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Full text of "Esquisse d'une histoire de la philosophie indienne"

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PAUL-EMILE  DUMONT 


ESQUISSE  D'UNE  HISTOIRE 


DE  LA 


PHILOSOPHIE  INDIENNE 


PAR 


Paul  Masson-Oursel 

AGRÉGÉ  DE  L' UNIVERSITÉ 
CHARGÉ  DE  SUPPLÉANCE  A  LA  FACULTÉ  DES  LETTRES 

ET  A  l'École  des  hautes  études  religieuses 


^- 


Librairie  Orientaliste 
PAUL  GEUTHNER 
13,  rue  Jacob,  Paris  VI^ 
1923 


THÈSE   PRÉSENTÉE    A    LA    FACULTÉ    DES    LETTRES 


DE    l'université    DE    PA.RIS 


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A    MES    MAITRES 

MM.   Sylvain  Lévi 
et 

A.    FOUCHER 


Hommage  de  reconnaissante  affection. 


PREFACE 


Prétendre  écrire,  au  sens  exact  du  terme,  une  histoire 
de  la  philosophie  indienne,  attesterait,  quant  à  présent, 
une  ambition  téméraire.  Non  seulement  des  domaines 
entiers  de  la  civilisation  de  l'Inde,  qui  produisirent  d'im- 
menses littératures,  se  trouvent,  aujourd'hui  encore,  soit 
inexplorés,  soit  insuffisamment  défrichés  par  la  critique  du 
philologue  ou  de  l'historien,  mais  on  peut  à  bon  droit  se 
demander  s'il  sera  jamais  possible  de  fixer  assez  de  jalons 
chronologiques  pour  qu'en  cette  matière  le  récit  mérite  le 
nom  d'histoire  :  il  y  aurait  quelque  optimisme  à  supposer 
qu'une  documentation  extra-indologique,  ardue  à  acquérir, 
par  exemple  tibétaine,  chinoise,  persane,  autre  encore, 
suppléera  tôt  ou  tard  à  l'indigence  des  renseignements 
datés  que  fournissent  les  matériaux  hindous.  Peut-être, 
toutefois,  l'état  actuel  de  nos  connaissances  permet-il  une 
vue  d'ensemble  sur  l'évolution  de  la  pensée  indienne,  un 
aperçu  qui  situerait  à  leur  place,  et  dans  leur  signification 
approximative,  des  faits  qui,  pour  être  d'ordre  intellectuel 
ou  spirituel,  ne  comportent  pas  moins  une  étude  positive. 
Notre  prétention  n'ira  pas  au  delà  :  nous  nous  garderons 
soit  de  masquer  l'ampleur  de  notre  ignorance,  soifc  de  dis- 
simuler le  caractère  conjectural  d'un  grand  nombre  de  nos 
interprétations. 

Ni  par  sa  documentation,  ni  par  ses  conclusions,  le 
présent  travail  ne  saurait  apparaître  comme  un  ouvrage 
original  d'indianisme.  Nous  espérons  cependant  qu'il  ne 
sera  pas  indifférent  aux  spécialistes  d'assister  à  une  tenta- 


6  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

tive  d'exposer  dans  son  entier,  quoique  de  façon  très  som- 
maire, un  sujet  qui  ne  fut  jamais  traité  que  partiellement; 
l'essai,  si  provisoire  soit-il,  de  déterminer,  sans  forcer  les 
données  de  fait,  ce  que  nous  appellerions  volontiers,  avec 
Cournot,  «l'enchaînement  fondamental»  des  idées  sur  les- 
quelles a  vécu  l'Inde  spéculative,  doit  autoriser  certains 
jugements  qui,  bien  qu'inspirés  par  la  synthèse  plus  que 
par  l'analyse,  peuvent  offrir  une  relative  objectivité.  La 
nature  de  notre  tâche  nous  contraindra  souvent  à  ne  faire 
que  chercher  des  solutions  moyennes  entre  des  hypothèses 
opposées,  ou  même  à  résumer  simplement  l'opinion  d' autrui; 
mais  elle  suscitera  quelquefois  devant  nous  des  problèmes 
rarement  formulés  en  termes  précis,  voire  insoupçonnés; 
elle  nous  imposera,  en  mainte  occasion,  un  point  de  vue 
propre  sur  des  questions  déjà  débattues.  Au  surplus,  cet 
ouvrage  doit  être  lisible,  par  delà  le  cercle  des  indianistes, 
pour  quiconque  s'intéresse  à  l'histoire  des  diverses  civili- 
sations et,  en  particulier,  à  l'histoire  de  la  philosophie.  Tel 
est  le  motif  qui  nous  a  persuadé  de  composer  cette  Esquisse 
en  partie  double:  le  texte  devant  être  intelligible  aux  pro- 
fanes, il  nous  a  paru  nécessaire  de  rejeter  dans  des  annota- 
tions les  références  critiques  et  maints  détails  qui  eussent 
surchargé  l'exposé  ou  intercepté  les  grandes  perspectives  du 
sujet.  Notre  but  essentiel  serait. atteint,  si  certains  des  plus 
précieux  résultats  de  Findologie  devenant  ainsi  accessibles 
à  chacun,  cette  pensée  indienne  qui  se  développa  en  parfait 
synchronisme  avec  la  pensée  européenne  obtenait  enfin, 
à  l'égal  de  la  réflexion  grecque  et  de  tout  ce  qui  en  est  issu, 
droit  de  cité  parmi  cet  ensemble  de  connaissances  et  d'as^ 
pirations  qui  importent  grandement  à  l'humanisme,  et  que 
nous  appelons  philosophie. 


I1NTRODUCTION 


L'objet  et  la  méthode  de  l'histoire  de  la  philosophie  ne 
sauraient  être  tout  à  fait  les  mêmes  en  ce  qui  concerne 
l'Inde  qu'en  ce  qui  touche  l'Europe.  Donner  au  lecteur  con- 
science de  cette  différence  de  conditions,  c'est  l'initier  à  ce 
minimum  d'information  indologique  sans  la  possession  duquel 
la  pensée  de  l'Inde  risquerait  de  demeurer  lettre  morte. 

Bien  qu'il  ait  paru  dans  le  monde  indien  mainte  doctrine 
aussi  exempte  de  toute  connexion  avec  une  religion  que  peut 
l'être  la  science  moderne,  ou  encore  le  positivisme,  opinions 
philosophiques  et  croyances  religieuses  se  séparent  plus 
malaisément  dans  l'Inde  qu'en  Europe.  Non  pas  que  la 
complète  liberté  de  pensée  ait  été  plus  exceptionnelle  là-bas 
que  chez  nous  :  il  nous  sera  loisible,  au  contraire,  de  constater 
que  l'évolution  y  a  consisté  en  une  série  de  vicissitudes  qui 
firent  alterner  religions  et  philosophies,  un  dogme  antérieur 
se  muant  en  doctrine  réfiexive,  un  système  abstrait  donnant 
naissance  à  une  église  par  suite  de  la  discipline  qu'il  impose, 
par  exemple,  à  ses  adeptes,  ou  prescrivant,  comme  propé- 
deutique  à  la  conquête  du  vrai,  l'exercice  de  cultes  effectifs. 
Mais  le  problème  capital,  nous  dirions  presque  le  problème 
unique  auquel  s'attaque  la  pensée  libre  est  là-bas  le  même 
qu'aborde  la  pensée  religieuse:  celui  du  salut,  ou,  plus  exac- 
tement, de  la  délivrance.  On  chercherait  donc  en  vain  à  com- 
prendre la  portée  d'un  effort  pourtant  tout  philosophique, 
autrement  qu'en  fonction  des  croyances  antérieures  ou  am- 
biantes.   Dans  ces  conditions,   quoique  notre  dessein  nous 


8  HISTOIRE    DE   LA    PHILOSOPHIE   INDIENNE 

dispense  d'une  étude  spéciale  des  multiples  religions  qu'a 
pratiquées  l'Inde,  nous  ne  saurions  éluder  l'obligation 
d'examiner,  au  moins  quant  à  la  portée  spéculative  de  leurs 
mythes  ou  de  leurs  dogmes,  les  principaux  de  ces  cultes. 

En  raison  même  de  ses  attaches  étroites  avec  la  vie 
religieuse,  la  philosophie  indienne  se  présente  sous  un  aspect 
différent  de  la  philosophie  européenne.  L'autorité  d'une 
tradition  y  passe  pour  garantie  de  la  vérité;  de  sorte  que 
la  pensée  se  manifeste  moins  comme  une  réflexion  indivi- 
duelle, dont  son  auteur  s'attribuerait  le  mérite,  que  comme 
la  réflexion  de  diverses  lignées  de  sages,  dont  chacun  prise, 
non  sa  modeste  contribution  personnelle,  mais,  au  contraire, 
la  doctrine  commune  à  tous  les  zélateurs  de  la  secte.  Les 
doctrines  revêtent  de  la  sorte  un  caractère  impersonnel  sur 
lequel  ne  saurait  faire  illusion  le  nom  de  l'auteur,  le  plus 
souvent  mythique,  à  qui  elles  sont  attribuées.  Tantôt  le 
maître  sous  l'invocation  duquel  se  trouvent  placées  ces 
doctrines,  appartient  à  un  âge  très  reculé,  antérieur  aux 
époques  historiques  ;  tantôt  il  est  conçu  comme  un  héros 
supérieur  à  l'humanité;  l'attribution  offre  ainsi  le  même 
degré  d'authenticité  que  l'imputation  à  Orphée  des  textes 
«orphiques»:  le  nom  du  vieux  sage  ou  du  demi-dieu  ne 
désigne  que  la  tradition  d'une  communauté  ou  d'une  école. 
Alors  même  que  l'auteur  est  un  personnage  historique  sa 
figure  s'entoure  de  légende  à  proportion  de  la  vénération 
qu'elle  inspire:  les  détails  biographiques  dont  l'écho  nous 
parvient,  reflètent  la  notion  que  se  firent  du  maître  des 
disciples  souvent  lointains,  plutôt  que  des  circonstances  de 
fait.  Il  ne  saurait  donc  y  avoir  lieu  que  très  rarement  d'expli- 
quer la  genèse  d'un  sj^stème  par  la  psychologie  d'un  penseur. 

La  philosophie  de  l'Inde  étant  collective  plutôt  qu'in- 
dividuelle, les  attitudes  spéculatives  persistent  aussi  long- 
temps qu'elles  comptent  des  adeptes,  ainsi  qu'il  arrive  dans 


INTRODUCTION 


le  cas  des  religions.  Les  systèmes  ne  se  succèdent  donc 
pas  les  uns  aux  autres:  au  contraire,  ils  tendent  à  se  par- 
achever chacun  quant  à  soi,  voire  même  à  se  compléter  par 
des  participations  à  des  doctrines  rivales.  Leur  émulation 
semble  perpétuelle:  elle  suscite  de  leur  part  soit  une  rigueur 
croissante,  soit  un  éclectisme  grandissant;  mais  elle  les  main- 
tient tous  plutôt  qu'elle  n'exclut  et  n'élimine  certains  d'entre 
eux.  Parmi  ce  chaos  de  facteurs  disparates,  qui  compose 
la  société  indienne,  rien  ne  meurt,  et  jamais  non  plus,  semble- 
t-il,  rien  ne  commence:  les  plus  archaïques  croyances  con- 
servent des  adhérents,  et  la  plus  ancienne  mention  connue 
d'une  opinion  paraît  supposer  un  long  développement  pré- 
cédent. La  détermination  de  repères  chronologiques  n'en 
est  que  plus  épineuse;  et,  lors  même  qu'elle  se  justifie  en 
fait,  on  ne  saurait  trop  se  tenir  en  garde  contre  la  tentation 
de  faire  commencer  aux  alentours  d'une  date  une  attitude 
spirituelle  qui  peut  remonter  à  un  passé  beaucoup  plus  haut. 
Rien  ne  serait  donc  plus  faux  que  de  concevoir  la  philosophie 
indienne  à  l'image  de  l'européenne,  comme  une  série  de 
systèmes  qui  se  succèdent  parce  qu'ils  se  supplantent:  la 
prédilection  pour  une  vérité  de  caractère  traditionnel, 
l'aversion  pour  toute  empreinte  d'individualité,  la  répu- 
gnance à  l'égard  du  changement,  s'opposent  point  par  point 
à  notre  méfiance  de  l'autorité,  à  notre  foi  en  la  puissance 
d'intuitions  individuelles,  à  notre  obsession  de  l'évolution 
qui  nous  fait  postuler  par  principe,  en  tout  ordre,  une  modi- 
fication constante  des  faits  ou  une  graduelle  transformxation 
des  idées. 

Ce  contraste  entre  deux  mentalités,  qui  frappe  tout 
Oriental  venant  dans  l'Occident,  ainsi  que  tout  Occidental 
parcourant  l'Asie,  doit  être  admis  comme  fait,  mais  il  y 
aurait  danger  à  s'en  autoriser  pour  préconiser  l'exclusive 
légitimité  méthodologique    soit    de    l'une,    soit    de    l'autre 


10  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

attitude.  Soutenir,  comme  la  plupart  des  Hindous  restés 
étrangers  à  la  science  européenne,  que  les  divers  aspects  de 
la  pensée  indienne  ont  pour  âge  véritable,  pour  signification 
authentique  l'âge,  le  sens  que  la  tradition  leur  attribue, 
c'est,  par  préjugé,  faire  bon  marché  de  l'histoire,  mais  c'est 
quelquefois  l'indice  d'une  compréhension  profonde,  et  même 
d'un  sens  historique  plus  adéquat  que  la  superstition  de  la 
chronologie  en  un  domaine  qui  défie,  qui  déçoit  toute  chro- 
nologie. Par  contre,  quand  nos  savants  rompus  à  l'usage  de 
la  critique  soit  historique,  soit  philologique,  estiment  qu'il  est 
de  bonne  méthode  de  suspecter  une  autorité,  mais  de  faire 
fonds  sur  un  fait  sans  chercher  à  en  induire  plus  qu'il  ne 
renferme,  et  quand  la  succession  des  phénomènes  bien  avérés 
les  persuade  d'une  évolution  parallèle  des  opinions  ou  des 
idées,  ils  font  preuve  d'une  aversion  systématique,  non 
exempte  de  partialité,  à  l'égard  des  traditions  indigènes; 
mais  ils  obtiennent  ainsi,  de  temps  à  autre,  des  précisions 
rudes,  brutales,  qui  peuvent  être  décisives,  et  tels  de  leurs 
aperçus  équivalent  à  des  découvertes  qui  transfigurent  à 
nos  yeux  tout  un  aspect  du  donné.  La  véritable  positivité 
consistera  donc  à  conserver  notre  attachement  aux  méthodes 
éprouvées  dont  s'enorgueillit  l'Occident,  mais  en  prêtant, 
au  nom  même  du  respect  des  faits,  la  plus  vigilante  attention 
aux  interprétations  que  l'Orient  tient  pour  classiques. 

C'en  est  assez  déjà  pour  faire  saisir  combien  doivent 
différer,  dans  l'un  et  dans  l'autre  cas,  les  procédés  de  l'histoire 
de  la  philosophie.  Nous  venons  de  remarquer  que  cette  der- 
nière confine,  dans  l'ordre  de  l'indianisme,  à  l'histoire  des 
religions,  et  d'en  tirer  certaines  conséquences  méthodolo- 
giques. Il  nous  faut  maintenant  prendre  conscience  de  l'im- 
portance du  facteur  «  langues  ».  Habitués  que  nous  sommes  à 
limiter  l'histoire  de  la  philosophie  à  celle  de  la  pensée 
méditerranéenne,  qui  s'exprime,  pour  une  large  part,  en  des 


INTRODUCTION  11 

idiomes  proches  parents  du  nôtre,  et  auxquels  nous  initie 
l'instruction  que  nous  recevons,  nous  méconnaissons  volon- 
tiers la  connexion  qui  relie  l'histoire  de  la  pensée  à  l'histoire 
des  langues.  Pourtant  nous  ne  gagnons  rien  à  oublier  que, 
même  en  notre  ambiance  familière,  le  sens  du  vocabulaire 
philosophique  garde  pour  l'esprit  des  réminiscences  de  loin- 
taines étymologies:  nous  nous  contenterons  de  l'exemple, 
qu'en  fournit  ce  mot  même  d'esprit,  dont  l'acception  n'a 
pas  rompu  toute  attache  avec  l'idée  du  souffle,  sa  signifi- 
cation latine  primitive.  Mais  lorsqu'il  s'agit  de  pénétrer  la 
pensée  d'une  civilisation  à  laquelle  nos  études  classiques  ne 
nous  ouvrent  aucun  accès,  il  va  de  soi  qu'une  initiation  lin- 
guistique est  la  condition  sine  qua  non  de  tout  effort  pour 
comprendre.  Ce  n'est  pas  à  dire  simplement  que  les  doctrines 
se  trouvant  exposées  dans  certains  textes,  les  originaux 
doivent  pouvoir  être  lus,  soit  dans  cet  idiome  dont  le  védique 
est  la  forme  archaïque,  dont  le  sanscrit  est  le  type  classique, 
le  pâli  et  les  pracrits  des  formations  dérivées,  soit  dans  des 
langues  telles  que  le  tibétain  et  le  chinois,  qui  conservèrent 
en  traductions  des  documents  dont  la  rédaction  indienne 
primitive  a  souvent  disparu  au  cours  des  siècles.  Ce  dont 
il  importe  de  se  convaincre,  c'est  que  la  plus  sûre  intro- 
duction à  l'intelligence  des  idées  est  d'une  part  la  critique 
des  textes,  de  l'autre  l'étude  des  mots  techniques:  double 
recherche  d'ordre  philologique. 

Personne  ne  conteste  plus  aujourd'hui  qu'une  saine  in- 
terprétation du  Platonisme  ou  du  Spinozisme  suppose  la 
mise  en  œuvre  d'un  appareil  critique,  tendant  à  l'établisse- 
ment exact  des  textes  et  à  la  restitution  de  leur  histoire. 
A  fortiori  l'emploi  d'une  semblable  méthode  s'impose-t-il 
en  ce  qui  concerne  les  matériaux  littéraires  d'une  civilisation 
qui,  insoucieuse  des  contingences  temporelles,  nous  ren- 
seigne à  peine  sur  la  chronologie  de  son  passé:    la  critique 


12  HISTOIRE    DE   LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

interne  des  documents  demeure  d'ordinaire  notre  unique 
source  d'information  dans  la  détermination  des  époques, 
comme  elle  est  la  seule  façon  objective  d'atteindre  le  sens 
d'une  doctrine.  Sans  doute  les  pensées  de  l'Asie  comme 
celles  de  l'Europe  doivent  se  montrer  perméables  à  la  raison: 
celui-là  seul  les  pénétrera  dans  leur  intime  essence,  qui  saura 
les  revivre  après  s'être  mis,  par  une  sympathie  qui  tient 
de  la  divination,  à  leur  exact  unisson.  Cependant,  si  notre 
jugement  sur  la  nature  soit  humaine,  soit  extérieure,  ne 
coïncide  guère  avec  celui  que  portaient,  sur  les  mêmes 
sujets,  non  seulement  un  contemporain  de  Périclès  ou  de 
Marc-Aurèle,  mais  un  piétiste  allemand  du  xvi®  siècle,  ou 
un  empiriste  anglais  du  xix®,  de  quelle  incompréhension 
risquons-nous  de  faire  preuve  en  essayant  de  nous  assimiler 
des  théories  nées  en  une  civilisation  foncièrement  étrangère 
à  la  nôtre!  A  cet  égard,  l'étude  des  termes  techniques, 
élucidés  par  la  notation  des  divers  sens  qu'ils  ont  connotés 
à  travers  les  littératures  simultanées  ou  successives,  fournit 
l'indispensable  transition  de  l'initiation  philologique  à  l'ini- 
tiation philosophique.  Nous  nous  garderons  de  méconnaître  que 
la  pensée  transcende  la  portée  stricte  des  mots;  mais  le  coef- 
ficient d'inefïabilité  inhérent  à  l'intime  spiritualité  d'un 
système  résulte  pour  une  large  part  de  ce  que  les  idées  sont 
toutes  chargées  d'histoire:  or  l'unique  moyen  de  suivre 
dans  son  histoire  une  idée  consiste  à  repérer  les  variations 
du  sens  des  mots  qui  l'ont  tantôt  transmise,  tantôt  trahie, 
mais  en  tout  cas  traduite. 

L'intelligence  de  l'histoire  de  la  philosophie  indienne  re- 
quiert ainsi,  non  seulement  des  connaissances  spéciales, 
mais  un  apprentissage  linguistique  et  de  la  dextérité  critique. 
Ces  conditions,  d'ailleurs,  diffèrent  moins  en  nature  qu'en 
degré,  de  celles  que  suppose  l'histoire  de  notre  philosophie: 
cette  dernière,  en  effet,  serait  plus  scientifiquement  connue. 


INTRODUCTION  13 

si  quiconque  s'y  adonne  s'astreignait  à  une  discipline  aussi 
rigoureuse,  aussi  positive  que  celle  qu'exige  la  compré- 
hension des  doctrines  orientales.  Reconnaissons  qu'en  ce  qui 
concerne  celles-ci  l'aveu  d'ignorance  par  lequel  doit  débuter 
toute  étude,  coûte  beaucoup  moins  à  notre  amour  propre: 
nulle  part,  mais  ici  moins  qu'ailleurs,  la  compétence  ne 
s'improvise.  Nous  ajouterons  que,  si  l'on  s'égare  en  jugeant 
de  l'Orient  par  l'Occident,  une  connaissance  sérieuse  de  la 
pensée  occidentale  ne  paraît  pas  inutile  pour  discerner  le 
sens  profond,  et  comme  l'originalité  même,  des  questions 
que  se  posa  l'Orient.  Schopenhauer  a  fourvoyé,  mais  il 
a  guidé  aussi  plus  d'un  indianiste;  et  quelques-uns  des 
meilleurs  connaisseurs  des  doctrines  indiennes,  un  Auguste 
Barth  ou  un  Paul  Deussen,  se  trouvèrent  bien  d'avoir 
possédé  dès  l'abord  une  culture  philosophique  à  l'européenne. 
Car  la  philosophie  est  partout  la  philosophie,  quoique  pro- 
blèmes et  solutions  différent  selon  les  milieux.  Ce  sera 
peut-être,  du  moins  nous  le  souhaiterions,  chose  prouvée 
par  ce  livre. 


Dans  les  m.ots  sanscrits,  u  se  prononce  ou  ;  e  est 
toujours  é  long  ;  ai  et  au  représentent  les  diphtongues 
aï,  aou  ;  r  est  une  voyelle  spéciale,  qui  se  prononce  de 
façon  intermédiaire  entre  ri  et  re.  Parmi  les  consonnes  c 
se  prononce  tch  ;  j,  dj  ;  s,  ch,  com.me  l'anglais  sh  ;  g 
est  toujours  dur  ;  t,  d,  n,  diffèrent  de  t,  d,  n  par  une 
articulation  en  arrière,  au  sommet  du  palais  ;  ii  et  rn 
sont  des  nasalisations,  la  première  très  accentuée,  la  se- 
conde vague;  n  se  prononce  à  l'espagnole,  comme  le  gn 
français. 


PREMIÈRE    PARTIE 
LA   PENSÉE    VÉDIQUE 


CHAPITRE  I 

LES   ORIGINES   DRAVIDIENNE  ET  ARYENNE 
LA  COMMUNAUTÉ  INDO- IRANIENNE 


L'histoire  intellectuelle  de  l'Inde  a  été  fonction  de  la 
situation  géographique  du  pays.  Si  disparates  que  soient 
les  différentes  parties  du  continent  indien,  elles  présentent 
toutes  ce  caractère,  de  se  trouver  isolées  du  reste  du  monde 
par  les  plus  hautes  montagnes  du  globe,  sauf  dans  la  région 
du  Nord-Ouest,  où,  par  les  plateaux  de  l'Afghanistan,  s'ouvre 
un  accès.  Le  pays  auquel  l' Indus  a  donné  son  nom  comprend 
les  deux  vallées  de  l' Indus  et  du  Gange,  et,  subsidiaire  ment, 
le  plateau  triangulaire  du  Dekkan  auquel  on  ne  parvient, 
à  moins  d'y  aborder  par  mer,  qu'après  avoir  traversé  l'un 
des  deux  bassins  fluviaux.  L'Inde  peut  ainsi  se  schématiser 
comme  un  enclos  muni  d'une  porte  largement  ouvertie. 
L'histoire  de  ce  pays  ne  renferme  rien  de  plus  important  que 
les  irruptions  successives,  par  cette  ouverture,  de  popula- 
tions fort  diverses,  chassées  de  leur  habitat  d'origine,  soit 
par  une  dessiccation  graduelle  de  l'Asie  centrale,  soit  par 
des  chocs  entre  peuples;  une  fois  entrées,  elles  s'amalgament 
tant  bien  que  mal  à  leurs  prédécesseurs  déjà  installés.  La 
lente  infiltration,  ou  l'invasion  impétueuse  visent  à  la  posses- 


16  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

sion  des  bassins  fluviaux,  où  se  concentrent  richesse  et  popu- 
lation; elles  perdent  de  leur  force  propulsive,  et  surtout  de 
leur  efficacité  assimilatrice  en  atteignant  la  massive  pres- 
qu'ile:  ainsi  s'explique  le  maintien  d'une  extrême  diversité 
intérieure.  Toutefois,  si  le  plus  ardent  foyer  de  la  civilisation 
issue  de  ces  fusions  successives,  se  localise  dans  les  deux 
vallées  principales,  qui,  d'ailleurs,  communiquent  avec 
facilité,  l'emplacement  des  événements  les  plus  considé- 
rables se  situe  d'ordinaire  dans  ce  Nord- Ouest  par  où  pé- 
nètre toute  nouveauté.  C'est  là  que  survint  Alexandre, 
bientôt  suivi  de  toute  la  culture  grecque;  c'est  là  que  se 
firent  passage  les  Scj^hes  (Çakas),  les  Parthes  (Pahlavas), 
puis,  au  premier  siècle  de  notre  ère,  une  peuplade  Yue-tchi, 
les  Kusânas;  c'est  là  que  se  transforma  la  dogmatique 
bouddhique,  levain  de  la  pensée  indienne;  c'est  par  là 
qu'Arabes,  Turcs,  Mongols  poussèrent  au  Moyen  âge  leurs 
armées  conquérantes;  mais  c'est  par  là,  de  même,  qu'avant 
les  débuts  de  l'histoire,  s'étaient  introduits  ces  Aryas  qui 
devaient  donner  à  la  civilisation  de  la  contrée  sa  décisive 
empreinte  (^). 

Les  peuples  mêmes  que  les  Aryas  trouvèrent  occupant 
le  pays,  et  qu'on  désigne  sous  le  nom  générique  de  Dravi- 
diens  (^),  paraissent  avoir,  les  premiers,  opéré  semblable 
migration;  du  moins  la  survivance,  dans  le  Béloutchistan, 
de  l'idiome  Brâhûî,  apparenté  aux  langues  dravidiennes  du 
Sud  de  l'Inde,  le  donne  à  penser.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'ex- 
trême ancienneté  de  l'établissement  des  Dravidiens,  et  la 
masse  qu'ils  formaient  lors  de  l'invasion  aryenne,  autorisent 
l'historien  à  les  considérer  comme  relativement  aborigènes. 
C'est  par  l'examen  de  leurs  mœurs  que  devrait  commencer 
l'analyse  des  divers  facteurs  de  la  civilisation  indienne. 
Malheureusement,  ce  peuple,  dont  la  culture  était  très  in- 
férieure à  celle  des  Aryas,  ne  nous  a  laissé  aucun  témoignage 


LA   PENSÉE   VÉDIQUE  17 

de  son  passé  lointain;  il  fut  absorbé  ou  opprimé  par  les 
conquérants  aryens,  intéressés  à  étouffer  son  autonomie. 
L'absorption,  qui  s'achève  de  bonne  heure  dans  l'Inde 
septentrionale,  n'alla  pas  partout  jusqu'à  l'assimilation:  les 
éléments  assujettis  furent  incorporés  au  système  social  des 
envahisseurs  à  titre  d'esclaves,  leurs  dieux  intégrés  au  système 
religieux  des  nouveaux  maîtres  comme  démons  de  bas 
étage;  mais  hommes  et  croyances  persistèrent.  Dans  le 
Dekkan  central  et  méridional  l'originalité  dravidienne  fut 
sauvegardée;  il  y  subsista  jusqu'à  nos  jours  des  sociétés 
qui  ne  furent  jamais  arj^anisées.  La  civilisation  pré-aryenne 
de  l'Inde  ne  comporte  guère  d'autre  source  d'information 
que  l'induction  par  laquelle  nous  concluons  de  l'état  actuel 
de  ces   peuples   à  celui  des  premiers  habitants  du  pays. 

La  religion  dravidienne  est  encore,  et  devait  être,  aux 
âges  préhistoriques,  toute  locale,  l'horizon  mental  ne  s'é- 
tendant  pas  au  delà  de  la  tribu  ou  du  village.  On  y  vénère, 
ainsi  qu'en  plus  d'une  société  agricole,  des  divinités  féminines, 
soit  protectrices  de  la  collectivité,  soit  redoutées  pour  les 
maladies  ou  les  maléfices  dont  elles  peuvent  affecter  les 
hommes  et  les  bestiaux.  Ces  divinités  sont  des  morts  hu- 
mains, doués  depuis  leur  trépas  de  puissances  nocives,  sus- 
ceptibles de  devenir  bienfaisantes  à  qui  sait  se  les  rendre 
propices;  il  s'en  crée  sans  cesse  de  nouvelles,  auxquelles 
il  arrive  de  faire  oublier  les  anciennes,  mais  que  l'on  imagine 
sur  le  type  des  plus  archaïques.  Cette  forme  de  religion, 
attachée  au  sol,  se  maintint  comme  superstition  populaire 
dans  les  contrées  où  le  flot  de  l'immigration  la  submergea, 
et  elle  demeura  prédominante  partout  où  elle  put  échapper 
à  l'engloutissement.  Sa  persistance  obscure  et  latente,  à 
travers  l'évolution  ultérieure,  ne  doit  jamais  être  méconnue, 
quoique  le  facteur  dravidien  qui  se  devine  au  travers  des 


18  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

éléments  qui  le  recouvrent,  ne  puisse,  le  plus  souvent,   se 
symboliser  dans  nos  analyses  que  par  un  X  impondérable. 

Les  Arj'-as,  dont  les  mœurs  sédentaires  contrastent  avec 
la  vie  nomade  si  fréquente  chez  les  peuples  d'Asie,  paraissent 
originaires  de  la  vallée  du  Danube,  qui  fut,  de  temps  immé- 
>norial,  propice  à  la  culture.  La  migration  vers  l'Est  de  ceux 
d'entre  eux  qui  passèrent  en  Asie,  semble  s'être  effectuée 
par  le  Bosphore  et  par  les  vallées  du  Tigre  et  de  l'Euphrate. 
Ces  inductions,  tirées  d'observations  linguistiques,  se 
trouvent  à  quelque  degré  corroborées  par  les  fouilles  de 
Boghaz-keui,  qui  attestent,  au  xiv^  siècle  avant  notre  ère, 
la  croj^ance,  en  Asie-Mineure,  à  des  divinités  bien  connues 
sous  leur  forme  indienne  (^).  Le  gros  des  émigrants  euro- 
péens se  serait  fixé  pour  une  part  dans  la  contrée  qui  garde 
leur  nom,  l'Eran  ou  Iran,  pour  une  autre  part  au  delà  de 
l'Afghanistan,  dans  le  pays  des  Cinq-Rivières,  le  Penjab. 
Ainsi  se  serait  fondée,  sur  les  bords  de  l' Indus,  la  première 
puissance  «  indienne  ».  Le  même  peuple,  ainsi  scindé  en 
deux  tronçons,  semble  donc  un  rameau  de  la  souche  dont 
d'autres  branches  ont  couvert  l'Europe:  Celtes,  Germains, 
Slaves,  Italiotes,  Hellènes.  La  tâche  ne  nous  incombe  point 
de  rechercher  si  les  populations  ainsi  apparentées  procèdent 
d'une  race  unique  et  homogène:  il  nous  suffit  d'y  recon- 
naître des  populations  distinctes  tant  des  Sémites  que  des 
Turco-Mongols. 

Quoique  la  distribution  des  langues  soit  loin  de  coïn- 
cider avec  la  répartition  des  races,  il  demeure  approxima- 
tivement vrai  que  les  peuples  de  souche  aryenne  furent  les 
propagateurs  des  idiomes  «indo-européens».  La  reconnais- 
sance de  la  parenté  entre  les  plus  anciennes  langues  de  l'Iran 
et  de  l'Inde,  d'une  part,  et  le  slave,  l'arménien,  le  grec,  le 
latin,  le  germanique  et  le  celte  d'autre  part,  doit  être  tenue, 
dans  l'ordre  des  sciences  morales,  pour  la  plus  décisive  dé- 


LA   PENSÉE    VÉDIQUE  19 

couverte  des  temps  modernes  (*).   Elle  atteste,  sinon  une  hy- 
pothétique consanguinité,  une  mentalité  commune.    Des  ra- 
cines identiques  ou  fort  voisines  ont  fait  jaillir  d'analogues 
frondaisons  linguistiques  de  la  Sogdiane  à  l'Irlande,  et  de 
ribérie  aux  confins  chinois;  de  sorte  que,  si  la  théorie  philo- 
sophique des  formes  et  concepts  à  priori   comporte  une  re- 
lative vérité  de  fait,  c'est  dans  la  mesure  où  un  ensemble  de 
prénotions   paraît   imposé   à  l'esprit,   dans   une   imjDortante 
fraction  de  l'humanité,  par  une  même  structure  des  langues. 
Les  affinités  incontestables  dont  témoigne  la  philologie  com- 
parée,   commandent    ainsi   de   plus   subtiles,    mais    de    non 
moins  certaines  affinités,  dont  l'écho  retentit,  par  exemple, 
dans  la  théorie  comparée  des  religions,  comme  dans  l'examen 
comparatif  du  folklore.    Toutefois,  déterminer  les  catégories 
de  la  pensée  indo-européenne  est  une  tâche  qui  supposerait, 
non   seulement   une   enquête   sur   les   diverses   civilisations, 
inégalement    développées,    dans  "lesquelles    s'exprima    cette 
pensée,    mais   une   investigation   comparative   des  fonctions 
mentales  dans  les  autres  lignées  humaines.   Philologues   et 
mythographes    l'ont    amorcée    plutôt  qu'entreprise,     procé- 
dant   avec    quelque   rigueur    à   l'intérieur    des    civilisations 
indo-européennes,  mais  sans  méthode  précise  dans  la   con- 
frontation  avec  les   autres  civilisations,   confrontation    qui, 
cependant,   fournirait   seule  l'indication   certaine   des  traits 
propres  à  l'esprit  indo-européen.     II  demeurera  donc  long- 
temps  encore   téméraire   de   prétendre    faire    application   à 
l'indologie   des  résultats  d'un  examen  des  civilisations  indo- 
européennes. 

Parmi  cette  collection  de  peuples  il  en  est  un,  disions- 
nous,  auquel  les  Hindous  se  trouvent  plus  étroitement  appa- 
rentés :  les  ancêtres  aryens  des  Persans,  Ici  l'identité 
d'origine,  loin  de  se  perdre  dans  la  nuit  des  temps,  précède 
de  peu  la  période  historique,  le  plus  ancien  document  indien, 


20  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

les  Védas,  et  le  plus  ancien  document  iranien,  VAvesta, 
présentant  d'indubitables  preuves  d'une  source  linguistique 
et  religieuse  commune  (^).  Entre  ces  textes  les  correspon- 
dances, les  parallélismes  abondent,  et  autorisent  la  resti- 
tution du  stade  primitif  des  deux    civilisations. 

Les  Indo-iraniens  étaient  un  peuple  de  cultivateurs  et 
d'éleveurs;  ils  n'ont  pris  que  tard  contact  avec  la  mer, 
dont  ils  ne  paraissent  pas  avoir  eu  très  anciennement  con- 
naissance. Leur  société  se  composait  de  familles  (gotra  =gens) 
de  type  patriarcal,  groupées  en  tribus  sous  l'autorité  de  rois 
(râja  =  rex).  Les  mariages  devaient  avoir  lieu  à  l'intérieur 
du  clan,  mais  hors  de  la  famille.  La  religion  consistait  sur- 
tout en  un  culte  domestique,  visant  à  propitier  les  ancêtres, 
dont,  en  revanche,  on  assurait  la  permanence,  en  utilisant, 
pour  cette  fin,  le  concours  des  forces  naturelles  divinisées. 
Le  sacrifice  consistait  à  faire  dans  le  feu  des  oblations  de 
grain  et  de  lait;  à  offrir  aux  dieux,  présents  sur  une  jonchée 
de  gazon,  un  breuvage  fermenté,  le  haoma  ou  soma,  d'origine 
végétale;  à  immoler  des  animaux.  Le  feu,  véhicule  de  l'of- 
frande, était  l'objet  d'une  particulière  vénération;  d'où  le 
prestige  des  représentations  de  lumière,  d'ardeur,  de  com- 
bustion. Les  sacrificateurs  étaient  des  techniciens  du  feu, 
appelés  en  Bactriane  x\thravans,  dans  le  Penjab  Atharvans, 
à  la  fois  prêtres  et  «  mages  »,  c'est-à-dire  magiciens.  Un 
récitant,  zaotar  ou  hotar,  prononçait  ici  et  là  d'analogues 
litanies,  d'un  effet  immédiat  et  souverain  sur  la  nature  en- 
tière. Maintes  similitudes  se  manifestent  dans  les  faits  et 
gestes  des  trente-trois  dieux  reconnus  de  part  et  d'autre: 
ainsi  un  même  dieu  solaire,  Mithra  ou  Mitra;  un  même  tueur 
de  dragon,  Verethraghna  ou  Vrtrahan,  ce  dernier  désigné 
aussi  dans  l'Inde  du  nom  d'Indra;  un  même  roi  des  enfers, 
le  premier  des  morts:  Yima,  fils  de  Vivanhvant,  ou  Yaraa, 
fils  de  Vivasvant. 


LA    PENSÉE    VÉDIQUE  21 

Cette  communauté  de  religion,  qui  s'induit  avec  cer- 
titude, cédait  déjà  la  place  à  des  divergences  quand  fut 
rédigé  VAvesfa.  Ce  texte,  en  effet,  bien  qu'il  reflète  les  an- 
tiques idées  des  deux  peuples,  témoigne  d'une  évolution 
propre  à  l'Iran,  la  réforme  zoroastrienne,  et  à  cet  égard 
s'éloigne  plus  que  les  Védas  de  l'origine  commune  {^).  Il 
substitue  au  panthéon  primitif,  qui  subsiste  dans  les  Védas, 
un  monothéisme.  Quoique  la  divinité,  ahura,  au  profit  de 
laquelle  s'accomplit  cette  unification,  Ahura  Mazda,  corres- 
ponde sous  bien  des  aspects  à  l'indien  Varuna,  ce  dernier  est 
loin  de  monopoliser,  dans  les  Védas  le  titre  corrélatif  d'asura- 
D'où  cette  nouvelle  différence,  qui  a  dès  longtemps  frappé 
les  orientalistes:  la  notion  de  dieu,  en  védique  <lev/t,  est 
ravalée  dans  la  sphère  des  concepts  avestiques  à  l'acception 
de  démon,  daeva:  tout  être  surnaturel  ne  peut,  en  face  de 
la  majesté  du  maître  universel,  qu'apparaître  génie  subal- 
terne. Cette  transformation  spéculative  s'accompagne  d'une 
rénovation  morale  qui  se  traduit  par  la  suppression  des  sacri- 
fices sanglants,  et.  qui  ne  trouvera  son  pendant,  du  côté 
hindou,  qu'à  une  époque  ultérieure.  Toutefois,  si  l'Iran,  à 
cet  égard,  devance  l'Inde,  le  rudiment  de  philosophie  qui 
sert  de  substrat  au  culte  comme  aux  mythes  se  trouve,  de 
part  et  d'autre,  homogène. 

La  notion  de  l'ordre  du  monde,  établi  là  par  Ahura 
Mazda,  ici  par  Varuna,  se  justifie  de  même  façon.  C'est  un 
ordre  qu'il  s'agit  moins  d'instituer  que  de  maintenir.  L'ac- 
tion du  dieu  suprême  n'est  pas  créatrice,  mais  conservatrice; 
car  on  s'interroge  non  sur  l'origine,  mais  sur  la  disposition 
des  choses.  Le  monde,  en  effet,  ne  pouvait  apparaître  que 
comme  existant  par  lui-même,  indépendamment  des  dieux, 
dans  une  religion  qui  tenait  ceux-ci  pour  intérieurs  à  l'u- 
nivers, et  un  peuple  de  pasteurs  concevait  volontiers  l'in- 
tervention de  l'intelligence    dans   le  cours  des  événements 


22  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

comme  la  préservation  d'un  troupeau  contre  les  causes  de 
destruction,  comme  son  acheminement  au  but  désiré.  Cet 
ordre,  postulé  par  un  culte  qui  s'étendait,  en  1400  avant  notre 
ère,  de  l' Indus  à  l' Asie-Mineure,  les  Indo-Iraniens  le  dési- 
gnaient par  ce  mot  d'arta,  dont  les  deux  dérivés,  Vashi 
avestique  et  le  ria  védique,  sont  les  premiers  termes  philo- 
sophiques des  deux    civilisations  sœurs  C). 


CHAPITRE  II 
LA  RELIGION  VÉDIQUE 


La  plus  ancienne  forme  de  la  spéculation  indienne  est 
religieuse:  un  recueil  de  prières  constitue  le  bagage  de  con- 
naissances que  les  âges  ultérieurs  ont  tenu  pour  la  science 
suprême,  le  véda.  L'interprétation  de  cette  primitive 
notion  de  science  dépend  ainsi  de  la  conception  que  l'on  se 
fait  de  l'origine  de  ce  texte. 

Le  mot  de  Véda  se  prend  en  plusieurs  sens.  Dans  l'ac- 
ception large,  il  désigne  toute  une  culture,  fondée  sur  la 
religion  védique,  mais  impliquant  diverses  disciplines  con- 
nexes, y  compris  une  certaine  philosophie  considérée  comme 
parachevant  les  doctrines  incluses  dans  les  textes  sacrés: 
le  Védânta.  Envisagé  de  ce  biais,  il  renferme  la  tradition 
(smrti),  comme  la  révélation  (çruti).  Dans  son  acception 
stricte,   le  Véda  se  compose  de   quatre  recueils,    substance 


LA    RELIGION    VÉDIQUE  23 

même  de  la  révélation:  les  Hymnes  {Rc),  les  Chants  (Sâman), 
les  Formules  sacrificielles  (  Yajiis),  les  Incantations  magiques 
des  Atharvans  (Atharva).  Mais  cette  classification,  qui 
juxtapose  des  matériaux  disparates,  procède  déjà  d'une 
scolastique.  La  liste  se  réduit  souvent  à  trois  termes,  le 
quatrième  Véda  s'étant  adjoint  ultérieurement  aux  autres. 
Parmi  ceux-ci,  les  chants  sont  des  hymnes  adaptés  à  la 
récitation  en  musique:  ils  représentent  une  modification  ad- 
ventice du  premier  recueil.  Quant  aux  formules  sacrifi- 
cielles, leur  rédaction  en  prose,  accompagnée  ou  non  de 
commentaire  (Yajus  Blanc  ou  Noir),  les  différencie  des 
Hymnes  comme  une  œuvre  très  postérieure.  Quelle  que 
soit  la  valeur  documentaire  des  autres  collections,  où  peuvent 
abonder  des  éléments  fort  anciens,  il  n'existe  ainsi  qu'un 
texte  védique  fondamental,  le  Rgvéda  (^). 

Ce  texte  n'est  un  livre  qu'à  nos  yeux  d'Occidentaux. 
L'Inde  le  possède  par  transmission  orale  et  conservation 
mnémotechnique;  elle  le  comprend  à  la  lumière  d'inter- 
prétations traditionnelles,  d'époques  fort  diverses.  Son  in- 
telligence pose  une  infinité  de  questions  pour  la  solution  des- 
quelles les  multiples  interprétations  tentées  à  travers  l'his- 
toire n'apportent  pas  moins  d'incertitude  que  les  ténèbres 
de  la  préhistoire,  où  plonge,  par  ses  origines,  le  Rgvéda. 
Nul  ne  saurait  apprécier  dans  quelle  mesure  ces  interpré- 
tations divergent  du  sens  primitif,  ce  dernier  demeurant 
affecté  d'une  opaque  obscurité;  mais  rien  n'est  plus  assuré, 
malgré  la  valeur  d'une  tradition  quasi-continue,  que  la  réa- 
lité de  ces  divergences.  La  civilisation  indienne  tout  en- 
tière doit  être  tenue  pour  un  perpétuel  et  mouvant  com- 
mentaire de  ce  document,  dont  la  portée  lui  est  coextensive; 
mais  un  tel  commentaire  ne  mérite  créance  que  sous  d'ex- 
presses réserves.  D'ailleurs  le  texte  même,  et  non  pas  sa 
seule   signification,    implique   —   nous   n'oserions    dire    une 


24  HISTOIRE    DE   LA   PHILOSOPHIE   INDIENNE 

histoire,  —  mais  une  série  complexe  de  transformations. 
Ce  n'est  point  une  œuvre,  mais  une  littérature,  qui  demanda, 
pour  s'élaborer,  un  laps  de  temps  indéterminé,  mais  qui 
exigea  aussi,  ne  fût-ce  que  pour  être  rassemblée  en  corpus, 
l'application  de  maintes  générations.  Les  hommes  qui  réu- 
nirent les  éléments  de  cette  collection  (samhitâ)  paraissent, 
en  effet,  avoir  eu  d'autres  intentions  que  ceux  à  qui  l'on  doit 
les  éléments  eux-mêmes.  Ceux-là  furent  les  techniciens  d'un 
culte,  mais  on  ne  peut  porter  d'une  façon  générale,  sur  ceux- 
ci,  la  même  appréciation.  Il  semble  être  dans  la  destinée 
des  œuvres  dont  se  nourrit  l'esprit  religieux  des  diverses 
races  humaines,  d'avoir  de  la  sorte  comporté  un  usage 
auquel  ne  les  vouait  point  leur  acception  originelle.  La 
difficulté  de  l'interprétation  védique  se  peut  donc  préciser 
en  ces  termes:  il  faut  saisir  à  travers  les  données  historiques 
les  indications  qu'elles  peuvent  fournir  sur  des  conceptions 
antérieures  à  l'histoire. 

Le  façon  dont  l'Inde  se  représente  les  sources  de  sa 
culture  n'est  point  dépourvue  de  signification.  L'autorité 
accordée  à  un  texte  se  proportionne  d'ordinaire  au  mystère 
de  ses  origines;  or,  au  prestige  sans  égal  des  Hymnes  on 
compterait  les  sectes  qui  se  sont  soustraites:  pour  la  ma- 
jorité des  Hindous,  aux  différents  âges,  il  n'est  pas  d'aussi 
auguste  canon  de  toute  vérité.  Une  telle  vénération  atteste 
l'implicite  reconnaissance  d'une  antiquité  qui  se  perd  dans 
la  nuit  des  temps.  Certes,  la  scolastique  indigène  prétend 
retenir  les  noms  des  dépositaires  de  cette  vérité  à  travers 
les  siècles;  mais  au  principe  des  dynasties  familiales,  d'ail- 
leurs légendaires,  qui  passent  pour  avoir  conservé  le  pré- 
cieux dépôt  de  la  révélation,  elle  admet  l'existence  de  vision- 
naires (rsis)  qui  n'ont  pu  connaître  le  Véda  qu'en  le  «  con- 
templant» dans  son  immuable  éternité.  La  distinction  en- 
tre ceux  qui  ont  transmis  et  ceux  qui  ont  «  vu  »,  l'antithèse 


LA    RELIGION    VÉDIQUE  25 

entre  la  conservation  par  des  hommes  et  le  principe  non 
humain  de  la  vérité,  témoignent  de  la  disposition,  montrée 
par  mainte  civilisation,  à  tenir  pour  révélé  ce  qui  remonte 
trop  loin  dans  le  passé  pour  demeurer  entièrement  perméable 
à  l'intelligence. 

Un  examen  critique  du  Rgvéda  confirmerait  ces  sen- 
timents confus  de  l'âme  indienne.  Les  hymnes  ne  sont  pas 
ce  que  les  âges  postérieurs  ont  voulu  qu'ils  fussent:  à  côté 
d'indubitables  formules  liturgiques  abondent  les  éloges  de 
divinités,  où  l'inspiration  ne  s'asservit  pas  à  des  fins  ritua- 
listiques;  le  recueil  contient  des  morceaux  poétiques  dont 
l'utilisation  par  le  culte  ne  semble  guère  moins  arbitraire 
que  l'érection  par  la  scolastique  chinoise  des  primitives 
chansons  d'amour  du  Che-k'mg  en  code  moral  et  politique. 
Il  renferme  des  récits  profanes,  tels  les  âkhyânas,  source  des 
futures  épopées.  Sans  tenir  le  Rgvéda,  comme  certaine 
école  de  jadis,  pour  la  naïve  expression  de  la  poésie  aryenne, 
il  convient  d'y  reconnaître  une  inspiration  surtout  religieuse, 
certes,  mais  antérieure  aux  dogmes  d'une  orthodoxie  et 
au  culte  codifié  par  un  sacerdoce,  ou  plutôt  nous  recon- 
naîtrons qu'à  côté  de  textes  déjà  brahmaniques,  il  recèle  à 
profusion  des  morceaux  que  l'ultérieur  brahmanisme  inter- 
prétera par  arbitraire  en  fonction  de  ses  idées  propres.  Il 
y  a  donc  lieu  de  supposer  que  la  composition  des  hymnes 
embrasse  une  diversité  d'époques.  En  fait,  les  sections  II 
à  VII  paraissent  constituer,  avec  la.  seconde  moitié  de  la 
section  I,  le  noyau  primitif,  qui  s'enveloppa  ensuite  de  la 
section  VIII  et  du  début  de  la  première.  La  neuvième, 
qui  concerne  le  culte  du  dieu  Soma,  s'adjoignit  à  cet  ensemble. 
Enfin,  la  dixième  section  acheva  l'œuvre,  en  inaugurant  une 
inspiration  qui,  par  son  caractère  déjà  philosophique,  se 
révèle  encore  plus  récente. 

Dans  ces  conditions,  les  diverses  exégèses  tour  à  tour 
proposées   possèdent   toutes   quelque   valeur.     La    tradition 


26  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

indigène  et,  à  sa  suite,  la  récente  école  d'indianistes  qui,  avec 
une  louable  prudence,  conseille  d'aborder  la  préhistoire  à 
la  lumière  des  informations  que  fournit  l'histoire,  détiennent 
toutes  deux  la  clef  d'innombrables  secrets  en  interprétant 
le  Védisme  par  le  Brahmanisme  qui,  sans  aucun  doute,  en 
procède.  Mais  cette  clef  n'est  point  un  passe-partout;  l'in- 
duction historique,  scrupuleuse  d'intention,  risque  de  prendre 
pour  des  voies  nouvelles  de  réelles  impasses,  et  d'ériger  en 
méthode  l'anachronisme.  Le  parti  pris  inverse,  d'étudier  en 
eux-mêmes  les  textes  védiques,  abstraction  faite  des  commen- 
taires ultérieurs,  ne  perd  donc  rien  de  son  intérêt:  il  complète 
ou  corrige  les  résultats  obtenus  par  l'autre  procédé.  Moins 
sûr,  mais,  à  l'occasion,  riche  en  enseignements,  l'emploi  de 
l'ethnographie  jette  un  certain  jour  sur  des  faits  que  cette 
science  compare  aux  données  fournies  par  des  peuples  pri- 
mitifs. Ne  refuser  le  concours  d'aucune  de  ces  méthodes, 
ce  n'est  point  du  syncrétisme,  mais  la  seule  façon  positive 
d'aborder  une  recherche  qui  n'appartient  qu'en  partie  à 
l'ordre  historique. 

De  semblables  considérations  doivent  sufHre  à  nous 
mettre  en  garde  contre  les  appréciations  simplistes  de  la 
pensée  védique.  Rien  de  plus  incertain  dans  le  domaine 
entier  de  l'indianisme,  où  pourtant  ne  manquent  pas  les 
sables  mouvants;  et  toutefois  c'est  d'une  part  le  premier 
moment  de  la  culture  indienne,  d'autre  part  un  facteur 
constant  de  la  pensée  propre  à  cette  civilisation:  à  ce  double 
égard  il  importerait  que  la  connaissance  que  nous  en  pre- 
nons ne  fût  point  trop  inexacte. 

La  notion  centrale  est  l'idée  de  sacrifice,  dont  nous  avons 
signalé  une  forme  rudimentaire  au  stade  antérieur  de  la 
communauté  indo-iranienne,  et  donc  nous  aurons  à  men- 
tionner l'aspect  ultérieur,  complexe  et  savant,  dans  la  systé- 
matisation  brahmanique  (^).     Le   sacrifice   védique  tient  le 


LA    RELIGION    VÉDIQUE  27 

milieu  entre  l'une  et  l'autre  de  ces  formes,  dont  l'ancienne 
persiste,  et  dont  la  nouvelle  se  fait  jour.  Il  a  lieu  d'ordinaire 
en  plein  air;  il  consiste  à  déposer  sur  l'autel  (vedi)  le  lait, 
le  beurre,  le  grain,  les  gâteaux  destinés  aux  dieux,  qui  ont 
pour  siège  une  jonchée  d'herbe.  Il  est  accompli,  en  principe 
du  moins,  par  la  personne  qui  en  attend  un  résultat;  mais 
une  transformation  graduelle  substitue  au  chef  de  famille 
des  prêtres  de  plus  en  plus  spécialisés  dans  une  fonction 
définie,  en  raison  d'une  complication  croissante  du  culte. 
Ainsi,  l'immolation  d'animaux  accompagne  la  présenta- 
tion de  certaines  oblations;  elle  s'opère  selon  des  rites  minu- 
tieux. L'offrande  du  soma  peut  comporter  la  récitation 
d'hymnes,  entre  lesquels  le  choix  dépend  des  circonstances. 
L'udgâtar,  le  «chanteur»,  remplira  cet  office,  tandis  que  le 
«  sacrifiant  »,  hotar,  auquel  incombent  les  oblations  dans 
le  feu,  ainsi  que  les  immolations  d'animaux,  prononcera 
l'éloge  des  dieux  destinataires  de  l'offrande.  Un  simple 
assistant,  l'adhvaryu,  finit  par  assumer  la  matérialité  de 
l'acte  sacrificiel.  Cette  répartition  aboutit  à  impartir  les 
psaumes  du  Sâmaveda  au  premier  de  ces  prêtres,  les  hymnes 
du  Rgvéda  au  second,  les  prescriptions  techniques  du 
Yajurveda,  où  les  vers  se  mêlent  de  prose,  au  troisième. 
Enfin  un  surintendant  du  sacrifice,  également  versé  dans 
tous  les  Védas,  devient  nécessaire  pour  diriger  ce  concert 
cultuel  sans  à-coup,  sans  méprise,  sans  oublis:  c'est,  au 
sens  strict,  le  brahmane,  terme  dont  l'acception  s'étendra 
jusqu'à  désigner  l'essence  même  du  sacerdoce,  quand  ce 
dernier  deviendra  l'apanage  d'une  caste. 

Le  quatrième  Véda,  de  rédaction  plus  récente,  ne  joue 
ainsi  aucun  rôle  dans  l'agencement  du  sacrifice.  Il  se  con- 
fine dans  l'ordre  magique,  et  n'exerce  de  juridiction  que  sur 
les  plus  humbles  opérations  religieuses,  comme  fournissant 
des  recettes  pour  conjurer  les  puissances  malignes,  esquiver 


28  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

les  mauvais  sorts,  éviter  les  maladies,  réussir  dans  les  entre- 
prises. Il  atteste  la  persistance  de  conceptions,  surtout  de 
pratiques  fort  anciennes,  dont  beaucoup  ne  revêtent  qu'à 
peine  un  caractère  indo-iranien.  Toutefois,  en  supposant 
que  la  religion  proprement  dite,  c'est-à-dire  l'exercice  du 
sacrifice,  a  coupé  toute  attache  avec  la  magie  primitive, 
sous  ce  prétexte  que  le  brahmane  n'est  point  un  «  mage  », 
comme  l'héritier  iranien  des  xA.tharvans  ou  Athravans,  on 
se  tromperait  lourdement.  Le  sacrifice  opère  par  lui-même,  car 
il  établit  une  communion  entre  hommes  et  dieux  à  l'occasion 
d'une  commensalité.  Il  ne  déclenche  au  profit  du  sacrifiant, 
ou  de  celui  qui  fait  les  frais  du  culte,  le  concours  des  puis- 
sances surhumaines,  que  parce  qu'il  place  l'homme  dans  un 
état  de  surhumanité,  où  l'on  se  fait  écouter  des  dieux.  Il 
ne  se  réduit  donc  pas  à  une  prière,  ni  à  une  hj^pocrite  flatterie, 
tenue  pour  propitiatrice.  Il  implique,  certes,  un  marché, 
où  l'on  ne  donne  que  pour  recevoir,  mais  il  rend  ce  marché 
réalisable  en  y  préparant  l'intéressé,  en  y  conviant  aussi 
les  dieux  par  des  objurgations  impossibles  à  éluder.  Plus 
fort  que  la  nature,  il  est  donc  plus  fort  même  que  les  dieux 
qu'il  fait  agir  à  sa  guise;  et  l'on  inférerait,  semble-t-il,  sans 
témérité  un  stade  archaïque  où  il  agissait  par  lui-même 
grâce  à  l'immédiate  efficacité  de  ses  injonctions,  sans  la 
collaboration  d'aucune  puissance  surnaturelle,  avec  la  sûreté 
directe,  instantanée,  de  l'opération  magique. 

Le  rôle  des  dieux  apparaît  ainsi  dérivé,  en  tout  cas  se- 
condaire. Le  Rgvéda  montre  le  culte  en  acte,  faisant  surgir 
pour  chaque  force  naturelle,  à  laquelle  commande  le  sacrifice, 
l'idée  mythique  d'une  divinité  qui,  primitivement,  ne  fait 
qu'un  avec  cette  force  et  peu  à  peu  s'en  abstrait,  par  anthro- 
pomorphisme. Dyaus,  le  ciel-père;  Prthivï,  la  terre-mère, 
Vâj'^u,  le  vent;  Parjanya,  la  pluie;  Apas,  les  eaux,  diffèrent 
à  peine  des  phénomènes  qu'ils  dénomment.    Leurs  allures 


LA    RELIGION    VÉDIQUE  29 

de    violence    individualisent    déjà    davantage    les    Maruts, 
dieux  des  tempêtes;    et  des  grâces  poétiques  entourent  de 
charmes  féminins  la   figure   de  l'Aurore,   Usas.     Le    soleil, 
Sûrya,  d'un  prestige  sans  égal  dans  l' arrière-fond  des  repré- 
sentations indo-iraniennes,  se  spécifie  sous  maintes  formes 
de    son    activité  :     comme    Vivasvant,    l'éclatant  ;     comme 
Savitar,  le  vivifiant;    comme  Pûsan,  le  nourricier;    comme 
Mitra,  l'ami  des  jiommes;    comme  Visnu,  qui  parcourt  l'es- 
pace.   Les  lampadaires  du  ciel  nocturne,  la  lune,  les  étoiles, 
prennent  l'allui-e  de  divinités;  les  Açvins  ou  cavaliers,  iden- 
tiques aux  Dioscures,  symbolisent  l'étoile  du  matin  et  celle 
du   soir.     Jusqu'ici  l'élément   naturaliste   semble   constituer 
le  fond  de  la  divinité;    mais  dans  d'autres  cas  il  est  moins 
manifeste  ou  se  mêle  d'autres  éléments.  Rudra,  dont  le  nom 
signifie   «  le  rouge  )>  ou   «  celui  qui  fait  pleurer  »,    se  présente 
comme  un  archer  terrible  sous  son  aspect  humain   qui  dis- 
simule   d'ambiguës    origines    naturalistes:    destructivité    de 
l'ouragan,   nocivité  des   miasmes.     Varuna,   longtemps  con- 
sidéré par  les  philologues  comme  le  ciel  qui  enveloppe  le 
monde  (oupavôc),    apparaît    en    couple    avec   Mitra,   comme 
la  lune  en  face  du  soleil;    et  le  Brahmanisme  l'a  identifié 
aux  eaux  de  l'Océan.    L'indétermination  de  ses  attributions 
physiques  dut  contribuer  à  le  doter  d'une  haute  et  com- 
plexe signification  morale:    il  correspond  au  dieu  en  lequel 
Zoroastre  a  fait  fusionner  tous  les  caractères  de  la  divinité, 
Ahura  Mazda.   Indra,  le  plus  exalté  entre  les  personnages 
surnaturels,  est,  en  dépit  ou  plutôt  en  raison  de  sa  multi- 
plicité d'aspects,  une  réalisation  de  cette  notion  abstraite: 
la  force;  activité  solaire  ou  puissance  qui  fait  éclater  l'orage, 
il  chasse  les  ténèbres,  mais  par  une  lutte,  de  sorte  qu'on  peut 
se  demander  si  le  démon  Vrtra,  pourfendu  par  sa  foudre, 
symbolise  l'obscurité  des  nuées  que  perce  Indra  pour  libérer 
les  pluies   bienfaisantes,   ces    «  vaches  «  célestes,   ou  s'il   ne 
figure  pas  aussi  bien,  dans  le  langage  du  mythe,  ces  hommes 


30  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

noirs,  les  Dasyus,  sur  lesquels  les  envahisseurs  indo-iraniens 
conquirent  le  sol  indien.  Aucun  personnage  de  ce  panthéon 
n'apparait  aussi  anthropomorphe  que  ce  soudard  batailleur, 
Zeus  aux  gestes  d'Héraklès,  secourable  mais  souvent  égaré 
par  l'ivresse,  conçu  sans  doute  à  l'image  d'anciens  chefs  de 
tribus. 

Certains   dieux   témoignent   d'une   évidente   origine   ri- 
tualistique;   mais  un  effort  tacite,  inconscient  d'adaptation 
semble   les   avoir   harinonisés   aux   figures   naturalistes.     Le 
cas  le  plus  manifeste  est  celui  de  Sonia,  le  breuvage  sacré, 
dont  les  dieux,  Indra  surtout,  se  gorgent,  et  par  l'offrande 
duquel  le  fidèle  se  concilie  leurs  faveurs.    Ce  breuvage  prend 
l'allure  d'un  être  divin,  celui  auquel  s'adressent  les  hymnes 
du  IX^  recueil  de  la  Rksamhitâ;    et  on  l'assimile  à  la  lune. 
Brahman,  la  formule  rituelle,  cpioique  plus  auguste  que  les 
dieux  qui  lui  obéissent,  se  mue  aussi  en  un  être  divin  parti- 
culier;   mais  ce  dernier,  par  une  sorte  de  logique  immanente 
à  l'histoire  des  concepts,  s'érigera,  au  cours    de  l'évolution 
C|ui  du  Védisme  aboutit  au  Brahmanisme,   en  un  principe 
supérieur  aux  dieux  (^°).    Mais  l'exemple  le   plus   décisif   se 
rencontre  dans  la  notion  d'Agni.     Aucun  dieu   n'est  aussi 
essentiel  au  Védisme  cpie  cette  personnification  du  feu  sacri- 
ficiel, prestigieux  par  son  éclat  et  sa  chaleur,   véhicule  de 
maintes    oblations    et    à    cet    égard,  intermédiaire   entre   le 
sacrifiant  et  les  destinataires  de  l'offrande.     Il  préside  au 
foyer  domestique;  mais  c'est  lui  encore  Cjui  resplendit  dans 
la  lumière  solaire,  qui  fulgure  dans  l'éclair.    Il  établit  de  la 
sorte  comme  une  homogénéité  entre  le  petit  milieu  familial 
et  le  milieu  cosmique,  de  même  que  le  sacrifice  s'étend  de 
l'orant  à  l'ensemble  de  l'univers. 

Les  silhouettes  les  plus  caractéristiques  de  l'Olympe 
védique  paraissent  ainsi  des  projections,  dans  l'ordre  du 
mythe,   des  puissances  naturelles   que  régit  le  sacrifice,  ou 


LA    RELIGION    VEDIQUE  31 

même  de  simples  instruinents  du  culte.  Mais  il  ne  faut  pas 
méconnaître  l'existence  d'autres  sortes  d'êtres  surnaturels. 
Les  uns  ressortissent  à  ce  folklore  anonyme  qui  déborde 
de  toutes  parts  le  cercle  des  conceptions  indo-européennes: 
tels  les  humbles  génies  qui  animent  la  nature,  propices  ou 
malins;  les  démons  à  quelque  degré  identifiés  aux  abori- 
gènes désormais  asservis;  l'hostilité  de  ces  êtres  inférieurs 
à  l'égard  tant  de  l'action  des  grands  dieux  que  de  l'action 
du  sacrifice  équivaut  à  l'aveu  de  leur  origine  non  védique: 
c'est  affaire  à  l'Atharvavéda,  par  ses  incantations,  de  tenir 
en  respect  les  Raksas,  les  Piçâcas  qu'ignore  la  sereine  tech- 
nique de  la  religion  proprement  dite.  D'un  autre  ordre,  mais 
d'un  ordre  voisin,  sont  les  morts,  qui,  tant  que  les  rites  funé- 
raires n'ont  pas  assuré  la  persistance  indéfinie  des  âmes, 
mènent  comme  prêtas,  «  trépassés  »,  l'existence  de  revenants 
dangereux,  mais  qui,  ensuite,  élevés  à  la  dignité  de  Pères, 
Pitaras,  revêtent  une  noble  immortalité  au  séjour  de  Yama, 
le  premier  et  par  suite  le  roi  des  défunts.  Il  existe  enfin 
une  catégorie  de  dieux  qui  avec  le  Brahmanisme  prendra 
toujours  plus  d'importance:  les  divinités  abstraites.  Ce 
sont  en  général  les  plus  récentes,  mais  il  s'en  trouve  d'ar- 
chaïques. Telle  Aditi,  qui  subsume  à  la  fois,  comme  un  terme 
générique,  ce  dieu  solaire,  Mitra,  et  Varuna,  le  ciel  qui  voit 
tout;  ce  sont  ses  fils,  les  Adityas;  à  rapprocher  son  nom  et 
sa  fonction,  l'on  est  tenté  de  voir  en  elle  une  puissance  éclairée 
puisque  lumineuse,  libératrice  puisque  «exempte  de  liens». 
Mais  Brahmanaspati,  le  maître  de  la  formule  rituelle;  Pra- 
jâpati,  le  maître  des  créatures;  Viçvakarman,  l'agent  uni- 
versel, qui  pour  la  plupart  apparaissent  dans  la  X®  section  du 
Rgvéda,  perdent  en  précision  concrète  ce  qu'ils  gagnent 
en  extension  abstraite,  si  on  les  compare  aux  authentiques 
divinités  invoquées  dans  les  hymnes;  il  convient  d'y  re- 
connaître des  dénominations  à  tendance  monothéiste,  étran- 
gères au  principe  même  du  Védisme. 


32  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

Quoique   l'examen    de   ce   panthéon    atteste   ainsi    des 
origines  disparates:     un  facteur  non  aryen,  pour  une  part 
imputable   aux  races   autochtones;    un  fonds  indo-iranien, 
l'inspiration   propre   aux   familles   de   rsis  qui  composèrent 
les  hymnes;    l'intervention  tardive  des  dynasties  sacerdo- 
tales qui  spéculèrent  sur  le  culte  ou  le  dogme,  —  l'induction 
paraît  plausible,   que  la  pratique  et  l'idée  du  sacrifice  de- 
meurent les  instigatrices   de  toute  cette  évolution  théolo- 
gique au  cours  d'au  moins  dix  siècles.  A  la  plus  ancienne 
notion  du  sacrifice,  celle  qui  le  conçoit  comme  une  action 
directe   du   rite   sur   l'univers,    correspond   une   mythologie 
des  éléments  de  la  nature,  que  le  langage  et  l'imagination 
humanisent   en   des   personnalités    maîtresses    de   l'univers. 
Les  dieux  une  fois  créés,  le  sacrifice  n'apparaît  plus  comme 
opérant  par  lui-même,  mais  comme  cherchant  à  gagner  au 
profit  de  l'homme  la  faveur  de  ces  êtres  qui,  tenant  à  la 
fois  de  la  nature  et  de  nous,  sont  jugés  surnaturels:  il  con- 
siste à  présenter  une  offrande  pour  obtenir  en  retour  des 
avantages    certains.    Mais    l'anthropomorphisme    s'accroît: 
la   fantaisie,    même   poétique,    ne   saurait   inventer   jusqu'à 
transfigurer  les  phénomènes  naturels,  mais  elle  peut  broder 
à  l'infini  sur  le  canevas  des  idées  ou  images  dont  les  attaches 
physiques,  très  ténues,  tombent  dans  l'oubli.  Alors  se  con- 
struisent  les   grandes   personnalités   divines:    sur  la  notion 
d'un  rite,  celle  d'Agni;  sur  ce  type  social,  le   lâja  guerrier, 
celle  d'Indra;    sur  l'idée  d'une  puissance  lumineuse  univer- 
selle, celle  d'un  justicier  omniscient  et  omnipotent,  Varuna. 
Le  caractère  moral  transfigure  l'élément  mythique  :  Agni  se 
fait  protecteur  de  la  famille;    la  force  d'Indra  sait  se  rendre 
secourable;    la  clairvoyance  de  Varuna  s'applique  à  sauve- 
garder l'ordre  du  monde  (").    Le  sacrifice  se  présente   non 
plus  comme  un   marché,   mais  comme  un  moyen  de    pro- 
pitiation,  et,  le  dieu  devenant  un  idéal,  comme  un  effort  vers 
la  pureté  d'intention.   L'hymne  qui  flatte  tend  à  se  convertir 


LES    PREMIÈRES    NOTIONS    METAPHYSIQUES  33 

en  la  prière  qui,  dans  la  confiance,  contemple  et  adore:  en 
cette  «  élévation  »  qui  équivaut  à  un  hommage  au  principe 
d'unité  cosmique,  s'exprimera  le  culte  du  Brahman,  du 
Purusa,  l'Homme  universel  ou  l'Esprit;  le  passage  se  sera 
opéré  du  rite  (karman)  à  la  connaissance  (jnâna).  Cette 
transformation  à  travers  le  temps  n'aura  fait  qu'expliciter 
le  concept  de  Véda,  postérieur,  en  effet,  aux  hymnes  dont  il 
intitule  la  collection:  la  science  védique  (vidyâ)  est  une 
technique  rituelle  qui,  peu  à  peu,  se  transpose  en  pure 
métaphysique. 


CHAPITRE  Iir 
LES  PREMIÈRES  NOTIONS  MÉTAPHYSIQUES 


Les  Védas  fournissent  le  formulaire  d'un  culte,  mais,  si 
l'on  excepte  les  sections  en  prose  du  Yajus,  ne  spéculent 
point  sur  ce  culte.  A  fortiori  n'attestent-ils  point,  sauf  en 
de  rares  et  furtives  occurrences,  une  réflexion  indépendante 
de  la  religion.  Toutefois  l'exercice  même  du  culte  implique 
des  convictions  qui  déjà  équivalent  à  la  possession  d'une 
philosophie;  et  mainte  remarque  mêlée  à  l'éloge  d'un  dieu, 
mainte  énigme  entrevue  témoignent  de  l'éveil  d'une  pensée 
autonome.  Cette  dernière  se  manifeste  surtout  dans  les 
textes  les  plus  récents:  dans  l'Atharva  et  dans  le  X^  livre 
du  Rgvéda. 

3 


34  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

Le  ritualisnie  primitif  impliquait  des  postulats  plura- 
listes. Il  supposait  au  moins  la  distinction  du  sacrificateur, 
du  sacrifié,  de  l'être  pour  qui  ou  de  la  fin  pour  laquelle  était 
exécuté  le  sacrifice.  La  diversité  des  buts,  celle  aussi  des 
moyens  avaient  suscité  nombre  de  dieux.  Ce  pluralisme  se 
renforçait  par  l'influence  des  facteurs  concourant  avec  le 
rite  à  constituer  la  religion  védique.  Ainsi  les  démons,  les 
morts  ne  cessèrent  pas  de  former  des  catégories  irréductibles 
à  celle  des  divinités.  Religion  proprement  dite  et  magie, 
loin  de  s'assimiler,  se  scindèrent  plutôt,  à  mesure  que  la  religion 
fit  plus  grande  la  place  du  mythe:  ce  dernier  accorde  aux 
représentations  Imaginatives,  ainsi  qu'à  la  réflexion,  un 
rôle  qu'exclut  la  réussite  mécanique,  immédiate,  de  l'acte 
magique.  Ces  racines  très  profondes  du  pluralisme,  l'Inde 
ne  les  extirpera  jamais,  malgré  de  constants  efforts  vers  un 
monisme  philosophique. 

De  semblables  efforts  se  manifestent  dès  les  textes 
védiques.  Le  recours  au  sacrifice  en  toute  circonstance  de 
la  vie  religieuse,  la  conviction  de  son  omnipotence  insti- 
tuaient ce  que  Barth  appela  un  <(  panthéisme  ritualistique  «. 
En  outre  l'évolution  de  la  théologie  mythologique  achemi- 
nait vers  une  fusion  de  tous  les  dieux  en  un  seul  être.  L'ob- 
séquiosité de  Forant  décernait  tour  à  tour  le  titre,  les  attri- 
buts d'un  maître  suprême  à  chacun  des  êtres  surnaturels 
dont  elle  sollicitait  l'intercession.  Avec  une  abstraction 
croissante,  leurs  distinctions  s'émoussaient  ;  ils  devenaient 
remplaçables  par  l'une  quelconque  de  ces  entités:  le  Brah- 
man,  Purusa,  ou  encore  Vâc,  la  parole,  le  verbe.  Des  élu- 
cubrations  comme  l'Agent  universel,  Viçvakarman,  ou  le 
Panthéon,  Viçve  devâh  faisaient  concevoir  unique  l'essence 
divine,  que  l'ancienne  religion  avait  tenue  pour  indéfiniment 
multiple.  «  L'unicité  de  l'être,  les  prêtres  la  désignent  sous 
des  noms  divers»  (ekarti  sad  viprâ  bahudhâ  vadanti,  Ath.  I 


LES    PREMIÈRES    NOTIONS    MÉTAPHYSIQUES  35 

164,46);    mais,    «unique  est  l'auguste  génialité    des    dieux» 
(mahad  devânâm  asuratvam  ekam,  III,  55). 

Ce  monisme  ne  dépassait  pas  le  niveau  d'une  intuition 
très  vague  tant  qu'il  n'eut  point,  pour  se  corroborer,  sus- 
cité une  explication  cohérente  des  choses.  Il  fallut  de  longs 
siècles  pour  réduire  le  prestige  des  dieux  d'antan,  qui  d'ail- 
leurs ne  perdirent  jamais  certains  au  moins  de  leurs  titres 
à  la  vénération.  Les  tendances  unitaires  s'accordaient  mal 
avec  l'antique  notion  de  l'ordre  régnant  dans  le  monde. 
Celui  qu'établit  Indra,  c'est  la  domination  d'une  force  pré- 
pondérante sur  des  puissances  vaincues,  qu'il  s'agisse  du 
serpent  Ahi,  de  démons  comme  Vrtra  ou  des  primitifs  ha- 
bitants de  l'Inde,  subjugués  désormais  par  les  royautés 
a-ryennes.  Celui  qu'institue  Varuna,  le  rta,  c'est  le  maintien 
à  leur  place,  dans  leur  rôle,  des  puissances  cosmiques,  en 
particulier  des  astres.  Voilà  deux  notions  dualistes,  car 
combattre  pour  instaurer  un  régime  de  domination  et  veiller 
à  la  sauvegarde  d'une  harmonie,  c'est  toujours  intervenir 
dans  une  réalité  préexistante;  mais  les  éléments  d'une 
doctrine  nouvelle,  on  les  puisa,  une  fois  encore,  dans  le  cercle 
des  spéculations  ritualistiques. 

Cette  doctrine  se  fait  jour  au  X^  livre  du  Rgvéda.  La 
protection  par  Mitra  et  Varuna  de  la  légalité  universelle  est 
désormais  attribuée  à  un  mode  particulier  de  leur  divine 
activité  :  à  leur  dharman,  forme  spéciale  de  l'efficience  qu'ils 
possèdent  en  tant  qu'êtres  surnaturels  (asurasya  mâyâ). 
Ce  dharman  apparaît  comme  l'établissement  d'un  ordre,  en 
opposition  à  l'ordre  établi,  rta.  Or  cette  façon  de  tout 
régler  consiste,  selon  la  décisive  affirmation  d'un  texte  plus 
ancien,  à  sacrifier:  «c'est  par  le  sacrifice  que  les  dieux  ont 
sacrifié  le  sacrifice:  voilà  les  plus  primordiaux  des  dhar- 
mans  »  (I,  164,  50).  En  d'autres  termes  les  lois  fondamentales 
de  l'univers,  ce  sont  les  lois  du  sacrifice.    La  régularité  des 


36  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

révolutions  astrales,  que  X,  164,  II  appelle  la  roue  du  rta 
(cakraui  rtasya),  modèle  des  lois  physiques,  ne  fait  que  tra- 
duire la  régularité  de  la  trame  de  l'univers,  «  tissé  »  par  le 
sacrifice  qu'accomplissent  soit  les  Pères,  soit  le  Purusa,  soit 
les  dieux  immolateurs  du  Purusa  (X,  130).  Lorsque  le  pan- 
théisme de  ritualistique  deviendra  intellectualiste,  le  dhar- 
man,  acte  sacrificiel,  se  muera  en  dhanna,  règle  suprême 
de  vérité.  Mais  cette  évolution  sort  des  limites  du  Védisme, 
quoique  ce  dernier  la  prépare. 

La  philosophie  du  Rgvéda,  même  sous  la  phase  ultime, 
ne  se  dégage  pas  complètement  du  mythe;  mais  elle  en 
instaure  une  forme  nouvelle,  le  mythe  abstrait  et  cosmo- 
gonique.  Les  problèmes  que  rencontre  cette  sorte  de  pensée 
se  présentent,  dans  l'ensemble,  inverses  de  ceux  qui  se 
posaient  auparavant.  Il  ne  s'agit  plus  d'expliquer,  à  partir 
d'un  pluralisme  radical,  ce  degré  d'harmonie  que  renferme 
le  monde,  mais  au  contraire  de  fonder  la  diversité  sur  l'unité 
primordiale.  L'être,  ou  mieux,  l'existant,  sat,  se  sufïit-il 
à  lui-même  (svadhayâ)  ?  Suppose-t-il  un  non-être  anté- 
rieur (asat)  ?  Ou  l'un  et  l'autre,  comme  deux  contraires, 
procèdent-ils  d'une  hy|3ostase  préalable  (X,  126,  1  à  3)  ?  Les 
solutions  entrevues  n'ont  rien  de  systématique.  Le  texte 
le  plus  célèbre  (ibid.)  montre  surgissant  des  ténèbres  primi- 
tives (tamas)  où  palpite  une  inconsciente  vie,  la  première 
puissance  créatrice,  la  chaleur  qui  fait  de  l'œuf  cosmique 
éclore  le  monde.  D'où  un  développement  (adhisamavartata) 
au  cours  duquel  de  l'amour  ou  du  désir  (kâma),  germe  initial, 
jaillit  l'esprit  (manas).  Cette  chaleur  (tapas)  qui  couve  le 
principe  évolutif,  on  la  conçoit  ailleurs  comme  origine  de 
l'ordre  et  de  la  vérité  (rta,  satyam,  X,  190),  qui  dans  ce 
cas  ne  se  rattachent  pas  à  une  pensée.  D'autres  textes  tra- 
hissent les  attaches  que  garde  la  spéculation  naissante 
avec  les  rites  antiques.    Ainsi  l'esprit  (purusa,  non  plus  ma- 


LES    PREMIÈRES    NOTIONS    MÉTAPHYSIQUES  37 

nas),  dans  lequel  X,  90  trouve  le  principe  universel,  c'est 
l'Homme  primordial,  en  tant  que  victime  sacrifiée  par  les 
dieux,  sacrifiée  aussi  —  en  vertu  d'un  étrange  paradoxe  — 
par  les  hommes  parfaits  des  premiers  âges  et  par  ceux  qui 
«  virent  »  le  Véda  (sâdhyas,  rsis).  De  ses  divers  morceaux, 
cette  victime  constitue  les  parties  du  monde.  En  d'autres 
occurrences  (I,  164;  X,  125)  on  assure  que  l'univers  naît 
de  la  Parole,  Vâc  ;  par  où  il  faut  comprendre  la  voix  humaine, 
certes,  mais  aussi  le  tonnerre  du  ciel,  mieux  encore  l'in- 
cantation du  chantre,  enfin  le  verbe  de  tous  les  verbes, 
Féternelle  sonorité  des  hymnes  védiques. 

Les  questions  morales,  abordées  en  un  sens  non  moins 
archaïque,  s'isolent  à  peine  des  énigmes  spéculatives.  Le 
bien  et  le  vrai,  non  encore  dissociés,  se  réduisent  à  F  «  exac- 
titude»: ils  impliquent  la  conformité  au  rite  approprié  en 
un  cas  donné.  D'où  l'élément  d'objectivité  (sat)  inclus  dans 
le  mot  satyam  qui  désignera  plus  tard  la  vérité,  mais,  quant 
à  présent,  connote  la  correction  de  l'acte.  Un  optimisme 
latent  s'étale  dans  la  conception  de  la  vie  que  reflètent  les 
hymnes:  aux  avantages  temporels,  santé,  aisance,  posté- 
rité, se  limite  l'ambition  de  l'Indien  des  premiers  âges:  il 
n'imagine  pas  d'autre  bien  que  la  possession  de  ces  avantages, 
assurée  par  l'observance  du  culte;  le  mal  consiste  soit  en 
un  maléfice  qu'on  n'a  pas  su  écarter,  pestilence  ou  mali- 
gnité, soit  en  une  méprise  dans  l'usage  des  rites:  c'est  un 
miasme  ou  une  erreur.  Les  dieux  supérieurs  s'instituent 
gardiens  de  l'ordre  moral  comme  de  l'ordre  physique,  mais 
leur  vigilance  cherche  moins  à  punir  des  transgressions  à 
leurs  commandements,  qu'à  faire  observer  la  rectitude  cul- 
tuelle: ce  qui  ne  doit  pas  nous  surprendre,  puisque  les  êtres 
surnaturels  dépendent  du  culte  plus  encore  que  le  culte  ne 
dépend  d'eux.  De  façon  analogue  se  doivent  interpréter 
les  sanctions  réservées  par  les  dieux  à  nos  actes,  droits  (rju) 


Se  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIEXNB 

OU  tortueux  (vrjina):  elles  s'appliquent  par  la  force  même 
des  choses,  et  ils  ne  font,  eux,  qu'y  présider.  L'asservissement 
découle  de  la  faute  même,  non  de  l'arbitraire  d'une  puissance 
extérieure  à  l'individu  et  à  son  acte;  il  a  pour  conséquence, 
non  pour  cause,  que  le  coupable  est  ligoté  par  la  chaîne 
de  Yama,  susceptible  de  le  retenir  en  un  séjour  infernal, 
ou  par  les  lacets  de  Varuna,  l'Enveloppéur  qui  garrotte  les 
fourbes  (Ath.  IV,  16),  mais  qui  est  fils  de  la  déesse  liberté; 
que  définit  l'exemption  de  tout  lien,  Aditi.  Dès  cette  époque 
l'Inde  se  persuade  que  le  mal,  c'est  l'enchaînement,  les  liens 
(bandha)  d'un  esclavage.  Par  contre  le  souverain  bien  dont 
on  rêve  s'exprime  en  ce  vœu  :  «  puissions-nous  être  sans 
péché  aux  yeux  d' Aditi»,  ou,  ce  qui  revient  au  même,  «  sans 
péché  pour  la  liberté  »  (anâgâso  aditayâ,  I,  25,  14)  (^^)  ! 


DEUXIÈME   PARTIE 

LA  PHILOSOPHIE  BRAHMANIQUE 
PKÉBOUDDHIQUE 


CHAPITRE  I 
SYSTEMATISATION   DE   LA  PENSÉE  VEDIQUE 


Le  Brahmanisme  s'est  défini  à  ses  propres  yeux  comme 
une  systématisation  de  la  pensée  védique.  De  tous  les  pro- 
blèmes que  pose  la  civilisation  indienne,  c'est  sans  doute 
celui  pour  l'investigation  duquel  la  tradition  brahmanique, 
coextensive  à  cette  civilisation  entière,  fournit  le  plus  de 
renseignements,  mais  c'est  aussi  l'un  de  ceux  où  peut  se 
montrer  opportune  l'impartialité  européenne,  qui  n'apporte 
en  la  matière  aucun  préjugé  religieux. 

Nous  ne  saurions  douter  qu'au  cours  de  la  première 
moitié  du  millénaire  qui  précéda  l'ère  chrétienne,  l'évolution 
interne  du  védisme  se  précipita,  et  que,  néanmoins,  à  pro- 
portion même  de  cette  transformation,  se  constitua  une 
orthodoxie,  déjà  un  rudiment  de  scolastique  fondées  sur 
l'antique  religion.  Le  Véda  en  va  être  la  base,  mais  il  en  est 
lui-même,  en  tant  que  collection  close  et  complète,  le  pre- 
mier, l'essentiel  résultat.  Aucune  finalité  initiale  ne  pré- 
destinait sans  doute  les  chants  religieux,  les  poèmes  pro- 
fanes, les  récits  légendaires  dont  le  Rgvéda  fut  composé, 
à  se  trouver  ainsi  réunis.    L'utilisation  liturgique  des  hymnes 


40  HISTOIRE    DE   LA    PHILOSOPHIE   INDIENNE 

prouve  que  le  recueil,  sinon  les  morceaux  recueillis,  a  pour 
auteurs  des  prêtres.  Dans  l'Atharva,  l'empreinte  d'une  in- 
tervention post- védique  apparaît  encore  mieux:  il  renferme 
des  prescriptions  d'origine  sacerdotale,  et  témoigne,  dans 
ses  plus  primitives  incantations,  de  placages  attestant  un 
effort  de  brahmanisation.  Quant  au  Sâman  et  au  Yajus, 
ils  sont,  par  destination  même,  accommodés  à  un  culte. 
Le  Yajus  noir  mêlant  aux  formules  que  l'on  chante  ou  récite 
pendant  les  sacrifices  (mantra),  des  instructions  (vidhi), 
des  explications  (arthavâda)  en  prose,  inaugure  une  litté- 
rature fondée  sur  le  Véda,  mais  distincte  de  ce  dernier, 
comme  un  commentaire  se  distingue  d'un  texte  :  les  Brâh- 
manas.  Littérature  d'importance  capitale,  dans  laquelle 
s'effectua  la  transition  du  passé  védiqvie  à  cette  orthodoxie 
«  brahmanique  »,  dont  le  caractère  s'impose,  de  façon  plus 
ou  moins  absorbante,  aux  divers  facteurs  comme  aux  mul- 
tiples phases  de  la  culture  indienne.  Des  interprétations 
d'un  caractère  ésotérique  s'y  adjoindront,  portant  soit  sur 
le  rite,  expliqué  allégoriquement  dans  les  Aranyakas,  soit 
sur  la  philosophie,  dont  les  problèmes  se  spécifieront  dans 
les  Upanisads:  autant  de  textes  qui  partagent  avec  les 
quatre  Védas  le  caractère  de  connaissances  révélées  (çruti). 
N'envisageons  pour  l'instant  que  la  base  de  cette  littéra- 
ture:   les  Brâhmanas  ("). 

L'élaboration  en  une  sorte  de  canon  des  Védas  et  de 
leurs  commentaires  plus  ou  moins  directs  est  l'œuvre  d'une 
caste.  A  mesure  que  le  culte  védique  se  compliquait  et  se 
répartissait  en  diverses  attributions  sacerdotales,  les  fonc- 
tions du  prêtre  se  monopolisaient  au  profit  d'un  groupement 
héréditaire  et  fermé.  Les  premiers  documents  attestant  que 
cette  évolution  est  accomplie  n'apparaissent  que  dans  les 
parties  récentes  du  Rg  et  de  l'Atharva.  L'évolution  en 
question  ne  représente  d'ailleurs  qu'un  cas  particulier  d'un 


SYSTÉMATISATION    DE   LA    PENSÉE   VÉDIQUE  41 

fait  général  dans  la  civilisation  indienne  en   formation:    à 
mesure  qu'ils  étendaient  leur  établissement  parmi  des  popu- 
lations aborigènes  d'autre  couleur  (varna),  les  Indo-Iraniens 
éprouvaient  davantage  le  désir   de  sauvegarder  l'originalité 
de  leur  race;    ils  n'en  appliquèrent  que   plus   jalousement 
leur  antique  usage  d'endogamie  à  l'intérieur  de  la    «curie» 
(jâti)  et  d'exogamie  hors  de  la   «gens»  (gotra).      Parmi  les 
vicissitudes  de  cette  période  belliqueuse,  l'affiliation  à    un 
groupement  qui  assignait  à  ses  membres  des  devoirs,   mais 
aussi   des   droits  définis,  fournissait  une  efficace   protection 
aux  individus,  pour  qui  la  déchéance  de  la  caste,  par  démérite, 
était  le  châtiment  suprême.    Sur  l'origine   de    cette   distri- 
bution de  la  société  indienne  en  quatre    castes    fondamen- 
tales:     brahmanes    ou    prêtres;      ksatriyas     ou     guerriers; 
vaiçyas  ou  gens  du  commun,  artisans  et  agriculteurs  ;  çudras 
ou  esclaves  ('*),  nous  ne  possédons  aucune  donnée  précise, 
car    cette    répartition   plonge    dans    l'obscurité    de   la    pré- 
histoire;   mais  le  fait  que  les  Aryas    ne  S3   reconnaissaient 
qu'en  les  trois  premières  castes,  seules  composées  de    gens 
nobles   ou   libres,   participant   seuls   à  la  religion    védique, 
dont  l'initiation  équivaut  à  une  seconde  naissance  (dvija), 
semble  attester  un  besoin  de  se  distinguer  de  la  masse   au- 
tochtone, vouée  au  servage  ou  même  extérieure  à   l'organi- 
sation sociale.    Au  sein  de  cette  aristocratie,  celle  qui  vivait 
de  l'autel   et  celle  qui  vivait  de  l'épée  ont  dû  se  différencier 
très  tôt,  quoique  la  codification  d'une  semblable  répartition 
n'ait  eu  lieu  que  plus  tard.   L'existence  légendaire  de  familles 
de  rsis,  dépositaires  des  hymnes  sacrés,  puis  la  simultanéité 
comme  la  succession  de  dynasties  sacerdotales  conservatrices 
de  traditions  en  partie  distinctes,  annonçaient  la  formation 
d'une  caste  religieuse,  non  pas  apte    seule    à   l'exercice   du 
culte,   car   tout  Ârya  resta  tenu  d'accomplir  lui-même  cer- 
tains rites,  mais  seule  admise  à  connaître  la  technique   opé- 
ratoire et  spéculative  fondée  sur  les  Védas.   Aussi  les  hommes 


42  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

auxquels  doit  convenir  le  nom  générique  de  brahmanes  se 
trouvèrent-ils  investis  de  l'enseignement  :  par  eux  était 
donnée  aux  autres  castes  d'Aryas  l'éducation  sacrée  (brali- 
macarya);  ils  se  trouvèrent  ainsi  possesseurs  en  fait,  et 
s'érigèrent  détenteurs  en  droit,  de  toute  culture. 

Il  ne  semblera  donc  pas  étonnant  que  la  loi  religieuse, 
dharma,  dont  les  brahmanes  assuraient  le  monopole,  ait 
revêtu  un  caractère  sacerdotal.  Sa  prescription  fonda- 
mentale est  la  prééminence  du  brahmane,  clef  de  voûte  non 
seulement  de  l'ordre  social,  mais  du  monde  entier,  puis- 
qu'il accapare  un  pouvoir  auquel  obéissent  et  la  nature  et 
les  dieux.  Tromper,  tuer  l'un  de  ces  «  dieux  »  humains, 
voilà  les  plus  grands  crimes.  Les  honorer,  rétribuer  leurs 
offices  par  de  généreux  émoluments  (dîksâ),  voilà  les  œuvres 
pies.  Le  secrst  de  leur  autorité  consiste  en  ce  qu'ils  ont 
concentré  à  leur  profit  le  principal  de  la  vie  religieuse,  jadis 
impartie  au  chef  de  clan,  au  père  de  famille;  le  culte  a  fait 
le  prêtre,  mais  à  son  tour  le  prêtre  a  transformé  le  culte  en 
se  l'appropriant.  Les  hymnes  valent  non  en  tant  qu'effu- 
sions laudatives  d'une  divinité,  jaillies  d'un  cœur  dévot, 
mais  en  tant  qu'éléments  d'une  liturgie  savante.  Maintes 
expressions,  images,  formes  de  pensée  ne  sont  plus  comprises  : 
le  sens  originel  se  perd,  au  profit  d'interprétations  symbo- 
liques, voire  d'explications  étymologiques  fondées  sur  de 
subtils  ou  de  puérils  jeux  de  mots.  Moins  on  comprend, 
plus  on  dogmatise;  les  tours  de  passe-passe  grammaticaux 
où  l'on  trouve  la  solution  d'une  difficulté  rituelle,  s'érigent 
avec  pompe  et  solennité  en  principes  d'application  univer- 
selle. Aux  énigmes  mythologiques  dont  fourmille  le  Véda 
se  surajoute  une  théorie  qui  se  flatte  de  tout  expliquer, 
mais  dont  les  explications,  en  raison  même  de  leur  ab- 
straite technicité,  ne  rejoignent  que  par  accident  l'ordre 
d'idées   auquel  doit   appartenir   la   signification  primitive. 


BYSTÉMATISATION    DE    LA    PENSEE    VKDK^UE  43 

Le  système  construit  de  la  sorte  conserve  des  notions 
védiques  leur  aspect  rituel,  qu'il  tend  à  renforcer  et  à  coor- 
donner. Il  fait  assez  bon  marché  de  la  mythologie  natura- 
liste; s'il  lui  arrive  d'inventer  de  nouveaux  mythes,  c'est 
par  désir  de  justifier  les  détails  du  culte.  L'antique  panthéon 
perd  de  son  prestige  au  profit  des  personnifications  ab- 
straites de  basse  époque;  la  piété  s'adresse  moins  à  Indra 
qu'à  des  concepts  ritualistiques,  tels  que  le  résidu  de  l'of- 
frande, ucchista  (Ath.  XI,  7),  ou  le  poteau  sacrificiel, 
skambha,  considéré  comme  l'axe  et  le  support  du  monde 
(X,  7  et  8).  Sans  aucun  doute,  en  effet,  une  notion  théorique 
constitue  pour  un  système  une  meilleure  clef  de  voûte  qu'une 
figure  mythologique  aux  attributs  concrets.  Parmi  ces  élé- 
ments ou  facteurs  du  culte,  convertis  en  «  êtres  de  raison  », 
aucun  ne  s'entoure  d'autant  de  vénération  que  la  Formule 
Rituelle.  Les  mots  mêmes  possèdent  la  plus  suggestive 
précision:  en  tant  qu'auteur  des  Brâhmanas,  le  brahmane, 
brahmân,  érigea  en  principe  suprême  le  brâhman  (au  neutre). 
Ce  principe  se  substitue  aux  démiurges  védiques  :  tantôt 
on  nous  représente  Prajâpati  créant  par  le  moyen  du  Brahman, 
tantôt  on  nous  montre  dans  Prajâpati  un  agent  secondaire, 
une  hypostase  dérivée  du  Brahman;  et  ces  deux  notions, 
quoique  distinctes,  n'attestent  aucune  contradiction,  car  la 
première  comme  la  seconde  subordonne  l'action  créatrice  à 
la  formule  rituelle.  Cette  dernière,  en  effet,  grâce  à  la  force 
magique  de  l'incantation,  réalise  ce  qu'elle  prononce,  en  un 
univers  qui  passe  pour  n'être  d'outre  en  outre  que  liturgie. 
Elle  est  la  première  forme  de  la  notion  d'absolu  dans  la 
civilisation  de  l'Inde.  Les  brahmanes  trouvent  en  elle 
«  l'essence  brahmanique  »,  une  entité  en  soi  et  par  soi,  qui 
fonde  l'existence  en  fait  et  la  prépondérance  de  leur  caste. 
Il  y  aurait  témérité  à  soutenir  que,  dans  ce  cas,  nous  possé- 
dons   l'exemple   d'un   état    social  déterminé  entraînant  par 


44  HISTOIRE    DE   LA    PHILOSOPHIE   INDIENNE 

voie  de  conséquence  l'admission  d'un  dogme  précis;  nous 
nous  contenterons  de  noter  que  l'érection  du  Brahman  en 
premier  principe  métaphysique  accompagne  l'institution  de 
la  prééminence  de  la  caste  brahmanique. 

La  vie  pratique  ne  dut  pas  moins  que  la  réflexion  spé- 
culative se  transformer  sous  l'influence  sacerdotale.  Le 
devoir  propre  à  chacun,  svadharma,  selon  la  caste  à  la- 
quelle il  appartient,  est  une  tâche  rigoureusement  exigible, 
sous  peine  de  cette  exclusion  qui  fait  des  parias,  rebut  de 
la  société.  Le  bien  n'est  pas  le  même  pour  un  prêtre,  pour 
un  noble,  pour  un  négociant,  pour  un  serf;  le  comble  de 
l'impiété  réside  dans  la  confusion  de  ces  morales  distinctes, 
comme  le  pire  des  maux  réside  dans  la  confusion  des  castes. 
Cette  intransigeance  repose  sur  l'autorité  prise  par  la  caste 
dirigeante,  soucieuse  de  maintenir  son  éminente  spécificité. 
En  effet,  le  principe  de  l'irréductibilité  de  ces  diverses  mo- 
rales ne  limite  en  rien  la  conviction  que  la  vie  sacerdotale 
l'emporte  sur  toute  autre  vie.  Ici,  encore,  le  brahmanisme 
théorise  :  il  postule  que  l'agent  moral  non  seulement  ne 
vaut,  mais  n'existe  que  par  les  rites  qu'il  accomplit.  L'en- 
semble de  ces  actes  pies,  les  samskâras,  —  expression  que 
l'on  peut  rendre  par  sacrements  —  est  constitutif  de  la  per- 
sonnalité humaine,  qui  s'en  trouve  confectionnée  (sarnskrta). 
L'activité  ne  possède  ainsi  pas  d'autres  règles  que  le  confor- 
misme religieux,  et  aucune  sorte  de  ce  dernier  n'égale  en 
dignité   l'obéissance    aux    prescriptions    brahmaniques. 

Tout  homme  libre  doit  donc  recevoir  l'enseignement 
d'un  précepteur  appartenant  à  la  caste  privilégiée:  enseigne- 
ment qui  dure  quarante  huit  ans  pour  l'étudiant  de  cette 
caste.  L'existence  de  père  de  famille  ne  devient  légitime 
qu'après  l'initiation  religieuse,  que  l'on  obtient  après  s'être 
fait  serviteur  autant  que  disciple  d'un  maître  (guru).  Désor- 
mais, de  même  que  la  science  parfaite  est  la  connaissance 


INTERVENTION    DE    FACTEURS    NON    BRAHMANIQUES  45 

du  Brahman  (brahmavidyâ),  la  vie  parfaite  implique  une 
conduite  proprement  brahmanique  (brahmacarya).  L'une  et 
l'autre  s'écartent  de  l'idéal  védique,  dont  cependant  les 
brahmanes  se  proclament  les  interprètes. 


CHAPITRE  II 


INTERVENTION   DE   FACTEURS  NON  BRAHMANIQUES 
SOPHISTES,  MATÉRIALISTES,  YOGINS 


La  tradition  védique,  dont  les  héritiers  directs  ne  réus- 
sissaient plus  à  maintenir  l'authenticité,  fut  l'objet,  aux 
abords  du  vi^  siècle  avant  J.-  C,  d'attaques  passionnées 
de  la  part  d'esprits  soit  hostiles,  soit  simplement  étrangers 
à  la  discipline  des  brahmanes.  Ces  «  indépendants  »  se 
peuvent  classer  sous  trois  rubriques:  les  sophistes,  les  maté- 
rialistes, les  yogins. 

lo  Les  sophistes.  —  Une  certaine  dose  d'irréligion 
paraît  aussi  ancienne  que  l'antique  religion.  Le  Rgvéda 
renferme  —  chose  inconcevable  s'il  était,  par  destination, 
un  manuel  liturgique  —  mainte  raillerie  à  l'adresse  des 
dieux.  Ainsi,  sa  verve  satirique  s'égaie  de  l'ivresse  d'Indra, 
grisé  de  soma.  Lorsqu'il  substitue  à  la  théologie  mytho- 
logique des  premiers  âges  un  commencement  de  réflexion 
philosophique,  il  se  demande  avec  anxiété  si  les  arcanes  du 
non-être  et  de  l'être  comportent  une  intelligibilité,  voire 
suprahumaine,  et  il  n'aboutit  qu'à  poser  un  point   d'inter- 


46  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOrHIE    IXDIE^TXE 

rogation  (X,  129,  7).  Ces  deux  traits,  la  veine  sarcastique 
et  la  prédilection  du  doute,  appartiennent  à  la  physionomie 
des  sophistes  indiens  comme  à  celle  des  sophistes  grecs. 

La  sophistique  n'est  point  une  attitude  exclusivement 
hellénique,  mais  un  fait  d'une  certaine  généralité  (**).  On 
l'a  constaté,  ce  fait,  dans  la  Chine  mi-confucéenne,  mi- 
taoïste  des  cinq  derniers  siècles  antérieurs  à  notre  ère.  On 
le  retrouve,  diffus  à  travers  un  plus  grand  nombre  de  siècles, 
dans  la  civilisation  indienne.  En  toute  occurrence,  il  ré- 
sulte de  conditions  analogues  :  de  l'hétérogénéité  du 
milieu  social,  de  l'instabilité  politique,  des  contacts  répétés 
avec  des  peuples  étrangers,  de  cette  démoralisation  qu'en- 
traîne l'oubli  graduel  d'une  religion  jadis  régnante.  Or  des 
circonstances  de  ce  genre  se  perpétuèrent  longtemps  dans 
le  milieu  indien:  l'extrême  fragmentation  sociale,  diversifiée 
à  l'infini,  l'absence  presque  normale  d'un  pouvoir  central 
étendu  et  fort  ;  de  continuelles  invasions  :  celle  des  Indo- 
Iraniens,  celle  des  Yue-tchi  et  des  Çakas,  celle  des  Grecs, 
celle  des  Parthes;  un  certain  discrédit  du  Védisme  :  voilà 
les  conditions  qui  justifient  l'apparition  d'esprits  alertes 
et  frondeurs,  libres  de  tout  dogme,  colporteurs  de  dialectique, 
vendeurs  de  conseils,  dévoués  au  plus  offrant,  d'accord 
seulement  pour  dauber  la  naïveté  des  croyants.  Un  rôle 
considérable  sera  dévolu  aux  nombreuses  générations  de  ces 
mécréants,  ardents  à  dissoudre  la  civilisation  antérieure  et 
à  répandre  des  notions  nouvelles;  ils  n'auront  dit  leur 
dernier  mot  que  lorsqu' auront  été  fondées  de  fortes  disciplines 
intellectuelles  et  morales,  qu'ils  auront,  pour  leur  part,  con- 
tribué à  instituer  :  tel  le  Bouddhisme,  tel  encore  le  Brah- 
manisme ultérieur,  entré  en  possession  d'une  exégèse,  d'une 
dialectique,  d'une  philosophie. 

Deux  sources  principales  nous  renseignent  sur  cette 
sorte  d'esprits:    la  plus  vieille  littérature  bouddhique,    qui 


INTERVENTION    DE    FACTEURS    NON    BRAHMANIQUES  47 

leur  est  plutôt  favorable,  et  le  MahâbKàrata,  dont  l'ins- 
piration brahinanique  se  montre  sévère  à  leur  égard;  les 
jugements  portés  ici  et  là  se  complètent  et  peuvent  être 
tenus  pour  vrais  dans  la  mesure  où  ils  s'accordent.  Or,  ils 
attestent  l'existence  de  dialecticiens  errants,  négateurs  de 
f autorité  du  Véda  (Vedanindaka),  se  targuant  de  posséder 
l'omniscience  (panditamâninas),  parce  que  leur  talent  de 
rhéteurs  les  rendait  également  aptes  à  soutenir  le  pour  et 
le  contre. 

La  persuasion  de  l'universelle  relativité  paraît  avoir 
rendu  ces  sophistes  aussi  sceptiques  sur  la  possibilité  d'ob- 
tenir une  connaissance  rationnelle  du  vrai,  qu'hostiles  à 
l'idée  d'une  révélation.  Les  boutades,  les  diatribes  qu'ils 
décochaient  contre  le  dharma  en  tant  que  loi  religieuse,  ne 
déconsidéraient  pas  moins  la  prétention  de  déterminer 
un  dharma,  ordre  du  monde  et  règle  de  moralité.  Leur 
véhément  immoralisme  sonne  comme  un  écho  des  sarcasmes 
déjà  nietzschéens  de  Calliclès;  dans  l'Inde  comme  en  Hellade 
la  seule  réponse  décisive  à  ces  effrontés  «  libertins  »  sera 
raffirmation  qu'il  existe  des  lois  «non  écrites»,  mais  inhé- 
rentes au  fond  de  l'être  comme  au  cœur  des  hommes. 

