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Full text of "Essai sur la science et l'art de l'ingénieur aux premiers siècles de l'empire romain"

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ESSAI 





SUR 


LA SCIENCE ET L'ART DE L'INGÉNEUR 


AUX PREMIERS SIÈCLES 


DE L'EMPIRE ROMAIN 


C. GERMAIN DE MONTAUZAN 


INGÉNIEUR CIVIL DES MINES 


AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ, DOCTEUR ÈS-LETTRES 


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PARIS 
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR 


28, RUE BONAPARTE, 28 


1999 






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AUX PREMIERS SIÈCLES 


DE L'EMPIRE ROMAIN. 





| = SAINT-ÉTIENNE 


SOCIÉTÉ DE L'IMPRIMERIE THÉOLIER, J. 


« | 12, rue Gérentet, 12 





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THOMAS ET C* 


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SUR 


LA SCIENCE ET L'ART DE L'INGÉMEUR 


AUX PREMIERS SIÈCLES 


DE L'EMPIRE ROMAIN 


C. GERMAIN DE MONTAUZAN 


INGÉNIEUR CIVIL DES MINES 


AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ, DOCTEUR ÈS-LETTRES 


PARIS 
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR 


28, RUE BONAPARTE., 28 


1909 





À Monsieur AprIEN bE MONTGOLFIER 


INGENIEUR EN CHEF DES PONTS ET CHAUSSÉES 
DIRECTEUR GÉNÉRAL 
DE LA COMPAGNIE DES FORGES ET ACIÉRIES DE LA MARINE 
ET D'HOMÉCOURT. 


A l’un des grands ingénieurs d'aujourd'hui 
jJ'offre respectueusement cette étude 
sur les ingénieurs d'autrefois. 





AVANT-PROPOS 


Parmi les nombreux objets d’étude que nous offrent les 
monuments de l’antiquilé romaine, deux sont à l’origine de 
tous les autres, et cependant sont loin d'être les plus connus: 
c’est d'abord la science, expérimentale ou rationnelle, qui a 
permis d'inventer les procédés techniques appliqués dans la 
construction de ces monuments; c’est ensuite la personnalité 
de l’homme qui possédait celle science el l'utilisait dans la 
pratique. De même que, tout en continuant de s'intéresser 
aux lignes et aux formes extérieures des édifices, on en est 
venu à porter un intérêt presque aussi grand à leur structure 
intime, de même on peut, dans les auteurs de ces temples, 
de ces palais, de ces amphithéâtres, de ces arcs de triomphe, 
dont nous admirons même les restes mutilés, considérer 
non pas seulement l'artiste qui en concevait la belle ordon- 
nance, mais l’ingénieur qui en calculait la solidité. Qui dira 
que pour l'admirable coupole du Panthéon de Rome, par 
exemple, la savante expérience du métier n'a pas aidé son 
architecte autant que l'intuition spontanée d’une grandiose 
harmonie? Il était d’ailleurs d’autres travaux où les dons 
esthétiques n'intervenaient guère, et où le savoir technique 
faisait presque tout, Il fallait des géomètres pour tracer le 


— VII — 


parcours des routes ou des aqueducs ; des hydrauliciens pour 
calculer la force ou la vitesse des eaux, des mécaniciens pour 
imaginer et ajuster les instruments de mesure, les engins de 
précision ou de puissance. À ces hommes, le simple savoir 
d’un artisan suffisait-il toujours ? Ne fallait-il pas, dans bien 
des cas, des connaissances générales, une véritable science 
d'ingénieur ? 

‘nvisageons surtout l'époque de l’antiquité qui fut la plus 
féconde en grands travaux publics, c’est-à-dire les deux 
premiers siècles de l'empire romain. Pour peu qu’on veuille 
étudier quelques-uns de ces importants ouvrages, par exemple 
ces magnifiques aqueducs construits pour l’approvisionne- 
ment des grandes villes, le problème se pose à chaque pas, 
et on ne peut l'esquiver. Songeons au volumineux bagage de 
connaissances qu'il faut de nos jours avoir acquis pour étudier 
avec compétence un projet d’'adduction et de distribution d’eau 
dans une ville importante. On n'en charge que des hommes 
formés par une longue préparation scientifique, soumis à 
des épreuves répétées d'examens difficiles. Ils s'entourent de 
nombreux auxiliaires qui se consacrent séparément aux 
diverses fractions de cette étude compliquée et qui, tout eu 
possédant l'expérience pratique des travaux de ce genre 
sont, eux aussi, pourvus d'une instruction scientifique moins 
approfondie que celle de leur chef assurément, mais déjà 
forl étendue et solide. Or, nous voyons que les ingénieurs 
romains ont résolu dans le tracé et la construction de leurs 
aqueducs, des problèmes très complexes et très délicats, 
parfois audacieux, que nos meilleurs techniciens ne résou- 
draient pas avec plus de sürelé. Qu'est-ce à dire ? C’est que 
ces ouvrages étaient, à n’en pas douter, le résultat d’une 
savante élude où intervenaient la géométrie rigoureuse, la 
mécanique précise, l'hydraulique raisonnée, l'art minutieux 


du dessin d'architecte. Il va sans dire que l'on ne dresse pas 
un projet d'ensemble, que l'on n'établit pas les détails d’un 
chantier, les dimensions des ouvrages, les prix de revient, 
sans manier constamment des chiffres. Comment calculait- 
on pratiquement, et sur quelle science théorique ces calculs 
étaient-ils fondés? Dans quelle ‘proportion pouvaient s'unir, 
chez les coopérateurs de degrés divers, la théorie et la 
pratique? 

Les sciences mathématiques les plus élevées s'enseignaient 
chez les anciens. Cet enseignement était-il fait pour des 
esprits purement spéculatifs et avait-il pour unique fin son 
objet même, ou se proposait-il en même temps et au delà 
un but pratique, celui de former une élite parmi les futurs 
directeurs de travaux, conformément à ce que se propose 
pour une bonne part aujourd’hui notre haut enseignement 
scientifique ? Dans ce cas, où se recrutait cette élite, et 
comment, selon toute probabilité, s'acquérait simultanément 
ou postérieurement l'instruction pratique ? En un mot, quelle 
était la formation technique de l'ingénieur ? Et enfin, l'ingé- 
nieur une fois formé que devenait-il? Dans quelle mesure 
son emploi et sa situation dépendaient-ils de sa condition 
sociale d'une part, de l’autre, du savoir acquis ? 

Voilà, certes, un champ d'exploration bien vaste, où 
chaque question pourrait faire l'objet d'un volume; ce n’est 
pas dans les quelques pages qui vont suivre que pourra se 
résoudre une pareille complexité. [l n’est pas interdit toutefois 
de s'essayer à promener çà et là quelque lueur sur l'ensemble, 
quitle à ne pas tout éclairer également et à laisser bien des 
choses dans l'ombre. Engagé dans de longues recherches 
sur les aqueducs antiques de Lyon, où se révèle une techni- 
que d'ingénieur si complète, je n'ai pu me résigner à 
contempler le résultat sans me préoccuper de ce qui l'avait 


— X — 


rendu possible. Telle fut l'origine de la série des questions 
que je viens d'énumérer et de l'enquête qui les a suivies. 
C'est le résultat de cette enquête que j'essayerai d'exposer 
ici. Résultat modeste, simple aperçu très incomplet, première 
ébauche d'études qui pourront être reprises sur chaque sujet 
partiel, et traitées alors de facon plus approfondie et plus 
personnelle. 


Il était indispensable de s’en référer d’abord au traité 
d'architecture de Vifruve. Non seulement il a été composé 
à l'époque où nous voulons remonter, mais encore c’est le 
seul traité concernant l’art de l'ingénieur que l'antiquité nous 
ait transmis en entier. Il y est fait assez souvent allusion aux 
relations entre la théorie et la pratique. Malheureusement ce 
ne sont guére que des allusions. Les mots de screntia, disci- 
plina, doctrina, ratiocinatio, reviennent de page en page, ainsi 
que les noms des savants, philosophes et inventeurs dont 
l'étude à formé cet architecte; mais il dit bien peu de chose 
des recherches et des calculs qui ont donné lieu à leurs inven- 
tions {. 

Aussi, en se contentant, pour faire le bilan de la science 
romaine à l'époque impériale, du seul écrit de Vitruve, on 
ne donnerait qu'une idée fort incomplète de ce qui était alors, 
non seulement connu de quelques-uns, mais publiquement 
enseigné. Une étude parue en 1885 et dont l’auteur était 


1. 11 faut mettre à part la science des phénomènes célestes, sur lesquels il donne 
même beaucoup plus de renseignements qu'on n’en attendrait dans un traité d’archi- 
tecture. (Voir, en particulier, liv. I, 6.) 


M. A. Terquem, professeur à la Faculté des Sciences de 
Lille, avait le mérite de résumer clairement les renseigne- 
ménts scientifiques de Vitruve et de les isoler du bavardage 
qui les encombre dans l'original; mais son titre, la Science 
romaine à l'époque d'Auguste, était beaucoup trop vaste, car 
Vitruve seul y était censé représenter tout le savoir de 
l'époque, ce qui est bien loin de la vérité. La seule inspection 
des travaux eux-mêmes, en l’état de mutilation où nous les 
voyons, atteste des connaissances bien plus larges, bien 
plus précises, des procédés beaucoup plus variés et plus 
achevés qu'on ne le croirait d'après Vitruve. 

Il faut donc chercher à compléter l'écrivain latin par 
d'autres auteurs techniques, remonter le plus possible aux 
sources de la science qu’il développe, à ce qui nous reste de 
la géométrie et de la mécanique grecques antérieures à l'ére 
chrétienne, soit en fragments authentiques plus ou moins 
complets, comme les traités d’Euclide, d'Archimède ou de 
Héron d'Alexandrie, soit à l'état de sommes et de résumés 
rédigés plus tard, comme les œuvres de Proclus ou de Boëce. 
I faut consulter aussi ces écrivains techniques romains 
connus sous les noms de metrologici et gromatici, tels que les 
Hygin, les Aggenus Urbicus, les Siculus Flaccus et autres, 
qui, sur les opérations de géodésie, ajoutent bien des notions 
précises aux vagues indications de Vitruve; ne pas trop 
négliger les écrits latins sur l’agriculture (de Caton, Varron, 
Columelle) ; chez l'un ou chez l’autre, on peut parfois trouver 
la mention d'un appareil ou d’un procédé que Vitruve a 
passé sous silence. Il n’est pas jusqu à l’histoire naturelle de 
Pline, dont l’érudition est souvent un chaos incertain, où l’on 
ne puisse trouver quelque précieux filon de la science et de 
la technique de l'ingénieur ancien. Sur la personnalité de 
celui-ci, la correspondance de Pline le Jeune avec l’empereur 


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Trajan est intéressante aussi à consulter. Ce sont, enfin, 
outre les quelques allusions éparses chez les auteurs de tout 
genre, les inscriplions antiques qu'il faut recueillir el 
comparer. Elles sont malheureusement trop rares et trop 
courtes. Cependant, ces brèves désignations de noms, de 
dales, de litres, ces commentaires laconiques, mais qui 
présentent la vérité sans alliage, peuvent aider à se repré- 
senter ce que fut’un architecte, un entrepreneur, un géomètre 
ou arpenteur chez les Romains. 

J’ai laissé de côté toutes les sciences qui n'ont pas immé- 
diatement leur emploi dans une entreprise de travaux publics, 
et me suis contenté de parler sommairement de ce que l'on 
possédait et enseignait aux premiers siècles de l'empire 
romain en fait de connaissances mathématiques, physiques 
et mécaniques, et de ce que représentaient par rapport à la 
théorie les applications pratiques de chacune de ces sciences, 
dans le domaine des entreprises d'utilité générale. On 
trouvera donc dans ces pages quelques indications sur les 
procédés de calcul, et la description d'un certain nombre de 
machines usuelles, puis des instruments et des méthodes de 
nivellement et d'arpentage. 

Pour ces questions scientifiques, j'ai pris pour appuis et 
pour guides des traités et notices d'une solidité et d'une 
sureté d'information connues. Les références, réunies 
d’abord dans un index bibliographique, seront en outre 
indiquées au fur et à mesure. Qu'il me suffise de mentionner 
d'avance mes soutiens les plus continus : les deux ouvrages de 
Michel Chasles : Rapport sur les progrès de la géométrie 
et Aperçu historique sur l'origine et le développement des 
méthodes en géométrie; divers articles techniques de la 
Réal-Encyclopädie, de Pauly-Wissowa; les études de 
Th. Henri-Martin sur l'arithmétique ancienne; les traités 


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subsistants de Héron d'Alexandrie, d’après l'édition Schmidt 
et Schœne, la traduction des Mécaniques, du même auteur, 
par M. Carra de Vaux, et les traductions partielles annotées 
de MM. Vincent et de Rochas ; la Technologie, de Blümner ; 
enfin, divers traités et articles de Paul Tannery, entre autres 
son Æssai sur la géométrie grecque, chef-d'œuvre de pers- 
picacité et de prudence scientifique. 

Je me suis efforcé d'imiter cette prudence en évitant de 
donner aux conjectures, forcément nombreuses, le caractère 
d’affirmations. Il vaut encore mieux pour cette esquisse 
paraitre quelquefois d’un contour peu arrêté que de passer 
pour un tableau de fantaisie. Donner à ces divers sujets un 
intérêt plus facile en les présentant rassemblés ; faire œuvre, 
si petite soit-elle, dans les recherches historiques sur le génie 
du travail humain : telle a été l'ambition qui a animé cet 
essai. Puisse-t-elle n'avoir pas été entièrement vaine ! 


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INDEX BIBLIOGRAPHIQUE 


AUTEURS ANCIENS 


TEXTES, COMMENTAIRES, ÉTUDES) 


ARCHIMÈDE. — Opera omnia, cum commentariis Eutocii, recensuit 
Heiberg, Leipzig, Teubner, 1880-87, 3 vol. in-8°. 


Boëce. — Boëtii de Institutione arithmetica libri duo; de Insti- 
tutione musica libri quinque; Ed. Friedlein, Leipzig, Teubner, 
1867. 


CATON, VARRON, COLUMELLE. — M. Porci Catonis de Agricultura 
liber. — M. Terentit Varronis Rerum Rusticarum libri tres, 
cum recensione H. Keilii, Leipzig, Teubner. — Scriptores 
Rei Rusticae latini, Schneide, Leipzig, 1794-1797. 


Corpus Inscriptionum Latinarum. — (Abréy : C.I.L.) 


Dion Cassius. — Ed. Dindorff, Leipzig, 1863-1865. 


Eucrine. — Opera omnia, ediderunt Heiberg et Menge, Leipzig, 
1880. 
Gromatici veteres. — Ed. Lachmann et Rudorff; Berlin, Reimer, 


1848-1852. 


HÉRON D'ALEXANDRIE. — Âeronis Alexandrini opera quae super- 
sunt omnia, 3 vol. et suppl. Leipzig, 1899-1903. — I et suppl. : 
Pneumatica et Automata, Wilhelm Schmidt,1899.—I1. Mechanica 
et Catoptrica (texte arabe), Nix et Schmidt, 1900.— III. Rationes 
dimetiendi et commentatio dioptrica, Hermann Schœne, 1903. 


Th. Henri-Martin. — Recherches sur la vie et les ouvrages de 
Héron d'Alexandrie (Mémoires de l’Académie des Inscriptions 
et Belles -Lettres, savants étrangers, 1'° série, t. IV, 1854). 


2 


< 


RE — 


Vincent. — Le traité de la Dioptre de Héron d'Alexandrie, texte 
grec et traduction française. (Notices et extraits des manuscrits 
de la bibliothèque impériale, t. XIX, 1858.) 

Heronis Alexandrinigeometricorumet stereometricorumreliquiae, 
Ed. Hultsch: Berlin, Weidmann, 1864. 

Carra de Vaux. — Les Mécaniques ou l'Elévoateur de Héron 
d'Alexandrie. (Notice, texte arabe ettraduction française.) Jour- 
nal asiatique, 9° série, 1893. 

De Rochas. — Les pneumatiques de Héron d'Alexandrie 
(traduction), Paris, 1882. 


Parpus.— Pappi Alexandrini collectiones quae supersunt. Edidit Fr. 
Hultsch, Berlin, Weidmann, 1875-77. 


Proczus.— Procli Diadochi in primum Euclidis Elementorum com- 
mentarii, éd. Friedlein, Leipzig, 1873-1875. 


Puicon DE Byzance. — Carra de Vaux : Le livre des appareils 
pneumatiques et des machines hydrauliques de Philon de 
Byzance.Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque 
nationale, t. XXX VIII, 1902 (Notice, texte grec et traduction). — 
De Rochas : Les pneumatiques de Philon de Byzance (traduc- 
tion). Paris, 1882. 


Ruappas. — Deux lettres sur l'arithmétique (Notice, texte grec 
et traduction), par Paul Tannery. Notices et extraits des 
manuscrits de la Bibliothèque nationale, t. XXXII, 1886. 

Virruve. — Vitruvii de architectura libri decem ïterum edidit 
Valentinus Rose, Leipzig, Teubner, 1899. 


AUTEURS MODERNES 


BeuLé. — L'art grec avant Périclès, Paris, 1868. 
Brümxer. — Technologie und Terminologie der Gewerbe und 


Künste bei Griechen und Rôomern. Leipzig. Teubner, 1887, 4 vol. 


Boucué-LecLerce. — Manuel des institutions romaines, Paris, 
Hachette, 1886. 


CaGnar (R.). — L'armée romaine d'Afrique, Paris, Leroux, 1892. 


ane 


VE 


Caron. — Vorlesungen über der Geschichte der Mathematik, 
Leipzig, 1880. 


CaRRA DE Vaux. — V. Héron d'Alexandrie et Philon de Byzance. 


CHases (Michel). — Aperçu historique sur l'origine et le dévelop- 
pement des méthodes en géométrie, Paris, 1875. 


Rapport sur les progrès de la géométrie, Paris, 1870. 
Cnoisy (Auguste). — L'art de bâtir chez les Romains, Paris, 1872. 
Histoire de l'architecture, Paris, 1903. 


Curr MErkEL. — Die Ingenieurtechnik: im Alterthum, Berlin, 1899. 


FRIEDLEIN. — ie Zahlzeichnen und das Elementare Rechnen der 
Griechen und Rômer, Erlangen, 1869. — V. Proclus. 


FRœunNER. — Catalogue des inscriplions grecques du Musée du 
Louvre, Paris, 1888. 


DAREMBERG ET SAGLIO. — Dictionnaire des antiquités grecques et 
romaines, en cours de publication, Paris. 


Hexri-MaRrTiX (Théodore). — Recherches nouvelles concernant les 
origines de notre système de numération écrite (Revue archéo- 
logique, 1856-55). — V. Héron à’Alexandrie. 


Hæœxrer (Ferdinand). — /lisloire des Mathématiques, Paris. 
Hachette, 1902. 


HüzrscH. — V. ci-dessus Héron d'Alexandrie et Pappus, et ci-dessous 
Pauly-Wissowa. 


Jouauer (Emile). — Lectures de Mécanique : 1'° Partie. Les origines 
de la Mécanique, Paris, Gauthier-Villars, 1908. 


LACHMANN Er RUDORFF. — V. Gromatici veteres. 


MARQUARDT. — La vie privée des Romains, t. XIV et XV du Manuel 
des Antiquités romaines de Mommsen, Marquardt et Krüger, 
traduction V. Henry. 


Morrer (Victor). — Recherches critiques sur Vitruve et sur son 
œuvre (Revue archéologique, 1902 et 1904). 


PauLzy-Wissowa.— heal-Encyclopadie. Articles AÀbacus et Arithme- 
tica (Hültsch). 


— ee 


DE Rocnas. — La science des philosophes et l'art des thaumaturges 
dans l'antiquité, Paris, Masson, 1882. — V. Héron d'Alexandrie 
et Philon de Byzance. 


RuGGiEro. — Disionario epigrafico (en cours de publication). 
ScHMipr ET SCHŒNE. — V. Héron d'Alexandrie. 


Tannery (Paul). — La géométrie grecque, Essai critique. Paris, 
Gauthier-Villars, 1887. 


Recherches sur l'histoire de l'astronomie ancienne. Paris, 
Gauthier-Villars, 1893. — V. Rhabdas. 


TERQUEM (A.). — La science romaine à l'époque d'Auguste, étude 
historique d'après Vitruve. Paris, Alcan, 1885. 


VincenT. — Un abacus athénien. (Revue archéologique, 1846, I.) 
— V. Héron d'Alexandrie. 


Zerrer. — La philosophie des Grecs, trad. Boutroux, Paris, 1873. 


té. le 


LA SCIENCE ET L'ART DE L'INGÉNIEUR 


AUX PREMIERS SIÈCLES DE L'EMPIRE ROMAIN 





PRÉLIMINAIRES 


LA SCIENCE GRECQUE ET ROMAINE 


On est à peu près d'accord aujourd’hui pour reconnaître aux 
Grecs le mérite, non pas seulement d’avoir divulgué les 
éléments de la science, élaborés par les peuples dont la civilisation 
avait précédé la leur, mais d’avoir découvert eux-mêmes un 
grand nombre des principes fondamentaux sur lesquels repose 
toute connaissance rationnelle. Que l’astronomie leur soit venue 
des Chaldéens et des Babyloniens, ainsi que l'usage de la table 
à calcul, conçue d’après une machine à compter, d'une très 
ancienne origine asiatique, où il faudrait voir la première 
ébauche de l’arithmétique; que Pythagore et à sa suite nombre 
de philosophes grecs soient allés s’instruire dans l’Inde et en 
Egypte : il n’en est pas moins vrai que la science exacte fonda- 
mentale, la géométrie, en tant que présentant un ensemble 
logiquement déduit et rigoureusement lié, est surtout une science 
grecque, et que chez les Grecs, la perfection de l’architecture, 
la savante économie des proportions monumentales, est en grande 
partie un résultat de leurs étonnantes aptitudes de géomètres, 

Les plus importants traités de géométrie grecque qui subsistent 


9 
+ 


et qui permettent de se rendre compte des progrès de cette science 
sont : les écrits d'Euclide !, composés à Alexandrie vers la fin 
du 1v° siècle avant Jésus-Christ; ceux d'Archimède?, de Syracuse, 
qui sont du 11° siècle ; ceux d’Apollonios de Perge *, qui vécut 
à Alexandrie vers la fin du 1r° siècle, enfin ceux de Pappus 
d'Alexandrie *, datant du 1v° siècle de notre ère. L'œuvre de 
ce dernier, bien postérieure aux autres comme on voit, est 
un recueil précieux, mais n'est en fait qu’une compilation de 
travaux remontant pour la plupart à une date antérieure à l’ère 
chrétienne”. Au v° siècle, Proclus, le dernier des grands 
philosophes grecs, écrivit un commentaire sur Euclideï. En 
dégageant ce qui, dans ce commentaire, est purement mathé- 
matique des considérations philosophiques qui l'enveloppent, on 
s'aperçoit qu'il ne contient presque rien de personnel et que la 
plus grande partie en estempruntée à Geminus, auteur du premier 
siècle avantJésus-Christ. On en conclut quela géométrie, de même 
que l'arithmétique, qui ne fut jamais étudiée scientifiquement 
chez les anciens autrement qu'avec l'appareil géométrique, que 
ces deux sciences, disons-nous, avaient atteint leur apogée 
avant l’avènement des Césars. Donc leur enseignement théorique 
ne dut guère se modifier depuis la période alexandrine jusqu'à 
l’âge de Constantin, où commença la décadence. 

Ce n’est pas à dire que les Romains, après la conquête de la 
Grèce, aient le moins du monde cherché à étouffer la culture 
scientifique. Ils se plurent, au contraire, à reconnaitre la 


1. Eléments (otouyeta). 13 livres. — V. ci-dessus l’Index bibliographique. 
2. V. Index bibliographique. Les œuvres d'Archimède qui nous restent ont pour 


titres : De la PISE du cylindre (IIept ris coulous xat xuhivôsou) ; — Mesure du 
cercle (Küxov | LETONS <): : — Des conoïdes et des figure s sphéroïdes (Iles! xwvoeèewv 
xa GLAUAT ruy Gpatoostèewv); — Des spirales (Isot EAXOV) ; — De l'équilibre 
des plans et de leurs centres de gravité (Ieot 2TITEOWY 1G0000T1XOY, 1 XEVTO® 
Bapov ErtreGv) : — La quadrature de la parabole (Terpaywviouds rap 260 ÿs); 
— L'arénaire (W auUuETNs) ; — Des corps flottants sur l'eau (ec! Toy UÈUT! 


Éger TAULEVOV . 
3. Kowxc FACE 
4. Euvaywo yat ualnuxrixut (Collectiones mathematicae). V.1ndex bibliographique. 


5. V. Paul Tannery, La géométrie grecque, Essai critique, première partie, p. 13. 
Paris, Gauthier-Villars, ISS7. 
6. V. Index bibliographique. 


HR ICTRES 


supériorité intellectuelle des Grecs en cette matière et accordèrent 
à ces études toute la protection qui convenait. « Il n'est 
d’ailleurs, dit M. Paul Tannery, ni établi historiquement ni 
unanimement reconnu que le niveau moyen de la science à 
l'époque gréco-romaine ait été inférieur à celui de la période 
gréco-alexandrine !. » Sa diffusion par l’enseignement fit même 
beaucoup de progrès sous l'empire, favorisée par l'intervention 
personnelle des princes. Il ne faut pas oublier non plus que 
la grande époque de l'astronomie ancienne s'étend depuis 
Hipparque dont les observations furent faites à la fin du 
n° siècle avant Jésus-Christ, jusqu'à Ptolémée, qui vivait sous les 
Antonins. Mais pour l’arithmétique et la géométrie proprement 
dite, c'est-à-dire pour celles des sciences exactes que l’art de 
l'ingénieur utilise constamment, leurs grands progrès avaient 
été accomplis par les savants de l’âge antérieur. La trigonométrie, 
dont on a quelquefois attribué l'invention à Ménélas d'Alexandrie 
contemporain d’Auguste, remonte en réalité à Hipparque; 
d'ailleurs, elle semble n'avoir été utilisée par les anciens que 
pour les arcs de la sphère en astronomie, et encore de façon 
très incomplète ; aucune application régulière n'a été faite de 
la trigonométrie plane ?. Quant à l'algèbre, on la voit faire son 
apparition au 1° siècle de Jésus-Christ, avec Diophante. Mais 
c'est, si l'on peut dire, une semence trop tardive, car elle tombe 
sur un terrain déjà desséché; elle ne pourra germer et fructifier 
qu'après plusieurs centaines d’années. 

Bien que le génie particulier des Romains les portât beaucoup 
à l'étude des problèmes pratiques, en cela même ils ont été 
à l'école des Grecs. Les arpenteurs romains avaient bien des 
procédés traditionnels, mais la plupart d'entre ceux-ci remon- 
taient encore à des sources grecques. L’étude de Vitruve, 
de Pappus*, permet de constater que tous les principes de 
mécanique énoncés par ces deux auteurs, tous les instruments 
qu'ils décrivent avaient déjà été énoncés ou décrits soit par 


1. V. Paul Tannery, La géométrie grecque, 1. c., p. 11. 


2. Recherches sur l'Histoire de l’Astronomie ancienne, par Paul Tannery, 
Paris, Gauthier-Villars, 1893, ch. 111, 5. 
3. Collectiones mathematicæ, liv. VII. 


SE QUE 


Archimède, soit par Ctésibios, Philon de Byzance, et Héron 
d'Alexandrie. 

Donc, qu'il s'agisse de travaux publics exécutés au temps des 
Gracques, de Cicéron, d'Auguste ou des Antonins, ou plus 
tard encore, les données scientifiques sur lesquelles ont reposé 
les méthodes ne se sont pas sensiblement accrues en allant de 
l'une à l’autre de ces époques ; ce qui d’ailleurs ne veut pas 
dire que les méthodes elles-mêmes ne se soient pas modifiées 
ou perfectionnées ?. Mais relater ce que l’on connaissait en fait 
d’arithmétique, de géométrie, de physique et de mécanique 
dans l’école d'Alexandrie vers la fin du n° siècle avant l'ère 
chrétienne, c’est exposer par le fait même selon toute probabilité 
ce que l’on savait et ce que l’on enseignait à Rome et dans les 
diverses provinces de l'empire pendant les trois ou quatre siècles 
suivants. 


1. Si toutefois celui-ci est antérieur à Vitruve, comme on le croit généralement. 
Il sera plus loin dit un mot de cette question. 


2. C'est ainsi que la construction par voûtes ne prit une très grande extension 
que sous l'empire romain; mais les principes mathématiques en étaient connus 
depuis longtemps. 





CHAPITRE PREMIER 


ARITHMÉTIQUE 


I. — La science des nombres chez les Grecs. 
Son étendue et ses parties. 


Pythagore et ses disciples, véritables créateurs de cette 
science, avaient longuement médité sur les propriétés des 
nombres, leurs combinaisons diverses et leur suite indéfinie. 
Rien dans l’ardeur au travail, dans le zèle investigateur de nos 
savants modernes, ne saurait donner une idée de la passion 
dévorante et du brûlant enthousiasme qui consumaient ces 
premiers mathématiciens, contemplateurs ravis des vérités 
abstraites et absolues. C'est qu'ils n'étaient pas simplement 
poussés par la curiosité de résoudre des problèmes isolés, par 
le désir d’avancer pas à pas dans une connaissance plus 
étendue des phénomènes naturels : ce qu’ils cherchaient à dégager 
de la complexité infinie des rapports numériques, c'était la loi 
même du monde, le dernier mot de tout, le savoir divin. Le 
pythagorisme était une philosophie ou, pour mieux dire, une 
religion avec ses initiations, ses mystères et ses rites. « Salut, 
Nombre fameux, générateur des dieux et des hommes! » ‘l'el 
est le début d’un poème, ‘Tecos Aoyos, longtemps cru d'Orphée et 
que Stobée attribue à Pythagore. Plusieurs écoles philoso- 
phiques de l'antiquité ont connu cette sorte de délire mystique 


1. Philolaos, un des plus célèbres disciples de Pythagore, enseignait que toutes les 
choses relevant de notre faculté de connaitre ont chacune un nombre, sans quoi rien 
ne saurait être conçu. C'est l’application de ce principe aux mots, définitions et 
symboles des réalités, qui a créé la Kabbale ou estimation en nombre des lettres 
considérées comme des chiffres. La somme de ces chiffres est le nombre de l’objet 
défini. Ainsi, dans l’Apocalypse, le nombre de la Bête est 666 (ch. xr1r, v. 4), 


LEE ee 


à l’idée d'une révélation universelle crue prochaine !. Mais à la 
différence des autres, l’école pythagoricienne, grâce au caractère 
rigoureux de l'objet qu'elle considérait, fut bien plus soutenue 
qu'égarée par son rêve, et fonda une science exacte, tandis 
qu'ailleurs s’enfantaient tant de chimères. 

La science arithmétique issue de ces hautes méditations se 
divisa en théorie des nombres linéaires, théorie des nombres 
plans et théorie des nombres solides. Outre les opérations 
élémentaires dites les quatre règles et ce qui concerne les 
fractions, elle comprenait déjà, au temps de Pythagore, au moins 
dans leurs propositions essentielles, les théories des nombres 
premiers, des progressions arithmétiques et géométriques, des 
proportions, des moyennes proportionnelles, des sommes et 
différences de carrés, et de l'infini, conçu comme ce qui n’a 
aucune grandeur assignable, ou ce qui est plus grand ou plus 
petit que toute quantité donnée*?. Les mathématiciens modernes 
ne le conçoivent et ne le définissent pas autrement. 

Les V°, VII, VIII et IX° livres d’Euclide résument cet 
ensemble, en y joignant l'apport des philosophes de l’âge suivant, 
c'est-à-dire des écoles de Platon et d’Aristote, et aussi l'apport 
d'Euclide lui-même. Son X° livre, notamment, développe d'une 
manière très étendue les théories, qui semblent bien lui 
appartenir en propre, des grandeurs incommensurables et des 

1. La dévotion de Lucrèce à l'égard d'Epicure s'explique par cet état d’appétition 
extatique, pour ainsi dire, où l'avaient plongé les écrits du maitre. 


Fluctibus e tantis vilam, tantisque tenebris 
In tam tranquilla et clara Luce locavit. 
(De Rerum natura, V. 11-12.) 


His tibi me rebus quaedam divina voluptas 
Percipit atque horror, quod sic Natura tua vi 
Tam manifesta patet ex omni parte relecta. 
(Ibid., III, 28-30.) 


2. « Si je me suppose, disait Archytas de Tarente (disciple lui-même de Philolaos), 
placé à la limite extrème du monde,pourrai-je ou non étendre la main ou une baguette 
au dehors? Dire que je ne le puis pas est absurde; mais si je le puis, il y aura done 
quelque chose en dehors de ce monde, soit corps, soit lieu. Et peu importe comment 
nous raisonnerons; la même question se renouvellera toujours : s’il y a quelque 
chose sur quoi puisse porter la baguette, alors évidemment l'infini existe. Si c'est un 
corps. notre proposition est démontrée. Est-ce un lieu ? Maïs le lieu est ce en quoi un 
corps est ou pourrait être ; et il faut alors, s’il existe en puissance, le placer au 
nombre des choses éternelles, et l'infini serait alors un corps et un lieu. » (Archytas 
Ilept ruvroç, passage cité par Simplicius, philosophe de l’époque de Justinien. 
Cf. Chaignet, Pythagore et la philosophie pythagoricienne.) 


him. és à 


7 


quantités irrationnelles. D'ailleurs, ainsi qu'il est dit plus haut, 
les démonstrations arithmétiques se modelaient sur celles de la 
géométrie. Euclide se sert de lignes pour exprimer les nombres, 
et il est plus que probable que dans l’enseignement de l'arithmé- 
tique cette méthode fut toujours suivie au moins jusqu'à 
Diophante ? (11° siècle après J.-C.). L'ouvrage de ce dernier, 
’AptOurraæt, en six livres, fait usage pour la première fois d'un 
signe particulier S', pour désigner un nombre inconnu ou à 
trouver, c’est-à-dire l’x d'une équation. Il est donc l'inventeur 
de la forme algébrique. Mais à vrai dire, sauf l'appareil extérieur 
du raisonnement, il n’apporta guère d'aperçus nouveaux et ne 
permit pas de trancher un plus grand nombre de questions 
qu'auparavant. On avait pu, par les anciens moyens, résoudre 
de véritables problèmes d’'algèbre. Ainsi, on peut déduire 
aisément de quelques propositions du livre des Données (Acueyo) 
d'Euclide, la résolution des équations du ?° degré *. Ceci est 
évidemment important à retenir, si l’on envisage la pratique de 
l'art de l'ingénieur dans l'antiquité. 

De même que la géométrie théorique était complétée par la 
géodésie, qui était son application aux opérations pratiques, 
divisions et mesures des surfaces ou volumes, de même on 
appelait logistique la partie de l’arithmétique qui enseignait les 
procédés du calcul. 

La Géodésie et la Logistique sont analogues aux branches 
précédentes (géométrie et arithmétique) ; seulement au lieu de 
traiter des nombres ou des figures intelligibles, elles s'occupent 


1. Exemple : Pour exprimer que la somme des carrés de deux nombres est égale 
à deux fois le carré de la demi-somme de ces nombres, plus deux fois le carré de leur 
demi-différence, Euclide dit (liv. II, propos. 9) : « Si une ligne droite est coupée en 
parties égales ct en parties inégales, les carrés des segments inégaux de la droite 
entière sont doubles du carré de la moit'é de cette droite et du carré de la droite 
placée entre les sections. » 


2. Ayant Diophante, Nicomaque, qui vivait probablement au premier siècle de l'ère 
chrétienne, avait fait des exposés arithmétiques indépendants de la géométrie. 
(Entroduction arithmé tique, "AptÜunrtixn ctouywyn, en deux livres.) Mais cette 
méthode ne semble pas avoir été suivie. Cet auteur n’aurait d’ailleurs pas été un 
mathématicien original: pseudo-mathématicien, dit P. Tannery. (La géométrie 
grecque, p. 12.) 

