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ESSAI
Sin LA VIE KT LKS (H'VliACES
DE
L.-A.-J. QUETELET,
PAR '^
ErP. MAILLY,
COlJMKSroNtlANT I)K l.'.VCADKMIK HOYM.K hK l5KI,i;iUl K.
BRUXELLES,
^ »
F. liAYËZ, IMPKIMBUK DK L ACADEMIE ROYALE DES SCIËiNCES,
DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE.
1875
A-CH-
l I
^ ... r
-'■>■>..
* t
535752
'^\
Extrait de VAnnuaire de l'Académie royale de Belgique,
quarante et unième année, 1875.
(3 )
TABLE.
1 —
11.—
III. --
IV.—
^ô V.
"^ VI.
VII.
>sv VIII.
^
-ç
Pages :
Les jeunes années de QueteleV. — Ses débuts
comme professeur, comme poète et comme géo-
mètre. — L'Université de Gand 5
L'arrivée de Quetelet à Bruxelles. — Ses poésies.
— Son Essai sur la Romance 14
L'entrée de Quetelet à l'Académie des sciences et
belles-lettres de Bruxelles. — Ses mémoires de
géométrie 27
Quetelet considéré comme professeur. — Ses ou-
vrages élémentaires. — Ses idées sur l'enseigne-
ment public. — Le Musée des sciences et des
lettres. — Le Musée des arts et de l'industrie . 50
L'excursion de Quetelet à la grotte de Han. — Ses
voyages en France, en Allemagne et en Italie. —
li'Observatoire de Bruxelles; historique de sa
construction 65
Quetelet considéré comme physicien. — Ses pre-
mières recherches statistiques 85
Quetelet à l'Observatoire et à l'Académie des
sciences et belles-lettres. — Son élection comme
secrétaire perpétuel de l'Académie. — Son Essai
ub rurgiQUE SOCIALE 105
Les mesures prises pour arriver à une détermina-
tion plus exacte du temps. — Le second voyage
de Quetelet en Italie. — L'extension donnée aux
travaux de l'Observatoire. — L'observation des
phénomènes périodiques. — La création de la
Commission centrale de statistique 130
(4)
Pages :
«-jL- IX.. — Les lellres sur la théorie des probabilités. — Le
mémoire sur la statistique morale. — L'ouvrage
sur le système social. — La réorganisation de
l'Académie et rétablissement d'une classe des
beaux-arts 1^9
X.. — Les préoccupations politiques de Quetelel en 1848.
— Ses travaux sur les températures de la terre,
sur la végétation des plantes , sur l'électricité de
l'air, sur les ondes atmosphériques. — L'ouvrage
sur le climat de la Belgique. — La Conférence
maritime et le Congrès de statistique de 1853.—
La détermination de la différence des longitudes
entre Bruxelles et Greenwich 1 1:2
XI. — Quetelet dans son intérieur. — Ses dernières années.
Sa mort 157
XII. — Les dernières publications de Quetelet ig4
XIII. - Conclusion 179
Notes 183
S
::?
ESSAI
SUR LA VIE ET LES OUVRAGES
DE
lAMBBRT-ADOlPHE-JAGQUES QUfiTELET,
né à Gamd U ft février 1796. mort à ânactUn /• 17 février 1874.
I. — Les jeunes années de QtÂetelet. — Ses débuts comme
professeur, comme poète et comme géomètre,^ L'Univer-
sité de Gand.
L'homme dont nous allons essayer d'écrire la vie et d'ap-
précier les travaux, tiendra sa place dans Thistoire des
sciences et des lettres : il est du petit no^ibre des Belgçs qui
ont su je faire un grand nom à l'étranger.
La nature l'avait doué d'un esprit pénétrant, d'une imagi-
nation vive et d'un jugement solide; elle lui avait donné en
outre une qualité précieuse, la persévérance , sans laquelle
les facultés les plus brillantes restent quelquefois stériles.
Adolphe Quetelet fut poète, littérateur, géomètre, physi-
cien, astronome, statisticien. U eut toujours du goût pour les
beaux-arts , et c'est même un dessin exposé à Gand, en 1812,
qui attira sur lui l'attention du public. Ce dessin, l'un des
1
(6)
plas beaux du SaloD, avait remporté le premier prix au Lycée
de Gand, et, lorsqu'il en fit Téloge, M. Cornelissen eut soin
d'ajouter que Tauteur « honorait le Lycée par de grands
succès dans tous les genres ^. w
Ayant perdu son père à Tâge de sept ans, Quetelet, à peine
sorti du Lycée, se vit forcé, par des malheurs de famille, de
chercher des moyens d'existence. En 1813, il entra comme
professeur dans un établissement d'instruction publique à
Âudenaerde^ où il enseigna les mathématiques, le dessin,
la grammaire, etc.; il y eut pour élève M. Liedts qui fut
longtemps après ministre de l'intérieur et qui fonda la Com-
mission centrale de statistique.
Après un an de séjour à Audenaerde, Quetelet revint à
Gand. Le Lycée de celte ville s'était dissous à la chute de
l'Empire; mais, dès le mois de novembre 1814, le prince
souverain des Provinces-Unies des Pays-Bas avait autorisé
le Conseil municipal à remplacer le Lycée par un collège;
le 5 décembre, le Bureau d'administration de ce collège fai-
sait un appel à tous ceux qui avaient « les qualités requises
pour se vouer à l'instruction de la jeunesse ' » ; et , le 22 fé-
vrier 1815, le commissaire général du département de l'inté-
rieur, duc d'Ursel , nommait les professeurs *,
Quetelet fut désigné pour la chaire de mathématiques.
Le jour même de sa nomination , il accomplissait sa dix-
neuvième année. Le sort qui lui était fait n'avait rien de
brillant ; mais son existence était assurée, et la ressource
des leçons particulières lui restait. Le ciel avait exaucé le
plus cher de ses vœux, il était indépendant. Désormais il
^urrait, en toute liberté, s'occuper d'art, de science, de lit-
térature; dessiner, jouer de la flûtei lire Pascal, étudier New-
ton , faire des vers.
b " ^ - >" »« *
r
(7)
Un ancien élève du Lycée (feGand, G.DandeliD, avait quitté
I^École polytechnique pour rentrer en Belgique; à son retour
il s*étail lié étroitement avec Quetelet dont il partageait tous
les goûts.
Les deux amis voulurent écrire pour le théâtre; ils asso-
cièrent à leur projet un musicien distingué, Ch. Ots ^ et le
fruit de cette collaboration fut un opéra « en un acte , en
prose et à grand spectacle, » représenté sur le théâtre de
Gand , le 18 décembre 1816. La pièce avait pour titre: Jean
Second ou Charles-Quint dans les murs de Gaîid '. Elle
réussit, mais ne fut jouée que deux fois, Dandelin ayant pré-
tendu que le parterre avait fait acte de civisme et de dévoue-
ment, et qu'il serait peu loyal de le mettre à une troisième
, épreuve. Les auteurs renoncèrent à la carrière dramatique,
quoiqu'ils eussent en préparation deux autres pièces, Les
deux Troubadours et Le Railleur. Dandelin , nommé sous-
lieutenant du génie le 16 avril 1817, reçut Tordre de se rendre
à Namur, et Tinfluence de Garnier qui vint occuper la chaire
de mathématiques à FUniversité de Gand ramena Quetelet
dans la carrière des sciences.
L'installation de l'Université eut lieu le 9 octobre 1817,
en présence du prince d'Orange, et le 3 novembre, la cloche
du beffroi annonça l'ouverture solennelle des cours.
Les professeurs de la faculté des sciences étaient MM. Gar-
nier, Hauff et Cassel. Ce dernier devait enseigner la zoologie,
la minéralogie, l'anatomie comparée, la botanique et la phy-
siologie des plantes : c'était un homme distingué, d'une
grande modestie ^. Son compatriote Ch. Hauff, qu'on avait
chargé des cours de physique et de chimie, ne lui res>
semblait guère sous ce dernier rapport ^. Garnier figurait au
programme pour les mathématiques élémentaires et l'astro-
(8)
Domie physique; il devait commencer ultérienrement des
leçons sur Tastronomie mathématique, sur les mathémati-
ques transcendantes, l'hydraulique et Thydrostatique.
La position que Quetelet occupait au collège de Gand le
mit naturellement en relation avec le professeur de mathé-
matiques de rUniyersité. Voici le portrait qu'il a laissé de
Garnier. a . . . La physionomie fortement caractérisée de
M. Garnier, • dit-il, u ses yeux vifs, enfoncés sous des
sourcils très marqués, son sourire un peu satirique, ses
réponses promptes et presque toujours spirituelles, devaient
le faire remarquer dans la société, où il aurait pu facilement
briller au premier rang , s'il avait aspiré à y paraître. Sa
taille petite et courbée et ses formes grêles contrastaient
singulièrement avec le tour décidé et incisif qu'il donnait à
son langage. Il avait une habitude qui aurait pu paraître
choquante chez tout au^'e, mais qui, chez lui, ne faisait
qu'ajouter au pittoresque de sa conversation : c'était d'être
assez prodigue de certains mots expressifs qu'on entend peu
dans la bonne société où M. Garnier avait toujours vécu
comme le prouvaient suffisamment ses autres habitudes. Ces
mots, rapidement prononcés, formaient une espèce de ponc-
tuation parlée; ils arrivaient , on peut dire si naturellement ,
qu'on unissait par n'y plus faire attention.
»... Peu à peu » , ajoute-t-il, a sa conversation, toujours
instructive et spirituelle, toujours abondante en anecdotes
piquantes, se rattachant aux hommes les plus éminents de
cette époque, avec qui il avait eu de fréquents rapports,
donna une direction spéciale à mes goûts qui m'auraient
porté de préférence vers les lettres. Je résolus de compléter
mes études scientifiques et je suivis les cours de mathé-
matiques supérieures de M. Garnier. 11 fut, en même temps,
(9)
convenu entre nous que, pour le soulager dans ses travaux ,
je donnerais quelques-uns des autres cours dont il était sur-
chargé. Je me trouvais ainsi de fait son élève et son col-
lègue.... »
 Fouverture des cours de la nouvelle Université, la
faculté des lettres ne comptait que deux professeurs,
MM. Mabne et Schrant : le premier était chargé d^enseigner
les littératures latine et grecque, et les antiquités grecques
et romaines; le second , Thistoire universelle et la littérature
hollandaise. Le programme annonçait que ces deux derniers
cours commenceraient à Parrivée du professeur, » qui ne
pouvait tarder; » on avait été obligé de conGer la logique
et la métaphysique aux professeurs Hauff et Cassel de la
faculté des sciences.
Une nomination heureuse eut lieu au commencement de
Tannée 1818. M. Raoul, Français comme Garnier, fut appelé
à Gand et chargé de renseignement de la littérature française.
« II choisit une modeste habitation dans un des quartiers les
plus reculés de la ville; cette habitation , entourée de jardins ,
devint bientôt le rendez-vous d'une société choisie. Les jeunes
gens qui se distinguaient par leurs talents étaient sûrs de
trouver chez lui un accueil bienveillant et d'excellents con-
seils pour la direction de leurs études : sa bibliothèque, sa
table , sa bourse même étaient mises à leurs disposition ^. »
Raoul devint un des collaborateurs desJnnales belgiques,
dont la création avait suivi de près celle du Mercure belge :
c^est dans Ces recueils, dans les almanachs poétiques de
répoqne et dans le supplément aux Études et leçons fran-
çaises de littérature et de morale, publiées à Gand chez
De Russcher, que Ton trouve les pièces de vers de Quetelet.
La Veillée des Bardes fut son début : d'une couleur un
1.
(10)
pea sombre, ce morceau révélait un poète sérieux , classique
dans la forme, mais n'ayant rien de commun avec les versifi-
cateurs du temps. Les Adieux du poète à sa lampe qui vin-
rent ensuite, respiraient une douleur vraie, une profonde
mélancolie; en voici le commencement et la fin :
Du haut de son char nébuleux
Le sommeil a versé sur la nature entière
L'oubli des maux et les songes nombreux ;
Mais il ne descend plus sur ma faible paupière :
Il fuit, hélas! le lit du malheureux.
toi, de mes douleurs compagne solitaire,
Toi qui me restes seule au sein de la misère,
Seule de tant d'amis qui sont sourds à ma voix :
Lampe chérie , ah ! viens pour la dernière fois ,
Viens me prêter ta flamme tutélaire.
Le poète chantait : et son front doucement
Se penche vers son lit, tombe et se décolore.
Accusant la lenteur du mal qui le dévore ,
Sa voix plaintive expire en sons interrompus :
Il se soulève encore , et sa vue affaiblie
Traîne un regard mourant vers sa lampe chérie.
Sa lampe s'éteignit... Il n'était déjà plus.
Les deux morceaux que nous venons de citer parurent au
commencement de Tannée 1818. Sauf une traduction d'un
court fragment de VAjax de Sophocle, nous ne trouvons plus
de vers de Quetelet avant le mois d'août de Tannée 1819.
Dans Tintervalle, il se prépara à subir ses examens. Â cause
de sa position exceptionnelle, il fut autorisé à passer consécu-
tivement les examens de candidat et de docteur en sciences.
Le 24 juillet 1819, il prit le bonnet de docteur, et invita cour-
( 11 )
toisement ses professeurs au banquet qui suivit lapromotioD.
Ce dut être un beau jour pour ces derniers comme pour lui-
même. La dissertation inaugurale de Quetelet allait jeter un
grand lustre sur PUuiversité et préparer un brillant avenir à
son auteur. Elle était divisée en deux parties : dans la pre-
mière, Quetelet démontrait, d'après des considérations qui
lui étaient propres, que le lieu des centres d'une série de cer-
cles tangents à deux cercles donnés de position, est toujours
une section conique; dans la seconde partie, il faisait con-
naître une courbe nouvelle du troisième degré, la focale, lieu
des foyers de toutes les sections coniques déterminées par
un plan transversal tournant autour d'un point pris sur la
surface du cône droit.
La découverte de la focale fut célébrée dans les Annales
belgiques et dans le Mercure belge .* « La découverte de la
focale et de ses propriétés, par un des élèves de notre Uni-
versité naissante, * disait Garnier, « est un titre si flatteur
pour nous, que nous ne croyons pouvoir trop nous en préva-
loir. » — « La découverte d'une courbe, » s'écriait Raoul, » a
suffi pour faire la réputation de plus d'un grand géomètre, et
Ton ne sépare plus le nom de cycloïde de celui de Pascal. »
Ce dernier trait fut encore exagéré par de Reifienberg :
Par le compas enfin , que guide ta pensée.
Sur le papier savant une courbe est tracée ;
Pascal est attentif, et son œil étonné
Admire un résultat qu'il avait soupçonné.
Dandelin , à qui son ancien ami s'était empressé d'envoyer
son travail, répondit sur-le-cbamp qu'il se réservait de l'exa-
miner avec soin et de lui en dire son avis. « J'ai justement
sous la main les œuvres de Pascal, • écrivait-il; u le rapport
(12)
qui existe eDlre vos idées et les siennes me fournira un point
de départ pour mes observations. »
Nous avons dit que la lecture de Pascal était devenue une
des occupations favorites de Quetelet ; nous ajouterons que
toute sa vie il conserva le culte de ce grand homme. Si la
focale ne peut pas être comparée à la cycloïde pour l'impor-
tance des propriétés , elle n'en est pas moins une courbe des
plus remarquables, comme nous le verrons bientôt : nous re-
nonçons à en parler avec plus de détails pour le moment, afin
de ne pas scinder ce que nous avons à dire des travaux de
géométrie de Quetelet, travaux dont la connexion intime ne
permet pas qu'on les sépare.
La promotion du 24 juillet avait été une véritable solennité;
le 25, on lisait dans le Journal de Gand : « Hier, le grade de
docteur dans la faculté des sciences physiques et mathéma-
tiques a été conféré pour la première fois dans notre Univer-
site. C'est M. Quetelet, de Gand et professeur de mathéma-
tiques à notre collège royal, qui a eu Thonneur de cette
initiation, après une discussion solennelle et publique dans
laquelle ce jeune professeur a argumenté avec une grande
distinction. MM. les professeurs, tous les élèves, beaucoup de
fonctionnaires et un public éclairé, ont assistée cette récep-
tion, qui, en promettant à la Belgique un homme distingué,
a prouvé que l'étude et Tamour des sciences savent multiplier
le temps et triompher de la jeunesse. Puissent, lui a dit le
recteur de PUniversité, M. Gassel, promoteur de la faculté
dans cette séance, vos nobles efforts servir à propager la
science et à en augmenter le domaine ! •
Parmi les thèses qui étaient jointes à la dissertation de Que-
telet, se trouvait la suivante : Haud mihi paradoxa videlur
opinio lapides, qui vulgà vocantur aërolithif è luuâ esse
( 15)
tnissos (L^opinion que les aérolithes sont projetés par la lune
ne me semble point paradoxale), a Cette position, » disait
Gamier, « n'a pas paru très orthodoxe à certaines gens qui,
sans prétendre s'opposer à ces chutes de pierres , sont néan-
moins fort scandalisés de Topinion qu'elles puissent venir de
la lune. Notre jeune docteur, » ajoutait-il , a était prémuni
contre toutes les attaques; il savait d'an' ?urs que le préjugé
scientifique contre ce phénomène n'exisuit plus que dans la
tête de quelques individus qui semblent préposés à la conser-
vation des erreurs et des sottises, comme Tétaient les vestales
à la garde du feu sacré. » Nous citons ce passage, parce qu'il
fournit un échantillon de l'esprit de Gamier et que la thèse
dont il parle marque le point de départ des recherches de
Quetelet sur les aérolithes et les étoiles filantes.
M. Falck, ministre de l'Iustruction publique, vint à Gand
au commencement du mois d'août. Le 5, il visita le collège
royal; le 4, il assista à la pose de la première pierre des bâti-
ments de l'Université, et, le lendemain, un banquet lui fut
offert par la Société royale des beaux-arts. Ce banquet fut
précédé d'une séance littéraire, dans laquelle plusieurs lec-
tures furent faites : « On a particulièrement remarqué , • di-
sait le Journal de Gand du 7 août, • uneépîtreen vers sur
la mort de Grétry, par M. Quetelet. Cette pièce est remplie
de beaux vers et de traits d'une sensibilité exquise. On a pu
regretter que l'émotion de l'auteur, dont la modestie honore
et embellit le talent, ait pu nuire à cette lecture. »
La pièce de vers, qualifiée ici d'épttre, parut dans le Mer-
cure belge, sous le titre : Éloge de Grétry. L'auteur y chante
la puissance de l'harmonie et la gloire du musicien dont la
lyre consolait l'univers de la perte de Molière : à sa mort,
Apollon , sensible aux larmes de Thalie , voudrait révoquer
(14)
Tarrét dn Destin , mais celui-ci est inflexible, et pour adoucir
l^aflSiction de la Muse, Apollon lui donne l'assurance que la
gloire de Grélry sera étemelle :
Son nom vainqueur du tempg, et du temps respecté
Toujours croissant ira vers la postérité :
Calmez donc ces chagrins , cette douleur profonde ,
Assez longtemps il fit les délices du monde.
Qu'il vienne parmi nous recevoir de vos mains
Les lauriers réservés à ses accords divins.
Quoi quMl en soit du mérite de ce morceau et de l'effet
qu'il produisit à la séance de la Société des beaux-arts,
M. Falck à qui Quetelet avait été présenté lors de sa visite
au collège royal, dut prendre intérêt à un jeune homme, poète
et géomètre, lettré et savant, recommandé à la fois par Raoul
et Garnier, bons connaisseurs.
L'effet de cette recommandation ne se fit pas attendre. II
y avait justement à TAthénée de Bruxelles, un vieux profes-
seur de mathématiques élémentaires, M. Delhaye, disposé à
prendre sa retraite. Quetelet fut nommé à sa place au com-
mencement d'octobre *<^, et par un arrangement particulier,
il s'engagea à lui abandonner le quart de son traitement à
titre de rente viagère. Chaque fois qu'il recevait le terme
échu, le vieillard ne manquait pas de s'excuser d'être encore
en vie.
II. — L arrivée de Quetelet à Bruxelles, — Ses poésies, —
Son Essai sur la romance.
Le premier soin de Quetelet, en arrivant dans la capitale,
fut de courir à la demeure du commandeur de Nieuport.
(15)
Nieaport avait à cette époque au delà de soixante-treize
ans. Pendant longtemps il avait été pour ainsi dire le seul
représentant des sciences exactes en Belgique. « Je trouvai, »
dit Qnetelet**, « un beau vieillard, d'une UiUe élevée, d*un
parier brusque, mais plein de franchise et de bienveillance.
11 me reçut avec bonté : ma jeunesse et mon goût pour sa
science de prédilection Tintéressèrent en ma faveur ; il avait
commencé par me recevoir comme un père, et, peu à peu
en causant de sciences, il finit par se mettre à mon niveau et
à me parler en véritable ami des divers objets de mes études.
Dans un âge avancé, il avait conservé toute Tardeur, toute
la vivacité de la jeunesse; quand la conversation s'animait,
on s'apercevait facilement à ses mouvements d'impatience,
au tremblement de ses mains, à l'agitation de toute sa per-
sonne, que sa langue ne suffisait pas à rendre toutes les pen-
sées qui se présentaient presque en même temps à son esprit.
Son parler était vif , coupé, plein d'images ; j'ai connu peu
d'hommes qui eussent un langage plus pittoresque. Sa figure,
dont les traits n'étaient pas sans noblesse et dont la teinte,
brunie par les feux du midi, contrastait avec la blancheur de
ses cheveux, avait une expression animée ; ses yeux étaient
petits et bleus, mais pleins de vivacité. Quand la discussion
s'échauffait, son geste même avait de l'éloquence, et il ne fal-
lait pas attendre sa réplique pour connaître le fond de sa
pensée. »
Le commandeur, comme on l'appelait par abréviation,
avait en horreur les idées libérales. Pendant la révolution
brabançonne, dont il s'était montré le ferme adhérent, il
avait imaginé de faire voter par l'Académie des sciences et
beUe&>lettres de Bruxelles , quatre canons pour soutenir la
cause de Vandemoot et des patriotes : ce qui faillit tourner
fort mal pour rAcadémie,à la rentrée des Autrichiens **.
11 aurait bien consenti à accorder la liberté de la presse,
mais en latin seulement, et avec défense formelle de rien
traduire sans une autorisation préalable *K
Quetelet avait pris un logement dans une maison de la
petite rue de rÉcuyer, oii demeurait le baron de ReifTenberg,
régent de troisième à TAthénée , à qui il avait été présenté
par Raoul, leur ami commun. « Je n'oublierai jamais cette
première visite, » disait-il trente ans après^^;« quelle gaieté
bruyante! quelle volubilité de langue ! quels élans de ten-
dresse ! et comme si la parole ne suffisait pas à sa vivacité
naturelle, il était dans un mouvement continuel, allant, ve-
nant, montant et descendant Téchelle de sa bibliothèque avec
la rapidité de Técureuil. Au bout d'une demi-heure , j'étais
véritablement étourdi au point de ne plus trouver une seule
idée. Malgré sa petite taille, malgré ses cheveux d'une cou-
leur un peu hasardée, de Reiffenberg, à cet âge, avait un
extérieur véritablement agréable. Ses yeux pleins de vivacité
donnaient à sa physionomie beaucoup d'expression et de
finesse : sa conversation vive et spirituelle rachetait d'ail-
leurs ce qui aurait pu lui manquer sous le rapport du phy-
sique. »
Le petit Reiffenberg, comme l'appelait le commandeur,
avait précédé Quetelet à. Bruxelles de huit mois. 11 s'était
promptement faufilé dans la compagnie des réfUgiés fran-
çais, parmi lesquels on remarquait David, Arnault, Bory
de Saint-Vincent, Berlier, Merlin , etc., et n'avait pas tardé à
conquérir leurs bonnes grâces par son esprit vif et brillant.
11 leur présenta son nouvel ami, et ce dernier ne se fît pas
moins bien voir d'eux, mais par des qualités plus solides.
Les événements extraordinaires dont il avait été le témoin,
(17)
et les fortes études auxquelles il venait de se livrer avaient
mûri son jugement La chute de TEmpire en 1814, les cent
jours, la bataille de Waterloo, avaient dû laisser chez lui des
traces profondes. Je ne pense pas qu'il eût des sympathies
bien vives pour Tancien régime dont il avait pu contempler à
Gand les augustes débris : son instinct et son éducation le
portaient plutôt vers les représentants des idées nouvelles,
qui , après la réaction royaliste , avaient demandé un asile à
la Belgique hospitalière; c'étaient d'ailleurs presque tous des
hommes distingués et d'un commerce agréable.
Les relations de Quetelet avec les réftigiés ne l'empêchè-
rent pas du reste d'en nouer d'autres. Il rechercha les ar-
tistes et s'en fit des amis; il entra au (Comité de lecture des
théâtres royaux et à la Société de littérature *^, qui venait
d'être réorganisée. Gomme membre du Comité de lecture,
il avait ses entrées au théâtre de la Monnaie, où Talma,
Mil* Mars et les principaux artistes de la Comédie française
venaient chaque année donner des représentations. L'un des
membres du Comité était Ph. Lesbroussart, professeur de
rhétorique à l'Athénée de Bruxelles , qui occupait déjà la
même chaire au Lycée de Gand, quand Quetelet y était
élève. Ph. Lesbroussart faisait aussi partie de la Société de
littérature avec de Reiffenberg, Vautier, le baron de Stas-
sart, Rouveroy, etc.
La Société de littérature, publiait annuellement un Aima-
nach poétique. Le vingtième et dernier volume parut en 1823,
époque oii la Société s'éteignit sans bruit. Un recueil de
pièces de vers continua à être publié par les soins de
M. Coché-Mommens et de M. Tarlier jusqu'en 1826, puis
pendant plusieurs années, il ne fut plus question de poésie en
Belgique. La lutte contre le gouvernement des Pays-Bas vint
2
(18 )
imprimer un autre cours aux idées, et ceux des anciens tri-
butaires d'Apollon qui restèrent étrangers à la politique mi-
litante avaient déjà commencé à concentrer leurs forces sur
d'autres objets. Quetelet était du nombre de ces derniers.
Gomme sa vie poétique semble avoir cessé vers cette époque,
nous ferons ici une halte afin de présenter un tableau suc-
cinct des principaux morceaux publiés par lui depuis son
Éloge de Grétry.
Les derniers instants ont un grand rapport avec Les
adieux du poète à sa lampe^ mais leur sont inférieurs. Le
19 janvier ou la veillée des dames renferme des traits char-
mants. VÉpitre à Tollens est dans le genre d'Horace, le
poète favori de Quetelet. VÉpitre à Odevaere est d'un stjrle
plus relevé et plus noble; elle paraîtra peut^tre étrange à
cause de Tenthousiasme de l'auteur pour un peintre presque
oublié aujourd'hui ; mais cet enthousiasme était partagé par
tout le monde en 182i, et ne doit pas faire trop douter du
guût de Quetelet ni de sa connaissance des tableaux. David
exerçait à cette époque une influence considérable; la fré-
quentation de cet homme célèbre avait dû entretenir un pré-
jugé favorable à son école chez un jeune homme déjà pré-
paré par son professeur de dessin à tout admirer de ce qui
rappelait de loin ou de près le maître français. Puis Odevaere
était un homme charmant, spirituel, lettré et discourant très-
bien sur l'art, beaucoup plus fort sur la théorie que dans la
pratique. N'a-t-on pas vu d'ailleurs, à tontes les époques,
de grandes admirations aboutir à l'indifférence et à l'oubli ?
Nous citerons quelques vers de Tépttre qui nous a sug-
géré ces réflexions :
Élève glorieux de ce peintre enchanteur,
Qu'a proicrit son pays, dont il était l'honneur;
(19)
toi qui retraças , sons tes pinceaux facAes ,
De Thésée indigné les regrets inutiles ,
Et ces combats fameux ^^^ où le Belge deux fois ,
Aux fureurs des tyrans opposant ses exploits.
Fit tomber sous les coups de son noble héroïsme
Le sceptre dont s'armaient les mains du despotisme;
Que tu sais bien , savant en tes conceptions.
Émouvoir à ton gré toutes nos passions !
Oui je crois voir encor cette scène charmante.
Où Raphaël s'avance , i^ert par le Bramante
Aux regards attendris du pontife romain ;
combien ce tableau s'embellit sous ta main !
Quel maintien gracieux ! quel feu , quelle noblesse
Respirent dans ces traits où brille la jeunesse!
Laissez-moi contempler ce bel adolescent ,
Ce front qui noblement s'incline en rougissant,
Qui semble malgré lui révéler son génie.
Et dire : Je serai Thonneur de l'Italie.
Noble et belle Italie! mère des beaux-arts!
Du milieu des débris de tes trônes épars,
Renversés , confondus sous le torrent des âges ,
Lève, lève ton front courbé par les orages !
Malgré le deuil affreux dont ta tête est voilée ,
Oui , j'irai saluer ton ombre désolée.
Oui , je veux contempler la ville des Césars ,
Où planait la victoire, où régnent les beaux-arts;
Pour les murs glorieux du Gapitole antique ,
Fuyons , ami , fuyons le ciel de la Belgique ;
C'est là que ton talent prit son premier essor;
Viens, suis-moi: qui pourrait te retenir encor?
Mais que dis-je ! pourquoi quitter notre patrie ,
Quand j'y trouve partout les traces du génie?
( 20 )
Ici raateur cite le Vanderwerffde Van Brée; les Disciples
(TEmmaUSy de Paelinck; la Bataille des Quatre-Bras, de
PieDeman; V Angélique et Médor, de M. Duc, de Bruges;
VAntigone^ de M. de Cauwer, aîné; et il continue :
Mais toi-même, mais toi?... Qae vois-je? Qael tableau
Se forme et s'agrandit sous ton noble pinceau !
11 s'agit du Triomphe de Jean Cimàbué, fondateur de
recelé florentine, tableau qui forme le pendant de la présen-
tation de Raphaël au pape Jules II. Le morceau finit par la
description de ce triomphe :
Oui^ je veux t'imiter : tandis que ton pinceau
Retrace sur la toile un triomphe si beau ,
Brûlant du noble feu qui t'anime et t'inspire.
Je veux , cher Odevaere, essayer de redire
Gomment un peuple entier, et sensible et brillant,
Quand il aime les arts , honore le talent.
Odevaere était fort bien en cour. Vers 1823, il avait peint
pour le roi des Pays-Bas un grand tableau, L'investiture de
la principauté d'Orange donnée par Charlemagne à Guil-
laume au comety dont la maison de Nassau paraît descendre
par les femmes; « scène du plus haut intérêt, » disait M. de
Stassart *', « réunion des principaux personnages d'une des
plus héroïques époques de l'histoire, variété prodigieuse de
traits et d'expression, entente admirable de la perspective,
ornements d'architecture distribués avec ordre et sans pro-
fusion, groupes placés avec un art infini, contrastes bien
ménagés, enfin , le coloris des grands maîtres, tout concourt
/
I
f
I (21)
à faire de cette prodaction un chef-d'œavre... G^esl eo pein-
ture ce qae serait en littérature un poème épique. >
Qnetelet avait traité le même sujet; il en avait fait une
romance qu'on lira peut-être avec plaisir.
Preux cheraliers, laissez le cimeterre
ÏSt la cuirasse et ces casques pesans;
Que les plaisirs de la danse légère
Du jour qui fuit abrègent les instans.
Le Maure , enflé d'une vaine espérance ,
Croyait déjà nous soumettre à sa foi ;
En admirant les beaux champs de la France ,
Il avait dit : <r tous ces champs sont à moi : •
Et s'endormant sous la voûte fleurie
Des orangers qu'embaume le zéphir ,
Fils indolent de la molle Ibérie ,
Il rêve encor la gloire et le plaisir.
Mais de Français une troupe guerrière
Du fier Guillaume a reconnu la voix ;
Et s'unissant sous sa noble bannière
Vole avec lui vers de nouveaux exploits.
Le Maure alors tout à coup se réveille ,
Mais c'est en vain; confondus dans les airs ,
Des cris de mort ont frappé son oreille,
Et ses deux rois sont tombés dans les fers.
Preux chevaliers , laissez le cimeterre ,
El la cuirasse et ces casques pesans;
Que les plaisirs de la danse légère
Du jour qui fuit abrègent les instans.
Oui, c'est ici, c'est dans ces mêmes plaines,
Teintes du sang que vos bras ont versé,
2.
{ i!2 )
Que Marius sous les aigles romaines
Anéantit le Gimbre terrassé.
L'arc triomphal , qui sur ces champs de gloire
S'élève encor comme un vieux souvenir,
De vos hauts faits gardera la mémoire
Pour la transmettre aux siècles à venir.
c Preux chevaliers, laissez le cimeterre, »
S'est écrié l'empereur des Romains :
« Que dans Orange un trône militaire
B Soit avec pompe élevé par vos mains.
» Que les vaincus^ paraissent à la fête,
» Que leurs drapeaux relèvent sa splendeur;
n Venes, je veux célébrer ma conquête
» Et dans Guillaume honorenla valeur.
» Preux chevaliers , laissez le cimeterre,
» Et la cuirasse et ces- casques pesans;
» Que les plaisirs de la danse légère
» Du jour qui fuit abrègent les instans. »
Ainsi parlait le puissant Gharlemagne ;
Et cependant la flûte avec douceur ,
En s'unissant au luth qui l'accompagne ,
Par ses accords annonce le vainqueur.
Les ménestrels vont chantant sa victoire ;
Les rois vaincus tremblent à son aspect.
Mais lui, honteux, il rougit de sa gloire.
Et près du roi s'incline avec respect.
« Du Musulman je te dois la défaite ;
» Viens recevoir le prix de tes exploits :
» Jeune héros. Orange est ta conquête;
» Va , sois son prince , et donne-lui tes lois. »
(25)
Pais annitôt deMcndsBt de ton trôse.
Le roi français l'embrasse avec booté ;
Et sur son front attache la couronne ,
Noble ornement de la principauté.
Les preux alors laissent le cimeterre ,
Et la cuirasse et les casques pesans ;
Et les plaisirs de la danse légère
Du jour qui fuit abrègent les instans.
La romaDce est un des genres qu'affectionnait Quetelet
Son Essai sur la romance, qui parut en 1823 dans les
Annales belgiqtieSf n*a rien perdu de son intérêt : il mérite-
rait, comme ses poésies, d*étre réimprimé.
L'auteur fait remonter Torigine de la romance aux temps
de la chevalerie. Les châteaux avaient perdu leur aspect
sinistre, et s'étaient transformés en cours brillantes que
j^résidait la beauté. Des débris de la langue latine, on avait
composé la langue romance; il fallut la polir, et elle perdit
jusqu'à son nom, que Ton donna depuis au genre de poésie,
dont le plus ancien type paraît être la romance de Roland,
t Oh considère ordinairement et avec raison la romance,
comme représentant chez nos ateux la poésie épique des
anciens, mais dans un cadre plus restreint.... La romance ,
telle qu'on la conçoit maintenant, est un récit naïf qui laisse
une impression mélancolique... Destinée à être mise en
musique, elle doit offrir au chant une chute de distiques
égale, une coupe de vers uniforme, peu d'inversions dans
ses tours: quant au style, il faut, dit Honcrif, qu'il soit
naïf... La répétition d'un même vers produit quelquefois un
grand effet , surtout lors qu'on le ramène avec adresse.... »
L'auteur étudie successivement la romance chez les dif-
( 24 )
férents peuples; il traduit en vers la romance de Schiller,
intitulée : Le chevalier de Toggenburg, et en prose, diffé-
rentes romances tirées de l'espagnol et de l'anglais.
Quetelet , on le voit, était versé dans les littératures étran-
gères. La connaissance des langues modernes lui fut de
bonne heure familière : il lisait Titalien, Tespagnol, le portu-
gais, Tanglais, Tallemand, le hollandais.
Il n'avait aucun préjugé classique, et partageait l'avis de
M^^ de Staël, quand elle écrivait : • La littérature des anciens
est chez les modernes une littérature transplantée; la littéra-
ture romantique ou chevaleresque est chez nous indigène , et
c'est notre religion et nos institutions qui l'ont fait éclore. »
a Les peintures de l'antiquité, si vives, si ingénieuses, »
disait-il , « ne peuvent produire sur notre esprit les mêmes
illusions qu'elles enfantaient chez les Grecs et les Romains.
Flore, Zéphir, Vénus, qui ont tant de charmes dans leurs ta-
bleaux, en ont bien rarement dans les nôtres. Il est beau
sans doute d'être l'écho de l'antiquité, mais les sons que l'on
répète ne sont souvent compris que par ceux qui ont les
moyens de remonter à plusieurs siècles et de secouer pour
quelques instants leur religion et leur caractère national.
Imitons les Grecs dans leur admirable simplicité , dans leurs
peintures délicieuses de la nature; mais ayons comme eux
nos bocages, nos héros, notre divinité; ayons enfin une pa-
trie. Et qu'aurait dit le siècle de Périclès, si les Euripide ,
les Sophocle , n'eussent transporté sur la scène que l'Osiris
ou les fêtes mystérieuses des Égyptiens?... Peu de personnes
lisent aujourd'hui des vers qui n'ont que le mérite d'être
tournés avec grâce : il ne suffit plus de parler à l'imagination
seule, il faut encore contenter l'esprit et lui faire de grands
sacrifices. »
(15)
Hais il est temps de clore oe chapllre. Citons encore b ro-
mance intitulée : Le Scalde et Lysis , à propos de laquelle
Raoul écrivait dans le Mercure belge : a Sans rejeter la litté-
rature Scandinave, nous aimons mieux celle du Midi; la mé-
lancolie et la douleurne sauraient être placées au nombre des
Muses. Cependant nous avons lu avec plaisir la nmiance de
A. Quetelet ayant pour titre : Le Scalde et Lysis. U. A. Qae-
telet, pour qui la poésie n*est qu*un délassement, écrit en
yers avec beaucoup de facilité, et il est du nombre de ceux
qui prouvent que les Muses sont sœurs. » Le classique Raoul
se peint tout entier dans ces quelques mots : la correction
des vers de Quetelet pouvait seule lui faire pardonner le
choix du sujet.
Citons aussi Les Chatellenies et La comtesse Ide^ fabliaux;
Ma nacelle, romance allégorique , dédiée k M. Faick; une
élégie sur la mort d*Ado1phe Delemer; VOde à Orion , tra-
duite du hollandais^ de Niewland; un fragment de traduction
du Siège de Corinthe, de lord Byron; des fragments de tra-
duction de la Lttsiade, du Camoëns; Les dames de Crève-
cœur. Terminons par un extrait de VÉpitre à de Reiffen-
berg, qui présente le résumé de la carrière de Quetelet
jusqu'au moment où nous nous sommes arrêté pour faire
connaître son œuvre littéraire.
Miues , mon espoir ! près de vous plus tranquille.
Loin du bruit, loin des sots, je trouve un doux asile;
Vous charmez mon esprit , éclairez ma raison :
Quand brillaient les beaux jours de ma jeune saison,
Vous m'avez indiqué, dans l'avenir paisible.
Vers la mort qui m'attend , un chemin moins pénible ;
Et guidé par vos feux , qui brûlent devant moi ,
Voyageur rassuré, je marche sans effroi.
(M)
Oui , l'amour des beaux-arts, par sa flamme immortelle ,
Rend le plaisir plus doux , la peine moins cruelle.
J'ai connu l'infortune , et j'en rends grâce au sort.
Le malheureux , dit-on , voit fuir à son abord
De ses amis nombreux la troupe mensongère :
Il reste seul... pour moi, j'éprouvai le contraire;
J'en vis croître le nombre ; oui , je vis les beaux-arts,
Amis consolateurs, offrir à mes regards
De leurs trésors divers les pompeuses merveilles :
fit, pour chasser l'ennui leur consacrant mes veilles ,
Sans braver le malheur , sans en être abattu,
A vivre indépendant je mettais ma vertu.
Sur le luth enchanteur de la molle élégie ,
J'essayais de plier aux lois de l'harmonie
Les vers que de mon sein arrachaient mes douleurs,
Et qui plus doucement coulaient avec mes pleurs.
Les neufs Sœurs tour à tour recevaient mes hommages;
Pavai , en m' éclairant par ses divins ouvrages ,
Guida les premiers pas de ma jeune raison ;
Bientôt , j'étudiai les secrets de Newton.
Osant paraître alors avec plus d'assurance ,
D'un bonnet de docteur je coiffai ma science ;
Et, grâce à mes deniers, paré d'un nom pompeux ,
Sans être plus savant je devins plus heureux.
Un ministre éclairé que la sagesse inspire.
Vit mes premiers essais et daigna me sourire :
L'espérance aussitôt ramena la gaîté.
Dans Bruxelle à sa voix je me vis transporté.
Un vieillard généreux fit place à ma jeunesse ;
Et puis un beau conti'at„par une clause expresse.
De sa rente entre nous distribuant les parts ,
Pour prix de mes efforts m'en laissa les trois quarts.
Enfin d'un jour plus doux je saluai l'aurore !
J'étais indépendant ! ce n'était rien encore;
(27 )
le vins ches toi conduit par le modeste auteur ,
Du bouillant Juvénal éloquent traducteur;
Je te TÎs et bientôt je sentis dans mon âme
De la tendre amitié naître la douce flâme ;
Ton cœur comprit le mien, tu comblas tous mes vœux ;
Sous son paisible abri nous rassemblant tous deux.
Le même toit couvrit notre amitié fidelle ,
Protégea de nos cœurs l'union naturelle,
Et nous vit, entraînés vers les mêmes plaisirs,
Ensemble par l'étude égayer nos loisirs.
m. — L entrée de Quetelet à V Académie des sciences et belles-
lettres de Bruxelles. — Ses mémoires de géométrie.
Ainsi qu'on l'a vu, la première visite de Quetelet, à son ar-
rivée à Bruxelles, avait été pour le commandeur de Nieuport.
Celui-ci, politique en retard d'un demi-siècle, écrivain mé-
diocre , quoiqu'il composât des vers grecs et latins, se con-
naissait beaucoup aux mathématiques; les idées libérales de
Quelelet auraient été mal accueillies; ses morceaux de poésie
n'auraient pas été compris, mais il ne fut question ni des unes
ni des antres, la géométrie fil seule les frais de l'entretien.
Le commandeur avait lu la dissertation inaugurale du jeune
docteur; il avait apprécié comme elle le méritait, la décou-
verte de la focale, et il engagea vivement Quetelet à pour-
suivre ses travaux, lui promettant son appui et sa protec-
tion. Nous allons montrer quels furent les résultats de ces
bons conseils.
La focale, avons-nous, dit, est le lieu des foyers de toutes
les sections coniques déterminées par un plan transversal
tournant autour d'un point pris sur la surface du cône droit.