2»  Les  matérialistes.  —  Les  premiers  adversaires  de  la 
religion  védique  n'ont  pas  tous  suspendu  leur  jugement  ou 
prononcé  avec  une  sereine  indifférence  des  avis  divers  sur 
les  problèmes  métaphysiques;  il  s'en  trouva  qui  crurent 
asseoir  l'irréligion  sur  des  bases  solides  en  instituant  une 
doctrine  matérialiste.  Leur  ironie  à  l'égard  de  la  révélation 
veut  être  aussi  acérée  que  celle  des  sophistes,  mais  le  dog- 
matisme l'alourdit.  Ces  gens  qui  n'admettent  d'autre  critère 
de  vérité  (pramâna)  que  la  perception  (pratyaksa),  mais  qui, 
à  la  différence  des  dialecticiens,  la  tiennent  pour  véridique, 
croient  trouver  dans  la  substantialité  massive  de  la  matière 
des  données  plus  fermes  que  dans  l'agilité  de  l'esprit. 


48  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE   INDIENNE 

Ce  dernier,  à  leurs  yeux,  n'est  qu'un  épiphénomène 
sans  portée  (nirârthika).  En  niant  son  existence  à  part  du 
corps,  comme  ils  nient  l'origine  surnaturelle  et  la  valeur 
religieuse  du  Véda,  ils  méritent  le  nom  de  nâstikas,  néga- 
teurs. Mais  leur  négation  s'arrête  devant  les  données  sen- 
sibles; à  la  façon  du  vulgaire  (loka)  ils  tiennent  pour  bien 
fondé  le  monde  sensible  (loka);  d'où  leur  épithète  de  Lokâ- 
yatas.  Ils  ne  possèdent  pas  encore  l'arsenal  d'arguments 
dont  ils  feront  usage  plus  tard  pour  défendi'e  leurs  thèses; 
mais,  dès  cette  époque,  ils  ne  doutent  point  que  seuls  les 
corps  existent,  et  qu'ils  se  résolvent  en  une  pluralité  d'élé- 
ment immuables.  Toute  loi  n'est  à  leurs  yeux  qu'une  bali- 
verne; ils  n'obéissent  pas  à  d'autre  règle  que  le  plaisir 
(kâma)  et  se  parent  de  leur  sobriquet,  les  goinfres,  Cârvâ- 
kas  ("). 

Cependant  ne  nous  pressons  pas  trop  de  reconnaître 
dans  ce  type  d'hommes  une  sorte  de  pendant  de  l'épicurien 
gréco-romain  ou  des  sectateurs  de  Yang-Chou;  ils  décon- 
certeraient de  semblabl3s  assimilations  par  des  caractères 
spécifiquement  indiens.  iVinsi  ces  jouisseurs  ne  sont  pas 
simplement  des  pessimistes  comme  certains  adeptes  de 
l'épicurisme;  ils  vient  en  ascètes,  couronnés  non  de  fleurs 
mais  de  crânes;  couverts  non  de  parfums  mais  de  cendres. 
Non  pas  qu'ils  croient  à  la  valeur  de  la  pénitence,  car  ils 
la  raillent  et  la  méprisent;  mais  ils  veulent  rester  libres 
d'attaches  avec  le  monde,  ne  fût-ce  que  pour  être  plus  à 
même  d'en  Jouir.  Sans  retenue  ni  réserve  ils  se  livrent,  un 
certain  jour  de  l'année,  à  une  débauche  collective.  Ce  mo- 
nachisme  latent,  ce  goût  d?  l'ascétisme  vont  nous  apparaître 
un  signe  des  temps. 

30  Les  Yogins.  —  La  même  époque  atteste  encore  l'exis- 
tence d'autres  rivaux  du  Brahmanisme:  ceux-ci  se  montre- 
ront assez  étrangers  au  Védisme  pour  l'ignorer,  sans   même 


INTERVENTION    DE    FACTEURS     NON    BRAHMANIQUES  49 

daigner  le  combattre;  non  moins  individualistes  que  les 
sophistes,  ils  ne  composent  pas,  comme  les  matérialistes, 
une  secte;  ils  posséderont  en  commun  avec  eux,  mais  exa- 
cerbée à  son  paroxysme,  la  passion  pour  la  vie  ascétique. 

L'existence  de  l'anachorète,  retiré  dans  la  solitude  des 
forêts,  et  celle  du  mendiant  errant,  non  moins  détaché  de 
la  vie  commune,  ont  toujours  exercé  un  souverain  prestige 
sur  les  âmes  indiennes.  Pour  mener  ces  sortes  d'existences, 
peu  importe  la  caste  dont  on  est  originaire;  l'affiliation  à 
un  groupement  social  n'est  même  pas  nécessaire.  Les  austé- 
rités vécues  ainsi  en  marge  de  toute  société,  à  l'écart  de 
l'ambition  comme  de  l'hypocrisie,  ne  présentent  aucune 
affinité  avec  la  religion  védique,  non  plus  qu'avec  le  confor- 
misme brahmanique,  mais  par  leur  sincérité,  leur  désin- 
téressement, elles  forcent  le  respect  de  tous;  ceux  même 
qui  vivent  de  l'autel  ne  peuvent  refuser  de  reconnaître 
l'éminente  vocation  religieuse  de  ces  âmes  étrangères  à  leur 
culte.  En  d'autres  termes  un  second  type  de  religion  surgit, 
exempt  en  principe  de  dogme  et  de  liturgie,  mais  possédé 
par  la  conviction  que  le  mépris  de  l'intérêt  personnel,  à  la 
satisfaction  duquel  les  prêtres  utilisent  le  sacrifice,  et  que  le 
détachement  intégral  ont  plus  de  prix  que  quoi  que  ce  soit. 

L'ascétisme  de  ces  anachorètes  leur  tient  lieu  de  spé- 
culation comme  de  morale:  nous  sommes  loin  du  t3mps 
oii  le  Yoga  deviendra  un  système  métaphysique.  Il  ne  con- 
siste encore  qu'en  un  repliement  de  l'individu  sur  lui-même» 
abstraction  graduelle  du  monde  extérieur,  assoupissement 
des  sens,  concentration  dans  le  for  intérieur.  L'être  se  trouve 
alors,  selon  une  expression  qui  explique  le  fond  de  cette 
discipline,  yukta,  c'est-à-dire  concentré,  en  pleine  posses- 
sion de  tous  les  éléments  de  sa  vie,  de  même  qu'une  roue 
se  trouve  bien  «  jointe  »  quand  les  rais  s'insèrent  avec  pré- 
cision dans  le  moyeu.  Cette  emprise  volontaire,  cette  étreinte 
4 


50  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

tenace  des  fonctions  vitales,  régies  de  façon  décisive  parce 
qu'elles  sont  saisies  et  maîtrisées  à  leur  principe  même, 
les  Yogins  des  premiers  âges  la  concevaient  comme  une 
discipline  des  souffles  C').  Une  physiologie  pneumatique 
comparable  à  celle  des  «  esprits  animaux  v ,  voilà  le  postulat 
fondamental;  une  ascèse  très  particulière,  qui  se  réalise  par 
des  exercices  de  gymnastique  respiratoire,  pour  acquérir  la 
direction  de  nos  propres  fonctions  ou  facultés,  telle  est  la 
conséquence. 

Une  semblable  pratique  ne  suppose  que  comme  ses  con- 
ditions préliminaires  la  continence,  les  privations,  l'endu- 
rance à  la  souffrance.  Vu  du  dehors,  le  Yogin  semble  figé 
dans  l'inertie  d'un  stylite,  où  la  plus  puissante  volonté 
s'obstine  à  suspendre  toute  manifestation  de  l'activité, 
arrêtée  souvent  dans  des  postures  ardues  à  maintenir.  Mais 
l'insensibilité  extérieure  que  vulgarisèrent  les  fakirs  musul- 
mans ne  vaut  que  par  la  concentration  interne  ;  celle-ci 
n'exige  pas,  elle  appelle  toutefois  la  contention  spirituelle 
qui  procure  au  Yogin,  dans  la  possession  de  soi,  des  pouvoirs 
surhumains.  Les  uns  appartiennent  à  l'ordre  de  la  foi  :  la 
lévitation,  l'ubiquité,  la  théurgie.  D'autres,  d'apparence 
moins  merveilleuse,  ont  plus  de  portée  philosophique:  telles 
la  conquête  d'une  félicité  soustraite  à  toute  vicissitude,  la 
coïncidence  avec  un  principe  de  vie  que  l'on  peut  t-enir 
pour  identique  à  celui  de  la  vie  universelle. 

Ainsi  se  justifient  les  ambitions,  les  enthousiasmes  de 
ces  héros  de  l'ascèse,  dont  le  renoncement,  le  désabusement 
ne  font  que  receler  en  secret  un  grandiose  optimisme:  la 
certitude  d'arriver  à  la  possession  de  sa  propie  existence  et 
de  tout  l'être. 


CHAPITRE  m 

LA  SYNTHÈSE   BRAHMANIQUE 
L4NS    LES    PLUS    ANCIENNES    UPANISADS 


Recueillie  dans  son  orgueilleuse  prééminence,  la  caste 
sacerdotale  ne  pouvait  cependant  procéder  à  sa  tâche  essen- 
tielle —  la  systématisation  du  Védisme  tel  qu'elle  le  compre- 
nait —  en  s' abstrayant  tout  à  fait  du  milieu  où  elle  se  trouvait 
plongée.  Bon  gré,  mal  gré,  elle  dut  subir  des  influences  non 
brahmaniques.  L'irréligion  travaillait  contre  elle,  mais  la 
servait  à  certains  égards,  en  discréditant  les  mythes  antiques, 
auxquels  sa  propre  fidélité  était  fort  suspecte.  La  discipline 
du  Yoga  préconisait  un  idéal  de  vie  non  seulement  distinct 
du  sien,  mais  sous  maint  rapport  opposé;  elle  suggérait  une 
conception  pneumatique  de  la  nature  humaine  sans  corrélation 
avec  les  notions  brahmaniques.  C'est  en  partie  sous  l'action 
de  ces  facteurs  adverses  ou  étrangers  que  le  système  brah- 
manique s'épanouit  dans  les  Aranynkas  et  les  Upanlsads 
«anciennes  (^®). 

Le  terme  comme  le  concept  d'âranyaka  équivalent  à 
un  symptôme.  Les  textes  désignés  de  ce  nom  passent  pour 
servir  d'instruction  spirituelle  aux  brahmanes  retirés  «  en 
forêt  »  (aranya)  ;  mais  on  n'aperçoit  guère  par  quelle  nécessité 
des  prêtres  auxquels  incombe  un  culte  complexe,  gagne-pain 
de  ses  servants  et  exercé  pour  l'obtention  de  fins  mondaines, 
feraient  retraite  loin  des  habitations  humaines.  On  ne  com- 
prend pas  davantage  pourquoi  les  spéculations  sur  les  rites 
qui  s'y  rencontrent  devraient  ainsi  être  communiquées  loin 


52  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

des  autels  où  sont  préparées  les  ressources  de  la  liturgie. 
Combien  n'est-il  pas  vraisemblable  que  ces  «  méditations 
d'ermitage»  attestent  une  accommodation  des  brahmanes  à 
cette  existence  d'anachorètes,  prônée  par  tant  de  sectes 
rivales  !  Examinés  de  loin,  dans  le  recul  de  la  solitude,  à 
l'écart  des  traditions  sacerdotales,  c'est-à-dire,  en  somme, 
considérés  par  des  yeux  qu'une  manière  de  voir  nouvelle 
libère  à  quelque  degré  de  V  «  équation  »  professionnelle  im- 
posée par  la  prêtrise,  les  rites  peuvent  apparaître  doués 
d'une  signification  allégorique  ;  mais  on  a  si  bien  le  sentiment 
du  caractère  insolite,  même  paradoxal,  de  cette  exégèse,  que 
l'on  ne  la  révèle  qu'en  secret,  dans  l'isolement  et  le  mystère. 
Au  surplus  la  valeur  accordée  par  ces  textes  aux  austérités 
(tapas)  semble  tout  à  fait  indépendante  de  leurs  théories 
relatives  au  sacrifice. 

Dans  les  Upanisads,  l'ésotérisme  s'accentue  encore. 
Quelle  que  soit  l'origine  littérale  du  terme  qui  les  désigne  — 
enseignement  recueilli  avec  vénération,  d'un  maître  auprès 
duquel  on  siège  (upa— sad);  ou  bien  gnose  contemplative, 
adoration  (upa — sthâ)  —  ce  terme  connote  une  révélation 
sacrée.  Le  rite  n'y  intervient  que  comme  prétexte  ou  allu- 
sion: la  spéculation  se  donne  libre  cours.  Des  pensées  dans 
une  certaine  mesure  personnelles,  malgré  le  caractère  à 
peine  historique  des  noms  cités,  commencent  à  transparaître: 
un  Yâjnavalkya,  un  Çândilya,  un  Naciketas,  un  Çvetaketu 
furent  les  premiers  métaphysiciens.  Mais  ces  patriarches  du 
Brahmanisme  montrent,  à  la  difïérence  des  auteurs  des 
Brâhmanas,  le  plus  grand  respect  pour  le  Yoga.  L'analyse 
des  thèmes  essentiels  des  plus  authentiques  Upanisads,  dont 
les  deux  premières,  la  BrhadârtDiyaka  et  la  Chaxdogyu,  re- 
montent environ  au  vi^  siècle,  montrera,  parmi  l'ampleur  de 
la  synthèse  nouvelle,  l'importance  des  influences  étrangères 
d'ores  et  déjà  imposées  au  Brahmanisme. 


LA    SYNTHÈSE    BRAHMANIQUE  53 

10  Métaphysique.  —  Le  Brahman,  en  lequel  les  Brâh- 
luanas  reconnaissaient  l'Etre  suprême,  demeure  dans  les 
Upânisads  le  premier  principe.  Mais  la  thèse  fondamentale 
de  ces  derniers  textes  consiste  à  présenter  comme  identique 
au  Brahman  une  nouvelle  conception  de  l'absolu,   l'Atman. 

On  désigne  sous  ce  nom  le  soi-même  de  chacun;  mais 
le  pronom  personnel  réfléchi  en  vient  à  signifier  le  for  inté- 
rieur, disons:  l'âme.  D'autre  part,  quoique  âtman  n'ait 
pas  pour  acception  primitive  le  sens  de  souffle,  ce  mot  s'ap- 
parente à  d'autres  termes  indo-européens  qui  ont  cette 
valeur;  dans  la  mesure  où  il  pouvait  connoter  le  souffle 
vital,  il  se  trouvait  prédestiné  à  signifier  «  anima  »  ou  «  spi- 
ritus»;  le  fait  est,  qu'il  impliquait  une  fort  ancienne  affinité 
a.vec  l'idée  de  vent  (vâta).  L' âtman  d'une  réalité,  quelle 
qu'elle  soit,  désigne  sa  plus  essentielle  substance.  Dans  ces  con- 
ditions ce  terme  qui  peut  s'appliquer  tant  au  fond  de  nous- 
mêmes  qu'au  fond  des  choses,  ce  concept  qui  enveloppait 
à  la  fois  l'immanence  en  tout  être  et  la  transcendance  à 
l'égard  de  chaque  être,  étai^é^t  voués  à  traduire  la  notion 
d'absolu  {'^).  ' 

Mais  pourquoi,  dira-t-on,  ce  nouveau  vocable  usité 
comme  synonyme  de  Brahman  ?  Une  semblable  question 
pose  le  problème  de  l'interprétation  des  Upânisads.  Les 
Brâhmanas  tenaient  pour  établi  que  la  substance  même  du 
monde  est  la  Parole  rituelle,  le  Brahman.  Venant  à  leur 
suite,  les  Upânisads,  pour  faire  comprendre  que  l'homme 
renferme  en  lui-même  le  principe  de  toutes  choses,  affirment 
que  le  fond  de  son  être,  son  âtman,  ne  fait  qu'un  avec  la 
Parole  rituelle,  réalité  même  des  choses.  Identifier  l'Atman 
au  Brahman,  c'est  ainsi  une  façon  de  déclarer  que  F  âtman 
est  l'absolu,  ou,  si  l'on  préfère,  que  tout  est  âme.  La  décou- 
verte métaphysique  des  Upânisads  consiste  en  ce  que  l'homme 
s'y  reconnaît  homogène  au  premier  principe;    cela  supposait 


54  HISTOIRE    DE    LA    PtULOSOFHIE    INDIENNE 

que  ce  dernier  fût,  au  préalable,  doué  de  spiritualité.  Dès 
lors,  par  contagion  mutuelle,  les  deux  concepts  s'assimilent 
l'un  à  l'autre:  le  soi  prend  une  valeur  d'universalité,  la 
Parole  rituelle  une  valeur  d'intériorité,  l'absolu  se  découvre 
non  seulement  dans  la  puissance  de  l'incantation,  mais 
dans  l'esprit  universel  :  du  ritualisme  magique  on  s'est 
élevé  à  la  mysticité.  Les  Upanisads  soulignent  l'importance 
de  cette  révolution  intellectuelle  en  répétant  ce  résumé  de 
leur  enseignement:  le  Brahman,  c'est  toi-même,  «  voilà  ce 
que  tu  es»  (tat  tvam  asi);  c'est-à-dire:  ton  Atman  est  le 
Brahman,  car  le  Brahman  est  un  Atman. 

Ce  caractère  spirituel  attribué  à  l'absolu  n'en  donne 
qu'une  approximation  et  ne  l'afïecte  d'aucune  relativité. 
Le  Brahman- xA.tman  renferme  «éminemment»  les  perfec- 
tions incluses  en  notre  nature,  en  particulier  l'esprit.  Mais 
en  soi  il  est  autre  et  plus  que  l'esprit,  comme  il  est  autre 
et  plus  que  toute  détermination.  Le  seul  nom  qui  lui  con- 
vienne, en  vérité,  c'est  «  ni  ceci,  ni  cela  »;  «  non,  il  n'est  point 
cela,  ni  cela  non  plus  »  (neti,  neti).  Supérieur  à  toute  oppo- 
sition, il  réside  en  son  immuable  éternité.  Mais  justement 
parce  qu'il  ne  se  confond  avec  aucune  réalité  particulière, 
il  peut  à  certains  égards  demeurer  en  toutes,  et,  comme 
tel,  fondar  leur  existence.  Ce  que  l'on  recherche  dans  les 
êtres,  c'est  lui;  ce  qui  anime  tout,  c'est  lui.  La  vie  qui 
palpite  en  nous,  la  pensée  qui  s'éveille  en  nous,  c'est  lui. 
Il  se  trouve  recelé  en  nous-mêmes  comme  le  couteau  dans 
son  étui,  comme  le  scorpion  dans  son  nid.  En  moi  il  se  fait 
petit  comme  le  pouce,  petit  comme  l'image  hiimaine  qui  se 
reflète  dans  la  pupille,  petit  comme  un  grain  de  riz;  mais 
c'est  le  même  qui,  plus  grand  que  le  temps,  que  l'air,  que 
le  ciel,  déborde  tous  les  mondes.  En  aucun  pays,  aucun 
philosophe  n'a  exprimé  en  de  plus  saisissantes  formules  que 
celles  des  Upanisads,  la  transcendance  et  l'immanence   de 


LA    SYÎSTTHÈSE    BRAHMANIQUE  55 

l'absolu  à  l'égard  du  relatif;  l'abstraction  métaphysique 
s'isolant  volontiers  de  tout  caractère  tenant  à  l'ambiance 
indienne,  un  Schopenhauer  a  pu  saluer  dans  ces  documents, 
si  lointains  par  l'exotisme  et  le  recul  des  temps,  maints 
adages  de  la  «  perennis  philosophia  »,  plus  vigoureusement 
frappés,  bien  souvent,  que  chez  un  Plotin  ou  un  Spinoza. 

Loin  de  nous  d'ailleurs  la  pensée  que  le  jugement  porté 
par  le  philosophe  allemand  sur  le  sens  de  ces  textes  résiste 
à  une  information  plus  critique  et  moins  incomplète  que 
la  sienne:  nous  ne  souscririons  pas  à  cette  assertion,  que 
la  doctrine  ici  exposée  coïncide  avec  celles  de  Platon  et  de 
Kant  C'^).  Les  Upanisads  renferment  non  pas  une,  mais 
plusieurs  métaphysiques.  Rien  de  plus  aisé  que  de  les  inter- 
préter au  sens  d'un  monisme  idéaliste;  s'il  n'existe  que  le 
Brahman-Âtman,  il  n'y  a  qu'irréalité  en  nous  et  dans  le 
monde,  pour  autant  que  nous  et  le  monde  différons  de  lui. 
Dès  lors  la  nature  est  une  illusion,  une  fantasmagorie,  mâyâ. 
Mais  cette  opinion  que  défendront  certains  docteurs  du 
Védânta  et  dont  le  germe  se  rencontre  dans  la  Çveta- 
çvatara  Up.,  ne  s'impose  nullement  dès  l'abord,  et  elle 
trouva  toujours  des  contradicteurs.  Un  pluralisme  réaliste, 
tel  que  celui  qui  se  traduira  dans  le  Sâmkhya,  ne  se  réclame 
pas  moins  des  Upanisads,  et  peut  invoquer  le  témoignage 
des  plus  anciennes.  Une  sorte  de  monadisme  peut  résulter 
de  la  conviction  que  tout  esprit,  voire  tout  être,  est  comme 
moi-même  fondé  en  l'Âtman.  L'ambiguité  de  cette  i)re- 
mière  philosophie  fut  la  condition  de  sa  prodigieuse  fécon- 
dité. 

20  Psychologie  et  Cosmologie.  —  Dès  cette  époque,  la 
pensée  indienne  comprend  qu'une  théorie  de  l'être,  celle 
que  nous  venons  d'exposer,  ne  saurait  suffire.  En  totalité 
ou  en  partie  illusoire,  le  relatif,  le  phénomène,  demande  à 
être  justifié  comme  tel.   Ajoutons  qu'il  doit  l'être  en  tant  que 


56  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

sujet  et  en  tant  qu'objet;  car  depuis  la  conception  védique 
établissant  par  le  sacrifice  une  sorte  de  continuité  du  micro- 
cosme au  macrocosme,  l'un  et  l'autre  point  de  vue  demeurent 
solidaires. 

La  notion  que  les  Upanisads  se  font  de  l'âme  indivi- 
duelle est  loin  de  présenter  la  sereine  assurance  de  leur 
théorie  sur  l'absolu.  Descendants  des  Indo-Iraniens  adora- 
teurs du  feu  et  de  la  lumière,  les  techniciens  d'un  sacrifice 
dont  le  véhicule  ordinaire  était  le  feu,  se  plaisaient  à  pro- 
clamer le  caractère  igné,  ou  tout  au  moins  lumineux,  de 
l'esprit:  d'innombrables  expressions  ou  métaphores  l'at- 
testent dans  le  vocabulaire  védique,  et,  quoique  beaucoup 
se  soient  perdues,  un  certain  nombre  d'entre  elles  persis- 
tèrent dans  la  pensée  ultérieure.  Mais  les  Brâhmanas  déjà, 
et  surtout  les  Upanisads  désignent  aussi  le  principe  spiri- 
tuel comme  un  air  vital  qui  préside  aux  diverses  fonctions: 
prâna,  l'expiration;  apâna,  l'inspiration;  v^^âna,  le  maintien 
de  la  vie  pendant  les  interruptions  momentanées  de  la  res- 
piration; samâna,  la  digestion;  udâna,  le  délaissement 
du  corps  par  l'âme.  L'élément  lumière  (tejas)  et  l'élément 
souffle  (prâna)  s'associent  non  sans  incohérence,  malgré 
d'ingénieux  efforts  pour  les  accorder,  par  exemple  en  inter- 
prétant les  souffles  comme  des  feux.  Le  disparate  ne  pa- 
raîtra surprenant  que  si  on  néglige  de  reconnaître  dans  l'hy- 
pothèse ignée  l'influence  védique,  et  dans  l'hypothèse  pneu- 
matique l'influence  du  Yoga. 

Sur  cette  base  physiologique:  une  théorie  des  «esprits 
animaux»  avec  le  cœur  pour  organe  central,  repose  la  psy- 
chologie proprement  dite.  Non  pas  que  l'Inde  se  représente 
le  corps  et  l'âme  à  la  façon  de  deux  substances  juxtaposées, 
quoique  antithétiques;  elle  admet  au  contraire  une  simple 
hiérarchie  de  fonctions,  les  unes  toutes  matérielles,  d'autres 
purement  spirituelles,  celles-ci  réunies  à  celles-là  par  des  inter- 


LA    SYNTHÈSE    BEAHMANIQUE  5T 

médiaires.    Ainsi  le  cœur,  siège  de  la  vie,  est   par   surcroît 
siège  des  fonctions  intellectuelles  inférieures.    Il  se    trouve 
en  rapport  avec  deux  groupes  de  cinq  organes  (indriyâni)  ; 
les  uns  de  sensation:    audition,  vision,  olfaction,  goût,  tact  ; 
les    autres    d'action:     parole,    préhension,    génération,    éva- 
cuation,  marche.    La  corrélation  des  impressions    sensibles 
et  des  réactions  motrices  est  assurée  par  l'unicité  du  principe 
qui  préside  à  celles-ci  comme  à  celles-là:    le  manas.     C'est 
lui   qui   coordonne  les   qualités   sensibles:     il  les   interprète 
en  y  mêlant  des  données  qui  lui  sont  propres  et  qui  consti- 
tuent,   à    strictement    parler,    l'objectivité    (dharma)  :      ce 
autour  de   quoi  se  groupent  les  données  des  sens  en    une 
unité  multiple  qui  est,  sous  un  certain  aspect,  la  perception, 
et  sous  l'autre  aspect  l'objet  en  tant  que  phénomène  perçu. 
Cette    fonction    rappelle    ainsi    la    xo^v-r]   aia^iriaf.-    d'Aristote, 
avec  cette  réserve  que,  loin  de   scinder   les   sens  et  l'intel- 
lect,  ou  les  impute  indistinctement  au  manas;  elle  rappelle 
à  d'autres  égards  la  synthèse  Kantienne  de    l'aperception, 
en  ce  sens  que  l'organisation  des  impressions  reçues,  et  même 
la    possibilité    d'en    recevoir,    dépendent    d'une     opération 
psychologique.     Rien   de  plus   caractéristique    de  l'attitude 
indienne,  que  le  doublement  de  ces  attributions  perceptives 
par  des  attributions  motrices.    On  ne  saisirait  qu'une   face 
de  la  question  si  l'on  se  bornait  à  comprendre  cette   corré- 
lation à  la  façon  européenne,  comme  une  réaction  régie  par 
une  impression;    il  est  au  moins  aussi  conforme  à   l'esprit 
indigène,  de  tenir  les  fonctions  perceptives  pour   façonnées 
par  les  actes  antérieurs  et,  par  conséquent,  pour   solidaires 
des  organes  d'action.    Ajoutons  que  si  le  manas  apporte  des 
données  qui  lui  sont  propres  dans  l'élaboration  de    l'objet 
perçu,  il  n'en  introduit  pas  moins  dans  l'activité  qu'il   ma- 
nifeste;   il  n'opère  par  les  organes  d'action  que  parce    que 
sous  un  certain  aspect  il  est  volonté.    D'où  l'acception  com- 
plexe du  terme  de  samkalpa,   qui   connote    les    opérations 


58  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    IXDIEXNE 

du  manas:  il  désigne  aussi  bien,  s'il  était  permis  d'user 
d'expressions  européennes,  d'ailleurs  inadéquates,  un  ordre 
des  volitions  qu'un  ordre  des  représentations. 

Le  manas  transmet  les  résultats  de  son  activité  à 
une  fonction  qui  les  intégre  à  une  conscience:  «l'agent  du 
moi»  (ahamkâra).  Dès  lors  ces  résultats  sont  attribués 
à  ce  «je  pense»  qui  constitue,  au  jugement  aussi  de  notre 
psychologie,  la  forme  générale  de  nos  faits  de  conscience. 
Mais  le  moi  transmet  à  son  tour  son  contenu  à  une  fonction 
supérieure,  la  «grande»  (mahat),  ou  encore  le  jugement, 
la  décision,  buddhi.  Trop  souvent  ce  mot  est,  au  prix  d'un 
faux  sens,  traduit  par  «raison»;  maintes  méprises  en 
peuvent  résulter,  soit  que  l'on  entende  par  là  un  voûç 
renfermant  un  monde  d'idéaux,  soit  que  l'on  se  représente 
une  «  Vernunft  »  législatrice,  imposant  ses  normes  à  un 
«  Verstand  ».  Buddhi  connote  la  «  pensée  »  tout  court,  qui 
apprécie,  opère  et  se  détermine  en  considérant  tant  le  moi 
que  les  données  perçues.  Aucune  connaissance  supérieure 
ne  se  manifeste  dans  l'ordre  de  l'esprit  empirique. 

L'esprit  empirique  ainsi  conçu  ne  ressemble  que  de 
fort  loin  à  la  pure  spiritualité  du  Brahman-Atman.  Le 
coefficient  de  relativité  qui  affecte  l'âme  individuelle  con- 
siste en  ce  qu'elle  se  sert,  pour  entrer  en  action,  de  «  l'organe 
interne  »  que  constituent  le  manas,  l'akarnkâra  et  la  buddhi. 
Cet  organe  interne  qui  joue  à  l'occasion  non  seulement  des 
perceptions  actuelles,  mais  aussi  des  perceptions  antérieures, 
se  souvient  du  passé,  anticipe  l'avenir.  Il  exprime  la  persis- 
tance des  impressions  et  des  actes  passés  dans  l'existence 
actuelle,  faite  ainsi  de  samskâras;  car  la  vieille  notion  ritua- 
listique  des  actes  pies  constitutifs  de  l'agent  moral,  trouve 
dans  cette  psychologie  un  sens  nouveau:  elle  désigne  les 
éléments  de  notre  individualité  psychophysiologique.  Mais 
cet  organe  interne  avec  ses  facteurs  composants,  loin   d'é- 


LA    SYNTHÈSE    BRAHMANIQUE  59 

quivaloir  à  l'esprit,  n'est  qu'un  linga,  un  caractère  adventice 
enveloppant  de  conditions  contingentes  (upâdhi)  notre 
véritable  essence, 

A  cette  dialectic[ue  de  l'illusion  psychologique  corres- 
pond point  par  point  une  dialectique  de  la  cosmologie.  Les 
organes  internes  mettent  l'âme  empirique  en  rapport  avec 
les  éléments  grossiers:  terre,  eau,  feu,  air,  étlier;  l'organe 
interne,  avec  les  éléments  subtils,  c'est-à-dire  simples,  dont 
sont  formés  les  autres.  Ceux-ci  comme  ceux-là  sont  des 
aspects  de  l'objectivité,  des  dharmas:  terme  qui  forme 
ainsi,  dans  l'ordre  de  l'objet,  un  pendant  exact  du  terme 
de  samskâra  dans  l'ordre  du  sujet.  Les  deux  ordres  se  déve- 
loppent en  un  parallélisme  que  les  auteurs  des  Upanisads 
se  plaisent  à  préciser  dans  le  menu  détail,  esquissant  des 
schémas  savants  et  puérils,  où  la  physiologie,  la  psychologie, 
la  cosmologie,  la  mythologie,  sous  l'égide  de  la  liturgie, 
s'afïirnient  équivalentes.  L'intelligibilité  du  relatif  par  clas- 
sification est  caractéristique   de  cette  phase. 

3°  Morale.  — -  Les  théories  de  l'être  et  de  l'apparence  ne 
sauraient  demeurer  extérieures  l'une  à  l'autre  ;  car  l'individu 
humain,  à  la  fois  phénomène  et  réalité,  est  amené,  en  réflé- 
chissant sur  sa  nature,  à  donner  une  valeur  différente  aux 
deux  aspects  de  son  être  et  à  se  comporter  de  façon  fort 
diverse  selon  qu'il  agit  en  fonction   de  l'un  ou   de    l'autre. 

L'action  ne  posait,  dans  l'ordre  du  Védisme,  aucun  pro- 
blème métaphysique.  Toute  activité  rituellement  correcte 
était  bonne,  et  le  culte  ne  demandait  qu'à  servir  les  intérêts 
terrestres,  les  seuls  qui  fussent  imaginés  et  désirés.  Mais  il  en 
va  tout  autrement  désormais:  il  s'est  trouvé  des  mécréants 
pour  discréditer  le  culte,  et  d'autre  part  des  tempéra- 
ments trop  religieux  pour  restreindre  leur  ferveur  dans  les 
limites  de  la   ponctualité  rituelle.    Une   fièvre   de   renonce- 


60  HISTOIRE    DE    LA    l'HILOSOPlIIE    INDIENNE 

ment  a  secoué  les  âmes.  Les  biens  de  ce  monde  ne  semblent 
plus  qu'illusions;  s'en  déprendre,  c'est  s'initier  aux  valeurs 
véritables.  Une  défaveur  affecte  l'action,  qui  distrait  l'es- 
prit de  sa  propre  essence,  et  le  contamine  de  corporéité. 
On  reconnaît  là  l'influence  de  la  doctrine  yoga  de  la  concen- 
tration. En  outre,  au  lieu  de  souhaiter  que  la  piété  d'un 
fils  assure  la  persistance  de  son  père  défunt  par  des  offrandes 
substantielles,  voire  succulentes,  les  hommes  redoutent 
maintenant  que,  dans  l'au  delà  d'après  la  mort,  une  seconde 
mort  (punarmrtj^u)  fasse  perdre  aux  trépassés  leur  existence 
de  mânes  et  les  ramène  en  cette  vie  abhorrée.  Une 
obsession,  une  hantise  tenaillent  les  âmes:  non  la  crainte 
de  mourir,  mais  l'appréhension  de  continuer  à  exister  ; 
ce  que  l'on  craint  de  la  mort,  c'est  la  possibilité 
qu'elle  ouvre  d'une  autre  vie.  Nous  devrions  dire:  la  né- 
cessité, car  la  métempsy chose,  empruntée  peut-être  à  l'ani- 
misme du  milieu  non  aryen,  apparaît  à  présent  sous  forme 
d'une  exigence  morale  et  métaphysique  inéluctable,  la  loi 
de  transmigration,  x(nyimr(i{''^). 

L'idée  de  transmigration,  qui  aiguillera  la  spéculation 
indienne,  dans  sa  totalité,  en  un  sens  différent  de  toute  autre 
civilisation  humaine,  résulte  ainsi,  dans  les  Upanisads,  du 
bouleversement  de  l'ancienne  eschatologie  sous  l'influence 
d'une  théorie  nouvelle  de  l'action  (karman).  Quand  l'Aryen 
védique  souhaitait  de  vivre  sa  vie  «entière»  (sarvam  âj^us), 
il  pensait  que  son  existence  pouvait  se  prolonger  par  delà  le 
trépas  pendant  une  durée  indéfinie,  dans  le  royaume  des 
Pères,  à  la  condition  que  les  offi'andes  funéraires  assurassent 
l'alimentation  de  son  âme;  il  appréhendait  donc,  non  le 
trépas,  simple  crise  de  notre  existence,  mais  une  cessation 
d'existence  dans  l'au-delà.  Les  auteurs  des  Brâhmanas 
compliquèrent  le  problème  en  distinguant  plusieurs  des- 
tinées des  défunts.    Les  âmes  demeurées  fidèles  à  leur  essence 


LA    SYNTHÈSE    BRAHMANIQUE  61 

lumineuse  s'acheminent  vers  le  séjour  des  dieux  (devayâna), 
le  ciel  (svarga),  auquel  par  nature  elles  sont  vouées.     Les 
âmes  ténébreuses  des  Pères  (Pitrs,  pitaras)  et  des  êtres   in- 
férieurs continuent,  sans  que  leur  persistance  fasse  question, 
à  durer  quelque  temps  au  moins  dans  l'au-delà,  mais  courent 
le  risque  de  s'y  dissoudre  en  une  seconde   mort,    éventuel 
anéantissement.     Des   rites    spéciaux   parent   à   ce    danger. 
La  nouveauté  qu'ai)portent  les  Brâhmanas  et  la  Chândogya 
Up.   consiste  en  ce  qu'on  entend  dorénavant    par    karman 
non  plus  l'acte  rituel  aussi  bienfaisant  que  sacré,    mais  une 
activité  génératrice  d'existence,  malfaisante  puisque   l'exis- 
tence   est   jugée    mauvaise.     Le    bien    suprême    d'autrefois 
devient   l'expression    même   d'un   péché    métaphysique.      Si 
certaines  âmes  vont  au  séjour  des  dieux  ou  encore  au  Brah- 
man,  c'est  qu'elles  ont  réussi  à  s'abstenir  de  l'action  ;    les 
autres  sont  assujetties  à  parcourir  les  régions  de  l'univers 
en   une   pérégrination   circulaire,    dont    le    caractère,    favo- 
rable ou  non,   dépend  des  actes  accomplis  avant  la    mort. 
Les    Upanisads    postérieures     affirment    avec     netteté    que 
l'accès  au  Brahman  s'acquiert  par  la  connaissance  de  l'ab- 
solu, non  autrement;    que  si  les  actes  mauvais   entraînent 
des  destinées  funestes,  les  bons  provoquent  eux  aussi    des 
rétributions,  et  par  suite  n'asservissent  par   moins  l'homme 
à  des  renaissances.    Toute  vie  exprime  une  rémunération  : 
le  seul  moyen  d'échapper  aux  vies  ultérieures  comme  à   la 
vie  actuelle  consiste  à  cesser  d'agir. 

On  ne  saurait  exagérer  l'importance  d'une  semblable 
transformation  morale.  La  religion  traditionnelle,  bien 
qu'elle  doive  se  maintenir  indéfiniment,  se  trouve  en  prin- 
cipe disqualifiée:  les  actes  pies  les  plus  méritoires,  la  libé- 
ralité même  envers  les  brahmanes,  rivent  l'âme  à  des  exis- 
tences toujours  nouvelles:  ils  ne  valent  pas  mieux,  méta- 
physiquement,    qu'une    conduite    coupable.      Seul    importe 


62  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

l'effort  pour  dépasser  le  bien  comme  le  mal,  en  se  dérobant 
à  la  loi  de  l'acte,  pour  s'évader  de  la  vie  comme  de  la  mort. 
Rien  de  moins  védique,  rien  même  de  moins  brahmanique  ; 
le  principal  de  tout  l'enseignement  des  brahmanes  comme 
de  la  quasi-totalité  des  entreprises  pratiques  et  spécula- 
tives de  l'Inde,  procédera  désormais  de  cette  unique  volonté, 
tenace  et  obsédante:  trouver  une  issue  permettant  d'é- 
chapper à  la  servitude  de  la  transmigration. 

Au  problème  moral,  qui  est  donc  un  problème  de  dé- 
livrance, deux  solutions  au  moins  sont  déjà  signalées.  La 
première  s'inspire  du  Yoga:  il  s'agit,  par  rétraction  sur 
soi-même,  de  trouver  refuge  dans  cet  «  âkâça  (éther)  rempli 
d'air,  équiA'-alent  au  Brahman»,  qui  réside  en  notre  cœur 
comme  en  un  sanctuaire  (Brh.  V,  1;  Chând.  viii  I,  1).  La  con- 
centration offre  certes  de  pénibles  difficultés;  mais  le  patient 
héroïsme  de  l'ascète  y  exalte  sa  farouche  obstination  :  il 
s'ingénie  à  découvrir  le  secret  de  vivre  sans  agir,  par  la 
renonciation  à  la  vie  selon  la  nature,  par  une  perpétuelle 
violence  faite  aux  conditions  normales  de  la  vie.  Il  ne 
craint  pas,  au  besoin,  de  tordre  à  rebours  de  leur  destination 
naïvement  pragmatique  ses  facultés  intellectuelles:  ainsi 
la  buddhi,  de  suprême  organisatrice  d'une  expérience  illu- 
soire, se  peut  convertir  en  une  fonction  qui  nous  «  éveille  » 
à  la  vérité,  si  nous  la  soustrayons  au  service  de  l'appétit 
ou  de  l'intérêt  (kâma,  artha).  Il  suffit  de  comprendre  que 
l'ordre  de  l'expérience  commune  n'est  qu'un  songe,  tandis 
qu'un  processus  tel  que  le  sommeil  sans  rêves,  qui  nous  ré- 
sorbe en  notre  intime  essence,  est  l'éveil  véritable. 

La  seconde  solution,  moins  étrangère  au  Brahmanisme 
primitif,  qui  tenait  le  principe  spirituel  comme  doué  d'une 
lumière  propre  (tejas),  consiste  à  placer  toute  sa  confiance, 
tout  son  espoir  de  salut  dans  la  connaissance  (jnâna).  Elle 
seule  dissipe  l'illusion  en  la  perçant  à  jour;    elle  seule  af- 


LA    SYNTHÈSE    BRAHMANIQUE  63 

franchit  de  façon  décisive,  car  elle  supprime  l'erreur  qui  asserr 
vissait.  Voilà  pourquoi  il  suffit  de  connaître  le  Brahman  pour 
échapper  à  la  mort;  on  esquive  par  surcroît  toutes  les  dé- 
ficiences de  la  vie.  Désormais  une  tendance  prédominante 
à  l'intellectualisme  emporte  la  spéculation  indienne,  dont  le 
ressort  interne,  sans  cesser  d'être  religieux,  devient  philo- 
sophique. 

L'ampleur  des  problèmes  nouveaux  ne  représente  qu'un 
aspect  de  l'originalité  du  Brahmanisme  à  l'égard  du  Védisme. 
Entre  celui-ci  et  celui-là,  quoique  l'un  se  donne  pour  seul 
héritier  légitime  de  l'autre,  s'ou\Te  un  abîme.  La  durée 
d'une  longue  évolution  des  idées  védiques  ne  paraissant  pas 
suffire  à  expliquer  une  transformation  qui  équivaut  à  un 
renversement  des  valeurs,  l'intervention  de  facteurs  peut- 
être  non  aryens,  sûrement  non  védiques,  nous  a  paru  hautement 
significative.  Si  les  Védas  ont  vu  le  jour  sur  les  confins  de  l'Hin- 
doustan,  quelque  part  entre  l'Iran  avestique  et  le  Penjab,  le 
pays  où  furent  composés  les  Brâhmanas  s'éloigne  des  ori- 
gines indo-iraniennes  et  se  situe  sans  doute  dans  la  région  de 
la  Yamunâ  et  du  Haut-Gange,  où  devait  exister  une  civilisa- 
tion inconnue  de  nous,  mais  antérieure  à  la  conquête  aryenne. 
De  l'un  de  ces  groupes  de  textes  à  l'autre,  la  langue 
s'est  profondément  modifiée;  mais  le  sanscrit,  désormais 
constitué,  est  déjà  ce  qu'il  semble  avoir  toujours  été,  une 
langue  savante,  distincte  des  idiomes  parlés,  qui  d'ailleurs 
s'apparentent  à  lui  comme  ils  procèdent  aussi  du  védique. 
Nous  n'apercevrions  qu'une  façon  de  combler  la  lacune  qui 
sépare  ces  deux  littératures  :  ce  serait  de  refuser  au  Védisme 
le  rôle  de  phase  indépendante,  antérieure  au  Brahmanisme. 
Ce  dernier,  considéré  déjà  en  lui-même,  est  le  système 
d'une  caste,  plutôt  que  la  croyance  d'une  race:  il 
participe  à  l'artificialité  de  la  langue  où  il  s'exprime. 
Le    Védisme,    dont    le  sens    nous    apparaît,    bon  gré    mal 


64  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

gré,  glosé  par  le  Brahmanisme,  peut  sembler,  à  certains 
égards,  une  abstraction  greffée  sur  une  autre;  pour  réagir 
contre  l'exégèse  simpliste  qui  voyait  dans  le  Rgvéda  l'ef- 
fusion d'une  naïveté  primitive,  plus  d'un  historien  a  été 
tenté  de  dénoncer  dans  les  hymnes  l'œuvre  factice  d'une 
liturgie  déjà  brahmanique:  il  n'y  aurait  jamais  eu,  dans 
cette  hypothèse,  de  «  période  védique  »,  à  proprement  parler. 
Si  obscure  que  soit  la  reconstitution  de  ces  premiers 
âges,  il  nous  paraît  que  la  base  indo-iranienne  du  védisme 
ne  saurait  se  réduire  à  l'invention  d'un  corps  sacerdotal, 
et  qu'à  l'origine  d'une  entreprise  technique  et  adventice, 
dut  exister  un  fonds  de  religion  vécue  par  de  grandes  masses 
humaines.  Mais  ce  ne  sera  pas  la  seule  circonstance  où  nous 
devrons  constater  que  les  documents  littéraires  ne  nous  ren- 
seignent que  sur  une  portion  du  milieu  dont  ils  émanent,  et 
remarquer  que  les  systèmes  de  l'orthodoxie  traditionnelle 
ne  reflètent  qu'une  partie  du  génie  spéculatif  de  l'Inde.  En 
ne  méconnaissant  jamais  la  part,  très  malaisément  déter- 
minable,  certes,  des  autres  inspirations,  nous  risquerons 
moins  de  nous  méprendre  dans  la  suite  de  cette  histoire  et 
nous  tiendrons  le  Brahmanisme,  dès  ses  origines  comme  à 
travers  sa  destinée,  pour  le  facteur  le  plus  évident,  mais  non 
pas,  peut-être,  le  plus  opérant,  de  la   civilisation   indienne. 


TROISIEME    PARTIE 

LA   PENSEE   JAINA 
ET  LA  PENSEE  BOUDDHIQUE  PRIMITIVES 


Les  doctrines  sophistiques  et  matérialistes  qui  se  firent 
jour  au  VI®  siècle  avant  notre  ère  n'eurent  pas  pour  seule  con- 
séquence une  réaction  des  interprètes  de  la  tradition  vé- 
dique, réaction  qui  s'exprima  dans  la  formation  des  dogmes 
spéculatifs  du  plus  ancien  brahmanisme.  La  véhémence 
de  leur  athéisme,  la  virulence  de  leur  immoralisme  impli- 
quaient outre  la  négation  de  l'autorité  des  Védas,  le  refus 
d'admettre  une  loi  morale  quelconque.  Si  tout  se  produit 
soit  par  l'effet  d'une  nécessité  aveugle,  soit  par  hasard,  soit 
par  «  la  nature  des  choses  »  (svabhâva),  vertu  et  vice  s'équi- 
valent, et  la  vie  religieuse  n'est  que  vaine  duperie.  Ces 
conséquences  pratiques  d'une  complète  indépendance  de 
pensée  paraissent  avoir  soulevé  la  réprobation  des  éléments 
même  non  brahmaniques  de  la  société  indienne,  en  parti- 
culier de  la  caste  nobiliaire  qui,  sans  vivre  du  culte  védique 
comme  la  caste  des  brahmanes,  devait  cependant  à  l'en- 
seignement donné  par  ces  derniers  une  formation  intellec- 
tuelle supérieure  à  celle  de  tous  les  autres  éléments  de  la 
même  société. 

De  fait,  c'est  à  l'intérieur  de  la  caste  ksatriya  que  vont 
apparaître  les  fondateurs  et  du  jainisme  et  du  bouddhisme. 
L'un  et  l'autre,  quoique  exempts  d'attachement  au  culte 
brahmanique,    croiront    avec   ferveur   à   la   nécessité,    à    la 

5 


66  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

vérité  d'une  loi  morale  et  religieuse;  ils  consacreront  leur 
activité  non  à  construire  des  systèmes  théoriques,  mais  à 
justifier  un  certain  mode  de  vie  et  à  fonder  des  communautés 
organisées  sur  ce  type. 

Ce  primat  de  la  pratique,  en  contraste  avec  le  dogma- 
tisme brahmanique,  atteste  une  crise  morale  dont  les  ré- 
percussions seront  décisives  pour  l'avenir  de  la  civilisation 
indienne.  L'idée  védique  de  loi,  dharman,  qui  ne  suffit 
plus  même  aux  brahmanes  et  qui  fait  l'objet  des  sarcasmes 
des  nâstikas,  va  subir  une  transformation  pour  se  muer  en 
la  règle  de  deux  religions  nouvelles,  dharma.  Les  initiateurs 
de  ces  deux  religions  auront  beau  subir  le  prestige  de  la 
sophistique  beaucoup  plus  fortement  que  celui  du  védisme; 
ils  ne  transigeront  pas  lorsqu'il  s'agira  d'adopter  avec  toutes 
ses  conséquences  une  conception  nouvelle  de  l'activité 
humaine,  en  fonction  de  laquelle  précisément  se  trouve 
bouleversée  la  notion  de  loi.  La  part  du  matérialisme 
cârvâka  dans  l'élaboration  du  système  jaina  pourra  être 
considérable  ;  le  Bouddha  et  ses  adeptes  des  premiers 
siècles  pourront  se  comporter  comme  d'authentiques 
sophistes  :  les  deux  sectes  n'impliqueront  pas  moins  cette 
commune  persuasion,  que  le  sort  de  l'homme  dépend  de  ses 
œuvres,  que  l'existence  est  ainsi  régie  par  la  pratique,  et 
que  le  moyen  d'échapper  aux  conditions  asservissantes  de 
l'existence  consiste  à  s'abstenir  de  tout  acte. 

Nous  avons  constaté,  au  chapitre  précédent,  que  cette 
appréciation  pessimiste  de  la  vie  humaine  et  que  la  croyance 
à  une  indéfinie  transmigration  s'étaient  imposées  au  brah- 
manisme, malgé  leur  caractère  extra- védique.  Elle  obsèdent 
les  initiateurs  tant  du  jainisme  que  du  bouddhisme  et  leur 
assignent  le  problème  essentiel  auquel  ils  s'efforceront  de 
trouver   une   solution,   en   toute  liberté   d'esprit,    puisqu'ils 


LE  JAINISME  67 

n'auront,  pour  y  parvenir,  à  tenir  compte  d'aucun  dogme 
antérieur.  Leur  anxiété  de  résoudre  ce  problème  pratique 
est  telle,  qu'à  leurs  yeux  les  attitudes  spéculatives  si 
diverses  prises  par  leurs  contemporains,  en  cette  époque 
de  désarroi  moral  et  d'anarchie  intellectuelle,  ne  les  inté- 
ressent  que  par  les   théories  de  l'acte   C[u'elles   impliquent. 

Bouddhistes  négateurs  de  l'existence  de  l'âme  indivi- 
duelle et  Jainas  partisans  d'une  semblable  existence  s'accor- 
dent à  classer  les  systèmes  rivaux  des  leurs  en  deux  catégories, 
selon  qu'ils  sont  adversaires  ou  adeptes  de  l'autonomie 
morale  de  la  personne  humaine,  akri3'^avâdins  ou  kriya- 
vâdins  (^^).  Bien  que  la  première  épithète  convienne  aux  Boud- 
dhistes et  la  seconde  aux  Jainas,  les  uns  et  les  autres  ne  con- 
çoivent pas  d'autre  but  à  l'effort  religieux  que  l'affranchis- 
sement à  l'égard  de  la  transmisgration. 

Les  religions  nouvelles,  en  effet,  ne  supposent  point 
d'autre  croyance  que  celle-là.  Prêchées  par  des  hommes 
le  plus  souvent  étrangers  à  la  caste  des  brahmanes,  elles 
ne  tiennent  aucun  compte  du  groupe  social  auquel  appar- 
tiennent par  leur  naissance  les  individus  et  recrutent  leurs 
fidèles  aussi  bien  en  dehors  qu'au  sein  de  la  société  brah- 
manique :  indice  certain  qu'au  vi^  siècle  la  moitié  même 
occidentale  de  la  vallée  du  Gange,  d'où  part  le  double  apos- 
tolat, était  loin  de  se  trouver  entièrement  brahmanisée. 
C'est  par  abus  de  langage  qu'on  les  dénomme  hérésies  : 
l'orthodoxie  brahmanique  les  réprouvera,  mais  ne  les  tiendra 
pas  pour  des  dissidences;  elle  y  reconnaîtra,  ce  qu'elles 
furent  en  fait,  des  disciplines  étrangères  à  son  propre  système. 
La  prédication  qui  les  propage  s'effectue  non  dans  le  sans- 
crit savant  des  Brâhmanas  et  des  Upanisads,  mais  en  des 
idiomes  populaires,  attestés  par  la  forme  pâlie  du  canon  boud- 
dhique et  l'ardhamâgadhi  du  canon  jaina;  la  rédaction  sans- 


68  HISTOIRE    DE   LA   PHILOSOPHIE    INDIENNE 

crite  de  leurs  textes  sacrés  n'interviendra  que  plus  tard, 
lorsqu'il  s'agira  non  plus  de  conquérir  les  âmes,  mais  d'en- 
gager des  controverses  avec  la  pensée  brahmanique. 

L'analogie  des  conditions  dans  lesquelles  apparaissent 
les  deux  sectes  vouées  à  des  destinées  parallèles  se  mani- 
feste dans  les  moindres  détails.  Le  père  du  Jina  portait 
le  même  nom  que  le  futur  Bouddha,  Siddhârtha.  Les  termes 
d'honneur  par  lesquels  on  exaltera,  chez  l'un  et  chez  l'autre, 
la  gloire  d'avoir  conquis  l'illumination,  coïncident  :  Buddha, 
illuminé  ;  Jina,  victorieux  ;  Mahâvîra,  grand  héros  ;  Tirt- 
hamkara  (^^),  inventeur  d'un  gué  pour  franchir  la  trans- 
migration: voilà  des  épithètes  qui  leur  conviennent  in- 
distinctement, quoique  telle  ou  telle  ait  été  plus  usitée  dans 
une  secte  que  dans  l'autre  et  ait  pris  la  valeur  d'un  nom 
propre.  Le  Bouddha  était  un  Jina  et  le  Jina  un  Bouddha. 
Les  mêmes  villes,  Vaiçâlî  et  Râjagrha,  capitales  du  Videha 
et  du  îMagadha,  furent  le  théâtre  des  premières  conversions; 
les  souverains  de  ces  États,  un  Cetaka,  un  Çrenika  furent 
les  premiers  patrons  ou  adversaires  des  deux  sectes,  et  le 
développement  si  rapide  de  l'une  comme  de  l'autre  a  dû 
se  trouver  promu  par  les  conquêtes  de  cet  Ajataçatru  qui 
réunit  sous  le  même  sceptre  le  Magadha  et  le  Videha,  pré- 
parant l'avènement  de  l'empire  maurya  et  facilitant  de  la 
sorte,  par  l'unification  qui  résulte  d'un  même  pouvoir  poli- 
tique, la  diffusion  des  religions  nouvelles. 

L'identité  de  l'ambiance  dans  laquelle  se  constituèrent 
le  jainisme  et  le  bouddhisme  a  marqué  l'une  et  l'autre  dis- 
cipline de  caractères  similaires  que  le  temps  ne  devait  point 
effacer.  Y  a-t-il  là  un  motif  suffisant  de  supposer,  comme 
l'ont  admis  d'éminents  indianistes,  soit  que  les  deux  sectes 
n'ont  fait  primitivement  qu'une  avant  de  se  scinder  de  très 
bonne  heure,   soit   que  l'une  n'est   qu'un  pâle   doublet    de 


LE  JAINISME  69 

l'autre?  Un  examen,  même  sommaire,  de  leurs  premiers 
développements  doit  permettre  de  répondre  à  cette  ques- 
tion. 


CHAPITRE  I 
LE    JAINISME 


Les  textes  Jainas  s'accordent  avec  les  documents 
bouddhiques  pour  préciser  que  le  «grand  Héros»  révéré 
des  Jainas  était  contemporain  du  Bouddlia,  mais  plus  âgé 
que  ce  dernier;  ils  déclarent  en  outre  que  ce  Mahâvira  est 
né  de  parents  affiliés  à  une  secte,  celle  des  Nirgranthas, 
dont  ils  se  montrèrent  les  zélateurs  jusqu'au  point  de  se 
laisser  mourir  d'inanition  par  ferveur  ascétique.  Non  seule- 
ment donc  la  pensée  du  fondateur  de  la  secte  jaina  doit 
être  antérieure  à  celle  du  Bouddha,  mais  il  convient  de 
tenir  les  Nirgranthas  pour  des  Jainas  avant  la  lettre;  à  ce 
double  égard,  le  jainisme  doit  apparaître  plus  ancien  que 
la  religion  rivale. 

Les  Nirgranthas,  «  sans  attache  »,  avaient  pour  ini- 
tiateur un  certain  Pârçva  dont  la  tradition  fixe  la  mort 
250  ans  avant  le  Mahâvira,  et  qui,  par  suite,  devait  vivre 
au  début  du  vni^  siècle  (^*).  Ses  adeptes,  ardents  à  affir- 
mer l'autonomie  morale  de  l'âme  humaine  (kriyavâda), 
pratiquaient  une  ascèse  sévère,  qui  se  réalisait  par  la  stricte 


70  HISTOIRK    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

observance  de  ces  quatre  «vœux»:  ne  pas  tuer  (ahimsâ), 
dire  la  vérité  (sûarta),  s'abstenir  de  voler  (asteya),  obser- 
ver la  chasteté  (brahmâcarya).  Seule  une  vie  régie 
par  ces  austères  principes  pouvait,  à  leurs  yeux, 
rendre  l'homme  libre,  car  on  ne  doit  s'en  remettre  de  notre 
salut  ni  à  notre  propre  nature  (svabhâvavâdins),  ni  à 
l'arbitraire  du  destin  (niyativâdins),  mais  nous  nous 
affranchissons  de  toute  servitude  par  le  «  détachement.  » 
La  preuve  ultime  de  cette  maîtrise  de  soi,  qui  ne  cherche 
point,  comme  le  tapas  brahmanique,  à  nous  conférer  la 
pureté  convenable  pour  des  sacrificateurs,  ni,  comme  la 
discipline  des  yogins,  à  nous  doter  de  pouvoirs  surnatu- 
rels, c'est  l'aptitude  à  quitter  la  vie  par  décision  volon- 
taire. Le  simplisme  de  cette  doctrine  archaïque  fait  son 
originalité  parmi  toutes  les  attitudes  spirituelles  que  con- 
naîtra l'Inde  ;  il  atteste  en  toute  candeur  combien  dès 
une  époque  très  ancienne  est  déjà  forte  la  persuasion  que 
la  voie  du  salut  s'ouvre  en  sens  inverse  de  la  direction  nor- 
male de  la  vie. 

Le  fondateur  de  la  secte  jaina  est  la  première  en  date 
des  personnalités  que  rencontre  l'historien  de  la  philosophie 
indienne.  Sa  figure,  qui  s'est  moins  revêtue  de  légende  que 
celle  du  Bouddha,  n'apparaît  pas  plus  floue  que  celle  de 
personnages  postérieurs  d'un  ou  deux  millénaires.  Vardha- 
mâna,  fils  d'un  noble  nommé  Jnâtr,  naquit  près  de  Vai- 
çâli,  au  nord  de  Patna,  vers  600  (^'^).  Ascète  mendiant  dès 
l'âge  de  trente  ans,  il  aurait  erré  douze  ans  dans  le  Bengale, 
chez  les  peuples  à  demi  sauvages  —  traduisons:  non  brah- 
manisés  —  du  Lâdha;  puis,  il  aurait  dépouillé  toute  erreur 
et  revêtu  la  pureté  de  la  transcendance  (kevala).  Le  point 
de  départ  décisif  de  cette  sublimation  aurait  consisté  à 
pratiquer,  outre  les  quatre  vœux  des  Nirgranthas,  un  cin- 
quième: l'abstention  de  toute  possession  personnelle  (apari- 


LE  JAINI8ME  71 

graha).  Avec  l'autorité  de  la  vérité  conquise,  méritant  dé- 
sormais l'épithète  de  Jina,  victorieux,  il  aurait  évangélisé 
le  Kosala,  le  pays  de  Videha  et  de  Magadha.  De  son  vivant 
même,  des  schismes  auraient  éclaté  parmi  ses  adeptes: 
tel  celui  de  Jamâli  son  gendre;  puis  Gosâla,  fils  du  disciple 
Makkhali,  aurait  fondé  la  secte  des  Ajîvikas  (^®),  attribuant 
à  la  transmigration  la  rigueur  d'une  loi  naturelle,  mais  lui 
ôtant  tout  caractère  moral:  «c'est  sans  raison  ni  cause» 
qu'il  y  a  souillure  ou  purification,  car  les  dissidents  s'ac- 
cordent avec  les  fatalistes  pour  soutenir,  au  grand  scan- 
dale des  Jainas,  l'inexistence  de  tout  agent,  l'inefficacité 
de  toute  action.  Ce  qui  se  produit  n'arrive,  selon  eux,  que 
par  déterminisme,  par  coïncidence,  par  nature  (niyati- 
samgati-bhâvaparinatâ).  Vardhamâna  serait  mort,  au 
dire  de  ses  partisans,  en  528  ou  527;  au  dire  des  Boud- 
dhistes, peu  de  temps  avant  le  nirvana  de  leur  maître,  qui 
eut  lieu  vers  480. 

La  croissance  de  la  collectivité  paraît  avoir  été  rapide  (^^). 
Candragupta,  fondateur  de  la  dynastie  Maurya,  le  plus 
ancien  des  rares  souverains  hindous  qui  réunirent  sous 
leur  sceptre  les  éléments  d'un  vaste  empire,  aurait  été  l'un 
de  ses  membres;  à  la  suite  d'une  famine,  il  aurait,  d'après 
une  légende,  abdiqué  pour  se  faire  moine  dans  le  Mysore  et 
pratiquer  le  suicide  par  inanition  (298).  Des  sculptures  pro- 
venant du  f  siècle  avant  J.-C,  attestent  la  présence  de  la 
religion  nouvelle  à  Mathurâ,  dans  le  N.-O.  ;  peu  après  elle 
gagne  à  l'E.  l'Orissa,  et  au  ii^  siècle  de  notre  ère  elle  exerce 
une  influence  sur  la  littérature  tamoule.  Le  canon  que  se 
constitua  la  secte  ne  fut  écrit  qu'après  le  milieu  du  v^  siècle 
de  notre  ère,  soit  un  millénaire  environ  après  la  mort  du 
Jina;  il  n'offre  donc  sur  l'enseignement  de  ce  dernier  que 
des  renseignements  sujets  à  caution.  Sa  fixation  —  pure- 
ment   orale    —   daterait   d'un   concile   tenu    à    Pâtaliputra 


72  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

(Patna),  sous  la  présidence  de  Sthûlabhadra,  vers  300  avant 
J.-C.  Ce  concile,  qui  d'ailleurs  se  serait  réuni  pendant  qu'une 
importante  fraction  de  la  communauté  aurait  dû  émigrer 
dans  le  Mysore,  sous  la  direction  de  Bhadrabâhu,  pour 
cause  de  disette,  et  où,  par  suite,  ne  s'exprima  que  l'opi- 
nion d'une  partie  de  la  secte,  sanctionna,  semble-t-il,  le  ca- 
ractère canonique  de  onze  sections  (angas)  ou  recueils,  et 
constata  la  disparition  de  la  douzième  ou  dernière,  qui 
passait  pour  renfermer  les  dires  mêmes  du  maître.  Les  onze 
sections  subsistent  encore,  mais  l'une  des  deux  églises 
jainas,  celle  des  Digambaras,  les  tient  pour  apocryphes. 
L'événement  capital  des  premiers  âges  est  ce  schisme, 
amorcé  à  l'occasion  du  susdit  concile,  mais  devenu  irré- 
vocable en  82  de  notre  ère,  à  propos  d'une  question  de 
discipline:  les  Digambaras  se  créèrent  un  canon  spécial, 
perdu  au  ii®  siècle  ;  la  secte  rivale,  celle  des  Çvetâmbaras, 
conserva  l'ancien,  non  sans  le  remanier  en  vue  de  sa  propre 
justification.  Ce  canon  prit  définitivement  sa  forme  ac- 
tuelle au  concile  de  Valabhî,  présidé  par  Devarddhiganin, 
et  réuni,  semble-t-il,  sous  la  protection  du  roi  Dhruvasena, 
au  plus  tard  en  526  (^^).  L'examen  critique  de  ces  textes 
s'inaugure  par  quelques  travaux  récents,  mais  presque  toute 
la  tâche  reste  à  faire,  et  nous  ne  possédons  encore  de  données 
précises  que  sur  un  petit  nombre  de  traités  jainas,  la  plu- 
part extra-canoniques,  plus  ou  moins  postérieurs  au  début 
de  notre  ère.  Notre  exposé  de  la  doctrine  jaina  primitive  se 
fondera  principalement  sur  l'œuvre  d'Umâsvâti,  le  Taft- 
vârthTidhigama  Sûtra,  qui  fut  rédigé  au  v^  siècle  (^). 


Le  problème  essentiel  consiste  dans  l'interprétation  qu'il 
faut  donner  à  cette  conviction,  désormais  indiscutée  dans 
le   milieu   indien:    la   croyance   en   la   transmigration.    Des 


LE  JAINISME  75 

Nirgranthas,  les  Jainas  tiennent  la  persuasion^ que  l'homme, 
par  son  action,  décide  de  sa  destinée.  Aux  x^jivikas  ils  re- 
fusent d'accorder  que  le  karman  soit  une  servitude  iné- 
luctable dont  nous  ne  pourrions  nous  affranchir  une  fois 
que  nous  l'avons  assumée:  notre  liberté  ne  doit  pas  se  ré- 
duire à  forger  nous-mêmes  notre  chaîne,  elle  doit  nous  per- 
mettre encore  d'en  rompre  les  anneaux  quand  ils  ont  été 
rivés.  En  vertu  d'une  comparaison  qui  paraît  sous  mille 
formes  dans  les  expressions  que  se  donne  la  pensée  indienne, 
le  karman  arrive  à  son  terme,  <(  mûrit  »  de  lui-même  au 
bout  d'un  temps  déterminé;  mais  la  possibilité  de  déli- 
vrance dépend  d'une  faculté  que  nous  devons  posséder  de 
hâter  cette  maturation,  et  de  liquider  une  fois  pour  toutes 
le  stock  de  notre  passé. 

Ce  karman,  la  secte  se  le  représente  comme  maté- 
riel (^°).  Elle  y  voit  pour  ainsi  dire  un  corps  étranger  qui, 
en  conséquence  de  nos  actes,  s'introduit  en  nous  et  nous 
entrave.  En  termes  modernes,  mais  comparativement 
adéquats,  c'est  l'encrassement  de  la  machine  à  proportion 
de  son  usage;  ou  encore  l'accumulation  des  cristaux  d'acide 
urique  dans  nos  articulations,  d'où  résultent  les  souffrances 
de  l'arthrite;  c'est  toujours  l'impuissance,  résultant  d'une 
accumulation  de  résidus,  laissés  par  un  fonctionnement 
antérieur.  A  huit  modalités  de  karman  correspondent 
huit  formes  de  servitude  (bandha)  :  la  limitation  nécessaire 
de  la  durée  de  notre  vie  (âyus),  la  détermination  de 
notre  individualité  (nâma),  les  préjugés  sociaux  (gotra^-^ 
idola  tribus),  la  dépendance  à  l'égard  du  plaisir  ou  de  la 
douleur  sensibles  (vedaniya);  d'autre  part  l'obscurcissement 
de  notre  intelligence  (jnânâvaraniya)  comme  de  la  connais- 
sance immédiate  (darçanâvaraniya),  les  obstacles  au  pro- 
grès spirituel  (antarâya),  enfin  l'égarement  (mohanîya). 
Voilà  autant  de  liens   (bandha)    qui    nous    ligotent,    rédui- 


i4  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    IXDIEXNE 

sant  à  néant  notre  spontanéité;  ils  nous  enserrent  en  un 
«corps  karmiqiie»  (kârmanaçarîra),  gangue  dont  l'opa- 
cité prive  notre  âme,  cependant  lumineuse  par  nature,  du 
bénéfice  de  sa  propre  clarté. 

A  l'appui  de  cette  interprétation  de  la  vie  selon  les 
phénomènes,  on  construit  une  métaphysique  atomiste  (''), 
mais  très  différente  des  théories  européennes  auxquelles  ce 
mot  fait  penser.  Ici  règne  un  réalisme  absolu,  qui  fait  con- 
cevoir toutes  choses  sous  l'aspect  de  substanes  (dravya). 
L'âkâça,  milieu  universel,  composé  d'emplacements  (pra- 
deça)  où  se  situeront  les  atomes,  est  substance.  La  possi- 
bilité du  déplacement  ou  du  repos  à  l'intérieur  de  ce  milieu 
(dharma,  adharma)  sont  des  substances  simples  (ekadra- 
vyâni).  Les  éléments  capables  d'agitation  ou  de  stabilité 
sont  des  corpuscules  au  delà  desquels  l'analyse  ne  saurait 
remonter  (paramânu),  tous  semblables,  doués  de  quatre 
qualités:  tangibilité,  goût,  odeur,  couleur,  chacun  occupant 
un  pradeça.  Ils  se  groupent  en  des  composés,  skandhas. 
Leur  ensemble  constitue  cet  agrégat  (kâya)  :  la  matière 
(pudgala).  Tout  complexe  mérite  l'épithète  de  grossier 
(sthûla,  bâdara),  tout  élément  le  nom  de  subtil  (sûksma). 
L'une  des  singularités  de  cet  atomisme  se  reconnaît  à  l'uni- 
verselle pénétrabilité  qu'il  implique.  Dans  le  même  univers 
s'emboîtent,  coextensifs,  l'âkâça,  le  dharma,  l' adharma,  les 
pudgalas,  si  substantielles  que  soient  ces  diverses  réalités. 
A  vrai  dire,  le  pradeça  représente  moins  le  plus  petit  récep- 
tacle, comme  élément  du  plus  grand,  l'akâça,  que  l'indi- 
cation d'un  progrès  vers  le  lieu  le  plus  exigu;  .de  même  que 
l'âkâça  dans  son  ensemble  est  moins  le  total  des  pradeças 
qu'un  progrès  sans  limite  (asamkhyeya,  incalculable  - 
ananta,  infini)  vers  la  toute  grandeur;  ce  qui  explique  la 
possibilité,  dans  le  pradeça,  de  placer  d'autres  pradeças, 
comme    d'ajouter   sans    cesse   à   toute    grandeur    imaginée. 


LE  JAINISME 


75 


L'Inde,  même  atomiste,  n'attribue  pas,  comme  la  Grèce  de 
Démocrite,  une  valeur  d'intelligibilité  à  la  configuration  qui 
délimite,  à  l'insécabilité  qui  détermine  une  portion  d'étendue. 
La  spatialité  du  pradeça,  diç,  postule  une  direction  plutôt 
qu'une  quantité  d'espace  circonscrite,  sorte  de  contenant 
élémentaire;  pour  prendre  chez  nous,  Européens,  des  points 
de  comparaison  d'ailleurs  lointains,  l'attitude  jaina  ressemble 
plus  à  l'hypothèse  continuiste  du  calcul  infinitésimal  qu'à 
l'esprit  géométrique  des  Hellènes  et  de  Descartes. 

Reconnaissons   aussitôt   que  la  plus   ancienne   doctrine 
jaina  ne  ratiocine  que  dans  la  mesure  où  le  problème  moral 
et  religieux  requiert  l'éveil  de  la  pensée  abstraite.    Un  seul 
résultat  lui  importe:     ce  prétendu  fait   qu'à    l'occasion    de 
nos  actes    notre  âme  accumule  autour  d'elle  de  la    matière 
qui   s'insinue   même   dans   son   for   intérieur    «  comme    une 
pilule  pénètre  dans  le  corps  »  et  y  cause  les  troubles  les  plus 
divers.    Dès  que  la  nature  du  mal  apparaît,  apparaît   aussi 
la  voie  du  salut.    C'est  parce  que  l'âme  s'abandonne  à  des 
passions,  qu'elle  s'approprie  des  éléments  matériels  de  nature 
karmique   (sakasâyatvâj   jivah    karmano    yogyân    pudgalân 
âdatte.    Tattv.,  VIII,  2).    Si  elle  se  déprenait  de  tout  intérêt 
pour   la    donnée    sensible,    elle    arrêterait    cette    constante, 
cette  sournoise  intrusion  des  facteurs  nocifs.  Sous  un  certain 
aspect,  toute  la  doctrine  n'est  qu'un   commentaire   du  vieil 
ascétisme  nirgrantha  poussé  jusqu'au  suicide  par  inanition: 
pour  cette  même  raison  que  notre  corps  vit  en  s'alimentant, 
l'existence    empirique    s'entretient    par    l'assimilation     de 
données  extérieures,  mais  plus  nous  dépendons  de  conditions 
étrangères  à  notre  vraie  nature,  plus  nous  renforçons   notre 
esclavage;    par  contre  nous  nous  libérons  si  nous  parvenons 
à  n'être  que  nous-mêmes  et  à  nous   suffire.    En   renonçant 
aux  passions,  nous  ne  rejetons  que  notre  misère:    à  travers 
le  suicide  se  gagne  la  véritable  vie. 


76  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

Toute  la  doctrine  implique  donc  un  dualisme.  Aux 
substances  inanimées  (ajiva,  âkâça,  dharma,  adharma, 
pudgalas),  s'opposent  les  âmes  (jîva),  principes  de  vie  (prâna) 
et  de  conscience  (cetanâ).  Loin  d'être  en  elles-mêmes 
inertes,  elles  possèdent  en  propre  une  certaine  dose  d'ac- 
tivité (virya)  qui  leur  est  essentielle.  Le  mal  dérive  de  ce 
qu'elles  exercent  le  plus  souvent  cette  activité  avec  la  con- 
nivence de  ces  «opérations  coopérantes»  (sahakârikârana): 
le  corps,  la  parole  et  le  manas;  or  la  mise  en  œu\Te  de  ces 
fonctions  suppose  l'incorporation  à  notre  substance  d'éléments 
matériels:  ainsi  s'intègre  à  notre  nature  la  matière  karmique, 
et  c'en  est  fait  de  notre  autonomie.  Dès  lors  notre  âme 
désapprend  l'usage  de  sa  propre  spontanéité;  elle  perd  la 
notion  de  cette  décisive  et  salvatrice  vérité,  qu'une  certaine 
sorte  d'action,  à  la  différence  de  toutes  les  autres,  ne  nous 
asservit  point,  mais,  au  contraire,  exprime  dans  sa  pureté 
notre  essence  originelle:  ce  virya  susceptible  de  s'exercer 
indépendamment  de  toute  condition  extérieure. 

Une  semblable  intuition  du  salut  justifie  le  sévère  as- 
cétisme que  pratiquaient  les  Nirgranthas  et  que  le  Mahâvira 
a  rendu  plus  austère  encore.  Les  Çvetâmbaras  s'autorisent 
à  porter  un  vêtement  blanc,  mais  les  Digambaras,  pour  ne 
rien  posséder,  veulent  n'être  vêtus  que  d'espace.  Le  complet 
détachement  peut  seul,  en  effet,  couper  court  à  toute  in- 
gérence ultérieure,  en  nous  -  mêmes,  de  cet  «  aliliux  » 
(âsrava)  de  matière  karmique  par  lequel,  en  toute  autre 
attitude,  nous  ne  saurions  manquer  d'être  submergés. 
L'austérité  jaina  se  rencontre  ici  avec  celle  des  Stoï- 
ciens: de  même  que  ces  derniers,  en  un  monde  où  règne 
la  fatalité,  réalisent  la  liberté  spirituelle  grâce  à  l'admission 
de  cette  faculté  de  ay^xaraOeciç  qui  nous  permet  d'ac- 
cepter ou  de  répudier  une  sollicitation  d'ordre  sensible, 
de  même  les  Jainas  nous  déclarent  capables  d'arrêter  net 


LE  JAINISME  77 

l'invasion  de  l'afflux  karmique  (samvara  —  âsravanirodha). 
Mais  voici  l'aspect  spécifiquement  indien  de  la  doctrine:  il 
ne  suffit  pas  d'éviter  l'aggravation  de  notre  misère;  il  faut 
parvenir  à  nous  dégager  de  cette  misère  acquise,  condition 
même  de  notre  existence  empirique.  La  tâche  consiste  à 
décrasser  la  machine,  à  éliminer  les  corps  étrangers  qui  en- 
combrent nos  articulations.  Pour  cela,  de  même  que  dans 
une  serre  bien  chauffée  l'horticulteur  «  force  »  une  plante  et 
la  contraint  d'évoluer  en  un  rythme  précipité  vers  sa  flo- 
raison, les  Jainas  qui,  comme  tous  les  Hindous,  voient  dans 
l'ascèse  l'ardeur  d'un  feu  (tapas),  cherchent  dans  une  dis- 
cipline spéciale  à  hâter  la  maturation  (vipâka)  du  karman 
accumulé.  La  rigueur  des  privations  expulse  ainsi  tous  les 
facteurs  de  notre  servitude  :  cette  nirjarâ  est  l'acte  décisif 
qui  non  seulement  n'augmente  plus  la  provision  de  notre 
karman,  mais  fait  disparaître  bien  avant  l'échéance  normale 
tout  résidu  de  karman  antérieurement  acquis.  Pareille- 
ment, il  peut  advenir  que  la  digestion,  cette  «  cuisson  », 
surmonte,  au  prix  d'une  crise  dont  dépend  la  survie  de  l'or- 
ganisme, le  danger  que  crée  l'absorption  d'un  poison.  Mais 
ici  le  résultat  est  radical  et  définitif  :  c'est  un  «  nettoiement  » 
qui  nous  restitue  dans  notre  pureté  native  (kevala),  par  l'ob- 
tention à  jamais  de  la  délivrance  (moksa).  Sûrs  de  ne  plus 
renaître,  dès  cette  vie  et  avant  même  qu'elle  s'arrête, 
nous  sommes  affranchis. 

Ce  corps  de  doctrines  semble  composer  le  plus  ancien 
système  philosophique.  Plus  d'un  darçana  nous  apparaîtra 
conçu  en  fonction  de  ce  darçana  manifestement  plus  primitif. 
Le  réalisme  naïf,  pour  ne  pas  dire  grossier,  qui  s'étale  dans 
la  métaphysique  jaina,  témoigne  d'une  pensée  qui,  du 
moins  lorsqu'elle  a  commencé  à  s'exprimer,  ignorait  tout 
effort  idéaliste.  En  revanche  le  système  présente  une  ex- 
ceptionnelle valeur  documentaire  pour  qui  désire  s'informer 


78  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

des  origines  de  la  réflexion  indienne.  Plus  d'un  concept 
d'usage  courant  dans  la  pensée  ultérieure  ne  possède  son 
acception  précise  et  originelle  que  dans  le  jainisme  (^*). 
Nous  avons  reconnu  ici  une  forme  archaïque  de  ces  idées 
de  karman  et  de  délivrance,  qui  défraieront,  sous  des  as- 
pects variés  à  l'infini,  le  contenu  entier  de  la  philosophie 
de  l'Inde. 


Le  jainisme  apportait  de  la  sorte  et  des  solutions  neuves 
aux  problèmes  que  se  posaient  les  consciences,  et  des  mœurs 
bien  différentes  de  celles  que  connaissait  le  brahmanisme. 
La  rigueur  avec  laquelle  cette  secte  proscrit  le  meurtre  d'un 
être  vivant  quelconque,  les  précautions  d'une  puérile  mi- 
nutie prises  pour  éviter  cette  souillure  laissent  à  supposer 
que  ce  commandement,  l'ahimsâ,  essentiel  à  l'apostolat  de 
Pârçva  et  du  Jina,  mettait  l'Eglise  nouvelle  en  opposition 
avec  ce  milieu  brahmanique,  dont  le  culte,  après  avoir  peut- 
être  prescrit  des  sacrifices  humains,  enjoignait  des  sacrifices 
d'animaux.  Sans  doute  faut-il  retrouver  ici  un  écho  de  la 
réforme  de  Zoroastre:  supposition  d'autant  plus  vraisem- 
blable que  le  dualisme,  le  souci  de  mettre  le  principe  spi- 
rituel, en  lui-même  lumineux,  à  l'abri  de  toute  contamination 
extérieure,  et  jusqu'au  goût,  chez  les  Çvetâmbaras,  des 
vêtements  blancs,  rappellent  des  convictions  transmises  aux 
Parsis  (^^)  par  la  religion  avestique. 

Nous  avons  signalé  d'autre  part  des  caractères  de  l'as- 
cétisme jaina,  qui  le  distinguent  de  celui  des  Yogins.  La 
distinction  capitale  réside  dans  la  nature  non  plus  indi- 
viduelle, mais  collective  du  nouveau  monachisme.  Les 
religieux  ne  mènent  pas  l'existence  indépendante  de  l'ana- 
chorète; ils  ne  se  retirent  du  monde  que  pour  s'agréger  à 
une  société  spéciale,  celle  de  leurs  congénères,  soumise  à  des 


LE    BOUDDHISME  79- 

prescriptions  communes  à  tous.  Des  ordres  se  créent,  des 
couvents  s'édifient.  En  marge  de  la  société  qui  s'organise  en 
castes,  sous  l'hégémonie  des  brahmanes,  il  y  a  place  désor- 
mais non  plus  seulement  pour  la  vie  errante  et  anarchique 
du  solitaire  qui  a  rompu  toute  attache,  mais  pour  une  so- 
ciété dont  la  raison  d'être  consiste  à  faciliter  chez  ses  membres, 
tous  venus  à  elle  spontanément,  les  voies  du  salut.  Aucune 
considération  de  caste  n'intervient  dans  l'acceptation  d'un 
moine:  la  décision  d'observer  les  vœux  suffit.  Une  femme 
peut,  autant  qu'un  homme,  prétendre  à  la  délivrance  ; 
elle  trouve  des  monastères  qui  accueillent  les  personnes  de 
son  sexe.  A  l'enseignement  d'une  certaine  Yâkinî,  l'un  des 
grands  saints,  Haribhadra  (ix^  siècle)  devra  sa  conversion. 
La  secte  ne  se  contenta  jamais,  d'ailleurs,  de  prôner  par 
l'exemple  l'idéal  de  perfection.  Elle  sut  définir  une  vie 
laïque  relativement  conforme  à  la  règle  jaina,  quoique 
moins  austère  que  la  vie  de  couvent.  Toutes  ces  nouveautés, 
nous  allons  les  retrouver,  presque  identiques,  dans  le  Boud- 
dhisme. 


CHAPITRE  II 

LE   BOUDDHISME 

A.   Ses  sources 


Celui  qui  devait  devenir  le  Bouddha,  Gautama,  sur- 
nommé Siddhârtha,  naquit  à  Kapilavastu,  sur  les  confins 
du  Népal,  dans  une  famille  noble  du  clan  des  Çâkyas,  vers 
560  avant  notre  ère.    L'intuition  de  la  vérité  qui  le  consacra 


§0  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

«Illuminé)),   Bouddha,  lui  survint  à  Bodh-Gayâ   (province 
actuelle  de  Bihar),  aux  abords  de  525.    Il  mourut  à  quatre- 
vingts   ans,   dans   la   quarante-quatrième   année   de   sa  pré- 
dication, en  480  environ,  près  de  Kuçinagara,  parmi  ses  dis- 
ciples {^^).    Cette  simple  existence  s'entoura  vite  de  merveil- 
leux:   le  sage  aurait  été  fils  d'un  roi,  Çuddhodana;    sa  mère, 
qui  aurait  porté  le  nom  bien  métaphysique  de  Mâyâ,  l'illu- 
sion, aurait  mis  au  monde  l'enfant  dans  de  prodigieuses  cir- 
constances.   Devenu  jeune  homme,  le  prince  aurait  été  pris 
de  dégoût  pour  la  gloire  et  les  plaisirs;   il  aurait  fui  le  palais 
paternel  afin  de  se  faire  mendiant.    La  légende,  et  à  sa  suite 
Fart,  ont  illustré  dans  ses  moindres  détails  cette  biographie, 
que  nous  présentent  de  si  diverse  façon  les  récits  fragmen- 
taires du  canon,   l'épopée   héroïco-philosophique   du  Lalita- 
vistara    et    le     poétique     Buddhacarita     d'Açvaghosa.      Il 
y   a    plus:     une   interprétation   entièrement    mythologique, 
tenant   le  Bouddha    pour   un  mythe  solaire,    intermédiaire 
entre  ceux  du  Véda  et  ceux  des  religions  postérieures,  n'est 
certes  pas  plus   fausse   que  les   scènes  traditionnelles   con- 
sacrées par  l'iconographie.    On  commettrait  une  téméraire 
partialité  en  choisissant  parmi  ces  trois  types  de  biographie: 
celle  d'un  personnage  aux   dates   déterminées   ou   détermi- 
nables;    celle  d'une  figure  légendaire  dont  les  gestes  relèvent 
de  la  tradition;    celle  d'un  symbole  naturaliste.    Se  borner 
au  premier  point  de  vue,  sous  prétexte  de  positivité,  serait 
une  façon  très  sûre  de  pécher  contre  la  positivité,  car  on 
méconnaîtrait  des  aspects  essentiels  de  la  notion  du  Bouddha, 
dont  le  plus   «raisonnable»  n'est  pas  le  plus   «historique)). 
Ainsi,  l'on  ne  saurait  douter  que  le  sage  des  Çâkyas,  Çâkya- 
muni,   ait   possédé   certains   attributs   en   commun   avec   le 
dieu    Visnu,    ni    que   le    Tathâgata,    «arrivé))   à   l'intuition 
absolue  sans  la  faveur  d'aucune  divinité,  soit  devenu  lui- 
même  une  sorte  de   dieu  suprême.     Humanité,   surnaturel, 
histoire,   légende  concernent  telle  ou  telle  des  faces   mul- 


LS    BOUDDHISME  81 

tiples  de  ce  personnage  qui,  sans  demeurer  tout  à  fait  ex- 
térieur à  l'ordre  des  phénomènes,  est  autant  une  idée  qu'un 
homme. 

En  d'autres  termes,  la  conception  du  Bouddha  n'ap- 
paraît pas  moins  fonction  du  Bouddhisme,  que  celui-ci  a 
pu  être  la  création  du  Bouddha.  Mais  ce  dernier  point  de 
vue  ne  se  justifie  que  par  une  restitution  hypothétique  des 
événements,  tandis  que  le  premier  résulte  de  l'histoire 
même.  A  prétendre  expliquer  par  une  biographie  et  par 
une  doctrine  individuelle  le  Bouddhisme  même  primitif, 
on  s'enfermerait  eii  un  cercle  vicievix,  car  nous  n'attei- 
gnons le  fondateur  qu'au  travers  des  productions  ultérieures 
de  la  secte.  Au  lieu  donc  de  chercher  à  comprendre  le  Boud- 
dhisme d'après  l'œuvre  d'une  personnalité,  il  faut  puiser  notre 
information  aux  sources  les  plus  anciennes,  en  extraire  une 
notion  objective  de  la  société  bouddhique  et  induire  par  ce 
biais  le  contenu  de  la  pensée  initiatrice. 

Les  traités  bouddliiques  les  plus  anciens  ont  été  réunis 
en  canon,  œuvre  bigarrée  d'au  moins  sept  ou  huit  siècles  ('^). 
La  constitution  de  ce  corpus  pose  des  problèmes  analogues 
à  ceux  que  soulève  la  formation  d'un  «  Véda  »  au  sein  de 
la  caste  brahmanique.  Il  ne  s'agit  pas,  cette  fois,  d'utiliser 
de  très  vieux  textes  pour  des  fins  liturgiques,  mais,  parmi 
beaucoup  de  traditions  relatives  à  ce  qu'avait  prescrit  le 
maître,  de  recueillir  les  plus  édifiantes  pour  l'instruction 
des  fidèles.  Ici  encore  c'est  la  diversité,  non  l'uniformité, 
qu'il  faut  placer  à  l'origine:  de  même  que  des  dynasties 
de  brahmanes  colligèrent  des  recueils  distincts  (samliitas) 
d'hymnes  et  de  formules,  maintes  collectivités  entreprirent, 
chacune  pour  son  usage,  de  dresser  une  somme  des  docu- 
ments auxquels  on  reconnaissait  une  autorité.  Ainsi  se 
forma,  au  foyer  même  du  Bouddhisme,  dans  la  vallée  moyenne 
du  Oange,  une  pluralité  de  canons,   que  reflète  la  diversité 

6 


82  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

de  ceux  que  conservent  les  traditions  pâlie,  sanscrite,  tibé- 
taine, chinoise,  d'autres  encore;  en  effet  sous  la  multipli- 
cité des  idiomes  en  lesquels  furent  ultérieurement  traduits 
les  documents  indiens,  des  originaux  parfois  identiques, 
mais  souvent  distincts  se  restituent  à  l'examen  linguistique. 
Si  prévalent  qu'apparaisse  à  telle  école  d'indianistes  le 
prestige  du  corpus  pâli,  rien  ne  justifie  la  supposition  que 
l'un  d'entre  ces  corpus  soit  plus  authentique  que  les  autres, 
en  ce  qui  concerne  du  moins  le  vieux  fonds  bouddhique, 
car  il  put  advenir  qu'un  canon  d'élaboration  tardive,  le 
chinois,  par  exemple,  fît  place  à  beaucoup  d' œuvres  posté- 
rieures à  l'ère  chrétienne  (^"). 

La  multiplicité  foncière  des  rédactions,  même  indiennes, 
du  canon  primitif  ne  doit  pas  solliciter  l'intérêt  des  seuls 
philologues.  Elle  rend  évident  ce  fait,  que  le  Bouddhisme 
procède  des  Bouddhistes  autant  que  du  Bouddha.  Elle 
atteste,  au  sein  de  la  communauté,  une  multitude  de  sectes 
qui  se  muèrent  en  autant  d'écoles  philosophiques,  car  toute 
tradition  indépendante  éprouva  quelque  jour  le  désir  de 
justifier  en  raison  sa  propre  autonomie.  Toutefois,  cette 
pluralité  illustre  à  sa  façon  la  riche  unité  de  la  vie  boud- 
dhique, bien  que  le  succès  de  la  discipline  nouvelle  ait 
résulté  en  partie  de  ce  qu'elle  se  fondait  sur  des  règles  anté- 
rieures, et  que  sa  parenté  avec  le  Jainisme  ait  témoigné 
d'une  morale  douée  d'une  certaine  généralité.  Au  surplus, 
si  divers  qu'apparaissent  les  canons,  ils  présentent  des 
analogies  de  plan,  tant  par  leur  distribution  en  trois  «  cor- 
beilles» (pitakas)  que  par  leur  classement  à  l'intérieur  de 
chacune  d'elles.  Par  contre  il  ne  faut  pas  méconnaître  le 
simplisme  de  la  conception  que  se  firent  les  Bouddhistes 
de  leur  propre  histoire:  avec  le  préjugé  de  l'unicité  du  canon 
s'évanouit  toute  plausibilité  de  la  tradition  selon  laquelle 
les  textes  sacrés  auraient  été  fixés  en  trois  conciles  successifs, 
tenus  au  cours  des  deux  premiers  siècles.    Fiction,  ce  synode 


LE    BOUDDHISME  83 

qu'auraient  composé  les  Anciens  (Sthaviras),  au  lendemain 
de  la  mort  du  Maître,  et  au  cours  duquel,  à  Râjagrha,  les 
disciples  Ananda  et  Upâli  auraient  récité  l'un  la  totalité 
des  Discours  imputés  au  Bouddha,  les  Sûh^as,  l'autre  les 
traités  disciplinaires,  Vinayas,  renfermant  les  règles  de  la 
communauté.  Invention  de  l'imagination  monastique,  cette 
réunion  à  Vaiçâli,  un  siècle  après,  destinée  à  réviser  le  canon, 
ainsi  qu'à  résoudre  dix  apories  pratiques  qui  auraient  donné 
lieu  à  la  scission  des  Mahâsamghikas  (^^).  Evénement  peut- 
être  historique,  mais  magnifié  par  la  tradition,  ce  concile 
de  Pâtaliputra,  un  siècle  encore  plus  tard  (253  ?),  où  l'em- 
pereur x^çoka  aurait  convié  les  Bouddhistes,  désormais  en 
possession  de  leur  troisième  «corbeille»,  VAbhidhnrma  ou 
réflexions  sur  la  loi.  Les  premiers  faits  avérés  ne  remontent 
pas  au  delà  du  premier  siècle  avant  notre  ère:  c'est  d'une 
part  une  assemblée  singhalaise  qui  rédige  les  textes  palis, 
en  89;  de  l'autre,  à  l'extrémité  de  l'Inde,  une  assemblée 
cachemirienne  qui  fixe  le  canon  sanscrit  d'une  certaine 
école,  celle  des  Sarvâstivâdins. 

Le  fonds  primitif  de  cette  littérature  comprend  deux 
éléments:  des  règles  disciplinaires  et  un  stock  de  légendes. 
La  fraction  agissante  de  la  société  bouddhique  est  la  com- 
munauté des  moines  et  des  nonnes.  Obéir  à  la  discipline 
d'un  ordre,  pratiquer  non  une  ascèse  indépendante  et  indi- 
viduelle comme  celle  des  Yogins,  mais  une  ascèse  indentique 
pour  tous  les  membres  de  la  collectivité,  c'est,  aux  abords 
du  v^  siècle,  un  idéal  nouveau,  mais  déjà  répandu,  puisque 
nous  le  constatons  chez  les  Cârvâkas  et  les  Jainas  comme 
dans  le  Bouddhisme.  A  l'intérieur  de  ces  sectes,  le  mode 
de  vie  importe  au  moins  autant  que  les  opinions:  c'est  à 
des  divergences  relatives  à  la  pratique,  plus  qu'à  des  dis- 
cussions doctrinales,  qu'on  impute  la  formation  des  schis- 
mes.   La  variété   des  récits  concernant   la   vie    du    Maître 


34  HISTOIRJî    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

n'apparaît  que  pour  justifier,  selon  la  multiplicité  des  églises 
ou  des  chapelles,  la  distinction  des  ordres.   Mais  toutes  ces 
règles  ont  pour   substrat    commun   les  thèmes  moraux  où 
s'exprime,  à  part  de  la  spécificité  des  sectes,  un  même  idéal 
impersonnel  de  moralité,  celui  que  traduisent,  dans  le  Boud- 
dliisme,  le  Dhammapada   et  le  Sutto-N'rpntu.    Pareillement 
les  récits  qui  confirment  par   des  biographies  édifiantes  la 
valeur  des  prescriptions  disciplinaires,  s'alimentent  à  cette 
source  inépuisable,    les   contes   populaires,   tout  prêts  à  se 
muer  en  jâtakas  ou  récits  relatifs  aux  vies  antérieures  du 
Bouddha  ;    les    faibles,    patrimoine   commun   aux    diverses 
civilisations  asiatiques.  Tel  dogme  à  la  fois  bouddhique  et 
jaina,    celui   par    exemple   des    Pratyekabuddhas,    procède 
ainsi  de  légendes  sans  doute  bien  antérieures  à  la  distinc- 
tion de  ces  deux  traditions.  C'est  par  ses  origines  anonymes 
et  collectives    que   le  Bouddhisme    apparaît    dès   le  début 
comme  une  religion,  sur  laquelle  on  s'est  mépris  en  rédui- 
sant son  principe  à  une  pure  et  simple  philosophie  (^''). 

Cette  réserve  faite,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  le 
système  bouddhique,  même  le  plus  ancien,  présente  un 
aspect  intellectualiste  plus  accentué  que  tout  autre  corps 
de  doctrine  du  même  temps.  L'ascétisme  n'y  joue  qa'un 
rôle  subalterne,  beaucoup  moins  décisif  que  dans  le  Jai- 
nisme;  on  proclame  que  le  Bouddha  reconnut  la  vanité 
des  mortifications,  après  s'y  être  adonné  autant  que  qui- 
conque; ïuais  ce  qui  l'a  fait  Bouddha,  c'est  un  acte  d'in- 
telligence. La  conduite  implique  ainsi  une  doctrine,  dont 
on  attribue  le  mérite  au  Maître.  Si  donc,  au  point  de  vue 
de  la  reconstitution  historique  des  premiers  âges,  les  textes 
de  discipline  (vinaya)  offrent  la  principale  valeur,  c'est  la 
portée  spéculative  de  la  doctrine  qui  doit  prévaloir  dans 
l'interprétation  de  la  foi  bouddhique.  Aussi  étroitement 
connexes   que  les   trois    «corbeilles)),   apparaissent  les  trois 


LE    BOUDDHISME  85 

«joyaux»  (triratna),  instruments  du  salut:  la  communauté, 
Samgha;  la  loi,  Dharma;  le  Bouddha.  Toutefois,  alors  même 
que  la  figure  du  Maître  incarnerait  l'idéal  de  la  secte  plutôt 
que  son  prototype,  cette  figure  jouerait  dans  le  système 
un  rôle  central,  celui  de  la  pensée  directrice. 


B.   Sa  plus   ancienne  doctrine 

La  pensée  du  Bouddha  est  obsédée  par  un  seul  et  unique 
problème  :  celui  que  pose  la  douleur  humaine.  Selon  la 
légende,  le  futur  Bouddha,  prince  jeune,  élégant,  élevé 
dans  le  luxe  loin  des  misères  du  monde,  sortit  un  jour  de 
ses  immenses  parcs  :  or  il  aperçut  aussitôt  un  mendiant 
couvert  d'ulcères,  et  se  lamentant  ;  puis  un  vieillard  rendu 
impotent  par  l'âge;  et  encore  un  convoi  funèbre.  Maladie, 
vieillesse,  mort:  sous  ces  trois  formes,  la  douleur  assaille 
tous  les  êtres.  Les  plaisirs  sont  transitoires  et  nous  ramè- 
nent inévitablement  à  la  souffrance.  De  plus,  en  vertu  de 
la  loi  de  l'acte,  qui  s'impose  à  tout  être,  dieux  ou  homm.es, 
chaque  activité  trouvera,  dans  les  autres  existences  où 
nous  acheminera  la  transmigration,  sa  rétribution  méritée, 
peine  ou  récompense  ;  il  en  sera  de  m.ême  de  la  vie  future 
à  l'égard  de  l'existence  suivante,  à  l'infini.  Nous  voilà  con- 
dammés  à  toujours  agir,  à  toujours  souffrir.  Cette  croyance 
à  la  transmigration,  le  Bouddha  se  l'est  appropriée  avec  une 
singulière  énergie,  pour  rechercher,  en  un  tenace  effort  de 
réflexion,  par  quel  moyen  nous  pouvons  espérer  de  nous 
évader  d^^  la  douleur. 

Le  fond  des  choses  s'exprime  en  quatre  vérités  «  saintes  » 
(ârya  satyâni):  Ce  monde  est  douleur;  la  douleur  provient 
d'une  origine  qu'il  faut  découvrir;   cette  découverte  indique 


86  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    IXDIENNlfi 

le  moyen  de  supprimer  là  douleur;  ou  s'achemine  à  la  sup- 
pression de  la  douleur  par  divers  sentiers  qu'il  importe  de 
connaître.  Le  problème  religieux  ou  métaphysique  se  calque 
de  la  sorte  sur  celui  qu'affronte  le  médecin  :  il  s'agit 
de  porter  un  diagnostic  et  de  saisir,  à  travers  la  nature 
de  la  maladie,  quel  doit  être  le  remède  efficace.  La  com- 
préhension de  l'une  et  de  l'autre  s'obtient  à  la  faveur  d'une 
argumentation,  qui  est  le  premier  raisonnement  systéma- 
tique construit  par  la  spéculation  indienne.  Cette  argumen- 
tation découvre  et  précise  de  quelle  façon,  ou  plus  exacte- 
ment, selon  quelles  conditions  (nidâna)  se  produisent,  par 
enchaînement,  les  phénomènes  ;  elle  fournit  une  théorie 
de  la  «  production  conditionnée  »  des  phénomènes  (pratïtya 
samutpâda)  (*^). 

La  douleur  (duhkha),  la  vieillesse  (jarâ),  la  mort  (marana)  : 
voilà  le  point  de  départ.  Pourquoi  la  mort  ?  parce  que  nous 
sommes  nés;  ce  qui  naît  doit  mourir.  Pourquoi  la  naissance 
(jâti)  ?  parce  que  nous  existons,  et  que  naître  et  mourir  sont 
deux  manières  d'exister,  la  mort  nous  ramenant  à  la  vie, 
comme  la  vie  à  la  mort.  Pourquoi  l'existence  (bhava)  ?  parce 
que  nous  éprouvons  de  l'attachement  (upâdâna)  pour  ce  qui 
entretient,  alimente  notre  existence  ;  en  particulier  de 
l'attachement  pour  les  agrégats  (skandha)  ou  facteurs  phy- 
siques, intellectuels,  moraux,  dont  dépend  notre  vie.  Pour- 
quoi l'attachement,  la  tendance  à  s'approprier  quelque 
chose  d'extérieur?  parce  que,  malgré  nos  maux,  nous 
avons  «  soif  »  (trsnâ)  de  vivre.  Pourquoi  la  soif,  ce  désir  ? 
parce  que,  doués  de  sensation  (vedanâ),  nous  recherchons  les 
sensations  agréables.  Pourquoi  la  sensation  ?  parce  qu'il 
y  a  contact  (sparça)  entre  nos  organes  et  les  objets.  Pourquoi 
le  contact  ?  parce  que  nous  possédons  six  sens  —  y  compris 
le  manas  ou  intellect  —  et  qu'à  ces  organes  sensoriels  corres- 
pondent six  ((  domaines  »  (sadâyatana),  six  sortes  de  réalités 


LE    BOUDDHISME  87 

objectives.   Pourquoi  ces  domaines?  parce  que  toute  chose 
individuelle,    étant    composée    d'un  élément   conceptuel   et 
d'un  élément  corporel,  est  à  la  fois  «  nom  et  forme  »  (nâmarû- 
pa).  D'où  viennent  les  noms  et  formes  ?   du  fait  qu'existe  la 
connaissance  (vijnâna),  c'est-à-dire  à  la  fois    l'opération  de 
connaître  et  un  principe  spirituel  capable  de  connaître.  D'où 
vient  la  connaissance  ?  de  ce  que  diverses  prédispositions  cons- 
tituent notre  nature,  en  fonction  de  nos  actes  passés  (sams- 
kâras):   notre  manière  d'être  actuelle  dépend  en  effet,  de  par 
la  loi  de  transmigration,  de  notre  conduite  antérieure  (esse  se- 
quitur  operari)  ;   il  faut  voir  là  une  explication  de  la  totalité 
de  notre  être  par  cette  persistance  du  passé  dans  le  présent 
que   nous   admettons,    nous   autres,   en   parlant   d'hérédité, 
de   mémoire,   de  facultés  innées.   D'où  viennent  ces  prédis- 
positions ?    Nous  touchons  ici  au  fond  de  la  doctrine  :    elles 
viennent    de    l'ignorance    (avidyâ).     Si    nous    possédions   la 
science  véritable,  nous  ne  tomberions  pas  dans  les  préjugés 
qu'impliquent  nos  prédispositions.    Cette  ignorance  ne  doit 
pas  se  concevoir  uniquement  comme  absence  de  connais- 
sance   vraie;     elle   a   une    quasi-réalité    ontologique:     c'est 
l'être    en  tant    qu'illusoire;    le    non-être,    si  l'on  veut,  mais 
en  tant  que  décevant,  et  faisant  croire  à  tort  en  sa  réalité. 
Cette    non-connaissance,    cette    erreur    ou    illusion,  voilà  le 
principe  ultime  au  delà  duquel  on  ne  saurait  remonter.    Il 
n'y  a  pas  lieu  de  demander  d'où  vient  l'ignorance:     elle  se 
suffit  à  elle-même.   Tenant  ce  premier  anneau  de  la  chaîne, 
le  maître  se  complaît  à  réfléchir  alternativement  sur  cet  ar- 
gument  régressif   et   sur  l'inverse   construction   progressive 
des  douze  conditions  à  partir  de  l'ignorance  jusqu'à  la  dou- 
leur, la  vieillesse  et  la  mort.   Ces  deux  processus   se    con- 
firment l'un  l'autre;    par  leur  décisive   compréhension,   le 
sage  des  Çâkyas  devient  ainsi  l'illuminé,  lé  Bouddha. 

La  liste  des  nidânas  se  présente  dans  les  textes  avec 
de  nombreuses  variantes.    Mais  ce  qui  est  certain  et  d'im- 


88  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

portance  capitale,  c'est  d'abord  que  cette  théorie  des  con- 
ditions  productrices   des   phénomènes    rattache,    en   inter- 
calant des  intermédiaires,  la  douleur  à  l'ignorance  comme  la 
conséquence  au  principe;    et  c'est  ensuite   que  cette  doc- 
trine spéculative  enveloppe  une  foi  en  notre  liberté,  une  in- 
vitation à  nous  affranchir,  car  il  dépend  de  nous  non  pas 
d'arrêter   le   fonctionnement   de   l'engrenage   fatal   une  fois 
que  nous  y  sommes  pris,  mais  de  ne  point  nous  y  engager. 
Lu  de  12  à  1,  en  progression,  le  pratîtya  samutpâda  fournit 
une    théorie    de    l'existence    empirique,    expliquant    que    la 
souffrance  est  l'inéluctable  conséquence  de  l'ignorance;  en 
d'autres  termes,  une  doctrine  de  l'être  phénoménal,  ou  de 
la  servitude.    Si  nous  transmigrons  d'existence  en  existence, 
à  jamais,  la  raison  en  est  que  la  douleur  suppose  l'ignorance 
et  que  l'ignorance  engendre  la  douleur.  Nous  tournons  dans  ce 
fatal  cercle  vicieux,  constitutif  de  notre  vie  et  de  ce  que  nous 
prenons  pour  réel,  comme  l'écureuil  à  qui  sa  course  folle,  ac- 
complie dans  sa  cage  tournante,  ne  donnera  jamais  la  clef 
des  champs.  Mais  lu  de  1  à  12,  en  régression,  l'argument  nous 
montre  avec  assez  de  clarté  les  conditions  de  notre  misère 
pour    nous    indiquer   le    moyen    d'y  échapper:    pourvu  que 
nous  refusions  de  participer  à  l'ignorance,  puis  de  consentir 
à  chacune  des  causes  d'égarement  qui  s'ensuivent,  pourvu 
que  nous  détruisions  (nirodha)  tour  à  tour  ces  mailles  de 
notre    servitude,    nous   acquérons,    par    la  connaissance  du 
salut,  le  salut  même.    Ces  deux  processus  qui  se  recouvrent 
point  par  point,  se  compensent  aussi:    car  le  Bouddhisme 
équivaudrait  à  un  pessimisme  absolu,  s'il  s'en  tenait  à  l'ordre 
12-1  de  la  formule,  tandis  qu'en  ouvrant  la  voie  de  la  déli- 
vrance il  mérite  d'apparaître  comme  un  intégral  optimisme. 
L'ineffable  joie    dont  se   repaît  le    bienheureux   après  l'ac- 
quisition de  la  bodhi  (illumination)  ne  se  justifie  que  si  une 
issue  a  été  découverte  dans  le  labyrinthe  de  la  transmigra- 
tion:   pour  la  rechercher,  il  a  fallu  suspendre  la  course  folle 


LE    BOUDDHISME  89 

et  aveugle  —  ce  que  symbolisent  les  attitudes  impassibles 
de  l'iconographie;  —  remonter  par  la  pensée  à  travers  les 
étapes  parcourues  —  ce  que  symbolise  l'attitude  méditative, 
jusqu'à  l'obtention  d'un  terme  logiquement  premier  où  se 
repose  l'esprit,  point  d'appui  où  se  suspend  la  chaîne  en- 
tière; d'où  la  béatitude  définitive  empreinte  sur  le  visage. 
Si  la  plastique  avait  voulu  figurer,  sous  forme  humaine,  le 
pratitya  samutpâda  tel  qu'il  se  comprend  dans  l'ordre  12-1, 
elle  eût,  comme  la  plastique  chrétienne,  façonné  un  Dieu 
torturé.  Mais  la  littérature  bouddhique  s'est  plu  à  semer  avec 
profusion,  sans  pessimisme,  avec  au  contraire  l'enivrement 
de  la  vérité  conquise,  jetée  à  tous  les  échos  par  une  intense 
propagande,  la  formule  1-12,  expression  même  de  l'erreur, 
mais  de  l'erreur  transpercée,  par  là  même  évanouie,  dé- 
sormais inofîensive  et  même  salvatrice.  Quoi  de  plus  con- 
forme à  l'essence  de  toute  philosophie,  que  d'offrir  une 
théorie  du  monde  qui  ait  pour  contre-partie  une  doctrine 
de  morale  et  de  sainteté  ? 