3. Telle est la proposition 85 : « Si deux droites comprennent un espace donné, 
dans un angle donné, et si leur somme est donnée, chacune d'elles sera donnée. La 
solution de cette question donne les racines de léquation du 2° degré : 
2? — b æ + a? —0 (V. Michel Chasles, Des méthodes en géométrie, Paris, 1875, p. 11). 


a — 


des sensibles; car l’œuvre de la géodésie ne consiste pas 
à mesurer le cône ou le cylindre, mais bien les monceaux 
comme cônes ou les puits comme cylindres ; les droites qu'elle 
emploie ne sont pas intelligibles, mais sensibles, tout en étant 
d'ailleurs, par rapport aux intelligibles, des représentations, 
tantôt plus exactes, comme les rayons du soleil, tantôt plus 
grossières, comme des cordeaux ou des règles. De même le 
logisticien ne considère pas les propriétés des nombres en eux- 
mêmes, mais sur les choses sensibles, d'où vient qu'il leur donne 
des noms d’après les objets qu’ils dénombrent !. » 

« La Logistique est la théorie qui traite des dénombrables et 
non des nombres... Elle a, comme matière, tous les dénom- 
brables; comme parties, les méthodes dites hellénique et 
égyptienne pour les multiplications et les divisions, ainsi que 
les additions et décompositions des fractions. Elle a pour 
but ce qui est utile dans les relations de la vie et dans les 
affaires, quoiqu’elle semble prononcer sur les objets sensibles 
comme s'ils étaient absolus*?. » 

«... Elle se sert de l’un comme minimum des objets 
homogènes sous une même pluralité. Ainsi elle pose un homme 
comme individu dans une pluralité d'hommes, mais non pas 
absolument; une drachme comme indivisible dans une pluralité 
de drachmes, tandis qu’elle se divise en tant que monnaie *. » 

La logistique était donc bien ce que nous entendons par 
arithmétique pratique, c’est-à-dire l'art de calculer au moyen 
des signes et de leur ordre. 


II. — Systèmes grecs et latins de numération. 


Pour les nombres entiers, le système de numération, en 
Grèce, comme chez les Romains, était le système décimal, qui 


1. Proclus, extraits de Geminus, cités par P. Tannery. (La géométrie grecque, 
p. 40.) 

2. Scolie sur le Charmide (Variae collectiones, 3), et Plato’s Charmides, 
inhaltlicherlaütert von Dr. Th. Becker, Halle, 1879. (Zbid., p. 48, 49.) 

3. Variae collectiones, 10. — Ibid., p. 49, 





eq 


a son origine toute naturelle dans le nombre des doigts. Quant à 
la numération écrite, le plus ancien système grec consista 
simplement à représenter les chiffres par des barres en quantité 
égale au nombre à désigner. Ensuite vint le système acro- 
nymique ou hérodien, consistant à prendre pour chiffre la 
première lettre du mot qui exprime le nombre, l'unité restant 
représentée par une barre. Mais, beaucoup de nombres ayant 
la même initiale, et d'autre part la quantité de signes étant 
limitée tandis que la série des nombres est indéfinie, il est 
évident qu'il fallut se contenter de noter par une initiale ou par 
un autre signe conventionnel seulement certains nombres, par 
exemple les unités et les multiples de 10. Tel fut le système 
alphabétique décimal, dans lequel les signes numériques sont les 
vingt-quatre lettres de l’alphabet grec, ou plutôt les vingt-sept 
lettres, car on fit usage de trois caractères archaïques, le Bau 
ou Digamma, F ou S, qui vient après le, le Koppa, :, venant 
après le r et le Sampi, », après l’o. 

De x à 8 inclusivement, y compris le F ou S qui correspond au 
chiffre 6, sont les unités (nombres monadiques); de & (iota) à !, 
qui exprime 9,0, les dizaines, et de p à @ (900), les centaines 
(nombres hécatontadiques). Quant aux nombres intermédiaires, 
on les représentait par deux ou trois signes, inscrits de gauche 
à droite, comme nous le faisons nous-mêmes. Ainsi 700 
s’écrivant 4 (le petit signe en haut distinguant les chiffres ou 
nombres des simples lettres ou mots), 750 s'écrivait dv’, 754 dud. 
À 1.000 on reprenait l'alphabet au début, en traitant ce nombre 
dans l'écriture comme une nouvelle unité, mais en ayant soin 
de marquer les lettres jusqu'au 4 inclusivement d'un trait en 
bas à gauche (nombres chiliontadiques). Ainsi { valant 7, 
& vaut 7.000. 

On opérait de même pour les myriades, en remplaçant le trait 
en bas par deux points (un tréma) au-dessus de la lettre. On 
commençait de la sorte une nouvelle série, un autre ordre de 
nombres, et l’on avait les nombres monadiques de myriades 
simples jusqu'à 6, décadiques jusqu à L, hécatontadiques jusqu’à 
À et si, en plus du trait, il y avait aussi des points, les lettres 
désignaient autant de milliers de myriades qu'elles auraient 


— 10 — 


désigné de milliers sans les points. Si au-dessus des deux 
points on en mettait deux autres, la quotité représentée par la 
lettre se trouvait multipliée par une myriade : c'était ce qu'on 
appelait les myriades doubles ou myriades de myriades; et 
ainsi de suite : on avait des myriades triples, quadruples, ete., 
jusqu’à l’infini, en superposant deux points autant de fois qu'on 
voulait {. 

D'après cette méthode le chiffre 640.803.175, par exemple, 
s'écrivait $ 877pee ?. 

On croit généralement que ce système ne fut en vigueur qu'à 
partir du premier siècle de notre ère, ce qui n'est pas assuré : il 
pourrait être bien antérieur. Quoi qu’il en soit, il en est un autre 
constaté par des documents beaucoup plus anciens, conçu égale- 
ment d’après le principe acronymique et offrant une assez grande 
analogie avec la notation romaine, en ce qu'il comporte des 
signes particuliers pour 5, 10, 100, 1.000 et 10.000 : P, rex, 
cinq; À, déxæ, dix; H, éxare, cent; X, ya, mille; M ou M, 
ppur, dix mille. Les multiples de cinq par les puissances de dix 
s’y notent par la lettre qui exprime une de ces puissances, logée 
sous la barre supérieure du F. Ainsi F signifie 50. Voici du reste 
le tableau numérique, tel qu'il résulte d’une inscription du musée 
du Louvre, dite marbre de Choiseul*. Cette inscription est 
un compte rendu des sommes dépensées par les trésoriers du 
Parthénon dans la 3° année de la 92° olympiade (410 avant J.-C.). 
Les nombres et les monnaies sont exprimés par les chiffres 
suivants : 


1. V. Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, t. XXXIL, 
Deux lettres arithmétiques de Rhabdas, éditées par P. Tannery, p. 144-146. 


2, Pour exprimer des nombres fractionnaires, les Grecs ne séparaient par aucune 
ligne le numérateur du dénominateur : ils écrivaient l’un et l’autre sur la même 
ligne, mais les caractères du numérateur étaient plus gros queceux du dénominateur. 
Ainsi, par exemple 4e Ëà signifiaient 15/64. (V.F. Hoefer, Histoire des Mathématiques.) 
On pouvait aussi écrire, en caractères égaux, Le Ed” £2” en répétant le dénominateur 
deux fois et en l’accentuant de deux traits en haut. Si la fraction avait l'unité pour 
numérateur, soit 1/64, on n’écrivait que le dénominateur avec deux traits 25”. 


3. V. Catalogue des inscriptions grecques du musée du Louvre, interprétées par 
W.Froehner. Paris, 1888 — N° 46. 





; 
É 


26 SR 


CITES l 

I... ? C 1/4 d'obole (tétartémorion). 
MI... : 9 1/2 obole (hémicbolion). 
MIT... É | 1/3 d’obole (tritémorion). 
MAS Le l? ou 3/4 d'obole (Fræœhner). 
LT ANS 10 

k 1 obole. 

F 7” 00 En 
LIN 100 + l drachme (6 oboles). 
ER 500 T {talent (6.000 drachmes). 
Re . 1.000 F  9talents. 

TIR o.000 À  1Otalents. 

D. 10.000 F  50talents. 

peut 20.000 





Pour noter avec ce système le chiffre 5.432, par exemple, on 
écrira FHHHHAAAII. S'il s’agit d'exprimer cette somme en 
drachmes, on modifiera simplement les deux derniers chiffres 
en les écrivant FH. 

L'usage est à remarquer de ces sortes d’exposants qui multi- 
plient le chiffre 5 par 10, 100, ou 1.000. Il est vraisemblable, 
sinon certain, que cet usage pouvait être étendu aux multiples 
de 10; ainsi un million aurait pu être exprimé par le signe MA. 
Les petits traits du système alphabétique jouent ce même rôle 
d'exposants multiplicateurs, et il n’y a rien de bien téméraire à 
imaginer que l'ont pût, en groupant un nombre de traits suff- 
sant, exprimer des nombres aussi élevés qu’on voulait. 


La numération écrite des Romains était fondée sur ce même 
principe de la notation particulière du 5, du 10, des puissances 
de 10 jusqu'à 1.000,et des multiples de 5 par 10 etses puissances. 
Les signes employés pour les nombres entiers n'étaient qu'au 
nombre de sept : I (unité), V (5), X (10), L (50}, C (100), D (500), 


1. Comme dans la numération grecque, les chiffres s'ajoutent les uns aux autres 
en allant de gauche: à droite. Cependant, on sait qu'une barre (une unité) placée à 
gauche d'un autre chiffre, se soustrait de celui-ci. — Les nombres 4, 9. 14, 19. 
etc., s'écrivaient le plus souvent IT, VIII, XIII, XVIII, mais aussi IV, IX. XIV, 
XIX, etc., comme nous le faisons de préférence. On écrivait aussi quelquefois, et 
c’est ce que nous ne faisons plus, — IIX et XIIX pour 8 et 18, — X, placé à droite 
de L et de C se soustrait aussi. — XL — 40 et XC — 90. 

2. Ce signe, dans le principe, était l’aspirée 7, sous son ancienne forme \ ou L 
qui s’altéra ensuite et donna L. 


Aa 


M (1.000). Les exposants multiplicateurs avaient pour équivalents : 
1° une barre transversale au-dessus de la lettre ou des groupes 
de lettres, indiquant qu'il s'agissait de milliers ; 2° un rectangle, 
non fermé par en bas, autour de la lettre ou du groupe, mar- 
quant les centaines de mille. Souvent on ajoutait la lettre M à la 
droite des lettres barrées pour spécifier encore davantage qu'il 
s'agissait de milliers. Ainsi le chiffre 12.523.837 s'écrivait : 


[CXXV Ir XXI: M LDCCCXX XVII 


Le nombre 1.000 pouvait s'exprimer aussi par le signe CID! et 
les multiples de 1.000 par autant de fois cette parenthèse ajoutée 
à la première que le nombre 1.000 était multiplié par 10. Ainsi: 


10.000 s'écrivait (CCi99 
100.000 s’écrivait CCCI299 


et, pour restreindre l’espace occupé par les signes, on eut : 


(DEA OUL 
® — 10.000 
@® — 100.000 


Pour figurer les multiples de 5, on n'eut plus qu'à séparer ces 
divers signes en deux, en conservant la partie de droite : 


3 ouSD = 200 
(399‘ou Dr" 252000 
1299 ou D — 50.000 


Soit à écrire, avec ce système, le chiffre 583 211, nous aurons : 
19999 1999 CC199 ‘CCI99"CCI99 CI9 CID, CID CES 


ou D b ® ® ® © © © CCXIIII : 


1. C'était à l’origine l’aspirée @. — 1.000 s’écrivit aussi @© et ©. 


2. Quand il s'agissait de monnaies, le nombre s’exprimait en sesterces et cela se 
marquait par le signe HS à gauche du chiffre. 


En RE 


Le premier système, somme toute, était d'une écriture beau- 
coup plus simple. 

La différence fondamentale des deux numérations grecque et 
latine avec la numération moderne consiste en ce que celle-ci se 
borne à n’avoir de signes que pour les neuf premières unités, et 
à répéter ces mêmes signes pour les unités des divers ordres en 
ne les distinguant que par le rang qu’elles occupent par rapport 
au chiffre des unités simples qui est à droite. Mais pour marquer 
ce rang, il a paru indispensable d’avoir un signe supplémentaire 
qui est le 0, destiné à remplacer le chiffre des unités d'un 
certain ordre qui peut manquer dans un nombre. Ce signe 
manquait aux anciens !. Or, avec ces dix signes, nous arrivons à 
écrire brièvement et simplement les nombres les plus élevés; 
on voit au contraire l'espace qu'occupait un nombre chiffré avec 
les méthodes anciennes, dès qu'il atteignait seulement les 
centaines de mille, et que tous les ordres d'unités y figuraient. 

Tout cela est bien connu. Si j'ai cru à propos de le rappeler, 
c'est pour en arriver à cette question : comment, avec un appareil 
de numération si incommode, les ingénieurs romains, les archi- 
tectes, les chefs de chantiers, en un mot tous ceux qui concou- 
raient aux travaux publics, obligés qu'ils étaient de manier 
constamment des chiffres, pour évaluer rapidement les poids et 
les surfaces, pour dresser les devis et les comptes, pouvaient-ils 
suffire à cette besogne dans le temps voulu et sans risque 
d'erreurs ? Il en est de même pour les banquiers, les marchands, 
les hommes d'affaires de toute espèce. 

Et jusqu'ici, nous n'avons considéré que les unités. Mais une 
complication plus grande encore provenait de ce que l'unité se 
subdivisait chez les Romains d'après le système duodécimal, l'as, 
ou unité simple comprenant 12 onces, l’once se partageant à son 
tour d’après le même principe. Je rappelle pour mémoire la liste 
de ces divers sous-multiples avec leurs valeurs et leurs signes 
ou sigles. 


1. Ou tout au moins il ne fut jamais utilisé pratiquement (v. ci-après. 


UE 

AS ONCES SIGLES 
de CO PAU PIERRE 5e Dane l 12 [ 
Deunx pee 11/12 Il S'=Er 
MERS, TP 9/6 10 ses 
EN PET CERPRERT 3/4 9 SEE 
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Septunx........:... 7/12 ïl Si- 
SOIMIE Eve rc a. 1/2 6 S 
Duimceunx 22-44 -ceccu O0) 5) = TOLESES 
DMenS ee open % 1/3 4 =E 
Quadranse..E..$ Te 1/4 3 = - 
SDextangue tes bras 1/6 2 = | 
Sescuncia. 2:24414114 8 4% : 1/8 1 1/9 2:68 
BEA LE AE PARU MR 1/12 ! -,U,%,0 
SeMuACIAa.. ...-... SAT 1/2 RS M =: : 
Binae sextulae ou duella. 1/36 1/3 USER 
ÉCilieus eee leo 1/4 9 
Ébnila ns preco ee ne 1/6 e 
Dimidia sextula........ 1/144 1/12 è 
Scripulum.......... , A1 288 04/2 SR 


SIM = as mepemdes . 1/1728 1/144 pas designe distinctif. 


1II. — Mode de calcul usuel par les cailloux 
et l’'abaque. 


Les monuments écrits, grecs ou latins, non seulement ne 
présentent rien d'analogue à notre disposition des chiffres en 
colonnes, où les unités des divers ordres sont étagées respective- 
ment les unes sous les autres!, mais nous n'y voyons aucune 


penses figurant sur une inscription grecque 


1. Voici, par exemple, un compte de dé 
36). Ces dépenses avaient été faites 


du musée du Louvre (Catalogue de Froehner, n° 


s Ge 


LT Gi 


— 15 — 


trace de disposition méthodique d'un calcul, avec traits de 
séparation, juxtaposition de facteurs, etc. L'explication en est 
bien simple. C’est que les calculs s’opéraient par des procédés 
qui ne laissaient pas de trace, pas plus que n’en laisse le 
maniement de notre règle à calcul ou de toute autre machine 
arithmétique. 

Le moyen de calcul le plus ancien nous est indiqué par le sens 
même du mot calculus, caillou. Ce mot latin, comme le mot 
grec ot #nçu (pluriel), qui a le même sens, au propre et au 
figuré, montre assez que l’usage universel et primitif était de 
prendre, pour calculer, de petites pierres ou des jetons. On les 
disposait dans un certain ordre en traçant certaines lignes 
_ suivant lesquelles on les faisait mouvoir. C'était le principe du 
procédé de l'a6aë 1, abacus, ou table à calcul. 


par le dème de Plothée (Attique). Lés chiffres ne sont nullement rangés comme ils le 
seraient dans un monument moderne analogue, avec le total au-dessous : 


Halala icio...... eee ee 4 Log paralies. 
[ n] U d 24 wt | Ke. O2 € DO D'ou ..... Au démarque........ 1000 drachmes. 
à RENE CT 24} ( Aurdeurtrésoriers 5 

[rou]ut œuviécs|tTald: [ëto | teoa | F.!Pour les sacrifices de 

F L 5 l l’année courante . ..... 5000 
Célelr o| H px xAET ovIFXX sis shelolole Pour le temple d'Hereule. 7000 
Cëds| "A 2p0 Ôtota | 2: ÉPMEREAEL Pour la fête d’Aphrodite. 1200 
[è] dec) XX H........ D RRTe Pour la fête des Dioseures. 2100 

, L DER er $ Pour latélie (exemption 
Ehhrnviarélerov|".... CO c C OI NES 5000 
Lé]s|’A 0 ORNE A RP TR +. Pour la fête d’Apollon ... 1100 
RSS co PH... «+ Pour les Pandies. 600 
[ul:506cewv|HAAAFFFFIIC... Fermages........... ... 134dr. 2oboles 1/2. 


Un compte moderne serait disposé comme la traduction l'indique, et le total serait 
mis au-dessous du chiffre 600 ; les fermages, qui constituent sans doute une recette et 
non une dépense, étant mis à part, séparés du reste au moins par un intervalle. 


1. Cf. Hültsch, art. Abacus (R-E. de Pauly Wissowa, t. I, et Dictionnaire de 
Daremberg et Saglio, même article). L’étymologie de ce mot, dit M. F. Hoefer (Histoire 
des mathématiques, p. 126, note 2), a divisé les érudits en deux camps. Les uns, 
comme Nesselmann et Vincent, le font venir de l’hébreu abak, qui signifie poussière, 
par allusion au sable ou à la poussière dont on couvrait les planchettes sur 
lesquelles les anciens faisaient leurs calculs, témoin ce passage de Perse (sat. I, 131): 

Nec qui abaco numeros et secto in pulvere metas 
Scil risisse vafer. 

Les autres, comme Th. Henri-Martin. le forment de x privatif et Baotc (ce qui n’a pas 
de support, de base, une planchette).”A6aË a toujours, en effet, désigné une plaque 
polie, gravée ou non, et la signification de poussière n’est jamais intervenue pour ce 
mot; d'autre part, abacus vient évidemment d’464£. Il n’y a donc pas à hésiter entre 
les deux opinions; la première semble n’avoir aucune valeur. 


AU SE 


Dans le traité de géométrie de Boëce! (1° livre), se trouve le 
passage suivant : 

« Des Pythagoriciens, pour éviter de se tromper dans leurs 
multiplications, divisions et mesures (car ils étaient en toutes 
choses d’un génie inventeur et subtil), avaient imaginé pour leur 
usage un tableau, qu'ils appelèrent en l'honneur de leur maitre, 
table de Pythagore; parce que, ce qu'ils en avaient tracé, ils 
en tenaient la première idée de ce philosophe. Ce tableau fut 
appelé par les modernes abacus. » 

Ici est insérée, dans les plus récents manuscrits de Boëce, la 
table de multiplication bien connue, Or, d'après l'examen des 
manuscrits les plus anciens et les meilleurs, cet abacus n’était 
nullement la table de multiplication, à laquelle on donne ainsi 
par erreur le nom de fable de Pythagore*. C'était une série de 
traits verticaux formant des colonnes, dont la plus à droite 
correspondait aux unités, tandis qu’en allant de droite à gauche 
on rencontrait la colonne des dizaines, puis celle des centaines, 
ete., etc. Dans chacune d’elles pouvaient se placer des caractères 
spéciaux, appelés apices, de diverses formes et au nombre de 
neuf (dont quelques-uns, tels que le huit et le neuf, ont précisé- 
ment la forme de nos chiffres dits arabes 8 et 9. Et le texte de 


Boëce ajoute : 
« S'ils plaçaient ces divers apices sous l'unité (c'est-à-dire 


l. Boëtii quae fertur geometria, à la suite de l’Arithmétique et de la Musique dans 
l'édition Frieälein. (V. Index bibliographique.) 

2, V. Michel Chasles, Les methodes en géométrie, p. 467. Cf. du même auteur : 
Sur l’origine de notre système de numéralion (Comptes rendus de l'Académie des 


Sciences, 21 janvier 1839). — Sur la question de l'origine de notre numération 
vulgaire et particulièrement sur la signification du passage de Boèce (Jbid.,7 et 14 octo- 
bre 1839). — Explication des traités de l’abacus et particulièrement du traité de 


Gerbert(Zbid.. janvier et février 1843). 

« Le même savant (Chasles), dit Th. Henri-Martin (ouv. cité, Revue archéologique, 
1856-57), a établi, d’après les meilleurs et les plus anciens manuscrits, que, primiti- 
vement, ce texte de Boëce était éclairci par la figure du tableau qui, avec les neuf 
signes numériques où apices, conservés dans ces manuscrits, permettait d'exprimer 
tous les nombres; que ce tableau y est nommé abacus Pythagoricus. c'est-à-dire table 
de Pythagore; que ce même tableau et son usage sont expliqués, sous ce même nom 
et plus en détail, non seulement dans un traité de Gerbert, mais aussi dans d’autres 
ouvrages latins du x°, du xi1° et du xu° siècle; que c’est à tort que, dans les autres 
manuscrits de Boèce, il à été remplacé par une table des multiples tout à fait 
étrangère au passage; et que le nom de Table de Pythagore,donné maintenant à la 
table de multiplication, résulte uniquement de cette faute des copistes de quelques 
manuscrits de Boèce. » 





LE tr; JS 


dans la colonne des unités), ils représentaient toujours les digiti 
(unités simples). 

« Plaçant le premier nombre, c'est-à-dire deux (car l'unité, 
comme il est dit dans les arithmétiques, n’est pas un nombre, 
mais l’origine et le fondement des nombres), plaçant donc deux 
sous la ligne marquée dix, ils convinrent qu'il signifierait vingt; 
que trois signifierait frente, quatre, quarante, et ils donnèrent 
aux autres nombres suivants les significations résultant de leur 
propre dénomination. 

« En plaçant les mêmes apices sous la ligne marquée du 
nombre cent, ils établirent que deux signifierait deux cents, 
trois, trois cents... Et ainsi de suite dans les colonnes suivantes, 
et ce système n'exposait à aucune erreur. » 

Ainsi, les anciens auraient connu et pratiqué, depuis une 
époque reculée, notre système de numération écrite, sauf 
l'emploi du zéro, qui, d’ailleurs, était inutile, à cause des 
colonnes tracées d'avance. La petite différence aurait consisté 
précisément dans l'emploi de ce tracé, c'est-à-dire de l’abaque. 

Or, d'après Théodore Henri-Martin!, ce système devrait être 
attribué, non aux disciples directs de Pythagore, mais à des 
néo-pythagoriciens, contemporains de l’époque du néo-platonisme 
alexandrin, ou plutôt de son dernier représentant, Proelus : 
cela à cause des noms et figures des apices, qui expriment des 
idées pythagoriciennes, en effet, mais mêlées de gnosticisme. 
« Si Pythagore, d'ailleurs, avait été l'inventeur de l’abacus 
qu'on lui attribue, et si les Grecs avaient connu cet abacus 
pendant toute l'époque florissante et progressive de leur science 
mathématique, ils n'auraient pas dédaigné cette invention de 
leur grand philosophe, mais ils s’en seraient servis, et surtout 
ils en auraient parlé, et un auteur latin de la fin du v° et du 
commencement du vi° siècle de notre ère n'aurait pas été le 
premier à nous en transmettre le souvenir?. » 

Voilà certes de fort bonnes raisons. Mais elles ne valent que 
contre l'emploi prématuré des apices et du caleul écrit, non 


1. Ouvr. cité. Revue archéologique, 1856-57, 11, 
2. Ibid. 


AVS 


contre l'emploi de l’abaque à colonnes de divers ordres pour le 

calcul usuel instantané. Il est à croire, en effet, qu'au temps de | 

Pythagore, on ne donnait pas aux chiffres des valeurs de 

position, mais on en donnait certainement aux rangées de 

cailloux ou de jetons. ; 
Hérodote (11, 36) dit : « Les Grecs calculent avec de petites | 

pierres (2oyiéoyreu Ynças:), en portant la main de la gauche vers 

la droite, tandis que les Egyptiens la portent de la droite vers la 

gauche !. » Qu'est-ce que cela signifie, sinon qu'on faisait passer 

les cailloux d’une colonne à droite à une colonne à gauche, ou 

inversement, lorsqu'on faisait un calcul : le sens importe peu, 

c’est affaire de convention. Prenons la disposition en colonnes 

telle qu’elle est dans l'abacus de Boëce. (Remarquons en passant 

que les colonnes sont numérotées d'après un système d'écriture 

numérique qui n'était pas, ce semble, usité aux époques 

antérieures, et qui consiste en ce que les lettres associées, 

séparées ou non par des points, se multiplient, comme dans la 

notation algébrique, au lieu de s’additionner. Le nombre malle 

y est aussi écrit de deux façons, M, et 1, d'après le procédé 

multiplicateur que nous connaissons, de la barre transversale ?.) 


Tableau 1. 





10 milliards! 1 milliard |100.000.000 | 10.000.000 | 1.000.000 | 100.000 | 10.000 1.000 100 
| 


XIMI | IMI | CMI | XMIÏ | M. 








1. V. ci-dessus, p. 8. — On usa sans doute plus tard indifféremment des deux 
méthodes ; puis la méthode égyptienne prévalut. 

2. Ceci est d’ailleurs tout à fait indépendant du tableau lui-même, et ne fait rien 
préjuger de l’époque où l’on commença à se servir de celui-ci. 


— 19 — 


Le nombre 4 milliards, 315 millions, 26 mille, 407, soit 
4.315.026.407, est marqué sur ce tableau (tableau 1) par des 
points qui représentent les petits cailloux. 

Examinons comment pouvaient s'effectuer avec cet abaque les 
quatre opérations arithmétiques. 

Addition. — Au nombre 26.407 qui constitue la fin du nombre 
inscrit ci-dessus, proposons-nous d’additionner 9.786, par exemple. 
J'ajoute (tableau ?) 6 cailloux à la colonne I, ce qui fait 13; j'en 
laisse 3 seulement et j'en enlève 10 qui sernnt remplacés par un 
seul à la colonne X, et ainsi de suite. C'est notre opération 


Tableau 2. 


p< 














d’addition exécutée en fait. Il y aura finalement, sur le tableau, 
la disposition et le nombre de cailloux ci-dessus, représentant la 
somme 36.193. On devait faire autant d'opérations qu'il y avait de 
nombres à additionner. L'habitude permettait d'effectuer très vite 
cette série plus lente, à première vue, que notre opération unique. 


Soustraction. — C’est encore la mise en action, palpable, de 
ce que nous faisons nous-mêmes. Soit à retrancher 12.124 du 
nombre précédent. J'enlève un caillou à la colonne X et le 
remplace par dix autres sur la colonne I, qui en aura 13 (tableau 3), 

, 


desquels j'en retranche 4, il en restera 9!; j'en enlève 2 aux 8 
qui restaient sur la colonne X et ainsi de suite. 


1. Bien entendu, le calcul de tête permettait de placer tout de suite 9 cailloux, 
au lieu d’en poser d’abord 13 et d’en ôter 4. 


— 20 — 


La différence 24.069 apparaissait ainsi : 


Tableau 3. 


























Multiplication. — Pour multiplier par 10, 100, 1.000, ete., on 
n'avait qu'à faire avancer tous les cailloux d'un, deux ou trois 
rangs. S'il s'agissait de deux nombres quelconques, voici, sans 
doute, comment on opérait. Soit à multiplier 342 par 27 (tableau 4). 
Le nombre 342 étant inscrit, on le multipliait d'abord par 7f. 
Ce produit partiel, 2.394, facilement obtenu par un mouvement 
de cailloux qu'il serait fastidieux d'expliquer, on faisait glisser 
ceux-ci plus bas, en les laissant dans leurs colonnes respectives. 
Puis, avec d’autres cailloux, on inscrivait de nouveau 342, mais 
en le faisant avancer d’un rang pour le multiplier par les deux 
dizaines, c’est-à-dire qu'on inscrivait 3.420. La nouvelle multi- 
plication étant faite et donnant 6.840, on faisait comme aupa- 
ravant glisser les cailloux, qui venaient se mélanger aux 
premiers. On avait ainsi le produit total 8. 11.13. 4. Il n'y avait 
plus qu’à simplifier par 9.234, en enlevant dans chaque colonne 
les dizaines de cailloux, pour les remplacer par des cailloux 
uniques à la colonne suivante. Et ainsi de suite, si les chiffres du 
multiplicateur étaient plus nombreux. La simplification pouvait 
se faire à chaque fois, ou seulement à la fin, au gré de l'opérateur. 


1. L'usage avait assez appris quels étaient les produits des neuf premiers nombres 
multipliés les uns par les autres, pour que la prétendue table de Pythagore ne fût 
nullement nécessaire à la pratique des opérations. 


den à 











4 
RE | 








4 M C 
= EI Le] 
= El L 
= = 
= l 
3 4 2 




































































| = E 
L = L | 
= [| E 
L] = L] 
Er | 
L E 
= | 3 
L | 
6 8 4 0 
LI E EEE & 
a L | ES. = 
= EE = 
L] 
Total.. 8 41 43 4 








22 


Division.— La division n’était pas beaucoup plus compliquée. 
Il n’y a qu’à la concevoir de même d'après notre opération à 
nous. Soit à diviser 6.243 par ?9, je suppose; il est probable 
qu'on sériait les calculs comme nous le faisons en cherchant le 
quotient de 62 par 29 ét en posant ? cailloux dans le bas de 
la colonne C. On faisait, comme nous, du même coup, la multi- 
plication et la soustraction. La seule différence était que le divi- 
dende et les restes successifs ne restaient pas inscrits, et se 
transformaient en se réduisant dans le haut du tableau, jusqu'à 
ce que le dernier fût obtenu. On suivra facilement la méthode 
en considérant les tableaux de la page 23 qui 694,3 29 


représentent les phases successives de l'opération, 44I— 
et en les comparant à l'opération moderne figurée 15 ° 215 
ci-contre. 


On voit que, contrairement à ce que l’on est porté à supposer 
de prime abord, le maniement d'un semblable appareil n’était 
pas d’une grande complication. Pour calculer ainsi, il n'était 
même pas besoin d’avoir une plaque de marbre ou de métal 
préparée d'avance. Quelques lignes tracées à terre sur le sable 
suffisaient ; et ce mode de calcul devait être, par cela même, de 
beaucoup le plus usité!. | 


1. L’extraction des racines carrées, à une unité près, pouvait aussi fort bien 
s'effectuer avec ces abaques, au moyen des opérations successives de soustraction 
et de division que comporte cette recherche. Un certain Nicolas Artavasdi, de 
Symrne, dit Rhabdas, auteur byzantin du x1v° siècle, dont M. P. Tannery a publié, 
en IS86, deux petits traités de calcul, documents inédits et uniques dans leur genre, 
énumère ainsi ces opérations (2° lettre sur l'arithmétique, T) : 

« Je retranche du nombre proposé le carré qui en est le plus voisin, puis je 
double la racine de ce dernier et je divise les unités qui restent du carré non exact 
après le retranchement du carré exact, par le double de la racine de ce dernier ; 
les fractions ou quantièmes que donne cette division, je les ajoute à la racine 
trouvée pour le carré exact, et je dis que j'ai ainsi la racine du carré non exact. » 

© 'Exé%o aTrd ToÙ Gnrouué vou (?) ap “buoù TOY ÉVYIGTA TOUT TAPAXEWEVOY 
jvoy, sito drAactaCo TV TOUTOU rhevp 4 KA! ne évarokerpOeious Hova Das 
où Dr, 4 1n0oùs TETEAYOVON, ÊTEXELVE Dnhevér! TOÙ EN pepio cie FAY 
V << À couv > Toù AAN0OÙS Tete ZYOVOU, AU! edpe 
TOÙ [LEPLOUOÙ TUVATT © T} edcebeton he vp& TOÙ &À n0oùs rETo1YOVOU xa ‘5 ET) 
TOG AT NY ELVL x0! ThY T}e VELV TOÙ Un) 4 n0oùs ETOAYEOVO U,. ) 

Le même Rhabdas Fe aussi des exemples d'opérations sur les nombres 
fractionnaires (2° lettre, 3 à 6). Ces opérations, qui comportaient comme les nôtres 
des réductions au même dénominateur, ont ceci de particulier que les nombres 
fractionnaires étaient, en général, donnés en sommes de quantièmes, c’est-à-dire de 
fractions ayant pour numérateur l'unité. Il y avait à convertir, avant toute autre 
opération, ces sommes de quantièmes en fractions ordinaires; puis le résultat frac- 
tionnaire final seramenait inversement à un nombre exprimé en somme de quantièmes. 


a 
= 

5 
© mail 


/ 
4} 
T 
\ 
\1] 


“ Sa A+ 4 
3 1 


eo 
= 


Ga. 





1°" reste. 





1° quotient 







































































1‘ reste 
2° quotient 2° reste. 1 5 3 
3° quotient = ëä 8 
B 5En 
[| 
2 1 5 
| M C X I 
| 
= | 
ES 
=. 
__ (8) 
3" reste. 8 
Quotient m æ = | 
= 5. 
Le] 





IV. — Divers types d'abaques. 


Mais il y avait d'autres types d’abaques. L'un, construit 
d'après un procédé ingénieux, était un système plus spécialement 
romain. N'ayant besoin que d'un petit nombre, invariable, 
d'éléments mobiles, il constituait un appareil dont faisaient 
partie ces petits éléments, remplaçant les cailloux : c’étaient de 
petits boutons glissant dans des rainures. On connait quatre ou 
cinq spécimens de ce genre d’abaques, qui ont été conservés !. 

Je me contente de figurer celui qui a été décrit par Grüter 
et celui qu'a découvert M. Rangabé en 1846. 


OTTTTENT 


Re «cho «y b QN Se ME «Sr 





Fig. 1. — Abacus romain, mentionné par Grüter. 


Le premier est en métal et a comme dimensions 35 centimètres 
sur 42 (fig. 1)°. 

C'est une plaque striée d’une rangée de huit longues rainures, 
au-dessus et en face desquelles sont huit autres rainures plus 


1. 1° Abacus métallique ayant appartenu à Welser, publié dans ses œuvres (1682) 
et reproduit par Grüter (p. 224) et par Pignorius (De Servis, Amsterdam, 1674, 


p. 165 et 340). C’est celui qui est décrit ici. — 2° Abacus romain, ayant appartenu 
à Ursinus, mal dessiné par Pignorius (1. ce. p. 339). — 3° Abacus romain, appar- 
tenant au musée Kircher, reproduit dans le Dictionnaire de Saglio. — 4 Abacus 
romain, actuellement au Cabinet des médailles de Paris (De Molinet, Cabinet 
Sainte-Geneviève, Paris 1692, p. 23. PL. I.). — 5° Abacus athénien, découvert par 


M. Rangabé et reproduit ici. 
2. Cf. Marquardt, Vie privée des Romains, t.1, p. 19, trad. Henry. 





SEL Os 


<t 


courtes. Dans chacune des premières sont engagés quatre 
boutons mobiles, sauf dans la huitième, la plus à droite, qui en 
porte un de plus. Les rainures supérieures portent toutes 
uniformément un seul bouton. Entre chaque rainure inférieure 
et la rainure supérieure qui lui correspond se trouve, en allant 
de droite à gauche, d’abord le signe e qui exprime lJ’once ou 
1/12 de l’as!, puis les chiffres I, X, etc., marquant les puissances 
de 10 jusqu’à un million *?. 

Quand la plaque ne marque aucun nombre, les boutons des 
rainures inférieures sont enfoncés vers le bas et les uns contre 
les autres ; ceux des rainures supérieures sont de leur côté tous 
poussés vers le haut. Les unités d’un certain ordre, quand elles 
ne dépassent pas quatre, se marquent en poussant vers le haut 
un certain nombre de boutons (un, deux, trois ou quatre) dans 
la rainure inférieure correspondante ; et si l’on fait descendre le 
bouton de la rainure supérieure, il désigne 5 unités. On peut donc 
avec ces » boutons représenter toutes les unités d’un ordre de 1 à 9. 
Pour les onces (première colonne à droite), on peut marquer de 
1 à 11, parce qu'il y a 5 boutons au lieu de 4 dans la rainure 
inférieure et que le bouton isolé vaut 6. La disposition des 
boutons (fig. 1, à droite) représente 2.630.854 as et 7 onces, ou 
2.630.854 unités et 7/12 5. 