(28)
Dans sa dissertation , Qaetelet avait donné Téquation de la
focale en coordonnées rectangulaires, puis Téquation en coor-
données polaires , d'où il avait déduit par le calcul différen-
tiel, les équations des tangentes et des normales, et les
expressions des sous-tangentes et des sous-normales, ainsi
que celle des rayons de couii)ure ; ensuite il avait fait con-
naître plusieurs belles propriétés de cette courbe, relatives
à ses tangentes et à ses rayons osculateurs ; il lui avait trouvé
une asymptote et un point d'inflexion. Il avait examiné les
modifications que subissaient la courbe et ses propriétés les
plus notables, en passant du cône au cylindre droit.
«En terminant sesi>remières recherches, il s'était proposé
d'examiner, en particulier, les six courbes que Newton a ran-
gées dans la même classe sous le nom d'hyperboles défec'
tueuses qui n*onï qu'un diamètre. Après un court examen, il
reconnut que ces courbes jouissent de propriétés communes :
il parvint à décrire plusieurs d'entre elles en prenant le cercle
pour base, comme il l'avait fait dans la génération de la
focale; il découvrit quelques propriétés de cette dernière
courbe qu'il rapprocha d'ailleurs d'autres courbes connues,
et termina son travail par la quadrature de la focale consi-
dérée sur le cylindre. »
On lisait, dans le numéro de novembre 1819 des Annales
belgiques, l'article suivant, signé des initiales de Garnier
(J. G. G.) : « Nous recevons à l'instant un mémoire de M. le
D' Quetelet, professeur à l'Athénée de Bruxelles, ayant pour
titre : De quelques propriétés nouvelles de la focale et de
quelques autres courbes. » Ici se trouvait la courte analyse
que nous venons de reproduire, et l'auteur de l'article finis-
sait en disant : « Ce mémoire dont M. le commandeur de
Nieuport a bien voulu accepter l'hommage, a été présenté à
( 29)
r Académie royale de Braxelles, qui a nommé des commis-
saires pour lui en rendre compte; nous aimons à croire quMls
prononceront que cet écrit est digne de Timpression, et que
son auteur est digne de Tadraissiou à TÂcadémie. •
Le vœu de Garnler fut exaucé : TAcadémie reçut Quetelet
parmi ses membres, le 1«' février 1 820, et sa nomination ayant
été confirmée par le roi, le secrétaire perpétuel, Gh. Van Hul-
them, lui adressa le 24 février, le diplôme suivant, dont la
forme inusitée mérite qu'on le rappelle ici.
« L'Académie royale des sciences et belles -lettres de
Bruxelles, voulant témoigner à monsieur Adolphe Quetelet de
Gand, docteur dans les sciences mathématiques et physiques
de rUniversité de cette ville, et professeur de mathématiques
à TAthénée de Bruxelles, Testime particulière qu'elle a pour
ses connaissances et ses talents; prévoyant d'ailleurs qu'en
s'attacbant un jeune savant de ce mérite et d'une grande
espérance, elle facilitera la communication des lumières et le
progrès des sciences, elle l'a, de l'aveu de Sa Majesté notre roi
bien-aimé, nommé et le nomme académicien ordinaire regni-
cole; elle lui accorde en cette qualité le droit d'entrée aux
assemblées et séances, se promettant qu'il remplira avec zèle
les devoirs prescrits par le règlement de Sa Majesté du
5 juillet 1816.
» En foi de quoi j'ai signé les présentes, auxquelles j'ai
apposé le sceau de l'Académie.
> Fait à Bruxelles, le 24 février 1820.
• Le Secrétaire perpétuel^
» Gh. Van Hulthem. *
Van Hulthem s'est fait un nom comme amateur de livres :
on dit même qu'ils furent sa seule passion ; il avait du bon-
5
( 30)
heur à les amasser pour en jouir, un peu comme Tavare de
son trésor. Ses connaissances étaient du reste variées, mais
il répugnait beaucoup à écrire : ce n'eût pas été un défaut
peut-être s'il n'avait été appelé à des fonctions qui récla-
maient impérieusement Texercice de la plume. A Tépoque
dont nous parlons, il avait déjà dû renoncer à sa charge de
greffier de la seconde chambre des États Généraux, et le
commandeur ne manquait pas une occasion de lui reprocher
la négh'gence avec laquelle il remplissait ses fonctions de
secrétaire de TÂcadémie : il finit même par mettre à sa place
rhistorien Dewez, homme d'une grande souplesse et d'une
grande facilité, sinon de style, au moins de caractère, qui
s'était accommodé parfaitement de tous les régimes par oii
la Belgique avait passé depuis 1789.
Quetelet retrouva à l'Académie le spirituel Gornelissen, dont
il s'était concilié la bienveillance dès l'année 1812, et de qui
il a tracé ce portrait : .* Ceux qui ne l'ont point connu se figu-
reraient difficilement combien sa conversation était amusante
et pittoresque, combien elle était parsemée de saillies et
d'anecdotes piquantes. Le jeu de sa physionomie , ses gestes
nombreux et tout méridionaux, les inflexions et jusqu*au son
de sa voix imprimaient à ce qu'il disait un cachet particulier;
quelquefois même, sans l'entendre, il suffisait de le voir pour
saisir toute sa pensée. D'une franchise à toute épreuve, il don-
nait le cours le plus libre à ses paroles. Parfois on restait tout
étourdi de ses boutades; mais, chez lui, l'absence complète
de toute arrière-pensée malveillante ne pouvait produire de
blessure durable. D'un commerce sûr, d'une probité à toute
épreuve, il eût été désolé d'avoir été, même involontairement,
cause de quelque peine. »
Parmi les académiciens qui assistaient d'une manière régu-
(51 )
Hère anx séances, on remarquait le pharmacien Kickx. (Tétait
un homme froid et réservé; il prenait rarement la parole, mais
quand il jugeait à propos de le faire , dit Quetelet, il s'énon-
çait sans ménagement pour les expressions ; ses sorties brus-
ques et mordantes, Tâpreté de ses observations atteignaient
indistinctement ses confrères présents, même les plus haut
placés.
Le chimiste Van Mons, longtemps pharmacien à Bruxelles
comme Rickx, son ami, avait un tempérament et des habi-
tudes toutes différent^: vif et actif, aimable et poli, doué
d*une imagination fertile, il avait le défaut de se laisser aller
parfois à d'étranges exagérations.
Garnier faisait partie de l'Académie depuis Tannée 1818 :
il avait beaucoup poussé à l'élection de son élève favori, et ce
dernier eut à son tour le plaisir de contribuer à celle de Dan-
delin (1832) et de Reiffenberg (1823) qui , de régent de troi-
sième à l'Athénée de Bruxelles, était devenu professeur de
philosophie à l'Université de Louvain,au grand ébahissement
de ses amis. « On se ferait difficilement aujourd'hui, » écri-
vait Quetelet en 1847, « une idée exacte de ce qu'était l'Aca-
démie des sciences et belles-lettres de Bruxelles à l'époque
oli Dandelin y fut appelé. Composée en grande partie de sa-
vants qui habitaient les provinces septentrionales du royaume
ou qui se trouvaient disséminés dans nos Universités, elle né
comptait guère qu'une demi-douzaine de membres qui sui-
vissent assidûment ses séances. On causait bien plus qu'on ne
dissertait sur des points scientifiques; mais en causant, on
était souvent conduit à s'occuper des mêmes recherches , et
l'un dénouait une difficulté devant laquelle l'autre aurait
échoué. La géométrie pure occupait à peu près exclusive-
ment quelques-uns des membres... •
(52)
Le premier mémoire présenté par Quetelet à TAcadémie,
après sa réception , avait pour titre : Mémoire sur une for^
mule générale pour déterminer la surface (Tun polygone
formé sur une sphère par des arcs de grands ou de petits
cercles, disposés entre eux d'une manière quelconque.
Ce travail fut déposé le 14 octobre 1830. Garnier en rendit
compte dans les Annales belgiques *^ : « La symétrie de la
formule à laquelle Fauteur est parvenu , » disait-il , « et son
élégante simplicité jettent de l'intérêt sur une recherche qui
pourrait paraître oiseuse, si on n'eût pas souvent reconnu
que des matériaux réputés d'abord inutiles, avaient trouvé
leur emploi dans la science. Si l'auteur a pu pressentir que
l'aire d'un polygone sphérique, formé d'arcs de petits cercles,
doit être une fonction symétrique ou invariable de certains
éléments qui caractérisent le polygone , parce qu'il en est
ainsi de l'expression de l'aire d'un polygone formé d'arcs de
grands cercles et de celles des aires des polygones plans, il
lui restait, au moins, à choisir convenablement ces éléments
entre beaucoup d'autres, et c'est dans ce choix où il n'avait
plus pour lui le fil de l'analogie, qu'il fait preuve de sagacité...
Nous terminerons en observant que ce mémoire est un véri-
table bijou qui figurera très-bien dans le second volume des
Nouveaux Mémoires (de l'Académie de Bruxelles). »
Le second mémoire présenté par Quetelet à l'Académie (le
23 décembre 1820), traitait d'une Nouvelle théorie des sec-
tions coniques, considérées dans le solide.
Dans ce mémoire, la théorie des sections coniques est
présentée d'une manière beaucoup plus générale qu'on ne le
faisait communément. L'auteur considère un cône de révo-
lution coupé par un plan, et le sommet du cône devient un
point analogue à celui qu'on nomme foyer dans les sections
(33)
coniques. Les rayons vecteurs sont menés du sommet du cône,
et Ton rentre dans la théorie ordinaire, quand le sommet
vient se placer dans le plan de la section. Voici quelques théo-
rèmes énoncés pour l'ellipse : on les étendra sans peine aux
autres sections coniques.
1. La différence des deux rayons vecteurs menés du som-
met du cône aux extrémités du grand axe de Tellipse, vaut
la distance des deux foyers de cette même ellipse.
â. Si Ton joint un même point quelconque d^une ellipse au
foyer de cette ellipse et au sommet du cône, la différence des
rayons vecteurs est une quantité constante.
3. La somme de deux rayons vecteurs menés du sommet
du cône aux extrémités d'un même diamètre de. Teilipse est
constante.
4. La surface aplanie d'un cône à base elliptique est une
ellipse, qui a même excentricité que Tellipse qui sert de base.
[tt 11 faut concevoir que tous les éléments de la surface
du cône se désunissent pour venir s'appliquer dans un plan
et se disposer, en forme d'étoile, autour du sommet du cône.
Les bases des petits éléments triangulaires sont alors sur une
ellipse. »]
5. L'aire d'un cône qui a pour base une ellipse, est à l'aire
de cette ellipse, comme la somme des rayons vecteurs,
menés du sommet aux extrémités du grand axe de l'ellipse ,
est à ce même grand axe.
6. Tous les cônes qui ont pour base une même section co-
nique, ont leurs sommets sur une autre section conique située
dans un plan perpendiculaire à celui de la première, les
foyers de l'une de ces courbes servant de sommets à l'autre ,
et réciproquement.
Le mémoire dont nous venons de donner les principaux
3.
(34 )
résultats faisait le plus grand honneur au jeune académicien.
« Les géomètres anciens, » disait Garnier *o, « et ceux qui à
leur exemple ont considéré les sections coniques comme des
coupes faites sur le cône par un plan, ont ensuite isolé ces sec-
tions pour en rechercher les propriétés, sans aucun égard au
cône et au pian générateur. M. Quetelet a eu Theureuse idée
de ne pas séparer le cône de la section et de reprendre, sous
ce point de vue, les propriétés principales des trois courbes
dont il a donné des énonciations qui nous ont paru nouvelles. »
L'idée de mener par le sommet du cône un plan parallèle à
la base et de ramener sur ce plan les éléments triangulaires
du cône était féconde, et Garnier avait raison de féliciter
Tauteur « d'avoir rencontré une vue heureuse et même ori-
ginale. »
Le sixième théorème fut donné par M. Gh. Dupin, comme
étant de lui (Mémoire sur les routes suivies par la lumière
et par les corps élastiques. Applications de géométrie et
DE MÉCANIQUE, 1 vol. in-4», chcz Gourcier, 1822). La priorité
de ce théorème appartient évidemment à Quetelet ; mais le
tome II des Nouveaux Mémoires dans lequel il parut, ayant
été publié la même année que Touvrage du célèbre géomètre
français, celui-ci n*en avait pas eu connaissance.
Le mémoire qui servit à Dandelin de pièce de réception à
l'Académie, et qui avait été présenté par Quetelet à la séance
du 4 mars 1822, avait pour titre : Mémoire sur quelques pro-
priétés remarquables de la focale parabolique. 11 a été im-
primé dans le tome II des Nouveaux Mémoires^ à la suite du
travail dont nous venons de parler, et il se rattache trop in-
timement aux recherches de Quetelet, pour que nous puis-
sions le passer sons silence. On ne lira pas sans intérêt Tarti-
cle que Quetelet lui consacra dans les Annales belgiques <o :
(35 )
«... Ce D'est point Thabitode de ressasser des équations ou
d^exécuter proprement quelques dessins qui constitue le vrai
mathématicien; mais celte force d'imagination qui saisit les
corps dans l'espace, rapproche en même temps leurs diffé-
rentes parties, et fait jaillir de leur comparaison une foule de
Tentés qui échappent aux yeux du vulgaire. L'imagination
même ne suffit pas; il faut encore une qualité qui semble in-
compatible avec elle; il faut un calme imperturbable qui
maîtrise l'imagination et la dirige au milieu de ses plus
grands écarts.
o M. Dandelina partagé son travail en trois parties: dans
la première, il s'occupe de la détermination des foyers d*une
section conique; dans la seconde, des diverses générations
de la focale, de sa forme et de quelques-unes de ses pro-
priétés ; dans la troisième enfin, il indique les analogies et
les relations qui existent entre la focale et l'hyperbole.
n Première partie. Si l'on coupe un cône supposé droit
par un plan, les foyers de la section seront les deux points de
contact du plan et de deux sphères, tangentes en même temps
à l'intérieur du cône. Ce théorème conduit naturellement à
la génération de la focale...
» Seconds partie. La focale par sa forme ressemble assez
à la partie inférieure d'une conchoïde nouée. Elle a, comme
cette courbe, un nœud et une asymptote que, dans certains
cas, elle embrasse des deux paris: elle doit conséquemmenl
avoir un point d'inflexion. Le cercle peut servir de base pour
engendrer la focale de différentes manières...
« M. Daudelin fait d'abord servir la focale à résoudre le
problème si connu de la trisection de l'angle; ensuite il mon-
tre que le cercle tangent en un point quelconque de la focale
et qui passe par le nœud a son centre sur une parabole qui
(36)
jouit de différentes propriétés. Une des plus remarquables
est celle-ci : La développante de la focale n*est autre que la
caustique par réflexion de la parabole supposée réfléchis-
sante, le nœud de la focale étant le point lumineux ou le
centre dé départ des rayons de lumière : de là il déduit la
construction des normales et des tangentes, et plusieurs gé-
nérations nouvelles delà focale.
» 11 me serait impossible de suivre Tauteur pas à pas au
milieu du champ de ses découvertes, et de donner une idée
bien précise de la nature des différents théorèmes. Je mécon-
tenterai d'en citer un qui est curieux par la singulière res-
semblance de son énoncé avec celui de l'hexagone mystique
de Pascal : a Si Ton inscrit dans la focale un hexagone com-
posé d'arcs de cercles, et que Ton suppose ces arcs prolongés
suffisamment pour que ceux qui forment les côtés opposés
de rhexagone se coupent deux à deux, on a ainsi trois points
d'intersection, lesquels, avec le nœud de la focale, se trouvent
sur une même circonférence. »
*> J'arrive à la troisième partie. Je lui donnerais volontiers
la préférence, si Ton pouvait choisir au milieu de tant de
beaux théorèmes : elle est entièrement fondée sur la théorie
des projections stéréographiques. M. Dandelin suppose dans
l'espace une sphère quelconque, et il projette stéréographi-
quement la focale sur sa surface. Il obtient de cette manière
une nouvelle courbe qu'il nomme sphérifocale , et qui doit
avoir, je pense, à peu près la forme d'un huit ou d'une Lem-
niscate, 11 prend ensuite son nœud pour sommet d'un nou-
veau système de projections stéréographiques et il projelle
la sphérifocale sur un plan correspondant à ce nouveau som-
met. Cette fois il obtient une hyperbole; de sorte que la
sphérifocale sert d'intermédiaire pour transformer une hy-
/
(57)
perbole en focale et réciproquement Ces trois courbes, à
quelques modifications près, jouissent, comme on doit s'y
attendre, de propriétés communes. L'auteur en indique plu-
sieurs dans un tableau comparatif qu'il forme à ce sujet; il
donne aussi le moyen de retrouver dans les deux focales les
foyers, le grand axe et les asymtotes deThyperbole. On pour-
rait, à cause de ces analogies, nommer le théorème d'où on
les déduit, la symbolisation de la focale avec l'hyperbole,
comme on a nommé symbolisation de la spirale avec la pa-
rabole, la découverte de Grégoire de Saint-Vincent.
» Le mémoire est terminé par une note fort intéressante
sur les caustiques par réflexion, et l'auteur finit e9 appliquant
la théorie des caustiques à la recherche du point d'inflexion
de la focale...
» Au moment où je reçus le premier mémoire de M. Dan-
delin, je m'occupais de réunir dans' un second écrit ce que
j'avais trouvé jusqu'alors pour la focale ; mais il m'apprit
une foule de choses que j'étais loin de soupçonner. Je le priai
donc de vouloir se charger tout seul du travail... ; il fit de
nouvelles recherches, et, par des méthodes purement géomé-
triques qu'il sut se former, il trouva des vérités qu'on aurait
vainement demandées à l'analyse. Il semble se créer des diffi-
cultés pour avoir le plaisir de les vaincre ; partout il s'assu-
jettit à la rigueur de la synthèse, et son mémoire peut être
considéré comme un modèle en ce genre : de sorte que s'il me
reste encore quelques prétentions sur la focale, c'est celle
d'en avoir donné la première idée et d'avoir été assez heu-
reux pour qu'un ami l'élevât par ses recherches au raog des
plus belles courbes connues. »
Pour l'intelligence de ce dernier paragraphe, il faut se
rappeler que Dandelin, à la réception de la dissertation
(58)
inaugurale de Quetelet , avait exprimé l'intention d'examiner
avec soin ce travail consacré à la découverte de la focale ,
et d'en dire son avis. Il commença par envoyer à Quetelet
un mémoire dans lequel il ajoutait aux deux générations
que celui-ci avait données de la focale , « deux générations
nouvelles de cette courbe et la solution d'un grand nombre
de problèmes intéressants. » C'est très probablement le pre-
mier mémoire dont il est question plus haut. Quetelet , de
son côté, on s'en souvient, avait présenté à l'Académie, peu
de temps après son arrivée à Bruxelles, un mémoire sur
quelques nouvelles propriétés de la focale et sur quelques
autres courbes. Ce mémoire reçut un fort bon accueil;
Garnier, ainsi qu'on l'a vu, en rendit compte dans les An-
nales belgiques , et , d'après le rapport favorable qui en fut
fait à l'Académie , Aîuetelet fut élu membre le !«' février 1820.
Mais le mémoire ne fut pas imprimé : l'auteur le retira, ayant
trouvé que les recherches de Dandelin l'emportaient de beau-
coup sur les siennes propres; nous ne le connaissons que
par l'analyse succincte de Garnier et par un court extrait
que Dandelin a inséré dans son Mémoire sur la focale para-
bolique : a Je terminerai ce mémoire, o dit-il, « en donnant
une formule quadratique pour la focale, laquelle m'a été
fournie par M. A. Quetelet, dans un mémoire qu'il a bien
voulu me confier et qui contient, sur les courbes du troisième
degré en général, des choses curieuses et qui mériteraient
d'être plus développées par lui •
Nous arrivons maintenant à un sujet qui a beaucoup
occupé Quetelet et auquel il a consacré trois mémoires dans
le recueil de l'Académie et de nombreux articles dans la
Correspondance mathématique et physique.
tt Après avoir longtemps songé, » dit-il ^* , « aux moyens
(39)
de simplifier une des parties les plus importantes de Top-
tique , celle qui a pour but la détermination des caustiques ,
soit par réflexion, soit par réfraction, j'avais été conduit à
on principe d'un usage assez commode.. L'idée première de
ce principe consistait à considérer les caustiques en général»
comme des développées d'autres courbes beaucoup plus faciles
à déterminer, soit par l'analyse, soit par des constructions
graphiques. En partant de cette idée , je ne tardai point à
remarquer que les courbes que je voulais substituer aux
caustiques, pouvaient être produites d'après un mode de gé-
nération uniforme. Je réunis alors mes premières recherches,
et je les développai dans un écrit que l'Académie royale de
Bruxelles fit paraître, environ deux ans après, dans la col-
lection de ses Mémoires. »
On lit, à l'occasion de cet écrit, dans le Journal des
séances de l'Académie : — Séance du 3 février 1823.
« M. Qnetelet a donné communication d'un mémoire sur les
conchotdes circulaireSf faisant partie d'un mémoire plus
étendu dans lequel il se propose de traiter différents autres
objets qui formeront un ensemble. » — Séance du 28 fé-
vrier 1825. « M. Quetelet a lu une note additionnelle à un
mémoire sur les causliques, présenté à la séance du 3 fé-
vrier 1823, sous le titre de mémoire sur les conchMes cir-
culaires, et il a été résolu que cette note serait jointe à ce
mémoire. • Le mémoire parut dans le tome 111 des Nouveaux
Mémoires, publié en 1826, sous le titre : Physique mathé-
matique. — Mémoire sur une nouvelle manière de consi-
dérer les caustiques f produites soit par réflexion, soit par
réfraction.
Quetelet y posait le théorème suivant, qui doit être rangé,
pour son importance , à côté et même au-dessus de sa décou-
(40)
verte de la focale : « La caustique par réflexion ou par
réfraction pour une courbe quelconque, éclairée par un
point rayonnant, est la développée d'une autre courbe, la-
quelle a la propriété d*étre Tenveloppe de tous les cercles
qui ont leurs centres sur la courbe réfléchissante ou diri-
mante, et dont les rayons sont égaux aux distances des
centres , au point rayonnant dans le premier cas , et propor-
tionnels à ces mêmes distances dans le second cas; le rapport
constant étant celui du sinus dMncidence au sinus de ré-
fraction. «
« Au moyen de ce principe, » dit Quetelet **, «la théorie
des caustiques rentrait entièrement dans la théorie des
courbes enveloppes et des courbes développées. Je faisais
observer de plus que le point rayonnant , la courbe réflé-
chissante , la caustique et sa développante , avaient de telles
relations ensemble, qu*i\ suffisait de connaître deux de ces
quatre choses, pour en déduire les deux autres; pourvu que
les deux données ne fussent point la caustique et sa dévelop-
pante. Je rattachais de cette manière, Tune à l'autre , plu-
sieurs théories considérées jusque-là isolément ; et sous ce
rapport, le rapprochement fut peut-être utile à la géométrie,
comme le théorème de Guldin le fut également en méca-
nique. •
Il ne fut pas difficile d'étendre le théorème aux surfaces ,
en considérant des sphères enveloppées au lieu de cercles *',
et Timmermans, ancien condisciple de Quetelet à l'Uni-
versité de Gand, en donna une démonstration tellement
simple **, « qu'elle peut , » disait Gergonne «», « être intro-
duite dans l'enseignement même le plus élémentaire, et
qu'on a seulement lieu d'être surpris que, dans rinlervalle
de près d'un siècle e1 demi, tant de géomètres aient réuni
(41 )
tant cl*efforts et fait tant de dépense^de calcul, pour parvenir
Gnalement à un résultat qu'ils avaient, pour ainsi dire , sous
la main. •
Les caustiques, considérées pour la première fois en 1682,
par le médecin allemand Tschirnhausen, firent pendant long-
temps Tobjet des recherches de BernouUi, de L'Hôpital et
de Lahire : leurs travaux semblaient en avoir épuisé la
théorie, et elles étaient tombées dans une sorte d'oubli,
lorsque, en 1810, Malus reprit la matière; il fut suivi de
MM. Petit, Hachette, Gergonne, Dupin; mais les mémoires
de ces géomètres distingués étaient tous d^une analyse très
compliquée. Cependant, dès Tannée 1815^ M. Gergonne avait
été conduit à soupçonner que , le plus souvent, des caustiques
fort compliquées pourraient très bien n'être que les dévelop-
pées d'autres courbes beaucoup plus simples. En 1825,
M. Sturm vint donner un nouveau poids à ces conjectures.
« Pendant l'impression du mémoire où j'établissais le prin-
cipe fondamental de la nouvelle th&)rie que je proposais, »
dit Quetelet^^, « parut un écrit de M. G.-H. Sturm, de
Genève , qui renfermait quelques théorèmes curieux sur les
caustiques. Je me hâtai de communiquer alors les premières
épreuves de mon mémoire à M. Gergoone , pour éloigner de
moi l'idée que j'aurais pu tirer parti des travaux d'un autre
géomètre. Ce savant voulut bien me tranquilliser à cet
égard. • Non-seulement il le tranquillisa, mais il lui adressa
un compliment flatteur. « Il y a longtemps, » lui écrivit-il ,
« que je répèle à mes élèves qu'on n'a pas encore le dernier
mot de la science sur une théorie, tout aussi longtemps
qu'on ne l'a pas amenée au point de la raconter à un passant,
dans la rue ; voilà bien positivement , monsieur, à quoi votre
mémoire réduit évidemment la catoptrique et la dioptrique. •
4
( 42)
Quetelet nommait caustiques secondaires les courbes en-
veloppes des cercles qui ont leurs centres sur la courl)e
réfléchissante ou dirimante.
Une autre génération des caustiques secondaires, analogue
à celle que Nicomède employait chez les anciens pour décrire
la conchoïde, avait fait donner à ces courbes le nom de
conchoïdes circulaires, et c'est sous ce nom que notre
auteur les avait présentées d'abord à TAcadémie , ainsi qu'on
Ta vu. Enfin d'après un troisième mode de génération , on
pouvait encore les appeler épicycloïdes.
Dans son mémoire, Quetelet considère comme première
application de son théorème le cas oii des rayons émanés
d'un même point tombent sur une surface cylindrique qui
les réfléchit, comme dans une tasse, par exemple. 11 envisage
ensuite la réflexion sur les surfaces de révolution , et il est
conduit à examiner une classe de courbes qui jouissent de
propriétés fort singulières : ces courbes sont les développées
des caustiques du cercle; elles s'engendrent de la manière la
plus facile et ofi'rent des moyens très simples pour résoudre
les problèmes des pointe brillants, des courbes d'égale
teinte, etc.
Si l'on projette stéréographiquement sur une sphère la
caustique secondaire d'une section conique , on trouve que
la projection n'est autre chose que la ligne d'intersection de
cette sphère avec un cône du second degré, dont le sommet
est sur la sphère. Cette propriété singulière conduit à établir
de nombreux rapports entre les sections coniques et leurs
caustiques secondaires : par exemple, une grande partie des
énoncés de théorèmes qui conviennent aux premières courbes,
étant légèrement modifiés, conviennent aussi aux secondes ,
et Ton transporte ainsi un grand nombre de propriétés des
\
(43)
oourbes do second degré à la plupart des courbes du troi-
sième et du quatrième degré; c'est ainsi que la cissoide des
anciens, qui correspond à la parabole, jouit de beaucoup de
propriétés analogues à celles de cette dernière courbe. De
plus, la cissoïde est la développée de la caustique par
réflexion d'une parabole, pour laquelle le point rayonnant
serait au sommet de la courbe.
Ici Quetelet a fait une application heureuse d'une idée de
Dandelin, dont il a été question précédemment. Dandelin,
on s'en souvient, projetait la focale sur une sphère, et il
obtenait ainsi une nouvelle courbe qu'il appelait sphérifocale;
Quetelet appelle , de son côté , sphéricaustique , la projection
de la caustique secondaire sur la sphère.
Le mémoire de Quetelet obtint beaucoup de succès. On a
déjà vu ce que Gergonne écrivait à l'auteur ; voici mainte-
nant comment s'exprimait la Revue encyclopédique ^^ :
• Outre l'intérêt du sujet traité dans ce mémoire, la géné-
ralité des vues, la variété des applications et le mérite de
quelques vérités nouvelles, on y remarque la clarté, Tordre
et la précision qui donnent encore plus de prix aux bons
ouvrages. L'auteur ne dit rien de trop , et n'omet rien. •
Dans un second mémoire, lu à l'Académie à la séance du
5 novembre 1825, et qui avait pour titre : Bésumé dune
nouvelle théorie des caustiques ^ suivi de différentes appli-
cations à la théorie des projections stéréographiques, Que-
telet s'attacha à démontrer qu'en faisant rentrer la théorie
des caustiques dans celle des courbes enveloppes et des
courbes développées, il avait peut-être rendu plus de services
à la géométrie qu'à l'optique. Un grand nombre de théo-
rèmes qui auraient exigé des combinaisons assez longues,
se présentaient maintenant, pour ainsi dire, d'eux-mêmes.
(44 )
Il revint sur la déterminatioD des courbes dégale teinte et
sur celle des points brillants. Ces problèmes étaient ramenés
à chercher les points communs à deux courbes qui se con-
struisaient facilement toutes deux en même temps : Tune était
la caustique secondaire de la courbe proposée, et Tautre,
une courbe auxiliaire semblable à cette proposée , dans le
cas du problème des teintes égales.
L'application de la théorie des projections stéréographiques
à la théorie des caustiques secondaires le conduisait encore à
plusieurs conclusions remarquables. Elle lui permettait, par
exemple , d'établir des rapports entre les caustiques secon-
daires des courbes et leurs polaires ou lignes qui com-
prennent les pôles de toutes leurs tangentes relativement à
un cercle donné, et de poser ce théorème curieux : « Si Ton
construit à la fois la polaire et la caustique secondaire d'une
même courbe , et si on les projette stéréographiquement sur
la sphère qui a même centre et même rayon que le cercle par
rapport auquel on a construit la polaire (l'œil étant placé à
l'extrémité du diamètre de la sphère perpendiculaire au plan
de la courbe et du cercle) , les deux projections stéréogra-
phiques sur la sphère seront égales et symétriquement
placées; de manière qu'en projetant une seconde fois ces
lignes, de la sphère sur un plan (l'œil étant dans une posi-
tion diamétralement opposée à celle qu'il avait d'abord ) , la
polaire deviendra caustique de la courbe proposée, et vice
versa. •
A l'aide de ce théorème, et sachant que la caustique
secondaire est une épicycloïde , Quetelet démontrait que le
cercle a pour polaire une section conique, et il transportait
à répicycloïde plusieurs propriétés des sections coniques,
notamment celles qui concernent l'hexagone de Pascal. Il
(45)
démontraii pareillement que la polaire d'une section conique
est une autre section conique* théorème également donné par
Dandelin.
Un troisième mémoire, lu par Quetelet à TAcadémie à la
séance du 4 février 1829, avait pour titre : Démonstration et
développements des principes fondamentaux de la théorie
des caustiques secondaires. <* Mon but , * disait Tauteur en
commençant, « est de simplifier et de compléter , autant que
possible, mes premières recherches. Dans les sciences, on
prend rarement le plus court chemin pour arriver à la vérité;
et souvenjt, après bien des peines, on s'aperçoit qu'on avait,
pour ainsi dire, sous la main ce qu'on allait chercher par de
longs détours. Je m'étais contenté de donner dans mon pre-
mier travail les énoncés des principes que je prenais pour
point de départ ; j'en présente ici la démonstration qui est à
peu près telle que je me l'étais faite alors. Seulement , les
recherches des géomètres qui ont eu égard à la théorie
que j'ai proposée , m'ont permis de lui donner plus de géné-
ralité. Cette démonstration est assez simple, je crois, pour être
comprise par une première lecture et sans l'aide de construc-
tions. J'en ai déduit avec la même facilité plusieurs théo-
rèmes curieux, et j'ai traduit les principes fondamentaui^ en
analyse, afin d'éviter un travail préliminaire à ceux qui
voudraient en faire des applications. J'ai cru utile de présen-
ter quelques exemples particuliers afin de faire ressortir les
avantages de cette théorie, et je me suis attaché de préfé-
rence aux caustiques par réflexion et par réfraction dans le
cercle, ainsi qu'aux lignes aplanétiques qui jouissent de la
propriété d'avoir deux foyers conjugués tels, que les rayons
émanés de l'un de ces foyers sont réfléchis ou réfractés vers
le second. •
4.
(46)
Les lignes aplanéliques dont il est ici question avaient un
grand nombre de propriétés remarquables. Parmi celles
que Quetelet leur trouva, les trois principales étaient :
l** d*étre les caustiques secondaires du cercle; 2<> d'être les
projections de Pintersection de deux cônes de révolution;
3* d*étre les projections stéréographiques de Tintersection
d'une sphère par un cône du second degré.
Les recherches de Quetelet, qui avaient déjà fixé l'attention
de Gergonne et d'autres géomètres distingués, furent parti-
culièrement remarquées par M. Chasles, après que la Cor-
respondance mathématique et physique leur eut donné une
plus grande publicité.
On trouvera dans ce dernier recueil des témoignages
divers de la haute estime qu'elles avaient inspirée à l'illustre
géomètre français pour notre compatriote. En rappelant, par
exemple , les propriétés des lignes aplanétiques dont nous
parlions à Tinstant, M. Ghasles écrivait à Quetelet *^ : » Ces
propriétés, sans parler de celle d'oii [les lignes aplanétiques]
tirent leur nom , peuvent former chacune un chapitre étendu
et fort intéressant : je verrai avec grand plaisir que les
géomètres répondent à votre appel en prenant part à l'étude
de ces courbes; il est vrai que leur portion de gloire sera bien
faible, puisqu'il ne reste qu'à tirer des conséquences, par
une discussion bien dirigée de vos belles propositions. »
A propos delà focale, M. Ghasles disait ^^ : • [Les focales]
dont la géométrie vous est redevable. Jouissent de propriétés
caracléristiques vraiment bien curieuses; j'ai compté jusqu'à
huit descriptions différentes de la focale dans le cône droit. »
Le 1 1 février 1838, il écrivait encore à Quetelet s» : ^ [J'ai été
conduit] à plusieurs propositions qui roulent sur votre focale.
Vous savez que j'ai déjà rencontré cette courbe dans d'autres
(47)
recherches sur des sujets très différents... Cette focale mérite
d'être étudiée à fond , d'autant plus que la plupart des pro-
priétés qu'on lui trouve, peuvent être transportées à toutes
les courbes du troisième degré qui ont un. point double ou
conjugué. «
M. Van Rees s'était aussi occupé des focales considérées
dans un cône quelconque du second degré; et Quetelet s'était
empressé d'insérer son mémoire dans la Correspondance >*.
M. Plateau, au commencement de la carrière qu'il a si
glorieusement parcourue, avait rencontré la focale dans une
expérience d'optique fort curieuse. Voici ce qu'il écrivait à
Quetelet, le 20 novembre 1828 '* : « Si l'on suppose deux
courbes brillantes quelconques tournant d'un mouvement
uniforme, mais avec une grande vitesse, dans des plans
parallèles, autour d'un centre commun ou de deux centres
différents; l'œil placé devant le système distinguera, au
milieu de l'espèce de gaze produite par le mouvement des
deux lignes , l'image immobile d'une troisième courbe plus
sombre que le fond sur lequel elle se dessine. Ce spectre
curviligne est le lieu des points d'intersection [apparents]
successifs des deux lignes en mouvement... Les courbes fixes
obtenues de cette façon singulière sont très diversifiées ;
mais ce que vous apprendrez sans doute avec plaisir, c'est
qu'en prenant pour lignes mobiles deux droites, et en leur
donnant des vitesses dont l'une soit double de l'autre, le
spectre résultant est une focale.Les deux vitesses doivent être
dirigées dans le même sens. Si à l'origine du mouvement les
deux droites sont perpendiculaires à la ligne qui joint les
deux centres de rotation (je suppose ici pour la rigueur
géométrique que les deux droites tournent dans le même
plan), on obtient la focale du cylindre ; si dans leur position
. ( 48 )
initiale, les droites sont toutes deux dirigées suivant la ligne
des centres, la focale se réduit à un cercle et à une droite
qui le traverse; dans tous les autres cas, on obtient la focale
ordinaire du cône. Le point oîi les deux branches se croisent
se trouve au centre du mouvement le plus lent. Ainsi , à part
le spectre curviligne, voilà une nouvelle génération très
simple de la focale, au moyen de deux droites. J*ai fait con-
struire un instrument au moyen duquel je pourrai produire
ces images fixes avec facilité, et je me réjouis de voir ainsi
les cour))es se dessiner dans Pair. •
Il nous reste à mentionner deux autres mémoires de Quête-
let, insérés dans le recueil de TAcadémie. L'un a pour titre:
Mémoire sur quelques constructions graphiques des orbites
planétaires. J*ai eu occasion de parler ailleurs ^^ de ce mé-
moire; je n'y reviendrai ici que pour faire connaître les pro-
^ positions suivantes de géométrie dont Tauteur avait fait
usage : a Le lieu géométrique des sommets de toutes les pa-
raboles situées dans un même plan , qui ont pour foyer un
point donné , et qui sont assujetties à passer par un autre
point donné, est une éplcycloïde engendrée par un point
d'une circonférence de cercle qui roule sur un autre de même
rayon. — Si les paraboles , b^ lieu de passer par un même
point, sont tangentes à une même droite située d'une ma-
nière quelconque , on trouve que leurs sommets sont sur un
cercle. »
L'autre mémoire : Sur différents sujets de géométrie à
trois dimensions y fut présenté à la séance de l'Académie du
28 octobre 1826. Le compte-rendu qu'on va lire en donnera
une idée ^^ : « M. Bruno, de Naples, avait fait paraître,
en 1825, dans un opuscule ayant pour titre : Soluzione geo-
metrica di un difficil problema di silo ,une solution synthé-
(49)
tique du problème suivant : Étant donnés un point et deux
droites, mener par le point, tu plan qui coupe les deux
droites en deux autres points tels que les trois points soient
les sommets d'un triangle semblable à un triangle donné.
Cette question qui trouve son application dans la topogra-
phie , avait déjà mérité de fixer successivement Tattention
d'Esteve de Montpellier, de Lagrange, de Monge et de M. Ha-
chette qui s*en sont occupés à différentes reprises. M. Que-
lelet donne deux solutions générales du problème, Tune par
la géométrie descriptive et l'autre par l'analyse; il discute
aussi les différents cas particuliers. — 11 s'occupe ensuite de
plusieurs problèmes et théorèmes qui dépendent de la tbéo-
.rie des projections et particulièrement des projections stéréo-
graphiques. Ses recherches ont surtout pour objet la détermi-
nation des propriétés des polygones inscrits aux sections
coniques et celles des sections coniques qui se coupent deux
à deux... »
La Correspondance mathématique et physique , dont il a
été plusieurs fois question dans ce qui précède, avait com-
mencé à paraître au commencement de Tannée 1825 : ses
fondateurs étaient Garnier et Quetelet. Le désir de propager
le goût des sciences mathématiques et de donner aux per-
sonnes qui s'en occupaient dans le royaume, les moyens de
faire connaître leurs recherches, en avaient suggéré l'idée.
On y proposait des problèmes et l'on en publiait les solutions,
suivant un usage qui remonte aux plus beaux temps de l'his-
toire des mathématiques et que les rédacteurs avaient déjà
fait revivre, pour notre pays, dans les Annales belgiques.
Une partie du journal était consacrée aux sciences physiques,
et la météorologie, la physique du globe, la statistique y pri-
rent avec le temps une extension de plus en plus grande.
(50)
Les questions à résoudre finirent par disparaître , ainsi qae
les travaux des jeunes élèves des collègues et des Universités,
après que des géomètres tels que MM. Ampère, Bobillier,
Ghasles, Hachette, Hamilton, Levy, Plana, Poncelet, Van
Rees, etc., furent devenus les collaborateurs de Quetelet resté
le seul éditeur du recueil à partir du troisième volume. Les
événements de 1830 portèrent un rude coup à la Corres~
pondance ei aux mathématiques en Belgique : les esprits se
détournèrent des sciences; Dandelin, Timmermans et d*au-
très prirent du service dans Tarraée; MM. Levy et Van Rees,
les collègues de Dandelin à TUniversité de Liège et que Tin-
fluence de Quetelet venait de faire entrera TÂcadémie, quit-
tèrent le pays. 11 parut encore quelques volumes de la Cor-
respondance jusqu'en 1839, puis le journal cessa de vivre,
faute d'être soutenu.
IV. — Quetelet considéré comme professeur, — Ses ouvrages
élémentaires. — Ses idées sur renseignement public. —
Le Musée des sciences et des lettres. — Le Musée des arts
et de l'industrie.
Nous avons essayé de donner une idée de Quetelet poète,
littérateur, géomètre; nous avons épuisé ses productions
sous le premier et le troisième aspect; comme littérateur,
nous le retrouverons encore dans ses rapports à TÂcadémie
et dans ses publications relatives aux sciences morales et
sociales. Avant d'examiner le physicien, Tastronorae et le
statisticien, nous dirons ce que fut le professeur et de quelle
manière il envisageait les questions d'enseignement.
A répoque oii Quetelet fut nommé professeur de mathé-
(51 )
matiques élémentaires à TÂthénée de Bruxelles, la chaire de
mathématiques transcendantes était occupée par M. Thiry,
professeur pensionné de Tancienne Académie impériale de
Bruxelles et membre de TÂcadémie des sciences et belles-
lettres de la même ville; et celle de physique et d'histoire
naturelle, par M. Bachelier , également professeur pensionné
de FAcadémie. Deux ans après, les notions générales de phy-
sique et d'histoire naturelle avaient disparu du programme
des cours, bien qu'elles fussent prescrites par le règlement
général du 5 avril 1817. D'un autre côté, M. Thiry, chargé
depuis la un de 1815 des affaires du cadastre dans les pro-
vinces méridionales, avait été nommé inspecteur en chef, et
ces fonctions l'obligeaient à de fréquentes absences dont le
Bureau administratif finit par s'émouvoir. Le 2 mai 18â4, le.