Grâce  à  cette  théorie  des  douze  conditions,  nous  tenons 
les  deux  premières  vérités,  la  nature  et  l'origine  de  la  dou- 
leur. Par  là  même  nous  disposons  du  moyen  de  supprimer 
la  souffrance:  il  suffit  d'extirper  les  facteurs  qui  la  sus- 
citent. Plus  de  naissance,  plus  d'attachement,  plus  de  désir; 
dès  lors  s'évanouiront  la  sensation  comme  le  sensible  et 
aussi  l'individualité;  il  n'y  aura  plus  de  connaissance,  plus 
de  manières  d'être,  plus  d'ignorance.  Une  fois  avertis  des 
conséquences  de  l'ignorance,  nous  sommes  libérés  de  l'igno- 
rance: saisir  cette  théorie  des  causes,  c'est  s'affranchir 
de  la  causalité,  pénétrer  l'ignorance  revient  à  découvrir  ce 
qui  de  la  vérité  nous  est  accessible.  Ainsi  le  Bouddha  n'at- 
tend son  salut  de  l'intercession  d'aucune  divinité:  il  ne 
l'obtient  que  de  son  propre  effort  pour  comprendre:  l'er- 
reur cessant  d'être  erreur  dès  qu'elle  est  connue,  la  con- 
naissance à  elle  seule  nous  gagne  la  délivrance. 


i»0  HISTOIRE    DK    LA    PHILOSOPHIE    IN-DIENNE 

Il  y  a  lieu  cependant  de  prescrire  à  la  conduite  de  la 
vie  l'observance  de  certaines  vertus,  parce  qu'elles  favorisent 
r acquisition  de  la  connaissance:  si  rigoureux  qu'il  soit,  l'in- 
tollectualisuie  bouddhique  n'exclut  pas,  il  appelle  une  disci- 
pline morale.  Voilà  ce  que  désigne  la  quatrième  et  dernière 
vérité  sainte:  le  chemin  qui  conduit  à  la  suppression  de  la 
douleur.  Puisque  le  salut  réclame  que  l'on  coupe  court  aux 
conditions  de  l'erreur,  la  morale  se  présentera  comme  un  en- 
semble de  préceptes  négatifs,  autant  de  restrictions  enjointes 
aux  diverses  formes  du  désir  égoïste:  ne  tuer  aucun  vivant; 
ne  pas  voler;  ne  pas  convoiter  la  femme  d' autrui;  ne  pas 
mentir;  ne  pas  s'enivrer.  Telles  sont  les  principales  règles,  ob- 
ligations exigibles  de  tous  les  hommes.  Il  faut  se  soustraire  à 
l'impureté  pour  se  dégager  de  l'erreur.  Les  seules  vertus  posi- 
tives sont  celles  qui  confèrent  la  science:  la  méditation  et 
la  sagesse.  Or,  pour  qu'elles  soient  réalisables,  pour  que  la 
vie  se  puisse  consacrer  à  la  connaissance,  il  ne  suffit  point 
de  pratiquer.,  en  une  existence  solitaire,  le  renoncement  et 
l'austérité,  il  est  désirable  que  les  zélateurs  de  la  doctrine, 
à  proportion  de  leur  mépris  pour  les  prétendues  nécessités 
de  cette  vie  fallacieuse  qui  est  celle  du  monde,  se  soumettent 
à  une  organisation  commune  qui  pourvoie  à  leurs  plus  élé- 
mentaires besoins  corporels  en  même  temps  qu'à  leur  ins- 
truction spirituelle.  Une  communauté  de  moines  mendiants: 
voilà  l'existence  qui  convient  à  ceux  qui  rejettent  autant 
que  possible  tout  compromis  entre  l'erreur  et  la  vérité,  pour 
se  consacrer  au  vrai.  Il  y  aura  donc  des  laïques  auxquels 
suffira  un  demi-renoncement,  qui  se  réduira  en  fait  à  une 
conduite  honnête  et  droite,  et  des  moines  qui  porteront  au 
maximum  désintéressement  et  pureté,  en  vue  d'ailleurs  de 
ce  seul  but:  se  procurer  la  connaissance.  Le  laïque  s'hono- 
rera en  subvenant  aux  nécessités  du  moine,  le  moine  se 
parera  de  mérites  surérogatoires  en  répandant  la  vraie 
doctrine    et  en  exerçant,  par  des  moyens  souvent    puérils 


LE    BOUDDHISME  91 

mais  touchants,  une  fictive  bienveillance  non  seulement  à 
l'égard  des  hommes,  mais  à  l'égard  de  tout  ce  qui  souffre, 
la  nature  entière. 

Cotte  théorie  se  proclame  elle-même  une  doctrine  de  la 
«voie  moyenne»  (madhyamâ  pratipad),  juste  milieu  entre 
deux  extrêmes  (Samy.Nik.,  Il  20,  23,  61,  76).  Elle  prêche 
une  attitude  équidistante  entre  la  vie  commune,  complai- 
sante aux  passions,  et  l'ascétisme  qui  s'acharne  en  vain  à 
torturer  le  corps.  Dans  l'ordre  spéculatif,  elle  s'abstient  de 
toute  affirmation  sur  la  nature  «en  soi»  de  l'être,  rejetant 
aussi  bien  le  dogmatisme  nihiliste  des  mécréants  (nâstikas) 
que  le  dogmatisme  ontologique  des  brahmanes  (astikas).  Ni 
oui,  ni  non,  les  questions  métaphysiques  ne  sauraient  com- 
porter d'autre  réponse. 

L'agnosticisme  ainsi  défini  repose  sur  un  relativisme. 
Chacun  des  dix  termes  intercalés  entre  le  point  de  départ  et 
le  point  d'arrivée  est  régi  par  un  terme  voisin  et  commande 
l'autre  terme  contigu;  le  nidâna,  conditionnant  et  condi- 
tionné à  la  fois,  atteste  une  forme  de  relativité  extérieure 
à  l'idée  de  cause  productrice  (hetu)  et  à  celle  de  condition 
permanente  (pratyaya).  La  teneur  générala  de  l'argumen- 
tation se  présente  ainsi:  «  ceci  étant  donné,  cela  est  donné  »; 
formule  qui  se  laisse  généralement  interpréter  en  régression 
vers  les  conditions  antérieures  oa  en  progression  vers  les 
conséquences  ultérieures.  «Si  ceci  est,  cela  est;  si  ceci 
surgit,  cela  surgit;  si  ceci  n'est  pas,  cela  n'est  pas;  si 
ceci  est  détruit,  cela  est  détruit»  (imasmim  sati  idam  hoti; 
imass'  uppâdâ  idam  uppajjati;  imasmim  asati  idam  na  hoti; 
imassa  nirodha  idam  nirujjhati.  Mahâvagga).  L'objet  propre 
de  la  loi  (dharma)  est  de  signaler  cette  foncière  relativité 
des  phénomènes  (dharmas)  ;  «  les  formes  d'existence  pro- 
duites par  une   cause,   le   Tathâgata  [l'Arrivé,   épithète  du 


92  HISTOIRE    DE    LA    PtILLOSOPHIE    INDIENNE 

Bouddha  parvenu  à  sortir  de  la  transmigration]  énonce 
leur  cause;  et  leur  destruction  aussi  le  grand  çramana  (re- 
ligieux) la  proclame  (ye  dhammâ  hetuppabhavâ  tesâm 
hetum  Tathâgato  âha  tesân  ca  nirodho  evamvadi  mahâ- 
samano,  ibid.). 

Un  tel  point  de  vue,  malgré  le  parti  pris  d'agnosticisme, 
entraîne   sinon   toute   une   ontologie,    du    moins   toute    une 
métaphysique.      D'abord     un     phénoménisme    radical.      Le 
monde,  tant  objectif  que  subjectif,  n'est  d'outre    en  outre 
que  samsara,  génération  mutuelle  des  douze  nidânas.     En 
particulier  notre  individualité  n'offre  ni  consistance  ni  perma- 
nence: notre  corps  ne  consiste  qu'en  devenir,  notre  personna- 
lité   ne    se    compose    que    de  l'agrégat    de    cinq   sortes    de 
phénomènes,  fragiles  et  fugaces,  chancelants  «  étais  »  (skandha) 
de  notre  individu.  Cette  masse  qui  nous  constitue,  ces  «épaules  » 
qui  nou>s  soutiennent  comme,  dans  certaine  mythologie,  celles 
d'Atlas  supportent  le  ciel  —  autant  d'aspects  de  la  notion  de 
skandha  —  ce  sont  les  éléments  matériels  (riîpa,  la  forme),  les 
sensations  (vedanâ),les  perceptions  (samjîiâ),  la  discrimination 
(vijnâna),  les  tendances  (samskâra).    Aucun  de  ces  facteurs 
n'a  d'unité  ni  de  permanence;    chacun  est  multiple  et  di- 
vers.   Les  représentations  grecques  du  Trav-ca  çtX,  de  l'insaisis- 
sable Protée,  peuvent  illustrer,  par  métaphore,  une  semblable 
conception.   A  fortiori  la  résultante  de  ces  facteurs,  le  moi,  ne 
possède  aucune  consistance;   nulle  erreur  ne  serait  pire  que 
de  lui  supposer  une  existence  en  soi  (satkâyadrsti).    Pour 
protester  contre  le  substantiaUsme  brahmanique,  les  Boud- 
dhistes édifient,  outre  une  physique  phénoméhiste,  une  «  psy- 
chologie sans  âme»  qui,  en  opposition  aux  Upanisads,  pro- 
clame l'inexistence  de  l'âtman:    anâtmatâ  (pâli  anattâ). 

Par  une   singulière   méprise,   plus   d'un   indianiste   s'é- 
tonna   de    trouver    côte    à    côte,    dans   les    anciens    textes 


LE    BOUDDHISME  93 

bouddhiques,    l'affirmation   de   la   rétribution   des    actes  et 
celle  de  la  non  substantialité  du  moi;    on  a  semblé  croire 
que    la    transmigration    impliquait    des    âmes    douées    de 
permanence,    alors    qu'au    contraire    sarnsâra   et   anâtmatâ 
n'étaient    que    deux    corollaires    de    l'universelle   relativité. 
Les    Bouddhistes    nient    non   le    moi    ou    l'esprit,    mais    le 
caractère    absolu    du    moi    ou    de    l'esprit;    et    la  transmi- 
gration leur  apparaît  un  devenir  en  fonction  de  conditions 
qui,     pour     revêtir     dans     une    large     mesure    un    aspect 
moral,  n'en  demeurent   pas    moins  relatives.    Rien  de  plus 
cohérent   que  l'admission  d'un   moi  phénomène    (pudgala), 
simple   loi    de   succession    entre    phénomènes    connexes,    et 
l'admission    d'un  univers  phénomène    fait    de    vicissitudes 
toujoui-s  changeantes  mais  en  mutuel  enchaînement.    Ici  et 
là,  quoique  soit  exorcisé  le  fantôme  de  la  substance  autant 
qu'il  pourra  l'être  chez  un  David  Hume,  la  régularité,  la 
rationalité   de   la   transformation   compensent   l'absence   de 
fixité;    le    relativisme    trouve    dans   une    causalité    dont   le 
pratitya  samutpâda  fournit  la  formule,  non  pas  sa  contre- 
partie ou  son  correctif,  mais  sa  justification. 

Le  phénoménisme  inhérent  à  l'embryon  de  physique 
et  à  l'ébauche  de  psychologie  qu'implique  l'enseignement 
du  Bouddha  impose  non  seulement  une  métaphysique  du 
donné,  mais  une  métaphysique  de  ce  qui  doit  être,  de  la 
délivrance.  Si  notre  existence  empirique,  complète  servitude 
morale,  ne  consiste  qu'en  relativité  soumise  à  des  condi- 
tions, l'évasion  hors  de  cette  relativité  doit  apparaître  à 
quelque  degré  comme  l'atteinte  d'un  absolu.  Il  en  va  bien 
de  la  sorte  malgré  le  ferme  propos  de  ne  pas  théoriser  sur  ce 
qu'on  trouve  par  delà  les  phénomènes,  en  transcendant  le 
moi  et  le  samsara.  Ce  qui  s'obtient  alors,  et  qui  n'est  ni 
un  objet  ni  un  état  de  nous-même,  c'est  ce  que  désigne  le 
mot  de  nirvana  {^^).    Pour  éviter  tout  dogmatisme  le  Bien- 


94  HISTOIRE    DE    LA    niILOSOrHIE    INDIENNE 

heureux  assure  que  ce  n'est  ni  l'être,  ni  le  néant;  qu'en 
tout  cas  ces  deux  interprétations  ontologiques  ne  noas  im- 
portent en  rien. 

Il  préfère  déclarer  que  c'est  «l'extinction»  du  désir, 
alors  qu'au  contraire  une  intense  nostalgie  soulevait  l'âme 
brahmanique  vers  le  Brahman  dans  lequel  elle  aspirait  à 
s'absorber.  IMais  cette  solution  ne  peut  satisfaire,  car  si  le 
principe  de  tout  mal  est  l'ignorance,  comment  n'en  pas  con- 
clure que  le  salut  dépend  de  la  possession  du  vrai  ?  Le  sage 
des  Çâkyas  résiste  pourtant  à  la  tentation  de  trop  affirmer: 
ce  peut  être  assez  pour  nous  libérer,  de  nous  affranchir  de 
l'erreur,  sans  qu'il  soit  besoin  d'ambitionner  l'obtention  d'un 
inconditionné.  Certes  les  mots  alors  nous  trahissent:  l'il- 
lusion du  moi  une  fois  dissipée,  ambition,  obtention  n'offrent 
plus  de  sens  ;  des  caractères  négatifs  offrent  non  seule- 
ment la  plus  sage,  mais  la  moins  fausse  description 
du  nirvana.  Et  pourtant,  par  constraste  avec  la  misère,  la 
déception  de  cette  existence,  il  semble  difficile  de  ne  pas 
supposer  dans  la  situation  du  délivré  un  comble  de  béati- 
tude, une  perfection  de  connaissance.  De  fait,  le  sage  qui 
atteint  la  bodhi  conquiert  dès  ici-bas,  si  l'on  peut  dire,  cette 
manière  d'être  absolue,  cette  complète  autonomie  que  les 
Jainas  appelaient  kaivalyam,  et  qui  témoigne  de  l'état  de 
«  délivré- vivant  »,  jîvanmukta.  Le  nirvana  qui,  en  principe, 
ne  doit  pas  être  un  état  psychologique,  fût-ce  une  exception- 
nelle extase,  paraît  néanmoins  susceptible  de  se  laisser 
éprouver  dès  cette  existence  même,  quand  sont  consumés 
les  feux  du  désir,  écartés  les  voiles  de  l'illusion,  torréfiés  et 
comme  stérilisés  les  germes  (bija)  des  futures  renaissances: 
alors  la  vie  du  saint  se  termine  dans  la  certitude  qu'aucune 
autre  ne  peut  la  suivre,  comme  achève  de  s'éteindre  une 
lampe  dont  l'huile  ne  sera  pas  renouvelée,  comme  cesse  peu 
à  peu  de  tourner  la  roue  que  le  potier  n'actionne  plus.    Pré- 


LE    BOUDDHISME  95 

cisons  cependant  que  cette  doctrine  du  nirvana  sur  terre, 
prélude  du  nirvana  de  l'au-delà,  pour  ancienne  qu'elle  soit, 
ne  saurait  s'appliquer  à  la  biographie  du  Maître,  qui  n'entra, 
nous  assure-t-on,  dans  cette  quasi-éternité  qu'au  moment 
de  sa  mort,  bien  qu'il  eût  obtenu  quarante-quatre  ans  au- 
paravant i'omniscience.  La  nécessité  de  laisser  une  place 
aux  années  d'apostolat  s'opposait  à  l'identification,  pour- 
tant suggérée  par  la  doctrine,  de  l'état  du  Bouddha  (Bud- 
dhatâ)  et  du  nirvana. 

La  principale  originalité  spéculative  du  Bouddhisme  pri- 
mitif réside  en  ce  mélange  de  rationalisme  et  d'agnosticisme. 
Il  admet,  sur  la  seule  autorité  de  la  raison,  la  théorie  des 
quatre  vérités  et  de  la  production  inconditionnée  des  phé- 
nomènes, mais  supposant  que  la  raison  a  de  la  sorte  épuisé 
sa  tâche,  il  tient  toute  autre  recherche  pour  oiseuse  et  inu- 
tile au  salut.  On  jugera  par  là  dans  quelle  mesure  cette 
doctrine  est  religieuse,  dans  quelle  mesure  philosophique. 
La  méfiance  à  l'égard  de  la  réflexion  désintéressée,  appli- 
quée à  d'autres  sujets  que  la  recherche  directe  du  souve- 
rain bien,  atteste  une  attitude  fréquente  chez  les  grands  ini- 
tiateurs religieux.  Mais  la  conviction  que  la  clef  de  la  déli- 
vrance ne  se  trouve  que  dans  la  connaissance  des  conditions 
phénoménales,  et  l'idée  d'en  faire  la  démonstration  en 
intercalant  une  dizaine  d'intermédiaires  entre  les  cer- 
titudes extrêmes,  la  souffrance  et  l'ignorance  :  voilà  des 
témoignages  de  rationalisme  dont  l'évolution  ultérieure 
de  la  pensée  indienne  montrera  toute  l'importance.  Pour 
avoir  participé  de  l'ascète  et  du  philosophe,  du  yogin  et 
du  sophiste,  à  une  époque  où  ces  types  s'opposaient  en- 
core, le  Bouddha  effectua  une  œuvre  à  la  fois  religieuse 
par  son  but  et  philosophique  par  sa  méthode.  Il  ne 
suffit  pas  de  dire  qu'il  servit  la  cause  de  la  pensée  libre 
par  sa  réflexion  indépendante  des  dogmes  antérieurs,  par 


96  HISTOIRE    DE    LA    PlULOSOPITIE    INDIENNE 

sa  persuasion  que  le  salut  dépend  de  la  connaissance,  par 
son  ébauche  de  méthode  démonstrative.  Il  l'a  servie  avec 
plus  d'efficacité  encore,  peut-être,  par  son  partiel  agnosti- 
cisme, car  la  pensée  ne  connaît  pas  de  plus  vif  stimulant  que 
la  limite  même  qu'on  prétend  lui  assigner.  L'agnosticisme 
du  Bouddha  ouvrit  sa  voie  à  la  réflexion  indienne,  comme 
celui  de  Socrate  a  provoqué  l'essor  métaphysique  de  la  Grèce, 
celui  du  primitif  Christianisme  suscité  la  dogmatique  chré- 
tienne, celui  de  Confucius  la  philosophie  chinoise,  celui  de 
Muhammed  la  spéculation  de  l'Islam.  Bien  plus,  il  l'a  lui- 
même  inaugurée  en  posant,  tantôt  pour  refuser  de  les  ré- 
soudre, tantôt  pour  les  résoudre  en  une  ambiguïté  grosse 
de  problèmes  nouveaux,  les  questions  que  l'avenir  expli- 
citera. 


L'éclosion  presque  simultanée  du  Jainisme  et  du  Boud- 
dhisme ne  saurait  passer  pour  un  hasard  de  l'histoire.  Le 
parallélisme  de  leur  évolution  ultérieure  protesterait  contre 
une  semble  interprétation,  car  il  témoignera  de  principes 
communs  aux  deux  sectes.  Communauté  si  manifeste, 
qu'on  a  pu,  sans  fondement  historique  assuré,  mais  sans 
absurdité  spéculative,  tenter  de  ramener  l'une  à  l'autre  les 
deux  traditions.  La  Bouddha  Gautama,  selon  certains 
Jainas,  ne  ferait  qu'avec  cet  Indrabhûti  Gotama,  que  des 
textes  mentionnent  comme  disciple  infidèle  du  Mahâvira  (*^). 
D'autre  part  des  indianistes  tels  que  Colebrooke,  Wilson, 
Lassen,  Weber  et  encore  A.  Barth  ont  tenu  le  Jainisme 
pour    une    secte    bouddhique    dissidente  (*').     La    première 


LE    BOUDDHISME  97 

hypothèse  tire  de  trop  grosses  conséquences  d'une  simili- 
tude partielle  de  nom;  la  seconde  heurte  la  tradition,  qui 
présente  le  Jina  comme  légèrement  antérieur  au  Bouddha. 
Mais  les  deux  religions  naissent  d'une  même  obsession  d'é- 
chapper à  la  transmigration,  croyance  encore  contestée  par 
beaucoup  d'esprits,  mais  éprouvée  ici  et  là  en  une  véritable 
hantise.  Toutes  deux  prétendent  conquérir  le  salut  par  un 
effort  pour  s'abstraire  de  la  nature,  effort  surtout  ascétique 
dans  le  Jainisme,  mais  effort  qui,  pour  être  plus  intellectuel 
que  pratique  dans  le  Bouddhisme,  n'en  suppose  pas  moins 
une  condamnation  radicale  de  la  vie  selon  les  phénomènes. 
Toutes  deux  vénèrent  non  des  êtres  par  nature  transcen- 
dants, mais  des  hommes  qui  montrèrent  la  voie  de  l'affran- 
chissement et  pour  ainsi  dire  devinrent,  en  dépit  de  la  nature, 
transcendants.  Le  délivré  porte  ici  et  là  mêmes  noms,  car 
les  Jainas  eux-mêmes  l'appellent  Bouddha,  Tathâgata,  et 
les  Bouddhistes  eux-mêmes  le  nomment  Jina,  Tîrtharnkara ; 
le  mot  de  nirvana  s'imposa  vite  aux  sectateurs  du  Mahâvîra 
fcomme  à  ceux  du  Çâkyamuni.  Les  deux  disciplines  furent 
prêchées  dans  les  mêmes  contrées,  à  la  même  époque,  donc 
dans  les  mêmes  idiomes,  par  des  apôtres  également  étrangers 
à  la  caste  et  au  système  brahmaniques,  ce  qui  donne  à  penser 
que  le  Brahmanisme,  en  ces  régions,  était  loin  d'occuper 
alors  une  situation  prépondérante:  il  s'en  fallait  de  beaucoup 
que  la  moitié  orientale  de  la  vallée  du  Gange  lui  fût,  au 
VI®  siècle,  possession  assurée.  Les  doctrines  que  les  Brah- 
manes vont  taxer  d'hérésie  ne  paraissent  de  la  sorte  ni  cons- 
tituées par  des  esprits  qui  se  seraient  soustraits  à  leur 
orthodoxie,  ni  répandues  parmi  des  populations  déjà  brah- 
manisées.  C'est  un  type  nouveau  de  culture  qui  se  répand 
dans  un  milieu  soit  aborigène,  soit  aryen.  Ni  l'une  ni  l'autre 
des  deux  religions  n'a  besoin,  au  cours  de  sa  propagande, 
d'entrer   en   lutte   contre   les  dogmes  védico-brahmaniques 


98  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

dont  plus  tard  seulement  elles  institueront  une  critique;  il 
leur  suffit,  pour  véhiculer  quelques  très  simples  notions  nou- 
velles: la  condamnation  des  désirs,  le  goût  du  renoncement, 
la  pitié  universelle,  d'utiliser  le  bagage  anonyme  du  folk- 
lore et  des  fables,  propriété  commune  des  Dravidiens  comme 
des  Indo-Européens,  susceptible  de  se  muer,  selon  l'inspi- 
ration du  conteur,  en  apologues  édifiants  bouddhiques  ou 
jainas  (**). 

Autant  nous  tenons  à  signaler  comme  nouveau  ce  type 
de  culture,  autant  nous  craindrions  de  ne  pas  marquer  assez 
nettement  ses  attaches  avec  les  idées  indiennes  précédentes. 
A  aucun  moment,  moins  encore  avant  le  vi^  siècle  qu'après, 
les  idées  brahmaniques  n'ont  accaparé  tout  l'esprit  indien; 
le  caractère  extra-brahmanique  des  deux  religions  ne  doit 
donc  pas  faire  méconnaître  ce  qu'elles  impliquent  d'un  fonds 
antérieur,  ce  que  même  elles  possèdent  en  commun  avec  le 
Brahmanisme.  Quoiqu'il  n'y  joue  qu'un  rôle  subalterne,  le 
panthéon  védique  n'est  point  ignoré  des  canons  hérétiques. 
L'absorption  de  l'âme  individuelle  dans  le  Brahman-Atman, 
selon  les  Upanisads,  s'oppose  au  nirvana  bouddhique  en  ce 
qu'elle  implique  la  fusion  en  une  âme  supérieure,  en  un  prin- 
cipe de  vie  intégrale,  alors  qu'au  contraire  le  nirvana  s'ac- 
quiert en  exorcisant  l'apparence,  de  l'âme,  en  renonçant  à 
la  vie.  Toutefois,  dans  un  cas  comme  dans  l'autre,  il  s'agit 
de  fuir  le  phénomène,  d'échapper  au  relatif  et  les  seuls 
caractères  qui  conviennent  à  l'absolu  brahmanique  sont  des 
négations,  de  même  que  le  nirvana  se  reconnaît  à  la  suppres- 
sion des  apparences.  Aussi  la  Bhagavad-Gîtâ  pourra-t-elle 
parler  d'un  «  nirvana  brahmanique  »,  ou  «  extinction  dans 
le  Brahman  «  (brahmanirvâna,  V.  24).  D'autre  part  le  kai- 
valyam  jaina,  dans  lequel  l'âme  s'isole  en  sa  pure  authen- 
ticité, exempte  de  compromission  et  de  souillure  avec  ce 
qui  diffère  de  sa  substance,  cet  état  coïncide  avec  le  salut. 


LE    BOUDDHISME  99 

tel  que  le  comprend  la  brahmanique  philosophie  du  Sâm- 
khya.  Le  Çâkyamuni  passe  pour  avoir  eu  pour  maîtres  des 
adeptes  du  Yoga  {*^)  ;  et  c'est  à  leur  instigation  qu'il  mena 
d'abord  une  vie  d'austérités.  La  parenté  de  l'ascèse  jaina 
avec  celle  des  yogins  ne  fait  pas  de  doute,  non  plus  que  la 
ressemblance  entre  l'intellectualisme  du  Sâmkhya  et  celui 
des  Bouddhistes,  qui  cherchent  également  la  délivrance  dans 
la  pure  connaissance.  Les  Upanisads  anciennes,  presque 
contemporaines  de  la  fondation  du  Bouddhisme,  renferment 
des  raisonnements  d'un  agencement  moins  lucide,  d'une 
connexion  moins  rigoureuse,  mais  tendant  au  même  but 
que  le  pratitya  samutpâda  (^^).  Bien  que  l'idée  soit  nou- 
velle, de  concevoir  l'affranchissement  comme  une  route  à 
parcourir  (mârga),  qui  par  suite  ne  doit  être  indiquée  que 
par  quelqu'un  qui  déjà  l'a  frayée,  c'est-à-dire  par  un  homme 
éminemment  sage,  la  conception  de  la  loi  (dharma)  pro- 
clamée par  un  tel  personnage,  et  non  plus  fondée  par  les 
dieux  de  toute  éternité,  apparaît  une  transposition  dans  les 
faits  religieux,  de  la  vieille  notion  politique  du  souverain, 
promoteur  et  gardien  de  la  justice  (dharma).  Le  Tathâgata, 
le  Jina  accomplissent  une  fonction  royale  en  instituant 
l'ordre  de  la  vérité  comme  le  monarque  établit  celui  de  la 
légalité,  voire  même  de  la  vertu.  La  légende  nous  en  instruit, 
lorsqu'elle  dépeint  le  Bouddha  mettant  en  mouvement,  tel 
un  roi,  la  «  roue  de  la  loi  »  (dharmacakrapravartana)  (*')  et 
lorsqu'elle  le  fait  naître  de  souche  royale.  Pour  un  analyste 
de  la  civilisation  indienne,  les  dieux  justiciers,  Mitra  et  Varuna 
furent  les  prototypes  des  râjas  et  les  souverains  humains, 
les  prototj^pes  des  Bouddhas.  Du  Véda  aux  Nikâyas  passe, 
à  peine  modifiée,  une  même  conception  de  la  loi,  dont  le 
stade  intermédiaire  se  trouve  conservé  dans  les  traités  de 
science  politique. 


QUATRIEME    PARTIE 

LA   PENSÉE   SECTAIRE   PRIMITIVE 
ET  LA  NOUVELLE  SYNTHÈSE  BRAHMANIQUE 


CHAPITRE  I 
RELIGIONS   POPULAIRES 


A.  Dieux  nouveaux.  —  Les  deux  siècles  qui  précédèrent, 
ainsi  que  les  deux  siècles  qui  suivirent  le  début  de  l'ère 
chrétienne  ont  vu  se  constituer  une  littérature  brahmanique 
très  touffue,  très  diverse,  mais  qui  témoigne  de  croyances 
plus  nouvelles  encore  que  les  postulats  des  doctrines  héré- 
tiques. Les  documents  qui  renferment  à  cet  égard  la  plus 
riche  documentation  sont  les  épopées  du  MiihTihharala  et 
du  Ranmyana,  sur  la  signification  desquelles  nous  aurons 
à  nous  expliquer,  mais  que  nous  ne  prenons,  quant  à  présent, 
que  comme  sources  d'information  sur  ces  croyances. 

En  opposition  à  la  pensée  brahmanique,  système  doc- 
trinal d'une  caste,  la  pensée  des  Jainas  et  des  Bouddhistes, 
qui  en  fait  ne  tient  aucun  compte  d'une  classification  des 
hommes  fondée  sur  la  naissance,  nous  apparut  préparée, 
propagée  par  l'activité  de  sages  étrangers  au  sacerdoce, 
mais  membres  de  la  caste  nobiliaire,  la  seule  qui,  en  dehors 
des  brahmanes,  possédât  instruction  et  loisir. 


RELIGIONS    POPULAIRES  101 

C'est  maintenant,  si  l'on  peut  dire,  la  religion  du  tiers- 
état  qui  pour  la  première  fois  va  transparaître  dans  ces  textes 
littéraires;  et  nous  entendons  par  là  non  seulement  les 
croyances  des  deux  castes  inférieures  de  la  société  brahma- 
nique, mais  celles  de  la  masse  amorphe  des  sans-caste,  où  se 
mêlent,  également  méprisés  des  castes  dirigeantes,  les  «  dé- 
classés »,  les  étrangers,  les  esclaves  de  couleur,  les  parias,  les 
survivants  asservis  des  aborigènes.  Dans  ce  chaos  social,  con- 
sidérable par  le  nombre,  pénètrent  des  influences  brahma- 
niques, mais  leur  efficacité  se  montre  faible  sur  des  êtres 
ignorants  des  doctrines  de  l'élite,  non  admis  au  même  culte, 
surtout  possédés  eux-mêmes  par  des  croyances  extérieures 
à  celles  des  classes  dirigeantes.  Si  repliés  sur  eux-mêmes 
que  veuillent  vivre  les  brahmanes,  ils  ne  peuvent  plus  tenir 
pour  négligeable  cette  quantité  humaine  sans  cesse  grossis- 
sante: toute  tentative  de  leur  part  pour  garder  leur  pré- 
pondérance aura  pour  rançon  quelque  altération  de  leur 
authentique  doctrine  par  des  concessions  aux  opinions  comme 
aux  superstitions  de  la  foule  (^^}. 

Les  épopées  attestent  l'existence  de  cultes  dont  nous 
ne  trouvons  dans  aucun  texte  antérieur  nulle  mention,  mais 
qui  ne  semblent  point  récents  vers  le  début  de  notre  ère. 
Leur  origine  populaire  fait  l'objet  d'affirmations  précises 
auxquelles  on  n'a  guère  prêté  l'attention  qu'elles  méritent, 
parce  qu'on  les  considérait  à  la  lumière  d'interprétations 
brahmaniques  ultérieures,  désormais  prééminentes,  et  sans 
les  comparer  aux  religions  autochtones.  Les  données  les 
plus  caractéristiques  concernent  le  culte  de  Krsna  et  de 
Râma,  deux  divinités  exemptes  de  cet  aspect  naturiste  que 
comportent  les  membres  du  panthéon  védique,  et  non  moins 
étrangères  à  cette  vénération  de  la  sainteté  humaine  qui 
tient  lieu  de  religion  dans  les  deux  principales  hérésies. 


102  HISTOIRE    DE    LA    riIILOSOPHIE    INDIENNE 

Les   adeptes   de   ces   cultes   n'appartiennent   à   aucune 
caste  particulière  et  se  recrutent  parmi  les  deux  sexes;  tandis 
que  la  révélation  orthodoxe  ne  s'octroie   qu'aux   hommes, 
dans  l'avenir  les  épopées  seront  enseignables  aux  femmes, 
selon  le  consentement  explicite  des  brahmanes.    Ce  genre  de 
communauté  religieuse   qui   peut  revêtir   mille  formes   dis- 
tinctes, mais  qui  s'oppose  à  l'exclusivisme  sacerdotal,  c'est 
«  la  secte  ».  L'organisation  sectaire  qui,  à  toute  époque,  étend 
son  emprise  sur  la  majorité  des   âmes  indiennes,  fut,   dès 
les  origines,  rivale  de  la  systématisation  brahmanique,  plus 
stricte,   plus  exclusive;    les    compromis    d'ordinaire    incon- 
scients entre  ces  deux  idéaux  remplissent  l'histoire  de  l'Inde 
religieuse.    A  bien  des   égards   les  partisans   du  Jina  ou  du 
Bouddha  composent  déjà  deux  sectes  malgré  l'allure  aris- 
tocratique de  l'ascétisme  qui  prévaut  chez  les  premiers  et 
de  l'intellectualisme  qui  règne  sur  la  doctrine  des  seconds. 
Dans  la  plupart  des  sectes  la  façon  de  vivre,  le  détail  des  opi- 
nions importent  moins  que  le  commun  accomplissement  de 
rites  déterminés,   sans  connexion  avec  ceux   que  décrivent 
les  Brâhmanas  (*^). 

11  n'est  point  question,  pour  les  sectes  proprement 
dites  —  Bouddhisme  et  Jainisme  exceptés  —  d'échapper  à 
la  transmigration;  il  s'agit  d'écarter  des  puissances  malignes, 
de  conjurer  des  sorts,  de  préserver  hommes  et  troupeaux 
des  maladies.  De  telles  pratiques  font  songer  non  à  la  théo- 
sophie  des  brahmanes,  mais  à  ces  humbles  cultes  dravidiens 
que  nous  constatons  aujourd'hui  encore  en  Kanara,  en 
pays  tamoul  ou  telugu;  elles  impliquent  non  la  recherche 
de  l'illumination  suprême  en  l'absolu,  mais  la  propitiation 
d'une  divinité  de  tribu,  homme  ou  femme  ayant  jadis  appar- 
tenu au  groupe,  lui  ayant  procuré  des  biens  ou  des  maux. 
On  s'assure  la  faveur  de  cet  être  devenu  surnaturel  en  lui 
sacrifiant  des  animaux,  sans  nul  souci  de  ce  respect  de  la 


RELIGIONS    POPULAIRES  103 

vie    qu'impose    très    vite    au    brahmanisme    la    propagande 
bouddhique  ou  jaina  {^^). 

A  la  lumière  d'un  rapprochement  avec  ces  cultes  gros- 
siers, maints  traits  des  légendes  relatives  à  Krsna,  dont  les 
épopées  se  font  l'écho,  s'éclairent  d'un  jour  nouveau.   Ce  dieu 
«  noir  »,  élevé  parmi  des  bergers,  gardien  de  bœufs  (gopâla), 
toujours  prêt  au  rapt  ou  à  la  razzia,  chevaleresque  et  félon 
comme  un  chef  de  brigands,  ne  ressemble  pas  plus,  par  les  traits 
anciens  et  concrets  de  sa  personnalité,  au  Brahman-Atman 
des  Upanisads  qu'au  Christ  judéo-grec   auquel  on  l'a   com- 
paré  avec  témérité.     Par  contre  il  s'apparente  aux  dieux 
des  Dravidiens  de  race  noire,  rudes  bouviers  au  culte  sangui- 
naire.   Ses  origines  humaines  se  trahissent  jusque  dans  le 
Mahâbhârata  par  l'abondance  des  épisodes  peu  édifiants  dont 
il  est  le  héros:    les  récits  de  ses  orgies,  de  ses  traîtrises  y 
côtoient  des  textes  où  l'on  célèbre  sa  perfection  et  son  omni- 
potence.   Son  aspect  primitif  se  manifeste,  tout  barbare,  en 
quelques    vers  du  Harivamça  (3.808,  sqq.),  pourtant  posté- 
rieur au  Mahâbhârata:    «  Nous  sommes,  dit  le  bouvier  divin, 
des  pâtres  errant  dans  les  bois;    nos  divinités  à  nous  ce  sont 
les  vaches,  les  montagnes,  les  forêts».    Et  cette  profession 
de  foi,  il  la  proclame  pour  justifier  son  refus  de  s'associer  à 
l'adoration  du  dieu  védique  Indra.    Où  trouver  aveu  plus 
ingénu  de  l'origine  populaire,  extra-brahmanique,    du  Krs- 
naïsme  ?  (^^). 

Les  traits  essentiels  de  la  physionomie  de  Râma  se  pré- 
sentent sous  un  relief  moins  saillant,  mais  la  légende  rappor- 
tée par  le  Harivamça  ne  s'écarte  guère  de  la  vraisemblance  en 
déclarant  ce  demi-dieu  frère  de  Krsna.    Lui  aussi  a  mérité 

•  •    • 

d'être  érigé  en  tueur  de  démons  par  les  aventures  brutales 
ou  scabreuses  qui  signalèrent  sa  carrière  de  «  héros  ».  Le 
portrait  idéalisé  qu'en  donne  le  Râmâyana  est  ici  hors  de 


104  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

cause,  car  il  atteste  une  élaboration  tardive  des  idées  sec- 
taires, plus  artistique  et  plus  savante  à  la  fois  que  celle  dont 
fait  preuve  le  Mahâbhârata. 

Les  épopées,  même  dans  leurs  parties  les  plus  anciennes, 
ne  nous  fournissent  d'ailleurs  que  des  aperçus  furtifs  sur 
les  cultes  populaires  à  l'état  fruste  et  natif.  Elles  nous 
dépeignent  par  contre  avec  complaisance  soit  une  forme 
raffinée  de  ces  religions  aux  origines  si  humbles,  soit  une 
accommodation  des  croyances  des  castes  brahmanique  ou 
ksatriya  aux  dévotions  de  la  foule.  C'est  de  l'une  ou  de  l'autre, 
sans  doute  de  l'une  et  de  l'autre  façon  qu'il  convient  de 
juger  l'aspect  le  plus  fréquent  du  Krsnaïsme  dans  le  Mahâ- 
bhârata. Krsna  s'y  révèle  prince  belliqueux,  digne  d'in- 
carner le  type  idéal  des  ksatriyas;  ses  conseils  au  vieux 
roi  Yudhisthira  attestent  son  peu  de  goût  pour  la  vie  ascé- 
tique, comme  ses  exhortations  au  probe  et  scrupuleux 
Ai'juna  glorifient  dans  la  guerre  le  mode  le  plus  parfait  de 
l'activité.  Son  rattachement  à  la  famille  des  Pândavas, 
saluée  par  la  légende  épique  comme  une  dynastie  nationale, 
tient  à  cœur  aux  bardes  du  Mahâbhârata:  on  le  déclare 
fils  de  Vasudeva,  le  Brillant,  divinité  céleste,  et  Vasudeva 
est  frère  de  Kuntî,  l'épouse  de  Pându.  Or  le  Vasudévide, 
Vasudeva  est  une  divinité  que  vénérait  le  Nord-Ouest  de 
l'Inde,  au  ii^  siècle  avant  notre  ère  (^^).  Voilà  déjà  le  bou- 
vier transformé,  comme  naguère  le  sage  des  Çâkyas,  en  prince 
accompli,  le  voilà  même  assimilé  à  un  <(  dieu  des  dieux  », 
roi  de  la  terre  et  du  monde.  Afin  de  mieux  annexer  à  l'Inde 
traditionnelle  cette  nouvelle  recrue  de  son  Olympe,  on  le 
proclame  issu  de  l'antique  souche  royale  des  Bhâratas. 
Comment  reconnaître  plus  nettement  une  provenance  étran- 
gère et  une  divinisation  de  fraîche  date  ? 

Le  dessin  évident  de  s'assimiler  le  culte  de   Krsna  ne 

•  •    • 

siB  manifeste  pas  seulement  par  des  tentatives  d'inspiration 


RELIGIONS    POPULAIRES  105 

ksatriya;  l'intervention  des  brahmanes,  tendant  au  même 
but,  se  trahit  dans  l'effort  pour  identifier  ce  dieu  reconnu 
depuis  peu,  à  d'anciennes  divinités  védiques.  Ainsi  le  Vâsu- 
deva  ne  ferait  qu'un  avec  un  certain  aspect  du  Brahman 
ou  du  Purusa,  dénommé  Nârâyana,  l'âme  suprême  en  tant 
que  réceptable  des  dieux  et  des  hommes  (nara),  ou  en  tant 
qu'issue,  comme  l'œuf  cosmique,  des  eaux  primordiales 
(nârâh)  (^^).  Ce  Nârâyana,  invité  par  Nârada,  dans  le  Çân- 
tiparvan  (Mbh.  XII),  à  s'expliquer  sur  l'origine  de  l'être,  se 
reconnaît   consubstantiel   au   Vâsudeva,   à  Krsna,   même   à 

•  •    • 

Râma.  Mais  ce  n'est  là  qu'une  abstraction  falote,  en  com- 
paraison de  deux  grands  dieux  que  les  brahmanes  créèrent 
pour  ainsi  dire  de  toutes  pièces,  avec  un  minimum  de  données 
védico-brahmaniques  antérieures,  pour  pouvoir  accueillir 
sous  une  forme  qui  leur  fût  acceptable  une  nouvelle  divinité 
populaire  qui  risquait  de  leur  faire  échec.  Ces  deux  êtres, 
au  concept  desquels  se  trouvèrent  ainsi  collaborer  l'artifi- 
cialisme  de  la  caste  savante  et  la  spontanéité  indigène, 
conservèrent  jusqu'à  nos  jours  leur  empire  sur  les  âmes. 
Ils  se  nomment  Çiva  et  Visnu. 

Çiva,  sous  son  aspect  originaire,  mérite  d'être  le  dieu 
des  farouches  tribus  pastorales  auxquelles  appartient  Krsna  : 
les  forêts,  les  montagnes  sont  ses  résidences  favorites;  avec 
les  bandes  qu'il  commande,  ses  ganas,  il  régit  les  innom- 
brables esprits  de  la  nature;  il  patronne  les  humbles,  qu'ils 
soient  artisans  ou  voleurs  de  grands  chemins.  Il  a  pour 
doublet  une  déesse  aux  noms  multiples,  Parvati,  la  Mon- 
tagnarde; Durgâ,  l'Inaccessible;  Kâlî,  la  Noire;  noms  iden- 
tiques à  ceux  que  portent,  aujourd'hui  encore,  des  divinités 
dravidiennes.  De  fait,  son  prestige  ne  se  conserva  nulle 
part  aussi  vivace,  aussi  prédominant  que  dans  l'Inde  mé- 
ridionale, où  se  maintiennent  des  sociétés  d'aborigènes.  Mais 
on  confond  avec  Çiva,  dès  l'époque  des  épopées,  un  ancien 


10(5  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

dieu  védique,  Rudra,  qui  préside  aux  tempêtes,  mais   qui, 
comme  les  génies  autochtones,  sème  ou  guérit  les  épidémies. 
La  dualité  d'attributions  tant   malfaisantes   que   salutaires 
appartient  en  propre  à  Rudra  comme  à  Çiva:  leur  puissance, 
en  soi  nocive,  devient  favorable  à  qui  sait  s'en  concilier  l'appui  ; 
d'où  les  titres  sous  lesquels  on  les  invoque  pour  s'assurer  leurs 
bonnes    grâces:     Paçupa,    protecteur    du    bétail;     Çambhu, 
bienveillant  ;    Çankara,     bienfaisant;    Çiva,    propice.    Sous 
son  aspect  le  plus  abstrait,  ce  dieu  qui  dispense  la  mort  et 
la  vie  est  Kâla,  le  Temps,  destructeur  et  créateur  universel. 
Mais  loin  de  s'évanouir  en  un  pâle  concept,  sa  figure  affecte 
un  sauvage  réalisme:    ses  attributs  sont  le  phallus  qui  en- 
gendre,  le   trident   qui   anéantit;     et  le  dieu,   comme   telle 
secte  d'ascètes,  entourne  son  visage  couvert  de  cendres  par 
une  guirlande  composée  de  têtes  de  mort  (^*). 

Les    épithètes    de    Mahâdeva,    grand    dieu;     d'ïçvara, 
Seigneur,   également  chères  à  la  dévotion  populaire,  prête 
à  révérer  le  surnaturel  dans  son  uniforme  totalité,  sans  cher- 
cher, comme  la  religion  védico-brahmanique,  à  la  spécifier 
sous  la  diversité  des  forces  constitutives  de  la  nature,  ces 
mêmes  épithètes  conviennent,  quoiqu'en  un  sens  différent, 
à  Visnu  autant  qu'à  Çiva.    L'omnipotence  de  Çiva  résulte  de 
ce  qu'il  est  le  principe  de  tout  devenir;    celle  de  Visnu,  de 
ce  qu'il  pénètre  tout.    Le  Visnu  védique  personnifie  le  soleil, 
en  tant  que  cet  astre,  qui  parcourt  les  espaces,  infuse  lu^ 
mière  et  chaleur  aux  trois  divisions  du  monde:    ciel,  atmos- 
phère, terre;    d'où  la  légende  de  ses  trois  pas,  qui  le  rendent 
coextensif  à  l'univers.    Mais,  quoique  son  influence  s'étende 
ainsi  bien  au  delà  du  ciel,  ce  dernier  est  son  séjour  suprême, 
(paramam  padam,  Rgvéda,  1,  22,  20),  celui  aussi  qui  marque 
le  terme  de  l'ascension  des  âmes  (Katha  Up.   III,   9);    et 
c'est  à  la  lettre  qu'on  le  dit  le  plus  élevé  des  dieux  (Ait.  Br. 
I,    1).     En  effet,   ses   manifestations  sont    des    «descentes» 


RELIGIONS     POPULAIRES  107 

(avatâras)  (^^).  Afin  que  ce  mythe  de  la  splendeur  solaire 
rejoigne  les  croyances  du  peuple,  les  brahmanes  se  remé- 
morent la  bienveillance  (sumati,  VII,  100,  2)  que  le  Rgvéda 
prête  à  l'astre  du  jour,  en  faveur  des  hommes. 

Si  disparates  que  semblent  la  sombre,  la  hirsute  figure 
de  Ci  va  et  la  radieuse  gloire  d'un  lampadaire  céleste,  ces 
deux   divinités   se   contaminèrent   de   Krsnaïsme;     elles   ne 

•  •    • 

s'érigèrent  en  puissances  universelles  que  pour  se  reconnaître 
équivalentes  à  une  forme  religieuse  qui  leur  était  en  prin- 
cipe étrangère.  Par  là  même  elles  se  rapprochèrent:  le 
Mahâbhirata,  qui  proclame  l'existence  de  Visnu  en  Krsna, 
est  suivi  du  Harivamça,  qui  égale  l'un  à  l'autre  Hari  ou 
Visnu  et  Hara  ou  Çiva  (Hariharâtmakastava,  adh.  184)  {^'^). 

B.  Notion  nouvelle  de  la  religion.  —  L'apparition  dans 
la  littérature  brahmanique  de  dieux  nouveaux  atteste  la 
formation  d'une  conception  insolite  de  la  religion,  qu'il 
fut  à  la  caste  dominante  impossible  de  toujours  dédaigner 
ou  méconnaître.  Les  plus  anciens  témoignages  s'en  ren- 
contrent dans  le  culte  de  Bhagavat,  le  Bienheureux  ou  le 
Seigneur,  titre  donné  à  l' Être  suprême  dans  un  Krsnaïsme 
déjà  très  dégagé  de  sa  grossièreté  native.  On  les  retrouve 
dans  la  secte  çivaïte  des  Pâçupatas  et  dans  la  secte  visnuite 
du  Pâncarâtra,  dont  la  symétrie  ou  le  parallélisme  semblent 
prouver  de  communes  origines  (^^).  Des  systèmes  philoso- 
phiques distincts  en  procéderont,  mais  appuyés  sur  des  pos- 
tulats analogues. 

Les  cultes  nouveaux,  du  moins  sous  leur  aspect  popu- 
laire, antérieur  à  l'assimilation  brahmanique,  s'adressaient, 
comme  la  vénération  des  Jainas  et  des  Bouddhistes,  à  des 
humains.  Les  modestes  génies  locaux  que  cherchent  à 
propitier  les  aborigèn'3s  n'ont,  pour  la  plupart,  trépassé 
que  de  fraîche  date;  et  l'autorité  d'un  Krsna  sur  les  bergers 
nomades  participe  à  quelque  degré   du    prestige  d'un  chef 


108  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

sur  les  compagnons  qu'il  a  menés  aux  prairies  ou  guidés  au 
pillage.  Ce  caractère  de  «  demi-dieu  »  fut  reconnu  par  les 
Grecs  analogue  à  celui  de  leurs  héros,  tel  Héraklès.  Mais 
un  singulier  contraste  opposait  cette  vénération  d'hommes 
à  peine  magnifiés,  aux  rites  qui  s'adressaient  aux  divinités 
soit  naturalistes  du  Véda,  soit  abstaites  des  Brâhmanas:  le 
divin  apparaissait  désormais  tout  proche  du  fidèle,  puisqu'il 
émergeait  pour  ainsi  dire  de  la  condition  humaine.  L'adepte 
d'une  doctrine  connaît  par  des  récits  en  voie  de  devenir 
légendaires,  mais  encore  plausibles,  la  vie  de  son  maître 
spirituel,  et  celui-ci  n'a  rien  oublié  des  besoins  de  ses  anciens 
parents  ou  amis.  Cette  intime  familiarité  de  deux  con- 
sciences, dont  l'une  soutient  l'autre  sans  l'écraser  de  sa  su- 
périorité, fait  éclore  des  sentiments  qu'aurait  refoulés  plutôt 
que  suggérés  l'antithèse  entre  un  Brahman  seul  réel  et  des 
êtres  phénoménaux  à  vrai  dire  inexistants. 

Le  divin  n'étant  plus  une  force  naturelle,  que  le  rite 
canalise  et  tourne  à  notre  profit,  ni  une  entité  que  construit 
l'intelligence,  mais  une  source  de  vie,  l'ancien  type  de  foi, 
çraddhâ,  croyance  en  la  véracité  d'un  rsi  révélateur  du  rite 
ou  d'un  guru  dispensateur  d'un  enseignement,  cède  la  place 
à  de  la  confiance  en  le  guide  que  l'on  révère. 

Il  ne  s'agit  plus  d'écouter  seulement  quelqu'un  qui 
sait,  en  une  obéissance  à  l'autorité  qui  impliquait  une  sou- 
mission devant  la  science;  le  culte  populaire  n'a  que  faire 
de  la  spéculation  pure.  Il  s'agit  de  s'en  remettre  aveuglé- 
ment à  la  direction  d'un  maître,  lequel  n'est  maître  qu'au 
sens  de  Seigneur.  On  renonce  à  sa  propre  personnalité  non 
parce  qu'elle  serait  fragile  en  face  des  puissances  cosmiques, 
non  parce  qu'elle  serait  illusoire  en  opposition  au  vrai,  mais 
parce  qu'on  en  fait  don  au  souverain  des  âmes.  L'opulence, 
la  libéralité,  la  sagesse  du  bon  pasteur  subviennent  aux 
misères,  aux  indigences  dont  se  reconnaît  affecté  le  «  bétail  » 


RELIGIONS    POPULAIRES  109 

(paçu)  humain;  aussi  le  salut,  qui  ne  s'acquiert  ni  par 
l'ascèse  ni  par  la  réflexion,  s'obtient  d'une  grâce  susceptible 
de  nous  être  accordée  en  retour  de  notre  abandon. 

x\ucun  abîme  ontologique  résultant  de  la  croyance  en 
la  transmigration  n'oppose,  dans  cette  conception,  le  re- 
latif à  l'absolu.  L'âme  n'a  qu'à  demander  à  son  maître  de 
se  faire  son  sauveur  pour  avoir  part  elle-même  à  la  vie 
divine:  toutes  les  limitations  de  notre  individualité  se 
trouvent  aussitôt  compensées  par  les  perfections  de  la  souve- 
raine personnalité.  Les  nouvelles  religions  se  représentent 
chacune  leur  dieu  comme  unique,  Mahâdeva,  en  même  temps 
que  comme  personnel,  Iça,  Içvara,  le  Seigneur  ;  aucune 
incompatibilité  n'apparaît  entre  l'absolu  et  le  carac- 
tère personnel,  en  dépit  du  postulat  inverse  admis  par 
la  pensée  brahmanique;  et  la  raison  en  est,  semble-t-il, 
que  cette  théologie  nouvelle,  non  seulement  monothéiste, 
mais  théiste,  n'offre  que  la  contre-partie  dogmatique  du 
piétisme  où  s'absorbe  la  vie  religieuse.  Une  dévotion  dans 
laquelle  le  rite  s'efface  devant  l'adoration  suggère  une  on- 
tologie qui  n'accorde  une  valeur  qu'à  la  conscience  divine. 
Seule  importe  la  communication  directe  d'âme  à  âme,  con- 
descendance bienveillante  du  supérieur,  confiance  aimante  de 
l'inférieur,  qui,  au  prix  d'un  maigre  sacrifice,  le  renoncement 
à  soi,  s'unit,  ravi,  à  l'amour  même.  Ce  sentiment  que  par- 
tagent de  façon  complémentaire  le  dieu  et  l'homme,  et  qui 
chez  l'un  est  pure  générosité,  chez  l'autre  une  foi  faite  de 
quiétude  et  d'ardeur,  un  terme  spécial  le  désignera  dé- 
sormais :  la  bhakti  (^*).  La  plus  ancienne  «  Introduction  à 
la  vie  dévote»  que  l'Inde  ait  composée  est  Isi  Bhogavad-Git^ 
«  Chant  du  Bienheureux  »  ou  de  «  l'Adorable  ».  Ce  texte, 
plus  que  célèbre,  souvent  mal  compris,  fait  partie  du  Mahâ- 
bhârata  (VI  25-42)  ;  mais  il  ne  faut  s'étonner  ni  d'y  trouver 
des  tentatives  évidentes  d'assimilation  brahmanique,  ni  d'y 


110  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

rencontrer  une  profession  de  foi  sectaire,  celle  de  l'église 
des  Bhâgavatas;  il  faut  plutôt  signaler  le  paradoxe  de  ce 
singulier  évangile,  son  piétisme  fi  déiste  et  quiétiste  associé 
à  de  véhémentes  exhortations  belliqueuses,  et  reconnaître 
qu'en  effet  dans  le  cadre  de  la  société  brahmanique,  c'étaient 
les  mœurs  de  la  caste  guerrière  qui  s'éloignaient  le  moins  de 
la  rudesse  des  pâtres  adorateurs  de  Krsna.  Le  fruste  bandit 
pouvait  devenir  l'idéal  de  la  noblesse  d'épée  ainsi  que  de 
la  royauté:  élevé  de  la  sorte  au  niveau  d'une  caste  de  civi- 
lisation déjà  raffinée,  initiée  à  la  réflexion  abstraite,  il  voyait 
se  transformer  en  grâces  mystiques  les  traits  licencieux  ou 
sauvages  de  sa  physionomie  première.  Ses  caprices,  sa  vio- 
lence, c'est  l'Esprit  qui  souffle  où  il  veut,  sans  connaître 
d'obstacles;  ses  erotiques  aventures  d'adolescent  folâtrant 
avec  des  bergères,  de  reitre  ravisseur,  c'est  le  mythe  que 
symbolise  un  Cantique  des  cantiques,  adressé  à  l'époux 
des  âmes.  La  Bhagavadgîtâ  est  un  tel  cantique,  mais  où 
des  vitupérations  nietzschéennes  exaltant  la  destruction 
côtoient  des  effusions  dignes  de  1'  «  Imitation  ».  C'est  le 
dieu  qui  prêche  la  violence,  c'est  l'homme  qui  éprouve  des 
scrupules.  La  conciliation  de  tant  de  barbarie  avec  tant  de  quié- 
tisme  apparaîtra  superficielle  et  précaire  ;  on  y  reconnaîtra  de 
l'éclectisme  brahmanique:  à  chaque  caste  son  devoir  (svadhar- 
ma),  enseigne  Krsna  ;  la  tâche  suprême  d'un  noble,  tel  que  cet 
Arjuna  auquel  il  s'adresse,  c'est  la  guerre.  Une  telle  assertion 
laisse  à  entendre  que  le  dieu  enseignerait  une  autre  morale  à 
un  homme  d'autre  caste.  A  dire  vrai,  cet  enseignement  tout 
sectaire  ne  fait  point  acception  de  caste,  et  le  for  intérieur  de 
la  divinité  dans  le  sein  de  laquelle  toute  violence  guerrière 
trouve  non  son  pardon  mais  sa  justification,  ne  serait  pas 
moins  le  but  ultime  de  toute  condition  humaine  autre  que 
celle  du  noble.  Un  acte  quelconque,  pourvu  qu'on  l'accom- 
plisse sans  souci  de  l'intérêt  personnel,  mais  par  amour  pour 
le  principe  suprême,  est  agréé  de  Dieu  et  nous  unit  à  lui.  En 


RELIGIONS    POPULAIRES  111 

cette  fusion  se  résument  toute  spéculation,  tout  effort  moral, 
et  le  vieux  concept  de  yoga,  qui  connotait  naguère  la  jonction 
des  souffles  vitaux  en  une  ascèse  indépendante,  désigne 
désormais  pour  les   Bhâgavatas  l'absorption  en   Dieu. 

Les  religions  populaires  qui,  sous  leur  forme  intellec- 
tualisée, culminaient  en  monothéisme  et  en  piétisme,  diffé- 
raient de  tout  autre  type  antérieur  de  religion.  Elles  igno- 
raient l'autorité  védique,  les  rites  et  dogmes  des  brahmanes 
sans  même  posséder  en  commun  avec  eux,  comme  les  héré- 
sies, la  croyance  en  la  transmigration.  Du  Bouddhisme,  du 
Jainisme,  elles  n'adoptaient  ni  le  rationalisme,  ni  le  mépris 
de  la  vie  '(mondaine»;  le  désintéressement  d'un  dévot  de 
Krsna  n'implique  aucun  renoncement  à  des  valeurs  illusoires, 
mais  une  simple  nostalgie,  une  vocation  pour  le  divin. 

Aucune  instruction  particulière,  aucun  dressage  ascé- 
tique ne  préparent  à  la  recherche  de  cet  idéal  d'amour, 
accessible  à  quiconque.  Le  chemin  de  la  dévotion,  bhak- 
timârga,  s'écarte  et  du  chemin  de  la  connaissance,  jânna- 
mârga,  et  du  chemin  des  œuvres,  karmamârga,  car  l'action 
qu'il  préconise  c'est  non  le  conformisme  ritualiste,  mais  la 
vie  commune,  pourvu  qu'elle  s'accompagne  de  fidéisme.  Et 
cependant  l'influence  des  grandes  hérésies  se  trahit  non  pas, 
peut-être,  dans  l'objet  de  la  vénération,  car  révérer  un  dieu 
humain,  tel  Krsna,  n'équivaut  point  à  révérer  un  homme 
quasi-divin,  le  Jina  ou  le  Bouddha;  mais  dans  ce  besoin 
de  renoncement  qui  rappelle  les  préceptes  n'autorisant 
d'autre  action  que  celle  qui  ne  portera  pas  de  fruit,  parce 
qu'elle  est  exempte  de  désir.  De  semblables  religions  heur- 
taient ainsi,  à  tous  égards,  les  traditions  brahmaniques. 
Leur  hostilité  au  monachisme  pouvait  seule  agréer  aux 
brahmanes  :  elle  permit  à  ces  derniers  de  faire  place  dans 
leur  système  social  aux  cultes  nouveaux,  à  la  condition 
que  ce  fussent  les  cultes  de  castes  inférieures.    Mais  cette 


112  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

consécration  précaire  et  dédaigneuse  ne  marqua  pas  encore 
l'apogée  des  religions  populaires:  elles  se  brahmanisèrent  à 
ce  point  que  le  document  qui  en  est  pour  nous  le  plus  ancien 
témoignage,  la  Gîtâ,  devint  un  texte  sacré  non  pas  de  çruti 
mais  de  smrti,  pour  les  brahmanes  eux-mêmes.  C'est  la 
réaction  de  la  caste  sacerdotale  à  l'égard  des  divers  facteurs 
nouveaux  dressés  en  face  d'elle,  qu'il  nous  faut  maintenant 
préciser. 


CHAPITRE  II 
LA  RÉACTION  BRAHMANIQUE 


A.  Les  sources.  —  L'événement  qui  domine  ainsi  les  deux 
derniers  siècles  antérieurs  à  notre  ère,  c'est  l'importance  crois-> 
santé  que  prennent  dans  la  civilisation  indienne  des  idées  des 
croyances  extra-brahmaniques.  D'autre  part  la  caste  des 
brahmanes  gardait,  sauf  à  l'intérieur  des  communautés 
bouddhiques  ou  jainas,  le  monopole  de  l'enseignement,  le 
monopole  même  de  la  littérature,  c'est-à-dire  l'aptitude  à 
rédiger,  puis  à  conserver  par  tradition  orale  ou  écrite,  la 
substance  des  croyances  ou  des  règles  sur  lesquelles  vivait 
la  société.  Rien  de  plus  significatif  à  cet  égard  que  les  épo- 
pées. Leur  trame  se  compose  de  récits,  âkhyânas,  sans  doute 
fort  anciens,  dont  l'inspiration,  moralisante  ou  héroïque, 
jaillit  des  couches  populaires.  L'Inde,  à  juste  titre,  se  re- 
connaît comme  le  pays  des  Bhâratas,  la  lignée  issue  de  ce 
légendaire  Bharata  dont  le  souvenir  forme  presque  le  seul 


LA    RÉACTION    BRAHMANIQUE  113 

lien  entre  les  multiples  peuples  constituant  l'indianité;  car 
sans  doute  cette  mythique  tradition  plonge  plus  à  fond 
dans  les  arcanes  de  la  mentalité  indienne  que  le  système  ar- 
tificiel d'une  caste  particulière.  Mais  qui  donc  a  fixé  le 
texte  du  Mahâbhârata,  puis  celui  du  Kâmayana,  en  cette 
langue  savante,  le  sanscrit,  sinon  des  brahmanes  ou  des 
scribes  dressés  à  leur  école  ?  De  là  ces  innombrables  dis- 
parates des  épopées  où  des  développements  étrangers  à  la 
pensée  brahmanique  se  coupent  d'interpolations,  s'affublent 
de  revêtements  qui  portent  la  marque  d'une  rédaction  sace- 
dotale;  de  là  ce  caractère  scolastique  du  Mâhabhârata, 
véritable  «  somme  »  où  s'intègrent  des  éléments  à  peine 
conciliés,  souvent  inconciliables,  pêle-mêle  entassés  entre  les 
mailles  d'un  récit  très  élastique,  comme  si  l'Inde,  menacée 
par  telle  ou  telle  invasion,  avait  voulu  sauver  dans  cette 
compilation  ses  plus  chers  souvenirs  et  l'expression  in- 
cohérente   de    ses    diverses    convictions  (^'). 

Le  même  esprit  se  retrouve,  avec  moins  de  spontanéité, 
avec  un  penchant  croissant  à  l'abstraction,  avec  aussi  le 
dessein  de  prendre  les  poèmes  épiques  pour  modèles,  dans 
les  Purânas  {^'^).  Le  titre  seul  de  ce  gem-e  littéraire,  «an- 
ciennetés »,  atteste  le  désir  de  composer  «  sur  des  pensers 
nouveaux  des  vers  antiques.  »  Le  vieux  fonds  des  récits 
populaires  s'y  mêle  toujours  davantage  de  réflexion  cos- 
mologique sur  les  créations  et  destructions  alternatives  du 
monde,  de  généalogies  des  dieux,  des  rsis,  des  races  humaines. 
Cette  soudure  entre  la  légende  et  l'abstraction,  désormais 
consacrée,  détournait  à  jamais  le  génie  indien  d'un  goût 
positif  pour  l'exactitude  historique:  trop  vif  était  le  désir 
d'unifier  au  moins  par  la  commune  rédaction  sanscrite  et 
à  quelque  degré  par  un  conscient  syncrétisme  la  diversité 
des  sources  d'inspiration.  L'artificialité  des  Purânas  ne 
compromet  donc  point,  elle  mettrait  plutôt  en  évidence 
8 


114  HISTOIRE    DE    LA    l'HlLOSOrHIE    INDIENNE 

l'intérêt  documentaire  des  facteurs  épars  qui  s'y  trouvent 
conservés. 

La  réaction  des  brahmanes  à  l'égard  des  idées  exté- 
rieures au  brahmanisme  ne  se  réduisit  pas  à  une  certaine 
assimilation  de  facteurs  hétérogènes,  sous  la  pression  du 
milieu.  Elle  se  précisa  par  des  œuvres  dont  les  unes  se 
révèlent  de  pure  essence  brahmanique,  des  rituels  appa- 
rentés aux  Brâhmanas  ;  et  les  autres,  quoique  remplies 
d'idées  de  même  ordre  que  celles  qui  se  montrent  dans  les 
épopées,  attestent  un  ferme  propos,  chez  la  caste  domi- 
nante, de  sauvegarder  l'intégrité  de  son  prestige  en  assu- 
mant elle-même  l'organisation  sociale. 

Des  extraits  de  Brâhmanas  relatifs  à  la  technique  du 
sacrifice  deviennent  le  centre  de  systématisations  nouvelles,  les 
sûtras  (^^).  A  l'intérieur  de  chaque  samhitâ,  les  Brâhmanas 
font  ainsi  souche  d'un  ou  de  plusieurs  sûtras,  différenciés 
selon  la  diversité  des  traditions  ou  des  écoles  ;  la  plus  féconde, 
celle  des  Taittiriyas,  donne,  par  exemple,  le  jour  à  cinq 
productions  de  cette  sorte:  les  sûtras  de  Baudhâyana,  de 
Bhâradvâja,  d'Apastamba,  d'Hiranyakeçin,  de  Vaikhânasa. 
Un  autre  principe  de  variété  se  surajoute,  qui  subdivise  en 
deux  catégories  les  sûtras.  Certains  hymnes  du  Rg  ou  apho- 
rismes  de  l'Atharvaveda  s'emploient  au  cours  de  cérémonies 
familiales,  à  l'occasion  des  naissances,  des  mariages,  des 
funérailles,  du  culte  ancestral  ;  voilà  le  fond  des  sûtras 
relatifs  à  la  vie  domestique,  Grhyasûtras  ;  ils  reposent  sur  la 
tradition  humaine,  smrti.  Un  autre  culte  -beaucoup  plus 
complexe,  exigeant  l'intervention  d'un  ou  de  plusieurs 
prêtres,  s'exerce  en  d'importantes  solennités  dont  les  rois 
ou  les  riches  supportent  les  frais,  au  grand  bénéfice  du  sacer- 
doce ;  la  technique  s'en  trouve  dans  les  traités  qui  partici- 
pent de  la  révélation,  çruti:  les  Çrautasûtras. 


LA    REACTION    BRAHMANIQUE  115 

Une  réflexion  ultérieure  greffa  sur  cette  littérature  ritua- 
liste  des  textes  que  l'on  peut  appeler  juridiques,  bien  que  le 
mot  de  dharma,  nous  le  savons  déjà,  implique  un  sens  autre- 
ment vast«  que  celui  de  loi  civile,  même  que  celui  de  loi 
religieuse.  Pour  reprendre  notre  exemple,  les  sectateurs  de  Bau- 
dhâyana,  d'Apastamba  et  d'Hiranyakeçin  possédèrent  des 
Dharmasiitras  particuliers,  sans  compter  même  des  Çulvasû- 
tras  destinés  à  préciser  les  technicités  matérielles  du  culte. 
Dans  certaines  écoles  à  ces  dharmasiitras  en  prose  s'adjoi- 
gnirent ensuite  des  œuvres  de  poésie  didactique  fondées 
sur  la  simple  tradition,  et  nommées  pour  ce  motif  smrtis, 
les  Dharmaçâstras.  Le  mieux  connu  de  ces  deux  textes, 
apparenté  à  l'école  de  la  Maitrâyanî  samhitâ,  est  ce  que 
nous  appelons  «  les  lois  de  Manou  »  (^^),  œuvre  éminemment 
caractéristique  de  l'esprit  brahmanique,  et,  pourtant,  par 
son  contenu,  son  âge,  et  sans  doute  le  milieu  où  elle  fut 
rédigée,  toute  voisine  du  Mahâbhârata  et  des  premiers  Purâ- 
nas. 

B.  Les  doctrines.  —  Manou,  sous  l'invocation  de  qui  se 
présente  le  recueil,  est  un  prototype  légendaire  de  l'humanité: 
la  mythologie  védique  saluait  en  lui  le  fils  du  Soleil,  Aditya; 
le  Brahmanisme  ultérieur,  un  de  ces  démiurges  subordonnés 
au  Brahman,  coopérateurs  de  l'œuvre  cosmique.  Il  légifère 
pour  l'humanité  entière  :  à  tout  homme  sans  acception  de 
distinction  sociale  il  prescrit  «  le  respect  de  la  vie  d' autrui, 
la  véracité,  l'abstention  du  vol,  la  pureté,  la  maîtrise  de  soi 
(X,  63).  Il  se  rencontre  par  là,  mot  pour  mot,  avec  Jainas  et 
Bouddhistes.  Mais  il  ne  se  borne  pas  à  ce  dharma  impersonnel; 
il  exalte  comme  le  Krsna  de  la  Gitâ,  le  svadharma,  la  loi 
propre  de  chacun  selon  le  groupe  auquel  il  appartient  de 
naissance  (jâti).  Le  mal  social,  le  péché  métaphysique  par 
excellence  réside  dans  la  confusion  des  castes.  Conservatisme 
surtout    théorique,  car  malgré  le  prestige  qui  lui  donnait. 


116  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

inégalement  selon  le  milieu  et  les  époques,  force  de  loi,  cette 
distribution  des  hommes  en  groupements  incommunicables 
exprime  plutôt  un  idéal  qu'une  réalité  ;  jamais  les  faits  ne 
permirent,  parmi  le  chaos  ethnique,  ce  refus  implacable  de 
pénétration  mutuelle.  La  vérité  c'est  que  les  mélanges  furent 
honnis,  avec  la  dernière  énergie,  par  la  caste  dirigeante, 
avant  tout  soucieuse  de  maintenir  son  empire  par  la  définitive 
consécration  de  ses  privilèges.  En  dépit,  à  proportion  même 
des  concessions  que  devait  faire  l'esprit  brahmanique  à 
des  croyances  nouvelles,  il  s'évertuait  à  fonder  dans  l'ab- 
strait sa  complète,  son  éternelle  souveraineté.  En  accord 
avec  l'affirmation  que  le  Brahman  est  l'unique  réalité,  le 
prêtre  consacré  à  son  culte  se  déclare  «  une  grande  divinité  » 
(IX,  317),  une  divinité  même  pour  les  dieux  (XI,  85),  qui 
ne  peuvent  se  passer  de  ses  offices.  Manquer  de  respect  à  un 
brahmane  est  l'impiété  suprême. 

L'exclusivisme  de  caste  se  fait,  en  théorie,  d'autant 
plus  outrancier  que  deviennent  plus  nombreuses  et  plus 
étendues  les  concessions  des  brahmanes  aux  conceptions 
étrangères  à  la  leur.  Naguère,  le  rite  procurait  l'existence 
aux  vivants,  la  sauvegarde  aux  familles,  la  permanence  aux 
morts,  la  pérennité  aux  dieux.  Mais  à  mesure  que  les  idées 
védiques,  base  de  ce  rite,  sont  mains  comprises,  se  précise  une 
tendance  à  l'interprétation  symbolique.  A  côté  de  l'efficacité 
inhérente  au  culte  même,  apparaît  plus  efficace  encore  la 
direction  de  l'intention  vers  une  intime  consécration  au 
divin  (diksâ).  Désormais  le  sacrifice  ne  présente  toute  sa 
valeur  que  renforcé  par  cet  autre  sacrifice:  une  vie  pure,  et 
par  cet  autre  ;  la  science  ésotérique.  Mais  le  symbolisme  ne 
suffit  point  à  tout  concilier  ;  pour  faire  une  place  à 
des  manières  de  vivre  incompatibles,  jugées  religieusement 
nécessaires,  les  brahmanes  s'assignent  à  eux-mêmes  l'obligation 
d'adopter  tour  à  tour  différents  types  d'existence  :   1°  novice 


LA    RÉACTION    BRAHMANIQUE  117 

brahmanique  (brahmacârin),  on  acquiert  la  science  védique 
et  la  pratique  de  la  chasteté  sous  la  direction  d'un  brahmane  ; 
20chef  de  famille  (grhastha),  on  se  conforme  à  la  loi  du  mariage, 
on  élève  des  enfants;  3^  on  fait  retraite  «en  forêt))  (vana- 
prastha),  avec  ou  sans  l'épouse,  avec  ou  sans  l'accomplis- 
sement des  rites;  4°  enfin  on  renonce  à  tout  (sannyâsin) 
dans  le  dénuement  et  la  vie  errante  du  mendiant.  A  la  faveur 
de  cette  théorie  des  âçramas,  ou  stages  successifs  de  la  vie 
humaine  chez  l'élite  sociale,  s'accommodaient  des  idéaux 
aussi  disparates  que  ceux  du  laïque,  du  prêtre,  et  du  solitaire  ; 
la  ponctualité  rituelle  n'excluait  plus  ni  l'ascèse  du  yogin,  ni  la 
libre  réflexion  ;  les  brahmanes  faisaient  place  de  la  sorte  et 
à  la  vie  du  monde,  et  à  l'austérité,  enfin  à  la  spéculation  d'où 
qu'elle  vînt:  de  la  pensée  ksatriya,  des  croyances  sectaires, 
même  des  hérésies.  Cet  éclectisme  mérite  aussi  bien  d'appa- 
raître l'expédient  d'une  caste  payant  de  compromis  le 
maintien  de  sa  prépondérance,  et  l'organisation  d'une  so- 
ciété toujours  plus  complexe  par  une  élite  aussi  rigide 
dans  le  respect  de^  ses  traditions  que  souple  dans  sa  faculté 
d'adaptation  à  des   circonstances  nouvelles. 

Les  dogmes  brahmaniques  se  modifient  d'une  façon 
parallèle  en  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  l'hindouisme  (^^). 
Le  Brahman,  forme  neutre,  cède  la  place  à  Brahmâ  — 
forme  masculine  —  un  dieu  personnel,  si  bien  calqué  sur  les 
personnalités  de  Visnu  et  de  Çiva,  qu'on  l'assimile  à  ces 
derniers.  D'où  l'admission,  vers  le  v^  siècle,  des  trois  formes 
divines  (trimûrti)  jugées  équivalentes  :  Brahmâ  créateur, 
Visnu  conservateur,  Çiva  destructeur;  doctrine  qui,  bien 
qu'elle  altérât  en  un  sens  théiste  la  notion  brahmanique  de 
l'absolu,  ne  parvint  jamais  à  lui  donner  dans  l'opinion  des 
fidèles  étrangers  à  la  caste  dirigeante  un  crédit  comparable 
à  celui  dont  jouissaient  les  grandes  divinités  populaires.  Un 
autre  artifice  d'éclectisme,  non  moins  significatif  de  la  men- 


118  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

talité  nouvelle,  consiste  à  prêter  aux  essences  divines  la 
faculté  de  s'incarner  tour  à  tour  dans  des  personnalités 
distinctes  afin  de  jouer  ici-bas  un  rôle  défini.  Ces  divers 
épisodes  d'une  existence  divine  rappellent  les  existences 
antérieures  du  Bouddha,  telles  que  les  jâtakas  en  fournis- 
sent le  récit:  avec  cette  différence  toutefois  qu'ici  la  succession 
des  formes  ne  s'explique  point  par  la  loi  de  l'acte  ni  la  trans- 
migration, mais  par  la  bienveillance  d'un  principe  permanent 
qui  «  condescend  «  à  se  manifester  successivement  de  façon 
diverse  dans  des  milieux  différents,  pour  remettre  dans  le 
droit  chemin  l'humanité  égarée.  Ces  manifestations,  «des- 
centes» (avatâras)  d'une  même  essence  ontologique  dans 
des  périodes  du  monde  distinctes,  ont  l'avantage  d'accorder 
dans  l'abstrait  des  mythes,  des  croyances  en  fait  sans  com- 
mune mesure  comme  sans  parenté. 


CINQUIEME    PARTIE 

LA.  PENSEE  BOUDDHIQUE  MAHÂYÂNISTE 


CHAPITRE   I 
CARACTERES    GÉNÉRAUX 


Parallèlement  à  l'organisation  par  laquelle  le  Brahma- 
nisme fondait  à  la  fois  ses  dogmes  et  sa  prééminence  sociale, 
l'hérésie  bouddhique  poursuivait,  elle  aussi,  un  travail  de 
systématisation  doctrinale  et  de  réglementation  religieuse. 
Le  second  aspect  de  cette  entreprise,  l'évolution  de  la  disci- 
pline monastique,  peut  être  passé  sous  silence  :  mais  l'aspect 
spéculatif  présente  une  importance  décisive  non  seulement 
parce  que  la  réflexion  bouddhique  offre  une  valeur  philoso- 
phique de  premier  ordre,  mais  parce  que  cette  réflexion  joua 
dans  l'ensemble  de  la  pensée  indienne  un  rôle  capital. 

Les  transformations  du  Bouddhisme  résultèrent  de  la 
rivalité  d'une  foule  de  sectes.  Les  traditions  multiples,  la 
«poussée»  diverse  de  l'enseignement  primitif  dans  les  ter- 
rains variés  où  il  fut  semé,  sont,  selon  toute  vraissemblance, 
des  faits  très  anciens,  que  la  communauté  elle-même  a  mécon- 
nus en  supposant  que  la  diversité  était  apparue  dans  l'église 
par  suite  de  scissions.  Mais  les  divergences  les  plus  anciennes 
concernaient  les  observances  disciplinaires:  les  fidèles  ne  se 
passionnèrent  pour  des  questions  théoriques,  déclarées  oiseu- 
ses par  l'agnosticisme  du  maître,  qu'à  mesure  qu'on  s'éloigna 


120  HISTOIRE    DE   LA   PHILOSOPHIE   INDIENNE 

des  âges  primitifs.  Le  Bouddhisme  devint  de  plus  en  plus 
philosophique  au  cours  des  huit  premiers  siècles,  mais  il  se 
réduisait  d'abord,  au  moins  dans  la  vie  de  la  communauté,  à 
des  prescriptions  pratiques.  La  tradition  en  eut  le  sentiment 
très  net,  en  professant  que  les  réflexions  sur  la  loi  —  l'abhi- 
dharma  —  ne  se  firent  jour  que  postérieurement  à  l'institution 
de  la  loi. Il  faut  ajouter  que,  par  un  changement  de  valeur  du 
mot,  analogue  à  celui  qui  fixa  le  sens  du  terme  grec  «  métaphy- 
sique», cette  réflexion  sur  la  loi  ne  prit  qu'avec  le  temps 
caractère  d'une  philosophie  abstraite,  extérieure  à  l'exercice 
du  monachisme  (^).  Nous  n'en  voulons  pour  preuve  que 
le  contenu  de  la  loi  bouddhique  tel  qu'il  apparaît  dans  les 
édits  d'Açoka,  sous  le  règne  duquel  (274-237)  précisément 
la  tradition  situe  l'introduction  de  l'Abhidharma  dans  le 
canon,  lors  du  concile  de  Pâtaliputra.  Les  inscriptions  que 
le  monarque  «  aimé  des  dieux  »,  Piyadasi,  fit  dresser  à  travers 
son  empire  pour  promouvoir  le  règne  de  la  loi  bouddhique, 
ne  concernent  que  la  religion  sociale  et  la  morale  pratique  ; 
elles  exaltent  la  tolérance,  le  respect  de  la  vie,  mais  ne  men- 
tionnent ni  les  vérités  saintes,  ni  la  chaîne  causale,  ni  la 
voie  de  la  délivrance,  pas  même  le  nirvana,  pas  même  l'uni- 
verselle misère  (^^).  Pourtant  Açoka  devait  se  faire  moine. 
Sans  doute  un  empereur  s'adressant  à  ses  peuples  ne  saurait 
s'exprimer  en  métaphysicien:  il  n'en  est  pas  moins  remar- 
quable que  l'illustre  patron  du  Bouddhisme  antique  ait 
été  non  un  contemplatif,  mais  un  souverain. 

A  mesure  que  se  développe  la  littérature  d'abhidharma 
la  distinction  des  sectes  s'opère  de  plus  en  plus  autour  d'opi- 
nions dogmatiques  (^®).  Le  nom  même  des  écoles  en  fait 
foi;  mais  le  goût  de  la  tradition  pousse  les  partisans  d'idées 
récentes  à  garder  en  même  temps  les  désignations  anciennes. 
Ainsi,  Sthaviras  (les  vieux,  les  fidèles  à  la  tradition)  et  Maha- 
samghikas  (les  majoritaires,  les  dissidents):  voilà  de  vieilles 


CARACTÈRES    GÉNÉRAUX  121 

appellations,  imputées  au  début  du  concile  de  Vaiçali.  Sau- 
trântikas  (partisans  du  corpus  des  Sûtras)  et  Vaibhâsikas 
(adeptes  des  livres  appelés  Vibhâsâs)  ;  deux  termes  plus 
nouveaux,  qui  se  réfèrent  non  à  des  conflits  entre  groupes, 
mais  à  des  rivalités  de  textes.  Sarvâstivâdins  (Réalistes  inté- 
gi'aux)  et  Vibhajjavâdins  (Discriminateurs)  :  expressions  plus 
tardives  encore,  qui  connotent  des  attitudes  spéculatives. 
Or  ces  désignations  d'origines  disparates  en  partie  se  dis- 
tinguent, en  partie  coïncident.  Ainsi  un  Sarvâstivadin  est 
un  VaibhSsika  et  se  rattache  à  la  souche  Sthavira:  mais  un 
Vibhajjavâdin,  si  l'on  en  croit  du  moins  le  MaKabodhivamsa, 
est  aussi  Sthavira.  Bien  que  l'on  s'efforce  de  maintenir  le 
chiffre  de  dix-huit  sectes,  la  classification  varie  selon  les 
sources  et  selon  les  temps:  il  est  en  outre  peu  plausible  que 
les  mêmes  étiquettes  aient  offert  le  même  sens  deux  siècles 
avant  et  six  siècles  après  l'ère  chrétienne.  Toutefois,  une 
opposition  doctrinale  se  dessine,  puis  se  souligne  et  s'affirme 
entre  ces  deux  groupes  :  les  Vaibhâsikas,  qui  renferment 
les  Sarvâstivâdins  et  les  Sammitîyas;  les  Sautrântikas,  qui 
comprennent  les  Mahâsamghikas  et  les  Sthaviras.  Cette 
antithèse  durera  autant  que  le  Bouddhisme  indien:  elle 
présente  un  sens  spéculatif. 

A  l'origine  se  devine  une  opposition  analogue  à  celle 
qui  partageait  les  esprits  à  l'époque  du  Bouddha  et  du  Maha- 
vïra  :  kriyavâdins  partisans  de  l'autonomie  et  de  l'efficacité 
de  l'esprit;  akriyavâdins  négateurs  de  cette  autonomie  et  de 
cette  efficacité.  L'enseignement  du  maître  ayant  laissé  sans 
solution  les  questions  métaphysiques,  il  restait  loisible  aux 
Bouddhistes  d'attribuer  à  l'âme  empirique  une  certaine 
réalité,  ou  de  dissoudre  sa  prétendue  substance  en  une  suc- 
cession continue  (samtâna)  de  causes  et  d'effets  purement 
phénoménaux.  C'est  la  double  attitude  des  pudgalavâdins 
qui  croient  à  un  moi  permanent,  quoique  non  absolu  comme 


122  HISTOIRE    DE    LA    PHII^SOPHIE    INDIENNE 

l'âtman    brahmanique,  et    des  skandhavâdins,    qui  diluent 
l'esprit  en  une  poussière  ou  un  flux  de  facteurs  transitoires, 
mais  régis  par  causalité  ;  les  skandhas.  Remarquons  que  la 
valeur  prise  désormais  par  ce  mot  est  manifesteinent  pos- 
térieure à  son  acception  jaina  ;  il  désignait  dans  le  Jainisme 
des  agrégats  d'atomes:  il  conserve  ce  sens  à  l'intérieur  du 
Bouddhisme,  dans  la  mesure  où  certains    Bouddhistes   res- 
teront atomistes,  mais  il  prend  une  signification  nouvelle  aux 
yeux  de  ceux  qui  nient  toute  substantialité  ;  il  ne  connote 
plus  qu'un  amas  de  phénomènes  inconsistants.  En  tout  cas 
les    pudgalavâdins    n'étaient   pas    assez   réalistes   pour  que 
l'évanouissement   du   moi  dans  le  nirvana  devînt  inconce- 
vable, ni  les  skandhavâdins  assez  phénoménistes  pour  que 
fût  inimaginable  le  transfert  d'existence  à  existence,  à  travers 
le  samsara,  d'un  support  quasi-permanent  de  la  personnalité, 
le  vijnâna;  les  uns  et  les  autres  pouvaient  donc  se  dire  Boud- 
dhistes. De  fait,  la  division  en  Vaibhâsikas  et  Sautrântikas 
coïncide,  en  gros,  avec  la  distinction  de  ces  deux  thèses.  Les 
premiers  sort,  à  quelque  degré  du  moins,  réalistes,  puisqu'ils 
comptent  parmi  eux  ces  «  réalistes  intégraux  »,  les  Sarvâsti- 
vâdins,  et  aussi  ces  réalistes  partiels,  les  Sammitiyas,  parti- 
sans d'une  certaine  permanence  du  moi.    Les  seconds  sont 
phénoménistes,  car  ils  résolvent  l'âme  en  skandhas  et  tous 
composés  en  existences  momentanées  (ksanika),  sans  cesse  dé- 
faites et  refaites  par  la  causalité   de   l'apparence.    Les   uns 
ont  une   théorie  réaliste  de  la  connaissance,   professant  que 
les  objets  sont  perçus  directement  ;  les  autres  admettent  au 
contraire  que  nous  nous  contentons  d'inférer  l'existence  des 
choses  extérieures^ 

Telle  était  sans  doute  la  portée  des  débats  entre  Boud- 
dhistes au  premier  siècle  de  notre  ère,  lorsque  les  Turuskas 
ou  Scythes  envahirent  le  Nord-Ouest  de  l'Inde,  et  que  leur 
maître,  Kaniska,  se  convertit  au  Bouddhisme  (").    On  peut 


CARACTÈRES    GENERAUX  123 

apprécier,  par  comparaison  avec  le  dharma  d'Açoka,  com- 
bien la  foi  s'était  chargée  de  réflexion  abstraite.  Le  chef  de 
la  nouvelle  dynastie,  suivant  l'exemple  de  son  illustre  devan- 
cier, réunit  à  Jâlandhara  un  concile,  dont  les  présidents, 
Pârçva  et  Vasumitra,  firent  rédiger  en  sanscrit  un  commen- 
taire sur  chacune  des  «corbeilles»,  le  Sûtropadeça,  la  Vinaya- 
vibhâsâ,  VAbhidharmavlbhâsTi. 

A  l'époque  de  Kaniska,  et,  dans  une  certaine  mesure, 
à  son  action  propre  est  attribuée  l'introduction  dans  la  religion 
d'un  esprit  insolite.  L'origine  étrangère  du  monarque  et  de 
ses  compagnons  les  envahisseurs,  la  fondation  de  son  empire 
dans  la  contrée  de  l'Inde  la  plus  soumise  aux  influences 
occidentales:  voilà  des  facteurs  nouveaux.  Un  Bouddhisme 
particulier  va  se  constituer,  qui  s'opposera  au  précédent,  tout 
en  y  prenant  sa  base.  Il  se  déclarera  la  véritable  voie,  la 
grande  route  du  salut  ;  Mahâyâna,  le  grand  véhicule  (^*)  : 
par  contraste  il  taxera  de  petit  véhicule,  Hinayâna,  les 
doctrines  antérieures.  Quoique  la  récente  inspiration  soit 
appelée  à  susciter  des  œuvres  qui  lui  seront  propres,  et  qui 
s'inséreront  sinon  dans  le  canon  pâli,  du  inoins  dans  les 
canons  sanscrit  et,  ultérieurement,  tibétain  ou  chinois, 
les  Mahâyânistes  ne  répudient  aucune  des  Ecritures 
d'avant  le  premier  siècle:  ils  prétendent  seulement  pénétrer 
au  travers  de  la  lettre  à  l'esprit  véritable  des  textes.  Ils  ne 
se  regardent  donc  pas  comme  schismatiques  et  ne  sont  pas 
pris  pour  tels  par  les  partisans  de  l'interprétation  tradi- 
tionnelle. Nulle  démarcation  rigoureuse  ne  scinde  en  groupes 
adverses  les  livres  qui  font,  ici  ou  là,  autorité  ;  telle  école,  celle 
de  la  Satyasiddhi,  occupe  une  position  intermédiaire,  de 
sorte  qu'il  faudrait  faire  violence  à  la  réalité  pour  préciser  où 
commence,  où  finit  chacun  des  véhicules.  Aucune  animosité 
ne  se  manifeste  de  part  et  d'autre;  mais  les  uns  se  flattent 
de  mieux  approfondir,  les  autres  se  vantent  de  demeurer 


124  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

fidèles  à  l'enseignement  du  Maître.  Au  iv^  siècle,  Asanga 
s'affligeait  de  voir  son  frère  Vasubandhu  consacrer  sa  puis- 
sance de  travail  et  ses  talents  dialectiques  à  la  défense  du 
dogme  hïnayâniste:  quand  Asanga  réussit  à  le  convertir, 
Vasubandhu  déploya  sur  le  tard  un  zèle  de  néophyte  à  fonder 
la  vérité  supérieure  du  Grand  Véhicule.  A  cette  rivalité 
intellectuelle  se  borna  l'antagonisme  des  deux  doctrines, 
dont  aucune  n'exclut  l'autre,  sur  la  terre  indienne  tout  au 
moins,  car  ce  fut  le  Petit  Véhicule  qui  s'exporta  de  Ceylan 
vers  la  Birmanie  et  le  Siam,  et  le  Grand  qui  se  propagea  du 
Gandhâra,  du  Cachemire,  du  Népal  vers  le  Turkestan,  b  Tibet, 
la  Chine,  le  Cambodge,  la  Corée,  le  Japon. 

Quoique  peu  homogène,  la  pensée  mahâyâniste  présente 
des  caractères  généraux  qui  la  distinguent  du  Bouddhisme 
antérieur.  Dès  ses  expressions  les  plus  anciennes  qui  peuvent 
remonter  jusqu'au  i^""  siècle  avant  notre  ère,  elle  se  spécifie 
par  une  conception  particulière  et  du  salut  humain  et  de  la 
personnalité  du  Bouddha. 

La  doctrine  bouddhique  avait  sans  doute  été  pour  son 
initiateur  une  conquête  de  l'illumination,  mais  elle  se  pré- 
sentait pour  les  disciples  comme  une  imitation  de  l'exemple 
donné  par  le  maître.  Pure  philosophie  chez  le  Bienheureux, 
elle  se  réalisait  en  vie  morale  et  religieuse  chez  ses  adeptes.  Le 
Tathâgata  avait  pensé  pour  toute  la  race  humaine,  qui  n'avait 
qu'à  recueillir  et  pratiquer  sa  loi.  Ce  faisant,  les  hommes  pou- 
vaient prétendre  à  passer,  eux  aussi,  par  le  gué  signalé  comme 
permettant  de  franchir  la  transmigration.  Or  la  nouvelle 
doctrine  infuse  au  fidèle  un  immense  orgueil:  elle  lui  sug- 
gère qu'il  peut  et  doit  se  sauver  lui-même  non  par  des  œuvres 
pies,  mais  par  la  science  comme  s'est  affranchi  le  Bouddha  ; 
chacun  est  en  puissance  un  Tathâgata.  Désormais  on  tient 
pour  inférieur  l'idéal  de  sainteté  jusqu'alors  préconisé. 
Devenir  arhat,  c'est-à-dire  «  méritant,  vénérable  »,  et  trouver 


CARACTÈRES    GÉNÉRAUX  125 

avec  modestie,  dans  l'observance  de  la  loi,  l'issue  hors  du  sam- 
sara, voilà  une  ambition  qui  semble  médiocre,  voire  égoïste, 
car  elle  se  limite  à  un  intérêt  encore  individuel:  fuir  pour 
son  compte  la  mesquine  individualité.  Par  contre  on  rêve 
de  devenir  soi-même  celui  qui  comprit  que  la  loi  est  aussi  vaine 
que  le  phénomène;  on  veut  se  hausser  au  point  de  vue  d'où 
l'individualité  cherchs  non  la  suppression  de  sa  chétive  misère, 
de  sa  piètre  illusion,  mais  l'évanouissement  de  toute  vie, 
l'extinction  de  toute  illusion:  après  avoir  coïncidé  avec  la 
totalité  des  phénomènes,  on  veut  posséder  la  connaissance 
intégrale  et  par  là  réaliser  l'universel  salut.  On  se  persuade 
que  le  seul  moyen  de  s'affranchir,  c'est  d'affranchir  le  monde. 

Le  véritable  Bouddha,  dès  lors,  est  autant  celui  que 
nous  pouvons  être  que  celui  qui  naquit  à  Kapilavastu:  il 
pourrait  exister,  en  droit  du  moins,  à  une  infinité  d'exem- 
plaires. Le  maître  dont  le  canon  a  recueilli  les  enseignements 
ne  fut  Sauveur  de  l'humanité  entière  que  parce  qu'il  fut, 
non  pas  simplement  l'ascète  Siddhârtha,  mais  un  Bouddha, 
mais  le  Bouddha.  Déjk^dsiïisVAnguttaraNikâya  (II,  38),ils'ex- 
prime  ainsi:  «Je  ne  suis  pas  un  homme;  sache,  ô  brahmane, 
que  je  suis  un  Bouddha  !  »  Malgré  la  résistance  des  vieux  boud- 
dhistes, les  Mahâsamghikas  —  à  maints  égards  ancêtres  des 
Mahâyânistes,  —  proclamaient  que  le  Bouddha  est  surna- 
turel (lokottara),  transcendant  au  monde.  Le  Suvarna- 
prabhasa-sûtra  se  demande  avec  angoisse  pourquoi  le  Çâkya- 
muni  mourut  à  quatre-vingts  ans:  en  réalité  l'âge  du  Bouddha 
ne  peut  pas  plus  être  compté  que  ce  qu'il  faudrait  de  grains 
de  moutarde  entassés  pour  égaler  le  mont  Su  meru  :  «  Le  Bouddha 
n'est  iamais  entré  dans  le  ParinirvSna;  le  bon  dharma  ne 
périra  jamais.  »  —  Pourtant,  dira-t-on,  le  Çâkyamuni  a 
vécu  une  vie  d'homme,  il  a  prononcé  des  paroles  saintes 
mais  humaines?  —  Erreur:  quand  le  Bouddha  paraissait 
dormir,  il  ne  dormait  pas;  quand  il  paraissait  méditer,  il  ne 


120  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

méditait  pas,  car  il  n'y  avait  pas  pour  lui  de  problèmes, 
mais  une  sympathie  intégrale  avec  la  vérité  ;  quand  il  parlait, 
le  sens  véritable  de  son  langage  n'était  pas  celui  des  paroles 
entendues.  Son  corps  n'était  pas  physique,  il  ne  se  composait 
pas  d'éléments,  d'os,  de  sang,  mais  d'une  nature  toute  spiri- 
tuelle. Etrange  destinée  du  Bouddhisme  !  Tant  que  son 
initiateur  resta  conçu  comme  un  homme,  ce  fut  une  religion  ; 
quand  on  se  le  représenta  comme  un  dieu,  ce  devint  une 
métaphysique. 

Cette  double  transformation  de  la  notion  de  salut  et 
de  la  personnalité  du  Bouddha,  s'effectua  par  deux  concep- 
tions inverses  et  complémentaires,  l'une  qui  jeta  un  pont 
entre  la  nature  humaine  et  l'absolu,  l'autre  qui  justifia  la 
possibilité  pour  l'absolu  de  fonder  le  relatif. 

Les  Mahâyânistes  estiment  que  le  Petit  Véhicule  convient 
au  commun  des  mortels,  à  ceux  qu'ils  appellent  Çrâvakas, 
parce  qu'ayant  des  oreilles  ils  «entendent»  la  loi  et  que, 
par  suite,  s'ils  ont  de  la  bonne  volonté  ils  s'y  soumettent. 
La  loi  qu'ils  comprennent  ce  sont  les  quatre  «  vérités  saintes  ». 
Les  mieux  doués,  les  dociles,  les  tenaces  arrivent  à  l'intelli- 
gence des  causes  de  la  misère:  leur  loi  ce  sont  les  douze 
conditions  ;  ceux-là,  participant  à  l'intuition  qu'eut  le  maître 
sous  l'arbre  de  la  bodhi,  s'affranchissent  par  là  même  de  leur 
individualité,  ils  sont  Bouddhas  quant-à-soi,  Pratyekabud- 
dhas,  —  notion  dont  s'avisèrent  non  seulement  les  Hina- 
yânistes,  mais  les  Jainas.  Il  appartient  au  Grand  Véhicule 
de  dépasser  cet  idéal  au  moyen  de  six  vertus  parfaites 
(pâramitâs)  :  la  perfection  de  l'aumône  (dâna),  de  la 
moralité  (çila),  de  la  patience  (ksânti),  de  l'énergie  (virya), 
de  la  méditation  (  dhyâna  ) ,  de  la  sagesse  (  prajfiâ  ) . 
La  dernière,  qui  suppose  les  cinq  autres,  confère  à  qui 
s'en  rend  digne  non  seulement  le  sens  de  sa  propre  misère 


CARACTÈRES    GÉNÉRAUX  12T 

et  la  direction  de  son  salut  personnel,  mais  Fomniscience, 
l'omnipotence  et  la  charité  universelle  :  elle  fait  de  l'homme 
non  seulement  un  être  capable  d'illumination,  mais  un  être 
d'illumination,  bodhisattva.  En  termes  européens  elle  iden- 
tifie la  créature  à  l'absolue  vérité.  Un  tel  être  n'a  plus  qu'à 
attendre  l'extinction  de  son  karman  antérieur  —  les  Hinayâ- 
nistes  auraient  dit  :  pour  accéder  au  nirvana  ;  les  Mahâyâ- 
nistes  disent:  pour  devenir  Bouddha.  La  doctrine  nouvelle 
est  la  loi  des  bodhisattvas  ou  aspirants  bouddhas. 

Pour  un  motif  similaire,  mais  inverse,  on  éprouve  le 
désir  d'expliquer  comment,  pourquoi  existent  à  côté  du 
Bouddha  absolu  des  phénomènes  relatifs.  On  imagina  une 
quasi-théologie  qui  n'est  que  le  retournement  et  la  présenta- 
tion sous  forme  d'hypostases  des  principales  étapes  de  cette 
dialectique  ascendante.  L'arrière -fond  de  toute  existence, 
à  la  fois  principe  et  totalité  des  phénomènes,  dharmakâya; 
supérieur  à  toute  forme,  mais  doué  d'intelligence,  de  pitié,  de 
volonté;  base  de  la  loi  (dharmadhâtu)  et  matrice  des  bouddhas 
(  Tathâgatagarbha),  voilà  l'approximation  la  moins  inadéquate 
de  l'absolu  dans  une  doctrine  qui,  pour  rester  bouddhique, 
ne  peut  donner  à  l'inconditionné  que  ce  nom  :  1'  «  agrégat  des 
phénomènes».  Telle  est  la  vérité  comme  la  comprennent  les 
bouddhas  eux-mêmes,  tant  le  canon  primitif  avait  raison  de 
poser  comme  équivalents  le  Bouddha  et  son  dharraa.  Si  nous 
sortons  du  «'domaine  »  des  bouddhas  pour  passer  dans  celui  des 
budhisattvas,  cette  vérité  suprême  doit  s'accommoder  à  la 
nature  de  ces  êtres,  pures  intelligences  mais  incomplètement 
délivrés,  pour  cette  raison  même  qu'ils  demeurent  pures  intel-^ 
ligences.  La  vérité  leur  apparaît  donc  douée  de  formes  sen- 
sibles, pourvue  de  caractères  déterminables  (signes  et  mar- 
ques: laksana,  anulaksana):  elle  est  pour  eux  «  agrégat  de 
participation»  sambhogakâya,  l'ensemble  des  façons  dont 
la  réalité  se  laisse    «  jouir  »  par  les  esprits  auxquels  elle  se^ 


128  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

communique.  Au-dessous  de  ce  stade  se  situe  le  domaine 
des  Çrâvakas  :  à  ceux-là  le  vrai  ne  devient  participable  que 
sous  les  voiles  de  l'illusion,  comme  «  amas  de  prestiges  »,  nirmâ- 
nakâya.  En  tant  que  «  souverain  des  créatures  »,  Visnu 
incorporé  en  Krsna  déclarait  déjà  dans  la  Gitâ  (IV,  5-6) 
qu'incréé  et  impérissable,  il  «naît  en  vertu  de  sa  mâyâ», 
pouvoir  fantasmagorique.  L'aspect  hînayâniste  de  la  loi, 
l'apparence  humaine  du  Çâkyamuni,  la  réalité  relative  de  ces 
phénomènes,  conditions  et  résultats  de  l'ignorance  :  autant 
de  fallacieuses  apparences  dans  la  langue  desquelles  il  faut 
bien  que  s'exprime  la  vérité  suprême  pour  s'adapter  à  la  con- 
dition de  l'homme  empirique.  Telle  est  la  substance  de  l'ab- 
struse théorie  du  trikâya  ou  des  «  trois  corps  du  Bouddha  », 
constituée   dès  le  i^""  siècle  de  notre  ère  (^^). 

Le  Bouddhisme  nouveau  s'oppose  ainsi  à  l'ancien, 
comme  une  puissante  inspiration  métaphysique  à  un  agnos- 
ticisme positiviste.  Désormais,  l'effort  moral  et  religieux  n'a 
chance  de  réussir  ni  pour  le  simple  ascète,  fruste  et  igno- 
rant, ni  pour  le  pur  intuitionniste  capable  d'une  brusque 
illumination  :  il  n'aboutit  au  succès  qu'au  terme  d'une 
longue,  d'une  patiente  conquête  qui  assure  à  l'esprit 
la  possession  des  divers  stades  de  l'être,  des  «terres»  qui 
sans  doute  le  séparent  du  but,  mais  aussi  qui  l'y  ache- 
minent. L'intelligence  ne  se  réalise  qu'en  un  voyage,  sur 
le  parcours  d'une  route  semée  d'embûches,  aux  étapes  tou- 
jours plus  ardues.  La  vieille  idée  du  «sentier»,  mârga,  s'est 
chargée  d'un  riche  contenu  psychique,  hypostasié  en  une 
multitude  de  domaines  ontologiques  f  la  notion  se  fait  jour, 
d'un  viatique  susceptible  d'ouvrir  à  l'homme,  toute  large, 
cette  route  et  de  le  porter,  toujours  plus  entreprenant, 
magnifié,  au  but  ultime.  Les  adeptes  de  la  doctrine  eurent  donc 
le  très  juste  sentiment  qu'elle  ouvrait  «  la  carrière  par  excel- 
lence »,  Mahâyâna,  vers  les  fins  suprêmes  ;  humble  paraissait 


PRAJNA    PARAMITA,    AÇVAGHOSA,    NAGARJUNA  129 

par  contraste  le  salut  égoïste,  mesquinement  utilitaire,  prôné 
par  les  anciens,  la  «  médiocre  carrière  »,  Hînayâna. 