Les boutons des trois petites rainures à droite, qui sont 
marquées :S', J, -Z:, valaient, selon Grüter, quand ils étaient 
poussés vers le haut, pour la première *S', une demi-once 
(semuncia) *, pour la seconde, 9, un quart d'once (sicilicus), et 
pour la troisième -Z:, un tiers d’once (duella). 

Avec cette possibilité d'évaluer les fractions jusqu'au sicilique, 
c'est-à-dire jusqu’au 1/48 de l'unité, on arrivait dans les calculs 


1. V. ci-dessus, p. 14. 

2. On peut prendre n'importe quoi pour unité : Sive asses, sive quid aliud (Grüter). 
Pour les signes numéraux de la figure v. ci-dessus, p. 12 et 14. 

3. On à remarqué la grande analogie de ce type d'abacus avec une table à calcul 
chinoise, très ancienne, le suan-pan. C'était un cadre avec des boules enfilées dans 
des tringles de fer, et où l'on comptait aussi par unités décimales et par unités 
quinaires. Mais il y avait pour chaque rang 5 boules d’unités simples au lieu 
de 4 qui suffisent, et ? boules quinaires au lieu d’une. 

4 Le signe propre de la semuncia (V. ci-dessus, p. 14) était Z. Mais on conçoit 
qu'on ait pu souvent lui donner aussi le signe du semis, S. 


ev 


= 9 





XLOII1JV ag H à X 


T'ES A PRIT ONTIEX 


X19211JVaH y X 


Fig. 2. — Abacus athenien, découvert par Rangabé. 


prendre une unité convenable !. D'autres abaques du même 
type pouvaient d’ailleurs descendre à des sous-unités bien plus 


1. Ainsi les calculs de Frontin (De Aquis, 39 à 63) pour les tuyaux de distribution 
d'eau évaluent les diamètres en digiti et fractions de digiti. Le digitus étant égal à 
0*,019, le 1/48 est déjà une bien petite valeur. 


‘4 
à une approximation très suflisante; il ne s'agissait que de 


an “mit Hd st di Sd 


RL OTEe 


petites, et avoir des rainures correspondant au scripulum et à 
la siliqua, soit au 1/288 et au 1/1728 de l'unité. Le modèle décrit 
ici devait servir plus spécialement aux commerçants et aux 
banquiers. En raison de ses dimensions, ce ne devait pas être, 
en effet, une tablette bien portative, et il très possible qu'il s’en 
fit de plus petites, précisément à l'usage de ceux qui avaient 
à calculer sur un terrain d'opérations, c'est-à-dire des géomètres, 
ingénieurs et architectes. Enfin, je serais volontiers porté à 
croire pour ces abaques à des combinaisons très variées, suivant 
les calculs spéciaux auxquels ils devaient servir. C’est ainsi 
que l’abaque athénien découvert en 1846, par M. Rangabé, 
à Salamine, ne ressemble que d'assez loin à celui de Grüter. 
Il avait d’abord été pris pour une table de jeu*, et peut-être, en 
effet, pouvait-il servir aux deux usages, jeu et calcul. 

C'est une plaque de marbre, (fig. 2), longue de 1,50, large 
de 0%,75. « À une distance de 0®,25 du bord supérieur, il 
y à cinq lignes parallèles, longues de 0®,27, distantes entre elles 
de 0%,03. À une distance de 0",50 au-dessous de la dernière de 
ces cinq lignes, il y en a onze, distantes entre elles de 0,035. 
Une ligne transversale coupe ces onze lignes perpendiculairement 
et en deux parties égales. La troisième, la sixième et la 
neuvième de ces lignes sont marquées d’une croix à leur point 
d'intersection. Ces croix, ainsi queles chiffres tracés sous la ligne 
inférieure, sont longues de 0,02; la distance de ces chiffres 
entre eux est de 0,05. Les chiffres des lignes latérales sont 
longs de 0,013 et distants de (*,04. » M. Rangabé pensait y 
voir un échiquier. Consulté par lui, M. Letronne reconnut 
facilement dans les chiffres gravés sur la plaque les sigles 
définis plus haut (V. ci-dessus p. 11), servant à compter des 
unités monétaires, depuis le talent T; jusqu'au yæxos, X, chalque, 
monnaie de cuivre, le 1/6 de l’obole, qui est elle-même marquée I. 
On y voit aussi figurer la 1/2 obole C, et le 1/3 d'obole T*. 


1. V. Revue Archéologique, IS46, 1, p. 295-305-4101. Articles de MM. Rangabeé, 
Letronne et Vincent : Un abacus athénien. 

2, L'abacus de Grüter présente lui-même certaines analogies avec nos marques de 
jeu de piquet, ou avec la table du trictrac. 

3. Remarquons que ce tritémorion, ou triton,est marqué du même signe que le talent ; 
mais la confusion n'était pas possible, à cause du rang où est placé ce second T par 
rapportauxautressigles. Ilen est de même de X, qui désigne 1000 drachmeset 1/6d’obole. 


COR EE 


La conclusion de M. Letronne fut que cette table était un 
abaque à l'usage de quelque banquier, tpaxebirns. Enfin, une 
solution plus générale fut dognée par M. Vincent qui, se rangeant 
à l'opinion de M. Letronne, se garda pourtant d'exclure l'idée 
mise en avant par M. Rangabé, et déclara que cet abacus avait 
pu servir à la fois à des calculs d'argent et à un jeu de l’espèce 
du trictrac. 

Pour les calculs de sommes d'argent, il est facile de voir que 
la ligne transversale permettait de compter et d'effectuer les 
opérations comme sur l’abacus romain de Grüter, avec les 
cinq jetons, quatre d'un côté, un de l’autre, pour chaque ordre 
d'unités décimales. « L'analogie nous porte à penser, dit M.Vincent, 
qu'outre l'usage spécial de la table pour la supputation des 
monnaies, elle en avait un plus général, c’est-à-dire qu'elle 
servait à compter toute espèce de quantités (asses sive quid 
aliud) » Quant aux croix, marquées sur la ligne transversale à 
l'intersection de quelques-unes des onze lignes parallèles, 
M. Vincent en donne plusieurs explications, relatives à l'emploi 
comme table de jeu. Ne serait-il pas plus simple d'y reconnaitre 
des points de repère destinés à marquer les divers ordres 
d'unités, de même que nous séparons par des points nos 
tranches de trois chiffres? Dans ce cas voici comment j'expli- 
querais le fonctionnement de la table. Les jetons se mouvant sur 
les lignes, la première ligne à droite ! servait au 1/6 d'obole (et au 
1/3 — 2/6) avec 3 jetons, celui du haut — 3; la seconde au 1/4 
d'obole (et à la 1/2) avec 2 jetons, celui du haut — ?; la troisième 
à l’obole, avec 3 jetons, celui du haut valant 3. La première 
croix marquerait donc la ligne des oboles;la deuxième croix 
centrale, marquerait les centaines de drachmes, la dernière les 
centaines de mille drachmes, tandis que les deux dernières 
lignes permettaient d'écrire les millions et les dizaines de 
millions. Quant aux cinq lignes parallèles situées sur la gauche ?, 
elles auraient servi, à ce que je présume, non au calcul des 


1. En supposant la figure retournée transversalement et le tableau en question 
placé à droite. 

2. Ou à la partie supérieure, si l'on envisage la figure telle qu'elle est ici disposee, 
et comme la considérait M. Rangabé. 





Le 


fractions de la drachme, comme le pense M. Vincent, mais à 
tous les calculs accessoires intervenant dans les opérations, par 
exemple à l'inscription des produits ou restes successifs de la 
multiplication ou de la division!. 


V. — Calcul par les doigts. 


Tout ce qui vient d'être dit tend à démontrer que les anciens 
avaient pour effectuer leurs calculs des moyens expéditifs et 
variés. Ces moyens ne valaient pas les nôtres, c'est entendu, 
mais il ne faudrait pas exagérer l’infériorité. On ne se rend peut- 
être pas assez compte des ressources qu'offre un appareil à 
calcul qu’on a pris l’habitude de manier : l'usage en devient non 
seulement facile, mais, à proprement parler, machinal*. Ajoutons 


1. Je ne reproduis pas les raisonnements de M. Vincent vour expliquer le double. 
emploi calcul et jeu. Mais cette idée ne semble pas devoir être rejetée. Et, à ce 
propos, n'est-il pas permis de se demander siles nombreux dessins linéaires que l’on 
voit gravés sur les dalles, soit au forum romain le long de la basilique Julia, soit 
ailleurs au milieu des ruines des villes antiques, et qui ont toujours été considérés 
comme des figures de jeux, n'auraient pas servi également de tables à calculer? La 
chose vaudrait peut-être la peine d’être examinée de près. 


2. C’est ainsi que la règle à calcul, que manient gauchement et sans précision 
ceux qui n'en ont pas l'habitude, rend d’inestimables services aux entrepreneurs et 
aux chefs de chantiers, qui calculent ainsi avec une précision étonnante, et 
dédaignent les autres moyens. De même l'emploi de l’abacus, par la commodité 
qu'on y trouvait, fut peut-être l'obstacle à l'invention d’un système de nimération 
fondé comme le nôtre sur l'emploi de neuf signes simples et du zéro. On en était 
tout près cependant, puisque Pabacus lui-même n'était autre chose que la disposition, 
par colonnes, des divers ordres d'unités, avec le vide laissé pour l’ordre manquant. 
Même d'après Delambre (Histoire de l’Astronomie ancienne, tr. 1) et Th. Henri- 
Martin (Origine de notre système de numération écrite, Revue archéologique, 
1856-57, 11), le zéro, avec la même forme ronde et un usage parfaitement analogue, 
aurait été employé dans la notation des degrés du cercle et des divisions sexagésimales 
du degré, pour indiquer l’absence d'unités d’une certaine espèce dans le nombre 
complexe. Pourquoi les anciens ne l’ont-ils pas employé ailleurs ? C’est qu’il en est 
ainsi de bien des inventions ; on ne découvre leur emploi le plus pratique qu’après 
les avoir appliquées longtemps à des usages exceptionnels. Dans les derniers siècles 
de l'empire romain, le zéro grec dut s’introduire dans les places vides de l’abacus 
pour marquer qu'elles étaient laissées vides avec intention et non par oubli. « Dans 
les manuscrits des traités latins de l’abacus, dit Th. Henri-Martin, le zéro se trouve 
tantôt avec le nom latin rotula, qui exprime sa forme, tantôt avec un autre nom, 
sipos. qui, suivant l'étymologie la plus vraisemblable, vient du grec vos. » D'après 
le même auteur, on n'emprunta donc aux Arabes, ni les neuf premiers chitires 
puisqu'ils seraient dérivés, avec quelques modifications, des apices pythagoriciens 
(V. ci-dessus, p. 16), ni le zéro, sauf son nom, sahrà sifr, espace vide, ce qui 
indique tout simplement le vide de l’abaque pythagoricien, emprunté par les Arabes 

4 


— 30 — 


que les anciens suppléaient encore à la facilité qu'ont nos 
chiffres d'être disposés pour le calcul, par leur habileté à 
compter sur les doigts : « Le calcul par les doigts, usuel en Italie 
comme en (Grèce, et pratiqué d'ailleurs encore au moyen âge, 
consistait à exprimer par dix-huit figures de la main gauche 
les neuf unités et les neuf dizaines, par les dix-huit figures de 
la main droite les neuf centaines et les neuf milliers, et enfin 
les nombres 10.000 et au-dessus, en touchant avec l'une des 
deux mains une partie déterminée du corps ! ». Il est probable 


aux Occidentaux. Le mot sahrà est devenu séro, et le mot sifr, en grec totopx, en 
français chiffre, a fini par être appliqué abusivement aux neuf autres caractères 
numériques. Ainsi Th. Henri-Martin, dans l’importante étude citée plus haut, fait 
justice de cette légende si longtemps accréditée de l’origine arabe de notre numération 
écrite moderne : celle-ci remonterait uniquement à la tradition gréco-latine. 


l. Marquardt, Vie privée des Romains, p. 116. On peut se reporter aux sources 
que cet auteur indique : Nixohtou ‘Esuuvalou Exgouots uxtuAtxnd uetoov (Schneider, 
Eclog. phys. 1, p. 477, suiv.); Beda, De loquela per sectum digitorum et temporum 
ratione (Bed. op.Colon, 1612, 1, p.127 suiv.). — Rôdiger (Zahresber. d. dtsh. morgen- 
länd. Gesellsch. f. 1845, Leipzig, 1846, in-S°). 

Voici d’ailleurs une indication complète de la numération par les doigts donnée 
par Rhabdas (Notices et extraits des manuscrits de la Bible nationale, P. Tannery, 
Deux leltres de Rhabdas sur l'arithmétique, V° lettre. 3) : 

« Voici comment on marque les nombres sur les mains ; la gauche sert toujours 
pour les unités et les dizaines, la droite, pour les centaines et les mille ; au delà, il 
faut se servir de caractères, car les mains ne peuvent plus suffire à représenter les 
nombres. 

« En fermant le premier doigt, le petit, appelé myope, et en étendant les quatre 
autres et les tenant droits, tu as à la main gauche une unité, à droite un mille. 

« En fermant avec le même doigt, le second qui suit, et qu’on appelle paramèse 
et épibate, les trois autres restant ouverts, comme je l'ai dit. tu as à ta gauche deux, 
à ta droite deux mille. 

« En fermant le troisième, le sphacèle, ou doigt du milieu, avec les deux premiers, 
et en laissant étendus les deux autres, l'index et le pouce, tu as à gauche trois, à 
droite trois mille. 

« En fermant seulement le doigt du milieu et le paramèse, c'est-à-dire le second 
et le troisième, et en laissant ouverts les autres, le pouce {avr{yetc), l'index (A:yzvés) 
et le myope, tu as à gauche quatre, à droite quatre mille. 

« En fermant seulement le troisième ou doigt du milieu, et en étendant les quatre 

autres, tu as à gauche cinq, à droite cinq mille. 
© « En fermant seulement l’épibate ou second doigt, les quatre autres étant ouverts, 
tu as à gauche six, à droite six mille. 

« Maintenant, en tendant le myope ou premier doigt, de façon à toucher la paume 
et en tenant droits les autres, tu as sept et sept mille. 

« En tendant en outre de même le second ou puramèse, et en l’inclinant jusqu’à 
le rapprocher au plus près du creux de la main, et en laissant droits, comme j'ai 
dit, les trois a1tres, le troisième, le quatrième et le cinquième, tu figures à gauche 
huit, à droite huit mille. 

« En donnant au troisième doigt la mème position qu'aux deux premiers, tu as à 
gauche neuf, à droite neuf mille. 

« Maintenant, en ouvrant le pouce sans le dresser, en le dirigeant un peu de côté, 
et en pliant un peu l'index jusqu’à ce qu’il touche la première jointure du pouce, de 


facon à figurer la lettre 5. les trois autres doigts ayant leur ouverture naturelle et 


UE 2 CERTES DL Vert » 


— 31 — 


d’ailleurs, que les termes de digili et d'arliculi, par lesquels on 
désignait chez les Latins, d'une part les unités, d'autre part les 
dizaines et les puissances de 10 ‘, provenaient de l'usage de ce 
genre de calcul. 


Le digitus était le doigt tendu, articulus, le doigt plié. On 
conçoit assez bien qu’en tenant la main levée ou baiïssée, en 
pliant ou en tendant séparément les doigts, on püt arriver à 
constituer dix-huit figures de chaque main ?. Mais il y fallait 
une certaine dextérité qui ne s'acquérait pas sans peine. 
Quintilien (1, 10.35) insiste sur la nécessité d’un apprentissage 
sérieux pour l'avocat qui veut à la barre effectuer des calculs 


n'étant pas séparés les uns des autres, mais réunis, tu marques à gauche dix, à 
droite cent. 

« En étendant en ligne droite et debout le quatrième doigt ou index de façon à 
figurer la lettre I, les trois premiers restant unis, mais un peu inclinés et formant 
un angle avec la paume, enfin le pouce dépassant ces derniers et touchant l'index, 
tu marques vingt et deux cents. 

« L’index et le pouce étendus et inclinés de facon à se toucher par leurs extrémités 
tandis que les trois autres doigts sont unis et étendus suivant leur position naturelle, 
signifient trente et trois cents. 

« Les quatre premiers doigts étendus directement, tandis que le pouce figure la 
leitre V en dépassant l'index du côté extérieur, signifient à gauche quarante, à 
droite quatre cents. 

« Les quatre premiers doigts étant de même ouverts directement et réunis, tandis 
que le pouce figure la lettre F du côté intérieur sur la base de l'index, signifient 
cinquante et cinq cents. 

« En partant de la même figure et en pliant en cercle l'index autour du pouce de 
façon à lui faire toucher la phalange intermédiaire entre la première et la seconde 
jointure, tandis que l'extrémité de l’index va toucher la base du pouce, on marque 
soixante et six cents. 

« Les trois premiers doigts étant ouverts de la façon que nous avons indiquée à 
plusieurs reprises, le pouce appliqué contre l'index, et ce dernier embrassant en 
hélice l'extrémité du pouce, signifient soixante et dix et sept cents. 

« Les trois premiers réunis et inclinés en angle du côté de la paume, le pouce 
dépassant le doigt du milieu ou troisième, touchant la troisième phalange (celle contre 
la racine) de ce doigt, et appliqué sur la paume, tandis que l’index, disposé au-dessus 
du pouce et plié autour de la première jointure de ce dernier, touche de son extrémité 
la base du pouce, on signifie quatre-vingts et huit cents. 

« Enfin, si l’on ferme le poing, le pouce restant droit, puis qu'on étende les trois 
premiers doigts en laissant l'index dans la position que lui a donnée la fermeture 
du poing, on figure à gauche quatre-vingt-dix, à droite neuf cents. » 


L. « Digitus est omnis numerus minor decem.Articulus est omnisnumerus qui digitum 
decuplat, aut digiti decuplum,et sic in infinitum. Separantur autem digiti et articuli 
in limites. Limes est collatio novem numerorum qui aut digiti sunt, aut digitorum 
aeque multiplices, quilibet relativi. Limes itaque primus digitorum. Secundus primo- 
rum articulorum. Tertius est secundorum articulorum. Et sic in infinitum. Numerus 
compositus est qui constat ex numeris diversorum limitum. Item numerus compositus 
est qui pluribus figuris significativis repraesentatur. » (Schoner, Cologarithmus 
demonstralus. — Chasles, ouv. cité, p. 466, Notes.) 


2. V. ci-dessus, p. 30, note I. 


HU EE 


avec assurance et sans gaucherie !. Et, en effet, il fallait bien 
de la précision et de la justesse dans ces mouvements, pour que 
le public pütles distinguer nettement et en suivre la succession 
sans effort. En somme, quelque habile qu'on fût, il était difficile 
de pousser bien loin les calculs avec ce système rudimentaire. 


De ces diverses considérations sur l’arithmétique des anciens, 
il résulte en définitive ceci, qui importe beaucoup à notre 
sujet, que les ingénieurs romains pouvaient effectuer leurs 
calculs avec une rapidité et une exactitude très comparables à 
celles que l’on obtient de nos jours, et que d'autre part, d'après 
ce qui a été dit au début du chapitre, l’état äes connaissances 
arithmétiques, à l'époque que nous considérons, leur permettait 
d'aborder et de résoudre toutes lesquestions qui, dans la pratique 
des travaux publics, se rapportent directement à cette science. 


1. « Non dico si circa summas trepidat, sed si digitorum saltem incerto aut 
indecoro gestu a computatione dissentit, judicatur indoctus. » 


GHAPICRE.- D 


GÉOMÉTRIE 


I. — Géométrie théorique. 


Le philosophe Thalès, né probablement en Phénicie, contem- 
porain de Solon et de Crésus!, était allé s’instruire en Egypte 
des principes de la géométrie, et s'était établi ensuite à Milet 
pour y enseigner cette science; mais il ne l'avait guère poussée 
au delà des premiers rudiments relatifs à la ligne droite et 
au cercle. Pythagore en fit un corps de doctrine à la fois plus 
étendu et plus méthodique. C’est à lui qu'on dut, entre autres 
propositions fécondes, le théorème du carré de l'hypoténuse et 
l'énoncé de la propriété qu'ont le cercle et la sphère d'être des 
maxima parmi les figures d’aire équivalente pour celle-ci, et 
de périmètre équivalent pour celui-là: c'était le premier germe 
de la méthode des isopérimètres. Platon?, formé aussi dans les 
sciences mathématiques par les prêtres égyptiens, introduisit 


1. Pour la discussion sur la date exacte et le lieu de sa naissance, v. Zeller, 
Philosophie des Grecs, trad. Boutroux, p. 197-98. 


2. Diogène Laërce, 11, 6 — Cicéron, De finibus, v, 29. 

Les voyages de Platon, en Egypte et en Italie durèrent pendant les dix ou douze ans 
qui suivirent la mort de Socrate, c’est-à-dire de 400 à 488 avant Jésus-Christ, environ. 
On peut croire qu’il séjourna en Egypte au moins cinq ou six années, ce qui lui permit 
de s’instruire à fond des connaissances égyptiennes. Et à ce propos, il est bon 
d'écarter le préjugé assez répandu d’après lequel les Egyptiens auraient possédé un 
Savoir scientifique immense, comparable à la science moderne, qu'ils auraient gardé 
jalousement et qui ne se serait transmis que fort restreint aux autres peuples. Il 
est inadmissible que les philosophes grecs qui allaient s’instruire en Egypte, entre 
autres un Platon, que Son extraordinaire intelligence rendait capable de tout voir 
et de tout comprendre, n'aient pu rapporter en Grèce qu'une si petite part de ce 
fameux savoir encyclopédique, 


— 34 — 


dans la géométrie grecque la méthode analytique !, l'étude des 
sections coniques (ellipse, parabole et hyperbole), et le concept 
fécond des lieux géométriques. Ces théories, qu'on désigna 
dans leur ensemble sous le nom de géométrie transcendante, 
Éfoyos Jewuetpiæ, conduisirent à la découverte (due à Platon ou 
à ses disciples) d'un certain nombre de courbes savantes et 
d'instruments permettant de déterminer pratiquement quelques- 
unes d’entre elles. 

Depuis lors la géométrie ne cessa de progresser jusqu'à 
Euclide ?, qui réunit dans son clair traité toutes les propositions 
connues avant lui. C’est à Euclide qu'il faut attribuer la méthode 
de la réduction à l'absurde, consistant à prouver que toute 
proposition contraire à une proposition énoncée conduit à quel- 
que contradiction. La plupart des propositions de la géométrie 
élémentaire telle qu’elle est encore enseignée de nos jours se 
trouvent contenues dans le livre des Eléments * d'Euclide. Les 


1. Viète, au commencement de son Zsagoge in artem analyticam, caractérise 
ainsi les deux méthodes des anciens : « 11 est en mathématiques une méthode pour la 
recherche de la vérité, que Platon à nommée analyse, et qu’il a définie ainsi : garder 
la chose cherchée comme si elle était donnée, et marcher de conséquences en consé- 
quences, jusqu'à ce qu'on reconnaisse comme vraie la chose cherchée. Au contraire, 
la synthèse se définit: partir d’une chose donnée, pour arriver, de conséquences en 
conséquences, à trouver une chose cherchée. » M. P. Tannery, à la vérité, ne 
considère pas cette définition de l’analyse comme une découverte mathématique. 
Platon n'aurait pas été, à proprement parler, un mathématicien. Il aurait plutôt 
essayé de tirer des procédés de la géométrie des formes de raisonnement applicables 
en philosophie. (Dictionnaire de Daremberg et Saglio, art. Geometria.) 


2. On ne connait pas exactement la date de sa naissance et de sa mort, non plus 
que les circonstances de sa vie. On sait seulement qn'il ouvrit une école à Alexandrie, 
en 520 avant Jésus-Christ, sous le règne de Ptolémée, fils de Lagos. 


3. Les Eléments comprennent treize livres, précédés de quelques définitions (lignes, 
angles, cercles, triangles, quadrilatères, etc.), les axiomes où communes sentences, 
tels que : Les choses égales à une même chose sont égales entre elles, ete. — Voici 
un aperçu de la matière de chaque livre : 

Liv. I®:Sur une ligne droite donnée, décrire un triangle équilatéral. — Egalité 
des triangles. — Mener une perpendiculaire à une droite. — Angles égaux opposés 
par le sommet. — Parallélisme. — Egalité des parallèles dans les parallélogrammes. 

Liv. IT: Triangles oxygones et amblygones. — Carrés des côtés de l’angle aigu, 
droit, obtus. — Carrés. — Figures équivalentes. 

Liv. III : Cercle. — Trouver le centre d’un cercle. — Tangentes et sécantes. — 
Angles opposés des quadrilatères inscrits égaux à deux droits. — Tangente moyenne 
proportionnelle entre la sécante et sa partie extérieure. 

Liv. IV : Polygenes inscrits et circonserits au cercle. 

Liv. V : Rapports et proportions. 

Liv. VI:Similitude des triangles. — Diviser une ligne en moyenne et extrême 
raison. 

Liv. VII, VIII, IX: Théories arithmétiques. 





1 
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| 


— 939 — 


Eléments étaient complétés par le livre des Données, sorte de 
recueil de corollaires pratiques. Euclide avait encore écrit 
quatre livres sur les Sections coniques, dont les mathématiciens 
regrettent vivement la perte, car il en avait considérablement 
développé la théorie, et trois livres de porismes, genre de pro- 
positions dont on n’a pas une idée très nette. On pense qu’ « un 
recueil de porismes était un tableau des diverses propriétés ou 
expressions différentes des courbes, et que ce tableau présentait 
les transformations de ces propriétés les unes dans les autres f ». 
La doctrine des porismes aurait été la géométrie analytique 
des anciens, et il n'aurait manqué à Euclide que l'usage de 
l'algèbre pour créer les systèmes de coordonnées, qui datent 
de Descartes. 

Un demi-siècle environ après Euclide, parut Archimède?, que 
l'on regarde, autant qu'il est possible de se prononcer, comme 
, le plus grand génie mathématique de l'antiquité. C'est à lui que 
sont dus les théorèmes sur les relations des éléments de la 
sphère avec ceux du cylindre circonscrit, sur la mesure du 
cercle *, sur les volumes des segments des sphéroïdes et des 
conoïdes * paraboliques ou hyperboliques, sur les spirales ou 
hélices, la proportion de leur aire avec celle du cercle et la 
manière d'en mener les tangentes, sur le centre de gravité des 
figures planes, sur la quadrature de la parabole’, premier 


Liv. X : Grandeurs incommensurables. 

Liv. XI: Plans, — Similitude et proportionnalité des solides. 

Liv. XII : Polygones inscrits semblables, leur rapport. — Mesure de la pyramide. 
— Les cônes et les cylindres de même hauteur sont entre eux comme leurs bases. 

Liv. XIII :Le pentagone équilateral inscrit est incommensurable avec le diamètre. 
— Pyramide, octaèdre et cube, inscrits dans la sphère; rapport du côté avec le 
diamètre de la sphère. 

l. Chasles, Des méthodes en géométrie, note 3, p. 277. — Cf. du même auteur : 
Les trois livres des porismes d’Euclide. Paris, Mallet, 1880. 

2. Archimède (287-212 av. J.-C.), né en Sicile, où il paraît avoir passé toute sa 
vie, mourut lors de la prise de Syracuse par Marcellus. Pour la liste de ses ouvrages 
qui nous restent, v. p. 2, note 2. 

3. Tout cercle est égal à un triangle rectangle, dont un des côtés de l’angle droit 
est égal au rayon de ce cercle, et dont l’autre côté de l'angle droit est égal à la 
circonférence de ce même cercle. 

4. Corps engendrés par la révolution de sections coniques autour de leurs axes. 


9. Un segment quelconque, compris par une droite et par une parabole, est égal à 
quatre fois le tiers du triangle qui a la même base et la même hauteur que le segment. 


ee 


exemple de la quadrature rigoureuse d'un espace compris entre 
une courbe et des lignes droites; enfin, sur la méthode des 
limites, qu'il appelait méthode d'exhaustion!, et qui est l’origine 
de l'analyse infinitésimale. Le premier résultat, immensément 
fécond, de cette méthode fut le calcul du rapport de la circon- 
férence au diamètre, rapport considéré comme la limite commune 
des polygones inscrits et circonscrits, dont Archimède multipliait 
respectivement à l'infini le nombre des côtés; de cette manière 
la raison du polygone circonscrit au polygone inscrit avait pour 
limite l'unité, c’est-à-dire que sa différence avec l'unité arrivait à 
être plus petite que toute quantité donnée. D'une façon générale, 
l'idée directrice d'Archimède fut de concevoir une grandeur 
comme étant comprise entre deux autres grandeurs, de telle 
façon que celles-ci puissent de part et d'autre s'en approcher 
continuellement, sans jamais se confondre avec elle. 

La gloire d'Apollonios de Perge ?, contemporain d’Archimède, 
balance presque celle de l'illustre Syracusain. Il est célèbre par 
son application de la géométrie à l'astronomie, et, en ce qui 
concerne la géométrie pure, par son admirable traité en huit 
livres sur les sections coniques. Cet ouvrage renferme la déter- 
mination des propriétés des asymptotes, des foyers de l’ellipse 
et de l'hyperbole, des théorèmes sur les diamètres conjugués, 
sur les points conjugués harmoniques, base de la théorie des 
polaires réciproques, et, ce qui est d’un usage universellement 
pratique, la question des maxima et minima, traitée avec une 
ampleur telle que l’on y retrouve presque tout ce que nous 
apprennent sur ce sujet les méthodes analytiques d'aujourd'hui. 
Les travaux d’Apollonios et ceux d'Archimède peuvent être 
considérés comme l'origine et le fondement des deux grandes 
questions qui ont l'une ou l'autre sollicité les recherches des 
plus grands mathématiciens, et qui constituent même la division de 


1. Cette méthode, déjà entrevue par Euclide, consiste à retrancher d’une quantité 
cherchée A une suite S, de termes finis, de sorte que la différence À — S, demeure 
inférieure à toute quantité donnée. C'est, en fait, l'évaluation de A sous forme de 
séries. 

2. Né à Perge, en Pamphylie, il vécut à Alexandrie sous le règne de Ptolémée 
Philopator (222-205 avant J.-C.). Les dates de sa naissance et de sa mort ne sont pas 
certaines. — Cf. Hültsch, art. Apollonios (R. E., de Pauly-Wissowa, p. 151-160). 





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— 31 — 


toutes les sciences mathématiques en deux classes. La premiere est 
la quadrature des figures curvilignes, qui a donné naissance au 
caleul de l'infini (Képler, Fermat, Newton, Leibnitz) et qui a été 
mise en avant surtout par Archimède; la seconde, celle des 
sections coniques, traitée par l’un et l’autre, plus spécialement 
toutefois par Apollonios, est le prélude de la théorie des 
courbes géométriques, déterminées par des intersections de 
surfaces (Descartes, Pascal, Bernouilli, Antoine Parent). 

Au temps même d’Archimède et d’Apollonios, et, après eux, 
la géométrie s'enrichit encore des découvertes d’Eraltosthène 
(284-204 avant J.-C.) !, de Nicomède (vivant vers 150 avant J.-C.), 
de Dioclès, de Théodose et de Geminus, ces trois derniers du 
premier siècle avant l’ère chrétienne*?. Le grand astronome 
Hipparque, qui n'est guère que de 50 ans postérieur à 
Archimède, fut amené par ses calculs sur le mouvement des 
astres, à ébaucher la trigonométrie, dont on avait déjà même 
quelque idée avant lui; mais il ne poussa pas fort loin les appli- 
cations de cette science #. On attribue parfois à Hipparque la 
division du cercle en 360 degrés, du degré en 60 minutes et de la 
minute en 60 secondes. D’autres croient cette invention beaucoup 
plus ancienne. Quand nous aurons dit de Geminus (vers 73-70 
avant J.-C.) qu'il étudia spécialement l’hélice usuelle, c’est-à- 


1. V. art. Eratosthène, dans la R.-E., de Pauly-Wissowa, t. VI, pp. 358-389. 


2. Nicomède est l'inventeur de la conchoïde, courbe ingénieuse, dont Newton se 
servit pour construire géométriquement les racines des équations du 3° et du 4° degré. 
A Dioclès on doit une courbe du même genre, la cissoïde, qu'il imagina pour résoudre 
le problème de la duplication du cube; il résolut, ainsi que Théodose, un certain 
nombre de problèmes intéressants sur la sphère. Quant à Eratosthène, il est connu 
surtout par ses recherches arithmétiques sur les nombres premiers: 


3. V. ci-dessus, p. 3. — « La corde de l'arc a été la seule ligne trigonométrique 
dont les anciens se soient servis. » (P. Tannery, Recherches sur l'histoire de l'astro- 
nomie ancienne, 1893, ch. 111, 7.) Hipparque avait calculé une table des cordes. « Il 
semble, dit aussi M. Paul Tannery (ibid.), qu'un tel travail avait dû être la consé- 
quence immédiate de celui d’Archimède sur la circonférence du cercle ; la comparaison 
de cette circonférence au diamètre appelait celle des arcs à leurs cordes, et on peut 
même supposer que le géomètre de Syracuse avait au moins abordé cette question 
dans le livre sur la circonférence, dont il ne nous reste qu'un fragment, sous le 
titre de Kÿxhou uéronotc. Nous savons, d'autre part, par Eutocius, qu'Apollonius, dans 
un ouvrage perdu, POxutoxtov, avait donné pour le rapport de la circonférence au 
diamètre une valeur plus approchée que celle d’Archimède. Dans la table des cordes 
de Ptolémée (liv. I, ch. 1x de la Syntaxe), nous trouvons les cordes calculées pour 
des arcs variant de 1/2 degré en 1/2 degré. Elles sont exprimées en fractions 
sexagésimales du rayon (compté pour 60 parties). » 


— 38 — 


dire la spirale décrite sur la surface du cylindre droit circulaire, 
et qu'il dressa en quelque sorte le bilan des sciences mathéma- 
tiques inventées jusqu'à son époque, nous n’aurons guère à 
ajouter que les noms de Ménélaos d'Alexandrie, et de Ptolémée, 
contemporain d’Hadrien, ce qui nous conduit vers la fin de la 
période que nous voulons examiner. Encore ces deux derniers 
sont-ils plutôt des astronomes que des géomètres proprement 
dits. Notre attention doit être attirée de préférence sur les 
savants qui ont appliqué la géométrie à des problèmes se 
rattachant directement aux travaux publics. 


Il. — Géométrie appliquée. 
Son étendue d'après les écrits de Héron d'Alexandrie. 


Proclus, et avant lui Anatolius, auteur du ri° siècle, citent l’un 
et l’autre, d’après Geminus, quatre sciences empruntant à des 
degrés divers les théories de la géométrie : la géodésie, l'optique, 
la mécanique et l'astrologie !. 

De ces quatre sciences, deux seulement ont pour nous un 
intérêt immédiat, la géodésie et la mécanique. La citation de 
Geminus qui a été fournie plus haut*® explique ce que les 
anciens entendaient par la géodésie, par comparaison avee la 
géométrie. Cette science, qui est en même temps un art 
(yzwdaigia, partage des terres), distinguée dès le temps de 
Pythagore de la géométrie théorique, se borna tout d'abord aux 
opérations d’arpentage; puis on y comprit tout ce qui concernait 
les mesures pratiques de surfaces et de volumes *. 

Pour connaître la valeur, le degré de perfection de cette 
science dans l'antiquité, et de l’art qui en était issu, nous avons 
en première ligne un ensemble de documents de la plus haute 


1. Ce mot est simplement synonyme de notre mot usuel astronomie. Il ne s'agit 
pas de l'astrologie divinatoire. 


2. V. ci-dessus, pp. 7 ets. 


3. Le mot a pris chez les modernes un sens très spécial que les anciens ne lui 
donnaient pas : la mesure exacte de la forme du globe terrestre. 


Pi 


39 


importance : c’est ce qui nous reste des œuvres de Héron 
d'Alexandrie. 

