses  religieuses 11 

Trois  états  de  la  vie  religieuse.  Qu'il  ne  faut  pas  descendre 

du  plus  élevé  au  moins  parfait 12 

Devoirs  particuliers  aux  vierges 13 

Nécessité  pour  elles  de  la  retraite  pour  conserver  la  pureté. Ibid. 

Vigilance  sur  soi-même Ibid. 

Fuite  des  occasions 14 

De  la  pauvreté  évangélique 15 

Deux  sortes  de  tristesses ,  l'une  bonne,  l'autre  préjudiciable.     18 

Contre  la  présomption 21 

Remèdes  à  ce  mal  si  dangereux 22 

Avis  spirituels 24  et  suiv. 

Maximes  spirituelles 29 

Notes  sur  l'origine  des  monastères  de  filles  et  de  femmes. . .     53 

Testament  de  sainte  Radegonde 43 

Tombeau  de  sainte  Radegonde  à  Poitiers 47 

De  la  très-sainte  Trinité,  par  sainte  Hildegarde,  d'après  une 

révélation  qu'elle  eut 53 

Belles  paroles  sur  la  foi ,  l'espérance ,  la  cbarité  et  l'humilité.     59 

Avis  à  un  maître  pour  bien  former  ses  disciples .Ibid. 

Que  le  premier  séducteur  emploie  sept  sortes  de  plaies  pour 

ruiner  les  âmes 60 

Ce  qu'elle  avait  vu  et  entendu  dans  une  révélation  touchant  le 

corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ,  et  les  prêtres  soit  dignes 

soit  indignes  qui  approchent  de  l'autel 61  à  64 

Trente-huit  solutions  sur  divers  textes  des  livres  saints.  66  à  92 
Conférence  de  sainte  Claire  d'Assise  sur  les  avantages  de  la 

vie  religieuse 97 


484  TABLE   PARTICULIÈRE 

Pages. 

Avis  à  une  religieuse  qui  se  plaignait  du  joug  de  la  confession.  100 
Avis  à  une  autre  personne  qui  avait  une  crainte  excessive  des 

jugements  de  Dieu 101 

Paroles  de  sainte  Claire  au  moment  où  elle  se  porta  au-devant 

de  Frédéric  II,  qui  s'avançait  pour  attaquer  son  couvent..  102 
Différence  des  visites  qu'on  rend  à  Dieu  dans  son  temple  et 

de  celles  que  se  rendent  les  mondains Ibid. 

Testament  de  sainte  Claire  d'Assise 103 

Notes  sur  le  second  ordre  de  saint  François  d'Assise 110 

Dix-huit  degrés  ou  situations  de  sainte  Angèle  de  Foligno 

décrits  par  elle-même 115  à  128 

Diverses  tentations  qu'éprouva  sainte  Angèle 128  à  136 

Dix  visions  consolantes  que  sainte  Angèle  reçut  de  Dieu.  13G  et  suiv. 

Sept  visions  consolantes  qu'eut  sainte  Angèle  touchant  le  saint 
sacrement  de  l'Eucharistie 144 

Deux  visions  dans  lesquelles  la  très-sainte  Vierge  apparut  à 
sainte  Angèle 146 

Instructions  et  lumières  concernant  l'état  des  âmes  dans  les 
voies  du  salut 147 

Doctrine  et  instructions  de  sainte  Angèle  concernant  les 

moyens  de  connaître  avec  certitude  la  venue  de  Dieu  dans 

l'àme 148 

Comment  l'àme  reçoit  la  visite  du  Seigneur 150 

De  plusieurs  sortes  d'illusions  auxquelles  sont  exposées  les 

personnes  mêmes  les  plus  spirituelles 151 

Quatre  degrés  de  la  pauvreté  de  Jésus-Christ 156 

Sur  la  prière 157 

La  prière  corporelle,  la  prière  spirituelle  ou  mentale,  et  la 

prière  surnaturelle Ibid. 