CHAPITRE  II 

PRAJNÂ' PÂRAMITÂ,  AÇVAGHOSA,  NÂGÂRJUNA 

(i*'  et  II*  siècles  ap.  J.-C.) 


D'une  attitude  à  l'autre,  toutefois,  la  continuité  est 
manifeste.  Le  Bouddhisme  primitif  indiquait  un  chemin 
moyen  (madhyama  pratipad),  intermédiaire  entre  le  vain 
rigorisme  et  l'absence  de  discipline;  intermédiaire  aussi 
entre  les  thèses  contraires  portant  sur  l'absolu,  entre  le 
oui  et  le  non.  Or  les  initiateurs  de  la  pensée  nouvelle  se 
proclameront  Mâdhyamikas,  partisans  du  milieu.  Les  pre- 
miers bouddhistes  avaient  été  spéculativement  de  purs 
sophistes,  assez  épris  de  dialectique  pour  se  montrer  inlas- 
sables rabâcheurs  et  disputeurs,  mais  pas  assez  confiants 
dans  la  valeur  propre  de  la  pensée  pour  en  attendre  une 
connaissance  de  l'être.  Or  les  Mâdhyamikas  érigeront  en 
système  cette  méthode  d'argumentation.  Ne  s' arrêtant  plus 
au  bon  sens  terre  à  terre  qui  retenait  le  premier  Bouddhisme 
dans  une  quasi -positi vite,  ils  deviendront  non  des  scepti- 
ques, mais  des  négateurs,  assez  négateurs  pour  nier  la  néga- 
tion autant  que  l'affirmation. 

9 


130  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

Ce  point  de  vue  apparaît  dans  une  littérature  dont  la 
rédaction  doit  être  imputée  au  i*'  siècle  avant  notre  ère,  les 
textes   de   Prajnâpâramitâ   ou   de   Suprême   Sapience.    Des 
œuvres  d'étendue  inégale  portent  ce  nom,  depuis  celle  de 
8.000  çlokas   (stances)   jusqu'à  celle   de    125.000   C°).      Des 
deux  hypothèses  contraires  :  un  délayage,  ou  une  conden- 
sation du  document  primitif,  aucune  ne  semble  s'imposer; 
selon   des   plans   différents   plusieurs  ouvrages  d'inspiration 
similaire  ont  dû  être  rédigés  dans  des  milieux  soumis  aux 
mêmes  influences.  Sous  forme  d'enseignement  donné  par  le 
Bouddha  au  disciple  Subhûti,  la  thèse  qui  s'y  répète  à  satiété 
c'est  que  l'omniscience  consiste  à  reconnaître  l'universel  néant. 
Déjà,  dans  le   «  sûtra  de  l'inexistence  des  caractéristiques» 
(Mahâvagga  1,  6,  38),  le  bouddhisme  antérieur  avait  dénoncé 
l'inconsistance  de  toute  forme  d'être,  le  relativisme  intégral 
entraînant    un    intégral    phénoménisme.    Maintenant    toute 
détermination  est  proclamée  une   non-détermination  (alak- 
sana).  Cette  doctrine,  par  là  même,  sort  des  cadres  de  l'intellec- 
tuâlité:  elle  ne  se  présente  avec  rigueur  que  sans  argumen- 
tation aucune,  car  pour  argumenter  des  distinctions  seraient 
nécessaires  et  l'originalité  de  la  doctrine  est  de  refuser  d'en 
faire;  d'où  la  sempiternelle  répétition  du  même  thème  .  un 
signe  n'est  pas  un  signe,  une  idée  n'est  pas     une  idée.  La 
Vajracchedikâ,    le    «  couperet   de    diamant  )),    ouvrage    qui 
exerça  sur  l'Extrême-Orient  une  immense  action,   ne  con- 
naît pas  d'argument  plus  tranchant  que  ces  coups  de  hachoir 
répétés  jusqu'à  la  pulvérisation   des  phénomènes    :    «Une 
idée  vraie  n'est  pas  une  idée  vraie  (14)  «;  pas  d'idées  du  soi, 
d'un  être,  d'un  phénomène  (dharma),  ni  de  non-soi,  de  non-être, 
de  non-phénomène  ;  il  n'existe  ni  idée  (samjnâ),  ni  non-idée  (6). 
C'est  donc  par  des  signes  (alaksana)  comme  signes  que  le 
Bouddha    doit    être    connu»    (5).    La    Prajnâ-pâramitâ    en 
8.000  çlokas  exprimait  dans  l'abstrait  la  même  conception 


PRAJNA    PÂrAMITÂ,    AÇVAGHOSA,    NAGARJUNA  1'^^ 

en  soutenant  que  tout  est  vide,  sans  solidarité  (çûnya,  ani- 
mitta,  apranilîita).  Cette  dernière  assertion  se  rattache, 
sauf  élimination  de  la  connexion  causale,  à  la  vieille  doctrine 
selon  laquelle  les  phénomènes  sont  momentanés;  il  s'ensuit 
que  leur  existence  est  «  détachée  »,  «  isolée  »,  mais  par  là  même 
«  vacuité  ».  Que  devient  dès  lors  le  Bouddha  ?  Comme  il  y  a 
au  moins  quelque  chose  que  l'on  ne  nie  point,  l'état  d'illu- 
mination, la  Prajnii  elle-même,  les  Tathâgatas  existent  de 
l'existence  de  la  Prajîîâ,  leur  «  mère  ».  La  connaissance  les 
constitue;  mais  comme  ils  sont  «libres  de  toute  idée» 
(Vajr.    14)  c'est  une  connaissance  de  vacuité. 

Au  premier  siècle  de  notre  ère  le  Mahâyâna  trouve  pour 
protagoniste  un  génie  hors  pair,  que  le  pèlerin  chinois  Hiuen- 
tsang  classera  parmi  les  «  soleils  du  monde  ».  Musicien  et 
initiateur  de  la  poésie  sanscrite,  Açvaghosa  fut  l'un  des 
plus  grands  maîtres  de  la  pensée  indienne.  Selon  sa  Biogra- 
phie —  traduite  en  chinois  par  Kumârajîva  entre  401 
et  409,  il  fut  contemporain  de  Kaniska:  il  aurait  même 
été  envoyé  en  tribut  à  la  cour  du  chef  des  Yue-tchi 
avant  que  ce  dernier  devînt  le  puissant  monarque 
hindou  que  l'on  sait.  Brahmane  de  naissance,  il  aurait  été 
converti  par  Pûrna  (auteur  du  Dhâtukâyapâda,  un  des 
classiques  de  l'Abhidharma  des  Sârvastivâdins),  le  disciple 
d'un  certain  Pârçva  qui  avait  présidé  un  concile  réuni  au 
Cachemire  et  enseignait  à  Patna.  Sans  doute  les  ouvrages 
qu'on  lui  attribue  ne  sont-ils  pas  tous  de  lui,  mais  ceux 
dont  rien  ne  fait  douter  qu'il  soit  l'auteur  suffiraient  à  con- 
sacrer la  gloire  de  plusieurs  personnalités.  Dans  la  Vajrasûei 
(Aiguille  de  diamant)  il  polémise  contre  la  doctrine  brahma- 
nique des  castes;  dans  le  Buddhacarita  il  présente,  sous 
forme  de  poème  philosophique,  une  biographie  du  Bouddha; 
dans  le  Saundœmnandakavya  il  chante,  après  les  amours 
terrestres,  la  conversion  d'un  frère  du  Bouddha:  ce  person- 


132  HISTOIRE    DE   LA    PHILOSOPHIE    INDlEïTNK 

nage  finit  par  comprendre  que  le  ciel  même  ne  mérite  point 
d'être    désiré.     Dans   le    Sûtrâlamkâra    il  orne  d'un    style 
fleuri     (alamkâra) ,    à    l'usage    des    gens    du     monde,    les 
thèses  essentielles  du  Grand  Véhicule.  Dans  le  Mahayâna- 
çraddhotpâda  il  justifie  1' «  éveil  de  la  foi  mahâyâniste  »  ("). 
L'ouvrage  ainsi  intitulé,  dont  une  traduction  chinoise 
nous  conserva  la  substance,  offre,  dans  l'ensemble  de  la  philo- 
sophie indienne,  l'aspect  d'un  carrefour  où  se  croisent  des 
directions    multiples.    En    contraste    avec    les    fastidieuses 
répétitions    de    la    Prajnâpâramitâ,    sur    le    thème    de   la 
vacuité    universelle,    nous    trouvons    ici    un    système    aux 
articulations     complexes,    dont    la    pensée    ultérieure    dé- 
veloppera tour  à  tour  des  aspects  différents.  Il  y  a  un  fond 
de  l'être,   ni   vide,    ni    non- vide  :  la  quiddité  (tathatâ)  Ç^). 
N'étant    ni    sujet    ni    objet,    ni    être    ni    non-être,    ni    un 
ni  multiple,  c'est  l'absolu,  le  lieu  des  phénomènes  (dharma- 
dhâtu),  la  matrice  des  Tathâgatas  (Tathâgatagarbha).  Mais 
ce  principe  se  peut  affirmer  comme  conscience  ;  en  se  déter- 
minant, ce  qu'il  gagne  en  individualité  il  le  perd  en  foncière 
inconditionnalité.  Devenant  pour  ainsi  dire  l'âme  du  monde, 
il    est  le  stock  des   déterminations   intellectuelles,  la  cons- 
cience  réceptacle  (âlayavijnâaa).     A  un  degré  plus  relatif, 
opposant  un  moi  et  un  non-moi,  il  donne  lieu  à  la  conscience 
de    l'esprit    empirique    (manovijriâna),    et    dans    la  mesure 
même  où  il  s'affecte  d'ignorance  (avidyâ)  il  devient  conscience 
d'action  (karmavijnâna).  Dès  lors  le  monde  des  phénomènes 
existe,  et  la  servitude,  et  la  transmigration.   Le  salut  con- 
siste à  supprimer  ces  diverses  contaminations  de  relativité  — 
le  Vedânta  dira  :  ces  upâdhis  —  pour  restituer,  authentique 
et  pure,  la  quiddité.  Remarquons  bien  que  le  salut  s'obtient 
non  par  une  destruction  du  réel,  mais  par  un  approfondisse- 
ment de  la  structure  ontologique  des  phénomènes.  Aussi  les 
mérites  servent-ils  à  préparer  la  délivrance  ;  il  faut  cultiver 
les  racines  de  vertu   (kuçalamûla),   car  au    terme    de  leur 


PRAJNA   PARAMITA,    AÇVAGHOSA,    NAGAR-JUXA  ^  ^^ 

maturation  le  nirvana  se  trouve  dans  un  retour  au  point  de 
départ  de  l'évolution  naturelle.  Les  Bouddhas,  consubs- 
tantiels  à  cette  évolution  cosmique,  se  présentent  selon 
divers  degrés  de  relativité  sous  trois  «  corps  »  (kâya)  que 
nous  avons  énumérés  :  foncièrement  homogènes  à  l'absolu 
comme  au  relatif,  ils  étendent  leur  amour  (maitri),  leur  pitié 
(karunâ)  aux  diverses  créatures  et,  en  raison  de  l'unité  de 
l'être,  leurs  vœux  sont  assez  efficaces  pour  sauver  l'huma- 
nité. Ainsi  apparaît  dans  le  Bouddhisme  l'idée  du  salut  par 
la  foi,  idée  répandue  par  les  religions  sectaires  et  déjà  con- 
sacrée par  le  Brahmanisme  éclectique  du  Mahâbhârata:  le 
piétisme  de  la  Sukhâvati  en  procédera.  L'inspiration  des 
Upanisads,  naturelle  chez  un  brahmane  de  naissance  et 
d'éducation,  se  reconnaît  dans  la  notion  de  la  Tathatâ,  en 
laquelle  se  fonde,  à  ses  degrés  divers,  le  vijîiâna,  comme  sur 
le  Brahman  absolu  se  greffait  naguère  l'âtman  relatif;  doc- 
trines équivalentes,  sauf  l'indispensable  effacement  de  toute 
substantialité  chez  un  théoricien  bouddhique.  Dans  la 
même  mesure,  on  s'écarte  du  nihilisme  et  de  la  Pâramitâ; 
car  ici  on  ne  se  contente  pas  d'exclure  le  oui  et  le  non;  en  un 
sens  très  dogmatique,  on  postule  une  essence  ineffable,  supé- 
rieure sans  doute  à  l'être  comme  au  non-être,  mais  d'autant 
plus  réelle,  nullement  admise  au  sens  relatif  et  provisoire 
comme  dans  le  Lankâvatâra.  En  tant  que  la  Tathatâ  est 
plus  foncière  que  l'être,  elle  peut  passer  pour  vacuité  ;  à 
cet  égard  Açvaghosa  fait  partie  de  la  lignée  nihiliste  et  annonce 
les  grands  Mâdhyamikas  des  ii^  et  ni*  siècles.  Mais  en  tant 
qu'elle  est  plus  foncière  que  le  non-être,  en  tant  qu'elle  fonde 
une  conscience  universelle  (âlaya  vijnana),  elle  fait  présager 
l'idéalisme  des  Yogâcâras. 

Ce  fut  une  singularité  de  la  doctrine  d' Açvaghosa, 
qu'elle  ne  donna  point  naissance  à  une  école  :  trop  person- 
nelle, sans  doute,  s'y  trouvait  la  synthèse  opérée  entre  des 


184  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

tendances  indépendantes.   Le  système  qui  accapare  l'atten- 
tion aux  deux  siècles  suivants,  c'est  la  pensée  Mâdhyamika, 
qui  procède  directement  des  doctrines    de  Prajnâpâramitâ. 
L'initiateur  en  est  un  ancien  brahmane,  Râhulabhadra,  dont 
l'œuvre   maîtresse  est  d'avoir  embrasé  cet  autre    «Soleil», 
Nâgârjuna.   Né,   semble-t-il,  à  Vidarbha,   dans  l'Inde  méri- 
dionale,  ce   dernier   occupe   assez   de  place   dans   le  milieu 
indien  pour  que  maintes  contrées  aient  revendiqué  l'honneur 
de  l'avoir  vu  naître,  et  pour  qu'on  lui  ait  prêté  six  cents  ans 
de  vie.  En  fait,  son  activité  se  situe  dans  le  dernier  quart  du 
II*'  siècle;  elle  consiste  à  fixer,   en  cette  forme   classique   et 
définitive  que  sous  le  nom  de  Sûtra  le  Brahmanisme  de  l'épo- 
que commençait  à  donner  aux  diverses  traditions  intellec- 
tuelles,  la   doctrine  «  moyenne  »,   c'est-à-dire  en  toute   ma- 
tière négative  du  oui  et  du  non,  qu'avait  inaugurée  la  Prajnâ- 
pâramitâ ;    son   auteur   lui-même  y   adjoignit   un   commen- 
taire, V Akutobhayâ,  et  présenta  la  même  doctrine  dans  de 
nombreux  opuscules  (").     C'est  une  critique  serrée  des  divers 
concepts  bouddhiques,  en  vue  d'établir  que  chacun  d'eux 
non  seulement  ne  suppose  aucun  fondement  substantiel  dans 
la  réalité,  mais  se  résout  en  néant.  Ainsi  le  passé  n'est  pas, 
l'avenir   n'est  pas,   le   présent   n'est   qu'une   limite    :    donc 
l'existence  est  «vide  ».  La  cause,  pour  être  cause,  doit  produire 
son  effet,  mais,  en  même  temps  exister  comme  origine  de 
l'effet   :  or  si  elle  se  mue  en  effet,  elle  n'était  rien  comme 
cause  et  si  elle  subsiste  après  la  causation  ce  n'est  point  à 
elle  que  l'effet  est  imputable;  cause  et  effet  sont  donc  dénués 
de  réalité.   Tout  concept   enveloppe   ainsi  une   relation  — 
s'il  s'agit  d'une  essence,  elle-même  et  ce  en  quoi  elle  s'effectue  ; 
s'il  s'agit  d'une  action,  l'acte  et  l'agent  —  mais  les  deux 
termes  ne  peuvent  exister  au  sens  absolu,  ni  ensemble,  ni 
séparément   :  donc  ils  n'existent  point.    L'esprit  ne  trouve 
nulle   part   où   se   prendre    :    l'autonomie    (svabhâva)    d'un 
concept  n'est  qu'apparente.  Cette  attitude  n'a  rien  de  com- 


--       -  -  -     -  1QX 

PRAJNA    PARAMITA,    AÇVAGHOSA,    NAGARJUNA  ^''^ 

mun  avec  le  scepticisme  grec  :  Nâgârjuna  ne  doute  pas, 
il  dogmatise  négativement;  Burnouf  put  le  qualifier  de 
pyrrhonien,  en  ce  qu'il  confond  l'intelligence  pour  faire  place 
à  la  foi.  Mais  à  quelle  foi  !  L'existence  n'étant  que  vacuité 
(çûnyatâ)  il  n'y  a  ni  servitude,  ni  délivrance;  samsara  et 
nirvana,  en  un  paradoxe  suprême,  s'équivalent.  Faute  de 
degrés  dans  l'être,  ou,  si  l'on  préfère,  dans  l'illusion,  le 
Bouddha  se  réduit  au  Dharmakâya,  agrégat  sans  consis- 
tance de  la  loi  ou  des  phénomènes.  Rien  de  plus  insolite  que 
de  semblables  thèses;  pourtant  rien  de  plus  conforme  à 
l'authentique  tradition,  que  la  voie  moyenne  et  la  dialec- 
tique sophistique.  Le  génie  de  Nâgârjuna,  surtout  polémique, 
accomplit  néanmoins  une  œuvre  positive,  en  fondant  le 
Nouveau  Véhicule  sur  l'Ancien,  et  en  scrutant  avec  une 
extrême  rigueur  le  contenu  des  notions  philosophiques. 
C«tte  tâche  se  poursuivit  et  s'acheva  chez  son  disciple,  moins 
éristique,  plus  constructif,  lui  aussi  d'origine  méridionale, 
Aryadeva,  l'auteur  du  Bodhisattva-yogâcâra-catuhçataka 
(1"  quart  du  ii^  siècle)  ('*). 


CHAPITRE  III 
ASANGA   ET  VASUBANDHU  (iv«  siècle) 


Le  nom  de  l'ouvrage  d' Aryadeva  coïncide  avec  celui 
d'une  école  qui  va  peu  à  peu  se  détacher  de  celle  des  Mâdhya- 
mikas  et  l'éclipser.  Les  Yogâcaras,  selon  l'historien  tibétain 
Târanâtha,  avaient  déjà  cinq  cents  maîtres  fameux,  âcâryas, 
au  temps  de  Râhulabhadra,  vers  le  milieu  du  ii®  siècle  ;  et 
compte  tenu  d'une  vraisemblable  exagération,  nous  ne  sau- 
rions nous  en  étonner,  car  leur  doctrine  repose  sur  tout  un 


136  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

aspect  de  la  pensée  d'Açvaghosa.  Cependant  le  principal 
protagoniste  de  la  secte,  Asanga,  n'apparaît  que  deux  siècles 
plus  tard.  L'intervalle  fut  occupé  par  la  rédaction  de  livres 
qui  composèrent  une  sorte  de  canon  mahâyâniste.  Cette 
littérature  compilée  sur  l'ancien  canon,  quoique  imprégnée 
de  l'esprit  nouveau,  porte  le  nom  de  Vaipulya-sûtras  :  ce  sont 
des  «  développements  »  sur  la  structure  du  monde  phénoménal, 
sur  l'essence  métaphysique  du  Bouddha  opposée  à  son  appa- 
rition en  le  Çâkyamuni,  voire  en  d'autres  Tathâgatas  du 
passé  ou  de  l'avenir.  Les  révélations,  les  théophanies  ana- 
logues à  celles  de  la  Gitâ,  le  goût  du  merveilleux  tel  qu'il 
s'étale  dans  les  Purânas,  voilà  le  principal  contenu  de  ces 
textes.  Les  plus  vénérés  de  ces  livres,  les  neuf  Dharma 
(paryaya)s,  conservés  —  remarquons  cette  indication 
géographique  —  dans  l'extrême  Nord,  au  Népal,  com- 
prennent, à  côté  de  productions  nihilistes,  la  Prajnâpâranitâ 
en  8.000  stances  et  le  Lankœvatâra;  —  une  biographie  du 
Bouddha,  le  Lalitavistâra  —  des  interprétations  docétistes 
du  rôle  joué  par  le  Tathâgata  :  le  Lotus  de  la  Bonne  Loi, 
Saddarmapundanka  et  le  Suvarnaprabhâsasûtra;  une  exal- 
tation du  bodhisattva  Manjuçrî,  le  Gayidhavyûha  ou  Avatam- 
saka-sutra;  —  des  descriptions  de  terres  bienheureuses  que 
conquiert  la  méditation,  analogues  à  celles  du  Sukhâvatï- 
samâdhirâja  ;  nous  pouvons  laisser  à  part  le  mysticisme  moins 
spéculatif  du  Tathâgataguhyaka  C^).  La  notion  du  dharma, 
tel  qu'il  s'était  élaboré  à  travers  ces  efforts  disparates,  se 
trouve  résumée  dans  un  manuel  de  dogmatique,  le  Dharma- 
samgraha,  qui  annonce  la  scolastique  bouddhique  des 
V®,  VI®  et  VII®  siècles,  comme  le  Mïïnava  Dharmaçâstra  servit, 
dans  le  Brahmanisme,  de  trait  d'union  entre  les  doctrines 
épiques  et  la  scolastique  hindouiste  ultérieure.  En  opposition 
à  la  thèse  alaksana  des  Mâdhyamikas,  les  Yogâcâras  seront 
partisans  du  Dharmalaksana,  en  d'autres  termes  admettront 
la  spécificité  des  concepts  ou  des  phénomènes. 


ASANGA    ET    VASUBANDHU  137 

Les  premières  productions  de  l'école  se  présentent  sous 
l'invocation  d'un  personnage  qui  atteste  l'importance  prise 
par  la  notion  de  bodhisattva  :  Maitreya,  le  Bouddha 
de  l'avenir.  C'est  lui  que  le  Tathâgata  gratifie  de  ses  ensei- 
gnements dans  le  Lotus  de  la  Bonne  Loi:  c'est  autour  de 
cette  figure  semi-divine  que  les  bouddhistes  disposeront 
un  cycle  de  légendes  relatives  aux  espoirs  futurs  de  l'huma- 
nité. A  ce  personnage  sont  attribués  divers  traités,  dont 
l'auteur  paraît  être  Asanga,  qui  se  disait  d'ailleurs  en  com- 
munication spirituelle  avec  lui,  et  prétendait  tenir  de  ce 
patron  céleste  la  faveur  d'avoir  pu  se  dégager  du  Sarvâstivâda 
hînayâniste  pour  adhérer  au  Grand  Véhicule.  Il  importe 
de  retenir  qu' Asanga  naquit  au  Gandhâra,  qu'il  appartient 
non  seulement  à  un  milieu  septentrional,  mais  aux  confins 
de  régions  hellénisées,  soumises  à  l'influence  iranienne;  que 
son  activité  se  place  dans  la  seconde  moitié  du  iv^  siècle. 
Cinq  ouvrages  d' Asanga  sont  imputés  à  Maitreya:  1^  le 
MahTiyânasûtrâlamkâra,  dont  le  titre  même  atteste  la  vo- 
lonté de  s'inspirer  d'Açvaghosa;  le  Madhyântavibhanga, 
«  discernement  de  la  voie  moyenne  et  des  thèses  extrêmes»; 
S^  le  Dharmadharmatâvibhahga,  «  discernement  entre  les 
phénomènes  et  leur  principe  »  (en  termes  d'Açvaghosa  :  entre 
l'âlayavijnâna  et  la  tathatâ)'  4^  VUttaratantra,  «enchaî- 
nement de  la  doctrine  suprême»,  exposé  du  Mahâyâna; 
5^V Abhisamayâlamkâî'a,  résumé  des  doctrines  mâdhyamikas* 
Ce  sont,  avec  le  Saptadaçabhûmi  («les  dix-sept  terres»),  les 
œuvres  principales  de  l'illustre  docteur  ('^).  L'essentielle 
originalité  de  la  pensée  inaugurée  par  Asanga  réside 
en  une  combinaison  du  Grand  Véhicule  avec  les  pro- 
cédés du  Yoga.  Il  semble  que  ce  soit  vers  l'époque  même 
d' Asanga  que  la  philosophie  de  ce  nom  ait  précisé  en  sûtras 
définitifs  ses  thèses  fondamentales;  mais  ces  thèses,  et  sur- 
tout les  pratiques  dont  elles  dérivent,  remontent  sans  nul 


lo.S  HISTOIRK    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

doute  à  un  passé  lointain,  sinon  en  pleine  préhistoire  de  la 
culture  indienne.  Techniciens  d'une  concentration  desti- 
née à  transcender  la  pensée  empirique,  les  Yogins  donnaient 
l'exemple  d'un  approfondissement  introspectif  ;  la  même 
méthode  pouvait  s'appliquer  à  la  recherche  du  nirvana  qui, 
par  définition,  outrepasse,  lui  aussi,  les  conditions  de  l'exis- 
tence normale.  Le  Petit  Véhicule  déjà,  précisant  la  voie  du 
salut,  inclinait  à  poser  le  problème  religieux  en  termes  d'intro- 
version. Le  Majjhima  rdkâyn  (4)  déterminait  quatre  degrés  de 
concentration  ou  dhyâna  (pâli  jhâna)  :  1°  un  effort  pour 
s'abstraire  des  sens  et  réfléchir  par  discursion  et  analyse 
(savitakka,  savicâra)  ;  2^  une  unification  de  l'esprit  sans 
discussion  ni  analyse  (avitakka,  avicâra);  3^  une  indifférence 
accompagnée  de  contentement  (upekkhâ,  sukha);  4^  une 
indifférence  impassible  supérieure  à  toute  émotivité  ("). 
Cette  méthode  du  dhyâna  n'est  dans  le  Yoga  qu'un  moyen 
d'acquérir  le  sarnprajnâta  samâdhi,  un  «  agencement  spiri- 
tuel qui  comporte  la  sapience».  Dans  le  Hinâyâna  le  samâ- 
dhi cède  ordinairement  la  place  à  la  prajnâ  tout  court  (pâli 
pannâ)  ;  car,  ainsi  que  l'examen  du  Yoga  nous  le  fera  com- 
prendre, l'acception  propre  du  terme  de  samâdhi  s'adapte 
mal  au  Petit  Véhicule;  d'ailleurs  ce  dernier  tient  volontiers 
dhyâna  et  prajnâ  pour  solidaires,  corrélatifs,  plutôt  que  pour 
moyen  et  but  (Dhammapada,  372).  Par  contre,  dans  la  mesure 
même  où  le  Mahâyâna  resserre  et  renforce  les  liens  qui  unis- 
sent Bouddhisme  et  Yoga,  il  redonne  sa  pleine  valeur  au 
concept  de  samâdhi:  comme  aboutissement  des  dhyânas  ("). 
Désormais  ces  derniers,  —  en  nombre  variable  selon  les 
auteurs  —  envisagés  comme  des  domaines  spirituels,  devien- 
nent des  contemplations,  des  vues  plus  ou  moins  appro- 
fondies sur  la  structure  de  l'être;  ainsi,  à  chaque  stade,  corres- 
pondront des  cieux  différents  dans  le  monde  des  formes 
(rûpaloka).  Mais  le  samâdhi  sera  l'extase,  la  contemplation 
de  l'immatériel.    Les   Yogâcâras,   en    concevant   le    progrès 


ASANGA    ET    VASUBANDHIT  139 

religieux  et  intellectuel  comme  un  acheminement  vers  l'absolu 
à  travers  de  multiples  étapes  à  franchir  tour  à  tour,  ne 
faisaient  donc  que  transposer  en  ontologie  la  dialectique 
d'ascèse  et  d'intériorité  croissante  vécue  par  les  Yogins: 
l'école  porte  à  juste  titre  son  nom  de  «  conduite  selon  le  Yoga  ». 

Dès  lors  passait  au  premier  plan  l'évolution  intérieure 
du  bodhisattva,  symbolisée  par  un  voyage  aux  poignants, 
aux  périlleux  épisodes,  parmi  des  terres  mystiques  dont  la 
géographie  peu  à  peu  se  fixait;  la  métaphysique  se  cristalli- 
sait autour  de  l'épopée  d'une  conscience.  Les  Yogâcâras 
recueillirent  donc  avec  prédilection  et  cultivèrent  les  germes 
d'idéalisme  que  renfermait  la  doctrine  d'Açvaghosa  :  sans 
croire  plus  que  les  Mâdhyamikas  à  l'objectivité  des  phéno- 
mènes extérieurs,  ils  crurent  plus  qu'eux  à  la  réalité  de 
l'esprit.  De  même  qu'en  un  tout  autre  sens  d'ailleurs  Aristote 
avait  replacé  dans  les  consciences  douées  de  raison  les  idées 
que  Platon  extériorisait  à  toute  pensée,  Asanga  tient  les 
phénomènes  (dharmas)  pour  les  opérations  de  la  conscience 
(vijnâna);  sans  faire,  comme  les  brahmanes,  de  l'esprit  une 
substance  (âtman),  il  en  fait  le  lieu,  la  conditon  des  essences; 
tout  Yogâcâra  sera  vijnânavâdin,  partisan  de  la  réalité  au 
moins  relative  de  l'esprit,  et  professera  le  vijnâptimâtra, 
l'existence  unique  et  exclusiv^e  de  la  pensée  en  acte.  Une 
telle  doctrine  mérite  le  nom  d'idéalisme,  en  tant  qu'elle 
définit  l'être  en  fonction  des  opérations  spirituelles.  Mais 
cet  idéalisme  comportera  une  multitude  de  degrés,  depuis 
l'aspect  immédiat  et  extérieur  de  l'esprit,  illusoire  dans 
la  mesure  où,  sous  la  loi  du  moi,  il  apparaît  personnel,  jusqu'à 
cette  conscience  intégrale  et  originelle,  l'âlaya  vijnâna,  qui 
est  tout  près  de  coïncider,  sous  l'effet  de  la  bodhi,  avec 
l'absolu  sans  différenciation.  Reconnaissons  ici  une  thèse 
d'Açvaghosa,  mais  notons  que  l'âlaya  vijnâna  devient, 
chez  les  vijrîânavâdins,  singulièrement  plus  proche  de  l'incon- 


140  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

ditionné.  Cette  bodhi,  rillumination,  adéquate  vérité,  essence 
des  Bouddhas,  joue  en  quelque  sorte  le  rôle  que  remplit 
ailleurs  le  voûç  ttoitjtixo'c  ;  elle  actualise  à  travers  les  défi- 
cientes puissances  l'unité  de  l'éternel.  Les  puissances,  — 
nous  pourrions  presque  les  appeler,  par  analogie  avec  la 
pensée  judéo-stoïcienne,  les  SuvaVetç  —  ce  sont  les  dharmas; 
ils  ont  des  façons  particulières  de  se  présenter  aux  différents 
plans  (dhâtu)  de  spiritualité  qui  se  découvrent  par  approfon- 
dissement progressif  :  ils  ne  sont  d'abord  que  simples 
données  d'expérience  sensible,  mais  à  l'autre  extrémité,  dans 
le  plan  «sans  écoulement»  (anâsrava),  ils  se  fondent  dans 
la  quiddité  qui  leur  est  commune  (dharmatathatâ),  approxi- 
mation de  la  quiddité  ultime  où  toute  distinction  s'évanouit. 
Ceci  encore  se  peut  comprendre  par  comparaison  avec  la 
graduelle  fusion  des  Xdyot  (77rs{;[j.airixoi  à  mesure  que  l'on 
s'élève  de  la  nature  à  l'âme  du  monde,  de  l'âme  au  voûç, 
du  voûç  à  l'un. 

Peut-être  ces  similitudes  ne  sont-elles  pas  fortuites,  ou 
plutôt  ne  tiennent-elles  pas  simplement  à  la  logique  commune 
aux  divers  mysticismes.  Une  influence  alexandrine  ou  gnos- 
tique  ne  paraît  pas  sans  vraisemblance,  sur  une  doctrine 
où  abondent  les  distinctions  de  plans,  les  variétés  d'hypostases, 
les  myriades  d'éons,  où  les  Bouddhas  prennent  la  figure  de 
dieux  sauveurs,  et  où  la  prophétie  même,  vyâkarana,  dit  son 
mot.  Le  pays  natal  d'Asanga  touche  à  des  contrées  qui 
furent,  pendant  plusieurs  siècles,  royaumes  grecs,  et  la  Perse 
n'est  pas  si  loin  où  s'implanta  la  gnose  syrienne.  Vers  350 
s'était  ouverte  en  Susiane  l'école  syro-persane  de  Gundes- 
hapur,  héritière  de  l'école  d'Alexandrie.  Nous  ne  devons  pas 
méconnaître  non  plus  que  la  région  même  où  vit  le  joui- 
l'idéalisme  Yogâcâra  fut  celle  où  la  plastique  indienne  s'assi- 
mila des  formules  hellénistiques,  et  où  justement  pour  pré- 
ciser la  forme  humaine  du  Bouddha  —  auparavant  marquée 


ASANGA    ET    VASUBANDHTT  141 

par  de  simples  symboles  —  une  école  de  statuaires  s'inspire 
du  type  d'Apollon  ('').  Toutefois  l'influence  occidentale, 
fût-elle  avérée,  ne  saurait  être  que  très  limitée,  car  le  système 
yogâcâra  s'explique,  dans  ses  traits  essentiels,  par  ses  anté- 
cédents indigènes.  Professant  l'idéalité  des  dharmas,  il 
rejoint  la  vacuité  des  Mâdhyamikas  et  il  communie  avec  tout  le 
Mahâyâna,  en  soutenant  l'identité  du  samsara  et  du  nirvana. 
Son  idéalisme  repose  sur  une  interprétation  particulière  de 
la  pensée  d'Açvaghosa.  Son  dynamisme  abstrait,  sa  mer- 
veilleuse aptitude  à  prolonger  des  constatations  successives 
en  perspectives  toujours  plus  profondes,  jusqu'à  ce  que 
la  vision  se  consume  dans  l'éblouissement,  ce  n'est  qu'une 
transposition  géniale  du  Yoga,  dont  l'ascèse  aboutissait,  par 
une  gymnastique  respiratoire  doublée  d'une  contrainte  spi- 
rituelle, à  cette  identité  vide  :  le  néant  de  pensée. 

Asanga  imposa  son  interprétation  du  Mahâyâna  d'abord 
à  son  frère  Vasubandhu,  puis  à  une  longue  postérité  intellec- 
tuelle. Nous  avons  déjà  mentionné  la  conversion  du  cadet 
par  l'aîné,  conversion  d'autant  plus  importante  que  Vasu- 
bandhu avait  déployé  un  zèle  exceptionnel  —  nous  verrons  en 
quel  sens  —  pour  défendre  le  Petit  Véhicule  contre  le  Grand. 
Toujours  est-il  que  sur  le  tard  Vasubandhu  composa  des 
apologies  de  l'idéalisme  sans  y  déployer  un  talent  créateur 
comparable  à  celui  d' Asanga,  mais  en  s'efîorçant  de  fonder 
la  doctrine  sur  des  arguments  dialectiques  et  de  la  défendre 
contre  les  opinions  adverses,  dont  mieux  que  personne  il  con- 
naissait la  force,  et  maintenant  la  faiblesse.  Le  Pancaskan- 
dhaprakarana  établit  la  conformité  de  l'idéalisme  avec  le 
dogme  des  cinq  skandhas;  la  VyTikhyâyiikti,  son  accord 
avec  l'enseignement  religieux;  le  Karmasiddhiprakarana, 
son  harmonie  avec  la  théorie  de  l'acte.  Des  traités  en  trente 
ou  vingt  stances  {Trimçaka  et  Vimçakakârikâprakarana) 
fournissent  une  démonstration  méthodique  du  vijnânavâda: 


142  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

plus  de  treize  siècles  à  l'avance  nous  y  lisons  comme  une 
ébauche  des  Dialogues  d'Hylas  et  de  Philonous,  sauf  que 
dans  l'Inde  l'idéalisme  succédait  au  phénoménisme  absolu, 
comme  si  Berkeley  venait  après  Hume  (^).  Des  lances 
sont  rompues  pour  imposer  à  tout  adversaire,  bouddhiste 
ou  non,  la  conviction  qu'aucune  donnée  de  fait,  qu'aucune 
opération  spirituelle  ne  requiert  une  existence  des  choses 
hors  de  l'esprit.  Ce  support  des  idées,  que  Berkeley,  après 
Aristote,  trouve  dans  la  pensée  absolue,  Vasubandhu  le 
reconnaît  en  la  pensée  des  Tathâgatas,  qui  ne  sont  que 
connaissance  et  dont  le  monde  n'est  que  la  «  carrière  »,  ou 
les  divers  «domaines»,  selon  l'aspect  plus  ou  moins  relatif 
qu'ils  revêtent  par  leurs  trois  «  corps  ». 


CHAPITRE  IV 

LA  RIVALITÉ  DES  DEUX  VÉHICULES 

(iv'  siècle) 


Avant  de  poursuivre  l'histoire  de  l'idéalisme  bouddhique, 
dont  l'apogée  est  atteint,  mais  qui  suscitera  du  v*  au  vu*  siècle 
une  école  de  logiciens  émérites,  il  importe  de  situer  à 
leur  place  les  efforts  du  Petit  Véhicule  pour  défendre  son 
point  de  vue  contre  le  Grand. 

En  399,  quand  le  premier  pèlerin  chinois,  Fa-hien, 
visite  l'Inde,  il  trouve  encore  le  Hinayâna  morcelé  en  écoles 


LA    RIVALITÉ    DES    DEUX    VÉHICULES  143 

multiples,  selon  des  traditions  distinctes  ou  des  diversités 
locales.  Ce  dernier  cas  se  rencontre  dans  l'école  singhalaise 
de  langue  pâlie,  école  dont  la  gloire  culmine  en  Buddhaghosa. 
Cet  auteur,  dont  les  commentaires  s'associèrent  au  canon 
pâli  dans  la  vénération  des  fidèles  méridionaux,  date  de  la 
première  moitié  du  v^  siècle:  né  en  Magadha,  d'une  famille 
brahmanique,  il  aurait  travaillé  à  Ceylan,  dans  le  monastère 
d'Anurâdhapura,  puis  aurait  regagné  le  continent  (*^).  Si 
importante  qu'ait  été  son  œuvre  religieuse  pour  clarifier  les 
dogmes  et  compiler  récits  ou  traditions,  elle  n'offre  pour 
la  critique  de  la  pensée  qu'un  intérêt  limité.  Les  questions 
pratiques  ont  à  ses  yeux  le  pas  sur  les  problèmes  théoriques; 
pour  lui  le  Vinaya,  non  le  Dharma,  est  la  base  de  la  foi  (pré- 
face à  la  Samantapasâdikâ)  :  il  poursuit  de  ses  attaques  les 
doctrines  spéculatives  sur  la  nature,  pakativâda,  notamment 
le  Sâmkhya,  à  la  prakrti  duquel  il  oppose  l'avijjâ  (avidyâ, 
ignorance)  bouddhique,  comme  ayant  une  portée  plus  con- 
crète et  plus  humaine.  La  valeur  historique  de  son  œuvre 
consiste  dans  l'écho  qu'elle  répercute  d'anciennes  x4tthakathâs 
(commentaires)  insulaires.  Le  résumé  de  la  doctrine  bouddhi- 
que donné  dans  le  Visuddhimagga  (chemin  de  la  pureté) 
distribue  l'ensemble  de  la  dogmatique  sous  ces  trois  chefs; 
cila  (morale),  samâdhi  (méditation),  pannâ  (sapience),  mais 
ne  témoigne  que  d'une  médiocre  originalité  philosophique. 
Il  en  faut  dire  autant  des  écrits  de  Dhammapala  (Paramattha- 
dipani,  commentaire  sur  le  Petavatthu,  le  Vimânavatthu,  les 
Thera-  et  Therigâthâs)  qui  peu  après  entreprit  avec  moins 
d'ampleur  une  tâche  analogue  sur  la  côte  sud  du  Dekkan, 
dans  le  voisinage  de  Ceylan.  L'école  insulaire  n'a  jamais 
complètement  suspendu  son  activité,  même  après  avoir 
essaimé  en  Birmanie,  où  elle  trouva,  au  iii^  siècle,  dans  le 
moine  Anuruddha,  un  compilateur  dont  le  nom  mérite  d'être 
retenu  parce  qu'il  composa  un  traité  de  pychologie  et  de 
morale  bouddhiques,  V Ahhidhammatthasamgaha  («*). 


144  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

Les  sectes  de  l'Inde  centrale  ou  septentrionale  firent 
preuve  d'une  curiosité  spéculative  bien  plus  grande:  la 
preuve  en  subsiste  dans  la  richesse  des  éléments  qu'en  a  con- 
servés le  Tripitaka  chinois.  Tels  VEkottaro.  Agama  des  Mahâ- 
samghikas,  traduit  en  384-385  et  leur  Vinaya  en  416:  le 
Vinaya  et  V Abhiniskramana  des  Dharmaguptas,  traduits  l'un 
en  405,  l'autre  vers  le  même  temps  :  le  Vinaya  des  Mahîçâ- 
sakas  en  424.  Des  dates  analogues  pourraient  être  données 
pour  la  version  en  chinois  de  la  littérature  des  Sarvâstivâdins, 
secte  la  plus  agissante.  Ces  traditions  diverses,  qui  fondaient 
naguère  leur  distinction  sur  l'admission  de  textes  différents 
ou  la  valeur  principale  accordée  à  certaines  parties  du  canon 
(ainsi  les  Sautrântikas,  accordant  le  maximum  de  créance 
aux  siitras),  justifie  de  plus  en  plus  leur  rivalité  par  l'adop- 
tion de  thèses  indépendantes. 

Les  Vibhajjavâdins,  discriminalistes,  se  distinguent  des 
Sarvâstivâdins  en  ce  qu'au  lieu  d'admettre  que  «tout  existe  » 
ils  ne  tiennent  pour  réels  que  le  présent  et  le  passé  dont  le 
«fruit»  n'a  pas  encore  «  mûri»;  le  reste  du  passé  et  l'avenir 
ne  sont  point.  Mais  il  y  eut,  paraît-il,  quatre  manières  de  com- 
prendre le  «  réalisme  intégral  »  :  celles  de  Dhamatrâta,  de 
Ghosaka,  de  Vasumitra,  de  Buddhadeva.  Ces  docteurs,  — 
d'autres  encore  tels  que  Kâtyâyaniputra,  auteur  du  Jnâna- 
prasthanaçastra  et  Mahâmaudgalyâyana,  auteur  de  V Ahhi- 
dharyym-skandhaipada  comme  du  Prajnaptipâdaçâstra  — 
dotèrent  la  secte  d'un  abhidharma  spécial,  sur  lequel,  au 
temps  de  Kaniska,  fut  préparé  un  commentaire,  la  Vibhâsa. 
D'où  une  école  nouvelle,  qui  se  fonde  sur  ce  dernier  texte, 
les  Vaibhâsikas;  ils  se  recrutent  surtout  au.  Cachemire  (''). 
Leur  doctrine  a  été  glosée  par  un  traité  considérable  qu'écrivit 
Vasubandhu  avant  sa  conversion  au  Mahâyâna  :  VAbhidhar- 
makoça.  L'école  qui,  au  iv^  siècle,  s'oppose  aux  Vaibhâsikas, 
est  celle  des  Sautrântikas,  fondée  par  Kumâralabdha  (ii^s.). 
Ils  sympathisent   avec  leur  coreligionnaires   singhalais  par 


LA    RIVALITÉ    DES    DEUX    VÉHICULES  145 

leur  attachement  à  la  vieille  orthodoxie;  mais  ils  innovent 
par  leur  phénoménisme  plus  systématique,  par  leur  théorie 
de  l'inférence  des  objets  extérieurs,  en  contraste  avec  la 
doctrine  réaliste  de  la  perception,  qu'admettent  les  Vaibhâ- 
sikas. 

Ces  émules  ont  d'ailleurs  une  importante  doctrine 
commune  :  à  l'encontre  de  l'idéalisme  comme  du  nihilisme 
mahâyâniste,  oii  ils  dénoncent  une  liquéfaction  de  l'ortho- 
doxie dogmatique,  ils  cherchent  à  fonder  en  réalité  la  loi 
ainsi  que  le  phénomène.  A  cet  effet  ils  s'inspirent  des  philo- 
sophies  réalistes  qui  viennent  de  préciser  leurs  thèses  en  des 
sûtras  {Vo.içesika  s.,  ii*  s.,  NyTiya  s.,  fin  ii^  ou  début  m*  s.). 
Les  Vaibhâsikas  et  même  les  phénoménistes  Sautrântikas 
admirent  une  physique  atomiste;  cependant,  pour  ces  der- 
niers tout  au  moins,  l'inconséquence  était  flagrante,  de  sou- 
tenir que  l'être  se  résout  en  noms  passagers,  en  formes 
transitoires,  bref  en  relations,  et  de  postuler  des  atomes 
substantiels.  Il  faut  pourtant  prendre  en  considération  que 
telle  expression  du  plus  vieux  bouddhisme,  le  terme  de 
skandha  par  exemple,  connotant  l'idée  d'agrégat,  invitait  à 
supposer  des  simples,  susceptibles  de  combinaisons.  Nous  en 
trouverions  volontiers  la  justification  historique  dans  le  fait 
que  le  vocabulaire  du  bouddhisme  lui  est  en  grande  partie 
commun  avec  le  Jainisme  légèrement  antérieur,  et  dans 
l'observation  que  les  Jainas  dès  l'origine  avaient  cru  aux 
atomes.  Pour  éviter  de  trop  fortes  contradictions,  le  Hînayâna 
nia  que  ces  derniers  fussent  éternels,  sans  parties,  indivi- 
sibles. Introduisant  en  eux  de  la  relativité,  il  y  reconnut  des 
synthèses  momentanées  de  forces  subtiles.  L'esprit  conçoit 
bien  des  rudiments  substantiels  {dravyaparamânu),  fonde- 
ment de  cette  solidité,  de  cette  fluidité,  de  cette  chaleur,  de 
ce  mouvement  que  nous  prenons  pour  de  la  terre,  de  l'eau,  du 
feu,  de  l'air;  mais  ils  ne  se  laissent  jamais  saisir  isolément.  Au 

10 


146  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

surplus  l'atomisme  relatif  professé  dans  l'ordre  des  formes 
matérielles  trouve  son  pendant  intellectuel  dans  l'admission 
de  concepts  relativement  stables,  «  essences  »  ou  «  natures 
simples  »  dont  se  composent  l'entendement  comme  la  réalité. 
Aucun  terme  ne  traduit  mieux  que  ces  deux  expressions 
cartésiennes  l'usage  nouveau  dans  lequel  s'emploie  de  la 
sorte  le  mot  dharma.  Les  Sarvâstivâdins  dressèrent  une 
classification  de  ces  essences  qui  s'imposa,  moyennant  de 
légères  variantes,  aux  diverses  sectes  du  Petit  Véhicule  et 
qui  correspond,  sous  forme  statique,  à  l'échelonnement 
dynamique  des  phases  intelligibles,  constitutives  de  l'être 
ou  de  la  pensée,  tel  que  le  concevaient  les  Yogâcâras.  Le 
tableau  ci- joint  résumera  la  science  soit  physique,  soit  psycho- 
logique du  Hinayâna,  selon  le  chapitre  II  de  V Abhidharma- 

koça. 

5  indriya.s  (organes):  yeux,  oreilles,  nez, 

langue,  corps  (tact). 
5  visayas  (objets  des  sens):   formes  (et 
5  skandhas    (agrégats):  ]       couleurs),  sons,  odeurs, goûts,  contacts. 

I  Rïïpa  (forme).,    j  /  par  méditation  sur 

\     le  représentable 

l  avijnapti  I     (vijnaptisamâdhi 

(irreprésentable):     l     sambhûta). 

I  bien  et  mal 
'     (  kuçalâkuçala). 

II  vijSâna  (conscience). 

III  vedanâ  (sensation). 

IV  samjnâ  (perception). 
V  samskâra  (manière  d'être  et  d'agir). 

12  âyatanas  (bases,  conditions  de  la  conscience):  5  organes  senso- 
riels +  .5  objets  sensibles  -f  manas  (org.  mental)  +  dharma 
(objet   propre   du    manas). 

18  dhâtus  (supports,  facteurs):  12  âyatanas  +  6  modalités  de  con- 
science (conscience   des  diverses   sensations' et  du  manas). 

/  pratisarakhyâ-nirodha     (cessation 
_  ,  ,,  I       consciente  de  l'existence). 

3  asaçiskrta  dharmas  .^^.^    ^    (cessation  inconsciente 

(dharmas  non  composes)        ^^^  Pexistence). 

\  âkâça  (éther). 


LA   RIVALITÉ   DES    DEUX    VÉHICULES  147 

72  samskrta  dharmas  (dharmas  composés) 

11    de  rûpa:    5  indriyas  +  5  visayas   +    1   avijnapti. 

1  de  citta    ou    manas:    s'exerce    par    les    5   vijnâna 

(connaissances  sensibles)  +  la  connaissance  propre 

au  manas  (sensorium  commune,  manovijnâna). 

46  caitta  dharmas  (dharmas  mentaux):  correspondent 

aux  skandhas  III,  IV  et  V  (en  partie)  (i). 
14  citta-viprayukta-samskâras  (opérations  distinctes  de 
l'intellect  (non  mentales):  acquisition  et  non-acqui- 
sition,    participation,    inconscience,     obtention    de 
l'inconscience,    obtention    de    la    suppression,    vie, 
naissance,    durée,    décrépitude,   non-éternité,   noms, 
sentences,  lettres  [prâpti,  aprâpti,  sabhâgatâ,  asamjnika, 
asï^mjni-samâpatti,     nirodha-samâpatti,    jïvita,    jâti, 
sthiti,  jarâ,  anityatâ,  nâma-kâya,  pada-kâya,  vyan- 
jana-kâya]. 
(i)  10  mahâbhûmika  dharmas  (dharmas  de  grand  domaine):    vedanâ, 
samjnâ,    cetanâ   (intention),    sparça   (toucher),    chanda   (désir), 
mati    (intelligence),    smrti    (mémoire),    manaskâra    (attention), 
adhimoksa  (détermination),  samâdhi  (recueillement). 
10  kuçala-mahâbhûmika  dharmas  (dharmas  de  grand  domaine  du 
bien):  çraddhâ  (foi),  apramâda  (application),  praçrabdhi  (apaise- 
ment), hrî  (pudeur),  upeksâ  (impassibilité),  apatrapâ  (timidité), 
alobha  (absence   de    convoitise),   advesa  (absence   de    colère), 
ahimsâ  (absence  de  nuisance  à  autrui),  viryâ  (énergie). 
6  kleça-mahâbhïïmika-dharraas  (dharmas  de  grand  domaine    des 
passions):  moha  (égarement),  pramâda   (négligence),   kausidya 
(paresse),  açrâddhya  (incrédulité),  styâna  (inaction),  auddhatya 
(turbulence). 
2  akuçala-mahâbhûmika-dharmas  (dharmas  de  grand  domaine  du 
mal):  ahrîkatâ  (impudence),  anapatrapâ  (effronterie). 
10  upakleça—bhûmika-dharmas  (dharmas  du  domaine  des  passions 
secondaires):    krodha  (colère),   mraksa   (hypocrisie),   mâtsarya 
(égoïsme),  irsyâ  (jalousie),  pradâça  (vexation),  vihimsâ  (nuisance), 
upanâha  (inimitié),    mâyâ  (tromperie),   çâthya    (déshonnêteté), 
mada  (vanité). 
8  aniyata-bhîïmika- dharmas    (dharmas    du    domaine    incertain): 
vitarka  (réflexion),   vicâra  (investigation),  kaukrtya  (repentir), 
middha  (somnolence),   râga  (avidité),   pratigha  (emportement), 
mâna  (orgueil),  vicikitsâ  (doute). 

Ce  tableau  témoigne  d'un  éclectisme  tardif:  les  répé- 
titions, les  chevauchements  qui  s'y  manifestent  attestent 
l'adaptation  réciproque  de  classements  disparates.  Il  saute 
aux  yeux  que  la  signification  abstraite  de  dharma  quand 


148  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

on  parle  des  75  essences,  opérations  ou  événements,  suppose 
une  énorme  extension  du  \aeux  sens  technique  :  les  fonctions 
du  manas.  L'élément  primitif  est  la  théorie  des  skandhas.  Les 
phases  caractéristiques  de  cette  conception  du  monde  toujours 
plus  complexe  seraient  aisément  restituées  à  travers  les 
suttas  palis,  la  Dhommasangarii^  le  Dharmasamgraha,  enfin 
V Ahhidharmakoça.  Une  synthèse  parallèle,  rejoignant  l'escha- 
tologie populaire,  aboutit  à  une  cosmologie  plus  ou  moins 
exotérique,  mais  qui  fait  j)artie  du  bagage  commun  à 
toute  pensée  indienne.  Les  êtres  s'y  répartissent  selon  leur 
nature:  plans  (dhatu)  immatériel  (ârûpya),  matériel  (rûpin), 
concupiscible  (kâma);  —  selon  leurs  destinées  (gati)  :  sorts 
des  dieux,  des  hommes,  des  fantômes,  des  animaux,  de?; 
damnés;  —  selon  les  variétés  de  leur  méditation  (dhyâna, 
jhâna).  Les  hiérarchies  de  vivants  ou  d'esprits,  les  compar- 
timents superposés  de  cieux  ou  d'enfers  mettent  à  la  portée 
du  vulgaire,  par  systématisation  à  la  fois  des  jâtakas  et  des 
biographies  spirituelles  de  bodhisattvas,  les  subtiles  topo- 
graphies mystiques  d'Asanga  (**). 

Les  sectes  du  Petit  Véhicule,  émiettées  à  l'infini,  ne 
nous  sont  accessibles  qu'à  travers  le  dépouillement  des 
canons  tibétain  et  chinois.  Le  défrichement  qui  nous  les 
fera  connaître  débute  à  peine.  Elles  se  peuvent  sérier  en 
fonction  soit  du  canon  pâli,  demeuré  à  l'unisson  des  doc- 
trines anciennes,  soit  des  œuvres  mahâyânistes.  Ainsi  les 
Sthaviras  concordent  avec  les  Theras  singhalais,  mais  les 
Mahâsamghikas  ont  frayé  la  voie  au  Grand  Véhicule.  Plus 
d'une  école  prône  la  vacuité,  comme  les  IMâdhyamikas,  et 
les  Sautrântikas  enseignent  le  Trikaya  comme  Açvaghosa. 
Le  Satyasiddhiçâstra,  de  Harivarman,présente  au  début 
du  III®  siècle,  dans  l'Inde  centrale,  une  sorte  de  moyen  terme 
entre  les  deux  Véhicules,  soutenant  la  théorie  de  la  double 
vérité  :  le  Mahâyâna  peut  être  admis  au  point  de  vue  de  la 


LES    DERNIERS    MADHYAMIKAS    ET    YOGACARAS  149 

vérité  absolue  (paramârthasatya),  sans  faire  tort  à  la  vérité 
relative  (vyavahârasatya)  du  Hînayâna.  Cette  interpré- 
tation fut  aussitôt  adoptée  par  le  Grand  Véhicule,  tout  prêt 
à  se  persuader  qu'il  possédait  le  sens  profond  de  la  foi  boud- 
dhique. 


CHAPITRE  V 

LES  DERNIERS  MADHYAMIKAS  ET  YOGÂCÂRAS 
LA  LOGIQUE  DE  DIGNÂGA  ET  DE  DHARMAKÏRTI 


La  doctrine  Mâdhyamika,  que  nous  avons  quittée  au 
début  du  iii^  siècle,  reprend  son  évolution  au  v^,  dans  le 
sud.  Une  partie  de  la  secte,  sous  l'influence  de  Buddhapâlita, 
commentateur  du  Madhyamakaçâstra,  revient  aux  procédés 
critiques  et  préconise  l'usage  de  la  réduction  à  l'absurde 
(prasanga)  :  d'où  l'école  des  Prâsangikas,  qu'illustrera,  au 
VII ^  siècle,  Candrakîrti,  glossateur  du  môme  texte  comme 
du  Catuhçataka,  et  auteur  du  Mâdhy  amaUâvatâra.  En  guise 
de  protestation,  l'autre  groupe  des  Mâdhyamikas  se  proclame 
Svâtantrika,  partisan  d'un  raisonnement  «autonome»;  cette 
attitude  apparaît  chez  Bhavya,  nommé  encore  Bhâvaviveka 
(ti^  s.),  qui  dans  son  Prajnaprad^pa  s'attaque  à  l'argumen- 
tation de  Buddhapâlita;  puis  chez  Çântiraksita  (seconde 
moitié  du  viii^  s.),  auteur  de  la  Madhyamakâlamkârakâ- 
rikâ.  Sur  les  uns  et  les  autres,  à  partir  du  vii^  siècle,  s'accen- 
tue l'attraction  des  Yogâcâras:  le  Bodhicaryâvatâra  du  prâ- 
sangika  Çântideva   (fin   vu®)   démontre  la  vacuité  non  par 


150  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

une  série  de  négations,  mais  par  une  discipine  à  laquelle  se 
doit  astreindre  le  futur  Bouddha.  La  succession  des  étapes 
nécessaires  s'inspire  de  la  psychologie  yogâcâra,  et  ici  la 
«pensée  de  la  bodhi»  (bodhicitta),  dans  laquelle  s'enferme 
et  que  creuse,  et  que  réalise  le  postulant,  n'apparaît  que 
comme  la  transposition  en  termes  mâdhyamikas  de  cet  esprit 
(vijnâna),  seule  réalité  pour  les  Vijnânavâdins.  Sans  cette 
notion  qui  prête  à  la  totalité  du  phénomène  une  même 
conscience  pour  souffrir,  doublée  d'une  même  pitié  pour  la 
douleur  universelle,  on  ne  s'expliquerait  ni  l'ardente  cha- 
rité, ni  la  confiante  dévotion  qui  assurent  la  valeur  religieuse 
de  ce  manuel  mystique  (^^). 

Malgré  ce  réveil  de  la  pensée  mâdhyauiika  au  bruit  de 
la  lutte  entre  Bhavya  et  Buddhapâlita,  ce  sont  les  Yogâ- 
câras  qui  font  preuve,  entre  le  v^  et  le  viii^  siècle,  de  la 
plus  grande  puissance  spéculative.  Ils  régnent  dans  l'uni- 
versité de  Nâlandâ,  dont  le  prestige  s'étend  à  l'Asie  entière 
et  ils  se  recrutent  désormais  dans  toute  l'Inde;  car  si  Dignâga 
est  un  méridional,  originaire  de  Kânci,  Buddhadâsa  est  de 
l'Ouest,  Sthiramati  de  l'Est,  Samghadâsa  du  Cachemire.  Ce 
second  essor  de  l'idéalisme  se  manifeste  dans  la  seconde 
moitié  du  v^  siècle,  avec  Dignâga,  Sthiramati,  Ravigupta  et 
Gunamati:  au  vii^  d'abord  avec  Candragomin,  savant  et 
artiste  universel,  le  Vinci  de  l'Inde,  à  la  fois  technicien  du 
dessin,  de  la  métrique,  et  médecin,  grammairien;  puis  Dhar- 
mapâla,  expert  à  utiliser  contre  le  Hînayâna  et  dans  l'intérêt 
de  l'idéalisme  la  thèse  mâdhyamika  dont  il  se  fait  le  commen- 
tateur; enfin  Dharmakîrti,  le  plus  illustre  défenseur  de  la 
pensée  bouddhique  en  possession  de  toutes  ses  ressources, 
contre  les  doctrinaires  brahmaniques.  Dialecticien  scolastique, 
Dharmakîrti  met  en  système  les  principes  de  Dignâga, 
qui  avait  jeté  les  bases  d'une  logique  inédite  :  il  en  fait  une 
épistémologie  et  une  théorie  de  raisonnement  qui  plus  ou 


LES    DERNIERS    MADHYAMIKAS    ET    YOGACARAS  151 

moins  s'imposeront  à  l'ensemble  de  la  spéculation  indienne 
et  jouiront  en  Extrême-Orient  d'une  souveraineté  non  moins 
incontestée  que  celle  de  la  logique  aristotélicienne  en  Europe(**), 

Les  préoccupations  logiques  sont  un  caractère  géné- 
ral de  la  réflexion  bouddhique  postérieure  au  iv®  siècle;  on 
conçoit  que  la  diversité  des  traditions  spéculatives,  dont 
chacune  doit  s'instituer  et  se  maintenir  par  des  arguments, 
ait  forcé  les  hommes  de  foi,  devenus  philosophes,  à  se  faire 
logiciens.  De  la  sophistique  hïnayâniste,  les  Mâdhyamikas 
avaient  hérité  l'aptitude  à  l'analyse  conceptuelle,  la  dexté- 
rité à  isoler  les  relations  qui  donnent  un  sens  à  un  mot,  et 
qui  font  supposer  par  les  esprits  dogmatiques  une  nature 
propre  (svadharma),  des  caractères  spécifiques  (svalaksana)  à 
chaque  notion;  les  Prâsangikas  témoignent  de  leur  affilia- 
tion à  cette  lignée,  en  maniant  la  réduction  à  l'absurde  comme 
arme  contre  les  Svâtantrikas.  Mais  cette  logique  mâdhya- 
mika,  si  experte  à  dissoudre  les  idées  en  relations  par  de 
tranchantes  dichotomies,  conservait,  exaltait  la  portée  négative 
de  l'ancienne  sophistique  :  elle  demeurait  impuissante  à 
élaborer  une  logique  constructive.  Telle  est  au  contraire  la 
vocation  de  l'idéalisme  Yogâcâra,  habile  à  saisir  parmi  des 
perspectives  de  spiritualité  qui  s'emboîtent  et  se  transfor- 
ment par  approfondissement,  comment  à  la  faveur  d'un  déve- 
loppement continu  le  multiple  et  l'un  se  concilient.  Nous 
ne  soutiendrons  pas,  comme  le  meilleur  connaisseur  de  la 
logique  bouddhique,  Stcherbatsky,  que  ce  fut  la  première 
logique  indienne;  car  nous  ne  doutons  guère  que  Dignâga 
soit  né  après  la  rédaction  des  siïtras  du  Vaiçesika  et  du 
Nyâya,  peut-être  même  après  la  formation  de  la  théorie  Jaina 
du  raisonnement.  Mais  nous  n'avons  garde  de  méconnaître 
que  la  logique  brahmanique  se  développa  en  corrélation  avec 
la  pensée  bouddhique,  et  que  cette  dernière,  après  avoir  fait 
fermenter  comme  un  levain  la  spéculation  indienne,  a  pour 


152  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

une  large  part  imposé  son  empreinte  sur  le  syncrétisme  tardif 
du  Nyâya-Vaiçesika. 

Les  œuvres  de  Dignâga,  conservées  en  tibétain,  sont  le 
Pramânascunuccaya  et  son  commentaire,  le  A^?/ a?/ a-pravepa; 
le  Hetucakrahamaru;  V Alambanapanksâ.  et  son  commen- 
taire; enfin  le  Pranmnaçâstrapraveça.  Le  premier  et  le  dernier 
fournissent  une  théorie  des  pramânas;  le  second  une  classi- 
fication des  sophismes;  le  troisième  l'examen  des  raisonne- 
ments concluants.  Dharmakîrti  écrivit  le  Nyâyabindu  ;  un 
Sautrântika  du  ix^  siècle,  Dharmottara,  en  écrivit  un  com- 
mentaire (tikâ),  qui  fut  à  son  tour  glosé  par  l'auteur  d'une 
tippanl. 

L'épistémologie  des  Vijnânavâdins  ne  se  sépare  guère 
de  celle  des  brahmanes;  nous  la  situerons  dans  son  milieu 
quand  nous  examinerons  l'histoire  des  darçanas  orthodoxes. 
Leur  logique  s'isole  moins  malaisément,  quoiqu'elle  ne  doive 
elle-même  s'apprécier  qu'en  corrélation  avec  celle  duNyâya. 
Par  exemple  nous  pouvons  tenir  pour  calqués  sur  les  argu- 
mentations de  ce  système,  moyennant  suppression  de  «l'ap- 
plication» et  de  la  «conclusion»,  les  raisonnements  déjà  mis 
en  forme  par  l' Upay a -kauçaly a-hrday açTistra  (1, 1)  de  Nâgâr- 
Juna  et  le  YogâcâryahhûmiçTistra  (XV)  d'Asanga;  à  fortiori 
ce  raisonnement  à  deux  membres,  la  proposition  et  la  raison, 
qu'aurait  admis  Vasubandhu  selon  le  témoignage  de  Kouei-ki, 
confirmé  par  le  Nyây a-vârtika  (I,  137).  Par  contre  l'esprit 
idéaliste  se  reconnaît  dès  l'abord  chez  Dignâga  et  Dharma- 
kîrti, qui  distinguent  deux  tjrpes  de  raisonnement  :  l'un 
que  l'on  fait  pour  soi,  simple  énoncé  de  la  chose  induite,  motivée 
en  raison  :  «  Ici  il  y  a  du  feu,  car  il  y  a  de  la  fumée  »;  l'autre 
qui  tend  à  convaincre  autrui  :  «  Partout  où  il  y  a  de  la 
fumée,  il  y  a  du  feu  ;  or  il  y  a  ici  de  la  fumée  ;  donc  il  y  a  ici 
du  feu».  La  démonstration  se  détache  de  ce  piétinement 
pariui  les  données  d'expérience  qui  assure  le  Naiyâyika  de 


LES    DERNIERS    MADHYAMIKAS    ET    YOGACARAS  153 

ce  qu'il  veut  établir  :  ainsi  disparaît  «l'exemple»,  «  comme 
dans  le  cas  du  feu  de  la  cuisine  ».  L'idéalisme  consiste,  en 
l'occurence,  à  chercher  dans  des  conditions  d'intelligibilité 
plus  que  dans  des  circonstances  de  fait,  le  nerf  de  la  con- 
nexion logique.  Cette  relation,  qui  dans  le  Nyâya  n'était  — 
nous  le  constaterons — qu'un  rapport  de  signe  à  chose  signifiée, 
ne  se  comprend  vraiment  que  s'il  existe  une  solidarité  intime 
et  nécessaire,  une  liaison  naturelle  {svabHâva'pratibandha) 
entre  la  raison  probante,  sâdhana  (signe  ou  cause,  linga, 
hetu)  et  l'inférence  prouvée,  sâdhya  (chose  signifiée  ou  effet). 
La  simple  concomitance  (sâhacarya)  admise  par  les  systèmes 
réalistes,  Jainisme  et  Nyaya-Vaiçesika,  s'approfondit  en 
identité  ds  nature  (tadâtmya),  ou  en  causalité  prise  au  sens 
analytique,  l'effet  se  tirant  de  sa  cause  comme  la  consé- 
quence du  principe.  Hormis  ces  deux  cas  on  ne  conçoit 
point  de  relation  nécessaire,  mais  de  simples  consécutions 
accidentelles.  C'est  donc  pour  un  motif  analogue  à  ceux  de 
Kant,  que  Dignâga  s'avise  de  la  possibilité  de  jugements 
synthétiques  à  priori  :  «  Il  n'y  a  aucune  chose  réelle  indis- 
solublement liée  qui  puisse  être  raison  logique,  car  il  est 
dit  :  la  raison  d'après  laquelle  un  fait  est  la  cause  d'un  autre 
fait,  qui  en  est  la  conséquence  logique,  ne  dépend  point  de 
l'être  ou  du  non-être  extérieurs;  elle  repose  sur  la  condition 
d'inhérence  ou  de  substance,  instituée  par  notre  pensée» 
{Nyâyaimrtikatâtparyattk'â,  127,  2,  4).  (3ette  remarquable 
assertion  fut  comprise  dans  toute  sa  portée  :  car  le  naiyâyika 
Uddyotakara,  défenseur  d'un  point  de  vue  comparable  à 
l'empirisme  de  J.  Stuart  Mill,  refusera  d'admettre  cette 
idée  de  connexion  nécessaire. 

L'exacte  intelligence  de  la  logique  bouddhique  suppose 
que  l'on  ne  méconnaisse  ni  les  affinités,  ni  les  divergences 
qu'elle  présente  en  comparaison  de  la  nôtre.  La  tentation 
peut  être  grande  de  retrouver  dans  l'inférence    «  pour  soi  » 


154  JÏISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

l'induction,  passage  du  fait  à  la  loi;  dans  l'inférence   «pour 
autrui»  la   déduction,   instrument  de   démonstration;   dans 
l'objet,  le  petit  terme;  dans  le  sâdhya,   le   grand;  dans  le 
hetu,  le  moyen.  Mais  alors  on  se  paie  de  mots.  On  travestit 
le   raisonnement   indien  en  l'affublant   à  la   grecque   de  la 
façon  suivante  :   «  Tout  ce  qui  est  fumant  est  igné;  or  cette 
montagne  est  fumante,  donc  elle  est  ignée».   Car  le   syllo- 
gisme  d'Aristote   supposait   des   termes   d'extensions   diffé- 
rentes, se  subsu  niant    les  uns  dans    les  autres  :    mortel  > 
homme  >  Socrate;  tandis  qu'on  ne  peut  ici,  sans  absurdité, 
affirmer  :    choses    ignées  >  choses  fumantes  >  montagne. 
La  fumée  n'est  pas  plus  déterminée  que  le  feu,  ni  la  montagne 
plus  déterminée  que  la  fumée.  Fumée  n'est  espèce  ni  rela- 
tivement au  gem-e  feu,  ni  relativement  à  l'individu  :  cette 
montagne.   Il  y  a  simplement  une  chose,  substrat  de  deux 
qualités,  dont  l'une  en  est  prouvée,  l'autre  instrument  de 
preuve.   La  première  est  le  sâdhya,   conséquence  logique; 
la  seonde  le  hetu,  raison  probante,  ou  linga,  le  signe.  Nous 
ne  nions  pas  que  l'Inde  soit  venue  à  concevoir  ces  rapports 
sous  forme  d'implications   :    «  avoir  du  feu  »  équivaut  à  un 
contenant  (vyâpaka),  car  il  y  a  du  feu  sans  fumée  (ex.  :  le 
soleil),  et  «  avoir  de  la  fumée»  peut  passer  pour  un  contenu 
(vyâpya),  car  pas  de  fumée  sans  feu.  Mais  cette  notion  de 
la  vyâpti  n'apparaît  qu'à  l'époque  syncrétique.  L'anumâna, 
nom  de  l'inférence,  désigne  une  connaissance  «par  connexion  », 
qui  saisit  deux  attributs  d'une  substance  comme  solidaires, 
mais   qui  néanmoins  les   appréhende   en  simultanéité,   l'un 
aperçu  pour  ainsi  dire  au  travers  de  l'autre.  Il  s'agit  moins 
d'un  raisonnement  fait  de  jugements,  que  d'une  représenta- 
tion complexe.  N'oublions  pas  que  les  bouddhistes  ne  con- 
çoivent point  d'autres  opérations  mentales  que  des  synthèses, 
inhérentes  aussi  bien  à  la  perception  qu'à  d'autres  formes 
de  pensée.   Stcherbatsky   a   fait  très   justement   remarquer 
qu'exprimé    à   l'indienne    le    syllogisme    d'Aristote    cessait 


LES    DERNIERS    MADHYAMIKAS    BT    YOGACÂRAS  155 

de  former  un  raisonnement,  pour  devenir  ce  jugement  de 
perception:  «voilà  un  homme  mortel,  Socrate»;  et  Jacobi, 
avec  non  moins  d'à  propos,  rappelle  qu'une  telle  façon  de 
penser  concorde  avec  la  structure  du  sanscrit,  si  porté  à 
présenter  en  un  mot  composé  ce  que  nous  dirions,  nous 
autres,  en  une  ou  plusieurs  phrases.  Surtout  ne  perdons  pas 
de  vue  que  toutes  les  logiques  d'Asie,  même  teintées  d'idéa- 
lisme, portent  sur  des  choses,  substances  ou  phénomènes, 
non  sur  des  concepts,  au  sens  européen,  c'est-à-dire  socratique 
et  platonicien  de  ce  mot  ('-^). 


* 
* 


Les  derniers  siècles  du  Bouddhisme  dans  l'Inde  conti- 
nentale —  Népal  et  Cachemire  mis  à  part  —  nous  sont  mal 
connus,  les  renseignements  tibétains  ou  chinois  faisant  défaut. 
Ceylan  et  la  Birmanie  n'ont  jamais  cessé  d'alimenter  leur 
foi  aux  sources  pâlies.  Mais  le  centre  et  le  nord  virent,  dès 
le  VIII®  siècle,  l'inspiration  des  sectes  se  tarir  et  le  dogmatisme 
se  confiner  aux  Etats  hîmalâyens.  Sans  doute  la  vacuité, 
dernier  mot  du  Mahâyâna,  ne  renfermait-elle  point  la  force 
d'expansion  qui  embrase  les  prosélytismes,  la  religion  qui 
proclamait  le  néant  de  sa  propre  loi  se  vouait  par  là  même 
au  néant.  Certes  elle  dura  au  Népal,  au  Cachemire,  parce 
qu'elle  y  fut  moins  battue  en  brèche  par  le  Brahmanisme. 
Certes  elle  se  maintint  en  Chine,  au  Japon,  parce  qu'elle  y 
jouissait  du  prestige  d'une  doctrine  étrangère,  et  qu'elle 
y  bénéficiait  de  la  complicité  taïoste.  Mais  dans  l'Inde  conti- 
nentale elle  n'avait  jamais  rallié  les  suffrages  que  d'une  faible 
partie  de  la  population,  dont  la  masse  était  «  hindouiste  »  et 
l'élite  «  brahmanique  ».  Quand  les  hagiographes  bouddhistes 
exultent  de  faire  remarquer  que  les  plus  grands  docteurs  sont 
nés  dans  le  brahmanisme,  ils  font  sans  doute  l'apologie 
d'une  foi  qui  convertit  de  fortes  consciences  et  forma  des 


156  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

esprits  parmi  les  mieux  trempés:   mais  ils  avouent  par  là 
même  combien  restreint  était  le  nombre  des  coreligionnaires. 
Açoka,   Kaniska  n'avaient  pas   craint    de  soutenir   de  leur 
pouvoir  temporel  un  dharma  somme  toute  assez  conforme 
à  celui  que  tout  monarque  hindou  est  tenu  de  promouvoir; 
mais  on  se  représente  mal  les  princes,  d'ailleurs  politiquement 
faibles,  des   vi*  et  vu**   siècles,   étayant   de  leur  autorité  la 
prédication  du  vide.  Ainsi  le  Mahâyâna,  transposant  la  foi, 
seule   agissante,  en   abstractions  philosophiques,  compromit 
la  prospérité  religieuse  du  Bouddhisme,  Afin  de  se  sauver  en 
tant  que  religion,  ce  dernier  accueillit  les  mythes  populaires, 
travestit  les  dieux  les  plus  hétéroclites  en  bouddhas,  —  ainsi 
Indra  en  Vajrapâni,  Brahmâ  Svayambhu  (in  et  per  se)  en 
âdibuddha,  substrat  originel,    «Urgrund»  de  l'Univers;  — 
il  multiplia  sans  fin  bouddhas  et  bodhisattvas  de  contem- 
plation  (dhyânib.),   hypostases   théologiques   de  la   concen- 
tration spirituelle  ;  il  sacrifia  la  connaissance  à  la  dévotion, 
le   désintéressement   à  la   superstition.    Mais   ce   Tantrisme 
bouddhiste    rejoignait    le    Tantrisme    hindouiste,    au    plus 
grand  péril  de  la  foi,  car  elle  y  perdait  son  autonomie  et  ne 
pouvait  absorber  ces  troubles  éléments  que  le  brahmnaisme, 
pour  n'en  être  pas  étouffé,  avait  su  consacrer.  Les  brahmanes, 
formés  à  la  philosophie  par  l'exemple  du  Mahâyâna,  dressés 
à  l'argumentation  polémique  par  d'incessantes  joutes  dialec- 
tiques avec  les  divers  Véhicules,  finirent  par  vaincre  l'hérésie. 
Nous  constaterons  d'ailleurs  que  les  dogmes  bouddhiques, 
pour  une  large  part,  se  survécurent  dans  le  Brahmanisme 
même.  Il  n'y  eut  donc  pas  besoin  de  persécutions  en  règle 
pour  déraciner  le  bouddhisme  du  Magadha  ou  du  Gandhâra. 
Si  la   violence   hâta  la   disparition   des   monastères  et    des 
littératures,  ce  fut  celle  de  l'invasion  arabe,  puis  turco-mongole. 
Le   Mahâyâna  n'agit  plus    désormais   que   là  où  s'implan- 
tèrent ses  livres  :  en  Chine  et  au  Japon.  C'est  là  que  conti- 
nueront de  vivre,  mais  en  des  esprits  étrangers  à  la  menta- 


LES    DERNIERS    MADHYAMIKAS    ET    YOGACARAS  157 

lité  indienne,  certaines  des  sectes  soit  du  Petit  Véhicule,  — 
celles  de  l'Abhidharmakoça,  du  Vinaya,  de  la  Satyasiddhi;  — 
soit  du  Grand,  —  celles  du  Dharmalaksana  (Yogâcâras),  des 
trois  castras  (Mâdhyamikas),  de  l'Avatarnsaka,  du  Saddhar- 
mapundarîka  (Tendai  et  Nichiren),  de  la  Sukhâvatï  (Jôdo 
et  Shinshu),  des  mantras  et  du  dhyâna.  Le  dépouillement 
des  littératures  chinoise  et  japonaise  afférentes  à  ces  sectes 
d'un  nouveau  genre  fournirait,  pour  qui  saurait  isoler  les 
facteurs  extrême-orientaux,  une  excellente  voie  d'accès  à 
l'intelligence  de  la  pensée  bouddhique,  et  dès  à  présent  la 
science  sino-nipponne  apporte  une  contribution  de  premier 
ordre  à  l'indianisme  (®'). 


SIXIEME    PARTIE 

LA  PENSEE  DES  DARCANAS  ORTHOD(3XES 


CHAPITRE  I 

LES   SÛTRAS   DES   SIX   SYSTÈMES 
ET   LEURS   PREMIERS   COMMENTAIRES 

(entre   100  et  500) 


La  principale  difficulté  de  l'histoire  de  la  philosophie 
indienne  réside  dans  la  nécessité  de  situer  chaque  doctrine 
à  la  fois  comme  phase  de  la  tradition  à  laquelle  elle  appar- 
tient et  comme  contemporaine  d'un  moment  particulier  des 
autres  traditions  qui  évoluèrent  de  façon  synchronique  dans 
le  même  milieu.  Les  systèmes,  loin  de  se  remplacer  les  uns  les 
autres,  évoluent  depuis  une  antiquité  plus  ou  moins  reculée, 
chacun  pour  ainsi  dire  en  vase  clos,  par  l'effet  d'une  réflexion 
assidue,  orientée  toujours  dans  la  inême  direction.  Mais  il  n'est 
pas  douteux  non  plus  que  les  cloisons  entre  ces  diverses 
traditions  ne  furent  jamais  étanches,  et  que  des  corrélations, 
des  influences  s'établirent,  par  l'obligation'  même  où  ces 
diverses  filiations  se  trouvèrent,  de  polémiser  chacune  contre 
toutes  les  autres.  La  métaphore  sur  laquelle  repose  la  Mona- 
dologie  s'appliquerait  ici  avec  justesse  :  chaque  système  est 
une  «vue  »,  darçana,  sur  l'ensemble  de  l'intellectualité  indienne, 
aperçue   sous  un    biais  particulier  ;   et  ces    «  vues  »,   toutes 


LES    SUTRAS    DES    SIX    SYSTEMES  159 

indépendantes,  néanmoins  se  correspondent  par  la  réalité 
qu'elles  expriment,  la  même  pour  toutes,  et  à  chaque  moment 
de  leur  histoire.  Un  récit  rigoureusement  chronologique, 
fût-il  possible,  ne  donnerait  donc  pas  une  notion  exacte  de 
ce  que  fut,  aux  diverses  époques,  la  pensée  de  l'Inde.  D'autre 
part  l'historien  ne  saurait  se  satisfaire  d'une  collection  de 
monographies,  consacrées  aux  divers  darçanas;  car  malgré 
la  force  des  multiples  traditions,  toujours  les  hommes  d'un 
même  temps,  à  quelque  profession  de  foi  qu'ils  appartinssent, 
eurent  des  opinions  communes,  et  il  n'importe  pas  moins  de 
comprendre  chaque  doctrine  par  ses  contemporaines  que 
par  ses  devancières.  Entre  ces  deux  nécessités  malaisées  à 
concilier,  nous  tenterons  un  compromis,  afin  de  restituer 
sommairement  le  sens  de  chaque  système  en  lui-même,  sans 
perdre  de  vue,  aux  principales  époques,  le  parallélisme  des 
transformations. 

Nous  avons  déjà  éprouvé  cette  difficulté  en  retraçant 
à  grands  traits  les  phases  du  Bouddhisme.  Dès  le  temps  où 
se  forma  cette  religion,  la  pensée  indienne  avait  la  notion 
d'un  idéalisme;  Cârvâka,  Sâmkhya,  Yoga  désignaient  déjà 
des  attitudes  spéculatives  distinctes.  Et  cependant,  si  nous 
nous  limitons  ici  à  un  exemple,  il  faut  attendre  le  xv^  siècle 
pour  voir  se  rédiger  les  sûtras  du  système  Sâmkhya.  Ce 
darçana  avait  donc  au  bas  mot  vingt  siècles  d'existence 
quand  son  texte  définitif  se  fixa.  Chaque  système  a  ainsi, 
plus  ou  moins  longue,  sa  préhistoire,  c'est-à-dire  un  temps 
pendant  lequel  il  a  déjà  vécu,  mais  antérieur  à  la  rédaction 
«  ne  varietur  »  de  ses  thèses  fondamentales  ;  pour  cette 
période  de  formation,  au  moins  aussi  importante  que  la  phase 
scolastique  ultérieure,  où  des  commentaires  s'adjoignent 
au  texte,  nous  sommes  trop  souvent  réduits  à  des  rensei- 
gnements indirects,  à  des  inductions.  Or  le  motif  pour  lequel 
nous  avons  traité  d'abord  du  Bouddhisme  n'est  point  qu'il 


160  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

soit,  absolument  parlant,  plus  ancien  que  le  Sâmkhya  ou  le 
Yoga,  car  cette  supposition  serait  fausse,  —  mais  que  l'un 
au  moins  de  ses  canons,  le  pâli,  précède  en  majeure  partie  la 
composition  des  sûtras  de  tous  les  darçanas. 

Le  terme  de  sûtra  prend,  en  effet,  dans  l'ordre  des 
systèmes  philosophiques,  une  valeur  précise.  Il  ne 
désigne  pas  un  simple  ouvrage  didactique,  çâstra,  ou  une 
«  élaboration  »,  prakarana.  Chaque  système  ne  peut  posséder 
qu'un  texte  ainsi  nommé.  Ici  se  manifeste  une  tendance  ana- 
logue à  celle  qui  se  constate  dans  la  vie  religieuse  :  une  secte 
a  ses  «  Ecritures  »,  son  (c  Li\Te  »,  son  «  Evangile  »  une  fois 
pour  toutes;  si  d'autres  «  Ecritures  »  survenaient,  une  religion 
distincte  se  trouverait  fondée.  La  pensée  philosophique 
indienne,  quoique  à  maints  égards  très  libre,  implique  ainsi, 
dans  son  obéissance  à  une  tradition,  un  élément  d'autorité. 
Mais  rien  d'humain  n'est  d'emblée  définitif.  Une  rédaction 
«  ne  varietur  »  suppose,  sans  aucun  doute,  une  longue  for- 
mation. Ainsi  l'on  comprend  que  chaque  darçana  n'entre 
dans  l'histoire  positive,  autrement  dit  que  ses  productions 
ne  puissent  être  datées  avec  quelque  sûreté,  qu'à  partir  d'une 
époque  assez  basse.  Il  faut  concilier  de  la  sorte  les  appré- 
ciations opposées  que  portent  Hindous  et  savants  occiden- 
taux sur  l'ancienneté  des  darçanas  :  la  tradition  indigène 
n'a  certes  pas  tort  de  faire  remonter  très  haut,  par  exemple 
bien  avant  l'ère  chrétienne,  les  débuts  de  la  réflexion  qui 
les  élabora;  historiens  et  philologues  ont  d'excellentes  raisons 
pour  n'admettre  comme  avérés  que  les  faits  ou  textes  sus- 
ceptibles d'être  datés,  par  conséquent  pour  passer  au  crible 
d'une  sévère  critique  les  renseignements  toujours  suspects, 
mais  toujours  documentaires,  que  fournit  sur  son  passé  la 
tradition  de  chaque  école. 

La  chronologie  capitale,  en  ces  matières,  c'est  celle  des 
sûtras  des  différents  darçanas  admis  par  la  caste  brahmanique 


LES   SUTRAS    DES    SIX    SYSTÈMES  lot 

comme  orthodoxes,  c'est-à-dire  compatibles  avec  l'ensei- 
gnement des  Védas.  Cette  question,  longtemps  débattue, 
s'éclaircit  depuis  que  la  critique  occidentale  s'est  mise  à  peu 
près  d'accord  sur  quelques  points  de  repère  essentiels,  telles 
les  dates  approximatives  d'Açoka,  de  Kaniska,  de 
Vasubandhu;  depuis  aussi  qu'a  commencé  le  dépouillement 
des  principaux  commentaires  des  sûtras  et  des  littératures 
bouddhique,  jaina,  autres  encore,  à  évolution  parallèle  (^'). 
Une  stricte  analyse  de  ces  matériaux  permettra  d'obtenir 
de  quasi-certitudes.  Si  loin  que  nous  soyons  d'un  pareil  résul- 
tat, nous  ne  flottons  plus,  comme  naguère,  dans  une  com- 
plète indécision.  Le  progrès  a  été  préparé,  en  l'occurrence, 
par  l'ingéniosité  déployée  pour  la  justification  de  deux  thèses 
contraires,  celle  de  Jacobi  en  faveur  de  l'antériorité  des 
philosophies  brahmaniques  relativement  au  Mahâyâna,  celle 
de  Stcherbatsky,  partisan  de  la  postériorité  de  tous  les  siitras 
relativement  au  vijîiânavâda  d'Asanga  et  de  Vasubandhu. 
Peu  à  peu  les  divergences  s'atténuèrent  quand  on  s'aperçut 
que  le  Bouddhisme  visé  par  tels  siitras  n'était  point  l'idéa- 
lisme du  ye  siècle,  mais  les  Prajnâpâramitâs  ou  la  doctrine 
mâdhyamika  des  i^""  et  ne  siècles.  Pour  des  raisons  multiples, 
que  nous  ne  saurions  exposer  ici,  mais  qui  se  fondent  soit  sur 
des  relations  de  fait,  soit  sur  la  critique  interne  des  systèmes, 
nous  estimons  que  les  dates,  approximatives  bien  entendu, 
que  nous  allons  proposer,  bien  que  différentes  de  celles  que 
suggèrent  d'illustres  indianistes,  paraissent,  en  fonction  de 
travaux  récents,  les  plus  plausibles  : 

11^""  commentaire  :  Bhàsya 
de  Praçastapcâda,  450  - 
500. 

1 1^""  commentaire  :    Vrtti 

150  -  200  MîmâmsE       »         .    Jaimini  . . .  '     ^"^  ^^'.  ^^^^^?  '  3'  ^«"^- 

j      mentaire:   Bhasya   de 

(      Çabara,  400-450. 

11 


162  HISTOIRE    DE   LA   PHILOSOPHIE   INDIENNE 

Il^r  commentaire  :  Bhâsya 
de  Vâtsyâyana,  400- 
450. 

oF.n    Arx,-\  ir  j-  ^  td-j     -  \^^^  commentaire:  aucun 

300-40U  Vedanta         »         »    Badarayanai  ,,  .         ,    r^wr. 

•'    •    (  antérieur  a  OOO, 

An^    Ann.  17  T^  ,  ~-  T       i  1^'  commentaire:  aucun 

400-450  Yoga  »         »   Pataniali  . .  ■,  .,  .         ,    -r^n 

°  **  (  antérieur  a  oOO. 

1 400  ?     Sâmkhya       » 

Répétons  que  l'on  commettrait  de  graves  méprises  en 
restituant  la  philosophie  de  l'Inde  selon  une  chronologie  de 
ce  genre,  même  fondée  sur  des  certitudes  historiques.  Par 
exemple,  bien  que  les  Yogasûtras  paraissent  imputables  au 
v^  siècle,  on  ne  saurait  douter  que  les  Yogâcâras  du  iv^  siècle 
aient  connu  une  doctrine  yoga  très  évoluée,  puisque  leur 
nom  s'y  réfère:  au  surplus  le  Mahâbhârata,  aux  abords  de 
notre  ère,  fourmille  d'allusions  à  cette  doctrine  ;  même 
le  fondateur  du  Bouddhisme  eut  pour  maître  un  yogin.  Et 
encore  :  en  dépit  de  la  date  exceptionnellement  tardive  des 
Sâmkhya  Siîtras,  le  système  Sâmkhya  est  fort  ancien,  puis- 
qu'il procède,  par  delà  les  épopées,  des  antiques  Upanisads; 
d'ailleurs,  en  ce  qui  le  concerne,  les  stances  ou  Uârikas  d'Içva- 
rakrsna  ont  joué  le  rôle  de  véritables  siîtras,  peut-être  aux 
abords  de  200  ap.  J.-C. 

Pour  obvier  au  danger  d'une  excessive  confiance  dans 
les  données  chronologiques,  nous  pourrions  examiner  les 
darçanas  selon  une  ordonnance  consacrée,  qui  les  groupe 
par  couples.  Ainsi  Yoga  et  Sâmkhya  présentent  certaines 
affinités,  au  moins  tels  que  les  épopées  les  présentent.  Vaiçe- 
sika  et  Nyâya,  voués  à  l'épistémologie  et  à  la  logique,  étaient 
prédestinés  à  s'associer  :  de  fait  ils  fusionnèrent.  Vedânta  et 
Mîmâmsâ  revendiquent  de  communes  origines  védiques,  et 
le  Vedânta  prend  volontiers  le  nom  de  seconde  Mîmâmsâ 
(Uttara  M.),  par  opposition  à  la  Mimânisâ  tout  court,  ou 
Première  (Piirvâ).  Mais  alors,  bien  que  l'on  respectât   cer- 


LES    SUTBAS    DES    SIX    SYSTEMES  163 

taines  traditions,  on  ferait  trop  bon  marché  de  l'histoire.  Le 
Vaiçesika  est  antérieur  au  Nyâya,  la  Mimâmsâ  antérieure  au 
Védânta.  Les  plus  anciens  systèmes,  sans  conteste  possible, 
sont  cette  exégèse  des  Védas,  la  Mimâmsâ,  essentiellement 
brahmanique;  les  doctrines  réalistes,  d'inspiration  indépen- 
dante, par  exemple  ksa,triya,  en  tout  cas  sans  caractère 
brahmanique  bien  accusé  :  le  Vaiçesika  et  le  Sâmkhya;  une 
pratique  très  primitive,  le  Yoga,  qui  en  fait  ne  se  relie  à  la 
pensée  d'aucune  caste  particulière.  Voilà,  sans  que  nous 
ayons  le  droit  d'établir  entre  eux  une  gradation,  les  facteurs 
qui  dominent  du  plus  haut  et  du  plus  loin  la  totalité  de 
l'intelligence   indienne. 


I.  La  Mïmamsa.   Jaimini  et  Çabara. 

La  discipline  dénommée  Pûrva  ou  Karma-Mimâmsâ, 
Investigation  Première,  concernant  les  actes,  se  rattache  à 
l'exercice  du  culte  védique;  elle  consiste  en  une  réflexion 
sur  la  technique  rituelle,  dont  les  principes  remplissent  les 
Brâhmanas;  elle  n'a  donc  pu  naître  que  dans  la  caste  dépo- 
sitaire des  Védas.  Comme  tous  les  systèmes  contemporains 
ou  ultérieurs,  elle  vise  à  déterminer  le  dharma,  c'est-à-dire 
le  devoir  religieux,  mais  pris  en  un  sens  étroitement  brahma- 
nique :  l'obligation  par  excellence  est  le  sacrifice.  Or  le  sens 
originaire  de  ce  culte  se  perdait  dans  la  nuit  des  temps,  et 
toutes  sortes  de  difficultés  pratiques  surgissaient  tant  dans 
l'application  de  rites  disparates,  que  dans  l'intelligence  des 
formules.  D'où  la  nécessité  de  règles  pour  une  interprétation 
cohérente  des  Védas.  La  science  occidentale  se  désintéressant 
de  l'usage  sacerdotal  de  cette  exégèse,  a  fait  peu  d'efforts 
pour  la  pénétrer  dans  sa  signification  propre;  aussi  est-ce, 
entre  les  darçanas,  le  moins  accessible  à  des  Européens  C°). 


164  HISTOIRE    DE   LA   PHILOSOPHIE   IXDIENNE 

Il  appartiendrait  pourtant  à  l'historien  de  préciser  tout  ce  dont 
la  philosophie  indienne  est  redevable  à  de  semblables  spécu- 
lations. Dans  l'Inde  comme  ailleurs,  c'est  principalement 
autour  de  l'interprétation  des  textes  sacrés  qu'apparurent 
les  premiers  essais  de  science.  Les  plus  anciens  traités 
d'arithmétique  ou  de  géométrie  furent  composés  pour  per- 
mettre la  préparation  conforme  aux  rites  des  lieux  ou  des 
autels  destinés  aux  sacrifices.  La  réflexion  grammaticale  fut 
solidaire  de  l'exégèse;  et  le  vocabulaire  comme  les  raison- 
nements d'un  Kâtyâyana  se  montrent  tout  à  fait  homogènes 
à  ceux  des  sûtras  de  Jaimini,  ce  qui  prouve  —  soit  dit  en 
passant  —  que  le  fond  de  ces  textes  existait  dès  le  iv^  siècle 
avant  notre  ère  (^^).  Quoique  les  obligations  envisagées  dans 
la  Mimâmsâ  offrent  un  caractère  religieux,  non  civil,  c'est 
sur  le  patron  des  sacrilèges  que  l'on  se  représenta  d'abord  les 
crimes  et  la  jurisprudence  ne  fournit  qu'un  équivalent  laïque 
de  l'interprétation  dogmatique  :  ici  et  là  l'essentiel  est  de 
comprendre  et  d'appliquer  la  loi,  le  dharma.  Enfin  quoique 
les  plus  anciens  mîmâmsistes  n'eussent  guère  souci  de  philo- 
sopher, leur  recherche  impliquait  des  postulats  spéculatifs 
et  donnait  l'exemple  d'une  méthode  qui  influèrent  sur  le 
cours  de  la  pensée. 

Les  sûtras  qui  portent  le  nom  de  Jaimini  —  personnage 
légendaire  auquel  était  attribuée  toute  une  littérature  — 
paraissent  les  plus  anciens  des  sûtras  orthodoxes  :  ils  doi- 
vent dater  du  ii^  siècle.  Leur  Bhâsya,  par  Çabara[svâmin], 
semble  appartenir  au  v^  siècle,  mais  il  renferme  (I,  1,  5)  un 
fragment  de  commentaire,  vrtti,  dont  l'auteur,  demeuré  incon- 
nu, et  désigné  comme  vrttikâra,  doit  avoir  vécu  au  siècle  précé- 
dent. Les  sûtras  admettent  que  le  Véda  renferme  toute  la 
vérité;  mieux  encore:  qu'il  tient  de  lui-même  sa  certitude 
et  par  conséquent  ne  requiert  aucune  théologie,  aucune 
métaphysique  pour  fonder  son  intrinsèque   validité.    Cette 


LES    SUTRAS    DBS    SIX    SYSTÈMES  165 

conviction  fournit  la  base  du  système;  elle  lui  inspire  ses 
thèses  caractéristiques.  D'abord  sa  conception  du  dharma  : 
ce  dernier  demande  moins  à  être  connu  qu'à  être  exécuté; 
nous  avons  affaire  ici  à  une  doctrine  de  karman,  non  de 
jfiâna;  les  Védas  n'enseignent  pas,  mais  prescrivent;  il  s'agit 
de  se  conformer  à  leur  injonctions  (vidhi),  après  avoir  élucidé, 
par  le  moyen  d'une  casuistique,  l'exact  contenu  des  actions 
prescrites.  Ensuite  sa  notion  de  Vapûrva:  les  Mîmâmsistes 
appellent  ainsi  un  facteur  qui  n'existait  pas  avant  l'accom- 
plissement d'une  injonction  créé  par  cet  accomplissement  et 
susceptible  d'entraîner  des  conséquences  favorables  ou  non 
à  l'agent.  Cette  force  invisible,  adrsta.  mais  réelle,  indes- 
tructible,  atteste  une  archaïque  conception  du  karman, 
presque  aussi  matérialiste  que  celle  des  Jainas,  différant  de 
cette  dernière  comme  du  karman  bouddhique  par  le  fait 
qu'une  telle  force,  dans  le  système  envisagé,  ne  se  consume 
point  par  maturation,  ni  ne  se  compense  par  un  effort  ascé- 
tique. Aucune  ascèse  ne  trouve  place  parmi  les  rites  védiques  ; 
rien  ne  saurait  dispenser  de  la  ponctualité  rituelle,  ni  prévaloir 
sur  son  fidèle  accomplissement.  De  cette  inéluctabilité,  le 
terme  d'adrsta  conserve,  dans  d'autres  systèmes,  la  signi- 
fication de  «  destin  ».  La  loi  qui  régit  toute  existence,  résul- 
tant de  l'acte,  se  suffit  à  elle-même  coniine  la  vérité  védique. 
Enfin  selon  ce  réalisme  littéraliste,  les  Védas  durent  de  toute 
éternité  en  eux-mêmes,  c'est-à-dire  en  tant  que  sons,  exis- 
tence concevable  pour  un  texte  que  les  hommes  se  trans- 
mettent par  voie  orale.  Ces  sons  dont  le  Brahmanisme  a  hypos- 
tasié  le  nom  générique  en  réalité  absolue,  la  Parole  rituelle 
ou  Brahman,  ce  n'est  pas  assez  de  dire  qu'ils  existent  en 
tant  que  proférés  par  le  sacrifiateur,  homme  ou  Dieu:  ils 
subsistent  en  tant  que  sons,  puisque  comme  tels  ils  régissent, 
ils  constituent  la  nature  entière.  Il  n'y  a  place  dans  cet 
ordre  d'idées  pour  aucun  créateur  :  les  divinités,  s'il  en 
existe,    comme  l'admet  le    Véda,    ne   sont   pas    moins   que 


166  HISTOIRE    DE    LA   PHILOSOPHIE    INDIENNE 

l'homme  tributaires  de  cette  seule  réalité  absolue,  les  syllabes 
védiques.  Aux  âges  classiques  ce  dogmatisme  ritualiste  et 
magique  se  justifie  par  une  théorie  très  singulière  du  rapport 
entre  les  sons  et  leur  sens  :  rapport  non  conventionnel,  mais 
objectif  et  intrinsèque.  De  fait,  étymologiquement,  l'objet 
(artha),  c'est  la  signification  d'un  mot.  La  Mîmâmsâ  offre 
ainsi  l'exemple  d'une  doctrine  d'immanence  intégrale  : 
immanence  de  la  pensée  dans  l'être,  de  l'être  dans  l'acte,  de 
l'acte  dans  le  Verbe  éternel.  Les  attaches  du  système  avec 
la  plus  ancienne  tradition  védico-brahmanique  sont  assez 
étroites  pour  exclure  ce  qui  fait  le  fond  de  tout  autre  darçana  : 
cette  notion  qu'à  côté  du  dharma  littéral  il  y  aurait  un  dharma 
selon  l'esprit,  qui  consisterait  en  connaissance;  cette  notion 
que  l'acte  est  servitude  et  se  doit  transcender  en  délivrance. 
En  l'occurrence  le  salut  n'est  pas  conçu  comme  antithétique  à 
la  transmigration  :  il  se  réduit  à  rœu\T:-e  pie,  qui  procure  le 
ciel.  L'être  n'ayant  aucune  relativité  de  phénomène,  il  ne 
saurait  être  question  de  s'en  évader,  pas  plus  que  de  s'affran- 
chir du  rite.  Exemple  unique  d'une  doctrine  de  transmi- 
gration sans  idée  de  délivrance. 

La  connaissance  ne  peut  être  ici  que  servante  de  la 
pratique  religieuse.  Mais  de  même  que  l'être  se  suffit  à  lui 
même,  la  connaissance  est  tenue  pour  valable  par  soi  {svatah- 
prâmânya).  «Dans  la  connaissance  perceptive,  dit  le  vrbti- 
kâra,  c'est  l'objet  qu'on  atteint,  non  la  connaissance  »  (artha- 
visayâ  na  buddhivisayâ).  Comment  ne  pas  trouver  là  une 
attaque  directe  contre  les  Bouddhistes  ?  Pour  confirmer  la 
véracité  de  la  connaissance  aucun  critère  extérieur  n'est 
requis,  ni  tiré  de  l'être,  comme  supposent  les  réalistes,  ni 
emprunté  de  la  pensée,  comme  l'admettent  certains  vijnâna- 
vâdins.  Seule  la  mémoire  {smrti)  dépend  d'une  connaissance 
autre,  celle  qui  fut  jadis  immédiate.  Le  souvenir  mis  à  part, 
la  connaissance,  toute  pourvue  de  sa  certitude,  résulte  de 


LES    SUTRAS    DES    SIX    SYSTÈMES  167 

quatre  contacts  :  des  sens  avec  l'objet  et  ses  qualités;  des 
sens  avec  le  manas  (sensorium  commune);  du  manas  avec 
l'âme.  La  perception  (pratyaksa)  appréhende  ainsi  les  subs- 
tances (dravya),  les  qualités  (guna),  les  genres  (jâti).  Trois 
substances  sont  éternelles  :  les  atomes,  le  temps,  l'espace  ; 
le  manas,  instrument  par  lequel  l'âme  éprouve  les  états 
psychologiques,  est  un  atome,  ce  qui  explique  le  champ  si 
restreint  de  la  conscience  à  chaque  moment.  Sur  ces  bases 
qu'admet  le  Bhasya  de  Çabara,  les  Mimâmsistes  postérieurs 
au  V®  siècle  édifieront  une  physique  et  une  épistémologie, 
éloignant  le  système  de  son  caractère  exégétique  initial. 

Ce  caractère  essentiel  avait  du  moins  inspiré  dès  les 
premiers  textes  de  l'école  une  dialectique  originale.  En  théo- 
rie, une  discussion  de  casuitique  rituelle  se  déroule  dans 
l'ordre  suivant  :  l^la  proposition  à  établir,  visaya  ;  2» l'expres- 
sion d'un  doute,  qui  naît  dans  l'esprit  touchant  le  bien-fondé 
de  la  proposition,  samcaya:  3°  la  thèse  adverse,  objection 
portant  à  faux,  pûrvapaksa;  4^  la  riposte  ou  réfutation,  utta- 
rapaksa;  5»  l'établissement  du  visaya,  fondé  en  raison, 
samgati.  Ce  type  d'argumentation,  base  de  la  logique  brah- 
manique, montrait  le  vrai  s'établissant  à  travers  les  oppo- 
sitions doctrinales  :  il  contrastait  avec  le  raisonnement  tout 
négatif  des  Bouddhistes  du  ii^  siècle,  mais  il  concordait,  à  la 
systématisation  près,  avec  les  rudiments  de  dialectique 
inclus  dans  ces  autres  entreprises,  non  moins  brahmaniques, 
les  traités  de  grammaire  {vyâkarana),  depuis  Pânini  (iv^  siè- 
cle avant  Jésus-Christ)  jusqu'à  Patanjali  (ii^  siècle  avant 
Jésus-Christ),  et  les  discussions  d'étymologie  {nirukta).  En 
effet  interprétation  du  langage  et  interprétation  des  rites 
ne  sont  qu'aspects  à  peine  distincts  de  l'exégèse  religieuse. 


168  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 


II.   Le   Vaiçesika.    Kanada   et   Praçastapada. 

Si  nous  faisons  abstraction  de  la  méthodologie  exégétique 
et  de  la  casuistique  rituelle,  réduisant  ainsi  la  Mïmâmsâ  à 
ses  postulats  métaphysiques,  nous  aboutissons  à  une  con- 
ception toute  proche  de  celle  qui  fut  érigée  en  système,  vers 
le  même  temps,  sous  le  nom  de  Vaiçesika  ('^).  Ce  terme,  qui 
désigne  l'acquisition  de  l'intelligibilité  par  le  moyen  de 
distinctions,  de  spécifications,  atteste  dans  l'ordre  spécu- 
latif une  attitude  analogue  aux  discussions  d'  «  espèces  »  que 
soulève  l'interprétation  littérale  des  injonctions  védiques. 
Plus  élaborée,  mais  en  son  fond  presque  identique  va  être  ici  la 
conception  du  monde  :  ce  sera  un  atomisme,  qui  se  dou- 
blera d'une  théorie  de  la  connaissance. 