Héron d'Alexandrie, ou Héron l'Ancien, qui selon l’opinion la 
plus répandue, et je crois, la plus plausible, vivait aux alentours 
de l'an 100 avant Jésus-Christ, paraît avoir possédé un savoir 
extrêmement étendu. Une tradition, qui d’ailleurs n’est constatée 
que depuis l'époque bysantine, veut qu’il ait été disciple du 
physicien C'tésibios. On sait combien le génie inventif de ce 
dernier est admiré de Vitruve. Héron aurait profité beaucoup 
des doctrines de son maître, qu'à son tour il aurait exposées plus 
tard en les complétant par ses découvertes personnelles. A 
partir d'une certaine époque, le 11° ou le 11° siècle après Jésus- 
Christ, ses ouvrages firent négliger ceux, peut-être plus originaux, 
de Ctésibios?, qui finirent par se perdre. Saint Grégoire de 
Naziance (328-389) traduit sans doute l’opinion de son temps 
quand il cite * conjointement Euclide, Ptolémée et Héron comme 
représentant les trois grandes sciences, l’un la géométrie, 
l’autre l'astronomie et le troisième la mécanique. 


1. C’est l'opinion adoptée par Hültsch (Metrologicorum scriptorum reliquiae, 
Leipzig, 1864), par Cantor (Vorlesungen S.316), et — avec une tendance à rajeunir 
Héron de quelque 30 ans, — par Th. Henri-Martin (owvr. cité). On s'appuie sur 
Baldi (Heronis Ctesibii Belopoeëca. Augsbourg, 1616) que interprétait le titre du 
manuserit qu'il avait entre les mains "Hewvos Krast6tou Gelorottxa, par Balistique 
de Héron, disciple de Ctésibios. Mais cette interprétation est à présent fort discutée. 
MM. Carra de Vaux (Journal Asiatique, ® série, pp. 389 et 407; et P. Tannery 
(Bulletin des sciences mathématiques, xvn, 1, 1893) font de Héron le contemporain 
de Ptolémée l’astronome, lequel composa ses œuvres à partir de 128 après Jésus- 
Christ, c'est-à-dire sous le règne d'Hadrien. M. W. Schmidt (Heronis Alexandrini 
opera quue supersunt omnia, préface du t. I, p. xxiv) le croirait plutôt du 
premier siècle de l'ère chrétienne. Quoi qu'il en soit, il est certain que les théories 
émises par ce physicien et les appareils qu'il décrit étaient connus et en usage à 
l’époque romaine la plus féconde en grands travaux publics, c'est-à-dire au plus tard, 
vers le début du 11° siècle. 

En ce qui concerne les divers personnages ayant porté le nom de Héron, on est 
d'accord pour reconnaitre, indépendamment de plusieurs philosophes, médecins ou 
rhéteurs de diverses époques, deux physiciens seulement : Héron d'Alexandrie, celui 
dont nous nous occupons, et Héron de Constantinople (V. ci-après). 

Quant à Ctésibios, il y aurait eu un mécanicien de ce nom sous Ptolémée II 
Philadelphe. 285-287 avant J.-C. (Athénée IV, 174 c.). Mais le Ctésibios sur lequel 
les auteurs techniques postérieurs se sont appuyés, celui que cite Vitruve, et dont 
Héron a pu être l'élève, est bien contemporain de Ptolémée Evergète II, dit Physcon 
(+ 117 av. J.-C.); c'est l'opinion très ferme de Th. H. Martin, Hültsch et V. Rose. 
Sur cette identité de Ctésibios, v. W. Schmidt, (préface dut. I des œuvres de Héron), 
et P. Tannery (Revue des Etudes grecques, 1896, n° 33). 


2. Pline et Vitruve citent Ctésibios fréquemment et jamais Héron. 


3. Oraison funèbre de son frére Césaire, $ 26. (Choix de discours des Pères grecs, 
avec notice par E. Talbot, Paris, Delalain). 


— AÙ — 


Ce nom de Héron était fort répandu dans tous les royaumes 
grecs, et particulièrement en Egypte. Il est donc possible qu'il 
se soit produit à la longue quelques confusions, et qu'on ait 
attribué à celui-ci certaines œuvres de savants du même nom, 
plus récents. Cependant, d'après Th. Henri-Martin!, dont l'étude | 
sur Héron est consciencieuse et approfondie, si l'on connaît de 1 
ce nom plusieurs rhéteurs, plusieurs médecins, on ne peut citer, 
outre le disciple de Ctésibios, qu’un seul physicien, Héron de 
Constantinople, qui vivait au x° siècle de notre ère, sous 
Constantin Porphyrogwénète, et qui composa des traités sur les 
machines de siège, sur la géodésie et sur les cadrans solaires. 

Cet auteur s'est bien réellement appelé Héron, et n'a pas eu 
l'intention de publier ses œuvres, jusqu'à un certain point 





originales, sous l'estampille apocryphe de Héron d'Alexandrie. 
De nombreux compilateurs, il est vrai, ont recopié, résumé, 
remanié les Merox de Héron l'Ancien, et ces compilations 
ant toujours figuré sous le nom de l’auteur primitif. Mais 
M. Th. Henri-Martin a su judicieusement dégager ce qui appar- 
tenait à l'œuvre originale, de l'alliage souvent bien informe que 
les compilateurs y ont mêlé. D’après lui et de même, d'après 
MM. Carra de Vaux et Schmidt, on peut regarder comme 
authentiques une dizaine de ‘traités du célèbre mécanicien- 
ingénieur alexandrin : c'est bien en effet le titre d'ingénieur qui 
convient le mieux à Héron, ses traités étant presque tous 
techniques. Si toutes ses œuvres avaient subsisté, on aurait là 
peut-être une encyclopédie de la science et de l'art de l'ingénieur 
antique. Voici les titres et les objets de ces divers traités : 


1° Muyavx. — Ouvrage de théorie élémentaire sur la méca- 
nique, dont Pappus? donne des extraits importants. € Héron, dit 
Th. Henri-Martin, y traitait des centres de gravité. 11 y donnait la 
théorie générale et les conditions d'équilibre et de mouvement 
des cinq machines simples : coin, levier, vis, moufle ct treuil, 
dont au reste il ramenait la théorie à celle d'une seule machine. 


1. Recherches sur la vie et les ouvrages de Héron d'Alexandrie. (Académie des 
Inscriptions et Belles-Lettres. Savants étrangers : l" série, t. IV.) 


2. Liv. III et VIII 


RU ASE 


Dans le même ouvrage il traitait aussi de la puissance des roues, 
et spécialement des roues dentées engrenant, soit les unes dans 
les autres, soit dans des hélices; enfin de beaucoup d'autres 
problèmes applicables à l'utilité pratique. » M. Henri-Martin 
aistinguait des Myyœtxa un traité concernant une machine à tirer 
les fardeaux, Gaæpoÿlxoc. Mais M. Carra de Vaux, qui en 1893 a 
fait paraitre la version arabe (texte et traduction française) du 
traité complet des Mryanxæ, a montré que non seulement la descrip- 
tion de cette machine faisait essentiellement partie du grand 
traité; mais que le mot Bæpoixes, au lieu de désigner spéciale- 
ment un appareil, s’appliquait à toute la partie de la mécanique 
qui constitue l’ensemble des Myyæua de Héron!. La description 
de ce même appareil a d’ailleurs été plus tard, comme nous le 
verrons, insérée dans le traité de la Dioptre. 


2° Kartanadtixa, OU GBeñomouxa, OU Selomantuxt. — Traité sur les 
catapultes et leur construction. Le texte grec a été publié par 
Baldi en 1616, avec une traduction latine, reproduite par 
Thévenot dans les Mathematisi veteres (1690). 


3° Aurouara. — U'est un recueil qui contient la description d'un 
assez grand nombre d'appareils de physique, surtout de physique 
amusante. Les Grecs, et particulièrement ceux d'Alexandrie, 
devaient avoir un goût prononcé pour ces applications un peu 
enfantines de la science *, sorte de magie blanche. Philon de 
Byzance *, contemporain de Héron, avait comme lui décrit des 
mécanismes de ce genre. Le texte grec et les traductions latines 
figurent dans la collection de Thévenot. 


4° Zuyux. — Traité perdu qui concernait aussi, selon Pappus, 


1. Carra de Vaux. Les mécaniques ou l’élévateur de Heron d'Alexandrie (Journal 
asiatique, 9 série, L893). 

2. On les considérait, sous le nom de Ozvuzrtororntixu (constructions d’appareils 
merveilleux), comme une partie importante de la mécanique, « soit qu’elle emploie 
ingénieusement les mouvements de l’air, comme dans les traités de Ctésibios et de 
Héron, soit qu'au moyen de poids (dont le mouvement est dû au défaut d'équilibre 
et l’immobilité à l'équilibre, suivant la distinction du Timée), ou encore par des fils 
cu fibres, elle imite les mouvements et les actions des êtres animés. » (Proclus, 
extrait de Geminus, 1, 42, 8.) 


3. Il vécut tour à tour à Alexandrie et à Rhodes, en particulier sous le rêgne de 
Ptolémée Physcon, et aurait été, avant Héron, disciple de Ctésibios. 


Rupee 


de petites machines amusantes, construites d’après les conditions 
d'équilibre et de mouvement des corps solides autour d’un 
point d'appui ou de suspension. 


9° Teot vopioy où [ep Ddpiwy wposrometwy. — Ouvrage perdu 
aussi, en quatre livres, sur les horloges hydrauliques. Il était 
inspiré par ceux de Ctésibios, sur le même sujet, dont Vitruve a 
reproduit des descriptions. 


6° [leg Ddpooxoreiwv. — M. Th. Henri-Martin englobe ce traité 
dans le précédent. Cependant, comme la matière en est toute 
spéciale, — il s'agit de la recherche des sources, — c'était plus 
probablement un opuscule séparé. 


1° Kavontga. — La raloptrique, consacrée à l'étude des 
miroirs de toute sorte, et à la théorie compliquée des images, se 
distinguait de l'optique proprement dite, qui se contentait 
d'étudier les erreurs dues à la distance dans les apparences des 
objets vus (par exemple la convergence des parallèles), et de la 
dioptrique, qui traitait des instruments et des opérations de 
visées. La catoptrique de Héron, suivant l'opinion plausible de 
Venturi, existe encore, abrégée, en traduction latine, sous le 
faux nom de Ptolémée!. Une grande place y est donnée à la 
description de divers appareils composés de miroirs plans, 
convexes et concaves, qui relèvent plutôt de la physique 
amusante *. 


8° Tlepi Auonrpas. — Voici au contraire un ouvrage du plus 
grand intérêt théorique et pratique. Son titre lui vient de l'ins- 
trument de visée appelé duontpa, qui y est décrit, et qui servait 
aux géomètres grecs pour leurs opérations sur le terrain. L'usage 
de cet instrument y est expliqué avec nombreux détails : nous 
avons donc là un véritable traité d’arpentage. La dioptrique 


1. Sous le titre Plolemaeus de Speculis. Il figure à la fin du t. II des œuvres de 
Héron. de l’édition allemande citée (Nix et Schmidt), Leipzig, 1900. 


2. Venturi : Commentar)j sopra la storia e la teoria dell'ottica (Bologne, 1814, 
in-4*. Un exemplaire du recueil où cette catoptrique est contenue existe à la 
Bibliothèque nationale sous l'indication V. 192.c : c'est une traduction latine, publiée 
à Venise en 1518 (recueil de Giunti). Une autre traduction latine à été publiée à 
Berlin en 1S70, dans les Anecdota graeca. 


14 


n'était autre chose que l’art de prendre des alignements et de 
tracer des figures sur le terrain, pour les calculs de surfaces et 
les nivellements, ainsi que pour la mesure des distances 
entre points inaccessibles; elle comprenait aussi l'art de mesurer 
les distances angulaires célestes pour les opérations d'astronomie. 
Le Ilepi Aur:oxs de Héron renferme aussi des indications sur le 
jaugeage des cours d’eau ; mais ce ne serait que la reproduction 
d’un passage appartenant à un autre ouvrage de l'ingénieur 
alexandrin !. 


9 Meroux. — Cet ensemble de fragments, réunis par Hültsch ? 
sous le titre : Heronis Alexandrini geometricorum et stereome- 
tricorum reliquiae (Berlin, 1864), est un recueil d'abrégés et 
de compilations de l’œuvre originale, qui remonteraient au delà 
de l'époque byzantine. « Ce recueil comprend quatre ouvrages, 
provenant peut-étre d'une œuvre unique du maitre. Les deux 
premiers étaient des introductions à la partie arithmétique et 
à la partie géométrique des Eléments d'Euclide. Les deux 
derniers offraient un ensemble d'applications des propositions 
démontrées par Euclide dans ses Eléments, soit que ces applica- 
tions fussent des conséquences immédiatement évidentes de ces 
propositions, soit qu'elles exigeassent des déductions plus ou 
moins longues, et un travail d'invention originale *. » 

Presque tous les problèmes dont la solution est donnée dans 
ces Merx avaient leur application directe en géodésie {, tels 
que ceux où, étant données certaines lignes d'une figure, il s’agis- 
sait de trouver, par de simples calculs arithmétiques, soit l’aire 
de cette figure, soit la longueur de certaines autres lignes. On y 


1. Je ne crois pas avoir à donner ici les raisons en vertu desquelles le [Test Atortozs 
doit être regardé comme l'œuvre authentique de Héron l'Ancien. Th. Henri-Martin 
(ouv. cité, p. 90) les expose d’une manière très serrée et très convaincante. Connu 
par trois manuscrits (celui de la bibliothèque nationale, n° 2430, un autre de 
Strasbourg, et un troisième de Vienne, incomplet), l'ouvrage a été publié d’abord, en 
partie, par Venturi, en traduction italienne (11 traguardo di Erone) et in extenso 
texte grec et traduction française), par M. Vincent (Notices et extraits des manuscrits 
de la Bibliothèque impériale, t. XIX). Enfin Schæœne l’a publié au t.IIl de l'édition Feubner 
déjà citée, en 1903. 

2. Réédités par Schæne, dans le même volume que le traité de la Dioptre. 

3. Th. Henri-Martin, article cité, p. 226. 

4. Le terme même de Geodésie n’a jamais été employé par Héron. 


HR 


trouvait, par exemple, avec démonstration, le procédé arithmé- 
tique pour déduire de la connaissance des trois côtés la valeur de 
l'aire d'un triangle quelconque ; on devait y trouver aussi le 
procédé analogue pour le quadrilatère inscriptible au cercle, 
mais il manque dans les fragments que nous possédons. M. Th. 
Henri-Martin fait remarquer que dès le vr° siècle des abrégés de 
cetouvrage de Héron avaient pénétré dans l'Inde. Les traductions 
plus ou moins informes que les Hindous en avaient tirées avaient 
fait croire à des connaissances géométriques très originales et 
très anciennes chez eux.Ce préjugé tenace. concernant l'antiquité 
et l'étendue de la science indienne, est aujourd'hui fort ébranlé. 

Les tableaux, ayant rapport aux systèmes d'unités métriques 
diverses, qui figurent dans les extraits des Merox, ont été 
rattachés après coup à ces extraits, car ils appartiennent tous à 
des âges postérieurs à l'ère chrétienne. 

Mais on peut joindre aux Merpux, comme œuvre irrécusable 
de Héron, un commentaire qui devait les précéder, sur les 
Eléments d'Euclide. Proclus le cite dans son propre commentaire 
sur Euclide et il doit en exister au moins des extraits en arabe 
dans un manuscrit de la bibliothèque de Leyde. 


10e Ilvevuarma. — Enfin les Pneumatiques traitent de la 
mécanique des gaz et des liquides et exposent, soit des théories 
utiles, soit des procédés physiques amusants. C'est de tous les 
ouvrages de Héron le plus connu, celui dont il existe le plus 
grand nombre de manuscrits! et qui a été le plus souvent 
traduit ?. On s'y rend compte avec intérêt de ce que les anciens 
connaissaient de la force élastique et motrice que prennent les 
vapeurs et les gaz soumis à l'influence de la chaleur et de la 


1. La Bibliothèque Nationale de Paris à elle seule en contient quinze. On en trouve 
dix à Munich, un à Tolède, un à Copenhague, un à Madrid, quatre au British- 
Museum. 


2. Voici les principales de ces traductions: Traduction latine de Commandius 
(Urbin, 1575), jointe avec le texte grec à la collection de Thévenot (Mathematici 
veteres); trois traductions italiennes de la fin du xvr siècle ; une traduction 
allemande (Bamberg, 1688); une traduction française de Lahire, citée par Thévenot, 
perdue ; récemment la traduction allemande de Schmidt (Leipzig, Teubner, 1899), 
avec le texte grec; et la traduction des pneumatiques, jointe à celle des pneumatiques 
de Philon de Byzance, par M. de Rochas (Paris, Masson, 1SS?). 





RSS 


pression, et spécialement de l’action que ces vapeurs et ces gaz, 
comprimés ou dilatés, exercent sur l’équilibre et le mouvement 
des liquides. 

L'ouvrage comprend trois parties. La première envisage la 
constitution moléculaire et les divers états des corps ; la seconde 
traite des siphons ; la troisième est la description des appareils, 
plus ou moins ingéniéux, plus ou moins utiles, qui font voir 
l'application des principes précédents : entre autres le tourniquet 
hydraulique et à vapeur, la fontaine intermittente et la fontaine 
de compression avec sa pompe foulante à air; puis la pompe à 
incendie et l'orgue hydraulique. A voir l'ingéniosité de tous ces 
appareils, la rigueur avec laquelle ils sont liés aux principes 
_ mêmes, on se dit que si au lieu d'étudier un bon nombre des 
phénomènes à titre de pure curiosité scientifique, Héron les 
eût envisagés comme applicables à l’industrie, celle-ci dès ce 
moment eût pu subir des transformations radicales, qu’elle dut 
attendre encore pendant dix-neuf siècles !. 


1. L'œuvre de Héron d’Alexandrie ne doit pas faire oublier celle de Philon de 
Byzance. Héron a dû lui faire bien des emprunts, tout comme il en a fait, sans les 
déclarer, à Ctésibios. L'on ne possède, et c’est fort regrettable, que des fragments 
d’un grand ouvrage de Philon intitulé Syntaxe mécanique, où étaient décrites les 
machines usuelles dérivées du levier, les machines de siège (balistiques), les procédés 
ayant trait à la construction des ports et à la fortification des places de guerre. Son 
traité des Automates, perdu, et celui des Pneumatiques étaient composés sur les 
mêmes sujets que les traités de Héron pareillement intitulés. V. Rose, en 1870, a publié 
une traduction latine des Pneumatiques de Philon dans la Anecdola graecu et 
graeco-latina, t. 1I (Berlin). Mais il n'y avait là que des fragments de l’œuvre, 
anciennement traduits de l'arabe. M. de Rochas en à donné (Paris, 1882) une 
traduction française. Mais on doit à M. Carra de Vaux la traduction d’un manuscrit 
arabe d'Oxford et de deux manuscrits, arabes également, de Constantinople qui se 
complètent mutuellement et complètent le document latin. (V. Index bibliogra- 
phique.) L'ouvrage de Philon se trouve ainsi reconstitué entièrement. Il est composé 
avec ordre, mieux même que celui de Héron. Mais la science y paraît moins avancée. 
M. Carra de Vaux y voit un argument en faveur de sa thèse concernant l’époque de 
la vie de Héron. 


ot 


CHAPITRE III 


ARPENTAGE ET NIVELLEMENT 


I — Instruments d’'arpentage. La groma. 


Le traité NET Aunrtpas de Héron d'Alexandrie répond, comme 
nous allons le voir, à la plupart des questions que l’on peut 
se poser sur les méthodes géométriques d'arpentage dont 
usaient les anciens. Elles ne différaient pas très sensiblement 
des nôtres, et si nos instruments sont plus perfectionnés, plus 
précis — cela va sans dire — on opérait alors cependant avec 
sûreté et sans trop de lenteur. Défions-nous de l'opinion toute 
faite qui consiste à croire que, les appareiis étant rudimentaires, 
l’on n'avait, pour éviter les tâtonnements indéfinis, que la 
ressource de l'expérience et du coup d'œil. 

Le géomètre moderne se contente, pour ses opérations 
courantes, des quelques instruments suivants : la chaine 
d’arpenteur pour les mesures rectilignes, l'équerre d'arpenteur 
pour tracer les perpendiculaires, le graphomètre pour évaluer 
les angles, la mire etle niveau, soit à eau, soit à bulle d'air avec 
lunette de visée. Je n'ai pas à décrire ici ces appareils et constate 
simplement que, perfectionnement mis à part, ils sont les 
équivalents de ceux qu’on utilisait au temps de Héron et aux 
deux ou trois siècles suivants. 

Chez les Romains, l'unité de mesure sur le terrain était la 
perche, pertica ou decempeda, qui, ainsi que ce nom l'indique, 
avait une longueur de dix pieds, soit 2",957 et comportait des 
divisions en pieds, eux-mêmes subdivisés : on mesurait à un 


ai 


en Les 


doigt près !, le doigt, digitus, étant de 0®,019. L'instrument, 
pour les petites distances, pouvait être une barre rigide, une 
perche proprement dite ; pour de plus grandes longueurs, 
une chaine (catena, vou), probablement du même genre que 
la chaine d’arpenteur, ou un cordeau (funiculus, syotvwv). Dans 
le traité de la Dioptre (chap. vis, x, x, xt et autres) Héron se 
sert du terme merpeiv mpès Ga6mmnv, littéralement mesurer au 
compas. Cette expression est singulière; elle signifierait, d’après 
Venturi, mesurer à la perche ; mais aucun dictionnaire ne donne à 
duaxënens le sens de pertica. Il est une explication consistant à 
appeler drabyrns (de dæÉaive, s'écarter) une chaine précisément 
analogue à la chaîne d’arpenteur, composée, comme on sait, de 
petites tiges rigides de 20 centimetres chacune ?, qui se replient et 
se réunissent en faisceau, se déployant quand on veut s’en servir *. 

A l’équerre d’arpenteur correspondait la groma. Aucun traité 
ancien ne donne la description bien nette de cet appareil, et l’on 
se contente d’en indiquer le maniement pour certaines opérations, 
sans dire exactement ce que représente chaque élément que 
l'on désigne, ni comment sont disposés ces divers éléments les 
uns par rapport aux autres. Les arpenteurs romains, appelés 
souvent gromatict, à cause de l'instrument en question, indiquent, 
comme préliminaire de toute répartition de terrain et de tout 
levé de plan, le tracé de deux lignes perpendiculaires, cardo 
et decumanus, dirigées en principe suivant les directions 
N.-S et E.-0.'. Bien que cette orientation fût généralement 


1. « Digitus est minima pars agrestium mensurarum. Inde uncia habet digitos tres. 
Palma autem quatuor digitos habet, pes xvi, passus pedes v, pertica passus duos, 
id est pedes decem. » (Isidore, De mensuris agrorum, Gromatici veteres, éd. 
Lachmann et Rudorff, t. I, p. 267.) 


2. Y compris la moitié. de l’anneau qui relie chacune d'elles à la suivante. 


3. [sos drx6 70 indique aussi peut-être la mesure des distances réduites à 
l'horizon. Le àtx6"7ns dans ce cas serait un compas avec fil à plomb, une sorte de 
niveau de maçon à branches extensibles. 


4. « Ab hoc exemplo (Etruscorum), antiqui mensuras agrorum normalibus longi- 
tudinibus incluserunt. Primum duos limites constituerunt. Unum, qui ab oriente in 
occidentem dirigeret, hunc appellaverunt duodecimanum, ideo quod terram in duas 
partes dividat, et ab eo omnis ager nominetur. Alterum à meridiano ad septen- 
trionem ; quem cardinem nominaverunt à mundi cardine. » (Hygin, De limitibus 
conslituendis. Gr. vet., 1, p. 167).— Le duodecimanus s'appela ensuite simplement 
decimanus où decumanus. (Cf. Frontin, De limitibus, ibid., p. 28.) 


Re 


observée !, il était, sans aucun doute, bien des cas où l'on ne 
pouvait pas prendre une de ces deux directions comme ligne 
d'opérations, etou il s'agissait simplement de prendre l'orientation 
la plus’ecommode. Quoi qu'il en soit, chez les Romains, l'instru- 
ment usuel, officiel, si l'on peut dire, pour cela, c’était la groma. 
Héron le désigne sous le nom d'étoile ou astérisque (aotepiowos), 
et le déclare très inférieur à la dioptre, pour le même usage. 

Les auteurs des traités d'arpentage emploient souvent, de 
préférence au terme de groma, le mot ferramentum, désignation 
générique de toute espèce d'outils ou d'appareils métalliques. 
Voici le texte, d’ailleurs fort délicat à interpréter, qui donne 
l'indication la plus explicite sur cet instrument. Il est emprunté 
au liv. II (de Limitibus) d'un traité de Frontin?, dont quelques 
parties ont été conservées. Il s'agit dans ce passage* de 
l'opération qui consiste à jalonner une ligne de base en terrain 
accidenté. 

« Debemus... ferramento primo uti, et omnia momenta 
perpenso dirigere, oculo ex omnibus cornieulis extensa ponde- 
ribus et inter se comparata fila seu nervias ita perspicere donec 
proximam consumpto alterius visu solam intueatur; tum dictare 
mϾtas, et easdem transposito interim extrema meta ferramento 
reprehendere eodem momento quo tenebatur, et coeptum 
rigorem ad interversuram aut ad finem perducere; omnibus 
autem interversuris tetrantis locum perpendiculus ostendat. » 

Le mot meta (borne, jalon) est écrit de deux façons différentes, 
meta, mœta; mais il est évident qu'il s'agit du même terme 


1. « Optima ac rationalis agrorum constitutio est cujus decimani ab oriente in 
occidentem diriguntur, cardines a meridiano in septentrionem. » Grom. vet., p. 31. 

Hygin (De limit. constit., Zbid., p. 18S) donne la règle pratique pour déterminer la 
ligne N.-S., cardo, c'est-à-dire la méridienne d’un lieu. C'est le procédé très simple 
que nous pratiquons encore. On trace une circonférence, au centre de laquelle on 
plante un piquet dont l'ombre s’allonge. On observe le moment où l’ombre dans la 
matinée vient toucher la circonférence, et l’on marque ce point; même opération 
dans l’après-midi quand la coïncidence revient. On joint les deux points et l’on mène 
la perpendiculaire au milieu de cette corde : c’est la bissectrice de l'angle, et 
sensiblement la méridienne. 


2, On a toutes raisons de croire que ce Julius Frontinus est le même que le 
curateur des eaux sous Nerva et Trajan, auteur du traité De aqguaeductibus ou 
De aquis Urbis Romae. 


3. Gromatici veteres, p. 32. 





AO 


avec la même signification. Quant aux autres termes techniques 
qui se rencontrent dans ces quelques lignes, voici, Je crois, 
comment il faut les interpréter. Nous entendrons : 

Par cornicula, des pinnules proéminentes aux extrémités de 
deux ou plusieurs diamètres de la planchette qui constitue 
l'appareil ; 

Par fila ou nervias, des fils à plomb soutenus par ces pinnules, 
et passant devant leurs échancrures verticales qui déterminent 
les lignes de visée ; 

Par momenta, les aplombs, c'est-à-dire l'ensemble formé par 
les fils et les poids qui y sont suspendus ; 

Par rigor, la ligne de jalonnement; 

Par interversura, chaque rupture de cette ligne. 


Cela posé, voici comment on peut traduire : 


« Nous devons commencer par manœuvrer l'instrument 
équilibrer la position de tous les aplombs, en visant à travers 
toutes les pinnules les cordes ou fils tendus par les poids, et en 
réglant ces fils les uns par rapport aux autres, jusqu'à ce que 
l'œil n’aperçoive que le plus rapproché, celui-ci lui cachant son 
symétrique ; faire alors planter des jalons; puis, ayant transporté 
l'appareil au dernier de ces jalons, les vérifier par une visée en 
sens inverse, après avoir établi le même équilibre que précé- 
demment; enfin, pousser cette ligne jalonnée jusqu’à un point 
de rupture ou jusqu’äu bout, ayant soin de marquer l'angle droit 
par une perpendiculaire à tous les points de rupture. » 


Et l’on peut se représenter ainsi la groma, son maniement et 
son usage! : une planchette ronde ou carrée, probablement 
soutenue par un trépied articulé, et mobile aussi autour d’un 
pivot; portant, aux quatre extrémités de deux diamètres à angle 


1. On a trouvé à Ivrée, sculptée sur le cippe sépulcral d’un certain Æbutius Faustus, 
qualifié de snensor, arpenteur (Gazzera, Acad. di Torino, série IT, vol. XIV, p. 25, 
Lapide Eporediese), la représentation sommaire d'un instrument qu’on croit être la 
groma. Le support est une simple tige avec douille, faite pour se fixer sur un jalon 
en bois; deux tiges perpendiculaires au bout desquelles pendent des poids soutenus 
par des fils, sont articulées sur ce support. C’est la figure très rudimentaire, en 
quelque sorte schématique, de l'appareil. Il est plus que permis de l’imaginer de 
construction plus complète et plus soignée. 

(V. De Rochas, art. Geodesia du dictionnaire de Daremberg et Saglio.) 


=. 10 


droit, des pinnules proéminentes avec fenêtres verticales, 
devant chacune desquelles passait un fil à plomb supporté par 
la pinnule elle-même. La planchette pour les visées devait être 
horizontale, et pour l’établir ainsi, l'on opérait comme l'indique 
le texte, et par le déplacement des branches de support. Cette 
planchette étant orientée dans la direction voulue, le jalonnement 
s'opérait comme il est dit, d’après les visées et les indications 
de l'opérateur. Quand un obstacle, arbre ou maison, etc., 
s'opposait à ce que la ligne jalonnée fût poussée sans interrup- 
tion jusqu'au bout de l’espace à mesurer, on la déplaçait paral- 
lèlement à elle-même par deux angles droits : c’est cette rupture 
que Frontin désigne sans doute par interversura ; après l'obstacle, 
la ligne primitive pouvait se reprendre, puisqu'on avait tracé et 
mesuré sur le terrain la perpendiculaire d'écart. 

La base d'opérations étant ainsi tracée très exactement, puis 
mesurée, il ressort de ce qui suit dans le texte de Frontin que 
l'on procédait comme nous le faisons nous-mêmes pour mesurer 
la surface. L'auteur constate que les limites des terrains sont 
pour la plupart irrégulières et sinueuses ! ; on remplaçait donc 
provisoirementle contour exact par une série de lignes droites 
ayant pour extrémités les angles marqués sur celui-ci. Au moyen 
de la groma, on traçait les perpendiculaires de ces angles à la ligne 
d'opération, et l'on calculait facilement les surfaces des trapèzes 
et triangles ainsi formés, par la mesure des bases et des hauteurs, 
ainsi que les petites surfaces du pourtour. Le même texte 
indique que les vérifications se faisaient d'une façon très 
minutieuse *. 

Telle était donc la groma. Elle avait l'inconvénient d’un 
réglage assez difficile; d'autre part les visées, avec le double 
fil à plomb, ne devaient être ni commodes, ni même précises, 


1. « quoniam omnium agrorum extremitas flexuosa et inaequali cluditur 
finitione.. Sed ut omnibus extremitatibus species sua constet et intra clusi modus 
enuntietur, agrum quousque loci positio permittet rectis lineis dimetiemur. » (Grom. 
vet., p. 31). 

2. « Ad omnes angulos signa ponere, quae normaliter ex rigore cogantur; 
posito deinde et perpenso ferramento rigorem secundum proximo lateri dictare, et 
conlocatis mϾtis in alteram partem rigorem mittere, qui cum ad extremum pervenerit, 
parellelon primi rigoris excipiat. » 





— ol — 


quand le vent soufflait. Héron ne manque pas, dans son traité 
de la Dioptre, de relever ce défaut: 

« SIIT. Je pense, dit-il, que ceux qui font usage de cet appareil 
ont éprouvé les graves inconvénients qui résultent de ce que les 
fils d’où pendent les poids, au lieu de se fixer promptement, 
continuent au contraire à se remuer pendant un certain temps, 
surtout si le vent souffle un peu fort. C'est pour cela que quel- 
ques personnes, voulant remédier à cet inconvénient, essayent 
d'y adapter des tubes de bois, dans lesquels elles introduisent 
les poids, afin de mettre ceux-ci à l’abri du vent. Mais quand 
ces poids viennent à frotter contre les parois des tubes, les fils 
ne restent plus exactement perpendiculaires à l'horizon. » 


IT. — La dioptre de Héron d'Alexandrie Description. 


La dioptre décrite par Héron d'Alexandrie est en effet un 
appareil beaucoup plus perfectionné, et dontl'usage, au surplus, 
s'étend à un bien plus grand nombre d'opérations. On peut 
même croire que, de tous les appareils de visée auxquels 
s'appliquait communément ce nom de duntpæ, celui-ci était le 
plus complet. « Il consistait principalement en un niveau d’eau 
mobile sur un trépied. Mais ce niveau pouvait être enlevé, et 
remplacé, soit par une simple alidade, mobile horizontalement 
et verticalement, soit par un plateau circulaire divisé en degrés, 
et pouvant se fixer, à volonté, dans un plan oblique quelconque. 
A certains égards donc, la dioptre de Héron peut être comparée 
à nos théodolites?. » 


C2 


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LITOY, ÔTL ui GTApTUL, £2 ov Ta Guen XOELANTAL, OÙ TAJEOS ñuepoÿstv, ah 429vov 
IVAUEVOUSL XLVOUULEVAL, XAL WALÀLGTL ÔTAV ee AVEUNS TVÉ A. Auw x TELPOVTA TLVES, 
710260 nfeïv Bouin Evo T4ÎTN Tñ CL7AUCEL Dhs SÉpLYYAS xotlue TOLOÜVTES, 
DATES Ta bxen etc THÎTAS, GITE un ÜTO TOÙ AVE LOU TUTRTEG OL. [aparoieuws 
OÙV YEVOUE Vs TV Bacüy TPÔ0c TAC GUPLYYAS oÙx &xp 1Bs PA GHAPTUL Bobo à ÔLAULE- 


Vouct roûç Tov 6piCovta. » (Tes! c! drontouc). 


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2. Vincent (ouvr. cilé, p. 158). 


Voici d’ailleurs la description détaillée qu'en donne le physicien 
d'Alexandrie!. 





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Fig. 3. — Dioptre de Héron. Dessin du manuscrit. 


« Un support? en forme de colonnette présente à sa partie 
supérieure un axe cylindrique auquel est fixé un plateau 


1. La figure 3 donne le dessin rudimentaire du manuscrit, et la figure 4 la recons- 
titution de l'appareil par Vincent. J'y ai joint (fig. 5) la restitution par SchϾne, dans 
l'édition Teuhner; pareille à la première dans ses éléments essentiels, elle est plus 
finie dans le détail. Les fig. 6 et 1, représentent, d'après le même éditeur, les détails 
et l'ensemble du niveau d'eau, 8, la mire. 


2. Je me contente de reproduire l’excellente traduction de M. Vincent. J'y joins 
ci-dessous le texte grec. 


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« [yes yivetar xaÜamep otuAicxos, Eywv x Tod QVWTEpOU* TOPUOV GTPOYYU= 
s\ 


Aov' mept ÔÈ Tov Topuoy Turnavioy meotiletat JAhREOY, REpt TÙ aUTo XÉVT POV T 

Topu®. Ileciriôerar dE xat Jorvues 221 TEp} T OV TOoU OY, er WS ÔUVAULEVN 7 Ti 

adTbv € H\eteœ* *, ELoUGA Ex LÈv To x4TO HÉpo OUS TUUTAVLOY HÈOVTOHÉVOY, TUpQUÈS 

ŒUTT TL ** TOÙ RPOELPNAUEVOU TUMTAVÉOU XU! Eruxnduevor dr &, ëx à vod vo 
Var. &vw pepous — ** mept auro(v) r(o)Astobar — *** ÉAuscov toù.. 





4 
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; 
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— 93 — 


circulaire de cuivre qui lui'est concentrique. L'axe est enveloppé 
par un tube! de cuivre qui peut se mouvoir facilement autour 








Fig. 4. — Dioptre de Héron, restituée par Vincent. 


de lui. A ce tube est fixé, par la partie inférieure, une roue 
dentée, qui s'appuie sur le plateau; et il se termine en haut par 


1. Le terme usuel de physique est manchon. 


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une plinthe à laquelle on donne, en manière d'ornement, la 
forme du chapiteau d'une colonne dorique. A côté de la roue 
dentée est placée une petite vis dont le filet engrène avec elle; 
etles supports de cette vis sont fixés au plateau, dont le diamètre 
est plus grand que celui de la roue. Si donc nous faisons tourner 
la vis, nous ferons mouvoir en même temps la roue dentée ainsi 
que le tube qui fait corps avec elle, ce tube s’y trouvant fixé au 
moyen de trois goupilles qui, partant de sa base, pénètrent dans 
l’épaisseur de la roue qu'elles suivent dans son mouvement. Un 
sillon, de largeur à peu près égale au pas de la vis, est creusé 
suivant toute sa longueur; de sorte que, si nous faisons tourner 
cette vis, le sillon viendra se placer vis-à-vis des dents de la roue, 
qui se trouvera ainsi tout à fait libre dans ses mouvements !. 
Ayant alors placé la roue dans une position convenable, faisons 
de nouveau tourner la vis si peu que ce soit, de manière que 
le filet vienne engrener avec les dents de cette roue, et celle-ci 
se trouvera fixée. 