Bureau proposa d'étendre l'enseignement de Quetelet et d'y
comprendre les éléments de physique, d'histoire naturelle et
de chimie. M. Thiry, qui était sur le point de devenir inspec-
teur général du royaume, renonça à sa place de professeur,
et, pendant l'année scolaire de 1824 à 1825, nous voyons
Quetelet enseigner d'une part, à l'Athénée, la géométrie des-
criptive de Monge, la théorie des ombres et la perspective, le
calcul des probabilités de Lacroix; d'autre part et publique-
ment, au Musée, la physique expérimentale et les éléments de
l'astronomie qu'il avait substituée à l'histoire naturelle et à la
chimie. L'année suivante, il donna en plus : à l'Athénée,
l'algèbre supérieure et la géométrie analytique ; au Musée, le
calcul des probabilités (simple transfert), les éléments du
calcul différentiel et intégral , et l'application de l'analyse à
la géométrie, de Monge, jusqu'au chapitre XL
On voit que l'activité de Quetelet était grande. Je puis
certifier d'après mes souvenirs qu'il était fort considéré des
(52)
élèves. Il y avait en lui quelque chose d'imposant et d'aima-
ble à la fois, une absence complète de pédanttsme et de mor-
gue. Quoique marqué de peiile vérole, il avait une belle phy-
sionomie, de grands yeux surmontés d'épais sourcils noirs et
qu'il lui suffisait d'arrêter sur nous poiir nous ramener au
silence et au respect. 11 gagnait beaucoup aussi par le con-
traste avec certains de ses collègues et entre autres avec
rhomme qu'on lui avait donné comme successeur pour les
mathématiques élémentaires, et dont l'insuffisance notoire
forçait Quetelet à recommencer chaque année l'arithmé-
tique, l'algèbre et la géométrie. Il faisait deux classes; les
élèves les plus forts étaient placés dans une chambre, et les
plus faibles dans une chambre attenante; Quetelet allait
d'une chambre à l'autre, et n'avait aucune peine à faire
régner le silence dans les deux. Son enseignement était aussi
simple et aussi naturel que sa personne; il faisait reposer
toute l'arithmétique sur quelques principes généraux, et,
dès que nous étions initiés à la notation de l'algèbre et à ses
premières règles , il nous montrait comment cet admirable
instrument pouvait servir à résoudre toutes les questions
usuelles. Son talent de dessinateur se faisait voir dans la
manière dont il traçait avec la craie les figures de la géomé-
trie. Je me souviens qu'un jour il avait amené son ami Dan-
delin ; je pourrais dire sur quel problème de géométrie celui-ci
nous interrogea, et je l'entends encore nous féliciter d'avoir
un professeur tel que Quetelet.
Au Musée, ses cours de physique et d'astronomie attiraient
un grand nombre d'auditeurs, pris dans toutes les classes de
la société. Il était doué d'un vrai talent d'exposition, et il
fallait voir le parti qu'il savait tirer d'un cabinet de physique
très imparfait. Pour lui, du reste, un cabinet ne devait pré-
( 55 )
senter que les instruments les plus indispensables, tels que
des balances, une machine électrique, une pile vol laïque et
quelques autres instruments de peu de valeur: il n^aimait
pas les expériences faites avec des instruments compliqués;
« souvent,» disait-il, <« ils occupent plus Tattention que le ré-
sultat qU*on veut mettre en évidence. »
Quetelet a composé pour ses cours publics plusieurs ou-
vrages élémentaires. Le premier en date est une Astronomie
élémentaire qui parut en 1826, à Paris, dans la Bibliothèque
INDUSTRIELLE dc Malhcr, et qui a été souvent réimprimée en
France et en Belgique et traduite dans plusieurs langues. Il
est bien difficile, sinon impossible, de mettre Tastronomie à
la portée des gens du monde, et des livres du genre de celui
dont nous parlons, quelque soit leur mérite, ne donneront
jamais qu*une instruction bien légère. Les personnes qui con-
naissent déjà la science pourront y trouver une lecture
agréable; quant aux autres, on devrait se borner à leur expli-
quer les principaux phénomènes célestes en se servant d'un
planisphère ou d'un globe et d'un planétaire : c'est dans cet
ordre d'idées que Quetelet publia, en 1827, sous le format
in-18; une Astronomie populaire réellement digne de ce nom.
Les Positions de physique suivirent de près l'Astronomie
élémentaire. Ce résumé d'un cours de physique générale,
dédié à Dandelin, nous paraît supérieur à l'Astronomie: il
était destiné à servir de mémento, pour dispenser les per-
sonnes qui fréquentaient le cours du Musée de prendre à la
hâte des notes souvent fautives.
Nous avons dit que Quetelet n'aimait pas à faire usage
d'instruments compliqués. L'idée d'enseigner les éléments de
la physique en les basant sur des observations et des expé-
riences que tout le monde peut faire, fut mise en pratique par
5
( 54 )
lai dans un petit volame intitulé : De la chaleur^ publié en
1832, et que Fauteur se proposait de faire suivre d'un traité
analogue sur le magnétisme, Télectricité et la lumière. Celle
idée fut reprise plus tard par M. Plateau dans la Physique
quMl composa pour V Encyclopédie popiUaire de Jamar, et
dont Quetelet écrivit le chapitre consacré à Tacoustique.
Enfin, Quetelet publia encore eu 1828 des Instructions
populaires sur le calcul des probabilités, u Ce petit ou-
vrage, » dit-il dans sa préface, « est le résumé des leçons
que je donne depuis plusieurs années au Musée de Bruxelles,
pour servir d'introduction à mes cours de physique et d'as-
tronomie. 11 m'a paru que le calcul des probabilités, malheu-
reusement trop négligé, devrait, d'après l'état actuel des lu-
mières, servir de base à l'étude de toutes les sciences et
particulièrement des sciences d'observation. » Nous aurons
l'occasion de revenir plus tard à ce petit ouvrage, qui formait
une espèce d'entrée en matière pour les travaux de Quetelet
sur la Physique sociale.
Restant sur le terrain de l'enseignement public, nous de-
vons mentionner ici la création, à Bruxelles, du Musée des
sciences et des lettres.
Le succès des cours publics de Quetelet n'avait cessé de
grandir depuis 1824. Le gouvernement pensa qu'il serait utile
d'organiser d'autres cours de la même espèce. Vers la fin de
1826, l'administrateur général Van Ewyck demanda à Que-
telet, de la part du roi , un rapport sur les moyens d'organi-
sation , et, le 17 décembre, un arrêté royal établissait à
Bruxelles le Musée des sciences et des lettres. En même temps
le roi faisait inviter quelques hommes instruits à vouloir bien
se charger des leçons qui devaient y être données: une in-
demnité de cinq cents florins leur était allouée ^^
(55)
Le 23 janvier 1827, le gouverneur du Brabaut Ûtcounaitre
à la Régence les personnes qui avaient accepté de donner
des leçons au nouveau Musée. Quetelet figurait , parmi elles,
pour la physique et Tastronomie , mais comme il donnait déjà
ces cours en sa qualité de professeur à TAthënée , il obtint
de faire un cours d'histoire des sciences. M. Van de Weyer,
depuis ministre plénipotentiaire de Belgique à Londres, s'était
chargé d'enseigner la philosophie; M. Lesbroussart, Thistoire
générale; M. Baron, la littérature générale; M. Lauts, la litté-
rature nationale; M. Vanderlinden, la zoologie; M. Drapiez,
la chimie générale ; M. Kickx, la botanique; M. Roget, les
constructions.
M. Dewez ne se trouvait pas sur la liste des personnes à
qui le ministre de Tintérleur s'était adressé tout d'abord,
mais , sur sa réclamation probablement et grâce à IMnterven-
tion de Quetelet, on lui con6a le cours d*histoire des Pays-
Bas.
L'installation du Musée d es sciences et des lettres eut lieu
le 3 mars Î8î?Tën présence 3u ministre He^intérieur,
Van Gobbelschroy, et de l'administrateur général Van Ewyck.
Des discours furent prononcés par le bourgmestre de
Bruxelles, de WeUens,et par M. Baron. Trois jours après,
Quetelet ouvrit son cours. Dans le résumé qui nous a été con-
servé de cette première leçon ^^, on trouve une idée qu'il a
reproduite plus tard : « Plus les sciences physiques ont fait
de progrès, • disait-il, « plus elles ont tendu à rentrer dans
le domaine des mathématiques, qui est une espèce de centre
vers lequel elles viennent converger. On pourrait même ju^
ger du degré de perfection auquel une science est parvenue,
par la facilité plus ou moins grande, avec laquelle elle se
laisse aborder par le calcul, •
(56)
Au mois d'avril, Queielet demanda et obtint pour trois de
ses anciens élèves, MM. Nerenborger, Verhulst et Jules
Kindl, Tautorisation de donner au Musée des leçons sur les
différentes branches des mathématiques pures et sur la
mécanique industrielle. M. Kindt, qui s'était chargé de ce
dernier cours , est depuis longtemps inspecteur général de
rindustrie. Nerenburger et Verhulst devinrent après 1830
les confrères de Queteletà TAcadémie; plusieurs autres de
ses élèves eurent le même honneur: je citerai MM. Plateau,
Ch. Morren , Gustave De Man ; d'autres parvinrent à des grades
élevés dans Tarmée, dans les ponts et chaussées, etc. ^7.
Il n'entre pas dans notre cadre de faire l'histoire du Musée
des sciences et des lettres. La révolution de 1830 lui causa un
grand dommage comme à tous les établissements d'instruc-
tion publique, et, après avoir langui pendant quelques
années , il fut absorbé en 1854 par l'Université libre. Quetelet
n'avait pas tardé à abandonner le cours d'histoire des
sciences. Après sa sortie de l'Athénée , au commencement de
1828, il avait reporté sur le programme du Musée les cours
de physique et d'astronomie qu'il donnait, depuis 1824, en sa
qualité de professeur du premier établissement, et il les con-
tinua jusqu'à la 6n de l'année scolaire 1833-1834. Des propo-
sitions lui furent faites pour entrer à l'Université libre, mais
il crut devoir les décliner. « Ce refus, » disait-il dans une
lettre adressée le 26 octobre au bourgmestre de Bruxelles ,
« ce refus repose sur différents motifs ; il en est un en parti-
culier dont j'ose me flatter que vous apprécierez facilement
la convenance : ma nomination à l'Observatoire m'assimile
aux professeurs des Universités de i'Ëtat et me range parmi
eux. J'ai |)ensé dès lors devoir m'abstenir de prendre part à
un établissement qui me mettrait plus ou moins dans une
( 57)
fausse position à Pégard du gouvernemeDl et surtout de mes
collègues. » Dans la même lettre il offrait de continuer à
donner ses cours à TObservatoire, celui de physique et de
météorologie pendant ThiTer, et celui d'astronomie pendant
les soirées d*été. « Ces cours étant publics et gratuits, •
ajoutait-il , • rien n'empêcherait les jeunes gens qui suivent
les cours de TUniversité libre, de venir y prendre des notions
de météorologie, d'optique et d'astronomie, avec des moyens
d'enseignement qui, j'ose le dire, n'eiistent pas ailleurs;
ainsi ma demande se réduirait, en définitive, à avoir un cours
dépendant, non de l'Université libre, mais bien de la
Régence. »
Cette demande ne fut pas agréée, et Quetelet sortit momen-
tanément de l'enseignement public dans lequel il comptait
déjà vingt années de services : il ne tarda pas du reste à y
rentrer, ayant été nommé professeur d'astronomie et de
géodésie à l'Ecole militaire par un arrêté royal du 6 jan-
vier 1836.
Quetelet avait en matière d'enseignement des idées très
larges et très élevées; il eut à deux reprises l'occasion de les
développer, une première fois sous le gouvernement des
Pays-Bas, une seconde fois après la révolution de 1830.
Dans la Commission instituée parle roi Guillaume eu 1828,
il fut de l'avis de la faible minorité qui voulait émanciper
l'enseignement public ^. Il demanda la réduction du nombre
des Universités et rétablissement de deux Écoles polytech-
niques, l'une pour les provinces septentrionales du royaume,
l'autre pour les provinces méridionales. Enfin, il soutint que
le moment était venu de substituer l'emploi des langues
modernes à celui du latin, encore en usage.
La révolution de 1830, procédant comme toutes les révo-
5.
( 58 )
lutions, commença 'par détruire; les Universités furent
démembrées, et, pendant qu*e]Ies se rapetissaient, de petits
collèges affichaient des prétentions encyclopédiques. Après
une année d'anarchie, il fallut songer à reconstruire ce qu'on
avait démoli. M. Lesbrousaart, devenu administrateur général
de rinstruction publique, avait préparé un projet de réorga-
nisation de renseignement. Le 30 aotit iS31 , M. Teichmann,
ministre de l'intérieur ad intérim^ établissait près son dépar-
tement une Commission de six membres dont il se réservait
la présidence, à Teffet de discuter ce projet : Quetelet, qui
en faisait partie, fut nommé secrétaire-rapporteur ^^
Dès ses premières séances, la Commission fit valoir des
considérations tendant au rejet du projet de l'administrateur
général. Ayant été invitée par le ministre à préparer un autre
projet de loi, elle remit son travail, le 20 mars 1832, à
M. de Theux qui avait succédé à M. Teichmann. Nous allons
analyser ce travail aussi succinctement que possible.
Voici d'abord comment la Commission envisageait l'ensei-
gnement à un point de vue général.
L'enseignement inférieur devait avoir le triple objet de
développer les qualités physiques, intellectuelles et morales
de l'enfance.
Au premier degré, qui était le même pour toutes les classes
delà société, et dont la lecture, l'écriture, le calcul et le
dessin devaient constituer la base dans l'ordre intellectuel ,
succédait un enseignement plus relevé, embrassant l'étude
des langues et des éléments des sciences.
Le second degré ne tardait pas à prendre deux directions
différentes: l'une, dans les Collèges^ ayant pour auxiliaires
les langues anciennes et les principes des sciences, allait
aboutir aux Universités; l'autre, dans les Écoles industrielleSy
(59)
par les langues modernes, les arts du dessin et les applica-
tions des sciences, conduisait aux différents établissements
de commerce et d'industrie et aux Écoles polytechniques
qui , par des études approfondies et par des ressources maté-
rielles plus nombreuses, devenaient pour Tindustrie, Tart
militaire et certaines branches d'administration , des foyers
de lumière.
Autour des Écoles moyennes, des Universités et des Écoles
polytechniques se groupaient d'autres établissements qui en
dépendent plus ou moins directement, tels que les Écoles
vétérinaires, les ÈvxAes de navigation, d'agriculture, des
beaux-arts , etc.
On pouvait encore y joindre les établissements tels que les
Musées, les Bibliothèques, les Jardins des plantes, les Obser-
vatoires, qui, bien qu'en dehors de l'instruction, y tiennent
cependant d'une manière directe.
Un Conseil de perfectionnement maintenait la coordination
si nécessaire entre les différents degrés de l'enseignement e^
veillait à ce que celui-ci fût toïgours à la hauteur de la
civilisation.
Après avoir posé ces principes généraux , la Commission
en faisait l'application à la Belgique. Nous ne nous arrêterons
pas aux deux premiers degrés, nous dirons seulement que
les cours constituant l'enseignement moyeu dans les Collèges
et dans les Écoles industrielles , pouvaient être réunis dans
les Athénées, et que, parmi les moyens d'encouragement, la
Commission plaçait en première ligne les prix à distribuer à
la fin de l'année scolaire, le concours devant embrasser
l'ensemble des compositions de l'année. 11 y avait aussi des
prix généraux. • Indépendamment de ces concours, » ajou-
tait la Commission, a concours qui ont pour objet d'exciter
(60)
rémulatioD dans Tintérieur des écoles moyennes , il sera très
avantageux d'en établir d'autres entre les élèves les plus
avancés qui sortent de différents établissements et de déter-
miner le degré relatif de la force des études... Les élèves des
établissements privés pourront être appelés à ces concours,
en prenant certaines mesures de précaution... »
L'instruction supérieure se composait de l'enseignement
académique et de l'enseignement polytechnique. 11 n'y avait
qu'une seule Université pour le royaume, avec trente-huit
professeurs ordinaires. Le roi pouvait nommer des professeurs
extraordinaires, et autoriser de jeunes docteurs et des savants
à donner des leçons ou à faire des répétitions. La Commission
proposait la collation annuelle de quinze médailles en or et
de quinze médailles en argent , destinées à servir de premier
et de second prix pour les deux élèves de chaque année
d'études différentes, qui, dans une composition à faire à la
fin de l'année, sur toutes les matières qui leur auraient été
enseignées, l'emporteraient sur leurs condisciples.
Quatre Commissions d'examen, composées chacune d'un
président et de six membres, étaient nommées annuellement
par le roi : les membres devaient être choisis en partie parmi
les professeurs de l'Université, en partie parmi d'autres per-
sonnes du royaume, distinguées par leurs connaissances.
H était créé une École polytechnique destinée principale-
ment à former des ingénieurs civils, soit pour l'administration
publique, soit pour les établissements industriels, des ingé-
nieurs militaires et des officiers d'artillerie et d'état-major.
Les études y étaient de trois années, et il y avait , comme à
l'Université, un concours par écrit entre les étudiants , à la
fin de chaque année. Pour être admis à l'Ecole polytechnique,
il fallait faire preuve de toutes les connaissances enseignées
(61 )
dans les Écoles industrielles ou dans la division industrielle
des Athénées.
La dépense de TUniversité était évaluée à cent trente-
cinq mille florins, et celle de TÉcole polytechnique à cin-
quante-deux mille florins.
La résolution de n^établir qu^une seule Université avait été
prise d'une commune voix, et, pour dégager la discussion de
Tesprit étroit de localité, la Commission proposait de ne
s'occuper du cb(Mx de la ville où serait établie PUniversité ,
qu'après Tadoption du projet et par une loi spéciale. Les
villes lésées pourraient alors obtenir des compensations, en y
plaçant TÉcole polytechnique ou d'autres institutions dont
réi'ection serait reconnue nécessaire.
La Commission , avons-nous dit , avait remis son projet au
ministre de l'intérieur, le 20 mars 1832 : il n'y fut donné
aucune suite, et, le 18 novembre de Tannée d'après , M. Ro-
gier nomma une nouvelle Commission dont ne faisait partie
aucun membre de la première.
Cette nouvelle Commission fit son rapport dans le courant
de Pannée 1834. Elle se prononça pour la conservation de
deux Universités complètes à Gand et à Liège , et distribua
l'enseignement dans les facultés des sciences , • de telle
sorte, A disait-elle, uque, sans créer une École polytech-
nique, le pays en aura tous les avantages sans en supporter
les frais ; à cet effet, la faculté des sciences de Gand servira
d'école pour l'architecture civile, les ponts et chaussées;
celle de Liège , pour les mines , et toutes les deux , pour les
arts et manufactures. • — « Nous n'avons pas eu à nous
occuper, » ajoutait-elle, «des cours pour le génie militaire
et l'artillerie qui font partie de TÉcole militaire, dont le gou-
vernement a proposé rétablissement à la législature. 11 suffit
(62)
de créer trois chaires de plus dans chacune des facultés des
sciences, pour organiser renseignement polytechnique sur
une grande échelle, les autres professeurs de ces facultés pou-
vant servir aux élèves qui suivent spécialement cette partie ,
comme à ceux qui étudient les sciences en général... La Com-
mission attend les meilleurs fruits de cette organisation des
facultés des sciences. Elles seront en même temps des édoles
complètes pour Tétnde théorique des sciences, des écoles
d*application pour ceux qui se destinent aux divers services
du génie civil , des hautes écoles industrielles où se forme-
ront des hommes capables de diriger nos manufactures. »
Le système proposé par la Commission de 1833 a prévalu.
Au lieu de séparer renseignement scientifique d*avec rensei-
gnement industriel, comme Pavaient conseillé Quetelet et
Ch. de Brouckere dans la Commission de 1828, et comme
rivait recommandé d*une voix unanime la Commission de
1831, on a transformé les facultés des sciences en écoles
spéciales, et, selon la prédiction de Quetelet, renseignement
industriel a étouffé renseignement scientifique. Dans la notice
qu'il a consacrée à Brasseur, M.* le colonel Liagre dit, en
parlant des réformes que ce professeur éminent aurait voulu
voir réaliser: t [L'enseignement] de la faculté et celui de
récole spéciale souffrent d'être annexés Tun à l'autre : tel
cours qui conviendrait à la première sera trop spéculatif
pour la seconde; ou bien, s'il est donné en vue de celle-ci,
il ne sera plus à la hauteur du doctorat... » Et cependant la
Commission de 1833 attendait les meilleurs fruits du sys-
tème proposé par elle. Il est vrai que cette Commission ne
comptait aucun mathématicien ou savant parmi ses membres,
tandis que celle de 1831 renfermait, outre Quetelet, trois
anciens élèves de l'École polytechnique de Paris.
(68)
II nous reste encore, avant d'aborder une autre matière,
à dire quelques mots du rôle que joua Quelelet et des idées
quMl ebercha à faire prévaloir dans Torganisation du Musée
des arts et de Vinduslrie.
Le Musée des arts et de Tindustrie avait été créé par un
arrêté royal du 16 décembre 1826. Conçu dans de vastes
proportions , ce Musée devait coûter à TÉtat au delà d*un
million de francs pour frais d*établissement ^<>, non compris
le palais que la ville de Bruxelles s'était engagée à con-
struire a6n que le Musée fût placé dans la capitale.
Le directeur, M. Onderdewyugaart-Ganzius, .voulait faire
du Mufiée la base d'une grande Université industrielle : il y
aurait eu, — outre les collections proprement dites, compre-
nant les mathématiques, la pbysique expérimentale, la
cbimie, la minéralogie, Tagriculture, la technologie, — une
grande bibliothèque technologique, dés ateliers de con-
struction , un laboratoire, une salle pour les expériences et
un amphithéâtre pour les leçons.
Ces idées grandioses avaient reçu un commencement
d'exécution, lorsque la révolution de 1830 éclata : le gou-
vernement avait dépensé plus de trois cent mille francs eu
achats dinstruments et de machines, et le palais de l'in-
dustrie avait coûté près du double *^.
La révolution ayant écarté M. Canzius, qui était Hollan-
dais , le ministre de l'intérieur Teichmann institua, le 3 sep-
tembre 1831, une Commission spéciale de trois membres,
parmi lesquels se trouvait Quetelet, pour rechercher et pro-
poser les mesures nécessaires à la bonne conservation des
collections du Musée et à leur extension graduelle. Dans les
développements du budget présenté à la Chambre des re-
présentants, le 23 septembre, ce ministre éclairé, dont
(64 )
radministration fut malheureusement trop courte, mani-
festa rintention d^annexer le Musée à une École d'arts et
métiers.
La Commission spéciale fit peu de besogne; elle semble
n'avoir eu en vue que la réintégration de M. Ganzius, et son
dessein n'échoua que par le refus de ce dernier de prêter
serment. Au commencement de janvier 1833, le nouveau
ministre de l'intérieur, M. de Theux, lui substitua une
Commission administrative, dont Quetelet devinl le secré-
taire, et qui remit en avant le projet d'une Université indus-
trielle, conçu par M. Canzius; mais aucune suite ne fut
donnée à cette idée. Les ministres se succédaient avec rapi-
dité, et l'un n'avait rien de plus pressé que d'abandonner
les plans projetés par l'autre. Ainsi , M. Rogier, ayant rem-
placé M. de Theux, avait fait proposer en 1834 la place de
directeur du Musée à M. Levy, ancien professeur à l'Uni-
versité de Liège et membre de l'Académie de Bruxelles, qui
était rentré en France après la révolution : c'était un homme
versé non-seulement dans les sciences exactes, mais encore
dans la mécanique appliquée, la chimie, la physique; il
désirait revenir parmi nous et son acquisition eût été pré-
cieuse pour le Musée, mais M. Rogier ftit remplacé par
'M. de Theux , et l'idée de nommer un directeur fut aban-
donnée. Il ne fut plus question non plus du journal ou
Bulletin que la Commission administrative aurait voulu
publier, encore moins des cours dont elle avait, à dififérentes
reprises , réclamé l'institution : ces cours , d'après le rap-
porteur de la section centrale du budget, M. Dubus, auraient
été regardés comme un double emploi inutile, au moment
oii l'on allait organiser des écoles spéciales à Liège et à
Gand.
(65)
Quetelet cessa bientôt après de s'occuper du Musée des
arts et de TiDdustrie. Nous rabandounerons avec lui pour
retourner en arrière.
V. — L'ecocursion de Quetelet à la grotte de Bon, —
Ses voyages en France , en Allemagne et en Italie, —
L Observatoire de Bruxelles; historique de sa construc-
tion,
»
Reçu à PAcadémie à Tâge de vingt-quatre ans , Quetelet
n'avait pas tardé à conquérir la faveur de ses confrères, et le
premier usage qu'il avait fait de son crédit avait été , ainsi
qu'on Ta vu , de faire élire son ami Dandelin.
Son premier voyage ofiQciel date de l'année 1822. II avait
été désigné par PÂcadémie , au mois de mai , pour visiter
avec M. Kickx la célèbre grotte connue sous le nom de
Trou-de^Ban , sur laquelle M. de Burtin avait présenté
autrefois un mémoire à la Compagnie. La visite eut lieu pen-
dant les vacances, et le rapport fut lu à la séance du 28 oc-
tobre. Le procès-verbal de cette séance porte ce qu'il suit :
« MM. Quetelet et Kickx qui, conformément à la résolution
de l'Académie du 16 mai dernier, ont été visiter la grotte
connue sous le nom de Trou-de-Ban, ont donné lecture
d'un rapport détaillé et circonstancié de leur voyage, de leurs
découvertes et de leurs observations..., et ils ont déposé sur
le bureau le plan de l'intérieur de la grotte , dessiné par
M. Quetelet, ainsi que les planches litbographiées reprodui-
sant , l'une : Ls village et la montagne de Ban, et l'autre,
la grotte de sortie de la Lesse au trou de Han , et l'Acadé-
mie, non moins satisfaite des opérations de ces deux mem-
6
(66)
bres, que de la rédaction de leur rapport, a résolu quMl
serait imprimé dans le second volume des Mémoires qui
sont sous presse... » Les vues avaient été dessinées par
Quetelet et lithograpbiées par Madou. La relation insérée
dans le recueil de TAcadémie renferme encore deui autres
planches : Vancienne entrée de la Lesse et la Grotte du
Gouffre,
En 1823, Quetelet qui , depuis quelque temps déjà , pour-
suivait ridée de fonder en Belgique un grand Observatoire,
vainement réclamé parTancienne Académie et dontPabsence
avait été plus d'une fois regrettée par les astronomes étran-
gers , Quetelet, disons-nous, put espérer que son vœu allait
être accompli. Les sciences et les lettres, dans notre pays, se
trouvaient alors conâées à un noble et rare esprit, M. Falck.
« J'étais bien jeune, » écrivait Quetelet après la mort de cet
homme éminent ** , « lorsque j'eus le bonheur de fixer son
attention; et, sans aucun titre, sans avoir jamais vu d'Ob-
servatoire, j'osai lui parler d'en fonder un à Bruxelles...
M. Falck eut la bonté de m'écouter, de se faire expliquer les
avantages qui pouvaient résulter d'un pareil établissement
pour les sciences en général et pour le pays en particulier;
et il m'engagea à venir lui en parler encore. Peu de temps
après, il m'envoya à l'étranger pour me faciliter les moyens
de m'initier à la pratique de l'astronomie. . . »
Quetelet, avant de partir, adressa au roi un mémoire dont
il a donné un extrait dans le tome I de la Correspondance
mathématique, H passa à Paris les derniers mois de l'année
1823. Laissons-le raconter lui-même sa première visite à
l'Observatoire *' : « ... J'étais arrivé à Paris , vers la fin de
1823, avec la perspective de pouvoir construire un Obser-
vatoire en Belgique, mais en même temps avec la conviction
(67)
que toute mon instruction en astronomie pratique restait à
faire. Mon premier soin fut de me rendre à I*Observatoire
royal; mais en entrant dans ce monument illustré par tant
de grands travaux , je sentis mieux encore tout ce qui me
manquait. Je n'avais pas même de lettres d'introduction
pour sauver les embarras d'une première visite. Je montai
cependant avec assez d'assurance le grand escalier; mais
quand je me trouvai entre les portes voisines d'Arago et de
Bouvard, je restai quelque temps Indécis. J'allais frapper à
la première , quand Bouvard , qui sortait de chez lui pour se
rendre dans les salles d'observation, me demanda qui je
cherchais. Je lui racontai tout d'abord mon histoire que cet
excellent homme parut écouter avec intérêt ; puis il m'em-
mena avec lui et me mit en présence des instruments astro-
nomiques , spectacle tout nouveau pour moi. 11 eut la bonté
de m'en expliquer la destination et l'usage, et me permit de
venir observer, quand je le voudrais. Dès le soir même, je
profitai de cette permission; et, à mon grand étonnement,
je pus pénétrer librement et seul au milieu des instruments
et des papiers de l'Observatoire. Je revins les jours suivants,
et toujours même confiance... Pendant que je m'exerçais, le
bon Bouvard venait de temps en temps s'informer de mes
observations et il les examinait. Ses paroles étaient toujours
encourageantes; et, quand il remarquait que j'avais trop
froid, il m'invitait à passer chez lui. Peu à peu, il me
témoigna plus d'affection , et me proposa de m'initier aux
calculs pratiques de l'astronomie. Dès lors il voulut bien
diriger toutes mes études avec une bienveillance vraiment
paternelle. 11 ne s'en tint pas à ces témoignages de bonté ;
il me présenta à ses amis, et parmi eux se trouvaient
Laplace et Poisson. Je fus admis aussi à ses petits dîners
(68)
des jeudis, et je devins en quelque sorte un membre de sa
famille. . . »
D'après ce que nous apprend encore Quetelet, ce fut
Alexandre de Humboldt qui le conduisit à Plnstitut. Fresnel
répéta pour lui et pour Mitscberlicb ses belles expériences
sur la lumière et il se lia à l'Observatoire avec M. Alfred
Gautier, qui venait également s'y exercer à la pratique de
Pastronomie, en attendant la construction du nouvel Obser-
vatoire de Genève dont la direction lui était promise. L'amitié
de ce savant astronome lui resta Gdèle jusqu'au bout :
M. Gautier n'a jamais cessé de porter un vif intérêt aux tra-
vaux de l'Observatoire de 'Bruxelles et d'en rendre compte
dans la Bibliothèque universelle de Genève et dans les
Archives des sciences physiques et naturelles; sa bienveil-
lance s'est même étendue aux adjoints de l'Observatoire.
C'est aussi à partir de cette époque que Quetelet fut
appelé à écrire dans la Revue encyclopédique ** , journal
dont l'origine remontait à l'année 1819 et qui a rendu de
vrais services. Disons en passant qu'il travailla aussi à la
Bibliothèque universelle : on a déjà vu qu'il avait été l'un
des collaborateurs des Annales belgiques et du Mercure
belge.
Il était de retour à Bruxelles au commencement de l'année
1824. Le l'^' mars, il entretint l'Académie de l'établissement
d'un Observatoire en Belgique; et dans la séance du 5 avril,
il fut résolu que l'Académie prendrait ce projet en haute
considération: le président, prince de Gavre, voulut bien
se charger de le présenter à Sa Majesté, et de l'appuyer. Les
choses ne marchent pas vile , quand il s'agit de sciences,
surtout s'il faut dépenser de l'argent à leur profit. On va
voir, par le rapport que le bourgmestre de Bruxelles fit au
(69)
€k)nseil de régence, le 9 février 1826, ce qui se passa après
la démarche officielle du président de T Académie. Ce rapport
de M. de Wellens était conçu dans les termes suivants :
« Depuis quelque temps il est question d'ériger dans le
royaume un Observatoire ainsi qu'une école d'astronomie; il
y a à peu près dix-buit mois que des ouvertures m'ont été
faites pour savoir quels sacrifices la ville de Bruxelles serait
disposée de faire pour voir ériger dans ses murs ce nouvel
élablissemenL Cette question, nobles et honorables seigneurs,
me paraissait trop vague pour y répondre, et, sans perdre de
vue un objet aussi intéressant , j'ai tâché de temporiser afin
de savoir à quoi pourraient se réduire les sacrifices demandés.
La ville de Liège se met sur les rangs pour obtenir l'Obser-
vatoire, elle était prête à faire des ofi'res et ne perd pas de
vue cette négociation. Un entretien que j'ai eu récemment
avec l'inspecteur général des études (M. Walter) m'a mis à
même de vous proposer de faire la demande afin de le voir
ériger ici et j'ai toute raison de croire que si on ofi'rait une
somme de dix mille florins pour aider à la construction, nous
aurions l'espoir fondé de l'obtenir... »
La proposition du bourgmestre ayant été votée, un extrait
du procès-verbal de la séance fut envoyé le 20 mars à M. Wal-
ter et à la députation des États : celle-ci donna son approba-
tion le 8 avril; dès le 29 mars, l'inspecteur général avait écrit
au ministre de l'intérieur pour l'informer de la décision du
Conseil de régence. « Si Sa Majesté » disait M. Walter, « dai-
gnait accorder maintenant une pareille somme de dix mille
florins, j'ai lieu d'être assuré qu'en surveillant attentivement
la formation des plan et devis estimatif des travaux ainsi
que leur exécution, dont je me chargerais très volontiers,
cette somme réunie à celle votée par la Régence suffirait pour
6.
(70)
•
l'établissement d'un Observatoire pour lequel on aurait plutôt
en Yue rulilité que le luxe... * — » Je n'ai pas négligé, « ajou-
taitril, « de faire pressentir à M. le bourgmestre que cette
dépense ne serait pas la seule à laquelle cette construction
donnerait lieu, mais on peut tout espérer de la. libéralité de
la Régence et de ses bonnes dispositions à cet égard. « La
lettre comprenait encore le paragraphe suivant : « M. le
bourgmestre m'a^ant donné l'assurance que la ville fourni-
rait le terrain nécessaire, M. Quelelet en a fait la recherche
et a trouvé un emplacement très convenable dans un terrain
communal qui se trouve à droite en sortant de la porte de
Schaerbeek d'où l'on découvre l'horizon le plus convenable;
cet emplacement serait encore à côté du jardin des plantes
que l'on a le projet d'établir sur le revers de la colline qui
s'étend vers la Senne, de manière que le local réunit tous les
avantages que l'on peut désirer. » 11 paraîtrait résulter d'une
autre pièce que l'idée de Quetelet avait été d'abord d'établir
l'Observatoire sur une des hauteurs avoisinant le boulevard
de Waterloo. C'est la ville qui désigna l'emplacement où il a
été bâti, et dont elle était propriétaire, le terrain faisant par-
tie des anciennes fortifications.
Le 8 juin 1826, le- roi signa un arrêté par lequel il accep-
tait l'offre de la Régence de Bruxelles de fournir un terrain
pour l'érection d'un Observatoire et de contribuer pour une
somme de dix mille florins aux frais de bâtisse. Sa Majesté,
après avoir témoigné sa satisfaction à la Régence au sujet de
cette nouvelle preuve de son désir de fonder des institutions
utiles, décidait qu'un Observatoire pour l'astronomie serait
érigé à Bruxelles dans le but de contribuer au développement
des sciences; et que les frais évalués à vingt mille florins se-
raient supportés moitié par le trésor public, moitié par la ville.
(71 )
M. Walter et Quetelet furent chargés de préparer les plans
et devis du nouvel établissement, et le bourgmestre mit à
leur disposition Tarcbitecte de la ville, M. Roget. Quand
leur travail fut achevé, et qu'il eut reçu l'approbation du
roi, ils Tadressèrent , le 15 mars 1827, au bourgmestre de
Bruxelles. 11 résulte de leur lettre qu'ils auraient préféré
placer l'Observatoire hors du mur d'enceinte de la ville , mais
qu'ils avaient dû se soumettre au désir de la Régence de voir
bâtir l'édiBce sur son territoire. Cet édiûce devait comprendre
l'Observatoire proprement dit ou salle d'observation et deux
pavillons dont l'un contiendrait un amphithéâtre pour les
leçons et des locaux pour le dépôt des instruments, et dont
l'autre servirait eu partie au même objet et au logement de
l'observateur : la partie supérieure de chacun d'eux était
destinée aux observations et aux opérations astronomiques.
Le devis des travaux pour la construction de l'Observatoire
proprement dit ne s'élevait qu'à la somme de dix mille et
quelques florins. « Nous proposons , • disaient les signataires
de la lettre, « d'employer le restant de la somme accordée,
tant par Sa Majesté que par la Régence , à la construction des
deux pavillons, jusqu'à concurrence du montant de la somme
de vingt mille florins, tel, qu'il est dit à la Gn du devis. L'achè-
vement pourra se faire à volonté avec plus ou moins de
dépense, suivant le montant des fonds qui pourront être
accordés par la suite^ tant par la muniGcence royale que par
la générosité et le zèle qui animent la Régence en faveur des
sciences. •
C'était une faute de commencer les constructions sans
qu'on se fût assuré les voies et moyens nécessaires pour les
terminer, et sans que les détails, — à ce qu'il paraîtrait, —
en eussent été soigneusement examinés et arrêtés.
(72)
L*architecte de la ville , qui était devenu le collège de
Quelelet au Musée des sciences et des lettres, ne fil pas
preuve d^une grande condescendance pour lui. Homme d'une
mince valeur, il recevait très-mal les observations, et se gê-
nait d'autant moins qu'il avait la confiance du bourgmestre.
Le 10 mai 1827 eut lieu Tadjudication publique et au
rabais « pour la construction , » portaient les affiches, « du
monument dit Observatoire à ériger entre les portes de
Schaerbeek et de Louvain. » M. Walter et Quetelet y assis-
tèrent comme simples témoins et sans avoir été invités à y
intervenir selon les pouvoirs qui leur avaient été délégués
par le gouvernement.
Les travaux de l'Observatoire proprement dit furent adju-
gés pour une somme de huit mille quatre cents florins, et l'on
fît exécuter sur des bordereaux de prix les ouvrages de ma-
çonnerie relatifs à l'habitation de l'astronome jusqu'à concur-
rence des vingt mille florins dont on avait la disposition. —
Le montant des devis dressés par l'architecte Roget pour
la construction de l'Observatoire s'élevait à 71447 florins :
cette somme fut réduite, d'après le rabais de l'entreprise, à
60223 florins. On était loin, comme on voit, des 20000 flo-
rins mentionnés dans l'arrêté royal du 8 juin 1826. Les tra-
vaux commencèrent immédiatement après l'adjudication du
10 mai.
Le 31 juillet (1827) , l'administrateur de l'instruction pu-
blique, des sciences et des lettres, M. Van Ewyck, écrivait à
la Régence qu'il avait plu à Sa Majesté, par résolution du
19 du mois courant, d'ordonner que le premier achat d'instru-
ments à l'usage du futur Observatoire aurait lieu aux frais de
l'État , et de décider que M. Quetelet, professeur à l'Âthénée,
se rendrait à Paris et à Londres pour y commander sur place
( 73 )
les instruments les plus perfectionnés à Tusage de i*astrono-
mie. La somme allouée était de vingt-cinq mille florins.
Quetelet partit pour Londres le 20 août, en compagnie de
Dandelin qui avait été également chargé d'une mission. La
veille, ils étaient allés faire leurs adieux au commandeur de
Nieuport. a J'étais loin de prévoir, a dit Quetelet, « qu'ils
dussent être éternels. Je le trouvai assis à la même place et
dans le même fauteuil où je l'avais vu lors de ma première
visite... Le bon vieillard parut heureux de se retrouver avec
nous; il nous tendit affectueusement la main, et nous parla
de notre séparation, de l'objet de notre voyage, de nos
études. »
Quetelet se lia en Angleterre avec les représentants les plus
illustres de la science. Après avoir traité avec MM. Trougbton
et Simms pour la construction d'un cercle mural et d'un
équatorial, il parcourut l'Ecosse et l'Irlande, visitant les
Observatoires **, les Universités, les Sociétés savantes. Au
mois de novembre, il était de retour à Bruxelles, et le 10, il
répétait devant l'Académie deux expériences qui lui avaient
été communiquées à Londres : l'une concernant le mouve-
ment de rotation d'une lentille qui descend le long d'un plan
incliné , l'autre ayant pour but de montrer quelques effets
singuliers, dépendant des axes permanents de rotation dans
des corps de formes différentes. Dans la même séance du
10 novembre Jl faisait élire correspondants de l'Académie,
MM. Barlow et South. Déjà l'année précédente, il avait pro-
voqué l'élection de MM. Babbage et Herschel ; enfin le 2 fé-
vrier 1828, il faisait nommer M. Sabine, qu'il avait aidé à
Londres dans sa détermination de la longueur du pendule.
Les faits nouveaux recueillis par Quetelet pendant son
voyage furent communiqués au public par l'intermédiaire de
(74)
la Correspondance mathématique; c'est aussi dans ce jour-
nal qu'il donna la description des principaux Observatoires
du Royaume-Uni.
Outre la commande du cercle mural et de Téquatorial , il
avait encore fait Tacquisition d'un assez grand nombre
d'instruments parmi lesquels se trouvaient un appareil de
Troughton pour mesurer Tinclinaison de Taiguille aimantée
et un autre appareil du même artiste pour observer la décli-
naison de Taiguille. 11 avait aussi rapporté le pendule inva-
riable dont le capitaine Sabine s'était servi dans son voyage
aux régions polaires.
Il n'avait point passé par Paris : M. Bouvard, qui se trou-
vait à Bruxelles au mois de juillet , s'était chargé de négocier
avec M. Gambey l'acquisition d'une lunette méridienne et de
signer le contrat pour le gouvernement.
Deux pendules astronomiques avaient été commandées,
l'une chez M. Enebel, à Amsterdam , l'autre chez M. Kessels,
à Âilona. De plus, par une résolution du 15 juin 1827, le roi ,
pour marquer l'intérêt qu'il portait à l'Observatoire en con-
struction, avait daigné lui faire cadeau d'un télescope de
4uatre pieds, confectionné par l'artiste frison Rienks et acheté
par Sa Majesté à la dernière Exposition de Harlem.
Le 9 janvier 1828, le roi signa l'arrêté par lequel « M. A. Que-
telet, professeur à l'Athénée de Bruxelles, était nommé astro-
nome près l'Observatoire de la même ville, aux appointements
de quatre mille florins, et sous la condition de se consacrer
exclusivement à celte institution. 9
On remarquera que la qualité donnée à Quetelet par cet
arrêté est celle d'astronome et non de directeur : peut-être le
gouvernement voulait-il attendre que l'Observatoire fût ter-
miné pour lui octroyer ce dernier titre qui présuppose un
(75)
personnel; peut-êlre ajournait-il à cette époque i*organisa-
tion du nouvel établissement.
Dans la notice qu'il a consacrée à Pagani, Quetelet nous
apprend qu'il avait pensé à s'associer ce géomètre. « Pagani, »
dit-il, « était arrivé à Bruxelles vers la fin de 1822... A Taide
d'un ami [Quetelet] , il fit la connaissance de MM. le com-
mandeur de Nieuport, Waller, Dewez, etc. , et se prépara en
même temps les moyens d'entrer à l'Académie... [Des] dispo-
sitions furent arrêtées entre Pagani et l'ami qui désirait se
l'associer plus tard, à tUre dégcdité, dans l'établissement
dont il méditait alors la création. Pagani , jeune et sémillant,
ne sut pas attendre , et crut qu'une première difficulté entraî-
nait la ruine de l'édifice projeté... Par arrêté royal du 17 jan-
vier 1826, il fut nommé professeur extraordinaire à l'Uni-
versité de Louvaln... »
Pagani était Taîné de Quetelet de dix jours seulement. S'il
n'avait été pressé de se caser, il eût sans doute été chargé à
l'Observatoire de la partie théorique et des calculs, et Que-
telet de la partie pratique, c'est-à-dire des observations.