La  substructure  réaliste  n'apparente  pas  moins  le 
Vaiçesika  au  Jainisme  (^^).  Les  atomes  ne  sont  pas,  comme 
pensent  les  Jainas,  tous  homogènes;  ils  diffèrent  selon  les 
éléments.  Mais  toute  réalité  matérielle  consiste  en  simples  et 
en  complexes.  Deux  grandeurs  minimas  {paramanu),  atome» 
primaires,  s'additionnent  en  atome  binaire  {dvymiuka); 
trois  binaires  en  atome  trinaire  {tryanuka).  Le  principe  des 
changements  n'est  point,  à  la  lettre,  dharma  et  adharma, 
mais  c'est,  en  un  sens  au  fond  analogue,  le  déterminisme 
résultant   des   actions   antérieures,   l'adrsta,    cette   invisible 

•  •  • 

destinée  que  les  Mimâmsistes  appelaient  apûrva.  Lâkâça, 
force  qui  situe  les  formes  dans  l'espace,  n'est  pas,  comme 
dans  le  Jainisme,  un  agrégat  (kâya)  de  pradeças,  car  diç^ 
l'espace  ou  mieux  l'ensemble  des  directions  spatiales,  est  un 
principe  autonome  (dravya);  mais  dans  les  deux  systèmes 
cet  âkâça  exerce  une  fonction  dynamique,  avant  de  se  limiter, 
dans  le  Vaiçesika  d'après  Praçastapada,  au  rôle  du  cinquième 
élément,  substrat  du  son.  Dès  les  siitras  le  Vaiçesika  s'oppose 


LES    SUTRAS    DES    SIX    SYSTEMES  169 

donc  à  la  Mimâmsâ,  en  répudiant  la  substantialité  du  son, 
dont  il  nie  aussi  l'éternité  (II,  2,  21-37).  Il  admet  un  autre 
facteur  autonome  (dravya),  qui  amène  à  l'existence  et  qui 
meut  les  êtres,  kâla,  le  temps,  de  même  que  diç  fonde  la 
position  relative  des  simultanés.  Ainsi  l'espace  et  le  t^mps, 
pas  plus  que  «l'éther»,  ne  se  réduisent  à  milieux  vides;  ils 
jouent  le  rôle  de  facteurs  dynamiques,  opérant  de  la  con- 
tinuité, introduisant  des  relations  entre  ces  absolus  discrets, 
étrangers  les  uns  aux  autres,  les  atomes.  Parmi  ces  réalités 
matérielles  les  âmes  (âtman)  subsistent,  ainsi  que  dans  la 
théorie  jaina  ;  mais  les  Vaiçesikas  comme  les  Mîmmâsistes 
croient  qu'elles  ne  peuvent  agir  et  connaître  que  par  la 
coopération  d'un  organe  atomique,  le  manas. 

Infiniment  grand,  coextensif  à  toutes  choses  (vibhu), 
un  âtman  ne  perçoit  les  objets  que  par  l'intermédiaire  de  cet 
acolyte  infiniment  petit,  aussi  mobile  que  subtil:  ainsi 
s'explique  la  quasi-impossibilité  de  concevoir  plusieurs 
notions  à  la  fois.  Eternels  tous  deux,  ils  s'accompagnent  dans 
les  transmigrations,  car  c'est  son  manas  qui  dote  chaque 
âtman  de  son  individualité.  Le  but  suprême  est  encore  le 
fruit  du  dliarma,  mais  l'œuvre  pie,  loin  de  suffire,  se  doit 
accompagner  de  connaissance,  grâce  à  laquelle  l'âtman 
s'éprouve  distinct  du  corps  et  des  choses.  L'homme  est  délivré, 
quand  il  cesse  de  s'asservir  en  ignorant,  mais  quand,  tel  un 
yogin  (IX,  1,  11-15)  il  est  yukta  par  repliement  sur  soi  et 
conjonction  du  manas  avec  l'âtman.  La  connaissance  qui 
sauve,  c'est  de  savoir  discerner  d'une  part  les  va,riétés  de 
l'être  :  d'où  une  théorie  des  catégories;  d'autre  part  les 
sources  authentiques  de  connaissance  et  les  méthodes  valides  : 
d'où  une  théorie  des  critères. 

Dans  un  système  objectiviste  les  catégories  ne  reposent 
pas,  comme  chez  Kant,  sur  les  divers  types  du  jugement,  ni, 
comme   chez   Aristote,    sur   les    modalités    de   l'affirmation. 


170  HISTOIRE    DE   LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

Elles  présentent  un  classement  des  principales  rubriques 
entre  lesquelles  se  distribuent  les  choses.  Leur  nom,  carac- 
téristique du  Vaiçesika,  est  padârtha,  «  sens  des  mots  » 
(chinois  kiu  yi),  mais  on  sous-entend  qu'aux  mots  corres- 
pondent des  réalités,  de  sorte  que  classer  les  mots,  c'est 
classer  les  êtres.  Ces  rubriques  sont  au  nombre  de  six.  Les 
trois  premières  :  substance  {dravya),  qualité  (guna),  action 
(karman)  (^*),  qui  appartiennent  à  la  plupart  des  darçanas, 
concernent  des  objets  (artha);  parmi  les  trois  dernières, 
propres  au  système,  la  communauté  {sâmânya),  la  singu- 
larité (vices a)  visent  des  relations  qu'appréhende  l'intel- 
ligence (buddhyapeksa),  tandis  que  la  coïncidence  intrin- 
sèque ou  inhérence  (samav'àya)  implique  une  relation  réelle. 
Sâmânya  ne  désigne  point,  comme  on  l'a  cru,  généralité  au 
sens  de  genre  (jati),  mais  l'analogie,  l'équivalence  entre 
deux  substances,  qualités  ou  actions.  Viçesa,  qui  donne  son 
nom  au  système,  connote  les  propriétés  typiques;  ce  n'est 
point  l'individuel  ni  le  particulier,  mais  le  propre.  Ces  deux 
catégories  existent  dans  les  choses,  mais  notre  pensée  les 
précise.  Quant  à  samavâya,  c'est  la  connexion,  non  acci- 
dentelle comme  le  simple  contact  (samyoga),  mais  intime, 
comme  dans  les  rapports  entre  les  qualités  et  leur  substance, 
entre  un  tout  et  ses  parties,  entre  un  genre  et  ses  individus  ; 
autant  de  cas  où  se  manifeste  une  connexion  telle  que  l'un 
des  termes  appartient  par  essence  à  l'autre  et  coïncide  avec 
au  moins  une  partie  ou  un  aspect  de  son  contenu.  Ceci  encore 
est  une  relation  de  fait,  mais  que  dégage  l'abstraction. 

Non  moins  significative  de  l'attitude  vaiçesika  est  la  doc- 
trine des  pramânas,  par  oii  l'on  entend  d'ordinaire  soit  les 
critères,  soit  les  sources  de  la  connaissance.  L'une  et  l'autre 
de  ces  versions  laissent  échapper  l'acception  stricte,  qui  est 
mesure,  au  sens  de  jjis-pov  xal  xavu'v,  le  type  parfait  qui  fixe  la 
norme  en  un  cas  donné.  Ce  sens  s'est  conservé  dans  les  traités 


LES   SUTRAS    DES    SIX    SYSTÈMES  171 

d'esthétique,  où  le  mot  désigne  le  correction  dans  les  pro- 
portions, dans  l'anatomie  et  dans  la  perspective,  c'est-à-dire 
la  conformité  à  des  règles  prescrites  à  l'artiste  par  ses  tra- 
ditions (^^).  La  portée  philosophique,  toute  parallèle,  est  : 
connaissance  correcte,  et  ne  devient  que  par  dérivation  d'un 
côté  connaissance  tout  court,  de  l'autre  correction  tout 
court,  preuve  de  validité.  C'est  moins  une  faculté  de  connaître 
que  le  mode  congru  de  chaque  sorte  de  connaissance.  Et  de 
même  que  l'idéal  esthétique,  loin  de  s'extraire  de  l'expé- 
rience, se  décrète  relativement  à  priori,  la  connaissance-type 
atteste  plutôt  un  idéal  qu'une  réalité.  Les  théories  indiennes 
de  la  connaissance  détermineront  des  connaissances-types 
plutôt  qu'elles  n'apporteront  une  psychologie  ou  une  critique 
de  l'esprit. 

Par  une  réflexion  portant  à  la  fois  sur  les  Védas  et  sur 
la  nature,  le  Vaiçesika  inaugure  cette  sorte  de  philosophie. 
Rigoureusement  empiriste,  il  n'admet  que  deux  connaissances 
valables  :  la  perception  (pratyaksa)  et  l'inférence  (anumâna). 
N'en  déplaise  aux  Mîmâmsistes,  le  Véda  ne  possède  aucune 
autorité  absolue  (VI,  1,  1):  la  vérité  qu'il  recèle  n'est  déter- 
minable  par  l'esprit  qu'en  un  à  priori  tout  relatif  (buddhi- 
pûrva)    résultant    de   l'expérience    accumulée    à   travers   la 
suite  des  générations  humaines.  Ainsi  çabda,  le  son,  ne  sau- 
rait passer  pour  un  pramâna.  La  perception  est  toute  con- 
naissance sensible,  quoique  la  sensation  visuelle  en  fournisse 
le  type  auquel  on  se  réfère  le  plus  souvent,  ainsi  qu'y  invite 
l'étymologie  du  mot  pratyaksa.   Elle  procure  à  l'esprit  la 
notion  des  substances,  avec  leurs  attributs  et  leurs  actions, 
saisies  sur  le  vif  au  moment  où  elles  s'exécutent.  Toutefois 
cet  empirisme  ne  méconnaît  point  le  rôle  que  peut,  en  cette 
circonstance,  jouer  l'esprit  :  à  la  perception  sans  intervention 
de  jugement  {nlrvikalpaka-p.)  il  oppose  celle  qui  suscite  son 
ntervention  (mvikalpaka-p.)  —  distinction  qui  correspond 


172  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

à  celle  que  nous  faisons  entre  «  sensation  »  et  «  perception  )>. 
La  seconde  opération  implique  la  pensée  {buddhy-npeksa)  ; 
mais  elle  ne  compromet  pas  plus  le  ferme  propos  de  tout 
devoir  à  l'expérience,  que  l'a  priori  relatif  déjà  signalé.  De 
même  l'inférence  ne  se  présente  point  comme  une  antici- 
pation du  donné,  à  laquelle  l'esprit  s'autoriserait  comme 
possédant  virtuellement  l'infuse  vérité.  Les  Vaiçesika-Sûtras 
ne  l'appellent  même  pas  anumâna,  mais  seulement  laingikam 
(IX,  2,  1),  interprétation  d'un  caractère  pris  pour  signe 
(linga)  et  conclusion  du  signe  à  la  chose  signifiée.  Quand 
Praçastapâda  reconnaît  en  outre  la  validité  de  l'appréhension 
des  visionnaires  (ârsa-siddha-darçana),  il  ne  fait  qu'incor- 
porer à  l'empirisme  l'expérience  mystique.  L'inférence  de 
signe  à  chose  signifiée  se  diversifie  chez  Kanâda  selon  que  l'on 
conclut  de  la  cause  à  l'effet  ou  inversement,  du  contigu  au  con- 
tigu,  d'un  extrême  à  l'autre,  de  la  partie  au  tout  ou  inverse- 
ment. L'intérêt  de  la  théorie  consiste  ainsi  en  une  classification 
des  diverses  sortes  de  relations,  toutes  objectives:  celles  de 
causalité,  de  conjonction,  d'opposition,  de  coïncidence  intrin- 
sèque. Sous  l'influence  de  l'idéalisme  bouddhique,  en  par- 
ticulier de  Dignâga,  Praçastapâda  s'abstraira  de  ces  divers 
t3rpes  de  relations  empiriquement  constatées  pour  ne  s'atta- 
cher qu'à  l'idée  —  qui  d'après  lui  les  résume  —  de  conco- 
mitance (sâhacarya).  Sous  l'influence  tant  du  Nyâya  que 
des  bouddhistes,  il  dépasse  le  point  de  vue  de  la  connaissance- 
type  pour  aborder  le  problème  de  la  démonstration.  A  cet 
égard  il  distingue  l'inférence  pour  soi,  dans  laquelle  on  n'expli- 
cite pas  les  diverses  prémisses,  et  l'inférence  que  l'on  met  en 
forme  pour  autrui,  afin  de  le  convaincre,  —  sor.te  d' anumâna 
qui  ressemble  davantage  au  syllogisme.  Enfin  il  précise  la 
valeur  du  moyen  terme,  comme  intermédiaire  entre  le  signe 
et  la  chose  signifiée  :  son  système  pose  donc  et  résout  des 
problèmes  strictement  logiques  dont  Kanâda  n'avait  tout  au 
plus  que  le  pressentiment. 


LES    SUTRAS    DES    SIX    SYSTEMES  173 


IIL    Le  Samkhya  d'Içvarakrsna 

A  la  différence  de  l'exégèse  brahmanique  et  du  positi- 
visme vaiçesika,  le  Sârrikhya  apparaît  comme  un  essor  de 
pure  spéculation;  de  fait  c'est  l'un  des  darçanas  qui  se  mettent 
le  mieux  en  parallèle  avec  les  métaphysiques  européennes 
f**).  Cependant  nous  ne  le  comprendrons  tel  qu'il  le  faut 
saisir,  qu'en  le  rattachant  de  façon  étroite  à  ce  réalisme  pri- 
mitif dont  Jainas,  Mimâmsistes  et  Vaiçesikas,  sans  compter 
les  Cârvâkas,  fournissent  des  expressions  non  pas  passagères, 
mais  permanentes.  En  considération  de  l'anomalie  signalée, 
nous  tiendrons  les  kârikâs  (vers  didactiques)  d'Içvarakrsna 
pour  le  plus  ancien  texte  exclusivement  sâmkhya  qui  nons 
soit  accessible.  La  date  de  ce  texte  demeure  incertaine;  mais 
il  fut  l'objet  d'une  version  chinoise  par  Paramârtha  qui  en 
546  l'introduisit  en  Chine,  et  une  tradition  de  ce  pays 
situe  au  temps  de  Vasubandhu,  c'est-à-dire  vers  350,  un  cer- 
tain Vindhyavâsa,  autre  nom,  semble-t-il,  d'içvaralo'sna.  Ce 
premier  document  ne  doit  d'ailleurs  point  se  séparer  de  toute 
une  documentation  diffuse  qui  abonde,  sur  le  Sâmkhya, 
dans  les  épopées  comme  dans  les  purânas. 

L'indianiste  qui  s'appliqua  avec  le  plus  d'assiduité  à  la 
pensée  sâmkhya,  Garbe,  fut  toujours  tenté  de  soutenir  que  ce 
système  s'est  maintenu  presque  sans  transformation  à  tra- 
vers l'histoire;  pareille  conviction  advint  à  Deussen  quant  au 
Védânta.  Un  progrès  dans  l'examen  des  documents  prouve 
au  contraire  que  ces  doctrines,  malgré  leur  quasi- pérennité, 
en  dépit  de  la  foroe  de  tradition  qui  retient  d'innover  les 
esprits  hindous,  n'ont  cessé  d'évoluer  au  cours  des 
temps.  Les  sources  du  Sâmkhya  se  trouvent  dans  les  Upa- 
nisads,  où  abondent  les  essais  d'énumérer  —  d'où  le  terme 
de  Sâmkhya,  théorie  de  l'énumération  —  les  différents 
principes  constitutifs  de  la  nature,  dans  l'ordre  de  leur  subor- 


174  fflSTOIRE    DE   LA   PHILOSOPHIE   INDIENNE 

dination.  Des  raisonnements  de  ce  genre  se  révèlent,  par  leur 
époque  comme  par  leur  contexture,  tout  proches  de  cette 
chaîne  des  douze  nidânas  qui  fut  la  base  théorique  du  Boud- 
dhisme. Celui  qui  se  rencontre  dans  la  Katha  (III,  10-11) 
apparaît  comme  un  prototype  du  futur  Sâmkhya  :  «  I3 
manas  est  inférieur  à  la  buddhi,  la  buddhi  inférieure  au 
grand  âtman,  le  grand  âtman  inférieur  à  l'avyaktam  (iné- 
volué), l'avyaktam  inférieur  au  Purusa  (Esprit)  ».  Cette 
prééminence  du  Purusa,  contrebalancée  dans  le  plus  vieux 
brahmanisme  par  la  tendance  à  hypostasier  en  absolu  le 
Brahman,  pouvait  cependant  revendiquer  de  fort  anciens 
titres  à  la  créance  :  l'un  des  derniers  hymnes  du  Rgvéda 
n'avait-il  pas  tenu  le  Purusa,  l'homme  cosmique,  pour  la 
première  victime,  et  à  vrai  dire  pour  l'unique,  l'éternel 
sacrifice  ?  C'est  la  réflexion  ultérieure  à  celle  des  Brahmanas, 

• 

c'est  l'époque  des  Upanisads  qui  volontiers  oublie  cette 
antique  notion  et  la  remplace  par  celle  d' âtman.  Une  autre 
théorie  essentielle  du  Sâmkhya,  la  distinction  de  trois  fac- 
teurs constitutifs  de  l'existence  physique,  gunas,  se  trouve 
annoncée  dès  la  CKândogya  Up.  (VI,  4),  qui  de  toutes  choses 
admet  trois  formes;  précisée  dans  la  Maitri  (III,  5;  V,  2), 
cette  doctrine  prend  dans  la  Çvetâçvatara  un  aspect  carac- 
téristique :  les  gunas  y  sont  rattachés  non  plus,  comme 
dans  le  texte  précédent,  à  la  nature,  mais  au  principe  divin 
(deva)  (I,  3)  et  aussitôt  après  (4)  une  allusion  directe  est 
faite  au  Sâmkhya,  doctrine  des  cinquante  modalités  d'exis- 
tence (bhâva).  Enfin  la  Maitri  (VI,  10)  fait  présager  le  dogme 
capital  du  Sâmkhya  en  opposant  au  Purusa  la  nature,  déjà 
dénommée  pradhâna  et  prakrti,  sa  «  nourriture  »  et  sa 
jouissance»;  la  pensée  ici  se  spécifie  à  ce  point  de  la  doctrine 
courante  des  Upanisads,  que  l' âtman,  sous  forme  d'âme- 
élément,  bhûtâtman,  ne  figure  qu'à  titre  de  production  de 
la  matière  et  de  nourriture  pour  le  Purusa. 


LES    SUTRAS    DES    SIX    SYSTÈMES  175 

Comment  s'étonner  dès  lors  que  le  Bouddha  ait,  selon 
le  Buddhacarita,  reçu  l'enseignement  d'un  Sâmkhya,  Arâda 
(^')  ?  Episode  sans  doute  légendaire,  car  il  prête  à  ce  dernier 
des  doctrines  plus  récentes  et  il  atteste  l'intention  de  mon- 
trer que  la  religion  du  Bouddha  l'emporte  sur  la  philosophie 
brahmanique.  Episode  significatif  pourtant,  car  il  se  peut 
interpréter  en  aveu  que  le  Bouddhisme  se  reconnaît  une 
dette  envers  le  Sâmkhya.  De  fait,  à  la  condition  que  l'on 
fasse  abstraction  de  l'Esprit  absolu,  la  physique  d'Içvara- 
krsna  et  celle  des  Bouddhistes  produisent  de  même  toutes 

•  •    •  _ 

choses  par  combinaison  d'éléments  corrélatifs;  et  dans  les 
deux  disciplines  le  salut  exigera  que  l'on  se  reconnaisse 
étranger  à  la  nature,  soit  en  isolant  la  pure  spiritualité,  soit 
en  dissociant  la  trame  du  relatif  pour  obtenir  le  nirvâaa. 
Selon  toute  vraisemblance  le  Sâmkhya  se  cherchait  quand 
s'élaborait  la  foi  nouvelle,  mais  il  ne  s'était  pas  encore  trouvé, 
faute  d'avoir  déjà  précisé  la  relation  qui  devait  s'établir 
entre  les  deux  principes  fondamentaux  du  système,  peut-être 
d'inspiration  différente  et  à  coup  sûr  disparates  :  l'opposition 
métaphysique  entre  l'Esprit  et  la  matière,  l'explication  physi- 
que de  la  matière  par  des  composants,  somme  toute  analogues 
aux  atomes  qualitatifs  des  Jainas,  des  Mimâmsistes  et  des 
Vaiçesikas. 

La  phase  «épique»  du  Sâmkhya  représente  non  pas, 
comme  l'a  cru  Jacobi,  une  première  déformation  de  la  doc- 
trine classique,  mais  un  stade  encore  préliminaire  (^*). 
Qu'une  philosophie  de  ce  nom  existe  déjà  bien  individualisée, 
nous  n'en  saurions  douter;  trop  nombreuses,  trop  explicites 
sont  les  allusions  qui  s'y  réfèrent  à  travers  le  Mahâbharata, 
surtout  aux  livres  V,  VI,  XII  et  XIV.  Mais  certes  le  Sâm- 
khya d'alors  se  voit  interpréter  dans  l'épopée  de  façon  ten- 
dancieuse, soit  pour  qu'il  s'adapte  aux  dogmes  brahmaniques, 
soit  pour  qu'il  s'accommode  aux  religions  sectaires  :  telle  est 


ITt)  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENXE 

la  part  de  vérité  de  l'avis  de  Jacobi.  Par  malheur  nous  ne 
disposons  d'aucun  document  impartial  pour  préciser  l'authen- 
tique Sârnkhya  du  premier  siècle  avant  ou  du  premier  siècle 
après  notre  ère.  Lorsque  Krsna  révèle,  dans  la  Gitâ,  le  secret 
de  sa  théophanie,  et  se  déclare  l'auteur  intentionnel  de  son 
propre  déguisement  sous  les  apparences  de  la  nature,  parle- 
t-il  en  divinité  des  religions  populaires  ou  selon  l'orthodoxie 
Sârnkhya  ?  Ce  «  mystère  »  rappelle  les  assertions  de  la  Çve- 
tâçvatara  (IV,  10),  qui  assimile  prakrti  à  mâyâ  et  admet  que 
le  divin  dispose  à  sa  guise  des  gunas.  Mais  il  n'y  a  pas  là  de 
quoi  établir  qu'avant  de  devenir  dualiste  le  Sâmkhya  fut 
moniste;  et  si  l'on  postule  que  son  aspect  moniste  lui  est 
donné  par  l'inspiration  sectaire,  on  confine  à  l'opinion  du 
savant  exégète.  Les  thèses  plus  simplistes  d'un  Garbe,  d'un 
Dahlmann,  d'un  Deussen  fouillent  plus  profondément  ce 
problème,  relatif  à  l'un  des  carrefours  essentiels  de  l'his- 
toire de  la  pensée  indienne;  plus  averti  et  plus  prudent, 
Oldenberg  recherche  de  la  documentation  et  s'abstient 
d'h5rpothèses.  En  suivant  non  son  argumentation,  mais  son 
exemple,  nous  remarquerons  que  l'épopée  manifeste  par  trop 
d'indices  ses  intentions  conciliatrices,  pour  que  nous  atten- 
dions d'elle  ces  renseignements  tout  à  ait  objectifs;  les  infor- 
mations dont  elle  abonde  sont  précieuses,  mais  suspectes. 
Nous  n'en  voulons  pour  preuve  que  son  insistance  à  soutenir, 
au  mépris  sans  doute  de  la  vérité  littérale,  l'équivalence  du 
Sâmkhya  et  du  Yoga.  Sauf  dans  l'hypothèse  invraisem- 
blable d'une  harmonie  préétablie,  une  doctrine  spéculative 
ne  saurait  coïncider  avec  une  simple  pratique  (VI,  27,  3  : 
jiîânayogena  sârnkhyânârn  karmayogena  yoginâm);  une  fois 
au  moins  perce  l'aveu  que  ces  deux  disciples  luttaient  pour 
la  prépondérance  (XII,  301,  1);  un  parti  pris  d'éclectisme  peut 
donc  seul  faire  proclamer  leur  identité.  Or  nous  constaterons, 
en  examinant  l'histoire  du  Yoga,  et  que  ce  système  apparaît, 
lui  aussi,  dans  l'épopée  affublé  de  singuliers  revêtements, 


LEvS    SUTRAS    DES    SIX    SYSTËiVIES  177 

et  qu'au  lieu  que  Sâmkhya  et  Yoga  s'accordent  dans  le 
théisme,  leur  seul  point  de  contact  originel  doit  être  leur 
athéisme  (^^).  Par  contre  l'adaptation  réciproque  des  deux 
systèmes  ne  devient  qu'à  l'époque  médiévale  un  fait  avéré. 
Nous  croyons  donc  qu'une  élémentaire  circonspection  pres- 
crit de  ne  demander  au  Mahâbhârata,  relativement  à  la 
forme  authentique  du  Sâmkhya,  que  des  renseignements 
fragmentaires,  non  une  interprétation  générale,  car  l'inter- 
prétation d'ensemble  y  est  faussée  par  l'incontestable  in- 
fluence des  cultes  sectaires,  et  selon  toute  vraisemblance  par 
la  contagion  de  notions  mahâyânistes  et  védântiques.  La 
parenté  du  Sâmkhya  épique  et  du  Sâmkhya  des  Purânas, 
surtout  des  Confessions  visnuites,  par  exemple  des  Pânoa- 
râtrins  que  fait  connaître  VAhirbudhnyasamhitâ  ;  l'usage 
dans  la  Gïtâ  d'un  terme  comme  celui  de  brahmanirvâna  et 
l'analogie  entre  la  fantasmagorie  de  Krsna  et  la  mâyâ  védan- 
tique  ou  le  nirmânakâya  d'Açvaghosa  :  autant  de  données 
irrécusables. 

Sans  doute  est-ce  parmi  ces  influences  multiples  que 
s'élabora  le  Sâmkhya  classique,  celui  ses  Kârikâs.  Les 
protagonistes  de  la  doctrine,  vénérés  par  des  adeptes  comme 
ont  pu  l'être  les  mystiques  devanciers  du  Tathâgata  ou  du 
Jina,  ne  prennent  pas  plus  de  précision  historique  à  nos 
yeux  que  les  sages  légendaires  auxquels  on  impute  les  divers 
sûtras.  L'initiateur,  Kapila,  le  rouge,  se  confond  presque 
avec  le  démiurge  Hiranyagarbha,  l'œuf  d'or.  Les  second 
et  troisième  patriarches,  Asuri  et  Pancaçikha,  sont  repré- 
sentés par  le  Mahâbhârata  connue  des  théoriciens  du  Brahman 
plutôt  que  du  Purusa  et  de  la  prakrti;  et  ceci  ne  s'accorde 
guère  avec  une  tradition  chinoise  qui  fait  du  troisième  l'an- 
teur  du  Sastitantra,  par  où  il  faut,  semble-t-il,  entendre 
moins  un  ouvrage  en  60.000  çlokas,  qu'un  système  énu- 
mérant  60  principes,  variante  du  Sâmkhya.  L'ouvrage,  s'il 

12 


178  HISTOIRE    DE    LA.    PHILOSOPHIE    INDIEXNE 

exista,  serait  plutôt  d'un  certain  Vârsaganya.  En  tout  cas,  le 
Mahâbhârata  mis  à  part,  nous  ne  trouvons  de  document  de 
quelque  étendue  sur  notre  darçana,  entre  l'époque  des 
Upanisads  et  la  rédaction  des  kârikâs,  que  dans  la  samhitâ 
de  Caraka  qui,  médecin  de  l'empereur  Kaniska,  relève  du 
i*^  siècle  {^^).  L'aspect  matérialiste  du  Sâmkhya  qu'il  nous 
présente  tient  peut-être  à  1'  «équation  personnelle»  d'un 
physiologiste;  mais  il  n'atteste  que  mieux  la  parenté,  au 
moins  sous  un  certain  biais,  de  cette  philosophie  avec  celle 
des  matérialistes  ambiants  ou  antérieurs.  Ici  purusa,  syno- 
nyme de  cetanâ,  ne  figure  que  comme  un  élément,  juxtaposé  à 
l'âkâça  et  aux  quatre  autres;  ou  bien  il  manque  à  l'énuméra- 
tion  des  vingt-quatre  principes,  que  nous  allons  citer  tout  à 
l'heure.  Le  rôle  du  manas  dans  la  connaissance  empirique 
concorde  avec  celui  qu'il  joue  dans  le  Vaiçesika. 

Si  maintenant  nous  prenons  pour  point  de  départ  du 
Sâmkhya  classique  les  kârikâs,  nous  y  trouvons  des  carac- 
tères dont  la  doctrine  ne  se  départira  point,  et  qui  jusqu'alors 
n'avaient  pas  été  définitivement  admis  :  l'opposition  radi- 
cale entre  purusa  et  prakrti,  réels  l'un  et  l'autre,  c'est-à-dire 
un  dualisme;  —  une  pluralité  sans  fin  de  purusas,  tandis 
qu'au  contraire  la  matière  ne  s'individualise  que  d'une 
façon  toute  relative  en  des  corps  particuliers,  c'est-à-dire 
un  spiritualisme  pluraliste  ;  —  une  théorie  à  la  fois  physique 
et  psychologique  de  la  nature,  particulièrement  des  trois 
gunas,  qui  ne  concerne  en  rien  l'esprit  pur:  c'est-à-dire  une 
théorie  matérialiste  du  monde  empirique;  —  une  doctrine  du 
salut  très  originale,  aussi  différente  du  piétisme  sectaire  que 
du  matérialisme  métaphysique. 

Le  dualisme  de  la  théorie  classique  contraste  avec  le 
monisme  du  Sâmkhya  épique,  dans  lequel  la  nature  n'était 
qu'une  fantasmagorie  de  l'absolu.  Selon  l'antique  opposition 
de  l'objet  et  du  sujet  (ksetra,  le  champ;  ksetrajna,  le  connais- 


LES    SUTRAS    DBS    SIX    SYSTEMES  179 

seur  du  champ),  en  face  de  la  nature  il  y  a  un  principe  sus- 
ceptible d'en  jouir  (bhoktar),  parce  qu'il  est  pure  connaissance. 
L'objet  n'est  pas  seulement  «  nourriture»,  matière  de  «  jouis- 
sance»; il  est  activité,  tandis  que  le  contemplateur  est  sans 
action  comme  sans  passion.  Pour  l'Inde  entière,  permanence 
et  activité  s'excluent:  seule  donc  la  nature  est  agent  (kartar). 
D'où  la  comparaison  de  l'Esprit  avec  un  potentat  aux  yeux 
duquel  évolue,  dans  la  seule  intention  de  se  donner  en  spec- 
tacle, une  danseuse;  quand  le  monarque  a  fini  d'apprécier  ses 
grâces,  elle  se  retire,  satisfaite  à  cette  pensée  :  «il  m'a  vue». 
Tel  sera  désormais,  le  rôle  de  la  nature.  Mais  le  mot  de  prakrti 
demeure  significatif  de  notions  archaïques:  d'abord  il  est 
féminin,  tandis  que  le  purusa  est  le  Mâle;  en  outre  il  veut 
dire  à  la  lettre:  la  fabriquée,  indice  que  la  nature  fut  d'abord 
tenue  pour  l'œuvre  ou  la  manifestation  de  l'Esprit.  Le  terme 
quasi-synonyme  de  pradhânam,  neutre  et  abstrait,  désigne 
l'objet  absolu  sans  ces  traits  pittoresques,  pleins  d'ensei- 
gnement pour  l'histoire  des  idées. 

Dans  les  textes  épiques  l'attention  se  concentre  sur  un 
seul  Purusa,  Visnu  ;  les  autres  ne  méritent  le  même  nom  que 
par  participation  à  lui.  Il  n'en  va  plus  de  même  dans  la  doc- 
trine définitive.  N'en  concluons  pas  ce  paradoxe,  que  l'indi- 
vidualité ait  une  valeur  absolue;  au  contraire  les  différents 
esprits  ne  méritent  d'exister  à  l'infini,  qu'en  tant  qu'ils 
témoignent  de  la  pure  spiritualité,  non  pas  certes  comme  per- 
sonnalités contingentes,  toute  spécificité  relevant  de  la 
matière.  La  multiplicité  des  purusas  procède  de  la  même 
mentalité  qui  multiplia  sans  fin  bouddhas  et  bodhisattvas. 
De  moindre  importance  est  le  pluralisme  matérialiste,  qui 
se  fonde  sur  des  m.élanges  indéfiniment  variables  des  trois 
constituants  universels. 

Ces  trois  constituants,  les  gunas,  représentent  le  con- 
tenu de  la  notion  de  nature  (^"').    Comms  les  dharmas  boud- 


180  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

dhiques,  ils  offrant  une  double  face,  physique  et  psychique. 
Le  mot  guna,  qui  ne  connote  pas,  dans  ce  darçana,  des  qua- 
lités par  opposition  à  des  substances,  fait  allusion  à  la  partie 
comme  composante  d'un  tout  :  ils  constituent  la  prakrti  à 
la  façon  dont  trois  fils,  s'entrecroisant,  font  une  corde.  Le 
saltva  est  clair,  léger  ;  par  sa  subtilité,  sa  luminosité,  il  se 
révèle  de  nature  intellectuelle.  Le  rajas  est  agitation,  tant 
comme  mouvement  que  comme  passion;  le  pessimisme 
latent  du  système  y  trouve  foncièrement  de  la  douleur.  Le 
tamas  est  fixité,  rigidité;  aussi  obscurité;  il  s'oppose  au  sattva 
comme  les  ténèbres  à  la  lumière,  comme  l'ignorance  à  la 
lucidité.  Le  rajas  joue  ainsi  le  rôle  d'un  intermédiaire,  comme 
l'énergie  (pravrtti)  tient  le  milieu  entre  l'immutabilité  du 
pur  éclat  (prakâça)  et  l'obstruction  (niyama)  de  la  lourde 
opacité.  Toute  chose  naturelle  se  compose  de  ces  trois  fac- 
teurs, dont  les  différentes  combinaisons  expliquent  subs- 
tances et  attributs.  Le  point  de  départ  de  l'existence  ma- 
térielle est  donc  l'équilibre  parfait  des  gunas;  cet  état,  que 
le  Sœmkhya-pravacayia-bhâsya  (I,  61)  appellera,  au  sens 
strict,  prakrti,  et  qui  communément  porte  le  nom  de  mûla- 
prakrti,  la  nature  originelle,  exclut  donc  la  réalisation  en 
fait  d'une  chose  quelconque.  Voilà  l' inévolué,  avyaktani. 
Dès  que  se  rompt  cette  compensation  réciproque  des  trois 
facteurs,  le  monde  physique  et  mental  s'édifie.  L'évolué 
—  vyaktam —  comprend  la  diversité  façonnée  (vilo-ti,  nature 
naturée)  et  la  diversité  façonnante  (vikâra).  Le  «grand», 
mahat  —  rappelons-nous  le  mahâtman  upanisadique,  — appa- 
raît, qui  suscite  Vahamkara  (le  faiseur  du  moi),  agent  d'indi- 
vidualité; ce  dernier  produit  à  son  tour  les  tanniâtra,  élé- 
ments subtils  (sîîksma),  c'est-à-dire  non  mixtes  :  son  contact, 
forme,  goût,  odeur.  Voilà  les  sept  vikrtis,  dont  le  dévelop- 
pement, inauguré  par  une  prépondérance  de  sattva,  dans 
la  confection  du  mahat  ou  buddhi,  nature  pourvue  de  pro- 
priétés   quasi-intellectuelles,    accorde    une    place    croissante 


LES    SUTRAS    DES    SIX    SYSTEMES  181 

aux  autres  gunas.  Dans  une  autre  série  évolutive,  celle  des 
seize  vikâras,  le  tamas  l'emporte  dès  le  début  :  ainsi  se 
forment  les  cinq  organes  intellectuels  (buddhindriya  ou 
jnânendriya)  :  ouïe,  toucher,  vue,  goût,  odorat;  les  cinq 
organes  actifs  (karmendriya)  :  voix,  pieds,  mains,  organes 
d'évacuation  et  de  génération;  le  manas;  enfin  cinq  élé- 
ments grossiers  résultant  du  mélange  des  tanmâtra  :  éther 
(âkâça),  vent,  feu,  eau,  terre.  1  (mûlaprakrti)  -f  7  +  16=24  et, 
si  l'on  ajoute  le  purusa,  extérieur  à  cette  évolution,  25;  cette 
énumération  est  tout  le  Sâmkhya. 

Quelques  explications  sur  l'aspect  psychologique  de  la 
matière  ne  seront  pas  inutiles.  Ici  comme  dans  le  pratltya 
samutpâda  et  dans  maintes  formules  des  Upanisads,  psycho- 
logie et  physique  s'entrelacent  :  de  toute  évidence  l'Inde 
n'a  jamais  opposé  comme  réalités  antithétiques  ces  deux 
faces  de  la  nature.  En  revanche,  ce  qui  dans  la  présente 
doctrine  fait  l'objet  de  l'opposition  la  plus  décidée,  c'est 
l'antagonisme  conte  l'Esprit  absolu  et  les  fonctions  psycho- 
logiques de  la  nature,  buddhi,  ahanikâra,  où  prédomine  le 
sattva  fait  de  clarté  intellectuelle,  mais  qui  n'ont  quoi  que 
ce  soit  de  spirituel.  Ce  violent  paradoxe,  c'est  la  singularité 
du  système  :  en  aucune  doctrine,  d'Asie  ou  d'Europe,  ne 
o' opposèrent  aussi  délibérément  la  contemplation,  tenue 
pour  la  spiritualité  même,  et  l'intelligence  perceptive  ou 
discursive,  par  destination  plongée  dans  le  donné  ph;v'sique. 
Une  approximation  de  cette  attitude  doctrinale  ne  se  r3n- 
contrerait  que  chez  les  théoriciens  de  1'  «  extase  »,  qui  sup- 
posent, comme  seul  accès  à  la  contemplation,  un  dépouille- 
ment complet  des  conditions  de  l'intelligence  ;  encore  con- 
çoivent-ils un  progrès  quasi-continu  de  l'inférieur  au  supé- 
rieur, tandis  qu'ici  les  deux  ordres  ont  pour  caractère  une 
complète  extériorité  réciproque.  Le  moins  inadéquat  paral- 
lèle se  trouverait  dans  l'aristotélisme,  qui  explique  le  dyna- 


182  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

inisnie  naturel  par  l'attrait  d'un  voj;  tout  à  fait  trans- 
cendant ;  on  dirait  alors  par  métaphore  que  la  prakrti  —  telle 
la  danseuse  —  aspire  à  charmer  le  souverain  contemplateur, 
et  qu'elle  iiniste,  autant  que  faire  se  peut,  par  des  opérations 
discursives,  la  spiritualité  pure.  Toutefois,  quoique  «  non 
touché  »,  l'absolu  d'Aristote  «  touche  »  le  monde;  or  en  aucun 
sens  le  Sâmkhya  ne  veut  admettre  semblable  hypothèse.  Et 
dans  la  théorie  grecque  la  raison  n'est  que  le  lieu  des  formes 
qui,  affectées  de  relativité,  c'est-à-dire  de  matière,  cons- 
tituent les  êtres;  tandis  que  le  purusa  ne  renferme  rien  de 
commun  avec  la  matière.  Ainsi,  quoique  la  nature  agisse 
pour  l'Esprit,  ce  finalisme  latent,  seul  trait  d'union  entre 
deux  ordres  irréductibles,  n'atténue  en  aucune  façon  la 
rigoureuse  antithèse  dualiste. 

L'ontologie  du  système  s'accommode  d'une  interprétation 
psychologique  à  l'unisson  des  autres  doctrines  indiennes. 
Tous  les  darçanas  professent  que  l'on  ne  perçoit,  et  même 
ne  connaît,  qu'au  moyen  d'organes;  effectivement  le  con- 
templateur absolu,  livré  à  lui-même,  ne  perçoit  ni  ne  con- 
naît; la  vacuité  de  sa  conscience  toute  formelle  ressemble  à  ce 
ni  être  ni  non-être,  le  nirvana;  ou  à  ce  sur-être  et  sur-non-être, 
l'Âtman-Brahman;  ou  encore  à  la  Tathatâ  mahâyâniste.  Pour 
que  cette  conscience  transcendante,  exempte  de  toute  indivi- 
dualité, s'appréhende  elle-même,  il  faut  qu'elle  aperçoive, 
réfléchie  dans  l'intellect,  son  image  que  d'ailleurs  déforment 
les  agitations  de  la  nature.  A  l'inverse  la  nature  agit,  mais 
s'ignore,  l'Esprit  seul  pouvant  prendre  conscience  d'elle. 
En  un  sens  analogue,  chaque  système  admettait  que  les  organes, 
quoique  nécessaires  à  la  connaissance,  ne  sauraient  y  parti- 
ciper :  l'œil  ne  se  voit  pas,  etc.  Bref  la  connaissance  ne  naît 
qu'en  fonction  de  ces  deux  pôles,  le  sujet  et  l'objet.  Il  s'en- 
suit que  les  opérations  auxquelles  contribue  particulière- 
ment le  sattva,  ne  sont  à  aucun  degré  des  fonctions  de  l'es- 


LES    SUTRAS    DES    SIX    SYSTEMES  183 

prit,  mais  que  néanmoins  tout  se  passe  comme  si  la  nature  s'y 
transcendait  elle-même  et  se  haussait  par  leur  moyen  à  un 
semblant  de  spiritualité.  Malgré  l'hiatus  infranchissable  qui 
sépare  le  purusa  de  la  buddhi,  la  compréhension  du  sys- 
tème n'offrirait  aucun  intérêt  si  l'intelligence  ne  préparait  au 
salut;  il  faut  que  la  buddhi  soit  capable  non  seulement, 
comme  le  répète  l'épopée,  d'énoncer  ces  jugements  (vyava- 
sâya,  XII,  205,  10  ;  248,  8;  252,  11  ;  275,  17)  qui  président 
à  la  vie  courante,  mais  d'amorcer  la  connaissance  des  24  prin- 
cipes, qui  aboutit  à  cette  salvatrice  vérité  :  l'extériorité  de 
l'esprit  à  l'égard  de  la  nature.  Le  purusa,  qui  en  droit  ne 
saurait  être  que  libre,  puisque,  telle  une  fleur  de  lotus,  rien 
d'étranger  ne  le  souille,  en  fait  s'affranchit  lorsqu'il  découvre 
son  éternel  quant  à  soi.  L'absolu,  c'est  l'isolement  (kaivalyam). 

La  pensée  sâmkhya  joue  à  tous  égards  un  rôle  mixte 
dans  l'ensemble  de  l'indianité.  Elle  plonge  dans  le  plus  loin- 
tain passé,  dont  elle  hérite  la  conception  de  l'intelligibilité 
par  classification  de  principes  distincts;  son  grandiose  spiri- 
tualisme annonce  les  audaces  du  Grand  Véhicule.  Amputée 
du  purusa,  elle  coïncide,  ou  presque,  avec  le  positivisme  soit 
bouddhique,  soit  vaiçesika;  amputée  de  son  réalisme  maté- 
rialiste, elle  équivaut  à  la  doctrine  védântique.  Sa  notion  du 
salut  comme  restitution  de  l'autonomie  de  l'esprit,  en  face 
d'une  matière  rivale  et  maligne,  c'est  la  vieille  conception 
des  Jainas.  Dès  l'époque  du  Mahabharata  elle  s'accommode 
de  la  piété  sectaire:  elle  se  perpétuera,  sous  cette  forme,  à 
travers  le  Visnuisme  des  Bhâgavatas,  des  Pâncarâtrins  et  le 
Çivaïsme  des  Pâçupatas.  Sans  s'identifier  au  Yoga,  la  doc»- 
trine  qui  définit  l'Esprit  comme  détaché  s'accordait  en  secret 
avec  une  pratique  assidue  de  détachement.  Par  ce  qui  reste  en 
elle  des  antiques  cosmogonies,  par  ce  qu'elle  détient  de  com- 
munauté avec  les  purânas,  où  abondent  les  exemples  de 
principes  s'emboîtant  les  uns  dans  les  autres,  elle  préconise  un 


184  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

type  d'intelligibilité  par  évolution,  qui  dépasse  les  postulats 
statiques  des  autres  darçanas.  Les  phases  alternatives  de 
création  et  de  dissolution  du  monde  équivalent  à  des  pro- 
cessions et  conversions  successives,  sorte  de  marée  onto- 
logique oscillant  de  l'implicite  à  l'explicite  et  inversement; 
ce  n'est  pas  la  moindre  originalité  du  système,  d'avoir  pro- 
fessé une  sorte  d'évolution  cosmique  des  catégories. 


IV.   Le  Yoga.    Pantanjali 

Nous  avons  déjà  signalé  le  Yoga  comme  l'un  des  fac- 
teurs du  Brahmanisme,  puis  comme  ayant  exercé  une 
influence  constante  sur  le  Bouddhisme,  tout  à  fait  pré- 
pondérante sur  l'école  Yogâcâra.  Il  n'est  guère  dans 
l'Inde  de  doctrine  philosophique  ou  religieuse  qui  ne  se 
soit,  au  moins  occasionnellement,  associée  à  quelque  aspec 
du  Yoga.  Mais  on  ne  désigne  pas  simplement  de  ce  nom 
une  ascèse  psycho-physiologique,  susceptible  de  s'adapter 
à  maintes  théories  spéculatives,  par  exemple  au  Sâmkhya, 
comme  en  fait  foi  la  littérature  épique  ou  purânique;  les 
exercices  de  Yoga  suscitèrent  un  système  distinct,  un  dar- 
çana  dont  les  sûtras  sont  attribués  à  un  certain  Patanjali  et 
le  Bhâsya  à  Vj'^âsa.  Le  premier  de  ces  textes  ne  saurait 
remonter  au  delà  de  la  fin  du  iv*  siècle,  car  il  critique  (III, 
14-15;  IV,  14-21)  la  doctrine  de  Vasubandhu  devenu  idéaliste; 
on  le  situerait  avec  vraisemblance  entre  400  et  450.  C''est 
dire  que  Patanjali  son  auteur  ne  saurait  être  le  grammairien 
de  ce  nom,  qui  vivait  au  ii^  siècle  avant  notre  ère.  Le  Bhâsya, 
que  l'on  a  placé  sous  l'invocation  de  Vyâsa,  est  une  œuvre 
de  rédaction  plus  récente  que  la  période  envisagée  :  son  tra- 
ducteur, Woods,  le  place  entre  650  et  850,  et  Garbe  l'attribue 
au  VII*  siècle.    Ainsi,  à  ne  considérer  même  que  les  sûtras,  le 


LES    SUTEAS    DES    SIX    SYSTEMES  185 

darçana  du  Yoga  est  d'une  époque  notablement  postérieure 
à  la  fixation  de  la  pensée  des  darçanas  jusqu'ici  examinés  C"^). 

L'analyse  de  la  doctrine  sous  sa  plus  ancienne  forme 
systématique,  chez  Patanjali,  confirme  ces  indications  chro- 
nologiques.  Quoique  la  discipline  Yoga  soit  aussi  ancienne 
que  l'Inde,  les  spéculations  que  renferment  les  sûtras,    en 
majeure  partie  empruntées  au  Sâmkhya,  ne  se  comprennent 
qu'en  fonction  de  la  kârikâ.  Même  admission  de  trois  pra- 
mânas  :  perception,  inférence,  autorité  (âptavâkyam).  Même 
conception  des  gunas,  principes  de  la  nature  matérielle  comme 
de  la  vie  psychique.  Même  idée  du  pu  rusa  extérieur  à  la 
prakrti  et  trouvant  son  affranchissement  dans  la  remarque 
de  cette  extériorité,  alors  qu'au  contraire  il  trouve  la  servi- 
tude en  sa  pseudo-collaboration  avec  la  nature.   Signalons 
aussitôt    les   principales   différences  :  un   bien   moindre   rôle 
de  la  buddhi,  une  importance    capitale  de   citta,  la  pensée 
empirique  ;    aucune    allusion   à   l'aharnkâra,    1'    «  égoïsme  » 
portant  ici  le  nom  d'asmitâ;  aucune  attention  accordée  aux 
sens  et  à  leurs  objets,  donc  aucune  théorie  des  tanmâtra,  des 
indriyas,  des  éléments;  seulement  les  expressions  de  subtil 
(sûksma)  et  de  grossier  (sthûla)  ;  an  emploi  unique  du  terme 
de  vyakta  (IV,  13),  mais  aucun  usage  du  concept  d'avyaktam. 
L'énumération  des  principes  cosmiques  et  leur  emboîtement 
n'apparaissent  pas  dans  notre  texte.  La  plupart  de  ces  difié- 
rences  tiennent  au  manque  d'intérêt  que  porte  le  système  à 
la   cosmologie,  contre-partie   de  son    application   à  l'ascèse 
psychologique.   La  mention  de  paramânu,  en  antithèse  de 
parama-m.ahattva  (I,  40)  n'éveille  sans  doute  que  l'idée  de 
Finfiniment  petit  opposé  à  l'infiniment  grand,  sans  signifier 
une  adhésion  à  l'atomisme.  Somme  toute  les  divergences,  s'il 
en  existe,  entre  Yogins  et  Sâmkhyas,  sont  minimes  en  ce  qui 
concerne  soit  la  métaphysique,  soit  la  physique. 

La  réfutation  de  l'idéalisme  bouddhique  atteste  mieux 
encore  une  rédaction  tardive.  Il  semble  que  la  secte  ait  éprouvé 


180  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

le  désir  de  préciser  ses  propres  convictions  en  répudiant  celles 
des  Bouddhistes  qui  prétendaient,  quoiqu'ils  rejetassent 
l'autorité  des  Védas,  quoiqu'ils  niassent  la  réalité  du  monde 
extérieur,  demeurer  des  Yogins.  Sur  le  premier  point,  peut- 
être  les  Yogins  orthodoxes  n'eussent-ils  guère  protesté;  car 
jamais  une  suture  bien  étroite  ne  s'établit  entre  l'héritage 
védique  et  les  pratiques  du  Yoga  :  nous  avons  constaté 
que  le  plus  brahmanique  des  darçanas,  la  Mîniâmsâ,  semble 
à  l'antipode  même  de  l'ascétisme.  Mais  sur  le  second  point 
la  secte  s'insurgea  ;  elle  partageait  la  foi  réaliste  en  l'objec- 
tivité du  monde  qui  animait  Jainas,  Vaiçesikas,  Mîmâmsakas, 
Sârnkhyas  ;  comment  aurait-elle  pu  prescrire  le  détachement, 
si,  la  nature  n'existant  pas,  l'attachement  à  ses  prestiges  n'eût 
point  été  une  réalité  ?  Toute  l'énergie  déployée  pour  «  isoler  » 
l'esprit  suppose  l'existence  de  trop  certains  obstacles  à  cet 
isolement.  L'ambition  de  se  doter  de  pouvoirs  exceptionnels 
sur  la  nature  prouve  que  l'on  croit  à  l'objectif  et  qu'on  lui 
attribue  un  prix.  Les  négateurs  de  l'objectivité,  nirâlam- 
banavâdins,  un  Asaiiga,  un  Vasubandhu,  quoiqu'ils  se 
flattent  de  mener  une  vie  de  Yogin,  yogâcârya,  sont  de 
faux  frères.  D'où  l'argumentation  de  IV,  14-21  (et  peut-être 
de  III,  14-15),  où  la  doctrine  qui  admet  non  des  choses,  mais 
seulement  des  idées  (vijnaptimâtra),  se  trouve  dénoncée 
comme  erronée.  Il  faut  bien,  dit-on,  que  l'objet  existe,  puis- 
qu'il provoque  chez  des  sujets  distincts  différentes  impres- 
sions (IV,  15);  puisqu'on  ne  saurait  admettre  qu'il  disparaît 
quand  on  ne  le  perçoit  pas  (16);  puisque  le  citta  ne  peut  agir 
sans  être  affecté  (17);  puisqu'enfin,  si  des  idées  tenaient  lieu 
d'objets,  il  faudrait  des  idées  d'idées,  à  l'infini,  pour  expliquer 
la  perception  (21). 

A  un  troisième  point  de  vue  les  sûtras  apparaissent 
d'assez  basse  époque.  L'influence  du  Yoga  épique  est  mani- 
feste. Selon  toute  vraisemblance  elle  explique  l'introduction 


LES    SUTRAS    DES    SIX    SYSTÈMES  187 

dans  la  doctrine  d'une  dévotion  théiste,  car  le  Yoga  primitif 
s'efforçait  à  la  délivrance  sans  le  secours  d'aucune  divinité; 
les  contes  fourmillent  même  d'exemples  où  des  dieux  jalou- 
sent la  puissance  sans  égale  qu'acquiert  l'ascète  par  la  tension 
de  sa  volonté.  Désormais  un  Seigneur,  Içvara,  se  trouve 
incorporé  à  l'ordre  objectif  que  reconnaissent  les  Yogins,  mais 
c'est  une  âme  particulière,  pui'usaviçesa  (I,  24)  dont  la 
vénération  et  l'appui  sont  salutaires,  ce  n'est  point,  ni  spécia- 
lement, ni  exclusivement,  le  Purusa  qu'il  s'agit  d'à  isoler  ». 
Celui-ci  c'est  le  nôtre,  qui,  certes,  une  fois  «  isolé  »,  vaudra 
celui  d'un  Dieu.  Le  culte  n'importe  donc  que  comme  propé- 
deutique  ou  adjuvant;  tant  s'en  faut  qu'il  se  confonde,  comme 
dans  la  GitTi,  avec  la  connaissance.  Yoga,  dorénavant,  comme 
aux  lointaines  origines,  signifie  non  «union  à  l'absolu», 
fusion  en  Dieu,  mais  contention  d'un  esprit  qui,  pour  s'être 
recueilli,  se  possède.  Les  traces  d'une  protestation  contre 
l'influence  sectaire  n'apparaissent  donc  pas  moins  nettes  que 
cette  influence  même,  dans  un  théisme  certes  nouveau  et 
définitivement  admis,  mais  restreint  et  subordonné. 

Ayant  ainsi  tenté  de  replacer  dans  leur  milieu  les  Yoga 
Sûtras,  nous  nous  sommes  préparés  à  rechercher  le  sens  de 
leur  contenu.  C'est  une  discipline  intérieure  qui  vise  à  obte- 
nir, par  une  contrainte  exercée  sur  notre  individualité  empi- 
rique, la  même  sorte  d'absolu  que  le  Sâmkhya  définissait 
comme  appartenant  à  l'esprit  et  précisait  par  voie  toute 
spéculative.  Dans  cette  mesure  se  justifie  l'assertion  trop 
générale  et  abstraite  du  Mahâbhârata,  qui  répète  sous 
tant  de  formes  diverses  l'accord  quasi-éternel  entre  cette 
réflexion,  le  Sâmkhya,  et  cette  pratique,  le  Yoga. 

Le  point  de  départ  consiste  à  s'abstraire  du  sensible  et 
pour  ainsi  dire  à  rétracter  ses  sens,  comme  la  tortue  ramène 
sous  sa  carapace  les  organes  qui  la  mettent  en  relation  avec 
l'extérieur.  Cette  condition  préalable  une  fois  obtenue,  c'est 


188  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

sur  l'organe  pensant,  le  citta,  que  va  se  porter  l'effort  pour 
détourner  de  la  vie  les  fonctions  vitales.  Ce  citta  se  trouve, 
spontanément,  agité  d'incohérente  façon  par  des  jugements, 
vrais  ou  faux  (pramâna,  viparyaj^a),  des  fantaisies  (vikalpa), 
des  rêves  (nidrâ),  des  souvenirs  (smrti).  Ces  éléments  troubles 
résultent  de  l'influence  persistante  de  nos  actes  antérieurs 
(samskâras)  :  cette  fatalité,  qui  est  la  loi  de  l'acte,  ne  com- 
porte que  calamité  (kleça).  Pour  contrecarrer  ces  effets  de  la 
nature,  il  faut  certes  connaître  que  ce  sont  de  simples  effets  de 
la  nature  ;  ici  coïncide  la  doctrine  avec  celle  du  Sâmkhya. 
Mais  ce  savoir  ne  s'acquiert  qu'au  prix  d'un    changement 
radical  dans  la  façon  de  vivre.  Toutes  ces  modalités  (vrtti) 
de  la  pensée  empirique,  il  les  faut  élaguer  (citta^T-ttinirodha). 
Après  cette  purification  encore  préliminaire  il  faut  s'exercer 
à  la  concentration,  d'abord  en  absorbant  l'attention  sur  un 
objet,  quel  qu'il  soit  :  ainsi  se  suspendent  inémoire  et  ima- 
gination;  ainsi   la   pensée  empirique   se   confond   avec   son 
objet.    Si   elle   fonctionne   encore,    c'est   mécaniquement   et 
dans  d'étroites  limites.  Cette  méditation  est  le  dhyTma,  dont 
nous  avons  noté  l'usage  fait  par  les  Bouddhistes  des  deux 
Véhicules.    Elle    aboutit    à    cet    apogé3    du    recueillement, 
samadhi,  où  s'acquiert  l'inconscience  (asamprajnâta  s.,  I,  18), 
après  que  la  sapience  (prajnâ)  ait  été  obtenue,  chemin  faisant. 
Le  terme  n'est  pas  la  science,  mais  la  réalisation  de  l'absolu 
dans  le  kaivalyam  ;  toutefois  la  flamme  de  la  connaissance 
(jnânadipti  II,  28)  a  joué  ce  rôle  décisif,  de  brûler  les  semences 
(bija)  des  actes  encore  éloignés  de  la  maturité,  —  application 
de  la   vieille   notion]^ brahmanique    de   l'ascétisme    imaginé 
comme  un  feu,  tapas.  Le  yogin,  par  le  processus  même  qui 
dégagea  de  toute  compromission  l'intégrité  de  son  esprit,  a 
gagné  du  même  coup,  d'ailleurs  pour  la  dépasser  aussitôt, 
en  même  temps  que  l'omniscience,  l'omnipotence.  Les  dis- 
tances de  temps,  d'espace,  n'existent  plus  pour  lui;  il  peut 


LES    StTTRAS    DES    SIX    SYSTEMES  189 

revêtir  des  formes  diverses;  l'ubiquité,  la  lévitation  et  autres 
capacités  miraculeuses  attestent  sa  maîtrise  de  la  nature 
entière.  Il  n'a  pu  s'installer  dans  sa  propre  autonomie  sans 
devenir  libre   vis-à-vis  de  l'univers. 

C^tte  prestigieuse  vocation  de  l'ascèse  concilie  non  pas, 
cette  fois,  dans  la  fragilité  d'un  système  théorique,  mais  en 
une  expérience  vécue,  de  très  primitives  pratiques  avec  les 
plus  vastes  ambitions  de  spiritualité.  Sous  les  apparences  du 
renoncement   elle   cache   l'immense   orgueil   de   posséder   la 
nature  sans  en  être  possédé,  puis  de  se  réaliser  soi-même  en  un 
splendide  isolement.   La   même  discipline,  exercée  par  des 
saints  de  médiocre  envergure,  aboutit  à  la  simple  catalepsie, 
arrêt  de  la  vie  dans  une  attitude  figée,  monoïdéisme  anéan- 
tissant la  pensée  ;  exercée  par  de  puissants  esprits,  suggère  à 
un   Asanga   ses    amples   synthèses.    Parmi   les   recettes    du 
Yogin,  la  gymnastique   des   souffles    (prânâyama)  (^"^),  non 
moins  connue  de  la  Chine  taoiste  que  de  l'Inde,  voisine  avec 
l'extase   métaphysique,   et  les  postures  corporelles  n'inter- 
viennent pas  moins  que  les  règles  morales.  De  vieilles  sug- 
gestions magiques  affleurent  dans  la  prétention  de  conquérir 
du  même  coup  le  macrocosme  et  le  microcosme,   les  puis- 
sances   naturelles    n'étant,    comme    l'avaient    proclamé    les 
Upanisads,  que  le  prolongement  des  forces  vitales.  Comme 
pratique  et  comme  méthode,  le  Yoga  pouvait  s'imposer  à 
l'Inde  entière,  à  quelque  époque  et  en  quelque  milieu  que  ce 
fût.  Les  Yoga  sûtras  ne  font  que  codifier,  dans  le  langage 
d'un  certain  temps  et  d'une  certaine  école,   des  principes 
aussi  vivants  lors  de  la  composition  des   Brâhmanas    qu'à 
l'époque  tantrique,  et  qui  ne  séduisirent  pas  moins  Jainas 
ou  Bouddhistes  qu'orthodoxes  brahmaniques. 


190  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 


V.  Le   Nyaya.    Gautama   et  Vatsyayana 

Le  Nyâj^a  (^"'')  s'adapta  au  Vaiçesika  comme  le  Yoga 
ail  Sâmkhya;  en  ce  sens  que  visant  des  résultats  pratiques,  à 
obtenir  par  une  méthode  spéciale  :  la  technique  du  raison- 
nement, —  il  s'appropria  la  physique  du  darçana  antécédent. 
Cette  accommodation  se  manifeste  dès  le  début,  car  les  Nyâya 
sûtras  exposent  des  thèses  vaiçesikas  ;  et  partisans  comme 
adversaires  de  la  doctrine  confondirent  volontiers  les  thèses 
des  deux  darçanas.  Toutefois,  si  de  telles  métaphores  sont 
licites  en  l'occurrence,  il  y  eut  longtemps  parasitisme  plutôt 
que  symbiose  :  les  Naij^âyikas  utilisèrent  les  thèses  des 
Vaiçesikas  beaucoup  plus  que  ces  derniers  n'utilisèrent  celles 
des  premiers.  La  fusion  n'est  complète  qu'au  xi^  siècle,  à 
partir  de  la  Saptapadârthi  de  Çivâditya.  Quoiqu'il  connaisse 
la  doctrine  de  Kanâda,  Gautama,  dans  son  livre  III,  jette 
les  bases  d'une  théorie  physique  ;  celle-ci  ressemblant  à  celle-là, 
ne  fût-ce  que  par  l'atomisme  et  par  l'explication  de  la  for- 
mation du  inonde,  on  doit  supposer  qu'il  a  voulu  parfaire  le 
système  de  son  devancier.  Sur  les  sophismes  il  propose  une 
théorie  autre,  et  plus  complexe.  En  ce  qui  concerne  l'épis- 
téinologie,  qui  accapare  l'intérêt  dans  les  NyTîya  sûtras, 
plus  encore  que  dans  les  Vaiçesika  sûtras,  chaque  darçana 
témoigne  de  préoccupations  distinctes. 

La  date  approximative  des  Nyaya  sûtras  se  localise 
entre  le  ii^  siècle,  époque  des  Vaiçesika  sûtras,  et  260,  époque 
de  Harivarman  qui,  comme  d'ailleurs  Aryadeva,  connaît  le 
système  de  Gautama.  Les  NyTîya,  sûtras  renfermant  une 
critique  non  seulement  des  çûnyavâdins,  mais  des  vijnâna- 
vâdins  (liv.  TV),  il  convient  de  les  situer  vers  le  milieu  du 
iii^  siècle,  en  un  temps  où  quelque  devancier  d'Asanga  et  de 
Vasubandhu    avait   déjà   interprété  en   un   sens  idéaliste   le 


LES  SUTRAS  DES  SIX  SYSTEMES  191 

nirâlambanavâda  de  Nâgârjuna  (^°^).  Quant  au  commen- 
taire de  Vatsyâyana,  il  appartient,  semble-t-il,  à  la  première 
moitié  du  v^  siècle;  en  tout  cas  il  précède  Dignâga. 

Les  sûtras  du  Nyâ3^a,  qui  suivent  un  plan  mieux  ordonné 
que  ceux  du  Vaiçesika,  indiquent  dès  le  début  le  sens  dialec- 
tique de  leur  tâche  par  une  énumération  non  plus  de  principes 
naturels,  mais  de  phases  du  raisonnement.  Ils  en  comptent 
seize  :  pramâna,  le  moyen  de  preuve;  prameya,  l'objet  de 
preuve;  samçaya,  le  doute;  prayojana,  l'intention;  drstânta, 
l'exemple;  siddhânta,  la  thèse;  avayava,  les  prémisses; 
tarka,  la  réfutation  par  l'absurde;  nirnaya,  la  détermination; 
vida,  la  discussion;  jalpa,  la  dispute;  vitandâ,  la  chicane; 
hetvâbhâsa,  le  sophisme;  chala,  le  fait  de  jouer  sur  les  mots; 
jâti,  l'objection  futile,  sans  consistance;  nigrahasthâna,  le 
point  faible.  Ainsi  se  manifestent  des  préoccupations  analo- 
gues aux  observations  du  nirukta,  des  Jaimini  sûtras  ou  des 
vârtika  de  Kâtyâyana  sur  les  mérites  ou  fautes  de  l'argu- 
mentation. Ici  comme  dans  la  Mimâmsâ,  le  bien  suprême 
dépend  de  la  sownission  aux  règles  formelles,  non  certes 
l'obtention  du  ciel,  mais,  comme  dans  le  Sâmkhya  ou  le 
Yoga,  la  libération  de  l'esprit  (apavarga)  ;  car  disparaissent 
tour  à  tour  la  fausse  connaissance  (mithyâjnâna),  les  vices 
(dosa),  la  tentation  d'entreprendre  des  actes  (pravrtti),  la  nais- 
sance (janma),  la  douleur.  Comment  ne  pas  reconnaître  là  un 
raccourci  de  l'argument  bouddhique  des  douze  conditions, 
qui  achemine  de  l'ignorance  à  la  douleur  ?  et  dans  une  doc- 
trine du  salut  par  délivrance  de  la  transmigration,  l'appli- 
cation de  la  méthode  mimâmsiste  qui  cherchait  en  une  saine 
interprétation  du  Véda  le  secret  du  mérite  religieux  conçu 
de  façon  utilitaire  ? 

Les  pramânas  du  Nyâya  sont,  outre  la  perception  et 
l'inférence,  l'analogie  (upamâna)  —  connaissance  d'une 
chose  par  ressemblance  à  une  autre  déjà  connue  —  et  le 


192  HISTOIRK    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

témoignage  (çabda),  en  particulier  l'autorité  de  la  révé- 
lation. Ce  dernier  critère  concorde  avec  l'âptavacana  (parole 
autorisée)  du  Sâmkhya.  L'anumâna  conclut  soit  de  la  cause 
à  l'effet  (pûrvavat),  soit  inversement  (çesavat),  soit  de  carac- 
tères communs  (sâmânyato  drstam  —  sorte  de  pressenti- 
ment de  la  méthode  de  concordance  chez  Stuart  Mill. 

Les  conditions  de  la  perception  correcte  -  «  une  con- 
naissance déterminée,  non  contredite,  non  associée  à  des 
mots,  et  résultant  du  contact  des  sens  avec  des  objets  »  — 
posent  des  questions  de  psychologie.  En  face  des  choses, 
tenues  pour  aussi  réelles  que  dans  le  Vaiçesika,  se  dresse 
le  sujet,  pourvu  d'un  corps,  de  sens,  d'un  «  sens  commun  » 
(nianas),  d'un  intellect  (buddhi),  d'une  âme  (âtman).  Le  ma- 
nas,  ici  encore,  est  atomique,  et  s'interpose  entre  le  sujet  et 
l'objet.  Pour  que  la  perception  ait  lieu,  il  faut  donc  qu'il 
transmette  à  la  buddhi  ce  que  lui  firent  parvenir  les  sens  — 
et  enfin  que  la  buddhi  en  informe  l' âtman.  Dans  cette  con- 
ception voisinent  le  manas  du  Vaiçesika  et  la  buddhi  du 
Sâmkhya  ;  mais  l' âtman,  loin  de  résider  en  une  transcen- 
dance comme  celle  qu'admet  ce  dernier  système  en  faveur  du 
Purusa,  est  répandu  dans  le  corps  entier:  il  ne  peut  cepen- 
dant rien  connaître  que  par  ses  organes,  buddhi  et  manas. 
Quoique  l' âtman  possède  des  qualités,  à  la  différence  du 
Purusa  du  Sâmkhya,  il  ne  possède  la  connaissance  en  acte 
que  moyennant  la  coopération  du  manas  :  ceci  est  commun 
aux  deux  darçanas,  que  l'âme  non  empirique  (âtman  ou 
purusa),  pour  passera  l'acte,  a  besoin  du  concours  de  l'esprit 
empirique  (manas),  et  qu'à  cette  condition  se  produit,  au 
sens  propre,  la  connaissance  (buddhi).  Par  contre,  ici  comme 
là,  le  salut  requiert  une  séparation  définitive  de  ces  deux 
facteurs,  tandis  que  le  Vaiçesika  préconisait  une  intégration 
ultime  du  manas  à  l'âtman.  Divergences  futiles,  à  notre 
^vis    d'Européens;    distinctions    capitales    pour    la    pensée 


LES    SUTEAS    DES    SIX    SYSTÈMES  193 

indigène  toujours  soucieuse  d'épier  les  conditions  possibles 
de  la  délivrance,  si  variables  à  travers  la  diversité  des  sys- 
tèmes; et  preuve  que  des  doctrines  en  apparence  positivistes 
tendent,  comme  les  métaphysiques,  à  une  fin  transcendante. 

La  question  de  la  validité  de  l'inférence  amena  les 
Naiyâyikas  à  ébaucher  une  logique  formelle.  Ils  héritent, 
à  cet  égard,  non  seulement  des  observations  faites  par  les 
grammairiens  ou  les  exégètes  religieux,  mais  de  la  spécu- 
lation upanisadique  sur  l'âtman,  investigation  que  le  Mahâ- 
bhârata  dénomme  ânviksiki;  de  la  dialectique  selon  la  cau- 
salité, hetuçâstra,  promue  surtout  par  les  bouddhistes;  de 
la  contre -épreuve  raisonnante,  tarka,  l'un  des  artifices  du 
Yoga  {^^).  Par  la  convergence  de  ces  influences,  le  terme 
de  nyâya,  d'abord  synonyme  de  mïmâmsa,  recherche  exégè- 
tique,  prend  la  valeur  abstraite  de  «  logique  ».  Le  mot  conno- 
tera  dès  lors  une  théorie  du  raisonnement,  qui  s'isole  volon- 
tiers de  la  théorie  mixte,  tant  vaiçesika  que  naiyâyika,  des 
pramânas,  quoique  l'étude  nouvelle  soit,  en  fait,  la  technique 
de  l'anumâna.  Le  fait  est  que  les  Jainas  conçurent  un  raison- 
nement à  dix  membres,  les  Naiyâyikas,  peut-être  par  sim- 
plification du  précédent,  un  argument  à  cinq  propositions. 
Laissons  de  côté,  pour  l'instant,  l'argument  jaina,  mais 
citons  le  type  de  raisonnement  des  Naiyâyikas  : 

Il  y  a  du  feu  sur  la  montagne  (pratijnâ,  assertion)  ; 

Parce  qu'il  y  a  sur  la  montagne  de  la  fumée  (hetu, 
raison)  ; 

Tout  ce  qui  renferme  de  la  fumée  renferme  du  feu:  par 
exemple  le  foyer  (udâharanam,  exemple); 

Or  il  en  est  de  même  ici  (dans  le  cas  de  la  montagne) 
upanaya,  application  au  cas  particulier); 

Donc  il  en  est  ainsi  (nigamanam,  résultat). 
13 


1^)4  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

Telle  est  la  forme  d'argumentation  qui  précéda  immé- 
diatement l'effort  logique  des  Vijnânavâdins,  et  auquel  s'op- 
pose, comme  une  tendance  idéaliste  à  une  tendance  empiriste, 
la  dialectique  de  Dignâga.  Ainsi  s'ouvre  une  rivalité  d'inspi- 
rations logiques  dont  l'histoire  ultérieure  nous  apprendra  le 
dénouement. 

La  polémique  contre  les  bouddhistes  entreprise  daiLS 
les  Nyâya  sûtros  concerne  non  la  logique,  mais  l'épistémologie. 
Au  livre  II,  c'est  une  défense  de  la  notion  de  pramâna  contre 
des  objections  mâdhyamikas:  réplique  mal  venue  d'ailleurs, 
car  Nâgârjuna,  en  dépit  des  Naiyâyikas  qui  soutiennent  que 
la  négation  implique  une  affirmation,  avait  soin  de  tenir 
pour  inconsistantes  la  négation  comme  l'affirmation.  Au 
livre  IV,  c'est  une  réfutation  du  relativisme  :  Gautania 
(IV,  1,  48)  s'attaque  à  l'opinion  de  Nâgârjuna  (Madhyamika 
siït.  VII,  20),  qu'il  n'3^  a  d'existence  proprement  dite,  comme 
d'ailleurs  de  non-existence,  ni  avant,  ni  après,  ni  même 
pendant  la  production.  Aucun  compromis  n'était  concevablj 
entre  l'idéalisme  des  uns  et  le  réalisme  des  autres  :  leur  oppo- 
sition dura  autant  que  le  Buddhisme  ;  elle  marque  l'un  des 
épisodes  essentiels  de  la  spéculation  indienne.  Sans  prendre 
pour  but  exprès,  comme  les  Mimânisistes,  la  défense  de  la 
tradition  brahmanique,  les  Naiyâyikas  s'en  considèrent 
comme  des  soutiens  :  il  leur  arrive  ainsi  de  défendre  l'autorité 
des  Védas  contre  les  Cârvâkas  (II,  1,  56-7);  aussi  leur  hos- 
tilité à  la  pensée  bouddhique  se  montre-t-elle  irréductible. 

Vâtsyâyana,  dans  son  Bhxisya,  fait  appel  aux  catégories 
vaiçesikas,  amorçant  de  la  sorte  les  s^aicrétismes  ultérieurs. 
Mais  il  apporte  peu  d'innovations  ;  parfois  mêm'e  il  rétrograde 
en  confondant  anumâna  et  upamâna.  Sa  définition  du  pra- 
rnâna,  «  ce  par  quoi  le  sujet  connaît  l'objet»,  ne  se  signale  que 
par  de  l'indécision.  Quand  il  rappelle  l'existence  d'un  rai- 
sonnement à  dix  membres,  sans  doute  se  réfère-t-il  à  celui 


LES    SUTBAS    DES    SIX    SYSTEMES  195 

des  Jainas.  Il  avoue  avoir  éprouvé  de  la  peine  à  suivie  l'effort 
logique  du  texte  qu'il  commente. 


VI.    Le   Védanta.    Badarayana 

La  Miniâmsâ  Seconde  (Uttara),  qui  se  donne  pour  un 
achèvement  du  védisme  (vedânta),  non  parce  qu'elle  en 
apporterait  la  clef  exégétique,  mais  en  ce  qu'elle  fournirait 
son  interprétation  métaphysique,  partage  avec  la  Mîmâmsâ 
Première  (Pûrva)  l'ambition  d'exprimer  dans  sa  pureté 
l'inspiration  de  l'authentique  Brahmanisme.  Plus  qu'aucun 
autre  darçana  orthodoxe,  elle  revendiquera  la  pérennité  du 
\Tai,  dont  elle  croit  trouver  le  gage  dans  une  prétendue 
conformité  avec  la  spéculation  des  Upanisads;  en  fait  elle 
deviendra  et  demeurera  jusqu'à  nos  jours  la  doctrine  de 
l'élite  intellectuelle  qui  sait  atteindre  au  travers  de  la  lettre 
jusqu'à  la  pensée  profonde  sous-jacente  aux  rites  comme  aux 
symboles.  Qu'une  telle  doctrine  atteste  à  la  fois  une  réaction 
contre  beaucoup  d'éléments  du  milieu  indien,  et  l'adaptation 
d'idées  fort  anciennes  à  des  facteurs  plus  récents,  c'est  ce 
dont  l'histoire  nous  indiquera  mainte  preuve;  mais  il  faudra 
renoncer  au  préjugé,  cher  à  Deussen,  d'un  Védânta,  éternel, 
identique  à  travers  toute  l'évolution  de  l'Inde. 

LesjBra/wirt  Sûtras,  encore  appelés  Védânla-Sûtra^,  dont 
l'auteur  serait  Bâdarâyana,  ont  dû  être  composés  vers  le 
début  du  v^  siècle  (^°^).  Leur  critique  du  Bouddhisme, 
plus  élaborée  que  celle  d'aucun  autre  sûtra,  témoigne 
d'une  rédaction  assez  tardive.  Cette  réfutation  (II,  2, 
18-32)  vise  d'abord  le  Sarvâstivâdins  (18-27)  ;  elle 
réfute  la  relativité  des  causes  (19  :  le  pratitya  samutpâda; 
20  :  l'instantanéité  de  la  production);  puis  les  nihilistes  ou 
les  idéalistes,  selon  qu'on  suit  les  suggestions  de  la  vrtti  ou 


19G  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

celles  du  bhâsya  (28-32).  (^®*).  Elle  objecte  à  ceux  qui  ne 
postulent  aucun  support  des  phénomènes  (mirâlambana- 
vâda)  que  nous  percevons  des  objets,  et  que  cette  percep- 
tion diffère  du  simple  rêve  (28)  ;  que  sans  l'existence 
d'objets  perçus  la  conscience  ne  serait  point  (30)  ; 
que  la  morne ntanéité  rendrait  impossible  la  conscience  (31). 
La  concision,  l'ambiguïté  des  Brahma  Sidraa  ne  laisse 
pas  voir  avec  netteté  la  thèse  que  ces  textes  adoptent 
à  rencontre  des  Bouddhistes.  La  difficulté  s'accroît  si 
l'on  remarque,  avant  même  la  critique  des  hérétiques,  une 
acerbe  réfutation  des  réalistes  brahmaniques,  plus  préci- 
sément des  Vaiçesikas,  adversaires  de  la  théorie  bouddhique  ; 
leur  atomisme  est  condamné  comme  incompatible  avec 
leurs  autres  principes  :  avec  la  notion  d'un  démiurge,  ou 
d'un  destin  (adrsta)  (II,  1,  12;  2,  11;  12);  les  atomes  ne 
peuvent  venir  en  contact  (13);  ni  être  actifs,  ni  non-actifs 
(14),  etc. 

De  cette  double  critique  résulte  que  les  Védânta  Sûtras 
réprouvent  un  certain  idéalisme  comme  un  certain  réalisme. 
Ils  puisent  dans  les  Upanisads  la  conviction  que  tout  n'existe 
que  dans  la  mesure  où  il  est  le  Brahman.  L'identité  de  notre 
âme  individuelle  avec  l'âtman  absolu,  lui-même  identique 
au  Brahman,  voilà  le  thème  non  pas  unique,  mais  dominant 
de  ces  vieux  textes.  Selon  que  les  êtres  passent,  parce  qu'ils 
participent  au  Brahman,  pour  réels,  ou  pour  irréels  en  tant 
qu'êtres  distincts, —  deux  opinions  plutôt  corrélatives  qu'oppo- 
sées, mais  dont  tantôt  l'une,  tantôt  l'autre  prédomine,  —  les 
Upanisads  comportent  un  réalisme  ou  un  irréalisme.  En  ce 
sens  Bâdarâyana  peut  s'opposer  à  la  fois  aux  Bouddhistes 
parce  que,  niant  toute  substance,  ils  nient  la  substance 
unique  et  totale,  l'Âtman-Brahman;  et  aux  Vaiçesikas  parce 
qu'affirmant  l'être,  ils  le  fragmentent  en  éléments  incapables 
de  coopération.  Bref,  il  y  a  de  l'être,  mais  un  seul  être.  Com- 


LES    SUTRAS    DES    SIX    SYSTÈMES  197 

îîient  donc  juger  le  phénomène  empirique,  indéfinie  multipli- 
cité ?  Comme  réel  en  tant  que  fondé  en  l'absolu;  comme  faux 
(vitatha)  (II,  11),  inexistant  (asat)  si  on  le  prend  en  lui-même. 
De  tout  être  il  faut  reconnaître  qu'il  est  l'Etre  (tat  tvam  asi)  ; 
mais  l'Etre  ne  réside  pas  moins  par  delà  l'être  individualisé 
ou  phénomène.  L'obscurité  comme  la  fécondité  des  sûtras 
tiennent  à  ce  qu'ils  affirment  et  l'immanence  et  la  trans- 
cendance de  l'absolu;  toute  la  secte  pourra  s'y  reconnaître, 
soit  qu'elle  verse  dans  l'illusionnisme,  soit  qu'elle  trouve  dans 
le  panthéisme,  solidement  garantie,  l'objectivité  des  diverses 
forines  d'être. 

Une  telle  doctrine  repose  sur  la  connaissance  (jnâna). 
Perception,  inférence,  témoignage  de  la  révélation  (çabda)  : 
ces  trois  pramânas  avoués  par  le  système  ne  valent  qu'inter- 
prétés à  la  lumière  de  la  science  totale.  Le  salut  consiste 
exclusivement  à  connaître  le  Brahman  en  tout  et  tout  en 
le  Brahman.  Aucun  darçana  ne  s'oppose  plus  nettement  à 
la  croyance  en  l'efficacité  du  rite,  pourtant  préconisée  par 
l'ancienne  Mîmâmsâ,  ou  à  la  foi  en  la  valeur  d'une  certaine 
sorte  de  vie,  par  exemple  l'ascétisme.  Cette  omnipotence  de 
la  gnose,  le  Védânta  la  postule  au  même  titre  que  le  Mahâ- 
yâna;  rien  ne  ressemble  autant  à  la  science  du  Brahman  que 
la  prajnâpâramitâ;  car  l'absolu  brahmanique,  ni  affirmation, 
ni  négation,  mais  simplement  Cela  (tat),  rejoint  cette  quid- 
dité  (tathatâ)  qu'Açvaghosa  trouvait  au  principe  de  l'exis- 
tence. Les  Védântins  n'ont  honni  le  Bouddhisme,  toute 
raison  confessionnelle  mise  à  part,  que  parce  qu'ils  s'en 
éprouvaient  très  proches.  Eux  aussi  professaient  que  l'être 
empirique  ne  diffère  de  l'absolu  que  par  l'ignorance,  avidyâ, 
lont  il  est  pétri.  Leur  doctrine  se  réduisait  donc  à  la  pure 
vacuité  des  Mâdhyamikas,  s'ils  n'eussent  admis  la  légiti- 
mité d'une  pensée  relativement  exotérique,  à  côté  de  la 
vérité  absolue,  dont  le  Brahman  est  l'a  et  l'o. 


198  HISTOIRE    DK    LA    rHIlA)«orHIE    IXDIENXE 

L'avidyâ  de  Bâdarâyana  implique  non  seulement  l'ab- 
sence de  connaissance,  mais  une  sorte  de  réalité  cosmique. 
Ici  reparaît  la  vieille  notion  de  la  fanstamagorie  de  Mitra 
ou  de  Varuna,  identique  à  celle  de  Krsna,  ou  encore  à  celle  du 
Nirmânakâya.  L'illusion,  itiâyâ,  possède  une  réalité,  puis- 
qu'elle est  oeuvre  divine.  A  traduire  en  termes  abstraits  ces 
expressions  mythiques,  on  pourra  dire  que  l'être  se  laisse 
affecter  de  déterminations  relatives;  il  devient  conditionné 
par  l'effet  de  ces  conditions  (upâdhi).  S'il  existe  empiriquo- 
ment,  non  pas  selon  l'absolu,  d'innombrables  âmes  indi- 
viduelles, jîva,  ce  n'est  pas  qu'il  y  ait,  comme  croient  les 
Sâmkhyas,  pluralité  réelle  d'esprits.  Si,  par  suite  de  nos  actes, 
le  karman  accumulé  constitue  à  l'entour  de  nos  âmes  un 
corps  grossier  (sthûla  çarîra),  fait  d'éléments  qui  composent 
le  corps  subtil  (sûksma),  les  différentes  gaines  (koça)  qui 
fondent  la  hiérarchie  des  fonctions  physiologiques  et  psycho- 
logiques n'ont  ni  plus  ni  moins  de  réalité  que  le  monde  maté- 
riel, sorte  de  corps  dont  se  revêt  l'Atman  absolu.  A  travers 
l'ambiguïté  de  ses  formules  le  Védânta  apparaît  ainsi  le 
plus  simple  des  darçanas,  puisqu'il  lui  suffit  de  vénérer  en 
le  Brahman  l'unique  réalité  absolue  pour  posséder  l'omni- 
science. 


CHAPITRE  II 

L'RRE    DES    GRANDS    COMMENTATEURS 

(500-1000) 


La  période  que  nous  venons  de  décrire  présentait  une 
individualité  assez  nette.  Elle  marquait  une  vigoureuse 
réaction  entre  le  Bouddhisme,  réaction  qui  s'opérait  dans  les 
sens   les   plus   différents.    Ainsi    la    Première    Mîmâmsâ   se 


l'ère  des  grands  commentateurs  199 

craniponnait  à  la  mentalité  du  primitif  Brahmanisme,  alors 
que  la  Seconde,  tout  en  fondant  l'ésotérisme  orthodoxe, 
acceptait  beaucoup  de  postulats  bouddhiques.  Dans  cette 
émulation  qui  animait  les  divers  facteurs  de  l'indianité,  les 
initiatives  partaient  souvent  de  l'hérésie,  qui  jouait  à  maints 
égards  le  rôle  d'un  ferment.  Désormais  les  diverses  filiations 
de  pensée  portant  l'estampille  de  la  caste  sacerdotale,  tou- 
jours maîtresse  de  la  culture  intellectuelle,  possèdent,  après 
une  élaboration,  qui  dut  être  longue,  des  textes  arrêtés  à 
jamais,  qu'il  y  aura  lieu  d'approfondir  ou  d'étayer  par  des 
arguments  dialectiques,  ou  de  protéger  par  une  armature 
polémique,  mais  non  de  modifier.  Fière  d'avoir  précisé  ces 
systèmes  en  une  forme  définitive,  susceptible  par  sa  conden- 
sation d'alimenter  sans  fin  la  discussion  et  l'enseignement, 
l'Inde  brahmanique  ne  conçoit  plus  qu'elle  ait  aucun  pro- 
grès spéculatif  à  promouvoir  : .  elle  va  limiter  son  ambition 
au  confornisme  ritualiste  et  au  traditionalisme  philoso- 
phique. La  phase  créatrice  est  close,  la  scolastique  commence. 

Les  premiers  com  entaires,  —  bhâsyas  de  Praçasta- 
pâda  et  de  Vâtsyâyana,  vrtti  et  bhâsya  mimâmsistes,  —  ne 
se  signalent  guère  par  l'originalité  de  la  pensée.  Ou  plutôt 
leur  pénétration  s'exerçant  à  déterminer  le  sens  des  sûtras, 
presque  toujours  obscur  à  force  de  concentration,  ils  déployè- 
rent une  réflexion  dont  nous  mesurons  mal  l'originalité, 
faute  de  pouvoir  comparer  ses  résultats  à  d'autres  interpré- 
tations, également  concevables.  Si  les  sîïtras  avaient  fixé  des 
directions  à  l'enseignement,  ce  furent  les  premiers  commen- 
taires qui  fixèrent  le  contenu  dogmatique  des  sûtras.  Trouvant 
dans  leurs  œuvres  une  base,  nous  apprécions  davantage  l'indé- 
pendance relative,  la  contribution  personnelle  des  grands 
commentateurs  qui  naquirent  aux  cinq  siècles  suivants.  Si 
nous  nous  permettons  une  comparaison  tirée  de  notre  sco- 
lastique médiévale,   nous  dirons  que  la  portée  des  «  sûtras  >♦ 


2f)0  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

d'Aristote,  d'abord  circonscrite  par  les  «bbâsyas»  d'un  Sim- 
plicius,  d'un  Philopon,  d'un  Alexandre  d'Aphrodisias,  donna 
lieu  aux  puissantes  constructions  d'Averroès,  de  Maïmonide 
ou  de  saint  Thomas. 

Durant  cette  nouvelle  période  l'initiative  se  répartit  entre 
Bouddhistes  et  docteurs  brahmaniques,  l'hérésie  n'en  détient 
plus  le  monopole.  Toutefois  elle  possède  encore  les  systèmes 
qui  font  date,  autour  desquels  se  distribuent  les  penseurs  de 
second  plan.  L'époque  des  sûtras  subissait  l'ascendant  de 
Nâgârjuna  et  de  Vasubandhu;  celle  où  nous  entrons  va  se 
laisser  dominer  par  Dignâga  (2^  moitié  du  v^  siècle)  et  Dhar- 
makirti  (fin  du  vu®).  Tant  que  soufflera  l'esprit  bouddhique, 
il  recèlera  le  secret  des  rénovations  et  ce  secret  se  perdra  avec 
lui.  Pour  reprendre  notre  comparaison,  référons-nous  à 
Tappauvrissement  qui  aurait  frappé  notre  scolastique,  une 
fois  réduites  au  silence,  par  suppression  ou  par  assimilation, 
les  pensées  juive  et  musulmane,  dans  l'hypothèse  où  auraient 
fait  défaut  les  éléments  qui  suscitèrent  la  «  Renaissance  ». 

Un  caractère  tout  extérieur  paraît  significatif  de  cette 
première  scolastique  indienne.  Le  temps  n'est  pas  encore 
venu,  du  syncrétisme  proprement  dit.  Pourtant  on  s'ache- 
mine à  grands  pas  vers  l'unification  des  systèmes.  L'adap- 
tation aux  tendances  les  plus  hostiles,  mais  qui  s'imposent, 
c'est-à-dire  à  la  libre  pensée  bouddhique,  exige  de  la  spécu- 
lation brahmanique  un  effort,  une  souplesse  qui  faciliteront 
l'atténuation  des  divergences  traditionnelles  à  l'intérieur  de 
cette  spéculation.  Un  penchant  à  l'unification  des  systèmes 
orthodoxes  résulte  de  leur  commune  opposition  à  l'hétéro- 
doxie. C'est  pour  une  large  part  un  préjugé  européen  qui 
nous  fait  douter  qu'un  même  penseur,  Gaudapâda,  ait  pu, 
quoique  védintin,  commenter  en  toute  objectivité  la  Sâm- 
khya  kârikâ.  Sans  contestation  possible  le  même  Vâcaspa- 
timiçra    composa  un  lucide  commentaire  du   Sâmkhya    (S. 


l'ère  des  grands  commentateurs  201 

tattva-kaMmudt),  un  ouvrage  naiyâyika  de  première  impor- 
tance {NyTiya-vTirfika-tâtparyaf'ikâ)  et  cet  usuel  commen- 
taire du  Védânta  çankarien,  la  Bhamatl.  De  tels  exemples 
pourraient  être  multipliés  (^^). 

Il  n'en  serait  que  plus  nécessaire,  mais  il  n'en  est  aussi 
que  plus  difficile  de  suivre  désormais,  dans  le  détail  comme 
dans  l'ensemble,  les  progrès  de  la  pensée  indienne.  Une 
telle  tâche,  redoutable  pour  un  pandit,  excède  les  ressources 
dont  dispose  l'analyste  européen.  Peu  ou  point  de  traduc- 
tions en  des  langues  d'occident;  une  littérature  considé- 
rable en  partie  seulement  éditée  dans  les  collections  indi- 
gènes; presque  aucune  critique  historique  ou  philosophique 
appliquée  aux  textes.  En  ce  domaine  où  rien  ne  se  fera  de 
solide  que  par  l'adaptation  des  méthodes  scientifiques  à 
l'intelligence  des  traditions  autochtones,  nous  ne  saurions 
marquer  que  des  points  de  repère  approximatifs. 


I.  Mïmâmsa.   Prabkakara   et  Kumarila. 

Un  indice  des  temps  nouveaux  est  la  transformation  de 
la  Mimâmsâ  en  système  philosophique,  par  l'activité  de  deux 
brahmanes  qui  appartiennent  l'un  au  vii^  siècle,  l'autre  au 
VIII®  siècle  :  Prabhâkara  et  Kumarila.  En  dépit  de  la 
tradition  qui  fait  de  Prabhâkara  le  disciple  de  Kumarila, 
il  appert  d'une  inspection,  même  sommaire,  du  style  et  du 
contenu  de  leurs  œuvres,  que  la  doctrine  de  Kumarila  pré- 
sente un  caractère  de  maturité  qui  doit  la  faire  reconnaître 
comme  ultérieure;  au  surplus  Kumarila  s'attaque,  en  plu- 
sieurs circonstances,  à  Prabhâkara,  qui  doit  donc  être  son 
devancier  (^^°). 


202  HISTOIRE    DE    LA    PlULOSOPHIE    INDIENNE 

Prabhâkara  diffère  peu  de  Çabara  {Sarvasiddh.  Sarng. 
I,  19).  Il  professe,  comme  tout  Mîmâmsiste,  l'exactitude  des 
connaissances  en  tant  que  telles;  toutefois  il  admet  six  pra- 
mânas:  perception,  inférence,  analogie,  révélation,  présomp- 
tion (arthâpatti).  Cette  dernière,  déjà  prônée  par  le  vrttikâra, 
consiste  en  une  supposition  impliquée  par  une  perception 
actuelle.  Par  exemple,  s'il  fait  jour,  quoique  je  ne  voie  pas 
le  soleil,  je  sais  qu'il  s'est  levé.  En  physique,  en  psychologie 
les  emprunts  de  Prabhâkara  au  Vaiçesika  et  au  Nyâya  sont 
nombreux.  Ainsi  aux  quatre  padârthas:  substance,  qualité, 
action,  généralité  (jâti)  il  ajoute  l'inhérence,  la  puissance 
(çakti),  la  ressemblance  (sârûpya). 

Kumârila,  a.u  lieu  de  se  rapprocher  des  réalistes  vaiçe- 
sikas,  tend  vers  les  védântins.  Ainsi,  au  lieu  de  juger,  comme 
son  prédécesseur,  que  l'âme  est  le  substrat  de  la  conscience, 
il  la  déclare  pure  conscience.  Il  estime  que  l'inexistence 
(cibhâva)  est  un  pramâna,  qu'elle  représente  comme  non- 
être  antécédent  ou  suivant,  négation  absolue  ou  réciproque. 
On  reconnaît  là  un  vestige  du  raisonnement  mâdhyamika 
élaboré  par  la  pensée  védântique;  mais  il  faut  surtout  y 
voir  un  exemple  du  grossier  réalisme  mimâmsaka  :  le  non- 
être  même  doit  avoir  sa  réalité  (vastutâ)  (Çlokavârt.,  abhâva, 
7).  Prabhâkara,  subissant  l'influence  de  la  doctrine  bouddhi- 
que selon  laquelle  toute  perception  est  une  synthèse,  avait 
distingué  celle  qui  s'opère  sans  intervention  du  jugement 
(nirvikalpaka)  de  celle  qui  s'accompagne  de  jugements  (savi- 
kalpaka);  il  prêtait  à  la  première  l'aptitude  à  saisir  les  carac- 
tères tant  individuels  que  spécifiques  de  l'objet.  Kumârila 
y  voit  l'appréhension  ingénue,  totale,  de  l'objet.  L'orga- 
nisation brahmanique  visant  à  fonder  en  un  corps  intangible 
de  vérité  les  notions  sur  lesquelles  reposait  le  sacrifice  védi- 
que, n'eut  pas  de  défenseur  plus  décidé  que  ce  réformateur 
dont  l'activité  tendait  à  la  lutte  contre  le  Bouddhisme.   Il 


l'ère  des  grands  commentateurs  203 

reproche  à  Prabhâkara  d'avoir  fait  un  pramâna  de  la  ressem- 
blance, transposition  idéaliste,  donc  bouddhique,  de  la  notion 
réaliste  de  généralité  (sâîr.ânya)  (Çlokav.,  akrtivâda,    65-6). 

Les  particularités  propres  à  chacun  de  ces  docteurs  ne 
doivent  pas  faire  méconnaître  leurs  ressemblances,  surtout 
les  nouveautés  qu'ils  apportent.  La  principale,  par  laquelle, 
malaré  leurs  intentions  conservatrices,  ils  bouleversent 
l'économie  du  S3^stème,  c'est  l'introduction  de  l'idée  de 
délivrance.  La  Mimâm^â  demeurait  jusqu'à  eux  le  seul  dar- 
çana  fidèle  à  la  vieille  mentalité  védique,  antérieure  à  l'idée 
de  transmigration  :  elle  ne  concevait  pas  d'autre  but  reli- 
gieux que  l'acquisition  du  fruit  des  bonnes  œuvres.  Prabhâ- 
kara et  Kumârila  lui  enlèvent  cette  singularité,  l'accommodent 
à  l'ensemble  de  la  mentalité  indienne  en  professant  que 
dharma  et  adharma  doivent  disparaître  pour  que  devienne 
possible  la  libération  finale.  L'un  et  l'autre  s'efforcent  cepen- 
dant de  ne  pas  s'engager  trop  loin  clans  cette  voie,  où  la  doc- 
trine eût  cessé  d'être  une  théorie  de  l'acte.  Ainsi  tous  deux 
repoussent  l'idée  de  formations  et  de  destructions  alternantes 
du  monde,  sorte  d'application  de  la  transmigration  à  la 
nature  même  prise  dans  son  ensemble.  Sur  ce  point  ils  trou- 
vent des  alliés  en  les  Naiyâyikas  et  les  Vaiçesikas,  dont  les 
rapproche  encore  un  souci  de  logique  formelle.  Ils  acceptent 
le  type  de  raisonnement  admis  par  les  Naiyâyikas,  mais  le 
réduisent  à  trois  propositions  :  l'assertion  (pratijnâ),  la 
raison  (hetu),  la  loi  et  le  cas  concret  saisis  ensemble  (udâ- 
harana),  application  à  la  logique  de  la  théorie  prabhâkarienne 
de  la  perception.  Ainsi  :  «Sur  la  montagne  il  y  a  du  feu; 
parce  que  sur  la  montagne  il  y  a  de  la  fumée;  partout  où  il 
y  a  de  la  fumée  il  y  a  du  feu,  par  exemple  dans  la  cuisine». 
Kumârila  en  particulier,  peut-être  sous  l'ijifluence  de 
Dignàga,  prétend  que  l'inférence  nous  fournit  le  petit  terme 
en  tant  qu'associé  au  grand  (montagne  +  feu). 


204  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOrfflE    INDIEN^TE 

La  Mîmâmsâ,  de  moins  en  moins  hétérogène  aux  autres 
darçanas,  gardera  cependant  une  doctrine  bien  à  elle,  transpo- 
sition dans  la  scolastique  pan-indienne  d'un  point  de  vue  cher  à 
l'antique  exégèse.  Nous  voulons  parler  de  la  théorie  du  son 
(Çabda).  Le  Véda  reste  à  ses  yeux  une  sonorité  éternelle,  et 
l'école,  pour  sauvegarder  cette  doctrine  essentielle,  rompra 
des  lances  même  avec  ses  demi-alliés,  Naiyâyikas  et  Vaiçe- 
sikas.  Par  exemple,  aux  critiques  de  Kanâda  qiii  font  du  son 
un  attribut  de  l'éther,  Kumârila  répond  que  si  l'on  en  fait 
une  qualité  de  l'âkâça,  on  peut  aussi  bien  en  faire  une  qualité 
de  l'espace  (diç),  et  il  contribue  à  effacer  la  distinction  entre  ces 
deux  concepts  (Çlokav.,  çabdanityatva,  152-5).  Pour  maintenir 
le  point  de  vue  orthodoxe,  il  refusera  aux  Yogins  le  droit 
d'associer  au  son  le  ^phota,  entité  imaginés  par  les  gram- 
mairiens pour  justifier  l'association  à  des  syllabes  et  lettres 
multiples  d'un  sens  unique  et  permanent  (^'^). 

Mandana  Miçra,  disciple  de  Kumârila,  est  l'auteur  d'un 
traité  sur  les  injonctions  {vidhivivekn),  que  commentera 
Vâcaspati miçra  {Nyâyakanikâ)  vers  850,  ainsi  qu3  d'un 
résumé  du  Bhâsya,  la  MxnmmsTirmkramam. 


II.    Vaiçesika    et    Nyaya.     Uddyotakara, 
Vâcaspatimisra,    Udayana. 

Les  faits  mémorables  de  la  période  500-1  000  sont  :  en  ce 
qui  concerne'  le  Vaiçesika,  la  rédaction  de  la,  Daçapadârthï, 
])ar  Maticandra,  vers  600;  et,  à  la  fin  du  x^  siècle,  l'activité 
d'Udayana  {Kvrcmâvati,  comm.  sur  Praçastapâda :  Laksa- 
nâvaïi,  compendium  de  termes  vaiçesikas)  et  de  Çrïdhara 
{Nyâyakandafi,  autre  com.  de  Praçastapâda;)  —  en  ce  qui 


l'ère  des  grands  commentateurs  205 

concerne  le  Nyâya,  l'œuvre  d'Uddyotakara  {Nyâya-vârtika, 
milieu  du  vii^  siècle),  qui  suscite  celle  de  Vâcaspatimiçra 
{N.  V.  lâtpanjaûkn,  841);  encyclopédie  de  Jayanta  {N.  man- 
jarî,  vers  900);  enfin  deux  traités  d'Udayana  {N.  v.  tâtparya- 
tikâ-pariçuddhi,  et  Kummanjali,  fin  x^  siècle  ('^^). 

A  travers  ces  œuvres  apparaît  le  retentissement  sur 
l'épistémologie  et  la  logique  brahmanique,  de  l'épistémologie  et 
de  la  logique  de  Dignâga  (450-500)  et  de  Dharmakirti  (675-701). 

Le  traité  de  Maticandra  allonge  la  liste  des  padârthas, 
portant  les  catégories  de  6  (substance,  qualité,  action;  uni- 
versalité, particularité,  inhérence)  à  10,  par  addition  de. la 
puissance  et  de  la  non-puissance  (çakti,  açakti),  de  la  commu- 
nauté, de  la  non-existence  (abhâva).  L'admission   de   cette 
dernière  a  pu  donner  à  Kumârila  l'idée  de  lui  faire   place 
dans  son  système.  La  principale  nouveauté  consiste  à  scinder 
sâmânya  d'une  part  en  l'être  pur  et  simple  (sat,  chin.  :  yeou), 
qui  devient  le  n»  4;  c'est  l'opposé  d' abhâva;  d'autre  part  en 
sâmânya-viçesa    (ch.  tong-yi;  Mu-fen),    n»  9.  Çakti  est   une 
notion  à  la  fois  du  Bouddhisme  et  du  Yoga,  destinée  à  s'in- 
tégrer au  Nyâya;  elle  naît  de  l'opposition  des  deux  théories 
de  la  causalité  connues  sous  les  noms  de  satkâryavâda  et 
d'asatkâryavâda.    Sâmkhyas    et    Védântins    supposent    que 
l'effet  préexiste  (sut-kârya)  dans  la  cause,  car  les  seules  causes, 
à  leurs  yeux,  sont  pour  les  premiers  la  prakrti,  chargée  en 
puissance  de  toutes  choses  susceptibles  de  formation;   pour 
les  seconds  le  Brahman,  qui  fait  tout  de  et  par  soi.  Mais 
Naiyâyikas  et  Vaiçesikas  s'accordent  avec  les  Bouddhistes, 
au  nom  de  principes,  il  est  vrai  non  relativistes,  mais  réalistes, 
pour     rejeter     cette     conception.      Afin     d'exorciser     cette 

«puissance»,  Udayana  trouvera  nécessaire  de  modifier  la 
doctrine  vaiçesika  selon  laquelle  une  substance  est  cause  de 
ses  qualités,  —  au  sens  de  cause  matérielle  ou  «inhérente» 

{samavâyi-koranam)  :  il   admettra    qu'un   phénomène   n'est 


2(KÎ  HISTOIRE    DE    T^\    PHILOSOPHIE    INDIEN^STE 

produit  qu'une  fois  achevé;  ainsi  la  substance  n'a  ses  qua- 
lités qu'une  fois  le  dernier  fil  entrelacé  (Kiranâvali,  50). 

Les  germes  de  théisme  semés  par  Praçastapâda  por- 
tèrent fruits  chez  Çrïdhara  et  Udayana.  Le  Kusumanjali  de 
ce  dernier  resta  le  bréviaire  de  cette  théologie.  Par  suite  de 
l'affaiblissement  de  l'ancienne  notion  du  karman,  affaiblis- 
sement constaté  jusque  dans  la  Karma-Mimâmsâ,  on  estime 
désormais  que  l'invisible  destin,  adrsta,  puisque  inintelligent, 
suppose  une  direction  clairvoyante.  Pour  faire  pièce  aux  Mï- 
mâmsistes,  on  admet  que  la  connaissance  n'a  pas  en  soi  son 
critère,  que  le  Véda  requiert  un  créateur.  Peu  importe  que 
Dieu  ne  tombe  pas  sous  la  perception  :  l'annmâna  et  le  çabda 
témoignent  de  son  existence,  et  aucun  pramâna  ne  saurait 
prouver  son  inexistence.  Enfin,  et  ceci  enveloppe  une 
condamnation  virtuelle  de  l'atomisme,  la  combinaison  des 
éléments  ne  saurait  s'expliquer  sans  une  intervention  non 
seulement  démiurgique,  mais  créatrice,  car  tout  effet  intel- 
ligent suppose  une  cause  intelligente.  Ces  idées  font  si  bien 
irruption  dans  la  philosophie  sous  la  poussée  des  cultes  popu- 
laires, que  les  mêmes  auteurs  doivent,  après  avoir  appuyé 
d'arguments  leur  théologie,  s'opposer  aux  conclusions  par 
trop  exotériques  dont  la  dévotion  ambiante  voudrait  sur- 
charger la  philosophie,  par  exemple  à  l'idée,  peut-être  soli- 
daire de  certaine  doctrine  bouddhique,  qu'un  corps  serait 
nécessaire  à  l'absolu  pour  qu'il  pût  créer. 