Soit donc AB (fig. 4) le plateau qui environne l’axe et qui 
est attaché d'une manière fixe au support: GD la roue dentée 
qui fait corps avec le tube; EZ la vis placée à côté de cette 
roue ; HC le tube adhérent à la roue, qui porte, comme on l’a 
dit, un chapiteau dorique KL. Maintenant sur la plinthe 
de ce chapiteau sont fixés (verticalement) deux montants 
de cuivre, en forme de règles, séparés entre eux par un intervalle 
égal à l'épaisseur d'une roue; et sur la même plinthe, entre ces 
deux montants, se trouve une vis mobile dont les supports 


1. « Cette disposition à pour but d'éviter une perte de temps en permettant de 
placer le tube avec la main dans une position voisine de celle qu'il doit avoir 
définitivement. » (H. Vincent). 


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€ Eotw oùv T0 ue v ep! TOY. TOPUOV TUUTAVLOY KA! GUULDUËS TO FAYE, ro AB: 
To LE GUpUÈS 77 T: ñ orvexièt to l'A (GD}: 0 dE TAPAXEIWEVOS TOUT 40 }ius, o [Z- 
nn Ô TOUQUTS Joue T& l'A truux FavÉ 7 He (HC), Eouca ÉTtxEÉLEVOV, OS 
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TOROY AÜTOV TAYOS TUUTAVIOU QUVA a Evaguosbavar. nt dE TAG rhVbeu UETaEd 

TOY XAVOV{OY x0phire ÉGTw GToewuevos, OÙ Ta GTAUATUA | 3 10007 T@ sp nUÉvE 





| 


sont fixés sur le chapiteau du tube (et qui est ajustée de manière 
à faire mouvoir cette roue dans un plan vertical) !. Dans l’inter- 
valle des deux montants, qui s'élèvent à une hauteur de quatre 
doigts au-dessus du chapiteau, peut s'adapter une règle trans- 
versale de quatre coudées de longueur, dont la largeur et 
l'épaisseur sont en rapport avec l'intervalle précédent, et dont 
la longueur est partagée en deux par le même intervalle. 

$ IV. Sur la surface supérieure de la règle est creusé un canal 
cylindrique ou quadrangulaire, de dimension convenable pour 
recevoir un tube de cuivre, dont la longueur, prise sur celle 
de la règle, est d'environ douze doigts. Au tube de cuivre 
sont fixés à angle droit, par les deux extrémités, deux autres 
tubes qui semblent n'être qu'une courbure du premier, en formant 
au-dessus de lui une saillie de deux doigts tout au plus. En outre, 
le tube de cuivre est enchâssé dans le canal de la règle, auquel 
on a donné une longueur appropriée à cet objet, de manière 
que, paraissant faire corps avec elle, il présente ainsi à la vue 
un aspect plus gracieux. Aux deux points où le grand tube se 
relève, et de chaque côté, s’emboîite un petit tube de verre dont 
le diamètre lui permet de s'ajuster bout à bout avec le tube de 
cuivre, et dont la hauteur est d'environ douze doigts; en outre, 
ces deux petits tubes de verre sont lutés aux deux saillies du 
tube de cuivre avec de la cire ou tout autre mastic, de sorte que 


1. Ce membre de phrase mis ici entre parenthèses a été ajoute par le traducteur. 
Hermann Schœne (Héron d'Alexandrie, Ed. Teubner, t. III. Prolegomena, p. xY). 
relève aussi l’inexactitude de la traduction « sont firés sur le chapiteau du tube. » 
Le grec dit : fiæs à l'axe. — M. Vincent l'avait lui-même fait remarquer, mais sans 
chercher à la justifier. 


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ÔxxTUAOUÇ Tétruous. ’Ev Dè T7 ueraëd Tov Üre :20 OV 1004 évagudteras XAVY 
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— 56 — 


l'eau versée dans l’un des tubes ne puisse s'échapper d'aucun 
côté. 

Ce n'est pas tout: sur la règle transversale, là où sont fixés 
les deux petits tubes de verre, on fixe autour de ceux-ci deux 
petites enchäss.‘res ou deux petits pilastres creux, dans l’inté- 
rieur desquels s'ngagent les tubes de verre, de manière à faire 
corps avec eux. À ces pilastres s'adaptent deux petites lames! 
de cuivre, qui peuvent glisser dans des coulisses, le long de 
leurs parois, en rasant la surface des tubes de verre, et dont le 
milieu présente des fentes au travers desquelles on peut viser. 
A ces lames sont fixés, par la partie inférieure, d’autres petits 
tubes d'un demi-doigt de long, dans lesquels s'engagent des 
goupilles de cuivre d’une longueur égale à la hauteur des 
pilastres qui enveloppent les tubes de verre ; elles s'y implantent 
au moyen d’un filet de vis qui rencontre son écrou dans 
l'épaisseur même de la règle. Si donc on fait tourner la tête 
de ces goupilles qui dépasse dans le bas, on fera, par ce 
moyen, mouvoir en haut et en bas les petites lames qui pré- 
sentent les fentes dont nous avons parlé. C'est ce qui arrivera 
nécessairement par l'action de cette extrémité des goupilles qui 


1. C’est ce que l’on appelle généralement des pinnules. 


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GUUQUT] OVTX TO 2 LVL, E y Apa”""* The lc TO dr «) 1é006 ÉTIOTPEPN TG, XIVTGE! 
Tù De ru The d GYUTOULAS £OVT L, ÈX TE TD VO XA! XATO LLÉpOUS* set y20 Ta 
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se trouve engagée dans l'intérieur des petits tubes adhérents 
aux lames. » 
Cette description, d’ailleurs très claire, présente dans les 











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Fig. 5. — Dioptre de Héron, restituée par Schœne. 


manuscrits une lacune, entre les mots ornudna et apuoata. 
(V. ci-dessus le texte grec, au bas de la page 54.) Dans le 
manuscrit que M. Vincent avait sous les yeux, cette lacune était 
marquée par un espace laissé en blanc, et le traducteur à pensé, 


— 90 — 


contrairement à l'opinion de Venturi, qui croyait à une lacune du 
texte, que c'était simplement la place laissée pour une figure 









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Fig. 6. 
Détail du niveau d’eau, 
d'après Schœæne. 


explicative que le copiste avait ensuite négligé de reproduire. 
L'hypothèse paraissait vraisemblable, en ce que la phrase 





È 
} 
1 


À 


99 — 


demeure fort intelligible si l’on ne tient aucun compte de la 
lacune. Mais M. Hermann Schœne a prouvé que cette lacune 
était bien réelle et qu'il manquait à cet endroit précis une page 
entière dans le manuscrit original!. Et, en fait, il était bien 
étonnant que Héron n’eût rien dit dans ce passage de la roue 
verticale dont il décrit plus loin le fonctionnement, comme si 
elle était déja connue; d'autant plus que cette roue présente 





Fig. 7. — Dioptre de Héron. 
Le Reconstitution du niveau d’eau (Schæne). 


une particularité à faire remarquer : ce n'est, proprement, 
qu’une demi-roue, qui sert de support à la règle horizontale 
(fig. 4 et 6). M. Vincent lui-même a glissé dans sa traduction 
un petit membre de phrase (V. ci-dessus, p. 59, la parenthèse 
et la note 1), expliquant que la petite vis entre les deux montants 
fait mouvoir la roue verticale. On voit également, par la suite, 
que l’appareil comprenait d’autres dispositifs, très importants, 
dont il n’est pas parlé dans la description d'ensemble. On voit que 
la règle pouvait tourner indépendamment du reste de l'appareil 


1. Edition citée, Prolegomena, p. xv et suiv. 


— OÙ — 


en rasant la surface d’un large plateau circulaire, ruuravey ! 
fig. 4 et 95). Ce plateau portait une division en 360 degrés, 



































Fig. 8. — Mire de Héron pour les opérations de la dioptre. 


que parcourait la pointe d'un index fixé sur la règle. Ce plan 
pouvait donc, comme la règle elle-même, s'incliner sur l'horizon, 
jusqu’à devenir exactement vertical, et se fixer, comme la règle 


1. Il ne faut pas le confondre avec le diminutif ruuravtoy, qui figure dans la 
description d'ensemble et désigne le disque A B. 


— 61 — 


aussi, dans n'importe laquelle de ces positions!. Règle, demi- 
cercle denté, plateau, tout enfin, on le comprend par la descrip- 
tion des opérations, était démontable, et la règle pouvait 
fonctionner sans le plateau, quand il ne s'agissait que de 
nivellement *. 

La description de l'appareil est suivie ($ V), de celle de la 
mire qui l'accompagnait. C'était (fig. 8) un poteau long de 
10 coudées (4,62), large de 5 doigts (0",095), épais de 3 
(0®,057), dont la face antérieure portait une rainure longitudi- 
nale sur toute la hauteur; dans cette rainure glissait un tenon 
portant un disque de 10 à 12 doigts (0",20 environ) de diamètre, 
partagé par le diamètre horizontal en deux demi-cercles, l’un 
blanc, l’autre noir, et manœuvré par une corde qui, passant sur 
une poulie, s’allongeait ou se raccourcissait au gré de l’aide 
placé derrière, et suivant les indications de l’opérateur. Il était 
facile de fixer la corde en l’engageant dans l'intervalle de deux 
lames-ressorts ou par tout autre moyen. Le poteau était gradué, 
à partir de la base, en coudées, palmes et doigts. Rien n’est 
oublié dans cette description, pas même l'index que portait le 
disque à la hauteur de son diamètre horizontal, et qui marquait 
la division correspondante sur Île poteau. Il y avait encore un fil 
à plomb suspendu par un piton, derrière la perche, pour vérifier 
sa verticalité. C'est bien là, comme on le voit, à peu de chose 


près, la mire à voyant dont tous nos géomètres se servent avec 
le niveau d’eau. 


1. V. plus loin les citations des Z X. XIV, XVIII. Les visées pouvaient d'ailleurs 
s'effectuer par la fenêtre N (fig. 6 et 7) indépendamment de la ligne d’eau, dans 
une position quelconque de la règle. Il a été dit aussi plus haut que la règle à niveau 
pouvait se remplacer par une simple alidade. — Quant à la position verticale du 
plateau, elle n’est possible qu'avec le dispositif reconstitué par Schœæne, consistant 
à surélever ce plateau au-dessus du diamètre de la demi-roue (fig. 5). 


2. M. P. Tannery (La Géométrie grecque, p. 54) regarde cet appareil comme trop 
compliqué pour avoir été mis en pratique. Cette opinion ne me paraît pas très fondée. 
La plupart de nos instruments modernes, dont on se sert journellement sur le 
terrain, sont d'une construction et d’un maniementencore beaucoup plus délicats. De 
plus, la facon dont Héron décrit la solution de chaque problème a tout l’air d’être 
dictée par l'expérience. Enfin, les problèmes résolus effectivement par les anciens 
exigeaient bien un appareil aussi complet que celui-là. 


III. — Problèmes d'arpenteurs et d'ingénieurs 
résolus par la dioptre. 


Les applications de la dioptre sont exposées par Héron d’une 
manière très complète. Nous allons les suivre, en insistant 
surtout sur celles qui concernent le tracé des routes et des 
aquedues. 


1 PROBLÈME. — Déterminer la différence de niveau de 
deux points donnés. 


La méthode de Héron ne diffère pas de la pratique moderne. 
Mais c'est précisément ce qui m'engage à en reproduire Île 
détail in extenso. L'auteur se plaçant précisément au point de 
vue de l'établissement des conduites d'eau, cet exemple d’une 
manière de procéder identique à la nôtre est des plus instructifs 
pour expliquer la perfection de ces ouvrages construits par les 
anciens. 





Fig. 9. — Graphique de l'opération du nivellement. 


« Soient ! (fig. 9) les deux lieux ou les deux points donnés 
A,B, dont il faut déterminer le plus élevé et le moins élevé. 
Soit B celui d'où part l’eau et A celui où elle doit être 
place en A l'un des poteaux dont il a été question; 
loin du point À quil est 


conduite. Je 
puis ayant porté la dioptre aussi 


- : : e Al 
possible, sans cesser d’apercevoir ce poteau AG, en allant 
DS ’ Q , \ _ | = 1 LE ! 

1. "Ecrocav oi dobévrec Ténos, routéott Ta cul, TA À, B. Aï Ôt érioxépachat 
, … ‘ 1 , EL DER CRE AAA = | ne , PAU 

HTÉTENOV HÜTOV ILETEWCOTEPOV ÉGTIV, M TUTELVOTEPOV" XXE TO LLEV B onuetoy £67To 
SA) LR Co En n ! Ar 5 _ Se ! Q 

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tornut Toûs TÜ À, xQ! EST 0 AT (AG): ira amootnous Tv SLOTTPAY ETO TOU À, 


— 63 — 


du côté du point B, je fais tourner la règle transversale qui se 
trouve au haut de la petite colonne et sur laquelle sont les tubes 
de verre, jusqu'à ce que cette règle paraisse être dans l’aligne- 
ment de AG. Faisant ensuite tourner les vis qui traversent cette 
règle, j'élève les lames jusqu’à ce que leurs fentes soient vis-à- 
vis des lignes que marque, sur les tubes de verre, la surface de 
l'eau qui est dedans. Les lames étantarrêtées dans cette position, 
je regarde par leurs fentes pour voir le poteau AG, en faisant 
élever ou abaisser le disque autant qu'il est nécessaire pour 
apercevoir la ligne qui sépare le blanc du noir. Laissant alors la 
dioptre fixée dans cette position, et passant de l’autre côté, je 
regarde à travers les fentes l'autre poteau ! que l’on éloigne de 
la dioptre aussi loin que peut s'étendre ma vue, et je fais de 
même placer son disque de manière à voir la ligne qui sépare 
les deux couleurs. Soit donc DE le second poteau, ZJ la dioptre, 
G,E les points déterminés par la dioptre, D le point où lesecond 
poteau est fixé sur le terrain. Je mesure les deux lignes AG, 
DE ; supposons que l’on ait trouvé A G de six coudéeset D E de 
deux. Cela admis, je dispose deux lignes? (d'écriture); dans 


1. On sait que deux poteaux (deux mires) ne sont pas nécessaires. On donne 
simplement pour chaque point ce qu'on appelle deux coups de niveau, le coup 
avant et le coup arrière, mesurés sur la même mire, pour deux positions de l’instru- 
ment. Cela revient au même. 


2. Ce sont deux colonnes séparées par un trait : peu importe sur quoi on faisait ce 
relevé, tablettes de cire, feuille de papyrus ou de parchemin. 


Tosodtoy og  650v duvaueba cv Tov AT XANONI. ÊTI TA AT LE pn To 5 B, ériotccow 
TOV ËT AXPW TO CADET v & éctt Ta DdéAiVY ALES pers V E evetuc 
YÉVATA 9 Fha105 AVE <$ AT. Ex, érIGTpS Vas Ta xo Ad Ev TS xavôvL, 
AVLYW TAG deièus, 3 dois Av xa! Êv aUTaIc Gvaroua YÉVOVTAL XATX TU ÊV TO 
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l'une, j'écris le mot descente et dans l'autre le mot montée, 
comme on le voit plus loin; J'inscris les six coudées dans la 
ligne de la descente, et les deux coudées dans 

D M la ligne de la montée. Maintenant le poteau DE 
restant fixe, je transporte la dioptre par exemple 





6 9 en K;et seulement je retourne le poteau DE, 
r 9 de manière que je puisse apercevoir de nouveau 
| 3 son échelle de division. Je mets les lames en 
A 9 place, et j'établis l’autre poteau en LC, au delà 
5 de la dioptre, et du côté opposé à DE; puis, 
l 3 derechef, la dioptre restant fixée en place, je 
9 3 fais mettre le disque en ligne droite avec les 
- 9 fentes. Soient H,C les points des deux poteaux 
9 I qui correspondent aux aiguilles des disques; je 
3 I note la distance comprise entre le point H et le 
sol dans la colonne de la descente, et celle du 

Me point C dans la colonne de la montée. Supposons 

. que cette première distance soit de quatre cou- 


dées et la seconde de deux. 
Alors le poteau LC restant en place, je 
10 transporte la dioptre ainsi que le poteau DE. 
Puis, ayant placé en ligne droite, comme on l’a 
déjà dit, les disques et les fentes, je prends sur les poteaux les 
points L,M; je note la mesure de la descente en L, et celle de 
la montée en M. Supposons la première d'une coudée et la 

seconde de trois. 

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« Maintenant le poteau restant en M, transportons la dioptre 
et le second poteau. Soit X O0 l'alignement de la dioptre, et 
supposons le chiffre de la descente en X de quatre coudées, et 
celui de la montée en O de deux coudées. 

Continuons de la même manière, jusqu’à ce que nous 
arrivions en B; soit la dioptre placée en T, RS son alignement, 
» le chiffre de la descente, 3 celui de la montée. 

« Soit ensuite la dioptre placée en Q, UF son alignement, 
{ la descente, 3 la montée. 

Ensuite soit A’, la dioptre, W & son alignement; soit la 
descente de deux coudées, la montée de trois. 

« Puis D'la dioptre, B'G'son alignement, cinq coudées pour 


- la descente, trois pour la montée. 


« Soit encore Z'la dioptre, E’J' son alignement, la descente 
de deux coudées, la montée de une. 

Enfin supposons que l’un des poteaux soit parvenu près de 
la surface même de l’eau qu'il s'agit de conduire, et que, pour 
cette dernière station de la dioptre,nous ayons trouvé trois coudées 
pour la descente et une pour la montée. 

« Alors, faisant la somme de tous les nombres précédemment 
marqués, tant pour la descente que pour la montée, je trouve 33 
pour les premiers et 23 pour les derniers. La différence est de 


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dix coudées en plus du côté de la descente; c’est le côté où l’on 
veut conduire l'eau; celle-ci coulera donc dans la direction B A ; 
et je marque les dix coudées dont le point B est plus élevé que 
le point A. Si les deux sommes se fussent trouvées égales, c’est 
qu'alors les deux points A etB eussent été également élevés, c'est- 
à-dire situés dans un même plan horizontal, et à la rigueur, dans 
ce cas, l'eau arriverait encore. Mais si le nombre de la descente 
était plus petit, alors il serait impossible que l’eau coulât d'elle- 
même, et il faudrait, de toute nécessité, employer une machine. 
Ce sera, s’il y a une grande différence de hauteur, un système 
de seaux, ce que l’on nomme une chaine. Si la différence est 
petite, il suffira d'une vis ou d’une roue à aubes. 

Quant aux lieux intermédiaires par lesquels nous nous 
serions proposé de conduire l’eau, nous obtiendrons leurs 
relations de position, soit entre eux, soit avec les points extrêmes, 
absolument par la même méthode, en appliquant à ces points 
intermédiaires l'hypothèse qu'ils ne sont eux-mêmes autre chose 
que les points donnés; il n’y a pas la moindre différence. Il 
conviendra encore, après avoir fait le calcul pour toute la 
longueur, de chercher quelle est la pente correspondante à 
chaque stade; puis d'élever des monticules dans les lieux 
intermédiaires, et d'y établir des signaux de reconnaissance ou 
des bornes portant des inscriptions; c’est le moyen de s'assurer 
que l'opération ne sera en erreur sur aucun point. 

Observons en outre que l’eau ne doit pas être conduite en 


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suivant la direction de la pente, mais en choisissant la voie la 
mieux appropriée aux circonstances. Souvent, en effet, on ren- 
contre un obstacle !, soit une montagne trop rocheuse ou trop 
élevée, soit un terrain de nature poreuse ou sulfureuse, ou de 
toute autre matière capable d'altérer la qualité de l'eau. Partout 
où nous en rencontrerons, nous nous détournerons, pour ne 
point nuire à l’eau transportée. Et, pour éviter qu'en la dirigeant 
par un chemin trop long, on ne tombe dans une dépense trop 
considérable, nous montrerons dans le problème suivant com- 
ment on peut trouver la ligne droite qui passe par deux points 
donnés (l'un ne pouvant être vu de l'endroit où est l'autre), car 
cette ligne est la plus courte de toutes celles qui aboutissent 
aux mêmes extrémités. Alors, si après la détermination de 
cette ligne, nous y rencontrons quelqu'un des inconvénients 
précédemment signalés, nous changerons de direction. » 


Ce texte était intéressant à citer dans son entier : il a d'abord 
l'avantage de nous faire connaître dans tous ses détails le nivel- 
lement à la dioptre. Ensuite, par son exactitude minutieuse, 
par le procédé même de la description d'appareil ou d'opération, 
il nous montre quel degré de précision scientifique les Grecs 
avaient atteint déjà. À lire la traduction de ce passage, on 
croirait souvent avoir affaire à un traité d’arpentage moderne. 
La différence est saisissante quand on aborde ces clairs exposés 
à la suite des textes de Vitruve ou des Gromatici veteres. 


1. Il est évident que Héron parle ici en géomètre plus qu’en hydraulicien; il 
envisage le type le plus simple des aqueducs, celui d’un simple fossé : c’est pour cela 
qu'il parle de la nature du terrain traversé; les anciens n'étaient guère embarrassés 
pour faire passer leurs aqueducs partout, au moyen d’une construction solide et 
étanche. Il est bien rare aussi qu'une conduite d'eau longue et importante suive la 
ligne droite; mais, avant de s’en écarter, il est indispensable de la déterminer par le 
nivellement préparatoire qui vient d’être décrit. 


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2° PROBLÈME. — Mener une droite entre deux points tels. 
que de l’un on ne puisse apercevoir l’autre ($ vir). 


Le procédé de Héron consiste à se transporter du premier 
point, par tâtonnements, et par redans successifs, jusqu'à un 
autre point d'où l’on apercoive le point d'abord invisible. Une 
proportion de triangles semblables donne la ligne cherchée. 


3° PROBLÈME. — Mesurer la distance, réduite à l'horizon, 
comprise entre le point où l'on est et un point éloigné, sans 
s'approcher de celui-ci ($ vrnr). 

Ici, on fait mouvoir l'alidade dans les deux sens, horizontal 
et vertical. C’est toujours une question de triangles semblables. 
Il en est de même du problème suivant (4° probl., $ 1x): mesurer 
la largeur d'une rivière, opération que les arpenteurs romains 
désignent sous le nom de varatio!; des cinquième? et sixième ? 
problèmes. Il n'y a entre ces procédés et les nôtres que peu de 
différences. 


T7 PROBLÈME. — Mesurer la hauteur d'un point inacces- 
sible ($ xx). 

Le texte ici est intéressant, en ce que l’auteur emploie, pour 
indiquer qu'il y a un uivellenient à faire entre deux points à 
proximité l’un de l’autre, le terme ywpo£arev. S'agit-il, comme le 
croit M. Vincent, de l'emploi du chorobate, l'instrument dont 
parle Vitruve et qui sera décrit plus loin? Je ne le pense pas, car 
la dioptre elle-même était aussi bonne que le chorobate pour 
opérer ce nivellement. Le mot ywpo£area, dont le sens propre est 
parcourir du terrain, signifiait sans doute dans son acception 
technique opérer un nivellement et non pas seulement se 
servir du chorobate. 


1. Marcus Junius Nipsus (Gromat. veteres, p. 285). 


2. Mesurer la distance horizontale de deux points éloignés (x). — Une des trois 
solutions que fournit Héron est donnée par Hygin (De limit. constituendis, Grom. 
vet., p. 193). 


3. Etant donnée une droite, mener une perpendiculaire à l'une de ses extrémités, 
sans approcher de la droite, ni de l'extrémité (x1). 





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13% ProBLème !. — Percer une montagne suivant une ligne 
droite qui joigne deux points À, B, opposés sur ses flancs 
(S xv). 

Ce problème intéresse fort le tracé des aqueducs. Héron le 
résout en contournant d’abord la montagne et en mesurant 





(fig. 10) les différentes lignes à angle droit AC, CD, DE, EF, FG, 
GH, HB, réduites à l'horizon, Prenant ensuite un point O à gauche 
de A et L à droite de B, BL — AO, de manière à pouvoir mener 
les perpendiculaires O X et LP, il obtient les longueurs OX, OP, 
et, par suite, la direction AB? par la similitude des triangles 
OAX, ABZ, BPL, le point Z étant d’ailleurs obtenu par la 
différence (AC + DE) — (FG + HB). Pour régler l'excavation 
par rapport à l'horizon, il n’y a qu’à opérer le nivellement entre 
les deux points À et B, ce qui d’ailleurs était sans doute fait 
tout d’abord. 


{Ame PROBLÈME. — Creuser, dans une montagne, des puits 
qui tombent perpendiculairement sur une excavalion ($ xvi). 


1. Mesurer la différence de hauteur de deux points inaccessibles (probi. 8, x1n). 
Mesurer leur distance (pr. 9.) Déterminer la position de la droite qui les joint 
(pr. 10), et applications. Déterminer la hauteur d’une montagne (pr. 11) et déterminer 
la profondeur d’un fossé (prob. 12, x1v). C'est toujours le même principe que dans 
les méthodes modernes; il y a même souvent identité absolue. 

2. Les perforateurs, de chaque côté, suivront la direction indiquée, pour les uns 
par XA, pour les autres par PB, et ils se rencontreront forcément, 


— 70 — 


L'auteur envisage le cas bien simple où la voie souterraine est 
en ligne droite : le problème est résolu facilement par les visées 
de la dioptre et des jalonnements successifs. 


15%° PROBLEME. — ÆElant donnée une galerie souterraine 
(lorlueuse et d'une certaine largeur), trouver dans la campagne 
au-dessus un point d'où l’on puisse creuser un puits vertical 
aboutissant à un point donné de cetle galerie ($ xvrr). 


Le problème correspond seulement à l'éventualité d’un ébou- 
lement, pour faire en sorte que par le puits à creuser l’on puisse, 
soit transporter au dehors les décombres provenant de l’éboule- 
ment, soit descendre des matériaux pour la reconstruction; et 
la donnée suppose qu'il y a déjà deux puits existants. Le point 
voulu est obtenu par une double triangulation effectuée paral- 
lèlement dans le fond de la galerie et à la surface. 

Héron n'indique pas le moyen d'aboutir de l'extérieur, par un 
puits, en un point donné d’une galerie quelconque, étroite et 
sinueuse, telle que sont souvent les canaux souterrains. Mais la 
dioptre permettait fort bien, d'abord de conduire le tracé d’une 
semblable voie, ensuite de trouver à l'extérieur la verticale de 
n'importe quel point de la galerie. Le traité n'aborde que quelques 
problèmes types. C'était aux ingénieurs eux-mêmes à connaître 
assez bien la pratique de l'instrument pour en tirer tout le 
profit voulu sur le terrain. Des problèmes de ce genre devaient 
être proposés dans les écoles aux jeunes gens qui étudiaient la 
géométrie en vue des carrières d’arpenteur, niveleur, architecte, 
auxquelles ils se destinaient. 

Voici l'énumération des autres problèmes, pour la plupart 
desquels je me bornerai au simple énoncé. 


16° PROBLÈME. — Les extrémités d'un port élant données 
en dessiner le contour suivant un arc de cercle ou une 
courbe quelconque. 


C'est ici qu'intervient le plateau (ruurawer). On le dispose 
horizontalement, et l’on effectue des visées d'un point un peu 
plus élevé de manière que les rayons visuels, partant de ce 
point et passant par le bord du plateau, dessinent sur le terrain 


eg 


la circonférence de base d'un cône dont deux génératrices 
passent par les extrémités A et B ($ xvrit). 


17% PROBLÈME, — Hausser un terrain de manière qu'il 
prenne la forme d'une portion donnée de surface sphérique. 


Les visées se font de la même façon, mais cette fois le 
plateau adapté à l'instrument doit prendre la position verticale 
(S x1x). 


18% PROBLÈME. — Incliner un terrain suivant une pente 
déterminée ($ xx). 


19° PROBLÈME. — Fixer, au moyen de la dioptre, sur une 
certaine droite horizontale menée à partir du mur, un point 
qui soit éloigné de nous d'une distance donnée. 


Le procédé consiste à trouver la distance voulue par un 
calcul de proportion au moyen de l’échelle graduée de la mire 
(S xx1). 


20"° PROBLÈME. — D'un point éloigné de nous, prendre avec 
la dioptre une distance égale à une distance donnée, sans 
approcher de ce point, et sans avoir la droite sur laquelle il 
faut prendre cette distance. 


Construction facile par les triangles semblables ($ xxrr). 


21%° PROBLÈME. — Mesurer un champ au moyen de la 
dioptre ($ xxr11 et xxIv). 

C'est le problème général de l'arpentage. Héron donne plu- 
sieurs méthodes, dont le principe est semblable à celui des 


arpenteurs romains et au nôtre. Il en est de même des deux 
problèmes suivants. 


22° PROBLÈME. — Les bornes d’un champ ayant disparu, 
à l'exception de deux ou trois, retrouver au moyen du plan 
Ou dessin (roù puunuatos Urapyovres) les limites perdues. Le 
problème revient à construire sur le terrain, au moyen d’un 


côté donné, un polygone semblable à un polygone donné sur le 
papier ($ xxv). 


— [£ — 


23° PROBLÈME. — Partager un terrain en portions données, 
au moyen de droites menées par un même point ($ xxvr). 


24° PROBLÈME.— Mesurer un charnp sans entrer dedans. 


La solution est obtenue en traçant, à l'extérieur du pourtour 
polygonal, des triangles semblables à tous ceux qu'on pourrait 
figurer dans l’intérieur en joignant un sommet à tous les autres 
(SX VIT) À. 

Les deux problèmes suivants, d'une application pratique 
directe, ne comportent pas l'emploi de l'instrument, et rentrent 
par conséquent dans le domaine de la géométrie proprement 
dite. 


25° PROBLÈME.— Diviser un trapèze ou un triangle donné 
suivant un rapport donné, par une parallèle à la base 
($ XXVII1 et XXIX). 


26"° PROBLÈME.— Trouver l'aire d’un triangle, en fonction 
de ses trois côtés. 


C'est la démonstration géométrique de la règle que nous 
représentons par la formule : 


S—Vp(p—a)(p—b)(p—0 (8 xxx). 


Suit un problème où la dioptre n’a rien à voir non plus, mais 
sur lequel nous aurons à revenir plus loin, car c'est une question 
d'hydraulique pratique. 


27° PROBLÈME. — Etant donnée une fontaine, évaluer son 
produit, c'est-à-dire la quantilé d'eau qu'elle fournit. 


28° PROBLÈME.— Déterminer la distance angulaire de deux 
astres. 

Elle s'obtient au moyen du plateau de la dioptre et de la 
règle de visée, d'ailleurs sans le secours d'aucune lunette, les 
anciens ne connaissant pas les proprictés et l'usage des verres 
lenticulaires {$ xxx11). 


1. Cf. Junius Nipsus. Limitis repositio (Grom. vet., p. 272). 





29%° PROBLEME. — Critique de l'astérisque. 
Instrument fort analogue à la groma des Romains, si ce n’était 
cet instrument lui-même (f xxx111) !. 


30%° PROBLÈME. — Description et usage de l'odomètre. 


Il s'agit ici d'un assez ingénieux compteur adapté aux 
voitures, et consistant (fig. 11) dans une combinaison de vis sans 
fin et de roues dentées (S xxx1v). 


LOU 


LEE 
: 5 


Yo 





Fig. 11. — Odomètre de Héron. 


31%° PROBLÈME. — Mesure du sillage d’un navire. 


L'appareil est analogue au précédent. Le navire avançant 
d’une longueur donnée, faisait tourner d’un certain angle une 
roue à palettes, laquelle commandait une série de roues dentées 
(S XXXV). 


3200 PROBLÈME. — Déterminer la distance de deux lieux 
situés dans des climats différents. 


Héron résout ce problème par le procédé qui consiste à noter 
les heures auxquelles s’observe une même éclipse, dans les deux 
lieux en question. Quelque intéressante que soit cette solution 
(M. Vincent considère le passage comme le plus curieux de tout 


1. V. ci-dessus, p. 51. 


TRES 


le traité), elle se rattache trop peu à la question des travaux 
publics, pour que nous ayons ici à l'expliquer ($ xxxvi). 


33° PROBLÈME.— Avec une force donnée, faire mouvoir un 
poids donné, au moyen d'un système de roues dentées (Sxvxvn). 


Ici se place la description de l'appareil dont il a été parlé 
plus haut, auquel s’est appliqué par l'usage le nom générique de 
Bæpoulos, et sur lequel nous reviendrons plus loin. Cette 
insertion à la suite du traité de la dioptre peut s'expliquer, 
comme celle de quelques-uns des problèmes précédents, par un 
classement maladroit provenant une première fois du fait de 
quelque copiste, et qui s’est perpétué Nous n'avons pas à nous 
engager dans des discussions à ce sujet !. Il nous suffit que 
les textes soient authentiques, et que le traité dans son ensemble 
soitle meilleur des documents pour suivre dans leurs opéra- 
tions sur le terrain les ingénieurs de l'empire romain, chargés 
des travaux publics. 


IV. — Le chorobate de Vitruve. 


Vitruve, au livre VIIT du De archilectura, où il s'occupe des 
eaux et des aqueducs, parle des appareils de nivellement, et 
mentionne en premier lieu les dioptres, puis les librae aquariae, 
enfin le chorobate, qu'il déclare le plus exact, et auquel seul il 
fait l'honneur d'une description sommaire. « Libratur autem 
dioptris, aut libris aquariis, aut chorobate, sed diligentius 
efficitur per chorobaten, quod dioptrae libraeque fallunt. » Le 
mot dioptre est au pluriel; il y en avait, en effet, plusieurs 
espèces, et dioptre ne signifie pas autre chose que « appareil de 
visée ». En ce sens, la groma, qui a été décrite plus haut, est 
une dioptre; elle pouvait servir aux nivellements, puisque 
l'opération de réglage consistait à placer de niveau la plate- 
forme, et aussi, par conséquent, les bords des fenêtres de visée. 


1. Cette question des interpolations est posée et discutée dans les Prolegomena 
de Hermann Scl'œæne, édition de Héron citée, tome II, p. xix et xx. 


POP 


tite té uité 


—0 | 7 — 


Ce serait une dioptre aussi que cet appareil qui était encore 
chez nous en usage il n’y a pas très longtemps, et qui consistait 
en une simple planchette fixée à angle droit sur une masse 
métallique de forme allongée, le tout suspendu par un anneau. 
L'horizontalité de la planchette était assurée par le poids du 
métal ; qu’on imagine deux pinnules avec fenêtres de visée aux 
extrémités de cette planchette, on aurait un appareil à peu près 
aussi exact que la groma pour opérer un nivellement. Quant à la 
libra aquaria, ce ne peut être autre chose que le niveau d’eau, 
traduction littérale des deux mots latins : il n’y a pas d’hési- 
tation à avoir, puisque nous venons de trouver cet appareil 
employé dans la dioptre de Héron. Tous n'étaient peut-être pas 
d’une construction aussi soignée. Vitruve n’y avait pas grande 
confiance. Voyons si le chorobate valait mieux. 

« Le chorobate, dit-il, est formé d’une règle d'environ vingt 
pieds ; elle porte à ses extrémités deux pièces coudées parfai- 
tement égales, qui y sont ajustées à angle droit; entre la règle 
et ces crosses s'étendent des traverses fixées par des tenons, et 
sur lesquelles sont tracées des lignes perpendiculaires, corres- 
pondant chacune à un fil à plomb suspendu à la règle. Ces fils, 
quand la règle est en place, s'appliquant exactement et égale- 
ment sur les lignes tracées, font voir que l'instrument est bien 
de niveau. 

« Pour le cas où le vent interviendrait, s’opposant par l'oscil- 
lation des fils à la netteté des indications fournies par les lignes, 
on peut creuser sur la face supérieure de la règle un canal long 
de cinq pieds, large d’un doigt, et profond d'un doigt et demi, 
destiné à être rempli d’eau. Si l’eau touche également l’extré- 
mité des bords du canal, on saura que l'instrument est de 
niveau. Ainsi, quand on aura pris le niveau au moyen du 
chorobate, on connaïtra la surélévation cherchée, » ! 

Vitruve, à la suite de sa description, croit devoir réfuter 
l'objection de ceux qui, sachant d’après Archimède que l’eau ne 
présente pas une surface absolument plane, mais suit le contour 
du globe terrestre, contesteraient pour cette raison la justesse 


IPAVAET VIT, D. 