Sur  la  vertu  d'humilité 161 

Sur  la  vertu  de  charité 1 62 

De  la  voie  qui  conduit  à  l'amour  de  Dieu  et  des  qualités  et 

conditions  de  ceux  qui  l'aiment 164 

De  sept  dons  que  Dieu  fait  à  l'àme 165 

Du  sacrement  de  l'autel.  Ce  qu'on  doit  faire  pour  se  préparer 

à  le  céléhrer  ou  à  le  recevoir 167 

Belles  considérations  sur  ce  sujet Ibid. 

Des  sept  dons  principaux  ou  bienfaits  spirituels  que  Dieu  a 

accordés  aux  hommes 171 


POUR  LES  MAISONS  RELIGIEUSES.  -485 

Pages. 

Dernières  instructions  ou  testament  de  sainte  Angèle 171 

Notes  sur  l'origine  et  les  filiations  du  tiers  ordre  de  saint 

François  d'Assise 174 

Révélations  et  insinuations  pieuses  de  sainte  Gertrude.  181  à  204 
(Ces  révélations  devant  être  lues  parce  qu'elles  sont  très-uti- 
les ,  nous  y  renvoyons  les  âmes  religieuses  qu'une  simple 
indication  ne  satisferait  pas.) 

Notes  sur  les  religieuses  bénédictines 205 

Révélations  célestes  et  divines  de  sainte  Brigite 211 

Vision  touchant  une  âme  qui  devait  être  jugée.  —  Accusation 
du  démon.  —  Défense  que  prend  la  sainte  Vierge.  —  Ex- 
plication de  la  vision 211  et  suiv. 

Prière  de  sainte  Brigite  à  Dieu  son  époux 215 

La  mère  de  Dieu  lui  parle  du  cœur  très-doux  de  son  fils. .  .Ibid. 

Notre-Seigneur  la  prémunit  contre  l'orgueil 210 

Combien  la  simplicité  est  agréable  à  Dieu 217 

Révélation  de  la  mère  de  Dieu  à  sainte  Brigite  touchant  les 

divers  mystères  de  sa  vie 218 

Touchant  sa  conception Ibid. 

Sur  sa  nativité 219 

Sur  sa  Visitation 220 

Sur  son  enfantement 222 

Sur  sa  purification 224 

Sur  les  douleurs  de  sa  fuite  en  Egypte ».  226 

Sur  sa  vie  après  l'ascension  de  son  fils 228 

Sur  l'annonciation  que  l'ange  fit  à  Marie  de  sa  mort  et  de  ce 

qui  arriva  après 229 

De  la  passion  de  Notre-Seigneur  que  sainte  Brigite  vit  à  Jé- 
rusalem . 250 

Moyens  pour  chasser  le  démon  de  nos  cœurs 252 

Commandements ,  défenses  et  conseils  de  Jésus-Christ  à  son 

épouse 255 

Divers  extraits  d'autres  révélations 254 

Du  mystère  de  l'incarnation  de  Jésus-Christ Ibid. 

Sur  l'immaculée  conception  de  Marie Ibid. 

Combien  Dieu  se  plaît  à  faire  honorer  le  nom  de  Marie.  Ibid.  et  255 

Du  vrai  sage  selon  Dieu » 256 

Utilité  des  mauvaises  pensées  pour  purifier  les  âmes  fidèles 
et  augmenter  leurs  mérites  devant  Dieu Ibid. 


48G  TABLE  PARTICULIÈRE 

Pages. 

Louanges  de  sainte  Brigite  à  la  sainte  Vierge 237 

Que  Dieu  récompense  les  efforts  et  non  les  succès  des  minis- 
tres de  l'Evangile 238 

Notes  sur  sainte  Brigite  et  sur  son  ordre 239 

Lettres  de  sainte  Catherine  de  Sienne 247  à  350 

Extraits  de  ses  divers  traités  ou  dialogues  entre  elle  et  Dieu.  551 

Comment  l'âme  peut  s'unir  à  Dieu Ibid. 