Uddyotakara  introduit  le  Vaiçesika  dans  le  système 
naiyâyika,  qui  se  montre,  d'une  façon  générale,  plus  avide 
de  doctrines  vaiçesikas  que  le  Vaiçesika  n'était  porté  à  s'assi- 
miler le  Nyâya.  Il  désigne  Kanâda  par  l'épithète  de  rsi  suprê- 
me, paramarsi.  Dignâga  ayant  attaqué  Vâts37âyana,  Uddyo- 
takara prit  avec  une  extrême  vivacité  la  défense  de  la  logique 
naiyâyika,  et  ses  arguments  provoquèrent  plus  tard  une  ri- 
poste de  Dharmakirti  :  cette  émulation  entre  Bouddhistes 
et  Brahmanes  correspond  à  l'âge  d'or  de  la  logique  indienne. 


l'ère  des  grands  commentateurs  207 

L'intérêt  de  l'entrée  en  lice  d'Uddyotakara  consiste  en  ce 
qu'il  refuse  la  notion  idéaliste  de  connexion  indissoluble 
comme  nerf  du  raisonnement  démonstratif  (N.  vârt.  52-9). 
Avec  un  sens  très  sûr  des  exigences  et  des  limites  de  l'empi- 
risme, le  Naiyâyika  n'accepte  que  la  concomitance  régulière, 
au  sens  que  Stuart  Mill  donne  à  ce  terme.  Il  conteste  aux 
Bouddhistes  le  droit  de  fonder  l'inférence  sur  la  connexion 
indissoluble,  arguant  que  chez  eux  tout  se  lie  à  tout  de  cette 
manière.  Cette  allégation  est  moins  pertinente  que  la  pré- 
cédente; car,  de  ce  que  toute  opération  psychologique  est,  aux 
yeux  des  Bouddhistes,  une  synthèse,  il  ne  s'ensuit  point  que 
toute  synthèse  soit  nécessaire.  Avec  plus  de  justesse,  l'empi- 
riste  observe  que  la  concomitance  du  feu  et  de  la  fumée  ne 
va  pas  sans  exceptions  (N.  vârt.  53).  Quoiqu'il  manie  avec 
dextérité  l'ironie,  Uddyotakara  ne  se  prive  d'aucun  argu- 
ment, si  populaire  soit-il,  pour  appuyer  la  thèse  du  réalisme: 
à  cet  égard  il  ressemble  à  Kumârila,  auquel  il  prépare  la  voie 
en  amorçant  la  distinction  que  fera  le  mîmâmsiste,  de  deux 
espèces  de  perception,  avec  ou  sans  concours  de  la  pensée. 
Ajoutons  qu'il  participe  au  même  point  de  vue  populaire  par 
sa  profession  de  foi  théiste,  dont  il  est  redevable  à  son  affi- 
liation aux  Pâçupatas. 

Vâcaspatimiçra,  dont  nous  avons  déjà  signalé  la  sou- 
plesse d'esprit,  composa  non  seulement  un  commentaire  sur 
le  traité  d'Uddyotakara,  mais  un  Nyâyasûcinibandha  et  un 
Nyâyamtroddhnro,  deux  index  au  sûtra  de  Gotama.  Très 
informé  des  doctrines  de  Dharmakîrti,  cet  auteur  nous  en 
facilite  l'intelligence  par  la  précision  et  la  lucidité  ds  ses  inter- 
prétations. C'est  lui  qui  nous  apprend  qu' Uddyotakara  vise 
Dignâga;  qui  en  une  autre  circonstance  nous  transmet  le 
passage  mémorable  ou  Dharmakîrti  énonce  un  principe  véri- 
tablement kantien  (N.  v.  t.  127):  l'impossibilité  de  concevoir 
des  relations  indissolubles  autrement  que  par  des  synthèses. 


208  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

à  priori;  c'est  lui  qui  nous  montre,  chez  les  Vijnânavâdins, 
l'être  conçu  sous  forme  de  jugement  (sad  ityap'  vidhiiûpam, 
Tâtp.  338,  1).  Cette  claire  et  pénétrante  intelligence,  aiguisée 
par  la  meule  des  systèmes  les  plus  différents,  contraste  avec 
la  naïveté  subtile,  et  lourde  pourtant,  de  maints  autres  com- 
mentateurs. 


III.    Samkhya   et   Yoga.    Gaudapada,   Vyasa, 

Vâcaspatimiçra. 

Au  cours  de  la  période  envisagée  l'histoire  du  Sâmkhya 
n'est  marquée  que  par  des  commentaires  ("^)  sur  la  Sâm- 
khya-kâriklJ  dûs  l'un  à  Gaudapâda  {début  du  viii^  siècle),  le 
Bhâsya;  l'autre  à  Vâcaspatimiçra,  la  S.  fattvo-kaumud' 
(850). 

Le  commentaire  de  Gaudapâda,  qui  passait  naguère 
pour  l'original  de  la  version  chinoise  par  Paramârtha  (499-569) 
du  commentaire  de  la  «S.  kârikâ,  n'apparaît,  depuis  un  travail 
de  Takakusu,  qu'un  décalquB  lucide,  mais  simplifié,  du  texte 
de  Paramârtha. 

La  S.  tattva-kau'tnudï  fut  à  travers  l'histoire  le  prin- 
cipal commentaire  Sâmkhya.  Vâcaspatimiçra  y  fait  preuve 
de  sereine  objectivité;  sans  attaquer  ni  défendre  la  doctrine 
(sur  kâr.  51),  il  montre  à  quelles  difficultés  ou  objections 
répondent  les  stances.  Il  précise  ainsi,  à  propos  de  la  kâr.  II, 
l'attitude  réaliste  en  face  des  Yogâcâras;  à  propos  de  33,  la 
théorie  du  temps  en  opposition  à  celle  des  Vaiçesikas;  à 
propos  de  56,  il  discute  les  théories  des  Védântins,  des  boud- 
dhistes, des  Yoginssur  la  cause  première.  L'activité  vitale  bii 
paraît  résulter  non  du  manas  seul,  mais  aussi  de  l'ahamkâra 
et  de  la  buddhi. 


l'ère  des  grands  commentateurs  209 

Au  même  temps  appartiennent  les  deux  principaux  com- 
mentaires du  Yoga  :  le  Bhâsya,  attribué  à  Vyâsa  (yii^  ou 
viii^  siècle)  et  sa  glose,  le  Tattvavaiçâradï,  par  Vâcaspa- 
timiçra  ("*).  Quoique  ce  dernier  montre  ici  la  même  impar- 
tialité que  dans  ses  autres  œuvres,  son  vocabulaire  suffit 
souvent  à  témoigner  d'une  évolution  des  idées.  Ainsi,  quoi- 
qu'il ne  tende  pas  expressément  à  compléter  le  Yoga  par  la 
métaphysique  sâmkhya,  son  emploi  du  mot  vyakti  au  lieu 
du  terme  vrtti  atteste  une  assimilation  latente  du  citta  des 
Vogins  à  la  prakrti  dynamiquement  changeante  des  Sâm- 
khyas.  L'Européen  qui  chercherait  trop  obstinément,  à 
travers  de  semblables  œuvres,  des  traces  d'évolution  dog- 
matique, risquerait  souvent  de  faire  fausse  route;  contre  un 
tel  préjugé  nous  devons  nous  tenir  en  méfiance,  surtout  lors- 
qu'il s'agit  d'efforts  qui  procèdent  non  de  partisans  con- 
vaincus d'un  système,  mais  d'esprits  qui  s'appliquèrent,  en 
guise  de  gyinnastique  intellectuelle,  à  en  scruter  l'économie 
interne. 


IV.  Védanta.  Gaudapada  et  Çankara. 

Les  VIII®  et  ix®  siècles  marquent  l'apogée  du  Védânta. 
Gaudapada  en  offre  une  expression  sous  forme  d'une  suite 
de  la  Mândûkya  Upanisad,  la  Mândûkya  Kârikâ.  A  la  fin 
du  même  siècle  et  au  début  du  suivant  s'exerce  l'activité 
du  philosophe  qui  joua  peut-être  le  plus  grard  rôle  dans 
l'ensemble  de  la  spéculation  indienne,  Çankara.  La  doctrine 
de  ce  contemporain  de  Charlemagne  a  passé  non  seulement 
aux  yeux  d'un  Deussen,  mais  au  jugement  d'une  partie  con- 
sidérable de  l'intellectualité  indigène,  pour  avoir  éclipsé  de 
son  rayonnement  toute   doctrine   antérieure    ou    ultérieure. 

14 


210  inSTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

Elle  se  présente  sous  forme  de  commentaire  {Bhâsy a)  a,ux 
Brahmn  mtras.  Du  ix^  siècle  relèvent  d'autres  exposés 
brillants  de  la  pensée  védântique  :  la  Pancapâdikâ  de  Pad- 
mapâda,  la  Bhômatl  de  l'universel  Vâcaspatimiçra.  Signalons 
enfin,  au  début  du  x^  siècle,  un  autre  Bhâsya  des  sûtras 
dû  à  BKâskara   (^^^). 

Gaudapâda  se  relie  de  façon  étroite  à  la  pensée  Mâdhya- 
mika.  De  même  que  pour  Nâgârjuna  le  dharma  consista  à 
comprendre  que  tout  est  vacuité,  pour  ce  nouveau  Védântin 
une  profonde  compréhension  du  Véda  fait  apercevoir  en  tout 
simple  mirage.  «  Apparence,  la  disparition  et  la  naissance  ; 
mécréants  et  incroyants,  pures  apparences  ;  il  n'y  a  ni  escla- 
vage ni  affranchissement  :  voilà  la  suprême,  l'unique  sa- 
pience».  L'illusion  vient  de  l'acte  :  de  même  que  le  mou- 
vement imprimé  à  un  tison  dessine  des  lignes  droites  ou 
brisées,  «  un  mouvement  fait  que  la  pensée  apparaît  comme 
sujet  percevant,  comme  objet  perçu,  etc.  »  (4,  alâtaçânti)  : 
suggestive  métaphore  qui  fait  saisir  ce  qu'ont  de  commun 
le  relativisme  bouddhique  et  l'évotionisme  naturaliste  du 
Sâmkhya.  Mais  voici  la  distinction  qui  oppose  aux  Bouddhistes 
Gaudapâda  :  son  absolu,  d'ailleurs  non  moins  indéterminé 
que  le  vide,  c'est  l'âtman.  «  Il  s'objective  de  lui-même,  par 
sa  propre  mâyâ,  et  lui-même  se  perçoit  sous  forme  d'objets  ». 
Doctrine  qui  n'exclut  pas  un  certain  réalisme,  car  la  réalité 
ne  peut  être  que  bien  fondée,  étant  fondée  en  Dieu. 

/  C'est  ce  rudiment  de  réalisme  inhérent  au  Védânta  pri- 

mitif, qui  va  disparaître  dans  la  conception  çankarienne. 
Adversaire  acharné  de  l'esprit  bouddhique,  Çankara  trouve 
le  moyen  d'approcher  des  Mâdhyamikas  plus  encore  que 
Gaudapâda,  car  pour  lui  la  réalité  n'est  pas  même  la  fantas- 
magorie d'un  faiseur  de  prestiges  —  ceci  encore  aurait  une 
réalité  —  mais  l'illusion  de  l'ignorance  (avidyâ).  Mâyâ  ne 
désigne  plus  un  pouvoir,  comme  dans  la  vieille  notion  héritée 


l'ère  dEvS  grands  commentateurs  211 

des  temps  védiques,  puis  exploitée  par  les  religions  sectaires  ; 
ce  mot  connote  l'erreur  qui  n'existe  qu'autant  que  la  vérité 
se  trouve  méconnue,  mais  s'évanouit  devant  la  vérité  acquise 
("^).  Théorie  peu  nouvelle,  puisque,  quatorze  siècles  aupa- 
ravant, le  Bouddha  avait  proclamé  que  la  pseudo-réalité 
n'est  qu'ignorance.  Çankara  méritait  donc  qu'on  dénonçât 
son  «bouddhisme  déguisé  ))  (pracchanna  bauddha).  Pourtant  il 
n'était  pas  indigne  d'apparaître  comme  le  protagoniste  suprême 
de  l'esprit  brahmanique,  puisqu'il  professait  que  l'unique 
réalité  est  le  Brahman-âtman  des  Upanisads  et  des  Brâh- 
manas,  substance  des  Védas  comme  de  la  vie  universelle, 
patrimoine  révélé  de  la  caste  sacerdotale.  Au  ix^  siècle 
comme  aux  siècles  postérieurs,  le  triomphe  de  Çankara 
{Çankaravijaya)  est  un  symbole  autant  qu'un  fait:  selon 
la  tradition  indigène,  il  atteste  que  l'hérésie  a  été  confon- 
due, qu'elle  a  disparu  comme  l'ignorance  même;  au  juge- 
ment de  l'histoire,  il  établit  avec  évidence  que  le  Brah- 
manisme n'a  vaincu  le  Bouddhisme  qu'en  se  l'assimilant. 

La  théorie  de  la  double  vérité  marque  un  autre  emprunt 
au  Grand  Véhicule.  C'est  elle  qui  permet  à  Çankara  d'accep- 
ter, lorsqu'il  se  place  au  point  de  vue  exotérique,  la  tradition 
mîmâmsiste  et  l'objectivité  des  phénomènes;  comme,  lors- 
qu'il considère  la  vérité  absolue,  d' affirmer  que  seul  existe 
le  Brahman,  «  sans  second  »  (advaita),  c'est-à-dire  à  l'exclusion 
de  toute  autre  existence  ("').  Pour  le  vulgaire,  c'est  la 
théorie  de  l'acte  qui  renferme  le  vrai  :  l'accomplissement 
ponctuel  des  rites  assure  des  destinées  heureuses,  sous  la 
garantie  d'un  Dieu  personnel,  créateur  et  justicier.  Mais 
celui  qui  sait  passer  de  la  lettre  à  l'esprit  comprend  que  la 
transmigration  ne  se  surmonte  que  par  la  science  et  que  le  seul 
moyen  de  se  délivrer  consiste  à  faire  cette  découverte  :  «  Je 
suis  le  Brahman».  Le  théisme  peut  revendiquer  une  vérité 
appropriée  à  l'esprit  de  la  foule;  mais  il  n'y  a  d' adéquatement 
vrai  qu'un  monisme  absolu. 


212  HISTOIRE    DE   LA    PHILOSOPHIE   INDIENNE 

Physique,  psychologie  n'ont  donc  plus,  comme  chez 
Bâdarâyana,  la  portée  d'un  p a rimânavâchi ,  d'une  théorie  des 
transformations  réelles,  mais  simplement  la  valeur  d'un 
vivârtavâda,  théorie  des  fallacieuses  modifications  phénomé- 
nales. Toute  multiciplicité,  tout  devenir  ne  sont  qu'inexis- 
tence. Le  donné  n'est  pas  moins  faux  dans  cette  doctrine  qui 
admet  une  réalité  absolue,  que  dans  le  Bouddhisme  qui  se 
refuse  à  semblable  admission.  Les  catégories  ne  classent 
que  des  aspects  de  l'illusion.  Les  pramânas  n'ont  qu'une 
valeur  relative,  puisque  même  la  révélation  se  doit  prendre 
symboliquement.  Comme  il  n'existe  qu'une  substance,  il 
n'existe  qu'une  cause  :  à  peine  doit-on  l'appeler  cause,  puis- 
que ses  effets  ne  méritent  pas  le  nom  d'effets.  Non  seulement 
les  causes  secondes  ne  sauraient  passer  pour  des  causes,  mais 
aucun  événem.ent  n'est  imputable  à  la  cause  tout  court  : 
ainsi,  à  parler  non  par  mythes,  mais  avec  rigueur,  ces  com- 
mencements ou  ces  arrêts  du  mouvement  que  supposent  les 
systèmes  pour  expliquer  la  formation  et  la  destruction  alter- 
natives du  monde,  ne  sauraient  procéder  de  l'absolu,  et  par 
suite  ne  sauraient  se  produire.  Les  atomes  et  l'invisible  destin 
qui  les  meut,  pure  illusion  (II,  11  2,-17);  non  moins  illusoire, 
cet  esprit  empirique  auquel  le  consentement  presque  général 
des  darçanas  prête  la  dimension  atomique.  Le  vieux  réalisme 
des  prânas,  souffles  \àtaux,  s'efface,  puisque  le  vivant,  ou 
l'âme  individuelle,  jiva,  ne  possède,  en  tant  que  distinct, 
aucune  réalité.  Toute  fonction  psychologique  ne  présentant 
qu'une  valeur  phénoménale,  égale  à  zéro,  aucune  faculté 
naturelle,  même  disciplinée,  ne  saurait  aider  à  la  conquête 
de  l'absolu.  Aussi  cette  conquête  ne  se  peut-elle  effectuer 
par  étapes,  comme  le  supposait  l'idéalisme  bouddhique  :  il 
faut,  mais  il  suffit,  que  le  voile  tombe  pour  que  le  vrai,  non 
pas  soit  vu,  mais  resplendisse  dans  son  unicité.  L'esprit,  du 
moins  en  tant  qu'absolu,  n'est  point  instrument  de  connais- 


l'ère  des  grands  commentateurs  213 

sance,  mais  connaissance  même  :  au  même  titre  qu'on  parle 
de  la  splendeur  du  vrai,  il  faut  reconnaître  la  vérité  de  la 
splendeur. 

Malgré  son  simplisme  qui  marque,  en  un  sens,  le  retour 
aux  thèses  peu  élaborées  des  Upanisads,  en  un  autre  sens  des 
attitudes  conciliatrices  envers  les  cultes  populaires  et  même 
hérétiques,  la  doctrine  de  Çankara  jouit  d'un  prestige  sans  égal. 
On  eut  tort  naguère  de  croire  que  la  pensée  de  l'Inde  se  rédui- 
sait à  l'énoncé  d'un  tel  système,  mais  sa  prépondérance 
spéculative  est  un  fait.  Inapte  à  découvrir  des  thèses  nou- 
velles, trop  traditionaliste  pour  renoncer  aux  thèses  an- 
ciennes, la  réflexion  ultérieure  ou  bien  s'alimentera  au  Védânta 
de  Çankara,  ou  bien  fera  rétrograder  la  doctrine  à  telles  de 
ses  formes  antérieures,  en  l'accommodant  selon  des  proportions 
diverses  aux  religions  sectaires.  Mais  avant  que  nous  pour- 
suivions cette  histoire  du  Védânta,  nous  devons  marquer 
par  quelles  vicissitudes  passèrent,  parallèlement  à  l'évolu- 
tion du  Bouddhisme  et  du  Brahmanisme,  les  darçanas  hété- 
rodoxes. 


SEPTIÈME   PARTIE 
LA  PENSÉE  DES   DARCANAS   HÉTÉRODOXES 


Nous  entendrons  par  darçanas  hétérodoxes  d'une  part 
le  înatérialisme  pur,  doctrine  des  Cârvâkas;  d'autre  part  la 
secte  des  Jainas,  dont  la  doctrine  est  comme  intermédiaire 
entre  cette  dernière  et  celle  des  Bouddhistes. 


I.    Les   Garvakas. 

Nous  avons  indiqué,  à  propos  de  la  plus  haute  antiquité, 
la  place  qu'occupent  les  matérialistes,  non  seulement  comme 
critiques  de  la  religion  védique,  mais  comme  doctrinaires 
qui  imposèrent,  dans  une  large  mesure,  leurs  vues  aux  Jainas, 
aux  Sarvâstivâdins,  aux  Sâmkhyas,  aux  Vaiçesikas.  Ces 
divers  systèmes  reconnaissent  au  matérialisme  une  vérité 
partielle  :  quoique  en  des  sens  différents,  ils  accordent  une 
autonomie  à  l'esprit  comme  distinct  de  la  matière,  ils  admet- 
tent pour  les  faits  de  la  nature  des  explications  homogènes 
à  celles  des  Cârvâkas.  On  ne  saurait  donc  exagérer  l'impor- 
tance historique  du  matérialisme,  comme  prototype  du 
réalisme,  avant  que  fût  imaginée  la  possibilité  d'un  réalisme 
intellectualiste  tel  que  celui  des  dharmas  chez  les  Bouddhistes. 
Or  les  tendances  matérialistes  n'ont  pas  seulement  agi  de 
façon   diffuse,   elles   ont   suscité   un   système   propre,    dont 


DARÇANAS    HETERODOXES  215 

révolution  demeure  presque  entièrement  ignorée,  mais  dont  il 
existe,  à  défaut  de  sûtras  et  de  bhâsyas,  des  exposés  cohé- 
rents ("^). 

L'origine  de  cette  pensée  est  imputée  soit  au  démiurge 
védique  Brhaspati,  soit  à  un  auteur  de  ce  nom  :  suprême 
ironie  pour  une  inspiration  qui  ne  cessa  d'exercer  sa  verve  sar- 
castique  au  détriment  de  l'autorité  desVédas.  Bârhaspatyas 
équivaut  donc  aux  termes  de  Lokâyatas  ou  de  Cârvâkas,  dont 
nous  avons  rendu  compte  (Sup.  Il,  2,  2).  U ArthaçTistra  de 
Kautilya,  que  la  tradition  fait  remonter  à  300  avant  notre  ère, 
considère  comme  des  variétés  d'âwvîksikl,  outre  le  Sâmkhva 
et  le  Yoga,  le  système  lokâyata.  L'un  au  moins  des  Tîrthikas 
des  VII®  ou  vi®  siècles  avant  notre  ère,  Ajita  Keça-kambali, 
énonce  déjà  un  explicite  matérialisme.  «  L'être  humain  est 
fait  de  quatre  éléments  (caturmahâbhiïtika).  A  sa  mort  le 
terrestre  revient  à  la  terre,  le  fluide  à  l'eau,  la  chaleur  au 
feu,  le  soufïle  à  l'air  et  ses  facultés  (indriyâni)  à  l'âkâça» 
(Sîîtrakrtânga,  II,  1,  15).  Le  Mahâbhârata,  en  maints  pas- 
sages, mentionne  les  insensés  (abuddhâh)  qui  tiennent  l'âme 
pour  périssable  (III,  209,  27)  parce  qu'ils  ne  la  distinguent 
pas  du  corps  (26  et  XII,  218,  16);  un  certain  Bharadvâja 
expose  à  l'orthodoxe  Bhrgu  uns  théorie  de  la  vie  résultant 
du  consensus  des  organes  (XII,  186  et  187),  et  cette  thèse 
alimente  bien  des  discussions  entre  Bouddhistes  du  Petit 
Véhicule,  dont  l'écho  se  retrouve  dans  le  Milinda  Praçna. 
Plus  tard,  tout  darçana  engage,  chacun  à  sa  façon,  une 
polémique  contre  les  matérialistes,  ne  fût-ce  que  pour  pro- 
tester contre  leur  mépris  de  la  révélation.  Enfin  les  tardifs 
exposés  systématiques  de  la  pensée  indienne,  le  Sadçadar- 
nasamiiccaya  de  Haribhadra  (x^  siècle)  et  le  Sarvadarça- 
nasamgraha  de  Mâdhava  (1380)  fournissent  des  analyses  du 
système.  Son  irréligion,  son  sensualisme,  sa  négation  du 
mérite  ou  du  démérite,  de  l'âme  et  de  l'autre  vie  :  autant  de 


216  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

thèmes  inépuisables,  mais  qui  ne  nous  intéressent  désormais 
que  par  l'argumentation  qu'ils  suggérèrent  contre  les  autres 
darçanas.  Cela  seul  a  varié  aux  différentes  époques. 

La  théorie  matérialiste  de  la  connaissance  ne  se  signale 
pas  par  un  simple  succès  de  scandale;  elle  fait  valoir  des  argu- 
ments d'une  réelle  originalité.  Les  orthodoxes  eurent  aisé- 
ment gain  de  cause  en  reprochant  aux  Cârvâkas  de  démon- 
trer par  raisonnement  que  le  raisonnement  ne  procure  pas 
la  vérité,  ou  que  la  perception  seule  fournit  des  connaissances 
valides  (ex  :  Sâmkhya  sûtras).  Mais  les  Cârvâkas  dénoncent 
avec  sagacité  la  difficulté  —  pour  eux  l'impossibilité  —  de 
préciser  une  connexion  logique  universelle  et  nécessaire 
(vyâpti)  :  négation  symétrique  de  l'affirmation  inverse  chez 
Dignâga.  Un  tel  nexus,  par  exemple  celui  qui  existerait  entre 
le  feu  et  la  fumée,  échappe  à  la  perception;  il  ne  se  dérobe  pas 
moins  à  l'inférence,  car  une  connaissance  universelle  irait  à 
l'infini  sans  jamais  se  réaliser;  le  témoignage  (çabda)  ne  le 
procure  pas  davantage,  puisqu'il  suppose  un  raisonnement, 
ni  la  comparaison  (upamâna),  puisque  nous  ne  pouvons 
prouver  que  la  correspondance  des  noms  et  des  choses  vaut 
sans  exceptions.  Nul  doute  qu'une  telle  argumentation  soit 
contemporaine  des  discussions  suscitées  par  l'application  à 
la  logique  de  l'idéalisme  bouddhique. 

La  négation  de  tout  pramâna  autre  que  le  pratyaksa, 
qu'il  faut  ici  traduire  non  perception,  mais  sensation  brute, 
entraîne  diverses  conséquences.  Si  quelque  chose  existait 
en  dehors  de  ce  qu'atteignent  les  sens,  «  il  faudrait  admettre 
comme  possible  qu'un  lièvre  eût  des  cornes^  et  une  mère 
stérile,  un  fils».  L'objet  inféré  se  trouve  par  là  non  moins 
illusoire  que  le  suprasensible  —  tel  que  les  Yogins  S3  flattent 
d'en  obtenir  —  ou  que  le  révélé,  tel  que  la  pseudo- vérité  reli- 
gieuse. Une  anecdote  joue  à  cet  égard  le  rôle  d'une  démons- 
tration.  Certain  époux  matérialiste  d'une  femme    idéaliste 


DARÇANAS    HÉTÉRODOXES  217 

prouve  à  sa  moitié  que  l'inférence  est  trompeuse,  en  donnant 
à  croire  à  ses  voisins  qu'un  loup  laissa  des  traces  sur  la  route 
poussiéreuse  :  il  avait,  par  le  moyen  du  pouce,  de  l'index  et 
du  médius  habilement  croisés,  imité  les  pas  de  l'animal 
(Sad.  VI,  Muséon  IX,  283-4).  Raisonnement  de  médiocre 
valeur,  car  une  induction  erronée  ne  prouve  pas  l'invalidité 
de  toute  inférence;  mais  raisonnement  plsin  d'enseignement, 
car  au  jugement  des  Lokâyatas,  comme  pour  les  artificia- 
listes  de  notre  xviii^  siècle,  croire  à  la  vérité,  à  une  religion, 
c'est  se  laisser  duper  par  d'aussi  grossières  machinations, 
mises  en  œuvre  par  les  charlatans  du  «truc  du  dharma» 
(dhârmikacchadma  dhûrtâh).  De  cette  expression  caracté- 
ristique dérive  sans  doute  le  nom  d'une  des  écoles  entre 
lesquelles  se  seraient  répartis,  assez  tardivement,  les  Cârvâkas  : 
Dhiïrtas,  les  artificieux,  et  Suçiksitas,  les  bien  stylés. 

L'opposition  de  ces  deux  groupes  se  dessine  à  propos  de  la 
façon  dont  existent  les  phénomènes  psychologiques.  Les  pre- 
miers se  contentaient  de  nier  l'autonomie  del'âme  ou  del'esprit, 
simple  résultante  de  mouvements  matériels;  les  seconds  pro- 
fessaient que  l'âme  possède  une  certaine  existence  jusqu'à  ce 
que  la  décomposition  du  corps  la  dissolve.  Dans  un  cas,  elle 
n'est  rien  qu'illusion,  dans  l'autre  elle  est  épiphéno mène  doué 
d'une  réalité  relative.  En  chaque  hypothèse,  faute  de  survie, 
aucune  transmigration  ne  peut  être  envisagée  :  à  cet  égard 
les  opinions  cârvâkas  semblent  insolites  dans  le  milieu  indien. 
Cependant  les  secondes  étaient  très  proches  des  pudgalavâdins 
hïnayânistes,  négateurs  de  l'âtman  substance,  mais  partisans 
d'un  esprit  empirique  formé  par  l'agglomération  de  skandhas; 
les  premiers  tout  voisins  des  Sâmkhyas  qui,  si  l'on  fait  abstac- 
tion  des  purusas  absolus,  expliquent  la  pensée  par  des  fonc- 
tions naturelles,  inhérentes  à  la  matière.  Sous  ce  biais  un 
Cârvâka  est  l'antithèse  exacte  d'un  Védântin,  puisque  l'un 
considère  l'absolu  comme  matériel  et  l'esprit  comme  illusoire, 


218  HISTOIRE    DE   LA   PHILOSOPHIE   INDIENNE 

et  que  l'autre  tient  pour  illusoire  tout  sauf  l'âtman.  A  la  faveur 
de  ces  oppositions  si  tranchées  le  matérialisme  se  perpétua 
non  seulement  par  le  zèle  de  ses  adeptes,  mais  comme  attitude 
spéculative  en  fonction  de  laquelle  chaque  autre  système 
précisait  volontiers  son  point  de  vue.  On  s'en  convaincra  en 
prenant  connaissance,  par  exemple,  des  arguments  par  les- 
quels les  Nyâya  sûtras  défendent  l'autorité  du  Véda  contre 
les  matérialistes  (II,  1,  56-67),  ou  de  ceux  par  lesquels  les 
Sômkhya  sûtras  (111,20-22;  V,  129)  ouïe  Sânikliya-pravacana 
bhôsya  (216-218)  maintiennent  contre  les  Cârvâkas  le  bien- 
fondé  d'un  Esprit  absolu. 


II.  Le  Jainisme   médiéval. 

Le  Jainisme,  dont  la  pensée  nous  parut  symptomatique 
des  premières  ébauches  de  la  pliilosophie  indienne,  se  per- 
pétua jusqu'à  nos  jours  parmi  des  fidèles  en  nombre  fort 
restreint,  mais  très  attachés  à  leur  enseignement  primitif. 
Pour  cette  secte  plus  encore  que  pour  toute  autre  l'histoire 
dogmatique,  comme  les  vicissitudes  religieuses  de  la  commu- 
nauté, nous  demeurent  ignorées,  non  cjue  ces  documents 
fassent  défaut,  mais  parce  que  leur  défrichement  est  à  peine 
ébauché  ("^). 

Nous  savons  que  le  canon  desÇvetâmbaras,  seul  conservé, 
s'élabora  avant  l'ère  chrétienne,  parallèlement  au  canon 
hinayâniste,  mais  qu'il  subit  des  remaniements  du  iii^  au 
v^  siècle.  Hâtons-nous  d'ajouter  que  ces  modifications  ne 
prirent  pas  l'ampleur  de  celles  qui  transformèrent  le  Boud- 
dhisme primitif  en  Grand  Véhicule.  Quoique  le  Jainisme 
se  soit  construit  une  philosophie,  dont  nous  avons  trouvé 
les  principes  dans  l'ouvrage  d'Umâsvâti,  jamais  il  ne  perdit 


DARÇANAS   HÉTÉRODOXES  219 

le  goût  de  son  ascétisme  originel  pour  se  muer  en  pure  gnose  : 
aucune  spéculation  abstraite  ne  se  spécifia  comme  dans  le 
Bouddhisme  l'abhidharma,  et  jamais  ne  se  constitua  un  Ma- 
hâyâna  jaina. 

Par  contre  l'esprit  de  secte  s'est  développé  à  ce  point  à  l'in- 
térieur des  deux  traditions  çvetâmbara  et  digambara,  qu'elles 
tendent  chacune  à  posséder  en  propre  non  seulement  leurs  textes 
religieux,  mais  même  leur  littérature  quasi-profane.  Rien 
ne  montre  mieux  que  cet  exemple,  combien  garda  toujours, 
dans  l'Inde,  un  caractère  religieux  la  littérature  qui  nous 
semble,  à  nous,  exclusivement  «  mondaine  »,  récits,  épopées, 
poésie.  Fables  ou  légendes  ne  passent  point  pour  d'arbitraires 
ouvrages  d'imagination  :  elles  revêtent  un  caractère  ou  bien 
moral,  et  cela  les  intègre  à  un  système  religieux,  ou  bien  vague- 
ment historique,  et  on  les  rattache  dès  lors  à  des  traditions 
vénérées.  Chaque  secte  indienne  veut  refléter  à  sa  façon,  en 
raccourci,  l'indianité  entière.  Ainsi  b  Trisastiçalâkapuni- 
sacarita  {vie  des  63  meilleurs  hommes),  d'Hemacandra,  et 
bien  plus  encore  leBâlabhûrata  d' Amaracandra  (xiii^  siècle), 
imiteront  le  MohTibhârata;  le  Paimiacan^a,  de  Vimala  Siïri 
et,  huit  siècles  plus  tard,  le  Râmacarita  d'Hemacandra  se 
calquent  sur  le  RTîmâyana.  Les  KatfiTinakas  transposent  les 
jâtakas  bouddhistes  ;  le  Yaçastilaka  dn  digambara  Soma- 
deva  (959)  prend  pour  modèle  la  Kâdambarî  deBâna;  lePârcuâ- 
bhyudaya  de  Jinasena  (^^")  démarque  le  Meghadûla  de  Kâli- 
dâsa;  Merutunga  (finxiv^  siècle)  fait  à  son  tour  un  Meghadûta. 
Des  purânas  spéciaux  s'élaborent  dans  les  deux  commu- 
nautés. Tenons-nous   en    à  la  production  philosophique. 

A.  Çvetâmbaras.  L'école  des  Çvetâmbaras,  dont  le 
centre  initial  est  le  Gujerat,  se  trouve  au  v^  siècle  favorisée 
par  la  possession  d'un  canon  très  riche  et  sa  réflexion  trouve 
une  base  dans  les  sîïtras  du  Tattvârth'âdigama,  qui  suscitent 
plusieurs  commentaires.  L'auteur  de  ce  traité  vivait  à  Pâta- 


220  HISTOIRE    DE   LA   PHILOSOPHIE   INDIENNE 

lipiitra,  qui  fut  ainsi,  avec  Valabhî,  un  foyer  de  Jainisme 
au  temps  des  Guptas.  A  ce  milieu  appartient  Siddhasena  Divâ- 
kara,  auteur  d'un  hymne  en  l'honneur  de  Pârçva,  le  Kalyôna- 
mandirastotra,  et  du  premier  ouvrage  de  logique  jaina,  le 
Nyâyâvntâra  Au  ix^  siècle,  sous  l'influence  des  logiciens 
bouddhiques  et  brahmaniques,  se  constitue  définitivement 
cette  logique  jaina,  grâce  à  Mallavâdin  et  surtout  à  Hari- 
bhadi-a,  auteur  de  V Anekântaja  ij apatakâ,  mais  auteur  aussi 
de  maints  ouvrages  brillants  ou  solides,  tels  la  Samarâiccakahâ 
en  prâcrit,  roman  religieux;  le  Dharmahindu,  traité  de  morale  ; 
le  Lokatattuanirnaya,  un  système  du  monde;  le  Saddarçana- 
samuccaya,  compendium  des  six  systèmes  (Bouddhisme, 
Nyâya,  Sâmkhya,  Vaiçesika,  Mimâmsâ,  Cârvâka)  (^^^). 
Plusieurs  de  ces  œuvres  étaient  assez  originales  pour  créer 
un  «  genre  »,  ainsi  la  dernière  servira,  au  xv^  siècle,  de  modèle 
à  Mâdhava,  comme  la  Samarâiccakahâ  fut  le  prototype  d'une 
BhavisatMkahâ  de  Dhanavâla.  Le  même  Haribhadra  pré- 
para, en  outre,  par  deux  ouvrages  importants,  l'avènement 
d'un  Yoga  jaina,  au  quel  l'avenir  destinait  des  développemsnts 
{Yogabindu,  Yogadrstisamuccaya).  D'origine  brahmanique,. 
ce  docteur  au  savoir  très  vaste  était  pour  la  secte  une  recrue 
d'importance;  mais  venu  à  la  foi  Jaina  pour  des  raisons 
spéculatives,  il  introduit  dans  l'école  une  sérénité  intellec- 
tuelle qui  contraste  avec  la  conviction  des  Jainas  antérieurs. 
A  cet  égard  il  appartient  à  la  même  famille  d'esprits  qu'un 
Vâcaspatimiçra,  son  contemporain,  dont  il  partage  l'aptitude 
à  pénétrer  de  façon  très  objective  des  systèmes  différents. 
Cette  tendance  sinon  à  l'éclectisme,  du  moins  à  ne  pas  s'enf  3r- 
mer  exclusievment  dans  un  système,  mais  à  en  approfondir 
plusieurs,  se  manifeste  encore  par  la  tendance  qu'éprouvent 
les  Jainas  de  ce  temps,  à  transposer  en  sanscrit  leur  canon 
et  à  rédiger  désormais  en  cette  langu3  savante,  mais  commune 
à  tous,  leurs  commentaires  :  à  ce  prix  la  secte  pouvait  béné- 
ficier de  toute  la  culture  indienne  et  d'autre  part  faire  valoir, 


DARÇANAS    HÉTÉRODOXES  221 

elle  aussi,  son  point  de  vue  propre  parmi  tous  les  darçanas 
en  concurrence.  Une  partie  de  l'œuvre  de  Haribhadra  s'y 
consacre,  comme  du  travail  de  son  contemporain  Çïlanka, 
commentateur  de  V  Acârâhga  et  du  Sûtrah'tanga.  Enfin 
un  disciple  ds  Haribhadra,  Siddharsi,  présente  en  906  la 
morale  et  la  métaphysique  sous  forme  de  récit  allégorique 
comparable  à  certains  ouvi'ages  de  notre  Moyen  Age,  1'  Vpa- 
'rnitibhavaprapanco,    Katha. 

Le  X®  siècle  ne  donna  naissance  qu'à  des  talents  de 
second  ordre  ;  Dhanapâla  et  son  frère  qui  le  convertit,  Çobhana, 
introduisent  le  maniérisme  celui-ci  dans  la  métrique,  celui-là 
dans  le  style;  Abhayadeva,  au  xi^  siècle,  n'est  guère  qu'un 
commentateur.  Mais  au  xii^  apparaît  un  des  plus  grands 
noms  du  Jainisme,  Hemacandra  (1089-1173).  Ce  moine 
qui  capta  au  bénéfice  de  ses  coreligionnaires  les  faveurs  d'un 
souverain  du  Gujerat,  fut  un  pplygraphe  de  grande  fécon- 
dité. Outre  un  Bâmacarita  déjà  mentionné,  il  composa  des 
hagiographies  légendaires  du  Jina  {Mahâvïracaritra,  Triças- 
tiçalâkâpurusacarita,  X),  des  vieux  maîtres  appartenant 
soit  à  la  secte,  soit  au  bagage  commun  de  l'hindouisme — Cakra- 
vartins,  Vâsudevas,  Balade  vas,  Visnudvisas:  même  une  sorte 
d'histoire  des  premiers  Jainas  {Pariçistapai'van  =  Sthavi- 
ravalicarita,  append.  de  l'ouv.  précédent).  Son  hymne  au 
Jina,  Yïtaragastuti,  renferme  un  exposé  du  système 
assez  pénétrant  pour  avoir  suscité,  un  siècle  plus  tard, 
un  commentaire  du  logicien  Mallisena,  la  Sy'âdvâdamanjan 
(1292).  Son  Yogaçâstra  parachève  le  Yoga  Jaina,  qu'avait 
fondé  naguère  le  seul  docteur  digne,  dans  la  secte,  d'être 
mis  en  parallèle  avec  Hemacandra,  Haribhadra.  Prabhâ- 
■candra  publia,  vers  1250,   une  biographie   d'Hemacandra. 

Les  communautés  du  Sud  connurent  la  persécution  de 
souverains  çivaïtes,  vers  le  milieu  du  vii^  siècle;  celles  du 
Nord  furent  ravagées    par    l'invasion    musulmane.    Au  xv^ 


222  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

siècle  Gunaratna,  Jinakirti  ne  furent  que  des  commen- 
tateurs. 

B.  Digambaras.  —  La  secte  adverse  ne  saurait  s'honorer 
d'illustrations  comparables  à  Haribhadra  et  Hemacandra; 
dans  son  hostilité  contre  le  canon  çvetâmbara  perce  l'ani- 
mosité  d'une  école  moins  intellectuelle  envers  une  école  plus 
spéculative.  Dès  leur  plus  lointaine  origine,  les  Digambaras 
mettaient  leur  confiance  dans  la  valeur  intrinsèque  de  l'ascèse 
plus  énergique  ment,  plus  exclusivement  que  les  Çvetâmbaras; 
leur  isolement  —  tout  relatif  d'ailleurs  —  dans  les  contrées 
méridionales  les  séparait  davantage  des  centres  intellectuels 
de  l'Inde.  Ils  se  vantaient  d'avoir  eu  des  livres,  mais  reconnais- 
saient les  avoir  perdus  et  ne  cherchaient  guère  à  les  remplacer; 
peut-être  leur  fidélité  à  des  traditions  primitives  invérifiables 
puisque  disparues,  servait-elle  de  couvert  à  quelque  indif- 
férence dogmatique.  Aux  vi^  et  vn^  siècles  la  secte,  qui  vit 
surtout  au  Mysore  et  dans  le  sud  du  pays  marathe,  jouit  de 
la  protection  des  rois  Calukya. 

Du  v  au  x^  siècle  sont  composés  différents  ouvrages  qui 
alimenteront  la  réflexion  ultérieure.  Kundakunda,  dès  avant 

•    •  •    • 

le  VII®  siècle,  enseigne,  en  prâcrit  dans  le  Pavayanasâra  la 
dogmatique,  en  sanscrit  dans  le  Niyamasâra  la  discipline 
de  la  secte;  il  professe  une  physique  fondée  sur  cinq  prin- 
cipes {Pancâstikây a).  Samantabhadra,  au  début  du  vii^ 
siècle,  commente  le  Tattvârthâdhigamasïltra  {Gandhahas- 
timahâbhâ sy a)  et  dans  l'introduction  à  cette  glose  {Aptaml- 
mâmsâ  (^^^),  expose  déjà  la  doctrine  du  syâdvâda  que  devaient 
développer,  dans  leurs  œuvres  logiques,  Haribhadra  et  Malli- 
sena.  Prabhâcandra  qui,  comme  naguère  les  parents  du  Jina, 
pratiqua  le  suicide  par  inanition,  composa  des  écrits  logiques 
témoignant  de  la  connaissance  de  Dharmakîrti  {Ny^yaku- 
mudacandrodaya,  Pramey akamalamârtanda). 


DARÇANAS    HÉTÉRODOXES  223 

Au  x^  siècle,  la  littérature  digambara  (^^^)  paraît  pour 
une  grande  part  en  langage  du  pays  de  Kanara.  Amrta- 
candra,  qui  commente  divers  ouvrages  de  Kundakunda, 
condense  les  siîtras  d'Umâsvâti  dans  le  Tattvârthasâra  et 
enseigne  les  moyens  de  réaliser  la  pure  spiritualité  dans  son 
Purusârthasiddhyupâya.  Nemicandra  composa  un  Dravya- 
samgraha  et  un  Trilokasâra  qui  rssteront  classiques.  Sakala- 
kirti  au  xv^  siècle,  Çubhacandra  au  xvi^  siècle  donnèrent 
encore,  conformément  à  la  tradition  jaina,  des  biographies 
de  personnages  révérés  par  la  secte,  des  hymnes  laudatifs. 
Ainsi  se  poursuit  jusqu'aux  temps  modernes  une  vie  reli- 
gieuse qui  ne  semble  pas  menacée  d'extinction,  puisque  de 
nos  jours  encore  le  Jainisme  a  ses  âcâryas  et  des  sâdhus  —  tel 
ce  Vijayadharmasiiri  qui,  par  son  désintéressement,  sa  charité, 
sa  science,  a  gagné  le  nirvana  le  5  septembre  1922  (^^^). 


* 
* 


Comparée  à  celle  du  Bouddhisme,  la  fortune  historique 
du  Jainisme  est  médiocre.  Peut-être  la  secte  doit-elle  à  cette 
médiocrité  sa  persistance;  elle  lui  doit  surtout  une  adhésion 
exceptionnellement  stricte  à  des  idées,  à  des  mœurs  archaï- 
ques. A  peine  signalerait-on  quelques  modifications  du  dogme, 
à  l'intérieur  de  cette  tradition  qui  s'étend  d'Umâsvâti  à  nos 
jours.  Sous  l'influence  concordante  de  l'âdibuddha  des  Boud- 
dhistes et  de  l'Atman  védântique,  une  sorte  d'arrière-fond 
théologiquG  ou  ontologique  faillit  s'introduire  dans  la  doc- 
trine, entre  les  vue  et  x^  siècles.  Mais  la  tradition  y  répugnait: 
la  secte  ne  vénéra  jamais  aucune  divinité,  du  moins  à  l'égal 
des  Tîrthamkaras  ;  elle  demeura  donc  plus  fidèle  à  se  principes 
que  le  Bouddhisme.  Le  Jaina  qui  emploie  le  plus  de  termes 
védântiques,  Çriyogindra,  n'a  précisément  écrit  son  Para- 
mâtma-prakâça  que  pour  réfuter  le  théisme.  La  soudure 
établis  entre  le  Jainisme  et  le  Yoga  par  Haribhadra  et  Hema- 


224  HISTOIRE    DE   LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

candra  doit  sa  solidité  à  une  communauté  de  postulats,  sur- 
tout à  une  commune  confiance  en  la  valeur  de  l'ascétisme. 
Pourtant  cette  soudure  reste  accidentelle  :  il  est  certes  remar- 
quable qu'elle  ait  été  préconisée  par  les  deux  hommes  supé- 
rieurs du  Jainisme  médiéval,  mais  il  est  caractéristique  aussi 
que  ni  l'un  ni  l'autre  n'ait  réussi  à  l'introduire  dans  la  doctrine 
courante. 

Le  seul  biais  peut-être  sous  lequel  le  Jainisme  ait  pro- 
gressé à  partir  du  v^  siècle,  est  son  esprit  logique.  Jamais 
l'éristique  n'a  sévi  dans  le  Jainisme  comme  dans  le  Bouddhis- 
me; quand  le  digambara  Amitagati,  en  1014,  fait,  dans  la 
Dharmapariksâ,  une  apologie  de  sa  foi  contre  brahmanes  et 
mahayânistes,  il  recourt  moins  à  des  arguments  qu'à  des 
paraboles  ou  légendes  :  il  dénonce  par  exemple  ce  scandale 
théologique,  l'immortalité  des  dieux,  ou  ce  scandale  social,  l'ins- 
titution des  castes.  Est-ce  avec  des  armes  de  ce  genre  qu'au 
xii^  siècle  le  logicien  Devabhadra  réduisit  à  quia  le  digam- 
bara Kumudracandra  dans  un  tournoi  oratoire  sur  la  ques- 
tion du  salut  des  femmes  ?  Toujours  est- il  qu'en  aucun  temps 
les  Jainas  ne  furent,  comme  les  Bouddhistes  des  sept  ou 
huit  premiers  siècles,  des  sophistes.  Ils  possédaient  une  foi 
trop  simphste,  une  doctrine  trop  peu  relativiste  pour  être 
voués  à  la  dialectique.  S'ils  construisirent  une  logique,  c'est 
contraints  par  la  nécessité  de  revêtir  la  même  armature 
qu'assumaient  tous  les  systèmes,  de  même  que  s'ils  adoptèrent 
la  langue  sanscrite,  ce  fut  pour  se  faire  comprendre  des  doc- 
teurs brahmaniques.  D'ailleurs  la  logique  par  eux  conçue 
est  fort  singulière. 

Une  théorie  du  raisonnement  à  dix  membres  paraît  fort 
ancienne,  car  on  la  rencontre  dans  le  Daçavaikalikaniryukti, 
attribué  à  Bhadrabâhu  (vers  300  av.  J.-C),  ainsi  conçue  : 

1.  Le  respect  de  la  vie  est  la  vertu  suprême  (pratijnâ, 
assertion)  ; 


DARÇANAS    HETERODOXES  225 

2.  Le  respect  de  la  vie  est  la  vertu  suprême  selon  les 
écritures  jainas  (pratijnâ-vibhakti,  spécification  de  l'asser- 
tion) ; 

3.  Parce  que  ceux  qui  respectent  la  vie  sont  aimés  des 
dieux  et  qu'il  est  méritoire  de  les  honorer  (hetu,  raison)  ; 

4.  Ceux  qui  agissent  ainsi  sont  les  seuls  qui  puissent 
vivre  la  plus  haute  vertu  (hetu-vibhakti,  spécification  de  la 
raison)  ; 

5.  Mais  même  en  portant  atteinte  à  la  vie  d' autrui  on 
peut  prospérer;  et  même  en  méprisant  les  Ecritures  jainas  on 
peut  acquérir  du  mérite  :  tel  est  le  cas  des  brahmanes  (vipaksa, 
contre-partie,  objection)  ; 

6.  Non  :  ceux  qui  méprisent  les  Ecritures  jainas  ne  sau- 
raient être  aimés  des  dieux  et  mériter  d'être  honorés  (vipaks- 
pratisedha,  rejet  de  l'objection)  ; 

7.  Les  arhats  reçoivent  de  la  nourriture  des  maîtres  de 
maison,  car  ils  ne  cuisent  pas  leurs  aliments,  de  peur  de  tuer 
des  insectes  (drstânta,  exemple); 

8.  Cependant  peut-être  les  péchés  des  maîtres  de 
maison  atteignent- ils  les  arhats,  pour  qui  sont  cuits  les  ali- 
ments ?  (âçankâ,  scrupule); 

9.  Non  :  car  les  arhats  arrivent  inopinément  dans  les 
maisons  (où  ils  inendient)  :  la  cuisson  des  aliments  n'a  pas 
été  faite  à  leur  intention  (âçankâ-pratisedha)  ; 

10.  Le  respect  de  la  vie  est  donc  la  vertu  suprême  (nai- 
gamana,  conclusion,  résultat). 

Il  serait  aventureux  de  chercher  un  rapport  entre  cette 
forme  de  raisonnement  et  la  logique  ultérieure  de  Jainas  tels 
que  Siddhasena  Divâkara  (Nyâyâvatâra,  533),  Haribhadra 
(ix^  siècle,  Anekâyitajayapatakâ),  Candraprabha  (xi^  siècle, 
Prameyaratnakoça),    Devasûri    (xii®    siècle,     Pramânayiaya- 

15 


22G  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

t<(ttvnloh-âlfi.mknr(i)y  JVIallisena  (fin  xv^  siècle,  SyûdnTïda- 
mnnjrirl)  (^^^).  Pourtant  cette  multiplicité  d'aspects  sous 
Issquels  apparaît  le  sujet  semble  un  pressentiment  de  la 
doctrine  commune  à  ces  logiciens  médiévaux,  en  vertu  de 
laquelle  les  choses  comportent  différents  points  de  vue  {)inyn) 
et  non  pas  un  seul  {artekânto).  En  conséquence  deux  affir- 
mations contraires  peuvent  se  trouver  vraies  d'un  même 
objet,  selon  la  face  que  l'on  considère.  A  vrai  dire  sept  inter- 
prétations se  laissent  concevoir  :  autant  d'hypothèses,  de 
peut-être  {>^y7id)  qui  étreignent  le  donné.  Voici  ce  raisonne- 
ment septénaire  : 

1'*  hyp.  :  la  chose  est  (syâd  asti).  Ex.  :  une  rose  existe. 

2®  hyp.  :  la  chose  n'est  pas.  Une  rose  n'est  pas,  si  ce  qui 
existe  est  une  cloche  (syân  nâsti). 

3^  hyp.  :  la  chose  est  et  n'est  pas.  Une  rose  est  en  ceci 
et  n'est  pas  en  cela  (syâd  asti  nâsti). 

4^  hyp.  :  d'un  certain  point  de  vue  il  est  impossible  de 
décrire  la  chose.  Par  exemple  du  point  de  vue  de  l'exégèse 
védique   on  ne   saurait   décrire  une   rose    (syâdavaktavya). 

5^  hyp.  :  la  chose  est,  et  on  ne  peut  la  décrire.  Ceci 
combine  1  et  4  (syâd  asti  ca  avaktavya). 

6^  hyp.  :  la  chose  n'est  pas  et  on  ne  peut  la  décrire.  Ceci 
combine  2  et  4  (syâd  nâsti  ca  avaktavya). 

7*^  hjrp.  :  la  chose  est  et  n'est  pas,  et  on  ne  peut  la  dé- 
crire. Ceci  combine  1,  2  et  4  (syâd  asti  ca  nâsti  ca  avaktavya). 

Cette  sorte  de  questionnaire  posé  à  l'objet  procède  d'une 
conception  foncièrement  réaliste,  qui  attribue  à  la  chose  même, 
non  à  des  biais  inhérents  à  nos  attitudes  subjectives,  les  mo- 
dalités du  connu.  Dans  ce  dogmatisme  objectiviste,  les  rela- 


DARÇANAS    HÉTÉRODOXES  227 

tions  ont  une  réalité,  mais  au  lieu  d'exprimer  des  synthèses 
à  priori,  comme  dans  l'idéalisme  bouddhique,  ou  une  adap- 
tation de  l'esprit  aux  choses,  comme  dans  l'épistémologie 
brahmanique,  elles  existent  en  fait  dans  les  choses  mêmes. 
Cette  logique  si  particulière  rejoint  donc,  quoique  nouvelle, 
l'antique  et  naïf  réalisme  jaina. 


HUITIEME   PARTIE 

LA   PENSEE    HlNDOUfSTE 

(xi®   -  xix*"  siècles) 


Nous  avons  montré,  dans  notre  quatrième  partie,  quelles 
transformations  subit  le  Brahmanisme  —  défini  à  l'origine 
par  l'héritage  de  la  tradition  védique  —  lorsqu'il  dut  s'adap- 
ter aux  cultes  populaires.  Pour  éliminer,  plus  encore  pour 
absorber  le  Bouddhisme  il  dut  ne  se  priver  d'aucun  concours, 
et  resserrer  son  union  avec  les  religions  sectaires,  qui  d'ail- 
leurs ne  s'étaient  guère  moins  imposées  aux  Bouddhistes 
saptentrionaux  qu'aux  brahmanes.  Une  fois  l'hérésie  extir- 
pée, l'esprit  brahmanique,  par  le  fait  même  de  sa  victoire, 
perdit  de  sa  vigueur  et  ne  se  laissa  que  davantage  envahir 
par  l'esprit  de  secte.  C^  syncrétisme  est  communément  dési- 
gné sons  le  nom  d'hindouisme  (^^^).  La  réalité  ainsi  dénommée 
est  bien  antérieure  à  la  période  relativement  moderne  qu'il 
nous  reste  à  parcourir,  car  le  Mnh^bhârata  nous  apparut  la 
première  production  de  ce  nouvel  esprit.  Mais  l'axe  du  monde 
indien  se  trouve  dévié  quand  les  compromis  entre  une  caste 
à  privilèges  et  des  religions  populaires  s'étant  à  tous  égards 
multipliés,  les  facteurs  brahmaniques  ne  gardent  guère  qu'une 
prééminence  nominale.  Ce  qui  prédomine  désormais  n'est 
point,  comme  jadis,  une  forme  intellectuelle  ou  sociale  aisé- 
ment définissable,  mais  au  contraire  une  bigarrure,  multipli- 
cité infinie  de  groupes,  d'églises,  de  chapelles,  et  variété  infinie 
de  recettes  pour  obtenir  le  salut.  Désorienté  en  face  de  ce 
chaos,  l'esprit  européen  voudrait  le  réduire  à  quelques  types 


LA    PENSÉE    HINDOmsTE  229 

d'un  classement  facile.  L'Inde  certes  lui  en  foiu'nit  les  élé- 
ments, par  exemple  en  discernant  Vaisnavas,  Çaivas,  Çâktas, 
etc.  ;  mais  elle  déconcerte  aussitôt  notre  besoin  de  clarté,  en 
montrant  que  ces  distinctions  admirent  en  fait  d'innom- 
brables adaptations  réciproques.  A  peine  ces  rubriques 
désignent-elles  des  données  différentes  :  dans  cette  exubé- 
rance de  formes  capricieuses,  abracadabrantes,  aucune  défi- 
nition n'est  vraie  que  si  aussitôt  on  la  nie. 

Un  caractère  cependant  s'impose  à  toute  cette  confusion  : 
caractère  religieux.  Les  philosophies,  certes,  ne  vont  pas 
disparaître,  mais  elles  sont  débordées  par  la  marée  montante 
d'aspirations  auxquelles  ne  saurait  donner  satisfaction  la 
sereine  connaissance  :  une  révolte  d'égalitarisme,  qui  reven- 
dique l'absolu  pour  tous,  immédiatement  et  au  prix  le  plus 
bas,  sans  qu'il  faille  l'acheter  par  de  la  spéculation  désinté- 
ressée, longuement  poursuivie  par  une  élite  intellectuelle;  un 
appétit  déchainé  pour  le  divin,  qui  doit  satisfaire  tous  les 
besoins  humains,  vils  ou  nobles  ;  une  impérieuse  prétention 
de  posséder  la  nature  entière  par  l'infaillible  usage  de  rites, 
non  plus  compliqués  et  dispendieux  comme  ceux  du  culte 
védique,  mais  à  la  portée  de  quiconque  et  à  l'efficacité  directe. 
Les  éléments  conceptuels  de  la  religion  cèdent  le  pas  aux 
facteurs  magiques  :  dès  lors  les  plus  idéalisés  retombent  au 
rang  des  plus  grossiers;  de  la  pensée  naguère  théorétique  à 
l'utilitarisme  brutal  de  la  religion  mise  au  service  de  fins 
concrètes,  une  osmose  s'établit,  qui  a  pour  résultat,  aux 
époques  les  moins  primitives,  un  retour  à  de  la  superstition, 
à  du  fétichisme.  Longtemps  comprimé  ou  refoulé  dans  les 
bas-fonds,  l'élément  dravidien  prend  sa  revanche;  les  géné- 
rations issues  du  mélange  des  castes,  loin  de  cacher  leur 
honte,  étalent  sans  pudeur  les  compromissions  dont  elles 
naquirent.  Jamais  réalisée,  l'unification  de  l'Inde  se  prépare 
non  plus  par  le  haut,  dans  la  prééminence  d'une  caste  sacer- 


230  HISTOlRli    DE    I,A    PlULOSOPHIE    INDIENNE 

dotale,  mais  par  le  bas,  dans  une  communion  de  pratiques  et 
d'idées  qui  s'imposent  à  tous. 

Cette  trouble  mixture  est  assez  complexe  pour  n'avoir 
même  pas  d'homogénéité  dans  la  confusion.  Elle  admet  une 
foule  de  degrés:  le  monothéisme  austère  des  Çaivas  régnant 
dans  le  Sud;  le  piétisme  dévot  des  Vaisnavas,  conforme  à 
l'émotive  sensibilité  des  peuples  du  Bengale;  l'extravagante 
fantaisie  des  légendes,  la  bizarrerie  des  cultes  çâktas;  la 
vénération  du  divin  sous  des  formes  hétéroclites:  comme 
lumière  solaire  dans  Sûrya;  comme  puissance  vitale  dans  le 
phallus,  linga,  ou  dans  l'organe  féminin,  yoni.  Mais  qu'elle 
se  porte  à  des  réalités  ou  à  des  symboles,  l'imagination  reli- 
gieuse se  met  au  service  moins  de  l'intelligence  soucieuse  de 
comprendre,  que  de  la  pratique  rituelle  féconde  en  résultats 
ijnmédiats  :  elle  vise  à  placer  le  fidèle  dans  cette  relation 
particulière  avec  son  dieu,  qui  est  l'adoration  (pûjâ,  upâsana). 
Dans  r ancien  brahmanisme  tout  était  sacrifice  :  désormais 
tout  vaut  pour  l'adoration,  sous  son  aspect  soit  extérieur,  la 
liturgie,  soit  intérieur,  la  prière  et  même  la  pensée.  La  vie 
ne  se  conçoit  que  comme  une  perpétuelle  ardeur  pour  la 
divinité  d'élection  (istadevatâ)  :  consommer  de  la  nourri- 
ture, réaliser  l'accouplement  c'est  adorer,  car  les  actes  accom- 
plis dans  une  certaine  intention,  disait  la  Gitâ,  ont  la  valeur 
de  rites  C^'').  L'aspect  le  plus  nouveau  de  ce  culte  se  trouve 
dans  le  rôle  qu'y  jou3  la  forme  féminine  de  la  divinité;  paral- 
lèlement, dans  l'allure,  ou  du  moins  T apparence  erotique  de 
certaines  cérémonies.  Ceci  donna  lieu  à  bien  des  méprises 
de  la  part  des  occidentaux,  qui  trop  souvent  préjugèrent  de 
l'obscénité  où  n'existait  qu'un  symbolisme  ;  autant  inter- 
préter par  des  penchants  à  l'ivrognerie  les  offrandes  de  liqueurs 
fermentées  !  Si  les  dieux  se  doublent  désormais  de  déesses; 
si  en  face  des  théismes  de  Visnu  et  de  Çiva  se  dresse  le  culte 
de  l'ogresse  Durgâ,  de  la  toute-puissante   et    hideuse   Kâli, 


LA    PENSÉE    HINDOUISTE  2'M 

si  proches  des  idoles  dravidiennes,  c'est  moins  sous  l'effet 
d'un  débordement  de  sensualité  que  par  suite  d'une  concep- 
tion récente  de  l'essence  divine.  Le  sens  commun,  réaliste, 
répugne  à  concevoir  un  absolu  transcendant,  extérieur  à  la 
nature,  contemplateur  abstrait  (ksetrajna)  d'un  monde 
inexistant.  Bien  plutôt  il  le  considère  comme  à  la  lettre 
jouissant  (bhoktar)  de  la  nature  et  la  fécondant.  L'univers  ne 
s'isole  pas  plus  de  Dieu  que  les  divines  puissances  ne  se 
séparent  de  son  essence  :  il  est  moins  l'effet  de  sa  création 
que  sa  force  même,  çakti.  Un  culte  qui  reposait  non  sur  de  la 
gnose,  mais  sur  de  l'efficacité  rituelle  devait  se  représenter  le 
réel  non  comme  vérité  abstraite,  mais  comme  énergie  absolue. 

De  semblables  idées,  quoique  insolites,  plongeaient  de 
profondes  racines  dans  le  milieu  indien.  L'exaltation  de  la 
conscience  individuelle  par  familiarité  avec  une  conscience 
supérieure,  base  de  toute  dévotion,  eut  pour  prototype  l'anti- 
que assiduité  de  l'étudiant  brahmanique  auprès  de  son  pré- 
cepteur, le  guru.  Après  ces  maîtres  qui  étaient  des  dieux,  les 
brahmanes,  vint  le  règne  des  dieux  qui  furent  des  seigneurs 
(îça,  içvara).  L'adoration,  upâsana,  hérite  de  la  docilité  res- 
pectueuse avec  laquelle  l'initié  recevait  l'enseignement  éso- 
térique,  l'upanisad.  La  prétention  de  commander  au  monde 
par  le  rite  dure  depuis  la  préhistoire,  qu'elle  mette  son  recours 
dans  le  marmottement  d'une  formule  comme  celles  des  Athar- 
vans,  mantra,  dans  une  mimique  des  doigts,  mudrâ  ;  ou 
dans  le  tracé  d'un  schéma  graphique,  yantra.  L'efïicacité  ma- 
gique des  poses  corporelles,  â?ana,  conviction  des  yogins, 
explique  beaucoup  de  manœuvres  mystiques,  si  bien  que  l'on 
peut  se  demander  si  le  rite  de  maithuna  ne  représentait  pas 
une  rssimple  application  à  la  sexualité  des  principes  du  Yoga, 
et  si  le  tantrisme  ne  serait  pas  un  Yoga  pratiqué  à  deux  ou  à 
plusieurs,  par  un  couple  ou  par  une  secte. 


2.32  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

Le  but  vers  lequel  convergent  religion  et  philosophie  se 
peut  définir  non  plus,  comme  naguère,  l'obtentior  de  l'absolu, 
ce  qui  supposait  un  idéal  tout  achevé,  auquel  tendrait  l'efFort 
humain  —  mais  la  réalisation  de  l'absolu.  Voilà  pourquoi  la 
connaissance  ne  satisfait  plus  aux  conditions  du  problème  : 
il  ne  s'agit  plus  de  reconnaître  l'inconditionné,  pour  se  m.ettre 
en  mesure  de  le  poursuivre;  il  faut  l'effectuer  par  la  vertu 
du  rite,  non,  comme  aux  temps  reculés  du  pur  Brahmanisme, 
au  prix  d'une  stricte  ponctualité  sacrificielle,  mais  moyennant 
un  effort  exercé  sur  nous-même  et  par  nous-mêmo  sur  le 
monde.  Le  zèle  du  Tântrika  s'apparente  donc  à  celui  des 
Yogins,  puisqu'il  tend  à  une  réalisation,  mdhana.  Mais  celui 
des  Çaivas  ou  des  Vaisnavas  ne  s'y  apparente  pas  moins, 
puisque,  selon  le  programme  de  la  Gltû,  il  veut  aboutir  à  faire 
que  l'homme  soit  yukta,  joint  à  l'absolu,  dans  la  mesure  où 
il  est  yukta,  joint  en  lui-même,  dans  la  discipline  et  la  con- 
centration de  ses  propres  énergies.  Sur  la  solution  dévote  ou 
piétiste  le  Mahâhhârata  et  d'autre  part  le  Bodhicaryâvatâra 
nous  ont  donné  des  clartés.  Mais  la  solution  nouvelle,  celle 
des  Tântrikas  ou  des  Çâktas,  doit  être  signalée   C^). 

De  même  que  dorénavant  la  réalité  du  monde,  fondée  en 
l'absolu,  ne  fait  guère  de  doute,  le  corps  apparaît  moins  comme 
une  entrave  au  salut.  Les  fonctions  qui  président  à  l'entretien, 
à  la  propagation  de  la  vie,  étant  naturelles,  n'ont  rien  de  cou- 
pable. A  quelle  distance  sommes-nous  de  la  mentalité  boud- 
dhique! Le  sâdhana  unit  Purusa  et  Prakrti,  le  masculin  et  le 
féminin,  car  il  ne  voit  aucune  antinomie  entre  l'esprit  et  la 
nature,  car  il  accepte  tout  de  cette  dernière,  car  il  y  trouve 
l'instrument  nécessaire  pour  la  réalisation  de  l'esprit.  H 
prend  au  Yoga  sa  méthode,  mais  il  l'applique  à  satisfaire  la 
jouissance,  au  lieu  de  la  fustrer.  A  l'inverse,  la  jouissance 
effectue  le  Yoga,  pacifiant  l'âme  et  l'unissant  à  l'absolu 
parce  qu'elle  l'unifie  en  soi-même.  Nous  venons  de  signaler 


LA    PENSÉE    HINDOUISTE  233 

que  cette  inspiration  est  à  l'antipode  du  Bouddhisme;  elle 
rappelle  pourtant  cette  découverte  du  Mahâyâna,  que  sam- 
sara et  nirvana  n3  font  qu'un;  car  ici  s'identifient  le  Yoga  qui 
libère  et  le  bhoga  qui  enchaîne  (^^^).  Cette  intuition  fonda- 
mentale apparaît  sous  deux  formes.  Dans  les  théologies  des 
Vaisnavas  ou  des  Caivas,  c'est  la  même  crâce  divine  qui 
crée  l'asservissement  de  la  créature  et  s'incarne  ensuite  en 
un  avatar  pour  la  sauver:  le  même  pouvoir  trompe  et  éclaiie. 
Dans  les  rites  psycho-physiologiques  des  Çâktas  le  corps 
est  un  moyen  autant  qu'un  obstacle  pour  le  salut.  Cette  con- 
ception, e  térieure  aux  systèmes  classiques  de  philosophie, 
mais  fort  importante  pour  l'histoire  des  idées,  mérite  une 
mention  spéciale. 

Elle  consiste  non  à  tenir  en  suspicion,  comme  dans  la  plu- 
part des  systèmes,  la  vie  spontanée,  mais  à  utiliser  les  forces 
vitales  pour  réaliser  la  spiritualité.  Le  paradoxe  de  cette 
opération  réside  en  ce  qu'elle  doit  être  non  un  acte,  uiais  une 
renonciation  à  l'acte,  quoiqu'elle  exige  la  plus  rare  tension 
de  la  volonté;  ou  encore  en  ce  qu'elle  implique  le  délaissement 
du  corps,  bien  qu'elle  s'accomplisse  dans  l'organisme  et  par 
la  mise  en  œuvre  de  ses  énergies.  Le  principe  spirituel,  tenu 
pour  inhérent  au  corps,  est  une  çakti,  la  kundalinî.  Selon  la 
métaphore  consacrée,  elle  demeure,  dans  l'existence  normale, 
enroulée  sur  elle-même,  à  la  façon  d'un  serpent,  au  niveau  de 
notre  centre  nerveux  (cakra)  inférieur.  Mais  l'exercice  de 
l'ascèse  la  stimule  :  alors  elle  se  détend  et  se  dresse,  pour  se 
hausser  aux  stades  supérieurs.  Après  l'âdhâra,  inférieur  aux 
organes  génitaux,  les  centres  superposés  sont  le  svâdhisthâna, 
immédiatement  au-dessus;  puis  le  manipura,  au  niveau  du 
nombril;  l'anahata,  au  niveau  du  cœur;  le  viçuddha,  au 
milieu  du  cou;  l'âjnâ,  entre  les  sourcils.  Cette  physiologie 
situe  ainsi  une  hiérarchie  de  centres  le  long  u  canal  médul- 
laire, où  peut  monter  —  tel  le  mercure  dans  un  baromètre,  — 


234  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOrinE    INDIENNE 

la  force,  serpentine.  Une  semblable  ascension  ne  s'opère 
qu'an  prix  d'un  effort  ardu  et  tenace,  qui  fait  violence  à  la 
nature,  car  chaque  centre,  —  figurativenient  chaque  «  lotus  » 
—  doit  être  «  percé  »  pour  être  dépassé.  Quand  chacun  des 
six  a  été  gravi,  la  kundalini,  maîtresse  du  corps  qu'elle  anime, 
règne  dans  le  «  lotus  aux  mille  pétales  «  (sahasrâra)  que 
recèle  le  cerveau  et  peut,  en  franchissant  certaine  fente 
crânienne,  trouver  issue  vers  l'époux  des  âmes,  Çiva.  Si 
originale  que  paraisse  cetta  physiologie  de  la  délivrance, 
elle  se  rattache  à  plus  d'une  théorie  des  Upanisads  {Hamsa, 
3;  Yoguçikha),  et  elle  transpose  en  une  gradation  de  centres 
nerveux  la  hiérarchie  des  essences  ou  des  ^(  terres  »  que  les 
Yogâcâras  énu nieraient  entre  le  point  de  départ  et  le  terme 
de  l'aspiration  religieuse  C^).  Rlle  définit  le  Yoga  tantrique 
et  montre  quel  progrès  a  fait  la  tendance  à  des  explications 
d'immanence,  puisque  c'est  l'énergie  même  de  la  vie  qui  réus- 
sit à  transcender  les  conditions  normales  de  la  vie.  Ce  cas 
extrême  illustre  la  portée  de  la  conception  du  sâdhana  ou 
réalisation  de  l'absolu,  moins  vigoureusement  soulignée, 
nmis  présente  encore  dans  les  autres  formes  de  Thindouisme. 


La    dernière    phase    des    darçanas. 

I^s  darçanas  orthodoxes,  étant  cultivés  par  la  réflexion 
brahmanique,  s'efforcèrent  de  maintenir  leurs  traditions  pour 
se  garder  de  la  contamination  sectaire.  Mais  sous  l'influence 
de  l'ambiance  ils  subirent  des  modifications,  très  inégales 
selon  les  S3'stèmes.  A  cet  égard  encore  l'hindouisme  comporte 
mille  degrés.  Il  est  à  son  maximum  dans  les  pratiques  du 
Tantrisme,  à  son  minimum  dans  le  )Sâmkhya  et  le  Nyâya- 
Vaiçesika  classiques.  Les  pratiques  religieuses  mises  à  part. 


LA    TENSÉE    HINDOUISTË  235 

et  pour  nous  on  tenir  à  son  aspect  philosophique,  c'est  dans 
la  spéculation  des  Vaisnavas  et  des  Çaivas  qu'il  possède  sa 
forme  typique,  et  c'est  à  proportion  de  leur  affiliation  aux 
dogmes  de  ces  religions  que  les  penseurs  brahmaniques  des 
temps  modernes  transformèrent  leurs  traditions  anciennes. 
Pour  juger  la  phase  ultérieure  des  darçanas  il  faut  donc  nous 
référer  à  la  doctrine  propre  des  sectes,  de  même  que  pour 
comprendre,  par  exemple,  en  quoi  la  psnsée  de  l'Europe  mo- 
derne diffère  de  ses  sources  antiques,  il  importe  de  les  con- 
fronter avec  les  dogmes  chrétiens,  juifs  ou  musulmans. 

Nous  connaissons  déjà  le  traité  classique  des  Vaisnavas  : 
la  Bhagavadgitû,  qui  devait  être,  dès  avant  son  insertion  dans 
le  Mn/âfbhârdht,  moyennant  des  remaniements,  un  texte  con- 
sacré de  la  secte  des  Bhagavatas  (^^^).  Le  BKâguvnla  purâna, 
production  ultérieure  de  la  même  é<^ole  (x^  siècle),  s'éclaire 
par  rapprochement  avec  d'autres  Purânas  (Visnu,  Padma, 
Brahmavaivarta)  et  Upanisads  visnuites.  Un  autre  courant 
de  pensée  vaisnava  dérive  des  Pcmcarcitra  ^umhiiu^,  collec- 
tions de  la  secte  des  Pâiicarâtrins.  Cette  tradition  ne  mêle 
pas  au  culte  de  Vâsudeva  l'adoration  du  gopâla  Krsna;  son 
système  philosophique,  tel  qu'il  s'exprime  dans  VAhirbudhvya 
SamhitTi  (iv*' siècle  ?)  diffère  de  la  pensée  épique.  Il  développe 
la  notion  de  manifestation  divine,  vyûha,  en  celle  d'une  série 
d' hypostases  procédant  de  la  puissance  de  Visnu,  la 
çakti  Laksmî.  Ces  principes  :  Samkarsana,  Pradyuhma 
et  Aniruddha  paraissaient  naguère  dans  le  Mahâbhârata 
(^U,  335-352)  comme  des  équivalents  mythiques  de  la 
prakrti,  du  manas  et  de  l'ahamkâra  des  Sâmkhyas.  La  cor- 
rélation avec  le  Sâmkhya  se  fait  maintenant  plus  indirecte. 
Six  gunas  ou  attributs  qui  sont,  remarquons-le,  étrangers  à 
la  nature,  aprâkrta,  appartiennent  à  l'absolu;  ce  sont  de 
véritables  5uvà[i.etc  comme  celles  des  Judéo- alexandrins  : 
Science   (jfiâna).  Souveraineté  (aiçvarya).  Puissance  (çakti), 


236  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

Force  (bala),  Virilité  (virya),  Splendeur  (tejas);  ils  président 
à  la  création.  Rien  de  plus  étranger  au  Sâmkhya  que  cette 
chaîne  d'émanations  par  laquelle  <-  procède  ^)  Vâsudeva. 
Le  purusa  suprême  (kûtastha)  n'apparaît  que  corrélatif  d'une 
inâyâ  çakti,  œuvre  comme  lui  de  Pradyumna,  loin  que  tous 
deux  représentent  deux  principes  également  absolus.  Par  ses 
révélations,  son  symbolisme  mythologique,  ses  descentes  de 
Manus,  véritable  pendant  de  la  chute  d'Adam;  par  sa  théorie 
de  l'œuf  cosmique,  ses  éons  et  même  ses  anges,  la  doctrine 
de  VAhirbudhnyd  rappelle  plutôt  la  gnose  syrienne  que 
les  kârikâs  d'îçvaral^rsna.  Elle  prétend  fonder  tout  ensem- 
ble, grâce  à  l'idée  d'émanation,  l'existence  propre  de  la  créa- 
ture et  son  origine  divine,  c'est-à-dire  fournir  toute  possi- 
bilité de  justification  théorique  à  l'attitude  dominante  des 
Vaisnavas,  cette  foi  faite  de  confiance  et  d'amour,  la  bhakti. 

Parallèlement  aux  samhitâs  des  Pâiïcarâtrins  s'était 
développé  le  système  des  Pâçupatas,  forme  première  du 
Çivaïsme.  Déjà  la  Çvetâçvatara  llpanisad  identifiait  le 
Brahman  à  Civa;  VAtharvaciras  voit  dans  Rudra-Paçupati 
l'origine  et  la  fin  de  tout  être,  les  Upanisads  AtharvacikHâ, 
Nllorudra  et  Kaividya  semblent  homogènes  à  maints  passages 
çivaïtes  du  MnhTibhârata.  Le  Vâyu  jnirâna  (XI  à  XV)  pré- 
sente un  Yoga  accommodé  aux  principes  pâçupatas,  et  fournit  la 
plus  ancienne  documentation  sur  la  secte  pâcupata  des  Laku- 
liças,  du  Gujerat.  En  une  certaine  opposition  à  ces  Pâçu- 
patas, assez  proches  des  Pâîicarâtrins  pour  croire  à  des 
incarnations  de  Çiva  comparables  à  celles  de  Visnu,  des  Çai- 
vas  rédigèrent,  peut-être  aux  abords  du  ix^  siècle,  des  Ecri- 
tures, Âgamas,  destinées  à  fonder  la  religion  du  Maheçvara, 
le  «grand  Seigneur»  ("^).  Des  partisans  de  ces  textes, 
originaires  du  Nord,  essaimèrent  d'importantes  colonies  vers 
le  pays  tamoul,  dans  la  langue  duquel  ils  rédigèrent  de  nom- 
breux livres;   d'autres   fondèrent   au   Cachemire    un  second 


LA    PENSÉE    HINDOUISTE  237 

foyer  de  Çivaïsme.   L'apparition  assez  tardive   des  Agamas 
concorde  avec  leur  caractère  çâkta,  qui  les  relie  an  Tantrisme. 

Cette  forme  d'hindouisme,  qu'aucun  texte  n'a  popu- 
larisée comme  la  Gîtâ  répandit  la  doctrine  visnuite,  présente 
un  dualisme  plus  accentué  que  la  religion  rivale.  Extérieures 
à  Çiva  existent  les  âmes,  bétail  (paçu)  du  divin  berger  {paçu- 
pati)  :  mais  aussi  la  matière,  désignée  par  l'énergique  appella- 
tion de  mala,  souillure,  ordure.  Ce  dernier  principe,  oppres- 
seiu"  des  âmes,  se  manifeste  dans  les  atomes  (ânavamala), 
qui  nous  entravent;  dans  les  actes  (karmamala),  qui  nous 
asservissent;  dans  la  fantasmagorie  divine  (mâyâmala),  jeu 
ou  «  danse  »  de  Çiva,  qui,  par  son  prestige,  nous  fait  croii^e 
à  un  monde  sensible.  Pluralisme  et  monisme  se  concilient  eu 
ce  que  c'est  le  même  principe,  le  Maheçvara,  qui  trompe  et 
sauve  l'humanité.  On  retrouve  là  un  écho  du  Trikâya  mahâ- 
yâniste;  il  faut  surtout  y  reconnaître  la  persistance  en  Çiva 
du  Rudra  védique,  à  la  fois  destructeur  et  créateur,  funeste 
et  propice  (çiva).  Le  Seigneur  permet  que  les  âmes  soient 
enserrées  dans  ces  gangues,  la  souillure  qui  l'obscurcit;  l'acte; 
la  mâyâ,  en  laquelle  se  résout  la  créature  à  chaque  dissolution 
du  monde,  et  de  laquelle  elle  procède  à  chaque  nouvelle 
création;  enfin  un  quatrième  principe  qui  recouvre,  enve- 
loppe, dissimule  (paça),  la  rodhaçakti,  puissance  par  laquelle 
le  Seigneur  cache  l'âme  à  elle-même.  Aussi  la  délivi'ance 
suppose-t-elle  que  l'absolu  dépouille  tous  ces  voiles,  se  mani- 
feste en  une  théophanie  et  par  là  révèle  l'âme  à  elle-même  : 
idée  tout  autre  que  celle  qui  inspire  aux  Vaisnavas  leurs 
«descentes»  de  l'absolu  dans  le  monde.  De  là  vient  que 
Çankara,  adepte  du  culte  çivaïte,  construit  son  Védânta 
en  opposition  aux  théologies  visnuites  autant  qu'aux  doc- 
trines bouddhiques  :  les  koças  qui  dans  son  sj^stème  étrei- 
gnent  l'âme  individuelle  ne  sont  qu'un  doublet  des  pâças 
admis   par  les   Pâçupatas.    N'empêche   que  la    plupart   des 


238  HI8TOJRK    DE    LA    PHTr.OSOPHlE    INDIENNE 

docteurs  sectaires  ultérieurs,  soit  visnuites,  soit  çivaïtes, 
feront  front  contre  sa  doctrine,  avec  la  conviction  que  son 
panthéisme  ne  saurait  se  concilier  avec  ce  degré  de  réalisme 
qu'impose  la  bhakti.  Presque  tous  les  commentateurs  des 
Bvdhtna  sûfras  lui  reprocheront  son  <(  acosmisme  »,  contre 
lequel  proteste  l'essentiel  dualisme  religieux,  présence  face 
à  face  de  l'âme  et  de  Dieu,  (,'ette  réprobation  d'une  philo- 
sophie au  nom  de  l'instinct  religieux,  mais  d'une  philosophie 
devenue  d'emblée  prépondérante  par  u.n  instinct  religieux 
égalment  \if  chez  les  doux  sectes,  telle  est  la  clef  de  l'évolution 
spéculative  indienne  postérieure  au  ix^  siècle.  Une  fois  le 
Bouddhisme  mis  hors  de  cause,  ce  fut  pour  ainsi  dire  l'unique 
problème.  Tl  atteste  l'inextricable  association,  mais  aussi 
la  répugnance  mutuelle  du  piétisme  sectaire  et  de  la  méta- 
physique issue  des  Upanisads. 

L'évolution  philosophique  du  Visnuisme  coïncide  avec 
celle  de  la  pensée  Védânta.  Ti'évolution  du  Çivaïsme  s'en 
isole  mieux,  quoique  le  (yachemirien  Vasugupta  ait  écrit,  vers 
850,  ses  Çivo  sûtnis  pour  substituer  au  dualism.e  des  Agamas 
une  interprétation  moniste  (advaita)  toute  proche  de  celle 
de  Çankara.  Les  exposés  dogmatiques  en  tamoul  abondent, 
depuis  le  Tiru-vâcakam  du  poète  Mânikka  Vâcakar  (xi^ 
siècle)  jusqu'aux  traités  théologiques  d'Umâpati  (début 
xiv^  siècle),  en  passant  par  le  Çivapuimihodhtt  du  çûdra 
Mej^kanda  De  va  (xiii^  s.)  Au  xiv®  siècle  appartient  le  commen- 
taire çivaïte  des  Brahma  siitrns,  le  Çaivabhasya  deÇrikanthn, 
que  glosa  vers  le  début  du  xvii^  siècle  la  Çivârkamankfipika 
d'Appaya  Dîksita.  La  secte  des  Lingâj'ats,  que  le  xii^  siècle 
vit  naître  aux  confins  du  pays  marathe  et  qui  a  en  la  langue 
du  Kanara  la  plupart  de  ses  écritures,  se  développa  en 
contact  avec  les  Jainas  (*''•').  Déjà  l'authentique  Çivaïsme 
présentait  des  affinités  avec  le  Jainisme,  puisqu'il  concevait 
la  souillure   comme   une  perte   de  lucidité  résultant  d'une 


LA    PENSÉE    HINDOUISTE  239 

gangue  matérielle,  et  la  libération  comme  la  restitution  de 
l'âme  dans  sa  pureté  originelle.  La  nouvelle  communauté 
calque  sur  celle  des  Jainas  une  organisation  monastique 
exceptionnelle  dans  le  monde  sectaire.  Son  piétisme  qui 
subit  l'influence  de  Râmânuja  offre  fort  peu  de  ressemblance 
avec  le  sexuatisme  tantrique,  bien  que  l'on  trouve  dans  le 
linga  (phallus)  l'expression  de  la  puissance  créatrice. 

Nous  allons  constater  une  profonde  action  exercée  par 
ces  pliilosophies  religieuses  sur  les  darçanas  orthodoxes. 
En  bref,  ce  sera  ime  invasion  générale  du  théisme.  Deux 
systèmes,  le  Sâmkhya  et  la  Mimârnsâ,  résistaient;  ils  fimrent 
par  subir  cette  contamination. 

I.  Le  Sâmkhya.  —  Les  dernières  productions  importantes 
de  l'école  sâmkhya  sont  :  le  Tottvusamûsa,  les  i>âmkhya 
sûtras  et  leur  commentaire  par  Vijnânabhiksu  (^■^■*).  Ije 
TaUvasamâm  et  les  sûtras  paraissent  d'époques  fort  voi- 
sines, voire  d'un  même  auteur;  celui-là  est  un  résumé  de 
ceux-ci.  Les  sûtras  datent  d'avant  le  xvi^  siècle,  au  début 
duquel  ils  furent  commentés  par  Aniruddha;  mais  d'après 
1380,  car  Mâdhava  ne  les  mentionne  pas,  non  plus  que  le 
Tattvasamôsa,  dans  son  «  compendiuiu  de  tous  les  systèmes  ». 
—  Le  Tattvasamâsa  introduit  dans  la  doctrine  une  classi- 
fication nouvelle  des  fonctions  psycho-physiologiques  :  moda- 
lités de  l'intellect  (abhibuddhis),  principes  d'action  (kar- 
mayonis),  souffles  vitaux  (prânas),  diversités  d'action  (karmâ- 
tmans).  Ce  penchant  à  réaliser,  à  personnifier  des  abstractions 
est  un  trait  de  basse  époque.  —  Les  sûtras  se  signalent  par 
l'adoption  de  termes  védântiques  :  Brahman,  jîva,  upâdhi. 
Leur  tentative,  de  préciser  les  conditions  de  la  connaissance, 
mérite  d'être  retenue  :  l'organe  interne  possède  une  image 
de  l'objet  qui  se  reflète  dans  le  purusa:  par  réciprocité  ce 
dernier  se  reflète  dans  l'organe  interne,  et  de  ce  double  pro- 
cessus qui  ne  compromet  en  rien  1' «  isolement  »  de  l'Esprit, 
naît  la  conscience,  par  la  quasi-collaboration  d'un  purusa 


240  HISTOIRE    DE    LA    PinLOSOPHIE    INDIENNE 

impassible  et  d'une  nature  active,  mais  inconsciente.  Les 
sûtras,  qui  critiquent  avec  beaucoup  d'application  les  divers 
darçanas,  différencient  le  Sâmkhya  des  doctrines  théistes  : 
la  transmigration  exclut  la  création  par  un  Dieu,  outre  que  ce 
Dieu,  s'il  existait,  serait  responsable  de  la  misère  qui  règne 
dans  le  monde.  Cependant  ils  déploient  de  l'ingéniosité  pour 
montrer  qu'un  Brahman  à  demi -personnel  n'est  pas  abso- 
lument incompatible  avec  les  postulats  du  système;  chaque 
formation  et  dissolution  du  inonde  résulte  sans  doute  de 
la  loi  de  l'acte,  mais  les  partisans  du  Brahman  ne  pensent 
pas  autrement.  Ainsi  les  Védas  n'ont  point  été  créés,  car  ils 
inontrent  trop  de  sagesse  pour  qu'un  esprit  non  libéré  en 
soit  l'auteur,  et  d'autre  part  un  esprit  libéré  ne  saurait  fonder 
leur  existence,  puisqu'il  serait,  à  force  de  perfection,  incapable 
d'agir.  Il  faut  donc  admettre  que  l'impersonnelle  loi  de  l'acte 
joue  exactement  le  rôle  attribué  à  un  créateur  :  à  chaque 
reformation  de  l'univers,  les  Védas  jaillissent  «  du  Brahman 
(Vljnânabhiksu,  sur  sût.50),  sans  l'intervention  d'aucune  pro- 
vidence. —  Vijnânabhiksu  (vers  1550)  est  un  personnage 
représentatif  du  syncrétisme.  Il  admet  que  les  six  systèmes 
orthodoxes  ont  raison  chacun  à  sa  manière;  mais,  en  inter- 
prétant le  Sâmkhya  dans  son  S.pravacana-bhâsya,  son  prin- 
cipal souci  est  de  l'accorder  avec  le  Védânta.  A  ses  yeux, 
comme  pour  le  vieil  auteur  de  la  Çvetâçvatara  Upanisad  (IV, 
10),  surtout  comme  pour  le  Védântin  Sadânanda  (fin  du  xv^ 
siècle),  prakrti  et  mâyâ  s'équivalent.  Le  rapprochement  se 
trouve  facilité  du  fait  que  Vijnânabhiksu  considère  le 
Védânta  comme  devant  comporter  la  réalité  du  monde  ma- 
tériel, et  que  d'autre  part  il  tient  tous  les  purusas  pour  homo- 
gènes, à  la  façon  des  âtmans  dans  l'unique  Brahman.  Enfin  il 
ne  craint  pas  d'introduire  le  théisme  dans  le  s,ystème.  Cet 
éclectisme,  annoncé  par  celui  de  l'épopée,  marque  la  fin  de 
l'école  Sâmkhya,  fin  constatée  déjà  par  le  Bhâgavata-purâna 
{1,  3,  10)  et  confirmée  par  Vijnânabhiksu. 


LA    PENSÉE    HINDOUISTE  241 

II.  Mîniâmsâ.  —  L'école  mîmâmsiste  perd  de  son  im- 
portance à  mesure  que  deviennent  plus  envahissants  les 
cultes  non  védiques;  cependant  ces  derniers  ont  en  commun 
avec  elle  la  persuasion  que  le  salut  s'obtient  par  les  œuvres 
plus  que  par  la  connaissance.  Pârthasârathi  Miçra  (début  du 
xiv^  siècle)  compose,  en  s'inspirant  de  Kumârila,  un  commen- 
taire sur  les  sûtras  qui  deviendra  classique,  la  Çâ.stradlpikâ; 
un  Tantrarotna  qui  explique  les  neufs  derniers  adhyâyas  du 
sûtra;  deux  ouvrages  destinés  à  gloser  Kumârila,  le  Nyâya- 
ratnâkara  sur  ]eMlmnmsâçlokavârtika,  la  Ny~iy(i-ratria-mâlâ 
sur  le  Tanfravârtika:  Cette  mâiâ  sera  commentée  par  Râmâ- 
nuja  {IS'ôyakaratna).  Les  principales  œuvres  ultérieures  sont 
le  Jaiminlyany'âya)iml~wistara,  de  Mâdhava  (xiv^  siècle), 
lucide  exposé  des  sûtras:  le  VidhirasTiyana,  d'Appaya  Diksita 
(xvi^  siècle),  dirigé  contre  Kumârila;  la  Bhâttadlpikâ  et  le 
MimniiisTikaustiibhii ,  de  Khandadeva  (xvii^  siècle)  ;  sans 
parler  de  nombreux  exposés  populaires  très  lus  dans  les  temps 
modernes,  la  plupart  très  voisins  du  Nyâya-Vaiçesika  (^^^). 
Malgré  les  principes  athées  du  système,  il  s'est  trouvé  un 
certain  Venkatanâtha  ou  Vedânta  Deçika  (fin  xiv^  siècle), 
pâncarâtrin  des  Çri-Vaisnavas,  pour  prôner  une  mîmâmsâ 
théiste  (seçvara-mïmâmsâ)  et  se  prétendre  en  cela  d'accord 
avec  Kumârila.  Au  début  du  xvii^  siècle,  Apadeva  (Af.  nyâya 
prakâça)  et  Laugâksï  Bhâskara  {Arthamnjgraka)  déforment 
la  tradition  —  selon  l'esprit,  il  est  vrai,  de  la  Gït~,  —  enjusti- 
fiant  le  sacrifice  par  l'idée  d'être  agréable  à  Dieu. 

III.  —  Nyâya-Vaiçesika.  —  Nous  avons  déjà  constaté 
l'intrusion  du  théisme  dans  le  Nyâya  et  le  Vaiçesika  à  partir 
des  docteurs  du  x^  siècle,  Udayana  et  Çridhara.  La  fusion 
des  deux  darçanas  s'accomplit  dès  le  xi^  siècle,  comme  en 
témoigne  le  SaptaparJTtrfha-nirûpcUKi,  de  Çivâditya.  Cet 
ouvrage,  comme  son  nom  l'indique,  est  conçu  sur  le  plan  des 
vieux  traités  vaiçesikas,  mais  à  propos  de  la  connaissance 

16 


242  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOrillE    INDIEXNE 

l'auteur  expose  la  logique  naiyâyika;  de  même  que  la  N. 
Mavjari  et  la  N.  kciUJw  de  Jayanta  Bhatta  (x^  siècle),  il  est 
connu  de  Gangeça,  l'illustre  Naiyâyika  de  la  fin  du  xii^  siècle. 
La  TfittviiclntZmvim  de  ce  dernier  marque  l'achèvement  de 
la  logique  brahmanique,  comportant  quatre  pramânas  et  à 
propos  de  l'anumâna  une  doctrine  sur  l'inférence  de  l'exis- 
tence de  Dieu.  L'exposé,  indépendant  des  sûtras,  atteste  un 
effort  de  systématisation  original;  il  suscita  la  formation 
d'une  école  dite  de  Navadvipa  (Nuddea)  dans  le  Bengale 
oriental.  Son  principal  docteur,  Vâsudeva  Sârvabhauma, 
auteur  d'une  T(ittv<icint7in}(inlvyûkhyti  (fin  du  xv^  siècle) 
eut  pour  disciples,  outre  le  logicien  Raghunâtha  {Tuliva- 
didliiti,  sur  l'ouvrage  de  Gangeça),  le  fameux  réformateur 
vaisnava,  Caitanya. 

La  tradition  syncrétiste  du  Nyâya-Vaiçesika  produisit 
des  œuvres  dont  n'ont  pas  cessé  de  se  nourrir  la  spéculation 
et  surtout  l'enseignement:  la  Ta rJmbhâsâ  de  Keçava  Migra 
(xni^  siècle),  œuvre  dont  le  plan  est  naiyâyika,  mais  se 
charge  de  données  vaiçesikas;  la  Tarkakaumudl  de  Laugâksï 
Bhâskara,  le  Tarkâmrta  de  Jagadîça,  le  Tarkui^nyugrahu 
d'Annam  Bhatta,  trois  auteurs  de  la  première  moitié  du 
xvn^  siècle,  La  théorie  de  la  connaissance  et  la  technique 
logique  incluses  dans  ces  ouvrages  devinrent  un  patrimoine 
commun  à  toutes  les  écoles  modernes.  Le  meilleur  interprète 
européen  de  ce  syncrétisme,  L.  Suali,  n'a  fait  que  suivre 
l'exemple  de  la  culture  indigène  en  présentant  le  contenu 
de  semblables  œuvres  comme  une  initiation  préjudicielle  à 
la  philosophie  de  l'Inde.  Rien  de  plus  faux  si  l'on  y  contracte 
l'habitude  de  juger  de  toute  la  spéculation  indienne  d'après 
un  éclectisme  tardif  ;  rien  de  plus  juste  si  l'on  ne  cherche  là 
que  l'aboutissement  de  ce  qui,  dans  le  Brainnanismc,  res- 
semble le  plus  à  notre  rationalisme  et  à  notre  positi- 
visme ("**). 


LA    PENSÉE    HINDOUISTE  243 

IV.  Yoga.  —  Les  Yoga  mtrns  suscitèrent  peu  de  com- 
mentaires importants  au  cours  de  la  longue  période  envi- 
sagée. Le  Bnjnnmrtandd,  attribué  à  Bhoja,  roi  de  Dhârâ 
(xi^  siècle),  fournit  un  sommaire  sans  pénétration:  et  on  ne 
saurait  juger  plus  favorablement  la  Manipvdbhn  de  Ramâ- 
nanda  Sarasvatï  (vers  1600).  Le  YogasTirdsarngrdhd,  de 
Vijnânabbiksu,  n'est  pas  l'œuvre  d'un  Yogin.  Toutefois,  si 
la  lignée  des  disciples  de  Patanjali  se  montrait  peu  féconde, 
le  prestige  des  anciennes  pratiques  de  yoga  ne  cessait  pas 
de  s'exercer  sur  les  sectes  les  plus  différentes.  Nous  avons 
remarqué  un  Yoga  bouddhique,  la  doctrine  des  Yogâcâras: 
un  Yoga  jaina.  celui  d'Haribhadra  et  d'Hemacandra;  un 
Yoga  hindouiste,  le  Tantrisme  des  Çâktas.  Les  Vaisnavas 
cultivèrent  le  Yoga  entendu  à  la  façon  de  la  G'ilU,  comme 
l'union  avec  Dieu;  les  Çaivas  honorèrent  en  leur  Maheçvara 
le  type  même  de  l'ascète.  Le  rayonnement  du  Yoga  s'étend 
donc  aussi  loin  que  le  milieu  indien,  dans  le  temps  comme 
dans  l'espace. 

Vers  le  xii*^  siècle  apparaît  une  école  nouvelle  :  le 
Hathayoga.  Sa  première  mention  est  le  titre  d'un  ouvrage 
imputé  à  Goraksanâtha,  nom  qui  désigne  peut-être  moins 
un  personnage  qu'une  secte  de  Yogins  çivaïtes  dont  les  com- 
munautés se  répandirent  au  Népal  et  dans  le  N.-O.  La  doc- 
trine de  cette  secte  a  été  popularisée  par  des  œuvres  telles 
que  la  Ghcninda  et  la  Çivd  ^dnihitxjs  (^^').  Elle  préconise 
l'équivalent  de  samâdhi  par  une  ascèse  toute  physique,  par 
un  usage  des  postures  (âsana),  par  une  gymnastique  respira- 
toire (prânâyâma)  qui  ramènent  le  Yoga  à  ses  plus  lointaines 
origines.  L'aspect  intellectualiste  donné  à  ces  exercices  archaï- 
ques par  Patanjali  se  distingue  désormais  du  Hathayoga  sous 
le  nom  de  Râjayoga,  —  distinction  qui  a  sa  source  dans  la 
Yogdtdttvd-Updnisad. 

V.  Védânta.  —  En  raison  de  la  solidarité  qu'il  a  con- 
tractée avec  les  religions  sectaires,  le  Védânta  prend,  au  cours 


244  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

des  temps  modernes,  la  prépondérance.  Les  autres  darçanas 
ou  périclitent,  ou  deviennent  l'occupation  de  spécialistes,  soit 
spéculatifs,  comme  les  logiciens  naiyâyikas,  soit  disciplinaires 
com  e  les  Yogins;  la  recherche  théorique,  dep  is  que  s'est 
tu  le  Bouddhisme,  est  l'apanage  des  brahmanes  Védântins, 
brahmanes  qui  n'ont  sauvé  leurs  privilèges  intellectuels  et 
sociaux  qu'au  prix  de  l'identification  de  l'Atman  avec  Visnu 
et  Çiva.  Nous  avons  déjà  mentionné  plusieurs  commentaires 
des  Brnhma  sïitras  dont  l'origine  était  çivaïte,  —  et  parmi 
eux  le  plus  fameux,  celui  de  Çankara.  Il  nous  reste  à  retracer 
l'histoire  du  Védânta  visnuite,  qui  re  ferme  les  noms  les 
plus    glorieux    des    dix  derniers  siècles. 

Le  point  de  départ  de  cette  philosophie  religieuse  se  trouve 
en  pays  tamoul,  où  du  vu®  au  x^  siècle,  avaient  vécu 
plusieurs  générations  de  mystiques,  à  la  fois  poètes  et  chan- 
teurs, qui  se  procuraient  l'extase  en  improvisant  des  effusions 
d'adoration  pour  les  divinités  dont  ils  contemplaient  l'image. 
Douze  reçurent  le  titre  d'Âlvârs.  Leurs  chants  furent  adoptés 
pour  les  offices  et  la  dévotion  populaire  s'accrut  ;  ce  fut 
l'œuvre  de  Nâthamuni,  vers  la  fin  du  xi^  siècle  ;  il  composa 
de  la  sorte  un  recuil  de  4000  hymnes,  Nâlâyira  Prabandhani, 
et  le  foyer  de  ce  culte  fut  désormais  le  temple  de  Çrirangam 
à  Trichinopoli.  Le  petit-fils  de  Nâthamuni,  Yâmuna  fonda 
en  cette  secte  une  tradition  philosophique  dérivée  par 
lui-même  de  la  G'itâ  (GHârthasamgraha)  et  corroborée  par 
les  traités  visnuites  {Âgamaprâmânya)  ;  sa  portée  est  une 
hostilité  déclarée  à  l'enseignement  de  Çankara,  et  une 
ardente  revendication  de  la  réalité  de  l'âme  humaine 
(Siddhilrayn).  Ce  monisme  modiûé  {viçis(ndv<iita)  V3i  trouver 
son  plus  puissant  interprète  en  Râmânuja  (1050  ?-1137)  (^^*). 

Lui-mê  e  était  élève  d'un  çankarien  de  Conjiveram, 
Yâdava  Prakâça,  mais  il  participait  à  la  réaction  contre  le 
pur  monisme,  réaction  si  générale  qu'un  Védântin  môme  non 
sectaire   et   adversaire   décidé   des    Pâîicarâtrins,    Bhâskara, 


LA    PENSÉE    HINDOUISTE  245 

Opposait  à  l'advaita  un  système  à  la  fois  de  «  distinction 
et  de  non  distinction»  (bhedâbheda),  so  tenant  que  l'âme 
est  à  la  fois  Dieu  et  autre  que  Dieu  [Bhâskarabhâsya,  vers 
900).  Râmânuja,  désigné,  très  jeune  encore,  comme  successeur 
de  Yâmuna,  prit  pour  base  outre  les  Upanisads  et  Bâda- 
râyana,  la  Glfxi,  et  les  PÔMcarâtra  Samhitâs.  Ses  œuvres 
authentiques  sont  :  le  Vedûntasanigraha;  un  Vedântas^'ra; 
surtout  un  connnentaire  sur  les  sûtras,  le  Çrîbhâsya  ;  un 
autre  sur  la  GîtTl,  GifTibhâsya.  Il  s'attaque  aux  illusionnistes 
(mâyâvâdins),  c'est-à-dire  à  Çankara  et  autres  «  Bouddhistes 
déguisés»;  et  à  deux  écoles  qui  expliquent  par  des  upâdhis 
(adjonctions  déterminantes)  l'existence  des  choses  maté- 
rielles, soit  que  le  Brahman  s'en  trouve  affecté  (Bhâskara), 
soit  qu'il  s'en  tro  ve  à  la  fois  affecté  et  non  aiïecté  (Yâdava- 
prakâça).  Il  affirme  que  ni  les  choses  matérielles,  ni  les 
âmes  ne  sont  essentiellement  (svâbbâvika)  le  Brahman, 
mais  qu'elles  constituent  le  corps  dont  le  Brahman  est  l'âme 
ou  le  «surveillant  interne»  (ant?a\vâmin).  Ainsi  peuvent-elles 
lui  être  extérieures,  sans  subsister  à  part.  Une  semblable 
interprétation  concorde  mieux  que  celle  de  Çankara  avec  les 
Upanisads  et  les  Sûtras  Pourtant  le  système  de  Râmânuja 
présente  un  caractère  insolite,  comme  conciliation  du  Védânta 
avec  les  cultes  populaires  Avant  la  création  du  monde,  le 
corps  de  l'âtman  universel  n'existe  que  sous  forme  subtile, 
comme  prakrti  ;  il  évolue  de  l'œuf  cosmique  par  les  sttides 
successifs  qu'admettait  le  Sârnkhya,  sous  l'action  d'Içvara 
qui  peut  être  envisagé  soit  comme  suprême  (Para,  Nârâyana) 
soit  comme  vjmha  en  Vâsudeva,  Samkarsana  Pradyumna  et 
Aniruddha;  soit  comme  vibhavaen  dix  avatar  as,  etc.  L'absoLi 
est  cause  à  la  fois  matérielle  et  efficiente  ;  lésâmes  individuelles 
en  participent,  sauf  qu'elles  n'ont  pas  sur  les  choses  ce  pouvoir 
d'agir  et  de  contrôler  que  lui  seul  possède,  et  que,  d'autre 
part,  au  lieu  de  détenir  comme  lui  l'omniprésence,  elles  ont 
la  dimension  atomique.  Leur  ignorance  les  associe  à  la  ma- 


24()  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

tière;  leur  kicidité  les  ramène  au  premier  principe,  grâce  à 
la  dévotion,  conscience  immédiate  de  soi  en  Dieu.  Karman 
n'importe  pas  moins  que  jiiâaa;  à  cet  égard  encore  le  Védânta 
de  Râtnânuja  demeure,  selon  la  tradition  primitive,  une 
Mimâmsâ  qui  précise  un  ritualisme  intellectuel,  autant  qu'il 
devient  une  méthode  de  Bhakti. 

Contemporains  de  Râiiiânuja,  mais  plus  jeune,  Nim- 
bârka  (+  1162)  était  un  brahmane  du  pays  telugu,  mais 
qui  vécut  et  propagea  ses  disciples  à  Mathurâ.  Ses  œuvres 
sont  le  Vrtiântn-jnirijTita-saurabJia,  commentaire  des  Brnhnta 
sûtras,  et  la  Daçadokl  :  le  VnlTîntakaiistubha  de  Çrinivâsa 
(xiii'^  siècle)  procède  de  son  enseignement  ("^).  Nimbârka 
trouve  l'absolu  en  Krsna  et  sa  çakti,  Râdhâ,  l'une  de  ses 
gopîs  favorites  selon  le  Bliâgnvaia  purâna.  Encore  moins 
moniste  que  Râmânuja,  il  adhère  au  bhedâbheda  ; 
à  ses  yeux  le  pluralisme  est  aussi  vrai  que  le  monisme  (dvai- 
tâdvaita).  L'âme  individuelle  et  le  Seigneur  sont  pure  con- 
naissance, douée  de  moi;  leur  distinction  vient  de  ce  que 
la  première  est  de  dimension  atomique,  et  dépendante,  même 
une  fois  délivrée,  car  Dieu  ne  cesse  i^oint  d'être  son  «  gou- 
verneur» (niyantr).  La  relation  du  fini  à  l'infini  apparaît 
ainsi  —  comme  chez  Schleier mâcher  —  un  sentiment  de 
dépendance.  La  bhakti  ne  s'acquiert  qu'au  prix  d'une  «  sou- 
mission »  sans  réserve,  lyrapaW  (^*").  Etre  prapanna,  c'est  se 
trouver  «arrivé  à»,  «  pour\^i  de»  l'appui  que  gagne  notre 
nature  en  son  divin  maître;  on  y  parvient  par  la  décision 
unique  prise  une  fois  pour  toutes,  de  s'en  remettre  à  Bhaga- 
vant  :  cette  pensée  ininterrompue,  continue  comme  la  splen- 
deur d'un  rayon  ou  la  fluidité  de  l'huile,  persiste  jusqu'à 
total  épuisement  du  karman.  Nous  reconnaissons  là  et  le 
«  vœu  »  brahmanique  (vrata),  origine  de  la  vocation  reli- 
gieuse, et  le  sanivara  jaina,  par  lequel  s'achève  l'effet  des 
actes  antérieurs;  une  attente,  donc  un  état  dans  le   temps. 