A0 € 


de l'instrument. La surface de l’eau, dit-il, a beau être arrondie 
dans le canal, cette eau n’en sera pas moins à la hauteur exacte 
des deux bords si l’instrument est de niveau ; dans le cas 
contraire, d’un côté elle n'atteindra pas le bord. Cette consi- 
dération parait bien superflue, sinon un peu puérile, et nous 
aimerions mieux quelques détails de plus sur l'appareil et sur 
son maniement. Il est vrai que l'auteur renvoie à un dessin qui 
figurait à la fin de son livre, et qui a, comme tous les autres, 
disparu. 

On a essayé souvent de le reconstituer, et les reproductions 
des divers commentateurs sont toutes à peu près pareilles, à 


‘878 — : = = _ = = = = | CR H 











Fig. 13. — Le chorobate. Restitution de Newton. 


part la manière de placer les traverses entre la règle et les 
crosses. « Inter regulam et ancones, dit le texte, a cardinibus 
compacta transversaria, quae habent lineas ad perpendiculum 
recte descriptas, pendentiaque ex regula perpendicula in 
singulis partibus singula. » Perrault en fait des traverses 
horizontales parallèles à la règle, tandis que Newton, de façon 
plus vraisemblable, en fait deux jambes de force, qui assurent 
la fermeté de l’assemblage à angle droit et garantissent du 
fléchissement la pièce supérieure (v. fig. 12 et 13). Vitruve ne donne 
pas le nombre de fils à plomb, mais il suffisait de quatre, un de 
chaque côté de chacune des traverses, pour le contrôle de la 





4 Re 


justesse de l’appareil. Il indique la longueur du canal, mais il 
est évident que pour des nivellements précis, ce canal pouvait 
être plus long. La justesse, et aussi la précision, dépendaient du 
degré de perfection réalisé dans l'agencement des différentes 
parties et dans la solidité des assemblages. Faute de renseigne- 
ments là-dessus, nous ne pouvons contrôler la raison plus ou 
moins bien fondée de la préférence de Vitruve pour cet 
appareil. Toutefois, on peut la croire due pour une part à ce 
qu'il dispensait des visées, nécessaires à l’usage de la dioptre. 
Pour déterminer avec le chorobate la différence de niveau entre 
deux points choisis, on mesurait dans l'intervalle chaque déni- 
vellation donnée par un déplacement d’une longueur de l’appareil, 
ce qui s'obtenait sans doute en glissant sous une des crosses 
des cales d’épaisseurs différentes, bien étalonnées, jusqu’à ce 
que l'instrument fût remis de niveau; la somme de ces épais- 
seurs donnait un chiffre inscrit chaque fois ; à la fin, une somme 
algébrique, effectuée comme l'indique en détail le traité de la 
Dioptre, donnait la différence de niveau entre les deux points 
choisis. 

Evidemment, cet instrument était bien lourd, et son avan- 
cement bien lent. 11 faut cependant considérer que chacune des 
mesures prenait peu de temps, ce qui compensait leur multi- 
plicité;, en outre, en raison même de cette multiplicité, une 
erreur partielle commise ne tirait guère à conséquence. L’appré- 
ciation de Vitruve n'a donc rien qui doive étonner beaucoup, et 
les nivellements soignés, pour le tracé des aqueducs par 
exemple, pouvaient fort bien être opérés ainsi. 


1 


CHAPITRE IV 


MÉCANIQUE ET HYDRAULIQUE 


I. — Principes généraux de mécanique. 


En fait de mécanique théorique, les connaissances des anciens 
paraissent au premier abord avoir été peu étendues et peu appro- 
fondies. Les Grecs déployèrent, il est vrai, en cinématique, 
beaucoup d'ingéniosité pour analyser les combinaisons de 
mouvements, et cela de fort bonne heure !. Maisla notion même 
de vitesse, pourtant fondamentale, n'était pas très exactement 
précisée. Nous ne trouvons rien nulle part qui corresponde aux 
équations élémentaires du mouvement, ou qui ressemble à une 
théorie raisonnée de l'accélération ?. Pourtant, si en fait la 
statique, avant Archimède, se borna aux conditions d'équilibre 
du levier, il y avait comme une intuition du principe des vitesses 
virtuelles dans la théorie du levier par Aristote. & Le poids qui 
est mû, dit-il *, est un poids qui meut en raison inverse des 
longueurs des bras de levier; toujours, en effet, un poids mou- 
vra d'autant plus aisément qu’il sera plus loin du point d'appui. 
La cause en est celle que nous avons déjà mentionnée : la 
ligne qui s’écarte davantage du centre décrit un plus grand 


I. Le système des sphères concentriques d'Eudoxe est une combinaison de mou- 
vements déjà très savante. Voir également un passage de Platon (Lois x, 893, d.), qui 
montre une grande subtilité à démêler un cas de mouvement fort compliqué. 


2. « Aristote avait expliqué l'accélération des corps pesants par un accroissement 


de leur qualité de pesanteur au fur et à mesure qu'ils s’approchent de leur lieu 
naturel. » (E. Jouguet, Lectures de mécanique, 1" partie, p. 79). 


3. Mayavexa roo6htuura. Edition Didot, t. IV, p.58. 


0 


cerele. Donc, en employant une même puissance, le moteur 
décrira un parcours d'autant plus grand qu'il est plus éloigné 
du point d'appui. » 

Avec Archimède apparaît la théorie de la composition des 
forces parallèles et des centres de gravité, avec celle de l’équi- 
libre des corps flottants. Mais il ne formula ni les lois de la 
composition statique les forces concourantes, ni les principes de 
la dynamique : égalité de l’action et de la réaction, masse, 
travail et force vive. On suppléait cependant, dans la pratique, à 
l'insuffisance de la théorie; fait constant d’ailleurs et de tout 
temps, même du nôtre. Que de découvertes spontanées enfantant 
d’admirables engins mécaniques, et que de progrès dans la 
puissance et la souplesse de ceux-ci, avant que la théorie en ait 
été constituée! 

Une bonne part des connaissances de mécanique pratique que 
l’on possédait, aux alentours de l’ère chrétienne, figure dans le 
contenu des traités de Héron d'Alexandrie et de Vitruve. Il a 
été fait mention plus haut (p. 40) des Myyawxx de Héron, où 
sont décrites les cinq puissances simples, treuil, levier, moufle, 
coin, vis sans fin. Les différentes matières traitées dans cet 
ouvrage se répartissent ainsi: | 


Livre I. — 1. Mouvoir un poids donné avec une puissance 
donnée, au moyen d’un train d’engrenages. 
9 


2. Mouvement relatif des cercles qui engrènent. Vitesses 
relatives des cercles fixés ou non sur le même axe. 

3. Construction de figures semblables ayant entre elles un 
rapport donné, et instruments destinés à cette construction. 
Trouver deux moyennes proportionnelles entre deux lignes 
données. Centres de similitude. 

4. Mouvement des graves sur les plans inclinés. Poulie 
simple. 

9. Définition du centre de gravité d'après Archimède (point 
tel que lorsque le poids est suspendu par ce point, il est divisé 
en deux portions équivalentes). 

6. Répartition des poids sur leurs supports. Equilibre des 
fléaux de balance et de la poulie simple. 


0 


Livre II. — 1. Les cinq machines simples : treuil, levier, 
moufle, coin, vis sans fin; combinaison de la vis et de la roue 
dentée, 

2. Théorie de ces machines, ramenée à celle des cercles 
concentriques. Levier et treuil. Théorie de la moufle : lorsque la 
corde passe une fois au support fixe, la puissance dans l’état d’équi- 
libre est égale au poids ; quand elle passe n fois au support fixe, 


la puissance est égale à PTE FE du poids; quand l'extrémité est 
1 


+ 1 
attachée au support fixe, au lieu de l'être au poids, la résis- 
tance du support équivaut à de la puissance motrice. — Effets de 


la percussion sur le coin. — Théorie de la vis; tracé de son 
hélice. — Déplacement de la vis et des dents dans un engre- 
nage. 


3. Combinaison de plusieurs machines simples. Ralentisse- 
ment de la vitesse dans ces combinaisons. 

4. Explication de divers problèmes de mécanique physique !. 

5. Centres de gravité du triangle et du pentagone. 


Livre III. — À. Appareils à mouvoir les lourds fardeaux sur 
le sol (supporten charpente avec rouleaux), à élever les fardeaux 
avec un, deux, trois et quatre montants. Pinces et coins pour 
saisir les pierres. — Appareil pour faire descendre de lourds 
fardeaux d’un lieu élevé. (C'est un système de chariot contre- 
poids, qu'on peut d’ailleurs utiliser aussi pour faire monter la 
charge.) — Appareil pour dresser les colonnes sur leurs bases 
(Système analogue, avec poulies, et coffre contre-poids). 
— Appareil pour poser de lourds fardeaux dans la mer. (Barques 
que l’on submerge en les chargeant de lest.) — Appareil 
pour redresser les murs ébranlés. (Etais verticaux réunis par 


1. Voici l'énoncé de quelques-uns de ces problèmes : Pourquoi un chariot à deux 
roues porte t-il les fardeaux plus aisément que le chariot à quatre roues? — Pourquoi 
les bêtes de somme ont-elles de la peine à tirer les chariots dans le sable ? — Pourquoi 
les gros poids tombent-ils à terre dans un temps moindre que les poids légers ? 
(Réponse vague et qui d’ailleurs n’est pas une explication: Parce que la puissance 
et l'attraction dans les mouvements physiques se communiquent en plus grande 
quantité aux poids lourds qu'aux poids légers.) — Pourquoi un poids de forme plate 
tombe-t-il plus lentement qu'un poids sphérique? (Héron ne fait pas intervenir la 
résistance de l'air; son explication peu nette semble prétendre que dans le cas d’un 
poids sphérique les forces sur chaque élément s'ajoutent ou se superposent tandis 
qu’elles se juxtaposeraient seulement dans le cas du poids plat.) 


or 


une traverse horizontale; on incline à force le système contre 


le mur au moyen de poulies.) 
2. Pressoirs à poids, à poulies, à leviers et à vis. 


Le livre X de Vitruve est tout entier consacré à la mécanique. 
Il complète utilement le traité de Héron, dont ilne fait d'ailleurs 
pas mention !. Les mêmes machines usuelles s'y trouvent 
décrites, quelques-unes avec plus, d'autres avec moins de détails ?. 

Après avoir défini la machine * : « un assemblage bien lié de 
pièces solides possédant des forces considérables pour mouvoir 
les corps pesants », Vitruve distingue trois genres de machines : 
celles qui servent à élever (genre scansorium, en grec depobaruxov) ; 
celles qui ont pour principe la pression de l’air (genre spirilale ou 
ryevuatuoy) ; et enfin celles quiservent à tirer (genre tractorium ou 
Bapoïuoy). Il fait aussi une distinction entre celles qui demandent 
le concours de plusieurs bras, machines proprement dites (quae 
unpavmas moventur), et celles auxquelles suffit la force d'un 
seul homme, les maniant avec adresse (organa ou quae 
oépyanras moventur) ‘. 

N'accordons aucune importance à la déclaration qui suit, à 
savoir : que le principe du mouvement circulaire appliqué dans 
la plupart des machines a été emprunté à la nature, par l’obser- 
vation du mouvement circulaire des corps célestes”. Ce n’est là 
qu'une de ces idées sans fondement qui, émises une première 
fois, ont semblé ingénieuses, puis se transmettent indéfiniment 
par une sorte de pieuse routine, sans discussion. Il est bien plus 
probable que la simple observation des choses toutes proches 
a naturellement amené les premiers hommes à se servir du 
levier, avant qu ils eussent la moindre notion de cosmographie. 


1. Pas plus que Héron ne mentionne Vitruve. On ne saurait donc tirer de là 
aueun argument concernant l’époque relative des deux auteurs. 

2. Héron est néanmoins plus complet, ses théories sont plus solides et les 
machines décrites plus nombreuses. Les machines à engrenages manquent dans 
Vitruve. En revanche, on y trouvedes machines hydrauliques, que les Mnyavtxx 
ne contiennent pas. 

3. « Machina est continens ex materia conjunctio maximas ad onerum motus 
habens virtutes. » (x, 1.) 

MX; ];" 244. 

5, Ibid., 245. 


DEFROoe 


Un peu plus loin !, Vitruve montre quetoutesles machines se 
raménent à une combinaison de mouvements rectilignes se 
tranformant en mouvements circulaires, et réciproquement. Mais 
sa démonstration du principe de l'équilibre des forces appliquées 
aux machines, principe qu'il fait dépendre de celui du levier, 
est loin d’être une démonstration rigoureuse : c'est un exposé de 
faits plutôt qu'une théorie. Si Vitruve explique le fonctionne- 
ment de la balance dite statera (balance romaine), la puissance 
de traction des bœufs modifiée par la plus ou moins grande 
longueur des branches du joug; s’il distingue le levier du 
second genre de celui du premier; il ne fait pas voir que la 
différence d'effort à exercer dans les deux cas provient de la 
différence qui existe dans le rapport des bras du levier. De 
même, pour les rames des bateaux, il indique bien que, plus 
elles sont longues, plus elles donnent de vitesse ; mais il ne 
voit pas que le point d'appui est dans l’eau et non sur la cheville, 
que la rame est un levier du second genre et non du premier. 
Sa théorie est donc assez incertaine. 


II. — Machines de soulèvement et de traction. 


Avant même de parler du levier et de ses applications 
directes, Vitruve décrit les appareils élévateurs que nous 
appelons communément chèvres, et qu'il comprend dans le 
groupe général des machines de traction, sans les désigner 
autrement que par le terme de machinae (fig. 14, 15, 16 hors texte). 
Leur disposition pratique est décrite plus complètement que par 
Héron. Selon la façon dont on lit le texte”, ce sont ou deux, 
ou trois poutres réunies par le sommet, et maintenues à l'aide 


1..7bid., 3, 352. 

2. x, 2. — Le texte le plus authentique qu’adopte V. Rose est : Tigna duo ad 
onerum magnitudinem ratione expediuntur. Perrault lisait tigna #ria, et beaucoup 
d’éditeurs l'ont suivi. Cette différence n'influe d’ailleurs que sur le mode de 
soutien des poutres, et non sur le fonctionnement mécanique. On trouvera, fig. 14, 
la disposition avec trois poutres. d’après Perrault, et fig. 15 et 16 le système à deux 
poutres, tel que l’a décrit et représenté Blümner. (Technologie und Terminologie der 
Gewerbe und Künste, t. I, $ 1v, Hebenmaschinen, p. 111 et suiv.) 
































Trispastes, simple et double. 


14. 


Fig, 





(d’après Blümner). 


Fig. 16. — Trispaste double (d’après Blümner). 


# 


RE EE NTENEE TE He 





de quatre (fig. 15, 16) ou de trois cordes (fig. 14) que l'on noue 
au sommet, que l’on tend obliquement et que l'on assujettit au 
sol par de courts piquets. Une moufle, c'est-à-dire la combinaison 
de deux systèmes de poulies tournant les unes au-dessus des 
autres respectivement dans deux chapes ({rochleae ou réchami), 
constitue l'appareil mécanique proprement dit. La chape supé- 
rieure est fixe, attachée au som- 
met des montants, l’inférieure 
est mobile, et soutient par un 
crochet le fardeau qui monte 
avec elle quand on tire la corde 
(ductorius funis) passant sur 
les poulies. 

Vitruve débute par le modèle 
le plus simple !, dit trispaste 
(fig. 14 à gauche, et 15) (de roc, 
et rx, je tire) parce qu'il com- 
portetrois poulies, deux en haut, 
une en bas. Le câble de traction 
passe d’abord surla poulie supé- 
rieure dela chape fixe, puis sous 
la poulie de la chape mobile, 
remonte sur la poulie inférieure 
de la chape fixe, et redescend 
vers la chape mobile à laquelle 
il s'attache ?. L'autre extrémité 
de ce câble s’enroule sur un axe 
horizontal qui relie les deux poutres et que l’on fait tourner par 
des leviers. 





Fig. 17. — Tenailles de soulèvement. 


1. Le modèle le plus simple serait à vrai dire non la frispaste, mais la dispaste, avec 
deux poulies seulement, une en bas, une en haut. 


2. Vitruve ne donne pas la condition d'équilibre du système, qui, dans ce cas, où 
le nombre n de poulies mobiles est inférieur d’une unité à celui des poulies fixes 


s’exprime par P — NAÉtANT M ÉSAlN AN IEP — : , c’est-à-dire que l'effort à 


AnCEHe 
exercer pour soulever le fardeau est égal au tiers dun poids de ce fardeau. Le 
pentaspaste, que Vitruve mentionne aussi, ne nécessite qu’un effort cinq fois moindre 
que le poids. 


PA os 


Après la trispaste simple est décrite (x, 2) une trispaste à 
double rang de poulies (fig. 14 à droite, et 16). Dans ce système, le 
câble est assujetti, non par un de ses bouts, mais par le milieu, à 
la chape inférieure, et les deux moitiés passent, l’une sur les 
poulies de gauche, l’autre sur les poulies de droite des deux 
chapes, puis elles viennent s’enrouler séparément sur l'axe 
moteur. Comme cette machine est destinée à soulever des 
fardeaux plus lourds que la trispaste ordinaire, les leviers sont 
remplacés par un {ympan, ou roue d'assez grand rayon, calée 
sur le milieu de l'axe et manœuvrée elle-même par un câble 
indépendant qui va plus loin s’enrouler sur un treuil à axe 
vertical, cabestan ou vindas!,. 

Vient ensuite (x, 2, 248) la description d'une autre machine 
d'une manœuvre plus rapide, mais aussi plus délicate, exigeant 
le concours d'ouvriers exercés. Elle ne comportait qu’une seule 
pièce de bois (una statutio tigni), qui pouvait non seulement se 
placer suivant l’inclinaison qu’on voulait, mais se mouvoir à 
droite ou à gauche. C’est du moins ce que l’on peut entendre par 
ces quelques mots du texte : « Hanc habet utilitatem quod ante 
quantum velit et dextra ac sinistra ab latere proclinando onus 
deponere potest?. » C'est-à-dire : « Cette pièce de bois a ceci 
d'avantageux qu elle peut à volonté déposer le fardeau en avant, 
et de côté à droite et à gauche en s'inclinant. » C'est en somme 
une grue, avec cette différence que nous n'avons pas ici 
d'engrenages, et que tout se faisait par câbles et poulies. 
Vitruve appelle cet engin spécialement polyspaste. Il comporte, 
en effet (fig. 18), non plus cette fois trois ou cinq poulies, mais 
dix-huit : trois rangs de trois dans chacune des deux chapes, 
et trois câbles distincts. Chacun de ces câbles s'attache, non 
plus à la chape inférieure, mais à la chape supérieure. En bas, 
ces mêmes câbles passaient respectivement sur les trois poulies 


1. Le fardeau se soulevait par un crochet ou une pince, dont les deux branches en 
ciseaux portant des griffes à leurs extrémités se resserraient par la traction du câble 
(fig. 17). Quand il s'agissait de soulever des pierres de taille, on creusait dans 
celles-ci deux trous, C, D, où s’engageaient les griffes. Ces trous se constatent 
effectivement dans la plupart des constructions romaines en grand appareil, quand 
les lits d'assises peuvent se voir à découvert, 


2. x, 2, 249. 





: 
ï 
- 


get pp, 


.— he. 


fours. 


— 85 — 
d'une autre chape, assujettie au pied de la poutre et qu'on 
appelait éréywy ou artemon ; et ils étaient tirés séparément par 
trois équipes d'hommes, dont les forces réunies permettaient, 


























Fig. 18. — Polyspaste. 


en raison du nombre de poulies, de se passer du vindas. Pour 
imaginer le mouvement latéral à volonté, sur la production 
duquel le texte ne nous renseigne pas, il suffirait, dans notre 
dessin reproduit d’après Perrault (édit. Tardieu et Coussin fils), 
de se représenter les quatre câbles de soutien comme susceptibles 


nn te 


de se tendre ou de se relâcher séparément plus ou moins par 
l'intermédiaire d'autres poulies !. 

D'ailleurs, Vitruve déclare un peu plus loin que l'on peut 
utiliser les éléments de toutes ces machines pour le chargement 
et le déchargement des navires, en les disposant par exemple 
sur des supports tournants, « in carchesiis versatilibus conlo- 
catae ». Avec si peu d'indications, nous ne pouvons rien recons- 
tituer; mais il n'est pas douteux que par la combinaison, la 
multiplication de ces engins, et la quantité de bras employés, 
on arrivait à eflectuer des manœuvres à la fois très puissantes 
et très précises. Il faut reléguer parmi les légendes le récit de 
Plutarque ? concernant les machines inventées par Archimède, 
qui soulevaient hors de l'eau au moyen de griffes de fer les 
navires ennemis au siège de Syracuse. On n’en reste pas moins 
confondu quand on voit sur les hautes collines de l’ancienne 
Agrigente, dans les ruines majestueuses de ses temples, des 
blocs renversés de 20 mètres de long, 4 mètres d'épaisseur, et 
près de 7 mètres de hauteur, cubant 500 mètres cubes et pesant 
plus de 1.000 tonnes : ce n’est pourtant qu’à l’aide de ces engins, 
_rudimentaires à nos yeux, que de telles masses ont pu être 
hissées. Il en est de même de ces gigantesques obélisques, 
transportés d'Egypte à Rome par les empereurs, et dont l'un 
pèse jusqu’à 1.160 tonnes. De tels efforts ne s'expliquent que par 
la multiplicité des éléments de traction et l’ingéniosité déployée 
dans leur disposition. 





Il est vrai qu'on employait aussi, pour élever les fardeaux, des 
machines que Vitruve laisse de côté”, et qui pourtant devaient 
être d'un maniement bien plus commode que les câbles et les 


1. Tel est le système bien connu des palans appelés caps de mouton, qui servent 
dans la marine à raidir et à distendre les haubans. 


2. Vie de Marcellus. 


3. On s’étonne à bon droit de ce que dans ce chapitre où l’auteur annonce 
lui-même qu'il va parler de la transformation du mouvement rectiligne en mouve- 
ment circulaire, on ne voie figurer ni la crémaillère, ni les engrenages, ni le 
balancier. Mais c’est un peu partout que Vitruve à négligé beaucoup de choses, 
ainsi que le constate M. V. Mortet (Recherches critiques sur Viti'uve et son œuvre, 
Revue archéologique, t. XLI, 1902). A-t-il voulu ne décrire que ce qui lui semblait 
principal dans chaque ordre de connaissances se rapportant à son art? Comme 
beaucoup d'hommes de métier, avait-il ses préférences et ses exclusions systéma- 
tiques ?.. Ces omissions n’en sont pas moins étranges. 


PAT EE 


poulies : c’étaient les machines à engrenages. Tel était le 
Gapoïhros de Héron d'Alexandrie, que nous avons déjà mentionné 
plusieurs fois!. L'appareil est constitué (fig. 19) par une sorte 
de châssis en forme de caisse; dans les faces parallèles les plus 
longues sont engagés plusieurs axes perpendiculaires à ces 
faces et séparés deux à deux par des intervalles correspondant à 
la longueur des rayons d'une roue dentée et du pignon qui la 
commande. S'appuyant sur ce que « les cercles les plus grands 
l'emportent sur les plus petits quand ils tournent autour du 





Fig. 19. — Appareil de traction et d'élévation (Bxcou)z0c) 
de Héron. 


même centre », principe énoncé, comme il a été dit, par Aristote, 
Héron établit qu’un cercle d’un diamètre quintuple de celui 
d’un autre permettra de soulever le même poids avec une force 
cinq fois moindre ; et ainsi de suite, en établissant une série 
de pignons et de roues dentées dont les diamètres aient entre 
eux les rapports que l’on voudra. Finalement, un poids de mille 
talents sera mû par un jeune garçon qui, seul et sans machine, 
n'aurait pu soulever que cinq talents. Le mouvement est donné 
par une manivelle qui fait tourner une vis sans fin en prise avec 
un premier pignon. 

Jusqu'à quel point cette machine, théoriquement si bien 
expliquée par Héron, était-elle entrée chez les anciens dans le 
domaine pratique ? Il nous est difficile de le savoir, à cause de 


1. V. ci-dessus, p. 41, 75. 


a — 


la rareté des écrits sur ces matières. Mais il nest guère 
croyable qu'on eût laissé pendant plusieurs siècles, de Héron à 
Pappus, sans essayer de l'utiliser, une conception aussi simple 
et aussi féconde que celle-là. 


Ce n’est pas tout de soulever de lourds fardeaux, il faut encore 
pouvoir les conduire à destination. Vitruve se contente de dire 
que, suivant la loi de toutes les machines à mouvement 
circulaire, les appareils de transport plaustra, rhedae, ont 
d'autant plus de puissance que leurs roues sont de plus grand 
rayon : 

« Rhedae (ou raedae), plaustra (ou plostra).… ceteraeque 
machinae, isdem rationibus per porrectum centrum et rota- 
tionem circini versando faciunt ad propositum effectum. » On 
aimerait à avoir quelques détails sur les plaustra (chariots destinés 
au transport des fardeaux lourds), sur leurs roues, pleines ou 
rayonnées, sur leur mode de suspension et d'attelage. Vitruve 
se contente de rapporter deux procédés exceptionnels emplayés 
par les architectes Chersiphron et Métagène, chargés de la 
reconstruction du temple de Diane à Ephèse! Ces systèmes ne 
semblent pas, bien que Vitruve vante leur ingéniosité, avoir 
mérité de rester dans la pratique, Il s'agissait d'amener de la 
carrière au chantier les fûts de colonne ct les architraves. Le 
premier des deux procédés consistait à faire rouler les fûts 
eux-mêmes sur le sol; on y avait scellé, suivant l’axe aux deux 
bouts, des boulons de fer qui s’engageaient dans des moyeux 
formant comme les crosses de deux timons. L'autre, pour les 
architraves, comportait deux roues très hautes (12 pieds) et des 
jantes très larges probablement (sans quoi le but, qui était de 
ne pas défoncer les chemins, eût été manqué). Des boulons, 
adaptés comme ceux du système précédent, s’engageaient dans 
les moyeux des roues, de telle sorte que la masse à transporter 
constituait elle-même l’essieu tournant. La traction s'exerçait 
par l'intermédiaire de colliers de fer dans lesquels tournaient 
aussi les boulons d’axe, et auxquels s’accrochaient les chaînes de 
traction. 





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Un autre architecte, nommé Paconius, du temps même de 
Vitruve, ayant à transporter un énorme bloc pour un piédestal, 
l'assujettit de la même manière entre les roues; mais il fit 
exercer la traction par la circonférence, au moyen de fuseaux 
reliant les jantes des roues, et autour desquels s'enroulait un 
câble. Il fallut y renoncer, parce que la traction par les bœufs 
ne pouvait pas être régulière. Le câble en se déroulant entraïînait 
tout l’ensemble, tantôt à droite, tantôt à gauche. Il y avait là 
néanmoins quelque chose d’intéressant, en tant qu'essai de traction 
par la jante, problème difficile, que nous n'avons même pas 
encore résolu d’une façon pratique. 

En somme, les transports de très grosses masses devaient 
s’opérer de la même façon que les tractions de navires sur les 
rivages, par le moyen des rouleaux, des treuils, des diverses 
machines à palans, et du Baæpoïlxos, qu’on pouvait disposer pour 
la traction aussi bien que pour l’élévation!. On peut concevoir 
des déplacements successifs de cet appareil en avant d’un 
chariot porteur du fardeau, et celui-ci tiré lentement, mais 
régulièrement, par le câble de la machine, qui, une fois rejointe, 
était reportée plus loin pour une nouvelle manœuvre. 


III. — Machines à moteurs animés pour élever l’eau. 


L'étude des machines élévatoires pour l’eau suit, dans Vitruve, 
celle des appareils de soulèvement et de traction des solides. 
Sans distinguer méthodiquement celles qui sont mues par les 
forces mécaniques ordinaires de celles dont le fonctionnement 
repose sur les principes de l'hydraulique ou de la pneumatique, 
il se contente de décrire les organes de chacune d'elles, en 
faisant remarquer, les différences, non de principe, mais d'effet 
pratique, c'est-à-dire concernant le débit et la hauteur d'élévation. 
À nous, il importe de faire autrement la distinction, et de décrire 


1. V. ci-dessus, p. S0, l'énumération des diverses machines de traction décrites par 
Héron d'Alexandrie (Mnyavixx, liv. LIL, 1). 





40 


d'abord à part les appareils où n'intervient ni la notion du vide, 
ni celle de la pression hydraulique. 
C'est d'abordle {ympan, sorte de roue creuse à compartiments 


5 (54 








Fig. 20. — Vis d’Archimède. 


déterminés par des cloisons touchant l'axe et allant jusqu’à la 
circonférence ; l'eau y entre par des ouvertures D, D (fig. 21, 
hors texte) ménagées dans les planches qui forment l'enveloppe 


de celle-ci, et se déverse latéralement par des canaux creusés Ê 
dans l'arbre de couche. Des hommes font tourner la machine | 
avec leurs pieds. + 5 

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— 91 — 


Vient ensuité la noria, à laquelle Vitruve ne donne pas de 
nom particulier. In rotae axe involuta duplex ferrea catena 
demissaque ad imum libramentum conlocabitur, habens situlos 
pendentes æreos congiales (fig. 23). 

Il donne une place plus grande à la description de la vis 
d'Archimède (cochlea) qui élève l’eau moins haut qne la noria, 
mais peut en fournir une bien plus grande quantité!. Cette 
machine, qui est encore souvent employée aujourd’hui pour 
l’épuisement dans les endroits où l'on veut poser à sec les fonde- 
ments d’une construction, devait intéresser spécialement l’archi- 
tecte Vitruve. Aussi donne-t-il les indications les plus précises 
sur son mode de construction. Cet enroulement, autour d’un 
cylindre de bois, de baguettes d'acier superposées ? et collées à la 
poix pour former les cloisons en spirale, paraît de conception rudi- 
mentaire autant que d'exécution compliquée (fig. 20). Il est vrai 
que l'appareil était ainsi un peu plus léger que ceux qui se 
construisent encore à présent avec des douvesencastrées dans un 
sillon hélicoïdal autour du noyau. Au temps de Perrault, 
traducteur de Vitruve, c’est-à-dire au xvn° siècle, la cloison 
était plus ressemblante à celle que décrit l'auteur latin, puisque 
c'était une sorte de panier d'osier revêtu de poix pour l’étan- 
chéité, et tressé autour de petits bâtons qui suivaient le tracé 
des hélices, enfoncés de distance en distance normalement au 
cylindre. 

Dans l'appareil tel que le décrit Vitruve, le cylindre ou noyau 
central doit avoir autant de pieds de longueur qu'il a de doigts 
d'épaisseur ; son diamètre est donc égal au 1/16*° de sa longueur. 
Les spires, au nombre de huit, sont obtenues en divisant les 
circonférences des deux bouts en huit segments, dont les extré- 
mités se correspondent sur les arêtes du cylindre, en prenant 
sur ces arêtes des longueurs égales à ces segments, en traçant 
par ces points des circonférences parallèles aux bases, et en 


ex G- 


2. Sumitur salignea tenuis aut de vitice secta regula quae uncta liquida pice 
figitur, etc. » Salignea est une baguette de saule ou d'osier, vitex est proprement 
l’arbrisseau appelé encore aujourd'hui agnus-castus. Pour le détail de cet enrou- 
lement, se reporter au Lexte de Vitruve et à Blümner (Technologie, t. IV, pp. 123-126). 


menant les diagonales des carrés ainsi déterminés sur le 
cylindre. Quant au pas, ilest, par construction, égal à la longueur 
de la circonférence, donc au 1/5 de la longueur du cylindre, à 
très peu près!, et nous avons ainsi huit canaux qui font cinq 
fois le tour du cylindre, et dont la profondeur est égale au rayon 
du noyau central; on les recouvre de planches, liées par des 
cercles de fer. L'appareil ainsi construit est installé avec une 
inclinaison sur l’horizon, fixée par Vitruve à 3/4. Aujourd'hui, 
ces divers éléments sont variables : le nombre des canaux en 
spirale est moindre, quelquefoisil se réduit à deux : et l’inclinaison 
peut aller de 35° à 50°, avec augmentation ou diminution propor- 
tionnelle du pas de vis. 


IV. — Principes de physique. 
Equilibre et mouvement de l'air et de l’eau. 


Les pompes, les roues hydrauliques que décrit Vitruve, et 
plus généralement tous les dispositifs en usage chez les anciens 
pour le mouvement de l’eau, supposent un certain nombre de 
connaissances théoriques sur l'équilibre et le mouvement des 
fluides. Ces connaissances elles-mêmes se reliaient à des 
spéculations plus hautes sur la nature des divers corps et la 
constitution de la matière. « Il importe à l'architecte, dit Vitruve 
lui-même?, de connaître, par une étude toute spéciale, la nature 
des choses, guowloyiæ, pour être en état de résoudre quantité de 
questions, comme lorsqu'il s’agit de la conduite des eaux. Dans 
les tuyaux dirigés, par différents détours, de haut en bas, sur un 
plan horizontal, et de bas en haut, l’air pénètre de bien des 
manières avec l’eau; et comment remédier aux désordres qu'il 
occasionne, si dans la philosophie l’on n'a pas puisé la connais- 
sance des lois de la nature? Qui voudrait lire les ouvrages de 


1. En effet. la circonférence — TD; or, D, diamètre est le 1/16 de la longueur L; 


T 3,1416 d 
_ Se X L—0.19,6 L. ou sensiblement 0,2 ou 1/5 de L. 
D 





donc le pas — 


2. 1. Introd. 


ambient). 0 


ue 


Ctésibius, d’'Archimède et des autres auteurs qui ont traité de 
cette matière, ne pourrait la comprendre, sans y avoir été 
préparé par la philosophie. » 

Il serait difficile de tirer de l'ouvrage de Vitruve un ensemble 
de doctrines liées sur la physique; il en dissémine quelques 
notions çà et là, en citant les opinions de Thalès, Héraclite, 
Pythagore, Empédocle, Epicharme, Démocrite, sur la consti- 
tution des corps!. Il adopte la théorie des quatre éléments, 
et cherche à l'appliquer à certains phénomènes, tels que la 
cuisson des calcaires, l'extinction de la chaux, la cohésion des 
mortiers?, la durée et la résistance des bois de construction ?. 
Mais c'est de peu d'importance et l'on ne saurait parler de la 
« physique de Vitruve ». Les auteurs techniques grecs étaient 
beaucoup plus explicites. A défaut des traités de Ctésibios, 
perdus, on peut tirer des Pneumatiques de Héron d'Alexandrie 
et de Philon de Byzance, une suite de principes coordonnés. 
J'emprunte à un ouvrage de M. de Rochas un résumé assez 
clair des idées générales professées en fait de physique par ces 
savants d'Alexandrie. 

« Tout corps est composé de molécules très petites, entre 
lesquelles se trouvent des espaces vides ou pores, d'une grosseur 
moindre que ces molécules. 

« Les corps se présentent à nous sous quatre aspects : celui 
de la terre, celui de l’eau, celui de l’air et celui du feu (chaleur, 
lumière); ces quatres formes typiques sont appelées éléments. 

« Un élément peut se transformer en un ou plusieurs autres, 
par l'action d'un autre élément, comme quand l'eau se réduit 


en vapeur où qu'un solide se dissout dans l’eau, ou qu'on fait 
brûler un solideÿ. 


1. x, 2. — vin, Introd. 

AAIEN D. 

DU 0. 

4. La science des philosophes et l'art des thaumaturges dans l'antiquité, p. 41. 
(Paris, Masson, 1882.) 

5. Il y a dans ces conceptions des anciens sur la divisibilité, les transformations, 
et l'unité pourtant fondamentale de la matière, une part de vérité à laquelle on se plait 
de nos jours à rendre pleinement justice. Dans un des derniers discours qu'il ait pro- 
noncés, un grand savant, M. Henri Becquerel, reconnaissait que trois idées principales 
ressortent des théories anciennes, et que ces idées nous les invoquons encore aujour- 
d’hui. Ce sont : la conception de l'atome, l'existence des mouvements intérieurs, le 


te) 


« L'air est élastique; quand on le comprime, ses molécules 
se rapprochent, plus que ne le comporte leur état d'équilibre 
naturel, en pénétrant dans les espaces vides qui les séparent. 
Quand au contraire on les dilate, les molécules s’espacent 
davantage. Mais dès que la force qui les comprimait ou les 
dilatait cesse d'agir, les molécules reviennent très rapidement 
reprendre leur espacement normal. 