Nous admettons très bien, quant à nous, cette division du
travail dans un Observatoire , mais nous rejetons le principe
d'égalité, et nous ne comprenons pas comment Quetelet, à
moins qu'il n'ait subi des influences puissantes, a pu l'ad-
mettre. ^
Le 21 janvier 1828, la Régence était avertie officiellement
par le gouverneur de la province de la nomination de Que-
telet. Le 23, celui-ci lui écrivait de son côté : a J'ai l'honneur
de vous annoncer que Sa Majesté , par arrêté du 9 de ce
mois, a bien voulu m^attacher à l'Observatoire de Bruxelles,
en qualité d'astronome. J'ose espérer, messieurs, que dans
cette nouvelle carrière, je continuerai à trouver chez vous la
( 76)
bienveillance et Tappui qui me sont si nécessaires pour
atteindre le pénible but que je me suis proposé. Grâce à la
munificence de Sa Msgesté et à votre généreuse intervention ,
nous aurons, j*espère,un Observatoire qui pourra rivaliser
avec les premiers de TËurope. Mais il ne suffit pas que ce
monument contribue à embellir la ville; s*il ne devient utile à
la science, il sera un sujet de continuels regrets pour les
autorités qui Tout fait construire et pour Vastronome qui y
devra passer ses jours. • Quetelet rappelle ici que la craint e
d'être dérangé par le voisinage de la route extérieure, aujour-
d'hui rue de V Astronomie , et par les maisons que Ton bâtit
dans les alentours , Tavait porté à demander avec instance
d'établir l'Observatoire sur la hauteur de Schaerbeek , hors
des murs : le désir, exprimé par la Régence de voir ce monu-
ment contribuer à embellir la ville. Ta porté à supprimer sa
demande. Quoique la position actuelle soit moins avanta-
geuse, elle paraît convenable; mais il importe d'avoir le méri-
dien libre, tant du côté du nord que du côté du midi. Il
importe également de ne pas laisser rapprocher encore de
l'Observatoire le mur et la route extérieure qui en sont déjà
beaucoup trop rapprochés, a Dans le cas où ce changement
serait projeté, » ajoute Quetelet, « je vous prierais avec
instance, messieurs, de le suspendre et d'en faire l'objet d'un
nouvel examen. Si le désir ardent que j'ai de servir une
science qui a été si longtemps négligée parmi nous, si mes
constantes études , mes voyages et les conseils que j'ai reçus
des premiers savants de l'Europe ne vous inspirent aucune
confiance, prenez les astronomes que vous croirez pouvoir
consulter avec plus cf avantage, je m'en remets d'avance à
leur jugement. Ce n'est point ici une afiaire de caprice; mais
je tiens à mon honneur, au vôtre, messieurs, les savants
(77)
étrangers se détourneront pour visiter votre Observatoire» et
je désirerais pouvoir les recevoir sans lionte. C'en serait une,
si j'avais manqué aux premières règles de prudence , si je
m'étais laissé cerner par des routes sans avoir éclairé Pau-
torité, sans avoir exposé les besoins de l'astronomie qui de-
mande à être cultivée dans le silence et le recueillement... »
Les craintes conçues par Quetelet ne tardèrent pas à se
dissiper. Il n'avait pas été question de rapprocher la route de
rObservatoire ; de plus, les propriétaires des terrains lon-
geant cette route étaient astreints à une servitude qui leur
interdisait de bâtir à front de rue; et, pour que le méridien du
coté du nord restât libre, il fut proposé à la députation des
États d'établir, dans cette direction, une rue de quinze mètres
de largeur sur un développement de sept cent cinquante
mètres.
Quand les vingt mille florins dont Tarchitecte Roget dispo-
sait pour la construction de l'Observatoire eurent été dépen-
sés , la Régence fit suspendre les travaux, et elle en informa
le gouverneur de la province par une lettre en date du
39 juillet 1828. Il fallait encore quarante mille florins pour
achever la construction : la Régence , alléguant la situation
embarrassée de ses finances, demandait que le gouvernement
prît cette somme à sa charge, a d'après la remarque fonda-
mentale que l'Observatoire devait être considéré bien plus
comme un établissement de l'État que comme un établisse-
ment de la ville, son but étant de développer les arts et les
sciences dans tout le royaume. • 11 fut répondu, au nom de
l'État, que « l'Observatoire, pour ce qui concernait le bâti-
ment, était une afiaire communale à l'établissement dé
laquelle le gouvernement ne contribuait que par l'octroi d'un
subside; que cela résultait du rapport de M. Walter (voir
7
(78)
ci-dessus), et que la somme de dix mille florins allouée par la
ville n'était présentée par le même M. Walter que comme une
première allocation. » Enfin, après une longue correspondance,
officielle d'une part entre la Régence et Tautorité provinciale,
confidentielle d'autre part entre le ministre de Tintérieur et
le bourgmestre, celui-ci présenta le 15 novembre au Conseil
de régence un rapport qui fut approuvé , et dont ta conclu-
sion implicite était que la ville supporterait la dépense des
quarante mille florins, si le gouvernement, comme il était à
craindre, refusait d'y contribuer pour li moitié : on avait,
d'un autre côté, l'espoir fondé d'obtenir l'avance d'une somme
de vingt mille florins. En effet , un arrêté royal du 9 mars
1829 ajouta quarante mille florins aux vingt mille stipulés
dans i rrêté du 6 juin 1826 et décida que la moitié de cette
somme serait portée au budget de la ville , et que l'autre
moitié serait avancée par l'Etat à la Régence, à condition
pour celle-ci de la rembourser par cinquièmes d'année en
année , à partir du 1^' mai 1830.
Le gouverneur, en transmettant cet arrêté à la Régence,
lui écrivait le 30 mars : « J'invite vos seigneuries, mainte-
nant que les aff'aires financières concernant l'Observatoire
sont entièrement réglées, à vouloir prendre soin de terminer
cet établissement aussi vite que possible. »
Cependant, malgré les instances du gouvernement, malgré
les démarches personnelles de l'administrateur des sciences
et des lettres, les travaux qui avaient été repris marchaient
lentement. Les déboires que la mauvaise volonté de l'archi-
tecte de la ville donnaient à Quetelet, devaient faire désirer
à celui-ci d'aller se retremper dans un milieu scientifique. Il
quitta donc Bruxelles au commencement de juillet et se diri-
gea vers la Hollande, d'où il comptait se rendre en Allemagne.
(79)
Il avait emmené avec lui sa femme , quMl avait épousée le
20 septembre 1825. M»« Quetelet était fille d'un médecin
français, M. Curtet, établi à Bruxelles depuis la fin du siècle
dernier, et nièce du chimiste Van Mons : elle joigmait à
beaucoup d'esprit un grand usage du monde et des connais-
sances littéraires assez étendues. Excellente musiciennç, elle
avait remplacé avantageusement la flûte de son mari par le
piano , dont elle jouait très^bien. M^^ Quetelet avait tenu de
bonne heure le salon de son père, oii se réunissait la meil-
leure société de Bruxelles ; elle contribua beaucoup à embel-
lir celui de son époux, lorsque, arrivé à la renommée et à la
gloire, il exerça une noble hospitalité envers les étrangers de
tous les pays, savants, littérateurs, artistes, qui « se détour-
naient, » sinon pour voir TObservatoire, du moins pour visi-
ter et saluer son directeur.
Nos deux voyageurs étaient allés par mer d'Amsterdam à
Hambourg, où Quetelet fit la connaissance de Schumacher,
le fondateur des Astronomische Nachrichten, et de Repsold,
le fameux constructeur d'instruments de précision. Vers la
fin de juillet, Schumacher, Repsold, Quetelet et sa femme
se rendirent à Brème auprès de l'illustre Olbers, à qui l'on
doit la découverte de Pallas et de Vesta. « J'aurais peine à
exprimer,» dit Quetelet, <* le respect que j'éprouvai en
approchant de ce beau vieillard, dont la physionomie, pleine
de noblesse , respirait en même temps la bonté et la plus
touchante bienveillance. » De leur côté, Quetelet et « sa
très aimable femme » plurent beaucoup au grand astronome,
qui, le 20 juillet 1836, écrivait à Quetelet : « Le souvenir de
votre agréable , mais trop courte visite avec M. Schumacher,
me sera toujours précieux. Si vous ne voulez pas être trop
jaloux d'un jeune homme de soixante dix-huit ans, je vous
(80)
avouerai que je suii^, depuis ce temps, ardeut adorateur de
votre aimable et charmante épouse. »
A Berliu , Quetelet eut l'occasion de voir un grand nombre
de savants, entre autres Encke, Poggeudorff, Crelle, avec
lequel il était en relation depuis longtemps, Mitscberlicb,
qu'il avait rencontré à Paris chez Fresnel , etc. Sa femme
s'y lil d'amitié avec M"» Fanny Henselt, la sœur chérie de
Mendelssohn jt dont ia mort prématurée contribua à amener
celle de l'il ..sire compositeur.
A Dref , M. Lobrmann lui montra ses nouvelles cartes
de la lunt' A^e 24 août, il arrivait à Leipzig, après avoir visité
la Suisse .saxonne; le 28, il assistait à Weimar à la célé-
bration du qual^e-vingtième anniversaire de la naissance de
Goethe. Soi } H avait été de passer quarante-huit heures
seulement da..^« l'Athènes moderne; il y demeura huit jours,
retenu par l'accueil que lui fit Goethe. Le grand poète prit
plaisir à l'entretenir de ses expériences d'optique , et de sa
théorie des couleurs. Ayant su qu'il devait assister, à Heidel-
berg, à la réunion des naturalistes allemands, fixée au 18 sep-
tembre, il lui dit : « Vous allez donc à ce grand bazar scien-
tifique; chacun y viendra étaler sa marchandise, la prisera
fort et dépréciera peut-être celle du voisin. Or je suis un
voisin, moi ; et j'avoue que je serais assez curieux de savoir
ce qu'on pense de mes recherches ; me promettez-vous de
me dire la vérité? «« Quetelet ayant répondu qu'il pouvait
l'attendre pleine et entière : «> Cela me sufiSt, » continua-l-11
• je compte sur votre promesse. •
Après Weimar, Quetelet visita successivement Gotha et
Goettingue, dont les Observatoires avaient pour directeurs
respectifs Hansen et Gauss. A Francfort , il revit le baron
de Lindenau qui, après avoir été astronome à Gotha, avait
(81 )
représenté la Saxe près le roi des Pays-Bas , et se disposait
à partir pour Dresde oîi il allait prendre le portefeuille de
l'instruction publique.
Le congrès de Heidelberg dura huit jours : il était présidé
par M. Tiedemann, beau-père de Fobmann, professeur à
rUniversité de Liège. Parmi les étrangers , on remarquait un
seul Français, le baron de Ferussac, qui venait communiquer
à la réunion le plan de son Bulletin universel ; TAngleterre
était représentée par Robert Brown, parWbeweU., et par
quelques autres savants. « Dans une séance de la * tion de
physique, » écrivait Quetelet à son retour, « il fut aussi
question de la théorie des couleurs , à propos d^expériences
de M. le professeur Roux, dont les idées f ^approchent
beaucoup de celles du célèbre Goethe. On saii ^ ces idées
n'ont pas été généralement accueillies d'une ii.a&ière favo-
rable ; j'ai encore trop peu approfondi les écrits de Tillustre
vieillard de Weimar, pour oser me prononcer à cet égard ;
mais j'ai recueilli avec intérêt les expériences que j'ai vu
produire des deux parts , abstraction faite de toute considé-
ration de théorie. » Nous ignorons quelle fut sa réponse à
Gœthe ; il est probable que cette réponse fut évasive comme
la note dont nous venons de citer le contenu.
Quetelet s'arrêta ensuite à Mannbeim et à Bonn, et rentra
en Belgique par Cologne, Aix-la-Chapelle et Maestricht ^^.
Nous parlerons plus tard des observations magnétiques qu'il
avait faites et qu'il devait étendre , l'année suivante , à la
France, à la Suisse et à l'Italie.
Les constructions de l'Observatoire n'avaient guère avancé
pendant son absence ; il aurait désiré , à son retour, apporter
quelques changements au projet primitif, mais M. Roget ,
consulté par la R^ence à ce sujet , ne voulut rien entendre.
7.
(82)
Le 11 mars 1830, cet architecte tout-puissant écrivait au
Ck>llége : « J'aurai TboDiieur de faire observer à vos sei-
goeuries que si M. Quetelet continue à voyager chaque année
pour son instruction, nous aurons chaque année de nouvelles
demandes de sa part, et que, par conséquent, on devra
ajouter un nouveau crédit pour terminer TObservatoire. » Il
promettait, du reste, que le logement de' Pastronome serait
prêt au mois d'octobre , mais il conseilla d'attendre encore
un an avant de placer les instruments dont le ministre de
rintérieur avait annoncé Parrivée pour cette époque. C'est
dans ce sens que le Collège répondit au ministre le 23 juin.
Le 23, Quetelet faisait connaître à la Régence « qu'afin
d'utiliser ses loisirs et d'achever de visiter les Observatoires
de l'Europe savante, il avait obtenu du gouvernement de
parcourir à ses frais rilalie et la Sicile. » Ce voyage devait
durer quatre mois.
Quetelet se rendit d'abord à Paris, puis il alla à Genève et
de là en Italie. A Rome il apprit les troubles de Bruxelles,
mais cette nouvelle ne semble pas l'avoir alarmé beaucoup,
car il continua son voyage. Toutefois, après avoir été à Naples,
il renonça à visiter la Sicile et revint en Belgique par le
Tyrol, Munich et Francfort; il arriva à Bruxelles à la fin
d'octobre.
La révolution ne lui avait pas été favorable. Je ne suis pas
bien sur qu'il n'ait pas été question, dans les premiers mo-
ments, de lui prendre sa place d'astronome. Mais je sais qu'on
ne l'avait pas porté sur l'état de traitements des professeurs
du Musée des sciences et des lettres, dont l'institution lui était
due pour la plus grande part. Et l'Observatoire, dans quel
état le retrouvait-il! Pendant la journée du 23 septembre, un
parti de volontaires liégeois s'était jeté dans l'intérieur de
( 85)
rédifice, qui venait d'être couvert, et avait tiraillé par les fe-
nêtres nouvellement placées; on Tavait ensuite palissade et
converti en une espèce de fort.
Un arrêté du régent, en date du 21 mai i831, alloua à la
ville, à titre de prêt, une somme de deux mille florins pour
Tacbèvement des travaux. Mais les entrepreneurs exigèrent ,
avant de mettre la main à Toeuvre, que les dégâts commis au
mois de septembre leur fussent préalablement payés ou que
Tadministratiôn communale se reconnût leur débitrice pour
le montant de l'indemnité réclamée par eux.
Enfin une transaction survint; les travaux furent repris,
et, le 31 janvier 1832, Quetelet écrivait au bourgmestre qu'il
allait pouvoir loger à l'Observatoire.
Le 4 mars 1833, les entrepreneurs prévinrent le Collège
qu'ils avaient terminé tous les travaux détaillés au cahier des
charges , et demandèrent qu'il fit procéder à leur réception.
Celui-ci nomma une commission d'architectes pour examiner
les diverses parties de la construction et donner son avis. Le
rapport de la Commission conclut à la réception des ouvrages,
tt quoique peu soignés, » et le Conseil de régence décida
que les travaux restant à faire pour l'achèvement de Pédi-
fice seraient exécutés en régie. Mais les choses continuèrent,
selon la coutume, à marcher avec une lenteur désespérante.
Le 8 juillet 1834, le ministre de l'intérieur, Ch. Rogier, écri-
vait à la Régence: «... Je vous prie de remarquer, messieurs,
que depuis le commencement de l'année 1832, époque à la-
quelle j'ai commencé à appeler votre attention sur la néces-
sité desdits travaux [pour achever l'Observatoire] , vous n'a-
vez cessé de me dire que vous aviez pris des dispositions ou
donné les ordres nécessaires pour leur exécution ; et quoi-
qu'une avance de fonds vous ait été faite pour cet objel, par
( M)
le gouveroement, rétablissement dont il s*agit reste inachevé
et les travaux scientifiques eu souffrance... »
Ici le bourgmestre Rouppe semble avoir perdu patience;
il écrivit de sa main sur la dépêche ministérielle : a Mais pour
Dieu, qu'on en finisse donc de cet objet, au moins pour les
travaux à exécuter en régie. Rapport prompt, projet de ré-
|)onse. •
Nous croyons aussi devoir en finir, car la patience pourrait
échapper à nos lecteurs comme elle échappait à ce bon
M. Rouppe.
Quand la salle d'observation eut été mise et) ordre, quaml
on eut construit les cheminées de Taile orientale, auxquelles
M. Roget n'avait pas songé, on vit surgir la question des tou-
relles, puis celle du mur d'enceinte, qui se compliqua d'une
emprise de terrain, puis celle de la loge du concierge dont
M. Roget ne s'était pas occupé davantage, puis celle du cabi-
net magnétique.
Constamment harcelée par le ministère de l'intérieur, la
Régence, pour en finir, mit à la disposition du gouvernement,
au mois d'avril 1835, les douze mille francs qu'elle était par-
venue u avec peine, » disalt>elle, à faire porter au budget de
l'exercice courant, et demanda à être déchargée de toute
obligation ultérieure : w L'établissement de l'Observatoire , »
répétait-elle avec Pancienne Régence, «> est bien moins dans
rintérêt local que dans l'intérêt général du pays, et il est
fort peu probable que la ville se fut jamais chargée des
frais de construction des bâtiments, si Ton avait pu prévoir
que la dépense pût finir par s'élever à la somme très consi-
dérable qu'elle a déjà absorbée. »
La proposition delà Régence fut acceptée, et l'intervention
pécuniaire de la ville dans les travaux de l'Observatoire vint
(85)
à cesser. Lorsqu'en 1842 une convention fut conclue entre
le Collège des bourgmestre et échevins et le gouvernement,
pour la cession à l'État de divers immeubles et collections
scientiGques, la part de la ville dans la propriété des bâti-
ments de rObservatoire fut évaluée à cent quarante-cinq mille
soixante-huit francs; et les experts estimèrent à cinquante
francs le mètre carré, le terrain de Tédiâce et du jardin qui
Tenvironnait. Ce jardin fut considérablement rétréci plus
tard , lors de la suppression des octrois: encore fallut-il toute
rénergie de Quetelet et une puissante intervention pour qu'il
ne le fût pas davantage *''.
VI. — Quetelet considéré comme physicien. — Ses premières
recherches statistiques.
Quetelet, comme on Ta vu, s'était installé à l'Observatoire
au commencement de 1833. il y passa quarante- deux ans
qui furent bien employés ainsi que nous espérons le démon-
trer. Pour mettre un peu d'ordre dans l'histoire de cette vie
si active et si féconde, nous commencerons par liquider le
passé et nous continuerons la liquidation jusqu'à la fin de
1852, époque à laquelle commencèrent les observations mé-
téorologiques régulières de l'Observatoire. Nous irons même
un peu plus loin , afin de ne pas couper l'exposé de certains
travaux.
On sait que les étoiles filantes ont beaucoup occupé
Quetelet : II y songeait déjà en 1819 , lorsqu'il posait sa
thèse sur l'origine des aérolithes. Quelques années après, il
donna dans le premier volume de la Correspondance mathé-
matique une méthode pour déterminer la hauteur d'un
(M)
météore diaprés deux observations faites en des lieux diffé-
rents. En 1 826, des'observations simultanées d'étoiles filantes
furent organisées par ses soins à Bruxelles, à Gand et à
Liège; puis il abandonna ce sujet et ne le reprit que dix ans
plus tard.
Quetelet avait une prédilection marquée pour Poptique.
Il sut y intéresser à des degrés différents deux de ses anciens
élèves, MM. Plateau et Verbulst. L'un, pour lui témoigner
sa reconnaissance, lui dédia en 1829 sa dissertation inaugu-
rale, dont plusieurs fragments avaient été insérés dans la
Correspondance mathématique et qui traitait de quelques
propriétés des impressions produites par la lumière sur For-
gane de la vue; l'autre entreprit de traduire le Traité de la
lumière de sir Jobn Herscbel. La publication du second
volume de cette traduction fut longtemps retardée par les
événements de 1850 ; il parut avec un supplément de Que-
telet, consacré à «l'exposition des recherches récemment
faites en optique. »
Ce supplément comprend quarante-cinq numéros. Le n<> 4
traite de la photométrie. Quetelet s'était servi d'abord d'un
instrument semblable dans son principe à celui du comte de
Maistre, pour comparer l'éclat des corps célestes; mais il
l'abandonna bientôt et en adopta un autre dont la construc-
tion reposait sur la diminution que la lumière subit par des
réflexions répétées. — L'es n»* 5 et 6 présentent les résultats
des recherches de Quetelet sur les lignes brillantes, sur les
m
caustiques et sur les lignes aplanétiques. — Le n« 32 est
relatif à la polarisation de la lumière par l'air serein : « J'avais
essayé en 1825, » dit Quetelet avec une entière franchise,
« d'indiquer la quantité de lumière polarisée que nous
envoient les différentes parties du ciel , quand il est dégagé
(87)
de nuages. M. Arago m'a fait observer depuis , que renoncé
de la loi que j'avais cru pouvoir poser doit être rectifié. » —
Les n<>* 20 et âl sont de M. Plateau, Dans le premier, consa-
cré à la persistance des impressions de la rétine, M. Plateau
présente des détails sur les procédés imaginés par M. Wheats-
tone, et qui permettent à ce physicien de prouver Tinstanta-
néité de certains phénomènes lumineux , tels que Tétincelle
électrique, ou d'en apprécier la durée , quelque courte qu'elle
soit. • Ces détails, » dit M. Plateau, « m'ont été communi-
qués par M. Quetelet, qui a été témoin, en Angleterre, de
ces curieuses expériences. » Ceci se rapporte probablement
au second voyage que Quetelet fit en Angleterre, en 1833, et
dont nous parlerons ci-après. Un peu plus loin, M. Plateau
rappelle un article de Quetelet sur les stries d*une forme
particulière que présente une flamme agitée , article publié
en 1828 dans la Correspondance mathématique.— Le n^âl
traite des couleurs accidentelles. M. Plateau cite Quetelet
comme ayant répété certaines de ses expériences et en ayant
fait avec lui d'autres , qui avaient pour objet de déterminer
le mouvement oscillatoire, dans certains cas, de l'impression
lumineuse sur la rétine.
Nous avons dit qu'à son retour d'Angleterre, en 1827,
Quetelet avait répété devant l'Académie l'expérience de la
lentille qui descend le long d'un plan incliné. 11 donna le
secret du phénomène dans une lettre à M. Hachette ^ : ce
secret , selon lui , se réduisait à faire tomber le centre de
gravité de la lentille à droite ou à gauche du plan de plus
forte pente.
En même temps que l'expérience précédente , Quetelet
avait répété devant l'Académie une expérience de Gregory
sur les axes permanents de rotation *®. Il engagea Neren-
(88)
burger à examiner les différenles circonstances da mouve-
ment d*un corps suspendu par un point à Textrémité d'un fil,
et assujetti à se mouvoir en vertu d'une vitesse de rotation
imprimée au fil. Nerenburger entreprit quelques expériences
à ce sujet, et les résultats très curieux et très précis aux-
quels il arriva, furent publiés dans la Correspondance ^^.
MM. Pagani et Desalis traitèrent la question par l'analyse
mathématique , et la Correspondance leur ouvrit également
ses colonnes ^*, de même qu'elle avait inséré deux lettres de
M. Crahay sur l'expérience de la lentille ^>.
Ces expériences n'étaient pas les seules que Quetelet eût
répétées pour ses confrères. On lit dans le procès-verbal de
la séance du 2 juin 1827 : « Cette séance a été terminée par
la lecture d'une lettre de M. Hachette, correspondant, portant
la date du 11 mal, dans laquelle il rend compte d'une nou-
velle expérience sur la combinaison du choc de l'air ou de
l'eau avec la pression atmosphérique. M. Quetelet la vérifie
aux yeux de l'assemblée ^'. »
Les premières observations de l'aiguille aimantée furent
faites par Quetelet, de septembre 1828 à mai 1829, avec les
instruments de Troughton qu'il avait rapportés d'Angleterre.
Les lieux d'observation étaient le jardin de l'Observatoire en
construction et une maison de campagne près de V Arbre
béiity dans la commune d'ixelles. Il s'agissait de déterminer
la déclinaison et l'inclinaison absolues de l'aiguille , et de
rechercher ses variations diurnes. Au mois de novembre 1828,
le capitaine Sabine détermina à Bruxelles l'intensité magné-
tique. « Je ne pense pas, * dit Quetelet, « qu'aucune obser-
vation eût encore été faite à Bruxelles, pour déterminer
rinclinaison ou l'intensité magnétique...; j'avoue même que
je ne connais aucune observation un peu précise qui ait eu
(89)
pour bat de déterminer la déclinaison magnétique pour ce
point si important de notre royaume ^K »
Nous avons dit que dans ses voyages de 1829 et de 1830,
Quetelet avait fait des observations magnétiques en diffé-
rents points des pays qu'il avait parcourus. Les résultats en
furent publiés dans le tome VI des Nouveaux Mémoires de
TAcadémie. 11 faut regretter que Tauteur se soit borné à
déterminer la composante horizontale de l'intensité sans
observer Tinclinaison , qui lui aurait permis de calculer Tin-
tensité totale.
En passant par Paris, au mois de juin 1850, Quetelet avait
remis à Arago un mémoire intitulé : Recherches sur les
degrés successifs de force magnétique qu'une aiguille d'acier
reçoit pendant les frictions multiples qui servent à l'ai'
manter. Ce mémoire dont Arago entretint PAcadémie des
sciences, le 12 juillet, fut inséré plus tard dans les Annales
de chimie et de physique (juillet 1833). Quetelet avait trouvé
que les degrés successifs de force de Taiguille étaient repré-
sentés par une formule exponentielle contenant trois con-
stantes, en sorte qu'ayant observé Tintensi lé magnétique
après une, deux et trois frictions, par exemple, on pouvait
calculer ce qu'elle serait après quatre, cinq, dix, vingt, etc.
En étudiant ensuite la manière dont le magnétisme d'une
aiguille se renverse quand on la frictionne en sens contraire
avec les mêmes barreaux qui ont seryi d'abord à Taimau-
ter, il avait reconnu que la charge maximum devenait de
plus en plus faible à mesure que les renversements se multi-
pliaient.
il ne paraît pas que Quetelet ait fait, avant 1833, d'autres
observations astronomiques que celle du passage de Mercure
sur le soleil , du 5 mai 1832, et les observations des.tacbes
8
(90)
da soleil dont il avait entretenu rAcadémie dans sa séance
da 7 avril précédent. Les observations des taches , comme
je Tai dit ailleurs ^^, étaient les premières de ce genre qui
eussent été faites en Belgique, au moins depuis la fondation
de TÂcadémie : le passage de Mercure du 5 mai était le
second qu*ou eût observé dans notre pays.
Il est temps de parler des recherches statistiques de Que-
telet. 11 leur a dû une partie de sa gloire, et elles ont peut-
être contribué plus que ses autres travaux à populariser son
nom. • '
Le premier mémoire de statistique quMl ait composé fut lu
à TÂcadémie, le 4 juin 1825; il avait pour litre: Jf^motre sur
les lois des naissances et de la mortalité à Bruxelles. « L'in-
troduction de sociétés d'assurances sur la vie, dans nos pro-
vinces, » disait Fauteur, « et le désir de voir se consolider
parmi nous ces établissements qui peuvent devenir si utiles
quand ils sont dirigés dans de louables intentions , nous ont
porté à faire des recherches sur les lois de la mortalité et à
examiner en même temps ce qui concerne les lois des nais-
sances. • Après avoir constaté que les naissances pendant
Tannée procèdent à peu près exactement comme les décès,
en suivant les variations du thermomètre prises dans un sens
opposé, il donnait des tables de mortalité et de population,
avec la distinction des sexes , et montrait remploi que Ton
pouvait en faire dans les spéculations des sociétés d'assu-
rances. Gomme les éléments des calculs avaient été empruntés
aux registres de la ville de Bruxelles, les tables n'étalent va-
lables que pour cette ville. Deux remarques importantes
étaient présentées dans le cours du mémoire : l'une établis-
sait que la marche annuelle des naissances, comme celle des
décès, correspondait assez bien à une sinusoïde dont les ab-
(9t )
scisses auraient été les difiërentes époques de Tannée, et les
ordonnées, le nombre des naissances ou des décès à ces épo-
ques. L'autre remarque portait sur la vérification de Tobser-
valion de Maltbus, que le nombre des naissances augmente
lorsqu'il s'est fait un vide dans la population, même à la suite
de fléaux destructeurs.
Ce mémoire fut présenté à l'Académie des sciences de
Paris parle baron Fourier, l'un des secrétaires perpétuels, et
il mit Quetelet en relation avec le docteur Villermé qui lui
donna d'excellents conseils et se chargea plus tard de revoir
les épreuves de sa Physique sociale et de son Système social,
Quetelet avait été aidé dans le dépouillement des registres
de la ville de Bruxelles, par Gb. Morren , son élève à l'Âtbé-
née. Quand il s'occupait d'une question , il en parlait à ses
élèves et à ses amis : qu'il s'agtt de géométrie, de physique
ou de statistique, il excitait leur curiosité et réveillait leur
zèle. Â sa demande, Lemaire, Timmermans, Yerbulst, pré-
parèrent des tables de mortalité respectivement pour Tour-
nai, Gand et Amsterdam. Profitant alors de la table de Le-
maire , dressée d'après 8771 décès , et d'une autre qui avait
paru à Maestricht et qui était basée sur 8413 décès , Quetelet
refondit sa première table calculée d'après 1-4261 décès ob-
servés à Bruxelles : il obtint ainsi une table de mortalité
provisoire pour les provinces méridionales du royaume des
Pays-Bas , mais sans distinction des sexes.
La nouvelle table parut dans un mémoire qui fut lu à
l'Académie à la séance du 24 février 1827, et dont le titre
était: Recherches sur la population , les naissances, les
décès, les prisons, les dépôts de mendicité t etc., dans le
royaume des Pays-Bas,
Ge mémoire était destiné à compléter et à développer le
(92)
précédent. Qaetelet y revenait sar les variations que les nais-
sances et les décès semblent subir pendant le cours de Tan-
née et même aux différents instants du jour. 11 s'occupait
aussi de l'état de la population , en exprimant le désir que le
gouvernement fit faire un nouveau dénombrement : « Les
données que nous avons jusqu'à présent, • disait-il, « ne peu-
vent être considérées que comme provisoires et ont besoin
d*élre rectifiées. » Les renseignements sur les dépenses dans
les dépôts de mendicité et dans les prisons du royaume
avaient été communiqués par M. de Keverberg. <» Le gou-
vernement, » lisait-on dans une note de Tintroduction, <* en
créant une Commission de statistique, a fait espérer la pu-
blication des documents précieux quMI possède. Ces élé-
ments, soumis à la discussion des savants, présenteront des
résultats qui ne pourront manquer de tourner au profit de
la science et de la société. «
Le baron de Keverberg dont il est ici question faisait
partie de TÂcadémie de Bruxelles depuis sa réorganisation.
Dès la fin de Tannée 1817, étant gouverneur de la Flandre
orientale, il avait ordonné la rédaction d'une statistique de
cette province et la formation d'une Société de statistique
chargée, sous sa présidence, de recueillir, examiner et classer
les renseignements nécessaires pour atteindre le but proposé.
La Société était divisée en six sections correspondant aux
brancbes que voici : Histoire et antiquités; — topographie
et histoire naturelle; — ordre politique et religieux; —
agriculture, manufactures et commerce; — sciences, lettres
et arts ; — population. Un comité central et dirigeant , com-
posé du gouverneur et de douze membres, devait être formé
à Gand , et des comités auxiliaires organisés dans les villes
d'Alost, Audenaerde^ Eecloo, Saint-Nicolas et Termonde.
(93)
L'arrêté du gouverneur, en date du 22 décembre, était ac-
compagné du Plan (Tune description statistique de la Flan-
dre orientale , précédé de quelques vues qui se rattachent à
cet objet: a La statistique d'un pays, » y était-il dit, « est la
description de ce qui existe actuellement. Un pareil ouvrage
doit faire connaître tout ce que le pays, qui en est l'ob-
jet , renferme de remarquable... La statistique de la Flandre
orientale sera précédée d'une introduction historique et com-
prendra la description physique de la province et ce qui se
réfère à son ordre social , à sou état industriel , au rang
moral qu'elle occupe dans le monde civilisé et à sa popu-
lation. •
M. de Keverberg continuait les traditions de l'ancien pré-
fet du département de l'Escaut, M. Faitpoul, dont le nom est
resté cher aux Gantois. Toutefois son projet ne semble pas
avoir eu de suite sérieuse, et ce ne fut qu'en 1826 que la
statistique reçut dans notre pays un commencement d'orga-
nisation officielle. Un arrêté royal du 5 juillet créa près le
département de l'intérieur un Bureau de statistique : les
opérations de ce bureau devaient être dirigées par une Com-
mission présidée par le ministre, et dont faisaient partie les
administrateurs de l'intérieur, de l'instruction publique et de
rindustrie nationale , assistés d'un secrétaire. Ces administra-
teurs entraient dans la Commission, non par suite d'études
spéciales, mais simplement en vertu de leurs fonctions : leurs
attributions et leurs connaissances étaient loin d'embrasser
toutes les branches de la statistique. Le ministre, qui aurait
dû donner l'impulsion, avait tous ses instants absorbés par de
nombreux travaux. 11 y avait des Commissions provinciales,
mais aucun lien ne les rattachait à la Commission centrale;
elles étaient nommées par les gouverneurs, qui pouvaient
8.
(94)
aussi les dissoadre. Le secrétaire da Bureau aurait dû sup-
pléer aux lacunes et aux vices de Torganisation ; malheureu-
sement l'homme qu'on avait choisi n'était pas à la hauteur
de ses fonctions. Plus occupé de ses tragédies que de son
emploi, M. Ed. Smits ne produisit de travaux utiles qu^à
répoque où la collaboration de Quetelet vint Taider à tirer
parti de documents amassés pendant des années.
Les Recherches sur la population ^ etc. parurent d'abord
dans le tome IV des Nouveaux Mémoires de TAcadémie :
elles furent réimprimées ensuite chez Tarlier, dans le format
in-8o, et obtinrent Thonneur d'un article de J.-B.Say,dans la
Revue encyclopédique ^.
Le recensement que réclamait Quetelet fut décrété par un
arrêté royal du 29 septembre 1828 : il devait constater Pétat
de la population au l'** janvier 1830, et être renouvelé tous
les dix ans. L'arrêté royal prescrivait en même temps l'orga-
nisation des registres de population , comme partie complé-
mentaire essentielle.
Les opérations du recensement se firent sans difficulté.
Plusieurs personnes compétentes, Quetelet entre autres,
avaient été consultées sur le meilleur mode à suivre pour
le mener à bonne fin. Les résultats étaient déjà recueillis ,
lorsque la révolution éclata; et quand plus tard, le nouveau
gouvernement de la Belgique s'occupa de les réunir, il ne fut
pas possible d'obtenir les chiffres de la population du Lim-
bourg et du Luxembourg, parce que les documents avaient
été déposés dans les chefs-lfeux des provinces.
Quetelet avait lu à la séance de l'Académie , du 6 décem-
bre 1828, un troisième mémoire, sous le titre : Recherches
statistiques sur le royaume des Pays-Bas,
Ce ti'avail, dont les principaux documents avaient été
(95)
puisés à des sources officielles, n'élait pas destiné d'abord à
être rendu public. « S. M. le roi des Pays-Bas , • dit Fauteur
dans son introduction, « ayant bien voulu m'autoriser à le
livrer à Timpression , je le présente ici comme faisant suite à
quelques essais sur la statistique que j'ai déjà publiés précé-
demment. A
Pour rimportance des faits, la largeur des vues el la nou-
veauté des déductions , il nous paraît bien supérieur aux deux
mémoires qui Tavaieut précédé. Une courte introduction fait
connaître Torigine, le but, les ressources et l'emploi de la
statistique, le degré de probabilité qu'elle peut atteindre, les
incertitudes dont elle ne sera jamais délivrée complètement ,
les objections que lui opposent l'ignorance et le faux-savoir.
L'auteur écarte de la statistique l'bisloire et la topographie
que le baron de Keverberg voulait y faire entrer; pour lui
elle forme, avec l'histoire considérée sous son point de vue le
plus large, la base de l'économie politique, tandis que, d'après
J.-B. Say, celle-ci était le fondement de la statistique.
« Gomme Belge, > dit-il ensuite, « j'ai par inclination porté
mon attention sur la Belgique , dont j'ai cherché à comparer
l'état à celui des peuples voisins qui se sont élevés si haut
par leur industrie et par leurs lumières. Je crois devoir garan-
tir, du reste, que je n'ai eu en vue que la vérité, seul but de
mes études et de mes travaux Je n'écris sous l'influence
d'aucun système, d'aucun parti. »
Voici les divisions admises par l'auteur : Étendue du
royaume des Pays-Bas. — De la population. — Des impôts et
du commerce. — De la librairie et des journaux. — De l'in-
struction et des institutions de bienfaisance. — Des crimes
et des délits. — Examen comparatif des différentes parties
du royaume.
(»6)
Qaelqaes-uns des résultats auxquels il parvient durent
frapper vivement Tattention. Ainsi, comparant la fécondité
des mariages chez nous et chez les Anglais : « La Grande-Bre-
tagne, V dit-il, « produit moins que notre pays, mais les fruits
y sont plus durables; elle donne le jour à moins de citoyens,
mais elle les conserve mieux. Si la fécondité y est moindre,
les hommes utiles y sont plus nombreux, et les générations
ne se renouvellent pas aussi souvent, au détriment de la na-
tion. L'homme pendant ses premières années vit aux dépens
de la société; il contracte une dette qu'il doit acquitter un
jour; et s'il succombe avant d'avoir réussi à le faire, son
existence a été pour ses concitoyens plutôt une charge qu'un
bien. «
Parlant des crimes et délits, il fait remarquer que devant
les tribunaux correctionnels et les tribunaux de simple po-
lice, la répression est la même en Belgique qu'en France; mais
que devant les cours d'assises, S4^ accusés sur 100 sont con-
damnés chez nous, tandis que 65 seulement le sont en France
comme en Angleterre. Doit-on chercher la cause de c^tte dif-
férence dans Tabsence du jury qui existe chez nos voisins?
Nous te croyons, dit-il. Celle conjecture se changea en cer-
titude lorsque, après le rétablissement du jury, on vil la ré-
pression devant nos Cours d'assises descendre au chiffre de
la France, tandis que la répression des simples délits n'avait
pas varié.
L'auteur présente ensuite, d'après les documents français
de 1826 et 1827, une table indiquant les nombres de
crimes qui se commettent aux différents âges et qui
donnent ainsi la mesure de ce qu'il appelle le penchant
au crime, u Nous ignorons,» dit-il, « si une table sem-
blable a déjà été construite: il serait à désirer qu'on pût
^
(97)
en avoir de pareilles pour les autres pays; afin de conslater
si elles suivent une marche aussi régulière que les tables
de mortalité. "S'appuyant toujours sur \es Comptes généraux
de l'administration de la justice en France : * ce qui frappe
le plus , » fait-il observer, * c'est Teffrayante exactitude avec
laquelle les crimes se reproduisent... L'on passe d'une année
à l'autre, avec la triste perspective de voir les mêmes crimes
se reproduire dans le même ordre et attirer les mêmes peines
dans les mêmes proportions. Triste condition de l'espèce hu-
maine! La part des prisons, des fers et de l'écbafaud semble
fixée pour elle avec autant de probabilité que les révenus de
l'Ëtat. Nous pouvons éoumérer d'avance combien d'individus
souilleront leurs mains du sang de leurs semblables, combien
seront faussaires, combien empoisonneurs, à peu près comme
on peut énumérer d'avance les naissances et les décès qui
doivent avoir lieu. »
Le mémoire se termine ainsi: u Un travail, tel que le mien,
n'exigeait pour qualité essentielle que de l'exactitude et delà
bonne foi : je n'ai rien négligé pour atteindre à la première
de ces qualités ; quant à la seconde, je puis affirmer qu'elle a
constamment présidé à la composition de cet écrit. »
Il est digne de remarque que les Recherches statistiques
sur le royaume des Pays-Bas précédèrent de deux mois seu-
lement le dernier mémoire de mathématiques que Quetelet
ait présenté à l'Académie: celui-ci terminait la vie du géo-
mètre, signalée par des travaux qui auraient suffi à la renom-
mée d'un autre homme; celles-là ouvraient au statisticien
une carrière brillante et plus propre à le faire connaître rapi-
dement à l'étranger.
Quetelet se plaint quelque part de la lenteur que les théo-
rèmes de géométrie mettent à se répandre dans le monde.
(98)
Longtemps après avoir publié les siens, il les voyait encore
annoncés sous le nom d*autres mathématiciens. Est-ce cette
considération qui le détourna de ses premières études?
Ou bien, aurait-il fini par adopter Tavis de Pascal, son auteur
favori, écrivant à Fermât : » Pour vous parler franchement
de la géométrie, je la trouve le plus haut exercice de Tesprit;
mais en même temps je la connais pour si inutile, que je fais
peu de différence entre un homme qui n'est que géomètre et
un habile artisan Aussi je rappelle le plus beau métier du
monde; mais enfin ce n'est qu'un métier; et j'ai dit souvent
qu'elle est bonne pour faire l'essai, mais non pas l'emploi de
notre force : de sorte que je ne ferais pas deux pas pour la
géométrie, et je m'assure que vous êtes fort de mon
humeur. »
Aucun mémoire nouveau ne parut en 1830; mais pendant
les années 1831 et 183:3, Quetelet consacra la plus grande
partie de son temps aux recherches statistiques. Cinq mé-
moires furent le fruit de sou labeur; trois d'entre eux, inti-
tulés : Recherches sur la loi de croissance de Vhomme ;
Recherches sur le penchant au crime aux différents âges;
Recherches sur le poids de Vhomme aux différents âges ,
parurent dans le recueil de l'Académie; les deux autres
furent publiés en commun avec M. Ed. Smits : c'étaient les
«
Recherches sur la reproduction et la mortalité ^ et la Sta-
tistique des tribunaux de la Belgique pendant les années
4826ài83i.