LA    PENSÉE    HINDOÛISTE  247 

mais  où  le  temps  ne  compte  plus,  puisque  l'abandon  définitif 
est  consommé.  Alors  seulement  Dieu  nous  gratifie  de  sa 
grâce,  qui  nous  octroie  bhakti.  Ce  dernier  concept,  vidé  de 
son  élément  de  foi,  ne  retient  que  son  aspect  amour.  Il  y  a  là 
une  réalisation  (sâksâtkâra)  de  l'absolu,  transposition  piétiste 
du  sâdhana  tantrique. 

Ce  piétisme  aboutit,  chez  des  sectes  méridionales  du 
XIII®  siècle,  à  un  quiétisme  complet,  où  prapatti  l'emporte 
sur  bhakti.  Les  Tenkalai  (^^^)  conçoivent  le  salut  comme 
opéré  exclusivement  par  Dieu  :  d'où  la  bhakti  «  à  la  façon 
du  chat))  (mârjârî),  car  la  chatte  sauve  ses  pstits  d'un  danger 
en  les  emportant  inertes;  nous  avons  besoin  que  Dieu  opère 
en  nous,  même  pour  nous  vouer  à  lui.  Les  Vadakalai  du 
Nord  réagirent  contre  cette  notion  fataliste  de  la  grâce  en 
soutenant  qu'il  faut  s'aider  pour  que  Dieu  nous  aide,  à  la 
façon  du  jeune  singe  (markata),  que  la  guenon  n'arrache 
au  péril  que  s'il  s'accroche  à  elle.  Maintes  doctrines  euro- 
péennes relatives  aux  conditions  de  la  grâce  entreraient  en 
parallèle  avec  les  thèses  de  cette  théologie. 

La  tradition  des  grands  commentateurs  védântiques  se 
se  poursuit  au  xiii®  siècle  par  Madhva  ou  Anandatîrtha  et 
au  début  du  xvi®  siècle  par  Vallabha  (^*^).  Le  premier  est 
originaire  du  Kanara  méridional,  le  second  du  pays  telugu, 
mais  vécut  à  Mathurâ,  ainsi  que  Nimbârka  ;  il  s'apparentait 
à  la  secte  méridionale  de  Visnusvâmin.  Le  premier  écrivit 
un  mtra-bhâsya  et  des  commentaires  dualistes  sur  dix 
Upanisads  ;  le  second  un  anuhhâsya  et  un  précis  de  sa  pro- 
pre doctrine,  sous  ce  titre  :  T(itfrndjpanibnyi<Uia.  Tous  deux 
poursuivirent  le  même  prêche  de  la  bhakti,  la  même  croisade 
contre  la  mâyâ  çankarienne  :  mais  Madhva  au  nom  d'un 
dualisme  (dvaita),  Vallabha  au  nom  d'un  pur  monisme 
(çuddhâdvaita).  Les  deux  thèses  les  plus  outrancières  sur- 
gissent ainsi  au  terme  d'une  longue  évolution  dogmatique  ; 


248  HISTOIRE    DE   LA    PHILOSOPHIE   INDIENNE 

Madhva  extériorise  radicalement  au  créateur  les  âmes  indi- 
viduelles et  dérive  les  choses  d'une  prakrti  éternellement 
distincte  de  Dieu,  qui  est  cause  efficiente,  mais  non  maté- 
rielle; la  délivrance  même  n'identifie  pas  l'âme  au  Seigneur, 
Hari.  Vallabha  intériorise  radicalement  à  l'absolu  âmes  et 
choses,  qui  lui  sont  inhérentes  sans  médiation  d'aucune 
mâyâ:  ainsi  le  jîva,  de  dimension  atomique,  est  un  fragment 
de  la  Divinité;  c'est  par  son  intelligence  (caitanya)  qu'il  se 
rend  coextensif  au  corps;  —  intelligence  dont  la  privation 
définit  la  corporéité.  Cette  doctrine  de  création  par  fulgu- 
ration de  l'essence  divine  rejoint  presque  cette  thèse  de 
Leibnitz,  que  la  matière  n'est  que  ((mens  momentanea», 
sans  le  degré  de  durée  consciente  qui  permet  la  connaissance. 
Le  monde  ne  peut  être  illusoire,  étant  l'absolu  :  sarvam 
khalu  idam  brahmâ.  Le  salut  se  détermine  par  la  connais- 
sance, se  réalise  par  la  discipline  et  la  piété,  s'achève  en 
amour  pour  Hari. 

Toutes  les  attitudes  concevables  quant  au  rapport  entre 
le  fidèle  et  son  Dieu,  entre  le  fini  et  l'infini,  ont  ainsi  suscité 
tant  des  dogmes  que  des  modalités  d'ascèse.  Chacune  de  ces 
philosophies  s' adaptant  aux  religions  populaires  dont  l'ins- 
piration les  anime,  suscita  de  multiples  sectes  présentant 
tiouvent  un  caractère  local.  Ainsi,  en  pays  marathe,  le  culte 
d'un  dieu  de  Pandharpur,  Vithobâ  ou  Vitthal,  trouva  pour 
doctrinaires  Jnâneçvara  (xiii^  siècle),  Nâmadeva  (xiv^  ou 
xv^  siècle),  Tukârâm  (xvii^  siècle),  fervents  adeptes  de  la 
bhakti  (^*^).  Dans  l'école  tamoule  de  Çrirangam,  à  la  suite 
de  Yâmuna,  vers  1300,  l'influence  de  Râmânuja  revit  en 
Pillai  Lokâcârya,  dont  VArfhapancakd  précise  la  substance 
du  Visnuisme.  Au  Bengale  Viçvambhara  Miçra  (1485-1533,) 
plus  connu  sous  les  noms  de  Caitanya  et  de  Gauranga,  puise 
dans  le  Bhâgavnfa  Purâna  ainsi  que  dans  les  influences 
combinées  de  Madhva  et  de  Nimbârka,  une  brûlante  dévotion 


LA    PENSÉE   HINDOtriSTE  249 

en  Krsna  et  Râdhâ  (^^^).  Lui  aussi  accorde  à  l'enivrement 
du  chant,  même  de  la  danse  le  privilège  de  susciter  une  fer- 
veur qui  non  seulement  transporte  le  fidèle  au  delà  de  son 
individualité,  mais  gagne  la  foule  par  contagion  (nagarkïrtana). 
Il  remplace  le  rituel  brahmanique  par  des  cérémonies  où 
n'intervient  aucune  acception  de  caste;  les  monastères  de  la 
secte  se  peuplent  pour  une  part  d'anciens  bouddhistes.  Une 
action  au  moins  égale  à  la  sienne  fut  exercée  par  Râ mi- 
nauda (xv^  siècle),  propagateur  à  Bénarès  du  culte  de  Râma 
qui  florissait  dans  le  Sud.  Nourri  de  VAgastyn  Sutiksna  Sam- 
vTida  et  de  VAdhyâtrna  Râmâyana  (vers  1300)  qui  s'y  réfère, 
deux  textes  ramaïtes  d'inspiration  moniste,  il  éprouve  toute- 
fois un  grand  penchant  pour  le  théisme  ;  la  même  disposition 
se  retrouve  chez  ses  adeptes,  Kabir  (1440-1518),  son  disciple 
immédiat;  Tulsi  Dâs  (1532-1623);  Nâbhâji,  auteur  de  la 
BhaktamTda,  recueil  de  biographies  bhâktas,  rédigées  en 
hindi  occidental  (fin  xvi^  siècle).  Tulsi  Dâs,  par  son  •(  Lac 
des  gestes  de  Râma»  (1584)  et  son  enseignement  tant  à  Ayo- 
dhyâ  qu'à  Bénarès,  fit  plus  que  quiconque  pour  répandre 
la  foi  théiste  (^*^).  A  leur  suite,  réformateurs  ou  poètes  de 
l'Inde  contemporaine  —  tel  un  Rabindranath  Tagore  —  ont 
réagi  contre  Çankara  par  attrait  du  théisme,  mais  n'ont  pu 
rompre  avec  les  éléments  de  panthéisme  qui  datent  de  si 
loin  dans  la  tradition  indienne.  Cette  ambiguïté  doctrinale, 
résultant  d'un  long  passé,  a  sauvegardé  l'originalité  d'une 
pensée  que  les  influences  occidentales,  à  l'époque  moderne, 
auraient  dirigée  vers  le  seul  théisme. 

Etouffé  sous  cette  exubérance  de  religiosité,  le  Védânta 
purement  spéculatif  ne  fut  cultivé  que  par  l'élite  intellec- 
tuelle de  l'Inde  moderne,  mais  il  ne  se  développa  point.  Les 
esprits  qui  distinguaient  philosophie  et  religion  se  trouvaient 
poussés  vers  l'interprétation  çankarienne,  non  pas  comme 
plus  fidèle  aux  Upanisads,  mais  comme  moins  engagée  que 


250  HISTOIRK    DE    LA    PIULOSOPHIE    INDIENNE 

toute  autre  dans  le  théisme  populaire.  L'esprit  brahmanique 
ayant  toujours,  en  son  fond,  éprouvé  de  l'antipathie  pour  la 
théologie  personnaliste,  malgré  toutes  les  concessions  qu'il  ne 
cessait  de  lui  faire,  érigea  en  ésotérisme  suprême  les  thèses 
de  Çafikara.  D'où  ce  paradoxe,  que  presque  toute  la  spécu- 
lation postérieure  au  x^  siècle  honnit  ce  docteur,  et  que  néan- 
moins son  prestige  règne  sans  contrepoids  sur  la  mentalité 
brahmanique.  L'orthodoxie  çankarienne  représente  un  clas- 
sicisme de  caste,  comparable  au  culte  de  Confucius  chez  les 
lettrés  chinois  à  partir  de  la  dynastie  Soung  ;  ici  les  brahmanes 
furent  çankariens  afin  de  protester  contre  le  sectarisme 
pourtant  consacré,  de  même  que  là  on  fut  confucéen  pour 
se  défendre  contre  les  superstitions  populaires  du  Taoïsme 
ou  les  dogmes  étrangers  des  Bouddhistes,  pourtant  recon- 
nus licites.  Mais  le  Védânta  çankarien,  à  proportion  même  de 
son  abstraction  qui  le  sauvait  de  toute  théologie,  se  vidait  de 
tout  contenu  et  s'interdisait  un  développement  quelconque; 
n'admettant  que  l'absolu  ineffable,  en  face  duquel  il  n'y 
avait  qu'illusion,  il  comportait  aussi  peu  de  progrès  que  le 
nihilisme  mâdhyamika  :  celui-ci  avait  coupé  court  à  la 
pensée  bouddhique,  celui-là  fut  le  dernier  mot  de  la  pensée 
brahmanique  (^"). 


Conclusion.    L'influence    occidentale: 
Islam,    Europe   chrétienne. 

L'invasion  à  main  armée  fut  un  accident  fréquent,  l'infil- 
tration étrangère  un  fait  constant  de  l'histoire  indienne. 
L'influence  iranienne  ou  persane  s'exerça,  sous  des  formes 
diverses,  à  tous  les  âges,  ainsi  qu'à  toute  époque  les  côtes 
furent  visitées  par  des  Occidentaux.  Le  cataclysme  qui  secoua 
l'Asie  lors  de  la  soudaine  croisade  de  l'Islam    atteignit  le 


LA    PENSÉE    HINDOUISTE  251 

Penjab  dès  1001,  date  du  premier  raid  entrepris  par  Mahmiïd 
de  Ghaznî;  entre  1175  et  1340  s'effectue  la  conquête  de  la 
plus  grande  partie  du  monde  indien.  Irruption  bien  différente 
des  invasions  antérieures  :  iVrabes,  Turcs,  Mongols  rasent 
les  couvents,  détruisent  les  temples,  dispersent  les  sectes, 
brûlent  les  livres;  au  lieu  de  venir  se  civiliser  dans  le  milieu 
liindou,  ils  y  campent  pour  le  rançonner,  ils  y  guerroient  au 
nom  d'un  fanatisme  religieux.  L'historien  politique  peut 
reconnaître  que  certains  potentats  musulmans,  surtout  les 
empereurs  mongols,  montrèrent  du  libéralisme,  respectant 
les  franchises  locales,  développant  l'organisation  écono- 
mique, faisant  régner  la  paix  et  les  avantages  d'une  admi- 
nistration centralisée;  encore  faut-il  avouer  que  les  principes 
de  ces  sages  monarques  étaient  ceux  que  les  théoriciens  indi- 
gènes avaient  ou  appliqués,  ou  prônés.  Mais  en  ce  qui  concerne 
la  civilisation  intellectuelle,  Arabes  et  Turcs  n'ont  guère 
apporté  que  des  dévastations,  au  cours  desquelles  le  Boud- 
dhisme succomba,  le  Jainisme  subit  violences  ou  dispersions, 
auxquelles  l'Hindouisme  ne  résista  que  grâce  à  l'énormité 
sociale  et  géographique  de  la  masse  indienne,  désormais 
asservie,  mais  non  transformée  (^*^). 

Le  Qorân  introduit  par  les  envahisseurs  ne  régna  que 
superficiellement  sur  les  éléments  convertis  de  force.  Le 
milieu  polythéiste  et  idolâtre  repoussait  la  sèche  légalité, 
le  farouche  monothéisme  de  l'Islam.  Le  zèle  iconoclaste  des 
Musulmans,  leur  aversion  pour  le  système  des  castes,  creu- 
saient un  abîme  entre  les  deux  mentalités.  Pourtant  l'exten- 
sion du  théisme  hindou  à  partir  du  x^  siècle  restreignait 
cette  opposition;  au  surplus  la  plus  directe,  la  plus  forte 
influence  musulmane  venait  de  Perse,  où  l'Islam  avait  déjà 
dû  s'adapter  à  la  culture  aryenne.  Aucun  tj^pe  humain  ne  res- 
semblait plus  au  yogin  que  le  sîifî,  dont  l'ascétisme  tendait 
au  dépouillement  du  moi  et  à  l'amour  divin;  mais  en  accueil- 


252  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

lant  l'influence  du  sûfisma,  l'Inde  ne  faisait  que  récupérer 
l'un  de  ses  idéaux,  car  la  culture  persane  doit  cette  attitude 
psj'chologique  autant  à  la  contagion  des  mœurs  indiennes 
qu'à  l'action  du  Néoplatonisme.  Les  nombreux  récits  persans 
relatifs  à  un  roi  qui  se  serait  fait  mendiant,  la  conviction  que 
le  salut  s'atteint  au  terme  d'un  tarîqa,  équivalent  du  mârga 
indien,  aboutissant  au  fana  =  nirvana  (le  «  grand  fana  »  =  le  pari- 
nirvâna);  voilà  des  traits  où  se  manifeste  la  Chumaniyya,  autre- 
ment dit  le  Bouddhisme.  Non  seulement  donc  l'hindouisme 
était  moins  éloigné  que  le  brahmanisme  des  convictions  de 
r Islam,  mais  tout  un  aspect  de  l'Islam  se  trouvait  déjà  hin- 
douisé. 

Inversement,  les  conquérants,  peu  nombreux,  non 
seulement  durent  tolérer  les  cultes  qu'ils  jugeaient  païens, 
mais  s'adaptèrent  à  leur  nouvelle  ambiance.  Il  suffit  souvent 
de  muer  en  saints  musulmans  les  dieux  hindous.  Par  réciprocité 
]Muhammed  peut  passer  pour  un  avatâra  de  Visnu,  comme 
il  fut,  en  d'autres  milieux,  identifié  au  Logos  (^^*).  Un  témoi- 
gnage irrécusable  de  cette  adaptation  des  ]\Iusulmans  à 
l'Inde  est  l'exemple  d'Akbar  (^*^),  prince  de  la  dynastie 
de  Tamerlan;  ce  monarque,  le  plus  puissant  qu'ait  connu  le 
pays,  ne  se  contenta  pas  d'accueillir  Parsis,  Hindous,  Jainas, 
pour  se  mettre  en  mesure  de  fonder  un  rationalisme  éclec- 
tique, sorte  de  religion  naturelle  qui  devait  être  aussi  religion 
impériale;  il  abjura  l'Islam  (1582).  Moins  exceptionnels,  et 
partant  plus  symptomatiques  encore,  sont  les  syncrétismes 
qui  naquirent  du  contact  des  deux  civilisations.  Kabîr 
(1440-1518),  à  qui  Musulmans  et  Hindous  voueront  une  égale 
vénération,  se  dit  l'enfant  de  Râma  et  d'Allah  (LXIX)  (^^°). 
Disciple  de  Râmânanda,  il  trouve  dans  les  doctrines  de  la 
distinction  et  de  la  non-distinction  juxtaposées  (bhedâbheda) 
la  justification  de  son  ivresse  pour  l'absolu,  non  moins  imma- 
nent que  transcendant.    «  Hindous  et  Musulmans  atteigni- 


LA    PENSÉE    HINDOUISTE  253 

rent  la  limite  où  toutes  marques  distinctives  s'effacent»  (II). 
«  La  vérité  ne  peut  se  trouver  ni  dans  les  livres,  ni  dans  les 
Védas  ))  (XVII);  «  le  Purana  et  le  Qorân  ne  sont  que  des  mots; 
Kabir   laisse   parler   l'expérience»    (XLII),    une   expérience 
mystique  en   laquelle  l'âme  s'harmonisant  au    «jeu»   (lîlâ) 
divin,  s'exalte  en  l'amour.  Nanak,  de  Lahore  (1469-1539),  sous 
la  double  influence  de  Kabir  et  de  Goraksa,  fonde  la  puis- 
sante secte  des  Sikhs  (^^^),  qui  deviendra  capable  de  soutenir 
des  guerres;  il  dépasse  la  foi  hindoue  comme  la  foi    musul- 
mane, non  pas  comme  théoricien  abstrait,  mais  en  homme 
d'action  mêlé  à  de  tragiques  événements.  Echappé  au  massa- 
cre des  habitants  de  Saiyidpur  quand  Babr  envahit  le  Penjab 
(1526),  il  devient  esclave,  mais  les  échos  de  son  prêche  reten- 
tissent si  loin  qu'il  passe  pour  s'être  fait  entendre  tant  à 
Ceylan  qu'en  Arabie.  Fidèle  à  sa  profession  de  foi:  «il  n'y  a 
ni  Hindous,  ni  Musulmans  »,  il  refuse,  en  face  de  l'empereur, 
d'adhérer  à  l'Islam.  Panthéisme  et  théisme  se  rejoignent  dans 
sa  fervente  mysticité,  qui  fait  de  la  mâyâ  une  grâce  divine. 
L'antique  formule  des  Upanisads  prend  un  accent  tout  nouveau, 
présentée  non  comme  orgueilleuse  affirmation,  mais  comme 
humble  prière  :  «  Si  telle  est  ta  volonté,  ô  Seigneur,  tu  es 
mien  et  je  suis  tien»  (^''^). 

Nous  voici  plus  près  du  Christianisme  (^^^)  que  sous 
aucun  autre  aspect  de  la  religiosité  indienne.  Les  analystes 
n'ont  pas  manqué,  qui  épièrent  dans  les  épopées,  dans  les 
purânas,  dans  les  dogmes  bouddhiques  les  traces  d'influences 
chrétiennes.  Des  figures  aussi  différentes  que  celles  du  Çâkya- 
muni,  prince  désabusé,  fanatique  du  renoncement,  et  celle 
de  ce  bouvier  pillard  et  voluptueux,  Krsna,  ont  pu  présenter 
quelques  affinités  avec  celle  de  Jésus  de  Nazareth,  car  tous 
trois,  réels  ou  légendaires,  furent  des  Sauveurs.  L'homme 
prédestiné  à  guider  la  race  entière  vers  un  port  de  salut,  ainsi 
que  l'homme  cosmique  intermédiaire  entre  l'absolu  en  soi 


204  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

et  le  pur  relatif,  voilà  des  notions  autour  desquelles,  en 
maintes  civilisations,  s'élaborèrent  des  cycles  de  légendes, 
sans  qu'il  paraisse  possible  de  déterminer  des  emprunts 
directs.  L'histoire  de  Barlaam  et  de  Josaphat  fournit  un 
exemple  de  ces  traditions  diffuses,  intégrées  à  diverses  litté- 
ratures. Peut-être  ne  précisera-t-on  jamais  l'élément  positif 
que  renferme  la  tradition  selon  laquelle  l'apôtre  Thomas 
aurait  évangélisé  le  royaume  de  Gondopharès,  et  mérité  la 
palme  du  martyre  à  Mailâpur.  ^lais  que  des  chrétiens,  surtout 
Nestoriens,  aient  de  bonne  heure  gagné  l'Inde  soit  par  terre, 
soit  par  mer,  nous  n'en  saurions  douter.  Grierson  a  déployé 
autant  de  science  cpie  d'ingéniosité  à  établir  qu'il  3^  eut 
des  colonies  chrétiennes  dans  le  sud  de  l'Inde,  afin  d'imputer 
à  ces  étrangers  l'importation  de  ce  piétisme,  la  bhakti.  C'est 
accorder  à  une  influence  lointaine  et  faible  d'énormes  effets  : 
nous  avons  reconnu  dans  la  bhakti  une  tendance  aussi  an- 
cienne que  les  cultes  de  Vâsudeva  ou  de  Nârâvana.  L'Inde 
demeurera  trop  à  l'écart  des  traditions  sémitiques  pour  subir 
une  action  notable  de  la  part  du  christianisme.  Malgré  l'ins- 
tallation des  Européens,  catholiques  ou  protestants,  les 
conversions  furent,  somme  toute,  peu  nouibreuses,  l'élite 
refusant  d'abandonner  ses  propres  idéaux  et  les  peuples  de 
civilisation  inférieure  se  laissant  peu  gagner  par  la  propa- 
gande missionnaire.  Les  religions  européennes  ont  surtout 
renforcé  chez  les  intellectuels  la  persuasion  qu'il  y  avait  lieu  de 
dépasser  la  littéralité  des  dogmes  en  un  éclectisme  analogue  à 
celui  dont  rêvait  Akbar,  et  que  dans  la  mesure  où  s'imposent 
traditions  et  symboles,  celles  et  ceux  de  l'Inde  sont  pour 
l'Inde  les  plus  convenables. 

L'Europe  apparaît  là-bas  non  seulement  comme  le 
pays  d'origine  des  missionnaires,  mais  comme  celui  d'où 
viennent  les  exploitants  de  la  richesse  publique.  Elle  est 
donc   considérée  avec  une   méfiante   appréhension,   quoique 


LA    PENSEE    HTNDOULSTE  ZÎ30 


le  pays  doive  sa  relative  unification  à  l'empire  britannique. 
Notre  science  témoigne  de  son  efficacité  aux  yeux  des  Hindous 
et  plus  d'un  parmi  eux  ferait  en  Occident  figure  de  savant 
très  estimable.  Mais  cette  science  ne  cadre  guère  avec 
l'ensemble  de  la  mentalité  indienne  qui  reproche  très  vive- 
ment aux  occidentaux,  Européens  ou  Américains,  de  surtout 
l'utiliser  pour  fonder  la  prospérité  matérielle  et  d'oublier  le 
primat  des  vérités  morales  ou  religieuses.  Aussi  l'Inde,  qui 
sympathise  peu  avec  le  christianisme,  mais  qui  le  respec- 
terait en  tant  que  religion,  se  scandalise-t-elle  de  notre  ido- 
lâtrie pour  la  force  et  pour  l'argent,  peu  conciliable,  juge-t-elle, 
avec  la  foi  chrétienne.  En  mainte  circonstance  les  réforma- 
teurs modernes,  les  érudits  de  la  jeune  Inde,  le  prestigieux 
génie  de  Tagore  firent  avec  sévérité  le  procès  de  l'Occident  et, 
par  contraste,  ont  exalté  l'attachement  à  la  culture  indigène 
ainsi  que  la  vocation  pour  la  spiritualité  (^®^).  Cette  anthitèse 
suscitera-t-elle,  comme  au  Japon,  une  transformation  sinon 
des  idéaux,  du  moins  des  méthodes,  et  réveillera-t-elle 
une  immense  civilisation  de  son  sommeil  scolastique  ?  Ce 
problème  de  l'avenir  et  déjà  du  présent  clôt  à  l'époque 
actuelle  l'histoire  de  la  pensée  indienne. 


* 


Une  appréciation  de  cette  philosophie  ne  saurait  être 
donnée  qu'en  fonction  des  deux  autres  filiations  spéculatives 
parfaitement  synchroniques  :  la  pensée  européenne  et  la  pensée 
chinoise  *.  Ainsi  verrait-on  apparaître  les  postulats  propres  à  la 
réflexion  dont  nous  venons  de  retracer  les  principales  phases. 
Nous  ne  signalerons,  en  guise  de  conclusion,  que  le  trait  domi- 


*  La  méthode  qui  paraît  couvenir  pour  une  semblable  mise  eu 
parallèle  et  quelques  échantillons  des  résultats  auxquels  elle  pourrait  con- 
duire, ont  été  examinés;  par  nous  dans  notre  PM/osopIde  comparée,  Paris, 
Aîcan   1923. 


256  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

liant,  celui  que  la  prépondérance  intellectuelle  de  la  caste  brah- 
manique imposa  aux  éléments  les  plus  disparates  d'une  cul- 
ture infiniment  complexe.  C'est  l'idée,  tout  à  fait  essentielle, 
que  l'effort  spéculatif,  moral,  religieux,  nous  doit  donner, 
par  la  suppression  des  conditions  de  fait,  une  sortie  hors  de 
la  transmigration,  autant  dire  un  accès  à  l'absolu.  Du 
Yi^ siècle  avant  J.-C.  jusqu'à  nos  jours,  cette  obsession  hanta 
la  totalité  des  esprits,  pourvu  qu'on  mette  à  part  quelques 
matérialistes  systématiques,  négateurs  du  samsara.  La  loi 
par  excellence  (dharma)  fut  de  dépasser  la  loi  littérale  (dhar- 
ma)  pour  fonder,  par-delà  l'ordre  de  l'acte  (karman),  la 
recherche  de  la  délivrance  (moksa).  Les  expédients  imaginés 
ont  extrêmement  varié,  mais  se  réduisirent  à  transcender  les 
conditions  normales  de  l'existence.  Toujours  la  théorie  du 
salut  fut  l'inverse  de  la  théorie  de  la  création.  Ainsi  devenait 
possible  cette  conviction,  qui  se  fait  jour  dans  les  différents 
systèmes  philosophiques  ou  religieux,  qu'erreur  et  vérité 
se  ramènent  à  deux  modalités  du  même  principe,  et  que  la 
même  efficace  asservit  et  libère. 

Cette  supposition  fondamentale  explique  pourquoi  l'Inde 
a  si  souvent  fait  bon  marché  du  donné,  des  phénomènes. 
Son  mépris  de  l'histoire  vient  de  là,  comme  le  fait  qu'elle  n'a 
pas  constitué  la  science,  malgré  une  force  de  pensée  tradi- 
tionnelle, collective,  sans  égale  dans  l'histoire  du  monde 
jusqu'à  l'avènement  de  la  science  européenne;  malgré  aussi 
une  réelle  aptitude  à  la  positivité.  Elle  a  possédé  des  géo- 
mètres, des  algébristes,  des  médecins,  des  chimistes,  mais 
qui  cherchèrent  dans  l'empirisme  des  recettes  plutôt  que 
dans  la  nature  des  lois.  La  conviction  manquait,  que  le  fait 
comme  tel  mérite  d'être  connu.  Nous  en  trouvons  une  contre- 
épreuve  très  nette  dans  la  singularité  de  l'esthétique  indigène. 
Nous  préjugerions  volontiers  que  le  domaine  au  moins  de 
l'imagination,   des  sentiments,   de  l'art  doit  être  celui  des 


LA   PENSÉE   HINDOUISTE  257 

phénomènes.  Or,  le  réel,  nous  voulons  dire  le  sensible  tel  qu'il 
nous  est  donné,  intéresse  si  peu  l'Inde  que  ses  esthéticiens  prô- 
nent non  le  culte  de  la  nature,  mais  une  imagination  factice, 
des  sentiments  artificiels,  qui  ne  rejoignent  pour  ainsi  dire 
qu'à  regret  les  éléments  de  l'expérience  spontanée.  L'abstrac- 
tion fut  la  passion  des  artistes  comme  des  penseurs  réflexifs. 
En  toute  occurrence  le  génie  hindou  n'a  pu  se  contenter  de  la 
vie  simple  et  naïve:  les  fins  transcendantes  l'ont  à  ce  point 
détourné  des  fins  immanentes  qu'au  moment  où,  dans  le 
Tantrisme,  triomphe  une  conception  immanentiste  de  l'intel- 
ligibilité, l'esprit  s'assigne  pour  but,  non  de  se  laisser  vivre, 
mais  de  se  créer  une  vie  digne  de  lui,  une  existence  omni- 
sciente, omnipotente,  qu'il  maîtrisera  parce  qu'il  en  sera 
l'auteur  (sâdhana).  Trop  poignante  fut  l'angoisse  d'une 
irrémédiable  servitude,  pour  que  la  suprême  aspiration  ne 
fût  pas  d'obtenir  dans  l'autonomie  l'absolu.  Or  la  nature 
n'était  conçue  que  comme  esclavage:  ses  lois  n'apparaissaient 
que  comme  des  chaînes.  Par  contraste  l'inconditionné  ne 
fut  que  l'affranchissement.  Intellectualisme  et  pragmatisme, 
science  et  morale  se  présentent  donc  avec  des  valeurs  diffé- 
rentes en  Europe  et  dans  l'Inde:  prendre  conscience  de  ces 
foncières  divergences  n'est  pas  simplement  le  moyen  de 
pénétrer  le  sens  de  la  pensée  asiatique  comme  de  la  nôtre, 
c'est  la  condition  même  de  la  position  critique  de  tout  pro- 
blème philosophique. 


17 


NOTES 


Abréviations 

A  B  A  W  Abhandlungender Kôn. Bayer. Akad. d.  Wissenschaften,  Miincheri 

A  G  W  G  Abhandlungen  der  Kôn.  Ges.  d.  Wissenschaften  zu  Gôttingen. 

A  K  M  Abhandlungen  fur  die  Kunde  des  Morgenlandes  —  éd.  Z  D  M  G. 

al  allemand . 

an.  anglais. 

B  B  Bibliotheca  buddhica,  St-Pétersbourg. 

B  E  F  E  0  Bulletin  de  l'Ecole  Française  d'Extrême-Orient,  Hanoï. 

B  G  Bhagavad-Gïtâ. 

B  I  Bibhotheca  Indica,  Calcutta. 

B  S  Brahma  siïtras. 

B  S  S  Bombay  sanskrit  séries. 

B  V  S  Bhandarkar,  Vaisnavism,   Çaivism.  Strasb.  1913  (Gr.  III,  6). 

CHI  Cambridge    History    of   India.    vol.    I,    Ancient    India,    éd. 

Rapson,  1922. 

DAGP     Deussen,  Allg.  Gesch.  der  Philosophie  l^r  Band,  Leip.,  Brock- 
haus,  1894  (Veda)  et  1899  (Upanisads). 

D  V  Deussen,  das  System  des   Vedânta,  Leip.  ibid.,  3^  Aufl.  1920. 

DU  Deussen,  Sechzig   Upanisads  des    Veda,  ibid.   1921,  (3^  Aufl.) 

D  M  Deussen,    Vier  philosophische  Texte  des  Mahahhâratam^  ibid. 

D  G  Dasgupta,  a  hist.  of  Indian   Philosophy^   vol.  I,  Camb.  1922. 

éd.  édition. 

ERE  Encyclopedia  of  religion  and  ethics  (Hastings). 

F  R  Farquhar,    an   Outline   of  the    religions   literature  of  India, 

Oxford  1920. 

G  B  J  Guérinot,  Bibliographie  jaina,  Paris  (Guimet). 

GhV  Ghate,  le   Védanta,  étude  sur  les  Brahmasûtras  et  leurs  cinq 

commentaires.  Thèse  Paris.  Tours  1918. 
G  G  A         Gôttingische  Gelehrte  Anzeigen. 

Gr  Grundriss   der  indo-arischen  Philologie  und   Altertumskunde. 

Strasbourg,  Triibner. 

G  S  Garbe,  Sâmkhya  Philosojphie  2^  éd.  Leipz.  1917. 


KM 

KS 

M 

MS 

N 

NGWG 

NS 

OB 

260  fflSTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

G  S  A  I       Giornale  délia  società  asiatica  italiana. 
H  O  S  Harvard  Oriental  séries,  Cambridge  (Mass.)- 

Ind.  A         Indian  Antiquary. 
J  A  Journal  Asiatique,  Paris. 

J  A  0  S      Journal  of  the  American  Oriental  Society,  New- York. 
J  A  S  B      Journal  of  the  Asiatic  society  of  Bengal,  Calcutta. 
J  B  R  A  S  Journal  of  the  Bombay  branch  of  the  RAS. 
J  R  A  S      Journal  of  the  Royal  Aijiatic  Society,  London. 
K  L  A         Keith  (A,  Berriedale),  Indian  logic  andatomism,  Oxford,  Claren- 
don,    1921. 
Keith,  the  Karma -IVIïmâmsâ,  Oxford,  Univ.,  1921. 

Keith,    the  Sâmkhya  system,  Oxf.,  Univ.,   1921. 

Mâhabhârata. 

Mîmâmsâ  sûtras. 

Nanjio  (Bunyiu)  a  catalogue  of  the  chmese  Tnpitaka^  Oxford, 

1883. 
Nachrichten  d.  Gesel.  der  Wiss.  zu  Gôttingen. 

Kyâj'a  siîtras. 

Oldenberg  (H.),  Le  Bouddha  ■,tTSLÔ.  fr.  Foucher  (A.),  3^  éd.  f.  sur 

3e  al.  Paris,  Alcan,  1921. 
O  L  U         Oldenberg,  die  Lehre  der  Upanishaden   und  die  Anfànge  des 

Buddhismus,   Gôttingen,  Vandenhœck,   1915. 
0  V  Oldenberg,  die  Religion  des  Veda,  Berhn,  Hertz  1894;  trad.  fr. 

Henry,  1903. 
0  W  B        Oldenberg,  die  Weltanschauung  der  Br'âhmana.      Texte,  Got- 

ting.,  Vandenhœck,  1919. 
0  H  I  Oxford  History  of  India,  by  Vincent  A.  Smith,  Oxford.  Cla- 

rendon,  1919. 
P  T  S  Pâli  Text  society,  London  1882. 

R  H  R         Revue  de  l'Histoire  des  religions,  Paris,  Leroux. 
S  A  B  Sitzungsberichte  der  kôn.  preuss.  Akad.  d.  Wiss.  zu  Berhn. 

S  B  E  Sacred  books  of  the  East,  Oxford. 

S  B  H         Sacred  books  of  the  Hindus-Allahabad,  Pânini  office. 
S I  Suah    (L.)    Introduzione    allô   studio    délia  flosofia   indiana. 

Pavia,  Mattei,  1913. 
S  S  Sâmlchya  sûtra. 

Sa  Se  Sanskrit  séries. 

St  Stcherbatsky  (Th.)  L' Epistémologie  et  la  logique  chez  les  Boud- 

dhistes ultérieurs  (original  russe  St-Pétesbourg  —  trad.  fr. 
par  Mme  I.  de  Manziarly  et  P.  Masson-Oursel  sous  presse 
dans  les  annales  Guiniet  Paris  ;  —  t.  al.  commencée  dans 
Zeitschrift  fiii-  Buddhismus,  mai  -  juh  1821). 


NOTES  261 

t  traduction. 

T         Tripitaka  chinois,  Tokyo  1881-1885. 

U         Upanisad  (B  A  U,  Brhadâranyaka  U;  —  C  U,   CKândogya  U  ;  — 
MU,  Maitri  U  ;  " 

V  P  B         L.  de  la  Vallée  Poussin.  Bouddhisme.  Paris,  Beauchesne  1909. 

V  P  E  M     L.  de   la  Vallée  Poussin.   Bouddhisme^    Etudes  et  matériaux 

Adikarmapradipa.,  Bodhicaryâvatâratîkâ.  Lond.  Luzac,  1898. 
VPN         L.  de  la  Vallée  Poussin,  The  way  ta  nirvana.  Cambridge,  1917. 

V  S  Vaiçesika  siïtras. 

W  Winternitz  (M.),  Geschichte  der  indischen  Litteratur,  Leipzig, 

Amelang.  I,  Brahmanisme,  1909;  II,  1,  Bouddhisme,  1913; 
2  Jainisme,  1920. 

W  Z  K  M   Wiener  Zeitschrift  fiir  die  Kunde  des  Morgenlandes. 

V  S  Yoga  sûtras. 

Z  D  M  G     Zeitschrift  der  deutschen  Morgenlând.  Gesellschaft,  Leipzig. 


Note  fréliminaire. 

Documentation  générale  sur  l'indianisme. 

P.    Masson-Oursel,    Bibliographie  sommaire    de  V indianisme,  Isis, 
Bruxelles,  Weissenbruch,  n»  8  (vol.  III,  2)  autumn  1920, 171-218. 
Histoire  de  l'Inde.  C.  H.  I.  (limité  jusqu'ici  à  l'antiquité)  ;  OHI   (manuel 
scolaire  indispensable  comme  traitant  du  sujet  entier). 
R.  Grousset,  Histoire  de  VAsie,  2^  édition,  Paris,  Grès  1923  ou  1924. 
Histoire  de  la  philosophie  indienne.  Les  ouvrages  d'ensemble  font  défaut. 
P.   Oltramare,  Histoire  des  idées  théosophiques  dans  l'Inde,  Paris, 
Guimet  I  (II  à  paraître  en  1923).   (Très  recommandable,  mais 
jusqu'ici  incomplet.) 
F.  Belloni-Filippi,  Imaggiori  sistemi  filosofici  indiani.  Milano,  Sandron. 
I.  daUe  origini  al  Buddhismo.   (Lucide,  mais  très  sommaire  et 
incomplet). 
D  G  (Exposé  approfondi  des  principaux  systèmes,   mais  ne  fournit 
point  une  histoire  ;  aucune  documentation  critique  ;   le   tome  II 
n'a  pas  encore  paru). 
Deux  ouvrages  peuvent,  d'après  leur  titres,  paraître  fournir  une  ini- 
tiation à  l'histoire  de  la  philosophie  indienne.  S  I  est  une  excellente  étude 
du  Nyâya-Vaiçesika,  mais  non  un  examen,  même  préjudiciel,  de  l'ensemble 
du  sujet.  Quant  à  l'ouvrage  de  R.  Guenon,  Introduction  générale  à  l'étude 
des  doctrines  hindoues,  Paris,  M.  Rivière,  1921,  malgré  un  sens  très  vif  des 
choses  indiennes,  il  témoigne  de  partialité  contre  le  Bouddhisme,  ainsi  que 
contre  les  méthodes  européennes  d'histoire  et  de  critique.  —  Philos,  of 


262  HISTOIRE    DE   LA    PHILOSOPHIE   INDIENNE 

Ancient  India,  de  R.  Garbe,  est  un  opuscule  fait  de  trois  articles  (Chicago, 
1899).  —  Une  Indische  Philos.,  par  0.  Strauss,  a  été  annoncée  en  1922 
par  la  maison  Reinhardt,  de  Munich  ;  nous  n'avons  pu  en  prendre  connais- 
sance. 

St  est  un  remarquable  examen  de  la  pensée  indienne  sous  le  biais  de 
l'épistémologie,  avec  le  Bouddhisme  pour  centre. 

Deux  articles  indiquent  de  façon  sommaire  mais  précise  les  caractères 

de  la  théorie  indienne   de   la    connaissance:    Freytag,    Vher  die  Er- 

kenntnisth.  der  Inder,  Viertelj.  f.  wiss.  Philos,  u.  Soziologie  XXIX, 

2,  181. 

Suali,  Essai  sur  la  th.  de  la  conn.  dans  la  phil.  ind.,  Isis,  loc.  cit.,  219-254. 

Une  Indian  Philosophical  Review  existe  depuis  1917,  rédigée  par  Wid- 
gery  (Baroda)  et  Ranade  (Poona)  ;  mais  elle  a  cessé  de  paraître  en  1922. 
Sous  la  même  direction,  depuis  1920,  Indian  J ournal  of  Sociology . 

Histoire  des  rehgions  indiennes.  Le  précis  le  plus  recommandable  : 
Les  religions  de  VInde,  par  A.  Barth.  Encyl.  des  Se.  rei.,  1879;  puis  à  part, 
notamment  dans  t.  an.  the  religions  of  /.,  (t.  J.  Wood,  Lond.  1882,  Triibner) 
et  réédité  dans  les  Œuvres  de  Barth  (tome  I,  1-25)  Paris,  Leroux,  1914. 

F.  R.  est  un  instrument  de  travail  indispensable  en  raison  de  son  abon- 
dante bibliographie  de  première  et  seconde  main;  c'est  le  premier  effort 
pour  retracer,  dans  sa  complexité  comme  dans  son  évolution,  l'histoire  reH- 
gieuse  de  l'Inde.  Les  indications  sur  l'Hindouisme  sont  surtout  précieuses. 
On  ne  fait  que  situer  les  systèmes. 

'L' Indische  Theosophie  de  J.  S.  Speyer  est  un  bon  exposé  sommaire. 

(1)  Âryas.  C  H  I,  ch.  III  ;   —  Carnoy,  les  Indo- Européens,  Bruxelles, 

1921  ;  —  O.  ScHRADER,  Aryan  religion  ERE,  II,  15  ;  — 
Havell,  Aryan  rule  in\.,  Lond,  1918. 

(2)  Dravidiens  C  H  I,  ch.  II  —  E  R  E,  V,  1-28.  Whitehead,  the  village 

Gods  of  South  /.,  Oxf.,  1916  ;  —  Elmore,  Dravidian  gods  in 
modem  Hinduism,  N.  Y.  1915,  (Nebraska  Un.). 

(3)  J  R  A  S  1909    721  (Jacobi),  1095  (Oldenberg),  1 100  (Keith)  ;  1910, 

456  (J.),  464  (K);  —  Sten  Konow,  The  aryan  gods  of  the  Mitani 
people,  Publ.  of  the  Indian  Institute,  Kristiania,  1921. 

(4)  L'Indo-Européen.  Brugmann,  vergl.  Grammatik  d.  indo-germ.  Spra- 

chen,  1886-1900  ;  —  A.  Meillet,  Intr.  à  Vét.  comp.  des  lang. 
indo-europ.,  Paris  1912  ;  —  indications  sommaires  dans  Car- 
noy; et  Marouzeatj,  La  Linguistique,  Paris,  Geuthner,  1921. 

(5)Avesta.  J.  Darmesteter,  le  Zend-Avesta,  Paris  1892.-93;  —  Geldner, 
the  sacred  books  of  the  Parsis,  Stuttg.  1885-96;  —  Reichelt, 
Av.  Reader,  Strasbourg,  Trubner  1911  ;  —  W.  Jackson, 
die  Iran.  Religion,  Gr.  V,  1896-1904  ;  —  Charpentier,  Kleine 
Beitràge  zur  indoiran.  Mythol.  Upsala,  1911. 

(6)  Zoroastre.  Chr.  Bartholomae,  Zarathustra' s  Verspredigten  iiber- 
setzt.    Strasb.    Triibner,    1905  ;    —    Geldner,    Ency.    Brit. 


NOTES  263 

XXIV,  820  ;  ~  Oldenberg,  Deutsche  Rund.  XIV,  1898  ;  — 
W.  Jackson,  Zoroaster,  N.  Y.  Columbia,  3®  éd.,  1919. 

(7)  Oldenberg  ,    Aus  Indien  und  Iran,  Berl.  Hertz,  1899,  185  ;  — 

OWB. 

(8)  Bibl.  védique.  Généralités  :  W,  I;  —  O  V  ;  —  Macdonell  and  Keith, 
Vedic  Index,  hond.  1912   (relig.  exclue); — Macdonell,    Vedic  My- 

ihology,  Gr,  1897  ;  —  Hillebrandt,  Ved.  Myihol.,  Breslaul891- 
1902;  —  Keith,  Ind.  Myth.,  Boston  1917;— Pischel  u.  Geldner, 
Ved.Studien,^iuitg.  1889-1901.  Rgvéda:  t.  an.  GrifEith,  Bénarès 
1895-6  ;  —  t.  al.  Grassmann,  Leipz.  1876-7  ;  Ludwig,  Prag, 
1876-88  ;  —  t.  fragm.  :  S  B  E,  XXXII,  XL VI;  du  9«  Uv.  : 
Regnaud,  Paris  1900.  —  Bloomfield,  Relative  chronology  of  ihe 
Vedic.  hyrnns,  J  A  0  S  XXI;  Vedic  concordance  H  O  S,  X, 
1906;  —  Bergaigne,  Eel.  védique,  Paris  1878-1883.  Sâmaveda:  t. 
al.  Benfey,  Leip.  1848;  —  t.  an.  Griffith,  Bénarès  1893  ;  — 
Caland,  die  Jaiminïya  Samhitâ,  Breslau  1907  —  Yajurveda  ; 
White  Y.,  t.  an.  Griffith,  Bénarès  1899  ;  —  Keith,  Taittirîya 
Samhità.  HOS,  XVIII;  XIX. 

Atharvaveda  :  t.  an.  Whitney  and  Lanman,  HOS,  VII  et  VIII  ;  — 
Griffith,  Bénarès  1897  ;  —  frag.  Bloomfield  S  B  E,  XLII  ;  — 
t.  f.  Henry,  Liv.  VII-XIII,  Par.  1891-6  ;  —  Weber,  Ind.  Stu- 
dien,  Liv.  I-V,  XIV,  t.  al.;  SAB  1895-6,  Hv.  XVIII;  — 
Florenz,  diss.  Gôtting.  1887,  Liv,  VI  ;  Grill,  100  Lieder  des 
A.,  Stuttg.  1888  (al).  —  Henry,  Magie  dans  VI.  antique, 
Par.    1904.  —  Scherman,  Philos.  Hymnen,  Strasb.  1887. 

Exposé  sommaire  :  L.  de  la  Vallée  Poussin,  Védisme,  Par.,  Bloud.  1909. 

(9)  Sacrifice.  Caland  et  Henry,  VAgnistoma  ;  —  Hillebrandt,  Ritual- 
Litteratur,  Gr.  III,  2,  1897  ;  —  OV  ;  —  S.  Lévi,  la  doct.  du  Sacr. 
dans  les  Bvahmanas,  Par.  1898. 

(10)  Brahman.  OWB  ;  OLU  ;  GS  139.  La  dérivation  de  la  racine  brah, 

resplendir  (Henry,  Atharvav.,  liv.  X-XII,  p.  VIII)  n'a  plus  guère 
de  partisans.  La  dérivation  de  rac.  brh,  être  fort,  prendre  force, 
croître  est  admise  et  par  les  philosophes  et  par  la  tradition 
(RâmSnuja  cité  par  Sukhtankar  Z  DMG).  ERE  II,  798. 

(11)  Mythologie  védique,  op.  cit.  :  Hillebrandt,  Macdonell,  Keith,  Bergai- 

gne (no  8)  ;  Muir,  Original  sansk.  texts,  Lond.  1884,  V. 

(12)  Pensée  védique.  DAGP  ;  —  Bloomfield,  Bel.  Of  the   Veda,  N.  Y., 

1908  ;  —  OV  ;  OWB. 

(13)  Littérature  brahmanique  en  tant  que  rattachée  aux  Védas  : 


264 


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NOTES  265 

Brâhmanas.  Analyses  :  DU.  trad.  :  Aitareya  :  t.  an.  Haug,  Bombay  1863  ; 
Ait.  et,  Kausïtaki,  t.  an.  Keith,  HOS  XXV,  1920  ;  Çatapatha, 
t.  an.  Eggelïng  SBE  XII,  XXVI,  XLI,  XLIII,  XLIV.  Autres 
FR  363. 

(14)  Castes.  CHI  234  ;  —  Jolly,  Redit  u.  Sitte,  Gr.  II,  8  ;  —  OLU;  —  OHI; 

34-42  ;  —  Shridar  V.  Ketkar,  history  of  caste  in  I;  Ithaca  1909  ; 
Shama  Shastri,  Evolution  of  caste.  Madras  1916;  —  E.  Senart, 
les  Castes  dans  ri.,  Par.  1886  ;  et  Oldenberg  Z  DMG,  LI,  267;  — 
Bougie,  Castes,  Par.  ;  —  Notions  de  jâti  et  varna,  Barth,  Œuv. 
II,  222-4;  416-8  ;  IV,  302,  321. 

(15)  Sophistique  indienne.  Dahlmann,  das  M.  als  Epos  u.  Rechtsbuch  ;  — 

P.  Masson-Oursel,  R.  Met.  et  mor.  XXIII,  343  et  Philos,  com- 
parée, IP  p.,  ch.  1  et  2. 

(16)  Cârvâkas.  Dahlmann,  loc.  cit.;  —  ERE,  VIII,  138;  493.  —  n.  118. 

(17)  Yoga.  B  G  passim  ;  cf.  index  de  notre  t.,  sous  presse,  Paris,  Geuthner; 

P.  Masson-Oursel,  RHR  1913  ;  —  Ewing,  Hindu  conceptions 
of  the  functions  of  breath,  JAOS  XXII,  249  ;    -  OLU. 

(18)  Upanisads.  Leur  relation  aux  Aranyakas  :    n.  13.  Liste  de  123  U  : 

FR  364  ;  —  t.  an.  Max  MuUer,  SBE,  XV  ;  S.  G.  Vasu  SBH, 
I  ;  III;  XIV  ;  Hume,  Oxf.  1921  ;  îçâ,  Avalon,  Lond.  1918  ;  — 
t.  al.  DU  ;  —  t.  f .  de  BAU,  Hérold,  Par.  1894  ;  de  9U  par  Mar- 
cault  d'ap.  Mead.  Par.  1905  (Art  Indépendant)  ;  —t.  it.  de  KU, 
BeUoni-Filippi,  Pisa  1905.  Leur  philos.  DU;  DAGP;  —  OLU  ;  — 
HiUebrandt,  Âus  Brâhmanas  u.  U.  Jena  1921  ;  —  Hume,  op. 
cit.  ;  —  Brofïerio,  Fil.  délie  U.,  Milano,  1911  ;  —  Regnaud, 
Matériaux  pour  servir  à  Vh.  de  la  ph.  de  VL,  Par.  1876.  — 
Jacob  (n.  131). 

(19)  Âtman  —  OLU  ;  OWB.  L'assimilation  à  Atem,  dans  la  l^e  éd.  de  GS 

108,  293,  disparaît  dans  2^  ;  t.  ch.:  T'oung  pao,  XIII,  412.  Le 
sens  primitif  est  corps,  personne  ;  le  sens  constant  =  soi-même 
(self,  sich  selbst).  ERE  II,  195-7,  801. 

(20)  Sur  la  déformation  du  sens  des  U  par  le  préjugé  de  Schopenhauer 

et  de  Deussen,  que  leur  portée  coïncide  avec  celle  du  Platonisme 
et  du  Kantisme  :  Sukhtankar,  WZKM  (XXII,  134). 

(21)  SamsSra,  Boyer,  JA  1901,  451  ;  —  VPN,  24  ;  —  OLU,  Wiedertod  ;  — 

"  GS,  232  ;  —  ERE,  W,  Death.  L'Inde  a  conçu  successivement  : 
1»  la  vie  comme  s'achevant  après  avoir  obtenu  sa  plénitude  (sar- 
vam  âyus);  2°  la  vie  comme  durant  après  la  mort  autant  que  les 
offrandes  funéraies  alimentent  le  défunt  ;  3»  le  karman  comme 
sacrifice  conjurant  le  remords  (punarmrtyu)  ;  4P  le  karman 
comme  exigence  de  rétribution  imposant  une  renaissance  après 
chaque  mort,  idée  morale  qui  rejoignit,  une  fois  le  Bouddhisme 
constitué,  la  conception  des  destinées  telle  que  l'expriment  BAU 


266  HISTOIRE    DE   LA   PHILOSOPHIE   INDIENNE 

VL  2  et  Ch  U,  V,  3-10.  Le  S.  n'apparaît  qu'avec  les  U  (FR  28 
et  30).  —  L.  von  Schroeder  trouve  là  l'origine  des  idées  de 
Pji;hagore:  Pythag.  u.  die  Inder^  Leip.  1884. 

(22)  Diversité  des  attitudes  spéculatives  aux  Vll^  et  Vl^  siècles  avant 

J.-C.  et  classement  des  doctrines  en  kriyavâda  et  ak.  :  le 
remarquable  ilber  den  Stand  d.  ind.  Phil.  zur  Zeit  Mahâvîras 
u.  Buddhas,  par  O.  Schrader  (Diss.  Strasb.),  Leip.  1902. 

(23)  Tîrthika,  Tirthamkara.  Schrader  ;  —  Bimala  Charan  Law,  Inf,.  of 

the  5  hereticalteachers  (Tïrthikas)  on  Jaijiisma.  Buddhism  JASB, 
XV,  1919, 123  ;  —  Ui,  Vaiçesika  Phil.  according  to  the  Daçapa- 
dârtfiaçâstra,  Lond.,  RAS,  1917,  18-26.  Le  mot  Tîrthamk.  fit 
fortune  dans  le  Jainisme  (Jaini  cité  n^  29). 

(24)  Nirgranthas  et  Pârçva.  GBJ,  XI-XIII  ;  25,  364;  —Bhagavati  XV. 

Compar.  entre  Nir.  et  Jainas  :  Uttaradhyayanasut.  XXIII 
éd.  Charpentier,  Upsala,  1921-2;  t.  an.  Jacobi  SBE,  XLV,  121-3. 
La  biographie,  tardive,  de  P.,  est  étudiée  par  Bloomfield,  Life 
a.  Stories  of  P.,  Baltimore  1919. 

(25)  Vardhamâna  =  le  Jina  =  le  Mahâvîra.  Dates  :  Jacobi  SBE  XLV, 

p.  XIII,  W  II,  2,  289  ;  Charpentier  Ind.  A,  XLIII,  118,  125  ; 
dans  CHI,  155.  Biogr.  :  Kalpasûtra  de  Bhadrabahu,  éd.  AKM, 
XII,  1  et  Mânik.  Chand.  Jaini,  Life  of  Mah.,  Allah.  1908.  Jacobi 
SBE  XXII,  p.  X-XXVIL 

(26)  Âjîvikas  et  Gosâla.  Hoernle  ERE,  Aj.  ;  —  B.  C.  Law  cité  n»  23,  p.  123. 

Gos.  :  Bhagavati,  XV  et  app.  à  t.  de  Uvasagadasao  Hoernle  BI 
1885.  cf.  n.  31. 

(27)  Extension  du  Jainisme  :  FR  119,  162  ;  CHI,  164-8. 

(28)  Concile  de  Valabhi,  467  ou  526  :  Charpentier,  Utt.  15-6  ;  513  selon 

Jacobi  et  FR  163  ;  467  selon  W  II,  2,  294.  527  est  fourni  par 
tradition  çvetâmbara  ;  467  par  Hemacandra,  Pariçistaparvan, 
Descript.  du  canon  des  Çvet. :  II,  2,  291-316  ;  énumér.  FR  399 
cf.  GBJ. 

(29)  TatlvaHhâdhigama:  éd.  Mody  BI  1905  ou  Bombay  1903^5  ;  éd^  et 

com.  Sardarthasiddhi,  Kolhâpur  1903  ;  com.  Tattvartharaja- 
vârtika,  Sanât.  Jaina  Grantha  Mâlâ,  Bénarès  1903  ;  —  t.  al. 
Jacobi  ZDMG,  LX,  287-512. 

Exposés  doctrinaux.  Nahar  and  Ghosh,  Epitome  of  Jainism, 

Cale;  Jhaveri,  First  principles  of  J.  phil.,  Lond.  1910  ;  — A. 

Warren,   Jainism,  Madras  1912  ;  —  Mrs    Sinclair   Stevenson, 

Heart  of  Jainism,  Oxf.  1915;  —  J.  Jaini,  Outlines  of  J .,  Camb. 

1916  [recueil  de  textes]  ;  —  Guérinot,  la  relig.  des  Djainas,  Par. 

Geuthner,    sous    presse.  Cf,  Jacobi    ERE,   J.  ;  Trans.  Congr. 

of.  Rel.,  Oxf.  1908. 

(30)  Karman.  Jacobi  ERE,  IV,  484  ;  —  Helmuth  von  Glasenapp,  die  Lehre 

vom  Karman  in  der  Ph.  der  J .,  nach  den  Karmagranthas  darge- 
stellt,  Leip.  1915. 


NOTES  267 

(31)  Atomisme  j.  :  Jacobi  ERE,  II,  199  ;  —  Charpentier,  Leçya  theory  of 

the  J.  and  the  Ajivikas,  Gôteborg  1910. 

(32)  Le  vocabulaire  j.  offre  souvent  un  stade  archaïque  du  sens  des  mots. 

Le  dharma,  principe  de  mouvement,  immédiate  apphcation  à 
la  physique  de  l'idée  morale  de  loi,  fraye  la  voie  à  la  notion 
bouddhique  de  dh.  =  phénomènes.  Le  pudgala  au  sens  de  matière 
fait  présager  lep.  bouddhique:  l'esprit  en  tant  que  résultant  de 
facteurs  naturels,  comme  dans  le  Sâmkhya  la  pensée  empirique. 

(33)  Parsis.  Dosabhai  Framji  Karaka,  Hist.  of  the  Par  sis,  Lond,  1884  ; 

Haug,  Essay  son  the  P.;  3"  éd.  Lond.  1884  ;  —  West,  Pahla- 
vi  teaets  transi.  SBE,  V,  XVIII,  XXIV,  XXXVII,  XLVII  ;  — 
Menant,  les  P.,  Par.  1898  et  ERE,  IX,  640  ;  —  Dhalla  ERE, 
V,  664;   —  Gray,  ibid.  872  et  VIII,  749. 

(34)  Biographie  du  Bouddha.  —  Eléments  primitifs,  dans  le  canon  paU  : 

Digha  Nik.  XIV;  Majjh.  Nik.  XXVI,  XXXVI,  LXXXV,  G.  Le 
canon  sanscrit  renferme  biog.  plus  récentes  :  Lalitavistara  [éd. 
Lefmann,  Halle,  1892,  1908  ;  éd.  tibét.  Foucaux  ;  éd.  chin. 
Fang-houang-t'ai-yen-king,  de  683]  et  Mahâvastu  [éd.  Senart, 
Par.  1882-97.  cf.  Windisch,  abh.  d.  ph.  hist.  Kl.  d.  Kôn.  sâchs. 
Ges.  d.  W.  XXVII,  n^  XIV,  Leip.  1909].  En  outre,  Buddhacarita 
d'Açvaghosa,  ouv,  du  1^^  s.  ap.  J.-C.  [éd.  Cowell,  Oxf.  1893  ; 
t.  an.  S  B  È  ,49  ;  t.  it.  Formichi,  Bari,  1912.  Sur  la  version 
chin.  :  Else  Wohlgemut,  Diss.  Leip.  1916  ;  S.  Lévi  J  A  1892, 
201].  Le  canon  chin.  renferme  une  biog.  dans  chacun  des  cinq 
Vinayas  :  ceux  des  Mahîçâsakas,  des  Miïlasarvâstivâdins,  des 
Stha viras,  des  Dharmaguptas,  des  Mahâsâmghikas.  Wieger, 
Les  vies  chin.  duB.  ;  S.  Beal,  The  romantic  legend  of  Çâkya  B., 
Lond.,  1875  (t.  abrégée  de  V Abhiniskramanasût.  =  Fouo-pen- 
hing-tsi-king).  Compar.  de  ces  sources:  Ebbe  Tuneld,  Rech.  sur 
valeur  des  trad.  houd.  pâlie  et  non-palie.  Deux  chap.  de  la  biog. 
du  B.,  Lund.  1915. 

Bigaudet.    Vie  ou  légende  de  Gaudama,  le  B.  des  Birmans,  t.  Gauvin, 
Par.  1878. 

Biog.  modernes.  Outre  ouvrages  généraux  cités  infra:  Hardy,  der 
Buddhismus  7iach  dlteren  pali-Werken  dargestellt,  Miinster  1890; 
^.,  Leip.,  1905; — Pischel,  Z/e6e?i  u-  Lehre  des  B.,  Leip.  1906 
[succinct,  mais  précis]; — Beckh,  Buddhismus,  Berl,,  Gôschen 
1919.  —  Surtout  0.  B.  [capital  ;  repose  sur  textes  pahs].  — 
Alexandra  David,  Le  modernisme  bouddhiste  et  la  doctrine  du 
B.,  Par.,  Alcan  1911  [seconde  main.] 

Légende  du  B.  :  E,  Senart,  Essai  sur  la  lég.  du  B.  ;  Par.  1882  [capital]; 

S.  Beal,  loc.  cit  ;  —  E.  Windisch,  Mâra  u.  B.,   Abh.  d.  ph. 

h.  Kl.  d.  K.  Sâchs.  g.  d.'W.,  XV,  IV,  Leip.,  1895. 

Ouvrages  généraux  sur  le  Bouddhisme.  —  Eug.  Burnouf,  Intr.  a  Vhist. 

du  Bouddhisme  indien,  r.   1844  ;    réimp.   1876    [œuvre  d'ini- 


268  HISTOIRE    DE   LA    PHILOSOPHIE   INDIENNE 

tiateur  génial,  demeure  précieuse];— Wassiliefï,  der  Bvddhis.^ 
seine  Dogmen,  Gesch.  u.  Litt.,  t.  du  russe  en  al.  Schiefner,  S.- 
Péters.  1860  [fragmentaire,  mais  important  pour  les  écoles 
septent.];  —  Koppen,  die  Bel.  des  B.,  Berl.  1857-59;  rééd.  1906  ; 
H.  Kern,  der  Buddhis.  u.  seine  Gesch.  in.  Indien,  t.  al.  Jacobi, 
Leip.  1882-4;  t.f.  Huet.Guimet  1901  [ouv.  d'ensemble  capital; 
résumé  dans  le  suivant]:  Manual  of  indian  Bhddhism,  Strasb. 
1896,  Gr.  III,  8.— W.  II,  I  (index  dans  2)  [bibliog.  et  descript. 
des  textes].  —  V  P.  B    [remarquable    introd.    à  la  pensée  b.]. 

Sources.  —  Canon  pâli  :  P  T  S.  —  C.  Sanscrit  :  B  B.  —  C.  tibétain  :  ibid., 
P.  Cordier,  Catal.  du  fonds  tib.  de  la  Bïb.  Nat.,  2epart.,  index  du 
Bstan-Hgyur,  Par.  1909  ;  L.  Feer,  Analyse  du  Kandjour  et  du 
Tandjou/,  hyon,  Pitrat  1881  (Guimet).— C.  chinois  :  N;  D.  Ross, 
Alphabeticaï  List  of  titles,  heing  an  Index  toB.  N' s  catal.,  Ca.\c. 
1910  ;  —  T  ;— Anesaki,  the  4  Bud.  Agamas  in  chinese,  Trans. 
As.  Soc.  of  Jap.  XXXV,  3,  1908.  —  Sources  d'Asie  centrale, 
fragmentaires,  mais  import,  pour  l'hist.  du  canon  :  Pischel, 
Bruchstiicke  des  Sanskritkanons  der  Buddhisten  aus  Idyukutsari, 
S  A  B  1904,  807,  1138  ;  die  Turfan-Rezensionen  des  Dhamma- 
pada,  ibid.  1908,  968  (cf.  W.  II,  I,  185  n.  1)  Dutreuil  de 
Rhins,  c.r.  Ac.  Inscr.  14  mai  1895,  15  avril  1898,  S.  d'Oidenburg 
sur  ms.  Petrovski  du  Dham.,  S.-Pét.  1907  ;  —  A.  Stein,  Ancient 
Khotan,  Oxf .  1907  ;  Ruins  of  désert  Kathay,  Lond.  1912.  Cf. 
'  Finot  et  Huber  J  A.  1913,  465  ;  de  la  Vallée-Poussin  J  R  A  S 
1913,  843  ;  S.  Lévi  109.  Après  Stein,  Griinwedel,  von  Lecoq, 
Pelliot  ont  découvert  des  textes  en  langues  diverses.  Leh- 
nann,  Maitreya-samiti,  die  Nordarische  Schilderung,  éd.  t. 
al.  Strasb.,  Triibner  1919  ;  Nebenstûcke,  A  K  M,  XV,  2,  Leip. 
1920  ;  —  Pelliot,  fragm.  du  Suvarnaprabkâsa  en  iranien  oriental, 
Mém.'  Soc.  Ling.  Paris,  XVIII,  1913-4,  89;  Grottes  de  Touen 
Houang,  Par.  Geuthner,  1914;  —  Gauthiot  et  Pelliot,  sut.  des 
causes  et  des  effets  en  sogdien,  ch.  et  f.,  ibid  ;  —  v.  Le  Coq, 
Chotscho,  Berl.,  Reimer  1913. 

L'historien  tibétain  Târanâtha  (1608)  a  puisé  à  des  sources 
anciennes  et  fournit  une  importante  documentation.  Schiefner, 
T.  s  Gesch.  des  Bud.  in  hidien  (t.  al.)  S.-Péters.  1869. 
(35)  L'état  de  nos  connaissances  ne  nous  permet  de  préciser  aucune 
date  relative  à  la  confection  des  parties  du  canon.  C'est  au 
cours  des  réunions,  obhgatoires  dans  la  communauté,  que  pour 
le  maintien  de  la  disciphne  se  fixèrent  des  traditions  sur  la 
casuistique,  le  dogme,  la  vie  du  maître.  «Toutes  les  quinzaines, 
les  rehgieux  errants  ou  sédentaires  devaient  se  réunir  par  pa- 
roisse, écouter  la  récitation  des  Règles  fondamentales  (Pr  âtimoksa) 
et  confesser  les  infractions  commises  »  (S.  Lévi,  Saintes  Ecri.  du  B., 
Par.  Leroux-Guimet  1909-21).  Pischel  tient  de  même  le  prâtim. 
pour  noyau  primitif  du  canon  (op.  cit.  97).    Des  compilations 


NOTES  269 

récentes  se  firent  de  morceaux  anciens.  Ainsi,  quoique  la  subs- 
tance du  Vinaya  remonte  aux  tout  premiers  siècles,  sa  rédact. 
sansc.  ne  fut  codifiée  qu'au  iii^  ou  au  IV®  siècle  de  notre  ère 
(S.  Lévi,  T'oung  pao,  1907).  A  fortiori  les  canons  tib.  et  ch.  renfer- 
ment-ils à  foison  des  œuvres  de  basse  époque,  p.  ex.  des  vi®  et 
VII® siècles.  Les  édits  d'Açoka  (n.  65)  semblent  indiquer  que  dès 
le  milieu  du  III®  siècle  av.  J.-C.  se  trouvaient  ébauchés  les  qua- 
tre Nikâyas  {Dîgka,  Majjhima,  Samyuita,  Ahguttara)  et  le 
Sutta  Nipâta.  Les  vers  des  Jâtakas,  le  Dhammapadâ;  —  le 
Niddesa, les Itivuttakas,  la PafAsambhidâ;  — 'les  Çîlas,  le  Pâtimok- 
kha  ;  — le  Sutta  Vibkanga; — lesThera  et  Therïgâthâs,  les  Udûnas 
ne  paraissent  guère  moins  anciens.  (Rliys  Davids,  C  H  I,  197.) 

(36)  Pendant  la  seconde  moitié  du  Xix®  siècle,  le  problème  des  sources 

bouddhiques  s'est  débattu  entre  partisans  de  l'authenticité  du 
canon  pâli  et  partisans  de  l'authenticité  du  c.  sanscrit.  Les  pre- 
miers, dont  le  protagoniste  fut  Oldenberg,  admirent  la  relative 
intégrité  du  c.  p.  conservé  à  Ceylan  ;  le  fonds  s.,  relativement 
pauvre,  composé  sm'tout  par  le  Lalitavistara  et  le  Mahavastu, 
leur  paraît  fragmentaire,  dérivé,  mêlé  d'éléments  adventices. 
Les  seconds,  qui  comme  Burnouf  puisent  aux  matériaux  rapportés 
du  Népal  par  Hodgson,  s'appuient  sur  des  documents  septen- 
trionaux ;  intéressés  par  la  multiplicité  des  sectes  attestée  par 
les  plus  anciens  témoignages,  ils  refusent  de  tenir  poui'  seul 
jirimitif  le  c.  p.,  quoique  si  complet  ;  IVlinayefE  est  leur  princi- 
pale autorité..  Le  xx®  siècle  a  renouvelé  la  question  par  de 
minutieuses  critiques  de  textes,  et  élargi  le  débat.  Le  c.  s.  s'est 
immensément  accru  par  la  découverte  en  tib.  et  en  ch.  de  docu- 
ments traduits  naguère  d'originaux  s.  aujourd'hui  perdus,  mais 
que  restituent  les  philologues  en  possession  de  méthodes  tou- 
jours plus  sûres.  En  outre  la  collection  chinoise  ne  nous  a  pas 
conservé  un  unique  c,  mais  des  fragments  de  plusieurs  :  ainsi 
cinq  Vinayas.  Enfin  les  découvertes  d'Asie  Cent,  confirment  qu'il 
exista  une  plm-aUté  de  c.  aussi  développés  que  le  p..  Rien  donc 
ne  corrobore  l'ancien  préjugé  d'après  lequel  un  de  ces  c,  par 
exemple  le  p.,  serait  plus  ancien  que  les  autres.  De  fortes  pré- 
somptions permettent  d'induire  l'existence  d'une  ou  de  plusieurs 
versions  dont  auraient  résulté  les  textes  tant  p.  que  s.  et  autres 
encore,  sans  doute  en  des  idiomes  plus  anciens  ;  de  fait  le  Boud- 
dha s'exprimait  non  en  p.,  non  en  s.,  maLs  en  magadliî,  langue 
du  pays  de  Magadha.  (Sur  la  question  :  le  s.  fut-il  une  langue 
parlée?  W.  I,  1,  436,  n.  3).  Cf,  Oldenberg,  Btiddhistische  Stvd. 
Z  D  M  G,  C  II,  1898  ;  —  Minayeff,  Rech.  sur  le  Boud.  1887,  t.  f. 
1894  (an.  Guimet  IV)  ;  —  VP.  E  M  ;  —  S.  Lévi,  Samtes  Ecrit., 
op.  cit.;  U7ie  langue  précanonique  du  Boud.  J  A,  1912,  II,  511; — 
Tuneld,  op.  cit. 

(37)  Conciles.  —  Même  bibhog.  Les  derniers  chap.  du    Cullavagga  con- 

cernent le  1®'"  conc,  mais  le  Mahciparinirvâ7iasûtra,  un  des  plus 


270  HISTOIRE    DE   LA   PHILOSOPHIE   INDIENNE 

anciens  textes,  ne  le  mentionne  pas.  L'attribution  au  président 
du  eone.  de  Pâtaliputra,  Moggaliputra,  du  Kathâvatthu,  dernier 
livre  du  T.  sous  sa  forme  actuelle,  ne  prouve  pas  que  le  canon 
était  achevé  sous  Açoka,  mais  donne  à  penser  qu'alors  s'élabo- 
rait l'abhidharma,  dont  la  notion  est  postérieure  à  la  conception 
des  sûtras  et  du  vinaya. 

(38)  Récits,  sentences  incorporés  au  canon  :    W  II,  I,  60-134.  Légendes 

communes  au  Boud.  et  au  Jain.  :  Charpentier,  Stud.  zur  ind. 
Erzâhlungslit.  I  Paccekabuddkageschickten,  Upsala  1908;  Swpar- 
nasage,\\)\A.  1920.  —  Jâtakas  :  éd.  Fausboll,  Lond.  18877-97  ;  Rhys 
Davids,  Bud.  Birth  stories,  Lond.  1880.  —  Fables  brahmaniques 
et  autres  :  J.  Hertel,  Pancatantra,  Leip.  1914  ;  Tantrakhya- 
yika,  die  àlteste  Fassung  des  Pane.  ibid.  1909  ;  —  F.  Lacôte, 
Essai  sur  Gunâdhya  et  la  Brhatkathâ,  Par.  1908;  Buddhasvamin, 
Brhatkatha,  Çlokasamgraha  I-IX  et  X-XVII,  Par.  1908, 1920.— 
Sentences  morales  :  Bôhthngk,  Ind.  Sprilche,  S.-FéteTsh.  1870-3. 

(39)  Pratîtyasamutpadâ.    Oltramare,    Formule   houddh.    des    12    causes, 

Genève,  Georg  1909  (Jubilé  univ.)  ;  —  L.  de  la  Vallée  Poussin, 
Théor.  des  12  c,  Gand  1913  (Rec.  trav.  F.  de  Phil.);— P.  Masson- 
Oursel,  Essai  d'interpr.  de  la  th.  boud.  des  12  conditions,  R  H  R 
1915,  30. 

(40)  NirvSna.  V  P  B  89-97,    103-1277;   VPN;—   Edkins,  the  Nir.  of 

the  Northern  Buddhists;  —  Eklund,  Nir.,  1896;  — Valentino, 
Merc.  de  Fr.,  1919  ;  —  OLU  ;  —  Heiler,  Bud.  Versenkung, 
Miinchen  1922.  Le  nirv.,  conçu  primitivement  comme  simple 
suppression  de  la  douleur  par  abolition  de  l'ignorance,  corres- 
pond à  l'état  de  jîvanmukta,  délivré  vivant,  admis  par  le  Brah- 
manisme. Cessant  d'agir,  on  n'amasse  plus  de  karman,  et 
Teffet  du  karman  amoncelé  jusqu'alors  s'épuise,  comme  la  roue 
du  potier  qui  tourne  encore  plusieurs  fois  avant  de  s'arrêter, 
bien  que  l'on  ne  l'actiomie  plus.  Le  parinirvâna  est  la  cessation 
définitive  de  la  vie,  quand  le  déhvré-vivant  trépasse  :  la  disso- 
lution de  son  corps,  au  lieu  de  préparer  une  nouvelle  naissance, 
le  libère  à  jamais.  C'est  l'équivalent  du  passage  du  temps  à 
l'éternité  (Pischel,  74).  Quand  le  Bouddhisme  se  départira  de 
l'agnosticisme,  le  nirv.  se  définira  relativement  non  plus  à  la 
douleur,  à  l'ignorance,  à  l'acte,  mais  à  l'être  et  au  non-être,  p. 
ex.  chez  les  Mâdhyamikas  ;  à  la  conscience  ou  non- conscience 
chez  les  Vijnânavâdins  ;  —  à  un  paradis  transcendant  ou  à  la. 
vie  terrestre  chez  les  partisans  de  la  Sukhâvatî,  etc. 

(41)  V  P  B,  89   «veut»  que  l'enseignement  du  Bouddha  ait  été  vérita- 

blement un  «chemin  du  miUeu»  et  que  devant  chacune  des 
antinomies  métaphysiques  l'interprétation  authentique  soit  le 
ni  oui  ni  non.  Ainsi  l'on  est  hérétique  en  soutenant  que  l'âme 
ne  fait  qu'un,  ou  fait  deux,  avec  le  corps  ;  que  la  sensation  ne 
fait  qu'un  ou  deux  avec  le  sentant  ;  que  l'agent  moral  ne  fait 


NOTES  271 

qu'un  ou  deux,  avec  la  personne  qui  sera  rétribuée  pour  les 
actes  accomplis.  Telle  est,  certes,  l'attitude  du  B.  dans  Samy. 
11,  20,  23,  61,  76  ;  attitude  prise  pour  donner  à  la  communauté 
un  exemple  de  réserve  spéculative.  Mais  l'auteur  du  pratityasa- 
mutpâda  devait  avoir  son  siège  fait  dans  les  débats  philoso- 
phiques essentiels  :  ayant  découvert  que  l'individualité  repose 
sur  l'ignorance,  il  savait  que  le  moi  n'existe  pas  comme  sub- 
stance, mais  comme  phénomène  relatif.  Des  deux  antithèses 
souvent  renvoyées  dos  à  dos  comme  oiseuses  —  existence  ou 
non-existence  du  moi  —  il  condamnait  la  première  et  approu- 
vait la  seconde.  Tout  au  plus  pom-rait-on  dire  que  le  B.  se 
contente  de  faire  la  théorie  du  moi  phénoménal,  dont  il  justifie 
la  misère  et  auquel  il  montre  le  salut  par  une  doctrine  de  relati- 
vité, mais  qu'il  exclut  la  considération  de  l'existence  ou  de  la 
non-existence  d'un  moi  absolu.  L'ambiguïté  s'explique  par  la 
difîérence  entre  une  prédication  exotérique  et  une  réflexion 
ésotérique.  —  Sur  le  chemin  du  milieu,  Vaidya  cité  n.  74. 

(42)  Prinsep,  Stevenson,  E.  Thomas,  cf.  G  B  J. 

(43)  Barth,    Œuv.   l,  131-8  et  bulletins  jusqu'en  1902  (II,  373)  ;  aussi 

IV,  121. 

(44)  N.  38.  Remarquer  l'origine  sociale  similaire  du  Bouddha  et  du  Mahâ- 

vira,  tous  deux  ksatriyas.  Le  M.  était  par  sa  mère  parent  de 
Bimbisâra,  qui  régnait  à  Rajagrha,  capitale  du  Magadha,  et 
était   contemporain  du  B. 

(45)  Majjk-Nik.,  I,  80  ;  Lalita.  V.,  319  ;  Buddhacarita  X-XII.  Les  deux 

Yogins,  maîtres  du  B.,  sont  Alâra  (  =  Arâda)  Kâlâma  et  Uddaka 
(Udraka)  Râmaputta.  E.  Senart,  Bouddhisme  et  Fogra,  RHR, 
nov.  1900.  —  n.  97. 

(46)  P.  ex.  B  A  U  et  Ch  U  :  devayâna  et  pitryâna,  acheminements  vers 

le  Brahman  (n.  21)  ;  classements  par  gradation,  comme  Ch  U, 
VII  =DU171. 

(47)  Dharmacakrapravartana.  La  roue,  emblème  solaire  :  Senart,  Lég.  du 

B.,  La  roue  de  la  vie  ;  aspect  cyclique  du  samsara  et  du  pratîtya- 
samutpâda  qui  en  donne  la  clef  :  n.  21  et  39  ;  Przyluski  J  A, 
XVI,  1920,  313.  La  roue  de  la  loi,  emblème  de  la  roj^auté.  Ces 
différentes  conceptions  se  rejoignent  dans  la  dotion  de  ces  sages 
et  souverains  spirituels,  les  Cakravartins  (Senart).  P.  Masson- 
Oursel,  Dharma,  J  A,  XIX,  1922,  269. 

(48)  En  184  les  Çungas  occupent  le  trône  des  descendants   d'Açoka  et 

favorisent  la  tradition  indoue  à  l'encontre  du  Bouddhisme. 
FR  78,83  ;  CHI,  XXI. 

(49)  Sectes.  Leur  caract.  populaire  :  Barth,  Œuv.  I,  142. 

(50)  Grossières  rehgions  dravidiennes  :  n.  2. 

(51)  Krsna.  Rsi  védique;  Macdonell-Keith,    Vedic  Index,  I,  184.  Etu- 

diant brahmanique  :  Ch  U,  III,  17,  6  (ibid.  184).  Vâsudeva- 
Krsna,  dieu  des  Sâtvatas,  auquel  fait  allusion  Mégasthène  (fin 


272  HISTOIRE    DE   LA   PHILOSOPHIE   INDIENNE 

ive  siècle  avant  J.-C.)  :  BVS9;  dans  M.,  notamment  B  G, 
14-35.  Gopâla-K,  35.  —  Max  MûUer,  Râmakrsna. 

Râdhâ,  amante  de  K.,  ne  figure  pas  dans  le  Harivamça, 
Bhâg.  Purâna,  Visnu  P.,  mais  dans  Padma  P.  et  Brahmavai- 
varta  P.  Cànkara  fera  de  K.  une  incarnation  du  Brahman 
{Gïtâbhâs.,  Introd.).  —  Pânini  IV,  1,  99  :  un  gotra  nom.mé 
Kârsnâyana  ;  on  imputa  à  cette  collectivité  Vâsudeva  (BVS  12). 
Identifié  à  Visnu  :  M.  Çântiparvan  43  ;  dans  l'Anugitâ,  à  la  fois 
homme  et  dieu.  Muir,  Sansk.  Texts  IV,  205.  Le  gopâla  n'appa- 
raît pas  avant  le  début  de  notre  ère.  cf.  Hariv.  5876-8  ;  Vûtju  P. 
ch.  98,  100-2  ;  Bhâg.  P.  II,  7  :  destructeur  de  démons.  Sur 
la  prononciation  Kusto  =  Krsto  dans  le  Bengale  :  BVC,  38  ; 
sur  le  rapprochement  tenté  avec  Jésus,  Garbe,  Ind.  u.  dasCkris- 
tent,  Tûbing.  1914,  191-227  et  254. 

Râma.  BVS  ;  FR  ;  M.  Mùller.  Selon  BVS  46  les  textes 
du  Râmâyana  qui  tiennent  R.  pour  incarnation  de  Visnu  sont 
«spurious  or  interpolated  ».  Raghuvamça  X  :  naiss.  de  R.  Il  ne 
fut  adoré  qu'à  partir  du  XI^  siècle  ;  vers  1300  Ekanâtha  trans- 
pose en  hypostases  métaphysiques  les  éléments  de  la  légende 
de  R.  {Adhyâtma  Eâmâyana,  t.  an.  L.  B.  Nâth,  SBH  1913.  Sur 
la  littér.  qui  en  procède,  FR  381). 

(52)  Vâsudeva  révéré  vers  140  ou  130  av.  J.-C.  (inscr.  de  Besnagar)  : 

BVS,  3  ;  OHI,  124  ;  Rapson,  Ancient  India,  Camb.  1914, 156-7  ; 
Pinini  IV,  3,  18  :  BVS,  3. 

(53)  Nârâyana  BVS  4-6.   Vieux  concept  brahmanique  de  Purusa-Nâr. 

(Çatap.  Br.  XII,  III,  4,  1  ;  XIII,  IV,  1,1),  coextensif  à  la  nature 
(et  Taitt.  Âr.  X,  1,  6).  M  :  Çântip.. 

(54)  Çiva.  Son  prototype,  Rudra  védique  :  Charpentier  WZKM,  XXIII, 

151 .  —  Arbman,  R.,  Upsala  1922  ;  — Çvetâç.,  Kena,  Atharvaçiras 
U.  Çiva,  le  favorable,  épithète  de  R.,  puis  dieu  sectaire:  volon- 
tiers appelé  Çankara,  le  bienfaisant  ;  dans  M  (Vanap.,  Dronap., 
Sauptikap.,  Anuçâsanap.).  BVS.  Umâ  son  épouse  (Kena  U; 
Dm-gâ  dans  M.  Bhîsmap.). 

(55)  Visnu.  Védique  :  de  ses  trois  pas  il  dépasse  l'atteinte  des  hommes  et 

"  "  dos  oiseaux  (Rgv.  1, 155,  5)  ;  son  siège  suprême  (paramam  padam) 
est  le  ciel,  I,  22,  20.  Son  assimilation  à  Vâsudeva,  BVS.  Senart, 
lég.  du  B.  Avatâras  :  BVS. 

(56)  Harivamça  :  t.  f.  Langlois,  Par.  1834  ;  an.  Dutt,  Cale.  1897.  Son 

identification  de  Visnu  avec  Çiva  :  W.  I,  1,  386.  Leurs  noms  de 
Ilari  et  Hara  :  BVS. 

(57)  Pâçupatas    :   BVS  ;   Schomerus,    Çaiva-siddhTmta,   Leip.    1912  ;  — 

FR.  Dès  le  Rgv.  I,  114,  9,  Rudra  appelé  Paçupa,  protecteur^ du 
bétail.  Pâncarâtrins  :  BVS  ;  —  O.  Schrader,  Intr.  to  the  Pànca- 
râtra  and  the  Ahirhudhniya  Samhita,  Adyar  1916.  Purusa-Nâ- 


NOTES  273 

râyana  (n.  53),  selon  Çat.  Br.,  XIII,  VI,  I,  1,  a  conquis  l'empire 
universel  en  sacrifiant  pendant  cinq  jours  (pânca-râtra  sattra). 

(58)  Bhakti.  BVS.  Les  textes  les  plus  anciens  sont  ceux  du  M.  en  partie,  de 

BG.  L'idée  de  Ch.  appartient  surtout  aux  Vaisnavas,  mais  aussi 
aux  Ç'aivas  :  Murdoch,  Çiva  bhakti  ;  elle  prendra  dans  la  suite 
une  immense  importance  :  n.  140. 

(59)  Nous  devons  cette  interprétation  à  l'enseignement  de  M.  S.  Lévi. 

(60)  Purânas.  W,  I,  1,  440-83  ;  dans  les  sectes  FR.  Pargiter  JRAS  1912, 

254  ;  Fleet,  ibid.  1046  j^  Keith,  ibid.  1914,  740,  1021.  —  ERE 
X,  447.  Principaux  :  Bhagavata,  t.  f .  Burnouf ,  Par.  1840  ;  an.  Dutt 
Cale.  ;  et  Krsnâcârya,  Mad.  1916  ;  —  Agni,  t.  an.  Dutt,  1903  ; — 
Matsya,  t.  an.  SBH,  1916;  —  Visnu,  t.  an.  Wilson,  Lond.  1864; 
—  notices  :  Wilson,  Select  Works,  ibid,  1861.  P.  çivaites  :  Skanda, 
Çiva,  Lihga,.  Bhavisya. 

(61)  Siïtras.  n.  13.  Le  sens  propre  est  fil,  ce  qui  compose  la  trame  d'un 

système,  W  I,  229-32;  CHI,  227. 

(62)  ][Ianavadharmaçâstra:  t.  an.  BiihlerSBE  XXV.  cf.  Jolly,  cité  n.  14 

et  Dahlmann  cité  n.  15. 

(63)  Hindouisme.  Barth,  Œuv.  1, 140-252;  Monier  Williams,  Brâhmanism 

a.  Hindouism;  — Farquhar,  Crown  of  H.,  Oxf.  1913;  —  Sir 
Ch.  Eliot,  Hind.  a.  Buddhism,  Lond.  1921  ;  —  Helmuth  von 
Glasenapp,  der  Hinduismus ,  Miinchen  1922. 

(64)  Abhidharma.  W  II,  1,  134;  ERE,  I,  19  ;  —  Max  Walleser,  d.  philos. 

Grundlage  des  ait.  Buddhismvs,  Heidelb.  1904  clôt  formation  de 
l'ab.  au  lil^  siècle  av.  J.-C).  —  n.  83,  Takakusu. 

(65)  Açoka.    E.  Senart,  R.  Deux  Mondes   l^r  mars   1889  ;   Inscript,  de 

Piyadasi;  V.  Smith,  OHI  ;  A.,  2e  éd.  Oxf.  1909;  —  CHI,  502-11. 

(66)  Sectes  bouddhiques  :  VPEM,  52-60  ;  Minayefï  cité  n.  36. 

(67)  Kaniska.  Sten  Konow  SAB1916,  Indoskythische Beitràge.  Discussions 

sur  la  date  :  bibhog.  W  II,  1,  202  ;  2,  375. 

(68)  Mahâyâna.  W.  II,  1,  230-77  ;  —  VPB  ;  VPEM  ;  —  Suzuki,  Mahayâ- 

naçraddhotpâda,  Chicago  1900,  t.  an.  ;  —  S.  Lévi,  Mahâyâna- 
sûtralamkâra  d'Asahga,  t.  f.  Par.  Champion  1911  ;  Suzuki,  Outli- 
nes  of  Mah.  Buddhism,  Lond.  1907  ;  Mac  Govern,  an  Intr.  to  Mah. 
Buddh.,  Lond.  1922. 

(69)  Trikâya.  L.  de  la  Vallée  Poussin,  JRAS  1906;  —  P.  Masson-Oursel 

JA  mai  1913.  [Errata  :  p.  17,  n.  :  le  texte  deNâgârjuna  (XXII,  16) 
renferme  en  outre  rûpakâya  et  même  un  pravacanak.  ;  Nâg.  est 
du  11^  siècle,  non  du  III^.  P.  21  :  à  syandana  et  pravrtti  ajouter 
prapanca,  d'apr.  texte  cité  de  Nâg.,  P.  38:  Asaiiga  est  du  iv^  siè- 
cle. Il  semble  que  chez  les  Mâdhyamikas  riïpakâya  soit  le  corps 
d'illusion,  tandis  que  chez  les  Yogâcâras  s'intercale  un  sam- 
bhogak.  qui  est  rûpak.  Le  pravacanak.  dont  parle  Nâg.,  ensem- 
ble des  enseignements,  correspond  en  partie  à  sambh.,  eu  partie  à 

18 


274  HISTOIRE    DE   LA    PHILOSOPHIE   INDIENNE 

nirmânak,  car  ce  sont  les  bodhisattvas  et  les  çrâvakas  qui  ont 
besoin  d'enseignement.  Les  riïpas  du  sambh.  peuvent  être  des 
signes  salutaires,  et  non  pas  des  apparences  surtout  décevantes 
comme  les  rûpas  du  nirm.  Une  influence  néoplatonicienne  est 
impossible,  puisque  la  théorie  s'esquisse  largement  dès  l'œuvre 
d'Açvaghosa,  Mahuyanaçraddhot-pada,  au  i^^"  siècle  ;  à  moins 
que  l'on  conteste  la  date  et  l'auteur  de  ce  livre:  n.  71].  —  ERE, 
IV,  Death,  par  A.  Lloyd  (Japon)  ;  —  sur  le  docétisme  boud- 
dhique, Anesaki,  ERE  IV,  835. 

(70)  Littérature  de  prajnâ  pâramitâ  :  W  II,  1,  247  ;  — M.  Walleser,  Praj. 

Par.,  Gôtting.  1914  (t.  al.  de  Vastasahasrikâ  et  de  la  Vajracche- 
dikû)  ;  —  M.  Muller,  Vajrac,  Oxf,  1881  (t.  an.)  ;  —  Schmidt,  Mém. 
Ac.  Se.  S.-Pét.  Vie  sér.  IV,  1840  (t.  al). 

(71)  Açvaghosa.  Sa  date  dépend  de  Kaniska,  son  contemporain  (n.  G7). 

W.  il,  1,  201  ;  —  Anesaki  ERE  II,  159  ;  JRAS  1914.  747. 
Buddhacarita  :  Cowell,  SBE,  XLIX,  t.  an;  Formicki,  Aç,  poeta 
del  Buddh.,  Bari,  1912,  t.  it.;  sur  le  B.,  S.  Lévi  JA,  1892,  XIX, 
201  ;  Liiders,  NGWG  1896.  —  SaundaranandakZvya  JASB 
1904,  47.  —  Çâriputraprakara7ia,  Liiders  SAB  1911,  3S8.  — 
Vajrasûâ,  Weber,  abh.  d.  preuss.  Ak.  W,  1859,  205  ;  S.  Lévi  JA 
1908.  — Sûtrcdamkara ,  t.  f.  Huber,  Par.  1908;  Mahayam  çrad- 
dhotpada;^.  an.  Suzuki,  Awakening  of  the  Faith,  Chicago,  1900  ;  T. 
Richard  Aw.  of  F.,  Shanghaï,  Kelly,  1918  (t.  an.  faite  en  1894; 
'  ne  supplante  pas  la  précédente)  (éd.  chin.).  W.  II,  1,211  et  243, 
douteque  ce  texte  soit  d'Aç.,  parce  qu'au  dire  deTakakusu  un  ca- 
talogue ch.  ne  le  lui  attribue  pas,  et  parce  que  les  doctrines  y 
exposées  seraient  celles  d'Asanga  (vijnânavâda)  et  dn  Lahkâva- 
târa  (tathatâ).  Ce  doute  nous  paraît  insuffisamment  fondé.  De 
même  que  ces  textes  de  Prajnâpâram.  préparent  la  doctrine  de 
Nagârjuna  et  des  Mâdhj^amikas,  Aç.  peut  avoir  été  un  précur- 
seur d'Asanga  et  des  Vijnânavâdins,  comme  l'admet  la  tra- 
dition. 

(72)  Tathatâ.  n.  71.  Oltramare  (Muséon  25  mai  1915,  22  ;  RHR  1910,  171) 

considère  la  tath.  comme  un  arrière-fond  métaphysique  situé 
au  delà  du  lokottara.  Ce  dernier  serait  non  le  transcendant  — 
auquel  cas  tath,  serait  éminemment  lokottara,  —  mais  un 
ultramonde,  extérieur  à  ce  monde.  Nous  n'apercevons  aucune 
raison  de  prêter  ce  sens  au  mot.  Nous  reconnaissons  d'ailleurs 
que  le  phénomène  (samvrti,  l'enveloppe)  comporte  des  degrés 
chez  les  Yogâcâras,  non  chez  les  Mâdhyamikas. 

(73)  Nagârjuna.  Anesaki  ERE,  IV,  838  ;  L.  de  la  Vallée  Poussin,  ERE, 

VIII,  235  ;  —  W.  II,  1,  250  ;  —  surtout  Vaidya  cité  n.  74  Kâr. 
et  Akutohhaya:  t.  al.  Walleser,  Mittlere  Lehre  des  Nag.,  Heidel. 
1911.  —  Suhrllekha,  t.  an.  Wenzel,  Journ.  PTS  (1886). 

(74)  Aryadeva.  Vaidya,  Etudes  sur  A.  et  son  Catuhçataka,  ch.  VIII-XII, 

thèse  Par.,  Geuthner  1923  (bibUog.,  biog.,  étude  sur  les  Mâdh., 


NOTES  275 

restitution  du  texte  sanscrit  d'ap.  le  tib.  ;  t.  f.);  -  Hastavâla, 
t.  an.  F.  W.  Thomas  et  Ui,  JRAS  1918,  267. 

(75)  Vaipulya  sûtras  et  9  Dharmaparyayas,  W,  II,  1,  230  ;  FR  275,  396. 

(76)  Maitreya  et  Asanga.  Stcherbatsky,  Litt.  yotjâmra  d'après  Bu-ston 

Muséon  1905,  144  ;  St  ;  — _Anesaki  ERE,  II,  62  ;  —  S.  Lévi' 
cité  n.  68  ;  —  Bodhisattvahhumi  (extrait  de  Yogâcârab/mmiçâstra: 
L.  de  la  V.  Poussin  ERE  II,  745-50  ;  —  Muséon  VI  38  • 
VII,  213  ;  —  VPEM. 

(77)  Heiler,  die  B^iddJi.  Versenkung,  Miinchen  1922,  29  et  44  :  met  en  lumière 

l'existence  dans  le  Boud.  pâli  de  deux  théories  du  dhvâna  :  celle 
que  nous  venons  d'indiquer  et  une  autre,  calquée  sur  la  distinc- 
tion de  cinq  modalités   du  phénomène   «sans  forme»,  ariïpa. 

(78)  La  valeur  des  termes  dhySna,  samâdhi  apparaît  par  leur  étymologie  : 

dh.  implique  rac.  dhi,  méditer  ;  s.  rac.  dhà,  placer,  arranger  (de 
même  upâdhi).  La  subordination  de  dh.  à  s.  résulte  de  M  XII, 
196,  20  (dhyâna  samâdhim  utpâdya).  Cf  Hopkins  JAOS  1901  ' 
Anesaki  et  Takakusu,  ERE,  IV,  702.  Selon  les  auteims  c'est  le 
sambhogakàya  ou  le  dharmak.  [n.  69]  qui  est  atteint  par  s.  (samâ- 
dhik.).  Le  Sukhavaûvyuha  (SBE,  XLIX,  5)  fait  naître  les  pira- 
mitas  de  s.  La  sapience  s 'obtenant  à  la  hmite  de  la  restriction  de 
la  pensée,  elle  équivaut  as.,  qui  est  l'arrêt  de  cette  dernière  (sti- 
tih  cetasah).  Cf.  Asafiga,  t.  f.  S.  Lévi  [cité  n.  68]  188.  Une 
école  de  Bouddhistes  chin.  et  jap.  (zen)  cultivera  pour  lui-même 
le  dh.  L'origine  yoga  du  terme  de  s.  est  attestée  par  l'usage  que 
font  de  ce  terme  les  VS  IX,  I,  11-15  et  NS  IV,  2,  38-50. 

(79)  A.  Foucher,  Uart  gréco -bouddhique  du  Gaîidhâra,  Par,  1905,   1918  ; 

Etudes  sur  V iconographie  houd.  de  VI.,  Par.  1900,  1905  ;  the  hegù 
nnings  of  huddhist  art.  Par.  et  Lond.  1918  ;  RHR  1894,  319. 

(80)  Vasubandhu.   Péri,   date  de    V.,   BEFEO,   XI,  juill.    1911    (capital 

pour  la  chronol.  philos.).  V.  idéahste,  après  sa  conversion  [avant  : 
n.  83]:  Vimçakakârikûprakarana,  Muséon  1912,  53  (t.  t.  de  la 
Vallée  Poussin)  ;  t.  f.  du  même  texte,  d'apr.  le  chin.,  P.  Masson- 
Oursel,  à  paraître  dans  JA.  Biogr  :  t.  f.  de  Paramirtha,  par 
Takakusu,  Toung  pao  V,  1904.  Stcherbatsky,  the  seul  theory  of 
the  Buddhists  ;  Bul.  Ac.  Se.  Russie,  1919. 

(81)  Buddliaghosa.  ERE  II,  885;  —  Bimala  Chandra  Law,  a  note  on 

B's    commentaries  JASB,    XV,    1919,    n»  3  ;  —  Waileser  cité 
n.  64  ;  —  Visuddhimagga  :  Warren,  Journ.  PTS,  1891-3  ;  Budd 
%n  transi.  HOS,  1896  ;  t.  an.  HOS  ;  —  Atthasalini,  t.  an.  PTS  1921. 

(82)  t.  an.  Shwe  Zan  Aung,  Lond.  1910. 

(83)  L.  de  la  Vallée  Poussin,    Vasubandhu  et  Yaçomitra,  Lond.,  Kegan, 

1914-8,  p.  VIL  =  ch.  III  de  V Abhidharmnkoça  (t.  f.)  où  s'ex- 
prime la  doct.  de  V.  avant  sa  conversion  au  Mahâyâna  (n.  80). 
S.  Lévi,_ERE,  I,  20.  —  Takakusu,  on  the  abhidharma  lit.  of 
the  Sarvastivâdins,  Journ.  PTS  1905. 


276  HISTOIRE   DE   LA   PHILOSOPHIE   INDIENNE 

(84)  Cosmologie  bouddhique  :  Kirfel,  Kosmog.  der  Inder,  Bonn,  1920  ;  — 

Cosmog.  a.  cosmol.  ERE,  129-138,  155-160.  —  Atomisme  des 
Boud.  :  Handt,  atomis.  Grundlage  der  Vaiçesika  Phil.,  Tiibing, 
diss.,  1900,  5-17.  Contre  cet  auteur,  qui  impute  aux  Boud.  l'in- 
vention de  l'atomisme,  Jacobi,  ERE  II  199  et  Stcherb.  cité 
n.  80,  953. 

(85)  Vaidj'a,  cit.  n.  74  ;  —  Candrakirti  :  Prasannaj>âdâ 'EKE,y III,  235; 

Mâdhyamakavatara  ERE  II,  745  ;  VIII  332  ;  t.  f .  VP.  Muséon, 
VIII  ;  —  Çântideva  :  Ciksâsamuccaya ,  t.  an.  Bendall  a.  Rouse, 
Lond.  1922  ;  ERE,  405  ;  Bodhicaryâvatâra ,  t.  an.  partielle,  Bar- 
nett,  Path  oj  Light,  Lond.  1909  ;  t.  f.  V.  P.  Paris  1907  ;  Finot, 
Marche  à  la  lumière,  Par.  1920. 

(86)  St.,  —  Jacobi,  Ind.  Logik,  NGWG,  1901  ;  —  Vidyâbhûsana,  Hist. 

oj  ihe  mediaeval  school  of  ind.  logic,  Cale.  1909  ;  Injl.  of  Aristotle... 
JRAS  1918. 

(87)  P.  Masson-Oursel,  Philosophie  comparée,  Paris,  Alcan  1923,  II®  part., 

ch.  2  ;  Etudes  de  logique  comp.,  R.  Philos.,  mai  et  juil.  1917,  fév. 
1918. 

(88)  Contributions    de   l'érudition   japonaise   à   notre   connaissance    du 

Bouddhisme.  Bukkyo  dai-jii  (grand  diction,  du  B.),  Tokyo, 
Fusambo  191_4,  tome  1  (BEFEO,  XV,  n»  4,  49)  ;  —  Yamada 
Kôdô,  Zenshu  jiten  (Dict.  de  la  secte  du  dhyâna),  Tok.,  Koyu- 
.  kwan,  1915  (ibid.  50)  ;  —  Ogiwara  Unrai,  Bon-Kan  taiyaku 
Bukkhyô  jiten  (Dict.  boud.  sanscrit-chin.),  Tok.  Heigo  Shuppan 
sha,  1915  (ibid.  51)  ;  —  Oda  Tokunô,  Bukkyo  dai- jiten  (grand 
Dict.  lu  B.),  Tok,.  Okura  shote,  1917  (ibid.  XVII,  n^  6,  20). 
Le  premier  de  ces  dict.  est  un  instrument  de  travail  précieux.  — 
Revues  scientifiques  jap.  :  Trans.  of  the  As.  Soc.  ofJ.,  Tokyo; 
Reports  of  the  assoc.  Concordia,  1913...  Tok.  —  Œuvres  som- 
maires, déjà  anciennes:  R.  Fujishima,  le  Bouddhisme  jap.  Par., 
Maisonneuve  1889  et  B.  Nanjio,  a  short  hist.  of  the  12  jap.  bud. 
sects  ;  Tok.  1887  (se  complètent)  ;  —  S.  Sugiura,  Hindu  logic 
as  preserved  iîi  China  and  Japan.  Philad.  1900.  —  Sectes  d'Amida 
et  de  la  Sukhâvatî  :  Haas,  Amida  B.  unsere  Zuflucht,  Gott.  1910  ; 
Principal  teachings  of  the  true  sect  of  Pure  Land,  Kyoto,  Otan- 
niha  Honguanji  1915. 

Tantrisme  bouddhique  :  VPEM.  —  AHce  Getty,  the  gods 
of  Northern  Bud.  Oxf.  1914  ;  —  Griinwedel,  Mythol.  des  Bud. 
im  Tibet  u.  der  Mongolei,  Leip.  1900,  t.  f.  Goldschmidt,  Par.  et 
Leip.  ;  Buddhist.  Kunst  in  Ind.,  2^  éd.  1900. 

(89)  Jacobi,  the  dates  of  the  philos,  siîtras,  JRAS,  1911  ;  zur  Frilhgesch. 

d.  ind.  Phil.,  SAB  1911.  —  St.  Noter  l'aveu  inséré  dans  l'art, 
cité  n.  80  :  «  the  chronological  argument  which  Jacobi  and  myself 
hâve  drawn  from  the  fact  that  Buddhist  ideahsm  is  alluded  to 
in  the  Nyâya  Siîtras  must  te  corrected,  since  ideaUstic  views 
émerge  in  the  run  of  Buddhist  philosophy  more  than  once». 


NOTES  277 

Dates  d'Açoka,  de  Kaiiiska  de  Vasubandhu  :  n.  65,  67, 
80.  —  cf.  excellentes  discussions  ehronolog.  dans  Ui  (cité  n.  23), 
Vaidya  (n.  74),  KLA,  KM,  KS. 

(90)  KM  ;  —  DG  367-405  ;  —  GS  153  ;  ERE,  VIII,  648  ;  —  MS  et  bhâsya, 

éd.,  t.  an.  Jhâ  SBH,  X  ;  —  the  aphorisms  of  the  Mîm.  phil., 
sansk.  a.  engl.,  Allah.  1851  (que  32  premiers  siît.). 

(91)  Paranjpe,  le  vartika  de  Katyâyana,  Thèse  Par.  1922  ;  —  Nirukta  de 

Yâska,  éd.  Roth,  1852  ;  —  Panini  :  Bôhthngk,  P's  Grammatik 
•  1887  ;  —  Mîm.  et  loi  juridique  :  KM,  ch.  VI. 

(92)  Max  Muller  ZDMG  VI,  1852,  219  ;  —  ERE,  II,  199  ;  DG  274-361  ; 

—  St.;  —  Suah  cité  n.  prélim.  et  SI;  Chatterji,  Hindu  Realism, 
Allah.  1912  ;   —   Faddegon,   Vaiç.  System,   Amsterdam    1918; 

—  Ui,  cité  n.  23  ;  —  KLA.  —  VS  :  éd,  tan.  Gough,  Béenarès 
1873  ;  Siiiha  SBH,  VI  ;  éd.  t.  al.  Roer,  ZDMG,  XXI,  309  ; 
XXII,  383  (1687-8).  —  Praçastap  :  Padartha-dharma-samg. 
éd.  t.  an.  Jhâ,  Bénarès.  Dans  le  style  des  Pancarâtrins  vaiçe- 
sika  rr  connaissance  des  objets  des  sens  (Schrader  cité  n.  57,  24). 

(93)  Ui,  28-9,  etc.  ;  —  Jacobi  cité  n.  84. 

(94)  9  substances  :    terre,  eau,  feu  (tejas),  vent,  âkâça,  temps  (kâla), 

espace  (diç),  âtman,  manas.  17  quaUtés  (guna)  :  couleur  (rûpa), 
goût,  odeur,  toucher,  nombre  (samkhyâ),  extension  (parimânam, 
mensurabilité),  individuaUté  (prthaktvam),  conjonction  (sam- 
yoga),  disjonction,  priorité,  postériorité,  connaissance  (bud- 
dhayah),  plaisir,  douleur,  désir,  aversion,  effort.  5  actions  : 
monter,  descendi-e,  contraction,  expansion,  mouvement. 