« Le feu est composé de particules d'une ténuité extrême qui 
peuvent pénétrer dans les pores du corps. Il agit de deux. 
manières différentes suivant son intensité. Quand il est modéré 
et se manifeste seulement par une certaine sensation de chaleur, 
il se borne à écarter les molécules entre lesquelles il a pénétré, 
et il augmente ainsi le volume des corps sur lesquels il agit; 
mais quand il devient plus violent et prend l'aspect d'une 
flamme, il use ces particules et les rend plus ténues, de telle 
sorte que, finalement, le corps est en partie consumé. 

« Les corps se superposent par ordre de densités; en bas, les 
solides et les liquides; au-dessus l'air, puis le feu. Ils tendent 
toujours à se suivre dans cet ordre sans laisser d'intervalle entre 
eux. C’est là une des propriétés de la matière dont on ne peut 
empêcher l'effet que par l'application d’une force étrangère. 

« Cette propriété se manifeste par l'attraction qu'exercent les 
différents éléments les uns sur les autres. Qu'on jette une pierre, 
à mesure que la pierre se déplace, l'espace qu'elle abandonne 
est aussitôt occupé par l'air qu'elle attire après elle. Plongez un 
tube de verre dans l’eau, vous verrez l’eau se coller contre les 


rapprochement entre ces mouvements et les propriétés de l'aimant. M. Becquerel 
qualifiait de prophétiques ces vers de Lucrèce : 
Versibus ostendam corpuscula materiai 
Ex infinito surmam rerum usque lenere 
Undique protelo plagarum continuato. 
(De Rerum natura, 11, 529-531.) 

Et ceux-ci : 
Fit quoque ut hunc veniant in cœtum extrinsecus illa 
Corpora quæ faciunt nubes nimbosque volantes. 

(vi, 481-482.) 

« Chaque mot de ces citations correspond à chacune des propriétés que nous 
attribuons aujourd'hui aux corpuscules électrisés. » (H. Becquerel, réflexions sur 
une théorie moderne. Lu en séance publique annuelle des cinq Académies, le 


vendredi 25 octobre 1907.) 


0 — 


parois du tube. Cette force d'attraction n’est point la même entre 
tous les éléments ; peu considérable entre un liquide et un solide, 
elle l’est beaucoup entre un liquide et l'air. C’est pour cela que, 
quand il y a de l'air sur de l'eau dans un tube et qu'on retire 
l'air, l’eau le suit, obéissant ainsi à une force qui agit en sens 
inverse de la pesanteur. On voit que, d’après les idées des 
anciens, l'eau pouvait ainsi monter jusqu’à ce que le poids de 
la colonne d'eau soulevée fit équilibre à la force d'attraction 
exercée par l'air sur l'eau et que l'explication du phénomène 
observé par le fontainier de Florence eût été facile pour eux 
s'ils l'avaient connut. » 

Cette théorie de l'ascension des liquides est celle de 
Philon de Bysance. « Que l'eau, dit-il, puisse s'élever en haut, 
cela est manifeste. Elle est, en effet, entraînée avec l'air qu’on 
élève parce qu'elle lui est continue, ainsi que cela est patent 
pour le vase au moyen duquel on goûte le vin. On voit que 
lorsque quelqu'un tient à la bouche une des extrémités de ce 
vase et fait une aspiration, il attire l'air, et avec l'air tout corps 
mou très liquide qui est au-dessous, parce que ce liquide est 
continu à l'air comme s’il lui était attaché par de la colle ou 
quelque autre liaison de ce genre?. » 

Héron donne une explication assez différente, tirée de la 
pression de l'air, dont l'aspiration a dérangé l'équilibre et qui 
tend à le reprendre : 

« Nous pouvons élever du vin par la bouche à l’aide d’un 
siphon, bien que ce mouvement d'ascensicn ne soit pas naturel. 
En effet, quand nous avons reçu dans notre corps l'air qui se 
trouvait dans le siphon, nous sommes devenus plus pleins 
qu'auparavant, et nous pressons l'air qui nous touche; cet air 
presse lui-même de proche en proche jusqu'à ce que la pression 
arrive à la surface du vin; et alors le vin comprimé s'élève dans 


1. C'est-à-dire qu’ils n'auraient pas été surpris de voir que cette attraction avait 
une limite définie. On sait que le fontainier de Florence, ayant essayé vainement 
d’aspirer l’eau par une pompe jusqu’à une hauteur au delà de 32 pieds, communiqua 
son embarras à Galilée, qui ne sut que lui répondre, sinon que « La nature n'avuit 
horrewr du vide que jusqu'à 32 pieds. » 


2. [vevuarixe. 


— 96 — 


la partie du siphon qui a été vidée, car il n'y a pas d'autre lieu 
où il puisse se porter sous l'influence de la pression. C'est ainsi 
que s'explique le mouvement ascendant du vin, mouvement qui 
n'est point naturel!. » 

Ni l'un ni l'autre ne songent à leffet de la pesanteur. Et pour- 
tant l’on savait de longue date que l’air est pesant. Aristote le 
dit formellement?. A l’appui de son affirmation, il gonfla d'air 
une vessie, et constata que cette vessie, ainsi gonflée, pesait 
plus qu'une vessie vide. Avant lui, Empédocle avait attribué la 
cause de la respiration « à la pesanteur de l'air qui se précipite 
dans l'intérieur des poumons*. » Plutarque cite l'opinion toute 
pareille d’Asclépiade : « L'air est porté avec force dans la poitrine 
par sa pesanteur #. » Mais on sait de reste que cette notion, pour 
être éclaircie, devait attendre de longs siècles, jusqu'aux expé- 
riences de Torricelli et de Pascal. 


V. — Pompes et machines hydrauliques. 


Que l'aspiration de l’eau fût attribuée par les uns à l'élasticité 
de l'air, par les autres à l'attraction des deux éléments, les 
anciens n’en avaient pas moins inventé et fait fonctionner des 
machines ayant pour principe l'aspiration et la compression. La 
pompe à deux cylindres que Héron décrit”, sans indiquer le 
nom de son auteur, et qui, d'après Vitruve, serait due à Ctésibios, 
dont Héron était le disciple, est, à quelques détails près, notre 
pompe foulante à incendie. C'est du reste comme instrument à 
cet effet que Héron la présente’, les tubulures aboutissant à 
une pompe de jet (fig. 25); tandis que Vitfuve la donne comme 


1. Ilvevuurtxx, 1, 2, 155. 


2. Ilept oupavod, 1v, 1. 

3. Traité de la médecine, vu. 

4, Plutarque, Opinions des philosophes, 1v, 22. 

5. [vevuarixx, 1, 28. 

6. Où dè s'owves, os ypovrat els TOUS ÉUTOAGHLOUS, XATAGXEUATOVTAL OÙTWE. 





1107 = 


pompe élévatoire, les deux corp de pompe envoyant l'eau dans 
un récipient formant cloche à air, d'où l'eau, par un tuyau 
vertical, pouvait s'élever à la hauteur qu'on voulait (fig. 26). 

Il est intéressant de comparer les deux descriptions. Celle de 
Héron est beaucoup plus ordonnée, précise et complète, rédigée 
sous forme didactique, avec mention des lettres qui renvoient au 























Fig. 25. — Pompe foulante de Héron. 


dessin, conformément à la méthode générale des exposés de 
l’auteur. Après l'avoir lue, un constructeur pourrait l’établir 
sans avoir rien à imaginer lui-même. Celle de Vitruve, quoique 
pouvant compter parmi les plus claires de l'ouvrage, ne peut 
permettre de dessiner qu’une figure schématique; de plus, 
l'ordre n’y est guère rigoureux : il est d'abord question des 
cylindres, puis du récipient accumulateur, qui est décrit entiè- 
rement, avant qu'il soit encore fait mention des pistons. Bref, 
nous avons là une vraie démonstration, ici une simple indication !, 


1. Pour donner une idée des deux systèmes, je transcris et traduis le début des 
deux descriptions. Voici d’abord celle de Héron : 


An 7, #7) s n i , \ , ! \ 
Q Ecrwouy Ôvo muidec PLAT KOTETOPVEUMEVOL, TAY ÉVTOS ETIDAVELUV TOO 


— 98 — 


Toutefois, le texte latin présente un intérêt capital, en ce 
qu'il nous apprend qu’au moyen de ces pompes on pouvait 


M 





Fig. 26. — Pompe foulante de Vitruve, d'après Ctésibios. 


élever de grands volumes d'eau à des hauteurs considérables, 


Eubolsa, xubareo ai Tüy 0920 À2wY see , ai ABTA, EZHO@: éubokei dt 


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« Soient deux cylindres creux de bronze ABT A, EZHO, dont la surface intérieure 
soit bien mandrinée, comme celle des cylindres d’orgues hydrauliques : soient les 
pistons-rouleaux KA, MN, exactement logés dans ces cylindres, ceux-ci communiquant 
l'un avec l’autre par le canal ZO0AZ. Qu’à leur partie extérieure et à l'intérieur du 
canal Z O0 AZ, les cylindres aient des clapets PR, comme en ont ceux qui sont décrits 
plus haut, et que ces clapets s'ouvrent de dedans en dehors. Qu'au fond des cylindres 
soient des ouvertures circulaires Ë,T, bouchées par des disques FD, XW que traver- 
sent des chevilles, Q Q, fixées et assujetties au fond des cylindres, et portant à leurs 
extrémités des arrêts pour s'opposer à ce que les disques s’en échappent. » 

A côté, voici le début de Vitruve (x, 7, p. 259 

« Ea (machina) fit ex aere, cujus in radicibus modioli fiunt gemelli paulum distantes. 
habentes fistulas furcillae figura similiter cohaerentes in medium catinum concurrentes. 
In quo catino fiunt asses in superioribus naribus fistularum coagmentatione subtili 
conlocati, qui praeobturantes foramina narium non patiuntur redire quod spiritu 
in catinum est expressum... » 

« La machine est en bronze. On place à sa base, à une petite distance l’un de 
l'autre, deux cylindres creux jumeaux munis de tuyaux semblablement adaptés, 
formant fourche, et se réunissant dans un récipient intermédiaire. Dans ce récipient 
sont ajustés deux clapets aux orifices supérieurs des tuyaux, qu’ils bouchent hermé- 
tiquement, pour empêcher que ce qui a été poussé, par la pression de l'air, dans le 
bassin, ne s'en échappe. » 


ds «di Éh 


ZE 


et les emmagasiner dans des réservoirs, d'où cette eau pouvait 
jaillir dans des bassins et des fontaines. 

Vitruve parle aussi? du moyen d'élever l'eau par une roue 
suspendue au-dessus d’une rivière, y plongeant légèrement, et 
mue par la force même du courant. C’est donc une roue motrice 
hydraulique, la roue en dessous à aubes planes, dont les aïles 
du côté opposé à celui que frappe le courant sont munies de 
godets (pinnae), qui puisent l'eau en se relevant, et arrivés au 
haut la déversent dans un chenal, comme font les godets de la 
noria (fig. 22, hors texte). 

À cette occasion, l’auteur indique le mécanisme des moulins 
mus par le même système de roues (fig. 24, hors texte). Ce 
passage * est d'autant plus intéressant que c'est le seul texte ancien 
où le moulin à eau soit décrit ‘, et que nous y trouvons indiquée 
la transmission du mouvement d’un axe horizontal à un axe 
vertical par roue d'engrenage et pignon”. « Ita dentes tympani 
ejus quod est in axe inclusum impellendo dentes tympani plani 
cogunt fieri molarum circinationem ; in qua machina impendens 
infundibulum subministrat molis frumentum eteadem versatione 
subigitur farina. » 

On voudrait que Vitruve donnât quelques renseignements sur 
d’autres roues hydrauliques. On en connaissait certainement 
plusieurs systèmes, entre autres la roue à augetsi; mais les 
textes précis font défaut. On reste à se demander comment il se 
fait que les anciens, si ingénieux pour tant de choses pratiques, 
n'aient pas su, après les premiers essais, mieux mettre à profit 


1. « Ita ex inferiore loco castello conlocato ad saliendum aqua subministratur. » 
Ainsi une ville au bord d'un fleuve, Lyon, par exemple, ou plutôt la presqu'ile de 
Condate, pouvait fort bien posséder des bassins, un amphithéâtre avec son euripe 
et ses jets d’eau, sans qu'un aqueduc spécial fût pour cela nécessaire. (V. notre ou- 
vrage publié en même temps que celui-ci, Les aqueducs antiques de Lyon, ch. 1, p. 18.) 


DA SENS 

2%, D. 

4. On ne trouve ailleurs que des allusions (Strabon, x11 ; — Pline, xvirr, 97 ; — 
Palladius, De re rustica, 1, 42; — Ausone, Poëme de la Moselle, 361). 


. Le système de Vitruve parait assez primitif. Mais les indications de Héron dans 
les Mécaniques prouvent que l’on savait fort bien construire théoriquement les 
engrenages. (Fragments des Myyavixz, 11, 18.) 


6. Cf. Marquardt (Manuel des antiquités romaines, xv, p. 441. 


— MO 


une force naturelle constamment disponible, comme celle de 
l'eau. C’est que l'histoire des inventions est toujours la même. 
Les vraies solutions sont presque toutes simples, et l’on reste 
stationnaire, ou l'on s'égare dans les complications, sans aper- 
cevoir ce qui devrait sauter aux yeux. 


VI. — Hydraulique des conduites d'eau. 


Ni dans le livre VIII de l’ouvrage de Vitruve, ni dans le livre 
XXXI de l'Histoire naturelle de Pline, où est traitée la question 
des eaux, nous ne trouvons énoncé aucun principe d’hydros- 
tatique et d'hydrodynamique. Pour estimer approximativement 
ce que pouvaient être à cet égard les données des anciens, il 
faut se reporter au traité d'Archiméde sur l'équilibre des corps 
flottants, et aux descriptions d'appareils fournies par Héron et 
Philon. On peut en déduire que ces données théoriques se 
bornaient à deux ou trois des principes fondamentaux de 
l'hydrostatique moderne : encore, sauf le principe d'Archimède, 
ne sont-ils pas formulés explicitement. On savait qu’un corps 
plongé dans un liquide perd de son poids une part égale au 
poids du liquide déplacé ; que le liquide contenu dans des vases 
ouverts à l'air libre et qui communiquent entre eux se met 
toujours de niveau, quelle que soit la forme des vases et des 
conduits de communication; que dans une masse liquide il 
existe une relation entre la profondeur, la pression et la vitesse 
d'écoulement. Mais on ne voit nulle part cette relation scienti- 
fiquement évaluée : il est possible que l’on ne fit pas une 
distinction très nette entre la variation de la pression et celle de 
la vitesse! ; rien non plus n'est dit d’explicite au sujet, ou des 
pressions exercées sur le fond et sur les parois des vases, ou de 
la transmission des pressions au sein d’une masse liquide, ou de 
la variation du débit suivant le mode d'écoulement adopté 
(mince paroi, ajutages, déversoirs, orifices noyés, etc.), ou des 


1. C’est ainsi qu’Aristote semble avoir cru pour la chute des corps à la propor- 
tionnalité de la vitesse avec les espaces parcourus. ([Isc: oùouvod, 1, 8.) 





— A01 — 


pertes de charge par Ja viscosité, les changements de section, 
les coudes brusques des conduites. Et, pourtant, il apparaît qu'en 
pratique les problèmes d’hydraulique applicables aux conduites 
d’eau ont été résolus comme si tout cela eût été connu. Cette 
anomalie s'explique à la réflexion. Ici plus qu'ailleurs l'expé- 
rience a pu suppléer à l'absence de théories bien définies. Nous 
établissons des relations de forme précise entre les divers 
éléments ci-dessus énumérés, pressions, vitesses, pertes de 
charge. Mais dans toutes ces formules, de Saint-Venant, de 
Bazin, de Prony, dont nos ingénieurs hydrauliciens se servent 
journellement, considérons la part laissée à des coefficients que 
l’on fait varier suivant des données purement expérimentales. 
L'emploi de ces coefficients repose sur des observations si 
multiples et si attentives qu'il permet d’opérer avec certitude. 
Mais la pratique ancienne reposait aussi sur des expériences 
très nombreuses et sur des traditions très continues et très 
solides. À défaut de formules proprement dites, les ingénieurs 
grecs et romains pouvaient avoir des tables, des listes, corres- 
pondant à l'immense variété des cas qui pouvaient se présenter : 
l'intuition et la science professionnelle de chacun suffisaient 
pour les interpolations nécessaires. 

Il est à recretter que rien ne subsiste de ces documents 
transmis par l'expérience. Mais on s'explique assez que les 
traités théoriques n'en aient rien conservé. Ne pouvant exciter 
la curiosité comme les petits phénomènes amusants des cabinets 
de physique, ni être ramenés à des lois, à des définitions 
précises, ces recueils de faits et de chiffres n'auraient pu fournir 
que des énumérations monotones et démesurément longues. 

Voici l'exemple d'un problème pratique très simple, où l’on 
regrette que Héron ait pour ainsi dire tourné court avant de 
fournir la solution rationnelle que l’on attendait, ce qui d’ailleurs 
peut tenir à l’omission d'un copiste.C’est cette question d'hydrau- 
lique intercalée dans le traité de la Dioptre : Une source étant 
donnée, évaluer son produit, c’est-à-dire la quantité d'eau 
qu'elle fournit. 


a LE En RS (208 2. SLAVE = A , 1e RE A D OL PA 
1. Hnyñs drapyotons, énisxédaclar riv andbôuatv adrs, rouréort nv avi6Auaty 
\ 4 Q 
on éct£. (Ilect Arôrrouc, $ xxxr.) 


SD 


Après avoir recommandé de déterminer, au moyen de la 
dioptre, un point convenable assez bas pour recevoir toute l’eau 
de la source, l’auteur indique l'emploi d’une conduite en plomb 
de forme quadrangulaire, d’une section plus grande que celle 
du courant, et qui recueille toute la veine liquide. 

« Prenons donc à l'extrémité de la conduite, l'eau qui s'y 
engage ; supposons qu'elle s'y élève à une hauteur de deux doigts 
et que la largeur de l'embouchure soit de six. Multiplions 6 par 
?, cela fait 12 : nous voyons ainsi que la section de la veine 
est de 1? doigts. Observons toutefois qu'il ne suffit pas, pour 
connaitre la quantité d'eau fournie par la fontaine, de détermi- 
ner la section de la veine que nous disons être de 12 doigts : 
il faut avoir en outre sa vitesse ; car plus l’écoulement estrapide, 
plus la fontaine fournira d'eau; et plus il est lent, moins il aura 
de produit. Pour ce motif, après avoir creusé un réservoir sous 
le courant, il faut examiner, au moyen d'un cadran solaire, 
combien il y entre d’eau en une heure, et de là déduire la 
quantité d’eau fournie en un jour; alors on n’a pas besoin de 
mesurer la section de la veine, la mesure seule du temps suffit 
pour rendre évident le produit de la source. » 

Il est très vraisemblable qu'il y ait une lacune avant la phrase 
commençant par « pour ce motif » entre les mots du texte uetov et 
Au dn. On s’expliquerait ainsi comment l’auteur n'indique pas le 
procédé pour mesurer la vitesse, connaissant la section, pour 
avoir le débit. Sinon, il serait à croire qu'il se dérobe devant la 
définition précise, mathématique, à donner de la vitesse. 


VII — Hydrologie. 


A ces considérations sur l’hydraulique des anciens, peuvent 
s'ajouter quelques mots sur leurs connaissances d'hydrologie, du 
moment qu'avant d'entreprendre un travail d'adduction d’eau, ils 
se préoccupaient beaucoup de la qualité de celle-ci. Tout 
dépourvus qu'ils étaient de procédés d’analyse chimique, ils se 
rendaient compte soigneusement du degré de pureté et de 


à 7/0 


— 103 — 


salubrité d’une eau potable. Vitruve consacre une partie impor- 
tante de son vin° livre à ce genre d'indications. Pline l'Ancien 
et lui! recommandent surtout les eaux des montagnes, provenant 
des roches dures et siliceuses de préférence, du tuf, du gravier, 
quoique dans ce dernierles veines soient irrégulières ; ils regar- 
dent comme inférieure l’eau des sables mouvants et de la craie. 
Mais quelle qu’elle soit, l'eau de source, ou des puits alimentés 
par des sources, leur paraît toujours préférable à l’eau des 
rivières, médiocre, des torrents, moins bonne encore, et des 
citernes, celle-ci considérée comme peu salubre. Vitruve signale 
l'utilité des forêts pour conserver la neige et permettre à l’eau 
de s'’infiltrer peu à peu dans la terre. Mêmes indices sont 
recueillis par lun et l’autre auteur pour la découverte des 
sources, c’est-à-dire la présence de certaines plantes ou arbres, 
jones, aunes, saules, roseaux, etc., puis les brouillards qui 
s'élèvent de la terre au lever du soleil. Ils distinguent aussi 
les différentes espèces d'eaux minérales, froides ou chaudes, 
incrustantes, sulfureuses, alumineuses, salines, nitreuses, bitu- 
mineuses, acides, indiquent leurs effets, et quelque peu leurs 
origines, leurs relations avec les terrains ?. 

Pour apprécier la dureté ou crudité de l'eau, nous avons 
aujourd’hui le procédé rapide de l’hydrotimétrie, fondé sur la 
réaction de l’eau de savon sur les sels terreux, et qui donne, par 
une simple lecture sur l'échelle graduée d’une burette, la propor- 
tion de ces sels pour un litre de l'eau essayée. Les anciens 
n'avaient que le procédé sommaire de l'ébullition produisant 
avec plus ou moins de rapidité la cuisson des légumes *. Ils 
examinaient également si, après ébullition, des incrustations 
restaient adhérentes aux parois des vases. 

Quant aux notions sur le régime des eaux suivant les saisons 
et dans les différentes contrées, on ne pouvait les rassembler 
comme nous le faisons grâce à nos installations hydrométriques 
et à nos statistiques minutieuses. Mais les enquêtes pour chaque 


1. Vitruve, virr, 1. — Pline, xxx1, 21, 23, 28. 
2..Vitruve, vIir, 3. — Pline, xxx1, 2, 3, 20, 32. 


3. Vitruve, VII, 5. 


cute 


projet d’adduction d’eau étaient faites avec une diligence et 
une sagacité telles, que nous ne saurions aujourd’hui, avec tous 
nos renseignements méthodiques, choisir avec plus de sûreté 
pour l’approvisionnement d’une ville, les versants où puiser, 
les nappes d’eau à saisir, et les sources à aménager. 


VIII. — Mécanique de la construction. Perspective 
et dessin. 


Si les ouvrages hydrauliques de l'époque romaine révèlent 
chez les ingénieurs qui les ont construits une connaissance, 
sinon exactement formulée, du moins implicite et effective des 
lois régissant l’équilibre et le mouvement des fluides, à plus 
forte raison l’art romain de la construction, reposant sur les 
principes connus de la géométrie, témoigne-t-il d'une science 
d'application fort étendue et fort solide. Il fallait être autre 
chose qu'un bon maçon expérimenté pour équilibrer les forces 
de compression, de flexion, de traction qui agissaient en tous 
sens sur toutes les parties de ces puissants édifices. 

Sur cette résistance des matériaux, on s’attendrait à trouver 
dans Vitruve, au chapitre vi du livre VI, qui traite de la 
solidilé et des fondements des édifices, quelque chose de 
précis. Mais il s’en tient à des indications générales, conseillant 
avant tout d'éviter les porte-à-faux (pendentia), de placer des 
décharges en forme de chevrons ou de cintres au-dessus des 
linteaux, et de consolider les piliers d’angles. Il est plus explicite 
pour les murs desoutènement, et recommande de proportionner 
l'épaisseur du mur au volume de terre qu'il a à soutenir, de 
le renforcer par des arcs-boutants et des contreforts dont la 
largeur soit égale à celle des fondements, et qui soient distants 
les uns des autres de toute la grandeur qu'on aura donnée à 
l'épaisseur des fondements. Il ajoute que la partieinférieure de 
ces contreforts devra avoir autant de longueur que les fonda- 
hions auront de hauteur; puis qu'ils se rétréciront graduelle- 
ment de manière que la partie supérieure de leur saillie ne 


— 105 — 


soit pas plus grande que le mur n'est épais. Mais il manque 
bien des choses à ces indications pour être complètes. Il faudrait 
donner le moyen de calculer l'épaisseur du mur en fonction de 
plusieurs éléments essentiels : le poids de l’unité de volume de 
maçonnerie, celui de l'unité de volume du terrain à soutenir, 
etl’angle formé par le talus naturel des terres: voilà les relations 
qu'il nous importerait tout d'abord de connaître. Après cela, 
dire qu'on vient d'enseigner la maniere defaire une construction 
sans défaut paraît un peu excessif, surtout quand on se dispense 
d'ajouter quoi que ce soit sur ce qui concerne la charpente, sous 
prétexte que lorsque ces pièces sont défectueuses il est facile 
de les changer !. 

Et ce ne sont pas les seules omissions à relever en ce qui 
concerne la construction proprementdite; iln’est question nulle 
part des divers systèmes d'assemblage, non plus que de la coupe 
des pierres. Ce qui est dit au chapitre 11 du livre VIT sur la 
construction des voûtes est à peu près insignifiant. Et c’est 
pourtant le procédé par excellence de l'architecture romaine. On 
a pensé que du temps de Vitruve « la construction voûtée n'avait 
point, à beaucoup près, reçu le développement qu’elle a pris 
dans la suite : aucune voûte de très grande ouverture, dit 
M. A. Choisy, et établie dansle système de maçonnerie brute qui 
fut plus tard si répandu, ne peut être attribuée à une époque 
antérieure à celle de Vitruve ; l’auteur du seul traité ancien qui 
nous reste sur la construction assista tout au plus vers la fin de 
sa vie à ces colossales entreprises qui nous rappellent les noms 
d'Auguste et d'Agrippa, et qui ont marqué dans l’architecture 
romaine l’avènement d'une ère nouvelle : lui-même n’eut point 
de part au magnifique essor qui produisit les thermes d’Agrippa 
et le Panthéon de Rome; et son livre, œuvre de sa vieillesse, 
nous offre moins un tableau des innovations de l’époque contem- 
poraine qu’un souvenir des procédés en usage aux derniers 


I. « Quemadmodum sine vitiis opera constitui oporteat et uti caveatur incipienti- 
bus exposui. Namque de tegulis aut tignis aut asseribus mutandis non est eadem 
cura quemadmodum de his, quod ea, quamvis sint vitiosa, faciliter mutantur. » 
(V1, 8, 154.) Au livre IV, 7, on ne trouve qu’une brève énumération des diverses 
pièces d’une toiture. 


EE AUS 


temps de la République, une sorte de retour vers des méthodes 
qu'il avait appliquées pendant le cours de sa longue carrière » {, 

Le silence gardé sur les voûtes est ainsi en partie expliqué, 
quoique l'époque où a vécu Vitruve fasse encore l’objet de bien 
des discussions *. Mais les autres omissions ne s’en trouvent pas 
justifiées. On pourrait peut-être invoquer la raison que Vitruve 


donne lui-même *, à savoir qu'il écrit non pas un ouvrage pure- 


ment technique destiné à n'être lu que par les apprentis archi- 
tectes, mais un livre à l'usage de tout le monde, qui puisse se 
lire sans fatigue dans les moments de loisir que laissent les 
affaires. Il s'excuse d'employer trop de termes de métier 
(inconsuetus sermo) et proteste de son intention de faire court, 
pour se mettre à la portée du lecteur (ad sensus legentium). S'il 
eût moins écouté ces scrupules d'écrivain, sa réputation de 
savant y aurait sans doute beaucoup gagné aux yeux dela postérité, 
et nous aurions entre les mains un document bien plus solide, 
bien plus complet, pour juger de la science et de l’art de 
l'ingénieur ancien. 

Il suffit de considérer la série des constructions voûtées, en 
maçonnerie, soit concrète, soit d’appareil (voûtes en berceau, 
voûtes d’arête, voûtes sphériques ou conoïdes, voûtes biaises, 
berceaux en descente), que les architectes romains ont établies 
avec tant d'adresse et de sûreté, et qui comportent tant de 
variétés de liaisons, de coupes et de pénétrations, pour croire 
fermement à des préceptes suivis, directement déduits de raison- 
nements mathématiques. On ne peut guère douter que les 
principes de la stéréotomie n'aient formé un corps de doctrine 
scientifiquement établi, à l'époque de ces grandes constructions, 
sous les premiers empereurs. 


On est malheureusement fort peu renseigné sur ce que pouvait 


1. À. Choisy, L'art de bâtir chez les Romains, Introduction, p. 4. 


2. Cf. Recherches sur Vitruve et son œuvre, par V. Mortet. Revue archéologique, 
1902 et 1904. 


3. Liv. V, Introduction. 


4 V. ci-dessus, p.34, 35 et 36, où il est question de l’étude des sections coniques. 


par Platon, Euclide et Apollonios. Ces théories furent, à n’en pas douter, utilisées 


par les ingénieurs pour la construction de toutes leurs voûtes à intersections. 


ao pr 


— 107 — 


être alors l'art du dessin géométrique, indispensable cependant 
pour dresser les épures de stéréotomie. D'après M. P. Tannery!, 
il serait douteux que les architectes de l'antiquité eussent 
pratiqué l'épure, parce que, dit-il, « leur architecture était 
conçue suivant des nombres (proportions, rapports aux modules) 
et non suivant des formes, comme, au contraire, celle du moyen 
âge. » II me semble qu'il faudrait distinguer entre les ordres 
d'architecture grecque, dorique, ionique, corinthien, où il sufi- 
sait, en effet, d'appliquer une échelle modulaire, et la construc- 
tion voûtée des Romains, qu'on ne peut guère imaginer sans le 
secours de représentations géométriques, et d’où, au surplus, 
est dérivée l'architecture du moyen âge. M. P. Tannery tient 
lui-même pour évident que dans d'autres cas particuliers, comme 
pour l'établissement des cadrans solaires, il fallait dresser des 
épures; que « les charpentes paraissent avoir également été de 
bonne heure assez compliquées pour demander un tracé 
d’épure ». Je crois donc volontiers, non seulemenë aux plans 
généraux d'architectes (formae, exemplaria picta?), dessins 
d'ensemble qu'il leur fallait soumettre à celui qui leur avait 
commandé le travail, avant de passer à la construction#, mais 
encore à des plans de détail, à des épures d'exécution, remis 
soit aux chefs de chantier, soit aux tailleurs de pierres et 
maçons. 

On n'ignorait pas les lois de la perspective géométrique. 
Vitruve rappelle * que Démocrite et Anaxagore ont enseigné 
« comment on peut d'un point fixe, donné pour centre, imiter la 
disposition naturelle des lignes qui sortent des yeux en s’élargis- 
sant, de manière à faire illusion, et à représenter sur la scène de 
véritables édifices qui, peints sur une surface droite et unie, 
paraissent, les uns rapprochés, les autres éloignés ». C'était la 
scenographia, ce que nous appelons perspective ordinaire, avec 
point de vue, point de fuite, point de distance. Mais il y avait 


1. P. Tannery, article Geometria, du Dict. de Daremberg et Saglio. 
2. Vitruve, :, 1. 

3. Suétone, J. César, xYI, 31. 

4 


4, VII, Introduction. 


— 108 — 


aussi l'orthographia, élévation ou projection sur un plan 
vertical !. Le procédé le plus usité était probablement celui de la 
projection oblique ou perspective cavalière?, que nous utilisons 
encore pour la charpente et la stéréotomie, et qui montre les 
objets comme s'ils étaient vus de haut, pour ainsi dire à vol 
d'oiseau. Tels sont les dessins représentés sur plusieurs planches 
de l'édition Lachmann des Gromatici veleres : ce sont ceux des 
manuscrits du moyen âge ; on peut croire qu'ils reproduisaient 
les figures originales. Il est regrettable que les dessins 
qui accompagnaient l'ouvrage de Vitruve, qu'il avait 
exécutés lui-même, et auxquels il renvoie souvent en 
faisant ses descriptions, aient été perdus : 1l y aurait eu 
là une bien intéressante variété de plans et figures 
d'architecte. En tous cas, la disparition de ceux-ci, que 
tout engageait à conserver, fait qu'on ne s'étonne guère 
de la perte de tous les autres qui, n'ayant qu’un intérêt 
passager, devaient, même à leur époque, être prompts 
à disparaitre. 

On en exécutait quelques-uns en relief sur le bronze 
ou le marbre, surtout ceux qui devaient se conserver 
comme documentsadministratifs officiels (plans de villes, 
réseaux d’aquedues, etc.)°. Encore en a-t-on retrouvé 
bien peu, et à l’état de fragmerts. Quant aux plans 
graphiques, ils étaient tracés au tire-ligne et au compas 





sur papyrus où parchemin #. La fig. 27 représente un petit instru- 
ment romain de dessin linéaire?, qui, à part la vis de serrage, 
dont tient lieu un anneau coulant, et la forme des becs, est tout à 
fait semblable aux tire-lignes que nous employons. C'est là un 
indice matériel, assez curieux, de l'analogie entre les procédés 
graphiques des anciens et les nôtres. 


JRAVitr- er, 1e 
2. Ce serait ce que Vitruve entend par ichnographia. (Ibid.) 
3. Jordan (Forma Urbis Romae regionum, XII): — Plutarque (An vitiosilas, 3). 


CT y 201 
4, Aulu-Gelle, xix, 10. 


5. Reproduit d'après une figure de l'ouvrage de M. Curt. Merkel (Die Ingenseur- 
lechnik im Altertlhruin), p. 605. 


| 





CHAPITRE V 


FORMATION ET CONDITION DES INGÉNIEURS 


I. — Instruction théorique et culture générale. 


La formation scientifique et technique de l'architecte fait 
l’objet du premier chapitre, malheureusement trop court, du livre 
premier de Vitruve. L'auteur commence par distinguer la théorie 
(ratiocinatio), et la pratique (fabrica), et par affirmer très 
justement qu’il faut être en possession de l’une et de l’autre, 
pour avoir en même temps l'autorité nécessaire et la puissance 
de réalisation. Tout en prenant soin de déclarer que l'ambition 
de l'architecte ne doit pas être de devenir un pur mathéma- 
ticien !, c'est néanmoins sur l’importance de l'instruction théori- 
que qu'il insiste le plus. De même que Cicéron exigeait de 
l'orateur digne de ce nom *?, non seulement l’habileté profession- 
nelle de la parole, mais, avec l'élévation du caractère, une vaste 
et solide érudition, de même Vitruven’accordele titre d'architecte 
qu à l’homme pourvu d’une éducation libérale et d'un savoir 
étendu. Non content de distinguer expressément l'architecte du 
simple conducteur de travaux, chef de chantier (officinator) ?, 
il voudrait que la profession fût interdite aux individualités sans 
mandat garanti, sans instruction éprouvée, auxquelles la 
présomption tient lieu de science, et l'intrigue de talent #. 


1. « Quibus vero natura tantum tribuit sollertiae, acuminis, memoriae, ut 
possint geometriam, astrologiam, musicen, ceterasque displinas penitus habere notas, 
praetereunt officia architectorum, et efficiuntur mathematici. » 


2. De Oratore, 1. 
SAINT, 9: 
4. X, Introd. « Namque non sine poena grassarentur imperiti, sed qui summa 


doctrinarum subtilitate essent prudentes, sine dubitatione profiterentur architec- 
turam. » 


9 


— 110 — 


La dénomination d’ésyttéxrey ou d'architectus ne désignait pas 
uniquement chez les anciens le constructeur d'édifices : elle 
équivalait à notre appellation moderne d'ingénieur !. C'est-à- 
dire que le constructeur d’édifices devait connaître tout ce qui 
se rattachait à ce que nous appelons l’art de l'ingénieur, et 
pouvoir diriger n'importe quelle fabrication technique, d'engins 
industriels ou de machines de guerre. C’est ainsi que Vitruve 
lui-même, qui était bien un architectus, avait été chargé, avec 
trois collègues, de la construction des balistes, scorpions, 
catapultes, etc., en somme avait dirigé les arsenaux de l'Etat ?. 
La formation de l'architecte, tel que l'entend Vitruve, c’est donc 


la formation de l'ingénieur. 
Il énumère les connaissances nécessaires à cette formation, 


et indique les raisons de leur nécessité. En fait de sciences 
proprementdites,ilnomme la géométrie, l'arithmétique, l'optique, 
l'astronomie, l'histoire, la philosophie, le droit et la médecine; 
en fait d'arts, le dessin et la musique. N'oublions pas l'étude des 
lettres, que Vitruve place en première ligne, estimant à juste 
titre qu’un ingénieur doit pouvoir rendre compte de ses 
travaux avec clarté et précision *. 