Voici ce que raconte Quetelet au sujet des ouvrages, — car
ce sont plutôt des ouvrages que des mémoires, — qui portent
son nom et celui de M. Smits. • Le 24 février 1831, Smits fut
nommé par le gouvernement provisoire directeur de la statis-
tique générale au ministère de l'intérieur. Je profitai de cette
( 99)
circonstance favorable pour lui demander communication
des documents du recensement [de 1830] auquel j'avais pris
une part indirecte, et de toutes les pièces relatives au mou-
vement de la population. Smits me les confia avec la plus
grande obligeance , et je m'en servis pour calculer les pre-
mières tables générales de mortalité et de population, rela-
tives à la Belgique. Peu de temps après, il me proposa de
publier avec lui les principaux résultats des documents qu'il
avait entre les mains : j'acceptai son offre avec plaisir, el, sur
sa proposition, un arrêté du régent de la Belgique nous char-
gea de mettre au jour le premier recueil officiel relatif à la
population. Cet ouvrage in-8<> parut, en 1832, sous le titre :
Recherches sur la reproduction et la mortalité , et sur la
population de la Belgique, [Smlts] me proposa en même
temps une seconde publication, celle relative aux tribunaux
de la Belgique... Ce travail faillit être étouffé à sa nais-
sance... L'ouvrage renfermait quelques renseignements fort
curieux sur les causes locales de la criminalité... Le ministre
craignait le mauvais effet que pouvaient produire ces rensei-
gnements dans le public; et après quelques discussions , il
fallut les supprimer... Quelques exemplaires complets se
trouvaient déjà en circulation, et il fut impossible de les
retirer ^^7. »
Les recherches sur la taille et sur le poids de l'homme
étaient toutes neuves à l'époque où elles parurent. Quetelet
trouvait que la loi de la croissance, du moins à partir de la
naissance jusque vers l'âge de treize à quatorze ans, était
représentée par une hyperbole. Or vingt ans après, MM. Bra-
vais et Martins arrivaient également à une hyperbole pour la
courbe d'accroissement diamétral du pin sylvestre : c'était là,
tout au moins , une coïncidence remarquable.
535752
( 100 )
Dans le mémoire sur le peucbant au crime, Quetelet
s'étendait sur des idées déjà connues par les Becherches'sta-
tistiqties sur le royaume des Pays-Bas. Il passait en revue
les différentes causes qui agissent pour développer ou pour
amortir le penchant au crime, et niait que l'instruction eût
rinflueuce énergique qu'on lui suppose ordinairement. « On
confond d'ailleurs trop souvent, a disait-il, <* l'instruction
morale avec l'instruction qui ne consiste qu'à lire et à écrire,
et qui devient la plupart du temps un nouvel instrument de
crime. 11 en est de même de la pauvreté, n ajoutait-il; a plu-
sieurs des départements de France réputés les plus pauvres ,
sont en même temps les plus moraux. » Et il terminait par
ces mots énergiques : « 11 est un budget qu'on paie avec une
régularité effrayante, c'est celui des prisons, des bagnes et
des écbafauds ; c'est celui-là surtout qu'il faudrait s'attacher
à réduire! » Ces paroles et celles que nous avons reproduites
à la page 97 furent citées à la Chambre des représentants
par M. Henri de Brouckere , lorsque , dans la séance du 4 juil-
let 1832, il développa une proposition ayant pour objet de
modifier le système de pénalité encore en vigueur.
Les mémoires sur la croissance de l'homme, sur son pen-
chant au crime , sur son poids étaient accompagnés de con-
sidérations qui méritent de fixer notre attention et que nous
allons tâcher de résumer. « L'homme, • dit Quetelet, « sans
le savoir et lorsqu'il croit agir d'après son libre arbitre, est
soumis à certaines lois et ^ubit certaines modifications aux-
quelles il ne saurait se soustraire. — On pourrait dire que
ce qui se rattache à l'espèce humaine , considérée en masse ,
est de l'ordre des faits physiques ; plus le nombre des indi-
vidus est grand , plus la volonté individuelle s'efface et laisse
prédominer la série des faits généraux qui dépendent des
( 101 )
causes générales» d*après lesquelles existe et se conserve la
société, n Ce sont ces causes quMl s'agit de saisir et Tobser-
valion seule peut nous les dévoiler. — L'homme que Fauteur
considère est dans la société Tanalogue du centre de gravité
dans les corps : < Si Tbomme moyen était déterminé pour
une nation, Il présenterait le type de cette nation ; s'il pou-
vait être déterminé d'après l'ensemble des hommes, il pré-
senterait le type de l'espèce humaine tout entière. » Bien que
son libre arbitre soit resserré dans des limites très étroites,
rhomme possède en lui des forces morales par lesquelles il
se distingue des animaux et qui lui permettent de modifier,
du moins d'une manière apparente , les lois de la nature. Ces
forces perturbatrices produisent des efiets si lents qu'oa
pourrait les nommer perturbations séculaires par analogie
avec celles que les astronomes ont considérées dans le sys-
tème du monde. — La science dont le but serait d'étudier les
forces naturelles et les forces perturbatrices de l'homme
serait une véritable mécanique sociale : elle présenterait des
lois tout aussi admirables que la mécanique des corps bruts,
et mettrait en évidence des principes conservateurs qui ne
seraient peut-être que les analogues de ceux que nous con-
naissons déjà. On ne peut, du reste, exiger de ceux qui
s'occupent d'une mécanique sociale plus que de ceux qui
auraient entrevu la possibilité de former une mécanique
céleste à une époque où il n'existait que des observations
astronomiques défectueuses, et des théories nulles ou fausses
avec des moyens de calcul insuffisants. Le premier pas à faire
était de s'entendre sur les moyens d'exécution et sur la pos-
sibilité de les obtenir; il fallait recueillir ensuite avec zèle et
persévérance des observations précises , créer et perfection-
ner les méthodes pour les mettre en œuvre, et préparer ainsi
9
( 102)
tous les éléments nécessaires à Tédifice (fuMI s'agissait d*éle-
ver. Or, c'est la marche quMI convient de suivre pour former
une mécanique sociale.
« Quant à l'accusation de matérialisme , elle a été repro-
duite si souvent et si régulièrement toutes les fois que les
sciences essayaient un nouveau pas, et que Tesprit philoso-
phique, en se jetant hors des antiques ornières , cherchait à
se frayer des chemins nouveaux, qu'il devient superflu d'y
répondre, aujourd'hui surtout qu'elle est dépouillée de l'appa-
reil des fers et des supplices. Qui pourrait dire, d'ailleurs,
qu'on insulte à la divinité en exerçant la plus noble faculté
qu'elle ail mise en nous, en tournant ses méditations vers les
lois les plus sublimes de l'univers, en essayant de mettre au
jour l'économie admirable, la sagesse infinie qui ont présidé
à sa composition. Qui oserait accuser de sécheresse les phi-
losophes qui, au monde étroit et mesquin des anciens, ont
substitué la connaissance de notre magnifique système solaire,
et qui ont tellement reculé les limites de notre ciel étoile,
que le génie n'ose plus en sonder les profondeurs qu'avec un
respect religieux. Certes, la connaissance des merveilleuses lois
qui règlent le système du monde, que Ton doit aux recherches
des philosophes, donne une idée bien autrement grande de la
puissance de la divinité que celle de ce monde que voulait
nous imposer une aveugle superstition. Si Torgueil matériel
de l'homme s'est trouvé frustré en voyant combien est petite
la place qu'il occupe sur le grain de poussière dont il faisait
son univers, combien son intelligence a dû se réjouir d'avoir
porté si loin sa puissance et d'avoir plongé si avant dans les
secrets des cieux. Après avoir vu la marche qu'ont suivie les
sciences à l'égard des mondes , ne pouvons-nous essayer de
la suivre à l'égard des hommes ; ne serait-il pas absurde de
( 103 )
croire que pendant que tout se fait d*après des lois si admi-
rables , Tespèce humaine seule reste abandonnée aveuglé-
ment à elle-même , et qu'elle ne possède aucun principe de
conservation ? Nous ne craignons pas de dire qu'une pareille
supposition serait plus injurieuse à la divinité que la re-
cherche même que nous nous proposons de faire. »
Les lignes que nous venons de transcrire sont extraites du
mémoire sur le penchant au crime : elles témoignent en
faveur de Télévation d'esprit qui distinguait Quetelet.
Vhomme moyen n'avait guère soulevé d'objections en ce
qui concerne les qualités physiques, mais on contesta l'emploi
qu'on pourrait faire de la considération de cet homme moyen
dans les beaux-arts et dans les lettres. « Certes, » dit Que-
telet dans l'introduction de son mémoire sur le poids de
l'homme aux différents âges, « j'aurais donné prise à la cri-
tique, si j'avais prétendu que, par des calculs ou de froids
raisonnements, l'artiste et le littérateur doivent chercher à
saisir le type d'une nation , pour ne plus nous présenter que
ce même type dans tous leurs ouvrages; telle n'a pu être ma
pensée. » Il faut que le type soit approprié aux sujets: ainsi,
quelque admirable que soit le type grec, l'artiste, s'il le
reproduit dans les sujets modernes , sera froid et sans action
sur le spectateur. Il faut qu'il peigne ce qu'il a sous les yeux;
c'est ce que les artistes de la renaissance avaient admirable-
ment compris; Raphaël et après lui Rubens ont eu chacun
leur type. La nature n'est pas invariable. « Les anciens ont
représenté avec un art infini l'homme physique et moral tel
qu'il existait alors; et la plupart des modernes, frappés de la
perfection de leurs ouvrages, ont cru qu'ils n'avaient rien de
mieux à faire que de les imiter servilement; ils n'ont pas
compris qu'ils avaient une autre nature à étudier. De là, ce
( 104 )
cri universel : Qui nous délivrera des Grecs et des Romains!
De là, cette scission violente entre les classiques et les roman-
tiques; de là enfin, le besoin d*avoir une littérature qui fût
véritablement Vexpression de la société. Cette grande révo-
lution s'est accomplie... » — On se souviendra que, dès Tan-
née 1823, Quetelet avait exprimé les mêmes idées dans son
Essai sur la romance; la lutte entre les classiques et les
romantiques venait à peine de commencer; c'était Tépoque
ob Raoul disait, en croyant plaisanter fort agréablement:
« Les classiques sont ceux qui ont fait leurs classes, et les
romantiquett ceux qui ne les ont pas faites, t* i
Quetelet émet ensuite des doutes sur Texistence du beau l
absolu. Si la race caucasique venait à disparaître , et que les
débris d'une autre race, telle que la race mongole, par
exemple, retrouvassent les restes des beaux-arts, choisiraient-
ils la forme grecque de préférence à la leur, s'ils avaient à
représenter leur divinité sous une forme humaine? Les belles
figures grecques ne seraient-elles pas pour eux des figures de
convention comme sont à nos yeux les figures égyptiennes?...
« Du reste, l'artiste et l'homme de lettres peuvent et doivent
même rechercher les traits saillants , et faire contraster les
physionomies et les caractères les plus divers ; mais il faut
que le vrai vienne toujours se placer entre les oppositions
qu'ils Qous présentent, et que ces oppositions mêmes restent
dans les limites tracées par la nature. »
( 105)
VJI.— Quetelel à l'Observatoire et à l' Académie des sciences
et belles-lettres. — Son élection comme secrétaire perpé-
tuel de l'Académie. — Son Essai de physique sociale.
Nous voilà à la veille de Tannée 1833. Qaetelet est installé
à rObservatoire; il a réuni quelques instruments, et il s'ap-
prête à entreprendre cette longue série d'observations rela-
tives à la météorologie et à la physique du globe, qu'il discu-
tera dans une suite de mémoires séparés et qui fonderont la
Climatologie et la Périodologie de la Belgique. Il n'a aucun
adjoint officiel , le budget de l'établissement étant réduit à sa
plus basse limite; mais deux jeunes gens ont demandé à
suivre les travaux de l'Observatoire : l'un, M. Edmond Gon-
thier, est devenu plus tard ingénieur civil; l'autre, celui qui
écrit ces lignes, ancien élève de Quetelet à PAlhéuée de
Bruxelles et docteur en sciences de l'Université de Liège,
avait vu sa carrière brisée par la révolution ; beaucoup de ses
camarades étaient entrés dans l'armée avec la perspective
d'un avancement rapide; mais ne se sentant aucun goût pour
l'état militaire, et désespérant d'obtenir une place dans l'en-
seignement public auquel il avait été destiné, il avait sollicité
vainement un petit emploi , d'abord à la Bibliothèque de la
ville de Bruxelles, et ensuite au Corps des ponts et chaussées:
ici, on lui avait proposé d'aller recevoir les droits de barrière
sur une nouvelle route qu'on venait d'ouvrir; là, on avait
donné la préférence au domestique d'un grand seigneur. Que-
telet, à qui il aurait dû s'adresser d'abord , le recueillit géné-
reusement. Pour lui faire gagner un peu d'argent, il l'attacha
d'abord à la Commission administrative du Musée des arts
et de l'industrie, dont il était le secrétaire; ensuite il sollici^^
9.
(106)
un subside sur les fonds des sciences et des lettres afin de
rémunérer jusqu'à un certain point ses travaux à PObserva-
toire; puis, trois^ans après, il contribua à le faire nommer
répétiteur de Verbulst à TËcoIe militaire.
L'année 183«? fut signalée à TObservatoire par le commen-
cement des observations météorologiques et par les pre-
mières observations pour déterminer la latitude et la longi-
tude de rétablissement.
Quetelet ne possédait à cette époque que de médiocres
instruments d'astronomie. La petite lunette de Tinslrument
^ destiné à mesurer la déclinaison magnétique, lui servait à
régler une pendule de Rouma, de Liège, qui marchait d'après
le temps moyeu et donnait l'heure aux horloges de la ville.
11 l'employait aussi à l'observation des passages de la lune et
des étoiles du même parallèle, afin d'arriver à la détermina-
tion de sa longitude. Un cercle répétiteur de Fortin , de six
pouces de rayon , fut employé à tenter une détermination de
la latitude, par les passages de la polaire. Enfin le télescope
de Rienks, qui avait été donné à l'Observatoire par le roi
Guillaume, permit d'observer des occultations d'étoiles et des
éclipses des satellites de Jupiter.
Quetelet, dont le rôle dans l'Académie des sciences et belles-
lettres de Bruxelles était devenu prépondérant, avait fait
adopter, le 7 janvier 1832 , la publication d'un Bulletin; le
5 mai, il avait été nommé directeur, et , le l^^' mai 1833 , il
adressait , en cette dernière qualité , au ministre de l'inté-
rieur, un rapport dans lequel il analysait rapidement les tra-
vaux de l'Académie depuis le 30 octobre 1830, « époque à
laquelle, • disait-il, «l'Académie reprit ses séances qui
avaient été suspendues, non par l'efiet de la révolution , mais
par suite .des vacances qui avaient commencé au mois de
( 107 )
juin. » Pour qui savait comprendre , cela voulait dire que
rAcadémie n'était nullement disposée à bouleverser son
organisation , et à chasser de son sein les académiciens bol-
landais, comme on avait chassé les professeurs hollandais des
Universités. Du reste, le cas n*était pas le même : la destitu-
tion des professeurs hollandais avait été une mesure impé-
rieusement exigée par Topinion publique; celle-ci avait res-
pecté l'Académie , peut-être à cause de l'obscurité dans
laquelle elle se complaisait, ne recherchant nullement la po-
pularité et la dédaignant peut-être trop. Mais si la foule
restait indifférente à ses faits et gestes, il n'en était pas ainsi
de certains hommes, comme il s'en renéontre à toutes les
époques, mais surtout au lendemain des révolutions, d'autant
plus ambitieux qu'ils sont plus médiocres, qui auraient voulu
se parer du titre d'académicien el dont la résistance opposée
à leur désir ne faisait qu'augmenter les intrigues. D'un autre
côté, le gouvernement issu de la révolution était, selon la
règle, tourmenté d'une fièvre de changements. L'Académie
sut échapper à ce double danger; si, d'une pari, elle combattit
avec énergie toute modification radicale dans ses statuts, elle
se montra disposée à les améliorer; d'autre part, la sage len-
teur qu'elle mit à se compléter et l'institution de membres
correspondants, tout eu écartant les médiocrités vaniteuses,
lui permirent de s'adjoindre peu à peu des hommes éminents
dont les titres n'étaient contestés par personne, et des jeunes
gens qui avaient marqué par de brillants succès leurs pre-
miers pas dans la carrière des sciences ou des lettres.
Quetelet, dans son rapport du 1<^' mai 1833, faisait ressor-
tir l'empressement qu'avaient témoigné un grand nombre
de savants étrangers à correspondre avec l'Académie de
Bruxelles; il pouvait le faire avec orgueil, car c'était à lui,
( 108 )
à ses relalious personnelles que cel empressement était dû.
Ne l'oublions pas» Quetelet a été, pendant de longues années,
le seul savant qui représentât la Belgique à l'étranger ; con-
sultons les hommes distingués , venus chez nous pour étu-
dier notre pays ou pour s'y établir, ils nous diront que leurs
lettres de recommandation , qu'elles fussent datées de Paris,
de Londres ou de Berlin , de Rome ou: de Saint-Pétersbourg,
étaient toutes adressées à Quetelet.
Dans rénumération qu'il faisait des mémoires , disserta-
lions et autres ouvrages présentés par chaque membre de
l'Académie, conformément à l'article 15 du règlement du
3 juillet 1816, Quetelet citait ses recherches sur l'aiguille
magnétique, à Bruxelles et en différents points de l'Europe,
et il ajoutait : u J'ai eu l'honneur de présenter encore à l'Aca-
démie le résultat du peu d'observations astronomiques que
m'a permis de faire jusqu'à présent l'état de notre Observa-
toire. J'ai communiqué de plus à l'Académie quatre mémoires
qui font partie d'un vaste travail dont je réunis depuis long-
temps les matériaux. Ce travail a pour objet l'étude du déve-
loppement successif des différentes facultés physiques,
morales et intellectuelles de l'homme, et l'analyse de leurs
actions et réactions réciproques. » Les mémoires dont il
est ici question étaient les Recherches sur la croissance de
l'homme, sur son penchant au crime et sur son poids, et un
quatrième mémoire intitulé : Recherches sur ^influence com-
binée des saisons et des âges sur la morlalilé, Nous n'avons
pas retrouvé la date de la séance dans laquelle ce dernier
mémoire fut présenté; Quetelet le retira et en fit lecture à
l'Académie des sciences morales et politiques de l'Institut de
France, qui en a donné une analyse et des extraits dans le
tome 1*^' de ses Mémoires. Plus tard il y fit des additions et le
(109)
représenta , le 10 février 1 838, à r Académie de Bruxelles : il a
paru dans le tome XI des Nouveaux Mémoires.— Eu énumé-
rant ses travaux, Quetelet aurait pu citer encore un articIeSur
la possibilité de mesurer l'influence des causes qui modifient
les éléments sociaux , publié par la Revue encyclopédique,
en mars 1833, et dont M. Villermé parla avec éloge, lorsque,
dans la séance du 38 mai suivant, il rendit compte à TAca-
demie des sciences morales et politiques des Recherches sur
le poids de l^ homme aux différents âges. Le numéro de
février 1832, de la Revue encyclopédique^ avait donné un
autre article de Quetelet , intitulé : De Vinfluence des sai-
sons sur les facultés de l'homme ^.
Remarquons ici que dès qu'une idée arrivait à Quetelet ,
dès qu'il avait obtenu un résultat, il s'empressait de les faire
connaître , souvent même avant que l'idée ne fût parvenue à
un degré suffisant de maturité, et avant que le résultat ne
fût parfaitement sûr. De là de nombreuses répétitions dans
les écrits qui succédaient aux premiers pour les améliorer,
pour les développer. Cette manière de travailler a ses avan-
tages et ses inconvénients : elle pousse aux travaux parallèles
et prouve à la fois chez l'auteur un vif désir de répandre la
lumière au fur et à mesure qu'elle se fait dans son esprit, et
la crainte de se voir devancé; mais elle occasionne une perte
de temps, et la coordination des recherches devient peut-être
difficile. Ne vaudrait-il pas mieux attendre que les matériaux
soient d'abord réunis, puis complètement élaborés ; que l'ob-
jet et le cadre de l'ouvrage auquel ils doivent servir aient
été longuement médités avant de mettre la main à l'œuvre.
Alors on serait certain d'obtenir cette unité de composition
et de style que donnent avec peine des pièces rapportées.
L'effet d'un ouvrage doit, d'un autre côté, être beaucoup
( 110 )
plus vif lorsque le public n'a pas été mis déjà dans la confi-
dence de quelques-unes de ses parties.
Quetelet avait été chargé, par le gouvernement, d'assister
à la réunion de TAssociation Britannique pour Tavancement
des sciences, qui devait se tenir à Cambridge, à partir du
25 juin J833 ^K II passa par Paris, et donna lecture à PAca-
demie des sciences morales et politiques, de son mémoire sur
la mortalité. A Cambridge, il provoqua la création d'une
section de statistique dont firent partie Malthus, Babbage et
d'autres savants. A Londres, il fut appelé devant une Com-
mission d'enquête instituée par le Parlement, pour fournir
des indications sur la tenue des registres de l'état civil en
Belgique et sur le recensement du {«^janvier 1830.
Les principaux faits qui marquèrent l'année i834 sont: la
publication du premier Jnnuaire de l'Observatoire; celle de
la première partie du tome I des Annales de cet établisse-
ment ; les premières observations des températures de la
terre , et l'élection de Quetelet comme secrétaire perpétuel
de l'Académie.
V Annuaire était composé sur le modèle de celui du Bu-
reau des longitudes ; il reçut successivement diverses amé-
liorations , et , en 1854, la publication de VJlmanaeh sécu-
laire de l'Observatoire permit d'écarter de VAnnuaire les
documents qui sont constants ou qui ne subissent que des
variations à longues périodes.
La première partie des Annales renfermait un Aperçu
historique des observations météorologiques faites antérieu-
rement en Belgique, les observations météorologiques faites
en 1833 à TObservatoire, et un chapitre consacré aux obser-
vations magnétiques. Pour épargner les frais de composition,
Quetelet avait présenté l'Aperçu historique à l'Académie , de
(111 )
sorte que ce travail fut inséré également dans les Nouveaux
Mémoires {i,yill).
Les observations des températures de la terre étaient en-
core fort rares à cette époque , et Ton ne s'était guère occupé
de déterminer les couches oU vont s'éteindre les variations
diurnes et annuelles du thermomètre. C'est à propos de cette
dernière couche que M. Falck écrivait plaisamment à Quete-
let : * Merci pour votre mémoire sur la température de la
terre. Je juge d'après le tracé des courbes , que , pour avoir
moins à souffrir des variations qu'on dit si nuisibles aux
goutteux, je ferai bien de m'établir à une profondeur de
sept mètres , quatre-vingts centimètres. C'est une précaution
que je compte bien recommander dans mon testament à ceux
qui auront à diriger mon établissement définitif. Pauvres
fossoyeurs ! •
M. Dewez étant mort le 26 octobre 1834, TAcadémie pro-
céda à son remplacement le 22 novembre. Vingt membres
prirent part au vote, et Quetelet fut nommé secrétaire per-
pétuel par dix-neuf voix ^o. (jn seul compétiteur s'était pré-
senté, mais, après quelques démarches , il avait renoncé à sa
candidature, et il vota de bonne grâce pour Quetelet ; quel-
ques années après il fut nommé secrétaire de l'Académie
de médecine, et il remplit ce poste avec une grande dis-
tinction.
Quetelet était le sixième secrétaire perpétuel de l'Académie
des sciences et belles-lettres, et le troisième qui fût redeva-
ble de sa nomination aux suffrages de ses confrères.
L'ancienne Académie avait eu pour secrétaires MM. Gérard,
Des Roches et Mann; la nouvelle, MM. Van Hultbem et Dewez.
Gérard, Des Roches et Van Hultbem avaient été désignés par
le gouvernement. Le.premier, homme d'un caractère difficile,
(112)
s'était vu retirer ses fonctions à rAcadémle au pro6t de Des
Roches, beaucoup plus souple et fort supérieur, il faut le
dire , en activité et en mérite. Parti de très bas , Des Roches
^vait fini par arriver à une brillante position quand il mou-
rut, jeune encore : si des besoins incessants d'argent ne lui
avaient fait entreprendre trop de choses à la fois, il aurait pu
laisser une grande trace dans Tbistoire des lettres. Son suc-
cesseur au secrétariat de TAcadémie, Tabbé Mann, était une
de ces rares intelligences qui embrassent Tensemble des con-
naissances humaines ; il avait toutes les qualités voulues
pour bien remplir le poste auquel Tavait appelé le vote una-
nime de ses confrères. Cultivant les sciences et les lettres,
possédant les langues anciennes et modernes, doué d*un
grand esprit d'ordre et de méthode , au-dessus d'une mes-
quine envie et dans une position d'indépendance complète ,
bienveillant et désintéressé, connu à l'étranger et en rela-
tion avec les principales sociétés savantes, il aurait certaine-
ment donné du lustre à l'Académie , sans les troubles politi-
ques qui vinrent enrayer son zèle.
J'ai déjà parlé de Van HuUhem , de ses querelles avec le
commandeur de Nieuport et de son remplacement par Dewez.
Ce derniei^, esprit exact mais étroit, s'acquitta de ses fonc-
tions avec la ponctualité d'un chef de bureau; là s'arrêtèrent
les services qu'il rendit à la Compagnie. Inconnu hors du
pajrs, en butte, à l'intérieur, aux critiques des jeunes gens
moins amoureux de la sèche érudition que de l'élégance du
style , il n'exerça aucune iniluence.
C'est à Quetelet que l'Académie a dû, pour la plus grande
partie, le développement de ses travaux et la considération
dont elle jouit à l'étranger. D'un autre côté, il sut toujours
défendre ses prérogatives et sa dignité; il l'eût voulue même
( 115)
plus indépendante que ne le permettent nos règlements
d*administration générale. A ses yeux , le subside annuel
accordé à TAcadémie aurait dû être une dotation , et il n*ad-
metlait pas d*autre contrôle que celui de la Compagnie sur
Femploi des fonds qui lui étaient alloués.
Quetelet, comme on Ta vu» avait inauguré Tannée 1834
par la publication de VAnnuaire de TObservatoire : il fit
paraître, dès les premiers jours de Tannée 1835, un Annua&e
de TAcadémie, destiné à contenir les statuts et les règlements,
la liste des membres, etc., et les biographies des académi-
ciens décédés.
Il s^occupait à la même époque d*un travail qui lui avait
été demandé par TAssociation Britannique pour Tavancement
des sciences, et qui fut inséré dans le recuelldes actes de
la session tenue à Dublin au mois d*août 1835 <^*.
Ce travail est intitulé : J perçu de Vétat actuel des sciences
mathématiques chez les Belges. L^auteur commence par jeter
un coup d'œii sur Tbisloire des lettres, des sciences et des
arts en Belgique : il les montre brillant d*un vif éclat sous
les ducs de Bourgogne; continuant à fleurir au seizième siècle,
jusqu*au moment où les fatales mesures du gouvernement de
Philippe II forcèrent des hommes éminents à quitter leur
patrie; puis se ranimant sous les archiducs Albert et Isabelle,
pour s^éteindre après la conclusion du traité de Munster.
Marie-Thérèse chercha à tirer nos provinces de leur état de
léthargie; TAcadémie fondée par Tillustre impératrice ne se
montra pas indigne de sa mission , et Ton remarquait une
amélioration sensible, quand arriva la grande catastrophe qui
termina le dix-huitième siècle... En 1814, la Belgique profita
de Télat plus avancé de la Hollande, oii s^éiait conservé
Tamour des sciences et des lettres : elle eut des universités,
10
1
(114)
des jardins bouniques, des bibliothèques; r Académie fut
réorganisée et Ton vit s'élever un Observatoire conçu sur une
grande écbeUe ; mais toutes ces institutions faillirent s'abîmer
après la révolution de 1830...
L'auteur énumère ensuite les principaux travaux qui ont été
produiu dans les derniers temps : les mathématiques, la méca-
nique, la physique, la météorologie, l'astronomie l'occupent
successivement. « Je ne crois pas devoir parler ici des ouvrages
élémentaires, «dit-il à propos des mathématiques; « si la
Belgique a produit peu du côté des ouvrages originaux, je ne
pense pas qu'il y ait de pays qui puisse lui disputer la palme
pour le nombre des traités d'arithmétique, d'algèbre, de géo-
métrie et de mécanique industrielle... »
« Dans ce qui concerne les sciences exactes, « dit-il en
terminant, « l'opinion publique ne sert pas même de stimu-
lant, elle est trop peu éclairée dans ces matières, en sorte que
réut des sciences est, chez nous, comme un vrai tableau
chinois (qu'on me passe cette comparaison), où tout est sur
un même plan, l'homme instruit et l'ignorant, le savant mo-
deste et le charlatan. Je m'estimerais heureux si cet essai, lu
par mes compatriotes, pouvait contribuer à débrouiller un
peu ce chaos , et à faire rendre justice au vrai mérite. •
Au mois de juillet 1835,M.Gambey vint à Bruxelles, et pro-
céda au placement de la lunette méridienne et du cercle
mural. L'équatorial ne put être monté qu'au mois de juin de
Tannée suivante.
Le premier soin de Quetelet fut de déterminer la position
de l'Observatoire : les observations qu'il avait faites dans ce
but, deux ans auparavant, n'étaient que des essais fort
imparfaits dont il n*a pas donné les résultats.
J'ai résumé ailleurs «* ses travaux relatifs à l'astronomie
(115)
et aux phénomèoes qu'on a Thabitude d*y rapporter ; je D*y
reviendrai donc ici que pour compléter ce que j'en ai dit. Le
là mars 1835, Quetelet écrivait simultanément au bourg-
mestre de Bruxelles et au ministre de Tintérieur : « J*ai appris
avec beaucoup de plaisir qu'on se propose de reprendre lundi
prochain les travaux de la grande salle d'observation, et que
je pourrai me servir bientôt de la lunette méridienne emballée
depuis près de huit mois. Mais rien ne semble préparé pour
la tourelle destinée à Téquatorial, et ce serait une honte pour
l'Observatoire s'il devait rester étranger à l'observation de la
comète de Halley dont le retour est attendu avec impatience
par toute l'Europe. » Malgré ces vives instances, malgré la
bonne volonté du ministre, rien ne fut fait, et Quetelet dut se
borner à suivre la marche de la comète au moyen de son
télescope.
L'année 1835 fut encore marquée : 1° par les observations
des marées entreprises sur les côtes de la Belgique , à la
demande de M. Wbewell et à l'intervention de Quetelet et de
l'Académie ; 2<> par le commencement des observations météo-
rologiques horaires aux époques des solstices et des équi-
noxes, dont sir John Herschel avait été le promoteur.
Lorsque Quetelet se trouva seul devant les grands instru^
ments d'astronomie, dont il avait si longtemps et si énergi-
quement sollicité la mise en place , il fut, paratt-il, un moment
découragé; il n'avait qu'un seul aide, inhabile à observer à
cause de l'état de sa santé et de ses yeux , et il venait de
recevoir de M. Gambari, de Marseille, élève et fils adoptif
comme lui de M. Bouvard, la lettre suivante qui n'était pas
faite pour le ranimer ^^: a L'Observatoire que vous avez créé
est de nature, ce me semble, et par sa construction et par ses
instruments, à être en première ligne. Ce n'est pas la quan-
( 116)
tilé des instruments qui fait le mérite d*un Observatoire, c'est
leur qualité, c'est leur puissance; mais ce qui vous manque
essentiellement aujourd'hui, c'est un aide, je pourrais même
dire des aides; faute d'en avoir, j'ose vous le prédire , toutes
les recherches demeureront stériles ou à peu près stériles
pour les sciences. Serait-il possible que ceci vous étonnât?
J'ai souvent réfléchi sur ces choses, et j'ai toujours été plus
convaincu qu'il est impossible, mais absolument impossible»
à un homme seul, quelque talent, quelque force physique
qu'il ait, de remuer et de mettre en œuvre ces grosses pierres
qui composent les bases de l'édifice de notre science... J'ai «
tel que vous me voyez , été découragé devant mon petit cercle
méridien de cinq pieds. Tout ceci n'est point une théorie,
c'est un fait que vous subirez vous-même dans toute sa plé-
nitude, quand vous aurez pu commencer à vous mettre à
l'œuvre. Au surplus, voyez tous les autres Observatoires, où
en trouverez-vous un qui n'ait qu'un astronome?... • Gam-
bart terminait sa lettre en se proposant comme astronome
adjoint. Entré à l'Académie de Bruxelles, à la fin de 1826, il
avait été l'un de ses correspondants les plus assidus: son
acquisition pour l'Observatoire eût été précieuse, s'il n'avait
été miné par une phthisie pulmonaire et en proie à une
inquiétude qui ne lui permettait pas de rester longtemps
dans un même lieu ou de se livrer à un travail suivi. « Je dus
me priver d'un aussi utile auxiliaire, » dit Quetelet, w les
ressources manquant à l'établissement pour indemniser cet
habile observa teur, mais je fus autorisé à lui faire, pour
des fonctions différentes de celles qu'il demandait, des pro-
positions qui, pécuniairement, auraient été plus avanta-
geuses : il mit sa science de prédilection avant ses intérêts
et répondit avec une modestie qui honore son caractère. •
(117)
Il s'agit probablement ici d'une chaire dans une des deux
Universités de PËtat qu'on s'occupait alors d'organiser. Le
ministre de l'intérieur, M. de Tbeux, ne négligeait rien pour
faire entrer dans les facultés des sciences des hommes d'un
mérite éminent, et Quetelet fut encore chargé de faire des
propositions à M. Sturm, dont les recherches sur les caus-
tiques étaient du même temps que les siennes, ^t qui depuis
avait attaché son nom à un théorème devenu célèbre. Sturm
refusa, mais pour d'autres raisons que Gambart; comme ce
dernier, il mourut à un âge peu avancé.
Puisque nous parlons des Universités, disons que pendant
longtemps Quetelet fut appelé par les suffrages de la Chambre
des représentants à faire partie du jury central des sciences.
Il apporta dans ces fonctions délicates une grande bienveil-
lance et une sagacité qui lui permettait de discerner l'élève
intelligent et sérieux d'avec celui dont la mémoire entée sur
la présomption constituait tout le mérite. II a raconté lui-
même ^* comment un homme, devenu plus tard son confrère
à l'Académie et l'un de nos savants les plus distingués, se
serait vu, sans son intervention, refuser le grade de doc-
teur.
Dans le courant de 1855 parut à Paris l'ouvrage capital de
Quetelet, sous le titre : Sur Vhomme et le développement de
ses facultés f ou Essai de physique sociale. C'était le résumé
de tous ses travaux antérieurs sur la statistique et u l'es-
quisse, » disait-il, » d'un vaste tableau dont le cadre ne
pouvait être rempli que par des soins infinis et par d'im-
menses recherches. •
L'ouvrage est divisé en quatre livres. Les deux premiers
sont consacrés au développement des qualités physiques de
l'homme; le troisième, au développement de ses qualités
10.
(118)
morales el intellectuelles; le livre IV traite des propriétés de
rbomme moyen, du système social et des progrès ultérieurs
de cette science.
L'auteur s*occui)e d'abord : I. de la détermination de
rbomme moyen en général; II. de la détermination de
rbomme moyen sous le rapport des qualités pbysiques.
Il examine ensuite tout ce qui tient à la vie de Tbomme»
à sa reproduction, à sa mortalité, au développement de sa
taille, de son poids, de sa force, aux inspirations et pulsa-
tions, à la vitesse, à Tagilité, etc.
« L'appréciation des qualités physiques de Tbomme moyen,*
fait-il observer, » ne présente aucune difficulté réelle, soit
qu'on puisse les mesurer directement, soit qu'elles ne de-
viennent sensibles que par leurs effets. 11 n'en est pas de.
même de ses qualités morales et intellectuelles. Je ne sacbe
même pas que personne ait songé à les mesurer avant l'essai
que j'en ai fait sur le développement du penchant au crime
aux différents âges.
> Certaines qualités morales sont à peu près dans le même
cas que les qualités pbysiques ; et l'on peut les apprécier, en
admettant qu'elles sont proportionnelles aux effets qu'elles
produisent...
L'homme apporte en naissant les germes de toutes les
qualités qui se développent successivement el dans des pro-
portions plus ou moins grandes : la prudepce prédomine
chez l'un, Timagination chez Tautre, l'avarice chez un troi-
sième; nous trouvons ailleurs un excès de taille en raison de
l'âge, ou une imagination précoce, ou une \ieillesse active
et vigoureuse. Le fait seul, que nous remarquons ces écarts
lorsqu'ils existent, prouve déjà que nous avons le sentiment
d'une loi générale de développement, et que même nous en
(119 )
faisons usage dans nos jugemeDts. Je crois que non-seule-
ment il n'est pas absurde, mais même qu'il est possible de
déterminer l'homme moyen d'une nation ou de l'espèce hu-
maine... »
L'auteur considère successivement l'homme moyen : i'sous
le rapport des lettres et des heaux-àrts ; S** sous le rap-
port des sciences naturelles et médicales { • La considéra-
tion de l'homme moyen > dit Quetelet, • est tellement im-
portante dans les sciences médicales, qu'il est presque
impossible de juger de l'état d'un individu sans le rapporter
à celui d'un autre être fictif qu'on regarde comme étant à
l'état normal et qui n'est au fond que celui que nous consi-
dérons a) ; 5" sous le rapport de la philosophie et de kk mo^
raie; ^'^ sous le rapport politique.
On sera peut-être curieux de voir comment il envisage
les systèmes politiques. Il rejette le système qui consiste, lors-
que deux idées sont dominantes dans un pays , à prendre une
espèce de moyenne entre ces idées: « il sera toujours imfios-
slble, » dit-il, «de concilier les esprits en plaçant , entre leurs
opinions, une opinion qu'ils repoussent également." Le sys-
tème qu'il a en vue est basé sur les éléments qui sont com-
muns à tous, et là où il y a divergence , sur les idées qui
appartiennent au plus grand nombre. « Les gouverne-
ments, comme les choses, • fait-il remarquer, « ont aussi
leur état d'équilibre; et cet état d'équilibre peut être stable
ou instable. L'équilibre stable a lieu, quand, à la suite des
actions et des réactions de toute espèce, un gouvernement
rentre constamment dans son état normal ; si , au contraire ,
sous l'action des moindres causes , un gouvernement tend à
s'écarter de plus en plus de son état normal ; et si , chaque
année, on le voit, sans motifs suffisants, changer sa forme
( lâO )
et ses institutions , sa cbule est prochaine... Les révolutions
ne sont que des réactions exercées par le peuple ou une
partie du peuple, pour des abus vrais ou supposés. Elles ne
peuvent avoir aucun caractère de gravité, si la provocation
apparente n'en a présenté. La liberté de la presse a rendu
un service éminent , c'est d'avoir singulièrement contribué à
faciliter la réaction , et par suite à rendre les grandes révo-
lutions presque impossibles; elle présente cet avantage im*
mense qu'elle ne permet pas aux forces de s'accumuler d'une
manière effrayante, et que la réaction se manifeste presque
aussitôt après l'action , quelquefois même avant que l'action
ait eu le temps de se propager. • Quetelet, on le voit, n'était
nullement de l'avis du commandeur de Nieuport, qui ne vou-
lait entendre parler de la liberté de la presse qu'à une con-
dition, c'est qu'elle s'exerçât en latin.
VEssai de physique sociale acheva de placer son auteur
très haut dans l'opinion du monde savant. L'ouvrage fut
traduit en anglais et en allemand , et il eut l'honneur d'une
contrefaçon à Bruxelles.
Vin. — Les mesures prises pour mriver à une détermi-
nation plus exacte du temps,] — Le second voyage de
Quetelet en Italie. — L'extension donnée aux travaux de
l'Observatoire. — Uobservation des phénomènes pério-
diques. — La création de la Commission centrale de
statistique.
Au temps où l'Observatoire fut érigé, les horlogers fai-
saient usage de cadrans solaires pour régler les horloges de
nos grandes villes; ces cadrans, généralement défectueux ,
( 121 )
étaient sujets à se déranger, et comme de plus chaque église
avait son horloger, il en résultait que l'heure des différents
quartiers d'une même ville différait quelquefois de vingt à
vingt-cinq minutes. Lorsque rétablissement des chemins de
fer eut amené la nécessité de donner Theure avec une cer-
taine exactitude, on songea à améliorer les moyens de Tob-
tehir. Un arrêté royal du 22 février 1836 prescrivit rétablis-
sement : i^ d'une petite lunette méridienne dans chacune
des villes d'Anvers, d'Ostende, de Bruges, de Gaud et de
Liège; 2<» de méridiennes à placer dans les murs des cathé-
drales, hôtels de villes ou autres édifices favorables à leur
tracé, des autres villes de quelque importance. Par une dé-
pêche du 29 février, le ministre de l'intérieur chargea Que-
telet de l'exécution de cet arrêté , et lui désigna particuliè-
rement quarante et une villes où devaient être tracées les
méridiennes.
Les lunettes méridiennes furent commandées à MM> Trough-
ton et Simms, de Londres, et, en attendant qu'elles fussent
prêtes, Quetelet entreprit, au mois de juin, le tracésde la
méridienne dans l'église $^«-6udule, à Bruxelles. L'année
1857 fut à peu près uniquement consacrée à l'établissement
des quatre petits Observatoires de Gand, Bruges, Ostende et
Anvers : le premier, au-dessus de ITJniversité; le second, sur
le bâtiment de l'Athénée; le troisième, dans les fortifications
de la ville, et le quatrième à proximité du grand bassin. A
Liège, la lunette méridienne n'était pas encore placée au
mois de janvier 1839; mais un petit Observatoire devant
servir pour les leçons d'astronomie de l'Université, était en
construction. Le tracé des méridiennes fut repris au com-
mencement de 1838. A Gand, la méridienne fut établie dans
le vestibule de l'Université; à Anvers, dans la cathédrale;
( 122 •)
à Termonde, dans Téglise de Notre-Dame. Pour Bruges,
Oslende, Malines, Quelelet s'arrêta à Tidée que les ancieus
avaient eue de construire les lignes méridiennes en dehors
des édifices , de manière qu'elles fussent toujours sous les
yeux du public.
On parait en élre demeuré là ou à peu près dans l'exécution
de l'arrêté royal du 22 février 1836 : l'insouciance des villes
et les nombreuses occupations de Quetelet empêchèrent
qu'on allât plus avant.
Aujourd'hui que la Belgique entière reçoit l'heure de TOb-
servatoire par le télégraphe, on ne fait plus guère usage de
cadrans solaires ou de méridiennes; les horlogers et les par-
ticuliers règlent leurs montres d'après les cadrans électriques
placés aux coins des rues ou d'après les horloges des stations
du chemin de fer. A l'époque dont nous parlons, on était bien
loin de penser « qu'une pendule pourrait donner l'heure à
toute une maison , à toute une ville , même à tout un pays , et
que les pendules auxiliaires qui marqueraient les heures, les
minutes, les secondes aux mêmes instants que la pendule
régulatrice, ne se composeraient que d'un simple cadran. »
Et cependant on était à la veille de voir s'accomplir ce mi-
racle. Quetelet l'annonça à l'Académie dans la séance du
1 7 octobre 1 840 ; le thaumaturge était sir Charles Wheatstone
qui venait de faire fonctionner à l'Observatoire de Bruxelles
des télégraphes électriques de son invention. Je me souviens
que M. Falck, devenu ambassadeur du roi des Pays-Bas
près le gouvernement belge, assistait à ces expériences
et y prenait un très vif intérêt. Déjà M. Wheatstone s'était
rendu à Bruxelles au commencement de l'année 1838, avec
l'intention d'établir des télégraphes électriques dans notre
pays, et Quetelet s'était empressé de donner à l'Académie
( m)
un aperçu des procédés alors tout nouveaux de l'illustre phy-
sicien anglais. Mais il devait s'écouler encore treize à qua-
torze ans avant que le télégraphe électrique trouvât place en
Belgique, u Si notre pays , » disait Quelelet dans la séance
publique de TAcadémie du 16 décembre 1851 , « a tardé
longtemps à mettre en pratique cette brillante découverte,
sbn Académie a été du moins Tune des premières à la
proclamer. »
Une autre invention merveilleuse avait vu le jour entre les
deux communications faites à l'Académie relativement au
télégraphe de Wheatstone. Quetelet, qui se rendait en Italie,
se chargea de commander à Paris un daguerréotype pour le
Musée des arts et de Tinduslrie.