(95)  Kâmasutra  de  Vâtsyâyana  (iiie  s.)  cité  dans  Percy  Brown,  Ind.  Pain- 

ting,  Oxf.  21-2  ;  ce  texte  éd.  et  t.  al.  par  R.  Schmidt  sous  pseu- 
donyme de  Wilhelm  Friedi-ich,  Leip.  1897  ;  —  Surtout  Laufer, 
Citralaksana,  Leip.  1913. 

(96)  KS  ;  —  G  S  ;  Garbe,  Samkhya  und  Yoga,  Gr,  1896  ;  —  Dahlmann, 

die  S.  Phil.  nach  dem  M.  Berl.  1902  ;  —  O.  Strauss,  zur  Gesch. 
des  S.,  WZKM.  XXVII  —  Sastitantra  :  Schrader  ZDMG  1914, 
101,  et  cité  n.  57,  109.  —  Kârika  :  t.  an.  Davies,  Lond.  1881 
Sinha,  SBH,  11.  —  Un  excellent  connaisseur  de  la  pensée  yoga, 
Tuxen  (Yoga,  Copenh.  1911),  a  soutenu  que  le  Yoga  hJiâsya 
serait  le  plus  ancien  document  systématique  sur  le  Sâmkhya. 
Mais  ce  texte  doit  être  postérieur  à  la  Kârika,  car  les  YS  qu'il 
commente  doivent  eux-mêmes  lui  être  postérieurs.  Selon 
Woods  précisé  par  Garbe,  ce  bhâsya  ne  saurait  être  antérieur 
au  vii^  siècle. 

(97)  C'est  le  yogin  signalé  n.  45.  Sur  sa  doctrine,  Strauss,  WZKM,  XXVII, 

257  ;  KS,  22.  —  Jacobi.  Ursprung  des  Buddh.  aus  dem  Sâmk.- 
Yoga,  NGWG,  1896,  43...  ;  GGA  1897,  265... 

(98)  Jacobi,  cité  n.  97  ;  —  Dahlmann  ;  —  DM. 


278  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 

(99)  La  tradition  la  plus  répandue  oppose  au  Y.  théiste  un  S.  athée  (anîç- 

vara)  ;  mais  Vijnânabhiksu,  par  une  illusion  de  perspective 
que  lui  suggèrent  ses  convictions,  prétend  que  la  doctrine  était 
dès  l'abord  théiste  {Vij'nânTimrtahha^ya). 

(100)  Caraka  {Çarïra,  I)  :  DG  918.  On  trouve  de  commodes  él.  et.  t.  de  la 

Kôrikâ  dans  Samkyatattvakaumudi,  Garbe  ABAW,  XIX,  1892; 
et  Takakusu  BEFEO,  IV  (t.  f.).  —  Sur  les  patriarches  :  Hume, 
U  (n.  18),  406  :  ÇVatâç,  V,  2  interprété  d'ap.  III,  4  et  IV,  12  ; 
KS  39  ;  GS  64-70.  Auteur  du  Sastii.  :  Takakusu,  57  ,  Sast.  : 
KS.  41,  59-64. 

(101)  Gunas.  DG.  —  E.  Senart  trouve   lans  cette  théorie  «un  prolonge- 

ment de  la  vieille  image  védique  des  trois  mondes»  (BG,  Par., 
1922,  33.  t.  f). 

(102)  Garbe,  cité  n.  96  ;  —  n.  17.  —  YS  :  éd.,  t.  an.  Woods  HOS,  XVII, 

1914  ;  Râma  Prasad  SBH,  IV,  1912.  —  Bh'isya  :  Woods  ;  n.  96  ; 
Jacobi  cité  n.  89,  p.  29  ;  GS.  44.  —  Dasgupta,  Y.  philos,  in  relation 
to  other  ind.  Systems  of  thottght;  Study  of  Patanjali.  —  Woods, 
JA,  mai  1918   (connaissance). 

(103)  8  angas    (membres,    sections)  du  Y.  :    1°   yama,   observances    (ne 

pas  tuer,  ni  mentir,  ni  voler,  ni  forniquer,  ni  posséder).  2°  niyama 
observances  moindres  (pureté,  contentement,  ascèse,  étude, 
dévotion  au  Seigneur  [Içvarapranidhâna].  3°  âsana,  postures. 
40  prânâyama,  réglem.  de  la  respiration.  5°  pratyâhâra,  rétrac- 
tion des  sens.  6»  dhâranâ,  fixation  de  la  pensée.  7»  dhj- âna,  médi- 
tation. 8°  samâdhi,  concentration  extatique. 

(104)  Nyâva  :  mêmes  ouv.  que  n.  92.  NS  t.  an.,  avec  bhâsya  et  vârt.,  Jhâ, 

Allah.  1915  (Keith,  JRAS  1916,  613)  ;  t.  an.  Vidyâbhûsana 
SBH,  VIII. 

(105)  KL  A  23  conteste  qu'il  s'agisse  ici  des  Yogâcâras,  mais  il  ne  propose 

pas  une  date  différente  de  la  nôtre.  Le  vijnânavâda  auquel  il  est 
fait  allusion  pourrait  être  celui  d'Açvaghosa  (I^rs.  — cf.  n.  71). 
Sur  Kâtyâyana,  n.  91,  ouv,  cité  57-61. 

(106)  Ny.  bhâsya,  3.  Ânviksikî  :    Gautama  Dharmasût.   XI  ;   Manu  VU, 

43  ;  Bâmâyana  II,  100,  36  ;  Dahlmann,  31.  als  Epos  u.  jRechs- 
buch,  passim  ;  KLA,  12.  Vâtsyâyana  (ibid.)  dit  que  le  Ny.  étend 
à  l'examen  de  toutes  choses  la  recherche,  anvîksikî,  que  les  U. 
formaient  à  la  connais,  de  l'âtman.  Anv.  :  investigation  de  la 
pensée  laïque,  en  tant  que  distincte  de  la  pensée  religieuse.  — 
Nyâya  :  Ny.  bhâs.  I,  1,  1  et  Bodas,  Hist.  survey  of  ind.  logic, 
J.  Bombay  branch  of  RAS,  XIX.  Vâcaspatimiçra  (Ny.  vârt. 
tâtp.  I,  1,  1, 1)  oppose  au  fait  de  scruter  un  objet  par  la  percep- 
tion ou  étude  de  l'écriture  (ânv.),  l'opération  qui  le  scrute  par 
preuve  logique  (pramânairarthapariksanam).  Transcript.  chin.: 
Ui  55.  —  Tarka  :  KU,  II,  9  ;  MU,  VI,  18.  Cf.  Brahmajalasutta,  où 
takkï  r=  vimâmsîr^casuiste.  Tarka  ne  figure  pas  comme  anga 


NOTES  279 

dans  les  YS,  mais  dans  Amrtabindu  U,  où  il  remplace  dhyâna  :  la 
pensée  discursive  prépare  le  monoidéisme  ;  c'est  ainsi  que  les 
Mâdhyamikas  utilisent  le  prasafiga  pour  préparer  la  notion  de 
vacuité.  De  fait,  le  sens  ultérieur  de  tarka  est  négatif  :  réfutation 
par  l'absurde.  —  Hetuçâstra  :  Manu,  II,  U  ;  art.  cités  n.  39. 

(107)  DV.  —  BS  :  t.  an.  Thibaut  SBE,  XXXIV,  XXXVIII.    La  clirono- 

logie  des  plus  anciens  textes  védantiques  est  malaisée  à  déter- 
miner. Que  Bâdarâyana  cite  Jaimini  (BS,  III,  2,  40  ;  IV,  1,  17), 
rien  de  plus  naturel,  puisqu'il  préconise  la  Mim.  seconde.  Mais 
quand  les  MS  (I,  1,  5,  etc.)  ont  l'air  de  se  référer  aux  BS,  ils  ne 
s'y  réfèrent  pas  plus  qu'un  texte  fameux  de  la  BG  (XIII,  4)  :  ils 
visent  simplement  la  théorie  du  Brahman,  dont  personne  ne  nie 
l'antiquité.  En  outre  des  interpolations  sont  vraisemblables  : 
les  rédacteurs  des  BS  ou  les  Védantins  ultérieurs  ont  pu  vou- 
loir marquer  l'harmonie  des  deux  Mîm.  — Les  BS.,  situés  par 
Jacobi  entre  les  me  et  iv^  siècles,  n'ont  été  fixés  qu'après  350, 
puisqu'ils  réfutent,  au  dire  même  de  Çankara,  le  vijîîânavâda 
tel  qu'il  se  rencontre  dans  Vasubandhu.  Mais  représentent-ils  le 
premier  texte  du  Védânta  upanisadique  1  Max  Valleser  {dcis_  altère 
Vedânta,  Heidel.  1910,  28)  croit  trouver  dans  la  Gaudaqjadi  ou 
Mândûkya  Karikâ  une  forme  primitive  du  Védânta,  suite  natu- 
relle de  la  Mând.  U,  et  il  date  vers  500  la  rédaction  de  cette 
kârikâ.  Les  svitras,  postérieurs  (jiinger),  se  placeraient  entre 
500  et  800,  époque  de  Çankara.  Nous  ne  voyons  pas  sur  quel 
argument  sérieux  on  se  fonde  pour  intercaler  Bâdarâyana  entre 
la  Gauda-padl  et  Çankara,  rejetant  au  Vl^  siècle  ou  plus  tard 
encore  les  BS.  La  tradition  tient  ces  S  pour  le  texte  originaire 
du  Védânta.  Nous  admettrons  qu'ils  se  fixèrent  dans  la  seconde 
moitié  du  iv^  ou  au  v^  siècle.,  et  que  la  M  and.  K.  dut  être  rédigée 
vers  le  début  du  viil^  siècle  ;  car  son  auteur  Gaudapâda,  fut, 
dit-on,  le  maître  du  maître  (Govindanâtha)  de  Çankara  (760-820J. 
L'influence,  qui  s'y  manifeste,  de  la  section  prâsaiigika  des  Mâ- 
dhyamikas, prouve  seulement  que  ce  texte  est  postériem*  aux 
protagonistes  de  cette  secte  :  Buddhapâlita  (v^),  Candi-akîrti  (fin 
vie).  Par  désir  d'hypercritique  Walleser  place  trop  bas  les  BS, 
peut-être  trop  haut  la  Gaudapâda,  et  conteste  sans  preuves 
l'identité  de  son  auteur  avec  le  commentateur  de  la  Sâmkhya 
Kârikâ. 

(108)  Faddegon,  cité  n.  92,  556-8.  Thibaut  y  trouve  une  critique  des 

Vijnânavâdins,  Jacobi  une  critique  des  Mâdhyamikas.  St  estime 
que  les  S.  28-31  concernent  l'idéaUsme,  et  32  les  nihilistes. 

(109)  Jacobi,  GGA,   1919,  3  et  von  Glasenapp,  Hind.  314-5.  Liste  des 

œuvres  de  Vâcasp.  :  Woods  cité  n.  102,  XXI  ;  sa  place  chrono- 
log.  :SI56-S. 

(110)  Jhâ,  Prâbhâkara  school  of  Pûrva  Mïmâtnsâ,  Allah.,    1911    (Indian 

Thought,  1910-11)  (d'après  la  Brhatl)  —  cf.  Keith  JRAS  1916. 


280  HISTOIRE   DE   LA   PHILOSOPHIE   INDIENNE 

Mïm.  Çhkavart.  et  Tantravârt.  de  Kumârila,  t.  an.  BI  par  Jhâ. 
DG  suit  la  trad.  indigène  en  faisant  de  Kumârila  le  maître  de 
Prabh.  (369,  371).  En  sens   inverse,   KM  et  JRAS  1916,  370. 

(111)  Sphota.  Jacobi,  JAOS,  1911,  28  ;  —  Garbe,  S.  u.  Y.  cité  n.  96,  50  ;  — 

KM   36  ;    KS  61  ;    —   Vijnânabhiksu,   app.    à    Y ogasarasamg . 
'  (Bomb.  Theos.  Fund.  1894,  91-6  ;  —  àpplic.  à  l'esthétique  :  Hari- 

chand  cité  n.  156,  p.  91. 

(112)  Nyayavârt.,  t.  an.  dans  Jhâ  cité  n.  104.  Cf  JRAS  1914,  603  et  1091. 

Daçapadârthi  citée  n.  23.  —  Kusumanj.  :  t.  an.  Cowell,  BI  1864  ; 
Chatterji  cité  n.  92,  IX.  Stcherbatsky  attribue  Çrîdhara  à  la 
fin  du  xe  siècle,  Udayana  au  Xii^  ou  xiii^;  nous  adoptons  les 
dates  de  KLA.  —  Sur  le  rôle  logique  d'Udd.,  KLA,  104-112  ;  St. 

(113)  Bhasya  de  Gaudapâda,  t.  an.  Wilson,  Lond.  1837  ;  cf.  GS,  85-8  ;_KS 

69-70  :  doutes  sur  l'identité  de  l'auteur  et  de  celui  de  la  MTwd- 
Kâr.  ;  Takakusu  BEFEO,  IV. 

(114)  Y.  hhasya  et Tattvavaiçâradi,  t. àn.Woods,  op.  cit.  n.  102  et  R.Prasad, 

ibid. 

(115)  Iland.  Kâr.  :  n.l07.  —  Bliàsya  de  Çankara  :  Thibaut  SBE  cité  n.  107  ; 

t.  al.  Deussen,  Leip.  1887.  Examen  du  syst.  :  DV  ;  résumé  dans 
L.  de  la  Vallée  Poussin,  Brahmanisme,  Par.,  Bloud.  1910, 93-126.  — 
Buch,  tke  phil.  oj  Çankara,  Baroda.  —  Pancapadikâ,^  com.  sur 
Cahk.  :  t.  an.  Venîs.  Bénarès.  —  Aiyar  et  Tattvabhusana,  Sri 
.  ^ankaracarya,  his.  life  a.  times.  —  Çaiikaravijaya  «  le  triomphe 
deÇ.  ))(BI  1868),  d'Ânandagiri,  qui  prétend  relater  les  polémiques 
du  maître  contre  48  sectes,  est  un  roman  fantaisiste. 

(116)  Prabhu  Dutt,  M^ya,  Lond.  1911.  —  Sukhtankar  (WZKM,  XXII, 

1908,  130),  pour  montrer  que  la  mâyâ  çankariemie  est  étrangère 
au  védisme  primitif,  cite  des  extraits  du  Sutrakrtahga  jaina,  anté- 
rieur, semble-t-il,  aux  BS.  Or  le  Védânta  y  apparaît  simplement 
comme  fondant  tout  être  sur  l'âtman.  Le  même  auteur  constate 
l'absence  de  l'idée  de  m.  dans  les  U  et  en  trouve  l'origine  dans 
la  doctrine  mâdhyamika.  L'origine  est  bien  védique  (mâyâ 
de  Mitra  et  de  Varuna),  mais  l'emploi  théologique  n'apparaît  que 
dans  BG.  Cf,  OLU,  OWB. 

(117)  Advaita.  Cette  forme  du  Védânta  eut  des  précédents  avant  Çankara  : 

U  ;  Gandhahastimahabhâsya  lu  Jaina  Samantabhadra,  vers 
600  (FR  216).  GhV. 

(118)  Cf.  n.  16.  Bibhogr.  :  FR.  371  ;  --  Suali,  Matériaux   pour   servir  à 

Vhist.  du  matérial.  ind.,  Muséon  1908,  IX,  277  (t.  f.  du  Saddar- 
çanasamg.  [éd.  Suali,  BI]  sur  les  mater.)  ;  —  Pizzagalii,  Nâstika, 
Cârvâka  e  Lokaya.tika  Pisa  1907  ;  —  G.  Tucci,  Storia  del  mate- 
rialismo  ind.  sous  presse  en  1923  (d'ap.  soiu-ces  ind.,  tib.,  ch.).  — 
Jayanta  {Nyayamanjarl  vers  900)  et  Gunaratna  {Tarkarahasya- 
(fipikâ)  citent  deux  sûtras  de  Brhaspati.  —  Dahhnann  {Sarnkhya 
Phil.  190)  soutient  que  Lokâyata  signifia  d'abord  théoricien  de 


NOTES  281 

la  nature,  et  ne  prit  que  tard,  p.  ex.  chez  Çafikara  et  Kumârila, 
le  sens  de  matérialiste.  —  Sur  dimrta,  Harting,  Baudhayana- 
Grhyapariçista  sûtra,  Amersfoort  XXI. 

(119)  Buhler,  ilb.  die  ind.  Sekte  der  Jainas,  Wien  1887.  —  La  critique 

européenne  n'a  de  jainologues  que  Jacobi  et  un  petit  nombre 
de  ses  élèves,  Guérinot  (GBJ),  SuaU,  von  Glasenapp.  —  La  pre- 
mière date  historique  du  Jainisme  est  82  ou  80  de  notre  ère, 
époque  de  la  scission  définitive  entre  Çvetâmbaras  et  Digam- 
baras.  Rappelons  que  l'origine  de  cette  séparation  remonte  au 
temps  de  Bhadi-abâhu  :  ce  dernier,  pendant  une  disette  qui 
sévissait  en  Magadha,  am-ait  conduit  une  partie  de  la  communauté 
en  Kanara.  Quand  ces  émigrés  revim-ent  ceux  qui  étaient  restés 
avaient  précisé  leur  foi  au  concile  de  Pâtahputra  :  les  com- 
pagnons deBhadrabâhu  (1357)  n'y  reconnurent  pas  leurs  propres 
convictions  :  ce  sont  les  ancêtres  des  Dig.,  qui  ne  se  donneront  des 
livres  qu'à  l'instigation  de  Puspadanta  (121  ap.  J.-C). 

(120)  Deux  personnages  portent  le  nom  de  Jinasena,  l'un  en  783,  l'autre  en 

837  :  FR  217.  Bibliog.  jaina  ;  outre  GBJ,  FR  399-405  ;  W.  II,  2. 

(121)  Haribhadi-a.  W.  II,   2,    353  ;    —    Pullé  GSAI,  I,  47  ;  VIII,  159  ; 

IX,  1  ;  XII,  225.  Ses  conim.  :  Leumann  ZDMG,  XL VI,  581. 
Saddarç.  :  Pullé,  éd.  t.  f.  dern.  chap.  SuaH,  Muséon  IX,  277. 
'—'  DharmaUndu:  t.  it.  SuaU  GSAI,  XXI,  1908  (Legge 
jainica).  —  Samarâicchakoha  ERE,  VII,  467.  —  Hemacandra: 
Biihler,  iiher  dm  Leben  des  jaina  Mouches  K,  Wien  1889  ; 
Jacobi  VI,  591.  —  Yogaçâstra  :  t.  al.  Windisch  ZDMG, 
XXVIII.  —  Yogaçâstravrtti,  Belloni-Filippi  GSAT,  1908-9. 
—  Praviânacinémani  ERE,  VI,  591.  —  Pançistap.  :  Jacobi, 
Cale.  1891;  t.  al.  des  fables:  Hertel,  Ausgew.  Erzdhl.  aus 
H^s  Paris. 

(122)  Âptam.  :  com.  par  Akalanka(^stopaiI).Samantabhacba  et  Ak.  furent 

combattus  par  Kumârila,*  mais  Vidyânanda,  autre  com.  de 
rÂptam.,  et  Prabhâcandra  prirent  la  défense  de  Sam.  (W.  II, 
2,  352).  Distinguer  ce  Prabhâc.  d'un  Ç'vetâmbara  du  même 
nom,  postérieur  àHemacandra  et  auteur  du  Prahhavak acaritr a 
(W.  II,  2,  332).   —  Persécution  des  Jainas  :  OHI,   124. 

(123)  FR  219.  —  Le  TaUvârthasûra  d'Amrtacandra  suscita,  au  xv^  siècle, 

une  T.  d'ipikâ  par  Sakalakirti.' —  Conception  du  monde  chez 
les  Jainas  :  Jaini  (cité  n.  23)  36  :  table  des  karma,  correspondant, 
avec  des  modifications,  à  la  classif .  hînayâniste  des  variétés  de 
dharma,  119-125  cosmologie.  Kirfel  (cité  n.  84).  Athéisme  : 
Jacobi  ERE  II,  186. 

(124)  Sunavala,  Vijaya  Dharma  Suri,  Camb.  1922. 

(125)  Prameyaratnakoça,  éd.  Suah,  Cale.   1913...   —  Devasûri  :  Vidhya- 

bhûsana  (cité  n.  86)  142  ;  SI,  76. 


282  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE   INDIENNE 

(126)  n.  G3  et  VPEM.    —   Connexion   de  l'Hindouisme    avec    le    Brah- 

manisme :  Harting  cité  n.   118. 

(127)  Pûjâ  :  Harting,  ib.      XVI  et  Avalon  cité  n.  128  passim.  —  Mantra, 

ib.  —  Devatâs  :  Çiva,  Visnu,  Siïrya  (soleil),  ganeça,  Devî  (grande 
Déesse)  :  quintuple  adoration,  pancopâsanâ.  5  principes  (tattva): 
le  vin,  la  viande,  la  présentation  du  grain  avec  un  geste  de  la 
main,  l'union  sexuelle  (madya,  mâmsa,  matsya,  mudrâ,  mai- 
thuna)  :  correspondent  à  cinq  rites. 

(128)  Tantras.  Ce  sont  les  âgamas  (livres  fondamentaux)  des  çâktas  (ado- 

ratem-s  de  l'absolu  sous  forme  de  sa  çakti).  Hopkins,  Bel.  of  J. 
489-94.  Surtout  les  nombreuses  publ.  d'A.  Avalon  :  Serpent 
poiver,  1919  ;  Shakti  and  Shâkta,  1920  ;  —  éditions  :  8  vol.  de 
Tantrik  Texts  1913...;  —  t.  an.  Principles  of  Tantra,  1914-6; 
—  Mahanirvâna  /,  1913  ;  Ânandalaharï  1917  ;  Mahimnastava 
1917;  Hymns  to  the  Goddess  1913  (tous  :  Lond.,  Luzac).  En 
outre,  sous  le  nom  véritable  de  l'auteur,  dont  Avalon  n'est 
qu"un  pseudonyme  :  sir  John  Woodrofïe  :  the  world  as  power, 
Reality  ;  Power  as  life,  2  vol.  Madras,  Ganesh  1922.  Les 
Princ.  of  T.  et  le  T.  of  the  great  Liberation  (Mahânirv.)  four- 
nissent une  riche  documentation.  —  Littér.  çâkta  :  FR  388  ; 
çSkta  bouddhique  VPEM  et  FR  398. 

(129)  Pr.  of  T.  (n.  128)  II,  CXLVII-IX. 

(130)  Serpent  power  (n»  128).  —  P.  Masson-Oursel,  Physiol.  mystique,  J.  de 

Psychol.  15  av.  1922  ou  RHR. 

(131)  BG.  cf.  Senart  cité  n.  101   et  P.  Masson-Oursel  cité  n.  17.  Aussi 

Garbe  BG  Leip.  1905  (t.  al.)  et  ERE  II  535  ;  Deussen,  der  Gesang 

des  Heiligen,  Leip,  1911  et  DM  (t.  al.)  ;  Telang  SBE,  t.  an.^  Sur 

une  t.  grecque  de  la  BG,  par  Demetrios  Galanos,  début  Xl^  siècle  : 

Actes  16e  cong.  or.,  Athènes  1912,  95.  —  J âcoh,  C 07icordance  to 

the  principal   U.  and  BG.,  Bomb.   1891.  Mahânarayana  U  = 

DU  241.  —  Aussi  purânas  (n.  60).  — 

BibUog.  très  riche  :  FR  373-83. 

Gûvindâcârya   JRAS,    1911,   935.  lyengar  Outl.  of  Ind.  Phil, 

Bénarès  1909. 

Schrader   (n.   57)    attribue    14  samhitâs  de  Pâîïcarâtrins  aux 

9  premiers  s.  de  notre  ère.  FR  183. 

(132)  Çaiva.  Lakuh'ças  :  FR  146.  Bibhog.  çivaïte  193,  .383-7.  Analyse  des 

doctrines  :  Schomerus,   Çaiva -Siddhanta,  Leip.   1912  ;  BVS. 

(133)  Lihgâyats  :  FR  259-64  ;   BVS   131-140. 

(134)  Il  y  a  heu  de  mentionner  l'analyse  que  donne  du  Sâmkhya  al  Berunî 

en  1030  (GS  91-4).  —  Frm' d'Anuruddha,  t.  an.' Garbe  BI 1892  ; 
t.  an.  Siùha  SBH,  XI  ;  —  VijnSnabh.  :  KS  101-2  ;  GS  101-4  ;  — 
S.  pravac.  bhas,  t.  al.  Garbe  AKM  1889. 


NOTES  283 

(135)  FR  367  et  KM.  jSarvadarçanasamjraha  de  Mâdliava  (13S0)  eh.  XII, 

t.  an.  Cowell.  —  Arthasamg.  éd.,  t.  an.  Thibaut.  Bénarès  1882. 
Mïm.  nyâyaprak.,  t.  an.  Jhâ,  Bénarès. 

(136)  SI  ;  —  KLA  ;  —  Chalo-avarti,  sur  école  de  Nuddea  JASB  sept.  1915. 

Bibliog.  FR  370  ;  Tarkalcaumudï  des  Laugâksi  Bhâskara,  t.  al. 
Hultzsch  ZDMG,  LXI. 

(137)  Bibl.  FR  369.  —  Y.  Sârasamg.;  t.  an.  Jhâ,  Bomb.  1894.  —  Markus, 

Y.  Phil.  nach  dem  Eâjamârtanda  1886.  —  Hathay.  jyrndiy.,  t.  an. 
Svâtmârâma,  Bomb.  Theos.  Publ.  1893.  Selon  Shrinivâs  lyân- 
gâr,  préfacier,  Râja  Y.  =  Sâmkhya,  Hatha3^  =  Yoga  (VII)  ; 
le  premier  aurait  poui"  fondateur  Visnu,  le  second  Çiva  ;  t.  al. 
Svâtmârâma  et  H.  Walter,  1893.  —  Gheranda  sam.,  t.  an.  Sri 
Chandra  Vasu,  ib.  1895.  —  Goraksanâthîs  :"  FR  253,  348,  384. 

(138)  Âlvârs  FR  188.  Védânta  sectaire  BVS  ;  GhV.  —  Râmânuja  :  Thibaut, 

t.  an.  SBE,  XXXIV;  Sukhtankar  WZKM,  XXII  (1908)  121, 
287.  Keith  ERE,  X,  572.  Biog.  tamoule  par  Jiya,  t.  an.  Govin- 
dâcârya,  Mad.  1906.  Çrïbhâs.  :  t.  an.  Thibaut  ib,;  Rangâcârya, 
Mad.  1889.  Gïtâbhâs.  :  t.  an.  Govindâcârj'a,  Mad.  1898.  La 
tradition  qui  fait  naître  R.  en  1016  ou  1017  a  le  tort  de  le  faire 
vivre  120  ans. 

Sukhtankar  (127)  et  Faddegon  (Oostersch  Genootschap  in 
Nederland,  21  av.  1922)  approuvent  Thibaut  d'avoir  tenu  le 
com.  de  R.  sm*  les  BSpom-  plus  fidèle  au  Védânta  primitif  que 
celui  de  Çankara.  —  Aussi  R.  Otto,  Siddhanta  des  R.,  Jena, 
1917  ;  —  Visnu-Nârayana,  ib.  1917. 

(139)  Nimbârka.  GhV  ;  —  Otto,  V-N  ;  —  BVS,  63.  —  Otto,  Dl^ika  des 

Kivasa,  Tiibing.  1916. 

(140)  Prapatti.  GhV,  X    XVI  ;  —  Otto  V-N  99,  109-112,  125  ;  DN  62  ;  — 

Grierson  ERE,  II,  539. 

(141)  Otto  V-N  122  ;  Frazer  ERE,  V,  24  ;  BVS  56. 

(142)  Madhva.  Padmanabhachar,  Life  a.  TeacA.  o/.  M.,  Coimbatore  1909; 

lyar  Çrl  M.,  Madras  ;  BVS  57  ;  Grierson  ERE,  VIII,  232  ;  GhV, 
XXXVII...  Sutrahhâsya,  t.  an.  Rau,  Mad.  1904.  —  FR  375. 
Vallabha.  BVS  76;  Groose,  Mathurâ,  Allah.  1883,  287,  295; 
GhV  XXXIX...  FR  377.. 

Secte  de  Visnusvâmï  (XIIP  s.),  dévot  de  Râdliâ,  comm.  de 
BG  et  des  BS  ':  FR  234,  375  ;  BVS,  77. 

(143)  Jvxineçvarï,  sur  BG,  1290:  monisme  imprégné  de  Yoga,  sous  l'infl. 

de  Goraksanâtha.  Mac  Nicol,  Psalms  of  Marâtha  Saints,  Oxf. 
Nâmadeva  :  hymnes  ou  abhangs,  t.  an.  BVS  90,;  Mac  Nicol  ; 
Macaulifife,  SikJi  relig.  VI,  40. 

Tukârâm  :  Abhangs,  t.  an.  Fraser  et  Marathe,  Madras  1909. 
BVS  94  ;  Mac  Nicol. 


284  HISTOIRE    DE   LA    PHILOSOPHIE   INDIENNE 

(144)  Caitanya.  BVS  82.  FR  376.  —  Pillai  Lokâcârya  :  t.  an.  Govindâcârya 

JRAS  1910,  565.  Tattvatraya,  t.  an.  Pârthasârathi  Yogi  ;  du 
même,  t.  an.  Çrïvacanabh/ûsana.  —  Râmânanda  :  JRAS,  Jan. 
1920;  Grierson,  modem  Vernacular  Ut.  of  Hindustan,  Cale.  1889, 
7  ;  ERE,  X,  569;  t.  an.  Maeauliffe  VI,  105  ;  Agastya  suûksna 
samvada,  Schrader,  Intr.  Pane.  6.  —  Adhyatma  Eâmâyana,  t,  an. 
SBH  1913.  —  Tulsi;  Dis  :  JRAS  1903,  447  ;  SBE  XXXIV,  p. 
CXXVII  ;  Carpenter,  Theol.  of  T.  D.,  Mad.  1918  ;  BVS  75  ;  i?â- 
macaritmânas,  Grierson  JRAS  1912-4  ;  Groose,  Eûmûymia  of  T. 
D.,  Cownpore  1887,  1891,  Allah.  1897.  FR  381. 

(145)  Sur  toutes  ces  sectes  plus  religieuses  que  philosophiques,  Barnett, 

Grierson,  bibl.  de  FR;  exposé  de  BVS.  Ouvrage  sur  le  théisme  : 
Carpenter,  Theism  in  médiéval  Ind.,  Lond.  1921. 

(146)  Parmi  les  derniers  traités,  non  sectaires,  de  Védânta,  citons  le  Ved. 

Sâra  de  Sadânanda  (t.  an.  Jacob,  Manual  of  Hindu  pantheism, 
Lond.  1891  ;  éd.  et  t.  al.  Deussen  AGP,  I,  III,  615)  et  le  ViJTm- 
nûmrta  de  Vijîîânabhiksu,  Védantin  théiste.  —  DG  signale 
avec  pénétration  les  éléments  d'une  logique  originale,  opposée 
à  celle  du  réalisme  naiyâyika,  dans  le  Védânta,  que  1" illusionnisme 
çankarien  inclinait  à  des  vues  relativistes  analogues  à  celles  du 
Mahâyâna.  Il  vise  ainsi  la  dialectique  de  Çrîharsa  (2®  moit. 
Xii^  siècle)  et  de  son  commentateur,  Citsukha.  Sans  aucun 
doute,  dans  une  doctrine  où  seul  l'absolu  existe,  toutes  distinc- 
tions s'effacent  ou  se  confondent  :  alors,  dit  Hegel,  u  toutes 
vaches  sont  grises  ».  Cf.  Proceed.  of  the  Aristot.  Soc.  XXII, 
1922,  139  ;  DG  462-5.  Sur  Çrîharsa  et  son  Khandana  Khanda 
khadya,  Keith  JRAS  1916,  377  :  t.  an.  Jhâ,'  Allah.  1913; 
une  tîkâ  sur  ce  texte,  par  Çankara  Miçra  1472  (KLA,  35), 
Citsukha  est  auteur  d'une  Tattvadïpikâ. 

(147)  Conquête  islamique  :    OHI.  Aiyangar,  South.  Ind.  a.  lier  Muham. 

invaders,  Oxf.  1921.  Arnold,  the  freaching  of  Islam,  2^  éd.  Lond. 
1913. 

(148)  T.  Bloch,  ZDMG,  LXXII,  654.  —  Sufisme:  Nicholson,  hist.  enquiry 

concern.  the  orig.  a.  devel.  of  Suf.  JRAS  1906,  303  ;  Goldziher,  t.  f . 
Arin,  Le  dogme  et  la  loi  de  l  Islam,  Par.,  Geuthner  1920  ;  T.  J.  de 
Boer,  Gesch.  d.  Phil.  im  Islam,  Stuttg.  1901.  —  M.  Iqbal,  De- 
velop.  of  metaphysics  in  Persia  ;  —  R.  A.  NichoLson,  Studies 
in  islamic  Mysticism  ;  aS'^ .  in  is.  poetry,  Gamb.  1921  ;  the  mystics 
of  Isl.  Lond.  1914.  —  Arnold,  Survivais  of  Hinduism  concerning 
the  Muhammadans  of  /.,  3^  Cong.  HR,  I,  314. 

(149)  Akbar  règne  de  1556  à  1605.  Garbe,  A.,  Tiibing.  1908;  V.  A.  Smith, 

A.,  Oxf.  1917. 

(150)  Kabir.  Westcott,  K.  ;  —  BVS,  70  ;  —  ERE,  VII  632  ;  —  E.  Under- 

hill  et  R.  Tagore,  one  hundred  poems  of  K.,  Lond.  1913  ;  t.  f . 
Mirabaud-Thorens,  Paris  1922. 


NOTES 


285 


(151)  NSnak.Field,  the  relig.of  the  Sikhs,  Lond.  1914;  —  J.  D.  Cunmngham, 

a  hist.  of  the  Sikhs,  new  a.  revised  éd.  Garrett,  Oxf.  1918  ;  — 
Malcolm,  Sketch  of  the  Sikhs;  —  Macaulifie,  the  Sikh  rel.  (t.  an. 
des  hymnes  de  N.)  Oxf.  1909.  Le  recueil  d'hymnes  est  le  Granth 
(Sahib),  le  «  Livre  noble  »  ou  Adi  g.  «  Livre  fondamental  ». 

(152)  MacaulifEe  I,  317. 

(153)  Christianisme.  R.  Seydel,  das  Evang.  vonJesu  in  seiner  Verhalt  zu 

Buddhasage,  Leip.  1882  ;  die  B.  Légende  u.  das  Leben  Jesu,  1884  ; 
Barth,  Bull.  1885  {œuv.  l,  391).  —  E.  Kuhn,  Barlaam  und  Joa- 
saph  ABAW  1893;  —  T>.  Nutt,  Barlaam  and  Josa'phat, 
english  lives  of  the  B.,  Lond.  1896  et  Barth  IV,  237  ;  -  Goldziher 
(n  148)  132.  —  S.  Thomas  :  OHI,  126  ;  —  Grierson,  Modem 
Hinduism  and  the  Nestorians  JRAS,  ap.  1907;  the  East  and  the 
West,  ap.  1906  ;  —  Garbe,  /.  u.  das  Christentum,  Tiib.  1914, 
128-58.  —  Rapports  entre  le  Chr.  et  l'I.  :  Garbe,  ib.  ;  Bertholet, 
Biiddh.  u.  Chr.,  Tûb.  1909  ;  Reden  u.  Aufsàtze,  Leip.  1913. 

Rapports  entre  le  Judaïsme  et  l'I.  :  Barth,  III,  29  (Jehovah 
et  Agni).  —  La  Tribune  Juive  du  17  sept.  1920  mentionne  la 
présence  à  Korkine  de  Juifs  devenus  noirs,  étabhs  dans  le  pays 
mille  ans  av.  J.-C,  et  de  Juifs  blancs  émigrés  en  68  de  notre  ère. 
On  comptait  en  1911,  dans  l'I.  continentale  contre  220  millions 
d'Hindous,  66  de  Musulmans  et  9  1/2  de  primitifs,  3.  600.000 
chrétiens  et  19.000  Israélites. 
(154)  R.  Tagore,  le  génie  du  Japon  (Bul.  de  la  Soc.  «  Autour  du  monde.., 
déc.  1921,  9-24).  [Tag.  y  parle  librement,  s'exprimant  sur  l'Eu- 
rope devant  des  Orientaux.]  cf.  der  GeistJapans,  Leip.,  Neue 
Geist,  1918.  —  Sur  la  pensée  de  Tag.  :  Radhakrishnan,  the  phil. 
of  r'  T  Lond.  1918  ;  Jevons,  sir  R.  T.  poet  and  philosopher, 
Proc.  Aristot.  Soc.  1918-19,  30;  Engelhardt,  R.  T.  als  Mensch, 
Dichter  u.  Denker,  Berl.  1922  ;  Vaillat,  R.  T.,  Par.  1922. 

Mouvements  religieux  de  l'I.  contemporaine,  Brahma 
SamSj  Ârya  S.  Dev  S.,  Clemen,  die  nichtchristl.  Kulturreligionen, 
in  ihrem  gegenwart.  Zustand  2er  Teil.  Leip.  Teubner  1921, 
1-34  ;  Sivanath  Sastri,  Hist.  of  the  Brahmo  Samaj.  Cale.  1911-2  ; 
—  L^ipat  Rai,  the  Arya  Samaj.,  Lond.  1915.  —  Une  associa- 
tion de  Bénarès.,  Sri  Bharat  Dharma  Mahamandal,  cherche  a 
réconciher  toutes  les  rehgions  en  un  hindouisme  rationaliste 
{the  worlds's  eternal  religion,  Lucknow,  1920). 

(155)   Bibhog.  sommaire  de  la  Science  indienne. 

Aperçu  d'ensemble  :  B.  Kumar  Sarkar,  Hindu  achievements  m 
indian  science.  [PartiaUté  signalée  par  Karpinski,  Hindu  Science, 
Amer.  Math.  Monthly,  XXVI,  298,  1919].  -  Seal,  the  positive 
science  of  the  ancient  Hindus,  Lond.,  Longmans,  1915. 

Mathématiques.  Bibl.  jusqu'à  1911  :  JASB  VII,  10.  Deux 
remarquables  art.  de  G.  R.  Kaye  :  Ind.  Math:  Isis,  n»  6,  19K) 


286  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    IXDIEXXE 

326-56  ;  Infl.  grecque  dans  le  développement  des  math.  hind. 
Scientia,  Jan.  1919.  Cet  auteur  distingue  trois  périodes  : 
1°  celle  des  Çulvasûtras  brahmaniques  (ll^  s.  av.  J.-C),  qui 
régissent  la  pensée  math,  jusque  vers  200  ap.  J.-C.  Ce  sont  des 
textes  religieux  opérant  non  des  démonstrations,  mais  la  cons- 
truction de  carrés,  de  rectangles  pour  les  besoins  du  culte.  Thi- 
baut JASB  XLIV,  Cale.  1875  ;  jBaudhâyana  Ç.  s.,  éd.,  t.  an. 
Thibaut,  Pandit  IX  ;  Âpastamha  Ç.  s.,  éd.  t.  al.  Biirk  ZDMG, 
LV,  LVI.  —  2°  période  astronomique,  400-000.  Une  solution 
de  continuité  entre  la  1'®  et  la  2®  incline  Tauteur  à  voir  dans  la 
2®  une  influence  grecque,  car  l'action  exercée  sur  les  math.  hind. 
par  l'astronomie  gi\  est  certaine.  L'œuvre  capitale  est  le  sid- 
dhânta  Paullça,  éd.  par  Varâha  Mihira,  vers  550  ;  loriginal,  de 
Paul  l'Alexandrin,  date  d'environ  380  ;  mais  il  y  eut  quatre  autres 
siddhântas  ou  sj^stèmes  :  le  Româka  (romain),  le  Vâsistiha,  le 
Saura,  le  Paitâmaha.  Le  Pauliça  fournit  une  table  de  sinus 
et  deux  règles  trigométriques  ;  l'infl.  de  Ptolémée  s'y  manifeste. 

Ici  se  place  l'œuvre  d"  Aryabhata,  né  en  476  :  il  donne  une  valeur 
très  exacte  de  x  et  une  règle  pom-  la  solution  des  équations 
indéterminées  simples.  Ce  dernier  sujet  est  amplement  traité 
par  Brahmagupta,  c^ui  n'a  pas  pris  son  point  de  départ  dans 
Arj^abhata,  mais  dans  l'astronomie  grecque,  —  3°  période 
math,  hindoue,  600-1200.  BrahmagujDta  (né  598),  Mahâvïra 
'  (ix^  siècle  0,  Çridliara  (né  991)  nous  acheminent  à  Bhâskara 
(né  1114).  Le  Gnnitasâra,  traité  de  calcul  {Tricatihi)  de 
Çrîdhara  j^araît  utiUsé  par  Bhâskara  dans  sa  Lilâvati  (cf. 
Râmânujâchârya  et  Kaye,  Bibl.  Math.  XIII,  n^  3,  29  JuU 
1913,  Leip.,  203).  Dans  son  V'ijaganita  le  même  auteur  systé- 
matise l'algèbre  de  Brahmagujjta.  —  Sur  les  notations  numé- 
riques, lettres,  chiffres  :  Kaye  ib.  {Ind.  Mat.)  342-5.  Du  même: 
the  Bakhshâli  manuscript,  JASB,  VIII,  n»  9,   1912,  349. 

Astronomie.   Ibid.  ;   Kaye,   ancient  hindu  spherical  aatr.^ 

JASB,  XV,  1919,  153-89  [Aryabhafiya,  498;  PaTicasiddhanfika , 
550,  Brâhmasphutasiddhânta,  628  ;  Sûrya  Siddhânta.  1000  ; 
the  astronomical  observatories  of  JaiSingh.  Une  soudure  s'étabht 
entre  les  spéculations  astronomiques  et  les  cultes  solaii-es  appa- 
rentés au  védisme  ;  l'influence  même  de  l'astr.  grecque  parvenait 
à  ri.  à  travers  le  milieu  iranien  qui  accordait  à  ces  cultes  une 

grande  importance.  Kirfel,  cité  n.  84.  —  Kern,  Aryabhatïya, 
1874,  et  Barth,  Œuv.  III,  146. 

Physique.  Rudiments  chez  les  matériahstes  et  les  diverses 
écoles  d'atomisme  :  Jainas,  Bouddhistes  du  Petit  Véhicule, 
Vaiçesikas.  Mais  sur  ce  point  les  Hindous  modernes  se  sont  fait 
souvent  illusion,  jDaraissant  croire  que  ces  doctrines  coïncidaient 
avec  les  hj-pothèses  de  la  science  em-opéenne.  Ainsi  le  paramânu 
des  Vaiçesikas  est  plutôt  l'extrême  petitesse  qui  tend  au  point 


NOTES  287 

géométrique,  qu'un  corpuscule  insécable  ;  l'âkâça  est  une  force 
plutôt  qu'un  éther  où  se  propageraient  des  vibrations  ;  diç  et  kâla 
sont  aussi  des  forces  qui  situent  dans  la  simultanéité  ou  dans 
la  succession,  non  des  cadres  vides,  comme  notre  espace  et  notre 
temps  mathématiques.  La  physique  indienne  demeure  quali- 
tative, même  quand  elle  paraît  mécaniste.  Cf.  Chatterjea  (n.  92); 
guide  beaucoup  moins  sûr  :  Kishori  Lai  Sirkar,  Intr.  to  the  hindu 
syst.  of  physics,  beig  an  expos,  of  Kanâdsiïtras  (^  VS),  Cale. 
191 L  Consulter  Hindu  Mechanics,  H.  acoustics,  app.  (349-65) 
par  Seal  à  The  positive  Background  of  hindu  socioloyy,  Book  I, 
de  B.  K.  Sarkar  SBH,  XVI,   1914. 

Chimie.  Cette  science  a  été  souvent  cultivée  pour  des  fins 
alchimiques.  Praphulla  Chandra  Ray,  Hist.  of  Hindii  Chemistry, 
2  vol.,  2^  éd.  Cale.  1903  [ouv.  capital,  auquel  s'intéressa  M.  Ber- 
thelot  :  J.  des  Savants,  av.  1898,  227].  Mise  au  point  sommaire 
par  le  même:  Isis,  II  n»  6,  1919,  322. 

Biologie,  médecine.  De  Seal  et  Sarkar  (op.  cit.):  Botanique 
et  zoologie  de  l'I.  ancienne.  Sur  l'hist.  de  la  botanique  en  Asie 
Centrale,  ouv.  de  valeur  :  B.  Laufer,  Sino-Iranica  (Field  Muséum 
of  Nat.  Hist.  201,  anthrop.  Ser.  XV,  no  3,  Chicago  1919).  — 
Ouv.  jaina  du  XI^  siècle  :  Jivaviyara  deÇântisûri,  Guérinot,  t.  f. 
JA,  1902,  231.  —  Mme  Liacre  de  St-Firmin,  Médec.  et  légendes 
bouddhiques,  Par.  1916.  —  J.  JoUy,  Medizin  (Gr.  III,  10  — 
capital);  zur  Quellenkunde  d.  ind.  Med.  (Vâgbhata)  ZDMG, 
LIV,  260  ;  —  P.  Cordier,  traités  médicaux  sanscrits  antérieurs 
au  Xllie  siècle-  ;  et  Muséon  1903  ;  —  Udoy  Chand  Dutt,  Materia 
medica  of  theHindus;—'KRas,  ilb.  d.  Urspr.  d.  ind. Med. (Suçruta), 
ZDMG,  XXX,  642  ;  —  Roth,  Caraka  ZDMG,  XXVI,  441  et 
Liétard,  Bul.  Ac.  Méd.  Par.,  5  mai  1896,  11  mai  1897  ;  —  Bhisa- 
gratna,  t.  an.  de  Suçruta,  Cale.  1907-  1916  ;  —  Mukhopadhyaj^a, 
the  surgical  instruments  ot  the  Hindus,  Cale.  Un.  r.)i3-4  ;  — 
VaUauri,  la  Méd.  ind.,  Scientia  XVIII,  308,  1915  ;  un  testo 
mediaevale  ind.  di  med.  (Siddhayoga,  par  Vrinda-Madhava), 
Riv.  di  St.  critica  s.  se.  med.  e  natur.  VII,  6-10,  1916;  i  fon- 
damenti  generali  délia  med.  ind.,  Archivio  di  st.  délia  se,  II,  70, 
Roma  1921. 

Sociologie.  B.  K.  Sarkar,  Pos.  Back.  ;  Book  II,  1921  ; 
Property,  law,  social  order,  Int.  J.  of  Ethics,  XXX,  n^  3;  th. 
de  la  constitution,  résumée  par  P.  Masson-Oursel,  R.  Synth. 
Hist.  XXXI,  V,  1920  ;  surtout  Political  institutions  a.  théories 
of  the  Hindus,  Leip.,  Markert,  1922.  —  Radhakumud  Mookerji, 
Local  goverment  in  ancient  /.,  2^  éd.,  Oxf.  1920  ;  a  hist.  of  ind. 
shipping  and  inaritime  activity,  Lond.,  Longmans,  1912  ; 
Fundamental  unity  of  I.,  ibid.  1914  (ouv.  remarquables).  — 
Narendra  Nath  Law  ;  Studies  in  ancient  hindu  polity, 
ib.  1914  (sur    VArthaçàsira    de    Kautilya,    et   la    diplomatie, 


288  HISTOIRE    DE   LA   PHILOSOPHIE   INDIENNE 

un  travail  de  Nag,  1923  thèse  Paris.)  —  Problèmes  contem- 
porains :  W.  Paton,  Social  ideals  in  L,  Lond.  1920  ;  Tyler  Den- 
nett,  the  démocratie  movemeiit  in  Asia,  N.  Y.  1921  ;  Lajpat  Rai, 
Young  India  ;  the  political  future  of  I.,  N.  Y.  1921. 
(156)  Cette  esthétique  —  dans  une  large  mesure  inspiratrice  des  œuvres 
classiques,  des  peintures  d'Ajantâ  comme  des  drames  de  Kâh- 
dâsa,  —  vise  à  susciter  des  états  d'esprit  (bhâva)  ou  sentiments 
autres  que  les  émotions  naturelles,  produits  par  le  sortilège  de 
l'art  (nirmânaksama,  Harichand  cité  infra,  66)  chez  un  esprit 
assez  cultivé,  assez  raffiné  pour  les  former  en  soi,  —  ou  encore 
capable  de  goût,  rasa.  L'art  est  donc  une  opération  artificielle, 
suggérant  des  états  factices,  susceptibles  d'être  appréciés  moyen- 
nant une  culture  savante.  Cette  esthétique  n'est  pas  moins  sco- 
lastique  que  la  pensée  philosophique  ou  religieuse.  Elle  ne  prend 
pas  pour  modèle  la  nature  ;  ses  règles  sont  relativement  à  priori. 
prescrites  à  l'œuvre  artistique  comme  les  préceptes  moraux  ou 
religieux  sont  imposés  à  l'action  humaine,  à  la  façon  de  canons 
ayant  par  autorité  —  ou  tradition  —  force  de  loi.  Ainsi  la  plas- 
tique a  ses  formes  conventionnelles,  délibérément  distinctes  des 
formes  naturelles:  tel  type  humain  comporte  telles  mensura- 
tions, tel  autre  des  mesures  différentes.  Le  kâvya,  la  poésie,  a  de 
même  ses  conditions  nécessaires.  Les  traités  d'esthétique  pres- 
crivent les  types  que  doit  reproduire  l'iconographie,  tout  comme 
les  Çulva  sûtras  légifèrent  siu-  la  façon  de  construire  des  qua- 
drilatères :  une  même  réglementation  religieuse,  cultuelle  et 
rituelle,  règne  là  où  nous  autres  Européens,  cherchons  de  la 
science  ou  de  l'art.  Les  ouvrages  les  plus  caractéristiques,  en  ce 
qui  concerne  la  plastique,  sont  :  B.  Laufer,  das  Citralaksana, 
Leip.  1913  (t.  al.  du  tibét.  :  mensurations  exigibles  pour  diffé- 
rents types  humains  :  proportions  relatives  des  parties  du  corps 
en  tant  que  recréé  par  l'artiste  pour  des  fins  rehgieuses  —  ouv. 
d'inspiration  jaina)  ;  —  Rao  T.  A.  Gopinâtha,  Talamana  or  Ico- 
no'metry,  Mem.  arch.  sur  Ind.  n»  3,  Cale.  1920  ;  Eléments  of 
hindu  iconography,  2  vol..  Madras,  Law  Printing  house,  1914-6 
(extraits  des  Çilpaçâstras  —  sur  ces  textes  brahmaniques  :  Keith, 
t.  an.  de  l'Aitareya  et  du  Kausîtaki  Br.,  HOS,  XXV,  32  ;  279-82  ; 
542  ;  Havell,  Aryan  Rule  in  I.  127).  Ces  ouvrages  montrent  l'ori- 
gine rituahste  de  l'esthétique.  —  Du  même  ordre,  mais  exposés 
populaires  :  A.  Tagore,  Art  et  anatomie  hindous  ;  VAlpona, 
décorations  rituelles;  S.  Gupta,  les  mains  dans  les  fresques  d'Ajanta,, 
Par.  Bossard,  1921.  -  Consulter  W.  Cohn,  'Ind.  Plastlk,  Berl., 
Cassirer  1921  ;  —  Prasanna  Kumar  Acharya,  a  treatise  on  archi- 
tecture and  kindred  suhjects  (Manasâra,  ouv.  antér.  au  V  siècle), 
Leiden,  1918  ;  —  Hawell,  a  handbook  of  ind.  art,  Lond.  ]\Iurray 
1920  ;  —  Coomaraswamy,  Visvakarma,  Lond.,  Luzac  1914 
(sculpture)  ;  the  arts  a.  crafts  of  I.  and  Ceylon,  Lond.  1913  ;  La 
danse  de  Çiva,  t.  f.  M.  Rolland,  Par.,  Rieder  1922. 


NOTES  289 

Ouvrages  analogues  sur  la  technique  littéraire  :  Regnaud, 
Rhétorique  sanscrite.  Par.  1884  ;  —  Sylvain  Lévi,  le  Théâtre  ind.', 
Par.  1890  ;  —  Daçarupa  (de  Dlianamanjaya),  t.  an.  Haas,  Co- 
lurabia  Un.  [technique  dramatique];    —  Jacobi,  Ânandavar- 
dhana's  Dhvanyâloka,  ZDMG,  LVI,  394  ;  —  Viçvanâtha  Kavirâja, 
Shaitya-darpana,  the  mirror  of  composition,  t.  an  Ballantyue  et 
Mitra,  Cale,  1875;  —  Max  Lindenau,  Beitr.  zur  altind.  Rasalehre, 
mitbesond.  Berucksicht.  des  Natyaçastra  des  Bharata  Muni,  Diss. 
Leip.,  1913  ;  Appayadiksita's  Kuvalayanandakarikâs,  ein  ind. 
Kompendium    der  Eedefyuren,  t.  al.  R.  Schmidt,  Berl.  1907  ;  du 
m&mQ  Beitr.  z.  ind.  Erotik,  Leip.  1902,  et  n.  95  ;  —  Hari  Chand, 
Kalid^sa  et  Fart  poétique   de   l'Inde,   alankara    çâstra.    Thèse 
Paris    1917  [sur    Kàl.,  A.  Hillebrandt,  K.,   Breslau  1921].  — 
Une  influence  grecque  sur  le  théâtre  indien  est  certaine  (  Windisch , 
Abh^5  orient:  Kongi-.  1881  ;  S.  Lévi,  op.  cit.)  ;  l'auteur  du  Na- 
tyaçastra a  peut-être  connu  la  règle  aristotélicienne  de  l'unité 
de    temps,    de    lieu    et    d'action    (Lindenau,    V).    L'influence 
exercée   par   les   modèles  grecs  sur  la  plastique  du  Gandhâra 
est  un  fait  (n.  79).   Mais  ces  emprunts,   qu'il  faut  rapprocher 
de  l'emprunt  des  doctrines  astronomiques,  restent  hmités,  et 
il  y  aurait   autant    d'inconvénients  à  exagérer  leur  portée  que 
nous  avons  trouvé  de  danger  à  interpréter  la  logique  indienne 
comme  un  reflet  de  celle  d'Aristote. 

Musique  :    J.  Grosset,   Contrib.    à    l'ét.   de  la   mus.  ind., 
Par.  1888  ;  Barth  IV,  64  ;  —  Popîey,  Music  of  /.,  Cale.  1921. 


19 


INDEX 


I.   Français 


absolu  43,  53,  93-4,  109,  118, 
126-8,  139,  178,  182,  187-8, 
210,   229,  233,   234,   237,   245, 

248,  257 

V.  kevala,  kaivalyam  ;  brah- 
man  ;  âtman  ^  nirvana  ;  tathatâ  ; 
sâdhana 

acte,  action  59-62,  66. 

voir  karmau 

adoration  230,  244,  251 

agnosticisme  91,   95-6,^  119,    128. 

âme   142,  198,  215,  217,  245 

V.  âtman,  jîva,  manas,  buddhi, 
ahamkâra;  esprit. 

animaux  148 
art  256-7,  288-9 

ascétisme    48-9,    69,    70,   84,    90, 
141,  185,  189  197,  224,  243. 
V.  tapas 
athéisme  45-8,  65,  177 
atome.  V.  anu,  paramânu 

atomisme  74,  122,  145,  167-8, 
175,  185,  192,  196,  206,  212, 
237 


bouddhisme  65-9,  79-99,  111,  119- 

57,   172,  186,  189,   195-7,  208, 
211,  220,  233,  245. 

brahmanes  27,  41-3,  63-4,  67,  112. 


brahmanisme  26,  29,  30-1,  39,  51- 
64,  67,  97,  101-1,  109-10,  112-7, 
119,    155,   189,    195,   199,   211, 

228-57 


Canon  jaina  71 

— -     bouddhique  81-4,  136. 

castes   41,  44,  65,  67,    79,    100-1, 
110,  112,  115-7,  163,  224,    229 

catégories  169-70,    184,   194,    212 
causante  134,  195,  205,  212 
chinois   (lang.)  82  (canon), 
çivaïsme  183,  221,  229.... 
christianisme  96,  253-5 
concilesjainas  71. 

—        hoaddhifiues     82-3,     120, 
123,  131 

condition. 

V.  nidâna,  pratyaya,  pratîtya- 


samut[iâda. 
confucéisme  46 
connaissance  168,  239 
connexion  logique  153-4,  172,207, 

216 
conscience  239. 

corps.   V.  çarira,  kâya. 
cosmogonie   183-  • 
cosmologie  55,  89,  185 
création  184, 


292 


HISTOIRE    DE   LA   PHILOSOPHIE   INDIENNE 


damnts  148. 

délivrance    7,  61,  67,  77,  88,    90, 

93,  166,  237,  256-7. 

V.moksa,  jîvanmukta,  nirvana 
démiurge  196,  206 
démons  31,  34 
démonstration  172,  207 
destin  71,  165,  212 
dévotion    109 -U,    133,  232,  238, 

244-8    251 
dieux,   divinités    17,   20,    28,    32, 

34-5,  37,  42,  61,  90,  100-9,  116, 

148,  165,  206,  210,  224,  230-1, 

244-7,  251 

V.  deva,  devatâ 
docétisme  125,  136 
douleur 

V.  pessimisme  ;   duhkha.    85, 

88,  191 
dualisme 

V.   pluralisme.  76,    178,    182, 

237-8,  245-6 

éléments  28,  59  215 
empirisme  152-3,  171-2 
épicurisme  42. 
épopées. 

V.    Mahâbhârata,    Râmâyana 
25,  100-5,  112,  173 
eschatologie  61 
espace.  V.  diç,  âkaçâ.  167 
esprit 

V.  purusa,  manas^  âme.  47-8 
esthétique  171,  256-7,  288-9,  280 
être,   non-être    36,    133-4,     196-7, 

205 
étymologie  42 
évolution  184,  238 
exégèse. 

V.  Mîmârnsâ.  25,  46 
extase  181,  189 

famille  20,  79-80,  114,  117 

V.  gotra. 
femmes  79,  102,  224,  230-1 


folklore  19,  98. 

fructification      (phala,      fruit      de 
l'acte). 

V.  maturation 


gnose  142,  219,  231 
grâce  233,  247-8 
grammaire  42 

hérésies  67,  97,  156,  199 
hindouisme  117,  155,  228-57 
histoire  5,   11,  256 

—        de   la    philos,  ind.   5-13  ; 
passim 

idéalisme  77,  139,  141,  142,    145, 

151-3,  172,  185,  194,  216 
idée  155  (concepts  généraux);   186 

(vijnapsî); 
illumination 

V.  bodhi 
immanence    53-4,    166,    197,   248, 

257 
inférence    153-4,    172,    185,    193, 

217 
irréligion  45-8,  215 

jainisme  65-79,  82-4,  96,  111,  126, 
145,  165,  168,  173,  175,  186, 
189,  19.3,  214,  218-27,  238 

juridique  (littér.)  115 

langues  16,  18 

linguistique   10 

liturgie  42-3,  45 

logique  150-5,.  194,  206  (boud- 
dhique) ;  151,  172,  193,  203, 
206,  242  (brahmanique)  ;  151, 
193,  224-7  O'aina). 

loi. 

V.  dharma.  65,  125,  145,  154. 

lotus  136-7  (pundarîka),  183  (sym- 
bole), 234  (cakra). 


INDEX 


293 


mages  20,  28 

magie  28,  34,  229 

mal,  37-8,  75,  116 

matérialisme  47-8,  65-6,  178,  214-8 

maturation.  V.  Vipâka.  73 

métaphysique   33,   53,  59,  77,  HC), 

91-2,    96,   120,   128,    139,    173, 

178,  185,  193,  195,  238 
monastique  (vie)  78,  90,  111,  119, 

239 
monisme  34-5,  211,  237-8,  244-6 
monothéisme  111 
morale  59,  62,  66,  89,  90,  120. 

V.  çila 
mort  60-3,  86.  V.  Marana,  punar- 

mrtju. 
morts  20,  31 
moyenne     (vie).      V.     madhyamâ, 

Mâdhyamika. 
musulmanes  (invasions)  221,  250-1. 
mythes  29,  36,  43,  80 

nature.  V.  pradhâna,  prakrti.  182, 

188 
nécessité  71.  V.  destin 
néoplatonisme  252,  274 

Optimisme  37,  88-9- 
orthodoxie    67,  156,   160-1 

pâli  (lang.,  canon)  67,  82- 
panthéiâme  34,  36,  54,  248-9,  253 
péché  38,  61 
perception.  V.  pratyaksa 
pères.  V.  pitaras. 
persécutions  156,  221 
pessimisme  3,  59,  60,  6Q,  85,  88-9 
phénoménisme    92-3,    121-3,    14.5, 

196 
physiologie  56,  233-4 
physique  168-9,175,  181,  185,211 
pluralisme  34,   179,  237,  244-6 
politiques  (théories)  99 
positivisme  173,  19.3,  242,  256 
pragmatisme  257. 
priori  (à)  153,  171-2,  208 
psychologie    55,    93,    181-2,    192, 

211,  217 


races  18. 

raison  58,  95,  153-4 

rationalisme  95,  242 

réalisme   77,    121-3,   144-5,  152-3, 

194,   196,   202,   207,  210,   214, 

227,  238 
relativité   47,    91,  93,  109,  126-7, 

133-5,  175,  194-5 
religion  7  —    aryenne  20;  dravi- 

dienne  17,  102;  védique  22-.34, 

46-59;  brahmanique  49,  59,  61; 

jaina   65  ;    boudhique    65,    126  ; 

'hindouiste    101-12,  213,  228-57 
rémunération  61 
rêve  62,  196 
rites    30,   34-5,  40,  43-4,  102,  108, 

114,116,  195,  197,  199,  229-30 
roue.  V.   cakra.   36,  99 
royauté    20,  99,   114,  120 

Sacrifice   26,  36,  114,  116,  230 
salut.    V.  délivrance,    76,    88,    97 
sanscrit    11,  6.3,  67,  82 
science   255-6,  285-8 
scolastique   23,    39,  46,  199,  200 
sectes  boudhiques   82,    119-22, 
148,  157. 

—  jainas  72 

—  hindouistes     109,    117, 

228-31,  234-5 
serpent  233-4. 
société   (organisation  de  la)    115 

V.  Sectes,  castes, 
sommeil  62 
sophisœes    190,  193 
sophistique    45-7,    65-6,    95,    151, 

224 
souffles   vitaux  50 
substance  93,  177;  substantialisme. 

V.  dravya;  âtman,  anâtmatâ. 
siïfisme  251-2 
suicide  71,  75,   222 
syllogisme  154 
symboles  116,  195,    230 
synthèse    154,  207 


294 


HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 


tantrisnie   lôll,  228-34,  237,  257. 
taoïsme  46,  155,  189. 
temps  134,  167.  V.  Kâla. 
théisme  117, 187,  206,  223,  240-1, 

243,  246-9,  253,  278,  284. 
tibétain  82. 
transcendance    53-4,     138,     182, 

193,  197,  248,  257,  274. 
transmigration      60-2,     66-7,     85, 

87-8,  102,  166,  217,  256. 


Vaches  29, 

vacuité.  V.  çûnya. 

védisme  22-38,  59,  63-4. 

vie  49,  50,  60-1,  75,  125,  197. 

visnuisme   177,  183,  229... 

volonté  57,  62. 

vœux  70,  90,  133. 


II.   Sanscrit 

(OCCASIONNELLEMENT,    PALI    ET    CHINOIS) 


(les   MOTS    A   MAJUSCULE    SONT    DES   NOMS    d' OUVRAGES) 


Abhangs  283. 
abhâva  202,  205. 
abhibuddhi  239. 
abhidharma  83,  120,  131. 
Abhidharmakoça    144,    146,    148, 

157. 
Abhidhammatthasamgaha  143. 
Abhidharmavibhâsâ  123. 
Abhiniskramana  144. 
Abhisamayâlamkâra  137. 
âcankâ  225. 
Acârânga  221. 
âdhâra  233. 
adhvarvu  27. 
âdibuddha  156,  223. 
Adhvâtma  Ràmâyana  249. 
adrsta  165,  168,  19(3,  206. 
advaita  211,  238,  244-5. 
Agama  236,  238,  282. 
Agamaprâmânya  244. 
Agastya  Sutiksnasamvâda  249. 
ahamkira    58,    180-1,    185,    208, 

235. 


ahirnsS  70,  78,  90,  147. 
Ahirbudhnyasamhitâ    177,    235-6. 
âjnâ  233. 

âkica   59,    62,    74,   76,  146,  168, 
178,  181,  204,  215,  287. 

âkhyâna  25,  112. 
Akutobhayâ  134. 
âlambana  186,  196. 
Alambanapariksâ  152. 
alamkâra  132 

âlaya-vijîiâna  132-3,  137,  139. 
anahata  233. 
ananta  74. 
anâsrava   140. 
anâtmatâ  93. 
ânavamala  237.  . 

Anekânta  jaya  patakâ  220,  225-6. 
Anguttara  nikâya   125. 
animitta   131. 
antaryâmin  245. 
a  nu  74. 

anumâna     154,     171,    185,    193-4, 
206,  216. 


INDEX 


295 


ànvïksiki  193,  215,  278. 
âpas  28. 
apavarga  191. 
apranihita  131. 
âptavâkyam  185,  192. 
apûrva  165. 
Aranyaka  51-2. 
arhat  124. 
ardhamagadhi  67. 
arta  22. 
artha  62,  170. 
Arthaçâstra   215,  287 
Arthapancaka  248. 
arthâpatti  202. 
Arthasamgraha  241. 
arthavâda  40. 
âsana  231,  243. 
asmitâ  185. 
âsrava  76. 
astika.  V.  nâstika. 
asura  35. 

Atharvaçikha  236. 
Atharvaçii-as  236. 
Atharvaveda  23,  27,  33,  40,  114. 
itman   53-4,    93,    141,    169,    174, 
182,   192,   196,   210,   217,   223, 

244,  265. 
Atthakathâ  143. 
Avatamsaka  136,  157. 

avatâra     107-8,     119,    233,    237, 

245,  252. 
avayava   191. 
Avesta  20-1. 

avidyâ  87,  89,  132,  198,  211,  245 
avyaktam  174,  180,  185 
âyatana  85,  146. 
âyus  60,  73. 

badara  74. 

bala  236. 

Bâlabhârata  219 

bandha  38,  73. 

BhagavadgitS  98,  110-3,  116,  128, 

136,  176-7,  187,  230,  232,  235, 

243,  245. 
Bhâgavatapurâna  235. 


Bhaktamâlâ  249 

bhakti  109,  236,  238,  246-7. 

BhSmati  201,  210. 

Bhâskarabliâsya  245. 

bhisya  196,  199,  208-10. 

Bhâbtadipikâ,  241. 

bhava  86. 

bhâva  174. 

bhedâbheda  245-6. 

bhoktar  231. 

bhûmi  128,  137,  147,  234. 

bhûtâtman  174. 

bija  94,  188. 

bodhi  80,  87,  126,  139-40,  150. 

Bodhicaryâvatâra,  149,  232. 

bodhisattva  127,  136-7,  139,    148, 

179. 
Bodliisattva-yogâcâra-catuhçataka. 

V.  catuhçataka. 
brahmacârin  117. 
brahmacarya  45,  70. 
brahman   33-4,    43,   53-4,   62,    94, 
■  98,  105,  108,  116,  117,  165,  182, 

196-7,  211,  236,  239,  245,  248. 
Brâhmanas  40,  4.3,  53,  61,  63,  97, 

108,  114,  189. 
brahmanirvâna  177. 
Brahmasûtras  162,  195,  238,  244, 
brahmavidyâ  45. 
brahuî  16. 

Brhadâranyaka  Up.  52,  62. 
Buddhacarita  80,  131,  175. 
buddhi  58,   62,    174,    180-1,    183, 

192,  208. 
buddbyapeksâ  170,  172. 

Caîtanya  248. 
cakra\36,  99,  233-4. 
Catuhçataka  135,  149. 
cetanâ  76,  178. 
chala  191. 

Chândogya  Up.  52,  61-2,  174. 
Che-king  25. 

citta  147,  150,  185-6,  188. 
çabda    171,    192,    197,    204,    206, 
216. 


296 


HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 


Çaivabhâsya   238. 

çakti  202,  205,  231,  233-6. 

çarira  74,  198. 

çâstradipika  241. 

Castras  (3)  157. 

çila  126. 

Çivajnânabodl'a   23*. 

Çivârkamanidipikâ  238. 

Çivasamhitâ  243. 

Çivasûtras  238. 

Clokavàrtika  202-3. 

çraddhâ_  108 

Crauta  sut  ra  s   115 

çrâvaka  126,  128. 

çruti  22,  40,  116. 

çûdra  41. 

Culvasûtras   115. 

Çûnva  131,  134-6,  148-9,  155,  190, 

197. 
CS'etâcvatara    Up.    55,     174,    176, 
'  236,'  240. 

Daçapadârthi  204. 

Daçavaikalikanirvukti  224. 

dâna  126. 

darcana   7.3,  77,  158... 

deva  21,  174. 

devatâ  230. 

devayâna  61. 

Dhammapada  84. 

Dhammasanganî  148. 

dharma  35-6  (dharman),  42,  44, 
47,  57,  59,  74,  76  85,  92,  99, 
110,  115,  125,  127,  130,  136, 
139-42,  145-7,  151,  164-5,  179, 
214,  217,  256. 

Dharmabindu  220. 

Dharmadharmatâvibhanga  137, 

dharmadhâtu   127,  139. 

dharmakâya  129,  135. 

Dharmalaksana   157. 

Dharmaparîksâ  224 

Dharmasamgraha  148. 

dhâtu  140,"  146,  148. 

Dhâtukâvapâda   131. 

dhûrta  217. 


dhyâna  128,  140,  148,    157,    185, 

275, 
dhyânibuddha,     dhvânibodhisattva 

156. 
diç,  75,  204,  287. 
diksâ  115. 
dosa   191. 

dravya  74,  167-8,  170. 
Dravyasamgraha  223. 
drstànta  1*91,  225. 
duhkha  86,  191. 
dvaitâdvaita  246. 
dvija  41. 


Ekottarâgaiiia  144. 


Gandhahastimaliâbhâ.sya  222 

Gandhavyûha  136. 

gati  148. 

Gheranda  samhitâ  243. 

Gîtâ. 

V.  Bhagavadg. 
Gitâbhâsya  245. 
Gùârthasamgraha  244. 
gotra  20,  41  73. 
grhastha  117. 
Grhyasûtras  114 

guna  167,  170,  174,   179-81,  235, 
guru  44,  231. 

haoma  20. 

Harivamca  243. 

Hathayoga  243. 

hetu  91,  153-,4  193,  203,  225,  279. 

Hetucakrahamaru  152. 

hetvâbhâsa   191. 

hinayâna   123,  128-9  142-9. 

hotar  20,  27.       , 

ïça  109,  231 

ïçvara    106,   108-9,   231,   235-6, 

241,  278 
indriya  57,  181,  185,  215 
istadevatâ  230 


INDEX 


297 


Jaiminîyanyâyaraâlâvàstara  241 
janma   191 
jarâ  86 

Jâtakas  84,  118,  148 
jâti,  41,  86,  116,  167,  170,191,202 
ihâna — v.  dhyâna 
lina  68,  78,  97 
jiva  75-6,  198,  212,  239 
jîvanmukta  94 

jnina  33,  62,   73,   111,    165,  176, 
188,  197,  235,  246 

Kâdambarî  219 
kaivalyam  —  v.  kevala  236 
kila  287 

Kalyânamandirastotra  220 
kâma  36,  48,  62,  85,  148 
kiriki  173,  177,  185,  208 
karman  33,  59,  61,  67,  73- 7^  111, 

127,    132,   165,   170,   176,  246, 

256,  266 
Karmasiddhiprakarana  141 
karmayoni  239 
kartar  179 
karunâ  133 
Katha  Up.  174 
Kathânaka  219 
kâya  74,  133,  168.  V.  trikSya 
KiranSvalî  204,  206 
kevaia  70,  77,  94,  183,  187-8,  239 
kleça  147 
koça  198,  237 
kriyavâdin,  ak.  67,  69,  121 
ksana,  ksanika  122 
ksânti  128" 

ksatriya  41,  65,  100,  105,  110 
ksetra,  k.  jna  178,  231 
kuçala  (mûla)   132,  146-7 
kundalinî  233 
kusumanjali  205  -  6 
kûtastha  236 

laingikam  172 
laksana  127,  130,  151 
Laksanâvalî  204 
Lalitavistara  80,  136 
Lanka  vatâra  133,  136 


H15  237,  253 

liùga  153-4,  172,  230,  239 
loka  48,  138 
Lokatattvanirnaya  220 
lokottara  274 


Mâdhyaiuakâvatâra  149 
Mâdhyamakâlainkârakârikâ  149 
madhyamâ  pratipad  91,   129 
Mâdhyamaka  sûtra  ou  castra  134 
Madhyântavibhanga   137 
MahSbhirata  47,  100,  103-4,  113, 

115,   133,   175,   177,  183,   187, 

193,  215,  219,  228,  232,  235 
Mabâbodhivamsa  121 
Mahat  58,  180 
Mahâvagga   130 
Mahâvïracaritra  221 
mahàyâna  119-57,  183,  211,  219 
M.  sutrâlamkâra  137 
maithuna  231 
Maitrâyani-Samhitâ  115 
maitri  133 
Maitri  Up.  174 
Majjhima  Nikâya  138 
mala  237 
manas  36,  57,  76,  146-  7,  167, 169, 

174,  178,  192,  235 
Mânava-dharmaçâstra  115 
Mândûkya  Up.  et  kâr.  209 
Maniprabhâ  243 
manipura  233 
mano-vijnâna  132 
mantra  40,  157,  231 
marana  86 
mirga  99,  111,  128 
miyi  35,  80,  128,  147,  176-7,  198, 

210,   236-7,   240,   245,   247-8, 

280 
Meghadûta  219 

Milinda-praçna  (  =  liaîïha)  215 
Mîmâmsâ    (système)    161-9,    171, 

173,*  175,  186,  191,  193-5,  198, 

201-4,  206,  220,  239,  241,  246 
Mimâmsâkaustubha  241 
Mimâmsânukramani  204 


298 


HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE    INDIENNE 


Mimâmsâ  Nyâyaprakâça  241 

Mîmâmsâ  sûtras   161 

mithvâjnâna  191 

muha   7o 

raoksa  77,  256 

mudrâ  231 

mûlaprakrti  180 

naigamana  —  v.  nigamanam 

Nâlâyira  Prabandliaiii  244 

nâma   73 

—  rûpa  87 

nâstika  48,  91 

naya  226 

Nâyakaratna  241 

nidina  86,  88,  91-2,  174,  191 

nigamanam  193,  225 

nigrahasthâna   191 

Nîlarudra  236 

nirjarâ  77 

nirmâna;  n,  kâya   128,   177,   198, 

237' 
nirnaya   191 
nirodha  77,  88,  92 
nirukta  167,  191 
nirvSna   71,   94-5,   98,    120,    122, 

127,   133,    135,   141,   175,   177, 

182,  223,  233,  252,  270 
niyama  180 
Niyamasâra  222 
niyantr  246 
niyati  70  - 1 
NyâySvatSra  220,  225 
Kyâya  (Système)  172, 190-4, 204-8, 

220,  234,  241-3 
Nyâyabindu  152 
Nyâyakandali  204 
Nyâyakanikâ  204 
Kyâyamanjari  205,  242 
Nyâyapraveça  152 
Kyâyasûeinibandha   207 
Kyâya  sûtras  151,  162,  190-1,  218 
Kyâyavârtika  152,  205;  tâtparya- 

tiivâ  153,  201,  205 

paçu  107  (Paçupa);  107, 109,  236-7 
padârtha  170,  194,  202,  205 


Paiimacariya  219 

Paneapâdikâ  210 

Paîicaskandhaprakarana  141 

Pancastikâya  222 

parainânu  74,  145,  168,  185,  286 

paramârthasatya  149 

Paramatthadipanî  143 

Paramâtmaprakâça  223 

para  mita   126 

Pârçvâbhyudaya  219 

Pariçistaparvan  221 

parimâna  212 

parinirvâna  —  v.  nirvana    125 

Pavayanasâra  222 

Petavatthu  143 

piçâca  31 

pitaka  82,  123 

pitaras  31,  61 

pradeça  74-5 

pradliâna  174 

prajîîi  126,  130-1,  138,  143  (pâli 

panîîa),  188 
Prajîîâpâramitâ  130  -  2,  134,  136, 

161,  197_ 
Prajnâpradipa  149 
Prajrïaptipâdaçâstra  144 
prakâça  180 
prakarana  160 
prakrti  174,  178-83,  205,  209,  232, 

235,  240,  245 
pramSna  47,  170,  185,  191-3,  197, 

202,  206,  212,  216,  242 
Pramânaçâstrapraveça  152 
Pram  ânanay  atattvâlokâl  amkâra 

226  ■ 
Pramânasamuccaya  152 
prameya  191 

Prameyakamalamârtanda  222 
PramevaratDakoça  225 
prâna  50,  56,  76,  189,  212 
prânâyâma  50,  189,  243 
prapatti  246 
praBafiga  149-51 
pratibandha  153 
pratijîîi  193,  203,  224-5 
pratisedha  225 


INDEX 


299 


pratityasamutpâda.  86-9,  99,    120, 

181,  191,  195 
pratyaksa    47,    167,   171,    185 -G, 

203,  206-7,  216 
pratyaya  91 

pratyekabuddha  84,  126 
pavrtti   180,  191 
prayojana  191 
prêta  31 
pudgala  75-6,  93,  121-2  (pudgala- 

vadins,  217 
pûjâ  2;-0 
punarmrtyu  60 
PurSna' 113-4,  136,  173,  177,  183, 

235 
purusa  33-4,  36,  105,  174,  178-83, 

192,  232,  236,  239 
Purusârthasiddhyupâya  223 
pûrvapaksa  167 

râja  20,  99 
Râjamârtanda  243 
rajas  180 
Râjayoga  243 
Râmacarita  219,  221 
Rcâmiyana  100,  103,  113,  219 
ratna  85 

Rgvéda  23-33,  36,  39,  42,  45,  106- 
'  7,  114,  174 
rju  o7 

rodhacakti  237 
rsi  24^  37,  41 
rta  22   35-6 
rûpa'"92,  138,  _146,  148 
V.  nâmarupa 

Saddarcanasamuccaya  215 
sid'hana  153,  232-4,  247,  257 
Saddharinapundarïka  136,  157 
sâdhya  37,  153-4 
sâhacarya  153,  172,  207 
sahasrâra  234 
sâksâtkâra  247 

samâdhi    138,  143,  188,  243,   275 
sâmânya  170,  203,  205 
Samarâiccakahâ  220 


samavâya  170 

samavâyikaranam  205 

Sâmavéda  23,  40 

sambhogakâya  127 

samçaya  167,  191 

samgati  71,  167 

samgha  85 

samhitâ  24,  81,  114.  178,  235. 

samjnâ  92,  130,  146 

samkalpa  57 

samkhyâ  181 

Sâmkhya    (système)    55,   99,    159, 

173-85,    187,   200,    205,    208-9, 

214-5,  217,  220,  234-5,  239-40, 

245 
Sâmkhyapravacanabhâsya  180. 218, 

240 

Sâmkhya  sûtras  159,  218,  239 
Sâmkhyatattvakaamudî    201,    208, 
samsara  60-2,  87-8,  92-3, 122,  124-5 
i35,  141,  217,  233,  256,  265 

samskâra  44,  58-9,  87,  146 
samskrta  146-7 

V.  sanscrit, 
samtâna  121 
samvara  77,  246 
samyoga  170 
samiyâsin  118 
Saptadaçabhûmi   137 
Saptapadârthanirûpaiia  241 
Saptapadârthi  190 
sârûpya  202-3 
Sarvadarçanasanigraha  215 
Sastitantra  177 
sat  36-7 

satkâryavâda  205 
satkâvadrsti  92 

1/  ... 

satyam  36,  85  (satyâni),    126,  149, 

211  (double  vérité) 
Satyasiddhi  123,  148 
Saundarânandakâvya  131 
siddhânta   191 
Siddhitraya  244 
skambha  43 

skandha  74,  86,  92,  122,  146,  217 
srarti  22,  115 


300 


HISTOIRE    DE   LA    PHILOSOPHIE   INDIENNE 


6oma  20,  25,  27,  30 

sparça  86 

sphota  204 

ethûla  74,  185,  198 

biKj'iksita  217 

sukha   138 

Sukhâvatî    133,    136    (S.   samâd- 

hirâja),   157 
sûksmk   74,  180,  185,  198 
sûtra  83,  114-15,  134,  144-5,  158, 

195,  199 
Sûtrakrtanj^a  215,  221 
Sûtrâlanikâra   132 
Sûtropadeça  123 
Sutta-Nipâta  84 

Suvarnaprabhâsa-sûtra    125,     136 
svabhâva    65,    70,   134,   151,    153 
svabhâvika   245 
svâdhisthâna  233 
svalaksana   151 
svarga  61 
svatantra  149-51 
svâdvâda  222,  226 
Syâdvâdamanjari  221,  226 

tadâtmya  153 

tamas  36,  180 

tanmâtra  180-1,  185 

Tantraratna  241 

tapas  52,  70,  77. 

tarka  191,  193,  278 

Tarkabhâsâ  242 

Tarkakaumudi  242 

Tarkimrta  242 

Tarkasaragraha  242 

tat  197  ■ 

tathSgata  80,  92,  97,  124,   142 

t.  garbha  127,  132 

tathati  132-3,  137,  140,  182,   197 

tattva  180,  183,  201. 

Tattvacintâmani  242. 

Tattvadidhiti  242. 

Tattva dîpanibandha  247. 

Tattvârthâdhiganiasûtra  72,  218-9, 

222-3. 
Tattvârthasâra  223. 


Tattvasamâsa  239. 
Tattvavaicâradi  209. 
tejas  56,  &2,  236. 
Theragâthâ,  Therig.  143 
tirthamkara  68,  97,  124,  233. 
Tricastica lâkâpurusa carita   22 1 . 
trikava' 126-8,     133,    142,    148, 

237 
Trilokasâra   223. 
Trimçakakârikâprakarana  141, 
trimûrti   117 
Tripitaka   144. 
trsnâ  86. 

Ucchista  43. 

udâharanam   193,  203. 

udgatar  27. 

upâdâna  86. 

upidhi  59,132,  198,  239,  245,  275. 

upamina   191,  194,  J16. 

Upamitibhavaprapancakathâ  221. 

upanaya  193. 

Upanisad  40,  51-62,  67,  98,  162, 
174,"  189,  195-6,  209,  213,  231, 
234-6,  238,  243,  247,  253,  265. 

upâsana  230-1. 

Upayakauçalyahrdayaçâstra   1 52. 

upekkhâ  (se.  upeksâ)  138 

uttarapaksa  167. 

Uttaratantra  137. 


Vâc  34. 

vâda   191.  _ 

Vaicesikasutras  151,  161,  172. 
(sVstème)  168-73,  175,  178,  186, 
190-2,  196,  202-3,  204-8,  214 
220,  234,  241-3. 

vaiçya  41. 

Vajracchedikâ   L30. 

Vajrasûci  131. 

Vaipulya  Sûtra  s  136. 

vanaprastha   117. 

varna  41. 

vastutâ  202. 

vâta  53. 

Vâyupurâna  236. 


INDEX 


301 


Véda  20,  22-48,  65,  163,  165,  171, 
194,  204,  211,  240. 

vedanâ  73,  86,  92,  146. 

Védinta  (système)  22, 25, 132, 162-3, 
173,  177,  183,  195-8,  202,  205, 
208-13,  217,  237-9,  240,  243-50. 

Vedântasamgraha  245. 

Vedântasâra  245. 

vedi  27. 

vibhakti  225. 

vibhava  245. 

vibhu  169. 

vicâra  138;  147. 

viçesa  170. 

viçistâdvaita  244. 

vicuddha  233. 

vidhi  40,  165,  208. 

Vidhirâsayana  241. 

Vidhiviveka  204. 

vidvâ  33. 

vijnâna  87,  92,  122, 132-3, 139, 141 

(V.  vEda),    146-7,   150,    161, 
194,  208 
vijnaptimâtra  139,  186. 
vikalpa  171,  202. 
vikâra  180. 
vikrti  180. 
Vimânavatthu  143. 
Vimcakakârikâprakarana  141. 
Vina^a  83-4,  143-4. 
Vinayavibhâsâ  123. 
vipâka  73,  77,  133,  144,  188. 
vipaksa  225. 
vîrya  76,  136,  236. 
visaya  167. 
Visuddhimagga  143. 
vitakka  138  (se.  vitarka),  147. 


vitânda  191. 

Vitarâgastuti  221. 

vivarta  212. 

vrata  246. 

vrtti  164,  188,  195,  199,  209. 

vyâkarana   140,  167. 

Vyâkhyâyukti  141. 

vyakta*^  180,  185. 

vyakti,  209. 

vyâpaka  154  (et  vyâpya). 

vyâpti  154. 

vyavahârasatya   149. 

vyavasâya  183. 

vyûha  245. 

Yacastilaka   219. 

Ya.furvéda  23,  27,  33,  40. 

yâna. 

V.   devayâna,    maliâyâna,  liî- 
nayâna. 

yantra  231. 

Yoga  (système),  yogin  48-52,  56, 
62,78,  93,  95,  99,  117,  137-8, 
141,  159,  176,  183,  184-9,  193, 
204,  208-9,  215,  223,  223,  231- 
3,  243,  251. 

Yogabindu  220. 

Yogaçâstra  221. 

Yogaçikha  234. 

Yogadrstisamuccaya  220. 

Yogasârasamgraha,  243. 

Yogasûtras  162,  184,   186-7,   243. 

Yogatattva  Upanisad  243. 

yoni  230,  239. 

yukta  49,  169,  232. 

Zaotar  2. 


III.    Noms  propres 

(géographie,  histoire,  mythologie) 

Abhayadeva  221. 
Açoka  83,  120,  156,  161. 
Acvaghosa  80,  131-3,  136-9,   143, 
'l48,  177,  187. 


Açvins  29. 
Aditi  31,  38. 

Âdityas  31,  115. 


Afghanistan  13. 


302 


HISTOIRE    DE    LA   PHILOSOPHIE   INDIENNE 


Agni  30,  32. 

Ahura  Mazda  21,  20. 

Ajâtaçatrii  68. 

Ajita  Keça-kambalî  215. 

Aiîvikas  71,  73. 
Àkbar  252. 
Alexandre  16. 
Alexandrie  141. 
AllSh  252. 

Alvârs  244. 
Amaracandra  219. 
Amitagati  280. 
Amrtacandra  223. 

Ananda  83. 

Anandagiri  280. 

Anandatirtha  247. 
Aniruddha  235,  239,  245. 
Anna  m  Bhatta  242. 
Anurâdhapura  143. 
Anuruddha  143. 

Apastamba  114. 

Apollon  143. 

Appaya  Diksita  238,  241. 

Arabes  16. 

Arâda    17o 

Aristote  139,  142,  151,  154,    169, 

_  182,  200,  276,  289. 

Aryadeva  135,  190. 

Âryas  16-22,  41. 

Asahga  124,  136-41,  148,  152, 161, 
186,  189,  190. 

Asuri  177. 

Atharvans  20,  28. 

Avalon  (sir  John  WoodrofFe)  282. 

Averroès  200. 

Babr  253. 

Bactriane  20. 

Bâdarâyana  162,  195-8,  245. 

Baladera  221. 

Bâna  219. 

Barlaam   2.54. 

Barth  1.3,  96,  262. 

Baudhâvana  114. 

Belloni-Filippi  261. 


Béloutchistan  16. 
Bengale  130,  242. 
Berkelev  142. 
Bhadrabâhu  72,  224. 
Bhâgavatas  109-10,  183. 
Bhandarkar  259. 
Bharadvâja   114. 
Bhiratas  104,  112. 
Bhâskara   244-5. 
Bhâvaviveka  149. 
Bhavya   149. 
Bhoja  243. 
Birmanie   155. 
Bodh-Gayâ  80. 

Bouddha  (le)  68,  70,  79-81,  84-5, 

87,  95-7,  124-5,  136,  156 
Brahmâ  117,  156 
Brhaspati  215 
Buddhadâsa   150 
Buddhadeva  144 
Buddhaghosa  143 
BuddhapSlita  149 
Burnouf  135 

Cachemire  83,  124,  131,  144,  150, 

155,  236,  238 
Caitanva   242,  248 
Cakravartin 
Calukya  222 
Candragomin   150 
Candragupta   71 
Candrakû-ti  149 
Candraprabha  225 
Caraka  178 
Cârvâkas   47-8,    65-6,    83,    159, 

17.3,  194,  214-8,  220 
Cetaka  68 

Ceylan  8.3,  124,  143,  155 
Chine  46  (sophistes),  124,  155. 

157,  189,  255 
Colebrooke  96 
Confucius  96 
Conjiveram  244 
Cournot  6 

Çabara  161,  16.3,  202 
Ça  i  va  s  — •  v.  Çivaïsme 


INDEX 


303 


Çakas  —  v.  Scythes 

ÇSktas  229-30,  232-3 

Çikya  79 

Çâkyamuni  (le)  79,  80,  136 

Cankara  :=  Çiva  107 

Çankara  209  - 13,  237,  244  -  5,  247, 

249-50,  280 
Çândilya  52 
Çântideva  149 
Çântiraksita   149 
Çilanka  221 

Civa  105-7,  117,  230,  236-7 
Çivâditya  190,  241 
Çobhana  221 
Confuciua  250 
Crenika  68 

Çridhara  204,  206,  241,  280 
Crikantha  238 
Çrirangam  244,  248 
Çrïyogîndra  223 
Çubhacandra  223 
Çuddhodana  80 
Cvetaketu  52 
Çvetimbaras  72,  76,  78,  218  -  21 

Dahlmann  176,  280  ' 
Das  Gupta  259,  261,  278 
Dasvus  30 
Deçika  241 
Dekkan  15,  17,  143 
Démocrite  75 

Deussen  13,  173, 176, 195, 209,  259 
Devabhadra  224 
Devarddhiganin  72 
Devasûri  225 
Dhanapâla  221 
Dhanavila  220 
Dharmaguptas  144 
Dharmakirti  150-3,  200,  205-7,  222 
Dharmapâla  150 
Dharmatrâta  144 
Dharmottara   152 
Dhruvasena  72 

Digambaras  72,  76,  219,  222-4 
Digniga    150-3,    172,    191,    194, 
200,  206-7 


Dravidiens  16-7,  102-3,  229,  231 
Durgi  105,  230 
Dyaus  28 

Europe  254-7 

Faxldegon  277,  279,  283 
Fa-hien  143 

Farquhar  259  .  .  .  (notam.  262) 
Foucher  (A.)  275 

GandhSra  124,  137,  148,  156,  289 

Gangeça  242 

Gange  15,  63,  67,  81 

Garbe  173,  176,  184,  259,  262 

Gaudapcâda  200,  208-10,  279-80 

Gauranga  248 

Gautama  79,  96 

Ghate  259 

Ghosaka  144 

Glasenapp  (Helmuth  von)  281 

Gondopliarès  254 

Go  sala  71 

Gotama  162,  190^  194,  207 

Gotama  (Indrabliuti)  96 

Grèce;  grecque  (influence).  46-7 
(sophistes),  96  (agnostic),  153-5 
(logique),  286  (science),  289  (art). 

Grierson  254-284 

Grousset  261 

Guenon  261 

Guérinot  259,  281 

Gujerat  219,  221,  236 

Gunamati  150 

Gunaratna  222 

Gundeshapur  140 

Guptas  220 

Harasa  234 

Hai-a  107 

Hari  107,  248 

Haribhadra  79,  215,  220-1,   223, 

225 
Harivarnian  148,  190 
Hemacandra  219,  221 
Héraklès  30,  108 


304 


HISTOIRE   DE    LA    PHILOSOPHIE   INDIENNE 


Kiranvaffarbha   177 
Hiranvakecin  114 
Hiuen-tsang  131 
Hume  93,  142 


ïçvarakrsna  162,  173,  175,  236 
Inde  (géographie)   15 
Indo-Européen  (langage)  18  (race?) 
Indra  29,  30,  32,  35,  45,  156 
Indus  15,  18 
Iran  18,  63 

Lslâm    16,    96,    250-3   —  V.  mu- 
sulmanes (invasions) 

Jacobi   155,    161,    175-6,    276-7, 

280-1,  289 
Jagadîça  242 
Jaimini  163 
Jâlandhara   123 
Japon  124,  155,  157,  255 
Jayanta  205,  242 
Jésus  253 
Jinakirti  222 
Jinasena  219,  281 
Jîiâneçvara  248 
Josaphat  254 

Kabir  252 

K51a  106 

Kili  105,  230 

Kâlidâsa  219 

KanSda  161,   168,   172,    190,  204 

Kanara    102,   223,   248,  247,  281 

Kaniska    122-3,    131,    144,    156, 

161,  178 
Kant  55,  57,  153,  169,  207 
Kapila  177 
Kapilavastu  79,  125 
Kâtyâyana   164,   191 
Kâtyâyaniputra    144 
Kautilva  215,  287 
Kaye  286 
Keçava  Miçra  242 
Keith  260  ..  . 
Khandadeva  241 
Kouei-ki  152 


Krsna  101,  103-5,  107,  110-1, 
115,  128,  176-7,  198,  235,  246, 
249,  253 

Kuçinagara  80 

Kumâralabdha  144 

Kumârila  201-5,  241 

Kumudracandra  224 

Kundakunda  222-3 

Kusanas  16 

Lassen  96 

Laugâksî  Bhâskara  241  -  2 

Leibnitz  248 

Lévi  (S.)  268,  273-5,  289 

Lingâyats  238 

Lokâyatas  47  -  8,  215 

Midhava  215,  220,  239,  241 

Madhva  247 

Mâdhyamikas     129  -  35,     149  -  51, 

194,  202,  210,  250 
Magadha  m,  71,  143,  156 
]\]ahâmaudgalyâyana   144 
Mahâsamghikas   83,    120-1,    144, 

148 
Mahivn-a  (le)  68-71,  76,  96-7 
Mahmud  de  Ghazni  251 
Maitreya   137 
Mallavadin  220 
Mallisena  222,  226 
IMandana  Miçra  204 
Mânikka  Vâcakar  238 
Maîïjuçrî  136 
Manu  115,  236 
Marathes  222 
Maruts  29 
Masson-Oursel    255,    260  - 1,    265, 

271,  273,  275,  276,  282,  287 
MathurS  71,  246 
Maticandra  205 
Mauryas  71        , 
Merutunga  219 
Meykanda  De  va  238 
Mineure  (Asie)  22 
Mitra  20,  29,  31,  99,  198 
Mongoh  16 
Muhammed  96,  252 
Mvsore  222 


INDEX 


305 


Nâbhâji  249 

Naciketas  52 

îs^igSrjuna   134-5,  152,  194,  200, 

210 
Nâlandâ  150 
JSâinadeva  248 
îsânak  253 

Nârâyana  106,  245,  254 
Nâthamuni  244 
Navadvipa  (Nuddea)  242 
Nemicandra  223- 
Isé^al  79,  124,  136,  155. 
Nestoriens  254. 
Nichiren  157. 
îsimbârka  246. 
îs^irgranthas  69,  70,  73,  75-6. 

Oklenberg  176,  260... 
Oltramare  361,  274. 
Orient,  Occident  9,  13,  23. 
Otto,  283. 

Pâçupatas  107,  183. 

Padmapâda  210. 

Pahkivas  =  Parthes  16,  46. 

Paîîcaçikha  177. 

PSncaritra   107,    177,  183,   235-6. 

Pandkarpur  248. 

Pândavas  104. 

Para  245. 

Paramcârtha  173,  208. 

Pirçva  69,  78,  220. 

Pârçva  (bouddhiste)  123,  131. 

Parjanya  28. 

Pârthasârathi  Miçra  241. 

Parvati  105. 

Pâtalîputra  (Patna)  70-1,  83,  219. 

Patanjali  (Yoga)  162,^  184,  243. 

—         (gramm.)  167. 
Penjab  18,  251. 
Perse  19,  140,  251. 
Pillai  Lokâcârya  248. 
Piyadasi. 

V,  Açoka. 
Pizzagalli  280. 
Platon  11,  155. 

20 


Plotin  55. 

PrabhScandra  221-2,  281. 

Prabhâkara  201-3. 

Pracastapâda    161,    168-72,    199, 

2Ô4. 
Pradyunma   235. 
Prajâpati  31,  43. 
Prâsangikas  149-51. 
Prthivî  28. 
Pûrna  131. 
Pusân  29. 

Qorâa  251-3. 

Ridhi  246,  249,  272. 
Raghunâtha. 
Râhulabhadra  134-5. 
Râjagrha  68,  83. 
Raksas  31. 

RSma  101,  249,  252,  272. 
Râmânanda  249,  252. 
Râmânanda  Sarasvatï  243. 
Rimânuja  239,  244-6,  248. 
Rapson  259,  261 
Ravigupta  150. 
Rudra  29,  106,  236-7. 

Sadânanda  240. 
Sakalakirti  223. 
Samantabhadra  222,  280. 
Samghadâsa   150. 
Samkarsana  235,  245. 
Sammitîyas  121-2. 
Saivâstivâdins  83,  121,   131,  137, 

144,  146,  195,  214. 
Sautrintikas  121-2,  144-5,  148. 
Savitar  29. 
Schleiermacher  246.^ 
Schopenhauer  13,  55. 
Sehrader  272,  282,  284. 
Scythes. 

V.  Çakas,  Turuskas,    16,   46, 

122. 
Seal  287. 

Senart  267,  271,  273,  278,  282 
Shinshu   157. 


306 


HISTOIRE    DE   LA   PHILOSOPHIE    INDIENNE 


Siddharsi  221 

Siddhirtha  08,  79,  125 

Siddhasena  Divâkara  220,  225 

Sikhs  253 

Socrate  96,  154-5 

Somadeva  219 

Soung  250 

Speyer  262 

Spinoza  11,  55 

Stcherbatsky    151,  154,  IGl,    260, 

262,  276,  280 
Sthaviras  83,  120-1,  148 
Sthiramati    150 
Sthûlabhadra  72 
Stuart  Mill  (J.)  153,  192 
Suali  242,  260-2,  277,  280 
Sukhtankar  280,  283 
Sûrya  29,  230 
Susiane  140 
Svâtantrikas  149-51 
Svayambhû   156 
Syrie  140 

Tagore  (R.)  249,  255 
Taittirîyas  114 
Takakusu  208 
Târanâtha   135 
Tendai  157 
Theras  =   Sthaviras 
Thomas  (apôtre)  254 
Tibet  124,  135 
Tirthika  215 
Trichinopoli  244 
Tucci  280 
TukSrâm  248 
Tulsi  Dâs  249 
Turcs  16. 
Turuskas  122 
Tuxen  277 

Udayana  205,  280 
Uddyotakara  153,  205-7,  280 
Umâpati  238 
Umâsvâti  72,  218,  223 
Upâli  83 
Usas  29 


Vâcaspatimicra  200,  204-5,  207-9, 

210,  220.' 
Vaibhâsikas  121-2,  145 
Vaiçâli"  68,  83 
Vaidya  274 
Vaikhânasa   114 
Vaisnavas  —    V.  Visnuisme 
Vajrapâni  156 
Valabhi  72,  219 
Vallabha  247-8 

Vallée-Poussin  (L.  de  la)  261  ..  . 
Vardhamâna  70-1 
Vàrsaganya  178 
Varuna  21,  29,  31-2,  35,  38,  99, 

198 
Vasubandhu  126,  141  -  2,  144,  152, 

161,  173,  186,  190,  200 
Vâsudeva  104,  221,  235,  245,  254 
Vâsudeva  Sarvabhauma  242 
Vasugupta  238 
Vasumitra  144 
VStsyâyana   194,  199,  206 
Venkatanâtlia  241 
Vibhajjavâdins  121,  144 
Viçvakarman  31,  34 
Viçvambbara  Miçra  248 
Vicve  Devâh  34 
Videha  68,  71  _ 
Vijavadharmasûri  223 
Vi'jîîanabhiksu  239-40,  243 
Vimalasiîri  219 
Vindliyavâsa   173 
Visnu  29,  80,  105-7,  117,179,  230. 
Visnudvisa  221 
Visnusvâmin  247 
Vitliobâ  248 
Vitthal  248 
Vivasvant  29 
Vrtra  29,  35 
Vrthrahan  20 
Vyâsa   184,  209  ' 

Walloser  274,  279 
Weber   9(5 
Wilson  96 


Woods  184,  277 


8,  280 


INDEX 


307 


Yâdava  Prakâca  244-5 
Yajnavalkya  52 
Yama  20,  21,  38 
Yâmuna  244,  248 
Yang-chou  48 
Yima  20 


Yogâccâras  133, 135-42, 146, 151-3, 

162,  184,  186,  208,  234,  243 
Yue-tchi  16,  46,  131 

Zeus  30 

Zoroastre  21,  29,  78 


308 


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TABLE   DES   MATIERES 


Pages 

Préface 5 

Introduction 7 

Première  Partie.   La  censée  védique lo 

Chapitre     L  Les  origines  dravidieiine  et  aryenne  ;  la   commu- 
nauté indo-iranienne 15 

»           II.  La  religion  védique 22 

»         III.  Les  premières  notions  métaphysiques 33 

Deuxième  Partie.    La  jihilosophie   hrahmanique  jjréhouddhique  39 

Chapitre     I.  Systématisation  de  la  pensée  védique 39 

»           II.  Intervention   de   facteurs   non   brahmaniques:   So- 
phistes, Matérialistes,  Yogins 45 

»         III.  La  synthèse  brahmanique  dans  les  plus  anciennes 

Upanisads 51 

Troisième   Partie.    La  pensée  jaina  et   la  pensée   bouddhique 

pn.mitives 65 

Chapitre     I.  Le  Jainisme 69 

»           IL  Le  Bouddhisme '<^9 

A.  Ses  sources,  79.  —  B.  Sa  plus  ancienne  doctrine    85 

Quatrième  Partie.  La  pensée  sectaire  primitive  et  la  nouvelle 

synthèse  hrahmanique 100 

Chapitre    I.    Religions  populaires  100 

A.  Dieux  nouveaux,  100.    —    B.  Notion  nouvelle 

de  la  religion     107 

»          IL    La  réaction  brahmanique 112 

A.  Les  sources,  112.  —  B.  Les  doctrines    115 

Cinquième  Partie.  La  pensée  bouddhique  maliâyaniste 119 

Chapitre    I.    Caractères  généraux 119 

»  IL    Prajîïâ    Pâramitâ,    Açvaghosa,    Nâgârjuna    (i®""    et 

ne  siècles  ap.  J.-C.)  .  . . .' 129 

»          III.   Asanga   et   Vasubandhu  (iv^  siècle) 135 

»         IV.  La  rivalité  des  deux  Véhicules  (ive-  siècle) 142 

»  V.   Les  derniers  Mcâdhyamikas  et  Yogâcâras;  la  logique 

de  Dignâga  et  de  Dharmakirti . , 149 


314  TABLE    DES    MATIÈRES 

Pages 

Sixième  Partie.  La  pensée  des  darcanas  orthodoxes 1Ô8 

Chapitre  1.  Les  sûtra?  des  six  systèmes  et  leurs  premiers  com- 
mentaires (100-500) 158 

1.  La  Mîmâmsâ.     Jaimini  et  Çabara 163 

2.  Le  Vaiçesika.    Kanâda  et  Praçastapâda 168 

3.  Le  Sâmkhya  d'ïçvarakrsna 173 

4.  Le  Yoga.  Patanjali 184 

5.  Le  îsyâya.    Gautama  et  Vâtsyâyana 190 

6.  Le  Védânta.     Bâdarâyana 195 

»  IL  L'ère  des  grands    commentateurs   (500-1000)  ....  198 

1.  Mîmâmsâ.     Prabhâkara  et  Kumârila 201 

2.  Vaiçesika  et  Nyâya.  Uddyotakara,  Vâcaspa- 

timiçra,  Udayana 204 

3.  Sâmkhya    et    Yoga.      Gaudapâda,    Vyâsa; 

Vâcaspatimiçra 208 

4.  Védânta.     Gaulapâda  et  Çankara 209 

Septième  Partie.  La  pensée  des  darcanas  hétorodoxes   214 

1.  Les  Cârvakâs •  •  214 

2.  Le  Jainisme  médiéval 218 

Huitième  Partie.  La  pensée  hindouiste  (xi^-xix^  siècle)    ....  229 

La  dernière  phase  des  darcanas 234 

1.  Sâmkhya,  239.  —    2.   Mîmâmsâ,    241.   —    Nyâya-Vaiçe- 

sika,  241.  —  4.  Yoga,  243.  —  Védânta 243 

Conclusion.  —  Uinfiuence  occidentale:  Lslâm,  Europe  chrétienne  250 

Notes 259 

Index 291 

Tableau  chronologique 308 

Table  des  matières 313 


Vu: 

le  15  mai  1923 

LE    DOYEN    DE   LA   FACTJLTÉ 

DES    LETTRES    DE    l'TTNIVERSITÉ 

DE    PARIS 

Ferd.   BRUNOT 


Vf  et 


permis  d'imprimer: 


le    recteur   DE   l'académie 


DE   PARIS 


P.  APPELL 


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B 

131 

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1923 


Masson-Oursel,  Paul 

Esquisse  d'une  histoire 
de  la  philosophie  indienne 


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