Des  œuvres  finies  en  elles-mêmes 352 

Comhien  est  agréable  à  Dieu  le  désir  de  souffrir  quelque 

chose  pour  lui 353 

Similitude  pour  établir  comment  la  charité ,  l'humilité  et  la 

discrétion  sont  unies  ensemble 354 

Sur  le  pont  mystique  qui  a  réuni  la  terre  avec  le  ciel 555 

Etat  des  réprouvés  dans  l'autre  vie 356 

De  la  gloire  des  bienheureux 557 

De  l'oraison 558 

De  la  naissance  des  larmes Ibid. 

Cinq  degrés  de  larmes 559 

Des  marques  auxquelles  on  connaît  qu'une  vision  mentale 

vient  de  Dieu  ou  du  démon 560 

Excellence  de  l'état  où  se  trouve  l'âme  qui  reçoit  le  sacre- 
ment de  l'eucharistie  en  état  de  grâce Ibid. 

De  son  traité  de  la  providence 561  à  570 

Du  traité  de  l'obéissance.  —  Excellence,  biens,  mérite  de 

l'obéissance ,  etc 572  à  575 

Notes  sur  les  reliques  de  sainte  Calheriue  de  Sienne 576 

Conduite  de  Dieu  sur  sainte  Lidwine 579  à  592 

Admirable  réponse  de  celte  sainte  à  un  religieux  qui  lui  de- 
mandait de  quelle  manière  les  trois  personnes  de  la  sainte 
Trinité  ont  opéré  dans  le  sein  de  la  glorieuse  Vierge  Marie 

l'incarnation  du  Verbe 595 

Notes  sur  son  tombeau 599 

Visions  et  révélations  de  sainte  Françoise  Domaine.  . .  405  à  424 
Du  traité  de  l'enfer  par  cette  Sainte:  du  lieu  de  l'enfer,  de 
son  prince ,  de  l'entrée  des  âmes  dans  ce  lieu  d'horreur  et 

de  peines  qui  leur  sont  communes 424 

Du  nombre  des  démons,  de  leurs  noms  et  de  leurs  emplois.  426 

Des  limbes 428 

Du  purgatoire 429 


POUR  LES  MAISONS  RELIGIEUSES.  4-87 

Pages. 

De  la  gloire  des  Saints  dans  le  ciel 452 

Notes  sur  les  oblates 454 

Traité  des  sept  armes  spirituelles  nécessaires  aux  combats 

spirituels 441 

lre arme.  La  diligence 444 

2e  arme.  De  la  défiance  de  soi-même 445 

5e  arme.  De  la  confiance  en  Dieu 446 

4e  arme.  Du  souvenir  de  la  passion 448 

5e  arme.  Du  souvenir  de  sa  propre  mort 449 

6e  arme.  Du  souvenir  de  la  gloire  dont  on  jouit  devant  Dieu.  450 

7e  arme.    De  l'autorité  des  saintes  écritures 452 

Manière  de  se  servir  prudemment  de  ces  armes  spirituelles.  453 
Les  deux  échelles  mystiques,  par  sainte  Catherine  de  Bologne. 

lre  échelle.  Des  vertus 457 

2e  échelle.  De  l'humilité 459 

Sages  conseils  pour  parvenir  à  une  haute  perfection 460 

Sentiments  sur  l'efficacité  de  l'oraison 465 

Testament  de  sainte  Catherine  de  Bologne 466 

Notes  sur  ses  reliques 468 


FIN  DE   LA  DERNIERE  TABLE. 


BX  4655  . 
v.5  SMC 

E85  1883 

Esprit  des  saints  :  1 
plus  illustres  parmi 
AZE-2169  (mcih) 

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