Il quitta Bruxelles, en compagnie de sa femme, dans les
premiers jours du mois d'août 1839. Son voyage avait un
triple but. Ildevait d'abord constater la conformité des étalons
prototypes des poids et mesures belges avec ceux de France :
les deux autres commissaires étaient MM. Dùmortier et
Teicbmann , et M M. Arago , Bouvard et Gambey avaient bien
voulu se joindre à eux. En second lieu , il devait assister au
Congrès des savants italiens qui , celte année-là, se tenait à
Pise; et, enfin, il se proposait de revenir sur les détermina-
tions de l'intensité magnétique dont les résultats, obtenus en
1830, avaient laissé des doutes dans son esprit. Ainsi que
nous l'avons fait remarquer et comme il le reconnaissait lui-
même, il manquait à ces observations un élément nécessaire,
c'est-à-dire Tinclinaison de l'aiguille. Son absence fut d'en-
viron trois mois. Dans la séance du 7 décembre , l'Académie
recevait une expédition du procès-verbal des opérations de
la Commission envoyée à Paris au mois d'ao!tit, et Quetelet
lui présentait le résultat des observations magnétiques qu'il
avait faites en Italie et dans le Tyrol.
(124)
AYdDt de se mettre en route, Quetelet avait xîommuniqaé
à rAcadémie un nouveau catalogue des apparitions les plus
remarquables d'étoiles filantes. C'était le second catalogue
de ce genre quMl avait formé : le premier datait du mois
d'octobre 1837. On se souviendra qu'il avait tourné de bonne
heure son attention vers les étoiles filantes, et que des ob-
servations simultanées avaient été faites par ses soins en
1826, à Bruxelles, à Liège et à Gand; il avait ensuite aban-
donné ce sujet pour le reprendre dix ans plus tard. Le 3 dé-
cembre 1836 , il avait signalé pour la première fois la nuit da
10 au 11 août comme digne de prendre place à côté de celle
du 13 au 1-5 novembre, déjà célèbre par l'observation de
Humboldt en 1799 et par l'averse de l'année 1832. Il conti-
nua à donner une vive impulsion à l'observation de ce phé-
nomène , mais il ne semble pas avoir eu des idées bien arrê-
tées sur son origine : après avoir considéré longtemps les
étoiles filantes comme un phénomène météorologique, il fut
conduit à leur donner une origine cosmique, puis il parut
revenir à l'hypothèse qu'elles prenaient naissance dans les
régions élevées de l'atmosphère.
L'année 1839 fut marquée à l'Observatoire par le commen-
cement des observations sur la floraison des plantes. Au
mois de janvier 1840 eurent lieu les premières observations
magnétiques qui devaient se faire simultanément chaque
mois en divers points, durant vingt-quatre heures et de
cinq en cinq minutes : ces dernières observations avaient été
sollicitées par la Société royale de Londres et venaient se
joindre aux observations météorologiques horaires des sol-
stices et des équinoxes, instituées en 1835, à la demande de
sir John Herschel.
Au mois de mai 1841 , le système d'observations météo-
( 125 ) .
rologîques de TObservatoire prit une extension considérable.
Pour satisfaire à une nouvelle requête de la Société royale
de Londres, les observations, à partir de cette époque, se
firent régulièrement jour et nuit, de deux ep deux heures.
11 fallait le dévouement des aides de Quetelet et le pouvoir
moral qu'il exerçait sur eux pour leur faire accepter ce sur-
croît de besogne. Mal payés, obligés, pour vivre, de remplir
d'autres fonctions accessoires , ne pouvant aspirer à aucun
avancement dans un pays où, même de nos jours, les tra-
vaux de PObservatoire jouissent d'une si mince considéra-
tion , ils auraient déserté si Tbonneur du drapeau ne les
avait retenus et s'ils n'avaient été, jusqu'à un certain point ,
fiers d'un chef dont la réputation à l'étranger rejaillissait plus
ou moins sur eux.
L'Observatoire de Bruxelles, comme nous croyons l'avoir
démontré, n'avait pas été assez discuté au point de vue maté-
riel. Sous le rapport de l'organisation , le gouvernement des
Pays-Bas s'était borné à nommer un astronome: il est pro-
bable que, sans la révolution de 1830, un personnel suffi-
sant eût été attaché à l'institution, car, ainsi que le disait
Gambart, un astronome, quel que soit son mérite, ne peut
pas se passer d'aides; il est probable aussi que, selon les tra-
ditions hollandaises, ce personnel eût été bien rétribué. Après
la révolution , il fallut biaiser pour sauver l'établissement.
La crainte d'effaroucher les Chambres rendit Quetelet pru-
dent, trop prudent, peut-être ; il chercha à faire une posi-
tion à ses acijoints en leur permettant le cumul de petits
emplois dont il leur facilitait l'accès^ mais leur besogne dou-
blait ou triplait ainsi, et malgré le cumul, ils étaient encore
misérablement payés. Du reste cette crainte d'effaroucher les
corps de qui l'on attendait de l'argent, avait été l'une des
11
( 126)
principales causes du retard apporté aux constructions de
rObservatoire.
L'année 1841 occupe une place importante dans la vie de
Quetelet. Nous venons de parler de l'extension donnée aux
observations météorologiques et magnétiques. Les observa-
tions sur les plantes comprirent de leur côté , outre la floraison ,
la feuillaison et Peffeuillaison; et Quetelet provoqua un vaste
système d'observation des phénomènes périodiques naturels :
« Ces phénomènes, » disait-il, « sont en général indépen-
dants des phénomènes sociaux ^ mais il n'en est pas de même
de ceux-ci à l'égard des premiers. «» On se rappellera les
études qu'il avait faites pour rechercher l'influence des sai-
sons, non-seulement sur tout ce qui se rapporte au physique
de l'homme, mais encore sur ses qualités morales et intel-
lectuelles.
Les phénomènes sociaux étant plutôt du domaine de la
statistique, Quetelet, dans l'appel qu'il fit aux observateurs,
se borna aux phénomènes périodiques naturels. Il obtint
immédiatement un grand nombre de collaborateurs. Au com-
mencement de 1842, il rédigea, à leur demande, des instruc-
tions sur les objets à observer, et sur la marche à suivre dans
les observations pour les rendre comparables ^^.
Les instructions embrassaient la MéT^ROLOGiE et la phy-
sique DU globe; le régime végétal {observations pour la
période annuelle; observations pour la période diurne;
tableau des plantes pour la période annuelle); le règne
ANIMAL (mammifères, reptiles, mollusques, poissons,
oiseaux). Elles étaient rédigées avec une grande clarté et
une extrême précision. Les observations se faisaient sous le
patronage de l'Académie et devaient trouver place dans ses
Mémoires, « Il semblerait, n disait Quetelet, dès la fin de
( 127 )
1839, « que dans Télat acluel des scieuces d'observation, et
particulièrement de celles qui s'occupent de l'étude de notre
globe, les individus ont exploré tout ce qui se trouve dans
le cercle étroit où ils peuvent agir; et que désormais les
grands problèmes physiques et météorologicfbes ne peuvent se
résoudre que par l'association -d'un grand nombre d'hommes;
de sorte que les corps savants qui paraîtraient avoir fait leur
temps, comme quelques esprits superficiels se plaisent à le
répéter, deviendraient plus utiles que jamais, et formeraient
le lien intellectuel qui unit naturellement les nations entre
elles. •
Pour l'observation des phénomènes périodiques relatifs à
l'homme, Quetelet comptait sur la Commission centrale de
statistique.
Il est temps de parler de cette institution , dont la Belgique
fut redevable à M. Liedts, l'ancien élève de Quetelet à Aude-
naerde.
L'idée n'en était pas nouvelle ; comme tant d'autres elle
était due au gouvernement des Pays-Bas. Nous avons vu, en
effet, qu'un arrêté royal du 3 juillet 1826 avait organisé un
Bureau central de statistique près le ministère de l'inté-
rieur; nous avons vu également quelles causes avaient
empêché ce Bureau de produire de bons résultats. Éclairé par
cette expérience, M. Liedts décida que chaque département
serait représenté dans la Commission centrale par un ou plu-
sieurs délégués ayant fait une étude spéciale et approfondie
des branches de statistique ressortissant à ce département,
et que la réunion de ces délégués serait présidée « par un
homme de science, versé dans l'économie sociale et habitué
à résumer les travaux de statistique. •
On se souviendra que la Commission de 1826 était com«
(128)
|)osée du ministre de rintérieur , président, et de trois admi-
nistrateurs généraux : c'était déjà un progrès que de substi-
tuer k ces administrateurs dés hommes spéciaux représentant
les différentes branches de la statistique; c'était un progrès
plus grand encorirt que de substituer au ministre absorbé par
les travaux de Padministration et les soucis de la politique,
un homme de science , surtout quand on avait sous la main
un savant tel que Quetelet, d'une capacité hors ligue et d'une
réputation européenne. Mais ce n^est pas tout : il importe
beaucoup au succès des commissions d'avoir un secrétaire
zélé, actif, qui prenne ses fonctions au sérieux et les aime
pour elles-mêmes. La commission de 1841 eut le bonheur
de trouver cet homme : M. X. Heuschling lui apporta, avec
des connaissances réelles, un dévouement absolu.
La Commission centrale de statistique avait été instituée
par un arrêté royal du 16 mars 1841 : un arrêté subséquent
du 6 août 1843 établit des Commissions provinciales, dont les
membres devaient être nommés par le ministre de l'intérieur,
sur la proposition de la Commission centrale, ce qui permet-
tait de maintenir l'unité dans les travaux et les recherches.
Il ne peut entrer dans notre plan de retracer l'histoire de
la Commission centrale, nous devons nous borner à quelques
indications sommaires. Installée le 12 juin 1841, elle com-
mença par arrêter le cadre de ses travaux et s'occupa ensuite
du soin de le remplir; puis elle rendit compte au ministre,
le 19 octobre 1842, de ce qu'elle avait fait et de ce qu'elle
se proposait de faire. Elle rappelait ce qui avait été dit à
Cambridge, en 1833, sur l'importance dont pouvait être
la Belgique pour faire avancer les études de la statistique :
Malthus assimilait notre pays, sous ce rapport, à la Suède et
à la Suisse, et, aux yeux d'autres hommes non moins com-
( 129 )
péleots, il offrait mieux que ces contrées les caractères qui
donnent à la statistique un but d'utilité générale. La Commis-
sion insistait ensuite sur la nécessité de procéder à un recen-
sement de la population. Le dernier recensement remontait
au i<^' janvier 1830; il aurait dû être renouvelé en 1840, aux
termes de Tarrêté royal du 29 septembre 1828; mais les
préoccupations politiques du temps avaient empêché qu'on
n'y pensât, ta Commission avait fait pendant Tannée 1842 un
premier essai de recensement dans la capitale : elle aban-
donna à Quetelet le soin d'en publier les résultats, et celui-ci
s'occupa en même temps d'un travail sur les anciens recen-
sements de la population belge. Le nouveau recensement fut
retardé jusqu'au 15 octobre 1846; deux autres l'ont suivi,
le 51 décembre 1856 et le 31 décembre 1866.
IX. — Les lettres sur la théorie des probabilités. — Le
mémoire sur la statistique morale. — L'ouvrage sur le
système social. — La réorganisation de l'Académie et
rétablissement dune classe des beaux-arts.
Plus nous avançons, et plus il nous devient difficile de
suivre Quetelet au milieu de ses travaux si nombreux et si
variés. Nous aurons recours à un moyen que nous avons
employé déjà : nous fixerons une étape et nous passerons en
revue ce que nous rencontrerons sur notre route: l'étape sera,
si nos lecteurs le veulent bien , la révolution de 1848.
Puisque nous en étions restés à la statistique, occupons-
nous d*abord des productions de Quetelet qui s'y rapportent.
Le premier ouvrage important, dans l'ordre des dates, a
pour titre : Lettres à S.AR. le duc régnant de Saxe-Cobourg
11.
( i30 )
et Gotha f sur la théorie des probabilités appliquée aux
sciences morales et politiques.
• Des circonstances particulières , » dit Tauteur dans sa
préface datée du 18 décembre 1845, « qui m^onl laissé de
bien doux souvenirs me mirent, il y aura bientôt dix ans,
dans la nécessité déporter toute mon attention sur Tapplica-
tion de la théorie des probabilités à Tétude des sciences
morales et politiques. » Quelelet fait allusion ici à rinvilation
qu'il avait reçue du roi Léopold 1«', de donner quelques le-
çons aux princes Ernest et Albert de Saxe-Gobourg, pendant
leur séjour à Bruxelles. « Cet ouvrage, » conlinue>t-il ,
tt commencé en 1837 , a été écrit sous forme de lettres pour
répondre à une demande aussi honorable que flatteuse pour
moi... A mesure que mon travail prenait plus de développe-
ment, j'ai mieux compris la nécessité de le séparer en deux
parties. »
L'une de ces parties est Touvrage dont nous avons donné
le titre et qui était dédié au prince Ernest , devenu duc ré-
gnant de Saxe-Gobourg et Gotha ; l'autre partie fut publiée à
Paris, au commencement de 1848, sous le titre : Du système
social et des lois qui le régissent. Ce second ouvrage était
dédié au prince Albert, devenu l'époux de la reine Victoria.
tt L'ouvrage était écrit d'abord sous forme de lettres , » dit
l'auteur dans sa préface datée du 14 janvier 1848; u j'ai
cru devoir adopter ensuite une marche plus didactique et
plus en harmonie avec la gravité du sujet dont j'avais à
m'occuper. »
. Entre ces deux ouvrages se place un mémoire sur la sta-
tistique morale et les principes qui doivent en former la
base, mémoire qui fut présenté à l'Académie royale de Bel-
gique le 1^' décembre 1846, et imprimé dans le tome XXI
( 131 )
des Mémoires, avec les rapports des commissaires, MM. De
Decker et Van Meenen.
Dès rannée 1828,Quelelet avait publié des 7n«/ruc/ion«
populaires sur le calcul des probabilUés. Ce petit livre ,
fort bien écrit, était divisé en vingt-neuf leçons, suivies
chacune d'un questionnaire. Il donnait une idée claire et
nette, quoique succincte, du calcul des probabilités et de
ses applications à la vie humaine, aux assurances et aux
rentes viagères, et apprenait à s'en servir pour apprécier la
valeur des faits et des traditions, pour régler la composition
des tribunaux ou pour mesurer la bonté de leurs jugements,
et enfin pour arrêter les meilleurs modes d'élection.
Les Lettres qui parurent en 1846 n'étaient plus destinées
h des commençants , elles avaient un but beaucoup plus re-
levé: l'article étendu qu'un savant illustre, sirJohnHerscbel,
leur consacra dans la Revue d'Edimbourg f en fournit la
preuve évidente.
Elles sont au nombre de quarante-six : les neuf premières
ont pour objet la théorie des probabilités et l'explication de
ses propositions fondamentales; les formules et les tableaux
se trouvent relégués dans les notes placées à la fin de l'ou-
vrage. — Les lettres X à XXII traitent des moyennes et
des limites^ qui , d'après Herschel .constituent l'application la
plus importante du calcul des probabilités, parce qu'elles
offrent une mesure du degré de précision qu'on atteint dans
toutes les déterminations numériques. La démonstration du
principe des moindres carrés , donnée par Laplace , a été ré-
duite par Quetelet à « la forme la plus élémentaire, la plus
simple •• dit Herschel , « que nous ayons jamais vue. » L'au-
teur présente des exemples de l'emploi des moyennes dans
la météorologie , dans l'astronomie et dans les mesures de
(152 )
rbomme. — L'étude des causes occupe les letlres XXIII à
XXXIJJ : elle offre un inlérét puissant. « Il n*est personne , »
dit Herschel , « qui ne soit étonné de trouver que non-seu-
lement les résultats moyens de différentes séries d'épreuves
présentent entre eux un accord remarquable , mais que les
erreurs mêmes des épreuves individuelles se groupent au-
tour de la moyenne avec une régularité qu'on serait tenté de
prendre pour l'effet d'une inteniiou délibérée. » L*auteur
partage les causes en trois classes : les causes constantes , ^
les causes variables, et les causes accidentelles. Les der-
nières peuvent être considérées comme éliminées complète-
ment par leur destruction mutuelle, quand il s'agit de
grands nombres, et que toute la série des cas recueillis est
traitée de manière à donner un résultat unique. Le même
procédé neutralisera très sensiblement l'effet des causes va-
riables , si la loi de leur variation est périodique , et que les
observations se rapportent à toutes les phases de la période.
Les causes constantes agissent d'une manière continue, avec
des énergies et des tendances qui changent, soit d'après des
lois déterminées, soit sans aucune loi apparente. — Les
lettres XXXIV à XLVI sont consacrées à la statistique. L'au-
teur y appelle l'attention sur les méthodes et les principes
qui doivent prévaloir dans la formation des documents sta-
tistiques et dans leur mise en œuvre, u Que la statistique soit
un art ou une science, peu importe, elle est la base de la
dynamique sociale et politique, et présente le seul terrain
solide sur lequel la vérité ou la fausseté des théories et des
hypothèses de cette science compliquée peut être mise à
l'essai. Ce que sont les données astronomiques ou les regis-
tres météorologiques pour une explication raisonnée des
mouvements des planètes ou de l'atmosphère , les documents
( 133)
statistiques le sont pour la philosophie sociale et politique.
Ils assignent, à des intervalles déterminés, les valeurs nu-
mériques des variables qui forment Tobjel principal de ses
raisonnements, ou du moins les fonctions de ces variables
que Tobservation directe peut atteindre j c'est alors Taf-
faire d'une bonne théorie d'analyser ces variables ou leurs
fonctions , et de les combiner de manière à en tirer les élé-
ments moins accessibles qui entrent dans l'expression des
lois générales. »
Les lignes qu'on vient de lire sont d'Herschel. Pour cet
homme illustre comme pour Quetelet , la statistique devait
constituer, on le voit, la vraie base de la science sociale. On
est assez généralement d'accord sur ce point aujourd'hui ;
mais lorsque Quetelet avait commencé ses recherches, il
avait dû lutter contre des préjugés de différentes sortes. Des
hommes politiques considérables s'étaient montrés, si non
hostiles, du moins fort peu disposés à le seconder, surtout
après 1830. Ce qui pouvait excuser du reste les détracteurs
de la statistique, c'est l'abus qu'on faisait des chiffres. Quand
des géomètres tels que Ch. Dupin se laissaient aller à des
conclusions peu réfléchies, que fallait-il attendre des statis-
ticiens d'occasion, qui exploitaient la nouvelle science au
profit de leurs passions ou de leur vanité !
Quetelet avait été conduit par ses recherches sur la phy-
sique sociale à conclure que l'homme est placé sous l'empire
de lois fixes qui dirigent sa volonté sans nuire à son libre
arbitre. Peut-on calculer ces lois, leur donner une expres-
sion mathématique ? Telle est la question qu'il s'était posée
depuis longtemps et que son mémoire sur la statistique mo-
rale acheY&ii, selon lui, de résoudre dans un sens affir-
matif.
( 134 )
Au risque de nous répéter, nous rappellerons quelques
priucipes par lesquels il terminait ce mémoire : < Les faits
moraux , » disait-il , a diffèrent essentiellement des faits phy-
siques , par Tintervention d*uue cause spéciale qui semble,
au premier abord , déjouer toutes nos prévisions , c'est-à-
dire, par IMntervention du libre arbitre de Vhomme. Toute-
fois Texpérience nous apprend que ce libre arbitre n'exerce
son action que dans une sphère très restreinte, et que très
sensible pour les individus, il n'a pas d'action appréciable
sur le corps social , oîi toutes les particularités individuelles
viennent en quelque sorte se neutraliser. Quand on considère
les hommes d'une manière générale , les faits moraux et
les faits physiques sont sous l'influence des mêmes causes,
et doivent être soumis aux mêmes principes d'observation.
Or les causes qui influent sur notre système social ne subis-
sent en général que des altérations lentes, et l'on pourrait
presque dire séculaires ; de là la permanence remarquable
qui domine les faits sociaux , tels que les mariages, les cri-
mes, les suicides... •
M. De Decker, appelé par l'Académie à donner son avis sur
le mémoire de Quetelet, présenta quelques objections. En
premier lieu, le moment était-il bien venu de réduire en
système les confuses et incomplètes séries d'investigations
que la statistique avait pu réunir jusque-là? a 11 importe,
dans ce genre de recherches surtout, » disait M. De Decker,
« de se prémunir contre le danger de conclure trop tôt et de
se croire trop vite arrivé au but, « C'était l'objection qui
avait été présentée autrefois, dans h Revue encyclopédique^^,
contre les premiers aperçus de Quetelet. Lui-même, du
reste, vepait d'exprimer la même pensée dans ses Lettres au
duc de Saxe-Gobourg : s'il avait tiré des conclusions, c'est
( 135)
que les données mises à sa disposition lui avaient paru suffi-
santes. D'ailleurs, la constance des faits moraux qu'il avait
signalée était trop marquée pour qu'on pût la révoquer en
doute.
M. De Decker combattait ensuite Topinion que la science
sociale devait désormais rentrer dans les sciences d^obser-
vation et en suivre toutes les phases. • Il ne faut pas, »
disait-il non sans raison,» il ne faut pas que, emporté par une
passion légitime pour des études qui lui ont valu de si glo-
rieux succès, notre honorable confrère exagère le rôle que
peut jouer la science spéciale dans laquelle il contemple,
pour ainsi dire, son œuvre. Les études sociales ne sont pas
plus exclusivement du domaine de Vexpérience qu'elles ne
sont exclusivement du domaine du raisonnement. Les deux
écoles, qui ont constamment représenté Tune et l'autre de
ces deux prétentions exclusives , ne seront dans le vrai et ,
par conséquent, utiles, que pour autant qu'elles se com-
plètent l'une l'autre, c'est-à-dire, en réunissant les éléments
philosophiques et historiques, dont l'ensemble seul constitue
la science sociale. » — a Du reste, » ajoutait M. De Decker,
« si je crois devoir faire quelques réserves relativement à
l'opportunité et à la portée des conclusions formulées en prin-
cipes par M. Quetelet, j'aime à déclarer que je suis parfaite-
ment d'accord avec cet honorable confrère sur le fond même
de la vérité qu'il s'est attaché à déinontrer... Des lois con-
stantes et invariables régissent le monde physique : notre
raison nous ledit, l'observation le constate. Le monde moral
serait-il, lui, livré au hasard des événements, abandonné à
l'anarchie des idées, des intérêts ou des passions des hommes ?
Il est impossible de le soutenir... •
Après avoir cherché à démontrer que le libre arbitre de
( 136 )
rhomme n'exerce pas d'influence sur les faits sociaux f
Quetelet proclamait que le rôle important de la statistique
morale est de montrer au législateur le point où il doit agir
pour modifier Vétat social, a Je crois, moi, » disait M. I>e
Decker, • qu'il est plus logique d'en tirer cette conclusion :
rhomme n'exerçant pas, dans le domaine des faits sociaux,
l'empire qu'il est tenté de s'attribuer, son action est bien peu
efficace pour modifier directement l'état social. En d'autres
termes : plus on apporte d'éléments personnels, spontanés f
humains, dans les institutions, moins elles sont appelées à
régler la marche de la société ; au contraire , plus il y entre
d'éléments naturels j nécessaires , divins, plus elles dominent
la société. D'ob il suit qu'ici nous nous exagérons l'influence
de notre libre arbitre sur les institutions sociales,quelànous
exagérons l'Influence des institutions sur la marche de la
société. »
L'appel de Quetelet au législateur avait surtout pour objet
de voir diminuer le nombre des crimes. C'est là , aux yeux de
M. De Decker, une chimère : d'abord parce qu'il ne croit
pas à une grande influence des institutions sur l'homme,
ensuite et surtout parce que les désordres moraux comme
les désordres physiques , les maladies de l'esprit comme celles
du corps, ont leur but marqué dans l'organisation de l'uni-
vers. • Puisque le libre arbitre, » dit-il en finissant, • est,
pour ainsi dire, sans influence sur les faits sociaux, et que
l'homme n'est réellement libre que dans le cercle restreint
de sa personnalité , il est logique que tous les efforts des
publicistes et des hommes d'État soient dirigés vers le per-
fectionnement de cette personnalité. »
Nous arrivons maintenait à l'ouvrage intitulé : Du système
social et des lois qui le régissent. « C'est, » dit l'auteur
( 157 )
dans sa préface, « la continuation de mes études sur
rbommeet Tétat social. — -En donnant la théorie de T homme
moyen j**ayais insisté sur la nécessité de présenter, en même
temps qu*une moyenne, les limites inférieure et supérieure
entre lesquelles tous les résultats individuels se trouvent
compris. J'ai fait voir ensuite, dans les Lettres sur la théorie
des probabilités, que ces résultats individuels, dans certains
cas, sont asstgettis h un ordre régulier : ainsi, quand il s'agit
de la taille des hommes d'une même nation , les valeurs indi-
viduelles se groupent symétriquement autour de la moyenne ,
'selon une loi que j'ai nommée la loi des causes accidentelles.
J'ai été conduit à démontrer ainsi , ce que je n'avais d'abord
émis qu'hypothétiquement, savoir, que l'homme moyen joue,
dans une nation, un rôle ijnportant; qu'il en est véritable-
ment le type ou le module ; et que les autres hommes n'en
différent, en plus et en moins, que par l'influence des causes
accidentelles dont les effets finissent par devenir calculables,
quand les épreuves sont suffisamment prolongées. ~ Dans ce
nouvel ouvrage je montre que la loi des causes accidentelles
est une loi générale qui s'applique aux individus comme aux
peuples, et qui détermine nos qualités morales et intellec-
tuelles tout aussi bien que nos qualités physiques. En sorte
que ce qui est regardé comme accidentel, cesse de l'être,
quand les observations portent sur un nombre considérable
de faits. « L'auteur parle ensuite de la régularité avec
laquelle procèdent les faits sociaux, et de l'analogie que l'on
remarque entre les lois du monde moral et celles du monde
physique. 11 considère son ouvrage comme une esquisse d'une
science nouvelle dont l'objet est d'étudier l'homme dans ses
divers états d'agrégation, et de rechercher les principes de
conservation des différentes parties du système social.
( 138 )
L'ouvrage est divisé en trois livres : I. De l'homme. {Qtia-
lités physiques t morales ^intellectuelles.) — II. Des sociétés.
{État physique, moral, intellectuel,) — III. Db l'humanité.
Dans la section consacrée aux qualités physiques de Thomme,
Quelelet touche à un sujet auquel ii devait revenir plus tard
avec de grands développements, v II existe, » dit-il, « entre
les différentes parties du corps une harmonie et des conve-
nances que Pœil saisit mieux que le raisonnement. Cette har-
monie a fait depuis longtemps Tobjet de mes études spéciale!,
du moins dans les courts instants de loisir que me laissaient
mes autres travaux. J'espère pouvoir publier un jour les
résultats que j'ai réunis et les comparer à ceux qui ont été
obtenus chez les anciens et chez les modernes. Si je ne
me fais illusion, ces rapprochements ne seront pas sans
intérêt pour l'histoire des arts. — [L'homme] moyen, type
de notre espèce, est aussi le type de la beauté ; et [les] limites
se resserrent d'autant plus chez un peuple, qu'il se rap-
proche davantage de la perfection. — Je serais moins disposé
à pencher vers des idées innées au sujet du beau , que vers
des conceptions qui nous sont acquises par l'habitude. «
Quetelet avait déjà, on s'en souvient peut-être, émis une
opinion analogue dans l'introduction de ses recherches sur
le poids de l'homme. Avant lui, sir Joshua Reynolds avait
posé comme principe fondamental de l'art de la peinture,
que la beauté des formes et des traits consiste dans leur rap-
prochement étroit avec la conformation moyenne du modèle
humain.» Si c'était là le cas, » écrivait Herschel en 1857, «la
laideur devrait être excessivement rare, tandis que les plus
hauts degrés de la beauté constitueraient les cas les plus com-
muns : conclusion absolument contraire à l'expérience <^7. *>
En parlant des méthodes suivies pour étudier les qualités
( 159 )
morales et iotellecluelles, Quelelet rend hommage aux tra-
vaux de Gall et des physiologistes de son école qui ont cherché
à établir des rapports entre ces qualités et le physique de
rhomme.
Il fait observer ensuite que le corps social a son anatomie,
désignée improprement sous le nom de statistique. Quand on
établit un parallèle entre les éléments constitutifs de deux
pays, on fait de Vanatomie comparée, comme on ferait de
Tanatomie comparée en établissant des rapprochements entre
les êtres organisés du règne végétal ou du règne animal. La
société a aussi sa physiologie ^ qu'il ne faut pas confondre
avec réconomie politique. « Ce que nous présente Thuma-
nité, » dit Tauteur eu terminant, u n'est que le tableau
réduit du spectacle imposant de l'univers; nous y trouvons
des lois de subordination analogues à celles qui lient entre
eux tous les corps dont Punivers est peuplé... [La divine
sagesse de Têtre suprême a tout équilibré dans] le monde
moral et intellectuel; mais quelle main soulèvera le voile
épais jeté sur les mystères de notre système social et sur les
principes éternels qui en règlent les destinées et en assurent
la conservation? Quel sera Pautre Newton qui exposera les
lois de cette autre mécanique céleste? «>
Nous attendrons, pour parler des travaux de Quetelet
relatifs aux phénomènes de notre atmosphère et de ceux qui
se passent à la surface de la terre ou à une petite profondeur,
qu'il ait commencé h les réunir dans son ouvrage Sur le climat
delà Belgique. Bornons-nous, pour le moment, à rappeler
que, dès Tannée 184S, un anémomètre d'Osier avait été monté
sur une tourelle de Paile orientale de PObservatolre; que les
observations régulières de l'électricité de l'air avaient com-
mencé en 1844, et qu'en 1846 ou avait placé les instruments
(140)
de M. Kreil, enregistrant par eax-mémes la pression , la tem-
pératare et ThumidUé de Tair.
L^année 1845 avait été signalée à TAcadémie de Bruxelles
par rétablissement d'une classe des beaux-arts et par la sé-
paration de la classe des sciences d'avec celle des lettres. Dès
le mois de septembre 183^, l'Académie , réunie en séance
extraordinaire , s'était prononcée d'une voix unanime pour la
création d'une classe des beaux-arts; mais la séparation des
classes avait été écartée à parité de suffrages. M. Tan de
Weyer, durant son court passage au ministère de l'intérieur,
trouva le temps de résoudre des questions en suspens de-
puis de longues années et souvent débattues : il établit l'an-
tique institution de Marie-Thérèse sur de nouvelles bases et
V Académie royale des sciences , des lettres et des beaux-arts
de Belgique fut installée par le roi , le 16 décembre 1845.
Quetelet avait été l'un des promoteurs de la nouvelle or-
ganisation. Quoiqu'elle vînt lui apporter un grand surcroit
de besogne , il l'accepta avec reconnaissance : tout ce qui
pouvait relever l'Académie était bien reçu de lui. Ayant tou-
jours recherché les artistes , il allait se trouver en relations
régulières avec les plus distingués d'entre eux; amoureux de
l'art, il allait, par sa position, lui rendre ou tout au moins
essayer de lui rendre des services.
La première communication faite au sein de la nouvelle
classe émana de l'honorable secrétaire perpétuel : elle était
relative au projet d'une histoire de l'art en Belgique. 11 s'agis-
sait de retracer, « pour les différentes é()oques, depuis les
temps les plus reculés, les costumes en usage soit chez le
peuple, soit chez les grands, la forme et les ornements des
habitations , les meubles et les instruments les plus employés
pour les besoins de la vie , et tout ce qui peut, en général ,
( 141 )
caractériser les différentes classes de la société. » Ud Musée
national devait servir de complément à cette histoire de
Part.
Plus tard, Quetelet recommanda la formation d*un Musée
etfmologique y qui permettrait d^étudier, en les comparant,
les différents types des races humaines : on prendrait des
empreintes des monuments dans lesquels ces types ont été
reproduits d'après nature, et Ton y joindrait des épreuves de
différentes parties du corps, au moyen de moulages exé-
cutés sur de beaux modèles.
La classe proposa de rédiger une statistique générale des
objets d'art qui se trouvent en Belgique, et d'aviser aux
moyens de les conserver et de les classer : le projet primitif
de Quetelet fut ainsi lié intimement à celui d'un atlas archéo-
logique, dont il avait, dès l'année 1843, soumis le principe à
l'Académie. On lit en effet dans le Bulletin de la séance du
8 octobre : • Le secrétaire appelle l'attention de l'Académie
sur l'utilité qu'il y aurait de former une commission spéciale
pour les antiquités du royaume. Cette commission aurait
particulièrement à s'occuper de l'examen des matériaux déjà
recueillis, d'apprécier la valeur des ouvrages qui en ont traité,
de donner des indications sur les fouilles et les explorations
à faire ultérieurement, de veiller à la conservation des objets
historiques et d'aviser avant tout aux moyens de dresser une
carte exacte de la Belgique ancienne; l'on y indiquerait soi-
gneusement les localités dans lesquelles on a constaté l'exis-
tence de monnaies, d'armes, de tumuli^ de constructions ou
d'autres objets quelconques qu'on peut considérer comme
monuments historiques. Une pareille carte formerait un do-
cument statistique d'une haute importance pour notre his-
toire nationale; en ce qui concerne les Romains en particu-
1 •••
; *i
( 142 )
lier, 00 pourrait, par les vestiges qu'ils ont laissés à la
surface de notre sol, suivre d'une manière plus sdre les voies
qu'ils fréquentaient et déterminer les campements et les ré-
gions qu'ils s'étaient choisis. D'une laïutre part, les décou-
vertes partielles que Ton fait chaque jour ne demeureront
pas stériles, on pourra les rapporter à un centre commun, et
former un dépôt d'antiquités nationales qui ne sera pas la
moins intéressante de nos collections. »
Cette dernière idée seule fut réalisée en 1847 par la créa-
tion du Musée d'antiquités de la porte de Hal à Bruxelles :
l'histoire de l'art et le Musée ethnologique restèrent à l'état
de projets.
X. — Les préoccupations politiques de Quetelet en i848, —
Ses travaux sur les températures de la terre, sur la végé-
tation des plantes f sur l'électricité de rair,sur les ondes
atmosphériques.-— L'ouvrage sur le climat de la Belgique.
— La Conférence maritime et le Congrès de statistique
de 4853, — La détermination de la différence des longi"
tudes entre Bruxelles et Greenwich.
La révolution de 1848 ne fut pas une surprise pour Quete-
let : il avait prévu avec tous les esprits sensés que l'opposi-
tion de Louis-Philippe à des réformes peu redoutables en
elles-mêmes amènerait une catastrophe, mais peut-être ne
s'attendait-il pas h l'ébranlement que les événements de
Paris allaient causer dans la vieille Europe.
Comme tout le monde, dans ces temps d'émotions, il
tourna soh attention vers la politique : dès le mois de mars,
nous le voyons présenter à la classa des lettres de l'Académie
(145)
une note sur la nature des Étals constitutionnels , et sur
quelques principes qui en dérivent.
Parmi les causes nombreuses, soit constantes, soit acci-
dentelles , qui peuvent avoir une action marquée, il distingue
particulièrement les causes constantes qui résultent de la
forme des institutions et qui» par cela même, finissent par
prédominer à la longue. — Pour lui , Texistence de deux
partis est une chose nécessaire, mais à condition que ces
deux partis aient une certaine consistance , et que Tun ne
prédomine pas exclusivement aux dépens de Tautre. — C'est
quand un parti demeure évidemment le plus faible que le
danger commence. Il ne lui reste plus alors qu'à subir ce
qu'il regarde comme un pacte inique, comme une véritable
oppression ; ou bien à recourir à la violence dès, que Tocca-
sion favorable s'en présentera. — Les gouvernements consti-
tutionnels sont soumis à des crises périodiques qui amènent
avec elles des changements de ministère. Les époques de
ces crises varient selon les dififérents pays, mais elles parais-
sent se succéder plus rapidement dans les petits que dans
les grands (?) : les passions individuelles , l'en vie surtout y
ont une large part. — Un changement de ministère est en
général le triomphe passager d'un parti sur l'autre, il ramène
souvent les mêmes hommes au pouvoir. — Ces intermit-
tences sont plus ou moins longues. La durée de la période,
les circonstances qui accompagnent la crise , le nombre de
fois qu'un même homme peut représenter une même' opi-
nion sans risque de la compromettre, l'influence opérée par
le changement dans l'état économique du pays et dans tous
les rouages de l'administration , sont autant de choses qui
méritent une attention spéciale. — Il ne faut pas perdre de
vue que les crises ministérielles sont assez souvent impré-
( 144)
vues, el qu'elles portent pac suite les caractères des change-
ments brusques , qui ne se font jamais sans pertes de forces
vives, pertes que subissent les masses et qui ne produisent
avantage à personne. — Cependant ces alternatives sont né-
cessaires dans le corps de PËtat , elles lui donnent Tactivité
et la vie. Il faut tâcher seulement d*en régulariser la marche,
pour éviter les trop grandes pertes de forces vives , et de
faire que le principe vital , dans ces manifestations périodi-
ques, continue à fonctionner avec la même économie que
celui du corps de Thomme. — Le gouvernement a le plus
grand intérêt à étudier les intervalles que les opinions oppo-
sées parcourent dans leurs plus grandes excursions, et à juger
si les oscillations se font, des deux parts, sans divergences
trop fortes par rapport à Tordre des choses établi, qui doit
toujours rester le centre du mouvement pour conserver la
stabilité nécessaire. — Il importe surtout de ne jamais ou-
blier que la réaction est égale à Taction, et qu'une opposition
ne saurait produire des effets gi'aves, si elle n'a été violem-
ment comprimée d'al)ord.
Nous retrouvons ici les idées déjà émises par Quetelet dans
son Essai de physique sociale : il était Tennemi du système
du juste milieu si longtemps préconisé en France , et des
ministères mixtes , comme on les appelait en Belgique ; mais
il reconnaissait la nécessité d'un tempérament qui, tout en
maintenant les principes, écartât les périls de l'exagération»
ou, si l'on veut , de la réaction.
On sait comment la Belgique resta debout au milieu des
gouvernements qui s'écroulaient de toutes parts. Tandis
qu'ailleurs régnait l'épouVanle, elle s'apprêtait à célébrer
l'anniversaire de son indépendance. Jamais fête plus brillante
que celle dont Quetelet fut l'organisateur, en sa qualité de pré-
(145)
sidenl du Cercle artistique et littéraire , n'avait été donnée à
Bruxelles. On se souvient encore du bal du marché de la
Madeleine, auquel nos peintres les plus distingués prirent
une part aussi active que désintéressée : la décoration splen-
dide du local donna la mesure de leur talent dans un genre
où Rubens n'avait pas dédaigné de s'exercer ; elle montra
aussi combien était grande à cette époque Tinfluence de Que-
telet.
La violente crise que subissait l'Europe continuait à préoc-
cuper Quetelet, et la politique était devenue de plus en plus
J'objet de ses méditations. Au mois de janvier 1849, il lisait à
l'Académie une nouvelle note, intitulée : Fragments sur la
manière dont il convient ^envisager les sciences politiques
et sur Pintervention du gouvernement dans les affaires des
particuliers. « Si la science gouvernementale était absolue, »
disait-il , « la même forme de gouvernement conviendrait à
tous les peuples. Mais où trouver deux peuples entièrement
semblables ? Cette observation si simple est cependant géné-
ralement méconnue , au milieu des agitations qui signalent
notre époque. Avec les meilleures intentions possibles, chacun
veut imposer à son voisin la forme gouvernementale qu'il
préfère. Un des premiers problèmes qu'ait à résoudre l'homme
d'État, est de faire la part d'action du gouvernement et celle
des individus qui composent la nation. Cette part doit-elle
être la même dans tous les temps, dans tous les pays? Certaine-
ment non. Qui songerait à transporter subitement les institu-
tions anglaises au fond de la Russie. Chez un peuple parfai-
tement éclairé, le gouvernement se réduirait à peu de chose:
son action se bornerait, en déûnitive, à faire respecter les
lois et à ne se mêler que des affaires d'un intérêt tout à fait
général, qui sont placées par cela même en dehors de la
(146)
sphère des individas. 11 est d'ailleurs nécessaire que le gou-
yemement se chaîne le moins possible. En sMmmisçanl dans
les affaires des particuliers , il court le risque de tuer Tindi-
vidualité et de détruire la prévoyance, Tune des premières
conditions de la prospérité des peuples. Malheur aux pays
dont les habitants ne croient pouvoir régler leurs affaires
sans rintervention à peu près continuelle du gouvernement,
et lui demandent constamment aide et protection... •
Les événements extérieurs n^avaient apporté aucune inter-
ruption dans les travaux dé TObservatoire. Parmi les questions
que Quetelet avait entrepris d'élucider, celles qui se rappor-
taient aux températures de la terre, aux phénomènes pério-
diques des plantes, à Téleclricité et aux ondes atmosphériques,
méritent spécialement de nous occuper.
Un géomètre , dont les travaux sur la théorie de la chaleur
ont illustré le nom, M. Fourier, examinant en particulier la
question des températures de la terre , avait sollicité.des phy-
siciens les séries d'observations nécessaires à la solution de
plusieurs parties du problème. Mais son appel n'avait guère
été entendu , et il existait peu d'observations de ce genre,
lorsque Quetelet fit établir ses thermomètres dans le jardin
de l'Observatoire de Bruxelles. Cet exemple trouva des imita-
teurs, parmi lesquels il faut citer MM. Forbes, à Edimbourg;
Rudberg, à Upsal; Bisschof, à Bonn; Galdecott, à Trevan-
drum, sur la côte de Malabar, c Les phénomènes qui se rap-
portent aux variations diurnes et annuelles de la température
de la terre, » disait Quetelet à la séance publique de l'Aca-
démie du 15 décembre 1840, « n'offrent pas seulement un
intérêt réel par leur nouveauté et par l'appui qu'ils prêtent à
la météorologie, en indiquant comment vont expirer au sein
de la terre les variations de température atmosphérique.