On voit assez qu'entre ces diverses connaissances il y a, au 


1. Ce n’est pas que les ingénieurs fussent toujours appelés architectes. On les 
distinguait souvent par leur spécialité. Le geometra, l'aquilex (hydraulicien), le 
librator (niveleur), le machinator où mechanicus. machinarius (constructeur 
de machines), étaient des ingénieurs. En principe, l’architectus était plutôt le 
constructeur d’édifices ou le chef d'entreprise. Il faut faire la différence quand on 
oppose les termes les uns aux äutres dans une énumération. Mais bien souvent 
chacune de ces dénominations, et celle d’architectus, Se prennent l’une pour l’autre. 
Architectus est donc bien, en somme, le terme générique pour désigner un ingénieur. 

Quant à mensor c'est un terme d'acception fort étendue. Sans parler des vérifi- 
cateurs des poids et mesures et de l'annone, les mensores élaient en général des 
arpenteurs. (C.I.L. I1I. 1220. 2124. 2128. — VI. 13. 198. 905. 3988. 4244. 6321.S912. 9619. 
9624.) Mais ce pouvaient être aussi des architectes (III. 2129.— VI. 1975. 9622. 9625. — 
XIV. 3032. 3713). On croit que les mensores aedificiorum avaient des fonctions 
spéciales, distinctes de celles des architectes proprement dits, mais on ne saurait 
préciser lesquelles. 

Dans l’armée, les mensores et metatores étaient chargés de déterminer l’empla- 
cement du camp, d’en tracer les lignes et de présider à leur aménagement. 


2. Liv. I. Introduction. 

3. Les Grecs appréciaient fort cette qualité chez leurs architectes. « Athènes, 
dit Valère-Maxime (vu, 12), est fière de son arsenal, et avec raison... Philon qui 
en fut l'architecte, rendit compte de ce travail en plein théâtre, et en de si beaux 
termes, que le peuple le plus éclairé de l’univers n’applaudit pas moins à son 
éloquence qu’à son talent dans l'architecture. » 


— 111 — , 


point de vue de l'utilité professionnelle directe, de grandes 
différences. Bien que Vitruve semble s’évertuer à les mettre 
toutes presque sur le même pied, personne ne pense qu’un 
architecte romain eût autant d'intérêt à apprendre la médecine 
ou la musique qu’à étudier l’arithmétique ou la géométrie. Mais 
les présenter ainsi de pair était une manière d'insister sur 
l'importance d’une culture générale ! pour le futur ingénieur. 
Lui-même, sous la surveillance de sa famille, avait reçu une 
instruction complète. Il se félicite ? de ce que ses parents l’aient 
confié de bonne heure à des maîtres sous la direction desquels 
il s'est adonné à toutes les sciences, en vue de sa profession. 
Il avait ensuite affermi et étendu son savoir par la lecture de 
nombreux ouvrages techniques *. Alors était venue la formation 
pratique, l'apprentissage sur les chantiers. Nous pouvons donc 
être persuadés que Vitruve — et il devait en être de même de 
l'élite des ingénieurs de son temps — connaissait rationnelle- 
ment une bonne part de ces sciences mathématiques dont la 
matière et l'étendue ont été sommairement décrites aux chapitres 
précédents. Il pouvaitexpliqueret justifier, d'après des principes 
scientifiques, les œuvres qu'il exécutait, « res fabricatas sollertia 
ac ratione demonstrare atque explicare # ». 


Il. — Architectes grecs et architectes romains. 
Diversité des conditions sociales. Maîtres et écoles. 


En Grèce, des écoles anciennement fondées dans différentes 
cités par des architectes célèbres” avaient perpétué les bonnes 
disciplines à travers des générations d'ingénieurs, à la fois 


1. Il est intéressant de constater que la liste de Vitruve contient, avec quelques 
éléments de plus, toute la série de connaissances dont on instruisait. d’après 
Quintilien (Instit. or. 1:4, 8, 10, 11, 12, 14), les enfants des classes élevées qui se 
destinaient aux carrières libérales, avant leur passage sous la direction du rhéteur. 
Ces connaissances étaient : la grammaire et les lettres, l'histoire, la philosophie, 
l'astronomie, la géométrie, l’arithmétique et la musique. 

. VI, Introduction. 
. Ibid. 
. I, Introduction. 


. V, Beulé, l'Art grec uvant Périclés. 


O1 R CO ww 


— 112 — 


savants techniciens et artistes consommés. À Rome, des traditions 
existaient depuis longtemps aussi, sans qu'il y eût précisément 
d'école ouverte. La profession d'ingénieur ou d'architecte se 
transmettait jadis de père en fils dans des groupes de familles, 
et il semble bien que Vitruve ait été le rejeton d’une de ces vieilles 
souches!. Les pères instruisaient eux-mêmes leurs enfants et 
leurs proches?. C'était à ces ingénieurs que l'Etat confiait 
l'exécution de ses travaux publics, soit directement, à titre 
d'entrepreneurs adjudicataires, soitindirectement, parl'entremise 
de redemptores, isolés ou groupés en sociétés. C'était aussi parmi 
leurs élèves que se recrutaient les chefs de travaux de l’armée, 
soumis, comme les ouvriers leurs subordonnés, à la juridiction du 
praefectus fabrum *, et répartis dans les'légions ou affectés aux 


arsenaux. 
Si consciencieuse que fût, chez ces anciens professionnels 


romains, la manière de pratiquer et d'enseigner leur art, la 
concurrence des architectes grecs, venus nombreux à Rome 
après la conquête de leur pays, produisit d’heureux résultats. 
L'émulation, le contact et les lecons mêmes de ceux-ci, l'ensei- 
gnement des mathématiciens et des philosophes, développèrent 
forcément les connaissances théoriques de l'école romaine. 


1. Le surnom de Vitruve était Pollio. Il y eut aussi Vitruvius Rufus, auteur d’un 
traité d'arpentage, et plusieurs autres, tels qu'un certain Vifruvius Cerdo,C.I.L.,V,3464, 
qu'on a confondus avec notre auteur, mais à tort, croit-on. (V. Mortet, Recherches 
critiques sur Vitruve et son œuvre.) 

2, Vitruve, VI, Introduction. 

3. Le rôle du praefectus fabrum, qui se modifia dans la suite, est très imparfai- 
tement connu, malgré les recherches dont il a été l’objet. (Cf. Borghesi, Œuv., v; 
Mommsen, Hermès, 1; Maué, der Praefectus fabrum.) Il paraît prouvé que sous 
l'empire, ce préfet n’avait pas de fonctions militaires et que les ouvriers d'armée dépen- 
daient non pas de lui — en dépit de l’assertion de Végèce, 11,9 — mais du praefectus 
castrorum, officier supérieur de la légion qui, à partir de Gallien, sous le nom de 
praefectus legionis, fut appelé à la commander, en remplacement du légat, supprimé. 
Le praefectus fabrum exerçait auprés du gouverneur de la province des fonctions non 
définies, peut-être d'ingénieur en chef pour l’ensemble des travaux qui s’y exécutaient. 
Mais. en tous cas, il n’aurait pas eu à ce titre une autorité sur les ouvriers militaires 
plus que sur les autres. 

1. Celles des Grecs étaient en effet beaucoup plus avancées. Quantité de traités 
avaient été publiés en Grèce sur la construction ou des édifices ou des machines, 
Vitruve, qui s'était beaucoup instruit à leur lecture, regrettait, après avoir énuméré 
la longue liste de leurs auteurs, de ne trouver que deux écrivains latins ayant 
abordé ces matières, Terentius Varron et P. Septimius, auteurs d’ailleurs récents, et 
ayant subi eux aussi l'influence grecque. De même, tout en déclarant que Rome 
avait jadis produit de grands architectes, il ne pouvait citer qu’un seul nom, 
Cossutius. (VII, Introd.) 


= 419 


L'inconvénient fut, il est vrai, que la profession en devint beau- 
coup plus mélangée ; une partie de ces maîtres grecs étaient 
esclaves ; les riches Romains faisaient instruire par eux leurs 
serviteurs, qui, à leur tour, pouvaient exercer le même artf. De 
plus, à la faveur de la confusion créée ainsi, beaucoup de gens 
se faisaient passer pour architectes qui n'avaient ni culture 
scientifique, ni formation pratique, et Vitruve le déplore amère- 
ment?. Mais ces intrus ne pouvaient faire illusion qu'à des 
particuliers peu clairvoyants. L'Etat ne s'y laissait pas tromper, 
et ne confiait qu'à des hommes éprouvés la direction de ses 
travaux : le contrôle de ceux-ci était d'ailleurs sévère. On sait le 
grand essor donné à ces entreprises publiques à partir du règne 
d'Auguste, et la part importante qu y prit son ministre Agrippa. 
Ce dernier, fort instruit dans les sciences, fut un exemple pour 
les hauts fonctionnaires impériaux ses successeurs. On vit des 


1. Certaines inscriptions nous font concevoir à quel degré de science pouvaient 
parvenir ces esclaves ainsi instruits. Voici entre autres un verna, esclave né dans la 
maison de ses maitres, et devenu professeur de calcul, auteur d'un savant traité sur 
l’art qu'il enseignait; ce qui, d’autre part, prouve bien que les lecons d’arithmétique 
données aux jeunes Romains, et à plus forte raison à ceux d’entre eux qui se desti- 
paient à la profession d'ingénieur, ne se bornaient pas à des notions élémentaires. 
CET XIV, 72 

D M 
MELIORIS + CALCULATORIS 
VIXIT -+ ANN : XIII - HIC + TANTAE - MEMORIAE : ET : SCIENTIAE 
FUIT : UT : AB - ANTIQUORUM : MEMORIA .: USQUE : IN : DIEM 
FINIS + SUAE + OMNIUM +: TITULOS + SUPERAVERIT 
SINGULA : AUTEM : QUAE : SCIEBAT : VOLUMINE : POTIUS 
QUAM :- TITULO : SCRIBI : POTUERUNT : NAM 
COMMENTARIOS : ARTIS . SUAE : QUOS . RELIGIT (sic) 
PRIMUS : FECIT - ET + SOLUS : POSSET : IMITARI : SI - EUM 
INIQA (sic) . FATA : REBUS + HUMANIS + NON : INVIDISSENT 


SEX + AVEVSTIVS : AGREVS - VERNAE 
SVO : PRAEGEPTOR (i) : INFELICISSIMUS 
FECIT 


EXCESSIT -+ ANNO : URBIS : CONDITAE 
DCCGXCGVII 


2. D'autant plus que ces ignorants arrivaient parfois à des situations lucratives. 
« Animadverto ab indoctis et imperitis tantae disciplinae magnitudinem tractari, et 
ab his, qui non modo architecturae sed omnino ne fabricae quidem notitiam habent. » 
« Plerique.. audacia adhibita cum divitiis etiam notitiam sunt consecuti. » (Liv. VI, 
Introd.) 

De là aussi les divers avis exprimés sur l'architecture et les architectes. Cicéron 
classait cette profession parmi les arts honorables, à côté de la médecine (De Officiis, 
1, 42), tandis que Martial (1, 5. 56) l’assimilait à celle de crieur public. Il est vrai que 
ce n'est là qu’une épigramme, 


— 114 — 
citoyens de rang élevé se préparer par des études spéciales aux 
charges de curateurs dont ils pouvaient être revêtus. Dans ces 
conditions, le niveau de la science des ingénieurs ne pouvait 
que s'élever. 

On ne peut dire d’après quelle règle générale l'instruction 
théorique s'acquérait : il n'y en avait pas, à cause de la diversité 
d'origine des apprentis. Mais, avant qu'il y eût des écoles spéciales 
fondées par les empereurs pour ceux qui devaient entrer au 
service de l'Etat, des groupes se formaient sans doute librement 
autour des maîtres qui ne manquaient pas, pour chaque ordre 
de science. Il était ensuite facile d'entrer comme aide au service 


d'un architecte privé, jusqu'à ce que l’on pût exercer la profession 
à son compte. 


Te Ingénieurs militaires et civils. 


C'était aussi dans l’armée qu’on pouvait, une fois l'instruction 
générale acquise, apprendre et pratiquer le métier d'ingénieur. 
Indépendamment des travaux de campagne et de siège, les 
troupes étaient fréquemment employées à de grands travaux 
d'utilité publique !. Sous l'empire, les ouvriers et ingénieurs mili- 
taires, non seulement accompagnaient l’armée, mais en faisaient 
partie intégrante, les ouvriers comme simples légionnaires, les 
ingénieurs avec des situations à part qu'il est difficile de bien 
définir. Chargés d'étudier et de faire exécuter, souvent par un 
immense personnel, des ouvrages techniques de la plus haute 
importance, ils étaient certainement pourvus à la fois d’une 
autorité effective, et d'avantages matériels considérables. Et 
cependant la plupart des architecti militaires que nous font 
connaître les inscriptions sont désignés par la qualité de milites ; 


1. Le C.I.L., VII, donne, pour la seule province de Bretagne, la mention de 
128 travaux exécutés par les légions. Voir aussi au C.I. L., VIII, les nombreuses 
inscriptions rappelant les travaux exécutés par la IT° légion Awgusta, seulement 
pour le camp et la ville de Lambèse. (Cf. Cagnat, L'Armée romaine d'Afrique, 
p. 43i et suiv.) On pourra trouver encore quelques renseignements sur ces travaux 
des armées romaines dans notre ouvrage : Les aqueducs romains de Lyon, p. 368, 


— 115 — 


plusieurs sont veterani ou evocati Augusli!, un seul est sous- 
officier ?. Cette sorte d'anomalie peut s’expliquer ainsi : en tant 
que combattants, leur grade ne les distingue pas de la troupe; 
en tant que chefs de travaux, leur emploi les met fort au-dessus. 
Il y avait d’ailleurs, assurément, des degrés dans la hiérarchie 
de ces emplois techniques, soit d’après le talent et l'instruction, 
soit d'après les spécialités; un arpenteur ou un niveleur (metator 
ou mensor, libralor) était probablement au-dessous de l'archi- 
tectus proprement dit. Mais nous ne pouvons là-dessus rien dire 


d’assuré. 
Les architectes civils figurent en assez grand nombre * dans les 


1. Cette appellation désignait, comme on sait, les vétérans qui reprenaient du 
service après leur libération. Sous l'empire, ils formèrent à Rome un corps d'élite, 
dépendant du préfet du prétoire; un certain nombre d’entre eux étaient détachés, 
dans les provinces, avec des missions spéciales, auprès des différents légats légion- 
naires. 


2. Ce sous-officier est T. Flavius Rufus (C. I. L., XI, 20), soldat à la XIT° cohorte 
urbaine, puis corniculaire Au préfet de l’annone, bénéficiaire du préfet du prétoire, 
trésorier de la garde prétorienne et architecte dans le même corps. 

La garde prétorienne nous donne encore (C. I. L., X, 1757), Cissonius Apulis. 

« C. Cissonio, À. f. Hor. Apuli veterano coh (ortis secundae) pr (aetoriae) architecto 
Augustorum, Patricia Trophime, etc... » 

Un autre appartient aux equites singulares : T. Aelius Martialis; il n’est désigné 
que par sa qualité d’'architectus equituin singularium Augusli. (C. I. L., VI, 3182.) 

Dans les légions, nous trouvons M. Cornelius Festus (C. I. L., VIII, 2850) et 
(C. I. L., VI, 2725) C. Vedennius Moderatus. 

C. VEDENNIVS C.F. QUI (rin@) MODERATVS 
ANTIO, MILIT (@vit) IN LEG (ione) XVI GALL (ica) A (nnis) x 
TRAN(S)LATVS IN COH (ortem) IX PR (æ£oriant) IN QUA 
MILIT (GUit) ANN (is) VIII. MISSUS HONESTA MISSION (e) 
REVOC (alus) AB 1MP (eralore) FAGT (us) EVOC (alus) AUG (usti) 
ARCHITECT (4S) ARMAMENT (arius) 1MP (eratoris) EVOC (atus) 
ANN (is) XXII DONIS MILITARIB (US) DONAT (us) BIS 
AB DIVO VESP (asiano) ET iMP (eralore) DOMITIANO (Aug.). 

C. 1. L., XII, 723 et X. 5371. est mentionné un ingénieur de la flotte, Cælius, 
architectus navalis; de même, X, 2372, C. Vettius, ingénieur de la flotte de Misène. 

Assez nombreuses sont les inscriptions relatives aux mensores. 

Les armées de Lambèse, à elles seules, en ont fourni une demi-douzaine (C. I. L., 
VIII, 2564, 2856, 2857, 2935, 2946, 3028). C'est là aussi que l’on à retrouvé (VIII, 2728), 
le nom et l’histoire fort intéressante du librator Lollius, constructeur de l’aqueduc 
de Saldae (Bougie). V. notre ouvrage Les aqueducs romains de Lyon, p. 292. 


3. Dans le Corpus Inscriptionum latinarum, on peut relever, parmi les ingénieurs 
civils, ceux qui figurent aux numéros suivants : 

Ingenui. — II, 2259. — III, 6588. — V, 3464. — VI, 9153. — X, 1443. — X, 6126. 
— X, 8093. — XII, 186. 

Liberti. — V, 1886. — V, 2095. — VI, 8724-8725. — VI, 9151-9152-9154. — IX, 1052. 
— X, 841. — X, 1614. — XT, 3945. — Dans ce nombre, quatre seulement sont liberti 
Auguslorum : VI, 5738-8724-8725-9151. 

Servi. — VI, 8726. — VII, 1082. — IX, 2886. — X, 8146. — X, 4587, — XII, 2993, 
— Le premier seul est esclave impérial, 


inscriptions, et se répartissent entre les trois conditions sociales, 
hommes libres, affranchis et esclaves. Ces derniers, et même 
les affranchis, sont en grande majorité des architectes privés. 
Cela s'explique assez bien d'après ce qui a été dit plus haut de 
l'instruction technique très développée que les riches particuliers, 
par un calcul intéressé, faisaient donner à leurs esclaves. Mais 
les empereurs eux-mêmes n'ont pas négligé ce moyen; dans 
leurs familles d'esclaves, ils instituèrent de bonne heure des 
écoles (paedagogia)!, qui leur fournirent un excellent personnel 
de chefs subalternes pour les divers services publics ?. Quant aux 
directeurs de grandes entreprises, souvent eux-mêmes entre- 
preneurs responsables (redemptores), ils étaient de condition 
libre, ou au moins affranchis. Faute de documents précis, il faut 
toutelois, sur de pareilles questions, se montrer fort réservé. 
Bien peu de monuments, à Rome ou dans les provinces 
romaines, portent le nom des architectes qui les firent élever. 
Les quelques lignes que Tacite (Ann., XV, 42) consacre à 
rappeler le nom, le génie et l'audace de deux ingénieurs de 
Néron, Severus et Celer, ne nous renseignent pas sur leur 
condition*. Tout ce que nous pouvons conclure du récit de 
l'historien, c’est qu'ils avaient, sans compter, puisé au trésor 
impérial pour construire la fameuse Maison d'or, tracer et 
planter les merveilleux jardins qui l’environnaient:; et qu'ils 
avaient fait agréer par Néron le projet d’un gigantesque travail, 


1. Cf. C. I. L. — VI, 8965, 8966, 8967, 8971, 8989. 


2. C'étaient probablement des affranchis issus des pacdagogia que ces deux 
architectes attachés à la Cura aquarum, et dont parle Frontin (de Ag. 119) en 
termes qui font comprendre que leur rôle se bornaïit à surveiller l'entretien habituel 
des aqueducs. 


3. Le souverain s'en attribuait tout l'honneur. C'était bien conforme à l'usage des 
anciennes monarchies. Lucien raconte le plaisant stratagème de ce Socrate de Cnide. 
constructeur du phare d'Alexandrie, qui, obligé d'inscrire sur son ouvrage le seul 
nom de Ptolémée Philadelphe, grava son propre nom dans un espace en creux quil 
recouvrit de plâtre ; sur la surface ainsi aplanie. il traça celui du roi, Quelques 
années après, le plâtre s'étant détaché, le nom de l'architecte apparut, indélébile, 
(Lucien, Quoi. hist. conscrib.) 


1. Tacite ne les désigne pas par leur qualité d'archilerti. «+ Magistris et machina- 
toribus Severo et Celere », dit-il. Mais ces deux mots de snagister et machinalor ne 
sont pas des titres; mis comme ici à l'ablatif absolu, ils indiquent seulement que 
les deux personnages ont dirigé et combine le travail. (Cf. Ruggiero, Disionario, 
article architectus, où se trouve exprimée une idée différente.) 


E ee 


MD 


qui ne put être achevé. Mais ces deux personnages étaient-ils 
attachés à la personne de l’empereur, comme esclaves ou 
affranchis, ou bien étaient-ils engagés par libre contrat ? La 
question ne peut guère être résolue !. 


IV. — Ingénieurs officiels des empereurs. 
Influence et faveur croissantes. 


Ce qu’il y a de certain, c’est que les empereurs cherchèrent 
de plus en plus à tenir ainsi des architectes constamment à leur 
disposition : véritables ingénieurs d'Etat, et fonctionnaires 
officiels. Les travaux à exécuter dans les provinces exigeaient 
des hommes de l’art qu'on ne trouvait pas souvent sur les lieux, 
sauf en Grèce, et les gouverneurs s’adressaient parfois au prince 
lui-même pour qu'il leur en envoyât*. L'empereur Hadrien 
pourvut à tout, en rassemblant autour de luicomme une phalange 
d'ingénieurs, qui l'accompagnèrent dans ses nombreux voyages, 
et furent l’un ici, l’autre là, préposés aux travaux qu'entre- 
prirent sous son impulsion quantité de villes de l'empire. 

Cet empereur, qui vivait dans la familiarité de ses architectes, 
était architecte lui-même”, et architecte des plus instruits : 


1. Si des documents nouveaux doivent être recueillis sur les ingénieurs anciens, 
il semble que c'est de préférence l'Orient et l'Egypte qui sont appelés à les fournir. 
On peut attendre beaucoup des papyrus égyptiens. Tout dernièrement M. Bouché- 
Leclercq a extrait des papyrus de Gourob la matière d’une notice sur les travaux de 
desséchement et d'irrigation du Fayoûm, dirigés par l'ingénieur Cléon, sous 
Ptolémée IL Philadelphe. « Les papyrus provenant des bureaux de l’ingénieur Cléon, 
donnent une foule de détails sur l'emploi et le prix des matériaux, terrassements, 
manœuvres de vannes; sur les canaux, l'entretien des ponts et des routes, les 
salaires des ouvriers, l’observance du repos décadaire, attestée par les comptes 
mensuels qui déduisent les décades de la somme des journées de travail et aussi 
de la somme des salaires. » Il y à même des allusions à des grèves ouvrières, à des 
violences exercées par le personnel sur certains chefs. Après avoir présidé pendant 
6 ou 7 ans à la direction des travaux, ce Cléon fut disgracié par le roi, et remplacé 
par un autre ingénieur nommé Théodore, qui avait été son subordonné et son 
auxiliaire. (Comptes rendus de l'Ac.des Inscr.et Belles-Lettres, janvier 1908, p. 23.) 

2. Pline le Jeune, étant gouverneur de Bithynie, sollicitait de l’empereur Trajan, 
tantôt un architecte pour un théâtre et pour des bains (Lettres, X, 48), tantôt un 
ingénieur aussi, un niveleur (libralorem, vel architectum) pour un projet de canal. 
(Zbid., L.) L'empereur lui répondait qu’il ne pouvait en manquer, étant près de la 
Grèce, à laquelle Rome même s’adressait pour en avoir. 


3. Dion Cassius, LXIX, 4 et suiv. 


— 118 — 


arithmeticae, geometriae peritissimus, dit son biographet. Aussi 
discutait-il les plans qu’on lui soumettait, et parfois imposait 
les siens. L'on a dit que sa villa de Tibur avait été exécutée en 
partie d'après ses dessins ?. 


Ses successeurs continuèrent pour la plupart à s'occuper 
beaucoup de ce recrutement d'architectes. Alexandre Sévère, 
qui, selon son biographe, Lampride, s’occupait non seulement 
l'astrologie (mathesis), mais de toutes sortes d'arts et de sciences, 
en particulier de géométrie (geometriam fecit)?, prit des mesures 
pour étendre le plus possible l’enseignement dans toutes les 
branches, particulièrement dans l'art de l'ingénieur, et de 
façon à ce que cet enseignement fût accessible même aux 
citoyens pauvres; à cet effet, il institua un traitement de l'Etat 
pour les professeurs. La même mesure fut renouvelée par 
Constantin ; en outre, ce prince engagea, par l'espoir des 
récompenses et des privilèges, les jeunes gens qui avaient reçu 
une éducation distinguée à se livrer à l'étude et à la pratique de 
l'architecture ?. 


Un peu plus tard, nous trouvons un architecte élevé aux plus 
hauts honneurs, Alypius d'Antioche, confident de l'empereur 
Julien et intendant de province î. Puis c’est la grande école 


1. Spartien, Vita Hadriani, 13. 
2. Dion Cassius, loc. cit. 
3. Aelius Lampridius, Vie d'Alexandre Sévère, 27. 


4. Lampride, Vie d'Alexandre Sévére, 44. « Rhetoribus, grammaticis, medicis, 
haruspicibus, mathematicis, mechanicis, architectis salaria instituit et auditoria 
decrevit; et discipulos cum annonis pauperum filios, modo ingenuos, dari jussit. » 
On peut inférer, croyons-nous, de l'expression modo ingenuos (pourvu qu'ils fussent 
de condition libre), que dans l’intention des empereurs, le savoir de l'ingénieur devait 
être plus particulièrement réservé aux hommes libres. 

5. Code Théod., XII, INT, 1. « Imp. Constantinus A. ad Felicem. — Architectis 
quam plurimis opus est; sed quia non sunt, sublimitas tua in provinciis africanis 
ad hoc studium eos impellat, qui £d annos ferme duodeviginti nati liberales litteras 
degustaverint. Quibus ut hoc gratum sit, tam ipsos quam eorum parentes ab his, 
quae personis injungi solent, volumus esse immunes, ipsisque qui docent salarium 
competens statui. » (334 ap. J.-C.) 

Ibid. : « Imp. Constantius et Constans a. a. ad Leontium praefectum praetorio. — 
Mechanicos et geometras et architectos qui divisiones partium omnium incisiones- 
que servant mensurisque et institutis operam fabricationi stringunt, et eos, qui 
aquarum inventos ductus et modos docili libratione ostendunt, in par studium 
docendi atque discendi nostro sermone perpellimus. Itaque immunitatibus gaudeant 
et suscipiant docendos qui docere sufficiunt. » (344.) 


6. Julian. Epist, XXIX et XXX. — Il fut chargé de rebâtirle temple de Jérusalem. 


— 119 — 


d'architecture qui, sous Justinien, donne les Anthémius de Tralles, 
et les Isidore de Milet, les célèbres auteurs de Sainte-Sophie 
de Constantinople. Cette école est honorée et soutenue comme 
elle le mérite : elle produit de belles et fortes œuvres !. À Rome, 
où l’empire avait succombé, la faveur accordée aux architectes 
avait survécu, mais leur art et leur science fléchissaient. 
Cassiodore, ministre de Théodoric, écrivait au nom de son 
maitre à l'architecte Aloysius, à Ravenne, à l’occasion de 
certaines réparations de thermes et d’autres édifices à Rome : 
« Vous marchez immédiatement devant notre personne, au 
milieu d'un nombreux cortège, ayant la verge d’or à la main, 
prérogative qui, en vous rapprochant si près de nous, annonce 
que c’est à vous que nous avons confié l'exécution de notre 
palais. » Cette fois la juste mesure des honneurs était dépassée. 
Et ce fut dès lors la décadence. 


En définitive, si les documents nous font défaut pour établir 
de façon précise et assurée comment se recrutaient et se formaient 
les ingénieurs sous l'empire romain, et pour distinguer nette- 
ment leurs catégories diverses et la hiérarchie de leurs emplois, 
nous possédons du moins deux données certaines. La première 
procède de l'examen des travaux effectués par ces ingénieurs : 
il révèle un art méthodique qu’une simple pratique de métier 
aurait été insuffisante à soutenir. Et c’est de là que nous sommes 
partis. D'autre part, et c'était le but principal de cette étude, 
en parcourant, à travers l'étendue des connaissances scientifiques 
de l’époque romaine celles qui pouvaient préparer et conduire 
aux applications pratiques, nous avons apprécié les ressources 
qu'elles étaient susceptibles de fournir à l’ingénieur chargé des 
travaux publics. L'œuvre de celui-ci s'explique sans difficulté, 


1]. Procope, De aedificiis I. 1. — Ammien Marcellin, XXII. 1, 2, 3. 


— 120 — 


si on le suppose muni de ces connaissances, et ne s'explique 
œuère sans elles. Nous tenons donc fortement les deux bouts de 
la chaîne. Quant aux anneaux intermédiaires, c'est-à-dire aux 
moyens par lesquels se propageait l'instruction, nous imaginons 
plutôt, il est vrai, leur combinaison idéale que nous ne connais- 
sons leur système réel. Mais nous savons cependant que les 
diverses sciences, théoriques et pratiques, s’enseignaient à Rome 
régulièrement sous l'empire, et que les futurs ingénieurs étaient 
mis à même de les acquérir. La tradition des écoles grecques, 
importée dans la capitale du monde, y avait fait naître le zèle 
fécond de l’enseignement privé et public; puis était venue la 
fondation d'écoles officielles, entretenues ou encouragées par le 
pouvoir impérial. Une élite d'ingénieurs pouvait de la sorte se 
former et se perpétuer. Tout cela sans doute est déjà connu, et 
à la vérité c’est peu de chose. Mais en jetant un regard attentif 
sur de semblables notions qu'on à pris soin de grouper pour 
former un tout, on en aperçoit plus distinctement les lacunes. 
On ressent et l'on inspire le désir de combler ces vides. Et la 
science finit par être accessible à ceux qui la cherchent ainsi de 
bonne foi. 


TABLE DES MATIÈRES 


PAGES, 
ENINN PROPOSE NME RAIN TN IT NAN li LUNA I-XJII 
INDECBIBHIOGRAPHIQUE.. LULU TeNCE HART DIUNINOE XV-X VIII 
L'ECRAN RER RE PR A RE ue l 


CHAPITRE PREMIER 


Arithmétique. 
I. — La Science des nombres chez les Grecs. Son étendue et ses 
ÉRIC done AC ACER APR ORAN ROSE 5] 
II. — Systèmes grecs et latins de numération..................... 8 
III, — Mode de calcul usuel par les cailloux et l’abaque......... .. 14 
MR Divers types d'apaques. see: teens tee. docs 24 
Calcul par les doiots.::....:..115.....40: he eme 29 


CHAPITRE II 


Géométrie. 
GE OMEtTIeMhÉOPIQUE metres dense sen deco eee 33 
II. — Géométrie appliquée. Son étendue d’après les écrits de 
ÉRÉLOMAEA IR ANOTIE RE Mn re co e ML en or 38 


CHAPITRE III 


Arpentage et nivellement. 


I. — Instruments d'arpentage. La groma............ CHENE RL CRE Lo 
IT. — La dioptre de Héron d'Alexandrie. Description.............. 5) 


IT. — Problèmes d'arpenteurs et d'ingénieurs résolus parla dioptre 62 
M Le chormpate deWVITEUVE. Nestes. RE 14 


==.199 


sa. 


CHAPITRE IV 


Mécanique et hydraulique. 


I. — Principes généraux de mécanique ............. Re 
II. — Machines de soulèvement et de traction....., ......, .... 82 
IT. — Machines à moteurs animés, pour élever l'eau............. 89 
IV. — Principes de physique. Equilibre et mouvement de l'air et 
de Teaus. 212.2. TN die 20 1° ORPES 92 
V. —Pompes et machines hydrauliques .... ...:........... 4 98 
VI:-—"Hydraulique des conduites d'eau... .,2,,.. 1.271008 100 
VII. — Hydrologie ...... se en ne 08 Re Te LE e UE OUT OI RSS 102 
VIIT. — Mécanique de la construction. Perspective et dessin...... 104 


CHAPITRE V 


Formation et condition des ingénieurs. 


I. — Instruction théorique et culture générale.......... ........ 109 
IT. — Architectes grecs et architectes romains. Diversité des 

conditions sociales. Maîtres et écoles....... see SRE RE 111 

I::— Ingénieurs militaires et.civils.2.0..:.0.. 2 RS 114 
IV. — Ingénieurs officiels des empereurs. Influence et faveur 

CTOÏSSANTES Sec. 2e erluse dcr CRE s2 8850 117 


arte 


ERRATA 


, à droite, lignes l et 2; au lieu de C 1/4 d’obole, 9 1/2 obole, lire e) 1/4 d'obole, 
: obole. 


û 6, note 6, au lieu de euroouous, lire Eurencuns. 





ERNEST LEROUX, ÉDITEUR 


28, Rue Bonaparte (VI) 








BLANCHET (A.). Les enceintes romaines de la Gaule. Etude 
sur l’origine d’un grand nombre de villes françaises. In-8°, figures 
CE PIANCHES RE LR Gare. 


CAGNAT (R.), de l'Institut. L'armée romaine d'Afrique et l’oc- 
cupation militaire de l'Afrique sous les empereurs. In-4, figures, 
planches-et cartes : 2512551 %r NE EN CRETE CERN : 


CHAPOT (Victor). La flotte de Misène, son histoire, son recru- 
tement, son régime administratif, In-80..:... 


GAUCKLER (Paul). Enquète sur les installations hydrauliques 
romaines en Tunisie. Tome I, en 4 fascicules in-8, figures........ 


s vie see cie sat ois 


GERMAIN DE MONTAUZAN (C.). Les aqueducs antiques de 
Lyon. Etude comparée d'archéologie romaine. In-8°, figures, 
planches eticartess "222.727. RP ePeLEREs 


— Tome II, fascicules 1, 2, 3. In-8o, figures. Chacun 


LONGE (L.). Histoire intérieure de Rome jusqu'à la bataille 
d’Actium, tirée des Rœmische Alterthuemer, par À. Berthelot et 
Didier, agrégés de l’Université. 2 vol. in-80 


LA NOË (G. de). Le rempart — limite des Romains en Allemagne. 


In-8°, avec une carte et 2 planches ... 
— Principes de la fortification antique depuis les temps préhis- 


toriques jusqu'aux Croisades, pour servirauclassementdes enceintes 


dont le sol de la France a conservé la trace. I. l'ortification préhis- 
torique et fortification gauloise. In-8°, planches, ..........,...,.... 


IL. Fortification romaine. In-8, planches......................… 


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 BLANCHET (A.). Les enceintes romaines de la Gaule. Etude 
sur l’origine d’un grand nombre de villes françaises. In-8o, figures + 
PE DIRES, SUN NE ONE 2 Le dE Ag Per Set ES 


 CAGNAT (R.), de l’Institut. L'armée romaine d'Afrique et ro. ë 
 cupation militaire de RE sous les empereurs. In-4°, figures, 
planches et cartes . NES En 


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CHAPOT (Victor). La flotte de Misène, son histoire, son recru- fe 
tement, son régime administratif, In-80,............,... : 





GAUCKLER (Paul). Enquête sur les installations hydrauliques 
_ romaines en Tunisie, Tome I, en 4 fascicules in-8, figures....... 
— Tome Il, fascicules 1, 2, 3. In-8, figures. Chacun 








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.  GERMAIN DE MONTAUZAN (C.). Les aqueducs antiques de 
at Lyon. Etude comparée d’archéologie romaine. In-8&, figures, 
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| LONGE (L.). Histoire intérieure de Rome jusqu'à la bataille 
Ad _ d'Actium, tirée des Ræœmische Alterthuemer, par A. Berthelot et 
- _ Didier, agrégés de l’Université. 2 vol, in-80. 


notons ssseusse 


LA NOÉ (G. de). Le rempart — limite des Romains en Allemagne. 

In-8o, avec une carte et 2 planches ..,...,.............,....... 
— Principes de la fortification antique depuis les temps préhis- 
toriques jusqu'aux Croisades, pour servirauclassement des enceintes 
dont le sol de la France a conservé la trace. I. Fortification préhis- 
torique et fortification gauloise. In-8°, planches. ................... 


Il. Fortification romaine. In-8°, planches... ....,..,.......,,..,... 





| _  WEILL (Raymond). L'art de la fortification dans la haute 
Ka antiquité égyptienne. In-8, figures..,....,.....,...,... 


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