( 147)
mais ils se rattachent encore à quelques parties de la géolo-
gie, qui ont peu occupé les savants. D'une autre part, leur
étude était devenue indispensable, puisqu'il s'agissait de
vériâer par Tobservation les résultats de plusieurs des tra-
vaux les plus remarquables qu'aient produits les géomètres
modernes. Deux mémoires sur les températures de la terre ,
qui ont été insérés dans nos recueils, ont montré qu'en effet
l'analyse mathématique, encore cette fois, avait marché d'un
pas sur et avait heureusement embrassé dans ses formules
tous les détails de phénomènes que l'observation aurait pu
difficilement saisir. »
Nous avons vu que Quetelet avait institué en 1841 un sys-
tème général d'observation des phénomènes périodiques de la
végétation. Cinq ans plus lard , il chercha à résoudre la ques-
tion du mode d*action de la température sur ces phénomènes,
et il fut conduit à apprécier l'influence de la chaleur, non par
la sommç des températures moyennes journalières , comme le
faisait Réaumur, mais par la somme de leurs carrés.
Les résultats de ses recherches sur l'électricité de l'air pa-
rurent en 1849. Les observations, commencées au mois d'aoCkt
1842, avaient été suspendues au bout d'un an, et n'avaient
été reprises qu'en 1844, époque à partir de laquelle, comme
nous l'avons dit, elles se firent d'aune manière régulière.
Voici en quels termes un célèbre physicien , M. De la Rive ,
en parla dans les Archives des sciences physiques et natU'
relles^^ : « M. Quetelet vient de publier une série d'observa-
tions du plus haut intérêt sur l'électricité de l'air... [Il] a
adopté pour ses recherches les instruments et la méthode
proposés par M. Pallier... Les expériences d'Ermann et de
Saussure avaient déjà fait connaître depuis longtemps que
rélectricité,qui esta peu près de même intensité dans une
( 148)
couche d'air horizontale, est plus forte dans les couches
supérieures; mais il n'existait pas d'observations suivies
faites dans la vue spéciale de connaître les rapports qui exis-
tent dans les circonstances ordinaires entre les différentes
hauteurs et les intensités électriques. M. Quetelet a essayé
de remplir cette lacune, [et il a été conduit] à reconnaître
que dans un milieu nullement dominé par des corps avoi-
sinantSy l'intensité de l'électricité de l'air croît à partir
d'un point déterminé, proportionnellement aux hauteurs. »
Il est dommage que cette loi n'ait pu être vérifiée que dans
des limites de hauteurs assez restreintes... M. Quetelet ob- 4
serve que les maxima d'électricité atmosphérique , indiqués
par l'électromètre, correspondent aux minima de déclinai-
son magnétique, et réciproquement. Cette remarque impor- |
tante se concilie parfaitement bien avec l'opinion que j'ai À
avancée, que les variations de déclinaison sont dues à des
courants électriques, provenant de la réunion des deux
électricités accumulées aux parties inférieures et supérieures
de l'atmosphère, et se réunissant aux pôles, à travers les
régions supérieures de l'atmosphère d'une part, et la surface
de la terre, de l'autre... »
M. De la Rive ne fut pas le seul à apprécier l'importance |
des résultats obtenus par Quetelet, résultats qui embras-
saient, outre les deux points mentionnés ci-dessus, les
variations annuelles et diurnes de l'électricité , l'électricité
dynamique, les orages et leur fréquence. Deux antres phy-
siciens du premier ordre, MM. Faraday et Wheatstone, en
firent l'objet, l'un d'une leçon à l'Institution royale de la
Grande-Bretagne, le second d'une lecture devant l'Associa-
tion Britannique pour l'avancement des sciences y réunie à
Birmingham, au mois de septembre 1849 ^'.
I
\
( U9 )
Le travail de Quetelet sur les ondes atmosphériques est
|)Ostérieur de deux ans à ses recherches sur réleclricilé de
Pair. Il est divisé en trois chapitres. Après avoir parlé des
ondes atmosphériques en général, Tauteur traite 1° de la
forme, de la grandeur et de la vitesse de ces ondes, diaprés
les observations des mois de juin , juillet et août 1841 ; 2° du
système d'ondes atmosphériques de TEurope centrale, d'après
les observations horaires du solstice d'été de 1841 et du
solstice d'hiver de 1843. Dans le troisième chapitre , il expose
les recherches déjà faites sur la nature des ondes atmo-
sphériques '0,
Ce travail obtint un très-grand succès; il avait, comme
celui sur l'électricité de l'air , l'avantage d'être nouveau. La
Bibliothèque universelle ^* et les Archives '* de Genève en
firent ressortir les résultats curieux et inattendus. Nous
rappellerons ici ce que M. Sonrel écrivait en 1867 dans Vjén-
nuaire de la Société météorologique de France : a De nom>
breuses tentatives ont été faites pour saisir les phénomènes
météorologiques sur de grandes étendues et les suivre à la
surface delà terre. Plusieurs ont donné naissance à des théo-
ries célèbres. L'une des plus remarquables et des plus con-
nues est celle des ondes atmosphériques , due à M. Quetelet.
Ce savant marque sur une carte tous les points où le baro-
mètre passe en même temps par un maximum ou un
minimum, et il joint tous ces points par une ligne courbe.
Les courbes se déplacent les jours suivants, en obéissant à
des lois que M. Quetelet s'est attaché à déterminer... Les
ondes atmosphériques ont marqué un grand pas de la mé-
téorologie; elles étaient un acheminement vers les travaux ré-
cents de météorologie internationale, auxquels on doit la loi
remarquable de M. Marié-Davy [loi des tempêtes]... »
13
( 150 )
Les recherches de Quetelet dont nous venons de parler
avaient paru successivement dans les Annales de l'Observa-
toire. Celles qui avaient trait aux températures de la terre
avaient fait d'abord l'objet de deux mémoires insérés dans
\es Mémoires 6e l'Académie, comme on l'a vu précédem-
ment. II les réunit avec d'autres travaux de météorologie
dans un ouvrage en deux volumes Sur le climat de la Bel-
gique. Le tome I comprend les parties suivantes : L Du
rayonnement solaire et des températures de C air et du sol;
— H. Les phénomènes périodiques des plantes; — \\\. De
l'électricité atmosphérique. Le tome II s'occupe: IV. De la
pression atmosphérique et des ondes atmosphériques ; —
V. Des pluies f des grêles et des nuages; — \l. De l'hygro-
métrie ; — De Vétat du ciel en général.
L'année 1853 fut signalée par trois événements scientifiques.
Le 35 aoiîl, une Conférence s'ouvrit à Bruxelles , dans le but
« d'établir un système uniforme d'observations météorolo-
giques à la mer, de concourir à l'observation des vents et
des courants de l'océan , à l'efiFet d'être utile à la navigation
et de donner une connaissance exacte des lois qui régissent
ces éléments. » — Du 19 au 22 septembre, eut lieu, à
Bruxelles également, le premier Congrès de statistique, dans
le but d'organiser un système uniforme d'observations statis-
tiques sur les diflérents points du globe. — Enfin, le 25 no-
vembre, commencèrent les opérations qui devaient relier
l'Observatoire de Bruxelles à celui de Greenwich , au moyen
de signaux galvaniques.
Le promoteur de la Conférence maritime avait été M. Maury,
directeur de l'Observatoire de Washington. Dix pays s'étaient
fait représenter par des hommes spéciaux r d'une voix
unanime, les délégués élurent Quetelet pour président.
( 151 )
Le 8 ^plembre, ils signèrent un rapport dans lequel se
trouvaient résumés les travaux de la Conférence avec Tindi-
cation des moyens à employer pour atteindre le but qu'on
avail en vue. •< Chacun de vous, » disait Quetelet à ses con-
frères de la classe des sciences , le 8 octobre , a chacun de
vous connaît les travaux immenses auxquels on s'est livré ,
dans ces derniers temps , pour perfectionner la météorologie
et la physique du globe, et pour chercher à saisir les lois
qui règlent les grands phénomènes de la nature... Toutefois
les divers systèmes de recherches qui ont été entrepris ,
avaient généralement pour objet des observations faites dans
des lieux déterminés sur terre ; mais la plus grande partie du
globe, la surface des mers , restait en quelque sorte inex-
plorée. Un ofiQcier américain, M. le lieutenant Maury, direc-
teur de rObservatoire de Washington, eut Theureuse idée
de combler cette lacune. Pour concevoir Tingénieuse méthode
qu'il propose d'employer, qu'on se figure la surface des
mers couverte d'un vaste réseau , formé par une série de
méridiens se succédant de degré en degré et coupés par une
série de parallèles, ayant également entre eux un intervalle
d'un degré : supposons, de plus, que, dans chacun des com-
partiments ou quadrilatères provenant de ce partage, on
place un observatoire fixe, chargé de recueillir des observa-
tions à des heures déterminées, et l'on aura un système mé-
téorologique certainement plus complet que ceux qu'on a
réussi à établie sur les continents les plus favorisés au pohit
de vue de la science. On comprend , d'une autre part» qu'un
observatoire fixe n'est pas absolument indispensable, et
qu'on peut lui laisser une certaine liberté dans le quadrila-
tère oii il doit se tenir renfermé ; on peut même le remplacer
par d'autres observatoires flottants qui se relèveraient suc-
( 152)
cessivemenl eloii Tod observerait , aux mêmes heures, avec
des instrumenls et des méthodes parfaitement comparables.
Or c'est sur cette substitution que repose tout le système
d'observation ; on voit dès lors la nécessité de s'entendre ,
dans les différents pays , pour réaliser un plan aussi gigan-
tesque. •
Le Congrès de statistique était dû à Tiniliative de la Com-
mission centrale de statistique, créée eu 1841. « Ce fut à
Londres, » dit Quetelet, • durant TExposilion universelle de
Tindustrie [de 1851], que les premiers entretiens eurent lieu
sur la possibilité de la réalisation d'une idée qui ne laissait
pas que de présenter des difiScultés d'exécution. » La réunion
avait été projetée d'abord pour l'automne de 1852, maiâ les
circonstances politiques la firent ajourner. Les statisticiens
étrangers que la Commission centrale avait consultés dési-
gnèrent Bruxelles pour le lieu de la réunion. A la demande
du gouvernement belge , les principaux pays d'Europe nom-
mèrent des délégués chargés de les représenter officielle-
ment. D'une autre part, les questions à soumettre au Congrès
avaient été préparées avec le plus grand soin et communi-
quées d'avance aux délégués , de sorte que l'on pouvait se
promettre un heureux résultat des délibérations : cet espoir
se réalisa complètement.
Quetelet fut naturellement appelé à présider le Congrès de
statistique, comme il avait présidé la Conférence maritime.
Tous deux laissèrent une trace profonde dans son esprit, et
il se plaisait à y revenir pendant les dernières années de sa
vie.
La détermination de la différence des longitudes entre les
Observatoires de Bruxelles et de Greenwich fut pour Quetelet
une source de vives préoccupations. H s'agissait d'une opéra-
( 153 )
tiou toule nouvelle el fort délicate. En parlant à rAcadémie
des télégraphes de Wheatstone , dans la séance du 17 octobre
1840, « oh sera sans doute charmé d'apprendre, » avait-il
dit, u que Tauteur a trouvé le moyen de transmettre les
signaux entre PAngleterre et la Belgique , malgré Tobstacle
de la mer. » Puis il avait indiqué la détermination des longi-
tudes comme une des applications de la télégraphie élec-
trique. Le premier essai eu fut fait en Amérique, au mois de
juin 184i, entre Washington et Baltimore; il y fut l'enouvelé
en 1847, entre New-York, Philadeli)hie et Washington. Celui
qui allait avoir lieu entre Bruxelles et Greenwich avait une
importance capitale : la distance des lieux , Tinterposilion de
la mer, les difficultés réelles ou apparentes qu'on voit tou-
jours dans une opération qu'on n'a jamais faite, la haute
renommée du directeur de l'Observatoire de Greenwich , la
responsabilité assumée devant lui et devant le monde scienti-
fique, tout cela était bien propre à donner des inquiétudes à
Quetelet. Pour assurer la sincérité de l'opération, on avait
décidé, d'un commun accord, que les plis cachetés, renfer-
mant le calcul des observations faites à Bruxelles et à Green-
wich, seraient ouverts le même jour dans l'un et l'autre
endroit. L'anxiété de Quetelet ne cessa qu'au moment où
cette ouverture ayant eu lieu , il put s'assurer que le résultat
laissait peu de chose à désirer.
Ayant eu l'occasion, ainsi que nous l'avons dit déjà, de
parler ailleurs des travaux astronomiques de l'Observatoire
de Bruxelles, nous serons très court ici. Nous rappellerons
seulement qu'après avoir déterminé la position de l'Observa-
toire, Quetelet s'occupa d'observer les étoiles à mouvements
propres: à partir de 1848 ces observations furent faites d'une
manière régulière et depuis elles n'ont plus subi d'interrup-
tion. 15.
( 154)
Nous avons parlé du rapport que Quetelet avait adressé au
ministre de riulérieur, le 1" mai 1833, en sa qualité de direc-
teur de TÂcadémie des sciences et belles-lettres. Ce rapport ,
avons-nous dit, embrassait les travaux de TAcadémie depuis
le mois de juillet 1830. Un second rapport fut envoyé par lui
au ministre en la même qualité, sur les travaux de Tannée
1833 à 183é. Lorsqu'il eut été nommé secrétaire perpétuel,
ces rapports qui, d'après Tarticle 23 du règlement, auraient
dû être mensuels, continuèrent à être faits chaque année,
et alternativement par MM. de Stassart et de Gerlacbe,
jusqu'en 1840 : à cette époque, ils cessèrent. Quetelet
remplaça les directeurs, mais ses rapports, au lieu d'être
adressés au ministre, furent lus dans les séances publiques;
il avait, du reste, pris l'habitude depuis 1835 d'entretenir
l'assistance des travaux et de l'état de l'Académie, soit dans le
passé, soit dans le présent. Le 16 décembre 1835, lors de la
première séance publique, il avait lu un rapport sur les tra-
vaux de l'ancienne Académie impériale et royale : cinq ans
après, il lut un rapport décennal comprenant la période de
1830 à 1840. Deux autres rapports décennaux, relatifs à la
classe des sciences et à celle des lettres , furent encore lus en
1850 et 1851; à dater de 185^, les rapports du secrétaire
perpétuel cessèrent à leur tour. On peut toutefois y ratlacher,^
comme une espèce de conclusion , la lecture que Quetelet lit
le 16 décembre 1853, et à laquelle il donna le titre: Quelques
remarques sur l'influence des Académies^ des Congrès et
des Conférences scientifiques.
Après avoir retracé en quelques lignes l'origine des socié-
tés savantes et rappelé que les plus anciennes ne remontent
guère au delà du milieu du dix-septième siècle, « vous le
voyez, messieurs, • dit-il, « les Académies sont de date
( 155 )
assez réceole; et cependant, aux yeux de bien des personnes ,
elles se présentent déjà comme des corps vieillis qui ont à
céder la place à d'autres plus vivaces , et, comme on est con-
venu de le dire aujourd'hui , plus entourés des sympathies
générales. Les sarcasmes, du reste, ne leur ont pas manqué
dès Porigine , bien que ceux qui se les permettaient ne fus-
sent pas toujours les derniers à ambitionner d'être inscrits
parmi leurs ipembres... Je n'ai point à me faire ici le panégy-
riste des Académies , ni à énumérer les services qu'elles ont
rendus. Si j'avais à citer des exemples, je pourrais, avec un
juste orgueil, prendre ceux mêmes qu'offre notre Académie :
tout homme impartial qui s^est occupé de l'histoire intellec-
tuelle de notre pays, sait en effet quel était l'état des sciences
au moment de sa réorganisation en 1816, et les travaux con-
sidérables que cette Ck)mpagnie a produits depuis cette épo-
que... •
Quetelet s'élève ensuite contre l'idée de rendre publiques
les séances ordinaires de l'Académie ; puis il montre combien
est peu fondé le reproche qui a été fait aux Académies de
se laisser dominer par l'esprit de corps, et d'attirer à elles
tous les avantages, u On s'obstine aussi », ajoute-t-il, «à y
voir une société d'assurances mutuelles pour des succès
scientifiques, un système convenu d'adoration réciproque.
Hélas! c'est bien mal connaître le cœur humain et l'inté-
rieur des Sociétés savantes: rien, en général , n'est moins
adorateur qu'un confrère. »
11 n'aperçoit aucunement l'utilité des Congrès généraux :
« S'il peut être agréable de se réunir à un jour et dans un
lieu déterminé, pour se voir et s'entretenir, on tire presque
toujours peu d'avantages des séances mêmes. » Mais il ad-
met les Conférences,* quand il s'agira d'approfondir une
(156 )
quesliOD spéciale et de la soumettre à l'exameu des hommes
les plus compéteuts. •
Parlant eusuite du succès de la Conférence provoquée par
M. Maury, il y voit la preuve a qu'on peut tenter un pas de
plus, et arriver au plus vaste système d'observations que Pes^
prit humain ait jamais conçu : celui qui consiste à couvrir le
globe entier, dans toutes ses parties accessibles, d'un vaste
réseau d^observateurs , espacés de manière qu'aucun phéno-
mène naturel de quelque importance ne puisse se manifes- ■
ter sans avoir été vu et observé avec soin, sans qu'on ait le |
moyen de le suivre et de l'étudier dans sa mai*che; en sorte {
que l'œil de la science reste pour ainsi dire incessamment {
ouvert sur tout ce qui se passe à la surface de notre planète. • {
— < Les officiers distingués , • ajoute-t-il , « qui ont pris part
à la Conférence de Bruxelles ne se sont point séparés sans
exprimer le vif désir qu'une seconde réunion pût amener
une alliance entre les observateurs sur mer et sur terre.
Cette alliance aura lieu... Je suis heureux de pouvoir annon-
cer en effet qu'à peu près tous les principaux observateurs 1
qui s'occupent en Europe de la météorologie et de la physique )
du globe, ont déjà donné leur assentiment à la formation d'un
nouveau Congrès qui aurait pour sujet de ses éludes « la
terre et la mer... • Une nouvelle Conférence s'organisa effec-
tivement , mais la réunion des météorologistes n'eut lieu que
vingt ans après, en 1873, à Vienne : la Belgique y fut repré-
sentée par MM. Ern. Quetelet et Gloesener.
Les rapports annuels ou décennaux faits à l'Académie par
Quetelet sont écrits d'un style simple et clair, mais ils se
ressentent naturellement des circonstances de temps et de
lieu dans lesquelles ils ont été composés. D'une part il fallait
démontrer l'utilité de TAcadémie ; eu second lieu , parlant eu
(157)
public, il fallail presque toujours s'en tenir à des généralités,
et si l'on descendait aux détails, il devenait fort difiScile pour
un homme seul, quel que fût son mérite, de présenter une
idée complète de travaux embrassant en quelque sorte
Puniversalité des connaissances. Puis il y avait à ménager
Tamour-propre des académiciens, car si, comme le disait
Quetelet, rien n'est moins adorateur qu'un confrère, d*un
autre côté, rien n'est plus susceptible. Quetelet surmonta
presque toujours ces difficultés avec bonheur. Il sait parler
de l'Académie et des services qu'elle rend, avec dignité et
convenance; ses généralités ne sont jamais banales, et bien
qu'ancien poète, il ne remplace pas les idées par des mots,
et ne fait pas de phrases ; il apprécie presque toujours les
travaux de ses confrères d'une manière juste , quoique super-
ficielle.
/
XI. — Quetelet dans son intérieur. — Ses dernières
années. — Sa mort.
Nous approchons d'une époque où la belle intelligence de
Quetelet va recevoir une atteinte fâcheuse. Avant de parler
des vingt dernières années de sa vie, nous voudrions le pein-
dre tel qu'il était encore au mois de juin 1855; nous vou-
drions raconter sa vie privée et décrire son intérieur, en
nous aidant de nos souvenirs. Essayons, et retournons en
arrière pour que notre tableau soit plus complet.
Après quelques années de séjour à Bruxelles, Quetelet
avait appelé auprès de lui sa mère et une sœur utérine, issue
d'un second mariage et à qui il servait de père. Comme nous
l'avons dit, il avait épousé, en 1825, M"«Curtet, nièce du
professeur Van Mons : deux enfants, un garçon et une fille,
( 158 )
élaient Dés de cette union. Au moment où j'entrai à TObser-
vatoire, la sœur de Quetelet apprenait à peindre dans
râtelier de M. Navez; elle était promise à M. Madou, dont le
talent ne s'était encore exercé qu'à la lithographie , au dessin
et à Taquarelle. L'éducation des enfants se faisait à la maison:
M'"" Quetelet leur apprenait à lire et ils avaient un maître
d'écriture. Tous les dimanches un dîner réunissait la famille
et quelques amis à tour de rôle -, le soir , il venait du monde,
on causait, on faisait de la musique, ou bien l'on jouait des
charades : ce jeu prit surtout faveur , lorsque Galamatta se
fut fixé à Bruxelles, où il dirigeait l'École de gravure; Gala-
matta et Quetelet y étaient de première force.
Ceux qui n'ont connu Quetelet que de loin et par ses
ouvrages , ou déjà usé par l'âge ou la maladie, ne peuvent se
faire une idée .de ce qu'il y avait en lui d'esprit , de gaieté et
d'entrain. Il aimait beaucoup à rire, et Rabelais lui était
presque aussi cher que Pascal. C'était, en outre, un causeur
très agréable, sachant se borner au besoin à donner la ré-
plique , qualité assez rare, et mettant son monde fort à l'aise.
Ayant cultivé de bonne heure l'art du dessin, il maniait le
crayon avec beaucoup d'adresse. Il doit avoir laisséune grande
collection de portraits; voici ce qu'il avait imaginé pour
en rendre l'exécution plus facile: au moyen de la chambre
claire, inventée par le physicien Amici, de Florence, il pre-
nait le contour de la figure , et Madou ou lui achevait le por-
trait.
Quetelet exerçait l'hospitalité d'une manière très libérale.
Tous les hommes de quelque distinction qui passaient par
Bruxelles, étaient sûrs de trouver un bon accueil à l'Obser-
vatoire : j'y ai rencontré des artistes, des savants, des litté-
rateurs , des hommes politiques de toutes les opinions. Parmi
ï
( 159 )
ces derniers figurait Tabbé Gioberti,qui devint plus lard
premier ministre du roi de Sardaigne, et qui ,à Tépoque dont
je parle, était simple professeur à l'institut Gaggia où le fils
de Quetelet faisait ses humanités. Gioberti était grand et
maigre ; il parlait le français avec beaucoup de facilité et
même de volubilité , mais avec un accent piémontais très
prononcé. Jl ne venaità TObservatoire que pendant la semaine ;
les charades n'auraient pas été de son goût et je doute
qu'il aimât beaucoup la musique. C'était un homme grave et
sérieux. Après avoir donné ses leçons à l'institut Gaggia, il
se rendait , dès qu'il avait dîné , au café des Trois Suisses ,
dont les propriétaires et les garçons appartenaient à la partie
italienne de la confédération ; on lui apportait successivement
les journaux disponibles, et, au bout d'un quart d'heure, sa
tête disparaissait au milieu d'un monceau de feuilles de tous
les pays.
De temps en temps le comte Ârrivabene, aujourd'hui sé-
nateur du royaume d'Italie, venait faire une visite de céré-
monie. Grand seigneur jusqu'au bout des ongles, il était
toujours bien ganté et je ne me rappelle pas l'a voir jamais
vu sans le chapeau à la main. Lorsque sa visite se prolongeait
un peu, s'il avait le malheur de s'asseoir dans le canapé, ses
yeux se fermaient malgré lui et il courait le danger de som-
meiller ; aussi il aimait à se tenir debout, ce qui lui était per-
mis quand il y avait du monde au salon. Personne , je pense,
n'eut jamais moins qu'Ârrivabene les dehors d*un conspira-
teur, et cependant c'était sous le poids d'une accusation de
ce genre qu'il avait dû fuir de l'Italie, et que sa fortune avait
été mise sous séquestre. Réfugié en Belgique, il s'occupait
d'économie, mais nullement d'intrigues politiques , et sup-
portait avec dignité un état de gêne relative.
(160)
La révolution de 1848, rébranlemenl qu'elle donna à
TEurope et le coup d'État du 2 décembre 1851 qui en fut le
dénoûment , conduisirent en Belgique beaucoup de Français
et d'Allemands. Parmi ceux-ci et au premier rang figurait
le prince de Metternich : je sais que pendant son séjour à
Bruxelles l'ancien premier ministre de l'empire d'Autriche
vit souvent Quetelet, dont la conversation lui plut beaucoup.
Au nombre des Français était M. Quinette, qui venait re-
présenter la Bépublique auprès du roi Léopold. Le père de
M. Quinette , ancien conventionnel, avait trouvé un refuge
parmi nous après 1815, et avait, comme les autres réfugiés
de l'époque, été bien accueilli par M. Curtet dont Quetelet
épousa plus tard la fille. Il était donc naturel que le nouvel
envoyé se montrât à l'Observatoire : il y continua ses visites
après l'avènement de Louis Napoléon , bien qu'il fût exposé
alors à se trouver en présence de victimes du coup d'État,
nullement d'humeur à faire bon visage à un homme devenu
l'ambassadeur du second Empire après avoir été celui de la
République.
Le 2 décembre avait amené à Bruxelles un ancien pro-
fesseur de l'École normale de Paris, M. Descbanel; il
s'adressa à Quetelet pour être autorisé à donner des confé-
rences au Cercle artistique et littéraire. Le crédit du prési-
dent du Cercle avait un peu baissé à cause de l'insuccès, au
point de vue du résultat pécuniaire, d'une seconde fête à
l'instar de celle dont le retentissement avait été si vif en
1848; mais son influence était encore très grande, et il n'eut
aucune peine à faire agréer la demande de M. Deschanel. Jl
arriva même que le succès obtenu par celui-ci releva beau-
coup son protecteur dans l'esprit des membres de la Société.
Telle est la force de la nouveauté , quand elle s*appuie sur
(161 )
un talent réel , que les conférences du professeur français le
mirent sur un véritable piédestal et contribuèrent à établir
sa réputation et sa fortune.
Quetelet n'aimait pas le monde et ne l'avait jamais aimé,
mais il affectionnait les réunions intimes, les dîners d'amis.
Avant 1830, la Société des Douze dont il faisait partie , avait
acquis une certaine notoriété ; elle comptait parmi ses mem-
bres MM. De Potter, Van de Weyer, Tielemans , Baron, Les-
broussart, Odevaere, Drapiez etc.; ce dernier y représentait
avec Quetelet la science proprement dite. Quelques années
après la révolution , une société analogie se constitua ; elle
était, cette fois, composée presque exclusivement d'artistes.
Les arts avaient reçu une impulsion puissante et avaient
laissé derrière eux les sciences et les lettres; la faveur pu-
blique leur était acquise, et Quetelet conservait pour eux un
goût très prononcé , bien que souvent , dans ses discours à
TAcadémie , il eût déploré l'espèce d'abandon oii languissaient
les autres manifestations du génie de l'homme...
Mais les années ont passé. Quetelet est arrivé à l'une des
plus belles positions qu'un savant puisse ambitionner. Gomme
chef de famille , il a peu de chose à désirer : le mari de sa
sœur est devenu un peintre d'un rare mérite ; sa fille a épou-
sé un jeune artiste, M. Clays,à qui l'avenir réserve éga-
lement de grands succès; son fils, après avoir été l'un des
meilleurs élèves de l'École militaire, a quitté l'arme du génie
oh il était arrivé au grade de lieutenant , pour entrer à l'Ob-
servatoire. A la vérité il a i)erdu sa mère qu'il aimait beau-
coup, mais elle est morte dans un âge très avancé et il a dû
se résigner à une loi de la nature; il lui reste d'ailleurs une
femme distinguée , sa compagne depuis trente ans.
Tout à coup, un malin du mois de juillet 1855, nous le
14
1
( m )
trouvons affaissé sur un paquet de livres; nous le portons sur
la terrasse du jardin ; pendant que l'on court chez son méde-
cin, j'envoie chercher un interne de Thôpital S^Jean,et
quand ils arrivent, ils constatent un cas d'apoplexie, pas très
^rave, mais dont les conséquences devaient lui être funestes.
L'énergie de Quetelet ne faiblit pas cependant. Le lende-
main il nous faisait appeler dans sa chambre pour constater
qu'il nous reconnaissait ; après huit ou dix jours, il voulait
se remettre au travail; et dès le mois de septembre, il
assistait à la séance publique de la classe des beaux-arts. Je
ne pense pas qu'il se fît illusion sur son état, mais il réagis-
sait de toutes ses forces contre le mal. La mémoire, chez
lui , avait été fortement atteinte : c'était chose triste que de
voir les articles qu'il envoyait à l'imprimeur et dont il nous
remettait ensuite les épreuves pour les corriger ; il y avait
des phrases dont la fin n'avait aucun rapport avec le com-
mencement, des répétitions incessantes des mêmes idées et
des mêmes mots. Le travail de révision devenant impossible ,
nous refaisions l'article, on l'imprimait de nouveau et l'au-
teur ne s'apercevait de rien.
Peu à peu cependant il se rétablit assez bien, et l'on put
espérer que, sauf la mémoire, ses facultés résisteraient au
coup qui l'avait frappé. Mais les personnes qui lui étaient le
plus sincèrement attachées et qui le voyaient de près, ne tar-
dèrent pas à se convaincre que le mal était irréparable. Il
continuait du reste à travailler avec une grande ardeur. Plus
tard même, quand Je malheur se fut appesanti sur sa maison,
quand il eut perdu sa femme, sa fille et plusieurs de ses
petits-enfants parmi lesquels se trouvait une jeune personne
charmante, le travail devint sa seule consolation ; il y eût eu
de la barbarie à l'en détacher.
I
I
( 165)
M. Ernest Quetelet avait pris la direction des travaux as-
tronomiques de l'Observatoire : lui , il ne s'occupait plus que
de météorologie, de physique du globe et de statistique; il
continuait à présider la Commission centrale et assistait ponc-
tuellement aux Congrès internationaux de statistique qui se
tenaient dans les grandes capitales d'Europe. Six mois avant
sa mort, il fit le voyage fatigant- de Saint-Pétersbourg pour
répondre à une invitation pressante du grand-duc Constan-
tin, sous les auspices duquel le Congrès de statistique devait
avoir lieu. Rien n'avait pu le détourner de ce voyage» ni la
crainte du choléra, ni les instances de sa famille jet il se
trouva que les appréhensions de ses proches et de ses amis
n'étaient pas fondées. A son retour, il nous parut rajeuni : la
réception qui lui avait été faite l'avait fort touché. 11 était du
reste dans une phase heureuse; le 18 mai 1872, l'Académie
des sciences morales et politiques de l'Institut de France
l'avait promu à une place d'associé, ce qui est la plus grande
distinction dont elle dispose, et, dix jours plus tard, dans une
adresse de félicitaiion envoyée à l'Académie royale de Bel-
gique, à l'occasion du centième anniversaire de sa fondation,
l'Académie des sciences de Berlin l'avait proclamé le créateur
d'une science nouvelle.
Quetelet fut exact jusqu'au bout à remplir ses fonctions
de secrétaire perpétuel de l'Académie. Le lundi 2 février 1874»
quoique déjà atteint de la maladie des bronches dont il mou-
rut quinze jours après, il assistait encore à la séance de la
classe des lettres. Le jeudi matin , il descendit pour la der-
nière fois dans son cabinet, et l'on eut beaucoup de peine à
l'empêcher de se rendre à la séance de la classe des beaux-
arts. Son état ayant empiré, on perdit bientôt l'espoir de le
sauver. Lorsqu'il tomba dans le délire, l'Académie et TObser-
vatoire revinrent souvent sur ses lèvres...
( 164 )
XII. — Us dernières publication de Quetelet,
Il nous reste à parler des ouvrages que Quelelet 6t impri-
mer pendant la dernière période de sa vie : ils sont nombreux
et fort étendus; la plupart sont des réimpressions ou se com-
posent de pièces rapportées, écrites à différentes époques.
Nous avons d'abord l'ouvrage : Sur la physique du globe,
qui forme le tome XIII des Annales de^ TObservatoire. La
dédicace : A la mémoire de son Altesse Royale le prince-
consort Albert de Saxe-Cobourg et Gotha, porte la date du
15 décembre 1861.
En rendant compte de cet ouvrage dans les Archives de
Genève^', M. delà Rive s'exprimait ainsi: * Il est peu de pby«
siciens qui aient plus que M. Quetelet contribué aux progrès
de cette partie des sciences naturelles, désignée sous les noms
de météorologie et de physique terrestre. Ce n'est pas seule-
ment par une longue série d'observations de genres très
différents et poursuivies avec un zèle aussi persévérant qu'é-
clairé que M. Quetelet a droit d'occuper le premier rang
parmi les météorologistes, mais il a en outre le mérite d'avoir
su réunir depuis longtemps les observations faites dans dif-
férentes parties du globe, et, en les soumettant à une saine
critique, d'en avoir tiré un grand parti pour arriver à des lois
générales.
» L'ouvrage que nous annonçons n'est qu'un résumé ac-
compagné de réflexions générales, de bien d'autres travaux
du savant physicien de Bruxelles. Il renferme différents cha-
pitres consacrés à la météorologie en général et plus parti-
culièrement à l'étude des températures de l'air et du sol , à
l'électricité de l'air, au magnétisme terrestre et aux étoiles
( 165)
filantes. L'ouvrage se termine par deux chapitres ayant pour
objet : Fun, les phénomènes périodiques des plantes et des
animaux ; Tautre , les phénomènes des marées en vue surtout
de la Belgique.
» La physique terrestre et la météorologie sont de toutes
les parties des sciences naturelles, celles dans lesquelles les
progrès sont nécessairement les plus lents. Tandis que dans
les sciences expérimentales, le savant peut à volonté repro-
duire les faits qu'il veut étudier, il faut ici quMl attende pa-
tiemment que la nature veuille bien amener sous ses yeux les
phénomènes quMi s'agit pour lui d'observer et dont il doit
rechercher les causes. C'est donc souvent une œuvre de
longue haleine qui exige autant de patience que d'exactitude...
Les progrès que peut faire cette branche des connaissances
humaines sont nécessairement subordonnés à ceux des au-
tres sciences d'observation et surtout des sciences expéri-
mentales... Plus, en effet, on avance dans l'étude des sciences,
plus l'art de l'observation et de l'expérience se perfectionne,
plus on découvre une liaison intime , je dirai presque une so-
lidarité entre tous les phénomènes naturels, et plus on entre-
voit la possibilité de parvenir une fois à les rattacher tous à
une cause commune. Envisagées à ce point de vue, la physique
terrestre et la météorologie revêtent un caractère tout nou-
veau, qui fait comprendre comment des hommes d'une haute
capacité ont pu se décider à consacrer aux observations
qu'elles exigent, un temps et une intelligence qui, aux yeux
de ceux qui ne considèrent les choses que légèrement, au-
raient pu être employés d'une manière plus fructueuse. «
Quetelet avait émis l'idée que l'atmosphère est composée
de deux parties essentiellement distinctes, l'une inférieure,
toujours mobile, à l'état de courant, l'autre supérieure, rela-
14.
(166 ) '
tivement Qx^ el appuyée sur la première, les cirri. nuages les
plus élevés et les plus légers, indiquaut la position de la
courbe limite où les deux atmosphères se séparent. La diffé»
rence entre ces deux parties ne parait pas à M. De la Rive
devoir être aussi tranchée que Quetelel le supposait ; elle lui
semble devoir s'établir par degrés sensibles, et non pas d^une
manière brusque ; mais il est, par contre, très disposé à croire
avec le directeur de rObservnloire de Bruxelles , que Tatmo-
spbère a une hauteur beaucoup plus grande qu'on ne Tid-
met généralement et qu'elle est le lieu où se passent bien
des phénomènes qu'on a longtemps regardés comme étant
extra-atmosphériques.
« Dans le nombre des remarques faites sur Thumidité àe
Tair par M. Quetelet, il en est une qui nous a frappé, t dit
M. De la Rive, a c'est que la marche de l'humidité paraît
avoir des rapports intimes avec celle de la végétation | ainsi
quand le feuillage n'existe plus, l'humidité de l'air est la plus
forte, et elle a la moindre valeur, au contraire, à l'époque où la
végétation est dans toute son activité.
» Les variations d'intensité dans l'électricité de l'air sem-
blent [aussi] avoir une liaison très intime avec les variations
de l'humidité , ce qui est une conséquence naturelle du fait
que les instruments qui servent à percevoir et à mesurer cet
agent sont dans la partie inférieure de l'atmosphère, et que
l'électricité qui est dans les couches supérieures y parvient
d'autant plus facilement que l'air est plus humide. Aussi
l'écoulement tranquille de l'électricité sur la terre est plus
fréquent en hiver; il se fait généralement sans secousse; le
contraire a lieu en été; cet écoulement, à cause de la séche-
resse, se fait plus brusquement alors et produit de nombreux
orages...
( '«n
• M. Quetelet consacre dans son chapitre sur rélectricité
de Tair un paragraphe étendu aux aurores boréales quMI con-
sidère bien comme des phénomènes électriques. [Elles se
produisent , selon lui] , dans [la] partie supérieure [de Tat-
mospbère]...
» Le magnétisme terrestre occupe une très grande place
dans Touvrage de M. Quetelet. [On a déjà reconnu] à côté
[des] phénomènes diurnes [du magnétisme] et de ses varia-
tions qui se lient à toutes les perturbations atmosphériques,
des périodes plus ou moins longues, dont nous ignorons les
véritables causes... A côté de ces périodes régulières de va-
riations, il existe des perturbations irrégulières qui , comme
on le sait, coïncident avec les apparitions des aurores boréales.
Ce qu'il y a de caractéristique dans ces perturbations, c'est
qu'elles s'étendent à la fois sur tout le globe , même dans les
parties où l'aurore boréale n'est pas visible... »
En 1864, Quetelet (H paraître son Histoire des sciences
mathématiques et physiques chez les Belges. Pour qu'on ait
de suite une idée de cet ouvrage, nous en donnerons d'ai)ord
le cadre : Introduction. — Livre premier. Depuis Vorigine
de ta Belgique jusqu'au règne de Charles-Quint. — Livre H.
Depuis Charles-Quint jusqu'à la fin du gouvernement d'Ah
bert et d'Isabelle. — Livre lU. Fin du règne d'Albert et d* Isa-
belle , jusqu'à Npoque de la création de l'Académie impé-
riale et royale de Bruxelles. — Livre IV. Depuis la création
de r Académie de Bruxelles jusqu'à 1830. — Aperçu géné-
ral. — Appendice.
Dans l'introduction, Tauteur retrace à grands traits This-
toire des sciences depuis les Grecs, • à qui Ton est surtout
redevable d'en avoir recueilli les premières notions chez leurs
voisins et d'avoir puissamment contribué à les développer. •
( 168 )
Il expose le plan qu'il se propose de suivre : il s'arrêtera ,
dit-il, à l'époque de 1830 , comptant faire des temps posté-
rieurs l'objet d'un ouvrage particulier.
Nous ne pouvons natarellement présenter qu'un résumé
très rapide des quatre livres qui viennent après cette intro-
duction. ^
On fait commencer généralement la reprise des sciences
mathématiques à l'époque du pape Sylvestre II. La Belgique
eut une part très active à ce mouvement de l'esprit humain.
Au treizième siècle, le goût des sciences s'était répandu dans
toute l'Europe. Deux siècles plus tard, l'Université de Lou-
vain est fondée, mais elle ne porte son attention sur les
sciences et surtout sur les sciences mathématiques , que
lorsque Charles-Quint est venu donner une vive impulsion
au développement de l'intelligence dans notre pays. Elle ap-
pelle alors au nombre de ses professeurs Gemma Frisius,
plus célèbre encore par ses élèves que pas ses ouvrages.
L'étude de la géométrie fait des progrès rapides , et parmi
ceux qui se distinguent le plus , il convient de citer en pre-
mière ligne les géographes Mercator et Ortelius.
Les persécutions religieuses forcèrent ensuite les Simon
Stevin, les Philippe Van Laensberge et tant d'autres de quit-
ter la Belgique. Il se fit dans le pays un vide déplorable, et
lorsque, après l'avènement des archiducs Albert et Isabelle,
la tranquillité se rétablit, les jésuites durent se charger de
réparer les pertes occasionnées parla tyrannie du duc d'Albe.
Anvers devint lé principal centre d'enseignement des révé-
rends Pères : ils avaient des savants d'une grande force,
qui se mêlaient fort peu de politique. M. Chasles cite le
P. d'Aiguillon , comme l'auteur de la projection stéréogra-
phique : • Les principes de cette projection, • dit-il, « trans-
( Î69)
portés aux . surfisices du second de^é, forment aujourd'hui
une méthode de recherches en géométrie rationnelle. » [On
se rappellera Pheureux usage que Queteiet et surtout Dan-
delin firent de cette méthode). — L'un des membres les plus
illustres de POrdre fut Grégoire de Saint-Vincent ^*, dont les
nombreuses inventions en géométrie excitaient l'admira-
tion de Leibnitz. — Une école scientifique qui s'était formée
à Liège sous le protectorat des jésuites, fut un autre centre
qu'il ne faut pas perdre de vue quand on étudie l'histoire
des sciences dans nos provinces.
Pendant que les jésuites originaires de Belgique montraient
une ardeur si grande pour les sciences, plusieurs de leurs
frères pénétraient en Chine et essayaient d'y propager la foi
et d'y répandre leurs connaissances : parmi ceux-ci brille au
premier rang le P. Verbiest, qui mourut à Pékin.
Lorsque arriva le commencement du dix-huitième siècle ,
la Belgique scientifique dormait d'un profond sommeil.
Simon Stevin , Grégoire de Saint -Vincent, le P. De la Faille,
Tacquet, VanLangren, le chanoine de Sluze, avaient été
les derniers représentants de la géométrie : api^s eux,
on ne trouve plus à citer que Le Poivre, auteur d'un Traité
des sections du qflindre et du cône considérées dans le
solide et dans le plan , avec des démonstrations simples et
nouvelles '*.
L'Académie des sciences et belles-lettres de Bruxelles,
fondée par Marie-Thérèse, rendit de grands services: res-
taurée après la réunion de notre pays à la Hollande, elle eut
quelque peine à se ranimer, mais bientôt une étude suivie
de la géologie du pays , et des recherches de géométrie pure
attirèrent sur elle l'attention du monde savant. — Des insti-
tutions utiles furent créées par le gouvernement des Pays-
( 170)
Bas , et les sciences avaient trouvé de nombrepz adeptes,
lorsque survint la révolution de 1830.
L'ouvrage se termine par un tableau synchronique des-
tiné à rendre sensibles les diverses phases scientifiques par
lesquelles la Belgique a passé successivement. « On remar-
quera , » dit Tauteur, » que le développement des lumières
suit toujours d'un temps plus ou moins long les causes qui
l'ont fait naître; mais il n'en est peut-être pas de même de
leur extinction. •
Quetelet nous apprend dans un Appendice , que l'Histoire
des sciences mathématiques et physiques chez les Belges
était composée depuis longtemps. Il veut dire sans doute
qu'il en avait préparé les matériaux. Le plan général est bon,
mais l'ouvrage laisse à désirer pour l'ordre et la méthode, et
il faut regretter que les matériaux n'aient pas été mis en
œuvre par une main plus sûre.
L'ouvrage intitulé : Sciences mathématiques' et physiques
chez les Belges, au commencement du XI X^ siècle, que
Quetelet fît paraître en 1866, renferme peu de choses nou-
velles. Le cadre est le suivant : Préface. — Livre premier.
État général des sciences. — Livre II. Savants belges, —
Livre IIL Littérateurs et artistes belges. — Livre IV. Sa-
vants et litérateurs étrangers. Leurs relations avec la
Belgique.
L'auteur, après avoir résumé rapidement l'histoire des
sciences et les bienfaits dus à l'institution des Académies ,
fait ressortir « les avantages qu'on peut retirer de travaux
combinés entre eux et dirigés vers un même but, • et « la
supériorité de l'association d'une réunion d'hommes sur les
efforts du génie humain le mieux organisé, abandonné à ses
forces individuelles au milieu des grandes œuvres de la créa-
( 171 )
•
Uon.» Il revient ensuite à la Conférence maritime de 1853 et
aux Congrès de statistique. A propos du Congrès tenu à Lon-
dres en 1860,11 donne un long extrait du discours d'ouverture,
prononcé par le prince Albert, et cite comme principal résultat
de cette réunion, l'ouvrage qu'il a fait paraître avec M. Heus-
chling,au commencement de 1866, sous le titre: Statistique
internationale (population), publiée avec la collaboration
des statisticiens officiels des différents États de t Europe et
des États-Unis d'Amérique. Il présente ensuite un exposé des
services rendus par l'Académie de Bruxelles , en remontant
à la création du royaume des Pays-Bas ; il s'étend particuliè-
rement sur les travaux relatifs aux mathématiques et à la
physique; puis il parle de l'Observatoire, de la Commission
centrale de statistique et d'autres sujets qu'il a déjà traités
plus d'une fois.
Tout ce premier livre est faible; il est assez mal écrit, sans
ordre et sans méthode, avec des redites et des phrases par-
fois incohérentes. Les autres livres contiennent des notices
biographiques empruntées aux Annuaires de l'Académie, au
Bulletin de la Commission centrale de statistique et aux
Annales des travaux publics de Belgique.
L'auteur disait dans la préface : « Cet écrit et l'Histoire
des sciences mathématiques et physiques chez les Belges ,
auquel il fait suite , servent en quelque sorte d'introduction
à trois ouvrages, ^ue je publierai successivement avec l'aide
de mon 61s, attaché depuis onze ans à l'Observatoire royal
de Bruxelles. Les trois ouvrages sur l'os^ronom/e, U météo-
rologie et la physique du globe comprendront les résultats
des travaux d'observation faits chez nous, pendant les
trente-cinq dernières années. »
De ces trois ouvi'ages , le second seul a paru en 1867 , sous
( 17«)
le titre : Météorologie de la Belgique comparée à celle du
globe. Il comprend une introduction et quatre livres.
L'atmosphère, comme on Ta déjà dit, se compose, d*après
Fauteur, de deux parties, !*une Inférieure et constamment
agitée, Vautre supérieure et soumise seulement aux mou-
vements réguliers de rotation et de translation de la terre.
Les phénomènes qui se manifestent dans Patmosphère mo-
bile forment Tobjet de la météorologie, La physique du globe
traite de ceux qu'on observe dans la partie supérieure de
l'atmosphère et immédiatement au-dessous de la partie infé-
rieure, à la surface du sol et à une petite profondeur. Bien
au-dessus de cette double enveloppe, les mouvements et les
propriétés des corps célestes constituent le domaine de
Vastronomie.
L'auteur annonce que dans les deux premiers livres de la
météorologie il s'occupera spécialement des éléments relatifs
à la ville de Bruxelles ; dans le troisième livre, il étendra
ses recherches à la Belgique entière, et dans le quatrième ,
il examinera les modifications qu'éprouvent nos éléments
météorologiques, en passant aux pays voisins. Chaque livre
est divisé en chapitres qui traitent de la chaleur; — de
la pression de Vair ; — des vents ; — de Vhygrométrie ;
— des pluies ; — de V électricité ; — des phénomènes lumi"
neux.
Dans l'ordre de publication des ouvrages de Quetelet,
nous arrivons maintenant à la seconde édition de sa Physique
sociale, sous le titre : Physique sociale ou Essai sur le déve*
loppement des facultés de l'homme ] 2 vol, in-8o. Bruxelles,
1869.
Cette seconde édition , dédiée aux délégués des divers États,
chargés de la formation dune statistique internationale j
( 175 )
est précédée de Particle que sir John Herscbel avait consacré
en 1850, dans la Revue d'Edimbourg , aux Lettres sur la
théorie des probabilités. L'auteur a conservé le cadre de
l'édition de 1835, auquel il n'y avait en effet rien à changer;
mais n'ayant plus la force ou le courage de remanier les divers
chapitres, pour y faire entrer les documents dont la statis-
tique s'était enrichie depuis quarante ans , il s'est contenté
d'ajouter au texte primitif des notes et des suppléments, ce
qui jette une certaine confusion dans l'ouvrage et le rend
assez difficile à lire.
Avant de passer à V Anthropométrie de Quetelel,le dernier
ouvrage qu'il ait publié, nous donnerons, d'après le Bulletin
des sciences mathématiques et astronomiques , paraissant à
Paris, une idée de la courbe binomiale, à laquelle il attachait
un grand prix , et dont il a plus d'une fois entretenu l'Aca-
démie de Belgique pendant les dernières années de sa vie : il
y revenait, on peut le dire, avec amour.
« Que l'on suppose tous les hommes de vingt ans, d'un
même pays , couchés sur l'horizontale ca^ dans le même sens ,
les pieds en c, les têtes des plus grands en a, des plus petits
en b; qu'on élève, en chaque point, de 6 en a , des verticales
ou ordonnées, égales en hauteur au nombre de tètes qui
viennent s'appuyer en chacun de ces points ; les extrémités
supérieures de ces droites seront sur une courbe régulière et
symétrique par rapport à la perpendiculaire au milieu de ba.
Cette courbe que l'auteur appelle binomiale, est l'une de
celles que l'on emploie, dans le calcul des probabilités , pour
rendre plus sensible la répartition des événements. De là
résulte que Ton peut considérer l'homme de taille moyenne
comme un type, et la différence entre cet homme et les
autres comme des erreurs accidentelles, commises dans la
15
(174)
réalisation de ce type, et se répartissant suivant la loi ordi-
naire des probabilités.
» Si, au lieu de considérer les (ailles, on considère les
poids, la courbe binomiale obtenue n'est plus symétrique
par rapport à son ordonnée maximum, c'est-à-dire que les
deux termes du binôme ne sont plus égaux.
» Cette loi semble embrasser tous les corps vivants, non-
seulement ceux de Tespèce humaine, mais les corps simi-
laires du règne animal et même du règne végéial. •
V Anthropométrie ou mesure des différentes facultés de
r homme parut en 1871 ; sir John Herschel en avait accepté
la dédicace.
C'est peut-être le plus faible des ouvrages de Quetelet , au
point de vue de la forme. Plusieurs chapitres avaient été
publiés, de 1848 à 1850, dans les Bulletins deTAcadémie,
et il faut regretter vivement que Tauteur n'ait pas pu termi-
ner l'ouvrage à cette époque , quand il jouissait encore de la
plénitude de ses facultés. Si l'on en retranchait les redites
et les emprunts faits à la Physique sociale, on aurait un
volume réduit des deux tiers , et d'un très haut intérêt.
Les recherches de Quetelet sur les proportions du corps
humain lui avaient coûté beaucoup de peines et beaucoup
d'argent, et il s'en était occupé pendant de longues années.
Plusieurs de ses confrères à l'Académie, parmi lesquels il
cite spécialement M. Gluge, et des artistes d'un grand mérite
lui avaient prêté leur aide et leur concours.
V Anthropométrie est divisée en cinq livres dont voici les
titres : Livre I. Sur les proportions du corps humain. —
Livre II. — Sur les proportions humaines chez les anciens
et chez les modernes. — Livre III. Moyennes et limites de la
croissance. — Livre IV. Population moyenne; expériences.
(175)
— Livre V. De l'Anthropométrie et de l'avenir de cette
science.
L'auieur présente le résumé suivant de son ouvrage :
« Dans le premier livre , j'ai essayé de tracer largement les
principes les plus importants de ranlhropométrie... — J'ai
essayé de donner dans le second livre , un aperçu des princi-
paux travaux sur les proportions de l'homme. -- [La] théorie
des proportions moyennes [était] inconnue aux anciens et
[n'a] guère été cultivée par les modernes. Un peuple ne doit
[point] être considéré comme un assemblage d'hommes
n'ayant aucuns rapports entre eux; il forme un ensemble des
plus parfaits, composé d'éléments qui jouissent des pro-
priétés les plus belles et les plus admirablement coordonnées.
C'est ce bel ensemble que j'ai tâché de rappeler dans le troi-
sième livre. Qu'on prenne les hommes d'un même âge, [ceux
de] trente ans, par exemple; qu'on les mesure pour la hau-
teur, pour le poids , pour la force ou pour toute autre qua-
lité physique quelconque, même pour une qualité intellec-
tuelle ou morale, et l'on verra ces hommes se ranjçer ù leur
insu et d'après la grandeur des mesures, de la manière la
plus régulière... [Ils se classeront] numériquement pour
chaque âge, comme les ordonnées d'une même courbe. Cette
loi est uniforme , et la courbe que j'appelle binomiale reste
la même. [La] loi [avait] été entrevue par quelques philoso-
phes, mais sans qu'ils fussent frappés de l'élégance et de la
généralité qu'elle comporte. — Le quatrième livre traite
spécialement des parties les plus intéressantes delà théorie
de l'homme, en faisant usage du langage mathématique. —
Dans le cinquième et dernier livre, j'ai essayé de faire voir
que les mêmes formules qui m'ont servi à déterminer la
partie physique de l'homme, peuvent également servir à dé-
terminer ses qualités intellectuelles et morales. »
(176)
Entrons maintenant dans quelques détails : ils feront
comprendre Touvrage mieux que les titres un peu vagues
des livres et leur résumé donné par Fauteur lui-même.
L'auteur croit avoir réussi à démontrer que non-seule-
ment Tunité de l'espèce humaine existe, mais encore que
notre espèce admet un type ou module dont on peut facile-
ment déterminer les différentes proportions. Il a donné à ce
type le nom d'homme moyen : la preuve de son existence se
trouve dans la manière même dont les nombres obtenus pour
chaque partie du corps se groupent autour de la moyenne ,
en obéissant à la loi des causes accidentelles. Ces causes
sont-^lles assez nombreuses et assez influentes pour qu'il
soit nécessaire de recourir à un grand nombre de personnes
pour éliminer les particularités qu'elles présentent? L'expé-
rience nous apprend que non. « J'ai mesuré, • dit Quetelet,
a trente individus de même âge, régulièrement construits
et j'en ai formé trois groupes de dix individus chacun. Après
ces déterminations, j'ai pris les moyennes pour chaque partie
du corps de chacun de ces groupes , et , en considérant les
moyennes comme appartenant à trois personnes distinctes,
je les ai comparées entre elles : elles diflféraient si peu , qu'en
mesurant un même modèle trois fois de suite, j'eusse obtenu
entre les valeurs des différences plus grandes. Ce résultat
inattendu a singulièrement abrégé mon travail... Je me suis
borné à mesurer avec soin dix individus de chaque âge, chez
les hommes comme chez les femmes. Les moyennes des
divers groupes me donnaient le développement d'année en
année, et la continuité de ces nombres me permettait de
juger, par une autre voie, du degré de confiance qu'ils pou-
vaient inspirer. J'ai pris ensuite, à chaque âge, la taille
pour unité et j'ai ramené tous les nombres à cette nouvelle
/
i ( 177 )
échelle , ce qui m'a permis de juger quels sont les membres
^ qui, comparativement à la taille totale, prennent aVec l'âge
le développement le plus rapide. •
La fixité du type humain n'est pas telle qu'il ne puisse
subir l'influence de causes constantes ; mais la loi des causes
accidentelles ne sera point effacée, il arrivera seulement que
les oscillations se feront autour d'une moyenne plus ou
moins grande. Nous pouvons également élargir ou resserrer
les limites entre lesquelles les oscillations s'accomplissent.
La couleur, sur laquelle ou a établi en général les divisions
que l'on admet entre les hommes , n'est pas de nature à dé-
truire l'unité de l'espèce.
Ce qui semble le plus merveilleux, c'est que l'ordre général
des choses et les lois de la création ne reçoivent aucune
atteinte par l'intervention Aumaioe. L'enfant naît organisé
comme il Tétait aux premiers âges du monde , il apporte les
mêmes qualités, les mêmes aptitudes, les mêmes facultés
intellectuelles, les mêmes penchants au bien comme au mal ,
mais le milieu dans lequel il se trouve et l'éducation qu'on
lui donne vont le diversifier.
L'auteur revient ensuite à Pidée du beau dans les arts, et
il persiste à croire que le beau absolu n'existe pas. Beaucoup
de philosophes, dit-il, ont rangé l'appréciation du beau
parmi nos idées-mères ; d'autres croient que nous n'arrivons
à ce sentiment que par l'observation; et, dans le fait, nous
ne regardons comme belles que les formes auxquelles nous
nous sommes habitués , ou vers lesquelles notre goût parti-
culier nous entraîne.
Il explique comment il faut entendre le principe qui fait
de l'homme moyen le type du beau : le type qui convient à la
généralité des hommes se modifie selon au'on veut repré-
15.
( 178)
senter plus spécialement la grâce, la force ou toute autre
qualité physique du corps; il faut, en ce cas, donner une
prépondérance à certaines proportions. Xa physionomie joue
aussi un grand rôle ; la pensée et la passion peuvent opérer
une espèce de transfiguration. La connaissance seule des
proportions ne rendrait pas plus de services pour composer
une belle statue que celle de la grammaire pour composer
un beau poème.
Dès la plus haute antiquité, on s'était occupé des diffé-
rentes parties du corps de Fhomme et des rapports qui
existent entre elles. Les Grecs et les Romains tournèrent éga-
lement leur attention vers ce sujet : à la renaissance , il fut
traité par le statuaire Léon -Baptiste Alberti et par les
peintres Léonard de Vinci et Albert Durer. L'auteur analyse
les ouvrages sur les proportions , que ces artistes nous ont
laissés. II passe ensuite en revue les travaux analogues des
Allemands modernes, des Belges et des Hollandais. Puis
vient le tour des Français, des Anglais, des Espagnols.
La plupart des auteurs qui ont écrit sur les proportions
humaines ont choisi quelques modèles qu'ils jugeaient les
mieux conformés, et ils se sont attachés à les faire connaître.
Les uns ont donné la préférence aux statues antiques, d'autres
ont pris leurs mesures sur des modèles vivants , quelques
autres enfin ont présenté des mesures qu'ils avaient conçues
dans leur propre imagination.
Quetelet , ainsi qu'on l'a déjà vu , s'est borné à mesurer
dix individus de chaque âge, des deux sexes, mais il a eu
soin de les prendre d'une forme qu'on pouvait regarder
comme régulière. Les moyennes sont données à la lin du
volume, pour chaque âge, de à 20 ans inclusivement;
puis à 25, 30 et 40 ans. Les proportions sont exprimées en
(179 )
mesures métriques, et pour chacune des parties mesurées, on
a calculé le rapport entre les deux extrêmes cori-espondant
à et à 40 ans ; elles concernent les hommes et les femmes
pris séparément et forment huit tableaux ; dans huit autres
tableaux , on donne les valeurs relatives , en prenant pour
unilé la hauteur totale de Tindividu.
L'auteur a mesuré dix modèles de femmes belges et il a
rapproché ses mesures de celles fournies par Aux beaux
modèles romains , par une femme espagnole et par un mo-
dèle français : « on pourra voir , » dit-il , » que les différences
sont purement accidentelles. » II y a plus : tout, d'après lui ,
tendrait à établir que le type humain , dans nos climats , est
identique avec celui qu'on déduit de l'observation des statues
anciennes les plus régulières. La iinesse et la beauté des
traits, l'expression de la physionomie, l'élégance des formes
peuvent ne pas être les mêmes , sans pour cela que les pro-
portions soient différentes.
Si l'on considère l'espèce humaine dans toute sa généra-
lité, les grands linéaments varient fort peu pour les diffé-
rents pays et pour les différentes races ; les caractères qui
les séparent se trouvent dans des parties d'une apprécia-
tion moins facile: l'angle facial. la largeur du nez , l'épaisseur
des lèvres, la couleur, la chevelure, la barbe, etc. C'est la
conclusion que lire Quetelet des mesures qu'il a prises sur
des Indiens , des Chinois et des Cafres pendant leur séjour
à Bruxelles.
XIII. ~ Conclusion.
Nous sommes arrivé à la fin de la tâche que nous nous
étions prescrite ; nous avons raconté ce que nous connais-
le
( 180)
sions de la vie de Quetelet, et nous avons apprécié ses
œuvres avec impartialité et bonne foi , en nous appuyant sur
le sentiment des étrangers , toujours mieux placés que les
compatriotes pour bien juger.
Les recherches de Quetelet sur Thomme et sur le déve-
loppement de ses facultés seront son éternel honneur.
L'Observatoire qu'il a créé a beaucoup ajouté à nos
connaissances sur la météorologie et sur la physique du
globe: sa force productive sous ce rapport était signalée en
1850 dans les termes les plus élogieux par sir John Herschel.
Des physiciens tels que De la Rive, Faraday, Wheatstone ont
rendu pleine justice aux travaux de cet établissement. No-
tons encore ce que disait M. Gh. Sainte-Claire Deville , à la
séance du 2 mars 1*74, de l'Académie des sciences de Paris,
après que M. Ëlie de Beaumont eut annonce la mort de
Quetelet : a La météorologie est une des sciences qui a le
plus longtemps et le plus vivement occupé Tesprit si net et
si varié de M. Quetelet. Pendant plus de quarante ans , il a
dirigé TObservatoire météorologique , annexé par lui à l'Obser-
vatoire astronomique de Bruxelles. Il a publié avec tous leurs
détails (aidé dans ces' derniers temps par un fils digne de lui ,
M. Ernest Quetelet), les observations recaeillies par lui depuis
1852 : il en a calculé les moyennes et déduit les conséquences
les plus intéressantes. Enfin il a étudié, avec un soin parti-
culier , le retour des phénomènes périodiques (végétation ,
passage d'oiseaux , etc.), et l'on peut dire qu'il a laissé le vrai
modèle a suivre dans ce genre de travaux. »
L'astronomie n'a sans doute pas à Quetelet personnel-
lement les mêmes obligations, mais il en a réveillé le goût,
et c'est à son impulsion que la Belgique est redevable des
nombreux travaux que cette science a vu naître chez nous
^
(181)
depuis quarante ans ; c*est lui qui a dirigé les grandes opéra-
lions par lesquelles l'Observatoire de Bruxelles a été relié à
ceux de Greenwich et de Berlin ; enfin il a été le promoteur
des belles observations sur les étoiles à mouvements propres
qui ont établi la réputation dé M. Ernest Quetelet à l'étran-
ger.
Comme géomètre, Quetelet a fait preuve d'un véritable
esprit d'invention ; comme littérateur et comme poète, son
mérite ne saurait être contesté.
lia donné une vive impulsion àj'étude des sciences en
Belgique; on peut dire qu'il a créé l'Académie comme il a
créé l'Observatoire, et la Commission centrale de statistique
lui doit une grande partie de son renom.
Le professeur ne sera jamais oublié, tant qu'il ^restera de
ses élèves , et l'on ne saurait mieux peindre l'homme privé.,
qu'en lui appliquant ce passage de son éloge de l'astronome
Schumacher : « Ceux qui l'ont visité savent qu'il exerçait
l'hospitalité de la manière la plus grande et la plus affec-
tueuse. Son commerce était très agréable; avec une instruc-
tion fort étendue, il causait d'une manière attrayante sur les
sujets les plus divers: sciences , lettres , arts , les objets même
futiles en apparence, rien ne lui était étranger. Sa conversa-
tion était gaie, spirituelle, relevée quelquefois par un léger
grain de causticité qui jamais ne blessait personne , mais qui
tendait à mettre en relief le côté plaisant des choses. »
II était membre de l'Académie des sciences morales et
politiques de l'Institut de France , de la Société royale de
Londres, de la Société astronomique de la même ville, de
r Académie des sciences de Berlin, de l'Académie des sciences
de Saint-Pétersbourg et de bien d'autres sociétés savantes-
qu'il serait trop long d'énumérer. On s'est étonné quelque
( 18S )
fois qu'il n'eût pas été nommé de T Académie des sciencef^
de Paris : cet étonnement aura cessé quand on a vu, con-
tre Tusage, les deux secrétaires perpétuels de TÂcadémie;
MM.ÉliedeBeaumont et Dumas, et IMM.Chasles et Ch. Sainte-
Claire Deville, exprimer, à la séance du 2 mars, les \ifs
regrets que la mort de notre compatriote avait inspirés , et
qu'on a pu lire les paroles suivantes , prononcées par le pre-
mier de ces académiciens : » L'annonce de la mort de Tillustre
savant a été adressée officiellement, ainsi que cela devait
être , à l'Académie des sciences morales et politiques , dont
il était devenu associé étranger , après en avoir été corres-
pondant depuis de longues années, comme étant Pun des sta-
tisticiens les plus éminents de l'Europe. Pour celte raison,
M.Quetelet ne tenait à l'Académie des sciences par aucun lien
oflBciel direct, mais il y tenait en quelque sorte virtuellement
par l'importance de ses travaux, dans plusieurs des sciences
que l'Académie cultive. H se plaisait à assister à ses séances,
chaque fois qu'il venait à Paris , et , par l'étendue de ses
connaissances aussi bien que par l'aménité de ses manières
et l'élévation de son caractère , il avait su conquérir un rang
des plus éminents daps l'estime et l'affection de tous ses
membres. Une perte aussi sensible pour tous ceux qui ont
connu M. Quetelet ne pouvait passer inaperçue \lans une
assemblée aux travaux de laquelle il avait si souvent associé
les siens , dans l'astronomie , la météorologie , la statistique ,
les mathématiques, etc. »
Avons-nous besoin de Ynentionner les nombreuses déco-
rations envoyées à Quetelet de tous les pays : il était de ces
hommes qui honorent les Ordres auxquels ils appartiennent.
Bornons-nous à rappeler que le Roi des Belges lui avait remis
lui-même les insignes du grade de grand officier de l'Ordre
( 183 )
de Léopold . dans la séance publique ou l'Académie célébra ,
le 7 mai 1866 , le cinquantième anniversaire de sa réorgani-
sation.
Bruxelles, le 7 septembre iH7i.
Éd. Maillt.
NOTES.
* Hommage au talon de Gand. MDGGÇXII. Par un membre
de la Société des beaux-arts, 5™® et dernier numéro, daté du
22 août 1812 [dans le t. Il des Miscbllanbâ offerts par M. Gornelis-
sen, le 20 avril 1837, à l'Acàylémie des sciences et belles-lettres de
Bruxelles.] « ... De»sin$.., Adolphe Quetelet a exposé un groupe
d'après un bas-relief de Duquesnoy ; c'est incontestablement un des
plus beaux dessins du Salon , et qu! a valu à son auteur (1) le pre-
mier prix au Lycée de Gand ; mais dans cette institution utile, qui
compte en cette ville des professeurs du plus grand mérite*, ce jeune
bomroe a remporté plusieurs autres premiers prix bien plus impor-
tants dans la hiérarchie de l'instruction; il honore le Lycée par de
grands succès dans tous les genres.
» (1) Fils d'un père officier municipal , qui dans des temps diffi-
ciles a rendu avec probité et désintéressement des services que l'ad-
ministration n'a pas oubliés **. »
• Le Lycée de Gand, orgnnisc par un décret impérial du M jan-
vier 1808, avait été mis en activité le 1" mai de la même année.
Un décret du 12 mars 1812 l'avait élevé à la deuxième classe.
Voici quel en élail le personnel à cette époque : Proviseur^
M.Bayard; Professeurs: rhétorique, Ph. Lesbroussart ; 2"« année
des humanités, L'Homandie; I" année des liumanités, Avril
S* Firmin ; 2»n« année de grammaire, Tardival; iw année de gram-
(IM)
maire, Deschamps; physique et chimie, Dellard; mathématiques
spéciales, Richard de Rochelines; mathématiques élémentaires,
Guvet; maître de dessin, De Gauwer, aîné; maître de musique.
Gh. Ots.
** Il s'appelait François-Augustin -Jacques-Henri Quetelet, était
né le 29 août 1756 à Ham, en Picardie, et mourut à Gand en 1805.
Très jeune encore il avait quitté la France pour aller en Angle-
terre ; il paraît même qu'il s'était fait naturaliser anglais. En Ecosse,
il avait fait la connaissance d'un noble, dont il était devenu le se-
crétaire et avec qui il avait voyagé sur le continent et parcouru la
Hollande, l'Allemagne , la Pologne et l'Italie. Après quelque temps
de séjour dans ce dernier pays, le noble écossais était venu à mou-
rir, et quoiqu'il eût promis à Quetelet de lui laisser une forte pen-
sion, celui-ci ne put rien obtenir de la famille et alla s'établir à
Gand. Il s'y trouvait déjà en 1787, et s'était enrôlé dans la 3°^ com-
pagnie de volontaires. Le 12 juin 1790, il fut admis comme bour-
geois {Poorter) de la ville , après avoir fait ses années d'apprentis-
sage pour exercer l'état de mercier; néanmoins, il ne figure au
livre des Francs-Merciers qu'en 1791-1793.
* Get établissement avait été fondé par M. P.-J. Maquaire , de
Gand.
s Voir le JourfialdeGand du 7 décembre 1814.
* L'installation du collège eut lieu le 3 avril 1815, dans le local
de l'ancienne abbaye de Baudeloo.
^ Gh. Ots était né à Bruxelles : M. Fétis lui a consacré un article
dans la Biographie universelle des Musiciens , mais il ne cite que sa
musique d'église.
^'Les amateurs de curiosités trouveront l'analyse de cette pièce
dans le Journal de Gand du 20 décembre 1816. « Le poème , » y
lit-on , « est l'ouvrage de deux jeunes gens qui cherchent dans la
littérature dramatique d'agréables délassements à des occupations
plus sérieuses. Quoique l'invention n'en soit pas neuve, il est plein
de détails charmants... La musique de M. Ots a rempli et surpassé
toutes les espérances ; elle est pleine de grâce et de ce sentiment
I'
( 1«5 )
saus lequel la musique chantée perd tout son charme... Au total la
pièce a réussi... » Un autre opéra de Gh. Ots, intitulé : David Te-
nt'ers, fut joué six fois sur le théâtre de Gand , du 28 octobre 1818
au 18 février 1819, elle compositeur dédia sa partition au prince de
Saxe-Weimar.
7 Gassel était do<îteur en médecine et avait été professeur de
sciences naturelles au Gymnase royal de Cologne. Le 18 jan-
vier 1819, il fut élu membre de l'Académie des sciences et belles-
lettres de Bruxelles, et , en 1820 , il publia sous le titre de Morpho^
nia Botanica, des observations nouvelles sur la proportion des
parties dans les organes des végétaux , et des inductions qui jus-
qu'alors n'avaient pas encore été tirées de la considération de ce
genre de caractères. Les figures de cet ouvrage furent litbogra-
phiées (Taprè» le» dessim de Quelelet, Gassel mourut à Gand le
8 juin 1821.
s On pourra se faire une idée des prétentions de Gh. Hauff,
d'après la lettre suivante qu'il écrivit, le 20 janvier 1821 , aux ré-
dacteurs des Annales belgiques (t. VII, p. 82} : « En date du
12 septembre 1819 , M. Van Rees, docteur à l'Université d'Utrecht,
m'a adressé une censure de ma théorie des parallèles , publiée au
commencement d'août de la même année... Nous sommes convenus
de choisir pour arbitre dans cette dispute M. Le Gendre, à Paris.
Get académicien ayant adopté les erreurs de mon adversaire et dé-
cidé en sa faveur , je suis réduit à la nécessité de soumettre notre
dispute au jugement de toute la république littéraire , ce que je
ferai dans un recueil de suppléments à ma théorie,... dans lequel je
ne manquerai pas de réfuter les erreurs de M. Le Gendre, comme
j'ai réfuté autrefois celles de MM. La Grange et Lacroix. »
M. Van Rees, dont il est ici question, fut plus tard un des profes-
seurs les plus distingués de l'Université de Liège.
9 Notice biographique de Raoul.
<o Quetelet eut pour successeur au collège de Gand M. Lemaire,
son élève et son adjoint , et celui-ci fut remplacé par M. Timmer-
mant.
16
( 186 )
** Notice biographique du commandeur de Nieuport.
^^ On Ut dans le procès-verbal de la séance du 14 mai 1790 :
Sur la proposition de BI. le commandeur de Nieuport , la Compa-
gnie prit la résolution de souscrire sur les fonds de l'Académie
quatre pièces d'artillerie de campagne de six livres de balle, à rate
de trente louis d'or chacune, et le secrétaire fut chargé d'en donner
la soumission et de payer en qualité de trésorier provisionnel In
somme de 130 louis d'or sur demande. »
>s Voici l'extrait d'un article écrit par Nieuport en 1812 et in-
séré dans VEipril de» journaux , sous le titre : Sur la préférence à
donner au lalin,dan» les ouvrages qui concernent les sciences et la
littérature ancienne, c... Ën6n un dernier avantage, non moins pré-
cieux , que présente l'usage des langues mortes, est celui de pou-
voir publier, sans aucun inconvénient, des découvertes, des ré-
flexions, des détails, etc. , que soit par décence , soit par quelque
motif relatif au bien général, il n'est pas convenable de livrer aux
personnes qui, dépourvues d'instruction, chercheraient tout au
plus à en abuser. Qui 8ait même si on ne pourrait pas étendre cette
considération jusqu'à la liberté de la presse, accordée en latin seu-
lement , avec défense expresse de traduire aucun pareil ouvrage
moderne, sans un octroi préalable. » Cet article a été reproduit par
Nieuport dans son livre : Un peu de tout ou amusements d'un sexagé-
naire, l vol. in-80; Bruxc^lles, 1818.
^* Notice biographique du baron de Reiffenberg.
^s La Société de littérature, constituée le 10 janvier 1800 , avait
été réorganisée le 17 janvier 1819. Le même jour elle avait renou-
velé son bureau d'administration : M. Legros avait été réélu prési-
dent annuel ; M. Lecocq avait été nommé secrétaire perpétuel ,
BI. Vautier , secrétaire annuel, et M. de Scheppere, trésorier.
*^ La. bataille de Nieuport, gagnée en 1600 sur les Espagnols
par Maurice de Nassau , et la bataille de Waterloo.
*^ Revue encyclopédique, numéro de février 18âS.
is Numéro d'août 1830. On pourrait demander comment un
mémoire présenté à l'Académie le 14 octobre a pu faire l'objet d'une
( 187 )
analyse dans le numéro d'août des Annales belgiques : mais cette
espèce de contradiction s'explique fort bien par le retard que
subissent souvent les numéros d'un recueil périodique.
*^ jénnales belgiques t numéro de janvier t821.
*o Numéro de février 1822.
'1 Résumé d'une nouvelle théorie des caustiques.
•^ ibidem.
*^ C'est ce qui fut fait simultanément par Gergonne dans les
Annales de.Nismes, numéro de juillet t82{>, et par Quetelct dans la
Correspondance matliématique , t. I,p. i47.
^* Correspondance mathématique , t. I, p. 336.
"^^ Annales de Nismes, numéro d'avril 1826.
^^ Résumé d'une nouvelle théorie des caustiques.
''7 Numéro de septembre 182£^. — Le Bulletin des sciences ma-
thématiques ^'etc ,du baron de Ferussac, consacra également (t. VII,
p. 15; t. VIII, p. 102; t. XII , p 192) plusieurs articles à ce mé-
moire et au suivant: nous avons mis à profit les analyses qu'il en
donne.
^ Correspondance mathématique , l. V, p. 188.
«9 Ibidem, i. VI, p. 207.
50 ibidem, t. X, p. 478.
51 ibidem, t. V, p. 361.
3« Ibidem, i. IV, p. 393.
•»' De Vastronomie dans l'Académie royale f(e Belgique. — Rap-
port séculaire (1772-1872).
34 Bulletin des sciences mathématiques, etc., du baron de Ferus-
sac, t. VIII, p. 161.
38 Le florin des Pays-Bas valait fr. 2 1 165 c".
36 Annales du Musée den sciences et des lettres de Bruxelles ; \.l,
Bruxelles, 1827.
37 Le 10 mars 1844, quarante-quatre des anciens élèves de
Quetelet lui offrirent un banquet : on comptait parmi les souscrip-
teurs, MM. Liedis, président de la Chambre des représentants;
Van Praet (Jules), ministre de la maison du roi ; le baron Henri
( 188 )
d'Anethan, secrétaire adjoint du roi; Dejaegber, chargé d'affaires
au Brésil; De Bavay (Antoine^, secrétaire général du ministère des
travaux publics; Rody, administrateur de la sûreté publique;
Ed. Stevens, directeur au ministère de l'intérieur; Misson (Victor) et
Deham, chefs de bureau au même département; Vauthier (Aug.),
chef de bureau au ministère des finances; Trumper, colonel d'état-
major , directeur du dépôt de la guerre ; Nerenburger , lieutenant-
colonel d'éiat-major ; De Man (Emile) et Groetaers (J.-B), capitaines
du génie; Groetaers (Georges), ingénieur en chef des ponts et chaus-
sées; Schockeel, capitaine-lieutenant de vaisseau, Colinez et De Man
(Gustave), architectes; Kickx, Lemaire, Morren , Plateau, profes-
seurs des Universités de l'État ; Verhuist, professeur à l'École mili-
taire; De Bavay (Paul) et Mailly (Ed.), docteurs en sciences; des
magistrats; des avocats, et parmi ceux-ci, M. Metdepenningen , de
Gand ; M. Ycydt (Laurent), du Conseil provincial d'Anvers, etc.
3S Cette minorité comprenait le baron de Keverberg de Kessel,
conseiller d'État, MM. Doncker-Curtius et Ch. de Brouckere,
membres de la seconde chambre des États Généraux , et Quetelet.
39 Cette commission était composée de MM. Arnould, secrétaire
inspecteur de l'Université deLouvain; Belpaire, ancien inspecteur
des écoles , greffier au tribunal de commerce d'Anvers; Cauchy,
professeur de minéralogie à l'Athénée de Namur, ingénieur des
mines; J.-G.-J. Ernst, professeur à la faculté de droit de l'Univer-
sité de Liège ; Charles Lecocq , ancien membre du Congrès national ,
ancien inspecteur des écoles; Quetelet, professeur au Musée des
sciences et des lettres à Bruxelles. Elle devait être présidée par le
ministre.
*^ Au 31 décembre 1850, il avait été dépensé 128653 florins,
outre 16000 fl. payés à M. Canzius pour achat de son cabinet
(M. Canzius avait été constructeur d'instruments à Deift); en 1831,
il fut dépensé pour compte du gouvernement hollandais , 38063 fl.,
et la somme portée au budget (hollandais) de 1833 s'élevait à
162284 fl. Pour les ateliers de construction , le cabinet de minéra-
logie, celui des instruments d'agriculture, etc., il restait à dé-
( 189 .)
peuser 16S000 11., ce qui portait la dépense totale, pour compte
de r État, à 500000 fl. '
^1 Le palais de Tindustrie coûta à la ville de Bruxelles,
578349 francs.
** Notice biographique de M. Falck.
*^ Notice biographique de M. Bouvard.
^ Le premier article de Quetelet parut dans le numéro d'oc-
tobre 16S3.
^ Voir la Description de pliuieurs Observatoiret d'Angleterre,
dans les t. IV et V de la Correspondance.
^ Voir les /Vofe« extraites £un voyage scientifique, fait en Alk'
magne pefuiant l'été de 1839, dans le t. VI de la Correspondance.
*'' La plupart des détails relatifs à la fondation de l'Observatoire
ont été empruntés aux pièces déposées dans les Archives de la ville
de Bruxelles, pièces qui ont été mises obligeamment à ma disposi-
tion par l'archiviste, M. A. Wauters, mon confrère à l'Académie.
^ Correspondance , i. III, p. 307.
49 Jbidem, t. III, p. 308.
80 Ibidem j t. IV, p. 134.
81 Jbidem, t. IV, p. 38 et p. 106.
M Ibidem , t. IV, p. 46 et p. 177.
>8 Ibidem, t. III, p. 34 et p. 145.
M /6tVi«fn, t. VI, p. 311.
88 De l'astronomie dans l'Académie royale de Belgique, — Rapport
séculaire (1773-1873).
86 Numéro de janvier 1838.
87 Notice biographique de Smits.
88 Les deux articles insérés dans la Revue encyclopédique parurent
aussi dans la Correspondance mathématique, t. VII. Le premier,
Sur, la possibilité de mesurer V influence des causes qui modifient les
éléments sociaux, y figurait comme Lettre à M. le docteur Villermé,
89 On trouve de nombreux détails sur les travaux de la réunion
de Cambridge , dans les Notes extraiteê d'un voyage en Angleterre
aux mois de juin et de juillet 1833. CoBBBsronDAiicB HATHteATiQiiB,
( 190 )
t. VIU. — Quetelet assista également à la réunion de rAssoeialion
Britannique, qui fut ouverte à Plymouth , le 39 juillet 1841. Il y
fit connaître son système d'observations des phénomènes p^io-
diques, dont il sera parlé plus loin, et le tableau des principaux
phénomènes à observer fut inséré dans les Transactions de l'Asso-
ciation.
^ Les membres présents étaient : MM. Quetelet, directeur; de
Reiffenberg , faisant les fonctions de secrétaire ; Cornelissen , Tbiry ^
Kestelool , Yan Mons,Dandelin , Pagani, Yandermaelen , Marchai ,
Dumortier, Sauveur, De Gerlache, de Stassart, Timmermans,
Fohmann, De Hemptinne, Lejeune, Bekker, membres ordinaires;
Walter, membre hoùoraire. — Assistaient à la séance: MM. Wes-
mael, Jules van Praet, Plateau, Dumont et Schmerlitig, corres-
pondants. — C'est dans cette séance du 23 novembre que M. Dumont
fit connaître son intention de lever une carte géologique de la
Belgique. « La Compagnie, » lit-on au Bulletin de la séance,
« qui apprécie toute l'importance de ce projet et qui sait avec quel
succès M. Dumont est capable de l'exécuter , lui témoigne le vif
intérêt qu'une pareille entreprise lui inspire et promet de la favo-
riser de tout son pouvoir. »
61 11 a été reproduit dans le tome IX de la Correspondance.
6i De l'astronomie dans V Académie royale de Belgique ,elc,
63 Annuaire de l'Observatoire pour 1837.
^ Notice biographique de Schaar.
65 Plusieurs confrères de Quetelet lui prêtèrent leur concours à
cette époque, et continuèrent à s'occuper des phénomènes pério-
diques. Nous citerons MM. Dumortier, Spring, Ch. Morren . Kickx,
(le fils de l'académicien dont nous avons parlé, et qui était entré à
son tour à l'Académie en 1837), Martens, de Selys Longchamps ,
Schwaan.
66 Numéro de décembre 1835 : article sur le premier mémoire de
statistique présenté par Quetelet à l'Académie.
67 Cette note fut ajoutée à l'article de la Revue d'Edimbourg d<»nt
nous avons parlé, lorsque sir John Herschel fit entrer ledit article
{ 191 )
dans un volume auquel il donna le titre de : Essayé from the Edin-
burghand Quarterly Rfviews , etc., Londres, 1857.
<>^ Numéro de juillet 1849.
^ On trouvera une traduction du rapport de M. Wheatstone
dans V Annuaire de l'Observatoire de Bruxelles pour 1851.
"^^ Le mémoire sur les ondes atmosphériques parut en 1851 dans
le t. VIII, ire partie, des Ariiilbb de l'Observatoire. A la page 78,
l'auteur fait connaître que la réduction et la construction graphique
des observations, commencées par M. Liagre , ont continué, après
le départ de celui-ci de l'Observatoire, à être faites •• avec non moins
de zèle et de sagacité » par M. Houzeau , son successeur. « Je suis
heureux, > dit-il, « de trouver cette occasion pour exprimer à l'un
et à l'autre ma reconnaissance pour la manière intelligente dont ils
m'ont secondé. »
T^ Article de M. L. Dufour, dans le t. Il de la nouvelle série, 1858.
'• Numéro de janvier-février 1854. — Article de M. A. Gau-
tier.
'» T. XV, 1862.
"^^ Quetelet avait publié , dès l'année 1821, une biographie de
Grégoire de Saint- Vincent , dans les Annales belgiques. Il donna
celle de Gemma Frisius,dans la Correspondance mathématique,
en 1825 ; celle de Ph. Van Laensberge, dans V Annuaire de l'Obser-
vatoire pour 1837 ; et celle de Simon Stevin, dans les Belges illus-
tres, en 1845.
^' Ce traité parut à Paris en 1704. Le Poivre en donna une nou-
velle édition à Mons , en 1708 , sous le titre : Traité des sections du
cône considérées dans le solide , avec des démonstrations simples et
nouvelles « plus simples et plus générales que celles de l'édition de
Paris i par M. Le Poivre, contrôleur des ouvrages de la ville de Mons.
Elle a été réimprimée en 1854, par les soins de M. Camille Wins :
celui-ci y a joint une notice sur l'auteur , donnée par Quetelet ,
en 1848, dans les Annales de la Société des sciences, des arts et des
lettres du Hainaut.
I t
'1
ERRATA.
.V ^'
,rk
■i
IV-
Page 25, ligne 7, au lieu de : A. Qnetelet, lisez: M. A . Quetehi.
» 86, » 10. » des différents théorèmes, lisez :
de différents théorèmes.
M 36, » 16, » on a ainsi, lisez : on aura.
« 49, » l24. » m avaient suggéré l'idée, \hei:
en avait suggéré l'idée.
>' 71 , > 1 , ); plansj lisezj: p/«« .
)' LW. » 14, on a omis le chiffre r// devant: />f'/V<fl/f/M
r/>/ <*» général.
» 16;^, » 6, au lieu (le : .S7»r mois avant sa mort, lisez :
di.r-huit mois avant sa mort.
» 190. » ;^), )* Sehwaan, lisez : Schwann.
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